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Full text of "Dictionnaire de pédagogie et d'instruction primaire"

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DICTIONNAIRE 

DE  PÉDAGOGIE 

ET 

D'INSTRUCTION  PRIMAIRE 


4434-81.      —     CORUEIL.      IMl'HIMKRli;     CHÉÏÉ. 


DICTIONNAIRE 

DE  PÉDAGOGIE 

ET 

d'instr.u(;tion  primaire 


i-uitLii:  su  us   LA  iii  Ki':<:  riu[N    ui: 


F.  BUISSON 

agrégé    de    l'Université 
inspecteur    générai    de    l'enseignement     prima 


AVEC    LE    CONCOURS    D  UN    GRAND    NOMBRE    DE    COLLABORATEURS 

MEMBRES    Dli    LINSTITUT,    PUBLICISTES. 

tONCTIOnxAinES    DE    l'instruction    PUBLIOUE,  INSPECTEURS,  PROFESSEURS 

KT    INSTITUTEURS     DE    FRANCE    ET    DE  L'ÉTRANGER 


II'     PARTIE 


TOME      SECOND 


PARIS 

LIBRAIRIE     HACHE  T  TE     ET     C 

7  'J  ,       Il  (I  U  I.  r,  V  A  H  11      SAIN  T  -  li  B  H  M  A  I  N  ,       7  '.) 


188:.' 


p 


DICTIONNAIRE 

DE  PÉDAGOGIE 

ET  D'INSTRUCTION  PRIMAIRE 

(DEUXIÈME  PARTIE) 


IDEli:.  —  Psycliologie,  V.  —  Etym.  :  du  grec 
eidos,  image.  —  L'idée  pourrait,  d'après  l'étynio- 
logie,  se  définir  :  l'image  des  objets  dans  l'esjjrit. 
Cependant  la  significaiioii  du  mot  idée  est  plus 
générale  encore  :  il  désigne  l'acte  le  plus  simple  Je 
l'intelligence,  s'appliquant  soit  au  monde  extérieur, 
soit  au  monde  intérieur  de  la  conscience,  soit  h 
l'ordre  des  réalités  suprasensibles.  Ainsi  nous 
avons  les  idées  des  sons,  des  couleurs,  de  diffé- 
rents êtres,  inanimés  ou  vivants  :  voilà  pour  le 
monde  extérieur;  nous  avons  les  idées  de  plaisir 
et  de  douleur,  celles  des  résolutions  que  nous 
avons  pu  prendre  autrefois,  etc.  :  voilà  pour  le 
monde  intérieur  ;  nou.ç  avons  les  idées  d'espace 
infini,  du  temps  éternel,  d'être  parfait,  etc.  ;  voilà 
pour  le  monde  suprasensible. 

L'idée  se  distingue  à  la  fois  de  la  sensation  pure 
et  de  la  détermination  volontaire.  Je  puis  avoir  en  effet 
l'idée  d'une  souffrance  ou  d'une  jouissance,  sans  les 
éprouver  actuellement;  je  puis  d'autre  part  avoir 
l'idée  d'un  choix  à  faire  entre  deux  motifs  d'action, 
sans  pour  cela  me  décider.  Enfin,  si  l'idée  est  une 
représentation  des  choses  dans  l'esprit,  elle  n'im- 
plique pas  nécessairement  l'existence  d'un  objet  h 
titre  de  réalité  distincte  do  l'esprit  lui-même. 
Un  cheval  ailé,  une  montagne  d'or,  n'existent  pas 
dans  la  nature  ;  il  m'est  cependant  possible  de 
m'en  former  l'idée.  Mais  on  remarquera  que  ces 
idées  factices,  ainsi  que  les  appelait  Descarles, 
nous  apparaissent  comme  telles,  c'est-à-dire  que 
nous  avons  conscience  de  les  produire  volontaire- 
ment, et  nous  connaissons  par  là  même  qu'elles 
ne  correspondent  à  rien  de  réel  ;  on  remarquera 
de  plus  que  la  nature  et  l'expérience  nous  eji 
fournissent  tout  au  moins  les  éléments.  S'il  n'existe 
pas  di^  montagne  d'or,  l'or  et  la  montagne  existent 
séparément  :  c'est  seulement  la  combinaison  des 
idées  représentuiit  ces  deux  objets  qui  est  notre 
œuvre,  et  nous  le  savons  très  bien.  On  peut  donc 
admettre  en  principe  que  toute  idée  qui  ne  nous 
apparaît  pas  comme  une  création  artificielle  de 
notre  esprit,  et  qui  est  accompagnée  de  la  croyance 
h  l'existence  d'un  objet  en  dehors  de  nous,  impli- 
que l'existence  réelle  de  cettç  objet.  Là  est  le  fon- 

2'    PARÏIK. 


dément  de  toute  certitude  relativement  à  l'existence 
du  monde  extérieur  et  de  Dieu. 

En  un  sens,  le  nombre  des  idées  est  illimité  ;  il 
dépend,  pour  chacun,  du  degré  de  savoir  ou  de 
réilexion  auquel  il  est  parvenu.  L'homme  fait  a 
plus  d'idées  que  l'enfant,  le  savant  que  l'ignorant. 
Mais  les  idées  présentent  entre  elles  certains  traits 
de  ressemblance  ou  de  différence  qui  ont  permis 
de  les  classer.  Ces  classifications  elles-mêmes  sont 
de  valeur  inégale  selon  la  nature  des  caractères 
considérés. 

Ainsi  les  idées  sont  dites  claires  ou  obscures, 
distinctes  ou  confuses,  particulières  ou  générales, 
abstraites  ou  concrètes,  vraies  ou  fausses,  etc. 
Elles  sont  claires  quand  elles  représentent  vive- 
ment leur  objet  à  l'esprit  ;  distinctes,  quand  elles 
représentent  l'objet  avec  tous  les  attributs  essen- 
tiels qui  lui  appartiennent  dans  la  réalité;  en  ce 
cas,  elles  reçoivent  quelquefois  le  nom  d'adéquates. 
Une  idée  peut  être  claire  sans  être  distincte  :  si 
je  me  brûle  la  main,  j'ai  l'idée  très  claire  de  la 
douleur  éprouvée;  cependant  j'ignore  comment 
une  modification  toute  mécanique  des  tissus  do  la 
peau  peut  produire  dans  l'âme  une  sensation  : 
l'idée  de  la  souffrance  n'est  donc  pas  ici  une  idée 
distincte.  Une  idée  particulière  est  celle  qui 
n'exprime  qu'un  seul  individu';  par  exemple,  l'idée 
do  tel  homme,  Pierre  ou  Paul.  L'idée  générale, 
au  contraire,  est  colle  qui  convient  à  toute  une 
espèce  ou  à  tout  un  genre  :  l'Idée  de  l'homme,  da 
l'animal,  etc.  L'idée  particulière  est  également 
concrèie,  c'est-à-dire  qu'elle  représente  un  objet 
ayant  une  existence  propre  et  indépendante  de 
l'esprit;  l'idée  générale  est  par  là  même  abstraite, 
l'abstraction  étant  ce  procédé  qui  consiste  à  déga- 
ger des  caractères  multiples  des  individus  qui  for- 
ment un  genre,  ceux  qui  conviennent  à  tous,  en 
négligeant  les  autres.  Mais  si  toute  idée  générale 
est  le  produit  d'une  abstraction,  il  est  dos  idées 
abstraites  qui  ne  sont  pas  pcjur  cela  des  idées  gé- 
nérales ;  ainsi  je  puis,  dans  une  orange,  considérer 
seulement  la  forme,  ou  la  couleur  :  les  idées  do 
ces  qualités  prises  à  part  seront  ahsti-aites,  sans 
qu'il  soit  nécessaire  de  les  affirmer  do  tous  les 


IDEE 


1002  — 


IDEE 


fruits  appelés  oranges.  Enfin  les  idées  vraies 
sont  celles  qui  sont  conformes  à  leurs  objets,  bien 
qu'en  réalité  le  vrai  et  le  faux  soient  plutôt  des  ca- 
ractères du  jugement,  lequel  est  l'expression  d'un 
rapport  entre  deux  idées. 

Tous  ces  principes  de  classification  ont  leur  uti- 
lité en  logique  ;  mais  leur  importance  n'est  après 
tout  que  secondaire.  En  effet,  telle  idée,  claire  et 
distincte  pour  tel  esprit,  sera  obscure  et  confuse 
pour  tel  autre;  une  idée  sera  plus  ou  moins  géné- 
rale, selon  qu'on  la  considère  en  rapport  avec  celle 
de  l'espèce  dont  elle  exprime  le  genre,  ou  celle  du 
genre  supérieur  dont  elle  n'est  que  l'espèce.  Par 
exemple,  l'idée  d'homme  est  plus  générale  que 
celles  de  Pierre,  de  Paul,  de  Français,  d'Européen  : 
et  moins  générale  que  l'idée  d'être  animé.  Aussi 
les  psychologues  sont-ils  à  peu  près  d'accord  pour 
reconnaître  que  la  véritable  classification  des  idées 
est  celle  qui  se  fonde  sur  la  diB'érence  d'origine. 

La  question  de  l'origine  des  idées,  qui  touche 
aux  problèmes  les  plus  élevés  de  la  métaphysique 
et  de  la  morale,  est  une  de  celles  qui  ont  tenu  le 
plus  de  place  dans  les  préoccupations  des  philoso- 
phes à  toutes  les  époques  de  l'histoire.  Les  uns, 
ce  sont  les  sensualistes,  ont  prétendu  dériver 
toutes  les  idées,  par  suite  toute  la  connaissance 
humaine,  soit  de  la  sensation  (Epicure,  Hobbes, 
Condillac);  soit  de  la  sensation  et  de  la  réilexion 
(Locke,  Laromiguière)  ;  plus  généralement,  de 
l'expérience  externe  ou  interne 'sensou  conscience), 
d'où  le  nom  d'empirique  (do  grec  empeiria,  expé- 
rience) donné  quelquefois  a  cette  école.  Les  au- 
tres se  sont  elTorcés  de  montrer  que  certaines 
idées  doivent  être  nécessairement  rapportées  à 
une  source  différente,  qu'elles  sont  le  produit 
d'une  faculté  souveraine  distincte  des  sens,  de  la 
conscience,  et  des  opérations  intellectuelles  telles 
que  la  comparaison,  l'abstraction,  la  généralisa- 
tion, le  raisonnement;  cette  faculté  est  la  vais'ut, 
et  les  philosophes  qui  professent  celte  doctrine 
sont  appelés  rudonalistes.  Le  rationalisme  est  re- 
présenté dans  l'histoire  de  la  philosophie  par  les 
noms  de  Platon,  de  Descartes,  de  Leibnitz,  deKant, 
de  Royer-Collard  et  de  Victor  Cousin. 

Nous  ne  pouvons  retracer  ici  les  phases  diver- 
ses de  ce  grand  débat  ;  contentons-nous  d'esquis- 
ser, dans  ses  traits  essentiels,  la  démonstration 
de  la  thèse  rationaliste. 

Un  examen,  même  superficiel,  de  nos  idées, 
suffit  à  faire  reconnaître  que  les  unes  sont  contin- 
yçntes,  les  autres  7iéi:essaiies.  Les  idées  contin- 
gentes sont  celles  qui  pourraietit  ne  pas  exister 
dans  l'esprit  sans  que  leur  non-existence  impli- 
quât contradiction.  J'ai  les  idées  d'arbre,  de  mai- 
son, de  couleur,  mais  je  pourrais  ne  pas  les  avoir  ; 
mon  intelligence  n'en  subsisterait  pas  moins. 
Tout  autres  sont  les  idées  nécessaires  :  elles  sont 
telles  que  l'on  ne  saurait  concevoir  un  esprit  qui 
ne  les  possédât  pas,  à  un  degré  quelconque  de 
clarté  et  de  précision.  De  ce  nombre  sont  les  idées 
d'espace  et  de  temps. 

Ce  caractère  de  nécessité  de  certaines  idées  ré- 
sulte évidemment  de  la  nécessité  même  de  leurs 
objets.  Tandis  que  je  puis  sans  absurdité  suppo- 
ser anéantis  la  table  sur  laquelle  j'écris,  la  cham- 
bre qui  la  renferme,  la  maison  que  j'habite,  et  la 
terre  même,  et  le  système  solaire,  et  les  millions 
d'étoiles  qui  peuplent  les  deux,  je  fais  de  vains 
efforts  pour  supprimer  par  la  pensée  l'espace  vide 
et  illimité.  Antérieurement  à  toute  création,  il  est 
là  pour  ctmtenir  les  corps  possibles  :  l'univers 
fùt-il  anéanti,  il  serait  encore  là,  éternellement 
prêt  à  en  recevoir  un  nouveau. 

De  même  pour  le  teinps.  Dans  la  nature  exté- 
rieure, comme  au  sein  de  ma  conscience,  les  phé- 
nomènes s'écoulent.  Chacun  d'eux  a  commencé 
d'exister;  la  série  tout  entière  a  eu  un  conimen- 
■ement.  Mais  puis-je  concevoir  qu'ils  ne  se  succè- 


dent pas  dans  le  temps,  que  le  temps  ait  com- 
mencé d'être,  qu'un  temps  ait  été  où  le  temps  ne 
fut  pas,  et  qu'à  un  moment  quelconque  de  l'ave- 
nir, le  temps  puisse  cesser  d'exister?  De  telles 
hypothèses  répugnent  à  la  raison;  elles  impli- 
quent contradiction  dans  les  termes  :  comme  l'es- 
pace, le  temps  est  nécessaire. 

L'école  rationaliste  énumère  d'autres  idées  en- 
core à  qui  elle  reconnaît  le  même  caractère  de 
nécessité  :  l'idée  de  cause  première,  celle  du  bien 
absolu,  ou  fin  suprême  de  la  volonté,  celle  d'être 
parfait,  etc.  Il  faut  reconnaître  d'ailleurs  qu'elle 
n'a  jamais  pris  soin  d'en  dresser  une  liste  complète 
et  méthodique. 

Une  idée  nécessaire  est  en  même  temps  abso- 
lue, c'est-à-dire  qu'elle  ne  dérive  d'aucune  autre  ; 
l'idée  contingente,  au  contraire,  est  relative.  Je 
ne  puis  concevoir  un  corps  sans  concevoir  l'espace 
qui  le  contient;  mais  la  réciproque  n'est  pas  vraie. 
L'idée  de  corps  est  donc  relative  à  l'idée  d'espace  ; 
elle  en  dépend,  tandis  que  celle-ci  est  première, 
et  ne  dépend  que  de  son  objet,  lequel  ne  dépend 
de  rien. 

Enfin,  les  idées  nécessaires  sont  universelles; 
elles  existent,  plus  ou  moins  claires,  mais  tou- 
jours identiques,  dans  toutes  les  intelligences. 
Les  idées  contingentes  sont  particulières,  en  ce 
sens  qu'elles  peuvent  ne  pas  exister  dans  tous  les 
esprits,  ou  être  conçues  différemment  par  chacun 
d'eux. 

De  cette  opposition  de  caractères,  l'école  ratio- 
naliste conclut  à  une  différence  d'origine.  Il  est 
manifeste  que  les  idées  contingentes,  relatives, 
particulières,  viennent  des  sens  ou  de  la  cons- 
cience, en  un  mot  de  l'expérience.  Il  n'est  pas 
moins  évident  que  les  idées  nécessaires,  absolues, 
universelles,  ne  sauraient  découler  de  la  même 
source.  L'expérience  nous  révèle  ce  qui  est,  à  tel 
point  de  l'espace,  à  tel  moment  de  la  durée  :  non 
ce  qui  ne  peut  pas  ne  pas  être,  ce  qui  est  et 
doit  être,  partout  et  toujours.  La  faculté  qui  nous 
donne  ces  connaissances  d'ordre  supérieur  s'ap- 
pelle la  raison  '. 

Sans  nier  les  différences  profondes  qui  séparent 
ces  deux  classes  d'idées,  les  philosophes  de  l'école 
empirique  cherchent  à  les  atténuer,  en  dénaturant 
les  notions  nécessaires  pour  les  rapprocher  insen- 
siblement des  notions  contingentes.  C'est  ainsi 
qu'ils  ramènent  les  idées  d'espace,  de  temps,  à 
celles  d'étendue,  de  durée  indéfinies.  Nous  com- 
mençons, disent-ils,  par  considérer  abstraitement 
telle  étendue'  particulière,  celle  de  ce  livre  ou  de 
cette  table  ;  cette  étendue,  bornée  de  toutes  parts, 
nous  l'amplifions  par  l'imagination,  nous  l'agran- 
dissons au  delà  de  toutes  limites  assignables  : 
voilà  l'espace  infini  des  rationalistes;  il  n'est  en 
réalité  que  l'indéfini,  notion  route  négative,  qui 
exprime  simplement  l'impuissance  où  nous  som- 
mes de  fixer  un  terme  à  la  multiplication  idéale 
des  étendues  que  l'expérience  nous  fournit.  Celle- 
ci  donne  les  matériaux  :  l'abstraction,  la  générali- 
sation, l'imagination  les  élaborent  :  nul  besoin 
d'une  faculté  spéciale  pour  expliquer  l'existence 
dans  l'esprit  de  prétendues  notions  nécessaires  qui 
ne  sont  que  les  transformations  ultimes  des  don- 


de  même  l'idée  de  temps  éternel  à  celle  de  durée 
indéfinie;  l'idée  de  cause  première  à  celle  d'une 
succession  de  phénomènes,  à  laquelle  nous  ne 
saurions  assigner  de  premier  terme;  l'idée  de  bien 
absolu  à  celle  d'utilité,  etc.  Jlais  il  faut  recon- 
naître que  leur  tentative  est  partout  infructueuse. 
En  fait,  nous  avons  conscience  que  les  notions  né- 
cessaires n'apparaissent  pas  dans  notre  esprit 
comme  les  produits  laborieux  de  procédés  d'ab- 
straction et  d'amplification  :  elles  se  manifestent, 
spontanément,   immédiatement,    à   l'occasion   du 


IDÉE 


1003 


IDIOTISME 


contingGnt  et  du  relatif.  L'étendue  bornée  éveille 
invinciblement  la  notion  de  l'espacé  sans  limites, 
la  durée  des  phénomènes  qui  passent  fait  conce- 
voir l'éternité  Immuable,  l'onclialnement  des  cau- 
ses secondes,  provoque  l'affirmation  de  l'existence 
d'une  cause  première  absolue.  Logiquement,  0:1 
aura  beau  multiplier  le  fini  par  lui-môme,  on  n'en 
fera  pas  sortir  l'infiiii  :  si  modifié,  si  torturé  qu'on 
le  suppose,  le  contingent  ne  donnera  jamais  le 
nécessaire,  ni  le  relatif,  l'absolu.  Il  y  a  plus  :  le 
fini  ne  se  conçoit  que  comme  négation  de  l'infini; 
de  ces  deux  termes,  l'infini  seul  a  une  significa- 
tion positive  ;  l'intuition  du  nécessaire,  do  l'ab- 
solu, rend  seule  explicable  la  connaissance  du 
contingent  et  du  relatif. 

L'erreur  des  empiriques  tient  à  ce  qu'ils  ont 
confondu,  dans  la  question  de  l'origine  des  idées, 
l'ordre  logique  et  l'ordre  chronologique.  Il  est 
clair  que  dans  la  première  période  de  sa  vie, 
l'homme  étant  pour  ainsi  dire  tout  sens,  est  inca- 
pable de  s'élever  encore  à  la  notion  distincte  du 
nécessaire  :  la  raison  se  développe  tardivement,  et 
si  les  données  de  l'expérience  ne  venaient  solli- 
citer son  éveil,  elle  resterait  éternellement  en- 
gourdie. Chronologiquement,  les  idées  contin- 
gentes précèdent  donc  les  idées  nécessaires.  Mais 
il  est  clair  aussi  que  dans  l'ordre  logique,  celles-ci 
sont  antérieures  h  celles-là.  C'est  la  raison  seule 
qui  rend  possible  la  connaissance  en  organisant 
l'expérience  et  en  lui  imposant  dès  le  début  ses 
formes  et  ses  lois. 

On  voit  d'après  cela  quelle  est  l'exacte  valeur 
des  critiques  célèbres  qu'au  xvii'  siècle  le  philo- 
sophe anglais  Locke  adressait  à  la  doctrine  des 
idées  innée!,  de  Descartes.  Locke  avait  sans  doute 
raison  de  soutenir  que  l'enfant,  le  sauvage,  le  fou, 
l'idiot,  n'ont  pas  l'idée  claire  de  l'infini,  de  l'être 
parfait,  etc.;  mais  en  parlant  d'idées  innées. 
Descartes  avait  entendu  tout  autre  chose.  Il  pré- 
tendait seulement  que  nous  apportons  en  naissant 
la  faculté  de  concevoir  de  telles  idées,  et  que 
cette  faculté  est  en  elle-même  et  par  sa  nature  es- 
sentiellement distincte  des  autres  modes  d'acqui- 
sition de  la  connaissance.  Et  Leibnitz,  réfutant 
Locke  et  amenant  la  doctrine  cartésienne  à  un  de- 
gré de  précision  supérieur,  comparait  les  idées 
nécessaires  à  des  veines  qui,  dans  l'intérieur  d'un 
bloc  de  marbre,  dessineraient  vaguement  la  figure 
d'une  divinité.  Ces  veines  sont  ignorées,  jusqu'à 
ce  qui  le  ciseau  du  sculpteur  fasse  tomber  les 
écailles  qui  les  dissimule  et,  suivant  les  lignes  tra- 
cées à  l'avance,  produise  au  grand  jour  la  statue 
que  la  nature  avait  en  quelque  sorte  préformée. 
De  même  les  notions  nécessaires  sont  des  semen- 
ces que  nous  apportons  en  naissant,  des  traits  lu- 
mineux cachés  au  dedans  de  nous-mêmes,  et  que 
la  rencontre  des  objets  extérieurs  fait  paraître  dans 
la  conscience. 

Après  la  réfutation  de  Locke  et  de  Condillac 
par  Leibnitz,  Royer-Collard  et  Cousin,  il  semblait 
que  le  débat  séculaire  entre  l'école  empirique  et 
l'école  rationaliste  fiit  épuisé.  Mais  de  nos  jours, 
l'illustre  philosophe  anglais  Herbert  Spencer  est 
venu  apporter  un  élément  nouveau  dans  la  ques- 
tion :  c'est  celui  de  l'hérédité.  Herbert  Spencer 
estime,  avec  les  rationalistes,  que  certaines  no- 
tions, certains  jugements  ne  sauraient  s'expliquer 
par  l'expérience  de  l'individu  ;  mais  il  pense  qu'on 
en  peut  rendre  compte  par  l'expérience  de  la  race 
tout  entière.  Pendant  des  générations  innombra- 
bles, les  hommes  ont  dii,  nécessairement,  et  cela, 
pour  ainsi  dire,  à  chaque  instant,  faire  quelques- 
unes  de  ces  observations  élémentaires  sans  les- 
quelles ils  n'eussent  pu  maintenir  leur  existence 
contre  les  causes  de  destruction  qui  les  assiégeaient 
de  toutes  parts.  Ces  observations  indéfiniment 
répétées  ont  dû  imprimer  à  la  longue  à  leur  or- 
ganisation cérébrale  certaines  modifications  dura- 


bles, car  il  est  de  principe,  pour  M.  Spencer,  qu'à 
tout  état  do  conscience  correspond  un  état  déter- 
miné du  cerveau  et  du  système  nerveux.  Si  l'on 
admet,  comme  les  faits  l'établissent,  que  les  dis- 
positions organiques  des  parents  passent  aux  en- 
fants, on  comprendra  que  dans  la  suite  des  âges, 
les  hommes,  héritiers  d'un  cerveau  déjà  façonné 
par  les  pensées  habituelles  de  leurs  premiers 
pères,  manifestent  une  prédisposition  innée  à  re- 
produire les  mêmes  pensées,  à  formuler  les  mêmes 
jugements.  Les  idées  et  vérités  nécessaires  ne  se- 
raient alors  que  les  expériences  les  plus  générales 
et  les  plus  constantes  des  générations  antérieures, 
accumulées  pour  ainsi  dire  et  gravées  en  traits 
ineffaçables  dans  l'organisme  de  leurs  descen- 
dants. 

Cette  théorie  ingénieuse,  vraie  peut-être  à  quel- 
ques égards,  ne  semble  pourtant  pas  en  état  de 
répondre  à  toutes  les  objections  que  soulève  la 
doctrine  empirique.  D'abord,  l'hérédité  des  dispo- 
sitions intellectulles  est  encore  une  hypothèse  sans 
valeur  scientifique  suffisante;  puis,  fût-elle  admise, 
il  resterait  toujours  à  expliquer  comment  le  con- 
tingent devient  le  nécessaire,  comment  la  con- 
naissance de  ce  qui  est  se  transforme  en  une  con- 
naissance de  ce  qui  ne  peut  pas  no  pas  être.  Que  l'on 
considère  l'expérience  de  la  race,  ou  celle  de 
l'individu,  la  difficulté  est  la  même  ;  elle  est  seule- 
ment répartie  sur  un  plus  large  espace  et  une 
plus  longue  durée.  L'expérience  du  genre  humain, 
comme  celle  de  chacun  de  nous,  implique  des 
principes  et  des  idées  qui  la  dépassent,  lui  soient 
logiquement  antérieurs  et  l'organisent  de  manière 
à  la  rendre  vraiment  intelligible.  Kant  a  fait  voir 
qu'il  y  a  déjà  dans  la  plus  humble  sensation  quel- 
que chose  que  la  sensation  ne  donne  pas,  .et 
Leibnitz  corrigeait  admirablement  l'axiome  sensua- 
liste  :  Il  il  n'y  a  rien  dans  l'entendement  qui  n'ait 
été  d'abord  dans  la  sensation,  »  en  ajoutant  : 
«  excepté  l'entendement  lui-même.  »  L'esprit  avec 
ses  formes  constitutives,  la  raison  avec  ses  notions 
essentielles,  aussi  obscures  et  enveloppées  qu'on 
veuille  les  supposer  à  l'origine,  voilà  ce  que  dut 
apporter  l'humanité  naissante  en  face  de  la  nature, 
sous  peine  de  l'ignorer  éternellement.  Voilà  par 
oii  la  science,  l'art,  la  moralité,  la  religion,  tout 
progrès  et  toute  civilisation  sont  possibles,  et  par 
où  se  manifeste  ent'-e  l'homme  et  la  bête  une  dif- 
férence en  quelque  sorte  infinie. 

Pour  la  réfutation  du  sensualisme  de  Locke,  voîr 
surtout  le  premier  livre  des  Nouveaux  essnis  sur 
l'entendement  humain,  de  Leibnitz,  et  les  leçons 
sur  t'Iiistoire  de  la  philosophie  au  xviii"  siécfe,  de 
V.  Cousin,  t.  II.  [L.  Carra»,]  ' 

IDIOTI.SME.  —  Grammaire.  XXI.  —  Etyftio- 
logie  :  de  la  racine  grecque  idios.  propre,  pan- 
ticulier  à).  —  h' idiotisme  est  une  façon  de  parler 
particulière  et  propre  à  une  langue,  mais  quf  s'é- 
carte des  lois  générales  de  la  grammaire.  Chaque  l(in>- 
gue  a  ses  idiotismos.  Wte  befinden  Sie  ■?>/(?  (mot 
à  mot:  comment  se  trouvent-ils?)  pour  demander  : 
«  comment  vous  porlez-vous  ?  ■>  est  un  idiotisme  alle- 
mand. How  doyvu  do?  (mot  à  mot  :  comn)cnt  faitt's- 
vous  faire?)  pour  dire  :  «  comment  vous  portez'- 
vous?»  est  un  idiotisme  anglais.  Comnieîif  vous 
ffOrtez-vous?  pour  demander:  (dcommeut  est  votre 
santé'?»   est  un  idiotisme  français. 

Idiotisme  <^st  lo  nom  générique;  rjermanitmé. 
ani/licisme,  latinisme,  etc.,  désignent  les  cs^ 
pèces.  ' 

Les  idiotismes  français  se  nomment  des  galli- 
cismes. :  I 

Un  gallicisme  est  donc  Une  façon  de  s'exptimer 
toute  particulière  à  notre  langue.  Cette  particu^ 
larité  d'expression  peut  se  trouver  snlt  dans  le  Sens 
figuré,  soit  dans  la  construction  .syntaxique  de  Xts. 
phrase.  Ainsi  cette  proposition  :  lia  le  cœur  sui"  tti 
main,  n'a  rien   qui  répugne  à  notre  syntaxe,  ihais 


IDIOTISME 


1004 


IDIOTISME 


''image  hardie  qu'elle  évoque  est  propre  au  fran- 
çais et  serait  intraduisible  dans  toute  autre  langue. 
C'est  un  fjallicisme  de  fiyure.  Au  contraire  dans  : 
J'ai  entendu  dire  cela  à  vntre  père,  chaque  mot 
a  son  sens  propre,  la  phrase  n'a  rien  de  figuré; 
mais  à  est  explétif  et  presque  impossible  ;\  expli- 
quer grammaticalement.  C'est  un  gallicisme  de 
syntaxe.  Pour  analyser  cette  proposition  il  fau- 
drait mettre  :  J'ai  entendu  votre  père  dire  cela. 
Mais  la  phrase  devient  aussitôt  lente  et  incolore; 
un  étranger  pourra  parler  ainsi,  un  Français,  ja- 
mais. C'est  que  le  gallicisme  n'est  pas  seulement 
une  tournure  en  dehors  des  règles  communes, 
une  expression  destinée  à  exercer  la  patience  des 
apôtres  fervents  de  l'analyse  grammaticale  et  logi- 
que ;  c'est  le  tour  préféré  du  français  si  alerte  et 
si  vif;  c'est  ce  qui  donne  à  notre  langue  je  ne 
sais  quoi  de  pittoresque  et  de  liardi,  avec  une 
sorte  de  grâce  native  qui  n'appartient  qu'à  elle  et 
que  les  Français  peuvent  seuls  lui  conserver.  Mais 
tout  dépend  de  l'heureux  emploi  du  gallicisme; 
c'est  ce  qui  constitue  le  bon  goût  chez  nous,  ce 
qui  constituait  I'î;'  hanité  chez  les  Latins  et  Yatti- 
cisme  chez  les  Grecs.  Tous  les  auteurs  qui  ont 
écrit  dans  le  genre  tempéré,  Pascal,  madame  de 
Sévigné,  La  Fontaine,  Voltaire  en  fourmillent. 
C'est  une  des  ressources  du  dialogue  comique,  et 
Molière,  Regnard,  Destouches  en  usent  largement. 
Par  contre,  dans  Racine,  Bossuet,  Massillon,  on 
en  trouve  peu  ;  à  mesure  que  le  style  s'élève, 
les  gallicismes  sont  plus  rares.  Aussi  la  langue 
populaire  en  est  pleine,  et  la  plupart  de  nos  pro- 
verbes sont  des  gallicismes. 

Nous  n'entreprendrons  pas  d'en  donner  une  liste 
complète;  un  volume  n'y  suffirait  pas.  Citons  seu- 
lement quelques  exemples  des  deux  grandes  clas- 
ses de  gallicismes  que  nous  avons  établies,  en 
commençant  par  ceux  qui  sont  particulièrement 
du  domaine  de  la  grammaire,  c'est-à-dire  par  les 
gallicismes  de  construction  ou  de  si/ntaxe. 

1°  Gallicismes  de  syntaxe.  —  Ces  gallicismes 
sont  presque  tous  des  plirascs  explétives,  ou  des 
formes  elliptiques  qu'il  faut  redresser  si  l'on  veut 
les  analyser. 

H  y  a  s'écrivait  autrefois  il  a  Oa  forme  il  y  a 
apparaît  cependant  dès  le  treizième  siècle).  Il  y  a 
des  gens  signifie  donc  il  (on)  a  (trouve)  îles  gens. 
Il  est  pris  dans  le  sens  neutre,  et  correspond 
aux  pronoms  allemand  et  anglais  es  et  it.  Quant 
à  V,  il  se  trouve  placé  là,  dit  M.  B.  Jullien,  pour 
éviter  la  confusion  de  cet  impersonnel  avec  la 
troisième  personne  du  singulier  du  verbe  avoir. 

Mon  lime  est  un  gallicisme  euphonique  :  mnn 
est  mis  pour  ma  i  V.  Adjectif,  p.  30). 

Les  vieille^  gens  sont  soupçonneux  :  gallicisme 
historique  dont  l'explication'  se  trouve  au  mot 
A'om. 

Cela  ne  laisse  pas  de  nous  inquiéter  :  ici, 
laisse  a  le  sens  de  cesser,  de  s'abstenir,  de  dis- 
continuer et  est  par  conséquent  verbe  neutre. 

Si  j'étais  que  de  vous  est  mis  pour  si  j'étais  vous, 
et  que  de  est  explétif. 

Ce  que  c'est  que  de  7ious  :  phrase  explétive  ;  de 
est  surabondant. 

Onn'ajani'nsvu,  que  je  sache,  les  alouettes  tom- 
ber toutes  rôties.  L'expression  que  je  sache  est  la 
traduction  littérale  de  quo'l  siiim,  que  les  Latins 
employaient  avec  le  sens  de  :  à  ma  connaissance. 
L'autre  forme  de  cette  locution  :  je  ne  sacUe  pas 
qu'on  oit  jamais  vu,  est  une  inversion  toute  fran- 
çaise. Le  verbe  savoir  conserve  le  mode  subjonc- 
tif, en  prenant  la  négation  de  l'autre  verbe,  et  le 
que  suit  je  sache  au  lieu  de  le  précéder,  en  entraî- 
nant l'autre  verbe  (ait  vu)  au  subjonctif. 

H  s'en  faut  de  b'-aucoup  qne  la  Seine  ait  monté 
si  haut  :  ici,  fatit  ne  représente  pas  le  verbe  fal- 
loir au  sens  ordinaire,  mais  le  verbe  tuanquer  (en 
latin  fallere).  «  Au  bout  de  l'aune  faut  le  drap  .., 


disaient  nos  pères,  c'est-à-dire  ;  manque  le  drap 
Le  vrai  sens  de  ce  gallicisme  est  donc  :  H  s'en  man- 
que de  beaucoup,  etc.,  en  supposant  que  s'en  man- 
quer soit  français. 

Ils  criaient  à  qui  mieux  mieux  est  un  peu  plus 
difficile  à  expliquer.  Nos  ancêtres  disaient  :  qui 
mieux  mieux,  et  même  qui  phf  phis,  sans  mettre 
«,  Nous  aurions  donc,  en  décomposant  notre  exem- 
ple :  ils  criaient,  celui  qui  criait  le  mieux,  faisait 
le  nivux;  c'est-à-dire  :  ils  criaient  à  l'envi  les  uns 
des  autres.  La  préposition  o  a  été  ajoutée  plus 
tard,  comme  dans  les  locutions  à  tue-léte,  à  lou- 
che que  venx-lu,  à  profusion,  etc. 

Coûte  que  coule,  c'est-à-dire  :  que  cela  coûte  ce 
que  l'on  voudra  que  cela  coûte, 

F.Ji  vouloir  à  quelqu'un  est  un  des  innombra- 
bles gallicismes  formés  par  le  mot  en.  Il  signifie 
proprement  :  avoir  un  fevtiment  de  rtmcune  con- 
tre quelqn'un.  Vouloir, ']nmi.  à  la  particule  en,  si- 
gnifie avoir  des  prétentions  sur  une  chose;  de  là, 
le  sens  dérivé  de  mauvaise  intention. 

A'e  vodà-l-il  pas  une  belle  équipée?  est  un  sin- 
gulier exemple  de  gallicisme.  L'adverbe  voilà  est 
composé,  comme  chacun  sait,  de  vas  et  là;  mais 
dans  le  cas  particulier  qui  nous  occupe,  voit  est 
évidemment  à  la  troisième  personne,  et  la  locution 
complète  est  pour  :  Ne  voit-il  pas  là  une  belle 
équipée?  Le  (  est  amené  ici  par  le  son  a  qui 
donne  au  mot  composé  voilà  l'apparence  d'un 
verbe  de  la  première  conjugaison  Cette  assonance 
finale  nous  paraît  une  des  raisons  qui  ont  fait  pré- 
férer voilà  à  voici  dans  cette  locution.  Mais  //  est 
mis  ici  pour  on;  et  la  phrase  redressée  serait  donc  : 
Ne  voit-on  pas  là  une  belle  équipée. 

Tout  et  quelqu»  donnent  naissance  à  une  foule 
de  gallicismes  qu'on  trouvera  expliqués  à  leur 
place  (V.  Syntaxe). 

Nous  bornerons  là  notre  étude  sur  les  gallicis- 
mes de  construction  ;  le  peu  que  nous  en  avons 
dit  suffira  pour  en  faire  comprendre  le  sens  et  en 
faciliter  l'analyse. 

i»  Gallicismes  de  figure.  —  Ces  gallicismes 
proviennent  le  plus  souvent  d'tine  ellipse,  d'un 
pléonasme  ou  d'une  inversion.  11  faut  alors,  pour 
les  analyser  et  les  expliquer  aux  élèves,  suppléer 
à  l'ellipse,  retrancher  le  pléonasme,  faire  dispa- 
raître l'inversion  et  surtout  bien  dégager  le  sens 
figuré.  Ainsi  coiffé  à  la  Tilus  signifie  coiffé  à  la 
façon  de  Titus. 

l'ail  à  la  dvible,  fait  à  la  manière  du  diable. 

Battre  la  campngiie,  qui  se  dit  d'un  malade  dans 
le  délire,  est  une  métaphore  qui  rappelle  les  chas- 
seurs ou  les  soldats  ennemis  qui  courent  les 
champs. 

Battre  quelqu'un  à  plate  couture,  c'est-à-dire  le 
battre  complètement,  au  point  d'aplatir  les  cou- 
tures de  son  habit. 

Monter  sur  ses  grands  chevaux,  se  mettre  en 
colère,  montrer  de  la  sévérité  dans  ses  paroles. 
Cette  expression  nous  fait  remonter  au  temps  de 
la  chevalerie.  On  distinguait  alors  deux  espèces  de 
chevaux  :  le  palefroi  et  le  destrier.  Le  palefroi 
était  le  cheval  de  promenade,  de  parade;  le  des- 
trier, le  cheval  de  bataille,  pins  grand  et  plus  fort 
que  le  palefroi.  Quand  un  chevalier  montait  sur 
son  destrier,  c'était  pour  la  bataille  ou  le  tournoi. 
De  là  le  sens  de  se  mettre  en  colère. 

l'aire  pièce  à  que/qu'un,  se  moquer  de  quel- 
qu'un. I'  De  même  que  l'on  invente  des  sujets, 
des  pièces  de  théâtre,  dit  Vaugelas,  aussi  ce  qu'on 
invente  contre  une  personne  pour  s'en  jouer  et 
divertir,  s'appelle  une  pièce  ;  et  inventer  ces  cho- 
ses-là s'appelle  faire  une  pièce.  >> 

Avoir  maille  à  partir  avec  quelqu'un,  c'est-à- 
dire  avoir  un  différend  avec  lui,  s  explique  avec 
un  peu  do  grammaire  historique.  La  maille, 
monnaie  de  billon  carrée  qui  avait  cours  sous  les 
rois  Capétiens,  était  la  plus  petite  de  toutes  les 


IMAGINATION 


—  1005  — 


IMAGINATION 


monnaies  ;  quand  on  voulait  \o.  partii'  (la  parlager], 
on  ne  pouvait  que  se  quereller,  puisqu'il  n'y  avait 
aucune  unité  monétaire  au-dessous  d'elle.  Du  reste 
ce  mot  maille,  qui  entre  aujourd'hui  dans  plusieurs 
gallicismes,  était  autrefois  d'un  usage  courant  et 
signifiait  un  demi-denier.  On  dit  encore  :  «  Un 
pince-maille,  n'avoir  ni  sou  (autrefois  ni  denier) 
ni  maille  »,  etc. 

Beau,  belle,  forment  aussi  une  foule  de  galli- 
cismes, sur  le  sens  étymologique  desquels  on  n'est 
pas  bien  d'accord  :  Vous  avez  beau  jeu;  vous  avez 
beau  dire;  il  cria  de  plus  belh';  vous  me  la  baill'-z 
belle;  il  la  échappé  he'le. 

Cœur,  grâce  ;\  ses  sens  multiples  de  viscère, 
sentiment,  partie  intime  d'un  objet,  etc.,  forme 
également  nombre  d  idiolismes  :  Il  est  au  cœur  de 
la  difficulté  ;  je  vous  aiderai  rie  grand  cœur;  il  a 
ride  Don  cœur;  il  a  le  cœw  snlide,  etc. 

Nous  n'insisterons  pas  davantage  ;  on  voit  seule- 
ment, par  ces  quelque  *  exemples,  que  la  plupart 
de  nos  gallicismes  de  figure  sont  des  expressions 
Tenues  de  notre  vieille  langue  et  détournées  peu 
à  peu  de  leur  sens  primitil'.  On  les  emploie  et  on 
les  cite  à  tout  propoi  aujourd'hui,  en  comprenant 
d'instinct  le  sens  général  et  figuré  qu'elles  repré- 
sentent; mais  on  serait  souvent  bien  en  peine  de 
les  analyser  et  de  rendre  raison  de  chacun  des 
termes  pris  à  part.  Il  y  a  pourtant  là  une  source 
d'études  curieuses  que  nous  ne  saurions  trop  re- 
commander aux  instituteurs.     [J.  Dussouchet.] 

Auteurs  à  consulter.  —  B.  Jullien.  Grammaire  gé- 
nérale.—  Émari-AIartin,  Courrier  de  Vavgelas.  —  Quitard, 
Dictionnaire  des  Proverbes.  —  Charles  Kuzan,  les  Petites 
Ignorances  de  la  conoersation. 

IMAGINATION.  —  Psychologie,  IX.  —  Défini- 
tiondel'imiitjina'ion  :sinalure.  —  L'imagination  est 
un  mot  complexe  qui  exprime  des  états  de  l'esprit 
assez  différents  les  uns  dus  autres.  D'abord,  et 
sous  sa  forme  la  plus  simple,  l'imagination  se 
confond  presque  av.  c  la  mémoire,  dont  elle  n'est 
qu'un  degré  particulier  :  elle  consiste  alors  dans 
le  fait  de  se  représenter  les  objets  en  l'absence 
des  objets,  de  les  voir,  de  les  entendre  mentalement, 
comme  si  on  les  voyait,  si  on  les  entendait  en 
réalité.  Elle  est  la  simple  faculté  de  concevoir,  les 
yeux  fermés,  ce  que  tout  à  l'heure  on  a  aperçu, 
les  yeux  ouverts.  Vous  venez  de  considérer  un 
paysage  qui  maintenant  a  disparu  de  devant  vous; 
mais  ce  paysage,  vous  pouvez  encore  lo  contem- 
pler dans  votre  pensée,  vous  pouvez  le  revoir  et 
en  retrouver  tous  les  détails,  tous  les  traits,  dans 
une  sorte  de  photographie  intérieure  :  vous  avez 
de  l'imagination. 

Sous  cette  première  forme,  l'imagination  n'est 
qu'une  mémoire  vive,  une  mémoire  descriptive  et 
pittoresque,  qui  représente  toutes  choses  à  votre 
esprit  comme  si  elles  étaient  encore  devant  vos 
yeux,  qui  anime  ses  conceptions  au  point  qu'il 
vous  semble  que  vous  continuez  de  sentir,  quoique 
vous  ne  fassiez  plus  que  penser.  On  l'appelle 
imaf/ination  représc^itative. 

L'imagination  représentative  n'est  donc  que  la 
faculté  de  produire  des  imagos,  comme  la  mémoire 
celle  de  produire  des  souvenirs.  L'image  sera  plus 
ou  moins  parfaiie,  selon  qu'elle  reproduira  avec 
plus  ou  moins  de  fidélité  l'impression  primitive  : 
et  bien  que  ce  mot  image  s'applique  proprement 
au  renouvellement  des  Impressions  de  la  vu(!, 
tous  les  sens  peuvent  donner  lieu  à  des  représen- 
tations imaginaires.  Le  musicien  imagine  les  sons 
comme  le  peintre  les  formes  et  les  couleurs.  Tout 
ce  qui  a  été  impression  sensible  peut  se  renou- 
veler dans  l'esprit  sous  forme  d'imagination 
mentale. 

Ajoutons  que,  dans  l'état  normal  d'une  intelli- 
gence saine,  l'image,  quelque  vive  qu'elle  puisse 
être,  n'entraîne  pas  la  croyance  à  l'existence  do 
l'objet  qu'elle  représente.    C'est   seulement  dans 


les  troubles  de  l'esprit,  dans  le  rôvo,  dans  la  folie, 
([ue  l'imago  est  prise  pour  l'objet  lui-même  :  il 
se  produit  alors  ce  qu'on  appelle  une  hallucitia- 
*;o)i,  c'est-à-dire  une  confusion  de  la  pensée  avec  la 
réalité. 

Mais  l'imagination  est  le  plus  souvent  tout 
autre  chose  que  la  représentation  fidèle  des  im- 
pressions antérieures  des  sens.  D'ordinaire,  ce  mot 
désigne  le  travail  spontané  ou  réfléchi  d'un  esprit 
qui  combine  à  sa  façon  les  images  déjà  acquises  et 
conservées  par  le  souvenir,  qui  les  modifie,  qui  les 
groupe  et  les  ordonne  dans  des  cadres  nouveaux  ; 
qui  en  altère  les  proportions,  qui  les  rapetisse  ou 
les  agrandit,  qui  enfin  les  transforme  à  son  gré  et 
les  idéalise.  L'imagination  alors  est  synonyme  d'in- 
vention, d'esprit  inventif  :  elle  est  la  fantaisie  libre 
qui  ne  s'astreint  plus  à  copier  servilement  la  réa- 
lité. Par  la  nouveauté  des  formes  qu'elle  impose 
aux  éléments  qu'elle  emploie,  aux  matériaux  qu'elle 
rassemble  de  toutes  parts,  elle  a  les  apparences 
d'un  pouvoir  créateur,  et  on  l'appelle  imagination 
créatrice. 

Les  oeuvres  propres  do  l'imagination  créatrice 
sont  les  fictions,  les  fictions  de  toute  espèce,  cel- 
les qu'enfante  le  poète,  comme  celles  qui  égarent 
le  fou.  Seulement  le  poète  n'est  pas  dupe  de  ses 
inventions  imaginaires,  tandis  que  le  fou  croit  à 
la  réalité  de  ses  chimériques  rêveries. 

C'est  une  question  de  savoir  si  l'imagination 
représentative  est  capable  de  renouveler  autre 
chose  que  les  impressions  des  sens  extérieurs,  si 
elle  peut  faire  revivre,  dans  un  fugitif  retour,  les 
émotions  de  la  sensibilité.  Il  semble  cependant 
qu'il  soit  possible  de  resseniir  à  distance  et  par 
la  seule  force  de  l'imagination  les  passions  jadis 
éprouvées.  En  tout  cas,  le  doute  n'est  plus  permis 
pour  l'imagination  créatrice,  qui  a  bien  certaine 
ment  le  pouvoir  de  combiner  les  sentiments  et 
les  idées  non  moins  que  les  images  et  les  sensa- 
tions. Le  poète  dramatique  qui  imagine  un  carac- 
tère ressenten  partie  les  passions  qu'il  lui  attribue, 
tout  comme  lo  peintre  ou  le  poète  descriptif  voit 
les  traits  de  la  figure  idéale  qu'il  dessine  ou  qu'il 
dépeint. 

C'est  ainsi  que,  partie  des  commencements  les 
plus  humbles,  l'imagination  s'élève  et  s'épure 
peu  à  peu  :  d'abord  liée  .aux  représentations  sen- 
sibles, faite  d'éléments  pour  ainsi  dire  matériels, 
elle  devient  une  force  propie  do  l'esprit,  elle  est 
la  manifestation  d'une  intelligence  qui  conçoit  le 
beau  et  qui  le  réalise  dans  les  différents  arts.  Elle 
est  alors  guidée  par  l'idéal,  c'est-à-dire  par  une  con- 
ception intellectuelle  qui,  comme  une  loi  supé- 
rieure, domine  les  images  et  les  oblige  à  se  grou- 
per dans  un  certain  ordre. 

Il  est  aisé  de  démêler  les  rapports  de  l'imagina- 
tion avec  les  autres  faits  de  la  vie  morale.  Puissance 
dérivée  à  l'origine,  puisqu'elle  emprunte  ses  ma- 
tériaux à  l'expérience,  elle  acquiert  ensuite  son 
initiative  propre  ;  mais  dans  les  âmes  bien  réglées 
elle  reste  sous  la  dépendance  de  la  pensét:,  dont 
elle  est  l'instrument.  Elle  dépend  aussi  de  la  sen- 
sibilité, elle  obéit  à  la  tristes-e  et  à  la  joie.  Dans 
une  âme  triste,  les  imaginations  se  conforment 
à  l'état  général  de  l'esprit  et  se  teignent  d'une 
couleur  sombre  ;  dans  une  âme  joyeuse,  au  con- 
traire, il  se  fait  comme  une  éclosion  spontanée 
de  représentations  riantes  et  gaies.  Soumise  à  la 
volonté  chez  les  esprits  réfléchis,  elle  a  cependant 
ses  heures  de  caprice  et  do  licence  :  il  lui  arrive 
de  s'émanciper,  de  secouer  tout  frein,  et  alors, 
sans  règles  et  sans  contre-poids,  substituant  son 
action  indépendante  à  l'action  des  autres  forces 
morales,  elle  enfante  des  situations  anormales,  la 
divagation,  le  rêve,  la  folie. 

Du  rôle  de  l'i'naginati.n.  —  D'après  l'analyse 
qui  précède,  on  comprend  sans  peine  pourquoi  l'i- 
magination est  de  toutes  les  facultés  do  l'esprit  la 


IMPOTS 


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plus  vantée  et  aussi  la  plus  décriée,  la  plus  utile  peut- 
être  et  certainement  la  plus  pernicieuse,  le  don  le 
plus  brillant  et  le  plus  funeste  de  la  nature. 
Pascal  l'appelle  une  n  maîtresse  d'erreur  et  de 
fausseté,  ■>  et,  en  effet,  longue  serait  la  liste 
des  illusions,  des  superstitions  qu'engendre  «  cette 
partie  décevante  de  l'homme.  »  On  a  dit  d'elle  dans 
ce  même  sens  qu'elle  était  la  «  folle  du  logis,  » 
parce  que  dans  les  esprits  où  elle  est  livrée  à 
elle-même,  elle  bouleverse  tout,  elle  met  le  dé- 
sordre et  la  confusion.  Mais  à  côté  des  égarements 
dont  elle  est  la  source,  il  n'est  que  juste  de  rap- 
peler ses  bienfaits. 

Dans  la  vie  pratique,  elle  alimente  ces  rêveries 
innocentes  qui  embellissent  et  charment  l'existence. 
Elle  entretient  l'espérance.  Elle  est  même  un  res- 
sort essentiel  de  l'activité  :  ceux-là  seuls  travaillent 
ardemment  pour  atteindre  le  but  de  leurs  efforts, 
qui  l'imaginent  avec  vivacité.  Enfin,  elle  est  né- 
cessaire pour  animer  les  rapports  sociaux,  et  si 
nous  voulons  aimer  véritablement  nos  semblables, 
il  est  bon  que  notre  imagination  se  mêle  k  notre 
sensibilité. 

Dans  la  reclierclie  de  la  vérité  scientifique,  elle 
a  aussi  son  utilité  :  elle  inspire  les  hypothèses,  et 
un  philosophe  éminent  de  notre  temps,  M.  Paul 
Janet,  a  pu  demander  sans  paradoxe  qu'une  logi- 
que complète  contînt  un  chapitre  intitulé  «  Des 
erreurs  commises  par  défaut  d'itnagination  ». 

Enfin  dans  les  beaux-arts  elle  est  la  faculté 
essentielle  et  souveraine.  Si  nous  la  supprimons, 
la  peinture  cède  la  place  h  la  photographie  et  la 
poésie  au  réalisme.  Et  encore  le  réalisme  lui- 
même,  pour  assurer  l'exactitude  de  ses  descrip- 
tions, a-t-il  besoin  du  premier  degré  de  l'imagina- 
tion, l'imagination  représentative. 

Sur  les  avantages  et  les  inconvénients  de  l'ima- 
gination, comme  sur  l'analyse  de  ses  opérations, 
on  consultera  avec  fruit,  parmi  tant  d'autres  tra- 
vaux consacrés  à  l'étude  de  cette  faculté,  les  livres 
récents  de_M\I.  Tissot,  Micliaut  et  Joly  :  L'Imaqi- 
natiOH,  s^s'  bie'ifaits  et  ses  égnreinenls,  1868  ;  i)e 
l'Imaginition,  étude  psychologique,  1876;  l'Ima- 
f/ination,  étude  psychologique,  187". 

(Gabriel  CompajTé.] 

I.MPOTS.  —  Législation  usuelle.  V.  —  l.  Dé- 
finition et  notions  générales.  —  L'impôt  est  la 
part  contributive  de  chaque  citoyen  dans  les  dé- 
penses d'intérêt  public.  Le  gouvernement  assurant 
h  chacun  la  sécurité,  le  respect  de  la  propriété,  le 
libre  exercice  du  travail,  il  est  juste  que  cliaque  ci- 
toyen contribue  aux  charges  publiques.  On  emploie 
comme  synonymes  les  mots  impôts  et  contributions. 

Deux  principes  essentiels  dominent  la  matière 
des  impôts  :  le  premier  est  qu'aucune  contribu- 
tion publique  ne  peut  être  perçue  qu'en  vertu 
d'une  loi  votée  par  la  Chambre  des  députés  et  le 
Sénat;  le  second  est  que  l'impôt  doit  être  propor- 
tionnel, c'est-à-dire  payé  par  chacun  proportionnel- 
lement à  ses  facultés.  Pour  arriver  à  ce  résultat,  le 
législateur  a  été  amené  à  établir  des  impôts  assez 
nombreux  afin  d'atteindre  les  différents  éléments 
imposables. 

Division  des  impôts.  —  L'impôt  se  perçoit  sous 
diverses  formes.  Tantôt  le  chiffre  dû  par  le  contri 
buable  est  déterminé  à  l'avance,  inscrit  sur  un 
rôle  où  figure  le  nom  du  contribuable,  et  en  vertu 
duquel  des  poursuites  sont  exercées  contre  lui  en 
cas  de  non  paiement  :  c'est  l'impôt  direct.  Tantôt 
l'impôt  est  perçu  à  raison  de  l'entrée  en  France  ou 
de  la  vente  de  certaines  marchandises,  ou  à  l'occa- 
sion de  certains  actes  ;  il  ne  frappe  nominative- 
ment ancun  contribuable,  mais  est  payé  par  celui 
qui  consomme  la  marchandise  ou  accomplit  l'acte 
soumis  au  droit:  c'est  l'impôt  indirect. Enfin  l'btat 
s'est  réservé  le  monopole  de  la  vente  de  certai- 
nes denrées,  comme  le  tabac,  ou  l'exploitation  de 
certaiDS    services,  comme  les  postes  et  les  télé- 


graphes ;  il  y  a  là  encore  une  autre  forme  de  l'im- 
pôt. 

Distinction  des  contrilmtions  rib'ectes  et  indi- 
rectes. —  La  distinction  des  contributions  directes 
et  indirectes  est  essentielle  :  le  mode  d'établisse- 
ment, de  perception  est  différent  pour  les  contri- 
butions directes  et  les  contributions  indirectes.  Les 
contributions  directes  sont  perçues  en  vertu  de 
rôles  nominatifs  dressés  chaque  année  par  les 
agents  de  l'administration  ;  les  contributions  indi- 
rectes sont  perçues  en  vertu  de  tarifs  généraux, 
établis  par  la  loi,  et  qui  doivent  recevoir  leur  exé- 
cution tant  qu'une  loi  nouvelle  ne  les  modifie  pas. 
Des  administrations  financières  distinctes  sont 
chargées  du  recouvrement  de  ces  deux  natures  d'im- 
pôts. Les  contestations  entre  les  particuliers  et  l'ad- 
ministration à  l'occasion  de  la  perception  des  impôts 
directs  sont  jugées  en  général  par  le  conseil  de 
préfecture  ;  les  contestations  relatives  à  la  percep- 
tion des  contributions  -indirectes  sont  jugées  par 
les  tribunaux  ordinaires. 

Impôts  de  répavlition  et  de  quotité.  —  Les  im- 
pôts se  divisent  aussi  en  impôts  de  répartition  et 
impôts  de  quotité.  Dans  les  impôts  de  répartition, 
le  cliiffre  total  que  l'impôt  doit  atteitidre  est  déter- 
miné à  l'avance  par  la  loi  de  finances  votée  chaque 
année  ;  puis,  au  moyen  de  répartitions  successives 
entre  les  départements,  les  communes  et  les  contri- 
buables on  arrive  à  déterminer  la  part  que  chacun 
doit  payer.  Dans  les  impôts  de  quotité,  le  chiffre  à 
percevoir  n'est  pas  déterminé  à  l'avance,  et  il  varie 
suivant  que  l'élément  imposable  est  plus  ou  moins 
considérable.  Les  impôts  de  répartition  sont  : 
l'impôt  foncier,  l'impôt  personnel  et  mobilier, 
l'impôt  des  portes  et  fenêtres.  Toutes  les  contri- 
butions indirectes,  et,  parmi  les  contributions  di- 
rectes, celle  des  patentes,  sont  des  impôts  de 
quotité. 

2.  Impôts  directs.  —  Les  contributions  ou  im- 
pôts directs  sont  ;  l'impôt  foncier,  l'impôt  person- 
nel et  mobilier,  l'impôt  des  portes  et  fenêtres, 
l'impôt  des  patentes.  Il  faut  distinguer  dans  les 
contributions  directes  le  principal  de  la  contribu- 
tion, et  les  centimes  additionnels  qui  s'ajoutent 
par  corrélation  au  principal,  à  raison  d'un  certain 
nombre  de  centimes  par  franc.  Ces  centimes  addi- 
tionnels sont  établis  pour  subvenir  à  des  charges 
accidentelles  et  temporaires,  et  spécialement  pour 
faire  face  aux  besoins  particuliers  des  départe- 
ments et  des  communes.  Le  produit  des  contribu- 
tions directes  se  partage  ainsi  entre  l'État,  pour  les 
dépenses  générales,  le  département  et  la  commune, 
pour  leurs  dépenses  spéciales.  Le  principal  des 
contributions  directes  est  fixé  par  le  budget 
de  1878  de  la  manière  suivante:  impôt  foncier, 
17:5  000  011(1  fr.  ;  impôt  personnel  et  mobilier, 
69  319  OiiO  fr.  ;  portes  et  fenêtres,  41 109  000  fr.; 
patentes,  118  1 04  000  fr. 

Impôt  foncir.  —  L'impôt  foncier  est  établi  sur 
le  revenu  net  des  propriétés  bâties  et  non  bâties. 
Le  chiffre  total  de  l'impôt  foncier  et  le  contingent 
de  chaque  département  sont  fixés  par  la  loi  de 
finances.  Le  conseil  général  fait,  dans  chaque  dé- 
partement, la  répartition  entre  les  arrondisse- 
ments ;  le  conseil  d'arrondissement,  sous  l'au- 
torité du  conseil  général,  opère  la  répartition  entre 
les  communes  ;  enfin,  dans  la  commune,  la  réparti- 
tion est  faite  entre  les  contribuables  par  une  com- 
mission de  répartiteurs.  Cette  répartition  entre 
les  contribuables  a  lieu  au  moyen  du  cadastre, 
qui  contient  la  désignation  des  parcelles,  leur  con- 
tenance, la  classe  à  laquelle  elles  appartiennent  et 
le  revenu  afférent  à  cette  classe. 

Impôt  pnsonnel  et  mobilier.  —  L'impôt  person- 
nel et  mobilier  est  dû  par  tout  habitant  de  l'un  ou 
de  l'autre  sexe,  français  ou  étranger,  non  réputé 
indigent  ;  il  se  compose  de  deux  taxes  :  la  taxe 
personnelle  et  la  taxe  mobilière.  La  taxe  person- 


IMPOTS 


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IMPOTS 


nello  représente  le  prix  moyen  de  trois  journées 
«le  travail,  suivant  le  tarif  lixé  pour  chaque  com- 
mune par  le  conseil  général.  La  taxe  personnelle 
est  (lue  dans  la  commune  du  domicile  réel  du  con- 
tribuable. La  taxe  mobilière  est  établie  sur  la  va- 
leur locative  des  locaux  consacrés  h  l'habitation 
personnelle  du  contribuable;  elle  est  due  partout 
où  la  personne  a  une  habitation. 

Impots  des  portes  et  fenêtres.  —  L'impôt  des 
portes  et  fenêtres  est  établi  sur  les  ouvertures, 
portes  ou  fenêtres  donnant  sur  les  rues,  cours  et 
jardins  des  maisons  et  bâtiments;  il  n'atteint  point 
les  portes  et  fenêtres  qui  servent  seulement  b. 
aérer  les  granges,  bergeries,  caves  et  autres  locaux 
non  destines  à  l'habitation.  L'impôt  se  perçoit 
d'après  un  tarif  fixe  suivant  la  population  et  la 
qualité  des  ouvertures;  si  ce  tarif  donne  un  chiffro 
insuffisant,  le  complément  est  fourni  par  un  droit 
proportionnel  qui  s'ajoute  au  droit  fixe.  L'impôt  des 
portos  et  fenêtres  peut  être  exigé  du  propriétaire; 
mais  lo  propriétaire,  k  moins  de  convention  con- 
traire, se  fait  rembourser  par  lo  locataire  sur  le- 
quel l'impôt  doit  pesor  en  définitive. 

Impôt  des  patentes.  —  L'impôt  des  patentes  est 
payé  par  tous  les  citoyens  exerçant  une  profession 
qui  n'en  est  point  expressément  dispensée.  11  se 
compose  d'un  double  droit:  un  droit  fixe  établi 
d'après  la  profession  et  suivant  la  population,  et 
un  droit  pi'oportionnel,  assis  sur  la  valeur  locative 
des  locaux  consacrés  à  l'exercice  de  la  profession. 
Certains  patentables  ne  paient  qu'un  droit  fixe  ; 
d'autres  que  le  droit  proportionnel. 

liecouvrenient  des  contributions  directes.  —  Le 
rôle  des  contribuables  de  chaque  commune  est 
dressé  tous  les  ans  par  la  direction  des  contribu- 
tions directes.  Les  rôles  sont  rendus  exécutoires 
par  le  préfet,  publiés  et  affichés,  et  mis  en  recou- 
vrement par  le  percepteur.  Los  contributions  sont 
payables  par  douzième  et  d'avance;  le  contribuable 
n'est  valablement  libéré  qu'en  représentant  une 
quittance  signée  du  percepteur.  Le  contribuable 
qui  ne  paie  point  peut  être  poursuivi  par  le  per- 
cepteur. 

Demandes  en  décharge  ou  réduction.  —  Le  con- 
ti'ibuable  qui  prétend  avoir  été  imposé  à  tort,  ou 
imposé  à  un  chiffre  trop  élevé,  peut  demander  la 
décharge  ou  la  réduction  de  sa  cote  de  contribu- 
tion. Ces  demandes  doivent  être  formées  dans  les 
trois  mois  de  la  publication  des  rôles;  elles  sont 
adressées  au  sous-prefet,  ou  au  préfet  dans  l'arron- 
dissement chef-Ueu.  Les  quittances  des  douzièmes 
échus  doivent  être  jointes  h  la  demande,  qui  sans 
cela  ne  serait  point  recevable.  Les  demandes  en 
décharge  ou  réduction  sont  jugées  par  le  conseil  de 
pr(5fecture,  dont  la  décision  peut  être  déférée  par 
voie  d'appel  au  conseil  d'Etat. 

Demandes  en  remise  ou  modération.  —  Ces  de- 
mandes ne  doivent  pas  être  confondues  avec  les 
demandes  en  décharge  ou  réduction  de  cote.  Il  y  a 
lieu  à  remise  ou  modération  lorsque,  par  suite  d'é- 
vénements imprévus,  le  contribuable  a  perdu  tout 
ou  partie  de  son  revenu  ;  il  s'adresse  à  l'équité  de 
l'administration  pour  être  exonéré  en  tout  ou  on 
partie  du  paiement  de  l'impôt.  Le  contribuable  en 
pareil  cas  n'invoque  point  un  droit,  et  n'a  aucun 
recours  à  exercer  si  sa  demande  n'est  pas  accueil- 
lie. Les  demandes  en  remise  ou  modération  sont 
adressées  au  préfet,  qui,  à  la  fin  de  l'année,  statue 
sur  toutes  les  demandes  dont  il  a  été  saisi. 

3.  Impôts  indirects.  —  Les  contributions  indi- 
rectes forment  la  partie  la  plus  considérable  des 
revenus  publics;  elles  comprennent  un  grand 
nombre  de  droits  dont  les  principaux  sont  :  les 
droits  sur  les  boissons,  les  droits  de  timbre  et 
d'enregistrement,  les  droits  sur  les  sels  et  les  su- 
cres, les  droits  de  douanes. 

Impôt  des  boisso'is.  —  Les  boissons,  le  vin,  la 
biere,  le   cidre,  les   eaux-de  vie  et  esprits   sont 


frappés  de  diverses  taxes  :  d'abord  un  droit  de 
circulation  qui  est  perçu  lorsque  les  liquides  sor- 
tent des  caves  du  producteur  et  sont  transportés 
chez  les  consommateurs,  et  à  chaque  enlèvement 
ou  déplacement  du  liquide  soumis  au  droit.  Le 
liquide  ne  peut  voyager  que  muni  d'un  congé  qui 
constate  le  paiement  du  droit  de  circulation.  Un 
droit  spécial  appelé  droit  d'entrée,  et  qui  ne  doit 
point  être  confondu  avec  le  droit  d'octroi,  est  perçu 
dans  les  villes  ayant  une  population  agglomérée  et 
permanente  de  4,000  âmes  au  moins.  La  vente  en 
détail  des  vins  donne  lieu  h  la  perception  de  deux 
droits  :  nul  ne  peut  s-e  livrer  à  la  vente  en  détail 
sans  avoir  obtenu  et  payé  une  licence  délivrée 
par  la  régie;  en  outre  le  débitant  est  assujetti  à 
un  droit  de  tant  pour  cent  sur  la  valeur  vinale  de 
la  marchandise.  Les  détaillants  sont  soumis  à 
l'exercice,  c'est-à-dire  que  les  employés  de  la  ré- 
gie ont  toujours  le  droit  de  pénétrer  chez  eux  pour 
vérifier  les  quantités  de  marchandises  livrées  à  la 
consommation.  Le  produit  de  l'impôt  des  boissons 
en  1877  a  été  de  400  lâCOOO  fr. 

Timbre.  —  Le  timbre  consiste  dans  une  em- 
preinte apposée  sur  un  papier  qui  est  vendu  aux 
particuliers  par  l'administration.  On  distingue  le 
timbre  de  dimensions,  dont  le  prix  varie,  suivant 
la  grandeur  du  papier,  de  60  c.  à  3  fr.  00  c.  par 
feuille,  et  le  timbre  proportionnel,  qui  est  employé 
pour  les  effets  de  commerce,  billets  à  ordre,  lettres 
de  change  ;  la  valeur  du  timbre,  et  par  suite  le 
droit  perçu,  est  graduée  suivant  la  somme  portée 
au  billet.  Un  timbre  particulier  du  prix  de  10  cen- 
times doit  être  apposé  sur  toutes  les  factures,  quit- 
tances ou  actes  de  même  nature  délivrés  aux 
particuliers.  Les  quittances  des  comptables  de 
deniers  publics  sont  assujetties  à  un  droit  de  tim- 
bre de  20  centimes.  Le  produit  du  timbre  en  1877 
s'est  élevé  à  156078  000  fr. 

Obliçiation  d'employer  te  papier  timbré;  sanction. 
—  Tous  les  actes  ou  écrits,  publics  ou  privés,  des- 
tinés il  constater  un  droit  ou  i  être  produits  en  jus- 
tice, doivent  être  sur  papier  timbré  Les  demandes 
adressées  aux  administrations  publiques  sont  éga- 
lement soumises  à  cette  condition.  La  sanction 
de  l'obligation  d'employer  le  papier  timbré  consiste 
dans  une  amende  qui  est  perçue  indépendamment 
du  droit  de  timbre  sur  l'écrit  non  timbré.  Cette 
amende,  lorsqu'il  s'agit  du  timbre  proportionnel 
des  billets,  est  fort  considérable  :  elle  s'élève  à 
6  p.  10»  du  montant  du  titre.  En  général  l'omission 
de  l'emploi  du  papier  timbre  n'influe  pas  sur  la 
validité  même  des  actes;  une  convention  écrite  sur 
papier  non  timbré  a  entre  les  parties  la  même  va- 
leur que  si  elle  était  portée  régulièrement  sur  pa- 
pier timbré. 

Enregistrement.  —  L'enregistrement  est  une 
formalité  qui  consiste  dans  l'inscription  d'un  acte 
sur  un  registre  public  tenu  par  un  agent  de  l'admi- 
nistration, appelé  receveur  de  l'enregistrement. 
L'accomplissement  de  cette  formalité  donne  lieu  à 
la  perception  d'un  droit  :  à  ce  point  de  vue 
l'enregistrement  a  lo  caractère  d'un  impôt;  mais 
l'enregistrement  a,  en  outre,  endroit  civil,  cet  effet 
important  de  donner  date  certaine  aux  actes  sous 
seing  privé  soumis  à  la  formalité.  Les  droits 
d'enregistrement  se  divisent  en  droits  fixes  et 
droits  proportionnels.  Le  droit  fixe  pour  les  actes 
de  même  nature  ne  varie  point  suivant  l'impor- 
tance de  l'acte  ;  le  droit  proportionnel  est  calculé 
à  tant  pour  cent  sm*  la  somme  ou  la  valeur  faisant 
l'objet  de  l'acte.  Le  droit  proportionnel  est  dû 
toutes  les  fois  qu'il  y  a  mutation,  c'est-à-dire 
transmission  de  propriété  ou  d'usufruit,  obligation 
ou  libération. 

Droits  de  mutatioji  à  titre  gratuit.  —  Le  droit 
de  mutation  à  titre  gratuit  est  dû  par  l'héritier 
qui  recueille  une  succession,  par  le  légataire  ou 
donataire.  La  quotité  des  droits  s'élève  à  mesure 


IMPOTS 


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IMPOTS 


que  le  degré  de  parenté  s'éloigne  ;  en  ligne  directe 
entre  ascendants  et  descendants,  le  droit  de  mu- 
tation par  sucression  ou  legs  est  de  I  p.  100;  par 
donation,  de  2  fr.  50  c.  p.  100;  en  ligne  collatérale 
le  droit  varie  de  G  fr.  oO  c.  à  8  p.  100  ;  les  do- 
nations ou  les  legs  faits  i  des  étrangers  sont  as- 
sujettis à  un  droit  de  9  p.  100.  Il  faut  remarquer 
que  le  droit  se  paie  sur  l'actif  brut,  sans  déduction 
des  dettes  qui  grèvent  la  succession  ou  des  char- 
ges attachées  à  la  donation  ou  au  legs. 

Droits  de  muiatmi  à  tUre  onéreux,  d'o'ilir/ation 
et  de  quittance.  —  Le  droit  de  mutation  h  titre 
onéreux  est  dû  en  cas  de  vente  ou  d'échange  ;  il 
s'élève  à  5  fr.  50  c.  p.  ino  pour  les  immeubles,  et 
à  2  p.  100  pour  les  meubles.  Le  droit  d'obligation 
est  en  général  de  1  p.  100  ;  le  droit  de  quittance 
de  50  centimes  par  l'jO  fr.  Pour  les  baux,  le  droit 
e^t  calculé  sur  le  prix  du  bail  capitalisé  pour  toute 
sa  durée,  ou,  s'il  est  divisé  en  périodes,  capitalisé 
pour  chaque  période,  mais  le  droit  n'est  que  de 
20  centimes  par  100  fr.  Lorsqu'il  n'y  a  pas  de  bail 
écrit  pouvant  ôire  présenté  à  l'enregistrement,  le 
propriétaire  doit  faire  une  déclaration  et  avancer 
le  droit  dont  il  se  fait  rembourser  par  les  loca- 
taires. 

Délai  pour  le  paiement  des  droits;  double  droit. 
—  Les  actes  reçus  par  les  notaires  doivent  être 
enregistrés  dans  un  délai  qui  est  au  maximum  de 
quinze  jours,  i  peine  d'une  amende  contre  le  no- 
taire. Les  actes  sous  seing  privé  doiveni  être  pré- 
sentés ù  l'enregistrement  par  les  parties  dans  un 
délai  de  trois  mois  en  général.  Les  droits  de  mu- 
tation par  décès,  succession  ou  legs,  doivent  être 
acquittés  dans  les  six  mois  du  décès.  Le  retard 
dans  le  paiement  entraîne  comme  peine  la  percep- 
tion d'un  double  droit.  Les  droits  d'enregistre- 
ment représentent  pour  l'année  1877  un  chiffre 
de  4C9C9S000  fr, 

Droit-:  sur  les  sels  et  les  sucres.  —  Les  sels  sont 
soumis  à  une  taxe  de  consommation  ;  les  sels  pro- 
venant de  l'étranger  acquittent,  en  outre,  un  droit 
de  douane.  Les  sucres  fabriqués  en  France  sojit 
soumis  à  une  taxe  de  consommation  élevée.  Pour 
assurer  la  perception  du  droit,  les  fabriques  de 
sucre  indigène  sont  soumises  à,  l'exercice,  c'est-à- 
dire  à  la  surveillance  permanente  des  agents  de 
l'administration,  qui  constatent  les  quantités  pro- 
duites et  livrées  à  la  consommation.  Les  sucres 
venant  des  colonies  ou  de  l'étranger  paient  un 
droit  de  douane  plus  ou  moins  élevé  suivant  la 
provenance.  En  1877  les  droits  sur  les  sels  se  sont 
élevés  à  .33  575  000  fr.  ;  les  droits  sur  les  sucres 
coloniaux  et  étrangers  à  77  053  000  fr.,  et  lo 
droit  de  fabrication  sur  les  sucres  indigènes  à 
Iï3  09y000fr. 

Droits  de  douane.  —  Les  droits  de  douane  sont 
perçus  sur  les  marchandises  importées  en  France 
ou  .sur  les  marchandises  exportées  de  France  à  l'é- 
tranger. Ils  sont  perçus  en  vertu  de  tarifs  généraux 
établis  par  une  loi.  Les  traités  de  commerce  faits 
avec  les  puissances  étrangères  peuvent  apporter 
certaines  modifications  à  la  perception  de  ces 
droits.  Les  droits  de  douane  sont  calculés,  tantùt 
sur  la  valeur  de  la  marcliandise,  tantôt  en  ayant 
égard  au  poids,  à  la  mesure  ou  au  nombre  des 
objets.  Le  produit  des  droits  de  douane  en  1877  a 
été  de  195  964  000  fr. 

Octrois.  —  Les  droits  d'octroi  constituent  un 
impôt  particulier  perçu  au  profit  de  la  commune 
sur  les  objets  de  consommation.  Lorsque  les  re- 
venus d'une  commune  sont  insuffisants,  un  décret 
rendu  en  Conseil  d'Etat,  sur  la  demande  du  con- 
seil municipal,  peut  autoriser  1  établissement  d'un 
octroi.  Les  règlements  relatifs  aux  octrois  et  les 
tarifs  sont  arrêtés  par  décret  rendu  en  Conseil 
d'Etat. 

4.  Monopoles  établis  au  profit  de  l'État.  —  L'É- 
tat s'est  réservé  le  monopole  de  la  vente  do  certains 


produits  ou  de  l'exploitation  de  certains  services. 
Ces  monopoles  ont  différents  caractères  :  les  uns 
sont  de  véritables  impôis,  comme  le  monopole  de 
la  vente  des  tabacs  et  du  papier  spécial  destiné  k 
la  fabrication  des  cartes  à  jouer;  d'autres  sont  fon- 
dés sur  des  raisons  d'intérêt  général,  ont  un  but 
de  sécurité  publique,  comme  la  fabrication  et  la 
vente  de  la  poudre,  ou  tendent  i  assurer  la  régu 
larité  et  le  bon  fonctionnement  de  certains  services, 
comme  les  postes  et  les  télégraphes  :  ces  derniers 
monopoles  peuvent  augmenter  les  revenus  de  l'E- 
tat, mais  dans  ce  cas  le  caractère  fiscal  n'est  qu'ac- 
cessoire. Nous  allons  parcourir  les  plus  importants 
de  ces  monopoles. 

Tabacs.  —  L'importation  des  tabacs  étrangers  et 
la  culture  en  France  ne  peuvent  avoir  lieu  que 
pour  le  compte  de  l'Etat,  qui  seul  fabrique  et  vend 
les  tabacs,  soit  étrangers,  soit  indigènes.  La  cul- 
ture du  tabac  n'est  autorisée  que  dans  certains  dé- 
partements ;  dans  ces  départements  celui  qui  veut 
se  livrer  à  la  culture  du  tabac  doit  en  faire  la  dé- 
claration et  se  munir  d'une  permission.  Le  culti- 
vateur doit  compte  à  l'Etat  de  la  totalité  de  sa 
récolte  ;  la  culture  est  soumise  i  une  surveillance 
constante  et  rigoureuse  des  agents  de  l'adminis- 
tration des  contributions  indirectes.  La  fabrication 
des  tabacs  se  fait  dans  les  manufactures  de  l'Etat, 
et  la  vente  aux  particuliers  dans  des  débits  dont  les 
titulaires  sont  nommés  par  l'administration.  Des 
pénalités  sévères  assurent  contre  la  fraude  le 
monopole  de  l'Etat.  Le  produit  de  la  vente  des 
tabacs  en  1877  a  atteint  le  cliiffre  de  329  443  000  fr. 

Cartes  à  jouer.  —  La  fabrication  des  cartes  i 
jouer  n'est  permise  qu'avec  une  autorisation  ou 
licence  de  l'administration  des  contributions  indi- 
rectes. Le  papier  servant  à  la  fabrication  est 
fourni  par  l'administration,  et  la  vente  des  cartes 
n'est  permise  qu'aux  marchands  commissionnés  par 
la  régie. 

Foudres.  —  Le  monopole  de  la  fabrication  et  do 
la  vente  des  poudres  se  justifie  par  les  dangers 
que  pourrait  faire  courir  la  fabrication,  la  vente  ou 
la  détention  de  ce  produit.  La  poudre  ne  peut  être 
fabriquée  que  dans  les  poudrières  de  l'Etat, 
sous  la  surveillance  d'ingénieurs  spéciaux.  La 
vente  et  la  détention  de  la  poudre  de  t;uerre 
sont  interdites  en  principe.  Les  poudres  de  chasse 
et  de  mine  sont  vendues  par  des  débitants  choi- 
sis par  la  régie.  Les  particuliers  ne  peuvent  avoir 
chez  eux  plus  de  2  kilogr.  de  poudre  de  chasse 
ou  de  mine. 

Monnaies.  —  La  monnaie  est  fabriquée  sous  la 
surveillance  de  l'Etat,  qui,  par  son  intervention,  en 
garantit  le  titre  et  la  valeur.  La  monnaie  est  fa- 
briquée dans  des  ateliers  spéciaux  créés  dans 
difl'érentes  villes.  Le  contrôle  de  la  fabrication  est 
exercé  par  les  agents  de  l'administration  des  mon- 
naies :  aucune  pièce  fabriquée  n'est  mise  en  cir- 
culation qu'après  constatation  par  les  agents 
qu'elle  est  conforme  au  type  adopté,  tant  pour  le 
poids  que  pour  la  qualité  du  métal  et  le  mode  de 
fabrication. 

Postes  et  télégraphes.  —  Les  postes  et  les  télé- 
graphes sont  réunis  aujourd'hui  en  une  seule 
administration,  et  forment  un  minisière  appelé  mi- 
nistère des  postes  et  télégraphes.  La  taxe  des  let- 
tres est  fixée  pour  toute  la  France,  par  la  loi  du 
H  avril  1878,  à  15  cent,  pour  les  lettres  affranchies, 
à  3(1  cent,  pour  les  lettres  non  affranchies  par  15 
gramiues  ou  fraction  de  la  grammes.  Des  taxes  ré- 
duites sont  établies  pour  les  itupriiués.  les  papiers 
d'affaires,  les  échantillons.  La  ta.\e  pour  les  dé- 
pèches télégraphiques  est  de  5  cent,  par  mot 
pour  toute  la  France,  sans  qu'elle  puisse  descen- 
dre au'-dessous  de  50  cent.  iLoi  du  21  mars  1878). 
Le  produit  des  postes  pour  l'année  1877  a  été  de 
119453  000  fr.  [E.  Delacourtie.] 

l.Ml>UliSSIO>'.  —  V.  Tissaije. 


IMI'UIMERIE 


looy 


IMPRIMERIE 


IMPItlMICItlK  OU  TVPOGUAPIIIE.  —  Tout  d'a- 
bord cxplic|uoiis nous  sur  le  sens  réel  des  mots 
dont  on  se  sert  pour  désigner  cet  art  qui  a  litté- 
ralement cliangé  la  face  intellectuelle  du  monde. 
Ces  mots,  nous  les  tenons  des  anciens  (des  La- 
tins pour  le  premier,  du  verbe  hnpnnœre,  des 
Grecs  pour  le  second,  des  deux  mots  typos,  em- 
preinte, et  fjrnp/iain,  écrire).  Devons-nous  en  con- 
clure que  les  anciens,  ayant  les  mots,  avaient  la 
chose  ?  Nous  pourrions  répondre  affirmativement, 
si  nous  ne  voulions  considérer  que  l'opération, 
toute  naturelle  en  quelque  sorte,  qui  consiste  à 
faire  qu'un  objet  portant  un  relief  quelconque  en 
laisse  l'empreinte,  l'impression  sur  un  autre  ob- 
jet. Presque  aussi  loin  que  nous  remontions  dans 
riiibtoiro,  nous  entendons,  par  exemple,  parler 
de  cachots  gravés  qui  servent  à  sceller,  à  au- 
thentiquer les  écrits.  Mais  les  anciens  n'allèrent 
pas  au  delà,  et  ce  que  nous  appelons  l'imprime- 
rie leur  resta  toujours  inconnu.  \\s  piirent  des  em- 
preintes d'objets  gravés  :  ils  n  imprimèrent  pas 
dans  la  véritable  acception  du  terme,  tel  que  nous 
l'entendons  aujourd'hui.  Ils  n'imprimèrent  pas 
plus  que  ne  le  font  maintenant  les  Chinois,  qui 
passent  cepejidant  pour  avoir  connii  l'imprimerie 
plusieurs  siècles  avant  les  Européens,  mais  qui, 
en  réalité,  ne  font,  eux  aussi,  que  prendre  des 
empreintes,  puisque  pour  faire  un  livre  ils  gra- 
vent encore  autant  de  planches  que  ce  livre  a  de 
pages. 

Pour  nous,  l'imprimerie,  la  typographie  réside 
essentiellement  dans  l'emploi  de  caractères  ou 
typos  mobiles  qui,  après  avoir  été  assemblés  de 
telle  façon  en  vue  de  l'impression  de  tel  ouvrage, 
peuvent  être  séparés  et  assemblés  d'une  autre 
façon  pour  l'impression  d'un  autre  ouvrage.  C'est 
li  seulement  que  se  trouve  le  trait  de  génie  qui 
donna  naissance  k  cet  art  admirable,  vers  le  milieu 
ou  dans  la  seconde  moitié  du  quinzième  siècle. 
Nous  ne  précisons  rien  ;  car  une  ombre  égale  en- 
veloppe la  date  de  l'invention  aussi  bien  que 
l'histoire,  nous  pourrions  dire  la  légende  de  l'in- 
venteur ou  des  inventeurs. 

Tout  s'enchaîne  fatalement  dans  le  progrès.  On 
sait  de  source  certaine,  et  pour  en  avoir  retrouvé 
les  témoignages  effectifs,  que  dès  le  commence- 
ment de  ce  quinzième  siècle  d'ingénieux  artisans, 
et  notamment  des  cartiers  ou  faiseurs  de  cartes 
à  jouer,  avaient  imaginé  de  graver  des  planches 
de  bois  dur  dont  ils  se  servaient  pour  produire 
de  grossières  estampes,  qui  se  vendaient  dans  le 
populaire,  industrie  favorisée  par  la  fabrication 
<iu  papier  de  chiffons,  qui  depuis  un  certain  temps 
était  venu  se  substituer  économiqurment  au  vélin, 
.au  parchemin  jusque-là  employés  pour  l'écriture, 
et  dont  l'usage  était  fort  onéreux.  Il  arriva  môme 
■que  certains  d'entre  eux,  ayant  gravé  plusieurs 
planches  où  le  dessin  était  accompagné  de  légendes 
et  avait  trait  au  môme  sujet,  en  formaient  des  ca- 
hiers, qui  étaient  on  réalité  de  véritables  livres  et 
qui  avaient  un  débit  considérable.  C'est  ce  qu'on 
est  convenu  d'appeler  la  xi/lograpliie  (de  xylon, 
bois,  et  i/rapltei)i,  écrire),  procédé  qui,  répétons-le, 
n'est  autre  que  celui  dont  les  Chinois  se  sont  servis 
longtemps  avant  nous,  et  dont  ils  se  servent  exclu- 
sivement encore,  mais  qui  n'a  qu'une  sorte  d<î 
communauté  de  résultat  avec  l'imprimerie  pro- 
prement dite. 

Comment  se  fit  la  transition  des  types  invaria- 
bles aux  types  mobiles  ?  A  cette  question  répond 
la  douteus'"  légende.  Ecoutons-la,  elle  sera  brève. 
Il  y  avait  dans  la  ville  de  Harlem  en  Hollande 
certain  Laurent  Coster,  garde  ou  concierge  du 
palais  royal,  qui,  se  trouvant  à  la  campagne,  g'avisa 
de  tailler  avec  son  couteau  des  écorces  de  hôtre 
■en  forme  de  lettres,  avec  lesquelles  il  traça  sur  du 
papier,  en  les  imprimant  l'une  après  l'autre,  un 
modèle  composé  de  plusieurs  lignes  pour  l'instruc- 

2*  PAllTIK. 


tion  de  ses  enfants.  Puis,  donnant  de  l'extension  i 
cet  outillage  primitif,  il  aurait  imprimé  des  livres. 
Ainsi  disent  les  gens  de  Harlem,  qui  veulent  avoir 
l'honneur  de  la  grande  découverte.  Mais  voici 
venir  ceux  de  Strasbourg  qui,  avec  plus  de  raison, 
somble-t-il,  en  réclament  le  mérite,  pour  un  de 
leurs  compatriotes,  Jean  Gœnsfleisch,  dit  Guten- 
berg.  Fort  bien  !  mais  comme  nul  n'est  prophète  en 
son  pays,  ce  Gutenberg,  aussi  pauvre  qu'ingénieux, 
n'ayant  pas  trouvé  à  Strasbourg  l'aide  nécessaire 
pour  mener  h  bien  son  invention,  se  rendit  à 
Mayence,  dont  il  était  originaire,  et  où  cet  appui 
lui  aurait  été  donné  par  ua  riche  orfèvre  nommé 
Jean  Fust  ou  Faust,  qui  adjoignit  à  ses  travaux 
son  gendre  Pierre  Scliœffer.  A  l'origine,  pouvons- 
nous  croire,  Gutenberg  se  servait  de  caractères 
sculptés  sur  de  petits  parallélipipèdes  de  bois,  qui, 
rapprochés  les  uns  des  autres,  serrés  ensuite  d'en- 
semble ,  formaient  la  planche  typographique . 
Schœffer,  qui  était  ouvrier  bijoutier,  aurait  eu, 
dit-on,  l'idée  de  graver  les  lettres  sur  acier,  et  de 
les  frapper  sur  du  cuivre,  pour  former  des  matri- 
ces où  l'on  pouvait  les  couler  en  plomb  :  ce  qui 
constituait  un  grand  progrès.  Quoi  qu'il  en  fût,  au 
moment  où  le  premier  ouvrage  important  allait  être 
livré  au  public,  Gutenberg  se  trouva  évincé  de 
l'association  où  il  n'avait  malheureusement  ap- 
porté que  son  esprit  inventif;  et  le  livre  porta  les 
seuls  noms  de  Faust  et  de  Schœffer. 

Gutenberg  trouva  peu  après  un  nouvel  associé, 
avec  le  concours  duquel  il  put  monter  un  autre 
atelier.  Mais,  soit  qu'il  fut  las  à  la  suite  d'une 
longue  et  très  active  carrière,  ou  qu'il  eût  à  subir 
de  nouveaux  tracas  commerciaux,  après  avoir  mis 
au  jour  une  édition  fort  remarquable  d'une  es- 
pèce de  manuel  encyclopédique  (le  Cutholicvn  du 
génois  Jean  Balli),  il  céda  son  matériel  aux  ouvriers 
qu'il  avait  formés,  et  se  retira  auprès  de  l'élec- 
teur-archevôque  de  Mayence,  qui  l'avait  pourvu 
d'un  titre  et  d'une  pension  modestes.  11  mourut, 
dit-on,  en  14C8.  La  postérité,  lui  tenant  particii- 
lièrement  compte  des  nombreux  déboires  qu'il 
éprouva,  et  qui  semblent  ôtre  l'apanage  distinctif 
des  chercheurs  de  génie,  l'a  reconnu  comme  titu- 
laire véritable  de  la  magnifique  invention  ;  et  c'est 
à  son  nom  que,  de  l'aveu  général,  en  reste  acquise 
la  principale,  la  première  gloire. 

Les  premiers  livres  signés  de  Faust  et  de 
Schœffer,  et  le  livre  publié  sans  signature  par  Gu- 
tenberg, parurent  de  1456  i  HG'2  ;  telle  serait  par 
conséquent  la  date  qu'il  conviendrait  d'assigner 
aux  débuts  pratiques  de  la  typographie.  Débuts 
fort  brillants  en  vérité,  car  ces  anciens  spécimens 
nous  prouvent  que  l'art  nouveau  avait  atteint  dès 
le  principe  une  singulière  perfection;  si  ce  n'était  la 
différence  des  types  employés,  ils  supporteraient 
certainement  et  presque  sans  désavantage  la  com- 
paraison avec  les  produits  des  plus  belles  époques 
de  l'art. 

Puisque  nous  mentionnons  ces  types  primitifs, 
avons-nous  besoin  de  remarquer  qu'ils  reprodui- 
saient les  caractères  gothiques  généralement  em- 
ployés alors  pour  la  confection  des  manuscrits.  De 
quoi  s'agissait-il,  en  somme?D'obtenir  économique- 
ment, à  l'aide  de  procédés  mécaniques,  ces  livres 
que  les  écrivains  ou  copistes  produisaient  avec  tant 
de  lenteur  et  devaient,  en  conséquence,  vendre  si 
cher.  Et,  commercialement,  industriellement,  on 
pourrait  même  nous  demander  si  le  but  visé  ne  fut 
pas  de  les  imiter  assez  fidèlement  pour  que  la  con- 
fusion ou  la  substitution  devint  possible.  Eh  bien  I 
pourquoi  ne  le  constaterions-nous  pas'?  Il  est  avéré 
que  les  premiers  se  vendirent  bel  et  bien  comme 
manuscrits,  au-dessous  du  prix  ordinaire,  cela  va 
de  soi  ;  car  c'était  en  quoi  la  production  méca- 
nique pouvait  songer  à  l'emporter  sur  la  produc- 
tion manuelle. 
I     Toutefois  il  n'en  alla  pas  longtemps  ainsi;  et 

ti4 


IMPRIMERIE 


10!0  — 


qncfik  c^ofc  pîufmits  nt^^a^iouficnt  pow? 
i>tfùp\iomta  fbppfeffc  ôcfe/ïe  quiiauoita 
caufc  ôefbi)  nwf corne  iatàitcfbtmnt/(oï^ 

fms'^(  cfîoitpKuUjommeaukttnitk  0c 
€onnc cojiuecfaCîoî).  iBt ni/quee a (a%a^nc 
l-'aSêf  dîf«nt  ccufj)  qui  ç  ontefïe  qug  if  a  rai/ 
fui)/  mai  6  t)c  nua;e  cî^o/e  qwi  [oit  ottftcc/efôî'^ 
rteepoitceDc  meca^  ne.  ftttouné  nut^^udc 
frtf^êt  fore  que  pac  commune  Knomm^ç  (î  g 
fjO^t  genetaCTe  Des  gCB  aîfî  que  ta  j?  îiit  c00 
iiant/ncûtmoim  que  e  j)  auftteejpo^  e  fee  û^s 
ou^tacSpfec/maîencmiefittç/pîoptcmêf* 
^f  efqueûl'6  c^feefcîit/que  laSiefiitSns 
<îH{!f  te  c^euaftetôse  païtîes  '^D0cmaiqln^^ 

qut  iwC^  aufttee  gcne  Du  înSSe»  Ceflu?  c^e^ 
mîiu  o^t  pacfec  Oe«  metùeiffeeÈelluffiicf  es 
^icôcfuddeç aî^ÊC/eC  ainfi kfifi.  pàttzfi 
ttjeimftec  /ceut  ot)  pfuB  fiouaedeméîOes  mec 
iîeùfïBDecefup  J/^o^aufme  auparaSieôefsé 
to?}icûe;è^ôitfe/(equefcomptaDefo3£îpttnff 
DuSent/DeeDiagonô/  DeopisUeedemeCaf/ 
€t  ùçeauïtteô  ci^fcsainfi  que  pac  fe  rappo^ 
dî!p:e0|ïcec|lûit/6£crôortrtca»0î;fjpîe5iïî;c 
pfuBôcfop 

4|L^fl  mamtu5nimtkc§tuaUtt  cntiab0 
e«î8  ;îfuf  de^cotwe  (ïde/ê03ês.8«afî}çj% 


lîiÇfeÉ^I^ 


Fac-similé  d'une  colonne  dun  livre  d'Aut.  de  la  Sale  [La  Salade, 
ouTrage  encyclopédique),  imprimé  en  1520. 


IMPRIMERIE 

[  le  moment  vint  bien  vite  où  les  livres, 
obtenus  sans  le  secours  a  du  roseau,  du 
style  ou  de  la  plume  ",  furent  diffé- 
renciés des  manuscrits  par  le  soin  même 
I  que  prenaient  les  imprimeurs  concur- 
rents d'en  indiquer  le  mode  de  confec- 
tion. 
j  Imprimeurs  concurrents,  disons-nous, 
bien  qu'il  ne  s'agisse  que  des  com- 
mencements de  l'imprimerie  :  c'est  qu'en 
etïet,  quoique  Faust  et  Scbœffer  d'une 
part,  et  Gutenberg  de  l'autre,  eussent 
attentivement  veillé  tout  d'abord  à  ce 
que  leur  secret  restât  ignoré,  encore 
avaient-ils  dû  le  révéler  i  des  ouvriers, 
à  des  aides,  dont  quelques-uns  ne  se 
firent  nul  scrupule  d'en  aller  tirer  profit 
loin  des  lieux  où  ils  l'avaient  appris,  de 
telle  sorte  que  l'imprimerie  se  répandit 
avec  une  rapidité  vraiment  surprenante. 
Les  premières  bibles  imprimées 
avaient  été  apportées  en  assez  grand 
nombre  à  Paris,  centre  intellectuel  où 
elles  devaient  naturellement  trouver 
un  facile  débit.  On  dit  même  que  les 
icrivtihis,  voyant  leur  industrie  mena- 
cée, portèrent  contre  les  vendeurs,  qui 
n'étaient  autres  que  des  émissaires  ga- 
gés par  Faust  et  Scliœffer,  une  accusa- 
tion de  magie,  et  les  firent  condamner 
à  la  prison,  à  l'amende  et  à  la  saisie 
des  exemplaires.  Mais  l'affaire  vint  aux 
oreilles  du  roi  Louis  XI,  qui,  s'en  étant 
fait  rendre  compte,  non  seulement  cassa 
l'arrêt,  mais  encore  fit  partir  pour 
Mayence  (en  1  !G'2)  un  graveur  de  la  mon- 
naie de  Tours,  nommé  Kicolas  Jenson, 
«  afiii  de  s'informer  secrètement  de  la 
taille  des  poinçons  et  caractères,  au 
moyen  desquels  se  peuvent  multiplier 
les  plus  rares  manuscrits,  et  pour  en 
enlever  siiblilement  l'invention.  » 

L'envoyé  s'acquitta  très  habilement 
de  sa  mission,  mais,  le  secret  enlevé, 
au  lieu  de  l'apporter  en  France,  il  alla 
se  fixer  à  Venise,  où  il  l'exploita  pour 
son  propre  compte.  Peu  après  cepen- 
dant, toujours  sans  doute  à  l'instiga- 
tion du  roi,  qui  comprenait  «  le  profil 
et  l'utililé  pouvant  revenir  dudit  art  à 
toute  la  chose  publique  tant  pour  l'aug- 
mentation de  la  science  qu'autrement  », 
trois  imprimeurs  allemands  venaient 
s'établir  dans  une  des  salles  de  la  Sor- 
boiine,  où,  en  l'espace  de  quatre  ans,  ils 
imprimèrent  une  vingtaine  d'ouvrages. 
Entre  temps,  des  ouvriers  de  Faust  el 
Scliœffer,  passant  les  monts,  s'étaient 
allés  réfugier  dans  un  couvent  des  en- 
virons de  Rome,  où  ils  firent  plusieurs 
éditions  d'anciens  auteurs  latins.  Un  de 
leurs  apprentis  no  tarda  pas  K  s'établir 
à  Rome  même,  pendant  qu'un  autre 
transfuge  des  ateliers  de  Mayence,  Jean 
de  Spire,  allait  à  Venise,  accompagné  de 
son  frère  Viiidclin,  se  poser  en  concur- 
ii-nt  de  Jenson.  Nous  ne  sommes  encore 
qu'en  li(i9.  En  IfO  on  compte  sur  les 
divers  points  de  l'Europe  civilisée  cinq 
villes  qui  voient  s'établir  des^imprime- 
ries;  on  en  signale  vingt  de  H"l  à  147.3  ; 
et  de  1474  à  U75  trente,  parmi  lesquelles 
Londres,  et  Valence  en  Espagne.  Dès 
lors  la  diffusion  de  l'art  typographique 
est  un  fait  largement  accompli,  et  qui 
va  progressant  à  ce  point  que  les  biblio- 
graphes constatent  qu'i  la  fin  du  quin- 
zième  siècle   le    nombre  des    éditions 


IMPRIMERIE 


—  1011 


IMPRIMERIE 


faitos  par  Ici;  diverses  imprimeries  s'élevait  dcjh 
îi  seize  mille. 

Destiné  k  l'alimentation  dos  esprits  et  dos  imes, 
lo  nouvel  ai-t  n'exigeait  pas  seulement  de  ceux 
qui  s'y  consacraient  une  habileté  purement  maté- 
rielle ;  aussi  le  vit-on,  presque  dès  l'origine,  exercé 
par  des  hommes  qui,  le  considérant  comme  une 
sorte  de  noble  ministère,  s'y  distinguèrent  par 
l'union  du  savoir,  du  goût  et  d'un  véritable  en- 
thousiasme professionnel  .  Les  Aide ,  Jean  de 
Tournes,  Dolet,  les  Esticnne,  Froben,  Tory, 
Gryphe,  Plantin,  les  Elzévir,  les  Didot,  pour  ne 
citer  que  quelques  noms,  sont  autant  de  per- 
sonnalités ayant  une  place  d'honneur  dans  l'his- 
toire intellectuelle  des  derniers  siècles. 

Nous  avons  dit,  en  en  signalant  la  raison,  qu'à 
l'origine  les  caractères  typographiques  gardaient 
la  forme  ;,'(iihique  de  ceux  qui  étaient  employés 
pour  les  IhiTs  manuscrits,  et  il  en  fut  de  même, 
au  moins  dans  la  plupart  des  imprimeries,  jusque 
vers  le  quart  du  seizième  siècle,  mais  notamment 
durant  la  fin  du  quinzième.  Aussi  est-ce  aux  livres 
imprimés  ainsi  (jue  les  bibliographes  appliquent 
plus  particulièrement  la  dénomination  lïincuiii- 
bles  \à\i  mot  latin  incunabula,  qui  signifie  à  la  fuis 
berceau  pris  au  sons  positif,  et  enfance,  coinnien- 
cements,  pris  au  sens  figuré),  ce  qui  est  une  façon 
de  les  considérer  comme  les  prémices  de  l'art 
typographique  (V.  \e  fac-simtle  ci-contre).  Toutefois 
cette  qualification  doit  être  pareillement  appliquée 
à  des  éditions  faites  i  l'aide  de  caractères  qui, 
bien  qu'employés  par  les  premiers  imprimeurs, 
s'éloignent  déjà  du  type  originel.  Jeuson,  s'éta- 
blissant  à  Venise,  se  servit  de  caractères  beaucoup 
moins  hérissés  que  ceux  des  Allemands,  imitant 
en  cela  les  écrivain!:-  français  qui,  même  dans  les 
manuscrits,  avaient  fait  subir  une  demi-métamor- 
phose à  la  gothique.  "  Aide  Manuce  le  Vénitien,  dit 
M.  P.  Lacroix,  dans  le  seul  but  de  faire  que  sa 
patrie  ne  dût  pas  son  écriture  nationale  à  un 
Français,  adopta  le  caractère  italique,  renouvelé 
de  l'écriture  cursive  ou  de  chancellerie,  qui  ne  fut 
jamais  qu'une  exception  dans  l'imprimerie,  malgré 
les  beaux  travaux  des  .\lde  et  d'autres  imprimeurs 
vénitiens.  »  L'avenir  était  pour  le  caractère  romain, 
de  Nicolas  Jenson,  qui,  à  quelques  modifications 
près,  est  encore  celui  qu'on  emploie  de  nosjours.  Un 
type  un  peu  dilïérent,  dit  Elzévir,  est  dû  aux  im- 
primeurs hollandais  de  ce  nom  :  il  avait  été  gravé 
par  les  Sanlecque  {lG2o-lG28),  et  olfre  des  formes 
plus  archaïques  que  le  romain  ordinaire  ;  il  a  été 
remis  en  honneur  depuis  quelques  années  par  un 
certain  nombre  d'imprimeurs. 

On  désignait  autrefois  les  différentes  hauteurs 
du  caractère  (ce  qu'on  appelle  sa  force  de  corps) 
par  des  noms  conventionnels,  tels  que  Philoso- 
phie, Cicéro,  Sinnt-Augiislin,  tirés  en  général  du 
titre  de  l'ouvrage  où  le  caractère  de  ce  corps 
avait  été  employé  pour  la  première  fois.  Ainsi, 
le  Cicéro  avait  servi  à  imprimer  la  première 
édition  des  Lettres  familières  de  Cicéron,  parue 
à,  Rome  en  1407;  le  Saint-Augustin  dut  son  nom 
h  la  grande  édition  des  œuvres  de  saint  Augus- 
tin faite  à  Bâle  on  1500.  Ces  appellations  ne  sont 
plus  en  usage  aujourd'hui,  et  on  désigne  simple- 
ment le  caractère  par  le  nombre  de  points  de  sa  force 
de  corps  (corps  douze,  corps  onze,  corps  dix,  etc  ). 
Le  point  typographique  équivaut  à  0"'"',.370  (autre- 
fois 1/6  de  ligne).  Le  texte  courant  de  notre 
Dictionnaire  de  jtédagoçjie,  parexemple,estimprimé 
avec  des  caractères  romains  de  7  points,  non  in- 
terlignés. On  nomme  œil  l'aspect  général  des  carac- 
tères ;  Vœil  peut  être  gros  uu  petit,  la  force  do  cor/js 
restant  néanmoins  la  même.  Chaque  texte  courant 
d'ailleurs,  outre  ses  lettres  capitales  ou  majus- 
cules, comporte  pour  les  nécessités  que  nous 
pourrions  appeler  pittoresques  de  la  composition, 
des  types  de  même  corps  ou  bauteur,  qui  sont  plus 


ou  moins  fantaisistes;  par  exemple  Vitalir/ice,  dont 
l'usage  est  univrrsrllfiii-iit  consacré  pour  repro- 
duire les  mots  qui'  l'.iiiiuur  a  soulignés  dans  son 
manuscrit;  la  noriiiaiitle,  qui  n'est  qu'un  romain 
très  gras  ;  l'égyptienne,  qui  est  un  romain 
écrasé;  les  capiliaires,  toutes  faites  de  déliés,  etc. 

Ces  quelques  détails  purement  professionnels 
nous  ayant  introduits  dans  l'atelier  typographique 
moderne,  restons-y  pQur  tâcher  do  prendre  une 
idée  sommaire  des  travaux  qui  s'y  exécutent. 

Les  caractères  employés  aujourd'hui  sont  faits 
parle  procédé  dont  on  attribue  la  première  idée  à 
Schcelîor,  c'est-à-dire  que  la  lettre  ouïe  signe  ayant 
été  d'abord  gravé  à  l'extrémité  d'une  petite  barre 
d'acier  doux  que  l'on  durcit  ensuite  par  la  trempe, 
on  se  sert  de  ce  poinçon  pour  former,  en  le  frap- 
pant sur  du  cuivre,  une  matrice  qui  en  garde 
l'empreinte  creuse,  et  dans  laquelle,  après  l'avoir 
placée  au  fond  d'un  petit  encaissement  quadran- 
gulaire,  on  coule  un  mélange  fondu  de  80  ou 
•JO  parties  de  plomb  pour  10  ou  20  d'antimoine, 
contenant  aussi  parfois  un  peu  d'étain,  ou  de 
enivre  qui  lui  donne  plus  de  dureté.  Cette  coulée 
irrroidir,  l'i'iKMissiMiinit  OU  moule  s'ouvre,  et  l'on 
rii  rciiii-  un  |i  ir.illi'lipipède  de  métal  mesurant 
■J)""",.ii)  ■le  li.imuiir.  sur  une  largeur  et  sur  une 
épaisseur  dcpend.int  du  corps  que  doit  avoir  le 
caractère,  et  portant  en  relief  à  l'une  de  ses  extré- 
mités (mais  renversée)  la  lettre  ou  le  signe  gravé 
sur  le  poinçon  primitif.  Chacun  de  ces  caractères 
se  trouve  marqué,  au  cours  de  la  fusion  même, 
sur  celle  de  ses  faces  latérales  qui  correspond  au 
haut  du  signe  qu'il  représente,  d'un  cran  dont 
nous  verrons  plus  loin  le  rôle.  Fondus  en  quantité 
suffisante  de  chaque  nature,  et  en  assortiment  tel 
qu'il  soit  possible  de  répondre  à  toutes  les  éven- 
tualités de  la  composition,  ces  caractères,  rompus, 
frottés,  coupés  de  façon  à  ce  que  rassemblés  ils 
soient  tous  exactement  de  même  hauteur  et  ar- 
rivent à  ne  former  par  juxiapusitiiin  latérale  qu'un 
bloc  des  plus  homogènes,  sunt  livn'S  à  l'impri- 
meur. Il  y  est  joint  une  (piantii.'  nliiive  de  pièces 
de  fonte  de  même  métal,  dune  liauleur  un  peu 
moindre  que  celle  des  caractères,  les  unes  appe- 
lées espaces  et  destinées  à  être  placées  entre  les 
mots  afin  de  ménager  les  blancs  qui  les  séparent, 
les  autres  appelées,  selon  Irur  volume,  cadrais  ou 
cadratins,  devant  servir  à  combler  les  vides  iles 
lignes  non  achevées  ou  reculées  par  l'alinéa;  enfin 
des  lames  qui  sont  coupées  à  la  longueur  assignée 
aux  lignes,  et  qui,  comme  l'indique  leur  nom 
d'interlignes,  doivent  servir  à  ménager  entre  les 
lignes  des  blancs  ou  vides  analogues  à  ceux  que 
les  espaces  établissent  entre  les  mots. 

Le  compositeur,  qui  e^t  l'ouvrier  chargé  d'as- 
sembler les  lettres  d'après  les  indications  du  texte 
à  imprimer,  travaille  ordinairement  debout.  Il  a 
devant  lui  une  sorte  de  grand  casier  placé  sur  un 
pupitre  appelé  rang;  ce  casier,  nommé  casse,  est  di- 
visé en  autant  de  compartiments  que  lo  texte  peut 
nécessiter  de  lettres,  de  signes  ou  d'espaces  diffé- 
rentes. Dans  ces  compartiments  ou  cassetius  ont 
été  distribués  les  caractères  livrés  par  le  fondeur. 
Les  compartiments  les  plus  éloignés  de  l'ouvrier  et 
par  conséquent  les  plus  élevés,  dont  l'ensemble 
porte  le  nom  de  liaut  de  eusse,  ont  reçu  les  grandes 
et  petites  capitales,  et  les  signes  qui  sont  d'un 
emploi  peu  fréquent.  Les  autres,  dont  l'ensemble 
est  dit  bas  île  casse,  et  qui  sont  plus  immédiate- 
ment sous  la  .nain  du  compositeur,  contiennent  les 
lettres  ordinaires  et  les  signes  auxiliaires  qui  re- 
viennent lo  plus  souvent  dans  le  texte  courant, 
ainsi  que  les  espaces  et  les  chiffres.  Le  composi- 
teur, ayant  sous  les  yeux  un  feuillet  de  la  copie 
(nom  donné  au  texte  qu'il  s'agit  de  reproduire), 
tient  dans  la  main  gauche  un  instrument  nommé 
composteur,  qui  est  fait  de  deux  réglettes  do  fer 
assemblées  en  équerre  :  à  un  bout  l'angle  est  fer- 


IMPRIMERIE 


—  1012 


IMPRIMERIE 


mé  par  un  talon  de  métal,  à  l'autre  est  une 
pièce  semblable,  mais  mobile,  qui  peut  avancer  ou 
reculer  vers  la  première  et  qu'une  vis  arrête  au 
point  voulu,  c'est-à-dire  à  une  distance  égalant  la 
longueur  que  doivent  avoir  les  lignes  de  la  com- 
position. Le  compositeur,  ayant  lu  un  mot  du 
texte,  prend  de  la  main  droite,  une  à  une,  dans  le 
compartiment  où  il  sait  qu'elles  ont  été  mises,  les 
lettres  qui  doivent  servir  à  composer  ce  mot,  et  il 
les  place  dans  le  composteur,  le  cran  latéral  en 
dessous,  en  suivant  l'ordre  de  gauche  à  droite:  le 
mot  fini,  il  place  une  espace,  et  il  va  ainsi  jusqu'à 
ce  que  le  vide  ménage  entre  les  deux  pièces  de 
métal  formant  les  réglettes  du  composteur  soit 
rempli,  ce  qui  indique  qu'une  ligne  est  finie. 
Avant  d'en  composer  une  seconde,  il  place  ordi- 
nairement sur  l'ensemble  de  la  première  une  in- 
terligne plus  ou  moins  épaisse,  selon  le  plus  ou 
moins  de  blanc  qui  doit  exister  entre  les  lignes. 
Quand  il  a  composé  ainsi  plusieurs  lignes,  il  les 
enlève  adroitement  du  composteur,  et  les  met  sur 
une  plancliplte  bordée  de  deux  eûtes  seulement, 
qui  :i  reçu  le  nom  de  galée,  et  où  le  composi- 
teur les  dépose  en  les  massant  contre  l'encoi- 
gnure des  rebords  de  la  galée.  Quand  la  galée 
est  pleine  de  lignes,  le  compositeur  lie  provisoire- 
ment ce  paquet  de  plusieurs  tours  de  ficelle,  et 
glissant  ordinairement  par  dessous  une  feuille  de 
papier  fort,  il  place  ce  paquet  sous  son  rang,  où 
viendra  le  prendre  le  metteur  en  pages,  pour  en 
former  des  placards.  Il  est  alors  tiré  de  la  com- 
position une  ou  plusieurs  épreuves;  elles  sont  don- 
nées h  lire  au  correctetir  et  à  l'auteur,  qui  l'un  et 
l'autre  marqueront  en  marge,  en  regard  de  chaque 
ligne,  les  modifications  ou  corrections  qui  leur 
sembleront  devoir  être  faites  pour  la  pureté  et  la 
bonne  disposition  du  texte. 

Quand  les  épreuves  ont  été  vues,  un  ouvrier 
procède  aux  changements  de  lettres,  de  mots, 
aux  rcinaniemeyilsie  lignes,  de  phrases,  d'alinéas 
indiqués  sur  l'épreuve. 

Le  metteur  en  pages,  comme  son  nom  l'indique, 
et  qui  d'ailleurs  n'est  autre  qu'un  compositeur 
chargé  d'une  tâche  plus  difficile,  plus  délicate, 
prend  dans  les  paquets  autant  de  lignes  qu'il  en 
faut  pour  faire  une  page;  s'il  s'agit  d'un  livre,  il  y 
ajoute  les  folios  des  pages,  les  titres,  il  espace  par 
des  interligaes  les  chapitres,  il  comble  par  des  ca- 
drats  les  fins  de  pages  devant  rester  blanches,  il 
intercale  s'il  y  a  lieu  les  gravures,  les  vignettes, 
place  les  notes,  enfin  tout  ce  qui,  formant  en  quel- 
que sorte  l'accessoire  de  la  composition,  n'appar- 
tient pas  au  travail  courant.  Cela  fait,  il  procède 
à  X'impùsiiion,  qui  consiste  à  placer  et  à  espacer 
ces  paquets,  représentant  les  pages,  sur  un  marbre, 
c'est-à-dire  sur  une  table  autrefois  recouverte  d'une 
plaque  de  marbre,  mais  qui  aujourd'hui  a  le  plus 
souvent  pour  plateau  une  plaque  de  fonte  très 
unie  ;  il  les  serre  ensuite,  au  moyen  de  garni- 
tures et  de  cuifis,  dans  un  cadre  ou  châssis  de 
fer  de  la  grandeur  de  la  feuille  de  papier  sur 
laquelle  l'ouvrage  doit  être  imprimé.  Il  dispose  là 
chaque  page  de  façon  à  ce  qu'après  l'impression, 
la  feuille  étant  pliée  sur  elle-même  dans  un  ordre 
convenu,  les  pages  se  succèdent  régulièrement. 
Avons-nous  besoin  de  faire  remarquer  que  l'im- 
pression d'une  feuille  exige  l'emploi  de  deux  for- 
mes qui  doivent  successivement  imprimer  les  deux 
faces  du  papier,  et  de  telle  manière  que  la  conti- 
nuité du  texte  soit  conservée  après  le  pliage  de  la 
feuille. 

Ce  sont  là,  on  le  comprend,  autant  de  détails  pu- 
rement technologiques  sur  lesquels  nous  ne  sau- 
rions insister,  étant  donné  que  nous  ne  pouvons 
faire  ici  qu'un  simple  résumé  des  travaux  typogra- 
phiques. 

Lorsque,  enfin,  après  une  ou  plusieurs  révisions, 
suivies  chacune  d'un  nouveau  travail  de  correction, 


l'état  de  la  mise  en  pages  a  été  reconnu  irrépro- 
chable soit  par  l'auteur  s'il  s'agit  d'un  ouvrage 
nouveau,  soit  par  le  prote  (premier)  ou  chef  de 
l'atelier  s'il  s'agit  d'une  réimpression,  les  mots  bon 
à  tirer  étant  écrits  sur  la  dernière  épreuve,  la  forme, 
bien  serrée,  à  l'intérieur  de  laquelle  la  composition, 
bien  plane,  ne  semble  plus  constituer  qu'un  bloc 
très  résistant,  est  portée  sous  la  presse  pour  le 
tirage  ou  impression. 

A  l'origine,  au  temps  de  l'imprimerie  xylogra- 
phique, les  imprimeurs,  après  avoir  encré  leur 
planche  à  l'aide  d'un  tampon,  et  après  l'avoir  re- 
couverte de  la  feuille  sur  laquelle  devait  s'emprein- 
dre l'image,  se  bornaient,  dit-on,  à  frotter  par 
dessus  avec  un  corps  dur  ou  légèrement  élastique, 
comme  par  exemple  nous  faisons  avec  le  dos  de 
l'ongle  quand  nous  voulons  lustrer  la  place  du  pa- 
pier où  nous  avons  usé  du  grattoir.  Mais  ce  pro- 
cédé élémentaire  fut  aussitôt  délaissé  par  Gutenberg, 
qui,  voulant  obtenir  une  action  plus  régulière,  ap- 
pliqua au  tirage  de  ses  livres  une  presse  analogue 
à  celle  que  de  temps  immémorial  les  vignerons 
ont  employée  pour  extraire  le  jus  de  la  vendange, 
en  plaçant  toutefois  sous  le  plateau  un  drap,  un 
feutre  rendant  la  pression  plus  moelleuse  et  empê- 
chant l'écrasement  des  caractères.  Cette  presse 
primitive  est  venue  jusqu'à  nous  sans  perdre  son 
principe  d'action  verticale  et  d'ensemble  sur  toute 
l'étendue  de  la  forme.  Il  va  de  soi  que  la  machine 
de  Gutenberg  a  reçu  depuis  le  .xv"  siècle  toutes 
sertes  de  perfectionnements  que  nous  n'avons  pas 
l'intention  de  décrire,  et  qui  en  ont  rendu  le  jeu 
aussi  régulier  et  aussi  rapide  que  possible.  Elle 
est,  en  somme,  composée  d'une  forte  et  solide 
table  à  chariot,  portant  la  forme  qui,  après  avoir 
été  encrée  au  dehors  du  bâtis  principal,  et  après 
avoir  reçu  la  feuille  à  imprimer,  va  chercher  la 
pression  en  entrant  sous  le  plateau  que  fait  des- 
cendre sur  elle  un  levier  qui,  mu  par  le  bras  de 
l'imprimeur,  tourne  l'écrou  d'une  vis;  un  ressort 
remonte  le  plateau,  quand  la  pression  est  donnée. 
La  table  à  chariot  revient  en  dehors  du  bâtis  ;  on 
enlève  la  feuille,  on  encre  de  nouveau,  et  l'on  con- 
tinue le  tirage.  L'encrage  s'était  fait  longtemps  à 
l'aide  d'un  gros  tampon  portant  le  nom  de  balle, 
sorte  d'entonnoir  de  bois  dans  le  creux  duquel  on 
bourrait  de  la  laine  et  qu'on  recou\Tait  d'une  peau 
très  fine  clouée  tout  autour  du  bord.  Puis  on  se 
servit  de  rouleaux  à  manche,  garnis  pareillement 
de  peau.  De  nos  jours  ces  rouleaux,  coulés  en  gé- 
latine, ont  tous  les  avantages  de  moelleux  et  de 
finesse  désirables. 

Notons  simplement  que  les  feuilles  à  imprimer 
ont  dû  être  au  préalable  humectées,  et  que,  s'il 
s'agit  de  travaux  soignés,  on  les  soumet  au  glaçage, 
qu'opère  une  pression  puissante  ou  un  laminage. 
Lue  fois  tirées  elles  sont  séchées.  puis  pliées,  puis 
assemblées,  puisle  livre,  étant  broché,  peut  paraître. 
Quelque  glorieux  états  de  services  qui  puissent 
être  reconnus  à  la  presse  de  Gutenberg,  ou  p)-csse 
a  bras,  qui  en  divers  temps  a  mis  au  jour  tant  de 
magnifiques  éditions,  et  à  laquelle  on  recourt  en- 
core pour  un  certain  nombre  d'impressions  de 
luxe  toutes  spéciales,  il  est  évident  qu'avec  notre 
siècle  où  le  champ  de  la  publicité  s'est  accru  si 
considérablement,  l'heure  devait  sonner  où  la  len- 
teur relative  de  son  action  l'empêchait  de  répon- 
dre aux  besoins  nouveaux,  ^ous  voulons  parler  no- 
tamment de  la  dilTusion  des  journaux,  qui  aurait 
été  normalement  empêchée,  si  des  appareiis  extrê- 
mement plus  expéditifs,  aidés  d'ailleurs  par  la 
stéréotypie,  ne  fussent  venus  se  substituer  à  1  an- 
cienne machine.  , 
L'idée  des  presses  mécmiiques,  appartenant  â 
un  journaliste  américain,  daterait, paraît-il,  de  1700, 
mais  la  première  fut  construite  à  Londres  en  1814 
pour  l'impression  du  journal  le  Times,  sans  que 
toutefois  il  fût  possible  d'y  voir  autre  chose  que  le 


INCLINATIONS 


—  1013  — 


INDE 


point  de  départ  d'un  incroyable  avancement  dans 
l;i  voie  dos  tiratçes  rapides.  Nous  ne  saunons  vouloir 
décrire  ici  en  f|iieli|ues  lignes  ces  merveilleux  ins- 
truments pour  la  création  desquels  plusieurs  prin- 
cipes ont  été  mis  en  ceuvre,  et  qui  chaque  jour 
d'ailleurs  bénéficient  de  quoique  nouveau  progrès. 
Tout  d'abord,  et  même  pendant  longtemps,  la 
presse  mécanique  exigea  de  nombreux  auxiliaires 
humains,  véritables  esclaves  do  la  travailleuse 
automatique.  11  fallait  lui  présenter  les  feuilles, 
les  recevoir,  les  lui  redonner  h  imprimer  d'un  se- 
cond côté  après  qu'elle  les  avait  imprimées  sur  une 
face.  Aujourd'hui  on  met  ;\  l'une  de  ses  extrémités 
un  énorme  rouleau  de  papier  sans  fin,  dont  on  se 
borne  à  engager  le  bout  sur  ses  rouleaux  ;  en  une 
heure  elle  imprime,  découpe,  plie,  compte  et  livre, 
dans  des  corbeilles  qu'on  emporte  à  mesure,  jusqu'à 
15  et  20  mille  numéros  de  journal  ;  ne  le  faut-il  pas 
ainsi,  puisqu'il  est  actuellement  telle  feuille  popu- 
laire parisienne  qui,  mise  sous  presse  seulement 
vers  minuit,  se  répand  au  point  du  jour  à  un  demi- 
million  d'exemplaires,  dont  le  texte,  i  vrai  dire, 
composé  une  seule  fois,  mais  reproduit  en  5 
ou  6  planches  stéréotypées,  est  tiré  par  autant  de 
machines. 

Quant  aux  procédés  stéréotypiquos  que  nous 
venons  de  mentionner  et  qui  servent  d'auxiliaire  à 
la  presse  mécanique,  bornons-nous  à  dire  qu'ils  se 
réduisent  aujourd'hui  il  prendre  un  moulage,  une 
empreinte  de  l'ensemble  de  la  composition,  et  à 
couler  dans  ce  moule  du  métal  en  fusion  qui, 
refroidi,  produit  d'un  seul  bloc  un  cliché  identique 
à  la  forme  composée  de  caractères  mobiles  ;  cette 
empreinte  est  ordinairement  prise  aujourd'hui  en 
foulant  vigoureusement  sur  la  composition  une 
épaisseur  de  feuilles  de  papier  humide  que 
l'on  fait  ensuite  sécher  et  qui  donne  le  moule 
oii  l'on  coule  la  matière  métallique.  C'est  même  à 
la  flexibilité  de  ce  moule  que  l'on  doit  de  pouvoir 
transformer  à  la  fonte  l'empreinte  plane  en  forme 
cylindrique,  pouvant  s'adapter  aux  rouleaux  im- 
primants do  la  presse  mécanique.  Il  suffit  pour  cela 
de  les  placer  à  l'intérieur  d'un  cylindre  de  même 
calibre  que  celui  de  la  presse.  Quoi  qu'il  en  soit, 
la  stéréotypie  permettant  d'obtenir  presque  immé- 
diatement plusieurs  formes  semblables  à  la  com- 
position première,  il  s'ensuit  qu'on  peut  tirer  sur 
autant  de  presses  le  môme  texte,  et  partant  arri- 
ver à  un  chiffre  de  tirage  vraiment  prodigieux  en 
très  peu  d'heures.  Pour  les  procédés  de  clichage 
en  usage  dans  la  gravure,  V.  Galvanoplastie. 

Quel  que  soit,  du  reste,  le  système  des  presses 
mécaniques,  il  a  toujours  pour  base  un  va-et-vient 
mettant  successivement  en  contact  la  forme  typo- 
graphique avec  des  rouleaux  encreurs,  puis  avec 
des  rouleaux  presseurs  qui  amènent  et  appuient  la 
feuille  blanche.  La  forme  est  tantôt  placée  telle 
qu'elle  a  été  composée,  tantôt  rendue  cylindrique 
par  l'opération  stéréotypique  :  mais  il  faut  avoir 
vu  fonctionner  une  presse  mécanique,  s'en  être 
fait  expliquer  le  jeu  et  avoir  réussi  à  le  compren- 
dre, pour  prendre  une  idée  juste  de  ce  que  peut 
l'ingéniosité  humaine. 

Notons,  pour  achever,  qu'en  ces  derniers  temps 
une  presse  mécanique  a  été  présentée  qui,  tout  en 
gardant  une  extrême  célérité,  permet  de  faire  sur 
une  même  feuille  des  tirages  de  diverses  couleurs, 
non  seulement  simultanés,  mais  encore  juxtaposés. 
Serait-ce  le  dernier  mot  du  progrès'?  — Non,  car 
qui  dit  progrès  ne  saurait  dire  arrêt.  De  ce  que  nous 
vivons  vu  bien  des  merveilles,  nous  devons  con- 
clure qu'il  nous  en  reste  bien  d'autres  à  voir. 

[Eugène  Millier.] 

I\CH.\ATIO.\S.  —  Psychologie,  l'V.  —  Les 
divers  penchants  inhérents  i  la  nature  humaine 
sont  souvent  désignés  indifféremment  par  les  noms 
i' inclinations  ou  d'iii-slincts.  Toutefois,  tandis  que 
le  mot  d'instinct  s  emploie  de  préférence  on  par- 


lant des  animaux,  le  mot  d'inclinations  est  réservé 
à  l'enseinblo  dos  prédispositions  naturelles  de  la 
sensibilité  chez  l'homme. 

Les  inclinations  peuvent  se  ramener  à  un  petit 
nombre  de  groupes  distincts,  suivant  les  objets 
auxquels  elles  se  rapportent.  On  ne  peut  aimer 
que  soi-même,  ou  autrui,  ou  un  objet  pris  en 
dehors  de  l'humanité.  Delà,  trois.classes  d'inclina- 
tions, les  unes  personnelles,  les  autres  socinles,  les 
autres  qui  peuvent  être  appelées  plus  spécialement 
morales. 

Le  tableau  ci-dessous  présente,  groupées  sous 
ces  trois  chefs,  l'énumération  de  nos  principales 
inclinations: 

/  Relatives  au  I  Nutrition. 
I         corps        }  Exercice  et  sommeil. 
(appétits)     (  ReproLluctioo. 

!  Amour  de  la  vie. 
Amour  de  la  propriété. 
Amour  du  tiien-ètre  (domicile,  vête- 
ment, santé,  etc.). 
ipliitiveq  à    i  Amour   de  l'honneur  (orgueil,  etc.). 
ràrae  Amour  du  commandement  (ambition). 

(  Amour  de  l'indépendance. 
'  In&tiuct  de  société  ou  amour  des  hommes. 

Afi'ections  patriotiques  ou  amour  de  la  patrie. 
\  l  Amour  conjugal. 

Amour  paternel  et  ma- 


Affe 
indivi 

Juelles 

'  domestiques 
électives 

tcrnel. 
.\mour  fraternel 
Amour  filial. 
Amitié. 

Amou 
Aniou 
Amou 
Amou 

r  du  Beau,  principe  de  l'art. 
•  du  Vrai,  principe  do  la  science, 
r  du  Bien,  principe  de  la  morale. 
r  de  Dieu,  principe  de  la  religion. 

Notre  intention  n'est  pas  de  traiter  ici  en  détail 
de  ce  qui  se  rapporte  à  chacune  de  ces  inclinations  : 
nous  avons  voulu  seulement  en  donner  une  classi- 
fication qui  permît  à  la  mémoire  d'en  retenir  plus 
facilement  la  nomenclature.  On  trouvera  des  dé- 
veloppements relatifs  il  un  certain  nombre  de  ces 
penchants  de  notre  nature  aux  articles  Instinct, 
Passi07is,  Sensibilité,  Morale. 

I.\DE.  —  Histoire  générale,  L  —  Populations 
primitives.  Castes.  —  Séparée  du  continent  asia- 
tique par  la  gigantesque  et  infranchissable  bar- 
rière des  monts  Himalayas,  enveloppée  dans  sa 
partie  méridionale  par  l'Océan,  l'Inde  forme  un 
monde  à  part.  Il  n'est  aucune  région  du  globe 
plus  belle,  plus  merveilleusement  douée.  Nulle 
part  on  ne  trouve  une  plus  vaste  quantité  de  terre 
arable,  arrosée  par  de  plus  nombreux  et  de  plus 
magnifiques  cours  d'eau,  propre  à  la  fois  k  la  cul- 
ture du  blé  et  du  riz,  du  palmier  et  de  la  vigne, 
possédant  un  climat  chaud,  mais  tempéré  par  des 
séries  régulières  de  vents  et  da  pluies.  Peuplée 
aujourd'hui  de  2io  millions  d'agriculteurs  et  de 
marcliands,  cette  terre  favorisée  en  pourrait  porter 
et  nourrir  sans  peine  le  double. 

Cette  vaste  péninsule,  d'une  forme  triangulaire 
presque  parfaite,  ne  communique  avec  le  reste  du 
globe  (les  communications  maritimes  étant  laissées 
de  côté)  que  par  ses  deux  angles  nord-ouest  et 
nord-est.  C'est  en  effet  sur  ces  deux  seuls  points 
que  la  barrière  de  montagnes  s'abaisse  et  laisse 
deux  trouées  assez  vastes,  l'une  à  l'ouest  par  la 
vallée  de  Caboul,  l'autre  à  l'est  par  la  haute  vallée 
du  BrahmapDUtra.  C'est  par  ces  deux  seuls  points, 
il  n'en  faut  pas  douter,  (|ue  sont  entrées  toutes 
les  races  étrangères  qui  composent  aujourd'hui, 
avec  l'élément  autochthonc ,  la  population  de 
l'Inde. 

Les  habitants  primitifs  do  l'Inde  appartenaient  îi 
une  race  noire,  à  cheveux  lisses,  que  l'on  a  nom- 
mée nt'fjritoïde  pour  la  distinguer  de  la  race  nègre 
africaine  à  cheveux  crépus.  Ces  nèf/ritox,  de  pe- 
tite taille,  aux  membres  grêles  et  ciiétifs,  n'ayant 


INDE 


101-4 


INDE 


d'autres  armes  que  des  pierres  taillées  ou  des  bâ- 
tons durcis  au  feu,  ne  purent  opposer  une  résis- 
tance sérieuse  aux  premiers  envahisseurs,  et  du- 
rent se  soumettre  ou  se  réfugier  dans  les  monta- 
gnes et  dans  les  marais  empestés  de  l'Inde  cen- 
trale, où  on  les  retrouve  encore  aujourd'hui  à 
l'état  primitif.  Les  premiers  conquérants  de  l'Inde 
furent  des  peuplades  jaunes  venues  du  nord-est, 
de  la  Chine  et  du  Thibet.  Comme  nous  l'avons  dit, 
ils  refoulèrent  en  partie  les  noirs  autocliihones, 
mais  ils  se  mélangèrent  aussi  à  eux,  donnant  nais- 
sance à  une  importante  race  do  métis.  Cette  pre- 
mière invasion  eut  lieu  à  une  époque  reculée, 
bien  des  siècles  avant  l'arrivée  des  conquérants 
Aryas,  qui  n'envahirent  l'Inde  qu'environ  vingt 
.  siècles  avant  notre  ère.  Les  Aryas,  branche  impor- 
tante de  la  grande  famille  blanche  ou  hido-euro- 
péenne,  arrivaient  des  plateaux  de  l'Asie  centrale, 
au  nord  du  Pamir.  D'une  civilisation  relativemenl 
avancée,  professant  un  culte  d'un  naturalisme 
sublime,  et  parlant  une  des  plus  belles  langues 
imaginées  par  le  génie  humain,  le  sanscrit,  ces 
Aryas  se  divisaient  en  deux  grandes  classes,  les 
Brahmanes  ou  prêtres  et  les  Kchatriijas  ou  guer- 
riers. Trop  faibles  par  le  nombre  pour  asservir  les 
peuples  qui  les  avaient  précédés  dans  la  pénin- 
sule gangétique,  ils  se  les  assimilèrent  en  leur  ou- 
vrant leurs  rangs  et  les  classant  dans  la  hiérarchie 
brahmanique.  Les  conquérants  de  race  jaune  for- 
mèrent la  troisième  caste,  celle  des  Vaïchyas,  tan- 
dis que  le  peuple  des  métis  constituait  la  quatrième 
caste,  celle  des  Soudras.  Quant  aux  populations 
noires  q.ui  ne  s'étaient  ni  soumises  ni  croisées  avec 
les  jaunes,  elles  restèrent  en  dehors  de  l'organisa- 
tion des  castes  et  formèrent  la  classe  vile  et  mé- 
prisée des  Parias.  Telle  est,  dépouillée  de  l'au- 
réole de  fables  dont  l'entourèrent,  depuis,  les 
écrivains  brahmaniques,  l'origine  de  l'institution 
des  castes  dans  l'Inde. 

Le  Brahma7iis»ie.  Védas.  Lois  de  Manou.  — 
A  leur  arrivée  dans  l'Inde,  les  Aryas  profes- 
saient le  culte  brahmanique  dans  toute  sa  pu- 
reté, tel  qu'il  était  exprimé  par  les  Védas,  simple 
recueil  d'hymnes  et  de  prières  que  la  tradition 
se  transmettait  depuis  des  siècles,  et  qui  ne  fut 
rédigé  définitivement  dans  sa  forme  actuelle  que 
140u  ans  avant  J.-C.  Les  Védas  nous  montrent 
les  premiers  Aryas  adorant  la  voûte  du  firma- 
ment et  le  tonnerre,  le  soleil,  le  feu,  l'aurore, 
les  forces  de  la  nature  en  général.  Respectueux 
de  tout  ce  qui  a  vie,  ils  s'interdisaient  la  viande 
des  animaux,  ne  se  nourrissant  que  de  laitage  ou 
de  légumes.  Des  divinités  spéciales  présidaient  à 
chacun  des  éléments  ;  trois  d'entre  elles,  Brahma, 
Vichnou  et  Siva,  finirent  par  occuper  le  premier 
rang,  et  constituèrent  une  sorte  de  trinité,  la  Tri- 
mourti,  dans  laquelle  Brahma  joue  le  rôle  de  dieu 
générateur,  père  de  toutes  choses,  Vichnou  celui 
de  dieu  conservateur,  et  Siva  celui  de  dieu  des- 
tructeur. Les  Brahmanes,  chargés  de  conserver  les 
traditions  sacrées,  n'avaient  d'abordaucune  fonction 
sacerdotale  ;  ils  cultivaient  le  sol,  gardaient  les  trou 
peaux,  tandis  que  les  Kchatriyas  veillaient  à  la 
défense  de  la  communauté.  Mais  à  peine  les 
Aryas  furent-ils  arrivés  dans  l'Inde,  cette  organi- 
sation si  simple,  si  rationnelle,  ce  naturalisme  pur, 
se  modifièrent  rapidement.  Enorgueillis  par  la 
conquête,  les  Kchatriyas  s'adjugèrent  le  gouverne- 
■  ment  des  vaincus,  tandis  que  les  Brahmanes, 
abandonnant  la  charrue,  devenaient  les  prêtres  du 
culte  nouveau  qu'ils  créaient  pour  séduire  les 
grossières  populations  primitives.  Délaissant  les 
pures  doctrines  des  Védas,  ils  élevaient  peu  à  peu 
un  monstrueux  panthéisme  où,  non  contents  de 
faire  entrer  Brahma,  Vichnou,  Siva,  Indra,  et  tou- 
tes les  anciennes  divinités  symboliques,ils  plaçaient 
au  même  rang  des  démons  ou  les  grossières  idoles 
du  culte  des  aborigènes.  Le  brahmanisme  devenait 


ainsi  la  plus  fantastique  idolâtrie  qu'ait  vue  le  monde. 
Plusieurs  siècles  après  la  conquête,  le^  Brahma- 
nes rédigeaient  les  lois  de  Manou,  code  antique 
qui  avait  été  la  règle  des  premiers  Aryas,  et  dans 
lequel  ils  introduisaient  toutes  leurs  barbares  in- 
novations. Ce  code,  que  l'on  a  longtemps  considéré 
comme  une  œuvre  très  ancienne,  ne  date  proba- 
blement, dans  sa  forme  actuelle,  que  du  troisième 
siècle  avant  notre  ère.  Les  grands  poèmes  épiques 
du  Makabharatit  et  du  Ramayana  ne  remontent 
eux-mêmes  qu'au  quatrième  siècle. 

Le  Bouddhisme.  —  Le  brahmanisme,  arme  puis- 
sante des  conquérants  aryens,  s'était  répandu  sur 
toute  la  péni[isule,  lorsque  le  bouddhisme  vint  ar- 
rêter son  essor.  L'n  prince  aryen,  Çakya-Mouni,  né 
vers  638  av.  J.-C.  dans  une  vallée  du  sud  de 
l'Himalaya,  est  regardé  comme  l'auteur  de  cette 
réforme;  mais  il  parait  aujourd'hui  prouvé  que  le 
bouddhisme,  sous  une  forme  primitive ,  existait 
dans  l'Inde  bien  avant  Çakya,  peut-être  avant 
l'invasion  aryenne.  En  tous'  cas  Çakya,  rejetant  les 
doctrines  brahmaniques,  opposait  au  système  des 
castes  l'égalité  absolue  de  l'homme,  et  promettait 
l'émancipation  finale  de  l'âme  au  lieu  de  l'inces- 
sante métenipsychose  des  Brahmanes.  Le  succès  du 
bouddhisme  fut  immense  ;  refoulant  le  brahma- 
nisme, il  se  répandit  sur  l'Inde  entière,  puis  de  là 
gagna  l'Indo-Chine,  la  Malaisie,  la  Chine,  tout  le 
nord  do  l'Asie  et  peut-être  le  nord-est  de  l'Europe. 
Mais  ce  succès,  dans  l'Inde,  où  il  avait  eu  à  lutter 
contre  la  puissante  organisation  brahmanique,  fut 
d'une  durée  relativement  courte.  Sous  leur  appa- 
rente humilité,  les  immenses  couvents  bouddhi- 
ques, les  congrégations  enseignantes,  le  clergé 
régulier  avaient  fini  par  dominer,  accaparer  le  pays 
entier;  l'égalité  était  devenue  un  vain  mot.  Aussi 
au  VIII'  siècle  de  notre  ère,  après  quatorze  siècles 
de  domination,  le  bouddhisme  disparut  complète- 
ment, radicalement  de  l'Inde,  balayé  par  une  for- 
midable réaction.  Les  Brahmanes,  instigateurs  de 
ce  mouvement  anti-bouddhique,  avaient  gagné  le 
peuple  en  abaissant  encore  leur  doctrine  jusqu'à 
lui  ;  pour  lui  plaire  ils  remplacèrent  les  Védas  par 
les  Pouranas  (i.x"  siècle),  et  détrônant  les  anciens 
dieux,  ils  placèrent  au  sommet  de  leur  Olympe  un 
héros  populaire,  Krichna,  autour  duquel  ils  grou- 
pèrent tous  les  symboles  les  plus  grossiers.  C'est 
ce  brahmanisme,  religion  basse,  corrompue,  indi- 
gne d'un  grand  peuple,  qui  règne  encore  aujour- 
d'hui sur  rind(!. 

Histoire  politique  jusqu'à  la  conquête  musul- 
mane.— Lorsque  les  Aryas  entrèrent  dans  l'Inde, 
ils  se  partagèrent  en  petits  royaumes  la  région  en- 
tre rindus  et  le  Gange,  et  ce  n'est  que  lentement, 
progressivement,  qu'ils  avancèrent  dans  le  pays. 
Quinze  siècles  avant  notre  ère,  leur  domination 
s'arrêtait  aux  Vindhyas,  chaîne  de  montagnes  qui 
coupe  la  péninsule  en  deux  parties:  au  N.,  l'Hin- 
doustan  ou  pays  des  Hindous,  au  S.  le  Déklian  ou 
du  Sud.    C'est   à   cette  époque,  sans  doute. 


pays   _.. .     . 

qu'il  faut  placer  l'expédition  dans  le  Dckhan  qui 
fait  l'objet  du  poème  du  Ramayana.  Le  roi  Rama, 
aidé  des  populations  noires,  s'avança  dans  le  sud 
et  poussa  son  expédition  jusqu'à  CeyIan.Mais  il  ne 
fit  que  traverser  le  pays  en  conquérant,  et,  sauf 
quelques  parties,  le  Déklian  resta,  comme  il  est  en- 
core de  nos  jours,  aux  mains  des  races  jaunes  de 
langue  dravidienne.  Au  moment  où  Alexandre, 
en  327,  franchissait  l'Indus,  l'Hindoustan  se  parta- 
geait encore  en  d'innombrables  principautés,  et 
Porus  et  Tasile  n'étaient  que  deux  des  nombreiix 
rois  du  seul  Pendjab.  Cependant,  presque  à  la 
même  époque  il  se  fondait  dans  le  bas  de  la  vallée 
du  Gang.',  un  royaume,  le  Magadha.  qui,  gouverne 
par  un  Soudra,  c'est-à-dire  un  homm.^  de  la  der- 
nière caste,  allait  rapidement  absorber  tous  ses  voi- 
sins. Chandragoupta,  le  Sandrakotes  des  Grecs, 
roi  du  Jlagadha,  étendait  en  313  sa  domination  sur 


INDE 


—  1015 


INDUSTRIE 


tout  l'Hindoustan,  de  l'Indus  aux  bouches  du 
Gange,  et  installait  la  capitale  de  son  empire  à 
l'alibothra  (Patna),  sur  le  Gange,  où  il  recevait 
l'ambassadeur  grec  Még;astliènes.  Son  petit-lils, 
Açoka,  durant  son  long  règne  de  263  à  T}!,  portait 
à  son  apogée  la  puissance  de  l'empire  de  Magadlia, 
et  réunissait  l'Inde  entière  sous  son  sceptre.  Ce 
prince,  fervent  zélateur  du  bouddliisme,  fut  un  des 
principaux  propagateurs  de  la  religion  de  Çakya- 
Mouni.  Mais  à  sa  mort,  l'empire  se  morcela  de 
nouveau  en  une  infinité  do  petits  royaumes. 

Au  iv°  siècle  de  notre  ère,  des  peuplades  d'ori- 
gine douteuse,  quoiq\ie  se  rapprochant  par  leur 
type  des  Aryens,  les  Rajpouts,  passèrent  l'Indus, 
euvaliirent  en  petit  nombre  le  nord-ouest  de  l'Inde 
et  se  répandirent  sur  le  Rajpoutana  et  le  Gange 
supérieur.  C'étaient  des  tribus  guerrières,  offrant 
dans  leur  organisation  quelque  ressemblance  avec 
les  Germains.  Leurs  chefs  portaient  le  titre  de 
roi,  mais  tous  se  considéraient  comme  égaux  et  se 
paraient  du  nom  de  Rajpout.  c'est-i-dire  fils  de 
roi.  Ils  apportaient  avec  eux  des  superstitions  bar- 
bares, le  culte  du  soleil  sous  l'emblème  d'un  clie- 
val  et  l'infanticide  dos  filles.  Les  Brahmanes,  alors 
opprimés  par  les  Bouddhistes,  accueillirent  ces 
nouveaux  venus  comme  des  frères,  leur  conférèrent 
en  masse  le  titre  de  Kchatriya  et,  pour  mieux  les 
gagner,  ouvrirent  leurs  dogmes  à  toutes  leurs  su- 
perstitions. Les  Rajpouts  se  répandirent  alors  sur 
l'Inde  entière,  où  ils  s'emparèrent  partout  du  pou- 
voii-,  mais  sans  que  leur  nombre  très  restreint  pût 
avoir  une  influence  ethnique  sur  les  populations. 
Ce  fut  une  conquête  plutôt  qu'une  invasion. 

Conijiidte  musulmane.  —  Quatre  siècles  après  les 
Rajpouts,  an  nouvel  élément  redoutable  faisait  son 
apparition  dans  l'Inde.  Cent  ans  à  peine  après 
l'hégire,  en  711,  les  Musulmans  franchissaiejit 
l'Indus,  et,  sous  la  conduite  de  Mohammed  Kacim, 
s'emparaient  du  Scinde.  A  partir  de  ce  moment, 
rislam  va  s'acharner  à  la  conquête  de  cette  riche 
proie.  Durant  deux  siècles,  les  Musulmans  ne  font 
que  de  faibles  progrès;  mais  en  UT",  Sabouktigliin, 
sultan  de  Ghazni,  s'empare  de  tout  le  Pendjab  ;  en 
99",  son  fils  Mahmoud  s'avance  jusque  dans  le 
Goudjerat  et  pille  la  cite  sainte  de  Somnath. 

Ce  n'est  cependant  qu'en  1205  que  le  général 
Koutaé,  esclave  affranchi  de  Mohammed  Ghor,  s'em- 
pare de  Delhi,  et,  usurpant  la  couronne,  se  proclame 
empereur  des  Indes.  Ses  successeurs  étendent 
leur  dominati^m  jusque  dans  le  Dékhan.  En  1397, 
TimourLang  ou  tamerlan,  le  farouche  dévastateur, 
envahit  l'Inde,  prend  et  brûle  Delhi,  et  quitte 
le  pays  qu'il  abandonne  à  l'anarchie  et  au  dé- 
sordre. 

Daolat  Lodi,  un  aventurier  afghan,  monte  sur 
le  trône  resté  vacant  et  le  laisse  à  son  fils.  En 
1525,  Baber,  descendant  de  Tamerlan,  s'empare  de 
Delhi  et  fonde  la  dynastie  des  Grands-Mogols  ou  Ti- 
mourides.  Son  petit-fils  Akbar  le  Grand  (i 555-1 GU5) 
amène  l'Lide  h  un  degré  do  grandeur  et  de 
prospérité  qu'elle  n'a  plus  possédé  depuis.  Sous 
son  règne,  le  pays  se  couvre  de  routes  et  de 
canaux,  l'agriculture  se  développe,  de  magnifiques 
monuments  s'élèvent. 

Arrivée  des  Européens.  Conquête  anglaise.  — 
Mais  déj:\  les  Européens  commencent  à  apparaître 
<Jans  l'Inde.  Le  Portugais  Vasco  de  Gama  double 
le  cap  de  Bonne-Espérance  et  atteint  en  14!JS  la 
ville  de  Calicut,  que  son  successeur  l'amiral  Albu- 
querque  prend  et  brûle  en  1510.  Les  Portugais 
s'établissent  sur  la  côte  k  Goa  et  à  Bombay.  En 
1599,  la  reine  Elisabeth  d'Angleterre  autorise  la 
fondation  de  la  Compagnie  anglaise  des  Indes,  et 
le  premier  ambassadeur  de  la  nouvelle  société  se 
présente  en  1003  à  la  cour  de  l'empereur  Akbar. 
tilwij-Djihan,';  successeur  d'Akbar  (1(;05-1G27),  au- 
torise eti  1611  les  Anglais  à  fonder  des  factoreries 
à  Surat,  Cambayc  et  Ahmedabad.   Cette  date  mar- 


que le  commencement  de  l'influence  anglaise  dans 
l'Inde.  Tandis  que  celle-ci  va  grandir  avec  une  ra- 
pidité prodigieuse,  la  puissance  des  Grands-Mo- 
gols décline  à  grands  pas. 

Aurangzcb,  fils  de  Chah  Djihan  (1658-1707), 
peut  être  considéré  comme  le  dernier  empereur 
musulman  de  l'Inde.  Lui-même  se  voit  déjà  arra- 
cher les  plus  belles  provinces  de  l'empii'c  par  les 
Maharates,  tribu  guerrière  du  Dékhun  (jui  se  ré- 
pand en  bandes  de  pillards  sur  le  pays  entier. 
Mais  ses  successeurs  indolents  cèdent  bientôt  de- 
vant ces  envahisseurs  qui  leur  enlèvent  i  la  fin 
du  xviii^  siècle  jusqu'à  l'ombre  du  pouvoir. 

Durant  ces  dissensions  intestines,  les  Anglais 
augmentent  rapidement  leur  puissance.  Un  mo- 
ment, en  1744,  ils  se  voient  menacés  par  la 
France  qui  leur  dispute  l'empire  des  Indes.  Battus 
par  Dupleix  en  1749,  puis  remis  en  possession 
par  le  traité  de  Poiidichéry  en  175^ ,  ils  se 
voient  sur  le  point  de  perdre  le  Bengale  par  un 
soulèvement  des  indigènes.  En  1758,  de  nouveau, 
les  Français  conduits  par  Lally-Tollendal  conquiè- 
rent le  Dékhan,  que  le  honteux  traité  de  Paris 
(1763)  rend  aux  Anglais.  Ceux-ci,  n'ayant  plus  dé- 
sormais d'autres  rivaux  que  les  Maharates  et  les  bel- 
liqueux princes  deMaïssour  ou  Mysore,  Haïder-Ali 
et  son  successeur  Tippou-Saïb,  poussentactiveraent 
leur  conquête.  En  1799,  Tippou-Saib  est  tué  dans  sa 
capitale,  Seringapatam,  et  en  1804  le  traité  de 
Barhampour  scelle  la  déchéance  des  princes  Maha- 
rates. Dès  lors  l'Angleterre  règne  virtuellement 
sur  l'Inde  entière.  Une  formidable  révolte  éclate 
en  1857,  mais  est  étouffée  dans  des  flots  de  sang; 
et  la  Compagnie  des  Indes  ayant  abandonné  .son 
privilège  i  la  reine  Victoria,  celle-ci  est  procla- 
mée en    1878  impératrice  des  Indes. 

Statistique.  —  La  vaste  péninsule  indienne,  avec 
l'ile  de  Ccylan,  son  annexe,  occupe  une  superficie 
de  3  803  050  kilomètres  carrés,  représentant  un 
territoire  égal  à  celui  de  l'Europe  sauf  la  Russie, 
la  Suède  et  la  Norwège.  Sa  population  s'élevait 
en  187V  à  243  103  900  habitants. 

Les  possessions  anglaises  do  l'Inde  s'étendent 
aujourd'hui  sur  un  territoire  de  ?  125  000  kilomè- 
tres carrés  (non  compris  Ceylan),  égal  à  quatre 
fois  le  territoire  de  la  France,  avec  une  population 
de  190  millions  d'habitants. 

Les  Rajahs  ou  princes  Indigènes  de  l'Inde,  Raj- 
pouts, Maharates,  Sikhs,  etc.,  possèdent  encore 
un  territoire  de  I  428  000  kilomètres  carrés,  pres- 
que trois  fois  plus  grand  que  la  France,  et  peuplé 
de  48  millions  d  habitants. 

La  France  conserve  dans  l'Inde  un  territoire 
de  509  kilomètres  carrés  avec  une  population 
de  270  0;,0  âmes;  et  le  Portugal  3  720  kilomètres 
avec  445110:1  sujets.  [Louis  Rousselct.] 

I.NDUCTIOIV.  —  V.  Raisomiement. 
I.NDUSTltlE.  —  Histoire  générale,  XXXVII; 
Histoire  de  France,  XXXVII.  —  Le  mot  Industrie, 
comme  bien  d'autres,  a  plusieurs  acceptions,  dé- 
rivées d'une  même  source,  il  est  vrai,  et  plus  ou 
moins  voisines,  mais  qu'il  importe,  à  cause  de  cette 
parenté  même,  de  ne  pas  confondre. 

Dans  le  langage  vulgaire,  dit  Ch.  Coquolin  [Dict. 
d'économie  politique), ou  n'entend  guère  par  indus- 
trie que  ce  genre  d'opérations,  plus  ou  moins 
compliquées,  par  lesquelles  l'homme  amène  i  l'état 
de  produits,  dits  fabriqués,  les  dons  spontanés  de 
la  nature  ou  les  fruits  directs  de  l'exploitation  du 
sol,  généralement  désignés  sous  le  nom  de  matières 
premières.  V industrie,  in  ce  sens,  c'est  \a  manufac- 
ture, par  opposition  à  Vayriculturp  et  au  cotn- 
merce.  Encore  convient-il  d'ajouter  que,  par  suite 
de  l'extension  qu'a  prise  dans  le  monde  moderne 
l'emploi  des  forces  naturelles,  la  manufacture,  qui 
était  à  l'origine  le  façonnage  des  choses  à  la  main, 
est  devenue  la  préparation  par  procédés  mécaniques 
et  par  masses;  en  sorto  que  le  nom  d'industrie  se 


INDUSTRIE 


—  1016  — 


INDUSTRIE 


restreint  de  plus  en  plus  à  ce  qu'on  appelle,  quand 
on  veut  préciser  davantage,  la  grande  industrie. 
Un  industriel  est  celui  qui  a  sous  ses  ordres  un 
personnel  d'une  certaine  importance  et  dirige  des 
ateliers  étendus. 

Dans  un  sens  plus  large,  on  comprend  sous  la  déno- 
mination d'industrie  tous  les  travaux,  quel  qu'en 
soit  l'objet,  qui  s'appliquent  à  la  matière  ou  ten- 
dent il  un  résultat  matériel  ;  mais  on  en  exclut  les 
occupations  intellectuelles  du  savant,  de  l'artiste, 
de  l'administrateur.  Un  chimiste,  un  physicien, 
dans  ce  sens,  feront  de  l'industrie  lorsque,  dans 
une  usine  à  laquelle  ils  seront  attachés,  ils  déter- 
mineront la  composition  d'un  bain  de  teinture,  ins- 
talleront un  moteur  électrique,  ou  surveilleront 
la  préparation  d'un  sel  ou  d'un  acide  destiné  à  la 
vente  ou  à  l'alimentation  des  ateliers  :  ils  n'en  fe- 
ront pas  lorsque,  dans  leur  laboratoire,  ils  cher- 
cheront les  lois  d'une  combinaison  ou  se  livreront 
à  des  études  d'un  caractère  actuellement  théorique. 
Un  agriculteur  ou  un  horticulteur,  de  même,  fera 
de  l'industrie  lorsqu'il  élèvera  des  bestiaux  ou  des 
volailles,  effectuera  des  croisements  ou  produira 
des  espèces  nouvelles  en  vue  du  profit;  il  n'en 
fora  pas  lorsque  son  mobile  sera  l'avancement  des 
connaissances  agricoles  ou  la  satisfaction  de  son 
goût  pour  les  beaux  animaux  ou  les  plantes  rares. 
Des  leçons,  des  conférences,  seront  une  industrie 
pour  le  chef  d'institution  ou  pour  le  professeur  qui 
en  vit  ;  elles  n'en  seront  pas  une  pour  l'ami  désin- 
téressé de  l'instruction  qui  ne  compte  pas  sa 
peine. 

Dans  un  troisième  sens,  enfin,  plus  étendu,  et 
en  réalité  plus  exact  (car  il  est  aisé  de  voir  que 
les  distinctions  précédentes  sont  forcément  incer- 
taines et  jusqu'à  un  certain  point  arbitraires),  dans 
le  sens  économique  et  philosophique  du  mot,  on 
embrasse  sous  l'appellation  générale  d'industrie 
tous  les  travaux,  de  quelque  ordre  qu'ils  soient, 
qui  tendent  à  assurer  l'existence  et  le  développe- 
ment de  rhunianité  en  pourvoyant  à  la  satisfaction 
de  ses  besoins.  L'industrie,  ainsi  entendue,  c'est 
l'ensemble  des  travaux,  tant  intellectuels  que  ma- 
tériels, par  lesquels  l'homme,  être  imlustrieux 
par  excellence,  exerce  sa  domination  sur  la  nature 
et  se  procure,  en  vue  de  cette  œuvre,  les  lumières 
qui  l'éclairent  et  la  sécurité  qui  la  protège.  Les 
observations  de  l'astronome  qui  relève  la  carte  des 
cieux  en  font  partie  aussi  bien  que  l'art  de  l'opti- 
cien qui  fabrique  les  lunettes  ou  les  boussoles  ;  et 
l'intervention  du  gendarme  qui  prévient  le  désor- 
dre ou  du  magistrat  qui  réprime  la  fraude  n'y  est 
pas  plus  étrangère  que  celle  du  mineur  qui  extrait 
la  houille,  du  voiturier  qui  la  transporte  ou  du 
chauffeur  qui  l'onfourne.  C'est  en  se  plaçant  à  ce 
point  de  vue  que  Rossi  a  pu  dire  qu'un  juge  ou  un 
préfet  vendent  de  la  justice  ou  de  l'administration 
comme  le  boulanger  vend  du  pain  et  le  marchand 
de  nouveautés  des  étoffes.  Dunoyer,  de  son  côté, 
a  rangé  le  professeur,  le  médecin  et  le  moraliste 
parmi  les  producteurs  de  richesse  au  même  titre 
que  le  maître  de  forges,  le  charpentier  et  le  vigne- 
ron ;  procurer  l'instruction,  a-t-il  dit,  la  santé  ou  la 
bonne  conduite,  n'est-ce  pas  fournir  des  choses  sans 
lesquelles  le  travail,  même  le  plus  matériel,  s'arrête 
ou  s'égare?  Donnera  la  société  des  hommes  éclai- 
rés, sains  et  honnêtes,  n'est-ce  pas  la  pourvoir  des 
instruments  de  production  les  plus  précieux'? 
J.-B.  Say  avait  dit,  plus  anciennement  :  o  11  n'y  a 
qu'une  seule  industrie  si  l'on  considère  son  but  et 
ses  résultats  généraux  ;  il  y  en  a  mille  si  l'on  con- 
sidère la  variété  de  leurs  procédés  et  des  matières 
sur  lesquelles  elles  agissent.  » 

C'est  à.  la  technologie  qu'appartient  la  description 
de  ces  procédés  et  l'énumération  de  ces  matières  : 
nous  n'avons  à  envisager  ici  que  les  lois  générales 
du  travail  humain,  telles  que  l'étude  de  l'homme  les 
révèle  et  que  l'histoire  les  montre  en  action. 


On  a  dû,  sans  doute,  pour  mettre  de  l'ordre 
dans  l'exposition  des  phénomènes,  partager  ce  do- 
maine immense  en  un  certain  nombre  do  parties 
plus  ou  moins  nettement  délimitées.  Nous  avons 
rappelé  tout  à  l'heure  la  classification  vulgaire  : 
agriculture,  industrie,  commerce  ;  nous  rappelle- 
rons également,  sans  commentaire,  celle  à  beau- 
coup d'égards  plus  complète  et  plus  scientifique, 
mais  plus  en  dehors  de  la  langue  courante,  qu'avait 
adoptée  M.  Dunoyer  :  1°  industries  agissant  sur  les 
choses,  se  subdivisant  en  industrie  extractive, 
agricole,  manufacturière  et  voiturière;  et  2°  indus- 
tries agissant  sur  les  hommes,  parmi  lesquelles  il 
distinguait  celles  qui  s'occupent  du  soin  du  corps, 
celles  qui  ont  pour  objet  l'éducation  de  Vintelli- 
gonce,  celles  qui  tendent  à  la  culture  de  Vimagina- 
lion  et  des  sentiments,  celles  enfin  qui  ont  trait  à 
ï amélioration  morale.  Mais  quelle  que  soit,  parmi 
ces  classifications,  celle  que  l'on  adopte,  une  con- 
clusion commune  se  dégage  toujours  de  l'observa- 
tion des  faits  :  c'est  que  le  grand  moteur  de  tout  le 
mouvement  industrieux  de  l'humanité  est  l'inté- 
rêt personnel,  contenu  en  même  temps  que  sti- 
mulé par  la  concurrence  ;  et  que  la  liberté  est 
l'àme  du  progrès.  C'est  aussi  que  tout  se  tient  dans 
le  grand  organisme  du  travail,  et  que  des  liens 
étroits  unissent  ensemble  la  grandeur  matérielle 
et  la  grandeur  morale,  l'avancement  des  sciences 
et  celui  des  métiers,  la  richesse  publique  et  la 
prospérité  privée. 

(1  Les  terres,  a  dit  Montesquieu,  nesontpas  cul- 
tivées en  raison  de  leur  fertilité,  nia'S  en  raison  de 
la  liberté.  »  Qu'on  élargisse  la  formule;  qu'au  lieu 
des  terres  on  mette  l'universalité  des  professions, 
et  l'on  aura,  en  deux  mots,  toute  la  philosophie  de 
l'évolution  économique  do  l'humanité.  L'histoire 
n'est  autre  chose  que  l'émancipation  graduelle  du 
travail,  et  l'avènement,  graduel  aussi,  de  la  masse 
humaine,  d'abord  dégradée  et  foulée,  à  la  dignité 
et  îi  la  liberté. 

Au  début  (et  ce  début  a  duré  longtemps,  puisque 
dans  l'ancien  monde  l'antiquité  entière  a  vécu  sous 
ce  régime,  et  que  dans  le  nouveau  il  a  subsisté 
jusqu'il  hier),  le  travail  manque  absolument  de  li- 
berté, et  il  est  le  lot  d'êtres  qui  ne  s'appartiennent 
pas.  On  a  parlé  de  nos  jours  de  Youvrière,  comme 
d'une  nouveauté  impie  qu'aucun  siècle  n'aurait 
connue  avant  le  notre.  11  y  avait  des  ouvrières, 
quoiqu'on  en  ait  dit,  et  des  ouvriers  aussi,  fort 
misérables  même,  et  fort  méprisés,  dans  le  vieux 
monde  paycn  ;  mais  ce  qu'il  y  avait  surtout,  c'é- 
taient des  esclaves,  c'est-à-dire  des  hommes  réduits 
à  la  condition  de  bétail  et  d'instruments  passifs. 
Sans  entrer  à  cet  égard  dans  des  détails  dont  la 
place  est  ailleurs  (V.  Esclavage),  que  pouvait  être 
l'industrie  sous  un  tel  régime  ?  En  faisant  du  tra- 
vail le  lot  d'êtres  inférieurs  et  dégradés,  on  désho- 
norait le  travail  ;  et  en  déshonorant  le  travail  on 
lui  enlevait  tout  élan  et  toute  énergie.  Et  en  sépa- 
rant, d'autre  part,  la  jouissance  de  l'effort  qui  en  est 
le  sel,  on  lui  enlevait  à  la  fois  toute  saveur  et 
toute  réserve,  et  on  lâchait  la  bride  comme  à 
plaisir  à  toutes  les  convoitises  et  à  toutes  les  exi- 
gences. On  supprimait,  et  pour  le  maître  et  pour 
l'esclave,  le  stimulant  et  le  frein  do  la  responsabi- 
lité. Or  la  responsabilité,  a  dit  Bastiat,  est  le  tout 
de  l'homme,  a  C'est  son  moteur,  son  rémunérateur, 
son  professeur  et  son  vengeur.  " 

Aussi  a-t-on  remarqué  que  dans  les  sociétés  à 
esclaves  les  produits  de  luxe  abondent,  comme 
ils  abondent  encore  dans  l'Inde,  où  tant  de  raffine- 
ments et  de  richesse  se  mêlent  à  tant  de  grossiè- 
reté et  de  misère  ;  mais  les  produits  courants,  les 
produits  à  l'usage  de  ce  que  les  Anglais  appellent 
le  million,  soni  rares  et  insuffisants  :  c'est  à  peine 
ai,  parmi  les  inventions  de  ces  sociétés,  on  en 
compte  quelques-unes  d'un  intérêt  vraiment  gé- 
néral. L'antiquité,  en  particulier,  a  succombé  sous 


INDUSTRIE 


—  ion  — 


INDUSTRIE 


ses  vices  autant  que  sous  les  ravages  des  Barbares. 
Elle  ne  produisait  plus  assez  pour  se  soutenir. 

L'un  des  principaux  effets  du  christianisme,  très 
certainement,  a  été  de  relever  le  travail.  «  Quicon- 
que ne  travaille  pas  n'est  pas  digne  de  manger  », 
a  dit  saint  Paul,  faisant  des  tentes  pour  joindre 
l'exemple  au  précepte.  «  Qui  travaille  prie,  »  a  dit 
à  sou  tour  saint  Augustin.  Et  dans  les  primitives 
communautés  de  l'Orient,  comme  plus  tard  chez 
ces  moines  do  l'Occident  auxquels  est  dû  en  partie 
le  défrichement  de  l'Europe,  le  travail,  la  sueur 
même,  étaient  d'obligation  stricte  :  «  sudore  tuo 
vexceris  pane.  »  Les  outils  étaient  bénits  et  consa- 
crés ;  et  mainte  légende  témoigne  de  l'estime  dans 
laquelle  étaient  tenues  les  «  vertus  qui  sortaient 
des  mains,  »  vouées  au  labeur  même  le  plus  rude. 

Des  siècles  se  passent  cependant  avant  que 
l'esclavage  ait  disparu  du  sein  des  nations 
devenues  chrétiennes.  A  l'esclave  succède  non 
l'homme  libre,  mais  le  serf  ;  et  bien  des  entraves 
encore  pèsent  sur  le  serf  (V.  Servage).  Le  chris- 
tianisme, en  outre,  s'il  relève  le  travail  par  un 
côté,  le  rabaisse  par  un  autre  ;  car  il  a  pour  la  ri- 
chesse et  pour  les  moyens  qui  la  procurent  des 
anathèmes  dont  toute  trace  n'est  pas  effacée  en- 
core. Il  prêche  le  renoncement,  il  exalte  la  pau- 
vreté ;  et  il  conserve,  à  l'égard  des  travaux  manuels 
ou  salariés,  cette  expression  de  servies  à  laquelle 
on  n'a  pas  cessé  d'opposer  celle  d'occupations 
libérales.  L'oisiveté,  en  môme  temps,  est  considé- 
rée par  les  puissants  du  jour  comme  un  privilège 
non  moins  que  l'ignorance.  Tel  déclare  fièrement 
ne  savoir  iigner,  vu  sa  7ioblesse,  et  tel  autre  se 
vante  d'être  de  race  vivant  noblement,  c'est-îi-dire 
sans  rien  faire.  La  plupart  des  professions  font 
déroger;  et  quoique  le  commerce  maritime,  le 
«  grand  commerce  »,  soit  au  nombre  des  excep- 
tions admises,  lorsqu'un  gentilhomme  en  Bretagne 
est  contraint  par  la  pauvreté  à  s'y  livrer,  il  dépose 
son  épée  et  ne  la  doit  reprendre  que  le  jour  où  il 
aura  entièrement  renoncé  au  négoce.  Les  Thébains 
dans  l'antiquhé  allaient  plus  loin  :  ils  exigaient,  de 
la  part  de  ceux  d'entre  eux  qui  s'étaient  souillés 
par  l'industrie  ou  le  commerce,  la  purification  de 
cinq  années  d'oisiveté  complète  avant  de  pouvoir 
entrer  au  Sénat.  Les  temps  sont  bien  changés  ;  ne 
nous  en  plaignons  pas. 

Des  articles  spéciaux  sont  consacrés,  dans  ce 
Dictionnaire,  aux  Communes,  au  Commerce,  aux 
Paijsaiis,  etc.  On  y  trouvera  ce  qui  ferait  double 
emploi  dans  celui-ci;  il  nous  suffira  d'ailleurs,  pour 
donner  une  idée  de  la  condition  de  la  masse  labo- 
rieuse et  par  conséquent  du  travail  pendant  le 
moyen  âge,  de  deux  citations. 

L'une  est  de  Beaumanoir,  le  jurisconsulte  de  la 
féodalité  :  «  Le  sire  (le  seigneur),  dit-il,  peut 
prendre  aux  serfs  tout  ce  qu'ils  ont,  et  les  tenir 
en  prison  toutes  les  fois  qu'il  lui  plaît,  soit  à 
tort  soit  à  droit,  et  il  n'est  tenu  à  en  répondre  fors 
à  Dieu.  » 

L'autre  est  de  Guibert  de  Nogent,  chroniqueur 
du  xii''  siècle.  «  Communes,  dit-il  à  son  tour,  est 
un  mot  nouveau  et  détestable  ;  et  voici  ce  qu'on 
entend  par  ce  mot.  Les  gens  taillables  ne  paient 
plus  qu'une  fois  l'an  à  leur  seigneur  ce  qu'ils  lui 
doivent;  et  s'ils  commettent  quelque  délit,  ils  en 
sont  quittes  pour  une  amende  légalement  fixée.  » 

Il  y  a  eu  des  serfs,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  jusqu'à 
la  Révolution  ;  la  lutte  de  Voltaire  contre  les 
moines  de  Saint- Claude,  sur  le  territoire  desquels 
on  ne  pouvait  demeurer  un  an  et  un  jour  sans 
compromettre  sa  liberté  et  risquer  do  faire  per- 
dre à  sa  famille  tout  droit  sur  son  héritage,  est  là 
pour  l'attester.  Les  tailles  arbitraires,  les  corvées, 
les  taxes  de  toutes  sortes,  contre  lesquelles  a  si 
courageusement  travaillé  Turgot,  les  droits  de 
banalité  (four,  pressoir,  moulin  et  le  reste),  le 
gibier  du  roi,  le  gibier  du   seigneur,  et  le  colom- 


bier, et  la  garenne,  sans  compter  les  pillages  et 
les  violences  personnelles,  ont,  malgré  des  .adou- 
cissements graduels,  continué  jusqu'à  la  fin  de 
l'ancien  régime  d'écraser  les  terres  et  les  gens. 
Aussi  la  première  de  toutes  les  industries,  l'indus- 
trie nourricière,  était-elle  misérable,  etles  famines 
fréquentes;  telles  que  personne,  si  haut  que  fût 
son  rang,  ne  pouvait  se  flatter  d'en  éviter  toujours 
les  atteintes.  On  a  vu,  en  ICG^i,  des  personnes 
«  vêtues  de  soie  »  tromper  une  faim  de  deux  jours 
avec  du  son  bouilli  ;  et  M'"»  de  Maintenon,  en  1709, 
à  Versailles,  a  dû  manger  du  pain  d'avoine.  Quant  au 
pauvre  peuple,  les  rapports  officiels  des  intendants 
à  Colbert  le  montrent  dévorant  l'écorce  des  ar- 
bres et  broutant  l'herbe  des  champs  ;  et  le  régent, 
sous  Louis  XV,  apporte  au  Conseil  du  pain  de  fou- 
gère pour  faire  voir  au  roi  de  quoi  ses  sujets  se 
nourrissent. 

La  condition  des  artisans,  ou  de  l'industrie  pro- 
prement dite,  était-elle  beaucoup  meilleure?  Sans 
doute,  en  se  groupant  dans  les  villes,  les  gens  de 
métiers,  comme  on  les  appelait,  avaient  pu  se 
donner  un  peu  de  la  sécurité  personnelle  qui 
manquait  presque  totalement  .aux  paysans.  C'est 
même  de  ce  besoin  de  défense  que  parait  être  née 
la  corporation.  Ces  hommes  faibles,  qui  s'élevaient, 
dit  Rossi,  Il  comme  des  plantes  tendres  et  frêles 
au  milieu  des  épées  et  des  faux  tranchantes  », 
s'étaient  groupés,  parce  que  l'isolement  pour  eux 
eût  été  la  ruine  et  la  mort,  pour  travailler,  pour 
exister.  La  corporation  fut  d'abord  une  armure  dé- 
fensive ;  gênante  ou  non,  il  n'y  avait  pas  moyen 
de  s'en  passer. 

Mais  avec  le  temps  le  caractère  de  cette  associa- 
tion changea,  et  à  l'esprit  de  légitime  défense,  qui 
en  avait  été  l'inspirateur,  succéda  l'esprit  d'op- 
pression et  de  monopole.  Les  maîtres,  eu  posses- 
sion d'une  situation  faite,  touvèrent  bon  de  fermer 
la  porte  derrière  eux  aux  nouveaux  venus;  et  les 
rois,  de  leur  côté,  après  avoir,  comme  saint  Louis 
lorsqu'il  fit  rédiger  le  Lyvre  des  mediers,  songé 
surtout  à  la  loyauté  du  travail  et  à  la  bonne  con- 
fection des  produits,  songèient  à  battre  monnaie 
avec  les  faveurs  et  privilôijes  qu'ils  octroyaient  ou 
maintenaient  en  vigueur.  Ils  en  vinrent  peu  à  peu 
à  affirmer,  comme  Henri  III,  que  «  le  droit  de  tra- 
vailler éuit  un  droit  domanial  et  royal,  que  le  roi 
pouvait  vendre  et  que  les  sujets  devaient  acheter,  » 
et  à  déclarer,  comme  Louis  XIV,  c<  qu'au  roi  seul 
appartient  do  faire  des  maîtres  ès-arts.  » 

L'histoire  des  corporations  demanderait  à  elle 
seule  un  volume.  Disons  seulement  que  deux  faits 
principaux  caractérisent  ce  régime  :  1°  la  classifi- 
cation officielle  des  métiers,  avec  les  règlements 
de  fabrication  etiasurveillance  desdnée  àengaran- 
tir  l'observation  ;  et  3»  la  limitation  du  nombre  des 
maîtrises,  dans  plus  d'un  corps  de  métier,  et,  dans 
ceux  mêmes  où  le  nombre  n'en  était  pas  limité, 
l'obligation  de  se  faire  accepter  par  les  maîtres  en 
exercice,  avec  l'apprentissage  forcé,  le  chef-d'œu- 
vre, et  les  formalités  de  réception. 

L'impossibilité  d'arriver  librement  à  la  maîtrise, 
c'était  évidemment  la  coalition  permanente  des 
maîtres  contre  les  ouvriers  et  contre  le  public; 
l'exclusion  de  quiconque  portait  ombrage  ou 
déplaisait,  limpuissance  pour  quiconr|ue  récla- 
mait. H  Le  consommateur,  dit  Turgot,  a  toujours 
tort.  » 

L'apprentissage  forcé,  c'était  une  servitude  tem- 
poraire, généralement  fort  longue,  sept,  huit,  dix 
ans,  au  profit  des  maîtres,  et  d'ailleurs  sans  issue 
la  plupart  du  temps.  C'était  aussi,  à  défaut  du  mé- 
tier qu'on  avait  appris,  la  fermeture  des  autres. 
«  Tu  as  appris  à  faire  des  clavecins,  dit  encore  à 
ce  propos  Rossi  ;  on  n'en  fait  plus,  mais  on  fait  dos 
harpes,  et  tu  pourrais  y  réussir.  Tant  pis  pour  toi  ; 
tu  n'en  feras  pas.  » 

Pour  ce  qui  est  dos  règlements  de  fabrication  et 


INDUSTRIE 


1018 


INDUSTRIE 


de  la  division  officielle  des  professions,  la  moindre 
réflexion  montre  ce  qu'il  faut  penser  de  cette  pré- 
tention de  <i  l'orgueil  administratif.  »  En  fait  de 
travail  tout  se  touche  et  tout  se  modifie.  On  ne 
peut,  comme  dit  très  bien  M.  Dr.z,  «  concilier  des 
goûts  et  des  besoins  changeants  avec  des  règle- 
ments inmiuablcs;  et  c'est  un  singulier  moyen  de 
perfectionner  les  arts  que  de  leur  interdire  le  pro- 
grès. 1.  Aussi  n'hésite-t-il  pas,  après  avoir  justifié 
cette  conclusion  par  des  exemples,  à  appeler  cette 
consécration  de  la  routine  n  une  guerre»  perpétuelle 
«  de  l'administration  contre  l'industrie.  »  Quelle 
situation,  dit  pareillement  M.  F.  Cadet  (Ti/ri/o^,  Li- 
brairie centrale  des  publications  populaires),  que 
celle  d'hommes  enfermés  dans  ce  dilemme  :  ou 
étouffer  en  eux  l'esprit  d'invention,  ou  violer  la  loi  ? 
Tçlle  était  pourtant,  au  siècle  dernier  encore,  la 
situation  commune,  et  l'on  n'y  échappait,  exception- 
nellement, comme  Réveillon,  le  célèbre  et  malheu- 
reux inventeur  des  papiers  peints,  qu'en  obtenant 
l'érection  de  son  établissement  en  manufacture 
royale.  «  Les  règlements,  »  d'ailleurs  toujours 
violés,  n  s'entassent  sur  les  règlements.  Colbert  à 
lui  seul  en  fit  cent  quarante-neuf.  Les  procès  de 
leur  côté  se  multiplient  et  s'éternisent.  La  querelle 
des  fripiers  et  des  tailleurs,  sur  la  distinction  d'un 
habit  neuf  avec  un  vieil  habit,  »  dure  plus  de  deux 
siècles;  elle  durerait  encore  sans  la  suppression 
des  maîtrises.  «  De  1578  à  1767,  les  savetiers  et  les 
cordonniers  se  disputent  pour  arriver  il  la  défini- 
tion d'une  vieille  botte.  Les  oyers-rùtisseurs,  les 
poulaillers,  et  les  cuisiniers,»  d'une  part;«  les  mer- 
ciers, les  gantiers  et  les  bonnetiers-chapeliers,  >•  de 
l'autre,  sont  également  aux  prises;  et  «  le  Parle- 
ment rend  des  arrêts  contradictoires,  mais  toujours 
graves,  sur  le  droit  de  vendre  de  la  viande  cuite 
ou  crue,  de  faire  des  sauces,  sur  le  nombre  des 
plats  de  fricassée  à  porter  en  ville,  ou  sur  la 
quantité  de  gants  ou  de  chapeaux  h  mettre  eu  éta- 
lage. » 

On  n'en  finirait  pas  d'énumérer  seulement  les  vices 
de  ce  régime,  a  Patrons  et  ouvriers  en  souffraient 
également.  Les  patrons  étaient  gênés  dans  leurs 
moyejis  d'action,  dans  le  nombre  d'apprentis  et 
d'ouvriers  qu'ils  pouvaient  faire  travailler,  dans 
leurs  achats  et  leurs  ventes,  dans  leur  fabrication  ; 
et  leurs  privilèges  ne  les  empêchaient  pas  de  souf- 
frir des  privilèges  des  autres.  Les  ouvriers  étaient 
enfermés  dans  une  profession,  »  et  ne  pouvaient 
d'ailleurs,  sauf  de  rares  et  dispendieuses  excep- 
tions, espérer  d'arriver  à  la  maîtrise. 

On  a  dit  que,  du  moins,  la  corporation  étant  une 
faniille,  dont  l'ouvrier  faisait  partie,  il  était  cer- 
tain de  ne  jamais  être  abandonné  ;  la  confrérie, 
•sainteetbienfaisaiite  union  defraternité  chrétienne, 
ne  lui  ofl'rait-elle  pas  un  refuge  assuré;'  C'est  une 
«rreur.  n  Ni  compagnons,  ni  apprentis,  dit  M.  Le- 
vasseur,  n'avaient  droit  aux  secours;  ils  n'étaient 
pas  plus  admis  au  bénéfice  de  l'aumône  qu'aux 
autres  avantages  de  la  communauté.  Les  maîtres 
seuls  et  leurs  veuves  en  profitaient.  «Eiicore  fallait-il 
que  les  secours  fussent  sollicites.  En  réalité,  «  dans 
une  société  fondée  sur  des  privilèges,  chacun  est 
jaloux  de  celui  qu'il  possède,  .i  et  c'est  de  l'un  h 
l'autre  une  cascade  de  dédains.  Les  bourgeois  mé- 
prisaient les  artisans;  «  ce  mépris,  les  artisans  le 
rendaient  avec  usure  aux  ouvriers,  )i  et  ceux-ci, 
«  de  leur  côté,  ne  ménageaient  guère  les  appren- 
ais. » 

Au  point  de  vue  social,  en  somme,  au  point  do 
vue  moral,  aussi  bien  qu'au  point  de  vue  profes- 
sionnel, le  régime  de  la  réglementation  était  dé- 
plorable. La  dignité  humaine  n'en  souffrait  pas 
moins  que  le  travail. 

On  a  dit  aussi  qu'il  n'y  avait  alors  ni  chômages 
ni  grèves,  et  que  les  difficultés  contre  lesquelles 
lutte  notre  temps  étaient  inconnues  au  temps 
i>assé.  Cela  n'est  pas  plus  exact.  M.  Levasseur  si- 


gnale k  Lyon,  en  17i-i  notamment  et  en  1786,  d'ef- 
froj-ables  crises  suivies  de  grèves  et  d'insurrections; 
chaque  fois  la  ville  est  pendant  plusieurs  jours  aux 
mains  des  ouvriers,  et  l'ordre  n'est  rétabli  que  par 
une  occupation  militaire.  D'ailleurs,  remarque-t-il 
justement,  «  les  mauxles  plus  apparents  ne  sont  pas 
toujours  les  plus  réels.  Des  générations  entières 
ont  pu  se  succéder,  végétant  et  mourant  les  unes 
après  les  autres,  sans  même  concevoir  la  pensée 
d'une  situation  meilleure.  Le  silence  do  l'histoire 
cache  à,  la  postérité  ces  misères  muettes.  Elles  n'en 
sont  pas  moins  réelles;  elles  sont  même  d'autant 
plus  tristes  pour  qui  sait  réfléchir  qu'elles  sont  plus 
générales  et  moins  faciles  à  guérir.  » 

C'est  donc  de  la  chute  des  corporations  que  date, 
en  France  au  moins,  l'émancipation  matérielle  et 
morale  de  l'industrie,  l'affranchissement  du  travail 
et  l'afl'ranchissement  de  l'homme  qui  travaille.  En 
Angleterre  des  règles  analogues  avaient  été  édictées, 
notamment  par  le  statut  de  la  cinquième  année 
d'Elisabeth,  ou  statut  des  apprentis;  mais  le  mal 
avait  été  moins  grand,  grâce  à  cette  habitude  d'ap- 
pliquer les  lois  dans  leur  lettre  qui  est  un  des 
traits  du  caractère  britannique.  Les  dispositions 
restrictives  n'étant  observées  qu'à  l'égard  des  in- 
dustries et  des  localités  formellement  visées,  le 
travail  avait  pu  trouver  la  liberté  sous  d'autres 
noms  ou  dans  d'autres  lieuj.  Le  carrossier,  dont  le 
métier  était  réglementé,  ne  pouvait  faire  de  roues  ; 
mais  Vouvric'-  en  roues,  au  sujet  duquel  la  loi  se 
taisait,  pouvait  faire  des  carrosses.  Les  centres 
manufacturiers  pour  la  plupart  n'étaient  pas  villes 
à  l'époque  d'Elisabeth  ;  ils  se  trouvaient  en  dehors 
des  entraves  imposées  aux  villes,  et  pouvaient  se 
développer  librement.  De  là,  sans  aucun  doute, 
pour  une  bonne  part,  l'avance  prise  par  l'industrie 
anglaise. 

C'est  k  Turgot  d'abord,  à  la  Constituante  eii- 
suite,  que  revient,  en  France,  l'honneur  d'avoir 
brisé  les  chaînes  de  l'ancien  régime  industriel. 
Turgot,  en  l'IC,  après  avoir  magistralement  dressé 
l'acte  d'accusation  des  corporations,  et  non  moins 
magistralement  proclamé,  dans  un  immortel 
préambule,  la  charte  du  travail  libre,  faisait  rendre 
par  Louis  XVI,  et  enregistrer  par  le  Parlement  (au 
prix  d'un  lit  de  justice,  il  est  vrai),  un  édit  par 
lequel,  sauf  l'imprimerie,  la  pharmacie,  l'orfèvrerie 
et  les  offices  de  barbiersperruquiers-étuvistes, 
toutes  les  professions  étaient  déclarées  libres. 

La  coalition  des  privilégiés  le  renversait,  quel- 
ques mois  après,  et  détruisait  en  grande  partie  son 
œuvre.  Mais  la  Constituante  la  reprenait,  et  après 
avoir,  par  l'art.  2  de  la  loi  du  2  mars  1791,  sup- 
primé "  les  brevets  et  lettres  de  maîtrises,  et  tous 
privilèges  de  proression,sous  quelque  dénomination 
que  ce  soit,  "  elle  déclarait,  dans  l'art.  7,  «  libre 
à  toute  personne  de  faire  tel  négoce  ou  d'exercer 
telle  profession,  art  ou  métier  qu'elle  trouvera 
bon,  »  sous  la  condition  seulement  <>  de  se  pour- 
voir d'une  patente,  d'en  acquitter  le  prix  et  de  se 
conformer  aux  règlements  de  police.  »  Ce  ne  sont 
plus  là  des  exclusions  ni  des  faveurs  ;  ce  sont  des 
mesures  d'ordre,  plus  ou  moins  bien  entendues, 
mais  les  mêmes  pour  tous,  et  qui  laissent  le 
champ  libre  à  toutes  les  ambitions  comme  à  toutes 
les  capacités. 

Telle  est,  depuis  bientôt  un  siècle,  .sauf  quelques 
exceptions  qui  ne  sont  peut-être  pas  toutes  suffi- 
samment justifiées,  mais  qu'il  serait  trop  long 
d'examiner  ici,  la  condition  du  travail  en  France. 
Il  est  libre,  h  l'intérieur  au  moins,  qu'il  s'agisse 
de  culture,  de  commerce  ou  d'industrie  propre- 
ment dite.  A  l'extérieur  la  cause  est  pendante,  et 
ce  n'est  pas  une  des  moindres  questions  de  l'heure 
présente.  Chacun,  quel  qu'il  soit,  est  seul  maître 
du  choix  do  sa  profession;  et  chacun,  dans  cette 
profession,  marche  comme  il  lui  convient,  à  ses 
risques  et  périls. 


INDUSTRIE 


1010  — 


INDUSTRIE 


On  sait  quelles  ont  été  les  conséquences  do  ce 
cliangement;  et  quel  essor  ont  pris,  une  fois  déli- 
vrés de  leurs  entraves,  non  seulement  la  produc- 
tion et  le  commerce,  mais  la  science.  M.  Moreau 
deJonnus,dans  son  livre  sur  la  Stalistigue  de  l'in- 
dustrie eu  France,  a  montré  cette  industrie,  af- 
franchie de  la  veille,  sauvant  la  France  en  I"!I3,  et, 
pour  premier  emploi  do  sa  liberté,  improvisant  les 
plus  merveilleux  moyens  de  défense  et  d'équipe- 
ment. M.  Droz  qui,  comme  lui,  avait  connu  l'an- 
cien régime,  et  pouvait  parler  pertinemment  de 
ses  vices  et  de  son  dénuement,  a  lui  aussi,  dans 
une  page  non  moins  remarquable,  attribue  à  n  la 
liberté  donnée  h  l'industrie,  dans  l'inlciiew  df 
l'Etat,  »  la  facilité  avec  la(iuelle  la  France,  dans  le 
premier  tiers  de  ce  siècle,  a  supporté  tant  de  cala- 
mités et  réparé  tant  de  ruines.  Nous  avons  fait, 
plus  récomment,  la  môme  expérience  :  c'est  assu- 
rément à  la  puissance  de  son  activité  productrice, 
affirmée  avec  tant  d'éclat  dans  la  dernière  Expo- 
sition, que  la  France  a  dû  la  rapidité  avec  laquelle 
elle  s'est  relevée  des  désastres  de  la  guerre  étran- 
gère et  de  la  guerre  civile. 

Le  même  Moreau  de  Jonnès  écrivait,  à  la  pre- 
mière page  du  livre  qui  vient  d'être  cité,  les  lignes 
que  voici  : 

Il  Abandonnée  aux  esclaves  chez  les  peuples  de 
l'antiquité,  dévolue  aux  serfs  pendant  tout  le 
moyen  âge,  enchaînée  jusqu'à  nos  jours  par  les 
jurandes  et  les  corporations,  l'industrie  a  passé 
quarante  siècles  au  moins  dans  la  servitude,  ran- 
çonnée comme  un  ennemi,  vendue  comme  un  cap- 
tif au  pouvoir  des  pirates,  opprimée  dans  les 
moindres  actes  de  son  travail  et  de  son  intelli- 
gence, châtiée  comme  le  nègre  et  méprisée  comme 
le  paria.  Elle  est  aujourd'hui  libre,  riche  et  ho- 
norée ;  elle  est  l'arbitre  des  destinées  des  premiers 
peuples  du  monde,  qui  lui  doivent  à  la  fois  leurs 
trésors,  leur  puissance  et  leur  civilisation  raffinée.  » 

Ces  lignes  peuvent  paraître,  au  premier  moment, 
dictées  par  un  enthousiasme  exagéré.  Elles  ne 
sont,  en  réalité,  que  l'exact  résumé  de  l'histoire  de 
l'industrie. 

Aux  premières  heures  de  l'humanité,  l'industrie, 
à  vrai  dire,  n'existe  pis.  L'homme  n'est  qu'un  ani- 
mal qui,  sous  l'impérieuse  impulsion  du  besoin, 
cherche  autour  de  lui  la  pâture  et  l'abri.  11  ne 
produit  pas  alors;  il  consomme,  on  pourrait  dire 
qu'il  déoasle.  Aussi  a-t-il  bientôt  épuisé  le  coin  de 
terre  sur  lequel  il  se  trouve  jeté,  et  lui  faut-il, 
pour  végéter  péniblement  d'une  vie  misérable,  des 
espaces  immenses.  Mais  l'intelligence  chez  quel- 
ques-uns s'éveille,  la  prévoyance  apparaît  ;  aux 
ressources  spontanées  de  la  nature  on  songe  i, 
ajouter  des  ressources  préparées  par  la  main  do 
l'homme  ;  on  façonne  le  bois,  la  pierre,  le  métal  ; 
oji  ci-euse  des  tanières  ou  l'on  élève  des  huttes; 
on  garde  des  animaux  ou  l'on  multiplie  des  plantes. 
Toutefois  le  cercle  dans  lequel  s'opère  cette  ac- 
tion est  étroit  eucor.e,  et  l'effort  matériel  y  do- 
mine. Les  muscles,  mal  armés,  restent  le  principal 
outil,  et  contre  les  résistances  sans  nombre  de  la 
nature  cet  outil  est  trop  faible  pour  remporter 
d'importantes  victoires.  Quel<|ues-uns  seulement, 
les  plus  forts  et  les  plus  habiles,  en  se  faisant  des 
autres  des  instruments,  arrivent  à  se  procurer 
quelque  aisance  et  quelque  luxe  relatif  :  la  force 
est  le  grand  moyen  d'acquisition,  et  l'esclavage 
soutient,  i  la  surface  des  sociétés,  un  état-major, 
au  fond  bien  mal  pourvu  lui-même,  d'hommes  plus 
ou  moins  libres  qui  se  disent  la  nation  et  la  cité. 
Le  Spartiate,  selon  la  vieille  chanson  dorienne,  la- 
boure avec  sa  lance  et  moissonne  avec  son  glaive; 
il  n'en  est  pas  beaucoup  plus  heureux  pour  cela. 
Le  Germain,  d'après  Tacite,  estime  honteux  d'a- 
cheter au  prix  de  la  sueur  ce  quo  le  sang  peut 
payer;  sa  vie  ne  paraîtrait  guère  enviable  aux  plus 
humbles  do   nos   ouvriers   contemporains.  La  ri- 


chesse, en  tout  cas,  infectée  dans  sa  source,  est 
le  plus  souvent  le  prix  de  la  rapine  et  de  l'oppres- 
sion, et  l'industrie,  pour  si  peu  qu'elle  existe,  est 
à  toute  heure  la  proie  du  brig:nidage.  De  là, 
pour  le  dire  en  passant,  les  anathèmes,  alors  trop 
justifiés,  dont  le  souvenir  pèse  encore  sur  la  ri- 
chesse. 

Les  hommes  cependant,  par  la  guerre  même  ou 
parles  voyages, voient  s'élargir  peu  àpeuleur  hori- 
zon .  Des  productions  inconnues  leur  sont  révélées  ; 
des  désirs  nouveaux  surgissent  en  eux.  Des  échanges, 
d'abord  rares,  et  bornés  naturellement,  saufpourles 
courtes  distances,  aux  objets  rares,  les  seuls  qui  puis- 
sent supporter  des  déplacements  difficiles,  commen- 
cent à  s'opérer,  et  le  commerce,  auquel  la  sécurité 
est  indispensable,  impose,  sous  peine  de  refuser 
ses  services,  de  premières  habitudes  d'ordre  et  de 
loyauté.  Il  exige  en  même  temps  de  premiers 
moyens  de  communication  ;  des  sentiers  sont  tra- 
cés, des  lignes  de  caravanes  s'organisent,  et  la  na- 
vigation s'essaye  le  long  des  côtes  pour  se  hasarder 
bientôt  plus  loin.  Peu  à  peu,  avec  les  choses,  les 
hommes  se  mêlent,  et  les  idées  s'échangent  comme 
les  produits.  Et  non  seulement  on  vend  et  l'on 
achète,  c'est-à-dire  on  porte  ici  ce  qui  était  là  et 
là  ce  qui  était  ici  ;  mais  on  s'associe  et  l'on  obtient, 
par  des  rapprochements  qu  ;  la  nature  n'avait  pas 
faits,  des  ressources  nouvelles  et  des  produits  d'o- 
rigine humaine.  Ces  trouvailles,  souvent,  sont 
dues  au  hasard  ;  mais  souvent  aussi,  au  lieu  d'at- 
tendre patiemment  les  heureuses  rencontres,  on 
veut  aller  au-devant  et  l'on  cherche,  au  risque  de 
ne  pas  trouver.  On  observe,  on  expérimente,  on 
raisonne;  des  faits  connus  on  déduit  des  lois,  et 
des  lois  on  déduit  la  possibilité,  la  certitude  même 
d'autres  faits.  La  science  ainsi  emprunte  sa  lu- 
mière à  la  pratique,  et  à  son  tour  l'éclairé.  La 
chimie,  la  physique,  la  mécanique,  la  minéralo- 
gie se  mettent  au  service  de  la  production  ;  les 
outils  se  perfectionnent  ;  les  machines  se  multi- 
plient; la  vapeur,  l'électricité,  en  réduisant  sous 
les  pas  de  l'homme  l'espace  et  le  temps,  agrandis- 
sent sa  place  sur  la  teire  et  de  plus  en  plus  lui 
permettent  de  dominer  la  matière-  Ce  n'est  plus 
le  bras  alors  qui  est  l'outil,  il  n'est  que  l'in- 
termédiaire par  lequel  la  pensée  commando  à 
l'outil.  La  navette  et  le  marteau,  selon  la  prophé- 
tie peut-être  inconsciente  d'Aristote,  marchent 
seuls,  et  le  labeur  servile  n'est  plus  nécessaire. 

Et  non  seulement  il  n'est  plus  nécessaire,  mais 
il  est  impuissant  et  dangereux.  Au  perfectionne- 
ment de  l'outillage  le  perfectionnement  de 
l'homme  doit  répondre.  Pour  conduire  les  puis- 
sants et  délicats  eni;ins  de  la  mécanique  moderne, 
pour  ne  pas  compromettre  à  toute  heure,  par  de 
fausses  manœuvres,  non  seulement  le  travail, 
mais  le  matériel,  et  le  personnel  lui-même,  il  faut 
des  hommes  à  l'abri  des  témérités  de  l'ignorance 
et  des  irrégularités  de  l'insouciance.  De  là,  comme 
pour  le  maniement  plus  délicat  et  plus  dangereux 
encore  de  la  machine  politique,  la  nécessité  d'une 
instruction  plus  générale,  plus  étendue  et  plus 
précise.  De  là  aussi,  par  une  inévitable  réaction, 
l'élévation  du  niveau  général,  et  la  mise  au  jour 
d'une  foule  d'aptitudes  qui,  dans  d'antres  condi- 
tions, se  seraient  toujours  ignorées.  L'industrie, 
dit  admirablement  encore  M.  Moreau  de  Jonnès, 
donne  aux  hommes  la  nourriture  et  le  vêlement; 
elle  change  les  torrents  en  force  motrice,  la  foudre 
en  messagère,  et  fait  du  soleil  un  peintre  à  nos 
ordres.  Par  elle  les  hameaux  deviennent  des 
villes,  et  la  richesse  éclôt  dans  les  déserts.  Mais 
«  elle  fait  mieux,  elle  féconde  les  esprits  par  ses 
inspirations.  Un  pauvre  ouvrier,  un  barbier,  un 
filateur,  un  tisserand,  »  un  mineur,  un  Arkwright, 
un  Jacquart,  un  Stephenson,  «  deviennent  des 
mécaniciens  habiles,  des  hommes  de  génie,  qui 
reculent  les    limites    du   possible,   et   agrandis- 


INDUSTRIE 


—  1020 


INFLORESCENCE 


sont  la  sphèro  où  semblaient  enfermées  à  jamais 
nos  destinées...  C'est  beaucoup  de  préserver  le 
peuple  des  intempéries  et  de  la  malpropreté,  qui 
attiraient  sur  nos  ancêtres  les  fléau.x  meurtriers 
des  épidémies;  »  mais  c  est  davantage  de  «  don- 
ner aux  populations  l'activité  du  corps  et  de  l'es- 
prit, qui  agrandit  leurs  facultés  et  les  rend  capa- 
bles d'accomplir  la  mission  départie  à  l'homme 
sur  la  terre,  celle  de  gagner  sa  vie  par  son  la- 
beur... De  tous  les  phénomènes,  le  plus  impor- 
tant pour  le  moraliste  et  le  philosophe  c'est  le 
perfectionnement  de  l'entendement  humain  par 
la  diffusion  des  connaissances  utiles.  L'industrie 
moderne  a  fait  naître  par  les  inspirations  de  ses 
nécessités  plus  do  dessinateurs,  de  calculateurs, 
de  mécaniciens,  de  chimistes,  que  tous  les  ensei- 
gnements n'en  avaient  pu  produire  pendant  des 
siècles.  Elle  a  infusé  dans  des  populations  nom- 
breuses des  habitudes  d'ordre,  de  devoir,  de  ré- 
flexion, de  recherche,  etc..  Enfin,  et  pour  termi- 
ner cette  longue  et  incomplète  nomenclature,  c'est 
à  l'industrie  que  le  monde  moderne  doit  les  no- 
tions »,  très  insuffisantes  assurément,  «d'économie 
politique  qu'il  possède.  » 

Où  s'arrêtera  ce  mouvement?  Il  serait  témé- 
raire de  le  dire.  Le  passé,  quel  qu'il  soit,  ne  donne 
qu'imparfaitement  la  mesure  do  l'avenir.  Mais  il 
est,  dès  maintenant,  parmi  les  conditions  du  déve- 
loppement industriel  et  scientifique  dont  nous 
sommes  témoins,  des  conséquences  qui  s'impo- 
sent, comme  s'est  imposée  la  liberté  intérieure,  et 
qui  avant  peu  se  réaliseront.  Au  premier  rang  est 
la  nécessité,  pour  tous  les  peuples,  d'étendre  leur 
sphère  d'action  et  de  devenir,  de  plus  en  plus, 
par  leurs  achats  et  par  leurs  ventes,  les  fournis- 
seurs et  les  clients  les  uns  des  autres.  L'industrie, 
le  commerce,  l'agriculture  elle-même,  à  mesure 
qu'ils  augmentent  la  puissance  de  leurs  moyens, 
sont  forcés  d'augmenter  leurs  ressources,  et  de 
franchir  les  limites,  non  seulement  de  leur  terri- 
toire propre,  mais  des  continents.  Le  travail,  quoi- 
qu'il en  ait,  devient  international.  La  fraternité, 
avant  de  passer  dans  les  esprits,  est  déjà  dans  les 
faits.  Aucun  peuple,  fùi-il  le  plus  riclie  et  le  plus 
sobre  du  monde,  ne  peut  plus  se  suffire  :  il  est, 
i  toute  heure,  et  sous  mille  formes,  en  relations 
avec  les  autres;  et  si,  par  son  fait  ou  sans  son  fait, 
ces  relations,  comme  pendant  la  guerre  de  Crimée 
ou  la  guerre  de  la  sécession  américaine,  se  trou- 
vent interrompues,  il  souffre  dans  sa  nourriture, 
dans  son  vêtement,  dans  son  travail,  aujourd'hui  en 
proie  à  la  disette  du  blé  et  demain  à  la  famine  du 
coton,  .\insi  le  veut  la  solidarité  croissante  du 
genre  humain,  et  c'est  l'intérêt,  c'est  l'industrie 
qui,  ici  encore,  au  nom  du  progrès  matériel,  com- 
mando le  progrès  moral.  C'est  elle  qui,  après 
avoir  rapproché  les  villages,  puis  les  provinces,  et 
créé  les  peuples,  rapproche  les  peuples  eux- 
mêmes  et  peu  k  peu  les  pousse  vers  cette  société 
du  genre  humain  que  nommait  déjà  Cicéron,  socie- 
tas  f^eneris  humani. 

L'industrie,  on  le  voit,  n'est  donc  autre  chose 
que  l'exploitation,  d'abord  grossière,  puis  moins 
imparfaite,  puis  savante  et  puissante  du  globe  par 
le  travail.  Elle  est  l'ascension  graduelle  de 
l'iiomme  non  seulement  vers  le  bien-être,  mais 
vers  la  liberté,  vers  l'égalité,  vers  la  justice,  vers 
la  paix,  grâce  à  l'expérifnce  qui  éclaire  et  à  la 
science  qui  découvre.  OEuvre,  non  de  la  main, 
mais  de  l'esprit,  elle  agit  sur  la  matière  sans 
doute,  mais  pour  la  dompter  et  pour  s'élever  au- 
dessus  d'elle.  Et  c'est  pourquoi  il  ne  faut  pas  mau- 
dire en  elle,  a  bien  dit  AL  de  Fontenay,  n  le  progrès 
matériel  ;  »  il  faut  saluer  et  bénir  «  le  signe  maté- 
riel du  progrès,  "  lequel  est  moral.  «  Nous  avons 
des  corps,  avait  déjà  dit  Franklin,  mais  nous 
sommes  des  esprits.  » 

[Frédéric  Passy,  do  l'Institut.] 


INDUSTRIES  CLASSÉES.  —  V.  Salubrité  pu- 
blique. 

I.NFLOnESCENCE.  —  Botanique,  IX.  —  Le 
terme  A' inflorescence  s'emploie  dans  deux  accep- 
tions :  il  signifie  tantôt  l'arrangement  des  fleurs 
sur  la  plante,  tantôt  un  ensemble  de  fleurs  non 
séparées  les  unes  des  autres  par  des  feuilles  bien 
développées. 

Dans  une  inflorescence,  on  appelle  pédoncules 
on  pédicelles  les  axes  qui  supportent  les  Heurs,  et 
bractées  les  feuilles  à  l'aisselle  desquelles  naissent 
les  pédoncules;  ces  bractées  manquent  dans  quel- 
ques inflorescences,  par  exemple  dans  celles  des 
crucifères.  Les  bractées  varient  dans  leur  forme  ; 
elles  sont  généralement  petites  (oseille),  membra- 
neuses, vertes,  ou  diversement  colorées. 

On  nomme  axe  primaire  de  l'inflorescence  le 
pédoncule  commun  d'où  naissent  tous  les  autres  ; 
ces  derniers  prennent  les  noms  à'tixes  secondaires, 
axes  tertiaires  suivant  leur  ordre  d'apparition. 

L'inflorescence  est  dite  définie  lorsque  son  axe 
primaire  et  tous  ceux  auxquels  il  donne  nais- 
sance se  terminent  par  une  fleur  (mouron  des  oi- 
seaux, ancolie,  etc.). 

L'inflorescence  est  indéfinie  lorsque  l'axe  pri- 
maire, au  lieu  de  se  terminer  par  une  fleur,  s'al- 
longe indéfiniment  et  que  les  fleurs  sont  portées 
sur  les  branches  secondaires  nées  à  l'aisselle  des 
feuilles  de  l'axe  primaire. 

Les  fleurs  sont  so/itaires,  quel  que  soit  le  mode 
d'inflorescence,  lorsque  chaque  pédoncule  est  sim- 
ple, qu'il  naît  immédiatement  de  la  tige,  et  se 
montre  isolé  des  autres  par  des  feuilles  peu  défor- 
mées. 

Les  fleurs  réunies  en  groupe  sont  tantôt  pour- 
vues de  bractées  et  tantôt  nues. 

Inflorescences  indéfinies.  —  Les  inflorescences 
indéfinies  sont  :  la  grappe,  le  corymbe,  Vombelle, 
l'épi  et  le  capitule. 

La  grappe  est  une  inflorescence  dont  les  axes 
secondaires,  à  peu  près  égaux,  naissent  le  long  de 
l'axe  primaire.  La  grappe  simple  est  celle  dont  les 
pédicelles  naissent  immédiatement  de  l'axe  pri- 
maire et  se  terminent  par  une  fleur  ^réséda,  gro- 
seille). La  grappe  composée  oupa'iicule  est  une  in- 
florescence composée  dans  laquelle  les  axes  secon- 
daires nés  de  l'axe  primaire  se  ramifient  en  axes 
tertiaires  (yucca).  Le  particule  se  nomme  thijrse 
quand  les  pédicelles  du  milieu  sont  plus  longs 
que  ceux  des  extrémités,  et  que  l'ensemble  de 
l'inflorescence  présente  une  forme  ovoïde. 

Le  corymbe  est  une  inflorescence  voisine  de  la 
grappe,  danslaquelle  les  pédicelles  inférieurs,  beau- 
coup plus  longs  que  les  supérieurs,   mettent  les 
fleurs  sur  un  même  plan,  formant  ainsi  une  sorte  ' 
do  parasol  à  rayons  inégaux. 

h'ombelle  est  une  inflorescence  que  l'on  peut 
comparer  à  une  grappe  dont  l'axe  primaire  e.xtrê- 
mement  raccourci  est  réduit  à  une  surface  étroite, 
et  dont  les-axes  secondaires,  égaux  entre  eux,  par- 
tent tous  d'un  même  point.  L'ombelle  est  simple 
quand  les  axes  secondaires  se  terminent  chacun  par 
une  fleur.  L'ombelle  est  composée  quand  les  axes  se- 
condaires émettent  chacun  des  axes  tertiaires  dis- 
posés eux-mêmes  en  ombelles  simples  que  l'on 
nomme  oméeWw/es  (carotte).  Les  bractées  des  ombel- 
les, ramenées  sur  un  même  plan,  puisque  tous  les 
axes  secondaires  partent  d'un  même  point,  forment 
un  verticelle  que  l'on  appelle  invnlucre  pour  l'om- 
belle tout  entière,  et  invotucetle  i|uand  il  embrasse 
la  base  des  rayons  de  chaque  ombellule. 

L'e'/yi  est  une  grappe  dont  les  axes  secondaires 
sont  nuls,  de  telle  sorte  que  les  fleurs  sont  sessiles 
sur  l'axe  primaire  (plantain),  h'épi  est  dit  com- 
posé lorsque  les  axes  secondaires  de  l'inflorescence, 
au  lieu  de  fleurir,  produisent  chacun  un  petit  épi 
distique  nommé  épillet  ,(blé).  L'épi  prend  le 
nom  de  chaton  lorsque  ses  fleurs  sont  incomplètes 


INFLORESCENCE 


—  1021 


INONDATIONS 


> 


(cliôiio).  Lo  cliaton  lui-mftme  est  désigne')  sous  le 
nom  de  cône  ou  slmbilc  lorsque  ses  écailles  sont 
grand(3S  et  épaisses  (pin)  ;  il  est  désigné  sous  le 
nom  de  spadice  lorsque  dans  sa  ji'unesse  le  cha- 
ton est  enveloppé  par  une  grande  bractée  nommée 
spnthe  (arum  pied  de  veau),  ho  spudice  ruineux  des 
palmiers  a  reçu  le  nom  de  régime. 

Le  capitule  est  une  inflorescence  dans  laquelle 
les  fleurs  sont  agglomérées  en  tôte  sur  un  récep- 
tacle commun  ;  c'est  un  épi  aplati  dont  l'axe  pri- 
maire s'est  refoulé  sur  lui-môrae  de  haut  en  bas 
(composées).  Lo  capitule,  de  même  que  l'om- 
belle, est  ordinairement  muni  i  sa  base  de  bractées 
dont  l'ensemble  forme  un  involucre.  Tantôt  cha- 
que fleur  du  capitule  est  pourvue  de  sa  braciée, 
réduite  à  l'état  d'écaillé  (camomille)  ou  de  simples 
poils  (bleuet).  D'autres  fois,  toute  trace  de  ces 
bractées  intérieures  a  complètement  disparu  (pis- 
senlit). C'est  au  capitule  qu'on  doit  rapporter 
l'inflorescence  du  figuier  nommée  hypanthodie . 
C'est  un  réceptacle  très  déprimé  qui  porte  des  fleurs 
incomplètes,  enchâssées  dans  des  enveloppes  à 
bords  déchirés.  Les  fleurs  mâles  occupent  le  haut 
de  la  tige,  et  les  petites  écailles  qui  ferment  son 
orifice  représentent  un  involucre  de  bractées  qui 
dans  l'état  normal  ceindraient  la  base  du  récepta- 
cle commun,  comme  cela  a  lieu  dans  les  capitules 
ordinaires. 

Dans  la  grappe,  l'épi,  le  corymbe,  l'ombelle 
simple,  le  capitule,  la  floraison  se  fait  soit  de  bas 
en  haut,  soit  de  la  circonférence  vers  le  centre  de 
l'inflorescence. 

Inflorescences  définies.  —  Los  inflorescences  dé- 
finies sont  désignées  d'une  manière  générale  sous 
le  nom  de  lymes;  les  principales  sont  les  cymes 
bipares  et  les  cymes  uiiiparcs. 

Cymes  bipares.  —  Pour  former  une  cyme  bi- 
pare,  la  tige  se  termine  par  une  fleur  dont  le  pé- 
doncule porte  à  sa  base  deux  bractées  ;  k  l'aisselle 
de  chacune  de  ces  dernières  naît  un  axe  secondaire 
terminé  lui  aussi  par  une  fleur  dont  le  pédoncule 
porte  inférieurement  deux  autres  bractées,  dans 
l'aisselle  desquelles  naissent  deux  axes  tertiaires 
terminés  chacun  par  une  fleur.  11  y  a  donc  li  une 
série  de  bifurcations  portant  cliacune  une  fleur  dans 
son  aisselle.  Si,  au  lieu  do  bifurcation,  en  chaque 
point  naissaient  trois  branches  de  second  ordre, 
la  cyme  serait  dite  tripnre  (cerastium). 

Cymes  unipares.  —  La  cyme  imipnre  a  pour  ori- 
gine une  cyme  bipare  dont  une  des  branches  avorte 
constamment  à  chaque  nouvelle  division.  On  dis- 
tingue deux  sortes  de  cymes  unipares  :  les  cymes 
unipares  scorpioïdes  et  les  cymes  unipares  hili- 
coïdes. 

La  cime  unipare  scorpioïde  est  ainsi  nommée 
parce  que  l'espèce  de  grappe  unilatérale  qu'elle 
constitue,  et  dans  laquelle  la  formation  des  fleurs 
marche  de  la  base  au  sommet,  se  contourne  en 
volute.  Son  rachis  résulte  de  la  superposition  d'un 
grand  nombre  de  petits  axes  nés  les  uns  des  autres. 
Les  fleurs,  toutes  situées  d'un  môme  côté  en  deux 
files  longitudinales,  sont  opposées  à'tojit  autant  de 
bractées  situées  de  l'autre  côté  du  rachis  (myo- 
sotis) . 

La  cyme  imipnre  hélicoide  (hémérocalle)  ne  dif- 
fère de  la  cyme  scorpioïde  que  parce  que  les  fleurs 
qu'elle  porte,  et  les  bractées  qui  leur  sont  oppo- 
sées, s'élèvent  le  long  du  rachis  suivant  une  ligne 
spirale. 

On  désigne  sous  le  nom  de  (jloméndes  ou  cymes 
contractées  des  cymes  à  pédicelles  très  courts, 
quelle  qu'en  soit  d'ailleurs  la  nature  spéciale. 

Plusieurs  auteurs  (MM.  Duchartre  et  Decaisne) 
appellent  inflorescences  mixtes  celles  qui  parti- 
cipent à  la  fois  des  inflorescences  définies  et  des 
inflorescences  indéfinies  (labiées,  mauve);  et  l'on 
désigne  sous  le  nom  à' inflorescences  épipkylles 
-celles  de  certaines  plantes  dont  les  fleurs  sem- 


blent naître  sur  des  feuilles  ou  sur  des  bractées. 
[C-E.  Bertrand."! 

IISFUSOIUIÎS.  —  V.  Protozoaires. 

INONDATIONS.  —  Météorologie,  XIX;  Agricul- 
ture, IV.  —  Les  inondations  sont  produites,  soit 
par  des  pluies  prolongées  ou  extraordinairement 
abondantes,  soit  par  la  fonte  rapide  des  neiges 
accumulées   sur  le  sol  dans  les  jours  antérieurs. 

Il  est  impossible  d'établir,  par  une  formule  gé- 
nérale, les  relations  qui  existent  entre  le  volume 
des  eaux  pluviales  qui  tombent  sur  le  bassin  d'un 
fleuve  et  le  volume  des  eaux  débitées  par  le  fleuve. 
Ces  dernières  sont  le  résidu  de  l'évaporation  du 
sol  et  de  la  transpiration  des  plantes,  qui  changent 
avec  la  saison  et  le  climat,  avec  la  nature  et  l'incli- 
naison des  terrains,  avec  les  cultures  de  chaque 
région.  L'observation  locale  pourrait  seule  ren- 
seigner à  cet  égard,  par  la  mesure  du  débit  de 
chaque  ruisseau,  comparée  avec  la  somme  des 
pluies  que  reçoit  son  bassin  d'alimentation.  Cette 
comparaison,  commencée  par  M.  Belgrand  pour  la 
Seine  et  ses  affluents,  lui  a  permis  de  formuler  les 
règles  pratiques  de  l'annonce  des  crues  prochai- 
nes aux  populations  menacées.  Ces  règles  sont 
appliquées  couramment  par  M.  Le  Moine,  élève 
et  collaborateur  de  M.  îielgrand.  Une  commis- 
sion hydfologique  fonctionne  depuis  un  grand 
nombre  d'années  à,  Lyon  pour  le  Rhône  et  la 
Saône  ;  M.  Poincarré  en  a  établi  une  à  Bar-le-Duc 
pour  la  Meuse.  Il  est  à  désirer  que  de  semblables 
institutions  s'étendent  à  toute  la  surface  de  la 
France. 

Les  inondations  sont  rares  dans  la  saison  d'été  ; 
celles  qui  s'y  produisent  sont  dues  â  de  violents 
orages,  à  des  trombes  d'eau,  qui  peuvent  parcou- 
rir dos  bandes  de  terrain  assez  longues,  mais 
généralement  étroites.  Leur  soudaineté  produit 
quelquefois  de  grands  desastres,  surtout  quand  les 
nuées  longeant  les  flancs  d'une  grande  chaîne  de 
montagnes,  leurs  eaux  se  réunissent  rapidement 
dans  les  thalwegs  dos  vallées.  Le  plus  générale- 
ment ces  inondations  sont  locales  et  ont  peu  d'ac- 
tion sur  les  grands  cours  d'eau.  Dans  cette  période 
de  l'année,  en  effet,  la  végétation  dans  toute  son 
activité  retire  du  sol  de  grandes  masses  d'eau 
qu'elle  verse  dans  l'atmosplière  sous  forme  de 
vapeur  ;  la  terre  peut  donc  accepter  des  pluies 
copieuses  sans  en  être  saturée  et  sans  ruisselle- 
ments superficiels  abondants,  surtout  quand  sa 
surface  est  peu  inclinée  et  que  le  sous-sol  est  per- 
méable. 

Dans  la  saison  froide,  au  contraire,  la  végétation 
est  peu  active  et  l'évaporation  considérablement 
réduite.  La  terre  perdant  moins  d'eau  est  plus 
promptement  saturée  par  les  pluies  dont  l'excé- 
dant fait  gonfler  les  rivières  et  les  fleuves. 

Une  différence  non  moins  grande  est  produite 
par  la  nature  du  sol  et  du  sous-sol. 

Il  est  des  terrains  perméables  par  eux-mêmes  et 
qui  reposent  d'autre  part  sur  des  sables,  des  gra- 
viers ou  des  roches  fendillées  au  travers  desquel- 
les l'eau  s'infiltre  aisément.  Ces  terrains  sont  im- 
propres aux  prairies  sauf  dans  le  voisinage  des 
cours  d'eau,  à  moins  que  les  pluies  de  la  région 
ne  soient  fréquentes  ou  que  l'on  puisse  irriguer 
en  été  ;  les  vallées  secondaires  y  sont  ordinaire- 
ment dépourvues  de  tout  cours  di'eau  et  le  ravine- 
ment des  terres  y  est  exceptionnel. 

Il  est  d'autres  terrains,  au  contraire,  qui  sont 
argileux  et  reposent  sur  l'argile  ou  la  marne,  ou 
bien  qui  sont  assis  sur  des  roches  compactes.  Ces 
terrains  sont  toujours  frais  ;  les  sources  y  sont 
nombreuses,  et  les  prairies  naturelles  faciles  à 
établir. 

Les  uns  et  les  autres  so  comportent  tout 
différemment  sous  l'action  des  pluies  un  peu 
prolongées.  Dans  les  premiers,  les  eaux  du  ciel 
pénétrent  profondément  dans  le  sol  ;  elles  échap- 


INONDATIONS 


—  1022  — 


INONDATIONS 


pcnt  ainsi,  en  partie,  aux  racines  dos  plantes  et 
se  rassemljlent  lentement  dans  les  nappes  sou- 
terraines qui  émergent  au  dehors  en  sources  gé- 
néralement abondantes  et  ne  subissant  dans  leur 
débit  que  des  oscillations  graduelles  et  relativement 
peu  prononcées.  Dans  les  seconds,  les  eaux  du 
ciel,  arrêtées  i  une  faible  distance  de  la  surface, 
restent  longtemps  disponibles  pour  la  végétation 
locale  ;  le  surplus  suinte  du  sol  en  sources  nom- 
breuses dont  le  débit  suit  de  très  près  la  marche 
des  pluies.  Dans  la  saison  où  ces  dernières  sont 
abondantes,  et  surtout  si  le  terrain  présente  des 
décli\ités  très  accusées,  les  eaux  ruissellent  en 
outre  h  la  surface,  et  se  rendent  directement  dans 
les  cours  d'eau  dont  le  volume  augmente  avec 
rapidité  et  décroît  ensuite  avec  une  rapidité  pres- 
que égale. 

Tout  cours  d'eau  dont  le  bassin  est  composé  en 
majorité  de  terrains  imperméables,  soit  par  eux- 
mêmes,  soit  par  suite  de  leur  déclivité  exagérée, 
est  à  régime  torrentiel  :  les  crues  y  sont  souvent 
subites  et  violentes,  mais  peu  durables.  Tout  cours 
d'eau  dont  l'ensemble  du  bassin  est  composé  de 
terrains  perméables  garde  des  allures  tranquil- 
les. Ses  crues  sont  lentes  et  aussi  ses  décrues. 

Cette  différence  de  régime  se  retrouve  tou- 
jours, que  les  terrains  soient  nus  ou  boisés.  Un 
terrain  imperméable,  tel  que  ceux  du  Morvan, 
le  liuz  de  la  Grenetière,  dont  le  bassin  est  entière- 
ment boisé,  passe  par  les  mêmes  alternatives  que 
le  Cousin,  dont  le  bassin  est  aux  deux  tiers  déboisé. 
D'un  débit  de  2  "00  mètres  cubes  par  heure  en 
hiver,  il  peut  tomber  à  sec  en  été.  Les  passages  du 
régime  d'hiver  au  régime  d'été,  et  réciproque- 
ment, y  ont  hou  en  mai  et  en  octobre  comme  dans 
les  terraius  déboisés.  Dans  les  régions  de  la 
Champagne  pouilleuse,  à  peu  près  absolument 
déboisées,  mais  à  sous-sol  très  perméable,  nous 
voyons,  au  contraire,  les  eaux  de  l'Ardusson,  l'un 
des  principaux  affluents  de  la  Seine,  ne  varier  que 
de  0'°,20  en  hauteur  dans  ses  plus  fortes  crues.  En 
dehors  du  climat  et  du  mode  de  répartition  des 
pluies,  le  régime  d'un  cours  d'eau  dépend  donc 
essentiellement  du  degré  de  perméabilité  et  du 
degré  d'inclinaison  des  diverses  parties  de  son 
bassin. 

Les  bassins  de  la  Loire  et  de  l'Allier  sont  pres- 
que entièrement  composés,  dans  leurs  parties  hau- 
tes, de  terrains  imperméables  ;  leur  lit,  presque  h 
sec  en  été,  a  besoin  d'être  endigué,  et  souvent  il 
déborde  en  hiver.  Dans  le  bassin  de  la  Seine,  au 
contraire,  les  terrains  perméables  sont  en  majo- 
rité ;  le  régime  du  fleuve  est  mixte  et  ses  crues 
sont  complexes.  Jusqu'à  Montereau,  la  Seine  a  des 
allures  tranquilles  ;  k  partir  de  ce  point,  l'Yonne 
lui  apporte  des  eaux  torrentielles.  Les  crues  de 
l'Yonne  passent  toujours  avant  les  crues  de  la  Haute- 
Seine  qui  ne  font  que  soutenir  les  premières  ;  mais 
si  plusieurs  crues  se  succèdent  de  manière,  par 
exemple,  qu'une  seconde  crue  de  l'Yonne  coïn- 
cide avec  une  première  de  la  Haute-Seine,  le  vo- 
lume total  des  eaux  charriées  par  le  fleuve  peut 
prendre  de  grandes  proportions.  L'annonce  des 
crues  de  la  Seine  n'est  pas  fondée  sur  le  régime 
des  pluies  ;  il  est  plus  simple  de  s'appuyer  sur  les 
alliires  des  petites  rivières,  particulièrement  des 
rivières  torrentielles  qui  résument  le  mieux  les 
effets  de  ces  pluies  sur  le  sol,  et  que  l'expérience 
a  montré  être  le  plus  directement  liées  aux  crues 
générales  qu'il  importo  de  signaler  à  l'avance. 

Le  régime  de  nos  cours  d'eau  n'est  pas  invaria- 
ble ;  il  cliange  beaucoup  d'une  année  à  l'autre  ;  et, 
de  plus,  il  se  modilie  graduellement  avec  le  temps. 
L'afi'aiblissement  de  leur  débit  a  été  général  en 
Europe  depuis  le  dernier  tiers  du  siècle  dernier, 
et  Berghauss,  en  partant  de  cet  affaiblissement, 
prétendait   que  s'il   continuait,    il   faudrait  dès  le 


bateaux  employés  sur  l'Elbe.  On  l'attribuait  au 
déboisement;  mais  il  s'est  également  produit  sur  le 
Volga,  dont  l'immense  bassin  n'a  subi  que  des 
déboisements  relativement  imperceptibles.  Il  y  a  là 
dos  oscillations  climatcriques  à  longues  périodes 
qui  se  sont  déjà  reproduites  plusieurs  fois,  ei  aux- 
quelles se  surajoute  l'influence  du  progrès  des 
sociétés  humaines.  De  nos  jours  encore,  on  voit, 
dans  des  régions  depuis  longtemps  déboisées  de 
la  France,  des  sources  anciennes  disparaître  peu 
à  peu,  tandis  que  les  innondations  d'hiver  persis- 
tent et  s'aggravent. 

Le  drainage  des  terres,  le  curage  des  ruisseaux, 
le  dessèchement  îles  marais,  diminuent  de  plus  en 
plus  les  eaux  dormantes  ;  les  résidus  des  eaux 
pluviales  s'écoulent  plus  promptement  vers  les 
fleuves  dont  les  crues  sont  plus  rapides  et  plus 
hautes,  en  même  temps  que  les  nappes  souter- 
raines ont  moins  de  ressources  d'approvisionne- 
ment. Mais  il  est  une  autre  cause  dont  on  ne 
tient  pas  suffisamment  compte  on  été.  Autre- 
fois nos  champs  ne  portaient  que  de  maigres  ré- 
coltes et  les  jachères  étaient  fréquentes.  Aujour- 
d'hui une  culture  plus  parfaite  a  augmenté  les 
rendements  ;  les  plantes  fourragères  remplacent  la 
jachère,  et  leurs  racines  vont  profondément  puiser 
l'eau  du  sol  qu'elles  rendent  i  l'atmosphère  à  l'état 
de  vapeur.  Or,  si  on  considère  que  chaque  kilo- 
gramme de  blé  produit  enlève  à  la  terre  de  1  000 
à  1  200  kilog.  d'eau,  et  que  le  sainfoin,  le  trèfle,  la 
luzerne,  en  dépensent  deux  ou  trois  fois  plus 
que  le  blé,  on  comprendra  que  plus  les  rende- 
ments s'élèvent,  plus  la  proportion  des  eaux  plu- 
viales consommées  par  les  récoltes  augmente,  et 
plus  aussi  est  faible  la  proportion  qui  s'en  écoule 
vers  les  sources.  C'est  la  loi  nécessaire  du  progrès 
agricole  et  qui  se  retourne  contre  ce  progrès  même. 
Le  seul  moyen  d'y  pourvoir  est  d'aménager  les 
eaux  d'hiver,  toujours  surabondantes,  rarement 
utiles  et  fréquemment  désastreuses. 

C'est  à  leur  origine  même  qu'il  faut  lutter  contra 
les  dangers  des  inondations  ;  et  si  nous  ne  pouvons 
rien  sur  les  pluies,  nous  pouvons,  du  moins,  en 
régulariser  les  efl'ets. 

Dans  les  pays  à  pluies  fréquentes  et  générale- 
ment modérées,  le  ravinement  des  terres  est  peu 
à  craindre,  sauf  par  le  débordement  des  eaux  ve- 
nues de  plus  haut.  La  végétation  naturelle  y  suffît 
à  la  défense  du  sol  contre  l'exagération  des  pluies 
qu'il  reçoit.  Le  reboisement  et  le  déboisement  n'y 
sont  qu'une  simple  question  d'exploitation  du  sol 
et  de  rendement  maximum.  Il  n'en  est  plus  ainsi 
dans  les  pays  à  pluies  torrentielles  et  à  pentes  ra- 
pides. Alors  même  que  le  sol  en  serait  naturelle- 
ment perméable,  il  n'y  suffit  plus  à  l'absorption 
des  eaux  qu'il  reçoit.  Une  forte  partie  de  ces  eaux 
ruissellent  à  sa  surface  ;  si  cette  dernière  est  nue, 
les  ruisselets  forment  des  ruisseaux  dont  la  rapidité 
et  la  puissance  d'entraînement  augmentent  avec 
leur  volume  ;  ils  deviennent  bientôt  des  torrents 
dont  rien  ne  peut  ralentir  la  vitesse  croissante. 
Les  terres  sont  ravinées  et  charriées  au  loin.  Leurs 
parties  les  plus  fines  et  les  plus  précieuses  sont 
emportées  à  la  mer  où  elles  sont  perdues  sans 
retour;  les  graviers  qui  se  déposent,  d'autant 
moins  loin  qu'ils  sont  plus  lourds,  encombrent  les 
lits  des  l'ivières  et  forcent  leurs  eaux  à  se  frayer 
d'autres  voies  en  propageant  le  fléau  et  ses  ruines. 
11  ne  s'agit  donc  plus  ici,  seulement,  d'aménager 
des  eaux  nuisibles  pour  les  riverains  d'un  fleuve, 
mais  de  conserver  dans  la  montagne  les  richesses 
que  le  temps  y  avait  accumulées  et  qui  lui  appar- 
tiennent, tout  on  les  empêchant  de  devenir  une 
cause  de  ruine  pour  les  pays  situés  plus  bas. 

Là  où  les  longues  sécheresses,  la  déclivité  trop 
prononcée  du  terrain,  les  abus  de  la  dépaissance, 
ont  rendu  le  gazon  impuissant  à  lui  seul  à  défendre 


milieu  du  siècle    actuel  changer  le   tonnage  des  I  le  sol,  le  déboisement  a  été  une  faute  et  le  reboi- 


INSliCTES 


—   1023 


INSECTES 


scment  est  devenu  une  impérieuse  nécossitiS.  Les 
crues  n'en  conserveront  pas  moins  leur  caractère 
torrentiel,  mais  leurs  dévastations  seront  répri- 
mées. La  nioiitagne  gardera  sa  terre  et  cessera 
d'oncombrer  les  lits  des  torrents;  les  eaux  rencon- 
trant plu<  d'obstacles  à  leur  écoulement,  auront 
moins  de  tendance  à  se  réunir,  elles  auront  moins 
d'impétuosité  dans  leur  descente;  une  plus  forte 
proportion  pourra  rester  sur  place,  dans  la  terre 
protégée  par  sa  végétation.  Les  crues  torrentielles 
en  seront  donc  allongées  et  réduites  dans  leur  hau- 
teur. En  mémo  temps  les  eaux,  moins  chargées  de 
détritus  du  sol,  rendront  possibles  les  travaux  d'a- 
ménagement destinés  à  les  répartir  sur  la  saison 
où  elles  font  défaut. 

Mais  si  le  reboisement  de  certains  cantons  mon- 
tagneux est  une  opération  préliminaire  indispen- 
sable, il  faut  se  garder  d'y  chercher  la  solulion 
complète  d'une  question  encore  plus  vaste.  H  l'sl 
des  cantons  entièrement  boisi'S  dont  les  inonda- 
tions sont  presque  aussi  redoutables  en  hiver,  et  où 
la  sécheresse  n'est  pas  moins  nuisible  en  été.  Il 
faut  aménager  les  eaux  d'hiver;  rintér:t  de  l'agri 
culture,  qui  est  l'intérêt  du  pays,  l'exige  impé- 
rieusement. Il  faut  y  pourvoir  à  l'aidé  de  travaux 
d'ensemble,  mais  qui  sont  variables  suivant  les 
conditions  spéciales  de  chaque  région  et  qui  ap- 
pellent le  concours  simultané  de  l'ingénieur  et 
du  forestier.  —  V.  Irri'iations.         [Mari'é-Davy.] 

IISSECTES.  —  Zoologie,  XXIIl,  XXIV.  —  Classe 
de  l'embrancliement  des  Articulés*.  Le  mot  insecle 
signifie  en  latin  coupé  en  segments  ;  il  a  la  même 
signification  que  le  mot  grec  enlome,  qui  est  inu- 
sité, mais  dont  on  a  fait  entomolofjie,  étude  des 
animaux  segmentés.  Le  nom  d'Insectes  était  donné 
par  Linné  à  tout  l'embranchement  des  Articulés 
actuels,  animaux  dont  le  corps  et  les  appendices 
sont  formés  d'articles  plus  ou  moins  nombreux,  en 
série  à  la  suite  les  uns  des  autres.  On  a  succes- 
sivement séparé  des  Insectes,  dans  cet  embran- 
chement, les  classes  des  Crustacés*  et  des  Arachni- 
des*, enliii  celle  des  Myriapodes*,  que  Cuvier 
réunissait  encoreaux  Insectes. 

Caractères  généraux.  —  Les  Insectes,  tels  que 
les  restreignent  les  auteurs  modernes,  sont  des  Ar- 
ticulés dont  les  anneaux  du  corps,  à  l'état  parfait 
ou  adulte,  capable  de  reproduire  l'espècg,  se  grou 
prnt,  presque  toujours  très  nettement,  autour 
de  trois  centres,  la  tète,  le  thorax  et  l'abdomen  ; 
les  ganglions  de  la  cliaîne  ventrale  du  système 
nerveux  suivent  la  même  coalescence.  Le  thorax 
se  divise  en  trois  segments,  prothorax,  mésotho- 
rax, niétathorax,  qui  portent,  à  leur  arceau  ventral, 
chacun  une  paire  de  pattes,  de  sorte  que  le  second 
caractère  géiiéral  des  insectes  adultes  est  d'avoir 
six  pattes  (Hexapodes  de  Blainville)  ;  presque  tou- 
jours les  deux  arceaux  du  dos  du  mésothorax  et  du 
niétathorax  portent  chacun  une  paire  d'ailes  ;  il 
n'y  a  jamais  d'ailes  au  pruthorax.  La  tête  offre  en 
avant  deux  antennes,  qu'on  appelle  vulgairement 
cornes,  présentant  les  loilgueurs  et  les  formes  les 
plus  variées,  organes  certainement  de  l'odorat  et 
très  probablement  aussi  de  l'ouïe  (tiges  vibrant  il 
l'unisson  des  sons  extérieurs).  Au-dessus  de  la 
tète  sont  assez  souvent,  et  surtout  chez  les  insec- 
tes industrieux  et  constructeurs  de  nids,  des  yeux 
simples  ou  ocelles,  ordinairement  au  nombre  do 
trois,  destinés  i  une  vision  avec  grossissement  à 
très  courte  distance  ;  sur  les  côtés  se  trouvent 
deux  yeux  composés  ou  à  facettes,  ne  manquant 
presque  jamais,  très  aisés  à  voir  à  la  loupe  sur  une 
libellule,  sur  un  frelon,  sur  un  faux-bourdon  (abeille 
mâle)  ou  sur  une  grosse  mouche  à  viande.  Ce  sont 
plusieurs  milliers  de  petits  yeux  accolés,  formant 
un  réseau  d'hexagones,  chacun  avec  sa  cornée, 
son  cristallin  en  cône  allongé,  son  fllet  nerveux 
optique  ;  leur  ensemble  constitue  un  appareil 
sphéroïde   ou   ovoïde   de   vision  panoramique,  en 


tous  sens,  plus  développé  chez  les  mâles  que  chez 
les  femelles,  de  même  que  les  antennes.  En  dessous 
de  la  tète  s'ouvre  la  bouche,  entourée  de  pièces 
buccales  très  diversifiées,  servant  aux  insectes  à 
la  préliension  de  leurs  aliments,  soit  h  l'état  solide 
soit  h  l'état  liquide,  et  qui  ont  une  très  grande 
importance  pour  la  classification  des  insectes,  la- 
quelle est  fondée  â  la  fois  sur  les  ailes  et  sur  les  ap- 
pendices qui  entourent  la  bouche. 

A  l'intérieur,  les  insectes  offrent  toujours  l'a- 
nus à  la  région  opposée  à  la  bouche  (caractère  de 
supériorité  animale),  avec  un  tube  digestif  compli- 
qué et  plus  ou  moins  flexueux.  Un  sang  incolore 
circule  entre  les  divers  organes  internes,  qui  en 
sont  baignés,  sans  qu'il  y  ait  de  vaisseaux  propres  ; 
il  reçoit  l'impulsion,  d'arrière  en  avant,  par  une 
siM'ii'  il:'  cirurs  placés  au  milieu  du  dos  [unisseau 
linrsiil .  rt  ilimt  on  voit  très  bien  les  mouvements 
ilr  Kiiitrartion  sur  la  clieniUe  du  bombyx  du  mû- 
rier ou  ver  à  soie.  L'air,  destiné  à  l'hématose  du 
sang,  pénètre  dans  toutes  les  parties  du  corps  des 
insectes,  contenu  dans  des  tubes,  ou  cylindriques 
et  maintenus  béants  par  l'élasticité  d'un  fil  spirale, 
ou  renflés  en  ampoules  d'autant  plus  volumineuses 
que  les  insectes  adultes  sont  meilleurs  voiliers. 
Ce  sont  les  trachées,  qui  s'ouvrent  sur  les  côtés 
du  corps  par  des  orifices  nommés  sliijmates,  en- 
tourés d'un  cercle  corné,  le  péritrème,  et  si  visibles, 
par  une  coloration  différente^  sur  les  flancs  de 
beaucoup  de  chenilles. 

L'hématose  devient  considérable  chez  les  insectes 
adultes ,  surtout  ceux  à  vol  puissant  ;  ils  sont 
alors  de  vrais  animaux  à  sang  chaud  ou  à  tempé- 
rature constante  et  dégagent  une  forte  chaleur. 
On  sent  entre  les  doigts  la  cljaleur  du  corps  des 
gros  sphinx  (sphinx  du  liseron  et  du  troène), 
papillons  dont  on  ne  distingue  plus  les  ailes,  tant 
elles  vibrent  vite,  et  qui  butinent  le  soir  sur  les 
fleurs  des  jardins.  Ce  sont  surtout  les  insectes 
sociaux  et  vivant  en  colonies  qui  offrent  une  cha- 
leur accumulée  considérable,  d'un  grand  nombre 
de  degrés  au-dessus  de  l'air  extérieur,  de  8°  à  12° 
pour  les  nids  de  bourdons,  les  fourmilières,  les 
guêpiers,  bien  plus  encore  pour  les  ruches  d'a- 
beilles, où  règne  en  hiver  la  chaleur  du  printemps 
au  milieu  des  pelotes  d'insectes  serrés  les  uns 
contre  les  autres;  dans  ces  ruches,  lors  de  l'es- 
saimage, la  température  peut  monter  à  plus  de 
<0°,  au  point  de  décoller  des  gâteaux  de  cire.  C'est 
dans  le  thorax,  portant  les  muscles  des  ailes  et 
des  pattes,  que  se  localise  la  chaleur  ;  lors  du 
vol,  chez  les  bons  voiliers,  la  température  du 
thorax  peut  être  de  4°  à  8"  supérieure  à  celle  de 
l'abdomen.  Cette  dernière  région  du  corps,  qui  est 
sans  pattes  chez  les  adultes,  se  termine  souvent 
chez  les  femelles  en  une  Inrière  ou  oviscnpte,  tuyau 
soit  rigide,  soit  mou  et  rétractile,  destiné  à  la  ponte 
dos  œufs.  Une  partie  des  Hyménoptères  offre,  chez 
les  femelles,  la  tarière  transformée  en  un  aiguil- 
lon acéré,  organe  défensif  du  couvain  ou  réunion 
des  petits. 

Malgré  leur  faible  taille,  les  insectes  sont,  parmi 
les  Articulés,  des  animaux  supérieurs,  car  ils 
en  possèdent  au  plus  haut  degré  les  apanages,  c'ost- 
i-dire  le  mouvement  et  la  sensibilité.  Les  sphinx 
du  liseron  et  du  laurier-rose  arrivent  au  vol  dit 
centre  de  l'Afrique  jusqu'en  Angleterre;  les  légions 
désastreuses  des  criquets  passent  au-dessus  des  na- 
vires en  plein  Atlantique  ;  diverses  mouches  suivent 
les  trains  de  chemin  de  fer  et  pénètrent  dans  les 
voitures.  Certains  sens  des  insectes,  l'odorat  sur- 
tout, ont  une  perfection  incroyable;  dès  qu'une 
taupe  ou  un  inulot  sont  gisants  sur  le  sol,  arrive  à 
la  ronde  la  troupe  funèbre  des  nécrophores  (Co- 
léoptères) ;  les  mouches  stercoraires  et  celles  des 
viandes  viennent  d'une  grande  distance,  attirées 
par  l'odeur  et  non  par  la  vue,  car  on  peut  recou- 
vrir la  viande  gâtée  d'un  linge  sans  mettre  fin  4 


INSECTES 


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INSECTES 


leur  odieuse  poursuite.  Il  y  a  des  papillons,  les 
Bombyciens,  dont  les  mâles  interrogent  l'atmo- 
sphère avec  leurs  larges  antennes  plumeuses  et, 
d'un  vol  à  continuelles  saccades,  se  rendent  de 
riutérieur  des  bois  et  des  jardins  i  plusieurs  kilo- 
mètres auprès  des  femelles,  même  dans  l'intérieur 
des  villes;  ainsi  le  Bombyx  tau,  le  Bombyx  dis- 
parate, VOrygie  antujue,  etc.  Les  insectes  in- 
dustrieux qui  construisent  des  nids  savent,  par 
une  paresseuse  sagacité,  approprier  à  leur  usa^je 
les  vieux  nids  et  crus  d'autres  espèces,  de  manière 
à  n'avoir  à  exécuter  qu'un  minimum  de  travail; 
bien  plus,  placés  par  le  fait  de  l'homme  dans  des 
conditions  insolites,  ils  exécutent  des  actes  qu'il 
est  impossible  d'attribuer  à  l'instinct  seul,  de 
sorte  qu'on  est  obligé  d'accorder  le  raisonnement 
et  des  lueurs  d'intelligence  à  ces  chétives 
créatures. 

Chez  les  insectes,  les  sexes  sont  toujours  sépa- 
rés, et  les  femelles  pondent  des  œufs,  à  part  quel- 
ques cas  exceptionnels  (les  pucerons,  certaines 
mouches  à  viande,  etc.)  où  elles  mettent  au  jour 
des  petits  vivants.  1!  y  a  des  insectes  sans  inéta- 
morptwses,  dans  lesquels  l'évolution  s'est  accom- 
plie tout  entière  il  l'intérieur  de  l'œuf.  Dans  ces 
insectes,  toujours  sans  ailes  ou  nptéres,  les  petits 
sortent  de  l'œuf  pareils  aux  adultes,  sauf  la  taille, 
ont  la  même  nourriture,  sans  autre  phase  que  des 
mues  ou  changements  de  peau  et  l'accroissement 
général;  ainsi  les  Poux  et  les  Ricins,  parasites  des 
mammifères  et  des  oiseaux,  et  les  Thysanoures 
.lépismes,  podures,  etc.).  D'autres  insectes,  à 
métamorphoses  incomplètes,  n'ont  jamais  de  phase 
d'inactivité.  D'abord  la7-ves  sans  ailes,  ils  de- 
viennent, après  plusieurs  mues,  nymjjlies,  offrant 
des  ailes  renfermées  dans  des  fourreaux  et  im- 
propres à  la  fonction  du  vol,  puis  adultes,  aptes 
à  la  reproduction ,  ayant  des  ailes  servant  au  vol  ;  dans 
ces  divers  états,  ces  animaux  ont  la  même  nourri- 
ture, ce  qui  rend  très  funestes  leurs  espèces  nui- 
sibles, dont  les  dégâts  ne  cessent  à  aucune  phase 
de  l'existence.  Tels  sont  les  Perce-oreilles,  les 
Blattes,  les  Courtilières,  les  Grillons,  les  Sauterelles 
et  les  Criquets,  les  Termites,  les  Libellules,  les 
Punaises  des  bois  et  des  jardins,  les  Cigales,  les 
Pucerons,  les  Cochenilles,  etc.  Enfin  les  insectes 
réputés  les  plus  parfaits  passent  par  trois  états  bien 
différents  après  leur  sortie  de  l'œuf;  d'abord  larves 
sans  ailes,  en  particulier  clienilles  chez  les  Papil- 
lons, sans  pattes  ou  avec  des  pattes  en  autre  nombre 
que  l'adulte, ils  prennent  ensuite  un  état  d'immobilité 
presque  complète,  sans  avoir  besoin  de  nourri- 
ture, ayant  les  organes  de  l'adulte,  en  particulier 
les  ailes,  envL-loppés  sous  une  peau  plus  ou  moins 
dure;  ce  sont  les  tiym/jhes,  chrysalides  ou  fèves, 
etpupes.  Puis  paraissent  les  adultes,  b.  ailes  bien 
développées  et  fonctionnelles,  prenant  souvent 
une  alimentation  tout  à  fait  distincte  de  celle  de 
leurs  larves.  Dans  ces  insectes  à  métamorphoses 
complètes  se  rangent  les  Coléoptères,  les  Fourmi- 
lions, Chrysopes  et  Phryganes,  les  Hyménoptères 
(abeilles,  guêpes,  fourmis,  ichneumons,  cynips, 
tenthrèdes,  etc.),  les  Lépidoptères  ou  Papillons, 
enfin  cet  ordre  immense  d'insectes  qu'on  nomme 
Diptères,  parce  qu'ils  semblent,  au  premier  aspect, 
n'avoir  que  deux  ailes  (cousins,  moustiques , 
taons,  mouches,  etc.). 

La  classification  des  insectes  repose  sur  l'examen 
de  certains  appendices,  sur  lesquels  nous  devons 
donner  des  notions  sommaires.  En  France,  d'après 
Linné,  les  noms  des  ordres  sont  tirés  des  ailes 
(appendices  dorsaux,  qui  sont  toujours  en  réalité 
au  nombre  de  quatre.  Elle  sont  formées  d'une 
membrane  plus  ou  moins  épaissie ,  tendue  par 
des  7iervurcs  qui  déterminent  un  réseau  de  cel- 
lules, d'un  grand  secours  dans  la  classification  de 
détail,  pourvue  de  poils  plus  ou  moins  abondants, 
parfois  élargis  en  écailles  (ailes  farineuses  des 


Papillons).  Les  pattes  (appendices  ventraux),  aprèç 
un  court  article  d'attache,  la  hanche,  suivi  d'ar- 
ticles plus  longs,  la  cuisse  et  la  jambe,  se  termi- 
nent par  le  tarse,  dont  les  articulations  succes- 
sives sont  d'un  continuel  secours  pour  les 
classificateurs.  Le  tarse  présente,  le  plus  fré- 
quemment, 5  ou  4  articles,  3  plus  rarement,  2  et 
1  très  rarement;  le  dernier  article  se  termine  par 
un  ou  deux  ongles  ou  crochets,  parfois  avec  une 
pelote  molle  entre  eux,  servant  au  tact.  Les  pièces 
qui  entourent  la  bouche  ont  aussi  une  importance 
capitale  pour  subdiviser  les  insectes.  D'abord 
vient,  au-dessus  de  la  bouche,  une  pièce  impaire, 
le  labre  ou  lèvre  supérieure  ;  puis  la  Ijouche  est 
entourée  de  pièces  paires,  jouant  latéralement, 
c'est-à-dire  dans  un  sens  perpendiculaire  à  celui 
dos  mâchoires  de  l'homme  et  des  vertébrés.  Ce 
sont  les  mandibules,  élargies  en  meules  pour 
broyer,  ou  tranchantes  et  coupant  les  aliments 
comme  des  cisailles  (ces  mandibules  mordent 
notre  doigt  chez  le  carabe,  la  sauterelle,  la  guêpe)  ; 
puis  les  mâchoire^',  h  un  ou  deux  lobes,  achevant 
la  division  des  aliments;  enfin,  au-dessous  de  la 
bouche,  la  lèvre  inférieure,  à  deux  pièces  plus  ou 
moins  soudées  sur  la  ligne  médiane.  Sur  les  côtés 
externes,  les  mâchoires  et  la  lèvre  inférieure 
portent  des  palpes  articulés,  presque  toujours 
grêles,  ramenant  vers  la  bouche  les  parcelles 
échappées  aux  pièces  buccales,  servant  surtout 
d'organes  de  tact  pour  apprécier  la  nature  et  la 
consistance  des  aliments.  Telles  sont  les  pièces  de 
la  bouche  dans  les  insectes,  soit  adultes,  soit 
larves,  qui  sont  broyeurs.  Quand  les  aliments, 
visqueux  ou  fluides,  sont  léchés  ou  sucés  par  les 
insectes,  ces  mêmes  pièces  se  modifient.  Certaines 
disparaissent,  d'autres  s'allongent,  soit  en  languette 
molle,  que  l'insecte  applique  pour  lécher,  soit  en 
tube  flexible  et  spirale  au  repos,  lui  servant  à 
aspirer  les  jus  sucrés,  soit  en  lancettes  perfo- 
rantes, formant  en  outre  une  gaine  de  succion 
qu'il  enfonce  dans  les  divers  organes  des  plantes 
ou  sous  la  peau  des  animaux,  dont  il  aspire  le 
sang  pour  se  nourrir. 

CLASSIFICATION. 

On  divise  les  Insectes  en  cinq  grandes  sections, 
comprenant  chacune  un  ou  plusieurs  ordres. 

I.  Ordres  broyeurs  a  l'état  d'adulte  et  de  larve. 

1°  Coléoptères,  à  métamorphoses  complètes.  — 
Nous  avons  consacré  à  cet  ordre  un  des  plus  im- 
portapts,  un  article  spécial. 

2°  Orthoptères,  à  métamorphoses  incomplètes. 
—  Tantôt  carnassiers,  tantôt  omnivores,  taniôt  phy- 
tophages (vivant  de  fruits,  de  fleurs,  de  feuilles,  de 
tiges),  les  Orthoptères  sont  les  gros  mangeurs  de 
la  création  eniomologique  ;  les  moins  nombreux 
des  insectes  en  espèces,  ils  sont  en  compensation 
d'une  extrême  fécondité,  de  façon  que  certaines 
espèces  ont  une  quantité  d'individus  excessive. 

Deux  sous-ordres  :  1°  Fo;ificuliexs  ou  Perce- 
Oreilles.  —  Ces  insectes,  toujours  de  couleurs 
brunes  ou  fauves,  sont  remarquables  par  la  pince 
courbe  qui  existe  au  bout  de  l'abdomen  dans  les 
deux  sexes.  Cette  pince,  de  faible  force  pour  ser- 
rer, rappelle  le  petit  outil  dont  se  servaient  autre- 
fois les  joailliers  pour  percer  le  lobule  de  l'oreille 
des  enfants.  Leurs  ailes  supérieures  sont  de  cour- 
tes élytres  ou  étuis  cornés,  ne  recouvrant  pas 
l'abdomen,  de  sorte  que  les  forficules  semblent 
porter  une  veste.  Sous  ces  ailes  de  la  première 
paire,  si  réduites,  se  trouvent  des  ailes  membra- 
neuses, très  amples,  plissées  en  éventail,  puis  re- 
pliées, dont  l'insecte  se  sert  très  rarement  et 
qu'il  étale  avec  sa  pince.  Les  jardins  nourrissent  en 
abondance  la  Forficule  auriculaire,  Linn.,  très  nui- 
sible aux  fruits  et  aux  fleurs  par  sa  voracité,  et  dont 


INSECTES 


—  1025 


INSECTES 


les  jeunes  larves  vivent  en  société.  Elle  fuit  la  lu- 
mière ;  on  on  profite  pour  la  recueillir  dans  des 
chiffons  humides,  dos  amas  de  paille,  dws  pots  ii 
fleurs  renverses  et  pleins  de  mousse,  des  sabots 
de  cheval,  des  cornets  de  papier,  des  fouilles  de 
chou  plices  en  quatre,  puis  on  livre  les  forfl- 
cules  aux  flammes  vengeresses. 

2°  Ohthoptèbes  piiOPBKs.  —  Ce  second  sous-or- 
dro  tire  son  nom  des  ailes  antérieures  ou  pseu- 
délytrcs,  longues  et   droites,  demi-coriaces,  sous 


Fig.  1,  —  Mante  religieuse  saisissant  une  mouche, 

lesquelles    les    secondes     ailes     membraneuses , 
très  larges,   sont  plissôes    en   éventail  au  repos. 
Cette  disposition  dos  ailes  est  bien  visible  sur  la 
grande  Sauterelle  verte   et  sur  ces  Criquets  aux 
ailes  bleues  ou  rouges  qui  volent  en  abondance  à 
la  fin  de  l'été  sur  les    coteaux  secs.  Un   premier 
groupe,   celui  des    mnrchews  ou   coureurs,  a  les 
pattes  impropres  au  saut;  ce  sont,  en  outre,  des 
insectes  muets.   On  y  range  les  Blaltes,  insectes 
lucifuges,  très  plats, 
bruns  ou  jaunâtres, 
à   corselet   arrondi, 
cachant  la  tète.  Les 
femelles      traînent 
leurs  œufs  dans  une 
capsule  qui  ressem- 
ble à  une  graine.  Les 
Blattes  sont    omni- 
vores et  deviennent 
aisément     domesti- 
ques,   dévorant  nos 
jirovisions,  nos  vê- 
ii  monts,  nos  livres. 
Nous  citerons,  par- 
mi les  Kakerlacs  ou 
Cancrelats  ,  comme 
on  les  nomme  aussi, 
la  rjrande  lllatle  ou 
lilatte    amériraine, 
d'un    roux   ferrugi- 
neux, infestant    les 
serres,    les    docks, 
les    vaisseaux,     où 
l'on  est  forcé  d'en-      ' 
fermer  en  des  cais- 
ses de  fer-blanc  sou- 
dées   h    l'étain  les 

comestibles  et  mar-  '  't-  -~  u^  ijimc 

chandises;  Xn  Blatte 

orientale,  Linné,  ou  blatte  des  cuisines  [cafard, 
tjete  noire,  ravet),  d'un  biun  noir,  ne  volant  pas 
par  atrophie  des  ailes,  souillant  la  nuit  les  aliments 
dans  les  cuismes  et  les  armoires,  se  réfugiant 
dans  les  cneminées,  sous  les  marches  d'escaliers, 
dans  les  gonds  des  portes,  près  des  machines  à 
vapeur,  pour  manger  les  graisses,  etc.  ;  la  Mutte 
rjermanique,  plus  petite  et  jaunâtre,  vivant  libre 
dans  nos  bois  sous  les  feuilles  sèches  et  sur  les 
2«  Partie. 


grandes  herbes,  domestique  dans  les  maisons  en 
Allemagne,  en  Russie,  dans  le  nord  de  la  France, 
dans  certains  restaurants  de  Paris,  dévorant  jusl 
qu'à  l'encre  et  au  cirage,  difficile  h  détruire  parce 
qu'elle  vole  bien.  Il  faut  employer  contre  les 
blattes  les  insufflations  de  poudre  Vicat,  ou  les 
recueillir  entre  dos  linges  mouillés,  puis  les  brû- 
ler. ) 

Les  Mantes  sont,  au  contraire,  d'utiles  carnas- 
siers do  proie  vivante,  verts  ou  jaunâtres  comme 
les  feuilles,  toujours  ii  l'affiit  sur  les  broussailles, 
les  vignes,  les  grandes  herbes,  saisissant  les  insec- 
tes entre  la  jambe  et  la  cuisse  de  devant,  repliées 
on  pinces  et  munies  d'épines  acérées,  et  les  portant 
sous  leurs  mandibules.  Elles  semblent  dire  leurs 
prières  ;  aussi  les  paysans  du  Midi  les  nomment 
prie-Dieu,  prega-Diou.  L'espèce  principale  est  la 
Mante  reliijieuse,  Linné,  qui  remonte  jusqu'à  Fon- 
tainebleau et  plus  au  nord  sur  les  côtes  océani- 
ques. Il  faut  recommander  aux  enfants  de  ne  pas 
luer  les  mantes,  et  de  respecter  les  grosses  cap- 
sules ovoïdes  et  papyracées ,  où  les  œufs  sont  en 
série  dans  des  logettes,  capsules  collées  aux  rochers 
et   aux  arbustes. 

Les  autres  Orthoptères  propres  sont  des  sau- 
teurs; leurs  cuisses  postérieures,  à  muscles  éner- 
giques, se  débandent  comme  un  ressort  pour  lan- 
cer l'insecte  en  avant.  Ce  sont  dos  insectes 
bruyants,  surtout  le  soir,  les  mâles  étant  munis 
d'appareils  de  stridulation  propres  à  appeler  les 
femelles  par  des  bruits  variés  et  qui  difl'èrent  sui- 
vant les  espèces. 

L'instrument  musical  n'est  pas  toujours  le 
même  :  les  Grillons  et  les  Sauterelles  sont  des 
cymbaliers,  produisant  le  son  d'appel  en  frottant 
l'une  contre  l'autre  leurs  pseudélytres,  munies  d'un 
tympan  ou  miroir  formé  par  une  membrane  sèche 
et  vibrante  ;  les  Criquets,  au  contraire,  sont  des 
violonistes,  les  mâles  frottant  vivement  leurs  pat- 
tes postérieures  cré- 
nelées contre  de 
fortes  nervures  de 
leurs  pseudélytres, 
formant  des  tiges 
sonoi-es ,  rigides. 
Les  femelles  des 
groupes  des  Gril- 
lons et  des  Saute- 
relles ont  l'abdomen 
terminé  par  une  lon- 
gue tarière  saillan- 
10,  tantôt  droite 
comme  une  épée, 
tantôt  recourbée 
comme  un  sabre  ; 
c'est  un  tube  formé 
d-  deux  gouttières 
accolées,  par  lequel 
passe  l'œuf,  qui  est 
ainsi  déposé  dans 
le  sol,  et,  bien  plus 
rarement,  à  l'inté- 
rieur de   végétaux. 

Z--:,         Le     groupe     des 

Jr^;^"^     Grillons  nous   pré- 

-'    '■'""     sente    d'abord    les 

Courtilières         (du 

cnucivure  pou.ia[ii.  yieux  mot  français 

courtil,    qui     veut 

dire  jardin),  dont  les  pattes  de   devant  ont   les 

jambes  robuîtes,  élargies  et  digitées,  fouillant  la 

terre  comme  les  mains  de  la  taupe,  d'où  le  nom 

du  genre  Taupe-grillon  ou  Gryllotalpa.  La  Cour- 

tilière  est  un  gros  insecte  d'aspect  hideux,  de   la 

couleur  et  un  peu  do  l'apparence  d'une  écrovisse, 

ses  longues  ailes  repliées  en    fourche  dépassant 

l'abdomen.   Elle  abonde   dans   les  jardins  à  terre 

meuble  et   sablonneuse,  dévorant  les  légumes  et 

65 


INSECTES 


—  1026 


INSECTES 


bouleversant  aussi  les  racines  pour  cliercher  les  i 
larves,  car  sa  voracité  la  rend  omnivore.  Elle  pond 
des  œufs  en  tas  dans  le  fumier  ou  le  terreau.  Tl  ' 
faut  verser  de  l'huile  ou  du  pétrole  dans  les  trous 
de  refuge  de  la  Courtilière,  disposer  dans  les 
plate-bandes,  i  ras  du  sol,  des  vases  pleins  d'eau 
recouverte  d'essence  de  térébenthine,  où  elle  se 
noie  et  s'empoisonne  ;  enfin,  lui  dresser  des  ap-  \ 
pâts-piège^,  formés  de  petits  tas  de  fumier  chaud;  i 
écraser  avec  soin.  ( 

Les  vrais  Grilloiu  ont  les  pattes  pareilles,  et 
l'abdomen  de  la  femelle  terminé  par  une  tarière 
droite  et  saillante  pour  la  ponte  des  œufs.  Ils  no  ] 
sont  pas  nuisibles.  Citons  le  Giillon  itomestir/ue,  \ 
d'un  jaune  enfumé,  vivant  derrière  les  plaques  de 
cœur  des  cheminées  et  dans  les  boulangeries,  in- 
secte très  frileux,  le  cri-cri  du  foyer,  buvant  avi- 
dement l'eau  et  le  lait,  sortant  parfois  en  été  pour 
se  promener  au  soleil  ;  et  le  Gri/lon  cliampétre,  1 
gros  insecte  brun,  dont  les  femelles  se  tiennent  à 
l'entrée  de  leurs  terriers,  tournés  au  midi,  tandis 
que  les  mâles  se  promènent  le  soir  aux  alentours, 
appelant  les  femelles  par  une  stridulation  intense.  , 
Les  Lnciislcs  ou  Snuterells  vraies  sont  peu  | 
nuisibles.  On  reconnaît  les  femelles  à  leur  longue 
tarière,  tantôt  recourbée  en  sabre,  tantôt  droite 
comme  une  épée,  avec  laquelle  elles  déposent 
leurs  œufs  en  terre  ou  dans  les  fentes  des  arbres. 
Les  antennes  des  Sauterelles  sont  très  longues, 
comme  des  fils,  et  leurs  tarses  ont  quatre  articles. 
La  plus  connue  est  la  Grtmde  Snuterelle  lerte, 
faisant  entendre  tout  l'après-midi  son  cri  :  zic-zic 
au  milieu  des  chaumes  et  dans  les  buissons;  elle 
est  appelée  Cigale  dans  le  nord  de  la  France  et 
près  de  Paris,  erreur  que  partageait  La  Fontaine, 
car,  dans  une  édition  illustrée  faite  sous  les  yeux 
du  fabuliste,  on  voit  la  cigale  de  !a  fable  si  connue. 
In  Ciyale  et  la  Fowmi,  représentée  sous  la  forme 
d'une  sauterelle.  Une  autre  grande  espèce,  com- 
mune dans  les  jardins,  crise,  marquetée  do  noir, 
est  le  Dc' tique  verrucivore.  Linné.  Ces  grandes 
Sauterelles  mangent  des  chenilles,  et  nous  les 
croyons  plus  utiles  que  nuisibles  ;  leur  salive  brune 
ot  acre  indique  des  carnassiers.  Les  paysans  sué- 
dois se  font  mordre  les  verrues  des  mains  par  la 
seconde  espèce,  afin  de  les  cautériser. 
Les  Acridiens  ou  Criqurts,  nommés  très  souvent 
et  à  tort  Sauterelles,  ont  les 
anteinies  courtes  et  fortes, 
les  tarses  de  trois  articles, 
l'abdomen  des  femelles  dé- 
pourvu de  tarière  de  ponte. 
Certaines  espèces,  les  unes 
de  l'ancien  monde,  les  au- 
tres du  nouveau,  méritent 
véritablement  le  nom  de 
fléau  que  leur  donne  la  Bi- 
ble. A  certains  moments, 
chassées  des  déserts  par  la 
faim,  elles  s'envolent,  aidées 
par  le  vent,  en  nuages  épais 
qui  cachent  le  soleil  et  la 
'  d'A-    imip    pendant  des  journées 

*v-.,.™.o=ij'^ssi.      entières,  font  table  rase  de 

toutes  les  cultures  sur  les- 
quelles elles  s'abattent,  rongeant  à  la  fin  jus- 
qu'au bois  des  arbres  et  aux  portes  des  maisons. 
L'espèce  la  plus  funeste  est  le  Cnquel  pèlerin, 
Olivier,  qui  se  rencontre  des  rivages  de  la  Chine 
à  l'extrémiic  occidentale  du  Maroc,  envoy.  nt  quel- 
ques sujets  égarés  en  Andal  nsie.  Selon  les  races 
il  est  jaunâtre  ou  rougeàtre,  marqueté  de  noir.  Il 
exerce  ses  ravages  en  .41gérie  à  peu  près  tous  les 
vingt-cinq  ans,  et  ses  larves,  sorties  des  œufs, 
continuent  la  dévastation.  C'est  par  corvées  de 
milliers  d'hommes  qu'on  requiert  l'armée  ;  on  cher- 
che k  empocher  la  descente  des  Cri(|ucts  sur  les 
champs  cultivés  par  des  bruits  divers   même  par 


le  canon,  à  les  pousser  au-dessus  de  tranchées 
creusées  à  l'avance  où  on  les  enterre,  ou  sur  des 
broussailles  arrosées  de  pétrole,  auxquelles  on 
met  le  feu.  L'invasion  de  1806  a  causé  la  mort,  par 
la  famine  et  les  épidémies,  de  plus  d'un  million 
d'Arabes,  et  l'histoire  est  pleine  des  récits  lamen- 
tables de  ces  famines  suivies  de  peste,  dues  au 
Criquet  pèlerin.  Ce  sont  d'autres  espèces,  de  l'Eu- 
rope orientale  et  méridionale,  qui  dévastent  la 
Provence  par  intervalles,  imposant  aux  villes  des 
sacrifices  pécuniaires  considérables  en  primes  de 
destruction.  L'une  des  espèces  est  le  Pachytyle 
miyratew,  Linné,  grisâtre,  à  ailes  membraneuses 
incolores;  l'autre,  le  Caloptène  italique,  Charpen- 
tier, à  ailes  rosées.  Les  enfants  des  écoles  peuvent 
rendre  de  grands  services  en  ramassant  ces  Cri- 
quets, et  surtout  en  recueillant  les  amas  d'œufs, 
collés  par  un  enduit  glutineux  et  pondus  sur  le  sol 
môme  par  les  femelles,  dépourvues  d'instrument 
pour  creuser  la  terre.  Les  prairies  nous  présentent 
en  abondance  de  petits  Acridiens,  généralement 
verts,  du  genre  Stenofjoifuus,  que  les  enfants  des 
villages  nomment  Sautriaux  ou  Saulériaux.  Un 
Criquet  très  commun  en  certaines  années  dans 
les  vignes,  sur  les  collines  et  les  falaises,  est 
l'OEdipode  à  bandes.  Siebold,  remarquable  par  ses 
ailes  d'un  beau  bleu,  ou  d'un  rouge  vif  dans  une  race 
plus  méridionale,  avec  bande  noire.  Ces  derniers 
Criquets  ne  sont  pas  nuisibles  d'ordinaire. _ 

3°  Névroptères. —  Cet  ordre  esi  caractérisé  par  ses 
quatre  ailes  membraneuses  et  finement  réticulées, 
sans  plissement,  avec  tous  les  rapports  de  gran- 
deur d'une  paire  à  l'autre.  Il  se  divise  en  deux 
sous-ordres  bien  nets. 

Le  premier,  celui  des  NÉvr.oi>TÈi<FS  pseudor- 
THOPTÈRES,  que  les  entomologistes  allemands  et 
anglais  réunissent  aux  Orthoptères  vrais,  n'offre 
que  des  métamorphoses  incomplètes. 

Un  premier  groupe  de  ces  Névroptères  est  con- 
stitué par  les  Termile.i.  les  grands  balayeurs  de 
la  nnture  des  auteurs  anglais,  rongeant  toutes  les 
matières  ligneuses,  faisant  disparaître  les  végé- 
taux morts.  Ce  sont  des  insectes  sociaux,  com- 
prenant des  mâles  et  des  femelles  ailés,  qui 
sortent  au  dehors  par  essaims  et  perdent  leurs 
ailes  après  l'accouplement  ;  et  des  neutres  sans 
ailes,  se  distinguant  en  ouvriers,  en  nombre  im- 
mense, allant  butiner  au  dehors,  construisant  les 
nids  ou  termitières,  nourrissant  les  larves,  et  en 
soldats,  â  grosse  tète,  armés  de  fortes  mandibules 
saillantes,  défenseurs  de  la  demeure  commune, 
dirigeant  les  colonnes  d'ouvriers.  En  France,  l'es- 
pèce la  plus  nuisible,  à  l'état  sauvage  dans  les 
souches  de  pins  des  Landes,  est  le  Termite  luci- 
fiiqe,  Rossi,  détruisant  les  tiges  des  plantes,  les 
poutres  et  planchers  des  maisons,  les  meubles,  le 
linge,  les  fruits  secs,  inf  stant  les  maisons  de  plu- 
sieurs villes  et  villages  des  (.harentes,  du  nord  du 
Bordelais  et  d'Algérie,  où  elle  est  en  quelque  sorte 
en  domestication.  Les  essaims  paraissent  au  prin- 
temps, puis  en  été;  on  ne  rencontre  d'ordinaire 
que  les  ouvriers  et  les  soldats,  de  la  taille  d'une 
fourmi,  dun  blanc  jaunâtre  {fhunnis  bUmches), 
sans  yeux  composés,  n'ayant  que  deux  très  petats 
ocelles,  cheminant  toujours  à  l'abri  de  la  lumière 
dans  des  tubes  de  parcelles  de  bots  disposes  le 
Ions  des  murs  de  cave  et  des  puits.  Si  on  racle 
cestubes.  on  ramasse,  moles  aux  débris  ligneux, 
une  multitude  d'ouvriers  et  quelques  «oldats;  ces 
insectes  répandent  une  forte  odeur  de  rhum.  II 
faut  silicatiser  les  bois  de  charpente  ou  les  rem- 
placer par  des  solives  de  fer,  enfermer  les  hnges 
et  les  registres  dans  des  boîtes  de  fer- blanc. 

Une  autre  série  de  ces  Névroptères  est  celle 
des  Ampiiib'Oiiques,  comprenant  les  Libellules. 
les  Ephémères  et  les  Verirs,  passant  les  états  de 
larve  et  de  nymphe  au  fond  des  eaux  douces  où 
elles  vivent  d'insectes  d'eau  et  de  mollusques.  Les 


INSECTES 


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INSECTES 


Libellules  sont  appelées  vulgairement  Demoiselles 
chez  nous,  et  Mauches-Driif/oiis  par  les  Anglais,  nom 
bien  plus  exact,  car  ces  insectes  sont  do  conti- 
nuels chasseurs  de  proie  vivante,  mettant  en  pièces 
papillons  et  raouclies.  Les  enl'unts  ne  doivent  pas 
les  détruire,  sauf  dans  le  voisinage  immédiat  des 
ruches  d'abeilles.  Les  couleurs  de  tous  ces  in- 
sectes sont  fort  vives,  bleues,  vertes,  jaunas,  avec 
taches  noires;  leurs  yeux  énormes  interrogent 
l'horizon  en  tous  sens,  et  leurs  antennes  ne  sont 
que  de  très  courtes  soies.  Les  Libellules  propres 
ont  un  vol  rapide,  et  tiennent  leurs  quatre  grandes 
ailes  à  plat  au  repos;  par  les  beaux  jours  on  voit 
attachées  aux  roseaux  les  dépouilles  des  nymphes 


Fig.  4.  —  Libellule  adulte  sortant  de  sa  nymphe. 


d'où  sortent  les  adultes,  ayant  d'abord  les  ailes 
courtes,  ramassées,  qni  se  sèchent  et  s'étalent  peu 
à  peu  au  soleil.  Les  Cnloptén/x,  qui  ne  quittent 
pas  le  bord  des  eaux  courantes,  ont  le  vol  plus 
faible,  les  ailes  h,  demi  relevées  au  repos,  ornées 
chez  les  mâles  de  magnifiques  bandes  d'un  bleu 
chatoyant.  Les  Agrions  ont  le  corps  grêle,  comme 
un  gros  (il,  les  yeux  très  proéminetits  sur  des  pé- 
doncules, le  vol  faible,  les  ailes  le  plus  souvent 
relevées  au  repos. 

_  Les  Ephi'mères  sont  des  Libellules  dégradées,  à 
ailes  inférieures  réduites  et  même  nulles  dans 
certains  genres,  ne  mangeant  pas  à  l'état  adulte, 
ne  durant  guère  qu'une  journée,  à  moins  qu'on 
ne  les  empêche  de  s'accoupler,  auquel  cas  elles 
peuvent  vivre  plus  d'une  semaine.  En  larve  et  en 
nympheaquatiques,leurvieestde  près  d'une  année. 
On  voit  les  Épliémères  voler,  en  montant  et  des- 
cendant continuellement  au-dessus  de  l'eau,  leurs 
longues  pattes  de  devant  dressées  au  delà  de  la 
tète.  On  les  attire  le  soir  avec  des  lumières  et  on 
s'en  sert  comme  exc-llentos  amorces  de  pôclie 
{manne  des  poissons);  il  y  a  des  pays  où  leurs 
cadavres  couvrent  le  sul  en  nombre  tel,  qu'on  les 
ramasse  par  charretées  pour  fumer  la  terre. 

Le  sous-ordre  des  Néviioptéhes  vrais  présente 
des  métamorphoses  complètes,  une  nymphe  inactive 
venant  s'intercaler  entre  la  larve  et  l'adulte.  Us  ne 
nous  offrent  que  des  espèces  utiles  ou  indifférentes. 

Les  Panorpes  volent  sur  les  broussailles  et  dans 
les  prairies,  surtout  dans  les  lieux  ombragés  et  hu- 
mides. Leurs  pièces  buccales  sont  prolongées  en 
une  sorte  de  bec  et  perforent  les  insectes  vivants, 
auxquels  Its  panoipes,  très  courageuses,  font  une 
chassj  acliarnée.  Nous  avons  deux  espèces  de  ces 
Névropières,  la  Pwiorpe  i-onimune,  Uimi,  et  la 
Panovpe  gannanique,  Brauer,  toutes  deux  à  ailes 


variées  de  taches  noires.  Les  mâles  ont  l'abdomen 
redressé  et  muni  d'une  grosse  pince  rougeàire. 
d'une  ressemblance  grossière  avec  le  dard  caudal 
du  scorpion,  ce  qui  a  fait  nommer  les  Panorpes 
Mouches- Scorpions.  La  femelle  ofl're  l'abdomen  pro- 
longé en  tarière  effilée  et  rétractile,  et  pond  ses 
œufs  dans  la  terre  humide,  où  les  larves  vivent  de 
racines  et  de  détritus. 

Un  autre  groupe  de  Névroptères  offre  une  singu- 
lière conformation  de  la  bouche  des  larves,  toutes 
carnassières  d'insectes  vivants.  Les  mandibules  et 
les  mâchoires  soudées  constituent  une  pince  courbe 
et  creuse,  communiciuant  à  la  bouche  et  servant  à 
sucer  le  sang  des  insectes  dans  lesquels  s'enfon- 
cent ces  crochets.  Les  larves  de  Fourmilions  creu- 
sent dans  les  talus  sableux  des  entonnoirs  de  sa- 
ble, au  fond  desquels  elles  se   tiennent  cachées. 


Fig.  3.  —  Eutoniioii  du  fourmilion. 

la  pince  et  les  yeux  sortant  seuls.  Elles  sont  tra- 
pues et  poilues,  d'un  gris  rosé,  et  lancent,  avec  leur 
large  tête,  une  pluie  de  sable  sur  l'insecte  impru- 
dent qui  roule  au  fond  du  précipice,  dont  les  parois 
s'éboulent  sous  lui.  Son  cadavre,  sucé  au  fond  de 
l'entonnoir,  estrejeté  au  dehors,  d'un  vigourouxcoup 
de  tête.  Ces  larves  se  filent  des  cocons  sphériques, 
d'une  douce  soie  blanche  au  dedans,  mêlée  à  l'ex- 
térieur de  grains  de  sable.  De  la  nymphe  roulée  dan.. 


Fig.  ti.  —  Larve,  nymphe  et  cocon  du  Fou 


ces  berceaux  soyeux,  sortent  d'élégants  insectes, 
répandant  une  odeur  de  rose,  munis  de  longues  ailes 
de  gaze,  à  antennes  grenues,  ressemblant  un  peu  i 
des  Libellules,  mais  bien  différentes  pourquiconque 
les  voit  voler  le  soir,  d'un  vol  frémissant,  faible  et 
comme  moelleux.  Des  espèces  de  genres  voisins  ont 
des  larves  qui  ne  creusent  pas  de  pièges  de  chasse, 
mais  se  cachent  dans  le  sable  et  s'élancent  sur  tous 
les  insectes  qui  passent  à  leur  portée. 

Plus  utiles  encore  sont  les  6'/irî/«ope.s,  qu'on  appelle 
souvent  hemoisetles  terrestres  ou  Demoiselles  à  yeux 
d'or,  àcanse  de  la  couleur  éclatante  de  leurs  yeux. 
On  les  voit  voler  le  soir,  mais  d'un  vol  lent  et  laHjle, 
sur  les  buissons  et  dans  les  jardins,  piissant  la  journée 
sous  les  feuilles,  fermant  leurs  ailes,  h  nervures 
vertes  ou  jaunâtres.  Si  on  saisit  ces  insectes,  ils 
laissent  aux  doigts  une  odeur  d  excréments.  Le^  fe- 
melles pondent  sur  les  feuilles  des  œufs  portés  sur 
de  longs  filets  blancs  et  dont  l'am.is  e.st  souvent 
pris  pour  des  champignons,  mais  qu'il  faut  bien  rn- 


INSECTES 


—  1028 


INSECTES 


commander  aux  jardiniers  de  ne  pas  détruire.  En 
effet  il  en  sort  des  larves,  que  Réaumur  appelle 
lioTudes  pucerons,  et  qui  parcourent  sans  cesse  les 
plantes  chargées  de  coclicnilles  et  de  pucerons, 
dans  les  sociétés  desquels  elles  portent  le  carnage. 
La  larve  saisit  un  puceron  entre  ses  pattes  de  de- 
vant, le  suce  avec  sa  pince  buccale,  puis  rejette 
la  peau  vide,  ou,  dans  certaines  espèces,  la  place 
sur  son  dos,  de  sorte  qu'elle  porte  une  couverture 
des  dépouilles  de  ses  victimes.  Ces  larves  devien- 
nent nymphes  dans  de  petites  boules  de  soie 
blanche,  fixées  aux  feuilles.  Les  instituteurs  re- 
commanderont aux  enfants  d'apporter  des  Chryso- 
pes  dans  les  serres  et  sous  les  châssis,  où  ils  ver- 
ront les  plantes  infestées  de  pucerons,  et  de  ne 
pas  détruire  les  Chrysopes  qui  se  réfugient  en 
hiver  dans  les  maisons  champêtres. 

Les  Névroptères  vrais  se  terminent  par  une  tribu 
d'insectes  aquatiques  dans  leurs  premiers  états, 
les  Trichnpléres  (ailes  poilues),  ressemblant  un  peu 
à  des  papillons  nocturnes,  ne  prenant  pas  de  nour- 
riture à  cause  de  l'imperfection  de  leur  bouche,  et 
s'écartant  très  peu  des  eaux,  où  les  femelles  laissent 
tomber  leurs  œufs  en  paquets  gélatineux.  On  les 
appelle  encore  Pliryganes  (fagots),  parce  que  leurs 
larves,  véritables  chenilles  d'eau,  rampent  au  fond 
des  eaux,  entourées  de  fourreaux  de  soie  qui  re- 
tiennent des  morceaux  de  feuilles,  de  mousse,  de 
branchettes,  des  grains  de  sable,  des  débris  de  co- 


Fig.  1.  —  Fourreaux  de  la  larve  de  la  Phrygane  rhombique 
1,^  et  de  la  Phrygane  flavicorne,  ce  dernier  construit  avec  des 
coquilles. 

quilles, même  des  coquilles  encore  habitées  ;  aussi 
les  paysans  les  nomment  charrées,  porte-bois, 
po>-te-safjle<.  La  tête  et  les  pattes  du  thorax  de  la 
larve  sortent  du  fourreau  ;  elles  se  cramponnent  au 
fond  par  une  paire  de  crochets,  ce  que  savent  bien 
les  pêcheurs  à  la  ligne,  qui  ont  soin  de  pousser  la 
larve  hors  du  fourreau,  à  partir  du  fond,  pour  l'ob- 
tenir entière;  ces  larves  constituent  d'excellentes 
amorces  de  pêche. 

II.  Ordke  a  adultes  léchecrs,  a  larves 

EROYEUSES. 

4°  Hyménoptères,  Ji  métamorphoses  complètes. 
Les  quatre  ailes  sont  entièrement  membraneuses, 
comme  chez  les  Névroptères,  mais  les  inférieures 
toujours  bien  moins  amples  que  les  supérieures, 
auxquelles  les  rattachent  à  la  base  de  petits  cro- 
chets. Les  mandibules  sont  restées  pareilles  à  celles 
des  ordres  précédents,  propres  à  couper,  déchirer 
et  broyer  les  aliments  ;  mais  les  mâchoires  et  la 
lèvre  inférieure  se  sont  allongées  eu  une  longue 
langue  flexible  et  rétractile,  propre  k  lécher  les  li- 
quides sucrés.  Ce  sont  des  insectes  souvent  indus- 
trieux, doués  d'instincts  admirables  et  de  lueurs 
d'intelligence,  d'une  grande  puissance  de  vol,  avec 
des  yeux  composés,  qui  envahissent  toute  la  tête 
chez  les  mâles,  et  possédant  presque  toujours  trois 
ocelles  en  triangle  au-dessus  de  la  tête.  Les  larves 
des  Hyménoptères  se  filent  presque  toutes  des  co- 
•  cons,  qui  ont  en  général  plutôt  l'aspect  d'un  fort 
papier  que  d'un  tissu  de  soie,  et  s'y  changent  en 


nymphes,  laissant  bien  voir  tous  les  organes  de 
l'adulte,  repliés  et  emmaillotés  sous  une  mince 
pellicule. 

Un  premier  sous-ordre,  celui  dos  hyménoptères 
a  abdomen  pÉiiicuLÉ,  Comprend  des  insectes  qui 
f'07it  la  taille  de  giiépe,  c'est-K-dire  dont  l'abdomen 
est  toujours  uni  au  thorax  par  un  pédicule  étroit, 
de  longueur  très  variable.  Leurs  larves  sont  sans 
pattes,  le  plus  souvent  aveugles,  n'ayant  que  des 
mouvements  de  translation  très  imparfaits  ou  nuls, 
un  épidémie  très  délicat,  incapables  de  se  défen- 
dre, même  contre  l'ennemi  le  plus  faible.  Aussi  la 
mère  passe  toute  sa  vie  à  assurer,  par  des  provi- 
sions convenables  mises  à  sa  portée,  l'existence 
d'une  progéniture  qui  lui  demeure  le  plus  souvent 
inconnue. 

Le  groupe  des  Hi/ménopiéres  porte-aiguillon 
offre  des  femelles  ayant  au  bout  de  l'al.domen  un 
aiguillon  acéré,  communiquant  à  une  poche  à 
venin,  formé  surtout  d'acide  formiquo.  Les  mâles 
ne  piquent  pas.  L'aiguillon  est  une  arme  purement 
défensive,  dont  l'insecte  ne  se  sert  que  pour  pro- 
téger sa  vie  ou  celle  de  son  couvain  ;  on  peut  sans 
danger  laisser  tous  les  Hyménoptères  so  poser  sur 
notre  corps. 

Dans  ces  porte-aiguillon  se  trouvent  d'abord 
les  MeUifiques,  formés  d'insectes  léchant  le  nectar 
des  fleurs  et  apportant  à  leurs  larves  une  pâtée 
de  miel  et  de  pollen.  Ils  ont  une  grande  utilité 
agri-ole  générale,  car,  en  butinant  sur  les  fleurs,  ils 
assurent  la  fécondité  de  beaucoup  d'entre  elles, 
surtout  les  Légumineuses,  les  Crucifères,  les  Com- 
posées ;  on  doit  apprendre  aux  enfants  h.  ne  jamais 
détruire  les  Mcllifiquis.  11  en  est  de  sociaux, 
réunissant  en  commun  une  ou  plusieurs  femelles 
fécondes,  des  mâles,  et  des  ouvrières  ou  femelles 
avortées,  à  la  fois  nourrices  des  larves  ou  couvain 
et  architectes  des  gâteaux  de  cire.  Tels  sont  les 
Abeilles  (V.  ce  mot),  et  les  Bourdo7is,  dont  les  socié- 
tés sont  une  dégradation  de  celles  des  abeilles.  Les 
nids  des  bourdons  sont  sous  terre,  ou  au  milieu  des 
mousses  ou  des  gazons  ;  les  larves  vivent  dans  des 
boules  grossières  do  raiel  et  de  pollen,  et  il  y  a  en 
outre  des  pots  de  cire  contenant  un  miel  très  fin, 
que  savent  recueillir  les  faucheurs.  Les  sociétés 
des  bourdons  ne  durent  qu'un  an  ;  tout  périt  à 
l'entrée  de  l'hiver,  sauf  de  grosses  femelles,  fé- 
condées au  début  de  l'automne  et  qui  passent 
l'hiver  engourdies  dans  des  trous.  Réveillées  par 
les  premiers  soleils  du  printemps,  elles  parcourent 
les  prés  et  les  bois  et  commencent  seules  les  nids, 
qu'agrandissent  bientôt  les  ouvrières  nées  de  la 
première  ponte  de  la  mère. 

La  plupart  des  MeUifiques  sont  solitaires  et  font 
des  nids  très  variés  où  les  femelles  pondent  leurs 
œufs  entourés  de  miel  et  de  pollen  ;  souvent  ces 
nids  sont  creusés  dans  la  terre  des  talus  (Antho- 
phoi-es),  ou  dans  les  vieux  troncs  d'arbre  et  les  po- 
teaux (Xylocopes  ou  Abeilles  charpentiers,  h  ailes 
violettes),  dans  les  murs  et  les  coquilles  de  coli- 
maçons (OsmiesU  ou  façonnés  en  terre  gâchée  et 
collés  aux  murailles  {Chalicodomes];les  Megachiles 
coupent  avec  leurs  mandibules  les  feuilles  de  rosier, 
de  bourdaine,  et  façonnent,  avec  les  morceaux  circu- 
laires, des  cornets  empilés  où  elles  pondent  ;  les 
Anthûcopes  tapissent  des  trous  en  terre  avec  les 
pétales  du  coquelicot  ;  on  peut  dire  que  leurs  en- 
fants naissent  dans  la  pourpre,  qui  entoure  le  nid 
d'une  collerette  éclatante. 

D'autres  Hyménoptères  porte-aiguillon  sont  les 
Guêpes  ou  Diploptéres,  ainsi  nommées  parce  que 
leurs  ailes  de  devant  se  plient  en  long  au  repos. 
Les  Guêpes  sociales  ont  dans  leurs  nids  ou  guê- 
piers les  trois  sortes  d'individus  que  nous  avons 
cités  pour  les  abeilles  et  les  bourdons.  Elles  ne  font 
pas  de  cire,  mais  édifient  les  alvéoles  hexagonaux 
de  leurs  gâteaux  avec  une  espèce  de  papier  formé 
de  fibres  de  bois  agglutinées  par  la  salive  de  l'in- 


INSECTES 


1020  — 


INSECTES 


socte  ;,  certains  alvéoles  contiennent  du  miel. 
Les  GuCpes  dévorent  les  fruits,  dont  elles  portent 
les  morceaux  à  leurs  larves  ;  elles  décliiquètent 
avec  leurs  mandibules  les  viandes  des  bouclieries 
de  villa^i;,  où  le  mieux  est  d'abandonner  à  leur  vo- 
racité un  foie,  sur  lequel  elles  se  jettent  de  pré- 
férence, il  cause  du  glucose  qu'il  renfi-rmo  ;  elles 
viennent  dans  les  maisons  dévorer  le  sucre,  les  pâ- 
tisseries, les  confitures.  Les  espèces  les  plus  nui- 
sibles sont  le  Frelon,  à,  piqûre  redoutable,  faisant 
un  guêpier  très  friable  dans  les  vieux  troncs;  la 
Guêpe  commune  et  la  Guêpe  germanique,  espèces 
très  voisines,  dont  les  guêpiers  sont  sous  terre. 
La  Gw'pe  silvcstre  attaclie  son  guêpier,  couvert 
de  feuillets  do  papier  gris,  aux  branches  des  ar- 
bustes. Les  Polistes  sont  do  petites  Guêpes,  peu 
nuisibles,  dont  les  guêpiers  sont  à  découvert,  sans 
enveloppes,  fixés  par  un  pédicule  aux  murs  de  jar- 
dins ou  aux  espaliers.  Il  faut  détruire  les  guêpiers 
à  l'eau  bouillante  ou  par  des  injections  de  pétrole: 
les  mères-guêpes  fécondées  passent  seules  l'iiiver, 
car  les  colonies  des  Guêpes  meurent  h  l'arrière- 
saison  ;  l'instituteur  recommandera  aux  enfants  de 
chasser  au  iilet  les  mères-guêpes  qu'ils  verront  au 
printemps  butijiant  sur  les  groseilliers-cassis  en 
fleurs;  chaque  femelle  écrasée  est  un  guêpier  de 
moins  pour  la  fin  de  l'été. 

Les  Guêpes  solitaires  ressemblent  d'aspect  aux 
Guêpes  sociales,  par  leurs  colorations  jaunes  et 
noires  et  leurs  ailes  de  devant  pliées  en  long  ;  mais 
leurs  mœurs,  très  différentes,  sont  celles  des  Fouis- 
seurs. Ces  derniers  sont  des  Hyménoptères  à  ailes 
non  pliées,  qui  approvisionnent  leurs  nids  d'une  fa- 
çon très  curieuse.  Leur  nourriture  consiste  en  nectar 
des  fleurs;  mais  la  nourriture  du  premier  état  est 
tout  autre,  car  les  larves  sont  carnassières  et  ont 
besoin  d'une  proie  toujours  fraîche  et  sans  défense. 
Les  femelles  creusent  des  nids  en  terre,  ou  dans  les 
branches  sèches,  ou  les  maçonnent  en  terre  gâchée  ; 
elles  y  apportent  des  insectes  de  toute  sorte,  non 
pas  tués,  mais  engourdis  et  anesthésiés  par  le 
venin  de  l'aiguillon,  etquirestentainsi,  pendantplii- 
sieurs  mois,  incapables  de  résister  aux  morsures 
des  larves.  Les  Sphex  apportent  des  criquets  et 
des  grillons,  les  bembex  des  diptères,  les  Ammo- 
phites,  à  très  long  abdomen  effilé  et  rougeâtre  au 
bout,  traînent  des  chenilles  nuisibles  jusqu'à  leurs 
nids,  creusés  sur  les  talus  de  sable  et  qu'il  ne  faut 
pas  détruire.  Quelques  fouisseurs  nous  sont  nui- 
sibles :  le  Phitanthe  opù'ûî'e  emporte  au  vol,  dans  son 
terrier,  ventre  contre  ventre,  l'Abeille  domestique 
engourdie  par  son  venin  ;  les  Pélopées  et  les  Poni- 
piles  ravissent  les  araignées,  qui  sont  si  utiles, 
pour  approvisionner  leurs  nids. 

Les  Fourmis  sont  des  Hyménoptères  véritable- 
ment anormaux,  formant  des  sociétés  de  mâles  et 
do  femelles  ;  seules  ailées,  les  femelles  perdent  leurs 
ailes  après  l'accouplement  qui  suit  l'essaimage; 
d'ouvrières  sans  ailes,  architectes  des  fourmilières 
et  nourrices  des  larves;  parfois  de  soldats  h  fortes 
mandibules.  Les  larves  et  les  nymphes,  qu'on 
appelle  à  tort  œufs  de  fourmis,  sont  ti'ès  recher- 
chées pour  nourrir  les  jeunes  oiseaux  de  faisan- 
derie et  de  volière.  Elles  sont  l'objet  do  la  con- 
tinuelle sollicitude  des  ouvrières,  qui  les  por- 
tent de  place  en  place  dans  la  fourmilière,  aux 
endroits  les  plus  chauds  et  les  moins  humides.  Les 
Fourmis  se  nourrissent  de  gommes  et  de  sucs  vé- 
gétaux, de  débris  de  fruits,  d'insectes  blessés  ou 
récemment  morts  et  même  d'insectes  vivants.  Il  en 
est  qui  ne  savent  pas  nourrir  et  élever  leurs  lar- 
ves ;  après  la  ponte  une  fureur  guerrière  anime  ces 
amazones.  Elle  vont  â  l'assaut  des  fourmilières 
d'espèces  à  instinct  maternel  bien  développé,  em- 
portent comme  esclaves  les  jeunes  fourmis  ouvriè- 
res, encore  en  nymphes.  Celles-ci,  à  l'éclosion, 
trouvant  dos  enfajits  à  élever  dans  leurs  nouvelles 
habitations,  no  s'inquiètent  pas  de  la  provenance 


et  prennent,  pour  toute  leur  vie,  l'état  de  nourri- 
ces sur  lieu. 

Beaucoup  de  Fourmis  parcourent  sans  cesse  les 
plantes  chargées  de  cochenilles  et  de  pucerons, 
les  caressant  de  leurs  antennes,  afin  de  leur  faire 
éjaculeruneliqueursucrée,  dentelles  sontfriandea, 
ce  qui  a  fait  dire  à  Huber  :  «  Qui  aurait  cru  que  les 
fourmis  fussent  des  peuples  pasteurs  I  »  Parfois 
les  fourmilières  sont  établies  autour  de  racines 
chargées  de  pucerons,  et  les  Fourmis  ont  alors 
leurs  vaches  à  l'étable. 

Il  ne  faut  pas  détruire  en  général  les  Fourmis 
des  bois,  parce  qu'elles  nous  délivrent  de  beau- 
coup d'insectes  nuisibles  aux  arbres.  11  est  néces- 
saire d'empêcher  les  Fourmis  de  grimper  après 
les  .arbres  à  fruit,  soit  parce  qu'elles  dévorent  les 
fruits  ou  bien  qu'elles  excitent  outre  mesure  les 
pucerons,  au  détriment  de  l'arbre  qu'ils  épuisent 
pour  refaire  leur  miellat  sucré.  On  enduit  le  bas 
de  l'arbre  de  glu  ou  de  craie,  qui  s'éboule  sous  les 
pattes  des  Fourmis.  Quant  aux  Fourmis  qui  enva- 
hissent les  maisons,  pour  dévorer  le  sucre,  le  cho- 
colat et  diverses  provisions,  ou  bien  pour  celles 
qui  pénètrent  sous  les  châssis  vitrés,  le  mieux  est 
de  les  attirer  dans  des  éponges  pleines  de  mélasse, 
qu'on  Jette  ensuite  dans  l'eau  bouillante.  C'est  par 
des  aspersions  d'eau  bouillante  ou  do  pétrole  qu'on 
détruit  les  fourmilières. 

Les  Fourmis  se  divisent  en  trois  groupes  :  1"  les 
Fourmis  vraies,  dépourvues  d'aiguillon  et  dont  les 
nymphes  sont  en  général  entourées  de  cocons  ; 
elles  lancent  en  abondance  de  l'acide  formique 
quand  on  bouleverse  la  fourmilière  ;  v°  les  Potières, 
qui  ont  un  nœud  au  pédicule  de  l'abdomen,  un 
aiguillon  et  des  cocons  autour  des  nymphes  ;  S"  les 
Mf/rmirjues,  ayant  deux  nœuds  au  pédicule  de 
l'abdomen,  un  aiguillon  sensible  à  1  homme  dans 
les  grandes  espèces,  et  dont  les  nymphes  restent 
nues.  A  ce  dernier  groupe  appartient  une  espèce 
du  midi  de  la  France,  de  Corse  et  d'Algérie,  VAltri 
strwtor,  très  nuisible  aux  jardins  et  aux  champs, 
car  elle  amasse  dans  de  grands  trous  enterre  des 
graines  de  céréales,  de  plantes  fourragères,  de  lé- 
gumes, etc.,  provisions  d'hiver  que  mangent  ces 
Fourmis,  quand  l'amidon  de  ces  graines  a  subi  un 
commencement  de  transformation  en  sucre.  C'est 
ce  genre  Atta  qui  a  donné  lieu  aux  fables  qui  cé- 
lèbrent la  prévoyance  des  Fourmis;  les  Fourmis 
du  nord  meurent  ou  s'engourdissent  en  hiver,  et 
ne  font  pas  de  provisions  comme  les  Fourmis 
7noissonneuses  du  midi  de  l'Europe. 

D'autres  Hyménoptères  du  premier  sous-ordre 
sont  appelés  Térébrants,  parce  que  l'aiguillon  de 
la  femelle  est  transformé  chez  eux  en  un  tube  ou 
tarière,  de  longueur  très  variable  et  par  lequel 
passe  l'œuf.  La  plupart  sont  des  enlomopharies 
internes  :  au  lieu  de  donner  à  leurs  larves  une 
proie  vivante  engourdie,  ils  percent  la  peau  des 
larves  et  des  chenilles  vivantes  et  pondent  leurs 
œufs  à  l'intérieur.  Les  larves  qui  en  sortent  vivent 
d'abord  du  tissu  graisseux  sans  attaquer  les  orga- 
nes vitaux  essentiels,  de  manière  h.  prolonger 
le  plus  possible  la  vie  de  leurs  victimes;  puis  elles 
se  filent  des  cocons  soit  k  l'intérieur  du  cadavre, 
soit  aussitôt  après  en  être  sorties  en  perforant  la 
peau.  Bien  plus  utiles  que  les  oiseaux,  ces  ento- 
mophages  internes  sont  les  grands  protecteurs  de 
l'agriculture,  en  détruisant  k  leur  premier  état 
un  nombre  énorme  d'insectes  nuisibles.  Les  insti- 
tuteurs doivent  comprendre  le  danger  d'organiser 
leurs  élèves  au  hasard  en  sociétés  de  destructeurs 
d'insectes  indistinctement;  au  contraire,  qu'ils 
leur  recommandent  le  respect  des  entomophagos. 
Ces  entomophages  courent  sur  les  talus,  les  murs, 
les  troncs  des  arbres  et  des  arbustes,  agitant  sans 
cesse  leurs  longues  et  grêles  antennes,  en  quête 
de  victimes  par  l'ouïe  et  l'odorat.  Les  grandes  espè- 
ces nous  présentent  les  Ichneumons,  les  Trogues, 


INSECTES 


—  i030  — 


INSECTES 


les  Tryphoiis,  les  Ophions  h  l'abdomen  comprimé 
en  faucille;  tous  ces  gejires,  à  tarière  courte,  atta- 
quent les  larves  et  les  clienilles  qui  vivent  à  dé- 


.  —  Oiihion  obscur. 


couvert  ;  les  Cryptes,  les  Pimples,  les  Ephialfes, 
au  contraire,  à  très  longue  tarière  saillante,  parais- 
sant formée  de  trois  soies,  interrogent  les  vieux 


Fig.  9.  —  Pimplc  manifestateur  femelle. 

arbres  pour  introduire  leur  tarière  dans  les  larves 
qui  ont  creusé  leurs  galeries  à  l'intérieur.  Les 
petites  espèces,  encore  plus  utiles,  sortent  par 
centaines  d'une  seule  clienille;  une  espèce  de 
Microijastre  détruit  la  funeste  chenille  du  papil- 
lon blanc  du  chou,  et  ses  larves  filent  à  coté  du 
corps  amaigri  de  la  chenille  mourante  des  amas 
de  petits  cocons  jaunes,  que  les  jardiniers  doivent 
bien  se  garder  d'enlever  ;  on  voit  briller,  dans  la 
sombre  verdure  des  luzernes,  les  amas  de  cocons 
blancs  d'un  autre  Microgastre,  recouvrant  le  corps 
de  chenilles  de  noctuelhis  d'où  les  larves  sont 
sorties;  le  fermier  a  lieu  de  se  réjouir  quand  ses 
sacs  de  blé  se  recouvrent  de  légions  de  petits 
Chalcidiens  d'un  vert  métallique,  car  ils  ont  dé- 
truit les  larves  de  la  calandre  ou  cliarançon  des 
grains;  de  microscopiques  entomophages  se  déve- 
loppejit  dans  un  seul  œuf  de  papillon  et  anéantis- 


sent les  pontes  de  beaucoup  de  Bombyciens  nuisi- 
bles. 

Les  Cynips  ont  en  général  d'autres  mœurs  ;  les 
femelles  percent  les  végétaux  avec  leur  tarière,  et 
un  afflux  de  sève  produit  des  galles  autour  des 
œufs,  les  larves  se  nourrissant  de  la  fécule  de  la 
galle.  La  forme  des  galles  est  très  variée  ;  les  bé- 
chyuars  ou  galles  des  églantiers  sont  chevelues. 
Le  chêne  offre  beaucoup  de  galles  diverses;  c'est 
un  Cynips  qui,  en  Algérie  et  dans  le  midi  de  la 
France,  fait  naître  sur  les  feuilles  de  chêne  des 
galles  sphériques  et  dures,  dites  noix  de  galle, 
très  riches  en  tannin,  servant  à  faire  l'encre  et  les 
teintures  noires  :  l'adulte  sort  de  la  galle  en  y  per- 
çant un  trou  circulaire. 

Un  second  sous-ordre,  les  Hyménoptères  a  abdo- 
men SEssiLE,  renferme  des  insectes  i  corps  épais, 
dont  l'abdomen  est  largement  implanté  sur  le 
thorax  ;  les  femelles  sont  munies  d'une  tarière  de 
ponte,  agissant  par  son  tranchant  dentelé,  pour 
pratiquer  au  pétiole  des  feuilles  ou  dans  les  tiges 
des  entailles  dans  lesquelles  elles  déposent  leurs 
œufs,  ce  qui  fait  donner  à  ces  Hyménoptères  le 
nom  de  Mouches  à  scie.  Les  larves  sont  munies 
de  pattes  et  ornées  de  couleurs  variées,  souvent 
vives;  elles  séjournent  presque  toutes  à  l'air  libre 
sur  les  végétaux  qu'elles  dépouillent  de  leur 
feuillage,  se  déplaçant  avec  facilité.  Leur  ressem- 
blance avec  les  chenilles  de  papillons  les  a  fait 
nommer  fati<ses  chenilles;  le  nombre  des  pattes 
est  autre  que  chez  les  vraies  chenilles,  étant  infé- 
rieur à  huit  ou  supérieur  à  seize.  Beaucoup  s'en- 
roulent quand  on  les  touche  et  laissent  suinter 
une  liqueur  acre,  d'odeur  forte,  qui  les  protège 
contre  les  oiseaux.  Ces  larves  doivent  souvent  être 
détruites  par  l'échenillage,  et  sont  très  nuisibles 
par   leur    voracité  aux  bouleaux,  aux  aulnes,  aux 


Fig.  10.  —  Lophyre  du  pio,  mâle,  gro; 


rosiers,  aux  arbres  fruitiers,  aux  arbres  verts,  etc. 
Les  pins  ont  beaucoup  à  souffrir  des  mandibules 
des   fausses  chenilles  du  Lophyre  du  pin,  Linné, 


dont  le  mâle  a  de  larges  antennes  pectinécs, 
comme  les  Bombyciens;  il  faut  couper  et  brûler 
les  extrémités  des  branches  chargées  des  amas  de 


INSECTES 


—  io:m  — 


INSECTES 


petits  cocons  bruns  filés  par  les  larves.  Les  Cim- 
bex  comptent  parmi  les  plus  grosses  mouches  à 
scie;  ainsi  le  (  imhex  vanntde,  vivant  snr  le  saule 
le  bouleau,  le  liêtre.  Le  Cèpke  pygmde,  Linné,  en- 
taille la  tige  (lu  froment  au-dessous  de  l'épi  ;  la 
larve  descend  à  l'intérieur  de  la  tige  qu'elle  ronge, 
faisant  avorter  l'épi,  et  se  filant  un  cocon  près  de 
la  racine.  11  faut  arraclier  et  brûler  les  chaumes 
après  la  moisson  et  passer  la  terre  au  rouleau 
compresseur,  ou  bien  alterner  la  culture,  si  on 
veut  détruire  tout  à  fait  la  funeste  engeance. 

in.  Ordre  a  adultes  siceuks,  a  larves  buoveuses. 

£>"  Lépidoptères  ou  Papillons,  i  métamorphoses 
complètes.  Nous  leur  consacrons  un  article  spécial 
au  mot  Papillon. 

IV.  Ordres  dont    les  larves  comme  les   adultes 

ONT  LA  BOUCHE  CONFORMÉE  POUR  LA  SUCCION. 

C°  Hémiptères,  à  métamorphoses  incomplètes. 
La  bouche  se  relie  à  un  rostre  de  succion,  rigide, 
articulé,  placé  au  repos  sous  la  poitrine,  essen- 
tiellement formé  de  quatre  lancettes  perforantes, 
provenant  des  mandibules  et  des  mâchoires  trans- 
formées. 

Le  sous-ordre  des  Hétéropti'-res  présente  les 
ailes  inférieures  entièrement  membraneuses,  tan- 
dis que  les  supérieures  ou  hémHytres  sont  coria- 
ces b.  leur  base,  membraneuses  seulement  au  bout. 
On  réunit  tous  ces  insectes  sous  le  nom  général 
de  Punaises.  Les  unes,  les  Punaises  d'eau,  qui 
piquent  fortement  avec  leur  rostre  quand  on  les 
saisit,  vivent  dans  les  eaux  douces  h  tous  leurs 
états,  carnassières  d'insectes,  de  mollusques ,  de 
frai  de  poisson.  Telles  bont  les  Népes  et  les  Rnnâ- 
tres,  à  l'affût  dans  la  vase,  saisissant  leur  proie 
avec  la  patte  antérieure  transformée  en  pince  ra- 
visseuse, comme  chez  les  Mantes,  et  les  Notonectes 
ou  Punaises  h  avirons,  qui  nagent  renversées  sur 
le  dos,  à  l'aide  leurs  longues  pattes  postérieures 
aplaties  et  ciliées. 

Les  Punaises  terrestres  ont  des  genres,  comme  les 
Hydromèlres  et  les  Gerris,  qui  n'entrent  pas  dans 
l'eau,  mais  courent  sur  sa  surface  pour  chasser  leur 
proie,  soutenues  par  un  effet  de  capillarité  sous 
leurs  tarses,  comme  une  aiguille  d'acier  graissée 
qui  llotte  sur  l'eau.  La  Punaise  des  lits,  dont  le 
rostre  acéré  fait  naître  des  pustules,  est  privée 
d'ailes,  même  chez  les  adultes  ;  on  la  détruit  par- 
faitement au  moyen  de  la  poudre  de  pyrèthre 
Vicat,  non  éventée,  insufflée  dans  les  trous 
de  refuge.  Elle  a  pour  correctif  une  longue  pu- 
naise, volant  très  bien,  qui  fait  la  chasse  dans  les 
maisons  à  la  punaise  des  lits  et  aux  mouches  do- 
mestiques ;  on  la  nomme  le  Itéduve  masqué,  parce 
que  la  larve  masque  sa  présence  en  s'entourant  de 
flocons  de  poussière.  Il  ne  faut  pas  toucher  aux 
Kéduves,  car  ils  piquent  très  cruellement,  avec 
leur  rostre  imprégné  d'une  salive  venimeuse. 

Dans  les  jardins  potage'rs  et  les  vergers  se  trou- 
vent les  Pentatomes  (à  antennes  de  cinq  articles), 
répandant  une  odeur  infecte  ;  plusieurs  espèces 
percent  les  légumes,  notamment  les  feuilles  des 
navets  et  des  choux,  et  sont  très  nuisibles  ;  la 
Pentatome  qrise  et  la  Pent'ito/ne  verte,  communes 
sur  les  framboisiers,  les  groseilliers  et  les  arbres 
fruitiers,  donnent  une  mauvaise  odeur  aux  fruits 
sur  lesquels  elles  courent.  Les  Scuteltéres  présen- 
tent un  écusson  prolongé  en  pointe  jusqu'au  bout 
de  l'abdomen  ;  les  Tinqis  sont  bordés  d'expansions 
foliacées,  et  une  espèce,  dite  le  Tigre  du  poirier, 
fait  beaucoup  de  tort  aux  poiriers  en  espaliers,  cri- 
blant leurs  feuilles  de  trous.  Les  Lijgées  sont  peu 
nuisibles;  ornées  de  vives  couleurs  rouges  et  noi- 
res, elles  vivent  en  familles  sur  beaucoup  de  vé- 
gétaux. Lai  Li/gée  aptère,  généralement  privée  d'ai- 
les, est  très  commune  à  la  base  du  tronc  des  til- 
leuls  de   nos  promenades  et  au  bas  des  murs  de 


jardin  ;  les  paysans  des  environs  de  Paris  l'appe- 
laient autrefois  le  Suisse,  à  cause  de  l'uniforme 
rouge  des  troupes  suisses  au  service  de  la  France. 

Les  Hémiptères  Homoptères,  formant  un  second 
sous-ordre,  ont  les  quatre  ailes  plus  ou  moins  ana- 
logues dans  toute   leur  étendue. 

Les  Cigales  ont  les  quatre  ailes  membraneuses, 
les  inférieures  plus  petites. 
Les  mâles  ont  â  la  base  du 
ventre   un    appareil   sonoie       '', 
très  bruyant.  Deux  grandes  "    ^ 

cavités,  formant  tambour  de 
résonnance,  et  recouvertes 
de  volets ,  présentent  un 
tympan  membraneux  sec, 
que  fait  vibrer  une  sorte 
d'archet.  Nous  en  avons  trois 
espèces.  La  plus  grande  est 
la  Cigale  du  fn^ne  ou  pie 
béienne,  qui  remonte  jns 
qu'à  Fontainebleau.  La  (  i 
gale  de  l'orne  (arbre  voisni 
du  frêne)  est  plus  méridio- 
nale; la  Cigale  sanglante, 
ainsi  nommée  à  cause  de 
ses  marques  rouges ,  vit 
dans  les  vignes  du  sud-ouest 
de  la  France.  Les  femelles 
des  cigales  ont  une  tarière 
de  ponte,  perforant  les  bran- 
ches pour  déposer  les  œufs; 

les  larves  sucent  les  feuilles       ^ 

et  les  bourgeons,  les  nym- 
phes vivent    accrochées    au 

pied  des  arbustes.  Ces  insectes  sont  peu  nui- 
sibles. 

Les  Aphropliores,  dont  les  adultes  sautent  avec 
agilité,  ont  des  larves  qui  font  sortir  la  sève  des 
plantes  sous  la  succion  de  leur  rostre  et  vivent 
entourées  de  sève  écumcuse,  en  amas  qu'on 
nomme  crachat  de  coucou,  crachat  de  grenouille, 
et  qu'il  faut  enlever  et  brûler,  car  ces  larves  épui- 
sent les  plantes. 


Fig.  liî.  —  Larves  d'.\.phrophûri;  écuraeuse. 

De  petits  insectes  sauteurs  à,  leurs  divers 
états,  qu'on  réunit  souvent  sous  le  nom  de  Cica- 
delles,  abondent  en  automne  sur  beaucoup  de 
plantes  ;  les  vignes  sont  souvent  couvertes  par  un 
minuscule  représentant  de  ce  groupe,  de  couleur 
verte,  criblant  les  feuilles  de  trous  (Kyt>os  sma- 
rag'lulus,  Fallen),  que  beaucoup  de  vignerons  con- 
fondent avec  le  phylloxéra. 

Ce  sont  les  Homoptères  dégradés,  demeurant  à 
poste  fixe  sur  les  plantes  où  ils  s'attachent  par  leur 
rostre,  qui  sont  les  plus  redoutables.  Les  Psyltes, 


INSECTES 


—  1032 


INSECTES 


qui  sautent  à  l'état  adulte,  sont  sédentaires  h 
l'état  de  larves  et  de  nymphes,  ces  dernières  pa- 
raissant entourées  de  collerettes,  qui  sont  des 
fourreaux  d'ailes.  La  Psi/l/e  du  figuier  se  rencon- 
tre sur  tout  le  pourtour  de  la  Àléditerranoe  ;  la 
Psylle  du  iuis  remplit  de  ses  larves  les  bourgeons 
du  buis,  qui  se  renflent  en  boules  et  qu'il  faut 
couper  et  brûler  ;  d'autres  Psylles  font  beaucoup 
de  tort  aux  poiriers. 

Les  Pucerons  ou  Aphidiens  ont  des  espèces 
spéciales  à  cliaque  plante.  Pendant  toute  la  belle 
saison  il  n'y  a  que  des  femelles,  qui  se  succèdent 
continuellement,  mettant  au  jour  de  petites  lar- 
ves toutes  femelles  qui  sortent  vivantes  de  l'abdo- 
men de  la  mère,  sans  le  concours  d'aucun  mâle. 
Quand  les  plantes  s'épuisent,  certaines  de  ces 
femelles,  dites  de  migrnlion,  prennent  quatre 
ailes,  et,  à  l'aide  du  vent,  propagent  sur  d'autres 
plantes  l'espèce  funeste;  c'est  ce  qu'on  voit  très 
bien  sur  le  Puceron  vert  du  rosier.  Aux  premiers 
froids  seulement  naissent  des  mâles  ailés,  qui 
s'accouplent  à  des  femelles  sans  ailes.  Celles-ci 
pondent  alors  des  œufs,  qui  passent  l'iiiver  au- 
tour des  bourgeons,  et  d'où  naissent  au  printemps 
des  femelles  vivipares,  qui  recommencent  le  cycle 
destructeur. 

Beaucoup  de  pucerons  éjacuient  un  miellat  su- 
cré, qui  attire  les  fourmis  ;  ces  gouttes  sucrées, 
tombant  sur  les  feuilles  et  les  fruits,  servent  de 
terreau  à.  un  cryptogame  noir,  la  fumagine,  qui 
arrête  la  respiration  des  végétaux.  Souvent  du  corps 
des  pucerons  suintent  des  filamejits  de  cire  blan- 
che, qui  semblent  un  duvet  laineux.  C'est  ce  qu'on 
remarque  surtout  sur  le  Puceron  lanigère  du 
pommier,  espèce  redoutable,  importée  d'Amérique 
à  la  fin  du  siècle  dernier.  Elle  fait  périr  les  pom- 
miers, qui  se  couvrent  de  nodosités.  En  hiver  une 
partie  de  ces  pucerons  lanigères  se  porte  sur  les 
racines,  et  échappe  ainsi  aux  agents  destructeurs. 
Il  faut  badigeonner  au  pinceau  ces  pucerons  avec 
de  l'huile  minérale,  ou  flamber  les  branches  à  la 
torche,  ces  deux  moyens,  bien  entendu,  avant 
l'épanouissement  des  bourgeons.  Les  procédés 
généraux  de  destruction  des  pucerons  sont  d'en- 
lever à  la  fin  de  l'hiver  les  bouts  de  rameaux 
chargés  d'œufs  et  de  les  brûler,  d'asperger  en  été 
les  pucerons  avec  un  lait  de  chaux  mêlé  d'acide 
phénique,  ou  des  lotions  de  jus  de  tabac,  des  fu- 
migations de  tabac  sous  les  châssis,  etc. 

Il  y  a  des  pucerons  dont  les  succions  détermi- 
nent des  galles  végétales,  qui  se  remplissent  de 
larves  dans  un  duvet  cireux  ;  certains  pucerons 
souterrains  vivent  sur  les  racines  des  légumes, 
des  céréales,  des  arbres.  Bien  des  personnes  les 
confondent  avec  le  phylloxéra  de  la  vigne;  de 
là  ces  récits  erronés,  ou  que  le  phylloxéra  va 
passer  sur  les  blés,  ou  bien  qu'il  suffit  de  semer 
certaines  plantes  entre  les  ceps  pour  en  détour- 
ner le  phylloxéra  et  sauver  la  vendange. 

Les  Cochenilles  sont  aussi  nuisibles  que  les  pu- 
cerons. Chez  ces  insectes  les  femelles  n'ont  jamais 
d'ailes  et  se  fixent  aux  tiges  ou  sous  les  feuilles 
par  leur  rostre  ;  les  jardiniers  les  nomment  poux, 
punaises,  tigres  sur  bois,  tigres  sur  feuilles.  A 
certaines  époques  apparaissent  pendant  quelques 
jours  des  mâles  très  petits,  à  deux  ailes,  l'abdo- 
men ordinairement  terminé  par  deux  grêles  filets 
blancs  ;  ils  ne  vivent  que  pour  féconder  les  fe- 
melles. De  même  que  chez  les  pucerons,  beau- 
coup de  femelles  ont  des  exsudations  sucrées  que 
recherchent  les  fourmis,  et  qui  donnent  nais- 
sance, par  leur  aspersion  sur  les  végétaux,  à  la 
fumagine,  avec  les  accidents  qui  en  résultent.  La 
plupart  des  femelles  se  couvrent  par  suintement 
de  filaments  blancs  cireux. 

Dans  un  premier  groupe  de  Cochenilles,  celui  des 
Lécanules  ou  Kermès,  les  anneaux  s'efi'acent  chez  les 


sent  sous  leur  corps  les  œufs  qu'elles  pondent,  puis 
meurent,  la  peau  du  ventre  se  collant  à  celle  du  dos, 
de  façon  que  les  œufs  sont  protégés  par  une  ca- 
rapace dure,  souvent  entourée  de  filaments  blancs. 
Une  espèce  couvre  de  ses  coques  roussàtres  les 
vignes  de  treille;  une  autre  parsème  d'écaillés 
blanchâtres  le  dessous  des  feuilles  de  laurier-rose; 
une  autre  espèce,  dite  Kermès  coquille,  vit  par 
milliers  sur  les  écorces  des  pruniers,  des  pom- 
miers et  surtout  des  poiriers,  avec  de  petites  co- 
ques brunes  et  arquées  en  virgule,  comme  une  mi- 
nuscule coquille  de  moule. 

Le  groupe  des  Coccides  est  encore  plus  nuisi- 
ble, parce  que  les  femelles  demeurent  errantes  et 
disséminent  partout  leurs  flocons  cireux  et  leur 
miellat;  elles  pondent  leurs  œufs  dans  un  nid  coton- 
neux derrière  elles,  et  non  sous  leur  corps,  qui  ne- 
se  dessèche  pas  et  reste  annelé.  A  ce  groupe  ap- 
partiennent deux  espèces  utiles,  originaires  du 
Mexique,  les  Cockeyiilles  proprement  dites  ou 
graines  il' écurlafe .  On  cultive  l'une  d'elles  en  Al- 
gérie sur  le  cactus  nopal,  et  le  corps  desséché  des 
femelles  fournit  le  carmin,  la  plus  riche  teinture 
rouge  connue.  Une  espèce  est  très  nuisible  aux 
orangers  et  aux  citronniers,  dans  l'extrême  midi  de 
la  France  ;  une  autre,  le  pou  blanc  des  serres,  cause 
de  grands  dégâts  dans  les  serres  chaudes.  On  em- 
ploie en  général,  pour  détruire  les  cochenilles,  les 
mômes  moyens  qu'à  l'égard  des  pucerons,  des 
badigeons  de  lait  de  chaux  phénique,  de  jus  de 
tabac,  des  enduits  de  savon  noir  mêlé  i  la  fleur  de 
soufre. 

Il  est  une  très  importante  remarque,  commune 
aux  pucerons  et  aux  cochenilles,  et  qui  concerne 
un  préjugé  très  répandu.  Ces  Homoptères  prédo- 
minent sur  les  plantes  de  serre  ou  d'orangerie  et 
sur  les  végétaux  bien  abrités  des  jardins,  plutôt 
que  sur  les  sujets  des  bois  et  des  champs.  Ce 
n'est  nullement  qu'ils  aient  une  préférence  pour 
les  végétaux  affaiblis  par  le  premier  mode  de  cul- 
turc,  mais  seulement  parce  qu'ils  sont  bien  moins 
diminués  dans  ces  conditions  par  les  influences 
atmosphériques  et  par  les  entomophages  internes. 
Les  Phylloxéras  (auxquels  nous  consacrons  un 
article  h  part)  sont  intermédiaires  entre  les  puce- 
rons et  les  cochenilles. 

7°  Diptères,  h  métamorphoses  complètes.  Au 
premier  aspect  ces  insectes  semblent  n'avoir  que 
deux  ailes,  ce  qui  a  donné  le  nom  h  l'ordre.  En 
réalité  ils  en  ont  quatre,  la  seconde  paire  d'ailes 
étant  constituée  parles  bahmcicrs,  formés  par  une 
tige  grêle,  terminée  par  un  bouton  renflé;  ces 
balanciers  sont  en  vibration  rapide  pendant  le  vol, 
auquel  ils  sont  indispensables,  car  lo  diptère 
cesse  de  voler  si  on  coupe  ses  bali)nciers  avec  de 
fins  ciseaux.  On  voit  très  bien  ces  balanciers  chez 
les  Tipules,  si  communes  dans  les  jardins.  La 
bouche  des  Diptères  est  entourée  do  pièces  de 
succion  très  variées,  tantôt  molles  et  n'agissant 
que  sur  des  liquides  ou  des  substances  visqueuses, 
ainsi  cliez  les  mouches;  tantôt  en  stylets  acérés, 
en  dards  rigides,  perforant  la  peau  de  l'homme  et 
des  animaux  pour  sucer  le  sang.  11  ne  faut  jamais 
laisser  les  Diptères  demeurer  posés  sur  notre 
corps,  car  certains  cherchent  à  nous  piquer  pour 
se  nourrir;  on  peut,  au  contraire  des  Hyménoptères 
porte-aiguillon,  saisir  tous  les  Diptères  entre  les 
doigts,  même  les  Diptères  charbonneux,  car,  para- 
lysés par  la  peur,  ils  ne  songent  pas  alors  à  leur 


alimentation  et  ne  nous  font  aucun  mal. 

Un  premier  sous-ordre,  les  NÉiiocÈnES,  nous 
présente  des  antennes  variées,  mais  assez  longues 
et  bien  visibles.  Tels  sont  les  Cousins  et  les  Moics- 
tigues,  dont  les  larves  et  les  nymphes  vivent  dans 
les  eaux  croupies  et  respirent  par  des  branchies. 
Ils  piquent  l'homme  et  les  animaux  avec  une 
trompe  très  grêle  et  sont  le  fléau  des  pays  humides. 


femelles,  qui  demeurent  toujours  fixées.  Elles  pous-  1  soit  chauds,  soit  froids.  Les  Tipulid'js,  qui  ont  une 


INSECTES 


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INSECTES 


trompe  courte  et  épaisse  et  de  longs  et  grêles 
balanciers,  ne  piquent  pas.  Parmi  les  CInrononies 
(genre  appartenant  aux  Tipulides),  une  espèce 
à  antennes  plumeuses  a  une  larve  d'un  rouge 
do  sang  qui  vit  sous  l'eau  dans  le  sable;  c'est 
le  ver  de  vase  des  pôcliours  h  la  ligne.  Les  Ti- 
pules  terrestres  ont  le  corps  élancé,  avec  le  tho- 
rax renflé,  le  bout  de  l'abdomen  renflé  chez  le 
mâle,  terminé  chez  la  femelle  en  longue  tarière 
rétractile,  pour  pondre  dans  la  terre  humide. 
Elles  se  balancent  pondant  des  heures  entières, 
appuyées  sur  les  feuilles  par  leurs  pattes  très 
longues  et  très  grêles,  qui  rappellent  celles  des 
Faucheurs  (Arachnides;.  Une  espèce,  la  Tipule  des 
potagers,  Linné,  est  très  nuisible   aux   légumes. 


les  ailes  vibrantes,  sous  les  rayons  du  soleil.  Cer- 
tains genres  nous  sont  très  utiles  dans  les  jardins, 
par  li'urs  larves,  appelées  souvent  vers  limanrs, 
sans  pattes,  à  tête  effilée,  rampant  sur  les  feuille* 
des  arbres  fruitiers,  des  groseilliers  et  des  plantes 
de  jardins,  pour  sucor  les  pucerons  et  les  che- 
nilles des  petites  espèces  de  papillons,  qui  sont 
les  plus  nuisibles.  A  cette  tribu  appartiennent  les 
Voiuce/les,  dont  certaines  espèces,  à  corps  paré 
de  bandes  jaunes  et  noires,  pénètrent  pour  pondre 
dans  les  nids  dos   frelons  et  des  guêpes;  leurs 


l'iîT.  li.  —  liimlL-  des  potagers,  pomlaiit. 

dont  ses  larves  allongées,  sans  pattes,  à  peau 
cuirassée  et  grise  (  Vers  à  jaquette  de  cuir  des 
Anglais)  dévorent  les  racines.  Les  Cécidomyies 
sont  de  petites  Tipulides  dont  les  femelles  per- 
cent les  végétaux  avec  leur  tarière  pour  y  pon- 
dre leurs  œufs ,  et  font  souvent  naître  des 
galles  où  vivent  leurs  larves.  Plusieurs  espèces 
perforent  les  jeunes  poires  qui  tombent  bientôt, 
et  deux  minuscules  Cécidomyies,  l'une  jaune, 
l'autre  noire,  s'abattent  en  troupes  sur  les  blés, 
leurs  larves  vivant  dans  le  grain  ;  on  est  souvent 
forcé  d'alterner  la  culture,  pour  s'en  débarrasser. 

Les  Simulies,  qui  piquent  l'homme,  les  chevaux 
et  le  bétail,  sont  dangereuses  parce  qu'elles  ont 
souvent  sucé  des  animaux  malades  ou  des  cada- 
vres, et  peuvent  inoculer  dans  le  .sang  la  bactéridie 
du  charbon. 

L'autre  sous-ordre  des  Diptères,  celui  des  Bra- 
CHïcÉREs,  n'a  que  de  très  courtes  antennes.  Les 
balanciers  très  courts  sont  souvent  entourés  de 
membranes  blanchâtres,  les  cueillerons.  LesAsi/es, 
h  corps  élancé,  à  pattes  velues  et  robustes,  sont 
des  carnassiers  qui  saisissent  au  vol  dans  les 
champs  et  les  sentiers  des  insectes  vivants  qu'ils 
percent  de  leur  rostre.  VAsile-fnVon,  ayant  les 
couleurs  d'une  guêpe,  volo  au  soleil,  se  posant 
fréquemment  sur  les  mottes  de  terre;  les  autres 
Asiles  sont  gris.  Les  Dusypngi.ns,  à  corps  noir  et 
luisant,  ont  les  mêmes  moeurs  et  sont  des  bois.  Le 
groupe  des  Si/rplics  comprend  des  Diptères  à  vol  I 
très  rapide,  demeurant  souvent  on  vol  stationnaire,  I 


Fig.  15.  —  Volucellc  zonaria,  adulte. 

larves  grises,  à  peau  cuirassée  et  épineuse  défiant 
l'aiguillon,  se  repaissent  du  couvain.  Les  Taons 
sont  des  Diptères  à  corps  robuste,  large,  aplati,  la 
tète  portant  une  trompe  droite  et  acérée.  En  été, 
leurs  bourdonnements  irritent  et  épouvantent  les 
chevaux  et  les  bœufs,  dont  le  sang  coule  bientôt 
sous  les  taons  fixés  à  la  peau  pour  aspirer  le  sang. 
A  côté  des  Taons  propremejit  dits  et  plus  petits, 
sont  d'élégants  Diptères  à  ailes  diaprées  de  brun, 
qui  piquent  également  l'homme  et  les  animaux  do- 
mestiques; l'un  est  le  Chrysops  aveuglant,  h  gros 
yeux  d'un  vert  doré,  l'autre  est  V Hémutopnte  plu- 
vial, qui  ne  pique  que  par  les  temps  d  orage  et 
après  la  pluie.  Les  piqûres  de  tous  ces  taons  sont 
douloureuses,  mais  sans  danger  de  charbon,  car 
ces  insectes  ne  suceni  pas  les  cadavres. 

C'est  aux  Brachycères  qu'appartient  l'immense 
tribu  des  Musciens  ou  Mouclies,  dont  certaines  es- 
pèces nous  rendent  des  services,  tandis  que  nous 
ne  connaissons  les  autres  que  par  leurs  méfaits. 
Les  larves  sans  pattes,  à  tête  pointue,  générale- 
ment blanchâtres,  sont  appelées  asticots;  elles  ne 
changent  pas  de  peau  pour  devenir  nymphes,  mais 
la  dernière  peau  de  la  larve  devient  dure,  brune 
ou  noire,  et  l'adulte  s'organise  h  l'intérieur  de  ces 
petits  barillets,  qui  ressemblent  à  des  graines  de 
belle  de  nuit  et  qu'on  nomma  pupes.  Certains  Mus- 
ciens, poilus  ou  même  épineux  {Echin'imyies), 
rougeâtres  ou  d'un  giis  d'acier,  les  Tacliinnires, 
volent  sans  relâche  en  été  au-dessus  des  plantes 
à  la  recherche  dos  chenilles.  Les  femelles,  dé- 
pourvues de  tarière,  no  peuvent  pondre  dans  le 
corps  des  chenilles,  mais  collent  leurs  œufs  sur  la 
peau  de  leurs  victimes.  Les  larves  entrent  dans 
la  chenille,  dont  elles  sucent  l'intérieur,  permet- 
tant en  général  la  transformation  en  chrysalide. 
Elles  sortent  de  celle-ci,  tombent  sur  le  sol  où 
elles  deviennent  pupes,  la  reproduction  du  papil- 
lon nuisible  étant  ainsi  interrompue.  D'autres 
Musciens  sont  des  agents  de  la  salubrité  atmo- 
sphérique. Les  Scatophages,  h  corps  jaunâtre  et 
poilu,  font  disparaître  lés  excréments  ;  d'autres 
mouches  amènent  rapidement  la  destruction  des 
animaux  morts,  sur  lesquels  elles  pondent  et  qui 
bientôt  sont  remplis  de  larves.  Trois  mouches,  dit 
Linné,  débarrassent  la  terre  du  cadavre  d'un  che- 
val, plus  vite  que  no  le  ferait  un  lion.  Telles  sont 
les  Sarcophages,  mouches  rayées  de  gris  et  de 
noir,  la  plupart  vivipares,  pondant  sur  les  viandes 
des  larves  vivantes,  semblables  à  de  petits  vers 
blancs;  les  Caliiphores,  comprenant  la  grosse 
mouche  bleue  de  la  viande;  les  Lucilies,  à  cou- 


INSECTES 


1034 


INSECTES 


ieurs  métalliques,  d'un  vert  doré  ou  bleuâtre.  Ces 
deux  derniers  genres  pondent  des  œufs. 

Nous  devons  signaler,  parmi  les  Musciens  nui- 
sibles, les  Stomnxes,  piquant  l'homme  et  les  ani- 
maux et  pouvant  amener  des  accidents  charbon- 
neux, car  ces  mouches  sucent  les  animaux  mala- 
des et  les  viandes  putrides.  Dès  qu'on  a  été  piqué 
par  une  mouche,  il  faut  placer  à  l'endroit  même  un 
petit  emplâtre  saupoudré  de  sublimé  corrosif;  un 
écarte  ainsi  tout  danger  de  charbon.  Les  institu- 
teurs devront  agir  auprès  des  maires  pour  faire 
exécuter  l'enfouissage  immédiat  des  animaux  mort-i 
du  charbon.  Une  mouche  de  l'espèce  dite  Sarco- 
phage 7-to'ale,  Meigen,  pond  dans  les  plaies  des 
chevaux  et  les  remplit  do  ses  larves;  elle  fait  périr 
les  lièvres  sous  le  nombre  de  ses  larves.  La  Mou- 
che domestir/ue  f.itigue  beaucoup  les  malades  et 
les  blessés  et  devient  parfois  insupportable  en 
automne  par  son  abondance.  Le  remède  est  d'é- 
loigner du  voisinage  de  la  maison  le  fumier  où 
vivent  ses  larves. 

Beaucoup  de  Musciens  attaquent  les  divers  or- 
ganes des  végétaux,  et  nous  ne  pouvons  guère 
trouver  d'autre  destruction  que  d'arracher  et  brû- 
ler, ou  bien  changer  la  culture.  Les  oignons,  les 
choux,  les  carottes,  les  betteraves,  l'oseille,  les 
luzernes  sont  la  proie  des  larves  de  diverses  mou- 
ches ;  VOrtnIis  des  cerises,  i.  ailes  bigarrées  de 
noir,  pond  dans  les  cerises,  surtout  les  guignes  et 
les  bigarreaux,  que  dévore  sa  larve  ;  une  petite 
mouche  aux  yeux  verts  remplit  les  olives  de  ses 
larves  et  compromet  la  récolte  d'huile  de  la  façon 
la  plus  grave.  D'autres  très  petites  mouches  (gen- 
res Chlorops,  Oscinis)  pondent  en  mai,  puis  en 
octobre,  sur  les  blés,  les  seigles  et  les  orges,  et 
leurs  larves  dévorent  les  tiges  et  les  feuilles  ;  il 
faut  enlever  au  sarclage  les  pieds  attaqués,  et 
souvent  on  est  forcé  d'alterner  la  culture.  Ces 
petites  mouches  très  frileuses  se  réunissent  en 
nombre  immense  dans  les  greniers  et  les  granges; 
on  peut  en  tuer  beaucoup  par  des  flambages  ou 
des  injections  de  pétrole  ;  chaque  mouche  écrasée 
fait  une  tache  huileuse. 

Il  y  a  des  Jlusciens  qui  attaquent  d'une  manière 
fort  singulière  nos  animaux  domestiques.  La  fe- 
melle de  VŒstre   du  cheval  colle  ses  oeufs  aux 


Fig.  16.  —  OEstrc  du  cheTal,  mile  et  fcmbUe. 

poils,  dans  les  places  que  la  langue  de  l'animal 
peut  atteindre,  de  sorte  qu'ils  parviennent  dans 
l'estomac  ;  les  larves  s'accrochent  aux  parois  par 
des  couronnes  de  crochets  et  y  prennent  tout  leur 
accroissement,  baignées  dans  les  liquides  stoma- 
caux; puis  elles  sont  expulsées  avec  les  excré- 
ments et  deviennent  pupes  sur  le  sol.  Les  Cépha- 
lémyks  s'introduisent  dans  les  narines  des  mou- 
tons pour  y  pondre  et  leurs  larves  y  vivent;  les 
moutons  s'enfoncent  le  mufle  dans  le  gazon  ou  dans 
la  terre  pour  échapper  aux  Céphalémyies;  on  les 
trouve  en  grand  nombre  rassemblées  sur  les  soli- 
ves des  bergeries.  Les  Hijpodermes  pondent  sur 
les  bœufs  et  les  vaches,  en  perçant  la  peau  ;  une 
tumeur  purulente  se  forme  autour  de  l'œuf,  et  la 
larve  vit  dans  cet  horrible  berceau,  puis  crève  la 
peau  et  tombe  sur  le  sol  où  elle  devient  pupe. 


l'ig.  17.  —  Portion  d'Lstomric  de  cheval  avec  Larves  d  ilL.strc5. 

Les  derniers  Diptères  sont  des  épizoïques  (para- 
sites), passant  toute  leur  vie  sur  les  mammifères  ou 
les  oiseaux.  Ils  ont  souvent  des  ailes,  mais  ne  s'en 
servent  pas  ;  leur  abdomen  est  énorme,  car  les  larves 
se  développent  :\  l'intérieur  du  corps  de  la  femelle, 
qui  est  /m/jipare,  c'est  à-dire  pond  des  pupes.  Tel 
est  ÏHippobosqtte  du  che- 
val, ou  la  Mouche-Arai- 
gnée, qu'on  trouve  en  grand 
nombre  au  printemps  dans 
les  aines  et  sous  la  queue 
de  ce  quadrupède.  Ce  dip- 
tère, à  abdomen  très  dur  et 
cuirassé,  pique  non  seule- 
ment le  cheval,  mais  l'hom- 
me et  le  chien.  Dans  la  laine 
du  mouton  vit  un  épizoïque 
encore  plus  dégradé,  puis- 
qu'il n'a  plus  d'ailes;  c'est 
le  Mélo/ihage  ou  poti  du 
moidun.  On  voit  souvent  les  étounieaux  suivre  en 
bandes  les  moutons,  et  se  poser  sur  leur  dos,  les 
débarrassant  à  coups  de  bec  de  cette  vermine. 

V.  Orures  satellites,  broyeurs  ou  suceurs. 

Il  y  a  quelques  ordres  dégradés,  qui  ne  comp- 
tent ([ue  peu  d'espèces.  Les  Anoploures  ou  Épizoï- 
ques, auxquels  les  Diptères  pupipares  font  un  pas- 
sage, n'ojit  pas  de  métamorphoses,  et  sont  toujours 
privés  d'ailes. 

Ils  comprennent  les  Poux,  qui  sont  suceurs,  et 
vivent  surtout  sur  les  mammifères  et  les  Ricins, 
munis  de  pièces  buccales  broyeuses,  et  passant 
leur  vie  sur  les  oiseaux.  L'homme  peut  être  atteint 
par  plusieurs  poux  ;  celui  de  la  tête,  collant  aux 
cheveux  ses  œufs  allongés,  nommés  lentes,  est  fré- 
quent chez  les  enfants.  Les  instituteurs  devront 
exiger  des  parents  les  soins  de  propreté  nécessai- 
res, et  au  besoin  faire  couper  les  cheveux  ras  et 
enduire  la  tête  de  l'enfant  d'axonge  ou  d'onguent 
gris.  Un  Ricin  infeste  les  poules  dans  les  poulail- 
lers et  s'attache  souvent  aux  bras  des  femmes 
qui  plument  les  volailles,  mais  se  détache  bientôt. 

Les  Suceurs  ou  Puces  sont  constitués  par  des 
insectes  qui  ont  la  bouche  conformée  comme  celle 
des  punaises  ;  deux  écailles  sur  les  cotés  de  la 
puce  représentent  des  ailes  rudimentaires.  Les 
puces  ont  des  métamorphoses  complètes;  leurs 
larves  sont  des  vers  blancs  allongés,  sans  pattes, 
ayant  sur  la  tête  un  tubercule  corné,  qui  leur  sert 
à  fendre  la  coque  de  l'œuf,  comme  celui  qui  se 
trouve  sur  le  bec  des  jeunes  oiseaux  Ji  l'éclosion. 
Ces  larves  vivent  dans  la  poussière,  les  détritus 


INSECTIVORES 


—  1035  — 


INSTINCT 


divers,  rongeant  le  sang  desséché  et  d'autres  ma- 
tières azotées  ;  elles  tombent  en  grand  nombre 
quand  on  peigne  les  longs  poils  des  cliats  angoras. 
Ces  larvos  se  filent  de  petites  coques  de  soie,  où 
elles  deviennent  nymphes.  La  l'iice  irritante  est 
propre  à  l'homme,  et  pique  surtout  la  peau  déli- 
cate des  femmes  et  des  enfants  ;  les  puces  des 
mammifères  et  de  quelques  oiseaux  offreiit  de  lé- 
gères différences  spécitiques;  celles  du  chien  et 
du  chat  peuvent  piquer  niomme,  mais  moins  for- 
tement que  la  Puce  irritante,  et  le  quittent  volon- 
tiers. 

Les  Thysanoptères  ou  Thrips  sont  de  petits  in- 
sectes, presque  linéaires,  volant  sur  les  fleurs  de 
beaucoup  do  plantes,  dans  lesquelles  vivent  leurs 
larves  rougeàtres  ;  ils  n'ontque  des  métamorphoses 
incomplètes.  Les  pièces  de  la  bouche  sont  broyeuses, 
avec  des  mandibules  très  allongées.  Il  y  a  quelques 
espèces  très  nuisibles  aux  céréales,  au  lin,  aux  plan- 
tes de  serre,  rongeant  les  organes  floraux  et  par- 
fois les  feuilles. 

Les  Thysanoures,  privés  d'ailes  et  sans  méta- 
morphoses, sont  des  insectes  broyeurs,  les  uns 
sauteurs,  les  autres  coureurs.  Nous  citerons  seu- 
lement parmi  ces  derniers  les  Lépismes,  dont  une 
espèce,  le  Lépisme  riu  sucre,  est  fort  nuisible.  C'est 
un  insecte  gris  et  plat,   couvert  d'écaillés  argen- 


vermisspaux.  Beaucoup  d'entre  eux  sont  à  demi 
nocturnes,  passent  sous  terre  une  partie  de  leur 
existence,  et  tombent,  pendant  la  mauvaise  saison, 
dans  un  sommeil  léthargique.  Quelques-uns, 
comme  les  Desmnns,  ont  des  habitudes  aquatiques 
et  nagent  avec  une  grande  facilité. 

C'est  i  l'ordre  des  Insectivores  qu'appartiennent 
ces  petits  mammifères,  si  communs  dans  nos  cam- 
pagnes, que  l'on  connaît  vulgairement  sous  le  nom 
de  Museites  ou  de  Musaraignes,  et  qui,  par  les 
formes  extérieures,  par  la  nature  et  les  couleurs 
du  pelage,  ressemblent  beaucoup  aux  petites  es- 
pèces du  genre  Rat.  Les  musaraignes  toutefois  se 
distinguent  des  souris  par  leur  tète  plus  effilée  et 
par  leurs  dents  disposées  pour  couper  de  la  chair 
et  non  pour  broyer  des  graines.  Leur  corps  est 
couvert  de  poils  courts  et  de  leurs  flancs  suinte 
une  humeur  odorante.  Elles  vivent  dans  des  trous 
et  se  nourrissent  d'insectes  et  de  vermisseaux. 
Jamais,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  elles  n'ont  causé,  par 
leurs  morsures,  de  maladies  aux  bestiaux  ;  ce  sont 
au  contraire  des  petites  bètes  extrêmement  utiles 
qui  méritent  la  protection  des  agriculteurs. 

Les  Taupes  sont  d'autres  Insectivores  dont  le 
corps  est  plus  trapu,  le  museau  plus  allongé  que 
celui  des  musaraignes,  et  dont  les  pattes  de  devant 

nt  singulièrement  raccourcies,  dirigées  en  dehors. 


tées  qui  restent  aux  doigts,  ce  qui  le  fait  appeler  '  et  terminée  par  des  ongles  énormes,  propres  à  fouir 
petit  poisson  d'argent.  Il  court  vivement  dans  les  |  la  terre.  A  l'aide  de  ces  sortes  de  pelles,  les  taupes 
armoires  humides  et  les  garde-manger,  rongeant  ,  creusent  dans  le  sol,  avec  une  rapidité  extrême, 
le  sucre,  les  matières  sèches,  pain,  biscuit,  etc.,  de  véritables  labyrinthes,  avec  des  chambres  de 
les  linges  empesés  à  l'amidon.  On  doit  écraser  refuge.  Connue  elles  ne  sortent  presque  jamais  de 
ce  lépisme  quand  on  le  rencontre.  ces  sombres   retraites,  le  sens  de  la  vue  leur  est 

presque  entièrement  inutile;  aussi  leurs  yeux 
sont-ils  d'une  petitesse  extrême,  parfois  même 
complètement  imperceptibles.  La  Taupe  commune, 
qu'on  trouve  dans  les  champs  et  dans  les  prairies 
de  l'Europe,  et  qui  est  d'un  noir  de  velours,  a  été 
pendant  longtemps  et  est  même  encore,  dans  beau- 
coup de  contrées,  traquée  et  détruite  comme  un 
animal  essentiellement  malfaisant.  Sur  certains 
5<ue/f  ^  points  seulement  des  agriculteurs  intelligents,  loin 
battre,  j  de  faire  h  la  taupe  une  guerre  acharnée,  considè- 
Furne,  Jouvet  etC",  1866.  —  Tj'Boisduval,  £'ssa!iui- !  rent  ce  petit  Insectivore  comme  un  auxiliaire, 
l'entomotogù  horticole,  Paris,  Donnaiid,  1867.  —  H.  Miot,  '  chargé  de  purger  les  cultures  des  vers  et  des  lar- 
les  Insectes  auxiliaires  et  les  insectes  utiles,  Paris,  librai-  i  ^gg  nuisibles,  et  se  contentent  de  niveler  les  tau- 
r.e  agncole,  26,  rue  Jacob,  «70.  -  J.  L.chte..stein,  Ma-  i  jnj^res  nui  déparent  les  prairies  et  qui  empêchent 
jiuel  d  entomologie  a  t  usage  des  horticulteurs  du  midi  Je  i  1;'    ,       ,     '  '        i  i 

la  France.  Montpellier,  libraiiie  centrale  du  Midi,  1872.  -  1  de  faucher  au  ras  du  sol. 

V.  Rendu,  Les  Insectes  tiuisibles  à  l'agriculture,  aux  jar-  Enfin  nous  citerons  encore,  parmi  les  Insectivo- 
dms  et  aux  forêts  de  la  France,  Paris,  Haclielle  et  f.'»,  res,  les  Hérissons,  dont  le  corps  est  couvert  de 
1876.  —  Maurice  Girard.  Les  Métamorphoses  des  insectes,  '  piquants  au  lieu  de  poils,  et  qui,  en  fléchissant  la 
5'  éd.,  Paris,  Hacheile  et  O'.  1879;  Catalogue  rniîOKne  1  ^^^g  g^  jgs  p^jtgs  ygi-g  le  ventre  et  en  contractant  les 
X  utiles  et  nuisibles  de  'a/™'«e.. /"''''«/»"»:  muscles  de  leur  dos,  peuvent  prendre  la  forme 
du  Ministère  de  l  Instruction  publique,  ifasc.  ,  "l^^^ ''.„..„  ,,.„:,,,,;„  Hp  nnintPs_  et.  défier  ainsi  les 


Bibliographie.  —  Les  instituteurs  ont  intérêt  à  coq- 
naître  les  travaux  publiés  en  France  spécialement  sur  les 
insectes  utiles  et  nuisibles.  Voici  les  principaux  ;  Goureau, 
Les  Insectes  iiuisitdes  aux  arbres  fruitiers,  aux  céréales, 
aux  plantes  potagères  et  fourragères,  aux  forêts  et  aux 
arbres  d'avenue,  à  l'homme  et  cnt.v  animnux  dnmfstir/nes, 
3  vol.  et  2  suppl.,  Paris,  \iclor  JI.issou  et  lils,  ISjl  a  1867. 
—  Géhin,  Notes  pour  servir  d  l'histoire  des  insrctes  nuisibles 
à  l'agriculture,  à  l'horticulture  et  à  la  syloicullure,  Melz, 
■■>  brochures,  1856  à  1860.  —  Menault,  les  Insectes  considérés 
comme  nuisibles  à  l'agriculture  :  moyens  de  les 


public 
.âge  des  institu- 
le,  3  fr.  par  an, 
■étaire  de  la  So- 


uspices 

1.,  Paris,  Hachette  et  L".  187ir.  ■ 
d'entomoli>gie  appliquée,  à 
leurs,  est  le  Bulletin  d'insectologie  ug 
Paris,  67,  rue  Monge,  chez  M.  Hamet, 
ciété  d'agriculture  et  d'insectologie. 

[Maurice  Girard.] 

INSECTIVOnES.  —  Zoologie,  VII.  —  D'une 
manière  générale,  le  nom  à' Insectivores  convient 
à  tous  les  animaux  qui  se  nourrissent  d'insectes  ; 
mais,  dans  un  sens  particulier,  il  a  été  appliqué  à 
un  ordre  de  mammifères  qui  se  rapprochent  à  cer- 
tains égards    des  chauves-souris   ou    Chiroptères, 


d'une  boule  hérissée  de  pointes,  et  défier  ainsi  les 
dents  de  leurs  ennemis.  Les  hérissons  tiennent 
par  rapport  aux  porcs-épics,  qui  sont  des  Rongeurs, 
une  place  analogue  à  celle  que  les  musaraignes 
occupent  par  rapport  aux  souris.  Ils  sont  représeii- 
tés  en  Europe  par  une  seule  espèce,  dont  la  chair 
n'est  point  bonne  à  manger  et  dont  la  dépouille 
est  aujourd'hui  sans  usages.  Dans  l'antiquité,  au 
contraire,  les  peaux  de  hérissons  étaient  fort  re- 
cherchées et  servaient  à  fabriquer  des  cardes  pour 
peigner  la  laine.  [E-  Oustalet.J 

,^ ___  __  ^ INSTINCT.  —  Psychologie,  IV,  —  Etym._:  dii  la- 
tout  en°différant  de  ces  derniers  par  la  conforma-  ]  tin  instigare  ou  instmgveie,  exciter.  —  L'iiistinct 
tion  des  membres.  Chez  les  Insectivores,  en  effet,  serait  ainsi,  d'après  l'élymologie,  une  sorte  d  exct- 
les  pattes  antérieures  ne  sont  pas  transformées  en  tation  intérieure  qui  pousse  l'animal  ou  l'homme 
ailes  ;  elles  ressemblent  par  leur  structure  aux  à  accomplir  certains  actes,  et  cela  sans  l'inierven- 
pattes  postérieures  et  se  terminent,  comme  celles-  tion  do  l'intelligence  et  de  la  volonté.  Si  en 
ci,  par  dos  doigts,  de  longueur  médiocre,  munis  |  chemin  mon  pied  rencontre  une  pierre  qui  me  fasse 
dongles  plus  ou  moins  robustes.  En  un  mot,  les  |  trébucher,  mes  mains  se  portent  rapidement  en 
Insectivores  sont  des  quadrupèdes  qui  peuvent  |  avant  pour  amorlir  la  chute  et  garantir  le  visage: 
cheminer  sur  le  sol  i  la  manière  des  Carnassiers,  un  tel  mouvement  est  dit  instinctif,  car  il  précède 
des  Rongeurs,  etc.  Ils  ont  trois  sortes  de  dents,  des  j  toute  réHexion  et  n'est  l'effet  d'aucune  détermina- 
incisives,  des  canines  et  des  molaires,  dont  les  der-    tion  volontaire. 

nières  sont  hérissées  de  pointes  coniques  et  admi-       L'instinct  est  un  principe  qui  nous  est  commun 
rablement  faites   pour  écraser  les  insectes  et  les  [avec  les  bêtes;  mais,  chez  celles-ci,  les  instincts  sont 


INSTINCT 


1036  — 


INSTINCT 


plus  nombreux,  et  les  actes  qu'ils  produisent  géné- 
ralement plus  compliqués.  CIihz  les  animaux  eux- 
mêmes,  h  mesure  que  l'intelligence  apparaît,  les 
instincts  sont  plus  pauvres  et  semblent  perdre 
quelque  chose  de  leur  infaillibilité.  Aussi  Frédéric 
Cuvier  et  Flourens  ont-ils  posé  cette  loi  que  dans 
les  animaux  l'instinct  et  l'intelligence  sont  en  rai- 
son inverse  l'un  de  l'autre.  Pour  nous  borner,  en 
un  sujet  aussi  vaste,  nous  considérerons  principa- 
lement les  instincts  qui  sont  communs  à  l'iiomme 
et  aux  animaux,  et  nous  énumérerons  rapidement 
les  plus  importants  d'entre  eux. 

On  peut  distinguer,  avec  un  éminent  psycbolo- 
guo.  M.  Garnier,  trois  classes  d'instincts  :  ceux 
qui  se  rapportent  à  des  objets  personnels,  ceux  qui 
se  rapportent  inos  semblables,  ceux  qui  se  rappor- 
tent h  des  objets  non  personnels. 

I.  Les  premiers  ont  pour  but  la  conservation  et 
le  développement  de  notre  être  ;  s'il  ne  s'agit  que 
de  la  vie  physique,  on  les  appelle  les  appétits. 
Comme  tous  les  animaux,  l'homme  cherche  instinc- 
tivement la  nourriture  qui  lui  est  propre.  Une  che- 
nille, destinée  à  vivre  d'une  seule  plante,  voyage 
sur  des  milliers  de  feuilles  d'une  autre  espèce 
sans  en  goûter  ;  arrivée  à  celles  qui  forment  sa 
nourriture  naturelle,  elle  s'y  jette  aussitôt,  et  les 
dévore  avec  avidité.  De  même,  le  nouveau-né  dont 
les  yeux  ne  sont  pas  encore  ouverts  se  tourne 
vers  le  sein  nourricier,  guidé  sans  doute,  comme 
l'animal,  par  l'odorat.  Il  accomplit  dès  la  première 
fois,  avec  une  précision  parfaite,  les  mouvements 
si  compliqués  de  la  succion  et  de  la  déglutition. 
De  tous  les  instincts,  c'est  celui-li  peut-être  dont 
le  caractère  vraiment  primitif  et  inné  est  le  moins 
contestable.  Quelques  auteurs  admettent  l'existence 
d'un  instinct  de  la  chasse  ;  et  Bossuet  va  jusqu'il 
croire  que  l'agriculture  et  l'ai't  pastoral  ont  été  ré- 
vélés directement  %  l'homme  par  son  Créateur.  Ce 
qui  est  certain,  c'est  que  quelques  animaux  sont 
naturellement  cliasseurs,  d'autres  pasteurs.  «  Quel- 
ques races  de  fourmis  élèvent  et  nourrissent  dans 
des  sortes  d'étables  d'autres  espèces  d'insectes,  et 
principalement  des  pucerons,  qu'elles  soignent 
pour  les  traire  et  pour  en  obtenir  un  aliment  assuré 
dans  les  temps  de  disette,  comme  nous  tenons  en 
domesticité  nos  vaches,  nos  chèvres,  nos  brebis.  » 
(Duméril). 

On  a  rapporté  aussi  à  un  instinct  spécial  l'art  de 
produh-e  le  feu.  A  peine  pourrait-on  citer  une  ou 
deux  peuplades  sauvages  qui  ignorent  l'an  d'allu- 
mer du  feu  en  frottant  l'un  contre  l'autre  deux  mor- 
ceaux de  bois  d'espèces  dilTérentes.  Et  pourtant 
l'animal  le  plus  intelligent  est  incapable  d'en  faire 
autant,  u  On  raconte,  dit  M.  Garnier,  l'histoire  d'un 
singe  qu'une  cliaine  trop  courte  empêchait  d'attein- 
dre une  noix  qu'il  convoitait  :  un  valet,  en  passant 
près  du  singe,  ayant  laisse  tomber  une  seiviette, 
celui-ci  s'en  empara  et  s'en  servit  pour  amener  à  lui 
l'objet  de  sa  convoitise.  Cependani  ce  même  singe, 
placé  en  hiver  près  d'un  feu  qui  s'éteignait,  n'eut 
jamais  l'idée  de  prendre  du  bois  à  un  monceau 
voisin  et  de  le  jeter  dans  le  feu,  quoiqu'il  eùl,  vu 
plusieurs  fois  les  valets  lui  en  donner  l'exemple, 
et  quoiqu'il  fût  transi  de  froid.  » 

L'instinct  plus  général  de  la  conservation  inspire 
aux  animaux  les  actes  les  plus  variés,  et  quelques- 
uns  semblent  ne  pouvoir  s'expliquer  que  par  lui 
véritable  raisonnement.  Keimarus,  G.  Leroy,  Fré- 
déric Cuvier,  Flourens,  abondent  sur  ce  point  en 
exemples  intéressants.  Ainsi,  quand  un  limaçon 
s'est  introduit  dans  une  ruche,  les  abeilles,  pour 
le  faire  mourir,  l'enduisent  tout  entier  de  cette 
matière  gommeuse  qui  leur  sert  i  boucher  les  fen- 
tes de  leur  habitation.  (»  On  a  vu  des  ours  pousser 
avec  leurs  pattes,  dans  le  bassin  de  leur  fosse, 
des  gâteaux  empoisonnés  qu'on  leur  avait  jetés,  les 
agiter  dan.s  l'eau,  puis  les  flairer  avec  attention  et 
ne  les  manger  que  quand  le  poison  s'était  évaporé. 


On  a  vu  un  singe  prendre  la  clef  de  la  chambre 
où  il  était  renfermé,  l'enfoncer  dans  la  serrure  et 
ouvrir  la  porte.  Un  autre,  éiant  trop  petit  pour  at- 
teindre h  la  serrure,  alla  cliercher  une  ciiaise  et 
s'en  fit  un  marchepied.  Un  troisième  prie  une  pierre 
pour  casser  la  noix  qu'on  lui  avait  donnée,  et, comme 
celle-ci  s'enfonçait  dans  le  sol  sous  les  coups,  il  la 
plaça  sur  une  tuile  pour  la  frapper  avec  plus  de 
succès.  »  C'est  aussi  sans  doute  l'instinct  général 
de  conservation  qui  explique,  chez  l'homme  et  chez 
plusieurs  espèces  d'animaux,  certaines  appréhen- 
sions naturelles,  telles  que  la  crainte  de  la  solitude, 
des  ténèbres.  «  N'allons  pas  de  ce  côté,  se  disaient 
deux  petits  enfants;  il  n'y  a  personne,  on  pourrait 
nous  faire  quelque  mal.  »  De  1,\  également  les  ruses 
si  variées  par  lesquelles  la  plupart  des  animaux 
non  domestiques  cherchent  à  tromper  leurs  enne- 
mis. On  sait  que  le  renard  change  souvent  de  ter- 
rier, que  le  cerf,  le  daim,  le  chevreuil,  le  lièvre, 
vont  et  reviennent  plusieurs  fois  par  le  même  che- 
min pour  dépister  les  chiens  et  les  chasseurs,  font 
des  bonds  considérables,  tantôt  d'un  côté,  tantôt  de 
l'autre,  pour  interrompre  leur  voie,  feignent  de  ren- 
trer au  gîte,  et  s'en  éloignent  brusquement.  De 
même,  chez  l'homme,  la  ruse  semble  innée  à  cer- 
tains individus  et  à  certaines  races. 

N'est-ce  pas  encore  à  l'instinct  de  conservation 
qu'il  faut  rapporter  l'usage  où  sont  quelques  es- 
pèces vivant  en  troupes,  de  placer  des  sentinelles 
et  de  se  clioisir  un  clief  auquel  toute  la  bande 
obéit?  «  Les  peuplades  de  ruminants,  de  pachyder- 
mes, de  singes,  ont  ries  chefs  auxquels  le  soin  de 
la  défense  commune  est  confié  par  une  délégation 
qui, pour  être  tacite,  n'en  est  pas  moins  formelle... 
Une  fois  institué,  le  guide  ou  chef  exige  et  obtient 
d  ins  toutes  les  circonstances  une  obéissance  abso- 
lue, comme  s'il  personnifiait  la  peuplade  entière  et 
centralisait  en  soi  l'instinct  de  tous.  Aussi  avec 
quelle  dignité  le  vieux  singe,  par  exemple,  exerce 
son  emploi  d'intelligence  directrice  ou  d'organe 
directeur!  L'estime  qu'il  a  su  conquérir,  exaltant 
son  amour-propre,  lui  donne  une  certaine  assu- 
rance qui  manque  à  ses  sujets  ;  ceux-ci  lui  font 
toujours  la  cour.  Les  femelles,  remarque  Brehm, 
mettent  tout  leur  zèle  à  débarrasser  son  pelage 
des  parasites  incommodes,  et  il  se  prête  h  cette 
opération  avec  une  grotesque  majesté.  En  retour, 
il  veille  fidèlement  au  salut  commun.  Aussi  est-il 
de  tous  le  plus  circonspect  ;  ses  yeux  errent  con- 
stamment de  côté  et  d'autre  ;  sa  méfiance  s'étend 
1  sur  tout,  et  il  arrive  presque  toujours  à  découvrir  à 
j  temps  le  danger  qui  menace  la  bande.  11  exerce  le 
'  commandement  par  la  voix.  De  temps  en  temps,  il 
monte  au  sommet  d'un  grand  arbre,  et  du  haut  de 
cet  observatoire  il  examine  chaque  objet  d'alen- 
tour. Lorsque  le  résultat  de  l'examen  est  satisfai- 
sant, il  l'apprend  à  ses  sujets  en  faisant  entendre 
des  sons  gutturaux  particuliers  ;  en  cas  de  danger 
il  les  avertit  par  un  cri  spécial.  >>  (Alf.  Fouillée.) 
Il  y  a  évidemment  là,  outre  l'instinct  de  conserva- 
tion, la  manifestation  d'un  instinct  de  sociabilité 
que  nous  mentionnerons  tout  à  l'heure.  Quant  au 
fait  lui-même,  il  est  particulièrement  intéressant 
en  ce  qu'il  éclaire  pour  nous  l'origine  des  gouver- 
nements humains.  La  crainte  du  danger  a  dû  pri- 
mitivement grouper  les  hommes  autour  du  plus  fort 
ou  du  plus  habile  et  lui  déléguer  l'autorité  néces- 
saire pour  veiller  au  salut  de  tous. 

Mentionnons  encore,  parmi  les  instincts  se  rap- 
portant à  des  objets  personnels,  l'amour  de  la  pro- 
priété, qui  existe  aussi  bien  chez  quelques  espèces 
d'animaux  que  chez  l'homme.  Ou  .^ait  que  le  cam- 
pagnol, le  mulot  font  des  magasins,  que  le  renard, 
le  loup  amassent  des  approvisionnements.  Il  sem- 
ble même  qu'on  puisse  saisir  dans  le  règne  ani- 
mal quelques  indices  d'un  amour  de  la  propriété 
foncière  :  l'aigle,  par  exemple,  a  son  canton  où  il 
ne  souû're    aucun  compétiteur  ;    le  rossignol,   le 


INSTINCT 


—  1037  — 


INSTINCT 


rougo-gorgo  agissent  do  môme;  une  fois  litablio 
sur  une  montagne,  une  troupe  de  cliamois  expulse 
tous  ceux  r|ui  ne  sont  pas  du  troupeau. 

Nous  sommes  portés  natundlement,  non  seule- 
ment b.  conserver  notre  être,  mais  encore  h  l'agran- 
dir, h  le  di'velopper.  Do  \h  certains  instincts  plus 
spécialement  propres  k  l'homme,  mais  apparaissant 
aussi  cliez  certains  animaux,  tels  que  l'émulation, 
l'amour  du  pouvoir,  l'amour  do  la  louange. 

II.  Inclinations  qui  se  rapportent  à  nos  sembla- 
bles. —  Les  principales  sont  l'instinct  de  société, 
la  sympathie,  l'amitié,  l'amour,  les  affections  de 
famille. 

L'homme  est  un  Ctre  sociable,  et  1  existence 
d'un  prétendu  état  de  nature  qui,  selon  certains 
philosophes  (Hobbes,  Rousseau),  aurait  précédé 
celle  de  la  société,  est  une  chimère.  Pourquoi 
l'homme  ne  serait-il  pas  poussé  d'instinct  à  vivre 
avec  ses  semblables,  puisque  certains  animaux,  les 
abeilles,  les  fourmis,  les  castors,  les  moutons,  les 
chevaux,  les  bœufs,  les  éléphants,  les  chiens,  etc., 
ne  vivent  qu'en  communauté  ?  Quelques-uns 
même  dépérissent  dans  la  solitude.  «  On  sait  de- 
puis longtemps,  dit  Dugald  Stewart,  que  les  bœufs 
et  les  vaches  n'engraissent  pas  aussi  rapidement 
lorsqu'ils  sont  seuls  que  lorsqu'ils  paissent  en 
troupeaux,  quand  bien  même  on  compenserait 
leur  solitude  par  de  plus  gras  pâturages.  » 

La  sympathie  est  très  voisine  de  la  sociabilité, 
et  n'en  est  pour  ainsi  dire  que  la  conséquence  et 
le  prolongement.  Le  plaisir  (|ue  nous  causent  la 
vue  et  le  commerce  de  nos  semblables  nous  dis- 
pose h  une  certaine  bienveillance  à  leur  égard  ; 
par  suite,  nous  nous  réjouissons  de  leurs  joies, 
nous  nous  attristons  de  leurs  peines  et  nous  faisons 
effort  pour  soulager  leurs  maux.  La  sympathie, 
chez  les  grandes  âmes,  fortifiée  par  le  sentiment 
du  devoir  ou  le  sentiment  religieux,  devient  la 
philanthropie,  la  charité,  et  engendre  les  plus  su 
blimes  dévouements. 

Sans  attribuer  aux  animaux  ni  la  moralité  ni  la 
religiosité,  on  ne  saurait  refuser  à  quelques-uns 
une  sympathie  pour  ceux  de  leur  espèce,  qui  va 
parfois  jusqu'au  sacrifice  de  la  vie.  Les  singes  ont 
leurs  Décius  et  leurs  Codés.  Brelim  a  vu  en 
Abyssinie  un  babouin  tenir  tête  tout  seul  à  une 
meute  de  chiens  pour  leur  arracher  un  jeune  de  sa 
bande  qu'ils  allaient  mettre  en  pièces.  «  Il  y  a 
quelques  années,  dit  M.  Darwin,  un  gardien  des 
Zoological  Gardens  me  montra  quelques  blessures 
profondes,  à  peine  cicatrisées,  que  lui  avait  faites 
au  cou  un  babouin  féroce,  pendant  qu'il  était  à 
côté  de  lui.  Un  petit  singe  américain,  grand  ami  du 
gardien,  vivait  dans  le  même  compartiment  et  avait 
une  peur  horrible  du  babouin.  Néanmoins,  dès 
qu'il  vit  le  gardien  en  péril,  il  s'élança  à  son  se- 
cours et  tourmenta  tellement  le  babouin,  par  ses 
morsures  et  par  ses  cris,  que  l'homme,  après  avoir 
couru  de  grands  risques  pour  sa  vie,  put  s'échap- 
per. )>  D'autres  faits,  plus  touchants  peut-être,  ré- 
vèlent une  sympathie  qui  ressemble  à  de  la  charité. 
On  cite  un  péhcan,  vieux  et  complètement  aveugle, 
qui  depuis  longtemps  était  nourri  par  ses  compa- 
gnons. Le  même  cas  a  été  observé  sur  des  corbeaux 
indiens  et  sur  un  coq  domestique.  Quant  à  l'amitié, 
elle  se  manifeste  souvent  chez  les  animaux  entre 
deux  individus  d'espèces  fort  différentes,  et  parfois 
naturellement  hostiles.  M.  Darwin  a  vu  un  chien 
«  qui  ne  passait  jamais  à  coté  d'un  de  ses  grands 
amis,  un  chat  malade  dans  un  panier,  sans  le  lécher 
en  passant,  le  signe  le  plus  certain  d'un  bon  senti- 
ment chez  le  chien.  »  <i  Une  lionne,  dit  Frédéric 
Cuvier,  avait  perdu  le  chien  avec  lequel  elle  avait 
été  élevée,  et,  pour  offrir  toujours  le  même  spec- 
tacle au  public,  on  lui  en  donna  un  autre  qu'aus- 
sitôt elle  adopta.  Elle  n'avait  pas  parusouffrir  do 
la  perte  de  son  compagnon  :  l'affection  qu'elle 
avait  pour  lui  était  très   faible,  elle  le  supportait, 


elle  supporta  de  même  le  second.  Cette  lionne 
mourut  il  son  tour;  alors  le  chien  nous  offrit  un 
tout  autre  spectacle:  il  refusa  de  quitter  la  loge 
qu'il  avait  habitée  avec  elle  ;  sa  tristesse  s'accrut 
de  plus  en  plus  ;  le  troisième  jour,  il  ne  voulut 
plus   manger,  et  il  mourut  le  septième.  » 

Nombre  d'animaux  connaissent  l'amour  conjugal, 
qui  survit  souvent  à  l'époque  de  la  reproduction. 
L'atlachement  réciproque  du  mâle  et  de  la  femelle 
chez  les  pigeons  est  passé  en  proverbe.  Quant  à, 
l'affection  paternelle  et  maternelle;  il  n'est  pas  rare 
qu'elle  inspire  des  actes  d'un  véritable  héroïsme. 
Nous  n'en  donnerons  qu'un  exemple.  «  La  voix 
craintive  d'un  jeune  singe  abandonné  par  sa  mère 
dans  sa  fuite  désordonnée,  dit  Brehm  cité  par 
M.  Fouillée,  se  fit  entendre  sur  un  arbre  au-dessus 
de  ma  tête.  Un  de  mes  Indiens  y  grimpa.  Dès  que 
le  singe  vit  cette  figure  qui  lui  était  étrangère,  il 
jeta  les  hauts  cris,  auxquels  répondirent  bientôt 
ceux  de  sa  mère  qui  revenait  chercher  son  petit. 
Celui-ci  poussa  alors  un  cri  nouveau  tout  particu- 
lier, qui  trouva  un  nouvel  écho  chez  la  mère.  Un 
coup  de  feu  blessa  celle-ci  ;  elle  prit  immédiate- 
ment la  fuite,  mais  les  cris  de  son  petit  la  ramenè- 
rent aussitôt.  Un  second  coup  tiré  sur  elle,  mais 
qui  ne  l'atteignit  point,  ne  l'empêcha  pas  de  sauter 
péniblement  sur  la  branche  où  se  tenait  son  petit, 
qu'elle  mit  rapidement  sur  son  dos.  Elle  allait  s'é- 
loigner avec  lui,  lorsqu'un  troisième  coup  de  feu, 
tire  malgré  ma  défense,  l'atteignit  mortellement. 
Elle  serra  encore  son  nourrisson  dans  ses  bras  pen- 
dant les  convulsions  de  l'agonie,  et  tomba  sur  le  sol 
en  essayant  de  se  sauver.  » 

III.  La  troisième  classe  d'inclinations  que  nous 
avons  distinguées  comprend  celles  qui  se  rappor- 
tent à  des  objets  non  personnels.  Tels  sont  l'amour 
du  bien  moral,  l'amour  du  vrai,  l'amour  du  beau,  le 
sentiment  religieux.  En  efl'et,  ces  affections  ne  pré- 
tendent pas  faire  de  leurs  objets  une  possession 
qui  leur  soit  propre.  «  Nous  ne  voulons  pas,  dit 
M.  Garnier,  exctare  les  autres  du  plaisir  que  nous 
causent  la  vertu,  la  science,  les  chefs-d'œuvre 
de  la  nature  et  de  l'art;  nous  les  appelons,  au  con- 
traire, au  partage  do  notre  joie,  et  nous  la  sentons 
doubler  par  celle  qu'ils  éprouvent.  » 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ces  affections  d'ordre 
supérieur,  d'abord  parce  qu'elles  ne  nous  sont  pas, 
quoiqu'on  en  ait  dit,  communes  avec  les  animaux, 
ensuite  parce  qu'elles  diffèrent  assez  profondément 
selon  que  se  modifie  par  le  développement  de  la 
civilisation  la  conception  rationnelle  des  objets 
auxquels  elles  se  rapportent. 

Il  est  enfin  quelques  inclinations  complexes  qui 
ont  aussi  leur  fondement  dans  la  nature  humaine 
et  qu'il  est  assez  difficile  de  l'aire  rentrer  dans  l'une 
des  divisions  de  la  classification  précédente.  Tel 
est,  par  exemple,  le  patriotisme. 

Plusieurs  théories  ont  été  proposées  pour  expli- 
quer l'origine  de  l'instinct,  principalement  chez  les 
bêtes.  Descartes  n'y  voit  qu'un  effet  purement  mé- 
canique et  inconscient  de  la  structure  des  organes  : 
hypothèse  insoutenable,  car  elle  fait  de  l'animal 
une  machine  et  lui  refuse  tout  principe  sensible  et 
affectif.  Locke,  Coiidillac,  et  surtout  Darwin,  ramè- 
nent l'instinct  h  l'habitude.  Pour  eux,  les  actes, 
aujourd'hui  instinctifs,  furent  primitivement  l'effet 
de  la  volonté  et  de  la  réflexion.  On  ne  saurait  nier 
que  beaucoup  d'instincts  ne  soient  des  habitudes 
acquises  et  devenues  à  la  longue  organiques  et  hé 
réditaires  ;  mais  dans  sa  généralité  absolue,  cette 
doctrine  n'irait  à  rien  moins  qu'à  prêter  à  des  ani- 
maux placés  fort  bas  dans  l'échelle  dos  êtres  une 
intelligence  égale,  sinon  supérieure,  i  celle  de 
l'homme.  Où  auraient-ils  appris  la  géométrie,  les 
ancêtres  de  ces  araignées  qui  disposent  avec  une 
régularité  si  parfaite  les  polygones  concentri- 
ques de  leurs  toiles?  Plusieurs  faits  analogues 
semblent  absolument  réfractaires  à,  la  théorie  de 


INSTRUMENTS  ARATOIRES     —  1038  —     INSTRUMENTS  ARATOIRES 


Darwin,  et,  jusqu'à  nouvel  ordre,  l'instinct  doit  être 
considéré  comme  un  principe  aussi  distinct  de 
l'habitude  que  de  l'intelligence  et  du  mécanisme 
organique.  —  V.  G.  Leioy,  Lettres  philosophiques 
sur  l'intelligence  et  la  perfectibilité  des  animaux. 
Paris,  1802.  —  Reimarus,  Observations  physiques  et 
morales  sur  l'instinct  des  animaux.  Traduction 
française.  Paris,  1870.  —  Frédéric  Cuvier,  art.  Ins- 
tinct, dans  le  Dictionnaire  des  sciences  médicales. 

Garnier,  Traité  des  facultés  de  l'âme.  —  Flou- 

rens,  l'Instinct  etl'inlelligence  des  animaux.  Paris, 
l(i45l  —  Joly,  l'Instinct,  ses  rapports  avec  la  vie  et 
l'intelligence.  Paris,  1S74.  —  Albert  Lemoine,  l'Ha- 
bitude et  l'Instinct.  Paris,  1875.  —  L.  Carrau, 
Étuitei  sur  la  théorie  de  l'évolution  :  Première 
étude.  Paris,  I87a.  [L.  Carrau.] 

I.>STUUME.>TS  ARATOIUES  ET  M.i.CHI?iES 
AGRICOLES.  —  Agriculture,  V.  —  Pour  retirer 
du  sol  les  produits  que  l'agriculture  lui  demande, 
pour  préparer  ces  produits  en  vue  de  la  consom- 
mation ou  du  commerce,  il  est  nécessaire  d  avoir 
recours  à  des  instruments  spéciaux,  h  des  machi- 
nes qui  permettent  de  tirer  le  meilleur  parti  de 
la  force  employée.  L'étude  de  l'adaptation  de  ces 
instruments  aux  besoins  qu'il  s'agit  de  satisfaire 
est  donc  d'une  réelle  importance  pour  l'agriculteur  ; 
l'emploi  de  bons  instruments  économise  la  force  ou 
lui  permet  d'obtenir  un  effet  utile  plus  considé- 
rable. Un  des  caractères  principaux  du  progrès 
agricole  au  dix-neuvième  siècle  a  été  l'abandon  des 
anciens  et  grossiers  engins  de  la  culture,  et  leur 
remplacement  par  des  machines,  soit  plus  com- 
plètes, soit  tout  à  fait  nouvelles. 

La  machine  ne  crée  pas  la  force  ;  elle  l'utilise, 
elle  transforme  son  action .  Mais  cette  transfor- 
mation ne  se  fait  pas  sans  une  perte,  c'est-à-dire 
sans  l'absorption  d'une  partie  de  la  force  par  la 
machine  elle-même  pour  le  jeu  de  ses  organes. 
Une  des  principales  qualités  des  bonnes  machines, 
c'est  de  n'absorber  ainsi  qu'une  fraction  très  mi- 
nime de  la  force  initiale.  Mais  il  est  impossible  de 
construire  une  machine  qui  rende  d'une  manière 
absolument  complète  la  force  qu'elle  reçoit. 

La  force  est  produite  par  les  moteurs.  Ceux  que 
l'agriculture  a  à  sa  disposition  sont  :  l'homme  lui- 
même,  les  animaux  domestiques,  la  vapeur,  l'eau 
et  le  vent.  Mais  ces  deux  derniers  éléments  ne 
sont  utilisés  que  dans  des  circonstances  tout  à 
fait  restreintes.  La  vapeur  elle-même  n'a  encore 
pénétré  que  dans  les  exploitations  d'une  assez 
grande  étendue,  quoique  l'on  commence  aujour- 
d'hui à  construire  des  petites  machines  qui  pour- 
ront rendre  des  services  utiles  jusque  dans  les 
petites  exploitations.  Mais  l'homme  et  les  animaux 
domestiques  sont  partout  les  agents  principaux  de 
la  force  employée  dans  les  exploitations  agricoles. 
La  force  de  l'homme  est  utilisée  soit  pour  sou- 
lever ou  porter  des  fardeaux,  soit  pour  manier  des 
instruments  divers,  tels  que  la  bêche,  la  pelle, 
la  houe,  soit  pour  faire  tourner  la  roue  d'un 
puits,  etc.  A  la  mécanique  générale  revient  le 
rôle  de  donner  la  mesure  de  la  force  dépensée 
dans  chaque  circonstance. 

Les  animaux  domestiques  employés  comme  mo- 
teurs sont  le  cheval,  l'àne,  le  mulet,  le  bœuf  et 
même  la  vache  dans  les  contrées  pauvres.  C'est 
par  la  traction  que  leur  force  est  utilisée.  La  trac- 
tion s'opère  en  ligne  droite,  lorsque  l'animal  est 
attelé  à  un  chariot,  sur  une  route,  ou  lorsqu'il  tire 
la  charrue  qui  laboure  un  champ,  etc.  Elle  s'exerce 
suivant  une  ligne  courbe ,  lorsque  l'animal  est 
attelé  k  un  manège  destiné  i  mettre  un  instru- 
ment ou  une  machine  en  mouvement. 

Le  manège  est,  en  effet,  l'organe  de  transmis- 
sion de  force  le  plus  usité  en  agriculture.  Il  a  pour 
but  de  transformer  le  mouvement  lent  de  trans- 
lation des  animaux  en  un  mouvement  de  rotation 
rapide.   On  obtient  cette  transformation  par  une 


combinaison  assez  simple.  Sur  un  engrenage  cir- 
culaire central  sont  fixées  des  tiges  ou  bras  hori- 
zontaux qui  s'écartent  comme  les  rayons  d'un  cer- 
cle. Les  animaux,  attelés  à  l'extrémité  de  ces  bras, 
marchent  en  suivant  la  circonférence.  L'engrenage 
central  est  ainsi  mis  en  mouvement.  Il  actionne 
une  série  d'autres  roues  dentées  ou  de  pignons 
combinés  de  telle  manière  que  le  mouvement  soit 
accéléré.  Ce  mouvement  est  transmis  à  la  machine 
à  faire  mouvoir,  soit  par  un  arbre,  soit  par  une 
courroie  sans  fin.  On  distingue  généralement  deux 
systèmes  de  manèges  :  celui  dit  manège  par  terre, 
qui  transmet  le  mouvement  par  un  arbre  de  cou- 
che ;  celui  dit  en  l'air,  qui  commande  les  machines 
par  une  courroie  sans  fin  passant  au-dessus  des 
animaux.  La  conduite  des  manèges  est  simple  ; 
elle  ne  demande  que  quelques  précautions.  Il  y  a 
aujourd'hui  plusieurs  types  excellents  de  ces  ma- 
chines, que  l'on  rencontre  dans  la  plus  grande 
partie  de  la  France. 

Les  organes  des  machines  agricoles  sont  ceux 
de  toutes  les  autres  machines  :  engrenages,  pou- 
lies, arbres,  coussinets,  volants,  etc.  C'est  à  la 
mécanique  qu'il  appartient  d'en  faire  connaître  le 
rûle.  Il  n'y  a  pas  lieu  non  plus  de  décrire  les  ma- 
chines à  vapeur  employées  en  agriculture  comme 
moteurs.  Il  est  toutefois  utile  de  faire  observer 
que,  parmi  les  nombreux  types  qui  sortent  des 
ateliers  de  construction,  il  en  est  un  qui  est  em- 
ployé presque  exclusivement  dans  les  exploitations 
agricoles  :  c'est  la  machine  h  vapeur  locomobile, 
c'est-à-dire  montée  sur  roues.  Les  cultivateurs 
la  préfèrent,  parce  qu'elle  n'exige  ni  construc- 
tion spéciale  ni  assises,  et  qu'elle  répond,  par 
sa  facilité  de  transport,  à  la  mobilité  des  travaux 
de  la  ferme. 

Après  ces  considérations  générales,  quelques 
détails  doivent  être  donnés  sur  les  principaux 
instruments  et  machines  employés  dans  les  tra- 
vaux agricoles.  Afin  que  cette  description  soit  faite 
avec  ordre,  nous  la  diviserons  en  srpt  parties, 
savoir  :  instruments  pour  la  préparation  des  terres, 
pour  les  semailles,  pour  l'entretien  des  récoltes, 
pour  l'abatage  et  la  rentrée  des  récoltes,  pour  le 
battage  des  céréales  et  autres  graines,  pour  l'ali- 
mentation des  animaux  de  la  ferme,  pour  les  tra- 
vaux divers. 

Instruments  pour  la  pre'pnration  des  terres.  — 
Le  principal  instrument  pour  la  préparation  du 
sol,  est  la  charrue.  C'est  l'instrument  essentiel  du 
cultivateur  ;  on  le  retrouve  dans  l'histoire  des 
âges  les  plus  reculés.  La  charrue,  jadis  informe, 
faite  en  bois  durci,  munie  seulement  d'un  soc  mé- 
tallique, qui  grattait  le  sol  plutôt  qu'elle  ne  le  la- 
bourait, est  aujourd'hui  un  instrument  perfec- 
tionné, qui  exige  une  dépense  de  force  beaucoup 
moindre,  tout  en  faisant  un  travail  beaucoup  plus 
considérable. 

Les  principales  parties  de  la  charrue  sont  le  soc, 
le  contre,  le  versoir,  l'âge,  le  sep,  les  manches  ou 
mancherons,  le  régulateur.  Le  soc  est  la  partie 
principale  ;  c'est  un  couteau  placé  horizontalement 
au  dessous  de  l'âge,  auquel  il  est  fixé  par  sa  partie 
supérieure  ;  il  entre  dans  le  sol  et  coupe,  quand  la 
charrue  marche,  une  bande  de  terre  proportion- 
nelle à  sa  largeur.  Le  sep  est  une  pièce  de  bois 
muni  de  fer,  ou  une  pièce  tout  en  fer,  placée  der- 
rière le  soc,  et  qui  glisse  au  fond  du  sillon,  en 
appuyant  dessus.  Le  contre  est  un  couteau  vertical 
placé  sur  l'âge  en  avant  du  soc,  et  qui  coupe  ver- 
ticalement la  bande  de  terre  que  le  soc  doit  cou- 
per horizontalement.  Le  versoir  est  une  pièce 
métallique,  placée  derrière  le  soc,  et  dont  la  sur- 
face est  disposée  de  manière  à  rejeter  sur  le  côte, 
en  la  retournant,  la  bande  dj  terre  coupiie  i)ar  le 
soc.  L'âge  forme  la  charpente  de  la  charrue  ;  c'est 
une  pièce  horizontale,  le  plus  souvent  en  bois, 
parfois  en  fer,  sur  laquelle  sont  fixés  les  organes 


INSTRUMENTS  ARATOIRES 


103!) 


INSTRUMENTS   ARATOIRES 


(Hii  vioiinoiit  d'6tre  décrits.  Il  se  termine  ;ï  \;x  par-  I  d'une  série  di:  disques  montes  sur  un  mûme  axe, 
tic  postérieure  par  deux  manches  ou  manclieroiis  i  et  dont  la  circonférence  est  munie  de  dents  puis- 
par  lesquels  le  laboureur  conduit  la  charrue;  à  santés.  11  agit  à  la  fois  par  son  poids  et  par  ses 
sa  partie  antérieure  est  fixé  le  régulateur,  qui  i  dents,  pour  briser  les  mottes.  Quand  il  s'agit 
n'est  pas  autre  chose  qu'une  pièce  verticale,  glis-  j  de  terres  facilement  friables,  le  rouleau  brise- 
sant  dans  une  mortaise,  de  manière  à  élever  ou  '  mottes  peut  être  remplacé  par  le  rouleau  plom- 
abaisser  la  ligne  de  tirage,  suivant  que  l'on  veut  beur.  Celui-ci  est  un  rouleau  en  foute  monté 
faire  pénétrer  le  soc  plus  ou  moins  profondément    sur   un   axe  ;  quand    il    a  une   grande    longueur, 


dans  le  sol. 

On  distingue  deux  grandes  catégories  de  char- 
rues :  les  araires,  et  les  charrues  Sx  avant-train. 
Elles  ne  sont  distinguées  les  unes  des  autres  que 


il  est  souvent  divisé  en  deux  ou  tiois  segments. 
Pour  en  rendre  l'action  plus  puissante,  le  rouleau 
est  parfois  surmonté  d'une  caisse  que  l'on  remplit 
de  pierres,  dont  le  poids  est  variable  suivant  les 


par  l'absence  ou  la  présence  de  l'avant-train.  Celui-  ]  besoins  du  travail, 
ci  se  compose  de  deux  roues  mojitées  sur  un  es-  Pour  achever  le  travail  du  rouleau,  c'est-à-dire 
sien.  L'extrémité  antérieure  de  l'âge  est  fixée  à  I  ameublir  complètement  le  sol,  do  même  que  pour 
l'essieu,  et  celui-ci  porte  le  régulateur  qui  devient,  |  extirper  les  mauvaises  herbes,  ou  pour  recouvrir  les 
dans  beaucoup  de  types,  plus  compliqué  que  dans  '  semences,  on  a  recours  aux  herses.  On  désigne  sous 
l'araire.  La  charrue  à  avant-train  demande  plus  ]  ce  nom  des  châssis  munis  de  dents  en  bois  ou  en 
de  tirage  que  l'araire,  mais  elle  présente  l'avan-  i  fer,  droites  ou  recourbées,  parfois  tranchantes,  qui 
tage  d'exiger  moins  d'habileté  de  la  part  du  la-  attaquent  la  partie  supérieure  du  sol.  Les  dents 
boureur.  On  construit  môme  aujourd'hui  des  char-  doivent  être  disposées  de  manière  à  former  des 
rues  à  avant-train  qui,  une  fois  réglées,  demeu-  raies  parallèles,  et  h  ne  pas  marcher  les  unes  der- 
rent  absolument  fixes  et  stables,  quelle  que  soit  '  rière  les  autres.  Elles  doivent  être  assez  espacées 
la  profondeur  du  labour.  1  pour  ne  pas  s'engorger.  Enfin  1  attelage  doit  être 

Il  serait  oiseux  d'entrer  ici  dans  la  description  combiiié  de  telle  sorte  que  l'instrument  marche 
de  tous  les  types  de  charrues.  Chaque  région  a,  j  bien  parallèlement  an  sol,  que  ni  l'avant  ni  l'arrière 
pour  ainsi  dire,  le  sien  qui  a  été  plus  ou  moins  ,  ne  se  relève.  11  existe  beaucoup  de  modèles  de 
modifié.  La  plupart  des  charrues  perfectionnées  herses.  Celles  qui  sont  aujourd'hui  particulière- 
qui  sont  construites  aujourd'hui  dérivent  de  la  ;  ment  estimées  sont  les  herses  articulées,  c'est-à- 
charrueDombasIe.qui  vient  d'être  décrite.  Tous  les  j  dire  formées  de  cliâssis  indépendants,  reliés  à  une 
travaux  de  culture  ne  peuvent  pas  être  faits  par  même  barre  d'attelage,  et  travaillant  isolément  de 
une  seule  charrue,  comme  on  le  verra  à  l'article  manière  à  suivre  toutes  les  irrégularités  du  sol. 
Labours.  Il  y  a  des  charrues  de  défoncement,  des  Se)?(rti//e5.  — Le  plus  ordinairement,  les  semailles 
charrues  de  labours  profonds,  des  charrues  de  i  des  graines  sont  faites  à  la  main.  Pour  les  céréales, 
labours  légers,  des  charrues  tourne-oreilles,  des  '  on  sème  h,  la  volée,  c'est-à-dire  que  le  semeur, 
charrues  bisocs  ou  polysocs,  etc.  ;  l'utilité  de  ces  :  marchant  d'un  pas  mesuré,  jette  métliodiquement 
divers  instruments  sera  alors  expliquée.  |  autour  de  lui  les  grains  par  un  mouvement  du  bras. 

Il  faut  cependant  donner  ici  quelques  explica-  Pour  les  légumineuses  et  plusieurs  autres  plantes, 
tions  sur  le  labourage  à  la  vapeur.  Dans  ce  système  '  on  sème  avec  le  plantoir,  qui  n'est  autre  qu'un  pi- 
de  labour,  la  force  motrice  n'est  plus  demandée  !  quet  de  bois,  avec  lequel  on  fait  dans  la  terre  un 
aux  animaux  domestiques,  mais  à  la  vapeur.  Deux  '  trou  qui  reçoit  la  graine.  Pour  les  pommes  de 
puissantes  machines  à  vapeur  sont  placées  à  cha-  I  terre,  on  sème  soit  à  la  charrue,  soit  à  la  lioue. 
que  extrémité  d'un  champ;  elles  sont  munies  '  Avec  la  charrue,  on  fait  une  raie  dans  laquelle  les 
d'un  tambour  où  s'enroule  un  câble.  Ce  câble,  quand  tubercules  sont  ensuite  placés;  avec  la  houe,  on 
la  machine  marche,  traîne  une  charrue  à  plusieurs  1  creuse  un  trou  qu'on  remplit  par  un  deuxième 
socs  qui  laboure  plus  ou  moins  profondément.  La  coup  de  houe,  quand  le  tubercule  est  semé, 
charrue  est  tirée  alternativement  par  chacune  des  L'emploi  des  semoirsmécaniquestend  néanmoins 
machines;  sous  leur  action,  elle  fait  la  navette  à  se  généraliser.  Il  est, en  eft'et,  prouve  aujourd'hui 
d'une  extrémité  du  champ  à  l'autre.  Parfois,  on  que  le  semoir,  tout  en  faisant  un  travail  plus  ra- 
ne  se  sert  que  d'une  seule  machine  à  vapeur  ;  le  pide,  économise  la  semence  et  assure  une  plus 
mouvement  de  la  charrue  est  obtenu  par  une  !  grande  vigueur  à  la  végétation  de  la  plante, 
disposition  du  câble  qui  tourne  autour  du  champ,  j  Dombasle  a  inventé,  il  y  a  cinquante  ans,  le  semoir 
Le  labourage  à  vapeur  peut  rendre  des  services  1  dit  à  brouette.  Il  se  compose  d'une  trémie  dans 
dans  les  grandes  surfaces  planes,  surtout  quand  il  ,  laquelle  on  place  le  grain  ;  cette  trémie  se  termine 
s'agit  de  défrichements  ou  de  défoncemenls.  par  un  plan   incliné  sur  lequel  glisse  le  grain  pour 

Quand  il  s'agit  de  retourner  la  couche  super-  |  arriver  à  une  roue  à  godets,  qui  le  jette  dans  un 
ficielle  de  la  terre  arable,  afin  de  la  débarrasser  de  i  tube  d'où  il  tombe  par  terre.  Le  mouvement  est 
mauvaises  herbes  dont  on  veut  empêcher  la  matu-  donné  à  la  roue  à  godets  par  l'essieu  de  la  brouette, 
rite,  nu  d'enlever  le  chaume  d'une  céréale  coupée,  i  Ce  semoir  est  poussé  par  un  homme, 
ou  encore  de  préparer  le  sol  pour  un  labour  plus  j  Les  semoirs  à  cheval  sont  plus  grands  et  plus 
complet,  on  remplace  la  charrue  par  un  instrument  \  compliqués.  Sur  l'axe  de  deux  roues  est  placée  une 
spécial  désigné  sous  h;  'nom  d'extirpateur  ou  de  longue  caisse  qui  reçoit  le  grain.  Elle  est  traversée 
scarificateur.  C'est  un  bâti  monté  sur  deux  ou  trois  par  un  arbre  muni  de  disques  qui  portent  des  pe- 
petites  roues,  portant  de  petits  socs,  ou  des  cou-  tites  cuillers.  L'arbre  tourne  sur  lui-même,  et  les 
teaux  à  pointe  recourbée,  qui  pénèirent  plus  ou  cuillers  saisissent  le  grain,  qu'elles  font  tomber 
moins  profondément  dans  le  sol.  Ces  instruments,  dans  des  tubes  verticaux  et  articulés  (|ui  se  termi- 
généralemcnt    légers,  n'exigent  que  peu  de  force,    nent  près  du  sol.  En  avant  de  chacun  de  ces  tubes. 

Les  sillons  ou  les  planches  formés  par  la  charrue  un  petit  soc  ouvre  une  raie  dans  laquelle  tombe  le 
sont  constitués  le  plus  souvent  par  une  grande  grain.  La  profondeur  d'entrure  des  socs  est  réglée 
quantité  de  mottes  de  terre  qu'il  est  nécessaire  de  !  par  des  leviers  munis  de  contre-poids.  La  vitesse 
désagréger  pour  que  toutes  leurs  parties  subissent  de  l'arbre  qui  traverse  la  trémie,  et  par  suite  la 
l'action  des  météores.  C'est  avec  les  rouleaux  '  quantité  do  semence  répandue  sur  une  surface 
qu'on  obtient  ce  résultat.  Autrefois  on  se  servait  i  déterminée,  peuvent  varier  à  volonté,  à  l'aide 
de  rouleaux  en  bois;  leur  action  était  souvent  in-  de  pignons  dentés  qu'on  substitue  les  uns  aux 
suffi.sante.  On  a  quelquefois  recours  à  des  rouleaux    auin'S. 

en  pierre;  mais  ceux  qui  rendent  le  plus  de  ser-  Aux  semoirs  se  rattachent  les  distributeurs  d'en- 
vices  sont  les  rouleaux  en  fonte.  Le  typ»;  le  plus  grais,  instruments  destinés  à  répandre  sur  le  sol 
estimé  est  le  rouleau  dit  CrosskiU.  Il  se  compose  |  les  engrais  pulvérulents,  soit  après  les  semailles, 


INSTRUMENTS  ARATOIRES     —  1040  —     INSTRUMENTS  ARATOIRES 


soit  au  printemps.  Ils  se  composent  généralement 
d'une  caisse  traversée  par  un  arljre  muni  de  pa- 
lettes, dont  le  jeu  fait  sortir  l'engrais  soit  par  des 
tubes,  soit  par  des  ouvertures  à  la  partie  inférieure 
de  la  caisse. 

liistrwnents  pour  les  frnvai/x  d'enh-etifiii  des 
récoltes.  —  Toutes  les  plantes  cultivées  ne  deman- 
dent pas,  pendant  leur  croissance,  les  mômes 
soins.  Il  en  est  qui  poussent  et  se  développent 
presque  sans  qu'  on  ait  à  s'en  occuper,  du  moins 
dans  les  années  favorables.  Pour  d'autres,  au  con- 
traire, il  faut  faire  des  travaux  de  sarclage,  de  bi- 
nage, c'est-à-dire  de  nettoiement  et  d'ameublisse- 
ment  du  sol.  D'autres  enfin  demandent  que  la  terre 
soit  relevée  au  pied  de  leurs  tiges.  De  cette  diver- 
sité de  besoins,  sont  nés  des  instruments  spéciaux, 
les  houes  ou  bineuses,  les  buttoirs. 

Chacun  connaît  la  houe  à  main,  qui  est  employée 
pour  le  travail  des  vignes,  de  même  que  pour  le 
sarclage.  C'est  une  lame  tranchante  fixée  à  angle 
aigu  sur  un  manche.  Il  y  en  a  plusieurs  types  va- 
riant avec  les  dimensions  de  la  lame.  C'est  un  tra- 
vail pénible  que  de  biner  à  la  main  les  cultures  de 
plantes-racines,  d'autant  plus  qu'il  demande  à  être 
fait  avec  une  assez  grande  rapidité.  La  houe  Ji 
cheval  est  destinée  à  remplacer  la  houe  à  la  main. 
Elle  est  montée  sur  deux  roues,  et  se  compose 
d'un  bâti  portant  un  certain  nombre  de  lames  re- 
courbées ou  rasettes  qui  ameublissent  la  surface 
du  sol,  et  coupent  les  mauvaises  herbes.  Les  plus 
petites  houes  n'ont  qu'une  rouelle  à  la  partie  an- 
térieure. Les  rasettes  doivent  être  mobiles  sur  les 
tiges  auxquelles  elles  sont  fixées,  afin  que  leur 
écartement  puisse  être  modifié.  Toutes  les  plantes 
ne  sont  pas  en  efl'et  cultivées  sur  des  lignes  égale- 
ment distantes,  et  la  houe  doit  pouvoir  servir  pour 
les  diverses  natures  de  récoltes.  La  houe,  qu'on 
désigne  aussi  sous  le  nom  de  bineuse,  doit  être 
conduite  avec  beaucoup  d'habileté,  car  il  suffit 
de  déviations  très  faibles  pour  qu'on  attaque  les 
plantes  cultivées,  au  lieu  des  mauvaises  herbes. 

Les  buttoirs  servent  à  relever  la  terre  autour  du 
pied  de  certaines  plantes,  notamment  les  pommes 
de  terre,  les  choux,  le  mais.  Ils  ont  la  forme 
d'une  véritable  charrue  araire,  souvent  munie  d'une 
petite  roue  à  l'avant  de  l'âge.  Ils  se  distinguent  de 
la  charrue  ordinaire  en  ce  qu'ils  sont  munis  de  deux 
versoirs  placés  dos  à  dos  ;  quand  le  buttoir  marche 
entre  deux  lignes  de  plantes,  il  enlève  la  terre 
placée  au  centre  de  l'espace,  et  la  rejette  à  droite 
et  à.  gauche.  Les  versoirs  sont  munis  de  charnières 
qui  permettent  de  varier  l'écartement  de  leur 
partie  postérieure,  suivant  l'espacement  des  lignes. 

histruynenls  de  récolte.  —  La  coupe  et  la  ren- 
trée des  récoltes  fourragères  et  des  céréales  sont 
aujourd'hui  la  grande  préoccupation  des  agricul- 
teurs. Ces  travaux  demandent  i  être  faits  rapide- 
ment et  dans  de  bonnes  conditions. 

Les  fourrages  des  prairies  naturelles  ou  artifi- 
cielles sont  le  plus  souvent  coupés  à  la  faux. 
L'herbe  étendue  par  terre  est  fanée,  c'est-à-dire 
retournée  avec  des  fourches  en  bois,  jusqu'à  ba 
dessiccation,  puis  le  foin  est  ramassé  avec  des 
râteaux  pour  être  chargé  sur  les  chariots  qui  l'em- 
portent à  la  ferme.  Toutes  ces  opérations  peuvent 
être  faites  aujourd'hui  avec  lies  machines  parfai- 
tement appropriées  au  travail  qu'on  leur  demande. 

Les  faucheuses  mécaniques  coupent  l'herbe.  Elles 
sont  presque  toutes  construites  d'après  le  même 
type.  La  faucheuse  est  montée  sur  deux  roues 
motrices  présentant  extérieurement  des  cannelu- 
res pour  mieux  mordre  le  sol.  Intérieurement  ces 
roues  sont  garnies  d'une  couronne  dentée  ;  dans 
chaque  C(mronne  s'engrène  un  pignon.  Les  deux 
pignons  sont  portés  par  un  axe  commun,  au  mi- 
lieu duquel  est  un  engrenage  d'angle  qui  multiplie 
la  vitesse  et  la  transmet  à  un  plateau  manivelle, 
auquel  est  fixée  la  bielle  chargée  de  donner  à  une 


scie  son  mouvement  de  va-et-vient.  La  scie,  for- 
mée par  de  larges  dents,  est  portée,  latéralement 
au  bâti  de  la  faucheuse,  par  une  barre  rigide 
munie  de  pointes  qui  pénètrent  dans  la  récolte  à 
couper.  Le  conducteur,  placé  sur  un  siège  au- 
dessus  des  roues  motrices,  tient  d'une  main  les 
guides  des  deux  chevaux  qui  traînent  la  faucheuse 
et,  de  l'autre,  il  peut  faire  manœuvrer  un  levier 
avec  lequel  il  relève  ou  abaisse  la  scie  pour 
qu'elle  coupe  à  différentes  hauteurs,  pour  qu'elle 
passe  au-dessus  des  pierres  ou  des  obstacles  pré- 
sentés par  le  terrain.  La  largeur  de  coupe  est  de 
1  m.  30  environ.  En  même  temps  qu'elle  fait  un 
travail  rapide,  résulier,  la  faucheuse  assure  une 
grande  économie  dans  le  prix  de  revient  de  la 
coupe  des  fourrages.  La  difl'érence  est  surtout  con- 
sidérable quand  on  a  à  couper  des  récoltes  très 
fournies,  sur  de  grandes  surfaces. 

Les  machines  destinées  à  faire  le  fanage  méca- 
niquement sont  formées  par  un  tambour  disposé 
sur  l'essieu  de  deux  roues  motrices.  Ce  tambour 
est  armé,  sur  son  pourtour,  de  longues  dents  re- 
courbées qui  saisissent  le  foin  sur  le  sol  et  le  pro- 
jettent en  tous  sens  ;  suivant  que  la  faneuse  prend 
le  foin  par  le  côté  concave  ou  le  côté  convexe  de 
ses  dents,  cette  projection  se  fait  plus  ou  moins 
énergiquement.  Un  seul  cheval  suffit  pour  traîner 
l'instrument.  La  faneuse  peut  faire  le  fanage  de 
quatre  hectares  à  peu  près  par  jour. 

Les  râteaux  à  cheval  destinés  à  réunir  le  foin  en 
tas  plus  ou  moins  gros,  ont  à  peine  besoin  d'être 
décrits.  Us  sont  formés  par  de  longues  dents  re- 
courbées, portées  sur  l'essieu  de  deux  roues.  Ces 
dents  sont  articulées  de  manièi-e  à  agir  indépen- 
damment les  unes  des  autres.  Le  travail  du  râteau 
à  cheval  est  très  rapide,  et  il  est  d'ailleurs  excel- 
lent. Il  peut  remplacer  une  trentaine  d'ouvriers. 
Enfin,  récemment,  on  a  imaginé  un  chargeur  au- 
tomatique qu'on  place  à  l'arrière  du  chariot,  et  qui, 
lorsque  celui-ci  est  en  marche,  saisit  le  foin  ré- 
pandu sur  le  sol  ou  en  meulons,  et  le  fait  passer 
sur  la  voiture. 

La  moisson  des  céréales  peut  être  faite  méca- 
niquement, comme  la  récolte  des  fourrages.  C'est 
même  sur  la  construction  des  machines  à  mois- 
sonner que  se  sont  d'abord  portés  les  efl'orts  des 
inventeurs.  Le  problème  est  plus  complexe  que 
pour  la  fauchaison.  Que  demande-t-on,  en  effet, 
à  une  moissonneuse'?  De  couper  régulièrement 
les  tiges  des  céréales  sans  égrener  les  épis,  et  de 
déposer  ces  tiges  sur  le  sol  en  javelles,  c'est-à-dire 
en  petits  tas  prêts  à  être  liés  pour  former  des 
gerbes.  Il  faut,  pour  arriver  à  un  travail  régulier, 
une  combinaison  de  mouvements  assez  complii|Uée. 

La  plupart  des  moissonneuses  sont  construites 
à  peu  près  de  la  même  manière.  La  machine  re- 
pose sur  une  seule  roue  motrice  munie  intérieu- 
rement d'une  couronne  dentée.  Sur  celle-ci  en- 
grène un  pignon  dont  l'axe  porte  une  roue  d'angle 
transmettant  le  mouvement  de  la  roue  à  une  bielle 
qui  agit  sur  un  plateau  manivelle  pour  imprimer  à 
la  scie  placée  latéralement,  un  mouvement  rectiligne 
alternatif.  La  scie  est  supportée,  comme  dans  la 
faucheuse,  par  une  barre  rigide,  et  derrière  elle 
est  fixé  un  tablier  en  bois  muni  a'armatures 
métalliques.  Sur  Taxe  de  la  roue  motrice,  un 
deuxième  pignon  transmet  le  mouvement  à  une 
roue  à  cames  qui  commande  l'appareil  javeleur. 
Celui-ci  se  compose  généralement  de  deux  râteaux 
et  de  deux  rabatteurs,  passant  alternativement  sur 
le  tablier,  soit  pour  incliner  les  tiges  sur  celui-ci, 
soit  pour  les  pousser  en  arrière  et  les  déposer  en 
javelles  sur  le  coté  de  la  piste  de  la  moissonneuse. 
La  vitesse  de  la  scie  est  généralement  de  1  m.  10 
à  !  m.  20  par  seconde.  La  machine  demande  deux 
chevaux.  Grâce  à  des  leviers  placés  sous  la  main 
du  conducteur,  celui-ci  peut  embrayer  ou  arrêter 
la  machine,  régler  la  hauteur  de  coupe,  varier  le 


INSTRUMENTS   ARATOIRES     —  lO'tl  —     INSTRUMENTS  ARATOIRES 

le  batteur  et  le  contre-batteur  ne  sont  pas  rigou- 
rfiusemoiit  parallèles  ;  leurs  surfaces  sont  plus 
rapprochées  du  côté  des  épis.  Cette  disposition  a 
pour  but  d'empêcher  le  froissement  excessif  de  la 
paille  et  de  lui  conserver  sa  valeur;  dans  les  ma- 
chines en  bout,  au  contraire,  elle  est  toujours  brisée. 

En  sortant  du  batteur,  les  grains  sont  chassés 
au  dehors  par  un  ventilateur,  dans  les  machines  les 
plus  simples,  et  la  paille  tombe  sur  un  plan  in- 
cliné en  dehors  de  la  machine.  Dans  les  batteuses 
plus  complètes,  la  paille  est  poussée  sur  un  organe 
secoueur  forme  de  lattes  parallèles,  animé  par 
un  arbre  coudé  d'un  mouvement  de  Bassement,  qui 
a  pour  but  de  la  débarrasser  de  tous  les  grains 
qu'elle  peut  encore  renfermer;  elle  est  ainsi  con- 
duite i  l'extrémité  de  la  machine.  Dans  ces  mêmes 
batteuses,  le  grain  passe  dans  un  ventilateur  qui 
chasse  les  menues  pailles  et  les  balles  ;  de  là, 
dans  un  cribleur  qui  en  achève  le  nettoyage.  Dans 
les  machines  les  plus  complètes,  l'opération  du 
criblage  se  répète  par  plusieurs  nettoyeurs,  de 
telle  sorte  que  le  blé  est  séparé  en  qualités  diver- 
ses et  qu'il  est  débarrassé  de  tous  les  grains  acces- 
soires qu'il  peut  contenir. 

Les  machines  à  battre  sont  mues  soit  par  un 
manège,  soil  par  une  machine  à  vapeur.  Avec  une 
batteuse  à  manège  bien  construite  mue  par  un 
cheval,  on  peut  battre  par  heure  40  à  60  gerbes  de 
dix  kilog.  ;  avec  une  machine  mue  par  un  manège 
à  deux  chevaux,  60  à  lOil  gerbes.  Les  batteuses  à 
vapeur,  pour  moyenne  culture,  peuvent  battre, 
avec  une  machine  de  trois  chevaux,  100  à  150 
gerbes  par  heure;  avec  une  force  de  cinq  chevaux, 
on  peut  baltre  150  à  350  gerbes;  avec  les  batteuses 
plus  fortes,  ou  peut  atteijidre  300  gerbes. 

Afin  de  faire  profiter  les  cultivateurs  des  avan- 
tages de  ces  grandes  machines,  il  s'est  formé  dans 
beaucoup  de  départements  des  entreprises  de 
battage  à  façon.  L'entrepreneur  promène  sa  ma- 
chine h  vapeur  et  sa  batteuse  de  ferme  en  ferme, 
et  il  bat  la  récolte  de  chacun  pour  un  prix  modéré, 
qui  est,  en  général,  de  15  à  90  centimes  par  hec- 
tolitre de  grain  battu. 

On  construit  aussi  des  machines  spéciales  pour 
le  battage  des  graines  fourragères,  des  colzas; 
mais  leur  usage  est  beaucoup  moins  répandu. 

bistrumunts  pour  préparer  la  nourrilure  du,  bé- 
tail. —  En  première  ligne  se  placent  les  instru- 
ments destinés  au  nettoyage  des  grains.  Les  uns 
servent  simplement  à  nettoyer  le  grain  et  à  le 
débarrasser  des  corps  étrangers  qui  y  sont  mêlés; 
ce  sont  les  tarares.  Les  autres,  appelés  trieurs, 
séparent  le  grain  en  qualités  diflerentas,  et  le 
purgent  de  toutes  les  impuretés  qu'il  renferme. 
Ces  divers  instruments  servent  surtout  pour  la 
préparation  des  grains  de  semence. 

Les  tarares  se  composent  généralement  d'un 
volant  à  ailettes,  mù  par  une  manivelle  et  surmonté 
par  une  trémie.  Le  mouvement  du  volant  produit 
une  ventilation  énergique  qui  agit  sur  le  grain,  et 
chasse  la  poussière,  les  balles  elles  corps  légers. 
Leur  travail  est,  coanne  on  le  voit,  des  plus 
simples. 

Dans  les  cylindres  ou  cribles  trieurs,  le  grain 
passe  sur  des  toili's  métalliques  portant  des  trous 
de  différentes  grandeurs,  et  disposés  de  manière 
à  faire  tomb(!r  le  grain  dans  des  caisses  spéciales 
pour  les  diverses  sortes. 

Les  moulins  agricoles  sont  destinés  à  transfor- 
mer le  grain  en  farine.  Leur  usage  est  peu  ré- 
pandu, il  faut  toutefois  faire  une  exception  pour 
les  petits  moulins  à  bras  destinés  à  préparer  la 
farine  d'oige  qui  entre,  en  de  larges  propor- 
tions, dans  la  ration  des  animaux  soumis  à  l'en- 
graissement. 

Quant  aux  instruments  destinés  d'une  manière 
absolument  spéciale   h.   préparer  la  nourriture  du 
1  bétail,  l'agriculteur  n'a  que  l'embarras  du  choix. 
G6 


javelage,  de  manière  à  faire  un  nombre  de  javelles 
plus  ou  moins  considérable  sur  une  longueur  dé- 
terminée, suivant  l'état  de  la  récolte. 

Les  résultats  de  l'emploi  des  machines  à  mois- 
sonner sont  considérables.  Elles  donnent  la  faculté 
de  mettre  rapidement  les  moissons  h,  l'abri  des 
intempéries,  elles  affranchissent  le  cultivateur  des 
«xigencos  des  faucheurs,  et  elles  laissent  tous  les  bras 
disponibles  pour  le  liage  et  le  transport  des  ger- 
bes. On  a  même  inventé  récemment  des  moisson- 
neuses-lieuses qui  livrent  la  gerbe  toute  liée. 

Quelques  types  de  machines  sont  construits  de 
manière  à  pouvoir  servir  successivement  comme 
fau^ieuses  et  comme  moissonneuses.  A  cet  effet, 
on  change  la  scie  et  quelques  pignons  pour  mo- 
difier la  vitesse  du  mouvement,  et  on  adapte  un 
appareil  javeleur  qui  peut  être  enlevé  à  volonté. 
Mais  la  plupart  de  ces  machines  n'ont  eu  qu'un 
succès  restreint.  11  n'en  est  pas  de  même  des 
moissonneuses  et  des  faucheuses  à  un  cheval  ré- 
cemment introduites.  Elles  sont  construites  exac- 
tement d'après  les  mêmes  principes  que  les  ma- 
chines Ji  deux  chevaux,  mais  elles  ont  une  plus 
grande  légèreté  et  elles  coupent  sur  une  largeur 
moindre.  Ces  machines  peuvent  rendre  des  servi- 
ces réels  à  la  petite  culture. 

Battage  îles  récoites.  —  Jadis  le  battage  des 
céréales,  c'est-à-dire  la  séparation  du  grain  et  de 
la  paille,  se  faisait  par  les  moyens  les  plus  primi- 
tifs. Les  épis,  rangés  sur  une  aire,  étaient  triturés 
par  les  pieds  des  chevaux,  ou  bien  on  faisait  pas- 
ser par-dessus  un  gros  rouleau  de  pierre.  Le  fléau 
articulé  a  succédé,  dans  le  nord  et  dans  le  centre 
de  la  France,  h  ce  premier  système  ;  il  règne  en- 
core dans  beaucoup  de  petites  exploitations,  mais, 
dans  la  plupart  des  fermes  un  peu  importantes, 
il  a  été  remplacé  par  la  machine  à  battre. 

On  distingue  deux  catégories  de  machines  h 
battre.  La  première  comprend  les  machines  dites 
batteries  en  travers  ;  ce  sont  celles  qui  agissent  à 
la  fois  sur  toute  la  longueur  de  la  paille.  La  se- 
conde renferme  les  batteries  en  bout,  qui  sou- 
mettent successivement  toutes  les  parties  de  la 
paille,  présentée  par  une  de  ses  extrémités,  à  l'or- 
gane batteur.  Dans  chacune  de  ces  catégories,  on 
distingue  plusieurs  classes,  d'après  l'état  du  grain 
au  moment  où  il  sort  de  la  machine.  Tantôt  il  est 
rejeté  pêle-mêle  avec  la  paille  :  tantôt  il  en  est  sé- 
paré, mais  sans  être  dégagé  des  balles  et  menues 
pailles;  tantôt  enfin,  il  esi  plus  on  moins  nettoyé 
et  divisé  en  catégories  de  grosseur  différente.' 

La  première  opération  consiste  à  faire  arriver  les 
gerbes  déliées  sous  l'appareil  batteur.  Dans  la 
plupart  des  machines,  les  tiges  sont  posées  sur 
une  table  et  poussées  par  la  main  de  l'ouvrier;  par- 
fois le  tablier  est  formé  d'une  toile  ou  d'une  série 
de  lattes  mobiles  qui  entraînent  les  tiges.  Dans  ces 
derniers  temps,  quelques  constructeurs  ont  ima- 
gmé  des  appareils  spéciaux  qui  permettent  de 
faire  l'engrenage  automatiquement. 

L'organe  principal  des  machines  à  battre  est  le 
batteur.  Celui-ci  consiste  le  plus  souvent  en  une 
sorte  de  tambour  ou  cylindre  porté  ]jar  un  axe 
horizontal,  tournant  très  rapidement  sur  lui-même 
et  dont  la  surface  enveloppante  est  armée  de 
barres  espacées  parallèlement,  destinées  à  frapper 
la  paille  et  à  en  séparer  le  grain.  Le  batteur  est 
généralement  en  fonte,  et  les  lames  ou  battes  de 
•sa  circonférence  sont  en  fer  ou  en  acier.  Le  con- 
tre-batteur consiste  en  une  sorte  de  caisse  curvi- 
ligne, concentrique  au  batteur,  et  dont  la  surface 
interne  est  munie  de  battes  ou  cannelée.  La  paille 
est  froissée  dans  le  passage  entre  le  batteur  et  le 
contre-batteur,  et  les  grains  que  les  battes  du 
batteur  n'ont  pas  d'abord  atteints  sont  ainsi  sépa- 
res La  distance  qui  sépare  ces  deux  organes  est 
réglée  suivant  la  grosseur  de  la  paille  et  la  nature 
(lu  grain.  En  outre,  dans  les  batteuses  en  travers, 

2'  PÀKTIE. 


INSTRUMENTS   ARATOIRES     —  1042  —  INTELLIGENCE 


Les  principaux  instruments  employés  sont  : 

Les  concasseurs  de  grains,  formés  par  des  cy- 
lindres cannelés  entre  lesquels  on  fait  passer  les 
graines,  pour  les  briser  grossièrement,  afin  qu'elles 
soient  plus  facilement  absorbées  par  les  animaux 
domestiques  ; 

Les  aplatisseurs  d'avoine,  destinés  à  briser  la 
pellicule  souvent  dure  de  l'avoine,  avant  que  ce 
grain  soit  donné  aux  chevaux; 

Les  coupe-racines,  dont  le  nom  indique  suffi- 
samment l'usage  :  ils  servent  à  débiter  en  tranches 
minces  les  carottes,  navets,  betteraves,  etc.  ;  ils 
sont  généralement  composés  d'une  trémie  ouverte 
sur  un  cùté;  un  disque  muni  de  couteaux  affleure, 
en  tournant,  cette  ouverture,  et  coupe  les  racines 
qui  dépassent  par  leur  propre  poids  ; 

Les  hache-paille,  employés  pour  diviser  en  pe- 
tits morceaux  la  paille  qu'on  mélange  aux  autres 
aliments  du  bétail;  ils  sont  formés  d'un  bâti 
portant  un  tiroir  horizontal  dans  lequel  sont  pla- 
cées les  tiges.  Ce  tiroir  se  termine  par  deux  cy- 
lindres entre  lesquels  celles-ci  sont  forcées  à 
passer,  pour  arriver  devant  les  couteaux  d'un 
disque  tournant  qui  coupe  la  paille  en  morceaux 
de  2  ou  3  centimètres  ou  davantage,  au  gré  du 
cultivateur.  Il  y  a  beaucoup  de  modèles  construits 
d'après  ce  principe.  Le  hache-paille  est  U]i  instru- 
ment d'une  grande  utilité  dans  une  exploitation 
rurale  ; 

Les  laveurs,  destinés  à  nettoyer  les  racines  ou 
tubercules  qu'on  donne  au  bétail.  Ils  sont  formés 
d'une  caisse  cylindrique  à  claire-voie,  légère- 
ment inclinée,  mobile  autour  de  son  axe,  et  plon- 
geant à  moitié  dans  un  baquet  rempli  d'eau.  Les 
racines  sont  introduites  par  une  extrémité  dans  le 
laveur,  et  elles  sortent  h  l'autre  extrémité. 

Il  faut  encore  signaler,  dans  cette  catégorie, 
les  appareils  pour  la  cuisson  des  racines,  pommes 
de  terre,  etc.  Ces  appareils  sont  généralement  très 
simples,  sauf  dans  les  grandes  exploitations  ayant 
des  machines  à  vapeur,  qui  cuisent  à  la  vapeur  les 
aliments  du  bétail. 

Iiislruiiieiits  pour  travaux  divers.  —  En  dehors 
des  catégories  qui  viennent  d'èire  décrites,  il  existe 
quelques  instruments  ou  machines  dont  l'usage  se 
répand  de  plus  en  plus.  Il  en  est  deux  qui  doivent 
être  particulièrement  signalés,  la  bascule  et  la 
presse  à  fourrages. 

Quand  on  entre  dans  une  ferme,  on  peut  tout 
de  suite  porter  un  premier  jugement  sur  celui  qui 
la  dirige,  par  la  présence  ou  l'absence  d'une 
bascule,  destinée  à  peser  les  voitures  chargées 
qui  entrent  ou  qui  sortent,  à  juger  le  poids  des 
animaux  domestiques.  La  bascule  est  formée  gé- 
néralement par  un  bâti  en  maçonnerie,  portant 
un  système  de  leviers  sur  lequel  repose  un  ta- 
blier mobile  :  lorsque  le  tablier  est  chargé,  la 
charge  agit  sur  les  leviers  comme  dans  une  bascule 
ordinaire,  et  son  poids  est  indiqué  sur  un  bras  de 
romaine. 

Les  presses  à  fourrages  sont  formées  par  des 
caisses  à  fond  mobile  faisant  fonction  de  piston, 
de  manière  à  coiuprimer  le  fourrage  mis  dans  la 
caisse.  Par  des  dispositions  spéciales  et  variables 
suivant  les  systèmes,  la  botte  de  fourrage  arrivée 
au  maximum  de  compression  est  serrée  par  des 
liens  qui  la  maintiennent  au  volume  auquel  elle 
a  été  réduite.  On  construit  des  presses  à  fourrages 
propres  à  donner  une  haute  densité  au  foin,  et  de 
simples  botteleuses  qui  forment  seulement  des 
bottes  d'un  poids  déterminé. 

Soins  à  donner  aux  madiines.  —  L'entretien 
des  machines  et  des  instruments  en  assure  la 
durée.  Trop  souvent  les  cultivateurs  oublient  ces 
soins  d'entretien,  et  ils  se  plaignent  d'avoir  à  re- 
nouveler souvent  un  matériel  parfois  coilteux. 

L'entretien  des  machines  agricoles  ne  demande 
pas   beaucoup  de   peine.    Le  cultivateur  doit  se 


souvenir  que  rien  n'est  plus  nuisible  k  un  métal, 
et  surtout  au  fer,  que  l'humidité.  Il  aura  donc  soin 
de  ne  pas  exposer  ses  instruments  à  l'action  de  la 
pluie,  en  dehors  des  cas  de  nécessité.  11  est  bon 
d'ailleurs  de  graisser,  de  temps  en  temps,  même 
les  grandes  pièces  de  machines  au  repos.  Quant 
aux  organes  subissant  des  frottements,  ils  doivent 
toujours  être  huilés  avec  le  plus  grand  soin.  Le 
bon  fonctionnement  d'une  machine,  môme  des 
plus  simples,  dépend  souvent  de  son  état  de  pro- 
preté ;  la  rouille  en  est  le  pire  ennemi. 

I  Henry  Sagnier.] 
INTELLIGENCE.  —  Psychologie,  V.  —  Etym.  : 
du  latin  i?itelliijerp,  comprendre.  —  L'intelligence 
est  la  faculté  de  penser.  Penser  est  un  de  ces  ter- 
mes à  la  fois  si  généraux  et  si  clairs  qu'il  est  inu- 
tile d'essayer  de  les  définir.  L'acte  de  la  pensée, 
sous  quelque  forme  et  dans  quelque  circonstance 
qu'il  se  produise,  est  un  phénomène  d'une  nature 
toute  spéciale,  nettement  caractérisé,  que  l'on  ne 
peut  confondre  avec  aucun  autre  phénomène.  On 
peut  être  et  l'on  est  souvent  embarrassé  pour  dé- 
terminer le  point  précis  où  commence  la  pensée, 
pour  savoir  ce  qu'elle  serait  sans  la  parole,  ou  pour 
tracer  la  limite  entre  l'instinct  chez  l'animal  et 
l'intelligence  chez  l'homme,  entre  la  pensée  de 
l'enfant  et  celle  de  l'adulte,  ou  encore  pour  dire 
quelle  est  rigoureusement  la  part  de  l'intelligence 
et  celle  des  autres  facultés  dans  certains  faits  de 
conscience  qui  sont  multiples  et  complexes.  Mais 
la  difficulté  que  présentent  toutes  ces  questions 
tient  précisément  ^  cette  complexité,  à  cette  indé- 
cision des  divers  éléments  qui  s'y  mêlent  et  dont  il 
faudrait  pouvoir  faire  le  départ  pour  résoudre  le 
problème.  Dès  qu'il  s'agit  au  contraire  d'observer 
la  pensée  dans  ses  manifestations  normales,  les 
plus  humbles  ou  les  plus  élevées,  tout  le  monde  est 
d'accord  pour  les  reconnaître  en  quelque  sorte  à 
première  vue,  tout  le  monde  convient  qu'affirmer 
ou  nier,  que  croire  ou  douter,  que  se  souvenir  ou 
prévoir,  c'est  penser  ;  que  louer  ou  blâmer,  cons- 
tater ou  imaginer,  dire  vrai  ou  dire  faux,  c'est  en- 
core penser;  que  percevoir,  concevoir,  raisonner, 
déduire,  induire,  comparer,  comprendre  et  se  faire 
comprendre  enfin,  ce  sont  autant  de  manières  de 
penser,  autant  d'actes  d'intelligence. 

Si,  au  lieu  de  se  borner  à  cette  définition,  on  re- 
cherche en  quoi  consiste  essentiellement  l'acte 
même  de  la  pensée,  on  arrive  à  cette  formule  iden- 
tique à  la  précédente,  quoique  un  peu  moins  gé- 
nérale dans  l'expression  :  L'intelligence  est  la 
faculté  de  juf/er.  Le  jugemeyil  n'est  pas  absolu  • 
ment  le  seul  phénomètio  de  la  pensée,  mais  il  en 
est  l'acte  par  excellence,  l'acte  à  la  fois  le  plus 
simple,  le  plus  normal  et  le  plus  complet  ;  non 
simlement  il  résuiue  et  resserre  en  soi  tous  les 
éléments  de  la  pensée,  mais  il  en  fait  un  tout  vi- 
vant, il  leur  donne  une  âme,  un  sens,  une  unité 
[logique.  —  V.  Jugement. 

Si  l'intelligence  ou  le  pouvoir  pensant  a  pour 
opération   fondamentale  le  jugement,  c'est  par  la 
diversité  des  différentes  sortes  de  jugements  que  se 
distingueront  le  plus  naturellement  les  divers  mo- 
des d'action  de  l'intelligence,  et  la  classification  des 
;  facultés  intellectuelles  sera  sous  un  autre  nom  la 
'  classification  des  jugements.  Autant  il  y  a  de  clas- 
ses distinctes  de  jugetnents,   autant  il  y  aura   de 
I  chefs  sous  lesquels  on  pourrra  les  grouper,  c'est- 
à-dire   de  facultés  intellectuelles,  car  une  faculté 
n'est  autre  chose  que  le  nom  sous  le(iuel  on  résume 
et  on  classe  un  ordre  de  faits  psychologiques. 

Nous  indiquons  au  mot  Jnqement  les  principales 
classifications  proposées  par  les  divers  systèmes 
de  philosophie,  avec  la  division  des  facultés  intel- 
lectuelles qui  y  correspond.  Aucune  de  ces  classi- 
fications ne  satisfait  complètement  l'esprit,  parci' 
que  toutes  ont  quelque  chose  d'arbitraire  ou  tout 
au  moins  d'artificiel.  Il   n'est  pas  nécessaire,  du 


INTiaLIGENCE 


1043  — 


resto,  d'adopter  rigoureusement  l'une  ou  l'autre  et 
de  s  en  faire  une  sorte  d'article  de  foi.  L'important 
pour  tous,  et  principalement  pour  les  instituteurs 
est  d  entendre  les  termes  dont  on  se  sert  constam- 
ment en  cette  matière,  d'en  connaître  le  sens  pré- 
cis et  de  no  les  employer  que  dans  ce  sens.  Quant 
aux  points  controverses,  et  ce  sont  les  plus  nom- 
breux il  ne  faut  pas  prétendre  les  résoudre  à  moins 
a  études  tout  à,  fait  spéciales  et  approfondies  ■  en- 
core doit-on  ajouter  que  ceux-là,  mêmes  qui  ont  fait 
ces  études  n'arrivent  pas  toujours  à  tomber  d'ac- 
cord m  sur  les  mots  ni  sur  les  choses  de  ce  do- 
maine. 

Sous  ces  réserves  et  uniquement  pour  présenter 
avec  un  certain  ordre  nos  observations  sur  les  fa- 
cultes  intellectuelles,  nous  choisissons  parmi  les 
classifications  en  usage  celle  qui  distingue  trois 
grandes    formes     d'activité     intellectuelle     dans 

I  homme  à  1  état  adulte  et  civilisé  :  Vmtuitmi  la 
'.■nnce^tw7i  et  le  raisonnement. 

h'mtuition,  comme  le  mot  l'indique  (du  latin 
mtueri,  voir),  c'est  la  vue  immédiate,  sans  effort 
sans  intermédiaire,  sans  travail  préparatoire.  Par 
eue,  1  esprit  aperçoit  la  réalité  comme  eitislant  ou 
'.eliors  de  lui  et  se  manifestant  tout  entière  et  tout 

II  un  coup  :  moyennant  une  seule  condition,  l'at- 
lention,  les  phénomènes  d'ordre  intuitif  apparais- 
sent dans  leur  pleine  lucidité  en  quelque  sorte 
spontanément  ;  c  est  qu'ils  ne  dépendent  pas  de 
nous  :  Ils  résultent  d'un  objet  réel,  distinct  de 
notre  esprit,  et  qui,  pour  ainsi  dire,  se  montre  lui-  I 

cetr  IXl  >'""■'*'•  -^"PP?"^'^  ''"''j^''  l'intuition  1 
cesse.  Faites-Ie  reparaître,  elle  recommence . 

La  conception  a  bien  encore,  à  un  certain  degré 
a  spontanéité  et  la  promptitude,  mais  elle  n'a  pas 
la  vérité  certaine,  la  ferme  et  indubitable  solidité 

un  Ih  P,"'""-  ,^''"'=r°"''  "^  "'«^'  P''i«  percevoir 
»!  ^T  '  "  ''"  '"  '"^  i-eprésenter,  c'est  le  placer 
devant"!^;'"''  ""Z'^'"''  °"  ^'^'  ""  J**"  ^e  l'esprit, 
m/iî  pvil,  ^"""i  ''''  '""  imagination.  On  se  figuré 
qu  U  existe,  on  le  crée,  on  peut  le  façonner  à  son 
^re.  La  conception  est,  si  l'on  peut  ainsi  dire 
une  intuition  artificielle.  Elle  n'a  plus  besoin  de  h 

n  Jf^  ^n"  ^"  '  'absence  de  toute  réalité  :  où  rien 
n  ex  se,  elle  enlante  des  mondes,  si  elle  le  veut 
niars  Lnh7f  """^•^  d'invention  et  de  fécondTté; 
l,lp  =h^  ?  trompeuse  qui  nous  verse  avec  une 
égale  abondance  l'erreur  et  la  vérité 

Le  raisonnement  enfin  se  distingue  des  deux 
modes  précédents  :  il  n'a  pas  la  prompte  et  sou 
dame  clarté  de  l'intuition,  mais  il  en  a  toute  "a 
>-urete  ;  ses  résultats  sont  autrement,  mais  ausst 

noai^aîird'''"-'  "'   ^'""'"''''"'  I'  "«  "ôus  f 
.ipparaitre   d  un    coup   rien  de   réel,    ni  d'ima-i- 

■Z'aVelLZr/'''  '''."«■,"«■".  laborieusement 
,.-  aduellement  découvrir  l'une  après  l'autre  les 
diverses  parties  de  la  vérité.  Par  là  môme  U  se 
sépare  bien  de  la  conception.  S'il  n'en  a  pas  la  vT 
vacué  inépuisable,  il  n'en  a  pas  non  plus  la  le^g"!- 
rete  inconsistante.  Prenant  son  point  de  dénart 
mTchelemlnt^  certaines,  il  procè'de  suWantSne 
mai  eue  certaine  aussi  et  aboutit  à  des  conséauen- 

denc'e  T^r^r'''"''-'''  '  P"^''  ''Srune 
vé  ités  înt  H  V?  '  ""™ed.ate,  comme  celle  des 
ventes  intuitives,  mais  médiate  et  néanmoins  de 
valeur  absolument  identique  •^•"aoms  ûe 

veM'à'fin/";''"'"  P'-i'^'^Tales  de  la  pensée  peu- 

:uqî,efelreTs''rp";iiruer,?.'''"^'^"    ''•^P^^^   '•"'j''' 

.o^u;rtrji^Sî"^;i:j-t--,'-^i't:- 

autres  absolues  et  nécessaires.    """'"'"Sentes ,  les 

tal  se'"fiï,"'n»  "?  "'"  O"  '■"'"'"■"«  '^^Pé'-l»ie„. 
percention  In^?  la  perception.  Los  facultés  de 
fes  Être,  P,  ?  l  ,''"''  '1'^'  """^  '»"'  connaître 
v'xnérîencp  '^'/''"««^  appartenant  au  monde  de 
expérience,   pouvant  être   connus  par  une  expé- 


INTELLIGENCE 


r  ence  directe  :  il  y  en  a  de  deux  sortes,  les  uns 
d  ordre  matériel,  les  autres  d'ordre  spirituel  LW 
périence  dans  le  domaine  matériel  se  produit  nar 
Upercef.  ion  externe,  les  cinq  sens.  Lw"rience 
dans  le  domaine  spirituel  ou  supra-sensible  se?ait 
même  i'ansT;?  "■'"-'"'  ""'  ''''"=  l'-ne  reU  ! 
,Jl  ^''';"''''''"  de  l'absolu  ou  mtui/ion  ration- 
ne  le  porte  un  nom  spécial  :  on  l'appelle  la  raiZ- 

que  sone  âuT^T"'  ""  '^""^  '^''P'-"'  -  H""  ' 
que  sorte  au  fond  de  notre  esprit,  non  nas  les 
phénomènes  d'ordre  expérimental,  mais  "es^ois  et 
les  principes  régulateurs  de  nôtre  intelligence 
elle-même  et  en  particulier  de  l'expérience"  Ëue 
nous  fait  apparaître  avec  la  souverrhié  clarté  de 
1  évidence  immédiate  les  idées  éternelles  im- 
muables, nécessaires,  absolues,  qui  sont  pèut-^n 
dire,  le  point  de  départ  et  le  terme  de  toutes  nos 
pensées,  sans  lesquelles  il  n'y  a  pas  d'intelli4nœ 

"enriTC^t"' 'r""  "P"-^ '^'"'^  P°P"'^i-'-"'^ 
tuent  le  bon  sens,  le  sens  commun,  et  dans  leurs 

formes  plus  savantes  les  axiomes,  et  les  Jn"& 
premières.  "' 

La  conception  peut  s'appliquer  :  ou  à  des  obiets 
qui  ont  été  réels  et  ont  cessé  de  l'être  aduelle- 
nient  :  elle  s'appelle  alors  la  me„i„»-e;  ou  à  des 

I  exister- "r'Ps?1'J''""-'  '/'''^'  '"^'^"1"'  auraient  pu 
exister.  Cfi%\.\minyiwtion;  ou  à  des  obiets  oui 
ne  peuvent  exister  que  dans  l'esprit  humain  ou 
i!L™r,  V""'^'""."'^''"'  =,  c'est  xLtraTu^n^Z 
\  gme  alisntwn,  qui  s'attachent  aux  idées  abstraite.: 
[et générales,  à  ces  produits  factices  de  fa  pens|e 
dZir  ''"'h'''  «'^«las'lqne  appelait  des  fêtres 
déraison  ,,,  des  «  universaux .,,  des  ,.  concepts  ,-• 
ou  enfin  à  des  rapporta  d'idées  ou  d'images -c'est 
1  association  des  idées.  **     ' 

Le  raiso'mement,  enfin,  s'exerce  en  deux  sens 
différents  :  tantôt,  il  part  de  principes  géné- 
raux   et  en  tire  des  applications   ou  vérUés^a?- 

tit,  tantôt,  au  contraire,  il  part  de  faits  parti- 
çu  lers  et.  s'élevant  de  plus  en  plus,  en  coSt 
des  OIS  générales:  on  le  nomme  alors  raisonne- 
ment mduclif.  Le  premier  fonde  les  sciences 
exactes  dont  les  mathématiques  sont  le  type  le 
second  les  sciences  expérimentales,  ph/siqJes 
naturelles,  historiques  et  morales.  ' 

On  a  proposé  de  désigner  ces  trois  groupes  de 
facultés  sous  les  noms  de  facultés  d'ordre  ,,riWe 
d  ordre  sec,,nd;ire,  et  d'ordre  tertiaire,  pouV  bien 
marquer  quelles  difl-èrent  non  seulement  par  leur 
objet,  mais  par  le  degré  de  travail  mental  qu'elles 
supposent  :  percevoir  est  l'opération  la  plis  é  é- 
ri'elS,  '^T'-'"""'™''""  Pi-ésuppose  des  perceptions 
déjà  acquises  et  soumises  par  l'esprit  à  une  cer- 
taine transformation  artificielle,  raison^l\^L 
est  impossible  sans  la  pleine  possession  des  doux 
précédentes  facultés  et  sans  un  effort  métliodkme 
cerlairs  rè'gTeL'"  "'"•'^°'-'^'-  '«^  P'-"d-ts  suivint 


■iCCLTKS    mSLLBCTUELLES 


(      du  fini  : 
'  (immédiate  et  '   pcrreption 


((immédiate  et 

incertaine) 
j   conception 


externe  :  sena. 
interne  :  conscience. 
de  l'abiolu  :  (  j'*^"  rf /Jnon. 
raison       ]  J"! «'nents  à  priori. 
I  idée  de  Dieu, 
du  passé  :  mémoire. 
du  possible  :  imagination. 
des  idées    (  "liatraction. 

généralisation. 
des  rapports    "^^"i^'ation  des  idées. 

association  lias   ,-™„,.- 


il      ^  X    ,     '  "^^"""i'on  des  imanes. 
au  général  au  particulier  :  raisonnement 
(teauctif. 
^"induc^îr'"  ""  ^'^"^"'  '■  ''"'■"""•«"•'"'l 


On  demandera  peut-être  pourquoi  nous  ne  fai- 
sons pas  entrer  dans  cette  liste  trois  ou    quatre 


INTELLIGENCE 


—  1044  — 


INTERET 


mois  qui  se  trouvent  dans  beaucoup  de  traités  en 
tête  des  facultés  intellectuelles  et  dont  nous  ne 
méconnaissons  pas  l'importance  :  Vattentioii,  la 
réflexion,  la  comparaison,  le  Jugement.  Voici  nos 
raisons. 

Aucun  de  ces  termes,  à  proprement  parler,  ne 
désigne  une  faculté  intellectuelle  ;  ils  indiquent, 
soit  des  actes  de  toutes  les  facultés  ou  de  certaines 
facultés,  soit  des  manières  d'être  ou  des  caractères 
de  l'intelligence. 

Vattention  n'est  pas  une  faculté  spéciale  ayant 
un  objet  spécial  :  elle  s'applique  à  tout,  elle  donne 
à  toutes  les  facultés  leur  puissance,  h  tous  les  ré- 
sultats de  la  pensée  leur  valeur.  L'attention,  c'est 
le  degré  d'intensité  avec  lequel  l'esprit  s'applique 
à  un  objet,  soit  par  la  perception,  .-oit  par  la  con- 
ception, soit  par  le  raisonnement.  On  peut  dans 
chaque  ordre  de  facultés  opérer  avec  ou  sans  atten- 
tion, avec  plus  ou  moins  de  force  d'attention. 

La  réflexion  est  le  nom  qu'on  donne  à  l'attention 
quand  la  pensée  se  replie  sur  elle-même  ;  avoir 
une  grande  puissance  de  réflexion,  ce  n'est  pas 
exercer  une  faculté  distincte  des  autres,  c'est 
exercer  son  intelligence  d'une  certaine  façon  dont 
tous  les  esprits  ne  sont  pas  également  capables  et 
qui  varie  suivant  les  âges,  les  tempéraments,  les 
circonstances.  Tel  a  l'esprit  porté  i  l'observaiion 
externe,  Ji  la  constatation  des  phénomènes  maté- 
riels; tel  autre  a  plus  de  facilité  à  se  recueillir, 
à  rentrer  en  lui-même,  i  observer  en  quelque 
sorte  sa  propre  intelligence.  Savoir  réfléchir,  c'est 
avoir  conscience  plus  fortement  et  plus  nettement 
que  le  commun  des  esprits  superficiels. 

La  eumparaiion  est  un  autre  genre  d'attention. On 
l'a  assez  mal  définie  une  attention  double,  pour 
dire  tout  simplement  qu'elle  suppose  l'attention 
rapprochant  deux  faits  ou  deux  idées.  Comparer, 
ce  n'est  pas  être  attentif  à  deux  choses  à  la  fois, 
c'est  être  attentif  au  rapport  de  deux  choses,  en 
saisir  la  ressemblance  et  la  dilïérence.  Il  ne  faut 
donc  pas  voir  non  plus  dans  la  comparaison  un 
ordre  spécial  de  faits  intellectuels  ;  c'est  une  opé- 
ration qui  peut  se  produire  dans  toutes  Irs  facul- 
tés et  qui  est  particulièrement  fréquente  dans  les 
facultés  secondaires,  puisque  la  mémoire,  l'imagi- 
nation, l'association  des  idées  ne  vivent  que  par 
d'innombrables  comparaisons. 

Ainsi  ces  trois  mots  désignent  non  pas  des  fa- 
cultés à  part,  mais  des  conditions  d'exercice  des 
facultés  intellectuelles,  l'attention  indispensable  en 
particulier  à  la  perception  externe,  la  réflexion  à 
la  perception  interne,  la  comparaison  aux  facultés 
de  conception. 

Quant  au  jugement,  nous  n'en  pouvons  faire 
une  faculté  particulière,  après  ce  que  nous  en 
avons  dit  au  début  de  cet  article.  Juger,  c'est  pen- 
ser. Il  n'y  a  pas  un  seul  acte  de  l'intelligence  qui 
ne  se  résolve  en  an  jugement.  On  peut  distinguer 
diverses  espèces  de  jugements;  mais  le  jugement 
comprend  toute  l'intelligence.  Voir  un  objet,  c'est 
juger  qu'il  existe,  sur  le  témoignage  de  la  vue  ; 
avoir  conscience  de  ce  qu'on  éprouve,  c'est  juger 
qu'on  est  dans  tel  ou  tel  é'at  ;  se  souvenir  ou  ima- 
giner, c'est  juger  que  telle  chose  a  été,  que  telle 
autre  pouvait  être;  raisonner,  c'est  juger  plusieurs 
fois  de  suite  et  en  mettant  un  certain  rapport  entre 
ces  jugements. 

Ce  n'est  donc  pas  méconnaître  l'importance  du 
jugement  que  de  l'omettre  dans  la  liste  des  diver- 
ses facultés  intellectuelles  ;  c'est  au  contraire  lui 
restituer  son  véritable  rùle,  celui  d'opération  fon- 
damentale et  essentielle  de  l'intelligence. 

Enfin  il  y  aurait  peut-être  encore  à  expliquer 
pourquoi  nous  ne  portons  pas  dans  ce  tableau  cer- 
tains faits  intellectuels  complexes  et  dérivés  dont  on 
a  proposé  quelquefois  de  faire  des  facultés.  Par  exem- 
ple, certains  termes  empruntés  à  la  vie  religieuse, 
tels  que  croire,  adorer,  prie/-;  ou  d'autres  qui  ont 


trait  à  des  opérations  à  la  fois  intellectuelles  et  phy- 
siologiques, parler,  compter,  lire;  ou  enfin  d'autres 
qui  concernent  des  opérations  de  la  sensibilité  ou 
de  la  volonté  unies  à  celles  de  l'intelligence,  admi- 
rer, se  décider,  obéir,  etc.  Notre  réponse  est  dans 
le  sens  même  de  ces  mots  :  aucun  ne  désigne  ni  une 
opération  simple  et  irréductible,  ni  une  faculté 
intellectuelle  se  manifestant  isolément.  Ce  sont  des 
produits  mixtes,  des  résultats  multiples,  dans  les- 
quels on  peut  rechercher  quelle  est  la  part  des 
diverses  facultés.  Ce  sera  même  là,  un  excellent  exer- 
cice psychologique  à  faire  faire  dans  une  'i'  année 
d'école  normale.  Mais  la  classification  des  facultés 
intellectuelles  doit  évidemment  se  borner  aux 
groupes  de  faits  élémentaires  et  irréductibles; 
la  liste  que  nous  en  avons  dressée  est  ce  qu'elle 
devait  être  s'il  n'y  manque  aucun  fait  intellectuel 
sut  c/eneris,  et  s'il  n'y  figure  aucun  phénomène 
complexe  pouvant  être  ramené  à  des  éléments 
plus  simples. 

INTÉRÊT  (Règle  d').  —  Arithmétique,  XLL  — 
1.—  On  appelle  intérêt  le  bénéfice  que  rapporte  une 
somme  prêtée  ou  placée  dans  une  entreprise  quel- 
conque. La  somme  dont  il  s'agit  prend  le  nom  de 
capital,  et  on  appelle  taux  de  intérêt  ce  que 
rapportent  lOU  fr.  dans  une  année.  L'année  com- 
merciale est  comptée  pour  300  jours.  Dans  le 
commerce,  le  taux  stipulé  ne  peut  être  supérieur 
i6  p.  100  ;  mais  dans  une  entreprise  industrielle 
le  bénéfice  peut  être  plus  considérable. 

L'intérêt  se  calcule  conformément  à  une  règle 
facile  à  établir.  Supposons,  pour  fixer  les  idées, 
que  le  capital  placé  soit  de  2  800  fr.,  le  taux 
6  p.  100,  et  que  la  durée  du  placement  soit  de 
90  jours.  On  raisonnera  de  la  manière  suivante  : 


100' 

pendant 

300  jours  rapportent       G' 

100' 

- 

1  jour  rapporteront   — 

100' 

— 

6'X90 
90  jours  rapporteront 

1' 

— 

-.      :  6'X90 
90           rapporterait    ^^^^^^ 

et   2800f 



28Û0'.fi.90 
90    -    rapporteront 

On  voit  que,  poicr  obtenir  Vintérét,  il  faut  mul- 
tiplier le  capital  par  le  taux  et  par  le  nombre  de 
Jours,  et  diviser  le  produit  par  36000.  Dans 
l'exemple  actuel,  on  trouve  42  fr. 

On  trouverait  de  même  que  l'intérêt  de  596  fr. 
pendant  135  jours  est  : 


590'.  6. 125 
30  000 


ou     12' 41 


2.  —  Dans  les  maisons  de  commerce,  où  on  a  sou- 
vent i  calculer  les  intérêts  à  un  même  taux,  on 
simplifie  un  peu  le  calcul.  Si  le  taux  est  de 
0  p.  100  par  exemple,  on  remarque  que  mul- 
tiplier par  0  et  diviser  ensuite  par  30  000,  revient 
à  diviser  tout  de  suite  par  6000,  c'est-à-dire  que, 
pour  obtenir  l'intérêt,  on  multiplie  le  capital  par 
le  nombre  de  jours,  ce  qui  donne  ce  que,  dans 
les  habitudes  commerciales,  on  appelle  le  nombre; 
et  l'on  divise  par  60tiO,  qu'on  appelle  le  diviseur 
fixe  Ainsi,  dans  le  second  exemple  traite  plus 
haut,  le  nombre  est  590' X  125,  c'est-.Vdire 
■;4  500;  en  divisant  par  6000  ou  d'abord  par  1000 
et  ensuite  par  0,  on  obtient  comme  ci-detsus 
12fr.  41.  ,  , 

On  pourrait,  pour  d'autres  taux,  employer  le 
même  procédé,  en  remarquant  que,  pour  le  5  p. 
100,  le  diviseurfixe  serait -200;  pour  4^  le  diviseur 
fixe  serait  8000;  pour  4  ce  serait  9000;   mais  on 


INTÉRÊT 


_  1045  —       INTÉRÊTS  COMPOSÉS 


préfère  géndralemont  commencer  par  calculer  l'in- 
térêt à  6  p.  lOi),  et  en  déduire  l'intérôt  h  un  autre 
taux  par  la  règle  suivante,  facile  i  justifier  : 

Si  le  taux  est 
5,    retrancher  1    sur  6,  ou  prendre  le  sixième 
i\,        —  l^surG,        —  \c  quart 

4,  —         2   sur  (i,        —  le  Mrs 

3,  —         3   surC,        —         \dL  moitié 

Soit,  par  exemple,  k  calculer  l'intérêt  de  875  fr.  pen- 
dant  SO  jours  b.\\  p.  100.  Lo  nombre  étant  875  X  80 
ou  65200,  en  divisant  par  6000  on  obtient  d'abord 
10  fr.  8C66...  ;retrancliant  le  quart  ou  2  fr.  71000..., 
il  reste  8  fr.  15. 

3.  —  Ouand  l'inconnue  du  problème  est  lecapital, 
le  taux,  ou  le  nombre  de  jours,  on  remarque  que, 
d'après  la  règle  de  l'intérêt  simple,  le  produit  de 
l'intérêt  par  36000  doit  être  le  même  que  le  pro- 
duit du  capital  par  le  taux  et  par  le  nombre  do 
jours.  On  obtiendra  donc  le  nombre  cherché  en 
divisant  ce  produit  : 

Par  le  taux  et  par  le  nombre  de  jours,  si  l'in- 
connue est  le  capital  ; 

Par  le  capital  et  par  le  nombre  de  jours,  si  l'in- 
connue est  le  taux  ; 

Par  lo  capital  et  par  le  taux,  si  l'inconnue  est  le 
nombre  de  jours. 

Supposons,  par  exemple,  qu'un  capital  de  lia  fr. 
ait  produit  13  fr.  20  d'intérêt,  au  taux  de  6  p.  100, 
et  qu'on  demande  le  nombre  de  jours.  On  multi- 
pliera 13  fr.  20  par  36000,  ce  qui  donne  -475200, 
puis  on  divisera  ce  produit  par  720  et  par  G, 
ou,  ce  qui  revient  au  même,  par  4320,  ce  qui 
donne  110.  L'inconnue  a  donc  pour  valeur  110 
jours. 

Supposons,  en  second  lieu,  qu'un  certain  capital 
ait  produit  19  fr.  20  au  bout  de  120  jours,  au  taux 
de  4j  p.  100,  et  qu'on  demande  ce  capital.  On 
multipliera  10  fr.  20  par  3G0l)0,  ce  qui  donne 
091  200  fr.  ;  puis  on  divisera  par  120  et  par  4.5,  ou, 
ce  qui  revient  au  même,  par  540,  ce  qui  donnera 
1280  fr.  pour  le  capital  demandé. 

4.  —  Comme  application  de  ce  qui  précède,  nous 
traiterons  une  question  qui  se  rencontre  dans  les 
transactions  commerciales,  et  qui  est  connue  sous 
le  nom  d'échéunce  commune. 

Une  personne  a  souscrit  au  profit  d'une  autre 
trois  billets  :  l'un  de5i0  fr.  payable  dans  90  jours, 
le  second  de  450  fr.  payable  dans  110  jours,  le 
troisième  de  370  fr.  payable  dans  180  jours  ;  et  elle 
propose  de  les  remplacer  par  un  billet  unique, 
énonçant  la  somme  totale,  et  produisant  le  même 
intérêt  ;  la  question  est  de  savoir  quelle  échéance 
il  faudra  fixer.  Remarquons  d'abord  que  la  somme 
totale  est  1360  fr.  La  somme  des  intérêts,  en  dési- 
gnant par  t  le  taux,  sera  d'après  la  règle  d'intérêt: 


540'.  /.  90  450'.  <■  110 

."ïri  non         t"  !^(:nn(i 


+ 


370'.  M  80 


Cette  somme  peut  s'écrire  : 

(5411.90  +  450.1 10  +  . 370.180)  x/ 


D'un  autre  côté,  si  nous  désignons  par  n  le 
nombre  de  jours  cherché,  la  somme  de  1360  fr. 
produirait  un  intérêt  marqué  par  : 


Ces  deux   expressions  de   l'intérêt  total   devant 
être  les  mêmes,  on  doit  avoir  : 


d'où  résulte 


164  700  =  1360.;; 


11= — '- =  121,10  ou  121  jours  et  une  fraction. 

1300 

On  adopterait  121  jours.  On  voit  que  la  ques- 
tion est  indépendante  du  taux  de  l'intérêt,  et  que, 
jwiir  obtenir  l'échéance  commune,  il  faut  faire  la 
somme  des  nombres  (produit  des  capitaux  par  les 
nombres  de  jours),  et  diviser  par  la  somme  des 
capitaux. 

S'il  y  a,  par  exemple,  quatre  billets. 

L'un  de     810'  payable  dans  130    jours 

L'n  second        de     720'  —  180      — 

Un  troisième     de     610'  —  210       — 

Un  quatrième  de  1000'  —  300      — 

le  nombre  n  de  jours  exprimant  l'échéance   com- 
mune  sera  : 

810X130+720X180+640X210+1000X300 


810  +  720  +  640+1000 

_  eC9  300 
"    3170 


=  180,40 


On  pourrait  adopter  180  jours.  [H.  Sonnet.] 
INTÉRÊTS  COMPOSÉS.  —  Arithmétique,  LV.  — 
I .  —  Une  somme  est  dite  placée  i  intérêts  composés 
lorsque  chaque  année  le  capital  s'augmente  des  in- 
térêts produits  pendant  l'année  précédente.  La 
somme  placée  prend  le  nom  de  capital  primiiif,  et 
ce  capital,  augmenté  de  ses  intérêts  composés,  s'ap- 
pelle le  C'ipital  définitif.  Supposons  qu'on  place 
une  somme  de  1100  fr.  à  intérêts  composés,  au 
taux  do  5  pour  100.  Puisque  l'intérêt  de  100  fr.  en 
un  an  est  de  5  fr. ,  et  que  le  capital  s'augmente  de 
intérêts  produits  pendant  l'année,  un  capital  pri» 
mitif  do  100  fr.  devient  au  bout  d'une  année  105  fr; 

1  fr.,  dans  la  même  circonstance,  deviendrait  — r- 

ou  1  fr.  05  ;  et  1400  fr.  deviendront  1400' x  1,05; 
Ainsi,  on  obtient  le  capital  définitif  au  bout  d'une 
année  en  multipliant  le  capital  primitif  par  1,05^ 
Au  bout  de  la  seconde  année,  la  quantité  1400* 
X  l,o.'>  sera  encore  multipliée  par  1,05,  ce  qui  don- 
nera liOO' X  (1,05)2.  Au  bout  de  la  troisième  annéo 
on  trouvera  1400'  x(I,05)-'.  Et,  en  continuant  ainsi, 
on  voit  que  le  capital  définitif  au  bout  de  ?i  années 
sera  1400'  X  (l,0.ij°.  On  voit  que,  pour  obtenir  le 
caiiital  définitif,  il  faut  multiplier  le  capital  pri- 
mitif par  l'unité  plus  te  centième  du  taux  élevé  à 
une  puissance  marquée  par  le  nombre  des  (innées. 
Plus  généralement  :  soit  a  lo  capital  primitif  et  t 
le  taux.  Au  bout  d'un  an,  un  capital  de  100  fr.  de- 
vient 100'  +  /,"  1  franc,  au  bout  du   même  temps, 

devient   — '  "^    ou  1'  +— ^  ou  1  +r,  en  désignant 

par  r  le  centième  du  taux  ;  le  capital  a  devient  donc 
a  (I  +  ;■).  Au  bout  do  la  seconde  année,  ce  résultat 
doit  encore  être  multiplie  par  1  +  r,  ce  qui  donne 
a  (1  +  r)2.  An  bout  de  trois  ans  on  obtient  a  (l  +  >-)3. 
Et  au  bout  de  n  années,  le  capital  définitif  A  est 
donné  par  la  formule  : 


A  =  a  (1  +  r)" 


(1) 


qui  revient  ."i  l'énoncé  ci-dessus. 

En  appliquant  les  logarithmes  *  à  cette  formule, 
on  obtient  : 


log  A  =  log  a  +  n  log  (1  +  r) 


(2) 


c'est-i-dire  que,  pour  obtenir  le  logarithme  du  ca- 
pital définitif,  il  faut,  au  logarithme  du  capital 
primitif,  ajouter  n  fois  le  logarithme  de  l'unité  plus 
le  centième  du  taux. 
Soit  par  exemple  : 


INTERETS  COMPOSES 


1046  —      INTÉRÊTS  COMPOSÉS 


a  =  1200',     n=ï3,    et    -4^  le  taux,   d'où    r=0,045 
on  aura 
d"où  : 


A  =  1200'  (l,05ô)i: 


log  A  =  lo 


1200'+   13  los  (1,045)  =    3,0791812 
+  13  X  0,0rjll63 


log  A  =  3,3276931 


d'où  : 


A  =  212(i',C3 


2.  —  A  l'aide  de  la  formule  (2),  dans  laquelle  on 
suppose»  =  1,  on  forme  aisément  le  tableau  des 
capitaux  définitifs  correspondant  aux  taux  les  plus 
usités,  et  i  divers  nombres  d'années  depuis  I  jus- 
qu'à 21.  Pour  toute  autre  valeur  de  a  on  n'aura 
qu'à  multiplier  les  nombres  de  la  table  par  la  va- 
leur a  du  capital  définitif.  Voici  ce  tableau  : 


ANNÉES 

5  1/2 

4 

4  1/2 

S 

3  1/2 

6 

1 

1,030000 

1,035000 

1,040000 

1,0450;10 

1,050000 

1 ,055000 

1,060000 

2 

1 ,000900 

1,071225 

1,081000 

1 ,092025 

1,102500 

1,U30S5 

1,123600 

3 

1,092727 

1,108717 

1,124864 

1,141166 

1,157625 

1,174242 

1,191016  j 

i 

1,1 25009 

1,147522 

1,169858 

1,192518 

1,21506 

1,238825 

1,262477 

5 

1,159273 

1,187685 

1,216652 

1,:46182 

1,276281 

1,306900 

1,338220 

6 

1,194052 

1,229254 

1,-.05318 

1.302260 

1,340095 

1,378843 

1,418520 

7 

1 ,229873 

1,272278 

1,315930 

1,300862 

1,407100 

1,454679 

1,503631 

8 

1,210769 

1,31U808 

1,368568 

l,4'J210l 

1,477455 

1,534687 

1,593849 

9 

1,304772 

1,362896 

1,4233.0 

1,486095 

1,551328 

1,619096 

1,689480 

10 

1,343916 

1,410597 

1,480243 

1,55291,9 

1,628894 

1,708140 

1,790845  1 

1! 

1,384233 

1,459963 

1,539452 

1,622853 

1,710339 

1,802094 

1,898300 

12 

1,425760 

1,51 lOOG 

1,001029 

1,695882 

1,795856 

1,901209 

2,012198  j 

13 

1,468532 

1,563954 

1,605072 

1,772190 

1,885649 

2,005776 

2,1.32930  ! 

14 

1,512588 

1,618692 

1,731674 

1,851940 

1,979931 

2,116094 

2,26090(i 

là 

1,557966 

1,075346 

1,800941 

1,935283 

2,078928 

2,232479 

2,-396.561 

16 

1,604706 

1,733983 

1,872979 

2,022370 

2,182875 

2,3552(i6 

2,540355 

17 

1,6528  46 

1,794672 

1,947897 

2,113377 

2,292018 

2,484806 

2,092776 

18 

1,702431 

1,857485 

2,025813 

2,208179 

2,406619 

5,621470 

2,854343 

19 

1,753504 

1,922197 

2,106845 

2,307861 

2,526950 

2,765651 

3,025604 

20 

1,806109 

1,989784 

2,191119 

2,411715 

2,653297 

2,917  763 

3,207141 

21 

1,860293 

2,059427 

2,278763 

2,520242 

2,785963 

3,078240 

3,399569 

Si  nous  reprenons,  par  e.\emple,  les  hypothèses 
a=  1200',  t  =  i  i.et  n=  13,1a  table  donnera  pour 
ce  taux  et  ce  nombre  d'années  1,772196;  en  mul- 
tipliant ce  nombre  par  1200,  on  obtient  2120' 63, 
qui  est  le  capital  définitif  trouvé  plus  haut. 

3.  —  Il  peut  arriver  que  la  durée  du  placement 
se  compose  d'un  certain  nombre  entier  d'années 
augmenté  d  une  fraction  ;  dans  ce  cas,  on  suppose 
que  le  capital  primitif  a  été  placé  à  intérêts  com- 
posés pendant  le  nombre  entier  d'années,  et  que 
la  somme  produite  est  restée  placée  à  intérêt  sim- 
ple pendant  la  fraction  d'année.  La  somme  pro- 
duite au  bout  de  n  années  étant  toujours  fl  (1  +  rj" 
produira,  à  intérêt  simple,  pendant  une  fraction 
k  d'année,  un  capital  définitif  représenté  par  : 


A  =  a  (1  -f  7-)»  (I  -I-  4,- 


(3J 


En  appliquant  les  logarithmes  à  cette  formule, 
on  obtient: 

log  A  =  log  a +  71  log  {1  +  ,■)  +  log  (1  +  kr)     (4) 

Si,  par  exemple,  on  a  : 

0  =  1200',    n=13,    r=  0,045    et    A  =  | 

on  aura  : 

log  A  =  log  1200-1-  13  log  (1,045) -4- log  (1,03) 
d'où  : 


log  A  =  3,0791812 +  13  X  0,0191163  +  0,0128372 
=  3,3405303 
d'où  : 

A  =  2190',43 

4.  — Il  peut  se  faire  que  l'inconnue  du  problème 
soit  le  capital  primitif,  le  taux  ou  la  durée  du  pla- 
cement. La  solution  des  deux  premiers  cas  se  tire 
de  la  formule  (2)  qui  donne  : 


log  a  ^  1 


log(l-f  »■)  = 


X  —  n  lo 
log  A 


(1  +  '') 
-log  a 


Lorsque  c'est  la  durée  du  placement  qui  est  in- 
connue, la  même  formule  donne  : 


log  \  —  log  a 


(-) 


log  (1  +  )•) 

Mais  si  la  valeur  trouvée  pour  n  est  fraction- 
naire, et  que  m  représente  sa  partie  entière,  il  con- 
viendra d'employer  la  formule  (4)  en  y  remplaçant 
71  par  m.  On  en  tirera  alors: 


k  = 


ar  (1  +  rj" 


ce  qui  fera  connaître  la  fraction  d'année 
au  nombre  entier  m. 


ajouter 


INTERETS   COMPOSÉS       —  1047  — 


INTERJECTION 


Supposons,  par  exemple»  que  l'on  cliorche  le 
tempsnocessaire  pour  qu'un  capital  placé  à  5  p.  100 
et  à  inlércHs  composés  soit  doublé  ;  il  faudra  faire 
A  =  2  a,  et  )'  =  6.  La  formule  (7)  donne  alors  : 

>n  =  14  ;  et  la  formule  (8)  :  le  =  0  2028  =  -—  ;   la 

3U0 
durée    cherchée     est   donc   14    ans,    2    mois   et 
13  jours.  A  4  ;  pour  100,  on  trouverait  de  même 
15  ans,  8  mois  et  27  jours. 

5.  —  Dans  les  questions  relatives  au  Crédit  fon- 
cier-., les  intérêts,  au  lieu  de  se  capitaliser  par 
années,  se  capitalisent  par  semestres.  En  raison- 
nant comme  on  a  fait  pour  établir  la  formule  (I), 
on  trouve  qu'il  faut  y  remplacer  r  par  \  r,  et  le 
nombre  n  d'années  par  le  nombre  s  de  semestres, 
ce  qui  donne  : 

A  =  a  (1  +  )  ,■)»  (9) 

Soit,  par  exemple, 

a  =  10  000',    r  =  0,045    et    .5  =  17; 


A  =  10  000' (1,0225)" 


co  qui  donne  : 


A=  14  597',43. 


Si  les  intérêts  se  capitalisaient  par  trimestres,  la 
formule  à  employer  serait  : 


,  A  =  a  (1  +  ;  r)T 


(10) 


en  désignant  par  T  le  nombre  de  trimestres  com- 
posant la  durée  du  placement. 

6._ —  On  peut  se  proposer  sur  les  intérêts  com- 
posés un  grand  nombre  de  problèmes  divers;  nous 
nous  contenterons  d'en  donner  quelques  exemples. 

I.^  —  Une  somme  de  CO  000  fr.  a  été  placée  à  in- 
térêts composés  pendant  un  certain  nombre  d'an- 
nées. Si  elle  élad  restée  placée  un  an  de  moins,  le 
capital  définitif  eût  été  inférieur  de  399G  fr.  \1; 
si,  au  contrnire,  elle  était  restée  placée  un  an  de 
plus,  le  capital  définitif  eiit  été  supérieur  de 
4156  fr.  02.  On  demande  le  taux  de  l'intérêt  et  la 
durée  du  placement. 

Remarquons  d'abord  que  la  différence  entre 
«(l  +  r)o  et  a  (1  +,-)n^iest  «(i  _)_  ,.)n-i.  ,..  Les 
conditions  du  problème  sont  donc  exprimées  par 
les  équations: 

6000U'(1  +  î-)n-i.,-  =  399CM2 
et: 

enono'd  -f  r)\  r  =  4i5e',o2 

En  les  divisant  membre  à  membre,  on  en  tire 

1  +  r  =  0,04 

_  Au  moyen  de  cette  valeur,  la  seconde  des  deux 
équations  devient: 

COOOC  (1, 04)°.  0,04  =  4156,02 
ou  : 

41.5B,02 


(1,04)"  = 


60000  X  0,04 


d'où  l'on  tire  par  logarithmes  n  =  Ji. 

II.  —  On  a  deux  sommes,  l'une  de  2i00  fr., 
t  autre  de  3G0ii  fr.  à  placer,  pendant  10  ans,  à 
deux  taux  différents  et  à  intérêts  composés.  Si 
i  on  place  la  plus  petite  au  taux  le  plws  élevé  et  ta 
plus  grande  au  tmix  le  plus  bas,  on  obtiendra  un 
capital  définitif  de  8747  fr.  44.  Si,  au  contraire,  on 
place  la  plus  petite  >.omme,au  taux  te  plus  bas  et 
la  plus  grande  an  taux  le  plus  élevé,  on  f/agnera 
à  celte  comlnnatson  341  fr.  97.  On  demande  à  quels 
taux  lesdeuT.  sommes  doivent  être  placées. 

Si  r  et  r'  désignent  l'intérêt  annuel  de  1  fr. 
correspondant  à  chacun  des  deux  taux,  les  condi- 


tions de  l'énoncé  seront  exprimées  par  les  équa- 
tions : 

3CO0'  (1  -f  c)!»  -f  2400  (1  -{■  c')'"  =  8747',4'» 
2400'  (1  4-  rl'O-l-  3000  (1  +  )'V°  =  9089',42 

Posant  : 

X  =  (1  +  )•)!»    et  y  =  (\  -\-  r')t», 

il  viendra,  en  divisant  par  100  : 

3Gx  -f  24y  =  87,4744    et  24x  +  36?/  =  90,8942 

On  en  tire,  par  les  méthodes  connues (V,  Equa 
lions)  : 

X  =  1,6288940     et    j/  =  1,3439165 
d'où  l'on  déduit,  à  l'aide  de  la  table  ci-dessus  : 
r  =  0,03     et    r'  =  0,05 

Les  deux  taux  demandés  sont  donc  3  p.  100  et 
5  p.  100. 

III.  —  Une  somme  a  été  placée  pendant  un  cer- 
tain nombre  d'années  à  intérêts  composés,  en  capi- 
talisant les  intérêts  par  semestre;  à  quel  taux  au- 
rait-il fallu  placer  la  même  somme  pendant  le  même 
temps  pour  obtenir  le  même  cupilal  définitif,  si  les 
intérêts  avaient  été  capitalisés  par  années  ? 

Soit  a  le  capital  primitif,  )■  le  taux  connu  et  x  le 
taux  cherché,  n  étant  le  nombre  d'années  du  place- 
ment ;  on  devra  avoir  : 

a  (1  -\-x)''  =  a[\  +-»s» 

d'où,  en  divisant  par  a  et  extrayant  la  racine  d'or- 
dre n  : 

l  -{-x  =  (l  +  l  >')^ 
d'où  : 

3;  =  (1  +  ;->■)'—  !  =  '■  +  Ir'- 

Si,  par  exemple,  on  a  î-=0,04,  on  trouvera 
x  =  0,040i  ;  c'est-à-dire  que  le  taux  serait  4  fr.  Oi. 
[H.  Sonnet.] 

INTESTINS.  —  V.  Digestion. 

Ii\TEKJECTIO\.  —  Grammaire,  XVIII.  —  L'in- 
terjection est  un  cri,  une  exclamaiii,^  qui  exprime 
les  mouvements  subits  de  l'àme  :  ali!  oh!  fi! 
hélas  ! 

Interjection  vient  du  latin  interjectio,  propre- 
ment :  action  de  jeter  au  milieu  (de  la  phrase). 
C'est  une  sorte  de  cri  jeté  au  milieu  des  autres 
mots.  D'après  cette  définition,  on  comprend  que 
les  véritables  interjections  sont  simplement  nos 
voyelles  a,  e,  i,  0,  u,  aspirées  ou  redoublées,  sous 
les  formes  ah,  ha,  lié,  hihi,  oh,  hue,  etc.  Elles 
n'ont  en  général  sous  cette  forme  aucun  sens 
particulier  ;  leur  signification  très  vague  dépend 
du  sentiment  qu'il  s'agit  d'exprimer,  et  de  l'ac- 
cent avec  lequel  elles  sont  prononcées. 

Les  principales  interjections  sont  : 

Pour  exprimer  la  joie  :  Ah!  bon 

—  la  douleur  :  Aie!  ah!  hélas! 

—  la  crainte  :  Ha!  hé!  ho! 

—  l'admiration:  Ah!  eh!  oh! 

—  l'aversion:  Fi! 
Pour  encourager  :  Sus! 
Pour  appeler  :  Holà!  hé! 

Il  faut  ajouter  à  cette  liste  un  grand  nombre  de 
mots  qui  s'emploient  accidentellement  comme  in- 
terjections, tels  que  :  peste,  miséricorde,  allons, 
courar/e,  ferme,  etc. 

Les  interjections  sont  formées  :  soit  à  1  aide  de 
noms  {paix!  courage!  patience!)  ;  soit  à  l'aide  de 
verbes  {soit!  allons!  suffit!)  ;  soit  par  de  simples 
exclamations  {ah!  oh!  etc.). 

Si  nous  laissons  de  côté  les  locutions  telles  qut 
pair.!  courage!  soit!  etc.,   qui  sont    plutôt  des 


INTERJECTION 


—  1048 


INVASIONS 


propositions  elliptiques  (pour  fnites  paix,  prenez 
courage)  que  des  interjections  proprement  dites, 
il  nous  restera  peu  de  cliose  à  dire  des  interjec- 
tions. Deux  seulement,  liélas  et  dame,  nécessitent 
quelques  explications. 

Hélas!  que  nos  aïeux  écrivaient  en  deux  mots  : 
/«? .'  las  !  est  composé  de  l'interjection  hé  !  et  de  l'ad- 
jectif las,  qui  signifiait  malheureux  dans  notre 
vieille  langue.  On  disait  au  xiii'^  siècle  :  «T.ette  mère 
est  lasse  de  la  mort  de  son  fils;  Hé!  las  que  je 
suis  !  >i  Ce  n'est  qu'au  xv"  siècle  que  les  deux 
mots  se  soudèrent  et  qu'hélas  devint  inséparable. 
En  même  temps  /as  perdait  son  énergie  primi- 
tive et  passait  du  sens  do  douleur  à  celui  de  fa- 
tigue, comme  cela  est  arrivé  pour  les  mots  gdne 
et  ennui  qui  signifiaient  à  l'origine  toiirment  et 
haine. 

L'interjection  dame  !  (qu'il  ne  faut  pas  confon'lre 
avec  le  substantif  féminin  dame)  est  l'abréviation  de 
Datyie-Dieu,  exclamation  de  l'ancien  français,  qui 
signifie  Seignew-Dieu!  [Dvmine-Deus.)  On  trouve 
à  chaque  page  dans  les  textes  du  moyen  âge  :  «  Que 
Dame-Dieu  nous  aide  !  »  Dume-Dieu,  et  simple- 
ment dame,  s'employait  comme  interjection  ;  et 
l'exclamation  Ali!  dame,  qui  pour  nous  a  perdu 
aujourd'hui  toute  signification,  revient  à  dire  :  Ah  ! 
Seigneur.  Nous  retrouvons  encore  ce  mot  dame 
dans  les  noms  géographiques  Dammartin,  Dam- 
pierre,  etc.,  qui  signifient  le  sire  Martin,  le  sîVe 
Pierre, 

Les  termes  .employés  dans  le  langage  familier  et 
dans  le  style  comique,  tels  que  :  corbleu,  diantre, 
jarni,  morbleu,  etc.,  ne  sont  que  des  jurements  et 
des  blasphèmes  aujourd'hui  défigurés.  Corbleu  est 
pour  corps  (le  Dieu;  diantre  pour  diable;  j'anii  ou 
jarnidieu  pour  je  renie  Dieu,  etc. 

Modèles  d'exercices.  —  1"  Lire  aux  élèves 
le  morceau  suivant  en  leur  faisant  remarquer  les 
interjections. 

Le  Grondeur. 

M.  Grichard,  Bourreau!  me  feras-tu  toujours 
frapper  deux  heures  à  la  porte? 

Liiliue.  Monsieur,  je  travaillais  au  jardin;  au 
premier  coup--  de  marteau,  j'ai  couru  si  vite  que  je 
suis  tombé  en  chemin. 

M.  Grichard.  Je  voudrais  que  tu  te  fusses  rompu 
le  cou.  double  chien  ;  que  ne  laisses-tu  la  porte  ou- 
verte ? 

Lolive.  Hé  !  monsieur,  vous  me  grondâtes  hier 
à  cause  qu'elle  l'était;  quand  elle  est  ouverte,  vous 
vous  fâchez;  quand  elle  est  fermée,  vous  vous  fâ- 
chez aussi  :  je  ne  sais  plus  comment  faire. 

M.  Gricliard.  Comment  faire?  comment  faire  ?  in- 
fâme !.. . 

Lolive.  Oli  çà,  monsieur,  quand  vous  serez 
sorti,  voulez-vous  que  je  laisse  la  porte  ouverte  ? 

M.  Grichard.  Non  ! 

Lolive.  Voulez-vous  que  je  la  tienne  fermée? 

M.  Gricliard.  Non. 

Lolive.  Si  faut-il,  monsieur.... 

M.  Grichard.  Encore!  Tu  raisonneras,  ivrogne? 

Lolive,  Morbleu  1  j'enrage  d'avoir  raison. 

Af.  Grichard.  Te  tairas-tu? 

Lolive.  Monsieur,  je  me  ferais  hacher.  Il  faut 
qu'une  porte  soit  ouverte  ou  fermée  :  choisissez, 
comment  la  voulez-vous? 

lis.  Grichard.  Je  te  l'ai  dit  mille  fois,  coquin  !  Je  la 
veux....  je  la....  Mais  voyez  ce  maraud-là!  Est-ce  à 
un  valet  à  me  venir  faire  des  questions?  Si  je  te 
prends,  traître  !  je  te  montrerai  bien  comment  je  la 
veux....  As-tu  baJayé  l'escalier? 

Lolive.  Oui,  monsieur,  depuis  le  haut  jusqu'en 
bas. 

M.  Grichard.  Et  la  cour? 

Lolive.  Si  vous  y  trouvez  ordure  comme  cela, 
je  veux  perdre  mes  gages. 

M.  Grichard.  Tu  n'as  pas  fait  boire  la  mule  ? 


Lolirc.  Ah  !  monsi&ur,  demandez-le  aux  voisins- 
qui  m'ont  vu  passer. 

M.  Grichard.  Lui  as-tu  donné  l'avoine? 
Lolive.  Oui,  monsieur,   Guillaume    y   était  pré- 
sent. 

M.  Grichard.  Mais  tu  n'as  point  porté  ces  bouteilles 
de  quinquina  où  je  t'ai  dit? 

Lolive.  Pardonnez-moi,  monsieur,  et  j'ai  rap- 
porté les  vides. 

A/.  Grichard.  Et  mes  lettres,  les  as-tu  portées  à  la 
poste,  Iiein  ? 

Lolive.  Peste  I  monsieur,  je  n'ai  eu  garde  d'y 
manquer. 

M.  Grichard.  Je  t'ai  défendu  cent  fois  de  racler 
ton  maudit  violon  ;  cependant  j'ai  entendu  ce  ma- 
tin  

Lolive.  Ce  matin  ?  Ne  vous  souvient-il  pas  que 
vous  me  le  mîtes  hier  en  mille  pièces  ? 

M.  Grichard.  Je  gagerais  que  ces  deux  voies  de 
bois  sont  encore.... 

Lolire.  Elles  sont  logées,  monsieur.  Vraiment, 
depuis  cela,  j'ai  aidé  Guillaume  à  mettre  dans  le 
grenier  une  charretée  de  foin,  j'ai  arrosé  tous  les 
arbres  du  jardin,  j'ai  nettoyé  les  allées,  j'ai  bêché 
trois  planches,  et  j'achevais  l'autre  quand  vous  avez 
frappe. 

M.  Grichard.  Oh  !  ...  il  faut  que  je  chasse  ce  co- 
quin-là ;  jamais  valet  ne  m'a  fait  enrager  comme  ce- 

lui-ci;ilme  ferait  mourir  de  chagrin Hors  d'ici! 

(Brueys.) 
1°  Dicter  ou  écrire  au  tableau  le  même  morceau, 
en  remplaçant  les  interjections  par  des  tirets  ;  les- 
élèves  mettront  les  interjections  convenables. 

3°  Dicter  ou  écrire  au  tableau  le  même  morceau 
et  faire  expliquer  aux  élèves  le  sens  et  l'origine  de- 
chaque  interjection.  [J.  Dussouchet.j 

INVASIONS.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL  ; 
Histoire  de  France,  XXXVIII-XL.  —  Le  nom  d'm- 
vasion  pourrait  s'appliquer  à  tout  envahissement 
d'un  pays  par  une  armée  étrangère  ;  mais  on  le 
réserve  d'ordinaire,  en  histoire,  à  l'entrée  en  masse 
d'un  peuple  encore  barbare  sur  le  territoire  d'un- 
peuple  plus  civilisé.  En  outre,  abstraction  faite 
du  degré  relatif  de  civilisation  des  peuples  en 
jeu,  une  même  nation  appellera  volontiers  guerres 
à.'invasion  celles  où  son  propre  territoire  a  été 
envahi,  et  guerres  de  conqui'te,  campagnes,  expé- 
ditions, celles  où  elle  a  joué  elle-même  le  rôle 
d'envahisseur.  Ainsi,  dans  l'histoire  de  France,  on 
parle  de  la  campagne  d'Egypte  en  1798,  de  la  cam- 
pagne de  Russie  en  ISl'i,  et  de  Yinvasion  des 
alliés  en  1814.  Les  peuples  latins  désignent  sous 
le  nom  A' invasion  des  barbares  la  prise  de  posses- 
sion de  l'empire  romain  par  les  hordes  germani- 
ques, tandis  qu'en  Allemagne  cet  événement  s'ap- 
pelle la  grande  migration  des  peuples. 

Les  principales  invasions  que   mentionne  lliis- 
toire   universelle   sont,  par  ordre  chronologique  : 
L'invasion  des  Hyc.sos  ou  Hyk-shos  (  «   rois  pas- 
teurs »)  en  Egypte,  vers  le  vingt-troisième  siècle 
avant  notre  ère  (.V.  Egi/vte,  p.  65'2)  ; 

L'invasion  des  Scythes  ou  Kimmériens  dans 
l'Asie  occidentale,  de  634  à  C27  (V.  Assyrie,  Médie, 
Perse); 

Les  diverses  invasions  des  Gaulois  en  Italie,  en 
Grèce,  en  Asie-Mineure  (V.  Gaule,  p.  848)  ; 

Celle  des  Cimbres  et  des  Teutons,  à  la  fin  du  se- 
cond siècle  avant  notre  ère  (V.  Home); 

La  grande  invasion  des  Barbares,  aux  quatrième 
et  cinquième  siècles  (V.  Barbares  et  Rome)  ;1 

L'invasion  arabe,  aux  septième  et  huitième  siè- 
cles (V.  Arabes  et  Khalifes)  ; 

L'invasion  7iormande'  on  Scandinave,  en  Angle- 
terre, en  France,  en  Italie,  à  partir  du  septième 
siècle  jusqu'au  milieu  du  onzième  (V.  Normands 
et  Scandinaves); 

Les  deux  invasions  des  Mongols  sous  Gengis- 
Khan  et  ses  successeurs,  au  treizième  siècle,  et 


INVENTIONS 


—  1049 


INVENTIONS 


snus  Tamerlan,   à   la  fin    du   quatorzième    siècle 
(V.  Mnivjoh). 

INVr.Sf  rUlN.  —  V.  Componiion. 

IINVUM'IOiNS.  —  Histoire  générale,  XXXVII. 
—  On  demandait  à  Newton  comment  il  était  arrive 
il  formuler  la  grande  loi  de  la  gi-avitation  qui  ré- 
git notre  globe,  notre  système  solaire,  l'univers  en- 
tier? —  ((  En  y  pensant,  »  répondit-il  avec  une  no- 
ble simplicité.  Ce  mot,  qui  donne  le  secretdc  la  plus 
superbe  découverte  peut-être  qu'ait  faite  notre  es- 
pèce, s'applique  également  à  la  plupart,  sinon  h  la 
totalité  des  inventions  ;  non  pas  que  toutes  soient  le 
produit  d'une  longue  réflexion,  solentune  déduction 
logiquement  poursuivie  de  faits  et  de  principes 
déjà  connus  —  ces  découvertes  par  la  voie  théori- 
que sont  beaucoup  plus  rares  que  celles  que  l'on 
doit  au  hasard,  comme  on  dit  —  mais  le  hasard  n'a 
jamais  rien  montré  aux  hommes  inintelligents  ;  pour 
transformer  l'accident  en  acquisition  durable,  il  a 
toujours  fallu  qu'un  esprit  avisé  analysât,  raisonnât 
le  pourquoi,  le  comment,  dégageât  le  principe  géné- 
ral du  fait  particulier.  L'histoire  des  inventions  et 
des  découvertes  n'est  autre  que  l'histoire  de  la 
pensée  s'appliquant  h  mieux  connaître  la  consti- 
tution de  l'univers  en  son  ensemble  et  dans  ses 
détails,  par  l'emploi  des  connaissances  acquises,  par 
la  meilleure  adaptation  de  l'homme  à  son  milieu, 
et  du  milieu  Ji  Ihorame.  A  mesure  que  cette 
adaptation  s'accomplit,  l'homme  progresse  etse  per- 
fectionne, il  se  modilie  lui-même  à  mesure  qu'il 
transforme  ia  nature  ambiante.  Dans  nos  pays  ci- 
vilisés, ces  changements  qui  se  poursuivent  depuis 
qu'il  y  a  une  histoire,  et  qui  avaient  commencé 
longtemps  auparavant,  ont  agi  d'une  manière  déjà 
puissante  sur  la  constitution  chimique  du  sol,  sur 
le  régime  hydrographique,  sur  le  climat.  L'homme, 
qui  a  bouleversé  le  pays  qu'il  habite,  avait  com- 
mencé, la  langue  le  dit  elle-même,  par  être  un  sau- 
vage, unebête  fauve,  certainement  la  plus  féroce  de 
toutes.  Il  n'avait  à  l'origine  que  des  besoins  tout  à 
fait  restreints,  les  seuls,  d'ailleurs,  qu'il  pût  satis- 
faire. Nos  désirs  portant  tous  sur  quelque  diminu- 
tion de  peine,  de  fatigue  et  de  temps,  tendent,  par 
conséquent,  à  une  augmentation  de  force,  de  res- 
sources et  de  loisirs,  à  un  accroissement  de  vie,  aune 
augmentation  quantitative  et  qualitative  dans  la  va- 
leurde  l'homme.  Notre  existence  est  tout  autrement 
mobile,  féconde  en  impressions  variées  et  en  senti- 
ments profonds  que  celle  de  nos  premiers  ancê- 
tres. Il  est  vrai  que  nous  employons  notre  puis- 
sance accrue,  notre  intelligence  mieux  armée  à 
former  de  nouveaux  souhaits  plus  vastes  qui  pro- 
voqueront des  efforts  plus  puissants,  des  réalisa- 
tions plus  considérables.  Notre  puissance  aug- 
mente et  aussi  nos  inquiétudes,  et  le  désir  tou- 
jours inassouvi  du  mieux,  et  encore  du  mieux,  qui 
n'est  l'ennemi  da  bien  que  par  exception,  quoi- 
qu'on dise  le  proverbe. 

C'est  le  moment  de  rappeler  la  distinction  qu'on 
a  faite  depuis  longtemps  entre  les  inventions  et 
les  découvertes.  Les  découvertes  sont  plus  spé- 
cialement la  simple  constatation  de  faits,  de  lois, 
ou  de  principes  inconnus  jusque-là,  en  histoire, 
en  géographie,  dans  les  sciences  en  général.  Les 
inventions  impliquent  le  plus  souvent  une  mise  au 
point  nouvelle,  une  transformi^on,  une  adaptation 
de  la  part  de  l'homme.  Ainsi,  la  découverte  des 
propriétés  merveilleuses  de  la  pierre  aimantée  ren- 
dit possible  l'invention  jde  la  boussole,  qui  permit 
aux  navigateurs  de  perdre  les  côtes  de  vue,  de  se 
lancer  dans  la  haute  mer,  et  de  mettre  le  cap  vers 
des  contrées  encore  inconnues.  Les  découvertes  de 
nos  physiciens  et  de  nos  chimistes  donnent  aux 
industriels  et  aux  mécaniciens  le  moyen  de  faire 
une  multitude  d'Inventions  dans  le  domaine  pra- 
tique ;  les  découvertes  de  nos  mathématiciens, 
les  hautes  analyses  de  nos  géomètres  sont  mises  à 
profit  de  mille  et  mille  manières  par  les  opticiens  et 


ingénieurs.  Rarement  les  inventions  sontimaginées 
de  toutes  pièces;  elles  sont  le  plus  souvent  de 
simples  modifications  aux  procédés  en  vogue,  aux- 
quels on  donne  des  applications  Inédites,  et  que  l'on 
simplifie  ou  l'on  complique  pour  de  nouveaux  usages. 
On  a  remarqué  qu'il  y  a  des  époques  plus  fé- 
condes en  Inventions  que  les  autres.  Ainsi,  notre 
génération  et  celles  qui  l'ont  procédée,  à  partir  de 
la  publication  de  la  grande  Encyclopédie,  ont  fait 
déjà  une  œuvre  immense,  et,  sans  exagération  au- 
cune, sont  en  train  de  renouveler  la  face  du  monde. 
Il  est  facile  de  s'expliquer  l'intermittence  de  ces 
époques  de  transformation,  qui  sont  le  contre-coup 
des  Impulsions  religieuses  et  philosophiques,  mo- 
rales et  scientifiques  se  produisant  de  période  en 
période.  Quand  une  idée,  quand  une  théorie  gé- 
nérale est  lancée  dans  le  monde,  les  intelligences 
éveillées  la  transportent  chacune  dans  la  sphère 
d'activité  qui  lui  est  propre,  l'y  établissent,  l'y  dé- 
veloppent, l'y  maintiennent,  jusqu'à  ce  qu'une 
conception  nouvelle  amène  d'autres  changements. 
La  série  de  ces  révolutions  partielles  dans  le  temps 
et  dans  l'espace  n'est  autre  que  la  grande  évolu- 
tion de  l'humanité.  Les  idées  ont  aussi  leur  évo- 
lution partielle;  comme  les  plantes,  elles  germent, 
frondoient,  fleurissent,  fructifient,  et  leur  semence 
reproduit  des  sujets  similaires,  mais  cependant 
distincts  et  nouveaux.  Voilà  pourquoi  des  inven- 
tions analogues  surgissent,  à  peu  près  au  même 
instant,  dans  plusieurs  cervelles,  et  l'inventeur 
qui  tarde  trop  à  publier  sa  découverte  s'en  voit 
dépouiller  l'honneur  par  un  rival  plus  pressé.  Cette 
remarque  a  donné  lieu  au  paradoxe  que  les  in- 
venteurs ne  trouvaient  pas  leur  invention,  mais 
que  l'Invention  allait  trouver  son  inventeur.  La 
vérité  est  que  les  idées  nouvelles  viennent  en 
leur  temps,  parce  qu'elles  sont  la  production  des 
idées  antérieures,  le  résultat  des  développements 
de  la  science. 

Ce  serait  s'engager  dans  un  dédale  que  de  vou- 
loir énumérer  les  inventions  qui  ont  été  faites  de- 
puis les  temps  les  plus  reculés  jusqu'à  nos  jours; 
un  volume,  des  volumes  n'y  suffiraient  pas  ;  sans 
parler  de  l'impossibilité  matérielle  de  fournir  des 
dates  authentiques,  des  renseignements  certains 
sur  plusieurs  d'entre  elles  qui  ne  sont  pas  des  moins 
importantes.  L'histoire  des  inventions  est  une 
science  par  elle-même.  Précise  en  ce  qui  touche 
aux  temps  modernes,  elle  est  vague  pour  le  moyen 
âge,  incertaine  pour  l'antiquité,  obscure  pour  les 
temps  préhistoriques.  Son  étude  ne  date  que  d'hier, 
et  n'aurait  pu  être  abordée  utilement  avant  les 
travaux  de  nos  derniers  géologues.  Nous  indique- 
rons les  lignes  principales  de  cette  histoire  aussi 
exactement  que  le  permettent  nos  connaissances 
actuelles;  nous  en  tenant  principalement  à  la 
genèse  même,  à  la  filiation  des  Inventions,  et  à 
leurs  relations  mutuelles.  Nous  renvoyons  aux  ar- 
ticles spéciaux  du  Dictionnaire  pour  les  détails 
relatifs  aux  inventions  les  plus  importantes,  telles 
que  Vimprimei'ie,  la  /joussote,  la  poudre  à  canon, 
la  mac/une  à  vapeur,  le  télégraphe,  etc. 

La  classificatloii  la  plus  simple  et  la  plus  prati- 
que nous  parait  être  celle  des  inventions:  1°  par 
leur  objet,  ou  par  les  besoins  auxquels  elles  doi- 
vent satisfaire,  2"  par  les  moteurs  ou  par  la  nature 
de  la  force  qu'elles  emploient. 

I.  —  La  nécessité  est  la  mère  des  inventions,  dit 
un  proverbe  dont  l'expérience  journalière  prouve  la 
justesse.  N'était  le  besoin  qui  nous  presse,  nous 
nous  endormirions  dans  la  jouissance  et  dans  l'oi- 
siveté. Il  est  certain  que  la  même  cause  qui  au- 
jourd'hui nous  fait  perfectionner  les  découvertes 
antérieures  les  a  inspirées  sous  une  forme 
barbare  dans  les  temps  primitifs.  Les  besoins 
les  plus  urgents  sont  les  plus  efficaces  à  réveiller 
l'intelligence  engourdie.  Les  besoins  moindres  ne 
se  font  sentir  que  lorsque  ceux  de  premier  ordre 


INVENTIONS 


—  1050  — 


INVENTIONS 


sont  déjà  satisfaits.  Nul  mobile  n'a  été  plus  puis- 
sant que  la  faim  il  créer  des  ressources  nouvelles, 
et  à  modifier  peu  à  peu  l'ordre  de  choses  précédem- 
ment établi.  L'Iiomme,  un  omnivore,  a  commencé 
par  demander  à  la  chasse  la  presque  totalité  de  sa 
subsistance.  Il  tuait  pour  manger.  Ses  armes  ont 
pu  à  l'origine  n'être  que  celles  du  gorille  et  de 
l'orang-outang  :  tantôt  une  pierre,  tantôt  une 
massue  dans  ses  poings  robustes.  Ce  fut  une  véri- 
table inspiration  de  génie  quand  il  emmancha  sa 
pierre  au  bout  d'un  bâton  l'ourclm,  se  faisant  ainsi 
un  instrument  qui  fut  le  premier  casse-tête,  le 
premier  marteau,  la  première  hache,  la  première 
lance,  le  premier  cpieu,  le  premier  javelot,  le  pre- 
mier hoyau.  D'abord,  il  avait  pris  ces  pierres  pour 
faire  poids  ;  il  fut  amené  à  les  prendre  pour  leur 
dureté,  ensuite  pour  leur  tranchant;  il  en  vint  à 
tailler  les  silex  qui  devaient  lui  donner  toutes  sortes 
d'instruments  l'un  après  l'autre  :  couteaux,  poi- 
gnards, épingles,  aiguilles,  grattoirs,  ràcloirs, 
limes  et  scies,  pointes  aiguës  et  barbelées  de  plu- 
sieurs modèles.  De  ces  pointes  remplaçant  les  os 
et  les  arêtes  de  poissons,  il  arma  les  flèches  qu'il 
venait  d'inventer  après  avoir  reconnu  l'élasticité 
de  certains  bois  et  les  profits  qu'on  en  pouvait 
tirer  en  courbant  une  branche,  en  la  sous-tendant 
de  boyaux  tordus.  Plus  tard,  il  se  mit  ;\  polir  les 
pierres  les  plus  dures,  du  grain  le  plus  fin,  le  plus 
serré,  et  même  à  les  percer,  k  les  forer.  On  trouva 
des  minerais  plus  durs,  plus  résistants  et  plus 
lourds  que  la  pierre  ;  par  exemple  le  cuivre  natif 
dont  on  fit  des  armes  redoutables. 

En  taillant  les  silex,  en  les  frappant  l'un  contre 
l'autre,  on  avait  vu  des  étincelles  jaillir,  et  l'on  de- 
vina que  cette  étincelle  est  de  même  nature  que 
l'éclair  qui  sillonne  la  nuée  ;  çà  et  laces  étincelles 
avaient  fait  jaillir  la  flamme  aux  entours,  ce  qui  ne 
manqua  pas  de  remplir  l'homme  d'effroi.  Combien 
de  siècles,  combien  d'âges  se  passèrent  avant  qu'il 
se  soit  familiarisé  avec  les  feux  de  la  foudre,  des 
cratères,  des  sources  de  gaz,  de  naplite,  de  pétrole, 
avec  les  divers  usages  de  l'eau  qui  sourdait  des 
fontaines  thermales  dans  les  pays  volcaniques? 
C'est  ce  qu'il  est  encore  impossible  de  dire.  Enfin 
se  fit  la  découverte  des  découvertes,  l'inven.ion 
des  inventions.  L'homme  se  rendit  compte  des  ma- 
tières qui  sont  plus  facilement  comi)UStibles  que 
les  autres,  il  les  disposa  liabilement  dans  le  voi.si- 
nage  des  cailloux  qu'il  heurtait  et  dont  il  tirait  des 
étincelles  :  ce  fut  le  briquet.  Il  fit  bien  plus.  A  dé- 
faut de  pyrites,  il  frotta  des  morceaux  de  bois  sec 
les  uns  contre  les  autres,  fit  tourner  rapidement 
la  pointe  d'un  bois  dur  dans  le  trou  d'un  bois  mou. 
Au  prix  d'efforts  énergiques,  habiles  et  persévé- 
rants, que  nous  avons  encore  l'occasion  d'admirer 
chez  plusieurs  peuplades  contemporaines ,  on 
voyait  le  bois  s'éciiaulïer  peu  à  peu,  se  charbonner, 
une  fumée  s'élever;  au  milieu  de  la  tache  noire 
apparaissait  un  point  rouge,  première  lueur  qui 
bientôt  gagnait  en  étendue  et  en  intensité  ;  encore 
un  moment,  le  bois  craquait  et  la  flamme  surgissait 
vive  et  vermeille.  Seul  de  tous  les  êtres  animés, 
l'homme  a  conquis  le  feu,  seul  il  sait  l'entretenir. 
Nous  sommes  en  droit  de  dire  qu'au  point  de  vue 
pratique,  c'est  l'usage  du  feu  qui  met  une  ligne  de 
démarcation  aussi  nette  et  tranchée  entre  l'homme 
et  la  bêle  qu'il  est  possible  de  le  désirer.  Ceux 
qui  ont  fait  du  sujet  une  élude  spéciale  n'hésitent 
pas  à  affirmer  que  s'il  était  vrai,  comme  quelques- 
uns  prétendent,  sans  raison  suffisante,  nous  semble- 
t-il,  qu'il  existe,  ou  qu'il  existait  tout  récemment 
encore,  des  hordes  assez  arriérées  pour  ignorer 
l'usage  du  feu,  ces  hordes  n'auraient  eu  d'humain 
que  la  figure.  M.  Tyler,  le  savant  auteur  de  la 
Civilisation  primitive,  a  recherché  les  diverses 
manières  employées  par  les  sauvages  pour  faire 
le  feu  et  montré  qu'elles  ont  pu,  qu'elles  ont  dû 
donner  naissance  i  plusieurs  instruments  et  pro- 


cédés mécaniques  dont  on  ignorait  jusque-là  l'ori- 
gine :  tarière,  vilebrequin,  baratte,  archet,  mortier 
et  pilon,  etc.  La  meule  antique  dans  laquelle  on 
broyait  le  grain  est  un  de  ces  appareils  dérivés. 
Sur  la  meule  gisante,  qui  restait  immobile,  tournait 
la  meule  roulante  emmanchée  sur  un  axe.  L'allu- 
mette chimique  devait  faire  tomber  ces  procédés 
divers  en  rapide  désuétude.  Les  trois  choses  que 
le  monde  sauvage  envie  le  plus  à  notre  civilisation 
sont  :  l'allumette  ou  bâtonnet  à  feu,  l'eau  de  feu, 
l'arme  à  feu. 

Le  feu  ayant  été  ainsi  obtenu  à  grand'peine,  il 
fallait  le  conserver.  Il  est  telle  peuplade  nomade 
chez  laquelle  les  femmes  portent  au  moindre  de 
leurs  voyages  un  tison  qu'elles  ravivent  fréquem- 
ment en  le  faisant  tournoyer  dans  l'air.  Les  tribus 
mieux  assises  entretiennent  des  foyers  constam- 
ment allumés  autour  desquels  se  rassemblent  les 
chefs  et  les  guerriers.  Ces  prytanées  sont  les  sanc- 
tuaires nationaux  d'où  les  colonies  emportent  de 
précieux  brandons  dans  leurs  nouvelles  demeures, 
où  les  chefs  de  famille  vont  au  nouvel  an  prendre 
des  charbons  pour  allumer  leur  foyer  domestique. 
C'est  ainsi  que  nous  voyons  le  feu  à  l'origine  des 
institutions  nationales  et  familiales.  Tant  est  vraie 
la  légende  des  Grecs,  d'après  laquelle  Prométhée 
ou  Vulcain  aurait  été  le  créateur  de  l'homme  :  en 
d'autres  termes,  c'est  au  feu  et  à  tout  ce  qu'il  a 
produit  et  amené  que  notre  humanité,  celle  des 
civilisés  ou  demi-civilisés,  doit  son  existence. 

Jusque-là,  on  avait  mangé  cru;  dorénavant,  les 
viandes  furent  rôties  ou  bouillies  ;  fréquemment 
on  torréfia  le  grain  avant  de  le  passer  à  la  meule. 
On  inventa  le  procédé  pour  la  fabrication  du  pain, 
on  découvrit  les  propriétés  des  levains  ;  on  eut  du 
pain  levé,  des  boissons  fermentées. 

L'art  culinaire  prit  alors  naissance.  Les  premiers 
vases  avaient  été  des  coquilles,  des  gourdes,  de 
grosses  noix,  et  autres  fruits  creux  et  dessécliés, 
des  pailles  et  des  roseaux  étroitement  tressés. 
Bientôt,  on  tira  parti  de  la  plasticité  et  de  l'im- 
perméabilité de  l'argile  pour  en  enduire  les  roseaux 
tressés  qui  servaient  de  parois  aux  premières 
huttes,  qui  formaient  les  premières  corbeilles  qu'on 
transforma  ainsi  en  cruches,  et  qu'on  songea  plus 
tard  à  durcir  en  les  brûlant.  Nos  collections  ont 
encore  quelques  débris  de  ces  anciens  brocs,  dans 
lesquels  des  joncs  et  des  carex,  encore  engagés 
dans  la  pâte,  nous  font  surprendre  les  secrets  de 
la  fabrication  primitive.  Telles  furent  les  origines 
de  la  céramique,  art  humble  et  bien  modeste  à  ses 
débuts,  mais  qui  a  rendu  à  notre  espèce  d'incalcu- 
lables services  ;  donnant  à  peu  de  frais  une  matière 
qui  se  prêtait  sans  effort  à  toutes  les  fantaisies  des 
doigts  qui  la  pétrissent,  et  remplaçait  en  une  foule 
de  circonstances  le  bois,  la  pierre  et  les  métaux. 
Les  vases  de  toute  espèce  restèrent  généralement 
lourds  et  irréguliers  tant  qu'on  n'eut  pas  trouvé  la 
roue,  avec  laquelle  l'art  du  potier  entra  dans  la 
période  artistique.  Ce  n'est  pas  tout:  avec  l'aigile 
on  construisit  des  fourneaux  qui  concentraient  la 
chaleur  à  un  degré  que  les  foyers  ordinaires  n'eus- 
sent jamais  pu  atteindre;  et  dans  ces  fourneaux, 
on  obtint  la  fusion  des  substances  jusque-là  ré- 
fractaires,  qui  livrèrent  des  vernis,  des  verres,  des 
faïences,  auxquelles  les  Chinois  ajoutèrent  la  por- 
celaine. Ils  permirent  de  procéder  à  la  fusion  des 
minerais  :  on  obtint  à  l'état  pur  des  métaux  tels 
que  le  plomb,  l'étain,  le  cuivre,  l'argent,  l'or;  et 
enfin  les  alliages  déterminés,  tels  que  le  laiton,  le 
bronze,  vrai  métal  précieux.  La  facilité  de  les  obte- 
nir, non  pas  seulement  en  lingots,  mais  aussi  en 
lames  minces,  flexibles,  malléables,  élastiques, 
susceptibles  d'un  beau  poli,  et  relativement  très 
légères,  les  fit  rechercher  pour  l'ornementation. 
Lf  s  premiers  guerriers  étaient  jaloux,  plus  encore 
que  les  femmes  d'aujourd'hui,  de  se  parer  de 
chaînes,  de  diadèmes,  de  bracelets,  de  chevilles, 


INVENTIONS 


103 1 


INVENTIONS 


û<:  pectoraux,  de  torqiids  et  cnllioi's,  d'agrafes  et 
fibules.  L'absence  bien  constatée  de  tout  oxyde  de 
for  dans  les  fouilles  où  l'on  trouve  déjà  de  nom- 
breux objets  en  bronze,  a  fait  supposer  que  l'inven- 
tion du  bronze  a  précédé  d'un  long  temps  l'inven- 
tion du  fi^r,  supposition  que  confirment  certaines 
traditions  relatées  par  les  auteurs  classiques.  Ce- 
pendant, il  se  peut  qu'on  ait  tout  au  moins  exa- 
géré la  période  qui  s'est  écoulée  entre  les  deux 
découvertes.  M.  de  Morlillot  explique  la  rareté 
relative  des  objets  de  fer  dans  les  tombes,  par  la 
considération  que  ce  métal,  si  facilement  attaqué 
par  la  rouille,  devait  être  tenu  en  bien  moindre 
estime  que  le  bronze  et  ne  trouvait  pas  sa  place 
dans  les  cercueils  des  chefs,  des  riches  et  des  puis- 
sants, qui  avaient  seuls  l'honneur  de  reposer  dans 
des  tumulus.  Toujours  est-il  que  le  fer  a  été  em- 
ployé en  Egypte,  déji  du  temps  des  premières  dy- 
nasties, et  qu'on  a  même  retrouvé  dans  la  chambre 
secrète  d'une  pyramide  uu  morceau  de  fer  qui 
y  avait  été  oublié. 

On  a  lieu  de  croire  que  le  fer  a  été  inventé  dans 
l'intérieur  de  l'Afrique,  où  se  trouvent  des  minerais 
le  plus  facilement  réductibles,  et  où  cette  fabrica- 
tion s'effectue  par  des  procédés  simples  et  bien  en- 
tendus qui  se  sont  transmis  de  génération  en  géné- 
ration. Les  perfectionnements  successifs  apportés 
au  travail  du  foret  du  bronze,  des  armes  offensives 
et  défensives,  provoquèrent  maint  bouleversement, 
mainte  révolution  dans  l'histoire  des  empires, 
firent  gagner  mainte  bataille,  élever  maint  royaume 
sur  les  ruines  d  un  antre  royaume.  Plus  d'un  his- 
torien attribue  les  victoires  des  Romains  à  la  su- 
périorité de  leur  cpée,  plus  courte,  mais  mieux 
coupante  et  mieux  irempéo  que  celles  qu'on  leur 
opposait.  Parce  que  le  fer  a  été  le  grand  instrument 
de  meurtre,  n'oublions  pas  qu'il  a  fait  le  soc  et  le 
coutre,  et  que  la  charrue  a  nourri  et  fait  vivre  plus 
de  millions  d'hommes  que  la  guerre  n'en  a  tué. 
C'est  au  fer  que  nous  sommes  redevables  de  l'agri- 
culture. 

La  passion  avec  laquelle  on  se  jeta  sur  la  posses- 
sion des  métaux  précieux,  surtout  ceux  qui  avaient 
été  travaillés  et  frappés  en  médailles  à  l'empi-einte 
d'un  dieu,  d'un  grand  personnage  ou  d'un  poten- 
tat, la  faciliié  avec  laquelle  on  échangeait  ces 
petites  pièces  contre  des  denrées  et  des  marchan- 
dises incomparablement  plus  lourdes  et  plus  diffi- 
ciles à  transporter,  donna  naissance  au  commerce, 
au  trafic  de  l'or  et  de  l'argent  monnayés. 

La  vanité  personnelle  autant  que  la  nécessité  de 
se  protéger  contre  les  morsures  du  froid  et  de  la 
chaleur,  les  piqûres  des  insectes  et  des  épines, 
firent  recourir  aux  vêtures,  qui  d'abord  furent  très 
succinctes  :  des  herbes,  des  feuillages,  des  couches 
de  cette  même  argile  dont  on  enduisait  les  parois 
des  masures  et  des  corbeilles  à  contenir  l'eau. 
Longtemps  on  convoita  les  dépouilles  des  ani- 
maux, brillantes  écailles  protectrices,  toisons  lé- 
gères, chaudes  fourrures,  beaux  plumages  ;  mais 
le  cuir  sur  lequel  elles  sont  implantées  se  dessèche 
bientôt  après  la  mort  de  l'animal,  durcit  et  se  rac- 
cornit,  quand  il  ne  pourrit  pas.  Avant  de  prendre 
possession  de  ces  trésors  convoités,  il  fallait  in- 
venter les  moyens  de  nettoyer  le  cuir,  de  lui 
rendre  sa  souplesse  sans  nuire  à  sa  durabilité  ; 
ce  qu'on  fit  par  les  procédés  primitifs  de  tannage, 
de  mégisserie  et  de  parcheminerie,  qui,  dans  toutes 
leurs  diversités,  avaient  cela  de  commun  qu'ils 
étaient  longs,  fatigants  et  dispendieux.  Un  dos 
premiers  résultats  de  la  chimie  régénérée,  presque 
créée  par  Lavoisier  et  par  ses  émules  et  disciples, 
fut  d'opérer  une  révolution  dans  cette  fabrication. 

Les  écorces  qui,  conjointement  aux  peaux  de 
bêtes,  couvraient  les  toits  des  huttes,  firent  surgir 
tine  industrie  parallèle  à  la  tannerie.  Certaines 
écorces,  qui  s'y  prêtent  bien  mieux  que  d'autres, 
furent  nettoyées,  rouies,    battues,  triturées,  tra- 


vaillées jusqu'à  ce  que  le  lacis  de  fibres  eût  été 
dépouillé  de  ses  concrétions.  Quelques-unes  des 
étoffes  ainsi  préparées  par  les  insulaires  dos  mers 
du  Sud  peuvent  rivaliser  avec  nos  plus  belles 
mousselines.  C'est  ainsi  qu'on  travailla  le  papyrus, 
prototype  de  notre  papier.  C'est  ainsi  que  nos 
premiers  livres  furent  écrits  sur  du  liber,  et  nos 
premiers  a  bou(|uins  »  sur  l'écorce  du  hêtre  (en  al- 
lemand Buchet  des  forêts  de  la  Germanie. 

Mais  revenons  aux  claies  qu'on  fabriquait  en 
entre-croisant  les  branches  souples  de  saule  ou 
d'osier,  les  branches  droites  et  flexibles  de  tout 
autre  arbre,  les  pailles  et  roseaux.  Les  plus 
lourdes  et  solides,  accrochées  à  des  pieux  de 
distance  en  distance,  formaient  les  toits  et  les  pa- 
rois; les  plus  légères  servaient  de  portes  qu'on 
plaçait,  déplaçait  replaçait,  à  volonté;  de  plus  pe- 
tits clayons,  transportés  avec  la  personne,  servaient 
de  manteaux,  de  coiffures.  On  a  i-emarqué  que  les 
couvre-chefs  affectent  oouvent  une  ressemblance 
marquée  avec  le  genre  do  toiture  usitée  dans  le 
pays.  Insensiblement,  on  étendit,  on  développa  le 
procéilé  dont  il  s'agit;  on  croisa  des  lanières  de 
peaux  et  de  fourrures,  qui  s'enroulèrent  étroite- 
ment autour  des  surfaces  de  plus  en  plus  petites. 
En  rapprochant  les  mailles,  on  eut  des  tissus  qui 
excluaient  complètement  l'eau,  la  lumière  et  même 
l'air;  en  les  écartant,  on  eut  des  filets.  Le  tres- 
sage donna  naissance  à  l'industrie  du  tricot,  dont 
la  mécanique  vient  de  s'emparer.  Le  croisage  des 
fils  est  à  l'origine  de  tous  les  systèmes  de  tisse- 
r^nderie  qui,  transformés  par  le  génie  de  Jacquart, 
ont  pris  un  développement  dont  s'enorgueillit 
notre  siècle.  Toutes  les  ressources  de  la  science 
ont  été  mises  h  la  disposition  du  tissage  et  des 
filatures  mécaniques,  des  teintureries  et  imprime- 
ries sur  étoffes.  Les  lentes  quenouilles,  les  fuseaux 
solitaires,  dont  nos  anthropologues  retrouvent  les 
pesons  dans  les  plus  anciens  palafittes,  sont  rem- 
placés dans  nos  fabriques  par  des  milliers  de 
broches  mues  simultanément  par  la  vapeur  et 
avec  une  rapidité  qui  les  rend  invisibles.  Les 
riches  couleurs  qu'on  applique  sur  ces  tissus 
délicats,  on  ne  les  tire  plus  péniblement  du  suc 
de  quelques  fruits,  de  quelques  bois,  de  quelques 
herbes,  d'insectes  ou  de  mollusques  écrasés, 
cochenilles  ou  murex,  mais  des  houilles  qu'on 
distille  par  tonnes.  Comme  nous  sommes  loin  de 
l'époque  à  laquelle  les  hommes,  désireux  de  passer 
pour  rouges,  jaunes  ou  bleus,  s'enduisaient  d'ocro 
ou  de  marne  !  Alors,  ils  s'ornaient  de  dessins,  de  re- 
présentations variées  de  plantes  et  d'animaux,  de 
marques  indiquant  le  rang,  le  titre,  la  fonction, 
qu'ils  étaient  obligés  de  se  graver  sur  la  peau.  Ces 
ponctions,  ces  tatouages  ont  été,  pensons-nous,  la 
première  écriture.  I^uis  la  représentation  directe  des 
objets  fit  place  h  des  figurations  conventionnelles 
que,  peu  à  peu,  on  abrégea  jusqu'à  les  rendre 
méconnaissables  ;  mais  grâce  à  l'habitude,  grâce  à 
la  persistance  des  traditions,  leur  signification 
resta  comprise;  on  écrivit  en  rébus.  L'écriture 
hiéroglyphique,  se  faisant  de  plus  en  plus  cursive, 
donna  naissance  à  nos  alphabets. 

De  bonne  heure,  quelques  dessins,  des  mots 
magiques,  des  mots  de  reproches,  les  noms  des 
rois,  des  gouverneurs,  des  propriétaires,  furent 
gravés  sur  des  cachets.  Coins  et  matrices,  pour  être 
ensuite  reproduits  sur  l'argile  molle,  sur  la  cire, 
sur  les  monnaies  et  médailles,  sur  des  plaques  de 
métal,  môme  sur  le  front  des  criminels.  On  multi- 
pliait de  la  sorte  les  impressions  et  estampages. 
Les  Romains  avaient  laissé  à  Mayence,  la  ville  où 
naquit  Gutenberg,  de  nombreuses  tuiles  avec  des 
mots  y  estampés.  Les  monastères  bouddhistes  dis- 
tribuaient à  foison  aux  pèlerins  des  prières  et 
formules  sacrées  parfaitement  imprimées  sur  du 
papier  et  dos  étoffes.  Les  Chinois  gravaient  des 
volumes  entiers  sur  des  planches  de  bois;  en  Eu- 


INVENTIONS 


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INVENTIONS 


rope,  on  fabriquait  des  cartes  à  jouer  par  les  procé 
dés  dits  xylographiques,  avant  qu'on  eut  imajïiné  de 
se  servir  des  caractères  mobiles,  un  pour  chaque 
lettre.  Cette  simplification,  qu'on  s'étonne  presque 
de  n'avoir  pas  vu  se  produire  bien  des  siècles  au- 
paravant, donna  une  impulsion  puissante  à  l'esprit 
humain.  Elle  généralisa  l'instruction,  la  rendit 
accessible  aux  masses;  une  ère  nouvelle  com- 
mença pour  l'humanité.  Aujourd'hui,  au  moyen  des 
clichages  au  plâtre,  au  plomb,  au  carton-pàte,  b.  la 
galvanoplastie,  on  reproduit  indéfiniment  les  ca- 
ractères d'impression.  Les  matrices  sont  elles- 
mêmes  moulées  et  reproduites  en  autant  d'exem- 
plaires qu'on  peut  le  désirer. 

L'indication  des  principaux  moyens  par  lesquels 
les  hommes  se  sont  efforcés  de  satisfaire  leurs  be- 
soins de  toute  nature  est  loin  d'être  complète. 
Ainsi,  nous  n'avons  encore  rien  dit  des  inventions 
qui  ont  été  faites  pour  l'agrément  purement  intel- 
lectuel et  artistique.  On  n'avait  pas  été  sans  re- 
marquer que  les  boucliers  frappés  rendaient  des 
sorts  éclatants,  et  les  calebasses  vides  des  sons 
sourds.  Une  peau  fut  tendue  par  hasard  sur  un  pot 
de  terre  vide,  et  les  tambourins  et  taraboukas  se 
trouvèrent  inventés.  De  bonne  heure,  on  avait 
taillé  dos  roseaux  en  syringes  ;  on  faisait  montre 
de  tibias  humains  accommodés  en  flûtes.  Avec  une 
outre  pleine  d'air,  enmanchée  d'une  de  ces  flûtes,  on 
eut  la  cornemuse  ;  avec  plusieurs  flûtes  combinant 
leurs  timbres  divers,  on  eut  l'orgue.  On  souf- 
flait dans  des  cornes,  dans  des  conques  et  grands 
coquillages,  qui  plus  tard  se  transformèrent  en 
trompettes  retantissantes.  Les  archers  avaient  ob- 
servé que,  tandis  que  leur  flèche  partait  en  sifflant, 
le  boyau  tordu  qui  leur  servait  de  corde  émettait 
des  sons  aigus  ;  ils  eurent  l'idée  de  tendre  plusieurs 
de  ces  cordes  sur  une  planche  creuse  —  ou  sur  une 
carapace  de  tortue,  comme  dit  la  légende  —  et  l'o- 
reille se  délecta  désormais  aux  doux  sons  de  la  lyre 
et  de  la  cithare.  11  leur  prit  la  fantaisie  de  racler 
ces  cordes  tendues  avec  une  autre  corde  tendue, 
celle  de  leur  arc,  et  ils  inventèrent  le  violon.  Ils 
multiplièrent  le  nombre  des  cordes,  les  disposè- 
rent suivant  certaines  grosseurs,  certaines  lon- 
gueurs, et  ils  obtinrent  la  harpe,  maîtresse  de 
plusieurs  octaves.  La  harpe  donna  naissance  à  l'é- 
pinette,  au  clavecin,  au  piano  moderne. 

11.  —  Eli  classant  par  groupes  la  majorité  des  prin- 
cipales inventions, en  indiquant  leur  connexité, leur 
filiation  tantôt  prouvée,  tantôt  seulement  présumée, 
nous  n'avons  pas  achevé  notre  tâche.  Il  nous  reste 
à  indiquer  à  quelles  forces  nos  arts  et  nos  indus- 
tries ont  eu  recours,  quels  moteurs  ils  ont  em- 
ployés, quels  perfectionnements  ceux-ci  leur  ont 
apportés. 

Chacun  sait  que  l'homme  n'a  d'abord  employé  à 
ses  différents  ouvrages  que  la  force  de  ses  bras, 
que  l'adresse  do  ses  doigts.  A  l'origine  le  travail 
était  essentiellement  personnel  ;  mais  dès  que  le 
groupe  social  se  fut  étendu  et  compliqué,  les  la- 
beurs durs,  fatigants  ou  simplement  lourds  et  en- 
nuyeux, furent  réservés  aux  esclaves  et  plus  tard 
aux  serfs.  Aristote  ne  croyait  pas  possible  que  les 
pierres  meulières  pussent  tourner  seules,  que  les 
navettes  pussent  flier.seules.  Cependant  on  inventa 
des  manèges  auxquels  des  animaux  domestiques 
furent  attelés  au  lieu  et  place  des  hsnimes  ;  les  no- 
rias ou  puits  à  roue  furent  une  des  premières  in- 
ventions de  ce  genre.  Ce  fut  un  bien  grand  esprit 
que  celui  qui  imagina  de  faire  tourner  une  roue 
par  la  rivière  elle-même,  de  manière  à  lui  faire 
déverser  son  eau  dans  les  champs  riverains,  draguer 
elle-même  les  impuretés  de  son  lit,  ou  bien  encore 
mettre  en  mouvement  le  mécanisme  d'un  mou- 
lin. De  là  à  nos  turbines  verticales  et  horizontales 
il  y  avait  loin,  mais  le  principe  était  trouvé,  et  de 
progrès  en  progrès  on  inventa  la  presse  hydrauli- 
que. Aujourd'hui,  on  utilise  en  grand  les  chutes 


d'eau  dont  une  seule  peut  équivaloir  au  travail 
utile  do  quelques  milliers  d'hommes.  On  parle 
déjà  d'utiliser  la  chute  du  Niagara  comme  on  a 
utilisé  celles  du  Rliône  à  Bellegarde,  de  la  Sarine 
à  Fribourg  ;  d'utiliser  la  force  énorme  du  flux  et 
du  reflux.  Mais  relatons  ce  qui  est  réalisé  et  non 
pas  ce  qui  pourra  l'être  un  jour. 

La  force  du  vent  a  été  mise  à  contribution  pour 
la  propulsion  de  nos  navires  à  voiles  et  des  ailes  de 
moulins,  pour  l'assèchement  des  eaux.  En  divers  en- 
droits de  la  Chine,  nous  racontent  les  voyageurs, 
le  vent  est  utilisé  pour  la  traction  des  brouet- 
tes et  des  chars  sur  les  grandes  routes.  L'air  com- 
primé a  déjà  accompli  l'œuvre  immense  des 
percements  du  Mont  Cenis  et  du  Gothard,  et  va 
bientôt  aborder  le  Simplon.  La  science  de  l'aéros- 
tation  qui,  à  ses  premiers  débuts,  excita  un  en- 
thousiasme immense  et  bien  légitime,  n'est  encore 
que  dans  la  phase  des  études  préliminaires,  et  il 
ne  parait  pas  qu'on  doive  entrer  de  quelque  temps 
encore  dans  la  période  des  grandes  réalisations.  En 
revanche,  letéléphoneetlephonographesont  venus 
récemment  nous  éblouir  par  l'étalage  de  merveilles 
auxquelles  nous  ne  nous  attendions  pas. 

Les  machines  à  vapeur  nous  donnent  la  combi- 
naison de  l'air,  de  l'eau  et  du  feu  comme  moteurs. 
C'est  par  millions  que  se  comptent  maintenant  les 
chevaux-vapeur  qui  travaillent  nuit  et  jour  pour  le 
compte  de  l'homme,  faisant  tous  les  travaux  les  plus 
rudes  comme  les  plus  délicats,  mettant  en  oeuvre 
des  machines-outils,  qui  forent,  percent,  clouent, 
liment,  laminent,  divisent  ou  assemblent,  agrègent 
et  désagrègent,  compriment,  détendent,  scient, 
même  le  fer,  et  rabotent,  môme  l'acier,  travail- 
lant nuit  et  jour,  ne  buvant  que  de  l'eau,  ne  man- 
geant que  de  la  houille,  devenue  ainsi  mille  fois 
plus  précieuse  à  l'humanité  que  l'or,  dont,  le  cas 
échéant,  il  serait  facile  de  se  passer,  tandis  que 
toute  notre  industrie  s'arrêterait  incontinent  si 
la  houille  venait  à  disparaître  soudain.  Ce  n'est 
pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  les  divisions  et  sub- 
divisions de  cet  immense  sujet:  machines  à  vapeur 
fixes  ou  locomobiles,à  basse,  à  haute  pression,  ter- 
restres, fluviales,  steamers  à  aubes,  à  héli- 
ces, etc.  La  vapeur  a  révolutionné  l'industrie  et 
la  locomotion  ;  elle  tâte  déjà  l'agriculture  sur  plu- 
sieurs points,  et  en  plusieurs  endroits  ;  elle  ne 
manquera  pasde  la  transformer  profondément  dans 
un  avenir  plus  ou  moins  rapproché.  Elle  modifie 
les  conditions  matérielles  du  travail  et  de  l'indus- 
trie aussi  radicalement  que  la  poudre  a  déjà  changé 
l'aspect  politique  des  nations  dans  les  deux  mon- 
des. La  poudre  a  été  longtemps  trop  précieuse 
pour  servir  à  autre  chose  qu'à  tuer  les  hommes  ; 
mais  à  mesure  que  sa  composition  et  ses  proprié- 
tés ont  été  étudiées  et  que  sa  théorie  générale  a 
été  mieux  comprise,  on  a  fabriqué  des  poudres 
de  raine,  des  fulmi-cotons,  des  nitro-glycérines. 
et  plus  récemment  des  dynamites  dont  on  se  sert 
maintenant  pour  faire  sauter  les  écueils,  faire 
tomber  des  montagnes,  ouvrir  de  larges  voies  à 
travers  les  rochers. 

Les  forces  que  la  physique  et  la  chimie  ont  en 
quelque  sorte  fait  éclore  grandissent  à  vue  d'œil; 
à  mesure  que  nous  avançons  dans  leur  connais- 
sance, leur  puissance  et  leur  grandeur  semblent 
s'accroître.  La  chimie  proprement  dite  a  fait  mer- 
veille dans  ces  dernières  années.  L'immense  con- 
sommation de  combustible  faite  par  nos  machines 
a  appelé  l'attention  sur  les  houilles,  leur  produc- 
tion, leur  constitution.  Les  mines  de  combustiT 
ble  se  sont  trouvées  être  en  même  temps  des  mi- 
nes de  gaz,  d'huiles  diverses,  de  goudrons,  d'acides 
désinfectants,  de  matières  colorantes;  l'éclairage 
public  et  privé,  le  chaufl'ago  se  sont  perfectionnés 
du  coup.  La  fabrication  des  aciers  a  totalement 
changé  de  face,  et  bientôt  un  excellent  acier  ne 
coûtera   plus  que  ce   que   coûte   aujourd'hui  une 


IRRIGATIONS 


—  1033  — 


IRRIGATIONS 


fonte  m(^'diocre.  De  nouveaux  métaux  ont  été  dé- 
couverts, parmi  lesquels  l'aluminium  s'est  fait  im- 
médiatement une  place  h  part.  Les  découvertes 
dans  le  domaine  de  la  science  pure  sont  bientôt 
suivies  par  des  inventions  corollaires  dans  le  do- 
maine industriel.  Les  reclierclies  sur  les  électro- 
aimants, sur  l'électricité  statique  et  dynamique, 
ont  précédé  l'établissement  des  lignes  télégraphi- 
ques, la  création  d'industries  pour  l'exploitation  de 
la  galvanoplastie,  de  la  galvaiiograpliie,  de  la  lu- 
mière électro-magnétique,  pour  la  dorure,  l'argen- 
ture et  la  nickelure  par  l'électricité.  L'électricité 
s'est  trouvée  installée  partout,  môme  dans  la  thé- 
rapeutique. Grâce  à  son  action  si  rapide,  si  déli- 
cate et  subtile,  on  a  pu  construire  des  appareils 
mesurant  des  modifications  de  la  température  des 
corps,  et  notamment  de  l'air,  qui  eussent  été  insen- 
sibles aux  anciens  thermomètres.  Tout  ce  qui  ser- 
vait à  peser,  à  chiffrer,  à  évaluer,  a  pris  un  degré 
de  précision  qui  nous  semble  admirable  aujour- 
d'hui, mais  qui  demain  paraîtra  sans  doute  impar- 
fait. Après  les  t;nomons,  les  clepsydres,  les  sa- 
bliers, les  bougies  graduées;  après  les  horloges  et 
les  montres  qui  ont  donné  successivement  l'heure 
juste,  les  minutes,  les  secondes,  on  a  voulu  plus 
de  précision,  et  nos  navigateurs  ont  des  chronomè- 
tres qui  varient  à  peine  de  quelques  secondes  dans 
l'année,  et  nos  astronomes  ont  des  appareils  qui 
mesurent  un  espace  de  temps  aussi  court  que  le 
millième  d'une  seconde;  ils  ont  des  plaques  pho- 
tographiques sur  lesquelles  se  dessinent  et,  au 
besoin,  se  gravent  les  paysages  de  la  Lune,  la  cou- 
jonction  du  Soleil  et  de  Vénus.  Par  l'analyse  des 
rayons  qu'ils  recueillent  dans  leurs  télescopes, 
ils  discernent  quels  sont  les  métaux,  quels  sont 
les  éléments  qui  constituent  une  étoile  lointaine. 

Et  la  raison  de  tous  ces  progrès  rapides  qui  ont 
été  accomplis  dans  ces  derniers  temps,  c'est  que 
la  géométrie  devient  le  grand  instrument  d'inves- 
tigation. Bon  gré  mal  gré,  notre  esprit  se  plie  à  la 
méthode  mathématique,  et  l'on  commence  à  com- 
prendre qu'il  n'y  a  d'invention  féconde  que  celle 
qui  est  précédée  d'une  étude  patiente  et  dune 
observation  consciencieuse.  [Elle  Reclus.] 

IRLANDE.  —  V.  Angleterre. 

lllUl«ATIO>S.  — Agriculture,  IV. —  Les  irriga- 
tions constituent  des  opérations  qui  ont  pour  but 
de  répandre  méthodiquement  sur  les  terres  culti- 
vées une  certaine  quantité  d'eau,  afin  de  donner 
aux  plantes  l'humidité  qui  leur  est  nécessaire  pour 
croître  et  se  développer. 

La  nécessité  de  l'eau  pour  la  végétation  n'a  pas 
besoin  d'être  démontrée.  Que  l'on  sème  des  graines 
dans  un  sol  absolument  sec,  elles  n'y  germeront 
pas  ;  qu'un  champ  ne  reçoive  aucune  goutte  d'eau 
pendant  la  période  de  la  végétation,  etil  ne  donnera 
aucune  récolte.  D'un  autre  coté,  l'excès  d'humidité 
est  nuisible  à  la  végétation  ;  quand  les  pluies  sont 
trop  abondantes,  les  plantes  ne  poussent  pas.  Il 
en  est  de  môme  dans  les  terres  naturellement  sa- 
turées d'eau,  soit  par  leur  situation,  soit  à  raison 
de  la  nature  de  leur  sous-sol.  On  peut  voir  au  mot 
Drainage  les  opérations  par  lesquelles  on  se  dé- 
barrasse, dans  beaucoup  de  cas,  de  l'excès  d'eau. 

Il  était  naturel  que  la  pratique  de  l'irrigation 
prît  d'abord  de  l'extension  dans  les  climats  sucs  et 
chauds  où  l'eau  manque  tr<Jp  souvent.  La  plus 
liante  antiquité  nous  a  laissé  le  souvenir  et  les 
traces  des  irrigations  faites  par  les  peuples  de 
l'Orient,  les  Assyriens,  les  Arabes,  etc.  De  là,  les 
travaux  d'irrigation  se  sont  répandus  d'abord  en 
Grèce  et  en  Italie,  puis  en  Espagne  sui-tout  au 
moment  de  la  conquête  par  les  Maures.  Peu  à  peu, 
ils  ont  été  pratiqués  dans  les  autres  parties  de 
I  Europe,  plus  ou  moins,  suivant  les  nécessités  du 
climat,  des  diverses  cultures,  etc.  En  ce  qui  con- 
cerne particulièrement  la  France,  les  travaux  d'ir- 
rigation ont  été  principalement  exécutés,  dans  les 


provinces  méridionales  d'une  part  par  suite  du 
climat,  et  d'autre  part,  dans  les  régions  monla- 
gneusos  où  les  eaux  sont  plus  abondantes  et  plus 
faciles  b.  capter. 

L'irrigation  a  un  double  luit.  Elle  sert  d'abord  à 
donner  aux  plantes  l'humidité  qui  leur  est  néces- 
saire pour  se  développer.  La  plante  exhale  sans 
cesse,  mais  surtout  sous  l'influence  de  la  chaleur 
et  de  la  lumière,  une  grande  quantité  de  vapeur 
d'eau.  Quand  le  sol  ne  lui  fournit  pas  cette  quan- 
tité d'eau  indispensable,  la  plante  végète  miséra- 
blement, elle  languit  et  finit  par  mourir.  Les  pre- 
mières expériences  sur  la  transpiration  des  plantes 
sont  dues  .'i  Haies  ;  il  a  constaté,  par  l'expéi'ience 
et  par  le  calcul,  que  les  choux  plantés  sur  un  hec- 
tare de  terre  peuvent  perdre,  par  transpiration, 
jusqu'à  20,000  kilog.  d'eau  pendant  une  journée 
de  douze  heures.  L'activité  des  fonctions  de  la  plante 
dépend  de  la  régularité  de  cette  transpiration. 

D'un  autre  côté,  les  eaux  employées  aux  irriga- 
tions renferment  toujours  soit  en  suspension,  soit 
en  dissolution,  une  proportion  notable  de  raalières 
utiles  à  la  végétation.  Les  substances  tenues  en 
suspension  ..sont  déposées  sur  le  sol  cultivé,  du 
moins  en  grande  partie,  pendant  qu'il  est  recouvert 
d'eau  ;  quant  \  celles  qui  sont  en  dissolution,  elles 
sont  introduites  dans  la  terre  végétale  par  l'eau 
qui  y  pénttre.  Il  en  résulte  que,  tout  en  se  gardant 
des  exagérations  par  lesquelles  on  a  dit  quelque- 
fois que  l'irrigation  équivaut  à  une  bonne  fumure, 
on  peut  considérer  certaines  eaux  d'irrigation 
comme  pouvant  fournir  i  la  terre  une  proportion 
notable  des  principes  que  la  fumure  lui  apporterait. 
Cela  est  vrai  surtout  quand  il  s'agit  des  irrigations 
faites  avec  les  eaux  d'cgout  et  certaines  eaux  pro- 
venant des  usines  et  chargées  de  matières  nom- 
breuses qui  enrichissent  le  sol,  tandis  que  ces 
eaux,  dirigées  immédiatement  sur  les  rivières,  ne 
pourraient  que  les  polluer  et  détruire  le  poisson 
qu'elles  renferment. 

Les  eaux  employées  il  l'irrigation  ont  des  origi- 
nes diverses.  Mais  on  peut  les  placer  dans  quatre 
catégories  : 

1"  Les  eaux  de  source  ou  de  ruisseau.  Le  pro- 
priétaire du  sol  a  le  droit  de  capter  les  sources  qui 
sortent  de  terre  sur  son  fonds,  et  de  les  employer 
à  sa  convenance.  Il  peut  donc  les  employer  à  des 
irrigations.  Il  en  est  de  môme  des  eaux  des  ruis- 
seaux qui  traversent  les  propriétés,  mais  on  est 
obligé  de  les  rendre  à  la  sortie  de  celles-ci. 

2°  Les  eaux  de  rivière  arrosant  les  terrains  sub- 
mersibles. Sur  les  bords  de  la  plupart  des  rivières, 
surfout  dans  les  pays  de  plaines,  les  terres  du 
fond  de  la  vallée  sont  souvent  couvertes  par  les 
eaux  quand  le  niveau  monte  et  surtout  quand  il  y 
a  des  débordements.  C  est  là  une  irrigation  natu- 
relle, mais  souvent  il  est  difficile  de  se  débarrasser 
de  l'excès  d'eau  qui  peut  être  nuisible. 

:i°  Les  eaux  des  canaux.  Le  périmètre  des  terres 
qui  peuvent  être  arrosées  par  les  eaux  d'une  ri- 
vière est  très  limité.  Le  cours  de  celle-ci  va  tou- 
jours en  descendant,  de  sorte  qu'on  ne  pourrait 
utiliser  la  plus  grande  partie  de  ses  eaux  qu'en  les 
élevant  artificiellement.  Pour  parer  à  cet  inconvé- 
nient, on  construit  des  canaux  d'irrigation.  Un 
canal  d'irrigation  est  une  rivière  artificielle  qui  dé- 
rive les  eaux  d'un  point  déterminé,  et  dont  le  tracé 
est  creusé  avec  une  faible  pente  en  s'écartant  de  la 
rivière  d'où  il  part,  et  en  suivant  la  ligne  de  faîte 
des  terres  à  irriguer.  Il  lui  faut  souvent  coniourner 
des  obstacles,  traverser  des  bas-fonds  sur  des 
remblais  ou  même  des  aqueducs,  de  manière  à 
embrasser  le  périmètre  le  plus  étendu  qu'il  est 
possible  d'atteindre.  Parfois  il  revient,  sur  un  point 
plus  bas,  à  la  rivière  d'où  il  part;  d'autres  fois,  il 
déverse  dans  une  autre  rivière  l'excédant  de  ses 
eaux  qui  n'a  pas  été  utilisé.  Les  canaux  d'arrosage 
sont  donc  des  entreprises  considérables  :  le   plus 


lURIGATIONS 


1054 


IRRIGATIONS 


souvent  ils  sont  exécutés  par  l'État  ou  par  des 
compagnies  concessionnaires  ;  ce  n'est  que  dans 
de  rares  circonstances  qu'ils  peuvent  être  faits  par 
des  particuliers. 

Les  eaux  des  canaux  de  navigation  sont  parfois 
utilisées,  sur  leur  parcours,  pour  des  travaux  d'ir- 
rigation. 

4°  Les  eaux  élevées  arlificiellement.  L'eau  des 
puits  peut  être  employée  pour  les  irrigations.  Il 
faut  avoir  recours,  dans  ce  cas,  à  des  machines 
élévatoires.  Aujourd'hui,  dans  un  certain  nombre 
de  grandes  exploitations,  on  emploie,  à  cet  efl'ct, 
des  pompes  puissantes  mues  par  de  grandes  ma- 
chines i  vapeur.  Mais  le  plus  souvent  on  élève 
l'eau  avec  une  noria  mise  en  mouvement  par  un 
manège  à  chevaux  ou  à  mules.  La  noria  est  une 
machine  dont  l'origine  remonte  i  l'antiquité;  elle 
consiste  en  une  grande  roue  placée  au-dessus  du 
puits,  sur  laquelle  s'enroule  une  longue  corde  ou 
chaîne  qui  descend  dans  celui-ci;  sur  cette  chaîne 
.■^ont  fixés  des  vases  en  terre  qui  se  remplissent  au 
fond  du  puits  et  déversent  en  haut  leur  contenu, 
en  tournant  sur  la  roue,  dans  une  rigole  qui  aboutit 
à  \in  réservoir.  L'antique  noria  a  été  perfectionnée 
par  les  constructeurs  modernes,  et  il  y  en  a  aujour- 
d'hui  d'excellents  modèles.  D'autres  fois,  on  emploie, 
pour  l'élévation  artificielle  des  eaux,  des  turbines, 
des  roues  hydrauliques,  des  vis  d'Archimède,  etc. 

Les  machines  élévatoires  peuvent  aussi  servir  à 
élever  l'eau  des  rivières,  pour  l'amener  sur  les 
terres  hautes. 

Enfin  h  cette  catégorie  appartiennent  encore  les 
irrigations  faites  avec  les  eaux  des  puits  artésiens. 
Ces  eaux  sont  recueillies  dans  des  réservoirs  ana- 
logues à  ceux  adoptés  pour  emmagasiner  les  eaux 
de  source,  et  elles  sont  répariies  sur  les  terres  sui- 
vant les  besoins  de  la  culture. 

Dans  les  régions  méridionales,  les  irrigations 
sont  appliquées  au  plus  grand  nombre  des  cultures. 
Elles  sont  adoptées  pour  les  céréales,  les  cultures 
arbustives,  les  légumineuses,  les  plantes  potagè- 
res, comme  pour  les  prairies  naturelles  ou  arli- 
licielles.  Dans  le  centre  de  la  Frajice,  au  contraire, 
sauf  quelques  cas  particuliers  où  on  les  emploie  dans 
les  cultures  potagères,  les  irrigations  sont  presque 
exclusivement  réservées  aux  prairies  naturelles.  Et 
même,  dans  le  raidi,  ce  n'est  souvent  qu'i  titre 
exceptionnel  que  les  irrigations  sont  faites  sur  les 
céréales  et  les  cultures  arbustives,  dans  les  an- 
nées particulièrement  sèches;  elles  sont  presi|uc 
toujours  réservées  aux  plantes  potagères  et  fourra- 
gères. Il  en  résulte  que,  le  plus  souvent,  quand  on 
parle  d'irrigation,  on  s'occupe  des  irrigations  des 
prairies. 

Le  terme  générique  d'irrigations  est  réservé  à 
l'ensemble  de  l'opération.  On  désigne  sous  le  nom 
d'arrosage  l'opération  partielle  qui  consiste  h  faire 
couler  l'eau  sur  le  sol  pendant  un  temps  déterminé. 
Ainsi,  si,  pendant  une  saison,  on  couvre  deux  ou 
trois  fois  une  prairie  d'eau,  on  dit  que  l'irrigation 
lie  cette  prairie  comporte  deux  ou  trois  arrosages. 

Suivant  la  saison  dans  laquelle  les  irrigations 
sont  faites,  on  distingue  entre  les  irrigations  d'été 
l't  les  irrigations  d'hiver.  Les  irrigations  d'été  se 
t'ont  du  1"  avril  au  30  septembre  ;  quant  aux  irri- 
gations d'hiver,  elles  se  pratiquent  depuis  la  fin  du 
mois  d'octobre  jusqu'au  printemps  Dans  quelques 
pays,  on  emploie  ces  deux  modes  d'irrigation  si- 
multanément. C'est  ainsi  que,  dans  le  Limousin 
par  exemple,  les  prairies  sont  arrosées  pendant 
l'hiver  et  au  printemps,  puis  pendant  l'été,  après 
la  fauchaison,  pour  activer  la  pousse  des  regains. 
Ailleurs,  au  contraire,  les  irrigations  sont  exclusi- 
vement des  irrigations  d'été.  Dans  la  Provence,  les 
canaux  d'arrosage  chôment  à  partir  du  1"  octobre, 
et  ils  ne  donnent  l'eau  qu'après  le  i"  avril.  D'une 
manière  générale,  les  irrigations  d'hiver  sont  sur- 
tout des  irrigations  fertilisantes  ;  l'eau  couvre  le  sol 


pondant  longtemps,  et  elle  s'y  dépouille  des  subs 
tances  qu'elle  peut  renfermer.  Quant  aux  irriga- 
tions d'été,  elles  agissent  surtout  physiquement  ; 
elles  fournissent  aux  plantes  l'énorme  quantité 
d'eau  nécessaire  à  leur  évaporation,  et  elles  en  ac- 
tivent la  végétation. 

Pratique  îles  irrignlions.  —  Après  ces  indica- 
tions sur  les  manières  de  se  procurer  l'eau  et  sur 
les  diverses  sortes  d'irrigations,  il  faut  insister 
sur  la  pratique  des  irrigations,  d'abord  pour  les 
terres  arables,  puis  pour  les  prairies. 

Il  convient  d'abord  d'indiquer  la  quantité  d'eau 
nécessaire  pour  les  irrigations,  suivant  les  circon- 
stances. Dans  le  midi,  il  est  admis  comme  une 
règle  que  la  quantité  d'eau  nécessaire  à  un  hec- 
tare, pour  une  irrigation  d'été  complète,  doit  cor- 
respondre à  un  litre  par  seconde  pendant  la  saison 
des  arrosages,  c'est-i-dire  pendant  les  six  mois 
d'avril  h  septembre  inclusivement;  c'est  donc  une 
quantité  totale  de  15,550  mètres  cubes  d'eau  en- 
viron qu'un  hectare  doit  recevoir.  C'est  sur  cette 
règle  que  sont  fixées  les  concessions  d'eau  faites 
aux  canaux  d'irrigation  et  que  sont  déterminés  les 
périmètres  que  ces  canaux  peuvent  arroser.  Mais 
cette  quantité  totale  d'eau  n'est  pas  donnée  en  une 
seule  fois  ni  d'une  manière  continue.  Elle  est  ré- 
partie sur  la  surface  en  un  nombre  d'arrosages 
plus  ou  moins  considérable,  à  intervalles  plus  ou 
moins  longs,  suivant  la  nature  des  cultures,  les 
règles  locales  et  les  usages,  etc.  Pour  régler  cha- 
que arrosage,  on  se  sert,  sur  les  rigoles  de  répar- 
tition de  l'eau,  de  vannes  d'un  débit  déterminé, 
que  l'on  ouvre  pendant  un  temps  qui  varie  sui- 
vant la  quantité  d'eau  qu'il  .s'agit  de  donner  h  la 
terre.  Quant  aux  irrigations  d'hiver,  les  quantités 
d'eau  qui  y  sont  employées  sont  beaucoup  plus 
considérables  ;  les  exemples  sont  nombreux  où, 
pendant  les  mois  d'hiver,  on  donne  au  sol  plus  de 
50  litres  d'eau  par  seconde  et  par  hectare;  la  pro- 
portion atteint  même  parfois  150  litres. 

Il  est  certain  que  la  quantité  d'eau  à  employer 
doit  varier,  d'une  manière  générale,  suivant  les 
climats,  la  nature  du  sol  et  les  plantes  que  l'on 
cultive.  Elle  dépend  beaucoup  des  circonstances. 
Dans  los  cultures  potagères,  on  va  souvent  jus- 
qu'au double  et  même  au  triple  des  quantités  qui 
viennent  d'être  indiquées;  on  a  même  cité  des 
exemples  où  il  a  été  employé  des  quantités  encore 
plus  considérables. 

Quelquefois,  on  n'a  qu'une  faible  quantité  d'eau 
i  sa  dispositioii.  Dansées  circonstances,  on  la  ré- 
partit au  mieux  des  intérêts  des  cultures,  d'a- 
près la  saison,  la  nature  des  terres,  leur  perméa- 
bilité et  les  autres  conditions  particulières. 

Le  sol  doit  être  aménagé  d'une  manière  spéciale 
pour  les  irrigations.  Les  travaux  préliminaires  va- 
rient suivant  la  disposition  du  sol  ;  ils  ne  seront 
pas  les  mêmes  s'il  est  à  peu  près  plan,  ou  s'il  est 
en  pente  assez  prononcée. 

Irriga/iim  des  terres  cultivées.  —  Les  méthodes 
d'irrigation  des  terres  arables  sont  assez  nombreu- 
ses, mais  elles  peuvent  être  ramenées  h  trois  ou 
quatre  types  principaux  qui,  dans  la  pratique,  sont 
assez  souvent  combinés  ensemble. 

1°  Irrigation  par  déversement. —  On  entoure  le 
champ  (dans  ce  qui  va  suivre,  nous  supposerons 
toujours  qu'il  s'agit  d'un  champ  unique,  ce  qui  est 
dit  d'un  champ  pouvant  s'appliquer  ix  un  ensem- 
ble de  cultures)  par  des  rigoles  communiquant  à 
leur  point  le  plus  élevé  avec  le  canal  ou  le  fossé 
d'amenée  de  l'eau.  La  rigole  de  la  partie  inférieure 
est  dite  rigole  docolature;  elle  serti  l'évacuatioa 
des  eaux  excédantes  après  l'irrigation.  Pour  arro- 
ser, on  dirige,  à  l'aide  de  vannes  mobiles  ou  de 
pierres,  l'eau  dans  une  des  rigoles,  et  on  en  ferme 
l'extrémité  avec  une  vanne  ou  par  un  bourrelet  en 
terre.  L'eau,  montant  rapidement  dans  cette  rigole, 
se  déverse  quand  son  niveau  a  atteint  le  bord  de 


IRRIGATIONS 


—  1035  — 


IRRIGATIONS 


celle-ci,  et  elle  so  répand  en  nappe  dans  le  cliamp. 
Une  grande  partie  est  absorbée  par  la  terre,  avant  | 
d'arriver  h  la  rigole  de  colature  ou  d  asséclienient 
il  la  partie  inférieure.  L'eau  en  excès  s'échappe  par 

'^°Pom''r.ue  l'irrigation  par  déversement  fonctionne 
régulièrement,  il  importe  que  le  cliamp  naît 
qu'une  faible  déclivité,  et  en  outre  que  le  bord  di, 
la  rigole  d'arrosage  soit  bien  horizontal,  pour  que 
l'eau  ne  s'écoulo  pas  plus  sur  un  point  que  sur 
l'autre  ;  on  obtient  cette  horizontalité,  au  besoin, 
nar  quelques  remblais  faits  avec  un  peu  do  terre 
rapportée.  11  est  inutile  d'insister  sur  la  nécessite 
d'aplanir,  avant  l'arrosage,  le  sol,  pour  que  1  eau 
ne  s'arrête  ni  ne  séjourne  dans  des  parties  lor- 
mant  vallon.  11  y  a  en  outre,  quand  le  sol  est  sa- 
blonneux, h  veiller  à  ce  que  le  déversement  de 
l'eau  ne  se  fasse  pas  avec  une  trop  grande  rapidité  ; 
il  se  produirait,  dans  ce  cas,  dos  ravinements  qu  U 
est  essentiel  d'éviter. 

La  même  méthode  peut  être  appliquée  de  ma- 
nière il  arroser  un  champ  par  parties.  On  sépare 
alors  celles-ci  par  de  petits  bourrelets,  et  on  leur 
distribue  successivement  Peau,  d'après  les  règles 
qui  viennent  d'être  indiquées.  .  . 

Quand  on  n'a  à  sa  disposition  qu  une  quantité 
d'eau  limitée,  on  arrête  le  déversement  lorsque 
l'eau  a  couvert  les  trois  quarts  ou  les  quatre  cin- 
quièmes du  champ  ;  la  partie  inférieure  s'arrose 
par  approche  et  par  imbibition,  et  il  ne  s'échappe 
qu'une  très  faible  quantité  d'eau  dans  la  rigole  de 
colature.  ^  1    j 

2"  Irrigation  par  submersion.  —  Cette  méthode 
ressemble  i  laprécédsnte  par  la  disposition  géné- 
rale des  rigoles  d'arrosage.  Mais  le  champ  est  en- 
touré, en  outre,  par  des  bourrelets  qui  retiennent 
l'eau.  Celle-ci  est  ainsi  retenue  à  la  surface,  et 
elle  y  demeure  pendant  un  certain  temps.  Quand 
on  juge  que  la  submersion  est  snffisammeni  pro- 
longée, on  pratique  une  saignée  dans  le  bourrelet 
k  la  partie  basse  du  champ,  et  l'eau  qui  n'a  pas  été 
absorbée  par  le  sol  s'écoule  dans  la  rigole  de  co- 

Cette  manière  de  faire  évite  quelques-uns  des 
détails  de  la  méthode  précédente  ;  mais  elle  peut 
ofl'rir  des  inconvénients  au  point  de  vue  des  fonc- 
tions des  plantes  qu'on  maintient  complètement 
sous  l'eau,  et  du  limon  qui  peut  se  déposer  sur  les 
feuilles,  lorsque  les  eaux  en  sont  chargées. 

3»  Irrigation  par  raies.  —  Elle  consiste  à  diviser 
le  champ  en  sillons  larges  ou  planches  de  1  mè- 
tre à  l'°,50  de  largeur,  dirigées  h  peu  près  dans 
le  sons  de  la  plus  grande  pente,  et  à  tracer  la 
rigole  principale  d'arrosage  perpendiculairement 
à  ces  raies,  à  la  partie  supérieure  du  champ.  L'eau 
est  dirigée  de  la  rigole  dans  ces  raies,  et  elle  y 
séjourne  un  certain  temps.  Elle  pénètre  dans  la 
terre  des  planches  par  infiltration  ou  imbibition. 
Quand  on  juge  celle-ci  suffisante,  on  fait  écouler 
l'excédant  de  l'eau  dans  une  rigole  de  colature. 

Ce  système  est  celui  qui  est  le  plus  fréquem- 
ment adopté  pour  les  irrigations  des  céréales,  des 
cultures  maraîchères  ou  potagères,  des  jardins.  Il 
donne  presque  toujours  d'excellents  résultats,  et  il 
présente  l'avantage  d'éviter  l'action  directe  de  l'eau 
sur  les  tiges  et  les  organes  foliacés  de  plantes  sou- 
vent délicates. 

Dans  tous  ces  systèmes,  un  point  sur  lequel  il 
faut  insister,  c'est  qu'il  est  indispensable  d'assurer 
l'écoulement  régulier  des  eaux  après  l'arrosage. 
Autant  la  pratique  des  irrigations  est  utile  quand 
elle  est  oien  organisée,  autant  elle  peut  devenir 
dangereuse  quand  l'excès  (les  eaux  nu  s'écoule  pas 
et  reste  sur  le  sol.  Il  faut  que  celui-ci  se  ressuie 
rapidement  ;  autrement  les  plantes  cultivées  pour- 
rissent ou  végètent  mal,  et  elles  sont  remplacées 
par  de  mauvaises  herbes  qui  aiment  les  eaux  sta- 
gnantes. 


[niijatioti  des  pi-airks.  —  Quand  les  prairies 
font  partie  d'une  exploitation  sur  laquelle  les  irri- 
gations d'été  sont  praticiuées,  elles  peuvent  être 
arrosées  suivant  l'une  des  méthodes  qui  viennent 
d'être  indiciuées.  Mais  quand  on  établit  des  irriga- 
tions spéciales  pour  les  prairies,  comme  c'est  le 
plus  souvent  le  cas  dans  une  grande  partie  de  la 
France,  on  a  recours,  surtout  pour  les  irrigations 
d'hiver,  h  des  méthodes  spéciales. 

Le  plus  souvent,  pour  l'arrosage  spécial  des  prai- 
ries, les  eaux  dont  on  peut  disposer  sont  des  eaux 
de  ruisseaux,  de  torrents  et  surtout  de  sources. 
C'est  au  propriétaire  ou  à  l'exploitant  à  les  amé- 
nager pour  en  tirer  le  plus  grand  profit  A  cet 
effet,  des  réservoirs  sont  construits  à  la  partie 
supérieure  des  terres,  et  des  rigoles  ou  canaux 
partent  de  ce  réservoir  pour  amener  l'eau  aux 
prairies  h  arroser.  Ces  rigoles  sont  fermées  par  des 
bondes  qui  permettent  de  prendre  au  réservoir  la 
quantité  d'eau  qui  est  nécessaire.  Des  agriculteurs 
intelligents  savent  même,  sans  avoir  de  sources, 
se  procurer  de  l'eau  en  créant  des  réservoirs  et 
on  y  amenant  par  des  fossés  les  eaux  pluviales 
provenant  des  fonds  supérieurs.  Ailleurs,  on  em- 
magasine dans  le  même  but  des  eaux  provenant 
des  terres  drainées.  L'eau  étant  procurée,  d'une 
manière  ou  d'une  autre,  et  étant  amenée  par  un 
fossé  à  la  partie  supérieure  d'une  prairie,  nous 
allons  indiquer  quelles  sont  les  différentes  méthodes 
adoptées  pour  l'y  distribuer  avantageusement. 

1°  Irrigations  par  les  rigoles  de  niveau.  —  Cette 
méthode  s'applique  surtout  aux  prairies  en  pente. 
Elle  consiste  à  faire  dans  la  prairie,  transversale- 
ment à  la  pente,  une  série  de  rigoles  tracées  de 
manière  à  conserver  toujours  le  même  niveau,  et 
suivant  les  sinuosités  du  terrain.  Lorsque  l'eau 
remplit  une  de  ces  rigoles,  elle  se  déverse  par  son 
bord  inférieur  et  se  répand  en  nappe  sur  l'herbe 
en  aval,  jusqu'à  ce  qu'elle  atteigne  la  rigole  infé- 
rieure, qui  forme  une  nouvelle  nappe  qu'elle  dé- 
verse en  dessous,  et  ainsi  de  suite  jusqu'au  bas  de 
la  prairie.  Sur  ces  artères  principales  s'embran- 
chent de  petites  rigoles  qui  se  dirigent  h  droite  et 
à  gauche,  sans  issue,  de  manière  h  faciliter  la  for- 
mation des  nappes. 

Par  cette  méthode,  les  diverses  parties  de  la 
prairie  sont  arrosées  successivement,  et  l'eau  en 
excédant  s'échappe  par  un  canal  de  colature,  où  elle 
peut  être  employée  pour  arroser  une  autre  prairie. 
Pour  égoutter  la  prairie,  quand  ,1e  sol  n'estH  pas 
suffisamment  perméable,  on  pratique  quelques 
saignées  dans  les  rigoles  secondaires,  et  elles  se 
vident  assez  facilement. 

Ce  système  demande  une  grande  surveillance  de 
la  part  de  l'irrigateur,  pour  maintenir  l'eau  à  un 
niveau  convenable  dans  les  rigoles,  pour  l'empê- 
cher de  séjourner  dans  les  vallonnements  du  sol, 
et  pour  couvrir  d'une  manière  à  peu  près  uniforme 
toutes  les  parties  do  la  prairie. 

2°  Irrigations  par  razes  ou  par  rigoles  rectilignes 
inclinées.  —  Ce  système  diffère  du  précédent  on 
ce  que,  pour  la  construction  des  rigoles  de  distri- 
bution,' on  ne  s'astreint  pas  à  suivre  les  lignes  de 
niveau.  Elles  sont  prises  sur  les  rigoles  princi- 
pales qui  suivent  les  lignes  de  plus  grande  pente, 
et  elles  s'en  écartent  en  ligne  droite,  plus  larges 
k  leur  commencement  qu'à  leur  extrémité.  Au  bas 
de  la  praii'ie,  comme  précédemment,  sont  tracées 
les  rigoles  de  colature. 

Dans  ce  système,  l'eau  court  dans  les  rigoles 
avec  une  assez  grande  rapidité;  c'est  pourquoi  on 
lui  donne  quelquefois  le  nom  de  système  de  rigo- 
les à  eau  courante.  Quant  à  la  répartition  des 
ri<'oles  de  distribution  et  des  rigoles  d'arrosage, 
elîo  peut  varier  dans  des  proportions  très  grandes 
suiviint  la  configuration  du  terrain,  la  peine,  etc. 
:i"  Irrigations  par  planches  en  ados.  —  C'est  la 
méthode  généralement  adoptée  pour  les  prairies 


IRRIGATIONS 


1056 


IRRIGATIONS 


en  terrain  plat  ou  dont  l'inclinaison  n'atteint  pas 
5  cent,  pour  1  mètre. 

Le  canal  d'amenée  de  l'eau  longeant  un  des 
côtés  de  la  prairie,  celle-ci  est  divisée  en  planches 
bombées  plus  ou  moins  larges  ;  le  plus  souvent  la 
largeur  des  planches  est  de  8  mètres  ;  elle  est 
quelquefois  de  ii  mètres,  et  elle  atteint  parfois 
20  mètres.  Le  relief  de  ces  planches  est,  en  géné- 
ral, de  20  cent,  pour  les  planches  étroites;  il  peut 
atteindre  bO  cent,  pour  les  planches  les  plus 
larges.  Un  canal  de  distribution  de  l'eau  est  tracé 
sur  la  ligne  de  faite  de  chaque  planche.  Lorsque 
ce  canal  est  rempli,  l'eau  se  déverse  à  droite  et  à 
gauche,  pour  atteindre  des  rigoles  de  colature 
creusées  entre  les  planclies.  Ces  rigoles  de  cola- 
ture aboutissent  toutes  à  un  fossé  de  colature  qui 
court  h  la  partie  inférieure  do  la  prairie.  Quand 
on  veut  faire  des  arrosages  abondants,  on  ferme 
l'extrémité  des  rigoles  de  colature,  de  manière  à 
maintenir  pendant  le  temps  nécessaire  l'eau  sur 
les  planches. 

Ce  système  est  particulièrement  avantageux  dans 
les  sols  argileux  et  de  nature  de  glaise,  parce 
qu'il  assure  l'égouttement  régulier  de  toute  l'eau 
qui  n'est  pas  absorbée  par  le  sol.  Le  renouvelle- 
ruent  de  l'eau  est  d'ailleurs  rapide  et  complet,  et 
il  n'y  a  jamais  danger  de  stagnation  ni  de  ses  multi- 
ples inconvénients.  C'est  le  système  qui  a  été  adopté 
dans  les  célèbres  prairies  du  Milanais  soumises 
^ux  irrigations  d'hiver  connues  sous  le  nom  de 
marciles. 

i°  Irrigations  en  terrasses.  —  Sur  les  coteaux 
rapides,  on  dispose  parfois  le  sol  en  terrasses 
successives  soutenues  par  des  murs  en  pierres 
sèches.  Pour  arroser  ces  terrasses,  on  crée  des 
rigoles  de  distribution  d'eau  h  la  partie  supé- 
rieure, et  des  rigoles  de  colature  à  la  partie  infé- 
rieure; l'iirigation  se  fait  alors  par  déversement, 
comme  il  a  été  dit  plus  haut. 

Quelle  que  soit  la  méthode  d'irrigation  adoptée, 
elle  exige,  comme  on  l'a  vu,  des  travaux  impor- 
tants :  creusement  de  fossés  et  de  rigoles,  terras- 
sements parfois  considérables,  etc.  En  cmtre,  il 
est  de  la  plus  haute  importance  que  les  fossés  et 
les  rigoles  soient  toujours  en  bon  état  d'entretien  ; 
que  leurs  bords  soient  protégés  contre  l'érosion  de 
l'eau,  qu'ils  soient  refaits  en  cas  de  détérioration 
par  un  courant  trop  violent;  que  les  rigoles  soient 
périodiquement  débarrassées  des  dépôts  limoneux 
qui  pourraient  finir  par  les  obstruer.  Tous  ces  tra- 
vaux exigent  des  dépenses,  mais  ces  dépenses  sont 
largement  récupérées  par  le  produit  des  irrigations. 

E/fets  ries  inii/ations.  —  Le  premier  effet  des 
irrigations  est  d'augmenter,  dans  des  proportions 
très  considérables,  le  produit  de  la  terre.  A 
quelque  culture  que  l'on  applique  les  arrosages, 
les  effets  sont  toujours  les  mêmes;  mais  ils  sont 
surtout  manifestes  pour  les  cultures  maraîchères  et 
pour  les  prairies. 

En  ce  qui  concerne  les  cultures  maraîchères, 
l'emploi  de  l'eau  permet,  dans  le  midi,  d'obtenir, 
dans  la  même  année,  une  succession  ininterrompue 
de  récoltes  sur  un  sol  qui  n'en  porterait  aucune 
s'il  n'était  pas  arrosé. 

Quant  aux  prairies,  les  irrigations  d'hiver  ont 
pour  résultat  d'assurer  une  fauchaison  abondante, 
et  de  mettre  la  production  fourragère  absolument 
à  l'abri  des  sécheresses  qui,  au  printemps,  em- 
pêchent souvent  la  pousse  de  l'herbe.  Ces  mêmes 
prairies,  arrosées  après  la  première  coupe,  donnent 
un  regain  très  abondant,  et,  si  la  saison  est  pro- 
pice, elles  peuvent  encore  fournir  une  troisième  et 
une  quatrième  coupe.  Dans  le  midi,  sous  la 
double  influence  de  la  chaleur,  d'irrigations  abon- 
dantes, et  aussi  de  fumures  copieuses,  les  prairies 
peuvent  donner  plus  de  10,00o  kilog.  de  fourrage 
sec  par  an,  et  les  luzernes  atteignent  un  produit 
qui  dépasse  quelquefois  15,000  kilog. 


Il  est,  en  effet,  absolument  nécessaire,  pour 
maintenir  et  accroître  la  production  des  prairies 
arrosées,  de  leur  donner  des  engrais  en  assez 
grande  abondance.  Plus  la  vie  végétale  est  active, 
et  plus  elle  enlève  au  sol  de  principes  utiles.  Les 
eaux  d'arrosage  ne  peuvent,  le  plus  souvent,  que 
lui  en  rendre  une  faible  portion.  Le  rôle  de  la 
fumure  est  de  combler  cette  lacune.  La  loi  de  la 
restitution  est  générale  en  agriculture,  et  elle 
trouve  aussi  bien  son  application  dans  les  cultures 
irriguées  que  dans  toutes  les  autres. 

L'augmentation  de  production  des  terres  irriguées 
amène  naturellement  un  accroissement  propor- 
tionnel dans  leur  valeur  locative  aussi  bien  ([ue 
dans  leur  valeur  vénale.  L'application  des  irriga- 
tions sur  des  terres  suffit  toujours  pour  en  doubler 
et  en  tripler  la  valeur,  souvent  pour  la  quintupler, 
et  parfois  même  pour  la  décupler.  Les  exemples 
de  cette  plus-value  sont  multiples,  et  ils  se  ren- 
contrent presque  tous  les  jours.  C'est  surtout  dans 
le  midi  qu'ils  sont  frappants;  dans  la  Provence, 
par  exemple,  les  terres  soumises  à  l'irrigation  ont 
dix  fois  la  valeur  des  terres  non  arrosées;  c'est 
que,  sous  ce  climat  si  sec,  les  premières  donnent 
d'admirables  récoltes,  tandis  que  les  secondes  ne 
donnent  presque  rien. 

Il  n'est  pas  étonnant  qu'en  présence  de  ces 
faits,  l'eau  employée  aux  irrigations  ait  parfois  une 
valeur  vénale  considérable.  Les  compagnies  pro- 
priétaires des  canaux  d'arrosage,  dans  les  départe- 
ments méridionaux,  font  souvent  payer  l'eau  très 
cher.  Néanmoins  les  cultivateurs  la  recherchent 
avec  ardeur,  et  on  demande  de  tous  côtés  la 
création  de  nouveaux  canaux.  C'est  là,  en  effet, 
une  œuvre  de  la  plus  haute  utilité,  non  seulement 
au  point  de  vue  de  la  production  agricole,  mais  au 
point  de  vue  plus  élevé  du  développement  de  la 
richesse  générale  du  pays. 

Iirigatioiis  avec  les  eaux  industrielles.  —  Jus- 
qu'ici il  n'a  été  parlé  que  des  irrigations  faites  avec 
les  eaux  naturelles.  Dans  certaines  circonstances 
spéciales,  on  peut  se  servir  avec  avantage  des  eaux 
provenant  de  certaines  usines,  et  qui  sont  chargées 
de  substances  pouvant  être  particulièrement  pro- 
pices à  la  végétation. 

C'est  ainsi  que  les  eaux  provenant  des  féculeries, 
des  distilleries,  des  sucreries,  les  eaux  de  lavage 
des  laines  dans  les  fabriques  de  drap,  etc.,  peuvent 
être  employées  aux  irrigations  avec  un  grand 
profit.  Ces  eaux,  quand  elles  sont  dirigées  dans 
les  rivières,  les  polluent,  tandis  que,  dirigées  sur 
les  prairies,  elles  en  accroissent  notablement  la 
production. 

Dans  la  plupart  des  cas,  les  résidus  des  usines 
doivent,  pour  produire  un  effet  utile,  être  étendus 
d'une  grande  quantité  d'eau.  En  effet,  si  ces  eaux 
sont  trop  chargées  de  certains  sels,  ceux-ci  peuvent 
avoir  une  influence  néfaste  sur  la  végétation.  En 
outre,  il  est  important  de  les  employer  sur  des 
terres  suffisamment  perméables  pour  les  absorber 
sa«s  que  la  surface  retienne  un  excès  nuisible  de 
sels  contenus  dans  ces  eaux. 

Irrigritions  avec  les  eaiu  iFéyout.  —  Les  eaux 
d'égout  sont  un  des  fléaux  des  grandes  villes,  qui 
ne  peuvent  s'en  débarrasser  qu'en  les  rejetant  dans 
les  rivières  voisines,  au  grand  détriment  de  la  sa- 
lubrité publique.  Des  expériences  nombreuses 
faites  en  Angleterre,  en  Italie  et  en  France,  ont 
démontré  que  le  meilleur  système  pour  utiliser  les 
eaux  d'égout  et  les  épurer,  sans  perdre  les  prin- 
cipes fertilisants  qu'elles  renferment  en  grandes 
quantités,  est  de  les  employer  à  des  irrigations. 

L'eau  des  égouts  filtre  ii  travers  le  sol  qu'elle 
arrose,  et  elle  s'y  débarrasse  de  ses  impuretés, 
pour  en  sortir  à  l'état  de  limpidité  complète.  C'est 
ce  qui  ressort  des  expériences  faites  par  la  ville 
de  .Paris  dans  la  presqu'île  de  Gennevilliers.  Les 
irrigations  par  les  eaux  d'égout  y  ont  donné  les 


IRRIGATIONS 


—  1057 


ISRAELITES 


])lus  reniai'ciuables  résultats,  tant  pour  la  produc- 
tion fourraKÙrc  que  pour  les  cultures  maraîchères. 
Mallioureusement,  il  est  difficile  de  trouver  des 
surfaces  assez  considérable?  pour  utiliser  do  cette 
manière  la  quantité  énorme  d'eaux  d'égout  que 
produisent  les  grandes  villes. 

Oii  a  parfois  émis  dos  craintes  relativement 
à  la  qualité  des  produits  venus  dans  des  cliamps 
arrosés  avec  des  eaux  d'égout.  Les  faits  ont  dé- 
montré que  ces  craintes  étaient  chimériques  :  les 
légumes  et  les  fourrages  qu'ils  produisent  ne  pré- 
sentent aucune  différejice  avec  ceux  venus  dans  les 
conditions  ordinaires. 

Dessèchciiietits.  —  Les  travaux  d'irrigation  se 
trouvent  parfois  liés  à  des  travaux  d'assainisse- 
ment ou  de  dessèchement  de  terrains  marécageux 
ou  môme  complètement  inondés.  Quand  ces  ter- 
rains occupent  de  vastes  surfaces,  il  y  a  lieu,  pour 
les  dessécher,  de  se  livrer  h  de  grands  travaux 
qu'il  est  impossible  d'indiquer  ici.  Mais  quand  ils 
sont  limités  à  des  portions  de  domaines,  aux  rives 
d'un  petit  cours  d'eau,  l'exploitant  ou  le  proprié- 
taire peuvent  les  entreprendre  assez  facilement. 
Souvent,  s'il  s'agit  de  terres  rendues  maréca- 
geuses par  le  passage  d'un  ruisseau,  il  suffira  de 
creuser  un  peu  le  lit  de  celui-ci,  et  de  le  resserrer 
par  des  remblais  peu  élevés  sur  chaque  rive,  pour 
ressuyer  les  terres  voisines.  Mais  quand  il  s'agit 
de  terres  rendues  marécageuses  par  des  sources, 
il  faut  creuser  des  rigoles  et  des  fossés  pour  donner 
issue  aux  eaux  par  de  véritables  ruisseaux  créés  de 
main  d'homme.  Le  drainage  *  peut  aussi  rendre 
des  services  dans  de  semblables  circonstances. 
Mais,  dans  tous  les  cas,  il  est  essentiel  de  donner 
un  écoulement  facile  à  l'eau. 

A  ces  travaux  se  rattachent  ceux  du  dessalage 
des  terres  conquises  sur  la  mer  ou  voisines  de 
celle-ci.  Quand  le  sol  est  de  nature  assez  com- 
pacte, deux  ou  trois  irrigations  suffisent  souvent 
pour  le  dessaler  pour  toujours.  Mais  il  n'en  est 
pas  de  même  pour  les  sols  perméables,  ou  h  sous-sol 
perméable,  comme  il  en  existe  beaucoup  sur  les 
bords  de  la  Méditerranée,  notamment  dans  la  Ca- 
margue. Dans  ce  cas,  l'eau  salée  renfermée  dans  le 
sous-sol  tend  h  remonter,  par  capillarité,  pour  rem- 
placer l'eau  des  couches  superficielles,  au  fur  et  à 
mesure  qu'elle  s'évapore.  Le  sel  remonte  en  même 
temps,  et  forme  à  la  surface  des  efllorescences 
faciles  i  reconnaître.  On  ne  peut  dans  ces  natures 
de  terre,  du  moins  jusqu'ici,  que  se  débarrasser 
^  temporairement  de  cette  salure,  par  de  fortes  irri- 
gations d'hiver. 

Colmatage.  —  On  désigne  sous  ce  nom  une 
opération  qui  a  pour  but  de  former  sur  un  terrain 
naturellement  stérile  une  couciie  de  terre  suscep- 
tible d'être  soumise  à  la  culture  et  de  donner  des 
produits.  Cette  pratique,  originaire  d'Italie,  a 
donné,  dans  diverses  circonstances,  en  France, 
d'excellents  résultats.  Elloxonsiste  à  amener  sur 
ces  terrains,  à  l'aide  de  canaux  spéciaux,  les  eaux 
limoneuses  des  rivières,  et  à  les  y  faire  séjourner 
pendant  quelque  temps,  pour  qu'elles  y  déposent 
la  plus  grande  partie  de  leur  limon.  Les  terres  à 
colmater  sont  entourées  do  digues,  de  manière  à 
retenir  les  eaux.  Quand  l'action  de  celles-ci  est 
achevée,  on  les  fait  évacuer,  avec  une  faible  vitesse, 
par  la  partie  la  plus  basse. 

Le  meilleur  moment  pour  employer  les  eaux  au 
colmatage  est  celui  des  grandes  crues,  car  c'est 
alors  que  les  eaux  renferment  la  plus  grande  pro- 
portion do  matières  limoneuses.  La  rapidité  avec 
laquelle  le  colmatage  se  fait  dépend  de  la  nature 
des  eaux,  ainsi  que  des  proportions  de  limon  qu'el- 
les renferment. 

_  Suhmersion  des  vignes.  —  La  dernière  applica- 
tion des  eaux  dont  nous  ayons  k  parler  est  leur 
**?/  ^  la  submersion  des  vignes,  suivant  le  pro- 
cède imaginé  par  M.  Faucon  pour  détruire  le 
ii'  Ta-.tie. 


phylloxéra  *.  La  submersion  des  vignes  se  fait  à 
l'autonuie,  après  les  vendanges,  ou  au  commence- 
ment de  l'hiver.  Elle  doit  durer  au  moins  de  trente 
i  quarante-cinq  jours,  et  le  vignoble  doit  être 
complètement  maintenu  sous  l'eau,  depuis  le  com- 
mencement de  l'opération  jusqu'il  la  fin. 

L'efficacité  de  la  submersion  est  aujourd'hui 
démontrée  par  une  pratique  de  près  de  dix  ans. 
Mais  il  est  nécessaire  que  le  sous-sol  ne  soit  pas 
perméable  à  l'excès  ;  dans  ce  cas,  l'eau  ne  pourrait 
pas  être  maintenue  d'une  manière  assez  complète 
sur  la  vigne.  Cette  pratique  a  trouvé  des  applica- 
tions assez  nombreuses  dans  le  Midi  et  dans  le  Bor- 
delais. 

Des  fumures  dans  les  terres  irriguées.  —  C'est 
une  idée  assez  généralement  répandue  que  l'irriga- 
tion peut  dispenser  de  l'emploi  des  engrais.  C'est 
une  erreur  contre  laquelle  on  doit  réagir,  quand 
il  s'agit  d'irrigations  faites  avec  des  eaux  qui  ne 
sont  pas  chargées  de  matières  fertilisantes. 

En  effet,  l'irrigation  a  pour  effet  d'activer  la 
puissance  de  la  végétation  et  d'augmenter  la  quan- 
tité des  produits  récoltés.  Sous  cette  influence,  les 
plantes  empruntent  au  sol  une  plus  grande  quan- 
tité de  principes  utiles.  Il  y  a  donc  appauvrisse- 
ment de  celui-ci,  et  cet  appauvrissement  n'est  que 
faiblement  compensé  par  ce  que  l'eau  apporte, 
surtout  dans  les  irrigations  d'été.  Il  est  donc  in- 
dispimsable  de  faire  au  sol,  par  des  engrais,  la 
restitution  nécessaire  pour  qu'il  puisse  donner  de 
nouvelles  récoltes.  [Henry  Sagnier.] 

ISLANDE.  —  V.  Sca7idinaves  (Ktnts). 
ISRAÉLITES.  —  Histoire  .générale,  IV.  — 
L'histoire  des  Israélites  est  surtout  celle  de  leurs 
idées  morales  et  religieuses.  Manifestées  d'abord 
dans  un  petit  pays  de  l'Orient,  au  sein  d'une  fa- 
mille de  pasteurs  nomades,  ces  idées  sont,  après 
bien  des  crises,  devenues  celles  d'un  peuple,  puis 
se  sont  répandues  dans  l'humanité  Pour  les  com- 
prendre dans  leur  développement  primitif,  il  faut 
donc  étudier  le  milieu  où  elles  se  sont  produites, 
les  circonstances  qui  les  ont  contrariées  et  le  peu- 
ple qui  s'en  est  fait  le  propagateur.  Nous  verrons 
ce  peuple  naître,  grandir  et  disparaître  politique- 
ment; mais  ses  idées  lui  survivent  et  deviennent 
le  patrimoine  de  l'humanité. 

GÉoGri  \PHiE  DK  L*  PALESTINE.  —  La  Palestine,  où 
ont  vécu  les  Israélites,  a  été  le  berceau  de  nos  re- 
ligions européennes;  elle  porte  différents  noms 
qui  résument  toute  son  histoire  :  Terre  de  Canaan, 
Terre  Promise,  Terre  d'Israël,  Terre  Sainte,  Judée. 
Située  sur  le  bord  oriental  de  la  Méditerranée, 
elle  avait  pour  limites  au  nord  la  Phénicie,  le 
Liban  et  le  territoire  de  Damas;  il  l'est,  elle  s'é- 
tendait jusqu'au  désort,  et,  au  sud,  sa  frontière  par- 
tait de  la  mec  Morte  et  suivait  le  torrent  d'Egypte 
jusqu'à  la  Méditerranée. 

La  Palestine  est  un  pays  de  montagnes.  Le  Liban 
ou  Mont  Blanc  forme  deux  chaîries  principales, 
le  Liijan  proprement  dit,  et  VAntilihan  qui  péné- 
trait seul  dans  la  terre  d'Israël  et  dont  les  princi- 
paux sommets  sont  :  le  Ného,  où  mourut  Moïse  ;  le 
Thahor,  célèbre  par  la  victoire  de  la  pr!i])liétcsse 
Déborah  et,  selon  saint  Jérôme,  par  la  transligura- 
tion  de  Jésus  ;  le  Carmel,  renommé  par  sa  fertilité 
et  aussi  par  la  retraite  qu'y  fit  le  prophète  Elle  ; 
le  Gell/oë,  où  périrent  SaUl  et  ses  fil»  ;  enfin  les 
monts  .S/071  et  Moria/i  et  la  Montagne  d"S  Oliviers, 
compris  dans  l'enceinte  môme  de  Jérusalem. 

Entre  ces  montagnes  coule  le  Jourdain,  seul 
fleuve  du  pays,  qtii  prend  sa  source  au  nord  dans 
la  groitcde  /'anéas,  traverse  les  lacs  de  Mé-om  et 
Ac^'lihêriade,  et  se  jette  dans  la  Mer  Morte  Cette 
mer,  appelée  aussi  Lne  Asphaltile,  était  autrefois 
une' riante  vallée  où  se  trouvaient  les  villes  de 
Sodoine  et  de  Comorrhe,  déli'uitos  à  l'époque  d'A- 
braham. V*  . 
La  fertilité  de  la  Palestine  était  trjÈs  grande  ; 
67    • 


ISRAÉLITES 


—  1058 


ISRAELITES 


dans  ses  plaines  arrosées  par  la  fonte  des  neiges 
et  les  pluies  du  printemps  et  de  l'automne,  les  cé- 
réales et  les  fruits  croissaient  en  abondance.  Les 
pâturages  et  les  bestiaux  y  étaient  nombreux  :  le 
lait  et  lu  miel  y  coulaient,  dit  la  Bible  dans  son 
langage  figuré. 

Anciens  habitants.—  La  Palestine  était  habitée, 
déjà  avant  l'arrivée  des  Israélites,  par  des  peuples 
restés  célèbres.  Au  nord,  les  Phéniciens,  les  plus 
grands  commerçants  de  l'antiquité,  les  inventeurs 
de  l'alphabet;  leur  capitale  fut  d'abord  Sidon  et 
ensuite  Tijr.  Au  nord-est,  les  Syriens,  qui  avaient 
pour  capitale  Dainns.  Au  sud  les  P/iilisti?is,  les 
Muabitcs,  les  Madianitts,  les  Idumcens,  les  Am- 
monites et  enfin  les  Amalécites,  ennemis  hérédi- 
taires des  Hébreux.  Les  habitants  primitifs  du  pays, 
les  Replinhn,  d'une  taille  gigantesque  et  d'un  as- 
pect terrible,  étaient  établis  sur  les  deux  rives  du 
Jourdain.  Ils  avaient  été  subjugués,  déjà  avant  l'é- 
poque d'Abraliam,  par  les  Conanéein,  émigrés  des 
environs  du  golfe  Persique,  et  par  les  Philistins, 
venus  de  Crète.  Les  Cananéens  étaient  divisés  en 
plusieurs  tribus,  contre  lesquelles  les  Israélites 
eurent  surtout  à  lutter. 

Religions  cananéennes.  —  Comme  les  grands 
peuples  de  la  Haute-Asie  et  de  l'Egypte,  les  po- 
pulations palestiniennes  étaient  idolâtres.  Les 
astres  étaient  leurs  divinités  préférées.  Dieux  de  la 
vie  et  du  plaisir,  le  Soleil  {Banl,  Adunis,  c'est-à- 
dire  le  Maître)  et  la  Lune  {Banla,  Astarlé,  c'est-à- 
dire  la  Maitreii-e,  la  Heine  du  ciel)  étaient  les  plus 
populaires.  Moloch  (le  Roi)  était  adoré  par  le 
meurtre  des  enfants,  brûlés  à  ses  pieds;  Baaiphégor 
était  le  dieu  impur  des  Moabites.et  Dngon,  moitié 
homme,  moitié  poisson,  celui  des  Philistins.  Le 
culte  avait  lieu  sur  les  hauteurs,  dans  des  bosquets 
consacrés  ;  des  fêtes  funèbres  ou  joyeuses  célé- 
braient périodiquement  Adonis  mort  ou  ressuscité, 
c'est-à-dire  le  soleil  que  l'hiver  éloigne  ou  que  le 
printemps  ramène.  Les  prêtresses  s'arrachaient  les 
cheveux,  les  prêtres  se  lacéraient  le  corps  et  les 
fidèles  se  jetaient  dans  les  excès  les  plus  odieux. 
On  consultait  les  mouvements  des  serpents,  la 
forme  des  nuages,  les  tressaillements  des  victimes 
qu'on  sacrifiait.  On  demandait,  avant  d'agir,  les  avis 
des  pythonisses  ou  des  ohoth,  sorte  de  sorciers 
qui  prétendaient  avoir  la  puissance  de  faire  parler 
les  morts. 

Au  milieu  de  ces  excès,  tout  sentiment  moral 
avait  disparu.  La  probité  était  méconnue  ;  le  tra- 
vail, méprisé;  la  vie  humaine,  comptée  pour  rien  ; 
les  devoirs  de  la  famille,  ignorés  absolument.  Les 
femmes,  regardées  comme  des  êtres  inférieurs, 
étaient  prises  et  renvoyées  sans  égard  ni  pour  les 
liens  de  la  parenté,  ni  pour  les  lois  du  mariage. 
En  un  mot,  la  dépravation  était  universelle  et  c'é- 
tait la  religion  qui  l'entretenait. 

Traditions  isr.\élites  primitives.  —  Environ  seize 
siècles  avant  notre  ère,  un  peuple  de  pasteurs,  les 
Hébreux  ou  Israélites,  qui  comptait  environ  trois 
millions  d'individus,  quittait  l'Egypte,  conduit  par 
un  homme  extraordinaire,  Moïse,  fils  d'Amram,  et 
se  dirigeait  vers  la  Palestine,  où  ses  premiers  an- 
cêtres avaient  habité  et  dont  il  allait  revendiquer 
l'héritage  par  les  armes.  Cette  migration  de  pas- 
teurs devait  avoir  sur  l'iuinianité  entière  une 
influence  considérable.  Ces  tribus  en  efl'et  portaient 
avec  elles  des  idées  religieuses  qui  étaient  la  né- 
gation formelle  des  dogmes  dégradants  de  la 
Palestine  et  de  tout  le  monde  ancien,  et  qui  devaient 
être  le  salut  moral  des  hommes  dans  un  avenir 
encore  lointain. 

Les  Israélites  n'adoraient  pas  la  nature;  ils  la 
croyaient  au  contraire  l'œuvre  d'une  force  intelli- 
gente suprême,  d'un  Dieu  unique  qui  «  dès  le 
principe  avait  crée  le  ciel,  la  terre,  »  les  astres 
et.  tous  les  êtres.  Après  la  création.  Dieu,  selon 
les  croyances  Israélites,  continue  à  gouverner  l'u- 


nivers; il  y  maintient  l'ordre  et  le  bien.  L'espèce 
humaine  est  son  œuvre  de  prédilection  ;  faite  à  l'i- 
mage divine,  elle  a  le  devoir  et  le  droit  de  remplir 
et  de  dompter  la  terre.  Pendant  la  création  qui, 
suivant  les  traditions  hébraïques,  a  duré  six  pério- 
des, Dieu  lui-même  a  travaillé  ;  à  son  imitation, 
l'homme  doit  travailler  six  jours  et  se  reposer  le 
septième,  comme  signe  de  sa  haute  dignité. 

Les  Israélites  croyaient  aussi  par  tradition  à  l'u- 
nité des  hommes,  à  la  sainteté  du  mariage  et  de  la 
vie  humaine,  à  la  liberté  et  à  la  responsabilité. 
Adam,  c'est-à-dire  la  terre,  le  so!,  et  Eve,  c'est-à- 
dire  la  vie,  sont  nos  premiers  parents  à  tous.  Eve 
est  de  la  même  chair  qu'Adam,  c'est-à-dire  son 
égale,  son  épouse.  Libres  d'obéir  ou  de  désobéir  à 
Dieu,  sauf  à  être  récompensés'  ou  punis,  ils  ont, 
par  leur  faute,  perdu,  pour  eux  et  leurs  descen- 
dants, le  bonheur  dont  ils  jouissaient;  leur  fils, 
Cain,  meurtrier  de  son  frère  Abel,  a  été  poursuivi 
par  la  justice  divine  et  n'a  plus  trouvé  de  repos 
nulle  part.  De  même,  après  plusieurs  siècles, 
quand  un  déluge  universel  est  venu  désoler  la  terre, 
c'était  en  punition  de  la  perversité  générale.  Noé, 
le  seul  juste  de  son  temps,  échappe  au  fléau,  et  ce 
sont  ses  descendants,  issus  de  ses  trois  fils,  Sern, 
Cham  et  Japhet,  qui  repeuplent  le  monde.  Une  cu- 
rieuse table  de  leurs  migrations,  conservée  par  les 
Israélites,  semblait  le  témoignage  que,  malgré  la 
dispersion  des  hommes  et  la  diversité  des  langues, 
les  peuples  ont  une  origine  commune. 

Les  Israélites  ne  prétendaient  pas  être  arrivés 
d'un  coup  à  des  traditions  religieuses  si  pures  ;  ils 
conservaient  le  souvenir  de  plusieurs  ancêtres  mé- 
sopotamiens  qui  étaient  idolâtres,  et  ils  faisaient 
remonter  à  .4i)Y//iom,fils  de  Tharé,la  première  ma- 
nifestation de  leurs  croyances.  Abraham  (c'est-à 
dire  le  Père  élevé)  avait  quitté  son  pays  pour  se 
soustraire  aux  influences  païennes,  s'était  établi  en 
Palestine  et  s'y  était  fait  une  grande  place  par  ses 
vertus.  Il  paraît  avoir  reconnu  de  bonne  heure 
l'existence  d'un  Etre  suprême  ;  c'est  là  sa  vocation 
religieuse,  féconde  en  bienfaits  pour  les  hommes. 
Son  Dieu,  en  efl'et,  qui  l'inspire  dans  de  fréquentes 
visions,  se  montre  à  lui  tout  à  la  fois  comme  le 
protecteur  et  comme  le  justicier  suprême  des 
hommes;  il  est  toujours  prêta  pardonner  en  fa- 
veur des  justes,  mais  il  n'hésite  pas  à  frapper  les 
méchants  endurcis  ;  il  est,  par  exemple,  l'auteur 
de  la  catastrophe  terrible  dans  laquelle  ont  péri 
Sodonie  et  Goinorrlie,  à  cause  de  leurs  crimes 
odieux  ;  il  apprend  donc  à  Abraham  à  repousser 
les  mœurs  immorales  et  les  sacrifices  humains  des 
Palestiniens  barbares,  et  s'il  accepte  des  ofl'randes 
et  des  prières,  il  veut  par  dessus  tout  que  ses  ado- 
rateurs marchent  dans  le  chemin  de  la  charité,  de 
la  justice  et  du  droit. 

Cette  religion  fut  léguée  par  Abraham  à  son  fils 
Isaac  et  par  Isaac  à  son  fils  Jacob.  Isaac,  homme 
très  modeste,  laisse  peu  de  souvenirs.  Jacob,  au 
contraire,  a  une  existence  fort  remplie.  Après 
avoir  eu  des  torts  envers  son  frère  aîné  Esaù, 
dont  il  sut  plus  tard  obtenir  le  pardon  ;  après  avoir 
travaillé  vingt  années,  subi  de  grands  malheurs 
qui  ne  purent  abattre  son  courage,  et  mérité  le 
beau  nom  d'Israël,  c'est-à-dire  lutteur  divi?i,  Jacob 
laissa,  avec  sa  bénédiction,  l'idée  religieuse  de  sa 
famille  à  ses  douze  fils  et  à  leur  descendance,  dont 
un  concours  extraordinaire  de  circonstances  ne 
tarda  pas  à  faire  un  peuple  puissant. 

Epopée  égvptienne.  —  Jvsepli,  un  des  fils  d'Is- 
raël, avait  été  vendu  comme  esclave  par  ses 
frères  qui  le  haïssaient  ;  mais,  grâce  à  son  intelli- 
gence, il  devint,  dans  l'Egypte  où  il  avait  été  con- 
duit et  qu'il  sauva  de  la  famine,  premier  ministre 
du  Pharaon  ou  souverain  de  ce  pays.  Oublieux 
des  injures,  il  fit  du  bien  à  ses  frères  et  les  établit 
dans  la  fertile  province  de  Gessen.  Les  Israélites 
s'y  multiplièrent  rapidement  après  la  mort  de  Joseph, 


ISRAELITES 


—  1039 


ISRAELITES 


«rontinuèrenl;\  vivre  en  pasteurs,  etrestèrcnt  séparés 
de  la  grande  nution  au  sein  do  laquelle  ils  avaient  été 
amenés.  L'hostilité  se  déclara  bientôt  rentre  eux. 
Un  prince,  probablement  Ramsès  II,  qui  no  se 
souvenait  pas  des  services  de  Joseph  et  qui  se 
préoccupait  des  embarras  dont  les  Israélites  pou- 
vaient être  la  cause  en  cas  de  guerre,  essaya  de 
les  affaiblir  par  un  travail  excessif  et  par  des 
cruautés  odieuses.  11  ordonna  que  leurs  petits  gar- 
çons fussent  étouffés  on  naissant  ou  jetés  dans  le 
Nil.  Ces  desseins  abominables  échouèrent  ;  une 
mère  Israélite,  Joi-ated,  osa  désobéir  au  tyran  ; 
elle  cacha  d'abord  son  fils,  et  l'exposa  ensuite  sur 
le  fleuve.  La  fille  même  du  Pharaon  le  recueillit, 
l'adopta  plus  tard  et  lui  donna  le  nom  de  Moïse, 
c'est-à-dire  sauvé  des  eaux. 

Initié  à  la  civilisation  égyptienne,  le  jeune  Moïse 
apprend  en  môme  temps  les  traditions  religieuses 
de  ses  frères  et  s'indigne  des  cruautés  dont  ils 
sont  les  victimes.  Un  jour,  il  prend  ouvertement 
leur  parti  ;  obligé  de  fuir  pour  échapper  à  la  mort, 
il  gagne  le  désert  de  Madian ,  dans  la  pres- 
qu'île Arabique,  près  du  Sinai  ;  il  est  accueilli  par 
un  prêtre,  nommé  Jethro,  dont  il  épouse  la  fille  et 
garde  les  troupeaux.  Dans  cette  vie  paisible,  Moiso 
pense  à  ses  frères  et  au  Dieu  de  ses  ancêtres. 
Comme  autrefois  Abraham,  Isaac  et  Jacob,  mais 
avec  une  inspiration  plus  haute,  il  a  des  visions 
dans  lesquelles  la  Divinité  se  révèle  à  lui  et  lui 
montre  son  devoir  :  ses  frères  souffrent,  il  faut 
qu'il  les  délivre;  c'est  en  vain  qu'il  hésite,  se 
méfie  de  lui-même  et  de  ses  frères,  dégénérés  par 
la  servitude;  son  Dieu,  qui  se  nomme  Jahvêh  {Je 
SUIS  celui  qui  suis),  c'est-à-dire  le  Dieu  de  la 
justice  éternelle,  le  soutiendra  dans  la  lutte.  IVIoise 
se  sépare  donc  de  sa  famille,  et,  secondé  par  son 
frère  aîné  Aaro7i,  homme  très  éloquent,  il  vient 
demander  au  Pharaon  Ménephta,  fils  de  Ramsès, 
la  liberté  pour  les  Hébreux. 

Le  roi  d'Egypte  refuse,  et  Moïse  commence 
contre  lui  une  longue  lutte  dont  le  pays  est  trou- 
blé profondément  ;  les  traditions  Israélites  en  tra- 
cent un  tableau  grandiose  où  la  poésie  vient  se 
mêler  à  l'histoire.  Des  catastrophes  nombreuses 
frappent  successivement  l'Egypte  ;  c'est  la  voix  de 
Moïse  qui  les  appelle;  c'est  le  doigt  de  Dieu  qui 
les  accomplit.  Le  Pharaon  cède  enfin  en  se 
voyant  lui-même  terriblement  atteint:  pendant 
la  nuit  du  U  au  15  du  mois  d'Abib  (germi- 
nal), alors  que  les  Israélites,  avertis  et  préparés 
au  départ,  célèbrent  le  repas  de  la  Pdgue  (passage 
de  l'esclavage  à  la  liberté),  tous  les  premiers-nés 
égyptiens  et  les  animaux  sacrés,  c'est-à-dire  les 
prêtres  et  les  divinités,  sont  frappés  de  mort. 
Les  Israélites  quittent  en  toute  hâte  ce  pays  où 
ils  avaient  résidé  près  de  quatre  siècles.  Poursuivies 
par  le  roi,  les  tribus  fugitives  arrivent,  sous  la 
conduite  do  Aloise,  à  l.i  poijite  occidentale  de  la 
mer  Rouge,  du  côté  où  se  trouve  aujourd'hui  Suez 
Un  vent  d  est  très  violent,  venu  de  V Etemel,  dit 
la  Bible,  avait  divisé  les  flots  ;  les  Israélites  les 
traversent  de  nuit,  à  l'insu  des  Esyptiens,  qui  le 
matin  veulent  les  suivre,  sont  surpris  par  le  retour 
ûÇf  eaux,  et  engloutis.  Un  cantique  enthousiaste 
célèbre  cette  merveilleuse  délivrance,  et  chante  le 
Dieu  gui  a  déployé  sa  force  ;  qui  a  précipité  dans  la 
mer  chevaux  et  cavaliers.  Il  existe  sur  la  servitude 
des  Israélites  et  sur  leur  exode  quelques  rares  docu- 
ments égypti(wis,  desquels  il  résuhe,  comme  de  la 
tradition  Israélite,  que  la  tyrannie  du  Pharaon  a  pro- 
voqué une  révoltedestravailleursopprimés;  c'estlà 
certainement  une  des  plus  glorieuses  luttes  d'éman- 
cipation qu'ait  enregistrées  l'histoire  de  l'humanité. 
Les  Ishaélites  dans  le  désert.  —  L'épopée 
commencée    on    Egypte    continue   au   delà   de   la 

mer  Les  Israélites  sont  au  milieu  des  plaines 
du  binai  où  Moïse  avait  passé  les  années  du  son 
cxU,  ils  manquent  d'eau,  iU  ont  faim;  une  peu- 


plade arabe,  les  Amalécites,  vient  les  attaquer. 
Moïse  les  soutient  ;  Josué,  son  disciple,  bat  l'en- 
nemi; la  Providence  leur  fait  trouver  la  nour- 
riture dont  ils  ont  besoin  ;  leur  libérateur  insti- 
tue des  chefs  qui  les  jugent,  et  il  leur  apporte, 
au  nom  de  Dieu,  leur  loi  fondamentale,  le  Déca- 
lor/ue.  C'était  environ  trois  mois  après  la  sortie 
d'Egypte  ;  les  Israélites  étaient  au  pied  du  Sinaï,  où 
Moïse  avait  eu  sa  première  vision;  il  en  gravit  la 
cime  que  des  nuages  entourent  et  d'où  partent  des 
éclairs  et  le  bruit  du  tonnerre,  et  le  peuple  est 
témoin  de  la  promulgation  du  décalogue.  Le  dé- 
calogue  pose  devant  1rs  Hébreux  les  principes  pre- 
miers de  toute  société;  il  est  la  plus  haute  et  la 
plus  précise  expression  de  la  vérité  morale  et 
sociale. 

Moïse  descend  du  Sinaï  portant  deux  tables  do 
pierre  sur  lesquelles  le  décalogue  était  gravé  ;  il 
voit  le  peuple  adorant  un  veau  d'or,  image  de  l'A- 
pis  égyptien.  Indigné,  il  brise  les  deux  tables, 
châtie  les  coupables,  et,  pour  empêcher  le  retour 
de  semblables  folies,  fait  construire  un  sanctuaire 
où  le  vrai  Dieu  seul  devait  recevoir  un  culte,  et 
promulgue  des  lois  civiles  et  religieuses  d'une 
grande  sagesse.  Mais  un  peuple  ne  se  fait  pas  en 
un  jour  ;  Moïse  l'éprouve  bientôt.  Les  Israélites, 
qui  craignent  les  géants  de  la  Palestine,  refusent 
d'avancer;  ils  erreront  donc  quarante  ans  dans  le 
désert,  et  la  conquête  sera  réseivée  à  une  autre 
génération,  plus  digne  du  la  liberté.  Cette  longue 
expiation  est  fertile  en  révoltes  intérieures  et  en 
hostilités  de  la  part  des  peuples  voisins.  Moïse 
triomphe  de  toutes  les  difficultés,  et  s'il  ne  lui  est 
pas  donné  d'entrer  en  Palestine,  il  établit  du  moins 
deux  tribus  et  demie  à  l'est  du  Jourdain,  et  meurt 
en  confiant  à  Josué  la  direction  de  la  conquête. 
Il  laissait  dans  sa  doctrine  un  éternel  monument 
de  sa  gloire. 

Loi  DE  Moïse.  —  Les  Israélites  n'avaient  eu  jusqu'à 
Moïse  d'autres  règles  de  conduite  que  les  tradi- 
tions patriarcales  ;  malgré  leur  élévation  sous  cer- 
tains rapports,  ces  traditions  étaient  loin  d'être 
parfaites;  il  fallait  donc  les  compléter  tant  au 
point  de  vue  religieux  qu'au  point  de  vue  social. 
et  en  développer  les  tendances  morales.  Tel  fut  le 
but  de  la  législation  de  Moise. 

Dogme.  —  Le  Dieu  que  Moïse  enseigne  n'est 
pas  une  divinité  nationale;  c'est  le  Créateur  de 
l'univers,  le  juge  de  toute  la  terre,  le  maître  des 
esprits  de  toute  chair;  il  est  éternel,  infini,  incor- 
porel ;  voilà  pourquoi  on  n'en  peut  faire  aucune 
image.  Il  est  unique  ;  c'est  un  Dieu  jaloux,  dit 
figurément  la  Bible  pour  indiquer  qu'il  ne  souffre 
ni  le  mensonge,  ni  l'injustice  ;  mais  si  élevé  qu'il 
soit,  ce  Dieu  est  la  providence  universelle  des 
êtres;  il  n'est  pas  un  Dieu  de  vengeance;  il  châ- 
tie, parce  qu'il  est  juste,  mais  paternellement, 
parce  qu'il  est  bon.  Ainsi  compris.  Dieu  devait 
remplir  la  vie  entière  du  peuple  hébreu  ;  il  est  la 
source  de  l'autorité  et  de  la  justice  sociale  ; 
la  terre  lui  appartient.  Le  gouvernement  est 
donc  une  théocratie,  si  l'on  entend  par  ce  mot, 
non  point  le  pouvoir  sacerdotal,  mais  la  puis- 
sance impersonnelle  d'une  loi  suprême  à  laquelle 
tout  le  monde  est  soumis,  et  qui  est  considérée 
par  tous  comme  l'expression  immuable  de  la  vo- 
lonté divine  ;  cette  loi  auguste,  c'est  le  décalogue. 

Loi  poliiiijue.  —  Chez  les  patriarches,  le  père 
était  l'unique  représentant  de  Dieu  ;  il  gouvernait 
la  famille  et  présidait  au  culte.  Moise  ne  réunit 
pas  ces  deux  autorités  en  une  seule  main  pour  la 
direction  du  peuple  ;  il  les  sépare  de  son  vivant,  et 
maintient  cette  séparation  dans  sa  loi.  Le  gouver- 
nement politique  appartient  à  un  chef  suprême,  le 
Suffète  i,Jugc),  nommé  par  les  Anciens  d'/sraël,  et 
plus  tard  à  un  roi.  Ce  chef  décide  les  cas  difficiles 
avec  le  grand-prètre,  mais  sans  lui  être  subor- 
donué  ;  il  n'est  soumis  qu'à  la  loi  seule  ;  c'est  lui 


ISRAELITES 


—  1060 


ISRAÉLITES 


qui  commande  les  armées.  La  guerre  devait  être 
conduite  avec  liunianité;  l'extermination  des  Ca- 
nanéens n'a  été  qu'un  fait  exceptionnel,  dont  la 
cause  était  l'immoralité  horrible  des  cultes  pales- 
tiniens. 

A  côté  du  sufl'èto  ou  du  roi  se  trouvait  parfois 
une  assemblée  de  soixante-dix  hommes,  choisis  par 
les  anciens  ;  chaque  tribu  avait  son  prince,  cha- 
que ville  son  conseil  d'anciens,  ses  juges  inférieurs 
et  ses  officiers  de  police.  Quand  l'intérêt  public 
l'exigeait,  tous  ces  chefs  se  réunissaient  en  assem- 
blée générale  de  la  nation,  sous  la  présidence  du 
sufifète  ou  du  roi  ;  on  regardait  leurs  décisions 
comme  inspirées  par  l'Esprit  divin. 

La  justice  se  rendait  aussi  au  nom  de  Dieu  ;  on 
'  ne  prononçait  aucune  peine  qu'après  une  enquête 
publique  et  sur  la  déclaration  de  deux  témoins  qui 
avaient  vu  le  fait;  les  condamnations  capitales 
étaient  fort  rares.  Le  principe  général  de  la  légis- 
lation pénale  Israélite  était  la  loi  du  talion  :  ceil 
pour  ail,  dent  pour  dent,  etc.,  qui,  d'après  l'inter- 
prétation pharisienne.  ne  consistait  pas  à  prendre 
au  coupable  un  œil  ou  une  dent  en  punition  du 
mal  qu'il  avait  commis,  mais  qui  obligeait  à  rendre 
à  l'ofi'ensé,  par  une  compensation  pécuniaire,  la 
valeur  approximative  du  membre  dont  on  l'avait 
privé,  ou,  en  général,  du  tort  qu'on  lui  avait  fait 
subir . 

Propriété.  Famille.  Esclavage.  —  Si  Dieu  est  le 
maître  unique,  tous  les  citoyens  sont  égaux;  il 
n'y  a  ni  patriciens,  ni  plébéiens,  et  la  loi  est  la 
même  pour  tous,  même  pour  les  étrangers.  Les 
grandes  fortunes  sont  rendues  presque  impossi- 
bles par  la  constitution  spéciale  de  la  propriété. 
La  terre,  qui  appartient  h  Dieu,  ne  peut  être  ven- 
due que  temporairement;  tous  les  cinquante  ans, 
le  Jubilé  la  fait  rentrer  en  possession  des  vendeurs 
ou  de  leurs  héritiers,  et  l'égalité  est  rétablie.  Dans 
la  famille,  comme  dans  la  société,  l'égalité  est  la 
loi  fondamentale.  Le  mariage  est  une  institution 
sacrée,  moralement  obligatoire,  h  laquelle  les 
époux  sont  appelés  avec  les  mômes  devoirs.  11  est 
vrai  que  la  polygamie  et  le  divorce  sont  tolérés, 
mais  ils  sont  entourés  de  restrictions,  parce  qu'ils 
sont  contraires  à  l'esprit  de  la  loi  et  aux  vieilles 
traditions  Israélites.  Les  femmes  des  patriarches, 
Sara,  Kebecca,  Rachel,  Léa,  gui  ont  fonilé  la  mai- 
son (l'Israël,  sont  représentées  comme  ayant  exercé 
la  plus  grande  influence  sur  leurs  maris.  Les  en- 
fants sont  aussi  égaux  entre  eux;  Moïse  abolit 
l'ancien  droit  d'aînesse  des  patriarches,  et  en  ré- 
duit le  privilège  à  une  double  portion  d'héritage. 
11  n'est  pas  jusqu'à  l'esclavage  dans  lequel  on  ne 
retrouve  chez  les  Hébreux  ce  même  esprit  de 
justice  et  d'égalité.  Moïse  n'a  pu  l'abolir;  il  l'a 
transformé.  L'esclave  hébreu  est  payé  pour  son 
service  et  recouvre  sa  liberté  après  six  années; 
l'esclave  étranger  ne  peut  être  maltraité  impuné- 
ment. Fugitif,  il  n'est  pas  rendu  à  son  maître; 
blessé  gravement,  il  est  de  droit  émancipé,  et 
celui  qui  le  tue  est  puni  de  mort.  Le  sabbat,  insti- 
tution sociale  grandiose,  fait  participer  les  maî- 
tres au  travail  et  les  serviteurs  au  repos  hebdoma- 
dah-e. 

Culte.  —  Dans  l'ordre  religieux,  les  prêtres  cl 
les  lévites  étaient  les  représentants  de  la  Divinité 
devant  le  peuple  et  ceux  du  peuple  devant  Dieu. 
Ils  avaient  la  direction  du  culte,  dont  le  but  était 
d'éloigner  le  peuple  des  immoralités  idolâtres,  de 
rappeler  les  grands  faits  de  l'histoire  nationale,  et 
par  dessus  tout  d'inspirer  le  respect  de  la  loi  cl 
l'amour  de  Dieu.  Le  culte  domestique  comprenait, 
entre  autres  actes,  la  circoncision,  l'instruction 
des  enfants,  des  règlements  sur  la  pureté  person- 
nelle et  la  nourriture,  et  la  pratique  du  sabbat;  le 
culte  public  consistait  en  sacrifices,  et  eu  fêtes 
solennelles  dont  les  principales  étaient  celles  de 
Pùfjue  (sortie  d'Egypte],  des  Semaines  (moisson), 


des  Tentes  (séjour  dans  le  désert  et  récolte),  du 
Souvenir  et  des  Expiations  (pardon  des  fautes). 
Par  opposition  aux  cultes  palestiniens,  célébrés 
dans  des  bosquets  sur  les  montagnes,  le  culte 
d'Israël  ne  pouvait  s'accomplir  que  dans  le  sanc- 
tuaire où  se  trouvait  l'arche  sainte,  contenant  les 
deux  tables  du  décalogue. 

Les  lévites  remplissaient  les  offices  inférieurs 
du  culte  ;  les  prêtres,  descendants  d'Aaron,  entre- 
tenaient les  autels,  convoquaient  et  bénissaient  le 
peuple,  et  soignaient  certaines  maladies;  leur  nais- 
sance et  leur  moralité  devaient  être  irréprocha- 
bles; ils  se  mariaient.  Leurs  seules  possessions 
étaient  les  villes  où  ils  demeuraient;  leurs  seules 
ressources,  une  partie  des  sacrifices  et  les  dons 
volontaires.  Au-dessus  deux  était  le  grand  pon- 
tife, qui,  malgré  sa  haute  situation,  n'avait  aucune 
autorité  dogmatique  ni  aucun  pouvoir  social  excep- 
tionnel. Aaron  et  son  fils,  les  deux  premiers 
grands  prêtres,  avaient  été  installés  par  Moïse; 
dans  la  suite,  leurs  successeurs  reçoivent  l'inves- 
titure de  la  main  des  rois.  Les  prêtres  et  les  lévi- 
tes devaient  nécessairement  étudier  et  enseigner 
la  loi;  mais  cela  ne  constituait  pas  pour  eux, 
comme  dans  l'Inde  et  l'Egypte,  un  privilège  exclu- 
sif :  Vous  èles  tous  piètres,  tous  saints,  dit  la 
Parole  sacrée:  le  premier  Israélite  venu,  s'il  se 
sentait  inspire,  pouvait  se  vouer  à  l'étude  des  livres 
saints,  devenir  pTO/)/.è(e,  et  acquérir  ainsi  au  point 
de  vue  religieux  et  moral  la  plus  grande  autorité. 

Morale.  —  La  constitution  politique  des  Hébreux 
et  leurs  prescripiions  religieuses  étaient  fondées 
sur  une  morale  qui  peut  se  résumer  en  deux 
mots  :  Aimer  I  ieu  de  tout  son  cœw  et  de  toute 
son  ôme,  et  son  prochain  comme  soi-même.  Cette 
belle  morale  apprend  à  l'homme  le  respect  de  soi- 
même,  l'observation  de  la  justice,  la  pratique  de 
la  charité  et  les  vertus  de  la  famille.  L'homme  est 
créé  à  l'image  de  Dieu;  voilà  pourquoi  il  est  ap- 
pelé à  être  saint  comme  Dieu  est  saint.  Comme 
Dieu,  il  doit  repousser  le  mensonge  et  l'injustice 
sous  quelque  forme  que  ce  soit.  La  superstition, 
la  déloyauté,  la  fraude  sont  des  abominations  de- 
vant le  Seigneur,  et  le  travail  honnête  est  une  loi 
pour  tous.  La  soumission  aux  autorités  légales,  le 
respect  des  vieillards,  sont  de  stricts  devoirs  de 
justice  ;  la  piélé  filiale  est  une  venu  essentielle  ; 
pour  un  enfant  Israélite,  le  plus  grand  des  mal- 
heurs, c'est  d'être  privé  de  la  dernière  benediciion 
paternelle. 

Mais  la  morale  de  Moïse  ne  se  contente  pas  de 
devoirs  négatifs.  Tous  les  hommes,  descendus  des 
mêmes  parents,  doivent  se  traiter  en  frères.  Prêts 
sans  intérêts,  protection  des  veuves  et  des  orphe- 
lins, égards  de  toute  nature  envers  les  gens  sala- 
riés et  envers  les  pauvres,  bienfaits  envers  les 
étrangers  et  les  ennemis,  enfin  touchante  bonté 
s'éiendant  aux  animaux  eux  mêmes,  voilà  com- 
ment la  morale  de  Moïse  entend  la  chanté. 

Bien  que  le  Pentateuque  contienne  de  nom- 
breuses allusions  à  une  vie  d'outre- tombe,  sa  mo- 
rale, surtout  sociale  et  politique,  ne  formule  pas 
le  dogme  de  l'immortalité  de  l'âme,  q">  "«  fut 
enseigné  aux  Hébreux  que  bien  plus  tai-d.  Pour 
maintenir  son  peuple  dans  le  bien.  Moïse  use 
d'un  moyen  qui  n'a  rien  de  dogmatique;  U 
fait  appel  aux  sentiments  puissants  de  la  fa- 
mille et  montre  «  que  Dieu  compte  aux  enfants 
l'iniquité  des  pères  jusqu'à  la  troisième  et  à  la 
quatrième  génération,  mais  qu  il  use  de  bonté 
jusqu'à  la  millième  envers  ceux  qui  lui  obéissent.» 
C'était  dire  qu'une  solidarité  impossible  a  briser 
existe  entie  toutes  les  génération-  passées,  pré- 
sentes et  futures;  que  les  suites  des  bonnes  et  des 
mauvaises  actions  se  perpétuent  à  travers  es  siè- 
cles, et  que,  par  conséquent,  pour  assurer  la  pros- 
périté de  l'avenir,  il  faut  dans  le  présent  Être 
lidcle  à  la  vertu  et  au  bien. 


ISRAÉLITES 


1061  — 


ISRAELITES 


Telles  sont  les  principales  lois  politiques,  reli- 
gieuses et  morilles  des  Hébreux  ;  elles  enseignent 
l'unité  et  la  spiritualité  de  Dieu,  l'égalité,  la  jus- 
tice, l'amour  et  la  charité  universelles. 

CoNQuÈTn  DE  LA  Palestine.  —  Josué,  appelé  par 
Moïse  au  gouvernement  des  Hébrcui,  devait  con- 
quérir la  Palestine;  il  ne  perd  pas  de  temps;  il 
fait  célébrer  la  Pàque  et,  en  peu  do  jours,  il  passe 
le  Jourdain  et  s'empare  de  Jéricho,  ville  forte  qui 
défendait  l'entrée  du  pays.  Les  chants  nationaux 
des  Hébreux  expriment  la  rapidité  de  cette  marche 
foudroyante,  en  nous  montrant  le  lleuve  qui  recule 
et  les  murs  do  la  ville  qui  s'écroulent  devant  les 
vainqueurs.  Effrayés  de  ces  succès,  les  Gabaoïiitos, 
Cananéens  du  sud,  deviennent  par  ruse  les  alliés 
des  Israélites  et,  attaqués  par  leurs  compatriotes, 
ils  appellent  Josué  b.  leur  aide.  En  une  nuit,  Josué 
arrive,  surprend  l'armée  cananéenne  campée  autour 
de  Gabaoa  et,  après  une  longue  journée  de  com- 
bat, la  met  on  complète  déroute.  Dans  le  cantique 
qu'il  compose  pour  célébrer  cette  victoire,  il  pré- 
sente poétiquement  le  soleil  et  la  lune  comme 
«  s'étant  arrêtés  à  son  gré  pour  éclairer  le  combat  » 
(Munk,  Pak'sHw,  p.  TU).  La  défaite  des  Cana- 
néens du  nord  n'est  pas  aussi  prompte;  Josué 
parvient  pourtant  à  les  battre,  et,  maître  de  trente 
et  une  provinces,  il  les  distribue  aux  Israélites,  en 
leur  laissant  le  soin  de  conquérir  peu  h  peu  le 
reste  du  pays.  Il  meurt  sans  avoir  désigné  de 
successeur. 

Les  SuffètEs  on  Juges.  —  L'anarcbie  ne  tarda 
pas  h  régner  et  les  cultes  immoraux  des  Cananéens 
i  séduire  les  Israélites  abandonnés  à  eux-mêmes. 
Un  sanctuaire,  rival  de  celui  du  vrai  Dieu  établi 
à  Silo,  est  élevé  dans  le  nord  de  la  Palestine.  La 
guerre  civile  éclate,  et  la  tribu  de  Benjamin  y  i  st 
presque  détruite.  Au  milieu  de  ces  désordres,  des 
héros  s'élèvent  et,  sous  le  titre  de  suffètes,  gou- 
vernent leurs  frères,  au  nom  de  Dieu.  Oihoniel 
délivre  les  Israélites  de  la  domination  du  roi  de 
Mésopotamie  ;  Ehod,  de  celle  du  roi  de  Moab  ;  Sam- 
gar,  de  celle  des  Philistins;  Déhom,  prophéte^se  et 
suffète,  de  celle  des  Cananéens  du  nord;  Gédéon 
bat  les  Madianites  et,  après  sa  victoire,  refuse  la 
royauté.  ALimélech,  son  fils,  l'usurpe  et  l'exerce 
pendant  trois  années,  au  bout  desquelles  sa  cruauté 
excite  une  révolte  où  il  périt.  Thola  et  Jaïr  ne  sont 
que  d'obscurs  sufTètes  ;  Jephté  au  contraire  est  cé- 
lèbre par  la  défaite  qu'il  inflige  aux  Ammonites  et 
par  le  vœu  imprudent  qu'il  prononce  au  sujet  de 
sa  fille.  Simion,  renommé  par  sa  force  extraordi- 
naire, fait,  sans  résultat  sérieux,  une  longue  guerre 
aux  Philistins,  qui  s'emparent  de  lui  par  trahison. 
Héli,  grand-prêtre  et  sufîète,  a  moins  de  succès  en- 
core; ses  deux  fils  sont  battus  et  l'arche  sainte  est 
prise  ;  mais  Samuel,  qu'il  avait  élevé  et  qui  lui 
succède,  réussit  enfin  à  imposer  la  paix  k  ces  bel- 
liqueux ennemis  d'Israël.  Juge  et  prophète,  Sa- 
muel rétablit  l'ordre,  relève  le  culte,  et  fonde,  pour 
instruire  les  jeunes  prophètes,  une  confié' ie  qui 
devait  rendre  d'immenses  services.  Malheureuse- 
ment ses  fils,  associés  à  ses  fonctions,  manquent 
d'intégrité,  et  le  peuple  demande  un  roi.  C'est  en 
vain  que  Samuel  expose  les  inconvénients  de  tout 
genre  dont  le  pouvoir  héréditaire  est  la  source,  et 
pi'édit  aux  Israélites  qu'ils  gémiront  un  jour  de 
leur  résolution  ;  il  est  obligé  de  céder,  et  fait 
choix,  pour  occuper  le  trône,  d'un  jeune  benja- 
mite  nommé  Saiil. 

Les  premiers  uois  (1095).  —  Contestée  d'abord, 
la  royauté  de  Saiil  fut  bientôt  unanimement  recon- 
nue, grâce  à  ses  victoires  et  à  celles  de  son  fils 
Jonathan  sur  les  Ammonites,  les  Philistins,  les 
Moabites,  les  Iduméens,  les  Syriens.  Mais  il  n'é- 
coute pas  les  inspirations  de  Samuel  au  sujet  des 
Amalécites,  ennemis  irréconciliables  des  Hébreux, 
et  le  prophète  désigne  secrètement  pour  la  royauté 
le  jeune  David,   fils  d'Isaie  de   Bethléem.    Cette 


rupture  jette  le  roi  dans  une  mélancolie  profonde, 
(!t  pour  la  dissiper  on  a  recours  au  talent  musical 
de  David.  Le  jeune  homme  se  distingue  bientôt  par 
son  courage;  il  tue  le  géant  Goliath,  bat  les  Phi- 
listins et  devient  le  gendre  du  roi.  Mais  la  jalousie 
de  SaOl  l'oblige  h  s'exiler  pendant  de  longues 
années,  et  ce  n'est  qu'après  la  mort  du  roi  et  de 
Jonathan,  tués  dans  une  bataille  livrée  aux  Philis- 
tins, et  après  le  meurtre  d'isbosoth,  autre  fils  de 
Saiil,  que  David  est  reconnu  roi  par  toute  la  na- 
tion (lOâô). 

Sur  le  trône,  David  déploie  les  plus  sérieuses 
qualités  ;  il  conquiert  Jérusalem,  restée  jusqu'alors 
au  pouvoir  des  Jébusites,  et  en  fait  sa  capitale. 
Puis  il  soumet  les  Philistins  et,  docile  aux  inspi- 
rations des  prophètes  Gad  et  Nathan,  il  donne  au 
culte  une  première  organisation;  il  s'allie  avec 
Hiram,  roi  de  Tyr,  et  traite  avec  générosité  la  fa- 
mille de  Jonathan.  Dans  la  suite,  une  faute  grave 
qu'il  commet  et  les  désordres  de  ses  fils,  dont 
l'un,  Absalon,  son  favori,  se  révolte  contre  lui, 
remplissent  sa  vieillesse  de  douleur.  Son  fils  Salo- 
mon  lui  succède. 

Satomon,  qui  ne  fut  pas  un  guerrier  comme  son 
père,  se  rend  dès  le  début  très  populaire  par 
sa  rare  sagacité.  Il  construit  un  temple  colossal  et 
plusieurs  villes;  ses  expéditions  commerciales  avec 
les  Phéniciens,  ses  écrits  de  mor.ile  et  d'histoire 
naturelle  (ces  derniers  ne  nous  sont  pas  parve- 
nus) ,  et  son  faste  oriental  portèrent  partout  sa 
réputation.  Mais  tant  de  luxe  ne  pouvait  que  mé- 
contenter le  peuple  et  surtout  les  prophètes,  déji 
froissés  par  les  nombreux  mariages  du  roi  avec  des 
femmes  idolâtres.  Aussi  de  graves  symptômes  de 
révolte  éclatèrent-ils  bientôt,  et  le  roi,  en  mourant, 
ne  transmit-il  à  son  fils  Roboam  qu'une  autorité 
fortement  ébranlée  (973). 

Le  schisme  des  dix  tribus.  —Rnboam  commence 
son  règne  en  refusant  avec  arrogance  la  diminution 
des  impôts;  dix  tribus  l'abandonnent, et  il  reste  roi 
de  Juda  et  de  Benjamin.  Il  se  livre  à  l'idolâtrie  et 
administre  si  mal  ses  Etats  qu'il  ne  peut  empê- 
cher Sésonchis,  roi  dlîgypte,  d'entrer  en  vainqueur 
i\  Jérusalem.  Jéroboam,  ancien  officier  de  Salomon, 
nommé  roi  d'Israël  par  les  dix  tribus  révoltées, 
n'est  ni  plus  sage  ni  plus  heureux  ;  afin  d'éloigner 
ses  sujets  du  sanctuaire,  il  fait  élever  deux  veaux 
d'or  et  abolit  la  loi  mosaïque;  vers  la  fin  de  son 
règne,  Abinni,  fils  et  successeur  de  Roboam,  lui 
inflige  une  sanglante  défaite.  Aza  règne  avec 
gloi -e  en  Juda,  d  où  il  fait  disparaître  les  cultes  ca- 
nanéens, pendant  que  Nadab,  fils  de  Jéroboam,  périt 
assassiné  par  B'iusa.  Cet  usurpateur  ose  s'attaquer 
au  roi  de  Juda,  qui  venait  de  repnusser  les  Ethio- 
piens; il  est  battu  aussi.  Ela,  son  fils,  tombe  sous 
les  coups  d'un  autre  assassin,  et  la  guerre  civile 
éclate  en  Israël.  L'armée  donne  la  royauté  ;\  son 
général  Orni-i,  qui  bâtit  Samarie,  en  fait  sa  capi- 
tale, et  laisse  le  trône  ;\  son  Mis  .-Ic/ia*,  peu  d'années 
avant  l'avènement  de  Josaphat,  fils  d'Asa,  au  trône 
de  Juda.  , 

Ces  deux  princes  d'un  caractère  si  opposé  s  al- 
lient étroitement.  Josaphat  poursuit  l'idolâtrie  et 
s'occupe  de  l'instruction  du  peuple.  Achab  au  con- 
traire, poussé  par  la  reine  Jésabel,  princesse  phé- 
nicienne, et  malgré  l'énergique  opposition  du  pro- 
phète Elle,  fait  régner  en  Israël  le  culte  immoral 
d'Astarté.  Brave  et  généreux  cependant,  il  bat  deux 
fois  les  Syriens,  et,  malgré  le  concours  de  Josaphat, 
il  périt  dans  une  troisième  guerre  qu'il  entreprend 
contre  eux.  Ackanas  etJornm,  ses  deux  fils,  restent 
les  alliés  de  Josaphat,  qui  fait  avec  ce  dernier  une 
campagne  contre  les  Moabites  et  termine  sa  belle 
carrière  par  d'utiles  réformes  dans  l'administration 
de  la  justice.  Le  fils  du  pieux  Josaphat,  nommé 
Joram  comme  son  beau-frère  le  roi  d'Israël,  suit 
l'impulsion  idolâtre  et  cruelle  de  sa  femme  Athajie, 
fille  de  Jésabel;   il  fait  périr  ses  frères,  voit  l'en- 


ISRAELITES 


—  1062  — 


ISRAELITES 


nemi  cnvnhir  ses  États  et  tuer  ses  propres  enfants  ; 
il  meurt  apros  quatre  ans  d'un  règne  honteux. 
Achasias,  son  seul  fils  survivant,  lui  succède,  et  à 
peine  sur  le  trône  ce  malheureux  prince  périt, 
avec  son  oncle  le  roi  Joram,  sous  les  coups  de 
Jéhu,  général  Israélite.  Les  deux  trônes  d'Israël  et 
de  Juda  sont  vacants  à  la  fois  (884). 

Fin  du  royaume  d'Israël.  —  Athalie  et  Jéhu 
s'emparent  des  deux  royaumes  ;  l'une  massacre  les 
enfants  d'Achasias,  ses  petits-fllsj  l'autre,  toute 
la  race  d'Achab.  Athalie  favorise  ardemment  le 
culte  de  Baal,  que  Jéhu,  docile  à  l'influence  d'Elisée 
Ig  prophète,  poursuit  au  contraire  avec  sévérité. 
Après  six  ans  d'un  règne  odieux,  l'usurpatrice  est 
mise  à  mort  et  remplacée  par  Joas,  un  de  ses  petits- 
onfants,  sauvé  de  la  mort  par  le  grand  prêtre  Joiada, 
Bon  oncle. 

Pendant  que  Jéhu  laisse  affaiblir  son  royaume 
par  les  Syriens,  Joas,  sous  la  tutelle  de  Joïada, 
maintient  l'ordre  et  la  religion  dans  le  sien  ;  mais 
à  la  mort  du  grand-prêtre,  il  devient  idolâtre  et  fait 
lapider  Zacharie,  le  fils  de  son  sauveur  ;  il  périt 
lui-même  assassiné.  Joachaz,  fils  de  Jéhu,  ne  réus- 
sit pas  à  tenir  les  Syriens  en  échec,  mais  son  fils 
Joas  les  met  en  déroute  et  bat  Amasias,  roi  de 
Juda,  qui  meurt  assassiné,  comme  son  père.  Pen- 
dant un  demi-siècle,  l'ordre  et  la  prospérité  renais- 
sent dans  les  deux  Etats,  sous  les  règnes  à'Osias 
et  de  Jotham,  fils  et  petit-fils  d'Amasias,  et  sous 
celui  de  Jéroboam  II,  fils  de  Joas  d'Israël  ;  dans  les 
deux  Etats,  le  prophétisme,  représenté  par  Jonas, 
Amos,  Joël  et  Osée,  exerce  une  haute  influence 
morale;  mais  bientôt  les  crimes  des  rois  amènent 
d'irréparables  malheurs. 

Zacharie,  fils  de  Jéroboam  II,  est  assassiné  par 
Sellum;  Sellum,  par  Menahem,  et  Phaceia,  fils  du 
meurtrier,  par  Pékah,  un  de  ses  officiers.  Pékah 
est  vainqueur  à'Achaz,  fils  de  Jotham,  roi  de  Juda, 
mais  il  est  vaincu  par  Tiglat-Phalasar,  roi  d'As- 
syrie, et  assassiné  à  son  tour  par  Oser.  L'anarchie 
est  affreuse  ;  Tiglat  en  profite  pour  s'emparer  d'une 
partie  du  royaume,  et  ce  n'est  qu'en  devenant  son 
vassal  qu'Osée  monte  sur  le  trône.  Achaz  régnait 
alors  en  Juda  ;  c'était  lui  qui  avait,  malgré  les 
conseils  du  prophète  Isaîe,  appelé  Tiglat  pour 
repousser  l'usurpateur  Pékah.  Plus  impie  que  les 
rois  d'Israël  eux-mêmes,  Achaz  élève  des  autels  à 
Baal,  consacre  un  de  ses  fils  à  Moloch,  et  laisse 
dévaster  honteusement  ses  Etats.  A  sa  mort,  il  est 
privé  de  la  sépulture  royale.  Ezéchias,  qui  lui 
succéda,  vit  au  début  de  son  règne  la  ruine  du 
royaume  d'Israël.  Osée,  qui  s'était  révolté  contre 
son  puissant  suzerain,  Salraanasar,  successeur  de 
Tiglat,  fut  jeté  en  prison  ;  Samarie  fut  prise  et  le 
peuple  Israélite  emmené  en  captivité  en  Assyrie 

Les  derniers  rois  de  Juda.  —  Grâce  à  la  sagesse 
d^Ezéchias,  le  royaume  de  Juda  jouissait  alors 
d'une  grande  prospérité;  s'inspirant  des  conseils 
des  prophètes  Isaïe  et  Miellée,  Ezéchias  avait  aboli 
les  cultes  phéniciens  et  rouvert  le  temple.  Les 
Philistins  sont  repoussés,  et  le  terrible  Sennaché- 
rib,  roi  d'Assyrie,  qui  était  venu  mettre  le  siège 
devant  Jérusalem,  est  obligé  de  se  retirer  précipi- 
tamment, après  avoir  vu  presque  toute  son  armée 
détruite  par  la  peste,  cette  terrible  messagère  de 
Dieu,  comme  l'appelle  la  Bible.  Les  derniers  évé- 
nements de  ce  règne  presque  constamment  heu- 
reux furent  une  grave  maladie  du  roi,  que  le  pro- 
phète Isaîe  soigna  et  guérit,  une  alliance  impoli- 
tique avec  les  Babyloniens,  et  la  fondation  dune 
académie  de  savants,  qui  réunit  les  monuments  de 
la  littérature  Israélite  et  assura  le  développement 
religieux  de  l'avenir. 

Manassé  fut  pendant  quarante-cinq  ans  un  des 
plus  mauvais  rois  de  Juda;  une  chronique  incer- 
taine affirme  qu'il  revint  à  de  meilleurs  sentiments. 
Son  fils  Amon,  qui  suit  ses  mauvais  exemples, 


périt  assassiné  au  bout  de  deux  ans;  Josias,  fils 
d'Amon,  marche  au  contraire  sur  les  traces  d'E- 
zéchias.  Jéré/tv'e,  Sophome  et  la  prophétesse  Hulda 
le  conseillent;  la  loi  de  Moise,  dont  on  retrouve 
un  antique  exemplaire,  est  remise  en  honneur. 
Mais  toute  cette  prospérité  est  arrêtée  par  de 
grands  malheurs  qui,  en  peu  d'années,  amènent 
la  ruine  complète  de  Juda.  Placé  entre  les  deux 
souverains  puissants  d'Egypte  et  de  Chaldée,  Josias 
eut  le  tort  d'intervenir  dans  leurs  iiuerelles;  il 
voulut  arrêter  Néchao  qui  marchait  contre  Cabylone, 
et  périt  à  la  bataille  de  Mageddo;  son  fils  cadet, 
Joachas,  fut  élu  roi  par  le  peuple,  mais  le  vain- 
queur l'exila  en  Egypte  et  mit  sur  le  trône  Jo'ia- 
cliim,  le  fils  aîné  de  Josias.  Joïakim  ne  fut  qu'un 
tyran  odieux  et  un  prince  inhabile;  malgré  Jérémie 
qu'il  persécute  et  malgré  la  délaite  de  Néchao,  il 
se  révolte  contre  le  roi  de  Babylone,  et  meurt  pres- 
que aussitôt.  Jéchonias,  son  fils,  subit  les  consé- 
quences de  cette  faute  ;  c'est  en  vain  qu'il  se  rend 
k  discrétion  à  Nabuchodonosor,  il  est  exilé  à  Ba- 
bylone avec  10,000  Juifs,  et  remplacé  par  son  oncle 
Sédécias.  Après  quelques  années  de  calme  relatif, 
le  nouveau  roi,  oublieux  de  l'expérience  du  passé, 
se  déclare  indépendant.  Nabuchodonosor  revient, 
prend  Jérusalem  après  dix-huit  mois  de  siège,  fait 
égorger  la  famille  royale  et  crever  les  j  eux  îi  Sédé- 
cias, qui  est  envoyé  à  Babylone.  Le  temple  est 
brûlé  et  la  ville  détruite  de  fond  en  comble. 

Un  assez  grand  nombre  d'habitants  notables  du 
pays  furent  emmenés  en  Chaldée  ;  mais  les  vain- 
queurs laissèrent  quelques  laboureurs  dont  la  sur- 
veillance fut  confiée  à  un  gouverneur  Israélite, 
nommé  Guéd'ilin,'  qui,  peu  après  son  installation, 
fut  traîtreusement  assassiné.  Ce  meurtre  causa  la 
ruine  complète  du  malheureux  pays,  dont  pres- 
que tous  les  habitants  furent  envoyés  à  Babylone  ; 
il  n'y  resta  qu'une  population  pauvre  et  ignorante, 
mélange  de  Juifs,  de  Samaritains  et  de  Cananéens 
idolâtres  (588).  Comme  le  royaume  d'Israël,  celui 
de  Juda  périt  par  la  faute  de  ses  rois  ;  mais  il 
devait  bientôt  se  relever,  grâce  aux  principes  de 
morale  et  de  religion  enseignés  par  les  prophètes. 

Les  prophètes  et  la  littérature  sacrée  d'Is- 
raël. —  On  se  trompe  généralement  sur  les  pro- 
phètes; leur  mission  n'était  pas  de  faire  des  mira- 
cles et  do  prédire  l'avenir,  mais  de  moraliser  et 
d'instruire  le  peuple,  et  c'est  par  là  seulement 
qu'ils  étaient  considérés  comme  les  envoyés  de 
Dieu.  Au  point  de  vue  politique,  ils  sont  les  con- 
seillers libres  des  rois  ;  mais  on  doit  les  regarder 
plutôt  comme  des  orateurs  religieux;  ils  détour- 
nent le  peuple  de  l'idolâtrie,  et  surveillent  le  culte, 
qu'ils  considèrent  comme  un  moyen  do  moralisa- 
tion.  Censeurs  courageux  des  mœurs  publiques, 
les  prophètes  n'hésitent  pas  à  risquer  leurs  jours 
pour  arrêter  l'immoralité  des  princes  et  dos  classes 
riches  ;  ils  prennent  le  parti  des  pauvres  et  des  fai- 
bles, protègent  les  étrangers,  et  mettent  au-dessus 
de  tout  la  justice  et  la  charité.  C'est  par  la  prati- 
que de  ces  vertus  qu'arrivera  l'ère  messianique, 
qui  fera  disparaître  les  haines  et  les  guerres,  et 
unira  les  hommes  dans  un  amour  universel. _ 

La  littérature  des  Hébreux  contient  leur  histoire 
et  leurs  doctrines;  elle  se  compose  de  livres  histo- 
riques et  de  livres  poétiques,  dans  lesquels  l'his- 
toire et  la  poésie  sont  mêlées  étroitement.  Le  plus 
important  de  tous,  le  Pentatetigue,  a  conservé  les 
traditions  sur  les  premiers  temps  du  monde  et 
raconte  l'histoire  des  Hébreux  jusqu'à  la  mort  de 
Moïse.  Le  livre  de  Josué  est  le  récit  de  la  con- 
quête ;  celui  des  Juges  paraît  n'avoir  pour  but  que 
de  montrer  les  avantages  du  pouvoir  héréditaire. 
Le  lirre  de  Ruik,  qui  se  rapport^  au  même  tenips, 
est  une  gracieuse  idylle  qui  nous  apprend  l'origine 
de  la  race  rojale  de  David  et  nous  offre  dans  tout 
son  charme  le  tableau  de  la  charité.  Les  deux  livres 
de  Saynuel  et  les  deux  livres  des  Rois  racontent  les 


ISUAKLITES 


—  1003  — 


ISRAÉLITES 


i„  cai-.i  An  riivid  de  Salomon  et  l'histoire 
;S^.tS-^.KledeU.™^t.I^d.^ 

S[!;f,^r'K.S"::"  S^^t  ru- 
raux îe  livres  d'Ezra  (B.v/ra,s-)  e.i  âe  Micnie 
Ihîsi  nue  celui  de  Daniel,  qui  est  écrit  moitié  en 
2l  ald6cn,  moitié  en  hébreu,  continuent  1  histoire 
eénéralo  des  Israélites  après  le  r.dour  de  la  capti- 
fitén.ant  au  livre  d'E.W-.r,  il  raconte  un  evcne- 
menV'pàrticuUer  des  annales  juives  sous  la  monar- 

""LoriTet-  poétiques  des  Hébreux  n'ont  pas 
moins  dHmportance  que  leur  littérature  lustonquo. 
Les "''•oi'e.L.  et  VEcclé.iast.  contiennent  des  ma- 
rines de  morale;  l'un  se  termine  par  un  remar- 
quable tableau  des  vertus  do  la  femme  1  au  re 
empreint  d'un  scepticisme  décourageant  énonce 
Dourtant  le  dogme  de  l'immortalité.  Le  lune  ae 
TobZ  un  poème  grandiose  qui  nous  montre  es 
malheurs  d'un  juste  et  nous  enseigne  à  accepter 
les  décrets  de  la  sagesse  suprême  que  nous  ne 
pouvons  toujours  comprendre.  . 

^  Les  Psaumes,  sublimes  poésies  1^'^"!^  .  ^o"» 
comme  le  cri  de  l'àme  humaine  :  pat"»"^"^'^' 
vengeance,  repentir,  humilité,  amour  de  Dieu 
vertu;  Création,  Providence,  miséricorde  et  justice 
divines,  tout  y  est  d-anté  dans,  un  magnifique  lan- 
gage. Sous  une  forme  plus  simple,  e  Ca  Mue 
hs  Cantiques  a  une  grande  portée-,  cest  Ih^nne 
pastoral  de  deux  jeunes  fiances  «^tro^emen  «ms 
et  dont  l'amour  contraste  avec  les  abus  de  la  po- 

Les  prophètes,  hommes  politiques,  moralistes  et 
orateurs  inspirés,  tiennent  une  place  considérable 
dans  la  littérature  Israélite.  Ceux  dont  les  œuvres 
nous  restent  sont,  avant  la  captivité,  •/«"f"-/»'",'': 
livre  est  une  parabole;  Obadia,  Amos  Joël.  Usée, 
hnïe  et  Michée,  tous  deux  apôtres  de  la  paix  et  de 
la  réconciliation  universelles  ;  Nahum  Sophome, 
Habacuc;  Jérémie  qui  prédit  et  voit  la  ""ne  de 
Juda  et  dont  les  Lamentations. sont  de  touchantes 
élégies.  Pendant  la  captivité,  Ezéchiel  a  des  visions 


réaliser  ces  espérances:  la  Babylonie  fut  cnnqiusc 
mr  eux  et  le  roi  Cyrus,  devenu  le  chef  d'un  im- 
mense empire,  autorisa  par  un  édit  tous  les  Hé- 
breux de  ses  Etats  h  retourner  dans  leur  patrie  et 
Tyrobàtir  leur  temple  (5:!G).  Ceux  de  Juda,cest- 
-i-âire  les  Judéens  ou  Juifs,  partirent  ^  peu  près 
seuls  sous  la  conduite  de  Zorobabel,  arrière- 
petit -fils  du  roi  Jéchonias,  et,  s'établirent  dans  la 
Palestine,  qui  désormais  prit  d  eux  le  nom  de 
Judée  La  construction  du  temple,  retardée  pat  les 
intrigues  des  Samaritains,  ne  fut  achevée  que  sous 
e  règne  do  Darius,  fils  d'Hystaspe;  sous  celui  de 
Xerxès  (Assuérus),  prince  fantasque,  les_  Juifs, 
grâce  à  Esther,  jeune  Israélite  appelée  au  trône,  et 
i  son  oncle  Mardochée,  échappèrent  h.  la  destruc- 
iion  préparée  pour   eux   par  Aman,  premier  mi- 

"'urdemi-sièclo  s'écoula,  et  le  nouvel  Etat  juif, 
entravé  d'ailleurs  par  les  événements  qui  s  étaient 
nasses  en  Perse,  végétait  sous  la  direction  aristo- 
eratiTue  des  grànds'-prètres  oublieux  de  leurs  de- 
Soirs  B-™  (Esdras;,  autorisé  par  Artaxeixès 
Longue-Main  à  conduire  en  Palestine  itne  seconde 
colonie  de  Juifs,  vint  porter  remède  à  la  situa- 
tion 458).  Ezra,  qui  appartenait  h  la  classe  des 
scribes  était  aussi  pieux  que  savant;  il  fut  se- 
condé dans  son  œuvre  par  W/,^»;.  échanson  du 
roi  qui  avait  obtenu  un  peu  plus  tard  les  pouvoirs 
[es  plus  étendus,  et  par  les  derniers  prophètes 
La  rupture  avec  le  paganisme  fut  consommée,  et  la 
foi  de  Moise  remise  en  vigueur.  Des  synagogues, 
•éunions  laïques,  où  la  prière  était  faite  et  la  loi 
ue  et  expliquée 'au  peuple  par  les  scribes,  furent 
éUbUes  danl  le  pays.  Enfin  un  grand  conseil  na- 
donal  suprême,  U  Grande  Synagogue,  composé  des 
savants  les  plus  distingués,  fut  institué  avec  la 
miss"on  particulière  de  veiller  au  maintien  des 
traditions  et  à  l'étude  de  la  loi;  c'est  à  cette 
énott^e  et  par  l'impulsion  d'Ezra  et  de  Nehemie 
que'  fut  commence^e  la  collection  des  livres  sa- 

"ts  années  qui  suivent  ^sont  paisibles  pour  la 


élégies.  Pendant  la  captivité,  fc'r.c/.ie/ a  des  vis.oi^s  ^^?^  "™'=;.     '  est    toujours    gouverné  par  les 

dont   les    allégories   portent  ""^^™P''<=."'^\"5;  "  nds-prètre^  investis  de  l'autorité  politique,  au 

babylonienne;   après   le  retour    de   '«"'''/^S^f^.  ^1^"^^  P^a  «^              ,^„^,    fonctions   religieuses. 

Xacharie  et  Malachie  sont  les  dermers  orateurs  &'^,''"'Î^X'"",^lude  de   la  loi  par  le  peuple,  dans 


prophétiques.  ....;,•„ 

Ecrits  dans  une  langue  enthousiaste  et  poétique, 
les  livres  sacrés  des  Hébreux  n'ont  qu  un  but  : 
montrer  un  Dieu  unique  qui  est  la  justice  luhnie 
et  dont  l'action  incessante  se  manifeste  dans  le 
monde  physique  comme  dans  la  conscience  et  dans 
l'histoire  des  hommes.  On  n'est  pas  d  accord  sur 
les  auteurs  qui  les  ont  écrits  et  sur  l'époque  de 
leur  rédaction  ;  mais  il  est  impossible  de  mécon- 
naître la  vérité  et  la  hauteur  de  la  pensée  religieuse 
et  morale,  qui,  de  cette  grande  littérature,  a  fait 
le  livre  par  excellence  de  l'huinanite,  la  liibte. 

Les  Juifs  sous  les  Badvloniens  et  les  Perses. 
Les  synagogues.  —  Pendant  les  dernières  années 
du  royaume  du  Juda  et  après  la  prise  de  Jérusa- 
lem les  rois  de  Babylone.  avaient  emmené  en 
captivité  un  grand  nombre  d'Hébreux,  parmi  les- 
quels se  trouvaient  des  hommes  distingues,  tels 
que  Daniel,  ses  trois  compagnons  et  le  prophète 
Ezéchiel.  Bien  traités  par  les  vaiiuiueurs,  les  exiles 
obtinrent  de  hautes  positions  politiques  et  purent 
vivre  sous  leurs  propres  lois  religieuses.  Les  pro- 
phètes remplacent  les  prêtres  désormais  sans 
fonctions;  Ezéchiel,  et  sans  doute  aussi  1  auteur 
inconnu  de  la  deuxième  partie  du.  livre  d  Isaie, 
réunissent  autour  d'eux  les  anciens  et  le  peuple, 
et  président  aux  assemblées  de  prières  ;  ils  sont 
aidés  dans  leur  tâche  par  des  hommes  pieux  et 
savants,  des  scribes,  qui  copient  les  livres  saints, 
et  les  Hébreux,  maintenus  ainsi  dans  leurs  tradi- 
tions religieuses  et  consolés,  entrevoient  leur  libé- 
rai ion  prochaine.  .  ,,  ■  » 
C'étaient  les  Mèdes  et   les  Perses  qui  allaient 


Par  contre,  l'étude  de  la  loi  par  le  Pe^P  «-  dans 
les  synagogues,  prend  de  our  en  jour  pl"s  d  im- 
nortance  et  il  se  forme  ainsi,  au  sein  des  classes 
Soou lairès  un  parti,  celui  des  Assidéens  ou  des 
^"ri  qui  se  donne  pour  tâche  de  conserver,  en 
déot  de  "classes  supérieures,  les  traditions  reh- 
ge"^  es  de  la  natioi?  dans  toute  le"';  'ntégr.té 
Sons  le  nontificat  de  Jacklus,  les  Juifs  passent 
fans  tiUlëde  la  domination  des  Perses  sous 
relie  d'Alexandre  le  Grand  i •)■!-'). 
DoMiNATmN  GRECQUE.  -  Alexandre  est  très  bien- 

veUlTpmir  les  Juifs  et  '«  P^'firSv'rTe't"  su"c- 
h  tour  sous  les  rois  d'Egypte  et  de  byrie,  ses  suc 
cesTurs.  sVus  le  premier  P/o«mae  nous  rencon- 
rons  en  Judée  un  grand-prêtre  ce  ebre  le  pet.t- 
fik  de  Jaddus  S  mon  le  Juste,  qui  tut  un  des 
derniers  membres  d..  la  Grande  Synagogue.  Pen- 
drnîe  poTtificat  d'iVc^a^a^  frère  et  succes^^^^^^^^^ 
Simon  le  Pentatcuque  est  traduit  en  grec  a 
Vlexandrie  où  vivait  une  nombreuse  colonie  de 
h  ?fs  ceuè  traduction,  attribuée  à  Tl  savants  en- 
voyés de  Jérusalem  et  dite,  pour  ce  motif,  Version 
dis  septante,  fait  connaître  la  Bible  au  monde 
niien  (284  i  '-'■");  elle  fut  continuée  dans  la 
su  te  et  outre  les  livres  canoniques,  reconnus 
comme  sacrés  par  les  Juifs,  on  y  inséra  d  autres 
ouvrTws  dont  les  principaux  sont  :  les  livres  de 
roi  ec  de  Ju'iitt;  romans  historiques,  les  livres 
io  1.  ^nnhmce  et  de  VEcelésiasti<]ue.  recueils  de 
In  ^nceretTes'^deux  livres  des  ^ackabé^v^^ 
des  graves  événements  arrives  en  Judée  sous  ic 
règne  d'Antiochus  Epiphane. 
La  Judée,  après  plusieurs  pontificats  sans  gloire 


ISRAELITES 


—  1064 


ISRAELITES 


mais  non  sans  troublps.  était  passée  définitive- 
ment sous  la  suzeraineté  des  rois  de  Syrie.  Les 
grands-prôtres,  de  plus  en  plus  oublieux  do  leurs 
devoirs,  s'occupent  d'intrigues  de  cour.  Oiàas  III, 
grand-prêtre  pieux,  est  supplanté  par  son  frère 
Jaso}},  quiaclièto  le  poiitiflcatct  qui,  à  son  tour,  est 
trahi  de  la  même  façon  par  son  plus  jeune  frère, 
Ménélas.  Resté  maître  du  pouvoir,  par  l'appui 
à.' Antioc/nis  Epiphane ,  Ménélas  fait  vendre  les 
trésors  du  temple  pour  payer  sa  dette,  et  as- 
sassiner son  frère  aîné,  Onias  III,  resté  à  Antio- 
che.  Il  ose  revenir  à  Jérusalem,  où  bientôt  la 
guerre  éclate  entre  lui  et  Jason,  Antioclius,  arrivé 
au  secours  de  son  protégé,  massacre  une  pre- 
mière fois  le  peuple  innocent  de  ces  querelles  et, 
l'année  suivante,  ordonne  de  nouveaux  pillages  et 
de  nouvelles  tueries.  Un  grand  nombre  de  Juifs 
sont  vendus  comme  esclaves;  le  temple  est  souillé 
■  et  le  culte  proscrit;  mais  l'enseignement  des  scribes 
avait  lentement  porté  des  fruits,  et  le  peuple  juif, 
atteint  dans  sa  patrie  et  sa  religion,  se  soulève 
contre  Antiocims  (167). 

Gouvernement  national  des  Machabées.  —  Ce 
fut  un  simple  prêtre,  Matathia':,  de  la  famille 
Asmonéenne,  qui  leva  avec  ses  cinq  fils  l'étendard 
de  la  révolte  ;  aidé  par  quelques  patriotes,  il  tint 
la  campagne  pendant  trois  mois,  et  mourut.  Le 
plus  vaillant  de  ses  fils,  Juda  dit  Machahèe  (Mar- 
tel), défait  successivement  tous  les  généraux 
syriens  envoyés  contre  lui,  reste  maître  de  la  Ju- 
dée au  bout  de  trois  ans,  rouvre  et  purifie  le  tem- 
ple et,  après  de  nouvelles  victoires,  meurt  héroï- 
quement sur  le  champ  de  bataille.  Joiiaihnn  et 
Simon,  ses  frères,  continuent  la  lutte  avec  l'appui 
des  Romains,  et  le  dernier  reçoit  de  Démétrius, 
roi  de  Syrie,  les  titres  de  grand-prêtre  et  de  prince 
des  Juifs,  titres  qu'une  assemblée  nationale  lui 
confirme.  Comme  Jonathan,  Simon  péril  assas- 
siné, et  Ihjrcaii,  son  fils,  qui  lui  succède,  proclame 
l'indépendance  de  la  Judée,  que  la  Syrie,  affaiblie 
par  ses  querelles  intérieures,  est  obligée  de  re- 
connaître. 

La  victoire  définitive  des  Machabées  eut  pour 
conséquence  la  réorganisation  du  pays.  LaGran.de 
Synagogue,  qui  n'existait  plus,  fut  remplacée  par 
un  sénat  électif,  le  Sanhédrin,  composé  de  soixante 
et  onze  membres,  qui  réunissait  les  hommes  les 
plus  instruits  de  la  nation,  à  quelque  classe  qu'ils 
appartinssent.  Le  grand-prêtre  n'en  était  le  prési- 
dent que  s'il  avait  les  capacités  nécessaires.  Au- 
dessous  de  ce  conseil,  à  qui  étaient  réservées 
les  affaires  d'intérêt  majeur,  on  institua  de  petits 
sa?iliédiins  de  vingt-trois  membres  qui  jugeaient 
les  affaires  criminelles  ordinaires,  et  de  t' ihu- 
naux  de  trois  juges  pour  les  contestations  civiles. 
Ecoles  et  sectes  juives.  —  Pour  avoir  amené 
avec  tant  de  rapidité  cette  restauration  politique, 
il  fallait  que  l'enseignement  des  scribes  eût  pro- 
fondément pénétré  dans  le  peuple;  en  effet,  les 
écoles  diverses  qui  s'étaient  formées  cbez  les 
Juifs  avaient  fini  par  exercer  une  grande  influence. 
Les  Saitducéens,  qui  constituaient  l'une  de  ces 
écoles,  comprenaient  les  familles  pontificales  et 
les  classes  riches  ;  ils  s'attachaient  servilement  à 
la  lettre  dans  l'interprétation  du  Pentateuque,  ils 
n'acceptaient  pas  les  traditions  orales,  et  repous- 
saient les  dogmes  de  l'immortalité  de  l'âme  et  de  l'a- 
vènement messianique.  Egoïstes  et  orgueilleux,  et 
très  durs  dans  l'application  des  lois  pénales,  ils 
étaient  fort  impopulaires.  Les  Pharisiens  sont  op- 
posés en  tout  aux  Sadducéens.  Continuateurs  des 
Assidéens  et  partisans  de  la  tradition,  ils  sont  les 
représentants  de  la  démocratie  et  de  l'esprit 
laïque  ;  leur  interprétation,  qui  est  large,  facilite 
l'exécution  de  la  loi  et  en  assure  le  maintien,  bien 
qu'elle  descende  parfois  à  de  trop  minutieux  dé- 
tails réglementaires.  Ils  enseignent  les  grands 
dogmes  de  la  Providence,  de  la  liberté,  de  l'immor- 


talité et  du  messianisme.  Comme  leur  morale 
était  irréprochable  et  leur  douceur  au  pouvoir 
très  grande,  ils  étaient  aimés  du  peuple  et  avaient 
une  grande  autorité  ;  aussi  y  avait-il  parmi  eux 
des  faux- frères,  que  le  Talnmd  appelle  pha- 
risiens leints  et  que  l'Evangile  nomme  sépul- 
cres Ijlanchis.  Une  troisième  secte,  celle  des  Essé- 
niens,  tenait  des  Pharisiens  presque  toutes  ses 
doctrines,  à  cela  près  quelle  admettait  bien  moins 
la  Providence  que  la  prédestination.  Livrés  au 
mysticisme,  les  Esséniens  prétendaient  faire  des 
miracles  et  avoir  puissance  sur  les  esprits  infer- 
naux; réunis  hors  des  villes,  ils  renonçaient  \  la 
propriété  individuelle,  évitaient  de  se  marier, 
priaient,  travaillaient  et  mangeaient  en  commun. 
Ils  avaient  des  mystères  qu'on  n'était  admis  h  con- 
naître qu'après  un  long  noviciat.  Ces  différentes 
sectes  étaient  nées  en  Judée:  en  figypte  aussi, 
il  s  était  formé  une  autre  grande  école;  cer- 
tains de  ses  membres,  les  Tliéi  apeutes,  dont  les 
Esséniens  avaient  imité  l'association,  vivaient 
dans  la  solitude  et  la  contemplation.  D'autres, 
les  Juifs  hellénistes  d'Alexandrie,  désireux  d'a- 
mener le  triomphe  de  leur  foi  religieuse  sur  le 
paganisme  expirant,  s'efforçaient  de  concilier  la 
philosophie  grecque  avec  les  vérités  dogmatiques 
du  judaïsme,  et  ils  croyaient  y  arriver  en  faisant 
de  la  Parole  créatricp,  du  Ve^  he  divin  de  la  Bible, 
une  sorte  d'intermédiaire  entre  Dieu  et  le  monde, 
et  en  l'identifiant  avec  le  Logos  des  philosophes 
platoniciens.  L'un  des  derniers  et  des  plus  illus- 
tres représentants  de  cette  école  fut,  un  siècle  plus 
tard,  Philon,  surnommé  le  Platon  juif.  Ce  mouve- 
ment inquiet  des  esprits  annonçait  une  grande 
crise  religieuse  prochaine  ;  elle  allait  se  produire 
en  môme  temps  que  la  ruine  politique  de  la 
Judée. 

Domination  romaine.  Ruine  de  la  Judée.  —  Hyr- 
can,  fils  et  successeur  de  Sicnon  Machabée,  occupa 
le  trùne  et  le  pontificat  pendant  trente  ans  ;  les 
Iduméens  et  les  Samaritains  furent  soumis,  et 
l'alliance  conclue  avec  Rome  par  Jonathan  et  Si- 
mon fut  renouvelée.  Mais  la  fin  de  ce  règne  heu- 
reux fut  troublée  par  les  querelles  des  Pharisiens  et 
des  Sadducéens,  tour  à  tour  protégés  par  le  prince. 
Arisiob'ile,  son  fils  aîné,  qui  prit  le  titre  de  roi,  et 
Alexandre  Jannée,  son  deuxième  fils.  Sont  d'horri- 
bles tyrans;  le  dernier  mérite  le  nom  d'assassin. 
Après  une  courte  régence  de  sa  veuve  Aleian- 
dra,  ses  deux  fils  se  disputent  le  pouvoir  ;  Htjr- 
can,  l'aîné,  est  battu  et  devient  grand-prêtre  ; 
Aristohule,  le  cadet,  est  élu  roi  malgré  les  Pha- 
risiens. Le  trrand  Pompée,  alors  à  Damas,  inter- 
vient, s'empare  de  Jérusalent  et  donne  à.  l'Idu- 
méen  Antipater  le  pouvoir  dont  Hyrcan  ne  con- 
serve que  l'apparence.  La  Judée  est  désormais 
dépendante  de  Kome  (G3). 

Antipater.  habile  et  rusé,  ne  gouverne  guère 
que  dans  l'intérêt  de  sa  propre  famille  ;  nommé 
procurateur  de  la  Judée,  il  confie  Ji  ses  deux  fils 
de  hautes  positions  dans  l'Etat.  Hérode,  le  plus 
jeune,  est  l'héritier  de  l'ambition  et  de  l'habileté 
paternelles  ;  il  épouse  Marianne,  petite-fille  d'Hyr- 
can,  et  devient  le  favori  du  triumvir  Antoine. 
Chassé  de  Jérusalem,  il  y  revient  accompagné  de 
légions  et  avec  le  titre  de  roi  qui  lui  avait  été  dé- 
cerné à  Rome  par  le  Sénat,  et  affermit  son  pou- 
voir par  le  meurtre  des  membres  de  la  famille 
Asmonéenne  et  du  Grand  Sanhédrin.  Bientôt  la 
reine  Marianna  elle-même  et  ses  propres  fils  de- 
viennent ses  victimes  ;  enfin,  après  avoir  fait 
élever  des  constructions  splendides,  il  meurt  au 
milieu  d'horribles  souffrances  et  de  l'exécration 
universelle. 

La  Palestine,  déjà  gravement  troublée  par  les 
luttes  des  patriotes,  les  Zélateurs,  et  du  parti  ro- 
main, est  partagée,  h  la  mort  d'Hérode,  entre  ses 
trois  fils  survivants,  et  peu  après  la  Judée,  enlevée 


ISRAELITES 


—   l()0,"i  — 


ITALIE 


ù  Arcliélaiis,  l'un  d'eux,  qui  s'était  attiré  la  liaiue 
publi(|UO,  est  réduite  gm  province  romaine.  Le 
pouvoir  dos  proconsuls  pèse  lourdement  sur  le 
nia]lieure\i\  pays  privé  de  son  indépendance  ;  un 
de  ces  ma;;istrats,  Ponce-Pilate,  mécontente  grave- 
ment le  peuple;  c'est  sous  son  gouvernement 
c|u'eut  liini  le  procès  et  la  condamnation  de  Jésus, 
mis  en  croix  par  ses  ordres,  sur  les  accusations  des 
grands  et  des  prêtres  membres  du  parti  saddu- 
céen  et  inféodes  il  la  poUtir|ue  de  Rome  (v7-;i(J). 

Sous  Ciiligula,  les  Juils  refusent  d'adorer  le  fou 
qui  était  le  maître  du  monde,  et  sont  l'objet  de 
cruelles  persécutions,  que  l'empereur  Claude  fait 
cesser.  Agri/ip'i,  petit -fils  d'Hérode,  favori  de 
Claude,  est  nommé  roi  de  la  Judée,  qui  prospère 
sous  son  règne  trop  court,  mais  qui  retombe  bientôt 
sous  l'administration  directe  de  Rome.  C'en  est 
fait  désormais  de  toute  paix.  Les  querelles  vio- 
lentes des  Juifs,  des  Samaritains  et  des  Grecs,  les 
brigandages  commis  impunément  au  milieu  do 
l'anarchie,  les  insolences  des  soldats  romains  et 
surtout  la  rapacité  inouïe  des  proconsuls  excitent 
des  révoltes  journalières;  enfin,  sous  l'administra- 
tion du  féroce  Florus,  il  éclate  une  insurrection 
générale. 

Les  Zéhtteiirs  en  prennent  la  direction,  et  dès  les 
premiers  temps  remportent  de  grands  avantages 
sur  les  Romains,  qui  sont  refoulés  hors  du  pays. 
Néron  confie  à  Vespusien  le  soin  d'apaiser  la  révolte. 
Accompagné  de  son  fils  Titus,  ce  général  vient. 
avec  une  armée  formidable,  mettre  le  siège  devant 
Jotapat.  Cette  forteresse,  défendue  par  un  jeune 
prêtre  qui  fut  plus  tard  l'historien  FliiviusJosèphe, 
tomba  au  pouvoir  des  Romains  après  une  vaillante 
résistance.  Vespasicn,  élu  empereur,  laissa  le  com- 
mandement à  Thus,  qui  vint  mettre  le  siège  de- 
vant Jérusalem  en  proie  à  la  plus  affreuse  discorde. 
Ne  pouvant  s'emparer  de  la  ville  par  la  force,  Titus 
essaya  de  la  prendre  par  la  famine.  Après  une 
héroïque  résistance,  Jérusalem  fut  prise  et  le 
temple  brûlé.  Massada,  forteresse  près  de  la  Mer 
Morte,  ne  se  rendit  pas  aux  vainqueurs;  ses  dé- 
fenseurs se  tuèrent  tous  de  leurs  propres  mains 
avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants.  Environ!  100(100 
Juifs  avaient  péri  dans  la  lutte;  plus  de 600 000  fu- 
rent vendus  ou  réservés  aux  jeux  du  cirque  (12). 

Les  Juifs  n'étaient  pourtant  pas  encore  écrasés 
comme  peuple,  et  leur  doctrine  restait  debout.  Au 
plus  fort  de  la  tyrannie  d'Hérode,  les  écoles  avaient 
continué  à  se  développer;  nous  voyons  fleurira 
cette  époque  chez  les  Pharisiens  deux  grands  doc- 
teurs, Hillet  et  Schamaï,  qui  représentent  des  ten- 
dances opposées.  Schamaï,  dans  son  interprétation 
rigoureuse  des  textes  bibliques,  se  rapproche  des 
Sadducéens.  Hillel  au  contraire  fait  la  part  des  cir- 
constances et  admet,  dans  l'intérêt  même  de  la  loi, 
la  nécessité  d'en  abroger  certaines  dispositions.  Sa 
réponse  à  un  païen,  qui  lui  demandait  le  résumé 
de  la  loi,  est  restée  célèbre  :  Ce  rjue  tu  n'aimer  pas 
pour  tiii,  dit-il,  ne  le  fuis  pas  à  autrui;  c'est  là 
toute  la  loi;  le  reste  n'en. est  que  le  commentaire. 
Pendant  le  siège  de  Jérusalem,  un  autre  docteur 
éminent,  Johanan  ben  Zacia'i,  avait  quitté  secrète- 
ment la  ville  et  obtenu  de  Vespasien  la  permission 
de  fonder  une  école  à  Jamnia,  dans  l'ancien  terri- 
toire des  Philistins.  Cette  école  resta  pour  les 
Juifs  un  foyer  ardent  de  patriotisme  et  de  religion  ; 
aussi  les  persécutions  éprouvées  sous  Domitien, 
et  les  succès  momentanés  obtenus  sous  Trajan, 
leur  firent-ils  concevoir  plus  que  jamais  l'espérance 
d'un  libérateur  messianique.  Sous  l'empereur 
Adrien,  qui  avait  d'abord  favorisé,  puis  proscrit 
leur  religion,  ils  font  une  dernière  et  terrible  ten- 
tative pour  recouvrer  leur  indépendance.  Jérusalem 
n'était  guère  détruite  que  depuis  un  demi-siècle, 
lorsqu'un  vaillant  guerrier,  Barcochl.ah,  se  souleva, 
prit  le  titre  de  roi,  et  se  vit  entouré  d'une  armée 
considérable.  Akiba  ben   Joseph,  illustre    rabbin. 


chef  des  écoles  Israélites,  lui  donna  l'appui  do  son 
autorité  et  crut  voir  on  lui  le  Messie  annoncé  par 
les  prophètes.  En  peu  de  temps,  Barcochbah  fut 
maître  du  pays,  et,  pour  dompter  cette  redoutable 
rébellion,  Adrien  fut  obligé  d'envoyer  en  Judée 
Jules  Sévère,  son  meilleur  général.  Jérusalem  est 
bientôt  reprise  et  de  nouveau  rasée  ;  mais  Bcthar, 
forteresse  où  liarcochbah  s'était  enfermé,  n'est  em- 
portée qu'après  trois  ans  d'un  siège  horrible.  Bar- 
cochbah  mourut  les  armes  à  la  main,  Akiba  dans 
les  tortures,  et  environ  GOO  000  Juifs  furent  massa- 
crés (135). 

Désormais  la  Judée  n'est  plus  qu'un  désert  ;  son 
existence  politique  est  finie  ;  mais  le  mouvement 
dogmatique  qui  s'était  produit  dans  son  sein  et  les 
diverses  doctrines  religieuses  qui  y  avaient  pris 
naissance  devaient  régénérer  le  monde  et  le  con- 
quérir aux  vérités  éternelles  du  Sinai. —  Pour  l'his- 
toire du  peuple  juif  après  sa  dispersion  définitive, 
V.  Juifs.  [E.-A.  Astruc] 

ITALIE  (GÉonnAPniE).  —  Géographie  générale, 
XIIL  —  1.  Géographie  physique.  —  Situation,  li- 
mites. —  L'Italie  est  une  contrée  de  l'Europe  mé- 
ridionale, comprise  entre  les  Alpes,  au  nord,  et  la 
Méditerranée,  au  sud.  Des  mers  secondaires  dépen- 
dant de  celle-ci  la  limitent  de  tous  les  autres  côtés: 
la  mer  Ionienne  et  la  mer  Adriatique,  à  l'est  ; 
la  mer  Tyrrhénienne,  et  le  golfe  de  Gênes  ou 
mer  de  Ligurie.  à  l'ouest. 

En  latitude,  l'Italie  est  comprise  entre  .38°  et  •47° 
de  lat.  N.  :  elle  appartient  donc  essentiellement 
i  la  zone  tempérée  ;  en  longitude,  elle  va  de  4°  à 
10°  h  l'est  de  Paris. 

Forme,  caps  et  golfes  du  littoral.  —  Sa  direc- 
tion générale  est  au  S.-O.,  sur  une  longueur  de 
1000  kil.  en  ligne  droite.  Sa  largeur  moyenne  est 
d'environ  200  kil.  Elle  a  la  forme  caractéristique 
d'une  botte,  dont  les  caps  Gargano,  sur  la  mer 
Adriatique,  Leuca  et  Spartivcnto,  sur  la  mer  Io- 
nienne, indiquent  respectivement  l'éperon,  le  ta- 
lon et  la  pointe.  Entre  ces  deux  derniers  se  creuse 
le  golfe  de  Tarente.  Du  coté  de  la  mer  Tyr- 
rhénienne, le  littoral  est  découpé  ;  les  principaux 
golfes  qu'il  forme  sont  ceux  de  GaCte,  de  Naples 
et  de  Salcrnc.  La  partie  septentrionale  de  l'Adria- 
tique, entre  l'Italie  et  la  péninsule  d'Isirie,  porte 
le  nom  de  golfes  de  Venise  et  de  Trieste. 

Iles.  —  Âu-devant  des  rivages,  qui  abritent  des 
ports  nombreux,  l'Italie  se  complète  parde  grandes 
iles;  au  sud,  laSicile,  séparée  du  conlinentpar  ledé- 
troit  de  Messine  ;  à  l'ouest,  laSardaigne  et  la  Corse, 
cette  dernière  appartenant  i  la  France  depuis  un 
siècle.  Les  iles  plus  petites  sont  :  l'île  d'Elbe,  entre 
la  Corse  et  la  Toscane  ;  au  devant  des  golfes  do 
Gaete  et  de  Naples,  l'archipel  des  î.es  Ponza, 
Ischia,  Procida  et  Capri  ;  enfin ,  l'archipel  volcani- 
que des  Lipari,  au  nord  de  la  Sicile. 

Superficie  et  population.  —  L'Italie  avec  ses  dé- 
pendances a  une  superficie  de  300000  kil.  carrés  en- 
viron, les  trois  cinquièmes  de  la  France,  et  est  peu- 
plée de  près  de  28  millions  d'habitants,  les  trois 
quarts  de  notre  population  actuelle.  Cela  correspond 
en  moyenne  i  !i4  habitants  par  kil.  carré.  Notre  po- 
pulation spécifique  n'est  que  de  "0. 

OiioGiiAPHiE.  —  Les  Alpes.  —  Les  Alpes  forment  la 
plus  haute  chaîne  de  montagnes  et  en  grande 
partie  la  limite  septentrionale  de  l'Italie.  Entre 
cette  contrée  et  la  France,  la  frontière  suit  pres- 
que constamment  la  ligne  de  faîte  depuis  le  col 
de  Tende,  au  nord-est  de  Nice,  jusqu'au  Mont  Blanc, 
en  passant  successivement  par  le  Mont  Viso  et  le 
Mont  Cenis.  C'est  encore  la  crête,  passant  par  le 
Saint-Bernard,  le  Mont  Cervin  ou  Matterhorn,  et 
le  Mont  Rose,  qui  sépare  la  Suisse  de  l'Italie, 
entre  le  Mont  Blanc  et  le  Saint-Gothard.  Mais  h 
partir  de  ce  point,  la  Suisse  garde  la  haute  vallée 
du  Tessin,  et  le  Tyrol  autrichien  comprend  lu 
cours  supérieur  de  l'.\dige  et  de  la  Brenta.  Parmi 


ITALIE 


lOGG  — 


ITALIE 


les  pics  qui  jalonnent  cette  panio  âe  la  frontière, 
U  faut  citer  la  Bernina,  entre  la  source  de  l'Inn 
et  l'Adda,  l'Orteler  et  l'Adamcllo,  entre  celui-ci 
et  l'Adige.  La  frontière  suit  ensuite  les  Alpes 
Cadoriques,  puis  Carniques.  depuis  la  Drenta  jus- 
qu'au col  de  Tarvis,  sur  la  route  de  Venise  h 
Vienne,  et  descend  de  là  ;i  l'Adriatique  par  une 
ligne  conventionnelle  courant  entre  l'Isonzo  et  le 
Tagliamento,  deux  petits  tributaires  du  golfe  de 
Venise. 

Les  Apennins.  —  Les.  Apennins,  moins  élevés 
que  les  Alpes,  forment  l'ossature  de  la  péiiinsule. 
Courant  d'abord  de  l'O.  ;\  l'E.  à  une  petite  dis- 
tance de  la  Méditerranée,  depuis  le  col  de  Tende 
jusqu'à  l'extrémité  du  golfe  de  Gênes,  ils  se  re- 
courbent ensuite  au  S.-Ë.  en  se  tenant  plus  près 
de  l'Adriatique  que  de  la  mer  Tyrrliénienne. 
Depuis  le  col  de  Tende  jusqu'à  la  source  du  Tibre, 
\  Apennin  septeulrionat  est  peu  élevé  (1000  à 
150(1  m.).  Entre  la  source  du  Tibre  et  la  latitude 
de  Rome  environ,  VApennm  central  est  au  con- 
traire beaucoup  plus  haut  en  même  temps  que 
plus  large.  C'est  là  que  s'élève  le  Gron  Snsso  il'i- 
talin,  sa  cime  maîtresse,  qui  atteint  piès  de  -3000 
mètres  et  domine  l'épais  rempart  des  Abruzzes. 
A  partir  des  sources  opposées  du  Vulturne,  affluent 
du  golfe  de  Gaéte,  et  du  Sangro.  tributaire  do 
l'Adriatique,  VApennin  méridional  s'abaisse  rapi- 
dement et  se  partage  en  deux  branches  :  la  plus 
orientale  et  en  même  temps  la  plus  faible  traverse 
la  terre  d'Otrante  et  finit  au  cap  Leuca  ;  la  plus 
occidentale  forme  la  charpente  de  la  montagneuse 
Calabre  et  se  termine  au  détroit  de  Messine. 

Parallèlement  à  la  chaîne  principale  des  Apen- 
nins et  au  littoral  de  la  mer  Tyrrliénienne,  le  sol 
se  relève  en  bourrelets  moins  prononces,  qui  por- 
tent successivement  le  nom  d'Alpes  Apouannes, 
Sub-Apennin  toscan,  montagnes  de  la  Sabine,  et 
obligent  les  affluents  de  la  mer  Tyrrhénienne, 
l'Arno,  rOmbrone,  le  Tibre,  à  couler  parallèle- 
ment au  rivage,  avant  de  s'ouvrir  un  passage  qui 
leur  permette  d'y  aboutir.  Plus  au  sud,  les  monts 
de  l'ancien  pays  des  Volsques,  entre  Rome  et 
Capoue,  impriment  la  même  direction  au  Gari- 
gliano. 

Volcans.  —  Seul  sur  le  continent  européen,  le 
mont  Vésuvi',  près  de  Naples,  donne  encore  de 
temps  en  temps  le  spectacle  d'une  éruption  ;  mais 
d'un  bout  à  l'autre  de  la  péninsule  abondent  les 
cratères  des  volcans  éteints,  où  dorment  aujour- 
d'hui des  lacs  charmants,  qui  sont  un  des  princi- 
paux attraits  de  ce  pays  si  pittoresque. 

La  Sicile  a  l'Etna,  dont  la  cime,  haute  de  plus 
3000  mètres,  se  couvre  de  neige,  en  même  temps 
qu'elle  vomit  la  lave.  Le  Stromtjnti,  dans  les  îles 
Lipari,  est  aussi  de  temps  en  temps  en  ignition. 

Entre  le  Vésuve  et  l'Etna,  la  Calabre  a  été  fré- 
quemment agitée  par  de  terribles  tremblements 
de  terre.  Le  dernier,  celui  de  185",  coûta  la  vie  à 
10000  personnes;  celui  de  1783  renversa  100  vil- 
les ou  villages  et  fit  périr  plus  de  30  000  âmes. 

Autres  montagnes.  —  La  Sardaigne  et  l'île 
d'Elbe  sont  montagneuses  comme  leur  voisine  la 
Corse.  En  Sicile,  l'Etna  forme  le  point  culminant, 
mais  ne  se  rattache  pas  à  l'ossature  montagneuse 
qui  partage  1  île  en  trois  versants,  dont  celui  du  S.-O. 
est  le  plus  étendu,  celui  du  nord  le  plus  étroit. 
Dans  l'Italie  septentrionale,  le  Monferrat,  qui 
étale  ses  pentes  sur  la  rive  droite  du  Pô,  en 
face  de  Turin,  se  rattache  au  sud  à  l'Apennin  de 
Ligurie. 

Hydrographie.  —  Versant  de  l'Adriatique.  — 
Les  .\lpes  Carniques  et  Cadoriques  n'envoient  au 
golfe  de  Venise  que  des  torrents  rapides,  dont  le 
Tagliamentù  et  la  Piave  sont  les  plus  célèbres. 
Puis  vient  la  Brenta,  qui  passe  à  Padoue  et  finit 
dans  les  lagunes  de  Venise. 

L'Adige,  né  dans  le  Tyrol,  descend  rapidement 


au  sud  jusqu'à  Vérone,  et  tourne  ensuite  à  l'ouest 
pour  finir  entre  Chioggia  et  les   bouches  du  Pô. 

Le  Pô.  —  Celui-ci,  qui  est  le  fleuve  le  plus  con- 
sidérable de  l'Italie,  par  sa  longueur,  l'étendue 
de  son  bassin  et  l'abondance  de  ses  eaux,  com- 
mence au  Mont  Viso  et  coule  de  l'O.  à  l'E.  à 
travers  le  Piémont,  la  Lombardie,  la  Vénétie. 
C'est  par  sa  rive  gauche  qu'il  reçoit  dos  Alpes  ses 
affluents  les  plus  considérables.  Il  se  grossit,  à 
Turin,  de  la  Doire  Hipuaire  qui  descend  de  Suse 
et  du  Mont  Genèvre  ;  entre  Turin  et  Casai,  de  la 
Doire  Bottée,  qui  descend  du  .Mont  Blanc  par  le 
val  d'Aoste  ;  puis  de  la  Sésia,  qui  vient  du  Mont 
Rose.  Ensuite  commencent  les  grandes  rivières,  qui 
se  débarrassent,  dans  les  lacs  qu'elles  traversent, 
des  alluvions  qu'elles  ont  arrachées  aux  flancs 
des  Alpes  :  le  Tessi?i,  qu'alimentent  les  neiges  du 
Saint-Gothard,  et  qui,  après  avoir  traversé  le  lac 
Majeur,  sépare  le  Piémont,  à  l'ouest,  de  la  Lom- 
bardie, à  l'est,  passe  à  Pavie  et  se  réunit  au  Pô, 
un  peu  en  aval  de  cette  ville;  VAdrta,  qui  sort  des 
glaciers  de  l'Orteler,  arrose  la  Valteline,  traverse 
le  lue  de  Cime,  en  sort  à  Lecco,  passe  à  Lodi,  et 
tombe  dans  le  Pô  entre  Plaisance  et  Crémone  ; 
VOglio,  qui  traverse  le  val  Camonica,  puis  le  lac 
d'Iséo  ;  le  Mincio,  qui  sort  du  lac  île  Garde, 
forme  les  marais  enveloppant  la  place-forte  de 
Mantoue,  et  sépare  la  Lombardie  de  la  Vénétie. 

Sur  la  rive  droite,  les  affluents  du  Pô  sont  bien 
moins  considérables.  Le  principal  est  le  Tannro,  qui 
descend  du  col  de  Tende  et  se  grossit  à  Alexandrie 
de  la  Bormida.  Puis  viennent  :  la  Scriiia,  dont  la 
vallée  sert  de  débouché  au  port  de  Gênes  vers 
Alexandrie  et  Milan,  et  qui  passe  à  Tortone  ;  la 
Trebbie.  qui  tombe  dans  le  Pô  à  quelque  distance 
au-dessus  de  Plaisance  ;  la  Seccliia,  dont  le  con- 
fluent fait  face  à  celui  du  Mincie  ;  le  Panaro,  le 
lieno  qui  passe  à  Bologne.  Ces  deux  derniers  se 
réunissent  au  Pô  près  de  Ferrare,  là  où  le  fleuve 
se  partage  en  plusieurs  branches,  dont  le  cours 
indécis  se  promène  entre  Venise  et  Ravenne. 

De  tous  les  fleuves  qui  débouchent  dans  la  Mé- 
diterranée ou  les  mers  en  dépendant,  le  Pô  est, 
après  le  Danube,  celui  qui  porte  à  la  mer  le  plus  de 
débris.  Chargé  d'alluvions,  il  exhausse  sans  cesse 
son  lit  et  court  au-dessus  de  la  vallée  qu'il  arrose, 
entre  des  digues  qu'on  est  obligé  de  renforcer  et 
de  surélever,  pour  protéger  les  campagnes  envi- 
ronnantes et  les  villes  assises  sur  ses  bords  con- 
tre le  danger  des  inondations.  Malheureusement, 
ces  obstacles  sont  souvent  impuissants  h  conjurer 
le  fléau,  et  le  fleuve  non  seulement  se  crée  de 
nouveaux  passages  en  recouvrant  et  dévastant  des 
campagnes  fertiles,  mais  abandonne  à  l'état  de 
marécages  fiévreux  celles  où  il  coulait  précédem- 
ment. Ses  apports  continuels  forment  dans  la 
mer  un  promontoire  toujours  grandissant  (80  m. 
par  an),  ou  sont  entraînés  par  les  courants  de 
l'Adriatique  pour  former  des  cordons  littoraux  pa- 
rallèles au  rivage,  et  qui  séparent  de  la  pleine  mer  les 
lagunes  de  Venise  et  celles  de  Cumaccliio,  au  nord 
de  Ravenne.  Cette  dernière  ville,  qui  fut  autrefois 
un  port  florissant,  est  aujourd'hui  à  plusieurs  kilo- 
mètres de  l'Adriatique,  moins  loin  toutefois  en- 
core qu'Adrio,  qui  lai  a  donné  son  nom. 

Au  sud  du  Pô,  l'Apennin  central  n'envoie  à  la 
mer  Adriatique  que  des  torrents  courts  et  rapides. 
Nous  avons  déjà  nommé  le  Sangro  ;  plus  loin  coule 
VOfanto,  sur  les  bords  duquel  les  Romains  perdi- 
rent la  bataille  de  Cannes. 

Bassin  de  la  mi-r  Tyrrhénierme.  —  Du  côté  de 
la  mer  Tyrrhénienne,  la  Toscane  verse  VAriio,  le 
fleuve  de  Florence  et  de  Pise,  et  VOmbrone; 
Rome  envoie  le  Tiér/»;  le  golfe  de  Gaéte  reçoit  le 
G'irigliuno  et  le  Vulturne,  au  bord  duquel  est  assise 
Capoue. 

Sans  être  un  fleuve  aussi  considérable  que  le 
Rhône  ou  le  Pô,  le  Tibre  est  sujet  à  de  fortes  crues 


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ijui  ravagent  la  ville  de  Rome  et  ses  environs.  A 
l'ctat  ordinaire,  il  roule  deux  fois  moins  d'eau  que 
la  Seine,  mais  en  revanche  il  ne  descend  jamais 
aussi  bas  que  ce  dernier  cours  d'eau. 

L'ics.  —  lîn  dehors  des  lacs  dont  les  eaux  se 
déversent  dans  le  Pô,  l'Italie  renferme  un  certain 
nombre  de  lacs  assez  étendus,  entre  Rome  et 
l'Ioronco  notamment.  Les  plus  importants  sont 
cru\  de  Péioiise  ou  de  Trasitiiè-ic,  de  Bulséna  et  de 
lin  rriuno. 

liÉGioNS  PHVsiouES.  —  Par  sa  disposition  orogra- 
phiquo,  l'Italie  est  partagée  en  régions  bien  dis- 
tinctes. Le  long  du  golfe  de  Gènes,  les  Apennins 
enferment  un  littoral  étroit:  c'est  la  Liijurie,  pays 
essentiellement  maritime  en  même  temps  qu'il 
jouit  d'un  des  plus  heureux  climats  du  monde, 
grâce  à  son  exposition  méridionale,  et  au  mur  de 
montagnes  qui  l'abrite  du  vent  froid  du  nord. 

Le  bassin  du  Pô  forme  une  deuxième  région 
bien  distincte.  Dans  l'antiquité,  il  n'était  pas  con- 
sidéré connue  faisant  partie  de  l'Italie,  et  s'appelait 
Gaule  Cii'a/pi7ie,  du  nom  des  Gaulois  qui  l'avaient 
peuplé.  C'était  le  Rubicon,  petit  torrent  descendu 
de  l'Apennin  vers  l'Adriatique,  qui  formait  sa  limite 
au  sud.  Dans  cette  région,  le  Pô  forme  la  division 
principale  par  la  largeur  de  son  lit,  et  la  difficulté 
qu'offre  généralement  son  passage.  Dans  le  haut 
de  son  bassin,  le  Piému7it  s'étend  sur  ses  deux 
rives  au  pied  des  montagnes  {d'où  son  nom),  jus 
qu'au  contrefort  des  Apennins  qui  s'abaisse  au 
nord  vers  Plaisance.  Mais  au  delà  du  Tessin,  quand 
le  fleuve  s'est  grossi  de  ce  puissant  affluent,  la 
J.ombarilie  occupe  seulement  la  rive  gauche,  jus 
qu'au  lac  de  Garde  où  commence  la  Venétie.  Le 
pays  situé  sur  la  rive  droite  du  Pô  depuis  le 
Piémont  jusqu'à  l'Adriatique  porte  aujourd'hui  le 
nom  A'Emilie,  d'après  l'ancienne  voie  Emilienne, 
que  suit  à  peu  près  le  chemin  de  fer  entre 
Plaisance  et  Rimini.  C'est  la  route  la  plus  directe 
pour  aller  de  Milan  à  l'extrémité  de  la  péninsule  par 
les  bords  de  l'Adriatique.  De  l'autre  côté  des 
Apennins,  la  Toscane,  anciennement  VElrur  ' 
occupe  les  bassins  de  l'Arno  et  de  l'Ombrone.  Celui 
du  'fibre  se  partage  entre  l'Omhrie  et  le  Lalium 
ou  pays  de  Rome.  A  l'est  de  l'Ombrie,  les  Marches 
occupent  la  région  comprise  entre  l'Apennin  et 
l'Adriatique.  A  l'est  du  Latium,  les  Aliriizzes, 
l'antique  Samnium,  occupent  la  région  la  plus 
élevée  de  la  péninsule.  Quel  contraste  entre  ce 
pays  sévère  et  la  riante  Campayiie  (aujourd'liui 
la  Terre  de  Labour)  qui  lui  confine  au  sud  autour 
de  Naples  !  La  Calabre,  qui  occupe  la  péninsule 
dirigée  vers  la  Sicile,  est  de  nouveau  toute  cou- 
verte de  montagnes,  tandis  que  la  Fouille  (l'an- 
cienne Apulie)  ne  porte  du  côté  du  canal  d'Otrante 
que  des  plages  sablonneuses  dominées  par  les 
grands  plateaux  stériles  des  tavoliere,  que  par- 
courent les  troupeaux  de  brebis.  Entre  la  Pouille 
et  la  Calabre  se  creuse  le  golfe  de  Tarente,  sur  les 
bords  duquel  les  Grecs  fondèrent  autrefois  une 
foule  de  cités  opulentes,  Sybaris,Héraclée,  Tarente 
et  plusieurs  autres.  Aujourd'liui  la  vie  s'en  est  re- 
tirée, et  la  Bnsilicate  est  une  des  régions  les  plus 
arriérées  de  la  péninsule. 

Climat.  —  Par  sa  latitude,  l'Italie  appartient  à 
la  zone  tempérée  par  excellence,  puisqu'elle  est  à 
égale  distancîe  du  pôle  et  de  léquateur.  Les  mers 
qui  baignent  ses  rivages  contribuent  en  outre  à  la 
garantir  des  extrêmes  du  chaud  et  du  froid,  en 
même  temps  que  les  montagnes  créent  une  diver- 
sité d'altitudes  et  d'expositions  propres  aux  pro- 
ductions les  plus  différentes.  Quoique  en  descen- 
dant vers  le  midi  on  se  rapproche  de  plus  en  plus, 
dans  la  Sicile  par  exemple,  du  climat  et  des  pro- 
ductions de  l'Afrique,  les  endroits  bien  abrités  du 
nord  de  l'Italie,  tels  que  les  îles  Borromées,  sur 
le  lac  Majeur,  et  les  bords  du  lac  de  Corne,  voient 


abritée  par  le  rempart  des  Alpes  contre  les  vents 
du  nord,  on  peut  dire  que  l'Italie,  d'un  bout  à 
l'autre,  jouit  d'un  printemps  perpétuel.  Kn  re- 
vanche, la  fièvre  y  sévit  sur  beaucoup  de  points. 
Dans  la  plaine  du  Pô,  couverte  de  rivières  souvent 
inondées,  dans  les  Maremmes  de  Toscane,  qui 
avoisinent  l'embouchure  de  l'Arno  et  de  l'Ombrone, 
dans  les  marais  Pontins,  entre  Rome  et  Gaëte,  au- 
tour de  Ravenne,  le  long  des  côtes  de  Sicile,  sur 
tous  les  points  en  général  où  les  eaux  douces  sont 
arrêtées  dans  leur  écoulement  vers  la  mer,  le  mau- 
vais air  (mùlaria)  exerce  ses  ravages,  et  la  fièvre 
existe  h  l'état  d'épidémie  permanente.  Par  un  con- 
traste dont  on  est  surpris,  les  lagunes  de  Venise 
et  do  Comacchio,  remplies  par  le  flot  salé,  échap- 
pent à  ce  fléau.  Le  voisinage  des  forêts  est  un 
élément  de  salubrité,  et  les  plantations  d'euca- 
lyptus sont  en  ce  moment  poussées  .avec  vigueur 
comme  un  sûr  moyeu  d'assainissement. 

II.  Géographie  agi'icole  et  industrielle.  —  Fer- 
tilité de  l'Italie.  —  L'Italie  est  un  pays  d'agricul- 
ture plutôt  que  d'industrie.  Où  trouver  ailleurs  des 
campagnes  plus  fertiles  que  celles  de  la  vallée  du 
Pô,  qui  depuis  des  milliers  d'années  ne  cesse  de 
produire,  grâce  aux  irrigations  qui  renouvellent  et 
enrichissent  sans  cesse  le  sol  de  tous  les  débris 
arr.ac!iés  aux  montagnes.  Dans  la  plaine,  ce  ne  sont 
que  rizières,  champs  de  blé  ou  de  mais,  prairies 
qui  donnent  jusqu'à  huit  coupes  dans  une  année. 
Tout  autour  des  champs  courent  les  ruisseaux  d'ir- 
rigation à  l'ombre  des  mûriers,  des  érables,  des 
ormeaux  qui  portent,  suspendus  à  leurs  rameaux, 
les  pampres  grimpants  de  la  vigne.  Malgré  les  dé- 
sastres dos  guerres  et  des  inondations,  tant  de 
fois  répétés  depuis  des  milliers  d'années,  le  paysan 
ne  se  lasse  jamais  de  remettre  en  culture  ce  sol 
généreux.  Les  collines  bordant  la  plaine  sont  cou- 
vertes de  vignes  et  de  mûriers,  et  des  champs  pé- 
niblement défrichés  couvrent  les  flancsdes  monta- 
gnes partout  où  le  laboureur  peut  arrêter  un  peu 
de  terre  végétale  le  long  delà  pente  rapide. 

La  Toscane,  cultivée  comme  un  jardin,  la  Roma- 
gne  sur  le  versant  opposé  des  Apennins,  ne  sont 
pas  moins  fertiles.  Et  que  dire  de  la  Campanie, 
dont  le  sol,  formé  de  cendres  volcaniques,  tire  sa 
fertilité  du  soleil  qui  l'échauffé  et  du  voisinage 
des  volcans  qui  l'ont  tant  de  fois  bouleversé'?  De 
même,  sur  les  pentes  de  l'Etna,  un  vieux  châtai- 
gnier peut  abriter  jusqu'à  cent  cavaliers  sous  son 
ombrage.  La  Sicile  fut  autrefois  le  grenier  de 
Romo.  Mais  les  ravages  causés  par  les  guerres,  qui 
ont  tant  de  fois  désolé  cette  île,  et  les  déboisements 
qui  en  ont  rendu  le  climat  plus  sec,  ont  singuliè- 
rement diminué  cette  prospérité. 

Irviç/ations.  —  Les  irrigations,  si  indispensables 
sous  le  soleil  de  l'Italie,  y  sont  parfaitement  en- 
tendues. Parmi  les  canaux  créés  dans  ce  but,  on 
doit  citer  le  canal  Cavour,  de  construction  récente, 
qui,  dérivé  du  Pô  à  Chivasso,  arrose  les  cam- 
pagnes de  Verceil  et  de  Novare  et  la  Lomelline, 
entre  la  Sésia  et  le  Tessin.  Les  canaux  qui  entou- 
rent Milan,  ceux  du  val  de  Chiana,  en  Toscane, 
des  environs  de  Fcrrare  et  de  Rovigo  vers  les  bou- 
ches du  Pô,  ne  sont  pas  moins  remarquables. 

Pboductions  1-rincipales. —  Céréales,  léguines,etc. 
—  La  principale  culture  alimentaire  est  celle  du  blé, 
dont  on  évaluait  récemment  la  production  à  50 
millions  d'hectolitres.  C'est  la  moitié  de  la  récolte 
de  la  France,  et  cette  quantité  ne  saurait  suffire  à 
nourrir  une  population  qui  est  les  .3/4  de  celle  de 
notre  pays.  Le  mais  fournit  30  millions  d'hecto- 
litres, et  sa  farine  bouillie,  consommée  sous  le 
nom  de  polejitn,  forme  la  principale  nourriture 
d'une  grande  partie  des  paysans.  Le  riz,  dont  on 
récolte  il  millions  d'hectolitres,  est  exporté  en  assez 
grande  quantité.  A  ces  ressources  s'ajoutent  celles 
des  céréales  de  second  ordre,  seigle,  orge,  avoine. 


mûrir  les  orangers  à  la  latitude  de   Lyon.   Bien  |  cultivées  surtout  dans  les  montagnes,  les  légumes 


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secs,  les  cliàtaignes.  C'est  dans  le  Piémont  et  sur 
les  Apennins  qu'on  trouve  le  plus  grand  nombre 
de  châtaigniers.  L'Italie  produit  aussi,  grâce  à  son 
climat,  beaucoup  de  primeurs,  des  oranges,  des 
citrons,  des  amandes,  qui  viennent  surtout  de  la 
Sicile  et  du  pays  napolitain. 

Trûtipeaux.  —  Le  Piémont,  la  Lombardie,  l'E- 
milie possèdent  des  troupeaux  de  bœufs  et  de 
vaches.  Ce  sont  celles-ci  qui  fournissent  le  beurre 
du  Milanais,  le  fromage  parmesan  et  le  sfracchino. 
Dans  les  pays  marécageux  de  la  Toscane  et  des 
anciens  États  pontificaux,  le  bœuf  fait  place  au 
buffle.  Les  Apennins  méridionaux  et  la  Pouille 
nourrissent  de  nombreux  troupeaux  de  moutons 
et  de  porcs,  dont  le  nombre  ne  saurait  être  mis 
en  parallèle  néanmoins  avec  ceux  de  la  France 
ou  de  l'Allemagne.  La  Calabre  élève  de  petits 
chevaux  de  race  arabe ,  remarquables  par  leur 
énergie;  mais  c'est  dans  la  Vénétie  qu'on  trouve 
les  chevaux  les  plus  forts. 

Huiles  et  vhi^-.  —  Les  huiles  d'olives  et  les  vins 
constituentune  des  grandes  ressources  de  l'Italie.La 
vigne  et  l'olivier  réussissent  d'un  bout  à  l'autre  de 
la  péninsule,  sauf  sur  les  terres  trop  élevées,  et 
l'on  récolte  .3  millions  d'hectolitres  d'huiles,  en 
grande  partie  exportées  au  dehors,  et  neuf  ou  dix 
fois  autant  de  vins.  Les  huiles  les  plus  estimées 
sont  celles  de  Toscane;  les  vins  les  plus  célèbres 
sont  les  vins  liquoreux  de  Sicile,  le  Marsala,  le 
Syracuse,  qui  sont  surtout  expédiés  en  Angleterre, 
en  France  ou  en  Allemagne;  puis  les  vins  de 
l'Emilie,  ceux  du  Monferrat,  de  la  Toscane,  ou  des 
environs  de  Naples,  où  ils  puisent  sur  les  cendres 
volcaniques  un  goût  de  terroir  tout  particulier. 

Cultures  industrielles.  —  En  fait  de  cultures 
industrielles,  le  chanvre  et  le  lin  occupent  le  pre- 
mier rang.  Le  premier  ne  couvre  pas  moins  de 
133  000  hectares,  dans  la  partie  méridionale  du 
versant  méditerranéen,  et  surtout  dans  l'Emilie, 
qui,  à  elle  seule,  fournit  plus  de  la  moitié  de 
la  production  totale,  500  000  quintaux.  Lo  lin 
couvre  SO  000  hectares,  et  ne  donne  que  le  quart 
de  la  production  du  chanvre.  C'est  surtout  la  Lom- 
bardie qui  le  produit. 

Quant  au  coton,  que  la  Sicile  et  le  midi  du 
royaume  de  Naples  sont  aptes  à  produire,  la  cul- 
ture en  est  en  décroissance  depuis  que  l'.iméri- 
que  a  recommencé  à  en  fournir  les  manufactures 
européennes. 

Soie.  —  L'Italie  est  au  contraire  un  grand  pays 
producteur  de  soie.  Dans  certaines  années  elle 
aurait  même  dépassé  la  Chine  sous  ce  rapport.  In- 
dépendamment de  ce  que  le  pays  consomme  dans 
ses  fabriques  de  soieries,  il  exporte  en  une  seule 
année  jusqu'à  3  600  000  kilogr.  de  soies  grèges  ou 
filées. 

liichesses  minérales.  —  L'île  d'Elbe  contient  une 
masse  énorme  de  minerai  de  fer  d'excellente  qua- 
lité. On  en  exporte  annuellement  200  000  tonnes 
de  là  ou  de  l'île  do  Sardaigne.  Cette  dernière  pos- 
sède les  riches  mines  de  zinc  de  Mntfidano,  de  dé- 
couverte récente,  et  des  gîics  de  plomb  dont 
Texploitation  remonte  sans  doute  aux  Phéniciens. 
On  troui/e  en  outre  du  cuivre  en  Vénétie. 

La  Toscane  possède  une  richesse  toute  spéciale, 
les  soffioni,  qui  laissent  dégager  l'acide  borique. 
La  Sicile  approvisionne  l'Europe  entière  de  soufre 
dont  on  envoie  raffiner  une  grande  partie  à  Mar- 
seille. Les  îles  d'origine  volcinique  sont  riches  en 
produits  chimiques,  qu'on  recueille  sur  place  dans 
les  Lipari.  C'est  aussi  de  là  que  viennent  toutes 
les  pierres  ponces  demandées  par  le  commerce. 
Comme  la  Grèce,  l'Italie  est  riche  en  beaux  mar- 
bres. Le  plus  recherché  par  les  sculpteurs  est 
celui  de  Carrare,  sur  le  versant  sud  des  Apennins, 
entre  la  Toscane  et  la  Ligurie.  Puis  viennent  les 
marbres  de  Gènes  et  des  Alpes.  Près  du  lac  Ma- 
jeur, le  granit  est  assez  commun  pour  qu'on  sus- 


pende les  fils  télégraphiques  à  des  piliers  de  cette 
pierre  plutôt  qu'à  des  poteaux  de  bois  ou  de  fer. 
C'est  à  l'abondance  et  à  la  richesse  des  matériaux 
de  construction  qu'on  doit  en  partie  la  splendeur 
des  églises  et  des  palais  de  Milan,  de  Gènes,  bâtis 
tout  en  marbre.  La  ville  do  Pouzzoles,  près  de 
Naples,  a  donné  son  nom  à  la  pouzzolane,  terre 
d'origine  volcanique,  qui  forme  un  excellent  ci- 
ment. 

Industrie.  —  L'industrie  proprement  dite  est 
peu  développée  en  Italie  à  cause  de  l'absence  de  la 
houille  et  de  la  rareté  des  capitaux.  Pour  cette 
double  raison,  l'établissement  d'une  filature  de 
coton,  par  exemple,  coûterait  moitié  plus  en  Ita- 
lie qu'elle  ne  coûte  en  Angleterre,  et  les  frais 
de  fabrication  seraient  plus  considérables.  C'est 
dans  le  nord  de  l'Italie,  sur  les  rivières  descendant 
des  montagnes,  et  fournissant  la  force  motrice  à 
bon  marché,  que  se  concenlrent  surtout  les  usines. 
Textiles.  —  La  filature  du  coton  occupe  à  elle 
seule  plus  de  50  000  ouvriers  dans  la  Lombardie 
autour  de  Milan,  et  près  de  Gênes.  Le  tissage  se 
fait  généralement  dans  les  campagnes  de  Toscane, 
ou  dans  le  royaume  de  Naples,  et  occupe  60000 
personnes.  Lecco,  Bergame,  Brescia,  Milan,  Gênes, 
Bologne  fabriquent  aussi  les  toiles  de  chanvre  ou 
de  lin,  dont  la  filature  se  fait  surtout  à  la  main, 
ainsi  du  reste  qu'une  partie  du  tissage. 

Côme,  Lecco  et  les  cités  voisines  ont  encore  la 
spécialité  do  la  fabrication  des  soieries;  Gênes, 
celle  des  velours. 

Quant  aux  draps,  ils  se  fabriquent  surtout  dans 
le  Piémont,  en  Toscane,  et  près  de  Naples.  L'Italie 
ne  trouve  pas  du  reste  dans  ses  troupeaux  une 
quantité  de  laine  suffisante  ;  elle  en  importe  de  la 
Plata,  et  beaucoup  de  draps  ou  de  tissus,  d'Angle- 
terre ou  d'jillemagne. 

Industries  diverses.  —  L'Italie  a  donné  son  nom 
aux  pâtes  alimentaires,  faites  avec  la  farine  des 
blés  durs.  Entre  Gènes  et  Savone,  on  trouve  une 
centaine  de  fabriques  de  vermicelle,  et  qui  n'a  en- 
tendu vanter  le  fameux  macaroni  de  Naples,  les 
délices  du  lazzarone? 

C'est  aussi  en  Italie,  et  surtout  en  Toscane, 
qu'on  tresse  les  plus  belles  pailles  pour  la  cha- 
pellerie. A  elle  seule  cette  industrie  exporte  pour 
30  millions  de  produits. 

Venise  n'a  plus,  comme  autrefois,  le  monopolede 
la  fabrication  des  cristaux,  mais  elle  produit  encore 
beaucoup  de  ces  verroteries  de  couleur,  qu'on  porte 
comme  objets  d'échange  en  Afrique,  en  Chine  ou 
aux  colonies,  et  en  même  temps  des  cristaux  de  luxe. 
C'est  aussi  en  Italie  qu'on  a  inventé  la  fabrication 
de  la  faïence,  à  laquelle  Faenza  a  donné  son  nom. 
Aujourd'hui,  cette  industrie  a  passé  dans  d'autres 
pays.  Toutefois  Florence  et  Milan  produisent  en- 
core de  la  céramique.  Florence  fabrique  aussi  des 
camées,  des  mosaïques  et  une  foule  d'objets  de 
luxe  rentrant  dans  l'aptitude  artistique  des  Italiens. 
Les  bijoux  de  corail  de  Naples,  l'or  filigrane  de  Ve- 
nise ou  do  Gènes,  appartiennent  au  même  genre 
de  produits.  Les  terres  cuites  de  Naples  se  rap- 
prochent de  la  statuaire,  pour  laquelle  les  Italiens 
ont  tant  d'aptitude.  Milan  est  renommée  pour  sa 
carrosserie,  Brescia  pour  ses  armes.  C'est  en  Lom- 
bardie que  se  trouvent  le  petit  nombre  de  forges 
italiennes.  Grâce  à  la  qualité  des  minerais,  elles 
produisent  d'excellentes  fontes.  On  ne  trouve  d'a- 
teliers de  construction  qu'autour  des  grandes  villes 
comme  Naples  ou  Gênes. 

Milan  et  Turin  fabriquent  des  produits  chimi- 
ques; et  l'on  trouve  sur  divers  points  de  nom- 
breuses papeteries,  favorisées  par  la  force  motrice 
des  cours  d'eau  et  l'abondance  du  chanvre  et  autres 
matières  premières. 

Savone  a  donné  son  nom  aux  savons,  mais  cotte 
industrie  n'y  a  plus  guère  d'importance. 
L'Italie  a  des  côtes  fort  étendues  par  rapport  à 


ITALIE 


I0G9 


ITALIE 


sa  superlicio;  aussi  sa  marine  a-t-elle  pris,  depuis 
l'unification  du  pays,  un  grand  développement. 
Les  cliantiers  de  construction  maritime  ont  une 
grande  activité  sur  le  littoral  de  Gènes  et  aux  envi- 
rons de  Naples.  On  se  livre  aussi  à  une  pêche  ac- 
tive sur  les  rivages.  Le  thon,  la  sépia,  le  corail 
sont  les  principaux  produits  de  cette  industrie  dans 
la  mer  Tyrriiénienne,  et  sur  les  eûtes  de  Sicile  et 
de  Sardaigne.  Du  coté  de  l'Adriatique,  les  lagunes 
de  Comacchio  constituent  de  véritables  réservoirs 
pour  retenir  et  élever  le  poisson. 

CoMMEiicii.  —  De  1862  à  187C,  le  commerce  ex- 
térieur de  l'Italie  a  passé  de  1500  millions  à 
3700  millions;  les  exportations  notamment  ont 
doublé  dans  cet  intervalle.  C'est  avec  la  l'rance, 
l'Angleterre,  l'Autriche  que  se  font  le  plus  de  tran- 
sactions. 

Flotta.  —  La  flotte  de  commerce  comprend  3500 
navires  ou  barques,  dont  le  tonnage,  un  peu  supé- 
rieur à  celui  de  la  marine  fraiiiçaise,  s'élève  à  près 
de  1  200  000  tonneaux. 

Ports  principaux.  —  Les  principaux  ports  de 
commerce  sont,  en  première  ligne.  Gènes,  qui  dis- 
pute h  Marseille  le  commerce  de  la  Suisse  et  de 
l'Allemagne  occidentale  sur  la  Méditerranée.  La 
Spezzia  est  le  grand  arsenal  militaire  du  royaume, 
grâce  à  sa  situation  naturellement  très  forte.  Li- 
vourne  a  pris  la  place  qu'occupait  l'ise  au  moyen 
âge,  lorsque  l'état  de  l'Arno  et  la  taille  des  navires 
lui  permettaient  d'être,  un  port.  Ciuittu-Veccliia  a 
de  même  remplacé  pour  Rome  le  port  d'Ostie  en- 
vahi par  les  envasements  du  Tibre.  A'a/jte  et  Mes- 
sine se  disputent  aujourd'hui  le  premier  rang  après 
Gênes.  Le  dernier  est  une  étape  importante  sur  la 
route  de  Marseille  à  Alexandrie,  au  canal  de  Suez 
et  danstout  le  Levant.  Paterme est  un  autre  grand 
port;  les  produits  de  la  Sicile  peuvent  du  reste  être 
embarqués  sur  une  foule  de  points  différents,  rap- 
pelant de  bien  loin  les  anciennes  cités  si  prospères 
de  l'antiquité;  Cotane,  Syiacuse,  Port  Empéiloctf 
près  de  Girgenti  (l'ancienne  Agrigente),  Trapani 
sont  les  principaux  de  ees  ports. 

Du  côté  de  l'Adriatique,  Venise  occupe  le  pre- 
mier rang.  Elle  a  perdu  la  prépondérance  dont  elle 
jouissait  au  moyen  âge  lorsque  sa  flotte  ét.it  maî- 
tresse de  la  Méditerranée,  et  sa  diplomatie  la  plus 
écoutée  dans  les  conseils  de  l'Europe.  Trieste  lui  a 
enlevé  le  commerce  de  l'Autriche;  mais  le  viaduc 
qui  la  réunit  par  une  voie  ferrée  à  la  terre  ferme  lui 
ouvre  de  nombreux  débouchés  en  Lombardie,  dans 
le  Tyrol  et  l'Allemagne  occidentale  par  le  Brenner. 
A/icône  jouit  de  l'avantage  d'un  col  de  montagne 
qui  la  met  en  communication  relativement  facile 
avec  le  versant  occidental  des  Apennins,  l'Ombrie, 
la  Toscane  et  le  Latium.  Plus  au  midi,  Brindisi  est 
le  port  avancé  de  l'Europe  vers  l'Orient,  tant  que 
les  chemins  de  fer  ne  traversent  pas  la  Turquie  et 
ne  mettent  pas  Constantinople  ou  Salonique  en 
communication  du-ecte  et  ininterrompue  avec  l'Eu- 
rope occidentale. 

C/iennns  de  fer. — Les  chemins  de  fer  sont  moins 
nombreux  en  Italie  qu'en  France.  Le  réseau  n'y 
est  guère  que  le  tiers  de  celui  de  notre  pays.  C'est 
dans  le  bassin  du  Pô  que  les  mailles  en  sont  le 
plus  serrées.  Par  le  Mont  Cenis,  le  Piémont  est 
relié  âla  France;  la  Lombardie  le  sera  bientôt  à  la 
Suisse  par  le  Saint-Gothard.  Le  Brenner,  le  pre- 
mier passage  des  Alpes  franchi  par  une  voie  ferrée, 
rattache  la  Vénétie  au  Tyrol.  Parmi  les  voies  de 
la  péninsule  méridionale,  la  principale  à,  signaler 
est  celle  qui  suit  l'Adriatique  depûîs  Rimini  jus- 
qu'à Otrante, en  continuant  ainsi  h  ligne  qui  borde 
la  voie  Emilienne  et  réunit  Plaisance,.  Parme,  Mû- 
dène,  Bologne,  tj'est  actuellement  une  des  grandes 
voies  du  trafic  international.  Sur  le  versant  opposé, 
le  t;olfe  de  Gênes  est  bordé  par  une  voie  littorale 
qui  se  continue  au  sud  jusqu'à  Civitta-Vecchia,  et 
relie  ensuite  Rome  et  Naples,  comme  au  nord  elle 


rattache  Gênes  \s.  Marseille.  La  ligne  qui  re'ie  Bo- 
logne â  Florence  à  travers  les  Apennins  est  la 
grande  artère  intérieure  de  l'Italie,  rattachant  en- 
semble Milan,  'Venise,  Florence,  Rome  et  Naples. 
Bologne  est  par  suite  le  grand  centre  de  jonction 
des  voies  ferrées  de  la  péninsule. 
III.  Géographie  historique.  —  L'Italie  ancienne. 

—  Les  plus  anciennes  populations  de  l'Italie  fu- 
rent les  Ligures,  dont  le  nom  est  resté  il  la  côte 
de  Gênes;  les  Etrusques,  qui  avaient  atteint  un  état 
de  civilisation  très  avancé  avant  la  fondation  de 
Rome  (75:i  ans  avant  J.-C);  les  Grecs,  qui  étaient 
venus  fonder  dans  l'Italie  méridionale  une  foule  de 
colonies  riches  et  prospères,  auxquelles  se  mêlèrent 
quelques  établissements  dus  aux  Phéniciens,  les 
premiers  navigateurs  do  la  Méditerranée.  Au  nord 
enfin  habitaient  des  Celtes,  frères  des  Gaulois. 

Nous  renvoyons  â  l'article  Rome  tous  les  détails 
concernant  le  développement  successif  de  la  puis- 
sance romaine,  qui  soumit  une  grande  partie  du 
monde  connu  il  cette  époque  avant  de  s'écrouler 
sous  les  invasions  barbares. 

Uiiirasion  des  barbares.  —  Les  Hérules  et  les 
Ostrogoths  fondèrent  successivement  en  Italie 
des  monarchies  éphémères.  Les  Lombards,  arri- 
vant à  leur  tour,  se  partagèrent  l'Italie  avec  les 
empereurs  grecs  do  Constantinople,  Ceux-ci  se  fi- 
rent représenter  en  Italie  par  un  exarque  résidant 
à  Ravenne,  sur  le  côté  des  Apennins  qui  regarde 
l'Orient.  Les  Lombards  avaient  pour  eux  le  pays 
qui  porte  encore  aujourd'hui  leur  nom,  la  Toscane, 
et  le  duché  de  Bénévent  dans  le  sud  de  la  pénin- 
sule. A  Rome,  qui  appartenait  aux  empereurs  grecs, 
le  pape  devint  bientôt  indépendant  et  réclama  l'ap- 
pui des  Francs  contre  les  Lombards. 

Cliarlemague,  le  patrimoine  de  Saint-Pierre.  — 
Charlemagne,  vainqueur  de  ceux-ci,  ne  leur  laissa 
que  Bénévent.  Il  forma  au  nord  le  royaume  d'Italie, 
qu'il  réunit  à  son  empire,  et  au  centre  le  patri- 
moine de  Saint-Pierre  attribué  au  pape,  mais  placé 
sous  l'autorité  impériale.  Ce  patrimoine  compro- 
naiiToxarchat  de  Ravenne,  que  les  Lombards  avaient 
enlevé  aux  Grecs  et  que  Charlemagne  leur  reprit, 
ainsi  que  la  Pentapole  l'Rimini,  Pesaro,  Fano,  Si- 
nigaglia,  Ancône),  et  l'ancien  dvichc  de  Rome. 

Les  rèpublii/ucs  italiennes.  —  Au  moyen  âge,  les 
villes  maritimes  se  constituent  en  républiques  :  Gê- 
nes, Venise,  Pise,  Naples,  Amalfi,  et  surtout  les  trois 
premières  atteignent  un  haut  degré  de  richesse  et 
de  prospérité.  Le  commerce  de  la  .Méditerranée  est 
entre  leurs  mains.  Au  nord  d'autres  républiques  : 
Milan,  Pavie,  Crémone,  Modènc,  Padoue,  Plaisance, 
Ferrare,  vivent  pendant  plusieurs  siècles  d'une 
evisience  indépendante.  Au  centre,  les  États  de 
l'Eglise  s'agrandissent  par  la  donation  de  la  grande 
comtesse  Mathilde,  et  les  cités  de  Florence,  Luc- 
ques.  Sienne  deviennent  de  riches  républiques 
marchandes. 

L'Ilalie   méridionale.  Les   Français    en    Italie. 

—  Au  midi  s'établissent  les  Normands,  qui  fon- 
dent le  royaume  des  Deux-Siciles.  Tandis  que  ce- 
lui-ci passe  successivement  dans  la  maison  fran- 
çaise d'Anjou,  puis  dans  la  maison  d'Aragon,  pour 
rester  déflnitivuinont  au  pouvoir  de  l'Espagne,  la 
Toscane  devenait  le  domaine  des  Médicis  qui  y 
firent  fleurir  les  beaux-arts.  Les  Visconli,  puis  les 
Sforza  rognaient  il  Milan,  que  se  disputèrent  bien- 
tôt la  France  et  l'Espagne  ;  les  Gonzague  à  Man- 
toue,  la  maison  d'Esté  il  Ferrare  ;  Venise  était  de- 
venue puissance  de  terre  ferme;  le  duc  de  Savoie 
jetait  les  fondements  de  cette  dynastie  qui  devait 
arriver  à  posséder  toute  la  péninsule. 

L'Italie  moderne.  —  L'Espagne,  l'ayant  emporté 
sur  les  Français,  resta  maltresse  du  Milanais  et  des 
Deux-Sicilos  jusqu'au  dix-huitième  siècle  Ce  fut 
alors  r.Xutriciie  (|ui  devint  souveraine  du  Milanais, 
tandis  que  les  Bourbons  d'Espagne  s'établissaient 
à  Parme  et  à.  Naples.  Dans  le  cours  du  même  sicch 


ITALIE 


—  1070  — 


ITALIE 


la  Toscane  passa  entre  les  mains  de  la  maison  de  Lor- 
raine, qui  occupa  bientôt  le  trône  impérial  d'Autri- 
che. Pendant  les  guerres  de  la  république  et  de 
l'empire,  les  Français  s'emparèrent  de  toute  l'Italie, 
sauf  de  la  Sicile,  où  les  Bourbons  maintinrent  leur 
souveraineté  ;  on  y  forma  successivement  les  répu- 
bliques cisalpine  à  Milan,  ligurienne  à  Gênes,  par- 
thénopéenne  à  Naples,  qui  n'eurent  qu'une  durée 
éphémère.  Bientôt  les  départements  français  s'é- 
tendirent jusqu'il  Rome,  et  le  royaume  d'Italie, 
formé  do  la  Lombardie,  de  la  Vénétie,  d'une  par- 
tie de  l'Emilie,  et  des  Marches,  était  une  dépen- 
dance directe  de  l'empire.  Le  royaume  de  Naples, 
au  midi,  était  l'apanage  d'un  frère  ou  d'un  beau- 
frère  de  Napoléon. 

L'Italie  de  1815  à  18G0.  —  Le  congrès  de  Vienne, 
6(1  1S15,  introduisit  un  nouvel  ordre  de  choses.  Il 
donna  au  roi  de  Sardaigne,  possesseur  de  la  Savoie, 
du  Piémont,  du  comté  de  Nice,  l'ancien  État  de 
Gênes  ;  le  royaume  lombard-véjiitien  à  l'Autriche, 
les  duchés  de  Parme,  de  Modène,  de  Lucques,  la 
Toscane  h  des  princes  de  Bourbon  ou  de  la  maison 
d'Autriche.  Le  pape"'fut  réintégré  dans  ses  États  ; 
le  roi  de  Naples  recouvra  tout  son  royaume.  En 
1847,  Lucques  fut  réuni  à  la  Toscane. 

L'Italie  contemporaine.  —  En  1859,  l'alliance  de 
la  France  permit  au  roi  de  Sardaigne  de  lutter 
victorieusement  contre  l'Autriche.  Abandonnant  à 
la  France  la  Savoie  et  une  partie  du  comté  de  Nice, 
il  réunit  à  ses  États  la  Lombardie  conquise  par  les 
armées  alliées.  En  même  temps  les  princes  étaient 
chassés  de  Parme,  de  Modène  et  de  Florence,  et 
l'Emilie  et  les  Marches  se  donnaient  Ji  Victor-Em- 
manuel. L'année  suivante,  la  Sicile  et  le  royaume 
de  Naples  étaient  conquises  par  Garibaldi,  et  le 
roi  de  Sardaigne  réunissait  sous  son  sceptre,  en 
prenant  le  titre  de  roi  d'Italie,  la  péninsule  tout 
entière,  sauf  la  Vénétie  restée  entre  les  mains  des 
Autrichiens,  et  la  partie  occidentale  des  États  de 
l'Eglise  laissée  au  souverain  pontife.  En  ISlin,  une 
nouvelle  alliance,  conclue  avec  la  Prusse  contre 
l'Autriche,  permit  aussi  à  l'Italie  de  s'annexer  la 
Vénétie,  et  pendant  la  malheureuse  guerre  de  1870, 
ses  troupes  entrèrent  à  Rome  qu'avait  jusqu'alors 
protégée  l'empereur  Napoléon  ill.  Le  pape  conti- 
nue à  résider  dans  la  ville  éternelle,  où  on  lui  a 
laissé  le  palais  du  Vatican  et  tous  les  attributs  de 
la  souveraineté;  mais  il  n'a  plus  aucun  territoire  il 
gouverner.  Les  souverains  étrangers  entretiennent 
auprès  de  lui  des  ambassadeurs  spéciaux,  de  même 
qu'il  leur  envoie  de  son  côté  des  nonces.  Le  roi 
d'Italie,  dont  la  capitale  a  été  Turin  jusqu'en  ISfiB, 
puis  Florence  jusqu'en  1870,  réside  maintenant  à 
Rome  où  sont  réunis  le  parlement,  les  ministères  et 
tous  les  organes  du  gouvernement  central. 

IV.  Gouvernement,  divisions  administratives. 
—  Le  nouveau  royaume  est  soumis  au  régime 
de  la  monarchie  constitutionnelle  et  parlemen- 
taire, ainsi  que  le  règle  la  constitution  ou  sta- 
tut accordé  aux  Etats  Sardes  en  1848.  Il  est  di- 
visé en  C9  provinces,  savoir  4  dans  le  Piémont  : 
Alexandrie,  Coni,  Novare  et  Turin  ;  2  dans  la  Li- 
gurie  :  Gènes  et  Port-Maurice  ;  8  dans  la  Lombar- 
die :  Bergame,  Brescia,  Côme,  Crémone,  Mantoue, 
Milan,  Pavie  et  Sondrio  ;  8  dans  la  Vénétie  :  Bel- 
lune,  Padoue,  Rovigo,  Trévise,  Udine,  Venise, 
Vérone  et  Vicence  ;  8  dans  l'Emilie:  Bologne,  Fer- 
rare,  Forli,  Modène,  Parme,  Plaisance,  Ravenne 
et  Reggio.  L'Ombrie  forme  la  province  de  Pérouse; 
les  Marches,  les  4  provinces  d'Ancône,  Ascoli  et 
Piceno,  Macerata,  Urbin  et  Pesaro.  La  Toscane 
comprends  provinces  :  Arezzo,  Florence,  Grosscto, 
Livourne,  Lucques,  Massa  et  Carrare,  Pise,  et 
Sienne.  Les  environs  de  Rome  forment  la  province 
de  Rome  ;  les  Abruzzes,  4  provinces  :  Aquila,  Cam- 
pobasso,  Chieti  et  Teramo.  LaCampanie  comprend 
5  provinces  :  Avellino,  Bénévent.  Caserte,  Naples 
et  Salerne  ;  la  Pouillo  3  :  Bari,   Foggia  et  Lecco  ; 


la  Basilicate  forme  la  province  de  Potenza  ;  la  Ca" 
labre  en  comprend  3  :  Catanzaro,  Cosenza  et  Reg' 
gio;  la  Sicile  7  :  Caltanisetta,  Catano,  Girgenti, 
Messine,  Palerme,  Syracuse  et  Trapani;  l'île  de 
Sardaigne,  2  :  Cagliari  et  Sassari. 

L'Italie,  qui  ne  renfermait,  il  y  a  un  siècle,  que 
15  millions  d'habitants,  en  compte  aujourd'hui  28 
millions. 

C'est  la  Ligurie,  avec  164  habitants  par  k.  c, 
qui  offre  la  population  la  plus  dense.  Viennent 
ensuite  la  Campanie  avec  158,  et  la  Lombardie 
avec  153  habitants.  La  Vénétie,  l'Emilie  et  le  Pié- 
mont dépassent  encore  la  moyenne  de  tout  le 
royaume.  Les  parties  les  moins  peuplées  sont,  au 
contraire,  l'Ile  de  Sardaigne  avec  27  habitants,  et 
la  Basilicate  avec  49. 

L'unité  de  l'Italie  s'est  faite  par  les  Italiens  du 
nord,  plus  éclairés,  plus  laborieux  que  ceux  du 
sud,  encore  ignorants,  superstitieux,  dépourvus  de 
besoins  et  paresseux.  L'accord  moral  est  encore 
loin  d  être  établi  entre  les  deux  parties  de  la  pé- 
ninsule, également  jalouses  de  leur  indépendance 
et  remplies  d'attachement  pour  leurs  anciennes 
mœurs.  Si  peu  à  peu  les  lumières  de  l'instruction 
et  un  état  de  civilisation  plus  avancé  pénètrent 
au  midi,  le  fléau  dii  brigandage  y  sévit  encore, 
notamment  en  Sicile  où,  par  moments,  il  exerce  une 
véritable  terreur.  Pour  soutenir  les  guerres  au 
moyen  desquelles  elle  a  acquis  son  indépendance, 
pour  développer  les  travaux  publics,  l'Italie  a  dû 
dépenser  des  sommes  énormes  qui  ont  endetté 
l'Etat  tout  en  le  chargeant  d'impôts  très  durs,  dont 
plusieurs,  tels  que  l'impôt  sur  la  mouture,  ont  un 
caractère  particulièrement  vexatoire. 

Grandes  villes.  —  Les  grandes  villes  sont  plus 
nombreuses  en  Italie  que  dans  notre  pays,  et  sur- 
tout plus  riches  en  souvenirs  historiques,  et  en 
monuments  ou  collections  antiques.  C'est,  avec  la 
beauté  du  climat  et  les  curiosités  pittoresques  du 
pays,  ce  qui  y  attire  et  cliarme  tant  les  voyageurs. 
Tur  i7i,  la  première  capitale  du  nouveau  royaume, 
après  avoir  été  celle  des  rois  de  Sardaigne,  ren- 
ferme plus  de  200  O'IO  habitants  :  les  routes  qui  y 
aboutissent,  en  venant  du  Mont  Cenis  ou  du  Mont 
Genèvre,  suivent  les  vallées  dites  Vaudoises  (des 
protestants  qui  les  habitent  en  partie),  et  passent 
par  Suse  et  Pignerol,  fameuses  dans  l'histoire  des 
guerres,  comme  Saluces,  qui  est  plus  au  sud  et 
près  du  Pô.  Sur  la  route  de  Turin  à  Savone  sont 
Mondovi,  MiUesimo,  Muntenotte,  Dego,  témoins  des 
premières  victoires  de  Bonaparte  en  Italie. 

Alexandrie,  la  seconde  ville  du  Piémont  par  sa 
population  (61!  OUO  hab.),  en  est  la  principale  for- 
teresse et  occupe  le  centre  du  triangle  Turin- 
Gênes-Milan.  C'est  presque  sous  les  murs  d'A- 
lexandrie que  s'est  livrée  la  bataille  de  Marengo, 
et  c'est  sur  la  route  d'Alexandrie  à  Plaisance  qu'ont 
été  gagnées  celles  de  Moittebello. 

Pavi-!  (2o,000  hab.),  au  confluent  du  Pô  et  du 
Tessin,  nous  rappelle  la  triste  défaite  de  François 
I".  C'est  aujourd'hui  une  ville  universitaire.  Plus 
haut,  sur  la  même  rivière,  sont  les  ponts  de  Tur- 
bigo  et  de  Buffalora  qui  conduisent  à  Magenta, 
entre  Novare  et  Milan.  C'est  à  Norare  que  Char- 
les-Albert fut  vaincu  en  1849  par  les  Autrichiens. 
Sa  défaite  retarda  de  dix  ans  l'unité  de  l'Italie. 

Avec  ses  faubourgs.  Milan  renferme  près  de 
300  0011  habitants.  Sa  population,  son  activité,  son 
industrie,  ses  palais,  sa  cathédrale  de  marbre,  son 
théâtre  de  la  Scala,  en  font  une  des  plus  belles 
villes  de  l'Italie.  Au  nord  de  Milan,  Monza  (25  OoO 
hab.)  garde  la  couronne  de  fer  des  anciens  rois 
lombards.  Cùine  (25  000  hab.),  Brgame  (40  000 
hab.),  Brescia  (40  Ono  hab.),  se  distinguent  par 
leur  industrie.  Entre  Milan  et  Crémone,  voici 
Melegnano,  l'ancien  Mariynan,  et  sur  les  bords  de 
rAdda,Z,orfi,  théâtre  d'une  autre  victoire  des  Fran- 
çais. 


ITALIE 


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ITALIE 


Pliiisance  (35  000  liab.)  garde  le  passage  du  Pô 
au  pied  des  contreforts  des  Apennins.  En  avançant 
à  l'est,  on  trouve  entre  le  Mincio  et  l'Adigo  le  fa- 
meux ([uadrilatère,  sur  lequel  les  Autrichiens 
appuyaient  la  défense  de  leurs  possessions  ita- 
liennes :  Pcscliiei-a  sur  le  lac  de  Garde,  Muntoue, 
sur  le  Mincio,  Vérone  (70  000  hab.),  et  Lcgmi/o, 
sur  l'Adige. 

C'est  il  l'ouest  du  Mincio  qu'ont  été  livrées  les 
batailles  de  Castiylione  et  de  Solférino;  c'est  entre 
le  lac  de  Garde  et  Vérone  qu'a  été  remportée 
la  victoire  de  Rivoli.  Arcote  est  sur  la  rive  gauche 
de  l'Adige,  entre  Vérone  et  Legnago.  Que  de  sang 
répandu  sur  ce  petit  coin  de  terre  I  Par  leurs  mo- 
numents, Vérone,  Padoue  (CC  OuO  hab.),  la  ville 
universitaire,  servent  d'introduction  à  la  magni- 
fique Venise  (VM)  OOU  hab.),  si  riche  en  œuvres 
d'art  merveilleuses,  palais,  églises,  musées. 

Dans  l'Emilie,  Ferrure  est  célèbre  par  le  séjour 
du  Tasse,  Raveime,  par  la  victoire  et  la  mort  de 
Gaston  de  Foix,  Parme  (45  000  hab.)  par  les  œu- 
vres du  Corrège  ;  Hologue,  ville  universitaire,  oc- 
cupe aujourd'hui  le  premier  rang  parmi  toutes  ces 
cités,  par  sa  population  de  plus  de  100  OoO  habi- 
tants et  ses  institutions  scientifiques. 

C'est  à  peu  de  distance  au  sud  de  Rimini,  où  la 
voie  Emilienne  se  terminait  du  côté  de  l'Adriatique 
par  une  porte  triomphale,  que  l'on  trouve,  perché 
sur  les  montagnes, l'État  minuscule  de  i-ai/it-Marin 
(7  000  hab,  sur  57  kil.  carrés),  dont  l'indépen- 
dance remonte  à  plus  d'un  millier  d'années. 

Dans  la  Ligurie,  Gé/ies,  avec  1.30000  habitants,  est 
aujourd'hui  le  premier  port  de  la  péninsule.  Quand 
elle  formait  un  État  indépendant.,  elle  possédait  la 
Corse  avant  que  cette  île  ne  devînt  française. 
Occupée  par  Masséna  en  1800,  elle  soutint  un  des 
sièges  qui  ont  le  plus  illustré  les  armées  fran- 
çaises. 

En  Toscane,  f;ore?jce  (170  000  hab.)  est  une  des 
villes  les  plus  riclies  du  monde  par  ses  musées, 
ses  palais.  Son  dialecte  passe  pour  le  plus  pur  de 
l'Italie,  son  industrie  est  fort  active  pour  tout  ce 
qui  concerne  les  objets  d'art.  iiuoi«7ie  (100  000 
hab.)  n'est  importante  que  par  son  commerce. 
Lucgues  (70  000  hab.)  est  remarquable  par  les 
cultures  qui  l'entourent  et  l'ardeur  laborieuse  des 
jardiniers  à  qui  elles  sont  dues.  Pise  (.50  000  hab.) 
a  encore  sa  tour  penchée,  son  fameux  Campo- 
santo,  mais  a  perdu  son  ancienne  activité.  Sienne 
(25  000  hab.)  est  remarquable  comme  Florence 
par  ses  admirables  monuments. 

Rome,  quoique  n'ayant  que  250  000  habitants,  est 
la  ville  la  plus  célèbre  do  la  terre  par  les  souve- 
nirs qui  se  rattachent  à  l'époque  où  elle  fut  la  mai- 
tresse  du  monde,  le  point  de  départ  des  lois  et  de 
la  civilisation,  par  toutes  les  institutions  qu'y  a 
fondées  l'Eglise  catholique,  par  les  admirables 
monuments  qu'y  ont  laissés  les  anciens  Romains, 
ou  qu'y  a  élevés  la  foi  chrétienne.  Le  Colisée  offre 
les  ruines  d'un  édifice  grandiose  ;  l'église  de  Saint- 
Pierre  est  le  plus  beau  tem|)le  de  l'univers  ;  les 
galeries,  les  bibliothèques  retiferment  les  collec- 
tions les  plus  précieuses.  Aussi  est-ce  à  juste  titre 
que  le  gouvernement  français  entretient  à  Rome 
une  école  pour  ses  jeunes  artistes. 

Dans  l'Ombrie,  Pérouse  (50  liOO  hab.)  est  le  siège 
d'une  université.  Dans  les  Marches,  Urbin  est  la 
patrie  de  Raphaël,  Pesaro,  celle  de  Rossini  ;  A7ieone 
(45(100  hab.)  est  située  dans  une  position  maritime 
et  militaire  importante,  qui  l'a  fait  occuper  par  la 
France  ou  l'Autriche  quand  elles  ont  voulu  dominer 
en  Italie. 

A'»/jte,  dans  l'ancien  royaume  qui  porte  son  nom, 
est  la  première  ville  de  l'Italie  par  sa  population 
(450000  hab.).  Elle  est  aussi  la  mieux  située,  car  aux 
avantages  d'un  port,  elle  réunit  ceux  d'un  climat 
délicieux  et  d'environs  admirables.  Comme  les 
autres  grandes  cités  italiennes,  elle  est  riche  en 


(euvres  d'art,  et  ses  collections  sont  uniques  sous 
le  rapport  des  antiquités  romaines  recueillies  ii 
PoniiM'i.  Les  cités  populeuses  se  pressent  autour 
de  .Maples  ;  les  richesses  du  sol  et  de  la  mer  suffisent 
à  nourrir  de  tiombreux  habitants  qui  ont,  du  reste, 
peu  de  besoins.  La  douceur  du  climat  permet  aux 
lazzaroni  de  vivre  presque  nus  ;  un  sou  de  maca- 
roni suffit  aies  nourrir,  et  quand  ils  se  sont  assuré 
la  nourriture  du  jour,  ils  jouissent  du  soleil  et  de 
la  belle  nature,  en  vrais  artistes  qu'ils  sont.  Caserte 
est,  après  Naples,  la  principale  cité  de  la  Campanie 
(30  000  hab.)  Gaé^e  défendait  le  royaume  de  Naples 
contre  l'Italie  du  nord.  C'est  là  que  le  dernier  roi 
a  soutenu  le  siège  dont  l'issue  a  consacré  sa  dé- 
chéance. Sur  la  baie  de  Naples,  Casteilamare, 
Surrente  sont  chéris  des  voyageurs  à  cause  du 
charme  qu'olïre  leur  séjour.  Sur  le  golfe  de  Saterne, 
la  ville  de  ce  nom  rappelle  une  école  de  médecine 
fameuse  au  moyen  âge.  C'est  à  l'ouest  de  Salerne 
que  se  trouve  Amalfi,  dont  la  prospérité  remonte  h 
la  môme  époque.  Dans  la  Pouille,  Fogi/ia  est  une 
ville  de  5000tl  habitants. 

Dans  la  Sicile,  Pa/erme,  remarquable  par  ses 
beaux  monuments  de  l'époque  arabe,  renferme 
plus  de  200  000  habitants.  Messine,  grande  étape 
de  passage,  en  a  1 10  000.  Elle  nous  rappelle  l'affreux 
massacre  des  vêpres  siciliennes.  Catane,  malgré 
le  voisinage  de  l'Etna  qui  la  domine  et  la  menace 
perpétuellement,  en  a  85000.  Par  contre,  l'antique 
Syracuse,  dont  la  population  s'éleva  peut-être  à 
un  million  d'habitants,  n'en  a  plus  aujourd'hui 
qu'une  vingtaine  de  mille.  C'est  aussi  la  population 
de  Girrjenli,  l'ancienne  Agrigente,  qui  fait  face  à  la 
Tunisie.  Sur  la  côte  occidentale,  Mws'i/u,  fameuse 
par  ses  vins,  a  35  000  habitants.  Elle  occupe  l'em- 
placement de  l'ancienne  Lilybée,et  offre  un  lieu  de 
débarquement  facile,  ce  qui  l'a  fait  choisir  comme 
point  d'attérissement  par  les  Carthaginois  jadis,  et 
par  Garibaldi  en  IStiO,  lorsqu'avec  ses  mille  com- 
pagnons il  alla  conquérir  le  royaume  de  Naples. 

En  Sardaigne,  Cagliari,  sur  le  rivage  méridional, 
est  à,  la  fois  le  port  le  plus  commerçant  et  la  cité  la 
plus  populeuse  (300iiO  hab.).  Sassnri,  au  nord- 
ouest,  n'est  pas  au  bord  de  la  mer  et  n'en  a  que 
25(1011.  [G.Meissas.l 

IT.VLIE  (HrsToiRE).  —  Histoire  générale,  XXX. 
—  L'Italie  gothique,  byzantine  et  lombarde,  jus- 
qu'à la  formation  de  l'Empire  carolingien.  —  La 
révolution  de  470  qui  déposa  le  dernier  empereur 
romain,  Romulus  Augustule,  et  donna  le  pouvoir 
à  Odoacre,  chef  des  Hérules,  eut  pour  conséquence 
principale  l'établissement  définitif  des  Barbares  sur 
le  sol  de  l'Italie.  Régis  jusqu'à  la  fin  du  cinquième 
siècle  par  de  vieilles  dispositions  des  lois  impé- 
riales, les  Barbares,  maîtres  en  réalité  de  l'Empire, 
n'avaient  officiellement  possédé  que  les  droits  des 
Ilotes  et  des  auxiliaires.  Odoacre  leur  distribua  des 
terres,  surtout  celles  du  fisc,  qui  avaient  appartenu 
aux  anciens  empereuis.  Réduite  à  la  condition  de 
la  Bretagne,  de  la  Gaule  et  de  l'Espagne,  l'Italie 
ne  pourrait-elle  devenir  un  royaume  uni,  sinon 
homogène,  sous  l'autorité  d'un  Barbare  capable 
d'imposer  des  devoirs  à  ses  compatriotes  armés,  et 
de  maintenir  les  droits  de  la  population  italienne  ? 
Pendant  douze  ans  (177-489)  Odoacre  essaya  d'ac- 
complir cette  tache,  d'ailleurs  difficile.  Mais  son 
œuvre  fut  brusquement  interrompue  par  l'arrivée 
de  nouveaux  envahisseurs. 

Les  Ostrogoths,  frères  des  'Wisigoths,  s'étaient 
fixés  jadis  sur  la  rive  droite  du  Danube,  dans  la 
province  de  Pannonie.  Leur  chef  se  nommait 
ïhéodoric.  Comme  beaucoup  de  jeunes  barbares 
de  distinction,  Théodoric  avait  été  élevé  à  la  cour 
de  Constantinople.  A  dix-huit  ans,  il  revint  en  Pan- 
nonie. Allié  de  l'Empire  d'Orient,  il  conçut  le  pro- 
jet do  conquérir  l'Italie,  Le  peuple  ostrogoth  tout 
entier  suivit  son  chef.  Odoacre  vaincu  dut  partager 
le  pouvoir  avec  le  vainqueur.  Théodoric  régna  à 


ITALIE 


—  1072  — 


ITALIE 


Vérone,  et  Odoacre  à  Ravenne.  Rome  se  déclara  en 
faveur  de  Tliéodoric  ;  les  évÈques  du  nord  lui 
étaient  favorables.  Tliéodoric  se  débarrassa  bien- 
tôt de  son  rival  par  l'assassinat  (490) . 

Deux  cent  mille  Ostrogotlis  partagèrent  les  ter- 
res de  l'Italie  avec  les  anciens  propriétaires.  Au^ 
Italiens  furent  confiées  de  préférence  les  carrières 
civiles,  aux  Ostrogotlis  les  carrières  militaires.  En- 
touré de  conseillers  romains,  Cassiodore,  Symma- 
que,  Liborius,  Tbéodoric  pratiquait  la  politique  de 
conciliation.  Les  Gotbs  et  les  Romains  composaient 
par  moitié  les  tribunaux  des  provinces  ;  les  formes 
administratives  de  Rome  étaient  conservées,  tous 
les  cultes  respectés,  sauf  le  paganisme.  La  loi  bar- 
bare se  retirait  peu  h  peu  devant  le  code  théodo- 
sien,  dont  Tbéodoric  ordonna  la  rédaction  complote 
(SuO).  L'Italie  retrouvait  enfin,  avec  le  repos,  une 
image  de  la  prospérité  passée.  Les  marais  étaient 
desséchés,  les  mines  exploitées.  Rome  reconnais- 
sante accueillait  Tbéodoric  avec  de  grands  hon- 
neurs. A  l'extérieur,  la  politique  du  roi  gotb  n'é- 
tait pas  sans  gloire.  Uni  aux  familles  royales  des 
Francs,  des  Wisigotbs,  des  Burgundes,  des  Van- 
dales, il  intervenait  avec  succès  dans  la  guerre 
entre  Clovis  et  Alaric  II,  étendait  son  autorité  sur 
la  Norique,  la  province  d'Arles,  le  Valais,  le  Rouer- 
gue  et  le  S'ivarais.  Le  pouvoir  semblait  bien  fort, 
et,  tout  en  affectant  une  grande  déférence  pour 
Constantinnple.  Tbéodoric  s'intitulait  «  héritier  de 
l'Empire,  toujours  Auguste  ». 

Mais  cet  empire  si  puissant  tomba  en  décadence, 
lorsque  Tbéodoric,  qui  était  arien  comme  la  plu- 
part des  barbares,  voulut  lutter  en  faveur  de  l'aria- 
nisme  contre  l'église  orthodoxe.  Le  pape  Jean, 
envoyé  à  Constantinople  pour  réconcilier  le  prince 
et  l'empereur,  posa  solennellement  sur  la  tête  de 
ce  dernier  la  couronne  impériale.  Tbéodoric  se 
crut  environné  de  traîtres.  Le  sénateur  Symmaque 
et  l'écrivain  Boèce  furent  livrés  au  supplice.  Ce 
règne  si  brillant  finissait  dans  la  tristesse.  A  son 
lit  de  mort  {ô2G),  Tbéodoric  recommanda  à  son 
petil-fils  d'aimer  Rome,  le  Sénat  et  l'Empereur. 

Tbéodoric  laissait  l'Italie  à  sa  fille  Amalasonthe 
et  à  un  enfant,  Athalaric.  Malgré  l'habileté  d'\nia- 
lasonthe,  la  situation  devenait  tons  les  jours  plus 
critique.  Les  Italiens  invoquaient  ouvertement  l'ap- 
pui de  Justinien,  empereur  onliodoxe  d'Orient. 
Les  Gotlis,  que  ne  contenait  plus  la  main  ferme 
de  Tbéodoric,  se  livraient  sans  retenue  aux  excès 
et  aux  querelles  intestines.  Athalaric  mourut  (.i34;. 
Un  neveu  de  Tbéodoric,  Thi-odat,  s'empara  du 
pouvoir.  Amalasonthe,  jetée  en  jirison,  fut  assas- 
sinée par  Théodat,  ou  peut-être  p.ar  les  Byzantins. 
Justinien  trouvait  enfin  l'occasion  patiemment 
attendue  de  mettre  la  main  sur  l'Italie. 

Pendant  vingt  ans,  l'Italie  fut  mise  à  feu  et  à 
sang  par  les  Grecs,  les  Gotbs  et  d'autres  peuples, 
comme  les  Franks,  que  les  belligérants  appelèrent 
à  leur  secours.  Dans  la  première  période  de  la 
guerre  (5^4-540  ,  les  Grecs  entrent  à  Naples,  et  Vi- 
tigès  .succède  à  Théodat  Ib'ib).  Bélisaire,  général  de 
Justinien,  s'empare  de  Rome,  y  soutient  un  siège 
d'un  an  (i.3T-.')3d,,  et  prend  Viligès  dans  Ravenne 
(.J40).  Dans  la  seconde  période  (549,,  Rélisaire, 
victime  d'intrigues,  est  remplacé  par  onze  généraux 
que  Totila,  successeur  de  Vitigès,  bat  à  Faenza  et  à 
Mugello.  Mais  bientôt  un  autre  général  grec,  l'eu- 
nuque Narsès,  relève  ses  compatriotes  abattus. 
Totila  est  battu  et  tué  à  Lentagio  {àbi).  Son  suc- 
cesseur Teias  éprouve  le  même  sort  sur  le  Sarno 
(Ô53).  L'Italie  devient  province  grecque,  et  Narsès 
en  est  nommé  exarque  ou  gouverneur. 

Débarrasse,  après  une  grande  bataille  sur  le  Vul- 
turne,  des  Franks  et  des  Alanians  qui  avaient  à 
leur  tour  envahi  l'Italie.  Narsès  songe  à  restaurer 
ce  malheureux  pays.  Les  campagnes,  comme  ku 
temps  d'Odoacre,  étaient  désertes.  Milan  avait 
perdu  la  moitié  de  ses  habitants.  L'administration 


de  Narsès  fut  remarquable.  Mais  l'exarque  fut 
victime,  comme  R.lisaire,  du  misérable  esprit  d'in- 
trigue qui  agitait  la  cour  impériale.  Il  fut  remplacé 
par  Longin,  personnage  d'humeur  opiniâtre  et 
d'intelligence  étroite.  L'Italie  mécontente  suppor- 
tait impatiemment  ces  Grecs  qu'elle  avait  cepen- 
dant appelés  contre  les  Gotbs.  Destinée  à  tourner 
durant  des  siècles  dans  un  même  cercle  d'inva- 
sions et  de  tyrannies,  elle  cherchait  des  vengeurs 
nouveaux.  Les  Lombards  se  présentèrent  (5ii8), 
conduits  par  Alboin. 

C'étaient  de  vrais  barbares,  étrangers  à  la  civi- 
lisation romaine  et  au  christianisme.  Gouvernés 
par  des  rois  héréditaires,  des  ducs  et  des  cente- 
niers,  ils  triomphèrent  facilement,  grâce  à  cette 
organisation  militaire,  des  Byzantins  affaiblis.  La 
Vénétie  reçut  un  duc  (5G8),  ancêtre  des  ducs  futtirs 
du  Frioul;  le  duché  de  Spolète  fut  fondé  (569). 
Alboin  lui-même  se  fixa  à  Pavie.  .assassiné  en 
hVi,  il  a  pour  successeurs  Helmichis  (573-574), 
Kleph  i5';4-57j).  Rimini  est  emportée  ;  un  duc 
lombard  s'établit  à  Bénévent.  Après  la  mort  de 
Kleph,  les  ducs  évitent  de  nommer  un  roi.  Ils  se 
partagent  l'Italie,  la  divisent  en  36  duchés,  mais 
échouent  devant  Rome,  séjour  des  papes,  et  de- 
vant Naples,  où  se  maintiendra  longtemps  encore 
l'autorité  des  empereurs  byzantins.  Menacés  par 
le  pape  Pelage  11,  l'empereur  Maurice  11,  et  les 
Franks,  les  ducs  donnent  enfin  la  couronne  à  Au- 
tharis  (584-591).  Les  Franks  sont  repoussés  au  delà 
des  Alpes,  les  Grecs  chassés  de  Parme  et  de  Plai- 
sance. Enfin  un  mariage  unit  Autbaris  à  Théode- 
linde,  fille  du  puissant,  duc  des  Bavarois. 

Le  pouvoir  des  Lombards  s'afl'ermissait.  Autliaris 
leur  donnait  des  lois.  L'Italie  appartenait  aux 
vainqueurs,  qui,  en  droit,  étaient  s"uls  hommes 
libres.  La  population  vaincue  fut  soupii>e,  surtout 
dans  les  campagnes,  à  des  tributs  fixes.  Une  nou- 
velle société  allait  se  former.  La  catlioliquo  Théo- 
delinde,  la  Clotilde  des  Lombards,  suscite  des 
conversions  nombreuses.  La  papauté  brille  d'un 
éclat  nouveau  sous  le  pontificat  de  saint  Grégoire 
le  Grand  (.i9i)-G04).  Le  pape,  qui  ne  se  contente 
plus  d'être  l'évêque  de  Rome,  impose  son  autorité 
spirituelle  aux  prélats  de  l'Italie  et  de  l'Occident. 
Assiégé  en  W-V-S  dans  Rome  par  le  roi  lombard  Agi- 
lulpli  (591-615),  il  le  repousse,  mais  lie  bientôt 
avec  lui  des  relations  amicales,  à  la  grande  indi- 
gnation dos  Byzantins.  L'Italie,  si  longtemps  bou- 
leversée par  les  guerres,  allait-elle  enfin  trouver 
le  repos  au  prix  de  la  servitude?  Sous  le  règne  de 
Rotbaris  (G3G-652),  la  grande  assemblée  de  Pavie 
(641)  promulgue  les  coutumes  lombardes.  Le  roi, 
iivesti  de  certaines  attributions  monarchiques, 
domine  également  les  ducs  et  les  simples  hommes 
libres.  L'Iiomme  libre,  le  soldat  lombard,  est  le 
patron  naturel  des  indigènes  jadis  libres,  réduits 
désormais  à  la  condition  de  colons.  Ce  n'est  pas 
d'ailleurs  la  servitude.  Le  colon,  comme  dans  l'an- 
cienne loi  romaine,  est  plus  près  de  la  liberté  que 
de  l'esclavage.  L'esclave  lui-même  peut  être  affran- 
chi. Devenu  libre,  il  jouit  de  tous  les  droils, 
même  de  celui  de  mariage.  Par  là  s'opérera  lente- 
ment la  fusion  entre  les  vainqueurs  et  les  vaincus. 

Il  s'en  fallait  cependant  que  l'Italie  eùi  enfin 
trouvé  le  repos.  De  652  à  712,  le  royaume  lom- 
bard retombe  dans  l'anarchie.  Entre  les  Lombards 
affaiblis  et  les  Byzantins  toujours  impuissants,  les 
grandes  villes  italiennes  essaient  de  fonder  leur 
liberté'.'  Rome  se  soulève  contre  Constantinople 
en  6  12  sous, le  pontificat  de  Sergius;  dans  l'Ile 
d'Héraclée,  le  patriarche  de  Grade  et  les  princi- 
paux habitants  investissent  du  pouvoir  Anafestus, 
le  premier  des  ducs  ou  doges  de  Venise.  Le  roi 
lombard  Luitprand  (612-744)  essaie  du  ramener 
l'ordre  dans  ses  Etats  agités.  Mais  il  trouve  dan.'; 
les  papes  Grégoire  II,  Grégoire  Ili  et  Zacliarie  de 
redoutables     adversaires.   Le   souverain    lombard 


ITALIE 


1073  — 


ITALIE 


est  orthodoxe,  ami  dos  Franks  et  de  Charles  Mar- 
tel; prince  libéral,  il  promulgue  des  lois  favorables 
aux  indigènes.  Cette  politique  habile  ne  réconcilie 
pas  avec  les  conquérants  la  majorité  des  popula- 
tions  italiennes.  L'Italie  refuse  Pavie  pour  capi- 


blés  recommencèrent.  Bernard,  fils  de  Pépin, 
n'accepta  pas  le  décret  d'Aix-la-Chapelle,  qui  pro- 
mettait l'Italie  à  Lothaire,  fils  de  Louis  le  Débon- 
naire. Il  fnt  mis  k  mort  (818).  Lothaire,  qui  lui 
succéda,  lutta  avec  succès  contre  les  papes  Paul  P'et 


taie.  Elle  se  tourne  vers  Rome.  Contre  l'empereur  Eugène  II,  qui  visaient  déjà  h  l'indépendance. 
Léon  l'Isaurien,  le  prince  iconoclaste,  la  papauté  L'Italie,  toujours  tourmentée  du  désir  de  l'unité, 
prend  la  défense  des  image.s  et  d'un  culte  partout  '  espérait  trouver  un  roi  national  dans  ce  prince, 
populaire.  Contre  les  Lombards,  voisins  trop  mena-  qu'elle  soutint  en  !i.33  contre  Louis  le  Débonnaire, 
çants,le  Saint-Siège  trouvera  un  appui  dans  laGaulo  1  en  Sil  contre  Louis  le  Germanique  et  Charles  le 
franke,  orthodoxe  depuis  Clovis.  Les  descendants  ;  Chauve.  Le  traité  de  Verdun  (843)  sembla  détruire 
de  Pépin  d'Herstall  ont  tout  à  espérer  de  la  re-  les  espérances  de  l'Italie.  Lothaire  se  fixa  à  Aix- 
connaissance  d'un  pape.  Eu  T-il,  une  ambassade  la-Chapelle.  Mais,  après  sa  mort,  Louis  II,  son 
romaine  apporte  à  Charles  Martel  les  clefs  de  saint    fils  (85.v875),  doinia  à  la  royauté  italienne  un  der- 


Pierre,  et  réclame  son  appui  contre  les  Lombards. 
Mais  Charles  est  l'allié  de  Luitprand.  En  "51,  pen- 
dant le  règne  d'Astolphe,  prince  mal  disposé  pour 
le  Saint-Siège,  le  pape  Zacharie  donne  à  Pépin  le 
titre  de  roi.  Pépin  descend  en  Italie  (754-75.'>),  im- 
pose à  Astolphe  la  paix  avec  l'Eglise,  et  fait  dona- 
tion au  pape  de  l'Emilie,  de  la  Pentapole  et  de 
Rome.  Le  pape  devient  prince  temporel.  L'élection 
pontificale  n'intéressera  plus  seulement  la  religion, 
mais  aussi  la  politique.  Le  roi  lombard  Didier 
(756)  essaie  inutilement  de  substituer  à  Etienne  III 
un  pape  de  son  choix.  L'Italie  centrale  et  septen- 
trionale est  en  feu.  Le  pape  et  le  roi  se  tournent 
vers  les  Franks.  Le  roi  donne  ses  filles  à  Carloman 
et  à  Charles.  Carloman  meurt,  Charles  expulse  les 
princesses  lombardes  :  Didier  proteste.  Celui  qui 
sera  bientôt  Charlemagne  tend  la  main  au  pape 
Adrien  I".  L'Italie  est  envahie  par  les  Franks  (77:!). 
Acclamé  à  Rome  par  le  pape  et  le  peuple,  Charles 
prend  les  titres  de  patrice  et  de  roi  (774).  Les  Lom- 
bards conservent  leurs  lois  nationales,  mais  les 
perdent  en  777,  après  une  révolte  inutile.  Des 
comtes  franks  sont  substitués  aux  ducs  lombards. 
L'autorité  de  Charles,  puis  de  son  fils  Pépin,  cou- 
ronné roi  d'Italie  (781),  s'étend  sur  tonte  la  Pénin- 
sule, sauf  les  duchés  de  Bénévent,  de  Naples,  d'A- 
malfi,  la  Calabre  et  la  Sicile. 

L'Italie  dans  l'empire  carolingien  (800-888). 
—  Maître  delà  Gaule, de  l'Italie,  de  la  plus  grande 
partie  de  l'ancienne  Germanie  et  de  l'Espagne 
septentrionale,  Charles  en  7'.J9  avait  réuni  sous 
son  autorité  la  plupart  des  pays  occidentaux  qui 
composaient  jadis  le  monde  romain.  Pour  la  pre- 
mière fois  depuis  le  cinquième  siècle,  l'Europe  occi- 
dentale et  cenirale  obéissait  à  un  chef  unique.  Après 
les  agitations  qui  avaient  précipité  dans  l'ancien 
monde  comme  un  monde  nouveau,  verrait-on  se 
rétablir  un  Empire  romain  ?  L'œuvre  semblait  d'au- 
tant moins  impossible  que  les  institutions  romaines 
étaient  vivaces  encore;  la  «  romanité  »,  même  au 
neuvième  siècle,  n'était  pas  un  mot  vide  de  sens. 
Un  souvenir  durable  était  resté  de  ce  gouvernement 
qui  avait  donné  aux  provinces  trois  siècles  de  paix. 
Enfin  la  papauté,  qui  voyait  avec  terreur  grandir 
à  l'ombre  du  trône  de  Constantinople  l'autorité  de 
patriarches  qui  se  proclamaient  œcuméniques,  dé- 
sirait opposer  un  empereur  catholique  d'Occident 
aux  Césars  orientaux.  Le  2j  décembre  de  l'an  SOli, 
le  pape  Léon  III  proclama  Charlemagne*  empereur 
et  posa  sur  sa  tète  la  couronne  impériale.  La  pa- 
pauté fondait  peut-être  sa  puissance.  Mais  l'acte  de 
l'an  800,  en  associant  désormais  le  sort  de  l'Italie 
à  celui  de  peuples  étrangers,  empêchait  pour  long- 
temps l'indépendance  de  ce  malheureux  pays. 

L'Italie  conserva  son  roi  Pépin,  qui  mourut  en 
810.  Quelques  années  de  paix  suffirent  pour  don- 
ner à  la  Péninsule  au  moins  l'apparence  de  la  pros- 
périté. Les  villes,  surtout  dans  le  nord,  croissaient 
en  nombre  et  en  richesse;  le  commerce  florissait, 
grâce  à  l'expulsion   des   pirates  sarrasins;  Venise, 


nier  reflet  de  grandeur.  Les  musulmans  avaient 
pillé  Rome  sous  le  pontificat  de  Sergius.  Ils  furent 
écrasés  h  Bari  (870).  Cependant  le  Saint-Siège  se 
proclamait  indépendant  du  pouvoir  temporel,  sous 
le  pontificat  de  Nicolas  1".  Les  ducs  et  les  comtes 
luttaient  contre  l'autorité  royale.  Enfin  la  féodalité 
se  formait,  composée  des  seigneurs  laïques  et  des 
évoques,  grands  propriétaires  fonciers,  morcelant 
partout  l'autorité  comme  la  terre.  En  870,  Charles 
le  Chauve  reçut  de  Jean  VIII  l'empire  «  comme  un 
présent.  »  L'empereur  était  sans  force,  le  pape 
lui-même  trouvait  un  adversaire  redoutable  dans 
Ansperto,  archevêque  de  Milan.  En  881,  ce  dernier 
décida  le  pape  à  proclamer  empereur  Charles  le  Gros. 
A  ce  fantôme  d'empereur  on  donnait  un  faniôme 
d'empire.  Charles  fut  déposé  (887),  et  le  monde 
carolingien  retomba  dans  le  chaos. 

La  féodalité  italienne  (88S-951).  —  A  la  fin  du 
neuvième  siècle,  l'Italie  comprend  au  nord  le  mar- 
quisat d'Ivrée  et  le  duché  de  Frioul,les  sièges  épis- 
copaux  de  Milan,  Pavie,  Vérone,  Turin;  Venise  et 
Gênes  sont  déjà  indépendantes;  au  centre,  le  mar- 
quisat de  Toscane,  les  villes  de  Pise  et  de  Florence  ; 
le  marquisat  de  Spolète,  dans  l'Ombrie  ;  Rome,  rési- 
dence des  papes  ;  au  sud,  les  duchés  de  Bénévent, 
Salerne    et  Capoue,  l'abbaye  puissante   du  Mont- 
Cassin,  le  duché   de  Naples,  la  ville    libre    d'A- 
malfi,  le  thème  ou  province  de  Lombardie,  débris 
des  possessions  byzantines.  La  Sicile  est  ravagée 
et  occupée  par  les  Sarrasins.  Ainsi  divisée,  l'Italie 
soupire  encore  après  l'unité,  dont  elle  aurait  be- 
soin pour  repousser  les  Hongrois  et  les  musulmans. 
Mais  on  ne  peut  s'entendre  sur  le  choix  d'un  sou- 
verain. L'archevêque  de  Milan  donne  la  couronne  à 
Bérenger,  duc  de  Frioul  ;  le  pape   Etienne   V   pro- 
clame Guido,  duc  de  Spolète.  Bérenger  a  pour  alliés 
les  Allemands,  Guido  les  Franks.  L'Italie   ensan- 
glantée voit  s'ouvrir  a  le  siècle  de  fer  ».  Guido  vic- 
torieux veut  imposer  son  autorité  au  pape  Formose 
(892).   Celui-ci  appelle  l'Allemand  Arnulph.   Eer- 
game  est  pillée;  Guido  meurt  (894),  et  les  Alle- 
mands entrentdans  Rome  {f'M'i).  Aux  lueurs  del'in- 
cendie,  Arnulph  se  fait  couronner  empereur.  Alors 
une  réaction  s'opère.  Le  pape  Etienne  VI  (S9C-897) 
tire  du  cercueil  le  cadavre  de  Formose,  le  traduit 
devant  un   tribunal,  et  le  fait  jeter  dans  le  Tibre. 
Quant    au   roi  Bérenger,    tour  à  tour  soutenu    et 
combattu  par  le  puissant  Adalbert  de  Toscane,  il 
n'a  de  la  royauté  que  le  nom.  Le  pape,  respecté  au 
dehors,  est  faible  en  Italie  et  presque  prisonnier  à 
Rome.   Du   haut    de    leurs  maisons  fortifiées  ou 
dans    les  rues    emcombrées    de   débris   antiques, 
les  barons  romains  se  livrent  souvent  des  luttes 
sanglantes.  Le  véritable  maître  de  la  ville  est  le 
comte  Tliéophylacte.  Après  lui,  sa  veuve  Thoodora, 
«  patricienne  et  sénatrice  »  de  Rome,  fait  donner 
le   pontificat  à   l'archevêque   de   Ravenne,  Jean  X 
(91().   Le    nouveau   pape,  plein  d'énergie,   forme 
contre  les  Sarrasins  une  ligue  avec  Bénévent,  Ca- 
poue, Naples  et  l'empire  d'Orient.  Il  ofTre  la  cou- 


avec  le  doge  Participatius,  prenait  possession  de  renne  impériale  et  le  commandement  des  forces 
ses  lagunes.  Les  lettres  et  les  arts  renaissaient  confédérées  à  Bérenger  (91. s).  Les  Sarrasins  sont 
sur  cette  terre  qui  <(  ressuscite  les  choses  mortes.  >■  écrasés  sur  les  bords  du  Garigliano  (!1I6).  Mais  le 
Mais,  après  la  mort  de  Charlemagne  (814),  les  trou- 1  marquis    d'Ivrée    se    révolte  contre  Bérenger,   et 

2«  Partie.  6  S 


ITALIE 


—  1074  — 


ITALIE 


appelle  en  Italie  Rodolplie  de  Bourgogne.  Béren- 
ïer,  craignant  de  perdre  la  couronne,  invoque 
l'appui  des  Hongrois.  La  terreur  et  l'indignation 
soulèvent  l'Italie.  Bérenger  est  assassiné  (924;. 

Rodolphe  de  Bourgogne  parviendra-t-il  à  surmon- 
ter cette  anarchie?  La  veuve  du  marquis  d'Ivrée, 
llermengarde,  épouse  son  frère  utérin  Hugues, 
usurpateur  de  la  Provence,  et  le  fait  proclamer 
roi  ('J-Jii).  Dans  Rome  la  fillede  Théodora,  Mnrozia, 
lutte  contre  l'autnrité  de  Jean  X,  épouse  Guido, 
frère  de  Hugues,  et  fait  élire  pape  son  propre  fils, 
sous  le  nom  de  Jean  XI.  Deux  femmes  semblent 
tf nir  entre  leurs  mains  les  destinées  de  l'Italie. 
L'assassinat  et  l'adultère  sont  leurs  moyens  de 
:;ouvernement.  Hugues  surpasse  par  ses  crimes 
oes  femmes  criminelles.  La  mort  le  délivre  de 
r.uido;  il  chasse  Hermengarde  de  son  palais,  et  il 
vient  à  Rome  épouser  Marozia,  la  veuve  de  son 
IVère  (9-32).  L'Italie  cependant  n'était  pas  encoi'e  i 
bout  de  souffrances.  Un  fils  de  Marozia,  Albéric, 
se  révolte  contre  Hugues. Le  Saint-Siège  devient  le 
lief  d'Albéric,  patrice  et  consul,  qui  disposera  pen- 
dant vingt  ans  de  la  tiare  en  faveui  de  créatures 
indignes.  Hugues  fugitif  lutte  contre  les  Sarrasiiis, 
non  pour  les  exterminer,  mais  pour  obtenir  leur 
alliance  (940).  La  conscience  publique  se  soulève 
contre  l'infâme.  Bérenger  II  d'Ivrée,  appuyé  par 
'hs    Allemands,   expulse    d'Italie  Hugues  qui   va 


mourir  dans  un  couvent  de  Provence.  Le  roi  lais- 
sait un  fils,  Lotliaire,  marié  à  Adelhaïde  de  Bour- 
gogne. Bérenger  II  etLothaire  partagent  le  pouvoir. 
Mais  Lothaire  meurt  (950),  sans  doute  empoisonné, 
lîérenger  II,  seul  roi,  veut  marier  de  force  Adel- 
liaide  il  l'un  de  ses  fils.  La  princesse  résiste  ;  on 
l'enferme  dans  une  tour  du  lac  de  Garde  ;  elle 
s'évade,  et,  du  château  de  Canossa  où  elle  s'est 
réfugiée,  implore  l'appui  d'Othon  1",  roi  de  Ger- 
manie. Les  Allemands  franchissent  les  Alpes  (951J, 
Othcin  épouse  Adelhaïde  k  Pavie.  L'Italie  a  trouvé 
de  nouveaux  et  de  terribles  maîtres. 

L'Italie  et  les  empereurs  allemands  (951-12.50). 
—  Othoii  1"  s'allia  d'abord  à  la  papauté,  qui  sem- 
blait préférer  la  domination  étrangère  à  une 
royauté  nationale.  En  9G;',  dans  Rome  garnie  de 
troupes,  il  se  fait  couronner  empereur  par  le  pape. 
Mais  l'autorité  germanique  parut  bientôt  insup- 
portable, et  des  révoltes  éclaièrent  CV.  Communes, 
p.  4i;.5),  et  remplirent  la  fin  du  règne  d'Othon  I"  ' 
et  celui  d'Othon  II*. 

Othon  III*  est  le  vrai  fondateur  du  Saint-Empire 
romain  germanique.  Si  jadis  on  avait  vu  Jean  X 
et  Jesn  XI  soumis  à  rnitluence  toute-puissante 
d'une  Marozia  et  d'un  Albéric,  on  voyait  mainte- 
nant un  pape,  Grégoire  V,  soumis  à  l'autorité  non 
moins  puissante  de  l'impératrice  Tlièoplianie,  mère 
du  jeune  Othon  III.  Cependant  l'Italie  ne  paraissait 
pas  entièrement  résignée  à  la  servitude.  Le  Ro- 
mani Crescentius.  prenant  le  titre  de  consul,  es- 
sayait de  restaurer  la  république  romaine.  Il  est 
défait  par  les  Allemands  et  mis  à  mort  (997).  A 
(îrégoire  'V,  Otlion  III  substitue  le  Français  Gerbert 
Sylvestre  II),  son  ancien  précepteur,  dévoué  à 
l'Allemagne.  Alors  se  forme  un  empire  étrange, 
qui  a  pour  chefs  un  empereur  et  un  pape,  mêlés 
également  aux  choses  de  la  politique  et  de  la  reli- 
gion ;  dualité  mystique  qui  prétend  gouverner  les 
âmes  et  les  corps.  Othon  III  est  un  moine,  Syl- 
vestre II  est  un  empereur;  ils  sont  tous  doux  en 
même  temps  empereur  et  pape.  Sylvestre  agrandit 
l'empire  (conversion  de  la  Hongrie)  ;  Othon  agran- 
dit le  domaine  de  l'Eglise  des  comtés  de  Romagne. 
Le  pape  se  félicite  d'avoir  pour  soldat  le  clief  de  la 
Germanie,  l'empereur  pense  trouver  dans  l'appui 
de  l'Eglise  une  force  nouvelle.  Mais  une  telle  con- 
fusion sera-t-elle  de  longue  durée  ?  A  peine 
Othon  ni  est-il  mort  (lOOij,  qu'Ardouin,  marquis 
d'Ivrée.  profitant  de  la  faiblesse  de  l'Allemand 
Henri  H  '  ilOO.'-lO-'l),  se  fait  couronner  roi  à  Pa- 


vie (1003).  Tandis  que  le  roi  et  l'empereur  se  font 
une  guerre  sanglante,  les  vassaux  s'aflTranchissent, 
la  féodalité  s'affermit,  les  évêques  étendent  leur 
pouvoir  spirituel  et  temporel  au  delà  même  de 
leurs  cités  épiscopales.  Henri  II  ne  pouvait  arrêter 
le  courant  qui  allait  bientôt  transformer  la  société 
italienne.  Son  ambition  était  d'étendre  ses  droits 
vagues  de  suzerain  sur  l'Italie  méridionale.  Mais 
il  mourut  sans  avoir  pu  réalisiT  ses  projets. 

Une  Italie  nouvelle  se  formait.  Les  évêques  très 
puissants  luttaient  contre  les  bourgeois.  Ceux-ci  se 
rapprochaient  des  petits  vassaux;  les  barons  en- 
traient au  service  des  villes.  Le  nom  de  l'empe- 
reur Conrad  II  *■,  couronné  en  1027  par  Jean  XIX, 
était  à  peine  prononcé.  Ce  prince  promulguait  ce- 
pendant en  1037  la  constitution  de  Pavie,  qui 
déclarait  les  fiefs  des  vassaux  o  irrévocables,  immé- 
diats et  héréditaires.  ".\u  temps  de  Henri  III *(  1039- 
I05C),  l'Eglise,  réformée  par  les  moines  de  Cluny, 
de  Saint-Romuald  et  de  Vallombreuse,  tendit  à 
s'affranchir  de  l'Allemagne.  L'empereur  lui  fit 
sentir  durement  son  autorité,  en  déposant  trois  pa- 
pes au  concile  de  Sutri  (1040),  et  en  leur  substi- 
tuant des  prélats  allemands.  Clément  II,  Benoit  IX, 
Damase  II,  Léon  IX.  La  politique  du  Saint-Siège 
était  dirigée  par  un  homme  énergique,  Hildebrand, 
moine  de  Cluny,  que  secondait  le  vertueux  Pierre 
Damien,     évêque     d'Ostie.     Hildebrand     pousse 


Léon  IX  à  lutter  contre  les  Normands  établis  dans 
le  midi  de  l'Italie.  Battu  par  eux  à  Civitella  (1053), 
il  transforme  les  vainqueiirs  en  vassaux.  Sous  le 
pontificat  de  Victor  II  (1055-1057),  Hildebrand 
augmente  la  puissance  de  la  Toscane,  alliée  du 
Saint-Siège,  en  mariant  Béatrice  de  Toscane  à 
Godefroi  de  Basse-Lorraine,  ennemi  des  empe- 
reurs. Au  concile  de  Latran  f  10  .9),  Nicolas  II  (1058- 
lOCl)  déclarait  que  l'élection  pontificale  appartien- 
drait désormais  aux  cardinaux  et  à  un  petit  nombre 
de  laïques.  La  papauté,  défendue  par  le  Normand 
Robert  Guiscard,  maître  d'Aversa,  de  la  Calabre 
et  de  la  PouiUe.  semblait  très  forte.  L'Allemagne 
était  très  afl'aiblie  par  la  longue  minorité  de 
Henri  IV*  (lu5i-1100).  Enfin,  en  1071,  Hildebrand 
prenait  possession  de  la  tiare,  sous  le  nom  de 
Grégoire  VII.  Il  entreprit  la  lutte  contre  l'Empire, 
soutenu  par  les  Normands  du  midi,  et  par  Ma- 
thilde,  grande  comtesse  do  Toscane,  maîtresse 
de  Parme,  Plaisance,  Modène,  Mantouc,  Ferrare  et 
Spolète. 

Selon  Grégoire  VII,  il  n'y  a  sur  la  terre  qu'une 
autorité,  celle  du  pape,  qui  vient  de  Dieu.  La 
puissance  laïque  doit  lui  être  soumise.  Pierre 
ayant  résidé  à  Rome,  l'Église  romaine  étend  son 
pouvoir  sur  toutes  les  églises  du  monde.  Si  le 
Prince  des  apôtres  peut  lier  ou  délier  dans  le  ciel, 
il  peut,  h  plus  forte  raison,  enlever  ou  donner  les 
biens  de  la  terre.  L'empereur,  qui  vient  après  le 
pape,  lui  doit  sa  puissance,  comme  la  lune  doit 
son  éclat  aux  rayons  du  soleil.  Telle  est  la  théorie 
émise  par  Grégoire  Vil,  et  soutenue  par  cinq  de 
ses  su'Cesseurs  choisis  par  lui,  Victor  III,  Ur- 
bain H,  Pascal  II,  Gélase  II,  Calixte  H. 

Henri  IV  dut  s'humilier  h  Canossa  (1077);  mais 
biejitôt  la  fortune  tourna  :  l'empereur  battit  ses 
ennemis  à  Volksheini  (1080),  et  vint  assiéger  dans 
Rome  (10S2)  le  pape,  qui  mourut  en  exil  (1085).  Si, 
en  Italie,  les  Normands  et  la  comtesse  Mathilde  de 
Toscane  avaient  appuyé  les  prétentions  pontificales, 
beaucoup  d'ovêques  du  nord  s'étaient  prononcés 
pour  les  Allemands.  Comme  son  père,  tantôt 
vaincu,  tantôt  vainqueur,  Henri  V*  (1 106-1125)  ac- 
cepta en  1121  la  transaction  de  Worms.  L'empereur 
donnerait  aux  évêques  l'investiture  temporelle  par 
le  sceptre,  le  pape   les  consacrerait  par  l'anneau. 

Un  pareil  traité  ne  pouvait  satisfaire  aucun  parti. 
La  papauté  cependant  obtint  un  triomphe  en  fai- 
sant interrompre  en  Allemagne  l'hérédité  impériale, 
qui  tendait  à  s'établir,  et  eu  revendiquant  les  biens 


ITALIE 


—  1075  — 


ITALIE 


de  la  comtesse  Matliildn.  Lothaire  de  Saxe  fut  élu 
emperour(112ô-l  137).  Il  vint  en  Italie  (ll3C)  sou- 
tenir le  pape  Innocent  II,  et  consentit  k  figurer  sur 
un  tableau,  les  mains  jointes,  incliné,  recevant  la 
couronne  dos  mains  du  pape,  placé  sur  un  trône 
41evé.  Déjà  s'étaient  formés  les  deux  partis  des  Gi- 
belins ou  Impériaux  et  de*  Guelfes  ou  papalins. 
Déjà,  aussi  la  plupart  des  villes  de  la  l.onibardie 
<itaient  devenues  des  municipalités  indépendantes. 
Le  gouvernement  républicain  s'était  même  établi 
à  Rome,  grâce  à  Arnaud  de  Brescia  (11  i'J).  Profi- 
tant de  la  faiblesse  de  l'empereur  Conrad  III*  de 
Hohenstaufen  (1137-1 152),  les  villes  avaient  formé 
deux  ligues.  Aux  Guelfes  de  Milan  obéissaient 
Crème,  'Tortone,  Parme,  Modène;  aux  Gibelins  do 
Pavie,  Côme,  Lodi,  Novare,  Crémone,  Plaisance. 
Milan  s'était  emparé  de  Lodi  (1100),  et  l'antique 
rivale  de  Rome  se  croyait  désormais  la  capitale  du 
nord.  Mais  une  lutte  plus  terrible  encore  que  les 
précédentes  allait  éclater.  Ce  que  l'Allemagne 
voulait  maintenant  arracher  à  l'Italie,  ce  n'était  ni 
S.1  royauté  nationale,  ni  sa  suprématie  spirituelle, 
mais  bien  les  constitutions  indépendantes  de  ses 
cités. 

La  lutte  de  Frédéric  I"'  Barberousse  et  de  la 
Ligue  lombarde  a  été  racontée  ailleurs  (V.  Com- 
inioies,  p.  406,  et  Frédéric  l"  Barberousse).  Le 
|)uissant  empereur  dut  laisser  aux  villes  italiennes 
la  plupart  de  leurs  droits  ;  mais,  avant  de  mourir, 
il  put  marier  son  fils  Henri  VI  '  à  la  princesse  nor- 
mande Constance,  qui  allait  apporter  à  la  maison  de 
Souabe  le  riche  héritage  des  Deux-Siciles. 

Quarante  pèlerins  normands  débarqués  à  Pa- 
ierme  (lOOG),  et  trois  chevaliers  de  mémo  nation, 
entrés  au  service  des  Grecs  (liiKi),  avaient  jeté  en 
Italie  les  bases  d'un  nouveau  royaume.  En  1057, 
quatre  ans  après  la  bataille  de  Civitella,  Robert  Guis- 
■card  prit  le  titre  de  duc.  En  1077,  Salerne,  en  lOSO, 
Otrante  etTarente  étaient  prises.  En  1081,  Robert 
Guiseard  préparait  une  expédition  contre  les  By 
zanlins.  Rappelé  en  Italie  par  Grégoire  VII,  Robert 
4tait  mort  en  10s5.  laissant  à  ses  successeurs  un 
pouvoir  incontesté.  Le  mariage  d'Henri  VI  et  de 
Constance  donnait  aux  Allemands  le  midi  de  l'Ita- 
lie.Le  nouveau  souverain  ne  se  contenta  pas  de  cette 
^acquisition.  La  Toscane,  Spolète,  les  Romagnes,  le 
marquisat  d'Ancône,  furent  donnés  en  fief  à.  des 
princes  et  à  des  dignitaires  de  la  maison  impériale. 
La  papauté  était  ainsi  séparée  de  la  Ligue  lom- 
barde. L'Italie  fut  sauvée  par  la  mort  inattendue 
d'Henri  VI  (llt)7).  Il  ne  laissait  qu'un  fils  en  bas 
âge,  qui  devait  devenir  Frédéric  II  *. 

L'empire  s'affaiblissait  au  moment  où  parvenait 
à  la  chaire  pontificale  un  homme  énergique,  Lo- 
thaire, comte  de  Segni,  pape  sous  le  nom  d'In- 
nocent III  (1198-lïlU).  Il  soulève  l'Italie  en  fa- 
veur du  Saint-Siège  :  les  duchés  du  centre  se  ré- 
voltent contre  les  Allemands  ;  Spolète,  Aucune, 
la  Romagne.  se  soumettent  au  pape,  qui  trouve 
des  alliés  fidèles  dans  les  vijles  de  Florence,  Luc- 
ques,  Pistoiu.  La  reine  Constance,  morte  en  1198, 
avait ^  confié  au  Saint-Siège  la  garde  du  jeune 
Frédéric.  L'Italie  entière  semblait  obéir  au  pape. 
JSn  Allemagne,  il  disposait  de  la  couronne  impé- 
riale en  faveur  d'Othon  de  Brunswick.  Il  l'obligeait 
à  renoncer  au  patrimoine  de  Saint-Pierre  (1201), 
qu'avait  revendiqué  Henri  Vl.  Bientôt  le  pape  et  l'em- 
pereur se  brouillèrent.  Innocent  résolut  alors  de  re- 
lever en  Allemagne  et  en  Italie  le  parti  gibelin  au 
profit  de  Frédéric.  Ce  dernier  promit  de  respecter 
la  volonté  de  Rome,  de  ne  jamais  prétendre  à  la 
possession  du  nord  de  l'Italie,  et  il  partit  pour 
l'Allemagne,  héritier  des  Hohenstaufen  et  soldat 
■du  Saint-Siège,  tandis  que  la  papauté  affirmait  hau- 
tement sa  puissance  spirituelle  au  concile  de  La- 
tran  IVil'a). 

Mais,  après  la  mort  d'Innocent  III.  Frédéric  II 
se  brouilla   à  son  tour  avec   le  Saint-Siège.   Ses 


luttes  acharnées  contre  Grégoire  IX  et  Innocent  IV, 
les  revers  de  ses  dernières  années  et  sa  mort  (U50; 
ont  été  racontés  ailleurs  (V.  Frédéric  II). 

La  papauté  triomphait,  et  l'Italie  était  perdue 
pour  les  Hohenstaufen.  Conrad  IV  ',  fils  de  Frédé- 
ric, mourut  en  1251,  laissant  un  jeune  enfant, 
Conradin,  h.  la  garde  du  prince  allemand  Manfred. 
Innocent  IV  s'était  déclaré  possesseur  des  Deux- 
Siciles.  Urbain  IV,  Français  d'origine,  chargea  un 
frère  de  saint  Louis,  Charles  d'Anjou,  d'enlever  à, 
Conradin  l'héritage  de  ses  pères.  Manfred  fut  tué 
à  Grandella  (1200),  Conradin  fut  pris  à  Palenta 
(1268),  condamné  à  mort  par  un  jugement  déri- 
soire, et  décapité.  La  lutte  contre  l'Allemagne 
était  terminée.  Les  papes  avaient  étendu  leur 
souveraineté  dans  la  Péninsule.  Une  période  nou- 
velle s'ouvre  alors  dans  l'histoire  d'Italie. 

L'Italie  indépendante  jusqu  à  la  fin  du  XV"  siè- 
cle- —  Après  la  mort  de  Frédéric  II,  les  villes  gi- 
belines du  Nord  avaient,  malgré  les  papes,  recou 
vré  leur  indépendance.  Charles  d'Anjou,  «  sénateur 
de  Rome,  roi  des  Deux-Siciles,  vicaire  impérial  et 
pacificateur,  »  essaya,  sous  le  couvert  de  ces  di- 
vers titres,  de  dominer  la  péninsule  entière, 
guelfes  et  gibelins.  La  papauté  l'arrêta,  comme 
elle  avait  jadis  arrêté  les  souverains  allemands. 
Des  conspirations,  conduites  surtout  par  Jean  de 
Procida,  unirent  bientôt  contre  Charles  d'Anjou  les 
Siciliens,  Rome  et  Pierre  III  d'Aragon,  maître 
d'une  marine  considérabie.  Les  Français  furent 
massacrés  (Vêpres  Siciliennes,  1282),  Pierre  III  fut 
proclamé  à,  Palerme.  Charles  d'Anjou  mourut  dé- 
sespéré (l2S5).  Son  successeur  Charles  le  Boiteux 
parvint  i  se  maintenir  dans  l'Apulie  et  la  Calabre  ; 
Jayme,  successeur  de  Pierre  111,  gouverna  la  Sicile 
Dans  le  Midi  comme  dans  le  Nord,  Etats  et  con- 
fédérations se  brisaient  en  morceaux.  L'ère  des 
grands  papes  était  close.  Boniface  VIII  (1284-1303) 
voulut  reprendre  la  politique  de  Grégoire  VII  et 
d'Innocent  III,  et  soumettre  comme  eux  les  prin- 
ces de  la  terre  aux  vicaires  du  Christ.  Il  força 
Jayme  à  abandonner  la  Sicile  en  échange  de  la 
Corse  et  de  la  Sardaigne,  prétendit  imposer  aux 
villes  du  Nord  l'autorité  de  ses  légats,  affirma, 
enfin,  ses  prétentions  ambitieuses  dans  le  grand 
Jubilé  de  l'an  lîOO.  Mais  Boniface  se  brisa  contre 
la  résistance  d'un  roi  de  France,  Pliilippe  le  Bel. 
Arrêté  par  les  Colonna  qu'assistait  un  légiste 
français,  Nogaret,  le  pape  mou'-ut  (1303).  Son  suc- 
cesseur, Benoît  XI  ,  fut  peut-être  empoisonné. 
La  tiare  fut  donnée  à  Bertrand  de  Got,  archevêque 
de  Bordeaux  (Clément  V),  qui  fixa  sa  résidencei 
Avignon.  Avec  Clément  V  commence  la.  captivilé 
de  Babi/lone  (1305-1378). 

Guelfes  ou  Gibelins,les  Italiens  du  xni"  siècle 
n'avaient  ni  le  sentiment  de  la  liberté,  ni  celui  de 
la  patrie.  La  cohésion  apparente  de  l'Italie  n'avait 
tenu  qu'à  la  présence  d'un  pape  et  d'un  empereur. 
Empereur  et  pape  avaieiit  disparu.  Les  villes  se 
séparent  et  s'isolent;  chacune  aura  sa  constitu- 
tion, chacune  aussi  ses  partis  et  ses  luttes  iiites- 
tines.  Ici  l'on  penche  vers  l'aristocratie.  A  Venise 
les  nobles  seuls  prennent  à  part  l'élection  du  grand 
conseil  (1297);  plus  tard,  on  proclamora  l'hérédité 
du  sénat,  on  formera  le  conseil  des  Dix.  Ailleurs, 
la  démocratie  l'emporte.  Florence  a  son  peuple 
(/ras,  vaincu  souvent  dans  les  élections  par  le  peu- 
ple maigre.  Partout  des  haines  terribles  dont 
Dante  s'est  fait  l'éloquent  interprète.  Pise,  vain- 
cue par  Gênes  on  1284,  se  jette  dans  les  bras  d'un 
tyran,  Ugolin.  Bientôt,  elle  est  lasse  du  maître  : 
l'archevêque  Roger  l'enferme  dans  une  tour  avec 
ses  enfants;  les  malheureux  y  meurent  de  faim. 
Quelques  familles  puissajites  essaient  parfois 
de  se  perpétuer  au  pouvoir.  Los  Visconti  sont 
capitaines  à  Milan,  les  Este  àFerrare  et  à  Modène. 
Parfois  aussi,  l'ambitieux  roi  de  Naples,  ami  des 
Guelfes,  essaie  d'étendre  son  pouvoir  dans  le  nord 


ITALIE 


1076  — 


ITALIE 


de  l'Italie.  Au  milieu  de  cette  confusion,  on  en- 
tend tout  à  coup  prononcer  le  nom  d'un  empe- 
reur. Henri  \'1I  de  Luxembourg  passe  les  Alpes  ; 
on  le  couronne  à  Milan  et  à  Rome ,  mais  les  villes 
guelfes  ferment  leurs  portes  ;  l'empereur  extor- 
que de  l'argent  aux  gibelins.  L'Italie  se  soulève, 
et  le  César  allemand  meurt  {i:il3). 

Cependant, au  milieu  de  ces  querelles  sanglantes, 
l'Italie  voyait  se  développer  avec  une  rapidité  mer- 
veilleuse les  richesses  de  ses  campagnes,  de  ses 
villes  et  de  ses  ports.  D'innombrables  canaux 
sillonnaient  la  Lombardie  et  faisaient  de  cette 
terre  une  des  plus  fertiles  du  monde.  L'industrie 
des  draps  était  florissante  à  Milan,  h  Vérone,  dans 
toute  la  Toscane.  Venise,  qui  avait  obtenu  dès 
9S)ï  l'immunité  du  commerce  dans  tous  les  ports 
grecs,  avait  fondé  sa  puissance  maritime  au 
■  commencement  du  xiu=  siècle,  lors  de  la  croisade 
de  1204.  Elle  possédait  tout  le  commerce  de  Re- 
manie, Grèce,  Archipel,  Candie,  Nogrepont  ;  elle 
avait  des  consulats  en  Arménie,  en  Syrie,  en 
Chypre,  en  Egypte.  Vingt-cinq  mille  matelots 
montaient  les  30UO  navires  de  sa  flotte  marchande. 
Elle  fabriquait  des  draps,  des  soieries,  des  armes, 
de  la  verrerie.  Des  traités  lui  assuraient  le  com- 
merce exclusif  des  blés  de  Lombardie.  Enfin, 
d'intrépides  voyageurs, Marco  Polo,  Nicole  di  Conti, 
portaient  son  nom  dans  des  régions  jusqu'alors 
inexplorées.  Rivaux  de  Venise,  les  Génois  possé- 
daient tout  un  faubourg  de  Constantinople,  Péra; 
ils  avaient  des  établissements  en  Crimée,  à  Caffa, 
chez  les  Maures  d'Espagne,  à  Majorque,  h  Séville, 
à  Nice,  en  Corse.  Pise  avait  eu  le  monopole  du 
commerce  africain  ;  mais  sa  marine  fut  détruite  au 
xV  siècle  par  les  Génois.  Florence,  au  commence- 
ment du  .W  siècle,  devenait  maîtresse  de  Li- 
vounie,  et  devenait  aussi  une  puissance  maritime. 
Ses  institutions  de  crédit  fonctionnaient  dans  toute 
l'Europe.  Les  Peruzzi,  au  xii"  siècle,  avaient  pour 
débiteurs  les  rois  d'Angleterre.  Les  Alberti,  au 
xiv°  siècle,  avaient  des  représentants  à  Avignon,  à 
Bruges,  à  Amsterdam,  à  Anvers.  Les  villes  du 
midi  étaient,  il  est  vrai,  moins  florissantes.  Amalfi, 
dont  les  marins  avaient,  dit-on,  inventé  la  bous- 
sole, était  ruinée  depuis  le  xii"  siècle.  La  royauté 
avait  été  plusfatale  encore  au  midi  que  l'anarchie 
aux  villes  du    nord. 

Les  Césars  allemands,  toutefois,  n'avaient  pas  dé- 
finitivement renoncé  à  leurs  prétentions  sur  la  Pé- 
ninsule. Les  richesses  de  l'Italie  septentrionale 
éveillèrent  la  cupidité  d'un  empereur,  Louis  de  Ba- 
vière, et  d'un  pape,  Jean  XXII.  Ils  ne  parvinrent 
pas  cependant  à  établir  leur  domination  dans  la  val- 
lée du  l'ù.  Jean  de  Bohême  ne  fut  pas  plus  heureux 
quand  il  voulut,  en  l3:i0,  pacifier  l'Italie.  Plus 
modestes  et  plus  redoutables,  de  petits  seigneurs 
bornaient  leur  ambition  à  la  conquête  d'une  ville, 
d'un  bourg,  d'un  château,  dont  ils  devenaient  les 
tyrans.  Matteo  Viscontl  s'intitulait  seigneur  de 
Milan,  Alexandrie  et  Pavie.  Cane  délia  Scala  était 
maître  de  Vérone,  Vicence,  Trévise.  Castruccio 
Castracani,  tyran  de  Lucques,  faillit  prendre  Flo- 
rence (1327);  les  Rossi  achetaient  Parme,  les  Fo- 
gliani  Reggio.  Taddeo  de  Tepoli  s'imposait  à 
Cologne  (1339),  Gauthier  de  Brienne  dominait 
Florence  par  la  terreur  (1312-1343).  A  Naples,  le 
roi  André  était  assassiné.  Son  frère,  Louis  de  Hon- 
grie, voulait  expulser  la  reine  Jeanne  (1347).  Là 
aussi  de  nouvelles  révolutions  se  préparaient. 

La  démocratie  italienne,  d'ailleurs  peu  libérale, 
avait  enfanté  les  tyrans.  Le  poète  Pétrarque 
chante,  il  est  vrai,  les  libertés  d'une  République 
idéale  ;  le  tribun  Rienzi  proclame  à  Rome  le  gou- 
vernement républicain  (13471.  Mais  que  signifient 
ces  grands  noms  de  République  romaine,  de  peu- 
ple et  de  sénat?  Ici  encore,  les  Italiens  sont  le 
jouet  d'un  rêve.  Ce  qu'ils  comprennent  et  ce  qu'ils 
aiment,  ce  n'est  ni  la  liberté  ni  la  patrie  -,  ce  sont 


les  beaux  vers  de  Dante,  les  poésies  passionnées^ 
de  Pétrarque,  les  entliousiastes  et  bizarres  impro- 
visations de  Rienzi.  .\moureuse  de  la  forme,  l'I- 
talie se  consolait  des  tristesses  de  la  réalité  par  le 
culte  de  l'idéal.  Morcelée  et  asservie,  elle  s'eni- 
vrait des  mots  de  liberté  et  de  patrie,  dissimulant 
sous  les  fleurs  un  cercueil,  chantant  avec  Rienzi 
l'indépendance  au  milieu  des  tyrans,  avec  Boccace 
le  bonheur  et  la  vie,  sur  le  seuil  même  de  la  mort 
(peste  de  Florence,  13-48). 

Pendant  ce  temps,  la  famille  des  Visconti  s'em- 
parait de  toute  la  Lombardie.  Venise  et  Gênes,  tout 
occupées  de  leur  rivalité  commerciale,  devenaient 
comme  étrangères  à  la  Péninsule.  Florence  défendait 
péniblement  son  autonomie:  Pise  se  soumettaità  un 
Agnelle,  ami  des  Visconti.  Le  chef  de  cette  mai- 
son, Barnabe,  s'intitulait  «  pape,  empereur  et  roi 
sur  son  territoire.  »  Qui  pourrait  l'arrêter  ?  Les 
papes  ne  songeaient  qu'à  remplir  les  cofTres  d'Avi- 
gnon (1350,  Jubilé;  ;  l'empereur  Charles  IV  se  con- 
duisait en  Italie,  selon  l'expression  de  Villani, 
u  comme  un  marchand  forain.  »  Le  royaume  de  Na- 
ples était  en  plein  désordre.  Dans  les  Etats  du  Saint- 
Siège,  les  Romagnes  se  soulevaient  (1376,.  Une  réac- 
tion éclata  cependant  contre  Visconti.  On  crut  voir 
dans  les  papes  les  libérateurs  de  l'Italie,  menacée 
par  le  tyran  de  Milan.  Catherine  de  Sienne  décida 
enfin  Grégoire  XI  à  venii'  mourir  à  Rome.  Mais  à 
la  captivité  de  Babylone  allait  succéder  le  grand 
schisme  d'Occident  (137S-144!i). 

Déchirée  par  Urbain  VI,  et  ses  successeurs,  la 
papauté  n'exerce  plus  d'influence  sur  l'Italie.  Le 
mysticisme  des  pénUenti  blancs,  le  matérialisme 
élégant  des  adorateurs  de  l'antiquité,  remplacent 
les  doctrines  plus  austères   du  catholicisme. 

Le  royaume  de  Naples  est  en  pleine  dissolution. 
Jeanne  1"  appelle  Louis  d'Anjou  pour  lui  succé- 
der ;  le  pape  Urbain  VI  appelle  Charles  III  de 
Durazzo-Hongrie.  Celui-ci  meurt  en  13Sô  ;  le 
royaume,  disputé  par  Ladislas  et  Loiiis  II,  se  par- 
tage entre  les  Hongrois  et  les  Français.  Jeanne  II, 
sœur  de  Ladislas  (1414-1435),  est  protégée  par  un 
aventurier  nommé  Sforza.  Impuissante  contre  les 
révoltes  de  la  noblesse,  elle  appelle  à  son  secours 
Alphonse  V  d'Aragon.  Plus  tard,  elle  fait  un  tes- 
tament en  faveur  de  René  d'Anjou.  Les  deux  prin- 
ces luttent  jusqu'en  144-}.  Les  Aragonais  finissent 
par  demeurer  maîtres  de  Naples. 

Florence  est  bouleversée  par  les  révolutions. 
Michel  Lando,  un  simple  cardeur  de  laine,  fait 
entrer  dans  la  seigneurie  les  députés  du  petit 
peuple  (ciompi).  Mais  cette  révolution  démocrati- 
que, bientôt  suivie  d'une  réaction,  ouvre  les 
voies  du  pouvoir  aux  Albizzi  (1382-1434),  puis  aux 
Médicis. 

La  seule  maison  vraiment  forte  en  Italie  est 
celle  des  Visconti ,  représentée  par  Jean  Galéas 
(1385-14021.  Sa  fille  Valentine  épouse  le  duc  d'Or- 
léans. Lui-même  achète  de  l'empereur  Wenceslas- 
le  titre  de  duc  (  13115).  La  Lombardie  et  la  Toscane, 
sauf  Florence,  lui  obéissent.  Pour  rester  indépen- 
dante, Gênes  se  donne  à  la  France.  Jean-Marie 
(1401-1412)  et  Philippe-Marie  (1412-1447),  succes- 
seurs de  Galéas,  sont  absorbés  par  de  longues 
guerres  contre  Venise,  dans  lesquelles  s'illustre 
l'aventurier  Carmagnola.  L'Italie  est  devenue  la 
terre  classique  des  cotiloWere,  capitaines  merce- 
naires, toujours  à  la  solde  du  plus  fort,  qiii  espé- 
raient, comme  Carmagnola  et  Sforza,  se  tailler  un 
royaume  à  la  faveur  de  ces  luttes  obscures,  mais 
interminables. 

Une  solution,  d'ailleurs,  était  prochaine.  L'agi- 
tation démocratique,  si  forte  à  la  fin  du  xiv«  siècle, 
était  vaincue  dans  toute  l'Europe.  Partout  allait 
triompher  le  pouvoir  des  rois  ou  des  soldats 
heureux.  Sforza  devient  duc  de  Milan  (1450), 
dans  le  temps  où  Cosme  de  Médicis  impose  son 
autorité  à  Florence.   Après  les  conciles  libéraux 


ITALIE 


1077 


ITALIE 


■d(!  Pisfi  (MO.})  et  de  Constance  (1414),  la  pa- 
pauté restaurée  va  embrasser  une  politique  nou- 
velle avec  Nicolas  V  et  ses  successeurs.  C'en  est 
fait  des  rêves  d'autrefois.  Stepliano  Porcaro  est 
pendu  à  liome  (1153)  pour  s'ùtre  souvenu  de 
liienzi.  L'Italie  n'est  plusanarcliique.  La  paix  de  Lodi 
(I45i)  a  réconcilié  les  républiques  et  les  monar- 
chies. Le  pape  est  à  Rome,  un  prince  aragonais 
à  Naples,  Sforza  h  Milan,  Médlcis  à  Florence  ; 
Gonzague  est  duc  de  Mantoue,  Borso  d'Esté  duc  de 
Modène,  Ferrare  et  Reggio,  Enfin,  la  maison  de 
Savoie  a  obtenu,  elle  aussi,  le  titre  ducal.  Elle  se 
dresse  déjà  au  sommet  des  Alpes,  un  pied  en 
France,  l'aulre  en  Italie,  semblant  regarder  cu- 
rieusement cette  terre  étrangère  qui  sera  un  jour 
sou  royaume. 

La  pacification  do  Lodi  no  fut  pas  de  longue 
durée.  Dès  1458,  h  l'avènement  de  Ferdinand  I", 
!a  lutte  recommençait  dans  le  royaume  de  Naples, 
revendiqué  par  Jean  de  Calabre,  flls  de  René 
d'Anjou.  Les  papes  Callxte  III  (1455-1458),  Pie  II 
(1458-1464),  Paul  II  (1404-1471)  faisaient  lentement 
reconnaître  leur  autorité  dans  un  pays  si  longtemps 
et  si  profondément  bouleverse.  Si.xte  IV  (1471-1484) 
partageait  entre  ses  neveux  le  patrimoine  de  Saint- 
Pierre.  Cette  politique,  babile  peut-être,  mais  con- 
damnable, fut  suivie  par  Innocent  VIII  (I4s4-1492) 
et  surtout  par  Alexandre  VI  (149'M50;!).  Florence, 
sous  le  gouvernement  des  Médlcis,  Cosme  (1434- 
14G4),  Pierre  I"  fl404-1469),  Laurent  (1469-1492), 
Pierre  II,  semblait  tout  occupée  do  la  Renaissance 
<les  lettres  et  des  arts.  Eu  somme  l'Italie,  malgré 
l'éclat  trompeur  de  sa  civilisation,  n'avait  jamais 
été  plus  près  de  la  ruine.  Les  cinq  capitales, 
Rome,  Naples,  Venise,  Florence,  Milan,  étaient  ja- 
louses l'une  de  l'autre.  Le  pape  excommuniait  le 
roi  de  Naples,  et  offrait  sa  couronne  à  Charles  VIII, 
roi  de  France  (1489).  Le  duc  de  Milan  détestait  les 
Napolitains,  mais  redoutait  la  famille  française 
d'Orléans,  héritière  des  droits  de  Valentine  Vis- 
conti.  Parfois  aussi  grondait  dans  les  villes  un  long 
murmure  de  mécontentement.  On  eût  dit  d'une 
flamme  jaillissant  soudaine  d'un  foyer  mal  éteint. 
A  Florence,  Savonarole  réclamait  la  liberté.  Les 
cours  étrangères  étaient  pleines  de  réfugiés  italiens. 
L'Italie  était  à  qui  voudrait  la  prendre.  Les  Fran- 
çais se  présentèrent.  (1491). 

Lesiuvasionsétrangèresen  Italie  jusqu'en  1598. 
—  Charles  VIII  '  se  prétendait  héritier  des  droits  do 
la  maison  d'Anjou  sur  le  royaume  de  Naples.  A  la 
tète  d'une  armée  que  son  artillerie  surtout  rendait 
redoutable,  il  débouche  en  Italie,  au  moment  où 
Alphonse  II  succédait  i  Ferdinand  I".  Soutenu  par 
la  Savoie,  le  Montferrat  et  Milan,  il  entre  à  Flo- 
rence, h  Pise,  à  Rome;  Alexandre  VI  lui  cède 
Civlta-Vecchia  et  Spolète,  et  livre  comme  otage 
César  Borgla.  Les  Français  entrent  h  Naples  et 
Alphonse  II  abdique  en  faveur  do  Ferdinand  II. 
Mais  une  ligue  se  forme  contre  la  France  entre 
Ferdinand  le  Catholique,  qui  réclame  une  partie 
des  Deux-Siclles,  le  marqua  de  Mantoue,  les  Vé- 
nitiens, et  le  duc  de  Milan,  Ludovic  le  More,  accusé 
d'avoir  fait  mourir  Jean-Galéas.  Les  confédérés 
ferment  à  Charles  VIII  le  chemin  de  la  France.  Ils 
sont  battus  àFornoue  (1495).  Les  garnisons  laissées 
dans  le  midi  abandonnent  Naples  (1496),  qui  rap- 
pelle un  prince  aragonais,  Frédéric.  La  France  n'a- 
vait trouvé  dans  l'Italie  qu'une  alliée  fidèle,  Florence, 
gouvernée  par  Savonarole.  Le  moine  dominicain 
fut  brûlé  vif  (1498.) 

Rien  n'égale  l'inconstance  de  la  politique  ita- 
lienne. Venise,  qui  avait  lutté  contre  Charles  VIII, 
s'empresse  de  reconnaître  comme  duc  de  Milan 
Louis  XII  *,  l'ancien  duc  d'Orléans,  descendant  des 
Visconti.  Le  pape  devient  l'ami  des  Français,  moyen- 
nant la  cession  du  duché  de  Valentlnols  à  César 
Borgla.  Et  pourtant,  que  de  dangers  courait  l'Iialle! 
La  France  réclamait  maintenant  Naples  et  xMllan, 


le  nord  et  le  midi  de  la  Péninsule.  Le  duc  da 
Savoie  Philibert  II,  plus  Français  qu'Italien,  s'éiait 
empressé  d'ouvrir  les  Alpes  à  Louis  XII.  Le  Mila- 
nais fut  rapidement  conquis  (1499),  plus  rapide- 
ment perdu,  occupé  de  nouveau  en  1.500  et  confié 
à  l'administration  de  Georges  d'Ajnboise.  Ludovic, 
trahi  par  les  Suisses,  était  envoyé  prisonnier  en 
France.  Cette  trahison  avait  valu  aux  Suisses  la  ville 
de  Bellinzona.  Le  midi  fut  aussi  rapidement  con- 
quis sur  Frédéric  I",  et  partagé  entre  les  Français 
et  les  Espagnols,  conformément  au  traité  de 
Grenade  (1501).  Français  et  Espagnols  ne  tardent 
pas  h  se  battre  ;  les  Français  sont  vaincus  à  Seminara 
et  à  Cerlgnola  (I5'i:i).  César  Borgla  profitait  de  la 
lutte  pour  prendre  une  à  une  les  villes  de  Romagne. 
Mais  Alexandre  VI  meurt.  Le  pape  Jules  II  (1503- 
1513)  veut  dominer  l'Italie,  et  expulser  les  barba- 
res. Les  Espagnols,  maîtres  de  Naples,  sont  conte- 
nus par  les  Français,  maîtres  de  Gênes.  Venise, 
qui  avait  étendu  ses  possessions  de  terre  ferme, 
voitse former  contre  elle  la  ligue  de  Cambrai(1509). 
Alors  se  révèle  la  duplicité  du  pontife.  Il  s'empresse 
de  relever  Venise  abattue  (151(i)  :  il  a  conquis  une 
alliée  Adèle  dans  cette  ville,  désormais  ennemie  de 
la  France  et  des  seigneurs  du  nord.  Les  Espagnols 
n'auront  garde  de  bouger  dans  Naples.  La  ligue  de 
Cambrai  était  dirigée  en  réalité  contre  les  Français  ! 
Le  pape  entre  dans  la  Mirandole  par  la  brèche 
(151 1)  ;  vainqueur  du  concile  de  Pise  qui  devait  le 
déposer,  il  forme  au  nom  de  la  foi  la  Sainte-Ligue 
contre  la  France.  Les  Français,  vainqueurs  des 
Espagnols  à  Ravenne  (1512),  perdent  leur  meilleur 
général,  Gaston  do  Folx.  Les  Médicis  rentrent  à 
Florence,  Maximillen  Sforza  à  Milan.  La  politique 
de  Jules  II  est  continuée  par  Léon  X  (1513-1521). 
Qu'importe  la  réforme  religieuse  qui  coinmcncc 
en  Allemagne'?  Les  Français  sont  écrasés  à  Novare 
(1513).  Le  pape  donne  à  ses  neveux  Parme,  Plai- 
sance, Florence.  11  compte  leur  tailler  d'autres 
Etats  dans  les  possessions  vénitiennes.  L'avènement 
de  François  I"  "  et  la  grande  victoire  de  Marlgnan 
(1515)  renversent  tous  ces  projets.  Les  Français 
rentrent  h  Milan,  le  pape  restitue  Parme  et  Plai- 
sance.Trois  ans  plus  tard  (1519),  l'Allemagne  élisait 
pour  empereur  Charles  d'Autriche-Espagne,  héri- 
tier de  Ferdinand  le  Catholique  et  des  droits  espa- 
gnols sur  Naples;  héritier  aussi  des  Habsbourgs 
et  des  prétentions  des  Césars  allemands  sur  la 
Lombardie  et  le  Saint-Siège.  Français,  Impériaux 
et  Espagnols  désoleront  l'Italie  jusqu'à  la  fin  du 
siècle  (V.  Guerres  d'Italie,  p.  925). 

Le  Flamand  Adrien  VI  et  l'Italien  Clément  VII 
favorisèrent  la  politique  de  Cliarlos-Quint  *.  Les  dé- 
laites  des  Français  à  la  Bicoque  (1522),  à  Blagrasso 
0524),  à  Pavie  (1525)  donnèrent  la  Péninsule  aux 
Impériaux.  L'Italie  effrayée  prit  les  armes,  mais  trop 
tard.  Rome  fut  mise  à  sac  par  les  soldats  allemands 
du  connétable  de  Bourbon  (1527);  les  Français  fu- 
rent battus  à  Gèn<!S  et  à  Naples.  Clément  VII  dut 
s'humilier  à  Bologne  devant  l'Empereur  (1529),  et 
le  sacra  roi  d'Italie.  Le  duché  de  Milan,  laissé  à 
Sforza,  devait  retourner  plus  tard  ;\  l'Empire;  le 
marquis  de  Mantoue  et  Alexandre  de  Médicis  rece- 
vaient le  titre  de  duc;  la  Savoie  et  le  Monferrat  de- 
venaient feudataires  de  Charles-Quint.  Chaque 
Etat  devait  entretenir  une  force  militaire  que  com- 
manderait l'Espagnol  Leyva. 

Les  hostilités  recommencèrent  à  la  mort  de 
Sforza.  François  I'^'  réclamait  le  Milanais.  Charles- 
Quint  se  l'adjugea.  L'entente  se  rétablit  entre  les 
deux  adversaires  après  l'entrevue  de  Nice  (1536- 
1538).  L'Italie  était  en  réalité  perdue  pour  les 
Français,  malgré  la  victoire  de  Cerlsoles  (I5i4)  et 
la  connivence  secrète  de  Paul  III.  En  apparence  ce 
pape  ne  songeait  qu'à  la  réforme  de  l'Eglise,  fon- 
dait les  ordres  des  Théatins  et  des  Jésuites  (1540), 
et  affirmait  son  alliance  avec  l'Empereur  dès  les 
premières  sessions  du  Concile  de  Trente  (1545J.  En 


ITALIE 


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ITALIE 


fait  il  détestait  les  Espagnols,  qui  avaient  assassiné 
son  fils  Pierre  Farnèse  et  occupé  Plaisance.  Pour 
recouvrer  cette  ville,  Octave  Farnèse,  fils  de  Pierre, 
appela  les  Français.  Sienne  leur  ouvrit  ses  portes 
et  reçut  Montluc.  Mais  Cliarles-Quint  fut  partout 
vainqueur.  Sienne  capitula  (1555)  et  se  mit  sous  la 
protection  de  l'Espagne. 

L'énergique  cardinal  CarafTa,  devenu  pape  sous 
le  nom  de  Paul  IV  (Iôà8-1559),  rêvait  d'expulser  les 
Espagnols  de  la  Péninsule.  Dans  le  même  temps, 
Charles-Quint  abandonnait  le  pouvoir,  laissant 
l'Allemagne  i  Ferdinand,  l'Espagne  et  l'Italie  à 
Philippe  II.  Le  pape  s'allieauroide  France  Henri  II, 
qui  envoie  à  Naples  le  duc  de  Guise.  Mais  l'habile 
roi  d'Espagne  cède  au  duc  de  Parme  la  ville  de 
Plaisance,  Sienne  à  Cosme  de  Médicis.  La  victoire 
des  Espagnols  à  Saint-Quentin  (1557)  décida  du 
sort  de  l'Italie.  Le  traité  de  Ca!eau-Cambrésis(l559) 
donna  h  1  Espagne  les  présides  de  Toscane  (ports 
d'Orbitello,  Pono-Ferrajo,  Telamone),  Verceil  et 
Asti  dans  le  Piémont.  La  mort  de  Paul  IV  et  l'a- 
vènement du  faible  Pie  IV  (1559-1565)  accrurent 
l'influence  espagnole  au  delà  des  Alpes. 

Pendant  ces  longues  guerres,  le  Piémont  avait 
été  comme  broyé  entre  les  armées  de  France  et 
d'Espagne.  Le  duc  Charles  III  (1,504-1533)  n'avait 
eu  longtemps  pour  abri  que  le  château  de  Nice. 
Aussi  bien  le  Piémont  était-il  devenu  comme  une 
province  française.  De  1559  date  une  politique  nou- 
velle. Emmanuel-Philibert  recouvra  son  duché;  il 
en  fit  un  Etat  italien,  reprenant  avec  habileté 
Turin,  Chiari,  Chivasso,  Pignerol.  Il  restaura 
l'armée,  le  commerce,  l'agriculture,  l'industrie.  Ce 
n'est  pas  sans  raison  que  les  historiens  actuels  de 
l'Italie  saluent  dans  ce  prince  h  Télé  de  fer  le  vé- 
ritable fondateur  de  la  puissance  piémonlaise. 
L'honnêteté  et  l'activité  de  ce  petit  Etat  reposent 
l'esprit  des  turpitudes  et  de  la  décadence  du  reste 
de  l'Italie.  La  Péninsule  râle  sous  la  botte  des 
Espagnols  et  sous  les  sandales  d'un  Pie  V  et  d'un 
Borromée,  archevêque  de  Milan.  Les  pirates  bar- 
baresques  enlèvent  des  villages  entiers;  la  Toscane 
se  dépeuple;  on  n'exporte  pins  que  des  objets 
d'art  et  de  luxe;  Venise  et  Gênes  sont  bien  déchues 
de  leur  splendeur  passée.  L'Italie  a  pour  héros  un 
Piccolomini  et  un  Bernardi,  chefs  de  bandits  qui 
jouent  désormais  un  rôle  officiel  dans  l'histoire. 
Devant  ces  obstacles  se  brisent  l'intelligence  et 
l'énergie  d'un  Sixte-Quint.  Ce  pnpe  (15,S4-15yO)  n'ose 
pas  donner  l'absolution  à  Henri  IV.  Clément  VIII 
(I59lMGn5)  réconcilie  enfin  le  roi  de  France  avec 
l'Eglise.  L'Italie  espère  une  délivrance  prochaine. 
Les  princes  s'allient  à  la  France.  Philippe  II  signe 
le  traité  de  Vervins  et  meurt  (1598).  La  Péninsule 
va  passer  du  joug  de  l'Espagne  sous  celui  de  la 
France. 

L'Italie  soumise  à  l'influence  française  au 
X'VU'  siècle.  —  Venise  s'était  déclarée  en  faveur 
de  la  France,  le  duc  de  Savoie  Charles-Emmanuel 
avait  mis  son  armée  sur  pied.  Décidé  à  suivre  une 
politique  franchement  italienne,  il  avait  cédé  à 
Henri  IV  la  Bresse,  le  Bugey  et  le  Valromey  en 
échange  du  marquisat  de  Saluées  (IC(IO).II  comp- 
tait s'emparer  du  Milanais  avec  l'aide  de  la  France. 
La  mort  de  Henri  IV  (1610)  rompit  ses  projets.  Le 
duc  de  Savoie,  d'accord  avec  Venise,  essaya  bien 
d'occuper  le  Montferrat.  Mais  la  France  se  rappro- 
chait alors  de  l'Espagne,  et  le  duc  dut  signer  le 
traité  de  Madrid  (161S).  Malgré  tout,  l'influence 
espagnole  baissait  en  Italie.  Le  gouverneur  de  Mi- 
lan échouait  dans  une  tentative  pour  renverser  h 
Venise  le  gouvernement  républicain  (1618).  Un 
vice-roi  de  Naples,  Ossuna,  tentait  de  se  faire  pro- 
clamer roi  à  \aples  (1619-1620).  Enfin  Richelieu 
empêchait  les  Espagnols  d'occuper  la  Valteline,  qui 
reliait  le  Milanais  au  Tyrol  fl625).  L'ouverture  de 
la  succession  de  Mantoue  divisa  encore  les  Italiens. 
Louis  XIII  parut  sur  les  Alpes  pour  faire  triom- 


pher les  droits  d'un  prince  français,  le  duc  de  Ne- 
vers.  Le  duc  de  Savoie,  Victor- Amédée  I"  (1630- 
16-37),  qui  s'était  prononcé  contre  ce  personnage, 
dut  lutter  deux  fois  contre  les  Français  au  Pas-de- 
Suze  (1629-1630).  La  paix  se  rétablit  au  traité  de 
Cherasco  (1031  .  Elle  ne  fut  pas  de  longue  durée. 
Richelieu  allait  entrer  dans  la  fameuse  guerre  de 
Trente  ans*.  Le  traUé  de  Rivoli  (11135)  unit  à  la 
France  les  ducs  de  Savoie,  de  Mantoue  et  de 
Parme.  Mais  ce  dernier  fut  désarmé  par  les  Espa- 
gnols (1637).  Le  duc  de  Mantoue  mourut  (1638), 
et  sa  veuve  se  soumit  à  l'Espagne.  Victor-Amédée 
de  Savoie  mourut  la  morne  année,  laissant  son  fils 
mineur  aux  prises  avec  les  princes  Thomas  et  Mau- 
rice, dévoués  à  l'Espagne  et  à  l'empereur.  Pen- 
dant sept  années,  1  Italie  du  nord  fut  le  théâtre  de 
luttes  opiniâtres.  La  France  finit  par  l'emporter, 
malgré  les  mauvaises  dispositions  du  pape  Inno- 
cent X.  Les  Italiens  semblaient  d'ailleurs  las  do 
la  domination  espagnole.  .4  la  voix  d'un  pêcheur, 
Thomas  Aniello  ou  Masaniello,  Naples  se  soulevait 
(1647,  juillet),  et  proclamait  la  république  (24  oct.). 
Mazarin  songeait,  parait-il.  h  donner  Kaples  au  duc 
de  Modène.  Le  duc  de  Guise  empêcha  la  réalisa- 
tion de  ces  projets.  Sans  l'agrément  du  gouverne- 
ment français,  il  se  jeta  dans  Naples,  mais  ne  put 
la  gouverner.  La  ville  se  rendit  aux  Espagnols 
(avril  1G4S).  La  Toscane  et  Alanioue  se  tournèrent 
alors  vers  les  Espagnols.  D'ailleurs,  nulle  fixité 
dans  la  politique  italienne.  Le  pape  Innocent  X 
(1644-1655)  changeait  d'alliés  au  gré  des  maîtresses 
que  lui  donnaient  tour  à  tour  la  France  et  l'Espa- 
gne. En  réalité,  les  troubles  durèrent  jusqu'à  la  pais 
des  Pyrénées  (lti69). 

Pendant  quarante  ans,  l'histoire  politique  de 
l'Italie  est  intimement  liée  à  celle  de  la  France. 
Alexandre  VII  (1656-1667)  était  obligé  de  s'humi- 
lier devant  Louis  XIV  *  dont  il  avait  insulté  l'am- 
bassadeur (1662).  Les  petites  cours  italiennes 
étaient  à  la  solde  de  la  France.  Venise  luttait  inu- 
tilement contre  les  Turcs,  et,  malgré  un  secours 
dérisoire  de  la  France,  leur  abandonnait  Candie 
(1669).  Les  papes,  Alexandre  VII,  Clément  IX 
(I667-1C7.S),  dilapidaient  les  trésors  de  Sixte-Quint. 
Les  ducs  de  Modène  et  de  Mantoue  oubliaient  la 
politique  pour  l'opéra.  Les  Espagnols  tenaient  bon 
dans  le  midi,  malgré  la  révolte  de  Messine  (1674), 
et  les  victoires  navales  de  Duquesne  à  Stromboli 
et  Palerme  11675-1676).  L'Italie  semblait  dormir. 
Elle  assistait  avec  indifférence  à  l'entrée  des  Fran- 
çais dans  Casai  (1681),  au  bombardement  de  Gênes 
(1084),  aux  humiliations  infligées  à  Iimocent  XI 
(1687).  Venise  était  absorbée  par  une  guerre  nou- 
velle contre  les  Turcs.  A  Florence,  on  faisait  des 
savants,  à  Turin  des  soldats.  Là  était  le  danger 
pour  la  France.  Quand  l'orgueil  opiniâtre  de 
Louis  XIV  suscita  contre  ce  prince  une  coalition 
formidable  (1688-1689),  le  duc  de  Savoie,  Victor- 
Amédée  II  (1675-1730)  se  déclara  contre  les  Fran- 
çais. Câlinât  le  battit  à  StalTarde  (1690),  à  la  Mar- 
saglia  (1693).  Mais  les  Impériaux,  commandés  par 
le  prince  Eugène,  opprimaient  les  Italiens.  L'ha- 
bile duc  de  Savoie,  sacliant  à  la  fois  se  rendre  po- 
pulaire en  Italie  et  soigner  les  intérêts  de  sa  mai- 
son, signale  premier  un  traité  avec  la  France  (1096). 
Il  recouvrait  ses  Etats,  et  donnait  au  duc  de  Bour- 
gogne, petit-fils  de  Louis  XI V,  la  main  de  la  gracieuse 
et  spirituelle  Adélaïde  de  Savoie.  Le  traité  de 
Ryswick  (11.97)  pacifiait  l'Europe.  Les  Turcs  elles 
Vénhiens  signaient  la  paix  1699).  Le  vieux  pape 
Innocent  XII,  dans  un  jubilé  solennel,  appelait  les 
bénédictions  du  ciel  sur  le  siècle  nouveau.  Quel- 
ques mois  plus  tard  la  guerre  recommençait. 

Les  Bourbons  en  Italie  (1700-1789!.  —  L'Europe 
pouvait  difficilement  admettre  que  le  Milanais  et 
les  Deux-Siciles,  selon  le  testament  de  Charles  H, 
tombassent  au  pouvoir  d'un  prince  d'origine  fran- 
çaise, Philippe  V.  Une  guerre  générale  éclata.  Vie- 


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ITALIE 


Ini'-Amc'dijo,  aur|H(;l  la  l'ivinco  avait  secrètement 
promis  lo  Milanais,  se  tourna  en  llO'i  contre 
Louis  XIV  dont  il  se  défiait.  Le  duc  de  Vcndùnie 
l'ut  rappelé  rn  France  ;  la  Feuillade  fut  battu  à 
Turin,  les  Impériaux  s'emparèrent  do  IVaples  et 
les  Anglais  de  la  Sardaigno.  Los  Iraités  de  171^! 
modifièrent  profondément  l'état  de  l'Italie.  La  mai- 
son de  Habsbourg  roi;ut  le  Milanais,  Naples,  le 
Mantouan  et  la  Sardaigne.  Vicioi'-Amédée  obtint 
le  titre  de  roi  et  l'île  de  Sicile,  malgré  les  réclama- 
tions du  Saint-Siège. 

En  nn,  la  politique  d'Alboroni  remit  tout  en 
question.  Après  une  courte  guerre  suscitée  par 
l'Espagne,  Victor-Amédée  échangea  la  Sicile  pour 
la  Sardaigne.  Plus  tard  encore,  à  l'extinction  des 
maisons  de  Farnèse  (n;jll  et  de  Médicis  (n:i6  , 
l'Espagne  et  l'Empire  se  disputèrent  Parmo,  Plai- 
sance et  la  Toscane.  En  173?,  Philippe  V  obtint 
pour  un  de  ses  fils.  Don  Carlos,  Parme  et  Plaisance. 
Quelques  mois  après,  poussé  par  les  conseils  se- 
crets du  nouveau  roi  de  Sardaigne  Charles-Emma- 
nuel m  (n:jO-n73),  don  Carlos  consentait  à  lais- 
ser à  don  Philippe,  son  frèro,  Parme  et  Plaisance, 
à  conquérir  lesDeux-Siciles,  et  à  aider  les  Piémon- 
tais  il  occuper  le  Milanais.  On  préparait  ainsi  l'ex- 
pulsion des  Autrichiens  de  la  Péninsule,  Le  traité 
de  Vienne  (I7;!5)  donna  à  don  Carlos  les  Deux-Si- 
ciles  et  les  présides  de  Toscane;  mais  l'Autriche  mit 
la  main  sur  Parme  et  Plaisance,  annexés  au  Milanais  ; 
la  Toscane  fut  cédée  au  duc  François  de  Lorraine. 
Les  Autrichiens  furent  plus  puissants  que  jamais. 

En  1740,  à  la  mort  de  Charles  VI,  on  pouvait 
espérer  que  l'Italie  se  débarrasserait  de  la  domi- 
nation autrichienne.  Mais  le  roi  de  Sardaigne,  fi- 
dèle h  la  politique  astucieuse  de  sa  famille,  traita 
avec  Marie-Thérèse,  après  s'être  déclaré  son  en- 
nemi (1742).  Vaincus  à  Bassignano  (1745)  et  vain- 
queurs à  Plaisance  (1746',  les  Impériaux  durent 
signer  le  traité  d'Aix-la-Chapelle  (1748),  qui  laissait 
h  François  la  Toscane,  à  don  Carlos  les  DeuxSi- 
ciles,  donnait  à  don  Philippe  Parme,  Plaisance  et 
Guastalla,  au  roi  de  Sardaigne  le  Haut-Novarais  et 
Vigevano. 

L'Italie  put  respirer.  Quelques  princes  tentèrent 
des  réformes.  Don  Carlos,  devenu  roi  d'Espagne  en 


dène,  à  Fcrrare,  on  proclam.i  la  République . 
Cliarles-Emmanuel  IV  (ni)(;-l8U-.'),  menacé  de  per- 
dre ses  Etats,  dut  se  conformer  aux  ordres  des 
vainqueurs.  Les  victoires  d'Arcole  (17'.)G),  de  lU- 
voli  (n'.)7)  aboutirent  au  traité  de  Campo-Formio, 
dont  certaines  slipulations  furent  une  honte  pour 
la  France  :  la  république  Cisalpine,  il  est  vrai, 
était  fondée  avec  Milan  pour  capitale  ;  mais  Ve- 
nise fut  cédée  aux  Autrichiens,  avec  l'Istrie  el  la 
Dalmatie  (ni)"-l"!)8).  Quelques  mois  plus  tard,  la 
république  était  fondée  à  Home  (fév.  1798),  i  Na- 
ples (janv.  non),  en  Toscane  (mars  1790). 

Mais  la  révolution  n'était  que  superficielle. 
Après  les  défaites  des  Français  b,  Magnano,  Cas- 
sano,  Novi  (179^1))  'es  anciens  gouvernements  fu- 
rent restaurés  à  Naples,  à  Florence,  h  Milan.  Le 
pape  Pie  VII  (1799-I823)  succéda  régulièrement  h 
Pie  VI.  La  domination  autrichienne  fut  rétablie,  au 
grand  détriment  des  libéraux.  La  bataille  do  Ma- 
rengo(i800)  elle  traité  de  Lunéville  (iKûi)  la  ren- 
versèrent encore.  On  reconstitua  les  républiques 
Cisalpine  et  Ligurienne  ;  mais  Pie  VII  rentra  h  Rome 
et  Ferdinand  resta  h  Naples  ;  Parme  et  Plaisance 
furent  donnés  à  la  France,  qui  céda  la  Toscane  ii 
l'ancien  duc  (royaume  d'Elrurie).  Où  était  la 
liberté  promise  aux  Italiens?  Bonaparte  accejjtait 
la  présidence  de  la  république  Cisalpine  (1802).  Le 
Piémont  formait  six  déparlements  français.  Victor- 
Emmanuel  I"  (1802-1831)  était  relégué  dans  la 
Sardaigne.  Bientôt  Bonaparte,  empereur,  trans- 
forma la  république  Cisalpine  on  un  royaume,  dont 
Eugène  Beauharnais  fut  vice-roi  (IhO.')).  La  Ligurie, 
l'arme.  Plaisance,  Lucques  et  Piombino  étaient 
annexés  à  l'empire.  Le  traité  de  Presbourg  (déc. 
180.'))  acheva  de  soumettre  l'Italie  à  Napoléon. 
L'Autriche  céda  au  royaume  d'Italie  Venise,  l'Istrie 
et  la  Dalmatie.  Les  liourbons  furent  expulsés  de 
Naples,  où  un  frère  de  Napoléon,  Joseph,  fut  pro- 
clamé roi  (mars  180fi).  En  ls08,  l'empereur,  qui 
disposait  à  son  gré  de  l'Italie,  nommait  son  beau- 
frère  Murât  roi  de  Naples,  sa  sœur  Paviline  Bor- 
ghèse,  duchesse  de  Guastalla,  et  réunissait  la  Tos- 
cane (royaume  d'Etrurie)  à  la  France.  Déjà  Napo- 
léon entamait  les  Etais  du  Saint-Siège.  Deux  ans 
plus  tard  (i810)  il  réunissait  h  l'Empire  Rome  et 


1759,  confia  la  tutelle  de  son  fils  Ferdinand  IV,  roi  de  Spolète.  L'Italie  entière  était  annexée  i  la  France 
Naples.aujurisconsulteTanucci.Ceministre rétablit  le  pouvoir  temporel  des  papes  n'existait  plus.  Mai; 
l'ordre  dans  les  linances,  encouragea  le  commerce    partout  libéraux  et  catholiques   commençaient 


et  l'industrie.  En  Toscane,  Léopold  1"  réformait  le 
code  criminel,  abolissait  la  peine  de  mort,  favo- 
risait l'agriculture,  réduisait  la  dette  de  87  mil- 
lions à  24.  En  Piémont,  Charles  Emmanuel  orga- 
nisait l'armée,  construisait  des  forteresses,  et  ad- 
ministrait ses  Etats  comme  une  vaste  caserne. 
Dans  le  Milanais,  les  Autrichiens  toléraient  l'illus- 
tre Beccaria,  développaient  l'agriculture  et  sur- 
veillaient de  près  la  noblesse  et  la  bourgeoisie. 
A  Rome,  le  pape  Benoît  XIV  se  contentait  d'être, 
selon  sa  propre  expression,  «  un  bon  vivant  ». 
Après  lui,  Clément  XIV  prononça  la  suppression  de 
l'ordre  des  jésuites.  Sous  le  pontificat  de  Pie  VI 
(1775-1790),  l'Etat  romain,  aJ  dire  d'un  panégyriste 
du  pape,  fut  «  le  plus  mal  administré  de  l'Europe 
après  la  Turquie.  »  Venise  et  Gènes  se  faisaient 
oublier.  Personne  ne  protestait  contre  la  domi- 
nation autrichienne  qui  s'imposait  peu  à  peu 
môme  aux  Etats  indépendants,  sous  le  couvert  de 
mariages  et  d'alliances. 

L'Italie  contemporaine  (1780-1879).  —L'Italie  a 
largement  profité  des  bienfaits  de  la  Révolution 
française.  Envahie  dès  1792  par  les  Français,  qui 
occupèrent  Nice  et  la  Savoie,  elle  n'opposa  qu'une 
faible  résistance  au  général  Bonaparte,  qui  l'ap- 
pelait h  l'indépendance.  Victor-Amédée  (177.3-179(i) 
dut  signer  le  traité  de  Cherasco  (17&6).  Partout 
des  conspirations  éclataient  contre  les  princes.  La 
victoire  de  Lodi  expulsa  les  Autrichiens  du  Mila- 
nais (179G).  A  Milan,  h  Bologne,  à  Ueggio,  à  Mo- 


protester  contre  l'asservissement  du  pays  et  des 
consciences.  L'Italie,  qui  avait  longtemps  cru  en 
Bonaparte,  l'abandonna  dès  1812.  Aux  premiers 
revers  en  1814,  Murât  se  prononça  contre  l'empe- 
reur. Dans  le  Nord,  Eugène  Beauharnais,  vice-roi 
à  Milan,  dut  se  retirer  devant  les  Autrichiens.  Le 
premier  traité  de  Paris  ramena  dans  la  Péninsule, 
outre  les  Autrichiens,  le  pape  Pie  VII,  Victor- 
Emmanuel,  François  de  Modène,  François  de  Tos- 
cane, le  conseil  municipal  de  Saint-Marin  et  lo 
prince  de  Monaco.  Durant  les  Cent-jours,  Mural 
essaya  vainement  do  soulever  l'Italie  au  nom  di' 
l'empereur.  Waterloo  condamnait  les  Bonapartr 
et  leurs  alliés.  Ferdinand  IV  rentra  dans  Naples. 
et  Murât,  pris  h  Pizzo  où  il  avait  débarqué,  fut, 
mis  à  mort  (181.')). 

L'occupation  française  n'avait  pas  été  inutile  aux 
Italiens.  Napoléon  avait  encouragé  les  grands  tra- 
vaux dans  la  Péninsule.  Le  droit  français  avait, 
achevé  la  défaite  de  la  féodalité  italienne.  Pour  l.i 
première  fois  depuis  des  siècles,  l'Italie  avait  enfin 
formé  un  Etat.  L'unité  italienne  était  donc  pos.si- 
ble  :  l'Italie  ne  l'a  pas  oublié  Le  patriotisme  ita- 
lien était  né;  il  avait  un  but.  Il  l'a  poursuivi  opi- 
niâtrement durant  un  demi-siècle,  comptant  sur 
la  maison  de  Savoie,  qui  n'a  point  trompé  ses  es- 
pérances, ne  séparant  point  l'idée  de  la  patrie  de 
celle  de  la  liberté,  précieux  hériiage  de  la  Révo- 
lution. 

Les  traités   do  Vienne    livr.aient  à  l'Autriche  la 


ITALIE 


—  1080  — 


ITALIE 


Lombardie  et  la  Vénétie,  réunies  sous  le  nom  de 
royaume  lombard-vénitien  (I SI 51.  Milan  et  Venise 
en  furent  les  capitales  ;  les  soldats  italiens  furent 
disséminés  dans  les  régiments  autrichiens.  Les 
collatéraux  de  la  maison  de  Habsbourg  furent 
grandement  favorisés.  A  l'arcliiduc  Ferdinand  on 
donna  la  Toscane  avec  Piombino  et  lile  d'Elbe  ; 
à  François  d'Esté,  le  duché  do  Modène  ;  h  l'ex-im- 
pératriee  Marie-Louise,  le  duché  de  Parme.  Gènes 
était  annexée  au  Piémont.  Le  fantôme  môme  de 
la  liberté  avait  disparu.  Victor-Emmanuel  I"  livrait 
ses  Etats  aux  jésuites.  Ferdinand  IV  de  Naples,  rjui 
s'appelle  désormais  Ferdinand  l",  roi  des  Deux- 
Siciles,  abolissait  une  constitution  libérale  promul- 
guée en  ISIV,  et  luttait  avec  l'aide  des  Autrichiens 
contre  les  sociétés  sociétés  des  carhonnri.  La  réac- 
tion était  conduite  par  M.  de  Metternich,  policier 
plus  que  diplomate,  homme  d'une  immoralité  ex- 
trême, mais  défenseur  acharné  des  principes  con- 
servateurs. 

La  place  nous  manque  pour  raconter  avec  quel- 
que détail  l'histoire  de  l'Italie,  des  traités  de  1815 
à  nos  jours.  Nous  devons  nous  bornera,  un  résumé 
chronologique  très  sommaire. 

En  IS'iU  et  1821,  des  révolutions  i  Xaples  et  dans 
le  Piémont  obligèrent  Ferdinand  à  accorder  une 
constitution  et  Victor-Emmannel  à  abdiquer  en  fa- 
veur de  Cliarles-Félix,  transformé  aussi  en  roi 
constitutionnel.  Mais  l'intervention  autrichienne, 
appuyée  par  la  Sainte-Alliance,  comprima  les  as- 
pirations libérales  ;  de  sanglantes  exécutions, 
dos  proscriptions  impitoyables,  décimèrent  les 
rangs  des  patriotes,  les  constitutions  furent 
abolies,  et  la  terreur  régna  dans  l'Italie  entière. 

Cela  dura  jusqu'en  1830.  Alors  l'exemple  des 
journées  de  juillet  enflamma  de  nouveau  lajeunesse 
italienne.  Les  insurrections  partielles  de  Parme, 
de  Modène,  des  Romagne  furent  encore  compri- 
mées par  l'Autriche.  Mais,  cette  fois,  les  patriotes, 
malgré  leurs  échecs,  ne  devaient  plus  se  décou- 
rager. Un  grand  parti,  celui  de  la  Jeune  Italie,  s'é- 
tait formé  sous  la  direction  de  Mazzini  ;  et,  durant 
quinze  ans,  d'incessantes  conspirations  tinrent  les 
esprits  en  éveil.  Lorsque  le  cardinal  Mastai  Ferretti, 
qu'on  croyait  libéral,  fut  devenu  pape  sous  le  nom 
de  PielX  (juin  1846).  l'Italie  accueillit  cette  élection 
avec  enthousiasme:  il  semblait  qu'une  ère  nouvelle 
allât  commencer;  des  réformes  s'accomplissaient 
en  Toscane  et  en  Piémcnt,  où  régnaient  Léopold  il 
et  Charles-Albert. 

Mais  la  République  est  proclamée  en  France,  et 
le  contre-coup  de  la  révolution  de  févrit^r  se  fait 
ressentir  dans  toute  l'Europe.  Milan  s'insurge 
Charles-Albert  octroie  à,  son  peuple  une  constitu 
tion  et  déclare  la  guerre  à  l'Autriche.  Partout  le: 
souverains  italiens  sont  chasses  ou  obligés  de  faire 
des  concessions.  Mais  Charles-Albert  est  vaincu: 
le  pape  et  le  roi  de  Naples  font  cause  commune 
avec  la  réaction  européenne.  Abandonnés  par  les 
princes,  les  patriotes  italiens  ne  désespèrent  pas 
de  la  cause  nationale  :  la  république  est  proclamée 
à  Venise,  à  Florence,  à  Rome,  d'où  le  pape  s'enfuit. 
La  guerre  recommence  entre  le  Piémont  et  l'Au- 
triche: Charles-.\lbert  est  encore  écrasé  (à  Novare, 
mars  1840),  et  abdique  en  faveur  de  son  fils 
Victor-Emmanuel  II,  qui  fait  la  paix  avec  r.\u- 
triche  ;  les  princes  sont  rétablis  à  Parme,  à  Mo- 
dène, à  Florence.  Pendant  que  les  Autrichiens  as- 
siégeaient Venise,  Louis-Napoléon,  devenuprésident 
de  la  République  française,  envoyait  une  expédition 
détruire  la  République  romaine.  Le  général  Oudi- 
not  s'empare  de  Rome,  défendue  par  Garil)aldi 
(juillet  1K49);  Venise  capitule  ^aoùt  1849). 

La  réaction  triomphait  dans  l'Italie  entière  ; 
seul,  le  Piémont  avait  gardé  sa  constitution;  sous 
la  direction  d'un  politique  habile,  le  comte  de 
Cavour,  il  voyait  grandir  son  importance.  En  1853, 
les  Piémontais  prennent  parti»  la  guerre  de  Crimée. 


En  185(),  Cavour  posait  devant  le  Congrès  de  Paris 
la  questioii  italienne,  et,  en  1S59,  il  obtenait  le  se- 
cours de  Napoléon  III  contre  r.\uti'iche,  au  prix  de 
la  cession  de  Nice  et  de  la  Savoie  (V.  Guérie 
l'Italie,  p.  912). 

Par  l'annexion  au  Piémont  de  la  Lombardie,  de 
la  Toscane  et  de  l'Emilie  (1859,  ISCn),  un  royaume 
vraiment  italien  était  enfiji  constitué.  Il  n'avait 
plus  en  face  de  lui  que  les  gouvernements  de 
Naples,  de  Rome,  et  de  la  Vénétie  restée  autri- 
chienne. Les  États  napolitains  furent  soulevés  par 
Garibaldi  (IsGU),  qui  y  fit  proclamer  Victor-Emma- 
nuel, en  même  temps  que  les  troupes  pontificales 
étaient  battues  par  l'armée  sarde  à  Castelfidardo  ; 
les  Marches  et  l'Ombrie  sont  annexées  au 
Piémont;  le  pape  ne  garde  que  Rome  et  un  petit 
territoire.  En  1861,  Victor-Emmanuel  prend  le  titre 
de  roi  d'Italie;  Cavour  peut  mourir  (juin  1861)  sa- 
tisfait de  son  œuvre.  Garilialdi ,  qui  voulait  atta- 
quer Rome,  est  désarmé  par  le  gouvernement 
italien  ;  les  troupes  de  Victor-Emmanuel  l'arrêtent 
à  Aspromonte  (1862),  et  le  contraignent  à  renoncer 
à  son  projet. 

En  vertu  de  la  convention  du  15  septembre  1864, 
les  Français,  qui  occupaient  Rome  depuis  1849, 
consentent  à  évacuer  cette  ville  dans  un  délai  de 
deux  ans,  si  Victor-Emmanuel  s'engage  à  respec- 
ter le  territoire  pontifical.  Pie  IX,  se  déclarant  me- 
nacé, lance  l'Encyclique  du  8  décembre  1864, 
qu'accompagne  le  célèbre  Syllabus.  Sans  s'arrê- 
ter àces  récriminations,  Victor-Emmanuel  transporte 
sa  capitale  de  Turin  à  Florence,  puis  s'allie  à  la 
Prusse,  et  déclare  avec  elle  la  guerre  à  l'Autriche 
(1806);  grâce  à  la  victoire  des  Prussiens  à  Sadowa, 
et  malgré  les  défaites  de  Custozza  et  de  Lissa, 
l'Italie  obtint  enfin  la  Vénétie;  en  même  temps,  en 
vertu  de  la  convention  de  septembre,  les  troupes 
françaises  évacuaient  Rome. 

En  octobre  1867,  Garibaldi,  toujours  impatient, 
envahit  les  Etats  pontificaux  à  la  tète  de  ses  vo- 
lontaires; aussitôt  une  armée  française  est  envoyée 
au  secours  du  pape,  et  Garibaldi  est  vaincu  à 
Montana,  où  «  les  chassepots  firent  merveille.  » 
Mais  en  IS'^O,  Napoléon  III  se  voit  contraint  de  re- 
noncer à  défendre  plus  longtemps  le  gouverne- 
ment pontifical,  et  les  Italiens  entrent  à  Rome, 
qui  devient  capitale  définitive  du  royaume.  La  lui 
lie  gnratitie,  votée  en  1870,  assure  au  pape,  souve- 
rain spirituel,  une  liberté  absolue  (V.  Papauté). 

Victor-Emmanuel,  mort  en  1878,  a  ou  pour  suc- 
cesseur son  fils  Humbert  l". 

[L.-G.  Gourraigne.] 
ITALIE  fLiTTÉiiATinE).  —  Littératures  étran- 
gères, XI,  XII.  —  Jusqu'au  douzième  siècle,  les  Ita- 
liens s'exprimaient  en  langue  latine,  cherchant  à 
se  soumettre  aux  règles  quand  ils  prenaient  la 
plume,  et  n'en  ayant  nul  souci  quand  ils  parlaient. 
Leur  idiome,  alors,  c'était  ce  latin  des  soldats  et 
des  gens  du  peuple,  dont  on  retrouve  la  trace  dans 
Plante,  et  qu'ils  avaient  encore  dénaturé,  un  latin 
moins  semblable  à  celui  de  Cicéron  que  le  fran- 
çais de  nos  soldats  et  paysans  ne  l'est  h  celui  de 
Bossuet.  Quiconque  était  trop  ignorant  pour  écrire 
tant  bien  que  mal  en  latin,  écrivait  en  français  : 
notre  vieille  langue  était  alors  très  répandue.  Ce 
n'est  guère  qu'à  la  fin  du  douzième  siècle  que  le 
latin  parlé  commence  à  devenir  un  idiome  mo- 
derne :  il  faut  alors  expliquer  en  langage  -v-ulgaire 
aux  auditeurs  tel  sermon  prononcé  en  latin.  Ita- 
lien et  français  procèdent  l'un  et  l'autre  de  la 
langue  latine;  seulement  l'italien  termine  les  mots 
sur  les  voyelles,  tandis  que  le  français  les  tronque 
sur  les  consonnes,  en  supprimant  la  finale.  Au 
treizième  siècle,  il  existe  une  langue  italienne  : 
on  a  déji  dans  cette  langue  des  cahiers  de 
comptes  ou  de  dépenses  et  des  lettres  d'affaires. 
Quatorzième  siècle.  —  L'instrument  trouvé,  on 
ne  pouvait  tarder   h  s'en  servir.  La   poésie   qui, 


ITALIE 


1081  — 


ITALIE 


(l;ins  le  domaine  des  lettres,  devance  partout  la 
prose,  parut,  au  treizième  siècle,  h,  la  cour  do 
l'alcrme,  sous  le  règne  do  Frédéric  II.  Ce  sont  les 
trovibadours  provençaux  qui  l'y  ont  importée  ;  de 
là  elle  passe  en  Toscane,  plus  tôt  qu'à  Naples  ou 
:\  Uome,  parce  qne  le  peuple  florentin  avait  pris 
l'avance  sur  les  autres  peu|)les  de  l'Italie,  et  aussi 
parce  que  le  hasard  fit  naître  en  ce  temps-là  dans 
Flonuice  un  grand  génie,  le  plus  grand  peut-être 
du  moyen  âge,  un  de  ceux  qui  consacrent  par 
d'immortels  exemples  les  progrès  accomplis  et  qui 
en  accomplissent  Gux-mémes,  Dante  Aligliieri  {fUib- 
1:121).  Après  avoir  beaucoup  étudié  et  s'être  fait 
inscrire  dans  la  corporation  des  apothicaires,  il 
avait  pris  part  aux  combats  extérieurs  que  livrait 
sa  patrie,  aux  querelles  intérieures  qui  la  divi- 
saient en  Blancs  et  en  Noirs;  il  finit  par  être  en- 
veloppé dans  la  disgrâce,  dans  l'exil  des  Blancs. 
Son  caractère  irritable  et  chagrin  lui  avait  fait 
beaucoup  d'ennemis. 

Dante  n'est  pas,  comme  on  l'a  dit,  «  un  astre 
solitaire  dans  la  nuit  sombre  ;  »  plusieurs  de  ses 
contemporains  ont  un  nom  dans  les  lettres,  et  il 
est  même  disciple  de  deux  d'entre  eux,  Guido 
Cavalcanti  et  Cino  de  Pistoia,  renommes  pour 
leurs  poésies  sur  le  modèle  des  troubadours 
provençaux  ou  siciliens.  En  écrivant  comme  eux, 
des  poésies  amoureuses,  il  relève  et  perfectionne 
ce  genre,  en  môme  temps  que,  par  divers  ouvrages 
en  prose,  il  fixe  h  jamais  la  langue  toute  nouvelle 
qu'on  parlait  autour  de  lui.  Mais  c'est  surtout  par 
son  grand  poème,  la  Divine  ('omédie,  qu'il  marque 
sa  place  pour  l'immortalité.  Le  cadre  est  emprunté 
aux  conteurs  français.  Rien  de  plus  ordinaire 
parmi  eux  que  do  faire  voyager  tel  ou  tel  person- 
nage aux  enfers,  au  purgatoire,  au  paradis.  Heu- 
reusement, Dante  transforme,  ennoblit  tout  ce 
qu'il  touche.  D'un  court  et  licencieux  fabliau,  il 
fait  une  trilogie  ample,  chaste,  élevée,  sublime. 
11  donne  à  l'Italie  son  épopée,  (|Ui  est  pour  ce  pays 
ce  qu'est  pour  nous  la  Chanaon  de  Roland,  avec 
ces  différences  essentielles,  qu'au  lieu  de  raconter 
dans  une  langue  encore  informe  un  épisode 
d'histoire  nationale,  il  expose  dans  une  langue 
formée,  avec  toutes  les  beautés  que  sait  trouver  le 
génie  et  tout  l'art  d'un  maître  en  fait  de  style,  les 
croyances  religieuses  du  moyen  âge,  en  sorte 
qu'Italien  par  l'idiome  dont  il  se  sert  et  par  ses 
incessants  retours  sur  l'histoire  de  l'Italie  et  de  sa 
ville  natale,  il  est  le  poète  de  toute  l'Europe  chré- 
tienne par  le  fond  même  de  son  poème.  Ces  retours, 
malheureusement,  sont  si  nombreux,  ses  allusions 
si  fréquentes  à  de  menus  faits  peu  connus,  ses 
allégories,  genre  alors  à  la  mode,  parfois  si  ob- 
scures, qu'il  paraîtrait  souvent  inintelligible,  si, 
presque  à  chaque  vers,  les  notes  de  ses  éditeurs 
n'y  portaient  la  lumière. 

C'est  lui-même  qui  fait  le  triple  voyage,  guide 
dans  l'enfer  et  le  purgatoire  par  Virgile,  dans 
le  paradis  par  Béatrice  Portinari,  une  jeune 
Florentine  enlevée  à  la  fleur  de  l'âge  et  qu'il  avait 
aimée  de  cet  amour  platonique  dont  tout  poète,  en 
ce  temps-là,  était  tenu  de  brûler.  Esclave  des 
usages  et  des  idées  de  son  temps,  Dante  môle,  à  la 
merveilleuse  poésie  qui  lui  est  propre,  la  sco- 
lastique,  la  philosophie,  la  théologie  qui  en  dimi- 
nuent pour  nous  l'attrait,  mais  qui  en  augmentent 
singulièrement  la  portée  historique.  Ces  idées 
abstraites,  ces  souvenirs  de  l'école  dominent  sur- 
tout dans  le  Pariidis;  mais  on  en  trouve  déjà  trop 
dans  le  Pur(jaluirc,  où  elles  sont,  il  est  vrai,  mê- 
lées à  des  descriptions  saisissantes  de  supplices, 
dont  l'unique  défaut  est  de  répéter  celles,  plus 
saisissantes  encore,  qui  remplissent  VEnfer,  et 
qui  en  ont  fait,  depuis  des  siècles,  l'incomparable 
popularité. 

En  politique,  Dante  est  gibelin,  c'est-à-dire  qu'il 
appelle  l'empereur  allemand  pour  régénérer  l'Ita- 


lie et  la  soumettre  au  pouvoir  d'un  seul,  maître 
dans  l'ordre  temporel  comme  le  pape  l'est  dans 
l'ordre  spirituel  :  c'est  dans  cette  dualité,  selon  lui 
sans  péril,  qu'il  voit  le  salut,  comme  il  entreprit 
de  le  montrer  dans  un  vigoureux  ouvrage  écrit  en 
langue  latine  et  intitulé  De  Mo/i'n-clda.  Quand 
l'échec  d'Henri  VII  de  Luxembourg  lui  eut  ôté  ses 
illusions  à  cet  égard,  il  essaya  de  faire  de  Cane 
Grande  délia  Scala,  dont  il  était  l'hùte  à  Vérone,  le 
héros  do  son  rêve,  qu'il  ne  devait  pas  voir  réalisé. 

Ces  pensées  et  ces  desseins,  qui  étaient  alors 
une  des  formes  du  patriotisme,  d'un  patriotisme 
mal  entendu,  se  retrouvent  fré(iuemment  dans  la 
Divine  Comédie;  mais  ce  n'est  point  là  ce  qui  en 
fait  le  charme,  l'attrait.  Ce  qui  altire  et  retient  le 
lecteur,  ce  sont  tant  d'immortels  épisodes,  Fran- 
çoise de  Rimini,  Ugolin  et  la  tour  du  la  Faim,  le 
portrait  de  la  fortune,  l'entrevue  du  poète  avec 
Brunetto  Latini,  son  maître,  la  redoutable  descente 
au  huitième  cercle,  les  deux  épisodes  des  serpents 
et  tant  d'autres  ;  c'est  l'originale  et  difficile  inven- 
tion par  laquelle  Dante  se  représente  et  cherche 
à  représenter  les  splejideurs  éblouissantes  de 
l'empyrée,  cette  rose  blanche  dont  les  feuilles 
éclatantes  et  pures  deviennent  les  sièges  des  saints 
et  des  saintes,  revêtus  de  blanches  étoles  ;  c'est 
surtout  qu'il  a  su  créer  des  personnages  vivants 
avec  deux  éléments  disparates,  l'idéal  et  le  réel, 
qui,  réunis  par  son  art,  no  peuvent  plus  être  sépa- 
rés. Mêlant  ainsi  aux  traits  caractéristiques  de  son 
temps,  qu'il  fixe  à  jamais,  les  richesses  de  sa 
puissante  imagination,  il  le  dépasse  par  la  force 
de  son  génie,  il  entrevoit  l'aube  de  la  Renaissance, 
il  donne  de  hautes  leçons  de  littérature  comme  de 
morale.  S'il  reste  un  modèle  à  ce  point  inimitable 
qu'on  n'osa  guère  l'imiter,  ses  contemporains, 
après  l'avoir  laissé  mourir  dans  son  exil  de  Vérone, 
dont  il  ne  voulut  pas  être  rappelé  au  prix  d'une 
soumission  humiliante,  se  prirent  pour  lui  d'une 
admiration  sans  bornes  :  voyant  dans  ses  vers  un 
texte  presque  aussi  sacré  que  celui  de  l'Ecriture 
sainte,  ils  fondèrent  partout,  pour  l'expliquer, 
pour  le  commenter,  des  chaires  qui,  en  plus  d'un 
endroit,  furent  établies  dans  les  églises.  S'il  y  eut 
exagération  dans  un  enthousiasme  qui  tenait  peut- 
être  du  remords,  Dante  n'en  est  pas  moins,  et  de 
beaucoup,  le  plus  grand  nom  de  l'Italie. 

La  Divine  Comédie  fait  trop  oublier  les  services 
rendus  à  la  prose  italienne  par  quelques  écrits  de 
Dante  ;  mais  en  prose  il  n'a  pas  la  môme  supério- 
rité qu'en  vers  :  il  n'a  guère  que  celle  de  son  grand 
esprit  et  des  choses  qu'il  pense.  Les  auteurs  de 
chroniques,  de  souvenirs  personnels,  consignés  au 
jour  le  jour,  qu'on  appelait  ricordi  ou  ricordanze, 
et  qui  sont  comme  la  forme  primitive  des  mémoires, 
contribuaient  eux  aussi,  par  leur  langage  simple 
et  naturel,  aux  progrès  de  la  prose.  II  suffira  de 
citer  ici  Giovanni  Villani  (1310-1-318),  son  frère 
Matteo  et  son  neveu  Filippo,  tour  à  tour  historiens 
de  Florence  leur  patrie,  avec  un  elïort  louable  vers 
l'exactitude  et  l'impartialité.  Ce  qui  leur  manque, 
c'est  le  génie.  Pétrarque  et  Boccace  sont,  à  cet 
égard,  les  seuls  héritiers  de  Dante;  mais  ils  n'ont 
recueilli  que  la  moindre  partie  de  son  héritage. 

Francesco  Petrarca  i.l3U4-l-.74),  né  à  Arezzo,  de 
parents  florentins  en  exil,  avait  pris  dans  sa  jeu- 
nesse, en  terre  d'Avignon,  à  la  cour  du  Sahit- 
Siège,  le  goût  de  la  poésie  lyrique  des  Provençaux. 
Libre  de  sa  vocation  par  la  mort  de  son  père  qui 
le  voulait  légîbte,  il  revêtit  l'habit  ecclésiastique, 
qui  donnait  alors  l'indépendance  avec  la  considé- 
ration, et  il  consacra  une  vie  de  loisirs  à  chanter 
en  vers  l'amour  platonique  que  lui  inspirait  une 
jeune  femme  du  Comtat,  Laure  de  Noves,  mariée  à 
Huges  de  Sade.  Dix-sept  années,  il  vécut  dans  des 
larmes  et  des  soupirs  de  commande  :  ses  sonnets 
sollicitaient  ou  célébraient  la  modeste  faveur  d'un 
regard,  d'une  main  dégantée,  d'une   parole  affec- 


ITALIE 


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tueuse  ou  seulement  polie.  Quand  la  mort  lui  a 
ravi  Laure,  il  en  célèbre  encore  les  mérites,  et  ses 
regrets  sont  plus  toucliants  que  les  précédents 
désespoirs  de  son  Canzoniere.  Il  s'y  montre,  en 
somme,  très  supérieur  aux  troubadours  et  aux 
Italiens  qui  les  avaient  imités,  quoiqu'il  ne  soit 
point  exempt  de  leur  subtilité  fleurie.  Dans  ces 
poésies,  où  le  fond  n'est  rien,  où  le  charme  du  sen- 
timent ,  du  rythme  ,  du  style  est  tout,  rien  na 
vieilli.  On  peut  seulement  regretter  que  Pétrarque 
ait  donné  naissance,  tant  il  était  facile  de  marcher 
sur  ses  traces,  à  l'école  des  pétrarquistes,  séculaire 
fléau  qui  n'a  point  cessé  encore  de  sévir  sur  l'I- 
tahe. 

Chose  remarquable!  Les  sonnets  et  canzone  qui 
sont  à  nos  yeux  la  gloire  de  Pétrarque,  n'en  étaient 
point  le  fondement,  aux  yeux  de  ses  contempo- 
rains. Ils  admiraient  surtout  de  lui  ses  poésies  la- 
tines. C'est  un  poème  latin,  VAfricn,  qui  lui  valut 
l'honneur  de  recevoir  à  Rome,  au  Capitole,  le  lau- 
rier poétique.  Ses  écrits  en  prose  ou  en  vers  dans 
la  langue  des  vieux  Romains  attestent  du  moins  un 
effort,  quelquefois  heureux,  pour  en  user  avec  une 
élégance  depuis  longtemps  perdue.  Passionné 
pour  les  lettres  antiques,  Pétrarque  parcourait 
l'Europe  pour  en  découvrir,  acheter,  transcrire  ou 
faire  transcrire  les  manuscrits,  oubliés  et  comme 
perdus  dans  la  poussière  des  couvents.  Par  là  il 
est  un  des  premiers  qui  aient  acheminé  l'Italie, 
et  à  sa  suite  lEurope,  dans  les  voies  de  la  Renais- 
sance. 

Il  avait  trouvé  un  puissant  auxiliaire  dans  son 
ami  Giovanni  Boccaccio  (131.3-l.375i,  fils  d'un  Toscan 
des  environs  de  Florence  et  d'une  Parisienne, 
élevé  à  Paris,  et  destiné  au  trafic,  qu'il  abajidonna 
pour  les  lettres,  comme  Pétrarque  avait  fait  le 
droit.  Moins  novice  dans  la  connaissance  du  grec, 
c'est  surtout  les  manuscrits  grecs  que  Boccace  s'é- 
tudiait à  répandre  de  sa  belle  main  de  copiste. 
C'est  un  titre  sérieux  à  l'estime  publique  pour  cet 
écrivain,  que  le  plus  important  de  ses  écrits  con- 
damne à  tout  jamais  à  une  renommée  équivoque. 
Il  avait  la  prétention  d'être  surtout  un  poète,  et, 
de  fait,  il  écrivit  beaucoup  en  vers  ;  mais  ses 
poèmes  sont  un  peu  négligés  aujourd'hui,  quoi- 
qu'on y  remarque  le  désir  et  l'art  de  conter,  c'est- 
à-dire  "le  génie  même  de  Boccace.  Il  avait  beaucoup 
lu  et  goûté  les  conteurs  français  ;  il  les  imita,  par 
manière  de  passe-temps,  dans  son  Décnmirojj, 
recueil  de  cent  nouvelles  en  dix  journées,  et  il  les 
laissa  bien  loin  derrière  lui,  par  sa  sobriété,  son 
esprit,  son  style,  sa  langue.  Longtemps  il  a  été 
considéré  comme  le  modèle  de  la  prose  italienne. 
Si  l'on  reconnaît  aujourd'hui  que  sa  période,  trop 
imitée  de  Cicéron,  a  trop  d'ampleur  ;  si  l'on  pré- 
fère la  phrase  plus  courte  des  chroniqueurs  ses 
contemporains,  on  ne  peut  méconnaître  en  lui  un 
des  plus  habiles  écrivains  de  tout  pays.  On  re- 
grette seulement  que  le  goût  des  aventures  licen- 
cieuses ou  obscènes,  général  en  ce  temps-là,  nous 
force  à  reléguer  cet  ouvrage  parmi  ceux  dont  on  ne 
sait  trop  dire  s'il  faut  les  appeler  chefs-d'œuvre  ou 
livres  honteux.  Les  nouvelles  de  la  dixième  jour- 
née et  l'introduction,  où  est  admirablement  décrite 
la  peste  noire  de  134«,  pourraient  seules  être 
mises  dans  toutes  les  mains.  Pas  n'est  besoin  de 
dire  que,  dans  ce  genre  facile,  Boccace  trouva  de 
nombreux  imitateurs  ;  mais  pas  un,  pas  même 
Franco  Sacchetti,  le  meilleur  de  tous,  ne  peut  lui 
être  comparé. 

Quinzième  siècle.  —  Après  ces  auteurs  de  génie 
semblent  se  tarir  les  sources  de  l'invention.  Us  ont 
donné  à  l'Italie  une  langue  définitive,  et,  cependant 
elle  retourne  au  latin.  One  admiration  trop  enthou- 
siaste de  l'antiquité  retrouvée  lui  fait  croire  qu'elle 
n'a  plus  qu'à  se  remettre  à  l'école.  Le  xv"  siècle  re- 
noue la  chaîne  qu'ont  brisée  les  temps  barbares  et 
le  moyen  âge.  Le  goût  de  l'érudition  devient  uni- 


versel. On  s'étudie  à  écrire  le  latin  comme  Cicéron, 
et,  un  peu  puérilement,  à  ne  se  servir  que  de  mots 
par  lui  employés.  En  langue  italienne,  on  n'écrit 
guère  plus  qu'en  vers.  Laurent  de  Médicis  et  jVnge 
Politien  sont  au  nombre  des  meilleurs  poètes  do 
ce  temps.  D'autres  mettent  en  vers  italiens  nos 
chansons  de  gestes,  nos  romans  de  la  Table  Ronde. 
Mais  dans  le  Morc/ante  rtmi/giore  de  Pulri  (1431), 
dans  l'O/'/anrfo  innamorato  de  Bojardo  (1434),  on 
ne  retrouve  point  le  sérieux,  la  bonne  foi  de  nos 
vieux  auteurs  primitifs.  Les  imitateurs  de  ceux-ci 
au  sud  des  Alpes  sont  un  peu  suspects  de  ne  ra- 
conter qu'en  plaisantant  les  exploits  de  leurs  héros, 
comme,  au  surplus,  faisaient  eux-mêmes  les  der- 
niers de  nos  trouvères. 

Seizième  siècle.  —  Au  siècle  suivant,  la  littérature 
italienne  prend  une  floraison  nouvelle,  inférieure, 
quoi  qu'on  en  ait  dit,  à  celle  du  xiv%mais  où,  néan- 
moins, s'épanouit  de  nouveau  le  génie.  Ce  qui  nuit 
aux  écrivains,  alors,  c'est  qu'ils  sont  des  serviteurs, 
des  sujets,  au  lieu  d'être  des  hommes  libres.  Leur 
inspiration  est  en  quelque  sorte  commandée.  Elle 
manque  de  fierté,  de  dignité.  Leur  tâche  est  de 
fondre  dans  une  composition  harmonieuse  les  élé- 
ments nombreux,  mais  épars,  qu'ils  ont  sous  la 
main.  L'imagination  de  détail  et  le  goût  sont  dé- 
sormais les  qualités  dominantes.  L'effort  de  l'ar- 
rangement et  du  style  devient  sensible,  et  le  nom- 
bre des  auteurs  considérable,  parce  que  le  travail 
et  l'art  suffisent  à  leur  assurer  une  place  d'honneur. 
Mais  ceux-là  seuls  envers  qui  la  nature  s'est  mon- 
trée prodigue  peuvent  ici  nous  arrêter. 

Au  premier  rang,  par  le  temps  comme  par  le 
génie,  estNiccolo  Macchiavelli  (14G9-I521).  Homme 
de  transition,  il  appartient,  par  la  durée  de  sa  vie, 
autant  au  xv°  siècle  qu'au  xvi«.  Issu  d'une  ancienne 
famille  de  Florence,  successivement  chancelier  et 
secrétaire  de  la  République,  puis  destitué  et  banni, 
assez  honnête  pour  être  sorti  pauvre  de  sa  charge, 
mais  pas  assez  stoique  pour  se  résigner  à  sa  pau- 
vreté, il  pactisa  trop  avec  les  puissants  pour  mar- 
quer une  juste  horreur  de  leurs  pratiques  scélé- 
rates ou  infâmes,  et  ces  accommodements  avec  le 
mal  ont  nui  à  ses  ouvrages,  par  suite  à  sa  re- 
nommée. D'un  naturel  observateur,  il  note  froide- 
ment, il  indique  avec  un  flegme  imperturbable  les 
actes  propres  à  étendre  ou  à  afl'ermir  le  pouvoir, 
dans  un  ouvrage  intitulé  le  Prince,  chef-d'œuvre 
profond,  mais  qui  n'est  ni  un  livre  de  morale,  ni 
môme  un  livre  moral.  On  y  trouve  mises  à  nu  les 
plus  secrètes  idées  de  son  temps,  car  il  a  fouillé 
comme  avec  son  scalpel  dans  l'âme  des  tyrans  de 
l'Italie,  sans  plus  s'indigner  de  ce  qu'elle  a  de  dif- 
forme, que  ne  ferait  un  analomiste  des  difformités 
physiques.  Indifférent  aux  iirincipes,  comme  on 
l'était  en  un  siècle  où  Gonzalve  de  Cordoue  osait 
dire  que  la  toile  d'honneur  doit  être  d'un  tissu 
lâche,  ce  qu'il  admire,  c'est  l'art  de  gagner  la 
partie,  ou,  tout  au  moins,  de  la  bien  jouer.  Etran- 
gement superstitieux,  malgré  sa  profondeur,  il  n'a 
pas  eu  le  pressentiment  de  l'avenir,  et  cet  esprit 
moderne  qu'il  a  méconnu,  l'en  a  châtié  en  formant 
de  son  nom  le  mot  mal  famé  de  muc/naiélisme, 
qui  exprime  des  pratiques  raffinées  et  tortueuses 
bien  antérieures  à  lui.  Mais  alors  il  ne  choquait 
personne  :  le  Prince  parut  avec  le  privilège  d'une 
bulle  pontificale,  qui  en  recommandait  la  lecture 
comme  très  salutaire  aux  chrétiens,  et  il  a  été 
depuis,  pour  les  despotes,  le  livre  de  chevet.  C  est 
mal  juger  Machiavel  que  de  le  poursuivre,  comme 
on  l'a  fait  souvent  dans  les  deux  derniers  siècles, 
de  violentes  invectives,  ou  de  voir  en  lui,  comme 
on  le  fait  de  nos  jours,  un  apôtre  de  la  cause  natio- 
nale et  démocratique.  Il  est  un  témoin,  qui,  par 
prudence  ou  indifférence,  refuse  d'être  un  juge. 

D'autres  ouvrages  recommandent  encore  le  nom 
de  Machiavel.  Ses  Discours  sur  la prtmiéredécade 
de   Tite-Live,   sans  imposer  les  mêmes  reserves. 


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contiennent  pourtant  trop  de  maximes  semblables 
;ï  celles  du  Prince.  Faisant  la  pliilosophie  de  l'his- 
toire romaine,  il  analyse  et  développe  ce  que 
Bossuet  résume,  et  il  se  distingue  de  lui,  comme 
de  Montesquieu,  par  une  application  constante  des 
faits  anciens  aux  intérêts  modernes.  Ses  Histoires 
/ifocf'/i/mcs  jusqu'en  Wii  ne  sont,  quant  aux  faits, 
que  la  reproduction  de  l'iiistorien  Cavalcanti,  aussi 
obscur  que  médiocre;  mais  il  fait  oublier  son  guide 
par  des  appréciations  judicieuses,  môme  des  événe- 
ments qu'il  connaît  mal,  et  par  un  style  bref,  nerveux, 
sans  images  ni  ornements,  qui  difl'ère  très  heureu- 
sement de  celui  de  Boccace,  qu'on  proposait  alors 
pour  modèle.  Parmi  bien  d'autres  écrits,  la  plu- 
part politiques  ou  militaires,  signalons  ses  heu- 
reuses excursions  sur  le  domaine  de  la  nouvelle 
I  Ilrlp/ii'f/or)  et  de  la  comédie  (  !.a  Maiidrtiijo/a,  etc.  V 
Son  théâtre  est  licencieux,  mais  le  pape  Léon  X 
n'en  aimait  pas  moins  à  s'en  donner  le  divertisse- 
ment. L'équivoque  règne  malheureusement  sur 
les  écrits  comme  sur  la  vie  de  ce  philosophe  poli- 
tique, et  ne  permet  pas  de  joindre  une  entière 
estime  à  l'admiration. 

Après  lui,  bien  d'autres  ont  écrit  en  prose,  qui 
ne  le  suivent  que  de  loin,  même  Guicciardini  (Gui- 
chardin),  renommé  pour  son  Histoire  d'Italie,  et  les 
Novetlieri  ou  conteurs,  dont  aucun  ne  vaut  ceux 
du  xiV  siècle.  Le  xvi',  en  sa  seconde  moitié,  tom- 
bait dans  ce  travers  de  croire  qu'un  rien  avait  de 
l'importance,  quand  il  était  bien  exprimé.  Des  aca- 
démies fort  nombreuses,  et,  dans  le  principe,  utiles 
aux  lettres,  devinrent,  en  un  temps  d'oisiveté  ser- 
vile,  une  végétation  luxuriante  qui  étouffait  tout 
développement  spontané  des  esprits.  11  y  avait  les 
académies  des  Lucides,  des  Obscurs,  dos  Gelés, 
des  Enflammés,  des  Altérés,  des  Insensés,  etc.  Les 
membres  de  chacune  portaient  des  surnoms  appro- 
priés au  titre  général  de  leur  compagnie.  Tel  des 
Enflammés  s'appelait  le  Brûlé,  tel  autre  le  Grillé 
ou  l'Ardent.  L'emploi  du  temps  était  digne  de  ces 
puérilités.  On  faisait  l'éloge  des  grands  nez,  de  la 
salade,  du  concombre,  de  l'hypocondrie,  comme, 
au  temps  de  la  décadence  du  monde  ancien,  celui 
de  la  chevelure  ou  de  la  calvitie.  On  recherchait 
qui  était  antérieur,  de  la  poule  ou  de  l'œuf.  Le 
langage  était  à  l'avenant,  vain  étalage  de  figures  de 
rhétorique  et  d'érudition  pédantesque.  Une  seule 
de  ces  académies  a  conservé  en  partie,  malgré  ces 
ridicules  dont  elle  n'était  point  exempte,  sa  re- 
nommée d'autrefois:  c'est  l'académie  florentine  de 
la  Crusca  ou  du  Blutoir,  qui  se  donne  pour  mission 
de  trier  les  tours  et  les  mots  de  la  langue,  selon 
les  principes  du  goût. 

C'est  merveille  que  le  «  mal  académique  »,  ainsi 
qu'on  l'a  justement  nommé,  n'ait  pas  été  un  in- 
vincible obstacle  à  d'heureuses  créations  do  la 
poésie.  Chez  quelques-uns  le  génie  naturel  triom- 
|)ha  do  tout.  Lodovico  Ariosto  (1174-1533),  né  à 
Reggio  dans  le  duché  de  Modène,  s'est  immorta- 
lisé par  un  poème  d'aventures  chevaleresques,  le 
Holand  furieux,  continuation  du  HolamJ  amoureux 
de  Bojardo  et  de  nos  chansons  de  gestes,  mais  où 
le  nom  de  Roland  ne  vient  que  pour  attirer  le  lec- 
teur, en  le  trompant,  et  dont  le  sujet  véritable, 
encadré  dans  la  croisade  fabuleuse  de  Charlemagne 
contre  les  Sarrasins,  enrichi  de  cent  épisodes  di- 
vers, ce  sont  les  aventures,  les  amours,  le  mariage 
de  Roger  et  de  Bradamante.  L'Arioste  a  l'air  de 
croire  à  ce  qu'il  raconte,  bon  moyen  d'y  intéresser 
les  autres.  Imperturbable  dans  sa  bonne  humeur, 
il  a  l'intérêt  d'Homère,  sans  en  avoir  la  simplicité, 
le  naturel  et  la  grandeur.  Il  représente  les  choses, 
les  batailles  par  exemple,  avec  tant  de  relief  qu'on 
croit  les  voir.  11  donne  la  vie  h  ses  personnages. 
S'il  pèche,  c'est  par  trop  de  bouffonneries,  d'exa- 
gérations, de  digressions,  de  monologues,  d'éloges 
courtisanesquos  de  la  maison  d'Esté.  Mais  nul  [  oète 
n'a  eu  au  même  degré  que  lui  l'imagination  écla- 


tante et  fraîche.  Son  style  est  d'une  si  rare  perfec- 
tion, que  la  Crusca.  toujours  sévère  pour  ce  qui 
n'est  pas  florentin  d'origine,  a  admis  le  Roland  fu- 
rieu.c  au  nombre  des  «  textes  de  langue  »,  c'est-à- 
dire  des  livres  qui  offrent  les  vrais  modèles  du 
langage  italien.  Auteur  de  comédies  dans  la  ma- 
nière latine  et  de  saiires  piquantes  contre  les 
grands  et  les  oppresseurs  de  l'Italie,  clercs  ou  laï- 
ques, l'Arioste  a  su  conquérir  parmi  les  meilleurs 
auteurs  de  son  pays  un  des  premiers  rangs. 

L'autre  grand  poète  de  ce  siècle,  c'est  Torquato 
Tasso  (1544-1^95),  né  à  Sorrente,  d'un  père  citoyen 
de  Bergame,  et  poète  lui-môme.  Le  Tasso  était 
trop  de  son  temps  pour  ne  pas  rechercher  la  pro- 
tection des  princes  et  les  délices  des  cours  ;  mais 
l'humilité  dont  il  y  fallait  faire  preuve,  les  liens 
dorés  qu'il  y  fallait  porter,  durent  singulièrement 
contrarier  les  habitudes  de  fière  et  sauvage  indé- 
pendance qu'il  avait  contractées  dans  sa  jeunesse. 
De  là,  les  amers  chagrins  d'une  vie  qui,  voulant 
être  libre,  ne  sut  pas  s'imposer  les  sacrifices 
qu'exige  la  liberté.  De  là,  son  dégoût  des  cours, 
ses  violences,  son  hypocondrie  de  maniaque,  sa 
captivité,  vengeance  peu  généreuse  de  la  maison 
d'Esté  envers  un  grand  poète  dont  les  chants  déjà 
célèbres  lui  avaient  donné  plus  de  gloire  qu'elle 
n'en  méritait.  En  un  an  sa  Jérusalem  ihUit  rée  avait 
obtenu  sept  éditions.  On  ne  pouvait  choi-ir  un  plus 
beau  sujet  de  poème  épique  que  la  première  Croi- 
sade. L'auteur  connaît  bien  l'histoire,  et  il  la  res- 
pecte, sauf  aux  endroits  où  un  heureux  instinct  lui 
montre  qu'il  la  peut  modifier.  N'ayant  pas,  en  sa 
matière,  la  foi  qu'aurait  eue  un  trouvère  du  moyen 
âge,  il  l'embellit  par  un  merveilleux  tour  à  tour 
chrétien  et  musulman.  Mais  il  est  admirable  dans 
l'exécution,  comme  dans  la  conception.  11  sait  com- 
biner son  plan  avec  proportion,  avec  justesse,  et 
y  rester  fidèle.  Il  s'interdit  les  digressions  oiseu- 
ses, et  ne  tire  que  du  sujet  même  ses  nombreux 
et  brillants  épisodes.  Il  décrit  les  lieux  avec  une 
exactitude  si  minutieuse  que  Chateaubriand,  qui  les 
parcourut  la  Jérusalem  délivrée  à  la  main,  les  re- 
connut sans  hésiter.  Pour  la  première  fois  depuis 
l'antiquité,  on  voyait  une  véritable  épopée,  où 
scènes  d'amour,  conseils,  processions,  palais  en- 
chantés, cabanes  de  pasteurs,  campements,  batail- 
les, villes  assiégées  se  succèdent  pour  aboutir  non 
à  une  fin  de  hasard,  mais  à  celle  que  le  poète  s'é- 
tait fixée  dès  le  début. 

Ce  qu'on  lui  peut  reprocher,  c'est  de  retracer 
les  mœurs,  surtout  celles  des  Musulmans,  avec 
moins  de  fidélité  que  les  faits,  défaut  qui  lui  est 
commun  avec  Racine  ;  c'est  d'abuser  du  bel  esprit, 
des  allégories  forcées,  des  vers  précieux,  des  ima- 
ges trop  fleuries,  des  expressions  afl'ectées,  sous 
prétexte  de  finesse.  'Voilà  le  clinquant  que  Boileau 
censurait  en  rappelant  l'or  de  Virgile,  et  qui  mé- 
riterait un  nom  plus  si'vère,  celui  de  mauvais  goût. 
Quoi  qu'il  en  soit,  le  Tasse,  moins  spirituel  et 
moins  fécond  que  l'Arioste,  est  plus  égal  et  plus 
pénétré  des  sources  antiques.  Son  poème,  malgré 
ses  taches,  est  lu  encore,  après  trois  cents  ans, 
par  tous  les  homiues  que  charme  l'épanouissement 
complet  d'une  riche  et  poétique  imagination. 

Le  xv°  siècle  compte  encore  d'autres  poètes  et 
d'autres  genres  de  poésie.  Alamanni  se  fit  un  nom 
dans  le  genre  didactique;  le  Tasse,  Annibal  Caro, 
Michel-Ange,  qui  posait  parfois  le  ciseau  et  h» 
brosse  pour  la  plume,  dans  le  genre  lyrique.  Si- 
gnalons encore  Berni,  dont  le  talent  valut  au  bur- 
lesque, c'est-à-dire  à  la  folie,  l'honneur  do  devenir 
un  genre.  Par  les  contrastes,  les  disparates,  les 
rapprochements  inattendus,  les  comparaisons  gro- 
tesques, il  dériderait  les  plus  graves  lecteurs; 
mais  de  son  burlesque  au  plaisant  de  l'Arioste,  il 
y  a  tout  l'écart  du  trivial  au  distingué,  du  talent 
au  génie.  Les  expressions  à  double  sens,  dont 
l'honnêteté  apparente  laisse  entendre  mille  indé- 


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cencos,  mille  ordures,  tel  est  le  triomphe  de  cet 
art  de  bas  étage. 

Mis  en  action,  il  donne  la  farce  improvisée 
ou  Comédie  de  l'art,  comme  on  dit  en  Ita- 
lie, souvenir  attardé  des  Atellaiies  antiques, 
canevas  que  remplissent  les  acteurs  au  gré  de 
leur  fantaisie,  le  plus  souvent  écrasés,  dans  leur 
médiocrité,  par  une  liberté  si  grande,  qui  n'en- 
fantait que  lazzi  sans  finesse  et  conversations 
décousues.  A  côté  se  développait  la  comédie  régu- 
lière, dont  l'Italie  avait  pris  le  goût  en  faisant  con- 
naissance avec  Plaute  et  ïérence.  Ou  a  vu  que 
Machiavel  et  l'Arioste  écrivirent  des  comédies. 
Plus  de  mille  auteurs  au  .fvi"  siècle,  et  près  de 
quatre  mille  au  .xvii",  marchèrent,  à  cet  égard,  sur 
leurs  traces  sans  les  égaler,  ni  même  les  appro- 
cher. La  tragédie  ne  fut,  au  début,  qu'un  tissu 
d'horreurs  et  de  monstruosités.  Les  trouvant  dans 
le  théâtre  grec,  on  croyait  l'imiter  en  les  reprodui- 
sant, sans  comprendre  que  ce  qui  les  y  explique, 
c'est  la  fatalité,  ressort  essentiel  du  drame  anti- 
que. Trissino,  Rucellai,  Alamanni,  le  Tasse  sur- 
tout, accomplirent  un  progrès  dans  l'art  tragique, 
sans  toutefois  produire  un  chef-d'œuvre. 

La  gloire  du  théâtre  en  Italie,  au  xvi<!  siècle, 
c'est  le  genre  pastoral,  genre  faux  et  funeste,  re- 
nouvelé de  Théocrite  par  Sannazar  dans  ses  églo- 
gues  latines,  découpé  en  scènes  plus  ou  moins 
dramatiques  par  divers  poètes.  Ici  encore,  c'est  le 
Tasse  qui  donna  le  modèle.  Son  Aniinta  obtint 
plus  de  succès  que  sa  Jérusalem  :  on  y  admire 
encore  aujourd'hui  la  grâce,  l'élégance,  la  pureté, 
tous  les  agréments  de  la  langue  et  du  style.  Dans 
ces  sortes  d'églogues  dramatiques,  le  charme  des 
vers  fait  oublier  tout  le  reste,  et  c'est  fort  heu- 
reux, car  l'action  en  est  trop  sensiblement  ab- 
sente :  tout  s'y  passe  en  dialogues  et  récits.  Les 
bergers  y  sont  héroïques,  délicats,  portés  à  l'a- 
mour, tout  différents,  en  un  mot,  dos  bergers  rudes 
et  primitifs  de  Théocrite,  et  même  de  ceux  plus 
raffinés,  mais  naïfs  encore,  de  Virgile.  On  ne  sau- 
rait omettre,  en  parlant  de  ce  genre,  le  Pastor 
fido  de  Guarini  (I.'jST-lGlS',  imitateur  du  Tasse, 
quoiqu'il  prétendit  être  original.  Dans  cette  «  tragi- 
comédie  »,  comme  il  lui  plait  do  l'appeler,  Gua- 
rini mêle  le  triste  et  le  gai,  le  bouffon  et  le  noble, 
le  simple  et  le  somptueux.  Il  se  recommande  par 
l'éclat  de  l'imagination,  par  des  récits  animés,  élo- 
quents, pleins  d'intérêt,  par  des  descriptions  pa- 
thétiques, quelquefois  même  par  le  mouvement 
du  drame.  De  la  pastorale  devait  prendre  nais- 
sance le  mélodrame  ou  drame  en  musique,  ap- 
pelé, malgré  ses  défauts  inévitables,  h,  de  grandes 
destinées. 

Dix-septième  siècle.  —  Le  xvii'  siècle  est  aussi  pau- 
vre en  Italie  qu'il  est  riche  en  France.  L'Italie,  qui 
avait  devance  les  autres  peuples  dans  les  voies 
de  la  civilisation,  est  alors  en  proie  i  une  mala- 
die de  langueur  et  de  décadence  ,  tandis  que 
les  autres  peuples  sont  en  pleine  floraison.  Le 
fléau  des  académies  sévit  de  plus  en  plus.  Des 
auteurs  estimables  dajis  tous  les  genres,  aucun 
génie,  tel  est  le  bilan  du  siècle.  Le  Napolitain 
Jlarini  (IÔG9-1G2Ô;,  le  «  cavalier  Marin  »,  comme  on 
l'appelait  en  France  où  il  passa  une  partie  de  sa  vie, 
représente  alors  la  poésie.  Le  plus  naturellement 
poète  de  tous  les  Italiens  après  l'Arioste,  pour 
plaire,  il  se  fit  bizarre,  et  il  gâta  ses  heureux  dons 
par  un  mauvais  goût  qui  faisait  pâmer  d'aise  les 
habitués  de  l'hôtel  de  Rambouillet.  Durant  tout 
le  xvii"  siècle,  il  fut  placé  au-dessus  des  classiques 
italiens,  et  il  traîna  à  sa  suite  un  troupeau  d'imita- 
teurs qui  ajoutèrent  au  faux  la  platitude  et  l'inep- 
tie. Dans  ce  temps,  une  seule  œuvre  vraiment 
distinguée  est  à  signaler  :  c'est  le  Seau  enlevé  du 
Modejiais  Tassoni  (15G5-1(!35),  qui  comprit,  éclairé 
peut-être  par  le  succès  de  Don  Quichotte,  (ju'il 
fallait  renouveler  l'épopée  romanesque  et  la  paro- 


dier ;  le  sujet  de  ce  petit  poème,  emprunté  à  l'his- 
toire du  xiii°  siècle,  est  la  ridicule  guerre  qu'un 
seau  de  bois,  ravi  par  les  habitants  de  Mudène  et 
conservé  dans  le  clocher  de  leur  cathédrale,  alluma 
entre  eux  et  les  Bolonais.  C'est  une  satire  litté- 
raire où  divers  traits  d'une  critique  plus  générale 
introduisent  la  variété. 

Dix-huitième  siècle.  —  Au  siècle  suivant,  le  gé- 
nie italien  sembla  se  réveiller.  Le  grand  éclat  que 
venait  de  jeter,  que  jetait  encore  la  littérature  fran- 
çaise le  tira  de  son  sommeil.  C'est  le  temps  où,  à 
la  voix  de  Voltaire,  les  princes  de  tout  pays  es- 
sayaient tous  plus  ou  moins  de  rompre  avec  leur 
passé,  de  marcher  dans  les  voies  mieux  ouvertes 
de  la  civilisation  et  du  progrès.  !Vos  belliqueux 
auteurs  n'étaient  plus  réduits  à  se  détourner  des 
grands  sujets  défendus  sur  de  petites  choses  qu'on 
relevait,  pour  parler  comme  la  Bruyère  ,  par  la 
beauté  du  génie  et  du  style.  Us  furent  imités  comme 
jadis  on  imitait  Boccace  et  Pétrarque,  non  seule- 
ment dans  les  pensées,  mais  jusque  dans  les  mots. 
La  critique,  l'histoire  marchent  d'un  pas  ferme  et 
sûr  avec  Tiraboschi,  Maffei,  Muratori,  Gian- 
none.  Beaucoup  de  savoir,  point  ou  peu  de  génie. 
On  en  trouve  pourtant,  dans  l'ordre  des  ouvrages 
sérieux,  chez  le  Napolitain  Vico  (1668-1744}  qui 
cherche  en  des  pages  profondes,  mais  obscures  et 
sans  cet  ordre  qu'il  veut  nous  faire  admirer  dans 
l'univers,  l'explication  rationnelle  du  développe- 
mont  de  l'humanité.  Ce  sont  ses  Princijjes  de  la 
science  7i"uvelle,  vaste  .synthèse  qui  embrassait  pré- 
maturément tous  les  connaissances  dont  l'homme 
est  l'objet.  On  ne  peut  parler  de  Vico  sans  nommer 
aussi  le  Milanais  Beccaria  (1738-1794)  qui  a  mar- 
qué sa  place  par  son  livre  Des  délits  et  des  peines, 
où  il  expose  les  principes  du  droit  criminel,  et 
dont  l'autorité  est  invoquée  encore  aujourd'hui.  Il 
y  demande  l'abolition  de  la  torture,  l'institution 
du  jury,  et  il  défend  la  plupart  des  causes  géné- 
reuses chères  à  notre  temps. 

En  poésie,  Pétrarque  et  Marini  faisaient  toujours 
école.  La  prétention  de  les  imiter  produisait  uom- 
bre  d'œuvres  médiocres,  qu'un  succès  immérité  a 
rendues  ridicules.  Ceux  qui  voulaient  revenir  au 
simple  n'aboutissaient  qu'au  fade  :  témoin  un  genre 
nouveau  d'académie,  les  Arcades  ou  Arcadiens, 
l'Arcadie  étant,  par  convention,  le  lieu  primitif  de 
la  vie  simple  des  pasteurs.  Quelques  noms  surna- 
gent: Casti,  de  Prato  (1721-1804),  qui  a  fait  de  l'a- 
pologue un  long  poème  en  vingt-six  chants.  Les 
Animaux  parlants,  bien  licencieux  pour  provenir 
d'un  abbé;  Parini,  de  Milan  (1729-1799),  un  abbé 
aussi,  véritable  poète  satirique  qui,  dans  son 
poème  intitulé  Le  Jour  ou  les  quatre  parties  du 
jow  à  la  ville,  flagelle  la  noblesse  en  évitant  l'in- 
vective, et  en  montrant,  avec  une  apparence  de 
sérieux  qui  fait  sourire,  les  devoirs  puérils  d'un 
jeune  patricien  qui  veut  être  un  parfait  cavalier. 
L'ironie  est  dans  les  choses,  non  dans  les  mots,  et 
Parini  semble  baiser  la  main  quand  il  mord  jusqu'au 
sang,  forme  toute  nouvelle  de  la  satire,  dans  les 
temps  modernes  comme  dans  les  temps  antiques. 
L'Italie  sent  enfin  le  mal  qui  la  ronge,  l'abaisse- 
ment des  caractères,  immanquable  fruit  d'un  des- 
potisme prolongé. 

C'est  surtout  au  théâtre  que  parait,  pendant  le 
.xviii"  siècle,  la  seconde  renaissance  des  lettres 
italiennes.  Le  Romain  Métastase  (1698-1782),  dont 
le  vrai  nom  est  Trapassi,  transforme  le  drame  mu- 
sical et  sait  rester  poète,  tout  en  so  pliant  avec 
souplesse  aux  innombrables  exigences  du  musicien. 
Comme  Quinault,  «  jusqu'à  je  vous  hais,  il  dit 
tout  tendrement,  n  mais  chez  lui  la  route  du  Tendre 
mène  au  royaume  du  pathétique  où  il  règne  en 
maître.  Voltaire  passe  la  mesure  quand  il  écrit  que 
certaines  scènes  de  Métastase  sont  dignes  de 
Corneille,  quand  il  n'est  pas  déclamatoire,  et  de 
Racine,  quand  il  n'est  pas  faible  ;  mais  c'est  quelque 


ITALIE 


lOSo 


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cliose  qu'une  telle  bouche  ait  cru  pouvoir  risquer 
un  tel  éloge. 

La  comédie  s'honore  du  Vénitien  Goldoni  (1707- 
171)3),  que  l'Italie  appelle  le  Molière  italien.  Molière 
soit,  mais  un  Molière  sans  poésie  et  sans  génie. 
.\utour  h  la  solde  d'un  directeur  de  troupe,  il  s'o- 
bligeait par  traité  îi  fournir  dnnzo  comédies  dans 
une  année,  et  il  tenait  parole.  Il  en  a  laissé  ainsi 
plus  de  deux  cents,  toutes  en  prose  :  écrire  on 
vers  lui  eût  pris  trop  de  temps.  Il  se  proposait  am- 
bitieusement de  renouer  la  tradition  de  Machiavel 
et  de  l'Arioste,  en  s'aidantde  Molière  pour  les  cor- 
riger et  les  compléter;  mais  il  avait  la  vocation 
d'un  genre  de  comédie  moyenne  où  l'observation 
remplaçait  la  gaieté,  et  il  était  tenu  îi  ne  pas  trop 
s'écarter  du  langage  de  la  comédie  improvisée, 
pour  plaire  à  un  public  qui  aimait  le  parler  popu- 
laire d'Arlequin  et  de  Pantalon.  Les  pièces  où  il  se 
rapproche  le  plus  de  la  haute  comédie  sont  celles 
qui  reproduisent  les  mœurs  des  petites  gens  parmi 
lesquels  il  vivait,  d'autant  plus  heureux  dans  son 
art  subalterne  qu'il  y  portait  une  main  plus  légère 
et  moins  de  prétention.  Son  principal  mérite  est, 
en  somme,  d'exprimer  des  choses  vraies  ou  vrai- 
semblables dans  un  langage  simple  et  naturel. 
Une  de  ses  pièces,  le  Bourru  bienfaisant,  fut 
écrite  par  lui  en  français  pour  la  France,  car  il  y 
exerçait  sur  ses  vieux  jours,  auprès  de  la  famille 
royale,  les  fonctions  de  maître  d'italien.  Carlo 
Gozzi  (1718-1801),  Vénitien  lui  aussi,  passe  pour 
son  rival,  sans  l'être,  tant  il  en  diffère.  Mieux  doué, 
plus  écrivain,  il  cultive  la  comédie  populaire  et  le 
genre  fantastique  ou  fiahesqiie,  goûté  des  Italiens 
pour  son  style,  et  des  Allemands  pour  ses  invrai- 
semblables inventions. 

Dans  la  tragédie,  il  suffit  de  rappeler  que  MaÊfei 
a  donné  une  Mérope  où  il  essaye  de  s'inspirer  tout 
ensemble  du  xvii'  siècle  français  et  de  l'antiquité. 
C'est  le  Piémontais  Alfleri  (1749-1803)  qui  est 
alors  la  gloire  du  théâtre  italien.  Gentilhomme  peu 
instruit,  marié  à  la  veuve  du  dernier  des  Stuarts, 
grand  lecteur  de  Plutarque,  il  fit  de  sa  plume,  à 
défaut  de  son  épée,  dont  il  n'avait  pas  l'usage,  un 
instrumentde  régénération  pour  llialie.  Son  théâtre 
est  un  appel  aux  arnies  ;  mais  lia  une  théorie  dra- 
matique de  novateur.  Il  supprime  le  hasard, 
n'admet  que  des  incidents  naturels  et  même  néces- 
saires; il  élimine  tous  les  accessoires, afin  de  rester 
simple  et  vraisemblable.  Simple,  il  l'est,  plus 
même  que  les  Grecs,  et  jusqu'à,  la  sécheresse. 
Vraisemblable,  on  en  peut  disputer:  les  monolo- 
gues sont-ils  plus  naturels  que  les  récits  de  con- 
fidents? D'ailleurs,  il  ne  s'efface  pas  devant  ses 
personnages.  C'est  lui  qui  parle  par  leur  bouche  ; 
toujours  le  même  langage  raide  et  guindé.  Il  a 
autant  de  monotonie  dans  la  force  que  Métastase 
dans  la  douceur.  Il  ne  sacrifie  point  à  l'agrément, 
qui  est  pourtant  une  partie  essentielle  de  l'art.  Il 
est  bon  écrivain,  mais,  à  force  de  chercher  la  con- 
cision, il  met  les  mots  à  la  torture,  il  pèche  par 
rudesse,  par  obscurité,  et  malheureusement  cet 
écrivain  si  sec  confond  l'enflure  avec  l'éloquence. 
Malgré  ses  défauts,  il  a  fait  oublier  ou  négliger 
tous  ses  devanciers,  tant  sa  simplicité  d'action  et 
de  langage  contraste  avec  leurs  absurdes  et  mons- 
trueuses complications. 

Il  a  traité  les  plus  grands  sujets,  plusieurs  de 
ceux  qui  ont  tenté  aussi  Voltaire:  Mérope,  Sopho- 
nisbe,  Antigone,  Agamemnon,  Oreste,  les  deux 
Brutus,  Marie  Stuart.  Son  chef-d'œuvre  est  peut- 
être  sa  tragédie  de  Saiil;  mais  en  général  il  réus- 
sit surtout  dans  les  sujets  romains,  parce  qu'il 
ressemble  aux  Romains  par  la  raideur.  En  tout 
cas,  il  est  hors  de  pair  dans  son  pays,  auquel  il 
administra  un  puissant  tonique  par  des  pensées 
mâles  expriméps  dans  un  siyle  sobre,  vigoureux, 
concis,  sans  autre  exemple  dans  la  poésie  drama- 
tique. Comment  ne  comprit-il  pas,  ne  goûta-t-il  pas 


notre  Révolution,  qui  mettait  en  pratique  les  idées 
de  son  traité  De  la  Tj/mmiie?  Démocrate  féodal, 
il  fut  toujours  un  ennemi  de  la  France,  comme 
on  le  voit  dans  l'histoire  de  sa  vie  écrite  par  lui- 
même,  et  dans  un  ouvrage  spécial,  le  Misogallo, 
on  n  Ennemi  des  Français  ». 

Dix-neuvième  siècle.  —  Avec  Alfieri  se  clôt  le 
xviii"  siècle.  Le  xix°  est  aujourd'hui  assez  près  de  sa 
fin  pour  qu'on  puisse  dire  qu'il  tiendra  dans  les  let- 
tres italiennes  au  moins  autant  de  place  que  le  xviii", 
et  infiniment  plus  que  le  xvii".  L'histoire,  cet 
honneur  de  notre  temps,  y  est  représentée  par 
Botta,  Colletta,  Baibo,  Cantù,  Amari,  Capponi,  par 
diverses  publications  érudites  consacrées  à  la  divul- 
gation et  h  la  critique  des  documents,  i'Ai-chivio 
storico,  VAiitolngia,  etc.  Dans  la  poésie,  Monti, 
né  au  pays  de  Ravenne  (1754-1828),  choyen  peu 
estimable,  tant  il  fut  versatile,  est  un  poète  de  ju- 
gement et  de  goût,  d'imagination  vive  et  de  sensi- 
bihtc  délicate.  Il  achève  d'arracher  l'Italie  à  l'imi- 
tation de  Mi'tastase  pour  la  ramener  h  Dante.  Ugo 
Foscolo,  de  Zante  (1778-1827)  a  sur  lui,  malgré  les 
incidents  d'une  vie  orageuse,  l'avantage  d'un  pa- 
triotisme ardent  et  d'un  désespoir  sincère,  dans  les 
lettres  émues  qu'il  prête  i  son  héros  Jacopo  Ortis, 
frère  en  mélancolie  d'dbermann,  de  René,  de  Wer- 
ther, ces  désespérés  si  fort  à  la  mode  au  commence- 
ment de  notre  siècle.  La  déclamation  et  l'emphasa 
déparent  malheureusement  ces  lettres  écrites  pour 
le  public,  et,  si  l'on  veut  bien  juger  l'auteur,  il  faut 
lire  celles  qu'il  écrivait  confidentiellement  h  ses 
amis.  On  l'y  trouve  éloquent  et  gracieux, grave  et  spi- 
rituel, énergique  et  sincère.  Sa  prose  est  d'un  poète,- 
comme  celle  de  Chateaubriand,  et  ses  vers  ne  sont 
point  prosaïques.  On  lira  toujours  son  bref  mais 
admirable  poème,  les  Sépu/cres,  qui  est  à  la  fois 
une  œuvre  lyrique,  une  élégie,  une  satire,  dans 
un  style  fort  et  pénétré  de  l'antique.  Son  but  uni- 
que, c'est  l'affranchissement  de  sa  patrie;  il  ne 
varia  jamais  que  sur  le  choix  des  moyens. 

Au-dessus  de  ces  doux  poètes  s'élève  Leopardi 
(17y8-1837),  né  à  Recanati.  Erudit  et  philologue, 
prosateur  vigoureux,  d'une  ironie  acre  et  profonde, 
il  gémit  et  il  s'irrite  parce  qu'il  souffre  de  son 
tempérament  rachitique,  parce  qu'il  a  honte  de  sa 
difformité  d'épaules,  qui  le  rendait  presque  ridi- 
cule à  ses  propres  yeux.  Il  est  surtout  un  admi- 
rable poète,  à  qui  le  dégoût  et  le  désespoir  ont 
inspiré  d'inimitables  accents.  Il  est  conduit  à  dou- 
ter de  tout,  du  progrès,  de  la  vertu,  de  la  vie 
éternelle.  La  société  n'est  pour  lui  qu'une  ligue 
des  fripons  contre  les  honnêtes  gens.  Mais  c'est  le 
scepticisme  d'un  désespéré,  nullement  d'un  scepti- 
que. Du  reste,  les  vers  où  il  exprime  ses  doutes 
ne  dépassent  jamais  par  l'expression  sa  pensée. 
Le  style,  brûlant  et  ironique  tour  à  tour,  plein 
d'amertume  et  de  larmes,  est  d'une  pureté  sobre, 
d'une  concision  énergique  qui  ne  coiite  de  sacri- 
fices ni  au  sens  toujours  exact  et  profond,  ni  au 
rythme,  toujours  naturel,  savant  et  harmonieux. 
On  admire  particulièrement  ses  canzone  sur  l'Ita- 
lie, sur  le  monument  qu'on  préparait  à  Dante,  et 
surtout  ce  mâle  et  gracieux  poème,  son  chef-d'œu- 
vre, qu'il  intitula  l' ÀDiour  et  la  Mort.  Par  la  sim- 
plicité élégante,  c'est  presque  du  grec. 

Leopardi  vivait  encore  quand  éclata  la  grande 
querelle  des  classiques  et  des  romantiques.  Ceux- 
ci  étaient  en  France  amis  de  la  règle  en  politique 
et  de  la  révolte  en  littérature  ;  ceux-l.'i,  défenseurs 
de  la  règle  littéraire,  provocateurs  h  la  révolte  po- 
litique. En  Italie,  les  deux  factions  montrèrent 
plus  de  logique.  Ce  furent  les  patriotes,  ennemis 
de  la  domination  étrangère ,  qui  entreprirent, 
comme  les  romantiques  français,  de  réhabiliter  le 
moyen  âge,  pour  exciter  la  papauté  à  reprendre 
ses  anciens  rêves  de  suprématie  universelle  et  à 
rendre,  sous  sa  domination,  l'Italie  aux  Italiens. 
Les  deux  écoles  reçurent  les  noms  de  formislcs  et 


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de  coloristes,  qui  caractérisaient  plus  ou  moins 
bien  leur  tendance  h  préférer,  les  classiques,  le 
dessin,  les  romantiques,  la  couleur.  Milan  était  la 
citadelle  des  coloristes,  Florence  celle  des  formis- 
tes.  Le  chef  de  cette  dernière  école,  de  l'école 
classique,  c'est  Leopardi;  mais  il  l'est,  en  quelque 
sorte,  sans  le  savoir  et  sans  le  vouloir.  Jamais  on 
ne  vit  deux  chefs  d'école  aussi  près  l'un  de  l'autre 
qu'il  l'est  du  clief  des  coloristes  ou  romantiques 
italiens.  Tous  deux  ont  su  rester  dans  les  limites 
du  raisonnable,  ne  prendre  aux  Allemands  que  la 
meilleure  partie  du  romantisme,  et  abandonner  des 
classiques  ce  qu'ils  ont  de  plus  contestable.  Tant 
de  sagesse  n'a  point  marqué  chez  nous  le  début 
de  cette  grande  querelle. 

Le  premier  chef  des  romantiques  fut  Manzoni 
(1784-18721,  Milanais,  auteur  de  deux  drames  cé- 
lèbres {Curmaijnota,  les  Ailekhi),  faits  pour  la  lec- 
ture plus  que  pour  la  scène,  et  qui  plaisent,  mal- 
gré l'insuflisance  de  l'action,  par  un  style  vraiment 
poétique,  qui  repose  de  la  sécheresse  d'AIfleri.  Les 
chœurs  lyriques  y  sont  d'une  réelle  beauté.  Mais 
son  priiicipal  titre  de  gloire,  c'est  son  roman  his- 
torique, Les  Fiancés,  écrit  dans  un  système  op- 
posé à  celui  de  W.  Scott  et  bien  plus  vrai.  Tandis 
que  l'auteur  anglais  expose  et  développe  des  faits, 
met  en  scène  des  personnages  qui  appartiennent 
à  l'histoire,  non  sans  les  altérer  souvent  et. beau- 
coup, pour  leur  donner  plus  de  relief  et  d'intérêt, 
l'auteur  italien  place  des  personnages  de  fantaisie, 
dont  il  a  par  conséquent  la  libre  disposition,  dans 
un  milieu  historique  savamment,  profondément 
étudié,  et  il  se  trouve  que  ses  héros  imaginaires 
sont  plus  vrais  que  bien  des  héros  empruntés  aux 
chroniques  ou  à  l'histoire.  Il  trace  un  vivant  ta- 
bleau de  la  société  milanaise  au  dix-huitième  siè- 
cle, avec  trop  de  descriptions  peut-être,  mais  dans 
un  style  simple  sans  trivialité,  éloquent  sans  dé- 
clamation, entaché  seulement  d'idiotismes  lom- 
bards qui  ont  plus  d'une  fois  le  mérite  d'être  des 
néologismes  utiles  ou  nécessaires. 

Ce  beau  livre,  en  mettant  au  grand  jour  les 
maux  de  la  domination  étrangère,  espagnole,  en 
inspirait  l'aversion,  et  par  conséquent  servait  le 
patriotisme,  irrité  alors  de  la  domination  autri- 
chienne. Celui  de  Manzoni  parut  cependant  man- 
quer d'ardeur,  et,  de  fait,  ses  disciples  Grossi  et 
Pellico,  l'imitant  par  son  coté  faible,  comme  font 
d'ordinaire  les  imitateurs,  donnèrent  le  spectacle 
d'une  énervante  mansuétude,  d'une  regrettable 
soumission.  Nous  passerons  sur  Grossi,  romancier 
et  poète,  dont  le  principal  titre  est  peut-être  une 
vive  satire  en  dialecte  milanais;  mais  Silvio  Pellico 
a  un  nom  trop  célèbre  pour  qu'on  puisse  s'abstenir 
d'en  dire  un  mot,  malgré  la  médiocrité  de  son 
talent  comme  prosateur  et  comme  poète.  Ce  nom, 
il  le  doit  au  récit  trop  résigné  qu'il  a  fait  de  sa 
longue  captivité  dans  les  cachots  de  l'Auiriche.  }Ies 
Prisons  sont  un  tableau  simple  et  touchant  de  son 
martyre.  L'horreur  que,  sans  le  vouloir  peut-être, 
il  inspire  pour  les  bourreaux,  a  été  peur  eux  un 
juste  et  cruel  châtiment.  Ainsi,  ce  chrétien  à  ou- 
trance n'a  pas  peu  contribué  à  l'expulsion  de  l'étran- 
ger. Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  cette  lecture 
attendrissante  laisse  un  malaise  indéfinissable.  On 
voudrait  contre  le  despotisme  ces  haines  vigoureu- 
ses dont  parle  Molière,  et  on  ne  trouve  que  les  té- 
moignages répétés  d'une  soumission  à  l'injustice 
et  à  l'oppression  qui  ne  saurait  être  ni  une  vertu 
ni  un  devoir. 

Entre  les  deux  écoles  se  place  le  Florentin  Nic- 
colini  (178Ô-IS6I)  qui  essaye  de  li:s  concilier.  Cri- 
tique éloquent  et  philologue  habile,  il  est  sur- 
tout auteur  dramatique.  Il  s'inspire  d'Alfieri  et  des 
Grecs,  dont  il  reproduit  la  simple  énergie,  tout  en 
s'abandonnant  à  cette  fièvre  d'allusions  politiques 
dont  l'Italie  était  dévorée  depuis  Foscolo.  Dans  sa 
tragédie  de  Foscarini  (H27),  il  joint  à  la  simplicité 


antique  la  couleur  romantique  que  proscrivait  la 
vieille  école.  C'est  en  flattant  la  passion  nationale, 
en  traitant  le  sujet  des  Vêpres  siliciennes  (Jenn  'le 
Procid'i,  ISW),  qu'il  fit  admettre  sa  tentative  de 
conciliation.  Ses  deux  meilleurs  ouvrages  sont  in- 
titulés Ftlippo  Strozzi  et  Arnuldo  di  Brescia.  Il 
n'est  pas,  à  proprement  parler,  un  poète  dramati- 
que, car  il  dissémine  l'action  en  dialogues  histori- 
ques, comme  Manzoni,  au  lieu  de  la  concentrer  ; 
mais  il  a  de  fortes  pensées  et  de  mâles  beautés. 
Il  n'en  est  pas  moins  un  solitaire,  et  on  l'a  admiré 
plutôt  que  suivi.  Tel  est  souvent  le  sort  de  qui  veut 
éteindre,  dans  les  lettres  comme  dans  la  politique, 
le  feu  des  factions. 

Solitaire  aussi  est  le  chansonnier  toscan  Giusti 
(180!J-1850)  ;  mais  il  le  fut  par  amour  de  son  indé- 
pendance. Le  tour  satirique,  qui  est  la  dignité  de  la 
chanson  et  qui  lui  donne  droit  de  cité  dans  la 
république  des  lettres ,  commande  l'isoletnent. 
Dans  le  style  sobre  et  sûr  des  meilleurs  classiques, 
Giusti  pour.suit  de  sa  haine  princes  et  prêtres,  de 
ses  attaques  abus  et  ridicules,  surtout  parmi  les 
hommes  dont  le  pouvoir  rend  les  exemples  conta- 
gieux. Il  n'a  pas  l'invention  de  Béranger,  mais  il  le 
surpasse  par  la  délicatesse  et  le  naturel. 

La  politique,  enfin,  qui  se  môle  à  tout  dans  notre 
siècle,  parait  aux  romans  d'Azeglio,  le  gendre  de 
Manzoni,  comme  aux  travaux  pliilosopliiques  de 
l'abbé  Rosmini,  défenseur  vigoureux  des  doctrines 
absolutistes,  et  de  l'abbé  Gioberti,  apôtre  de  la 
démocratie,  ennemi  des  jésuites,  mais  partisan 
de  l'hégémonie  pontificale.  L'un  a  été  ministre  du 
Saint-Siège,  sous  Pie  IX.  un  moment  monarque 
constitutionnel,  Fautre  du  Piémont  sous  Charles- 
Albert,  devenu  roi  libéral  et  même  un  moment 
démocrate. 

Cette  invasion  de  la  politique  dans  les  lettres 
n'est  pas  le  moindre  danger  qu'elles  courent  dans 
notre  siècle.  On  pense  trop  au  but  à  poursui- 
vre pour  penser  beaucoup  à  l'art  de  la  com- 
position et  du  langage.  Rendue  à  elle-même,  11- 
talie  retrouvcra-t-elle  un  grand  siècle  littéraire? 
C'est  le  secret  de  l'avenir.  Mais  son  passé  suffit  à 
sa  cloire,  surtout  dans  la  poésie,  car  elle  a  d'ad- 
mirables poètes,  et  un,  parmi  eux,  est  sans  pareil. 
Si  ses  grands  prosateurs  sont  en  petit  nombre, 
on  en  pourrait  dire  autant  des  autres  nations,  sauf 
de  la  France,  dont  c'est  le  privilège  d'avoir  créé 
la  seule  prose  qui  puisse  être  comparée,  par  le 
nombre  et  la  supériorité  des  talents,  à  la  prose 
des  Latins  et  des  Grecs.  [F. -T.  Perrens.] 

Les  arts  en  Italie.  —  Du  quatrième  siècle  au 
quinzième.  —  La  peinture  italienne  procède  de 
l'école  byzantine  de  Salonique.  Cimabue  (né  en 
1240),  Giotto  (né  en  1276)  ne  peignent  que  des 
sujets  religieux.  La  découverte  de  la  peinture  à 
l'huile  parles  frères  van  Eyck  (1428)  donne  à  l'art 
un  nouvel  essor.  Fra  Angelico  (mort  en  1455)  peint 
le  Couronnement  de  li  Vivrye.  Masaccio  (1402- 
144  ;)  commence  l'étude  du  nu,  dans  laquelle  excel- 
leront les  peintres  de  la  Renaissance. 

La  sculpture  dérive  de  la  ciselure  et  de  l'orfè- 
vrerie, si  remarquables  au  moyen  âge.  Ghiberti 
(mort  en  1453)  sculpte  les  portes  du  baptistère 
de  Florence.  Donatello  (mort  en  I4G6)  est  l'auteur 
de  Judith  et  Hulopherne,  Saint-Mirc,  IJauid,  etc. 

L  Italie  a  laissé  périr  la  plupai  t  des  admirables 
monuments  de  l'antiquité.  Pendant  cinq  siècles, 
l'architecture  produit  peu  d'œuvres  originales.  Le 
tombeau  de  Théodoric  à  Ravenne  est  une  construc- 
tion massive,  ne  rappelant  en  rien  ce  qu'on  a  ap- 
pelé plus  tard  architecture  gothique.  Mais  dès  le 
XI'  siècle,  h  Venise,  s'élève  l'église  Saint-Marc,  de 
style  byzantin  ;  au  xn=  siècle,  à  Pise,  le  Dôme,  le 
B-iptistère,  la  fameuse  Tour  penchée;  h  Florence, 
Santa  Croce  et  Santa  Maria,  achevée  par  Brunel- 
leschi  ^l:i77-I444).  . 

La    musique  reste  longtemps  religieuse.  Saint 


JACQUES 


1087  — 


JACQUES 


Ambioise  h,  Milan,  et  plus  tard  saint  Grégoire  h 
Hume,  r(5formont  les  chants  liturgii|ues  (cliant  gré- 
goi'ien).  C'est  surtout  dans  l'Allemagcne  et  les 
Flandres  qu'il  faut  cliorcher  le  dcvoloppemeiit  ori- 
ginal do  l'art  musical  On  a  beaucoup  exagéré  les 
réformes  du  moine  Guidu  ou  Gui  d'Arezzo  (mort 
vers  1050).  Il  n'a  fait  qu'introduire  la  clarté  dans 
la  notation  obscure  des  yicumes,  et  substituer  aux 
tâtonnements  des  écoles,  où  la  mémoire  jouait  un 
graiid  rôle,  une  méthode  rationnelle  pour  l'ensci- 
gneniont  du  chant. 

La  lienaissance.  —  La  Renaissance  des  lettres 
et  des  arts  est  le  résultat  d'un  grand  effort  tenté 
au  xV  siècle  pour  renouer  avec  l'antiquité  la  chaîne 
des  traditions  intellectuelles  et  morales.  Cosme  de 
Médicis,  Laurent  le  Magnifique,  et  Léon  X  de  Mé- 
dicis  ont  puissamment  encouragé  ce  mouvement. 

Tandis  que  les  lettrés  italiens  étudient  les  an- 
ciens, et  bientôt  produisent  i  leur  tour  des  œuvres 
originales,  les  arts  brillent  déji  d'un  éclat  incom- 
parable avec  PollaiuoUo,  Nallo,  Ghirlandaio.  Mais 
le  sentiment  clirétien  tend  à  disparaître.  Le  siècle 
d'Alexandre  VI  adore  la  force.  La  violence  éclate 
dans  les  faits;  le  culte  des  muscles  s'impose  h.  la 
peinture  et  ii  la  sculpture,  dans  les  oeuvres  de  Pie- 
tro  Vanucci  (le  Pérugin;,  maître  de  Raphaël;  de 
Léonard  de  Vinci  (H52-15I;),  d'Andréa  del  Sarto, 
deMichel-Aiige  Bnonarotti  (li74-lo6i),  qui  enfante 
des  colosses;  de  Raphaël  (1483-1^20)  et  de  son 
élève  Jules  Romain.  Le  sensualisme  domine  en- 
core plus  dans  l'école  vénitienne,  dans  les  œuvres 
de  Tiziano  Vecelli  (le  Titieji),  et  de  Giaconio  Ro- 
busti  (le  ïintorei)  ;  Paolo  Caliari  (Paul  Véronèse, 
1528-i.S88)  se  distingue  par  la  richesse  et  la  va- 
riété du  coloris.  L'école  lombarde  affecte  une  fière 
indépendance  :  Antonio  Allegri  (le  Coirège)  n'a 
pas  visité  Rome.  L'école  bolonaise  brille  surtout 
au  xvii"  siècle  avec  les  Carrache,  Domenico  Zam- 


pieri  (le  Dominiquinl,  Guido  Roni  (le  Guide),  J.  F. 
Uarbieri  (le  Guerchin).  L'école  napolitaine  produit 
Salvator  Rosa  (1G:;5-IG7;J). 

La  sculpture  entre  dans  une  voie  nouvelle  avec 
Michcl-Ango  et  Bcnvenuto  Cellini. 

La  musique  devait  quelques  réformes  au  Fla- 
mand Dufay  (mort  en  14.32),  qui  se  fixa  à.  la  cour 
pontificale.  Un  siècle  plus  tard,  un  autre  Flamand, 
IJosprcz  (mort  en  l.iSl),  tantôt  i  Ferrare,  tantôt 
à  Rome,  composait  dos  messes  fort  renommées  de 
son  temps.  Le  Français  Goudiniol  (mort  en  1512) 
fonda  îi  Rome  une  école  de  musique.  Son  meilleur 
élève  fut  Palestrina.  Désormais  l'Italie  eut  des 
musiciens  illustres  :  après  Palestrina  (1524-1594), 
Zarlino,  Tartini,  Scarlalti. 

Ou  dix-xfptième  siècle  jusqu'à  nn<:  fours.  —  L'I- 
talie asservie  a  perdu  ses  grands  peintres  et  ses 
grands  sculpteurs,  mais  elle  a  trouvé  do  grands 
musiciens.  Pergolèse  (mort  en  1736),  Cimarosa 
imort  en  1801)  n'ont  pas  été  dépasses,  môme  de 
nos  jours.  Guglielmi  et  Paesellio  ont  beaucoup 
perdu  de  leur  ancienne  réputation.  Le  bruyant 
Piccini  (172t)'-180ii)  a  rempli  le  dernier  quart  du 
xviii"  siècle  de  sa  lutte  contre  Gluck  et  les  musi- 
ciens français.  Après  lui  viennent  les  grandes 
illustrations  contemporaines,  Cherubini,  Spontini, 
Rossini,  Bellini,  Donizettij  et  Verdi,  le  seul  survi- 
vant des  maestri  qui  ont  porto  si  haut  la  gloire 
de  la  musique  italienne. 

La  peinture  n'a  plus  produit  de  nos  jours  en 
Italie  des  artistes  d'une  réputation  européenne. 
L'école  moderne  de  sculpture  italienne  reconnaît 
pour  chef  Canova  (mort  en  ls22).  De  beaucoup 
supérieurs,  dans  cette  branche  de  l'art,  aux  autres 
peuples,  les  Italiens  possèdent  encore  aujourd'hui 
de  grands  artistes,  MM  Dupré,  Romanellij  Vêla, 
Monteverde,  Braga,  Civiletti,  etc. 

[L.-G.  Gourraigne.] 


JACQUES.  —  Nom  de  deux  rois  d'Angleterre, 
do  11  dynastie  des  Stuarts  *. 

Jacques  I"  (Jacques  VI  d'Ecosse).  —  Fils  de  Marie 
Stuarl,  ce  prince  était  encore  au  berceau  lorsque 
la  révolution  qui  enleva  la  couronne  à  sa  mère  le 
porta  lui-même  au  trône  d'Ecosse  sous  la  régence  de 
son  oncle  lord  Murray  (1563).  Elevé  dans  la  religion 
protestante,  il  devint  l'allié  d'Elisabeth  d'Angle- 
terre, qui,  après  avoir  fait  tomber  la  tôte  de  la 
mère,  s'était  décidée  à  choisir  le  fils  pour  son  pro- 
pre héritier.  A  la  mort  d'Elisabeth  (1603),  Jacques 
fut  reconnu  sans  difficulté  comme  son  successeur 
(il  avait  d'ailleurs  des  droits  îi  la  couronne  d'An- 
gleterre par  son  arrière  grand'mère  Marguerite, 
fille  d'Henri  Vil  Tudor),  et  'prit  le  nom  de  roi  de 
la  Grande-Bretagne. 

Jacques  maintint  les  lois  portées  contre  les  ca- 
tholiques; aussi  ceux-ci  formèrent-ils  contre  lui 
plusieurs  complots,  dont  le  plus  sérieux  fut  la 
fameuse  conspiration  aes  pnuires  (1605),  k  la  suite 
de  laquelle  les  jésuites  furent  bannis  du  sol  an- 
glais. Les  non-conformistes  protestants  furent 
persécutés  avec  plus  de  rigueur  encore  que  les 
catholiques  ;  de  nombreux  puritains  émigrcrent 
dans  l'Amérique  du  Nord,  où  ils  fondèrent  les  co- 
lonies de  la  Nouvelle-Angleterre. 

D'un  caractère  faible,  Jacques  I"  se  laissa  gou- 
verner par  des  favoris,  dont  l'arrogance  et  la  cupi- 
dité rendirent  le  roi  impopulaire.  Les  bizarreries 
de  son  humeur,  sa  pusillanimité,  sa  pédanterie, 
le  couvrirent  de  ridicule.  Imbu  des  maximes  du 
pouvoir  absolu,  il  voulut  les  faire  prévaloir.  «  Les 


rois,  disait-il  au  Parlement  en  ICOl,  sont,  par  Dieu 
même,  appelés  des  dieux,  comme  étant  ses  lieu- 
tenants et  ses  représentants  sur  la  terre  ;  en  eux 
brillent  quelques  étincelles  de  la  Divinité.  »  Mais 
l'esprit  d'indépendance,  étouffé  sous  les  Tudors, 
commençait  à  renaître.  Le  roi  eut  beau  menacer 
d'une  amende  les  villes  qui  nommeraient  des 
députés  de  l'opposition  :  le  Parlement  ne  se  laissa 
pas  intimider.  Une  lutte  permanente  s'engagea, 
et  Jacques  finit  par  avoir  le  dessous.  En  1623,  il 
avait  envoyé  à  Madrid  son  favori ,  le  duc  de 
Buckingham,  demander  pour  son  lils  Charles  la  main 
d'une  infante  d'Espagne  ;  grâce  à  l'insolence  de 
Buckingham,  les  négociations,  au  lieu  d'aboutir  à 
un  mariage,  finirent  par  une  déclaration  do 
guerre  ;  mais  le  Parlement  refusa  alors  les  subsides 
qu'on  lui  demandait,  et,  pour  les  obtenir,  Jacques 
dut  consentir  à  ce  que  les  commissaires  du  Par- 
lement en  surveillassent  l'emploi  :  la  royauté  de 
droit  divin  capitulait  devant  la  persévérante  fer- 
meté des  Communes. 

L'Angleterre,  dont  Elisabeth  avait  fait  la  pre- 
mière des  puissances  protestantes,  ne  joua  sous 
ce  règne  qu'un  rôle  effacé  dans  la  politique  euro- 
péenne :  Jacques  so  désintéressa  de  la  grande 
lutte  que  so  livraient  en  Allemagne  le  catholi- 
cisme et  la  réforme,  bien  que  son  propre  gendre, 
l'électeur  palatin,  réclamât  son  intervention  en 
faveur  de  ses  coreligionnaires  (V.  Guerre  du 
Trente  ans). 

Mais  les  actes  du  souverain,  qui  portent  l'em- 
preinte de  son  esprit  étroit  et  timide,  ne  sont  que 


JACQUERIE 


—  1088  — 


JARDIN 


la  partie  extérieure  de  l'histoire  de  cette  période.  |  JARDIN.  —  Agriculture,  XIX.  —  Le  jardin  est 
Si  nous  considérons  le  développement  national  l'annexe  de  toutes  les  exploitations  agricoles.  Il 
du  peuple  anglais,  abstraction  faite  du  nionarque  sert  b.  la  fois  pour  donner  des  légumes  et  des 
et  de  sa  politique,  nous  trouverons  peu  d'époques  fruits  à  la  consommation  de  la  famille,  et  pour  la 
aussi  fécondes  que  le  premier  quart  du  xvue  siè-  distraire  par  la  culture  de  quelques  fleurs,  dont  la 
cle.  La  bourgeoisie  anglaise  s'éveille  au  senti-  pousse  est  suivie  avec  intérêt  par  les  enfants  et 
ment  de  sa  force  ;  elle  commence  à  défendre  les  dont  la  facile  culture  sert  Mes  initier  aux  mystères 
droits  de  la  nation,  et  les  idées  qui  produiront  de  la  végétation.  Nous  n'aurons  pas  à  parler  ici  du 
la  grande  révolution  do  1648  fermentent  déjà  dans  jardin  fruitier;  les  métliodesde  culture  des  arbres 
les  esprits.  En  même  temps,  la  renaissance  litté-  à  fruits  ont  été  indiquées  au  mot  Arboriculture. 
raire  et  scientifique  produit  deux  génies  immor-  '  Le  but  de  cet  article  est  de  donner  des  indications 
tels  :  Shakespeare  (mort  en  IG16)  occupe  la  scène,  '  sur  la  culture  du  jardin  potager  et  quelques  no- 
et  Bacon  (mort  en  16'.'G),  renouvelle  la  philosophie  '  lions  sur  les  soins  à  donner  aux  plates-bandes  ou 
en  la  fondant  sur  l'étude  des  sciences.  1  aux  corbeilles  de  fleurs. 

Jacques  i'~  mourut  en  16".'5,après  avoir  marié  son  Le  poinger  est  la  partie  du  jardin  consacrée  aux 
fiIsCharlesàHenrietledeFrance,sœurdeLouisXIII.    légumes.  Nous  indiquerons  successivement  les  di- 

Jacques  II.  —  Frère  puîné  de  Charles  II,  ce  j  vers  travaux  nécessaires  pour  la  préparation  du 
prince  monta  sur  le  trône  en  iCS.'j.  Il  professait  le  sol,  les  principales  sortes  de  plantes  qui  y  sont 
catholicisme  ;  aussi  le  sentiment  national  l'accueil-  |  cultivées,  et  nous  donnerons  quelques  détails  sur 
lit-il  avec  crainte  et  défiance.  Le  duc  de  Mon-  la  culture  potagère  en  grand,  qui  prend  le  nom  de 
mouth,  fils  naturel  de  Charles  II,  essaya  de  pro-  [  culture  maraîchère. 

fiter  de  cette  disposition  des  esprits  pour  s'emparer  Le  jardin  doit  être  travaillé  avec  le  plus  grand 
du  pouvoir  par  une  insurrection  :  il  fut  vaincu  et  soin.  Le  plus  souvent,  le  sol  est  façonné  avec  la 
décapité.  Les  puritains,  suspects  au  roi,  furent  '  bêche  ;  souvent  on  désigne  le  bêchage  des  plan- 
cruellement  persécutés,  et  le  juge  Jeffries,  instru-  '  ches  de  jardin  sous  le  nom  de  labourage.  C'est  à 
ment  servile  des  haines  de  son  maître,  mérita,  |  une  profondeur  de  20  à  vS  centimètres  que  la 
par  sa  cruauté,  de  voir  sa  mémoire  vouée  à  l'exé-  bêche  doit  pénétrer.  Voici  la  manière  dont  le  bê- 
cration.  Jacques  II  s'était  mis,  comme  son  frère,  j  chage  doit  être  fait. 

à  la  solde  de  Louis  XIV,  et,  sans  se  laisser  arrêter  On  ouvre  un  petit  fossé,  appelé  parfois  jauge,  le 
par  le  mécontentement  général,  il  marchait  ouver-  long  d'un  des  eûtes  de  la  planche.  La  terre  qui  en 
tement  à  une  restauration  du  catholicisme.  Par  |  est  extraite  est  transportée,  par  une  brouette,  h 
la  iléclarntion  d'indulgence  (16s";,  il  abolit  l'acte  |  l'autre  extrémité  do  la  planche.  A  la  fin  du  travail, 
du  test,  qui  fermait  aux  catholiques  l'entrée  aux  cette  terre  doit  remplir  le  vide  laissé  par  la  der- 
emplois  publics.  Les  chefs  du  parti  whig,  sentant  nière  tranchée.  En  bêchant,  il  faut  toujours  cou- 
le danger,  entrèrent  en  négociation  avec  Guil-  server  la  même  jauge,  c'est-à-dire  l'intervalle  égal 
laume  d'Orange,  gendre  de  Jacques  II,  pour  ren-  ^  à  ce  fossé,  entre  la  tranche  de  terre  qui  a  été  re- 
verser le  roi.  Cependant,  comme  Jacques  n'avait  '  tournée  et  celle  qui  ne  l'est  pas  encore.  Cette 
pas  d'enfants,  lus  mécontents,  hésitant  devant  une  '  jauge  a  la  môme  profondeur  que  le  labour  et  une 
révolution,  eussent  été  disposés  à  attendre  que  :  largeur  de  30  centimètres  environ.  Si  les  pelletées 
l'ordre  naturel  des  choses  ajipelât  au  trône  un  renversées  à  chaque  coup  de  pelle  ne  se  divisent 
prince  protestant.  Mais  la  naissance  d'un  prince  pas  elles-mêmes  sur  les  bords  de  la  jauge,  on 
royal  les  décida  à  agir  :  Guillaume  d'Orange  passa    opère   cette  divison   avec   quelques  coups   de  la 


en  Angleterre  avec  une  flotte;  et  tandis  cjue  Jac 
ques  II  s'enfuyait  sans  essayer  de  résistance,  son 
gendre  était  reçu  à  Londres  avec  enthousiasme  et 
proclamé  roi  sous  le  nom  de  Guillaume  III  (1688). 
La  dynastie  des  Stuarts  était  déclarée  déchue  du 
trône,  et  r.\ngleterre  voyait  s'établir  définitive- 
ment le  gouvernement  constitutionnel,  pour  la 
conquête  duquel  elle  luttait  depuis  près  d'un  siècle 


tranche  de  la  pelle.  Ces  tranches  doivent  être  re- 
tournées et  divisées,  de  manière  que  le  sol  con- 
serve toujours  le  môme  niveau.  Les  pierres  que 
la  bêche  rencontre  sont  rejetées  sur  les  côtés  de 
la  planche.  Les  mauvaises  herbes  sont  enfouies 
pendant  le  travail  ;  mais,  si  elles  sont  vivaces,  leurs 
racines  sont  enlevées  avec  soin.  Si  le  labour  con- 
corde avec  l'enfouissement  du  fumier,  celui-ci  est 


Jacques  II,  réfugié    en  France,  chercha  vaine-    d'abord  disposé  régulièrement  en  une  couche  con. 
ment   à  recouvrer    sa    couronne    avec  l'appui  de  !  tinue  sur   la  planche.   A    chaque  coup  de  bêche. 


Louis  XIV  (bataille  de  la  Boyne,  1690).  Il  mourut 
en  exil  en  nOl.  Son  fils  Jacques,  dit  le  chevalier 
de  Saint-Georges,  et  son  petit-fils  Charles-Edouard, 
ne  furent  pas  plus  heureux  ;  et  la  famille  des 
Stuarts  s'éteignit  avec  ce  dernier,  qui  mourut  en 
1188,  sans  postérité. 

Lectures  et  dictées.  —  «  L' .Angleterre  se  ren- 
dait bien  compte  de  ce  qu'elle  venait  d'accomplir 
par  la  révolution  de  1688.  A  la  place  du  droit  divin 
elle  fondait  le  gouvernement  parlementaire  :  c'est- 
à-dire  la  discussion  des  grands  intérêts  du  pays,  le 
vote  des  lois  et  des  impôts,  par  les  représentants 
mômes  du  pays.  Un  droit  nouveau,  celui  des  peu- 
ples, se  levait  donc,  dans  la  société  moderne,  en 
face  du  droit  absolu  des  rois  qui,  depuis  deux  siè- 
cles, la  régissait,  et  qui  venait  de  trouver  en  France, 
dans  Louis  XIV,  sa  plus  glorieuse  personnification, 
et  dans  Bossuet  son  plus  illustre  défenseur.  Il  n'y 
a  plus  à  s'étonner  de  la  lutte  acharnée  qui  va 
éclater  entre  la  France  et  l'Angleterre.  Ce  ne  sont 
pas  deux  intérêts  contraires,  ce  sont  deux  droits 
politiques  différents  qui  seront  aux  prises.  » 
(Duruy.) 

JACQUERIE.  —  V.  Guerre  de  Cent  ana,  p.  021, 
et  Paijsans. 

JA1>0N.  —  V.  Orient. 


le  fumier  est  répandu  par  parcelles  au  fond  de  la 
jauge. 

Si  le  bêchage  est  fait  quelque  temps  .avant  les 
semailles  des  plantes,  on  peut  laisser  la  surface  de 
la  planche  subir  l'influence  des  agents  atmosphé- 
riques et  s'effriter  naturellement.  Mais  si  les  se- 
mailles doivent  être  faites  tout  de  suite,  on  égalise 
la  surface  en  brisant  les  mottes  au  moyen  d'un 
râteau. 

Le  défonçage  d'un  jardin  se  fait  de  la  même  ma- 
nière que  le  bêchage,  mais  en  descendant  à  une 
profondeur  double  ou  triple.  Le  défonçage  varie 
suivant  l'épaisseur  de  la  couche  cultivée,  mais  il 
n'est  réellement  utile  que  lorsqu'on  descend  à  la 
profondeur  de  50  centimètres  au  moins. 

Les  soins  à  donner  au  sol  des  jardins  sont,  après 
le  bêchage,  le  sarclage,  qui  consiste  à  gratter  la 
surface  du  sol  avec  une  ratissoire  ou  un  sarcloir, 
de  manière  à  couper  les  racines  des  mauvaises 
herbes,  en  ménageant  celles  des  bonnes;  — l'os- 
herbage,  qui  consiste  à  enlever  les  mauvaises 
herbes  avec  la  main;  —  le  binage,  qui  consiste  à 
remuer  la  terre  avec  une  binette  jusqu'il  5  à 
10  centimètres,  entre  les  plantes  cultivées,  et  a  le 
double  avantage  de  détruire  les  mauvaises  herbes 
,  et  d'ameublir  la  surface  de  la  planche  pour  qu'elle 


JARDIN 


108'J  — 


JARDIN 


subisse  plus  efficacement  l'action  des  agents  exté- 
rieurs et  des  arrosages. 

Les  plantes,  suivant  leur  nature,  sont  cultivées 
sur  planches,  c'est-à-dire  la  terre  étant  labourée  i 
plat;  sur  ados,  c'est-à-dire  sur  planches  faisant 
saillie  d'un  seul  côté  et  parallèles  les  unes  aux 
autres  ;  sur  billons,  c'est-à-dire  sur  planches  bom- 
bées d'une  largeur  de  1  mètre  à  \°',àO,  hautes  à 
leur  partie  supérieure  de  40  à  50  centimètres,  et 
formant  dos  d'âne  ;  leurs  deux  pentes  sont  recou- 
vertes par  les  plantes  cultivées.  Il  est  enfin  un 
système  spécial,  appelé  culture  sur  couches,  qui 
demande  une  explication  particulière.  On  désigjie 
sous  le  nom  de  coiulie  un  amas  de  matières  ca- 
pables de  fermenter,  disposées  en  lit,  et  recou- 
vertes d'une  épaisseur  variable  de  terre  sur  la- 
quelle est  faite  la  semaille  ou  la  plantation.  Ces 
matières  s'échauffent  par  la  fermentation,  et  leur 
clialeur  se  communique  à  la  terre,  et  par  elle  aux 
plantes.  Les  couches  se  font  tantôt  avec  du  fu- 
mier, tantôt  avec  des  feuilles,  tantôt  avec  un  mé- 
lange de  fumier  et  de  feuilles  ou  d'autres  matières 
organiques.  Pour  que  leur  chaleur,  qui  consti- 
tue un  climat  artificiel  pour  les  plantes,  ne 
s'exhale  pas  en  pure  perte  dans  l'atmosphère,  les 
couches  doivent  être  recouvertes  d'un  coffre  ou 
châssis  vitré  qui  concentre  la  chaleur  autour  des 
plantes. 

Pour  que  le  jardin  ait  une  production  abondante, 
il  est  absolument  indispensable  que  les  engrais 
lui  soient  prodigués.  Il  en  est  des  légumes  et  des 
autres  plantes  potagères  comme  de  la  grande 
culture  ;  la  terre  ne  produit  que  proportionnelle- 
ment à  ce  qu'on  lui  donne.  Pour  les  jardins,  les 
fumiers  constituent  à  la  fois  l'engrais  le  plus  actif 
et  celui  qui  est  le  plus  facile  à  trouver.  Dans  ces 
dernières  annéi-s,  on  a  préconisé  l'emploi  de  cer- 
tains engrais  chimiques  -,  cette  pratique  a  donné 
de  bons  résultats,  au  point  de  vue  de  la  produc- 
tion ;  mais  quand  les  légumes  sont  principalement 
cultivés  pour  la  consommation  de  la  maison,  la 
question  du  prix  de  revient  est  très  importante, 
et  elle  pourrait  souvent  s'opposer  à  l'emploi  de 
ces  engrais.  Les  meilleurs  fumiers  pour  les  jardins 
sont  les  fumiers  dont  la  décomposition  est  avancée. 
Ils  constituent  ce  qu'on  appelle  les  fumiers  chauds  ; 
ils  ont  le  grand  avantage  de  contribuer  puissamment 
à  l'ameublissement  du  sol. 

A  côté  des  fumiers,  les  arrosages  sont  un  des 
principaux  éléments  de  la  production  des  légumes. 
Les  meilleures  eaux  à  employer  pour  arroser  les 
jardins  sont  les  eaux  de  pluie  et  de  source,  celles 
de  ruisseaux  et  de  rivières.  Quant  aux  eaux  de 
puits,  elles  sont  géiiéralement  trop  froides,  trop 
crues,  suivant  l'expression  vulgaire;  pour  les  em- 
ployer, il  est  utile  de  les  faire  séjourner  dans  des 
réservoirs  oii  elles  sont  exposées  à  l'action  de 
l'air  et  du  soleil.  Un  tonneau  ouvert,  enterré  au- 
près du  puits,  peut  très  bien  servir  de  réservoir. 
Il  est  difficile  d'établir  des  règles  précises  pour  les 
arrosages,  mais  on  peut  dire  qu'en  général  les 
légumes  sont  d'autant  plus  beaux  qu'ils  ont  été 
plus  fréquemment  arrosés.  Au  printemps,  quand 
les  gelées  tardives  sont  encore  A  craindre,  les 
arrosages  doivent  être  faits  le  matin.  On  doit 
prendre  les  mômes  précautions  à  l'automne.  Par 
cette  méthode,  l'humidité  est  évaporée  pendant 
le  jour,  et  elle  ne  peut  pas  contribuer  à  augmen- 
ter les  effets  de  la  gelée,  quand  celle-ci  se  pro- 
duit. En  été,  les  arrosages  peuvent  être  pratiqués 
pendant  presque  toute  la  journée  ;  mais  le  meil- 
leur moment  est  le  soir,  quelque  temps  avant  le 
coucher  du  soleil. 

Les  appareils  servant  aux  arrosages  sont  très 
variés.  Le  plus  souvent,  on  se  sert  d'arrosoirs  à 
pomme  ou  à  soupapes  brise-jets.  Pour  les  arbus- 
tes et  pour  le  nettoyage  des  feuilles,  on  se  sert 
de  petites  pompes  à  main.  Qu'ilquefois  on  em- 
ï"  Pai\tif.. 


ploie,  dans  les  grands  jardins,  pour  les  arrosages, 
des  pompes  montées  sur  brouettes  ou  des  ton- 
neaux montés  sur  roues  auxquels  des  pompes  sont 
jointes.  Les  seringues  d'arrosage  sont  aussi  em- 
ployées, surtout  quand  il  s'agit  de  faire  des  bas- 
sinages  avec  des  solutions  insecticides. 

Les  vents,  dans  quelques  régions,  tiuisent  beau- 
coup aux  jardins.  Pour  les  protéger,  on  établit 
des  brise-vents,  tie  sont  le  plus  souvent  de  fort.s 
paillassons  fixés  debout  à  des  piquets  enfoncés  en 
terre.  D'autres  fois,  tes  brise-vents  sont  formés 
par  des  plantations  d'ifs  ou  d'autres  arbres  rési- 
neux, très  rapprochés  les  uns  des  autres,  de  ma- 
nière à  constituer  un  rideau  protecteur.  Les  murs 
qui  entourent  les  jardins  servent  aussi  à  protéger 
les  plantes  contre  l'action  des  vents,  en  même 
temps  qu'ils  renvoient  la  chaleur  du  soleil  sur  les 
plates-bandes  les  plus  rapprochées,  et  sur  les  ar- 
bres placés  en  espalier. 

On  a  dit,  avec  une  grande  raison,  que  la  mul- 
tiplication des  plantes  et  leur  entretien  renfer- 
ment presque  toute  la  science  du  jardinier.  Les 
plantes  potagères  se  multiplient  par  graines  ou 
par  bourgeons.  Le  bouturage,  le  marcottage,  l'é- 
clatage  sont  les  méthodes  les  plus  usitées  de 
multiplication  par  bourgeons.  Ces  procédés  ont 
l'avantage  de  conserver  les  qualités  spéciales  à 
une  plante,  tandis  que  la  multiplication  par  graines 
amène  souvent  des  modifications  ou  même  une 
dégénérescence  qu'il  est  impossible  d  éviter. 

Les  graines  sont  semées  de  diverses  manières, 
suivant  la  nature  et  la  grosseur.  Plus  les  graines 
sont  fines,  et  moins  elles  doivent  être  enterrées; 
souvent,  quand  la  semence  est  répandue  sur  le  sol, 
on  se  contente  de  la  presser  avec  le  dos  d'une 
pelle  ou  d'un  râteau.  Les  serais  se  font  sur  place 
ou  en  pépinière.  Quand  la  plante  reprend  diffi- 
cilement, on  sème  sur  place;  parmi  les  légumes, 
la  carotte,  le  cerfeuil,  la  fève,  la  mâche,  le  navet, 
le  persil,  le  radis,  etc.,  sont  dans  ce  cas.  Les  se- 
mis sur  place  se  font  à  la  volée,  en  jetant  avec  la 
main  la  graine  sur  la  terre,  de  sorte  qu'elle  s'y 
éparpille  régulièrement  ;  —  en  rayons,  ou  dans 
des  rigoles  tracées  le  long  d'un  cordeau  tendu; 
—  en  poquets,  ou  dans  des  trous  creusés  en  li- 
gne, avec  la  serfouette,  à  quelques  centimètres 
de  profondeur.  Un  grand  nombre  de  graines  sont 
semées  en  pépinière  :  les  graines  sont  d'abord  se- 
mées sur  couche,  afin  que  leur  végétation  soit 
activée  ;  quand  les  plants  ont  poussé  quelques 
feuilles,  ils  sont  enlevés  et  repiqués  à  la  place 
qu'ils  doivent  occuper.  Ce  système  offre  beaucoup 
d'avantages  pour  un  certain  nombre  de  plantes; 
il  favorise  le  développement  de  leur  système  radi- 
culaire.  Les  plants  repiqués  doivent  être  abon- 
damment arrosés  après  leur  mise  en  place. 

Le  plus  grand  nombre  des  graines  sont  semées 
à  l'automne  et  au  printemps.  Toutefois  il  faut 
ajouter  qu'il  est  impossible  de  fixer  une  date  pré- 
cise pour  les  semailles.  Le  jardinier  doit  souvent 
se  laisser  guider  par  des  circonstances  extérieures  ; 
en  tous  cas,  il  se  règle  sur  le  climat,  sur  la  plante 
elle-même,  la  durée  de  sa  vie  et  les  résultats  qu'il 
veut  on  obtenir.  Ainsi,  par  exemple,  dans  les  dé- 
partements septentrionaux,  le  plus  grand  nombre 
des  plantes  annuelles  doivent  être  semées  à  la  fin 
de  l'hiver  ou  au  commencement  du  printemps; 
mais  pour  celles  dont  on  veut  avoir  des  primeurs, 
il  faut  les  semer  sur  couche  dès  le  mois  de  no- 
vembre ou  celui  de  décembre. 

Il  est  très  bon,  pour  hâter  la  végétation,  de  ré- 
pandre sur  la  planche  une  certaine  quantité  do 
terreau  après  les  semailles  ou  avant  cette  opéra- 
tion. Le  terreau  est  répandu  avec  une  pelle  ou 
un  râteau,  de  manière  à  former  une  couche  aussi 
égale  que  possible.  Cette  addition  de  terreau, 
qu'on  désigne  quelquefois  par  le  tcrmo  de  ter- 
reautage,  a  pour  but  d'échauffer  le  sol,  en  même 
09 


JARDIN 


-   1090 


JARDIN 


temps  que  de  céder  aux  plantes  des  éléments  nu- 
tritifs chaque  fois  qu'il  pleut  ou  qu'on  arrose.  Le 
terreau  proprement  dit  est  obtenu  par  la  décom- 
position des  fumiers  de  ferme;  il  forme  une  ma- 
tière grasse,  onctueuse  au  toucher,  très  noire.  On 
peut  aussi  le  préparer  avec  des  feuilles  ou  d'au- 
tres matières  végétales  qu'on  fait  décomposer. 
Outre  le  terreau  qui  provient  des  couches  dont 
la  formation  a  été  indiquée  plus  haut,  on  peut  en 
préparer  de  la  manière  suivante.  On  fait  au  prin- 
temps, dans  un  coin  du  jardin,  un  tas  de  fumier 
bien  égalisé  et  bien  piétiné,  de  2  mètres  environ  ; 
pendant  l'été,  on  l'arrose  copieusement,  afin  d'en 
liâter  la  décomposition.  Puis  on  le  refait,  de  ma- 
nière à   placer  à  l'intérieur  les   parties    qui   for- 


plantes  refroidies.  Pour  empêcher  cet  effet  de  se 
manifester,  le  moyen  qui  est  à  la  portée  de  tous  les 
jardiniers  est  de  couvrir,  le  soir,  dans  les  cas  où 
le  ciel  est  pur  et  présage  une  nuit  froide,  les  plan- 
tes les  plus  délicates  avec  des  toiles  grossières, 
des  paillassons,  des  litières,  des  feuilles,  etc.  Il 
faut  remarquer  que  les  plantes  croissant  dans  une 
vallée  sont  plus  souvent  exposées  à  la  gelée  blan- 
che que  celles  qui  viennent  à  mi-côte  ou  même 
sur  des  plateaux. 

Il  arrive  souvent  que  les  gelées  blanches  cau- 
sent surtout  des  dégâts  dans  le  courant  du  mois 
d'avril  et  au  commencement  de  mai.  De  là  est 
venu  le  préjugé  de  l'influence  de  la  lune  rousse. 
Les  jardiniers  désignent  sous  ce  nom  la  lune  qui 


maient  les  faces.  \  la  fin  de  l'hiver,  le  fumier  est  commence  en  avril,  et  qui  devient  pleine  dans  les 
décomposé  et  forme  une  niasse  homogène  qu'on  i  derniers  jours  de  ce  mois  ou  au  commencement 
,     .      r""^^     ...  "^  ^  I  j„  — :     un„   rt^,    ;i  ott   vrau  tnniftiirs   le  temoin 


émiette  avec  le  râteau. 


de  mai.   Elle  est,  il  est  vrai,  toujours 


L'emploi  des  paiUis  est  aussi  i  r.'commander.  ;  des  gelées  blanches,  mais  elle  n y  est  pour  non. 
On  désigne  par  ce  mot  une  couche  de  fumier  court  '  elle  brille  au  ciel,  parce  qu  il  n  y  a  pas  de  nuages 
à  demi  consommé,  peu  épaisse,  qu'on  répand  sur  1  et  c'est  cette  absence  de  nuages  qui,  activant  le 
la  planche.  Cette  couche  a  pour  effet  de  maintenir  !  rayonnement  terrestre,  amène  le  refroidissement 

.      . 1 :a^  «*  j..  .,' î.  ..«,,   A„^^n^n*:n,-i     I  it,,   cr\\ 


la  terre  humide  et  de  s'opposer  à  son  évaporation 
Elle  doit  donc  être  employée  surtout  au  commen 


du  sol.  ..   j-  ■  ui;.     VI 

Les  excès  de  chaleur  sont   préjudiciables  à   la 


ntde  l'été, principalement  sur  les  sols  légers    plupart  des  plantes   des  jardins;  on  y  «bue  pai 
"^         '  'des  arrosages  copieux  :  et,  si  1  on  arrose  suffisam- 


et  sablonneux. 


A  côié  de  ces  procédés  d'entretien,  il  faut  si-  I  ment,  l'excès  de  chaleur  peut  se  transformer  eu 
gnaler  le  buttage,  qui  consiste  à  amonceler  de  la  1  agent  d'une  production  '^«^"'^«''P  P'"/„''^'"'f  •,,':;'"'^ 
terre  au  pied  d'une  plante.  On  butte  les  pommes  lumière  trop  vive  ou  trop  prolongée  peut  aussi 
de  terre  afin  de  multiplier  les  tiges  souterraines  ,  causer  certains  préjudices,  le  remède  est  Qans 
qui  portent  les  tubercules;  on  butte  le  céleri  et  ,  les  abris  temporaires  qu  on  crée  aux  plantes 
le  cardon,  afin  de  faire  blanchir  leurs  feuilles  et  de  |  Il  ne  peut  être  ici  question  ^f  fo-'^er  des  de- 
les  rendre  plus  tendres.  Dans  un  but  analogue,  !  tails  sur  la  culture  de  chacun  ^es  légumes  pro- 
on  provoque  artificiellement  l'étioleraont  des  duits  dans  le  jardin  potager.  Leur  nombre  de- 
feuilles  ou  des  tiges  des  légumes.  C'est  surtout  ;  vient  d'ailleurs  chaque  J»f  Pi''^^X  nomen: 
pour  les  salades  que  ces  procédés  sont  employés,  i  Nous  nous  bornerons  donc  *  «ne  f'"iple  nome" 
On   blanchit   la  chicorée  frisée,  l'escarole,  la  ro-    clature,  dans  laquelle  nous  '^'^^""^^.^es  plan  es 

suivant  les  familles  botaniques  auxquelles   elles 
appartiennent. 

Liiiacées  :   ail,  ciboule,  échalote,  oignon,  poi- 
reau. «  ,         , 

Crucifères:  choux  pommés,  chou-fleur,  chou  de 
Bruxelles,  cresson,  radis,  rave,  navet. 

Ombellifères  :   angélique,  carotte,   céleri,  cer- 
feuil, panais,  persil. 
Légumineuses  :  fève,  haricot,  pois. 
Cliénopodées  :  bette,  betterave,  epinard. 
Pohiuonées  :  oseille,  patience,  rhubarbe. 

,..  ,. ,      Composées:  estragon,  artichaut  cai^onchi^^ 

La  manotte  est  une  partie  de  plante,  bourgeon  |  rée,  barbe   de  capucm,  laitue,  romaine,  saisins, 
rameau,  qui  est  abaissée  et  couchée  dans   le  i  escarole,  scorsonère. 
,  sans  être  séparée   du  pied  mère,  et   qui  y        Valérimées  :  mâche  ou  aouceitt 

'  .  *^«  .        .'.  .         .  -  n t  :t..^A^c>  .   /,/,n/.niiinrft.  cours 


mainc,  en  rapprochant  et  en  liant  leurs  feuill 
ou  en  couvrant  les  pieds  en  entier  avec  des  pail- 
lassons, de  la  litière  ou  des  feuilles. 

Il  faut  maintenant  donner  qurl^.ues  explications 
sur  les  modes  de  propagation  aùj'es  que  la  se- 
maine, usités  dans  les  jardins. 

C'est  d'abord  la  multiplication  par  écl.nl,  qui 
consiste  à  détacher  d'une  plante  vivace  des  frag- 
ments munis  de  bourgeons  et  de  racines.  Quel- 
<luefois  cependant  le  bourgeon  est  privé  de  racines; 
il  prend  alors  le  nom  à'ieiltelon;  c'est  par  ce  pro- 
cédé qu'on  multiplie  l'artichaut 


sol 


sépare  par  incision  la  marcotte  de  la  plante  d'où    tèque.  ,  .  tomate 

•■         '   .  .     ..  ■     .       -      K  :.,_..    I      sotoite  .•  aubergine,  pomme  de  terre,  tonidte. 

Culture  maraîchère.  -  La  culture  maraiclière 

lest,   après  la  vigne,  la  branche  la  plus  riche   de 

'l'agriculture.   Il   suffit,   pour   s  en   convaincre,   de 


soi,  sans   être    séparée    au   pieu    mère,  eu    qui   y         ,  uic.  cu.r.,.io  . .„„.„o    mplnn    nas- 

émet  des  racines.  Quand  celles-ci  ont  poussé,  on  |      Cucurbitacées  :  concombre,  courge,  melon,  pas 
sépare  par  incision  la  marcotte  de  la  plante  d'où 
elle   provient,  et   elle   acquiert  une   vie  indépen- 
dante. Quelques  arbrisseaux  fruitiers,  et  quelques  I 
fleurs  se  multiplient  très  bien  par  marcotte.  | 

La  bouture  diffère  de  la  marcotte,  en  ce  que  le  ;  .  es..--- — -■  -  ■      ,      „„j„i,„  nn'nn  ;ap- 

rameau  qui  la  forme  a  été  séparé  de  la  plante  d'où  !  réfléchir  il  l'énorme  masse  de  f  "^^''-'X^vines 
il  provient,  et  planté  isolément,  de  manière  à  vivre  ,  dinier  habile  tire,  aux  environs  des  g"'»°aes  vmes 
immédiatement  de  sa  propre  vie.  La  bouture,  pour  <  de  quelques  ares  de  terre  Le  ^»'  P°J  e.  cnaque 
viNTe,  doit  émettre  rapidement  des  racines;  c'est  i  année,  trois  à  q""P/ecoltes  successives,  quel 
ce  qu'on  appelle  reprendre.  La  chaleur,  la  lu-  '  quefois  cinq.  C'est  à  force  de  '[f;^^'' e'  /  en  ",, 
mière  et  l'humidité,  dans  des  proportions  conve-  '  que  ce  ré,ultat  est  obte.iu.  Le  "aracher  „  a  pas, 
nables,  sont    les  éléments   indispensables   de    la  ;  en  effet,   à  sa  disposition  de  force  naturelle  par 

"  Mait^pour  ces  produits,  il  faut  des  débouchés 
importants.  C'est  pourquoi,  pendant  longtemps,  la 
cukure  maraîchère  a  été  limitée  •->"  voisinage 
immédiat  des  grandes  villes,  au  ■'•Jon  dans  le- 
quel la  voiture  chargée  de  légumes  peut  partir 
chaque  soir,  pour  revenir  dans  la  matinée  du  len- 
demain. Aujourd'hui,  grâce  aux  nombreuses  voies 
de  communication  rapide,  ce  ™y»n  s  est  agiandi, 
et  ce  qui  était  jadis  l'apanage  «^clusifde  quelques 
terres  privilégiées,  est  devenu  .PO^sible  pour  un 
grand  nombre  :  Paris,  pour  ne  citer  que  cet  exem- 
Sio   ,.„;,  .'ar-Proître  clia.iue   our  l'affluence  de  ses 


reprise  des  boutures.  Quelques  plantes  se  mul 
tiplient  très  facilement  par  boutures  ;  il  en  est 
d'autres  qui  sont,  au  contraire,  absolument  réfrac- 
taires  à  ce  mode  de  propagation.  C'est  surtout 
pour  les  fleurs  qu'on  y  a  recours  dans  les  jardins, 
rarement  pour  les  légumes. 

Après  ces  principes  généraux  sur  le  jardinage, 
il  convient  d'indiquer  les  moyens  de  se  prémunir 
contre  quelques  influences  des  agents  extérieurs. 
En  première  ligne,  il  faut  placer  la  gelée  blanche, 
au  printemps.  Elle  est  produite  par  la  congélation 
de  la  vapeur  d'eau  contenue  dans  l'air,  qui,  pen- 


dant les  nuits  calmes,  se  dépose  sur  la  surface  des  I  pie,  voit  s'accroître  chafjue  jour 


JAUGEAGE 


1001  — 


JEAN 


approvisionnements.  L'iiectare  de  terre,  bien  ex- 
ploité on  culture  maraîclière,  peut  donner,  dans 
une  année,  4  000  à  5  000  francs  do  produits;  au- 
cune autre  culture,  sauf  la  vigne,  ne  peut  attein- 
dre ce  résultat. 

D'un  autre  cûtc,  la  consommation  est  devenue 
partout  plus  difficile  à  satisfaire  ;  son  goût  est  plus 
délicat,  il  lui  faut  des  produits  plus  lins.  Le  suc- 
cès sera,  dans  l'avenir,  pour  ceux  qui  sauront 
répondre  à  ces  besoins.  Ces  quelques  considéra- 
tions suffisent  pour  montrer  le  rôle  que  la  produc- 
tion des  légumes  peut  jouer  dans  beaucoup  d'ex- 
ploitations agricoles. 

Production  des  fleurs.  —  Les  fleurs  sont  le 
plus  bel  ornement  des  modestes  habitations  de  la 
campagne.  Leur  variété  est  infinie  :  quelques-unes 
demandent  des  soins  assidus,  d'autres  sont  moins 
exigeantes.  C'est  à  chacun  de  choisir,  parmi  les 
innombrables  cultures  florales,  celles  qui  con- 
viennent le  mieux  à  ses  goûts  et  qui  orneront  le 
mieux  son  jardin,  suivant  les  dimensions  de  celui- 
ci  et  suivant  les  saisons. 

Les  plantes  d'ornement  sont  des  arbustes,  ou 
des  plantes  vivaces  qui  chaque  année  poussent 
des  tiges,  ou  enfin  des  plantes  annuelles. 

Les  arbustes  d'ornement  demandent,  pour  la 
conduite  et  pour  la  taille,  des  soins  analogues  à 
ceux  que  réclament  les  arbres  fruitiers.  Ils  se 
multiplient  soit  par  greffe,  soit  par  bouture,  soit 
par  drageon  ou  rejet  qui  s'enracine  naturellement 
en  poussant  ;'i.  une  certaine  distance  de  la  souche, 
01  qu'on  peut  séparer  de  celle-ci  pour  faire  un 
sujet  spécial. 

Les  plantes  vivaces  sont  celles  dont  le  pied  ou 
la  racine  vit  pendant  un  certain  temps,  en  déve- 
loppant chaque  année  des  tiges  annuelles.  Elles 
se  multiplient  par  éclat,  en  détachant  de  petites 
portions  de  la  souche,  ou  bien  quelquefois  par 
bouture,  ou  enfin  par  semis. 

Quant  aux  plantes  annuelles  ou  bisannuelles, 
elles  ne  peuvent  être  propagées  que  par  graines. 
Les  semis  se  font,  soit  sur  place,  soit  en  pépinière. 
Pour  ces  plantes,  aussi  bien  que  pour  les  autres, 
les  conditions  suivantes  sont  nécessaires  à  la 
réussite  du  semis  :  les  graines  doivent  être  d 
lionne  qualité  ;  le  sol  doit  être  convenablement 
préparé,  et  les  semailles  doivent  être  faites  par  un 
temps  propice,  à  une  époque  convenable.  Les 
fleurs  les  plus  rustiques  peuvent  être  semées 
dans  le  courant  d'avril  ;  quant  à  celles  qui  sont 
plus  délicates,  elles  le  seront  h.  la  fin  de  ce  mois 
ou  dans  le  courant  du  mois  de  mai. 

L'arrosage  doit  être  une  des  préoccupations 
pour  la  culture  des  fleurs.  Colles-ci  ont  besoin 
d'eau  pour  se  développer  régulièrement.  Plus  les 
plants  sont  petits,  d'une  manière  générale,  et 
plus  ils  ont  besoin  d'être  arroses  souvent. 

Quelques  fleurs  exigent,  pour  bien  venir,  le 
terreau  dont  la  formation  a  été  indiquée  plus 
haut;  d'autres  demandent -une  terre  spéciale,  ap- 
pelée terre  de  bruyère.  C'est  une  terre  noire, 
légère,  que  l'on  recueille  dans  quelques  parties 
de  bois,  où  elle  est  formée  par  l'agglomération  des 
débris  végétaux.  Elle  tire  son  nom  de  ce  fait  que 
la  bruyère  y  vient  d'une  manière  spéciale. 

L'exposition  du  levant  est  la  plus  favorable  pour 
la  culture  de  la  plupart  des  plantes  florales  ou 
potagères  ;  mais  celles  qui  demandent  beaucoup 
de  chaleur  se  trouvent  mieux  de  l'exposition  du 
midi. 

Rappelons,  en  terminant,  les  services  que  peut 
rendre  le  jardin  de  l'instituteur,  pour  la  propa- 
gation des  bonnes  variétés  de  légumes  et  d'autres 
plantes  potagères,  ainsi  que  pour  les  essais  sur  les 
nouveaux  procédés  de  culture. 

[Henry  Sagnier.] 

JAUGEAGK  DES  FUTS.  —  Géométrie,  XXVIU. 

—  La  capacité  intérieure  d'un  tonneau  a  la  forme 


d'une  surface  de  révolution,  divisée  en  deux  par 
ties  égales  par  le  plan  perpendiculaire  à  l'axe  mené 
par  le  contre  de  la  bonde.  Si  l'on  pouvait  négliger 
la  courbure  dos  douves,  chaque  moitié  du  tonneau 
pourrait  (Mre  assimilée  à  un  tronc  de  cône.  En 
nommant,  dans  ce  cas,  R  le  rayon  du  bouge  (cer- 
le  mené  |iar  la  bonde),  r  le  rayon  ùa  jable  (cercle 
formant  le  bout  du  tonneau),  et  h  la  demi-longueur 
de  la  pièce,  on  aurait  pour  l'expression  du  demi- 
volume  : 

iî:/,(Rî+R»--f/S). 

IMais  cette  expression  donne  un  résultat  trop 
faible,  puisqu'on  a  négligé  la  courbure  des  douves. 
Pour  en  tenir  compte,  on  remplace  le  produit  Rr 
par  le  carré  R-.  Si  alors  H  désigne  la  longueur  to- 
tale du  tonneau,  D  et  d  les  diamètres  du  bouge 
et  du  jable,  et  V  la  capacité  cherchée,  on  trouve, 
en  faisant  les  substitutions  : 

V= -^  7tH(2D2  +  rf2)  =  0,262H(2D2  -|-  d^) . 

C'est  la  formule  d'Our/hlred,  qui  y  est  arrivé  e 
assimilant  la  courbe  de  la  douve  à  un  arc  d'ellips 
Elle  donne  un  résultat  un  peu  fort. 

On  emploie  aujourd'hui  la  formule  de  Dez  : 

V  =  ,:H[R-^(R-r)J! 

Si,  par  exemple,  on  suppose  D=0",ei,  rf=0",5; 
et  H=0™,90,  on  trouvera: 

Pai'  la  formule  du  tronc  de  cône     Û™<=b^2:i612  ou  226i'',12  ; 

-  d'Oughtred I      ,23924  ou  239    ,21: 

—  de  Dez IJ      ,23486  ou  234    ,% . 

[H.  Sonnet.] 

JEAN.  —  Histoire  de  Franco,  XI,  XII.  —  Nom 
de  deux  rois  de  France. 

Jean  I",  fils  posthume  de  Louis  X  le  Hutin, 
naquit  en  1.316,  mais  ne  vécut  que  quelques  jours. 
Son  oncle,  Philippe  de  Poitiers,  prit  alors  la  cou- 
ronne sous  le  nom  de  Philippe  V.  Une  flile  que 
Louis  X  avait  laissée,  Jeanne  (née  en  1.311),  fut 
exclue  de  la  succession  paternelle  au  nom  de  la  loi 
salique  (V.  Guerre  de  Cent  ans,  p.  OvO). 

Jean  II  le  Bon,  fils  de  Philippe  VI  de  Valois, 
monta  sur  le  trône  en  1350.  La  guerre  avec  l'An- 
gleterre, suspendue  par  une  trêve,  recommença 
en  1351.  Elle  se  borna  d'abord  à  quelques  escar- 
mouches sans  importance.  Le  roi  de  Franco,  qui 
aimait  les  plaisirs  et  les  parades  chevaleresques, 
avait  dissipé  ses  ressources  ;  il  essaya  vainement 
de  remplir  son  trésor  en  altérant  les  monnaies, 
comme  avait  fait  son  père,  et  dut  enfin  avoir  re- 
cours aux  Etats-Généraux.  Ceux-ci,  assemblés  en 
1355,  accordèrent  des  subsides  pour  les  frais  de 
la  guerre,  mais  h  la  condition  de  contrôler  eux- 
mêmes  les  dépenses.  Cependant,  le  prince  de 
Galles,  fils  d'Edouard  III,  s'avançait  vers  la  Loire; 
Jean  marcha  contre  lui,  fut  battu  à  Poitiers,  et 
demeura  prisonnier  des  Anglais  avec  la  plus  grande 
partie  de  sa  noblesse  (1356).  La  conduite  chevale- 
resque du  prince  de  Galles  envers  les  vaincus  est 
racontée  dans  une  page  célèbre  de  Froissart,  que 
nous  donnons  ci-dessous.  Conduit  k  Londres,  Jean 
y  resta  captif  jusqu'à  la  signature  du  traité  de  Bré- 
tigny  (13tJ0).  En  recouvrant  la  liberté,  il  avait  dû 
livrer  pour  otages  deux  de  ses  fils  ;  l'un  de  ceux-ci 
s'étant  échappé,  Jean  retourna  se  constituer  pri- 
sonnier des  Anglais,  et  mourut  ii  Londres  on  ISCi. 
Les  événements  qui  suivirent  la  bataille  de  Poi- 
tiers sont  racontés  à  l'article  Guerre  de  Cent  ans , 
p .  02 1  et  922. 

Lectures  et  dictées.  —  Réception  du  roi  Jean 
par  le  prince  de  Galles,  le  soir  de  la  hataille  'le 


JEANNE  D'ARC 


1092  — 


JEANNE  D'ARC 


Poitiers.  —  Puis  le  comte  de  Warwick  et  niessire 
Regnault  de  Cobliam  (qui  amenaient  le  roi  Jean 
prisonnier)  entrèrent  au  pavillon  du  prince  de 
Galles,  et  lui  firent  présent  du  roi  de  France  ; 
lt'f)uel  présent  ledit  prince  dut  bien  recevoir  à 
grand  et  à  noble.  Et  aussi  fit-il  vraiment,  et  s'in- 
clina tout  bas  contre  le  roi  de  France,  et  le  reçut 
comme  roi,  bien  et  sagement,  ainsi  que  bien  le 
savait  faire;  et  fit  là  apporter  le  vin  et  les  épiées; 
et  en  donna  lui-même  au  roi,  en  signe  de  très 
grand  amour. 

Quand  ce  vint  au  soir,  le  prince  de  Galles 
donna  à  souper  au  roi  de  France  et  à  monseigneur 
Philippe  son  fils,  à  monseigneur  Jacques  de  Bour- 
bon, et  à  la  plus  grand  partie  des  comtes  et  des 
barons  de  France  qui  prisonniers  étaient.  Et  assit 
le  prince  le  roi  de  France  et  son  fils  monseigneur 
Philippe,  monseigneur  Jacques  de  Bourbon,  mon- 
seigneur Jean  d'Artois,  le  comte  de  Tancarville, 
le  comte  d'Etampes,  le  comte  de  Danipmartin,  le 
seigneur  de  Joinville  et  le  seigneur  de  Parthenay, 
k  une  table  moult  haute  et  bien  couverte,  et  tous 
les  autres  barons  et  chevaliers  aux  autres  tables. 
Et  servait  toujours  le  prince  au  devant  de  la  table 
du  roi,  et  par  toutes  les  autres  tables,  si  humble- 
ment comme  il  pouvait.  Ni  oncques  ne  se  voulut 
seoir  à  la  table  du  roi,  pour  prière  que  le  roi  sut 
faire;  ains  (au  contraire)  disait  toujours  qu'il 
n'était  mie  (pas)  encore  si  suffisant  qu'il  appar- 
tenist  de  lui  seoir  à  la  table  d'un  si  haut  prince 
et  de  si  vaillant  homme  que  le  corps  de  lui  était, 
et  que  montré  avait  à  la  journée.  Et  toujours  s'a- 
genouillait par  devant  le  roi,  et  disait  bien  :  «  Cher 
sire,  ne  veuillez  mie  faire  simple  chère,  pour  tant 
si  Dieu  n'a  voulu  consentir  huy  (aujourd'hui)  votre 
vouloir;  car  certainement  monseigneur  mon  père 
vous  fera  tout  l'honneur  et  amitié  qu'il  pourra, 
et  s'accordera  à  vous  si  raisonnablement,  que  vous 
demeurerez  bons  amis  ensemble  à  toujours.  Et 
m'est  avis  que  vous  avez  grand  raison  de  vous 
esliescer  (réjouir),  combien  que  (quoique)  la  beso- 
gne ne  soit  tournée  à  votre  gré  ;  car  vous  avez 
aujourd'hui  conquis  le  haut  nom  de  prouesse,  et 
avez  passé  tous  les  mieux  faisants  de  votre  côté. 
Je  ne  le  dis  mie,  cher  sire,  pour  vous  lober  (rail- 
ler); car  tous  ceux  de  notre  partie,  et  qui  ont  vu 
les  uns  et  les  autres,  se  sont  par  pleine  science  à  ce 
accordés,  et  vous  en  donnent  le  prix  et  le  chape- 
let, si  vous  le  voulez  porter,  n 

A  ce  point  commença  chacun  h  murmurer  (à 
faire  entendre  un  murmure  d'approbation)  ;  et 
disaient  entre  eux,  Français  et  Anglais,  que  noble- 
ment et  à  point  le  prince  avait  parlé.  (Froissart.) 

JEAN-SANS-TEHRE.  —  'V.  Plantmjenet. 

JEANNE  D'ARC.  —  Histoire  de  France,  XIV. 
—  Etat  de  la  France.  —  Depuis  l-ilU,la  Franco 
était  en  agonie,  frappée  du  même  coup  que  le  duc 
Jean-Sans-Peur;  le  crime  de  Montereau  avait  eu 
pour  résultat  l'alliance  anglo-bourguignonne,  et  le 
traité  de  Troyes  (14'2Û),  que  la  moitié  des  Français 
avait  accueilli  en  silence.  En  1422,  après  la  pompe 
funèbre  de  Charles  VI  à  Saint-Denis,  Paris  avait 
entendu  sans  révolte  les  hérauts  d'armes  anglais 
crier  o  Longue  vie  au  roi  Henri  VI,  par  la  grâce  de 
Dieu  roi  de  France  et  d'Angleterre,  notre  souve- 
rain seigneur.  » 

Pendant  ce  temps,  le  vrai  dauphin,  Charles  de 
Valois,  était  proclamé  roi  par  quelques  serviteurs 
fidèles,  au  fond  d'un  château  obscur,  à  Espaly  en 
Velay.  Mais  depuis,  vaincu  encore  à  Crevant  et  à 
Verneuil,  le  prince  national  demeurait  inactif  dans 
sa  cour  de  Chinon,  pleine  d'intrigues.  En  vain  le 
patriote  connétible  de  Richemont  avait  cousu  dans 
un  sac  et  noyé  dans  l'Indre  un  malfaisant  favori, 
le  sire  de  Giac.  La  Trémouille  avait  pris  la  place  de 
Giac  et  fait  éloigner  Richemont.  Désespérantde  lui- 
même  et  des  autres,  Charles  s'abandonnait  jusqu'à 
douter  des  droits  de  sa  naissance.  <i  l"n  jour,  de- 


dans son  cœur,  il  pria  Dieu,  s'il  n'était  vrai  hoir 
de  la  noble  maison  de  France,  de  lui  donner  la 
grâce  d'échapper  sans  mort  ni  prison,  et  qu'il  se 
pût  sauver  en  Espagne  ou  en  Ecosse.  » 

Hors  de  la  cour,  la  misère  semblait  avoir  abattu 
l'espoir  et  le  courage.  Depuis  quinze  ans,  le  temps 
des  Grandes  Compagnies  était  revenu  ;  les  gens  de 
guerre  de  tous  les  partis.  Armagnacs,  Bourgui- 
gnons, Anglais,  vivaient  sur  le  paysan,  de  rapines 
et  de  brigandages.  «Quelques-uns  de  ces  capitaines 
étalent  peut-être  les  hommes  les  plus  féroces  qui 
eussent  jamais  existé.  Il  suffit  d'en  nommer  un, 
dont  le  nom  seul  fait  horreur,  Gilles  de  Retz,  l'o- 
riginal de  Barbe-bleue.  «  (Michelet.)  Livréssansdé- 
feiise  à  ces  hommes  de  proie,  les  paysans 
M  fuyaient  au  bois  avec  les  bêtes  fauves.  Adieu  les 
femmes  et  les  enfants...  faisons  le  pis  que  nous 
pourrons  et  remettons-nous  dans  la  main  du  dia- 
ble. >>  Et  les  champs  restaient  en  friche  et  la  fa- 
mine suivait  la  guerre.  Dans  les  villes,  la  vie  n'était 
ni  plus  sûre  ni  meilleure.  A  Paris,  les  hôtels  des 
seigneurs  n'étaient  que  des  forteresses  garnies  de 
herses,  de  mâchicoulis,  et  pleines  de  soldats;  la 
nuit,  (jOii  chaînes  tendues  barraient  les  rues  et  la 
Seine.  Et  la  misère  décimait  le  peuple.  En  1418,  la 
famine  et  la  peste  avaient  fait  SOOOii  morts.  «  Il 
fallait  faire  dans  les  cimetières  de  grandes  fosses 
où  on  les  mettait  par  trente  et  quarante,  arrangés 
comme  lard,  à  peine  poudres  de  terre.  »  (Monstre- 
let.  )  Et  depuis,  le  fléau  avait  reparu  chaque  année. 
Aussi,  c'est  en  1424  que  ce  peuple  démoralisé 
par  le  désespoir  inventait  la  danse  macabre,  la 
danse  lugubre  des  morts,  au  cimetière  des  Inno- 
cents, au  milieu  des  charniers,  où  l'on  avait  jeté 
d'iiniombrables  squelettes  arrachés  trop  tôt  de  la 
tombe. 

C'est  à  ce  point  que  la  folie  d'un  roi,  vingt  ans  de 
factions  furieuses  et  la  défaite  d'Azincourt  avaient 
poussé  la  France.  Il  n'y  avait  point  de  roi,  point 
de  gouvernement,  et  il  semblait  qu'il  n'allait  plus 
y  avoir  de  peuple.  Les  Anglais  s'apprêtaient  à  un 
décisif  et  dernier  elTort  pour  achever  la  conquête. 

^•iéne  d'Orléans.  —  Orléans  était  le  vrai  boule- 
vard des  provinces  fidèles,  la  clef  de  la  Loire,  dont 
le  cours  marquait  en  14v9  la  frontière  de  la  France 
restée  française.  Le  régent  anglais,  Bedford,  en- 
voya pour  la  prendre  6  OUO  do  ses  meilleurs  sol- 
dats. En  quelques  jours,  malgré  son  courage,  la 
ville  était  cernée  par  les  bastilles  anglaises  dont 
l'artillerie  la  battait  en  brèche  ;  bientôt,  la  défaite 
de  la  Journée  des  Harengs  venait  décourager  les 
plus  braves  qui  désertaient  la  résistance.  L'amiral 
de  France  et  2  000  soldats  se  retirèrent  d'Orléans 
le  13  février  1429.  Cette  fois  la  fin  de  la  France 
semblait  prochaine  et  irrémédiable. 

Mais  une  indestructible  espérance  vivait  dans  le 
peuple  acculé  à  la  mort  et  qui  pourtant  refusait 
de  mourir.  Des  moines,  des  visionnaires  parcou- 
raient les  campagnes  et  y  répandaient  des  prédic- 
tions merveilleuses.  L'etichanteur  Merlin ii'avah-i\ 
pas  annoncé  qu'il  viendrait,  pour  sauver  le  royaume, 
une  K  vierge  douée  par  les  fées  et  qui  sortirait  du 
bois  Chenu?  ■>  Et  la  croyance  populaire  ajoutait  que 
le  11  bois  Chenu  »  était  situé  «  vers  les  marches  de 
Lorraine.  "  L'agitation  patriotique  gagnait  de  pro- 
che en  proche.  «  Il  régnait  une  de  ces  grandes  at- 
tentes qui  appellent  et  suscitent  le  prodige  at- 
tendu. »  (H.  Martin.) 

Enfance  de  Jeanne  d'Arc.  —  Domrémy  est  sur 
la  rive  gauche  de  la  Meuse,  à  cinq  lieues  en  atnont 
de  Vaucouleurs.  Au  commencement  du  xV  siècle, 
c'était  un  village  de  frontière,  entre  le  Barrois,  dont 
les  habitants  avaient  suivi  le  parti  français,  et  la 
Lorraine,  dont  le  duc  servait  le  parti  de  Bourgogne. 
H  Le  village  était  à  deux  pas  des  grandes  forêts  des 
Vosges.  De  la  portede  la  maison  de  son  père,  Jeanne 
voyait  le  vieux  bois  des  chênes;  les  fées  hantaient 
ce  bois  ;  elles  aimaient  surtout  une  certaine   fon- 


JEANNE  D'AUC 


—  10'J3  — 


JEANNE   D'ARC 


faine,  près  d'un  grand  liètre  qu'on  nommait  l'ar- 
bro  des  Fées,  des  Dames.  Les  petits  enfants  y  sus- 
pendaient des  couronnes,  y  chantaient.  Jeanne 
naquit  parmi  ces  légendes,  dans  les  rêveries  popu- 
laires... Née  sous  les  murs  mômes  de  l'église,  ber- 
cée du  son  des  cloches  et  nourrie  de  lé(>;cndes, 
.leanne  fut  une  légende  elle-même,  rapide  et  pure, 
do  la  naissance  h  la  mort.  »  (Michelet.)  Elle  était 
née  le  C  janvier  14 12,  de  Jacques  d'Arc  et  d'Isabeau 
Romoe.  L'enfant,  rêveuse  et  un  peu  sauvage,  veil- 
lait aux  champs  sur  le  troupeau  de  son  père,  écou- 
tant le  son  des  cloches  que  lui  apportait  la  brise 
et  les  mystérieuses  voix  de  la  forêt  qu'elle  croyait 
entendre.  Le  dimanche,  elle  s'agenouillait  en  extase 
au  pied  des  images  saintes.  Mais  un  jour  cette 
paix  fut  troublée  ;  les  Anglais  avaient  pénétré  jus- 
qu'à, Vaucouleurs,  ils  ravageaient  ce  pays  épargné 
jusque-là.  Il  fallut  fuir  dans  une  île  de  la  Meuse. 
Et,  au  retour,  on  vit  le  pauvre  village  pillé  et  brûlé 
par  les  soldats  étrangers.  Désormais  Jeanne  sentit 
«  la  grand  pitié  qui  était  au  royaume  de  France  ;» 
et  dans  l'église,  aux  champs,  sa  prière  appelait 
ardemment  «  les  anges  du  ciel  n  à  susciter  un  li- 
bérateur. «  La  jeune  fille,  à  son  insu,  créait,  pour 
ainsi  parler,  et  réalisait  ses  propres  idées;  elle  en 
faisait  des  êtres,  elle  leur  communiquait,  du  tré- 
sor de  sa  vie  virginale,  une  splendide  et  toute- 
puissante  existence.  "  (Jlichelet.)  De  là  son  rêve 
grandiose  et  poétique  qu'elle  avait  conçu  et  qu'elle 
exécuta;  de  1;\  ses  «  voix  »  qui  venaient  l'entrete- 
nir de  sa  mission  sainte  et  l'avertir  que  le  peuple 
de  France  attendait  l'héroïne  promise  de  sa  déli- 
vrance. 

La  mission.  —  C'est  un  jour  d'été,  en  I4?5, 
qu'elle  entendit  «  ses  voix  »  pour  la  première  fois. 
L'archange  Michel  lui  ordonnait  «  d'aller  en 
France,  an  secours  du  Daupliin.  afin  que  par  elle 
il  recouvrât  son  royaume.  >>  Et  souvent  depuis, 
durant  plusieurs  années,  les  voix  se  firent  enten- 
dre plus  pressantes  à  chaque  retard.  En  vain  son 
père  essaya-t-il  de  s'opposer  h  son  dessein,  elle  ob- 
tint de  se  rendre  chez  son  oncle  qu'elle  sut  convain- 
cre et  qui  la  conduisit  h  Vaucouleurs.  «  Je  viens  de 
la  part  de  mon  Seigneur,  dit-elle  au  sire  de  Bau- 
dricourt,  capitaine  du  bailliage,  vous  charger  de 
mander  au  Dauphin  que  mon  Seigneur  lui  donnera 
bientôt  du  secours.  —  Et  qui  est  ton  Seigneur?  —  Le 
roi  du  ciel.  »  Baudricourt  la  repoussa.  Mais,  à  la 
nouvelle  du  siège  d'Orléans  :  «  Il  faut  que  je  parte, 
dit-elle.  J'irai,  dussé-je  user  mes  jambes  jusqu'aux 
genoux.  11  Cependant  on  parlait  d'elle  dans  le  peu- 
ple. Peut-être  était-elle  «  la  vierge  douée  des 
fées  11  dont  Merlin  avait  prédit  la  venue,  o  Va 
donc,  Jeanne,  lui  dit  enfin  Baudricourt,  et  ad- 
vienne que  pourra,  n  Le  25  février  1421),  elle 
quitta  Vaucouleurs.  «  J'aimerais  pourtant  mieux, 
disait-elle  en  prenant  son  costume  d'homme  d'ar- 
mes, rester  à  filer  auprès  de  ma  pauvre  mèro  ;  car 
ce  n'est  pas  là  mon  ouvrage  !  mais  il  faut  que 
j'aille;  Messire  le  veut..,  c'est  pour  cela  que  je 
suis  née.  n  —  Elle  commençait  la  mission  qui  la 
conduisit  au  martyre.  Le  dauphin  Charles  tenait 
toujours  sa  cour  ;i  Cliinon  en  Touraine.  «  Dieu  fai- 
sait la  route  de  Jeanne,  »  elle  arriva  rapidement. 
Mais  Charles,  poussé  par  ses  favoris,  hésitait  à  la 
voir.  Enfin,  le  'J  mars  1429,  elle  fut  introduite  dans 
la  grande  salle  du  château  de  Chinon,  dont  on  voit 
encore  un  pan  de  mur  et  la  cheminée;  Charles 
se  dissimulait  an  milieu  de  ses  courtisans  :  «  Gen- 
til dauphin,  lui  dit-elle,  j'ai  nom  Jeanne  la  pu- 
celle  ;  le  roi  des  cieux  vous  mande  par  moi  que 
vous  serez  sacré  et  couronné  en  la  ville  de  Reims, 
et  vous  serez  lieutenant  du  roi  des  cieux,  qui  est 
roi  de  France.  Baillez-moi  gens  pour  que  je  fasse 
lever  le  siège  d'Orléans  et  vous  mène  sacrer  à 
Reims.  C'est  le  plaisir  de  Dieu  que  vos  ennemis 
les  Anglais  s'en  aillent...  le  royaume  vous  doit 
demeurer,  o  Le  roi   doutait  encore.  Jeanne  alors. 


dans  un  entretien  particulier,  répondant  aux  dou- 
tes les  plus  secrets  du  prince.  «  Je  te  dis,  de  la 
part  de  Messire,  que  tu  es  vrai  héritier  de  France, 
et  fils  du  roi.  »  «  Ce  qu'elle  lui  a  dit,  nul  ne  le 
sait,  écrivait  Alain  Chartier  bien  pou  après  ;  mais 
il  est  bien  manifeste  qu'il  en  a  été  tout  rayonnant 
de  joie,  comme  à  une  révélation  de  l'Esprit  saint.  " 
Cependant,  les  épreuves  n'étaient  point  finies. 
On  la  conduisit  à  Poitiers  devant  plusieurs  évo- 
ques et  docteurs  qui  l'interrogèrent.  «  Ce  fut  un 
beau  spectacle  que  de  la  voir  discuter,  femme 
contre  les  hommes,  ignorante  contre  les  doctes, 
seule  contre  tant  d'adversaires.  »  (Al.  Chartier.) 

Délivrnnce  d'Orléans.  —  Cependant  l'enthou- 
siasme était  devenu  général  ;  La  Hire  et  les  soldats 
Il  juraient  qu'ils  la  suivraient  partout  où  elle  vou- 
drait les  mener.  »  Les  favoris  cessèrent  leur  opposi- 
tion, malgré  leur  jalousie  contre  Jeanne  ;  1 2  000  hom- 
lues  furent  réunis.  Ils  partirent  le  27  avril  1429, 
suivant  l'étendard  de  Jeanne  qui  portait  ces  mots, 
Jhésu  Mai'ia,  pour  la  croisade  qui  devait  délivrer 
la  patrie.  Mais  «  vingt  ans  de  guerres  avaient 
changé  ces  hommes  en  bêtes  sauvages.  Il  fallait 
de  ces  bêtes  refaire  des  hommes.  Grand  et  difficile 
changement...  Dans  la  route,  le  long  de  la  Loire, 
elle  fit  dresser  un  autel,  elle  communia,  et  ils 
communièrent.  La  beauté  de  la  saison,  le  charme 
d'un  printemps  de  Touraine  devaient  ajouter  sin- 
gulièrement à  la  puissance  religieuse  de  la  jeune 
fille.  11  (Michelet.)  Plus  de  débauches,  ni  de  pil- 
lage ni  de  violence.  La  sainteté  de  Jeanne  avait 
comme  purifié  l'armée.  Désormais  le  peuple  vit 
avancer  sans  crainte  et  accueillit  les  soldats  de 
France,  redoutés  longtemps  à  l'égal  dos  Anglais, 

Le  2'J  avril,  on  était  devant  Orléans.  Pendant 
que  l'armée  retournait  passer  la  Loiro  à  Blois, 
Jeanne  entra  dans  la  ville,  où  tous  étaient  venus 
à  sa  rencontre,  ci  avec  une  aussi  grande  joie  que 
s'ils  avaient  vu  Dieu  descendre  parmi  eux.  »  (Jour- 
nal du  siège.)  Dès  le  lendemain,  elle  voulait  com- 
battre. Dunois  lui  fit  attendre  l'arrivée  des  ren- 
forts qui  venaient  de  Blois.  Mais  les  Orléanais 
ayant  attaqué  la  bastille  Saint-Loup,  Jeanne  courut 
les  soutenir  de  sa  présence  ;  car  elle  ne  frappa 
jamais  qu'à  toute  extrémité  ;  dans  son  procès 
même  elle  déclara  qu'elle  «  n'avait  oncques  tué 
homme,  n  «  Derrière  elle  tout  homme  sortit  hors 
d'Orléans  pour  aller  enclore  les  Anglais.  «(Journal 
du  siège.)  Et  la  bastille  fut  promptement  enlevée, 
démolie  et  brûlée.  C'était  la  victoire  du  peuple, 
remportée  sans  ordres  et  en  dehors  des  capitai- 
nes. L'enthousiasme  populaire,  véritable  appui  de 
Jeanne,  monta  à  son  apogée.  Ce  succès  devint  la 
signe  de  sa  mission.  Le  6  mai,  un  conseil  de  guerre 
résolut  l'attaque  de  la  bastille  des  Tournelles  ;  dans 
l'assaut.  Il  Jeanne,  exhortant  les  soldats  à  avoir  bon 
cœur  et  bon  espoir  en  Dieu  »  (Journal  du  siège),  ap- 
pliquait aux  murs  une  échelle,  quand  elle  fut  per- 
cée d'une  flèche  entre  le  cou  et  l'épaule;  on  l'em- 
porta, et  les  Français  plièrent.  A  cette  nouvelle, 
elle  reprend  ses  armes  et  court  aux  Tournelles. 
On  la  croyait  morte,  sa  vue  abat  la  confiance  des 
Anglais  qui  reculent,  et  exalte  la  confiance  des 
nôtres;  «  ils  combattirent  comme  s'ils  se  fussent 
crus  immortels,  n  la  bastille  fut  prise.  Le  lende- 
main, les  Anglais,  inférieur»  en  nombre  (0  000  con- 
tre 12  000  soldats  et  les  Orléanais),  fatigués  d'une 
longue  campagne,  laissés  sans  renforts  par  Bed- 
ford  qui  était  lui-môme  sans  ressources,  enfin  dé- 
moralisés par  la  présence  de  Jeanne,  abandonnè- 
rent le  siège.  Orléans  était  délivré,  en  dix  jours. 
Bien  que  la  mauvaise  situation  des  Anglais  sutTlt 
à  rex|)liquer,  ce  succès  parut  à  tous  un  prodige. 

Snri-e  di:  Reims.  —  Mais  Jeanne  on  voulait  faire 
un  second  plus  considérable  encore.  «  Je  ne  du- 
rerai guère  qu'un  an,  disait-elle;  il  faut  songer 
à  bien  besogner  cette  année,  car  il  y  a  beaucoup 
à  faire.  »   Quand  elle  revit  Charles  à  Tours,  elle 


JEANNE  D'ARC 


—  1094  — 


JEANNE  D'ARC 


le  pressa  instamment  de  se  laisser  conduire  à 
Reims  pour  le  sacre.  Mais  les  chefs  de  guerre 
et  les  favoris  s'y  opposaient.  Sagement,  ils  vou- 
laient une  base  d'opérations  pour  agir  contre  les 
Anglais  ;  ils  condamnaient  avec  colère  la  folie 
d'une  expédilion  h  travers  cinquante  lieues  de 
territoire  ennemi.  Mais  Jeanne  était  plus  sage 
encore.  Sortie  du  peuple,  elle  sentait  comme  lui. 
Or,  depuis  1422,1e  peuple  hésitait  entre  deux  prin- 
ces, Henri  VI  et  Charles  \  II.  Jeanne  elle-même 
appelait  encore  Charles  VII  du  seul  nom  de  rtau- 
pliiu.  Il  fallait  montrer  au  peuple  son  \Tai  roi  en 
le  sacrant  à  Reims,  au  nom  de  l'Ëglise. 

Heureusement  Jeanne  n'était  pas  seule.  Le  con- 
nétable de  Richement  était  venu  la  rejoindre  mal- 
gré le  roi.  Les  deux  petits-fils  de  Du  Guesclin,  le 
duc  d'Alençon,  une  foule  de  volontaires  accou- 
raient chaque  jour.  On  emporta  rapidement  toutes 
les  villes  de  la  Loire,  Meung,  Beaugency,  Jar- 
geau.  Bien  plus.  le  18  juin  1429  on  se  heurta  à 
l'armée  anglaise  h  Patay,  entre  Orléans  et  Châ- 
teaudun.  «  En  nom  Dieu,  s'écria  Jeanne,  il  faut 
combattre;  quand  les  Anglais  seraient  pendus 
aux  nues,  nous  les  aurons,  car  Dieu  nous  a  envoyés 
pour  les  punir...  Alon  conseil  m'a  dit  qu'il  étaient 
à  nous.  )-  Quelques  heures  plus  tard,  les  Anglais 
fuyaient  et  l'un  de  leurs  plus  glorieux  chefs,  Tal- 
bot,  était  prisonnier.  Jeanne  rentra  en  triomphe 
dans  Orléans.  C'était  elle  décidément  la  »  vierge 
douée  des  fées  »  ;  le  peuple  ne  voyait  qu'elle  dans 
le  grand  œuvre  de  la  délivrance  qui  commençait  ; 
et  les  soldats  juraient  de  la  suivre  sans  regarder 
où  elle  les  mènerait.  «  Le  cri  de  l'armée  était 
trop  fort.  Elle  se  fût  débandée  plutôt  que  de  se 
laisser  conduire  à  toute  autre  entreprise.  Il  fallut 
céder.  Le  roi  se  mit  en  route,  le  29  juin,  h  la  tète 
de  12  000  combattants,  presque  tous  à  cheval... 
Quatre  mois  à  peine  s'étaient  écoulés  depuis  que 
Jeanne  était  entrée,  humble  et  ignorée,  dans  cette 
même  ville  de  Gien,  d'où  elle  partait  maintenant 
pour  sa  glorieuse  croisade.  »  (H.  Martin.) 

Sur  la  route,  les  villes  hésitaient;  Auxerre 
n  offrit  que  des  vivres.  A  Troyes,  la  garnison  ferma 
les  portes.  On  n'avait  pas  de  machines;  le  con- 
seil délibérait  déjà  de  retourner  ;  mais  aupara- 
vant on  appela  Jeanne.  «  Gentil  daupliin,  dit-elle, 
SI  vous  voulez  demeurer  ici  devant  votre  ville  de 
Troyes,  elle  sera  en  votre  obéissance  avant  deux 
jours.  »  On  attendit,  en  préparant  l'assaut.  Le 
lendemain,  on  lançait  déjà  les  fascines  dans  les 
fossés,  quand  la  ville  effrayée  demanda  à  capi- 
tuler; le  roi  y  entra  le  H  juillet.  Le  15,  l'armée 
était  à  Châlons  ;  enfin  le  16  elle  franchit  les  portes 
de  Reims.  «  Le  lendemain  Charles  VII  fut  oir/t 
de  1  huile  de  la  Sainte-Ampoule  qu'on  apporta  de 
baint-Remy.  Il  fut,  conformément  au  rituel  anti- 
que, soulevé  sur  son  siège  par  les  pairs  ecclé- 
siastiques, .servi  par  les  pairs  laïques  au  sacre  et 
au  repas.  Toutes  les  cérémonies  furent  accom- 
plies ,  sans  qu'il  y  manquât  rien.  »  (Michelet.) 
yuand  11  eut  reçu  l'onction  sainte,  Jeanne,  nui 
était  à  1  honneur  après  avoir  été  à  la  peine  em- 
brassa les  genoux  du  prince  :  «  Gentil  roi,  lui  dit- 
elle,  ores  est  exécuté  le  plaisir  de  Dieu,  qui  vou- 
lait que  vous  vinssiez  à  Reims  recevoir  votre  digne 
sacre,  en  montrant  que  vous  êtes  vrai  roi  et  celui 
auquel  le  royaume  doit  appartenir.  »  I.'efl-et  du 
sacre  lut  immense;  le  peuple  n'hésita  plus,  tout 
allait  s  ouvrir  au  roi  «  marqué  de  Dieu  » 

Attaque  sur  Paris.  —  Malheureusement  la  con- 
hance  enthousiaste  du  peuple  et  des  soldats  n'était 
point  partagée  par  les  courtisans  et  la  plupart 
des  capitaines.  Jaloux  de  Jeanne  dont  la  gloire 
les  éclipsait,  ds  contrariaient  ses  desseins,  et  le 
roi  suivait  leurs  conseils.  Jeanne  elle-même,  de- 
puis le  sacre,  ne  montrait  plus  la  même  décision 
impérieuse  pour  imposer  les  ordres  de  «  ses 
voix  ».  Placée   dans   un  milieu  de  guerre  et  de 


violence,  elle  changeait  malgré  elle.  Un  jour,  en- 
1430,  elle  laissa  pendre  un  capitaine  boursuignon, 
vrai  scélérat,  mais  prisonnier.  Autrefois,  elle  n'eût 
pas_  ainsi  versé  le  sang.  Dans  le  camp,  elle  dut 
tolérer  les  débauches  des  soldats  qui  n'avaient  pu 
longtemps  soutenir  l'austérité  de  l'héroïsme. 
<c  Malheureuse  condition  d'une  telle  àme  tombée 
dans  les  réalités  de  ce  monde.  Elle  devait  chaque 
jour  perdre  quelque  chose  de  soi.  «  ^Michelet.) 

Cependant,  au  sortir  de  Reims,  elle  montrait 
au  roi  le  vrai  chemin,  celui  de  Paris.  Bedford 
était  sans  argent  ni  soldats.  Il  fallait  en  profiter 
pour  mettre  le  roi  dans  sa  capitale  avant  l'arrivée 
des  renforts  qu'amenait  de  Londres  le  cardinal 
Winchester.  Mais  Charles  mena  lentement  l'armée 
à  Soissons,  puis  à  Provins  où  il  conclut  une  trêve 
de  quinze  jours  avec  Philippe  de  Bourgogne,  puis 
à  la  Ferté-Milon,  pendant  que  Senlis  et  Com- 
piègne  appelaient  les  Français  et  que  Beauvais 
chassait  son  évêque,  Pierre  Cauchon,  chef  du 
parti  bourguignon.  En  même  temps.  Richemont, 
avec  ses  propres  forces,  entamait  la  Normandie  et 
menaçait  Evreux, 

Alors,  irritée  de  son  inaction,  Jeanne  résolut 
d'entraîner  le  roi  ;  elle  quitta  le  camp  «  avec  une 
belle  compagnie  de  gensde  guerre,  «  etcourut  sur- 
prendre Saint-Denis  pour  aUaquer  Paris.  Mais  sur 
cette  population  moqueuse,  n  la  poésie  de  Jeanne 
devait  avoir  peu  de  prise;  »  pour  les  Parisiens, 
en  outre,  Charles  VII  n'était  toujours  que  le  chef 
des  Armagnacs.  Cependant  l'attaque  était  impos- 
sible sans  le  roi,  qui  gardait  le  gros  de  l'armée.  11 
fallut  aller  le  chercher  deux  fois  à  Senlis  pour  l'a- 
mener «  à  grand  regret  >.  à  Saint-Denis.  Mais  Paris 
avait  organisé  sa  défense.  L'assaut  fut  enfin  donné  le 
8  septembre,  malgré  les  conseillers  du  roi.  Jeanne 
emporta  le  boulevard  Saint-Honoré  et  réussit  à 
franchir  le  premier  fossé.  Mais,  en  tentant  le  pas- 
sage du  second  qui  était  plein  d'eau,  elle  fut 
grièvement  blessée.  Elle  restait  néanmoins  pour 
encourager  les  nôtres,  quand  la  Tréraouille  fit 
sonner  la  retraite.  Il  fallut  la  ramener  de  force 
en  arrière,  dans  son  camp,  à  la  Chapelle.  Le  len- 
demain elle  voulait  recommencer,  mais  l'armée 
avait  perdu  1  500  hommes,  et  en  voulait  à  Jeanne- 
de  ce  combat  déclaré  inutile  par  les  chefs.  Le  roi 
qui,  la  veille,  n'avait  pas  quitté  Saint-Denis,  leva 
le  siège;  et,  profitant  de  l'échec  subi  par  Jeanne- 
il  reprit  le  chemin  de  la  Loire,  sur  les  bords  de 
laquelle  son  armée  formée  de  volontaires  allait 
se  disperser.  Jeanne  avait  suivi  la  retraite,  en 
pleurant  son  impuissance.  A  Gien,  elle  voulut 
quitter  la  cour  pour  aller  guerroyer  en  Norman- 
die ;  on  refusa  et  elle  partit  assiéger  la  Charité- 
sur-Loire.  Mais  la  jeune  fille  n'était  point  un  chef 
de  guerre  ;  ce  n'était  pas  pour  conduire  une  cam- 
pagne méthodique  et  régulière  que  «  ses  voix  «  l'a- 
vaient appelée:  elle  échoua. 

Jecmne  à  Compiègne.  —  Cependant  Bedford 
avait  confié  la  garde  de  Paris  au  duc  de  Bour- 
gogne; Philippe  avait  Meaux  qui  commandait  le 
cours  de  la  Marne,  il  voulut  Compiègne  pour  tenir 
la  vallée  de  l'Oise  et  communiquer  librement  avec 
la  Picardie.  Une  armée  bourguignonne  vint  assié- 
ger la  ville  (14311).  Mais  Jeanne  résolut  d'aller  dé- 
fendre ceux  qui  s'étaient  mis  en  péril  pour  le  roi 
et  que  le  roi  oubliait.  «  Vers  le  milieu  d'avril  1430, 
elle  fit  semblant  d'aller  en  aucun  ébat  et  sans 
retourner  s'en  alla  en  la  ville  de  Lagni-sur-Marne, 
pour  ce  que  ceux  de  la  place  faisaient  bonne 
guerre  aux  Anglais...  a  «  Suivie  d'une  petite  troupe, 
elle  partit  sans  congé,  l'àme  disputée  entre  les 
éclatantes  promesses  du  passé  et  les  pressenti- 
ments funèbres  de  l'avenir.  .  Ses  voix  se  firent 
entendre  à  elle  sur  les  fossés  de  Melun  :  «  Jeanne, 
tu  seras  prise  avant  la  Saint-Jean.  Il  faut  qu'il 
soit  ainsi  fait!  ne  t'étonne  point,  prends  tout  eit 
gré!  Dieu  t'aidera.  «  ',H.  Martin.) 


JEANNE   D'AIUi 


—   1095  — 


JEUX 


Dans  Compiègiio,  elle  moiitra-pourtant  la  môinc 
activité  guerrièro.  Les  lidurguignons  tenaient  la 
rive  droite  de  l'Oise  on  aval  et  en  amont  du  pont. 
KUe  voulut  couper  en  deux  l'arnu^e.  L'attaque,  ru- 
dement coiuiuite,  réussitd'abord.  Mais  500  Anglais 
survinrent  fermant  le  retour.  Aussitôt  on  recula, 
Jeanne  fut  entraînée  de  force  ;  elle  soutenait  vail- 
lamment la  retraite,  quand,  sans  la  voir,  on  ferma 
la  porte  de  la  ville.  Elle  était  acculée  h  la  rive  de 
l'Oise  :  n  Baillez-moi  votre  foi  !  »  lui  criaun  capitaine 
artésien,  le  sire  de  Vandomme.  n  J'ai  baillé  ma  foi, 
répondit-elle  en  se  défendant,  h  un  autre  qu]à 
vous,  et  je  lui  en  tiendrai  mon  serment.  »  Mais 
enfin  elle  dut  se  rendre. 

Captivité  et  procès.  —  Vandomme  la  conduisit 
à  son  suzerain,  le  comte  Jean  de  Luxembourg, 
vassal  du  duc  de  Bourgogne.  Celui-ci  la  mena  pri- 
sonnière à  Beaulicu,  puis  i  Boaurevoir  près  de 
Cambrai.  «  Deux  fois  en  juillet  et  en  octobre  I43(», 
Jeanne  tenta  de  s'échapper;  la  seconde  l'ois,  elle 
poussa  le  désespoir  et  la  hardiesse  jusqu'à  se 
précipiter  du  haut  do  la  plate-forme  de  sa  prison  ; 
elle  fut  relevée,  cruellement  meurtrie,  mais  sans 
blessure  grave,  u  (Guizot.) 

Cependant  l'Université  de  Paris,  l'Inquisiteur  de 
Itouen  et  l'évêque  de  Beauvais,  Cauchon,  avaient 
réclamé  le  droit  de  la  juger  ;Cauchon  affirmait  que 
«  selon  les  droit  et  coutume  de  France,  tout  pri- 
sonnier de  guerre  pouvait  être  racheté  au  nom  du 
roi  d'Angleterre,  moyennant  une  indemnité  de 
10  000  livres.  »  Luxembourg  était  pauvre,  Philippe 
de  Bourgogne  avait  besoin  de  Bcdford.  Le  21  no- 
vembre 1430,  Jeanne  fut  livrée  aux  Anglais  et  con- 
duite à  Rouen. 

Le  21  février  1431,  malgré  les  refus  de  plusieurs 
juges,  le  tribunal  fut  constitué  sous  la  présidence 
de  Oauclion  et  Ip  procès  commença.  Pendant  trois 
mois,  «  la  servilité  passionnée  et  la  subtilité  juri- 
dique des  juges  s'employèrent  à  lasser  le  courage 
ou  i  tromper  l'intelligence  d'une  jeune  fille  qui 
se  refusait  tantôt  k  mentir,  tantôt  à  entrer  en  dis- 
cussion avec  eux,  et  ne  se  défendait  qu'en  se  tai- 
sant ou  en  appelant  il  Dieu.  "  (Guizot.)  Enfin,  sur 
l'avis  de  l'Université  de  Paris,  on  la  somma  de  se 
soumettre  à  l'Église,  et  non  plus  seulement  i  Dieu; 
sur  son  refus,  on  la  déclara  hérétique  et  rebelle  à 
l'Église.  Désormais,  elle  pouvait  être  condamnée 
légalement.  Mais  on  voulait  surtout  obtenir  d'elle 
qu'elle  reniât  le  caractère  divin  de  sa  mission.  On 
y  réussit  par  des  menaces  et  en  abusant  de  son 
ignorance;  elle  ne  savait  ni  lire  ni  écrire.  On  lui 
fit  signer  une  rétractation.  Et,  le  24  mai  1431,  elle  fut 
condamnée  à  la  prison  perpétuelle,  a  avec  le  pain 
de  douleur  et  l'eau  de  tristesse  pour  qu'elle  dé- 
plorât les  erreurs  et  les  fautes  qu'elle  avait  com- 
mises. » 

Elle  échappait  à  la  mort.  Alors  éclata  la  fureur 
des  Anglais  ;  à.  la  nouvelle,  les  soldats  vinrent  jeter 
des  pierres  aux  juges.  Jeanne,  par  ses  victoires, 
avait  profondément  blessé  l'orgueil  anglais.  «  A 
Orléans,  l'invincible  gendarmerie,  les  archers, 
Talbot  en  tète,  avaient  montré  le  dos...;  à  Pa- 
tay,  ils  avaient  fui  à  toutes  jambes,  fui  devant 
une  fille  !  voili  qui  était  dur  à  penser.  »  (Michelet.) 
Et  voilà  pourquoi  Warwick,  tout  chevaleresque 
qu'il  était,  poursuivait  à  mort  la  prisonnière.  C'est 
à  lui  qu'un  des  al'fidés  de  Cauchon  dit,  après  le 
jugement  :  "  N'ayez  aucun  souci,  Mylord,  nous  la 
retrouverons.  «  En  clTet,  quelques  jours  après,  ses 
gardiens  la  contraignaient  à  reprendre  ses  habits 
d'homme,  auxquels  la  sentence  lui  ordonnait  de 
renoncer.  On  la  surprit  aussitôt;  en  même  temps 
on  lui  fit  avouer  qu'elle  avait  de  nouveau  entendu 
"  ses  voix  ».  (rétait  assez  pour  un  nouveau  procès. 
Cette  fois,  elle  fut  déclarée  hérétique  relapse,  et 
condamnée  au  bûcher. 

A  neuf  heures,  on  vint  la  prendre  pour  la  con- 
duire à  la  place  du  Vieux-Marché  ;  800   soldats  ac- 


compagnaient la  charrette  i  travers  une  foule  triste 
et  muette.  Comme  on  allait  lui  lire  la  sentence  : 
Il  Enmienez-la,  »  dit  le  bailli  aux  gardes,  et  au 
bourreau  :  «  Kais  ton  devoir  I  »  Arrivée  sur  le  bû- 
cher, elle  s'agenouilla,  demandant  à  voir  la  croix 
de  l'église  Saint-Sauveur  que  lui  apporta  frère 
Isambardde  la  Pierre.  «  Elle  pleurait  sur  son  pays, 
sur  les  assistants,  comme  sur  elle-même  :  «Rouen, 
Rouen,  mourrai-je  ici'?  seras-tu  ma  dernière  de- 
meure '?  j'ai  grand  peur  que  tu  n'aies  à  soutîrir  de 
ma  mort!  »  Quand  la  flamme  monta,  son  confes- 
seur, frère  Martin  Ladvenu,  descendit  du  bûcher.  ■• 
(Guizot.)  A  travers  lesflammes  et  la  fumée,  on  en- 
tendit encore  «  Mon  Dieu!  Jésus  !  Marie  !  Mes 
voix,  mes  voix!  n  Et  ce  fut  tout.  C'était  le  30  mai 
H3I. 

«Quelle  légende  plus  belle  que  cette  incontesta- 
ble histoire'?  Mais  il  faut  bien  se  garder  d'en  faire 
une  légende.  On  doit  en  respecter  la  réalité  tou- 
chante et  terrible...  La  Vierge  secourable  des  ba- 
tailles que  les  chevaliers  appelaient,  attendaient 
d'en  haut,  elle  fut  ici-bas.  »  et  derrière  elle,  «  il  y 
eut  un  peuple,  il  y  eut  une  France.  Cette  dernière 
figure  du  passé  fut  aussi  la  première  du  temps 
qui  commençait.  En  elle,  apparurent  à  la  fois  la 
Vierge  et  déjà  la  patrie.»  (Michelet.) 

[P.  Schâfer]. 

Lectures  et  dictées.  —  Vocation  de  Jeanne 
d'Arc,  son  départ  ;  siège  d'Orléans  ;  sacre  de 
Charles  VII  ;  siège  de  Compiègiie  ;  captivité  et 
procès  de  Jeanne  ;  son  supplice.  V.  Jeanne  d'Arc, 
par  H.  Wallon,  pp.  8,  17,  57,  72,  118,  127, 
US,  259. 

Jeanne  ri' Arc.  —  Une  enfant  de  douze  ans,  une 
toute  jeune  fille,  conçoit  l'idée  étrange,  improba- 
ble, absurde  si  l'on  veut,  d'exécuter  la  chose  que 
les  hommes  ne  peuvent  plus  faire,  de  sauver  son 
pays.  Elle  couve  son  idée  pendant  six  ans,  sans  la 
confier  à  personne,  elle  n'en  dit  rien  à  sa  mère, 
rien  à  nul  confesseur.  Sans  nul  appui  de  prêtres 
ou  de  parents,  elle  marche  toute  seule  avec  Dieu, 
dans  la  solitude  de  son  grand  dessein.  Elle  attend 
qu'elle  ait  dix-huit  ans,  et  alors,  immuable,  elle 
l'exécute  malgré  les  siens  et  malgré  tout  le  monde. 
Elle  traverse  la  France  ravagée  et  déserte,  les 
routes  infestées  de  brigands;  elle  s'impose  à  la 
cour  de  Charles  VII,  se  jette  dans  la  guerre,  et 
dans  les  camps  qu'elle  n'a  jamais  vus,  dans  les 
combats,  rien  ne  l'étonné  ;  elle  plonge  intrépide 
au  milieu  des  épées;  blessée  toujours,  découragée 
jamais,  elle  rassure  les  vieux  soldats,  entraîne 
tout  le  peuple,  qui  devient  soldat  avec  elle,  et 
personne  n'ose  plus  avoir  peur  de  rien.  Tout  est 
sauvé!  La  pauvre  fille,  de  sa  chair  pure  et  sainte, 
de  ce  corps  délicat  et  tendre,  a  émoussé  le  fer, 
brisé  l'épée  ennemie,  couvert  de  son  sein  le  sein 
de  la  France.  La  récompense,  la  voici.  Livrée  en 
trahison,  outragée  des  barbares,  tentée  de  ceux 
qui  essaient  en  vain  de  la  prendre  par  ses  paro- 
les, elle  résiste  à  tout  en  ce  dernier  combat,  elle 
monte  au-dessus  d'elle-même,  éclate  en  paroles 
sublimes,  qui  font  pleurer  éternellement...  Aban- 
donnée et  de  son  roi  et  du  peuple  qu'elle  a  sauvés, 
par  le  cruel  chemin  des  flammes,  elle  revient  dans 
le  sein  de  Dieu.  (Michelet.) 

JliUX.  —  Connaissances  usuelles,  X.  —  Nous 
disons  dans  la  1"=  Partie,  au  mot  Jeux,  quelle 
importance  l'hygiène  et  la  pédagogie  attachent  au 
choix  et  à  la  direction  do5  jeux.  Nous  donnons 
ci-dessous  le  catalogue  des  jeux  les  plus  connus. 
On  pourrait  les  classer  par  âge  et  par  sexe,  mais 
ce  travail  serait  nécessairement  bien  artificiel  ; 
nous  les  groupons  seulement  d'après  la  nature 
de  l'exercice  ou  de  la  distraction  qu'ils  procurent. 
Nous  n'ajoutons  point  de  définition  à  chacun  de 
ces  mois,  elle  serait  presque  toujours  fort  longue, 
aussi  longue  qu'inutile.  Si  quelqu'un  de  nos  lec- 
teurs   se  trouvait  embarrassé  pour   l'explication 


JEUX 


—  1096 


JOUR 


d'un  de  ces  termes,  le  premier  enfant  auquel  il 
la  demandera  s'empressera  de  la  lui  donner  en 
action,  trop  lieureux  de  rendre  service  en  faisant 
une  bonne  partie. 


Jeux  d'actà 

Cache-cache. 

Les  Barres. 

Le  Saut  de  mouton. 

Le    Saut    de    mouton     l 

mouchoirs. 
Le  Saut  de  mouton  avec  i 

ronnes. 
Le  Cheval  fondu. 
Les  Métiers. 
Le  Chat  perché. 
Le  Chat  coupé. 
La  Passe. 
La  Mère  Garuchc. 


lus  instruments  ; 

La  Mère  Garuchc  à   ch 

pieds. 
Les  Quatre  coins. 

c'est  trop. 
Le  Colin-Maillard. 
Le  Colin-Maillard   à   la 

guette. 
L'Hirondelle. 
L'Ours. 
Les  Animaux. 
Le  Roi  détrôné. 
L'Imitation. 


Jeux  d'action  avec  instruments  : 


Jeux  de  balte  :  La  Balle  au 
mur,  la  Balle  au  camp,  la 
Balle  aux  pots,  la  Balle  au 
bâton,  la  Balle  à  la  crosse, 
la  Balle  à  la  riposte,  la 
Balle  en  posture,  la  Balle 
au  chasseur,  la  Balle  ca- 
valière. 

Jeux  de  paume  :  La  Longue 
paume,  la  Courte  paume, 
le  Ballon. 

Jeux  de  billes  :  La  Pour- 
suite, le  Triangle  ou  le 
Cercle,  la  Tapette,  la  Blo- 
quette,  la  Pyramide,  le 
Tirer,  le  Pot,  les  Villes,  le 
Jeu  du  serpent,  le  Calot  et 
la  Trime. 

La  Toupie  à  ficelle. 

Le  Sabot. 

La  Marelle. 

La  Marelle  ronde. 

La  Marelle  des  jours. 

Le  Palet. 


Le  Bouchon, 

Le  Tonneau. 

Les  Boules. 

Le  Galet. 

Les  Quilles. 

Le  Jeu  de  Siam. 

Le  Mail. 

La  petite  Corde. 

La  longue  Corde. 

Le  Cerceau. 

La   Balançoire   ou   Escarpo 

lette. 
La  Bascule. 
Le  Volant. 
Les  Grâces, 
Le  Diable. 
Le  Bilboquet. 
L'Emigrant. 
Le  Toton. 
Le  Bâtonnet. 
Le  Cerf-volant. 


Jeux  paisibles  avec  instnunents  : 


Les  Osselets. 
Les  Jonchets. 
Le  Loto. 
Les  Dominos. 
Les  Dames. 
Les  Echecs. 

Jeux  gymnastiçiœs  c 

Saut  en  largeur. 

Saut  en  profondeur. 

Saut  en  hauteur. 

La  Marche  par  évolutions. 

La  Course. 

La  Lutte. 

Saut  à  la  perche. 


Le  Tiic-trac. 
Les  Jeux  de  cartes. 
Les  Tours  de  cartes. 
Les  Tours  d'adresse  et  d'es- 
camotage. 

c  ou  sans  instruments  : 

Escrime. 

Jeu  de   l'arc  et   de  l'arbfi- 

lète. 
La  Fronde. 
Le  Patinage. 
Les  Glissades. 
Les  Pelotes  de  neige. 
Les  Constructions  en   neige. 
Danses  et  rondes. 


Jiécréations  intellectuelles  : 


Découpage. 
Jeux  ae  patience. 
Coloriage. 


Dessin. 
Modelage. 


Jeux  d'espj-it: 


Jeu  des  homonymes  c 
ment  l'aimcz-vous? 
Charades. 
Charades  en  action. 


iCon 


Jeu  de  proverbes. 
Enigmes. 
Problèmes  amusan 


Jeitx  de  société',  dits  Jeux  innocents  .* 

La   Sellette,  Pigcon-vole,  le  nonibrable  série  des  gages 

Furet,    les     Couleurs,    les  qui    sont   eux  mêmes    au- 

Propos     interrompus  .    le  tant   de    petits    jeux. 
Corbillon,   etc.,  avec    l'in- 

Nous  aimerions  à  voir  dans  toutes  les  bi- 
bliothèques scolaires  un  excellent  manuel  des 
jeux,  dont  nous  avons  imité,  en  partie,  la  classi- 


fication :  c'est  le  livi'e  intitule  Jeux  des  adolescents, 
par  Jl.  G.  Bélèze.  [D'  Saffray.] 

JOSl':i>II.  —  Histoire  générale,  XXVII.  —  Nom 
de  deux  empereurs  d'Allemagne. 

Joseph  I",  fils  aîné  et  successeur  de  Léo- 
pold  ]",  monta  sur  le  trône  en  nOô.  L'Allemagne 
était  alors  engagée  dans  la  guerre  de  la  Succession 
d'Espagne;  le  prince  Eugène  de  Savoie,  général 
de  l'empereur,  gagna  sur  les  Français  les  batailles 
de  Turin  (1706)  et  de  Malplaciuet  (1709).  Joseph  I" 
ne  vit  pas  la  fin  de  la  guerre  :  il  mourut  en  1711, 
et  eut  pour  successeur  son  frère  Charles  VI. 

Joseph  II,  fils  de  François  \"  de  Lorraine  et 
de  la  célèbre  Marie-Thérèse,  reçut  le  titre  d'em- 
pereur à  la  mort  de  son  père,  en  l;6j;  mais  Ma- 
rie-Thérèse resta  investie  de  l'autorité  réelle,  et 
continua  il  gouverner  elle-même,  tant  qu'elle 
vécut,  les  Etats  autrichiens.  Prince  éclairé,  Joseph 
employa  les  années  de  sa  jeunesse  h  voyager  ;  il 
visita  les  principales  villes  de  l'Europe,  entre  autres 
Rome  et  Paris,  et  se  fit  remarquer  par  la  simpli- 
cité de  ses  manières  et  l'indépendance  de  ses  idées. 
En  1780,  Marie-Thérèse  était  morte,  il  prit  le  pou- 
voir, et  voulut  réaliser  aussitôt  les  réformes  qu'il 
méditait  depuis  longtemps.  Son  plan  était  d'enle- 
ver au  clergé  et  à  la  noblesse  leurs  privilèges,  et 
de  donnera  ses  Etatsune  administration  uniforme, 
en  substituant  partout  sa  propre  autorité  à  celle 
du  vieux  droit  féodal.  11  désirait  sincèrement  faire 
le  bonheur  de  ses  sujets  et  supprimer  les  abus  : 
mais,  agissant  en  monarque  absolu,  sans  tenir 
compte  des  traditions  nationales,  il  devait  se 
heurter  îi  la  fois  aux  résistances  des  privilégiés  et 
à  celles  des  peuples  auxquels  il  imposait  despoti- 
quement  ses  réformes. 

Dès  son  avènement,  il  abolit  les  dîmes,  les  cor- 
vées et  les  droits  seigneuriaux,  diminua  le  pou- 
voir du  clergé,  supprima  de  nombreux  couvents 
qu'il  transforma  en  hôpitaux,  et  rendit  un  cditde 
tolérance  (1781)  autorisant  l'exercice  dos  cultes 
grec  et  protestant.  Le  pape  Pio  VI.  alarmé  des 
changements  introduits  par  l'empereur  dans  la 
discipline  ecclésiastique  et  dans  la  législation  sur 
le  mariage,  se  rendit  à  Vienne  pour  l'engager  .^i  ne 
pas  persister  dans  son  entreprise  do  réformes  ; 
mais  Joseph  II  tint  bon.  Il  développa  l'instruction 
publique,  créa  des  manufactures,  encouragea  le 
commerce  intérieur  par  la  suppression  des  doua- 
nes provinciales,  ouvrit  des  routes,  creusa  des  ca- 
naux, et  s'efforça  par  une  réglementation  minu- 
tieuse, et  parfois  oppressive,  d'assurer  le  bien-être 
matériel  et  moral  de  ses  sujets. 

Pendant  plusieurs  années,  il  n'y  eut  pas  de  ré- 
sistance ouverte  i  la  volonté  du  souverain.  Mais, 
après  les  désastres  de  la  guerre  des  Turcs,  les 
mécontentements  sourds  se  changèrent,  là  en  op- 
position passionnée,  ici  en  révolte.  La  Hongrie 
demandait  le  retour  aux  usages  nationaux,  que 
Joseph  avait  abolis  ;  elle  voulait  conserver  la  lan- 
gue magyare,  qu'il  avait  cherché  à  remplacer  par 
l'allemand.  Dans  le  Brabant,  les  rancunes  du  clergé 
s'unirent  aux  aspirations  des  patriotes  qui  dési- 
raient secouer  la  domination  autrichienne  ;  une 
insurrection  victorieuse  éclata  en  17X9.  A  la  nou- 
velle de  la  révolte  des  Pays-Bas,  Joseph  II,  malade, 
assombri,  craignant  de  voir  la  Hongrie  se  soulever 
à  son  tour,  accorda  aux  Magyars  leurs  demandes. 
Il  mourut  peu  après  (1790),  désespérant  de  son 
œuvre,  que  ses  successeurs  en  effet  ne  devaient  pas 
tarder  à  détruire. 

En  1788,  Joseph  II  avait  déclaré  la  guerre  à  la 
Turquie,  alorsaux  prises  avec  la  Russie;  mais  il  n'a- 
vait essuyé  que  des  défaites,  et  la  Hongrie  fut  même 
envahie  par  les  Turcs.  Le  maréchal  Landon,  tou- 
tefois, arrêta  l'ennemi,  et  prit  Belgrade.  La  guerre 
durait  encore  lorsque  Joseph  mourut,  et  ne  se  ter- 
mina que  par  le  traité  de  1791. 

JOl'K.  —  Cosmographie,  II,  III,  IV.  —  Le  so- 


JOUR 


dO'J7 


JOUR 


leil,  la  lune  et  tous  les  astres  semblent  tourner 
autour  de  nous,  on  allant  de  la  partie  du  ciel 
nommée  levant  ou  orient,  où  ils  apparaissent,  vers 
!a  partie  opposée  nommée  couchant  ou  occident,  où 
ils  se  cachent,  pour  reparaître  ensuite  là  où  ils 
s'étaient  montrés  la  veille,  et  continuer  ainsi  in- 
définiment la  même  marche.  Ce  mouvement 
général  est  nommé  mouvement  diurne.  Dans  le 
langage  ordinaire  on  désigne  par  le  nom  de  jour 
ou  de  journée  le  temps  pendant  lequel  le  soleil 
nous  éclaire,  depuis  son  lever  jusiiu'ii  son  cou- 
cher; la  Jiiiil  est  le  temps  pendant  lequel  nous  ne 
le  voyons  plus,  depuis  son  coucher  jusqu'à  son 
lever.  Ce  mouvement  diurne  n'a  aucune  réalité; 
c'est  une  illusion  dont  nous  sommes  le  jouet, 
quoique  nous  sachions  très  bien  qu'elle  est  tout 
à  fait  semblable  à  celle  qui  se  produit  pour  le 
voyageur  entraîné  à  grande  vitesse  sur  un  chemin 
de  fer,  lorsqu'il  croit  voir  les  arbres  et  les  mai- 
sons qui  bordent  la  route  fuir  rapidement  en  sens 
inverse.  Le  véhicule  dans  lequel  nous  sommes 
assis,  c'est  la  terri;  ;  elle  nous  emporte  avec  elle, 
sans  que  nous  nous  en  apercevions,  dans  la  rota- 
tion qu'elle  accomplit  sur  elle-même  en  un  jour 
et  une  nuit.  Or  l'étendue  de  la  journée  est  va- 
riable avec  les  époques  et  les  lieux;  chez  nous, 
par  exemple,  elle  est  plus  grande  en  été  et  moins 
grande  en  hiver.  Au  contraire,  le  temps  qui  sé- 
pare deux  levers  consécutifs  du  soleil  semble  tou- 
jours avoir  à  peu  près  la  même  étendue  ;  aussi 
fut-il  tout  naturellement  adopté  dès  la  plus  haute 
antiquité  pour  la  mesure  du  temps  :  nous  le  dé- 
signons par  le  nom  deJour.Ce  jour,  qui  comprend 
la  journée  et  la  nuit,  est  celui  dont  il  s'agit  quand 
on  dit  par  exemple  <|ue  la  semaine  a  7  jours,  que 
les  mois  en  ont  30  ou  31,  etc.  Mais  cette  notion  un 
peu  vague  ne  saurait  suffire;  pour  l'exposer  ici 
avec  toute  la  clarté  et  la  simplicité  nécessaires, 
nous  raisonnerons  comme  si  le  mouvement  diurne 
était  réel,  suivant  ainsi  la  voie  dans  laquelle  les 
astronomes  ont  marché  eux-mêmes  pour  arriver 
à  la  détermination  exacte  de  cette  unité  de  temps. 

Horizon.  —  La  surface  de  l'eau  tranquille,  prise 
sur  une  faible  étendue,  peut  être  regardée  comme 
plane,  quoiqu'elle  ait  en  réalité  la  courbure  de 
la  mer;  elle  se  nomme  surface  horizontale  :  la 
ligne  verticale  indiquée  par  le  fil  à  plomb  lui  est 
perpendiculaire.  Imaginons  qu'une  surface  plane 
parallèle  à  celle  de  l'eau,  c'est-à-dire  perpendi- 
culaire au  fil  à  plomb,  s'étende  indéfiniment  au- 
tour d'un  observateur,  en  passant  par  son  œil, 
dans  une  vaste  plaine  complètement  découverte  ; 
son  contour  semblera  une  immense  circonférence. 
Le  cercle  ainsi  déterminé  sépare  la  partie  du  ciel 
visible  pour  nous  de  celle  qui  reste  au-dessous 
cachée  à  nos  yeux  :  c'est  V horizon  astronomique . 
Le  lever  d'un  astre  est  le  moment  ou  le  point 
de  l'horizon  où  il  apparaît  au-dessus  de  ce  cercle 
du  côté  de  l'orient;  son  coucher  est  le  moment 
ou  le  point  dans  lequel  il  disparaît  au-dessous. 

Méridien,  .loiir  solaire.  —  Quoique  le  lever 
d'un  astre  soit  assez  bien  déterminé  par  cette 
définition,  les  astronomes  ont  néanmoins  trouvé 
plus  commode  de  prendre  un  autre  point  pour 
reconnaître  la  durée  du  jour.  Imaginons  qu'une 
table  soit  posée  bien  horizontalement  en  plein 
air  et  qu'une  tige  fine,  droite,  comme  une  aiguille 
à  tricoter,  par  exemple,  y  soit  fixée  perpendi- 
culairement. La  surface  de  cette  table  figurera 
l'horizon  pour  un  observateur  qui  aurait  l'œil  au 
niveau  de  cette  surface. 

Qu'on  suive  l'ombre  projetée  par  l'aiguille  dans 
une  journée  où  le  soleil  n'est  pas  voilé  par  les 
nuages.  Très  longue  le  matin,  elle  diminue  peu 
à  peu  en  pivotajit  autour  du  pied  de  l'aiguille 
jusqu'à  une  certaine  position,  à  parlir  de  laquelle 
elle  grandit  au  contraire  jusqu'au  soir,  en  con- 
tinuant à  tourner  en  sens  inverse  de  la  direction 


du  soleil.  Le  moment  où  l'ombre  est  réduite  à  sa 
longueur  minimum  est  évidemment  celui  où  le 
soleil  se  trouve  à  sa  plus  grande  hauteur  dans  le 
ciel;  il  divise  en  deux  parties  égales  le  temps  que 
cet  astre  met  pour  aller  de  son  lever  à  son  cou- 
cher; c'est  le  milieu  du  jour  ou  midi.  La  droite 
marquée  à  ce  moment  sur  la  surface  horizontale 
par  la  direction  de  l'ombre  est  appelée  méri- 
die7i>ie;lcs  deux  points  de  l'horizon  où  aboutit 
son  prolongement  sont,  l'un  le  nord  et  l'autre  le 
.sud. 

Supposons  maintenant  qu'une  plaque  mince, 
bien  plane,  établie  verticalement  le  long  de  la  mé- 
ridienne, se  prolonge  indéfiniment  dans  le  ciel, 
comme  un  cercle  immense  ;  ce  cercledivise  en  deux 
parties  l'arc  décrit  par  le  soleil  de  son  lever  à  son 
coucher,  et  le  moment  où  cet  astre  le  traverse 
est  midi.  Ce  cercle  porte  le  nom  de  méridien. 
Dans  l'accomplissement  do  leur  mouvement 
diurne,  c'est-à-dire  dans  l'espace  de  la  journée  et 
de  la  nuit,  les  astres  traversent  deux  l'ois  le  méri- 
dien :  au  point  le  plus  élevé  en  allant  d'orient  en 
occident,  et  en  un  point  plus  bas  opposé  en  allant 
d'occident  en  orient  :  on  distingue  donc  le  pass'irje 
supérieur  et  le  passage  inférieur.  C'est  du  premier 
qu'il  s'agit  toujours  quand  on  dit  simplement  le 
passage  de  l'astre. 

On  appelle  jour  solaire  le  temps  qui  s'écoule 
entre  deux  passages  consécutifs  du  soleil  au  mé- 
ridien. Le  moment  du  passage  est  le  moment 
même  où  l'ombre  de  l'aiguille  verticale  se  retrouve 
dans  la  direction  de  la  méridienne. 

Jour  sidéral.  —  A  l'aide  de  lunettes  dont  l'axe 
est  exactement  dans  la  direction  du  méridien,  les 
astronomes  peuvent  saisir  le  moment  précis  où 
un  astre  quelconque  traverse  le  méridien.  Or,  en 
mesurant,  à  l'aide  d'une  pendule  construite  avec 
toute  la  précision  possible,  le  temps  qui  sépare 
deux  passages  consécutifs  d'une  étoile  (mais  non 
d'une  planète),  ils  ont  reconnu  que  ce  temps  est 
invariable  et  qu'il  est  le  même  pour  toutes  les 
étoiles  indistinctement.  En  raison  de  cette  durée 
constante,  ils  l'ont  adopté  pour  unité  dans  la  me- 
sure du  temps  sous  le  nom  de  jour  sidéral.  Ce 
jour  se  divise  en  24  parties  égales  nommées 
heures  sidérales;  l'heure  en  UO  parties  égales 
nommées  minutes  sidérales,  et  la  minute  en  (iO  par- 
ties égales  nommées  seco?ides  sidérales.  Elles 
sont  indiquées  dans  les  observatoires  par  une 
pendule  réglée  sur  la  marche  des  étoiles  et  nom- 
mée pour  cette  raison  pendule  sidérale. 

Illégalité  des  jours  solaires.  Jour  solaire  moije7i. 
—  Supposons  que  le  soleil  et  une  étoile  passent 
ensemble  au  méridien  un  certain  jour.  Le  lende- 
main, on  observe  que  l'étoile  y  revient  la  première 
et  que  le  soleil  est  en  retard  sur  elle  d'environ 
4  minutes  sidérales.  Le  surlendemain  le  retard 
est  à  peu  près  double;  le  jour  suivant,  il  est 
triple,  etc.;  de  telle  sorte  que  ce  retard  augmen- 
tant de  jour  en  jour,  le  soleil  finit  par  se  retrouver 
en  même  temps  que  l'étoile  au  méridien.  Le  temps 
qui  s'est  écoulé  entre  le  premier  passage  simul- 
tané des  deux  astres  au  méridien  et  le  suivant  est 
précisément  ce  qu'on  appelle  année  sidérale 
(V.  Aiinre).  Cet  excès  du  jour  solaire  sur  le  jour 
sidéral  provient  de  ce  que  le  soleil,  tout  en  ef- 
fectuant son  mouvement  diurne  d'orient  en  occi- 
dent, comme  tous  les  astres,  possède  un  autre 
mouvement  propre,  en  vertu  duquel  il  semble 
marcher  en  même  temps  d'occident  en  orient,  en 
avançant  chaciue  jour  dans  cette  direction  d'un  arc 
d'environ  un  degré. 

La  vitesse  du  soleil  dans  ce  mouvement  propre 
n'est  pas  constante  ;  à  certaines  époques  de  l'année 
elle  est  plus  grande,  à  d'autres  époques,  plus  pe- 
tite. De  là  vient  que  l'excès  du  jour  solaire  sur  le 
jour  sidéral  n'est  pas  constammentle  même  et  qu'il 
se  trouve  tantôt   un  peu  inférieur,  tantôt  un  peu 


JOUR 


1098 


JOUR 


supérieur  ^  4  minutes.  Les  jours  solaires  n'ont 
donc  pas  tous  la  même  durée. 

Voyons  quelle  conséquence  en  résulte  pour  la 
mesure  du  temps  au  moyen  de  nos  horloges. 
Qu'une  bonne  montre  soit  réglée  sur  le  soleil  à 
une  certaine  époque,  en  d'autres  termes  qu'elle 
marque  midi  ce  jour-là  et  le  lendemain,  au  moment 
du  passage  du  soleil  au  méridien,  c'est-à-dire  au 
midi  vrai,  qui  se  trouve  indiqué  parla  position  de 
l'ombre  de  l'aiguille  verticale  sur  la  méridienne  ou 
celle  de  l'ombre  projetée  par  le  style  d'un  cadran 
solaire  (V.  Cadran  scolaire),  l'accord  ne  subsistera 
pas  longtemps.  De  jour  en  jour,  le  midi  de  la 
montre  avancera  pendant  une  certaine  période  et 
retardera  pendant  une  autre  sur  le  retour  du 
soleil  au  méridien,  de  sorte  qu'on  serait  dans  la 
nécessité  de  déranger  fréquemment  les  aiguilles 
pour  rétablir  l'accord  et  pouvoir  dire  de  sa  mon- 
tre qu'elle  marche  comme  le  soleil.  C'est  ce  qu'on 
fit  pendant  longtemps. 

Pour  éviter  cet  inconvénient,  les  astronomes  ont 
pris  pour  unité  un  jour  dont  la  durée  serait  la 
moyenne  des  durées  différentes  de  tous  les  jours 
solaires  vrais  de  l'année  :  c'est  ce  qu'ils  nomment 
le  jour  solaire  moyen.  Il  correspond  à  un  soleil 
imaginaire  qui  décrirait  l'équateur  céleste,  d'un 
mouvement  uniforme  et  dans  un  temps  égal  à  la 
durée  de  la  révolution  du  soleil  vrai.  Le  passage 
de  ce  soleil  fictif  au  méridien  est  ce  qu'on  nomme 
le  midi  moyen.  C'est  sur  ce  jour  solaire  moyen, 
d'une  durée  constante,  que  sont  réglées  aujour- 
d'Iiui  toutes  les  horloges. 

De  même  qu'ils  peuvent  calculer  d'avance  l'heure 
précise  du  lever  et  du  coucher  du  soleil,  les  astro- 
nomes déterminent  aussi  à  l'aide  du  calcul  l'a- 
vance ou  le  retard  du  midi  yvoyen  sur  le  midi 
vrai  pour  tous  les  jours  de  l'année.  Ces  indica- 
tions sont  inscrites  dans  VAmmaire  du  bureau 
des  longitudes.  On  y  trouve  pour  chaque  jour  le 
temps  moyeu  qu'il  faut  faire  marquer  à  l'horloge 
au  moment  du  midi  vrai.  On  lit,  par  exemple,  que 
pour  l'année  1880,  l'horloge  devait  marquer  midi 
13  minutes  47  secondes  au  midi  du  cadran  so- 
laire le  1"  février,  et  que  le  1"  octobre  elle  de- 
vra, au  contraire,  marquer  à  cet  instant  11  heures 
49  minutes  29  secondes.  Ce  n'est  que  quatre  fois 
par  an  que  le  midi  moyen  a  lieu  en  môme  temps 
que  le  midi  vrai.  Ces  quatre  époques  varient  peu 
d'une  année  à  l'autre  ;  elles  sont  actuellement  : 
le  1.1  avril,  le  15  juin,  le  31  août  et  le  25  dé- 
cembre. 

La  différence  entre  le  temps  moyen  et  le  temps 
vrai  est  la  cause  d'une  singularité  qui  étonne 
beaucoup  de  personnes  :  c'est  que,  pendant  le 
mois  de  janvier,  l'accroissement  de  la  durée  du 
jour  (du  lever  du  soleil  à  son  coucher)  est  beaucoup 
plus  sensible  dans  l'après-midi  que  dans  la  matinée. 
En  effet,  pendant  les  mois  de  janvier, février  et 
mars,  le  midi  moyen  est  en  avance  sur  le  midi 
vrai  ;  il  y  a  par  conséquent  moins  de  temps  entre 
le  lever  du  soleil  et  le  midi  de  nos  horloges  qu'en- 
tre ce  midi  et  le  couclier  de  l'astre,  et  par  suite 
la  seconde  partie  de  la  journée  commençant  h 
midi  est  plus  longue  que  la  première. 

L'avance  la  plus  considérable  du  midi  moyen 
sur  le  midi  vrai  est  de  14  minutes  28  secondes, 
et  elle  arrive  le  10  février  ;  le  retard  le  plus 
grand  a  lieu  le  3  novembre  et  il  s'élève  à  16  minutes 
20  secondes. 

Evaluation  du  temps  moyen.  —  Le  jour  solaire 
moyen  se  divise  aussi  en  24  heures  ;  l'heure  en 
6ii  minutes  et  la  minute  en  CO  secondes.  Sa  du- 
rée est  égale  à  un  jour  sidéral  augmenté  do  3  mi- 
nutes 57  secondes  sidérales. 

Les  astronomes  font  commencer  le  jour  solaire 
moyen  à  midi.  Dans  les  usages  de  la  vie  civile,  il  a 
son  commencement  à  minuit,  et  il  est  divisé  en  deux 
périodes  de  13  heures  chacune.  Celle  qui  précède 


midi  est  la  période  du  matin  ;  celle  qui  le  suit  est 
celle  du  soir. 

Variations  de  la  durée  des  jours  et  des  nuits. 
—  Cet  article  serait  incomplet  s'il  ne  renfermait 
pas  quelques  explications  sur  les  variations  qu'on 
observe  dans  la  durée  du  jour  par  opposition  à 
celle  de  la  nuit.  Ce  phénomène  si  remarquable 
no  se  produit  pas  partent  avec  le  même  carac- 
tère. 

Dans  les  lieux  situés  sur  l'équateur  terrestre, 
le  jour  est  constamment  égal  h  la  nuit  pendant 
toute  l'année.  Chez  nous,  au  contraire,  cette  éga- 
lité ne  se  présente  que  deux  fois  par  an,  vers  le 
21  mars  et  le  22  septembre  ;  ces  époques,  nommées 
pour  cette  raison  équmoxes,  sont,  la  première,  le 
commencement  du  printemps,  et  l'autre,  le  com- 
mencement de  l'automne.  Du  21  mars  la  durée 
du  jour  va  en  grandissant  jusqu'au  21  juin  où  elle 
atteint  son  maximum  ;  puis  elle  diminue  jus- 
qu'au 22  décembre  où  elle  arrive  à  son  minimum. 
Ces  deux  époques  sont  nommées  solstices;  la  pre- 
mière est  le  commencement  de  l'été  et  la  seconde 
le  commencement  de  l'hiver. 

Mais  la  durée  maximum  du  jour  n'est  pas  la 
même  en  tous  les  lieux;  elle  est  d'autant  plus 
grande  que  le  lieu  est  plus  loin  de  l'équateur. 
Ainsi,  h  Paris,  où  la  latitude  est  de  48°  50',  le  jour 
au  solstice  d'été  dure  16  heures  17  minutes  ;  à 
Saint-Pétersbourg,  où  la  latitude  est  de  59"  56',  il 
atteint  une  durée  de  18  heures  et  demie.  Au  cer- 
cle polaire,  qui  est  à  23"  2ïi'  du  pôle,  le  jour  b, 
l'époque  du  solstice  d'été  est  de  24  heures;  plus 
loin  il  est  d'un  mois,  de  deux  mois,  etc.,  jus- 
qu'au pôle  où  il  est  de  six  mois.  Ces  phénomènes- 
se  reproduisent  de  la  même  manière  dans  les 
pays  qui  sont  au  sud  de  l'équateur,  mais  en  sens 
inverse,  c'est-à-dire,  qu'ils  ont  les  jours  plus 
courts  quand  nous  avons  les  plus  longs  et  réci- 
proquement. 

Cette  inégalité  de  durée,  suivant  les  lieux  et 
suivant  les  époques  de  l'année  dans  un  môme  lieu, 
tient  à  la  manière  dont  l'horizon  du  lieu  coupe  les 
cercles  parallèles  décrits  chaque  jour  par  le  soleil 
dans  son  mouvement  apparent  autour  de  la  terre. 
C'est  en  résolvant  ce  problème  que  les  astrono- 
mes peuvent  calculer  d'avance  les  heures  du  cou- 
cher et  du  lever  du  soleil,  qu'on  trouve  dans  les 
calendriers.  Nous  n'entreprendrons  pas  de  traiter 
cette  question,  qui  est  en  dehors  du  cadre  élé- 
mentaire dans  lequel  l'étude  delà  cosmographie  doit 
être  ici  renfermée.  Cependant,  nous  terminerons 
cet  article  par  quelques  explications  qui  en  don- 
neront peut-être  une  idée,  et  d'autant  plus  juste- 
que  nous  y  envisagerons  les  mouvements  réels  de 
la  terre,  l'un  sur  elle-même  en  2*  heures  et  l'au- 
tre autour  du  soleil  en  une  année. 

Représentons  le  soleil  par  une  petite  lampe  placée- 
près  du  centre  d'une  table  ovale,  et  la  terre  par  une 
boule  qui  ferait  le  tour  de  la  table  en  un  an,  tout 
en  tournant  sur  elle-même  en  24  heures  et  dans  le 
même  sens  autour  d'une  tige  passant  par  son 
centre  et  figurant  son  axe.  Le  plan  de  la  table  sera 
ce  qu'on  appelle  l'écliptique.  Or,  l'axe  de  ro- 
tation diurne  de  la  ferre,  au  lieu  d'être  perpendi- 
culaire, se  trouve  incliné  sur  ce  i)lan.  Maintenant, 
qu'on  tienne  la  boule  à  la  main  pour  la  faire 
tourner  autour  de  la  tige  oblique,  on  verra  qu'il 
n'y  a  jamais  qu'une  moitié  de  la  boule  qui  est 
éclairée  par  la  lampe,  et  qu'en  môme  temps,  par 
le  fait  de  l'obliquité  de  l'axe,  la  circonférence  que 
décrit  un  point  de  la  terre  se  trouve  coupée  en 
deux  parties  inégales  par  le  cercle  qui  fait  la  sé- 
paration entre  la  moitié  éclairée  qui  a  le  jour  et 
la  moitié  obscure  qui  a  la  nuit.  Par  conséquent,  la 
durée  du  passage  de  ce  point  en  face  du  soleil  n'est 
pas  égale  au  temps  qu'il  met  à  traverser  la  partie 
opposée.  Ainsi  s'explique  l'inégalité  de  la  durée 
des  jours  et  des  nuits.  Cette  expérience  ne  présente 


JUGEMENT 


—  lO'jy 


JUGEMENT 


as  (le  difficultés  d'exécution  ;  en  la  répétant,  on 
evra  avoir  soin  de  tenir  la  tige  de  la  boule  in- 
linée  sur  le  plan  de  la  table  de  manière  à  ce 
u'elle  fasse  un  angle  d'environ  23°  et  demi  avec 


une  droite  qui   serait  perpendiculaire   h  ce  plan. 
La    lignre    suivante    éclaircira    ce    qui    pourrait 
rester  d'un  peu  obscur  dans  cette  explication. 
[G.  Bovier-Lapierre.] 


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Fitj.   i.  —  La  tene  aux  solstices;  inégalité  des  jo 


JOURNEES.  —  Histoire  de  France,  XXXVIII- 
i-L.  —  On  a  l'habitude  de  désigner  par  ce  nom 
le  journées  un  certain  nombre  d'événements  de 
'histoire  de  France,  dont  les  plus  célèbres  sont  : 
ajournée  îles  barricades  (12  mai  1588),  à  la  suite 
le  laquelle  Henri  III  dut  quitter  en  fugitif  Paris 
loulevé  par  les  Guises;  la  JoW'ée  des  dupes 
11  novembre  1G301,  dans  laquelle  Richelieu  déjoua 
es  intrigues  de  la  reine  mère  et  obtint  la  dis- 
çràce  de  ses  ennemis;  la  seconde  Journée  des 
'larricndes  (5  août  lfi4S),  qui  fut  le  commencement 
le  la  Fronde,  et  eut  pour  cause  l'arrestation  de 
Tois  conseillers  au  Parlement  ordonnée  par  la 
;our;  \a.  Journée  du  14  juillet  1789  (prise  de  la 
îastille);  les  Journées  des  à  et  G  octobre  nS9,  où 
es  femmes  de  Paris,  suivies  de  la  garde  natio- 
lalo,  se  portèrent  à  Versailles  pour  en  ramener 
e  roi;  la.  Journée  du  10  août  171)2  (prise  des  Tui- 
leries et  renversement  de  la  royauté)  ;  les  Journées 
ie  septembre,  du  2  au  5  septembre  1792  (massa- 
cres dans  les  prisons)  ;  les  Journées  du  31  mai  et 
du  i  juin  1793  (chute  des  Girondins)  ;  la  Journée 
lu  9  thermidor  an  II  (chute  de  Robespierre)  ;  les 
fournées  de  prairial  (I"  et  2  prairial  an  III,  sou- 

èvement  des  faubourgs  de  Paris  contre  laConven- 
;ion  dominée  par  la  droite)  ;  la  Journée  du  13  ven- 
iémiaire  lin  /F (insurrection  des  royalistes  contre 
a  Convention,  écrasée  par  Barras  et  Bonaparte); 
es  Journées  des  iS  et  19  brumaire  an  VIII  (coup 
l'Etat  de  Bonaparte  contre  la  représentation  na- 
ionale):  les  Journées  rfes27,  28  et  i:)  juillet  1830 
révolution  Ji  Paris  provoquée  par  les  ordonnances 
le  Charles  X)  ;  les  Journées  de  février  1848  (révo- 

ution  des  23  et  24  février,  qui  renversa  le  trône 
le  Louis-Philippe). 

.HT.EMEM".  —  Psychologie,  V.  —  Juger,  dit 
Aristotp,  c'est  affirmer  une  chose  d'une  autre 
:hose.  Le  jugement  est  essentiellement  l'opération 
le  l'esprit  qui  consiste  à  affirmer    un    sujet  d'un 


attribut.  «  Le  feu  est  chaud,  la  terre  est  ronde, 
l'homme  est  un  animal  raisonnable.  Dieu  est  bon,  « 
sont  des  jugements. 

Exprimé  par  le  langage,  le  jugement  s'appelle 
proposition.  Toute  proposition  a  en  effet  trois  ter- 
mes: le  sujet  et  Vattrilmt,  mis  en  rapport  par  le 
verbe. 

On  sait  que  l'analyse  grammaticale  retrouve 
aisément  ces  trois  termes  dans  les  propositions" 
mêmes  qui  ne  sont  formées  que  de  deux  mots. 
«J'aime  »  est  pour  :  oje  suis  aimant  »  ;  «j'existe  »  ou 
uje  suis  ".pour  «je  suis  existant»,  etc.  Et  ainsi  l'ex- 
pression du  rapport  qui  unit  le  sujet  et  l'attribut  est 
universellement  le  verbe  être,  à  des  personnes  et  i 
des  temps  différents.  Ces  remarques  élémentaires 
jettent  un  grand  jour  sur  la  théorie  philosophique 
du  jugement.  On  s'est  demandési  le  jugement  est 
toujours  le  résultat  d'une  comparaison  entre  deux 
termes  antérieurement  et  isolément  connus.  C'est 
la  doctrine  des  anciens  logiciens  et  du  grand  psy- 
chologue anglais,  Locke.  On  objecte  qu'il  y  a  des 
jugements,  dits  primitifs,  où  cotte  comparaison 
n'existe  pas.  Soit,  par  exemple,  cette  proposition  : 
«  Je  suis.  »  Peut-on  raisonnablement  soutenir  que 
l'esprit  ait  d'abord  conçu  l'existence  abstraite 
possible,  puis  un  moi  également  abstrait  et  possi- 
ble, et  qu'il  ait  ensuite  réuni  ces  deux  termes, 
aperçu  leur  convenance,  pour  affirmer  l'existence 
réelle  et  concrète  du  moi?  Il  est  clair  que  le  con- 
cret est  connu  avant  l'abstrait,  que  je  perçois  ition 
existence  avant  de  concevoir  l'existence  en  géné- 
ral, que  colle-ci  ne  m'est  donnée  que  par  celle-li: 
qu'ainsi  le  jugement:  «Jesuisnestantérieuràtouti^ 
comparaison  des  termes  que  l'analyse  y  découvre, 
qu'il  est  l'intuition  directe,  immédiate,  irréducti- 
ble, d'une  réalité  où  le  sujet  et  l'attribut  se  con- 
fondent absolument. 

Telle  est,  en  résumé,  la  critique  adressée  par 
V.  Cousin  Ma  théorie  de  Locke.  Elle  est  incontes- 


JUGEMENT 


—  1100 


JUGEMENT 


tablement  fondée  sur  un  point  :  l'esprit  ne  débute 
pas  par  des  abstractions.  Je  connais  mon  existence 
avant  de  connaître  l'existence  en  général,  cela  est 
hors  de  doute.  Mais  il  ne  s'ensuit  pas  que  le  ju- 
gement: Cl  Je  suis  u  ne  soit  que  la  simple  appréhen- 
sion de  l'existence  telle  qu'elle  est  impliquée  dans 
la  première  et  la  plus  obscure  manifestation  de 
la  conscience.  A  ce  compte,  dit  très  bien  M.  Janet, 
il  faudrait  dire  que  Ihuitre  juge,  car  on  doit  lui 
supposer  quelque  sentiment  d'elle-même.  Or,  il 
n'y  a  jugement  que  quand  il  y  a  réflexion,  et  la 
réflexion  implique  déjà  quelque  distinction  entre 
le  sujet  et  l'attribut,  et  la  connaissance,  au  moins 
confuse,  de  celui-ci  à  titre  de  caractère  général 
pouvant  convenir  à  d'autres  choses  encore  qu'au 
sujet  dont  on  l'affirme.  Quand  je  dis:  «Je  suis»,  je 
n'exprime  pas  seulement  le  vague  sentiment  que 
tout  animal  doit  avoir  de  son  existence  ;  je  fais 
plus  :  je  me  distingue  des  autres  êtres,  et  je  cir- 
conscris en  quelque  sorte  ma  part  d'existence 
dans  le  sein  de  l'existence  générale.  Kn  d'autres 
termes,  je  me  saisis  et  m'affirme  comme  une  per- 
sonne dont  l'existence  se  pose  on  face  et  indépen- 
damment de  toute  autre  existence  connue  ou  con- 
cevable. Donc  le  jugement  :  «  Je  suis,  »  implique 
véritablement  la  notion  de  l'être  en  général  ;  donc 
il  implique,  au  moins  logiquement,  la  distinction 
des  trois  termes,  ye  suis  étant,  l'attribut  possédant 
ce  caractère  de  généralité  que  ne  saurait  avoir  le 
sujet  je  qui  est  individuel.  On  doit  conclure  de 
Ik  que  le  jugement  n'appartient  pas  à  l'animal,  car 
il  suppose  l'abstraction  et  la  généralisation,  qui  sont 
des  opérations  propres  i  l'entendement  humain. 
On  doit  en  conclure  aussi,  contre  les  sensualistes, 
que  le  jugement  se  distingue  profondément  de  la 
sensation.  "Jugeret  sentir,  dit  Rousseau,  cité  par 
M.  Henri  Joly,  ne  sont  pas  la  même  chose.  Par  la 
sensation,  les  objets  s'otïrent  à  moi  séparés,  isolés, 
tels  qu'ils  sont  dans  la  nature  ;  par  la  comparaison, 
je  les  remue,  je  les  transporte,  pour  ainsi  dire,  je 
les  pose  l'un  sur  l'autre  pour  prononcer  sur  leur 
difl'érence  ou  sur  leur  similitude,  et  généralement 
sur  leurs  rapports...  La  faculté  distinctive  de  l'être 
actif  et  intelligent  est  de  pouvoir  donner  un  sens 
à  ce  mot  est.  Je  cherche  en  vain  dans  l'être  pure- 
ment sensiiif  cette  force  intelligente  qui  superpose 
et  puis  qui  prononce  ;  je  ne  saurais  la  voir  dans  sa 
•nature.  Cet  être  passif  sentira  chaque  objet  sépa- 
rément, même  il  sentira  l'objet  total  forme  des 
deux;  mais,  n'ayant  aucune  force  pour  les  replier 
l'un  sur  l'autre,  il  ne  les  comparera  jamais,  il  ne  les 
jugera  point.  » 

C'est  uniquement  dans  le  jugement  que  résident 
la  vérité  et  l'erreur.  La  pure  sensation  est  infail- 
lible, car  elle  ne  contient  aucune  affirmation  expli- 
cite. Le  jugement  est  vrai  ou  faux,  selon  qu'il 
exprime  entre  l'attribut  et  le  sujet  un  rapport  qui 
correspond  ou  ne  correspond  pas  à  la  réalité  des 
choses.  Il  est  des  cas  où  le  rapport  est  tellement 
évident,  que  le  jugument  se  prononce  pour  ainsi 
dire  de  lui-même  ;  la  réflexion  n'est  pas  sans  doute 
absente,  mais  elle  se  borne  à  concevoir  exactement 
les  termes  et  Ji  les  mettre  en  face  l'un  de  l'autre  : 
leur  convenance  ou  leur  disconvenance  se  mani- 
feste immédiatement.  Plus  souvent,  une  réflexion 
prolongée  est  nécessaire  ;  et  comme  la  réflexion 
implique  la  volonté,  le  jugement  est  alors,  au 
moins  partiellement,  un  acte  volontaire  et  libre. 
Aussi  Descartes  a-t-il  eu  raison  de  dire  que  là  où 
il  n'y  a  pas  évidence,  il  est  toujours  possible  de 
suspendre  son  jugement,  et,  par  suite,  d'éviter 
l'erreur.  Eu  ce  sens,  l'erreur  est  volontaire,  et  l'on 
est  toujours  plus  ou  moins  responsable  de  s'être 
trompé. 

Dans  le  langage  ordinaire,  le  mot  juiiement 
n'est  pas  pris  dans  une  acception  essentiellement 
difl'érente  de  celle  que  lui  donne  le  langage  jibilo- 
sophique.  On  dit    d'un  homme    qu'il  a  du  juge- 


ment pour  dire  qu'il  perçoit  naturellement,  entre 
les  choses,  les  rapports  vrais  qui  les  unissent;  en 
d'autres  termes,  qu'il  distingue  exactement,  et  par 
une  sorte  d'heureuse  disposition,  le  vrai  du  faux. 
Seulement,  ainsi  quelefaitobserverM.  Janet,  «  dans 
le  sens  ordinaire,  on  réserve  le  mot  jiigcmeiit  pour 
les  cas  importants,  rares  et  difficiles  :  on  ne  dira 
pas  que  l'homme  montre  du  jugement  en  disant 
que  la  neige  est  blanche  :  on  le  réserve  pour  les 
cas  où  il  faut  du  discernement  et  de  la  pénétra- 
tion. »  Mais  toujours  il  s'agit  d'arriver  à  formuler  , 
une  proposition  qui  n'est,  en  définitive,  que  l'expres- 
sion d'un  rapport  entre  deux  termes. 

La  faculté  de  juger  est  commune  à  tous  les 
hommes,  et  nous  avons  même  remarqué  qu'elle 
est  caractéristique  de  notre  espèce.  On  peut  môme 
avancer  qu'elle  est  dans  son  essence  identique  îi 
l'intelligence  même  (V.  hite/ligcnc").  Mais  tous  les 
hommes  ne  jugent  pas  également  bien,  et  les  au- 
teurs de  la  logique  de  Port-Royal  vont  jusqu'à  dire 
H  qu'on  ne  rencontre  partout  que  des  esprits  faux.  i> 
Avoir  l'esprit  faux,  c'est  méconnaître  les  rapporta 
vrais  entre  les  choses,  ou  en  supposer  de  chimé- 
riques. Il  est  clair  que  la  fausseté  d'esprit  ne 
saurait  exister  (au  moins  à  l'état  normal)  pour  les 
jugements  où  le  rapport  est  manifeste  ;  nul 
homme  raisonnable  n'affirmera  que  deux  et  deux 
font  cinq.  L'esprit  faux  ne  se  trompe  que  sur  les 
rapports  un  peu  cachés  ou  éloignés.  Les  rapports 
les  plus  superficiels  lui  paraissent  essentiels;  il 
prendra  une  simple  coïncidence,  une  succession 
fortuite  pour  une  liaison  constante  et  nécessaire  de 
cause  à  cfl'et.  Mais  la  fausseté  d'esprit  n'est  jamais 
incurable,  car  elle  est  toujours  l'effet  de  la  précipi- 
tation et  de  la  prévention.  Le  remode  est  contenu 
dans  ce  précepte  de  Descartes,  que  nous  rappelions 
tout  à  l'heure  :  suspendre  son  jugement.  Ajoutons 
que  cette  suspension  ne  doit  pas  être  indéfinie  ni 
conduire  au  scepticisme  ;  il  faut  seulement  sus- 
pendre son  jugement  jusqu'à  ce  que,  par  une  obser- 
vation plus  scrupuleuse,  une  réflexion  plus  péné- 
trante, le  rapport  vrai  se  dégage  et  apparaisse  en 
pleine  lumière.  Rien  de  plus  utile,  par  conséquent, 
que  de  mettre  les  jeunes  esprits  en  garde  contre 
les  affirmations  hâtives,  résultat  ordinaire  de  l'i- 
gnorance ;  il  sera  même  bon  de  leur  apprendre  à 
douter  en  leur  présentant  sur  une  même  question 
plusieurs  solutions  également  plausibles  en  appa- 
rence, ou  en  les  amenant,  par  une  série  de  ques- 
tions appropriées,  à  une  solution  précisément  con- 
traire à  celle  qu'ils  avaient  d'abord  avancée.  C'é- 
tait la  méthode  de  Socrate,  méthode  excellente, 
pourvu  qu'elle  n'aboutisse  pas  à  l'indilîérence  et 
qu'elle  ne  soit  en  quelque  sorte  que  le  point  de 
départ  d'investigations  plus  profondes. 

On  a  proposé  plusieurs  classifications  des  juge- 
ments, en  se  plaçant  à  difl'érents  points  de  vue. 
.\ucune  n'est  encore  universellement  adoptée  à 
l'exclusion  des  autres;  nous  nous  contenterons 
donc  d'indiquer  brièvement  les  divisions  les  plus 
fréquemment  employées. 

1.  }ai;ementi  affiimatifs  et  jugements  ;ie?a?(/s, 
selon  qu'on  affirme  ou  qu'on  nie  l'attribut  du  su- 
jet :  •<  Dieu  est  bon  ;  la  terre  n'est  pas  carrée.  » 
Mais  en  réalité  tout  jugement  est  une  affirmation, 
car  si  je  dis  :  '•  la  terre  n'est  pas  carrée  »,  j'affirme 
que  l'attribut  carré  ne  convient  pas  au  sujet 
terre.  . 

1.  Jugements  analytiques  et  jugements  sijntne- 
tiques  Les  premiers' sont  ceux  dans  lesquels  l'at- 
tribut ne  fait  que  développer  l'idée  exprimée  par 
le  sujet;  exemple  :  «  l'homme  est  un  anmial  raison- 
nable;» l'idée  d'animal  raisonnable  est  implicite- 
ment contenue  dans  l'idée  d'homme.  Dans  les  ju- 
gements synthétiques,  l'attribut  ajoute  quelque, 
chose  à  l'idée  du  sujet:  «l'air  est  composé  d'oxygène; 
et  d'azote.  "Je  puis  avoir  l'idée  de  l'air,  sans  sa-; 
I  voir  quels  sont  les  gaz  qui  le  composent. 


JUIFS 


—  MOI  — 


JUIFS 


;!.  Jugements  ù  piioi-i  et  jugements  à  posteriori. 
Los  jugements  à  priori  sont  ceux  dans  lesijuels  le 
r^ipporl  entra  les  deux  termes  est  affirmé  antériou- 
i-emcnt  il  toute  expérience,  comme  :  "  tout  coi'ps 
est  dans  l'espace.  »  Ils  sont  enroro  nécesnairfs,  c'est- 
à-iiii-e  qu'ils  expriment  une  vérité  dont  le  contraire 
est  impossible.  Nécessaires,  ils  sont  par  consé- 
quent universels  et  absolus,  et  constituent  ce  qu'on 
appelle  des  vérités  premières  (V.  Idées],  Les 
jugements  à  posteriori  sont  ceux  où  le  rapport 
n'est  donné  que  par  l'expérience  ;  ils  sont  aussi 
contingents  et  relatifs. 

4.  Jugements  f/i>iiéraui,  jugements  particuliers, 
jugements  individuels.  Les  jugements  généraux 
sont  ceux  par  lesquels  on  affirme  un  attribut  de 
toute  une  classe  d'êtres  :  «  tous  les  corps  sont  pe- 
sants. i>  Les  jugements  particuliers  sont  ceux 
où  l'attribut  n'est  affirmé  que  d'un  nombre  plus 
ou  moins  grand  d'individus  d'une  classe  :  «  quelques 
liommcs  sont  ambitieux.  »  Enfiji  les  jugements  in- 
dividuels ne  s'appliquent  qu'à  un  seul  être  déter- 
miné :  «  Shakespeare  est  le  plus  grand  poète  dra- 
matique de  l'Angleterre.  » 

h.  Jugements  classés  d'après  leurs  objets  :  — ju- 
gements portant  sur  des  réalités  ou  des  faits  :  ce 
sont  les  jugements  à' expéi'ience  ou  de  perception 
(comprenant  eux-mêmes  les  jugements  des  sens 
et  ceux  de  la  conscience)  ;  —  jugements  portant 
sur  des  idées  premières  et  sur  des  vérités  abso- 
lues: ce  sont  les  jugements  rationnels  ou  princi- 
pes de  la  raison  pure  ;  —  jugements  portant  sur 
des  notions  abstraites  ou  idées  conçues  par  l'es- 
prit, mais  sans  réalité  correspondante  :  ce  sont  les 
jugements  de  conception  (qui  comprennent  les 
produits  de  l'abstraction  et  de  la  généralisation, 
de  la  mémoire,  de  l'imagination,  de  l'association 
des  idées)  ;  —  enfin  jugements  portant  sur  le  rap- 
port logique  de  plusieurs  idées  ou  de  plusieurs 
jugements:  ce  sont  les  ruisonnemeiits  (raisonne- 
ment par  déduction,  raisonnement  par  induction). 
V.  Intelligence.  ["L.  Carrau.] 

Jl'lFS.  —  Histoire  générale,  XVI-XXVI.  —  l.  Les 

JtIFS  sous  LES  EMPEREURS  ET  LES  BARBARES  JUSQU'A 
l'invasion  des  ARABES  en  ESPAGNE  (135-711).  —  Api'ès 

la  chute  de  la  Judée  (V.  Israélites),  les  Juifs  ne  son- 
gent plus  qu'à  la  conservation  de  leurs  doctrines; 
leurs  écoles  florissent  en  Palestine  et  en  Babylo- 
nie,  sous  la  direction  des  Tunaïm  (rabbins  déposi- 
taires de  la  tradition).  Leurs  affaires  civiles  sont 
présidées  en  lalestine  par  un  Nassi  (prince)  et 
en  Babylonie  par  un  Hesch-Caloutha  (chef  de 
l'exil).  Le  plus  célèbre  de  tous,  Juda  le  Saint,  petit- 
tils  de  Gamaliel,  descendant  d'Hillel,  est,  vers  220, 
le  chef  de  l'école  de  Tibériade  et  le  prince  des 
Juifs;  il  écrit  la  Mischna  (recueil  des  traditions 
orales).  Cet  ouvrage  reçoit  plus  tard  dans  les 
deux  pays  un  complément  (Guenuira)  qui  con- 
tient les  discussions  des  rabbins  ;  l'ensemble,  qui 
porte  le  nom  de  Talmud  (étude),  n'est  achevé  que 
vers  la  fin  du  cinquième  siècle.  Oans  cet  intervalle, 
d'autres  travaux  importants  sont  accomplis,  par 
exemple,  la  fixation  du  calendrier  juif  par  le  calcul, 
et  des  traductions  chaldéennes  du  Pentateuque  où 
dominent  des  idées  spiritualistes.  Le  Talmud, 
dont  le  but  est  d'assurer  l'unité  du  judaïsme, 
contient  de  nombreuses  décisions  casuistiques  très 
minutieuses  ;  il  porte  la  trace  des  superstitions  du 
temps  et  des  souffrances  cruelles  des  Juifs;  mais 
il  reste  fidèle  à  la  morale  du  Pentateuque  et  main- 
tient la  liberté  de  penser. 

Dès  que  les  Juifs  eurent  renoncé  à  toute  velléité 
de  révolte,  les  Romains  les  laissèrent  travailler  en 
paix  ;  ils  reconnurent  leurs  chefs  et  parfois  les  entou- 
rèrent de  considération  ;  ils  leur  permirent  de  fon- 
der librement  des  communautés  dans  tout  l'Em- 
pire et  même  d'exercer  un  certain  prosélytisme  ; 
ils  leur  ouvrent  l'accès  des  charges  et  leur  accor- 
dent   le  titre  de  citoyen  romain.  Constantin  met 


sans  doute  quelques  restrictions  à  ces  avantages  ; 
mais  Julien,  au  contraire,  va  jusqu'à  vouloir  rebâtir 
lo  temple  de  Jérusalem. 

Pendantles  deux  premiers  siècles,  il  n'éclate  pas 
de  graves  dissentiments  entre  les  chrétiens  et  les 
Juifs,  réunis  dans  une  destinée  commune;  mais,  à 
partirda  Concile  de  Nicée,  qui  fixe  le  dogme  catho- 
lique (325),  la  division  s'accentue  et  les  deux  com- 
munions entrent  en  lutte.  En  Espagne,  des  col- 
loques théologiques  ont  lieu  (311),  et  les  prêtres  se 
plaignent  de  ce  que  leurs  ouailles  font  bénir  les 
moissons  par  les  rabbins.  Valens, Maxime  et  Théo- 
dose  le  Grand  interviennent  pour  empêcher  les 
évoques  do  faire  démolir  les  synagogues;  saint 
Ambroise  s'oppose  àces  mesures  de  protection  (395), 
et  Honorius  exclut  les  Juifs  des  fonetions  publiques 
(399).  Dans  Alexandrie,  partagée  entre  les  catholi- 
ques orthodoxes,  les  ariens,  les  Juifs  et  les  païens,  les 
excitations  du  fougueux  évoque  Cyrille  soulèvent 
chaque  jour  des  luttes  armées,  et  les  églises,  les 
synagogues  et  les  temples  sont  tour  à  tour  pillés 
et  brûlés  (419).  AMinorque,une  communauté  juive 
entière  est  violemment  convertie  au  christianisme 
après  un  assaut  donné  à  la  synagogue  sous  la  con- 
duite de  l'évoque.  Tous  les  chrétiens  ne  tombent 
pourtant  pas  partout  en  d'aussi  tristes  excès.  Saint 
Hilaire,  évêque  d'Arles,  vers  430,  Sidoine  Apolli- 
naire, de  Clermont,  vers  .472,  et  les  princes  goths 
d'Italie  et  du  midi  de  la  Gaule,  prennent  le  parti 
des  Juifs,  qui  reconnaissent  ces  bienfaits;  ils  contri- 
buent à  la  défense  d'Arles  attaquée  par  Clo- 
vis  (508),  et  à  celle  de  Naples  contre  Bélisaire 
(537). 

Justinien  fait  passer  l'intolérance  dans  les  lois  ; 
irrité  peut-être  du  concours  que  les  Juifs  de  Perse 
avaient  offert  contre  lui  à  leur  roi  Cliosroès,  il  res- 
treint leur  aptitude  à  posséder  et  à  recevoir  des 
héritages,  et  leur  interdit  la  lecture  de  la  Bible  en 
hébreu  et  de  la  Mischna  (537).  Les  conciles  les 
excluent  de  l'état  militaire  et  de  la  magistrature; 
Avitus,  évêque  de  Clermont-Ferrand,  les  oblige  à 
opter  entre  le  baptême  et  l'exil  (579),  et  ceux  qui 
fuient  dans  le  Midi  sont  soumis  aux  mêmes  vio- 
lences parlesévêques  d'Arles  et  de  Marseille (587). 
Le  pape  Grégoire  !«'  le  Grand  intervient  en  leur 
faveur;  il  veut  qu'on  leur  laisse  pratiquer  libre- 
ment leur  culte  et  qu'on  ne  les  amène  au 
christianisme  que  par  la  persuasion  et  la  cha- 
rité. 

Ni  le  clergé,  ni  les  rois  ne  s'inspirent  de  cette 
mansuétude;  à  Paris, où  se  trouve  déjà  en  582  une 
synagogue,  un  concile  tenu  à  l'avènement  de 
Clotaire  II  déclare  les  Juifs  impropres  à  tout  em- 
ploi public;  Dagobert  renouvelle  ces  exclusions  et 
décrète  le  baptême  forcé.  Les  princes  visigoths 
d'Espagne  et  la  plupart  des  conciles  de  Tolède  vont 
jusqu'au  comble  de  l'intolérance  ;  malgré  les  ser- 
vices des  Juifs  qui  participaient  vaillamment  à  la 
garde  des  fameux  défilés  des  Pyrénées,  le  bannis- 
sement est  prononcé  contre  tous  ceux  qui  refusent 
d'apostasier.  Un  évoque,  saint  Isidore  de  Séville, 
fait  dominer  momentanément  les  idées  de  Grégoire 
le  Grand  et  cherche,  mais  sans  succès,  à  con- 
vertir les  Juifs  par  la  discussion  pacifique,  vers 
630.  Mais  les  conciles  et  les  rois  continuent  à 
prendre  des  mesures  où  se  montre  nar  avance 
l'esprit  de  l'Inquisition.  Une  surveillance  domesti- 
que est  organisée  ;  les  enfants  sont  enlevés  et  mis 
au  couvent;  la  bastonnade,  la  confiscation,  l'exil 
frappent  les  récalcitrants,  les  lettres  de  no- 
blesse sont  accordées  en  récompense  à  l'apo- 
stasie. 

Il  était  impossible  que  les  Juifs,  traités  ainsi,  ne 
se  tournassent  pas  vers  l'Orient  qui  allait  leur 
offrir  des  libérateurs.  Depuis  quatre  siècles  déjà, 
ils  étaient  en  contact  dans  l'Yémen  avec  les  Arabes, 
et  ils  avaient  converti  au  mosaïsme  un  de  leurs 
princes,  Tobla, et  quelques-unes  de  leurs  tribus.  Ils 


JUIFS 


—  1102  — 


JUIFS 


s'étaient,  non  sans  combat,  soumis  à  Mahomet,  et  h 
Jérusalem,  à  Alexandrie  et  en  Perse,  ils  avaient 
reçu  Omar  à  bras  ouverts .  Après  les  rapides  vic- 
toires des  califes,  les  Juifs  étaient  devenus  les 
compagnons  d'études  des  Arabes  et  avaient  vu  Ali 
lionorer  leurs  chefs  et  leurs  savants.  Ils  ne  pou- 
vaient donc  en  Espagne  rester  fidèles  aux  princes 
ingrats  qui  les  persécutaient.  Dès  que  ïarik  eut 
passé  le  détroit,  ils  se  donnèrent  ouvertement  h  lui, 
et,  commandés  par  un  des  leurs,  Kaula-al-Vehudi, 
ils  prirent  part  à  la  bataille  de  Xérès,  qui  eut  pour 
résultat  l'établissement  de  la  monarchie  arabe  dans 
la  péninsule  ibérique  (711). 

II.  Royaumes  musulmans  et  chrétiens  jusqu'aux 
CROISADES  (71i-10!l5).  —  Les  écoles  juives  d'Orient 
avaient  pris  sous  les  khalifes  un  nouvel  essor;  di- 
rigées par  des  chefs  spirituels  qui  portent  le 
nom  de  Gaon  (liscellonce),  elles  accomplissent  une 
œuvre  importante,  la  Massore  (critique  tradition- 
nelle), qui  fixait  non  seulement  la  prononciation  du 
texte,  mais  encore  le  nombre  des  versets  et  même 
des  lettres  de  la  Bible;  ces  précautions  étaient  né- 
cessaires à  cause  des  discussions  dont  l'Ecriture 
sainte  était  alors  l'objet.  Un  prétendu  Messie, 
Sérène,  suscité  par  les  persécutions  du  calife 
Omar  II,  rejetait  le  Talmud  (720,,  et  une  secte, 
celle  des  Karaiies  (textuaires),  vers  750,  voulait,  en 
s'appuyant  sur  le  texte  du  Pentateuque  comme 
autrefois  les  Sadducéens,  répudier  toute  interpré- 
tation biblique  et  par  suite  tout  progrès.  Sous 
Haroun-al-I\ascUid,  les  Juifs  continuent  leurs 
travaux  et  jouissent  d'une  certaine  autonomie. 
Sous  les  rois  français  de  la  deuxième  race,  leur 
situation  est  presque  aussi  favorable.  Charlcmagne 
institue  un  mailre  des  Juifs  qui  veille  à  leurs  in- 
térêts; Louis  le  Débonnaire  et  Charles  le  Chauve 
facilitent  leur  commerce  et  obligent  certains  évê- 
ques  fanatiques  i  les  laisser  en  paix  ;  mais,  après 
la  mort  de  ces  princes,  les  conciles  de  Meaux  et  de 
Paris  organisent  des  prédications  pour  les  con- 
vertir. Les  Juifs  émigrent  alors  vers  le  Midi  où, 
Sràce  au  voisinage  des  Arabes,  il  régnait  une  cer- 
taine tolérance.  Abd-el-Rahman  III  (Abdérame), 
khalife  de  Cordoue,  de  la  race  des  Omeyades  (J4ô), 
prince  instruit  et  juste,  avait  pour  médecin  et 
pour  ministre  un  Juif,  Chasdai-Ibn-Schaprout, 
qui  faisait  fleurir  à  la  cour  de  son  maître  et  chez 
ses  coreligionnaires  les  sciences  et  la  littérature. 
Cliasdai  se  mit  en  rapport  avec  le  royaume  juif  des 
Khazares,  en  Tartarie.  près  de  la  mer  Caspienne, 
et  obtint  de  leur  roi,  Joseph,  fils  d'Aaron.  de  cu- 
rieux détails  sur  leur  histoire  et  leur  situation.  Il 
paraît  que,  vers  760,  un  des  ancêtres  de  Joseph, 
Eoulan,  pressé  par  les  chrétiens  et  les  musul 
mans  d'abandonner  le  paganisme,  s'éiaît  décidé  à 
adopter  le  mosaisme.  Son  royaume  avait  alors 
30  milles  d'étendue  et  se  trouvait  en  lutte  contre 
les  Russes,  sous  les  atteintes  desquels  il  succomba 
peu  de  temps  après.  C'est  grâce  à  Cliasdai  aussi  qu'il 
se  fonda  à  Cordoue  une  école  talmudique  impor- 
tante, qui  devint  bientôt  elle-même  un  centre  de 
science  et  de  littérature. 

Les  penseurs  juifs  de  tout  genre  abondent  à 
cette  époque.  En  Babylonie,  le  Gaon  Saadya,  vers 
930,  écrit  une  œuvre  théologique,  le  Livre  des 
croyances  et  des  opinions,  où  l'autorité  de  la  raison 
est  reconnue  à  côté  de  ci-lle  de  l'Ecriture.  En  Italie 
se  fonde  l'école  de  médecine  de  Salerne,  dont  les 
premiers  professeurs  sont  des  Arabes  et  des  Juifs. 
En  Espagne,  plusieurs  Juifs  distingués  sont  ap- 
pelés au  visirat  et  rendent  aux  lettres  de  grands 
services.  Le  ïalmud  est  traduit  en  arabe,  les 
études  grammaticales  sont  approfondies;  Gabirol, 
poète  sublime,  connudansle  mondechrétiensousle 
nom  d'Avicebron,  est  l'auieur  d'une  œuvre  phîloso 
phique,  la  Source  de  la  vie,  vers  lOôO.  En  France, 
le  célèbre  Raschi  compose  sur  la  Bible  et  le  Tahnud 
des  commentaires   considérables   qui  témoignent 


d'autant  d'érudition  que  d'intelligence  vraie  des 
textes.  A  Worms,  le  rabbin  Gerson,  nommé  la  lu- 
iniéi-e  de  l'exil,  préside  un  synode  qui  proscrit  la 
polygamie.  En  général,  les  Juifs  sont  protégés; 
Philippe  1"  de  France,  Guillaume  II  d'Angle- 
terre, Renaud,  comte  de  Sens,  le  pape  Alexandre  II, 
don  Pedro  d'.\ragon,  ainsi  que  le  clergé  espagnol, 
résistent  aux  excès  que  les  populations  veulent 
commettre  contre  eux. 
III.  Horribles  misères  et  travau.x  intellectuels 

DES    JUIFS     PENDANT    LES    CROISADES    (1095-1300).    — 

Tout  à  coup,  le  fanatisme  se  réveilla  avec  fureur 
en  Orient  et  en  Europe;  le  féroce  khalife  Hakem, 
sorte  de  Caligula  mahométan,  persécutait  cruelle- 
ment les  chrétiens  et  les  Juifs  de  son  empire,  et, 
par  ses  ordres,  au  Caire,  l'ÎOûn  Juifs  avaient  été 
massacrés.  Le  bruit  ne  s'en  répandit  pas  moins 
en  Occident  que  c'était  par  leur  conseil  qu'il  avait 
détruit  le  Saint-Sépulcre.  La  guerre  sainte  est 
proclamée;  d'immenses  multitudes  s'ébranlent  en 
désordre  et  commencent  par  tuer  les  Juifs,  pre- 
miers infidèles  qu'elles  rencontrent.  Les  évoques  ne 
réussissent  pas  à  les  sauver  même  dans  leurs  palais. 
Les  femmes  se  jettent  dans  les  fleuves,  les  pères 
égorgent  eu.x-mêmes  leurs  enfants  et  se  tuent  après 
pour  échapper  aux  Croisés.  A  Jérusalem,  après  la 
victoire,  tous  les  Juifs  sont  réunis  dans  la  syna- 
gogue et  égorgés,  comme  les  Musulmans  dans  les 
mosquées.  Malgré  saint  Bernard,  Frédéric  Barbe- 
rousse  et  l'empereur  Henri  VI,  les  Juifs  subis- 
sent partout  la  haine  populaire.  Philippe-Auguste 
et  Jean  d'.ingleterre  les  frappent  de  décrets  de 
confiscation  et  d'exil;  à  Paris  seulement,  42  fa- 
briques leur  sont  enlevées  et  données  à  des  chré- 
tiens. 

Le  midi  de  l'Europe  est  plus  clément  pour  les 
malheureux  persécutés  ;  Innocent  III,  si  terrible 
aux  Albigeois,  et  son  successeur  Honorius,  défen- 
dent de  les  contraindre  au  baptême.  Les  comtes  de 
Toulouse,  «  les  bons  ducs  u,  comme  les  appelaient 
les  troubadours,  leur  accordent  tous  les  droits  et 
toutes  les  libertés;  ils  sont  en  rapports  étroits  avec 
leurs  coreligionnaires  d'Espagne,  qui  continuent, 
sous  les  rois  chrétiens  et  les  khalifes,  à  se  distinguer 
dans  les  sciences  et  la  littérature.  Juda  Halevy 
(1080-1146)  est  poète  à  la  fois  en  hébreu  et  en  cas- 
tillan, médecin  et  théologien;  son  œuvre  capitale 
est  le  Khozan,  où  il  raconte  la  conversion  du  roi 
des  Khazares  et  expose  les  doctiines  fondamen- 
tales du  judaïsme.  Abraham  Ibn-Ezra  de  Tolède 
(mort  en  1168)  est  poète,  philosophe,  exégèle  sur- 
tout ;  la  hardiesse  de  ses  interprétations  est 
remarquable.  Ibn-Daoud  écrit  un  ouvrage,  la 
Foi  suljlime,  dans  le  but  de  concilier  la  religion 
et  la  pliilosophie.  Benjamin  de  Tudèle,  en  Ara- 
gon, savant  et  courageux  voyageur,  parcourt  en 
pleines  croisades  presque  toute  l'Europe,  une 
partie  de  IWsie  et  de  l'Afrique,  et  donne  sur  les 
Juifs  qu'il  visite  unecurieuse  relation  (1105  à  1173). 

Le  fanatisme  venait  d'éclater  au  sein  de  l'Es- 
pagne arabe  elle-même.  L'n  sectaire  cruel,  Ab- 
dalla-Ibn-Tumart,  venu  d'.\frique,  avait  fondé  la 
dynastie  des  Almohades,  qui  ne  soufl'rait  aucune 
dissidence  religieuse  ;  les  écoles  de  Séville,  de  Cor- 
doue et  de  Lucena  sont  détruites  ;  chrétiens  et 
Juifs  sont  envoyés  au  supplice,  s'ils  n'embrassent 
pas  l'islamisme.  Quelques  Juifs  s'enfuient  dans  les 
royaumes  voisins  et  en  Italie  à  la  cour  de  l'empe- 
reur Frédéric  II,  où  ils  trouvent  une  certaine 
faveur.  Parmi  ceux  qui  se  convertissent  en  ap- 
parence, se  trouvent  Maimon  et  son  jeune  fils 
Moïse  surnommé  Maimonides.  qui  fut  un  dos  plus 
grands  penseurs  du  moyen  âge  (1135  à  I2ii4);  à 
23  ans,  il  écrit  un  commentaire  sur  la  Mischna; 
devenu  le  médecin  du  sultan  Saladin,  il  com- 
pose un  abrégé  systématique  du  Talmud,  un 
grand  nombre  d'ouvrages  de  médecine  et  de  théo- 
logie, et,  enfin,  un    traité   d'interprétation  philo- 


JUIFS 


—  H03 


lUIPS 


sopliique  do  la  liiblc  iiitiluliS   lo  Guide  (<•?»■  ér/ar/s. 

Le  siècle  ii'ùuiit  pourtant  pas  propice  aux 
travaux  de  la  pensée  ;  partout  le  sang  des  Juifs 
coulait  à  Ilots.  Un  grand  nombre  avaient  péri  dans  la 
guerre  des  Albigeois  avec  les  autres  victimes  de  la 
croisade.  A  Bordeaux,  à  Angoulôrae,  h  Saintes,  et 
l'oitiers  (r.';!G),  il  Meckicmbourg,  à,  Breslau  (IÏ20), 
i  Francfort  cl  Mayence  (I24U),  des  massacres  ont 
lieu  sous  prétexte  d'hosties  profanées.  Saint  Louis 
l'ait  brûler  le  Talmud,  décrète  l'exil  et  la  confis- 
cation contre  les  Juifs,  en  n'exceptant  de  ces 
mesures  que  ceux  qui  pratiquent  des  métiers 
(1244).  Le  synode  do  Vienne  ressuscite  les  ancien- 
nes proscriptions  (l'267):  c'est  en  vain  que  les  Juifs 
■d'Allemagne  essaient  d'échapper  à  de  tels  tour- 
ments et  veulent,  sous  la  conduite  d'un  illustre 
rabbin,  Meir  de  Rottenibourg,  se  diriger  du  côté 
de  l'Orient;  l'empereur  Rodolphe,  qui  pourtant 
ne  les  persécutait  pas,  les  fait  ramener  dans  leurs 
foyers  (1280). 

Quelques  souverains  furent  plus  cléments  h 
cette  époque  troublée.  Au  début  du  siècle,  Pem- 
broke,  régent  d'Angleterre,  avait  révoqué  les 
édits  hostiles  aux  Juifs  (12 1  G),  édits  qui  furent 
remis  en  vigueur  après  sa  mort.  Grégoire  IX  et  le 
concile  de  Tours  (12.3CI,  InnocentIV(lj247)  les  pro- 
tègent, condamnent  les  baptêmes  forcés  et  les  accu- 
sations calomnieuses  élevées  contre;eux.  Philippe  III 
de  France  se  contente  de  les  pressurer:  Boleslas  V 
les  soutient  ou  Pologne;  Edouard  1»'"  d'Angleterre, 
meilleur  que  son  père  Henri  III,  défend  qu'on  les 
maltraite  en  Gascogne;  Philippe  le  Bel  lui-même, 
mais  dans  des  internions  intéressées,  prend  souci 
de  leur  liberté  et  allège  les  impôts  qui  pèsent 
sur  eux  (1288).  Aussi,  le  mouvement  littéraire  et 
scientifique  continue-t-il  chez  les  Juifs  pendant  ces 
intervalles  moins  tourmentés.  L'étude  du  Talmud 
se  développe  principalement  au  nord  de  la  France 
et  en  Allemagne  ;  celle  de  la  philosopliie,  dans  la 
Provence  et  en  Espagne.  Les  écoles,  fort  nom- 
breuses, discutent  avec  ardeur  l'oeuvre  de  Maimo- 
uides.  Accueilli  avec  enthousiasme  par  les  ujis, 
taxé  d'iiérésie  et  brùlé  par  les  autres,  le  Guide 
des  égarés,  traduit  de  l'arabe  en  hébreu  pendant 
la  vie  même  de  l'autour,  finit  par  triompher  de 
toute  opposition.  L'exégèse  et  la  morale,  d'une 
part,  et  d'autre  part  les  doctrines  mystiques  de  la 
Kabale,  qui  remontent  aux  Esséniens  et  à  l'école 
d'Alexandrie,  et  ne  sont  pas  sans  rapports  avec  le 
christianisme,  ont  de  nombreux  adeptes.  Aussi  un 
synode  rabbinique  interdit-il  l'étude  de  la  phi- 
losophie avant  l'âge  de  25  ans.  Les  colloques  se 
multiplient  également  entre  les  prêtres  et  les 
rabbins  ;  le  roi  Jacques  P'  d'Aragon  les  provoque 
(1236);  saint  Louis  les  permet  en  1240  et  1241, 
mais  il  interdit  bientôt  'i  il  quiconque  n'est  pas 
bon  clerc  de  disputer  aux  Juifs.  »  Les  Juifs  ne  né- 
gligent pas  les  autres  sciences;  leurs  mathémati- 
ciens sont  l'objet  des  faveurs  d'Alphonse  X  d'Es- 
pagne ;  ils  dressent  les  tables  astronomiques  qui 
portent  le  nom  de  ce  prince  ;  le  concours  de 
leurs  médecins,  qui  se  distiiiguont  en  grand  nom- 
bre, est  réclamé  par  les  chrétiens  eux-mêmes  en 
dépit  des  conciles  de  Béziers  (1246)  et  d'Alby 
(I2.'>5).  ' 

IV.  PUEMU'OIIES  AJIÉLIORATIO.NSIJA.N'S  l'État  DESjoll'S 

Ji  sgu'A  l'exji.  d'Esi'agne  (13UII-I  ii>2).  —  Le  .xiv"  siè- 
cle commence  mal  pour  les  Juifs.  Philippe  le  Bel 
les  chasse  de  France  pour  prendre  leurs  biens  ; 
Louis  X  les  rappelle  pour  les  rançonner  ;  les  Pas- 
toureaux les  massacrent;  et  sur  la  recommanda- 
tion du  pape  Jean  XXll,  désireux  de  les  convertir, 
Philippe  V  lo  Long  les  sauve,  mais  en  leur  pre- 
nant 47000  livres  (1321).  Les  tueries  continuent  en 
Navarre  malgré  le  roi  Charles  le  Bel,  et,  malgré  le 
pape  Clément  VI  et  l'empereur  Louis  V,  s'étendent 
en  Allemagne  (i:M8).  La  peste  avait  éclaté;  pour  la 
conjurer,  le  peuple  malheureux,   ignorant  et  saisi 


d'une  sorte  de  folie,  se  tlagolli;  lui-mèmo  et  tombe 
sur  les  Juifs  qu'il  accuse  d'avoir  empoisonné  les 
fontaines.  11  se  passe  partout  d'épouvantables 
scènes  ;  ici  des  Juifs  sont  mis  dans  des  tonneaux 
et  jetés  dans  le  Uhin;  lii,  on  en  roue  et  on  en 
décapite  un  grand  nombre  ;  ailleurs,  on  les  brûle  par 
milliers;  dans  quelques  villes,  notamment  ii  Paris, 
ils  n'obtiennent  la  vie  qu'il  prix  d'or. 

Pendant  cetli^  horrible  explosion,  la  Pologne, 
sous  Casimir  le  Grand,  inspiré  par  une  autre 
Esther  (1333),  et  les  rois  d'Espagne  qui  ont 
besoin  d'eux  pour  la  lutte  contre  les  Maures, 
leur  accordent  une  grands  influence.  Jean  le  Bon, 
Charles  V  le  Sage,  Charles  VI  de  France  et 
l'Iiilippe  le  Hardi,  duc  de  Bourgogne,  leur  as- 
surent, moyennant  do  fortes  redevances,  un  peu 
de  sécurité.  On  leur  fait  porter  un  signe  distinctif 
et  on  leur  assigne  des  quartiers  spéciaux,  afin  de 
les  protéger  plus  facilement  ;  mais  on  leur  permet 
de  devenir  médecins  ii  la  condition  do  fréquenter 
les  universités  de  l'État.  Les  savants  juifs  con- 
tinuent à  jouir  en  Provence  d'une  réelle  fa- 
veur ;  à  Luuel,  la  famille  des  Tibbon  traduit  en 
hébreu  les  ouvrages  arabes  et  les  fait  connaître 
ainsi  aux  savants  chrétiens  ;  à  Bagnols,  Levi- 
ben-Gerson,  maître  Léon,  cultive  l'exégèse  avec 
hardiesse,  et  il  peut  nier  le  dogme  de  la  création 
ex  nikilo  sans  être,  de  la  part  de  ses  coreligion- 
naires, l'objet  d'aucun  anathème  (1360)  ;  ii  Alger 
enfin  fleurit  une  grande  école,  dans  laquelle  on 
enseigne  les  sciences  profanes  avec  la  théologie. 

Pendant  les  désordres  qui  avaient  suivi  la]  folie 
de  Charles  VI,  un  édit  avait  expulsé  les  Juifs  de 
France;  Charles  VII  les  rappelle,  et  la  situation  con- 
tinue il  s'améliorer  partout  pour  eux.  Le  pape 
Martin  V  interdit  de  les  forcer  au  baptême,  leur 
permet  la  célébration  de  leur  culte  et  engage  les 
souverains  aies  traiter  avec  humanité  (1419).  Cette 
voix  tolérante  ost  entendue;  dans  le  Dauphiné  et  le 
Comtat  d'Avignon,  les  autorités  protègent  les  Juifs 
contre  le  peuple  (1436),  et  en  Castille  le  roi  Jean  II 
les  défend  contre  le  pape  Eugène  IV,  oublieux  des 
traditions  de  son  prédécesseur.  Sixte  IV  est  plus 
clément  ;  les  persécutions  venaient  de  recommen- 
cer en  Allemagne,  en  Bohême  et  en  Pologne;  le 
bruit  s'était  répandu  que  des  enfants  chrétiens 
avaient  été  assassinés;  les  Juifs  sont  aussitôt  tor- 
turés et  brûlés  ;  le  magnanime  pontife  refuse  avec 
sévérité  d'accueillir  ces  calomnies  odieuses  (1475). 
En  Orient,  la  situation  était  meilleure  encore  ; 
Mahomet  II,  après  la  prise  de  Constantinople 
(1453),  avait  appelé  le  grand-rabbin  dans  son 
conseil  suprême  avec  les  chefs  des  autres  cultes  ; 
et  les  Juifs  fournissaient  aux  sultans  de  savants 
médecins  et  d'habiles  diplomates. 

L'Espagne  et  le  Portugal,  où  les  Juifs  occupaient 
aussi  de  hautes  positions,  étaient  loin  de  cette  tolé- 
rance. Depuis  longtemps  le  clergé,  chez  lequel 
s'était  réveillé  l'esprit  des  anciens  Visigoths,  s'ir- 
ritait de  voir  les  Juifs  persister  dans  leurs  croyan- 
ces, pratiquer  ouvertement  leur  culte  et  occuper 
les  emplois  civils  ii  l'égal  des  chrétiens.  Les  repré- 
sentations qui  avaient  été  faites  aux  princes  étaient 
restées  sans  résultat  comme  les  tentatives  de  pro- 
sélytisme. L'Inquisition  fut  établie  malgré  la  no- 
blesse, et  les  persécutions  commencèrent  (1478). 
Isaac  Abravanel,  grand  hébraîsant  et  politique 
habile,  qui  avait  été  ministre  d'Alphonse  V  de 
Portugal,  était  alors  chargé  des  finances  de  Fer- 
dinand et  d'Isabelle;  son  crédit  ne  put  améliorer 
la  situation  qui  devenait  chaque  jour  plus  péril- 
leuse. La  chute  de  Grenade,  dernier  boulevard  des 
Maures  en  Espagne  (1492),  amena  la  catastrophe. 
Sous  l'inspiration  de  Torquemada,  grand-inquisi- 
teur, Isabelle  et  Ferdinand  décrétèrent  contre  les 
Juifs  l'exil  ou  le  baptême.  Un  certain  nombre  crut 
pouvoir,  à  l'exemple  du  passé,  trouver  la  sécurité 
sous  les  apparences  du  christianisme  ;  traites  avec 


JUIFS 


—   1104  — 


JUIFS 


mépris  par  le  peuple,  qui  les  appelait  Marranos 
(maudits),  ils  devinrent  pour  la  plupart  la  proie  de 
l'Inquisition.  Mais  environ  600  000  Juifs,  fidèles  à 
leur  foi,  partirent  dans  le  plus  affreux  déiiùnient. 
Les  uns  furent  réduits  en  servitude,  ou  périrent 
par  la  traliison  de  ceux  à  qui  ils  s'étaient  confiés. 
Les  autres,  après  d'iiorribles  soufl'rances,  purent  se 
réfugier  dans  le  midi  de  la  France,  en  Afrique,  en 
Italie,  en  Turquie  et  dans  les  Pays-Bas.  Le  fana- 
tisme avait  étouffe  cliez  Ferdinand  et  Isabelle  le  sen- 
timent même  de  leurs  véritables  intérêts;  l'expul- 
sion des  IVlaures  et  des  Juifs  eut  pour  l'Espagne 
des  conséquences  plus  fatales  encore  que,  deux 
siècles  plus  tard,  en  France,  l'exil  des  protestants  ; 
ce  pays  cessa  d'être  un  centre  de  science,  d'indus- 
trie et  de  commerce.  Depuis  le  commencement  du 
XV'  siècle,  des  penseurs  remarquables,  philosophes 
et  littérateurs  s'y  étaient  montrés,  ainsi  qu'en  Italie, 
où  les  papes  accueillent  les  savantsjuifs.  En  Alle- 
magne, ce  sont  toujours  les  études  talmudiques 
qui  prédominent  ;  l'illustre  Reuclilin,  qui  avait  eu 
un  Juif  pour  maître  d'hébreu,  y  gagna,  devant 
l'empereur  Maximilien,  la  cause  du  Talniud  qu'un 
Juif  apostat  voulait  faire  briiler  (lôlO).  Peu  après, 
le  Talmud  était  imprimé  à  Anvers,  ainsi  que  l'Ecri- 
ture sainte  et  ses  grands  commentateurs,  et  se 
trouvait  désormais  sauvé  du  fanatisme. 

V.  Fin  des  persécutions,  .wiii"  siècle.  —  RÉ- 
voLL'TioN  FRANÇAISE.  —  L'inventiou  de  l'impri- 
merie, la  Réforme  p'Otestante,  le  progrès  géné- 
ral des  sentiments  d'humanité  devait  avoir 
pour  résultat  d'adoucir  en  général  le  sort  des 
Juifs.  «  La  dispersion  de  ceux  d'Espagne  dans 
l'Europe  fut,  pour  ainsi  dire,  l'invasion  d'une 
nouvelle  civilisation.  »  (Miclielet,  Réforme.)  La 
plupart  des  Etats  les  reçurent  et  surtout  les 
républiques  commerçantes  d'Italie  ;  Ravenne 
demande  à  Venise  de  lui  en  envoyer  une  colonie. 
L'Allemagne,  où  le  fanatisme  éclate  encore,  en- 
tend Luther  réclamer  pour  ceux  qu'il  appe'le 
n  les  frères  du  Christ,  »  et  demander  qu'on  leur 
permette  les  travaux  utiles  afin  qu'ils  puissent 
abandonner  l'usure.  La  Turquie,  toujours  lar- 
gement ouverte  aux  Juifs,  mot  h  profit  leurs  ser- 
vices. Le  sultan  Sélim  se  fait  représenter  à  Venise 
par  un  ambassadeur  juif  (1Ô12).  Le  grand  Soliman 
a  pour  ministre  Joseph ,  un  ancien  Marruno 
écliappé  d'Espagne  après  les  plus  étonnantes  aven- 
tures. Elevé  à  la  dignité  de  prince  de  Naxos,  Jo- 
seph fait  écrire  par  son  souverain  une  lettre 
menaçante  qui  arrache  à  l'Inquisition  d'Ancùne 
quelques-uns  de  ses  coreligionnaires,  sur  le  point 
d'être  brûlés  (15G6;.  Les  Juifs  du  nord  de  l'Afri- 
que se  vengent  noblement  des  souffrances  de 
leurs  pères;  sous  le  règne  de  Don  Sébastien, 
arrière-  petit-fils  d'Isabelle  ,  les  Portugais  sont 
battus  près  de  Fez  ;  ils  sont  heureux  d'être  ache- 
tés par  les  descendants  des  victimes,  chez  lesquels 
ils  retrouvent  leur  langue  maternelle  et  la  plus 
touchante  humanité  (1678).  La  France  enfin  com- 
mence en  faveur  des  Juifs  une  réaction  de  justice 
et  de  tolérance  qui  ne  s'arrêtera  plus  ;  des  lettres 
patentes  d'Henri  II,  en  1550,  et  d'Henri  III,  en 
1574,  autorisent  les  Marranos,  qu'on  nommait 
alors  nouveaux  -cluétiens  et  marchands  espuipiots 
et  portuijais,  à  s'établir  à  Rayonne  et  à  Bordeaux. 
Les  Juifs  du  Dauphiné  sont  admis  par  un  arrêt 
du  parlement,  et  ceux  de  Metz  par  une  ordon- 
nance royale  (1607).  La  Pologne,  lolérante  aussi, 
donne  aux  Juifs  vers  1548  l'égalité  et  la  liberté,  que 
les  intrigues  des  jésuites  devaient  plus  tard  leur 
faire  perdre. 

La  Hollande  avait  d'abord  refusé  de  s'ouvrir 
aux  exilés  d'Espagne ,  qu'elle  prenait  pour  des 
émissaires  de  Philippe II,  utils  ne  purent  célébrer 
leur  culte  qu'en  secret;  mais  ensuite  ils  obtin- 
rent la  permission  d'élever  une  synagogue  (ISiiS). 
Peu  à  peu,  leur  nombre  s'accrut  par  l'arrivée  de 


leurs  frères  de  la  Péninsule,  dont  la  position 
continuait  à  être  horrible  ;  parfois  ils  étaient  au- 
torisés à  quitter  le  pays  ;  presque  constamment 
ils  étaient  abandonnés  k  l'Inquisition,  qui,  pen- 
dant le  xvi"  et  le  xvii'^  siècle,  fit  brûler  plus  de 
30  000  victimes  et  en  condamna  environ  270  000 
aux  galères.  Les  malheureux  Marranos  sont  pour- 
suivis jusqu'au  Brésil,  où  ils  n'obtinrent  un  peu 
de  calme  que  lors  de  la  conquête  de  ce  pays  par 
les  Hollandais  et  où  vint  les  trouver  une  co- 
lonie envoyée  par  les  Israélites  d'Amsterdam 
(1C24). 

Il  souffle  à  cette  époque  dans  plusieurs  pays  un 
esprit  de  tolérance  envers  les  Juifs.  Henri  IV  de 
France,  Christian  IV  de  Danemark  et  le  duc  de 
Savoie  leur  sont  favorables.  Une  émeute  san- 
glante contre  ceux  de  Francfort  est  réprimée 
par  les  autorités  (1614)  ;  ceux  de  Prague  sont  atta- 
qués par  le  peuple  qui  les  accuse  d'avoir  assassiné 
deux  chrétiens,  mais  une  enquête  démontre 
leur  innocence  (1C34).  Louis  XIV  règle  la  situa- 
tion de  ceux  de  l'Alsace ,  nomme  leur  grand 
rabbin  et  confirme  les  édits  de  ses  prédéces- 
seurs pour  ceux  de  Metz  et  de  Bordeaux  (1057). 
Croniwell,  sur  l'envoi  d'une  députation  juive 
d'Amsterdam,  autorise  leur  retour  définitif  en  An- 
gleterre (  1 05 1  ) ,  et  leur  accorde  le  droit  de  propriété 
qu'ils  conservent  sans  entraves  sous  Charles  II. 
Jean-Casimir  et  Sobieski  maintiennent  leurs  pri- 
vilèges en  Pologne  (1674).  Quelques  troubles  ont 
lieu  en  Turquie,  suscités,  sous  Mahomet  IV,  par 
un  imposteur  juif  qui  se  fait  passer  pour  Messie  et 
trouve  des  adhérents  même  dans  l'Europe  chré- 
tienne; mais  ils  n'amènent  aucune  persécution  et 
n'atteignent  pas  sérieusement  la  tranquillité  des 
Israélites  d'Orient  (,1665). 

La  Hollande,  qui  est  le  centre  de  toutes  les  li- 
bertés, offre  le  plus  curieux  spectacle.  Un  de  ses 
plus  illustres  enfants,  Grotius,  le  créateur  de  la 
science  du  (Iroit  des  yens,  revendique  pour  tous 
les  hommes  les  droits  de  la  conscience.  Les  Juifs, 
qui  contribuent  à  la  prospérité  de  son  commerce 
et  la  soutiennent  par  leurs  sacrifices  dans  ses 
guerres  d'indépendance,  ont  donc  toute  liberté 
pour  leurs  doctrines  religieuses  et  leurs  écoles. 
A  la  tête  du  mouvement  intellectuel  à  Amsterdam 
se  place  Manassé-ben-Israel,  né  à  Lisbonne  où 
son  père  était  mort  victime  de  l'Inquisition  ;  il 
écrit  et  imprime  en  hébreu,  en  latin,  en  portugais 
et  en  anglais  ;  c'est  lui  qui  négocie  avec  Cromwell 
le  retour  des  Juifs  en  Angleterre.  A  côté  de  lui  se 
trouvent  de  nombreux  écrivains  et  savants,  des 
professeurs  et  des  médecins  qui  avaient  réussi  à 
quitter  l'Espagne  où  ils  vivaient  sous  les  appa- 
rences du  christianisme.  C'est  de  ce  milieu 
aussi  que  sort,  à  cette  époque,  un  génie,  l'un 
des  plus  grands  philosophes  des  temps  moder- 
nes, Baruch  Spinosa  (1632-1677).  Disciple  de 
Maîmonides  et  d'Ibn-Ezra,  autant  que  de  Des- 
cartes, mais  surtout  penseur  original,  Spinosa  in- 
terprète rationnellement  la  Bible,  mais  s'éloigne 
par  sa  doctrine  panihéiste,  qui  confond  en  une 
seule  substance  Dieu,  la  nature  et  l'homme,  du  ju- 
daïsme pour  lequel  ses  frères  d'Espagne  et  de 
Portugal  versaient  encore  tous  les  jours  leur  sang. 
Les  rabbins  d'Amsterdam  le  frappent  d'interdit, 
jugement  sévère,  qu'explique  la  situation  pénible 
des  Juifs  à  cette  époque,  mais  non  la  tradi- 
tion Israélite,  toujours  favorable  à  la  liberté  de 
penser. 

Le  progrès  des  idées  de  justice  continue  et  le 
judaïsme  devient  l'objet  de  l'attention  générale  ; 
les  détracteurs  ne  lui  manquent  pas,  mais  les  es- 
prits sérieux  l'étudient  sans  prévention  ;  nous 
sommes  arrivés  au  xviii»  siècle,  au  siècle  des  re- 
vendications intellectuelles  et  de  l'émancipation 
politique  des  hommes.  Richard  Simon,  Basuage, 
l'évêque  Lowth   en    Angleterre,  Herder  en  Aile- 


JUMENTES 


—  nos  — 


JUMENTES 


magiio,  tous  chrétiens,  étudient  la  langue  sainte, 
riiistoire  et  la  poésie  dos  Hébreux. L'abbé  Guénée, 
rn  France,  réfute  les  railleries  de  Voltaire  qui 
attaque  la  Bible  sans  la  comprendre.  Moïse  Mendels- 
solni  enfin,  Juif  de  Berlin,  prend  liautement,  ni;iis 
avec  tact,  la  défense  rte  sa  religion.  Célèbre  déjà 
par  son  Phédon,  entretiens  philosophiques  sur 
l'immortalité  de  l'àme,  et  ses  Matinées,  ouvrage 
sur  l'c^xistonce  de  Dieu,  Mendelssohn  donne  une 
traduction  du  Pentateuque  où  dominent  les  idées 
de  Maimonides;  dans  un  écrit  intHulé  Jérusalem, 
il  met  en  relief  les  principes  juifs  qui  accordent  le 
salut  il  tous  les  justes  sans  distinction  de  culte, 
et  il  demande  que  les  droits  civils  et  politiques  de 
l'homme  ne  dépendent  plus  de  sa  croyance  reli- 
gieuse (n«l).  Mendelssobn  est  soutenu  par  toute 
une  pléiade  de  Juifs  intelligents  qui  deviennent 
avec  lui  les  fondateurs  du  judaïsme  moderne. 

De  si  légitimes  revendications  ne  pouvaient  pas 
ne  pas  triompher  des  dernières  résistances  du  fa- 
natisme. Quoique  la  situation  des  Juifs  fût  précaire 
encore  dans  bien  des  pays,  l'heure  de  la  liberté  ap- 
prochait pour  eux.  Au  commencement  du  .wiii' 
siècle  déjà,  le  jeune  roi  d'Espagne,  Philippe  V, 
avait  refusé  d'assister  à  un  autodafé  ;  c'était  un 
signe  des  temps.  Les  Juifs  obtiennent  en  Prusse 
la  juridiction  commune  et,  en  Angleterre,  la  con- 
firmation de  leurs  anciens  droits  (ITia).  En  Lor- 
raine, où  la  liberté  leur  avait  été  donnée,  puis 
reprise  (1728),  le  roi  Stanislas  les  organise  et 
nomme  leurs  syndics  (T  5  i).  Clément  XIV,  Louis  XV 
et  les  parlements  français  défendent  qu'on  leur 
enlève  leurs  enfants  pour  les  baptiser  (1764). 
L'empereur  Josepli  II,  plus  tolérant  que  ses  sujets, 
leur  accorde  une  égalité  presque  complète,  fait 
soutenir  leurs  écoles  par  l'Etat,  et  prescrit  aux 
prêtres  d'enseigner  au  peuple  envers  eux  des 
sentiments  de  justice  (1782).  Les  Etats-Unis  d'A- 
mérique, après  la  guerre  de  l'indépendance,  les 
admettent  aux  fonctions  publiques  (1783).  Les 
philosophes  surtout  plaident  leur  cause  avec 
ardeur.  Lessing,  le  grand  apôtre  de  la  tolérance, 
attaque  de  front  l'intolérance  dans  son  drame, 
Nathan  le  Baye,  qui  établit  une  assimilation  com- 
|ilète  entre  les  doctrines  des  différents  cultes. 
Dohm,  conseiller  militaire  à  Berlin,  Voltaire  et 
Mirabeau  réclament  hautement  pour  les  Juifs  les 
droits  de  citoyens.  Louis  XVI  accueille  leurs  délé- 
gués et  nomme  une  commission  chargée  de  pré- 
parer pour  eux  des  réformes.  Mais  la  Révolution 
éclate.  Sur  la  proposition  de  l'abbé  Grégoire,  en 
1790,  et  sur  celle  de  Duport,  en  1791,  l'émanci- 
pation des  Juifs  est  proclamée  par  l'Assemblée 
constituante. 

Quelques  années  plus  tard,  de  nouveaux  progrès 
s'accomplissent  ;  Napoléon  convoque  à  l'Hôtel  de 
Ville  de  Paris  une  réunion  de  notables  juifs  et 
un  grand  sanhédrin,  et  il  organise  officiellement 
le  judaïsme  (1808)  La  Restauration  fondeun  sémi- 
naire à  Metz  pour  les  rabbin»;  et,  après  1830,  le 
culte  Israélite  reçoit,  comme  les  autres,  les  subsides 
de  l'État  en  France,  en  Belgique  et  en  Hollande. 
Dos  lors,  les  Juifs,  devenus  citoyens,  entrent  dans 
toutes  les  carrières  et  s'unissejit  étroitement  aux 
pays  qui  les  ont  adoptés.  Si  quelques  explosions 
haineuses  se  produisent  de  temps  en  temps,  elles 
deviennent  de  plus  en  plus  rares,  et  sont  l'objet 
de  l'universelle  réprobation.  Quelques  petits  pays 
résistent  encore  à  la  justice;  mais,  sous  l'inspira- 
tion de  la  France,  l'Europe,  réunie  en  congrès, 
admet  dans  le  droit  public  des  peuples  la  liberté 
de  conscience  et  l'égalité  de  tous  les  citoyens  de- 
vant la  loi  (1859  et  1878).  [E.-A.  Astruc] 

JUMENTES.  —  Zoologie,  X.  —  Sous  le  nom 
de  Jumeiités  on  a,  dans  ces  derniers  temps,  pro- 
posé de  désigner  certains  mamjnifères  herbivores, 
tels  que  les  Chevaux,  les  Rhinocéros  et  les  Ta- 
I>irs,  qui,  pour  la  plupart,  atteignent  de  grandes 
2»  Partii;. 


dimensions,  et  qui,  dans  les  classifications  an- 
ciennes, étaient  associes  aux  Eléphants  et  aux 
Porcins  pour  constituer  la  grande  division  des 
Pachydermes. 

Les  Jumentés  sont  conformés  pour  se  mouvoir 
à  la  surface  du  sol;  les  quatre  membres  se  ter- 
minent par  des  doigts  généralement  eu  nombre; 
impair,  munis  d'ongles  indivis,  en  forme  de  sa- 
bots. Leurs  dents  sont  de  trois  sortes,  des  in- 
cisives, des  canines  qui  font  parfois  défaut,  ou 
sont  peu  distinctes,  au  moins  h  la  mâchoire  infé- 
rieure, et  des  molaires  séparées  des  dents  précé- 
dentes par  une  lacune  et  ofi'rant  sur  leur  couronne 
des  replis  plus  ou  moins  compliqués.  Ces  replis, 
étant  constitués  par  une  substance  dure  qu'on 
appelle  Vémnil,  s'accusent  naturellement  par 
l'usure  de  la  portion  tendre  ou  osseuse  de  la  dent. 
L'estomac  des  Jumentés  est  simple,  c'est  à-dire 
ne  consiste  qu'en  une  seule  poche,  et  les  intestins, 
fort  longs,  présentent  sur  leur  trajet  au  moins  un 
appendice  terminé  en  cul-de-sac,  ou  rœcum.  Le 
cerveau  montre  à  la  surface  de  ses  hémisphères 
des  circonvolutions  plus  ou  moins  nombreuses, 
ce  que  l'on  considère  ordinairement  comme  l'in- 
dice d'une  intelligence  développée.  Enfin  la  peau 
est  tantôt  très  épaisse  et  presque  entièrement  dé- 
nudée, tantôt  plus  souple  et  complètement  revêtue 
de  poils. 

La  plupart  des  Jumentés  ont  des  habitudes  sau- 
vages et  un  naturel  brutal  ;  ils  vivent  générale- 
ment en  troupes,  dans  les  prairies  ou  dans  les 
forêts  humides,  et  se  nourrissent  presque  exclu- 
sivement de  substances  végétales,  de  plantes  four- 
ragères, de  feuilles,  d'écorccs  et  de  branches 
d'arbres.  Aux  époques  antérieures  à  la  nôtre, 
dans  les  plaines  marécageuses  de  l'Europe  habi- 
taient de  nombreux  représentants  de  l'ordre  des 
Jumentés;  mais  de  nos  jours  on  ne  trouve  plus 
dans  nos  régions  une  seule  espèce  do  ce  groupe 
vivant  à  l'état  sauvage. 

Le  genre  Clœoal  (Eqmis)  comprend  non  seule- 
ment le  Cheval  proprement  dit,  mais  l'Ane,  le 
Zèbre,  l'Hémione,  etc.  Il  est  essentiellement  ca- 
ractérisé par  la  conformation  du  pied,  terminé  par 
un  seul  doigt  apparent,  dont  l'extrémité  est  en- 
fermée dans  un  ongle  en  sabot.  De  là  vient  le  nom 
de  sotipi'de,  qui  a  été  imposé  à  ces  animaux. 

Chez  les  chevaux,  on  compte,  à  chaque  mâchoire 
et  de  chaque  côté,  six  incisives  tranchantes,  six, 
molaires,  et  parfois  une  petite  canine.  Entre  celle- 
ci  et  la  première  molaire  est  l'espace  vide  nommé 
ban-e,  dans  laquelle  on  place  le  mors  qui  sert  à 
diriger  ces  animaux.  Les  molaires  offrent  les  replis 
caractéristiques  des  Jumentés;  quant  aux  inci- 
sives, elles  sont  creusées,  sous  la  couronne,  d'une 
fossette  qui  disparaît  avec  l'âge.  L'œil  est  vif  et 
saillant,  l'oreille  longue  et  mobile;  les  narines 
sont  dépourvues  do  mufle,  et  la  lèvre  supérieure 
peut  s'avancer  de  manière  à  constituer  un  organe 
do  préhension.  Tout  le  corps  est  revêtu  d'un  poil 
bien  fourni,  qui  s'allonge  sur  le  dessus  du  cou 
pour  former  une  crinière.  La  queue  présente  éga- 
lement une  touffe  de  poils  allongés. 

Le  cjjeval  proprement  dit  se  distingue  de  l'âne, 
du  zèbre  et  de  ses  autres  congénères,  par  sa  robe, 
de  couleur  uniforme  et  par  sa  queue  touffue  à, 
partir  de  la  base.  Il  est  généralement  d'une  taille 
élancée  et  de  formes  élégantes.  Sa  patrie  d'origine 
parait  être  l'Asie  centrale;  inais  il  est  maintenant 
répandu  dans  toutes  les  parties  du  monde  ;  intro- 
duit en  Amérique  à  l'époque  de  la  conquête,  il  y 
est  revenu  à  l'état  sauvage  sur  certains  points, 
particulièrement  dans  les  Pampas  de  Buenos- 
Ayres.  En  Europe,  la  domestication  du  cheval 
remonte  à  une  époque  extrêmement  reculée,  et, 
avec  le  temps,  se  sont  formées  des  races  (|ui  ont 
chacune  des  mérites  particuliers.  Citons  seule- 
ment le  clieval  anglais,  le  cheval  percheron,  le 
70 


JUSTICE 


—  1106  — 


JUSTICE 


cheval  des  landes,  le  cheval  corse,  etc.  —  V.  C/ie- 

A  l'état  de  liberté,  le  cheval  préfère  les  pâtu- 
rages secs;  en  domesticité  il  peut  être  nourri  avec 
du  foin,  de  la  luzerne,  du  trèOe,  de  l'avoine,  de  la 
vesce,  de  la  paille  d'orge,  de  froment  et  d'avoine 
et  des  feuilles  de  mais. 

L'âne,  presque  toujours  d'une  stature  moins 
élevée  que  le  cheval,  a  les  oreilles  plus  longues, 
la  queue  plus  grêle  à  la  base,  le  poil  plus  rude 
et  de  couleur  plus  terne.  Une  croix  noire  se 
dessine  sur  ses  épaules.  Doué  d'une  patience  et 
d'une  sobriété  exemplaires,  l'âne  rend  dans  beau- 
îoup  de  contrées  d'éminents  services  aux  gens  de 
Ta  campagne  ;  malheureusement  il  perd  de  sa  vi- 
vacité en  vieillissant,  et  devient  avec  l'âge  d'un 
«ntètement  stupide.  —  V.  Ane. 

L'hémione,  au  pelage  lustré,  offrant  des  teintes 
fauves  qui  se  fondent,  d'une  part  dans  du  blanc 
pur,  de  l'autre  dans  du  brun  foncé,  habite  la  Perse 
et  ia  Mésopotamie.  Le  couagga,  le  daw  et  le 
zèbre,  qui  ont  des  couleurs  plus  vives,  des  raies 
brunes  ou  noires  sur  fond  jaunâtre,  se  trouvent  au 
contraire  dans  le  sud  et  dans  l'est  de  l'Afrique, 
jusqu'en  Abyssinie.  Ces  superbes  animaux  sont 
d'un  naturel  farouche  et  rebelles  à  toute  domesti- 
cation. 

Beaucoup  plus  lourds  de  formes  que  les  Juraen- 
tés  du  genre  Cheval,  les  Rhinocéros  se  font  remar- 
quer encore  par  leur  peau  extrêmement  épaisse, 
généralement  dénudée,  verruqueuse,  et  fortement 
plissée  sur  certains  points  du  corps,  par  leurs  mem- 
bres terminés  chacun  par  trois  doigts,  par  leur 
queue  courte  et  presque  nue,  et  enfin  par  la  pro- 
tubérance cornée,  simple  ou  double,  qui  surmonte 
leur  nez.  Cette  protubérance,  reposant  sur  une 
voûte  constituée  par  les  os  du  nez,  adhère  h  la  peau 
et  parait  résulter  de  l'agglutination  d'un  sraiid 
nombre  de  poils.  Les  rhinocéros  ont  pour  patrie 
les  contrées  les  plus  chaudes  de  l'ancien  conti- 
nent, c'est-à-dire  le  centre  de  l'Afrique,  le  sud  de 
l'Asie  et  les  îles  avoisinantes,  telles  que  Java, 
Sumatra  et  Bornéo.  Ils  vivent  dans  les  endroits 
liumides  et  ombragés,  et  se  vautrent  dans  la  boue 
à  la  manière  des  porcs. 

Les  Tupii-s  ont  une  taille  moins  élevée  et  des 
formes  moins  massives  que  les  Rhinocéros;  ils  ont 
aussi  la  peau  moins  rugueuse,  le  nez  dcpourvu 
de  corne,  mais  prolongé  en  avant  en  forme  de 
trompe.  Par  l'aspect  extérieur  et  par  les  mœurs  ils 
rappellent  les  cochons,  mais  ils  n'ont  pas  comme 
ces  derniers  les  pieds  fourchus;  leurs  membres 
antérieurs  sont  terminés  par  quatre  doigts  et  leurs 
membres  postérieurs  par  trois  doigts  seulement. 
Ils  vivent  dans  l'Inde  et  dans  l'Amérique  tropi- 

Parfois  enfin  on  réunit  aux  Jumentés  des  mam- 
mifères de  petite  taille,  qui  sont  connus  depuis  la 
plus  haute  antiquité,  puisqu'il  en  est  déji  ques- 
tion dans  la  Bible.  Ces  mammifères  sont  les  Da- 
mans ou  HyvjcHés,  qui  ressemblent  extérieure- 
ment aux  marmottes  et  aux  cochons  d'Inde,  et  qui 
ont  les  pattes  tourtes,  avec  cinq  doigts  en  avant 
et  trois  doigts  en  arrière,  le  corps  assez  allongé 
et  tout  couvert  de  poils,  la  tête  amincie  en  avant 
et  surmontée  d'oreilles  arrondies,  les  mâchoires 
pourvues  seulement  d'incisives  et  de  molaires.  Les 
damans  sont  des  animaux  fort  doux,  mais  peu  in- 
telligents, qui  se  nourrissent  de  végétaux,  mais  qui 
n'ont  pas  la  faculté  de  ruminer.  Us  ont  pour 
patrie  l'Afrique  australe  et  orientale,  la  Syrie  et 
la  Palestine,  et  se  tiennent  dans  les  endroits  ro- 
cailleux, où  ils  se  creusent  des  terriers  entre  les 
pierres.  Dans  la  Bible  ils  sont  désignés  sous  le 
nom  de  Saphans  et  rangés  parmi  les  animaux  im- 
purs. lE.  Oustalet.] 

JUSTICE.  —  Législation  usuelle,  X.  —  Nous 
donnons  dans  cet  article   quelques  notions   élé- 


mentaircs  de  droit  pénal,  en  renvoyant,  pour  l'or- 
ganisation judiciaire  et  pour  ce  qui  concerne  les 
attributions  des  tribunaux  en  matière  civile,  à 
l'article  Trihuuarix. 

PniNciPES  GÉNÉRAUX.  —  Le  droit  pénal  est  cotte 
pariie  de  la  législation  qui  établit  les  peines 
applicables  â  certaines  infractions  réprimées  par 
la  loi,  et  qui  détermine  les  formes  i  suivre  pour 
arriver  à  la  répression  de  ces  faits.  Le  droit 
pénal  se  divise  ainsi  en  deux  parties  bien  dis- 
tinctes :  le  droit  pénal  proprement  dit,  qui  définit 
et  détermine  les  faits  punissables  et  les  peines 
qui  doivent  être  prononcées;  et  l'instruction  crimi- 
nelle, qui  s'occupe  des  juridictions  et  de  la  procé- 
dure. La  législation  pénale  se  trouve  contenue  en 
grande  partie  dans  deux  codes  :  le  Code  pénal  et  le 
Code  d'instruction  criminelle. 

Division  des  iléhis  't  des  peines.  —  Les  faits 
prévus  par  la  loi  pénale,  compris  sous  la  dénomi- 
nation générale  de  délits,  se  divisent  en  trois 
classes  :  les  crimes,  les  délits  de  police  correc- 
tionnelle, les  contraventions  de  simple  police.  Les 
crimes  sont  punis  de  peines  afflictives  et  infa- 
mantes et  jugés  par  les  cours  d'assises  ;  les  délits 
sont  punis  de  peines  correctionnelles  et  jugés  par 
les  tribunaux  de  police  correctionnelle  ;  les  con- 
traventions de  simple  police  sont  punies  des 
peines  de  simple  police  et  jugées  par  le  juge  de 
paix,  statuant  comme  juge  de  simple  police. 

Peines  en  matière  ertm-nelte.  —  Les  peines  en 
matière  criminelle  sont  :  l°la  peine  de  mort,  ré- 
servée pour  quelques  crimes  d'une  gravité  excep- 
tionnelle; 2°  la  peine  des  travaux  forcés  à  perpé- 
tuité ou  h  temps,  qui  est  subie  dans  des  établis- 
sements créés  aux  colonies  ;  la  durée  de  la  peine 
des  travaux  forcés  à  temps  est  de  cinq  ans  au 
moins  et  de  vingt  ans  au  plus  ;  3°  la  réclusion,  dont 
la  durée  est  de  cinq  ans  au  moins  et  de  dix  ans 
au  plus,  et  qui  est  subie  dans  les  maisons  centra- 
les. Il  faut  ajouter  les  peines  réservées  aux  crimes 
politiques,  la  déportation  et  la  détention,  et  deux 
peines  dont  le  caractère  est  seulement  infamant, 
le  bannissement,  qui  consiste  dans  l'expulsion  du 
territoire  français,  et  la  dégradation  civique,  qui  en- 
traine la  privation  des  droits  politiques  et  la  priva- 
tion de  certains  droits  ci  vils,  par  exemple  du  droit  de 
faire  partie  d'un  conseil  de  famille,  d'être  témoin 
dans  les  actes.  Les  peines  criminelles  entraînent 
comme  conséquences  accessoires  :  la  dégradation 
civique,  l'interdiction  légale,  qui  prive  le  condamné 
pendant  la  durée  de  la  peine  de  l'administration  de 
ses  biens,  la  surveillance  de  la  haute  police,  qui 
permet  à  l'administration  d'assigner  une  résidence 
au  condamné  après  l'expiration  de  la  peine. 
Peines  correctionnelles  el  peinesde  simple  police . 

—  Les  peines  qui  peuvent  être  prononcées  par  les 
tribunaux  correctionnels  sont  l'emprisonnement, 
dont  la  durée  est  de  six  jours  au  moins,  de  cinq 
ans  au  plus;  l'amende,  qui  ne  peut  être  inférieure  à 
seize  francs  ;  l'interdiction  de  certains  droits,  tels 
que  le  droit  de  vote  et  d'élection,  le  droit  de  port 
d'armes,  le  droit  de  faire  partie  d'un  conseil  de 
famille  et  d'exercer  la  tutelle  ;  enfin  la  surveillance 
de  la  haute  police.  Le  juge  de  simple  police  peut 
prononcer  un  emprisonnement  de  un  i  cinq  jours 
et  une  amende  de  un  à  quinze  francs. 

Personnes  punissables,  responsables  ou  excus.v 
BLES.  —  Personnes  qui  ne  sont  pus  responsables. 

—  Il  y  a  certains  cas  dans  lesquels  l'auteur  d'un 
l'ait  coupable  échappe  à  toute  responsabilité  :  celui 
([ui  est  en  état  de  démence  au  moment  de  l'acte, 
ou  qui  a  agi  sous  l'empire  d'une  force  à  laquelle 
il  n'a  pu  résister,  n'est  pas  responsable.  L'homicide 
ou  les  blessures  ne  sont  pas  punissables,  lorsque 
celui  qui  en  est  l'auteur  se  trouvait  en  état  de 
légitime  défense,  par  exemple  s'il  repoussait  une 
attaque  nocturne,  ou  se  défendait  contre  les 
auteurs  d'un  vol  commis   avec  violence.  Aucune 


JUSTICE 


—  1107  — 


JUSTICE 


peine  ne  peut  être  prononcée  dans  ces  diverses 
circonstances. 

Excuses.  —  La  loi  a  établi  en  outre  certaines 
«xcuses  qui  font  disparaître  la  peine  ou  la  dimi- 
nuent. Ainsi  le  vol  commis  par  un  fils  au  préju- 
dice de  son  père,  ou  rcciproquenieiil,  ne  peut  être 
puni,  à  raison  de  la  relation  de  parenté  qui  unit 
l'auteur  et  la  victime  du  délit.  La  provocation  est 
une  cause  d'excuse  qui  atténue  seulement  la  peine  : 
te  meurtre,  les  blessures  et  les  coups  sont  punis 
d'une  peine  moins  sévère,  lorsqu'ils  ont  été  pro- 
voqués par  des  coups  ou  des  violences  graves  en- 
vers les  personnes. 

Minorité  (le  seize  ans.  —  La  responsabilité  pénale 
complète  ne  s'applique  qu'à  l'individu  qui  a  atteint 
l'âge  de  seize  ans.  Lorsqu'un  mineur  âgé  de  moins 
de  seize  ans  est  traduit  devant  la  cour  d'assises  ou 
le  tribunal  correctionnel,  le  jury  ou  les  juges  ont  à 
résoudre  cette  question  :  n-t-il  agi  sans  discerne- 
ment ?  S'il  est  décidé  que  le  mineur  de  seize  ans 
a  agi  sans  discernement,  il  est  acquitté,  rendu  à 
ses  parents  ou  envoyé  dans  une  maison  d'éduca- 
tion correctionnelle.  S'il  est  reconnu  que  le  mi- 
neur a  agi  avec  discernement,  il  est  condamné, 
mais  la  peine  qui  lui  est  appliquée  est  considéra- 
blement réduite  ;  il  ne  peut  jamais  être  condamné 
qu'à  l'emprisonnement,  quelle  que  soit  la  gravité 
du  crime. 

Circonstances  atténuonics .  —  Los  circonstances 
particulières  peuvent  dans  cliaque  affaire  influer 
sur  la  culpabilité.  Pour  que  le  juge  puisse  tenir 
compte  de  ces  circonstances,  la  loi  fixe  pour  les 
peines  temporaires  un  minimum  et  un  maximum 
entre  lesquels  la  condamnation  peut  être  pro- 
noncée. En  outre,  le  jury  de  la  cour  d'assises  ou  le 
tribunal  correctionnel  peut  déclarer  qu'il  existe 
en  faveur  do  l'accusé  ou  du  prévenu  des  circon- 
stances atténuantes.  Cette  déclaration  entraîne 
une  diminution  de  la  peine  à  appliquer;  elle  fait 
descendre  la  peine  d'un  ou  de  deux  degrés 
suivant  les  distinctions  indiquées  dans  l'art.  4(i3 
du  Code  pénal. 

Tentative.  —  La  loi  ne  punit  pas  seulement  le 
crime  accompli;  la  simple  tentative  criminelle,  ma- 
nifestée par  un  commencement  d'exécution  et  qui 
n'a  été  suspendue  ou  n'a  manqué  son  effet  que  par 
une  circonstance  indépendante  do  la  volonté  de  son 
.lutcur,  est  punie  comme  le  crime  lui-même.  Les 
1  Putatives  de  délits  ne  sont  punies  comme  le  délit 
lui-même  qu'en  vertu  d'une  disposition  spéciale 
cil   la  loi. 

Cuinplicilé.  —  Les  complices,  c'est-à-dire  ceux 
c|ui  ont  coopéré  au  crime  ou  au  délit,  sont  punis 
rnmmo  l'auteur  principal.  La  complicité  existe 
clirz  ceux  qui  provoquent  l'auteur  du  crime  ou  du 
délit  à  le  commettre,  ceux  qui  lui  donnent  des 
instructions,  lui  fournissent  des  armes,  l'aident 
uu  l'assistent  dans  l'accomplissement  du  fait  cou- 
p:il)le,  ou  qui  recèlent  sciemment  les  choses  enle- 
véf'S  à  l'aide  du  crime  ou  du  délit. 

lié'idive.  —  Lorsqu'un  individu  déjà  condamné 
commet  un  nouveau  délit,  la  condamnation  déjà 
subie  peut  être  une  cause  d'aggravation  de  la 
peine.  La  récidive  manifeste  en  effet  chez  le 
délinquant  une  perversité  plus  grande,  et  une 
peine  plus  forte  doit  lui  être  appliquée,  puisque 
la  première  condamnation  n'a  point  eu  pour  effet 
de  le  détourner  de  commettre  un  nouveau  délit. 

Instruction  cnuiiNELLE. — Notions  (ii'némles  sur 
l'action  pu/ilirjue  et  ■  iuile.  —  Le  fait  délictueux 
donne  naissance  à  une  double  action:  l'action  pu- 
lilique,  qui  tend  à  l'application  de  la  peine,  et  l'ac- 
tion civile,  qui  a  pour  objet  la  réparation  du  dom- 
mage causé  par  le  délit  à  celui  qui  en  a  été  victime. 
L'action  public]  ue  est  exercée,'  par  les  magistrats  du 
niiiiistère  public;  l'action  civile,  parla  personne 
'lésée.  Ces  deux  actions  peuvent  être  réunies:  en 
elTei,  celui  qui  a  été  victime  d'un  délit   peut  se 


porter  partie  civile  devant  la  juridiction  répres- 
sive, qui  statue  en  même  temps  sur  l'action  pu- 
blique et  sur  l'action  civile;  lorsque  la  personne 
lésée  ne  s'est  point  portée  partie  civile,  elle  peut 
former  devant  les  tribunaux  civils  une  demande  en 
dommages-intérêts  soumise  aux  règles  ordinaires 
de  la  procédure  en  matière  civile.  —  V.  Tribunaux. 

Prescription  en  matière  pénale.  —  Le  droit  de 
poursuivre  le  fait  punissable  et  l'exécution  de  la 
condamnation  prononcée  se  prescrivent  par  un 
certain  délai  ;  le  temps,  en  effaçant  le  souvenir  du 
fait  coupable,  fait  disparaître  la  nécessité  do  la  ré- 
pression. Lorsqu'il  y  a  condamnation  prononcée, 
le  délai  de  la  prescription  est  de  vingt  ans  pour 
les  condamnations  en  matière  criminelle,  de  cinq 
ans  pour  les  condamnations  correctionnelles,  de 
deux  ans  pour  les  condamnations  de  simple  police. 
Ces  délais  expirés,  la  peine  est  prescrite.  L'action 
publique  et  l'action  civile  résultant  d'un  crime, 
d  un  délit  ou  d'une  contravention  se  prescrivent 
lorsqu'aucune  poursuite  n'a  été  exercée  contre  le 
coupable,  pendant  dix  ans,  si  le  fait  est  qualifié 
crime;  pendant  trois  ans,  s'il  s'agit  d'un  délit; 
pendant  un  an,  si  le  fait  est  une  contravention  de 
simple  police. 

Diverses  pluises  de  la  procédure  ou  instruction 
criminelle.  —  La  procédure  en  matière  pénale  se 
divise  en  deux  phases  distinctes  :  la  première, 
qu'on  appelle  instruction  préparatoire,  a  pour  but 
de  rassembler  les  preuves  du  fait  coupable. 
L'instruction  préparatoire  a  toujours  lieu  lorsque 
le  fait  présente  les  caractères  d'un  crime;  elle  est 
facultative,  lorsqu'il  s'agit  d'un  simple  délit  de 
police  correctionnelle.  Après  l'instruction,  l'affaire 
est  portée  devant  la  juridiction  cliargée  de  juger 
le  coupable  :  la  cour  d'assises,  s'il  s'agit  d'un 
crime;  le  tribunal  correctionnel,  s'il  s'agit  d'un 
délit  de  police  correctionnelle.  Pour  les  contra- 
ventions, il  n'y  a  point  d'instruction  préparatoire, 
et  l'affaire  est  directement  portée  devant  le  juge 
chargé  de  statuer. 

Instruction  préparatoire.  —  Dans  chaque  ar- 
rondissement, la  poursuite  des  crimes  et  des  dé- 
lits appartient  au  procureur  de  la  République. 
Lorsqu'une  plainte  a  été  adressée  au  procureur  de 
la  République  ou  lorsqu'un  fait  coupable  parvient 
à  sa  connaissance  ou  à  celle  de  ses  auxiliaires, 
juges  de  paix,  officiers  de  gendarmerie,  maires, 
commissaires  de  police,  le  procureur  de  la  Répu- 
blique requiert  une  information.  L'instruction  est 
faite  par  un  magistrat  attaché  à  chaque  tribunal  de 
première  instance,  le  juge  d'instruction. 

Pouvoirs  du  juge  d'instruction.  —  Le  juge  d'ins- 
truction a  pour  niission  de  recueillir  les  preuves 
du  crime  ou  du  délit:  il  entend  l'inculpé,  fait  ou 
ordonne  dos  perquisitions,  saisit  ou  fait  saisir 
les  papiers  ou  les  pièces  qu  il  peut  être  utile  de 
mettre  sous  la  main  de  la  justicie,  entend  les  té- 
moins, procède  à  toutes  les  constatations  qu'il  croit 
nécessaires.  Le  juge  d'instruction  a  la  faculté  de 
délivrer  contre  l'inculpé  un  mandat  de  dépôt  ou 
d'arrêt  en  vertu  duquel  il  peut  être  saisi  par  les 
agents  de  la  force  publique  et  incarcéré. 

Détention  préventive;  mite  en  liberté  provisoire. 
—  Cet  emprisonnement  de  l'inculpé  avant  le  juge- 
ment, mesure  souvent  nécessaire  pour  qu'il 
n'écliappe  point  aux  poursuites,  s'appelle  la  dé- 
tention préventive.  L'inculpé  peut  obtenir  du  juge 
d  instruction  sa  mise  en  liberté  provisoire,  à  charge 
par  lui  de  prendre  l'engagement  de  se  représenter, 
et  de  fournir  un  cautiontiement,  si  le  magistrat  le 
juge  nécessaire.  Le  cautionnement  consiste  soit 
dans  le  dépôt  d'une  somme  d'argent,  soit  dans 
l'engagement  d'une  personne  solvable.  La  mise  en 
liberté  provisoire  est  de  droit  lorsque  le  fait  pour- 
suivi est  un  délit  corrrclionnel,  (|Ue  l'inculpé  a 
son  domicile  dans  l'arrondissement,  n'a  point  en- 
couru do  condamnation  grave,  et  enlia  lorsc|iie  le 


JUSTICE 


—  H08  — 


JUSTICE 


maximum  de  la  peine  prononcée  par  la  loi  pour  1  conseillers,  si  la  cour  d  assises  se  tient  au  siège 
"fàk  à  raison  duquf'l  il  est  poursuivi  n'atteint  de  la  cour  d  appel  ;  dans  e  cas  contraire,  les 
point  un  emprisonnement  de  deux  années  I  assesseurs  sont  cris  parmi  les  magistrats  du  tn- 


assesseurs  sont  pris  parmi  les  magi: 
«»)''miw'"VmJ;w";ion!'— "Lorsque  1  Imnal  du  lieu  où  se  tiennent  les  assises. 

Jiay.  —  Le  jury  se  compose  de  citoyens  appelés 
à   donner  leur  avis,  en    leur   âme  et  conscience, 


Comment  ..  . 
le  juge  d'instruction  a  réuni  tous  les  éléments  qui 
sont  de  nature  i  l'éclairer,  il  clôt  l'instruction.  Si 
Il  fait  ne  lui  parait  pas  établi  ou  s'il  ne  constitue 
ni  crime  ni  délit,  il  rend  une  ordonnance  de  non 
lieu,  il  la  suite  de  laquelle  l'inculpé  détenu  est 
mis  en  liberté.  L'ordonnance  de  non  lieu  ne  fait 
pas  obstacle  à  ce  que  l'instruction  soit  reprise,  si 
de  nouveaux  indices  sont  recueillis.  Lorsque  le 
fait  constitue  un  délit,  le  juge  d'instruction  ren- 
voie devant  le  tribunal  correctionnel  ;  si  le  fait  a 
les  caractères  d'un  crime,  l'inculpé  est  renvoyé 
devant  la  cour  d'appel,  qui  statue  sur  la  mise  en 
accusation  et  le  renvoie   devant  la  cour  d'assises 


sur  la  culpabilité  de  l'accusé.  Une  liste  de  toutes 
les  personnes  aptes  à  remplir  les  fonctions  de 
juré  est  chaque  année  dressée  pour  le  départe- 
ment. Dix  jours  au  moins  avant  l'ouverture  de  la 
session  des  assises,  il  est  procédé,  à,  l'audience 
publique  de  la  cour  d'appel  ou  du  tribunal  clief- 
lieu  judiciaire,  au  tirage  au  sort  de  trente- six 
noms  pris  dans  la  liste  annuelle  ;  on  y  ajoute 
quatre  jurés  suppléants  également  tirés  au  sort. 
Les  jurés  ainsi  désignés  par  le  sort  forment  la. 
liste  de  session,  et  auront  il  juger  les  affaires  ins- 


JiminicTioNs  DE  JUGEMENT.  —  Les  juridictions  de  ;  crites  au  rôle  pour  cette  session 
jugemen  on  .comité  nous  l'avons^dit,  les  tribu-  Formation  du  tableau  du  jury.  -  Sur  'a  liste  J 
natix  de  simple  police  pour  les  contraventions,  les  de  session  on  procède  pour  chaque  affaire  et  au 
ribÙnaux  Xec^tionnels  pour  les  délits  de  police  I  jour  indiqué  pour  e  ugement  à  la  formation  du 
correctionnelle,  la  cour  d'assises  pour  les  crimes,  tableau  du  jury,  c'est-à-dire  de  la  liste  des  jures 
l\i^u,Z  de  simple  volice.  -  Le  juge  de  paix  qui  doivent  connaître  de  l'affaire.  Le  tirage  du  ta- 
ren  pi  t  Tanfcl  qu  cin  on  foncLns  déjuge  bleau  du  jury  est  fait  par  le  président  de  a  cour 
de  simple  police;  les  fonctions  du  ministère  pu-  d'assises  entre  tous  les  jures  composant  la  liste  de 
Mie  sont  confiées  au  commissaire  de  police.  Le  tri-  session,  en  présence  de  accuse  et  de  son  defen- 
bunal  desimpie  police  peut  prononcer  une  amende  seur.  L'accusé  et  le  minis  ère  public  ont  le  droit 
de  quinze  Trancs  et  un  emprisonnement  de  cinq  de  récuser  un  nombre  égal  de  jures  sans  avoir  à 
iou?s  au  plus  La  personne  citée  devant  le  tribunal  i  indiquer  les  motifs  de  la  récusation  ;  le  droit  de 
rshupleVlice  comparait  en  personneou  par  fondé  récusation  ^'^'-rete  orsqu  .1  ne  reste  plus  que 
deuouvoir  Les  iu^ements  par  défaut  sont  suscep-  douze  noms  dans  1  urne.  Le  jury  est  con.çtitue 
tiblesd  opposition  dans  les  trois  j.mrs  de  la  si-  lorsqu'il  est  sorti  de  l'urne  douze  noms  de  jure^ 
gnifiLtion  Les  jugements  de  simple  police  qui  '  qui  n'ont  point  ete  l'objet  de  récusation, 
nrinoncc  la  peine  de  l'emprisonnement  ou  qui  ,  Procédure  devant  la  cour  d  assises.  -  L  accuse 
?oSn^'nt  une  condamnation  supérieure  à  cinq  '  comparait  devant  la  cour  d  assises  en  état  de  de- 

nromèré  ^stlnce  Û"é,;t  comme  tribunaux  cor- :  l'accusation,  le  président  interroge  1  accusé,  puis- 
r'eTonnels  ts  faitr^ialifiés  délits,  c'est-à-dire  procède  à  ''-«l'"»" /„«„'  ^^-"i^^^i.VacraUoT- 
punis  de  peines  correctionnelles.  Le  prévenu  doit  ,  public  prend  la  Pf"''' P^^.^f ''""="^  '  ^'^k  \^^^^^^ 
'  -  ine  devant  le  tribunal  cor-    le  défenseur  de   1  accuse  lui  répond   et  ooit  tou 

'-   '      ^ r.  Le  pi'"'."^""*  "'»- 

les  prei 

,  donne 

prévenu  qui  ne  comparait  pas  est  jugé  par  défaut  ;  '■  jury  des  .qie^'ionf  q"i  1»'  sont  posées. 


comparaître  en   personne  uevani   ik   uiuu..ai  ^.u.-     -^  „....,..™-.    --    - .--,      .„„„■/  t„  ,,,.A<.iripnt  r^.U 
^        ■     •■       "^  faire  représenter  par  un    jours  avoir  la  parole  le   dernier.  Le  pi  esident  re-. 

,ar  lequel  il  est  poursuivi  ,  sume  les  débats  en  rappelant  les  preuves  princi-; 
n'entraîne  pas  la  peine  de  l'éniprisonnement.  Le  |  pales  pour  ou  contre  l'accuse  donne  lecture  a» 
neniraine  pas  .a   (ji  „,5i„„a  „,.  Héfant  :  '  iurv  des  Questions  qui  lui  sont  posées,  et  1  envoie 


rectionnel  ;  il  ne  peut  se 

avoué  que  si  le  délit  pour  lequel 


interjeté  dans  les  dix"  jours  du  jugement  par  une  I  comprenant  les  éléments  constitutifs  du  fait  cou- 
dSation  au  greffe  M'appol  est  porté  à  la  cour  pable,  puis  de  questions  spéciales  sur  chacune  des 
d  appel  dansle'ressort  de'  laquelle  se  trouve  '«  Circonstances  aggravante,  .élevées  par  1  accusa- 
^  ..*^*^     ,  I  i,n,t  rvii  i^aa  faits  n  exp.iises  IceaK 

tribunal.  | 

Cours   d'assises.    —   La   cour    d'assises  est   la 

juridiction  la  plus  élevée  en  matière  criminelle;    |,.»..vv,o  „. ,'rVo",„,i,,Vito  rprnnnaiire  des 

iue  juge  les  crimes,  c'est-à-dire  les  faits  les  plus    jures  qu  ils  P''-"^?"' ^ ',^„  "j^J" ''^..^/S'^'m^ 
'   -  ...  -•-'■'■:-:---     -irconstances  atténuantes  en  laveur  ae  1  accuse. 


I  lion  ou  des  faits  d'excuses  légales  invoqués  par  l'ac- 
cusé Il  n'y  a  point  de  question  pour  les  circon- 
stances atténuantes;  mais  le  président  avertit  les 


graves,  ceux  qui  sont  punis  d'une  peine  afflictive 
ou  infamante.  Il  n'existe  dans  chaque  départe- 
ment qu'une  cour  d'assises,  qui  se  tient  au  siège 
de  la  cour  d'appel,  s'il  en  existe  une  dans  le  dépar- 
tement, sinon  au  siège  du  tribunal, qui  est  le  chef- 
lieu  judiciaire  du  département.  Les  assises  ne  sont 
pas  une  juridiction  permanente  ;  elles  sont  réunies 
une  fois  au  moins  par  trimestre;  le  jour  de  l'ou- 
verture de>  assises  dans  chaque  département  est 


Délibération  du  jury;  mnjorité.  —  Les  jures 
délibèrent  et  votent  au  scrutin  secret  sur  les  dif- 
férentes questions  :  ils  sont  présidés  par  le  chef 
du  jury,  qui  est  le  premier  juré  désigne  par  le  sort 
lors  de  la  formation  du  tableau  ou  celui  que  d  un 
consentement  unanime  les  jurés  ont  choisi 
comme  chef  du  jury.  La  décision  contre  1  accuse 
se  forme  à  la  majorité,  c'e>t-à-dire  par  sept  voix, 


verlure  ue>  assises  uans  cnaque  ucpaiicucu.  »3v    .jv-  .„.,..„_  ._   ...-j-----,  „„,v,,.,7p    Io  nar- 

fixé  par  le  premier  président  de  la  cour  d'appel     et  s  exprime  ainsi  ■OU'aJa   '"^/^''l'-^^J^^'^ 

K,-,  -,  r- "^  I  tage  est  en  faveur  de   1  accuse.  Aussi  ta  aecision 

du  jury,  qui  reconnaît    l'accusé    non   coupable, 


et  publié  à  l'avance 

Composition  de  la  cour  d'assises;  maiislrnts. 
—  La  cour  d'assises  se  compose  de  deux  élé- 
ments :  les  magistrats  ou  la  cour,  et  le  jury.  Le 


s'exprime  par  ce  simple  mot  :  Non,  sans  ajouter 
à  la  majorité.  Il  faut  la  majorité  pour  l'admission 


ments  :  les  magistrats   ou  la  cour,  et  le  jury,  i^u  ^  .»  .i.^jv,. ..>-.  -  — ":  ,     "7  ;   ,     rippi^irm  du 

jurysutue  sur  la  culpabilité  de  l'accusé,  et,  si  des  circonstances  ''"enuantrs  et  la  décision  du 
•accuse  est  reconnu  coupable,  la  cour  lui  appli-  jury  sur  ce  point  '^ /°'"lf^.^  Znte,  m  fZr 
que  la  peine  portée  par  la  loi.  La  cour  d'assises  ,-jté  ,t  y  a  des  "''''."'«'"«f' ""f  "''"  f  f'  ^^ 
est  présidée  dans  chaque  département  par  un  rfe  ruccisé.Si  le  jury  "  ?^P°'"/,f^'^,'"i'i.%^^^^^^ 
conseiller  à  la  cour  d'appel  désigné  pour  chaque  [  stances  atténuantes,  il  n  en  est  pas  fait  mention 
session  ;  le  président  est   assisté  de  deux  autres  1  dans  la  décision. 


KHALIFES 


1109  — 


KHALIFES 


Verdict  ;  acquittement  ;  cnndamnotion.  —  Lors- 
que la  décision  du  jury  esl  formée,  les  jurés  re- 
viennent à  l'audience;  le  ciicfdu  jury  donne  lec- 
ture du  verdict.  L'accusé  est  ramené  et  il  lui  est 
donné  connaissance  de  la  réponse  du  jury.  Si  cotte 
réponse  est  négative,  le  président  de  la  cour 
(l'assises  prononce  l'acquittement  de  l'accusé,  et 
ordonne  sa  mise  en  liberté.  Lorsque  le  jury  a 
reconnu  l'accusé  coupable,  la  cour  rend  un  arrêt 
le  condamnant  à  la  peine  portée  par  la  loi.  Le 
président  avertit  le  condamné  qu'il  a  trois  jours 
pour  se  pourvoir  en  cassation. 

Cour  de  cassation.  —  Les  arrêts  de  la  cour 
d'assises    portant   condamnation,   de   même   que 


toutes  les  décisions  rendues  en  dernier  ressort 
par  les  tribunaux  de  répression,  peuvent  être  dé- 
férés à  la  cour  de  cassation.  Le  délai  pour  S6 
pourvoir  est  de  trois  jours  h.  compter  de  la  déci- 
sion attaquée.  Le  pourvoi  formé  en  matière  de 
simple  police  ou  en  matière  correctionnelle  doit 
être  accompagné  de  la  consignation  d'une  amende 
de  150  fr.,  qui  est  restituée  si  la  décision  atta- 
quée est  annulée.  La  consignation  d'amende  n'est 
point  exigée  pour  les  pourvois  contre  les  arrêts 
des  cours  d'assises.  Le  pourvoi  est  suspensif  :  il 
est  jugé  par  la  chambre  criminelle  de  la  cour  do 
cassation. 

|E.  Delacourtie.l 


K 


KHALIFES.  —  Histoire  générale,  XVIIL  —  Le 
mot  Khalife  ou  plus  exactement  Kludifat  signifie 
lieutenant.  Après  la  mort  de  Mahomet  en  (i32, 
Abou-Bekre,  choisi  pour  le  remplacer,  prit  le  nom 
de  Khalifal  mçout  AUali,  lieutenant  de  l'envoyé 
de  Dieu.  Ses  successeurs,  chefs  religieux  et  poli- 
tiques du  monde  musulman,  conservèrent  le  titre 
qu'il  avait  adopté. 

Khalifat  parfait.  —  Los  successeurs  immédiats 
de  Mahomet,  Abou-Bekre,  Omar,  Othman,  Ali,  for- 
ment ce  que  l'on  appelle  le  khalifat  parfait. 
Comme  le  prophète  lui-même,  ils  vivaient  sans  ap- 
parat :  Abou-Bekre  prenait  dans  le  trésor  quel- 
ques pièces  de  monnaie  qui  suffisaient  à  ses  be- 
soins. Omar  faisait  son  entrée  dans  Jérusalem 
monté  modestement  sur  un  àne.  Mais  en  6GU, 
après  la  mort  d'Ali,  Mohawia  fonda  la  dynastie  de;s 
Ommiades  ou  Omeyades,  et  transporta  le  siège  de 
l'empire  il  Damas. 

Les  Ommiades.  —  Le  pouvoir  jusqu'alors  électif 
■devint  héréditaire.  Le  khalifat  perdit  son  carac- 
tère de  simplicité  primitive  pour  devenir,  comme 
les  anciennes  monarchies  de  l'Orient,  fastueux  et 
despotique.  Cette  transformation  ne  s'opéra  pas 
sans  résistance.  La  famille  et  les  partisans  d'Ali, 
plusieurs  autres  prétendants  soulevèrent  l'Arabie 
et  les  provinces  voisines.  Il  fallut  quarante  ans 
pour  les  soumettre. 

Conquêtes  des  Arabes.  —  Aux  guerres  civiles 
succédèrent  des  guerres  de  conquête.  Déjà,  au 
signal  donné  par  Abou-Bekre,  les  Arabes  s'étaient 
jetés  sur  les  empires  grec  et  persan.  A. l'ouest,  ils 
s'emparèrent  rapidement  de  la  Syrie,  puis  de  l'E- 
gypte. Longeant  ensuite  le  littoral  de  la  Méditer- 
ranée, ils  soumirent  à  leur  domination  et  conver- 
tirent à  leur  foi  toute  l'Afrique  du  nord.  En  711,  le 
Berbère  Tarik,  qu'ils  avaient  lancé  en  avant,  gagna 
la  décisive  bataille  de  Xérès,. qui  leur  donna  l'Es- 
;pagne.  Les  Pyrénées  furent  franchies,  et  la  G.aule 
à  son  tour  allait  être  soumise,  quand  Charles- 
Martel  arrêta  à  Poitiers  la  conquête  musulmane 
(732).  A  l'est,  les  Perses  avaient  été  écrasés,  et  les 
Arabes  en  les  poursuivant  avaient  pénétré  jusque 
dans  l'Asie  centrale. 

Vers  le  milieu  du  vin'  siècle,  l'empire  arabe  était 
à  l'apogée  do  sa  puissance.  Il  comprenait  toute 
l'Afrique  septentrionale,  divisée  en  deux  gouver- 
nements, Egypte  et  Maghreb.  En  Europe,  il  s'éten- 
dait sur  l'Espagne  avec  la  Septimanie  et  les  Ba- 
léares. En  Asie,  il  occupait  l'Arabie,  la  Syrie,  une 
partie  de  l'Asie-Mineure,  et  tout  l'ancien  empire 
perse,  dontles  limites  avaient  même  été  dépassées. 

Les  A/jha.i'idrs.  —  Une  nouvelle  révolution  se 
produisit  alors.  Les  Abbassides,  alliés  à  la  famille 
•d'Ali,  se  mirent  ii  la  tête  d'une  insurrection.  Ils 
furent  vainqueurs  dans  une  grande  bataille.  Pres- 
que toute  la  famille  des  Ommiades  fut  exterminée. 


Les  Abbassides  transportèrent  le  siège  de  leur  puis- 
sance dans  les  provinces  oriejitales.  Leur  capitale 
fut  d'abord  Anbar,  puis  la  ville  nouvelle  de  Bag- 
dad qu'ils  construisirent  sur  les  bords  du  Tigre. 
Mais,  pendant  ce  temps,  l'Occident  leur  échappait, 
L'Ommiade  Abd-cl-Rhaman,  qui  avait  survécu  au 
massacre  de  sa  famille,  s'était  réfugié  en  Espagne. 
Il  y  fut  reconnu  comme  souverain  et  fonda  le 
khalifat  de  Cordoue.  Un  peu  plus  tard, un  royaume 
séparé  se  constituait  en  Afrique  et  faisait  recon- 
naître son  indépendance  politique  sous  la  dynastie 
des  Agiabites. 

L'empire  arabe  se  divisait  donc,  mais  cette  rup- 
ture de  l'unité  n'annonçait  pas  une  décadence. 
Chacune  des  trois  fractions  du  monde  musulman 
commença  une  existence  particulière  et  développa 
une  civilisation  originale  et  puissante. 

Khalifat  de  Bagoad.  —  En  Orient,  les  Abbassi- 
des ne  commencèrent  à  décliner  qu'à  la  fin  du 
IX"  siècle,  quand  ils  se  furcnit  asservis  à  la  milice 
turque.  Mais  ils  eurent  auparavant  une  période 
glorieuse  avec  Almanzor,  Almahadi,  Alhadi,  Ha- 
roun-al-Haschid,Motassem.  Ces  Khalifes  tournèrent 
surtout  vers  le  gouvernement  intérieur  l'attention 
de  leur  politique.  Ils  avaient  trouvé  une  organisa- 
tion déjà  ébauchée  par  les  Ommiades.  Il  y  avait 
une  chancellerie  d'Etat, et  quatre  conseils  ou  divans 
préposés  à  la  solde  des  troupes,  à  la  perception 
des  impôts,  à  la  nominaiion  des  fonctionnaires 
subalternes,  au  contrôle  de  la  comptabilité.  Un 
grand-juge  assistait  ou  suppléait  le  souverain  pour 
prononcer  sur  les  appels  interjetés  contre  les  juges 
ordinaires  ou  cadis.  Les  Abbassides  conservèrent 
ces  institutions  et  les  complétèrent,  en  appelant 
auprès  d'eux  une  sorte  de  premier  ministre,  le 
vizir,  ou  porteur  de  fardeaux,  chargé  de  préparer 
par  un  travail  préliminaire  les  décisions  du  kha- 
life. Ils  établirent  un  véritable  budget;  la  quotité 
des  contributions  qui  devaient  être  fournies  par 
chaque  province  fut  réglée  d'une  manière  fixe.  Il 
y  avait  un  impôt  direct  et  un  impôt  indirect.  L'im 
pôt  direct  comprenait  :  le  djezié  ou  capitation  éta- 
blie sur  les  habitants  infidèles  de  l'empire;  le 
karadj,  établi  sur  les  terres  des  infidèles  ;  la  dime 
prélevée  sur  les  terres  que  les  musulmans  avaient 
acquises  par  la  conquête  ;  les  prestations  en  nature 
fournies  par  les  peuples  tributaires.  L'impôt  in- 
direct se  composait  des  droits  de  douane,  du  pro- 
duit des  péages,  mines,  etc.  Le  revenu  total  au 
temps  d'Haroun-al-Raschid  montait  à  4,420,000 
dinars  et  270,37.1,000  dirhems,  soit  environ  21C 
millions  de  notre  monnaie. 

Pros/iérité  générale.  —  Ces  immenses  ressour- 
ces étaient  en  grande  partie  employées  à  des  tra- 
vaux d'utilité  publique.  Des  caravansérails  furent 
établis  et  des  citernes  creusées  de  distance  en 
distance  sur  le  long  parcours  qui  s'étend  depuis 


KHALIFES 


—  illO 


KHALIFES 


Bagdad  jusqu'à  la  Mecque,  lue  route  fut  créée 
entre  la  Mecque  et  Modine.  Une  police  bien  orga- 
nisée protégeait  les  personnes.  La  sécurité  dos 
transactions  était  garantie  par  des  syndicats  de 
marchands.  Une  agriculture  et  une  industrie  flo- 
rissantes alimentaient  le  commerce  Les  fruits  de 
la  Perso,  les  vins  de  Cliiraz  et  d'ispalian  étaient 
demandés  dans  tout  l'empire.  Les  ressources  du 
sol,  mines,  carrières,  salines  étaient  exploitées 
avec  intelligence.  Dans  l'Irak  et  dans  la  Syrie, 
surtout  dans  les  villes  de  Damas,  de  Mossoiil  et 
d'Alep,  on  commençait  i  fabriquer  des  étofTcs  ma- 
gnifiques. 

Beaux-arts.  —  De  l'industrie  à  l'art,  le  passage 
est  rapide.  Les  vases  d'or,  les  vêtements  précieux, 
les  lapisseries  qui  ornaient  les  palais  des  khalifes 
étaient  souvent  des  chefs-d'œuvre.  Le  Coran  in- 
terdisait la  reproduction  de  la  figure  humaine  et 
la  représentation  matérielle  de  la  divinité  ;  mais 
il  n'interdisait  pas  la  construction  des  monuments 
qui  couvrirent  bientôt  les  principales  villes,  sur- 
tout Bagdad,  Bassora,  Mossoul  et  Samarcande. 

Lettres  et  sciences.  —  Depuis  longtemps,  les 
Arabes  avaient  une  poésie.  Mahomet  en  écrivant 
le  Coran  avait  créé  la  prose.  Les  khalifes  de  Bagdad 
encouragèrent  les  lettres  et  déterminèrent  un 
mouvement  scientifique  en  établissant  dans  leur 
capitale  même  un  collège  qui  fut  fréquenté  par 
6000  étudiants,  des  bibliothèques  ouvertes  à  tout 
le  monde,  des  observatoires  pour  les  travaux  astro- 
nomiques, des  hôpitaux  et  des  laboratoires  pour 
l'étude  de  la  médecine  et  de  la  pharmacie.  Le 
goût  national  des  Arabes  pour  la  poésie  continua 
de  produire  des  œuvres  remarquables.  Leur  lan- 
gue, qui  avait  maintenant  sa  grammaire  et  sa  rhé- 
torique, fut  maniée  avec  succès  par  les  historiens 
Maçoudi,  Tabari,  Ibn-el-Atliir,  Ibn-Khaldoun.  Mais 
ce  fut  surtout  dans  les  sciences  que  ce  peuple  se 
signala.  Les  mathématiques  lui  doivent  de  remar- 
quables progrès.  Les  premiers,  les  Arabes  intro- 
duisirent la  méthode  des  tangentes  dans  les  cal- 
culs trigonométriques  ;  ils  appliquèrent  l'algèbre 
à  la  géométrie  et  résolurent  les  équations  cubi- 
ques. En  astronomie,  ils  ont  calculé  l'obliquité  de 
l'écliptique,  l'excentricité  de  l'orbite  terrestre,  la 
durée  de  l'année.  Dans  les  sciences  physiques  et  na 
turclles.ils  ontétélesmaitresdel'Europe  moderne. 
Leurs  médecins  atteignaient  i  un  tel  savoir,  k  une 
telle  habileté  pratique,  que  le  vulgaire  attribuait 
leurs  cures  à  l'emploi  de  moyens  surnaturels.  Quel- 
ques-uns d'entre  eux  consignaient  dans  des  traités 
les  résultats  de  leurs  observations  et  posaient  les 
principes  de  leur  science.  L'un  de  ces  livres,  les 
Cmwm  d'Avicenne,  a  servi  de  base  à  l'enseigne- 
ment médical  pendant  cinq  siècles  dans  les  uni- 
versités de  France  et  d'Italie. 

Khalifat  de  Connot'E.  —  A  l'autre  extrémité  du 
monde  musulman,  en  Espagne,  un  mouvement 
analogue  se  produisait  sous  la  domination  des 
Ommiades.  L'Espagne  avait  été  partagée  on 
quatre  provinces;  la  Septimanie,  tant  qu'elle  ap- 
partint aux  Arabes,  en  forma  une  cinquième. 
Chaque  province  était  administrée  par  un  vali  ou 
gouverneur,  et  se  divisait  en  cités  dont  chacune 
était  régie  par  un  caid.  Les  impôts  étaient  :  X'aza- 
que  ou  dîme  sur  les  produits  de  la  terre,  le  taiidil 
ou  imposition  sur  toutes  les  richesses  du  pays, 
un  droit  d'entrée  et  de  sortie  sur  les  marchandi- 
ses, et  enfin  une  capitation  payée  par  tous  les  ha- 
bitants non-musulmans.  Le  revenu  total  repré- 
sentait à  peu  près  140  millions  de  notre  monnaie. 
Agriculture  et  industrie.  —  Jamais  l'Espagne 
n'avait  été  aussi  florissante.  La  seule  ville 
de  Cordoue  comptait  un  million  d'habitants.  Les 
conquérants  musulmans  avaient  apporté  avec  eux 
Ifcs  savants  procédés  de  culture  employés  dans 
l'Egypte,  la  Syrie,  la  Chaldée.  Ils  savaient  emma- 
gasiner leurs  eaux  dans  des  barrages,  les  distri- 


buer dans  d'innombrables  canaux,  les  attirer  à  la 
surface  du  sol  au  moyen  de  puits  et  de  norias. 
Bien  irrigué,  le  sol  de  l'Espagne  donnait  jusqu'ît 
trois  moissons  par  an.  Des  productions  jusqu'alors 
étrangères  au  pays,  la  canne  à  sucre,  le  riz,  le 
coton,  le  safran,  la  myrrlie,  le  miirier,  avaient  été 
introduites  et  acclimatées.  L'Espagne  est  riche  en 
mines  de  fer,  de  cuivre,  de  mercure,  en  gisements 
de  soufre.  L'exploitation,  abandonnée  depuis  le 
temps  des  Carthaginois,  en  fut  reprise  avec  activité. 
Des  industries  puissantes  se  développaient  dans 
les  principales  villes  et  obtenaient  une  réputation 
presque  universelle.  Cordoue  était  renommée 
pour  ses  cuirs,  Tolède  pour  ses  armes,  Murcie 
pour  ses  draps,  Grenade,  Alméria,  Séville  pour 
leurs  soieries. 

Lettres,  sciences,  arts.  —  L'activité  intellectuelle 
n'était  pas  moindre.  L'Espagne  musulmane  avait 
ses  bibliothèques  et  ses  écoles  i  Séville,  à 
Cordoue,  h  Grenade,  à  Tolède.  Elle  forma  des 
astronomes  dont  le  plus  célèbre  est  Arzachel,  des 
historiens  qui  racontaient  la  conquête,  des  poètes 
dont  les  nouvelles  et  les  romances  servirent  plus 
tard  de  modèles  aux  écrivains  espagnols  et  aux 
troubadours  français.  Mais  ce  furent  surtout  les 
arts  qui  atteignirent  à  une  véritable  perfection,  et 
entre  tous  les  arts,  l'architecture.  Los  architectes 
musulmans  de  1  Espagne  sont  partis  do  l'imitation 
du  style  byzantin.  Un  des  monuments  les  plus  re- 
marquables qu'ils  aient  élevés,  la  mosquée  de  Cor- 
doue, rappelle  les  églises  que  construisaient  les 
Grecs.  Mais  bientôt  l'ornementation  sera  jugée  in- 
suffisante ;  on  multipliera  les  détails,  les  festons, 
les  arabesques  ;  des  courbes  variées  accidenteront 
la  monotonie  de  l'arc  byzantin.  Plus  tard,  la  Gi- 
ralda  et  l'Alcazar  de  Séville,  l'Alhambra  de  Gre- 
nade seront  les  types  achevés  d'une  architecture 
tout  à  fait  originale  parvenue  à  son  point  de  per- 
fection. 

AFniQtiE.  Roijaume  rie  Fez.  —  Moins  éclatante 
qu'en  Orient  et  en  Espagne,  la  civilisation  arabe 
d'Afrique  ne  manquait  cependant  pas  d'une  cer- 
taine grandeur.  Les  Edrissites,  qui  se  rattacliaient 
à  la  famille  des  Alides,  après  avoir  enlevé  aux 
Agiabites  la  ville  de  Tlcracen  et  le  Maglireb  occi- 
dental, fondèrent  la  ville  de  Fez  dont  ils  firent  leur 
capitale.  Fez  fut  en  même  temps  le  centre  d'un 
grand  commerce  avec  l'Espagne.  A  côté  d'une 
mosquée  magnifique,  des  bibliothèques  et  des  éco- 
les s'y  élevèrent. 

Aiitabitei.  —  La  dynastie  des  Agiabites,  bien 
qu'elle  eut  perdu  une  partie  de  ses  possessions, 
montra  beaucoup  d'activité  et  d'intelligence.  Des 
flottes  construites  et  équipées  dans  ses  ports 
allaient  piller  les  côtes  européennes  de  la  Médi- 
terranée et  faisaient  la  conquête  de  la  Sicile.  En 
même  temps,  l'agriculture,  l'industrie  et  le  com- 
merce étaient  favorisés  par  un  gouvernement  ha- 
bile. Des  relations  s'établissaient  avec  le  désert. 
Un  service  de  postes  et  de  courriers  traversait 
tout  le  pays  depuis  le  Fezzan  jusqu'à  l'Egypte.  Les 
villes  importantes,  Tunis,  Kairoan,  Tripoli,  se 
couvraient  de  monuments.  Les  sciences  et  le& 
lettres  étaient  étudiées  avec  la  môme  ardeur 
qu'en  Asie  et  en  Espagne. 

Fiithiuiilei.  —  Les  Agiabites  furent  renverséscn 
9US  par  un  certain  Abou-Obéidolla  qui  se  donnait 
comme  le  descendant  d'Ali  et  de  Fathima,  fille  du 
prophète.  En  yOX,  ses  successeurs  les  Fathimites 
s'emparèrent  de  l'Egypte  et  y  créèrent  un  nouveau 
centre  de  civilisation.  Ils  réglèrent  avec  soin  l'orga- 
nisation administrative  et  la  perception  des  impôts. 
Glace  à  la  prospérité  du  pays,  ils  obtinrent  un  re- 
venu presque  aussi  élevé  que  celui  qu'avait  eu 
Haroun-al-Raschid.  Ils  fondèrent  la  nouvelle  ville 
du  Caire,  qu'ils  embellirent  de  monuments  et  de 
mosquées.  Là  aussi  des  écoles  s'ouvrirent  et  de.* 
savants  se  formèrent.  Un  d'entre  eux,  Ibn-Iounis, 


LABIEES 


—  mi  — 


LABIEES 


drossa  des   tables  astronomiques  qui  firi;iU  long- 
temps autorité. 

Kn  face  de  l'Occident  clir6ticn  plongé  on  pleine 
barbarie,  le  monde  musulman  développait  de  toutes 


paris  une  civilisation  brillante.  Les  croisades  de- 
vaient mettra  en  contact  ces  dou\  mondes  si  dif- 
férents et  instruire  l'Europe  il  l'école  de  ses  enne- 
mis. —  V.  Croisades.  [Maurice  Wahl.] 


LABIÉES.  —  Botanique,  XXI.  —  Etym.  :  Du 
latin  labium,  qui  signifie  lèvre.  Ce  nom  fait  allu- 
.sion  \  la  forme  do  la  corolle. 

Définition,  —  Les  plantes  de  la  famille  des 
Labiées  ont  toutes  une  corolle  gamopétale  liypo- 
gyne  irrégulière  et  d'apparence  labiée;  selon  les 
groupes,  cette  corolle  est  uni  ou  bilaliée.  Toutes 
les  labiées  ont  entre  elles  de  très  grandes  affi- 
nités; elles  forment  un  groupe  très  naturel  que 
Brongniart  réunissait  aux  Verbénacées  pour  for- 
mer sa  classe  des  Verbéninées. 

Caractères  botaniques.  —  Les  graines  des  labiées 
demeurent  toujours  enfermées  dans  le  fruit  ;  leurs 
téguments  séminaux  sont  minces,  aplatis  ;  leur 
embryon,  tantôt  droit,  tantôt  courbé,  est  entoure 
d'une  couche  d'albumen  très  peu  développé. 

Les  racines  des  labiées  sont  fasciculées  et  son- 
vent  traçantes. 

Leur  tige  est  presque  toujours  herbacée,  très 
rarement  ligneuse  (romarin),  ordinairement  dres- 
sée, toujours  tétragone  ;  cette  forme  particulière 
de  la  tige  des  labiées  est  souvent  employée  pour 
reconnaître  à  première  vue  un  végétal  de  cette 
famille.  Chaque  tige  se  ramifie  dès  la  base  ;  elle 
porte  des  feuilles  opposées  ou  vcrticillées  dépour- 
vues de  stipules.  Ces  fouilles  entières  ou  décou- 
pées ont  une  nervation  pennée-réticulée.  Do 
même  que  la  tige,  elles  sont  couvertes  de  nom- 
breuses glandes  qui  sécrètent  une  huile  volatile 
très  odorante  (sauge,  thym,  lavande). 

L'inflorescence  des  labiées  est  toujours  pour- 
vue de  feuilles  ;  elle  est  composée  ;  le  plus  ordi- 
nairement c'est  un  épi  de  cynies  (lamier  blanc)  ; 
plus  rarement,  l'épi  présente  des  fleurs  solitaires 
ou  géminées  à  l'aisselle  de  chacune  de  ses  bractées. 

Les  fleurs  sont  hermaphrodites;  elles  présen- 
tent, de  l'extérieur  à  l'intérieur  : 

1°  Un  calice  gamosépale  i  cinq  lobes;  lorsque 
ceux-ci  sont  égaux,  le  calice  a  un  aspect  régulier  ; 
plus  ordinairement  ces  lobes  sont  inégaux  et 
groupés  de  façon  à  former  deux  lèvres;  la  lèvre 
supérieure  est  composée  de  trois  lobes,  l'inférieure 
n'en  présente  que  deux.  Ce  calice  est  persistant  : 
il  continue  à  protéger  le  fruit  jusqu'à  sa  maturité. 

2"  A  l'intérieur  du  calice  est  une  corolle  gamo- 
pétale à  deux  lèvres;  l'une  supérieure,  bilobée  ; 
l'autre  inférieure,  trilobée  .(lamier,   sauge,  etc.). 

Dans  le  genre  Bitgle  (Ajuya),  la  lèvre  supé- 
rieure est  remplacée  par  une  échancrure;  dans 
le  genre  Germandrée  (Teucrium),  la  lèvre  supé- 
rieure est  représentée  par  deux  lobes  filiformes 
qui  sont  rejetés  sur  les  côtés  de  la  lèvre  infé- 
rieure. Dans  les  Menthes,  la  corolle  presque  ré- 
gulière n'a  plus  que  quatre  lobes  égaux. 

i°  Sur  la  gorge  de  la  corolle  sont  insérées 
quatre  étamines  didijiiamei,  ce  qui  signifie  que 
deux  d'entre  elles  sont  plus  longues  que  les  deux 
autres.  Dans  le  genre  .Menthe,  toutefois,  les  quatre 
étamines  sont  égales  ;  dans  les  genres  Lycope, 
Koniarin,  Sauge,  Cunile,  il  n'y  a  que  deux  éta- 
mines; ce  sont  les  inférieures  qui  ont  persisté. 
Dans  les  genres  Sauge  et  Romarin,  une  seule  des 
loges  de  ch.i(|ue  anthère  est  fertile. 

4"  Au  centre  de  la  fleur,  on  trouve  un  ovaire 
libre,  supère,  composé  de  deux  carpelles  bilobés 
et  surmonté  d'un  style  gynobasique,  lequel  se 
termine  par  un  stigmate  bifide.  Cet  ovaire  ren- 


ferme quatre  logos  dont  chacune  contient  un  .seul 
ovule  dressé  anatrope.  A  la  maturité  le  fruit  se 
sépare  en  quatre  niicules  ou  akènes. 

Les  genres  de  la  famille  des  labiées  sont  extrê- 
mement voisins  les  uns  des  autres  ;  leur  classifica- 
tion très  compliquée  repose  sur  l'ensemble  des 
caractères  tirés  des  diverses  parties  de  la  fleur  et 
du  port  de  la  plante  ;  nous  ne  pouvons,  sans  dé- 
passer les  limites  qui  nous  sont  assignées,  dresser 
une  clef  dichotomique  des  genres. 

Usages  des  Labi^'es.  —  Nous  ne  citerons,  parmi 
les  labiées  usitées,  que  les  principaux  genres; 
toutes  tirent  leurs  propriétés  de  l'huile  volatile 
contenue  dans  les  glandes  do  leur  tige,  de  leur 
feuille  ou  de  leur  calice. 

Les  Basilics,  originaires  de  l'Inde,  sont  cultivés 
dans  les  jardins  comme  plantes  aromatiques. 

Les  Lavandes,  séchées,  servent  à  parfumer  les 
armoires  à  linge  et  à  préserver  les  vêtements  de 
laine  des  attaques  des  mites.  La  Lavande  Spic, 
originaire  d'Afrique  et  de  Sicile,  donne  une  es- 
sence employée  en  peinture;  on  l'emploie  aussi 
en  frictions  contre  les  douleurs  rhumatismales. 
La  Lavande  officinale  est  cultivée  en  bordure 
dans  les  jardins;  on  en  extrait  un  alcoolat  qui 
sert  à  faire  une  eau  de  toilette.  Les  fleurs  de  la 
Lavande  Stœchas,  originaire  de  Provence,  forment 
la  base  d'un  sirop  connu  en  pharmacie  sous  le 
nom  de  sirop  do  Stœchas  composé. 

Le  Patchouhj  est  une  labiée  aromatique  origi- 
naire de  l'Inde;  son  odeur  forte  le  fait  rechercher 
comme  parfum  et  aussi  comme  préservatif  des 
fourrures  contre  l'action  des  teignes. 

Presque  toutes  les  espèces  de  Menthes  ont  été 
utilisées  en  médecine;  aujourd'hui  la  menthe  poi- 
vrée est  seule  employée;  sa  saveur  aromatique 
est  accompagnée  d'une  sensation  de  grande  fraî- 
cheur dans  la  bouche.  On  retire  de  la  menthe 
poivrée  une  essence  qui  est  la  base  des  pastilles 
et  des  liqueurs  de  menthe.  L'essence  de  menthe 
poivrée  la  plus  estimée  est  celle  qui  nous  vient 
d'Angleterre  ;  on  attribue  cette  supériorité  à  la 
précaution  que  l'on  prend  de  détruire  toutes  les 
autres  espèces  de  menthe  dans  le  voisinage  des 
cultures  de  menthe  poivrée  ;  on  évite  ainsi  l'abâ- 
tardissement de  l'espèce.  Il  nous  vient  de  Bour- 
gogne un  extrait  de  menthe  poivrée  qui  peut  riva- 
liser avec  celui  qui  est  fabriqué  en  Angleterre. 
On  suppose  que  la  menthe  poivrée  est  originaire 
d'Asie  ;  les  Chinois  en  font  un  grand  usage  comme 
médicament. 

VOrigan,  la  Marjolaine,  employés  comme  aro- 
matiques, stimulants  et  toniques,  sont  surtout 
connus  à  cause  de  leur  parenté  avec  le  Dictante 
de  Crète,  dont  les  anciens  se  servaient  pour  la  gué- 
rison  des  blessures. 

Tout  le  monde  connaît  le  Thym,  employé  camme 
assaisonnement. 

On  fait  usage  du  Serpolet  contre  les  catarrhes 
chroniques. 

On  emploie  encore  la  Sarriette  comme  assaison- 
nement, les  infusions  de  Mélisse,  d'Hi/sope,  de 
Cat'iment,  de  Sauge,  pour  leurs  propriétés  stoma- 
chiques et  stimulantes. 

Le  Lierre  terrestre  est  antiscorbutique. 

Le  Marruhe,  les  Germandrées  ont  des  propriétés 
toniques. 


LABOURS 


—  1112  — 


LABOURS 


Les  feuilles  de  la  Bétoine  officinale  sont  quel- 
quefois employées  comme  celles  du  tabac,  dans 
les  cas  de  catarrhes  chroniques. 

Le  Romarin  est  un  arbrisseau  originaire  du 
midi  de  l'Europe  ;  rest  à  sa  présence  dans  les 
environs  de  Xarbonne  que  le  miel  de  ce  pays 
doit  sa  saveur  aromatique  particulière. 

[C.-E.  Bertrand.] 

LABOURS.  —  Agriculture,  IV.  —  Les  labours  sont 
des  travaux  qui  ont  pour  but  d'ameublir  la  terre 
arable  à  une  profondeur  variable,  d'i-nfouir  les  en- 
grais et  les  amendements,  de  détruire  les  mauvai- 
ses herbes  qui  se  développent  i  la  surface. 

L'amoublissement  du  sol  est  le  principal  objet 
des  labours.  Mais  en  même  temps  que  la  tranche 
.  de  terre  attaquée  par  l'instrument  est  déplacée, 
elle  doit  être  retournée  aussi  complètement  que 
possible,  atin  que  la  partie  inférieure  vienne  à  la 
surface  et  réciproquement.  «  La  couche  super- 
ficielle, dit  M.  Girardin,  toujours  plus  fertile  en 
raison  de  son  exposition  à  l'air  et  de  la  décompo- 
sition à  sa  surface  des  matières  organiques,  se 
trouve  ainsi  mise  en  contact  avec  les  racines  des 
plantes,  et  la  couche  inférieure,  privée  depuis 
quelque  temps  du  contact  de  l'air,  vient  réparer 
les  pertes  qu'elle  a  éprouvées  sous  l'action  absor- 
bante des  racines.  » 

Les  labours  sont  exécutés  soit  avec  des  instru- 
ments à  mains,  soit  avec  la  charrue.  Les  labours 
exécutés  à  la  main  sont  toujours  les  plus  parfaits; 
mais,  dans  la  culture,  il  est  impossible  d'y  avoir 
recours  ;  les  labours  ne  seraient  jamais  achevés, 
dans  une  exploitation  rurale,  s'il  fallait  les  faire  à 
la  bêche  et  à  la  houe.  Les  charrues  sont  d'autant 
plus  parfaites  que  leur  travail  se  rapproche  davan- 
tage de  celui  fait  à  la  main. 

On  vient  de  voir  que  les  labours  à  bras  s'exécu- 
tent soit  avec  la  bêche,  soit  avec  la  houe.  Le  labour 
à  la  bêche  a  été  décrit  au  mot  JurUin;  il  n'y  a  donc 
pas  à  y  revenir  ici.  Quant  au  labour  h  la  houe, 
voici  comment  il  s'exécute  : 

Après  avoir  ouvert  une  tranchée,  l'ouvrier, 
tourné  du  côté  du  terrain  à  labourer,  enfonce  la 
houe  dans  le  sol,  attire  à  lui  la  terre  dans  la  tran- 
chée formée,  où  il  l'émiette  ;  puis  il  continue  à 
avancer,  en  marchant  sur  la  partie  du  sol  qu'il  vient 
de  labourer,  tandis  qu'en  travaillant  avec  la  bêche, 
il  marche  en  arrière,  sur  la  terre  non  encore  re- 
muée. Ce  travail  n'est  pas  aussi  parfait  que  celui 
de  la  bêche;  la  terre  n'est  que  partiellement  re- 
tournée. 

Dans  quelques  pays,  notamment  dans  plusieurs 
parties  de  l'Auvergne,  la  bêche  est  remplacée  par 
une  fourche  à  deux  dents  ou  à  trois  dents.  Le  tra- 
vail s'exécute,  avec  cet  instrument,  de  la  même 
manière  qu'avec  la  bêche. 

Le  labour  à  la  houe  est  celui  qui  est  le  plus  sou- 
vent adopté  dans  la  culture  des  vignes,  surtout 
dans  le  midi  de  la  France. 

Le  travail  à  la  charrue  doit  être  fait  de  manière 
à  se  rapprocher  autant  que  possible  du  labour  à  la 
bêche.  Dans  ce  but,  la  charrue  détache,  verticale- 
ment par  lecoutre,  horizontalement  par  le  soc,  une 
bande  de  terre,  que  le  versoir  rejette  sur  le  côté 
en  la  retournant.  Si  ces  trois  organes  fonctionnent 
régulièrement,  avec  leur  maximum  d'effet,  le  tra- 
vail sera  excellent. 

Les  labours  doivent  être  considérés  d'abord  au 
point  de  vue  de  la  profondeur  à  laquelle  ils  attei- 
gnent la  couche  arable,  et  ensuite  à  celui  de  la 
forme  qu'ils  donnent  à  la  surface  du  champ. 

Au  point  de  vue  de  la  profondeur,  les  labours 
peuvent  être  divisés  en  trois  catégories  ;  les  la- 
bours de  défonoement,  les  labours  ordinaires  et 
les  labours  supei-ficiels. 

Les  labours  de  défoncement  sont  ceux  qui  dé- 
passent 30  centimètres  de  profondeur.  Leur  utilité 
est  facile  à  démontrer.  En  effet,  serrées  les  unes 


contre  les  autres,  ainsi  que  cela  se  pratique  dans 
la  grande  culture,  les  plantes  tendent  à  s'étendre 
en  profondeur.  Si  les  racines  rencontrent  une 
couche  meuble,  elles  y  pénètrent  facilement,  se 
développent,  et  la  tige  de  la  plante  suit  la  même 
progression.  Au  contraire,  si  les  racines  rencon- 
trent un  sol  dur,  plies  ne  peuvent  y  pénétrer,  et 
l'arrêt  de  leur  développement  entraîne  celui  de  la 
tige.  La  profondeur  des  labours  a  donc  pour  con- 
séquence naturelle  l'augmentation  du  produit  des 
récoltes:  l'expérience  a  toujours  démontré  l'exacti- 
tude de  ce  raisonnement.  Il  faut  aussi  ajouter  que, 
quand  le  labour  a  été  exécuté  plus  profondément, 
les  plantes  ont  beaucoup  moins  à  redouter  les 
excès  de  sécheresse  ou  d'humidité. 

il  est  rare  que,  dans  des  labours  de  défoncement, 
on  n'atteigne  pas  le  sous-sol  et  qu'on  n'en  entraîne 
pas  une  partie.  Dans  ce  cas,  la  conduite  à  suivre 
dépend  de  la  composition  du  sous-sol.  Lorsque 
celui-ci  est  de  même  nature  que  le  sol  superficiel, 
il  n'y  a  aucun  inconvénient  à  les  mélanger,  et  le 
labour  se  fera  comme  à  l'ordinaire.  Il  en  sera  de 
même  lorsque  le  sous-sol,  sans  être  de  même  na- 
ture que  le  sol,  ne  sera  pas  apte  à  nuire  aux  plantes 
cultivées  ;  dans  cette  circonstance,  on  augmente 
sans  inconvénients  la  couche  de  terre  arable.  Mais 
il  peut  arriver  que  le  sous-sol  soit  impropre  h  la 
végétation,  et  que  son  mélange  avec  la  terre  arable 
soit  de  nature  k  diminuer  la  valeur  de  celle-ci. 
Alors,  il  faut  bien  se  garder  de  faire  le  labour  de 
défoncement  en  suivant  les  pratiques  ordinaires, 
et  on  agira  différemment.  La  charrue  ordinaire 
atteignant  à  la  profondeur  du  sous-sol,  on  la 
fait  suivre  par  une  charrue  fouilleuse  qui  attaque 
celui-ci,  l'ameublit,  mais  ne  le  ramène  pas  à  la 
surface.  A  cet  effet,  cette  charrue  n'a  pas  de  ver- 
soir,  son  soc  est  en  forme  de  coin  allongé  qui  pé- 
nètre dans  le  sous-sol  et  le  travaille  à  la  profon- 
deur que  l'on  veut  atteindre.  Lorsque  la  charrue 
fait  la  raie  suivante,  elle  renverse  au-dessus  de 
ci'tte  partie  du  sous-sol  ainsi  ameublie  la  terre 
arable,  sans  que  le  sous-sol  soit  ramené  à  la  sur- 
face. Peu  à  peu,  il  se  mélange  avec  la  partie  infé- 
rieure de  la  couche  arable,  et  il  s'améliore  en 
quelques  années. 

Quand  on  opère  des  labours  de  défoncement,  il 
est  toujours  prudent  de  les  faire  progressivement. 
Le  premier  labour  mélange  avec  la  terre  arable 
une  couche  de  sous-sol  de  3  à  4  centimètres  ;  le 
deuxième  labour  attaque  une  deuxième  couche  de 
même  profondeur;  et  ainsi  de  suite  jusqu'i  ce 
qu'on  ait  atteint  la  limite  voulue. 

En  même  temps  qu'ils  augmentent  la  couche  de 
terre  arable,  les  labours  profonds  présentent  le 
grand  avantage  de  détruire  les  plantes  nuisibles 
à  racines  vivaces  et  traçantes  que  les  labours 
ordinaires  ne  peuvent  atteindre  qu'imparfaite- 
ment. 

Les  labours  de  défoncement  sont  toujours  une 
opération  coûteuse.  Ils  exigent  des  charrues  spé- 
ciales, des  attelages  puissants,  et  ne  se  font  que 
lentement.  Il  faut  donc  calculer  avec  un  grand 
soin,  quand  on  veut  y  procéder,  les  frais  qu'ils 
entraîneront.  Les  charrues  do  défoncement  exi- 
gent des  attelages  de  huit  à  dix  chevaux,  suivant 
la  nature  du  sol;  elles  paraissent  donc  d'un  accès 
difficile  à  la  petite  culture,  et  ce  n'est  que  par 
l'association  que  celle-ci  pourrait  réunir  les  atte- 
lages nécessaires  pour  cette  opération  fructueuse. 
Il  existe  d'excellents  types  de  charrues  pour  la- 
bours profonds  :  les  principaux  sont  la  charrue 
Dombasie  |ierfectionnée  à  Grignon,  la  charrue  Bon- 
net, la  charrue  Vallerand,  les  charrues  Bajac,  Bo- 
din,  etc. 

La  difficulté  de  se  procurer  les  attelages  ou  les 
instruments  pour  les  labours  profonds  a  fait  adop- 
ter, dans  certaines  localités,  une  méthode  mixto 
que  M.  Girardin  décrit  ainsi  :  "  On  ouvre  avec  la 


LABOURS 


1113  — 


LA  FONTAINE 


cliaiTue  ordinaire  une  raie  profonde  de  0'','iO  envi- 
ron, puis  on  y  place  une  vingtaine  d'ouvriers,  ar- 
més de  bCclies,  qui  enlèvent  une  nouvelle  couche 
de  32  cent,  de  profondeur  qu'ils  rejettent  sur  le 
labour.  Si  l'opération  est  dirigée  de  manière  que 
l'attelage  n'attende  pas  après  les  ouvriers,  ou  ceux- 
ci  après  l'attelage,  il  peut  en  résulter  un  travail 
très  satisfaisant.  Ce  procédé  est  usité  avec  avan- 
tage dans  le  département  du  Nord  et  en  Belgique. 
Si,  au  contraire,  le  défoncement  doit  être  exécuté 
de  telle  sorte  que  le  sous-sol  soit  seulement  pul- 
vérisé, mais  non  ramené  b.  la  surface,  le  travail  ne 
diffère  qu'en  ce  que  les  ouvriers,  armés  d'un  bi- 
dent  au  lieu  de  bêche,  laissent  retomber  au  fnod 
de  la  raie  la  terre,  sans  la  placer  sur  la  bande  do 
terre  renversée  par  la  charrue.  Ce  mode  de  défon- 
cement, usité  dans  la  vallée  de  la  Garonne,  y 
prend  le  nom  de  pelleversage.  On  peut,  à  l'aide 
de  ces  procédés,  défoncer  environ  20  ares  de  terre 
par  jour.  » 

La  saison  la  plus  favorable  pour  les  labours  de 
défoncement  est  l'automne.  Les  terres  ramenées 
à  la  terre  sont  plus  tôt  mûries,  selon  l'expression 
consacrée,  sous  l'influence  des  gelées  et  des  pluies 
do  l'hiver. 

Les  labours  ordinaires  sont  ceux  qui  se  font  à 
la  profondeur  de  15  à  30  cent.  ;  la  profondeur  de 
20  à  25  cent,  est  celle  qui  est  la  plus  usitée,  dans 
la  plupart  des  circonstances.  Le  plus  souvent,  ils 
suivent  les  labours  profonds,  et  ils  servent  à  ache- 
ver l'ameublissement  du  sol  avant  les  semailles. 

Les  labours  superficiels  sont  ceux  dont  la  pro- 
fondeur n'excède  pas  10  cent.  Ces  travaux  sont 
faits,  tantôt  avec  une  charrue  légère,  tantôt  avec 
un  extirpateur.  Ils  ont  pour  but,  ou  bien  de  dé- 
truire les  mauvaises  herbes,  ou  de  déchaumer 
un  champ  de  céréales,  ou  d'enfouir  des  engrais 
pulvérulents,  ou  enfin,  de  recouvrir  les  semences. 
Quelle  que  soit  la  profondeur  h  laquelle  on 
laboure,  quand  un  sillon  est  tracé  avec  la  charrue 
ordinaire,  le  laboureur  doit  revenir  à  l'extrémité 
d'où  il  est  parti,  pour  faire  un  deuxième  sillon  à 
côté  du  premier,  ou  bien  en  revenant  tracer  son 
sillon  à  une  certaine  distance  du  premier,  pour 
■ne  pas  rejeter  sur  celui-ci  la  terre  retournée.  Afin 
■d'éviter  les  inconvénients  de  ces  pertes  de  temps, 
■on  a  imaginé  des  charrues  appelées  tourne-oreilles. 
Ces  charrues  peuvent  renverser  alternativement 
la  terre  de  gauche  i  di'oite  ou  de  droite  à  gauche, 
de  telle  sorte  qu'on  peut,  en  allant  et  en  revenant, 
renverser  toujours  la  terre  dans  le  même  sens. 
Ces  charrues  rendent  des  services  signalés  dans 
le  labour  des  terrains  en  pente.  Klles  sont  dis- 
posées de  telle  sorte  que  le  versoir  et  le  soc 
peuvent  basculer  autour  de  l'âge.  C'est  dans  le 
même  but  que  sont  construites  les  charrues  dites 
trabant  doubles. 

Depuis  quelques  années,  les  charrues  k  plu- 
sieurs corps  ont  commence  à  se  répandre  en 
f  rance.  Elles  sont  surtout  à  deux  socs  ou  à  trois  socs. 
Avec  les  charrues  bisocs  on  peut  tracer  deux  sil- 
lons parallèles,  avec  les  charrues  trisocs  on  fait 
trois  sillons.  Ces  charrues  présentent  une  grande 
économie  de  temps  et  de  main-d'œuvre,  mais  elles 
no  peuvent  être  adoptées  que  pour  les  labours 
superficiels  et  pour  les  labours  ordinaires. 

Si  l'on  considère  maintenant  les  labours  au 
point  de  vue  de  la  forme  qu'ils  donnent  à  la  sur- 
face du  champ,  on  les  divisera  en  labours  en 
binons,  labours  en  planches  et  labours  à  plat. 

Le  labour  en  billons  partage  le  cliamp  en  plan- 
ches bombées  étroites,  séparées  par  des  rigoles 
profondes.  Ce  système  présente  des  avantages 
dans  les  terres  fortes  ou  reposant  sur  un  sous-sol 
non  perméable  ;  il  permet  l'é^^outtement  de  la 
terre  et  l'écoulement  des  eaux  en  excès.  En  outre, 
quand  la  couche  arable  n'a  qu'une  faible  profon- 
■deur,  il  augmente  artificiellement  celle-ci.  Mais  il 


présente  des  difficultés  pour  l'opandage  régulier 
des  fumiers  et  pour  les  semailles  ;  il  rend  difficile 
l'emploi  des  instruments  perfectionnés,  des  her- 
ses, etc.  ;  enfin,  il  met  des  obstacles  aux  charrois 
pour  l'enlèvement  des  récoltes. 

Dans  les  labours  en  planches,  on  divise  le  sol 
en  parallélograinmes  plus  ou  moins  larges,  sépa- 
rés par  une  raie  moins  profonde  que  pour  les 
billons.  D'un  côté,  la  terre  labourée  est  renver- 
sée à  droite,  de  l'autre  elle  est  renversée  à  gau- 
che. La  largeur  des  planches  varie  suivant  beau- 
coup de  circonstances;  elle  est  généralement  plus 
grande  pour  les  terres  légères  que  pour  les  ter- 
res fortes. 

Quant  aux  labours  îi  plat,  ce  sont  ceux  qui  se 
rapprochent  le  plus  du  labour  à  la  bêche.  La  sur- 
face du  champ  est  nivelée  aussi  complètement  que 
possible,  et  on  obtient  ce  résultat  par  des  labours 
dans  lesquels  la  terre  est  toujours  renversée  du 
même  côté. 

Les  labours  en  planches  et  les  labours  à  plat  ne 
présentent  pas  les  inconvénients  des  labours  en 
billons.  La  terre  peut  être  facilement  assai- 
nie par  des  rigoles  tracées  suivant  le  sens  de  la 
plus  grande  pente.  Tous  les  instruments  perfec- 
tionnés peuvent  être  employés  sur  les  champs 
labourés  suivant  l'un  de  ces  systèmes.  C'est  donc 
à  l'adoption  de  ces  labours  que  l'on  doit  pousser, 
quand  des  circonstances  particulières  ne  comman- 
dent pas  l'adoption  des  labours  i  billons.  Pour  la 
culture  des  plantes  qui  demandent  à  être  buttées 
dans  la  première  période  de  leur  végétation,  les 
planches  et  les  labours  à  plat  s'imposent  d'une 
manière  presque  absolue. 

Pour  être  profitables,  les  labours  doivent  être 
faits  aux  saisons  convenables.  La  condition  indis- 
pensable pour  leur  bonne  exécution  est  l'état 
favorable  de  la  terre.  Il  faut  (jue  celle-ci  soit 
dans  un  état  moyen  d'humidité,  et  surtout  qu'elle 
ne  présente  ni  excès  d'eau,  ni  excès  de  séche- 
resse. Quand  le  sol  est  trop  humide,  il  se  forme 
en  grosses  mottes  et  ne  s'ameublit  pas,  ce  qui  est 
le  but  principal  du  labour.  Si.  au  contraire,  il  est 
trop  sec,  il  oppose  souvent  une  très  grande  ré- 
sistance aux  instruments  ou  il  se  pulvérise  à 
l'excès. 

Quant  au  nombre  des  labours  que  doit  recevoir 
un  champ,  il  dépend  à  la  fois  de  la  nature  du  sol, 
de  la  récolte  qu'il  a  portée,  de  celle  qu'il  est 
destiné  à  recevoir,  etc.  11  est  donc  impossible  de 
donner  des  règles  absolues  à  cet  égard. 

[Henry  Sagnier.J 
LA  FONTAINE.  —  Littérature  française,  XIII.  — 
Jean  de  La  Fontaine,  né  le  8  juillet  IG21  à  Château- 
Thierry  en  Champagne,  où  on  lui  a  élevé  une 
statue,  était  d'une  bonne  famille  bourgeoise  du 
pays,  fils  de  Charles  de  La  Fontaine,  maître  des 
eaux  et  forêts,  et  de  Françoise  Pidoux,  fille  d'un 
bailli  de  Coulommiers.  Son  enfance  n'offrit  rien 
de  remarquable  ;  sa  première  éducation  fut  même 
assez  négligée.  Il  commença  ses  études  h  Château- 
Thierry  et  les  acheva  au  collège  de  Reims.  Doué 
d'une  imagination  vive,  il  lut,  au  sortir  du  collège, 
Lactance  et  quelques  livres  ascétiques  qui  firent 
snr  lui  une  telle  impression  qu'il  se  crut  la  voca- 
tion ecclésiastique  ;  il  entra  à  vingt  ans  aux  Orato- 
ricns  de  Reims,  puis  au  séminaire  de  Sâint- 
Magloire  :  peut-être,  après  tout,  sans  vouloir  suivre 
la  carrière  religieuse,  ne  voulait-il  prendre  que  les 
ordres  nécessaires  pour  obtenir  des  bénéfices.  Il 
se  repentit:  un  an  après,  renonçant  i  la  théologie, 
il  rentra  dans  le  monde  où  il  se  lit  remarquer  par 
ses  distractions,  son  indolence,  un  goût  vif  pour 
les  plaisirs  et  même  la  dissipation  :  il  menait  une 
vie  désœuvrée,  soit  dans  la  maison  paternelle,  Boit 
à  Reims,  qui  parait  avoir  été  le  théâtre  de  ses 
premières  erreurs  et  qu'il  aima  toujours  beau- 
coup. 


LA  FONTAINE 


—  1H4 


LA  FONTAINE 


On  a  raconté  partout  qu'un  an  après  sa  sortie 
du  séminaire,  âgé  de  viiigi-deui  ans,  il  entendit 
un  officier  en  garnison  à  Cliâteau-Thierry  lire 
l'ode  de  Malherbe: 


Que  dii 


i  futures.. 


Cl  que  cette  lecture  éveilla  chez  lui  le  génie  poéti- 
que. La  vérité  est  que  son  père  aimait  beaucoup  la 
poésie  et  l'engageait  à  la  cultiver,  et  que  le  jeune 
homme  avait  déjà  rimé  quelques  vers  de  circons- 
tance fort  prisés  à  Chàttau-Tliierry.  Toutefois  il  se 
passionna  dès  lors  pour  Malherbe,  il  le  lut  beau- 
coup, ainsi  que  Voilure  :  il  lut  encore  les  poètes  et 
les  conteurs  du  moyen  âge  et  du  .wi"  siècle,  les 
auteurs  anciens  et  étrangers  qu'il  s'essayait  à 
imiter.  Son  goût  le  portail  aux  écrivains  italiens. 
Tout  cela  risquait  de  l'égarer:  des  amis  le  sauvè- 
rent. Pintrel,  tisducteur  de  Sénèque,  et  lo  cha- 
noine Maucroix,  traducteur  de  Platon,  l'initiè- 
rent aux  œuvres  des  Grecs  et  des  Latins  :  cette 
étude  le  guérit  de  son  admiration  pour  le  bel 
esprit  à  la  mode;  Horace,  surtout,  lui  destilla  le^ 
yeux. 

Pendant  quatre  ans  il  ne  s'occupa  que  de  plaisirs 
et  de  poésie.  Cette  inutile  vie  de  province  ne  le 
menait  i.  rien.  Son  père,  pour  fixer  son  humeur 
volage,  lui  céda  sa  charge  et  le  maria  il  Marie 
Héricart,  fille  du  lieutenant  au  bailliage  de  la  Ferlé- 
Milon,  patrie  de  Racine,  un  autre  Champenois.  La 
Fontaine  avait  alors  vingt-six  ans  (l(i47)  :  c'était 
l'homme  le  moins  capable  de  liens ,  l'esprit  le 
moins  propre  aux  affaires  :  caractère  insouciant,  il 
négligea  sa  place  et  son  ménage  :  il  n'apprit  jamais 
son  métier,  et,  regardant  le  mariage  comme  un 
esclavage,  il  s'éloigna  peu  à  peu  du  toit  conjugal. 
Sa  femme  ne  manquait  ni  de  beauté  ni  d'esprit, 
elle  avait  même  de  l'inslruciion  et  du  goût,  et  son 
mari  la  consulta  plusieurs  fois  avec  profil  pour  ses 
vers.  Mais  elle  était  trop  jeune  (seize  ans)  pour 
prendre  de  l'empire  sur  lui:  dans  la  vie  inoccupée 
que  lui  faisait  son  mari,  elle  lisait  beaucoup  de 
romans  ;  elle  n'avait  ni  l'amour  de  l'ordre  et  du  tra- 
vail, ni  la  fermeté  de  caractère  qu'il  aurait  fallu  pour 
attacher  La  Fontaine.  Le  poète  qui  a  écrit  l'hilémou 
et  Baiicii,  la  plus  touchante  image  du  bonheur  de 
deux  époux  qui  ont  su  vieillir  ensemble  en  se  suf- 
fisant à  eux-mêmes,  était  peut-être  capable  de 
goiiler  les  calmes  et  sereine.s  jouissances  du  foyer 
domestique.  A  vrai  dire,  il  ne  parait  pas  qu'il  Ht 
de  grands  efforts  pour  vaincre  ses  penchants  vo- 
lages ;  et, après  plusieurs  séparations  momentanées, 
non  sans  avoir  doimé  à  sa  femme  bien  des  sujets 
de  plainte,  il  finit  par  l'abandonner  complètement. 
Dès  lors  sa  vie  n'eut  plus  rien  de  régulier  :  il 
vendit  peu  i  peu  pour  vivre  son  patrimoine,  mor- 
ceau par  morceau  : 

Jean  s'en  alla  comme  il  était  venu. 
Mangeant  le  londs  avec  le  re\enu. 

Du  moins  il  ne  mangea  pas  la  fortune  de  sa 
femme  :  séparée  de  biens,  elle  fut  à  l'abri  du  be- 
soin ;  il  semble  même  qu'elle  s  accommoda  de  l'i- 
solement. 

Plus  tard,  quand  La  Fontaine  était  h  Paris  de- 
puis longtemps  déjl,  ses  amis.  Racine,  Boileau, 
intervinrent  pour  opérer  un  rapprochement  entre 
sa  femme  et  lui.  Tout  le  inonde  connaît  cette 
anecdote.  Il  partit  pour  voir  sa  femme  à  Château- 
Thierry  et  se  rapprocher  d'elle.  Deux  jours  après, 
il  était  de  retour;  ses  amis  d'accourir,  empressés 
de  savoir  ce  qui  s'était  passé.  «  Eh  bien!  avez- 
vous  vu  votre  femme?  —  Eh!  non!  elle  était  au 
salut.  )i  La  Fontaine  était  trop  heureux  d'esquiver 
un  rapprochement  qu'il  redoutait,  ne  voulant 
point  se  plier  aux  devoirs  d'époux  ni  de  père.  11 
avait  eu  en  effet  un  fils  :  il  ne  s'en  occupa  pas 
plus  que  de  sa  femme.  On  a  raconté  que,  plus 
lard,  cet  enfant  devenu  grand,  son  père,  le  rencon- 


trant dans  le  monde,  sans  le  connaître,  le  trouva 
charmant,  mais  ne  s'en  soucia  point  davantage.  Il 
faut  se  méfier  de  ces  anecdotes  qui  expriment  plai- 
samment l'aversion  du  poète  pour  les  devoirs  de  la 
vie  positive.  Celle-ci  a  sans  doute  été  exai^érée  à 
plaisir,  comme  tant  d'autres  ;  on  sait  en  effet  que 
M"'"  de  la  Sablière  recommanda  cet  enfant  au  pré- 
sident de  Harlay,  qui  se  chargea  de  lui  :  à  qui 
fera-t-on  croire  que  le  père  n'ait  pas  connu  ces 
démarches  "?  I)isons  tout  de  suite  que  La  Fontaine, 
ce  semble,  n'aima  jamais  les  enfants  :  ce  petit 
peuple  dont  il  fallait  tant  s'occuper,  lui  parut 
toujours  exigeant,  importun,  insupportable. 

La  Fontaine  n'avait  encore  écrit  que  l'Eunuque, 
imitation  de  Térence,  où  l'invention  paraît  lui 
manquer  (1654),  lorsqu'il  fut  présenté  à  Fouquet 
par  un  oncle  do  sa  femme,  i.  Jaimart,  substitut 
au  parlement  de  Paris.  Fouquet  se  l'attacha  comme 
poète  et  lui  fit  une  pension  de  1,0U0  livres,  lui 
imposant  l'obligation  d'acquitter  chaque  trimestre 
de  rente  par  une  pièce  de  vers.  La  Fontaine  n'y 
manqua  jamais.  La  reconnaissance  ne  l'attacha  pas 
seule  au  surintendant  :  Fouquet  lui  plaisait  par 
les  qualités  de  sa  personne,  par  son  esprit,  son 
enjouement,  ses  grandes  manières.  Cette  situation 
dura  sept  ans  ;  elle  faisait  à  La  Fontaine  la  vie  la 
plus  conforme  à  son  humeur  ;  il  y  trouvait  une 
société  brillante,  une  véritable  cour  qui  préludait 
par  la  grâce,  par  l'éclat  des  lettres  et  des  arts,  au 
grand  siècle  de  Louis  XIV.  Le  plus  bienveillant 
accueil  y  fut  fait  à  La  Fontaine  :  les  hommes  les 
plus  distingués  par  leur  talent,  les  femmes  les 
plus  aimables  surent  l'apprécier.  C'est  là  qu'il 
connut  Molière  :  il  le  devina.  «  C'est  mon  homme,  » 
dit-il.  Molière  de  son  côté  comprit  la  valeur  (le 
La  Fontaine  :  «  Vos  beaux  esprits  auront  beau 
se  trémousser,  le  bonhomme  ira  plus  loin  que 
nous,  n 

La  disgrâce  de  Fouquet,  qui  appartient  à  l'his- 
toire politique,  donna  à  La  Fontaine  l'occasion  de 
montrer  une  vertu  rare,  la  fidélité  h  un  protecteur 
tombé  :  tandis  que  les  anciens  courtisans  du  su- 
rintendant, comblés  de  ses  faveurs,  se  taisaient 
ou  reniaient  leur  bienfaiteur,  la  reconnaissance 
inspirait  à  La  Fontaine  ses  premiers  accents  vrai- 
ment poétiques.  Son  Elégie  aux  Nt/7nphes  de  Vaux 
changea  en  pitié  l'anîmosité  publique  soulevée 
contre  Fouquet,  coupable  de  dilapidations,  coupa- 
ble surtout  d'avoir  déplu  à  Louis  XIV  que  des 
sentiments  de  jalousie  personnelle  de  diverse 
nature  poussèrent  à  des  rigueurs  excessives. 

Jannart,  exilé  à  Limoges  après  la  disgrâce  du 
surintendant,  emmena  avec  lui  (IBOï)  La  Fontaine, 
qui  a  fait  une  relation  très  agréable  en  prose  et 
en  vers  de  ce  voyage  :  il  y  décrit  les  villes,  les 
campagnes  qu'il  ne  fait  qu'apercevoir  en  passant, 
sans  rien  étudier  de  près  :  on  relit  encore  avec 
plaisir  ses  observations  faites  du  seuil  de  l'auberge 
où  il  relaie.  Le  vojage  n'est  cependant  pas  telle- 
ment rapide  qu'il  ne  l'utilise  pour  ses  plaisirs  et  la 
galanterie  :  la  relation  en  est  d'autant  plus  pi- 
quante qu'elle  est  adressée  à  sa  femme.  Revenu 
de  Limoges,  il  partage  son  temps  entre  Cliàteau- 
Thierry  et  Paris,  tantôt  avec  sa  femme,  tantôt 
seul,  jusqu'à  ce  que  la  séparation  fût  devenue 
définitive. 

C'est  à  ce  moment  qu'il  connut  la  duchesse  de 
Bouillon,  Marie-Anne  Mancini,  nièce  de  Mazarin, 
qui  était  venue  résider  dans  sa  terre  de  Château- 
Thierry  pendant  une  absence  de  son  mari.  La  du- 
chesse se  déclara  sa  protectrice,  et  la  Fontaine 
s'en  est  toujours  souverm  :  il  l'a  célébrée  jusque 
dans  les  derniers  efforts  de  iU  ?nuge  (Fables,  XII, 
n)  : 

Mazaiiu,  dos  amours  déesse  tutélairc. 

Elle  exerça  sur  la  direction  de  son  esprit  une 
influence  décisive  et  moralement  pernicieuse.  Bien 


LA  FONTAINE 


1115  — 


LA  FONTAINE 


(lUc  menant  uiir  vie  plus  régulière  que  ses  sœurs, 
la  ducliesRC,  licencieuse  d'imagination,  ne  s'effa- 
rouchait pas  de  la  liberté  des  mœurs,  et  pardon- 
nait volontiers  en  faveur  du  talent  aux  crudités  de 
la  muse  :  elle  seconda  do  toute  son  influence  l'in- 
clination naturelle  du  poète  pour  les  légèretés 
italiennes. 

En  IG64,  La  Fontaine  donna  ses  premiers  Cojiies 
et  Nouvelles  en  vers,  écrits  pour  la  duchesse  de 
Bouillon,  et  pour  la  plupart  imités  de  l'Arioste,  do 
Hoccace,  de  Machiavel.  Joconile  est  le  début.  Les 
lois  de  la  morale  et  de  la  décence  y  sont  trop  offensées 
pour  que  nous  en  parlions  ici.  La  Fontaine  s'y 
montra  un  conteur  par  excellence;  il  a,  dans  ce 
genre,  surpassé  les  Grecs  et  les  Romains,  les 
Italiens  du  nioyonàge,  la  reine  de  Navarre,  Marot 
lui-même,  et  n'a  pas  été  égalé  depuis,  même  par 
Voltaire. 

Il  avait  quarante-sept  ans  quand  il  commença 
à  publier  l'ouvrage  qui  a  fait  sa  réputation,  les 
Fables  que  tout  le  monde  connaît:  les  fruits  de 
l'automne  sont  les  plus  savoureux.  Les  premières 
parurent  en  Ui(!8  :  elles  étaient  dédiées  au  dau- 
phin, qui  avait  alors  six  ans  et  demi,  et  dont  le 
précepteur  était  le  président  de  Périgny  (car 
Bossuet  ne  fut  chargé  de  l'éducation  du  fils  de 
Louis  XIV  qu'en  1070).  Ces  fables  étaient  modeste- 
ment intitulées  FaOlea  d'Esope  mises  en  vers  pn 
M.  de  La  Fontaine.  Les  .six  premiers  livres,  ache- 
vés l'année  suivante,  devaient  former  l'ouvrage 
complet,  comme  le  prouve  l'épilogue  qui  les  ter- 
mine : 

BorDons  ici  notre  carrière  ; 

Les  liings  ouvrages  nie  font  peur. 

Loin  d'épuiser  une  matieie, 

Ou  n'en  doit  prendre  que  In  (leur. 

C'était  sa  manière,  c'était  sa  nature.  Il  dit 
ailleurs  : 

.te  suis  chose  légère  et  vole  a  tout  sujet  ; 

Je  vais  de  fleurs  en  fleurs  et  d'objet  en  objet. 

Cinq  autres  livres,  formant  une  troisième  et  une 
quatrième  partie,  parurent  seulement  en  16Î8  et 
lOlil  :  un  second  épilogue  les  termine.  Enfin,  en 
IGOO,  il  y  ajouta  un  douzième  et  dernier  livre,  qu'il 
dédia  au  duc  de  Bourgogne. 

On  a  encore  de  La  Fonlaine  le  Songe  de  Vaux, 
Adonis,  poème  mythologique  où  il  y  a  de  l'élé- 
gance, de  la  grâce,  le  sentiment  et  l'amour  de  la 
nature,  chose  rare  au  xvii'  siècle;  un  poème  sur 
le  Quinquina,  uu  autre  sur  la  Captivité  de  Saini- 
Malc,  des  épitres,  des  ballades,  des  rondeaux  : 
dans  tous  ces  ouvrages,  on  trouve  des  choses  di- 
gnes de  La  Fontaine,  une  imagination  brillante,  la 
magie  du  style.  Il  publia  encore  un  roman,  Psyché, 
imité  d'Apulée,  en  prose  niôlée  d'excellents  vers  : 
le  cadre  est  une  lecture  faite  à  la  campagne  dans 
Uiie  réunion  de  quatre  amis  «  dont  la  connaissance 
avait  commencé  par  le  Parnasse  »,  La  Fontaine, 
Boileau,  IWoliùre,  Racine,  sous  les  noms  de  Po- 
lyphile,  Ariste,  Gélaste,  Acanthe.  Molière,  Cor- 
neille et  Quinault  reprirent  cet  ouvrage  et  en 
firent  un  opéra  dont  Lulli  composa  la  musique. 
Enfin,  outre  VEunut/Uf,  La  Fontaine  a  composé 
quatre  ou  cinq  comédies  et  deux  opéras  qui  n'a- 
joutent rien  à  sa  gloire. 

Voili  toute  l'œuvre  de  La  Fontaine.  Depuis 
longtemps  il  avait  vendu  sa  charge  :  son  incapacité 
pour  les  affaires,  sou  insouciance  pour  ses  intérêts 
matériels,  son  peu  de  conduite  avaient  achevé 
d'anéantir  sa  petite  fortune.  Ses  amis  lui  ob- 
tinrent une  charge  de  gentilhomme  servant  de 
la  duchesse  douairière  d'Orléans,  Marguerite  de 
Lorraine,  veuve  de  Gaston,  qui  l'admit  parmi  les 
familiers  do  sa  petite  cour  du  Luxembourg. 
M°"  de  Montespaa  protégea  aussi  notre  poète,  qui 
dédia  !x  la  favorite  le  septième  livre  de  ses  fables, 
un  des  plus  beaux,  La  Fontaine   fut  lié  avec   les 


hommes  les  plus  illustres  de  son  temps,  et,  si 
l'on  en  excepte  le  bilieux  Furetière,  il  n'eut  pas 
d'ennemis.  Il  était  d'un  commerce  charmant;  les 
gejis  du  monde,  comme  les  écrivains,  le  recher- 
chèrent pour  la  supériorité  de  son  talent  et  le 
chérirent  pour  la  douceur  de  son  caractère,  dont 
une  candeur  enfantine  fut  toujours  le  trait  princi- 
pal. Ses  distractions  sont  célèbres  :  peut-être  est-il 
permis  d'y  voir,  outre  le  laisser-aller  d'une  nature 
indolente,  une  sorte  de  calcul  tin  pour  s'  oler  au 
milieu  des  importuns  et  sauver  cette  indu,  endance 
d'esprit  dont  il  était  si  jaloux. 

La  mort  de  la  duchesse  d'Orléans  avait  fait  re- 
tomber La  Fontaine  dans  une  position  précaire  : 
M""  de  la  Sablière  retira  le  ipiind enfant  chez  elle. 
C'était  une  femme  aussi  distinguée  par  los  qualités 
du  cœur  que  par  les  dons  de  l'esprit.  La  Fontaine 
retrouva  i  l'hôtel  de  la  Sablière  la  plus  brillante 
société  :  La  Fare,  l'ami  particulier  de  la  maîtresse 
de  la  maison,  Bernier,  que  Saint-Evremond  appe- 
lait le  joli  philosophe,  et  qui  initia  notre  poète  à  la 
philosophie  épicurienne  de  Gassendi,  plus  con- 
forme à  ses  goûts  que  celle  de  Descartes.  M""  de 
la  Sablière  fut  pour  lui  une  véritable  mère  et  lui 
épargna  les  mille  soucis  de  la  vie  pour  lesquels  il 
n'était  pas  fait.  Il  sentit  tout  le  prix  de  cette  ami- 
tié délicate.  C'était  juste  ce  qu'il  fallait  au  poète 
qui  a  écrit  ces  vers  charmants  : 

Qu'un  ami  véritable  est  une  douce  chose!... 
Le  vivre  et  le  couvert  :  que  faut-il  davantage!... 
Bon  soupe,  bon  gîte  et  le  reste. 

Pondant  vingt  ans,  la  sollicitude  de  M""  de  la  Sa- 
blière ne  se  démentit  pas  ;  elle  ne  crut  jamais 
pousser  trop  loin  son  rôle  de  tutrice  attentive,  qui 
contribua  sans  doute  à  entretenir  cet  état  do  per- 
pétuelle enfance  où  se  complaisait  le  bonhomme. 
Lasse  de  la  vie,  trompée  par  La  Fare,  délaissée  à 
son  tour  par  son  mari,  elle  se  retira  peu  à  peu  du 
monde  :  elle  réforma  sa  maison  et  ne  garda,  dit- 
elle,  «  que  ses  bêtes  :  son  chien,  son  chat  et  son 
La  Fontaine.  »  Surveillé  de  moins  près,  La  Fon- 
taine se  laissa  facilement  entraîner  par  les  princes 
de  Vendôme  et  toute  cette  société  d'aimables  et 
brillants  débauchés  qui  égayaient  le  fameux  hôtel 
du  Temple,  Chapelle,  Chaulicu,  La  Fare,  etc. 

En  Iti'j  i,  à  la  mort  de  sa  protectrice,  La  Fontaitie 
restait  encore  seul  à  soixante-douze  ans,  quand  la 
tutelle  et  l'appui  d'un  ami  lui  devenaient  plus  in- 
dispensables que  jamais  :  il  trouva  tout  cela  chez 
M.  d'Hervart,  conseiller  au  Parlement  de  Paris, 
un  des  amis  de  M'"'^  de  la  Sablière,  qui  vint  le 
chercher  :  «  Venez  loger  chez  moi.  —  J'y  allais  », 
répondit  La  Fontaine  avec  une  admirable  simpli- 
cité qui  honore  le  bienfaiteur  et  l'obligé.  M"'  d'Her- 
vart remplaça  M""  de  la  Sablière  dans  son  rôle 
maternel,  et  La  Fontaine  passa  le  reste  de  ses 
jours,  entouré  de  soins  ciue  l'àgo  rendait  plus 
touchants.  Sa  protectrice,  plus  jeune  et  plus  sage, 
lui  faisait  de  la  morale.  l\inon  aussi  prêchait  la 
sagesse  à  La  Fontaine,  qui  ne  la  pratiquait  pas,  pas 
plus  que  sa  conseillère. 

Il  jouissait  de  sa  gloire  de  son  vivant.  Féneloii 
apprenait  i  son  élève,  le  duc  de  Bourgogne,  à 
l'admirer  et  à  l'aimer.  Louis  XIV  seul  ne  lut  ren- 
dait pas  justice.  Le  poète  eut  beau,  comme  les 
autres,  payer  son  tribut  d'éloges  k  la  gloire  du 
grand  roi  :  il  n'eut  jamais  part  aux  faveurs  de 
Louis  ni  aux  bienfaits  dont  Colbert  était  le  dispen- 
sateur. On  ne  saurait  croire  que  le  roi  et  le  mi- 
nistre aient  gardé  si  longue  rancune  il  la  coura- 
geuse fidélité  de  l'ami  de  Fouquet.  Peut-être 
méconnurent-ils  la  valeur  d'un  genre  jusque-là 
modeste,  et  ne  comprirent-ils  pas  quels  trésors  y 
avait  épanchés  le  génie  du  poète  Car  on  ne  saurait 
croire  à  un  excès  de  vertueuse  indignation,  chez 
un  prince  si  peu  sévère  dans  sa  conduite,  contre 
l'auteur  de  contes  licencieux.  Madame  de  Mainte- 


LA  FONTAINE 


—  1116  — 


LANCASTIIE 


non  le  tint-elle  à  l'écart  des  faveurs  royales,  parce 
qu'il  l'avait  connue  quand  elle  n'était  que  la  femme 
■de  Scarron  ?  Quoi  qu'il  en  soit  de  ces  rigueurs 
officielles,  dont  Boileau  s'est  rendu  complice  en  ne 
parlant  pas  de  La  Fontaine  dans  son  Art  poélique, 
La  Fontaine  avait  soixante-trois  ans  quand  il  se  pré- 
senta à  l'Académie,  qui  fit  un  acte  d'indépendance 
unique  à  cette  époque  en  le  nommant  en  remplace- 
ment de  Colbert,  de  préférence  à  Boileau  que  pro- 
tégeait la  cour.  Le  roi  mécontent  refusa  son  adhé- 
sion. Une  nouvelle  vacance  eut  lieu  :  Boileau  fut 
nommé  à  son  tour.  "  Le  choix  que  vous  avez  fait  de 
M.  Despréaux,  dit  le  roi  aux  délégués  de  l'Acadé- 
mie, m'est  fort  agréable  ;  il  sera  approuvé  de  tout 
le  monde.  Vous  pouvez  maintenant  recevoir  La 
Fontaine  ;  il  a  promis  d'être  sage.  »  L'âge  avait 
d'ailleurs  amendé  le  caractère  et  les  mœurs  du 
fabuliste.  Tne  maladie  grave  qui  faillit  l'emporter 
le  ramena  à  la  religion  qu'il  avait  fort  négligée 
toute  sa  vie.  Son  confesseur  le  tourmentait,  au 
grand  étonnement  de  sa  garde-malade  qui  trou- 
vait que  «  le  bon  Dieu  n'aurait  pas  le  courage  de 
le  damner.  »  Il  fit  amende  honorable  pour  ses 
Contes.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  ;  il  désirait  vi- 
vement en  publier  une  dernière  édition,  offrant 
naivemcnt  d'en  donner  le  produit  aux  pauvres.  11 
se  repentit  de  son  mieux  des  erreurs  de  sa  jeu- 
nesse, et  les  expia  par  des  exercices  d'une  aus- 
tère piété.  Il  y  eut  bien  quelques  rechutes  : 


Proniettr^ 


;  et  tenir  est  un  autre. 


C'est  ainsi  que  le  cinquième  et  dernier  li- 
vre de  ses  (ouïes,  publié  depuis  sa  conversion, 
est  aussi  licencieux  que  les  premiers.  Toutefois, 
ses  dernières  lettres  à  Maucroix  le  montrent  tout 
aux  sentiments  religieux.  Sa  mort  fut  douce  :  il 
s'éteignit  le  13  avril  1695  à  l'hôtel  d'Hervart. 

Rien  ue  trouble  sa  ùd,  c'est  le  soir  (l'un  beau  jour, 

Maucroix,  en  apprenant  sa  mort,  écrivit  :  «  Nous 
avons  été  amis  plus  de  cinquante  ans...  Je  lai 
tendrement  aimé,  autant  le  dernier  jour  que  le 
premier...  C'était  l'âme  la  plus  sincère  et  la  plus 

■candide  que  j'ai  connue.  Jamais  de  déguisements. 
Je  ne  sais  s'il  a  menti   de  sa   vie.  » 

Il  est  difficile  de  faire  un  choix  parmi  ses  plus 
belles  fables.  Citons  pourtant  :  Le  Loup  et  l'A- 
g7ieou,Le  Chêne  el  le  Rust-au,  Le  Chat  et  le  vieux 
Hat,  Les  Animaux  malmtes  de  la  peste.  Le  Héron, 
Les  Deux  Piyeins,  Le  Chat,  la  Belette  et  le  petit 
Lapin,  La  Laitière  et  Ir-  Pot  au  lait.  Le  Vieillatdet 
les  trois  jeu7>es  hommes.  Le  Pai/sau  du  Danulte. 
Ce  sont  autant  de  chefs-d'œuvre,  et  l'on  pourrait 
en  multiplier  la  liste. 

La  Fontaine  a  peu  inventé  :  il  emprunte  ses 
fables  à  Esope,  à  Pilpai,  à  Phèdre,  au  moyen  âge, 

^  la  Renaissance.  Mais 

Son  imitation  n'est  pas  un  esclavage. 

11  imite  de  façon  à  avoir  mérité  le  nom  d'inimi- 
table. Il  dérobe  les  ajiciens,  et  nul  n'a  été  plus  ori- 
ginal ;  il  est  tellement  créateur  dans  ce  genre, 
que  La  Fontaine  n'est  plus  le  nom  d'un  fabuliste, 
mais  le  synonyme  même  de  la  Fable.  Ce  qui  le 
■distingue  surtout,  c'est  la  vérité,  la  vie  :  il  ne  con- 
naît pas  l'abstraction,  il  rend  l'humanité  visible 
dans  une  action  continue  qui  est  la  peinture  la 
plus  vivante  de  l'honinic  de  tous  les  temps  et  de 
la  société  du  xvn"  siècle.  Ses  fables  sont 

:  cent  actes  divers 
l'univers. 

Les  auteurs  de  ces  drames  sont  tout  le  monde, 
nous,  nos  semblables.  Les  bêtes  nous  prêtent 
leur  masque  et  leur  langage  (V.  Fable).  .Mais  c'est 
aussi  une  épopée  véritable  el  ([ui  descend  en 
droite  ligne  des   vastes   épopées  du  moyen  âge; 


elle  représente  toute  la  société,  rois,  nobles,  cu- 
rés, moines,  magistrats,  bourgeois,  paysans. 

On  a  contesté  la  moralité  des  fables  de  La 
Fontaine  :  il  est  nécessaire  de  réfuter  ici  cette 
erreur.  Le  poêle  ne  tire  pas  toujours  directement 
la  morale  de  ses  récits,  sans  doute  ;  il  ne  fait  pas 
la  fable  pour  la  morale,  comme  La  Motte  ;  il  la 
laisse  découler  des  faits  qu'il  généralise.  Ce  n'est 
pas  sa  faute  si 

La  raison  du  plus  fort  est  toujours  la  meilleure... 

Selon  que  vous  serez  puissant  ou  misérable, 

Les  jugements  de  cour  vous  rendront  blanc  ou  noir, 

etc.,  etc.  Il  en  va  ainsi  dans  le  monde.  Bousseau 
et  Lamartine,  qui  ont  entre  autres  critiqué  la 
moralité  de  ces  fables,  n'ont  pas  compris  que  La 
Fontaine  nous  fait  voir  ce  qui  est,  et  que  c'est  à 
chacun  de  nous  â  tirer  la  leçon  des  faits.  La  na- 
ture a  ses  lois  invariables  ;  il  nous  les  met  sous 
les  yeux  et  les  dégage  à.  la  lumière  d'une  mise 
en  scène  admirable  :  à  nous  de  conclure,  comme 
dans  la  vie.  Lessing  a  essayé  de  refaire  les  fables 
de  La  Fontaine  pour  les  rendre  plus  «  morales  »  : 
il  en  a  fait  des  bei  quinadei  plus  puériles  qu'hon- 
nêtes, innocentes,  vertueuses,  mais  qui  n'ont  rien 
de  réel.  \e  dissimulons  pas  la  vérité  à  l'enfant  : 
devenu  homme,  il  viendrait  se  heurter  douloureu- 
sement à  la  réalité. 

Il  est  une  autre  erreur  que  nous  devons  relever. 
On  a  pu  croire  que  La  Fontaine  écrivait  facile- 
ment. La  duchesse  de  Bouillon  l'avait  appelé  son  fa- 
blier,  croyant  qu'il  produisait  des  fables  natu- 
rellement, sans  effort,  comme  un  pommier  produit 
des  pommes.  Elle  n'avait  pas  compris  ce  que  ce 
style  si  naturel  et  si  facile  cache  d'art,  de  travail  : 
«  ses  négligences  mêmes  ne  sont  pas  toutes  des 
bonnes  fortunes,  c'est  le  fruit  d'un  art  pro- 
fond et  caché.  »  (Tissot.)  C'est  une  perfection  sa- 
vante. Aussi,  sa  langue  est-elle  à.  lui  ;  c'est 
la  plus  personnelle  que  jamais  écrivain  ait 
parlé,  sans  excepter  Molière.  Une  seule  qua- 
lité lui  est  naturelle,  c'est  la  naïveté  :  il  la  doit 
à  la  sincérité  de  son  âme;  il  ne  l'a  pas  cherchée. 
La  Motte  ne  la  connaît  pas,  qui  l'a  poursuivie. 

Chamfort  a  porté  sur  La  Fontaine  ce  jugement,  qui 
est  définitif  :«  Il  offrit  le  singulier  contraste  d'un  con- 
teur trop  libre  et  d'un  moraliste  excellent  :  il  re- 
çut en  partage  l'esprit  le  plus  fin  qui  fut  jamais,  et 
devint  en  tout  temps  le  modèle  de  la  simplicité.  Il 
posséda  le  génie  de  l'observation, même  de  la  satire, 
et  ne  passa  jamais  que  pour  un  bonhomme.  II 
dérobe  sous  l'art  d'une  négligence  parfois  réelle 
les  artifices  de  la  composition  la  plus  savante,  fait 
ressembler  l'art  au  naturel,  souvent  même  à 
l'instinct  ;  cache  son  génie  par  son  génie  môme..., 
et  fut,  dans  le  siècle  des  grands  écrivains,  sinon  le 
premier,  du  moins  le  plus  étonnant.  » 

Finissons  par  ces  lignes  de  Féueion  :  «  Lisez-le, 
et  dites  si  Anacréon  a  su  badiner  avec  plus  de 
grâce,  si  Horace  a  paré  la  philosophie  et  la  mo'- 
raie  d'ornements  plus  variés  et  plus  attrayants;  si 
Térence  a  peint  les  mœurs  des  hommes  avec  plus 
de  naturel  et  de  vérité  ;  si  Virgile,  enfin,  a  été 
plus  touchant  et  plus  harmonieux,  n 

[A.  Pressard.] 

LAIT.  —  V.  Aliments. 

LANCASTRE.  —  Histoire  générale,  XXVIll.  — 
Nom  d'une  branche  de  la  famille  des  Plantagenets, 
qui  a  donné  trois  rois  à  l'Angleterre.  Henri  IV, 
Henri  V  et  Henri  VI.  La  maison  de  Lancastre  ayant 
dans  ses  armes  une  rose  rouge,  on  appelle  aussi 
ces  trois  souverains  rois  de  la  rose  rouge,  par  op- 
position aux  rois  de  la  rose  blanche  ou  de  la  mai- 
son d'York. 

Henri  IV,  OU  Henri  de  Bolingbroke  (les  prin- 
ces anglais  ajoutaient  i  leur  nom  le  nom  delà  ville 
où  ils  étaient  nés!,  né  en  136",  eut  |)Our  père  Jean 
de  Gand,  duc  de  Lancastre  et  troisième   fils  d'E- 


LANCASTHE 


—  1117  — 


LANGAGK 


(limard  III.  Le  roi  Ricliiiril  II,  successeur  et  putit- 
tils  d'Iîdouard  Hl,  avait  banni  et  dépouille  do  ses 
hiensson  cousin  Henri  :  celui-ci,  réfugié  en  France, 
forma  un  complot  dans  le(|ucl  entrèrent  la  plu- 
part des  grands  seigneurs  anglais.  Comptant  sur 
le  mécontentement  causé  par  la  tyrannie  de  Ri- 
chard, il  tenta  un  débarquement  à  la  tète  de  quel- 
fines  partisans,  et  vit  bientôt  la  plus  grande  partie 
de  la  nation  se  rallier  à  lui.  Uicliard  H,  fait  pri- 
sonnier, dut  abdiquer,  et  le  Parlement  donna  la 
couronne  h  Henri  de  Bolingbroke  (131)9).  Par  cet 
acte  se  trouvaient  écartées  du  trône,  au  profil  de 
la  famille  de  Lancastre  ,  non  seulement  la  bran- 
die aînée  des  Plantagenets,  en  la  personne  du  roi 
déposé,  mais  encore  la  descendance  du  dnc  de 
Clarence,  second  fils  d'Edouard  III. 

Quelques  amis  du  souver.iin  déchu  tentèrent  un 
soulèvement;  ils  furent  vaincus,  et  Richard  fut 
mis  k  mort  dans  sa  prison  (I4U0).  Un  peu  plu; 
tard,  une  autre  révolte,  celle  du  comte  de  Porcy 
et  de  son  fils,  !e  fameux  Hotspw,  mit  en  danger 
le  trône  d'Henri  IV  ;  les  Gallois  avaient  pris  parti 
pour  les  rebelles.  Ceux-ci  furent  néanmoins  défaits 
à  la  bataille  de  SInewsbury ,  où  périt  Ilotspur 
(1403).  Plusieurs  fois  encore,  Henri  IV  eut  à 
lutter  contre  des  tentatives  de  révolte.  Aussi,  pour 
consolider  son  pouvoir,  s'appuya-t-il  sur  l'Église 
d'une  part,  dont  l'influence,  ébranlée  quelques 
années  auparavant  par  les  prédications  de  VViclefT, 
s'exerça  au  profit  de  la  maison  de  Lancastre  ;  et 
(l'autre  part  sur  le  Parlement,  à  qui  Bolingbroke  de- 
vait sa  couronne,  et  qui  obtint  par  cette  raison 
une  part  considérable  dans  le  gouvernement. 
Henri  IV  mourut  en  U13. 
Henri  'V,  de  Monmouth,  succéda  à  son  père 
Henri  IV.  Il  avait  dans  sa  jeunesse  mené  l'exis- 
tence la  plus  dissipée  ;  Shakespeare  en  a  retracé 
quelques  épisodes  dans  les  deux  parties  de  son 
drame  û' Henri  IV,  en  immortalisant  sous  le  nom 
de  Falstaff  l'un  des  compagnons  de  débauche  du 
jeune  prince.  Mais,  i  peine  sur  le  trône,  Henri  V 
montra  toutes  les  qualités  d'un  souverain  à  la  fois 
ferme  et  prudent.  Il  continua  la  politique  de  son 
père  à  l'égard  de  l'Église  et  du  Parlement;  et, 
voyant  l'occasion  favorable,  il  résolut  de  récla- 
mer de  la  Franco  l'exécution  du  traité  de  Brétigny. 
Lors  de  la  déposition  de  Richard  II,  le  duc  d'Or- 
léans, qui  gouvernait  alors  la  France  au  nom  de 
son  frère  Charles  VI,  avait  refusé  de  reconnaître 
l'usurpateur  Bolingbroke  comme  roi  d'Angleterre. 
Or,  c'était  justement  le  parti  d'Orléans  ou  des 
Armagnacs  qui,  en  I4I3, après  l'écrasement  des  Ca- 
bochiens,  venait  de  ressaisir  le  pouvoir  à  Paris. 
Henri  V  déclara  la  guerre  il  Charles  VI,  gagna  la 
bataille  d'Azincourt,  et  obtint,  par  le  traité  de 
Troyes,  plus  qu'il  n'avait  demandé  d'abord.  De- 
venu gendre  et  héritier  de  Charles  VI,  il  mou- 
rut en  14"J2.  Il  laissait  un  fils  au  berceau. 
Il  Henri  de  Monmouth,  dit-il  à  son  lit  de  mort, 
aura  régné  peu  et  conquis  beaucoup  ;  Henri  de 
Windsor  régnera  longtemps  et  perdra  tout.  » 

Henri  VI,  de  \A  indsor,  fut  proclamé  roi  de 
Franco  et  d'Angleterre  à  la  mort  d'Henri  V.  Après 
un  règne  long  et  malheureux,  il  devait,  selon  les 
paroles  prophétiques  de  son  père,  perdre  ses 
deux  couronnes.  Nous  avons  raconté  ailleurs  (V. 
(iufrre  (le  C'eil  Ans)  comment  les  Anglais  furent 
chassés  de  France. La  trêve  de  Tours  (1444)  mil  fin 
à  la  longue  lutte  entre  les  deux  peuples  voisins,  et 
Henri  VI  épousa  alors  une  princesse  française,  Mar- 
guerite d'Anjou.  Mais  bientôt  éclata  la  sanglante 
guerre  civile  des  Deux  Roses,causée  par  les  préten- 
tions de  la  maison  d'Yoïk, qui  avait  hérité  des  droiis 
de  la  maison  de  Clarence, et  qui  revendiquait  la  cou- 
ronne {V.  Guêtre  des  neu.rlioses}.  llanri  VI,  faible 
d'esprit,  était  incapable  de  défendre  lui-même  son 
autorité  ;  mais  Marguerite  d'Anjou  déploya,  dans 
la  lutte  implacable  engagée  onlre  les  deux  mai- 


sons rivales,  une  énergie  virile.  Elle  ne  put  em- 
pêcher toutefois  la  défaite  du  parti  de  la  rose 
rouge.  Henri  VI,  fait  prisonnier  une  première  fois 
par  ses  adversaires,  puis  délivré,  retomba  entre 
les  mains  d'Edouard  IV  d'York,  fut  rétabli  un  ins- 
tant sur  le  trône  en  14T0,  par  Warwick,  puis, 
captif  de  nouveau,  fut  mis  à  mort  en  1411. 

LANGAGH.  —  Psychologie, XIV.  — Dans  son  ac- 
ception la  plus  générale,  le  mot  lanr/age  désigne 
tout  système  de  signes  destinés  à  exprimer  les 
sentiments  ou  la  pensée.  Par  suite,  on  peut  dis- 
tinguer autant  d'espèces  de  langage  qu'il  y  a  d'es- 
pèce de  signes  pouvant  servir  à  établir  entre  les 
hommes  la  communication  dos  pensées  ou  des  sen- 
timents. L'ancien  télégraphe  aérien  étaitainsi  uns 
sorte  de  langage  ;  de  même  les  signaux  de  ma- 
rine, encore  en  usage  aujourd'hui.  Los  Orientaux 
ont  composé  un  langage  symbolique  par  le  moyen 
des  fleurs,  etc. 

Les  mouvements  du  corps  (jeux  des  muscles  du 
visage  ou  physionomie,  gestes)  sont  également  un 
langage,  et  celui-lh.  très  expressif  et  très  varié. 
Néanmoins,  sauf  chez  les  sourds-muets,  il  ne  fait 
qu'accompagner,  accentuer  le  langage  articulé, 
qui  est  la  manifestation  la  plus  parfaite  du  lan- 
gage vocal  ou  auditif. 

n  L'organe  qui  est  le  siège  de  la  voix  est  le  la- 
rynx.  La  voix  est  produite  par  l'air  expiré  qui,  exer- 
çant une  certaine  pression  sur  ce  qu'on  appelle  les 
cordes  vocales,  les  fait  entrer  en  vibration.  Or  les, 
sons  de  la  voix  sont  de  deux  sortes,  articulés  ou 
innrticulcs. 

n  On  appelle  articulés  les  sons  qui,  ayant  leur 
origine  dans  le  larynx,  sont  modifiés  au  passage 
par  le  pharynx,   la  bouche  et  les  fosses  nasales... 

»  Les  sons  inarticulés,  qui  ne  subissent  pas  ces 
modifications,  s'appellent  les  cris. 

»  Les  sons  articulés  sont  ce  que  l'on  appelle  la 
parole. 

"  Le  langage  inarticulé  est  commun  à  l'homme 
et  aux  animaux  ;  le  langage  articulé  est  propre  h. 
l'homme.  Quelques  animaux  sont  capables  d'ar- 
ticuler des  sons  ;  mais  ils  ne  s'en  servent  pas 
comme  d'un  langage,  c'est-à-dire  pour  exprimer 
leurs  besoins.  Lorsque  le  perroquet  a  faim,  il  crie, 
il  ne  parle  pas.  La  parole  est  pour  lui  un  amuse- 
ment, non  un  instrument  de  communication  avec 
ses  semblables.  «  (P.  Janet.) 

Une  des  distinctions  les  plus  généralement  usi- 
tées, est  celle  qu'on  établit  entre  le  langage  natu- 
rel et  le  langage  artificiel.  Le  langage  naturel 
comprend  les  signes  que  l'homme  emploie  indé- 
pendamment de  toute  réflexion  et  de  toute  volonté: 
tels  sont  les  cris  de  la  douleur,  de  la  joie,  de  la 
colère,  etc.,  et  en  général  tous  les  gestes,  toutes 
les  attitudes  qui  traduisent  les  émotions  ou  les 
passions  les  plus  simples.  Les  deux  caractères 
principaux  des  signes  naturels,  c'est  qu'ils  sont 
idoniiques  chez  tous  les  hommes  sous  l'empire  de 
la  même  passion  (i  moins  que  par  un  elTort  éner- 
gique et  assez  difficile  de  la  volojité  la  manifesta- 
tion extérieure  de  la  passion  ne  soii  supprimée)  ; 
c'est  ensuite  qu'ils  sont  instinctivement  compris 
par  tous  les  hommes,  de  la  même  manière,  comme 
expression  d'une  passion  donnée. 

Le  langage  artificiel  ou  conventionnel  est  formé 
par  des  signes  inventés  ou  choisis  expressément 
et  arbitrairement  par  les  hommes.  Il  est  évident 
que  pour  une  même  idée  les  signes  artificiels  peu- 
vent varier  il  l'infini,  et  qu'ils  ne  sont  compris  que 
de  ceux-là  .seuls  qui  sont  au  courant  de  la  conven- 
tion. Parmi  les  différentes  espèces  de  langages 
artificiels,  il  faut  citer,  suivant  M.  Janet  :  1°  les 
langues  scientifiques,  notatnnnint  la  nomenclature 
chimique,  la  langue  algébrique,  la  nomenclature 
botanique;  2°  la  notation  musicale;  3"  les  chif- 
fres ;  4"  le  langage  sténographique,  l'écriture,  les 
systèmes  de  signaux  dont  il  a  été  parlé  plus  haut , 


LANGAGE  -1118-  LANGAGE 

t.  'vKZ'TvZr^j''::TZ'^  "''""''  "-  ''^^»"^  1  P"^  ^"  t.a,.lornn.n,e.  que  le  chant  fut  le  , 


savo 
la 

signes  artificiels.  D'une  part,  il  semble  que  les 
mots  qui  composent  toutes  les  langues  con- 
nues n'ont  avec  les  idées  qu'ils  expriment  que 
de  rapports  purement  conventionnels;  autrement, 
une  seule  langue  devrait  exister,  dont  tous  les 
hommes  auraient  l'intelligence  sans  l'avoir  jamais 


parfois  prodigieuse  de  la  musique' comme  expres- 
sion   de  la  passion. 

Qu'on  nous  permette  ici  de  nous  citer  nous- 
mênie,  en  nous  résumant: 

"  Diminuez  le  volume  de  la  voix,  supprimez  les 
notes  qui  dépassent  une  certaine  hauteur  moyenne, 


langues  modernes  dérivent  de  langues  plus  an 
tiennes,  mortes  aujourd'hui,  et  ces  dérivations 
s'accomplissent  suivant  des  lois  nullement  arbi- 
traires que  déterminent  les  philologues.  Et  en  re- 
montant aussi  haut  qu'il  nous  est  possible  dans  le 
passé,  nous  ne  saurions  trouver  l'homme  de  génie 
qui  fut  l'inventeur  du  langage,  si  rudimentaire 
qu'on  veuille  le  supposer  à  l'origine.  En  sorte  que 
la  parole  paraît  bien  être  le  produit  spontané  d'une 
faculté  essentielle  à  l'âme  humaine,  l'expression 
naturelle  de  la  pensée. 

C'est  là  le  problème  célèbre  de  l'origine  du  lan- 
gage, problème  si  souvent  agité  par  les  philoso- 
phes, depuis  Pythagore,  Démocrite  et  Platon  jus- 
qu'à nos  jours.  Parmi  les  solutions  qu'il  a  reçues, 
mentionnons,  mais  seulement  pour  mémoire,  celle 
de  M. de  Bonald,  pour  qui  le  langage  était  l'œuvre 
de  la  révélation,  et  avait  été  directement  donné 
par  Dieu  au  premier  homme.  Hypothèse  à  peine 
digne  de  la  discussion,  si  l'on  entend,  comme  on 
le  fait  ordinairement,  que  l'iiomme  reçut  de  Dieu 
une  langue  toute  faite,  et  dont  toutes  celles  qui 
ont  été  parlées  depuis  ne  sont  que  des  images  dé- 
figurées; mais  peut-être  est-ce  pousser  la  doctrine 
de  M.  de  Bonald  au  deh'i  de  ce  qu'il  a  voulu 
dire. 

L'hypothèse  du  langage  considéré  comme  une 
invention  purement  artificielle,  a  été  soutenue  par 
Démocrite  et  réfutée  avec  éclat  dès  l'antiquité  par 
Lucrèce.  Un  si  merveilleux  instrument  ne  saurait 
être  l'œuvre  volontaire  et  réfléchie  d'une  intelli- 
gence qui  ne  l'aurait  pas  déjà  à  son  service.  «  La 
parole,  dit  Rousseau,  serait  nécessaire  pour  in- 
venter l'usage  de  la  parole.  » 

La  troisième  hypothèse,  généralement  adoptée 
de  nos  jours,  fait  du  langage,  comme  nous  le  di- 
sions tout  à  l'heure,  le  produit  spontané  d'une  fa- 
culté essentielle  à  l'âme  humaine,  l'expression  na- 
turelle de  la  pensée.  Mais,  ainsi  présentée  cette 
solution,  dont  se  contentaient  Joufîroy  et  Garnier 
est  vague  et  superficielle.  Elle  ne  saurait  suffire' 
en  présence  de  la  théorie  transformiste  et  des  tra- 
vaux des  philologues  contemporains,  qui  ont  en- 
tièrement  renouvelé  le  problème. 

On  sait  que,  pour  les  transformistes,  l'homme 
dérive  dune  espèce  animale,  aujourd'hui  éteinte 
et  qui  fut  la  souche  commune  de  tous  les  singes 
anthropomorphes.  Ceux-ci  sont  donc,  comme  on 
1  a  dit,  non  pas  précisément  nos  ancêtres  mais 
nos  cousins  germains.  Attribuant  ainsi  une  origine 
purement  animale  au  genre  humain,  le  transfor- 
misme ne  saurait  reconnaître,  sans  se  contredire 
lui-même,  1  existence  d'une  faculté  du  langage  qui 
soit  le  privilège  exclu-.if  de  l'homme,  et  e^tablisse 
une  barrière  infranchissable  entre  lui  et  l'animal. 
Mais  entre  le  cri  de  la  bète  et  le  verbe  qui  traduit 
la  pensée  humaine,  quel  abîme  !  et  comment  le 
combler  ?   Le   chef  du    transform 


.  que  le  ton  passionné 

se  soit  abaisse  peu  à  peu  à  celui  de  la  raison  tran- 
quille. .N'est-ce  pas  là  ce  que  confirme  la  marche 
historique  de  l'esprit  humain?  La  prose  n'est-elle 
pas  née  partout  de  longs  siècles  après  la  poésie 
qui,  à  l'origine,  se  confondit  avec  le  chant  ? 

»  L'explication  précédente  rend  à  peu  près  compte 
de  l'évolution  générale  de  l'expression  vocale; 
mais  elle  ne  nous  apprend  pas  d'où  est  sorti  l'élé- 
ment même  du  langage  articulé,  le  mot.  Sur  ce 
nouveau  point,  qui  est  décisif,  le  transformisme 
aurait,  semblet  il,  gain  de  cause,  s'il  pouvait  éta- 
blir que  le  mot  est  dérivé  naturellement,  soit  des 
interjections  inarticulées,  qui  traduisent  les  senti- 
ments primordiaux  de  l'âme  humaine,  soit  de  l'i- 
mitation des  sons  extérieurs,  et  particulièrement 
du  cri  des  animaux.  Rien,  en  elTet,  ni  dans  l'in- 
terjection, ni  dans  l'imitation,  qui  dépasse  les  ca- 
pacités mentales  des  animaux  supérieurs.  » 

D'éminents  philologues,  notamment  l'illustre 
Max  Millier,  se  sont  attachés  à  montrer  que  l'une 
et  l'autre  était  également  insuffisante  pour  expli- 
quer l'origine  des  mots.  C'est  aux  racines  que 
Max  Muller  attribue,  pour  la  formation  du  langage, 
une  importance  décisive  ;  elles  marquent,  selon  lui, 
le  point  précis  où  commence  la  parole  vraiment 
humaine,  et  établissent  entre  le  langage  émotion- 
nel, qui  pourrait  nous  être  commun  avec  la  bête, 
et  le  langage  intellectuel,  qui  nous  appartient 
en  propre,  une  ligne  de  démarcation  infranchis- 
sable. 


,,    Tx       •       .  jusme   contempo- 

rain,   M.  Darwin,    inrlme    à  croire  que   le  chant 
pourrait  bien  fournir  la  transition  cherchée 

Il   semble  en  efi'et   prouvé  que  certains  singes 
peuvent  produire    une   série  régulière    de  note 


Mais  de  graves  autorités  repoussent  aujourd'hui 
la  tliéorie  de  Max  Muller.  On  peut  toujours  se  de- 
mander, en  efi'et,  d'où  viennent  les  racines  elles- 
mêmes.  Max  Muller  refuse  de  poser  cette  ques- 
tion, sous  prétexte  qu'elle  échappe,  par  sa  nature, 
aux  conditions  de  la  science  expérimentale.  Sans 
doute,  si  l'on  s'en  tient  aux  langues  entièrement 
constituées  et  susceptibles  d'être  étudiées  dans 
des  monuments  écrits,  on  ne  peut  remonter  au 
delà  des  racines  et  on  doit  les  considérer  comme 
les  éléments  ultimes  auxquels  l'investigation  po- 
sitive puisse  atteindre.  Mais  ces  limites  relative- 
ment étroites,  l'induction  peut  essayer  de  les  fran- 
chir. D'autre  part,  les  innombrables  idiomes  des 
tribus  sauvages  ont  beaucoup  à  nous  apprendre, 
et  en  recueillant  et  concentrant  ces  diverses  sour- 
ces d'information,  plusieurs  philologues  contem- 
porains sont  arrivés  à  cette  conclusion  que  l'in- 
terjection, l'onomatopée,  l'imitation  des  bruits 
extérieurs  ou  des  cris  des  animaux,  suffisent  pour 
expliquer  l'origine,  sinon  de  tous  les  mots,  au 
moins  d'un  fort  grand  nombre.  Par  là  se  trouve 
confirmée  la  théorie  que  Platon  proposait  déjà  dans 
le  dialogue  du  Cratyle. 

Selon  lui,  les  articulations  les  plus  simples, 
voyelles  ou  consonnes,  sont  limitation,  par  l'or- 
gane vocal,  de  certaines  qualités  élémentaires 
des  objets.  Ainsi  la  lettre  R,  pour  la  prononcia- 
tion de  laquelle  la  langue  tourne  rapidement,  a 
dû  traduire  naturellemeut  le  mouvement.  Dans 
la    prononciation  du  D  et  du  T   au   contraire,  la 


mtrsicàles'^   On  nent  ronfeè',''  '''^"T^  '^'  "°'<'^    '^"8"'=    P^''^^'''    ^PP»'«-  ^''"^''>  P»"^  ""'«'  dire, 
musicales.   On  peut  conjecturer,  selon  les  prinei-    contre  les  dents  ou  le  palais  ;  l'analogie  a  du  con- 


LANGAGE 


—  1119 


LANGAGE 


duii'e  à  expiiiiier  par  ces  lettres  ou  par  des  syl- 
labe» qui  les  renferment,  les  qualités  de  stabilité, 
lie  repos.  Platon  examino  successivement  à  ce 
point  de  vui!  les  articulations  primitives,  et  essaie 
d'en  déterminer  la  signification.  Les  applications 
de  détails  de  cette  théorie  peuvent  sembler  par- 
fois puériles  ;  mais  le  principe  en  est  accepté 
par  les  plus  autorisés  des  pliilosoplios  contempo- 
rains. 

On  voit  par  là  quel  rôle  considérable  l'analogie 
a  dû  jouer  dans  la  formation  des  mots.  N'est-ce 
pas  en  effet  procéder  par  analogie  que  de  peindre 
avec  des  sons  articulés  la  rapidité,  la  lenteur,  la 
stabililé,  et  généralement  les  propriétés  exté- 
rieures des  objets  ?  Mais  dans  cette  voie,  les  pro- 
grés sont  en  quelque  sorte  illimités.  Si,  par 
e«emple,  une  articulation  rapide  et  brève  traduit 
i  l'oreille  un  mouvement  de  même  nature,  elle 
pourra  aussi  bien  donner  l'idée  d'un  espace  court, 
car  un  tel  espace  est  vite  parcouru;  par  suite,  elle 
exprimera  tout  objet  petit,  faible,  insignifiant. 
C'est  encore  h  l'analogie  qu'il  faut  rapporter  ce 
procédé,  si  fréquent  dans  les  idiomes  sauvages, 
de  la  répétition.  Il  servira  k  traduire,  tantôt  la 
continuation  de  l'action,  tantôt  l'agent  ou  l'instru- 
ment de  celte  action,  tantôt  la  grandeur  pu  la  pe- 
titesse de  l'objet. 

Il  faut  admettre  enfin  qu'à  l'origine,  ces  diffé- 
rents procédés  ont  donné  naissance  dans  le  même 
idiome  à  plusieurs  formes  diverses  pour  traduire 
la  même  idée.  Les  formes  les  plus  simples,  les 
plus  intelligibles,  ont  peu  à  peu  éliminé  leurs  ri- 
vales. Ce  travail  inconscient  de  sélection  dut  être 
d'autant  plus  rapide,  que  l'idiome  était  de  form,i- 
tion  plus  récente  ;  par  suite,  des  dialectes  sortis 
d'une  souche  commujie  ont  dû  promptement  di- 
verger, au  point  que  leur  parenté  devint  prompte- 
ment méconnaissable. 

Mais  si  la  philologie  la  plus  récente  semble 
aboutir  à  des  conclusions  assez  différentes  de  celles 
de  Max  Mullor  sur  la  question  de  l'origine  du  lan- 
gage, il  ne  s'ensuit  pas  qu'elle  supprime  toute 
barrière  entre  le  langage  émotionnel  et  le  langage 
intellectuel,  et  qu'elle  se  refuse  à  reconnaître  dans 
la  formation  des  mois  l'opération  de  facultés  ex- 
clusivement propres  à  l'homme.  En  effet,  le  pro- 
cédé de  l'imitation,  tout  naturel  et  spontané  qu'en 
paraisse  l'emploi,  implique  déjà  la  réflexion  et  la 
volonté.  La  bête  en  est  incapable.  On  n'a  jamais 
vu  l'agneau,  le  bœuf,  le  singe  môme,  après  avoir 
échappé  à  la  poursuite  d'un  lion,  exprimer  la  cause 
de  leur  terreur  par  un  rugissement. L'onomatopée 
n'est  déjà  plus  la  cri  soudain,  irrésistible  de  lé- 
motion;  elle  est  une  traduction,  par  l'intelligence, 
de  quelque  chose  d'extérieur;  elle  est  analogue  au 
dessin  qui  retrace  à  l'œil  le  contour  des  formes, 
et  il  n'y  a  pas,  que  nous  sachions,  d'exemple  d'un 
animal  qui  ait  dessiné  sur  le  sable,  avec  sa  patte 
ou  son  bec,  l'image,  si  grossière  qu'elle  fût,  d'un 
objet.  C'est  que  la  production  imitative  des  sons 
et  des  formes  n'est  possible  -qu'à  la  suite  d'une 
abstraction,  et  que  la  faculté  d'abstraire  semble 
bien  être  le  privilège  de  notre  espèce,  en  même 
temps  que  la  source  de  tout  lajigage. 

Une  remarque  analogue  s'applique  à  l'imitation 
des  mouvements,  si  bien  décrite  par  Platon  dans 
le  passage  mentionné  plus  haut.  Si  le  son  que  pro- 
duit l'émission  rapide  de  l'air  par  l'organe  vocal  a 
primitivement  exprimé  l'idée  d'un  objet  qui  s'é- 
coule rapidement,  il  a  fallu  d'abord  dégager  cet 
attribut  de  tous  ceux  qui  sont  communs  à  cet  ob- 
jet. L'eau  d'une  rivière  est  brillante. froide, sonore; 
elle  étanche  la  soif;  elle  engloutit  le  baigneur  im- 
prudent, la  barque  mal  dirigée,  etc.;  voilà  bien 
des  caractères  que  les  premiers  hommes  qui  ont 
parlé,  ont  dû  laisser  à  l'écart  pour  aller  droit  au 
trait  essentiel,  qui  est  la  rapidité  de  l'écoulement. 
La  condition  d'un  tel  choix,  c'est  donc  toujours 


,  la  faculté  d'alistrairc,  de  considérer  une  qualité  à 

j  l'exclusion  d(!s  autres, 

î      On  peut  aller  jusqu'à  dire  qUe   le  langage    ne 

I  nomme  pas  proprement  des  choses,  mais  seule- 
ment  des  qualités.  Pourtant  les  mômes  qualités 

1  conviennent  souvent  à  plusieurs  choses  différentes  ; 

'  le  même  signe  pourra  ainsi  servir  à  désigner  plu- 
sieurs réalités  d'espèces  distinctes  qui  se  ressem- 
blent par  un  trait  commun.  Quelque  imitatif  qu'il 

,  ait  été  à  l'origine,  le  mot  fut  donc  dès  le  principe 
un  produit,  non  senlement  de  l'abstraction,  mais  de 

I  la  généralisation.  Ajoutons  que  le  mot  estdouble- 

'  ment  abstrait  et  général,  car  le  signe  qui  a  été 
tout  d'abord  choisi  pour  exprimer  lioji,  arbre,  ri- 
Wièce,  etc.,  a  dû  servir  immédiatement  à  nommer 
non  pas  tel  individu  spécial  et  isolé,  mais  tous 
ceux  de  la  même  espèce.  Par  là  se  trouve  sufflsam- 

I  ment  réfutée  l'assertion  des  évolutionnistes  qui 
prétendent  que  les  sauvages  n'ont  pas  de  termes 
abstraits.  Tout  mot  est  abstrait,  par  cela  seul 
qu'il  est  un  mot. 

Quant  aux  choses  qui  ne  tombent  pas  sous  les 
sens,  il  est  infiniment  probable  que  primitivement 
elles  furent  toutes  nommées  par  analogie  avec  cer- 
tains objets  ou  phénomènes  matériels.  La  méta- 
pliore  a  été  et  est  encore  aujonrdliui  l'une  des 
sources  les  plus  fécondes  du  langage.  Sans  doute, 
ces  analogies  furent  d'abord  superficielles,  presque 
arbitraires  ;  la  plupart  nous  échappent;  mais  l'im- 
portant pour  l'homme,  c'est  qu'un  sigue  soit  at- 
taché à  une  idée  ;  l'usage,  la  tradition  consolident 
le  lien,  fragile  au  début,  qui  les  unit.  Et  ces  pro- 
cédés analogiques  et  métaphoriques  ne  sont  au 
fond  que  l'application  de  ces  mêmes  pouvoirs 
d'abstraire  et  de  généraliser,  condition  essentielle 
du  langage  humain. 

On  doit  conclure  de  tout  cela  que  le  langage  est 
l'œuvre  volontaire  et  réfléchie  de  l'homme.  S'il  est 
vrai  que  la  grammaire  d'une  langue  traduit  au  de- 
hors des  lois  nécessaires  de  la  logique,  et,  par 
suite,  peut  être  considérée  comme  l'expression 
spontanée  de  la  pensée  en  acte,  il  n'en  est  pas  de 
même  du  vocabulaire.  Celui-ci  se  forme  peu  à  peu, 
par  additions  successives;  il  s'enrichit  et  se  mo- 
difie incessamment  et  dans  la  plus  large  mesure. 
Les  mots  qui  le  composent  ont  tous  été  créés  et 
cela  par  une  volonté  expresse  ;  chacun  d'eux  a 
commencé  d'exister  un  certain  jour,  quelqu'un  l'a 
lancé  dans  le  inonde,  et  la  société  tout  entière  est 
devenue  sa  mère  d'adoption.  Fut-il  donc  un  temps 
où  l'homme  ne  parlait  pas'?  Cotte  hypothèse  n'a 
rien  d'invraisemblable;  nuis  elle  n'implique  pas 
qu'un  état  d'isolement  absolu  ait  précédé  dans 
l'histoire  du  genre  humain  les  premières  formes 
de  l'existence  sociale;  l'homme  a  pu  d'abord  com- 
muniquer avec  ses  semblables  par  gestes,  par  si- 
gnes, par  différents  moyens  inarticulés  d'expres- 
sion. Elle  n'implique  pas  davantage  que  la  pensée 
et  la  réflexion  aient  été  absentes  au  début;  loin 
d'être  fille  du  langage  ou  même  de  naître  en  même 
temps  que  lui,  la  pensée  lui  est  logiquement  et 
chronologiquement  antérieure,  comme  l'ouvrier  à 
l'instrument.  D'ailleurs,  tout  en  admettant  que  le 
langage  soit  en  toute  rigueur  une  invention  de 
l'Iiomme,  rien  n'empêche  de  supposer  que  cette 
découverte  fut  une  des  premières  et  qu'elle  a  été 
presiiue  contemporaine  de  l'humanité  et  de  la  so- 
ciété. Quoiqu'il  en  soit,  nous  pensons  que  le  lan- 
gage est  l'ueuvre,  non  d'une  faculté  spéciale  d'ex- 
pression et  d'interprétation,  comme  le  voulaient 
Jouffroyet  Garnier,  mais  simplement  de  ces  facultés 
d'abstraire  et  de  généraliser  qui,  essentielles  à 
l'esprit  humain,  furent  en  acte  dès  le  premier  jour, 
et  ont  créé  avec  la  parole  tous  les  arts,  toutes  les 
sciences,  toutes  les  manifestations  infiniment 
variées  de  la  pensée  réfléchie. 

Ces  facultés  à  leur  tour  ont  dû  au  langage  de 
rapides  et  merveilleux  développements.  Nous  n'a- 


LANGUE  MATERNELLE 


H20 


LANGUE  MATERNELLE 


vons  pas  i  insister  ici  sur  les  rapports  du  langage 
avec  la  pensée;  qu'il  nous  suffise  de  rappeler  qu'il 
est  pour  celle-ci  le  plus  puissant  instrument  de 
l'analyse.  Or,  sans  l'analyse,  nulle  science  possible. 
On  a  quelque  peine  à  se  représenter  ce  que  serait 
l'intelligence  delhonime  sans  le  langage,  et  l'iden- 
tité des  mots  ratio  et  orniin  en  latin,  le  double 
sens  en  grec  du  mot  loyos,  montrent  que  l'iiomine 
a  compris  de  bonne  heure  la  parenté  nécessaire 
de  la  pensée  et  de  la  parole,  du  verbe  et  de  la 
raison. 

A  consulter.  —  Paul  Janel,  Traité  élémentaire  de  phi- 
losophie, ch.  I  el  xi;  Ad.  Garnier,  Traité  des  facilités  de 
l'âmey  Hv.  viii.  ch.  ii  ;  RcDan,  Origine  du  langage;  Max 
Miiller,  Leçons  sw  la  science  du  langage;  et  nos  Éludes 
sur  la  théorie  de  l'Evolution,  sixième  étude. 

[L.  Carrau.] 

LANGUE    U'OC,    LANGUE     B'OIL.  —  V.   Ro- 

yiiancs  {Langues). 

LANGUE  MATERNELLE.  —  On  appelle  ainsi 
la  langue  que  dans  la  première  enfance  nous  ap- 
prenons de  notre  mère.  Déjà  les  anciens  avaient 
remarqué  l'influence  des  femmes  sur  le  langage 
de  l'enfant,  et  pour  le  choix  d'une  nourrice  ils  re- 
commandaient de  tenir  grand  compte  de  sa  pronon- 
ciation. Par  une  distinction  aussi  fine  que  vraie, 
nous  disons  :  la  langue  maternelle,  tandis  qu'on 
dit  :  la  maison  paternelle.  L'enfant,  quand  il  arrive 
à  l'école,  apporte  avec  lui  cette  langue  maternelle, 
et  c'est  là  un  premier  fond  auquel  l'instituteur  at- 
tribuera avec  raison  une  grande  importance. 

Pendant  longtemps  on  a  trop  enseigné  le  fran- 
çais comme  une  langue  morte.  Et  pourtant  l'enfant 
a  employé  des  substantifs,  des  verbes,  des  pro- 
noms avant  de  franchir  le  seuil  de  l'école.  Il  est 
bon  de  le  lui  faire  constater.  S'il  s'agit,  par  exemple, 
d'expliquer  ce  que  c'est  qu'un  substantif,  le  moyen 
le  plus  simple  est  de  prendre  dans  les  derniers 
mots  prononcés  par  l'écolier  quelque  substantif  et 
de  les  lui  donner  en  exemples.  On  demande  ensuite 
des  exemples  aux  autres  élèves  de  la  classe  :  chacun 
fournit  le  sien.  Il  en  est  de  même  pour  les  autres 
parties  de  la  grammaire.  C'est  toujours  une  sur- 
prise de  voir  ce  que  savent  les  enfants.  D'eux- 
mêmes,  pour  peu  qu'on  les  mette  en  train,  ils 
conjugueront,  sur  le  verbe  finir,  le  verbe  se  réjuuir, 
sans  avoir  appris  ce  qu'est  un  verbe  réfléchi.  Ils 
mettront  le  subjonctif  après  les  conjonctions  n 
moiîis  que,  pourvu  (jue,  pour  que,  sans  avoir  ap- 
pris les  modes.  Ils  emploient  des  conditionnels 
longtemps  avant  de  conjuguer  des  verbes  :  «  J'achè- 
terais des  gâteaux,  si  j'avais  de  l'argent.  J'aurais 
porté  secours,  si  j'avais  été  là.  »  Il  faut,  au  moment 
d'enseignerle  conditionnel,  leleur  faire  remarquer. 
On  doit  avant  tout  tirer  de  l'enfant  ce  qu'il  sait; 
c'est  alors  un  plaisir  pour  lui  de  voir  que  la  gram- 
maire n'est  pas  une  chose  nouvelle  qu'on  lui  ap- 
porte du  dehors,  mais  qti'il  la  pratique  depuis 
longtemps  de  lui-même. 

L'enfant  possède  une  quantité  de  locutions 
toutes  faites,  parfaitement  françaises  et  dont  il  con- 
naît le  sens  général.  Seulement  il  serait  souvent 
embarrassé  pour  les  décomposer.  La  tâche  du 
maître  sera  de  lui  apprendre  à  en  distinguer  les 
difïérenles  parties.  Par  exemple  cette  phrase: 
Comment  cela  va-t-il  ?  est  claire  pour  tout  le 
monde  :  mais  à  la  dictée  on  obtiendrait,  avec  une 
classe  mal  proparée,  les  séparations  de  mot  les 
plus  fautives.  Ces  fausses  séparations,  qui  ont  plus 
do  gravité  que  les  fautes  d'orthographe,  sont  un 
des  signes  auxquels  on  reconnaît  une  instruction 
grammaticale  mal  dirigée. 

Parler  et  écrire  sont  essentiellement  des  art  s 
pratiques,  des  arts  de  même  nature  que  de  marcher 
ou  de  se  servir  de  ses  mains.  Il  faut  donc  exercer 
les  enfants  à  parler  et  à  écrire.  La  première  leçon 
de  langue  maternelle  doit  être  intimement  unie  à 
la  leçon  de  choses.  Chaque  partie  de  la  leçon  de 


choses  sera  résumée  en  une  phrase  courte,  claire, 
substantielle,  que  le  maître  prononcera  ou  qu'il 
fera  trouver  à  l'élève.  On  la  fait  répéter  par  une 
série  d'élèves  jusqu'à  ce  que  tout  le  monde  la 
sache,  et  alors  on  demande  qu'elle  soit  rappor- 
tée par  écrit.  Si  les  enfants  sont  trop  jeunes,  on 
peut  l'écrire  au  tableau. 

Une  autre  leçon  de  langue  maternelle  se  ratta- 
chera à  la  lecture  d'un  texte.  Le  vocabulaire  de 
l'enfant  est  borné  :  il  ne  contient  que  les  mots  qui 
lui  sont  nécessaires  pour  ses  actes  et  ses  senti- 
ments de  tous  les  jouis.  La  lecture  présentera 
quantité  de  mots  nouveaux  que  l'enfant  ne  com- 
prend pas  et  qu'il  est  nécessaire  de  lui  expliquer, 
non  par  des  définitions,  mais  par  des  exemples  ou 
par  d'autres  phrases  où  on  les  fera  entrer.  C'est 
encore  une  note  fâcheuse  pour  une  école,  quand 
on  découvre  que  les  élèves  y  emploient  des  mots 
dont  ils  ignorent  la  signification.  Il  arrive  alors 
que,  trompés  par  des  assonances,  ils  emploient  un 
terme  pour  un  autre,  comme  tralùson  pour  tradi- 
tio7i,  ou  continence  pour  comenonie.  .Mieux  vau- 
drait n'avoir  qu'un  petit  nombre  de  mots  à  sa  dis- 
position et  les  employer  avec  justesse  et  bon  sens, 
que  d  étaler   ces   fausses    richesses. 

Les  nombreuses  métaphores  que  contient  la 
langue  et  que  nous  employons  sans  en  scruter 
l'origine  ont  besoin  d'être  expliquées:  pourquoi 
dit-on  un  esprit  étroit,  une  âme  tjasse,  un  cœur 
chaud'!  autant  de  comparaisons  abrégées  qui  peu- 
vent donner  lieu  à  quelques  mots  d'intéressante 
explication.  Le  maître  doit  surtout  faire  la  guerre 
aux  métapliores  mal  suivies,  comme  remplir  un 
Init,  emlirnsser  une  carrière.  Quand  une  locution 
incorrecte  se  présente,  ce  n'est  pas  assez  de  la 
relever  :  il  faut  tâcher  d'en  découvrir  la  cause. 
Presque  toujours  c'est  quelque  fausse  analogie  qui 
a  trompé  l'écolier.  Pourquoi  entend-on  dire  de 
plus  en  plus  :  je  demande  à  ce  que...  ?  c'est  par 
fausse  analogie  avec  je  tiendrais  à  ce  que,  je  con- 
sens à  ce  que.  De  même  remplir  un  but  vient  de 
remplir  un  désir,  et  em/irn^ser  ime  carrière  est 
l'imitation  à'emfjjnssfr  une  religion,  une  opifiion. 
Quand  l'élève  voit  la  cause  de  la  faute,  il  est  mieux 
préparé  à   l'éviter. 

Sans  faire  de  nos  écoliers  de  petits  orateurs, 
on  peut  les  exercer  à  parler  sur  un  sujet  pendant 
trois  ou  quatre  minutes,  à  condition  qu'ils  aient 
d'abord  étudié  le  sujet  et  qu'ils  le  connaissent 
bien.  Ou  a  remarqué  la  fiicilité  avec  laquelle  les 
écoliers  américains  manient  leur  langue  maier- 
nelle  :  cela  tient  aux  exercices  de  l'école  primaire. 

Ce  n'est  pas  assez  de  faire  apprendre  la  langue 
française  à  l'enfant:  il  faut  la  lui  faire  aimer.  Le 
maître  dira  donc  à  l'occasion  que  notre  langue  a 
été  la  première  qui,  au  moyen  âge,  se  soit  dégagée 
du  latin;  que  dès  le  xii°  et  le  xiii'^  siècle  on  la  par- 
iait dans  toute  l'Europe,  que  nos  vieux  poèmes 
du  moyen  âge  ont  été  traduits  en  toutes  les  lan- 
gues, et  que  nos  héros  français,  comme  Roland,  ont 
été  populaires  dans  le  monde  entier;  il  parlera  en- 
suite de  l'éclat  incomparable  que  notre  littérature  a 
jeté  auxM',au  xvii'etau.win"  siècles;  il  rappellera 
que  la  langue  française  est  devenue  la  langue  de  la 
diplomatie  ainsi  que  de  la  société  polie  de  tous  pays, 
et  il  pourra  ajouter  qu'aujourd'hui  encore  tout 
homme  cultivé  s'applique  à  la  parler,  ce  qui  n'est  pas 
une  raison  pour  nous  de  ne  pas  apprendre  les 
langues  étrangères,  mai-,  plutôt  une  raison  de  les 
apprendre, pour  n'être  pas  moins  instruits  et  moins- 
bien  préparés  à  tout  événement  que  nos  voisins. 
Pour  faire  comprendre  les  mérites  que  l'étranger 
découvre  dans  la  langue  française,  le  maître  fera 
remarquer  de  temps  à  autre  l'énergie  ou  la  finesse 
de  certaines  expressions  :  souvent  les  locutions 
populaires  sont  d'une  concision  et  d'une  force  par- 
ticulières, que  nous  ne  songeons  pas  à  relever 
parce  que  nous  y  sommes  habitués.  Quelle  préci- 


LANGUE  MATERNELLE     —  1121  —     LANGUE  MATERNELLE 


sioii  dans  un  proverbe  comme  :  Qui  terre  a,  guerre 
II,  ou  dans  :  Il  faut  bien  faire,  et  laisser  dire.  Un 
moyen  de  faire  aimer  en  mfime  temps  que  de 
faire  apprendre  la  langue  maternelle,  ce  sont  les 
cliansoiis,  ([ui  doivent  avoir  une  place  importante 
il  l'école,  ;\  condition  que  les  paroles  soient  bien 
choisies  et  méritent  d'ûtre  retenues.  Le  jour  où  les 
élèves  do  toutes  les  régions  de  la  France  empor- 
teront de  I  école  un  certain  nombre  de  chants 
parlant  d'une  inspiration  pure  et  élevée,  un  lien 
de  plus  aura  été  créé  entre  rranç,ais  et  la 
langue  maternelle  aura  accru  son  empire  sur  les 
ca'urs. 

Pour  faire  sentir  la  propriété  des  termes,  un 
bon  exercice  est  de  choisir  une  idée  et  de  montrer 
de  combien  de  manières  la  langue  parvient  à  la 
rendre.  Je  suppose  qu'il  s'agisse  du  yavbe  premlre 
et  do  ses  différentes  nuances  :  «  Le  soldat  saisit  son 
arme  ;  l'enfant  cueille  une  fleur  ;  les  gendarmes 
appréhendent  un  voleur;  le  chat  «/icffpe  la  souris  ; 
l'armée  enlève  la  position  ;  l'écolier  comprend  le 
problème.  »  On  fera  percevoir  ainsi  la  métaphore 
qui  assimile  notre  intelligence  il  des  mains  qui 
s'emparent  d'un  objet.  La  langue  anime  tout  : 
«  Une  auberge  boigne;  une  affaire  louclœ;  sourd 
comme  un  pot.  «Les  images  de  notre  langue  se  rat- 
tachent il  un  passé  qu'il  faut  tâcher  de  faire  revivre. 
Tantôt  elles  nous  viennent  d'un  jeu,  par  exemple 
dujeude  paume  :  "Il  a  pris  la  balle  au  bond.  Je  vais  lui 
renvoyer  la  balle.  Il  s'est  laissé  empaumer.  »  Tantôt 
c'est  à  quelque  profession  qu'elles  sont  empruntées, 
comme  celle  du  meunier,  ou  de  l'aubergiste,  ou  du 
marchand,  ou  encore  à  la  vie  militaire  ou  il  la  ma- 
rine. Pour  ne  parler  que  de  cette  dernière,  voyez 
combien  elle  foui'nit  de  termes  :  «Allons  l'accoster  ! 
il  ne  veut  pas  démarrer  d'ici.  Aborde-le!  Mettons 
le  grappin  sur  lui  !  Donnons-lui  la  chasse  !  »  Des 
expressions  d'un  usage  courant,  telles  que  échouer 
ou  arriver,  n'ont  pas  d'autre  origine.  Les  écrivains 
comme  La  Fontaine  et  Saint-Simon  abondent  en 
expressions  pittoresques,  parce  qu'ils  savent  la  lan- 
gue de  beaucoup  de  corps  d'état  et  de  la  plupart 
des  situations  sociales. 

L'étude  de  la  formation  des  mots  et  leur  classe- 
ment on  groupes  et  en  familles  a  fait  des  progrès, 
grâce  à  de  bons  livres  qui  sont  aujourd'liui  entre 
les  mains  de  tous  nos  maîtres.  Ici  surtout  il  ira- 
porte  de  choisir  ses  exemples  :  autant  que  possible 
des  verbes,  et  des  verbes  ayant  pris  naissance  en 
français.  Tel  est  le  verbe  monter,  qui  vient  du 
substantif  mo'd,  l'idée  du  mouvement  ascension- 
nel en  général  ayant  été  exprimée  par  un  verbe 
qui  voulait  dire  d'abord  escalader  une  montagne. 
Voyez  la  hardiesse  d'une  langue  qui  dit  :  montur 
h  cheval,  le  prix  du  blé  a  monté,  le  vin  monte  dans 
la  bouteille.  Ce  verbe  a  Klonné  les  composés  : 
surmonter  (avec  son  dérivé  insunnonlnl/le),  re- 
monter (un  cavalier  de  remonte),  démonter  (cette 
interruption  a  démonté  l'orateur).  On  dit  aussi  : 
la  montée  d'une  colline  ;  le  montant  d'une  échelle, 
ou  encore  d'une  note  ii  payer  ;  le  uiontaye  dune 
machine,  d'une  filature  ;  la  monture  d'un  cavalier, 
ou  encore  celle  d'un  thermomètre,  d'un  violon, 
d'un  pistolet,  d'un  éventail,  d'un  bijou.  Quand  on 
dit  qu'un  directeur  de  théâtre  monte  une  pièce, 
on  compare  le  drame  à  un  mécanisme  dont  les 
acteurs  et  les  décors  forment  les  ressorts  et  les 
rouages.  Monter  la  tête  il  quelqu'un,  c'est  lui 
disposer  la  tète  de  telle  façon  qu'elle  soit  prête  à 
un  certain  acte,  ordinairement  quelque  sottise. 
Nous  retournons  maintenant  au  primitif  tnont  pour 
l'entourer  de  ses  dérivés  montueux  et  montagne 
(qui  a  donné  mont agnaril  et  montagneux).  Enfin, 
en  latin  mons  avait  déjà  donné  promontoire.  Les 
verbes  passer,  tourner,  d'autres  encore,  pour- 
raient donner  lieu  ii  des  classifications  analogue.?. 
Un  tel  exercice,  fait  do  temps  ii  autre,  montre  il 
l'élève  quels  sont  les  moyens  de  formation  dont 

i'  PARTIE. 


dispose  notre  langue  et  le  parti  intelligent  qu'elle 
en  a  su  tirer.  Le  maître  pourra  écrire  exprès  et 
dicter  quelque  narration  renfermant  nombre  de 
mots  de  même  famille,  et  que  l'élève  rapportera 
soulignés. 

On  sait  la  difficulté  qui  se  rencontre  ici  :  à  côté 
dos  mots  d'origine  populaire,  il  y  a  des  mots  d'ox- 
traction  savante,  tirés  du  latin  par  les  érudits. 
Tandis  que  les  mots  populaires  sont  toujours  bien 
formés,  ceux  d'origine  savante  laissent  parfois  à 
dire,  car  ils  ne  sont  guère  autre  chose  que  le  mot 
latin  qu'on  a  fait  entrer  tout  vif  en  français.  Ainsi 
éteindre  et  éteignoir  sont  d'origine  populaire  ; 
mais  inextinguible  et  extinction  sont  de  prove-' 
nance  savante.  C'est  au  tact  de  l'instituteur  qu'il 
appartient  d'examiner  dans  chaque  cas  s'il  est  pos- 
sible de  faire  sentir  la  parenté  aux  élèves.  Pour 
le  verbe  muer,  par  exemple,  on  pourra  montrer  le 
sens  primitif,  qui  est  «  changer  »,  par  le  rappro- 
chement des  composés  commwr  et  remuer,  et  dès 
lors  il  sera  possible  de  mentionner  les  mots  sa- 
vants tels  que  permutation  et  cornmutiition.  Mais 
il  serait  difficile,  ii  l'école,  de  faire  sentir  la  parenté 
de  strict  et  étroit,  de  direct  et  adresse.  Entre  deux 
mots  d'origine  populaire,  souvent  la  parenté  re- 
monte aux  temps  de  la  langue  latine  ;  il  vaut 
mieux  alors  n'en  point  parler.  Comment  faire  com- 
prendre il  des  écoliers  le  lien  qui  rattache  le  verbe 
pondre  aux  substantifs  dépôt  et  compote  ?  D'autres 
fois,  on  peut  bien  composer  des  groupes,  comme 
quand  sous  le  verbe  écrire  on  réunit  les  mots  sa- 
vants conscription  et  proscriplio/t  ;  mais  le  sens 
qu'ont  ces  derniers  termes  n'est  éclairé  que  par 
l'histoire  de  la  langue  latine  et  des  institutions 
romaines.  Il  faut  donc  un  certain  choix  dans  cette 
étude  si  intéressante. 

Pour  les  élèves  voisins  de  nos  frontières  du 
midi,  l'italien  ou  l'espagnol  aideront  il  éclairer  le 
français  ;  ils  seront  comme  des  plantes  exotiques 
qui  appellent  l'attention  sur  les  productions  de 
notre  sol.  Pour  tous  ceux  qui,  ii  côté  du  français, 
possèdent  un  patois,  le  patois  donnera  pareille- 
ment matière  il  de  nombreux  et  instructifs rappro- 
ments.  Les  expressions  anciennes  et  bien  formées 
y  abondent.  A  Jersey,  non  loin  de  Saint-Hélier, 
sur  un  poteau  placé  à  l'entrée  d'un  champ,  on 
peut  encore  lire  aujourd'hui  ces  mots  u  :  Il  est  dé- 
fendu de  trépasser  dans  ce  champ.  »  Nous  avons  ici 
l'ancien  mot  trépasser,  en  italien  trapnssar^  em- 
ployé comme  dans  le  livre  des  Rois  :  «  Et  la  cha- 
rogne Jesabel  girra  cume  feins  (comme  du  fumier) 
el  champ  de  Israël,  si  que  11  trespassant  dirrunt: 
Est-ço  la  noble  dame  Jesabel  ?  »  Ce  mot,  qui  mar- 
que le  passage  il  travers,  n'est  plus  usité  en  fran- 
çais littéraire  que  dans  le  sens  unique  du  grand 
passage.  Le  même  préfixe  se  trouve  dans  tressail- 
lir, tressauter,  et  notre  adverbe  très,  qui  voulait 
dire  :  «  de  part  en  part,  tout  à  fait  »,  n'a  pas  d'au- 
tre origine.  Que  d'expressions  pittoresques  les 
patois  ne  contiennent-ils  pas  !  Dans  le  Berry,  une 
toile  d'araignée  s'appelle  une  arantéle;  nous  avons 
ici  l'ancien  mot  d'aragne,  encore  employé  par  La 
Fontaine,  figurant  comme  premier  terme  d'un 
composé.  A  des  enfants  on  dit:  «Allez  vous  éraguer 
dans  le  jardin  !  »  C'est  le  même  verbe  qui  est  con- 
tenu dans  vagaliond  et  extravagant.  Les  petits 
Parisiens  n'ont  pas  de  patois  à  leur  usage  ;  mais 
l'instituteur  fera  bien  de  leur  citer  de  temps  il  autre 
quelques  mots  de  ce  genre,  pour  leur  donner  une 
idée  plus  juste  de  ces  anciens  dialectes  :  ils  ne 
sont  pas  la  corruption  ou  la  caricature  du  fran- 
çais ;  ce  sont  dos  idiomes  non  moins  anciens,  non 
moins  respectables  que  lo  français,  mais  qui,  pour 
n'avoir  pas  été  la  langue  do  la  capitale,  ont  été 
abandonnés  il  eux-mêmes  et  privés  de  culture  lit- 
téraire. Que  nos  enfants  accueillent  toujours  avec 
affection  et  curiosité  ces  frères  déshérités  du  fran- 
çais !  Une  fois  qu'ils  auront  l'habitude  d'observer 
11 


LATINE  (LITTÉRATURE)     —1122—     LATINE  (LITTÉRATURE) 


les  mois,  ils  feront  attention  aux  idées  et  aux  usa- 
ges. 

C'est  ainsi  que  tous  les  moyens  concourront  a 
enrichir  le  vocabulaire  de  l'élève.  On  a  remarqué 
que  nos  écoles  jettent  tous  les  ans  dans  la  société 
une  quantité  de  jeunes  gens  qui  savent  lire,  mais 
qui  ne  lisent  point.  Les  plus  belles  œuvres  de 
notre  littérature  sont  non  avenues  pour  eux  ;  tout 
au  plus  les  journaux  avec  leurs  produits  frelatés, 
faits  divers,  procès  criminels,  feuilletons,  parvien- 
nent-ils à  captiver  un  instant  leur  attention.  Si  les 
élèves  de  nos  écoles  ne  lisent  pas  assez,  c'est  que 
beaucoup  de  mots  qu'ils  rencontrent  dans  les  li- 
vres n'ont  pas  pour  leur  esprit  un  sens  précis  et 
clair.  Ils  ferment  bientôt  des  volumes  dont  la  pen- 
sée se  dérobe  pour  eux.  Le  temps  passé  à  expli- 
quer les  mots  ouvrira  l'esprit  aux  idées  et  aux 
.  choses.  Par  les  mots  l'homme  entre  en  possession 
de  l'héritage  intellectuel  de  ses  ancêtres.  Quelles 
longues  et  précieuses  conquêtes  de  l'humanité  ne 
représentent  pas  les  noms  de  vertu,  liberté,  jus- 
tice, lionneuf,  charité,  droit,  iievoir, pairie  f  Mais 
pour  les  posséder,  il  ne  suffit  pas  de  les  recevoir; 
on  ne  les  tient  vraiment  que  quand  on  a  refait  le 
travail  qui  les  a  créés.  11  faut  repenser  ces  mots, 
il  faut  savoir  ce  qu'ils  ont  coûté  d'efforts  et  de 
luttes  parfois  sanglantes;  autrement  on  ressemble- 
rait à  l'homme  qui  apporte  une  dépêche,  mais  qui 
en  ignore  le  contenu.  Voltaire  pendant  soixante 
ans  pense,  écrit,  agit,  combat,  et  cette  longue 
suite  d'efforts  vient  se  résumer  dans  le  mot  de  to- 
téran  V,  qui  prend  place  dans  notre  vocabulaire. 
Celui  de  bienfaisance,  si  familier  à  nos  oreilles, 
est  seulement  entré  dans  la  langue  au  siècle  der- 
nier; il  est  du  à  l'abbé  de  Saint-Pierre.  Montrons 
aux  enfants  cequevalent  ces  diamants  du  langage. 
Une  fois  que  l'élève  aura  pris  l'habitude  de 
chercher  ce  qui  est  derrière  les  mots,  ce  sera  pour 
son  esprit  un  besoin  et  une  règle.  Il  voudra  véri- 
fier ce  qu'on  lui  propose.  11  n'est  pas  surjirenant 
que  l'enseignement  do  la  langue,  pris  dans  toute 
son  étendue  et  dans  son  vrai  sens,  se  confonde 
avec  l'éducation  générale,  puisque  le  langage  est 
le  principal  instrument  de  communication  entre 
les  hommes,  et  puisque  au  moyen  de  la  parole  les 
générations  sont  solidaires  les  unes  des  autres. 
C'est  ainsi  que  l'enseignement  delà  langue  mater- 
nelle forme  à  la  fois  le  commencement  et  le  centre 
des  études,  et  que  le  maître  qui  le  donne  dans 
toute  son  étendue  en  fait  pour  ses  élèves  le  prin- 
cipal instrument  de  progrès.        [Michel  Bréal.] 

L.iti^'E;  [L.iXGui;  ET  LiTTiinATuiiE).  — Littératu- 
res étrangères,  Vll-1\.  —  Le  latin  est  une  des  deux 
langues  classiques.  11  a  ces^-é  d'être  une  langue  vi- 
vante vers  le  vm'  siècle  de  notre  ère.  11  a  exercé 
une  très  grande  inHuence  sur  le  développement 
de  la  civilisation  moderne,  d'abord  comme  langue 
d'un  des  plus  grands  empires  du  monde,  puis  par 
la  ricliesse  du  la  littérature  dont  il  a  été  l'organe, 
ensuite  parce  qu'il  est  resté  la  langue  ufticielle  de 
l'église  catholique,  et  longtemps  aussi  la  langue  en 
quelque  sorte  internationale  des  érudits,  des  sa- 
vants et  des  diplomates  de  toute  l'Europe  occiden- 
tale, enlin  parce  que  c'est  du  latin  que  sont  sorties 
les  langues  romanes  *,  italien,  espagnol,  portugais. 
pi'Ovençal,  français  et  roumain.  N'oublions  pas  non 
plus  la  place  importante  qu'a  tenue  et  que  tient 
l'étude  de  cette  langue  dans  ce  qu  on  est  convenu 
d'appeler  une  éducation  libérale. 

D'après  les  données  de  la  philologie  moderne, 
le  latin,  ainsi  appelé  parce  qu'il  fut  la  langue  des  j 
peuples  du  Latium  (Italie  centrale),  est  une  des 
deux  branches  de  l'ancienne  langue  italique,  qui 
avec  le  grec,  l'allemand,  le  sanscrit,  etc.,  s'est  for- 
mée d'un  ancien  idiome  asiatique  qui  fut  la  langue 
des  Aryas  primitifs.  La  langue  latine  n'est  donc 
pas  issue  de  la  langue  grecque  ;  c'est  seulement 
une  langue  sœur  de  celle  des  Hellènes. 


On  a  remarqué  justement  que  le  latin  est  avant 
tout  la  langue  de  la  tribune,  la  langue  oratoire.  11 
se  prête  mal  à  la  poésie,  car  il  est  peu  métaphori- 
que ;  il  ne  se  met  pas  non  plus  facilement  au  ser- 
vice de  la  philosophie,  car  il  est  trop  pauvre  en 
expressions  abstraites.  On  y  rencontre  peu  de  ces 
mots  composés  qui  abondent  en  grec  et  qui  tra- 
hissent dans  l'esprit  d'un  peuple  des  instincts 
d'analyse  et  des  habitudes  de  finesse  et  de  ré- 
flexion. 

Tous  les  alphabets  italiques  sont  d'origine  grec- 
que :  on  sait  que  les  alphabets  grecs  ne  sont  eux- 
mêmes  que  des  réductions  de  l'alphabet  phénicien. 
Qui  introduisit  l'alphabet  grec  en  Italie'?  Evandre 
et  les  Arcadiens  selon  Denys  d'Halicarnasse,  Tite- 
Live  et  Tacite,  les  Pélasges  selon  Pline. 

Cicéron  comptait  21  lettres  dans  l'alphabet 
latin  en  y  comprenant  le  G,  qui  n'est  autre  chose 
que  le  C  modifié  ;  deux  des  voyelles,  I  et  U,  ser- 
vaient à  la  fois  de  voyelles  et  de  consonnes  f  J  et  V). 
La  prononciation  du  latin  qui  a  cours  en  France 
n'est  pas  la  même  que  celle  qu'on  a  adoptée  en 
Allemagne  et  en  Italie,  où  l'on  s'est  probablement 
moins  écarté  de  la  prononciation  ancienne.  Par 
exemple,  le  son  u  n'a  jamais  existe  en  latin  ;  on 
devrait  prononcer  ou  :  Dominus  devrait  se  pro- 
noncer Dominons.  C  et  G  n'ont  pas  non  plus,  dans 
la  prononciation  suivie  en  France,  la  même  valeur 
qu'en  Allemagne  et  en  Italie.  Il  serait  à  souhaiter 
que  la  prononciation  italienne,  qui  marque  l'ac- 
cent tonique  et  qui  doit  être  évidemment  la  moins 
défectueuse,  fût  enseignée  dans  l'Université,  sauf 
peut-être  quelques  légères  modifications  de  détail. 
Celte  pratique  aurait,  entre  autres  avantages,  celui 
d'encourager  et  de  faciliter  l'étude  de  l'italien. 

En  latin,  les  noms,  pronoms,  adjectifs  et  verbes 
sont  variables.  Les  flexions  se  font  surtout  par 
des  changements  dans  la  terminaison.  Il  y  a  trois 
genres,  mais  seulement  deux  nombres;  cinq  cas 
dans  la  déclinaison  des  noms,  adjectifs  et  pro- 
noms, et  deux  voix  dans  les  verbes,  la  voix  active 
et  la  voix  passive  :  mais  certains  verbes,  n'ayant 
que  la  forme  du  passif  avec  le  sens  de  l'actif,  sont 
appelés  déponents. 

On  peut  diviser  l'histoire  de  la  littérature  latine 
en  quatre  périodes  principales  : 

1°  Période  primitive,  avant  l'influence  grecque. 
2"  Période   de  formation,  depuis  Livius   Andro- 
nicus  jusqu'au  temps  de  Sylla. 

3°  Epoque  de  perfection  (fin  de  la  république 
et  siècle  d'Auguste). 

4°  Période  de  décadence,  depuis  .Auguste  jus- 
qu'à la  fin  de  l'empire  romain. 

Si  l'on  jette  un  coup  d'œil  d'ensemble  sur  les 
destinées  du  peuple  romain,  on  reconnaîtra  d'a- 
bord que  le  goût  des  lettres  comme  des  arts  ne 
lui  est  venu  qu'assez  tard.  Parmi  les  genres  litté- 
raires, l'éloquence  est  le  seul  véritablement  indi- 
gène ;  les  autres  champs  de  connaissances  furent 
longtemps  négligés,  et  ce  n'est  que  vers  le  vi"  siècle 
après  la  fondation  de  Rome  que  les  Romains  fu- 
rent amenés,  par  des  relations  plus  étroites  avec 
les  Grecs,  à  imiter  sous  toutes  ses  formes  la  litté- 
rature de  ces  derniers.  Un  manque  d'originalité, 
au  début,  et  plus  tard,  une  constante  prédomi- 
nance du  genre  oratoire  même  dans  la  poésie,  la 
philosophie  et  l'histoire;  enfin,  le  culte  du  bon 
sens,  le  souci  du  décorum,  avec  une  certaine  ten- 
dance à  la  malice  et  à  la  railleri-,  tels  sont  les  prin- 
cipaux caractères  généraux  do  la  littérature  latine. 

l.     —  PÉniODE    Pr.ISIITIVE. 

La  pauvreté  de  la  littérature  romaine  pendan  t 
la  période  primitive,  c'est-à-dire  pendant  les  cinq 
premiers  siècles,  s'explique  en  partie  par  cette 
longue  suite  de  guerres  au  prix  des({uelles  Rome 
dut  acheter  laborieusement  la  conquèt.^  de  l'Italie. 

Les  fragments  les   plus  ancieus  de   liltéralure 


LATINE  (LITTÉllATUIlE)     —  1123  —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


latine  qui  nous  soient  parvenus  sont  de  trois 
sortc'S  :  1"  des  textes  de  lois;  2°  des  inscriptions  ; 
'■P  des  poésies. 

I»  Texlrs  de  lois.  —  Il  ne  reste  que  quelques 
débris  peu  importants  des  Lois  royales,  que  l'on 
suppose  avoir  clé  rédigées  par  un  certain  Papi- 
i-ius;  1rs  lois  do  Nunia,  qui  auraient  été  brûlées 
parordi-i'  du  Siinat  comme  hérétiques,  n'ont  peut- 
être  j.iinais  l'xisté.  On  possède  au  cnntr.nirn  do  pré- 
cieu\  frnijnu'nis  de  la  loi  des  Dmi-  Tr'J  r'^li^'ée 
parles  Dccrmvirs,  etqui  auraiti  i       tn  iu  Fo- 

rum. Ces  liblfs,  détruites  par  li';  i.mliM  Su^  de 
leur  entrée  îi  Home,  furent  r(Ci>iu|Hj,.:ijs  dans  la 
suite  et  reslèrciU  lungtcmps  Ir  l'oiiili'iucnt  du  droit 
romain.  C.ioéron  dit  qu'on  les  faisait  apprendre 
aux  enfants  par  cœur  comme  une  formule  obliga- 
toire. M.  Mommsen  y  trouve  déji  linlluence  des 
idées  grecques  et  quelques  progrès  d'humanité, 
quoiqu'elles  soient  très  dures  et  très  rigides  encore, 
et  empreintes  ci  et  là  d'une  superstition  gros- 
sière. Ce  progrès  relatif  se  voit  surtout  dans  ce 
(|ui  touche  aux  règlements  do  la  vie  civile  et  dans 
les  clauses  qui  concernent  le  mariage,  le  droit  de 
tester,  la  limitation  des  droits  du  père  de  famille, 
le  droit  d'appel  en  cas  de  condamnation  à  mort,  etc. 
Le  débiteur  insolvable  y  est  surtout  maltraité;  il 
est  à  la  merci  de  son  créancier,  qui  peut  le  garder 
en  prison  chargé  de  chaînes  dont  le  poids  est  dé- 
terminé, et,  après  cinquante  .jours  de  sursis,  le 
tuer  ou  le  vendre  au  delà  du  Tibre;  cette  loi  per- 
met aussi  de  tuer  les  enfants  difformes,  punit  de 
mort  une  insulte  aux  magistrats ,  le  vol  noc- 
turne, etc. 

2°  Inscriptions.  —  Ce  qui  distingue  les  inscrip- 
tions romaines  des  iiiscriptions  grecques  et  ce 
qui  fait  qu'elles  sont  beaucoup  moins  instructi- 
ves pour  riiistorien,  c'est  qu'elles  sont  plus  conci- 
ses ;  les  Grecs,  grands  parleurs  de  tout  temps, 
avaient  même  certaines  tendances  à  bavarder  sur 
la  pierre.  Le  génie  romain,  au  contraire,  a  gardé 
longtemps  le  laconisme  le  plus  sévère  dans  les 
inscriptions  ;  ce  n'est  que  vers  l'époque  de  la  dé- 
cadence des  lettres  latines  que  les  inscriptions 
sont  devenues  verbeuses  et  prolixes. 

Les  recueils  modernes  les  plus  importants  d'in- 
scriptions latines  (ceux  d'Orelli  et  de  JUommsen) 
renferment  principalement  la  chanson  des  Frères 
Arvales,  l'inscription  du  tombeau  des  Scipions  (([ua- 
tre  épitaplies),  l'inscription  de  la  colonne  Dui- 
lienne,  document  précieux  pour  l'historien,  mais 
où  il  n'y  a  guère  autre  chose  à  glaner  pour  les 
lettres  que  des  noms  et  des  dates. 

3°  Poésie  primitive.  —  Les  Romains  n'ont  eu  ni 
la  versatilité,  ni  l'imagination,  ni  l'esprit  ouvert  des 
Grecs.  Leurs  qualités  dominantes  étaient  un  juge- 
ment sain  ,  beaucoup  de  bon  sens,  en  même 
temps  (|u'une  grande  force  et  une  grande  persé- 
vérance de  volonté.  Ces  qualités  ne  sont  p.is  par- 
ticulièrement favorables  au  di\'ln|i|Hiii(Mit  du 
goût  poétique.  Aussi  longtenivs  Imi:-  <|ii  ils  res- 
tèrent eux-mêmes  àl'abride  touH'  iiillucnr,'  ciian- 
gère,  il  n'y  a  pas  h,  chercher  chez  eux  les  traces 
d'une  véritable  poésie,  ni  autre  chose  qu'une  muse 
utilitaii'e  et  pratique  au  service  de  la  religion  et 
des  nécessités  de  la  vie  quotidienne.  La  poésie 
n'était  tolérée  que  pour  l'usage  du  culte.  Caton, 
cite  par  Aulu-Gelle,  dit  à  l'éloge  de  la  vieille  Rome 
que  l'art  des  poètes  n'y  était  pas  en  honneur. 
Parmi  les  plus  vieux  fragments  poétiques,  c'est-à- 
dire  les  fragments  de  prose  rhytiimée,  il  faut  citer 
d'abord  les  prédictions  et  les  oracles;  les  anciens 
Romains  croyaient  à  des  dieux  et  surtout  à  des 
déesses  placés  dans  les  bois,  près  des  sources 
d'eau  minérale,  dans  les  grottes,  et  auxquelles  ils 
prêtaient  la  ronnaissance  de  l'avenir  ;  des  for- 
mules attribuées  à  ces  prophétesses,  à  ces  sybilles, 
telles  que  Fauna,  Egéria,  etc.,  il  ne  reste  ([ue  des 
souvenirs  'égjndaircs;  Horace  parle  cependant  de 


recueils  de  ces  premiers  vers  en  rhythmo  grossier. 

On  peut  ranger  dans  la  mémo  classe  les  chants 
dits  des  prêtres  Saliens  [sauteurs),  chargés  de  con- 
server le  fameux  bouclier  sacre  tombé  du  ciel  au 
temps  de  Numa,  sorte  de  palladium  qui  devait  as- 
surer l'éternité  de  Rome.  Ils  célébraient  des  fêtes 
annuelles  pendant  tout  le,  mois  di'  mu's;  ils  exécu- 
taient alors  autour  des  auii'ls  uni!  danse  guerrière, 
comparée  par  Sénèque  au  Ir.  pi^neincnt  du  foulon, 
et  ciiantaient  des  espèces  de  litanies  en  frappant 
sur  leurs  boucliers  ;  il  ne  reste  rien  de  ces  fameux 
chants  dont  Ouintilien  dit  que  les  Saliens  de  son 
temps  ne  comprenaient  plus  eux-mêmes  le  sens 
original. 

Une  autre  corporation  de  prêtres,  les  Frères 
Arvales,  c'est-à-dire  rustiques,  dont  la  légende 
faisait  remonter  l'origine  jusqu'au  temps  de  Ro- 
mulus  et  qui  étaient  voués  au  culte  de  la  déesse 
Dia,  très  semblable  à  celui  de  Cérès,  chantait 
aussi  un  rituel  rhythmé  accompagné  de  mouve- 
ments de  danse,  dont  un  fragment,  déterré  à  Rome 
en  1778,  révèle  une  forme  de  langue  encore  très 
primitive. 

On  peut  encore  citer,  parmi  les  monuments  in- 
formes de  cette  poésie  primitive,  les  fragments  de 
complaintes  funèbres  ou  «<'(/"<,  répéii'ps  avec  ac- 
com|)agnement  di'  llntr  et  qui  i-'iilrnii  lirnt  des 
maximes  morales  avrc  Irlnj;.'  i!n  ili'lunl  ;  plus 
tard,  ces  nénies  furent  l'ijcitrus  duvaiK  la  maison 
mortuaire  et  près  du  bûcher  par  des  pleureuses  à 
gages. 

On  aura  épuisé  la  liste  de  ces  poésies  pri- 
iTiitives,  si  on  y  ajoute  les  chants  de  triomphe, 
répétés  par  l'armée  victorieuse  en  rentrant  à 
Rome  et  en  suivant  le  char  de  son  général.  En 
somme,  tout  ce  que  nous  venons  de  voir  ne  tient 
encore  à  la  poésie  que  d'assez  loin. 

Y  a-t-il  eu  chez  les  Romains  comme  presque 
chez  tous  les  peuples  quelques  éclosions  sponta- 
nées de  poésie  épique  'I  Un  grand  érudit  alle- 
mand, M.  Niebuhr,  le  croit,  et  il  suppose  que 
toutes  les  légendes  relatives  à  la  fondation  et  aux 
premières  années  de  Rome,  l'histoire  de  Romu- 
lus  et  de  Rémus,  leur  naissance,  leur  allaitement 
par  une  louve,  puis  l'enlèvement  des  Sabines,  le 
combat  des  Horaces,  auraient  eu  leur  origine  dans 
une  grande  épopée  primitive,  sorte  d'Iliade  ro- 
mane qui  aurait  été  composée  après  l'invasion 
des  Gaulois;  mais  il  semble  que  ce  n'est  là  qu'une 
ingénieuse  et  brillante  hypothèse  sans  fondements 
dans  la  réalité,  car  si  toutes  ces  légendes  romaines 
avaient  été  des  créations  du  génie  poétique,  et 
étaient  devenues  populaires  à  force  d'être  chan- 
tées et  répétées  dans  les  festins,  comme  le  prétend 
Niebuhr,  il  est  évident  que  les  poètes  auraient 
été  dans  la  vieille  Rome,  comme  dans  la  Grèce 
antique,  entourés  d'une  certaine  auréole  de  popu- 
larité. Et  au  contraire,  nous  avons  déjà  dit  le  peu 
de  cas  que  les  Romains  faisaient  d'eux. 

De  toutes  les  espèces  différentes  de  poésies,  la 
poésie  dramatique  semble  avoir  été  le  plus  en 
conformité  avec  le  caractère  du  peuple  romain, 
(iomme  les  Italiens  actuels,  dit  Teuffol,  les  anciens 
Romains  possédaient  un  œil  éveillé  pour  remar- 
quer les  particularités  et  les  apparences  extérieu- 
res. Ils  avaient  le  talent  et  le  goût  do  l'observa- 
tion minutieuse,  et  une  grande  facilité  à  imiter  le» 
travers  d'autrui  et  à  trouver  de  vives  reparties. 
De  là  ces  improvisations,  ces  chansons,  ces  dialo- 
gues enjoués  et  satiriques  qu'on  trouve  de  bonne 
heure  dans  la  littérature  latine.  Les  plus  ancien- 
nes do  ces  chansons  plaisantes  sont  les  chants 
t-scennms,  appelés  ainsi  de  la  ville  de  Fescen- 
niuni  en  Etrurie.  Ils  se  chantaient  dans  dos  fêtes 
rustiques  célébrées  à  l'occasion  des  moissons  d'a- 
bord, puis  des  cérémonies  nuptiales,  dans  les- 
quelles on  se  renvoyait  de  grossières  plaisante- 
ries   qui    faisaient    les    délices    do    la    populace 


LATINE   (LITTÉRATURE)     —  1124  —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


Ces  cliants  fescennins  ont  été  probablement  le 
berceau  de  la  comédie  latine.  D'autres  représen- 
tations champêtres,  qu'on  appelait  les  Satires 
(mélanges),  pots-pourris  confus  de  récits  comiques, 
de  tours  de  force  grotesques  et  de  danses  au  son 
de  la  flûte,  étaient  encore  en  honneur  en  l'an  -36 i 
avant  Jésus-Christ,  quand  on  éleva  uu  théâtre  de 
bois  dans  le  rirque  à  Rome  ;  et  même  lorsque  les 
drames  réguliers  Ji  la  mode  grecque  s'importè- 
rent à  Rome,  ces  représentations  de  saltimban- 
ques et  ces  farces  grossières  des  clowns  étrus- 
ques restèrent  encore  sur  la  scène,  comme  des 
espèces  d'intermèdes  plus  en  harmonie  avec  les 
goûts  grossiers  de  la  majorité  des  spectateurs. 
Les  Mimes,  qui  fleurirent  aussi  de  très  bonne 
heure  à  Rome,  ne  se  distinguent  pas  très  bien  de 
cette  première  forme  scénique.  Ce  devait  être, 
d'après  les  auteurs  anciens,  une  espèce  de  repré- 
sentation bouffonne  de  la  vie  ordinaire,  mélange 
bizarre  à<-  plaisanteries  licencieuses  et  de  sen- 
tences d'une  sagesse  pratique,  tout  à  fait  accom- 
modé au  tempérament  plébéien.  La  satire  des 
grands  personnages  contemporains  n'en  était  pas 
exclue.  Le  costume  des  Mimes  était  une  sorte 
d'habit  d'arlequin.  Les  acteurs  qui  représentaient 
ces  pièces  étaient  toujours  des  personnages  de 
condition  basse,  objets  des  mépris  de  tous.  Ce 
théâtre  boulTon  était  tellement  dans  les  mœurs 
et  le  génie  des  Romains,  qu'il  a  traversé  les 
siècles  et  survécu  dans  la  Commedia  delV  Arte  en 
Italie. 

Outre  les  Mimes,  le  théâtre  populaire  primitif 
comprenait  encore  un  autre  genre  de  pièces, 
les  Atellanes  (d'Atella,  petite  ville  de  Campanie). 
Les  jeunes  patriciens  de  Rome  jouaient  eux-mê- 
mes masqués  ilans  ces  pièces.  L'intrigue  générale, 
fort  simple  apparemment,  était  arrangée  à  l'avance; 
mais  les  détails  étaient  laissés  à  l'improvisation 
d'acteurs  qui  n'épargnaient  pas  les  jeux  de  mots 
grossiers  et  les  gesticulations  équivoques. 

II.   —  PÉRIODE    DE    FORMATION. 

C'est  par  le  théâtre  que  ies  chefs-d'œuvre  grecs 
sont  arrivés  à  Rome.  L'iiistorien  Tite-Live  raconte 
qu'à  l'occasion  d'une  peste  qui  eut  lieu  à  Rome, 
on  introduisit  pour  la  première  fois  des  jeux  scé- 
niques  qui  vinrent  s'ajouter  aux  jeux  du  cir- 
que et  aux  divertissements  que  possédait  déjà  le 
peuple. 

Les  premiers  jeux  scéniques  avaient  été  impor- 
tés d'Etrurie,  et  c'étaient  de  simples  danses  non 
accompagnées  de  chants.  Les  acteurs  étaient  ap- 
pelés histrions,  d'un  mot  étrusque.  Enfin,  un  es- 
clave fait  prisonnier  au  siège  de  Tarente,  Livius 
Andronicus ,  après  avoir  traduit  l'Odyssée  ,  eut 
aussi  l'idée  de  faire  représenter  des  pièces  imi- 
tées du  grec.  Jusque-là  le  théâtre  romain  n'a- 
vait jamais  connu  de  pièces  à  intrigue  suivie. 
Cette  innovation  eut  évidemment  un  grand  suc- 
cès ;  Livius  était  à  la  fois  auteur  et  acteur  ;  der- 
rière lui  était  placé  un  joueur  de  flûte  et  à  côté 
un  enfant  qui  lisait  les  paroles,  tandis  qu'il  se 
contentait  de  faire  les  gestes.  Peu  à  peu  le  nom- 
bre des  acteurs  s'augmenta  ;  l'art  scénique  fit  des 
progrès. 

Longtemps,  cependant,  les  pièces  du  théâtre 
latin  ne  furent  qu'une  pure  reproduction  du 
théâtre  grec.  Ntevius,  Ennius,  Pacuvius,  Attius, 
traduisirent  surtout  les  pièces  tragiques,  en  y 
introduisant  beaucoup  de  gravité  -,  mais  leur  style 
s'égarait  quelquefois  jusqu'à  la  déclamation  et  la 
trivialité.  Les  chœurs  des  pièces  grecques  étaient 
exclus  des  drames  romains,  par  la  simple  raison 
que  l'orchestre,  ou  partie  du  théâtre  où  s'exécu- 
taient en  Grèce  les  évolutions  du  chœur,  était 
occupé  à  Rome  par  le  Sénat. 

Le  théâtre  de  Plante,  le  grand  comique  romain, 
est  aussi   imité  du  grec.  Il  est  singulier  de  voir 


que  le  poète  latin  par  excellence,  qui  avait  eu  une 
éducation  toute  plébéienne,  se  donnait  exclusive- 
ment comme  un  traducteur.  Quoique  le  théâtre 
grec  ait  eu  beaucoup  de  peine  h  s'établir  à  Rome, 
une  fois  qu'il  y  fut  adopté  les  pièces  qui  ne 
venaient  pas  de  cette  source  étaient  mal  accueil- 
lies. Plante  se  fit  entrepreneur  de  représentations 
publiques,  et  arriva  à  la  ricliesse  et  h  la  célébrité 
tout  jeune  encore;  on  lui  attribue  une  fécondité 
extraordinaire;  il  aurait  écrit  jusqu'à  cent  trente 
comédies  :  mais  ce  chiffre  parait  exagéré.  Ses 
sujets  sont  surtout  tirés  de  la  comédie  de  mœurs, 
c'est-k-dire  empruntés  au  tliéâtre  de  Ménandre, 
de  Dipliile,  etc.  On  est  surpris  aujourd'hui  que 
les  anciens  aient  conçu  la  comédie  de  mœurs  sans 
rôles  de  femmes.  Mais  c'est  qu'à  Rome,  comme  à 
Athènes,  la  femme  vit  dans  le  gynécée,  file  la 
laine  et  paraît  peu  dans  la  vie  commune.  La  ma- 
trone restera  donc  dans  la  coulisse;  c'est  tout  au 
plus  si  on  parle  d'elle.  Les  seules  femmes  qui  pa- 
raissent au  théâtre  sont  des  esclaves  ou  des 
joueuses  de  flûte.  Le  domaine  de  Plante  est  ainsi 
considérablement  resserré  ;  il  n'est  pas  étonnant 
que  son  théâtre  paraisse  un  peu  monotone;  il  a  su 
néanmoins  créer  des  situations  intéressantes  avec 
ces  données  un  peu  uniformes  et  des  types 
qui  se  ressemblaient  trop  les  uns  aux  autres. 
Il  a  su  aussi  laisser  de  côté  beaucoup  de  traits  de 
mœurs  particuliers  à  la  Grèce  pour  les  remplacer, 
soit  dans  les  prologues,  soit  dans  le  cours  de  la 
pièce,  par  des  scènes  qui  reproduisaient  vivement 
la  physionomie  latine.  Le  fond  de  ses  pièces  est 
pi  esque  toujours  une  tromperie  généralement  our- 
die par  quelque  esclave,  ancêtre  de  Scapin,  pour 
servir  les  intérêts  de  quelque  jeune  maître  malheu- 
reux en  amour  ou  tenu  trop  en  bride  par  son 
père.  Les  autres  personnages  principaux  de  ce 
théâtre  sont,  outre  les  pères  dupés  par  leurs  es- 
claves ou  leurs  enfants  et  tournés  en  ridicule, 
les  marchands  d'esclaves,  corrupteurs  et  corrom- 
pus, qui  se  laissent  insulter  et  battre  et  ne  sont 
préoccupés  que  de  réussir  dans  leur  honteux  trafic, 
les  soldats  fanfarons,  sorte  de  Don  Quichottes  ou 
de  capitaines  Fracasses  de  l'antiquité.  Les  jeunes 
gens  du  théâtre  de  Plante  sont  quelquefois  tou- 
chants, mais  leur  amour,  même  quand  il  commence 
par  une  idylle,  par  quelque  attachement  désinté- 
ressé, a  toujours  quelque  fin  a^sez  terre  à  terre. 
Parmi  les  vingt  pièces  de  Plaute  que  nous  avons, 
les  deux  plus  célèbres  et  les  plus  morales  sont  les 
Captifs  et  le  Câble.  Il  faut  encore  mentionner  : 
VAtnp'iilryon,  imité  par  Rotrou  dans  les  Sosies 
et  surtout  par  Molière  dans  la  pièce  du  même 
nom;  la  Murmite,  qui  a  servi  d'original  à  V Avare; 
les  Menechmes,  dont  s'est  inspiré  Regnard  et  qui 
décrivent  les  joyeuses  erreurs  et  les  plaisantes 
équivoques  produites  par  la  ressemblance  de  deux 
frèresjumeaux  ;  la  Casina  et  la  Mastellaire,  imitées 
par  Destouches  dans  le  Ret-ur  imprévu  et  le  Tam- 
bour nocturne;  les  trois  Ecus  ou  le  Trinummus, 
imité  par  Andrieux  dans  le  Trésor,  etc.  En  somme, 
Plaute  est  assurément  un  grand  génie  comique, 
original,  quoique  imitateur  des  Grecs,  qu'il  trahit 
sans  cesse  en  les  traduisant,  pour  intercaler  quelque 
plaisanterie  de  son  cru.  La  différence  de  culture 
entre  les  deux  nations  exigeait  aussi  que  chez  le 
poète  latin  les  lignes  fussent  plus  marquées,  les 
ombres  du  tableau  plus  saillantes.  Les  plaisante- 
ries de  Plaute  consistent  trop  souvent  dans  de 
purs  rapprochements  de  mots  et  de  simples  allité- 
rations; mais  ses  pièces  sont  un  trésor  précieux 
pour  l'étude  de  la  langue  latine  populaire.  Elle» 
se  jouèrent  encore  longtemps  après  sa  mort. 

Ennius,  quoiqu'il  soit  surtout  connu  comme  poète 
épique,  avait  aussi  travaillé  pour  la  scène  ;  il  avait 
traduit  Euripide  et  composé  quelques  comédies. 
Son  neveu  Pacuvius  traduisit  plusieurs  pièces  de 
Sophocle  dans  un  style  et  dans  une  versification 


LATINE  (LITTÉRATURE)     —  1123  —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


.'lui  font  souvent  tort  à  son  modèle;  cntin  Attius 
acclimata  tout  à  fait  la  tragi^die  à  Rome  en  trai- 
tant des  sujets  romains;  mais  l'œuvre  de  ces  poètes 
ne  nous  est  parvenue  que  très  mutilée.  Il  ne  nous 
reste  aussi  que  des  fragments  d'un  autre  comique, 
Cécilius  ;  cet  écrivain  avait  imité  les  Grecs  avec 
plus  de  fidélité.  C'est  aussi  le  caractère  de  Té- 
rence,  le  plus  célèbre  comique  latin  après  Plaute. 
Il  était  originaire  de  Cartilage,  mais  vint  de  bonne 
heure  .^  Rome,  où  il  fut  l'esclave  du  sénateur 
Térontius  Lucanus,  qui  lui  fit  donner  une  éduca- 
lion  libériile  et  l'afl'ranchit.  A  vingt-six  ans  il  pré- 
senta aux  édiles  une  comédie  dont  le  succès  fut  si 
grand  qu'il  excita  de  vives  jalousies.  Scipion 
lïmilien  et  Lélius  l'admirent  dans  leur  intimité  ; 
on  alla  même  jusqu'à  dire  qu'ils  étaient  les  inspi- 
rateurs, sinon  les  véritables  auteurs  de  ses  meil- 
leures pièces.  Il  se  fait  gloire  lui-même,  dans  le 
prologue  d'une  de  ses  comédies,  de  ce  haut  patro- 
nage et  do  cette  précieuse  collaboration.  Après 
avoir  donné  plusieurs  pièces  qui  eurent  toutes 
grand  succès,  il  alla  faire  un  voyage  en  Grèce  et 
y  recueillit  les  manuscrits  de  Ménandre.  Mais  au 
retour  son  vaisseau  fit  naufrage,  et  de  chagrin  d'a- 
voir perdu  tous  ses  trésors  littéraires,  il  tomba 
malade  et  mourut.  Les  pièces  que  nous  possédons 
de  lui  sont:  VAndrierme,  imitée  par  Baron;  VHé- 
cijre  ou  ta  belle-ynérf,  le  Bouireini  de  sni-méme, 
le  Phoniiinn  que  Molière  a  beaucoup  imité  dans  les 
Fourberies  de  Scapiii,  l'Eunuque,  et  enfin  les 
Adelphes  dont  Molière  a  tiré  l'Ecole  des  Mnris. 
Le  caractère  de  Térence  n'est  pas  l'originalité  ;  il 
a  suivi  de  très  près  Ménandre,  bien  qu'il  ait  sou- 
vent fondu  plusieurs  pièces  de  son  modèle  en 
une  seule.  Ses  intrigues  sont  un  peu  monotones  ; 
il  n'a  ni  la  vivacité,  ni  la  fraîcheur,  ni  la  variété  de 
Plaute  ;  par  contre  il  est  exempt  d'extravagance, 
et  son  stylo  est  élégant  et  correct.  César,  qui  le 
trouvait  trop  pauvre  en  verve  comique,  l'appelait, 
dit-on,  un  demi-Ménandre.  Ses  caractères  sont 
soigneusement  dessinés,  et  il  excolle  dans  le  dia- 
logue de  la  vie  ordinaire,  tandis  qu'il  rend  fai- 
blement le  langage  de  la  passion.  C'est  un  poète 
raffiné,  plutùt  fait  pour  charmer  leo  connaisseurs 
que  pour  plaire  au  peuple. 

Presqu'ii,  la  même  époque  où  le  drame  naissait  i 
à  Rome,  la  poésie  épique  s'y  acclimatait  aussi. 
Livius  Andronicus  avait  fait  une  traduction  de  l'O- 
dyssée qui  devint  bientôt  classique  et  qu'on  appre- 
nait dans  les  écoles,  comme  le  raconte  Horace  ; 
Ennius,  étranger  comme  Andronicus,  originaire 
de  la  Grande-Grèce  et  qui  avait  été  amené  à  Rome 
par  Caton  l'Ancien,  voulut  écrire  des  Annales  en 
vers,  dans  lesquelles  il  racontait  l'histoire  de  Rome, 
depuis  l'arrivée  d'Enée  en  Italie,  en  suivant  l'ordre 
•chronolofiique  des  événements  jusqu'aux  temps 
mêmes  où  vivait  le  poète.  Mais,  bien  que  les  Ro- 
mains aient  voulu  voir  en  Ennius  une  sorte  d'Ho- 
mère latin,  il  est  évident,  d'après  les  fragments 
qui  nous  sont  parvenus  de-cette  grande  épopée 
historique,  que  la  valeur  artistique  de  cet  ouvrage 
était  assez  mince.  Ennius  mériterait  cependant  sa 
renommée,  ne  fût-ce  que  pouravoirabandonnél'an- 
cien  mètre  ditsate'-nie?!,etadoptélesm6tresinvcn- 
tés  par  les  Grecs.  Cnéus  Na^vius  avait  composé 
aussi  un  récit  héroïque  de  la  première  guerre  pu- 
nique. 

Si  on  ajoute,  aux  genres  que  nous  venons  do 
parcourir,  quelques  épigrammcs  et  quelques  cau- 
series en  vers  sur  divers  sujets,  qu'Ennius  intitula 
Satires,  et  qu'imita  Lucilius  en  y  introduisant  un 
élément  de  raillerie  contre  les  mœurs  du  temps, 
d'attaques  personnelles  qui  ont  donné  à  ce  mot 
de  satire,  signifiant  d'abord  simplement  mélange, 
le  sens  de  poésie  caustique  qu'il  a  gardé  jusqu'à 
ce  jour,  on  aura  parcouru  tout  le  champ  de  la 
poésie  latine  jusqu'à  la  fin  du  vi«  siècle  do  Rome. 
Enfin,  sur  le  seuil  mémo  du  siècle  d'Auguste, 


deux  poètes  qui  forment  la  transition  avec  la  pé 
riode  suivante,  Lucrèce  et  Catulle,  nous  font  pres- 
sentir l'âge  de  maturité  :  «  11  y  a  dans  l'année,  dit 
M.  Patin,  des  jours  intermédiaires  qui  ne  sont 
déjà  plus  l'hiver,  qui  ne  sont  pas  encore  le  prin- 
temps, et  où  certaines  plantes,  sentant,  on  le  croi- 
rait, l'approche  de  la  tiède  saison,  se  couvrent 
prématurément  de  fleurs  et  de  feuillage  :  c'est 
ainsi  que  fleurit,  que  verdit,  dans  les  vers  de  Lu- 
crèce et  de  Catulle,  la  poésie  de  Virgile  et  d'Ho- 
race, u 

Lucrèce,  le  poète  athée,  qui  travaillait  la  nuit, 
en  proie  à  un  génie  fiévreux  voisin,  dit-on,  de  la 
folie,  révèle,  dans  son  magnifique  poème  didac- 
tique de  la  Nature  des  choses,  aux  Romains 
grossiers  et  superstitieux  mais  déjà  travaillés  par 
les  premières  atteintes  du  scepticisme,  les  beau- 
tés de  la  libre  philosophie  grecque,  en  même 
temps  que  des  théories  d'une  haute  portée  scien- 
tifique sur  l'origine  et  l'essence  des  êtres.  Il  est 
impossible  de  ne  pas  admirer  l'ardeur  avec  la- 
quelle il  acclame  la  doctrine  d'Epicure,  y  cher- 
che une  genèse  rationnelle  du  monde,  une  phy- 
sique et  une  métaphysique  satisfaisantes,  et  la 
représente  comme  arrachant  l'humanité  aux  té- 
nèbres et  à  la  superstition  ;  souvent  son  génie 
l'emporte  même  en  dehors  dos  limites  qu'il  s'é- 
tait tracées,  et  son  inspiration  véhémente  enfante 
une  poésie  moins  achevée  que  celle  de  Virgile, 
mais  parfois  plus  primesautière  et  plus  grande 
par  sa  simplicité  même. 

Disciple  aussi  et  imitateur  des  Grecs,  Catulle 
écrivit  un  poème  religieux,  A^ys,  et  un  poème 
héroïque,  les  Noces  de  Thêtis  el  Pelée,  qui  n'é- 
taient peut-être  que  des  traductions  d'un  auteur 
grec.  Catulle,  qui  mourut  très  jeune,  aurait  en 
tout  cas  mérité  l'immortalité  par  ses  épigram- 
nies  et  surtout  ses  poésies  lyriques,  dont  les  plus 
connues  _sont  ses  vers  adressés  à  Lesbie,  idole 
probablement  peu  digne  d'une  si  fervente  ado- 
ration. 

Quant  à  la  prose,  c'est  par  l'histoire  qu'elle  dé- 
bute ù  Rome.  Les  grandes  Annules  des  pontifes, 
qui  enregistraient  sèchement  les  événements  dans 
l'ordre  chronologique,  avaient  été  interrompues. 
Des  chroniques  et  des  mémoires  individuels  les 
remplacèrent  de  bonne  heure.  Parmi  les  plus  an- 
ciens historiens  romains,  qui  écrivaient  en  grec, 
le  premier  en  date  et  le  plus  important  est  Fabius 
Pictor,  qui  vivait  au  temps  de  la  seconde  guerre 
punique  ;  il  faisait  commeurer  son  récit  à  Enée  et 
le  poursuivait  jusqu'à  son  projive  siècle.  Au  nombre 
des  plus  anciens  spécimens  de  [."ose  latine,  il  faut 
citer  le  sénatus-consulte  sur  les  l'.'icchaiiales.^ 

Les  tendances  nationales  du  cararlère  romain  à 
cette  époque  s'incarnèrent  surtout  dans  la  per- 
sonne de  Marcus  Portius  Caton,  surnommé  le  Cen- 
seur, caractère  vigoureusement  trempé,  doué  d'une 
indomptable  énergie,  alliée  à  une  finesse  c;t  à  une 
ruse  de  campagnard  ;  Caton  est  le  type  par  exceU 
lence  du  vieux  Romain,  patriote  avant  tout,  dur 
pour  les  autres  comme  pour  lui-même,  sans  être 
pourtant  exempt  d'égoisme  et  de  vanité.  Malgré 
le  grand  mépris  qu'il  professait  pour  les  lettres 
et  pour  les  lettrés  et  surtout  pour  la  culture  grec- 
que, il  a  mérité  d'être  regardé  lui-même  comme 
le  premier  prosateur  romain.  Il  lut  un  des  pre- 
miers orateurs  romains  qui  écrivirent  et  publièrent 
leurs  discours.  Gicéron  en  connaissait  de  lui  plus 
do  cent  cinquante.il  nous  est  resté  dos  fragments 
d'environ  quatre-vingts:  les  uns,  plaidoyers  judi- 
ciaires, les  autres,  discours  politiques  prononcés  de- 
vant le  Sénat  ou  devant  une  assemblée  du  peu- 
ple. Ces  fragments  témoignent  d'une  grande  élo- 
quence naturelle,  d'un  mélange  d'enjouement  et 
do  sérieux  et  d'un  art  déjà  accompli  à  manier  la 
raillerie.  Caton  fut  aussi  historien  ;  il  composa 
dans  sa  vieillesse  sept  livres  intitulés  :  les  Oriyi- 


LATINE  (LITTÉRATURE)     —  U26  —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


nés,  ouvrage  auquel  il  travailla  jusqu'à  la  fin  de 
sa  vie.  C'étaient  des  espèces  d'annales  ethnogra- 
phiques et  historiques  de  l'ancienne  Italie,  tantôt 
concises,  tantôt  détaillées,  et  où  pouvaient  trouver 
place  des  harangues  composées  par  l'auteur  II 
écrivit  aussi  des  traités  sur  l'agriculture,  l'hy- 
giène,   l'éloquence,  l'art  militaire,  etc. 

Son  Traitèsurf  aijricuUiire  est  la  seu\  de  ses  ou- 
vrages qui  ait  survécu  tout  entier. 

Après  Caton,  les  plus  grands  noms  de  la  trilnme 
romaine  sont  ceux  des  deux  Gracques,  ces  patri- 
ciens qui  se  sont  mis  au  service  de  la  cause  popu- 
laire, et  dont  la  parole  eut  tant  de  retentissement  ; 
de  Marins,  dont  la  rude  éloquence  soulevait  les 
passions  de  la  multitude  ;  de  Marc-Antoine,  aïeul 
du  triumvir,  et  de  (^rassus,  l'orateur  lettré  ,  qui 
ne  se  contentait  pas  d'exceller  dans  son  art,  mais 
■  en  cherchait  aussi  et  en  fixait  la  théorie  idéale. 


III. 


PÉRIODE  DE  PEllFECTION. 


Ce  qui  marque  la  transition  entre  la  seconde 
et  la  troisième  période,  c'est-à-dire  entre  la  pé- 
riode de  formation  et  la  période  de  perfection 
dans  laquelle  nous  allons  entrer,  ce  ne  sont  pas 
seulement  les  grands  changements  politiques  et  la 
fin  des  guerres  civiles,  c'est  le  triomphe  définitif 
de  linflueiice  grecque. 

Le  siècle  d'Auguste  présente  la  fusion  harmo- 
nieuse du  génie  hellénique  et  du  génie  romain  ; 
le  résultat  de  cette  alliance  est  une  littérature 
exquise,  délicate  par  la  forme,  mais  qui  manque 
un  peu  d'originalité  dans  le  fond.  L'âge  d'Auguste 
présente  un  double  aspect;  à  côté  des  institu- 
tions nouvelles  qui  se  forment,  on  sent  des  insti- 
tutions anciennes  qui  s'en  vont.  Si  c'est  l'avène- 
ment de  la  monarchie,  c'est  aussi  la  mort  de  la 
République.  Parmi  les  grands  écrivains  de  ce  siè- 
cle, plusieurs  ont  ressenti  le  contre-coup  des  évé- 
nements ;  plusieurs  ont  passé  leur  jeunesse  à 
combattre  pour  la  liberté  expirante,  tandis  qu'ar- 
rivés à  la  maturité  de  leur  vie,  ils  se  rallient  peu  à 
peu  au  parti  du  vainqueur.  C'est  le  cas  principa- 
lement d'Horace.  L'éloquence,  encore  plus  que  la 
poésie,  souffrit  du  caractère  ambigu  de  cette  époque 
nouvelle.  La  vie  publique,  si  active  sous  la  Répu- 
blique, se  ralentit  et  cessa  peu  à  peu  soes  le 
principat  d'Auguste  ;  les  assemblées  populaires 
deviennent  rares  et  sans  importance,  et  le  rôle 
du  Sénat  et  des  tribunaux  fut  amoindri  au  profit 
du  monarque  qui  absorba  tout  dans  sa  personne. 
D'autre  part,  ce  déi'.in  de  la  vie  politique  favo- 
risa le  développe  nent  de  l'érudition  et  d'une 
poésie  raffinée,  d'imitation  plutôt  que  d'inven- 
tion. Les  poè  os  écrivent  pour  un  cercle  choisi, 
pour  les  connaisseurs  et  pour  les  âges  à  venir  ; 
ils  ne  sont  point  en  sympathie  avec  le  gros  de 
leurs  contemporains  ;  «  ces  poètes  artistes,  ces 
poètes  de  cour,  »  comme  les  appelle  Teuffel  dans 
son  excellente  Histoire  de  la  Ultérntuie  lutine, 
encouragés  p.ir  Auguste,  raillaient  la  foule  qui 
leur  rendait  leurs  sarcasmes,  et  qui  regrettait 
ses  vieux  poètes  nationaux,  au  génie  inculte, 
aux  vers  raboteux,  mais  qui  étaient  beaucoup  plus 
selon  le  cœur  du  peuple. 

Parmi  les  cercles  littéraires  qui  s'étaient  for- 
més autour  du  vainqueur  d'Actium,  il  faut  sur- 
tout mentionner  celui  que  présidait  Mécène,  riche 
favori  du  prince,  qui  se  fit  le  patron  des  érudits 
et  des  poètes.  Outre  Horace,  ce  cercle  compre- 
nait Virgile,  Varius,  Quintilius  Varus,  Properce, 
tous  plus  ou  moins  partisans  du  nouveau  régime. 
Un  autre  cercle,  celui  do  Mcssala,  était  moins 
favorable  aux  changements  politiques,  et  parait 
avoir  été  plus  indépendant  ;  c'est  à  ce  groupe  que 
se  rattachait  Tibulle  et  aussi  Ovide,  dont  Auguste, 
redevenu  soupçonneux  dans  sa  vieillesse,  signa 
la  proscription  en  même  temps  que  celle  d'autres 


lettrés  qui  avaient  embrassé  l'opposition,  tels  que 
Labiénus  et  Cassius  Sévérus. 

La  plupart  des  productions  littéraires  de  cotte 
époque    sont    destinées    seulement    îi    être    lues  , 

dans  les  «  Récitations,  n  devant  un  public  d'élite 
naturellement  restreint. 

Voyons  rapidement  la  part  des  principaux 
écrivains  que  nous  venons  de  nommer,  dans  la 
grande    œuvre  cominune    du    siècle    d'Auguste. 

Auguste  et  ses  favoris.  Mécène  et  Agrippa,  ne  1 
se  sont  pas  contentés  d'encourager  les  lettres  ;  ils  1 
ont     cus-nièmcs     composé     plusieurs     ouvrages  ' 

(Beulé.  Auguste,  sa  famille  et  ses  amis,  Paris,  IStJT).         J 

Les  deux  personnages  les  plus  importants  après 
eux  dans  l'opinion  do  leurs  contemporains  sem- 
blent avoir  été  deux  riches  patriciens,  lettrés  et 
protecteurs  des  gens  de  lettres,  Asinius  Pollion  et 
Messala  ;  le  premier,  auteur  de  tragédies  et  d'une 
histoire  inachevée  des  guerres  civiles;  le  second, 
orateur  de  renom,  grand  admirateur  de  la  litté- 
rature grecque  et  auteur  lui-même  de  poésies 
écrites  en  grec. 

Mais  la  postérité  a  un  peu  oublié  les  patrons 
pour  ne  se  souvenir  que  de  leurs  brillants  protégés. 
Virgile,  né  près  de  Mantoue  de  parents  pauvres, 
avait  reçu  une  éducation  soignée.  Il  perdit  son 
héritage  paternel,  confisqué  au  profit  des  soldats 
d'Octave,  qui  no  le  lui  fi  t  rendre,  plus  tard,  que  grâce 
à  l'intervention  d'amis  influents,  probablement 
Pollion  et  Mécène.  Virgile  en  exprime  sa  reconnais- 
sance à  plusieurs  reprises  dans  ses  églogues.  C'était 
une  nature  frêle,  d'un  caractère  innocent  et  tendre, 
et  de  goiits  paisibles;  il  fut  bon  fils  et  ami  fidèle; 
mais  il  lui  manquait  le  sens  de  la  vie  pratique  ; 
ce  qu'il  traite  le  mieux,  c'est  la  description  de 
la  campagne,  la  peinture  de  son  pays  natal  ;  les 
attachements  de  la  famille,  les  affections  du 
foyer,  enfin  les  troubles  de  l'amour.  Il  ne  sut  pas 
persister  dans  la  voie  qui  convenait  le  mieux  à 
son  génie  ;  il  se  laissa  entraîner  vers  des  sujets 
de  commande  où  il  ne  pouvait  pas  être  original. 
Il  ramassa  patiemment  les  matériaux  de  son 
Enéide,  en  érudit  plutôt  qu'en  poète  inspiré, 
cherchant  à  combiner  les  traditions  latines  avec 
les  légendes  grecques.  Cepenlant,  ce  travail 
assidu  donna  h  ses  vers  une  correction,  une  élé- 
gance de  facture  qui  rehausse  merveilleusement 
le  charme  du  sujet  et  lui  a  mérité  de  rester  le 
poète  latin  classique.  Les  poèmes  qu'il  a  laissés 
sont,  d'abord,  les  Bucoliques  (mot  à  mot,  chant 
des  bouviers),  consistant  en  dix  églogues,  imita- 
tion et  parfois  traduction  presque  littérale  de 
Théocrite,  mais  avec  un  mélange  artificiel  de  per- 
sonnages et  d'événements  cojitemporains.  André, 
Chénier  dans  ses  Idylles  a  imité  et  souvent  égalé 
Virgile,  dont  les  bergers  manquent  de  simplicité 
et  parlent  un  peu  trop  un  langage  de  convention. 
Les  Eglogues  les  plus  célèbres  sont  :  la  \",  où 
Virgile  se  met  en  scène  sous  le  nom  de  Tityre  et 
vante  la  générosité  du  prince  qui  lui  a  rendu  son 
patrimoine  ;  la  3°",  où  deux  bergers  se  disputent 
le  prix  du  chant;  la  î,"",  dont  le  sujet  est  la  mort 
et  l'apothéose  du  berger  Daphnis,  inventeur  de  la 
poésie  bucolique;  la  6»%  où  Silène,  garrotté  par 
deux  faunes  et  une  nymphe,  n'obtient  sa  liberté 
qu'en  chantant  des  légendes  mythologiques;  enfin, 
la  10"'^  qui  chante  les  plaintes  du  poète  Gallus, 
ami  de  Virgile  et  abandonné  par  la  volage  Lycoris. 
Virgile  avait  un  peu  plus  de  trente  ans,  quand  h 
la  prière  de  Mécène,  peut-être  d'Auguste,  il  com- 
mença les  Géorgiqiies  (littéralement  travaux  de  la 
terre),  poème  sur  l'agriculture  qu'il  mit  sept  an- 
nées à  composer.  A  la  suite  des  guerres  civiles, 
l'agriculture  était  tombée  en  défaveur,  la  cam- 
pagne manquait  de  bras  ;  il  fallait  encourager  les 
Romains  à  retournera  la  charrue  si  honorée  chez 
leurs  aïeux;  c'est  ce  que  voulut  faire  Vii'gilo  par 
les  Giiorgiijucs.  Le  poème  comprend  quatre  livres  : 


LATINE   (LITTÉRATURE)     —   1127   —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


1'',  cultui'O  de  la  terni;  11',  culture  des  arbres  et 
priiicipalcment  do  la  vigne  et  de  l'olivier  ;  111'-',  clèvo 
dos  troupeaux;  IV",  a]iiculture. 

Les  passages  les  plus  célèbres  des  Géorr/iqiies 
sont  ce  qu'on  appelle  les  rpixodes,  digressions 
dont  les  principales  snnt  :  la  description  des  pro- 
diges qui  suivirent  la  mort  do  César  (livre  I), 
l'éloge  de  l'Italie  et  la  description  du  bonheur 
champêtre  (livre  II),  la  peste  des  animaux  (livre  III) 
et  l'épisode  du  berger  Aristée,  suivi  du  récit  de 
la  descente  d'Orplice  aux  enfers  (livre  IV).  Delille 
a  doniu;  des  Géorgiques  une  traduction  en  vers 
français,  renommée  pour  son  exactitude  et  son 
élégance. 

h' Enéide,  épopée  on  douze  livres,  n'était  pas  ter- 
minée Ma  mort  de  l'auteur,  qui  en  avait  commandé 
la  destruction  :  elle  fut  conservée  contre  son  désir. 
C'est  le  récit  des  destinées  d'Enéc,  héros  troyon, 
fondateur  d'une  seconde  Troie  et  indirectement  de 
Rome,  ancêtre  de  la  famille  Julia  et  par  suite 
d'Auguste.  On  voit  l'intention  flatteuse  du  poète 
courtisan.  Dans  la  première  partie,  Virgile  mon- 
tre sa  familiarité  avec  la  mythologie  helléni- 
que; dans  la  seconde,  sa  grande  connaissance  de 
l'histoire  locale  des  villes  d'Italie.  Il  excelle  dans 
la  description  des  sentiments  de  l'àme  ;  cependant 
son  héros,  trop  uniformément  pieux  et  sage,  estpeu 
intéressant. 

h'Eiiéide  renferme  à  la  fois  une  Odyssée  et  une 
Iliade  ;  la  première  partie  raconte  le  voyage  de  la 
flotte  troyenne  en  roule  pour  l'Italie  et  qu'une 
tempête  a  jetée  sur  les  côtes  d'Afrique.  Enéo,  re- 
cueilli par  la  reine  Didon,  raconte  la  prise  de 
Troie  et  inspire  une  violente  passion  à  la  reine, 
qui  le  retient  comme  Calypso  retenait  Ulysse  dans 
son  île.  Désespérée  du  départ  d'Enée,  Didon  se  I 
donne  la  mort.  La  fin  du  poème,  celle  où  l'on  sent 
surtout  l'influence  de  l'Iliade,  contient  l'établisse- 
ment des  Troyens  en  Italie,  où  le  roi  du  Latiura, 
Latinus,  accueille  Ejiée  et  lui  accorde  la  main  de 
s,i  fille  déjà  promise  au  roi  des  Rutules,  Turnus. 
Turnus  prend  les  armes  pour  reconquérir  sa  fian- 
cée, et  après  une  lutte  prolongée  et  des  batailles 
sanglantes,  il  périt  dans  un  combat  singulier  qui 
termine  la  guerre. 

L'Enéide  a  été  aussi  traduite  par  Delille  ;  on 
sait  que  Scarron  en  a  fait  une  parodie  assez  amu- 
sante intitulée  /  Enéide  Irarestie. 

Le  nom  d'Horace  ne  se  sépare  pas  de  celui  de 
Virgile.  Né  k  \  enouse  et  fils  d'un  afi'ranclii,  ins- 
truit à  Rome  et  plus  tard  à  Athènes,  où  il  connut 
Brutus,  Horace  a  combattu  pour  la  cause  républi- 
caine ;  mais  la  défaite  de  Philippes,  où  il  abandonna 
son  bouclier  pour  fuir  plus  vite,  termina  sa  carrière 
militaire. Il  profitade  l'amnistie  pour  rentrer  àRome. 
où  il  acheta  la  charge  de  greffier  d'un  questeur.  H 
se  fit  connaître  d'abord  en  publiant  des  Satiret  et 
des  Epodes.  Il  touche  peu  dans  ses  satires  à  la 
politique,  car  les  blessures  des  guerres  civiles  sai- 
gnaient encore,  et  c'est  surtout  aux  vices  sociaux 
et  aux  travers  littéraires  qu'il  s'attaque,  se  faisant 
l'apôtre  de  la  morale  et  du  bon  sens,  mais  avec 
beaucoup  d'aisance  et  de  variété  dans  le  ton.  Il 
fut  présenté  par  Virgile  à  Mécène,  qu'il  accompagna 
dans  son  voyage  à  Brindes  et  qui  lui  fit  don  d'un 
«  charmant  petit  coin  de  terre  »  dans  la  campagne 
Sabine.  Mécène  le  présenta  plus  tard  à  Octave; 
Horace  ne  survécut  pas  longtemps  i  son  bienveil- 
lant patron  et  fut  etiterré  près  de  lui. 

Ses  autres  ouvrages  sont  quatre  livres  à'Ode< 
à^  l'imitation  des  lyriques  grecs,  principalement 
d'AlpIiée  et  de  Sapho,  touchant  avec  un  désordre 
savant  aux  sujets  les  plus  divers,  religion,  morale, 
littérature,  passant  d'une  chanson  i  boire  à  un 
billet  d'amour,  d'un  hymne  patriotique  à.  l'éloge 
d'un  ami  ou  d'un  protecteur.  Horace  montre  une 
morale  aimable  et  indulgente,  un  peu  trop  sen- 
suelle. On  ne  louera  jamais  trop  la  flexibilité  de 


ce  t.'dent  si  pur  et  ce  style  dont  Monta'gne  a  dit 
qu'il  ne  se  contente  jamais  d'une  superficielle 
expression  et  qu'  «  il  veoit  plus  clair  et  plus  oultre 
dans  les  choses  ».  Son  rêve  est  la  tranquillité  d'es- 
prit h  l'abri  des  orages  de  la  passion.  Rien  ne  lui 
est  plus  étranger  que  l'exagération,  la  déclamation  ; 
ne  perdant  jamais  de  vue  la  brièveté  de  la  vie,  la 
fragilité  Immaine,  il  parle  de  lui-même  d'un  ton 
enjoué,  et  avec  ironie  de  tous  ceux  qui  se  croient 
grands.  Il  excelle  h.  l'aire  des  tableaux  en  raccourci 
et  il  enchâsser  une  pensée  morale  dans  une  forme 
qui  séduit  l'imagination  et  qui  ne  s'oublie  pas. 
De  là  l'immortelle  popularité  d'Horace,  de  tous  les 
poètes  celui  qu'on  relit  le  plus.  Malheureuseraentce 
charme  se  fane  le  plus  souvent  dans  la  traduction, 
car  il  tient  beaucoup  au  choix  et  à  la  place  des 
mots  de  la  langue  originale,  à  l'harmonie  parfaite 
du  mètre  et  au  tour  do  la  strophe.  La  traduction 
de  Jules  Jaiiin,  quoique  très  libre  d'allures,  est  la 
meilleure  pour  ceux  qui  n'ont  pas  l'intelligence  do 
la  langue  latine  et  ne  peuvent  pas  lire  l'auteur 
dans  le  texte.  De  ses  Ëpitres,  composées  dans  le 
même  mètre  que  ses  Sutir  s,  riches  en  détails  sur 
le  caractère  et  les  vues  littéraires  de  l'auteur,  la 
plus  célèbre  est  celle  qu'il  adressa  aux  Pisons  et 
que  l'on  appelle  son  Art  poétique.  On  connaît 
l'imitation  originale  qu'en  a  faite  Boileau,  et  dans 
laquelle  presque  tous  les  traits  saillants  ont  été 
conservés. 

Il  est  remarquable  de  voir  combien  la  poésie  dra- 
matique tient  peu  de  place  au  siècle  d'Auguste  ; 
les  quelques  tragédies  dont  il  est  question,  comme 
la  Médée  d'Ovide  et  le  T/ii/este  do  Varius,  malheu- 
reusement perdues,  n'étaient  pas  destinées  à  la 
représentation  ;  et  la  comédie  était  retournée  aux 
mimes. 

L'élégie,  au  temps  d'Auguste,  est  représentée 
par  Ovide,  qui  s'est  fait  dans  ses  lléroïdei:  le  tendre 
interprète  des  amantes  délaissées,  et  qui  a  aussi 
chanté  ses  propres  infortunes  dans  trois  autres  re- 
cueils, les  .4moi/ra,  les  Tristes  etles  É/jilres  écrites 
du  Pont;  il  estplus  connu, cependant, parson  poème 
des  Métiniiorphoses,  longue  suite  de  îi(l  légendes 
mythologiques,  commençant  au  chaos  du  monde 
et  se  terminant  à  la  luort  de  César.  Ovide  avait  été 
précédé  dans  le  genre  de  l'élégie  par  plusieurs 
poètes  moins  féconds,  mais  qui  sont  souvent  ses 
égaux  dans  la  peinture  de  l'amour.  Properce,  et 
surtout  TibuUe,  dont  l'aimable  génie  a  été  heu- 
reusement caractérisé,  quoique  d'une  manière  un 
peu  aft'ectée,  dans  un  vers  célèbre  de  Boileau  : 

Amour  dictait  les  vers  que  soupirait  Tibullc. 

Dans  la  prose  comme  dans  la  poésie,  la  période 
qui  va  du  temps  de  Sylla  jusqu'à  la  fin  du  siècle 
d'Auguste  est  aussi  un  âge  d'or  littéraire;  l'élo- 
quence et  l'histoire  y  sont  représentées  par  d(!s 
noms  immortels.  Ce  sont  d'abord,  parmi  les 
orateurs,  Hortensius,  Jules  César,  Cicéron. 

Le  premier,  dont  les  discours  ne  nous  sont  pas 
parvenus,  était  doué  d'une  mémoire  extraordi- 
naire, d'une  élocution  merveilleuse  et  d'une  dia- 
lectique aussi  savante  que  varice.  Tout  autre 
était  l'éloquence  de  Jules  César,  qui  porta  dans 
les  conseils  et  les  discussions  du  Sénat  les  qua- 
lités de  l'homnio  d'Etat  et  du  capitaine:  sévérité 
de  la  forme,  netteté  dans  les  idées,  vivacité,  pré 
cision.  Mais  l'orateur  romain  par  excellence,  celui 
qui  restera  pour  la  postérité  le  type  du  grand 
avocat  romain,  c'est  Cicéron.  La  nature  lui  avait 
donné,  avec  un  grand  talent,  un  esprit  propre  à  tout, 
des  instincts  généreux  et  des  aspirations  élevées. 
Malgré  certaines  défaillances,  son  caractère  ne 
peut  manquer  d'inspirer  le  respect  et  fait  contraste 
avec  l'égoisme  qui  régnait  dans  son  entourage. 
Ressentant  toujours  l'impression  du  moment,  il 
n'avait  pas  toute  la  stabilité  d'espi'it  nécessaire  à 
l'homme  d'Etat,  et  pourtant  ne  pouvait  pas  se  rési- 


LATINE  (LITTÉRATURE)    —  H28  —     LATINE  (LITTÉRATURE) 


gner  ii  renoncer  à  la  direction  des  liommes  et  au 
maniement  do  la  cliose  publique.  Il  savait  admi- 
rablement s'assimiler  les  idées  étrangères,  ce 
qui  lui  permit  d'enricliir  considérablement  la  lit- 
térature romaine  par  des  emprunts  qu'il  rendait 
originaux;  et  il  peut  être  considéré  comme  le 
créateur  de  la  prose  latine  classique,  à  laquelle  il 
a  donné  une  forme  si  bien  en  harmonie  avec  le 
génie  de  la  langue  latine,  que  plusieurs  des  écri- 
vains qui  l'ont  suivi  ont  cru  devoir  couler  leur 
style  dans  le  moule  qu'il  avait  laissé.  Ses  discours, 
soigneusement  préparés  à  l'avance,  montrent  une 
grande  vivacité  d'imagination,  un  vocabulaire 
d'une  surabondance  étonnante,  une  pln-ase  tou- 
jours ample  et  sonore,  une  merveilleuse  habileté 
à  passer  de  l'enjouement  au  pathétique,  enfin 
toutes  les  ressources  que  fournissent  la  nature  et 
l'art.  Parfois  sa  rhétorique  a  des  efl'ots  trop  étudiés, 
•  et  la  grandeur  des  mots  ne  sert  qu'i  cacher  la 
pauvreté  do  la  pensée  et  la  faiblesse  de  la  cause. 
Mais,  en  somme,  après  Démosthène,  aucun  orateur 
de  l'antiquité  n'a  su  plus  puissamment  peindre, 
persuader,  émouvoir.  Ses  principaux  discours 
sont  :  les  Verrhies,  sept  discours  destinés  à  con- 
vaincre Caius  Verres  de  cruauté,  de  concussion  et 
de  déprédations  de  toutes  sortes  pendant  sa  pré- 
ture  en  Sicile;  les  Catilinaires,  série  de  quatre 
discours  dans  lesquels  il  déjoue  une  conspiration 
ourdie  contre  la  République  par  Catilina;  le 
discours  pour  la  loi  Manilia,  qui  devait  donner  h 
Pompée  le  commandement  de  la  guerre  contre 
Mithridate;  le  discours  pour  Milon,  accusé  delà 
mort  de  Clodius;  le  discours  pour  Marcellus  et  le 
discours  pour  Ligarius,  demandant  à  César  le  re- 
tour do  di'ux  adversaires  politiques  ;  enfin  les 
quatorze  discours  contre  Marc-Antoine,  appelés 
Philippiques.  Cicéron  n'a  pas  seulement  été  un 
grand  orateur  ;  ses  nombreux  écrits  philosophiques 
et  littéraires  et  principalement  ses  traités  sur  la 
théorie  de  l'art  oratoire,  ses  Lettiei  à  Atticus  et 
à  son  frère,  le  placent  encore  au  premier  rang 
parmi  les  critiques  et  les  épistolaires  de  l'antiquité. 

L'histoire,  depuis  la  période  précédente,  a  fait 
aussi  un  grand  pas;  en  ne  croyant  écrire  que  des 
Mémoires,  César  a  trouvé  du  premier  coup  les 
principales  qualités  du  style  historique  :  la  clarté, 
la  rapidité,  l'exactitude  des  détails,  la  simplicité 
du  récit.  Los  histoires  de  Salluste,  dont  nous  ne 
possédons  que  des  fragments,  ses  deux  récits  de 
la  Guerre  de  Juyuitha  et  de  la  Conspiration  de 
Ciitilina.  où  l'on  sent  plus  que  chez  César  l'ora- 
teur derrière  l'historien,  plus  riches  aussi  en  vues 
philosophiques  et  en  analyses  morales,  sont  des 
ouvrages  de  premier  ordre.  On  peut  encore  citer, 
parmi  les  historiens  de  cette  époque,  Cornélius 
Népos,  un  ami  de  Cicéron,  dont  les  ouvrages  prin- 
cipaux ne  nous  sont  pas  parvenus,  mais  dont  il 
est  possible  d'apprécier  le  style  élégant  et  pur, 
grâce  à  ses  Vies  des  çirands  ca/jitaines,  bien  qu'on 
y  ait  relevé  d'assez  graves  inexactitudes  de  détail. 

La  période  d'Auguste  produisit  l'Histoire  ro- 
maine de  Tite-Live,  magnifique  monument  qui 
nous  est  arrivé  malheureusement  très  mutilé;  ii 
ne  reste  que  ■'>b  livres  des  150  dont  se  composait 
cette  histoire.  Tite-Live  est  encore  un  historien  de 
l'école  oratoire,  auquel  on  peut  reprocher  de  n'a- 
voir pas  été  assez  scrupuleux  dans  la  recherche 
des  documents  dont  il  se  servait,  souvent  satisfait 
de  répéter  en  les  embellissant  les  récits  de  Polybe 
et  des  autres  annalistes.  Quoique  un  peu  optimiste, 
grâce  à  la  nature  douce  et  conciliante  de  son  es 
prit,  il  s'efforce  d'être  impartial  ;  admirateur  en- 
thousiaste des  vertus  viriles  de  l'ancienne  Rome, 
il  trahit  aussi  une  sympathie  touchante  pour  les 
opprimés  et  les  vaincus.  Son  histoire,  qui  présente 
toujours  les  événements  sous  une  forme  drama 
tique,  abonde  en  discours  qui  sont  restés  des 
modèles  d'éloquence  tempérée.  Les    anciens  ont 


reproché  à  son  style  des  traces  de  provincialisme 
[patavimté]  que  nous  ne  savons  pas  y  retrouver. 
Le  premier  essai  important  d'histoire  universelle, 
bien  que  l'idée  eût  déjà  été  timidement  abordée 
par  Varron,  Atticus  et  Cornélius  Nepos,  remonte  à 
Trogue  Pompée,  dont  l'ouvrage  uous  est  surtout 
connu  par  l'abrCKé  qu'en  a  lait  Justin.  Pendant  la 
période  impériale,  l'histoire,  au  moins  la  fidèle 
relation  des  temps  contemporains,  disparait  à  me- 
sure que  la  flatterie  servile  gagne  du  terrain.  Le 
goût  de  l'érudition  caractérise  la  fin  du  siècle 
d'.\uguste.  Parmi  les  noms  des  nombreux  gram- 
mairiens et  des  savants  de  cet  âge,  il  faut  citer 
ceux  de  Cinnius  Capito,  Fenestella,  Hygin  et 
celui  de  l'architecte  Vilruve. 

IV.   PÉRIODE    DE    DÉCADIÎNCE. 

A  l'époque  impériale,  le  despotisme  croissant 
qui  suivit  la  monarchie  d'Auguste  éteignit  gra- 
duellement toute  vie  intellectuelle,  toiîte  indé- 
pendance dans  la  littérature.  La  poésie  et  l'élo- 
quence durent  se  taire  ou  prendre  un  langage 
hypocrite.  Toujours  espionnés  ou  du  moins 
croyant  l'être,  les  écrivains  de  cet  âge  se  sentaient 
pour  ainsi  dire  sur  la  scène.  Ils  ne  suivaient  point 
une  inspiration  libre,  mais  calculaient  l'effet  que 
produiraient  leurs  écrits  et  leur  conduite  sur  l'es- 
prit de  leurs  contemporains  et  de  la  postérité  ; 
aussi  la  littérature  de  cette  époque,  éloquence, 
histoire,  poésie,  a-t-elle  un  caractère  théâtral  dont 
le  style  même  se  ressent;  on  ne  parle  pas.  on 
déclame.  L'incertitude  de  l'existence,  les  appré- 
hensions continuelles  où  l'on  vit,  donnent  à  toutes 
les  productions  de  ce  temps  quelque  chose  de 
fiévreux,  d'agité,  de  morbide.  On  veut  frapper  les 
imaginations  par  des  idées  surprenantes  plutôt 
que  profondes,  par  du  clinquant,  une  concision 
laborieuse,  une  obscurité  artificielle,  un  coloris 
surabondant.  C'est  le  règne  des  rhéteurs.  Tibère 
impose  silence  aux  lettres  ;  l'éloquence  est  celle 
des  délateurs,  la  philosophie  reste  dans  l'ombre, 
la  poésie  ne  compte  que  des  noms  obscurs  ; 
l'histoire  ne  produit,  outre  Tibère  lui-môme,  au- 
teur de  mémoires  qui  furent  la  lecture  favorite 
de  Domitien,  que  deux  auteurs,  Velléius  Pater- 
culus,  qui  admire  aveuglément,  dans  un  style 
pompeux  et  affecté,  tout  ce  que  fait  l'empereur, 
son  ancien  général,  et  Valèie  Maxime,  écrivain 
aussi  servile,  avec  moins  de  talent,  compilateur 
sans  goût  et  sans  discernement,  qui  nous  a  laissé 
neuf  livres  d'anecdotes  indigestes.  La  grammaire, 
grâce  à  son  caractère  inofl'ensif,  est  le  seul  genre 
qui  fleurit  réellement  à  cette  époque  avec  Justus 
Modestus  et  Pomponius  Marcellus;  quant  à  la 
poésie,  elle  n'e.st  presque  représentée  que  par  des 
traductions;  l'ouvrage  le  plus  original  fut  une 
traduction  en  vers  des  Fables  d'Ksope  par  Phèdre. 
Sous  les  successeurs  de  Tibère,  Caligula,  Claude 
et  Néron,  où  l'on  voit  gouverner  tour  à  tour  l'in- 
trigue, la  malice,  la  méchanceté,  la  force  brutale, 
la  littérature  et  surtout  la  philosophie  sont  le 
refuge   de  quelques  âmes   d'élite. 

L  1  figure  qui  domine  cette  époque  est  celle  de 
l'Espagnol  Sénèque,  sénateur  sous  Caligula  et 
Claude,  puis  précepteur  de  Néron,  préteur  et  con- 
sul. On  sait  comment  il  sévit  forcé  au  suicide,  ac- 
cusé d'avoir  participé  à  la  conspiration  de  Pison. 
C'est  un  écrivain  de  beaucoup  de  talent,  philosophe 
d'apparat  plutôt  que  de  conviction,  qui  pose  devant 
ses  amis  et  devant  lui-même.  Il  cherche  à  caresser 
le  goût  de  l'époque  dans  le  choix  des  sujets  qu'il 
aborde  comme  dans  la  manière  de  les  traiter.  Il  est 
moraliste.  Il  aime  à  disserter  plutôt  encore  qu'à 
méditer  sur  le  coeur  humain.  On  relira  toujours 
avec  grand  charme  ses  écrits  philosophiques  pleins 
de  fines  observations,  de  renseignements  érudits 
mais  toujours  présentés  sans  pédantistne,  de  no- 
bles préceptes  que  le  maître    n'a  malheureuse- 


LATINE  (LITTÉRATURE)     —  H 

ment  pas  toujours  suivis  lui-mcSme  dans  sa  vie. 
Après  tout,  la  forme,  dans  Sénèque,  vaut  peut-être 
encore  mieux  que  le  fond,  bien  que  ce  stylo  bril- 
lant, chatoyant,  i  phrases  coupées,  .'i  incessantes 
oppositions  de  mots,  manque  de  simplicité  et  fati- 
gue le  lecteur  à  la  longue.  Les  principaux  ouvra- 
ges de  Sénèque  qui  nous  sont  parvenus  sont  ses 
Lettres  à  LucUius  et  quelques  traités  de  morale 
sur  la  Clémence,  la  Colère,  la  Tranquillité  d'âme. 
On  trouve  aussi  de  réelles  beautés  dans  ses  dix 
tragédies,  d'un  style  trop  sontcntieux,  trop  subtil, 
trop  chargé  d'antithèses,  composées  pour  l'école 
plutôt  que  pour  le  théâtre.  Les  principales  sont  : 
Ptièdre,  Œdipe,  Médée,  Agamemnon,  et  peut- 
être  aussi  une  tragédie  sur  un  sujet  contempo- 
rain, Octavie. 

L'histoire  sous  Caligula  et  Néron  était  géné- 
ralement une  sorte  de  rhétorique  déclamatoire. 
Cependant  sous  Claude  elle  produit  un  ouvrage 
où  l'on  trouve  des  traces  d'une  réelle  critique 
historique,  les  dix  livres  de  Quinte-Curce  sur 
l'histoire  d'Alexandre  le  Grand.  L'ouvrage  de 
Columelle,  compatriote  de  Sénèque,  sur  la  campa- 
gne et  les  travaux  des  champs,  est  une  sorte  de 
paraphrase  prosaïque  des  Géorgiques  de  Virgile. 
Les  principaux  orateurs  sont  les  sénateurs  Pac- 
tus,  Thraséas  et  Helvidius  Priscus.  Les  philoso- 
phes de  cet  âge  écrivent  en  grec,  comme  Carnu- 
tus  et  Epictète  ;  mais  ces  philosophes  stoïciens  et 
plusieurs  autres  encore,  avec  Sénèque,  méritent, 
à  cause  de  leur  caractère,  sinon  ii,  cause  de  leurs 
écrits,  que  la  postérité  ne  les  oublie  pas.  C'est  le 
cas  aussi  des  deux  célèbres  poètes  Perse  et  Lu- 
cain. 

Né  dans  l'opulence,  mais  élevé  à  l'austère 
école  des  stoïciens,  Perso  s'attaque  h  la  corrup- 
tion sans  en  avoir  lui-même  connu  les  souillu- 
res ;  ses  satires  sont  des  espèces  de  sermons  en 
vers  diriges  contre  ses  contemporains  en  général 
plutôt  que  contre  telle  ou  telle  individualité  parti- 
culière. Il  emprunte  à  Horace  beaucoup  de  ses 
tours  de  phrase  et  de  ses  expressions  ;  mais  on 
sent  qu'il  n'a  pas  vécu  dans  le  commerce  des 
hommes,  et  l'exagération  ampoulée  de  son  style 
très  imagé,  mais  parfois  obscur,  fait  supposer 
par  moments  que  son  indignation  est  un  pou 
factice . 

Le  poète  Lucain,  neveu  de  Sénèque,  enlevé 
prématurément  à  la  poésie,  est  de  la  même  école 
que  Perse  et  transporte  dans  le  genre  épique, 
comme  son  ami  l'a  fait  dans  le  genre  satirique,  les 
brillantes  doctrines  de  la  philosophie  stoïcienne. 
Sa  Pharsale,  récit  malheureusement  inachevé  de 
la  guerre  civile  entre  Pompco  et  César,  est  toute  à, 
la  gloire  du  parti  républicain,  que  le  poète  ne 
sépare  pas  de  la  liberté  et  de  la  grandeur  de 
Rome.  Malgré  l'enflure  de  son  style  artificielle- 
ment pathétique,  qui  trahit  un  certain  manque 
de  maturité,  on  sent  dans  les  descriptions,  dans 
les  discours,  surtout  dans  les. maximes  générales 
dont  le  poème  pullule,  le  souffle  d'une  véritable 
poésie,  c'est-à-dire  d'une  poésie  inspirée  par  un 
•cœur  généreux. 

A  côté  de  cette  littérature  stoïcienne,  quelques 
disciples  de  la  doctrine  épicurienne,  esprits  super- 
ficiels et  mondains  auxquels  appartenait  sans  doute 
Néron  lui-même,  ont  laissé  plusieurs  monuments, 
entre  autres  le  roman  satirique  attribué  à  un 
courtisan  plus  tard  victime  de  Néron,  Pétrone, 
contenant  des  aventures  diverses  rattachées  h  un 
voyage  imaginaire.  Le  fragment  le  plus  important 
qui  nous  en  est  parvenu  est  le  l''estin  de  Trimal- 
ehion,  description  humoristique  mais  souvent  trop 
licencieuse  des  moeurs  contemporaines. 

Sous  la  dynastie  Flavienne,  à  l'ombre  de  la  paix, 
les  lettres  semblent  reprendre  vie  avec  Vespasien 
et  Titus;  mais  avec  Domitien,  les  mauvais  jours  do 
la  vanité  et  de  la  cruauté  impériale  recommencent 


LATINE   (LITTÉRATURE) 


2<J 


pour  les  lettrés.  Parmi  les  prhicipaux  protégés  des 
deux  premiers  Flavions,  nous  trouvons  Pline  l'An- 
cien et  Valérius  Flaccus. 

Pline  l'Ancien,  esprit  encyclopédique,  compila- 
teur infatigable,  victime  de  sa  passion  pour  la 
science  lors  de  l'éruption  du  Vésuve,  sut  concilier 
avec  ses  absorbantes  occupations  officielles  d'ins- 
pecteur des  finances  de  l'empire,  une  féconde  ac- 
tivité littéraire  qui  lui  a  mérité  de  prendre  un 
rang  élevé  parmi  les  historiens,  les  grammairiens 
et  les  naturalistes.  Valérius  Flaccus,  imitateur  de 
Virgile  et  d'Apollonius  de  Hhodes,  retraça  l'expédi- 
tion des  Argonautes  dans  un  poème  prolixe,  et  en 
vers  qui  manquent  parfois  de  lucidité  à  force  de 
rechercher  la  concision  et  la  hardiesse. 

Domitien,  bien  qu'il  affecte  lui-même  le  goût  des 
lettres  et  de  la  poésie,  ne  permet  qu'un  genre  :  le 
panégyrique  de  son  despotisme.  Quiconque  veut 
dire  la  vérité  doit  dérober  ses  ouvrages  au  public  ; 
ce  fut  le  parti  que  prirent  Tacite  et  Juvénal. 
Parmi  ceux  qui  eurent  la  faiblesse  ou  la  servilité 
de  se  faire  les  adulateurs  d'un  monstre,  il  faut  citer 
Silius  Italiens,  Stace,  Quintilien  et  Martial. 

Silius  Itaiicus  emprunte  le  fond  de  son  monotone 
et  déclamatoire  poème  des  Guerres  /iiiniques  à 
Tite-Live,  et  les  développements  et  les  procédés 
poétiques  à  Homère  et  à  Virgile,  introduisant  la 
mythologie  au  milieu  des  événements  historiques. 
Stace,  esprit  cultivé,  poète  spirituel,  compose  une 
foule  de  pièces  de  circonstance,  réunies  sous  le 
le  nom  de  Silvœ  (les  Forêts),  jolies  esquisses  de 
mœurs  de  l'époque,  et  un  poème  en  douze  chants, 
la  Thébuide,  qui  ne  manque  pas  d'imagination  et 
d'audace,  mais  que  déparent  un  stylo  maniéré,  des 
traits  exagérés  et  trop  de  détails  mythologiques. 
L'Espagnol  Martial  prend  Catulle  et  Ovide  pour 
modèles.  C'est  un  satirique,  mais  qui  enferme  sa 
malice  dans  le  cadre  restreint  do  lëpigramme.  On 
admirerait  beaucoup  plus  son  talent  s'il  ne  servait 
pas  souvent  à  mettre  en  relief  une  absence  cho- 
quante de  sens  moral  et  de  dignité.  Il  se  complaît 
à  persifler  les  vices  et  la  corruption  de  son  temps, 
mais  sa  médisance  n'est  souvent  qu'une  flatterie 
déguisée  à  l'adresse  du  maître  et  de  ses  favoris. 
Quintilien  est  aussi  originaire  d'Espagne,  quoiqu'il 
ait  été  élevé  à  Rome.  Longtemps  professeur  d'é- 
loquence il  Rome,  puis  chargé  par  Domitien  de 
l'éducation  de  ses  neveux,  il  composa  dans  sa 
vieillesse  un  ouvrage  sur  les  Causes  du  déclin 
de  Céloqueniie  et  un  autre  ouvrage  sur  \  Éducation 
oratoire,  dont  la  portion  la  plus  précieuse  pour 
nous  et  la  plus  admirée  est  le  dixième  livre,  qui 
contient  une  liste  critique  des  auteurs  latins  les 
plus  utiles  pour  la  formation  de  l'orateur. 

Les  règnes  de  Nerva  et  de  Trajan  permettent  à 
la  littérature  un  libre  et  nouvel  essor.  Les  écri- 
vains qui  s'étaient  enfermés  dans  le  silence  par 
nécessité  sous  Domitien  déversent  contre  le  des- 
potisme qui  vient  de  finir,  avec  leur  colère,  d'au- 
tant plus  d'amertume  qu'ils  se  sont  plus  longtemps 
contenus.  C'est  le  cas  de  Juvénal,  de  Tacite,  et 
même  en  partie  de  Pline  le  Jeune. 

Parmi  les  seize  satires  que  nous  a  laissées  Juvé- 
nal, les  plus  caractéristiques  décrivent  les  vices 
de  la  société  romaine  avec  une  éloquente  indigna- 
tion et  une  vigoureuse  énergie  ;  il  ne  se  contente 
plus,  comme  Perse,  d'accuser  son  époque  en  gé- 
néral; il  nomme  les  coupables.  Les  personnages 
que  le  poète  met  au  pilori,  pour  son  temps  et  pour 
les  siècles  à  venir,  appartiennent  surtout  h.  l'épo- 
que de  Néron  et  de  Domitien.  Mais,  malgré  les 
explications  des  commentateurs,  on  ne  reconnaît 
pas  toutes  les  figures.  On  ne  saisit  pas  toutes  les 
allusions  dans  ces  vers  qui,  pour  rappeler  le  juge- 
ment de  lîoileau, 

....     Tout  pleins  (l'iiffrenscs  rà'ilùs 
hllnccllcnt  pouilant  de  sublimes  bcauté.'i. 


LATINE  (LITTÉRATURE)    —  1130 


LATITUDE 


D'oiigiiie  plébéienne,  mais  nourri  des  souvoniis 
de  la  République  aristoci'atique,  l'auteur  des  His- 
loires  et  des  An7tales,  vigoureux  tableaux  embras- 
sant les  règnes  des  empereurs  d'Auguste  à  Domi- 
tien.  Tacite  s'est  indigné  aussi,  mais  il  s'est 
résigné  pendant  les  jours  mauvais  et  a  attendu  ce 
moment  bienheureux  où  il  fut  enfin  permis,  comme 
il  le  dit  lui-même,  de  penser  ce  qu'on  voulait  et  de 
dire  ce  qu'on  pensait.  La  forme  de  son  style  éner- 
gique a  gardé  la  marque  d'au  temps  où  le  génie 
devait  se  contraindre  et  se  cacher;  il  s  est  habitué 
à  la  concision,  à  une  réserve  calculée,  aux  sous-en- 
tendus, aux  pointes  épigrammatiques.  11  est  sans 
contredit  le  prince  des  historiens  romains  ;  il 
a  l'esprit  critique,  le  culte  de  la  vérité  et  de 
l'exaciitude;  il  ne  se  contente  pas  de  noter  les 
faits,  mais  en  cherche  philosophiquement  les  causes, 
et  fouille  eu  psychologue  les  bas-fonds  des  carac- 
tères. 

Homme  de  lettres  avant  tout,  bien  qu'il  eût  suivi 
la  carrière  du  barreau  et  des  emplois  publics, 
Pline  le  Jeune,  neveu  et  fils  adoptif  de  Pline  l'An- 
cien, a  écrit  neuf  livres  de  lettres,  soigneusement 
variées  de  ton  et  de  sujet,  et  évidemment  compo- 
sées plutôt  pour  la  postérité  que  pour  ses  corres- 
pondants. Mais  elles  ont  tant  d'intérêt,  et  souvent 
tant  d'esprit,  elles  sont  écrites  d'un  style  si  coulant, 
qu'on  pardonne  à  l'auteur  une  vanité  qu'il  a  le 
bon  goût  de  confesser  lui-même. 

Sous  les  Antonins,  la  littérature  latine,  malgré 
la  protection  que  les  empereurs  lui  accordent,  s'é- 
carte de  plus  en  plus  des  traditions  du  bon  goût, 
et  s'achemine  rapidement  vers  la  décadence  h 
mesure  que  les  invasions  menacent  l'empire  et  que 
l'extension  du  droit  de  cité  diminue  l'importance 
de  Rome.  Les  écrivains  qui  restent  fidèles  aux 
meilleures  traditions  sont  peu  nombreux.  Les 
principaux  sont  :  Suétone,  secrétaire  particu- 
lier d'Adrien,  archéologue,  historien  ou  plutôt 
biographe  ;  ses  Vies  des  douze  Cesavs  abondent  en 
renseignements  puisés  aux  meilleures  sources  ; 
le  rhéieur  Florus,  auteur  d'un  tableau  en  rac- 
courci de  l'histoire  romaine  abrégée;  et  Justin, 
autre  abréviateur  de  talent.  La  majorité  des  autres 
écrivains  se  perd  dans  de  vains  efforts  à  la  re- 
cherche de  l'originalité.  L'Africain  Fronton  exer- 
çait une  suprématie  littéraire  que  ses  ouvrages 
ne  confirment  pas.  L'érudition  remplace  le  génie; 
on  fouille  le  passé  au  lieu  do  créer  de  nouveaux 
monuments  pour  l'avenir.  Les  grammairiens,  les 
maîtres  de  rhétorique  pullulent  ;  le  nom  le  plus 
célèbre  est  celui  de  l'auteur  des  Nuits  Atliques,  le 
studieux  Aulu-Gelle;  une  littérature  grécisante  de- 
vient de  plus  en  plus  à  la  modo.  Suétone,  Adrien  lui- 
même,  Fronton,  Apulée,  Tertullien  écrivent  en 
grec  presque  autant  qu'en  latin.  La  jurisprudence 
au  contraire  grandit  avec  le  déclin  des  autres 
branches  de  la  littérature;  elle  enregistre  plusieurs 
noms  illustres  :  ceux  de  Pomponius,  de  Gaius  et 
de  Papinien,  qui  contribuent  à  la  fois  au  dévelop- 
pement de  la  science  du  droit  par  leurs  écrits  et 
par  leur  enseignement.  La  poésie  ne  produit  rien; 
la  mythologie  ancienne  a  fait  place  au  christia- 
nisme, qui  à  ses  débuts  inspire  h  peine  quelques 
hymnes  sans  valeur.  Ce  sont  surtout  les  illettrés, 
les  pauvres,  les  opprimés,  les  femmes  qui  se  tour- 
nent vers  la  doctrine  du  péché  et  de  la  rémission 
et  vers  le  dogme  qui  promet  une  vie  meilleure. 
Du  reste  les  chrétiens  affectent  de  mépriser  les 
lettres.  Ceux  qui,  comme  Minutius  Félix  et  Lac- 
tance,  essaient  de  concilier  l'.s  traditions  de  l'anti- 
quité avec  l'esprit  nouveau,  font  exception.  Le 
plus  grand  nombre,  commeTertullien,  maudissent 
à  la  fois  et  la  religion  et  la  culture  littéraire  de 
la  Rome  païenne. 

Au  lit'  siècle,  le  déclin  continue  et  s'étend  même 
jusqu'à  la  jurisprudence  ;  le  christianisme  produit 
son  premier  poète,  le   lourd  et  incorrect  Commo- 


dianus.  La  vieille  école  ne  produit  guère  qu'un 
poète  qui  ne  suffit  pas  à  la  relever,  i\émésien. 
L'éloquence  de  l'Eglise  s'inspire  de  Tertullien,  que 
l'évoque  de  Cartilage,  Cyprien,  rappelle  par  la  lu- 
cidité et  le  charme  de  son  style,  mais  sans  égaler 
sa  féconde  originalité. 

Vers  la  fin  du  siècle,  l'apparition  des  Barbares  et 
l'élévation  au  trône  d'une  série  d'empereurs  sol- 
dats, d'origine  thrace  et  illyrienne,  contribue  ;i 
accélérer  la  décadence.  Au  iv'  siècle,  tandis  que 
le  polythéisme  cesse  d'être  la  religion  d'Etat  et  que 
la  capitale  de  l'empire  est  transportée  en  Orient, 
les  lettres  jettent  encore  quelque  éclat  passager. 
L'éloquence  appartient  surtout  aux  orateurs  ecclé- 
siastiques, aux  pères  de  l'Eglise,  Ambroise,  Jérôme 
et  Augustin.  L'histoire  produit  quelques  abrévia- 
teurs  de  talent,  Aurélius  Victor  et  Eutrope,  et  sur- 
tout le  boursoufflé  mais  judicieux  Ammien  Mar- 
cellin.  Il  faudrait  citer  encore,  parmi  les  poètes 
chrétiens,  le  moins  obscur.  Prudence  ;  parmi  les 
grammairiens,  Macrobe,  Servius  et  Donat,  et  deux 
auteurs  épistolaircs,  Symmaque  et  Sidoine  Apol- 
linaire, originaire  de  Gaule.  La  poésie  latine 
s'éteint  avec  Clandien,  poète  emphatique,  auteur 
de  panégyriques  et  de  VÈnlèvement  de  l'roserpiti'!  ; 
Ausone,  né  à  Bordeaux,  qui  a  surtout  réussi  dans 
l'épigramme  et  la  poésie  descriptive,  se  perdant 
dans  les  minuties  puériles  ;  enfin  Fortunat,  que 
l'histoire  des  Mérovingiens  nous  montre  à  la  cour 
de  Sigebert  et  de  Chilpéric,  célébrant  à  la  fois 
Brunehaut  et  Frédégonde.  C'est  en  Gaule,  en  effet, 
que  les  lettres  latines  ont  survécu  le  plus  long- 
temps, et  nous  y  trouvons  encore  sur  le  seuil  du 
vil'  siècle  un  historien  qui  écrit  dans  un  latin 
presque  correct,  l'auteur  des  Légenden  de-<  saints 
et  de  l'Histoire  des  Francs,  Grégoire  de  Tours. 
jB.  Buisson.] 

LATITUDE, LOJIGITl'DE.  —  Cosmographie,  II. 
—  Etym.  :  Latitude  est  dérivé  de  latitndo,  qui  vient 
de  latus,  large,  et  longitude  dérive  de  longitudo, 
qui  vient  de  longtis,  long.  Ces  dénominations,  dé- 
fectueuses aujourd'hui,  nous  ont  été  transmises  par 
les  anciens,  qui  ne  connaissaient  qu'une  partie  de 
la  terre,  laquelle  était  plus  longue  dans  le  sons  où 
nous  évaluons  les  longitudes. 

La  latitude  d'un  lieu  ou,  plus  exactement,  d'un 
point  pris  à  la  surface  de  la  terre  A  (fig.  l), 
est  l'arc  de  méridien  AB  compris  entre  ce  point  et 
l'équateur  EOBE'.  Ainsi,  tous  les  points  situés  sur 


Fig.  t. 

le  même  parallèle  ont  la  même  latitude.  Cette  dé 
finition  suppose  la  terre  rigoureusement  sphéri- 

La  lûngitu<!e  d'un  point  est  l'arc  de  parallèle 
ou  d'équateur  OB  compris  entre  le  méridien  P.VP' 
qui  passe  par  ce  point  et  un  méridien  déterminé 
choisi  par  convention,  PEPE',  et  nommé  premier 
méridien.  Tous  les  lieux  situés  sur  le  même  demi- 
méridien  compris  entre  les  deux  pôles  ont  la 
même  longitude. 

Les  divers  peuples  ne  se  servent  pas  tous  du 
même  premier  méridien.  En  France,  on  a  fait  choix 
de  celui  qui  passe  par  Paris  et,  plus  exactement, 
par  l'Observatoire.  Le  Anglais  font  passer  leur 
premier  méridien  par  l'Observatoire  de  Greemvich; 


LATITUDE 


II. Il  — 


LATITUDE 


1rs  Allomands  pai-  l'ilo  du  I'im',  l'iinii  des  Canaries; 
lus  Uuss(<s  par  l'ulkowa.  Kntrfi  le  mt'i-ldiou  do 
l'ilo  dfi  Kcr  et  ccliii  de  l'aris  il  y  ajuste  "JO  degrés 
d(i  difloi'cnco,  ce  qui  permot  do  passer  facilement 
d'une  longitude  estiméo  par  rapport  .'i  l'un  ;\  la 
même  longitude  csiitnéo  par  rajjport  h  l'autre.  Il 
serait  préférable  qu'il  y  eût  un  seul  premier  méri- 
dien pour  lo  monde  entier. 
■  La  latitude  et  la  longitude  portent  conjointement 
le  nom  de  coordonnées  yéogt  ciplnijues.  Elles  s'ex- 
primoni  en  degrés,  minutes  et  secondes.  La  lati- 
tude est  nord  ou  sud,  ou  boréale  ou  n!/.s'/)v//e,  selon 
que  le  point  considéré  est  situe  dans  l'iiomisplière 
nord  ou  dans  l'hémisphère  sud,  et,  par  conséquent, 
d'un  coté  ou  de  l'autre  de  l'équateur.  I.a  longitude 
est  orientale  ou  occidentale  ou,  si  l'on  préfère,  est 
ou  ouest,  et,  par  conséquent,  h  droite  ou  h  gauclie 
du  méridien  de  Paris  pour  la  France. 

La  latitude  et  la  longitude  servent  h  fixer  la  po- 
sition des  divers  lieux;  elles  permettent  do  cons- 
truire les  globes  et  les  cartes  géographiques.  On 
comprend  donc  toute  leur  importance.  Chaque 
point  est  ainsi  déterminé  sur  la  terre  par  le  point 
de  croisement  de  deux  lignes,  comme  sur  une  table 
de  multiplication  le  produit  se  trouve  h  la  rencon- 
tre des  deux  lignes  partant,  l'une  du  multipli- 
cande, et  l'autre,  du  multiplicateur. 

Nous  ne  saurions  voir  la  terre  tout  entière  ;  nos 
regards  n'embrassent  que  la  faible  étendue  qu'en- 
ferme l'horizon.  Sans  doute  cette  étendue  est  plus 
ou  moins  grande,  selon  qu'on  se  trouve  sur  un 
lieu  plus  ou  moins  élevé  :  ainsi  du  haut  d'une 
montagne  elle  est  plus  vaste  qu'au  niveau  de  la 
plaine;  mais  lors  même  que  notre  vue  s'étend  sur 
un  espace  de  vingt,  trente  ou  quarante  lieues  do 
rayon,  un  tel  espace  est  relativement  nul  si  on  le 
compare  à  la  surface  de  la  terre.  Et  pourtant,  mal- 
gré notre  impuissance  apparente  à  saisir  la  terre 
dans  son  ensemble,  h  la  voir  comme  nous  voyons 
le  soleil  et  la  lune,  nous  pouvons  en  faire  une 
sorte  de  portrait,  de  représentation  exacte,  —  au 
moins  pour  les  parties  connues,  —  qu'on  nomme 
un  globe  ou  une  sphère  terrestre.  Nous  parvenons 
à  figurer  sur  une  sphère  les  chaînes  de  montagnes, 
les  cours  d'eau,  les  contours  des  continents,  en 
un  mot  tous  les  accidents  géographiques.  Nous 
traçons  les  limites  des  Etats  ou  des  contrées;  nous 
marquons  la  place  des  villes,  et,  comme  s'il  s'a- 
gissait du  plan  d'une  maison,  nous  poursuivons 
jusque  dans  ses  moindres  détails  l'image  fidèle  de 
la  surface  du  globe.  Or,  tout  cela  n'est  possible 
qu'à  l'aide  de  la  latitude  et  de  la  longitude  de 
chaque  point. 

Imaginons  en  effet  le  réseau  ou  filet  formé  par 
l'entre-croiscraent  des  méridiens  et  des  parallèles. 
On  peut  en  multiplier  les  mailles  autant  qu'on  le 
veut,  car  le  noiubre  des  méridiens  et  des  parallèles 
est  illimité.  Par  chaque  point  de  la  surface  de  la 
terre,  passe  un  méridien  et  un  parallèle.  Un  sem- 
blable réseau  étant  roproduK  en  petit  sur  une 
sphère,  tous  les  points  de  la  terre  qui  répondent 
aux  points  d'entre-croisement  des  fils  auront  leur 
image  sur  le  globe.  Prenons  un  méridien  quelcon- 
que que  nous  regarderons  coir.rae  celui  qui  passe 
par  Paris,  par  exemple  :  il  suffira,  pour  fixer  la  po- 
sition de  Paris,  de  connaître  l'arc  de  méridien 
compris  entre  Paris  et  l'équateur  ou  la  latitude  ; 
cette  latitude  étant  de  4i"  5(J'49"  (au  Pjinthéon),on 
prendra  à  partir  de  l'équateur  un  arc  de  cette 
grandeur  et  on  aura  le  point  qui  répond  k  Paris. 
Qu'il  s'agisse  maintenant  de  fixer  la  position  de 
Lyon;  il  existe  un  méridien  et  un  parallèle  passant 
par  celte  ville  et  dont  elle  occupe  le  point  d'inter- 
section. Si  nous  parvenons  à  tracer  ces  deux  cer- 
cles, nous  obtiendrons  la  position  de  Lyon.  Or, 
pour  tracer  le  méridien  de  Lyon,  il  suffit  de  con- 
naître l'arc  de  parallèle  compris  ei.tre  le  méridien 
de  cette  ville  et  celui  de  Paris,  c'ast-à-dÎTe  la  lon- 


gitude de  Lyon,  et  de  savoir  si  cet  arc  doit  être 
compté  i  droite  ou  h  gauche,  ou,  si  l'on  préfère,  à 
l'est  ou  à  l'ouest  du  méridien  de  Paris.  La  longitude 
de  Lyon  étant  de  •.'»  29'  10"  à  l'est,  cet  arc  sera 
compté  sur  le  parallèle  de  Paris,  à  partir  de  Paris 
et  vers  la  droite,  puis  on  mènera  le  méridien  pas- 
sant par  ce  point,  et  Lyon  se  trouvera  sur  ce  mé- 
ridien. D'autre  part,  la  latitude  de  Lyon  est  45° 
45' 45"  ;  nous  compterons  sur  le  méridien  tracé,  et 
à  partir  de  l'équateur,  un  arc  de  45"  46'  45";  nous 
obtiendrons  ainsi  le  point  correspondant  à  Lyon. 

L'équateur  partageant  la  surface  de  la  terre  en 
deux  hémisphères,  l'iiémisphcre  nord  et  l'hémi- 
sphère sud,  il  est  bien  évident  que,  dans  l'indication 
des  latitudes,  on  doit  dire  si  elle  est  comptée  d'un 
côté  ou  de  l'autre  de  l'équateur.  Pour  la  France, 
toutes  les  latitudes,  appartiennent  i  l'hémisphère 
nord,  et  sont  par  conséquent  d'un  môme  côté  de 
l'équateur. 

Ùéterviination  de  la  latitude  d'un  point.  —  Nous 
savons  maintenant  ce  que  c'est  que  la  latitude 
et  la  longitude  d'un  point,  nous  en  comprenons 
l'utilité;  il  nous  reste  à  connaître  le  moyen  de  les 
déterminer.  Commençons  par  la  latitude. 

Figurons  par  la  circonférence  EPE'P'  (fig.  2)  le 


méridien  nui  passe  par  le  point  considéré  A  dont  il 
faut  déterminer  la  latitude.  Représentons  l'axe 
terrestre  par  PP',  le  diamètre  de  l'équateur  situé 
dans  le  méridien  par  EE'.  La  latitude  du  point  A 
est  l'arc  AE  qui  répond  à  l'angle  AOE.  Mesurer 
l'arc  ou  l'angle,  c'est  la  mémo  chose,  puisqu'il 
s'agit  d'estimer  l'arc  en  degrés,  non  en  mètres. 

Or,  l'angle  AOE  est  égal  à  un  autre  angle  plus 
facile  à  mesurer.  Observons  que  le  rayon  équato- 
rial  OE  est  perpendiculaire  à  l'axe  OP,  que  le 
rayon  terrestre  OA  n'est  autre  que  la  verticale  au 
point  A,  et  qu'il  est  par  conséquent  perpendicu- 
laire à  l'horizontale  AH  au  même  point.  L'angle 
AOE  est  donc  égal  à  l'angle  Pj  AH'  (deux  angles 
qui  ont  leurs  côtés  perpendiculaires  et  dirigés  dans 
le  même  sens  sont  égaux)  ;  —  vu  les  faibles  dimen- 
sions de  la  terre  par  rapport  à  l'univers,  la  terre 
peut  être  considérés  comme  un  point,  les  lignes 
menées  de  tous  les  points  de  la  terre  parallèlement 
à  PP'  se  confondent.  Au  lieu  de  mesurer  direc- 
tement l'angle  AOE,  nous  allons  mesurer  P,  AH', 
c'est-à-dire  l'angle  que  forme  l'axe  avec  l'horizon- 
tale. C'est  cet  angle  qu'on  désigne  sous  le  nom 
de  hauteur  du  pôle.  La  hauteur  n'est  pas  ici  une 
ligne  droite  qti'on  évalue  en  unités  de  longueur, 
mais  un  angle  ou  un  arc  estimé  en  degrés.  Donc 
la  la'i'ude  d'un  point  est  égale  ù  la  hauteur  oupôle 
en  ce  point. 

Enfin,  on  peut  encore  substitueràla  mesure  de  ce 
dernier  angle  celle  de  son  complément,  c'est-à-dire 
l'angle  ZAI'i  formé  par  la  verticale  avec  l'axe.  (La 
fiïuro  no  doit  pas  être  faite  tout  entière  d'avance  ; 
chacun  des  aUL'Ies  ou  chacune  des  lignes  énoncés 
doit    être    tracé   au   moment   oii    l'on  en    parle.) 


LATITUDE 


1132  — 


LAVIS 


En  délinitivc,  il  s'agit  de  mesurer  l'angle  formé 
par  la  verticale  ou  le  fil  i  plomb  avec  l'axe  de  la 
terre  prolongé. 

Comment  peut-on  obtenir  cette  dernière  ligne'? 
S'il  se  trouvait  une  étoile  sur  le  prolongement  de 
l'axe  terrestre,  cette  étoile  serait  toujours  immo- 
bile, car  le  mouvement  apparent  des  étoiles  est 
produit  par  le  mouvement  réel  do  la  terre.  II  suf- 
firait donc  de  diriger  la  lunette  sur  l'étoile  pour 
obtenir  la  direction  de  l'axe.  Cette  condition  n'est 
pas  nécessaire,  car  chaque  étoile  décrit,  soit  un 
arc  de  cercle,  soit  un  cercle  apparent,  dont  le 
pôle  est  le  centre.  Parmi  les  étoiles,  on  choi- 
sira une  de  celles  qui  restent  constamment  vi- 
sibles, et  décrivent  un  cercle  complet.  Elle  a, 
comme  on  sait,  un  passage  supérieur  et  un  passage 
iitffrieur,  c'est-à-dire  qu'elle  traverse  le  méridien 
à  deux  reprises,  tantôt  au-dessus  et  tantôt  au-des- 
sous du  pôle.  Si  l'on  vise  l'étoile  au  moment  de 
chaque  passage,  il  suffira  de  diviser  en  deux  par- 
ties égales  l'angle  formé  par  les  deux  directions 
obtenues.  Cette  bissectrice  est  précisément  la  di- 
rection de  l'axe,  c'est-à-dire  l'un  des  côtés  de  l'an- 
gle à  mesurer;  l'autre  est  la  verticale. 

On  sait  que  la  direction  du  fil  à  plomb  prolon- 
gée rencontre  la  sphère  céleste  fictive  au  point 
nommé  zénith,  et  que  le  distance  du  passage  au 
zénith  est  ce  qu'on  nomme  la  dislmire  zénillmle; 
donc,  en  définitive,  la  mesure  de  la  latitude  se  ré- 
duit à  celle  des  distances  zénithales  d'une  même 
étoile.  On  obtii-ndra  la  latitude  d'un  point  en 
prenmit  le  complément  de  Inihoijenne  des  distan- 
ces zcnitliales  d'ui.e  même  étoile  en  ce  point. 

Au  lieu  de  faire  deux  déterminations  pour  éva- 
luer la  latitude,  on  peut  n'en  faire  qu'une  si  l'on 
connaît  d'avance  la  déclinaison  Ef'  (fig.  3)  d'un  as- 


tre (c'est  ainsi  qu'on  nomme  la  distance  angulaire 
de  l'étoile  h.  l'équateur  céleste).  Il  suffit,  dans  ce 
cas,  de  déterminer  la  distance  zénithale  Ze'  ou  Ze 
de  cet  astre  au  moment  de  son  passage.  La  lati- 
tude est,  en  effet,  égale  à  la  somme  ou  à  la  diffé- 
rence de  ces  deux  éléments, 

L  ^  rf  -}-  :,  si  l'étoile  passe  au  sud  du  zénith. 

L  =  rf  —  ;,  si  l'étoile  passe  au  nord  du  zénith. 

En  mer,  on  détermine  la  distance  zénithale  du 
soleil  au  moment  du  passage  et  on  trouve  la  dé- 
clinaison du  soleil  pour  chaque  jour  dans  un  re- 
cueil de  données  astronomiques  nommé  Con- 
naissance des  temps.  C'est  à  l'aide  d'un  appareil 
nommé  sextant  que  les  marins  déterminent  la 
hauteur  du  soleil  dont  la  distance  zénithale  est  le 
complément. 

Ajoutons,  en  terrciinant,  que  dans  ces  diverses 
mesures,  on  tient  compte  de  la  réfraction  atmosphé- 
rique. 11  est  bon  d'observer  également  que  la  terre 
n'est  pas  rigoureusement  sphérique  et  que  la  ver- 
ticale d  un  lieu  diffère  légèrement  du  prolonge- 
ment du  rayon  terrestre  en  ce  lieu. 

Détermination  de  la  longitude  d'un  point.  — 
Le  soleil  dans  sa  marche  apparente  passe  succes- 
sivement au  méridien  de  chacun  des  points  de 
l'équateur  ou,  si  l'on  préfère,  la  terre,  en  tournant 
sur  elle-même,  présente  successivement  au  soleil 
tous  les  points  de  son  équatcur. 

Les  aOO  degrés  équatoriaux  défilent  donc  devant 


le  soleil  en  34  heures,  soit  15  degrés  par  heure.  Dès 
lors,  deux  points  séparés  par  un  intervalle  de  15  de- 
grés voient  passer  le  soleil  dans  leurraéridien  aune 
heure  d'intervalle  ou,  si  l'on  préfère,  l'horloge  de 
l'un  des  points  avance  ou  retarde  d'une  heure  sur 
l'autre.  Il  y  a  avance  du  côté  de  l'est,  retard  du 
côté  de  l'ouest.  Ce  qui  se  passe  pour  deux  points 
situés  sur  l'équateur  est  également  vrai  de  deux 
points  quelconques  qui  voient  le  soleil.  La  diffé- 
rence des  heures  pour  deux  points  du  globe  nous 
donnera  donc  la  distance  en  degrés  de  leurs  mé- 
ridiens, c'est-à-dire  la  différence  de  leurs  longitu- 
des, et  si  l'un  des  points  est  Paris,  nous  obtiendrons 
aussi  la  longitude  de  l'autre  point. 

Donc,  pour  déterminer  la  longitude  d'un  point,  il 
faut  prendre  un  ou  plusieurs  chronomètres  indi- 
quant l'heure  de  Paris,  se  transporter  avec  ce  ou 
ces  chronomètres  au  point  déterminé  et  constater 
la  différence  entre  l'heure  de  Paris  et  celle  de  ce 
point. 

Comme  on  peut  craindre  le  dérangement  des 
chronomètres  pendant  la  route,  il  est  bon  d'avoir 
d'autres  moyens  à  sa  disposition.  Or,  un  signal 
qui  serait  aperçu  simultanément  de  Paris  et  du 
point  considéré,  comme  la  luiuière  produite  par 
l'inflammation  d'un  tas  de  poudre,  permettrait  de 
noter  l'heure  au  même  instant  à,  Paris  et  au  point 
en  question  et  par  suite  de  connaître  la  différence 
des  heures.  C'est  un  des  moyens  dont  on  s'est  servi 
et  qui  permet  d'obtenir  une  valeur  assez  approchée 
de  la  longitude. 

Au  lieu  de  ce  signal  artificiel,  on  peut  faire  usage 
de  signaux  naturels  tels  que  les  occultations  d'é- 
toiles par  la  lune,  ou  les  éclipses,  particulièrement 
celles  des  premiers  satellites  de  Jupiter  par  le  cône 
d'ombre  projeté  par  cette  planète.  Les  éclipses  de 
lune,  au  contraire,  sont  peu  propres  à  fournir  un 
moment  précis.  Ces  phénomènes  sont  prédits  long- 
temps à  l'avance,  et  l'heure  indiquée  est  celle  de 
Paris;  il  ne  s'agit  que  d'observer  l'heure  de  la  ma- 
nifestation au  point  dont  on  veut  connaître  la  lon- 
gitude et  de  faire  la  différence  des  heures. 

Très  simples  en  théorie,  ces  moyens  n'offrent 
pas  dans  la  pratique  toutes  les  conditions  de  sécu- 
rité ;  le  moment  précis  de  la  manifestation  d'un 
phénomène  n'est  pas  chose  aisée  à  constater. 

La  télégraphie  électrique  nous  a  fourni  un  des 
moyens  les  plus  efficaces  d'obtenir  un  instant 
précis  identique  pour  Paris  et  pour  un  lieu  déter- 
miné. On  peut  admettre  qu'un  signal  envoyé  de 
Paris  à  Lyon  par  le  télégraphe  électrique  ne  met 
pas  un  temps  appréciable  pour  franchir  la  distance 
qui  sépare  Paris  de  Lyon.  Au  moment  même  où  il 
part  de  Paris,  il  est  à  Lyon. 

Il  est  vrai  qu'indépendamment  du  trajet  parcouru 
par  l'électricité,  quelques  secondes  peuvent  s'é- 
couler entre  l'arrivée  de  la  vibration  électrique  et 
le  mouvement  de  l'appareil;  on  arrive  à  en  tenir 
compte.  On  ne  se  contente  pas  non  plus  d'invoquer 
le  signal  de  la  première  station  à  la  seconde  mais 
aussi  de  la  seconde  à  la  première.  Ces  opérations 
sont  répétées  un  grand  nombre  de  fois,  après  quoi 
on  prend  la  moyenne  des  résultats. 

Dans  ces  derniers  temps  MM.  Lœwy  et  Perler, de 
l'Institut  et  du  Bureau  des  longitudes,  ont  déter- 
miné les  longitudes  de  Marseille  et  d'Alger  avec 
un  degré  d'exactitude  qui  ne  laisse  rien  à  désirer. 
Longitude  et  latitude  célestes.  —  On  nomme 
ainsi  des  arcs  qui  permettent  de  fixer  la  position 
d'une  étoile  et  de  tout  autre  corps  céleste,  analo- 
gues à  la  latitude  et  à  la  longitude  géographiques  ; 
mais  au  lieu  de  l'équateur,  c'est  à  l'écliptiqueet 
à  un  grand  cercle  passant  par  les  pôles  de  l'éclip-  M 
tique  qu'on  rapporte  les  arcs.     [Félix  Ilément.]        1 

LAVIS.  —  L  BcT  DU  L.ivis.  —  Le  lavis  a  un 
double  but:  1°  Faire  sentir  les  formes  planes  ou 
arrondies,  les  parties  fuyantes  des  objets  ainsi  que 
leurs  positions  respectives;  2°  indiquer  la  nature 


LAVIS 


—  1133 


LAVIS 


de  ces  objets.  Dans  le  premier  cas,  on  emploie 
gôncSralement  des  teintes  d'encre  de  Chine;  dans 
le  second,  des  teintes  diverses,  dites  conven- 
tiojinelles. 

II.  Classification  des  couLEiins.  —  On  admet  en 
peinture  trois  coulours  simples  ou  tons  qui,  par 
leur  réunion,  forment  le  blanc:  \g  jaune,  couleur 
claire  et  brillante;  le  rouge,  couleur  éclatante  et 
demi-claire,  et  le  bleu,  couleur  sombre.  Le  noir 
n'est  pas  une  couleur,  mais  l'absence  de  toute 
couleur.  Selon  que  ces  tons  sont  mùlés  de  noir  ou 
de  blanc,  on  dit  qu'ils  sont  rabattus  ou  éclair- 
cis. 

Si  l'on  mélange  deux  tons  simples  en  parties 
égales,  on  obtient  un  ton  composite  de  premier 
ordre  :  rouge  et  jaune  donnent  oranç/e;  rouge  et 
bleu  donnent  violet;  jaune  et  bleu  donnent  vert. 
Si  l'on  mélange  un  ton  composite  de  premier 
ordre  avec  un  ton  simple,  on  obtient  un  composite 
de  deuxième  ordre.  Ex.  :  orangé-rouge,  vert. 
jaune,  etc.  Enfin  on  pourrait  obtenir  une  nouvelle 
série  de  tons  composites,  tels  que  orangé-rouge- 
rouge,  etc. 

Deux  tons  sont  complémentaires  lorsque  par 
leur  mélange  ils  donnent  du  blanc  ou  un  gris 
simple.  D'après  cela,  si  les  trois  couleurs  simples, 
jaune,  rouge  et  bleu,  donnent  le  blanc,  il  en  ré- 
sulte que  la  couleur  complémentaire  du  jaune  est 
le  violet,  c'esl-i-dire  un  mélange  de  rouge  et  de 
bleu,  que  la  couleur  complémentaire  du  rouge  est 
le  vert,  et  celle  du  bleu,  l'orange. 

On  trouve  rarement  les  couleurs  pures.  Elles 
sont  toujours  plus  ou  moins  mêlées  à  un  pigment 
noir,  de  manière  que  deux  couleurs  complémen- 
taires donnent  du  gris  noir  et  non  du  blanc. 

Voici  les  couleurs  principales  employées  dans  le 
dessin  : 

Ocre  jaune i 

Gomme-gutte jaunes. 

Sépia ) 

Carmin I 

Vermillon ■  rouges. 

Terre  de  Sienne  brûlée ) 

Bleu  de  Prusse 1 

Indigo bleus. 

Cobalt ) 

Nous  avons  dit  que  l'encre  de  Chine  n'était  pas 
une  couleur. 

III.  Teintes  conventionnelles.  —  Nous  allons 
indiquer  la  composition  des  teintes  employées 
dans  l'industrie  des  machines,  notamment  i  l'u- 
sine Cail  à  Paris.  On  y  verra  figurer  des  tons 
composites  préparés  directement  par  l'industrie 
pour  éviter  la  mélange  toujours  difficile  des  tons 
simples. 

Fonte  :  teinte  neutre.  Fer  :  bleu  de  Prusse. 
Acier  :  teinte  neutre  et  un  peu  de  carmin.  Bronze: 
terre  de  Sienne  brûlée.  Cuivre  jaune  :  gomme- 
gutte.  Cuivre  rouge  :  carmin.  Plomb,  zinc  et 
étain:  bleu  de  Prusse  très  clair.  Chi'?ie:  fond  clair 
en  sépia  et  veines  foncées  de  même  couleur. 
Sapin  :  fond  clair  et  veines  en  terro  de  Sienne 
briilée.  Cuir  et  caoutchouc  :  sépia  claire.  Mastic  de 
fonte:  sépia  claire  et  points  h  la  plume  en  sépia 
foncée.  Pierre  du  taille  :  terre  de  Sienne  natu- 
relle. Ma(:on7tcrie  :  carmin  très  clair.  Brique  or- 
dinaire :  brun  rouge.  Brique  réfrnctaire  :  terre 
de  Sienne  naturelle  et  un  peu  de  brun  rouge. 
Béton  :  carmin  clair  avec  points  à  la  plume.  Terre: 
badigeon  de  sépia.  Ballast  :  fond  clair  en  terre 
de  Sienne  brûlée  et  points  de  même  couleur 
foncée. 

Voici  maintenant,  pour  la  topographie,  quelques 
teintes  conventionnelles  adoptées  à  l'Ecole  cen- 
trale dos  arts  et  manufactures  : 

llois  :  fond  de  terre  de  Sienne  brûlée  et  de  ven 


faible  pour  les  massifs;  deux  teintes  vertes  super- 
posées pour  les  arbres  isolés,  dont  une  forte  du 
côté  de  l'ombre  ;  ombres  projetées  par  les  arbres 
en  sépia.  Près  :  fond  vert  clair  et  touches  horizon- 
tales avec  le  même  vert  plus  intense.  Vignes  : 
teinte  neutre  et  ceps  à  la  plume  alignés.  Terres 
labourées  :  teintes  diverses,  où  le  jaune  domine, 
appliquées  par  hachures  ou  sillons  dans  le  sens 
de  la  longueur  dos  parcelles.  Bivières  :  teinte 
fondue  en  bleu  do  Prusse  du  cûté  de  l'ombre. 

IV.  Prépabation  et  application  des  teintes.  — 
Pour  préparer  une  teinte  simple,  on  met  quelques 
gouttes  d'eau  dans  un  godet  et  l'on  frotte  avec  un 
pain  de  couleur  en  appuyant  sur  le  godet;  on 
ajoute  ensuite  de  l'eau  en  quantité  convenable  et 
on  délaie  pendant  plusieurs  minutes  avec  un  pin- 
ceau propre,  de  manière  à  obtenir  une  teinte  bien 
limpide.  Quand  il  s'agit  d'une  teinte  composée, 
on  prépare  séparément,  avec  tout  le  soin  possible, 
chacune  des  teintes  simples  qui  doivent  la  com- 
poser, puis  l'on  fait  le  mélange. 

Avant  d'appliquer  une  teinte  quelconque,  il 
faut  l'essayer  sur  son  garde-main  ou  sur  toute 
autre  feuille  d'un  papier  de  même  nature 
que  celui  employé  pour  le  dessin.  Celui-ci 
doit  être  nettoyé  et  gommé,  au  préalable  (car 
il  ne  faut  pas  penser  à  donner  un  seul  coup  de 
gomme  sur  une  teinte),  avec  la  gomme  élastique 
ordinaire  seulement.  On  prend  ensuite  de  la 
couleur  avec  un  pinceau  de  grosseur  proportionnée 
h  la  surface  à  laver  et  toujours  rempli,  et  on  lave 
hardiment  de  gauche  à,  droite  et  do  haut  en  bas, 
en  tenant  le  dessin  incliné  et  en  ayant  soin  sur- 
tout de  faire  écouler  la  teinte  par  la  pointe  du 
pinceau  plutôt  que  par  le  flanc.  Un  grand  nombre 
de  taches  viennent,  en  effet,  de  ce  qu'on  veut 
obliger  la  teinte  i  sortir  par  le  fl:inc,  tandis  qu'elle 
s'écoule  naturellement  et  sans  effort  par  la  pointe 
du  pinceau. 

Lorsqu'on  a  de  grandes  teintes  ;i  appliquer,  il 
convient  d'humecter  d'abord  d'eau  propre  tout 
le  dessus  avec  une  petite  éponge  et  de  commen- 
cer le  lavis  quand  la  feuille  est  presque  sèche. 
L'eau  pure  est  préférable  à  une  dissolution  d'a- 
lun, qui  forme  une  espèce  d'enduit.  Quelquefois 
aussi,  pour  rendre  une  couleur  délayée  plus  lim- 
pide, on  la  décante,  soit  en  la  versant  dans  un 
autre  godet  avec  précaution,  soit  en  la  versant 
dans  une  petite  boîte  improvisée  en  fort  papier. 

Il  faut  avoir  soin  d'essuyer  avec  un  chiffon  tout 
bâton  de  couleur  ou  d'encre  de  Chine  qui  vient 
d'être  employé,  pour  éviter  que  cette  couleur  se 
fendille  et  s'émiette  en  petits  morceaux. 

Dans  un  dessin  à  effet,  lavé  et  ombré,  on  doit 
opérer  dans  l'ordre  suivant  :  I"  appliquer  une 
teinte  d'ébauche  k  l'encre  de  Chine,  d  un  gris- 
foncé,  sur  toutes  les  portions  dans  l'ombre  pro- 
pre ;  2°  faire  les  lavis  des  ombres  propres,  le  mo- 
delé des  parties  arrondies,  soit  en  dégrade,  c'est- 
à-dire  au  moyen  de  teintes  plates  superposées, 
d'inégale  intensité,  soit  en  teinte  fondue,  c'est-à- 
dire  étendue  d'eau  et  diminuant  peu  à  peu  d'in- 
tensité ;  'i"  faire  le  lavis  des  ombres  portées,  d'a- 
bord sur  les  surfaces  planes,  puis  sur  les  surfaces 
courbes;  4°  appliquer  les  teintes  conventionnelles. 

Il  convient,  dans  le  dégradé  en  général,  à  l'en- 
cre de  Chine  ou  en  une  teinte  quelconque,  de 
commencer  par  les  tons  les  plus  foncés  et  d'étendre 
d'eau  de  plus  en  plus  pour  arriver  aux  tons  clairs. 
La  méthode  inverse,  qui  consiste  à  commencer 
par  les  tons  clairs  et  à  les  renforcer,  présente 
plus  d'incertitude  et  de  difficulté.  Dans  les  deux 
cas,  il  faut  avoir  soin  de  superposer  les  teintes,  et 
non  pas  les  juxtaposer.  On  évite  ainsi  un  bour- 
relet de  taches  qui  se  produit  infailliblement 
entre  les  teintes  juxtaposées. 

V.  Convention  poub  le  lavis  a  l'encke  de  Chine. 
—  Le  lavis  à  l'encre  de  Chine  étant  de  beaucoup 


LAVIS 


1134  —        LEÇONS   DE  CHOSES 


le  plu<i  employé,  non  seulement  dans  les  ombres, 
msis  encore  à  la  place  clés  teintes  conventionnel- 
les, aussi  bien  en  architecture  qu'en  mécanique, 
nous  allons  donner  les  principales  conventions 
qui  s'v  rapportent.  . 

1°  Quand  une  surface  plane  est  parallèle  u  un 
dcf!  plans  de  projection  et  se  trouve  entièrement 
éclairée,  elle  doit  recevoir  une  teinte  plate,  claire 
et  uniforme,  dans  toute  so7i  étendue. 

2»  Quand  une  surface  plane  est  oblique  à  un 
plan  de  projection  et  se  trouve  enfièrC'i.eni  éclai- 
rée elle  doit  recevoir  une  teinte  claire,  dégradée, 
dims  laquelle  la  partie  la  plus  éloignée  de  L'obser- 
vateur tst  la  moins  claire. 

On  admet  avec  raison  que  la  quantité  de  lu- 
mière envoyée  dans  l'œil  d'un  observateur  par 
un  objet  éclairé  diminue  avec  l'éloignement  de 
cet  objet,  bien  qu'il  soit  également  éclairé  dans 
toutes  ses  parties.  A  dire  vrai,  cette  différence 
d'intensité  est  inappréciable  dans  la  plupart  des 
cas  où  l'on  prend  le  soleil  pour  source  lumineuse, 
mais  il  convient  de  l'accentuer  afin  de  mieux  faire 
sentir  le  relief  des  objets. 

3"  Une  surface  plane  éclairée  est  d autant  plus 
brillante  et  doit  être  en  teinte  d'autant  plus  claire 
qu'elle  se  rappro'h-  plus  de  la  position  perpendi- 
culaire au  rayon  luminnix. 

On  sait  que  le  rayon  lumineux  adopté  par  les 
dessinateurs  suit  la  direction  de  la  diagonale  d'un 
cube  qui  va  de  haut  en  bas,  d'avant  en  arrière  et 
de  gauche  à  droite  (V.  Omb^s). 

4"  Quand  une  surfac-  plane  est  oblique  à  un 
des  plans  de  projection  et  se  trouve  entièrement 
dans  l'ombre,  elle  doit  reievoir  une  teinte  foncée 
déqrad  e,  dans  laquelle  la  partie  la  plus  éloignée 
de  l'o 'se 'Vil leur  est  ta  moins  foncée. 

On  admet,  en  effet,  et  l'expérience  le  prouve, 
que  l'ombre  s'affaiblit  en  s'éloignant,  qu'elle  est 
atténuée  par  des  reflets  de  lumière  venant  du  sol, 
des  objets  environnants  et  de  l'atmosphère. 

It"  Quand  deut  surfaces  planes  sont  parallèles 
et  éclairées,  celle  qui  -e  trouve  la  plus  proclie  du 
spectateur  reçoit  une  teinte  plu<  faible  que  l'autre. 
Si  ces  surfaces  sont  dans  l'ombre,  c'est  la  plw 
éloignée  qui  doit  recevoir  la  teinte  la  plus  faible. 

Cela  résulte  évidemment  de  la  deuxième  et  de  la 
quatrième  lois. 

Tout  ce  qui  vient  d'éire  dit  s'applique  aux  sur- 
faces courbes,  que  l'on  peut  considérer  comme 
formées  d'un  grand  nombre  de  faces  planes  de 
petites  dimensions.  Par  conséquent,  dans  iine 
sphère,  par  exemple,  on  distinguera  une  portion 
brillante,  puis  une  série  de  tranches  de  plus  en 
plus  sombres  par  suite  de  leur  inclinaison  de 
plus  en  plus  grande  par  rapport  aux  rayons  lu- 
mineux, et  enfin  une  zone  sombre  suivant  laquelle 
ces  rayons  rasent  la  sphère  et  qui  limite  la  partie 
éclairée.  Au  delà  de  cette  zone,  il  n'y  a  plus  que 
de  l'ombre  ;  elle  est  la  séparation  de  l'ombre  et 
de  la  lumière. 

C°  Duos  la  partie  ormbée  des  surfaces  courbes, 
la  teinte  d'ombre  doit  diminuer  d'intensité  à 
partir  de  la  H/ne  de  séparation  d'ombie  et  de 
lumière  jusqu'aux  points  qui  se  trouvent  directe- 
ment apprises  aux  rgijons  tuiuineur. 

C'est  d'après  cette  loi  que  se  fait  le  dégradé 
dans  la  partie  ombrée  du  cylindre,  du  cône  et  de 
la  sphère.  .    . 

En  effet,  dit  M.  PiUet,  si  la  lumière  solaire  était 
unique,  si  elle  ne  donnait  pas  lieu  à  des  reflets, 
tous  les  points  dans  l'ombre  seraient  absolument 
noirs.  Or,  il  n'en  est  rien  :  ces  points  sont  dans 
des  demi-teintes  d'éclat  variable  ;  les  ombres  sont 
éclairées  par  des  rayons  indirects  que  nous  nom- 
merons rayons  de  reflets,  dus  à  la  niasse  d'air  envi- 
ronnante, au  sol  ou  aux  objets  voisins. 

En  admettant  même  que:  les  objets  que  nous 
présentons  soient,  comme  des  aérostats,  isolés  au 


milieu  de  l'atmosphère,  à  l'abri  des  reflets  du  sol 
et  des  corps  environnants,  ils  recevraient  encore 
des  reflets  de  l'atmosphère  ;  car  l'air  a  la  propriété 
de  réfléchir  la  lumière  h  la  manière  des  corps 
opaques.  Sans  cela,  le  passage  du  jour  à  la  nuit 
ou  de  la  uuit  au  jour  serait  subit  et  il  n'y  aurait 
ni  cri'puscule  ni  aurore. 

Voici  maintenant  une  expérience  qui  permet 
d'apprécier  les  intensités  diverses  de  ces  rayons 
indirects  ou  de  reflots. 

Lorsqu'on  regarde  le  ciel  avec  une  lunette  dont 
l'objectif  est  remplace  par  un  verre  dépoli,  l'éclat 
maximum  de  ce  verre  a  lieu  quand  on  fixe  le 
soleil.  Si  la  direction  s'en  éloigne,  l'éclat  diminue 
très  rapidement  et,  pour  un  angle  de  30",  il  est 
environ  quatre  fois  plus  faible  que  pour  un  angle 
de  3°.  Cet  éclat  passe  par  un  minimum  qui  répond 
environ  à  un  angle  de  90",  augmente  ensuite  fai- 
blement et  repasse  par  un  maximum  relatif  pour 
un  écart  de  l.SU»,  c'est-i-dire  pour  le  point  directe- 
ment opposé  au  soleil.  Les  choses  se  passent  donc 
comme  si  les  objets  étaient  éclairés  par  deux  so- 
leils, l'un  qui  envoie  des  rayons  directs  intenses, 
l'autre,  des  rayons  indirects  beaucoup  plus  faibles. 

7°  Les  surfaces  situées  dans  l'ombre  po-tée  par 
d'nutrps  surfaces  doivent  être  en  teintes  d'autant 
plus  foncées  qu'elles  seraient  eles-mémes  plus 
éclairées  s'il  iig  avait  pas  d' ombre  portée. 

D'après  cette  loi,  le  dégradé  du  lavis  sur  les 
surlaces  courbes  dans  les  ombres  portées  est  in- 
verse du  dégradé  ordinaire  dont  il  a  été  question, 
et  doit  être  superposé  à  ce  dernier. 

8"  Sur  tonte  arête  saillante  qui  termine  deux 
surfaces  également  éclairées,  l'une  vliible  et  l'autre 
tnvisible pour  le  mênie  observateur,  ilest  7iécessairc 
de  ménaijer  un  filet  clair  très  étroit  nommé  filet 
de  lumière,  //o -rvu  que  l'une  des  surfaces  au 
moins  soit  platie  ou  qu'eUes  le  soient  toutes  les 
deux . 

Ce  filet  de  lumière  est  la  contre-partie  du  trait 
d-i  force  daiiis  les  dessins  non  lavés.  Il  doit  suivre 
les  intensités  des  teintes  auxquelles  il  appartient  : 
il  reste  blanc  si  la  teinte  qu'il  accompagne  est 
assez  faible  ;  mais  il  doit  être  un  pou  teinté  dans 
le  cas  contraire. 

9"  Sur  toute  arête  sailla-de  qui  termine  deux 
surfaces  da7is  l'ombre,  l'une  visible,  l'autre  invisi- 
l)le,  on  ménage  aussi  un  fiiet  étroit  en  teinte  fai- 
ble, appelé  reflet,  pourvu  que  l'une  des  surfaces 
soit  plane  ou  qu'elles  le  soient  toutes  les  deux. 

Ce  filet  est  dû  h  la  lumière  réfléchie  par  les 
objets  environnants.  Si  le  dessin  était  simplement 
au  trait,  sans  lavis  ni  ombre,  on  mettrait  un  trait 
de  force  à  la  place  de  ce  reflet. 

10"  Le  contour  des  ombres  portées  d'une  certaine 
étendue  doit  toujours  être  terminé  par  une  bor- 
dure en  teinte  plus  faible  reprisentant  la  pé- 
nombre. 

Cette  bordure  est  généralement  étroite  :  mais, 
i  la  rigueur,  sa  largeur  devrait  être  proportionnée 
à,  l'éloignement  de  l'objet  qui  porte  ombre.  On 
l'obtient  en  lavant  l'ombre  en  deux  teintes  super- 
posées de  manière  que  la  seconde  n'atteigne  pas 
tout  i  fait  les  limites  de  la  première. 

Telles  sont  les  lois  fondamentales  du  lavis  à 
l'encre  de  Chine.  [A.  Boiigueret.  ] 

IJ':ÇO,\S  l»F.  CHOSES.  —  Les  leçons  de  cho- 
ses, application  de  la  méthode  intuitive  aux  con- 
naissances de  l'ordre  sensible,  sont  la  continuation 
raisonnée,  dans  la  salle  d'asile  ou  l'école  en- 
fantine, du  premier  enseignement  donné  par  la 
mère.  Suivant  d'instinct  l'ordre  même  de  la  na- 
ture, la  mère  nomme  et  fait  répéter  i  l'enfant  les 
objets  ou  les  personnes  que  les  deuils  réguliers 
de  la  vie  de  famille,  et  de  ce  niojide  qui  com- 
mence à  la  fenêtre,  ramonent  chaque  jour  sous  ses 
yeux;  elle  lui  apprend  à  en  distingue!-  h',  nombre, 
la  forme,  la  couleur,  les  propriétés,  les  usages  ou 


LEÇONS  DE  CHOSES 


l\X> 


LEÇONS   DE   CHOSES 


les  emplois  ;  et  elle  débrouille  ainsi,  ea  se  jouant, 
les  premiers  cléments  de  la  pensée  et  do  la  pa- 
role. 

Malliourciisemont  on  ne  se  doute  point  assez 
des  iiinonibi'ulilcs  et  sérieuses  diflicultcs  ((ue  pré- 
sente la  continuation  de  cet  enseignoniont,  si 
humble  :\  son  début.  On  a  l'air  de  dire  ou  do 
penser  vaguement  :  La  more  était  si  ignorante,  si 
étrangère  aux  questions  de  méthode,  et  elle  n'a- 
vait pas,  comme  moi,  le  certificat  d'aplitude  !  Sa 
succession  n'a  donc  rien  d'ell'rayant. 

Eh  bien,  en  réalité,  il  n'y  a  rien  de  plus  diffi- 
cile. D'abord  il  faut  beaucoup  et  bien  savoir  pour 
donner  des  détails  sûrs  et  précis,  non  pas  avec 
des  termes  scientiflt|ues,  mais  en  langage  exact  et 
sérieux  dans  sa  familiarité,  sur  le  moindre  fait 
qu'on  prétend  expliquer  pour  satisfaire  la  naïve 
curiosité  d'un  petit  enfant. 

Aussi,  que  de  mots  vides  et  incompris  dans  cûs 
prétendues  leçons  de  c/ioses,  quand  ce  ne  sont  pas 
des  erreurs  et  des  préjugés  !  Lh  est  surtout  la 
cause  grave  do  la  faiblesse  générale  de  ce  genre 
d'exercices.  On  ne  sait  pas  eu  réalité;  on  n'a  ja- 
mais feuilleté  le  grand  livre  de  la  nature  pour  y 
apprendre  à  observer  simplement  des  faits  inté- 
ressants qui  nous  crèvent  les  yeux,  comme  on 
dit.  Mais,  grâce  aux  petits  manuels  des  hommes, 
on  s'est  farci  la  mémoire  de  quelques  définitions, 
de  quelques  classifications,  de  quelques  termes 
scientifiques  qui  semblent  faire  bon  effet. 

Un  second  défaut,  non  moins  gravé  au  fond  et 
qui  nous  préoccupe  surtout  dans  cet  article,  c'est 
le  manque  de  pi-ogramme,  l'absence  de  direc- 
tion. 

Dans  nos  écoles  pourvues  d'une  organisation 
pédagogique,  un  programme  largement  tracé  règle 
mois  par  mois,  avec  beaucoup  de  sûreté,  pour 
chaque  matière  d'enseignement,  les  principales 
questions  h  traiter.  C'est  un  guide  et  un  stimu- 
lant pour  tout  le  monde,  sans  être  une  gène  au- 
trement que  pour  la  paresse,  le  caprice,  l'impré- 
voyance. Aucune  partie  des  cours  n'est  ainsi 
négligée,  et  malgré  les  fréquents  déménagements, 
les  élèves   ont  la  possibilité  de  trouver  partout  au 


point  convenablû  les  leçons  suivies  dont  ils  ont 
besoiii. 

Rien  de  pareil  n'est  encore  établi  dans  l'asile, 
où  cette  organisation  rendrait  des  services  analo- 
gues. Depuis  le  mois  d'octobre  1879,  nous  l'avons 
introduite  il  titre  d'essai  dans  doux  salles  d'asile 
du  lf>'  arrondissement  do  Paris,  dont  les  directri- 
ces, parleur  intelligent  dévouement,  nous  ofi'raient 
toute  garantie. 

Rattacher  la  leçon  de  choses,  le  dessin,  la  leçon 
morale,  les  jeux  et  les  chants,  de  manière  que 
l'unité  d'impression  de  ces  diverses  formes  d'en- 
seignement laisse  une  trace  plus  durable  dans 
l'espril  et  le  cœur  des  enfants; 

Régler  enfin  l'ordre  des  leçons  par  l'ordre  même 
des  saisons,  afin  que  la  nature  nous  fournisse  les 
objets  de  ces  leçons  et  que  l'enfant  contracte  ainsi 
l'habitude  d'observer,   de  comparer  et  déjuger; 

Telle  est  la  double  idée  générale  de  ce  nouveau 
programme,  qui  n'a  d'autre  prétention  que  d'in- 
diquer à  grands  traits  une  direction  naturelle  et 
de  donner  quelques  indications  pratiques  pour  la 
suivre. 

Il  est  divisé  mois  par  mois,  réduit  à  des  plans 
sommaires,  où  dos  mots  rangés  autour  d'un  mot 
principal  sont  autant  de  sujets  pour  des  leçons 
d'ensemble  et  de  détail;  pour  les  dessins,  on 
fera  bien  de  se  srrvii-  d'abord  de  ceux  qu'a  em- 
ployés M.  Pellissier,  dans  la  Gi/mnoxliquc  de  l'es- 
prit. Il  ne  faut  pas  s'attacher  ;\  l'exécution  des 
détails,  avant  que  l'élève  ait  bien  compris  l'en- 
semble et  les  principales  divisions  de  l'objet.  Nous 
donnons  aussi,  à  titre  d'exemple,  une  ou  deux  stro- 
phes plus  spécialement  relatives  au  sujet  traité,  avec 
l'indication  de  la  source.  Les  paroles  doivent  être 
lues,  expliquées  rapidement,  comme  vérification 
de  la  leçon,  et  chantées  ensuite. 

Enfin,  quant  aux  histoii'es  morales,  que  notre 
personnel  ne  sera  pas  embarrassé  de  trouver  ou 
d'imaginer,  nous  nous  bornons  à  quelques  re- 
commandations :  qu'elles  soient  courtes,  abondan- 
tes en  détails  bien  choisis,  vives  et  animées  ;  que 
les  personnages  y  parlent  et  que  la  maîtresse  ne  les 
interrompe  pas  par  d'ennuyeux  et  inutiles  sermons. 


PROGRAMME    DE     LEÇONS    DE    CHOSES 
OCTOBRE. 
Leçons  de  choses.  i 


La  vendange.  —  Vigne,  raisin,  vin;  cuve,  ton- 
neau, bouteille,  verre,  bouchons,  litre;  Bourgogne, 
Bordeaux,  Champagne;  pommes,  cidre,  Norman- 
die; lioublon,  bière,  Flandre,  Alsace. 


Grappe    de    raisin,   feuille  de  vigne,   pr 
cuve,  tonneau,   bouteille,  verre,  entonnoir 


essoir, 
,  litre. 


Cliants  et  Jeux, 


L  AUTOMNE 

Un   enfani. 
Ouvrez-moi,  pan,  pan 
Pau,  pan,  ouvi-cz-iiioi 
Car  j'apporte  eu  passaut , 
Des  fleufS  et  du  gazon. 


pan. 


Le  chœur. 
Dis-nous  (1. 
Coninieut  1' 


,  la  belle, 
t'appelle  '? 


L'enfant. 

:  raisins  noi. 
Le  cliœur. 


!  ton  vin 
e  monde. 

Tous. 
Gué.  chantons,  gué,  clianlons, 
Unnsons  en  toutes  saisons. 
(L'Éducation  nouoeil:  de  SI.  D^lbiii 

LE  TONNELIIIR. 


A  l'ait  I 
r.'cst  lu 
Et  la  c 


Tonneau. 
Onou  vo. 
Sortent  d 
Uujoveu, 


dans  le  cellier. 
:  la  boiitii|>e. 
tuTinelier. 
{L'ÉducMu 


Leçons  de  chosco. 

Le  /abourar/e.  —  Charrue,  herse. 
L'éclairage.   —   Chandelle,  bougie,  lampe, 
phare,  aurore  boréale. 


Dessin. 

Soc  de  charrue,  herse. 

Chandelier,  bougeoir,  lampe,  bec  de  g;iz, 


phare 


LEÇONS  DE  CHOSES 


LE      LABOl'Il. 

Pour  se  nourrir,  il  f.nit  du  pair 
Gais  laboureurs,  dès  le  matiu 
Nous  allons  préparer  la  terre  : 
Voici  Novembre,  dépêchons. 
Bonjour,  travail  ;  adieu,  misère, 
El  Dieu  bénira  i 


Hue,  oh  !  mes  hœ 
Tirez  droit  la  cha 
Tirez  droit  la  cha 


1136  —       LEÇONS   DE  CHOSES 


Chants  et  Jeux. 


sillons  {bU 
fs.  le  long  du  champ  {bis). 
rue.  Ion  la  Ion  la  lou  li  re  la 


DÉCEMBRE. 


Jief7'ain. 

Gué,  gué,  bous  paysans. 
Le  monde  a  faim  ;  du  courage,  à  l'ouvrage  I 

Gué,  gué,  bons  paysans, 
Vivent  les  bœufs,  la  charrue  et  les  champs. 

LES  SEMAILLES. 

Nous  semons,  nous  semons, 
Amis,  prenons  patience. 
Nous  semons,  nous  semons. 
Plus  lard,  nous  recueillerons. 

(M"»  Pape-Carpantier,  Jeux  gymimsiiques.) 


Leçons  de  choses.  I 

Le  chauffage.  —  Froid,  neige,  glace,  avalanche,  | 


Dessin. 


^^  ^ _  ,        „     „        .  Patin,  traîneau,  thermomètre,  poôle,  cheminée, 

SuTsse  "Âipes,  patins,  traîneaux,    Russie,  renne,  1  soufflet,  pelle,  pincette,  pompe  à  incendie. 
Laponïe;  thermomètre,    poêle,    cheminée,    bois, 
charbon,  mines,   allumettes;    engelure,    rhumes,! 
brûlure;'  incendie,  pompiers;  le  foyer,  la  famille.  ; 


Chants  et  Jeux. 

LE    PETIT    RAMONEUB. 

L'enfant. 
Pourquoi,  petite  mère, 
Déjà  m  eveillez-vous  ? 
A  ma  faible  paupière 
Le  sommeil  est  si  doux. 

La  mère* 
Mon  fils,  laube  est  venue  ; 
Du  jour  le  travail  est  la  loi. 
Et  dès  longtemps,  là,  dans  la  rue, 
D'un  enfant  petit  comme  toi 
Entends-tu  la  voiï  bien  connue  ? 

Le  ramoneur. 
Ah!  ramona,  ramona,  ramona 
La  chemina  du  haut  en  bas. 
Chœur. 
Puisqu'il  travaille. 
Au  petit  lamoacur 
Rendons  honneur  ! 
Et  que  le  paresseux 
Honteux 
Sur  son  lit  dorme  et  bâille. 

(H»"  Pape  Carpantier,  Jeux  gymnastiques.) 

JANVIER. 
Leçons  de  choses. 
Nouvelle  année.  —  Mouvement  de  la  terre  ait 
tour  du  soleil;  compliments,  étrennes,   chante, 
orange,   marrons,  Afrique,   Espagne,  Italie;   chu- 
mage,  caisse  d'épargne. 

âliabillement.  —Fourrures,  couvertures,  edie- 
dons,  laine,  coton,  draps,  flanelle;  filage,  tissage, 
teinture;  aiguille,  épingle,  ciseaux,  mètre  à  ruban. 

Chants  et  Jeux 

l'hived. 

Un  enfant. 
Ouvrez-moi,  pan,  pan,  pan. 
Pan,  pan,  ouvrez-moi  donc. 
Je  n'apporte  pourtant 
Que  neige  et  que  glaçon. 
Le  chœur. 
Dis,  saison  nouvelle. 
Comment  l'on  t'appelle. 
L'enfant. 
Je  suis,  enfants. 
L'hiver,  saison  du  mauvais  temps. 
Le  chœur. 
Qu'importe  1  Comme  tes  sœurs 

Entre  dans  notre  ronde. 

Car  du  sein  de  tes  rigueurs 

La  terre  sort  féconde. 

Tous. 

Gué,  chantons,  gué,  dansons, 

Dansons  en  toutes  saisons. 

(L'Éducation  nouvelle,  3«  série.) 


LE  FEU. 

Quand  le  triste  hiver  ramène 
La  neige  et  la  longue  nuit, 
Nous  oublions  notre  peine 
Auprès  du  foyer  qui  luit. 

Jisfrain. 

Le  feu,  le  feu 
Nous  rend  tuus  heureux, 
Nous  rend  tout  joyeux. 

Vive  le  feu  ! 

Quand  le  soir  étend  son  ombre. 
Il  apporte  à  nos  côtés, 
Pour  distinguer  la  nuit  sombre. 
Mille  brillantes  clartés.  —  Jiefrain. 

Pour  éviter  les  ravages 
Que  le  feu  cause  en  tout  lieu, 
Il  faut  craindre,  à  tous  les  âges. 
De  jouer  avec  le  feu.  —  Refrain. 

(L'Éducation  nouvelle,  i'  série.) 


Sphère. 
Tirelire. 
Ciseaux,  mètre  à  ruban 


SOUHAITS  DE    BONNE     ANNEE. 
Befrain. 

Bon  travail,  bonne  année 
A  nos  petits  amis! 
Heureuse  destinée! 
C'est  l'avenir  prorais. 
Le  travail  est  le  père 
De  tous  biens  iei-bas  : 
L'homme  perdrait  la  terre. 
S'il  ne  travaillait  pas. 
La  science  féconde 
Aux  enfants  travailleurs 
Donne  la  terre  et  l'onde, 
Et  le  ciel  et  les  Heurs. 

L'Éducationnouvell  .  1"  série.) 

LES    PETITES  TRICOTEUSES. 

(Delcasso,  Recueil  de  morceaux  de  chant. 


LE(,;ONS  DE  CHOSES 


li:!7 


LEÇONS   DE  CHOSES 


l'I'iVlUlîR. 
Leçons  de  choses. 
Le  coriji  humain.  —  Principaux  organes;  sens. 


"  L'alinieii/ation.  — Mets  et  boissons;  boulansci', 
bouclier,  fruitier  ;  faim,  appétit,  indigestion  ;  médo- 


Dessin. 

Cœur,  poumon,  estomac. 

Fourneau,  casserolo,  poêle,  chaudron,  marmilo, 
bouilloire,  gril. 


Chants  et  Jeux. 


LA  GYMNASTIQUE. 

l'rutectrice  de  la  faiblesse 
Et  délu^senient  pour  le  fort, 
De  la  santé,  de  la  sa|;esse. 
Tu  duiiiics  le  fécond  trésor. 

liefraiii. 
Puissante  gymnastique  aux  effets  salutaires, 
Rien  ne  peut  remplacer  tes  utiles  leçons  {bis). 

(Laisné,  Jtecueil  de  chants  spéc\ 

LE  PAIN. 
Quand  la  farine  sera  faite 
Au  mitron  nous  la  porterons. 
Ton  tO[i  ton  ton  tou  taine  ton  ton 

Pour  qu'il  pétrisse  et  nous  apprête. 


npll, 


poche 


Nous  pourrons  avoir  des  bri{ 

Et  des  (gâteaux  que  uous  aiiu 

Ton  ton,  etr. 

F.l  nous  pourrons  i 

1)0  biscuits  et  de  i 

Ton  tou,  etc. 


Pauvres  enfants  qu'on  abandonne 
Et  qui  n'avez  pas  de  moissons, 
Ton  ton,  etc. 

Heureux  des  biens  que  Dieu  nous  donn 
us  partagerons, 


Tun  tou,  etc 


[V Éducation  nouvelle.) 


Leçons  de  choses. 

L'habitntioji.  —  Bois,  pinrre,  fer,  briques,  ar- 
doise, plâtre,  cliaux;  tuile,  chaume,  zinc;  diverses 
industries  du  bâtiment. 

ies  abeilles,  —  Ruche,  cellules,  cire,  miel. 


Dessin. 

Maison,  fenôtre,  porte;  table»  lit,  chaise,  ar- 
moire, commode;  mur,  rangées  de  pierres  détaille, 
de  briques;  plan  d'une  maison,  charpente;  mar- 
teau, scie,  tenaille,  équerre,  compas,  fil  à  plomb, 
ausret,  truelle. 


Chants  et  Jeux. 


LES  PETITS    OUVRIERS. 
Refrain. 


Ce: 


Faisons  la  guerre  à  la 
Laborieux, 
On  est  heureu: 
Le  talent 
Vaut  mieux  que 


Menuisiers,  refendons 
Menuisiers,  puussons  1 

Pch,  pch,  etc,  —  Refi 


planches,   j  ^.^ 


ruriers,  limons  nos  serrures,  I  ,. 
ruriers.  battons  le  fer  chaud,  \  '* 
Pau,  pan,  etc.  —  liefraiii. 

(M'""  Papc-Carpanliei-,  Jeux  gymnastitjws.)  1 


LA  RONDE  DES  ABEILLES. 
lîefrain. 

Suivez  les  prés,  suivez  les  champs, 
A'olez,  blondes  abeilles; 

Autour  de  vous  riieureui  printemps 
Etale  ses  merveilles. 

Couplet. 

Cueillez  le  miel,  et  montrez-nous. 
Montrez  à  qui  vous  aime 

Que  du  travail  les  fruits  sont  doux 
Autant  que  le  miL-l  même. 


Leçons  de  choses. 

La  végétalion.  —  Graine  racines,  tige,  fleurs,  etc. 

Les  7ii(Js  d'oiseaux.  —  Services  que  nous  rendent 
les  oiseaux,  chenilles,  insectes,  hannetons;  vers  à 
soie. 


Dessin. 

Fleurs,  feuilles,  haricot. 


LE  PRINTEMl'S. 


Un  enfant. 


Chœur. 
Dis-nous  doue,  la  belle, 
Cjmmcnt  l'un  t'iip|)ulle, 

L-cnfanL 
Je  suis,  enfants 
saison  du  joyeux  prinleir 


Chants  et  Jeux. 


Chœur. 
Eli  bien!  entre,  gai  printemps, 
Entre  dans  notre  ronde, 
El  de  tes  bouquets  charmants 
Fais  don  à  tout  le  monde. 

Tous, 
Gué, chantons,  gué, dansons,  |    ,- 
Dansons  en   toutes  saisons.    ( 

[L' Éducation  nouvelle,  3* 


LE  VER  A   SOIE. 

Le  chœur. 


LEÇONS  DE  CIIUSES 


Le  ver. 
Donnez-moi  sur  ma  rouchette 
La  feuille  au  tluvet  brillant  : 
Cueillette,  cueillette,  cueillelle. 
J'aime  le  mûrier  blanc, 

Le  chœur* 
Te  vûili  grand,  ver  à  soie. 
Bien  long,  bien  fort,  bien  venu. 

A  présent  que  clicrches-lu? 


11;JS  —     LEÇONS   DE  CHOSES 

Je  fil.',  je  nie,  je  file 


Mon  j^li 


Le  chœur. 


Dis  encor,  ô  ver  à  soie. 
Dans  ion  travail  disparu, 
Dis  encore,  ô  ver  à  soie. 
Ainsi  caché  que  fais-tu  ? 

Le  ver. 

Je  me  change  eo  chrysalide, 
Profitez-en,  c'est  l'instant  : 
Dévide,  dévide,  dévide 
Mon  Joli  cocon  blanc. 
(M™«  Tapc-l'arpantier,  Jeuœ  gymnastîqucs.) 


Leçons  de  choses. 

Veau.  —  Ruisseau,  rivière,  ficuve,  mer,  marée. 
bains  froids,  natal  ion, 

La  pèche.  —  Flandre,  Normandie,  Bretagne, 
Provence;  baleine,  thon,  maquereau,  hareng, 
sardine. 

Le  blanchissage.  —  Savon,  propreté- 


Baignoire. 

Bateau,  hameçon,  filet,  poisson. 

Baquet,  pompe,  fontaine,  puits,  battoir. 


Chants  et  Jeux. 


VIVE    L  EAU  ! 
liefrain . 
Vive  l'eau,  vive  l'eau 
Qui  rafraîchit  et  rend  propre. 
Vive  l'eau,  vive  l'eau, 
Qui  nous  lave  et  nous  rend  bcai 

1. 
Elle  retombe  en  rosée 
Sur  les  ileurs  tous  les  matins. 
Et  par  l'homme  utilisée 
Fait  tourner  de  gais  moulins, 

2. 
Les  grands  bois  sur  la  niontagni 
De  l'air  attirent  les  eaux, 


Et  ces  eaux  dans  nos  campagnes 
Coulent  en  jolis  ruisseaux. 

{L' Education  nouvelle^  t'"  série.) 

LES  BOURGEOIS  DE  PROVENCE. 

Les  bourgeois  de  Provence 
Et  ceux  du  Dauphiué 
S'en  vont  sur  la  Durance 
Pour  apprendre  à  voguer. 
Et  vogue  ma  nacelle, 

0  doux  zéphyr 

Sois-moi  fidèle, 
Et  vogue  ma  nacelle, 
Nous  toucherons  le  port.  )  , 

Ha,  ha,  ha,  ha.  j  "^'^• 


Leçons  de  choses. 

La  ferme.  —  La  fenaison,  cheval,  âne,  chien  de 
berger,  loup,  moutons,  porc,  dindon,  poule,  oie, 
canard,  pigeon;  laiterie,  lait,  beurre,  fromage. 


Dessin. 

Terrine,  baratte,  boite  au  lait,  litre. 


Chants  et  Jeux. 


LE  PETIT  BERGER. 


Paissez,  petits  agneaux  ; 
En  liberté,  mangez  l'herbette, 

Que  vous  trouvez  à  ces  juisseaux, 
Ma  main  tient  la  houlette, 
Et  de  vous  je  suis  près. 
Aux  Sons  de  la  musette 


Qui  mécontent  d'abord 
Loin  du  bercail  trouva  la  mort  ! 
En  vain  ma  voix  fidèle 
Cent  fois  le  rappela, 
D'un  loup  la  dent  cruelle 
Hélas  1  le  déchira. 


LA   FENAISO.V. 


[Delcasso,  Recueil  de  morceaux  de  chant.) 


Leçons  de  choses. 

Voraf^e.  —  Éclair,  tonnerre^  grêle,  vent,  para- 
tonnerre, arc-en-ciel. 

Les  fruits.  —  Cerises,  fraises,  abricots,  poires, 
ïommes,  prunes. 


Dessin. 

Maison,  paratonnerre,  arc-en-ciel,  parapluie. 

Bouquet  de  cerises. 


LEÇONS  DE  CHOSES 


ll.'i'.t—      LEÇONS   DE  CHOSES 


Chants  et  Jeux, 


Un  enfant, 
Ouvi'cz-moi,  pan,  pan,  pan, 
l'an,  pau,  ouvrcz-inoi  donc. 
Car  j  apporte  en  passant 
Le  hlé  de  la  moissun. 


Dis-nous  donc,  la  belle, 
dominent  l'on  t'appelle. 

L'enfant, 
Je  suis,  enfants, 
L'étc^  saison  des  jours  brûlants. 

Le  chœur» 
Kntre  donc  vite  au  milieu, 
Au  milieu  de  la  ronde; 
Avec  le  pain  du  bon  bieu 
Viens  n.iuirir  tout  le  monde. 
Ginî,  chantons,  gué,  dansons,  /  .  . 
Dansons  en  toutes  saisuns.       j  ^'^' 
[L'Education  nouvelle,  3« 


LA  MARCHANDE  DE  KRt'ITS. 


(Juels  sont  les  fruits  que  vous  vende: 
Dites  nous,  [jentîHe  marchande, 
Quels  sont  les  fruits  que  vous  vendez 
Et  cultivez  ? 


La  marchande. 
Doya 


J'ai  parmi  les  fruits  à  noyau 
Des  prunes  et  de  belles  pêch 
J'ai  parmi  les  fruits  à  noyaux 
Des  abricots. 

Le  chœur. 
Est-ce  tout  ce  que  vous  vendez  ? 
Dites-nous,  gentille  marchande  ? 
Est-ce  tout  ce  que  vous  vendez 
Et  cultivez  ? 

La  marchande. 
J'ai  de  belles  pommes  d'api, 
l'oniines  d'été,  pommes  lainette  ; 
J'ai  de  belles  pommes  d'api, 


Di 


ùt  exqu 
[V Education  nouvelle,  1"  série.) 


Leçons  de  choses. 

La  moisson.  —  Clé,  orge,  avoine,  farine,  pain, 
pâte,  four,  boulanger,  pâtissier. 

Les  voyages.  —  Routes,  chemins  de  fer,  ba- 
teaux à  vapeur;  cartes,  points  cardinaux,  boussole, 
aimant;  Christophe  Colomb;  races  d'hommes,  la 
patrie,  le  monde. 


Gerbe,  épi  de  blé;  faux,  faucille;  moulin  ft  vont, 
paire  de  meules  ;  balance,  poids. 

Locomotive,  rails,  bateau  à  voile,  à  vapeur,  im- 
mes,  gouvernail,  boussole. 


Chants  et  Jeux. 


LE    JEU    DU    BLE, 

Fauclions,  fnuchous. 
Ces  beaux  blés  iVuits  de  la  terre, 

Fauchons,  fauchons, 
Ces  beaux  épis  mûrs  et   blonds. 


Tordez  vns  liens,  moissonneurs. 
C'est  le  lien  qui  fait  la  gerbe, 
Tordez  vus  liens,  moissonneurs  : 
Les  mieux  tordus  sont  les  meilleurs. 


Pan,  pan,  pan,  pan,  pan,  pan. 
Le  fléau  frappe  en  cadence, 
Pan,  pan,  pan.  pan,  pan,  pan, 
De  l'épi  sort  le  froment. 

Ticaticatac,  dans  le  moulin 

Le  beau  grain  devient  belle  fariuc, 

Ticaticatac,  dans  le  moulin 

La  meule  eu  tournant  écrase  le  grain. 

(M"»"  Pape-Carpantier,  Jeux  gymnastiqui 
LA  RONDE    DU  T0rn   DU  MONDE. 

[L'Education  nouvelle,  2*  série.) 


Leçons   de  choses. 

La  chasse.  —  Clievreuil,"  cerf,  sanglier,  loup, 
renard,  lièvre,  lapin,  perdrix,  alouette,  caille  ;  fu- 
sils, filets,  pièges. 

Lti  fête  iiu  village.  —  Foire,  boutique,  feu  d'ar- 
tifice, poudre;  guerre,  commerce,  monnaie. 


Dessin. 

Cor  de  chasse,  carnassière,  fusil, 


Chants  et  Jeux, 


LE  RENARD. 
1. 
Renard,  tu  vi'-ns  de  me  prendre 
Mon  i:oq  si  gentil    [bis), 
"Vite,  vite,  il  faut  le  rendre 
Ou  gare  au  fu,il  [bis). 


V«'is,  mon  chien  jappe  et  s'apprête  : 
Ilen.ls  vite  0.1  sinon  [bis) 
Dimx  hall,  s  voui   dans  ta  tête 
M'en  r- ndre.aisoii  [bts). 

(ULilcasso,  Recueil  de  morceaux  de  cha-i 


LES  QUAT'    sous  du   PETIT    NICOLE. 

Maman  m'a  donné  quat'  sous, 
i'our  m'amuser  à  la  foire  ; 
C'est  pas  pour  mander  ni  boire, 
(>'esl  pour  m'  régaler  de  joujoux,  etc. 

(F.  Bérat) 

LA  FÊTE   DU  IIAMIîAU. 


LEÇONS  DE  CHOSES  -  M40  ~  LEÇONS  DE  CHOSES 


Voici  quelques  pages  de  madame  Pape-Carpan- 
tier  qui  nous  paraissent  donner  une  jusle  idée  de 
la  leçon  de  choses.  Elles  sont  extraites  d'une  con- 
férence que  i'éminente  directrice  du  Cours  prati- 
que a  faite  à  la  Sorbonne  aux  instituteurs  venus  à 
Paris  pour  l'Exposition  universelle  de  18G1.  De  là 
les  recommandations  et  les  conseils  qui  ne  trou- 
veraient pas  place  dans  une  leçon  faite  à  des  en- 
fants, mais  que  nous  croyons  utile  de  recueillir 
dans  cet  article. 

«  Le  plaisir  de  la  surprise  est  très  grand  dans 
l'enfant.  11  est  proportionnel  au  désir  deconnaitre. 
Il  faut  savoir  profiter  de  cette  ardeur,  et  la  mé- 
nager avec  art,  de  manière  à  concentrer  sur  la 
leçon  tout  l'intérêt  et  toute  l'attention  que  la  na- 
ture de  l'enfant  comporte. 

■Cet  art  n'exige  ni  complication,  ni  recherclie. 
Les  mères  le  trouvent  dès  la  naissance  de  leur 
enfant,  preuve  que  rien  n'est  plus  simple,  plus 
naturel  que  cet  art-là.  Il  consiste  simplement  à 
aimer,  et  à  désirer  faire  plaisir  à  ceux  qu'on  aime. 
Et  il  est  si  doux  d'aimer  les  enfants!  et  si  facile 
de  leur  être  agréable!  Ils  se  laissent  si  aisément 
charmer,  et  entraîner  li  où  l'on  veut  les  conduire  ! 
Si  donc  on  montre  aux  enfants  une  corbeille  comme 
celle-ci,  I 


(M"»»  Pape  ouvre  une  cais 
tite  corbeille  tressée.) 


tire  une  élégante  pe- 


et  qu'on  leur  dise  :  J'ai  là-dedans  une  chose 
très  précieuse,  l'une  des  plus  précieuses  qu'il  y  ait 
sur  la  terre;  un  véritable  trésor!  Devinez! 

Les  enfants  intrigués,  et  les  yeux  avidement 
fixés  sur  la  corbeille,  nommeront  tout  ce  qu'ils 
savent  de  plus  beau  :  De  l'argent?  de  l'or?  des  bi- 
joux? des  diamants?  —  Mieux  que  tout  cela! 

Alors  l'institutrice,    la  mère  qui   joue   avec  ses 

enfants,  ouvre  son  petit  panier  et  leur  montre 

ceci  : 

(M""-  Pape,  ayant  ouvert  la  corbeille,  en  lire  un  morceau 
de  pain!) 

Qu'ya-t-il  sur  la  terre  de  plus  précieux  que  le  ' 
pain  ?  Le  pain  qui  nourrit  le  corps  de  l'homme, 
son  serviteur  obéissant,  l'instrument  docile  de  sa 
volonté,  de  son  âme  !  que  sont  l'or  et  l'argent  à  i 
coté  du  pain  ?  Rappelez-vous  l'histoire  de  ce  roi 
de  la  fable,  Midas  qui,  ayant  obtenu  que  tout  ce  ! 
qu'il  toucherait  fût  changé  en  or,  vit  tous  ses  ali- 
ments se  transformer  en  cet  indigeste  métal,  et 
faillit  périr  de  faim  au  milieu  de  ses  richesses. 

Voici  donc  du  pain.  Mais  comment  et  avec  quoi 
se  fait  le  pain?  Avec  quoi  ?  Eh  bien  !  Il  se  fait  avec 
cette  chose  que  voici  : 

(M"»  Pape  montre  un  petit  sac  de  farine). 

C'est  une  poudre  blanche.  Mais  toutes  les  pou- 
dres blanches  ne  sont  pas  bonnes  à  faire  le  pain. 
M""  Pape  raonlre  un  autre  petit  sac  semblable  au  premier.) 

Celle-ci,  par  exemple,  sert  à  faire  des  maisons. 
L  une  est  de  la  farine,  l'autre  est  du  plàii-e.  Le 
plâtre,  si  on  en  mangeait,  ne  pourrait  que  donner 
la  mort!....  Combien  donc  il  est  essentiel  de  ne 
pas  confondre  les  choses  qu'on  emploie!  de  ne 
pas  prendre  le  plâtre  pour  la  farine  I  le  poison 
pour  la  nourriture  !  le  mal  pour  le  bien  ! 

Mais  où  truuve-t-on  ceite  farine?  Qui  est-ce 
qui  la  donne?  D'où  provient-elle?  Elle  proviint 
dune  plante  qu'on  nomme  le  blé.  Et  cette  plante, 
la  voici  : 

{«"•  Pape  présente  une  poignée  d'herbe  verte.) 

Comment!  diront  les  enfants,  c'est  cela  qui  pro- 
cure de  la  farine?  Où  donc  est-elle  cachée?  Nous 
ne  hi  voyons  pas. 

En  cl'.et,  repondrez-vous,  il  n'v  a  pas  de  farine 
là  dedans.  Ceci  c'est  la  plante  enfant,   et  comme 


vous,  enfants,  elle  ne  peut  encore  donner  de^ 
fruits.  11  faut  que  cette  herbe  grandisse,  qu'elle 
devienne  du  blé  mûr  pour  pouvoir  produire  la 
graine  qui  contient  la  farine.  Et  quand  elle  est 
devenue  grande,  voici  ce  qu'elle  est  : 

(M™*  Pape  montre  une  petite  gerbe  de   beau  froment 

Voilà  la  plante  grande,  belle,  parfaite  et  fé- 
I  condo  !  Elle  ne  ressemble  guère  à  cette  pauvre 
petite  poignée  d'herbe  que  je  vous  montrais  tout 
'  à  l'heure.  Mais  un  tout  petit  enfant  blanc  et  rose 
ne  ressemble  pas  non  plus  à  un  homme  fait, 
barbu,  dont  les  bras  sont  robustes.  La  petite 
plante  n'a  donc  autre  chose  à  faire  que  de  gran- 
dir, bien  droite  ;  devenue  grande,  elle  produira 
naturellement,  et  sans  efl'ort,  ces  beaux  épis  dans 
lesquels  sont  renlermés  les  grains  avec  lesquels 
on  fait  la  farine  et  le  pain  ! 

Mais  comment  et  où  sème-t-on  le  blé  ?  Dans  les 
jardins?  ?ion,  certainement.  Il  y  on  aurait  trop 
peu  pour  nourrir  tout  le  monde,  car  tout  le  monde 
ou  à  peu  près  ...  tout  le  monde  mange  du  pain. 
11  faut  semer  le  blé  dans  les  champs.  Mais  alors 
coiument  travaille-t-on  la  terre?  Comment  ouvre- 
t-on  le  sein  de  la  terre  pour  y  déposer  la  se- 
mence ? 

On  l'ouvre  avec  un  grand  couteau.  Oh  !  ce  n'est 
pas  un  couteau  de  table,  bien  sur  ;  c'est  un  cou- 
teau fait  exprès  pour  labourer  les  champs.  Le 
voici  :  on  l'appelle  une  charrue. 

(M"»  Pape  montre  une  petite  charrue  sans  roues  ni 
accessoires.) 

On  fait  voir  et  distinguer  à  l'enfant  les  diffé- 
rentes parties  de  cet  instrument,  on  les  lui 
nomme  ;  on  lui  explique  comment  le  soc  de  la 
charrue  enfoncé  dans  le  sein  de  la  terre  y  trace 
un  sillon  en  la  rejetant  à  droite  et  à  gauche. 

Mais  comment  parvenir  à  labourer  les  champs? 
Elle  est  bien  dure,  la  terre!  Les  forces  de  l'homme 
n'y  suffiront  pas. 

Coiument?  Dieu  ne  nous  a-t-il  pas  donné  des 
amis  pour  nous  aider?  Les  bons  amis  que  voici: 

(M"'  Pape  présente  une  paire  de  petits  chevaui  attelé» 
à  un  avaut-train  sur  lequel  elle  pose  l'arbre  de  la 
charrue.) 

Oui,  les  voilà,  ces  amis  vaillants  et  dociles,  qui, 
prêtant  leur  force  à  l'homme,  labourent  pour  lui, 
tirant  à  eux  seuls  non  seulement  le  poids  de  la 
charrue,  mais  le  poids  de  la  terre  sèche  qu'il  faut 
ouvrir  profondément.  Et  ces  amis,  que  Dieu  nous 
a  donnés,  non  seulement  sont  plus  forts  que  les 
hommes,  mais  ils  sont  plus  dociles  et  moins  exi- 
geants. Ils  ne  demandent  pour  prix  de  leurs  efforts, 
parfois  bien  pénibles,  qu'un  peu  de  paille  ou  de 
foin,  une  poignée  d'avoine,  des  soins  réguliers  et 
de  la  douceur,  c'est-à-dire  ce  qui  est  de  la  plus 
stricte  justice. 

Aussi  je  pense  que  nous  devons  bien  les  aimer, 
CCS  généreux  et  fidèles  amis;  que  nous  ne  les 
frappons  jamais,  que  nous  ne  les  maltraitons  pas, 
que  nous  ne  les  surchargeons  pas.  Car  si  nous 
leur  donnions  une  tâche  au-dessus  de  leurs  forces, 
nous  serions  des  insensés.  Nous  épuiserions  ces 
forces  précieuses  que  Dieu  a  mises  à  notre  ser- 
vice. Et  si  nous  frappions  les  animaux,  si  nous  les 
maltraitions,  nous  serions  plus  que  des  insensés, 
nous  serions  des  ingrats!  » 

{Conférences  pédagogiques  faites  à  la  Soi-bonne 
en  Iïi6".  2""  partie,  p.  78-R'2.) 

Voilà  bien  le  programme  et  l'esquisse  d'une  le- 
çon de  choses  qui  serait  assurément  charmante. 
La  seule  critique  sérieuse  que  uouk  serions  tenté 
de  faire,  c'est  que  les  cnfi.nts  y  sont  trop  sim- 
plenjent  d'heureux  spectateurs,   et  qu'.ls  gagne- 


LEGTUHE 


—  Mil  — 


LECTURE 


raioiit  il  être  plus  iiitimomeiit  associés  îi  l'œuvre 
de  la  maîtresse,  à  être  interrogés  chemin  faisant, 
et  mis,  au  besoin,  en  présence  de  quelque  diffi- 
culté ji.  résoudre.  Pour  n'en  citer  qu'un  exemple, 
supposez  qu'au  moment  de  chercher  la  poudre 
blanche  nécessaire  à  faire  le  pain,  M'""  Papc- 
Carpantior  retrouve  ces  divers  sacs  avec  les  éti- 
quettes bouleversées  et  qu'elle  appelle  les  enfants 
.'i  la  tirer  d'embarras  !  L'instruction  sera  bien 
plus  utilement  et  agréablement  conquise  par  la 
classe,  si  les  plus  attentifs  et  les  plus  sages  des 
petits  auditeurs  sont  admis  à  venir  toucher  les 
deux  poudres  et  à  donner  leur  avis,  et  si  l'enquête 
amène  promptement  celte  triomphante  conclu- 
sion : 

Oui,  prenez  celle-ci,  madame,  nous  la  reconnais- 
sons k  sa  douceur,  nos  mamans  s'en  servent  pour 
faire  de  bons  gâteaux:  c'est  de  la  farine!  Ah! 
mais  ne  prenez  pas  de  celle-là,  madame,  elle  est 
dure;  les  maçons  l'emploient  pour  bâtir  :  c'est  du 
plâtre  ! 

Ces  leçons  de  choses  nécessitent  évidemment 
la  formation  d'une  petite  colleclion  il'objets,  qu'il 
est  plus  facile  et  moins  coûteux  qu'on  ne  pense 
de  réunir  progressivement,  îi  condition  de  ne  per- 
dre aucune  occasion  de  l'enrichir,  à  condition  de 
préparer  avec  soin  chaque  leçon.  Les  familles  des 
enfants  se  feront  un  plaisir,  sur  l'indication  de 
la  directrice  de  salle  d'asile,  de  donner  quelques 
échantillons  des  produits  spéciaux  de  leur  travail. 
Les  noms  des  donateurs  seront  inscrits  sur  les 
objets  II  y  a  là  une  mine  très  riche  à.  peu  près 
inexplorée  jusqu'ici.  Nous  la  signalons  tout  parti- 
culièrement au  zèle  intelligent  du  personnel  chargé 
de  l'éducation  de  la  première  enfance.  —  V.  Mu- 
sées scolaires  dans  la  I"'  Paktie. 

[Félix  Cadet.] 

LECTURE.  —  C'est  dans  l"  Pautie  du  Dic- 
tionnaire qu'il  convient  de  chercher  ce  qui  con- 
cerne la  légitimité  et  l'importance  de  la  lecture 
"comme  matière  du  programme  de  l'instruction 
primaire,  les  qualités  que  doit  présenter  une  bonne 
méthode  de  lecture,  les  rapports  de  la  lecture 
avec  les  autres  matières  du  programme,  l'histo- 
rique de  l'enseignement  de  la  lecture ,  etc. 
>'ous  ne  voulons  présenter  ici  qu'une  sorte  de 
mise  en  œuvre  de  la  méthode  qui  nous  parait  à 
la  fois  la  plus  rationnelle  et,  au  point  de  vue  pra- 
tique, la  plus  rapide  et  la  plus  sûre,  c'est-à-dire 
celle  qui  mène  de  front  l'enseignement  de  la  lec- 
ture et  de  récriture,  l'art  de  représenter  graphi- 
quement les  sons  et  les  articulations  et  celui  de 
retrouver  par  la  mémoire  la  valeur  de  ces  repré- 
sentations et  de  les  traduire  par  la  parole  (V.,  dans 
la  11°  Partie,  l'article  Ecriture).  Nous  n'aurons 
pour  cela  qu'à  nous  approprier,  en  les  abrégeant, 
les  excellents  principes  développés  dans  le  Livre 
du  maître  de  la  méthode  Schiller. 

D'après  ces  principes,  le- jeune  élève,  dans  l'é- 
cole, n'est  pas  mis  tout  do  suite  à  la  lecture.  L'en- 
fant que  l'on  amène  à  l'instituteur  sait  déjà  parler, 
soit  patois,  soit  français.  A  celui  qui  ne  sait  par- 
ler que  patois,  il  faut  d'abord  apprendre  à  parler 
français  :  l'école  ne  peut  pas  connaître  d'autre 
langue.  Mais,  à  bien  peu  d'exceptions  près,  lors 
même  que  l'enfant  sait  parler  français,  il  parle 
mal,  et  surtout,  dit  fort  justement  la  méthode 
Schiller,  d'une  manière  inconsciente,  d'instinct  ou 
plutôt  d'habitude.  «  Le  maitre  commencera  donc 
par  exercer  l'élève  à  la  parole,  en  rattacliant  ces 
exercices  à  des  choses  qui  l'intéressent.  Il  l'habi- 
tuera à  s'exprimer  clairement  et  sans  fautes  de 
prononciation.  Ces  exercices  apprennent  aux  élè- 
ves à  analyser  les  mots  et  à  distinguer  les  sons  ; 
les  enfants  retiennent  facilement  chaque  son  en 
le  rattachant  par  le  souvenir  à  l'idée  d'un  objet 
qui  leur  est  familier.  »  Pour  cela  les  leçons  de 
«/ioses  seront    fort    utiles  ;    elles   interviendront 


d'ailleurs  dans  la  leçon  proprement  dite  de  lec- 
ture et  d'écriture  simultanées. 

La  lecture  et  l'écriture  se  tiennent  et  se  com- 
plètent, u  comme  les  deux  faces  d'une  médaille  ». 
Toutefois,  si,  théoriquement,  l'on  suppose  que 
l'une  a  i)récédé  l'autre,  c'est  l'écriture  qui  a  dû 
venir  la  première.  «  On  ne  peut  évidemment  pas 
lire  ce  qui  n'a  pas  été  écrit.  Ce  que  les  hommes 
ont  dii  inventer,  c'est  donc  l'écriture,  le  signe 
visible  de  la  parole  :  la  lecture  s'ensuivait  néces- 
sairement. » 

Mais  l'écriture  est  un  dessin  ;  à  tout  le  moins, 
elle  procède  du  dessin  et  elle  s'y  rattache.  L'en- 
fant, à  qui  l'on  veut  apprendre  à  écrire,  sera 
donc  préparé  à  cet  enseignement  par  quelques 
exercices  préliminaires  de  dessin.  Et  de  la  façon 
la  plus  simple. 

«  Le  maitre  marque  un  point  sur  le  tableau 
noir,  et  dit  :  «  Ceci  est  un  point.  »  Il  fait  répéter 
la  phrase  par  quelques  enfants  isolément,  puis  à 
toute  la  classe,  en  chœur.  Il  pose  un  second 
point  au-dessous  du  premier,  et  dit  :  «  Ceci  est 
u  encore  un  point»  (répétitions  individuelles  et  en 
r.liœur).  Le  maître  montre  les  deux  points,  et  dit  : 
«  Voici  un  point  en  haut  et  un  point  en  bas.  » 

u  Les  élèves  apprennent  ensuite  à  distinguer 
de  la  mêmi'  façon  la  droite  de  la  gauche;  puis, 
tant  à  droite  qu'à  gauche,  un  point  supérieur  et 
un  point  inférieur,  ce  qui  produit  la  figure  que 
voici  : 


«  Le  maître  trace  alors  une  ligne  entre  un 
point  supérieur  et  celui  qui  est  verticalement  au- 
dessous,  et  dit  :  (c  Ce  trait  que  je  trace  est  une 
«  ligne.  —  Cette  ligne  qui  va  de  bas  en  haut  s'ap- 
«  pelle  une  ligne  verticale.  »  On  grave  dans  la 
mémoire  des  enfants  le  sens  de  ce  mot,  en  mon- 
trant des  objets  offrant  dans  leur  construction  des 
lignes  verticales.  Puis  les  enfants  marquent  sur 
leurs  ardoises  deux  points,  l'un  au-dessous  de 
l'autre,  et  les  réunissent  par  une  ligne.  Pendant 
que  le  maître  se  consacre  à  une  autre  division, 
il  occupe  celle-ci  à  faire  des  lignes  verticales. 

«  En  réunissant  deux  points  situés  à  même 
niveau,  les  enfants  traceront  une  ligne  horizon- 
tale ;  ils  construiront  des  lignes  obliques  en  tirant 
diagonalement  des  traits  du  point  supérieur  de 
droite  au  point  inférieur  de  gauche  ou  du  point  su- 
périeur de  gauche  au  point  inférieur  de  droite....  » 

Lorsque  les  enfants  savent  faire  ces  traits  sim- 
ples, on  lenr  demande  des  combinaisons  succes- 
sives, comme  celles-ci  : 


Puis  d'autres  un  peu  plus  compliquées  : 

Et,  pour  donner  quelque  intérêt  aux  exercices, 
on  leur  fait  rcqu'ésenter  les  contours  d'objets  de 
forme  très  simple  où  la  ligne  droite  seule  sera 
employée,  par  exemple,  d'une  échelle,  d'une  fe- 
nêtre, etc.,  etc. 


LECTURE 


—  1142  — 


LECTURE 


Nouvelle  occasion  de  leçons  de  choses. 

On  pourrait  de  même,  bien  que  la  méthode  ne 
l'indique  pas,  essayer  quelques  exercices  avec  des 
ronds  et  dos  courbes;  enfin,  on  commencera  les 
exercices  d'écriture  proprement  dite  par  des  tracés 
très  simples,  bâtons  et  jambages. 

Nous  voici  en  face  du  problème  :  écrire  les  let- 
tres pour  les  lire  ensuite. 

11  est  évident  que,  si  nous  avions  à  choisir, 
nous  aurions  recours  à  un  système  contenajit  au- 
tant d'éléments  graphiques  qu'il  y  a  dans  notre 
langue  d'éléments  plionétiques;  que,  de  plus, 
nous  ferions  correspondre  l'élément  graphique  le 
plus  simple  à  l'élément  phonétique  le  plus  simple 
aussi.  Mais  notre  alphabet,  comme  tous  les  autres 
alpliabets,  est  un  système  d'ordre  historique,  et 
non  d'ordro  rationnel  ;  il  faut  le  prendre  tel  qu'il 
est,  avec  ses  anomalies,  ses  redondances  et 
ses  lacunes,  et  procéder-  empiriquement.  C'est 
ainsi  que  la  méthode  Schiiler,  au  lieu  de  com- 
mencer, par  exemple,  par  le  son  n,  qui  est  le 
son  le  plus  naturel  et  le  plus  général,  commence 
par  le  son  i,  qui  se  trouve  être  dans  no.tre  langue 
ce'ui  dont  le  signe  grapliique  est  le  plus  facile  à 
reproduire.  Viennent  ensuite,  dans  un  ordre  de 
difficulté  croissante  au  mùme  point  de  vue,  le  son 
u,  l'articulation  »,  l'articulation  m,  etc.,  etc. 

Mais  ce  n'est  pas  là  un  grand  inconvénient. 
Quelle  que  soit  la  méthode  de  lecture  que  vous 
employiez,  vous  ne  sauriez  échapper  k  l'anomalie  ; 
tôt  ou  tard,  il  vous  faudra  bien  mettre  l'enfant 
en  présence,  soit  des  signes  graphiques  redon- 
dants, comme  le  k  et  le  o  dur,  Vi  et  l'y,  soit  de 
signes  polygrammes  représentant  des  sons  ou  des 


aux  questions  du  maître.  Leur  langage  et  sou- 
vent leur  prononciation  se  perfectionjieront  ainsi. 
Deuxième  partie  de  l'exercice  :  1°  Les  syllabes  : 
«  D.  Qu'est-ce  que  l'île  7  —  R.  L'ile  est  de  la  terre 
entourée  d'eau.  —  D.  Combien  de  fois  ouvrez- 
vous  la  bouche  pour  dire  i-le  ?  —  R.  Pour  dire 
i-le,  j'ouvre  la  bouche  deux  fois.  (Le  maître  expli- 
que qu'un  mot  a  autant  de  syllabes  qu'il  faut 
ouvrir  de  fois  la  bouche  pour  le  prononcer.)  — 
D.  Combien  de  syllabes  a  le  mot  i-le?  —  R.  Le  mot 
i-le  a  deux  syllabes.  —  Dites-moi  la  première  syl- 
labe ?  —  R.  La  première  syllabe  est  i.  —  D.  Di- 
tes-moi la  deuxième  syllabe.  —  R.  La  deuxième 
syllabe  est  le.  — D.  Combien  de  syllabes  a  le  mol 
té-te  ?  —  R.  Deux.  (L'enfant  devra  donner  une 
réponse  complète.)  —  D.  Dites-moi  la  première  ? 

—  R.  Té.  —  D.  La  seconde?  —  R.  Te.  — 
D.  Combien  de  syllabes  distinguez-vous  dans 
le   mol  ai-le,  plu-me.  bec,  œil,  noii\  blanc  ?...  » 

2»  Les  sons  :  «  D.  Quand  vous  prononcez  le  mot 
ile,  comment  faites-vous  d'abord?  (Le  maître  ré- 
pète le  mot  en  insistant  sur  Vi  :  ii  i  ile.)  —  R.  Je 
fais  d'abord  i.  (Le  maître  explique  que  cela  s'ap- 
pelle émettre  un  son.)  —  D.  Quel  son  entendez- 
vous  en  premier  lieu  quand  vous  dites  ile  ?  (Ap- 
puyez au  besoin  sur  Vi.)  —  R.  J'entends  le  son  i. 

—  D.  Cherchez  d'autres  mots  où  vous  commence?, 
par  dire  i  (par  émettre  le  son  i).  —  R  Hibou,  if, 
il,  Isiiiore,  Isiibel/e  et  d'autres.  (Le  maître  aide  au 
besoin  par  des  questions.)  —  D.  Quel  son  enten- 
dez-vous au  commencement  du  mot  u  u  usine  ?  — 
R.  J'entends,  en  commencement  du  mot  usine,  le 
son  u » 

Troisième  partie  de  l'exercice  :  «  D.  Combien 


articulations    simples,  comme    ou,    eu,   ch,    etc.    de  syllabes  a  le  mot  i-le?  —  R.   Le  mot  i-le  a 


L'important,  c'est  d'amener  l'enfant  le  plus  vite 
possible  à  une  connaissance  pratique  indispensa- 
ble, par  une  voie  qui  lui  plaise  et  ne  le  rebute 
point,  et  en  laissant  dans  son  esprit,  à  côté  de 
l'acquisition  matérielle  et  mécanique,  des  notions 
utiles  et  durables. 

Pour  en  arriver  là,  —  et  l'expérience  a  prouvé 
qu'elle  y  arrive,  —  voici  comment  procède  la  mé- 
thode Schûler. 

Chaque  exercice  de  langage  est  signalé,  dans  le 
livre  de  l'élève  ou  dans  le  tableau  mural  destiné  à 
l'enseignement  collectif,  par  une  image,  cette 
iinage  représentant  un  son  ou  une  articulation, 
et  l'exercice  se  compose  de  trois  parties  :  expli- 
cation de  l'objet  représenté,  analyse  des  syllabes 
et  des  sons,  tracé  du  signe  représentatif  du  son 
ou  de  l'articulation. 

Exemple  :  La  méthode,  avons-nous  dit,  débute 
par  l'i.  La  première  image  est  celle  d'une  ile,  au- 
dessous  de  laquelle  est  tracé  le  signe  graphique  i. 
Première  p.ahtie  de  L'ExtRcicE  :  «  D.  Que  re- 
présente cette  image?  (L'instituteur  montre  l'image.) 
—  R.  Cette  image  représente  une  ile?  (Si  les  élèves 
n'ont  jamais  vu  d'île,  le  maître  doit  leur  dire  avant 
tout  qu'on  appelle  île  un  espace  de  terre  entouré 
d'eau  do  tous  côtés  ;  qu'il  y  a  des  îles  dans  les 
rivières  et  dans  les  mers,  que  les  îles  sont  gran- 
des ou  petites,  habitées^  ou  désertes,  plantées  ou 
incultes,  etc.)  —  D.  De  quoi  l'ile  est-elle  entou- 
rée ?  —  R.  L'île  est  entourée  d'eau.  —  Comment 
est  l'eau  qui  entoure  l'île  ?  —  R.  L'eau  qui  en- 
toure l'île  est  claire  (profonde,  courante,  sta- 
gnante). —  D.  Quelle  forme  a  l'île?  —  R.  L'Ile 
est  ronde  (longue,  carrée,  etc.).  —  D.  Qu'est-ce 
qu'il  y  a  sur  l'ile  ?  —  R.  Il  y  a  sur  l'île  des  ar- 
bres, des  plantis...  » 

Il  va  sans  dire  que  ces  questions  et  ces  répon- 
ses ne  sont  que  des  indications,  le  maître  sera 
souvent  obligé  de  dire  aux  enfants  certaines  cho- 
ses   que  le  livre  met    dans    leurs    réponses.   L' 


deux  syllabes.  —  D.  Quel  est  le  son  de  la  pre- 
mière syllabe?  —  R.  Le  premier  son  du  mot  i-l'' 
est  I.  —  Nous  allons  maintenant  apprendre  à 
écrire  le  son  i,  que  nous  venons  d'émettre.  — 
(Le  maître  écrit  la  lettre  au  tableau  noir,  très 
lentement,  et  en  faisant  remarquer  tous  les  dé- 
tails de  la  forme.  Puis  il  insiste,  à  l'aide  de  ques- 
tions présentées  diversement,  laissant  la  lettre 
figurée  au  tableau.)  —  D.  Que  signifie  cette  let- 
tre ?  —  R.  Cette  lettre  signifie  qu'il  faut  dire  i,  ou 
cette  lettre  représente  le  son  i.  —  D.  Que  faut-il 
faire  d'abord  pour  écrire  un  i  ?  —  R.  Il  faut  tracer 
une  ligne  fine  (un  trait  fin)  obliquement,  de  bas 
en  haut.  —  D.  Que  fait-on  ensuite  ?  —  R.  On 
trace,  de  haut  en  bas,  une  ligne  (un  trait)  plus 
grosse,  un  peu  penchée  et  arrondie,  contournée 
par  le  bas.  —  Comment  finit  la  lettre  ?  —  R.  Par 
une  ligne  (un  trait)  fine,  arrondie,  allant  oblique- 
ment, de  bas  en  haut.  —  D.  Que  met-on  sur  la 
lettre  ?  —  R.  On  met  un  point. 

).  Le  maître  efface  ensuite  la  lettre  et  dit  :  Si 
je  veux  écrire  1'/,  comment  faui-il  que  je  m'y 
prenne?  Que  dois-je  faire  en  premier  lieu.  —  R. 
Tracer  une  ligne  fine  de  bas  en  haut.  —  D.  Que 
faut-il  faire  ensuite? —  R.  Lne  ligne  plus  grosse... 
(Le  maître  appréciera  quand  le  moment  sera  venu 
d'apprendre  à  l'élève  que  les  lignes  fines  ou  traits 
fins  s'appellent  des  déliés,  et  les  lignes  plus  grosses 
des  pleins.) 

»  La  lettre  étant  de  nouveau  écrite  sur  le  ta- 
bleau, le  maître  prend  un  indicateur,  une  petite 
baguette,  et  repasse  sur  les  traits  de  l'i  en  faisant 
compter  un  pour  le  délié  initial,  deux  pour  le  plein 
et  un  pour  le  délié  final.  Les  enfants  répètent  en 
chœur.  Le  maître  fait  mettre  l'index  sur  le  bord 
de  la  table  et  dit:  «  Vous  allez  écrire  l'i  en  l'air; 
quand  je  dirai  un,  vous  marquerez  le  trait  qui  va 
de  bas  en  haut,  et,  quand  je  dirai  deux,  celui  qui 
va  de  haut  en  bas.  Je  compterai  encore  un  pour  le 
second  délié,  et  deux  pour  le  point.  «  Après  un 


but  est  d'amener  les  enfants  à  trouver  des  idées    court  exercice,  il  fait  prendre  les  ardoises,    fait 
et  à  les  exprimer,  à  répéter  ensuite  ou  à  résumer    d'abord  tracer,    entre  les  lignes  espacées,  un 
ce  qu'aura  produit  l'ensemble  des  réponses  faites  Ipuis  toute  une  série  à'i.  » 


LE(;TUiii<: 


—  ii'i;f 


LEGENDES 


Et  ainsi  pour  toutes  les  Ictircs.  Quand  il  s'agit 
«l'uiie^articulation,  par  exemple  de  la  consonne  ?i, 
ciui  vient  la  première,  la  métliode  insiste  pour 
que  le  niailre,  non  seulement  ne  prononce  pas 
nme,  mais  môme  évite  de  faire  entendre  l'e  muet 
en  nommant  la  consonne.  11  ne  dira  pas  7ie,  mais 
Il  émettra  l'articulalion  pure  de  Vn\  à  cet  effet,  il 
faut  rénicllre  sans  desserrer  les  dents.  «  La  môme 
règle  s';ip|ili(|Me  à  toutes  les  consonnes;  et  plus 
le  niaitri'  ti^'iidra  à  la  pureté  de  l'articulation  et  la 
dégagera  de  toute  voyoUe,  plus  les  progrès  de 
l'enfant  seront  rapides.  Cette  prononciation  n'offre 
aucune  difliculto  h  l'enfant.  Klle  pourrait  au  pre- 
mier moment  en  présenter  au  maître,  i  cause  des 
habitudes  prises;  mais  cela  disparaîtra  après  un 
instant  d'exercice.  On  a  dit  d'abord  enne+a^na; 
puis  )!«+  a  =  iia.  On  comprendra  vite  qu'il  est  plus 
simple  et  plus  exact  encore  de  dire  n'...  a^nu.  » 
La  méthode  arrive  vite  aux  mots  prononcés  et 
écrits.  Ainsi  la  première  page  du  livre  de  l'élève 
donne  déjà  ni,  nu,  uni,  mi,  mvni.  Ces  mots  sont 
ceux  que  permettent  de  composer  le  peu  d'élé- 
ments qu'on  a  encore  étudiés.  Si  le  mot  par  lui- 
même  n'est  pas  intéressant  pour  l'enfant,  on  le 
fait  entrer  dans  une  phrase  :  «  Le  petit  Paul  est 
parti  cette  après  midi  pour  la  promenade,  nimn 
de  son  goûter,  qu'il  portait  dans  son  panier.  Muni 
de  son  goûter,  cela  veut  dire  qu'il  portait  son 
goûter  avec  lui...  De  quoi  faut-il  être  mnni  quand 
envient  à  l'école?  —  De  son  livre,  de  son  cahier... 
—  Bien;  vous  avez  coiupris.  Ainsi  donc,  le  petit 
Paul,  partant  pour  la  campagne,  s'est  »«!«»' de  son 
goûter.  Sauriez-vous  écrire  ce  mot  muni?  n 

Après  l'étude  des  caractères  d'écriture  courante, 
vient  l'étude  des  caractères  typographiques,  qui 
permettra  de  lire  dans  les  livres.  Elle  se  fait  par 
le  rapprochement  des  caractères  d'écriture  cou- 
rante et  des  caractères  typographiques  correspon- 
dants ;  préparée  par  les  exercices  dont  nous  avons 
donné  le  spécimen,  elle  ne  présente  pas  de  dif- 
ficulté. 

Nous  avons  choisi  la  méthode  Schûler  comme 
type  de  la  méthode  pour  l'enseignement  simul- 
tané de  la  lecture  et  de  l'écriture,  parce  que  c'est 
celle  que  nous  connaissions  le  mieux,  et  aussi 
parce  qu'elle  a  été  expérimentée  avec  succès 
dans  ditférents  établissements,  notaminent  à  l'é- 
cole normale  primaire  des  instituteurs  de  la  Seine, 
lîécemment  introduite  en  France,  où  elle  n'est 
guère  représentée  que  par  la  méthode  Scliuler 
(chez  Hachette),  la  méthode  Mougeol  (chez  Delà- 
grave)  et  la  méthode  Magnat,  spécialement  des- 
tinée aux  sourds-muets  (chez  Fischbacher),  la 
méthode  de  lecture  et  de  lecture  combinée  est 
depuis  longtemps  populaire  en  Allemagne,  en  Au- 
triche, en  Suisse,  en  Belgique,  aux  États-Unis. 
Les  autres  méthodes  de  lecture  sont,  chez  nous 
comme  partout,  fort  nombreuses.  On  pourrait 
presque  dire  que  chaque  instituteur  a  la  sienne, 
car,  s'il  adopte  pour  son  éco'le  telle  ou  telle  mé- 
thode spéciale  plus  ou  moins  en  vogue  ou  plus 
ou  moins  recommandée,  il  lui  arrive  bien  souvent 
de  la  modifier,  de  la  transformer,  d'après  son 
expérience  personnelle,  suivant  ses  goûts  ou  sui- 
vant les  besoins  particuliers  de  son  enseignement. 
Il  semble  cependant  que  l'on  peut  partager 
toutes  ces  méthodes  en  usage  dans  nos  écoles, 
en  deux  grandes  catégories,  ordinairement  dési- 
gnées sous  le  nom  plus  ou  moins  bien  choisi  de 
méthodes  synthétiques  et  de  méthodes  analytiques 
(V.  \'  Paktie),  selon  qu'elles  décomposent  la  syl- 
labe en  tous  ses  éléments  ou  qu'elles  ne  la  dé- 
composent point  ou  la  décomposent  tout  au  plus 
en  sons  et  articulations.  Les  méthodes  analytiques, 
qui  sont  les  plus  anciennes,  procèdent  par  épel- 
lation  ;  les  méthodes  synthétiques  n'épèlent  point 
(méthode  Dupont,  chez  Ducrocq  ;  méthode  Laf- 
fore,  méthode  Abria,  chez  Garnier  frères  ;  méthode 


Lamotto,  Perrier,  Meissas  et  Michelot,  chez  Ha- 
clietto,  etc.).  Toutes  les  luéthodos  de  cet  or- 
dre ne  varient  que  par  la  disposition  et  les  com- 
binaisons des  éléments  et  par  les  procédés  d'ap- 
plication. Ici,  ce  sont  deux  roues  concentriques 
sur  l'une  desquelles  se  trouvent  les  articulations, 
tandis  que  l'autre  présente  les  sons  ;  li  ce  sont 
deux  rubans  so  déroulant  pour  remplir  le  même 
rôle  (méthode  Maître,  chez  Hachette)  ;  ailleurs,  ce 
sont  des  cartons,  dits  syllabateurs,  glissant  côte 
à  côte,  pour  donner  lieu  aux  combinaisons  les 
plus  variées  (méthode  Henry  Gervais,  chez  Ha- 
chette) ;  ailleurs  encore,  ce  sont  deux  baguettes 
ou  une  seule  indiquant,  soit  simultanément, 
soit  successivement,  divers  éléments  à  rappro- 
cher pour  en  tirer  une  syllabe  (méthode  Néel, 
chez  Colin)  ;  ou  de  petits  cartons  portant  un 
son  ou  une  articulation,  et  placés  à  l'extrémité 
d'une  baguette  pour  être  r.ipprochés  d'éléments 
disposés  sur  un  grand  tableau  (méthode  Chéron, 
chez  Delagrave  ;  méthodi;  Blanchon,  chez  Ha- 
chette). De  ces  exercices,  dont  un  ou  plusieurs 
grands  tableaux  muraux  sont  le  principal  instru- 
ment, les  élèves  passent  ordinairement  à  des  li- 
vres d'application,  qui  les  accoutument  peu  à  peu 
à  l'usage  du  livre. 

Synthétiques  ou  analytiques,  les  méthodes  de 
lecture  peuvent  présenter  des  différences  essen- 
tielles. Les  unes  donnent  tout  de  suite  tous  les 
cléments  de  la  lecture  (méthode  Lafforienne)  ;  les 
autres  procèdent  progressivement  et  par  voie  de 
récapitulation,  ne  donnant  d'abord  que  quelques 
éléments  et  les  combinant  immédiatement  pour 
composer  de  petits  mots  ou  de  petites  phrases,  et 
ajoutant  ensuite  peu  à  peu  à,  ces  premières  con- 
naissances, jusqu'à  ce  qu'elles  aient  épuisé  et  mis 
en  œuvre  tous  les  éléments  (méthode  Michel,  chez 
Delagrave  ;  méthode  Villemeureux,  chez  P.  Du- 
pont ;  méthode  des  frères  des  écoles  chrétien- 
nes, etc.). 

Telles  de  ces  méthodes  adoptent,  pour  les  con- 
sonnes, l'ancienne  appellation  :  bé  ce  dé,  etc. 
(méthode  Henrion,  chez  Belin,  etc.);  telles  autres, 
ce  qu'on  appelle  la  nouvelle  appellation  (générale- 
ment attribuée  à  Port-Royal)  :  be,  que,  de,  feu, 
que  (méthode  Bchagnon,  chez  Belin  ;  méthode 
Peigné,  chez  Colas,  etc.)  ;  il  y  en  a,  enfin,  d'a- 
près lesquelles  on  doit  éviter  même  de  pro- 
noncer, dans  les  exercices,  l'e  muet  que  la  nou- 
velle appellation  fait  entendre  après  l'articulation 
(méthode  Mignon,  chez  Hachette  ;  nous  avons 
vu  que  la  méthode  SchUler  est  de  ce  nombre. 

Mentionnons  spécialement  les  méthodes  à  ima- 
ges: méthode  Larousse,  chez  Boyer;  méthode  Ré- 
gimbeau,  chez  Hachette;  mentionnons  aussi  la 
méthode  phonomimique  (V.  Phonomimie  dans  la 
I"  Partie;),  dont  l'inventeur  est  M.  Grosselin,  et 
qui  a  pour  objet  de  rappeler  à  l'esprit  par  des 
gestes  appropriés  les  éléments  des  sons  et  des 
articulations  (Manuel  de  la  phonomimie,  de  Bour- 
gain  ;  Instruction  pour  l'en^eiunement  de  la  lec- 
ture par  la  phonomimie  ;  Enseignement  de  la  lec- 
ture par  ta  phonnmimic,  livret  du  maître,  livret 
de  l'élève,  chez  Picard;  M"'  Pape-Carpantier  : 
Enseignement  de  la  levture  à  l'aide  du  procédé 
phonominitgue  de  M.  Grosselin,  chez  Hachette). 
On  se  sert  aussi,  dans  les  salles  d'asile  et  dans 
les  familles,  pour  l'enseignement  de  la  lecture,  des 
boites  et  casiers  typographiques.  [Ch.  Defodon.] 
LÉGENDES.  —  Connaissances  usuelles,  X.  — 
On  appelait  ainsi  en  principe  (legendss,  devant 
être  lues)  des  histoires  de  saints,  de  martyrs,  qui 
avaient  été  spécialement  composées  pour  que  la 
lecture  en  fût  faite  à  haute  voix  dans  les  monas- 
tères pendant  les  repas  pris  en  commun,  ou  à 
d'autres  heures  de  réunion.  On  faisait  plus  parti- 
culièrement coïncider  cette  lecture  avec  le  jour  où 
se  célébrait  la  fête  commémorative  du  bicnheu- 


LEGENDES 


—  H4i  — 


LEGENDES 


l'eux  personnage.  Les  premiers  récits  de  ce  genre 
sont  attribués  à  saint  Jérôme,  grand  docteur  chré- 
tien du  quatrième  siècle.  Mais  il  faut  croire  qu'il 
ne   fit  déjà  lui-même  que  donner  une  forme  plus 
correcte,  plus  littéraire  aux  notices  que  les  évo- 
ques avaient  coutume  de   faire  rédiger  pour  con- 
server le  souvenir  des  fidèles   méritants,  et  qui, 
se  répandant  dans  les  divers  centres  de  la   chré- 
tienté, formaient  dès  lors  un  vrai  recueil  de  beaux 
exemples.    Au  dixième  siècle,   Siméon  le  Méta- 
phraste,  au  onzième,  Rugger,  réunirent  tant  mal 
que  bien  les  principales  de  ces  pieuses  biographies  ; 
enfin,  au  treizième,  Jacques  de  Voragine  publia  sa 
fameuse  Ligendi^  dorée,  qui  effaça  tout  ce  qui  avait 
été  écrit  jusqu'alors  sur  le   même    sujet,   et  qui 
este  le  modèle  par  excellence  de  l'histoire  poéti- 
quement faite  avec  la  naïve  acceptation  de  toutes 
les  assertions  les  plus  hasardeuses.  Quoi  qu'il  en 
soit  du  mérite  propre   de  ces  compositions,  et  du 
puissant    rôle   qu'elles    ont  joué  dans    le   monde 
chrétien  aux  siècles  de  foi  vive  et  absolue,  comme 
elles  affectaient  d'avoir  plus  particulièrement  trait 
à  des  événements  tenant  du  prodige,   à   des  exis- 
tences d'un  caractère  surhumain,  l'usage  ne  tarda 
pas  à  s'établir  de  leur  assimiler  toute  tradition  qui 
s'écartaitplus  ou  moins  du  domaine  de  la  vraisem- 
blance. Pour  les  chrétiens  donc,  dès  le  moyen  âge, 
devinrent  légendes  tous  les  articles  de  foi  des  an- 
ciennes religions  qu'avaient  détrônées  le  culte  de 
la  croix.  A  vrai  dire,  ce  même  usage,  restant  fidèle 
à  la  douceur  de  son  point  de  départ,  voulut  bien 
qu'en  dépit  de  l'acception  fort  dubitative  du  terme 
employé,   aucune  idée    de  mépris  ni  de  réproba- 
tion ne  s'y  attachât.  Il  sembla  convenu  qu'en  fai- 
sant participer  les  croyances  profanes  de  la  dési- 
gnation  attribuée  aux  saintes  traditions,  quelque 
chose  leur  serait  laissé  de  la  mystique  vénération 
qu'inspiraient  celles-ci    Et   ce  fut   en  quoi  s'éta-  ' 
blit  la  différence  entre  la  légende  qui,  gracieuse 
ou    terrible,    imposa    toujours  par  son    poétique 
caractère,  et  les  sottises  superstitieuses  proprement 
dites  qui  se  trouvèrent  frappées  de  ridicule.  D'au- 
tant plus  facilement  d'ailleurs  se  fit  cette  assimi- 
lation que  (comme  chacun  peut  le  savoir,  car  tous 
les  historiens  de  l'église  des  premiers  siècles  le 
constatent),  il  arriva  souvent  que,  pour  annihiler 
parmi   les   populations   certains   cultes,  certaines 
pratiques  d'idolâtrie,  les  pasteurs  chrétiens  durent 
s'ingénier  à  déplacer  habilement,  si  nous  pouvons 
ainsi  dire,  les  manifestations  des  anciennes  croyan- 
ces au  bénéfice  des  nouvelles.  C'est  ainsi  que  sur 
notre  vieille  terre  des  Gaules,  où  s'étaient  lentement 
unifiées   les   mythologies   druidique   et  romaine, 
nombre  d'objets  ou  de  lieux  étaient  consacrés  à 
telles  ou  telles  divinités,  qui,    selon  la   tradition 
populaire,  les  hantaient  et  y  révélaient  leurs  mys- 
térieuses   influences.    «  Un   respect    pieux,    dit 
M.  Alfred  Maury,  continuait  à  entourer  les  objets 
si   longtemps  vénérés,  et  ce  n'était  qu'en  les  dé- 
diant au  nouveau  culte,  qu'en  sanctifiant  en  quel- 
que sorte  ces  vestiges  païens,  que  les  apôtres  de 
l'évangile,  fidèles  en  cela  au  conseil  que  le  pape 
Grégoire  le  Grand  donnait  à  l'abbé  Mélitus  allant 
travailler  à  la  conversion  des  Gaulois,  parvenaient 
à  extirper  les  souches  de  la  superstition  qui  avaient 
projeté  dans  le  sol  de  si  profondes  racines.  Ces 
forêts    sacrées,  par   exemple,  dans  lesquelles  le 
peuple  ne  pénétrait  que  comme  dans  un  sanctuaire, 
l'àme  saisie  d'une  crainte  religieuse,  continuèrent 
à  inspirer  le  même  respect,  la  même  vénération. 
Des  images  pieuses  furent  placées  sur  les  arbres 
jusqu'alors   adorés,  et   les  habitants,   en  venant, 
selon    leur  antique  coutume,  se  prosterner  sous 
leur  ombre,   honorèrent   presque   à  leur  insu  un 
nouveau  dieu.  »  Mais  les  idées  nouvelles,  les  pen- 
sées chrétiennes  qui  allaient  désormais  s'attacher 
à  ces  simulacres  naturels,  n'effaçaient  pas  entière- 
mentjdans  l'imagination   populaire  les  anciennes 


croyances  ;  il  y  avait,  de  fait,  beaucoup  plus  mé" 
lange  ou  coexistence  que  substitution.  De  là,  l'é- 
trange caractère  des  légendes  qui,  chez  nous,  re- 
montent à  ces  temps  de  fusion  des  idées  de  deux 
âges.  Nous  citerons  principalement  ces  druidesses 
qui,  en  tant  que  prêtresses  du  grand  Tentâtes, 
étaient  investies  par  la  crédulité  populaire  de  tous 
les  prestiges,  de  toutes  les  puissances  occultes. 
Commandant  aux  éléments,  ayant  vertu  d'ubiquité, 
sondant  les  immensités  célestes,  ou  pénétrant  les 
profondeurs  souterraines,  elles  n'avaient  qu'à  le 
vouloir  pour  devenir  la  flamme  qui  court,  la  nuit, 
sur  les  landes  humides,  le  nuage  qui  vogue  dans 
le  vent,  l'élan  qui  bondit  dans  les  halliers,  l'au- 
rochs lourd  qui  renverse  tout  sur  son  passage,  le 
raïuicr  qui  s'envole,  en  faisant  chatoyer  son  aile 
rapide.  Quand  les  fictions  religieuses  de  Rome 
vinrent  disputer  les  sanctuaires  aux  terribles  divi- 
nités des  Gaules,  ces  mêmes  druidesses,  sous  les 
noms  de  Parques,  de  Junones,  de  Nymphes  des 
bois,  s'emparèrent  du  culte,  de  la  ferveur  des  po- 
pulations qui,  contraintes  bien  plus  que  persua- 
dées, ne  firent  qu'accepter  une  transformation  plu- 
tôt qu'une  innovation.  A  l'avènement  de  la  croix, 
la  mystique  déité  gallo-romaine,  précipitée  de  ses 
autels,  sut  encore,  pour  régner  puissante  sur  son 
antique  domaine,  se  trouver  la  plus  poétique,  la 
plus  prestigieuse  des  incarnations  :  elle  devint  la 
Fée.  Et  ce  règne  merveilleux,  inauguré  il  y  a  quinze 
ou  seize  siècles,  nous  savons  qu  il  n  est  point 
achevé!  La  fée,  reconnaissons-la,  car  c'est  bien 
elle,  la  druidesse  dont  le  dieu  des  grands  chênes 
prenait  la  figure  et  la  voix  pour  se  révéler  à  nos 
fiers  et  libres  ancêtres. 

La  fée,  c'est  la  druidesse  avec  sa  connaissance 
du  destin  et  son  empire  sur  la  nature  entière, 
avec  son  accent  qui  console  ou  terrifie,  avec  ses 
capricieuses  transformations  ;  séduisante  jeune 
fille,  pauvre  vieille  décrépite,  rayon  de  lumière, 
souffle  d'air,  insecte  d'or,  oiseau  d'azur.  Si  vous 
doutez  que  ce  soit  elle,  demandez  au  paysan  d'Ar- 
moriquo,  qui  vous  affirmera  avoir  vu  en  réalité  cet 
être  incorporel  qui  n'a  jamais  passé  que  dans  vos 
rêves;  demandez-lui  l'origitie  des  Korrigans  (c'est 
le  nom  qu'il  donne  aux  fées  dans  son  âpre  langage): 
il  vous  apprendra  que  ce  sont  de  grandes  prin- 
cesses gauloises  qui,  à  l'arrivée  des  apôtres,  refu- 
sèrent d'embrasser  la  foi  nouvelle  et  qui,pour'cela, 
frappées  de  la  malédiction  de  Dieu,  furent  condam- 
nées à  errer  éternellement,  l'àme  rongée  par  le 
remords  ou  par  le  dépit  de  leur  désobéissance. 
Ainsi  naquit  la  fée  qui,  par  elle-même  ou  par  ses 
congénères,  peupla  les  longs  siècles  de  notre  his- 
toire d'une  multitude  de  légendes  effroyables  ou 
charmantes,  ne  le  cédant  en  rien,  pour  l'imagina- 
tion, pour  le  pittoresque,  aux  fictions  mythologi- 
ques de  l'antiquité,  si  nombreuses,  si  originales 
qu'elles  puissent  être  :  partout  encore  dans  nos 
provinces,  d'ailleurs,  le  souvenir  est  bien  vivant  de 
ces  traditions  populaires  qui  longtemps  formèrent 
un  fond  réel  de  croyances  dont  l'empire  empiète 
souvent  sur  celui  des  dogmes  religieux  eux-mêmes. 
Est-il  un  château  ruiné,  un  site  sauvage,  un  rocher 
de  forme  bizarre,  une  lande  déserte,  une  source 
sylvestre,  un  arbre  séculaire  qui  n'aient  gardé 
leur  légende  '?  Ici  et  là  ne  parle-t-on  pas  des  Dames 
blanches,  des  Dames  vertes,  grises,  noires  (autant 
de  transformations  de  la  fée-,  qui  piotègent  tel  ma- 
noir, qui  apparaissent  pour  annoncer  tels  événe- 
ments ?  N'est-il  pas  question  de  lavandières  noc- 
turnes, de  sorcières  se  réunissant  en  tel  lieu,  à 
telle  heure,  pour  des  incantations,  des  préparations 
de  philtres'?  Les  cercles  que,  par  une  curieusa 
disposition  de  leur  thallus  souterrain,  de  petits 
agarics  forment  sur  les  prés  humides,  ne  sont-ils 
pas  regardés  comme  les  vestiges  des  rondes  fan- 
tastiques que  les  fées  ou  les  sorciers  sont  venus 
faire  là  durant  les  nuits  brumeuses?  Le  feu  follet, 


LEGENDES 


1143 


LEGISLATION   USUELLE 


ccttB  curieuse  pliospliorescenco  dos  marais,  des 
|uiU'6faclions,  n'ost-il  pas  un  osprit  malin  qui  se 
coinplaîl  à  égarer  le  voyageur?  Ust-il  une  province 
i|ui  n'ait  un  pont  construit  par  le  diable,  arclii- 
Ircte  pieusement  frustré  du  salaire  promis  ?  Ne 
raconte-t-on  pas,  au  nord  comme  au  midi,  soitles 
méfaits,  soit  la  mystérieuse  assistance  des  lu- 
tins, di^s  farfadets,  od  la  malice  des  nains  7  L'hom- 
me rouge  n'a-t-il  pas  fait  ici  sasinistre  apparition  ? 
Lh,  ne  nous  indiquerait-on  pas  la  c«c7ie  de  l'immense 
trésor  infernal  qui,  à  telle  époque  funèbre,  s'ouvra 
au  premier  coup  de  minuit  pour  se  refermer  au  der 
nier,  et  où  se  sont  trouves  retenus  tant  de  cupides 
imprudents?  Et  l'àmoen  peinequi,  demandant  des 
prières,  gémit  depuis  dos  siècles  dans  ce  vallon 
témoin  de  son  crime  ;  et  le  chasseur  noir,  le  me- 
neur de  loups,  dont  on  entend  retentir  le  cor, 
aboyer  la  meute  sur  les  grands  bois;  et  le  jeteur 
de  sorts,  et  le  semeur  de  maladies,  qui  passe  sous 
les  traits  du  mendiant,  et  qui  exercera  sa  funeste 
influence  s'il  est  repoussé  du  seuil  où  il  a  frappé; 
enfin,  tout  un  monde  fantaisiste  qui  se  meut  tantôt 
dans  les  radieuses  lueurs  de  l'Olympe,  tantôt  dans 
les  ténèbres  sinistres  de  l'enfer?  De  nombreux  re- 
cueils ont  été  faits,  et  se  font  encore  cha,que  jour 
de  ces  légendes  qui,  si  naïves,  si  futiles  qu'elles 
puissent  tout  d'abord  paraître,  ne  laissent  pas  ce- 
pendant de  constituer  un  riche  fonds  de  docu- 
ments pour  l'histoire  do  l'esprit  humain.  Presque 
toujours,  en  effet,  de  l'étude  qu'on  en  fait,  et  du 
rapprochement  qu'on  en  peut  établir  avec  les  tra- 
ditions des  peuples  antérieurs,  ressortent  les  plus 
intéressantes  démonstrations  d'une  sorte  d'unité 
dans  la  marche,  dans  le  mouvement  des  idées  tant 
morales  que  purement  intellectuelles,  des  diffé- 
rents âges,  des  différentes  régions;  h  tel  point 
même,  qu'en  y  regardant  de  près,  on  arrive  presque 
toujours  à  hésiter  dès  qu'il  s'agit  de  se  prononcer 
sur  l'origine  de  telle  ou  telle  fiction,  car  il  est 
rare  de  n'en  pas  trouver  l'idée  première  ou  l'analo- 
gue en  d'-s  temps  ou  en  des  lieux  très  éloignés  les 
uns  des  autres.  C'est  que  partout  l'àme  humaine  a, 
sous  des  dehors  dissemblables,  les  mômes  instincts, 
les  mêmes  faiblesses,  et  que  d'une  identité  de 
causes  doit  forcément  résulter  une  identité  d'ef- 
fets. Quoi  qu'il  en  soit,  l'on  ne  saurait  vraiment 
que  louer  et  encourager  tous  les  efforts,  si  niodes- 
les  fussent-ils.  dont  le  but  est  de  soustraire  à  l'ou- 
bli les  moindres  fragments  de  notre  vieille  my- 
thologie populaire,  qui,  quelques  racines  qu'elle 
puisse  avoir  dans  le  passé,  n'a  pu  manquer  de 
s'imprégner  chez  nous  d'un  certain  parfum  du 
terroir,  qui  on  fait  le  charme  en  même  temps  que 
l'originalité.  Chez  nous,  au  surplus,  l'imagination 
1  gendaire  ne  s'est  pas  seulement  exercée  aux  trans- 
formations des  vieilles  données  superstitieuses  du 
peuple  primitif  et  du  peuple  envahisseur,  car  il 
était  dans  l'instinct  primesautier  de  notre  esprit 
national  même  de  faire  naître  ^a  légende  au  jour  le 
jour,  pour  ainsi  dire,  des  étonnements  que  lui  cau- 
sait l'histoire  locale  :  et  c'est  le  propre  glorieux  de 
cette  histoire  d'avoir  pu,  dès  le  principe,  et  pres- 
que sans  discontinuité,  donner  lieu  k  ce  poétique 
enfantement.  En  ce  cas,  nos  légendes  sont  bien  les 
nôtres,  bien  nationales,  bien  autochthones.  Que  si 
nous  ouvrons,  par  exemple,  les  premières  annales 
dues  à  Grégoire,  le  vénérable  èvêquo  de  Tours, 
aussitôt,  et  môme  alors  que  le  pieux  liistoriennefait 
que  retracer  des  événements  contemporains,  aussi- 
tôt la  légende  terrible  ou  touchante  apparaît  entée 
sur  les  sauvages  réalités  de  l'âge  mérovingien. 
C'est  bien  autre  chose  quand  surgit  Charlemagne 
qui,  de  son  vivant  même,  entre,  illuminé  de  surna- 
turel, dans  un  monde  légendaire  tout  peuplé  de 
héros  gigantesques.  Et  pendant  plusieurs  siècles 
la  légende  ne  fera  qu'enchérir  sur  les  données 
qn  ontadmises  les  temps  mêmes  du  puissant  empe- 
reur. C'est  alors  que  les  cJiaitsons  de  gestes  con- 


sacrent comme  réel  maint  personnage,  maint  évé- 
nement fictif  ou  douteux  :  Roland  et  Uoncevaux, 
.\yrana,  ses  (juatre  fils  et  le  siège  do  Montauban, 
llonaud  et  loi  douze  pairs,  Ogor,  Lancolot,  et  tout 
cet  ensembli!  de  preux  aux  exploits  surhumains 
qui  doivent  être  comme  les  divins  porto-flambeaux 
de  la  chevalerie  Dans  les  poèmes,  dans  les  ro- 
mans dont  ils  sont  les  héros,  à  plus  d'une  reprise, 
notons-le,  ils  viennent  on  contact  avec  les  créa- 
tions do  l'autre  légende,  do  la  légende  fantastique, 
par  exemple  avec  dos  fées  comme  Orlande.ou  Mé- 
lusine,  notre  Médée,  avec  des  enchanteurs  comme 
Maugis,  ou  Merlin,  notre  Apollonius  de  Tyane. 
Et  ainsi  en  va-t-i!jusqu  aux  Croisades, ces  étranges, 
ces  tumultueuses  enireprisos  aux  lointains  échos 
desquelles  mainte  étoile  nouvelle  s'allume  au  ciel 
légendaire.  Puis  voici  qu'une  pauvre  pàloure  de 
Lorraine,  allant  s'asseoir  au  pied  de  \  arbre  des 
fies,  entend  des  voix  lui  commander  de  chasser 
l'étranger  qui  délient  maleoicnt  la  terre  française. 
Elle  part,  et  dès  lors  commence,  s'édifie  et  grandit 
la  plus  pure,  la  plus  douce  à  la  fois,  et  la  plus  hé- 
roïque et  la  plus  merveilleuse  do  nos  légendes 
nationales.  Et  quand  sont  achevés  les  temps 
d'unité  religieuse,  la  légende  encore  s'attachera 
c\  et  lîi,  plus  souvent  sombre  ou  sanglante  à 
vrai  dire,  à  tel  qui  impose  ou  subit  le  martyre, 
à  tel  qui  persécute  ou  délie  la  persécution.  Le 
siècle  qui  précède  le  nôtre  s'achève  sur  la  dou- 
ble et  contraire  légende  de  deux  idées  se  heur- 
tant aux  limites  de  deux  ères.  Enfin,  le  siècle  où 
nous  sommes  s'ouvre  tout  empli  de  la  légende 
d'un  guerrier,  qui,  après  tous  les  triomphes,  va 
léjendairement  finir  sur  un  îlot  des  antipodes. 
C'est  ainsi  que,  chez  nous,  l'histoire  et  la  légende 
s'enchaînèrent  presque  toujours  étroitement.  Eu 
sera-t-il  de  même  pour  les  siècles  à  venir  ?  Les 
siècles  à  venir  seuls  pourront  le  dire  à  nos  neveux. 
[Eugène  Muller.] 
LÉGISLATION  USUELLE.  —  Nous  donnons 
ci-dessous  le  programme  d'un  cours  de  législation 
usuelle,  en  indiquant  les  divers  articles  de  ce 
Dictionnaire  où  se  trouvent  traitées  les  matières 
contenues  dans  ce  programme. 

I.  —  Notions  de  droit  public.  —  (V.  Droit  public.) 
Principes    fondamentaux.  —  Droits  garantis_   et 

obligations  imposéesà  tous  les  citoyens. — Distinc- 
tion des  pouvoirs  législatif,  exécutif  et  judiciaire. 

Pouvoir  léijisladf.  —  Sénat.  —  Chambre  des 
députés. 

Composition  du  Sénat.  —  Sénateurs  inamovibles. 
Sénateurs  élus.  —  Mode  d'élection.—  iVomination 
par  les  conseils  municipaux  des  délégués  sénato- 
riaux. —  Durée  des  fonctions  des  sénateurs  élus. 

—  Chambre  des  députés.  —  Sa  composition.  -^ 
Mode  d'élection  des  députés.  —  Confection  et  révi- 
sion des  listes  électorales.— Formes  de  l'élection. 

—  Conditions  d'éligibilité. 

Proposition,  discussion  et  vote  de  la  loi  à  la 
Chambre  des  députés  et  au  Sénat.  —  Promulga- 
tion.—  A  quel  moment  la  loi  devient  exécutoire. 

Pouvoir  exécutif .  — Président  de  la  République. 

—  iVomination  du  Président  de  la  Républi(|Ue.  — 
Ses  prérogatives.  —  Rapports  avec  les  Chambres. 

Ministres.  —  Nombre  des  ministères.  —  Attribu- 
tions et  fonctions  des  ministres.  —  Conseil  d  Etat. 

—  Attributions  administratives.  —  Attributions 
contentieuses. 

Dénomination  des  actes  de  l'autorité  publique. 

—  Décrets.  —  Règlements  d'administration  pu- 
blique. —  Arrêtés.  —  Circulaires.  —  Instructions. 

II.  —  Droit  auministhatif.  —  (V.  Droit  adminis- 
tratif.) 

Ailininistratmn  centrale.  —  Centralisation  et 
hiérarchie. —  Division  administrative  delà  Franco 
en  départements,  arrondissements,  cantons  et 
communes. 

Adutinistration  du  département.  — Prékt.  —  Ses 


LÉGISLATION  USUELLE 


Hi6  —     LÉGISLATION  USUELLE 


attributions  :  comme  agent  du  gouvernement  ; 
comme  représentant  le  département. —  Tutelle  ad- 
ministrative.—  Secrétaires  généraux  de  préfecture. 
~  Conseils  de  préfecture.  —  Composition  et  attri- 
butions. —  Autorisation  de  plaider  aux  communes 
et  établissements  publics.  —  Conseils  généraux.  — 
Composition.  —  Mode  de  nomination.  —  Sessions. 
—  Attributions  des  conseils  généraux.  —  Différen- 
tes sortes  de  délibérations. 

Budget  du  département.  —  Centimes  addition- 
nels. 

Commission  départementale.  —  Composition  et 
attributions. 

Administration  de  l'arrondissement .  —  Sous- 
préfet.  —  Ses  attributions. 

Conseil  d'arrondissement.  —  Sa  composition.  — 
Ses  attributions. 
1    III.  —  Suite  du  dboit  ad.ministr4TIF. 

Administration  municipale.   —  (V.  Commune.) 

Maires  et  adjoints.  —  Elus  par  le  Conseil  mu- 
nicipal ou  nommés  par  le  Président  de  la  Répu- 
blique. —  Durée  de  leurs  fonctions.  —  Suspension 
et  révocation. 

Attributions  diverses  du  maire. 

Officier  de  l'état  civil  et  officier  de  police  judi- 
ciaire. 

-attributions  du  maire  comme  agent  du  gouvor- 
nenjent  :  publication  et  exécution  des  lois  et  rè- 
glements. 

Attributions  de  police  municipale:  arrêtés  indi- 
viduels ;  règlements  temporaires  ou  permanents. 

Attributions  du  maire  représentant  la  commune 
considérée  comme  personne  civile.  —  Nomination 
aux  emplois  communaux. 

Adjoints.  —  Leur  nombre.  —  Leurs  attributions. 

Conseils  mxmicipaux .  —  Leur  composition.  — 
Mode  de  nomination.  —  Listes  électorales.  —  Elec- 
tions municipales.  —  Durée  des  fonctions  des 
conseils  municipaux.  —  Sessions  ordinaires  des 
conseils  municipaux. —  Sessions  extraordinaires  — 
Tenue  des  séances. —  Diverses  espèces  de  délibé- 
rations des  conseils  municipaux.  — Délibérations 
exécutoires  par  elles-mêmes.  — Délibérations  sou- 
mises à  l'approbation  de  l'autorité  supérieure.  — 
Avis  et  vœux. 

Budget  de  la  commune.  —  Dépenses  obligatoires 
et  facultatives.  —  Recettes  ordinaires  et  extraor- 
dinaires. 

IV.  —  Suite  du  droit  admimstratif.  —  Notions 
générales  sur  les  divers  services  publics. 

A'mi'e.  —  (V.  Service  militaire.) 

Recruiement  de  l'armée  de  terre.  —  Service 
obligatoire.  —  Tableau  de  recensement.  —  Tirage 
au  sort. —  Exemptions.  —  Dispenses.  —  Engage- 
mentdécennal.  —  Sursis  d'appel.  —  Soutiensuefa- 
miUe. 

Conseils  de  révision. 

Durée  du  service.  —  Armée  active.  —  Réserve 
de  l'armée  active.  —  Armée  territoriale.  —  Réserve 
de  l'armée  territoriale.  —  Engagements  et  renga- 
gements. —  Engagements  conditionnels  d'un  an. 

Registre  matricule.  —  Obligations  en  cas  de 
changement  de  domicile. 

Mode  de  recrutement  de  l'armée  de  mer;  ins- 
cription maritime. 

Cultes.  —  (V.  Droit  administratif.)  —  Notions 
sur  l'organisation  ecclésiastique.  —  Culte  catholi- 
que. —  Cultes  non  catholiques. 

Instruction  publigue.  —  (V.  Instruction  publi- 
que dans  la  1"  Partie,  et  les  mots  auxquels  cet 
article  renvoie.)  —  Enseignement  primaire.  —  En- 
seignement secondaire  classique  et  spécial.  — 
Enseignement  supérieur.  —  Etablissements  spé- 
ciaux. —  Ecoles. 

Travaux  pufjlics.  —  (V.  Droit  administratif.)  — 
Servitudes  imposées  à  la  propriété  privée.  —  Expro- 
priation pour  cause  d'utihto  publique.  —  Travaux 
de  défense  militaire  :  servitudes  qu'ils  entraînent. 


—  Mines,  minières  et  carrières.  —  Dessèchement 
des  marais. 

Etablissements  dangereux,  incommodes  et  insa- 
lubres. —  Diverses  classes.  —  Enquêtes  de  com- 
modo  et  incommode.  —  Opposition.  —  Recours. 

V.  —  Suite  du  droit  administratif.  —  Impots 
(V.  Impôts). 

Défi/iition.  — Division  des  impôts.  —  Distinction 
des  contributions  directes  et  indirectes.  —  Im- 
pôts de  ri-partition  et  de  quotité. 

Impôts  di'  ects.  —  Impôt  foncier.  —  Impôt  per- 
sonnel et  mobilier.  —  Impôt  des  portes  et  fenêtres. 

—  Patentes.  —  Recouvrement  des  contributions 
directes.  —  Demandes  en  décharge  ou  réduction. 

—  Demandes  en  remise  ou  modération. 

Impôts  indirects.  —  Impôt  des  boissons.  —  Tim- 
bre. —  Obligation  d'employer  le  papier  timbré; 
sanction.  — Enregistrement. —  Droits  de  mutation 
à  titre  gratuit.  —  Droits  de  mutation  à  titre  oné- 
reux, d'obligation  et  de  quittance.  —  Délais  poul- 
ie paiement  des  droits  ;  double  droit. —  Droits  sur  le 
sel  et  les  sucres.  —  Droits  de  douane.  —  Octrois. 

Monopoles élahlis au  proft'  de  l'État.  —  Tabacs. 

—  Cartes  à  jouer.  —Poudres.  —  Monnaies.  '— 
Postes  et  télégraphes. 

Voirie.  —  (V.  Voirie.)  —  Distinction  de  la  grande 
et  de  la  petite  voirie. 

Grande  voirie.  —  Routes  nationales.  —  Routes 
départementales.  —  Chemins  de  fer.  —  Rivières 
navigables  et  flottables. 

Petite  voirie.  —  Chemins  vicinaux  :  diverses 
classes.  —  Chemins  de  grande  communication.  — 
Chemins  d'intérêt  commun.  —  Chemins  vicinaux 
orlinaires.  —  Ouverture  et  entretien  des  chemins 
vicinaux.  ^  Centimes  additionnels  et  prestation 
en  nature. 

Voirie  urbaine  :  rues  et  places  des  villes , 
bourgs  et  villages. 

Servitudes  imposées  aux  propriétaires  riverains 
des  voies  publiques  et  ctes  cours  d'eau.  —  Aligne- 
ment. —  Autorité  compétente  pour  délivrer  l'ali- 
gnement. —  Effets  de  l'alignement.  —  Chemin  de 
halagc  et  marchepied. 

VI.  —  Droit  privé.  —  (V.  Droit  privé.)  —  Défini- 
tion et  division.  —  Matières  du  droit  privé  :  1"  Per- 
sonnes ;  2°  Biens  et  modifications  de  la  propriété; 
3°  Différentes  manières  d'acquérir  la  propriété; 
4°  Obligations  et  contrats. 

Des  personnes. —  (V.  Etat  civil.)  —  Nationalité. — 
Personnes  qui  naissent  françaises.  —  Acquisition 
de  la  qualité  de  Français;  naturalisation.  — Perte 
de  la  qualité  de  Français. 

Actes  de  l'état  civil.  —  Leur  importance.  —  Per- 
sonnes qui  concourent  à  la  rédaction  des  actes. — 
Officiers  de  l'état  civil.  —  Parties  et  déclarants.  — 
Témoins.  —  'Tenue  des  registres  et  rédaction  des 
actes.  —  Extraits  des  registres  ;  foi  qui  leur  est 
due. 

Actes  de  naissance.  —  Dans  quel  délai  et  par 
qui  doit  être  faite  la  déclaration.  —  Enonclations 
que  doit  contenir  l'acte  de  naissance.  —  Actes  de 
décès.  — Autres  actes  qui  figurent  sur  les  registres 
de  l'état  civil.  —  Rectification  des  actes  de  l'état 
civil. 

Du  domicile.  —  Ses  effets.  —  Acquisition  et 
changement  de  domicile. 

De  l'absence.  —  Mesures  auxquelles  donne  lieu 
l'absence. 

Du  mariage.  —  Le  mariage  est  un  contrat  civil. 

—  Qualités  et  conditions  requises.  —  Age.  —  Con- 
sentement des  époux.  —  Consentement  des  ascen- 
dants ou  de  la  famille.  —  Actes  respectueux.^  — 
Prohibition  du  mariage  résultant  de  l'existence  d'un 
premier  mariage,  de  la  parenté  ou  de  l'alliance. 

Formalités  antérieures  à  la  célébration  du  ma- 
riage. —  Publications.  —Oppositions.—  Pièces 
que  les  fnturs  époux  doivent  produire.  —  Formes 
delà  célébration  du  mariage.  —  Acte  de  mariage. 


LEGISLATION   USUELLE 


il  47 


LEGISLATION    USUELLE 


ObliK.itioiis  qui  résultorit  du  mariage.  —  Obliga- 
tion aliniemairc. 

Dissolution  du  mariage.  —  Séparation  do  corps. 

l'i-cuves  do  la  filiation  des  enfants  légitimes.  — 
Recormaissancc  dos  enfants  naturels.  — Légitima- 
tion. —  Adoption. 

I>uissU7ice  paternelle.  —  Droits  du  p6re  sur  la 
personne  do  l'enfant.  —  Usufruit  légal  :  droits  et 
obliRations  qui  on  résultent. 

\ii.  —  Suite  du  dboit  privé.  —  {V. Etat  civil.)  — 
Minorité  et  tutelle.  —  Des  mineurs.  —  Mineurs  en 
tuiello.  —  Différentes  espèces  de  tutelle  :  tutelle 
légale  dos  père  et  mère;  tutelle  déférée  par  le 
dernier  mourant  des  père  et  mère  ;  tutelle  des 
ascendants;  tutelle  déférée  par  le  conseil  de  fa- 
mille. —  Composition  du  conseil  de  famille;  ses 
attributions.  —  Subrogé-tuteur.  —  Administration 
du  tuteur.  —  Comptes  de  tutelle. 

Emnncipation.  —  Ses  formes.  —  Ses  effets. 

Interdiction  et  conseil  judiciaire.  —  Causes  de 
l'interdiction  et  de  la  dation  du  conseil  judiciaire. 

—  Par  qui  ces  mesures  peuvent  être  provor|Uces. 

—  Effets  de  l'interdiction  et  de  la  nomination  du 
conseil  judiciaire. 

De  la  piiopniÉTÉ  et  de  ses  différentes  modifi- 
cations. —  (V.  Propriété.) 

Des  /jiens.  —  Distinction  des  meubles  et  des 
immeubles.  —  Diverses  classes  d'immeubles.  — 
Diverses  classes  de  meubles. 

Définilion  de  la  propriété.  —  Ses  éléments.  — 
Restrictions  au  di'oit  de  propriété. 

Usufruit.  —  Droits  de  l'usufruitier  —  Obliga- 
tions  de  l'usufruitier.  —  Extinction  de  l'usufruit. 

—  Droits  d'usage  et  d'habitation.  —  Droits  d'usage 
dans  les  bois  ;  affouage. 

Sereiludes.  —  Servitudes  dérivant  de  la  situa- 
tion des  lieux.  —  Droits  sur  les  eaux  de  source.  — 
Droits  du  propriétaire  dont  le  fonds  est  bordé  ou 
traversé  par  une  eau  courante.  —  Drainage.  — 
Bornage.  —  Servitudes  établies  par  la  loi  —  Mur 
mitoyen;  droits  et  obligations  qui  résultent  de  la 
mitoyenneté. —  Mitoyenneté  des  fossés  et  des  haies. 

—  Distances  à  observer  pour  les  plantations.  —  Vues 
sur  la  propriété  des  voisins.— Egout  des  toits. — Droit 
de  passage  en  cas  d'enclave.  —  Servitudes  établies 
par  le  fait  de  l'homme.  —  Etablissement  et  extinc- 
tion de  ces  servitudes. 

VIII.  —   Suite  du  droit   privé.  —  Des   diffé- 

BENTES      MANliîRES      D'ACQUÉRIR     LA     PROPRIÉTÉ.      — 

(V.  Droit  privé.) 

Successio7is.  —  Divers  ordres  d'héritiers.  —  Suc- 
cesseurs irréguliers.  —  Différents  partis  que  l'hé- 
ritier peut  prendre;  leurs  conséquences.  —  Par- 
tage des  successions. 

Donations  tntre  vifs  et  testaments.  —  Définition 
de  la  donation  entre  vifs  et  du  testament.  —  Ré- 
serve et  portion  de  biens  disponible.  —  Formes  des 
donations  entre  vifs.  —  Irrévocabilité  de  la  dona- 
tion; exceptions  k  la  règle.  —  Formes  des  testa- 
ments. —  Execution  du  testament.  —  Diverses  es- 
pèces de  legs.  — ■  Exécuteurs  testamentaires. 

Partages  d'ascendants.  —  Donations  par  contrat 
de  mariage  :  —  Donations  entre  époux. 

Des  CONTRATS.  —  Division  dos  contrats.  —  Dé- 
finition de  l'obligation.  —  Diverses  espèces  d'obli- 
gations. —  Extinction  des  obligations.  —  Des  preu- 
ves.—  Acte  authentique.  —  Acte  sous  seing  privé. 

—  Preuve  testimoniale. 

Notions  sur  les  principaux  contrats.  —  Contiat 
de  mariage.  —  Principes  généraux  sur  le  contrat 
de  mariage.  —  Divers  régimes.  —  Régime  de  com- 
munauté. —  Régime  dotal.  —  Séparation  de  biens. 

—  Régime  exclusif  de  communauté. 

1  ente.  —  Définition.  —Obligations  du  vendeur. — 
Garantie  en  cas  d'éviction.  —  Garantie  des  vices  ca- 
chés. -Vlcesrédhibitoires.  — Obligations  de  l'ache- 
teur ;  paiement  du  prix.  —  Transport  des  créances. 

Louage.  —  Preuve  du  contrat  de  louage.  —  Obli- 


gations du  bailleur.  —  Obligations  du  preneur.  — 
Comment  finit  le  bail. 

Siiciélé.  —  Prêt.  —  Dépôt.  —  Contrats  aléatoires  : 
rente  viagère  et  contrat  d'assurance.  —  Mandat. 

—  Cautionnement.— Transaction.  —  Nantissement. 
Privilèges  et  hypothèques.  —  Privilèges.  —  Pri- 
vilèges généraux.  —  Privilèges  spéciaux  sur  les 
meubles  et  sur  les  immeubles.  —  Hypothèques.  — 
Hypothèques  légales  et  judiciaires.—  Hypothèques 
conventionnelles.  —  Forme  de  la  constitution 
d'iiypothèque.  —  Rang  des  hypothèques  entre 
elles.  -  Inscription  des  hypothèques.—  Effets  de 
l'hypothèque.  —  Précautions  h  prendre  par  le  tiers 
détenteur  de  l'immeuble  hypothéqué. 

Prescription.  —  Prescription  arquisitive.  — 
Prescription  libératoire.  —  Interruption  et  suspen- 
sion de  la  prescription. 

IX.  —  Organisation  JUDiciAuiE  et  notions  som- 
maires SUR  LA  PROCÉDURE.  —  (V.  Triijunaux .) 

Principes  généraux  sur  les  attributions  de  l'au- 
torité judiciaiie.  —  Distinction  de  la  juridiction 
civile  et  de  la  juridiction  en  matière  pénale. 

Organisation  judiciaire.  —  Division  territoriale 

—  Composition  des  cours  et  tribunaux.  —  Minis- 
tère public. —  Officiers  ministériels;  notaires; 
greffiers  ;  avoués  ;  huissiers  ;  commissaires  pri- 
seurs.  —  Avocats.  —  Assistance  judiciaire. 

Compétence  des  différenles  juriiictions  en  ma- 
tière civile.  — Juges  de  paix.  —  Procédure  devant 
le  juge  de  paix. —  Jugements  susceptibles  d'appel; 
délai  d'appel. 

Tribunaux  de  première  instance.  —  Caractère 
de  la  procédure  devant  ces  tribunaux  :  ministère 
obligatoire  des  avoués.  —  Voies  de  recours  contre 
les  jugements. —  Opposition. —  Appel;  jugements 
susceptibles  d'appel;  délai  d'appel.  —Cours  d'ap- 
pel.—  Gourde  cassation.  —  Juridictions  spéciales. 

X.  —  Notions  de  droit  pénal.  —  (V.  Justice.)  — 
Principes  généraux.  —  Division  des  délits  et  des 
peines.  —  Peines  en  matière  criminelle.  —  Peines 
correctionnelles  et  de  police. 

Personnes  punissables,  responsables  ou  excu- 
sables. —  Non  responsabilité  :  légitime  défense.  — 
Excuses.  —  Minorité  de  seize  ans.  —  Circonstan- 
ces atténuantes. — Tentative.  —  Complicité.—  Ré- 
cidive. 

Instruction  criminelle.  —  Notions  générales 
sur  l'action  publique  et  l'action  civile.  —  Prescrip- 
tion en  matière  pénale.  —  Diverses  phases  de  la 
procédure  ou  instruction  criminelle. 

Instruction  préparaloire.  —  Pouvoirs  du  juge 
d'instruction.  —  Détention  préventive.  —  Mise  en 
liberté  provisoire.  —  Comment  se  termine  l'in- 
struction. 

Juidictions  de  jugement.  — Tribunaux  de  sim- 
ple police.  —  Tribunaux  correctionnels.  —  Cours 
d'assises.  — Composition  do  la  cour  d'assises.  — 
Magistrats. —  Jury.  ^Liste  de  session. —  Forma- 
tion du  tableau.  —  Procédure  devant  la  cour  d'as- 
sises. —  Questions  posées  au  jury.  —  Circonstances 
atténuantes.  — Délibération  du  jury.  — Majorité. 

—  Verdict.  — ■  Acquittement.  —  Condamnation.  — 
Gourde  cassation,  [E.  Delacourtie.] 

Nous  reproduisons  ci-dessous  le  programme  du 
cours  qui  se  donne  dans  la  3°  année  d  études  des 
écoles  normales  de  la  Belgique,  sous  le  titre  de 
Notions  des  lois  organiques  : 

Constitution  belge.  —  Des  Belges  et  de  leurs 
droits;  dispositions  du  Code  civil  qui  déterminent 
comment  la  qualité  de  Belge  s'acquiert  et  se  perd, 
et  principales  dispositions  de  la  loi  sur  la  natura- 
lisation. Organisation  et  attributions  des  trois 
grands  pouvoirs  de  l'Etat.  Mode  de  sanction  et  de 
promulgation  des  lois  ;  mode  de  publication  des 
lois  et  des  arrêtés;  conditions  requises  pour  être 
électeur  et  éligiblo  aux  Chambres  législatives  ; 
formation  de  la  liste  des  électeurs  ;  réunion  des 
collèges  électoraux. 


LEGISTES 


—  1148 


LEGISTES 


Organisation  de  la  province.  —  Des  différentes 
autorités  de  la  province  et  de  leurs  attribution?? 
en  général.  Qualités  requises  pour  être  membre 
du  Conseil  provincial.  Conditions  d'électorat  et 
formation  de  la  liste  des  électeurs.  Réunion  des 
collèges  électoraux. 

Otganisalion  de  la  commune.  —  Composition 
du  corps  communal.  Qualités  requises  pour  être 
électeur,  et  formation  des  listes  électorales.  Des 
assemblées  des  élecicurs.  Conditions  d'éligibilité. 
Durée  des  fonctions  des  autorités  communales. 
Principales  attributions  du  conseil  municipal  et  du 
collège  des  bourgmestres  et  échovins. 

Ori/anisation  de  l'enseiyjiement  primaire.  —  Loi 
du  V3  septembre  1842  iremplacéo  aujourd'hui  par 
la  loi  du  I''  juillet  1879),  avec  les  principales  dis- 
positions des  arrêtés  organiques. 

{Plan  d'études  des  écoles  normales  belges,  du 
10  octobre  18(;8.) 

LÉGISLATIVE  (Assemblée).  —  V.  Révolution 
française. 

LEGISTES.  —  Histoire  de  France,  XI.  —  Les 
légistes  ou  hommes  de  lois,  appelés  encore 
juristes,  jicrisconsultes,  chevaliers-è'-lois,  com- 
niencèrcnt  à  jouer  un  rôle  important  dans  notre 
histoire  à  pirtir  du  xiii'  siècle.  Les  hiis  romaines, 
étudiées  depuis  l'an  12(iO  dans  les  Universités 
françaises,  parurent  comme  la  modèle  de  la  justice, 
de  l'ordre,  de  la  régularité  Ji  tous  ceux  qui  les 
comparaient  aux  institutions  imparfaites  du  moyen- 
âge.  Dans  l'inextricable  confusion  des  coutumes 
féodales,  la  puissante  unité  de  la  législation  ro- 
maine, dans  le  morcellement  du  pouvoir  seigneu- 
rial, l'unique  et  forte  puissance  impériale,  leur 
apparurent  comme  des  institutions  nécessaires  de 
la  société.  Aussi  telle  fut  l'œuvre  cipitale  des  lé- 
gistes :  à  la  multiplicité  des  coutumes  substi- 
tuer l'unité  de  la  loi,  à  la  multiplicité  des  souve- 
rainetés locales  substituer  l'autorité  centrale  de  la 
royauté.  Us  traduisent  le  principe  de  la  loi  romaine 
•que  la  volonté  de  l'empereur  est  In  loi  vivante 
par  ces  termes  nouveaux  :  Si  veut  le  roi,  si  veut 
in  loi. 

Les  Etnblissements  de  saint  Louis,  dit  M.  Da- 
reste,  dans  son  Histoire  de  l'alministration  en 
France,  furent  le  premier  grand  ouvrage  des  lé- 
gistes ;  ce  fut  un  vaste  code  de  procédure  féodale, 
où  le  législateur  reproduisait  tous  les  usages  du 
temps,  mais  en  citant  et  en  commentant  sans  cesse 
les  lois  romaines.  Ce  code  fut  aussitôt  rendu 
général,  c'est-à.-dire  appliqué  à  toute  la  France, 
et  c'est  un  des  plus  anciens  exemples  que  l'on 
ait  d'actes  législatifs  généraux.  Les  légistes  en- 
treprirent aussi  la  rédaction  des  coutumes.  On  vit 
paraître  les  coutumiers  de  provinces  entières, 
telles  que  la  Bourgogne,  la  Champagne,  la  Nor- 
mandie et  l'Anjou  ;  puis  des  traités  composés  par 
des  praticiens  comme  Beaumanoir  et  Pierre  de 
Fontaines. 

Connaître  les  lois  et  les  coutumes  devint  alors 
une  obligation  formelle  pour  les  juges  ;  cette 
obligation  fut  plus  rigoureuse  encore  le  jour  où 
saint  Louis  défendit  dans  son  domaine  les  batailles 
auxquelles  il  substitua  les  preuves  par  témoins, 
et  les  guerres  privées  qu'il  remplaça  en  obligeant 
la  partie  lésée  à  donner  à  sa  partie  adverse  un 
asseurement,  c'est-à-dire  une  assignation  devant  la 
cour  du  roi.  Cette  cour  dut  prendre  ainsi  connais- 
sance d'un  plus  grand  nombre  de  causes,  et  l'ins- 
truction de  ces  causes  devint  plus  difficile.  Il  fallut 
donc  de  toute  nécessité  admettre  les  légistes  dans 
les  tribunaux,  et  surtoutdans  les  tribunaux  royaux. 
D'abord  ils  y  entrèrent  comme  préparateurs  des 
procès  et  rédacteurs  des  enquêtes  ;  puis  ils  s'y 
multiplièrent  à  l'envi;  puis  un  jour  vint  où,  re* 
poussant  la  barrière  qui  était  entre  leur  dos  et 
les  pieds  des  seigneurs,  ils  montèrent  jusqu'aux 
fauteuils  de  ces  derniers.  Au  xiv=  siècle,  cette  ré- 


volution était  tout  accomplie  ;  les  légistes  s'étaient 
emparés  exclusivement  des  tribunaux. 

Comme  l'unité  que  les  légistes  voulaient  établir 
no  pouvait  être  fondée  que  par  le  pouvoir  royal, 
ils  éunidirent  de  diverses  manières  la  compétence 
judiciaire  du  roi.  Ils  professèrent  cette  doctrine 
que  les  sentences  portées  par  la  Cour  du  roi  étaient  J 
exécutoires   dans    les   domaines    des    barons.   Ilsl 
employèrent  le  système  des  évocations  et  celui  des! 
cas  roi/aux,  au  moyen  desquels   il   était  facile  del 
s'emparer  de  tous  les  jugements.  Ainsi  la  com- 
pétence des  tribunaux  du  roi  devint  tous  les  jours  1 
plus  considérable. 

La    formation    du  Parlement  *  vint    couronneri 
l'œuvre   des  légistes.   Les  attributions  du  parle-l 
ment  consistèrent  à  connaître  les  causes  qui  luîl 
furent  soumises  directement,  à  juger  les   appels 
et  à  recevoir  les  rôles  de  bailliage.  Quand  sa  com  ' 
pétencc  eut  été  ainsi  établie,  Philippe  le  Bel  réglai 
la  division  des  chambres  suivant  les  besoins  du 
service.  11  y  eut  trois  chambres  :  1°   celle  des  re-  ' 
quêtes,    où  l'on  jugeait  les   causes  portées   direc- 
tement ;  2°  celle  des  enquêtes,  instruisant  les  af- 
faires sur  lesquelles  l'appel  était  interjeté  ;  3°  la  1 
grande  chamt>re   ou  chamhre  des  plaidoyers,  qui 
jugeait  les  affaires  portées  aux  enquêtes.  Les  pré- 
lats et  les  barons  siégeaient  seuls  dans  la  grande 
chambre;  ils  étaient  conseillers  nés  du  parlement  ' 
et  ne  recevaient  aucuns  gages.  Les  légistes  n'é-  j 
talent  admis  que  dans   la  chambre  des  requêtes! 
ou  celle  des  enquêtes;  ils  avaient  des  gages,  re-l 
cevaienl  des  manteaux  deux  fois  l'an,  et  portaient| 
la  livrée  royale. 

Dès  que  la  magistrature  fut  constituée,  les  dif- 
férents corps  qui  lui  sont  annexés  se  constituè-J 
rent  également.  On  trouve  déjà  en  1302  des  avo-l 
cats  et  des  procureurs  du  roi,  assistés  de  substi-l 
tuts.  Ces  charges  furent  exclusivement  occupées! 
par  des  légistes.  I 

Les  légistes  eurent  une  grande  influence  sur  lel 
règne  de  Philippe-le-Bel  dont  ils  furent  les  con-| 
seillers.    Enguerrand   de  Marigny,  Guillaume  dôl 
Nogaret,  Pierre  Flottes,  Raoul  de  Presles,  Pierre  de] 
Latilly  étaient  les  plus  éminents  parmi  les  légistes! 
qui   travaillèrent    à   élever  sur  les  ruines   de   la^ 
féodalité  l'autorité  royale.  Mais  ces  grands  légistes 
du  xiv=  siècle  furent  soumis  à  la  destinée  com- 
mune de  tous  ceux  qui  préparent  et  accomplissent 
une  révolution  :  les  plus  illustres  pérircLit  sous  la 
réaction  des  intérêts  qu'ils  avaient  blessés.  Enguer- 
rand de  Marigny  fut  pendu  à  Montfaucon,  sous  le 
règne  de  Louis  X  ;  Pierre  de  Latilly,  chancelier  de 
France,   et  Raoul   de   Presle,  avocat    du   roi    au 
parlement,  furent  mis  à  la  torture  sous  le  même 
règne  ;  Gérard  de  la  Guette,  ministre  de  Philippe 
le  Long,  mourut   à   la  question   en    1322;   Pierre 
Fréniy,  ministre  de  Charles  le  Bel,  fut  pendu  en 
l:i2s.  Alais  leur  oeuvre  ne  périt  pas  ;  et,  malgré  les 
faiblesses  de  quelques  règnes,  la  lutte  de  la  royauté 
contre  la  féodalité,  lutte  dont  ils  avaient  été  les 
instigateurs,  aboutit  au  triomphe  du  pouvoir  royal 
et   à  l'avènement  de  la  bourgeoisie. 

Notre  grand  historien  national,  Augustin  Thierry, 
a  apprécié  le  rôle  des  légistes  au  moyen  âge  dans! 
son   Essai  sur   l'histoire  de  la   formation  et  desj 
progrès  du  tiers-état.  Nous  croyons  utile  de  repro- 
duire ici  quelques  passages    intéressants  de  cettel 
remarquable  étude.  H 

«  La  révolution  sociale  fut  accompagnée  et  sou-l 
tenue  dans  son  développement  par  une  révolution! 
scientifique,  par  la  renaissance  de  l'étude  desil 
lois  romaines  et  des  autres  monuments  de  cette| 
vieille  et  admirable  jurisprudence.  L'impulsion 
fut  encore  donnée  par  l'Italie,  où  l'enseignement! 
public  du  droit  ne  cessa  point  durant  tout  Wl 
moyen  âge,  et  subsista  obscurément  à  B.ivennej| 
avant  de  refleurir  à  Bologne.  Dès  lo  xil«  siècle^^ 
de  ncmbreux étudiants  qui,  dans  leurs  migrations, 


LÉGUMINEUSES 


—  1 1  V.)  — 


LEGUMINEUSES 


pnssaicjil  les  Alpes,  rapportèrent  en  France  la 
nouvollR  doctrine  des  glossaieurs  du  droit  civil  ; 
cl  bientôt  ce  droit  fut  professé  concurremment 
avec  le  droit  canonique  dans  plusieurs  villes  du 
Midi,  et  d;ms  celles  d'Angers  et  d'Orléans...  Les 
maximes  et  les  règles  puisées  dans  les  codes 
impériaux  par  des  esprits  ardents  et  soucieux  du 
vrai  et  du  juste,  descendirent  des  écoles  dans  la 
pratique,  et.  sous  leur  influence,  toute  une  classe 
de  jurisconsultes  et  d'hommes  politiques,  la  tête 
et  l'ànie  do  la  bourgeoisie,  s'éleva  et  commença 
dans  les  liantes  juridictions  la  lutte  du  droit  ro- 
main et  d(!  la  raison  contre  la  coutume,  l'excep- 
tion, le  fait  inique  ou  irrationnel. 

1)  La  cour  du  roi  ou  le  parlement,  tribunal  su- 
prême et  conseil  d'État,  devint,  par  l'admission 
de  ces  hommes  nouveaux,  le  foyer  le  plus  actif  de 
l'esprit  de  renouvellement.  C'est  là  que  reparut, 
proclamée  et  appliquée  chaque  jour,  la  théorie  du 
pouvoir  impérial,  de  l'autorité  publique,  une  et 
absolue,  égaie  envers  tous,  source  unique  de  la 
justice  et  de  la  loi. Remontant,  par  les  texte*,  sinon 
par  la  tradition,  jusqu'aux  temps  romains,  les  lé- 
gistes s'y  établirent  en  idée,  et,  de  cette  hau- 
teur, ils  considérèrent  dans  le  présent  l'ordre 
politiiiue  et  civil.  A  voir  l'action  qu'ils  exercèrent 
au  xiii»  siècle  et  au  siècle  suivant,  on  dir.iit  qu'ils 
eussent  rapporté  de  cette  étude  juridique  cette 
conviction  que,  dans  la  société  d'alors,  rien  n'é- 
tait légitime  hors  deux  choses  :  la  royauté  et  l'état 
de  bourgeoisie.  On  dirait  même  qu'ils  pressentaient 
la  destinée  historique  de  ces  deux  institutions, 
et  qu'on  y  mettant  le  sceau  du  droit,  ils  marquè- 
rent d'avance  les  deux  termes  auxquels  tout  de- 
vait être  ramené.  Toujours  est-il  de  fait  que  les 
légistes  du  moyen  âge,  juges,  conseillers,  officiers 
royaux,  ont  frayé,  il  y  a  six  cents  ans,  la  route  des 
révolutions  avenir.  Poussés  par  l'instinct  de  leur 
profession,  par  cet  esprit  de  logique  intrépide  qui 
poursuit  de  conséquence  en  conséquence  l'appli- 
cation d'un  principe,  ils  commencèrent,  sans  la 
mesurer,  l'immense  lâche  où,  après  eux,  s'appli- 
qua le  travail  des  siècles  :  réunir  dans  une  seule 
main  la  souveraineté  morah',  abaisser  vers  les 
classes  bourgeoises  ce  c|ui  était  au-dessus  d'elles, 
et  élever  jusqu'à  elles  ce  qui  était  au-dessous.  i> 
^Désiré  Blanchet.] 

LÉGUMIXEliSES.—  Botanique,  XXIV.  —  Etyni.  : 
La  famille  des  Légumineuses  tire  son  nom  du  mot 
légumi',  en  latin  legumen,  par  lequel  on  désigne 
la  forme  particulière  de  ses  fruits. 

Définit"  n.  —  La  famille  des  Légumineuses  ap- 
partient aux  Dicotylédones  dialypétales;  par  l'in- 
termédiaire des  iVimosées,  elle  se  rapproche  des 
llosacées  et  rattache  celles-ci  aux  Térébinihacéea 
Cette  famille  est  une  des  plus  nombreuses  du 
règne  végétal,  et  la  plus  importante  peut-être  par 
le  grand  nombre  des  substances  qu'elle  fournit  à 
l'industrie,  à  l'économie  domes'tique  et  à  la  ma- 
tière médicale. 

Caractères  botaniques.  —  Pour  faire  connaître 
les  caractères  botaniques  des  légumineuses,  nous 
prendrons,  comme  type  de  ces  végétaux,  les  légu- 
mineuses papilionO'  ées,  ain&i  nommées  à  cause  de 
la  forme  de  leur  corolle.  Brièvement  et  par  com- 
paraison seulement,  nous  indiquerons  ceux  des 
/éguiiiini'iises  ccenalpiniées  et  ceux  des  légumineuses 
juimosèes. 

La  graine  des  papilionacées  présente  de  dehors 
en  dedans  :  1°  un  tégument  épais  dont  la  région 
superticinlle  est  formée  de  petits  troncs  de  pyra- 
mide solides  exactement  appliqués  les  uns  contre 
les  autres  et  dont  la  grande  base  est  extérieure. 
Ce  système  est  parfaitement  disposé  pour  per- 
mettre au  tégument  séminal  de  résister  à  toute 
pression  venant  du  dehors,  tandis  qu'il  cède  sous 
la  moindre  pression  venant  de  l'intérieur  de  la 
graino.  Celte  couthe  solide  superficielle  du  lé^u- 


ment  séminal  recouvre  une  lame  de  parenchyme 
corné  susceptible  de  se  gonfler  énormément  sous 
l'action  de  l'eau;  et,  grâce  à  cotte  propriété,  cette 
lame  devient,  au  moment  de  la  germination,  le 
principal  agent  provoquant  la  rupture  du  tégument 
séminal;  —  2°  un  embryon  volumineux  dicoty- 
lédoné.  très  fortement  courbé.  Le  grand  déve- 
loppement des  cotylédons  de  cet  embryon  rend 
inutile  l'existence  d'un  albumen;  aussi  cette  troi- 
sième partie  de  la  graine  fait-elle  défaut  dans  la 
plupart  des  cas.  Quand  l'albumen  existe  dans  la 
graine  des  légumineuses  papilionacées,  la  réserve 
nutritive  est  de  nature  cellulosique.  Les  matières 
alimentaires  renfermées  dans  les  cotylédons  sont 
de  nature  amylacée  ou  aleurique.  Les  graines  des 
légumineuses  peuvent  conserver  leur  faculté  ger- 
minative  pendant  plusieurs  années.  A  la  maturité, 
ces  graines  sont  mises  en  liberté  par  suite  de  la 
déhiscence  du  fruit  ;  les  Arnclns  et  quelques 
plantes  voisines  font  seules  exception;  ces  plantes 
ont  la  faculté  d'enterrer  directement  leurs  fruits 
dans  le  sol. 

La  germination  des  graines  des  légumineuses 
se  fait  très  rapidement;  lorsque  les  conditions 
sont  favorables,  elle  s'accomplit  dans  l'espace  de 
deux  à  trois  jours;  l'usure  préalable  du  tégument 
séminal,  de  brusques  variations  de  température, 
une  humidité  abondante  favorisent  beaucoup  cette 
opération. 

La  racine  des  légumineuses  est  généralement 
pivotante  ;  dans  certaines  espèces  herbacées , 
comme  la  luzerne,  elle  peut  acquérir  une  lon- 
gueur de  plus  d'un  mètre  et  une  épaisseur  rela- 
tivement considérable;  dans  les  espèces  arbo- 
rescentes, la  racine  est  presque  toujours  moins 
volumineuse,  eu  égard  au  volume  de  la  tige  dont 
elle  dépend,  que  dans  les  espèces  herbacées;  cette 
racine  contient  souvent  des  sucs  acres,  amers, 
très  employés  en  médecine  et  sur  lesquels  nous 
reviendrons  en  parlant  des  usages  des  légumi- 
neuses. 

La  tige  des  légumineuses  papilionacées  varie 
beaucoup  d'une  plante  à  l'autre  :  herbacée,  grêle, 
filiforme  et  rampante  dans  les  lupulines,  elle  se 
dresse  dans  les  trèfles;  elle  acquiert  la  consis- 
tance ligneuse  dans  le  genêt  à  balais,  elle  devient 
tout  h  fait  ligneuse  dans  le  Hohiniii  pseudo-'icncia, 
vulgairement,  mais  improprement,  nommé  4cacia. 
Les  tiges  des  légumineuses  herbacées  sont  sou- 
vent susceptibles  de  s'élever  en  s'euroulant  autour 
d'un  support;  certaines  d'entre  elles  sont  en  outre 
munies  de  vrilles  foliaires  qui  leur  permettent  de 
se  suspendre  aux  plantes  arborescentes  voisines. 
Quel(|ues  espèces  ligneuses  ont  des  tiges  sarmen- 
teuses;  telle  est  par  exemple  la  glycine,  plante 
originaire  de  la  Chine,  qu'on  cultive  beaucoup  au- 
jourd'hui dans  les  jardins  connue  plante  ornemen- 
tale; un  très  petit  nombre  seulement  ont  des 
tiges  comparables  à  celles  des  lianes  de  la  famille 
des  Ménispermées.  Ex.:  la  Bauhinia. 

Le  bois  des  légumineuses  offre  cette  particula- 
rité que  ses  vaisseaux,  très  gros,  sont  souvent 
obstrués  par  des  productions  cellulaires  spéciales 
nommés  t'ylles,  La  densité  do  ce  bois  varie  depuis 
celle  du  bois  de  fer,  dont  le  nom  rappelle  la  grande 
dureté,  jusqu'à  celle  du  lièse.  Nous  trouvons,  en 
effet,  dans  les  Mschinoniene  et  les  Hr'> mi/i'ern, 
légumineuses  aquatiques  de  la  Cochinchine  et  de 
l'Ahyssinie,  un  bois  exclusivement  parenchyma- 
teux,  tellement  léger  qu'il  flotte  à  la  s\irface  de 
l'eau  co  nme  le  ferait  un  bouchon  de  liège.  Dans 
les  pays  où  croissent  ces  plantes,  leur  bois  est  em- 
ployé comme  allèges  pour  soutenir  les  filets  à  la 
surface  de  l'eau. 

Les  feuilles  des  légumineuses  papilionacées  sont 
toutes  composées-pennées  et  pourvues  de  sti- 
pules; ces  feuilles  sont  terminées  tantôt  par  une 
foliole   impaire,   tantôt   par    deux   folioles.   Dans 


LEGUMINEUSES 


—  ItoO  — 


LEGUMINEUSES 


les  gesses,  chaque  feuille  se  réduit  souvent  à 
ses  deux  folioles  inférieures;  toute  la  partie  su- 
périeure de  la  feuille  n'est  plus  représentée  que 
par  des  nervures  transformées  en  vrilles.  Dans  le 
Lat/uirus  Aphacn,  chaque  feuille  n'est  plus  repré- 
sentée que  par  ses  deux  stipules  foliacés;  tout 
le  reste  de  l'organe  est  changé  en  vrilles.  Les 
feuilles  des  papilionacées  sont  caduques,  minces, 
très  sensibles  à  l'action  de  la  lumière.  A  l'état  de 
sommeil,  le  racliis  de  cliaque  feuille  est  rabattu 
vers  le  sol;  chaque  foliole  s  incline  également  vers 
le  sol,  et  toutes  ensemble  s'appliquent  les  unes 
sur  les  autres  et  se  rapprochent  de  l'extrémité 
du  rachis  ;  exemples  :  la  sensitive  [Mimosa  pu- 
dica)  et  Vller/i/sin-um  \\.  Plf.siolcgie  végétale). 
Dans  un  petit  nombre  de  genres,  les  stipules  de 
chaque  feuille  sont  transformés  en  épines  ;  ce 
sont  là  des  organes  de  défense  que  la  plante  pré- 
pare contre  les  animaux,  en  parliculier  contre  les 
singes  et  les  animaux  grimpeurs. 

L'inflorescence  des  papilionacées  est  une  grappe, 
plus  rarement  un  épi  ou  une  ombelle;  exception- 
nellement les  fleurs  sont  solitaires.  Chaque  fleur 
présente  de  dehors  en  dedans:  1°  un  calice  bilabié, 
dont  la  lèvre  supérieure  est  bidentée  tandis  que 
la  lèvre  inférieure  est  divisée  en  trois  parties;  — 
ï°  une  corolle  formée  de  cinq  pétales  qui  alternent 
avec  les  sépales  du  calice.  Dans  l'Amorpha,  le 
nombre  des  pétales  peut  se  réduire  h  un  seul. 
Lorsque  les  cinq  pétales  existent,  ils  sont  ordinai- 
rement libres,  inégaux;  le  pétale  postérieur,  nommé 
étendard,  embrasse  tous  les  autres  ;  les  deux  laté- 
raux ont  reçu  le  nom.  d'aile-:;  ils  sont  semblables 
entre  eux  et  recouvrent  les  deux  pétales  anté- 
rieurs; ces  derniers,  semblables  entre  eux,  sont 
souvent  connivents  et  simulent  un  pétale  unique 
que  l'on  appelle  carène  ou  noeelie;  —  3°  un  an- 
drocée  composé  de  dix  étamines,  dont  les  filets 
sont  tantôt  monadelphe',  c'est-à-dire  tous  soudés 
entre  eux  ;  tantôt  dia'le  phea,  c'est-à-dire  soudés 
en  deux  masses,  l'une  de  ces  masses  ne  compre- 
nant qu'une  seule  étamine  ;  tantôt  complètement 
libres  (Sophora)  ;  —  4°  un  gynécée  composé  d'un 
seul  pistil  à  ovaire  unique,  sessile,  pluri-ovulé; 
ovules  campylotropes;  style  filiforme,  stigmate 
terminal.  A  ce  pistil,  après  la  fécondation,  succède 
un  fruit  nommé  légume,  qui  s'ouvre  en  deux  valves 
à  la  maturité. 

Les  légumineuses!  cœsnlpini"'es  ne  diffèrent  des 
légumineuses  papilionacées  que  par  leurs  tiges 
souvent  flexueuses,  aplaties,  rubanées,  leur  co- 
rolle presque  régulière,  leurs  étamines  libres,  leur 
arille  séminale,  leur  embryon  droit,  aplati,  enve- 
loppé d'un  albumen  corné  de  nature  cellulosique. 

Les  principaux  caractères  qui  séparent  les  lé- 
guminruses  mimo^ées  des  papilionacées  sont 
tirés  :  1°  des  feuilles  qui  soni  le  plus  souvent  ré- 
duites à  des  phylloiles  ;  2°  des  fleurs  qui  sont 
polygames  régulières  et  groupées  en  épis.  Le  ca- 
lice de  ces  fleurs  est  quadri-partit,  à  préfloraison 
valvaire  ;  les  pétales,  en  même  nombre  que  les 
pièces  du  calice,  sont  égaux  entre  eux,  et  tantôt 
libres,  tantôt  cohérents.  Les  grains  de  pollen  sont 
souvent  agglomérés  par  quatre  ou  par  six;  la 
graine  rappelle  beaucoup  celle  des  cœsalpiniées. 
Dans  le  petit  groupe  des  M^ringn,  cette  graine 
triangulaire  présente  trois  ailes  (noix  de  ben.) 

Usages  des  légumineuses.  —  L  —  Huis.  —  Les 
léguniini;uses  dont  le  bois  est  employé  dans  l'in- 
dustrie sont  toutes  originaires  des  pays  tropicaux, 
toutes  sont  arborescentes,  et  la  plupart  atteignent 
des  dimensions  considérables  ;  leur  bois,  très 
dense,  généralement  plus  lourd  que  l'eau,  toujours 
coloré  de  teintes  vives,  duo  grain  très  fin  et  par 
suite  susceptible  d'un  beau  poli,  est  surtout 
employé  dans  l'ébénisteric  pour  la  fabrication  des 
meubles  de  prix.  Les  matières  colorantes  que 
beaucoup  d'entre  eux  renferment  les  font  aussi 


rechercher  comme  bois  de  teinture.  Un  petit 
nombre  fournit  des  matières  résineuses.  Les 
principaux  de  ces  bois  sont  : 

Le  bois  d'a/oés,  qui  est  gris  à  l'état  frais  et  qui 
noircit  sous  l'action  de  l'air.  Il  est  résineux,  aro- 
matique, il  brûle  en  répandant  une  odeur  suave. 
Il  est  originaire  de  la  Cochinchine  ;  son  nom 
botanique  est  Aloexylun  Agallochum. 

Le  bois  de  Ctimpêche  (Hemntoxylon  Cnmpechia- 
tiuni)  est  originaire  des  Antilles  et  de  Campêche  ; 
on  l'appelle  aussi  bois  d'Inde  ;  il  est  odorant  ;  son 
parfum  rappelle  celui  de  l'iris  de  Florence  frais; 
à  l'état  frais,  sa  couleur  est  rouge- brun  pâle.  La 
teinture  extrait  du  bois  de  Campêche  de  belles 
couleurs  noires  et  violettes. 

Le  bo'S  de  Brésd  ou  bois  de  Fernuinboiu: 
[Cœsalpijua  echinata)  est  originaire  du  Brésil  ; 
on  l'emploie  dans  la  teinture  à  cause  de  son  prin- 
cipe colorant  rouge  ;  une  de  ses  variétés  a  reçu  le 
nom  do  bois  de  Sainte-Marthe. 

Le  bois  de  Santal  muge  [Pterocaipus  riraco) 
croît  aux  Antilles  ;  il  est  brun  noirâtre  à  l'exté- 
rieur, rouge-sang  à  l'intérieur.  En  pratiquant  des 
incisions  à  la  surface  de  la  tige  du  Pterocarpus 
Drnco,  on  voit  s'écouler  une  résine  rouge  très  as- 
tringente nommée  Sang-Dragon.  Son  bois  est 
aussi  appelé  bois  de  corad. 

Le  Pierocnrpus  Sant(dinuî  donne  le  bois  de 
Caliatour,  fort  recherché  à  cause  de  sa  couleur 
rouge  foncé  et  de  son  grain  fin  ;  cette  espèce  est 
dé|  ourvue  de  résine. 

Le  bois  a'amaraide  violet  ICopaïfera  bractenta^ 
est  gris  à  l'état  frais;  il  offre  alors  une  odeur 
poivrée  très  forte  ;  sous  l'action  de  l'air  il  prend 
une  teinte  violet  foncé;  de  même  que  son  congé- 
nère le  bois  d'amarante  rouge,  il  est  très  re- 
cherche dans  l'ébénisterie. 

Le  Ijois  de  palissandre  ou  Jacnranda  (Dnlbergia 
latifnliii)  nous  est  expédié  du  Brésil,  de  l'Inde  et 
de  l'Afrique.  Le  plus  estimé  provient  de  Rio-Ja- 
neiro.  Exposé  à  l'air,  il  passe  au  pourpre  foncé,  et 
au  noir. 

Deux  autres  espèces  de  Dnlbergia  fournissent, 
l'une  le  bois  de  rose,  originaire  du  Brésil  et  de 
Cayenne,  et  l'autre  le  bois  violet,  très  recherché  à 
cause  du  mélange  de  ses  deux  teintes  violet-clair  et 
violet  foncé.  Le  bois  violet  ne  peut  être  employé 
qu'en  placage,  parce  que  la  plupart  de  ses  biiches 
sont  cariées  au  centre. 

Le  bois  d'Angico,  que  l'on  substitue  quelquefois 
à  l'acajou,  est  fourni  par  un  acacia  brésilien. 

Le  6-  !S  néphrétiqw  ou  bois  du  Mexique  (Mo- 
riaga  pterigosperma)  est  employé  en  infusion 
conire  les  coliques  néphrétiques. 

Le  bois  de  iirenadille  est  originaire  de  Cuba;  il 
est  surtout  recherché  pour  les  objets  tourrtés. 

Le  bois  de  boco  est  le  bois  de  /er  du  commerce 
[Do'oa  prouasensis)  ;  sa  couleur  est  brun  noirâtre  ; 
il  est  recherché  à  cause  de  sa  grande  résistance. 

On  donne  quelquefois  le  nom  de  bois  de  fer  au 
bois  du  Hobinia  pan  coco;  cependant  ce  dernier 
e^t  plus  spécialement  désigné  soi:s  le  nom  de 
bois  de  perdrix,  qui  lui  vient  des  dessins  formés 
par  ses  zones  alternativement  claires  et  foncées 
et  dont  les  figures  rappellent  une  aile  de  perdrix. 

Le  bois  du  Vou'icapou  [Andira  racem  S'i,  A.  iner- 
mis)  croit  dans  la  Guyane.  Une  de  ses  variétés  est 
nommée  bois  pnlmiste  ;  elle  est  remarquable  par 
ses  dessins  clairs  qui  se  détachent  sur  un  fond 
rouge. 

l,e  bois  de  Coumarou  [Dipterix  odornta)  rap- 
pelle le  bois  de  perdrix,  mais  il  est  rejeté  à  cause 
de  la  facilité  avec  laquelle  il  est  attaqué  par  les 
insectes. 

Le  bo'is  de  Courbaril  [Hymenœa  C-ixtr'^arit)  croit 
à  Mad.igascar  ;  Il  est  extrêmement  solide,  d  une 
couleur  rouge-foncé,  et  malgré  ses  qualités  il  est 
assez  peu  recherché,  parce   que  sa  couleur  est 


LÉGUMINEUSES 


—  1151  — 


KGUMINELSES 


trop  uniforme.  En  pratiquant  dos  incisions  h  la 
surlace  de  VHijnienœa  Courharil,  on  voit  s'ôcouli'r 
une  résine  appelée  copal,  insoluble  dans  l'alcool, 
soluble  dans  l'iiuile  do  lin,  et  dont  on  fait  un  très 
bon  vernis. 

11. —  Ecorces  des  légumineuses.—  Los  principales 
écorces  de  légumineuses  employées  en  pharmacie 
sont  : 

L'éeorc  ci' A  kornoqne  [Bowdic/na  ma/or), que  l'on 
emploie  au  Brésil  contre  l'Iijdropisie. 

Ùécorce  île  narbatimno,  qui  provient  do  plusieurs 
espèces  d'acacias  brésiliens. 

L'écorce  des  Aiidirii,  que  l'on  emploie  comme 
purgatif,  comme  narcotique  et  comme  vermifuge. 

Vécorce  de  Mnss-nna,  qui  est  produite  par 
V Alhizzia  nntJœlminthicit  do  l'Abyssinie;  on  ré- 
duit cette  écorce  en  poudre,  et  cette  dernière  est 
employée  comme  vermifuge. 

111. —  Racines  lies  Uijumineuses. —  La  seule  racine 
de  légumineuse  qui  offre  un  intérêt  spécial  est 
celle  do  la  (•h/cyrrhiza  ylabra,  vulgairement  nom- 
mée réglisse  officinale.  Cette  plante  croît  naturel- 
lement dans  le  midi  do  I  Europe  ;  sa  racine,  que  l'on 
emploie  à  l'état  sec  pour  sucrer  les  tisanes,  nous 
e.st  apportée  de  Sicile  et  d'Espagne.  Quand  elle  est 
bien  conservée,  elle  présente  à  l'intéi'ieur  une  belle 
couleur  jaune;  mais  elle  s'altère  facilement,  et 
son  goût  sucré  fait  place  à  une  âcreté  désagréa- 
ble. On  extrait  de  la  racine  de  réglisse  un  jus  ou 
■^uc  qui  se  vdlJdansle  commerce  sous  forme  de 
bâtons  noirs  cylindriques  aplatis  à,  l'une  de  leurs 
extrémités  par  un  cachet.  Cette  préparation  se 
fait  surtout  en  Italie  et  en  Espagne;  pour  l'obte- 
nir,onfait  bouillir  dans  l'eau  la  racine  de  réglisse, 
et  on  la  comprime  fortement;  la  liqueur  obtenue 
est  évaporée  dans  une  chaudière  de  cuivre.  Lors- 
que l'extrait  est  cuit,  on  le  coule  en  bâtons.  A 
plusieurs  reprises,  on  a  essayé  en  France  de  fa- 
briquer le  suc  de  réglisse  ;  m  avait  obtenu  dans 
rindre-et-Loire  un  produit  capable  de  rivaliser 
avec  le  réglisse  d'Italie;  mais  les  nombreuses  fal- 
sifications dont  il  est  devenu  1  objet  l'ont  bientôt 
fait  abandonner. 

IV.  —  Griiines,  fleurs,  fruits  et  feuilles  des  légu- 
mineuses. —  Plusieurs  légumineuses  ont  des 
graines  farineuses  comestibles,  très  usitées  pour 
l'alimentation  de  l'homme  et  des  animaux  dom«s- 
tiquos.  Telles  sont  celles  des  Imricots  [Phaseolu^) , 
des  /»t)e.  (Faba) ,  àe& pois  (Pisum),  des  /  ois  cliiches 
{Cicer),  des  /upi7is  {Lupinus),des  lentille^  (Ervum); 
une  espèce  particulière  de  lentille,  la  jurasse,  a 
des  graines  vénéneuses.  Le  Doltchos  la'dub  de 
l'Inde  et  le  cliâtniyner  d'Ausira  ie  (Castanosper- 
mum  australe)  ont  aussi  des  graines  farineuses 
comestibles. 

Dans  les  pays  tropicaux  et  plus  particulière- 
ment dans  l'Inde  et  dans  l'Afrique,  les  graines 
luisantes  rouges  et  tachetées  do  noir  do  l'Abrus 
preciitoiius  et  de  VAdnmnthera  pavoniyin  sont 
employées  comme  monnaie,  et  comme  unité  de 
poids  pour  pesor  le  diamant  et  les  métaux  pré- 
cieux; on  les  appelle  alors  karals;  c'est  ainsi  que 
la  valeur  des  diamants  s'évalue  en  karats. 

Les  grrnws  d'Angelin  (Genffroyn  spinulosa) 
sont  administrées  au  Brésil  commo  médicament 
anlhelminUiique. 

La  féoe  lonka  est  produite  par  le  Coumarouna 
odoj'idii.Aont  le  bois  est  appelé  bois  de  Coumaron 
ou  de  Gaiac  en  Guyane.  L'odeur  do  la  fève  tonka 
rappelle  celle  du  mélilot;  on  ne  l'emploie  guère 
que  pour  parfumer  le  tabac. 

Les  graines  de  fenui/r  c  (Trigonelln  fœniim- 
rir,-ecum.\  sont  aromatiques,  amèr'es  ;  on  les  môle 
a  titre  de  stim»4ant  à  l'avoine  des  chevaux. 

héseré  ou  fève  d'épreiv  e  du  Calal>ar  tire  son 
nom  du  rôle  qu'elle  joue  dans  les  épreuves  judi- 
ciaires Aça  naturels  du  golfe  de  Biafra  (Afrique 
occidentale;.   Cattt;  graine   est   produite  par  une 


plante  grimpante  nommée  Physostigmn  venenn- 
sum;  elle  contient  un  principe  vénéneux  très  actif. 

VArachis  liypoi/ea  ou  arac/iî'rfe,  herbe  annuelle, 
ne  mûrit  ses  fruits  que  dans  le  sol;  h  cet  effet, 
silût  après  la  floraison,  ses  ovaires  s'enfoncent 
dans  la  terre  jusqu'à  une  profondeur  do  huit  cen- 
timètres. Li,  chacun  d'eux  forme  une  gousse  qui 
renferme  deux  graines  rouges,  à.  tégument  sémi- 
nal mince;  chaque  graine  est  gorgée  d'une  huile 
qui  rappelle  l'huilo  d'olive  et  dont  on  fait  aujour- 
d'hui un  très  grand  commerce.  La  graine  d'ara- 
chide est  quel(|uefois  nommée  pistache  de  terre; 
elle  est  originaire  du  Brésil.  —  A  Madagascar 
croii  une  herbe,  la  Vomtdz'ia  subferranea,  dont 
les  fiuii s,  comme  ceux  do  l'arachide,  ne  mûrissent 
qu'après  s'être  enfouis  dans  la  terre. 

La  graine  du  l;olic/ios  urcns  est  arrondie  et  pré- 
sente à  sa  surface  une  grande  tache  noire  qui  la 
fait  ressembler  vaguement  à  un  œil;  de  \h,  l'épi- 
thète  d'œil  de  bourrique  qu'on  lui  donne  quel- 
quefois. La  gousse  du  Dnlichos  itrens,  comme 
celle  du  Dolichos  pruriens,  est  couverte  de  poils 
piquants  dont  le  contact  sur  la  peau  provoque  des 
démangeaisons  insupportables  :  aussi  nomme-t-on 
quelquefois  ces  plantes  des  pois  à  gratter.  La 
plupart  des  dolichos  sont  américains. 

La  pulpe  du  tamarin,  fruit  du  Tnmnrinier  [Ta- 
marindus  Indica]  est  utilisée  comme  laxatif.  Ce 
fruit,  conservé  dans  le  sirop  qu'on  extrait  du  fruit 
du  caroubier,  donne  une  sorte  de  conliture  que 
l'on  consomma  en  Egypte. 

Le  genre  Cnssia  fouinit  deux  sortes  de  produits 
purgatifs;  les  uns,  nommes  casse,  sont  les  fruits 
du  Cnssia  fistula  ou  caneficier,  grand  arbre  de  l'A- 
mérique tropicale;  les  autres  sont  désignés  sous 
le  nom  de  séné;  toutes  les  espèces  qui  produisent 
le  séné  sont  semi-ligneuses.  Le  séné  est  formé 
soit  par  des  follicules,  soit  par  do»  feuilles.  Le 
Cassiit  obovata  et  le  Cassia  angu^lifolia  ne  don- 
nent que  des  sénés  de  qualité  inférieure.  Le  pre- 
mier est  désigné  dans  le  commerce  sous  les  noms 
de  séné  de  Syrie,  séé  d'Al''p,  séné  de  Sénégal; 
il  entre  aussi  en  notable  proportion  dans  le  mé- 
lange appelé  séné  de  In  palte.  Le  cassia  angusti- 
fidia  est  vendu  dans  lo  commerce  sous  les  noms 
de  séné  de  l'Indi-  et  de  séné  moka. 

Le  Cassia  lenitivn,  le  plus  recherché  des  sénés, 
présente  deux  variétés,  la  variété  aaitiiolia  et  la 
variété  obtusata  ou  éthiopien  ;  la  première  croît 
plus  spécialement  en  Egypte,  la  secomle  en 
Ethiopie.  Ces  deux  variétés,  mêlées  au  CnS'ia 
obovata,  forment  le  siné  de  la  palte.  Ce  nom 
lui  a  été  donné  h  cause  d'un  impôt  appelé  palte 
qu'on  prélevait  autrefois  sur  ce  produit.  Ce  séné 
est  apporté  par  les  Arabes  k  Syène  et  à  Esné, 
et  de  là  dirigé  sur  Boulacq  qui  est  l'entrepôt  gé- 
néral. 11  arrive  chaque  année  environ  1(1,000  quin- 
taux de  séné  h  Boulacq.  Les  Arabes  de  Syène  fal- 
sifient le  séné  avec  des  fouilles  d'arguel  [l'ynnn- 
chum  arge'},  plante  de  la  famille  des  Asclépiadées, 
dont  les  feuilles  chagrinées  purgatives  sont  en 
môme  temps  vénéneuses  ;  de  là,  la  nécessité  de 
purifier  le  séné  en  en  retirant  l'arguel.  A  Bou- 
lacq, on  sépare  les  folliciilos  des  feuilles  du  séné. 
A  Marseille,  on  mole  qneUiuefois  aux  feuilles  de 
séné  des  feuilles  de  m/ou/ {CocwWa  my'  tifoiia), 
qui  sont  extrêment  vénéneuses.  Le  Cassia  selldo- 
pica  se  trouve  aussi  dans  le  commerce  sous  le  nom 
de  séné  de  Tripoli;  il  vient  alors  du  Fezzan. 

Certaines  légumineuses  sont  cultivées  comme 
fourrages  pour  les  bestiaux  ;  ce  sont  :  lo  tièflc 
(Trifoliurii),  la  luzerne  [Medicaijo  sativii).\<i  sain- 
foin (Onobri/chiK),  le  mélilot [Melitotics  officiniiH'). 
Ce  diuMilor  est  recherché  surtout  à  cause  de  son 
odour  agréable. 

Le  geniH  dis  Icinturiers  (Qinista  tinetnria]  a  été 
utilisé  autrefois  pour  la  teinture  en  jaune  ;  il  est 
aujourd'hui  remplacé  par  la  gaude. 


LEGUMINEUSES 


—  1152  — 


LETTRES 


V.  —  Siics-  'les  légumineuse<!.  —  On  extrait  des  ]  plantes  sont  chargées  de  poids  et  le  tout  est  cou- 
fruits  Ytrts  de  VAcacia  nilol  en  un  suc  astringent,  I  vert  d'eau  ;  on  laisse  fermenter  jusqu'à  ce  qu'on 
amer,  qui  est  le  vrai  suc  d'acacia.  Cette  matière  j  voie  se  former  une  écume  irisée  à  la  surface  de 
était  fort  recherchée  dans  l'ancienne  pharmacie  ;  i  la  liqueur;  on  soutire  l'eau  qui  est  fortement 
elle  a  disparu  du  commerce  depuis  1830  ;  elle  est  ]  aérée  ;  de  verdàtre  qu'elle  était,  la  liqueur  devient 
remplacée  paruh  extrait  des  fruitsverts  du  prunier  I  bleue  sous  l'action  de  l'oxygène  de  l'air;  la  raa- 
sauvage  d'Allemagne,  vendu  sous  le  nom  û'am  iu  tière  colorante  bleue  est  absorbée  par  la  chaux. 
noslras,  mais  qui  ne  jouit  d'aucune  des  propriétés  Pour  l'avoir  à  l'état  de  pureté,  il  suffit  de  traiter  le 
du  suc  à'Ac"(-iii  nitoticu.  Cette  substance  doit  être  précipité  terreux  par  un  acide.  L'indigo  sec  pré- 
d'autant  plus  rejetée  qu'il  est  facile  de  préparer  sente  une  couleur  bleu  foncé,  une  cassure  uni- 
le  véritable  suc  d'acacia  avec  les  fruits  de  VAc  nia  forme,  fine  ;  il  prend  un  éclat  cuivré  par  le  frot- 
urabica  vendus  dans  le  commerce  sous  le  nom  de  tentent  de  l'ongle.  —  V.  Coloraiite":  (Matières). 
t/ubla/is.  Les  Indigof'eru  sont  originaires  du  Mexique. 

Dans  l'Inde,  on  prépare  avec  VAcicVi  catechu  On  peut  aussi  extraire  de  l'indigo  de  VIsatis 
une  pâte  masticatoire  astringente  que  l'on  môle'  <ùic(oî-io,  vulgairement  nommé  pasti-l  (famille  des 
à  de  la  chaux  et   que  l'on  roule  dans  des  feuilles  i  Crucifèresl.  (C.-E.  Bertrand.] 

de  bétel.  Ces  rouleaux,  que  les  Indiens  nomment!      lûoI'OLD  1  et  II.  — V.  Habsbourg. 


LIÎI'inOPTERES.  —  V.  Papillons. 

LE1THES.  —  Grammaire,  111.  —  On  appelle 
lettres  (du  latin  litttru)  les  signes  qui  représen- 
tent les  différents  sons  du'  langage  et  qui  servent  à 
former  les  mots. 

On  considère  deux  choses  dans  les  lettres  :  le 
son  ou  la  prononciation,  et  le  caractère  ou  la  figure. 
Nous  ne  nous  occuperons  ici  que  des  figures.  (Pour 
le  son,  V.  Prononciation.) 

La  réunion  de  toutes  les  lettres  d'une  même 
langue  s'appelle  alpliabet.  (De  même  que  nous 
disons  en  français  l'ABC  pour  dire  l'alphabet,  les 


bétel,  ont  pour  effet  de  combattre  le  ramollissement 
des  gencives  et  la  chute  prématurée  des  dents  ; 
ils  ont  l'inconvénient  toutefois  d'exagérer  la  sé- 
crétion salivaire  et  de  teindre  les  dents  et  les  os 
en  rouge. 

On  donne  le  nom  de  kino  au  suc  desséché  du 
Pterocarpus  erinaceus  et  à  celui  du  Butea  l'ron- 
ilosii. 

VL  —  Gommes  de  légumineuses.  —  On  appelle 
gommes  des  substances  solides  transparentes,  so- 
iubles  dans  l'eau  ou  susceptibles  de  se  gonfler 
sous  l'action  de  ce  liquide,  et  qui  se  transforment 

en  acide  mucique  sous  l'action  d'un  corps  oxydant.  '  Grecs  disaient  l'AB,  c'est-à-dire  l'alpha  et  le  bêta 
Les  légumineuses  produisent  un  grand  nombre  qui  désignent  en  grec  les  deux  premières  lettres, 
de  gommes.  Parmi  les  principales,  nous  citerons  :  i  d'où  les  Romains  ont  tiré  le  mot  aipliabelwn,  qui 
\a.gomme  arubiijue,  qui  n'est  autre  chose  que  le  suc  est  devenu  en  français  ali'habet.) 
séché  eiio\\&Viè  iei  Aiacia  nilotica.  Acacia  ara- \  L'alphabet  français  est  composé  de  25  lettres 
bica.  Acacia  verek.  Acacia  gummifera.  La  gomme  I  rangées  dans  cet  ordre  :  a,  b,  c,  rf,  e.  /',  g,  h,  i,  J, 
arabique  est  soluble  dans  l'eau;  lorsqu'elle  de-  \  k,  I,  m,  n.  o,  p,  rj,  r,  s,  t,  u,  v,  x.y,  z.  Pourquoi 
meure  longtemps  exposée  à  l'air,  sa  surface  est  notre  alphabet  suit-il  cet  ordre  bizarre  où  les  con- 
toute  craquelée.  i  sonnes    et   les    voyelles  sont   jetées    pêle-mêle'? 

La  gomme  adragante,  qui  s'écoule  de  YAstraga-  Parce  que  ces  lettres  viennent  du  latin,  langue 
lus  vents,  est  blanche,  compacte,  translucide,  ,  dont  l'alphabet  était  déjà  disposé  dans  le  même 
cornée,  insoluble  dans  l'eau;  elle  résulte  de  la  '  ordre.  Les  Romains  tenaient  leur  alphabet  des 
gélification  des  parois  des  cellules  de  la  plante,  et  j  Grecs,  les  Grecs  avaient  reçu  le  leur  des  Phéni- 
se  montre  comme  un  produit  morbide  de  l'organi-  ciens. 
sation  végétale.  Tous  les  sons  de  la  langue  française  sont  divisés 

La  gomme  de  Sassa  ou  de  Bassora,  qui  res- i  en  deux  classes  :  les  voijelles  et  les  consonnes. 

semble  beaucoup  à  la  gomme  adragante,  est  un  |      i»   Voyelles.   —  Les  voyelles  (du  latin  vucalis, 

mélange  de  gomme  à'Inya  et  de  gomme  à.'A'^tra-  •  vocal,  qui  émet  une  voix,  un  son)  sont  les  lettres 

galus  yummifer.  —  (V.  Gommes.)  \  qui  ont  par  elles-mêmes  une  voix,  un  sim.  Il  y  a 

Vil.  —  Proiluits  résineux  et  balsamiques  des  lé-  \  cinq  voyelles  simples  en  français  :  a,  e,  i  (ou  y), 

gummeuses.  '  o.  u.  Ces  voyelles  sont  représentées  par  une  seule 

On    appelle  7-ési?ie   copal  ou  résine   anim"'  la    lettre  ;    mais  il  y  a   aussi   d'autres  sons  simples 

résine  produite  par  l'H;/menœa  verrucosa  de  Ma-    représentés  par  plusieurs  lettres,  pt  qu'on  appelle 

dagascar;  cette  résine  s'enllamme  facilement,  fond    pour  cette   raison  voyelles  composées.  Ce  sont  eu 

à  une  douce  chaleur,  et  son  odeur  rappelle  celle    et  ou   Ces  voyelles  ne  sont  composées  qu'en  appa- 

du  bois  d'aloès.  \  rence,  pour  les  yeux,   mais  non  pour  l'oreille  à 

Le  Copaï/era  officinalis  est  un  arbre  de  l'Ame-  |  laquelle  elles  offrent  un  son  unique,  eu.  ou,  aussi 

rique  centrale  qui  produit  un  baume   résineux,  !  simple  que   celui  de  a  ou  de  o.  Volney  dit  à  ce 

fluide,  appelé  baume  de  copahii.  Mêlé  avec  de  la    sujet  :  et  Beauzée,  et,  avant  lui,  l'abbé  Dangeau, 

magnésie  calcinée,  ce  baume  se  durcit  rapidement;  I  eut  le  mérite  d'établir  si  clairement  ce  qui  con- 

il  est  très  employé  en  médecine.  !  stilue  la  voyelle,  que  la  majorité  des  académiciens 

Les  arbres  du  genre  Muroxi/lon  laissent  exsuder    ne  put  se  refuser  à  reconnaître  pour  telles  les  pré- 

à  leur  surface  une  liqueur  transparente  plus  ou    tendues  diphthongues  ou.  en.  qui   réellement  ne 

moins  colorée  que  l'oi.  appelle  bannie  -'e  Pérou;    sont  pas  diphthongues,  mais  digramnies,  c'est-à- 

une  variété  de  ce  baume  s'appelle  baume  de  Tolu;    dire  doubles  lettres.  »  Quant  à  la  voyelle  ou,  re- 

il  est  employé  en  médecine  comme  calmant.  |  marquons,  en  passant,  qu'elle  est  représentée  dans 

VIII.  —  Indigo.  —  Vimligo  est  une  matière  colp-  '  toutes  les  langues  de  l'Europe,  excepté   le  grec, 

rante   que  l'on   retire   des   feuilles    d'un  certain    par  un  seul  signe. 

nombre   de  légnm  neuses    nommées  Iniligolca;       Toutes  les   voyelles   peuvent   être   brèves    ou 
les  principales  espèces  sont  :  1'/.  argenten,  l'I.  dif-  \  jono-uos,  selon  qu'on  les  prononce  vite  ou  lente- 
perrru,  VI.  anii.  La  planif  qui  fournit  l'indigo  est  ;  ment;  ainsi  a  est  bref  dans  patte  et  il  est  long 
bisannuelle;  mais  en  général,  on    l'épuisé  dès  la    j^jj^  pâte.  De  même  : 
'  première  année  ;  on  la  sème  tous  les  ans  en  mars;  ' 


deux  mois  phis  tard,  on  fait  une  première  récolte, 
deux  mois  après,  une  autre,  et  quelquefois  une 
troisième  dans  le  courant  de  la  même  année.  La 
plante  est  coupée  avec  des  faucilles  et  déposée  par 
couches  dans  une  très  grande  cuve  appelée  Irein- 
poir  ;  la  cuve  est  remplie  aux   trois-quarts,  les 


e    est  long  dans  béte     et  bref  dans  jette 
i  —  gite  —  petite 

u  cote  —  décote 

u  —  fliite  —  t"ittc 

eu  —  heure  —         y^" 

ou  —  voàle  --  'O""- 


LETTRES 


—  H53  — 


LETTRES 


11  est  assez  difflcile  de  dire  dans  quels  cas  pré- 
cis on  sait  on  français  qu'une  voyelle  est  brève  ou 
longue.  Toutefois,  il  faut  observer' que  les  voyelles 
marquées  de  l'accent  circonflexe  (qui  remplace 
presque  toujours  une  s  éliminée  par  l'orthographe 
moderne)  sont  longues.  Il  y  a  en  outre  une  règle 
pour  les  avant-dernières  syllabes  :  les  voyelles  en 
sont  ordinairement  brèves  quand  elles  sont  suivies 
<rune  consonne  double  :  p\tti\  bvtte,  fvompEtte, 
/jElte,  etc.,  sauf  quand  cette  consonne  double  est 
rr,  comme  dans  terre,  serre,  verre,  qui  sont  longs. 
Il  n'y  a  rien  à  remarquer  sur  a  et  i;  mais  e,  o, 
■eu  et  y  nécessitent  (|uelques  observations. 

La  lettre  e  sert  .\  marquer  en  français  trois  sons 
tout  h  fait  différents  : 

1°  Un  son  sourd  que  l'on  appelle  e  muet,  parce 
qu'il  est  le  plus  faible  de  tous  nos  sons  français. 
•C'est  cet  e  que  l'on  entend  b,  peine  dans  vE/nr, 
tEnir,  et  qui  devient  tout  à  fait  nul  dans  appElrr, 
élEver,  pèlEriyi,  charrElier,  que  nous  prononçons 
en  réalité  :  np'ler,  'il'ver,  pél'rin,  char'tier. 

2°  Un  son  aigu  que  l'on  appelle  e  fermé,  comme 
dans  aimÉ,  hiintÉ.  Le  son  de  cet  e  est  ordinaire- 
ment marqué  par  le  petit  signe  ('),  qu'on  appelle 
accent  aigu,  excepté  dans  les  mots  comme  pied, 
clef,  nez,  rocher,  aimer,  où  le  son  fermé  est  amené 
par  la  consonne. 

3°  Un  son  très  ouvert  que  l'on  entend  dans 
terre,  mer,  enfer,  procès,  succès.  On  appelle  cet  e 
Ve  ouvert,  et  on  le  distingue  ordinairement  par  le 
petit  signe  ('),  qu'on  appelle  accent  grave. 

On  ne  met  pas  d'accent  quand  l'e  ouvert  est 
■suivi  de  deux  consonnes  (comme  dans  pEste,  lEste} 
ou  qu'il  termine  le  mot  et  est  suivi  d'un  r  sonore 
(comme  dans  fEr,  vEr,  aniEr).  Ce  son  de  e  ouvert 
est  aussi  rendu  tantôt  par  ni  (comme  dans  c/au-, 
■éclkir,  qui  se  prononcent  réellement  clère, 
écUre),  tantôt  par  ei  (comme  dans  pEine,  Sei?îi?, 
que  l'on  prononce  pêne,  sène).  —(Pour  l'emploi 
des  accents  grammaticaux  et  l'influence  de  l'accent 
tonique  sur  les  syllabes  muettes  ou  sonores,  V. 
AcceiitU'ition.) 

Rien  à  remarquer  sur  o  bref  [dévote,  note).  De 
même  que  le  son  de  è  ouvert  est  exprimé  à,  la  fois 
par  è  [succès),  e  [enfEr),  ai  (clAir),  ei  [SEUie),  — 
le  son  de  o  long  est  exprimé  en  français  h  la  fois 
par  ô  [viitre,  apôtre)  et  par  au  ou  eau  tcomme  dans 
.VfXtrer,  épEkvtre,  Autel,  /jEAvté). 

Le  digramme  au  se  rencontre  le  plus  souvent 
■dans  les  mots  où  se  trouvait  en  latin  la  syllabe  al  ou 
et.  Ainsi  les  mots  latins  alba,  patina,  tiellum,  de- 
vmrent  d'abord  alhe,  palme,  bel,  dans  notre  vieille 
langue,  qui  plus  tard  adoucit  l  en  u,  d'où  aube, 
paume,  beau,  dans  lesquels  au,  eau  sont  pronon- 
cés ô  (de  même  que  le  latin  au,  lui  aussi,  a  été 
.prononcé  puis  écrit  o  en  français,  dans  or  do  au- 
rum,  clos  de  clausiis,  chose  de  causa,  etc.). 

Comme  è  ouvert  et  comme  ô,  la  voyelle  eu  est 
■•in  son  simple  qui  est  représenté  en  français  par 
qui^tre  formes  différentes,  savoir  :  eu  comme  dans 
/lEVre,  n:u  comme  dans  boEVf,  soEur,  œuf;  œ  comme 
dans  OEil;  et  enfin  ne,  comme  dans  accvEille,  cvEille. 
«rrjvEil,  etc.,  quWi,  prononcent  comme  s'ils  étaient 
^crits  wcœuille,  cœuiUc,  «t.c.  Remarquons  cepen- 
oant  que  œ  suivi  d'une  consonne  se  prononce  é  : 
iJILclipe,  OEcuménir/ue,  etc. 

«  0  bref  latin  devient  eu  en  français,  comme  dans 
riEufie  novem;  mais  enire  o  et  le  français  eii,  ily 
a  les^intermédiaires  du  vieux  français  qui  sont  uo 
au  X  siècle,  ue  au  xi«  siècle,  puis  oe  au  xii', 
eu  au  xiv«.  Ainsi  7iovem  donne  successivement 
nuef  au  xi«  siècle,  iwef  au  xii',  neuf  au  xiV. 
yuelques  mots,  comme  accueillir,  sont  restés, 
dans  1  orthographe,  à  l'étage  ue  et  n'ont  pas  suivi 
la  transformation  en  eu;  d'autres,  comme  œil, 
sont  restes  à  l'étage  oe  contracté  en  œ;  enfin  les 
mots  comme  i.mif,  sœur,  etc.,  sont  un  compro- 
mis entre  1  orthographe  du  xii=  siècle  en  oe  et 
2'  p*nTiE. 


celle  du  xiv"  en  eu.  De  oe  plus  eu,  on  a  com- 
posé le  groupe  bizarre  œu,  qui  a  persisté  dans  les 
mots  tels  que  sœur,  cœur,  etc.  »  (Brachet,  Nou- 
velle grammaire.) 

y,  dans  le  corps  d'un  mot  et  précédé  d'une 
voyelle,  se  prononce  comme  deux  i  :  pays,  moyen, 
joyeuv,  qui  se  prononcent  pai-is,  moi-ien,  joi- 
ieux. 

Dans  tous  les  autres  cas  il  se  prononce  comme 
i:  yeux,  analyse, jury. 

Diphtiiongues.  —  On  appelle  diphthongue  la 
réunion  de  deux  voyelles  qui  se  prononcent  par 
une  seule  émission  de  voix,  comme  ui  dans  hui- 
leux, m,  composé  des  deux  voyelles  u  et  i,  est  une 
diphthongue. 

Diphthongue  vient  du  mot  latin  diphthongus, 
qui  a  été  emprunté  au  grec  et  qui  signifie  :  deux 
sons. 

Les  principales  diphthonguos  sont  ia,  ie,  io,  oi, 
ue,  ui,  oua,  oue,  oui.  Ex  :  piAno,  pvEd,  pioche, 
roi,  etc. 

Voyelles  nasales.  —  Toute  voyelle  suivie  de 
deux  consonnes  dont  la  première  est  m  ou  n, 
comme  o  dans  tomber  ou  coûter,  est  prononcée  en 
punie  par  le  nez,  et  est  alors  appelée  voyelle  nasale. 

Los  voyelles  nasales  étaient  inconnues  aux  Ro- 
mains, qui  prononçaient  toujours  sonores  les 
voyelles  suivies  de  m  et  de  «.  Noire  langue  ne  les 
connaissait  pas  non  plus  à  sa  naissance  ;  ce  n'est 
guère  qu'à,  la  fin  du  onzième  siècle  que  ces  voyel- 
les sont  devenues  nasales  en  français. 

U  en  est  de  même  quand  n  ou  m  terminent 
le  mot,  comme  dans  an,  en,  vin,  ton,  un,  daim, 
nom,  etc. 

Les  principales  voyelles  nasales  sont  an,  en; 
in,  ain,  aim,  ein  ;  on;  un,  eun,  que  nous  re- 
trouvons dans  pan,  Entrer;  —  vis,  ferrAi^,moyEN, 
/■(•EIN,  moutoN;  importun,  (à)  ,/eun.  Ajoutons 
encore  um,  am,  em,  im,  oin,  devant  un  b  ou 
un  »,  ou  comme  syllabe  finale  .■  parfum,  Uam,  am- 
poiile,  Eubarras,  mpctueux,  oubre. 

Mais  -i  n  ou  m  sont  suivies  d'une  autre  voyelle, 
il  ne  se  produit  pas  de  voyelle  nasale  :  ainsi  an 
n'est  pas  nasal  dans  /jANai-,  ni  en  dans  niEner,  ni 
in  dans  fi^ir,  ni  ott  dans  monarque,  ni  un  dans 
chacune,  etc.  Il  en  est  de  môme  quand  ti  ou  m 
sont  suivis  d'un  second  non  d'un  second  m  :  ainsi 
an  n'est  pas  nasal  dans  Asnuel  ;  de  même  en  reste 
sonore  dans  ENnemi,  on  dans  tonner,  etc. 

2"  Consonnes.  —  Nous  avons  dix-neuf  consonnes 
en  français  :  6,  e,  d,  f,  g,  h.  j,  k,  I,  m,  n,  p,  g,  r, 
s,  t,  V,  X,  z.  On  appelle  ces  lettres  consonnes,  du 
mot  latin  cnnsona  iqui  se  prononce  avec,  à  l'aide 
de),  parce  que  les  grammairiens  romains  croyaient 
que  l'on  ne  pouvait  jamais  prononcer  une  consonne 
sans  le  secours  d'une  voyelle. 

Plusieurs  de  ces  consonnes  expriment  un  même 
son  :  ainsi  k,  c,  q,  rendent  tous  les  trois  le  son 
dur  du  c  :  Kanatoès,  cavalier,  iiualifier;  —  s  et  c 
ont  le  même  son  dans  sertir  et  cervelle;  —  j  et,  g 
dans  l'ai  et  oeai,  ioli  et  neâlie--;  —  2  et  s  dans 
zéro  et   déserteur  fque  l'on  prononce  dé:erteur). 

U  faut  ajouter  à  ces  19  lettres  les  consonnes 
composées  ch,  ph,  th. 

Ch  a  une  sorte  de  son  chuintant  que  l'on  en- 
tend dans  CH'iHvre,  cairurgie,  cuenille,  etc. 

l'h  et  th  ont  le  son  de  fett  dans  les  mots  dé- 
rivés du  grec  :  milosopae,  tuème,  l'uilipjie,  Tuéo- 
pHiVe. 

Le  U)  n'est  pas  une  lettre  française,  mais  il 
se  rencontre  souvent  aujourd'hui,  grâce  à  l'inva- 
sion des  mots  étrangers  dans  notre  langue.  Dans 
les  mots  anglais  il  se  prononce  ou  :  whiit,  whiq, 
ir(im\yay  (prononcez  ouiste ,  ouig ,  Irarnouai). 
Dans  les  mots  allemands,  il  se  prononce  v  : 
Westplialie,  W'eimar  (prononcez  Ve.Hpha'ie,  Vei- 
mac]. 

«  Les    sons,  dit  M.   Ayer,  sont  dits  articulés, 
7.3 


LETTRES 


—  1154 


LEYEU  DES  PLANS 


parce  que  la  voix,  en  sortant  du  larynx,  est  sou- 
mise, dans  son  passage  par  la  bouclie,  h  l'action  du 
gosier,  de  la  langue  ou  des  lèvres,  qui  la  trans- 
formtwt  en  sons  de  forme  déterminée.  » 

Les  consonnes  sont  produites  par  trois  organes 
différents  :  le  gosier,  les  dents,  les  lèvres. 

Les  consonnes  c,  k,  q,  rj.  Ci,  qui  sont  produites 
par  le  gosier,  sont  pour  cette  raison  appelées  gut- 
turales (du  latin  guttur,  gosier). 

C  et  g  ont  un  double  son,  dur  devant  les  voyel- 
les a,  o,  u  (comme  dans  camarade,  corridor,  cii- 
muler;  cain'n,  aohetet,  cutturat),  —  doux  devant 
les  voyelles  e  et  2  (comme  dans  cerveau,  cirer; 
Germer,  cibier). 

T  et  d,  qui  se  prononcent  à  l'aide  des  dents,  sont 
pour  cette  raison  appelées  dentales. 

S,  c  doux  (devant  e  et  i),  ç.  z,  sont  appelées  con- 
sonnes sifflantes.  S  entre  deux  voyelles  a  le  son 
du  z  :  poi!ion,bise,  raison. 

P,  b,  f,  V,  qui  sont  produites  à  l'aide  des  lèvres, 
sont  pour  cette  raison  appelées  labiales  (du  latin 
labia,  lèvres). 

L  et  r  sont  appelées  liquides,  parce  que  ces  deux 
lettres  se  joignent  facilement  aux  autres  conson- 
nes, telles  que  p,  b,  c,  g,  comme  dans  ttnine.  b\,nn- 
rhe,cuimi'iir,g\.oire, — /memipr,  bi\uit,CRoire,gRan- 
dir.  Liquide    vient    du   latin    liquidus  {coulant). 

M,  71,  suivies  d'une  autre  consonne,  comme 
dans  toTiber,  '  o^iter,  donnent  un  son  nasal  à  la 
voyelle  qui  précède  et  sont  appelées  pour  cette 
raison  consonnes  nasales. 

La  liquide  /  et  la  nasale  n  se  mouillent  dans 
certains  cas,  c'est-à-dire  qu'elles  sont  alors  suivies, 
dans  la  prononciation,  d'un  i  très  faible,  que  l'on 
entend,  par  exemple,  dans  cnmpacNard,  travaiLie. 

X  est  une  consonne  double,  qui  se  prononce 
tantôt  comme  es  [lii\ueui),  tantôt  comme  gz 
[examen).  Elle  peut  avoir  aussi  le  son  du  c  simple  : 
esce/lent,  exception;  le  son  de  Vs  :  six,  dix, 
Bruxelles,  Auxerre;  du  /.-,  \érés;  enfin  du  :  ;  dix- 
huit,  dixième,  etc.  Cette  équivalence  de  j:  et  de  s 
explique  pourquoi  les  mots  terminés  au  singulier 
par  X,  comme  heureux,  voix,  prix,  ne  changent  pas 
au  pluriel  :  les  heureux,  les  vnix,  les  prix. 

La  consonne  ii  est  muette  ou  aspirée  :  1°  Elle 
est  muette  lorsqu'elle  ne  se  fait  pas  sentir  dans  la 
prononciation.  Exemple  :  V^ornme,  Vaabitude , 
qu'on  prononce  comme  s'il  y  avait  Votne,  l'abitude. 
'—  2"  Elle  est  aspirée  lorsqu'elle  empêche  l'éli- 
sion,  comme  dans  la  Hnne  (ne  prononcez  pas 
Vliaiyie),  ou  la  liaison,  comme  dans  les  aéros  (ne 
prononcez  pas  les  zlier'^s  . 

LVi  latine  éiait  fortement  aspirée,  à  la  manière 
flç  Vil  allemande  ou  anglaise.  Cette  aspiration  se 
perdit  en  français,  ce  qui  amena  la  dispariiion_  de 
h,  comme  dans  avoir  dO  Galère,  on  de  nomo.  L'an- 
cien français  écrivait  de  même  orne  de  homo, 
abit  de  ha'iitus,  eure  de  hoia;  vers  le  xv'  siècle, 
les  latinistes  et  les  clercs  rendirent  à  ces  mots  l'A 
latine,  d'où  homme,  hubit ,  heure  ;  mais  ils  ne  pu- 
rent leur  rendre  la  prononciation  latine  de  h  que 
le  français  avait  abandonnée  dès  l'origine. 

[J.  Dussoucliet.] 

LETTRi;S.  —  V.  Epistolaire  {genre). 

LEVER  DES  PLAINS.  —  Arpentage,  V-VIl , 
X-Xl.  —  1.  Le  but  de  cette  opération  est  de  repré- 
senter sur  une  surface  plane  la  projection  horizon- 
tale d'une  certaine  portion  de  terrain.  Pour  cela, 
on  choisit  sur  son  contour  un  certain  nombre  de 
points  remarquables  que  l'on  joint  par  des  droites 
consécutives;  res  droites  forment  les  côtés  d'un 
polygone  auquel  on  donne  le  nom  de  //o^  goiie 
topograp  'lique.  On  lève  d'abord  avec  soin  le  plan 
de  ce  polygone,  et  l'on  y  rapporte  les  autres 
points  remarquables  du  terrain,  auxquels  on  rat- 
tache ensuite  les  menus  détails.  On  suit  pour  cela 
diverses  méthodes  qui  dépendent  de  la  nature  du 
jerrain,  des   instruments  que  l'on  a  à  sa  disposi- 


tion, et  du  degré  d'exactitude  que  l'on  veut  obtenir. 

Dans  toutes  ces  méthodes,  on  a  au  moins  une 
ligne  droite  à  mesurer  directement.  Après  l'avoir 
jalonnée,  on  la  mesure  i\  la  chaîne,  plusieurs  fois 
s'il  est  nécessaire,  afin  d'être  sûr  du  résultat,  au 
degré  d'approximation  que  comporte  l'instrument 
employé.  Cette  ligne  est  alors  ce  que  l'on  appelle 
une  base;  et  c'est  de  l'exactitude  de  sa  mesure 
que  dépend,  pour  la  plus  grande  partie,  la  fidélité 
du  plan.  —V.  Arpentage  (Instruments  d'). 

2.  —  Lever  a  l.\  chaîne.  —  Quand  le  terrain  est 
sensiblement  horizontal,  découvert,  et  facilement 
acces.sible  en  tous  ses  points,  on  peut  en  lever  le 
plan  i  l'aide  de  la  chaîne  seule.  Cette  méthode 
consiste  à  diviser  le  terrain  en  triangles  dont  on 
mesure  directement  tous  les  côtés. 

On  prend,  sur  le  terrain  même,  un  croquis  ap- 
proximatif, sur  lequel  on  consigne  le  résultat  de 
ses  mesures;  ce  croquis  servira  plus  tard  de  base 
à  la  mise  au  net  du  plan,  comme  nous  le  verrons 
plus  loin. 

.3.  —  Leveh  a  la  CHAINE  ET  A  l'équerre.  —  Dans  les 
mêmes  circonstances,  si  l'on  dispose  d'une  équerre 
d'arpenteur,  on  peut  opérer  le  lever  d'une  ma- 
nière plus  sûre,  et  surtout  plus  commode  pour  la 
mise  au  net.  On  joint  par  une  ligne  droite  jalonnée 
deux  points  remarquables  du  terrain,  et  suffisam- 
ment distincts  l'un  de  l'autre,  par  exemple  les 
deux  sommets  les  plus  éloignés  du  polygone  topo- 
graphique;  et,  de  tous  les  autres  points  remarqua- 
bles du  terrain,  on  abaisse  sur  cette  directrice  des 
perpendiculaires.  On  mesure  ces  perpendiculai- 
res, ainsi  que  la  distance  entre  le  pied  de  chacune 
d'elles,  et  un  point  fixe  pris  sur  la  directrice;  ces 
deux  longueurs  suffisent  pour  fixer  sur  le  plan  la 
position  de  chaque  point,  et  permettent  de  le 
rapporter  avec  sûreté  sur  le  plan. 

4.  —  Lever  a  la  planchette.  —  Dans  cette  mé- 
thode, il  faut  d'abord  se  procurer  une  bas<!  AB 
(fig.  1),  choisie  de  manière  que,  de  ses  entremîtes. 


rig.  1. 

on  puisse  apercevoir  tous  les  points  w^P^t^^J^^," 
terrain,  et  particulièrement  les  sommets  du  po 
ygone  topographique.  On  trace  sur  a  fe"«f  « 
une  droite  «6  qui  représente  AB  M  eÇl'e  ■";f  "'^'d^ 
On  place  la  planchette  "»;-»;;  tverUcIle  d^  It 
Zt:Z^ir^^^^  les  oin  s  C,  D,  E,  etc. 
oue  on  veut  représenter  sur  le  plan,  et  .,u  ont 
ri'pUalaWemen''t.désignéspardesalo^ 

faut  de  tout  autre  signal  et  1  ""/^ff^'.p' directions 
fc-'^l^'^-rèt^'ri'aTd  Ye^aŒ-co^^^^^^^^^ 

?"é  *uW  nf  bL'  On  trat  avecV^lidade,  les  di- 
A,  B,  C,  D,  E,  etc.,  du  terrain. 


LEVER  DES  PLANS   —  MSo  —   LEVER  DES  PLANS 


Cette  métliodo  n'est  pas  susceptible  d'une 
grande  précision  ;  mais  elle  est  expéditive.  Il  faut 
seulement  qvi'aucun  point  important  du  terrain  ne 
se  trouve  trop  pr6s  de  la  base  ou  de  son  prolonge- 
ment, parce  que  ces  points,  obtenus  alors  par 
l'intersection  de  deux  droites  faisant  entre  elles 
un  angle  très  aigu  ou  très  obtus,  seraient  mal  dé- 
termines. 

Cet  emploi  de  la  plancbetto  est  connu  sous  le 
nom  do  méthodi;  par  intersections.  La  métbode 
n'exige  d'autre  mesure  directe  que  celle  de  la  base. 
Mais  la  planchette  peut  encore  être  employée  de 
deux  autres  manières. 

ô.  —  S'il  existe  dans  l'intérieur  du  terrain  un 
point  d'où  l'on  puisse  apercevoir  tous  les  antres, 
on  y  transporte  la  planchette  :  et,  par  le  point  de 
la  feuille  situé  sur  la  verticale  du  point  de  station, 
on  trace,  à  l'aide  de  l'alidade,  les  rayons  visuels 
dirigés  vers  lous  les  points  remarquables  du  ter- 
rain. On  jalonne  et  l'on  mesure  à  la  chaîne  toutes 
les  droites  ainsi  déterminées  sur  le  terrain,  et  l'on 
a  tous  les  éléments  nécessaires  pour  reporter  sur 
le  plan  tous  les  points  visés.  Cette  méthode  porte 
le  nom  de  méthode  par  ruyonnement. 

Lorsque  le  terrain  est  couvert,  cette  méthode 
n'est  plus  applicable,  et  il  faut  opérer  autrement. 
Soient  A,B,C,D,E,  etc..  Ips  sommets  consécutifs 
du  polygone  topographique.  On  mesure  le  côté 
A15,  et  l'on  trace  sur  la  planchette  une  ligne  ab 
qui  ait  avec  AB  un  rapport  convenu,  par  exemple 
un  millimètre  par  mètre.  On  place  la  planchette 
en  B,  de  manière  que  le  point  b  soit  dans  la  ver- 
ticale de  B,  et  que  la  ligne  ab  ait  la  direction 
B-\,  co  dont  on  s'assure  il  l'aide  de  l'alidade.  Puis 
on  vise  avec  l'alidade  dans  la  direction  BC,  et  l'on 
prend  sui-  la  droite  ainsi  tracée  une  longueur  hc, 
qui  ait  avec  BC,  qu'on  a  préalablement  mesuré, 
le  raônie  rapport  que  ab  avec  AB.  On  trans- 
porte la  planchette  au  point  C,  de  manière  que  e 
Suit  dans  la  verticale  de  C,  et  que  cb  ait  la  direc- 
tion CB;  puis  on  trace  une  droite  cd  avant  la  di- 
rection CD  et  dont  la  longueur  soit  à  CD  comme 
ah  est  à  AB.  On  transporte  la  planchette  au  point 
D  ;  et  l'on  continue  ainsi  jusqu'à  ce  qu'on  ait  fait 
le  tour  du  polygone  topographique.  On  a  alors  sur 
la  planchette  un  polygone  abcde  semblable  ù 
ABCDE.  Cotte  méthode  s'appelle  la  méthode  par 
clicminemint.  Elle  s'emploie  surtout  pour  obtenir 
le  polygone  topographique;  et  l'on  y  rattache  les 
points  intérieurs  au  moyen  de  la  méthode  des  in- 
tersections, en  prenant  pour  bases  les  côtés  du 
polygone  topographique  eux-mêmes. 

^-  —  Lever  a  la  chaîne  et  au  gbaphomètre.  — 
Dans  ce  mode  de  lever,  on  mesure,  comme  plus 
haut,  une  hase,  à  laquelle  on  rattache  les  divers 
points  du  plan  à  l'aide  des  angles  que  font  avec 
la  base  les  rayons  visuels  menés  de  ses  extrémités 
àces  dilTérents  points.  C'est  la  méthode  par  inter- 
sections, comme  avec  la  planchette,  sauf  ceue 
difforence  (|n'au  lieu  de  tracer  directement  sur  le 
plan  le.-,  directions  des  rayons  visuels,  on  mesure 
au  graphe iinètre  les  angles  qu'ils  forment  avec  la 
base,  et  qn  on  reporte  ensuite  sur  le  plan  à  l'aide 
du  rapporteur. 

On  pourrait  aussi  employer  avec  le  grapho- 
mètre  les  méthodes  par  rayonnement  ou  par  che- 
minement, mais  on  en  fait  rarement  usage. 

"•  —  Lever  a   la  chaîne  et  a  i.a    nnnism  » 


ER  A   la  chaîne  et  A  LA  BOLSSOLB. 


La 


"J'^'J'ode  est  la  même  qu'avec  le  graphomètre; 
cest-à-dirc  qu'on  opère  principalement  par  inter- 
sections. Mais  comme  les  angles  ne  peuvent  pas 
être  mesures  à  l'aide  de  la  boussole  avec  la  même 
approximation  qu'avec  le  graplmmètre,  on  ne 
I  emploie  que  pour  rattacher  les  points  de  second 
ordre  au  polygone  topographiciue.  On  prend  alors 
pour  base  le  côté  du  polygone  le  plus  avantageu- 
sement placé  par  rapport  aux  points  nouveaux 
que  Ion  veut  fixer  sur   le  plan.  On   peut  même 


prendre  pour  base  une  ligne  qui  ne  soit  pas  un 
côté  du  polygone  topographiquo,  mais  qui  en  ait 
été  déduite  par  une  opération  précédente. 

Pour  corriger  autant  que  possible  les  causes 
d'inexactitude  tenant  à  l'emploi  de  la  boussole, 
on  rapporte  parfois  les  points  qu'on  veut  fixer  sur 
le  plan  à  deux  bases  au  lieu  d'une  seule,  par 
exemple  à  deux  côtés  consécutifs  du  polygone 
topographiqne.  Chaque  point  est  alors  déterminé 
par  l'intersection  de  trois  rayons  visuels;  et  si  les 
directions  obtenues  ne  concourent  pas  en  un 
même  point  sur  le  plan,  elles  y  forment  un  petit 
triangle,  dans  l'intérieur  duquel  le  point  cherché 
est  vraisemblablement  contenu.  On  prend  donc 
vers  le  centre  de  ce  petit  triangle  un  point  que 
l'on  regarde  comme  le  point  cherché;  cette  solu- 
tion, quoique  un  peu  arbitraire,  est  cependant  plus 
probable  que  celle  qui  correspondrait  à  un  des 
trnis  sommets  du  triangle,  attendu  qu'elle  tient 
compte  des  trois  rayons  visuels. 

S .  —  Lorsqu'on  a  pris  sur  le  terrain  toutes  les 
mesures  nécessaires  et  recueilli  tous  les  rensei- 
gnements dont  on  peut  avoir  besoin,  on  procède 
à  la  mise  au  net  du  plan. 

La  première  chose  à  faire  est  de  tracer,  au  bas 
de  la  feuille  sur  laquelle  on  va  opérer,  une  échelle 
lies  longueurs.  Dans  l'arpentage,  le  mètre  est  sou- 
vent représenté  par  un  centimètre,  quelquefois 
par  h  millimètres,  rarement  par  un  millimètre. 
Quelle  que  soit  la  longueur  adoptée  pour  re- 
présenter le  mètre,  on  porte  10  fois  cette  lon- 
gueur, de  gauche  à  droite,  à  partir  d'une  origine 
fixe  marquée  :é»'0,  sur  la  droite  qui  doit  former 
l'échelle;  on  la  porte  ensuite  une  fois  vers  la  gau- 
clie,  h  partir  de  la  même  origine,  et  l'on  divise 
Cftte  longueur  on  10  parties  égales,  qui  représen- 
teront des  décimètres  ;  les  fractions  de  mètre 
moindres  que  le  décimètre  s'apprécient  à  l'œil. 
Avec  cette  échelle,  il  est  facile  de  prendre  une 
ouverture  de  compas  représentant  une  longueur 
donnée  quelconque,  expiimée  en  mètres  et  frac- 
tions du  mètre. Nous  n'insisterons  pas  sur  ce  point, 
les  développements  que  nous  pourrions  donner 
appartenant  au  dessin  linéaire  plus  qu'à  l'arpen- 
tage. 

9.  —  Si  le  lever  a  été  exécuté  à  la  chaîne  seule, 
les  triangles  dont  le  plan  se  compose  se  tracent 
successivement  au  moyen  de  leurs  trois  côtés. 
On  trace,  par  exemple,  sur  le  plan,  une  droite 
qui  représente,  à  l'échelle  adoptée,  l'un  des  côtés 
d'un  premier  triangle;  de  ses  extrémités  comme 
centre,  avec  des  rayons  respectivement  égaux  aux 
deux  autres  côtés,  on  trace,  du  côté  convenable, 
deux  arcs  de  cercle  dont  l'intersection  détermine 
le  troisième  sommet;  et  le  premier  triangle  se 
trouve  fixé  sur  le  plan.  A  l'aide  de  ce  premier 
triangle  on  construit  de  même  un  des  triangles 
voisins;  et,  de  proche  en  proche,  on  obtient  tous 
les  triangles. 

Si  le  lever  a  été  exécuté  à  la  chaîne  et  à  l'é- 
querre,  on  commence  par  tracer  sur  le  plan  la 
droite  qui  doit  représenter  la  directrice.  Pour  ob- 
tenir un  point  quelconque  du  plan,  on  porte,  sur 
la  directrice,  à  partir  de  son  extrémité,  une  lon- 
gueur qui  représente  celle  qui  a  été  mesurée  sur 
le  terrain  entre  l'extrémité  correspondante  de  la 
directrice  et  le  pied  de  la  perpendiculaire  abais- 
sée du  point  que  l'on  veut  obtenir.  Ayant  ainsi 
sur  le  plan  le  pied  de  cette  perpendiculaire,  on 
la  trace,  et,  à  partir  du  pied,  on  porte,  dans  le 
sens  convenable,  une  longueur  qui  représente  la 
perpendiculaire  mesurée.  On  a  ainsi  le  point  que 
l'on  se  pi'oposait  de  fixer;  et  l'on  opère  do  même 
pour  tous  les  autres.  Ce  mode  de  représenta- 
tion est  surtout  en  usage  pour  les  lignes  cour- 
bes, telles  que  les  sinuosités  d'un  ruisseau,  ou  le 
contour  d'un  étang. 

Si  le    lever  a   été    exécuté  à  la  planchette,  la 


LEVER  DES  PLANS 


1156  —   LEVER  DES  PLANS 


euille  tendue  sur  la  plancliette  est  le  plan  iiiÈme 
qu'il  s'agissait  d'obteiiii',  puisque  tous  les  points 
du  terrain  y  ont  été  déterminés  par  l'intersec- 
tion de  deux  droites  tracées  à  l'aide  de  l'alidade. 
Il  ne  s'agit  donc  plus  que  de  la  mettre  à  l'encre 
et  de  la  délaclu'r  de  la  planchette . 

Si  l'on  a  suivi  la  méthode  par  rayonnement, 
toutes  les  directions  du  point  central  aux  divers 
points  du  plan  sont  directement  tracées  sur  la 
planchette  même,  et  il  ne  reste  plus  qu'à  porter 
sur  chacune  une  longueur  qui  représente  celle 
qui  a  éio  mesurée  à  la  chaîne.  La  méthode  par 
cheminement  donne  surtout,  comme  on  l'a  vu,  le 
polygone  topographique  ;  les  points  intérieurs  sont 
donnés  par  la  motliodo  d'intersections. 

10.  —  Si  le  lever  a  été  exécuté  à  la  chaîne  et  au 
graphomètre,  on  commence  par  tracer  sur  le 
plan  une  droite  qui  représente  la  base  qu'on  a 
choisie  et  mesurée.  Les  ajigles  que  fait  cette 
base  avec  les  rayons  visuels  menés  de  ses  extré- 
mités aux  différents  points  du  terrain,  et  qui  ont 
été  mesurés  au  graphomètre,  sont  tracés  sur  le 
plan  à  l'aide  du  rapporteur  (V.  Liijnes)  ;  et  tous  les 
points  du  plan  se  trouvent  déterminés  par  l'inter- 
section de  deux  directions,  comme  dans  le  cas  de 
la  planchette. 

C'est  également  à  l'aide  du  rapporteur  que  l'on 
transporte  sur  le  plan  les  angles  qui  ont  été  me- 
surés à  la  boussole,  et  les  points  ainsi  visés  se 
trouvent  déterminés  sur  le  plan  par  l'intersection 
de  deux  ou  trois  directions. 

1 1 .  —  Pour  suppléer  à  la  représentation  exacte  des 
objets  que  l'on  peut  avoir  intérêt  à  consigner  sur 
le  plan,  on  emploie  certains  signes  convenus  et 
certaines  teintes  conventionnelles,  qu'il  est  utile 
de  connaître.  Nous  nous  bornerons  aux  notions 
principales  sur  ce  sujet. 

Les  terres  cultivées  ne  se  désignent  d'ordinaire 
que  par  les  lignes  de  division  des  pièces  de 
terre,  ou  tout  au  plus  par  des  lignes  ponctuées 
dans  le  sens  des  sillons. 

On  désigne  les  bois  par  un  semis  de  petites 
touffes  imitant  les  arbres  vus  de  haut;  les  viyiies 
par  un  semis  de  petits  signes  en  forme  d's  barrée, 
imitant  les  ceps  ;  les  terrains  sablmmeux  par  un 
pointillé  général  ;  les  prairies  par  un  pointillé 
plus  gros;  les  terrains marécngeux  par  des  lignes 
horizontales  rapprochées,  mais  entremêlées  de 
pointillés;  les  pièces  d'eau  par  des  lignes  rappro- 
chées, sans  pointillé  ;  les  bo7-i/s  de  la  mer  par  des 
lignes  courbes  parallèles  au  rivage,  et  allant  en 
s'écartant  à  mesure  qu'elles  s'avancent  vers  le 
large. 

On  représente  un  sentier  par  un  simple  trait; 
une  rcute  par  deux  traits  parallèles,  dont  la  dis- 
tance est  proportionnelle  à  la  largeur  de  la  route  ; 
pour  une  grande  route  on  ajoute  latéralement 
deux  lignes  de  points  pour  figurer  les  arbres 
dont  la  route  est  supposée  plantée.  Un  ruisseau 
se  désigne,  suivant  son  importance,  ou  par  un 
simple  trait  sinueux,  ou  par  plusieurs  traits  si- 
nueux rapprochés  et  parallèles.  Un  canal,  un  che- 
min de  fer  se  désignent  comme  une  route  par 
deux  traits  parallèles. 

Lorsque  l'on  a  recours  aux  teintes  convention- 
nelles, on  représente  les  vignes  par  un  brun-rouge 
composé  de  1  partie  de  gomme-gutte,  1  partie  do 
carmin,  î  de  partie  d'encre  de  Chine  et  8  parties 
d'eau  ;  en  entendant  ici,  par  le  mot  partie,  la  quan- 
tité de  couleur  que  contient  un  pinceau  plein,  la 
couleur  étant  délayée  au  plus  haut  degré  de 
force  qu'elle  puisse  atteindre  sans  cesser  d'être 
liquide. 

On  emploie  pour  les  prairies  un  vert  d'herbe 
composé  de  3  parties  de  gomme-gutte,  1  partie  de 
bleu  indigo,  et  8  à  10  parties  d'eau.  Le  même  vert 
réduit  à  la  moitié  de  son  ton  sert  à  représenter 
les  vergers. 


Pour  les  forêts,  on  fait  usage  d'un  jaune-jon- 
quille, composé  de  1  partie  de  gomme-gutte  et  de 
7  à  8  parties  d'eau. 

On  désigne  les  sables  par  une  teinte  aurore, 
formée  de  deux  parties  de  gomme-gutte,  |  de  par- 
tic  de  carmin,  et  lli  parties  d'eau.  Les  terres  hu- 
mides sont  panachées  horizontalement  de  vert  et 
de  bleu  ;  le  vert  est  celui  des  prairies  ;  le  bleu  se 
compose  de  1  partie  d'indigo  et  de  8  à  10  p.irties 
d'eau.  Les  marais  sont  teintés  de  vert  d'herbe,  et 
de  bleu  léger,  lequel  se  compose  do  1  partie  d'in- 
digo et  18  à  20  parties  d'eau.  Les  ('longs,  locs,  ri- 
vières, fleuves,  se  désignent  par  le  bleu  léger  ci- 
dessus  ;  mais  on  renforce  les  bords  par  une 
teinte  un  peu  plus  foncée.  La  mer  est  représentée 
par  un  bleu  verdâtre  composé  d'une  partie  d'in- 
digo, {  partie  de  gomme-gutte,  et  ÏO  à  24  parties 
d'eau.  On  renforce  les  bords  par  une  teinte  plus 
forte. 

Les  bâtiments  et  constructions  se  désignent  par 
la  teinte  carmin  (V.  aussi  Lavis). 

12.  —  On  peut  avoir  à  copier  un  plan  déjà  mis 
au  net,  ou  à  le  réduire  à  une  échelle  pins  pe- 
tite. On  peut  alors  exécuter  la  copie  à  l'aide 
des  procédés  mêmes  qui  ont  servi  à  établir  le  mo- 
dèle. Mais,  lorsqu'il  y  a  beaucoup  de  détails,  il 
est  souvent  plus  commode  de  faire  usage  de  la 
méthode  des  carreaux.  Elle  consiste  à  diviser  la 
surface  du  modèle,  soit  effectivement  à  l'aide  de 
lignes  au  crayon  s'il  est  permis  de  les  tracer,  soit 
fictivement  à  l'aide  de  fils  tendus,  en  un  certain 
nombre  de  petits  carrés  égaux.  On  trace  ensuite, 
sur  la  feuille  destinée  à  la  copie,  le  même  nombre 
de  carreaux,  en  réduisant  les  côtés  dans  le  rap- 
port voulu.  On  numérote  de  part  et  d'autre  les 
rangées  horizontales  ou  verticales  de  carreaux, 
en  sorte  que  chaque  carreau  du  modèle  a  son  cor- 
respondant sur  la  copie.  On  n'a  plus  alors  qu'à 
dessiner  à  vue,  flans  chaque  carreau  de  la  copie, 
les  lignes  ou  les  points  contenus  dans  le  carreau 
correspondant  du  modèle.  Quand  on  a  opéré  ainsi 
pourchaque  carreau,  on  se  trouve  alors  avoir  repro- 
duit l'image  exacte  du  modèle.  On  meta  l'encre,  et 
l'on  efface  les  lignes  en  crayon  léger  qui  avaient 
servi  à  former  les  carreaux. 

On  peut  aussi  faire  usage  du  pantographe.  Cet 
instrument,  réduit  à  ses  parties  essentielles,  se 
compose  de  quatre  règles,  OA,  AM,  Bm,  am  (fig.  2), 


Fi  g.  i. 

articulées  aux  points  A,  B,  a,  m  et  remplissant 
deux  conditions  :  la  première,  que  la  figure  BAam 
soit  un  parallélogramme  ;  la  seconde,  que  les  trois 
points  O  M,  m  soient  en  ligne  droite.  Il  est  aisé 
de  voirque  si  ces  conditions  sontremplies  pour  une 
position  déterminée  de  l'instrument,  elles  le  se- 
ront encore  pour  toute  autre  position.  Cela  resuite 
de  proportionnalités  évidentes.  Les  triangles  Oam 
et  OAM,  quoique  variables,  demeurent  cons- 
tamment semblables  ;  il  en  résulte  que  Om  et 
O  VI  restent  dans  un  rapport  constant.  Si  donc,  le 
point  O  étant  fixe,  le  point  M  décrit  une  ligne 


LEXICOLOGIE 


—   liriT 


LICHENS 


<|iielcoii(iuo  l'MQ,  le  point  m,  armé  d'un  tra(;oii', 
dcci'ira  une  ligne  semblable  pmq. 

Dans  l'exécution,  l'appareil  comporte  quelques 
parties  accessoires,  mais  nous  n'insisterons  pas 
sur  ce  sujet,  parce  que  la  vue  de  l'instrument  en 
ferait  immédiatement  comprendre  l'usage,  et  parce 
qu'il  est  rare  que  l'arpenteur  ait  cet  instrument  Ji 
sa  disposition.  [H.  Sonnet. J 

LEXICOLOGIE.  —  Grammaire,  IX.  —  Ce 
terme  est  formé  de  deux  mots  grecs  :  lexicon 
(mot)  et  /oijos  (doctrino  ou  science)  ;  l'Académie 
ne  l'a  placé  en  son  Dictionnaire  qu'à  la  der- 
nière édition  (1877).  La  Lexicologie  est  cette  par- 
tie de  la  grammaire  qui  traite  spécialement  des 
mots  isolés,  de  leur  valeur,  de  leurs  modifications 
et  de  leurs  éléments;  elle  conduit  Ji  l'orthograplie 
et  il  l'étymologie.  On  l'oppose  généralement  à  la 
Syntaxe,  qui  considère  les  mots  dans  la  phrase 
et  étudie  leur  arrangement  pour  l'expression  de 
la  pensée. 

.  Le  terme  de  Lexicologie  a  été  surtout  employé 
par  P.  Larousse  dans  les  divers  ouvrages  qu'il  a 
composés  pour  l'enseignement  pratique  de  la  lan- 
gue française.  Au  lieu  de  se  borner,  comme  on 
l'avait  l'ail  généralement  jusqu'il  lui,  il  de  purs 
exercices  d'orlhograplie,  il  voulut  que  l'élève 
s'habituât  :\  saisir  le  sens  des  mots,  il  trouver 
l'expression  la  plus  exacte  pour  telle  ou  telle 
idée,  et  se  préparât  ainsi  ii  la  composition.  Ce 
fut  lui  qui  commença  à  montrer  le  sens  particu- 
lier que  le  suffixe  donnait  à  un  mot  simple,  com- 
ment vertueux,  silencieux,  dérivaient  de  vertu 
et  Aa  silence  ;  craintif ,  abusif,  de  ciainle  et  ài'. 
abus,  et  quel  sens  leur  donnait  le  suffixe  eux 
ou  if. 

M.  Ayer  a,  de  son  côté,  appelé  analyse  lexicolo- 
gigue  la  décomposition  des  mots  en  leurs  élé- 
ments et  a,  le  premier,  demandé  qu'on  complétât 
ainsi  l'analyse  dite  grammaticale,  qui  n'envisa- 
geait le  mot  que  dans  sa  nature  et  ses  modifii'a- 
tions.  Il  avait  en  même  temps  indiqué  la  division 
de  la  grammaire  en  trois  parties  : 

<c  A.  Lexicologie  ou  plutôt  formologie,  étude  des 
formes  grammaticales  ; 

>i  B.  Etymoloqie  ou  étude  des  mots  d'après  leur 
formation  par  dérivation  ou  par  composition; 

»  C.  Sgntaxe  ou  étude  des  formes  et  des  rapports 
de  la  proposition  tant  simple  que  composée.  » 

Voici  l'exemple  qu'il  donne  d'une  analyse  lexi- 
cologique  : 

«  La  richesse  ne  le  dégoûtera  pas  du  travail. 

Il  Richesse,  mot  dérivé,  formé  de  l'adjectif  j-icZ/c 
au  moyen  du  suffixe  esse,  qui  sert  il  iformer  des 
noms  abstraits  du  genre  féminin. 

u  Dégoi'iter,  mot  composé  ie  goûter  et  du  préfixe 
dé,  qui  a  le  plus  souvent- un  sens  privatif,  c'est- 
Ji-clire  qu'il  donne  au  mot  composé  un  sens  con- 
traire à  celui  du  simple  auquel  il  est  ajouté, 
comme  dans  décolorer,  ilé former,  dépeupler  ;  ainsi 
dégoûter,  c'est  ôter  le  goût,  et,  au  figuré,  donner 
de  l'aversion.  —  Goûter  prend  un  accent  circon- 
flexe sur  Vil,  parce  qu'autrefois  il  s'écrivait  avec 
un  s  qui  ne  se  prononçait  pa^  :  gouster  ;  cet  s  sup- 
primé reparaît  dans  le  dérivé  iiéyusler. 

»  Triivail donne  le  verbe  tr.aiiiller,  et,  au  moyen 
du  suffixe  eur,  le  nom  de  personne  travailleur . 
Travail  a  pour  synonyme  liibcur,  qui  ne  se  dit 
guère  qu'en  poésie,  dans  le  style  soutenu,  et  en 
parlant  d'un  travail  distingué.  De  labeur  dérive 
l'adjectif  laborieux,  et  de  son  synonj'me  étymolo- 
gique labour  le  verbe  labourer,  d'où  le  nom  de 
personne  laboureur.  ,,  [Cours  gradué  de  longue 
française,  page  199.) 

On  voit,  par  ce  dernier  exemple,  que  la  lexi- 
cologie s'appuie  sur  la  phonétique  ',  qui  est  l'étude 
des  sons  et  des  modifications  que  l'usage  leur  a 
fait  subir  dans  les  dérivés  d'une  même  racine.  L'o 
du  mot  latin  lubor  se  trouve  dans  laborieux;  il 


d(;viont  eu  dans  labeur,  et  ou  dans  labour,  labou- 
reur. On  trouve  des  changements  analogues  dans 
meule,  moulin,  molaire. 

La  première  chose  dont  s'occupe  la  lexicologie, 
c'est  la  détermination  de  la  nature  des  mots,  leur 
classement  dans  l'une  des  neuf  ou  dix  parties  du 
discours.  11  importe  que  l'élève  s'habitue  il  ne 
pas  considérer  seulement  la  forme,  mais  surtout 
le  sons  du  mot,  et  h  distinguer  les  mots  qui  dé- 
signent les  êtres  avec  leurs  qualités  ou  leurs  actes, 
des  mots  qui  n'expriment  que  do  simples  rap- 
ports. 

Vient  ensuite  l'examen  des  flexions  grajnmati- 
cales  ou  des  modilications  que  subissent  les  mots 
pour  marquer  les  idées  de  genre  ou  de  nombre 
(noms,  adjectifs,  pronoms),  ou  les  idées  de  per- 
sonnes, de  temps  et  de  modes  (verbes).  C'est  ce 
qu'on  appelle  dans  les  langues  anciennes  et  dans 
certaines  langues  modernes  la  déclinaison  et  la 
conjugnison.  La  déclinaison  a  disparu  du  français 
depuis  le  xiv"  siècle,  mais  il  pourra  en  être  mon- 
tré la  trace  dans  les  doublets  :  pât'-e,  pasteur;  sire, 
seigneur,  et  aussi  dans  les  formes  des  pronoms 
personnels  :  je,  me,  moi;  tu,  te,  toi;  il,  le,  lui. 
Quant  à  la  conjugaison,  elle  y  est  restée  assez 
riche  relativement  il  la  plupart  des  langues  mo- 
dernes. Elle  doit  surtout  être  étudiée  avec  soin 
quant  à  l'usage  des  auxiliaires,  et  des  formes 
diverses  que  peut  revêtir  un  verbe  pour  rendre 
la  môme  idée  :  on  vendra  la  maison,  la  maison 
sera  veyidue,  la  maison  se  vendm. 

Enfin  doit  venir  en  troisième  lieu  l'étude  des 
mots  quant  à  leurs  éléments  :  racine,  préfixe  et 
suffixe.  (;"est  une  partie  très  riclio  et  pleine  d'in- 
térêt, mais  où  il  importe  de  garder  une  juste 
mesure  et  de  rester  dans  les  limites  que  com- 
mande l'enseignement  du  français  quand  il  ne 
s'appuie  pas  sur  i'étude  du  latin.  Il  sera  toujours 
possible  il  un  instituteur  de  montrer  le  sens 
attaché  aux  noms  par  les  suffixes  er  ou  ier,  on, 
aire,  ard,  dans  rucher,  fermier;  oisillon,  eanne- 
liin;  adjudicataire,  propriétaire  ;  vantard,  inou- 
cliiird;  comme  de  faire  distinguer  la  valeur 
des  suffixes,  exix,  if,  able  dans  les  adjectifs; 
joyeux,  boueux,  décisif,  aimable,  etc.  Il  mettra 
ainsi  des  idées  justes  dans  l'esprit  des  élèves  et 
empêchera  qu'ils  n'emploient  les  mots  ii  contre- 
sens. Il  fera  de  même  pour  la  valeur  des  pré- 
fixes, iid,  dis,  cnn.  en  ou  in,  re,  etc.,  dans  les 
verbes  dérivés  :  admettre,  disjoindre,  construire, 
enfermer,  inhumer,  revenir. 

Nous  croyons  que  ces  trois  parties  essentielles  : 
nature  des  mots,  flexions,  dérivation  ou  composi- 
tion, doivent  constituer  la  lexicologie  dans  les 
écoles  primaires;  elles  concourent  il  donner  àt'é- 
lève  une  orthographe  sûre  et  un  style  précis. 
[B.  Berger.] 

LICHENS.  —  Botanique,  XXVIIL  —  Etym.:  Le 
mot  lichen  vient  d'un  mot  grec  ayant  la  même  si- 
gnification. 

nc/îwih'.ï!.— Les  végétaux  dont  l'ensemble  forme 
la  famille  des  lichens  ne  sont  qu'un  groupe  da 
champignons  qui  vivent  aux  dépens  d'algues  colo- 
rées en  bleu  ou  en  vert. 

Caractères  botauiques.  —  Les  lichens  se  pré- 
sentent pour  la  plupart  sous  la  forme  d'expansions 
foliacées  ou  de  croûtes  grisâtres  étalées  sur  le  sol, 
ou  fixées  aux  écorces  et  aux  rochers. 

Ces  expansions  constituent  le  tlwUe  du  lichen. 
S.  leur  face  inférieure,  elles  portent  des  cram- 
pons que  l'on  nomme  rhizines  et  qui  servent  ii  les 
attacher  aux  corps  sous-jacents  ;  l'ensemble  des 
rhizines  constitue  Vhypothalle.  Le  thalle  dos  lichens 
peut  affecter  quatre' formes  principales,  qui  don- 
nent les  caractères  des  quatre  groupes  des  li- 
chens. Les  premiers,  dits  lichem  fruliculeux, 
tiennent  il  leur  support  par  une  baso  étroite  et 
s'élèvent  en  productions  grêles  simples  ou  rameu- 


LICHENS 


Mo8  — 


LICHENS 


ses  (Us)iea  barbota,  Chuhnia);  les  seconds  sont 
nommés  lie/tenu  foliacés  ;  ce  sont  des  expansions 
minces,  lobées,  ondulées,  qui  s'étalent  largement 
à  la  surface  de  leur  support,  n'y  adhérant  toute- 
fois que  par  un  petit  nombre  de  points  {Peltiyera, 
Pannelia);  les  lichens  du  troisième  groupe  sont 
appelés  crustacés;  ils  adhèrent  à  leur  support  par 
toute  leur  face  inférieure,  parfois  même  ils  s'y  en- 
foncent assez  profondément  yGrnp/iis,  Ombiliru- 
ria)\  le  dernier  groupe  est  formé  par  les  lichena 
gélatineux,  dont  le  nom  rappelle  la  consistance 
molle  [collema). 

La  substance  des  lichens,  comme  celle  des 
champignons,  résulte  de  l'enchevêtrement  d'un 
grand  nombre  de  filaments  celluleux  appelés 
hijphes,  et  chaque  hyphe  possède  un  accroisse- 
ment indépendant  de  celui  de  ses  voisins.  Dans  la 
généralité  des  lichens,  la  région  inférieure  du 
thalle  est  formée  d'éléments  intimement  appli- 
qués les  uns  contre  les  autres,  et  dont  plusieurs 
eji  se  prolongeant  inférieurement  forment  les 
rhizines;  cette  zone  inférieure  est  nommée  sou- 
vent zone  corticale.  La  région  moyenne  du  thalle 
résulte  du  feutrage  d'hyphes  lâchement  entrelacés  ; 
cette  assise  médiane,  nommée  assise  médullaire, 
devient  un  peu  plus  dense  vers  sa  région  supé- 
rieure, ce  qui  fait  distinguer  parfois  une  région 
superficielle  appelée  /(j(//o(/(eci»»(;  certaines  cel- 
lules de  l'hypothecium,  en  se  prolongeant  les  unes 
en  poils  stériles,  les  autres  en  glandes  dissémi- 
natrices,  donnent  l'assise  désignée  sous  le  nom 
de  t/ialamium  ;  dans  la  couche  médullaire  du 
thalle  du  lichen,  on  observe  fréquemment  de 
grosses  cellules  vertes  que  les  auteurs  nomment 
go?iidtes.  Ce  ne  sont  autre  chose  que  des  algues 
déformées  par  le  parasitisme  ;  chacune  d'elles  est 
fixée  aux  hyphes  voisins  par  des  crampons  que  ces 
derniers  envoient  à  la  surface  de  l'algue. 

Au  point  de  vue  de  la  dissémination,  les  lichens 
ne  diffèrent  pas  sensiblement  des  champignons 
ascomycètes.  Chaque  glande  disséminatrice  ou 
thèque  produit  de  quatre  à  huit  spores.  Ces  tliè- 
ques  oblongues,  parallèles  entre  elles,  et  proté- 
gées par  des  poils  stériles  qu'on  nomme  parapliyses, 
se  groupent  en  grand  nombre  en  certains  points 
du  thalle  où  l'ensemble  produit  l'effet  d'un  petit 
disque  ou  écusson.  Ces  disques  sont  nommés 
apothécies.  La  région  marginale  de  l'apothécie  est 
désignée  sous  le  nom  d'excipulum.  Les  apothécies 
sont  étalées  à  nu  à  la  surface  du  thalle  dans  les 
lichens  qualifiés  pour  ce  motif  du  nom  de  gymno- 
carpes;  elles  sont  au  contraire  enfoncées  dans  le 
thalle  et  plus  ou  moins  cachées,  dans  les  lichens 
que  l'on  nomme  pour  cette  raison  lichens  inu/io- 
carpes.  Certains  lichens  présentent  des  spores 
spéciales,  nommées  s<î/te/)ores,  qui  doivent  séjour- 
ner un  certain  temps  sur  le  sol  avant  de  pouvoir 
germer.  Le  thalle  du  lichen  est  susceptible  à  cer- 
taines époques  de  l'année  de  se  résoudre  en  petits 
fragments  dont  chacun  est  capable  de  reproduire 
le  lichen;  chacun  de  ces  petits  fragments  est 
nommé  sorédie. 

Les  organes  de  la  reproduction  des  lichens  sont 
presque  inconnus;  les  organes  mâles  sont  de  très 
petites  glandes  désignées  sous  le  nom  de  spenna- 
ties.  Les  organes  femelles  sont  complètement  in- 
connus. Les  spermaties,  abandonnées  à  elles- 
mêmes  pendant  un  temps  très  long,  changent  de 
nature,  et  deviennent  susceptibles  de  germer. 

La  véritable  nature  des  lichens  n'est  connue  que 
depuis  très  peu  de  temps  ;  elle  a  été  découverte 
par  M.  Schwendener  et  confirmée  par  MM.Bornet 
et  Treub.  Pour  avoir  un  lichen,  on  sème  une 
algue  dans  une  goutte  d'eau  à  la  surface  d'une 
lame  de  verre;  sur  la  même  lame,  à  côté  de  la 
goutte  d'eau,  on  place  une  spore  de  lichen  dans 
une  autre  goutte  d'eau.  Si  les  choses  restent  dans 
cet  état,  l'algue  continue  de  vivre,  sans  se  modi- 


fier; la  spore  de  lichen  germe,  mais  bientôt  le  fila" 
ment  qu'elle  produit  s'atrophie  et  meurt.  Rappro- 
che-t-on  la  spore  de  lichen  des  algues  qui  en  sont 
voisines,  on  voit  le  germe  produit  par  cette  spore 
s'attacher  aux  algues,  prendre  un  développement 
considérable,  et  bientôt  englober  complètement 
toute  l'algue.  Le  champignon  est  donc  bien  para- 
site de  l'algue  ;  cette  dernière  a  mission  de  fournir 
i  son  parasite  les  hydrates  do  carbone  que  celui- 
ci  ne  peut  fabriquer,  étant  dépourvu  de  pigment 
chlorophyllien;  mais  l'algue,  entourée  de  toutes 
parts  par  un  être  riche  en  matières  alhuminoïdes, 
emprunte  à  son  parasite  une  partie  de  ces  subs- 
tances, et,  grâce  à  ce  supplément  de  nourriture, 
prend  un  développement  presque  anormal,  ^e 
multiplie  beaucoup,  mais  exclusivement  par  voie 
végétative.  Le  parasitisme  des  champignons  sur 
les  algues  ressemble  beaucoup  à  une  association 
où  chacun  des  membres  tire  profit  du  travail  des 
autres,  tout  en  contribuant  pour  sa  part  au  bien- 
être  commun.  Toutefois,  dans  cette  association, 
l'un  des  membres,  l'algue,  peut  vivre  solitaire  et 
se  suffire  à  lui-même,  tandis  que  le  champignon 
ne  peut  vivre  sans  le  secours  de  son  associé. 

Usages  des  lichens.  —  1°  Lichen  d'Islande 
(Vhyscia  hlandica\  —  Le  lichen  d'Islande  croit 
très  abondamment  dans  le  nord  de  l'Europe  ;  on 
l'emploie  en  infusion  contre  les  affections  des 
voies  respiratoires;  seulement  on  doit  auparavant 
le  débarrasser  de  son  principe  amer  en  le  lavant 
â  l'eau  tiède.  Soumis  à  l'action  de  l'eau  bouillante, 
le  lichen  se  dissout  en  grande  partie  et  le  liquide 
se  prend  en  gelée.  On  a  essayé  à  diverses  repri- 
ses d'employer  cette  gelée  comme  aliment,  mais 
son  amertume  insupportable  l'a  fait  abandonner; 
cette  amertume  est  due  à  une  matière  spéciale, 
l'acide  cétrarique.  Dans  les  régions  hyperboréen- 
nes,  on  trouve  mélangé  au  lichen  d'Islande  le  fa- 
meux Cenomyce  Hangiferina,  qui  forme  la  princi- 
pale nourriture  des  rennes  pendant  l'hiver. 

2°  Le  lichen  pulmonaire  du  chêne  {Stricta  pid- 
monaria)  était  naguère  employé  contre  les  mala- 
dies du  poumon.  Aujourd'hui,  il  est  utilisé  pour 
teindre  la  soie.  En  employant  comme  mordant  le 
bitartrate  de  potasse  et  le  chlorure  d'étain,  ou 
obtient  une  couleur  carmélite  fort  belle  et  très 
solide.  On  récolte  ce  lichen  dans  les  Vosges,  mais 
il  est  peu  abondant. 

3°  Le  lichen  des  murailles  (Parmelia  parietina) 
prend,  sous  l'influence  des  alcalis,  une  couleur 
rouge  foncé  qui  permet  de  l'utiliser  dans  la 
teinture.  Près  du  lichen  des  murailles  se  place  le 
liclien  vulpui  dont  M.  Hébert,  de  Chambéry,  a 
extrait  une  matière  colorante  jaune  que  l'on  pour- 
rail  utiliser  en  teinture. 

4°  On  désigne  sous  le  nom  à'Orseilles  tous  les 
lichens  qui  produisent  la  couleur  rouge  violette 
à  laquelle  on  donne  le  nom  d'orseille.  11  y  a  deux 
sortes  d'orseilles  :  l'orseille  de  mer,  fournie  par 
les  Ikiccela  des  pays  cliauds,et  l'orseille  de  terre, 
qui  est  fournie  par  les   Variolaria. 

La  matière  colorante  que  l'on  extrait  des  orscil- 
les  est  le  résultat  des  opérations  qu'on  leur  fait 
subir.  Pour  obtenir  la  pâte  d'orseille,  on  pile  ces  vé- 
gétaux et  on  les  laisse  pourrir  au  contact  de  l'air 
en  les  arrosant  d'urine.  La  matière  colorante  est 
extraite  de  la  pâte  d'orseille  par  des  lavages. 

5°  Tournesol  en  pains.  —  Cette  matière  colo- 
rante bleue,  très  soluble  dans  l'eau  et  dans  l'alcool, 
que  des  chimistes  emploient  pour  reconnaître  les 
acides,  s'extrait  de  la  parelle  d'Auvergne  (Vario- 
laria orcina).  On  ramasse  la  plante,  on  la  fait 
sécher,  on  la  pulvérise  avec  la  moitié  de  son  poids 
de  cendres,  puis  le  tout  est  arrosé  d'urine  ;  on 
laisse  le  mélange  se  putréfier  pendant  40  jours, 
on  ajoute  alors  un  peu  d'urine  fraîche,  et  c'est 
quelques  jours  après  cette  addition  que  la  pâte 
'  devient  bleue  ;  on  ajoute  alors  de  la  chaux,  puis 


LIGNES 


H  59 


LIGNES 


<Ui  carlKmate  de  chaux,  après  quoi  la  matière 
est  divisée  en  petits  paralléiipipèdes  que  l'on  fait 
sceller. 

G"  Le  lichen  pyxidé  a  joui  autrefois  d'une 
grande  réputation  comme  préservatif  contre  l'c- 
pilepsio  ;  cette  maladie  était,  croyait-on,  radica- 
lement guérie  par  l'emploi  de  YU-snée  du  cvi'mc 
humain,  qui  n'était  autre  que  le  lichen  pyxidé 
développé  à  la  surTace  des  crânes  humains  expo- 
sés à  l'air.  Leymeri  rapporte  que  des  malades 
eurent  la  folie  do  payer  cette  drogue  jusqu'à 
1000  francs  les  30  grammes. 

1'  Manne  tombée  du  ciel  (Lichen  esculentus) .  — 
En  184ô,  à  la  suite  d'une  pluie,  on  a  trouvé  sur 
le  sol,  en  Anatolie,  une  substance  grisâtre  que 
les  habitants  ont  regardée  connue  une  manne  tom- 
bée du  ciel  et  dont  on  s'est  servi  pour  faire 
du  pain.  Cette  manne  est  formée  de  petits  corps 
blancs,  arrondis,  farineux,  tuberculeux,  qui  ne  sont 
autre  chose  qu'un  lichen  [Lichen  esculentus).  Nées 
d'Esenbeck  et  Ledebour,  quiont  plus  spécialement 
étudié  cette  matière,  nient,  malgré  les  assertions 
des  témoins,  que  cette  manne  soit  tombée  sous 
forme  de  pluie  ;  mais  ils  admettent  volontiers 
qu'elle  a  pu  se  former  très  rapidement  à  la  sur- 
l'ace  du  sol  après  des  pluies  chaudes.  La  manne 
dont  il  est  question  dans  la  Bible  au  livre  des 
Nombres  n'est  autre  que  ce  même  Lichen  esculen- 
tus ;  elle  difl'ère  de  la  manne  du  Sinaï  décrite  dans 
l'Exode  :  celle-ci  est  produite  par  le  Tamanx  in- 
dica.  [C.-E.  Bertrand.] 

LIGNES.  —  Géométrie,  II- VIII.  —  \.  —  0n  nomme 
LIGNE  DROITE  la  ligne  la  plus  courte  qu'on  puisse 
mener  d'un  point  à  un  autre.  Il  est  évident  que 
d'un  point  à  un  autre  on  ne  peut  mener  qu'une 
seule  ligne  droite.  Et  il  en  résulte  que  deux  i/roi- 
les  qui  ont  deux  points  communs,  que  nous  dési- 
gnerons par  A  et  B,  coïncident  dans  toute  leur 
étendue.  D'abord  elles  coïncident  entre  A  et  B.  De 
plus,  si  un  point  C,  pris  sur  le  prolongement  de  la 
première,  n'appartenait  pas  à  la  seconde,  on  pour- 
rait faire  tourner  la  seconde  autour  du  point  A, 
jusqu'à  ce  qu'elle  vînt  passer  par  le  point  C;  mais, 
dans  ce  moment,  les  deux  points  qui  coïncidaient 
en  B  se  seraient  séparés  ;  on  aurait  donc,  de  A  à 
C,  deux  lignes  droites,  ce  qui  n'est  pas  possible. 

De  cette  remarque  résulte  que  deux  points  suf- 
fisent poxir  déterminer  une  ligne  droite. 

Une  ligne  droite  se  trace  à  la  règle,  au  cordeau, 
quand  on  en  a  deux  points.  Une  ligne  droite  se 
mesure,  suivant  sa  longueur,  avec  le  double  déci- 
mètre divisé  en  millimètres,  avec  le  mètre  ou  avec 
le  double  mètre,  avec  le  décamètre.  Les  distances 
itinéraires,  supposées  droites,  s'évaluent  en  kilo- 
mètres et  myriamètres. 

2.  —  On  nomme  ligne  brisée  une  ligne  composée 
de  lignes  droites  ;  les  lignes  droites  sont  les  côtés 
de  la  ligne  brisée.  Une  ligne  brisée  est  dite  co«- 
vexe,  lorsqu'elle  ne  peut  être  rencontrée  par  une 
droite  en  plus  de  deux  points. 

Si  d'un  point  k  à  un  point  D  (fig.  1)  on  mène 


deux  lignes  brisées  convexes  ACCD  et  AMNPD, 
dont  la  seconde  enveloppe  la  première,  la  ligne 
brisée  enveloppée  est  plus  courte  que  la  liqne  Iri- 
sée enveloppante.  Car,  si  l'on  prolonge  AB  jus- 


qu'en I  et  BC  jusqu'en  0,  on  aura  par  la  délinition 
môme  de  la  ligne  droite. 

AB-|-BI<AM  +  MI 
BG  +  C0<BI-|-IN-1-N0 
CD  <  CO  -H  OP  -I-  PD 

Ajoutant  en  inégalités  membre  h  membre,  et 
supprimant  les  termes  communs  aux  deux  mem- 
bres, on  obtient 

AB -H  BC -f  CD  <  AM  +  MI -t- IN-fNO -f  OP -I- PD 


<  AM -1- MN  +  NP -f  PD       c.o.  F.D. 

REMAnQBE.  —  La  démonstration  étant  indépen- 
dante du  nombre  des  côtés  de  chaque  ligne  brisée, 
peut  être  étendue  au  cas  où  ces  lignes  brisées 
auraient  un  nombre  infini  de  côtés  infiniment  pe- 
tits ;  par  conséquent,  on  peut  dire  que  si,  dun 
point  à  un  autre,  on  mène  deux  lignes  courbes 
convexes,  dont  l'une  enveloppe  l'autre,  la  courbe 
convexe  enveloppnnte  est  plus  longue  que  la  courbe 
convexe  envelappée. 

.3.  —  On  nomme  circonférence  de  cercle  une  courbe 
plane  dont  tous  les  points  sont  également  distants 
d'un  point  intérieur  nommé  centre.  La  distance 
du  centre  à  un  point  quelconque  de  la  circonfé- 
rence est  ce  qu'on  appelle  le  rayon.  Une  droite 
qui  passe  par  le  centre  et  se  termine  de  part  et 
d'autre  i  la  circonférence  est  ce  que  l'on  nomme 
un  diamètre.  Tout  diamètre  est  donc  le  double  du 
rayon. 

Une  circonférence  de  cercle  se  iracc  à  l'aide  du 
compas.  Sur  le  terrain,  on  substitue  au  compas 
un  cordeau  tendu,  fixé  au  centre  par  une  de  ses 
extrémités,  et  armé  à  l'autre  d'un  piquet  qui  sert 
de  traçoir. 

Joui  diamètre  divise  la  circonférence  en  deux 
parties  éijides  ;  car,  si  l'on  plie  la  ligure  le  long 
de  ce  diamètre,  les  deux  parties  devront  coïnci- 
der ;  autrement,  il  y  aurait  des  points  inégalement 
distants  du  centre. 

Toute  portion  de  circonférence  se  nomme  un 
arc  de  cercle  ;  la  droite  qui  joint  les  extrémités 
se  nomme  la  corde;  on  dit  que  la  corde  sous-tend 
l'arc.  Toute  corde  qui  ne  passe  pas  par  le  centre 
divise  la  circonférence  en  deux  parties  inégales, 
l'une  plus  grande  que  la  demi-circonférence,  l'au- 
tre plus  petite. 

Une  même  corde  sous-tend  toujours  deux  arcs, 
mais  c'est  toujours  du  plus  petit  de  ces  deux  arcs 
qu'il  est  question,  h  moins  que  l'on  n'exprime 
positivement  le  contraire. 

Toute  corde  est  plus  petite  que  le  diamètre; 
car,  si  l'on  joint  le  centre  aux  deux  extrémités,  la 
corde,  qui  est  une  ligne  droite,  sera  plus  petite 
que  la  somme  des  lignes  de  jonction  qui  forment 
une  ligne  brisée,  et  qui  sont  des  rayons,  c'est-îi- 
dire  qu'elle  est  plus  petite  qu'un  diamètre. 

4.  —  Deux  circonférences  de  même  rayon  sont  éga- 
les ;  car,  si  l'on  transporte  l'une  de  manière  h.  faire 
coïncider  les  centres,  les  circonférences  devront 
coïncider,  sans  quoi  il  y  aurait  des  points  inégale- 
ment distants  du  centre. 

On  peut  remarquer  que  lorsque  deux  circonfé- 
rences égales  ont  même  centre,  on  peut  faire 
tourner  l'une  d'elles  autour  de  ce  centre  sans  que 
la  coïncidence  cesse  d'avoir  lieu. 

Dans  le  même  cercle,  ou  dans  des  cercles 
égaux,  à  deux  arcs  égaux  correspondent  des  cordes 
égales;  car,  s'il  s'agit,  par  exemple,  d'arcs  pris 
dans  des  cercles  égaux,  il  est  évident  que  l'on  pourra 
faire  coïncider  les  arcs  égaux  et  que  dès  lors  les 
cordes  coïncideront, 

Dnns  un  même  cercle,  à  un  plus  grand  arc  cor- 
respond une  plus  grande  corde. 


LIGNES 


—  H60 


LIGNES 


Soit  AB  >  A'C  (fig.  2).   Prenons,  h  partir  du 
point  A,  l'arc  AC  =  A'C;  la  corde  AC  sera  égale  à 


isolé,  la  lettre  du  sommet  suffit,  et  l'on  dirait  l'an- 
gle A. 


la  corde   A'C.  Joignons  OB  +  OC,   qui   coupera 
AB  en  un  point  I.  On  aura 

AI-fIC>AC    et    OI  +  IB>OB 

Ajoutant  ces  inégalités  membre  à  membre  ;  rem- 
plaçant AI  +  IB  par  AB,  et  01  +  IC  par  OC,  ou 
par  son  égal  OB,  il  vient 

AB  +  OB>AC  +  OB    ou    AB>AC 

Ces  deux  propositions  démontrent  leurs  réci- 
proques; c'est-à  dire  que  : 

Deux  cordes  égales  sous-tendent  des  arcs  égaux; 
et,  à  une  plus  grande  corde  con-espond  nu  plus 
grand  arc. 

5.  —  Pour  comparer  entre  eux  les  arcs  d'une  même 
circonférence,  on  suppose  cette  circonférence  di-  | 
visée  en  360  parties  égales,  à  cliacune  desquelles 
on  donne  le  nom  de  deyré,  chaque  degré  en 
60  parties  appelées  mimites,  et  chaque  minute  en 
60  secondes.  Pour  évaluer  un  arc  on  dira,  par 
exemple,  un  arc  de  68  degrés  43  minutes  et  1"  se- 
condes, ce  qu'on  écrit  6s°  43'  17".  Le  quart  de  la 
circonférence,  ou  90  degrés,  forme  ce  qu'on  ap- 
pelle un  quadrant. 

Dans  le  système  décimal,  le  quadrant  se  divise 
en  100  grades,  chaque  grade  en  100  minutes,  et 
chaque  minute  en  100  secondes.  Un  arc  ainsi 
évalué  s'exprime  immédiatement  par  un  nombre 
décimal.  Ainsi,  81  grades,  73  minutes  et  25  secon- 
des s'écrira  81i",7325. 

Pour   convertir    un  nombre  de  grades  en    de- 

9 
grés,  il  suffit  de  le    multiplier  par  -— ,  puisque 

90  degrés  font  100  grades.  Ainsi,  81«f,7325  donne, 

,  .  ,.  9 

en  multipliant  par  —, 

73°,55925    ou     73°33'33",3. 

Réciproquement,  pour  convertir  un  nombre  de 

degrés  en  grades,  il   suffit  de  multiplier  par  — -, 

après   avoir   converti   préalablement  les  minutes 
et  secondes  en  décimales  du  degré.  Ainsi 


Dans  la  considération  des  angles,  on  n  a  point 
égard  h  la  longueur  des  cotés. 

7.  —  On  compare  les  angles  entre  eux  à  l'aide 
des  arcs  de  cercle  décrits  de  leur  sommet  comme 
centre  avec  un  même  rayon. 

On  remarque  d'abord  que,  si  deux  anqUs  inter- 
ceptent des  arcs  égaux  sur  des  circonférences  de 
même  ragon  décrites  de  leur  sommet  comme  cen- 
tre, ces  angles  soJit  égaux.  Car,  si  l'on  fait  coïnci- 
der les  centres,  et  qu'on  fasse  tourner  l'une  des 
circonférences  autour  de  ce  centre  jusqu'à  ce  que 
les  arcs  égaux  coïncident,  les  côtés  des  deux  an- 
gles coïncideront  deux  à  deux  ;  les  deux  angles 
sont  donc  égaux. 

Cette  proposition  sert  îi  faire  en  un  point  d'une 
droite  un  angle  égal  à  un  aagle  donné.  Il  suffit 
de  décrire  du  point  donné,  et  du  sommet  de  l'an- 
gle donné,  comme  centre,  des  arcs  du  même 
rayon,  et  de  prendre  sur  le  premier,  à  partir  de 
la  droite  donnée,  une  ouverture  de  compas  égale 
à  la  corde  de  l'arc  intercepté  par  l'angle  donné. 

On  montrerait  de  même  que,  si  deux  angles 
sont  égaux,  ils  interceptent  des  arcs  égaux  sur 
les  circonférences  de  même  raijon  décrites  de  leurs 
sommets  comme  centres. 

Cela  posé,  si  l'on  suppose  une  circonférence 
divisée  en  360  degrés,  et  qu'on  mène  des  rayons 
à  tous  les  points  de  division,  les  angles  consécu- 
tifs formés  par  ces  rayons  seront  égaux.  Il  en  se- 
rait de  même  si  l'on  subdivisait  chaque  degré  en 
60  minutes,  ou  chaque  minute  en  60  secondes. 
L'angle  au  centre  qui  intercepte  un  arc  d'un  degré 
est  ce  qu'on  appelle  un  angle  de  un  degré;  celui 
qui  intercepte  un  arc  d'une  minute  est  un  angle 
de  une  minute,  etc.  De  cette  manière,  un  angle 
au  centre  quelconque  est  exprimé  en  degrés,  mi- 
nutes et  secondes,  de  la  même  manière  que  l'arc 
qu'il  intercepte  ;  s'il  intercepte  un  arc  de  28°  4j' 
16",  c'est  un  arc  de  28°  45'  16",  etc.  On  exprime 
cette  relation  générale  en  disant  qu'vii  angle  au 
centre  a  pocr  mesure  l'arc  compris  entre  ses  côtés. 

8.  —  La  mesure  effective  des  angles  s'effectue, 
sur  une  surface  de  peu  d'étendue,  à  l'aide  de  l'ins- 
trument qui  porte  le  nom  de  rapporteur.  Il  se 
compose  d'un  demi-cercle  dont  la  circonférence, 
ou  limbe,  est  divisée  en  degrés.  Soit  XOY  (fig.  4) 


68"  43' 17",    ou 


10 


„  2.597 
3600' 


ou  encore    68°  72139.. 


multiplié  par  --,  donne  78«',1358.. 

6.  —  On  appelle  angle  le  plus  ou  moins  d'écart 
de  deux  droites  qui  se  rencontrent  ;  ces  droites 
sont  les  cotés  de  l'angle,  et  leur  point  de  rencon- 
tre en  est  le  sommet.  La  fig.  3  représente  l'an- 
gle formé  par  les  deux  droites  AB  et  AC.  On  est 
convenu  de   désigner  un  angle   par  trois  lettres, 

dont  l'une  est  celle  du  sommet,  et  les  deux  autres  l'angle  à  mesurer.  On  porte  l'instrument  sur  cet 
sont  prises  sur  les  deux  côtés;  mais  la  lettre  du  angle,  de  manière  que  son  centre  tombe  au  som- 
sommet  doit  occuper  le  milieu  ;  ainsi,  l'on  dira  '  met  O,  et  que  le  diamètre  AB  coïncide  avec  la 
l'angle   BAC  ou  CAB.  Cependant,  si   l'angle  est  l  direction  OY  de  l'un  des   côtés   de  l'angle.   Le 


LIGNES 


—  1161  — 


LIGNES 


côté  OX  vient  alors  coiiiiur  lo  limbo  en  un  cer- 
tain point  M,  et  l'on  note  le  nombre  de  degrés 
compris  entre  les  points  A  et  M.  Ce  nombre  est 
la  mesure  de  l'arc  AM,  et  par  suite  celle  de  l'an- 
gle proposé. 

Sur  le  terrain,  on  emploie  un  instrument  ana- 
logue qui  porte  le  nom  de  (jraphomètre.  —  V.  Ar- 
pentage  (Instruments  d'). 

9.  —  Un  angle  de  90°  est  ce  qu'on  appelle  un  angle 
droit;  tel  est  l'angle  principal  d'une  équerre.  Un 
angle  plus  petit  qu'un  angle  droit  s'appelle  un 
angle  aigu.  Un  angle  plus  grand  qu'un  angle  droit 
est  un  angle  l'htu.i.  Deux  angles  sont  dits  supplé- 
mentaires, lorsque  leur  somme  vaut  doux  angles 
droits;  ils  sont  dits  complément/lires,  si  leur 
somme  vaut  un  angle  droit. 

10.  —  Lorsqu'i/np  droite  OG  (fig.  5)  en  ren- 
contreune  mitre  AB,  la  somme  des  angles,\DiKcv:Nts 


AOC  +  BOC  équivaut  à  deux  angles  droits.  Car, 
si  du  sommet  commun  O  de  ces  angles  on  décrit 
une  demi-circonférence  ACDB,  ces  angles  auront 
pour  mesure  les  arcs  Atl  et  BC,  dont  la  somme 
équivaut  i  deux  quadrants. 

CoBOLLAinE.  Lorsque  deux  angles  adjacents  sont 
égaux,  ils  sont  droits.  Tels  sont  AOD  et  BOD. 

RÉCIPROQUEMENT.  Si  (leti.v  aug/fs  adjacents  AOC 
et  BOC  sont  supplémentaires,  leurs  côtés  e.xlc- 
rieurs  AO  et  CO  sont  en  ligne  droite.  Car,  si  la 
somme  des  arcs  AC  et  BC  équivaut  à  une  demi- 
circonférence,  la  droite  qui  joint  les  points  A  et  1! 
est  un  diamètre,  et  passe  conséquemment  par  le 
centre  ;  donc  OA  et  OB  ne  forment  qu'une  même 
ligne  droite. 

11.  —  La  somme  des  angles  successifs  AOB,  BOC, 
COD,  DOE  (fig.  C),  formés  en  un  même  poi?it  d'un 


même  côté   d'une  droite,  est  égale  à   deux,  an- 
gles droits.  Car  la  somme   des  arcs  AB,  BC,  CD, 
DE   qui    mesurent   ces  angles    équivaut   à   deux 
quadrants. 
La  somme  des  angles  successifs  AOB,  BOC,  COD, 


DOE,  EOA  (fig.  "),  formés  autour  d'un  point,  équi- 
vaut à  quatre  angles  droits.  Car  la  somme  des 


arcs  AB,  BC,  CD.  DE,  EA,  qui  mesurent  ces  angles, 
équivaut  à  quatre  quadrants. 

12.  —  Lorsque  deux  droites  se  coupent,  les  an- 
gles opposés  par  le  sommet  sont  égaux.  Soient,  en 


effet,  deux  droites  AB  et  CD  qui  se  coupent  en  un 
point  O. 
On  a  : 

AOC -t-COB  =  2  droits     et    COB-f- BOD  =  2  droits 

d'où  : 

AOC  -1-  COB  =  COB  -f  BOD 

ou  simplement  : 


AOC = BOD 


On  démontrerait  de  même  que  AOD  =  COB. 

13.  —  Lorsque  deux  droites  se  coupent,  si  l'un  des 
(liiatreanglesqu'eltes  forment  est  droit,  hs  troisnn- 
tres  S07it  droits  aussi,  comme  étant  adjacents  au  pre- 
mier, ou  comme  lui  étant  opposés  par  le  sommet. 
Deux  droites  qui  se  rencontrent  ainsi  .'i  angles 
droits  sont  dites  perpendiculaires  entre  elles. 

Dans  la  pratique,  c'est  avec  i'éguerre  que  l'on 
mène  ou  que  l'on  vérifie  les  perpendiculaires.  Cet 
instrument  se  compose,  en  ofTet,  de  deux  règles 
assemblées  à  angle  droit.  On  pourrait  aussi  se 
servir  du  rapporteur,  puisque  avec  cet  instrument 
on  peut  faire  des  angles  do  1)0°  ;  mais  nous  verrons 
plus  loin  des  procédés  plus  précis  pour  tracer  les 
perpendiculaires. 

Par  un  point  donné  on  ne  peut  mener  qiCune 
seule  }ieri>endic%ilaire  à  une  droite  donnée. 

Cela  est  d'abord  évident,  si  le  point  donné  est 
sur  la  droite  donnée;  car  si,  par  ce  point,  on  a 
mené  une  droite  faisant  avec  la  droite  donnée  des 
angles  adjacents  égaux,  toute  autre  droite  menée 
par  ce  point  ferait  avec  cette  même  droite  donnée 
des  angles  adjacents  inégaux. 

Supposons,  eji  second  lieu,  que  le  point  donné 
soit  extérieur  à  la  droite  donnée.  Soit  O  (fig.  9) 


Fig.  9. 

ce  point,  et  AD  la  droite  donnée.  Soient,  s'il  était 
possible,  OC  et  OB  deux  perpendiculaiies  h  AD. 
Faisons  tourner  la  figure  autour  de  AD,  de  manière 
que  le  point  O  vienne  se  rabattre  en  O'.  Les  an- 
gles en  C  étant  droits,  les  lignes  CO  et  CO'  sont 
en  ligne  droite.  Si  les  angles  en  B  étaient  droits 
aussi,  OBO' serait  aussi  une  ligne  droite;  on  pour- 


LIGNES 


—  1162 


LIGNES 


rait  donc  d'un  point  O  à  un  autre  0'  mener  deux 
droites  distinctes,  ce  qui  est  impossible. 

Remabqi'e.  oc  étant  supposée  perpendiculaire 
à  AD,  OB  est  dite  oblique  par  rapport  à  la  même 
droite. 

14.  —  Si  par  lin  point  O  (fig.  9)  rxtérieur  à  une 
droite  AD,  on  mène  la  perpendiculaire  OC  et 
différentes  olilicjues  OB,  OD,  OA  :  X"  la  perpendi- 
culaire est  plus  eo'irtc  ijue  toute  oljUque;  2°  deux 
obliques  OB  et  OD,  qui  s'écartent  également  du 
piedC  de  la  perpendiculaire,  sont  égales;  3°  de  deux 
obliques  OD  et  OA  qui  s'écartent  inégalement  du 
pied  de  ta  perpendiculaire,  celle  gui  s'en  écarte  le 
plus  est  la  pUis  longue. 

Faisons  tourner  la  figure  autour  de  AD  de  ma- 
nière que  le  point  O  vienne  se  rabattre  en  O'  ;  on 
auraO'A  =  OA;  0'B  =  OB  ;  0'C  =  OC  ;  0'D=OD. 
Cela  posé  : 

r  La  ligne  OCO'  étant  droite,  on  a  : 

OCO'<OBO'     ou    2  0C<2  0B,    ou    OC<OB. 

2°  Faisons  tourner  la  figure  OCD  autour  de  OC; 
les  angles  en  C  étant  droits,  la  ligne  OD  prendra 
la  direction  CB;  et,  puisqu'elles  sont  égales,  le 
point  D  tombera  en  B;  donc  OD  coïncidera 
avecOB;  donc  ces  obliques  sont  égales; 

;i  •  La  ligne  brisée  OAO  enveloppant  OBO'  qui 
a  les  mômes  extrémités,  on  a  : 

OAO' >  OBO'    ou    2  0A>20B    ou    OA>OB. 

Il  en  résulte  OA  >  OD. 

I  j.  —  S/,  par  le  milieu  C  d'une  droite  AB  (fig.  10), 
on   lui  élève   une  perpendiculaire    CD  :    1°  tout 


égale  distance  des  extrémités  de  AB.  est  perpendi- 
culaire sur  le  milieu  de  AB. 


point  O  pris  sur  celte  perpendiculaire  sera  égale- 
ment distant  des  extrémités  A  ef  B  de  la  droite; 
2°  tout  point  K,  pris  en  dehors  de  la  perpendicu- 
laire, sera  inégalement  distant  de  A  ei  de  B. 

1°  On  aura  OB  =  OA  comme  obliques  s'écartant 
également  du  pied  de  la  perpendiculaire. 

V  Joignons  KA  etKB;  la  première  de  ces  droi- 
tes rencontrera  CD  en  un  point  O,  et  si  l'on  joint 
OB,  on  aura  OB  =  OA.  Mais  on  a  : 

KB<KO-fOB    ou    KB<K0-1-0A 

c'est-à-dire  KB  <  KA. 

Ce  qu'il  fallait  démontrer. 

Remarques.  I.  On  réunit  ces  deux  propositions 
en  une  seule  en  disant  que  :  la  perpendicu- 
laire élevée  sur  le  milieu  d'une  droite  est  le  lieu 
GÉoMÉTiuyi-E  de  tous  les  points  qui  sont  à  égale 
disttince  des  extrémités  de  la  droite. 

II.  Deux  points  suffisant  pour  déterminer  une 
droite,  on  peut  dire  que  si  une  droite  a  deux  de 
ses  points  à  égale  distance  des  extrémités  d'une 
droite,  elle  est  perpendiculaire  sur  le  milieu  de  la 
droite, 

16.  —  Le  milieu  C  (fig.  II)  d'un  arc  AB,  le  mi- 
lieu I  de  sa  corde  et  le  centre  O  du  cercle  sont  tou- 
jours sur  mie  même  perpendiculaire  à  cette  corde. 
Car  les  arcs  CA  et  CB  étant  égaux,  il  en  est  do 
même  de  leurs  cordes;  le  point  C  est  donc  égale- 
ment distant  de  A  et  de  B;  il  en  est  de  même  du 
centre  0  ;  la  droite  OC  ayant  deux  de  ses  points  à 


rig.  11. 

ConoLLAiKEs.  1.  S(  du  centre  O  d'une  circon- 
férence on  abaisse  une  perpendiculaire  sur  une 
corde,  elle  divise  cette  corde,  et  l'arc  sous-tendu, 
chacun  en  dfux  parties  égales. 

II.  Si  sur  le  milieu  d'une  corde  on  lui  élève  une 
perpendiculaire ,  cette  perpendiculaire  passe  par 
le  I  entre  et  par  le  milieu  de  l'arc  que  sous-tend 
la  corde. 

Ce  dernier  corollaire  offre  un  moyen  de  faire 
passer  une  circonférence  par  Irais  points  donnés 
.\,B.C  qui  ne  sont  pas  en  ligne  droite.  Il  suffit 
de  joindre  AB  et  AC,  et  d'élever  sur  le  milieu  de 
chacune  de  ces  cordes  deux  perpendiculaires  qui 
passent  toutes  deux  par  le  centre.  Le  centre  de- 
mandé sera  donc  le  point  d'intersection  de  ces 
deux  perpendiculaires. 

Si  les  trois  points  donnés  étaient  en  ligne  droite, 
les  deux  perpendiculaires  ne  pourraient  se  ren- 
contrer, sans  quoi  on  pourrait  d'un  même  point 
abaisser  deux  perpendiculaires  sur  une  même 
droite.  Il  en  résulte  qu'Kwe  droite  ne  saurait 
rencontrer  une  circonférence  en  plus  de  deux 
points. 

17.  —  Une  droite  AB  (fig.  12),  perpendiculaire  à 
l'extrémité  d'un  rayon  OC,  n'a  qu'un  point  com- 


l-'t'.  1-'. 

tiiun  avec  la  circonférence.  Car  si  l'on  joint  le 
centre  0  à  un  point  quelconque  D  de  la  droite  AB, 
la  droite  OD  sera  une  oblique  plus  grande  que 
la  perpendiculaire  OC;  le  point  D  est  donc  situé 
hors  de  la  circonférence. 

Une  droite  qui,  comme  AB,  n'a  qu'un  point 
commun  avec  une  circonférence,  est  dite  tangente 
à  cette  circonférence,  et  la  circonférence  est  tan- 
gente à  la  droite.  Toute  droite  qui  rencontre  une 
circonférence  en  deux  points  est  dite  sécunte  par 
rapport  à  cette  circonférence. 

RÉcipnoQfE  DU  THÉoiiÈiiE  PRÉCÉDENT.  Toutc  tan- 
gente -\B  à  une  circo?iférence  O  est  per/endicu- 
laire  à  l'extrémité  du  rayon  OC  qui  aboutit  au 
point  de  contact.  Car  tout  point  D  de  cette  droite, 
dilïérent  du  point  C,  étant  situé  hors  du  cercle,  le 
rayon  OCniesure  la  plus  courte  distance  du  centre 
à  la  droite;  c'est  donc  la  perpendiculaire  abaissée 
du  centre  sur  cotte  droite. 

18.  —  Si  deux  circonférences  0  et  C  (fig.  13)  ont 
un  point  A  commun  hors  de  la  ligne  OC  qui  joint 
leurs  centres,  elles  en  ont  nécessairement  un  second. 
Faisons,  en  efi'et,  tourner  la  figure  0.\C  autour  de 
OC  jusqu'il  ce  que  le  point  A  vienne  se  rabattre 
en  A';  on  aura  OA'  =  OA  et  C.\'  =  CA;  le  point 


LIGNES 


—  H63 


LIGNES 


\'  appartiendra  donc  i  la  circonféronco  O  et  ;\  la 
circonférence  ('.. 


CoiioLLAiRES.  1.  Si  deux  circonférences  se  lou- 
chent, et  n'ont  qu'un  point  commun,  ce  point  est 
situé  sur  la  ligne  des  centres.  Si  les  circonfé- 
rences se  touchent  extérieurement,  la  distance  des 
centres  esc  la  somme  des  deux  rayons.  Si  les 
circonférences  se  touchent  intérieurement,  la  dis- 
lance lies  centres  est  la  différence  des  rayons. 

H.  Si  deux  circonférences  sont  sécantes,  on  a  : 


on  a  aussi  : 
d'où: 


OC<OA  +  AC; 
OA<OC  + AC, 
OC>OA  — AC; 


ainsi  la  distance  des  centres  est  plus  petite  que  la 
somme  des  rayons  et  plus  grande  que  leur  diffé- 
rence, 

III.  Si  deux  circonférences  sont  séparées,  la 
distance  des  ceidres  est  plus  grande  que  la  somme 
des  rayons.  Si  l'une  des  circonférences  est  inté- 
rieure h  l'autre,  la  distance  des  centres  est  plus 
petite  que  la  différence  des  ray07is.  Il  suffit  pour 
le  reconnaître  de  faire  la  figure. 

1 9.  —  Les  propriétés  des  perpendiculaires  démon- 
trées aux  numéros  13  h  19  fournissent  le  moyen 
de  résoudre,  avec  la  règle  et  le  compas,  divers 
problèmes  relatifs  à  ces  droites. 

I.  En  un  point  A  d'une  droite  XY  élerer  une 
perpendiculaire  à  cette  droite.  Prenez  sur  la 
droite,  de  part  et  d'autre  du  point  A,  deux  lon- 
gueurs égales  AB  et  AC.  Des  points  B  et  C  comme 
centres,  avec  un  rayon  plus  grand  que  AB,  dé- 
crivez deux  arcs  de  cercle  qui  se  couperont  en  un 
point  D.  Joignez  AD,  ce  sera  la  perpendiculaire 
demandée. 

II.  D'un  point  A,  pris  en  dehors  d'une  droite 
XY,  abaisser  une  perpendiculaire  sur  cette  droite. 
Du  point  A  comme  centre,  avec  un  rayon  suffisam- 
ment grand,  décrivez  un  arc  de  cercle  qui  coupe 
la  droite  XY  en  deux  points'Bet  C.  De  ces  points 
comme  centre,  avec  un  rayon  plus  grand  que  la 
moitié  de  BC,  décrivez  deux  arcs  de  cercle,  qui  se 
couperont  en  un  point  D.  Joignez  AD;  ce  sera  la 
perpendiculaire  demandée. 

III.  Diviser  une  droite  AB  en  deux  parties  égales. 
Des  points  A  et  B,  avec  un  rayon  plus  grand  que 
la  moitié  de  AB,  décrivez  deux  arcs  de  cercle  qui 
se  coupent  au-dessus  de  AB  en  un  point  C,  et 
deux  autres  arcs  de  cercle  qui  se  coupent  en  des- 
sous en  un  point  D.  Joignez  CD;  cette  droite  sera 
perpendiculaire  sur  le  milieu  de  AB. 

IV.  Diviser  un  arc  de  cercle  en  deux  parties 
égales.  Tirez  la  corde,  et  du  centre  abaissez  une 
perpendiculaire  sur  cette  corde;  elle  passera  par 
le  milieu  de  l'arc. 

V.  Diviser  vn  angle  en  deux  parties  égales.  Du 
sommet  de  l'angle,  comme  centre,  décrivez  un  arc 
compris  entre  les  deux  côtés;  tirez  la  corde  de 
cet  arc,  et  du  sommet  abaissez  une  perpendicu- 
laire sur  cette  corde;  elle  divisera  l'angle  en  deux 
parties  égales. 


Remafique.  —  La  droite  qui  divise  un  angle  en 
deux  parties  égales  s'appelle  la  bissectrice  de  cet 
angle. 

20.  —  Det4x  droites  perpendiculaires  à  une  même 
troisième  ne  peuvent  se  rencontrer  quelque  loin 
qu'on  les  prolo7ige,  car  autrement  on  pourrait, 
d'un  même  point,  abaisser  deux  perpendiculaires 
sur  une  même  droite. 

Deux  droites  qui,  étant  situées  dans  un  mênie 
plan,  ne  peuvent  pas  se  rencontrer  quelque  loin 
qu'on  les  prolonge,  portent  le  nom  de  droites  pa- 
rallèles. L'énoncé  ci-dessus  revient  donc  au  sui- 
vant :  deux  perpendiculaires  à  une  mé/ne  droite 
sont  parallèles  etltre  elles. 

On  admet  que,  par  un  point  pris  hors  d'une 
droite,  on  ne  peut  lui  mener  qu'une  seule  paral- 
lèle. Cette  parallèle  est  facile  h  obtenir.  Du  point 
donné,  on  abaisse  une  perpendiculaire  sur  la  droite 
donnée,  et,  par  ce  morne  point  donné,  on  élève 
une  perpendiculaire  sur  cette  perpendiculaire  ; 
c'est  la  parallèle  demandée. 

Lorsque  deux  droites  sont  parallèles,  touie  per- 
pendiculaire à  l'une  est  en  même  temps  perpendi- 
culaire à  l'outre.  Car  si  elle  rencontrait  cette  autre 
sous  un  angle  aigu  ou  obtus,  on  pourrait,  par 
leur  point  de  rencontre,  lui  élever  ."i  elle-même 
une  perpendiculaire,  qui  serait  parallèle  à  la  pre- 
mière des  deux  droites  données  ;  on  pourrait  donc, 
par  un  même  point,  mener  deux  parallèles  à  une 
même  droite,  ce  que  l'on  regarde  comme  impos- 
sible. 

21.  —  Deux  parallèles  AB  et  CD  (fig.  14)  sont 
partout  également  distante.  En  d'autres  termes,  si 


dos  points  C  et  D,  pris  où  l'on  voudra  sur  l'une 
d'elles,  on  abaisse  sur  l'autre  les  perpendiculaires 
CA  et  DB,  ces  perpendiculaires  seront  égales. 
Pour  le  démontrer,  élevons  par  le  milieu  I  de  AB 
la  perpendiculaire  IH,  et  faisons  tourner  la  figure 
IHDH  autour  de  IH  pour  la  rabattre  sur  lACH.  Les 
angles  étant  droits,  IB  prendra  la  direction  de  lA; 
et  puisque  I  est  le  milieu  de  AB,  le  point  B  tom- 
bera en  A.  Les  angles  en  B  et  en  A  étant  droits, 
BD  prendra  la  direction  de  AC,  et  le  point  D  tom- 
bera quelque  part  sur  AC.  Or,  les  angles  en  H 
étant  droits,  HD  prendra  la  direction  de  HC,  et  le 
point  D  tombera  quelque  part  sur  HC.  Devant 
tomber  h  la  fois  sur  AC  et  sur  HC,  le  point  D  tom- 
bera au  point  C  ;  BD  et  AC  coïncideront,  donc  ces 
droites  sont  égales. 

22.  —  Deux  droites  parallèles  à  une  troisième  sont 
parallèles  entre  elles.  Car  si  l'on  mène  une  per- 
pendiculaire à  la  troisième,  elle  sera  perpendicu- 
laire aux  deux  premières;  ces  dernières  étant  ainsi 
perpendiculaires  à  une  même  droite  sont  parallèles 
entre  elles. 

2-3.  —  Deux  droites  AB  et  CD  (fig.  15)  snyit  paral- 
lèles si,  étant  coupées  par  une  sécante  EFGH,  elles 
forment  avec  celle  sécante  des  anqles  intérieurs 
AFG,  CGF  supplémentaires.  En  efl'et  :  les  angles 
BFG  et  CGF  étant  tous  deux  le  supplément  de 
AFG,  sont  érraux  entre  eux.  De  même,  les  angles 
EGD,  AFG  étant  tous  deux  le  supplément  de  CGF, 
sont  égaux  entre  eux.  Il  en  résulte  que  les  bran- 
ches FB  et  GD  sont  placées  par  rapport  il  EH, 
d'un  côté  de  cette  droite,  de  la  môme  manière 
que  les  branches  GC  et  FA  sont  placées  de  l'autre. 
Si,  par  conséquent,  ces  deux  branches  se  rencon- 
traient, les  deux  autres  se  rencontreraient  aussi; 


LIGNES 


1164  — 


LIGNES 


et  les  deux  droites  distinctes  AB  et  CD  auraient 
deux  points  communs,  ce  qui  est  impossible.  Donc 


pliant  dès  lors  la  figure  le  long  de  cette  perpen- 
diculaire, on  fera  coïncider  les  extrémités  des  cor- 
des, et  par  suite  les  arcs  interceptés  entre  les  pa- 
rallèles; donc  ces  arcs  sont  égaux. 

Le  théorème  subsiste  lorsque  l'une  des  paral- 
lèles est  tangente;  car  la  perpendiculaire  abaissée 
du  centre  sur  la  corde  passe  alors  par  le  pnmt  de 
contact,  et,  en  pliant  encore  la  figure  le  long  de 
cette  perpendiculaire,  on  fait  encore  coïncider  les. 
doux  arcs.  .  ,    j     »  i 

28  —  On  appelle  angle  insn-it  un  angle  dont  le 
sommet  est  sur  la  circonlérence  et  dont  les  côtés 
sont  des  cordes.  ■.-,  , 

Tout  angle  inscrit  a  pour  mesure  la  moitié  de 
i'arc  compris  entre  ses  côtés.  Supposons  d  abord 
que  le  centre  O  du  cercle  soit  situé  sur  1  un  des 


ces  droites  ne  se  rencontrent  pas,  et  sont  par  con- 
séquent parallèles. 

RÉCIPROQUEMENT.  Si  deux  p'iralleles  AB  et  (.U 
sont  coupées  par  mie  sécante  EFtJH,  tes  angles  in- 
térieurs AFG  et  CGF  sont  supplémentaires.  Car, 
si  cela  n'était  pas,  on  pourrait  toujours,  au  point 
F,  faire  avec  FG  un  angle  égal  au  supplément  de 
CGF,  et  la  droite  ainsi  menée  serait  parallèle  a 
CD,  en  vertu  du  théorème  dh-ect.  On  pourrait 
donc,  par  un  même  point  F,  mener  deux  paral- 
lèles à  une  même  droite  CD,  ce  qui  est  impos- 
sible. ,  „  . 
24.  —  Remarques.  I.  Les  quatre  angles  en  i  et 
les  quatre  angles  en  G  forment  deux  groupes  qui 
se  correspondent;  et  l'on  nomme  corresponrjrmls 
les  angles  qui,  dans  CHS  deux  groupes  occupent  des 
positions  analogues.  Tels  sont  les  angles  Abbet 
CGF,  ou  AFG  et  CGH  ;  tels  sont  encore  les  angles 
EFB  et  FGD,  ou  BFG  et  DGH.  .  i 
On  appelle  angles  aUerncs-intemes  ceux  qui 
sont  situes  intérieurement  aux  parallèles,  de  part 
et  d'autre  de  la  sécante;  tels  sont  AFG  et  FGU,  ou 
bien  liFG  et  CGF. 

IL  Si  les  angles  intérieurs  AFG  et  Clil'  som 
supplémentaires,  les  angles  alternes-internes  Al'U 
et  FGU  sont  égaux  comme  étant  tous  deux  le  sup- 
plément de  CGF.  Et  les  angles  correspondants  AhG 
et  CGH  sont  égaux  entre  eux  comme  étant  tous 
deux  égaux  à  FGD. 

Réciproquement,  si  les  angles  alternes-internes 
sont  égaux,  ou  si  les  angles  correspondants  sont 
égaux,  les   angles  intérieurs   sont   supplementai- 

ifl  II  résulte  de  ces  remarques  et  des  théorèmes 
ci-dessus  que  :  1°  Si  deux  parallèles  sont  coupées 
par  une  sécante,  les  angles  intérieurs  sontstipplé- 
mentaires,  les  angles  alternes-internes  sont  égaux. 
les  angles  correspondants  so7it  égaux;  -r  Si  tune 
de  ces  relations  ■l'angles  a  lieu,  les  droites  coupées 
par  lu  sécante  sont  parallèles. 

25.  —  Deux  am/les  qui  ont  leurs  cotes  parallèles 
chacun  à  chacun  et  L'ouverture  dirigée  dans  te 
même  sens,  sont  égaux.  Car  si  l'on  prolonge  1  un 
des  côtés  du  premier  jusqu'à  sa  rencontre  avec  le 
côté  du  second  qui  ne  lui  est  pas  parallèle,  on  for- 
me un  troisième  angle  qui  est  égal  comme  corres- 
pondant à  chacun  des  angles  donnés. 

Si  les  angles  avaient  l'ouverture  tournée  dans 
un  sens  différent,  ils  seraient  supplémentaires. 

26.  —  Deux  angles  qui  ont  leurs  côtés  perpendi- 
culaires chacun  à  chacun  sont  égaux  ou  supplémen- 
taires. Car  si  l'on  fait  tourner  l'un  d'eux  à  90" 
autour  de  son  sommet,  ses  côtés  deviendront  paral- 
lèles à  ceux  du  second  angle. 

27.  —  Deux  parallèles  interceptent  sur  une  circon- 
férence des  arcs  égaux.  Si,  en  effet,  on  abaisse  du 
centre  une  perpendiculaire  sur  les  deux  cordes, 
elle  les  divisera  chacune  en  deux  parties  égales, 
et  le  point  où  elle  rencontrera  la  circonférence 
sera  le  milieu  commun  des  arcs  sous-tendus.  En 


côtés  de  l'angle.  Soit  ABC  cet  «|'?^,^-  "«"""'  '^ 
diamètre  DE  pnrallèle  i  AB;  I  ansU-  DOC  sera  égal 
h  ABC  puisqu'ils  sont  correspondants^L  angle  au 
centre  COD  a  pour  mesure  l'arc  CD.  Or  CD  --  «E. 
comme  interceptés  par  dos  angles  égaux,  I.UU  et 
BOE  et  BE  =  AD  comme  arcs  interceptes  par  aes- 
parallèles. Donc  CD  =  AD  ;  c'est-i-dire  que  CD.qui 
est  la  mesure  de  l'angle  ABC,  est  la  moitié  de 
l'arc  AC  intercepté  entre  les  côtes  de  1  angle  ins- 

"si  le  centre  tombe  dans  l'intérieur  de  l'angle 
nroposé,  on  mène  par  son  sommet  un  diamètre  qui 
le  divise  en  deux  angles  partiels  rentrant  dans  le 
cas   précédent.   Chacun  de  ces  angles  partiels  a 

!  pour  mesure   la  moitié  de  l'arc  qu  il  intercepte; 

i  l'angle  total  a  donc  pour  mesure  la  somme  de  ces 
mesures,  c'cst-i-dire  la  moitié  de  l'arc  compris  en- 
tre les  côtés  de  l'angle  inscrit. 

Si  le  centre  tombe  en  dehors  de  1  angle,  en  me- 
nant un  diamètre  par  son  sommet,  on  forme  deux 
andes  inscrits  rentrant  dans  le  premier  cas, .et 
dont  la  différence  est  l'angle  propose  ;  on  arrive 
encore  de  la  sorte  à  la  même  conclusion. 
i\).-L'a7,gleA^C(6e.r,)  formé  par  une  tangente- 


AU  et  par  une  corde  BC  ahoutis.wntaupointde 
tangence,  a  pour  nieswe  la  moitié  ''-^  '  «'''^  ^mC 
«,„  i  tendu  iiar  cette  corde.  Menons,  en  effet,  par  le 
loint  C t  dCite  CD'parallèle  .1  AB  ;  l'angle  inscrit 
BCD  sera  égal  à  ABC  comme  correspondant,  et 
aura  pour  mesure  la  moitié  de  BU.  Ur,  liu  es. 
égal  à  B»(C  comme  arcs  interceptes  par  des  pa- 
rallèles. Donc  ABC  a  pour  mesure  la  moitiû  ac 

^'ïuMAnQUE.  L'angle  A'BC  étant  le  s"PP>ém«« 
de  ABC,  la  somme   de  leurs  mesures  doit  lairo 


LIGNES 


1163  —  LIGN.  PROPORTIONNELLES 


lieux  quadrants.  L'angle  ABC  ayant  pour  mesure 
la  moitié  de  BmC,  l'angle  A'BG  doit  avoir  pour 
mesure  la  moitié  du  reste  do  la  circonférence,  ou 
la  moitié  de  BDC.  Ainsi  le  théorème  s'applique  à 
un  angle  obtus  comme  à  un  angle  aigu. 

30.  —  On  appelle  segment  d'un  cercle  la  partie  de 
ce  cercle  comprise  entre  un  arc  et  sa  corde.  Ainsi 
J'espace  ABB'B"CA  (flg.  18)  est  un  segment.  Il  en 


l-ig.  is. 

est  de  même  de  AMCA.  Tout  angle  qui  a  son  som- 
met sur  un  arc  de  cercle,  et  dont  les  côtés  abou- 
tissent aux  extrémités  de  sa  corde,  est  dit  inscrit 
daiis  le  segment  compris  entre  cet  arc  et  cette 
corde.  Ainsi  l'angle  ABC  est  inscrit  dans  le  seg- 
ment ABB'B'CA,  et  l'angle  AMC  est  inscrit  dans  le 
segment  AMCA. 

Tous  les  angles  inscrits  dans  un  même  segment 
sont  égaux,  puisqu'ils  ont  pour  mesure  la  moitié 
de  l'arc  sous-tendu  par  une  môme  corde;  et  le 
segment  est  dit  capable  de  l'angle  dont  il  s'agit. 
Ainsi,  par  exemple,  les  angles  ABC,  AB'C,  AB'  C, 
etc.,  sont  tous  égaux,  et  le  segment  est  ditcapable 
de  la  valeur  commune  de  ces  angles. 

Deux  angles,  tels  que  ABC  et  AMC,  inscrits  dans 
les  deux  segments  opposés  correspondants  à  une 
même  corde  AC,  sont  supplémentaires,  puisque  la 
somme  de  leurs  mesures  est  la  moitié  d'une  cir- 
conférence entière,  ou  deux  quadrants. 

Tout  angle  inscrit  dans  une  demi-circonférence 
est  un  angle  droit,  puisqu'il  a  pour  mesure  la 
moitié  d'une  demi-circonférence,  c'est-à-dire  un 
quadrant. 

31.  —  Cette  propriété  fournit  un  moyen  de  mener 
une  tangente  à  une  circonférence  0  (fig.  19)  par 
un  point  A  extérieur  à  cette  circonférence.  Pour 
cela  joignons  AO  ;  et  sur  cette  droite  comme  dia- 


LIGNES  PROPORTIONNELLES.  —Géométrie, 
IX.  X.  —  Définilio'is.  Le  rapport  de  deux  lignes 
est  le  quotient  qu'on  obtient  en  divisant  entre  eux 
les  nombres  qui  expriment  les  grandeurs  de  ces 
deux  lignes  mesurées  avec  la  même  unité.  Par 
exemple,  la  largeur  d'une  table  étant  de  81  centi- 
mètres et  sa  longueur  de  l'°,25,  c'est-h-dire  125 
centimètres,  le  rapport  entre  la  largeur  et  la  lon- 

gueur  est  —7)  ce    qui  signifie  que  la  largeur  est 

égale  à  84  fois  la  V2à°  partie  de  la  longueur.  Entre 

1?5 
la  longueur  et  la  largeur,  le  rapport  serait  —-1  ce 

qui  signifie  que  la  longueur  est  égale  à  125  fois  la 

1*5 
84^  partie  de  la  largeur.  Le  rapport^-  estïinverse 

du  rapport  — 7- 

On  appelle  proportion  une  égalité  entre  deux 
rapports.  Si,  par  cxemple.le  rapport  entre  deux  droi- 
tes a  et  é  est  égal  au  rapport  de  deux  autres  droites 
c  et  d,  on  peut  écrire 


Cette  égalité  est  une  proportion,  et  on  dit  que  les 
deux  droites  a  et  A  sont  proportionnelles  aux  deux 
autres  droites  c  et  d.  (\.  Proportion.) 

La  théorie  des  ligues  droites  proportionnelles 
est  une  des  plus  importantes  de  la  géométrie 
plane  ;  nous  allons  en  présenter  l'exposé  avec  la 
simplicité  qu'elle  doit  avoir  dans  l'enseignement 
primaire,  et  en  faisant  suivre  chaque  principe  des 
applications  dont  il  est  susceptible. 

TnÉoiiÈME  I.  —  Lorsque  lei  deui  côtés  d'un  an- 
gle sont  coupés  par  «es  droites  jiaralléles  entre 
elles,  si  les  parties  inlerceptées  sur  un  côté  sont 
égales,  l"s  parties  interceptées  sw  l'autre  sont  aussi 
égales  entre  elles. 

Supposons  les  droites  AA',BB'  et  CC  parallèles 
(fig.  1  ;,  et  OA'  =  A'B'  =  B'C  ;  les  parties  OA,AB  et 
BC  seront  aussi  égales  entre  elles. 


fig.  19. 

mètre,  décrivons  une  circonférence  qui  coupera  la 
première  en  deux  points  B  et  B'.  Tirons  AB  ;  ce 
sera  une  tangente  à  la  circonférence  O.  Car,  si  l'on 
joint  BO,  l'angle  ABO,  inscrit  dans  une  demi-cir- 
conférence, sera  droit,  et  AB  étant  perpendiculaire 
à  l'extrémité  du  rayon  OB  sera  tangente  à  la  cir- 
conférence 0. 
On  aurait  une  seconde  tangente  en  joignant  AB'. 
[H.  Sonnet.] 


Fig.  1, 

Pour  le  démontrer  considérons-en  deux  seule- 
ment, AB  et  BC  par  exemple,  et  menons  les  droi- 
tes AH  et  BK  parallèles  au  côté  OY.  Ces  droites 
sont  égales  l'une  h  A'B'  et  l'autre  à  B'C,  comme 
étant  les  côtés  opposés  des  parallélogrammes 
HAA'B'  et  KBIi'C  ;  elles  sont  donc  égales  entre 
elles.  Maintenant,  imaginons  qu'on  porte,  le  triangle 
BCK  sur  le  triangle  ABU,  en  appliquant  le  côtéBK 
sur  le  côté  Ail  qui  lui  est  égal;  le  côté  BC  se  pla- 
cera sur  la  direction  du  côté  AB,  puisque  les  an- 
gles CliK  et  BAH  sont  égaux  à  cause  du  parallé- 
lisme des  cotés  BK  et  AH,  et  l'extrémité  C  se 
trouvera  .sur  cette  direction.  De  môme,  les  angles 
CKB  et  BUA  étant  égaux  comme  ayant  leurs  cotés 
respectivement  parallèles,  le  côté  KC  prendra 
la  direction  de  HB  et  l'extrémité  C  se  trouvera 
sur  cette  direction.  Ainsi  le  point  C,  devant  être  à 
la  fois  sur  IIB  et  sur  AB,se  trouvera  à  leur  intersec- 
tion B.  On  voit  par  là  que  les  deux  triangles  coïn- 
cident, ce  qui  montre  que  les  côtés  AB  otBC  sont 
égaux. 


LIGN.  PROPORTIONNELLES    —  1166  —    LIGN.  PROPORTIONNELLES 


Application.  — Division  d'une  droite  en  parties 
égales. 

La  division  d'une  droite  en  2,  4,  8,  16  par- 
ties égales  revient  à  mener  une  perpendiculaire 
par  le  milieu  d'une  droite  ;  c'est  le  théorème  pré- 
cédent qui  fournit  le  moyen  de  diviser  une  droite 
en  un  nombre  quelconque  de  parties  égales. 

Soit  il  diviser  une  droite  AB  en  trois  parties 
égales  {fig.   2).   D'une  extrémité  B  on    mène  une 


B 


R 


Fig.  î. 

droite  indéfinie  BX,  faisant  avec  AB  un  angle  quel- 
conque. Sur  cette  droite,  on  porte  :\  partir  de  B,  à 
l'aide  du  compas,  trois  longueurs  BB,  BS,  ST  éga- 
les, mais  d'une  longueur  arbitraire  ;  on  joint  le 
dernier  point  T  à  l'autre  extrémité  A  et,  par  les 
autres  points  S  et  R,  on  mène  des  droites  parallè- 
les à  AT  :  ces  parallèles  coupent  la  droite  AB  en 
parties  égales. 

Nota.  Cette  division  se  fait  très  promptement, 
si  on  trace  les  parallèles  à  l'aide  de  la  règle  et  de 
réquerre. 

Théorème  II.  —  Quand  un  triangle  est  coupé 
par  une  droite  parallèle  à  l'un  de  ses  côtés,  tes 
deux  antres  côtés  sont  diviséi  par  cette  droite  en 
parties  proportionnelles. 

En  effet  divisons  le  côté  AB  (fig.  3)   en  parties 

2 
égales,  cinq  par  exemple,  la  partie  AD  est  les -de 

l'autre  partie  DE.  Si  du  point  D  on  tire  DF  paral- 
lèle ,\BC,  AF  sera  aussi  les-  de  FC. 


En  effet  si,  parles  points  de  division  du  côté  AB, 
on  mène  des  droites  parallèles  à  BC.  elles  parta- 
gent le  côté  AC  en  cinq  parties  égales,  et  comme  il 
y  en  a  deux  dans  AF  et  3  dans  FC,  on  voit  que  AF  est 

les   I  de  FC. 

Donc  les  deux  parties  du  côté  AC  sont  propor- 
tionnelles aux  deux  parties  du  côté  AB  ;  c'est  ce 
qu'on  exprime  par  la  proportion  suivante  : 


AD 

db' 


AF 

'  FC 


(1) 


Corollaires.  —  r  Les  parties  AD  et  AF  sont  les 
2 
y  des  côtés  correspondants  AE  et  AC  ;  les  parties 

BD  et  CF  sont  les  -  de  ces  côtés  ;  donc  les  côtés 

5 
AB  et  AC  sont  coupés  en  parties  proportionnelles 
entre  elles  et  proportionnelles  à  ces  côtés. 
On  a  ainsi  : 


AD 
AB' 


AF 

'ac 


BD 
Ail' 


CF 

'ac 


(2) 


2°  Si  le  côté  AB  était  par  exemple  les  -  du  côté 

AC,  chacune  des  cinq  parties  égales  de  AB  serait 

1 
les-  de  chacune  des  cinq  parties  égales  de  AC; 

7  7 

par  conséquent,  AD  serait  les  -  de  AF  et  BC  les  - 

de  CF;  donc  les  deux  parties  situées  d'un  même 
côté  de  la  sécante  parallèle  sont  proportionnelles 
aux  deux  autres  parties,  ce  qui  donne  la  propor- 
tion : 

DB      AB 


FC       AC 


(3) 


3°  Réciproquement,  si  une  droite  qui  coupe  un 
triangle  divise  deux  côtés  en  parties  proportion- 
nelles, elle  se  trouve  parallèle  au  troisième  côté. 

En  effet,  les  points  D  et  F,  par  exemple,  divi- 
sent chacun  des  côtés  AB  et  AC  en  deux  parties 

2 
dont  l'une  est  les  -^  de  l'autre.  Or,  la  droite  menée 

du  point  D  parallèlement  à   BG  doit  couper  aussi 

2 
le  côté  AC  en  deux  parties  dont  l'une  soit  les  -  de 

de  l'autre;  elle  doit  donc  aboutir  au  point  F;  car 
c'est  le  seul  qui  divise  le  côté  AC  en  deux  parties 

dont  l'une  est  les  -  de  l'autre,  et  par  suite  la  droite 

qui  joint  les  points  D  et  F  n'est  autre  que  cette 
parallèle. 
Applications.  —  1  °  Dans  un  triangle  (fig.  3)  on  a  AB 

«) 
=  20  millimètres,  AC  =  26  millimètres  et  AD  =  f 

o 
de  AB  ;  calculer  les  longueurs  des  quatre  parties 
déterminées  sur  les  côtés  AB  et  AC  par  la  droite 
DF,  menée  du  point  D  parallèlement  à  BC. 
On  a  d'abord  : 

t 


20 

2°  Problème.  —  Trouver  la  hauteur  d  qu'il  faut 
donner  à  un  rectangle  ayant  une  base  cpour  que 
sa  surface  soit  équivalente  à  celle  d'un  autre  rec- 
tangle dont  la  base  est  b  et  la  hauteur  a  (fig.  4). 


AD 

=  20 

puis 

ou 

trouve  ; 

BD  = 

211°° 

Oi 

a 

ensuite  : 

AF 
AC~ 

AD 
AB 

Si  les  dimensions  des  rectangles  étaient  données 
en  nombre,  on  calculerait  la  surface  en  multipliant 
entre  elles  la  base  b  et  la  hauteur  a,  et  on  divise- 
rait le  produit  par  c. 

Ici  il  s'agit  de  trouver  la  hauteur  demandée  par 
une  construction  géométrique. 

Or  on  doit  avoir  : 

cXf^  =  ax4 

En  divisant  les  deux  membres  de  cette  égalité 
par  a  et  par  rf,  on  trouve  la  proportion  ; 


LIGN.   PROPORTIONNELLES 


Ainsi  la  liauteur  demandée  rf  est  une  i'  propor- 
tionnelle aux  trois  droites  c,  a,  h. 

Pour  la  trouver,  on  porte  sur  un  côté  OX  d'un 
angle  quelconque  (fig.  6),  et  h  partir  du  sommet  O, 


1167  —   LIGN.  PROPORTIONNELLES 

les  points  A'  et  B'  des  droites  parallèles  à  C'C.  Ellcis 
divisent  OV.  en  parties  proportionnelles  aux  droi- 
tes OA',  A'ii',  B'G',  c'est-i-dire  proportionnelles  aux 
droites  n,  h,  c. 

ThèouIjme  IV.  —  Lorsqu'une  droite  joignant 
deux  côtés  i/'un  triangle  est  parallèle  au  troisième 
lea  trois  côtés  du  triangle  partiel  ainsi  formé  son] 
proportionnels  aux  trois  côtés  homologues  da  pre. 
mier  triangle. 

En  effet,  supposons  AD  égal  aux  -  de  AB  (fi     _, 

3  ^^^' 

AF  sera  les  -  de  AC,  et  il  reste  à  faire  voir  que 

3 

DF  est  aussi  les  -  de  BC. 


une  longueur  OC  =  c,  et  à  la  suite  iine  longueur 
CA  =  a;  sur  le  deuxième  côte  OY  une  longueur 
OB  =  t.  On  tire  la  droite  CB  et  par  le  point  A 
on  mène  la  droite  AD  parallèle  à  CB.  La  droite 
BD  est  la  droite  cherchée. 

Observations.  —  1"  On  pourrait  aussi  porter  les 
deux  longueurs  c  et  a  l'une  sur  l'autre  à  partir  du 
sommet,  par  exemple,  OC  =  c  et  OA  =  o;  on 
achèverait  la  construction  comme  précédemment, 
mais  alors  la  quatrième  proportionnelle  cherchée 
serait  OD. 

2°  Si,  au  lieu  d'un  rectangle  donné,  on  avait  un 
carré  dont  le  côté  serait  a,  le  problème  reviendrait 
à  chercher  une  quatrième  proportionnelle  aux 
droites  c,  a  et  a;  c'est  ce  qu'on  énonce  ordinaire- 
ment en  disant  :  chercher  une  troisième  propor- 
tionnelle à  deux  droites  G  et  A. 

Théorème  III.  —  Quand  les  côtés  d'un  angle 
sont  coupés  par  plusieurs  droites  parallèles  entre 
elles,  les  parties  interceptées  sur  l'un  des  côtés 
sont  proportionnelles  aux  parties  interceptées  sur 
l'autre. 

En  effet,  tirons  les  parallèles  A'A,B'B,CC'(fig.  C), 


et  supposons  que  OA'  soit,  par  exemple,  les  -  de 

OA.  D'après  le   théorème  II  (coroll.  2),  A'B'  sera 

4  4 

les  -  de  AB  et  OB'  les  -  de  OB.   Par  suite  dans  le 

ù  i 

4 
triangle  OCC,  B'C  sera  les  -  do  BC,  etc. 

Application.  —  Ce  théori'me  fournit  le  moyen 
âe  diviser  une  droite  en  parties  proportionnelles 
S.  des  droites  données.  Soit,  par  exemple,  à  divi- 
ser une  longueur  oc  en  trois  parties  proportion- 
nelles à  trois  droites  o,  b.  c  On  mène  de  l'extré- 
mité O  de  la  droite  donnée  une  droite  quelconque 
OY,  sur  laquelle  on  porte  ."i  partir  du  sommet  O 
les  longueurs  consécutives  0  A'  =  a,  A'B'  =  b,  B'C 
=  c;  on  joint  G  à  C  par  une  droite  et  on  mène  par 


Pour  cela,  on  mène  du  point  F  la  droite  FK  pa- 
rallèle h  AB,  et  à  cause  du  parallélogramme  BDFK 
la  droite  DFest  égale  à  BK.  Or  FK,  étant  parallèle 
à  AB,  coupe  les  deux  côtés  CA  et  CB  en  parties 
proportionnnelles  à  ces  côtés,  et  comme  AF  est  les 
3 

-  de  AC,  la  partie  correspondante  BK,  et  par  con- 
séquent la  droite  DF  qui  lui  est  égale,  est  aussi 
les  -  de  BC.  Le  théorème  est  ainsi  démontré. 

_  Corollaire.  —  Lorsqu'une  droite  joignant  deux 
côtés  d'un  triangle  est  parallèle  au  troisième  côté, 
ce  coté  et  la  parallèle  sont  coupés  en  parties  pro- 
portionnelles par  des  droites  quelconques  menées 
du  sommet  à  ce  côté. 


En  effet,  soit  DF  parallèle  à  BC  (fig.  8),  et  AD 

égal  aux-  de  AB.  D'après  ce  qui  vient  d'être  dé- 
5 

3  3 

montré,  DL  sera  les  -  de  BH  et  AL  les  -  de  AH  ; 

o  i> 

par  suite,  LI  sera  les-  de  HK,  etc. 

Application.  —  Ce  théorème  fournit  un  second 
moyen  fort  commode  pour  diviser  une  droite  en 
parties  égales  (flg.   9). 

Soit  à  diviser  la  droite  Z  en  5  parties  égales.  Sur 
une  droite  indéfinie  on  porto  cinq  longueurs  con- 
sécutives égales  entre  elles  mais  quelconques,  ce 
qui  donne  la  droite  BC.  Sur  cette  droite  on  cons- 
truit un  triangle  équilatéral  AB{;;  sur  les  côtés 
AB  et  ai;  on  prend  les  distances  AM  et  AN  égales 
.'i  /  et  on  tire  la  droite  MN  qui  se  trouve  égale  à  /. 
On  mènt^  ensuite  du  sommet  A  des  droites  aux 
poitits  d(^  division  de  la  base  BC;  ces  droites  di- 
visent MN  en  cinq  parties  égales. 


LIGN.  PROPORTIONNELLES    —  1168  —    LIGN.  PROPORTIONNELLES 

■t  la  hauteur  sont  des  droites  4  et  a;  on  devra 

ivoir  : 

Or  cette  égalité  donne  la  proportion  : 

/,       X 


Pour  cette  raison,  on  dit  que  la  droite  x  est 
moyenne  proportionnelle  entre  les  deux  droites  b 
et  a. 

Ainsi  une  droite  moyenne  proporti'ûinetie  entre 
deux  autres  droites  est  une  droite  dont  le  carré 
est  équiv(dent  au  produit  des  deux  autres. 

La  construction  de  la  moyenne  proportionnelle 
dépend  des  théorèmes  suivants. 

Théorème  VI.  —  Deux  cordes  qui  se  coupent  dans 
un  cercle  se  trouvent  divisées  en  parties  inverse- 
iiietit  proportionnelles. 

En  d'autres  termes  (fig.  11),  le  rapport  entre  une 


Fig.  9. 

Théorème  V.  —  La  bissectrice  d'un  angle  d'un 
triangle  coupe  le  côté  opposé  en  deux  parties  pro- 
portinnnelles  aux  deux  autres  côtés. 

Soit  AD   bissectrice  de  l'angle  BAC    (fig.   10). 


Fig.  10. 

Pour  démontrer  que  le  rapport  entre  BD  et  DC 
■est  égal  au  rapport  qu'il  y  a  entre  AB  et  AC,  me- 
nons du  sommet  C  une  droite  parallèle  h  la  bissec- 
trice, jusqu'à  la  rencontre  du  prolongement  du 
cùté  BA  en  F. 

A  cause  de  la  droite  AD  parallèle  à  GF  dans  le 
triangle  BCF,  on  a  : 


DB 

DC' 


BA 
'  AF 


Il  suffit  donc  de  faire  voir  que  AF  est  égal  à  AC. 
Or  l'angle  F  est  égal  à  l'angle  A,,  à  cause  du  paral- 
lélisme des  droites  AD  et  FG;  pour  la  même  rai- 
son, l'angle  Cj  est  égal  à  l'angle  Aj  ;  donc  les 
angles  Gj  et  F,  égaux  à  deux  angles  égaux  Aj  et 
A,,  sont  égaux  entre  eux,  et  par  suite  dans  le 
trïangle  CAF  le  coté  AF  est  égal  au  côté  AC.  On 

.     .  BD       BA 
trouve  amsi  ^  =  -^- 

Application.  —  Les  trois  côtés  d'un  triangle  ABC 
sont  : 

ABizzaî-n,  AC  =  28°'    et    BC  =  41"> 

Trouver  les  deux  parties  BD  et  DC  déterminées 
sur  le  côté  BC  par  la  bissectrice  de  l'angle  BAG. 
Le  théorème  précédent  donne  la  proportion  : 


BD 
DC' 


AB 

'ag 


ou      ÏTÔ  = 


En  augmentant  chaque   dénominateur   de  son 
numérateur,  on  obtient  cette  autre  proportion  : 


BD 


32 


DC-+-BD      2S-i-3ï 
De  là  on  tire  : 


BD  =  ii^  =  21-n,6(iC 

MoïBNNE  PROPORTIONNELLE.  —  Soit  à  trouver  le 
cùté  X  que  doit  avoir  un  carré  pour  que  sa  surface 
soit  équivalente  à  celle  d'un  rectangle  dont  la  base 


Fig.  a. 

partie  AB  de  la  première  corde  BC  et  une  partie 
AD  delà  seconde  DF  est  égal  au  rapport  qu'il  y  a 
entre  la  deuxième  partie  AF  de  la  seconde  et  la 
doifxième  partie  AC  de  la  première. 

Pour  le  démontrer,  tirons  les  cordes  BD  et  FC; 
les  angles  inscrits  ABD  et  AFG  sont  égaux  comme 
ayant  tous  deux  la  même  mesure,  la  moitié  de 
l'arc  CD  ;  il  en  est  de  môme  des  deux  angles  ins- 
crits ADB  et  ACF.  Rabattons  maintenant  le  trian- 
gle ABD  sur  le  triangle  AFG,  en  leur  conservant 
le  sommet  commun  A  et  en  appliquant  le  côté  AB 
sur  AF  en  AB'.  Les  angles  BAD  et  FAG  étant  égaux, 
le  cùté  AD  se  placera  sur  AC  en  AD',  et  le  triangle 
ABD  aura  ainsi  la  position  AB'D'.  Or,  l'angle 
.\B'D',  qui  n'est  autre  que  l'angle  ABD,  étant  égal 
à  l'angle  AFG,  le  côté  BD'  se  trouve  parallèle  à 
FC.  Par  conséquent  les  côtés  AF  et  AC  sont  divi- 
sés par  B'D'  en  parties  proportionnelles  à  ces  côtés, 
ce  qui  donne  la  proportion  : 


AB' 

AF   '' 


AD' 

■Se"' 


ou,  ce  qui  est  la  même  chose  ; 


AB 
AF 


AD 

'ag 


C'est  précisément  le  théorème  qu'il  s'agissait  de 
démontrer. 

Corollaire. — De  cette  proportion  on  lire  l'égalité  ; 

ABxAC  =  ADxAF 

Le  théorème  précédent  se  présente  ainsi  sous  la 
forme  suivante,  dont  l'application  est  plus  facile  : 
quand  deux  cordes  se  coupent  dans  mi  cerclc,lepro- 
duil  des  deux  parties  de  l'une  est  égal  au  pro- 
duit des  deux  parties  de  l'autre. 

Théoi\ème  VII.  —  La  perpendiculaire  abaissée 
d'un  point  de  la  circonférence  sur  un  diamètre  est 
moyenne  proportionnelle  entre  les  deux  parties 
qu'elle  forme  sur  ce  diamètre. 


LIGN.  PROPORTIONNELLES    —  H69  —     LIGN- PROPORTIONNELLES 

Ce  n'est  qu'un  cas  particulier  du  théorème  pre-       On  tire  les  cordes  DC  et  DB.  Les   angles  ADC 

et  B  sont  égaux,  comme  ayant  pour  mesure  la 
moitié  de  l'arc  DC.  En  prenant  AC  =  AC  et 
AD'  =  AD  et  en  joignant  C  et  D',  on  forme  le 
triangle  AC'D',  qui  n'est  autre  que  le  triangle 
ADC  retourné  ;  l'angle  AD'C  étant  égal  à  l'an- 
gle B,  la  droite  D'C  se  trouve  parallèle  à  DB.  On 
a  donc  la  proportion  : 


cèdent.  En  effet,  soit  la  corde  DF  perpendiculaire 
sur  le  diamètre  BG  (fig.  12)  ;  on  a  : 

ADXAF  =  ABxAC 

et  comme  AF  est  égal  à  AD,  l'égalité  précédente 
devient  : 

AD'  =  ABxAC 

ce  qui  est  le  théorème  énoncé. 

Application.  —  Construire  une  droite  qui  soit 
moyenne  proportionnelle  entre  les  deux  côtés  AB 
<it  AC  du  rectangle  ABDC  (fig.  13). 


/ 

■■•■•-.. 

A            C   H 

i>  c 

Fig.  13. 

On  prolonge  BA  d'une  longueur  AC  =  AC  ;  sur 
la  droite  BC'  prise  pour  diamètre,  on  décrit  une 
demi-circonférence  et  on  élève  en  A,  sur  le  dia- 
mètre, la  perpendiculaire  AF  :  cette  droite  AF  est 
la  moyenne  proportionnelle  cherchée. 

En  construisant  sur  AF  le  carré  AFGH,  on  a  le 
carré  équivalent  au  rectangle  ABDC. 

(Voir  d'autres  applications  de  la  moyenne  pro- 
portionnelle dans  l'addition  à  l'article  Aires, 
pages   56  et  57). 

Théorème  VII.  —  Si  d'un  poiyit  extérieur  à  un 
cercle  on  lui  mène  une  sécante  et  une  tangente 
terminées  à  la  rencontre  de  la  circonférence,  ta 
lanijente  est  moyenne  proportionnelle  entre  la 
sécante  entière  et  sa  partie  extérieure. 

Par   exemple,    la   tangente    AD     (fig.    14)    est 


moyenne  proportionnelle  entre   la  sécante  AB  et 
sa  partie  extérieure  AC.  La  démonstration  est  la 
même  que  celle  du  théorème  VI. 
2'  Partie. 


AC       AD' 
AD       AB 

AC 
°"    ÂD  = 

AD 
~  AB 

d'où  l'on  tire  : 

AD»  =  AC  X  AB. 

Théorème  VIII.  —  Si,  d'un  point  extérieur  à  un 
cercle,  on  lui  mène  deu.r  sécantes  terminées  à 
lit  rencontre  de  la  circonférence,  les  produits  de 
chaque  sécante  par  sa  partie  extérieure  sont 
égaux. 

En  effet,  on  a  (fig.  U): 

ABxAC  =  AD» 
AFxAG  =  AD« 

De  là  ou  déduit  : 

ABxAC  =  AFxAG. 

Ce  qui  démontre  le  théorème. 
Corollaire.  —  Cette  égalité  peut  être  mise  sous 
la  forme  de  la  proportion  suivante  : 


AB 

af' 


AG 


Elle  exprime  que  les  deux  sécantes  sont  inver- 
sement proportionnelles  à  leurs  parties  exté- 
rieures. 

Application.  —  Diviser  une  droite  donnée  m  en 
deux  parties  telles  que  la  plus  grande  soit  moyenne 
proportionnelle  entre  la  pius  petite  et  la  droite 
entière. 

On  construit  un  triangle  rectangle  ABC  (fig.  15), 
en  faisant  l'un  des  côtés  de  l'angle  droit  BAégalàla 


droite  m,  et  l'autre  côte  AC  égal  à  la  moitié  de  m; 
du  sommet  C  pris  pour  centre,  on  décrit  avec  CA. 
pour  rayon  une  circonférence  ;  on  rabat  la  par- 
tie extérieure  BD  de  l'hypoténuse  sur  BA  en 
en  BD';  la  droite  BA  est  partagée  au  point  D' 
conformément  au  problème. 
En  effet,  on  a  d'abord  la  proportion  : 


BA 

bf' 


BD 

ba' 


En    diminuant   chaque    dénominateur  de    son 
numérateur,  on  obtient  cette  autre  proportion  : 


BF  — BA       BA  — BD 


BA 
BD'' 


BD' 

'ad'" 


LIGUES 


BD'5  =  BAxD'A. 


—  H70  — 


LIQUIDES 


Observation.  —  Ce  problème  est  précisément 
celui  qui  est  énoncé  clans  les  ouvrages  classiques 
sous  cette  forme  bizarre  :  paitug'ir  une  droite  en 
moi/enne  et  extrême  raison. 

li  sert  à  inscrire  le  décagone  régulier  dans  un 
cercle  ;  car  on  démontre  que  le  côté  du  décagone 
est  la  plus  grande  des  deux  parties  du  rayon  par- 
tagé en  moyenne  et  extrême  raison. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

LIGUES.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL  ;  His- 
toire de  Irance,  XXXVHI-XL.  —  On  désigne,  sous 
ce  nom,  soit  une  confédération  permanente  entre 
plusieurs  villes  ou  Etats,  constituant  un  véritable 
organisme  politique  régi  par  dos  lois  particulières  ; 
soit  une  association  formée  par  des  particuliers 
en  vue  d'une  lutte  politique  ou  religieuse  ;  soit 
encore  une  alliance  temporaire  entre  des  souve- 
rains ou  des  Etats  ;  dans  ce  dernier  cas,  on  em- 
ploie aussi  les  mots  à'ulliance  (la  Triple  Alliance, 
la  Sainte-Alliance,  la  Quadruple  Alliance)  ou  de 
de  coalitinn. 

Parmi  les  ligues  de  la  première  catégorie,  nous 
citerons  la  Ligue  achéennc  et  la  Ligue  étdieune 
(V.  Crice,  p.  907-908)  ;  la  Ligue  lombardi; , 
(V.  Comtnunes,  p.  166,  et  Italie,  p.  10"5)  ;  la  Ligue 
hanséntiqiie  [\ .  Allemagne,  p.  US,  et  Communes, 
p.  47!)  ;  la  Ligue  suis<e,  formée  d'abord  de  trois, 
puis  de  huit,  et  plus  tard  de  treize  cantons  (V. 
Sui>:sf)  :  et  les  trois  Ligues  grisonnes,  qui  s'appe- 
laient la  Ligue  Caddée  ou  iie  In  Maison-Dieu,  la 
Ligue  Gr.se,  et  la  Ligue  des  Dix  Juridictions  ou 
des  Dix  Droitures  (V.  Suisse.) 

Au  nombre  des  ligues  de  la  seconde  catégorie, 
l'histoire  mentionne  en  particulier  la  Ligue  du 
Bien  pu'  Le,  formée  contre  Louis  XI  (V.  Louis  XI)  ; 
la  Ligue  de  Smalkalde,  formée  en  I5:j0  par  les 
protestants  d'Allemagne  (V.  Chnrlei-Quint  et  fle- 
forine)  ;  la  Sainte- Lit,  ue,  qui  joua  un  si  grand  rôle 
dans  les  guerres  de  religion,  sous  les  règnes 
d'Henri  llf  et  d'Henri  IV  (V.  Henri  lit,  Henri  H'); 
et  dans  notre  siècle,  les  associations  formées  en 
Angleterre  pour  obtenir  l'abolition  des  droits 
d'entrée  sur  les  céréales  et  la  réforme  électorale, 
sous  les  noms  â'.inti-Comlau)  League,  et  de 
Helorm   Len^w. 

Enfin,  parmi  les  simples  alliances  ou  coalitions, 
citons  la  Ligue  de  Camlirni  et  la  Samte-Ligne, 
formées  toutes  deux  à  l'instigation  du  papeJules  II, 
(V.  Gu  rres  d'Italie  et  Louis  XII),  et  la  Ligue 
d'Aiigsbourg  au  dix-septième  siècle  (\'.  Louis  Xh). 

LILI.ICÉKS.  —  V.  Lirioidées. 

LIQUIDI':S.  —  Physique,  VI.  —  La  liquidité  re- 
présente un  état  particulier  de  la  matière.  Tou- 
tes les  substances  minérales  et  un  grand  nom- 
bre de  matières  d'origine  organique  sont  sus- 
ceptibles, sous  certaines  conditions,  de  devenir 
liquides  et  de  conserver  cctt'^  forme  entre  des 
limites  déterminées  de  température,  limites  va- 
riables d'ailleurs  d'un  corps  h  un  autre.  Ainsi,  le 
soufre  est  li(|uide  entre  111°  et  ^00°;  le  mercure, 
entre  —  40"  et  3:M°;  le  phosphore,  entre -f  44°, 2  et 
250°,  etc.,  etc.  Certains  corps  simples  ont  pour- 
tant leur  tempéraiure  de  volatilisation  si  voisine 
de  celle  de  la  fusion  qu'il  est  impossible  de  les 
obtenir  fondus  sous  la  pressioii  ordinaire  ;  ils  se 
réduisent  en  vapeur  avant  de  devenir  liquides. 
L'arsenic  et  l'iode  sont  dans  ce  cas  ;  mais  il  suffit 
de  les  placer  en  vase  clos,  dans  un  tube  de  verre 
difficilement  fusible,  tube  que  l'on  a  soin  de  fer- 
mer hermétiquement  aux  deux  bouts,  pour  que, 
par  une  élévation  convenable  de  température,  la 
liquidité  de  ces  corps  se  produise  et  se  maintienne. 
Quant  aux  substances  organiques  à  composition 
très  complexe,  telles  que  la  cellulose,  l'amidon, 
le    gluten,    etc.,   l'élévation  de   température   n'a 


d'autre  effet  que  de  les  faire  se  décomposer  en 
produits  plus  simples.  Le  bois  que  l'on  chauffe 
en  vase  clos  ne  fond  jamais  ;  mais  ses  éléments 
s'associent  de  façons  diverses  et  engendrent  par 
un  groupement  nouveau  certains  produits  vola- 
tils :  l'acide  pyroligneux,  l'esprit  de  buis,  etc.  Quant 
aux  substances  qui  sont  gazeuses  h  la  température 
ordinaire,  l'acide  carbonique,  l'oxygène,  l'azote  et 
môme  l'hydrogène,  il  est  aujourd'hui  parfaitement 
établi  par  les  dernières  expériences  de  MM.  Cail- 
letet  et  Pictet  qu'elles  sont  tontes  sans  exception 
liquéfiables.  Ce  n'est  plus  qu'une  question  de 
pression  et  de  température. 

Voilàdoncun  premier  point  établi:  sauf  un  petit 
nombre  d'exceptions,  tous  les  corps  sont  capables 
d'affecter  la  forme  liquide.  Le  charbon,  il  est  vrai, 
n'a  pu  être  encore  fondu,  mais  il  est  susceptible 
de  se  dissoudre  dans  la  fonte  de  fer,  et  c'est  bien 
Ih  en  somme  un  genre  de  liquidité. 

Maintenant,  l'état  liquide  représente-t-il  une 
forme  bien  stable  de  la  matière'?  un  liquide  ne 
tend-il  pas  plutôt  k  abandonner  cet  état,  qui 
ne  serait  que  transitoire,  pour  se  convertir  en 
vapeur  ou  en  gaz  h  la  faveur  d'une  évaporation 
conlinue?  Il  y  a  lieu  ici  do  faire  une  distinction. 
Oui,  toutes  les  fois  que  le  corps  liquide  est,  par 
une  surface  libre,  en  contact  avec  le  vide  (si  nous 
pouvons  nous  servir  de  cette  forme  do  langage), 
ou  avec  un  gaz  non  saturé  do  sa  vapeur  ;  oui,  dans 
ces  conditions,  la  forme  liquide  n'est  que  transi- 
toire, le  groupement  moléculaire  qui  lui  corres- 
pond n'ofire  aucune  stabilité,  le  liquide  se  gazéifie 
de  lui-même  et  d'une  manière  continue  jusqu'à, 
ce  que,  dans  l'espace  vide  dont  il  vient  d'être  ques- 
tion, ou  dans  le  milieu  gazeux  qui  touche  la  sur- 
face libre,  la  vapeur  formée  ait  acquis  une  force 
élastique  égale  à  la  force  élastique  maxima  qui 
convient  h  la  te.mpérature  de  l'expérience.  Au  con- 
traire, l'équilibre  moléculaire  est  d'une  stabilité 
remarquable  à  partir  du  moment  où  la  condition 
précédente  relative  à  la  force  élastique  de  la  va- 
peur est  réalisée  ;  cette  persistance,  pour  ainsi  dire 
indéfinie,  de  l'état  liquide  est  en  outre  mani- 
feste quand  le  corps  n'a  pas  de  surface  libre. 
Citons  des  exemples.  Une  goutte  d'eau  est  in- 
troduite i  l'aide  d'une  pipette  dans  un  mélange 
d'huile  de  lin  et  d'essence  de  girofie  qui,  à  la 
température  où  l'on  opère,  a  la  même  densité  que 
l'eau  elle-même.  Cette  goutte  reste  alors  libre- 
ment suspendue  au  sein  du  mélange  comme  un 
aérostat  dans  l'atmosphère.  De  plus,  par  son  mode 
de  suspension,  elle  n'est  en  contact,  par  aucun 
de  ses  points,  ni  avec  un  solide  toujours  recou- 
vert d'une  mince  couche  gazeuze,  ni  avec  un  espace 
vide;  elle  n'a  pas,  en  d'autres  termes,  de  sur- 
face libre  dans  le  sens  que  nous  avons  attribué 
à  cette  expression.  Eh  bien,  on  peut  chauffer 
cette  eau  par  l'intermédiaire  du  liquide  qui  la  bai- 
gne jusqu'à  110,  V20,  l.SO"  sans  que  la  goutte 
d  eau  se  réduise  en  vapeur.  Dans  l'une  des  expé- 
riences dues  h  M.  Dufour,  de  Lausanne,  on  a  môme 
pu  chauffer  la  goutte  d'eau  jusqu'à  178°,  et,  alors 
que  la  force  élastique  de  la  vapeur  d'eau  corres- 
pondante à  cette  température  était  de  plus  de  S 
atmosphères,  la  goutte  est  restée  liquide  sans 
trace  de  vaporisation. 

Autre  expérience,  et  celle-ci  est  de  Cagnard- 
Latour  et  de  Drion.  L'éther  sulfurique,  sous  la 
pression  ordinaire,  bout  à  3j°  ;  mais  si  on  le  place 
dans  un  tube  clos,  de  diamètre  étroit  et  à  parois 
suflïsammont  épaisses  pour  résister  à  la  pression 
intérieure  de  la  vapeur  qui  va  se  former,  on  con- 
state que  cet  éther  peut  conserver  la  forme  liquide 
à  des  températures  bien  supérieures  à  celles  de 
l'ébullition  normale.  Drion  a  reconnu  que  la  liqui- 
dité de  l'éther  se  maintient  jusqu'à  19n'  environ  ; 
à  partir  do  cette  température,  il  se  réduit  totale- 
ment en  vapeur  dans  un  espace  qui  n'est  que  le 


LIQUIDES 


—  1171  — 


LIRIOIDÉES 


double  ou  le  triple  de  son  volume  primitif.  Los 
mêmes  exp<îrieiices  ont  été  faites  avec  l'ali-ool,  avec 
l'eau,  et  elles  ont  conduit  aux  niâmes  conséquences. 

Ce  n'est  pas  tout  :  la  môme  stabilité  du  grou- 
pement moléculaire  dans  les  liquides  se  montre 
encore  quand  on  abaisse  leur  température  jus- 
qu'au dejçré  habituel  de  leur  solidification.  Ainsi, 
on  évitant  tout  choc,  tout  ébranlement,  et  surtout 
en  empôcliant  le  contact  d'un  cristal  de  glace,  on 
a  pu  faire  descendre  l'eau  pure  i  10"  au-dessous 
de  zéro,  sans  amener  sa  congélation.  L'n  résultat 
analogue  a  été  obtenu  avec  le  soufre  et  le  phos- 
phore. En  prenant  les  précautions  convenables,  ce- 
lui-ci demeure  liquide  indéfiniment  i  la  tempéra- 
ture ordinaire. 

Voici  donc  un  autre  point  établi  :  L'état  liquide 
reprcseitte  un  équilibre  moléculaire  d'une  grande 
slabiUti}. 

Les  caractères  de  la  liquidité  sont,  on  l'a  dit 
ailleurs  —  V.  Hydrostatique,  Equilibre,  Capil- 
larité, Arcliimède  {principe  d')  —  1°  une  mobilité 
très  grande  des  molécules,  qui  fait  qu'un  liquide 
prend  très  exactement,  et  dans  tous  les  cas,  la 
forme  du  vase  qui  le  contient;  'i'  l'absence  de  frot- 
tement entre  les  molécules  du  liquide  qui  glissent 
l'une  sur  l'autre  ou  entre  ces  mêmes  molécules  et 
les  parois  des  corps  solides  le  long  desquelles  elles 
se  déplacent.  Le  principe  de  Pascal,  les  conditions 
d'équilibre  des  liquides  pesants  sont  les  consé- 
quences mêmes  de  cette  extrême  mobilité.  Nous 
n'insisterons  pas  sur  ce  point,  puisque  ces  ques- 
tions ont  été  traitées  ailleurs.  Nous  ferons  tou- 
tefois remarquer  que  cette  mobilité  des  particules 
liquides  n'est  pas  aussi  parfaite  qu'on  serait  porté 
à  le  supposer  tout  d'abord.  Il  existe  toujours  pour 
ce  genre  de  corps  une  certaine  viscosité  qui,  dans 
bien  des  cas,  n'est  pas  négligeable,  et  qui.  d'ail- 
leurs, change  très  notablement  de  valeur  quand 
on  passe  d'un  liquide  à  un  autre.  Ainsi  l'éther  et 
l'alcool  pur  ont  moins  de  viscosité  que  l'eau; 
celle-ci  en  a  moins  que  l'acide  sulfurique,  etc. 

Un  autre  caractère  des  liquides  sur  lequel  nous 
insisterons  un  peu  plus,  c'est  que  leur  corapressi- 
bilitc  est  très  faible;  elle  est  intermédiaire  entre 
ci'lle  des  solides  et  celle  des  gaz,  plus  grande  que 
celle  des  solides,  beaucoup  plus  faible  que  celle  des 
gaz.  Pendant  longtemps,  on  a  même  cru  qu'elle 
n'existait  pas,  et  on  donnait  des  liquides  cette  dé- 
finition :  ce  sont  des  fluides  incomjji-euibtes. 
C'est  une  erreur.  Les  expériences  des  académi- 
ciens de  Florence,  de  Canton,  de  Perkins,  d'OErsted, 
de  Regaault  no  peuvent  plus  laisser  de  doute  sur 
ce  point  :  tous  les  corps  de  la  nature,  quel  que  soit 
leur  état,  diminuent  de  volume  quand  on  exerce 
sur  eux  une  pression  mécanique.  Nous  décrirons 
ici  sommairement  les  expériences  d'CErsti-d,  qui 
sont  devenues  classiques,  paroe  qu'elles  présentent 
une  très  grande  netteié  dans  leurs  résultats. 

OErsted  plaçait  le  liquide  qui  devait  être  soumis 
i  l'expérience  dans  une  sorte  de  thermomètre  en 
verre  \  large  réservoir.  Le  tube  de  diamètre  étroit 
qui  surmontait  ce  réservoir  était  divisé  en  parties 
offrant  des  capacités  égales,  et  le  liquide  en  ques- 
tion se  trouvait  séparé  du  milieu  ambiant  par 
une  bulle  de  mercure  remplissajit  la  fonction  d'un 
index.  La  position  do  la  bulle  indiquait  le  volume 
occupe  par  le  liquide  avant  qu'aucune  pression 
étrangère  ne  s'exerçât  sur  lui.  On  introduisait  cet 
appareil, nommé pi<!3y?Hé/)'(?,dans  un  grand  cylindre 
en  verre  à  parois  épaisses,  rempli  complètement 
a  eau  et  surmonté  d'une  pompe  qui  permettait 
d  exercer  sur  l'eau  une  pression  allant  jusqu'à  G 
ou  8  atmosphères.  La  pression  était  d'ailleurs  me- 
surée exactement  à  laide  d'un  petit  manomètre 
*  air  comprimé  qui  se  trouvait  adapté  au  piézo- 
mètro.  Le  manomètre  dont  il  s'agit  consistait  tout 
simplement  eu  un  tube  de  verre  venical,  plein 
û  air,  ferme  par  le  haut  et  ouvert  par  le  bas.  Dans 


ces  conditions,  l'eau,  en  montant  dans  le  tube, 
fournissait,  par  la  réduction  de  volume  do  l'air, 
la  mesure  de  la  pression. 

On  faisait  fonctionner  la  pompe.  L'eau  dans 
laquelle  le  piézomètro  était  plongé  recevait  et 
transmettait  intégralement  la  pression  reçue  par 
le  liquide  que  ce  piézomètre  contenait.  Ledit  li- 
quide se  comprimait  à  son  tour  et  sa  diminution 
était  rendue  sensible  et  mesurable  par  la  marche 
de  l'index  de  mercure.  On  avait  donc,  d'une 
part,  la  diminution  de  volume  du  liquide  mis 
en  expérience,  et,  d'autre  part,  par  l'indication  du 
manomètre,  la  pression  exercée.  11  ne  restait  plus 
qu'à  déduire  de  \h,  par  un  calcul  fort  simple,  la 
réduction  deiolume  quesuhissait  l'unité  de  volume 
du  liquide  em/iloyé  pour  u»epressioa  d'une  atino- 
sphèie,  ce  qu'on  a  appelé  le  eo:-fficient  de  com- 
pressibililé  du  liquide.  Une  correction  était  indis- 
pensable. Il  est  évident  que  ce  que  l'on  observait 
directement  dans  le  piézomètre,  c'était,  non  pas  la 
diminution  absolue  de  volume  du  liquide,  mais  bien 
sa  compressibilité  apparente.  Car  le  réservoir  de 
verre  se  comprimait  tout  aussi  bien  que  le  liquide 
emprisonné,  puisqu'il  était  soumis  i  une  pression 
identique.  Il  fallait  donc,  pour  ai  river  au  résultat 
vrai,  ajouter,  à  la  compression  apparente  observée, 
la  diminution  réelle  de  volume  du  réservoir  vi- 
treux. Celle-ci  était  connue  à  l'avance  ;  la  correc- 
tion reconnue  nécessaire  devenait  donc  facile  à 
introduire  dans  le  calcul. 

On  a  ainsi  obtenu  pour  la  valeur  du  coefficient  de 
compressibilité  des  liquides  ci-après  les  nombres 
suivants  : 


Eau  h  11» 

Eau  àO» 

;i8  id 

Alroolà;" 

Etlier  à  d" 

. .      m  id . 
. . .      111  id. 

Mercure  à  0" 

4  id. 

On  remarquera  que  la  compressibilité  do  l'eau 
décroît  à  mesure  que  la  température  s'élève. 
On  remarquera,  en  outre,  ce  qui  dans  la  prati- 
que a  bien  son  importance,  quo  le  coefficient  de 
compressibiliié  du  mercure  est  extrêmement 
faible. 

Quant  à  la  propriété  qu'ont  les  liquides  d'être 
élastique^s,  nous  n'avons  pas  à  y  insister.  La  fa- 
culté qu'ils  possèdent  de  propager  le  son  en  est  la 
preuve  évidente.  (V.  Acoustique.)    [A.  lîoutan.] 

LIltlOlUÉES.  —  botanique,  .\XV.  —  Etym.  : 
Le  mot  Lirioiitées  a  été  créé  par  Brongniart  pour 
désigner  les  Liliacées  et  les  plantes  qui  s'en  rap- 
prochent le  plus. 

Brongniart  a  réuni  dans  la  classe  des  Lirioidées 
plusieurs  familles  naturelles  de  végétaux  mono- 
cotylédonés  dont  les  représentants  actuels  ont 
entre  eux  la  plus  grande  affinité.  Tous,  par  exem- 
ple, présentent  des  Rfurs,  h  symétrie  ternaire,  un 
périanthe  double  corollin,  composé   de  six  pièces. 

Nous  prendrons,  comme  type  do  la  classe  des 
Lirioidées,  la  famille  des  Liliacées  ;  ei,  par  com- 
paraison, nous  ferons  connaître  les  caractères  des 
familles  le»  plus  importantes  de  cette  classe. 

Le  nom  de  Liliacées  vient  du  latin  lilium,  qui 
signifie  lis. 

Caractères  botaniques  des  Liliacées.  —  La 
graine  des  Liliacées  présente,  de  dehors  en  dedans  : 
1*  un  tégument  séminal  généralement  dur,  crus- 
tacé,  fortement  coloré  en  brun  ou  en  noir,  et 
composé  presque  exclusivement  de  parenchyme 
corné;  2"  un  albumen  corné,  constitué  surtout  par 
de  la  cellulose,  et  une  petite  quantité  seulement 
de  m.itières  aleuriques  ;  .1°  un  embryon  très  pe- 
tit, dont  le  cotylédon  unique,  à  l'époque  de  la 
germination,  demeure  longtemps  enfermé  dans 
l'enveloppe  séminale  pour  absorber  tout  l'al- 
bumen. 


LIRIOIDEES 


—  1172  — 


LIRIOIDEES 


Les  racines  desLiliacées  sont  dites  fasciculées  ; 
elles  sont  grêles,  cylindriques,  peu  ramifiées  ; 
elles  naissent  de  la  partie  la  plus  inférieure  de 
la  tige  ;  elles  sont  d'autant  plus  jeunes  qu'elles 
naissent  plus  haut  sur  cet  organe. 

La  tige  des  Liliacces  peut  présenter  de  très 
grandes  variations  ;  elle  est  butheuse  dans  les 
lis,  les  tulipes,  \es  jncmtiies,  les  oignons;  sa  par- 
tie souterraine  forme  un  rhizome  dans  les  asper- 
ges, le  icenu  de  Solomon,  le  muguet;  sa  partie 
aérienne  est  volubile  et  grimpante  dans  les  ja/sc- 
pareilles;  elle  est  transformée  en  expansions  fo- 
liacées désignées  sous  le  nom  de  cladiides  dans 
le  petit  houx  {fragon)  ;  dans  un  petit  nombre 
d'exemples  seulement  cette  tige  devient  arbores- 
cente-ligneuse (di-agonniir,  yucca). 

Les  feuilles  sont  généralement  sessiles,  entiè- 
res, planes,  assez  épaisses  et  à  nervures  toutes 
parallèles;  sur  les  parties  souterraines  de  la  tige, 
les  feuilles  normales,  que  nous  venons  de  décrire, 
sont  remplacées  par  des  écailles  charnues  inco- 
lores, plus  ou  moins  développées,  Ces  feuilles, 
comme  la  tige  qui  les  porte,  sont  souvent  le  siège 
des  principe^l  actifs  que  contiennent  ces  végétaux  ; 
tous  fournissent  un  latex  incolore. 

L'inflorescence  est  tantôt  une  grappe  comme 
dans  les  jacinthes,  tantôt  une  cyme  comme  dans 
les  lis.  Dans  un  peiit  nombre  de  genres,  les  fleurs 
sont  solitaires  et  terminales  (ex.  :  tulipe). 

Chaque  fleur  présente  cinq  vcrticilles  formés 
chacun  de  trois  pièces;  les  pièces  des  deux  pre- 
miers verticilles,  pélaloides,  plus  ou  moins  adhé- 
rentes entre  elles,  fiiTmenl  \ii  përian'he  (entière- 
ment libres  :  lis,  —  adhérentes  :  jacinthe).  Les 
deux  verticilles  suivants  constituent  l'iutdrocée, 
dont  les  six  étamines  libres  (lis),ouàfiletssoudésà 
leur  base  avec  le  périantho  (jacinthe),  ont  des  an- 
thères oscillantes  introrses.  Au  centre  de  la  fleur 
on  trouve  le  gi/nécée  ou  cinquième  verticille;  ce 
dernier  présente  un  ovaire  supère  à  trois  loges, 
formé  de  trois  carpelles  adhérents  entre  eux,  et 
surmonté  d'un  style  terminé  par  trois  stigmates. 
Dans  l'épaisseur  des  cloisons  des  carpelles,  on 
trouve  des  glandes  ou  nectaires  sécrétant  une  li- 
queur sucrée  qui  a  pour  mission  d'attirer  les  in- 
sectes et  de  favoriser  la  fécondation  croisée.  On 
désigne  parfois  les  nectaires  des  Liliacées  sous  le 
nom  de  glandes  s-'ptales,  à  cause  de  leur  position 
Isepfa  signifie  cloisons).  Après  la  fécondation,  le 
gynécée  se  transforme  en  une  capsule  triloculaire 
polyspermeà  déhiscence  loculicitle.  Un  petit  nom- 
bre de  Liliacées  remplacent  la  capsule  sèche  dont 
il  vient  d'être  question,  par  des  baies  vivement 
colorées  dont  la  région  charnue  est  fort  appréciée 
de  certains  oiseaux  frugivores. 

En  s'appuyant  sur  des  considérations  tirées  de 
la  déhiscence  des  fruits,  de  l'adhérence  de  la  co- 
rolle avec  les  étamines,  et  de  la  consistance  de  la 
tige,  M.  Van  Tieghem  classe  les  Liliacées  comme 
il  suit  : 

LILIACÉES 


udés. 

Aiparaginées. 
Agraphis 
Hyacinthe 
.Muscarl 
Sella 

Hémérocalle    Asperge    j  2  ovule 
Pulyanthe  .Muguet     ■       dans 

Phormlum        Fragon     '  th.    log» 


Alo 


Dracsena  ) 


Usages  des  Liliacées.  —  1°  Plantes  d'ornement. 
Les  Liliacées  sont  cultivées  dans  les  jardins  à  cause 
de  la  beauté  et  de  l'éclat  du  périanthe  de  leurs 
fleurs.  Parmi  les  plus  répandues,  nous  citerons: 
les  lis  (lis  blanc,  lis  Martagon,  lis  tigré,  lis  du  Ja- 
pon) ;  les  fritdlaires on  couronnes  impériales;  les 
jacinthes,  les  oruithogales,  les  tubéreuses,  les  tu- 
lipes. C'est  en  Hollande  que  la  culture  des  tulipes 
est  portée  à  son  plus  haut  degré  de  perfectionne- 
ment. 

2°  Plantes  comestibles.  ■ —  La  partie  comestible 
des  Liliacées  est  fournie  par  leur  tige  ;  on  mange 
les  bulbes  crus  ou  cuits  des  "ignons,  des  poi- 
reaux, de  Vail;  à  titre  d'assaisonnement  on  con- 
somme aussi  les  bulbes  d'échalote,  de  civette,  de 
ciboule;  toutes  ces  espèces  appartiennent  au  genre 
ail  (allium).  On  recherche  beaucoup  les  jeunes 
pousses  étiolées  et  charjiues  que  donnent  au  prin- 
temps les  rhizomes  des  asperges.  Les  asperges 
les  plus  estimées  sont  celles  de  Montmorency, 
près  de  Paris. 

3°  Plantes  industrielles.  —  La  plus  importante 
des  Liliacées  employées  dans  l'industrie  est  le 
l'hormium  tenax  ou  tiyi  de  la  Nouvelle-Zélande. 
On  retire  chaque  année,  des  feuilles  de  cette 
plante,  des  fibres  très  longues,  fort  tenaces,  dont 
les  qualités  rappellent  celles  du  jute  et  du 
cliijta-yrass. 

On  extrait  des  fleurs  de  tubéreuses,  de  jacinthes 
et  de  /i\-,  des  parfums  très  recherchés.  Ces  par- 
fums nous  viennent  surtout  de  l'.^lgérie  ;  pour  les 
obtenir,  on  met  dans  un  vase  fermé  des  couches 
alternatives  de  pétales  de  lis,  de  tubéreuses,  etc., 
et  de  coton  imbibé  d'huile  de  bon  ;  on  laisse  ma- 
cérer pendant  quelques  jours  ;  on  remplace  les 
fleurs  par  des  fleurs  fraîches,  puis  on  soumet  le 
coton  à  l'action  de  la  presse  hydraulique  :  l'huile 
de  ben,  chargée  du  principe  odorant,  s'écoule;  il 
suffit  alors,  pour  isoler  ce  dernier,  d'employer 
convenablement  un  alcool  rectifié. 

4*  Plantes  niédicindes.  —  Parmi  les  Liliacées 
employées  en  pharmacie,  nous  citerons  :  la  Scilla 
maritima,  dont  les  bulbes  très  vénéneux  ne  doi- 
vent être  employés  qu'avec  les  plus  grandes  pré- 
cautions ;  cette  plante  croit  spontanément  dans 
les  dunes  des  bords  de  la  Méditerranée  et  de 
l'Océan;  et  Valoés,  dont  on  retire  une  résine  douée 
de  propriétés  purgatives  et  astringentes,  que  l'on 
désigne  sous  le  nom  de  la  plante  elle-même. 
L'aloès  est  une  liiiacée  arborescente  d'un  port 
très  élégant;  ses  feuilles,  fort  grandes,  terminées 
en  pointe,  sont  dentées  et  épineuses  sur  leurs 
bords;  elles  sont  dures  et  cassantes;  elles  for- 
ment une  large  rosace,  du  centre  de  laquelle  s'é- 
lève, au  moment  de  la  floraison,  une  hampe  char- 
gée de  fleurs.  Pour  obtenir  la  résine  dite  aloès, 
trois  procédés  sont  usités  :  le  premier,  qui  donne 
l'aloès  le  plus  pur,  consiste  à  couper  les  feuil- 
les assez  près  de  la  tige  et  à  les  placer  verti- 
calement dans  un  récipient,  de  façon  à  permettre 
au  liquide  qu'elles  contiennent  de  s'écouler  ; 
dans  le  second  procédé  on  hache  les  feuilles,  on 
en  exprime  le  jus,  qu'on  décante  ensuite  et  qu'on 
fait  évaporer  au  soleil.  Enfin,  h  la  Jamaïque,  on 
plonge  les  feuilles  dans  l'eau  bouillante,  on  ne  les 
y  laisse  séjourner  que  quelques  instants  ;  mais 
les  feuilles  retirées  sont  sans  cesse  remplacées 
par  des  feuilles  fraîches,  jusqu  k  ce  que  le  li; 
quide  paraisse  assez  chargé  en  résine  ;  celle-ci 
est  retirée  du  liquide  par  évaporation  Les  aloès 
croissent  dans  l'Amérique  tropicale,  dans  l'Inde, 
et  dans  la  région  de  l'Afrique  qui  regarde  l'ile  de 
Socotora. 

Pour  résumer  brièvement  les  caractères  bota- 
niques des  familles  naturelles  qui  forment,  avec 
les  Liliacées,  la  classe  des  Lirioidées,  nous  nous 
contenterons  de  les  exposer  sous  forme  de  tableau 
synoptique  : 


LIRIOIDIÎES 

Étamiiies  extroises,  trois  carpelles 
1  presque  libres,  trois  styles,  tléhis- 
I     ccncc  scpticide,  tégument  séminal 


—  1173 


LITTÉRATURE  ET  STYLE 


mince 

Mél&n  thacécs. 

lUamines   introrscs .   truis  carpelles 

adhérents,  style  simple,  iléhiscence 

luculiciile,  tégument  séminal  crus- 

tacé 

Liliacces. 

Plantes  bul- 

'Frùildéhis- 

beuses,  feuilles 

cenl.... 

Amaryllidèes. 

rcclinerviées, 

flours 

Fniil  indé- 

tiiicent.. 

Hypoxydées. 

Plonlcj  vo- 

éla-    { 

hiliiles, 

mines  1 

feuilles 

i    Plantes  à  tu- 

é,,»r=es,. 

1        hercules, 

1     feuilles  à  ner- 

loculaire.  . 

Dioscoréacées. 

1  vures  réticulées 

Feuilles 

l  lleuis  dioïques 

toutes  radi- 
cales, 

loculaire  .. 

Taccncées. 

Trois  i  Ktamincs   extror 

ses 

Iridacêcs. 

éla-       . 

mines  (  Etainines  inlrora 

es 

Durmaimiams 

Usages  des  Lirioïdèes  autres  que  les  Liliacèes. 

—  1°  Mélunthacées.  —  Les  plantes  de  cette  famille 
sont  presque  toutes  vénéneuses  ;  elles  ont  été  au- 
trefois employées  en  pharmacie;  elles  sont  beau- 
coup délaissées  aujourd'hui  parce  que  leur  emploi 
n'était  pas  sans  danger;  nous  citerons  le  coklii- 
que  iCautvmne  et  l'eiléOore  blaiic  (  Veratrum  al- 
bum). 

2°  AmnryllidéfS.  —  Un  certain  nombre  d'ama- 
ryllidées  sont  cultivées  comme  plante  d'ornement; 
tels  sont  :  le  luircisse  des  poètes,  le  narcisse- 
jo'iquiUe,  le  perce-neige,  le  crimtm,  le  pancra- 
tium,  etc.  La  plupart  des  bulbes  de  ces  végétaux 
sont  des  poisons  acres  et  violents. 

Les  agaves  sont  des  amaryllidèes  arborescentes 
qui  abondent  surtout  au  Mexique.  Ces  végétaux 
fleurissent  au  bout  de  dix-huit  à  vingt-cinq  ans  ; 
leurs  feuilles,  très  développées,  sont  dures  et  pi- 
quantes, les  blessures  qu'elles  provoquent  sont 
douloureuses  et  deviennent  facilement  le  siège 
d'une  suppuration  intense;  cet  accident  est  dû  aux 
petits  cristaux  d'oxalate  de  chaux  qui  pénètrent 
dans  la  plaie  en  même  temps  que  les  épines.  Lors- 
que les  agaves  fleurissent,  leur  bourgeon  floral 
donne  une  iiampe  de  10  à  l.î  mètres  de  hauteur; 
celle-ci  porte  à  son  extrémité  de  quatre  à  cinq 
mille  fleurs.  Au  Mexique,  les  agaves  sont  cultivées 
en  grand  pour  la  production  du  pulqui;  lorsque 
l'agave  va  fleurir,  on  coupe  le  bourgeon  floral,  et 
la  plaie  est  creusée  eu  forme  de  coupe  de  façon  à 
recueillir  la  sève  qui  s'écoule  ;  cette  sève  sucrée 
est  enlevée  par  des  ouvriers  au  moyen  de  pipettes 
et  placée  dans  des  jarres  où  on  la  laisse  fermenter  ; 
les  Mexicains  appellent  «Çfunmiel  la  sève  de  l'a- 
Kave,  Un  pied  d'agave  peut  fournir  jusqu'à  S  litres 
d'aguamiel  par  jour  et  l'écoulement  séveux  dure 
ordinairement  cinq  mois  ;  un  pied  d'agave  donne 
donc  jusqu'à  douze  hectolitres  d'aguamiel.  La  sève 
d'agave  fermentée  prend  le  nom  de  /lulqué  ;  c'est 
une  liqueur  rafratcîiissante  fort  agréable  au  goût. 
Par  la  distillation,  on  en  retire  un  alcool  nommé 
meiC'il. 

3°  Dioscoréacées.  —  Dans  cette  famille  se  trou- 
vent des  plantes  à  racines  tuberculeuses  comesti- 
bles, que  l'on  désigne  sous  le  nom  A'igniirnes; 
leurs  tubercules  se  mangent  cuits  sous  la  cendre. 

4°  Iridao'es.  —  Plusieurs  de  ces  végétaux  sont 
cultivés  comme  plantes  d'ornement;  tels  sont  : 
les  glaïeuls,  les  crocus,  les  irh. 

Les  stigmates  de  cro'us  fournissent  le  safran, 
usité  comme  condiment  dans  les  pays  chauds. 

Les  rhizomes  de  Viris  de  Florence  fournissent 
la    poudre    d'iris,    recherchée    comme   parfum   à 


cause  de  son  odeur  de  violette  ;  et  ceux  de  l'/ns 
fœtidissima  donnent  les  yois  d'iris  ou  pois  à  cau- 
tère. [C.-li.  Bertrand.] 

LITTÉRATUIIE  ET  STYLi:.  —  Nous  avon.s 
réuni  sous  ce  titre  les  deux  mots  communément 
employés  pour  désigner  le  double  examen  litté- 
raire que  comporte  en  France  et  à  l'étranger  le 
programme  du  brevet  de  capacité  du  degré  supé- 
rieur :  d'une  pari,  un  examen  théorique  sur  la  lit- 
térature, les  différents  genres  littéraires,  l'analyse 
et  la  critique  littéraires  ;  d'autre  part,  un  examen 
pratique  do  composition,  ou,  comme  le  disent  les 
candidats,  une  composition  de  slyle. 

La  première  partie  du  sujet,  l'étude  de  la  théo- 
rie littéraire,  eût  été  autrefois  désignée  sous  le 
nom  de  rliétorique.  Sans  vouloirsupprinier  le  mot, 
auquel  nous  renvoyons  pour  la  définition  et  pour 
quelques  développements,  nous  avons  pensé  qu'il 
est  trop  étroit,  trop  spécial  et  trop  technique  pour 
embrasser  les  notions  très  diverses  que  nous  pa- 
rait résumer  mieux  le  titre  plus  populaire  de 
littérature. 

Pour  l'étude  du  style  et  de  la  composition  lit- 
téraire, elle  ne  peut  guère  se  faire  que  par 
l'exercice  direct,  par  la  lecture  des  meilleurs  au- 
teurs, par  la  pratique  de  la  composition  méthodi- 
quement dirigée,  et  aussi  par  l'habitude  de  la 
parole. 

Voici  le  programme  que  nous  avons  suivi  dans 
ce  Dictionnaire  et  d'après  lequel  nous  avons  classé 
les  articles  se   rapportant  aux  études  littéraires  : 

PROGRAMME    DU   COURS   DE   LITTÉRATURE 

ET  DE  STYLE, 

\.  —  De  la  théorie  littéraire  et  de  la  rhétorique. 

But,  utilité,  historique.  —  V.  Litléraliireet  style, 

Rhétorique. 

II.  _  Règles  générales  de  l'art  d'écrire  ou  de  la 
composition  littéraire.  Invention,  disposition, 
élocution.  —  V.  Composition. 

III.  —  La  poésie.  Règles  particulières  aux  divers 
genres  :  poésie  épique,  lyrique,  dramatique,  di- 
dactique, satirique.  —  V.  Poésie.  Epnpée,  Lyri- 
que Igenre),  Dra^natique  ['lenrc)  et  Drame, 
Comédie,  Tragédie,  Epitr,',  Fable,  Satire. 

IV.  —  La  prose.  Règles  particulières  aux  divers 
genres  :  éloquence,  histoire,  romans,  lettres. 
—  V.  Prose,  Orateurs,  Discours,  Histoire,  Ruman, 
Epistolaire  (genre). 

V.  —  Du  style.  Des  figures.  Conseils  de  style.  — 
V.  aty/e.  Figures  de  style. 

VI.  —  Analyse  littéraire.  —  V.  Analys'-  littéraire. 

VII.  —  Critique  littéraire.  —  V.  Critique. 
VIll-IX.  —  Exercices  de  composition  gradués  :  cours 

élémentaire,    moyen,  supérieur.  —   V.   Compo- 
sition. 
X.    —   Exercices   d'élocution.    Le   discours.    — 
V.  Déclamution,  Discours. 

Quant  à  l'histoire  de  la  littérature,  nous  lui 
consacrons  deux  séries  d'articles  spéciaux,  dont 
on  trouvera  l'indication  aux  mots  Littérature 
française  et  Littératures  étrangères. 

De  ce  programme  il  n'est  pas  sans  intérêt  de 
rapprocher  ceux  de  quelques  pays  étrangers,  soit 
pour  leurs  écoles  normales,  soit  pour  les  exa- 
mens du  brevet  supérieur. 

SUISSE. 

École  normale  d'institutbices  de  Deléhont  (Gin- 
ton   DE  Beiine). 

PnEMiÈRE  ANNÉE  (5  heures  par  semaine).  — 
1.  Préceptes  de  rédaction  :  Invention  ;  —  dévelop- 
pement par  les  faits,  par  le  raisonnement,  par  lo 
pathétique.  Disposition  :  —  règles  applicables  à 
toute  espèce  de  sujet  ;  —  règles  particulières. 
Du  tissu  du  discours  :  des  tours,  des  mouvements 


LITTÉRATURE  ET   STYLE     —  1174  —     LITTÉRATURE  ET   STYLE 


et  des  figures.  Figures  de    mots   et    figures  de  1 
pensées.  —  Qualités  et  défauts  du  style. 

2.  Exercice  de  slyle  sur  des  sujets  faciles. 

3.  Analyses  de  descriptions,  do  narrations  et  de 
dissertations  faciles  pour  préparer  à  des  exercices 
de  rédaction. 

4.  Mnémonisation  et  récitation  de  morceaux 
choisis  en  vers  et  en  prose . 

5.  Compte  rendu  analytique  oral  ou  écrit, 
textuel  ou  substantiel  du  sujet  étudié. 

Deuxième  aiNnée    (5    heures  par   semaine).   — 

1.  Des  iJifférents  genrts  en  prose:  éloquence, 
genre  didactique,  histoire,    style  épistolaire,  elc. 

2.  Des  di/férents  gem-es  en  poésie  :  éléments  de 
versification,  grands  poèmes,  petits  poèmes,  poé- 
sie? fugitives. 

3.  Compositions  variées,  prises  dans  le  domaine 
des  connaissances  des  élèves,  en  s'attachant  prin- 
cipalement :  —  1°  à  la  justesse  do  la  pensée  ;  — 
2°  à  la  vérité  et  au  naturel  du  sentiment;  — 
3°  au  développement  régulier  des  idées,  en  épui- 
sant successivement  celles  du  sujet  donné  ;  —  4°  à 
l'arrangement  systématique  des  diverses  parties  de 
la  composition;  —  5°  à  l'expression  propre;  — 
6°  i  la  correction  et  à  la  clarté  du  style. 

i.  Répétition  générale  du  cours. 

5.  Exercices  de  mnémonisation  et  d'analyse  sur 
des  morceaux  de  littérature  choisis  dans  la  chres- 
tomathie  Vinet. 

6.  Exercices  de  déclamaiion. 
7-  Essais  d'improvisation. 
8.   Conférences  littéraires. 
N.  B.  Fendant  tes  deux  années,  les  compositiojis 

des  élèves  sont  curiigées  et  accompagnées  d'ubser- 
vations  ciiliques. 

(Plan  d'études  du  21  février  18G3.) 

PnoGllAMME    DE   L'eXAHEN   POl'R    I.E    BnEVET    DE    CAPA- 
CITÉ, Neuchatel. 

I.  Épreuve  obale.  —  1"  Connaissance  des  œu- 
vres ou  des  faits  lilléraires.  —  L'aspirant  devra 
prouver,  par  ses  réponses,  qu'il  a  lu,  qu'il  a  étu- 
dié assez  de  morceaux  ou  d'œuvres  appartenant  à 
la  littérature  classique,  pour  pouvoir  fournir  un 
exemple  de  chacune  des  espèces  de  compositions 
énumérées  ci-dessous  (désigner  ces  exemples  par 
leur  titre,  leurs  auteurs,  et  en  faire  une  analyse 
sommaire). 

L'aspirant  pourra  être  interroge  sur  l'apologue 
(ou  la  fable  >,  la  biographie,  la  chanson,  la  comédie, 
le  conte,  la  composition  didactique  en  prose  et  le 
poème  didactique,  le  discours  oratoire,  le  drame, 
l'élégie,  répigramme.l'épUre,  l'épopée  (épopée  hé- 
roïque, épopée  héroi-comique',  l'idylle,  la  lettre, 
la  nouvelle,  l'ode,  l'oraison  funèbre,  le  psaume,  le 
roman,  la  satire,  la  tragédie,  le  vaudeville. 

Il  devra  définir  les  espèces  de  compositions  qui 
précèdent,  ou  bien,  leurs  définitions  étant  données, 
nommer  ces  compositions  et  en  faire  ressortir  les 
principaux  caractères  ; 

Etablir  une  classification  des  œuvres  littéraires 
en  genres  principaux  et  genres  secondaires  ; 
expliquer  et  justifier  cette  classification  ;  énumérer 
les  espèces  de  compositions  en  vers  et  en  prose 
que  l'on  attribue  à  chaque  genre  ; 

Exposer  sommairement  les  règles  qui  concer- 
nent chacun  des  genres  ; 

Exposer  sommairement  les  règles  qui  sont  par- 
ticulières à  chaque  espèce  de  composition  ; 

Définir  la  littérature  en  général  ;  donner  d'autres 
définitions  ou  descriptions  de  la  littérature,  re- 
latives aux  divers  points  de  vue  sous  lesquels  on 
peut  la  considérer. 

2°  Théiirie  littéraire  ou  préceptes.  —  Définir  la 
théorie  littéraire;  diviser  cette  matière  en  ses  prin- 
cipales parties;  motiver  ou  expliquer  cette  division 
De   la   composition  en   général;   des    diverses 
opérations  qu'elle  comprend. 


Du  fond  et  de  la  forme  dans  la  composition  ; 
des  moyens  par  lesquels  le  fond  et  la  forme  se 
perfectionnent. . 

Des  idées,  des  pensées,  des  jugements,  des  rai- 
sonnements, des  formes  purement  logiques  et  des 
formes  litttéraires  de  raisonnement  ;  des  dévelop- 
pements et  de  l'amplification. 

Du  beau  en  général  ;  du  sentiment  esthétique, 
du  beau  dans  la  nature  et  dans  l'art,  des  carac- 
tères auxquels  on  le  distingue. 

Du  sublime,  de  ses  caractères,  de  sa  forme. 
Du  goût,  du  talent,  du  génie,  de  l'idéal. 
De  la  poésie,  des  principales  qualités  qui  font 
le  poète. 
De  la  versification  ;  de  son  utilité  pratique. 
Du  style  en  général,   de  la  diction,   de   l'élocu- 
tion,  de  l'action  et   de  la  prononciation  oratoires, 
de  la  lecture. 

Du  but  essentiel  de  la  parole  et  du  style,  des 
qualités  essentielles  du  style  et  des  défauts  oppo- 
sés à  chacune  de  ces  qualités. 

Des  qualités  du  style  qu'on  appelle  secondaires, 
particulières  ou  d'ornement  ;  énumérer  et  définir 
les  plus  importantes. 

De  l'harmonie  du  style,  du  nombre  oratoire,  de 
l'onomatopée. 

Du  style  figuré;  définition  de  la  figure  en  gé- 
néral ;  des  diverses  espèces  de  figures,  définition 
de  chaque  espèce:  en  donner  des  exemples. 

De  la  narration,  de  la  description,  de  l'exposition 
didactique,  du  dialogue,  du  style  lyrique,  du  style 
simple,  du  style  tempéré  ou  fleuri,  du  style  élevé 
ou  sublime,  du  style  pathétique,  du  style  coupé, 
de  la  période  et  du  style  périodique. 

II.  Epreuves  écrites.  —  1°  Analyse  littéraire. 
—   2°  Composition   littéraire. 

(Programme  du  10  septemljre  1S70.) 

PRUSSE. 

ÉCOLES  NORMALES  D'INSTITUTEURS. 

Pbemiiîre  ANNÉE.  —  Lecturc  de  iTiorccaux  choisis. 
Exercices  oraux  et  écrits  d'élocution  et  de  compo- 
sition. Notions  sur  l'essence  et  la  forme  de  la  poésie, 
les  éléments  de  la  métrique,  la  rime.  Poésie  lyri- 
que :  la  chanson;  poésie  épique:  la  narration 
poétique,  la  légende,  le  conte,  la  ballade  ;  poésie 
didactique  :  la  fable  et  la  parabole. 

DEUXii!ME  AN.vÉE.  — Lecture  de  morceaux  choisis 
en  prose  et  en  vers,  plus  étendus  et  plus  diffici- 
les que  ceux  de  l'année  précédente.  Ces  morceaux 
serviront  à  faire  connaître  aux  élèves  les  carac- 
tères généraux  de  la  poésie  lyrique,  épique  et 
dramatique  :  la  chanson  populaire,  l'ode,  la  bal- 
lade, la  romance,  l'épopée,  le  drame. 

Troisième  année.  —  Révision  des  matières  en- 
seignées dans  les  deux  années  précédentes,  com- 
plétée par  de  nouvelles  lectures.  De  ces  lectures, 
les  unes  sont  privées,  les  autres  se  font  en  classe. 
Pour  les  lectures  privées,  la  bibliothèque  de 
l'école  mettra  entre  les  mains  des  élèves  les  chefs- 
d'œuvre  de  nos  poètes  et  de  nos  prosateurs.  Le8 
morceaux  lus  en  classe  seront  expliqués  tant 
pour  le  fond  que  pour  la  forme:  on  choisira  des 
morceaux  de  poésie  et  de  prose  allemande,  appar- 
tenant k  la  période  postérieure  à  Luther,  et  em- 
pruntés de  préférence  aux  auteurs  classiques.  Un 
certain  nombre  des  morceaux  de  poésie  expliqués 
seront  appris  par  cœur. 

[Programme  du  15  octobre  1872.) 

ITALIE. 
ÉCOLES  NORMALES. 

Première  année.  —  Lecture  et  explication  de 
morceaux  choisis  de  bons  auteurs.  Exercices  de 
composition  :  narrations,  descriptions,  lettres. 


à 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  1175  —     LITTÉRATURE   FRANÇAISE 

DcuxitMi!  ANMÎE.  —  Los  priiicipalps  figures  de 
graniniaire.  l'rc'i-rptes  et  exercices  relatifs  à  la 
construction  do  la  période.  Lecture  et  explication 
de  morceaux  choisis  de  bons  auteurs.  Observations 
et  exercices  sur  la  pureté  et  la  propriété  des  ter- 
mes et  des  locutions.  Exercices  de  composition  : 
narrations,  lettres,  rédactions  usuelles. 

TiioisitMB  ANNÉE.  —  Exemples,  règles  et  exer- 
cices relatifs  aux  qualités  générales  du  style  : 
clarté,  pureté,  propriété,  convenance,  élégance. 
Les  tropes  et  les  figures  de  pensées  ;  règles  et 
exemples.  Les  principales  compositions  en  prose 
du  genre  narratif  et  du  genre  didactique.  Exer- 
cices de  composition  :  narrations,  compte  i-endus, 
discours,  dialogues. 

{Programme  du   10  octobre  18G7.) 

I.lTTERATUniC  l'IlAKÇAlSE.  —  Etmi/ue,  li- 
mites et  divisions,  —  Il  y  a  deux  manières  d'envi- 
sager l'iiistoire  de  la  littérature  française,  et, 
suivant  celle  qu'on  adopte,  cette  histoire  présente 
une  étendue,  des  limites  et  des  divisions  très  dif- 
férentes. Pendant  longtemps,  on  a  restreint  notre 
littérature  i  la  suite  des  œuvres  écrites  dans  cette 
langue  mûre  et  perfectionnée,  aujourd'hui  parlée 
et  comprise  parles  classes  instruites  de  la  société 
dans  nos  diverses  provinces,  et,  en  ce  sens,  notre 
histoire  littéraire  remonterait  à  peine  au  commence- 
ment du  XVII'  siècle.  Laissant  de  côté  les  auteurs 
dont  le  langage  vieilli  no  se  comprend  bien  qu'avec 
le  secours  d'un  dictionnaire,  elle  prendrait  pour 
point  de  départ  la  réforme  classique  de  Malherbe 
qui,  après  les  tentatives  de  restauration  gréco- 
latine  du  XVI"  siècle,  vient  enfin  mettre  la  langue 
et  la  littérature  dans  une  voie  qu'elles  ne  devaient 
plus  quitter.  Son  champ  serait  alors  assez  borné, 
et  les  divisions  en  seraient  faciles;  elles  corres- 
pondraient aux  trois  siècles  écoulés  depuis 
Malherbe  :  le  .wii',  le  xviri*  et  le  xix=  siècles. 

Mais  la  critique  de  nos  jours  a  élargi  singuliè- 
rement notre  horizon.  Elle  nous  enseigne  h  cher- 
cher la  littérature  d'un  peuple  dans  toutes  les 
manifestations,  écrites  ou  parlées,  de  son  génie, 
à  toutes  les  périodes  de  l'histoire  nationale  et 
à  travers  toutes  les  révolutions  de  la  langue.  Dans 
ce  sens,  l'histoire  de  la  littérature  d'un  peuple 
remonte  jusqu'aux  origines  de  sa  nationalité,  en 
suit  et  en  reflète  toutes  les  phases.  Ainsi  entendue, 
l'histoire  de  la  littérature  française,  comme  celle 
de  toute  littérature  moderne,  offre  trois  grandes 
périodes,  corres|iondant  aux  divisions  mômes  de 
l'histoire  générale  :  le  moyen  âge,  la  Renaissance 
et  les  temps  modernes.  Des  subdivisions  plus  ou 
moins  nombreuses  peuvent  être  établies,  soit  d'a- 
près des  points  de  repère  chronologiques,  comme 
les  siècles  ou  les  règnes,  soit  d'après  l'influence 
dominante  des  hommes  et  des  œuvres,  ou  d'après 
les  conséquences  d'événements  qui  cliangent  les 
conditions  d'existence  extérieure  ou  morale  de  la 
société.  Si  la  division  par  siècles  s'applique  assez 
bien  aux  diverses  phases  de  notre  liitérature  de- 
puis la  Renaissance,  c'est,  au  contraire,  d'après 
les  genres  et  les  œuvres  qu'il  nous  parait  néces- 
saire de  diviser  la  longue  période  littéraire  du 
moyen  âge,  où,  en  dehors  des  limites  chronolo- 
giques ordinaires,  on  voit  les  mêmes  genres  se  con- 
tinuer et  souvent  les  mêmes  œuvres  se  reprendre 
de  siècle  en  siècle,  en  se  transformant  suivant 
les  idées,  les  mœurs,  l'état  social  contempo- 
rain. 

I.  PnESiiÈRE  PÉRIODE.  —  Moyen   âge. 

1°  Premiers  éléments  de  lonr/ue  et  de  poétie.  — 
Il  est  difficile  de  marquer  l'époque  précise  où  com- 
mence la  langue  française,  et,  dans  cette  langue, 
les  premiers  germes  d'une  littérature.  Pendant  la 
suite  d'invasions  dont  l'ancien  sol  gaulois  a  été  le 
théâtre,  notre  histoire,  notre  langue  et  notre  litté- 
rature  sont   tour    à   tour    celtiques,   romaines, 


franques,  gallo-romaines  ou  gallo-franques.  De 
l'époque  celtique  ou  gauloise,  nous  savons  peu  de 
chose,  soit  sur  la  langue  elle-même,  soit  sur  la 
littérature,  et  ce  sont  dos  éléments  bien  incertains 
de  l'une  et  de  l'autre  qu'on  peut  retrouver  dans 
l'idiome  de  nos  paysans  bretons  et  dans  leurs 
chansons  populaires,  en  y  cherchant,  i  quinze  siè- 
cles de  distance,  un  écho  des  chants  sacrés  des 
druides.  La  langue  et  la  littérature  des  Romains 
ont  laissé  dans  l'histoire  de  l'ancienne  Gaule  des 
traces  plus  faciles  ."i  recueillir.  Toutes  nos  contrées 
du  midi,  de  Marseille  â  Bordeaux,  de  Lyon  à  Tou- 
louse, ont  eu  leurs  écoles  d'éloquence  et  de 
poésie  latines,  et  il  y  eut  un  moment  où  l'empire 
romain  en  décadence  trouva  son  principal  éclat 
littéraire  dans  ses  provinces  gauloise*.  Mais  ce 
développement  tout  latin  du  génie  gaulois  appar- 
tient i  l'histoire  de  la  littérature  romaine  et  nous 
touche  seulement  par  l'influence  que  colle-ci  a 
exercée  sur  nos  populations  indigènes,  leur  langue 
et  leur  caractère.  L'élément  germanique  qui,  après 
l'invasion  des  Francs  en  Gaule,  a  une  si  grande 
part  dans  les  transformations  politiques  et  ethno- 
graphiques de  l'Europe,  n'a  qu'une  très  médiocre 
importance  littéraire.  Les  diverses  tribus  germa- 
niques, également  voisines  de  leur  origine  barbare, 
n'avaient  guère  de  traditions  de  culture  intellec- 
tuelle h  se  transmettre,  et  chacune  d'elles,  sur  le 
point  où  elle  s'établit,  en  est  aux  premiers  tâtonne- 
ments d'une  grossière  poésie,  qui  va  prendre  ses 
allures  et  ses  formes  propres  dans  la  diversité  des 
circonstances  locales  et  historiques.  Loiii  de  par- 
ticiper au  réveil  du  peuple  gaulois,  l'élément  tudes- 
que  s'élimine  visiblement  de  la  langue  comme  des 
idées  de  la  nation  reconstituée  de  co  côté  du  Rhin 
par  Cliarlemagne,  et  l'on  est  étonné  de  voir  com- 
bien peu  de  mots  d'origine  germanique  subsistent 
à  côté  du  latin  dans  les  plus  anciens  monuments 
de  la  première  langue  vulgaire  française  désignée 
sous  le  nom  de  langue  romane. 

Cette  langue  laisse  entrevoir  sa  physionomie  pro- 
pre dans  un  premier  document,  le  double  serment 
de  Strasbourg,  prêté  en  842,  par  Louis  le  Germa- 
nique à  Charles  le  Chauve  et  par  les  soldats  de 
Charles  à  Louis,  avant  de  marcher  contre  Lothaire. 
On  y  voit  disparaître  ces  désinences  changeantes 
par  lesquelles  les  mots  latins  marquent  leurs 
rapports  entre  eux,  et  l'on  y  remarque  aussi  l'ab- 
sence de  l'article.  Voici  le  texte  et  la  traduction 
de  la  première  partie: 

Pour  l'anioiir  de  Dieu  et 
pour  le  peuple  chrétien  et 
notre  commun  salut,  de  ce 
jour  en  avant,  autant  que 
Dieu  m'en  donne  le  savoir  et 
le  pouvoir,  je  sauverai  mon 
frère  Charles,  ici  présent,  et 
lui  .serai  en  aide  en  chaque 
chose,  ainsi  qu'un  homme 
scion  la  justice  doit  sauver 
son  frère,  en  tout  ce  qu'il 
ferait  de  la  même  manière 
pour  moi,  et  je  ne  ferai  avec 
Lothaire  aucun  accord,  qui, 
de  ma  volonté,  portcraitdom- 
mage  à  mon  frère  Charles, 
ici  présent. 

Cette  langue  naissante  de  populations  encore 
barbares,  livrées  à  toutes  les  incertitudes  d'un  état 
social  en  formation,  va  bientôt,  au  milieu  d'un  dou- 
ble courant  de  faits  et  d'influences,  se  partager  en 
deux  idiomes  distincts  et  rivaux,  la  langue  d'oïl 
et  la  langue  d'oc,  c'est-à-dire  la  langue  du  nord  et 
la  langue  du  midi  de  la  France.  Et  ces  deux  langues, 
parlées  par  des  populations  dont  l'hostilité  ira, 
dans  la  gucrn!  des  Albigeois,  jusqu'à  l'extermi- 
nation, partagées  elles-mêmes  en  deux  familles 
de  dialectes,  auront  deux  littératures  différentes, 
répondant  à  la  diversité  des  milieux,  des  races  et 


Pro  Deo  amur  et  pro  cliris- 
ti.Tn  poplo  et  nostro  com- 
mun saivament,  dist  di  en 
avant,  in  quant  Deus  savir 
et  potir  me  dunat,  si  salvara 
jeo  eist  meon  fratre  Karin, 
et  in  adjudha  et  in  cadhuna 
coza,  si  cnm  um  per  droit  son 
fradra  salvar  dist  in  o  quid 
il  mi  altresi  fazet,  et  ab  Lu- 
dher  nul  plaid  nunquam 
prindrai,  qui.  meon  vol,  cist 
meon  fradre  Karlo  iu  damno 
sit. 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  H76  —     LITTÉRATURE   FRANÇAISE. 


des  événements.  Mais  le  Nord  doit  l'emporter,  en 
littérature  comme  dans  l'iiistoire,  snr  le  Midi.  La 
langue  provençale,  si  gracieuse  et  si  sonore,  avec 
les  inventions,  plus  ingénieuses  que  puissantes,  de 
ses  poètes  ou  troubadours  ',  rentrera  dans  l'ombre 
des  langues  et  des  littératures  mortes,  tandis  que 
les  rudes  et  sourds  dialectes  du  Nord  formeront 
par  leur  fusion  la  langue  française,  et  que  les 
compositions  barbares,  mais  fortes,  de  leurs  trou- 
vères resteront  dans  le  patrimoine  ou  dans  la  tra- 
dition directe  de  la  littérature  nationale. 

Dans  la  langue  du  serment  de  Louis  le  Germa- 
nique, on  ne  s'attend  pas  à  trouver  de  riches  pro- 
ductions littéraires.  Les  premières  que  l'on  signale 
sont  de  simples  chansons,  qui  ont  reçu  le  nom  de 
candlènes,  à  cause  de  la  lenteur  mélancolique 
avec  laquelle  elles  se  disaient  {cantus  lenis).  Il 
nous  en  est  parvenu  une  qui  a  un  caractère  exclu- 
sivement religieux  :  c'est  la  Cantilime  de  sainte 
Eulatie,  qui  appartient  au  x'  siècle  et  qui  est  le 
plus  ancien  monument  littéraire  de  notre  langue, 
i  peine  échappée  des  langes  de  la  latinité,  mais 
déjà  affrancliie  de  tout  germanisme.  C'est,  en  sept 
stances  inégales,  la  rapide  et  naïve  esquisse  de  la 
vie  et  de  la  mort  d'une  vierge  martyre.  Il  nous 
suffira  d'en  citer  le  début  : 

Buona  pulcella  fut  Eulalia  ; 
Bel  avret  corps,  bellezour  anima. 
Voldrent  la  veintre  li  Deo  inimi, 
Vcldrent  la  faire  diable  servir. 

(Eulalie  fut  une  bonne  jeune  fille  ;  —  Elle  avait 

beau  corps,  plus  belle  âme Voulurent  la  vaincre 

les  ennemis  de  Dieu,  —  Voulurent  lui  faire  servir 
le  diable.) 

Le  plus  souvent,  sans  exclure  le  sentiment  reli- 
gieux toujours  dominant,  au  moyen  âge,  dans 
l'art  comme  dans  la  vie,  la  cantilène  était  inspirée 
par  des  souvenirs  guerriers  ;  c'était  un  chant  de 
combat  011  de  victoire,  ou  une  complainte  sur  la 
inort  d'un  héros  avec  un  résumé  légendaire  de  sa 
vie.  Elle  popularisait,  par  une  poésie  grossière, 
les  événements  et  les  personnages,  mais  elle  en 
dénaturait  peu  à  peu  le  caractère  historique  et 
surtout  les  proportions,  donnant  souvent  le  pre- 
mier rang  dans  l'imagination  i  ce  qui  avait  tenu 
le  moins  de  place  dans  la  réalilé.  La  cantilène  est 
devenue  le  point  de  départ  et  le  thème  des  grands 
romans  épiques  ou  chansons  de  geste,  qui  sont  res- 
tés les  principales  œuvres  littéraires  du  moyen  âge. 

2°  Les  grnuds  poèmes  épiques.  —  La  chanson  de 
geste  est  une  sorte  d'épopée  spontanée,  continue 
et  collective,  qui  jaillit  de  l'imagination  populaire, 
changeant  de  jour  en  jour  de  forme,  comme  la 
langue  elle-même,  recevant  de  bouche  en  bouche, 
suivant  les  temps  et  les  lieux,  des  développements 
nouveaux,  se  mettant  sans  cesse  en  harmonie 
avec  les  idées,  les  mœurs,  les  sentiments,  les  pas- 
sions de  la  foule  à  laquelle  elle  s'adresse.  Le  mot 
geste,  dans  son  sens  particulier,  exprime  toute 
la  suite  des  hauts  faits  accomplis  par  un  peuple 
011  par  une  famille,  en  entendant  toutefois  par  fa- 
mille un  groupe  de  personnages  unis  moins  par 
le  sang  et  la  naissance,  que  par  l'accomplissement 
d'une  série  de  grandes  œuvres,  par  une  commu- 
nauté de  destinée  héroïque.  Les  auteurs  des  chan- 
sons de  geste  sont  le  plus  souvent  incertains  ou 
tout  i  fait  inconnus.  Pour  quelques-unes  des  plus 
célèbres,  on  ne  sait  que  le  nom  du  copiste  qui  les 
a  transcrites  ou  du  chanteur  ambulant  qui  les  ré- 
citait.^ Il  semble,  au  milieu  de  leurs  transforma- 
tions incessantes,  que  le  peuple,  véritable  créateur 
du  sujet  et  des  héros,  ait  dédaigné  de  garder  le 
souvenir  de  l'artiste  qui  avait  donné  à  l'œuvre,  non 
sa  marque  individuelle,  mais  celle  do  la  nation  et 
du  temps. 

Les  premières  chansons  de  geste,  sorties  par 


ne  remontent  pas  au  delà  du  milieu  du  xi°  siècle. 
Mais,  l'élan  une  fois  donné,  la  verve  d'invention 
populaire  fut  aussi  rapide  qu'inépuisable,  et  le 
xii'  siècle  nous  en  montre  déjà,  le  riche  épanouis- 
sement. 

Prises  dans  leur  ensemble,  les  chansons  de 
geste  étaient  divisées  par  leurs  inventeurs  eux- 
mêmes  en  trois  groupes,  suivant  les  matières  dont 
elles  traitaient.  Il  n'y  avait,  en  effet,  pour  l'imagi- 
nation poétique  de  ce  temps,  que  trois  ordres  de 
traditions  ou  de  souvenirs  :  1  histoire  nationale, 
les  légendes  celtiques,  et  l'antiquité  dont  Rome 
était  le  centre.  C'est  ce  qu'exprimait  ainsi  le 
trouvère  Jean  Bodel: 

Ne  sont  que  trois  matières  à  nu!  homme  entendant  : 
De  France,  de  Bretagne  et  de  Rome  la  grant, 

La  u  matière  de  France,  »  la  plus  riche  et  la  plus 
populaire,  aux  xii'  etxiii'-'  siècles,  avait  pour  point 
culminant  Charlemagne,  et  comprenait  toutes  les 
légendes  dont  il  était  personnellement  le  héros  ou 
relatives  aux  personnages  associés  à  sa  mémoire. 
En  tête  de  ces  derniers  figurait  le  héros  Roland, 
ce  type  poétique  par  excellence,  sur  lequel  l'his- 
toire et  la  chronique  sont  à  peu  près  muettes, 
mais  dont  l'imagination  des  trouvères  fit  la  plus 
haute  personification  de  l'idéal  chevaleresque. 
La  Chanson  de  Roland  est  une  sorte  à'ilutde  ro- 
mane. L'un  des  plus  anciens  de  nos  poèmes 
héroïques  et  le  plus  remarquable  peut-être,  elle 
a  subi  des  remaniements  qui  l'ont  portée  de  4,000 
vers  à  10,000;  on  en  ignore  l'auteur,  et  l'un  de  ses 
manuscrits  porte  seulement  le  nom  d'un  obscur 
copiste.  On  la  considère  avec  raison  comme  un  vé- 
ritable poème  épique,  et,  dans  ses  cinq  chants, 
elle  a  toutes  les  qualités  du  genre  :  un  sujet  na- 
tional, l'unité  d'action,  une  exposition  simple  et 
grandiose,  la  concision  dos  détails,  une  largeur 
magistrale  du  style  et,  dans  la  suite  des  épisodes 
intimement  liés  au  récit,  un  intérêt  soutenu.  La 
Chanson  de  Roland,  dite  aussi  de  Roncevaux, 
a  pour  sujet  l'expédition  de  Charlemagne  en  Es- 
pagne, pays  que  la  légende  lui  fait  conquérir  tout 
entier,  et  la  défaite  éprouvée,  en  778.  par  l'arrière- 
garde  de  son  armée  dans  les  défilés  de  Roncevaux. 
En  voici  quelques  vers,  pour  donner  une  idée,  non 
du  mouvement  général,  mais  du  style,  du  rythme 
et  de  la  langue  du  temps.  Il  s'agit  de  la  décou- 
verte que  fait  Roland  de  son  fidèle  compagnon 
Olivier  parmi  les  morts.  Il  l'apporte  à  l'archevê- 
que Turpin,  pour  qu'il  le  bénisse,  et  il  lui  adresse 
un  adieu  funèbre  : 

Rollanz  s'en  turnet  le  camp  vait  recercier  : 

De  suz  un  pin,  de  lez  un  églentier, 

Sun  cumpaignuni  ad  truvet  Olivier, 

Contre  sun  piz  estreit  l'ad  embraciet. 

Si  cum  il  poet  al  arcevesque  en  vient. 

Sur  un  escut  l',Td  as  altres  culchiet, 

E  l'arceveêques  l'ad  asolt  et  seigniet. 

Jdunc  apreget  li  duels  e  la  pitiet. 

Ço  dit  Rollanz:  ..  Bels  curapainz  Oliviers, 

Vus  fustes  iilz  al  bon  cunte  Renier 

Ke  tint  la  marche  Iresqu'al  val  de  Rivier. 

Pur  hantes  fraindre,  pur  escuz  pécéier 

E  pur  osberes  derumpre  ed  esmaillier, 

E  pur  produmes  tenir  e  cunseillier, 

E  pur  glutuus  vcinire  e  esmaier, 

En  nule  tcre  n'ont  nieillur  chevalier.  . 

'Rolland  s'éloigne,  il  parcourt  de  nouveau  le- 
champ;  —  Sous  un  pin,  près  d'un  églantier  —  Il 
a  trouvé  son  compagnon  Olivier;  —  Contre  sa  poi- 
trine il  l'a  étroitement  pressé.  —  Comme  il  peut, 
il  revient  vers  l'archevêque.  —  Sur  un  écu,  il  a 
couché  Olivier,  auprès  des  autres,  —  Et  l'arche- 
vêque les  a  absous  et  bénis.  —  Alors  augmente  le 
deuil  et  la  pitié.  —  Et  Rolland  dit  :  Beau  compa- 
gnon Olivier,  —  Vous  étiez  fils  du  bon  comte 
Renier,    —  Qui  tint   la    marche  jusqu'au   val    de 


amplification  des  cantilènes  franques  ou  romanes,  I  Rivier.  —  Pour  briser  les  lances,  pour  mettre  et> 


LITTÉRATURE    FRANÇAISE     —  1177 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


pièces  les  boucliers,  —  Pour  rompre  et  démailler 
un  liaubert, —  Kt  pour  conseiller  les  gens  de  bien, 
—  Et  pour  vaincre  et  abattre  les  traîtres,  —  En 
nulle  terre,  il  n'y  eut  meilleur  chevalier.) 

La  Chanson  de  Roland,  la  plus  connue  pour  sa 
valeur  poétique,  est  loin  de  donner  une  idée  suf- 
fisante de  la  fécondité  épique  du  génie  français  au 
moyen  âge.  Il  y  a  d'autres  compagnons  de  Cliarle- 
magne  qui  ont  inspiré  des  poèmes  ou  des  suites 
de  poèmes  autrement  considérables.  Ainsi  la 
Geste  de  Guillaume  au  Cowl-nez  ou  de  Garin  de 
Monqlane  ne  comprend  pas  moins  de  dix-liuit 
branches,  toutes  du  xiii"  siècle,  et  lormant  un  total 
de  117,000  vers.  La  Gesle  de  Pépin  ou  du  Hoi  a  le 
même  nombre  de  branches  ;  commencée  au  xir  siè- 
cle, elle  se  prolonge  jusqu'au  xiV  siècle,  de 
poèmes  en  poèmes.  Une  geste  spéciale  des  chefs 
iiostilesà  Cliarlemagne,  celle  de-Dooï!  de  Mayence, 
compte  encore  onze  branches  du  xin"  siècle,  sans 
parler  des  branches  perdues  et  des  imitatiojis  ou 
des  remaniements  ultérieurs.  Et  de  tous  ces 
poèmes,  trois  ou  quatre  seulement  sont  rapportés 
à  des  auteurs  connus,  spécialement  i  Adam  de 
Brabant  ou  Adônes-le-Boi  (mort  vers  1300),  pro- 
clamé n  Roi  des  ménestrels  »  à  la  cour  du  comte 
de  Flandre. 

Les  chansons  de  geste  de  la  «  matière  de  France,  » 
avecleurs  incidents  relatifs  à  l'avènement  de  notre 
seconde  race  de  rois,  aux  guerres  et  expéditions  de 
Pépin,  de  Cliarlemagne,  aux  efforts  de  leurs  suc- 
cesseurs contre  les  Normands,  etc.,  composent 
un  premier  cycle  épique,  le  cycle  carlovingien. 
La  «  matière  de  Bretagne,  »  qui  prend  son  déve- 
loppement un  peu  plus  tard,  déroule  le  tableau 
de  l'histoire  religieuse  et  politique  du  peuple 
breton,  sous  l'influence  du  génie  celto-normand  ; 
elle  a  pour  héros  principal  le  roi  fabuleux  Artus, 
et  pour  thème  ordinaire  les  eiploits  des  chevaliers 
de  la  Table-Ronde  à  la  recherche  du  Saint-Graal, 
vase  merveilleux,  qui  a  reçu  le  sang  du  Christ. 
Ces  chansons  composent  un  second  cycle,  le  cycle 
d'Artus  ou  de  la  Table-Ronde.  Elles  présentent 
avec  celles  du  cycle  carlovingien  de  notables  dif- 
férences; elles  sont  d'une  inspiration  plus  savante 
et  d'une  forme  moins  populaire  ;  on  en  connaît 
mieux  les  auteurs  ;  plusieurs  sont  en  prose,  et  ont 
été  faites  moins  pour  être  chantées  que  pour  être 
lues.  Les  principaux  romans  en  vers  de  ce  cycle 
ont  le  même  auteur,  Chrestien  de  Troyes,  qui 
mourut  vers  1195. 

La  «  matière  de  Rome,  »  comportant  un  sens 
très  large,  recueille  tous  les  vagues  souvenirs  de 
l'antiquité,  tant  grecque  que  romaine,  tant  sacrée 
que  profane.  Elle  a  inspiré  des  poèmes  de  geste  de 
forme  épique,  et  des  romans  d'aventure  ;  les  uns 
et  les  autres,  recevant  de  majns  en  mains  des  dé- 
veloppements nouveaux,  ne  touchent  à  l'histoire 
ancienne  que  par  les  noms  des  pays  ou  des  per- 
sonnages et  sont,  avec  les  incidents  les  plus  fabu- 
leux, du  domaine  exclusif  de  l'imagination. 

On  rapporte  encore  à  deux  autres  cycles  les 
chansons  de  geste  et  romans  d'aventure  du  moyen 
âge  :  le  cycle  de  la  croisade  et  le  cycle  provincial. 
Le  premier  comprend  tous  les  poèmes  de  longue 
haleine  relatifs  à  ce  grand  mouvement  qui  entraî- 
na l'Europe  vers  l'Orient,  en  donnant  à  la  fois 
satisfaction  au  fanatisme  religieux  et  à  ta  soif  des 
aventures.  Ils  ont  pour  héros  principaux  Godefroi 
de  Bouillon  et  Baudoin,  et  pour  théâtre  Jérusalem, 
Antioche  et  Constantinople.  Quelques-uns  sont 
encore  anonymes,  mais  la  plupart  ont  des  auteurs 
connus.  Plusieurs  se  succèdent  et  s'enchaînent, 
cotTime  la  suite  d'une  même  œuvre,  et  nous  con- 
duisent jusqu'au  xiv"  siècle.  Le  cycle  provincial 
offre  un  groupe  nombreux  de  chansons  de  geste 
ne  rentrant  pas  dans  les  cycles  précédents  eî  qui 
appartiennent,  par  leurs  sujets,  aux  légendes  par- 
ticulières d'une  province.  Chacune    d'elles   com- 


prend un  certain  nombre  de  poèmes  reliés  autour 
des  iTiêmes  héros  et  des  mêmes  événements. 
Telles  sont  la  Geste  des  Lorrains  ou  Loherruins, 
les  Gestes  du  Nord,  la  Geste  l/oiirgui(/7ionne,  etc. 

En  dehors  de  tous  ces  cycles  de  poèmes  légen- 
daires, se  produisent  des  chroniques  rimées  de 
faits  contemporains,  qui  prennent  encore  le  ton 
épique  lorsqu'un  grand  intérêt,  comme  celui  de 
la  foi,  est  en  cause;  telle  est,  au  xiii'  siècle,  la 
Chanson  de  la  a'oisade  contre  les  Alljiyeois,  com- 
prenant près  de  10,000  vers,  offrant  les  formes  de 
composition  et  de  rythme  des  poèmes  carlovin- 
giens,  et  destinée  Ji  être  récitée  comme  eux. 

Par  la  multiplicité  même  de  ses  sujets,  par  les  ef- 
forts incessants  de  l'imagination  pour  en  renouveler 
le  développement,  par  la  part  de  plus  en  plus^grande 
faite  aux  sentiments  humains,  spécialement  à  la 
passion  de  l'amour,  dans  les  événements  héroïques, 
la  chanson  de  geste  perd  pe\i  à  peu  son  grand  ca- 
ractère épique  et  tourne  au  roman  d'aventure. 
Mais  le  roman,  comme  le  poème  épique,  est  tou- 
jours inspiré  des  idées  et  des  mœurs  du  temps,  et 
l'un  et  l'autre  ne  sont  que  la  forine  littéraire  de 
l'histoire,  la  représentation  mobile  de  la  mobilité 
des  mœurs  contemporaines  ;  de  là  la  grande  dis- 
tance qui  sépare  les  diverses  productions  des 
cycles  épiques  du  xii'  au  xV  siècle. 

3°  Les  poèmes  didactiques,  satiriques  et  allégo- 
riques. —  A  côté  de  tous  ces  récits  poétiques,  des 
genres  distincts  commencent  ,\  se  faire  place.  Il  y 
a  des  essais  de  poésie  didactique  :  les  Bestiaires, 
sortes  de  traités  d'histoire  naturelle,  le  plus  sou- 
vent en  vers,  consacrés  à  la  description  physique 
et  morale  des  animaux,  à  celle  des  végétaux  et  des 
minéraux,  mais  plus  remplis  encore  de  leçons  de 
morale  et  d'allégories  que  d'observations  scienti- 
fiques. La  poésie  morale  se  fait  une  place  dans  les 
fables,  où  nos  pères  recueillent  les  trésors  de  la 
pliilosophio  antique  et  de  la  sagesse  de  l'Orient. 
Un  roman  indien,  le  Livre  des  sept  conseillers,  tra- 
duit ou  imité  dans  les  diverses  langues  de  l'Eu- 
rope, devient,  en  français,  le  Roman  des  sept 
saçjes  ou  de  Dolopatlios,  et  fournit  la  trame  d'une 
foule  de  récits,  de  légendes  ou  de  fables  et  des 
prétextes  de  leçons. 

Un  genre  qui  paraît  peu  compatible  avec  le  ca- 
ractère épique,  prend  des  développements  inat- 
tendus :  c'est  le  genre  satirique  ;  il  affecte  bien  des 
formes,  mais  il  a  son  centre  et  pour  ainsi  dire  sa 
citadelle  dans  le  Roman  de  Renart,  grande  allé- 
gorie qui  représente,  sous  son  jour  le  moins  héroï- 
que, la  société  féodale.  Sous  les  traits  des  animaux , 
le  Roman  de  Renart  met  en  scène  toutes  les  clas- 
ses sociales  :  les  grands  et  le  peuple,  le  roi  lui- 
même  et  ses  conseillers,  le  clergé  et  les  juges  ;  il 
nous  montre  la  ruse  aux  prises  avec  la  violence, 
l'hypocrisie  couvrant  la  débauche,  l'immoralité 
habile  triomphant  de  l'innocence  et  de  la  vertu. 
Cette  vaste  composition,  considérée  avec  raison 
comme  l'ouvrage  le  plus  achevé  de  l'art  littéraire 
français  au  moyen  âge,  a  cela  de  commun  avec 
les  poèmes  cycliques  et  les  épopées  primitives, 
qu'elle  ne  semble  pas  le  produit  d'une  création 
individuelle,  mais  d'un  travail  successif  et  collec- 
tif: ébauchée  en  latin,  au  xti"  siècle,  avant 
de  prendre  sa  forme  populaire  en  langue  romane, 
elle  se  grossit,  en  passant  de  mains  en  mains,  de 
traditions,  d'anecdotes  vraies  ou  fictives,  de  récits 
recueillis  et  remaniés,  de  fables  qui  prennent, 
en  se  développant,  des  allures  épiques,  et  substi- 
tuent à  la  naïveté  primitive  un  remarquable  raffi- 
nement d'idées.  Le  Roman  de  Renart,  après  avoir 
eu,  en  France,  des  remaniements  et  des  suites, 
fit  le  tour  de  l'Europe  en  s'appropriant  si  bien,  par 
les  détails,  aux  mœurs  des  diverses  nations,  que 
plusieurs  s'imaginèrent  à  la  fois  l'avoir  inventé. 

La  satire  se  mêle  à  l'allégorie  dans  une  autre 
grande   œuvre   littéraire ,   le  Roman  de  la  Rose, 


LITTERATURE  FRANÇAISE     —  1178  —     LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

commencé  au  xiii'  siècle  par  Guillaume  de 
Lorris  (mort  vers  12C0)  et  aclievé.  au  siècle  sui- 
vant, par  Jean  de  Meung  (I280-I32fi.)  Son  impor- 
tance est  considérable  par  l'influence  qu'il  a  exer- 
cée sur  tous  les  genres  de  poésie  ou  de  prose, 
mettant  partout  en  honneur,  au  moyen  âge,  le 
raffinement  et  la  recherche  de  la  forme  allégori- 
que. 

Le  Roman  de  la  Base  se  compose  de  '22,000 
vers,  dont  4,000  seulement  appartiennent  au 
premier  de  ses  deux  auteurs,  et  sont  étrangers  an 
caractère  satirique  do  leur  longue  continuation. 
Il  ne  s'agit,  au  début,  que  d'une  sorte  de  voyage 
au  pays  d'amour,  ayant  pour  objet  la  conquête 
d'une  rose  emblématique,  en  dépitde  mille  épreu- 
ves, dans  un  monde  de  personnages  imaginaires 
re'préscntant  des  qualités ,  des  défauts  et  toutes 
sortes  de  choses  abstraites  animées  par  la  fic- 
tion. Mais  avec  le  continuateur  de  Guillaume 
de  Lorris,  le  ton  et  les  idées  changent,  et  l'allégorie 
n'est  plus  que  le  voile  transparent  d'une  satire 
universelle.  Non  seulement  toutes  les  classes  de 
la  société  sont  prises  à  partie  et  malmenées,  mais 
les  institutions  elles-mêmes  et  les  idées  sur  les- 
quelles elles  reposent  reçoivent  de  rudes  assauts. 
Voici  comment  le  poète  donne  pour  origine  à  la 
royauté,  la  force  brutale  : 


Ung  srand  vilain  cntie 
Le  plus  ossu  de  qiianqu 
Le  plus  roisii  cl  le  grri 
Si  le  firent  princn  et  sci 


ni, 


Et  ce  roi  qu'on  dit  maître  de  tout,  n'est  rien  que 
par  la  faiblesse  de  ses  sujets  ;  il  est  tout  entier  à 
leur  discrétion  : 

Ains  est  lor;  car  quant  II  vodrout. 
Leur  aides  au  roy  todront  : 
Et  li  roi  tous  seus  demorra. 
Si  tost  com  li  pueple  vorra. 
Car  lor  bontés  ne  lor  proesces, 
Lor  cors,  lors  forces,  lor  safjesces, 
Ne  sunt  pas  siens,  ne  riens  ni  a  ; 
Nature  bien  les  li  nva. 

Le  Roman  de  ta  Hose  eut,  comme  le  Roman  de 
Renari,  ses  remaniements  en  Irance,  et  ses  tra- 
ductions et  imitations  à  l'étranger,  surtout  en  An- 
gleterre ;  mais  nulle  part  on  ne  contesta  son  ori- 
gine et  son  caractère  éminemment  français. 

La  satire  se  fait  encore  une  place  importante 
dans  des  ouvrages  qui,  empruntant  leur  titre  aux 
livres  saints,  s'appellent  des  Bibles  :  il  en  a  été 
conservé  deux  échantillons  du  xiii'  siècle  :  la 
BiOle  de  Guyot  de  Provins  et  celle  de  Hugues  de 
Ilerzi.  Dans  l'une  et  l'autre,  les  diverses  classes 
de  la  société  sont  passées  en  revue  et  censu- 
rées avec  véhémence.  La  Bible  Guynt,  comme  on 
disait  au  moyen  âge,  qui  renferme  environ  2,000 
vers,  débute  ainsi  : 


Diju  siècle  puant  et  orrible 
M'esluet  (il  me  convient)  commenc 
Qui  ne  sera  pas  losengière  (louangi 
Mais  line  et  voire  (vraie)  et  droitun 


une  Bible, 


Elle  s'attaque  particulièrement  au  clergé  et  aux 
ordres  religieux;  elle  n'épargne  ni  les  cardinaux, 
ni  le  pape  lui-même,  qu'elle  appelle  notre  père 
l'Apostole,  et  auquel  elle  reproche  de  ne  pas  être 
la  boussole,  «  la  tresraontaigne  »  des  fidèles.  Elle 
peint,  sous  les  plus  sombres  couleurs,  la  ville  de 
Rome  et  les  vices,  les  crimes  dont  elle  a  été  et 
est  le  théâtre.  Guyot,  si  sévère  pour  les  moines  de 
son  temps,  était  moine  lui-même,  et  d'un  âge  assez 
avancé  lorsqu'il  écrivit  cette  bible,  qui  a  fait  tour 
k  tour  voir  en  lui  «  un  homme  de  génie,  né  trois 
siècles  trop  tôt,  »  ou  simplement  «  un  moine  ir- 
rité contre  le  monde,  au  milieu  duquel  il  ne  peut 
plus  vivre.  » 

C'est  dans  le  domaine  de  l'allégorie  et  de  la  satire 


que  se  développe  un  genre  propre  au  moyen  âge 
et  qu'on  a  appelé  essentiellement  gaulois,  le  fa- 
bliau ou  petite  fable  ffahlenu).  C'était  un  récit  en 
vers,  comme  la  chanson  de  geste,  mais  qui  con- 
trastait à  dessein  avec  elle  par  le  ton  léger  et  mo- 
queur, par  les  inventions  comiques,  la  malice  des 
observations,  un  naïf  dévergondage.  Le  trouvère 
champenois  Rutebeuf  (xiii'  siècle)  est  à  la  fois  l'un 
des  premiers  satiriques  et  le  principal  fahleor 
de  son  temps.  Ces  récits  malins,  légers,  volon- 
tiers licencieux,  furent  très  goûtés  en  Italie  où 
Boccace  nous  les  emprunta  au  siècle  suivant; 
ils  ont  élé  repris  avec  succès  par  Rabelais,  La 
Fontaine,  Voltaire,  et  autres  conteurs  à  l'esprit 
gaulois  des  temps  modernes. 

i°  Les  genres  lyriqui-s.  —  Ce  n'est  pas  seulement 
dans  les  œuvres  de  longue  haleine,  poèmes  hé- 
roïques, didactiques  ou  moraux,  que  le  sentiment 
littéraire  se  développe  en  France  au  moyen  âge  ; 
il  se  fait  jour  dans  une  foule  de  petites  pièces  de 
vers  représentant,  par  les  sujets  ou  par  la  forme, 
toutes  les  variétés  de  la  chanson.  Le  sentiment 
qui  domine  est  l'amour,  mais  il  se  mêle  aux  idées 
du  temps,  aux  détails  de  la  vie  du  poète,  aux  sou- 
venirs des  grands  événements,  en  sorte  qu'un 
genre  modeste  de  poésie  est  encore  une  repré- 
sentation fidèle  de  la  société  contemporaine.  La 
chanson  se  montre  très  florissante  au  xiii'  siècle, 
sans  avoir  cette  variété  de  rythme  qu'elle  attein- 
dra peu  à  peu.  L'un  des  premiers  auteurs  de 
chansons,  et  des  plus  célèbres,  est  le  comte  Thi- 
baut de  Champagne,  qui,  après  avoir  pris  une  part 
importante,  pendant  la  minorité  de  saint  Louis, 
à  la  coalition  féodale,  la  fit  échouer  par  son  em- 
pressement i  subir  le  prestige  de  Blanche  de  Cas- 
tille,  devenue  la  dame  de  ses  poétiques  pensées. 
Voici  un  échantillon  du  sentiment  et  de  la  langue, 
au  début  de  ce  genre  de  poésies,  qui  doit  être 
si  fécond  : 

Moût  est  amors  de  niervoillei  pooir 
Qui  bien  et  mal  tait  tant  com  li  agrée. 
Moi  fait  elc  trop  longuement  doloir, 
Maisons  me  dit  que  j'en  ust  ma  pensée. 
Maij'ai  un  cuer,  ains  tex  ne  fu  trovés, 
Tos  jors  me  dist  :  amés,  amés.  amés. 
N'autre  raison  n'iert  ja  par  lui  mostrée, 
Et  j'aimerai,  n'en  puis  esti-e  tornês. 
Dame,  merci,  qui  tos  les  biens  avés  ; 
Tûules  valorsel  toutes  grans  bontés 


Sunt  plu 


qu( 


I  dan 


:  fere  le  po 


!  qui  soit  née  ; 


(Amour  est  de  très  merveilleux  pouvoir,  —  Qui 
bien  et  mal  fait,  comme  il  lui  agrée.  —  Il  me 
donne  à  moi  de  trop  longs  chagrins,  —  Raison 
me  dit  d'en  ôter  ma  pensée.  —  Mais  j'ai  un  cœur, 
tel  qu'il  ne  s'en  trouva  jamais  ;  —  Toujours  il  me 
crie  ;  aimez,  aimez,  aimez.  -  -  Aucune  autre  rai- 
son ne  sera  obtenue  de  lui.  —  Et  j'aimerai,  je  n'en 
puis  être  détourné.  —  Dame,  ayez  merci,  vous 
qui  avez  tout  bien  ;  —  Tout  mérite  et  toutes  gran- 
des bontés  —  Sont  plus  on  vous,  qu'en  dame  qui 
soit  née  ;  —  Secourez-moi  puisque  vous  le  pouvez 
faire.) 

Au  même  siècle  appartiennent,  dans  la  chan- 
son d'amour,  le  mystérieux  châtelain  Raoul  de 
Coucy,  dont  la  passion  pour  la  dame  du  Faël  donna 
lieu  à  une  des  plus  tragiques  légendes;  Adam  de 
la  Halle,  bourgeois  d'Arras,  plus  célèbre  par  l'in- 
vention des  premiers  «  jeux  n  dramatiques  ;  Colin 
Muset,  ménestrel  de  profession,  qui  porte  la  chan- 
son de  cliâieau  en  château  moyennant  salaire. 
Au  XIV''  siècle  nous  citerons  le  fécond  et  ingé- 
nieux Guillaume  de  Machault  (mort  en  1371),  qui 
"  commencha,  dit-on,  toutes  tailles  nouvelles  et 
les  parfais  lais  d'amour,  n  et  Jean  Froissart  (1337- 
lilO),  chez  qui  la  gloire  du  chroniqueur  ne  doit 
pas  faire  oublier  le  talent  heureux  du  poète.  Il  est 
un  de  ceux   qui   nous  montrent,  à  cette  époque, 


LITTERATURE  FRANÇAISE     —  1179 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


dans  un  degré  étonnant  de  perfection,  les  formes 
savantes  du  rondeau,  du  virelai  et  de  la  ballade. 
Une  stance,  qu'il  est  superflu  de  traduire,  suffira 
pour  marquer  le  progrès  de  lu  lan^uo  et  du  genre 
d'un  siècle  à  l'autre  : 


:  lient 


I  la  rose 
violette. 


i  belle. 


Sus  toutes  flo 

Et,  en  après,  „ 

La  lloui-  de  Ivs  est  belle,  cl  la  perselle  (bluet)  ; 

l.a  llour  de  glay  (ijlaïeid)  est  plaisans  et  parfetle, 

El  11  plusieurs  aiment  moult  l'anquclic  ; 

Le  pyonier  {pivoine),  le  muget,  la  soussie, 

r.ascune  flour  a  par  li  sa  nierile. 

Mes  je  vous  (li,  (mit  que  pour  ma  partie  : 

Sus  toutes  [lours,  j'ainime  la  Margherile. 

La  chanson,  développant  toutes  ses  formes  lyri- 
ques, prend,  au  xv'  siècle,  le  premier  rang  dans  la 
littérature  française  de  la  fin  du  moyen  âge.  Les 
rythmes  deviennent  encore  plus  divers  et  plus 
savants;  le  virelai,  la  ballade,  le  rondeau  attei- 
gnent à  une  perfection  de  forme,  à  une  grâce  de 
sentiments,  qui  ont  fait  oublier  les  essais  précé- 
dents. Les  poètes  qui  excellent  sont  :  Eustache 
Deschamps,  Christine  de  Pisan,  Alain.  Chartier, 
Charles  d'Orléans,  Martial  d'Auvergne,  Guillaume 
Coquillard  et,  pour  abréger  la  liste,  François  Vil- 
Ion,  à  qui  Boileau  ne  craint  pas  de  sacrifier  en 
bloc  tout  le  passé  poétique  de  la  France  : 


Villon  n'est  pas  d'une  autre  famille  que  les 
poètes  dont  nous  venons  de  parler,  mais  il  a  sa 
physionomie  propre,  un  sentiment  personnel  et, 
avec  la  grâce,  la  vigueur  du  langage.  Connu  pour 
.son  existence  irrégulière  et  désordonnée,  il  se  re- 
proche ainsi  dans  son  plus  long  poème,  le  Grand 
Testnment,  le  mauvais  emploi  qu'il  a  fait  de  sa  jeu- 
nesse : 

Hé  Dieu  !  se  j'eusse  estudié 
Au  temps  de  ma  jeunesse  folle. 
Et  à  bonnes  mœurs  dédié, 
J'eusse  maison  et  couche  molle  ! 
Mais  quoi  ?  je  fuvoye  l'escolle 

Comme  faict  le  mauvais  enfant 

En  escri\ant  eeste  parotle 

A  peu  que  le  cueur  ne  me  fend. 

L'œuvre  la  plus  gracieuse  de  Villon  est  la  Bal- 
Inde  des  Dames  du  temps  jadis,  avec  son  refrain 
mélancolique  : 

Mais  où  sonl  les  neiges  d'antan. 
Elle  est  dans  tous  les    recueils.   D'autres  pièces 
montrent  chez  lui  une  précision,  une  énergie  de 
langage  dont  la  strophe  suivante,  sur  la   mort, 
donnera  l'idée  : 

La  mort  le  faict  frémir)  pallîr. 
Le  nez  courber,  les  veines  tendre. 
Le  col  enller,  la  eh.ir  mollir, 
Joincts  et  nerfs  eroistre  et  estendre. 
Corps  féminin,  qui  tant  est  tendre. 
Pollï,  soae!  {doux),  si  precieulx. 
Te  faudra-t-il  ces  mauU  attendre  7 
Ouy,  ou  tout  y\(  aller  es  cieuli. 

Voilà  la  langue  poétique  que  le  xV  siècle  lègue 
au  siècle  suivant  après  quatre  siècles  de  transfor- 
mations et  de  progrès. 

ô°  Le  théâtre.  Mystères,  moralités,  farees.  —  Il 
tjst  un  genre  littéraire  où  chaque  société,  chaque 
époque,  ont  laissé  leur  image  la  plus  fidèle  et  qui 
ne  pouvait  manquer  au  moyen  âge,  c'est  le  genre 
dramatique.  Il  prend,  à  l'origino  de  nos  sociétés 
modernes,  gouvernées  par  l'Église,  un  caractère 
particulièrement  chrétien,  on  peut  dire  même  ec- 
clésiastique. Le  théâtre  n'est,  au  début,  qu'une 
annexe  du  temple,  et  les  premières  représenta- 
tions dramatiques  ne  sont  que  la  mise  en  scène 
des  mystères  de  la  foi  et  des  faits  merveilleux  de 
1  histoire  biblique  ou  de  la  vie   des  saints.  Aussi 


les  appelle-t-on  des  mi/stcres  ou  encore  des  mi- 
racle^, suivant  leur  sujet.  Le  spectacle  de  ces 
pièces,  liées  ainsi  aux  cérémonies  religieuses,  se 
donne  longtemps  dans  l'église  même,  à  l'occasion 
des  grandes  fêtes  comme  Noël,  l'Epiphanie,  Pâ- 
ques, l'Ascension.  Les  personnages  traditionnels, 
les  animaux  eux-mêmes  ont  leur  place  marquée 
dans  le  cortège.  On  parle  aux  yeux,  par  les  attri- 
buts et  les  costumes  ;  aux  chants  liturgiques  se 
mêlent  des  dialogues  en  lansue  vulgaire;  toute  la 
légende  est  mise  en  action.  Quand  le  chœur  même 
de  l'église  ne  suffisait  pas  à  ces  manifestations  scé- 
niquos  d'une  foi  naïve,  des  échafauds  étaient  dres- 
sés dans  le  parvis  ou  dans  les  cimetières.  Le 
plus  souvent  un  sermon  ouvrait  la  scène,  en  guise 
de  prologue,  et  la  représentation  était  close  par 
un  Te  Deum,  ou  tout  autre  morceau  de  plain- 
chant,  qu'assistants  et  acteurs  disaient  à  la  fois. 

Le  drame,  sans  abandonner  son  caractère  reli- 
gieux, ne  commença  à  soriir  de  l'église  qu'au 
XV'  siècle.  Des  confréries  d'ouvriers  se  formèrent 
pour  jouer  des  mystères,  dont  la  composition  et 
la  mise  en  scène  se  compliquèrent  de  plus  en 
plus.  Ils  eurent  pour  sujet  tous  les  grands  actes 
de  la  vie  de  Jésus,  mais  il  y  en  eut  un  qui  prima 
toujours  tous  les  autres  dans  la  faveur  populaire  : 
ce  fut  le  Mystère  de  la  Passion.  Celui-là,  prenait 
ordinairement  de  vastes  proportions  et  parfois 
une  longueur  incroyable.  Celui  que  composa  Ar- 
noul  Gresban  se  divisait  en  vingt  journées  et  con- 
tenait environ  25,(HiO  vers  :  le  nombre  en  fut 
porté  par  ses  continuateurs  à  plus  de  60,000. 
Le  frère  do  ce  fécond  auteur,  Simon  Gresban, 
alla  plus  loin  encore,  avec  le  Triomplumt  mys- 
tère des  actes  des  apôtres,  <i  translaté  fidèle- 
ment de  la  vérité  historiale,  ordonné  par  person- 
nages: »  grande  féerie  religieuse  qui  se  maintint 
au  théâtre  tout  un  siècle,  malgré  les  difficultés  de 
la  mise  en  scène,  et  qui  n'a  pas  moins  de  80,000 
vers,  avec  un  répertoire  de  4'.'.S  personnages.  Ce 
mystère  gigantesque  s'est  réimprimé,  avec  le 
détail  descriptif  des  scènes  et  des  décors,  jus- 
qu'au milieu  du  xvi"  siècle. 

Outre  l'Ancien  et  le  Nouveau  Testament  et  les 
légendes  des  saints,  des  événements  de  l'histoire 
contemporaine  pouvaient  fournir  quelques  sujets 
de  drames  populaires.  Tel  est  le  Mystère  du 
sièye  it'Orléuns,  qui  compte  lui  aussi  plus  de 
a(l,'oOO  vers,  et  qui  fut  représenté  pour  la  pre- 
mière fois,  le  «  mai  1439,  h  Orléans,  pour  l'anni- 
versaire de  la  délivrance  de  cette  ville  par 
Jeanne  d'Arc. 

Aux  confréries,  qui  jouaient  les  mystères,  il 
faut  joindre  des  troupes  profanes  qui  firent 
entrer  le  théâtre  du  moyen  dgo  dans  une  nou- 
velle voie,  comme  celte  des  Enfants  sans  souci,  ou 
des  clercs  de  la  Basoche.  Après  les  anciens  «  jeux» 
dramatiques,  dont  Adam  de  la  Halle  avait  autre- 
fois donné  le  modèle,  elles  représentèrent  des 
moralités,  sortes  de  pièces  allégoriques,  qui  eu- 
rent encore  quelquefois  pour  thème  des  para- 
boles de  l'Ancien  ou  du  Nouveau  Testament  mises 
en  dialogues,  mais  qui  le  plus  souvent  dévelop- 
paient, avec  des  personnages  abstraits  et  fictifs, 
comme  ceux  du  Kom'ftt  de  ta  llose,  une  actioi» 
comique  très  libre,  ou  une  violente  satire.  Ainsi 
naissait  la  comédie,  qui  prit  un  tour  plus  vif 
encore  dans  les  sotties,  ou  satires  dramatiques, 
en  honneur  jusqu'au  milieu  du  xvr"  siècle. 

Un  souvenir  populaire  a  survécu  aux  tentatives 
de  comédie  du  xv%  c'est  celui  de  la  Farce  de 
Maistre  fierre  Pathelin,  œuvre  à  peu  près  ano- 
nyme de  quelque  .>  poète  satirique  et  joyeux  com- 
père »,  compagnon  et  fournisseur  des  clercs  de 
la  Basoche.  C'est  la  mise  en  scène  d  une  joyeuse 
friponnerie,  où  la  morale  et  la  justice  trouvent 
moins  leur  compte  que  la  vieille  gaieté  française, 
d'une  suite  et  comme  d'un   ricochet  de  ruses  et 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  USO  —     LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


de  fraudes,  sans  autre  moralité  que  le  plaisir  de 
Toir  tromper  un  trompeur.  Maître  Pierre  Patlie- 
lin,  avocat  sans  causes  ou  du  moins  sans  argent, 
endort  par  sa  flatteuse  parole  la  défiance  de  son 
voisin  le  drapier  et  se  fait  livrer  une  pièce  de 
drap",  qu'il  se  promet  bien  de  ne  pas  lui  payer.  Il 
enseigne  aussi  au  berger  Agnelet  à  tromper  les 
juges  par  une  feinte  bêtise,  en  bêlant,  pour  toute 
réponse,  et  celui-ci  a  recours  au  même  strata- 
gème pour  frustrer  son  avocat  de  ses  lionoraires. 
Cette  simple  farce,  que  l'on  peut  appeler  la  perle 
littéraire  de  notre  vieux  théâtre,  produite  ou  plutôt 
reproduite,  au  xv»  siècle,  en  un  français  déjitrès 
net,  très  vif,  très  agréable,  n'a  cessé  d'être  l'objet 
d'imitations,  de  traductions,  et,  jusqu'à  nos  jours, 
de  tentatives  de  rajeunissement. 

6"  La  prose.  Chro7iiqueurs.  —  Pendant  ces 
cinq  siècles  de  développement  poétique,  la  prose 
française  a  fait  aussi  son  chemin,  mais  avec  plus 
de  lenteur,  et  elle  offre  moins  de  richesse  litté- 
raire et  moins  de  variété.  La  théologie,  qui  est  la 
première  et  longtemps  la  seule  occupation  de 
l'esprit,  a  pour  langue  officielle  et  exclusive  le 
latin  ;  la  philosophie,  qui  accepte  le  rôle  de  «  ser- 
vante de  la  théologie  »,  n'a  pas  d'autre  langage; 
l'éloquence,  qui  arrive  à  une  haute  puissance,  à 
en  juger  par  les  effets  des  prédicatiojis  des  croi- 
sades, n'a  rien  fait  pour  enrichir  l'idiome  roman  ; 
si,  à  l'occasion,  l'orateur  s'adressait  à  la  foule  en 
langue  vulgaire,  les  grands  sermons,  comme  ceux 
de  saint  Bernard,  s'écrivaient  et  se  conservaient 
en  latin. 

Il  n'y  a  qu'un  genre  de  prose  qui  adopte  de 
bonne  heure  la  langue  romane  :  c'est  l'histoire, 
ou  plutôt  la  chronique.  Les  récits  fantastiques 
des  romans  de  la  Table-Ronde,  en  prenant  les 
premiers  la  forme  de  la  prose,  conjointement  avec 
la  forme  poétique,  ont  préparé  l'emploi  de  la 
langue  vulgaire  aux  récits  des  événements  réels. 
Quatre  noms  dominent  parmi  les  chroniqueurs 
du  moyen  âge  :  tous  les  quatre  hommes  d'action, 
acteurs  et  témoins  des  faits  qu'ils  ont  racontés. 
C'est,  à  la  fin  du  xii"  siècle,  Geotfroi  de  Villehar- 
douin  (1155-1213),  qui  ouvre  la  marche  avec  son 
Histoire  de  la  conquête  de  Constantinople,  com- 
prenant une  période  de  neuf  ans,  de  1198  à  120". 
Marquant  par  les  allures  mêmes  de  son  style  la 
transition  entre  le  récit  poétique  et  la  simple 
prose,  il  a  des  tournures,  des  mouvements,  des 
traits  de  sentiment,  qui  rappellent  les  trouvères 
et  les  chansons  de  geste  ;  il  célèbre  les  faits  au- 
tant qu'il  les  raconte ,  il  offre  un  mélange  de 
naïveté  et  d'héroïsme  qui  se  traduit  par  des  for- 
mules solennelles  et  un  peu  banales  d'admiration  : 
Il  Or  oïez  une  des  plus  grandes  merveilles  et  des 
graigneur  aventures   que   vous  onques  oïssiez!... 

Or  pourrez  ouïr  étrange  prouesse et  sachez  que 

onques  Dieu  ne  tira  de  plus  grands  périls  nuls 
gens  comme  il  fit  ceux  de  l'ost  (armée),  en  cel 
jour.  »  Un  des  passages  les  plus  remarquables  est 
la  description  de  Constantinople  et  de  l'efl'et  pro- 
duit sur  les  croisés  par  la  vue  de  cette  ville,  n  que 
de  totes  les  autres  ère  souveraine,  »  et  qui  leur 
donne  une  si  haute  idée  de  leur  entreprise. 
Il  Et  sachiez  que  il  ni  ot  (eut)  si  hardi  cui  (i  qui) 
le  cuer  ne  fremist,  et  ce  ne  fut  mie  (pas)  mer- 
veille, que  onques  si  grant  affaire  ne  fut  empris 
de  tant  de  gent,  puisque  (depuis  que)  li  monz 
(monde)  fu  esterez  (créé).  » 

A  Villehardouin  succède  le  sire  de  Joinville, 
(laWlSlS),  originaire  également  de  Champagne, 
élève  et  compagnon  du  comte  Thibaut  et  fidèle 
serviteiir  de  saint  Louis.  Ses  Mémoires,  dictés  à 
la  lin  de  sa  vie,  ont  pour  sujet  les  expéditions  et 
l'administration  intérieure  du  règne  de  Louis  IX. 
Ils  respirent,  d'un  bout  ;\  l'autre,  le  dévouement 
et  l'admiration  pour  la  mémoire  de  son  souverain. 
Ils  ont  au  plus  haut  point  le  caractère  de  témoi- 


gnage personnel.  Ce  sont  «  choses,  dit-il,  que  j'ai 
oralement  veues  et  oyes.  »  Le  narrateur  se 
met  entier  dans  son  livre,  avec  ses  souvenirs  et 
es  impressions,  sans  jactance  ni  fausse  modestie, 
cédant  naturellement  au  plaisir  de  faire  con- 
naître n  son  bon  seigneur  »  et  à  celui  de  conter; 
acteur  et  héros  lui-même,  il  se  met  en  relief  aussi 
bien  que  les  autres,  avec  une  naïveté  toute  che- 
valeresque et  une  simplicité  pleine  de  grandeur. 
Un  de  ces  courts  récits  où  il  excelle  fera  connaî- 
tre, en  quelques  lignes,  la  langue  do  Joinville  et 
sa  manière.  Il  s'agit  de  la  reine  qui,  étant  en- 
ceinte, a  suivi  la  croisade  on  Egypte  et  qui,  au 
moment  d'accoucher,  apprend  la  défaite  et  la  cap- 
tivité du  roi.  Il  Avant  qu'elle  fust  accouchée,  elle 
fist  vider  hors  toote  sa  chambre,  fors  que  le  che- 
valier, et  s'agenouilla  devant  lui,  et  lui  requit  un 
don,  et  le  chevalier  le  lui  octroya  par  son  serment, 
et  elle  lui  dist  :  Je  vous  demande,  fist  elle,  par  la 
foi  que  vous  m'avez  baillé,  que  si  les  Sarrazins 
prennent  cette  ville,  que  vous  me  coupiez  la  teste, 
avant  qu'ils  me  prennent.  Et  le  chevalier  respon- 
dist  :  Soyez  certaine  que  je  le  feray  volontiers; 
je  l'avoye  ja  bien  en  pensée  que  je  vous  occiroie 
avant  qu'ils  nous  eussent  pris.  » 

Le  troisième  grand  chroniqueur  est,  à  un  siècle 
de  distance,  Jean  Froissart  (  1.3.37- li  10),  homme  du 
monde,  de  cour  et  de  plaisir,  moins  directement 
engagé  dans  l'action.  Poète  brillant  et  habile,  qui 
met  de  l'art  dans  ses  récits,  de  la  couleur  dans 
ses  tableaux,  il  devient  par  là  supérieur  à  ses  de- 
vanciers, sans  perdre  la  naïveté  de  l'expression, 
qui  fait  le  charme  de  la  chronique.  Son  livre,  inti- 
tulé :  Chroniques  de  France,  d'Auyletfrre,  d'E- 
loese,  d'Espanne,  de  Bretagne,  de  Gascogne,  Flan- 
dres et  lîpux  d'alentour,  est  un  tableau  vivant  et 
complet  de  son  temps,  des  beaux  faits  d'armes, 
des  actes  loyaux,  de  l'élégance  naissante,  des  dé- 
sordres, des  cruautés,  des  malheurs  qui  signalent 
des  guerres  continues,  des  fêtes  de  la  cour,  des 
incejidies  des  villes  et  des  massacres  des  peuples  ; 
mais  dans  ce  mouvement,  un  peu  confus,  de  la 
société  féodale  au  xiV  siècle,  règne  l'incertitude 
chronologique  et  manque  le  sentiment  de  la  vie 
populaire. 

Le  dernier  chroniqueur  de  cette  longue  période 
littéraire  est  Philippe  de  Commines  (\447-15U9). 
qui,  avec  une  langue  de  plus  en  plus  mûre  et 
dans  une  société  de  moins  en  moins  naïve,  aspire 
à  faire  œuvre  d'historien.  Mêlé  aux  affaires  pu- 
bliques, sous  les  règnes  de  Louis  XI  et  de 
Charles  VIII,  il  ne  raconte  point  seulement  les 
événements,  il  les  explique  et  les  juge  ;  il  pénètre 
les  secrets  de  la  politique,  cherche  les  causes  et 
les  conséquences  ;  il  étudie  le  caractère  du  peuple 
et  le  fondement  des  institutions;  les  idées  mo- 
dernes prennent  chez  lui  conscience  d'elles- 
mêmes,  et  ses  Mémoires  ont  mérité  d'être  appelés 
ic  le  bréviaire  des  hommes  d'État.  »  Il  peut  être 
excessif  de  comparer  Commines  à  Tacite,  ou  de 
voir  en  lui  notre  Machiavel  ;  il  n'en  a  pas  moins 
le  mérite  de  donner  à  l'histoire  l'expression  défi- 
nitive de  son  temps,  dans  une  langue  simple,  na-" 
lurelle,  claire  et  précise,  encore  imprégnée  de 
naïveté  et  de  malice  gauloise,  et  que  la  meilleure 
prose  du  xvi=  siècle  aura  de  la  peine  à  dépas- 
ser. 

II.  Deuxième  période.  — Renaissance  ou  xvi"  siècle. 

1"  La  prose.  —  Deux  grands  faits  dominent 
toute  l'histoire  au  xvi»  siècle  :  un  besoin  uni- 
versel d'affranchissement  et  de  rénovation,  et  un 
retour  enthousiaste,  dans  les  lettres  et  dans  les 
arts,  vers  l'étude  et  l'imitation  do  l'antiquité.  Le 
mouvement  général  d'indépendance  aboutit,  en 
matière  religieuse,  à  la  réforme  luthérienne  et 
calviniste,  et  celle-ci  agit,  à  son  tour,  sur  la  lan- 


LITTERATURE  FRANÇAISE 


gue  par  la  nécessité  qui  s'impose  aux  réformateurs 
de  soutenir  leur  cause  devant  le  peuple,  en  sub- 
stituant le  langage  vulgaire  de  chaque  nation  au 
latin,  si  longtemps  la  langue  officielle  de  l'Eglise. 
De  même  qu'un  a  vu,  en  Allemagne,  Luther  régler 
et,  pour  ainsi  dire,  créer  la  langue  allemande  gé 
néralo,  par  sa  traduction  de  la  Hible  dans  le  dia 
locte  dont  il  doit  se  servir  pour  ses  traités  et  ses 
pamphlets,  de  môme  on  voit,  en  France,  Jean 
Calvin  (150;)-15Ci)  donner  au  français  sa  forme 
presque  définitive,  en  l'employant  à  la  propaganda 
et  aux  polémiques  religieuses.  Son  livre  de  Vins- 
titutwn  clirétieime,  écrit  d'abord  en  latin  (Bâle, 
15;i(j),  puis  traduit  en  français  par  l'auteur  lui- 
même,  n'est  pas  seulement  le  plus  important  ma- 
nifeste du  protestantisme  dans  notre  pays  ;  c'est 
aussi  le  premier  monument  d'une  prose  vraiment 
française,  appliquée  à  des  sujets  et  à,  des  inti'rôts 
qui  jusque-là  paraissaient  au-dessus  d'elle.  Du 
premier  coup  Calvin  a  donné  i  notre  langue  les 
qualités  les  plus  conformes  à  l'esprit  français  : 
clarté,  correction,  vivacité,  énergie,  variété  des 
tours;  pour  son  propre  usage,  il  l'a  dégagée  de 
ses  périodes  embarrassées  et  de  toute  cette  sur- 
charge d'incises  qu'elle  devait  à  sa  parenté  avec  le 
latin  et  dont  quelques  grands  écrivains  repren- 
nent encore  après  lui  la  pénible  chaîne. 

Contemporain  de  Calvin,  François  Rabelais 
(14S '?-155?),  sans  se  tenir  sur  le  terrain  exclusi- 
vement théologique,  obéit  aussi  à  l'esprit  de  ré- 
forme; mais,  pour  échapper  aux  rigueurs  aux 
quelles  l'écrivain  est  exposé,  de  son  temps,  par 
une  pensée  trop  hardie,  il  enveloppe  la  sienne 
dans  un  flot  de  plaisanteries  qui  éloignent  la 
défiance.  Philosophe,  théologien,  médecin,  et  le 
premier  par  l'érudition,  au  lieu  d'un  livre  dogma- 
tique, il  écrit  les  contes  les  plus  invraisemblables 
et  les  plus  bouffons,  le  Gargantua  et  le  Panta- 
gruel (15;i2-I.j(;4),  qui  forment  comme  le  rêve  de 
l'épopée  en  délire,  comme  l'orgie  de  la  raison  et 
du  génie  :  «  œuvre  inouïe,  dit  Sainte-Beuve, 
mêlée  de  science  et  d'obscénités,  de  comique, 
d'éloquence,  de  haute  fantaisie,  qui...  vous  saisit 
et  vous  déconcerte,  vous  enivre  et  vous  dégoûte, 
et  dont  ou  peut,  après  s'y  être  beaucoup  plu  et 
l'avoir  beaucoup  admirée,  se  demander  sérieuse- 
ment si  on  l'a  comprise.  «  La  Bruyère  avait  déjà 
déclaré  que  Rabelais  est  incompréhensible,  et  son 
livre,  une  énigme.  «  C'est  un  monstrueux  assem- 
blage, dit-il,  d'une  morale  fine  et  ingénieuse  et 
d'une  sale  corruption.  Où  il  est  mauvais,  il  passe 
bien  loin  au  delà  du  plie,  c'est  le  charme  de  la 
canaille;  où  il  est  bon,  il  va  jusques  à  l'exquis  et 
à  l'excellent,  il  peut  être  le  mets  des  plus  déli- 
cats. »  Rabelais  n'en  reste  pas  moins  au  premier 
rang  des  créateurs  de  la  langue  française;  avec 
moins  de  rigueur  et  de  précjsion  que  Calvin,  il  a 
fourni  à  l'idiome  national,  par  son  immense  éru- 
dition, une  variété  infinie  de  ressources,  et  en  le 
mettant  au  service  de  ses  arrière-pensées  et  de 
ses  rêves  de  philosophe,  il  l'a  rendu  capable  de 
répondre  non  seulement  au  libre  déploiement 
d'une  verve  et  d'une  imagination  sans  frein,  mais 
aux  délicatesses  du  sentiment  et  à  la  noblesse  de 
la  pensée. 

Avec  presque  autant  d'érudition,  une  égale 
souplesse,  mais  moins  de  fougue,  Montaigne 
(I5;i:i-159'2)  a  aussi  doté  la  littérature  française 
d'une  grande  œuvre  qui  fait  époque  dans  l'his- 
toire de  la  langue  et  des  idées;  ce  sont  les  Essais 
(1580).  Sous  ce  simple  titre,  l'auteur  nous  offre 
la  peinture  générale  de  l'homme,  se  dévelop- 
pant à  travers  ses  intarissables  confidences  sur 
lui-même,  car  Montaigne  a  la  prétention  d'être 
«  lui-même  la  matière  de  son  livre.  »  Mais 
l'homme  est  un  sujet  «  ondoyant  et  divers,  »  dont 
la  mobilité  naturelle  et  les  perpétuelles  contra- 
dictions induisent  le  philosophe  à  regarder  toute  ' 


1181  —     LITTERATURE   FRANÇAISE 

science  humaine  comme  atteinte  d'une  irrémédia- 
ble incertitude.  Montaigne,  se  complaisant  dans  son 
rùle  de  douteur,  ne  se  lasse  pas  d'opposer  le  pour 
et  le  coiitre  sur  toutes  les  questions,  de  mettre 
en  regard  toutes  les  opinions  et  toutes  les  auto- 
rités, pour  conclure  qu'il  n'y  a  pas  lieu  de  choisir 
entre  elles.  Sa  devise  favorite  est  :  u  Que  sais-je?  » 
également  éloignée  de  l'affirmation  et  de  la  néga- 
tion. Ce  scepticisme  universel  est  exposé  dans  les 
EsS'iis  avec  un  abandon  charmant,  un  désordre 
capricieux,  qui  déroute  le  lecteur,  sans  cesser  de 
le  captiver,  avec  un  luxe  d'érudition  facile  et 
légère  qui  assouplit  la  langue  française  en  la  met- 
tant sans  cesse  aux  prises  avec  l'antiquité  grec- 
que et  latine. 

A  Montaigne,  il  faut  rattacher  Charron  (1541- 
Ifi03),  qui,  dans  son  livre  de  la  So|5resïe(  1601),  donne 
au  même  système  du  doute  universel  plus  de 
consistance  méthodique,  mais  moins  de  charme  et 
de  valeur  littéraire;  puis  liiienne  de  la  Boétie 
(1530-I5(i3),  célèbre  par  l'amitié  de  Montaigne,  et 
dont  le  Discours  sur  la  senntude  volontaire,  ou 
le  Contre-un,  est  resté  la  plus  belle  déclamation 
classique  du  siècle. 

On  ne  peut  oublier  Jacques  Amyot  (1513-1593), 
qui,  par  son  aimable  traduction  de  IHutarque, 
eut  une  telle  influence  sur  la  langue  dos  gens  du 
monde  et  des  écrivains,  que  Montaigne  lui  attri- 
bue l'honneur  de  les  avoir  tirés  du  bourbier  ;  ni 
lo  doux  et  un  peu  maniéré  saint  François  de  Sales 
(156J-I6'J2),  qui,  pour  mieux  embellir  la  prose 
française,  la  surcharge  de  festons  et  de  fleurs  ;  de 
nobles  et  intègres  magistrats,  comme  Michel  de 
rHospital_  (I.i05-I573)  ou  Etienne  Pasquicr  (1529- 
I(il5),  qui,  consacrant  leurs  loisirs  aux  lettres  an- 
ciennes, maniaient  en  maîtres  la  langue  nationale 
quand  il  s'agissait  de  défendre  contre  des  fanati- 
ques et  des  forcenés  les  droits  de  l'humanité  et 
la  tolérance  ;  ui  de  savants  et  courageux  édi- 
teurs comme  Henri  Estionne  ;i53l-lj98)  ou  Do- 
let  11509-1546),  payés  de  leur  dévouement  à 
l'érudition  par  l'exil  ou  par  la  mort;  ni  enfin,  à 
la  dernière  heure  des  malheureuses  luttes  reli- 
gieuses et  politiques  du  xvi'  siècle,  les  auteurs 
plus  ou  moins  anonymes  du  célèbre  recueil  de 
pamphlets  appelé  bi  Satyre  Ménippée  (1593),  qui, 
après  avoir  plus  fait  pour  la  cause  d'Henri  IV  que 
les  armes  de  l'Espagne  pour  celle  des  Ligueurs, 
est  lesté,  par  la  verve,  l'esprit  mordant  et  l'élo- 
quence, le  triomphe  littéraire  le  plus  complet  du 
bon  sens  et  du  patriotisme. 

Il  faut  aussi  faire  une  place  à  part,  dans  la 
jeune  prose  française,  à  la  double  famille  des 
conteurs  et  des  auteurs  de  mémoires.  Les  pre- 
miers, comme  Marguerite  de  Navarre  (1492-1549) 
dans  VHi-ijtameron,  puisent  aux  mœurs  mêmes  du 
temps  ou  empruntent  à  l'Italie  d'agréables  mais 
trop  libres  histoires  d'amour,  ou  bien,  comme 
Bonaventure  Des  Périers  (I549'?-I514),  dans  le 
C'jmbalum  niundi  et  les  Nouvelles  récréât io7is, 
mêlent,  à  la  manière  de  Rabelais,  les  joyeusetés 
aux  hardiesses  religieuses  et  métaphysiques.  Les 
seconds,  comme  Montluc  (1501-1577),  Brantôme 
(1540-1614),  ou  Agrippa  d'Aubigné  (1550-1030),  ce 
dernier  non  moins  célèbre  comme  poète,  animent 
leurs  précieux  témoignages  sur  les  faits  contem- 
porains de  toute  la  vivacité  de  leur  vanité  person- 
nelle ou  des  fureurs  du  fanatisme. 

2"  /.«  poésie  et  le  théâtre.  —  Au  xvi«  siè- 
cle, la  poésie  jouit  d'une  haute  faveur  et  jette 
beaucoup  d'éclat.  Elle  aborde  les  grands  sujets 
moraux  et  religieux  qui  répondent  k  la  fermenta- 
tation  intellectuelle  de  l'époque,  mais  elle  s'atta- 
che surtout  au  travail  de  la  forme  littéraire,  soit 
n  perfectionnant  les  vieux  genres  français,  soit 
en  en  créant  de  nouveaux,  où  elle  puisse  lutter 
avec  les  littératures  et  les  langues  de  la  Grèce, 
de    l'ancienne    Rome,   et  de  la  moderne    Italie. 


LITTÉRATURE   FRANÇAISE     —  1182  —     LITTÉRATURE  FRANÇAISE 

Clément  Marot  (l'i9;'-l.S44)  forme  comme  la  tran- 
sition enire  les  poètes  du  moyen  âge  et  les  poètes 
nouveaux.  C'est  un  habile  mittcur  en  œuvre  des 
formes  poéli(|ues  les  plus  charmantes  du  temps 
passé,  et  Boilcau  a  justement  loué  son  «  élégant 
badinage  ».  Il  porte  la  grâce  et  l'esprit  dans  tous 
les  genres  légers,  la  ballade,  le  rondeau,  l'épi- 
gramme,  l'épitre,  etc.  ;  puis,  touché  par  le  souffle 
de  la  réforme  religieuse,  il  veut  donner  au  pro- 
testantisme français  ses  chants  sacrés,  et  entre- 
prend la  traduction  ou  la  paraphrase  en  vers  des 
Ps'iumes  de  David  :  tâche  supérieure  à  la  fois,  à 
son  talent  et  aux  ressources  acquises  de  la  langue 
française;  sur  les  données  les  plus  lyriques,  les 
P.-aumes  de  Marot  ressemblent  encore  à  nos  vieux 
Noëti. 

Après  Marot  et  un  petit  nombre  de  poètes  qui 
■n'ont  pas  des  visées  plus  hautes,  comme  Margue- 
rite do  Navarre  (1492-1549),  plus  célèbre  par  ses 
contes  que  par  ses  vers,  ou  Mellin  de  Saint-Ge- 
lais  (1491-1558),  qui  lutta  pour  retenir  la  poésie 
dans  les  afféteries  amoureuses,  commence  enfin 
la  véritable  renaissance  littéraire  avec  Ronsard,  à 
la  fois  célèbre  par  ses  œuvres  personnelles  et  par 
son  influence  comme  chef  d'école.  Six  des  plus 
notables  de  ses  contemporains  se  réunissent  à  lui 
pour  former  le  groupe  brillant  désigné  sous  le 
nom  de  pléiade  française.  Ils  ont  leur  manifeste, 
ou  déclaration  de  principes,  rédigé  par  l'un  d'eux, 
Joachim  du  Bellay  (152il-15li0)  sous  le  titre  de  : 
Défense  et  illustralion  de  la  lungue  française 
(1549).  Joachim  du  Bellay  fut  lui-même  un  poète, 
attaché  par  système  à  l'imitation  des  Grecs  et  des 
Latins,  mais  qui  n'en  porta  pas  moins  une  grâce 
toute  française  dans  le  genre  du  sonnet,  récem- 
ment emprunté  à  la  littérature  italienne.  On  l'ap- 
pela le  Cl  prince  du  sonnet  »,  comme  on  appela  le 
chef  de  l'école  le  «  prince  do  l'ode  ••. 

La  principale  étoile  de  la  pléiade,  Ronsard 
(1524-15S5),  rajonne  sur  tous  les  genres  à  la  fois; 
mais  le  poète  excelle  surtout  dans  le  genre  lyrique, 
dont  il  varie  les  tons  et  les  formes  à  l'infini.  Et, 
dans  ce  genre,  les  sujets  gracieux  lui  conviennent 
le  mieux.  Il  y  porte  tantôt  le  charme  naturel  du 
langage  et  du  sentiment,  comme  dans  cette  «  ode- 
lette «  si  connue  : 


Mignonne,  allons  voir  si  la  rose 
Qui,  ce  malin,  avait  déclose 
Sa  robe  de  poui-pie  au  soleil, 
K  poiut  perdu,  ceUe  vesprée. 
Les  plis  de  sa  robe  pourprée 
El  sou  teint  au  vutie  pareil 

Tantôt  il  redouble  la  grâce  du  langage  par  les 
recherches  ingénieuses  du  rythme  : 

Bel  aubépin  Ilurissant, 

Yeruissaut, 
Le  long  de  ce  beau  rivage. 
Tu  es  \eslu  jusqu'au  bas 

Des  longs  bras 
D'une  lambruuche  [vigne]  sauvage. 

Ronsard  ne  le  cède  à  personne    dans  le  sonnet. 
Le  suivant  figure  avec  raison  dans  tous  les  recueils  : 

Quand  vous  serez  bien  vieille,  au  soîr.  à  la  chandelle, 

Assise  auprès  du  feu,  dévidant  et  filant. 

Direz,  cliaiitant  mes  vhps  et  vous  esmerveillant  : 

>«  Ronsard  me  celébroit  du  temps  que  j'estois  belle.  • 

Lors  vous  n'aurez  servante  oyant  telle  nouvelle, 
Désjà  sous  le  labeur  à  demy  someillant, 
Qui  au  bruit  de  mon  nom  n^  s'aille  réveillant. 
Bénissant  voslre  nom  de  louange  immortelle. 


Je; 


3ns  la  terre  et,  fantosme  sans  os, 
nbres  myrleuï  je  prendrai  mon  repos  ; 
z  au  foyer  une  vieille  accroupie, 


Regrettant  mou  amour  et  vostre  fier  dédain- 
Vivez,  si  m'en  croyez,  n'alieiidez  à  demain; 
Cueillez  des  aujourd'hui  les  roses  de  la  vie. 

Jaloux   de    donner    à    la  langue    française  un 


poème  épique  classique,  imité  des  épopées  grec- 
ques et  latines,  Ronsard  entreprit  la  h'ranciade , 
consacrée  à  célébrer  les  origines  de  la  nation  fran- 
çaise, dans  les  formes  où  V Enéide  célébrait  celles 
de  la  nation  romaine.  Cette  entreprise  ne  fut 
guère  plus  heureuse  que  celle  de  Marot  h.  l'égard 
de  la  poésie  sacrée  :  ni  le  génie  de  Ronsard,  ni 
la  langue  de  l'époque,  ne  suffisaient  à  une  telle 
tentative. 

Parmi  les  noms  qui  brillent  autour  de  Ronsard, 
soit  d.ins  la  pléiade,  soit  en  dehors,  nous  devons 
mentionner  :  Remy  Belleau  (1528-1579),  le  poète 
pastoral  au  talent  abondant  et  souple  ;  Jean-An- 
toine de  Baif  (15.32-15SU),  qui  tenta  d'introduire 
dans  notre  prosodie,  au  lieu  ou  à  côté  du  vers 
rimé,  le  vers  mesuré  des  anciens  ;  le  seigneur  Du 
Bartas  (1541-159  i),  qui  osa,  dans  son  poème  de  la 
Sepmriini:  (1579),  chanter  l'œuvre  des  sept  jours 
de  la  Création  et  qui  fut  quelquefois,  par  l'idée  et 
par  la  langue,  à  la  hauteur  de  son  sujet  ;  Philippe 
;  Desportes  (l.i45-lG0(i)  et  Jean  Beriaut  (1570-1611), 
les  deux  poètes  les  plus  corrects  et  les  moins  am- 
;  bitieux  do  l'école;  Jean  Passerai  (I534-1G0'2),  poète 
I  érudit,  sans  pédantisme,  mais  non  sans  vigueur, 
j  l'un  des  collaborateurs  de  la  Sdyre  Ménippée; 
enfin  deux  poètes  dont  l'un  résume  le  xvi«  siècle 
i  dans  ses  traits  les  plus  caractéristiques,  et  dont 
'l'autre  m.nrque  la  transition  entre  ce  siècle  et  le 
;  suivant  :  Théodore-Agrippa  d'Aubigné  (I551-1G30) 
et  Mathurin  Régnier  (1573-1013).  Le  premier, 
homme  et  poète  d'action,  voué  au  protestantisme 
avec  une  ardeur  indomptable  qui  lui  valut  quatre 
arrêts  de  mort,  ne  s'arrêta  pas  aux  petits  genres 
si  chers  li  l'école  de  Ronsard,  mais  il  osa  tenter  la 
poésie  toute  moderne  et  toute  vivante,  en  prenant 
pour  sujet  les  guerres  religieuses  de  son  temps; 
de  là  son  poème,  les  Tragiques,  comprenant  neuf 
raille  vers  et  divisé  en  sept  livres,  qui,  sous  les 
titres  de  Misères,  Princes,  Chamhre  dotée,  Feux, 
Fers,  Vengeance,  Jugement,  sont  autant  de  ta- 
bleaux terribles  et  d'implacables  satires  des  vio- 
lences et  des  infamies,  qui,  au  nom  de  la  religion, 
ont  désolé  ou  déshonoré  la  France.  Régnier  traite 
aussi  la  satire,  mais  en  moraliste  et  non  en  sec- 
taire ;  homme  du  monde  et  homme  d'église,  il  se 
moque  des  travers  et  flagelle  les  vices  ;  par  la  mise 
en  scène  de  l'hypocrisie,  il  prépare  et  annonce 
Molière. 

Le  théâtre,  à  l'époque  de  la  Renaissance,  est 
l'objet  d'une  tentative  de  réiorme  littéraire  qui, 
rompant  avec  la  foi  naïve  du  moyen  âge,  le  ratta- 
che pour  longtemps  à  l'imitation  et  à  l'influence 
de  l'antiquité.  Pendant  la  première  moitié  du 
siècle,  les  mystères  sont  encore  le  spectacle  favori 
du  peuple  ;  les  sotties,  farces  et  moralités  trouvent 
aussi  dans  Pierre  Gringoire  (1475-li41)  leur  der- 
nier et  plus  brillant  interprèt-^  ;  mais  l'école  de 
Ronsard  dédaigne  ces  amusements  vulgaires;  elle 
retourne,  par  une  imitation  déjà  savante,  à  l'an- 
cienne tragédie  classique.  Etienne  Jodelle  (1532- 
1573),  Jacques  Grévin  I510-I57n),  Robert  Garnier 
(1545-1601),  Antoino  de  Montchrétien  (1575-1621), 
prennent  K  l'antiquité  grecque  et  latine,  ainsi 
qu'à  l'histoire  sacrée,  les  sujets  que  traiteront 
après  eux  Corneille  et  Racine  ;  ils  prennent  aussi 
aux  tragiques  anciens,  mais  aux  Latins  plutôt 
qu'aux  Grecs,  la  manière  de  les  traiter.  On  sent, 
malgré  les  erreurs  du  goût  et  l'insuffisance  ma- 
nifeste de  la  langue,  que  nous  touchons  au  théâtre 
classique. 

III.  Troisième  période.   — Temps  modernes. 

r  Dix-sepliéme  siècle.  —  Ici,  nous  entrons  dans 
un  monde  plus  connu  :  les  noms  des  auteurs  et 
les  titres  de  leurs  œuvres  sont  plus  familiers,  les 
rôles  mieux  définis,  les  sources  et  les  renseigne- 
ments  sous    la   main  ;    nous  pouvons  donc  être 


LITTERATURE  FRANÇAISE 


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LITTERATURE  FRANÇAISE 


court  et  marquer  simplement  par  dos  noms  pro- 
pres, sans  autant  nous  y  arrêter,  les  étapes  par- 
courues. Le  XVII"  siècle  s'ouvre  littérairement 
avec  François  Malherbe  (I55f)-l(i2Sl,  qui,  très  in- 
férieur, pour  l'invention,  aux  meilleurs  poètes  de 
l'école  de  Ronsard,  a  été  proclamé  par  Boileau  le 
premier  maître  de  notre  poésie,  pour  la  pureté  de 
la  langue  et  la  cadence  harmonieuse  du  vers. 
Balzac  (15!)4-IO,i4i,  Voilure  (159S-1048),  portent 
dans  la  prose  la  môme  sévérité,  et  s'étudient  h  lui 
donner  do  la  grandeur  et  de  la  délicatesse.  L'iiùtel 
de  Rambouillet  met  à  la  mode  les  raffinements  du 
sentiment  et  du  bel  esprit.  L'Académie  française 
est  fondée  par  Richelieu  pour  régler  d'autorité  la 
langue  à  la  fois  et  le  goût  (10-35).  En  dehors  de  son 
influence.  Descartes  (l59()-lG5il)assouplit  la  prose, 
en  l'assujettissant,  dans  le  Dincours  de  la  Mélhode 
(1637),  à  l'interprétation  des  systèmes  philosophi- 
ques, et  Pascal  (lGv'3-16()'.;),  dans  .ses  Lettres  pro- . 
vincia/es  (1G56),  lui  donne  toutes  les  ressources 
de  la  dialectique  et  de  l'éloquence,  pour  la  défense 
de  la  foi  et  de  la  morale.  Au  théâtre,  après  les 
innombrables  improvisations  d'Alexandre  Hardy 
(15G0-1632),  parait  le  grand  Corneillo  (IGOG-lGS'i), 
qui,  à  la  suite  d'une  assez  longue  période  de  tâ- 
tonnements, affirme  son  génie,  méconnu  de  Ri- 
chelieu et  de  l'Académie  française,  dans  une  série 
de  chefs-d'œuvre  tragiques:  /e  Chl  (li:3e),  Horace, 
Cinna,  Polyeucte,  Pompée  (164.3;,  sans  compter 
le  Menteur,  qui  crée  chez  nous  la  haute  comédie; 
puis  il  se  laisse  envahir  par  une  longue  décadence. 

Le  théâtre,  si  brillamment  inauguré  avant  l'a- 
vènement de  Louis  XIV,  restera  pendant  son 
règne  le  principal  centre  littéraire  du  siècle  au- 
quel ce  roi  donne  son  nom.  C'est, après  le  sublime 
Corneille,  le  sensible  et  profond  Racine  (1G3!)-I69!i), 
qui,  dans  les  tragédies  d'Andrommjne  (1U67),  Bri- 
taïuiims,  Mithridale,  Iphigénie,  rhèdre  (1G77), 
donne  à  toutes  les  passions  humaines  le  plus  élo- 
quent langage,  et  qui,  après  douze  ans  d'une  re- 
traite causée  en  grande  partie  par  les  ininstices 
de  la  critique,  emprunte  à  la  tradition  biblique 
les  sujets  et  l'inspiration  A'Esther  (1G89)  et 
lïAthulie  (lU9t). Racine  avait  montré,  en  passant, 
une  grande  verve  comique  dans  les  Plaideurs 
(1068).  Mais  le  vrai  représentant  de  la  comédie, 
c'est  Molière  (lC'.>V-167:i),  qui  aborde  avec  succès 
tous  les  genres:  la  farce,  la  comédie  d'intrigue,  la 
comédie  de  moeurs  ou  de  caractère,  et  prodigue 
tour  à  tour  la  gaieié,  l'esprit  d'observation,  les 
hauts  enseignements.  Maniant  avec  le  même  bon- 
heur la  prose  et  le  vers,  il  s'est  placé  et  maintenu, 
dans  la  faveur  publique,  au  premier  rang  des  mo- 
ralistes et  des  écrivains  de  tous  les  temps. 

Un  autre  écrivain  a  conservé  une  popularité  au 
moins  égale  ;  c'est  La  Fontaine  (1G2I-I695),  qui,  re- 
nouvelant l'ancien  esprit  gaulois  et  unissant  le 
plus  parfait  naturel  à  un  art  consommé,  a  su  faire, 
d'un  simple  recueil  de  Fa/iles,  une  véritable  comé- 
die universelle,  essentiellement  humaine,  et  re- 
présenter sous  le  masque  des  animaux,  avec  le 
langage  et  les  mœurs  de  son  temps,  les  types  de 
toutes  les  classes  de  la  société,  et  toutes  les 
scènes  de  la  vie.  Aux  quatre  grands  représentants 
de  la  poésie  sous  Louis  XIV  il  convient  de  ratta- 
cher le  nom  de  Boileau  (IG3II-171 1),  sinon  pour 
l'originalité  des  œuvres,  du  moins  pour  l'impor- 
tance du  rôle  et  de  l'influence  :  Boileau,  dans  ses 
Eiiitres  et  ses  Satires,  soutient  et  guide  les  bons 
écrivains  et  fait  une  guerre  implacable  aux  mau- 
vais; son  Art  poétirjue  \'a(ait  appeler  le  .i  législa- 
teur du  Parnasse  »  ;  son  Lutrin  est  resté  un  modèle 
du  genre  héroi-comique.  On  voudrait  à  sa  critique 
plus  de  largeur  et  d'indépendance,  mais  il  était 
impossible  de  donner  h  la  lajigue  plus  do  rigueur 
et  de  précision. 

Kn  dehors  de  ces  noms  consacrés  par  la  tradition 
classique,  le  théâtre  au  xvii'  siècle  en  offre  encore 


quelques  autres  qu'il  serait  injuste  d'oublier.  Le 
poème  d'opéra  est  créé  par  Quinault  {lG3.i-1668), 
qui  a  survécu  aux  injustices  de  Boileau.  Dans  la 
comédie  brillent  encore,  quoique  au-dessous  de 
Molière,  Boursault  (IG38-I7U1),  l'estimablo  auteur 
du  Mercure  r/alant,  et  Regnard  (1 1.5.1-1709),  dont 
le  Joueur  et  le  Léi/ataire  universel  sont  des 
œuvres  encore  très  vivantes.  Mais,  dans  la  tragédie, 
les  rivaux  de  Corneille  et  de  Racine,comme  l'abbé 
Boyer  (1618-1G98),  ou  Pradon  (1032-1698),  ne  sont 
restés  célèbres  que  par  de  tristes  succès  do  cabale 
ou  de  justes  chutes.  Il  est  d'autres  poètes  qui, 
sans  renoncer  aux  genres  élevés,  se  sont  fait  un 
nom  dans  les  genres  secondaires  :  tels  sont 
Racan  (1589-1070),  le  poète  des  bergeries  ;  Bense- 
rade  (1612-1091),  si  célèbre  par  ses  rondeaux; 
Scarron  (1610-1000),  le  créateur  de  la  parodie; 
Segrais  (1024-1701),  dont  les  o^logues  ont  fait  ou- 
blier le  théâtre;  M"'"  Deslioulières  (1037-1094), 
dont  la  poésie  pastorale  vaut  mieux  aussi  que  les 
essais  dramatiques  ;  Chapelle  (1G26-I68i:),  et 
Chaulieu  (1039-17  20),  si  goûtés  pour  leurs  petits 
vers,  faciles  et  légers.  Le  grand  genre  de  l'épopée 
n'olTre  au  contraire  que  des  œuvres  prétentieuses 
et  ridicules,  comme  la  Pucelle  de  Chapelain  (1595- 
1674),  sauvée  de  l'oubli  par  les  épigrammes  et  la 
satire. 

La  prose,  au  règne  de  Louis  XIV,  prend  son  plein 
essor  dans  la  littérature  religieuse.  Le  christia- 
nisme, développant,  avec  touie  l'ampleur  de  la 
forme  oratoire,  l'austérité  des  principes  et  l'accord 
de  la  raison  avec  la  foi,  a  suscité  une  famille  entière 
d'écrivains  et  de  prédicateurs  dignes  des  plus 
beaux  temps  de  l'Eglise;  car  la  chaire  et  le  livre 
de  piété  se  répondent,  avec  la  même  dignité  de 
stylo  et  le  même  sentiment  de  spiritualisme  pro- 
fond. Au  premierrang  marche  Bossuet  (1627-1704), 
qui  résume  en  lui  tous  les  Pères,  par  la  science 
théologique  et  par  l'éloquence  chrétienne,  dont 
tous  les  tons  lui  sont  familiers:  tour  ;\  tour  apôtre 
fougueux,  panégyriste  brillant,  controversiste  in- 
fatigable. Puis  vient  Fénelon  (1051-1715),  qui. 
sans  dédaigner  les  sources  chrétiennes,  a  puisé 
dans  l'antiquité  grecque  un  pur  atticisme,  qu'il 
conserve  partout,  soit  qu'il  enseigne  et  discute  le 
dogme,  soit  qu'il  développe  une  utopie  morale  en  un 
poétique  roman,  ou  qu'il  s'abandonne  aux  etîusions 
d'une  âme  mystique.  Autour  de  ces  maîtres  do  la 
chaire,  l'Eglise  de  France  voit  se  grouper  le  sé- 
vère Bourdaloue  ;i032-l7(ii)i  l'agréable  Fléchier 
(1032-1710),  l'habile  et  élégant  Massillon  (1663- 
U'i2,>. 

Hors  de  la  chaire,  on  retrouve  la  parole  austère 
mais  non  sans  grandeur  des  solitaires  de  Port- 
Royal,  l'infatigable  Arnauld  (i012-109i),  le  docte 
et  prolixe  Nicole  (1025-1095),  qui  faisait  les  délices 
de  M'"'=  de  Sévigné,  et  surtout  l'éloquent  et  tour- 
menté Pascal,  dont  l'œuvre  suprême  n'existe  pour 
nous  qu'i  l'état  de  débris  dans  le  recueil  des 
Pensées.  A  l'étude  morale  de  l'homme  appartien- 
nent deux  autres  livres  immortels:  les  Maximes 
de  La  Rochefoucauld  (IGI-i-1680),  dont  lo  pessi- 
misme reste  aussi  étranger  aux  sentiments  reli- 
gieux du  temps  qu'i  celui  de  la  dignité  de  l'âme 
humaine,  et  les  Caraclàres-  de  La  Bruyère  (1645- 
1G95),  qui  associe  aux  peintures  si  fines  et  si  déli- 
cates de  l'homme  la  défense  du  spiritualisme 
chrétien.  La  philosophie  de  Descartes  trouve 
aussi  dans  Malebranche  (1638-1715)  un  interprète 
non  njoins  pieux  (|u'éloquent.  A  cette  époque,  la 
théologie  et  la  philosophie  sont  partout.  Cachant 
un  fond  sérieux  sous  la  forme  la  plus  légère  et  la 
plus  gracieuse,  M"°  de  Sévigné  (1626-1696)  mêle 
les  dissertations  jansénistes  ou  cartésiennes  aux 
commérages  île  la  cour  et  aux  inépuisables  épan- 
chements  de  l'amitié.  L'histoire,  médiocrement 
représentée  par  Mézeray  (iOlii-IO.S3),  manque  au 
xvii"  siècle,  avec  l'esprit  de  critique  qui   en  est  la 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  H84  —     LITTÉRATURE    FRANÇAISE 


condition  ;  mais  elle  est  rachetée  pour  la  postérité 
par  des  Mémuire'i,  qui,  du  cardinal  de  Ketz  (I6H- 
1(^9)  et  de  M""  de  Mottcville  (1G21-I68H)  à  Saint- 
Simon  (16"5-nô5),  jettent  une  lumière  aussi  vive 
qu'imprévue  sur  les  hommes  et  les  événements 
contemporains. 

2°  Dix-huitième  siècle.  —  Le  xviii"  siècle 
ne  s'éloigne  que  d'une  façon  insensible,  dans  le 
domaine  littéraire,  du  siècle  de  Louis  XIV ,  avec 
le(iuel  il  doit  rompre  d'une  manière  si  violente, 
par  son  psprit  général  et  par  ses  doctrines,  en 
philosophie  et  en  religion.  Un  homme  le  domine 
et  paraît  le  remplir  tout  entier,  c'est  Voltaire  (IG94- 
mS),  qui  reste  le  premier  adorateur  du  grand 
règne  en  se  faisant  le  chef  du  mouvement  qui  doit 
en  ébranler  les  principes.  Voltaire  s'exerce  dans 
presque  tous  les  genres  à  la  fois  et,  toujours  plus 
philosophe  qu'artiste,  il  fait  de  presque  toutes 
SCS  œuvres  littéraires  des  instruments  de  guerre, 
sinon  contre  le  christianisme  lui-même,  du  moins 
contre  l'ignorance  superstitieuse  ou  l'esprit  d'in- 
tolérance et  de  fanatisme  qui  ont  trop  souvent 
régné  en  son  nom.  C'est  pourtant  à  des  inspira- 
tions chrétiennes  que  se  rapportent  plusieurs  de 
ses  plus  belles  œuvres.  A  peine  sorti  des  bancs  du 
collège,  il  entreprend  de  donner  à  notre  littéra- 
ture le  poème  épique  classique,  vainement  essayé 
depuis  Konsard,  et  il  y  réussit  dans  une  certaine 
mesure,  en  écrivant  la  Heitrinr/r.  Il  aborde  ensuite 
le  théâtre  et  le  renouvelle,  à  plusieurs  égards,  sans 
.nbandonner  tout  à  fait  la  tradition  classique  : 
/aire,  Mahomet,  la  Mort  de  César,  Mérope, 
Rome  sauvée,  font  appel  tour  à  tour  à.  l'émotion 
populaire  etkia  raison,  à  l'esprit  d'indépendance. 
Inférieur  dans  la  poésie  lyrique  proprement  dite. 
Voltaire  est  incomparable  dans  la  poésie  familière 
et  badine,  ainsi  que  dans  l'épitre  et  le  discours 
philosophique.  Il  manie  la  parodie  avec  une  verve, 
une  liberté  qui  ne  connaît  pas  de  mesure.  Dans 
la  prose,  il  est  un  des  créateurs  de  l'histoire,  à 
laquelle  il  ouvre  des  horizons  nouveaux  et  qu'il 
embrasse  tout  entière,  depuis  la  monographie 
biographique  jusqu'Ji  la  pliilosophie  de  l'histoire. 
Comme  philosophe,  tout  lui  est  prétexte  à.  polé- 
mique; au  nom  du  bon  sons,  de  la  raison  ou  de 
la  science,  il  est  sans  cesse  en  lutte  avec  les  pré- 
jugés, les  abus  ou  l'erreur,  soit  dans  le  roman, 
qu'il  traite  avec  une  rare  finesse,  soit  dans  les 
libres  articles  de  son  Diciionnaire  philosophique, 
soit  dans  les  innombrables  pamphlets  qui  marquent 
toutes  les  périodes  de  sa  longue  carrière,  soit  dans 
cette  immense  et  précieuse  Correspondance  entre- 
tenue, d'un  bout  de  l'Europe  à  l'autre,  avec  tout 
ce  qui  compte  dans  le  monde  des  affaires  publiques 
et  dans  les  lettres.  Voltaire  est,  en  outre,  l'àme  de 
la  grande  machine  de  guerre  philosophique  et 
religieuse  qui  s'appelle  YÉuci/clupédie. 

Jean-Jacques  Rousseau  (ni2-m8i,  dont  le  nom 
est  resté  si  étroitement  lié  h  celui  de  Voltaire, 
pousse  son  siècle  vers  le  même  but  avec  une  ar- 
deur non  moins  soutenue.  Après  la  Nouvelle  Hé- 
lo'ise,  qui  mêle  à  l'éloquence  de  la  passion  la 
discussion  ardente  de  vérités  neuves  ou  de  para- 
doxes, son  Emile  est  accueilli  moins  comme  un 
ingénieux  traité  d'éducation  que  comme  le  hardi 
manifeste  de  la  religion  naturelle.  11  propose, 
dans  le  Cojitrat  social,  la  refonte  complète,  par 
une  utopie,  de  la  société  dont  il  a  renversé  les 
bases  dans  de  célèbres  pamphlets.  Enfin,  il  ouvre 
de  nouvelles  sources  littéraires  dans  ses  Confes- 
sions, par  lo  retour  intime  sur  soi-même  et  par 
le  sentiment  exalté  de  la  nature. 

Un  penseur  plus  calme,  Mont(;squieu  (16S9-n5.S), 
après  avoir  sacrifié  à  l'esprit  frondeur  du  siècle 
dans  les  Lettres  pers'mes,  recherche  dans  des 
œuvres  longuement  méditées  et  fortement  écrites, 
la  Grandeur  et  la  décadence  des  Romains  et  l'Esprit 
des  lois,  les  conditions  naturelles  des  institutions 


et  la  raison  même  de  leur  développement,  de  leur 
progrès  ou  de  leur  décadence.  D'un  autre  côté, 
Bulfon,  classé  ordinairement  parmi  les  quatre 
grands  écrivains  du  siècle,  trouve  dans  l'étude  de 
la  nature,  non  seulement  la  satisfaction  d'une  cu- 
riosité savante,  mais  aussi  un  aliment  pour  l'esprit 
philosophique,  et  particulièrement  une  matière 
inépuisable  de  peinture  littéraire. 

Un  cinquième  écrivain,  Diderot,  mérite  d'être 
placé  sur  la  même  ligne,  et  par  ses  qualités  litté- 
raires et  par  sa  participation  infatigable  aux  luttes 
du  temps  :  à  part  son  njle  philosophique,  dans 
lequel  il  pousse  trop  volontiers  la  liberté  de  pen- 
ser et  d'écrire  jusqu'à  la  licence,  Diderot  intéresse 
particulièrement  l'histoire  littéraire  par  la  création 
de  la  critique  d'art,  et  par  son  influence  sur  le  théâ- 
tre, où  il  s'efforce,  par  la  théorie  et  par  l'exemple, 
d'introniser  la  tragédie  bourgeoise  ou  le  drame 
moderne. 

Dans  l'œuvre  de  propagande  philosophique  et 
de  progrès  social  du  siècle,  se  présentent  ensuite, 
à  des  rangs  différents  :  le  centenaire  Fonte- 
nelle  (1657-1757),  bel  esprit  et  savant  tout  en- 
semble, qui,  appartenant  aux  deux  siècles,  étonne 
le  dix-septième  par  la  hardiesse  de  ses  para- 
doxes, et  le  dix-huitième  par  sa  discrète  réserve 
à  l'égard  des  idées  nouvelles:  d'Alembert  (1717- 
17«3i,  le  représentant  de  la  libre  science  dans  le 
monde  des  encyclopédistes;  l'urgot  (I727-1781), 
le  sage  défenseur  do  la  tolérance  et  l'un  des 
créateurs  de  l'économie  politique  ;  Condorcet  (174.3- 
1794),  le  théoricien  du  nouveau  dogme  de  la  per- 
fectibilité humaine. 

Pour  rentrer  dans  un  ordre  plus  spécialement 
littéraire,  il  nous  faut  citer,  dans  le  roman  :  Le- 
sage  (1G68-174"),  avec  ses  attachantes  études  d'ob- 
servation morale,  le  Diable  boiteux  et  Gil  Blas; 
l'abbé  Prévost  (1697-17G3),  avec  sou  émouvante 
histoire  de  Manon  Lescaut;  Marmontel  (17'i3- 
1799),  dont  les  Contes  mornux,  le  Bélisaire  et  les 
Incas  furent  plus  froiiiés  de  ses  contemporains 
que  ses  utiles  Eléments  de  littérature;  Flo- 
rian  (1755-1791),  dont  les  prétentieux  récits  en 
prose  eurent  aussi  plus  de  vogue  que  ses  Fables, 
seules  dignes  de  lui  survivre;  puis,  dans  la  poésie 
lyrique,  Jean-Baptiste  Rousseau  (1670-1741),  dont 
les  mérites  comme  versificateur  ont  été  tour  à 
tour  loués  et  dépréciés  outre  mesure;  Lefranc  de 
Pompignan  (1709-1784),  dont  quelques  belles 
strophes  sont  citées  partout;  Gilbert  (1751- 
1780).  qui  marqua  aussi  sa  place  dans  la  satire; 
Ecouchard-Lebrun ,  dit  Lebrun-Pindare  (17'.;9- 
1807J,  non  moins  conim  par  la  malice  de  ses  épi- 
grammes  que  par  la  pompe  de  ses  odes. 

Au  théâtre,  à  coté  de  Voltaire,  se  rangent  le 
sombre  Crébillon  (1674-176.'),  son  constant  et  iné- 
gal rival;  De  Belloy  (1727-1775),  l'auteur  de  la 
patriotique  tragédie  le  Siège  de  Calais  ;  La- 
fosse  (lii33-1708),  dont  le  Manlius  rappelle  d'un 
peu  loin  les  Romains  de  Corneille;  La  Chaus- 
sée (  I6li2-l7.s4),  dont  les  comédies  larmoyantes 
furent  accueillies  comme  des  homélies;  Lesage 
qui,  avec  Crispin  et  Turcaret.  porte  à  la  scène, 
comme  dans  le  roman,  la  critique  des  mœurs 
contemporaines;  Alexis  Piron  (1689-1773),  célèbre 
par  ses  épigrammcs  de  circonstance  et  dont  la 
Métromanie  a  mérité  de  survivre;  Gresset  (1709- 
1777).  dont  la  grande  comédie  du  Méchant  a  moins 
vécu  que  son  petit  poème  de  Vert-Vert;  l'ingé- 
nieux Marivaux  (1688-1763;,  avec  toutes  les 
finesses  de  sentiment  et  de  langage  que  rappelle 
son  nom;  La  Harpe  (1739-1803)  qui,  malgré  ses 
nombreuses  tentatives  dramatiques,  est  plus  connu 
comme  professeur  et  critique,  par  son  volumineux 
Cours  de  littérutnre;  Fabre  d'Eglantine  (1755- 
17U9),  dont  le  Philinte  de  Molière  fut  le  meilleur 
succès  ;  enfin  et  surtout  Beaumarchais  (1732- 
1799),  dont  le  Barbier  de  Sévillent  le  Mariage  de 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  H85  —     LITTERATURE  FRANÇAISE 


Figaro  ont  défendu  avec  une  verve  si  brillante 
les  nouvelles  idées  et  légué  à  la  littérature  et  à 
l'art  un  type  immortel. 

Un  certain  nombre  d'écrivains  on  prose  se  tien- 
nent en  dehors  du  mouvement  pliilosopliiquc 
dont  Voltaire  est  le  centre,  ou  s'efforcent  d'y  ré- 
sister ;  tel  est  l'honorable  et  savant  Daguesseau 
(KiliS-USI),  aux  œuvres  oratoires,  laborieuses  et 
raTlinées;  tel  est  notre  bon  vieux  Rollin  (1061-1741), 
qui,  voué  au  latin  jusqu'à  soixante  ans  passes, 
aborda  le  français  avec  tant  de  bonheur,  que  son 
Truite  des  études,  si  précieux  à  tant  d'égards,  est, 
selon  Villemain,  «  un  des  livres  le  mieux  écrits  de 
noire  langue,  après  les  livres  de  génie;  »  tel  est 
encore  le  jeune  et  sympathique  moraliste,  Vauve- 
nargues  (I7I5-1147),  dont  le  généreux  livre  des 
Ri'/lexions  et  Mojcvn-s  ne  se  rattache  ii  la  philo- 
sophie du  xvni*  siècle  que  d'une  façon  générale, 
par  la  liberté  de  la  pensée.  Parmi  les  adversaires 
de  Voltaire,  il  n'y  a  guère  à  citer  que  l'abbé  Gué- 
née  (1817-1803)  pour  sa  polémique  spirituelle  et 
savante,  et  Fréron  (I71S-177G))  pour  son  infatiga- 
ble courage  ;  les  autres,  et  ce  dernier  lui-même, 
soiit  moins  connus  par  leurs  œuvres  que  pur  les 
innombrables  épigrammes  dont  les  accabla  la 
malice  voltairienne. 

L'histoire  inspire,  au  xviii»  siècle,  des  travaux 
hardis  ou  savants;  ceux  de  l'abbé  Mably  (1709- 
I78.ii,  qui  reprend  en  sous-œuvre  les  paradoxes 
de  Jean-Jacques  et  les  méditations  de  Montes- 
quieu; ceux  de  Fréret  (1088-1749),  qui,  par  ses 
recherches  personnelles,  inaugura  toute  la  science 
moderne  de  nos  origines  nationales:  ceux  sur- 
tout des  Bénédictins  de  Saint-Maur,  dont  les  grands 
recueils,  la  Gnllia  christiaiw,  VHhtoire  liltéraiie 
de  la  France,  etc.,  continués  jusqu'à  nos  jours 
par  l'institut,  sont  l'honneur  de  1  érudition  fran- 
çaise; enfin  l'ingénieux  et  savant  abbé  Barthé- 
!emy(1716-179ô),dont  le  Voi/af/e  du  jeune  Anacliar- 
sis  fut,  pour  les  gens  du  monde  eux-mêmes, 
une  révélation  de  l'antique  société  grecque.  Des 
mérites  tout  littéraires  et  des  circonstances  favo- 
rables ont  popularisé  les  compositions  historiques, 
bien  inférieures  pour  le  savoir  et  l'exactitude,  de 
l'abbé  de  Vertot  (lGi,'.-n35)  sur  les  révolutions  de 
la  République  romiine,  de  l'abbé  Raynal  (ni3- 
179(1)  sur  les  établissements  européens  dans  les 
Indes,  et  de  Duclos  (1701-1773)  sur  son  propre 
siècle.  Aux  historiens  proprement  dits,  il  faut 
joindre  les  nombreux  et  intéressants  mémoria- 
listes, comme  le  duc  de  Luynes,  d'Argnnson, 
Barbier,  Bachauniont,  etc.,  et  les  auteurs  de  ces 
grandes  correspondances  avec  l'étranger,  qui  peu- 
vent, comme  celle  de  Grimm,  devenir  des  monu- 
ments, et  qui  ont  tant  contribué  à  étendre  à  toute 
l'Europe  le  mouvement  littéraire  et  philosophi- 
que de  la  Franco. 

Vers  la  fin  du  xviii»  siècle,  il  faut  distinguer 
la  liilérature  pure  et  la  littérature  d'action.  Dans 
la  première,  la  poésie,  s'inspirant  du  senti- 
ment de  la  nature,  fait  une  très  grande  place  au 
genre  descriptif.  Après  Boucher  (1748-1794)  et 
son  poème  des  Muis,  et  SaintLambert  (1710-1803) 
et  celui  des  Saùo'is,  vient  l'abbé  Delille  (1738- 
1813),  qui,  ayant  traduit  avec  bonheur  les  Géor- 
giques  de  Virgile,  applique  la  poésie  didactique  à 
tout  ce  qui  est  susceptible  d'être  décric.  Sous 
1  innueiice  plus  directe  de  Jean-Jacques  Rousseau, 
Bernardin  de  Saint-Pierre  (17.17-1814),  dans  ses 
Et'.desde  lu  nnture  et  dans  Paid  et  Virginie,  con- 
sacre le  genre  de  la  descriptioti  en  prose,  qui 
devait  avoir  jusiiu'i  nos  jours  tant  de  faveur. 
Dans  la  littérature  d'action,  la  révolution  qui  ter- 
mine le  siècle  renouvelle  l'éloquence  politique 
et  II!  pamphlet,  et  crée  le  journalisme  :  vaste  mou- 
ïemcnt  dans  lec|uel,  à  part  les  boutades  d'un  froid 
et  caustique  observaieur,  Cliamfurt  (1741-1791)  et 
]e=  vives  escarmouches  d'un  écrivain  plus  spirituel 
2«  Partie. 


que  convaincu,  Rivarol  (1753-lSOI),  les  idées  et 
les  institutions  du  passé  sont  à  peine  défen- 
dues. Do  Mirabeau  à  Danton,  de  Vergniaud  à 
Robespierre,  de  Camille  Desmoulins  à  Hébert, 
nous  ne  pouvons  suivre  ces  luttes  parlementaires 
et  ces  guerres  de  plume,  tour  à  tour  brillantes  et 
sinistres,  et  nous  rappellerons  plus  volontiers, 
pour  clore  l'histoire  littéraire  de  tout  le  siècle, 
que  la  poésie  n'avait  pas  abdiqué  dans  la  tour- 
mente révolutionnaire  :  elle  s'affirme  jusqu'au 
pied  de  l'échafaud,  avec  André  Chénier  (1702- 
I79i),  qui,  suivant  sa  célèbre  devise  : 
Sur  des  peiisers  nouveaux  faisons  des  vers  antiques, 

va  retremperson  originalité  dans  l'inspiration  grec- 
que. Ses  idylles  et  ses  élégies,  dont  IdiJeune  cap- 
tive est  l'impérissable  modèle,  se  mêlent  aux 
chants  nationaux  dont  la  Marseillaise  de  Rouget 
de  Lisle  (1700-1836)  reste  le  type.  Le  théâtre  qui, 
s'affranchissant  des  traditions  classiques,  a  accueilli 
les  œuvres  de  Shakespeare  arrangées  par  Ducis 
(1733-1810),  voit  se  produire  une  suite  de  pièces 
de  circonstance  inspirées  par  la  Révolution  et 
qui  n'ont  qu'une  vogue  éphémère  ;  mais  il  faut 
citer,  au  milieu  même  du  procès  de  Louis  XVI,  les 
généreuses  protestations  produites  h  la  scène  par 
Jean-Louis  Laya  (l701-183i)  dans  l'Ami  des  loi<. 
On  ne  peut  quitter  le  xviii'  siècle  sans  remar- 
quer l'inlluence  qu'y  exercent  les  femmes,  l'éclat 
que  jette  l'esprit  de  conversation,  et  l'incroyable 
extension  de  la  langue  et  de  la  littérature  fran- 
çaise à  l'étranger.  C'est  le  siècle  des  salons  litté- 
raires, des  «  doctes  cafés  ",des  réunions  mondaines, 
où  l'on  traite  des  choses  de  l'esprit,  comme  du  grand 
intérêt  du  présent  ;  où  les  femmes  prennent  en 
main  la  cause  des  lettres  et  de  la  philosophie  et  con- 
tribuent à  en  faire  des  puissances  ;  où  Mi""*Du  Cliâ- 
telet,  Du  Doffand.d'F.pinay,  .\ecker,  de  Staël  et  tant 
d'autres  soutiennent  et  étendent  l'action  des  Vol- 
taire, des  d'Alembert,  des  Diderot,  dos  Jean- 
Jacques  et  des  Turgot.  La  sociabilité  française 
vient  en  aide  au  sentiment  d'humanité  qui  anime 
toute  la  philosophie  du  siècle,  et,  par  la  double 
contagion  de  l'idée  et  de  la  mode,  notre  nation 
donne  plus  que  jamais  le  ton  à  l'Europe,  à  ses 
cours,  à  ses  académies.  Notre  souveraineté  intel- 
lectuelle et  littéraire  est  proclamée  plus  haut  à 
Berlin  et  à  Saint-Pétersbourg  qu'à  Paris.  Non 
seulement  le  roi  de  Prusse,  Frédéric  le  Grand, 
élève  de  Voltaire,  a  une  cour  philosophique  fran- 
çaise dans  sa  résidence  de  l'otsdam,  il  est  fier 
d'écrire  lui-même  en  prose  et  en  vers  dans  notre 
langue  ;  limpératrice  de  Russie,  Catherine  II,  a  la 
même  ambition  et  le  môme  orgueil.  L'étranger 
nous  fournit  des  écrivains  français,  comme  Hamil- 
ton,  Grimm,  le  prince  de  Ligne,  l'abbé  Galiani,  qui 
jo  gnent  à  la  correction  et  à  la  clarté  le  mouvement 
et  la  finesse.  Avec  notre  langue,  nos  ouvrages  et 
notre  philosophie  pénètrent  partout,  et,  par  un 
excès  qui  appellera  des  réactions,  l'imitation  fran- 
çaise, provociuée  successivement  par  la  perfection 
de  nos  œuvres  classiques  et  par  l'asceudant  de 
nos  idées  révolutionnaires,  paraît  suspendre,  de 
tous  côtés,  en  Allemagne,  en  Angleterre,  en  Espa- 
gne, en  Italie,  en  Russie,  le  mouvement  propre  à 
chaque  nation  et  à  chaque  littérature. 

3°  Dix-neuvième  siècle.  —  Au  moment  où  les 
agitations  politiques  de  la  France  révolutionnaire 
sont  comprimées  par  la  main  puissante  de  Napo- 
léon, un  nouveau  mouvement  littéraire,  celui  de 
l'art  romantique,  se  dessine  et  se  développe  tout 
à  fait  en  deliors  de  l'action  du  pouvoir.  Il  prend 
naissance  dans  les  théories  critiques  qu'une 
femme  à  l'esprit  brillant.  M""  de  Staël  (I70C-I817), 
la  fille  de  Neckor,  développe  dans  son  livre  de 
l'Ai  cm  igne,  sou»  l'influence  des  nouvelles  écoles 
littéraires  et  philosophiques  d'outre-lîliin.  M""  de 
Staël,  qui  a  écrit  en  outre  doux  beaux  romans 
75 


LITTERATURE  FRANÇAISE  —  H86  —  LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


d'analyse  morale,  de  passion  et  d'art,  Delphine 
et  Ci-rmne.  et  un  livre  d'un  grand  sens  politique, 
les  Considérations  sur  ta  Hévotution  frunçuise, 
s'est  vue  en  butte  aux  hostilités  du  gouvernement 
impérial  et  a  dû  fuir  devant  la  proscription  pro- 
voquée par  sa  trop  libre  pensée.  Dans  le  même 
temps,  un  esprit  plus  éloigné  de  celui  du 
xviii'  siècle  inspirait  à  Chateaubriand  (I"(i8- 
1838)  le  Génie  du  Clirislianisme  ou  les  Beautés 
de  ta  reltyion  chrétienne,  ouvrage  destiné  à  rame- 
ner les  âmes  à  la  foi,  non  par  la  démonstration, 
mais  par  le  sentiment  et  la  poésie  ;  deux  petits 
romans,  Atala  et  Séné,  dont  le  second  fut  appelé 
un  "  Werther  chrétien,  >.  faisaient  partie  de  celte 
apologétique  d'un  nouveau  genre  qui  introduisait 
dans  la  littérature,  comme  dans  la  religion,  des 
formes  et  des  habitudes  de  langage  inusitées,  un 
grand  vague  dans  les  idées  et  leur  expression, 
le  luxe  de  la  poésie  dans  la  prose,  la  recherche 
des  traits  pittoresques,  un  usage  immodéré  du 
néologisme.  Chateaubriand  donna  ensuite,  sous  la 
même  inspiration  poétique  et  rcligi>'use,  le  poème 
épique  en  prose  des  Martyrs,  puis,  dans  un  grand 
nombre  d'écrits  de  littérature,  de  voyages,  d'his- 
toire, de  politique,  soutint  ce  rôle  de  penseur 
chrétien  et  de  politique  royaliste  auquel  il  devait 
donner  un  éclatant  démenti  posthume  par  ses 
Mémoires  d'outre-tnmbe. 

La  cause  de  la  religion  et  du  royalisme  était  dé- 
fendue avec  moins  d'art,  mais  avec  plus  de  ri- 
gueur par  un  écrivain,  moitié  étranger,  moitié 
français,  le  comte  Joseph  de  Maistre  (n.i4-1821), 
lauteur  des  remarquables  Soirées  de  Saint-Pé- 
tersbourg et  d'une  foule  de  virulents  pamphlets 
contre  la  raison,  la  liberté,  contre  tous  les  prin- 
cipes et  institutions  des  sociétés  modernes. 

Tandis  que  ces  trois  écrivains  échappaient  à  l'ac- 
tion del'Empire  parleur  génie  littéraireou  se  tour- 
naient ouvertement  contre  lui,  la  littérature  offi- 
cielle, maintenue  dans  les  traditions  classiques, 
se  mourait  d'épuisement.  Le  gouvernement  impé- 
rial avait  ses  poètes,  académiciens  ou  sénateurs, 
auxquels  il  commandait  des  odes,  des  poèmes, 
des  tragédies,  qui  jetés,  pir  ordre,  dans  les  mou- 
les connus,  manquaient  de  mouvement  et  de  vie, 
et  n'avaient  aucune  prise  sur  la  génération  nou- 
velle. Parmi  les  noms  les  moins  oubliés  de  cette 
littérature  médiocre,  on  peut  citer,  en  renvoyant 
pour  plus  de  détails  aux  dictionnaires  spéciaux, 
Arnault,  de  Jouy,  Fontanes,  C.ampenon,  Luce  de 
Lancival,  Parseval  de  Grandmaison,  Raynouard, 
Baour-Lormian,  BrilTaut,  Népomucène  Lemercier, 
Lebrun;  un  groupe  d'auteurs  comiques  ne  man- 
quant pas  de  finesse,  Collin  d'Harleville,  Picard, 
Duval,  Etienne,  etc.  Excité  par  la  pénurie  même 
du  jirésent,  le  besoin  de  nouveautés  cherchait  une 
satisfaction  dans  les  littératures  étrangères.  On  se 
passionnait  pour  les  poèmes  nébuleux  et  sans  au- 
thenticité dOssian  ;  on  prenaitau  théâtre  allemand 
ses  élucubrations  les  plus  sombres  ;  an  lieu  des 
arrangements  de  Shakespeare  par  Ducis,  on  ré- 
clamait des  traductions  complètes  et  fidèles.  On 
empruntait  aussi  à  r,\ngleterre  une  poésie  lyri- 
que plus  vivante,  et  le  genre  byronien  devenait 
une  mode,  une  fureur. 

C'était,  en  effet,  par  la  poésie  lyrique  et  par  le 
théâtre,  que  la  littérature  devait  trouver,  en 
France,  sa  rénovation.  Casimir  Delavigne  (179:3- 
184:i),  sous  l'influence  du  sentiment  patriotique, 
avait  rajeuni  les  formes  de  l'élégie,  dans  ses 
premières  ifessétuei^nes  (I818);  Uéranger  (17813- 
1X57),  avec  une  langue  encore  classique  et  sobre, 
donnait  au  simple  genre  de  la  chanson  une  variété, 
un  intérêt  patriotique,  qui  commençait  sa  longue 
popularité;  bientôt  Lamartine  (ITJO-iSG!)),  dans 
ses  Mé'iitiitions  (182U),  renouvelait  si  complète- 
ment la  poésie  lyrique,  qu'il  paraissait  l'avoir 
créée.  Alors  M.  Victor  Hugo  (né  en  1802)  vient,  au 


nom  de  l'école  romantique,  jeter  dans  ce  même 
genre  lyrique  une  richesse  de  forme  inattendue; 
appartenant  au  passé  par  le  sentiment  monarchi- 
que et  religieux,  les  Odes  et  baltades  (1822),  que 
suivent  les  0<  ieidales(\&ii),  \ni Feuilles  d automne 
(18:31),  etc.,  tirent  de  la  langue  poétique  tous  les 
effets  de  la  musique  et  la  peinture;  une  nouvelle 
pléiade  de  poètes  se  groupe,  sous  le  nom  de 
1'  cénacle,  »  autour  do  ce  chef  d'école  de  vingt  ans  ; 
les  deux  Descliamps  (Emile,  1791-1871,  et  Antony, 
I8OII-I861),  Sainte-Beuve  (I80i-I8G;3),  et  plus  tard 
Alfred  de  Musset  (181(1-1857),  le  plus  populaire 
après  le  maître,  Théophile  Gautier  (1811-1872), 
etc.,  rompent  le  vers  lyrique  à  tous  les  caprices 
du   rhythme,   du   sentiment  et  de    l'imagination. 

Mais  les  grands  coups  de  la  réforme  se  portent 
au  théâtre.  M.  Victor  Hugo  a  donné  lui-môme  le 
manifeste  du  romantisme,  dont  le  nom  vague  et 
obscur  prêtait  aux  interprétations  les  plus  exagé- 
rées, dans  la  célèbre  préface  du  drame  de  Crom- 
well  (1827),  qui  n'était  point  fait  pour  la  scène  ; 
puis  il  obtint  du  roi  Charles  X,  malgré  les  do- 
léances de  l'Académie  française,  de  faire  passer 
au  théâtre  son  drame  à'Hernani  (25  février  1830), 
resté  le  principal  type  littéraire  du  genre  et  qui, 
détrônant  enfin  la  tragédie,  amène  les  partisans 
de  l'art  classique  à  compter  avec  les  innovations. 
Casimir  Delavigne  leur  donne  une  heureuse  part 
dans  les  Enfaids  d'Ediiuard  et  Louis  XI;  Fran- 
çois Ponsard  (1814-1867),  malgré  l'apparence  de 
retour  aux  traditions  classiques,  dans  sa  tragé- 
die lie  Lucrèce  (1843),  leur  fera,  dans  Charlotte 
Cordaij  et  ses  autres  drames,  une  large  mesure. 
Quant  à  M.  Victor  Hugo,  poursuivant  au  théâtre 
les  luttes  mêlées  de  chutes  et  de  triomphes  du 
romantisme,  il  produit  Marion  Detorme  (1831), 
le  liai  s'amuse  (i832),  Lucrécs  Borgia  (1833),  An- 
.'/e/o(1835),  Ruy-Blai  (1838),  les  Buri/raves  (1843). 
Les  principales  de  ses  pièces,  comme  He>-nani 
et  Buy-lilas,  seront  longtemps  reprises  au  théâ- 
tre avec  le  plus  brillant  succès.  D'un  autre  côté, 
Alexandre  Dumas  père  (1803-187(1)  exploite  avec 
un  rare  bonheur  le  drame  tiré  de  l'histoire,  en 
pliant  d'autorité  les  faits  et  les  personnages  aux 
combinaisons  de  sa  puissante  imagination  de  ro- 
mancier. Il  trouve,  dans  cette  direction,  une 
nombreuse  suite  d'imitateurs. 

Le  genre  dramatique  présente,  à  la  même  épo- 
que, d'autres  veines  de  succès;  une  longue  po- 
pularité s'attache  au  vaudeville,  par  lequel  Eugène 
Scribe  (1791-ISGI)  et  ses  nombreux  collaborateurs 
présenient.dans  une  infinie  diversité,  l'image  super- 
ficielle, mais  intéressante,  delasocii^té  bourgeoise. 
D'autres  viendront  qui,  comme  MM.  Alexandre 
Dumas  fils,  Emile  Augier,  Th.  Barrière,  etc.,  pein- 
dront nos  plus  mauvaises  mœurs  avec  crudité  et  en 
ferontl'amère  satire,  ou  bien,  comme  MM.Legouvé, 
Octave  Feuillet,  V.  Sardou,  etc.,  représenteront 
des  mœurs  plus  sympathiques  avec  des  ridicules 
ou  des  vices  moins  odieux;  sans  compter  les 
nombreuses  fantaisies  dramatiques  dont  l'exemple 
a  été  donné  par  les  gracieux  Proverbes  d'Alfred 
de  Musset. 

Mais  la  peinture  infatigable  du  siècle  par  lui- 
même  se  produit  dans  le  roman,  qui,  multipliant 
les  volumes  ou  envahissant  le  journal  par  le 
feuillKton,  prend  tous  les  tons  et  toutes  les  for- 
mes, et  qui  devient  tour  à  tour,  avec  Honoré  de 
Balzac  (  iTiO- 1  «50),  M .  Victor  Hugo,  Alfred  de  Vigny 
((799-1803),  Nodier  (178.1-1844),  les  deux  Alexan- 
dre Dumas,  Eugène  Sue  (1804-IS59),  Mérimée 
(18  3-1S70),  George  Sand  (1804-1876),  MM.  Octave 
Feuillet,  J.  Sandeau.  G.  Flaubert,  Erckmann-Cha- 
trian,  etc.,  une  représentation  générale  de  la  co- 
médie humaine,  un  cours<i'histoiro  populaire,  une 
école,  parfois  malsaine,  de  politique  ou  de  science 
sociale,  enfin  une  mine  inépuisable  d'art  et  de 
fantaisie. 


LITTÉRATURE  FRANÇAISE     —  H87  —     LITTÉRATURE  FRANÇAISE 


La  poésie  ne  s'est,  pas  arrêtée,  lions  du  théâtre, 
après  le  premier  efl'ort  du  romantisme.  Outre  ses 
beaux  recueils  de  Nouvelles  médiliiUons,  AHnr- 
moniespoéliijues  et  iclii/ieuset,  de  Hecueillements, 
Lamartine  a  donné. "i  notre  temps  son  épopée  intime, 
dans  Jocelyn.  Aux  poésies  lyriques  de  sesdébuts, 
M.  V.  Hugo  ajoute,  sous  des  inspirations  poli- 
tiques et  pliiloscphiqiies  toutes  contraires,  le 
livre  vengeur  des  CinÙinients,  les  mélancoliques 
Contemplations,  l'aventureuse  Légende  des  siècles, 
les  capricieuses  Chansons  des  rues  et  des  bot':,  etc. 
Avec  moins  d'originalité,  mais  avec  une  grande 
distinction  de  langue  poétique  et  de  sentiment, 
MM.  Aug.  Barbier,  Autran,  de  Laprade,  Lecoiite  de 
Lisle,  Baudelaire,  de  Banville  et  bien  d'autres,  ont 
exploré,  comme  poètes,  le  champ  de  la  politique, 
de  la  philosophie  ou  de  la  nature. 

La  littérature  philosophique,  religieuse  ou  po- 
litique a  gardé  une  largi^  part  dans  la  prose.  Dans 
la  controverse  théologiqun,  Joseph  de  Maistre  a 
pour  successeurs  deBonald  (17.')i-IS40),  de  Frays- 
sinous  (nij.';-1841),  Lamennais  (n8'M8J4),  tour  à 
tour  ardent  défenseur  des  doctrines  ultt'amontai- 
nes  et  de  la  politique  radicale  ;  Lacordaire  (1802- 
1861),  son  disciple,  qui  abandonne  ses  doctrines 
dès  que  Rome  les  a  condamnées  ;  Montalembert 
(1810-1870),  autre  disciple  du  même  maître,  s'ef- 
forçant  jusqu'au  bout  de  concilier  le  libéralisme 
avec  l'orthodo.xie  ;  Mgr  Dupanloup  (1802-1877), 
jaloux  défenseur  des  prétentions  de  l'Eglise  sur 
l'éducation,  etc.  Le  spiritualisme  philosophique, 
restauré  dans  l'Université  par  Royer-CoUard, 
trouve  un  magistralreprésentantdans  Victor  Cousin 
(1792-1867)  et  de  brillants  ou  savants  interprètes 
dans  ses  élèves  :  Jouffroy  (1796-1812),  MM.  Va- 
cherot,  J.  Simon,  etc.  ;  mais  il  lui  faut  compter 
avec  les  nouvelles  recrues  du  matérialisme  scien- 
tifique, maintenu  en  médecine  par  Broussais  (1772- 
1838)  et  transformé  en  positivisme  par  Auguste 
Comte  (1795-1857)  et  M.  Littré.  L'économie  poli- 
tique produit,  de  Jeati-Baptisle  Say  (l767-18r,Mà 
Michel  Chevalier  (1806- 1879),  toute  une  école  de 
publicistes  distingués,  tandis  que  le  socialisme  lui 
suscite  dans  Proudhon  (UOJ-1865)  un  redoutable 
contradicteur.  Et  ce  grand  mouveinent  d'idées 
n'est  pas  sans  un  intérêt  littéraire;  car,  de  nos 
jours  plus  que  jamais,  le  succès  de  propagande 
du  philosophe  tient  au  talent  de  l'écrivain.  Le 
journalisme  a  participé,  comme  le  livre,  à  cette 
libre  activité  de  la  pensée  moderne  ;  les  publicis- 
tes do  la  presse  quotidienne  et  des  grandes  revues 
ont  souvent  mis  au  service  d'une  doctrine  ou  d'un 
parti  une  science  profonde  du  style. 

Nos  institutions,  depuis  la  chute  du  premier 
Empire,  ont  tenu  presque  contamment  ouvert  le 
champ  de  l'éloquence  politique,  et  les  luttes  de  la 
tribune  font  aujourd'hui  partie  de  notre  histoire. 
Bornons-nous  à  rappeler,  pour  ne  parler  que  des 
morts,  les  noms  de  Royer-Collard,  du  général  Foy, 
de  Manuel,  de  Caslmir-Périer,  de  Berryer,  de  Le- 
dru-RoUin,  de  Lamartine,  de  Thiers,  de  Guizot,  de 
Jules  Favre.  La  chaire  a  aussi  ses  beaux  jours,  à 
Notre-Dame  de  Paris,  avec  Frayssinous,  Lacordaire, 
de  Ravignan,  qui,  à  part  leur  talent  oratoire,  aidè- 
rent quelquefois  au  succès  de  la  prédication  reli- 
gieuse pai- des  excursions  sur  le  terrain  profane 
de  l'histoire  et  ae  la  politique  contemporaines. 
Une  tribune  d'un  autre  genre  a  jeté  aussi  un  grand 
éclat:  c'est  celle  de  l'enseignement  public  dans 
nos  facultés,  auxquelles  la  Sorbonne,  sous  la  Res- 
tauratiori,  a  donné,  dans  les  leçons  de  Guizot,  Cou- 
sin et  Villemain,  de  mémorables  inodèles. 

L'histoire  et  la  critique  littéraire  ont  eu  encore 
de  nos  jours  de  brillantes  destinées.  La  première 
a  ete  transformée,  pour  l'art  de  la  composition  et 
lautorité  de  la  science,  dans  les  écrits  d'Augustin 
Thierry  (1795-1856).  que  la  perte  de  la  vue  a  fait 
appeler   l'Homère  de  l'histoire.  Puis  sont  venus, 


avec  toutes  les  ressources  de  l'érudition  et  la 
puissance  du  talent  :  Guizot  (1787-I87'1),  de  Ba- 
rantc(l782-18G«;,  Michelet  (1798-1874),  Edgar  Qui- 
net(180:!- 1875),  Thiers  (1797- 1877),  de  Vaulabolle 
(1799-1879),  Lamartine,  MM  Mignet,  Henri  Martin, 
Louis  Blanc,  etc.,  qui,  parcourant  en  tout  sens  le 
champ  du  passé,  se  sont  efforcés  de  rendre  aux 
institutions  leur  portée,  aux  objets  la  couleur,  aux 
pe."sonnages  la  vie,  aux  moindres  drames  l'intérêt 
et  la  passion.  La  critique  est  devenue  à  son  tour 
une  histoire  lumineuse  et  féconde  :  après  l'impul- 
sion domiée  par  Villemain,  grâce  à  la  curiosité  uni- 
verselle de  Sainte-Beuve,  aux  vues  ingénieuses  et 
aux  savants  travaux  d'une  foule  de  professeurs  et 
de  journalistes,  toutes  les  littératures  anciennes 
ou  modernes  ont  été  l'objet  d'études  minutieuses, 
approfondies,  qui  ont  remis  en  lumière  les  hommes 
et  les  ouvrages  de  tous  les  temps,  de  tous  les  pays, 
et  ont  permis  déjuger  la  valeur  absolue  et  relative 
de  chacun,  en  le  replaçant  dans  le  milieu  où  il  a 
vécu. 

Telle  est  la  longue  carrière  que  la  littérature 
française  a  remplie,  depuis  le  moment  où,  sur 
l'antique  sol  gaulois,  s'est  formée  la  langue  qui 
lui  sert  d'instrument,  à  travers  toutes  les  vicissi- 
tudes morales,  sociales  et  politiques  dont  elTe  est 
la  constante  et  fidèle  image.  Intimement  liée  à  la 
vie  nationale,  elle  est  appelés  h  s'associer  encore 
aux  transformations  do  l'esprit  français  et  à  se- 
conder l'influence  qu'un  peuple  maître  de  lui- 
même  peut  exercer  sur  ses  destinées  et  sur  celles 
du  monde.  S'il  est  vrai  que  le  passé  réponde  de 
l'avenir,  celui  de  la  langue  et  de  la  littérature 
françaises  autorise  encore  de  patriotiques  espé- 
rances. [G.  Vapereau.] 

Outre  l'article  général  qu'on  vient  de  lire,  et 
qui  donne  un  tableau  d'ensemble  de  la  littérature 
française,  ce  Dictionnaire  consacre  à  diverses 
parties  do  cette  littérature,  et  à  quelques  auteurs 
classiques  un  certain  nombre  d'articles  spéciaux, 
conformément  au  programme  du  cours  tel  que 
nous  allons  le  donner.  (Pour  celle  des  sections  du 
programme  qui  ne  sont  pas  suivies  de  l'indication 
d'un  article  spécial,  le  lecteur  voudra  bien  se  re- 
porter à  l'article  ci-dessus,  qui  sera  d'ailleurs  con- 
sulté avec  profit  pour  chacune  des  autres  sections.) 

PROGRAMME  OU  COURS  DE  LITTÉRATURE  FRANÇAISE. 

I.  —  Origines.  Formation  de  la  langue.  —  V.  Ro- 
manes {la7igues).  Française  (langue). 

II.  —  La  langue  d'oc  et  la  poésie  de  la  France  du 
midi.  —  V.   Troubadours. 

III.  —  La  langue  d'oil.  La  poésie  épique  et  la 
poésie  lyrique  de  la  France  du  Nord  jusqu'au 
treizième  siècle. 

IV.  —  La  poésie  didactique,  satirique,  allégo- 
rique, lyrique,  du  treizième  au  quinzième  siècle. 

V.  —  Le  théâtre  français  au  moyen  âge. 

VI.  —  La  prose  française  au  moyen  âge. 
Vil-VlII.  —  Le  seizième  siècle  ;  prose  et  poésie. 

IX.  —  Malherbe  et  ses  contemporains;  le  premier 
tiers  du  dix-septième  siècle. 

X.  —  Pierre  Corneille.  —  V.  Corneille. 

XI.  —  Descartes,  Pascal,  Port-Royal.  —  V.  Des- 
caries (dans  la  I"  pAnTiE),  Pascal. 

XII.  —  Molière.  —  V.  Molière. 

XIII.  —  La  Fontaine.  —  V.  La  Fontaine. 

XIV.  —  Boileau.  —  V.  Boileau. 

XV.  —  Racine.  —  V.  Racine. 

XVI.  —  Bossuet,  Fénelon  et  la  chaire  chrétienne. 
—  V.  Bossuet  (dans  la  I"  partie),  Fénelon  (dans 

la    I"    PARTIP.). 

XVII  —  Autres  écrivains  de  l'époque  de  Louis  XIV. 

XVIII.  —  Epoque  de  transition  :  Le  Sage,  J.-B. 
Rousseau,  Fontenelle,  La  Molhe,  Racine  le  fils, 
Massillon. 

XIX.  —  La  première  moitié  du  dix-huitième  siè- 


LITTÉRAT.  ÉTRANGÈRES 


1188 


LOCOMOTIVE 


cle  ;  débuts  do  Voltaire  et  de  Montesquieu.  — 
V.  Voltaire,  Montesquieu. 

XX.  —  Le  dis-liuitièiiie  siècle,  de  l'apparition  de 
l'Encyclopodio  à  la  mort  de  Voltaire  et  de  Rous- 
seau. —  V.  Encyclopédistes,  Voltaire,  Rousseau 
(dans  la  I"=  et  dans  la  II'  partie). 

XXI.  —  Le  dix-liuitième  siècle,  de  la  mort  de 
Voltaire  et  de  Rousseau  k  la  Révolution,  André 
Cliénier.  —  V.  CIténier  {André). 

XXII.  —  La  littérature  française  classique  sous  le 
Directoire,  le  Consulat  et  l'Empire. 

XXIII.  —  L'école  nouvelle  du  commencement  du 
XIX'  siècle  :  Chateaubriand,  M°"  de  Staël,  Bé- 
ranger,  etc. 

XXIV-XXV  —  L'école  romantique  dans  la  poésie 
et  au  théâtre.  La  prose  dans  la  première  moitié 
du  XIX'  siècle  ;  histoire,  roman,  etc. 

XXVI.  —  La  littérature  française  contemporaine. 

XXVII-XXX.  —  Révision  générale. 

Outre  les  articles  auxquels  renvoie  ce  pro- 
gramme, on  pourra  consulter  aussi  un  certain 
nombre  d'articles  de  notre  cours  de  littérature  et 
style,  tels  que  Poésie,  Epopée,  Li/ri(jue  (ijenre), 
Epitre,  Faljle,  Satire,  Dramatique  {genre)  et 
Drame,  Comédie,  Trarjédi<-,  Prose,  Orateurs,  His- 
toire et  Historiens,  Homnti  ;  et  beaucoup  d'autres 
articles  généraux  ou  spéciaux  ;  P/iitosop/iie  {liis- 
t-iire  de  tu).  Critique,  l-rimce  (histoire).  Renais- 
sance, Siècle  {seizième).  Siècle  {dix-septième), 
Siècle  {dix-huitième).  Siècle  {'Hi-neuvième),  Louis 
XIV,  Dirccton-e,  Consulat,  etc. 

I-ITIÉRATURES  KTItANGÈUES.  —  L'étude 
des  littératures  étrangères  ne  forme  pas  une  partie 
expresse  du  programme  des  examens  du  brevet 
supérieur,  et,  en  effet,  comme  il  ne  peut  être  ques- 
tion d'oiger  des  instituteurs  la  connaissance  de 
plusieurs  langues  étrangères,  on  ne  saurait  rai- 
sonnablement leur  demander  d'apprécier  des  lit- 
tératures dont  ils  connaissent  à  peine  quelques 
fragments  par  des  traductions.  Néanmoins,  comme 
les  notions  générales  de  littérature  impliquent 
(V.  Littérature  et  style)  quelques  vues  d'ensemble 
sur  l'histoire  littérah'e  des  principaux  peuples  ci- 
vilisés ;  comme  la  connaissance  des  langues  an- 
glaise, allemande,  italienne  et  espagnole,  qui  fait 
partie  du  brevet  facultatif,  doit  être  accompagnée 
de  quelques  notions  élémentaires  sur  les  liitora- 
tures  correspondantes  ;  comme  enfin  il  est  inad- 
missible que  les  plus  grands  noms  et  les  chefs- 
d'œuvre  de  l'esprit  humain  en  dehors  de  la  France 
soient  totalement  étrangers  aux  maîtres  et  aux  élèves 
de  nos  écoles  normales,  nous  avons  jugé  opportun 
de  grouper  sous  le  titre  trop  ambitieux  peut-être 
de  Littératures  étrangères  quelques  leçons  très 
sommaires  destinées  à  former,  à  ce  point  de  vue, 
le  complément  soit  du  cours  d'histoire  générale, 
soit  du  cours  de  littérature  française.  Plusieurs 
de  ces  leçons  ne  sont  que  des  subdivisions  d'une 
leçon  d'histoire  générale;  quelques-unes  ont  pris 
un  développement  beaucoup  plus  grand  en  raison 
de  l'imporiance  ou  de  la  popularité  du  sujet. 

Voici  le  programme  que  nous  avons  suivi  : 

PROGRAMME  DU  COURS  DE  LITTÉRATURE  ÉTRANGÈRE. 

I.  —  Gciiérulitos.  Divisions  et  limites  du  sujet.  — 
V.  Littérature-^  étrangères,  et  les  principaux  ar- 
ticles des  cours  de  littérature  et  style. 

II.  —  l.cs  littératures  de  l'Inde,  de  la  Perse  an- 
tique et  de  l'extrême  Orient.  —  V.  Inde,  Perse, 
Orient    {Extrême). 

III.  —  Littérature  hébraïque. —  V.  fiî'i/e  (dans  la 
I"  Partie).  hroHites,  Juifs. 

IV- VI.  —  Littérature  grecque-.  — V.  Grèce  (p.  9  0). 

VII-IX.  —  Liitérature  latine.  —  V.  Latine  {Litté- 
rature). 

X.  —  Littératures  arabe  et  persane.  —  V.  Klia- 
lifes,  Maiiomtt,  Ptrse. 


XI-XII.    —    Littérature   italienne.    —    V.    Italie 

(p.  1080). 
XIU.  —  Littératures  espagnole  et  portugaise.  — 

V.  Espagne  'p.  7(l4),  Portui/al. 
XIV-XVI.       Liitérature  anglaise.  —  V.  Angleterre 

(au  supplément!,  Shakespenre. 
XVII-WIII.  —  Littérature   allemande  —  V.  Alle- 

maqne  (au  supplément). 
XI.\-XX.  —  Littératures  américaine,  belge,  hol- 
landaise, polonaise,  russe,  Scandinave,  suisse. 
—  V.  Etals-Uii'S  ip.  726),  Belgique  (au  supplé- 
ment). Pays- liai,  Poloyu:,  Russie,  Scandinaves 
{Etats),  Suisse. 

On  pourra  consulter  également,  pour  l'ensemble 
des  littératures  étrangères,  les  articles  C"7né'ie, 
Dramatique  {genre),  Epitre,  Epopée.  Fable,  His- 
toire, Lyrique  (genre).  Orateurs,  Ptiilosop/iie  {His- 
toire de  la),  Poésie,  l'rose,  Romun,  Satire,  Tra- 
gédie. 

LOCOMOTIVE.  —  I.  DÉFINITION.  —  La  loco- 
motive est  une  machine  h  vapeur  à  haute  pression, 
munie  de  son  générateur  et  portée  sur  des  roues 
qu'elle  fait  mouvoir  elle-même.  Elle  sert  à  re- 
morquer, avec  une  grande  vitesse,  les  convois  sur 
les  chemins  de  fer. 

La  locomotive  diffère  de  la  locomobile  en  ce  que 
cette  dernière  ne  se  transporte  pas  elle-même  au 
point  où  son  action  est  nécessaire  et  qu'elle  peut 
être  considérée,  en  quelque  sorte,  comme  une 
maclnne  fixe,  puisqu'elle  ne  change  point  de  place 
pendant  la  durée  do  son  action. 

II.  HisroBiQiE.  —  Le  premier  essai  de  locomo- 
tive est  dû  à  un  ingénieur  français,  Cugnot,  qui 
[  construisit,  en  n6'.l,  une  voiture   à   vapeur   mar- 
1  chant  sur  les  routes  ordinaires.  Les  expériences, 
;  faites  en  présence  du  ministre  Choiseul  et  du  pu- 
blic, ne   furent   pas  très  heureuses.    A  cause   de 
\  l'insuffisance  de  la  chaudière,  la  voiture  ne  pou- 
I  vait  fournir  une  longue  course  ;    son   maniement 
)  était  difficile  et  sa  vitesse  ne  dépassait  pas  4  kilo- 
mètres i  l'heure.  On  la   voit  encore   aujourd'hui 
,  au  Conservatoire  des  arts  et  métiers  à  Paris. 
j      La  première  locomotive  marchant  sur  des  rails 
a  été   construite  eu  1804  dans  le  pays   de  Galles 
pour  le  transport  du  charbon  de  terre;  elle  remor- 
quait 10  tonnes  et  sa  vitesse  était  de  8  kilomètres 
à    l'heure.   Son   priiicipal  défaut  consistait    dans 
le  manque  d'adhérence  sur  les  rails,  de  telle  sorte 
que,  si  l'on  dépassait  le  poids  indiqué  précédem- 
ment, les  roues  pnlinnient,  c'est-i-dire  tournaient 
s.ins  avancer.  Pour  remédier  à  ce  grave  inconvé- 
nient. Blenkinsop  eut   l'idée,   en  I8ll,de   placer 
une  roue   dentée  au  milieu  de  la  machine  et  une 
crémaillère    fixe    entre    les    rails;    Chapman,    en 
18U',  remplaça  la  crémaillère  par  une  chaîne  sans 
fin,  paiallèle  aux  rails;  Stephenson,  en  1811,  re- 
1  lia   les  trois    essieux   par  des    roues  dentées  sur 
(  lesquelles  passait  une  chaîne  sans  fin  ;   enfin,  en 
18.'5.  Hackwonh  trouva  la  véritable   solution    en 
augmentant  le  poids  de  la  locomotive,  et  en  rem- 
plaçant la  chaîne  et    les   roues  dentées  par  une 
I  bielle  d'accouplement. 

Une  deuxième  question,  aussi  importante  que 
!  la  précédente,  restait  à  résoudre  :  il  fjUait  trouver 
!  le  moyen  de  pro>luire  rapidement  une  grande 
'  quantité  de  vapeur  sans  augmenter  les  dimensions 
!  de  la  macliioe.  En  1^28,  un  Français,  Marc  Séguin, 
né  k  Annonay,  résolut  complètemeni  le  problème 
par  l'invention  des  chaudières  tubulnires,  dont  la 
première  applicalion  fut  faite  sur  le  chemin  de 
i  1er  de  Lyon  à  Saint  Eiijnne. 
I  Le  VU  octobre  IS.'Q  eut  lieu  à  Rainhill,  en  An- 
'  gleterre,  un  concours  organisé  par  la  Compagnie 
I  de  Liverpool  à  Manchester,  avec  promesse  d'une 
forte  récompense  pnur  l'inventeur  do  la  locomotive 
la  plus  parfaite,  btephenson  remporta  le  prix  avec 
la  h'useï-,  machine  à  chaudière  tubuUire,  dans  la- 
quelle le  tirage  était  activé  par  un  jet  de  vapeur 


LOCOMOTIVE 


—  1189  — 


LOCOMOTIVE 


dans  la  cheminée.  Elle  remorquait  un  poids  de 
38  tonnes  avec  une  vitesse  de  25  kilomètres. 

Ce  concours  eut  un  retentissement  considérable 
et  décida  de  la  création  des  cliemiiis  de  fer. 

Pendant  une  vingtaine  d'années,  l'attention  dos 
ingénieurs  fut  principalement  portée  vers  l'aug- 
mentation do  vitesse  dos  locomotives.  En  1846, 
Stcplienson  présenta  une  nouvelle  macliine  per- 
fectionnée qui  pouvait  traîner  au  moins  100  ton- 
nes avec  une  vitesse  de  40  i  60  kilomètres  et  qui 
fut  adoptée  aussitôtsur  tous  les  chemins  de  fer.  Ce 
brillant  résultat  fut  encore  dépassé  en  ISiO  par  la 
locomotive  Crainpton,  qui  faisait  80à  100  kilomè- 
tres par  heure,  et  qui  fut  adoptée  sur  les  grandes 
lignes  de  France  pour  remorquer  les  trains  ex- 
press. 

On  divisait  alors  les  locomotives  en  quatre 
classes  :  machines  à  voyageurs,  avec  roues  indé- 
pendantes; mac/iifies  mixtes,  avec  deux  essieux 
couplés  ;  machin"!!  à  marchandises,  avec  trois  es- 
sieux couplés  ;  machines  express  b.  grandes  roues 
indépendantes. 

Si  les  Anglais  s'occupaient  avec  tant  de  succès 
de  la  vitesse  des  locomotives,  le  continent,  de  son 
côté ,  ne  restait  pas  inactif  et  dirigeait  ses  re- 
cliorches  vers  un  autre  point,  la  force  de  traction. 

En  effet,  les  lignes  de  chemins  de  fer  les  plus 
faciles  avaient  été  faites  les  premières  et  l'on 
avait  pu  éviter  les  fortes  pentes  et  les  courbes 
ayant  moins  de  7  à  800  mètres  de  rayon.  Mais  il 
y  avait  d'autres  lignes  à  faire  dans  des  pays  acci- 
dentés, à  travers  des  montagnes.  C'est  alors  que 
le  concours  du  Semmering,  en  1^52,  dirigea  les 
études  des  ingénieurs  vers  les  machines  à  forte 
traction. 

Quatre  machines  furent  présentées  à  ce  con- 
cours; elles  furent  classées,  par  ordre  de  mérite, 
de  la  manière  suivante  :  Bavuria,  IViener-Neu- 
stailt,  Seraing  et  VindiKona.  Elles  furent  toutes 
récompensées,  mais  aucune  d'elles  ne  fut  admise. 

On  peut  dire  que  le  concours  du  Semmering  a 
été  le  point  de  di'part  de  l'étude  des  machines  à 
grande  puissance  et  faible  vitesse,  et  qu'à  ce  titre, 
il  a  une  importance  historique  comparable  à  celle 
du  concours  de  Rainliill  en  1829;  il  a  donné  lieu 
Ma  fameuse  machine  autrichienne  t'"3er(/i,  en  1853, 
ayant  4  paires  de  roues  couplées,  pesant  G2  tonnes 
et  pouvant  remorquer,  sur  des  pentes  de  5  milli- 
mètres par  mètre,  un  poids  de  4  à  jUO  tonnes 
avec  une  vitesse  de  30  kilomètres  à  l'heure. 

Pour  suivre  maintenant  l'historique  de  la  loco- 
motive, il  suffit  do  jeter  un  coup  d'oeil  sur  les 
grandes  expositions  internationales. 

L'Exposition  de  I8.S.5,  à  Paris,  fut  un  reflet 
assez  exact  de  la  situation  des  chemins  de  fer  :  il 
y  avait  un  certain  nombre  de  machines  puissantes, 
entre  autres  trois  machines  Emjerth,  dont  une 
exposée  par  le  Oeusot,  toutes  les  trois  destinées 
à  la  France.  On  voyait  également  h  cette  Exposi- 
tion de  1855  une  machine  à  8  roues  couplées,  la 
Wien-Raub,  le  premier  système  de  ce  genre,  tel 
qu'on  l'emploie  actuellement,  et  à  côté  la  macliine 
Crampt07i. 

Les  deux  types  opposés,  Enç/eith  et  Crampton, 
jouèrent  un  rôle  considérable,  mais  furent  bientôt 
modifiés  et  transformés.  En  effet,  la  locomotive 
Engerth,  qui  trônait  à  l'Exposition  de  1855,  après 
avoir  supplanté  les  quatre  machines  du  concours 
du  Semmering,  ne  parait  plus  i  l'exposition  de 
1878.  La  locomotive  Crampton  ne  figurait  même 
pas  à  l'exposition  de   I8(;7. 

En  18G2,  à  Londres,  on  trouve  un  dérivé  de  la 
machine  Engerth,  la  machine  Steindin  ff,  qui  re- 
paraît à  Paris  en  1867,  mais  qui  est  bientôt  aban- 
donnée. 

L'Exposition  de  I8G7  indiquait  une  tendance 
bien  accusée  du  renforcement  des  machines,  qu'on 
appelait  mixtes  dans   l'ancienne  classification,  et 


qui  sont  simplement  des  machines  à  voyageurs, 
destinées  à  la  traction  rapide  de  trains  express 
lourds  ou  :\  la  traction  de  trains  ordinaires  de 
voyageurs  sur  des  profils  un  peu  accidentes. 
Cette  tendance  est  de  nouveau  constatée  à  Vienne 
en  1873  el  i\  Paris  en  1878. 

En  effet,  la  notice  sommaire  insérée,  selon  l'ha- 
bitude, dans  le  catalogue  officiel  de  1878,  par  les 
soins  du  comité  d'installation,  résume  la  situation 
en  ces  mots  : 

«  Pour  les  machines  locomotives,  les  progrès 
portent  principalement  sur  l'emploi  plus  étendu 
des  niaciiines  i  quatre  roues  couplées  de  grand 
diamètre,  pour  le  remorquage  ;\  grande  vitesse  de 
trains  plus  lourds  que  les  trains  anciens.  » 

III.  Classification  acti'Ei.i,e.  —  1»  Sur  les  gran- 
des lignes,  on  emploie  des  machines  à  4  roues 
couplées  pour  les  voyageurs,  et  à  6  roues  couplées 
pour  les  marchandises; 

2"  Dans  les  pays  accidentés,  on  emploie  des 
machines  h  G  roues  couplées  pour  les  voyageuïs, 
et  à  8  roues  couplées  pour  les  marchandises  ; 

3°  Dans  les  chemins  de  fer  d'intérêt  local,  on 
emploie  des  machines-tenders  \  G  roues  couplées, 
dans  lesquelles  les  réservoirs  deau  et  de  coke 
font  partie  intégrante  de  la  machine,  pour  tout  la 
service  ; 

-4°  Enfin  on  emploie  la  macJiine-lcnder  ordinaire 
à  4  roues  couplées  pour  la  banlieue  des  grandes 
villes  et  le  service  des  gares. 

IV.  Description  de  la  locomotive  Stephenson. 
—  Toute  locomotive  comprend  trois  parties  :  la 
machine  à  vapeur,  le  chariot,  la  chaudière  et  ses 
annexes . 

Dans  la  locomotive  Stephenson,  la  machine  à 
vapeur  se  compose  essentiellement  de  deux  cylin- 
dres à  vapeur  dont  les  pistons  actionnent,  chacun 
par  l'intermédiaire  d'une  bielle  et  d'une  mani- 
velle, l'essieu  portant  les  roues  motrices. 

Le  chariot  se  compose  d'un  châssis  formé  par 
deux  longues  pièces  en  fer  appelées  longerons, 
réunies  à  leurs  extrémités  par  deux  traverses  eu 
bois.  Ce  châssis  repose  sur  les  essieux  des  roues 
par  l'intermédiaire  de  forts  ressorts  en  acier:  il 
est  extérieur,  c'est-à-dire  que  sa  largeur  est  plus 
grande  que  la  longueur  des  essieux  et  qu'il  en- 
toure les  roues.  Ces  roues  sont  au  nombre  de 
six. 

La  chaudière  proprement  dite  se  compose  d'un 
gros  cylindre  horizontal  appelé  corps  cylindrique, 
qui  est  traversé,  dans  toute  sa  longueur,  par  un 
grand  nombre  de  tubes  en  cuivre,  120  à  150,  s'a- 
bouchant  h  une  extrémité  dans  la  boite  à  /eu,  et 
à  l'autre  extrémité  dans  la  tioite  à  fumée.  Le  com- 
bustible est  placé  sur  une  grille  à  barreaux  mo- 
biles et  indépendants  au  fond  de  la  boîte  à  fou. 
Cette  dernière  est  entourée  d'eau  de  tous  côtés, 
sauf  en  dessous  du  cendrier  et  vers  la  porte 
d'entrée.  Les  tubes  sont  entourés  d'eau  do  tous 
côtés.  Le  corps  cylindrique  est  ordinairement  re- 
couvert à'xine  dieniise  ou  enveloppe  en  bois  pour  le 
garantir  du  refroidissement;  il  est  muni  de  diffé- 
rents appareils  de  sûreté  :  manomètre,  indicateur 
et  robinets  de  niveau,  soupape  de  sûreté  w  et 
sifflet  d'alarme  J  (flg.  l). 

Les  gaz  provenant  de  la  combustion  traversent 
les  tubes  en  cuivre  en  abandonnant  à  l'eau  une 
partie  de  la  chaleur  et  s'échappent  par  la  chemi- 
née après  avoir  traversé  la  boite  à  fumée.  Le  tirage 
est,  d'ailleurs,  activé  par  un  jet  de  vapeur  dans 
la  cheminée. 

La  vapeur  formée  dans  la  chaudière  tend  à 
s'élever  et  se  rend  d'abord  sous  le  dôme;),  appelé 
réservoir  de  vpeur.  Un  régulateur  à  papillon  q, 
espèce  de  robinet  mu  par  la  maneite  r,  sert  à 
fermer  ou  à  ouvrir  un  gros  tube  longitudinal  s, 
entouré  de  vapeur.  Si  ce  tube  est  ouvert,  la  vapeur 
s'y  précipite,  descend  deux  tubes  verticaux  u,  pé- 


LOCOMOTIVE 


1190  — 


LOCOMOTIVE 


nctre  dans  les  deux  machines  i  vapeur  et.  après 
avoir  agi  sur  les  faces  des  pistons,  revient  dans 
la  cheminée  par  le  tube  r  pour  activer  le  tirage. 

La  tige  de  cliaque  piston  a  s'articule  avec  une 
bielle  ce'  que  fait  mouvoir  l'essieu  coudé  des  roues 
du  milieu  et  entraine  la  locomotive.  Il  faut  remar- 
quer que  les  deux  coudes  de  l'essieu  sont  à  angle 
droit,  l'un  par  rapport  à  l'autre,  et  non  pas  dans 
le  même  plan.  Le  but  de  cette  disposition  est  de 
faire  que  l'un  des  pistons  soit  encore  au  milieu 
de  sa  course  quand  l'autre  est  au  bout  de  la  sienne, 
de  manière  que  la  locomotive  avance  régulière- 
ment et  non  par  saccades; 

Un  wagon  spécial,  appelé  tender,  qui  suit  im- 
médiatement la  locomotive,  porte  la  provision  de 
combustible  et  d'eau  nécessaire  au  service  de  la 
machine.  Un  tuyau  e'  fait  communiquer  le  tender 
avec  l'intérieur  de  la  chaudière.  Une  petite  pompe 
aspirante  et  foulante,  actionnée  par  le  piston  de 


la  machine  à  vapeur,  extrait  l'eau  du  tender  et  la 
refoule  dans  la  chaudière.  Un  robinet  e.  placé 
sous  la  main  du  mécanicien,  sert  à  régler  l'ali- 
mentation. 

Aujourd'hui,  le  mode  précédent  d'alimentation 
est  absolument  abandonné  et  remplacé  par  un 
appareil  très  ingénieux  appelé  X'injecteur  Gif- 
fard. 

La  mise  en  marche  des  locomotives  en  avant 
ou  en  arrière  se  produit  à  volonté  à  l'aide  d'un 
système  de  leviers  articulés,  que  l'on  voit  en  par- 
tie sur  la  figure  1,  au-dessous  de  la  bielle,  et  qui 
porte  le  nom  de  coulisse  de  Stephenaon. 

On  remarque  encore  en  avant  dos  locomotives 
une  tige  verticale,  appelée  clia':se-pierres,  qui  sert 
à  écarter  les  obstacles  qui  peuvent  se  trouver  sur 
les  rails,  et  un  rolntiet  purgeur  pour  enlever  la 
vapeur  d'eau  condensée  dans  les  cylindres. 

V.  Locomotive  Crampton.  —  La  figure  2  repré- 


1    s     ^J- 


Fig.  1.  —  Locoinotivir  Stcphens. 


sente  une  locomotive  Crampton,  à  faible  puissance 
et  à  grande  vitesse,  employée  pour  les  trains 
express. 

Dans  cette  machine,  les  roues  motrices  sont 
placées  à  l'arrière  ;  elles  ont  2",  10  à  2",:)n  de  dia- 
mètre,^ tandis  que  celles  de  la  locomotive  Stephen- 
•son  n'ont  que  l^jiO  environ.  C'est  là  qu'est  la 
cause  principale  de  la  différence  de  vitesse,  car, 
en  supposant  que  les  roues  motrices  fassent, 
dans  les  deux  cas,  le  même  nombre  de  tours  pen 
dant  des  temps  égaux,  la  machine  Crampton  par- 
courra un  chemin  presque  double. 

La  machine  Crampton  se  recommande  par  une 
grande  stabilité  qui  tient  à  l'abaissement  de  son  cen- 
tre de  gravité  et  à  l'écartement  des  essieui  ;  tout 
le  mécanisme  est  placé  à  l'extérieur  et  facile  à 
surveiller. 

VL  Locomotive  ENCEnTH.  —  La  figure  3  repré- 
sente une  locomotive  Engerth,  à  grande  puissance 
•et  à  petite  vitesse,  employée  pour  les  trains  de 
marchandises.  On  a  obtenu  ce  résultat  en  dimi- 


nuant le  diamètre  des  roues,  en  augmentant  les 
dimensions  du  foyer  et  de  la  surface  de  chauffe 
pour  activer  la  production  de  vapeur  et  en  accou- 
plant les  roues  par  des  bielles  pour  augmenter 
l'adhérence  sur  les  rails. 

Dans  cette  machine,  le  tender  est  relié  à  la 
locomotive  par  un  boulon  particulier  qui  permet 
le  passage  dans  les  courbes  :  il  porte  une  partie 
du  foyer.  Les  cylindres  à  vapeur  sont  extérieurs 
et  horizontaux  et  tout  le  mécanisme  est  visible. 

VII.  Mouvements  anormaux.  —  Les  locomotives, 
indépendamment  de  leur  mouvement  de  progres- 
sion principal,  sont  sujettes  à  divers  mouvements 
anormaux  qu'il  importe  de  resserrer  dans  d'é- 
troites limites  si  l'on  veut  éviter  l'usure  rapide  du 
matériel  des  chemins  de  fer  et  diminuer  les  chan- 
ces de  déraillement.  Ces  mouvements  sont  au 
nombre  de  quatre,  savoir  : 

I"  Le  mouvement  de  lacet  ou  mouvement  si- 
nueux, qui  se  propage  dans  toute  l'étendue  du 
train  et  fait  que  celui-ci  s'avance  en  serpentant. 


LOCOMOTIVE 


—  1191  — 


LOCOMOTIVE 


Il  tient  au  défaut  de  symétrie  des  deux  pistons 
dont  l'un  va  en  avant  pendant  que  l'autre  va  en 
arrière,  et  il  est  fort  difficile  de  l'éviter  i  moins 
d'employer  trois  cylindres  à  vapeur. 

2°  Le  mouvement  de  galop  ou  mouvement  oscil- 
latoire autour  d'un  axe  perpendiculaire  à  la  voie. 
Il  peut  tenir  à    l'inclinaison  des  cylindres  et  à 


l'insuffisance  de  la  cliarge  portée  sur  les  roues 
extrêmes.  On  le  diminue  en  rendant  les  cylindres 
horizontaux  et  en  répartissant  convenablement  la 
cliarge  sur  les  essieux  ; 

3°  Le  motiveme?it  de  roulis  ou  mouvement 
oscillatoire  autour  d'un  axe  parallèle  à  la  voie. 
Il  peut  tenir  à  l'imperfection  de  la  voie  dans  le  cas 


Fig.  2.  —  Locomotive  Crampton, 


où  les  rails  fléchissent  inégalement,  et  au  manque 
forcé  de  symétrie  dans  le  mouvement  des  bielles 
qui  relient  les  pistons  aux  essieux. 

4°  Le  mouvement  de  t'ingage,  ou  mouvement 
oscillatoire  rapide  d'avance  et  de  recul.  Il  tient 
aux  réactions  exercées  alternativement  par  la  va- 
peur sur  les  bases  de  chaque  cylindre  et  il  est 
impossible  à  éviter.  C'est  le  moins  dangereux  pour 


la  sécurité   des  voyageurs,    mais   le    plus  désa- 
gréable. 

VIII.  Renseignements  divers.  —  Une  locomo- 
tive Steplienson  coûtait  42  000  francs;  une  ma- 
chine mixte,  dans  l'ancienne  classification,  coûtait 
45(100  à  50000  francs;  une  machine  Crampton, 
55000  à  60000  francs,  et  une  machine  Engerth,  en- 
viron 100  000. 


Fig.  ;j.  —  Locomotive  Engcrtii. 


Dans  la  locomotive  Stephenson,  la  vapeur  se 
forme  à  5  atmosphères  ;  la  force  moyenne  est  de 
60  chevoux-vapeur  ■  la  surface  de  cliaulTe,  com- 
prenant les  parois  de  la  chambre  à  feu  entourées 
d'eau  et  les  parois  intérieures  des  tubes,  est  de 
50  mètres  carrés.  Le  poids  de  cette  machine  est 
de  12 tonnes;  elle  consomme  environ 44  litres  d'eau 
■et  7  kilogrammes  de  coke  par  kilomètre. 

La  locomotive  Crampton   renferme   173  tubes. 


au  lieu  de  150,  et  un  foyer  plus  grand,  ce  qui 
porte  sa  surface  de  chauffe  à  près  de  100  mètres 
carrés  ;  son  poids  est  de  30  tonnes,  et  elle  con- 
somme environ  8  kilogrammes  de  coke  par  kilo- 
mètre. 

La  locomotive  Engerth  a  une  surface  de  chauffe 
de  près  de  '.'00  mètres  carrés  -,  la  vapeur  s'y  forme 
à  une  tension  de  8  atmosphères;  son  poids  total, 
y  compris  le  tender  avec  lequel  elle  est  liée,  est 


LOCUTIONS  VICIEUSES     —  1192  —     LOCUTIONS  VICIEUSES 


de  62  tonnes,  et  elle  consomme  16  à  18  kilogram- 
mes de  coke  par  kilomètre. 

IX.  PnoBLÈME.  —  La  distance  entre  les  deux 
gares  de  Cognnc  et  d'Angoulêmc  étant  de  50''',9li 
est  supposée  parcourue  en  1  li e ii re  3G  minules  par 
une  locomotive  pesant  40  to7mes  et  à  roues  cou- 
plées égal' s  de  l",f>0  flfe  diamètre.  On  demande: 
1°  le  noDitjre  de  tours  faits  par  cliaque  roue  ; 
2°  le  poids  que  pourra  traîner  cette  locomotive,  si 
le  coefficient  de  frottement  est  égal  au  1/10  du 
poids  rie  la  machine  et  si  le  tirage  esl  à  la  charge 
dans  le  rapport  de  1  à  100. 

Quand  une  roue  fait  un  tour  sans  elissement, 
la  macliine  avance  d'une  longueur  égale  à  la  cir- 
conférence de  cette  roue.  Dans  le  cas  présent, 
cette  longueur  est  de 

l",50X3,1416=4°,:i. 

Autant  de  fois  elle  sera  contenue  dans  l'a  dis- 
tance à  parcourir,  autant  chaque  roue  fera  de 
tours. 

50900  :  4,71  =  10807  tours. 

La  puissance  de  traction  d'une  locomotive  est 
limitée  par  l'adhérence  sur  les  rails,  et  celle-ci 
est  égale  au  poids  de  la  machine  dans  le  cas  des 
roues  couplées.  Par  conséquent,  dire  que  le  coef- 
ficient de  frottement  est  égal  à  l/lo  revient  à 
dire  que  le  train  est  entraîné  par  une  force 
égale  à 

40  :  10  =  4  tonnes, 

et  comme  une  force  de  traction  de  1  kilogramme 
est  capable  d'entraîner  un  poids  de  100  kilogram- 
mes, il  en  résulte  qu'une  force  de  4  tonnes  pourra 
remorquer  une  charge  de  40»  tonnes. 

[A.  Bougueret.] 

LOCUTIONS  VICIEUSUS.  —Grammaire,  XXIll. 
^  On  appelle  locutions  vicieuses  des  façons  de 
parler  contraires  au  bon  usage  et  aux  règles  de 
la  grammaire.  Un  aréomiute  pour  un  aéronaute, 
rébarbarittif  pour  rébarbatif,  allons  promener 
pour  allons  nous  promener,  il  a  recouvert  la  vue 
pour  il  a  recouvré  la  vue,  sont  des  locutions  vi- 
cieuses, parce  qu'elles  altèrent  la  forme  et  le 
sens  des  mots  et  qu'elles  blessent  les  règles  de 
la  syntaxe.  En  général,  toutes  les  fautes  contre  la 
pureté  du  langage  sont  des  locutions  vicieuses, 
et  la  grammaire  tout  entière  n'a  pas  d'autre 
but  que  de  nous  indiquer  le  moyen  de  les 
éviter. 

On  distingue  deux  sortes  de  locutions  vicieuses  : 
le  barbarisme  et  le  solécisme. 

1°  Barbarisme.  —  Ce  mot  vient  du  grec  har- 
bcris7nos,  qui  vient  lui-même  de  burbaros,  bar- 
bare. On  sait  que  les  Grecs  appelaient  barbares 
tous  les  peuples  étrangers;  le  barbarisme  était 
donc  à  l'origine  une  locution  étrangère  à  la  langue 
grecque.  Chez  nous,  c'est  une  faute  qui  dénature 
la  forme  ou  le  sens  des  mots. 

Ainsi  on  fait  un  barbarisme  quand  on  dit  : 
Apprentive  (une)    pour  Apprentie  (une). 


Aréostat 
Cieux-de-lit  (des) 
Corporence 
Colidor 
Définitif  (en) 
Disez  (vous) 
Mairerie 


Aérostat. 
Ciels-de-lit  (des). 
Corpulence. 
Corridor. 
Définitive  (en). 
Dites  (vous). 
Mairie,  etc. 


Dans  tous  ces  exemples,  la  forme  régulière  du 
mot  a  été  pervertie  par  une  mauvaise  prononcia- 
tion. 

On  fait  encore  un  barbarisme  quand  on  emploie 
une  expression  dans  un  sens  qu'elle  n'a  pas,  ou 
qu'on  unit  deux  mots  qui  ne  peuvent  aller  en- 
semble. Tels  sont  ; 


Maison  conséquente  pour  Maison  considérable. 
Recouvrir  la  santé      —   Recouvrer  la  santé. 
Dessus  la  table  —    Sur  la  table. 

Faites  excuse  —   Je  vous  fais  mes  excuses. 

Avoir  des  raisons       —   Avoir  des  contestations. 

C'est,  comme  on  le  voit,  une  déviation  du  sens  des 
mots  causée  par  l'ignorance  ou  par  de  mauvaises 
habitudes,  liecowrir  et  recouvrer,  de^:^us  et  sur, 
conséquent  et  considérable  sont  des  paronymes 
éloignés  faciles  à  confondre  pour  des  oreilles  peu 
délicates.  Trop  souvent  les  enfants  trouvent  chez 
eux  ou  parmi  leurs  camarades  ces  locutions 
vicieuses,  contre  lesquelles  il  faut  réagir,  car  ces 
fautes,  légères  en  apparence,  pourraient  boule- 
verser la  langue  si  elles  arrivaient  à  passer  dans 
le  langage  littéraire. 

L'histoire  de  notre  langue  offre  un  exemple  re- 
marquable de  l'influence  du  barbarisme  dans  les 
évolutions  du  langage.  Le  français,  qui  vient  du 
latin  corrompu  et  graduellement  transformé  dans 
la  bouche  des  Gaulois  et  des  Francs,  n'a  été  d'a- 
bord qu'un  tissu  de  mots  tronqués,  défigurés, 
qu'on  a  peine  à  reconnaître  dans  le  texte  fameux 
des  serments  de  Strasbourg  (812).  Le  barbarisme 
joua  alors  un  rôle  important  dans  la  formation 
de  la  langue.  11  en  reste  des  traces  encore  vi- 
sibles, et  l'on  peut  citer  telle  irrégularité  qui 
n'est  qu'un  lointain  souvenir  de  ces  anciennes 
fautes  de  langage.  Par  exemple,  les  noms  du  genre 
neutre  en  latin  ont  ordinairement  donné  des 
noms  masculins  en  français  :  membrum ,  le 
membre;  templum,  le  tetnple,  etc.  Mais  dans  la 
basse  latinité,  le  pluriel  neutre  a  été  souvent 
confondu  avec  les  noms  féminins  de  la  première 
déclinaison,  à  cause  de  l'identité  de  la  terminai- 
son a;  et  c'est  grâce  à  ce  barbarisme  que  ponium 
(pluriel  poma)  a  donné  le  substantif  féminin 
pomme;  folium  Cpluriel  folia),  le  féminin  feuille  ; 
cornu  (pluriel  cornua),  le  féminin  corne,  etc. 

C'est  grâce  encore  à  un  barbarisme  semblable 
que  le  mot  orgue  est  des  deux  genres  en  français. 
11  était  neutre  en  latin  (ori^anum)  et,  comme  tel, 
il  était  terminé  par  a  au  pluriel  (ori/ana);  cette 
désinence  féminine  a  fait  illusion  à  nos  pères  qui, 
appliquant  le  genre  féminin,  disaient  :  une  l/elle 
orgue,  de  grandes  orgues.  Les  latinistes  de  la 
Renaissance,  pour  rapprocher  le  mot  du  latin,  lui 
enlevèrent  le  genre  féminin  (que  le  peuple 
s'obstina  d'ailleurs  ,'i  lui  conserver),  et  dirent  un 
bel  orgue,  de  beaux  orgues.  Les  grammairiens, 
pour  plaire  aux  deux  partis,  décrétèrent  que  orgue 
serait  masculin  au  singulier  et  féminin  au  plu- 
riel. 

2°  Solécisme.  —  Ce  mot  vient  du  latin  solœ- 
cismus,  venu  lui-même  du  grec  soloïkismos,  pro- 
prement manière  de  parler  particulière  aux 
habitants  de  Soles,  en  Asie-Mineure.  On  raconte 
en  effet  que  des  colons  athéniens,  transportés  dans 
cette  ville,  perdirent  avec  le  temps  toute  la  pu- 
reté de  leur  langue  maternelle  et  donnèrent 
naissance  au  verbe  solcciser  (parler  comme  à 
Soles).  De  nos  jours,  faire  un  solécisme,  c'est 
parler  contrairement  au  bon  usage  et  blesser  les 
règles  de  la  syntaxe.  Le  barbarisme  porte  sur  les 
mots,  le  solécisme  porte  sur  la  construction.  Ainsi 
désagrafer  pour  dégrafer  est  un  barbarisme  ;  de 
peur  qn  il  se  fâche  pour  de  peur  qu'il  ne  se  fâche 
est  un  solécisme.  Dans  le  premier  exemple,  c'est 
le  mot  qui  est  défiguré,  dans  le  second  c'est  la 
construction.  Aussi  les  solécismes  sont-ils  plus 
fréquents  que  les  barbarismfs.  Ces  derniers  ne 
se  rencontrent  guère  dans  la  langue  écrite,  si 
ce  n'est  chez  les  écrivains  qui  se  piquent  de  re- 
produire au  vif  l'argot  populaire.  Les  solécismes 
au  contraire  peuvent  échapper  même  à  une  plume 
exercée,  et  nos  meilleurs  écrivains  ne  sont  pas  h 
l'abri  de  ces  petites  défaillances. 


LOCUTIONS   VICIEUSES     —  IlO;^  — 


LOGARITHMES 


VoltairG  a  écrit  dans  la  llcnriade  : 
Tantôt  l'horreur  du  pcruplti  el  tantôt  leur  amour. 

Leur  se  rapportant  h  peuple  est  au  moins  hardi. 

Lamartine,  dans  Jncelyn  : 

Voir  de  combien  de  palme  avaient  grandi  leurs  troncs. 

Il  est  clair  que  palme  devrait  être  au  pluriel. 

Chateaubriand,  dans  le  dénie  du  Christianisme  : 
Recevoir  ceux  qui  entrent  et  ceux  qui  sohtent  de 
ce  roijiiume  de  douleur.  Entrer  et  sortir  no  peu- 
vent avoir  le  môme  complément. 

Ces  exemples  suffiront  pour  montrer  en  quoi 
consiste  le  solécisme. 

On  peut  encore,  dans  certains  cas,  considérer 
comme  des  fautes  contre  la  langue  le  néoloijisme 
et  Varchaisme. 

NÉOLOGISME.  —  Le  néologisme  est  l'habitude 
d'employer  des  termes  nouveaux,  ou  de  donner 
aux  mots  reçus  des  significations  différentes  de 
celles  qui  sont  en  usage.  Il  se  dit  aussi  d'un  mot 
forge  ou  transporté  sans  nécessité  d'une  langue 
dans  une  autre.  Ainsi  abêtissement,  abracada- 
brant, activer,  américanisme,  baby,  balnéaire, 
bock,  bousculade,  détective,  ensoleillé.'  leader, 
maestria,  etc.,  etc.,  sont  des  7iéologismes.  Il  faut, 
sinon  fuir  absolument  l'emploi  de  ces  mots  que 
l'Académie  n'a  pas  encore  admis  dans  son  diction- 
naire, du  moins  n'en  faire  qu'un  usage  très  modéré. 
Ainsi  les  inventions  nouvelles  exigent  des  noms 
nouveaux  ;  on  trouve  un  instrument  qui  porte  au  \ 
loin  la  voix,  et  on  le  baptise  d'un  nom  formé  de 
doux  mots  grecs,  téléphone  (télé,  loin,  p/ion<?,voix)  ; 
de  même  pour  phonographe,  instrument  qui  écrit 
la  voix  [phoyié,  voix  ;  griiphû,  j'écris)  ;  c'est  fort 
bien.  Mais  voici  un  autre  instrument  qui  sert  à 
grossir  la  voix,  à  la  rendre  plus  éclanle  ;  on  le 
nomme  microphone,  c'est-à-dire  petite  voix  (de 
mikros,  petit,  et  plmni',  voix)  :  c'est  un  non-sens. 
Bien  plus,  un  cornet  acoustique  a  reçu  le  nom 
à'nudiphone,  terme  hybride  formé  du  latin  audire 
(entendre)  et  du  grec  phoni!  (voix)  !  Ce  n'est  pas 
tout;  on  semble  dédaigner  sa  propre  langue  pour 
parler  anglais  ou  italien  en  français.  Pourquoi 
square,  wngon,  ballast,  reporter,  gentletnan,  ci- 
cérone, etc.,  ont-ils  remplacé  carré,  voilure,  sable, 
nouvelliste,  gentilhomme,  guide,  etc.  '?  En  géné- 
ral, on  ne  devrait  avoir  recours  à  un  néologisme 
que  pour  enrichir  la  langue  d'un  terme  qui  lui 
manque;  en  second  lieu,  il  faudrait  se  conformer 
dans  la  formation  des  mots  nouveaux  au  génie, 
aux  formes  propres  de  la  langue. 

Archaïsme.  —  Ce  mot  vient  du  grec  archaXs- 
mos  dérivé  d'arcliaios  qui  veut  dire  ancien  ; 
c'est  remploi-  d'expressions  surannées,  de  mots 
ou  de  tours  vieillis  appartenant  à  la  langue  du 
moyen  âge.  Pieça  mis  pour  depuis  longlemps, 
cejourd'hui  pour  aujourd'hui,  moult  pour  beau- 
coup, sont  des  arcliaismes. 

Ce  nom,  dans  un  sens  plus  général,  s'applique 
encore  au  style  des  écrivains  qui  veulent  imi- 
ter le  langage  de  nos  anciens  auteurs,  soit  en  fai- 
sant revivre  quelques  termes  oubliés,  soit  en  s'ef- 
forçant  do  revêtir  leur  pensée  d'expressions  et 
de  tours  familiers  à  nos  pères.  Sans  remonter  ici 
jusqu'aux  Latins,  chez  lesquels  Lucrèce,  Sal- 
luste,  etc.,  ont  afl'ectionné  certaines  formes  ar- 
chaïques, nous  pouvons  citer  chez  nous  La  Fon- 
taine, J.-B.  Rousseau,  Paul-Louis  Courier,  de  Ba- 
rante,  Balzac,  etc.,  qui  ont  écrit  dos  ouvrages  de 
longue  haleine  dans  une  langue  arcliaique  de  con- 
vention. C'est  que  cette  langue  naïve,  et  hardie 
dans  sa  naïveté,  semble  donner  à  nos  idées  mo- 
dernes, avec  une  couleur  plus  piquante  et  plus 
vive,  une  allure  plus  pittoresque  et  un  tour  plus 

original.  C'est  une  sorte  de  renouveau  du  lan- 
gage, toute  une  flore  encore  vivante  et  parfumée 
dont  la  grâce  toujours  jeune  séduit  bien  des  gens. 


Parmi  les  auteurs  qui  sont  entre  les  mains  des 
élèves,  La  Fontaine  surtout  abonde  en  archaïsmes 
i|ui  semblent  naturels  dans  sa  langue  pleine  d'une 
fine  bonhomie.  Les  formes  archaïques  sont  aussi 
très  nombreuses  dans  les  dialectes  provinciaux, 
dans  les  patois  qui  ne  sont  autre  chose  que  du 
vieux  français,  et  nos  instituteurs  peuvent  relever  et 
corriger  bien  des  anhaïsmes  dans  le  langage  de 
leurs  élèves.  Enfin  les  notaires,  les  juges,  les 
avocats,  etc.,  ont  conservé  un  langage  spécial,  des 
formules  de  jurisprudence  qui  n'ont  guère  varié 
depuis  leur  origine  et  qui  nous  ont  valu  les  bi- 
zarreries de  syntaxe  et  d'orthographe  des  lettres- 
royaux,  des  ai/ants-droit,  etc.  Dans  notre  gram- 
maire actuelle,  quelques  archaïsmes  sont  restés 
et  resteront  sans  doute  encore  longtemps,  grâce 
h  la  force  de  l'habitude  :  tels  sont  grand  dans 
grand  route,  graiid  chose  :  la  forme  féminine  eresse, 
dans  pécheresse,  devineresse,  etc.  ;  le  pluriel  de 
vingt  dans  quatre-vingts,  etc.,  débris  de  la  vieille 
longue  disparue,  aujourd'hui  rangés  parmi  les 
exceptions  et  les  anomalies  de  la  syntaxe,  mais 
qui  rentraient  autrefois  dans  la  règle  générale. 
Ils  servent  du  moins  à  nous  faire  comprendre  par 
quelle  dérivation  régulière  et  par  quelle  marche 
progressive  et  naturelle  notre  langue  est  sortie 
delà  langue  latine.  fJ.  Dussouchet.) 

LUCiUlTHAIES.  —  Arithmétique,  LUI,  LIV. 
—  Etyra.  :  des  deux  mots  grecs  log'is,  rapport,  et 
arithmos,  nombre.  —  La  connaissance  des  loga- 
rithmes ne  remonte  pas  à  une  époque  bien  reculée. 
Dans  le  cours  du  xvi'  siècle,  quelques  mathémati- 
ciens avaient  déjà  cherché  des  procédés  abréviatifs 
do  calcul  ;  ce  fut  au  commencement  du  xvii«  siècle 
que,  par  l'étude  des  propriétés  des  progressions, 
l'écossais  John  Neper  ou  Napier  découvrit  la 
théorie  des  logarithmes,  et  donna  ainsi  aux  sa- 
vants le  moyen  d'effectuer  rapidement  les  plus  la- 
borieux calculs.  Cette  théorie  est  susceptible  d'être 
exposée  avec  assez  de  simplicité  pour  qu'elle  entre 
naturellement  dans  le  cadre  de  l'enseignement 
primaire  supérieur.  C'est  le  caractère  que  nous 
tâcherons  de  lui  donner  ici. 

I.  —  DÉFINITION  OES  PROGRESSIONS.  —  On  appelle 
progression  par  différence  une  suite  d«  nombres 
tels  que  chacun  est  égal  au  précédent  augmenté 
d'une  quantité  constante.  Par  exemple  en  ajou- 
tant 2  à  1 ,  ce  qui  donne  -3,  puis  2  à  3,  ce  qui  donne 
5, etc.,  on  obtient  la  progression: 

4- 1.3.5.7.9.11.13 

Le  nombre  constant  qu'il  faut  ajouter  à  chaque 
terme  pour  avoir  le  suivant  est  appelé  raison  do 
la  progression.  Cotte  raison  peut  être  une  frac- 
tion aussi  bien  qu'un  nombre  entier. 

On  appelle  fjrogre^sion  par  quotient  une  suite 
de  nombres  tels  que  chacun  est  égal  au  précédent 
multiplié  par  un  nombre  constant.  Par  exemple,  en 
multipliant  3  par  2,  ce  qui  donne  6,  puis  6  par  2, 
ce  (jui  donne  12,  etc.,  on  obtient  la  progression  : 

«•3  :6:  12:  2i  :  48:98 

Le  nombre  constant  par  lequel  on  multiplie 
chaque  terme,  pour  avoir  le  suivant,  est  appelé 
raison  de  la  progression.  Il  peut  être  entier  ou 
fractionnaire. 

II.  — Propriétés  oui  ont  donné  naissance  aux  i.o- 
chuthmes.  —  1- Lorsqu'une  progression  par  diffé- 
rence a  0  pour  premier  terme,  le  second  est  lui- 
même  la  raison  et  tous  les  autres  termes  sont  les 
multiples  successifs  de  la  raison. 

Pour  mettre  plus  de  simplicité  dans  nos  expli- 
cations, représentons  la  raison  par  (/(lettre initiale 
de  différence)  ;  nous  aurons  la  progression  : 

4-  0.  d.  2rf.  3rf.  4rf.  5J.  6  / 

Si  dans   cette  progression  on  .additionne  entre 


LOGARITHMES 


119i 


LOGARITHMES 


•eux  deux  ou  plusieurs  termes,  par  exemple  le 
troisième  2  d  et  le  cinquième  4  d,  la  somme  C  d 
est  elle-même  un  multiple  de  la  raison,  et  par 
•conséquent  elle  est  un  des  termes  suivants  de  la 
progression  :  c'est  le  septième. 

2"  Lorsqu'une  progression  par  quotient  a  1  pour 
premier  terme,  le  second  est  lui-même  la  raison, 
•et  tous  les  autres  sont  les  puissances  successives 
-delà  raison. 

Représentons  la  raison  par  q  (initiale  du  mot 
quotient)  ;  nous  aurons  la  progression  : 

^1  ',  q  l  q^  l  q^  ',  q'*  i  q^  l  q^  '. 

Si  dans  cette  progression  on  multiplie  entre  eux 
•deux  ou  plusieurs  termes,  par  exemple  le  troi- 
sième q^  et  le  cinquième  ç',  le  produit  q'>  est  une 
puissance  de  la  raison;  par  conséquent  il  est  un 
des  termes  suivants  de  la  progression  :  c'est  le 
septième. 

3"  La  somme  de  deux  ou  plusieurs  termes  de  la 
progression  par  différence  et  le  produit  des  termes 
qui  leur  correspondent  dans  la  progression  par 
quotient  se  correspondent  aussi  dans  les  doux  pro- 
gressions. 

C'est  ce  qu'on  voit  clairement  en  mettant  les 
•deux  progressions  en  regard  : 

•H-î  rj:  7*:  ç':^':  </S:  -/«  : (1) 

•^  0.  rf.    2rf.  3(/.  4f/.  bd.  6rf (2) 

La  somme  du  troisième  terme  2rf  et  du  cin- 
quième terme  4f/,  dans  la  progression  par  diffé- 
rence, est  le  terme  Crf,  qui  occupe  le  septième 
rang.  Le  produit  du  troisième  terme  7*  par  le 
cinquième  terme  9',  dans  la  progression  par  quo- 
tient, est  g',  qui  occupe  aussi  le  septième  rang. 

De  cette  propriété  découle  une  conséquence 
importante.  Supposons  que  les  termes  des  deux 
progressions,  au  lieu  d'être  représentés  par  des 
lettres,  soient  des  nombres,  et  qu'on  ait  besoin  de 
connaître  le  produit  du  troisième  terme  multiplié 
par  le  cinquième  ternie  dans  la  progression  par 
quotient,  il  ne  sera  point  nécessaire  d'etTectuer 
leur  multiplication;  il  suffira  d'additionner  entre 
eux  le  troisième  terme  et  le  cinquième  terme  de 
la  progression  par  différence,  et  de  chercher  la 
somme  parmi  les  termes  suivants  :  le  terme  qui, 
dans  la  progresionpar  quotient,  correspond  à  cette 
somme  dans  la  progression  par  différence,  est  le 
produit  cherché.  En  raison  de  cette  correspon- 
dance remarquable  entre  les  termes  des  deux  pro- 
gressions, les  termes  de  la  progression  par  diffé- 
rence ont  été  appelés  loç/arithmes  des  termes  de 
la  progression  par  quotient. 

On  peut  donc  donner  cette  définition  :  /es-  loga- 
rithmes des  nombres  sont  les  termes  d'une  progres- 
sio7i  par  différejice  commençant  par  0  et  corres- 
pondarit  à  ces  nombres  considérés  comme  termes 
d'une  progression  par  quotient  comnipnra7it  par  1. 

III.   —  RÈGLES    POUR  LE    CALCUL    LOGAIIITHMIOL'E.   — 

1"  Lu  loijnrithme  du  produit  de  den.i  ou  de  plu- 
sieurs fadeurs  est  égal  à  la  somme  des  logarithmes 
des  facteurs. 

C'est  la  propriété  fondamentale  que  nous  venons 
de  faire  remarquer  sur  les  deux  progressions  (1) 
■et  (2).  En  effet  le  troisième  terme  '2d  et  le  qua- 
trième terme  .Irf  de  la  progression  par  différence 
sont  les  logarithmes  du  troisième  terme  ç*  et  du 
quatrième  q^  de  la  progression  par  quotiejit,  et  la 
somme  des  deux  premiers,  bd,  est  le  logarithme  du 
terme  9',  qui  est  le  produit  des  deux  autres.  Soit 
donc  p  le  produit  des  trois  facteurs  a,  b,  c;  on 
aura  : 

log.p  =  log.  a  +  log.  b  -f  log.  c 

S°  Le  logarithme  du  quotient  de  deux  nombres 
esi  égal  au  logar.'tlime  du  dividende  diminué  du 
logarithme  du  diviseur. 


En  effet  le  dividende  étant  le  produit  du  diviseur 
multiplié  par  le  quotient,  son  logarithme  est  la 
somme  des  logarithmes  du  divi-^eur  et  du  quotient; 
par  conséquent  on  aura  le  logarithme  du  quotient 
en  retranchant  le  logarithme  du  diviseur  de  celui 
du  dividende.  C'est  ce  qu'on  peut  présenter  ainsi: 
soit  p  le  produit  de  a  par  b,  on  aura  d'après  le 
principe  précédent  : 

log.  p  =  log.  a  -|-  log.  6 


ï-*  = 


;p  — log.  a 


Nota.  —  On  verra  plus  loin  comment  se  fait  la 
soustraction  quand  le  logarithme  du  diviseur  sur- 
passe le  logarithme  du  dividende. 

3°  On  obtient  le  logarithme  d'une  puissance 
d'un  nombre  en  multipliant  le  logarithme  de  ce 
nombre  par  le  degré  de  la  pui'sonce. 

Cette  règle  n'est  autre  que  la  première,  dans  le 
cas  où  les  facteurs  du  produit  sont  égaux.  En  effet 
on  a  par  exemple  : 

D'après  la  première  règle  on  aura  : 

log.  «3  =  log.  a  -f  log.  a  +  log.  a 
ou  : 

log.  n'  =  3log.  n 

Aussi  pour  trouver  le  logarithme  du  carré  d'un 
nombre,  on  multiplie  le  logarithme  de  ce  nombre 
par  2;  pour  avoir  le  logarithme  de  son  cube,  on 
multipliera  son  logarithme  par  3,  etc. 

k"  On  obtient  le  logarithme  d'une  racine  d'un 
nombre  en  divisant  le  logarithme  de  ce  nombre 
par  le  degré  de  la  racine. 

En  effet  on  a  d'après  la  règle  précédente  : 

log.  «2  =  2  log.  a 
log.  63  =  3  log.  6 

Or  dans  ces  égalités  a  est  la  racine  carrée  de  a- 
et  b  est  la  racine  cubique  de  4^;  on  en  tire  : 


log.  a  = 


log.  a' 


IV.  —  Divers  systèmes  de  logarithmes.  —  A  une 
même  progression  par  quotient  commençant  par 
1,  peuvent  correspondre  diverses  progressions  par 
différence  commençant  par  zéro.  Soit  une  progres- 
sion par  quotient  ayant  'J  pour  raison,  et  deux  pro- 
gressions par  différence  ayant  pour  raison    l'une 


0,  1  et  l'autre  -  : 


•^•l:  2  :  4:  6  :  12:  24:  48:.... 
-=•  0.0,1.0,2.0,3.0,4.0,5.  0,C 

■^«'  r  r  '■  |-  r  ' 

1 


(3) 
W 

(5) 


Les   termes   0,1    et  r  seront  tous  deux  logarith- 

2 
mes  du  nombre  2  ;  les  termes  0,2  et  ■-  seront  les 

logarithmes  du  nombre  4,  etc.  Il  y  a  donc  une  in- 
finité de  systèmes  de  logarithmes. 

On  appelle  base  d'un  système  de  logarithmes  le 
nombre  qui  dans  ce  système  a  pour  logarithme 
l'unité.  Ainsi  dans  le  système  fourni  par  la  pro- 
gression (5)  la  base  serait  G.  Dans  tous  les  systè- 
mes le  logarithme  de  1  est  0. 

V.  —  Logarithmes  viilgaires.  —  On  désigne  par 
ce  nom  les  logarithmes  dont  l'usage  est  général.  Ce 


LOGARITHMES 


1195  — 


LOGARITHMES 


sont  cfiux  qui  so  trouvent  dans  les  livres  intitulés  : 
Tdldcs  (te  logarithmes. 

Ke  système  des  logarithmes  vulgaires  est  fondé 
sur  les  deux  progressions  suivantes  : 


1  :  10: 100  :  1000  :  lOOOO: 

0.    1.      2.         3.         ■* 


(G) 

m 

Elles  montrent  que  le  logaritlime  de  10  est  1  ; 
que  le  logarithme  de  lOU  est  ;' ;  que  celui  de  1000 
est  3  ;  celui  de  10000  est  4,  etc.  La  base  est  donc  10. 

Mais  comment  a-t-on  pu  calculer  les  logarithmes 

des  autres  nombres  entiers  2, 3, 4 ,11, 12, 13,  etc.? 

C'est  ce  que  nous  devons  essayer  de  faire  com- 
prendre. 

Pour  cela,  imaginons  qu'on  insère  un  même 
nombre  de  moyens  proportionnels,  15  par  exemple, 
entre  1  et  10,  ejure  10  et  100,  etc.,  dans  la  pro- 
gression par  quotient,  et  autant  de  moyens  dif- 
férentiels entre  0  et  1,  entre  1  et  2,  etc.,  dans  la 
progression  par  différence  (V.  Progressions).  Ces 
moyens  placés  entre  les  termes  des  deux  progres- 
sions précédentes  formeront  avec  eux  deux  nou- 
velles progressions.  La  progression  par  différence 

1  ;  ,  . 

aura  pour  raison  —   la  progre-ission  par  quotient 

aura  pour  raison  la  racine  seizième  de  10. 

On  peut  obtenir  la  racine  seizième  do  10,  en 
extrayant  d'abord  la  racine  carrée  de  10;  puis  la 
racine  carrée  de  cette  racine  carrée,  ce  qui  donne 
la  racine  quatrième;  puis  la  racine  carrée  de  la 
racine  quatrième,  ce  qui  donne  la  racine  huitième, 
et  enfin  la  racine  carrée  de  la  racine  huitième,  ce 
qui  donne  la  racine  seizième.  Cette  racine  seizième 
de  10  est  incommensurable;  elle  a  pour  valeurap- 
prochée  1,154^8:  représentons-la  par  A. 

Nous  avons  alors  les  deux  progressions  : 

«!:/(. -A':  43; lOrlOA:  WkH 100: (8) 

2     3  ..1.2 


Les  nombres  entiers  2,  3,  4,  5,  etc.,  ne  se  trouvent 
pas  dans  la  progression  (8),  puisque  les  termes 
qui  ont  été  insérés  sont  incommensurables  ;  mais 
le  nombre  entier  2,  par  exemple,  sera  compris 
entre  deux  termes  consécutifs.  On  trouverait  qu'il 
est  entre  A*  et  k^.  Le  logarithme  de  2  sera  donc 

4 
compris  lui-même  entre  —  ,qui  est  le  logarithme 

5 
de  k',  et  —  qui  est  le  logarithme  de  k^,  c'est-à-dire 

lo 
entre  0,25  et  0,3125.   Par  conséquent,  en  prenant 
0,25  pour  le  logarithme  de  2,  on  aurait  un  loga- 
rithme trop  faible,  mais  affecté  d'une  erreur  moin- 
dre que  -—.,  et  à  plus  forte  raison -moindre  que  0,1. 

C'est  de  la  même  manière  qu'on  pourrait  déter- 
miner les  valeurs  approchées  des  logarithmes  des 
autres  nombres  entiers. 

Il  est  évident  qu'avec  une  approximation  aussi 
faible,  les  logarithmes  ne  rendraient  pas  de  bien 
grands  services  ;  mais  l'approximation  sera  d'au- 
tant plus  grande  que  le  nombre  des  moyens  insé- 
rés sera  plus  considérable.  Ce  qui  précède  doit 
.suffire  pour  donner  une  idée  de  la  construction 
des  tables  de  logarithmes  avec  5  décimales,  ou 
môme  avec  7  décimales. 

VI.  —  Cahactéristique  d'un  log.*rithme.  —  Les 
deux  progressions  (6)  et  (7)  montrent  que  les  lo- 
garithmes des  nombres  entiers  depuis  I  jusqu'à 
10  exclusivement  s'étendent  depuis  0  jusqu'à  1  ; 
que  les  logarithmes  des  nombres  entiers  depuis  10 
jusqu'à  100  s'étendent  depuis  1  jusqu'à  2  ;  que 
ceux  des  nombres  entiers  depuis  loo  jusqu'à  1000 
s'étendent  depuis  2  jusqu'à  3,  etc.  Ainsi  pour  les 
nombres  entiers  d'un  chiffre,  les  logarithmes  ont 


tous  0  à  leur  partie  entière  ;  pour  les  nombres  en- 
tiers de  2  cliiffres,  les  logarithmes  ont  tous  1  à  leur 
partie  entière  ;  pour  les  nombres  entiers  de  3  chif- 
fres, les  logarithmes  ont  tous  'i  à  leur  partie  en- 
tière. En  d'autres  termes,  il  y  a  autant  d'unités  à 
la  partie  entière  dit  logarithme  d'un  nombre  en- 
tier qu'il  contient  de  chiffres  moins  un. 

Cette  partie  entière  du  logarithme,  que  l'on 
reconnaît  à  l'inspection  du  nombre,  se  nomme 
caractéristique.  On  doit  toujours  l'écrire  avant  do 
chercher  la  partie  décimale  dans  les  tables,  comme 
on  va  l'expliquer  dans  ce  qui  suit. 

VII.  —  Logarithmes  hes  nombres  entiers  ter- 
minés PAR  des  zéros.  —  Soit  le  nombre  630  ; 
comme  il  est  égal  à  63  X  10,  son  logarithme  sera 
égal  au  logarithme  de  di  plus  le  logarithme  de 
10  qui  est  1.  Or  on  trouve  dans  les  tables  : 

log.  C3=  1, '19934. 

En  ajoutant  1  à  ce  logarithme,  on  aura  : 

log.  0-30  =  2,79934. 
Le  logarithme  de  100  étant  2,  on  aurait  de  même  : 

log.  6300  =  3,79934. 

De  ce  qui  précède  résulte  la  règle  suivante  :  pour 
avoir  le  logarithme  d'un  nombre  entier  terminé 
par  des  zéros,  on  écrit  d'abord- sn  caractéristique 
conformément  à  la  règle  précédente  ;  puis  on  lui 
donne  pour  sa  partie  décimale  la  partie  décimale 
qu'on  trouve  dans  la  table,  pour  te  nombre  entier 
considéré  sans  ses  zéros. 

Observation.  —  Quelques  auteurs  désignent  la 
partie  décimale  d'un  logarithme  par  le  nom  de 
mantisse  emprunté  aux  Allemands.  Il  ne  serait 
pas  moins  utile  de  trouver  quelque  dénomination 
moins  longue  que  le  mot  caractéristique  pour  la 
partie  entière  du  logarithme.  Pourquoi  ne  dirait- 
on  pas,  faute  de  mieux,  ïentier  (le  nombre 
entier)  ? 

VIII.  —  Logarithmes  des  nombres  décimaux.  — 
1°  Le  nombre  est  plus  grand  que  1.  —  Soit  153, B. 
Ce  nombre  étant  lo  quotient  de  1536  divisé  par  10, 
son  logarithme  sera  égal  au  logarithme  de  1538 
diminué  du  logarithme  de  10,  qui  est  I. 

Or  le  logarithme  de  1536  est  3,18639;  on  aura 
donc: 

log.  153,6  =  3,18639  —  1 
ou: 

log.  153,6  =  2,18639 

Soit  encore  le  nombre  1,536.  Le  nombre  étant  le 
quotient  de  1536  divisé  par  lOHO,  on  trouvera  son 
logarithme  en  étant  au  logarithme  de  1536  le  lo- 
garithme de  lOOl),  qui  est  3.  On  aura  donc: 

log.  1,536  =  0,18639 

Ainsi  quajid  un  nombre  décimal  est  plus  grand 
que  1,  la  caractéristique  de  son  logarithme  est  ta 
même  que  celle  de  la  partie  entière  du  nombre, 
et  pour  avoir  ta  parti'-  décimale,  on  prend  dans  In 
table  le  logarithme  du  nombre  comme  si  ce  nom- 
bre était  un  nombre  entier. 

2"  Le  nombre  décimal  est  plus  petit  que  1.  —  Si 
on  divise  par  10  le  nombre  décimal  1,5.36,  on  a 
0,1536;  le  logarithme  de  0,1536  sera  par  consé- 
quent égal  au  logarithme  de  1,536  diminué  de  1. 
On  aura  donc 

log.  0,1 536  =  0,186.39—1. 

Ne  pouvant  pas  .soustraire  1  du  nombre  plus  fai- 
ble 0,18639,  on  se  borne  à  indiquer  la  soustrac- 
tion ;  seulement  comme  il  n'y  a  que  zéro  à  la 
partie  entière,  on  y  place  le  nombre  entier  sous- 
tractif,  en  ayant  soin  de  mettre  le  signe  de  la 
soustraction  au-dessus  de  lui,  de  la  manière  sui- 
vante : 


LOGARITHMES 

log.  0,1536  =  7,18639. 


—  1196 


LOGARlTHxMES 


Divisons  encore  0,1536  par  10,  ce  qui  donne 
0,01536;  on  obtiendra  de  même  le  logarithme 
do  0,015)6,  en  retrancliant  1  au  logarithme  de 
0,1536  ;  on  aura  ainsi  : 

log.  0,01536=^,18639. 

Ainsi  quand  wi  nombre  décimal  est  inférieur  ii  1, 
la  caractéristique  de  so}i  logaritiime  est  négative, 
et  le  nombre  d'unilés  dont  elle  se  compose  est 
marqué  par  le  ranq  qu'occupe  à  droite  de  la  vir- 
fjule  le  pre-nier  chiffre  significatif  du  nombre  dé- 
cimal; la  parti'i  décimale  du  lo'/arithme  est  la 
me'me  que  si  le  nombre  décimal  était  iin  nombre 
entier. 

Ce  qui  précède  est  résumé  dans  la  règle  sui- 
vante : 

Pour  avoir  le  logarithme  d'un  nombre  décimal, 
on  le  cherclie  dans  la  table  comnio  si  le  nombre 
n'avait  pas  de  virgule  ;  quant  à  la  caractéristique, 
on  lui  donne  autant  d'unités  qu'il  y  a  de  chiffres 
moins  un  à  la  partie  entière  du  nombre  décimal 
quand  il  est  plus  grand  que  1  ;  s'il  est  plus  petit 
que  1,  on  donne  à  la  caractéristique  un  nomlire 
d'unités  négatives  marqué  par  le  rang  qu'occupe 
le  1"  chiffre  significatif  du  nombre  décimal  à 
droite  de  la  virgule. 

IX.  —  Logarithme  d'une  fraction  ordinaire. — 
Une  fraction  ordinaire  n'étant  que  le  quotient 
de  la  division  du  numérateur  par  le  dénominateur, 
on  obtiendra  le  logaritiime  de  cette  fraction,  en 
retranchant  du  logarithme  du  numérateur  le  loga- 
rithme du  dénominateur. 

Cette  opération  ne  présente  rien  de  particulier 
quand  le  dénomin.ateur  est  plus  petit  que  le  numé- 
rateur; mais  elle  exige  quelques  explications  dans 
le  cas  contraire. 

17 

Soit  par  exemple  à  chercher  le  logarithme  de  — 

En  appliquant  la  règle,  on  aura  : 


-r-  =  log.  n  — log.  24 


Or  les  tables  donnent  : 

log.  17  =  1,23045 
log.  24=  1,38021. 

Il  s'agit  donc  ici  de  retrancher  le  plus  petit  lo- 
garithme du  plus  grand.  Voici  comment  on  opère: 

Oti  ajoute  à  la  caractéristique  du  plus  petit  lo- 
i/nrilhme  le  nombre  d'unités  suffisant  pour  ren'Ire 
t:e  logarithme  sitpériew  à  l'autre,  et  on  effectue 
alors  la  souitraction.  Puis  on  diminue  le  resle 
d'autant  d  unités  qu'on  en  avait  ajouté  au  premier 
logarithme,  ce  qui  revient  à  donner  ce  nombre 
d'unités  pour  caractéristique  au  resle,  avec  le  si- 
gne —  au  dessus. 

Dans  l'exemple  ci-dessus,  on  augmentera  de  1 
le  logarithme  de  17;  du  nombre  ainsi  obtenu  on 
retranche  1 ,3S0'2 1 ,  ce  qui  donne  pour  reste  0,85024  ; 
puis  diminuant  ce  reste  de  1,  on  aura 


Celte  règle  sera  toujours  applicable,  même  dans 
le  cas  d'une  division  de  nombres  décimaux  ;  m  lis 
pour  plus  de  facilité,  on  aura  soin  de  multiplier 
d'abord  le  dividende  et  le  diviseur  par  10,  100, 
lOilO,  etc.,  pour  les  convertir  tous  deux  en  nom- 
bres entiers.  Par  exemple,  si  l'on  avait  à  trouver 

le  logarithme  de  -1 — —  ,  on  chercherait  le  loga- 
0,U24 

rithme  de  —-— 
240 


X.  —  Soustraction  des  logarithmes  a  carac- 
téristique négative.  —  Si  l'on  voulait  obtenir  le 
0.11017 
0,024 
nombres  en  nombres  entiers,  on  devrait  de  : 

log.  0,0017  =^,23045 
retrancher  : 

log.  0,024  =  2,.'i802I. 

On  effectue  d'abord  la  soustraction  sur  la  par- 
tic  décimale;  puis,  comme  on  a  augmenté  de  10 
dixièmes  le  chiffre  2  des  dixièmes  du  premier 
logarithme,  on  augmente  de  I  le  chiffre  2  de  la  co- 
lonne suivante  dans  le  deuxième,  conformément  à 
la  règle  ordinaire,  ce  qui  donne  2  -|-  1  ou  1  à  re- 
trancher de  ¥. 

Or  pour  soustraire  d'un  nombre  quelconque  un 
nombre  négaiif,  il  faut  ajouter  au  premier  le 
nombre  ncgaiif  pris  comme  nombre  positif,  c'est- 
à-dire  débarrassé  du  signe  — .  On  retranchera 
donc  Tde  lï  en  ajoutant  1  à  3,  ce  qui  donne  pour 
reste  J  (V.  Algèbre,  règle  de  la  soustraction).  On 
trouvera  ainsi  : 

0,0017 
0,0  .'4  ■ 


log.  • 


:  2,85024. 


XI.  —  Division  d'un  logarithme  a  caracté- 
ristique négative.  —  Il  arrive  souvent  qu'on  a 
à  diviser  par  un  nombre  entier  un  logarithme 
dont  la  caractéristique  est  négative.  Si  cette  ca- 
ractéristique est  divisible  par  le  nombre  entier, 
ce  qui  a  lieu,  par  exemple,  dans  la  division  de 
7,85024  par  2,  il  n'y  a  aucune  difficulté;  car  on  a 
alors  T,42512. 

Il  n'en  serait  pas  de  môme,  si  l'on  avait  à  diviser 
ce  logarithme  par  3.  Dans  ce  cas,  la  caractéristi- 
que négative  7  n'étant  pas  divisible  par  3,  il  fau' 
remplacer  "3  par  jT,  ce  qui  diminue  le  logarithme 
de  1  ;  mais  par  compensation  on  ajuute  une  unité 
devant  la  partie  décimale  positive.  On  remplace 
ainsi 

2,85024     par     3 -f- 1,85024. 

En  effectuant  ensuite  la  division  par  3  sur  la 
partie  négative  et  sur  la  partie  posiiive,  on  trouve  : 


3S024       - 


=  1,6167466.. 


Observation.  —  Dans  la  division  d'un  loga- 
rithme, on  conserve  au  quotient  le  môme  nombre 
de  chiffres  décimaux  que  dans  le  logarithme  ; 
mais  on  doit  toujours  augmenter  de  1  le  dernier 
chiffre  conservé,  lorsque  le  chiffre  suivant  que 
fournirait  la  division  est  5  ou  plus  grand  que  5. 
D'après  cette  règle,  on  aura  : 


2,85024 


=  7,61675. 


XII.  —  Disposition  des  tables  de  logarithmes. 

Il  y   a    des  tables    qui    contiennent    avec    7 

décimales  les  logarithmes  de  tous  les  nombres  de- 
puis 1  jusqu'à  108  000;  d'autres  tables  contiennent 
seulement  avec  5  décimales  les  logarithmes  des 
nombres  depuis  I  jusqu'à  liiOOO.  Ces  dernières  sont 
bien  suffisantes  ;  c'est  de  celles-là  que  nous  allons 
expliquer  l'usage.  Les  deux  principales  sont  celles 
de  HouCI,  qui  ont  le  format  in-8,  et  celles  de 
Dupuis  qui  ont  le  format  in-iK.  Dans  les  unes  et 
les  autres,  on  a  bien  fait  d'omettre  les  caractéris- 
tiques qui  étaient  dans  les  anciennes  tables. 
'     Les  tables  de  Houél  renferment  les  nombres 


LOGARITHMES 


1197  — 


LOGARITHMES 


depuis  1  jiisqu'i  10  000  dans  des  colonnes  con- 
sécutives surjnontces  de  la  lettre  N,  et  vis-à-vis 
les  logarithmes  dans  les  colonnes  indir|uécs  par 
l'abréviation  Log.  placée  en  tôte.  La  troisième  co- 
lonne, surmontée  de  la  lettre  I),  renferme  les 
différences  qu'il  y  a  entre  les  deux  logarithmes 
consécutifs  placés  à  gauche. 

Los  tables  de  Dupuis  ont  reçu  une  disposition 
un  pou  différente,  qui  est  celle  des  grandes  ta- 
bles à  7  décimales.  La  première  colonne  k  gauche, 
marquée  N.  dans  chaque  page,  ne  présente  que  les 
nombres  de  trois  chilTres;  mais  le  quatrième  se 
trouve  en  gros  caractères  dans  la  première  ligne 
horizontale  placée  soit  au  haut  de  la  page,  soit  au 
bas.  Les  deux  premiers  chiffres  du  logarithme 
sont  les  deux  chiffres  isolés  de  la  colonne  O  en 
allant  de  haut  en  bas  ;  les  trois  derniers  sont  sur 
la  ligne  horizontale  du  nombre  et  dans  la  colonne 
qui  correspond  au  quatrième  chiffre  placé  en  tète. 
Par  exemple,  pour  avoir  le  lo^'arillimo  de  7523,  on 
cherche  752  dans  la  première  colonne.  Les  deux 
premiers  chiffres  du  logarithme  sont  81  ;  les  trois 
autres  sont  GSl)  sur  la  ligne  horizontale  de  Ib!  et 
dans  la  colonne  verticale  portant  en  tète  le  chiffre 
3.  Mais  quand  les  trois  derniers  chiffres  du  loga- 
rithme sont  marqués  d'une  étoile,  il  faut  prendre 
pour  les  deux  premiers,  dans  la  colonne  O,  non  pas 
les  deux  chiffres  isolés  qui  sont  au-dessus  de  la 
ligne  horizontale  du  nombre,  mais  les  deux  qui 
sont  au-dessous.  Par  exemple  le  logarithme  de 
C761  sera  3,83001. 

XIII.    —     TnOUVER     LE    LOGARITHME     d'uN     NOMBRE 

DONNÉ.  —  1°  Si  c'est  un  nombre  entier  n'ayant 
pas  plus  de  quatre  chiffres,  la  mantisse  de  son 
logarithme  se  trouve  dans  la  table,  comme  on  vient 
de  l'expliquer. 

Si  c'est  un  nombre  entier,  terminé  par  ou  plu- 
sieurs zéros,  ou  un  nombre  décimal,  on  cherche 
la  mantisse  du  logarithme  sans  considérer  les 
zéros  du  nombre  entier  ou  la  virgule  du  nombre 
décimal  ;  il  ne  reste  plus  qu  à  donner  au  loga- 
rithme la  caractéristique,  conformément  à  la  règle 
indiquée  plus  haut. 

On  trouve  par  exemple  : 

log.  1519  =  3,I8IÔG 
log.  1511100  =  5,18166 
log.0, 1519  =  7,18156. 

2°  Si  le  nombre,  sans  compter  les  zéros  qui 
peuvent  être  à  sa  droite  quand  il  est  nombre  en- 
tier, ou  sur  sa  gauche  quand  il  est  nombre  déci- 
mal, a  plus  de  quatre  chiffres,  on  opère  de  la 
manière  suivante. 

Soit  par  exemple  le  nombre  3i,5.SG7.  D'abord  la 
caractéristique  du  logariihme  sera  1.  Pour  avoir 
la  mantisse,  on  déplace  la  vi'rgule  dans  le  nombre 
de  manière  à  ce  qu'il  reste  4  chiffres  à  .sa  gauche, 
ce  qui  donne  3458,67;  la  mantisse  cherchée  sera 
la  même  nue  celle  du  logarithme  du  nombre 
3458,67. 

On  prend  dans  la  table  le  logarithme  de  la 
partie  entière  du  nombre,  et  on  a  ainsi,  sans 
écrire  d'abord  la  caractéristique: 

log.  3458  =  53882 

Or  la  différence  entre  les  logarithmes  de  3458  et  de 
3459  est  13;  cette  différence  est  marquée  dans 
les  tables  de  Houël;  on  la  calcule  à  vue  dœil 
dans  celles  de  Diipuis.  Pour  connaître  la  quantité 
à  ajouter  à  5i8X2  afin  d'avoir  le  logarithme  de 
3458,67,  on  fait  le  raisonnement  suivant: 

Si  le  nombre  3i5s  augmentait  de  1,  son  loga- 
rithme augmenterait  de  13  (unités  du  i"  ordre 
décimal). 

Lorsque  le  nombre  augmente  de  0,^7,  son  loga- 
rithme doit  augmenter  des  67  centièmes  de  13, 
c'est-à-dire  de  8,76. 


On  ne  prend  que  la  partie  entière,  8,  de  ce  ré- 
sultai; mais  comme  la  partie  décimale  qui  suit  est 
plus  forte  que  0,5,  on  doit  augmenter  8  de  I,  ce 
qui  donne  '.). 

La  mantisse  du  logarithme  de  3458,67  est  donc: 

53882-1-9  =  63891 
et  par  suite  on  a  : 

log.  345507  =  5,53891 

On  peut  donner  à  ce  petit  calcul  la  disposition 
suivante  : 

log.  3458 53882 

pour       0,67 8,71 

log.  3i, 5867  =1,53891... 

Le  produit  de  la  différence  13  par  0,67  est  inscrit 
dans  les  tables,  en  dehors  du  cadre  sur  la  marge, 
dans  les  tables  de  Dupuis,  et  dans  la  colonne  à 
droite  indiquée  parP.p,-.  (parties  proportionnel- 
les) des  tables  de  Houël.  Au-dessous  de  la  diffé- 
rence 13  est  une  double  colonne;  les  nombres 
I,  2.  3,... 9  qui  sont  à  gauche  sont  les  dixièmes  de 
l'unité  ;  ceux  qui  sont  vis-à-vis,  à  droite,  sont  les 
dixièmes  de  la  différence  13.  On  trouve  ainsi  : 


Pour  0,6 
Pour  0,07 

Pour  0,G7 


DUPUIS 
7,8 
0,91 


0,9 

8,9        8,71  ou  9 


Remarque. — La  proportionnalité  admise  dans 
ce  calcul  entre  l'accroissement  des  nombres  et 
l'accroissement  de  leurs  logarithmes  n'est  pas 
rigoureusement  vraie  ;  mais  l'erreur  qui  en  résulte 
ici  est  assez  faible  pour  qu'elle  puisse  être  né- 
gligée. 

XIV.  —  Trouver  le  nombre  correspondant  a 
UN  LOGARITHME  DONNÉ.  —  1°  On  cherche  la  man- 
tisse dans  la  table,  sans  faire  attention  à  la 
caractéristique  ;  si  elle  s'y  trouve,  on  prend  le 
nombre  qui  lui  correspond  dans  la  colonne  N.  On 
donne  ensuite  à  sa  partie  entière  autant  de  chiffres 
plus  un  qu'il  y  a  d'unités  dans  la  caractéristique, 
quand  celle-ci  est  positive.  Quand  elle  est  néga- 
tive, elle  indique  le  rang  que  doit  occuper  à  par- 
tir de  la  virgule  le  i"  chill're  significatif  du  nom- 
bre. On  trouve  ainsi  : 


Log. 
1,21352 
5,21352 

Nombres 
10,3  s 
H,3.'.00 

2,21352 

0,(;1635 

2°  Soit  à  chercher  le  nombre  qui  a  pour  loga- 
rithme 1,213,0.  La  mantisse  no  se  trouvant  pas 
dans  la  table,  on  prend  celle  qui  en  approche  le 
plus  sans  la  dépasser  :  c'est  2i:i52,  et  lo  nombre 
correspondant  est  1635.  Le  nombre  cherché  est 
donc  compris  entre  l'35  et  1636,  dont  les  loga- 
rithmes ont  entre  eux  une  différence  égale  à  26. 
La  différence  entre  le  logarithme  donné  2l3(i0  et 
lo  logarithme  V1352  est  8.  Pour  trouver  l'augmen- 
tation à  donner  au  nombre  li;;i5,  on  répète  le 
raisonnement  déjà  fait  dans  la  question  précé- 
dente : 

Si  le  logarithme  2I3.Î2  augmentait  de  2n,  le 
nombre  correspondant  iG35  augmenterait  de  1. 

Lorsque  le  logarithme  augmente  seulement  do 
8,  c'est-à-dire  de  8  fois  la  26'  partie  de  26,  le 
nombre  doit  augmenter  de  8  fois  la  20'  partie  de 

l,ou  de— ,ce  qui  fait  0,3.  On  ajoute  donc  0,3au 

nombre   16)5;   puis  la    caractéristique    du    loga- 
rithme  donné   étant   1,  le  nombre    cherché  doit 


LOGARITHMES 


—  H98 


LOGARITHMES 


avoir  2  chiffres  à  sa  partie  entière.  On  trouve  ainsi 
10,303  pour  le  nombre  demandé. 

Si  le  logarithme  était  7,21300,  le  nombre  cor- 
respondant serait  0, 1li353. 

L'augmentation  i  faire  au  nombre  pris  dans  la 
table  se  trouve  toute  calculée  dans  les  petites  co- 
lonnes placées  au-dessous  do  la  différence  sur  la 
marge  dans  les  tables  de  Dupuis,  ou  dans  la  colonne 
P.  pi:  des  tables  de  Houël.  On  cherche  à  droite 
du  filet  vertical,  sous  la  différence  2C,le  nombre 
qui  approche  le  plus  de  la  différence  8  :  c'est 
7,8  dans  les  premières  et  8  dans  les  autres.  Le 
chiffre  3  qui  correspond  à  gauche  est  le  nombre 
de  dixièmes  à  ajouter  au  nombre  entier  1635. 

Observation.  —  On  doit  avoir  soin  de  chercher 
toujours  le  logarithme  donné  dans  la  partie  de  la 
table  contenant  les  nombres  supérieurs  à  lOiiO,  ce 
qui  donne  d'abord  l'avantage  d'obtenir  immédiate- 
ment les  quatre  premiers  chiffres  du  nombre.  Il 
y  a  une  autre  raison,  c'est  que  la  proportionnalité 
admise  entre  les  accroissements  du  logarithme  et 
du  nombre  correspondant  ne  donnerait  qu'un 
résultat  inexact,  si  on  opérait  sur  les  logarithmes 
des  nombres  inférieurs  à  1000. 

XV.  —  Nous  terminerons  cet  article  en  appli- 
quant les  logarithmes  à  la  résolution  de  quelques 
problèmes. 

Problème  1.  —  Calculer  la  surface  d'un  hexa- 
gone régulier  dont  le  côté  a  38  centimètres. 

Si  on  désigne  le  côté  de  l'hexagone  par  a,  sa 
surface  S  est  exprimée  par  la  formule  : 


S  = 


.1/7' X\'^ 


On  a  donc  : 


S  = 


3X38sXv'3 


log.S  = 


S  =  l,5x38»Xv'3 

=  log.  1,5-f  2  log.33  +  ^ 

log.  38  =  1,57978 

lug.    3  =  0,47  71-2 

21og. 38  =  3, 15956 

ilog.    3  =  0,23856 

log.l,.S  =  0,17609 


(421 
415 


log.   S  =  3,5 

3751 

05 

S  =  3751,5 


L'hexagone  a  37  décim.  carrés  51  centim.  car- 
rés. 

Problème  2.  —  Calculer  la  surface  S  d'une 
sphère  ayant  un  volume  de  154  centimètres  cubes 
867  millimètres  <ubes. 

Si  l'on  prend  le  centimètre  pour  unité,  et  qu'on 
pose  V=  154,86'?,  on  trouve  : 


S  =  V  36  X  u  X  V» 
log.  S  =  2'»g  V -flog.  36 -f  log.  TC 

log.  V  =2.18996 

2  log  V  =4,31992 

log.  36=  l,5.'.630 

log.  7t  =(i,i9715 


3  log.   S  = 

log.   S  = 

I3U4.... 

on... 

S  =139,46 


=  6,43a37 
=  2,U44« 
426 


La  surface  de  la  sphère  a  1  décim.  carré  39  cen- 
tim. carrés  46  millim.  carrés. 

Problème  3.  -  Une  ville  emprunte  185  000 /"r., 
qu'elle  doit  rembourser  en  12  paiements  annuels 
égaux,  dont  le  1"  aura  lieu  nn  an  après  l'em- 
prunt. Le  taux  de  l'intéréi  étant  de  4,  50  °/.,  cal- 
culer la  somme  à  payer  chaque  année. 

(Brevet  facult.  Aspirants.  —  Aisne;  1878). 
Si  on    désigne  par  x  l'annuité   demandée,  on 
trouve  : 

^_  185000  X  1.045'^  X  0.045 
1,045's— 1 

Les  logarithmes  i  5  décimales  étant  approchés 
à  moins  d'un  demi  cent-millième,  lorsqu'on  doit, 
comme  dans  cet  exemple,  multiplier  un  logarithme 
par  12,  l'erreur  du  produit  se  trouve  seulement 
moindre  que  6  cent-millièmes  et  n'a  pas  ainsi 
un  degré  d'approximation  suffisant  pour  donner 
le  résultat  avec  l'exactitude  nécessaire.  Dans  ce  cas 
il  convient  d'employer  les  logarithmes  à  7  déci- 
males. C'est  pour  en  donner  un  exemple  que 
nous  avons  choisi  ce  problème. 

Calcul  be  1,045". 

log.  1,04512=  12  log.  ]^o45 

log.  1,045    =      0,0191163 

12  log.  1,045    =      0,229-3956 

16958 746 


.210 


l,695Sij  =  l,()45'2 

Calcul  de  x. 
185000  X  l,04'i"x  0,045 

0,6J55S 
185000  X  1,04512x45 


_\  log.  185000 -^- log.  1,045'* -f  log.  45 
'■  —  ]  —  log.  6:J5,88 

log.  185000  =  5,2671717 

log.  1,04512  =  0,2293956 

log.  45  =  1.6532125 

7,1407798 
log.  695,88  =  2,8425344 


log.  x=  4,3072454 

20288 392 

03 62 


x  =  20288,3 

XVI.  —  Des  complfments.  —  Lorsque  d'une 
somme  de  logarithmes  on  doit  retrancher  une  au- 
tre somme  de  logarithmes,  on  peut  remplacer  la 
soustraction  par  une  addition,  à  l'aide  de  ce  qu'on 
appelle  Comi  lément  d'un  logarithme. 

Soit  le  problème  suivant  :  L'aire  d'un  sectfur  de 
cercle  lic  13'  a  p  ur  .ni'  /are  72  décimètres  carrés. 
Calculer  taire  de  l'hexagone  régulier  inscrit  dans 
ce  cercle. 

(Brevet  facult.  Aspirants.  —  Paris;  1877). 

Si  on  désigne  par  S  la  surface  cherchée,  on 
trouve  : 

108  X  360X^3 


In».  o_(  log.  1084- log.  360-1- log.  v'3 
^  ( —log.  13  — log.  Il 

Voici  d'abord  le  tableau  du  calcul  tel  qu'il  est 

iiidiqué  par  la  formule  : 


LOGIQUE 


—  H99  — 


LOGIQUE 


log.  13=1,11391 

log.7t  =  0.497 15 

l.GllO'J 


log.  108  =  2,03342 
log.  3«0  =  2,5i03O 
log.v/3  =  0,23856 

i.r.ii09 
log.  s  =  3,2niu 

s  =10489 

Or  on  appelle  complifment  de  la  mantisse  d'un 
logaritlimo  par  rapport  à  l'unité,  ce  qu'il  faut  lui 
ajouter  pour  la  rendre  éf;alo  i  1.  Ce  compicmcnt 
so  trouve  facilement;  il  suffit  do  retrancher  de 
gauclie  h  droite  chaque  chiffre  de  9  et  le  dernier 
seulement  de  10.  On  a  par  exemple  : 

C  de  11 394  =  88006  ; 
C'de49715  =  ;,0285. 

Maintenant  de  la  somme  4,82838  retranchons 
d'abord  la  caractéristique  de  Log.  13,  ce  qui  se 
fait  en  changeant  son  signe  ;  on  a  ainsi  : 

4,82828 

r. 

Puis,  si  au  lieu  do  soustraire  encore  la  mantisse, 
on  ajoute  au  contraire  son  complément,  ce  qui 
donne  : 

J,82828 
l,8se0G 

la  somme  de  ces  deux  nombres  sera  trop  forte  de 
1  ;  il  suffira  donc  de  diminuer  la  caractéristique 
de  I,  et  d'ajouter  h  4,82828  le  logarithme~2, 88606. 
En  opérant  ainsi  on  trouvera  le  môme  résultat  que 
si  on  avait  retranché  1,11304  de  4,iS28.'8. 

De  là  cette  règle  :  limqaou  doit  relvanc)ier  un 
logarithme  d'un  autre,  on  /jeut  c/i"nger  le  signe  de 
lu  caractéristique,  la  dimniuer  ensuite  de  1,  rem- 
placer la  mantisse  par  son  complément  et  ajouter 
le  logarithme  ainsi  transfiu  mé  au  premier. 

En  appliquant  cotte  règle  au  calcul  précédent, 
on  aura  le  tableau  suivant  : 

log.  108  =  3,03342 

log.  3liO  =  2,55630 

log.y/^   =0,23856 

—  log.  13  =  2,88606 

—  log.  71  =  1,50285 

log.  b  =  3,21  i  19 

Nous  dirons  franchement  en  terminant  que  cette 
règle  ne  nous  paraît  pas  mériter  toute  l'importance 
que  la  plupart  des  auteurs  y  attachent;  si  nous 
avons  cru  devoir  l'indiquer,  c'était  moins  pour 
indiquer  aux  instituteurs  une 'autre  marche  à  sui- 
vre dans  ce  calcul,  que  pour  éviter  le  reproche 
d'avoir  laissé  une  lacune  dans  cet  article. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

LOGIQUE.  —  Psycliologie  et  logique,  XV.  — 
1"  Définition  de  la  logique.  —  La  logique  est  une 
partie  importante  des  sciences  philosophiques  et 
morales.  Elle  doit  être  rattachée  i.  ce  groupe 
considérable  de  sciences  en  môme  temps  théori- 
ques et  pratiques,  qui  comprend  la  morale  ou 
éthique,  l'esthéiique  ou  science  du  beau,  la  rhé- 
torique, la  politique,  le  droit.  Elle  est  à  la  fois 
une  science  et  un  art  :  une  science,  car  elle  nous 
fait  connaître  les  lois  de  la  pensée,  les  conditions 
normales  du  développement  intellectuel;  un  art, 
car  elle  nous  apprend  i  régler  lintelligeiicc,  elle 
nous  enseigne  les  moyens  de  découvrir  la  vérité  et 
d'échapper  à  l'erreur. 

La  logique  a  été  diversement  définie,  et  cette 
diversité  provient  précisément  de  ce  qu'on  l'a 
considérée,  tantôt  sous  son  aspect  théorique, 
tantôt  sous  son  aspect  pratique  :  ou  bien  comme 


un  corps  méthodique  de  vérités  systématiquement 
enchaînées,  ou  bien  comme  une  série  de  maximes 
et  de  préceptes  relatifs  h.  l'art  de  bien  conduire  sa 
raison. 

Au  moyen  âge  on  l'appelait  Yart  de  raisonner. 
Aristote  avait  dit  i  pou  près  de  môme  :  l'objet  de 
la  logique,  c'est  la  démonstration.  Les  auteurs  de 
la  Logique  de  Vort-Royal.  la  logique  classique  de- 
notre  pays,  eurent  raison  de  modifier  cotte  défini- 
tion, et  de  dire  que  la  logique  éiaitl'o;'/  dépenser. 
C'était  indiquer  déjà  qu'il  y  a  d'autres  opérations 
intellectuelles  que  le  raisonnement  ;  que  l'obser- 
vation, par  exemple,  que  la  simple  perception 
sont  aussi  l'objet  de  la  logique,  puisqu'elles  con- 
tribuent à  la  découverte  de  la  vérité.  Mais  la  défi- 
nitioii  de  Port-lîoyal  laissait  tiop  dans  l'ombre  les 
caractères  théoriques  delà  logique.  Dans  son  célè- 
bre traité  intitulé  tigstème  de  logique,  le  philoso- 
phe anglais  Stuart  Mill  donne,  au  contraire,  une 
définition  qui  a  le  défaut  opposé  :  «  La  logi- 
que,  dit-il,  est  la  science  des  opérations  de 
l'esprit  qui  concernent  l'estimation  de  la  preuve.  » 
C'est  oublier  que  la  loiiique  a  aussi  pour  but  de 
suggérer  les  procédés  de  la  découverte,  les  moyens 
destinés  à  atteindre  des  conceptions  qni  seront  en- 
suite vérifiées  par  les  règles  de  la  logique. Stuart  Mill 
se  rapprochait  davantage  delà  vérité  quand,  dans- 
le  sous-titre  de  son  livre,  il  annonce  qu'il  va 
exposer  «  les  principes  de  la  preuve  et  les  mé- 
thodes de  l'investigation  scientiliquc.  >> 

Peut-ôtie  est-il  impossible  de  définir  briève- 
ment la  logique  ;  et  faut-il  se  contenter  de  carac- 
tériser cette  science,  comme  le  fait  le  logicien 
anglais,  M.  Bain,  en  disant  qu'elle  est  :  1°  la 
science  théorique  et  abstraite  qui  expose  les  lois 
fondamentales  de  toute  affirmation,  de  tout  juge- 
mejit  ;  2"  la  science  pratique  de  toutes  les  fonues 
de  la  preuve;  3°  enfin,  un  système  de  méthodes 
appropriées  à  la  recherche  et  à  la  découverte  de 
la  vérité.  Sous  ces  trois  aspects  la  logique  n'a  en 
définitive  qu'un  seul  et  môme  objet  :  la  preuve 
de  la  vérité.  Mais  cette  preuve  suppose,  soit  des 
principes  que  l'analyse  intellectuelle  nous  décou- 
vre, la  théorie  du  syllogisme,  la  théorie  de  l'in- 
duction, soit  des  formes  spéciales  et  un  méca- 
nisme compliqué  d'opérations  et  de  raisonnements, 
soit  enfiii,  des  combinaisons  de  moyens  et  de 
procédés,  en  un  mot  des  méthodes. 

En  résumé,  la  logique  est  la  science  à  la  fois- 
théorique  et  pratique  qui  enseigne  les  conditions  de 
la  vérité  et  les  moyens  d'y  arriver.  Elle  ne  sert  pas 
uniquementà  vérifier  des  vérités  déjà  trouvées  :  elle 
apprend  à  découvrir  des  vérités  encore  inconnues. 
Sans  doute,  les  découvertes  scientifiques  sont 
plus  d'une  fois  l'œuvre  d'un  hasard  heureux,  d'une 
inspiration  soudaine,  mais  il  arrive  aussi  qu'elles 
résultent  d'une  application  studieuse  des  règles, 
de  la  logique. 

■^i"  Histoire  de  la  logique.  —  Il  est  intéressant  de 
recherchercomment  la  logique  s'est  constituée  peu 
à  peu,  comment  elle  est  devenue  ce  qu'elle  est 
aujourd'hui,  un  corps  de  règles  générales,  appli- 
cables, soit  à  l'exercice  journalier  de  l'intelligence, 
soit  à  la  recherche  scientifique  de  la  vérité,  le 
code  lie  la  pensée  en  un  mot. 

Ce  qu'il  faut  noter  tout  d'abord,  c'est  que  la 
logique  dépend  de  la  psychologie.  Elle  n'est,  h. 
certains  points  de  vue,  qu'une  psychologie  abs- 
traite. Au  fond  de  toute  logique,  il  y  a  un  système 
de  p.sycliologie  :  dans  la  Logique  de  Port-Royal, 
vous  trouvez,  comme  point  de  départ,  la  théorie, 
classique  au  xvii"  siècle,  qui  distinguait  dans  l'es- 
prit trois  opérations  essentielles,  la  conception,  le 
jugement,  le  raisonnement.  IJe  plus,  la  Logique  de 
/'or;-/('/7/r(/,  admirable  par  tant  d'autres  parties,  est 
incomplète  nt  surannée  aujourd'hui,  parce  que  sos 
auteurs  n'ont  pas  fait  à  l'induction,  (ians  leur  théo- 
rie psychologique  du  raisonnement,  la  môme  part 


LOGIQUE 


—  1200 


LOGIQUE 


qu'àla  déduction.  De  même,  dans  les  Logiques  mo- 
dernes, celles  de  Stuart  Mil  I  et  de  M.  Bain,  par  exem- 
ple, il  est  facile  de  reconnaître  tout  un  système  de 
psychologie  empirique,  qui  n'admet  guère  plus 
les  principes  rationnels  et  innés  de  l'intelli- 
gence. 

La  logique  n'est  donc  en  premier  lieu  qu'une 
application  de  la  psychologie.  A  mesure  que  le 
psychologue  avance  dans  l'étude  théorique  des 
phénomènes  de  l'esprit,  le  logicien  progresse  et 
devient  plus  capable  de  déterminer  les  lois  géné- 
rales de  la  pensée.  A  coup  sûr,  il  ne  faut  pas  que 
la  logique  soit  le  tableau  réel,  dos  tâtonnements, 
des  incertitudes,  des  erreurs  de  l'esprit,  pas  plus 
que  la  morale  proprement  dite  ne  peut  être  l'i- 
,mage  fidèle  des  mœurs  des  hommes,  esquissée  à 
la  façon  des  La  Bruyère  ou  des  La  Rochefoucauld, 
Mais  la  logique  ne  perdra  pas  son  caractère  idéal 
et  absolu,  parce  qu'elle  aura  appris  à  l'école  de  la 
psychologie  de  quelle  manière  la  pensée  se  ma- 
nifeste et  se  produit.  Y  a  t-il  même  pour  elle  un 
autre  moyen  d'acquérir  cette  connaissance  de 
l'entendement,  qui  est  son  principal  objet? L'exer- 
cice réel  des  opérations  intellectuelles  convena- 
blement dirigées  n'est-il  donc  pas  précisément  la 
même  chose  que  leur  exercice  iiécessarve  ?  La 
logique  a-t-elle  autre  chose  à  faire  qu'à  transcrire, 
comme  règles  et  lois  formelles,  les  applications  con 
crêtes  que  fait  sans  cesse  de  son  entendement,  non 
pas  seulement  l'homme  de  science,  mais  le  vulgaire 
lui-même'? 

Mais  si  la  logique  a  beaucoup  à  gagner  à  se 
rapprocher  de  la  psychologie,  si  elle  s'est  accrue 
sans  cesse  grâce  au\  progrès  des  études  psycholo- 
giques ,  ce  n'est  pas  seulement  à  cette  source 
qu'elle  s'alimente  et  s'enrichit;  elle  progresse  avec 
les  sciences  elles-mêmes.  En  d'autres  termes,  ce 
n'est  pas  seulement  l'esprit  considéré  dans  son 
fonds  éternel  et  immuable,  c'est  aussi  l'esprit  ap- 
pliqué aux  diverses  recherches  particulières  de  la 
science,  qui  inspire  et  qui  guide  le  logicien.  Il  en 
est  de  la  logique  comme  de  la  rhétorique  et 
de  la  poétique.  On  peut  sans  doute  déterminer 
en  partie  les  lois  de  la  rhétorique  et  de  la  poéti- 
que, par  une  considération  abstraite  de  la  nature 
humaine  :  on  ne  peut  cependant  compléter  ces 
arts  et  les  mener  à  leur  point  de  perfection,  sans 
étudier  les  oeuvres  des  orateurs  et  des  poète*  les 
plus  distingués.  De  même  la  logique  se  perfec- 
tionne et  se  développe  tous  les  jours  par  l'examen 
attentif  de  l'oeuvre  des  grands  savants.  Il  ne  peut 
y  avoir  de  nouvelle  science  l'ondée,  ni  de  nouvelle 
méthode  employée,  sans  qu'aussitôt  il  n'y  ait  lieu 
d'ajouter  un  chapitre  nouveau  à  la  logique,  et  de 
décrire  de  nouvelles  formesde  la  pensée.  Quelque- 
fois, et  grâce  à  la  divination  pénétrante  d'un  Bacon, 
la  logique  devancera  le  travail  de  la  science.  D'au- 
tres fois  et  le  plus  souvent,  comme  par  exemple 
pour  la  méthode  expérimentale  appliquée  par 
Claude  liernard  à  la  physiologie,  ce  sont  les  dé- 
couvertes des  savants  qui  précéderont  et  iiispire- 
ront  les  réflexions  du  logicien.  Descartes  na  écrit 
son  Dicouis  de  lo  iiiétlioilf,  qu'après  avoir  appli- 
qué lui-même  dans  ses  travaux  scientifiques  les 
principes  logiques  qu'il  y  recommande  ;  le»  Hèyles 
jihilosopliiqups  {lieyidœ  ii/iilO'Op/imii/i)  de  Newton 
ne  sont  que  le  résumé  de  ce  que  ce  grand  mathé- 
malicien  avait  fait  pour  découvrir  et  établir  la  loi 
de  la  gravitation  universelle  :  l'illustre  astronome 
Herechell  a  consacré  une  partie  considérable  de 
son  Discours  sur  t'élud-  d-  la  plii  osoplàe  nutu- 
rrlle  à  exposer  les  règles  d'après  lesquelles  il  avait 
dirigé  ses  propres  études.  Enfin  la  logique  indue 
tive,  telle  que  l'ont  organisée  de  nos  jours  les  écri- 
vains anglais  VVIiewell,  S^tuart  Mill,  .M.  Bain,  n'a 
été  possible  que  parce  que  de  grandes  découvertes 
ijiductives  ont  signalé  le  travail  scieniifique  des 
derniers  siècles.  La  logique  n'est  donc  pas  seule- 


ment une  quintessence  de  la  psychologie,  elle  est 
aussi  la  synthèse  de  la  science. 

La  logique  est  donc  éminemment  perfectible,  et 
l'on  s'étonne  que  Kant  ait  écrit  :  n  Depuis  Aristote 
la  logique  n'a  pas  beaucoup  gagné  quant  au  fond, 
et  même  elie  ne  peut  gagner  beaucoup  à  cet  égard. >■ 
Il  est  vrai  qu'il  ajoutait  :  «  Mais  elle  peut  très  bien 
acquérir  en  exdctitwle,  en  précision  et  en  clarté.  >■ 
Il  faut  aller  plus  loin  que  liant,  et  reconnaître 
que  depuis  les  Analytiques  d'Aristote,  ou,  ce  qui 
revient  au  même,  depuis  la  fin  de  la  scolastique, 
la  logique  a  singulièrement  agrandi  son  domaine 
et  renouvelé  ses  théories. 

Même  le  syllogisme  a  été  en  quelque  sorte  ra- 
jeimi  et  sa  théorie  renouvelée.  Oji  a  appliqué  des 
symboles  numériques  et  des  signes  algébriques 
(voir  les  travaux  des  logiciens  anglais  De  Morgan  et 
Boole)  à  l'expression  des  notions  et  dos  proposi- 
tions. La  Logique  de  Port-Royal  ne  comptait  que 
dix-neuf  modes  concluants  de  syllogismes  ;  Hamil- 
ton,  le  philosophe  anglais,  en  exigeant  que  dans 
les  propositions  la  quantité  du  prédicat  fût  dé- 
terminée aussi  exactement  que  celle  du  sujet,  a 
accru  le  nombre  des  formes  fondamentales  et  des 
modes  possibles  au  point  que,  dans  une  de  ses 
listes,  il  les  énumère  au  nombre  de  cent  huit. 
Certes  nous  sommes  loin  de  nous  figurer  qu'on  ait 
reculé  les  bornes  de  l'esprit  humain  en  doublant 
ou  en  triplant  le  nombre  des  syllogismes  concluants; 
mais  nous  croyons  qu'il  y  a  quelque  progrès  spé- 
culatif, sinon  quelque  profit  pratique,  à  déterminer 
avec  plus  d'exactitude  les  conditions  de  la  pensée 
et  du  riiisonnement  déductif. 

D'autre  part  la  logique  inductive  a  été  créée  do 
tontes  pièces,  non  pas  seulement  par  Bacon,  dont 
les  intuitions  pourtant  si  clairvoyantes  ont  aujour- 
d'hui un  peu  vieilli,  mais  par  des  savants  qui, 
tels  que  Newton  et  Herschell,  ont  éprouvé  par 
leurs  découvertes  les  méthodes  expérimentales  ; 
et  aussi  par  des  généralisateurs  comme  Stuart 
Mill,  qui,  venus  après  les  grands  progrès  de  la 
science,  n'ont  eu  qu'à  résumer,  à  formuler  en  lois 
le  travail  scientifique  des  derniers  siècles.  Com- 
inent  nier  après  cela  la  possibilité  du  renouvelle- 
ment et  du  progrès  des  études  logiques?  Ce  n'est 
pas  qu'en  reconnaissant  les  accroissements  de  la 
logique  on  veuille  lui  contester  la  fixité  immuable 
de  ses  principes,  pas  plus  qu'on  ne  songe  à  nier 
l'éternelle  vérité  de  la  géométrie,  en  refusant  do 
l'étudier  dans  Euclide.  Mais  que  dirait-on,  par 
exemple,  d'une  poétique  qui.  composée  du  temps 
d'Homère,  ne  traiterait  que  de  la  poésie  épique  et 
ignorerait  les  autres  formes  de  la  poésie?  Ne  fau- 
drait-il pas  juger  de  même  une  logique,  qui,  après 
les  grands  eflbrts  et  les  grands  succès  de  la  mé- 
thode inductive,  telle  que  la  science  la  pratique 
depuis  Bacon  et  son  Sovum  OrgahUm,  voudrait  en 
demeurer  à  l'étude  du  syllogisme  et  à  VUrganon 
d'Aristote? 

3"  Divi'ion  de  la  logique.  —  Aristote  et  après 
lui  la  Logique  de  Port-liogal  divisaient  la  logique 
en  quatre  parties  :  d'abord  la  théorie  des  éléments 
de  la  proposition,  c'est-à-dire  des  idées;  puis  la 
théorie  de  la  proposition  elle-même;  en  troisième 
lieu  l'étude  du  raisonnement  que  forment  des 
propositions  unies  entre  elles  par  certaines  lois; 
enfin  l'étude  de  la  démonstration  ou  de  la  mé- 
thode en  général.  Aujourd'hui  cet  ordre  n'est 
plus  respecté.  Chaque  logicien  dispose  à  son  gré  et 
avec  la  plus  entière  indépendance  les  matières  de 
la  logique.  Ain-i  Stuart -Mill  divise  son  ouvrage  en 
six  livres:  1"  les  m-nts  et  les  propositions  ;  2°  le 
rai'Oimemeid;  :t'>  Vinduclion;  4°  les  opérulùms 
aurdirrirts  de  l'induclion  ;  5"  les  sophisiiies  ;  0°  la 
logique  des  sciences  morales.  Il  y  aurait  beaucoup 
à  dire  contre  cette  distribution  des  parties  de  la 
logique,  comme  aussi  contre  la  division  adoptée 
par  AL  liain  et  qui  est  sur  certains  points  aualo 


LOGIQUE 


—  1201  — 


LOGIQUE 


gue  à  la  précédente.  La  logique  de  M.  Bain  com- 
prend six  livres  :  I"  Les  mots,  les  idées,  les  pro- 
po!'itions;  T  la  déiluctiun;  3°  Vimluction;  i°  la 
difhiitkm;  5"  la  lor/iijue  des  sdences;  G°  /es  so- 
pliismes.  Ce  qu'il  faut  retenir  de  cos  essais  re- 
marquables, c'est  que  la  logique  doit  6tre  désor- 
mais divisée  en  deux  grandes  parties,  la  laç/ique 
iniluct'we  et  la  loijique  diii/uctive,  —  celle  où  l'on 
traite  des  divers  procédés  qui  conduisent  l'esprit 
des  faits  particuliers  aux  vérités  générales,  et 
celle  où  sont  étudiées  les  lois  du  raisonnement 
inverse  qui  nous  mène  des  véi'ités  générales  pré- 
cédemment établies  aux  cas  particuliers.  Sans 
doute  on  peut  croire  que  la  diversité  apparente 
de  l'induction  et  de  la  déduction  ne  détruit  pas 
l'unité  dos  opérations  logiques,  et  qu'il  est  permis 
de  résoudre  cette  antinomie  créée  par  l'opposi- 
tion des  deux  formes  du  raisonnement;  mais  mal- 
gré tous  les  efforts  qu'on  pourra  faire  pour  ra- 
mener l'induction  k  la  déduction,  ou  la  déduction 
à  l'induction,  il  n'en  restera  pas  moins  nécessaire 
d'étudier  à  part,  dans  leurs  caractères  spéciaux  et 
distinctifs,  ces  deux  grandes  formes  de  la  pensée, 
ces  deux  mouvements  inverses  du  raisonnement 
humain . 

Cette  division  fondamentale  une  fois  indiquée, 
il  faut  en  signaler  une  autre,  celle  de  la  logique 
ijénérale,  qui  étudiera  en  eux-mêmes  les  procodés 
du  raisonnement,  et  la  logique  appliquée,  qui  sui- 
vra dans  les  sciences  le  développement  pratique 
de  ces  procédés. 

Enfin  on  pourrait  encore  distinguer  la  logique 
positive,  qui  donne  des  lois  pour  la  recherche  de 
la  vérité,  de  la  logique  négative,  qui  démasque 
l'erreur.  Les  formes  régulières  du  raisonnement 
•une  fois  connues,  il  est  nécessaire  d'étudier  les 
formes  incorrectes,  les  paralogismes  et  les  so- 
phismes. 

Ajoutons  q>ic  le  postulat  de  la  logique  étant 
l'existence  de  la  vérité  et  la  possibilité  de  la  con- 
naître, il  ne  sera  pas  inutile,  au  début  des  études  lo- 
giques, de  consacrer  quelques  chapitres  prélimi- 
naires à  ces  questions  :  Y  a-t-il  de  la  certitude  7 
Pourquoi  doit-on  repousser  les  arguments  du 
scepticisme?  La  réfutation  du  scepticisme  est 
«omme  la  préface  de  toute  logique  complète. 

D'après  cola,  on  peut  juger  des  imperfections  de 
'la  Logique  de  Port-Poi/ul,  le  seul  texte  français 
que  nous  ayons  encore  à  mettre  entre  les  mains 
■des  élèves.  Sans  doute,  il  y  a  dans  l'œuvre  de 
Nicole  et  d'Arnauld  des  parties  durables,  de  fines 
réftexions  morales  sur  les  égarements  de  l'amour- 
propre,  sur  les  sophismes,  etc.  ;  mais  il  y  a  aussi 
des  parties  vieillies,  et  surtout  des  lacunes  consi- 
dérables. Ainsi,  le  mot  induction  n'est  prononcé 
qu'une  fois  dans  la  Logique,  de  Port-lioyal,  et 
seulement  par  une  étrange  distraction  i  propos 
des  sophismes  ou  des  faux  raisonnements.  On  ne 
s'explique  pas  que  l'induction,  sur  laquelle  Ar- 
nauld  garde  un  silence  absolu  quand  il  s'agit 
d'analyser  les  procédés  réguliers  et  légitimes  du 
raisonnement,  apparaisse  inopinément  parmi  les 
sources  d'erreurs.  Le  plus  étrange,  c'est  que 
Port-Royal  savait  parfaitement  que'  «  toutes  nos 
connaissances  commencent  par  l'induction,  parce 
que  les  choses  singulières  se  présentent  avant  les 
universelles.  »  Mais  la  force  de  l'habitude  et  l'au- 
torité de  la  tradition  condamnaient  encore  les 
esprits  les  plus  pénétrants  du  dix-septième  siècle 
à  respecter  les  limites  étroites  de  la  logique  dé- 
■ductive. 

Aujourd'hui,  ce  défaut  n'est  plus  a,  craindre  :  ce 
serait  plutôt  le  défaut  opposé.  Le  syllogisme,  qui 
était  le  tout  de  la  vieille  logique,  semble  n'être 
plus  rien  dans  certaines  logiques  modernes,  qui 
le  traitent  de  solennelle  futilité.  Il  ne  faudrait  pas 
oublier  cependant  que  le  syllogisme  est  l'expres- 
sion   parfaite    du   raisonnement   déductif.   Pour 

V  PAMIE. 


avoir  embrassé  dans  son  domaine  plus  vaste  et  plus 
compréhensif  l'étude  des  règles  de  l'induction,  la 
logique  ne  doit  pas  oublier  cette  autre  partie  de 
sa  tâche,  la  déduction.  Ne  partageons  pas  le  dé- 
dain trop  répandu  de  nos  jours  pour  l'art  syllo- 
gistique,  dédain  qui  veut  se  donner  les  airs  d'une 
plus  grande  force  d'esprit,  mais  qui  n'est  au  fond 
qu'une  paresse,  une  vaine  délicatesse  intellec- 
tuelle. Sans  doute,  on  comprend  qu'au  dix-sep- 
tième siècle,  au  sortir  de  cette  longue  période  où 
des  logiciens  formalistes  excluaient  de  leur  science 
tout  ce  qui  ne  se  rapportait  pas  directement  à  la 
théorie  du  syllogisme,  Bacon,  le  logicien  de  l'in- 
duction, se  soit  laissé  aller  à  répéter  le  cri  d'impa- 
tience qui  échappait  déjà  à  saint  Ambroise  :  A 
dialectica  Aristoielis  libéra  nos,  Domine,  «  Délivre- 
nous,  Seigneur,  de  la  dialectique  d'Aristote.  »  Mais 
aujourd'hui  que  la  pensée  est  affranchie  de  la 
tyrannie  du  syllogisme  et  qu'on  n'a  plus  à  craindre 
l'abus  de  cette  forme  de  raisonnement,  il  importe 
que  le  logicien  analyse  avec  soin  les  diverses 
formes  syllogistiques.  Alors  même  qu'il  serait 
vrai  de  dire  avec  un  ancien  que  «  ceux  qui  s'en- 
ferment dans  la  dialectique  peuvent  être  comparés 
aux  mangeurs  d'écrevisses  qui,  pour  une  bouchée 
de  chair,  perdent  leur  temps  sur  un  monceau 
d'écaillés,  n  nous  estimerions  encore  que  cette 
substance  excellente,  contenue  au  fond  de  la  dia- 
lectique, mérite  que,  pour  arriver  jusqu'à  elle,  on 
passe  par-dessus  les  difficultés  qui  la  hérissent. 
En  résumé,  le  logicien  moderne  doit  se  proposer 
pour  but  de  réconcilier  et  d'associer  la  logique  dé- 
ductive  d'Aristote  et  la  logique  inductivede  Bacon. 
Ce  qui  n'est  pas  moins  important,  c'est  de  con- 
sidérer que  la  logique  reste  incomplète  si  elle  se 
contente  de  se  tenir  sur  les  hauteurs  de  la  philo- 
sophie générale,  si  elle  ne  se  préoccupe  pas  de 
descendre  aux  applications,  d'être  enfin  une  logi- 
que élémentaire  et  pratique. 

C'est  pour  cette  raison  que  la  logique  doit  élar- 
gir de  plus  en  plus  la  place  qu'elle  a  toujours  ac- 
cordée à  l'étude  des  diverses  méthodes  scienti- 
fiques. Dans  les  traités  modernes  cette  partie  est 
très  développée.  Ainsi  la  Logique  de  M.  Bain  con- 
sacre plus  de  trois  cents  pages  à,  la  logique  des  di- 
verses sciences  :  mathématiques,  physique,  chimie, 
biologie,  psychologie,  sciences  de  classification, 
sciences  pratiques,  telles  que  la  politique  et  la 
médecine.  Nous  trouvons  là  une  logique  réelle  et 
technique  qui  suit  pied  à  pied  les  sciences  dans 
leurs  démarches,  s'ajustant  à  tous  leurs  contours, 
serrant  de  près  tous  leurs  progrès,  afin  d'en  extraire 
la  substance  et  de  nous  présenter,  dans  une  série 
de  tableaux,  les  moyens  dont  dispose  l'esprit  hu- 
main pour  faire  face  à  la  diversité  des  problè- 
mes scientifiques.  Ces  études  de  logique  appliquée, 
outre  qu'elles  peuvent  fournir  aux  savants  de  pro- 
fession des  indications  utiles,  ont  encore  pour 
résultat  de  contribuer  à  cette  culture  géiiérale  de 
l'esprit,  qui  est  le  but  principal  de  l'éducation. 

4°  Utilité  de  la  logique.  —L'utilité  de  la  logique 
ne  saurait  être  contestée.  Sans  doute,  on  devient 
souvent  un  savant  sans  le  secours  de  la  logique, 
mais  avec  l'aide  de  la  logique  on  le  deviendrait 
plus  commodément  et  plus  fréquemment.  Un  au- 
teur anglais,  M.  Galton,  qui  applique  ingénieuse- 
ment la  statistique  aux  questions  morales,  a  ouvert 
dans  ces  derniers  temps  une  enquête  sur  les  con- 
ditions du  génie  scientifique,  sur  l'éducation  et  le 
régime  intellectuel  qui  conviennent  à  la  jeunesse 
de»  futurs  savants  :  parmi  les  témoignages  qu'il  a 
recueillis,  il  y  en  a  un  grand  nombre  dont  les  au- 
teurs i-cconnaissent  ce  qu'ils  ont  dû  à  l'étude  de  la 
logique. 

Mais  ce  n'est  pas  seulement  le  savant,   c'est 
l'homme  le  plus  humble  et  le  plus  modeste  qui, 
pour  bien  conduire  ses  jugements  dans  la  vie  pra- 
tique, a  besoin  de  s'être  exercé  à  la  dialectique, 
76 


LONGITUDE 


—  120i  — 


LOUIS 


d'avoir  réfléchi  sur  les  conditions  de  la  vérité. 
Sans  doute  le  raisonnement  humain  est  naturelle- 
ment droit:  mais  il  est  exposé  cependant  à  tomber 
dans  bien  des  pièges.  L"ne  étude  attentive  de  la 
logique,  outre  qu'elle  fortifiera  la  lectitude  natu- 
relle de  nos  facultés  de  jugement,  nous  mettra  en 
garde  contre  les  principaux  écueils  où  peut  aller 
échouer  notre  raison.  Rien  de  plus  utile,  par 
exemple ,  que  l'examen  et  l'analyse  des  formes 
principales  du  sophisme,  c'est-à-dire  de  ces  rai- 
sonnements captieux  qui  servent  de  point  de  dé- 
pan  à  la  plupart  des  préjugés  et  des  superstitions 
de  l'humanité. 

Ainsi,  outre  l'influence  positive  qu'elle  exerce 
^ur  les  progrès  réels  de  la  vérité,  sur  les  grandes 
découvertes  scientifiques,  la  logique  a  aussi  pour 
résultat  de  «  dégager  le  cerveau,  de  nettoyer  la 
tête,  11  selon  l'expression  de  Hegel,  c'est-à-dire  de 
réduire  le  nombre  des  erreurs,  de  dissiper  les 
chimères  et  les  fantômes,  d'empêcher  les  écarts  de 
l'esprit.  De  même  que  l'étude  sérieuse  de  la  poé- 
tique et  de  ses  lois  nous  débarrasserait  des  faux 
poètes,  soit  en  les  décourageant,  soit  en  les  ren- 
dant meilleurs,  de  même  la  connaissance  appro- 
fondie de  la  logique  aurait  tout  au  moins  l'avantage 
de  diminuer  le  nombre  des  faux  savants.  Les 
aberrations  de  l'esprit  de  système,  les  concep- 
tions irréfléchies  de  l'imagination,  les  utopies 
sociales,  les  préjugés  et  la  superstition,  en  un  mot 
la  déraison  sous  toutes  ses  espèces  et  sous  toutes 
ses  formes,  tout  cela  nous  serait  épargné  en  partie, 
si  tous  ceux  qui  se  mêlent  de  penser  et  d'écrire 
avaient  d'abord  soumis  leur  esprit  à  la  sévère  dis- 
cipline de  la  logique. 

On  ne  saurait  donc  trop  recommander  l'étude  de 
la  logique,  et  protester  contre  le  discrédit  où  elle 
semble  tombée.  L'irréflexion  le  plus  souvent, 
quelquefois  l'esprit  de  système,  ont  admis  et  pro- 
pagé nous  ne  savons  quel  dédain  de  la  logique.  De 
plus  en  plus  on  s'imagine  que  la  pensée  émancipée 
n'a  pas  besoin  de  s'astreindre  à  des  règles,  que  la 
meilleure  logique,  c'est  le  talent,  le  tempéra- 
ment. Les  politiques  répètent  volontiers  ce  lieu 
commun,  que  les  hommes  des  sociétés  modernes 
songent  plutôt  à  revendiquer  leurs  droits  qu'à  prati- 
quer leurs  devoirs.  Les  savants  pourraient  avec 
quelque  raison  faire  entendre  des  plaintes  analo- 
gues. La  liberté  de  penser,  qui  est  le  droit,  tout 
le  monde  la  réclame  avec  raison  :  mais  la  logique 
qui  est  le  devoir,  le  devoir  d'user  d'après  les  règles 
de  la  pensée  libre,  trop  peu  de  gens  se  soucient 
d'en  apprendre  les  lois.        [Gabriel  Compayré.] 

Parmi  les  ouvrages  à  consulter  sur  la  logique,  iious  si- 
gnalerons surtout  :  VOrganon  d'Aristote,  ie  iVovum  orga- 
nuniit  Bacon,  la  Logique  de  Port-Royal  ;  et  au  premier  rang 
des  ouvrages  modernes,  les  Essais' sur  tes  fondements  de 
nos  eoruiaissauces^  par  Cournot,  ISal;  divers  essais  de  sa- 
vants français  contemporains:  la  Méthode  dans  tes  sciences 
de  raisonnement,  de  M.  Duhamel  ;  la  Philosophie  chimique, 
de  M.  Dumas  ;  V Introduction  à  la  médecine  expérimentale, 
de  M.  Claude  Bernard  ;  enfin,  le  Système  de  logiqne  de 
Stuart  Mill  (traduction  française  de  Louis  Peisse,  1866):  la 
Logique  tléànctive  et  inductive  d'Alexandre  Bain  (traduc- 
tion française  de  Gabriel  t.ompayré,  1875). 

LONGITUDE.  —  V.  Latitude,  Longitude. 

LOTIIAIKI:.  —  Nom  de  divers  souverains  dont 
les  principaux  sont  mentionnés  ci-dessous  : 
1°  Fumille  cnrlovingienne,  branche  ainée. 

iothaire  I",  —  Histoire  générale,  XVIII,  — 
fils  aine  de  Louis  le  Débonnaire,  fut  associé  à 
l'empire  dès  817;  se  révolta  plusieurs  fois  contre 
son  père;  puis  fut  en  lutte  avec  ses  frères,  Louis 
le  Germanique  et  Charles  le  Chauve,  qui  ne  vou- 
laient pas  reconnaître  sa  suprématie.  Le  traité  de 
Verdun  (84  3)  lui  assura,  avec  la  couronne  impé- 
riale, la  possession  de  l'Italie,  de  l'Helvétie,  de  la 
région  à  l'est  du  Rhône  et  de  la  Saône,  et  du 
territoire  situé  entre  la  Meuse  et  le  Rhin.  Il  mou- 


rut en  855,  et  ses  États  furent  partagés  entre  ses 
trois  fils. 

Lothaire  II,  —  Histoire  générale,  XVIII,  — 
second  fils  de  Lotliaire  I",  reçut  pour  sa  part 
d'héritage  le  pays  entre  la  Meuse  et  le  Rhin,  qui 
prit  de  lui  le  nom  de  Lotharingie  ou  Lorraine. 
A  sa  mort  (869),  la  Lorraine  fut  partagée  entre 
Charles  le  Chauve  et  Louis  le  Germanique. 

2°  Famille  carlovimjieiine,  branche  cadette. 

Lothaire,  —  Histoire  de  Fiance,  VII,  —  fils  de 
Louis  IV  d'Outremer,  succéda  à  son  père  en  954. 
u  Roi  sans  territoire,  sans  soldats,  sans  finances, 
il  lutta  vainement,  durant  trenle-deux  années, 
contre  la  féodalité  déjà  toute-puissante  »  (Bordier 
et  Charton).  Le  plus  redoutable  de  ses  grands 
vassaux  était  Hugues Capet,  fils  de  Hugues  le  Grand, 
duc  de  France  et  futur  fondateur  d'une  nouvelle 
dynastie.  Lothaire  mourut  en  986,  laissant  la 
couronne  à  son  fils  Louis  V,  qui  fut  le  dernier 
des  Carlovingiens  de  France. 

3°  Allemagne. 

Lothaire  de  Saxe,  —    Histoire   générale,   XIX, 

—  d'abord  duc  de  Saxo,  fut  élu  roi  de  Germani» 
en  ir.'5,  à  la  mort  de  Henri  V  de  Franconie.  Son 
règne,  qui  s'intercale  entre  l'extinction  de  la  mai- 
son de  Franconie  et  l'avènement  de  la  maison  de 
Souabe,  n'oft're  pas  d'événements  importants. 
Après  s'être  fait  couronner  empereur  en  1133,  il 
mourut  en  113"  pendant  une  expédition  en  Italie. 

LOUI.S.  —  Nom  d'un  grand  notubre  de  rois  de 
France,  et  de  plusieurs  empereurs  d'Occident  ou 
d'Allemagne.  Nous  consacrons  ci-dessous  une  no- 
tice à  chacun  de  ces  souverains,  en  donnant  les 
développements  nécessaires  au  récit  des  règnes 
les  plus  importants. 

1°  Rois  de  France. 
Louis  I"'.  —  V.  Louis  le  Débonnaire,  empereur. 
Louis  II  le  Bègue,  —  Histoire  de  France,  VI, 

—  fils  de  Charles  le  Chauve,  lui  succéda  en  877. 
Son  règne  ne  dura  que  deux  ans.  Louis  le  Bègue 
dut  confirmer  le  capitulaire  de  Kiersy,  par  lequel 
son  père  avait  reconnu  l'hérédité  des  fiefs  et  con- 
sacré l'organisation  de  la  féodalité.  11  mourut  en 
S79. 

Louis  III,  —  Histoire  de  France,  VI,  —  fils 
aîné  de  Louis  le  Bègue,  lui  succéda  et  partagea 
l'héritage  paternel  avec  son  frère  Carloman.  Les 
deux  rois  guerroyèrent  contre  Boson,  roi  d'Arles, 
et  contre  les  Normands  qui  ravageaient  la  France 
du  nord-ouest.  Louis  battit  ces  derniers  à  Saucourt 
en  Picardie,  et  accorda  ensuite  à  l'un  de  leurs  chefs 
les  plus  fameux,  le  pirate  Hastings,  l'investiture 
du  comté  de  Chartres.  11  mourut  en  882.  Carloman, 
resté  seul  roi.  continua  à  lutter  contre  les  Nor- 
mands, et  mourut  deux  ans  après  son  frère. 

Louis  Vf  d'Outremer,  —  Histoire  de  France, 
VII,  —  fils  de  Cliarles  le  Simple,  fut  appelé  au 
trône  en  936  par  Hugues  le  Grand,  duc  de  France, 
qui  le  fit  revenir  d'Angleterre  où  la  mère  de  Louis 
avait  emmené  ce  prince  pour  le  soustraire  à  ses  en- 
nemis pendant  lerègne  de  Raoul.  Mais  il  n'eutqu'un 
pouvoir  nominal,  car  les  seigneurs  étaient  souve- 
rains sur  leurs  terres,  et  le  domaine  royal  ne  com- 
prenait plus  que  quelques  villes.  Louis  fut  en 
guerre  avec  Uthoii  I",  roi  de  Germanie,  dont  il  avait 
épousé  la  sœur,  et  qui  s'empara  de  la  Lorraine  ; 
il  eut  aussi  à  lutter  à  plusieurs  reprises  contre 
Hugues  de  France  et  divers  autres  vassaux  puis- 
sants. Dans  une  guerre  contre  le  duc  de  Norman- 
die, il  fut  fait  prisonnier,  et  resta  un  an  en  capti- 
vité. Il  ne  recouvra  la  liberté  qu'en  cédant  à  Hu- 
gues le  Grand  Laon,  la  seule  ville  qu'il  possédât 
encore.  Le  roi  Othon  et  le  pape  se  déclarèrent 
alors  en  sa  faveur;  il  réussit  à  reprendre  Laoïi, 
et  à  se  faire  reconnaître  par  les  seigneurs  d'Aqui- 


LOUIS 


1203 


LOUIS 


tainc.  Mais  la  mort  l'arrêta  inopinément   dans  sa 
luiti:  contn;  Hugues  ('Jii).  Son  fils  LoiJiairo  *  lui 
succ(5da. 
Louis  V  le  Fainéant,  —  Histoire  de  France,  VIT, 

—  lils  et  successeur  do  Lotiiaire  (OSG),  se  trouva 
comme  son  père  isoli!  et  sans  force  au  milieu 
d'unes  féodalité  belliqueuse,  dont  Hugues  C.apet* 
était  le  représ<'ntant  le  plus  puissant.  En  dépit  du 
surnom  que  lui  ont  donné  des  chroniqueurs  lios- 
tiles,  ce  prince  montra  de  l'énergie  ;  mais  il  mou- 
rut au  bout  d'un  an  de  règne,  à  peine  âgé  de 
vingt  ans,  empoisonné,  dit-on,  par  sa  femme  la 
reine  Blanche.  Avec  lui  s'éteignait  la  dynastie 
carlovingienne.  Hugues  Capet,  qui  n'avait  pas  été 
étranger  à  la  mort  de  Louis,  se  fit  donner  la 
couronne. 

Louis  VI  le  Gros,  —  Histoire  de  Franco,  IX,  — 
fils  et  successeur  de  Pliilippe  I"',  régna  de  1 108  à 
1137.  Par  son  activité  incessante  et  son  habileté, 
grâce  aussi  au  concours  de  l'Eglise,  la  royauté, 
jusqu'alors  sans  prestige  et  sans  force  au  milieu 
du  monde  féodal,  commença  à  devenir  une  puis- 
sance réelle.  Louis  sut  obliger  les  seigneurs  à  recon  ■ 
naître  la  juridiction  de  la  cour  royale,  et  réprima 
souvent  les  brigandages  des  barons  féodaux.  Le 
mouvement  des  communes  agitait  la  France 
du  nord,  et  maint  seigneur  était  forcé  de  concé- 
der des  chartes  aux  villes  de  son  domaine  :  Louis 
intervint  quelquefois  dans  les  querelles  entre 
bourgeois  et  nobles  ;  mais  ce  fut  seulement  pour 
tirer  le  plus  d'argent  possible  des  deux  partis 
en  lutte ,  et  c'est  il  tort  qu'on  l'a  représenté 
comme  le  protecteur  des  communes  :  il  ne  per- 
mit pas  qu'il  s'en  établit  sur  son  domaine  personnel, 
et  se  borna  h  donner  aux  villes  qui  relevaient 
directement  du  roi,  comme  Paris  et  Orléans, 
quelques  privilèges,  mais  point  de  charte  (V.  Com- 
mune!:, p.  409).  A  plusieurs  reprises,  il  fut  en 
guerre  avec  !e  roi  d'Angleterre  Henri  I",  auquel 
il  essaya  inutilement  d'enlever  la  Normandie.  Ses 
démêlés  avec  le  duc  d'Aquitaine  au  sujet  de  la 
querelle  du  comte  d'Auvergne  et  de  l'évèque  de 
Clermont,  avec  l'empereur  d'Allemagne  Henri  V, 
allié  du  roi  d'Angleterre,  avec  les  villes  flamandes, 
accrurent  l'influence  de  la  royauté  française.  Le 
dernier  acte  de  son  règne  fut  la  conclusion  du 
mariage  de  son  fils  Louis  avec  l'héritière  du  du- 
ché d'Aquitaine. 

Une  sorte  de  renaissance  intellectuelle  et  poli- 
tique se  produit  dans  la  France  du  nord  à  cette 
époque.  Tandis  que  les  bourgeois  des  villes  re- 
vendiquent leurs  libertés  communales,  l'Université 
de  Paris  devient,  avec  Guillaume  de  Champeaux  et 
Abélard,  un  ardent  foyer  d'enseignement  et  de 
disputes  philosophiques;  l'abbé  Suger  et  saint  Ber- 
nard font  briller  l'Eglise  d'un  vif  éclat,  l'un  par 
l'appui  qu'il  prête  au  pouvoir  royal,  l'autre  par 
l'autorité  de  sa  parole.  Le  moment  approche  où  le 
Nord,  devenu  par  la  civilisation  l'égal  du  Midi, 
pourra  lui  imposer  sa  prépondérance,  et  où  se 
constituera,  par  cette  fusion,  la  nationalité  fran- 
çaise. 

Louis  'Ville  Jeune,  —  Histoire  de  France,  IX, 

—  fils  et  successeur  de  Louis  VI,  avait  épousé 
Eléonore  do  Guyenne,  fille  du  duc  Guillaume  X 
d'Aquitaine,  qui  apportait  en  dot  au  roi  de  France 
les  provinces  du  sud-ouest  (ll37).  Prince  dévot, 
il  prit  la  croix  à  la  voix  de  saint  Bernard,  et 
partit  pour  la  Terre-Sainte  en  môme  temps  que 
l'empereur  d'Allemagne  Conrad  III  (V.  Croi- 
sades), laissant  la  régence  de  son  royaume  à 
l'abbé  Suger.  L'expédition  n'aboutit  qu'à  un  dé- 
sastre. Revenu  en  France  en  114!»,  Louis  VII,  irrité 
do  l'inconduite  de  sa  femme,  laisse  un  concile 
prononcer  le  divorce,  et  bientôt  Eléonore,  séparée 
de  son  premier  mari,  épouse  Henri  Plantagenet, 
comte  d'Anjou.  Ce  dernier,  devi-nu  ainsi  le  plus 
puissant  seigneur  do  France,  obtient  un  an  plus 


tard  la  couronne  d'Angleterre,  et  Louis  VU  voit 
se  dresser  devant  lui  un  rival  redoutable.  Ce  fut 
en  vain  que  le  roi  de  France  accueillit  Thomas 
Becket ,  archevêque  de  Cantorbéry  ,  l'ennemi 
d'Henri  Plantagenet,  et  que  plus  tard  il  soutint 
les  fils  du  roi  d'Angleterre  révoltés  contre  leur 
père  ;  il  ne  parvint  pas  à  ressaisir  les  possessions 
qu'un  divorce  impolitique  lui  avait  fait  perdre.  Il 
mourut  en  1 180. 

Louis  VIII,  —  Histoire  de  France,  IX,  —  fils 
et  successeur  de  Pliilippe-Auguste,  employa  son 
court  règne  (132:i-r.'3o;  à  atfermir  la  puissance 
royale  dans  le  Midi.  11  envahit  d'abord  l'Aqui- 
taine, qu'il  enleva  au  roi  d'Angleterre  Henri  III, 
et  se  fit  prêter  hommage  par  les  seigneurs  de  ce 
pays.  Puis,  soutenu  par  le  pape,  il  entreprit  une 
nouvelle  croisade  contre  les  Albigeois,  ou  plutôt 
contre  le  comte  de  Toulouse  Raymond  VII,  qu'il 
voulait  déposséder  :  il  conquit  Avignon,  ravagea 
le  Languedoc,  mais  dut  battre  en  retraite  sans 
avoir  pris  Toulouse.  Il  mourut  au  retour  de  cette 
expédition,  probablement  empoisonné. 

Louis  IX  ou  saint  Louis  (1226-1270).  —  His- 
toire de  France,  X.  —  Etat  du  royaume.  —  Quand 
la  mort  prématurée  du  roi  Louis  VIII  mit  sur  le 
trône  son  fils  encore  enfant,  la  royauté  capétienne 
était  déjà  forte,  mais  elle  n'était  pas  encore 
acceptée;  la  victoire  de  Bouvinos  avait  montré  le 
roi  de  France  plus  puissant  que  les  barons,  même 
appuyés  du  dehors  ;  elle  avait  assis  son  autorité 
sur  une  large  base  territoriale,  en  rendant  ses 
conquêtes  définitives  ;  et  depuis,  Louis  VIII  avait 
pu  étendre  le  domaine  au  sud  et  à  l'ouest;  mais 
si  la  féodalité  était  battue,  elle  n'était  point 
domptée  ni  désorganisée;  elle  restait  à  l'état 
d'insurrection  permanente  contre  le  pouvoir  nou- 
veau qui  ne  te  prêtait  hommage  à  personne  »  et 
voulait  se  mettre  hors  de  pair,  c'est-à-dire  au- 
dessus  de  la  société  féodale. 

Réijence  de  Dlanclie  île  Caitille  (1226-1236).  —  De 
là,  les  ligues  nombreuses  et  redoutables  qui  sa 
formèrent  contre  l'autorité  d'un  roi  mineur,  et 
dont  sa  mère.  Blanche  de  Castille,  eut  à  soutenir 
l'effort.  Par  son  énergie  et  son  habileté  quelquefois 
empreinte  de  coquetterie,  la  reine  maintint  et 
continua  l'œuvre  des  rois  précédents.  S'appuyant 
sur  le  peuple,  elle  fit  coiivo((uer  au  sacre  de  son 
fils  les  milices  bourgeoises  il 226);  et  deux  ans 
plus  tard,  c'est  encore  aux  bourgeois  de  Paris 
qu'elle  fit  appel  pour  protéger  l'enfant  royal  contre 
une  tentative  d'enlèvement  projetée  par  les  grands 
barons.  «  Depuis  Montlhéry  jusqu'à  Paris,  le  che- 
min était  plein,  des  deux  côtés,  de  gens  d'armes 
ot  autres,  qui  priaient  à  haute  voix  Notre-Sei- 
gneur  do  donner  au  jeune  roi  bonne  vie  et  prospé- 
rité, et  de  le  garder  contre  ses  ennemis  »  (Tille- 
mont,  Histoire  (le  saint  Louis).  Elle  rompit  ainsi 
la  ligue  qui  menaçait  son  allié  le  comte  Thi- 
baut IV  de  Champagne  (1230).  Et  quand  le  versa- 
tile seigneur  fut  devenu  infidèle  à  son  tour,  elle 
lui  imposa  un  traité  sévère  (1235),  en  disant  : 
Il  Par  Dieu,  comte  Thibaut,  vous  ne  deviez  pas 
nous  être  contraire  ;  vous  deviez  bien  vous  ressou- 
venir de  la  bonté  que  vous  fit  le  roi,  mon  fils,  qui 
vint  à  votre  aide,  pour  secourir  votre  terre  contre 
tous  les  barons  do  France  qui  la  voulaient  toute 
brûler  et  mettre  en  charbon.  »  Le  comte  regarda 
la  reine  qui  était  si  sage  ot  si  belle  que  de  sa 
grande  beauté  il  fut  tout  ébahi...  De  là,  il  partit 
tout  pensif...  Et  parce  que  profondes  pensées  en- 
gendrent mélancolie,  il  lui  fut  conseillé  par 
quelques  sages  hommes  qu'il  s'étudiât  en  chan- 
sons de  vielle  et  en  doux  chants  délectables.  Si 
fit-il  les  plus  belles  chansons  et  les  plus  délec- 
tables et  les  plus  mélodieuses  qui  oncques  furent 
ouïes  »  (Chronique  de  Suint -Denis).  Quand, 
l'année  suivante  (I236>,  Blanche  de  Castille  aban- 
donna la  tutelle  du  roi,  Raymond  VII  de  Toulouse 


LOUIS 


—  1204 


LOUIS 


avait  dû  promettre  sa  fille  et  son  héritage  à  Al- 
phonse de  Poitiers,  frère  de  Louis  IX  (1229,  traité 
de  Paris)  ;  le  duc  de  Bretagne  avait  renoncé  à 
toutes  possessions  hors  de  son  duché  (123],  traité 
de  Saint-Aubin  du  Cormier)  ;  le  comte  Thibaut 
avait  cédé  au  domaine  royal  Blois,  Chartres  et 
CJiâteaudun  (1235);  le  comte  de  Provence  allait 
donner  sa  fille  et  son  comté  à  Charles  d'Anjou, 
troisième  fils  de  Louis  VIII;  enfin  le  clergé  avait 
dû  reconnaître  la  suprématie  royale,  quand  la 
reine-mère  avait  saisi  les  biens  temporels  des 
évêques  de  Rouen  et  Beauvais  pour  châtier  leur 
désobéissance. 

Saint  Louis.  —  Mais  le  service  le  plus  éminent 
que  Blanche  rendit  à  la  France  fut  de  former  le  roi 
q\ii  devint  saint  Louis.  A  dix-neuf  ans,  d'après  le 
buste  en  or  repoussé  qui  est  à  la  Sainte-Chapelle, 
"  Louis  était  beau,  d'une  beauté  fine  et  douce,  qui 
révélait  sa  grandeur  morale,  sans  annoncer  une 
grande  force  physique;  il  avait  des  traits  délicats 
et  purs,  un  teint  éclatant,  et  des  cheveux  blonds, 
abondants  et  brillants,  que,  par  sa  grand'mère 
Isabelle,  il  tenait  de  la  race  des  comtes  de  Hai- 
naut.  Il  montrait  des  goûts  vifs  et  élégants  ;  il  ai- 
mait les  divertissements,  les  jeux,  la  chasse,  les 
chiens  et  les  oiseaux  de  chasse,  les  beaux  habits, 
les  meubles  magnifiques.  »  (Guizot.)  Mais  le  fond 
de  son  caractère  était  la  piété,  la  conscience  mo- 
rale, qui  le  poussa  avant  tout  et  toujours  à  bien 
agir.  A  cet  égard,  il  n'a  pas  eu  de  supérieur  parmi 
les  princes  que  juge  l'histoire;  et  il  n'a  eu  qu'un 
égal,  Marc-Aurèle.  «  Marc-Aurèle  et  saint  Louis 
sont  peut-être  les  deux  seuls  princes  qui,  en  toute 
occasion,  aient  fait  de  leurs  croyances  morales  la 
première  règle  de  leur  conduite  ;  Marc-Aurèle 
stoïcien,  saint  Louis  chrétien.  »  (Guizot.) 

Sai7it  Louis  et  la  féodalité.  —  Mais  si  cette 
conscience  le  poussait  toujours  à  respecter  le  droit 
de  ses  adversaires,  elle  lui  fit  maintenir  le  sien 
avec  la  même  impartiale  fermeté.  Hugues  de  Lu- 
signan,  comte  de  la  Marche,  avait  épousé  la  veuve 
du  roi  Jean  d'Angleterre.  L'orgueilleuse  femme 
ne  voulut  point  subir  la  suzeraineté  du  nouveau 
comte  de  Poitiers,  Alphonse,  frère  du  roi;  Hugues 
refusa  outrageusement  l'hommage.  «  Je  te  jure 
d'un  cœur  résolu,  dit-il  au  prince,  que  je  ne  serai 
jamais  ton  homme  lige  ;  tu  as  indécemment  dérobé 
ce  comté  à  mon  beau  fils  le  comte  Richard.  >>  Puis, 
suivi  de  ses  gens,  il  sortit  de  Poitiers  au  galop 
(1241).  Henri  III  d'Angleterre  s'était  aussitôt  dé- 
claré pour  son  beau-père.  Louis  réunit  ses  vas- 
saux, et,  menant  rudement  la  guerre,  il  écrasa  la 
révolte  par  deux  victoires  au  pont  de  Taillebourg 
et  près  de  Saintes.  Le  comte  de  la  Marche  perdit 
une  partie  de  ses  terres  et  prêta  humblement 
l'hommage  pour  le  reste.  Cependant,  comme  on 
engageait  le  jeune  vainqueur  à  faire  mettre  à 
mort  un  fila  du  comte,  «  quarante  et  un  chevaliers, 
quatre-vingts  sergeants  et  autre  menuaille,  à 
grand  foison,  »  qui  avaient  longuement  défendu  le 
château  de  Fontenay  :  «  Non,  répondit-il,  l'un  n'a  pu 
se  rendre  coupable  en  obéissant  à  son  père,  ni  les 
autres  en  servant  leur  seigneur.  »  (Guillaume  de 
Nangis.) 

A-près  avoir  fait  craindre  sa  force,  saint  Louis 
voulut  montrer  sa  modération,  son  esprit  de  jus- 
tice, son  amour  de  la  paix.  «  Sa  conscience  li  re- 
mordait de  la  terre  de  Normandie  et  pour  autres 
terres  que  il  tenait,  que  li  roi  de  France,  ses 
ayeuls,  avaient  tolues  (enlevées)  au  roi  Jean  d'An- 
gleterre, dit  sans  terre..,  et  il  s'entremit  tous  jours 
([Ue  il  venait  visiter  le  roi  Henry  (fils  de  Jean) 
pour  faire  paix  à  li  pour  les  dites  terres.  «  (Guil- 
laume de  Nangis.)  La  négociation  fut  longue; 
enfin  le  traité  d'Abbeville  fut  signé  (1259),  malgré 
les  conseils  de  son  entourage  et  les  protestations 
des  Périgourdins,  «  qui  n'affectionnèrent  oncques 
imis   le  roi.  »  Saint  Louis  rendit  à  Henri  III  le 


Quercy,  l'Agenais,  le  Limousin,  la  Saintonge  raé" 
ridionale,  contre  l'abandon  de  toutes  les  prétentions 
des  Anglais  sur  leurs  autres  anciennes  possessions. 
Les  territoires  restitués  formaient  le  douaire 
d'Eléonore  de  Guyenne,  morte  seulement  en  1204 
et  qui  n'avait  pu  être  justement  frappée  par  le 
jugement  des  pairs  de  1203. 

■Toujours  fidèle  à  cette  politique  prévoyante  qui 
supprimait  d'avance  les  causes  de  guerre  par  un 
règlement  amiable,  saint  Louis  renonça  encore  à 
toutes  ses  prétentions  sur  le  Roussillon,  la  Cer- 
dagne  et  la  Catalogne  en  faveur  du  roi  d'Aragon, 
qui,  en  retour,  abdiqua  tout  droit  sur  le  Langue- 
doc et  l'Auvergne.  (Traité  de  Corbeil,  1258.) 

En  même  temps,  Louis  IX  n'oubliait  point  son 
intérêt  de  roi  ;  il  se  montrait  vigilant  à  ne  manquer 
aucune  occasion  d'étendre  ses  possessions  ;  il  fit 
renouveler  à  Raymond  VII  de  Toulouse  le  traité  de 
1229,  qui  préparait  la  réunion  du  haut  Languedoc 
au  domaine  royal;  il  acquérait  encore  en  1239  le 
comté  de  Màcon,  en  1257  celui  du  Perche,  en  1262 
ceux  d'Arles,  Forcalquier,  Foix  et  Cahors,  de 
sorte  que  ce  règne  d'un  prince  désintéressé  est 
l'un  de  ceux  qui  ont  le  plus  contribué  h  l'extension 
de  la  puissance  territoriale  des  Capétiens. 

Ascendant  de  saint  Louis  en  Europe.  —  Pen- 
dant que  la  France  et  la  royauté  unissaient  de 
plus  en  plus  leurs  destinées,  l'Europe  était  pleine 
de  troubles  et  de  contradictions.  En  Angleterre 
Henri  III  luttait  contre  les  barons;  l'Espagne 
échappait  â  peine  aux  mains  des  Maures  pour 
tomber  dans  l'anarchie  féodale  ;  surtout  l'Alle- 
magne et  l'Italie,  le  pape  et  l'empereur,  étaient 
plus  que  jamais  on  guerre  acharnée.  La  papauté, 
sous  Innocent  III  et  Innocent  IV,  avait  quitté  son 
rôle  d'arbitre  pour  exterminer  les  Albigeois  et 
détruire  Frédéric  II.  Mais  «  le  fer  est  impuissant 
contre  la  pensée  ;  c'est  plutôt  sa  nature,  à  cette 
plante  vivace,  de  croître  sous  le  fer  et  de  fleurir 
sous  l'acier.  Combien  plus,  si  le  glaive  se  trouve 
dans  la  main  qui  devait  le  moins  user  du  glaive, 
si  c'est  la  main  pacifique,  la  main  du  prêtre  !  L'E- 
glise perdant  ainsi  son  caractère,  ce  caractère  va 
passer  tout  à  l'heure  à.  un  laïque,  à  un  roi,  au 
roi  de  France.  »  (Michelet.)  Par  sa  renommée  de 
droiture  désintéressée,  saint  Louis  en  effet  deve- 
nait l'arbitre  de  l'Europe  et  le  juge  des  partis. 
C'est  lui  qui  tranche  la  querelle  des  maisons  de 
Dampierre  et  d'Avesnes  en  lutte  pour  la  Flandre 
depuis  la  mort  de  la  comtesse  Marguerite.  En 
12t)4,  Henri  III  d'Angleterre  le  prit  à  témoin  de 
son  droit  contre  ses  barons  révoltés  ;  et  Louis  IX, 
soucieux  à  la  fois  du  droit  royal  et  de  la  liberté  féo- 
dale, invita  le  roi  à  maintenir  et  les  seigneurs  à 
observer  la  grande  Charte  de  1215,  qui  contenait 
la  formule  de  leurs  prérogatives  réciproques. 
Si,  dans  la  querelle  du  sacerdoce  et  de  l'empire, 
il  ne  pouvait  arrêter  les  emportements  des  partis, 
du  moins  donnait-il  avec  fermeté  l'exemple  et  le 
conseil  d'une  modération  juste  et  désintéressée. 
Si,  en  1239,  il  rejetait  l'offre  du  pape  qui  lui  pro- 
posait la  couronne  impériale  pour  son  frère  Robert 
d'Artois,  en  1241,  il  forçait  l'empereur  à  mettre 
en  liberté  les  prélats  faits  prisonniers  au  combat  de 
Meloria;  si,  en  1244,  il  refusait  de  laisser  tenir 
en  France  le  concile  qui  excommunia  Frédéric  II, 
plus  tard  il  n'acceptait  point  l'offre  de  Naples 
pour  son  fils.  i>  Et  de  ces  gens  étrangers  qu'il 
avait  apaisés,  lui  disaient  aucuns  de  son  conseil 
que  il  ne  faisait  pas  bien  quand  il  ne  les  laissait 
guerroyer;  car  se  il  les  laissait  apauvrir,  ils  ne 
lui  courraient  pas  sus  si  tôt..  Et  à,  ce  répondait  le 
roi  que  ils  ne  disaient  pas  bien  :  car  autrement, 
par  la  haine  qu'ils  auraient  à  moi,  ils  me  viendraient 
courre  sus,  dont  je  pourrais  bien  perdre  ;  sans  la 
haine  do  Dieu  que  je  conquerrais,  qui  dit  :  Benoit 
(bénis)  soient  tous  li  apaiseurs.  »  (Joinville.) 

Croisade  de  saint  Louis.  —  La  piété  sincère 


LOUIS 


—  1205  — 


LOUIS 


ilfi  saint  Louis  ajoutait  encore  au  respect  de  ses 
contemporains.  Elle  lui  fit  entreprendre  les  deux 
dernières  croisades,  contre  les  vœux  de  sa  mère, 
de  ses  conseillers,  de  l'Eglise  mCme  que  l'insuccès 
dos  expéditions  précédentes  avait  à  la  fin  con- 
vaincue de  leur  inutilité.  La  roi  était  gravement 
malade  à  Pontoise  en  ViH  ;  «  l'une  des  dames 
qui  le  gardaient  voulait  lui  tirer  le  drap  sur  le 
visage,  disant  qu'il  était  mort  »  (Joinville),  quand 
il  fit  vœu  de  prendre  «  sur  son  épaule  la  croix 
du  voyage  d'outre-raer.  !•  Mais  lorsqu'il  voulut 
partir,  il  se  heurta  aux  prières  de  sa  mère  et  de 
ses  meilleurs  sujets.  «  Vous  dites,  répondit-il,  que 
je  n'étais  pas  en  possession  de  mon  esprit  quand 
j'ai  pris  la  croix;  eh  bien,  comme  vous  le  désirez, 
je  la  dépose,  je  vous  la  rends.  "  Tous  les  assis- 
tants se  félicitaient,  mais  le  seigneur  roi  :  «  Mes 
amis,  maintenant,  à  coup  sûr,  je  ne  manque  pas  de 
sons  ni  de  raison...  je  demande  qu'on  me  rende 
ma  croix  ;  il  n'entrera  aucun  aliment  dans  ma 
bouche  jusqu'à  ce  qu'elle  soit  replacée  sur  mon 
épaule,  n  A  ces  paroles,  tous  les  assistants  dé- 
clarèrent qu'il  y  avait  là  le  doigt  de  Dieu.  L'as- 
cendant du  saint  roi  sur  les  âmes  était  tel  que 
40,000  soldats  et  V,800  chevaliers  s'embarquèrent 
avec  lui  à  Aigues-Mortes  (1248).  «  En  bref  temps, 
le  vent  enfla  les  voiles  et  nous  enleva  si  bien  la 
vue  de  la  terre  que  nous  ne  vîmes  que  le  ciel  et 
l'eau  ;  le  vent  nous  éloigna  des  pays  où  nous  étions 
nés  ;  et  par  là  vous  fais-je  voir  que  celui-là  est 
bien  fou  hardi  qui  s'ose  mettre  en  tel  péril,  en 
péché  mortel,  car  on  s'endort  le  soir  là,  et  on  ne 
sait  si  on  ne  se  trouvera  pas  au  fond  de  la  mer  au 
matin  »  (Joinville).  Après  s'être  arrêtés  à  Chypre, 
les  croisés  arrivèrent  devant  les  murs  de  Damiette. 
«  Je  ne  suis,  dit  le  roi,  qu'un  homme  dont  la  vie 
s'évanouira  comme  celle  de  tout  autre  homme 
quand  il  plaira  à  Dieu.  Toute  issue  de  notre  en- 
treprise nous  est  bonne...  Combattons  pour  Christ. 
C'est  Christ  qui  triomphera  en  nous.  »  Et  il  sauta 
tout  armé  dans  la  mer,  pressé  d'affronter  les 
Sarrasins.  C'était  la  bravoure  d'un  chevalier  chré- 
tien, non  l'habileté  d'un  général.  Heureusement 
Damiette  effrayée  capitula  aussitôt  (1240).  Mais  on 
perdit  dans  le  gaspillage  et  l'inaction  cinq  mois 
dont  profita  le  Soudan  d'Egypte  pour  réunir  une 
armée.  Si  bien  que  les  croisés,  partis  enfin  contre 
le  Caire,  se  heurtèrent  en  désordre  aux  Musul- 
mans qui  gardaient  Mansourah.  Sans  rien  vouloir 
entendre,  Robert  d'Artois  chargea  aussitôt  avec 
quelques  chevaliers  ;  il  périt  avant  que  le  roi  pût 
accourir.  Les  croisés  gardaient  pourtant  le  champ 
de  bataille.  Mais  le  lendemain  une  innombrable 
cavalerie  vint  assaillir  le  camp  encombré  de  ma- 
lades et  de  blessés.  Egalement  incapable  d'avancer 
ou  de  reculer,  saint  Louis  dut  se  rendre  avec  les 
10,000  hommes  qui  survivaient  au  désastre  (1250). 
Les  souffrances  et  les  outrages  de  la  captivité  mi- 
rent encore  en  relief  la  hauteur  de  son  àme  et  la 
constance  de  son  courage.  Enfin  il  put  partir  en  li- 
vrant Damiette  pour  sa  rançon  et  500,000  livres  pour 
celle  de  ses  soldats.  Il  passa  encore  quatre  années 
en  Palestine,  cherchant  à  obtenir  pacifiquement  la 
délivrance  de  Jérusalem.  Il  faillit  réussir  auprès 
du  sultan  de  Damas  (12.52).  Enfin  il  dut  revenir 
en  apprenant  la  mort  de  sa  mère  (1254),  sans  avoir 
voulu  visiter  en  pèlerin  la  cité  qu'il  n'avait  pu 
affranchir  par  les  armes. 

Administration  de  saint  Louis.  —  Sous  la  ré- 
gence de  Blanche  de  Castille  (1248-54'i,  la  France 
étaitdemeurée  paisible,  troublée  un  instant  (I25I) 
seulement  par  le  soulèvement  des  Pastoureaux. 
Formées  en  Picardie,  ces  bandes  populaires  tra- 
versèrent le  pays  jusqu'à  Bourges,  sous  prétexte 
d'aller  en  Terre  Sainte  délivrer  saint  Louis,  a  Lors- 
qu'ils passaient  par  les  villages  et  les  villes,  ils 
levaient  en  l'air  leurs  masses,  leurs  haches  et  au- 
tres armes,  et  par  là  se  rendaient  si  terribles  au 


peuple  qu'il  n'y  avait  i)ersonne  assez  hardi  pour 
les  contredire  en  rien.  «  (Guillaume  de  Naiigis.) 
Bien  accueillis  de  la  régente  à  Paris,  ils  se  laissè- 
rent aller  au  pillage  et  à  la  violence.  Excommuniés 
alors,  ils  furent  dispersés,  poursuivis  et  assommés 
«  comme  des  chiens  enragés  ». 

La  paix  était  complète,  quand  saint  Louis  re- 
prit en  main  le  gouvernement;  et  désormais,  à 
l'exemple  de  son  frère  Alphonse  de  Poitiers,  le 
roi  consacra  toute  son  activité  à  la  rendre  sûre  et 
durable.  Dans  son  domaine,  il  multiplia  les  ga- 
ranties contre  les  abus  des  prévôts  que  Philippe- 
Auguste  avait  chargés  de  l'administration  finan- 
cière, judiciaire  et  militaire  ;  ces  magistrats  durent 
s'entourer  o  d'hommes  suffisants  »  pour  prononcer 
leurs  jugements  ;  ils  furent  astreints  à  ne  rien  ac- 
quérir dans  leur  ressort  pendant  la  durée  de  leur 
charge  ;  et  à  l'expiration  do  leurs  pouvoirs,  ils 
durent  rester  quarante  jours  dans  la  prévôté  pour 
que  chacun  pût  obtenir  justice  contre  eux  auprès 
de  leur  successeur  ;  d'ailleurs,  ils  étaient  surveil- 
lés par  les  baillis  royaux  ou  grands-baillis  d'A- 
miens ,  Sens ,  Màcon ,  Saint-Pierre-le-Moustier 
(Auvergne),  que  surveillaient  à  leur  tour  les  en- 
quêteurs royaux,  chargés  de  visiter  les  provinces 
et  de  redresser  les  abus.  Le  roi  lui-même  par- 
courait chaque  année  ses  domaines  pour  s'enquérir 
des  besoins  et  des  vœux  du  peuple.  «  Maintes 
fois  advint  qu'en  été  le  roi  allait  s'asseoir  au  bois 
de  Vincennes,  après  sa  messe,  et  s'accotait  à  un 
chêne,  et  nous  faisait  asseoir  autour  de  lui.  Et 
tous  ceux  qui  avaient  affaire  venaient  lui  parler 
sans  empêcliement  d'huissier  ni  d'autres  gens.  » 
(Joinville.)  En  même  temps,  il  faisait  rédiger  le 
coutumierde  l'Ile  de  France,  connu  sous  le  nom  d'J?- 
ta/jlissements  de  saint  Louis  ;  le  mariage  des  serfs 
y  fut  consacré  et  garanti,  mais  la  pénalité  y  reste 
très  rigoureuse.  La  trahison,  le  rapt,  le  vol  sur  la 
voie  publique,  le  vol  d'un  cheval  y  sont  punis  de 
mort.  Le  vol  simple  entraine  la  mutilation  (perte 
de  l'oreille  ou  du  pied).  La  police  était  donc  sé- 
vère, au  dedans  comme  au  dehors  du  domaine. 
Les  routes  devaient  être  entretenues  par  les  sei- 
gneurs ;  enfin  la  monnaie  royale,  loyalement  fixée, 
eut  cours  forcé  dans  tout  le  royaume  ;  on  voit 
gravé  surl'écude  saint  Louis  les  six  fleurs  de  lis, 
symbole  de  la  réunion  des  provinces,  avec  la 
croix  au  revers  et  la  légende  :  Ludovicus,  Dei  gra- 
nd, Fraiicorum  rex  (Louis,  par  la  grâce  de  Dieu, 
roi  des  Français). 

Hors  du  domaine,  saint  Louis  rencontrait  l'ob- 
stacle de  la  féodalité.  Homme  de  son  temps  avant 
tout,  il  ne  contesta  jamais  le  principe  du  droit  féo- 
dal. Seulement,  placé  comme  roi  à  la  tête  du  sys- 
tème, au  sommet  de  la  hiérarchie,  il  se  proposa 
pour  tâche  d'en  bannir  la  violence  et  d'y  introduire 
la  justice.  La  royauté  devint  en  ses  mains  le  pou- 
voir régulateur,  capable  d'imposer  à  tous  le  res- 
pect des  devoirs  et  des  droits  féodaux.  Par  l'ins- 
titution de  la  Quaranlaine-le-Roi,  il  contraigjiit  les 
barons  à  laisser  passer  quarante  jours,  depuis 
l'insulte,  avant  de  commencer  la  guerre  privée. 
Par  Vasseiirement,  qui  permettait  au  seigneur  atta- 
qué d'en  appeler  au  roi,  il  mit  la  puissance  royale 
au  service  du  faible,  et  changea  ainsi  la  guerre  en 
procès  ;  c'était  la  cour  du  roi  en  effet  qui  devait 
prononcer  alors  entre  les  deux  adversaires.  L'ins- 
titution des  cas  royaux,  qui  soumettait  à  sa  cour 
ou  parlement  le  jugement  de  certains  procès  rela- 
tifs au  droit  féodal,  et  celle  des  appels  à  la  justice 
royale,  subordonnèrent  nécessairement  toutes  les 
justices  féodales.  Enfin  la  suppression  du  duel  ju- 
diciaire et  l'introduction  dans  le  parlement  de  la 
preuve  par  témoins,  eurent  pour  résultat  d'éloigner 
peu  à  peu  les  seigneurs  ignorants  des  tribunaux, 
où  ils  furent  remplacés  par  les  légistes  bourgeois. 

L'ensemble  de  ces  mesures,  prises  souvent  d'ac- 
cord avec  le  conseil  des  bourgeois  des  villes,  avait 


LOUIS 


—  1206  — 


LOUIS 


pour  résultat  nécessaire  de  ruiner  la  souveraineté 
judiciaire  et  administrative  des  barons  au  profit  du 
roi,  qui,  dit  Beaumanoir,  «  devenait  souverain  par 
dessus  tout.  »  Grâce  .\  ces  lois  d'ordre  et  de  jus- 
tice, le  peuple  s'accoutumait  à  regarder  la  royauté 
comme  un  pouvoir  tutélaire  et  bienfaisant  aux. 
faibles;  la  bourgeoisie,  au  seiu  de  laquelle  le  roi 
choisissait  ses  agents  administratifs,  croissait  ra- 
pidement en  richesse  et  en  importance.  i<  Le 
royaume,  dit  Joinville,  se  multiplia  tellement  par 
la  bonne  droiture  qu'on  y  voyait  régner  que  le  do- 
maine, censive,  rente  et  revenu  du  roi  croissait 
tous  les  ans  de  moitié.  »  L'industrie  en  même 
temps  s'organisait;  pour  la  première  fois,  les  cou- 
tumes en  matière  d'industrie  et  de  commerce,  les 
attributions  des  corps  de  métiers  furent  exacte- 
ment rédigées  par  le  prévfit  des  marchands  de 
Paris,  Boylcau  (Livre  des  métiers).  L'activité  de 
la  Hanse  (Compagnie  des  bateliers)  de  la  Seine, 
les  foires  du  Landit  (près  Saint-Denis),  de  Beau- 
caire,  de  Champagne,  étaient  les  signes  manifestes 
de  la  prospérité  nouvelle  du  pays. 

Huitième  crotswie.  —  Saint  Louis  avait  désor- 
mais achevé  son  devoir  de  prince,  de  "  pasteur 
des  peujjles  ».  Le  chrétien  pouvait  songer  i.  lui- 
même.  Jamais  l'ardeur  religieuse  n'avait  été  plus 
puissante  dans  son  cœur  qu'aux  approches  de  la 
vieillesse.  C'est  cette  foi  même  qui  lui  fit  persé- 
cuter cruellement  les  juifs  et  les  blasphémateurs, 
regrettable  erreur  de  sa  vie,  qu'expliquent  sans  la 
justifier  les  idées  des  contemporains.  C'est  elle 
aussi  qui  le  poussa  à  reprendre  pour  la  dernière 
fois  la  croisade.  Excité'  par  son  frère  Charles 
d'Anjou,  que  la  victoire  de  Grandella  avait  fait  roi 
de  Naples  fl266),  Louis  IX  se  dirigea  vers  Tunis 
(ISIOj.  Sur  ce  rivage  insalubre,  les  maladies  dé- 
cimèrent aussitôt  l'armée;  l'un  des  premiers, le  roi 
prit  le  germe  de  la  mort.  Couché  sur  un  lit  de 
cendres,  il  fit  appeler  son  fils  qui  fut  Philippe  III. 
»  Beau  fils,  lui  dit-il,  la  première  chose  que  je 
t'enseigne  c'est  que  tu  mettes  ton  coeur  à  aimer 
Dieu...  Aie  le  coeur  doux  et  pitoyable  pour  les  pau- 
vres, les  chétifs,  les  malaisés,  et  les  conforte  et 
aide,  selon  ce  que  tu  pourras...  Sois  loyal  et  roide 
pour  tenir  justice  et  droit  à  tes  sujets  ;  aide  au 
droit  et  soutiens  la  querelle  du  pauvre  jusqu'à  ce 
que  la  vérité  soit  éclaircie.  »  Quelques  semaines 
après,  Pliilippe  III  rapportait  tristement  en  France 
les  restes  du  dernier  héros  du  moyen  âge,  qui 
emportait  dans  sa  tombe  l'idée  même  des  croisa- 
des (1270). 

D'autres  princes  ont  servi  le  peuple;  saint  Louis 
l'avait  aimé  !  De  là  vint  le  souvenir  plein  d'amour 
que  le  peuple  garda  longtemps  au  «  bon  roi  saint 
Louis  »,  et  dont  celui-ci  s'était  montré  si  digne, 
comme  prince  et  comme  homme.  Sa  piété  ne  le 
poussait  pas  seulement  aux  croisades;  elle  ne  se 
manifestait  pas  seulement  par  la  construction  de  la 
Sainte-Chapelle,  qu'éleva  Pierre  de  Montreuilpour 
recevoir  la  couronne  d'épines  achetée  en  1236  à 
l'empereur  latin  Beaudouin  ;  elle  fit  surtout  de 
saint  Louis  la  providejice  des  malheureux  Chaque 
jour,  le  saint  roi  prélevait  sur  sa  dépense  la  nour- 
riture de  cent  vingt-deux  pauvres;  souvent  il  sor- 
tait du  conseil  pour  rendre  visite  à  ses  serviteurs 
malades;  le  vendredi  saint,  il  servait  à  table  treize 
pauvres  en  souvenir  du  Christ  et  des  apôtres;  par- 
tout il  fondait  des  hospices  pour  les  malheureux, 
les  Quinze-Vingts  à  Paris,  les  Hôtels-Dieu  de 
Pontoise,  do  Vernon,  de  Compiègne.  C'est  pour 
cette  ciiarité  active  et  personnelle,  plus  encore 
que  pour  ses  croisades,  qu'il  a  mérité  d'être  cano- 
nisé, le  11  août  1297,  par  le  pape  Boniface  VIII. 

«Le  monde  a  vu  déplus  grands  capitaines  que 
saint  Louis,  de  plus  profojids  politiques,  de  plus 
vastes  et  plus  brillants  esprits,  des  princes  qui  ont 
exercé  au  delà  de  leur  vie  une  plus  longue  et  plus 
puissante   influence;  il  n'a  point  vu  de  roi   plus 


rare,  point  d'homme  qui  ait  ainsi  possédé  le  pou- 
voir souverain  sans  en  contracter  les  passions  et 
les  vices  naturels,  et  qui  ait  à  ce  point  déployé  les 
vertus  humaines  dans  le  gouvernement.»  (Guizot.) 
fl'aul  Schâfer.] 
Louis  X  le  Hutin  (c'est-à-dire  le  Querelleur),  — 
Histoire  de  France,  XI,  —  fils  aîné  de  Philippe  IV 
le  Bel  et  de  Jeanne,  princesse  de  Navarre,  reçut 
en  1-307  la  couronne  de  Navarre,  et  en  1314,  à 
la  mort  de  son  père,  devint  roi  de  France.  Une 
réaction  se  produisit  immédiatement  contre  le 
système  de  gouvernement  de  Philippe  le  Bel:  les 
nobles  imposèrent  au  nouveau  roi  le  rétablisse- 
ment de  la  plupart  de  leurs  privilèges  féodaux,  et 
obtinrent  la  condamnation  à  mort  d'Enguerrand 
de  Marigny,  qui  avait  été  le  principal  ministre 
du  monarque  défunt.  Bientôt  après,  Louis  entre- 
prit contre  les  Flamands  une  expédition  qui  n'a- 
boutit pas;  puis  il  mourut  en  1316,  ayant  à  peine 
régné  deux  ans.  Il  eut  pour  successeur  un  fils 
posthume,  qui  fut  proclamé  roi  sous  le  nom  de 
Jean  I'\  mais  qui  ne  vécut  que  quelques  jours.  (V. 
Philippe  V  et  Guerre  de  Cent  ans.) 

Le  principal  événement  du  règne  de  Louis  X, 
c'est  l'ordonnance  célèbre  par  laquelle  il  annonça 
l'intention  de  libérer  à  prix  d'argent  les  serfs  de 
ses  domaines.  «  Xotre  royaume,  disait-il,  est 
nommé  le  royaume  des  Francs;  voulant  que  la 
chose  en  vérité  soit  accordant  au  nom,  nous  avons 
ordonné  que  par  tout  notre  royaume  la  servitude 
soit  ramenée  à  franchise,  et  franchise  soit  donnée 
à  tous,  abonnes  et  convenables  conditions.  »  Mais 
ce  n'était  là  qu'une  mesure  fiscale  ;  et  comme  les 
serfs  montraient  peu  d'empressement  à  racheter 
leur  liberté,  le  roi,  pressé  d'argent,  imagina  de 
les  y  contraindre,  en  frappant  d'une  taxe  spéciale 
ceux  qui  ne  se  rachèteraient  pas.  L'ordonnance 
de  1315,  qui  ne  fut  exécutée  que  partiellement  et 
qui  tomba  bientôt  en  oubli,  n'a  pas  la  portée  d'une 
grande  réforme  politii|ue  ;  l'émancipation  du  peuple 
des  campagnes  ne  s'opéra  que  lentement  et  gra- 
duellement; à  la  veille  de  la  Révolution,  il  y  avait 
encore  des  serfs  en  France. 
I  Louis  XI  (1461-1483), —  Histoire  de  France,  XV, 
j  —  fils  et  successeur  de  Charles  VII,  naquit  à 
Bourges  en  1421.  Dauphin,  il  fut  l'allié  de  la  féo- 
dalité qu'il  devait  combattre  plus  tard  comme  roi. 
Il  prit  part  en  1440  à  la  révolte  des  grands,  con- 
nue sous  le  nom  de  Pruguerie.  Charles  Vil,  pour 
satisfaire  l'ambition  de  son  fils  et  sa  turbulente 
activité,  lui  confia  le  gouvernement  du  Dauphiné 
!  et  le  mit  à  la  tête  d'une  expédition  contre  les 
Suisses  (bataille  de  Saint-Jacques,  1444).  Le  Dau- 
phin se  retira  ensuite  dans  sa  province  qui  devint 
un  foyer  d'intrigues  contre  l'autorité  royale.  Me- 
nacé par  une  armée  que  son  père  avait  envoyée 
!  contre  lui,  il  chercha  un  asile  auprès  du  duc  de 
'  Bourgogne,  Philippe  le  Bon.  C'est  là  qu'il  apprit 
!  en  1461  la  mort  de  Charles  Vil  et  son  avèjiement 
1  au  trône. 

Louis  XI,  après  avoir  reçu  le  sacre  à  Reims, 
rentra  à  Paris,  escorté  de  son  puissant  protecteur. 
Dans  son  impatience  de  gouverner,  il  réagit  contre 
l'administration  précédente  avec  une  imprudente 
précipitation.  Il  destitua  les  ministres  de  son 
père  et  s'entoura  de  petites  gens,  Olivier  le  Daim, 
son  barbier,  Tristan  l'Ermite,  son  prévôt  ou  son 
bourreau,  La  Balue,  qu'il  fit  évêque  d'Angers  et 
cardinal.  Il  mécontenta  le  peuple  en  augmentant 
la  taille  ;  le  clergé,  en  détruisant  la  Pragmatique 
sanction  de  Bourges  ;  la  noblesse,  en  supprimant 
les  droits  féodaux  et  particulièrement  le  droit  de 
chasse  ;  l'Université,  en  lui  enlevant  ses  privilèges. 
Enfin  il  s'aliéna  le  vieux  duc  de  Bourgogne  et  sur- 
tout son  fils,  le  comte  de  Charolais,  plus  tard 
Charles  le  Téméraire,  en  rachetant  les  villes  de 
la  Somme  cédées  au  traité  d'.\rras,  Saint-Quen- 
tin, Amiens,  Abbeville,  Péronne,  Montdidior.  Tous 


LOUIS 


—  1207  — 


LOUIS 


les  mécontentements  éclatèrent  ,'i  la  fois.  Les  chefs 
do  la  noblesse,  le  comte  de  (iliarolais,  François  II, 
duc  de  Bretagne,  le  duc  de  Bourbon,  le  frère 
même  du  roi,  le  duc  de  Berry,  les  exploitèrent 
avec  habileté,  et  conclurent,  sous  prétexte  de  dé- 
truire les  abus,  une  liç/ue  du  bien  public.  Louis  XI, 
après  la  bataille  indécise  de  Montlhéry,  assiégé 
dans  Paris  dont  la  fidélité  était  douteuse,  ne  se 
tira  de  la  situation  critique  où  il  s'était  mis  par 
son  imprudence  qu'en  signant  les  deux  traités  de 
Conflans  et  de  Saint-Maur  (HUf)).  Il  cédait  la 
Normandie  à  son  frère,  rendait  au  duc  do  Bour- 
gogne les  villes  de  la  Somme,  et  reconnaissait 
l'indépendance  do  la  Bretagne.  Ces  traités  au- 
raient ruine  le  pouvoir  royal,  mais  Louis  XI  en 
les  signant  était  disposé  à  ne  pas  tenir  ses  enga- 
gements. 

Le  roi,  après  avoir  fait  déclarer  par  le  Parle- 
ment que  la  Normandie  était  inaliénable,  envahit 
celte  province  et  en  quelques  jours  l'enleva  à 
son  frère  (14G()).  Le  comte  de  Charolais  venait  de 
succéder  à  son  père  sur  le  trône  ducal  de  Bour- 
gogne (15  juin  14fi").  On  l'appelait  déjà  Charles  le 
'rerribleou  le  Téméraire. Il  forma  une  nouvelle  ligue 
contre  Louis  XI  avec  le  frère  du  roi,  le  duc  de 
Bretagne,  le  duc  d'Alençon,  les  rois  de  Castille  et 
•d'Angleterre.  Louis  XI  s'appuya  sur  les  Etats 
généraux  réunis  à  Tours,  se  fit  autoriser  à  garder 
la  Normandie  et  à  forcer  le  duc  de  Bretagne  Ji 
l'obéissance.  Il  mena  en  effet  une  armée  considé- 
rable contre  ce  dernier,  et  le  contraignit  à  signer 
le  traité  d'Ancenis  (1468).  Mais  il  n'osa  pas  tenter 
avec  le  duc  de  Bourgogne  le  sort  d'une  bataille  ; 
il  se  fiait  davantage  aux  séductions  de  sa  parole. 
Il  demanda  et  obiini  une  entrevue  à  Péronne, 
lugubre  résidence  qui  rappelait  la  captivité  et  la 
mort  de  Charles  le  Simple.  Le  duc  de  Bourgogne 
l'y  reçut  avec  courtoisie  ;  il  était  déjà  gagné  par 
les  flatteries  du  roi,  quand  il  apprit  que  les  émis- 
saires royaux  soulevaient  à  ce  moment  tout  le 
pays  de  Liège.  Sa  fureur  fut  terrible;  Louis  XI 
eût  couru  un  grand  danger  s'il  n'avait  été  averti 
par  le  secrétaire  du  duc,  Philippe  de  Commines, 
qui  plus  tard  devint  un  des  conseillers  et  le  plus 
■célèbre  historien  de  ce  règne.  Il  fallut  souscrire  Ji 
un  traité  humiliant.  Le  roi  cédait  à  son  frère  la 
Champagne,  en  échange  de  la  Normandie  ;  et  il 
marchait,  à  côté  du  duc,  contre  les  Liégeois  qui 
•combattaient  aux  cris  de  «  Vive  la  France  »  (1468). 
Il  se  vengea  de  toutes  ces  humiliations,  en  con- 
damnant h  une  cruelle  captivité  de  dix  ans,  dans 
une  cage  de  fer,  La  Balue,  qui  le  trahissait. 

Dans  la  deuxième  partie  de  son  règne,  Louis  XI 
se  montra  plus  prudent  et  plus  habile.  Il  cher- 
•cha  d'abord  à  annuler  les  désastreuses  conséquen- 
ces du  traité  de  Péronne.  La  Guyenne  fut  donnée 
à  son  frère  en  échange  de  la  Champagne  qui  aurait 
livré  Paris  au  Bourguignon.  Le  duc  de  Bretagne, 
qui  protesta,  dut  signer  le  traité  d'Angers.  Puis, 
quand  le  roi  eut  gagné  à  son  alliance  les  Suisses, 
ie  duc  de  Milan  et  les  Ecossais,  quand  il  eut 
rattaché  à  sa  cause  un  certain  nombre  de  sei- 
gneurs en  leur  conférant  l'ordre  an  Saint-Michel, 
il  fit  casser  le  traité  de  Péronne  par  les  notables, 
assemblés  à  Tours  en  1470.  Le  duc  de  Bourgogne 
forma  aussitôt  une  troisième  ligue  avec  le  projet 
de  démembrer  la  France.  .Mais  la  mort  subite  du 
duc  de  Guyenne  déconcerta  ses  plans.  Charles  le 
Téméraire,  accusant  Louis  XI  d'un  fratricide,  se 
jeta  avec  rage  sur  la  Picardie.  La  ville  de  Nesie  fut 
saccagée,  la  population,  réfugiée  dans  l'église, 
égorgée  ;  Beauvais  effrayé  résista  avec  désespoir  ; 
une  femme  héroïque,  Jeanne  Hachette,  se  mita  la 
tête  des  soldats.  Le  duc  échoua  dans  toutes  ses 
attaques;  il  poursuivit  ses  ravages  dans  la  Nor- 
mandie, ou  il  brûla  Saint-Valéry  et  Neufchâtel. 
11  avait  compté  sur  les  secours  de  François  II. 
Mais  celui-ci  avait  dû  accepter  la  trêve  de   Sen- 


lis  ;   le   Bourguignon  y   adhéra    (octobre    1472). 

Délivré  de  son  plus  puissant  adversaire,  Louis  XI 
frappa  la  noblesse.  Le  comte  d'Armagnac,  Jean  1", 
fut  tué  dans  Lectoure  par  les  soldats  du  cardinal 
d'Alhy  ;  le  duc  d'Alençon,  qui  avait  voulu  céder 
ses  Etats  à  Charles  le  Téméraire,  fut  condamné  k 
mort,  son  fils  Hené  à  la  prison  perpétuelle  ;  le 
comte  de  Saint-Pol  fut  jeié  à  la  Bastdle,  jugé  et 
décapité  en  place  de  Grève  ;  le  duc  de  Nemours, 
après  deux  ans  da  captivité,  fut  décapité  malgré 
les  remontrances  du  parlement. 

Pondant  que  Louis  .\l  fortifiait  le  pouvoir  royal 
contre  les  entreprises  de  la  féodalité,  Charles  le 
Téméraire  se  jetait  dans  les  plus  folles  aventures. 
Réunir  ses  provinces  françaises  à  ses  provinces 
flamandes,  reformer  dans  les  bassins  de  la  Saône, 
de  la  Meuse  et  du  Rhin  l'ancien  royaume  de  Lo- 
tharingie, telle  était  son  ambition.  Il  parut  tout 
d'abord  réussir  :  l'archiduc  Sigismond  lui  vendit 
une  partie  de  l'Alsace,  et  l'empereur  Frédéric  III, 
avec  qui  il  eut  une  entrevue  à  Trêves,  était  sur  le 
point,  pour  marier  son  lils  Maximilien  à  Marie  de 
Bourgogne,  de  lui  donner  le  titre  de  roi  de  Gaule- 
Belgique.  Mais  Louis  XI  ne  perdait  pas  de  vue 
les  manœuvres  de  son  adversaire.  Frédéric  III 
refusa  la  couronne,  l'arcliiduc  reprit  l'Alsace,  et 
les  Suisses  déclarèrent  la  guerre  au  duc  et  enva- 
hirent la  Franche-Comté.  Pendant  que  Charles 
mettait  le  siège  devant  la  ville  de  Neuss,  Louis 
XI  s'empara  des  principales  villes  de  l'Artois  et 
de  la  Picardie.  Le  roi  d'Angleterre,  Edouard  IV, 
débarqua  vainement  à  Calais  ;  ne  trouvant  pas  l'ar- 
mée de  son  allié  sur  laquelle  il  comptait,  il  signa 
avec  Louis  XI  le  traité  de  Pecquigny.  Charles  le 
Téméraire  n'osant  plus  attaquer  le  roi  de  France,  et 
impatient  de  se  venger  des  Suisses,  signa  à  son 
tour  la  trêve  de  Soleure  (1475). 

La  guerre  de  Charles  contre  les  Suisses  fut  fa- 
tale à  la  maison  de  Bourgogne.  Vaincu  à  Grandson 
et  à  Morat,  le  duc  mourut  sous  les  murs  de 
Nancy  (1477). 

Charles  le  Téméraire  ne  laissait  qu'une  fille,  Ma- 
rie, âgée  de  vingt  ans.  Louis  XI  réclama  le  duché  de 
Bourgogne  comme  fief  masculin  et  s'en  saisit,  ainsi 
que  de  la  Franclie-Comté.  Il  envahit  en  môme  temps 
la  Picardie  et  l'Artois.  Quanta  la  Flandre,  il  la  re- 
quit defoi  et  d'hommage.  La  princesse  se  soumit  et 
réclama  son  assistance  contre  les  Flamands  révoltés. 
Louis  XI  la  trahit  secrètement.  La  malheureuse  Ma- 
rie vit  ses  deux  principaux  ministres  condamnés  à 
mort  par  la  populace  excitée  par  les  agents  du  roi, 
et  exécutés.  Elle  se  jeta  alors  dans  les  bras  de  l'em- 
pereur, et  épousa  Maximilien,  fils  de  Frédéric  III. 
Ce  mariage  commença  la  longue  rivalité  de  la 
maison  de  France  et  de  la  maison  d'Autriche. 
L'armée  de  Flandre,  commandée  par  d'Esquerdes 
et  de  Gié,  livra  la  seule  bataille  importante  de 
cette  guerre  aux  troupes  de  Maximilien.  L'en- 
gagement eut  lieu  à  Guinegate,  près  de  Saint- 
Omer.  La  victoire  demeura  indécise.  La  guerre 
se  prolongea  jusqu'en  1482.  A  cette  époque  Ma- 
rie de  Bourgogne  mourut  d'une  chute  de  che- 
val, à  l'âge  de  vingt-cinq  ans.  Elle  laissait  deux 
enfants,  Marguerite  et  Philippe  le  Beau.  Les  Fla- 
mands, qui  n'aimaii'nt  pas  Maximilien,  le  forcèrent 
à  signer  la  paix  d'Arras  (1482).  Ce  traité  ratifiait 
l'union  de  la  Bourgogne  à  la  France  et  stipulait 
lo  mariage  de  Marguerite  avec  le  Dauphin,  en  lui 
laissant  pour  dot  la  Franche-Comté  et  l'Artois. 

Ainsi,  sous  le  règne  de  Louis  XI,  la  France 
avait  fait  un  pas  immense  vers  son  unité  territo- 
riale. Le  domaine  royal  s'était  agrandi  de  onze 
provinces.  La  succession  de  Charles  le  Téméraire 
en  avait  donné  quatre  :  Picardie,  Artois,  comté 
de  Boulogne,  duché  de  Bourgogne  avec  le  Charo- 
lais et  Auxerre.  Le  testament  do  René  d  Anjou 
lui  en  avait  donné  trois  autres,  Anjou,  Maine, 
Provence.  Un  procès  avait  valu  à  Louis  XI  lo_du- 


LOUIS 


—  1208 


LOUIS 


ché  d'Alençon  et  le  Perche;  la  mort  de  son  frère, 
la  Guyenne  ;  son  intervention  dans  les  affaires 
d'Espagne,  le  Roussillon  et  la  Cerdagne. 

Le  pouvoir  royal  fut  fortifié  non  seulement  par 
la  lutte  victorieuse  contre  la  féodalité  et  les 
agrandissements  territoriaux  qui  en  furent  la 
conséquence,  mais  par  l'administration  de  Louis  XI. 
Le  parlement  de  Paris  reçut  une  nouvelle  organi- 
sation ;  trois  nouveaux  parlements  furent  créés 
en  province,  celui  de  Grenoble  en  1451,  celui  de 
Bordeaux  en  14G2,  celui  de  Dijon  en  1477.  L'armée 
compta  50  000  hommes  de  troupes  régulières,  Ifs 
milices  des  villes  et  6000  Suisses.  Le  commerce 
et  l'industrie  furent  encouragés.  Les  principaux 
traités  prirent  le  nom  de  trêves  marcliandes,  à 
cause  des  stipulations  quSls  contenaient  en  fa- 
veur des  marchands.  La  Rochelle  et  Bayonne  de- 
vinrent ports  francs  ;  le  nombre  des  foires  fut 
multiplie.  Le  roi  permit  aux  nobles  de  faire  le 
commerce  sans  déroger,  et  il  établit  à  Tours,  en 
1470,  la  première  manufacture  de  soie.  L'institu- 
tion des  postes,  fondée  par  l'édit  de  1464,  fut 
encore  pour  le  commerce  un  puissant  auxiliaire. 
Louis  XI  favorisa  les  lettres  et  les  sciences.  L'im- 
primerie de  Paris  date  de  son  règne.  Il  en  est  de 
même  de  l'enseignement  de  la  langue  grecque, 
qui  fut  apporté  en  France  par  des  réfugiés  de 
Constantinople.  Plusieurs  universités  nouvelles, 
comme  celles  de  Valence  et  de  Bourges,  furent 
fondées.  Le  roi  accorda  i\  Paris  une  école  spéciale 
de  médecine.  Le  premier  de  nos  grands  poètes, 
Villon,  et  le  premier  de  nos  grands  historiens, 
Commines,  vécurent  sous  ce  règne. 

Louis  XI,  mourut  en  148.3,  à  son  château  de 
Plessis-lez-'Tours.  Ce  roi  d'une  activité  si  remuante 
ne  pouvait  se  faire  à  l'idée  de  la  mort.  Plus  su- 
perstitieux que  religieux,  il  fit  appel  à  tout  ce 
qui  semblait  pouvoir  le  rattacher  k  la  vie.  Mais 
en  vain  fit-il  venir  de  Reims  la  Sainte  Ampoule  et 
de  Naples  saint  François  de  Paule  ;  «  le  tout,  dit 
Commines,  n'y  fit  rien  et  il  fallait  qu'il  passât  par 
là  où  les  autres  sont  passés.  » 

(Désiré  Blanchet.] 
Louis  Xlli  —  Histoire  de  France,  XVI,  —  fils 
du  duc  Charles  d'Orléans,  connu  comme  poète; 
petit-fils  de  Louis  d'Orléans,  assassiné  en  1407, 
et  de  Valentine  Visconti  ;  arrière-petit-fils  du  roi 
Charles  V.  Il  avait  épousé  une  fille  de  Louis  XI, 
et  à  la  mort  de  ce  prince,  il  disputa  la  régence  à 
Anne  de  Beaujeu  iV.  Gnei-re  folle);  mais  il  fut 
vaincu  et  fait  prisonnier.  Rendu  à  la  liberté,  il  se 
réconcilia  avec  Charles  VllI,  auquel  il  succéda, 
celui-ci  étant  mort  sans  enfants  en  1498.  Louis  XII 
répudia  alors  sa  première  femme,  pour  épou- 
«er  Anne  de  Bretagne,  veuve  du  roi  défunt,  et 
conserver  ainsi  la  Bretagne  à  la  France.  Puis, 
suivant  l'exemple  donné  par  son  prédécesseur,  il 
prépara  une  expédition  contre  l'Italie,  riche  proie 
dont  les  dépouilles  tentaient  la  cupidité  des  hom- 
mes du  Nord.  Par  sa  grand'mère  Valentine  Vis- 
conti, Louis  XII  prétendait  avoir  des  droits  sur 
le  duché  de  Milan.  Lne  armée  française  com- 
mandée par  le  condottiere  italien  Trivulce  fit  la 
conquête  du  Milanais  (1499)  ;  le  duc  Ludovic 
Sforza,  livré  à  Novare  par  ses  mercenaires  suis- 
ses (1500),  fut  envoyé  captif  en  France.  Puis  Louis 
s'entendit  avec  le  roi  d'Espagne  Ferdinand  V  pour 
dépouiller  de  sa  couronne  le  roi  de  Naples  Fré- 
déric; trahi  par  les  Espagnols  en  qui  il  avait 
cru  trouver  des  alliés,  Frédéric  dut  se  rendre  aux 
Français  (1501).  Mais  quand  il  fallut  partager, 
Louis  et  Ferdinand  se  brouillèrent;  l'Espagnol, 
plus  perfide  que  son  rival,  finit  par  l'emporter  : 
tandis  qu'il  amnsait  Louis  XI!  par  des  négocia- 
tions trompeuses,  son  général,  Gonzalve  de  Cor- 
doue,  attaquait  les  Français  à  l'improviste,  les 
battait  à  Seminara  et  à  Cerignola  (1503),  et  les 
chassait  du  royaume  de  Xaples.  Le  traité  de  Blois 


mit  fin  à  la  querelle  :  Louis  XII  conservait  le  Mi- 
lanais ;  le  royaume  de  Naples  devait  revenir  au 
petit-fils  de  Ferdinand  V  et  de  l'empereur  Maxi- 
milien,  Charles  (le  futur  Charles-Quint)  ;  celui-ci 
était  en  même  temps  fiancé  à  la  princesse  Claude, 
fille  de  Louis  XII,  qui  devait  lui  apporter  en  dot 
la  Bretagne  et  la  Bourgogne  (1504).  Heureusement 
pour  la  France,  ce  traité,  qui  menaçait  d'enlever 
au  pays  deux  de  ses  provinces,  fut  bientôt  déchiré  ; 
les  Etats  généraux  déclarèrent  que  le  roi  n'avait 
pu  aliéner  les  provinces  promises,  et  la  princesse 
Claude  fut  fiancée  à  François  d'Angoulême  (Fran- 
çois I"). 

Cependant  Jules  II  venait  de  succéder  à  Alexan- 
dre Borgia.  Le  nouveau  pape  voulait  constituer 
l'unité  de  l'Italie  sous  l'autorité  du  Saint-Siège  ; 
pour  cela,  il  lui  fallait  affaiblir  Venise,  seule  puis- 
sance italienne  capable  de  balancer  l'influence 
de  Rome;  et  expulser  de  l'Italie  les  étrangers  qui 
la  tyrannisaient.  Mais,  pour  abattre  Venise,  Jules  II 
s'allia  d'abord  à  ceux-là  mêmes  qu'il  espérait 
pouvoir  chasser  ensuite  :  il  forma  la  ligue  de  Cam- 
brai, dans  laquelle  entrèrent  le  roi  de  France,  le 
roi  d'Espagne  et  l'empereur  (1508).  Louis  XII  mar- 
cha aussitôt  contre  Venise,  dont  l'armée  fut  mise 
en  déroute  à  Agnadel  (1509)  ;  mais  Venise  elle- 
même  restait  inexpugnable  dans  ses  lagunes,  et 
une  armée  de  Français  et  d'Impériaux  mit  en  vain 
le  siège  devant  Padoue.  Le  pape,  satisfait  d'avoir  re- 
pris aux  Vénitiens  les  villes  de  la  Romagne,  fit  la 
paix  avec  la  république,  et  songea  alors  à  l'expul- 
sion des  étrangers.  S'alliant  aux  Vénitiens  contre 
les  Français,  il  réussit  à  former  une  coalition 
qu'il  appela  la  Sainte-Ligue,  et  dans  laquelle  il  fit 
entrer  les  Suisses,  l'Espagne,  l'Angleterre  et  l'em- 
pereur (1511).  Seul  contre  tant  d'ennemis, 
Louis  XII  devait  succomber  :  la  brillante  victoire 
de  Ravenne,  qui  coûta  la  vie  au  jeune  général 
Gaston  de  Foix,  fut  inutile  ;  les  Français  durent 
évacuer  le  Milanais,  où  les  Suisses  et  l'empereur 
rétablirent  Maximilien  Sforza.  En  vain  Louis  XII 
avait  fait  réunir  un  concile  au  moyen  duquel  il 
espérait  tenir  en  échec  l'autorité  du  pape;  en  vain 
il  détacha  de  la  Sainte-Ligue  les  Vénitiens,  et  es- 
saya avec  leur  aide  de  reprendre  le  duché  de 
Milan;  la  défaite  de  Novare  (151.3)  consomma  la 
ruine  de  la  domination  française  en  Italie.  En 
même  temps,  le  roi  d'Angleterre  Henri  VIII  débar- 
quait à  Calais,  et  voyait  fuir  devant  lui  à  Guinrgate 
l'armée  que  Louis  XII  avait  envoyée  pour  l'arrêter 
(Journée  des  éperons)  ;  mais  une  attaque  des 
Ecossais  l'obligea  à  repasser  le  détroit.  Les  Suisses- 
envahirent  la  Bourgogne,  et  vinrent  menacer 
Dijon,  que  la  Tremoille  sauva  i  force  d'argent  et 
en  signant  un  traité  que  le  roi  refusa  ensuite  de 
ratifier. 

Cependant  Louis  XII  ne  pouvait  continuer  la 
lutte  ;  il  négocia  la  paix,  en  faisant  à  chacun  de 
ses  adversaires  quelques  concessions  :  le  nouveau 
pape  Léon  X  obtint  le  désaveu  du  concile  schis 
matiquo  ;  Ferdinand  V  garda  la  Navarre  espagnole 
dont  il  s'était  emparé  en  en  chassant  le  roi  Jean 
d'Albret,  allié  de  la  France  ;  le  roi  d'Angleterre 
obtint  la  ville  de  Tournai  et  une  indemnité.  Anne 
de  Bretagne  était  morte  ;  le  vieux  roi  scella  la  paix 
avec  l'Angleterre  en  épousant  la  soeur  de  Henri  VllI  ; 
mais  il  mourut  trois  mois  après,  le  1='  janvier 
1515. 

Les  longues  guerres  d'Italie  n'avaient  abouti  à 
aucun  résultat  ;  c'était  en  pure  perte  que  tant  de 
sang  avait  été  versé  et  tant  d'argent  dépensé.  Ce- 
pendant la  situation  intérieure  du  royaume  était 
moins  mauvaise  qu'on  n'eût  pu  s'y  attendre. 
Louis  XII,  administrateur  économe,  avait  trouvé 
moyen,  malgré  ses  guerres,  d'alléger  les  impôts; 
l'agriculture  était  florissante,  la  justice  était 
mieux  rendue,  et  les  Etats  généraux  réunis  à 
Tours  en  1506  purent  décerner  au  roi  le  titre  de 


LOUIS 


—  1209  — 


LOUIS 


ph-c  du  peuple  sans  que  l'opinion  publique  pro- 
testât. Quoique,  depuis  Cliarlos  VII,  le  pouvoir 
royal  se  fût  substitué  définitivement  au  régime 
de  la  féodalité,  les  règnes  de  Louis  XI  et  do 
Charles  VIII  avaient  encore  été  troublés  par  des 
révoltes  des  grands  vassaux  ;  Louis  XII  fut  «  le 
premier  représentant  du  gouvernement  incontesté 
et  unitaire  qui  devait  régir  la  France  jusqu'en 
178'.),  et  imposer  pendant  trois  siècles  aux  insti- 
tutions, aux  mœurs,  aux  tendances  du  pays,  la 
discipline  de  la  monarchie  absolue.  »  (Bordler  et 
Charton.) 

liouls  XIII,  —  Histoire  de  France,  XXII,  —  fils 
et  successeur  de  Henri  IV,  n'avait  que  neuf  ans 
lorsqu'il  devint  roi  sous  la  régence  de  sa  mère, 
Marie  de  Médicis  (ICIO).  Celle-ci  ét.ait  dominée 
par  un  favori,  Concini,  aventurier  florentin  qu'elle 
avait  fait  marquis  d'Ancre  et  maréchal  de  France. 
Abandonnant  les  projets  de  Henri  IV  contre  la 
maison  d'Autriche,  elle  s'allia  à  l'Espagne,  renvoya 
Sully,  et  ne  chercha  qu'Ji  assurer  son  pouvoir 
contre  les  mécontents.  Il  lui  fallut  acheter  la  sou- 
mission des  grands  seigneurs.  Elle  convoqua  les 
Etats  généraux  (IG14);  mais  cette  assemblée,  qui 
se  réunissait  pour  la  dernière  fois  avant  1789,  et 
où  un  représentant  du  Tiers,  Miron,  fit  entendre 
inutilement  quelques  courageuses  paroles  (V. 
Etats  généraux),  fvX  congédiée  sans  qu'aucune  ré- 
forme eût  été  décidée.  Les  seigneurs  continuaient 
à  murmurer  contre  l'autorité  de  Concini;  celui- 
ci,  conseillé  par  Richelieu ,  évêque  de  Luçon, 
essaya  de  quelques  mesures  de  rigueur,  et  fit 
arrêter  le  prince  de  Condé.  Mais  le  jeune  roi,  à 
qui  pesait  la  tutelle  de  sa  mère,  et  que  poussait 
un  de  ses  familiers,  Albert  de  Luynes,  se  débar- 
rassa de  Concini  en  le  faisant  assassiner  (1617), 
et  exila  sa  mère  à  Blois.  Louis  XIII,  que  la  faiblesse 
de  son  caractère  devait  condamner  à  une  perpé- 
tuelle minorité,  laissa  ensuite  le  gouvernement  à 
Luynes:  celui-ci  comprima  les  tentatives  de  révolte 
de  la  reine-mère  ;  et  les  protestants,  dont  les  liber- 
tés étaient  menacées,  ayant  pris  les  armes,  il  vint 
mettre  le  siège  devant  Montauban,  une  de  leurs 
places-fortes  ;  il  y  mourut  O^îl).  Louis  XIII  réussit 
cependant  à  faire  rentrer  les  protestants  dans 
l'obéissance  ;  il  se  réconcilia  en  même  temps  avec 
sa  mère,  qui  fit  entrer  au  conseil  royal  l'évèque 
de  Luçon,  devenu  le  cardinal  de  Richelieu  (162"2). 
A  partir  de  ce  moment,  l'influence  de  Richelieu  est 
dominante,  et  c'est  lui  qui  gouvernera  la  Franco 
jusqu'à  sa  mort  sous  le  nom  du  faible  monarque. 
Nous  racontons  ailleurs  (V.  Richelieu)  les  actes  du 
grand  homme  d'Etat  qui  fonda  définitivement  la 
monarchie  absolue,  et  qui  reprit  contre  la  maison 
d'Autriclie  la  politique  de  Henri  IV  ;  bornons-nous 
à  rappeler  ici  la  guerre  contre  les  protestants  et  la 
prise  de  la  Rochelle  (IC28j,rabai6semeni  des  grands, 
le  pouvoir  des  gouverneurs  de  province  contenu 
par  l'institution  des  intendants,  l'alliance  de  la 
France  avec  les  adversaires  de  la  maison  d'Au- 
triche et  son  intervention  glorieuse  dans  la  guerre 
de  Trente  Ans.  Richelieu  mourut  en  1 642  ;  Louis  XIII 
ne  lui  survécut  que  six  mois.  Il  avait  épousé  en 
1615  Anne  d'Autriche,  fille  du  roi  d'Espagne  Phi- 
lippe III,  qui  lui  donna  deux  fils,  Louis  XIV  et 
Philippe  d'Orléans. 

Louis  XIV  dit  le  Grand,  —  Histoire  de  France, 
XXIII,  XXV,  —  né  à  Saint-Gcrmain-en-Laye,  le 
16  septembre  1638,  mort  à  Versailles  le  1"  sep- 
tembre 1715.  On  donna  le  nom  de  Uieudnnné  au 
prince  qui,  ondoyé  dès  sa  naissance,  no  fut  bap- 
tisé que  cinq  ans  plus  tard.  Le  21  avril  1643, 
Louis  XIII  sur  son  lit  de  mort  voulut  que  l'on 
s'acqiiittàt  envers  le  dauphin  d'un  devoir  dont 
jusqu'à  ce  jour  on  avait  retardé  l'accomplissement. 
Le  cardinal  Mazarin  et  la  priiicesse  de  Condé  fu- 
rent chargés  de  présenter  le  dauphin  au  baptême. 
Sur  le  désir  exprimé  par  l'enfant,  on  le  baptisa 


sous  le  nom  de  Louis.  Porté  ensuite  sur  le  lit  do 
son  père,  celui-ci  lui  demanda  comment  il  s'appe- 
lait maintenant.  «  Louis  XIV,  »  répondit  l'enfant 
avec  naïveté.  —  «  Pas  encore,  >>  dit  le  roi  en  sou- 
riant. 

Les  mémoires  de  Laporte,  valet  de  chambre 
de  Louis  XIV,  et  les  mémoires  de  Monglat,  mon- 
trent combien  fut  négligée  l'éducation  de  ce  prince. 
Les  premières  impressions  qu'on  lui  donna  ten- 
daient à  lui  inspirer  pleine  croyance  en  sa  propre 
infaillibilité.  On  conserve  parmi  les  manuscrits  de 
la  bibliothèque  de  Saint-Pétersbourg  un  modèle 
d'écriture  que  son  professeur  lui  donnait  à  copier. 
On  y  voit  écrit  six  fois  de  suite,  en  grosses  let- 
tres péniblement  formées,  ces  mots  significatifs  : 
a  L'hommage  est  dû  aux  rois  ;  ils  font  tout  ce  qui 
leur  plaît.  ))  On  comprend  que  de  telles  maximes 
aient  faussé  de  bonne  heure  le  cœur  de  cet  enfant 
et  lui  aient  donné  ce  qu'il  a  eu  au  suprême  degré, 
la  superstition  de  la  royauté.  Ce  prince,  qui  écrira 
plus  tard  dans  ses  mémoires  que  «  les  rois  re- 
çoivent de  Dieu  des  lumières  particulières  >i,  ne 
doit  pas  être  rendu  seul  responsable  de  cette  doc- 
trice  du  bon  plaisir  pratiquée  par  lui  à  outrance. 
Cette  responsabilité  doit  être  partagée  par  un 
entourage  de  courtisans  qui  pervertirent  de  bonne 
heure  l'esprit  du  roi.  Saint-Simon  a  dit  très  jus- 
tement :  «  Il  était  né  bon  et  juste.  Tout  le  mal 
lui  vint  d'ailleurs.  »  Jeune,  il  n'aimait  pas  le  car- 
dinal Mazarin.  Laporte  nous  apprend  que  la  garde 
dont  le  cardinal  était  entouré,  et  qui  contrastait 
avec  l'abandon  dans  lequel  il  était  laissé  lui- 
même,  choquait  son  âme  royale,  et  il  le  nommait 
le  grand  Turc.  D'ailleurs,  dit  Monglat  dans  ses 
mémoires,  «  le  prince  ne  se  mêlait  de  rien.  Le 
cardinal  n'allait  jamais  chez  lui,  mais  il  allait  plu- 
sieurs fois  le  jour  chez  le  cardinal  auquel  il  fai- 
sait la  cour  comme  un  simple  courtisan.  Le  car- 
dinal recevait  le  roi  sans  se  contraindre.  A  peine 
il  se  levait  quand  il  entrait  et  sortait,  et  jamais  il 
ne  le  conduisait  hors  de  sa  chambre.  »  Plus  tard, 
Louis  XIV  dissimula  ou  contint  ses  sentiments  de 
répugnance,  et  il  parut  reconnaissant  envers  Ma- 
zarin des  grands  services  rendus  par  celui-ci  à  la 
monarchie.  Il  le  laissait  gouverner  d'une  manière 
absolue,  et  il  se  livrait  entièrement  aux  plaisirs  de 
son  âge.  Les  efl'orts  du  maréchal  de  ViUeroy,  nommé 
gouverneur  du  prince  après  le  duc  de  Beaufort,  et 
le  zèle  éclairé  de  son  précepteur,  l'abbé  de  Beau- 
mont,  avaientété  également  stériles.  Il  ne  putjamais 
apprendre  le  latin,  bien  qu'une  traduction  des  Com- 
mentaires de  César  ait  été  publiée  sous  son  nom. 
S'il  apprit  plus  tard  l'italien,  ce  fut  pour  plaire 
à  Marie  Mancini.  Il  goûtait  uniquement  \e& 
romans  et  les  livres  frivoles.  La  danse,  les  courses 
de  bague,  l'équitation,  la  cliasse  à  tir,  étaient  ses 
plaisirs  favoris.  Elevé  au  milieu  des  femmes  qui 
remplissaient  la  maison  d'Anne  d'Autriche,  il  no 
tarda  pas  à  écouter  la  voix  de  ses  passions.  De- 
venu amoureux  d'une  dos  nièces  du  cardinal, 
Mario  Mancini,  il  alla  jusqu'à  vouloir  l'épouser.  On 
a  beaucoup  trop  vante  dans  cette  circonstance  le 
désintéressement  et  le  patriotisme  de  Mazarin 
rompant  ces  projets  d'union  et  éloignant  sa  nièce. 
Des  travaux  récents  établissent  que  la  fermeté 
déployée  alors  par  le  cardinal  lui  fut  imposée  par 
Anne  d'.\utricho,  qui  s'emporta  violemment  contre 
ce  qu'elle  considérait  comme  la  plus  humiliante 
des  mésalliances.  D'ailleursle  mariage  de  Louis  XIV 
avec  Marie-Thérèse,  fille  de  Philippe  IV,  roi  d'Es- 
pagne, et  les  fêtes  splendides  dont  ce  mariage  fut 
l'occasion,  efTacèrent  complètement  le  souvenir  de 
Marie  Mancini. 

Une  éducation  aussi  négligée  et  des  goûts  aussi 
frivoles  avaient  persuadé  la  cour  que  Louis  XIV  se 
laisserait  gouverner.  Aussi  l'étonnement  fut-ii 
grand,  lorsqu'à  la  mort  de  Mazarin,  on  I6(il,  le 
roi  déclara  que  désormais  il  dirigerait  tout  lui- 


LOUIS 


1210 


LOUIS 


même.  Il  tint  son  conseil  réuni  trois  jours  durant 
afin  de  se  mettre  au  courant  de  l'administration  du 
royaume.  Il  annonça  qu'il  consacrerait  chaque  jour 
six  heures  aux  affaires  de  l'État,  et  il  prescrivit 
aux  ministres  de  ne  rien  signer,  de  ne  rien  payer 
sans  son  ordre.  Clioisy  raconte  qu'Anne  d'Autri- 
che rit  de  cette  résolution  et  que  les  courtisans  ne 
crurent  pas  à  sa  durée  ;  mais  en  réalité  il  a  tenu 
cet  engagement  durant  les  cinquante-quatre  an- 
nées de  son  règne  effectif  (1601-1715). 

L'atîaire  de  la  succession  d'Espagne  a  été  le  pivot 
sur  lequel  a  tourné  tout  le  règne  de  Louis  XIV. 
Le  remplissant  pendant  cinquante  ans,  elle  a 
amené  les  désastres  de  sa  fin.  Il  est  donc  utile  de 
l'étudier  dans  ses  causes  afin  de  bien  faire  com- 
prendre quelles  en  ont  élé  les  péripéties.  Eviter  le 
retour  de  la  puissance  formidable  de  Charles- 
Quint,  à  la  fois  empereur  d'Allemagne  et  roi 
d'Espagne,  et  replacer  l'Espngne  dans  sa  sphère 
naturelle  de  mouvement  et  d'action  en  la  rame- 
nant dans  les  voies  de  la  France  dont  elle  reçoit 
et  h  laquelle  elle  procure  une  protection  précieuse, 
telle  devait  être  la  politique  française  au  milieu 
du  XVII'  siècle.  Mazarin  eut  le  mérite  de  le  com- 
prendre, en  unissant  Louis  XIV  à  Marie-ïhérise, 
de  manière  à  ménager  à  ce  prince  la  succession 
d'Espagne.  L'habile  ministre  résolut  une  question 
nationale,  et  sa  main  prévoyante  disposa  pour 
ainsi  dire  les  événements  fuiurs.  Louis  XIV  ne 
tarda  pas  à  voir  que  là  seulement  était  le  moyen 
de  sa  grandeur,  et  il  mit  tous  ses  efforts  U  tourner 
à  son  profit  toutes  les  conséquences  de  ce  ma- 
riage. Cette  première  période  de  son  règne  lut 
vraiment  grande  et  glorieuse.  Il  était  admirable- 
ment servi  par  des  instruments  incomparables 
formés  au  milieu  des  fécondes  agitations  de  la 
Fronde,  et  soumis  ensuite  à  une  volonté  ferme  et 
persévérante,  instruments  qui  avaient  reçu  la  vive 
impulsion  et  le  nerf  que  donnent  les  guerres  ci- 
viles, mais  auxquels  il  sut  imprimer  une  même 
direction  et  un  mouvement  uniforme.  Tels  étaient 
dans  la  guerre  Turenne  et  Condé,  dans  la  diplo- 
matie et  l'administration  Lionne,  Colbcrt  et  Le 
Tellier,  Aussi  rien  n'égale  l'incontestable  gran- 
deur et  la  profonde  utilité  des  actes  de  cette  pé- 
riode pendant  laquelle,  ne  se  contentant  pas  de 
développer  la  prospérité  du  pays,  de  ressusciier 
Ia_ marine,  d'implanter  en  France  l'industrie  étran- 
gère et  de  faire  pénétrer  l'ordre  dans  l'armée, 
dans  l'administration,  dans  les  finances,  il  sut 
aussi  porter  un  regard  attentif  à  l'extérieur,  mé- 
nager avec  soin  ses  alliés,  maintenir  dans  le  repos 
les  puissances  inquiètes  et  les  préparer  habile- 
ment à  la  revendication    de   ses  droits. 

Aux  yeux  de  l'Autriche,  ces  droits  n'existaient 
plus.  Afin  dempècher  la  réunion  sur  la  même 
tète  des  deux  couronnes  française  et  espagnole, 
une  renonciation  à  la  succession  d'Espagne  avait 
été  imposée  à  Marie-Thérèse  par  son  contrat  de 
mariage,  qui  la  dépouillait  ainsi  du  droit  que  là 
loi  espagnole  accorde  aux  femmes  de  monter  sur 
le  trône.  Mais  ce  contrat,  déjà,  considéré  par  Louis 
XIV  comme  radicalement  nul,  en  ce  que,  essen- 
tiellement particulier,  il  ne  pouvait  pas  modifier 
la  loi  fondamentale  d'une  monarchie,  ce  contrat, 
rédigé  d'ailleurs  par  Mazarin  et  Louis  de  Haro, 
ministre  d'Espagne,  de  telle  manière  que  la  re- 
nonciation y  était  réputée  clause  de  forme,  n'était 
pas  exécuté  par  la  cour  de  Madrid  qui  se  refusait 
à  payer  la  dot  accordée  à  Marie-Thérèse  en 
échange  de  ses  droits  Violé  par  l'une  des  parties, 
il  ne  pouvait  donc  pas  être  opposé  k  l'autre. 

Après  avoir  démontré  ses  droits  futurs  à  la  suc- 
cession totale  d'Espagne,  Louis  XIV  trouve  un 
légitime  moyen  d'agrandissement  dans  une  ques- 
tion de  succession  partielle.  Se  fondant  sur  une 
coutume  en  vigueur  dans  quelques  provinces  des 
Pays-Bas,  coutume  qui  donne  l'héritage  paternel 


aux  seuls  enfants  du  premier  lit,  il  demande  à 
Charles  II,  roi  d'Espagne,  enfant  du  second  lit, 
au  nom  de  Marie-Thérèse,  issue  du  premier,  la 
partie  des  Pays-Bas  dans  laquelle  existe  cette 
coutume  que  l'on  nomme  droit  de  dévolution.  Sur 
le  refus  du  roi  d'Espagne,  il  entre  en  campagne, 
et  il  se  montre  aussi  surprenant  par  la  rapidité 
de  ses  coups  que  par  la  modération  do  ses  de- 
mandes. Il  acquiert  les  places  de  Charleroi,  Binch, 
Atli,  Douai,  Tournai,  Oiidenarde,  Lille,  Courtrai, 
Armentières,  Bergues,  Furnes,  avec  leur  terri- 
toire, et  il  affermit  ainsi,  en  les  éloignant  de  la 
capiule,  les  frontières  septentrionales  de  la 
France.  Cette  période  fut  une  période  de  négo- 
ciations merveilleusement  conduites  de  IGUI  h. 
1607,  et  une  période  de  guerre  de  1667  à  1608, 
année  de  la  glorieuse  paix  d'Aix-la-Chapelle. 

Mais  si  Louis  sut  consentir  .au  traité  d'Aix-la- 
Chapelle,  dans  lequel  il  évita  d'alarmer  l'Europe 
par  un  agrandissement  démesuré,  il  ne  le  fit  pas 
sans  conserver  contre  la  Hollande,  qui  l'avait  ar- 
rêté dans  ses  projets  de  conquête,  un  vif  ressenti- 
ment et  sans  former  dès  cette  époque  le  projet  de  se 
venger  d'elle.  Il  faut  reconnaître  que  la  conduite 
des  Hollandais  fut  des  plus  inconsidérées.  Qu'ils 
eussent  oublié  que  leur  république  était  née  et 
avait  grandi  à  l'ombre  de  la  maison  de  France, 
on  peut  l'admettre.  Le  souvenir  des  services  ren- 
dus ne  saurait  prévaloir  en  politique  sur  la  crainte 
d'un  danger  prochain.  Les  Hollandais  avaient 
eu  raison  d'être  effrayés  par  l'invasion  de  la 
Flandre  et  par  le  rapprochement  des  frontières  de 
France.  Mais  ils  commirent  une  grave  imprudence 
en  considérant  la  paix  d'Aix-la-Chapelle  comme 
un  triomphe  qui  leur  était  propre,  et  en  humiliant 
la  fierté  de  Louis  XIV  par  des  médailles  aussi 
pompeuses  que  mensongères.  Louis  XI\,  en  pa- 
raissant vouloir  châtier  leur  ingratitude,  obéit  au 
seul  désir  de  venger  son  orgueil  blessé.  Il  sembla 
préparer  une  guerre  de  politique,  mais  en  réalité 
il  prépara  une  guerre  de  ressentiment.  Pendant 
les  quatre  années  qui  s'écoulèrent  entre  la  paix 
d'Aix-la-Chapelle  et  l'invasion  de  la  Hollande 
(I6ijS-1072i,  il  négocia  très  habilement  avec  toute 
l'Europe  afin  de  la  rendre  favorable  à  l'exécution 
de  ses  projets.  Lionne  l'y  aida  puissamment,  et  là 
encore,  surtout  avec  l'Angleterre,  dont  on  acheta 
\  prix  d'argent  le  roi  Charles  il,  on  réussit  dans 
tontes  les  négociations  entreprises. 

Malheureusement  Lionne  ne  vécut  pas  assez 
longtemps  pour  faire  prévaloir  dans  l'exécution 
de  la  campagne  contre  les  Hollandais  la  mèine 
sagesse  et  la  môme  prudence  que  dans  ses  prépa- 
ratifs. Il  poursuivait  en  effet  non  pas  leur  ruine, 
mais  leur  châtiment.  Lionne  mort,  et  un  ministre 
violent,  Louvois,  ayant  succédé  dans  la  faveur  du 
roi  à  un  ministre  sage,  Louis  XIV  poussa  sa  vic- 
toire jusqu'à  ses  conséquences  extrêmes  et  com- 
mit ainsi  la  faute  capitale  d'où  résulteront  tous 
les  désastres  de  la  fin  du  règne.  En  voulant  écra- 
ser la  Hollande,  Louis  XIV,  loin  de  parvenir  à 
l'abattre,  la  réduisit  à  ces  efforts  désespérés  et 
sublimes  qui  produisent  les  retours  de  fortune. 
Sur  les  cadavres  des  frères  de  Witt,  massacrés 
dans  une  insurrection,  sur  les  débris  du  parti 
français  en  Hollande,  s'éleva  Guillaume  d'Orange, 
qui,  pour  sauver  son  pays  de  l'invasion,  n'hésita 
pas  à  l'inonder  en  faisant  rompre  les  digues.  Le 
défenseur  de  l'indépendance  hollandaise  devint  en 
108s  celui  du  protestantisme  anglais,  et,  sta- 
thouder  révolutionnaire  de  1672,  puis  roi  d'An- 
gleterre, ne  cessa  d'être  l'antagoniste  le  plus  for- 
midable de  Louis  XIV,  le  négociateur  opiniâtre 
de  toutes  les  coalitions  formées  contre  lui,  son 
ennemi  implacable  et  finalement  victorieux.  C'est 
l'inexcusable  abus  de  la  force  auquel  se  laissa 
entraîner  Louis  XIV  qui  a  ouvert  la  carrière  de 
Guillaume  IH,  en  lui   inspirant  la  noble   anibi- 


LOUIS 


—  1211  — 


tion  de  délivrer  son  pays  de  l'invasion  ;  car  il  était 
dans  la  destinée  de  ce  grand  homme  de  mériter 
par  un  immense  service  rendu  chacun  de  ses 
agrandissements  de  fortune  :  il  devint  stathouder 
en  sauvant  la  nationalité  de  la  Hollande,  roi  d'An- 
gleterre en  débarrassant  celle-ci  du  despotisme, 
chef  de  la  ligne  d'Augsbourg  en  préservant  l'Eu- 
rope de  1  assujettissement. 

Néanmoins,  si  l'on  tomba  dès  lors  dans  le  mépris 
de  la  modération  et  de  la  prévoyance,  les  consé- 
quences de  cette  nouvelle  poli  tique  ne  furent  pas  im- 
médiates, ou,  du  moins,  furent  compensées  par  l'ha- 
bileté des  généraux  illustres  que  comptait  encore  la 
l-rance.  La  campagne,  conduite  par  Turenne,  qui 
incendia  le  Palatinat,  puis  après  sa  mort   16751  par 
l.ondé,  1  admirable  organisation  de  l'armée  par  Lou- 
yois,  aussi  bon  administrateurque  politique  violent, 
les  victoires   remportées  par  Turenne,   Condé  et 
Uuquesne,  aboutirent  au  traité  de  Nimègue,  signé 
le  10  août  IG78  et  qui  marque  lépoque  de  la  gran- 
deur de  Louis  \IV.  Par  ce  traité,  la  France  acquit 
la  l'ranche-Comté  et  quatorze  villes  des  Pays-Bas. 
Ce  fut  encore  Louis  XIV  qui  rompit  cette  paix 
en  prenant  violemment  possession  de  Strasbourg, 
de  Kehl,  de  Dixmude  et  de  Luxembourg.  La  trêve 
de  Katisbonne  conclue  en  l(i84  sembla  amener  la 
paix,  mais  sans  apaiser  les  ressentiments  de  l'Eu- 
rope, qui  se  manifestèrent  en   iGNii  par  la  ligue 
dAugsbourg,  unissant  contre  Louis  XIV,  s'il  vio- 
lait de  nouveau  les  traités,  l'empereur  d'Allemagne, 
le  roi  d  Espagne,  la  Hollande,  la  Suède  et  la  Savoie. 
L.  avènement  du  prince  d'Orange  au  trône  d'Angle- 
terre eut  pour  effet  do  joindre  l'Angleterre  aux  puis- 
sances déjà  coalisées  contre  Louis  XIV,  et  de  substi- 
tuer, à  la  ligue  de  1688,  la  grande  ligue  de  IG89. 
Pendant  ce  temps,  des  événements  importants  se 
produisaientà  l'intérieur.  Des  différends  s'étant  éle- 
vés entre  Louis  XIV  et  la  cour  de  Rome  à  l'occasion 
de  la  re.'ja!e,  droit  féodal  grâce  auquel  les  rois  jouis- 
saient des  fruits  temporels  des  archevêchés  et  des 
évèches  pendant  leur  vacance,  Louis  XIV  voulut 
faire  juger  la  r,uerelle  par  le  clergé  de  France  lui- 
même.  Le   16  juin  1681,  il  convoqua  une  assem- 
blée générale  du   clergé   qui,  réunie  en  I6S-.>,   se 
rangea  de  l'avis  du  roi.  Le  pape  s'étant  refusé  k 
accepter  cette  décision,  l'assemblée  du  clergé  de 
ï  rance  chargea  Bossuet  de  rédiger  une   déclara- 
tion solennelle  des  maximes  du  pays  sur  la  puis- 
sance ecclésiastique.   Adoptée  i  1  unanimité,  elle 
]f  J^omokguae    par    le    parlement   le    2.i    mars 
lb».i  en  même  temps  qu'un  édit  du  roi  qui  pres- 
crivait d  enseigner  la  doctrine  contenue  dans  cette 
déclaration.  Les  quatre  fameux  articles  de  la  dé- 
claration  portent    en   substance  que  le  pape   et 
llig lise  nont  d'autorité  que  sur  les  choses  spiri- 
tuelles et  n'en  ont  aucune  sur  les  choses  tempo- 
relles ;  qu  en  conséquence  les  rois  (et  nécessaire- 
ment tous  les  gouvernements  civils)   ne  sont  en 
rien  soumis  à  l'autorité  ecclésiastique.  Cette  doc- 
trine n  était  pas  nouvelle  ;  elle  était  conforme  aux 
maximes  des  libertés  de   VEglhe  galUcane   réu- 
nies et  publiées  un  siècle  auparavant   par  Pierre 
i;itnou  et  qui  avaient  toujours  été  pratiquées  en 
Irance,  et  elle  n'était,  selon  Bossuet,  ..  que   la 
doctrine  même  de  l'Ecriture  et  de  la  tradition.  « 
Colbert  mourut  en  disgrâce  le  6  septembre  168;!. 
yuelque    temps  après,  son   œuvre   principale  fut 
uetruite,   ou   du   moins  singulièrement   compro- 
mise   par  la  révocation  de   l'édit  de    Nantes.  Par 
cet  edit  Henri  IV  avait,  le  13  avril  f598,  accordé 
a  iioerte  de  conscience  aux  protestants  et  permis 
1  exercice  public  de  leur  religion  dans  un  certain 
nombre    de   villes.   En    outre,  il  avait  créé   une 
Chambre  de  l'Edit  pour  connaître  des  procès  des 
rtioimes.  Cet  edit,  enregistré  par  le  parlement  le 
^  levrier  1699,  subsista  jusqu'au  'Il  octobre  I68.i. 
cédant  alors  à  l'influence  néfaste  de  M""-'  de  Mainte- 
non,  influence  qui  ne  saurait  être  mise  en  doute 


LOUIS 


depuis  la  |)ublication  des  lettres  complètes  de  la 
princesse  Palatine,  duchesse  d'Orléans,  Louis  XIV 
révoqua  l'édit  de  Nantes.  Par  là  il  chassa  do 
France  des  milliers  de  familles  honnêtes  et  labo- 
rieuses qui  allèrent  porter  à  l'étranger  les  secrets 
de  nos  industries  nationales.  Plus  de  200  000  pro- 
testants émigrèrent.  Le  souvenir  des  Dragnmvides 
est  attaché  à  cette  funeste  mesure,  qui  porta  au 
commerce  et  à  l'industrie  de  la  France  un  coup 
dont  elle  fut  longtemps  à  se  relever.  Les  Dragon- 
nades consistaient  à  placer,  chez  les  protestants 
qui  refusaient  de  se  convertir,  des  garnisaires, 
presque  toujours  des  dragons,  qui  se  livraient  à 
tous  les  excès,  qui  pillaient  et  torturaient  jusqu'à 
l'abjuration  des  infortunés.  Aucun  de  ces  excès 
ne  fut  châtié,  et  Louvois  prescrivait  aux  inten- 
dants, en  novembre  168."),  «  de  laisser  les  soldats 
vivre  fort  licencieusement.  .-  La  révocation  de  l'é- 
dit de  Nantes  et.  les  persécutions  qu'elle  amena 
firent  rapidement  perdre  à  la  France  la  supréma- 
tie économique  qu'elle  avait  conquise. 

C'est  à  ce  moment  que  Louis  XIV  entreprit, 
contre  la  coalition  formidable  dont  Guillaume  d'O- 
range était  l'àme,  la  guerre  dit,e  d'Allemagne  ou 
de  la  ligue  d'Augsbourg,  qui  dura  huit  années 
(1689-169").  La  France  y  conserva  la  réputation 
de  ses  armes,  mais  LouisJ  .\IV  se  vit  en  défini- 
tive contraint  de  subir  les  conditions  que  lui  dic- 
tèrent les  alliés.  Le  second  incendie  du  Palatinat 
(1689;,  la  conquête  des  trois  électorats  ecclésias- 
tiques, la  victoire  de  Luxembourg  à  Fleurus  sur 
les  Allemands  et  de  Catinat  à  StafTarde  sur  le  duc 
de  Savoie  (UMO),  furent  les  événements  principaux 
des  deux  premières  campagnes.  En  IU91,  Louis  XIV 
s'empara  de  Mens,  et  en  1692,  de  Namur.  Les  vic- 
toires remportées  par  Luxembourg  à  Steinkerque 
(1692)  et  à  Nerwinde  (1693),  et  par  Catinat  à  la 
Marsaille  (1693)  furent  balancées  par  la  terrible 
invasion  de  Victor-Amédée,  duc  de  Savoie,  et  par 
la  défaite  navale  de  la  Hogue.  Louis  XIV,  dont  les 
victoires  avaient  été  stériles,  fut  contraint  d'aban- 
donner ses  conquêtes  pour  avoir  la  paix.  Par  le 
traiié  de  Ryswick  (1697),  il  renonça  à  la  Lorraine 
et  à  la  plus  grande  partie  des  réunions  opérées 
précédemment  aux  dépens  de  l'Empire.  En  outre, 
il  fut  obligé  de  reconnaître  le  prince  d'Orange, 
Guillaume  III, pour  roi  d'Angleterre. 

La  succession  d'Espagne  étant  sur  le  point  de 
devenirvacanteparsuite  delà  débilité deCharles II, 
Louis  XIV  s'était  empresséde  partager  d'avance  les 
Etats  espagnol?  avec  Guillaume  d'Orange  et  l'empe- 
reur Léopold,  quand  tout  à  coupon  apprit,  en  même 
temps  qiielamortde  Charlesll,  l'existenced'un tes- 
tament qui  instituait  pour  unique  hérilierPhilippe, 
duc  d'Anjou,  second  fils  du  Dauphin  de  France.  Ac- 
cepter ce  testament,  c'était  annuler  le  récent  traité 
de  partage  et  irriter  profondément  l'Europe.  Au 
lieu  de  calmer  cette  irritation  fort  naturelle, 
Louis  XIV  l'aigrit  et  fortifia  les  craintes  de  tous 
par  d'inexcusables  maladresses  et  par  des  fautes 
capitales.  Par  des  lettres  patentes,  il  maintient  au 
duc  d'Anjou  (devenu  roi  d'Espagne  sous  le  nom 
de  Philippe  V,  ses  droits  au  trône  de  France,  et 
confirme  ainsi  le  danger  de  voir  un  jour  l'équilibre 
européen  rompu  par  la  réunion  sous  le  même 
sceptre  de  deux  grandes  monarchies.  En  même 
temps  il  fait  prescrire  par  la  cour  de  IWadrid  à 
tous  les  gouverneurs  des  possessions  espagnoles 
d'obéir  désormais  aux  ordres  du  roi  de  France 
comme  à  ceux  de  Philippe  V.  Puis  il  viole  la  paix 
de  liyswick  par  l'invasion  inopportune  des  Pays- 
Bas  espagnols;  et,  en  traitant  comme  roi  d'Angle- 
terre le  fils  de  Jacques  II,  réfugié  à  Saint-Germain, 
il  blesse  la  fierté  du  peuple  anglais  auquel  il  sem- 
ble imposer  un  maître.  A  l'Autriche  qui,  seule  d'a- 
bord, a  rejeté  le  testament.  Louis  XIV  vient  de  don- 
nerainsi  pour  alliés  la  Hollande  irritée  de  la  violation 
menaçante  d'un  territoire  voisin,  et  l'Angleterre 


LOUIS 


—  1212  — 


LOUIS 


blessée  d'un  tel  attentat  à  ses  droits.  Le  hautain 
monarque  a  dès  lors  le  triste  privilège  de  mériter 
la  devise  que  lui  avait  appliquée  Louvois  :  a  Seul 
contre  tous.  » 

Contre  la  nouvelle  coalition  qui  se  prépare,  les 
ressources  de  la  France  sont  devenues  bien  insuf- 
fisantes. Louvois  est  mort.  Les  grands  capitaines  ne 
dirigent  plus  les  armées.  Turenne  et  Condé  ne  sont 
plus.  Le  maréchal  de  Luxembourg,  élève  digne  de 
tels  maîtres,  a  disparu  comme  eux,  ainsi  que  les 
deux  plus  redoutables  marins  qu'ait  eus  la  France, 
Duquesne  et  Tourville.  A  Catinat  tombé  en  dis- 
grâce, ont  succédé  les  Marsin,  les  Tallard,  les 
Villeroy.  M"»  de  Maintenon,  conseillère  fatale 
dont  Louis  XIV  avait  fait  sa  femme,  inspirait  ses 
.choix,  ses  ordres;  grâce  à  elle,  l'incapable  Pont- 
chartrain  et  le  léger  Chamillard  occupaient  la 
place  illustrée  par  Louvois  et  Colbert.  Laterre.à  la- 
quelle les  armées  si  souvent  renouvelées  ont  en- 
levé ses  laboureurs,  languit  et  souffre,  et  le 
peuple,  chargé  d'impôts,  désire  ardemment  la 
paix,  au  moment  même  où  de  fausses  mesures 
Tiennent  de  précipiter  la  France  dans  une  longue 
guerre  qui  mettra  son  existence  en  péril. 

Cependant  ses  débuts  ne  furent  pas  marqués  par 
des  revers  immédiats.  L'armée  française,  habituée 
jusque-là  à  vaincre,  suivit  quelque  temps  encore 
l'impulsion  donnée.  Mais,  comme  lui  manquaient 
à  la  fois  les  généraux,  l'argent  et  les  soldats,  elle 
ne  tarda  pas  à  succomber.  Tallard  est  battu  à 
Hochstedt  (170*);  Villeroy  à  Ramillies  (l'Oii), 
Philippe  V  est  chassé  de  Madrid  par  les  confédé- 
rés, et,  après  la  défaite  que  Marlborough  fait  es- 
suyer à  Vendôme  près  d'Oudenarde  (HUS),  il  faut 
songer  à  défendre  les  frontières  elles-mêmes  qui 
sont  envahies.  Ce  n'est  pas  tout.  Aux  revers  qui 
démoralisent  l'armée  et  qui  compromettent  le 
sort  de  la  France,  viennent  s'ajouter  les  calamités 
qui,  pénétrant  dans  son  cœur  même,  le  rojigent. 
La  révolte  des  Oamisarcls,  protestants  des  Céven- 
nes  exaspérés  par  les  persécutions  (1702-1704) 
n'est  apaisée  que  par  un  arrangement  conclu  avec 
le  chef  des  insurgés,  Jean  Cavalier.  Une  famine  gé- 
nérale, succédant  h  un  hiver  des  plus  rigoureux, 
tombe  sur  le  peuple  et  le  décime  (l 709).  La  mort 
ne  s'appesantit  pas  seulement  sur  lui  ;  elle  entre 
aussi  dans  la  demeure  royale  et  la  ravage. 
Louis  XIV,  accablé  comme  roi,  est  frappé  comme 
père.  Son  fils,  ses  petits-fils,  le  précèdent  au  tom- 
beau. La  duchesse  de  Bourgogne,  dont  le  sourire 
parvient  encore  à  égayer  la  cour  assombrie,  est 
ravie  tout  à  coup,  et  de  cette  nombreuse  posté- 
rité, ornement  et  soutien  de  la  couronne,  splen- 
dide  cortège  pour  la  longue  vieillesse  du  roi,  seul 
un  rejeton  subsiste.  Les  yeux  du  monarque,  qui 
voyait  naguère  se  presser  autour  de  lui  trois  géné- 
rations, ne  se  reposent  plus  maintenant  que  sur 
un  enfant  faible  et  débile. 

Louis  XIV  consenti  s'humilier  et  k  demander  la 
paix.  Mais  les  sacrifices  auxquels  il  se  soumet, et 
que  Rouillé  et  Torcy  sont  allés  annoncer  à  La 
Haye  aux  plénipotentiaires,  font  naître  chez  les 
alliés  de  nouvelles  exigences  plus  rigoureuses  en- 
core. Le  prince  Eugène,  Marlborough  et  le  grand 
pensionnaire  de  Hollande,  Heinsius,  qui  sont  ;i  la 
tête  de  la  coalition,  et  qu'unit  une  haine  commune 
contre  Louis  XIV,  ne  se  laissent  plus  diriger  par  la 
prudence,  qui  est  toujours  modérée,  et  ils  émettent 
de  telles  prétentions  que  Louis  XIV  adresse  un 
appel  à  la  nation.  Cet  appel  est  entendu.  Un  pa- 
triotique enthousiasme  étouffe  les  gémissements 
et  les  cris  de  détresse  qui  depuis  longtemps  s'é- 
lèvent de  toutes  parts.  «  Ce  ne  fut,  dit  Saint- 
Simon  dans  ses  mémoires,  qu'un  cri  d'indigna- 
tion et  de  vengeance.  »  Les  volontaires  accou- 
rent, et  Villars,  mandé  de  la  Savoie,  se  place  h 
leur  tête.  Mais  il  est  battu  h  Malplaquet  (1709). 
tandis  qu'en  Espagne  la  défaite  de  Saragosse  force 


Philippe  V  d'abandonner  une  seconde  fois  sa  ca- 
pitale. 

Louis  dut  céder  davantage.  Il  envoya  Polignac 
et  Huxelles  à  Gertruydenberg ,  proposant  cette 
fois  :  de  ne  plus  donner  aucun  secours  h  son 
petit-fils  en  Espagne,  de  rendre  Strasbourg  et 
Brisach,  de  renoncer  à  la  souveraineté  sur  l'Alsace, 
de  rasor  toutes  ses  places  depuis  Bâlo  jusqu'à 
Philipsbourg,  et  de  combler  le  port  de  Dunkerque. 
Il  alla  même  jusqu'à  offrir  un  million  par  mois 
pour  aider  les  alliés  à  détrôner  Philippe  V.  Mais 
ces  offres,  qui  s'étendaient  avec  ses  désastres,  ne 
suffirent  pas.  On  exigea  qu'il  détrônât  lui-même  et 
tout  seul  son  petit-fils. 

Jamais  la  France  n'a  été  plus  près  de  sa  perte. 
Ses  frontières  septentrionales  étaient  envahies, 
ses  ports  du  sud  menacés  et  un  projet  de  démem- 
brement était  discuté  par  les  coalisé^.  De  cet  état 
où  l'avaient  jetée  l'orgueil  et  les  fautes  de  Louis 
XIV,  elle  fut  tirée,  grâce  à  la  mort  de  l'empereur 
Joseph  et  grâce  à  la  chute  du  parti  whig  en  An- 
gleterre. Si  l'archiduc  Charles,  remplaçant  l'empe- 
reur Joseph  sur  le  trône  impérial,  fût  en  même 
temps  resté  roi  des  Espagnes,  l'Europe  coalisée 
eût  rétabli  en  lui  la  puissance  formidable  de 
Charles-Quint.  C'est  ce  que  l'on  comprit  en  An- 
gleterre. Le  parti  «hig,  qui  avait  Godolphin  pour 
ministre  et  Jlariborough  pour  général,  fut  renversé 
par  le  parti  tory  dirigé  par  Bolingbroke.  Dès  lors 
la  paix  était  assurée.  Elle  fut  facilitée  par  la  vic- 
toire remportée  par  le  duc  de  Vendôme  à  Villa- 
viciosa  en  Espagne,  et  par  celle  de  Villars  à 
Denain.  Le  célèbre  congrès  d'Utrecht,  ouvert  en 
février  1712  et  terminé  le  11  avril  1713,  régla  les 
conditions  de  la  paix.  On  y  établît  comme  l'une 
des  règles  fondamentales  du  droit  européen  la  sé- 
paration perpétuelle  des  deux  monarchies  de 
France  et  d'Espagne.  Les  Hollandais  obtinrent  la 
fameuse  barrière  depuis  longtemps  demandée  par 
eux.  et  pour  laquelle  Louis  XIV  céda  Menin, 
Tournai,  Furnes,  Dixmude  et  Ypres.  Les  Anglais 
eurent  Gibraltar  et  Minorque  arrachés  à  l'Espagne, 
et  la  France  leur  accorda  quelques-unes  de  ses  colo- 
nies, le  coniblementduportdeDunkerque, la  recon- 
naissance de  la  succession  protestante  et  le  renvoi 
du  prétendant.  Les  Pays-Bas,  le  royaume  de 
Naples,les  ports  de  Toscane  et  le  duché  de  Milan 
étaient  réservés  à  l'empereur.  Celui-ci  n'agréa  pas 
tout  d'abord  ces  contlitions.  Mais,  Villars  s'étant 
emparé  de  Landau  et  de  Fribourg,  les  traités  de 
Rastadtet  de  Bade,  conclus  avec  l'Empire  en  1714, 
ratifièrent  les  décisions  du  congrès  d'Utrecht.  Cette 
longue  contestation,  pendant  laquelle  Louis  XIV 
avait  failli  tout  perdre  pour  avoir  eu  une  ambi- 
tion trop  démesurée,  et  n'avait  été  sauvé  que  par 
l'ambition  désordonnée  des  coalisés,  se  terminait 
par  l'établissement  d'une  dynastie  française  en 
Espagne  et  par  un  partage. 

Les  graves  périls  auxquels  le  despotisme  du  roi 
venait  d'exposer  la  France  furent  pour  Louis  XIV 
un  châtiment,  mais  non  une  leçon.  Jusqu'au  der- 
nier jour,  il  crut  à  son  omnipotence  et  la  ma- 
nifesta par  les  actes  les  plus  arbitraires.  Ce 
prince,  qui  était  si  jaloux  de  son  autorité,  se  laissa 
souvent  diriger,  et,  après  avoir  pris  durant  de 
longues  années  la  voix  de  ses  passions  pour  celle 
de  son  devoir,  il  prenait  maintenant  la  voix  de  son 
confesseur  pour  sa  conscience.  C'est  en  cédant 
aux  habiles  insinuations  du  père  Tellier  qu'il 
chassa  de  leur  retraite  les  solitaires  de  Port- 
Royal,  qu'il  disgracia  Fénelon,  et  qu'il  se  jeta  dans 
de  ridicules  querelles  théologiques  en  faisant 
condamner  par  le  pape  le  livre  du  père  Quesnel. 
Ta)it  d'intolérance  en  matière  religieuse  ne  suffit 
pas  pour  couronner  tristement  un  règne  dont  les 
débuts  avaient  été  glorieux.  Louis  XIV,  entraîné 
par  M""  de  Maintenon,  voulut  élever  sa  vo- 
lonté personnelle  au-dessus  des  lois  du  royaume. 


LOUIS 


1213  — 


LOUIS 


^'C•  se  contentant  pas  de  faire  épouser  ses  enfants  1 
adultérins  par  des  princes  et  des  princesses  légi- 
times, il  les  avait  légitimés  et  leur  avait  donné  le 
pas  sur  les  seigneurs  du  royaume.  Il  fit  plus.  Par 
un  édit  do  l'U,  il  leur  reconnut  des  droits  à  la 
couronne  de  France.  11  méditait  des  projets  plus 
désastreux  encore;  il  préparait  la  réunion  d'un 
concile  national  appelé  à  proscrire  une  partie  du 
clergé,  et  il  allait  de  nouveau  rompre  la  paix  du 
monde  en  tentant  de  rétablir  le  lils  de  Jacques  II 
sur  le  trône  d'Angleterre,  quand  uno  maladie 
mortelle  s'empara  de  lui  dans  les  premiers  jours 
du  mois  d'août  ni.'>.  La  résignation  qu'il  montra, 
le  langage  touchant  qu'il  tint,  les  regrets  qu'il  ma- 
nifesta des  fautes  commises,  font  de  sa  mort  un 
spectacle  qui  n'est  pas  dénué  de  grandeur.  Il  eût 
été  h  souhaiter  qu'il  eût  appliqué  durant  sa  vie  les 
beaux  préceptes  qu'il  donna  à  son  successeur  en- 
fant (le  futur  Louis  XV)  au  moment  des  adieux 
suprêmes. 

Louis  XIV  mourut  le  1"  septembre  1715.  Il  avait 
régné  soixante-douze  ans.  Il  avait  épousé  en 
16G0  Marie-Thérèse,  fille  du  roi  d'Espagne,  dont  il 
eut  plusieurs  enfants,  parmi  lesquels  un  seul  vé- 
cut, le  dauphin  Louis  ;  celui-ci  eut,  d'une  princesse 
de  Bavière,  le  duc  de  Bourgogne,  père  de  Louis  XV; 
Philippe,  duc  d'Anjou,  roi  d'Espagne  sous  le  nom 
de  Philippe  V;  et  le  duc  de  Berry,  Des  liaisons 
de  Louis  XIV  avec  M"'  de  la  Vallière  et  M"""  de 
Montespan  naquirent  un  grand  nombre  d'enfants 
naturels  ou  adultérins. 

Louis  XIV  possédait  plusieurs  des  qualités  qui 
font  les  grands  rois.  11  avait  au  suprême  degré  le 
sentiment  de  la  grandeur.  La  rareté  et  la  brièveté 
de  ses  paroles  ajoutaient  beaucoup  à  sa  majesté. 
11  n'avait  pas  dans  l'esprit  les  heureuses  saillies 
d'Henri  IV,  mais  son  jugement  était  droit,  et  quand 
ses  passions  ne  l'aveuglaient  pas,  il  voyait  juste. 
■'  Jamais,  dit  Saint-Simon,  personne  ne  donna  de 
meilleure  grâce  et  n'augmenta  tant  par  là  le  prix 
de  ses  bienfaits;  jamais  homme  si  naturellement 
poli,  ni  d'une  politesse  si  fort  mesurée,  si  fort  par 
degrés,  ni  qui  distinguât  mieux  l'âge,  le  mérite, 
le  rang.  »  Appliqué,  persévérant  et  résolu,  il  eut 
l'esprit  de  détail  et  de  suite,  mais  non  ce  haut 
discernement  et  celte  vue  d'ensemble  qui  font  les 
grands  politiques.  Si  sa  vie  manque  de  cette  unité 
qui  distingue  la  vie  de  Richelieu  s'avançant  sans 
cesse  vers  un  but  marqué  d'avance,  c'est  parce 
que  Louis  XIV  laissa  diriger  sa  vie  à  laquelle  les 
influences  fort  diverses  de  Lionne,  de  Colbert,  de 
Louvois,  du  père  Tellier  et  de  M""  de  Mainte- 
non  donnèrent  des  aspects  fort  différents.  Ce  prince 
qui  a  dit  dans  ses  Mémoires  «  qu'un  roi  doit  se 
décider  lui-môme,  parce  que  la  décision  a  besoin 
d'un  esprit  de  maître,  et  que,  dans  le  cas  où  la 
raison  ne  donne  plus  de  con'seils,  il  doit  s'en  fier 
aux  instincts  que  Dieu  a  mis  dans  tous  les  hommes 
et  surtout  dans  les  rois,  »  s'est  le  plus  souvent 
laissé  inspirer  ces  instincts  par  ceux  qui  l'entou- 
raient et  qui  savaient  déguiser  l'empire  de  l'esprit 
sous  la  forme  tantôt  du  conseil,  tantôt  de  la  flatte- 
rie, tantôt  du  dévouement.  Assurément  Louis  XIV 
connut  mieux  que  personne  les  services  émi- 
nents  que  lui  rendit  Colbert  en  restaurant  les 
finances,  en  fondant  les  manufactures,  en  proté- 
geant le  génie  dans  ses  plus  illustres  représen- 
tants. Mais  pourquoi  a-t-il  cessé  d'apprécier  ses 
services  et  l'a-t-il  laissé  mourir  dans  la  disgrâce, 
lorsque  l'ascendant  de  Louvois  s'est  pou  à  peu 
substitué  à  l'heureuse  influence  de  Colbert?  Assu- 
rément aussi,  Louis  XIV  s'est  mis  tout  entier  dans 
la  belle  campagne  diplomatique  qui  inaugure  si 
glorieusement  son  règne  personnel.  Mais  comment 
pourrait-on  lui  en  laisser  à  lui  seul  le  mérite, 
comment  pourrait-on  contester  la  grande  part  qui 
en  revient  à  Lionne,  lorsqu'on  voit,  à  la  mort  de 
ce  ministre,  le  roi  habile  devenir  un  roi  passionné, 


passer  brusquement  d'entreprises  modérées  et 
sages  à  des  actes  exagérés  de  vengeance,  et  com- 
mencer une  série  do  fautes  qui  devaient  incliner 
l'Etat  vers  sa  ruine'?  Si  le  merveilleux  esprit  d'ha- 
bileté qui  a  inspiré  la  première  période  du  règne 
émane  tout  entier  de  Louis  XIV,  pourquoi  cet 
esprit  n'a-t-il  pas  survécu  à  Lionne?  Sont-cc  des 
événements  imprévus  et  qu'on  ne  saurait  imputer 
au  monarque  qui  ont  porté  plus  tard  un  si  rude 
échec  à  sa  politique?  Xon,  c'est  lui  seul  qui,  sui- 
vant les  inspirations  de  la  passion,  ou  subissant  la 
néfaste  influence  d'une  conseillère  au  génie  étroit, 
a  détruit  l'industrie  nationale  par  la  révocation  de 
l'édit  de  Nantes,  et  coalisé  l'Europe  contre  la 
France  par  un  violent  abus  de  la  force  en  Hollande. 
Les  désastres  de  la  fin  du  règne,  pendant  lesquels 
Louis  XIV  reste  personnellement  très  grand  par 
la  résignation  touchante  et  de  magnifiques  élans 
de  coeur,  ces  désastres  résultent  de  ce  qu'il  a  subi 
sans  cesse  des  directions,  bien  que  très  jaloux  de 
son  pouvoir.  Son  règne  ne  présente  de  l'unité  que 
si  l'on  considère  le  caractère  personnel  du  mo- 
narque, qui  est  resté  grand  jusqu'à  son  lit  de 
mort. 

Ce  prince,  qui  a  subi  tant  d'influences,  a-t-il 
lui-même  exercé  une  influence  aussi  considéra- 
ble qu'on  l'a  dit  sur  les  grands  hommes  de  son 
temps?  Les  panégyristes  le  montrent  se  présen- 
tant à  la  postérité  avec  un  cortège  de  génies  im- 
mortels. On  le  voit  ayant  à  la  tête  de  ses  armées 
Turenne,  Condé,  Luxembourg,  Catinat,  Vendôme 
et  Villars.  Duquesno  et  Tourville  commandent 
ses  escadres.  Lionne,  Colbert,  Louvois ,  Torcy 
sont  appelés  dans  ses  conseils.  Bossuet,  Bour- 
daloue,  Massillon  lui  font  connaître  ses  de- 
voirs. Mole,  Laraoignon,  Talon  et  d'Aguesseau 
illustrent  son  parlement.  Vauban  fortifie  ses  ci- 
tadelles et  Riquet  creuse  ses  canaux.  Perrault  et 
Mansart  construisent  ses  palais  qu'embellissent 
Puget,  Girardon,  Poussin,  Le  Sneur,  Mignard 
et  Le  Brun,  tandis  que  Le  Nostre  en  dessine  les 
jardins.  Corneille,  Racine,  Molière,  Descartes, 
Pascal,  Quinault,  La  Fontaine,  La  Bruyère,  Boi- 
leau  éclairent  sa  raison  ou  amusent  ses  loisirs. 
Montausier,  Bossuet,  Beauvilliers,  Fénelon,  Flé- 
chier,  Fleury  élèvent  ses  enfants.  S'il  fallait  en 
croire  les  panégyristes,  toutes  ces  gloires  auraient 
plus  ou  moins  profité  de  l'influence  de  Louis  XIV. 
Mais  les  dates  sont  impitoyables,  et  leur  examen 
attentif  amène  à  réduire  considérablement  un 
rôle  démesurément  grossi.  Louis  XIV  n'a  effecti- 
vement régné  qu'en  IC61.  Or,  à  cette  époque, 
Le  Sueur  était  mort  depuis  six  ans,  et  Poussin 
s'était  retiré  à  Rome,  chassé  de  France  par  les 
cabales  de  ses  ennemis.  Descartes  était  mort  depuis 
onze  ans.  Corneille  avait  depuis  longtemps  publié 
tous  ses  chefs-d'œuvre,  et  Une  devait  guère  donner 
sous  Louis  XIV  qu'y!  9e.>!7fl,s  et  JHî/a.  Pascal,  dont  les 
P)-ot'H!ci'i/es  avaient  paru  depuis  cinq  ans,allalt  mou- 
rir. Enfin,  Molière,  La  Fontaine  et  Bossuet  avaient 
alors  trente-cinq  à  quarante  ans  ;  Us  étaient  donc  à. 
cette  époque  en  pleine  possession  de  leur  génie 
qu'ils  avaient  déjà  révélé,  Molière  par  plusieurs  co- 
médies, La  Fontaine  par  des  contes,  et  Bossuet  par 
ses  admirables  sermons.  Le  vrai  est  que  l'immor- 
telle génération  d'écrivains  du  xvii"  siècle  a  reçu 
son  éducation  littéraire  antérieurement  à  Louis  XIV, 
qu'elle  s'est  formée  pendant  les  troubles  féconds 
de  la  Fronde,  et  que  la  langue,  devenue  plus  tard 
plus  délicate  et  plus  souple,  a  perdu  cette  mâle 
vigueur,  cette  originalité  puissante  qui  la  carac- 
térisent durant  la  première  moitié  du  siècle.  Le 
cardinal  de  Retz  non  plus  ne  dérive  en  rien  de 
Louis  XIV,  car  c'est  dans  le  demi-exil  de  Cora- 
mercy  et  loin  de  la  cour  qu'il  a  écrit  ses  admira- 
bles Mémoires.  Il  a  puisé  dans  l'esprit  du  com- 
mencement du  siècle  cette  libre  allure,  cette 
fierté  dans  la  pensée,  celte  hardiesse  dans  le  lan- 


LOUIS 


—  1214  — 


LOUIS 


gage,  ces  rudes  et  primitives  qualités  qui  le  dis-  1 
iingueijt.  Son  génie  ne  s'est  pas  laissé  énerver  1 
par  l'exquise  politesse  et  l'élégante  régularité  que  i 
Louis  XIV  met  en  honneur.  Il  ne  serait  pas  plus 
exact  d'attribuer  h  Louis  XIV  la  moindre  influence 
surun  autre  auteur  de  mémoires,  Saint-Simon,  cet 
écrivain  si  original  et  si  sévère  qui,  mécontent  de 
son  peu  d'importance  sous  un  roi  auprès  duquel 
l'effaçaient  des  courtisans  qui  ne  le  valaient  pas, 
s'est  dédommagé  de  ses  froissements  par  ses  ré- 
cits, et,  portant  la  lumière  dans  les  recoins  les 
plus  retirés  et  les  plus  sombres  do  cette  cour  si 
brillante  a  la  surface,  en  a  montré  les  pompeux 
ridicules  et  les  misères  cachées. 

Racine,  Fénelon,  M°"  de  Sévigné,  Boileau  et  La 
Bruyère,  tels  sont  les  seuls  écrivains  qui  appar- 
tiennent vraiment  au  règne  personnel  de  Louis  XIV. 
Or,  parmi  ces  grands  écrivains,  il  en  est  deux  au 
moins  qui  n'ont  pas  subi  l'influence  du  roi  :  l'un, 
Fénelon.  qu'il  nommait  un  bel  esprit  chimérique, 
et  dont  la  plupart  des  idées  sont  une  protestation 
peu  déguisée  contre  les  opinions  dominantes, 
contre  le  faste  de  la  cour,  contre  le  goût  des 
conquêtes  ;  l'autre,  La  Bruyère,  qui  atoujours  vécu 
loin  de  la  cour,  et  qui  assurément  n'a  pas  été  ins- 
piré par  Louis  XIV  dans  son  horreur  pour  la 
guerre  et  dans  ses  éloquentes  réclamations  en  fa- 
veur des  paysans  si  malheureux  alors. 

En  réalité,  legénie  nes'épanouit  que  dansune  ère 
de  liberté.  Lesquatre  grands  siècles  littéraires  delà 
France  ont  eu  pour  point  de  départ,  le  premier, 
le  XVI'  siècle,  le  grand  mouvement  dans  les  idées 
produit  par  la  Réforme  ;  le  second,  les  troubles 
de  la  Fronde  ;  le  troisième,  la  mort  de  Louis  XIV  ; 
ie  quatrième,  la  chute  de  Napoléon.  Louis  XIV  a 
eu  la  bonne  fortune  de  recueillir  une  moisson 
glorieuse,  mais  qu'il  n'avait  pas  semée.  Grâce  au 
poids  dont  il  a  pesé  sur  les  esprits,  à  la  fécon- 
dité puissante  de  la  première  moitié  du  siècle  a 
succédé  la  plus  complète  stérilité.  Les  auteurs 
dont  l'esprit  et  le  caractère  se  sont  formés  sous 
le  règne  de  Louis  XIV  sont  Racine  le  fils,  Campis- 
tron  et  Jean-Baptiste  Rousseau. 

Il  serait  pourtant  injuste  de  ne  pas  accorder 
vine  petite  part  à  Louis  XIV  dans  les  grandes 
choses  accomplies  par  Colbert  et  Vauban  avant 
que  ces  deux  immortels  conseillers  fussent  tom- 
bés en  disgrâce.  Les  ordonnances  sur  les  eaux  et 
forêts,  sur  le  commerce  et  sur  la  marine  ;  la  créa- 
tion de  la  compagnie  des  Indes  occidentales  et 
plus  tard  de  la  compagnie  des  Indes  orientales  ; 
les  frontières  de  l'est  et  du  nord  défendues  par 
un  triple  rang  de  forteresses  ;  Rochefort  construit  ; 
Brest  et  Toulon  armés  ;  l'agrandissement  du  Jar- 
din des  plantes,  la  construction  de  l'Hôtel  des 
Invalides  et  de  l'Observatoire  ;  le  château  de  Ver- 
sailles éditié;  Paris  éclairé,  pavé  et  rendu  à  la 
sécurité  par  l'organisation  d'une  police  forte  :  la 
générosité  du  roi  s'étendant  jusque  sur  les  artis- 
tes et  les  savants  étrangers  ;  la  fondation  de  l'é- 
cole de  Rome,  de  l'Académie  des  sciences  et  de 
celle  des  inscriptions  ;  la  réorganisation  de  la  bi- 
bliothèque royale  enrichie  ;  tout  cela  témoignera 
toujours  en  faveur  de  Louis  XIV,  jusque  dans  la 
postérité  la  plus  reculée. 

Mais  ces  mesures  utiles,  ces  créations  grandio- 
ses, ces  splendeurs  éclatantes  dissimulent  trop  aux 
yeux  des  historiens  officiels  l'état  de  misère  profonde 
dans  lequel  était  le  peuple  écrasé  d'impôts  et  lit- 
téralement réduit  à  la  mendicité.  De  loin  en  loin, 
s'élevaient  quelques  voix  éloquentes  et  courageu- 
ses qui  portaient  au  roi  la  vérité.  «  La  plus  grande 
partie  des  habitants  de  ma  province  (le  Dauphiné) 
n'ont  vécu  que  de  pain,  de  glands  et  de  racines, 
et  présentement  on  les  voit  manger  l'herbe  des 
prés  et  l'écorce  des  arbres,  »  écrivait  Lesdiguières 
en  1G"5.  «  Vos  peuples,  sire,  meurent  de  faim, 
s'écriait  Fénelon.  Au  lieu  de  tirer  de  l'argent  de 


ce  pauvre  peuple,  il  faudrait  lui  faire  l'aumône  et 
le  nourrir.  La  France  entière  n'est  plus  qu'un 
grand  hôpital  désolé  et  sans  provisions.  »  Et  Vau- 
ban écrivait  en  17117  :  <i  La  dixième  partie  du 
royaume  est  réduite  à  la  mendicité  et  mendie 
effectivement,  n  Mais  ces  audacieux  défenseurs  de 
la  vérité  étaient  traités  d'esprits  chimériques  et 
tombaient  en  disgrâce.  Leur  témoignage  n'était 
pas  mieux  accueilli  de  Louis  XIV  qu'il  ne  l'a  été 
ensuite  des  historiens  officiels.  Heureusement  dos 
chercheurs  patients  et  consciencieux  sont  venus 
depuis,  qui  se  sont  livrés  à  de  minutieuses  en- 
quêtes et  ont  montré,  par  des  travaux  récents  et 
incontestables,  ce  qu'était  cet  ancien  régime  que 
vantent  ceux  qui  en  regrettent  les  privilèges  ré- 
servés h  quelque.s-uns,  et  que  beaucoup  jugent 
encore  sur  une  enseigne  éclatante   et  trompeuse. 

Il  était,  d'ailleurs,  dans  la  destinée  de  Louis  XIV, 
d'être  le  pire  ennemi  du  système  de  gouverne- 
ment qu'il  représentait,  et  de  préparer  par  ses 
actes  pour  l'avenir  des  résultats  diamétralement 
opposés  au  but  qu'il  poursuivait.  Il  voulut  affermir 
la  religion  catholique  :  il  l'ébranla  en  troublant  les 
consciences,  en  provoquant  des  querelles  théolo- 
giques subtiles  et  en  persécutant  les  protestants. 
Il  voulut  faire  de  la  noblesse  le  plus  ferme  sou- 
tien du  trône  :  il  la  déconsidéra  en  lui  imposant 
dans  la  cour  une  servitude  abjecte  et  recherchée, 
et  en  multipliant  les  charges  qui  anoblissaient.  It 
voulut  détruire  l'autorité  des  parlements  :  en 
remettant  à  celui  de  Paris  son  testament,  il  le  fit 
lui-même  rentrer  dans  la  voie  politique.  Il  voulut 
faire  oublier  dans  la  dernière  partie  de  sa  vie  les 
scandales  qui  avaient  marqué  la  première  :  il  ne 
parvint  qu'à  augmenter  l'hypocrisie  et  à  créer  une 
dévotion  mensongère  et  superficielle.  Il  voulut 
placer  hors  de  toute  atteinte  l'autorité  du  monarque  : 
c'est  avec  lui  que  la  monarchie  commença  à  des- 
cendre cette  pente  de  décadence  sur  laquelle  elle 
ne  s'arrêtera  plus  jusqu'à  la  Révolution.  Enfin,  il 
voulut  apprendre  au  monde  tout  ce  qui  peut  être 
entrepris  de  grand  par  la  centralisation  de  tous 
les  pouvoirs  entre  les  mains  d'un  seul  :  en  réa- 
lité, il  a  démontré,  sans  que,  hélas!  on  s'en  soit 
toujours  souvenu  en  France,  à  quelles  catastro- 
phes s'exposent  les  nations  qui  se  sont  livrées  à 
un  seul  homme.  [Marins  Topin.] 

Louis  X'W  (1715-1774).  —  Histoire  de  France, 
XWII-XXVIII.  —  Ce  prince  était  l'arrièrepetit- 
Hls  de  Louis  XIV.  Parvenu  au  trône  à  l'âge  de 
cinq  ans,  il  a  passé  sa  vie  et  son  règne  dans  une 
perpétuelle  minorité.  Le  régent  Philippe  d'Orléans 
:i7-.;G-n23),  le  duc  de  Bourbon  (1723-1726),  le 
cardinal  de  Fleury  (1720-1743),  des  ministres  obs- 
curs, des  favorhes,  le  duc  de  (ilhoiseul  (1756-Î770), 
les  <i'j«??!î)(i'id'Aiguillon,Maupeou  et  Terray  (l770- 
1774)  ont  dirigé  les  affaires  de  l'Etat.  Sous  ce  mal- 
heureux règne,  le  désordre  des  finances,  les  discus- 
sions religieuses  entre  les  jansénistes  eties  jésuites 
ou  uliramontains.  les  revers  inouïs  de  nos  armées, 
les  écrits  des  philosophes,  et  surtout  l'abaissement 
incroyable  de  la  royauté  cl  de  la  noblesse,  de- 
vaient provoquer  la  ruine  de  la  monarchie. 

Les  dernières  années  du  règne  de  Louis  XIV 
avaient  fatigué  la  France.  Aussi  applaudit-elle  avec 
transport  à  l'avènement  du  jeune  roi.  Le  parle- 
ment, heureux  de  casser  le  testament  de  Louis  XIV, 
qui  nommait  régent  le  duc  du  Maine,  fils  de  M"" 
de  Montespan ,  avait  donné  la  régence  au  duc 
d'Orléans.  L'opinion  publique  réclamait  d'ailleurs 
une  réaction  contre  le  gouvernement  précédent. 
Le  parlement  de  Paris  avait  hâte  de  recouvrer  ses 
prérogatives,  jadis  confisquées  ;  la  haute  noblesse, 
si  longtemps  éloignée  des  affaires  par  des  minis- 
tres bourgeois,  réclamait  et  obtenait  l'institution 
des  Co7>seilt  (171(1),  nouveauté  dangereuse  et  peu 
durable,  qui  livrait  à  soixante-dix  ministres  le  secret 
de  l'Etat.  Au  nom  de  la  tolérance,  le  régent  cessait 


LOUIS 


—  1215  — 


LOUIS 


Il  iii^i'sécutioii  contrôles  protestants  (édit  de  ni")  ; 
an  nom  de  la  liberté,  on  proscrivait  les  hypocrisies 
holennidlos  du  dernier  règne,  jusqu'à  tomber  dans 
la  licence.  Mal  dirigé  par  son  ancien  précepteur 
Dubois,  dont  il  avait  fait  un  conseiller  d'Etat  (nl.S), 
le  régent  donnait  il  la  France  un  exemple  funeste. 
A  l'extérieur,  la  réaction  se  manifestait  aussi  par 
des  alliances  avec  l'Angleterre  et  la  Hollande 
(iUl),  l'Empire  (1718),  et  une  rupture  avec  l'Es- 
pagne (ni'J). 

Louis  XIV  avait  légué  à  son  successeur  de 
graves  embarras  financiers.  On  essaya  d'abord  d'y 
remédier  par  des  suppressions  d'offices  et  une  re- 
fonte des  monnaies.  On  créa  même  une  chambre 
de  justice  contre  les  traitants,  qui  furent  taxés 
h  I5C  millions.  Mais  ces  moyens  furent  insuffisants. 
Un  Ecossais,  John  Law,  proposa  de  créer  une  ban- 
que qui  se  substituerait  aux  compagnies  de  trai- 
tants. On  devait  lui  accorder  en  outre  le  monopole 
des  compagnies  de  commerce,  et,  grâce  à  ces  res- 
sources, comptant  sur  la  confiance  publique,  Law 
émettrait  des  billets  tenant  lieu  de  numéraire,  et 
procéderait  au  remboursement  de  la  dette.  C'était 
la  théorie  du  crédit.  Elle  parut  tout  d'abord  dan- 
gereuse. Law  se  borna  à  fonder  (1710)  une  banque 
particulière,  qui  devintensuitegénéralel  1717).  Puis 
il  fut  mis  à  la  tête  d'une  compagnie  du  Mississipi, 
dont  les  actions  furent  rapidement  enlevées.  La 
banque  fut  enfin  déclarée  banque  royale  (1718).  Les 
actions  alors  se  multiplièrent.  Elles  devinrent 
l'objet  d'un  agiotage  efl'réné.  Le  papier  en  circula- 
lion  dépassa  de  beaucoup  le  numéraire  :  le  si/s- 
tème  tomba.  H  en  résulta  pour  l'Etat  une  banque- 
route, pour  les  particuliers  un  grand  ébranlement 
des  fortunes,  une  incitation  nouvelle  au  luxe  et 
aux  jouissances  matérielles.  Les  intrigues  diplo- 
matiques de  Dubois,  devenu  premier  ministre 
(1722),  n'étaient  pas  à  ces  maux  une  compensation 
suffisante.  Le  régent  mourut  (1723). 

Le  désordre  des  finances  était  irréparable.  Ni  le 
duc  de  Bourbon  (1723-1726),  conseillé  par  Paris- 
Duvernay,  ni  le  cardinal  de  Fleury  (172C-1743), 
malgré  son  économie,  ne  purent  combler  le  gouf- 
fre. Les  réformes  tentées  par  les  contrôleurs  gé- 
néraux Orry  (n:iO-l745).  Machault  (1745-1754), 
Silhouette  ("1759),  Laverdy  (17G  )),  furent  impuis- 
santes. L'abbé  Terray  (17(19-1774)  assuma,  à  la  fin 
du  règne,  la  responsabilité  d'une  banqueroute 
inutile. 

La  bulle  Unigenitus  (1713)  avait  allumé  entre 
les  jansénistes  et  les  ultramontains  une  lutte  qui 
a  duré  autant  que  la  monarcliie.  Elle  devint  vio- 
lente après  la  condamnation  de  Soanen.  évoque 
d'Embrun,  par  un  concile  que  présidait  M.  de 
Tencin, prélat  fort  décrié  (1727).  1,'agilation  passa 
bientôt  de  l'Eglise  au  parlement  et  dans  la  rue. 
Trois  cents  prêtres  furent  interdits  à  Paris.  Le 
parlement  refusa,  malgré  l'ordre  exprès  du  roi, 
d'enregistrer  la  bulle  (1730),  tandis  que  les  jansé- 
nistes frondaient  ouvertement  l'autorité  royale  au 
cimetière  Saint-Médard  (les  convulsionnab-es) .  Le 
parlement  fut  exilé.  Les  magistrats  continuèrent 
néanmoins  h.  lutter  contre  les  doctrines  ultramon- 
taines.  En  1752,  ils  furent  exilés  de  nouveau,  pour 
leurs  attaques  contre  les  curés  de  Paris.  En  1756, 
on  supprima  deux  chambres.  L'attentat  de  Pierre 
Damiens  (1757)  décida  le  gouvernement  à  mettre 
un  terme  k  ces  disputes.  Les  jésuites  furent  expul- 
sés de  France  (1762).  Le  parlement  de  Paris, 
comme  pour  s'assurer  les  faveurs  du  pouvoir,  con- 
damnait en  1759  VEspiit  d'Helvctius  et  V Encyclo- 
pédie; ^n  1762,  VEmile  et  le  Contrat  social.  Mais 
il  ne  renonçait  pas  i  son  opposition  tracassière  et 
sans_  but.  Dès  17(i3  recommençaient  d'aigres  dis- 
cussions sur  les  finances.  Les  parlements  furent 
supprimés  (1771),  et  le  chancelier  Maupeou  les 
remplaça  par  de  nouvelles  cours  de  justice,  qui  sub- 
sistèrent jusqu'à  la  fin  du  règne. 


Les  luttes  entre  les  prêtres  et  les  magistrats 
étaient  fatales  à  la  religion  comme  au  pouvoir. 
«  Je  ne  crois  pas,  écrit  en  1722  la  princesse  Pala- 
tine, qu'il  y  ail  à  Paris,  tant  parmi  les  ecclésiasti- 
que que  parmi  les  gens  du  monde,  cent  personnes 
qui  aient  la  véritable  foi  et  même  qui  croient  en 
Notre-Seigneur.  »  Au  moment  de  la  Révolution, 
un  royaliste  écrira  :  '<  Le  clergé  est  définitivement 
aboli.  On  ne  doit  même  plus  en  parler.  » 

La  royauté,  entre  les  mains  de  Louis  XV,  de- 
vient méprisable.  Dominé  par  des  favorites,  la  du- 
chesse de  Chateaurnux  et  ses  sœurs,  M"=  de  Pom- 
padour,  enfin  M""  Du  Barry.  le  roi  témoigne  pour 
les  affaires  de  l'Etat  la  plus  coupable  indifférence.  La 
France  ne  retire  que  de  médiocres  avantages  des 
guerres  de  la  succession  de  Pologne  (173.3-1735),  de 
la  succession  d'Autriche (1740-1748)  ;  ellese couvre 
de  honte  dans  la  guerre  de  Sept  ans",  qui  a  pour 
conséquence  la  perle  de  nos  colonies  (1756-1763). 
En  vain  Choiseul  (1756-1770)  donne  quelque  éclat 
à  la  monarchie  par  d'utiles  réformes  militaires,  la 
conclusion  du  pacte  de  famille  (1761),  la  réunion  de 
la  Lorraine  h  la  France  (17CU',  et  la  conquête  de  la 
Corse  0768).  Son  successeur,  l'incapable  d'Aiguil- 
lon, assiste  impassible  à  la  ruine  de  la  Pologne  et 
delà  Turquie  f  l77;'-n74). 

Dans  cette  débâcle  de  la  fortune  nationale  et  de 
l'honneur  public,  tout  disparaît,  jusqu'aux  vertus 
militaires.  Aussi,  dès  le  milieu  du  xviu'  siècle,  la 
Révolution  est-elle  imminente.  Ce  ne  sont  point  les 
philosophes  qui  l'ont  provoquée.  La  grande  in- 
fluence de  la  philosophie  éclate  seulement  vers 
1760.  Mais  dès  1748  on  songeait  h  refuser  l'impôt; 
en  1750,  le  peuple  de  Paris  se  soulève  et  menace  de 
brûler  Versailles;  le  mot  de  Révolution  était  déjà 
dans  toutes  les  bouches.  D'Argenson  écrit  en  1753  : 
<  Dans  l'esprit  public  s'établit  l'opinion  que  la 
nation  est  au-dessus  des  rois,  comme  l'Eglise  uni- 
verselle est  au-dessus  du  pape.  »  L'attentat  de 
Damiens  révèle  dans  les  basses  classes  une  haine 
profonde  pour  celui  qu'on  appelait  jadis  le  bien- 
aimé.  Le  bas  peuple,  misérable  dans,  les  villes 
comme  dans  les  campagnes,  accuse  le  roi  de  spé- 
culer sur  les  disettes  et  d'affamer  ses  propres  su- 
jets (pacte  de  famine,  1765).  Les  passions  violentes 
se  calment  et  disparaissent  pour  un  temps  dans  le 
giand  mouvement  philosophique  que  dirigent 
Voltaire,  Rousseau  et  les  rédacteurs  de  VEncyclo- 
pédie.  Louis  XV  meurt  (  1774),  sauvé  de  la  révolu- 
tion, mais  ayant  perdu  la  monarchie. 

[L.-G.  Gourraigne.] 

Louis  XVI  (1774-1792).  —  Histoire  de  France, 
XXIX-XXXI.  —  Le  règne  de  ce  prince,  petit-fils 
et  successeur  de  Louis  XV,  peut  se  diviser  en 
deux  périodes  :  l"  de  177»  à  1789;  2°  de  1789  à 
la  proclamation  de  la  République. 

r  1774-1789.  —  Pendant  quinze  ans,  la  royauté 
essaie  inutilement  de  réformer  les  abus.  Le  roi, 
plein  de   bonnes    intentions,  appelle  au   secours  ' 
de  la  monarchie  les   philosophes   et  les    écono- 
mistes. 

La  France  accueillit  avec  un  vif  enthousiasme 
le  jeune  successeur  de  Louis  XV.  Il  avait  épousé 
en  1770  l'archiduchesse  autrichienne  Marie- Antoi- 
nette, fille  de  Marie-Thérèse.  On  savait  que  le 
nouveau  roi  n'avait  rien  de  commun  avec  son  père 
le  Dauphin,  personnage  incapable,  qui  était  mort 
en  1766.  On  rappelait  comme  un  éloge  le  surnom 
que  lui  avait  donné  l'ancienne  cour,  de  <■  gros 
garçon  mal  élevé.  «On  parlait  de  sa  simplicité,  de 
sa  pureté  de  mœurs,  de  ses  habitudes  sérieuses 
et  réfléchies,  de  son  goût  pour  l'étude.  On  se  fé- 
licitait d'avoir,  «après  tant  de  rois  gentilshommes, 
un  roi  qui  sût  estimer  et  honorer  le  travail.  C'était 
un  nouveau  saint  Louis  ou  un  autre  Henri  IV,  et 
l'on  célébrait  à  l'envi  ses  vertus  par  mille  traits 
ingénieux  et  touchants.  » 

Louis  XVI  eut  d'abord  à  cœur  de  justifier  ces 


LOUIS 


—  1216  — 


LOUIS 


■espérances.  Il  réduisit  les  dépenses  de  sa  maison, 
«  se  barricada  d'honnêtes  gens,  "  selon  l'expression 
d'un  contemporain,  renvoya  les  ministres  de 
Louis  XV,  et,  après  des  hésitations,  poussé,  dit-un, 
par  salante.  Madame  Adélaïde,  confia  la  direction 
■des  affaires  à  M.  de  Mauropas.  Ce  vieillard  frivole, 
connu  surtout  par  ses  épigrammes  et  ses  chan- 
sons mordantes,  appela  au  contrôle  général  des 
finances  Turgot,  intendant  de  Limoges,  philoso- 
phe et  économiste.  Le  ministère  de  la  guerre  fut 
confié  à  M.  de  Saint-Germain,  un  rude  soldat,  plus 
allemand  que  français,  la  marine  à  M.  de  Sartine, 
les  affaires  étrangères  à  M.  de  Vergennes.  Le  ver- 
tueux Malesherbes  devint  ministre  de  la  maison 
du  roi.  Ces  honnêtes  gens  voulaient  effacer  les 
hontes  et  les  crimes  du  dernier  règne.  On  com- 
mença par  rappeler  les  parlements  (m4).  C'était 
une  faute,  car  les  magistrats  ne  cessèrent  désor- 
mais de  lutter  contre  les  réformes  devenues  né- 
cessaires, à  l'exécution  desquelles  se  liait  la  des- 
tinée même  de  la  royauté. 

Les  dissipations  de  Louis  XV  avaient  encore  aug- 
menté la  dette  formidable  laissée  par  Louis  XIV. 
Il  fallait  l'éteindre.  La  Krance  du  xviii'  siècle,  tra- 
vaillée par  les  économistes,  protestait  contre  les 
règlements  de  Colbert,  qui  entravaient  le  com- 
merce et  l'industrie.  Il  fallait  réformer  ces  institu- 
tions surannées.  Turgot  tenta  cette  œuvre  difficile 
malgré  la  reine,  Maurepas,  la  cour  et  les  parle- 
ments, ti  Point  de  banqueroute,  avait-il  écrit  au 
roi,  pas  d'augmentation  d'impôts,  pas  d'emprunts. • 
Il  voulait  établir  un  impôt  territorial  frappant  tous 
les  citoyens,  abolir  les  jurandes  et  les  maîtrises, 
donner  enfin  à  la  France  agricole  la  liberté  du 
commerce  des  grains.  Il  tomba  (1776),  et  fut  rem- 
placé par  Clugny,  puis  par  Necker  (octobre  1776). 
Celui-ci  était  un  banquier  de  Genève,  qui  avait 
réalisé  en  France  une  fortune  considérable.  Son 
grand  mérite,  aux  yeux  des  pririlégiés,  était  d'avoir 
combattu  les  idées  de  Turgot  sur  la  circulation  des 
grains.  Financier  habile,  N'ecker  était  fort  avide 
de  popularité.  Ami  des  réformes,  il  songeait  à 
tirer  parti  des  besoins  de  la  royauté  pour  procurer 
des  libertés  au  peuple.  Plus  administrateur 
qu'homme  d'État,  il  voulait  surtout  mettre  l'ordre 
dans  la  perception  des  impôts,  réduire  les  frais 
considérables  des  régies,  établir  enfin  l'équilibre 
entre  les  recettes  et  les  dépenses,  et  faire  savoir 
au  peuple  que  cet  équilibre  existait.  Il  lui  fallut 
cependant  contracter  des  emprunts,  pour  per- 
mettre à  la  France  de  figurer  avec  honneur  dans 
la  guerre  d'Amérique.  11  pensa  augmenter  la  con- 
fiance de  la  nation  par  la  publication  du  fameux 
Compte-rendti  (1781).  C'était  l'apologie  de  son 
administration.  Necker,  qui  se  contentait  du  titre 
de  directeur  des  finances,  se  déclarait  supérieure 
tous  les  ministres  qui  l'avaient  précédé.  Le  déficit 
était  comblé,  n  La  recette  excédait  la  dépense  de 
ilix  millions.  Mais  ce  résultat  merveilleux  n'était 
pas  clairement  démontré.  On  ne  voyait  pas,  mal- 
gré de  vraies  économies  et  des  réformes  admi- 
nistratives, par  quels  miracles  le  ministre  y  était 
arrivé  ;  lui-même  semblait  le  démentir,  en  annon- 
çant qu'il  faudrait  bientôt  revenir  au  projet  de 
■Turgot,  l'abolition  des  privilèges  en  matière  d'im- 
pôt; et  en  effet,  il  paraît  que  le  déficit,  non  seu- 
lement n'était  pas  comblé,  mais  s'élevait  à  46  mil- 
lions. »  (Lavallée,  Hist.  des  Français).  Necker  dut 
quitter  le  ministère  (mai  1781). 

Alors  commence  une  phase  nouvelle  dans  l'his- 
toire de  Louis  XVI.  M.  de  Maurepas  meurt  (1781), 
et  la  reine  prend  une  grande  influence  sur  l'es- 
prit de  son  mari.  Marie-Antoinette  avait  une  in- 
telligence superficielle.  Toujours  fidèle  aux  con- 
seils de  sa  mère,  l'impératrice  Marie-Thérèse,  à 
Versailles  elle  était  restée  autrichienne.  On  le 
savait,  et  d'instinct  la  nation  ne  l'aimait  pas.  D'un 
caractère  léger,  elle  commit,dans  une  cour  qui  con- 


servait le  respect  officiel  de  l'étiquette,  des  impru- 
dences que  la  calomnie  a  dénaturées  plus  tard  (af- 
faire du  collier,  ITS.jj.Et  pourtant,  malgré  sa  légè- 
reté, la  reine  voulait  devenir  un  personnage  politi- 
que. Elle  le  devint,  pour  le  malheur  de  la  France  et 
de  sa  famille;  son  intervention  dans  les  affaires  pu- 
bliques no  pouvait  que  hâter  la  Révolution.  Rien 
d'ailleurs  ne  pouvait  désormais  enrayer  le  mouve- 
ment. La  noblesse  affichait  des  airs  frondeurs  et 
des  sentiments  révolutionnaires.  Comme  la  bour- 
geoisie, comme  le  peuple,  elle  désirait  un  régime 
nouveau,  i  la  fondation  duquel  chacun  pensait 
mettre  la  main.  Toutes  les  ambitions  étaient  dé- 
chaînées. La  France  était  inondée  de  pamphlets, 
de  brochures,  d'ouvrages  de  toutes  sortes,  dans 
lesquels  chaque  citoyen  proposait  son  plan  de 
réforme  et  de  gouvernement. 

La  royauté  française  tombait,  mais  tombait  au 
milieu  des  fêtes.  Après  Joly  de  Fleury,  après  d'Or- 
messon,  Calonne  (1783-1787)  épuisa  le  trésor  pu- 
blic par  ses  prodigalités.  La  dette  était  augmentée 
de  800  millions!  H  fallut  convoquer  une  assem- 
blée de  notables  (février  1787).  Calonne  leur  pro- 
posa d'accomplir  les  réformes  de  Turgot.  Mais  il 
était  trop  tard.  Le  cardinal  de  Brienne,  successeur 
de  Calonne,  se  chargea  de  présenter  au  parlement 
des  ordonnances  réformatrices,  et  de  les  faire 
accepter.  Le  parlement,  conduit  par  des  hommes 
d'action,  d'Esprémesnil,  Duport,  opposa  au  minis- 
tre une  vive  résistance  (1787-1788).  Il  fallut  sup- 
primer les  chambres  des  enquêtes  et  des  requê- 
tes, diminuer  le  ressort  des  parlements  de  pro- 
vince, créer  une  cour  plénière,  qui  n'était  que  la 
grand'chambre  devenue  plus  nombreuse.  On  sen- 
tait  s'écrouler  la  vieille  organisation  monarchique. 
Brienne  convoqua  les  Etats  généraux  pour  le  5 
mai  1789,  et  donna  sa  démission  (août  1788). 
Necker  fut  rappelé  ;  il  mit  tous  ses  soins  à  arrêter 
une  épouvantable  famine  causée  par  l'exportation 
des  grains,  et  la  hausse  subite  des  blés.  Il  n'eut 
pas  le  temps  de  travailler  seul  aux  réformes.  Les 
Etats  généraux  se  réunissaient  à  Versailles.  La 
Révolution  commençait. 

2°  1789-171)2.  —  Nous  n'insisterons  pas  longue- 
ment ici  sur  le  rôle  de  Louis  XVI  pendant  la  Révo- 
lution, à  laquelle  nous  consacrons  un  article  spé- 
cial (V.  Révolution  française).  Incapable  de  s'as- 
socier franchement  à  l'œuvre  réformatrice  de  la 
Constituante,  il  chercha  toujours  à  revenir  sur  les 
concessions  qu'il  avait  dû  faire.  Bientôt,  n'espé- 
rant plus  vaincre  la  Révolution  sans  l'appui  de 
l'étranger,  il  essaya  de  s'enfuir  (1791).  Ramené  à 
Paris,  il  jura  fidélité  à  la  constitution.  La  Législa- 
tive lui  imposa  un  ministère  girondin,  l'obligea  à 
déclarer  la  guerre  à  l'Europe  (1792),  et  finit  par 
le  suspendre  de  ses  fonctions.  La  Convention  pro- 
nonça l'abolition  de  la  royauté  (21  sept.  1792)  et 
envoya  Louis  XVI  à  l'échafaud  (21  janvier  179.3). 
Marie-Antoinette  l'y  suivit,  au  mois  d'octobre  de 
la  même  année.  [L.-G.  Gourraigne.] 

Louis  X'VII.  —  Histoire  de  France,  XXXI.  — 
Nom  donné  par  le  parti  royaliste  au  fils  de 
Louis  XVI.  Enfermé  au  Temple  avec  le  reste  de 
sa  famille  après  le  10  août  1792,  il  fut  séparé  de 
sa  mère  en  juillet  1793,  et  placé  d'abord  sous  la 
garde  du  cordonnier  Simon  (jusqu'en  janvier  1794), 
puis  sous  la  surveillance  directe  de  commissaires 
de  la  Commune.  Selon  la  version  généralement  ad- 
mise, il  mourut  au  Temple  le  8  juin  1795  ;  ce- 
pendant, plusieurs  historiens  sérieux  ont  pensé 
que  l'enfant  mort  au  Temple  n'était  pas  le  dau- 
phin, et  que  le  fils  de  Louis  XVI  avait  été  enlevé 
par  des  mains  inconnues. 

Louis  X'VIII,  —  Histoire  do  France,  XXXIII, 
XXXIV,  —  frère  puîné  de  Louis  XVI,  porta  d'a- 
bord le  titre  de  comte  de  Provence.  Emigré  en 
1791,  il  prit  part  l'année  suivante  à  la  campagne 
des  Prussiens  contre  la  France.  Sur  l'annonce  de  la 


LOUIS 


—  1217 


LOUIS 


mort  du  daupliin  en  1795,  il  prit  le  titre  de  roi  et 
le  nom  de  Louis  XVIII,  et  fut  reconnu  en  cette 
qualité  par  les  puissances  étrangères.  11  résida 
successivement  à  Vérone,  en  Allemagne,  i  Mittau 
(Courlandn),  à  Varsovie;  puis,  quand  le  tsar 
Alexandre  fut  devenu  l'allié  de. Napoléon,  il  se  ren- 
dit en  Angleterre.  Kii  1814,  après  la  capitulation 
4e  Paris,  il  fut  appelé  au  trône  par  l'ancien  Sénat 
impérial.  Fort  de  l'appui  de  l'étranger.  Louis  XVIU 
voulait  rentrer  en  France  en  souverain  absolu  ;  il 
se  décida  pourtant,  sur  l'intervention  du  tsar  qui 
affectait  des  principes  libéraux,  h  publier  la  décla- 
ration de  Saint-Oucn  (2  mai),  (jui  garantissait  à 
la  nation  une  partie  des  conquêtes  politiques  de 
la  Révolution.  Le  30  mai,  le  nouveau  roi  dut 
signer  le  traité  de  Paris,  par  lequel  la  France 
reprenait  ses  limites  de  1792.  Le  4  juin,  il  octroya 
à  ses  sujets  une  Charte  (V.  Constituiions)  insti- 
tuant le  régime  parlementaire.  La  majorité  de  la 
nation,  lasse  du  despotisme  impérial,  accueillit 
d'abord  la  restauration  des  Bourbons  avec  faveur; 
mais  bientôt  diverses  mesures  impopulaires,  et 
surtout  les  prétentions  hautaines  des  émigrés 
rentrés  6  la  suite  des  armées  étrangères,  changè- 
rent cette  satisfaction  en  mécontentement.  Napo- 
léon, instruit  de  ce  revirement  de  l'opinion,  en 
profita  pour  quitter  l'île  d'Flbe  et  tenter  de  res- 
saisir le  pouvoir  (V.  Napoléon  t"')  -,  Louis  XVIU, 
alKindonné  de  tous,  s'enfuit  des  Tuileries  (18  mars 
1815)  et  se  réfugia  à  Gand.  Après  VVaterloo, 
il  revint  derrière  l'armée  anglaise.  Cette  fois,  la 
France  n'éciiappa  au  démembrement  que  voulaient 
la  plupart  des  alliés,  que  grâce  à  l'opposition  de 
l'Angleterre  et  de  la  Russie,  qui  se  refusèrent  h 
détruire  l'équilibre  européen  ;  mais  il  lui  fallut 
payer  une  énorme  indemnité  de  guerre,  perdre  plu- 
.sieurs  places  fortes,  et  subir  pendant  trois  ans  l'oc- 
cupation étrangère  (second  traité  de  Paris,  novem- 
bre 1815).  Le  parti  royaliste  prit  sa  revanche  des 
Cent-Jours  par  des  massacres  dans  le  Midi,  à  Mar- 
seille, à  Nîmes  (Trestaillons),  à  Avignon,  h  Tou- 
louse, etc.  Le  maréchal  Ney  et  le  général  Labé- 
doyère  furent  fusillés.  La  nouvelle  Chambre  des 
députés,  pleine  de  royalistes  ardents,  et  qui  a 
gardé  dans  l'histoire  le  sobriquet  de  Chambre 
introuvable,  vota  une  loi  des  suspects,  et  l'éta- 
blissement de  cours  prévotales  pour  juger  les  en- 
nemis de  la  monarchie.  Cette  terreur  blanche 
dura  quinze  mois  ;  enfin,  Louis  XVIII,  jugeant 
lui-même  que  les  excès  des  royalistes  ultra  met- 
taient son  trône  en  péril,  prononça  la  dissolution 
de  la  Chambre  introuvable  (5  septembre  181R)  ;  de 
nouvelles  élections  donnèrent  la  majorité  aux 
royalistes  constitutionnels.  Les  cours  prévotales 
totitefois  ne  furent  supprimées  qu'en  1818,  année 
qui  ^  vit  aussi  la  fin  de  l'occupation  étrangère. 
Louis  XVIII,  que  son  caractère  portait  Ma  modéra- 
tion, fit  alors  entrer  au  ministère  son  favori,  M.  De- 
Cazes,  qui  inaugura  la  politique  dite  fie  bnscule,  en 
s'efforçant  de  se  tenir  à  égale  distance  des  ultras  et 
des  libéraux.  Mais  l'assassinat  du  duc  de  Berry  par 
Louvel  (13  février  1820)  amena  la  chute  de  M.  De- 
cazes,  et  rendit  le  pouvoir  au  parti  rétrograde 
qu'appuyait  le  frère  du  roi,  le  comte  d'Artois  ;  une 
nouvelle  loi  électorale  attribua  un  double  vote 
aux  électeurs  les  plus  riches  ;  des  mesures  de 
rigueur  furent  prises  contre  la  presse,  la  liberté 
individuelle  fut  suspendue.  Des  émeutes,  des 
conspirations  répondirent  à  ces  actes  du  pouvoir 
(organisation  de  la  charbonnerie,  complots  de 
Toulon,  de  Belfort,  de  Saumur,  des  quatre  ser- 
gents de  la  Rochelle,  1831  et  1822)  ;  d'autre  part, 
une  association  à  la  fois  religieuse  et  politique, 
la  congré/jation,  dirigée  par  les  jésuites,  étendait 
son  pouvoir  occulte  sur  toute  la  France,  et  faisait 
entrer  au  ministère  ses  créatures,  MM.  de  Villèle, 
de  Corbière  et  de  Peyronnet  (décembre  1821).  Le 
mmistère  Villèle  envoya  en  Espagne  une  armée 
2'  Partie. 


française  pour  faire  la  guerre  aux  Certes  libérale» 
et  rendre  au  roi  Ferdinand  VII  le  pouvoir  absolu 
(V.  Guerre  d'Uspaipie).  Le  député  Manuel,  ayant 
protesté  à  la  Chambre  contre  la  guerre  d'Espagne, 
fut  expulsé  par  les  gendarmes  ;  toute  la  gauche 
se  retira  avec  lui  (1823).  Louis  XVIII  mourut  l'an- 
née suivante  ;  il  laissait  la  couronne  à  son  frère 
Charles  X. 

2"  Empereurs  d'Occident,  rois  de  Germanie,  em- 
pereurs d'Attemagne. 

Louis  I"  le  Débonnaire,  empereur  d'Occident, 

—  Histoire  générale,  XVIII  ;  Histoire  de  France,  VI, 

—  fils  de  Charlemagne,  succéda  à  son  père  en 
814.  Charlemagne,  voulant  se  créer  des  lieute- 
nants qui  l'aidassent  à  porter  le  fardeau  du  pou- 
voir, avait  donné  de  son  vivant  à  ses  fils  le  gou- 
vernement de  divers  pays,  avec  le  titre  de  roi. 
Louis  imita  cet  exemple  ;  en  817,  il  donna  à  l'un 
de  ses  fils.  Pépin,  l'Aquitaine;  à  un  autre,  Louis 
le  Germanique,  la  Bavière;  l'aîné,  Lothaire,  fut 
associé  à  l'empire,  et  eut  le  gouvernement  de 
l'Italie.  Bernard,  neveu  de  Louis,  qui  était  déjà 
roi  d'Italie,  se  révolta  contre  cet  arrangement;  il 
fut  condamné  à  avoir  les  yeux  crevés,  et  mourut 
des  suites  de  ce  supplice.  Louis  le  Débonnaire 
eut  un  vif  repentir  de  cette  mort,  dont  il  fit  plus 
tard  une  pénitence  publique.  En  829,  ayant  vou- 
lu pourvoir  son  quatrième  fils,  Charles  le  Chauve, 
il  fit  un  nouveau  partage  de  ses  États  ;  mais  ses 
fils  aines  se  révoltèrent  et  l'enfermèrent  dans  un 
couvent.  Remis  en  liberté,  il  eut  à  combattre  une 
nouvelle  révolte,  fut  une  seconde  fois  fait  prison- 
nier et  détrôné  (833).  L'année  suivante,  la  divi- 
sion s'étant  mise  entre  les  rebelles,  il  se  vit  ren- 
dre la  couronne  impériale,  et  accorda  son  pardon 
à  ses  fils.  Mais  bientôt  il  lui  fallut  recommencer 
la  guerre  contre  son  petit-fils  Pépin  II,  Ji  qui  il 
avait  voulu  enlever  l'Aquitaine  pour  la  donner  à 
Charles  le  Chauve,  et  contre  Louis  le  Germanique, 
qui  trouvait  sa  part  trop  petite.  Il  mourut  pendant 
cette  dernière  lutte  (840).  Louis  le  Débonnaire, 
que  ses  contemporains  appelaient  Louis  le  Pieux, 
montra  pour  l'Eglise  une  respectueuse  obéissance, 
et  laissa  les  papes  s'affranchir  presque  entière- 
ment de  la  suprématie  impériale;  en  distribuant 
des  domaines  à  ses  leudes  à  titre  de  possession 
perpétuelle,  il  favorisa  le  mouvement  qui  devait 
aboutir  à  la  formation  du  régime  féodal.  Mais  en 
même  temps  que  l'Eglise  et  l'aristocratie  se  forti- 
fiaient, les  diverses  nationalités  que  Charlemagne 
avait  réunies  de  force  sous  l'autorité  de  son 
sceptre  commençaient  à  revendiquer  leur  indé- 
pendance, (i  Tons  ces  peuples  profitèrent,  pour 
cela,  des  querelles  de  Louis  le  Débonnaire  avec 
ses  fils;  c'est  ce  qui  donna  à  leurs  efforts  l'appa- 
rence de  guerres  civiles,  dans  lesquelles  ils  sem- 
blaient marcher  en  aveugles  au  gré  de  l'ambition 
des  princes  ;  mais  en  réalité,  ils  travaillaient  à  la 
formation  des  Etats  et  de  l'ordre  social  du  moyen 
âge.  »  (Lavallée.) 

Louis  II,  empereur  d'Occident,  —  Histoire  gé- 
nérale, XVIII,  —  fils  aine  de  l'empereur  Lo- 
thaire, eut  le  royaume  d'Italie  avec  le  titre  d'em- 
pereur (85,')).  A  la  mort  de  son  frère  Charles,  roi 
de  Provence,  il  partagea  les  Etats  de  celui-ci  avec 
son  autre  frère  Lothaire  II,  roi  de  Lorraine.  Il  fit 
la  guerre  aux  Sarrasins  qui  s'étaient  établis  dans 
le  midi  de  l'Italie,  et  mourut  en  875  sans  héritier. 
Ce  fut  Charles  le  Chauve  qui  se  fit  donner  après 
lui  la  couronne  impériale. 

Louis  le  Germanique,  roi  de  Germanie,  — 
Histoire  générale,  XVIII,  —  troisième  fils  de 
Louis  le  Débonnaire;  fut  fait  roi  de  Bavière  en 
817,  et  roi  de  Germanie  en  833.  Il  se  révolta  à 
plusieurs  reprises  contre  son  père,  et,  après  la 
mort  de  celui-ci,  s'allia  avec  son  frère  cadet  Char- 
les le  Chauve  contre  son  frère  aine  Lothaire,  qui 

77 


LOUIS-PHILIPPE 


—  1218  — 


LOUIS-PHILIPPE 


avait  reçu  la  dignité  impériale  (bataille  de  Fonta- 
net,  S4i  ;  serments  de  Strasbourg,  8i'.').  Le  traité 
de  Verdun  (843)  régla  définitivement  le  partage 
de  la  succession  de  Charlemagnc  entre  les  trois 
frères  :  Louis  le  Gorjnanique  eut  les  pays  à  l'est 
du  Rhin.  A  la  mort  de  sou  neveu  Lotliaire  II,  fils 
de  l'empereur  Lotliaire  et  roi  de  Lorraine,  Louis 
le  Germanique  partagea  les  Etats  de  ce  prince 
avec  Cliarles  le  Chauve  (87(i)-  Il  mourut  en  87G, 
laissant  trois  fils  :  Carloman,  qui  fut  roi  de  Ba- 
vière ;  Louis,  qui  fut  roi  de  Saxe  ;  et  Charles  le 
Gros,  qui  fut  roi  de  Souabe  et  obtint  plus  tard  la 
couronne  impériale. 

Louis  III  lAveugle,  empereur  d'Occident,  — 
Histoire  générale,  XVIII,  —  fils  de  Boson,  roi 
d'Arles,  et  petit-fils  de  l'empereur  Louis  II  par  sa 
mère,  vint  en  Italie  à  la  mort  de  l'empereur  Ar- 
nulf,  et  ayant  vaincu  son  compétiteur  Bérenger, 
se  fit  couronner  empereur  (90U).  Mais  trois  ans 
après,  il  fut  défait  par  Bérenger,  qui  lui  lit  crever 
les  yeux  et  lui  enleva  la  couronne. 

Louis  IV  1  Enfant.  —  Histoire  générale,  XVIII, 
—  fils  et  successeur  d'Arnulf,  roi  de  Germanie  et 
empereur  d'Occident,  fut  le  dernier  des  Carlovin- 
giens  d'AlleiTiagne.  Devenu  roi  de  Germanie  en 
Siil),  h  l'âge  de  six  ans,  il  reçut  la  couronne  impé- 
riale en  ios.  Sous  son  régne,  les  Hongrois  rava- 
gèrent la  Germanie.  II  mourut  en  911  sans  posté- 
rité. 

Louis  'V  de  Bavière,  empereur  d'Allemagne,  — 
Histoire  générale,  XIX.  —  fut  élu  après  la  mort 
de  Henri  VII  de  Luxembourg.  Il  eut  pour  compé- 
titeur Frédéric  le  Bel,  fils  d'Albert  d'Autriche  ; 
après  une  longue  guerre,  il  vainquit  son  rival  à 
Miihldorf,  le  fit  prisonnier,  et  partagea  ensuite  le 
pouvoir  avec  lui.  Il  fut  en  lutte  avec  les  papes 
d'Avignon  elles  rois  de  France  Charles  IV  et  Phi- 
lippe VI  ;  ce  dernier  essaya  de  lui  opposer  le  roi 
de  Bohème  Jean  l'Aveugle,  qui  prétendait  à  la 
couronne  impériale,  et  qui  fut  tué  dans  les  rangs 
français  à  Crécy.  Ce  fut  k  l'occasion  de  ces  dé- 
mêlM  que  la  diète  germanique  rendit  la  pragma- 
tique sanction  de  Francfort  (  133s),  stipulant  que 
l'autorité  impériale  ne  relevait  que  de  Dieu  seul, 
et  qu'elle  so  conférait  par  le  libre  choix  des  élec- 
teurs, sans  qu'il  fût  besoin  de  l'approbation  du 
pape.  Louis  V  mourut  en  1347.  Après  lui  la  cou- 
ronne impériale  rentra  dans  la  maison  de  Luxem- 
bourg. 

LOUIS-PHILIPPK.  —  Histoire  de  France, 
XXXV.  —  Louis-Philippe,  fils  aîné  de  Philippe, 
duc  d'Orléans,  qui  prit  en  179V'  le  nom  de  Philippe- 
Egalité,  et  d'Adélaide  de  Bourhon-Penthièvre,  na- 
quit :\  Paris  le  0  octobre  1773.  11  porta  jusqu'à  la 
mort  de  son  père  le  titre  de  duc   de  Chartres. 

En  178",  il  embrassa  avec  ardeur  les  principes 
de  la  Révolution,  combattit  à  Valmy,  à  Jemmapes 
et  en  Hollande  sous  les  ordres  de  Dumouriez,  mais, 
compromis  dans  les  intrigues  de  son  général,  il 
fut  forcé  comme  lui  de  quitter  la  France,  en  1793. 
Odieux  aux  émigrés  comme  partisan  de  la  Révo- 
lution et  comme  fils  d'un  régicide,  suspect  à  la 
coalition  qu'il  avait  refusé  de  servir  contre  son 
pays,  il  se  trouva  bientôt  sans  ressources  et  dut 
accepter  une  place  de  professeur  au  collège  de 
Reichenau,  en  Suisse.  Après  de  longs  voyages  en 
Danemark,  en  Suède,  en  Laponie  et  aux  Etats-Unis, 
il  finit  par  se  fixer  à  Londres  où  il  négocia  sa  récon- 
ciliation avec  la  branche  ahiée  des  Bourbons.  En 
1809  il  épousa  Marie-Amélie,  fille  de  Ferdinand  IV, 
roi  des  Dcu\-Siciles,  et  revint  en  Franco  en  1814, 
après  la  chute  lie  l'Empire.  11  y  recouvra  la  plus 
grande  partie  dos  biens  immenses  de  sa  maison  ; 
mais  Louis  XVIII  le  traita  toujours  avec  une  froi- 
deur calculée,  et,  sous  des  formes  plus  bien- 
veillantes, Charles  X  dissimulait  avec  peine  la 
méfiance  que  lui  inspirait  le  passé  révolutionnaire 
du  duc  d'Orléans. 


Louis  Philippe,  sans  renier  les  convictions  de 
sa  jeunesse,  et  sans  rompre  ouvertement  avec  le 
parti  royaliste,  sut  garder  une  attitude  de  réserve 
et  d'attente  silencieuse  qui  ménageait  à  la  fois  les 
intérêts  de  sa  popularité  et  sa  situation  de  prince 
du  sang.  La  simplicité  presque  bourgeoise  de  sa 
vie  privée,  l'éducation  publique  et  libérale  qu'il 
faisait  donner  à  ses  enfants,  lui  conciliaient  la 
sympathie  des  classes  moyennes.  Le  Palais-Royal 
qu'il  habitait  devenait  peu  à  peu,  non  pas  un 
foyer  de  conspirations,  comme  l'ont  répété  plus 
tard  les  partisans  de  la  légitimité,  mais  une  sorte 
de  terrain  neutre  où  se  rencontraient  les  artistes, 
les  journalistes,  les  écrivains,  les  grands  indus- 
triels, les  hommes  politiques,  qui  y  recevaient  un 
accueil  empressé  et  parfois  d'utiles  encourage- 
ments. 

Le  duc  d'Orléans  n'eut  qu'à  laisser  faire  ses 
ennemis  et  ses  amis  :  les  fautes  des  uns  rendirent 
facile  la  tâche  des  autres.  Quand  éclata  la  révolu- 
tion de  1830,  les  chefs  de  l'opposition,  presque 
tous  familiers  du  Palais-Royal,  MM.  Thicrs, 
Laffitte,  Guizot,  décidèrent  sans  peine  la  Chambre 
des  députés  à  olfrir  au  duc  d'Orléans  la  lieute- 
nance  générale  du  royaume.  L'intérêt,  la  pour  ou 
la  raison  groupèrent  autour  de  lui  tous  ceux  qui 
voulaient  la  monarchie  sans  despotisme  et  la  li- 
berté sans  désordre.  Le  31  juillet,  Louis-Philippe 
se  rendait  à  l'Hôtcl-deVille,  en  se  faisant  précé- 
der d'une  proclamation  où  il  s'engageait  à  faire 
désormais  de  la  charti;  une  v(rilé,  et  le  vieux 
général  La  Fayette  le  présentait  à  la  foule,  qui 
acclamait  avec  enthousiasme  le  prince  et  surtout 
le  drapeau  tricolore  flottant  entre  ses  mains.  Le 
7  août,  la  Chambre  lui  offrait  la  couronne  par 
219  sulfrages  sur  Irt'l,  et  le  9  il  était  proclamé  roi 
des  Français,  sous  le  nom  de  Louis-Philippe  I" 
et  prêtait  serment  à  la  Cliarte. 

Les  débuts  du  nouveau  rèsne  furent  difficiles. 
Louis-Philippe  avait  à  combattre  au  dedans  l'hosti- 
lité de  la  noblesse  et  du  clergé  dévoués  à  la 
branche  aînée,  la  défiance  des  populations  ou- 
vrières qui  rêvaient  déjà  la  République,  et  c'indif- 
'  férence  des  paysans  chez  qui  les  seuls  souvenirs 
vivants  étaient  ceux  de  l'Empire.  Au  dehors, 
l'Europe  entière,  à  l'exception  de  la  Russie,  avait 
[  reconnu  le  nouveau  gouvernement,  mais  elle 
conservait  une  attitude  réservée  sinon  hostile,  et 
les  insurrections  qui  avaient  éclaté  en  Belgique, 
en  Pologne,  en  Italie,  après  la  révolution  de  1830, 
pouvaient  entraîner  de  graves  complications. 
Louis-Philippe  sut  triomplier  de  ces  difficultés 
sans  éclat,  mais  avec  une  habileté  qu'il  serait  in- 
juste de  méconnaître.  Contre  l'hostilité  des  légi- 
timistes et  des  républicains,  il  chercha  son  point 
d'appui  dans  la  bourgeoisie,  qui  aimait,  comme 
lui,  l'ordre  et  la  paix,  et  qui  désirait  sincèrement 
le  maintien  du  gouvernement  parlementaire. 
;  Fidèle  à  la  Charte,  mais  sans  accepter  la  fameuse 
'  maxime  le  roi  règne  et  ne  gouverne  pas,  il  essaya 
I  de  maintenir  l'équilibre  entre  le  parti  conservateur 
î  représenté  surtout  par  MM.  Guizot,  MoIé  et  de  Bro- 
i  glie,  et  le  parti  du  mouvement  dont  le  clief  était 
M.  Thiers,  oscillant  de  l'un  à  l'autre  selon  les 
fluctuations  de  la  politique  intérieure,  mais  en- 
traîné du  côté  des  conservateurs  par  ses  sympa- 
[  thies  personnelles  qu'il  prenait  volontiers  pour 
i  l'opinion  du  pays.  Au  dehors,  la  base  de  sa  poli- 
!  tique  fut  l'alliance  anglaise,  à  laquelle  il  fit  peut- 
être  trop  de  sacritices,  mais  que  justifiait  la 
communauté  des  intérêts  dans  la  plupart  des 
I  questions  européennes. 

Jusqu'en  1834,  on  put  douter  du  succès.  Dès 
les  premiers  jours  du  règne,  le  procès  des  ancieris 
ministres  de  Charles  X,  les  manifestations  légiti- 
mistes, les  émeutes  républicaines  agitent  Paris  et 
épouvantent  la  province;  le  ministère  un  moment 
I  populaire  de  MM.  Laffitte  et  Dupont  de  l'Eure  est 


LOUIS-PHILIPPE 


—  1219 


LOUIS-PHILIPPE 


forcé  de  se  retirer.  La  situatiou  extérieure  deve- 
nait chaque  jour  plus  menaçante;  la  Pologne 
soulevée  contre  les  llusscs  faisait  i  la  France  des 
appels  désespérés  auxquels  le  gouvernement  fer- 
mait l'oreille,  mais  qui  passionnaient  l'opinion 
publique;  la  Belgique  insurgée  contre  les  Hollan- 
dais offrait  au  second  fils  de  Louis-Philippe,  le  duc 
de  Nemours,  une  couronne  que  le  roi  se  voyait 
contraint  de  refuser  ;  l'Autriche  profitait  des 
troubles  des  Etats  Romains  pour  occuper  toute 
l'Italie  centrale;  il  n'était  pas  jusqu'au  tyran  du 
Portugal,  don  Miguel,  qui  ne  se  crût  le  droit  d'in- 
sulter la  France  impunément. 

L'énergie  d'un  grand  minisire,  Casimir  Pcrier, 
comprima  pendant  quelque  temps  les  agitations 
80cialistes(insurrectiondeLyon,en  novembre  ls:!l) 
ou  légitimistes,  arrêta  les  Autrichiens  en  faisant 
occuper  Ancône  par  les  troupes  françaises,  vengea 
l'honneur  français  à  Lisbonne,  et  sauva  l'indépen- 
dance de  la  Belgique,  dont  le  roi,  Léopold  de 
Saxe-Cobourg,  venait  d'épouser  une  fille  de  Louis- 
Philippe,  en  y  envoyant  une  armée  française  qui 
devait,  à  la  fin  de  l'année  1833  (23  décembre),  dé- 
cider la  défaite  de  la  Hollande  par  la  prise  do  la 
citadelle  d'Anvers. 

La  moit  de  Casimir  Périer,  emporté  par  le  cho- 
léra (16  mai  1832),  amena  l'une  des  crises  les 
plus  redoutables  qu'ait  eu  à  traverser  le  gou- 
vernement de  Louis-Philippe  :  les  légitimistes, 
animés  par  la  présence  de  la  duchesse  de  Berry, 
essayèrent  do  soulever  la  Vendée,  les  républicains 
profitèrent  des  funérailles  du  général  Lamarque 
pour  tenter  à  Paris  un  coup  de  main  qui  aboutit. 
aux  sanglantes  journées  des  5  et  G  juin  i8:!V. 
Vigoureusement  réprimée,  l'insurrection  républi- 
caine se  renouvela  à  Lyon  (9  avril  1834)  et  ensan- 
glanta de  nouveau  les  rues  de  Paris,  le  13  et  le 
14  avril  hS34.  En  même  temps  les  attentats  se 
succédaient  contre  la  vie  du  roi,  qui  n'échappa 
que  par  une  sorte  de  miracle  h  la  machine  infer- 
nale de  Fieschi  (28  juillet  1835).  Ces  tentatives 
criminelles  eurent  pour  efl'et  d'afl'ermir  h  l'inté- 
rieur le  gouvernement  de  Louis-Pliilippe  en  excitant 
l'indignation  du  pays  et  en  épouvantant  l'opposition 
elle-même  :  aux  troubles  de  la  rue  succède  le  tra- 
vail lent  et  ignoré  des  sociétés  secrètes,  et  la  tran- 
quillité apparente  ne  sera  plus  troublée  jusqu'en 
1848  que  par  de  nouveaux  attentats  contre  la  vie 
du  roi  (deux  en  183C.  un  en  184i),  deux  en  1840), 
l'échauffourée  républicaine  du  12  mai  1839,  et  les 
folles  aventures  de  l'héritier  des  Bonaparte,  le 
prince  Louis-Napoléon,  à  Strasbourg  en  1836  et  à 
Boulogiie  en  1840. 

Mais  les  embarras  extérieurs,  un  moment  con- 
jurés par  la  politique  énergique  de  Casimir  Périer, 
renaissent  après  sa  mort.  Dans  l'Europe  méridio- 
nale, deux  représentants  de  la  monarchie  de  droit 
divin,  don  Carlos  en  Espagne  et  don  Miguel  en 
Portugal,  disputent  le  trône  à  Isabelle  11,  fille  du 
roi  Ferdinand  VII,  et  à  dona  Maria,  fille  de  don 
Pedro,  qui  représentent  la  monarchie  constitution- 
nelle. En  Orient,  un  ami  delà  France,  Méhémet- 
Ali,  vice-roi  d'Egypte,  se  soulevait  contre  son 
suzerain  le  sultan  de  Constantinople  et  menaçait 
de  précipiter  la  ruine  de  l'empire  turc.  L'extension 
de  sa  puissance  excitait  les  ombrages  de  l'An- 
gleterre, et  fournissait  à  la  Russie  l'occasion  d'of- 
frir ou  d'imposer  sa  protection  au  sultan.  Tout  en 
partageant  les  sympathies  qu'on  accordait  géné- 
ralement en  France  au  réformateur  de  l'Egypte 
et  à  la  cause  constitutionnelle  dans  la  Péninsule, 
Louis-Philippe  redoutait  toute  intervention  trop 
active  dans  les  affaires  de  l'Espagne  ou  dans  la 
question  d'Orient.  Les  événements  lui  donnèrent 
raison  en  Espagne  et  en  Portugal,  où  la  cause 
d  Isabelle  II  et  celle  de  dona  Maria  triomphèrent 
sans  que  la  France  eût  k  intervenir  directement, 
tn   même  temps   de    brillants  faits    d'armes  en  | 


Algérie  (prise  de  Constantine,  1837  :  expédition  des 
Portes  do  fer,  1839)  et  au  Mexique  (prise  du  fort 
Saint-.Ican  d'Ulloa,  1838)  flattaient  sans  danger  (Je 
complications  européennes  l'aniour-propre  natio- 
nal, et  rendaient  populaires  les  noms  des  fils  du 
roi,  le  duc  d'Orléans,  le  duc  d'Aumale  et  le  prince 
de  Joinville.  Mais  la  question  d'Orient  faillit 
compromettre  toute  l'œuvre  politique  de  Louis- 
Philippe  en  réveillant  des  rivalités  et  des  défiances 
endormies  par  la  modération  qui  était  la  règle  de 
sa  conduite. 

En  1839,  Méliémet-Ali  reprit  les  armes  con- 
tre la  Turquie  que  des  défaites  sanglantes  et  la 
mort  du  sultan  Alahmoud  parurent  un  moment 
mettre  îi  sa  discrétion.  L'.\ngleterre  et  la  Rus- 
sie se  rapprochèrent  pour  empêcher  la  destruc- 
tion de  l'empire  ottoman,  et  entraînèrent  la  Prusse 
et  l'Autriche  dans  une  entente  dont  la  France  fut 
exclue  (traité  de  Londres,  15  juillet  1840),  et  qui 
avait    pour    but  de    réduire   Méliémet-Ali  à    l'E- 

gypte. 

M.  Thiers,  président  du  conseil  depuis  le 
1"  mars  1840,  répondit  à  cette  menace  de  coali- 
tion par  des  mesures  belliqueuses  ;  l'effectif  de 
l'armée  fut  augmenté,  les  fortifications  de  Paris 
décrétées  ;  le  sentiment  national  se  prononçait  avec 
une  vivacité  que  le  gouvernement  encourageait  : 
le  retour  des  cendres  de  Napoléon,  que  le  prince 
do  Joinville  ramonait  de  Sainte-Hélène,  réveillait  les 
souvenirs  guerriers  de  l'empire.  Un  moment  on 
put  croire  5  une  guerre  générale  ;  mais  la  France 
n'était  pas  prête;  Louis-Philippe  recula  devant 
une  responsabilité  aussi  grave  :  M.  Thiers  dut 
faire  place  k  M.  Guizot  (29  octobre  1S40),  et  la 
France  accéda  h  la  convention  du  13  juillet  1841, 
qui  laissait  l'Egypte  à  Méhéraet-Ali  et  rétablissait 
la  paix  en  Orient. 

Les  hésitations  de  la  politique  française  et  l'é- 
chec qu'elle  avait  subi  devaient  laisser  des  traces 
profondes  dans  les  esprits  ;  c'est  une  des  princi- 
pales causes  des  accusations  si  souvent  répétées 
contre  la  faiblesse  de  la  politique  extérieure  sous 
le   gouvernement  de  juillet. 

A  partir  de  i84U,  le  principal  conseiller  de 
Louis-Philippe  est  M.  Guizot,  le  chef  du  parti 
conservateur,  qui  se  maintiendra  au  pouvoir  jus- 
qu'en 1S48. 

Au  dehors  nos  généraux  poursuivent  la  con- 
quête de  l'Algérie.  Notre  adversaire  le  plus 
redoutable,  Abdel-Kader,  réussit  à  entraîner  dans 
son  parti  le  sultan  du  Maroc.  La  victoire  du  ma- 
réchal Bugeaud  sur  les  bords  de  l'isly  force  le 
.Maroc  à  la  paix,  et  Abd-el-Kader,  a])rcs  avoir 
prolongé  la  lUtte  pendant  trois  ans,  est  fait  pri- 
sonnier en  1847.  La  politique  européenne  du 
ministère  Guizot,  prudente  et  que  l'opposition 
accusait  d'être  timide  (affaires  do  Taîti,  1843-44, 
l'indemnité  Pritchard,  1844),  ne  montra  de  har- 
diesse que  dans  une  question  où  la  famille  royale 
pouvait  paraître  plus  intéressée  que  le  pays. 
Après  une  négociation  laborieuse  et  malgré  l'op- 
j)osition  de  l'Angleterre,  Louis-Philippe  réussit  à 
décider  (oct.  1«46)  le  double  mariage  de  son  plus 
jeune  fils,  le  duc  de  Montpensier,  avec  la  sœur 
de  la  reine  Isabelle  d'Espagne,  et  de  la  reine  elle- 
même  avec  un  prince  espagnol,  neveu  de  Ferdi- 
nand VII,  don  François  d'Assise.  Les  mariages 
espagnols  portai'-nt  une  grave  atteinte  M'alliance 
anglaise  ménagée  ju^que-là  avec  un  soin  si 
jaloux. 

Mais  c'était  la  politique  intérieure  qui  devait 
entraîner  la  chute  du  ministère  et  celle  de  la  mo- 
narchie de  juillet.  En  1842  (13  juillet)  la  mort  de 
l'héritier  du  trùne,  le  duc  d'Orléans,  victime  d'un 
accident  de  voiture  et  qui  laissait  un  fils  de  quatre 
ans,  le  comte  do  Paris,  avait  ranimé  par  la  pers- 
pective d'une  régence  les  espérances  des  partis 
hostiles  k  la  dynastie.  Les  légitimistes  recommen- 


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1220  — 


LUMIERE 


çaient  leurs  manifestations, découragées  depuis  1 832 
par  le  triste  résultat  de  l'aventure  de  la  duchesse 
de  Berry  ;  les  républicain»,  tout  en  renonçant  aux 
émeutes,  n'avaient  pas  désarmé;  les  sociétés  se- 
crètes se  multipliaient;  le  socialisme  recrutait  de 
nombreux  adliérents  parmi  les  populations  ouvriè- 
res; la  bourgeoisie  éclairée  commençait  à  se  lasser 
d'un  système  politique  qui  remettait  le  gouverne- 
ment du  pays  entre  les  mains  d'une  minorité  dont 
le  seul  titre  était  un  certain  chiffre  de  fortune  et 
de  cens  électoral.  Dès  1842  on  avait  proposé  d'ad- 
joindre aux  électeurs  censitaires  un  certain  nom- 
bre de  citoyens  qui  donneraient  des  garanties  de 
capacité  aussi  respectables  au  moins  que  les  ga- 
ranties pécuniaires. 

Soutenu  dans  les  Chambres  par  une  majorité 
'imposante,  le  ministère  ne  vit  pas  ou  ne  voulut 
pas  voir  le  danger;  de  mauvaises  récoltes  vinrent 
aigrir  le  mécontentement  populaire  ;  des  troubles 
sanglants  eurent  lieu  dans  les  départements  du 
centre,  des  scandales  éclatants  qui  se  produisirent 
dans  l'entourage  même  de  la  famille  royale  furent 
habilement  exploités  par  les  adversaires  de  la 
monarchie,  la  réforme  électorale  devint  le  mot 
d'ordre  de  l'opposition,  et  dès  1847  des  banquets 
politiques  s'organisèrent  dans  toute  la  France. 
Un  banquet  projeté  à  Paris  par  l'opposition  et 
interdit  par  le  minsitère  fut  le  signal  de  la  révo- 
lution de  février  1848.  Les  troubles  commencè- 
rent le  21  février.  «  C'est  un  feu  do  paille,  » 
disait  Louis-Philippe.  Le  surlendemain  le  feu  de 
paille  était  devenu  un  incendie  :  le  roi  et  ses  con- 
seillers, étourdis  par  la  rapidité  des  événements, 
ne  surent  se  décider  à  temps  ni  pour  les  conces- 
sions, ni  pour  la  résistance.  Le  24  février  les 
barricades  couvraient  Paris,  les  Tuileries  étaient 
menacées,  la  Chambre  envahie.  Louis-Philippe 
abdiquait  en  faveur  du  comte  de  Paris,  trop  lard 
pour  sauver  sa  dynastie,  et  pendant  que  le  gou- 
vernement provisoire  proclamait  la  république,  le 
roi  allait  chercher  un  asile  en  Angleterre,  où  il 
mourut  au  château  de  Claremont  en  1850. 

Ce  règne  de  dix-huit  ans,  malgré  les  fautes 
qti'on  peut  reprocher  .\  Louis-Philippe,  n'avait  pas 
été  stérile  pour  le  progrès  moral  et  matériel  de  la 
France. 

La  conquête  de  l'Algérie,  la  construction  de  nos 
premières  lignes  de  chemins  de  fer,  les  grands 
travaux  d'utilité  publique  (canaux,  routes,  ponts, 
phares,  etc.),  la  loi  sur  l'instruction  primaire  de 
]833,  la  création  du  musée  de  Versailles,  les  encou- 
ragements donnés  aux  caisses  d'épargne,  les  adou- 
cissements apportés  aux  lois  pénales,  enfin  le  res- 
pect des  libertés  parlementaires  et  de  la  constitu- 
tion dont  le  gouvernement  de  Louis-Philippe  ne 
s'est  jamais  départi,  sont  des  titres  sérieux  à  la 
reconnaissance  de  la  postérité. 

Louis-Pliilippe  a  eu  Imit  enfants  :  1»  Ferdi- 
nand, duc  d'Orléans,  mort  en  1842  ;  2»  la  princesse 
Louise,  mariée  à  Léopold  I",  roi  des  Belges,  morte 
en  IS.M;  3°  la  princesse  Marie,  mariée  au  prince 
de  Wurtemberg  et  morte  en  IS.S'J;  4°  le  duc  de 
Nemours;  5°  la  princesse  Clémentine,  mariée  i  un 
prince  de  Saxe-Cobourg  ;  C  le  prince  de  Joinville  ; 
7°  le  duc  d'Aumale  ;  8°  le  duc  de  Montpcnsier. 
lU.  Pigeonneau,] 
LtMIEHE.  —  Physique,  XXX.  —  Les  objets 
extérieurs,  quoique  éloignés  de  nous,  produisent 
au  fond  de  notre  œil,  sur  la  rétine,  une  impression 
particulière,  distincte  de  toute  autre,  variable 
avec  leur  forme,  leur  couleur,  etc.  L'agent  qui, 
servant  d'intermédiaire  entre  ces  objets  et  l'u'il, 
provoque  la  sensation  dont  il  vient  d'être  parlé 
porte  le  nom  de  lumière.  Voptique  est  la  bran-  1 
che  de  la  physique  qui  s'occupe  des  phénomènes  lu-  i 
mineux  et  des  lois  qui  les  régissent.  Nous  voyons 
les  corps,  parce  qu'ils  envoient  de  la  lumière  dans 
toutes  les  directions  et  que  nous  sommes  placés  | 


de  façon  à  recevoir  dans  l'œil  une  portion  de  la 
lumière  émise.  Du  reste,  cette  lumière  peut  leur 
appartenir  en  propre  et  alors  ils  sont  dits  lumi- 
neux pm-  eux-mêmes  (le  soleil,  les  étoiles,  une 
barre  métallique  portée  à  une  haute  tempéra- 
ture, etc.),  ou  bien  elle  leur  vient  d'une  source 
étrangère,  et  ils  ne  font  que  la  renvoyer  dès 
qu'elle  atteint  leur  surface,  en  lui  imprimant 
une  modification  plus  ou  moins  profonde  (la  lune, 
les  planètes,  le  sol,  les  arbres,  une  feuille  de  pa- 
pier, etc.).  Ces  derniers  corps  sont  dits  sim- 
plement éclairés;  nous  ne  les  voyons  plus,  dès 
que  la  source  qui  leur  fournissait  de  la  lumière 
s'est  éteinte  ou  a  disparu  pour  une  cause  quel- 
conque. 

11  y  a  encore  une  distinction  à  faire  entre  les 
diverses  substances  de  la  nature  au  point  de  vue 
de  l'absorption  plus  ou  moins  complète  qu'elles 
exercent  sur  les  faisceaux  lumineux  reçus  par 
elles  :  les  unes  ne  laissent  pénétrer  la  lumière 
qu'à  une  très  faible  profondeur  au-dessous  de  la 
surface  qui  les  limite;  et  alors  le  faisceau  inci- 
dent est  en  totalité  renvoyé  ou  absorbé  ;  on  le» 
nomme  suljstances  opaques  ;  les  autres  laissent  la 
lumière  traverser  leur  masse,  au  moins  en  partie; 
on  les  nomme  alors  transparentes  ou  Iranslucides, 
Dans  la  première  catégorie,  substances  opaques, 
nous  trouvons  un  grand  nombre  de  corps  so- 
lides, d'origine  minérale  ou  organique  (pierres,  fer, 
bois,  etc.);  dans  la  seconde,  quelques  solides  de 
structure  vitreuse,  cristalline  ou  cornée  (verre, 
cristal  de  roche,  mica,  gélatine,  etc.),  la  plupart 
des  liquides  et  toutes  les  substances  gazeuses.  Il 
faut  ajouter  qu'un  solide  quelconque  n'est  jamais 
opaque  dans  le  sens  absolu  du  mot;  pris  sous 
une  épaisseur  assez  faible,  il  acquiert  toujours 
une  eertaine  translucidité  ;  ainsi  l'or  en  feuilles 
minces  est  vert  par  transmission  ;  l'argent  que  l'on 
dispose  en  pellicules  très  peu  épaisses,  sur  une 
lame  de  verre,  se  laisse  traverser  par  la  lumière 
bleue. 

I.  Propagation.  —  La  lumière  se  propage  en 
ligne  droite  dans  un  milieu  dont  la  nature  et  la 
densité  restent  invariables.  Cette  loi  se  trouve' 
pleinement  démontrée  par  le  fait  suivant  que  tout 
le  monde  peut  vérifier  :  si,  sur  la  ligne  droite  qui 
joint  un  point  lumineux,  une  étoile  par  exemple, 
à  l'œil  d'un  observateur,  on  interpose  un  écran 
opaque,  le  point  lumineux  cesse  aussitôt  d'être 
visible  pour  l'observateur  ;  il  reparait  dès  que 
l'écran  est  écarté  et  que  la  ligne  droite  dont  il 
s'agit  n'est  plus  interceptée  en  un  point  quelcon- 
que de  son  parcours.  La  ligne  droite  suivant  la- 
quelle la  lumière  se  propage  s'appelle  rayon  lu- 
mineux. 

Cette  loi  de  propagation  de  la  lumière  permet 
d'expliquer  simplement,  à  l'aide  de  considérations 
géométriques,  les  phénomènes  de  l'ombre  et  de 
la  pénombre  que  produisent  les  corps  opaques 
placés  sur  le  trajet  de  faisceaux  lumineux  (^V. 
Eclipse,  page  638). 

II.  Vitesse  de  la  lumière.  —  L'astronome  Cas- 
sini  paraît  avoir  eu  le  premier  cette  idée,  que  la 
lumière  ne  se  propage  pas  instantanément,  comme- 
on  l'avait  cru  jusqu'alors,  mais  que  sa  vitesse  de 
translation,  quoique  extrêmement  grande,  a  ce- 
pendant une  valeur  finie.  En  1076,  un  autre  astro- 
nome, Rœmer,  démontra  nettement  par  l'observa- 
tion des  éclipses  des  satellites  de  Jupiter  la  réalité- 
de  cette  conception  de  Cassini,  conception  que 
Cassini  lui-même,  préoccupé  d'autres  idées,  avait 
déjà  abandonnée.  En  étudiant  les  inégalités  appa- 
rentes de  marche  du  premier  satellite,  que  rend' 
sensibles  la  fréquence  de  ses  éclipses,  Rœmer 
établit  que  la  lumière  emploie  16  minutes  '^6  se- 
condes pour  parcourir  le  diamètre  de  l'orbite 
terrestre,  ce  qui  correspond  à  la  vitesse  énorme 
d'environ  76,000  lieues   ou    de   308   millions   de    ^ 


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—  1221  — 


LUMIERE 


ni(>tre8  par  seconde  ;  c'est  une  vitesse  dont  nous 
nous  faisons  difficilement  une  idée,  liabitués  que 
nous  sommes  à  l'observation  des  mouvements  des 
corps  terrestres.  Ainsi,  tandis  i\\ie  la  lumière  ne 
met  qu'un  peu  plus  de  8  minutes  pour  venir  du 
soleil  .\  la  terre,  un  train  express  de  chemin  de 
fer  faisant  15  lieues  à  l'heure  emploierait  plus  de 
deux  siècles  pour  parcourir  la  même  distance.  Les 
<-onclusions  de  Rœmer  furent  confirmées  un  peu 
plus  lard  par  l'astronome  anglais  Bradiey,  qui  prit 
jiour  point  de  départ  de  ses  recherches  un  fait 
tout  autre  que  celui  qu'avait  utilisé  Rœmer,  celui 
de  Valierration  de  In  lumière  des  étoiles. 

Jusque-là,  il  faut  le  reconnaître,  c'était  par  des 
moyens  tout  à  fait  indirects,  par  des  observations 
astronomiques  qu'on  était  parvenu  à  donner  une 
valeur  approchée  de  la  vitesse  de  la  lumière.  De 
nos  jours,  M.  Fizeau,  en  184!),  et  Foucault,  en 
1850,  entreprirent  séparément  de  véritables  expé- 
riences pour  arriver,  d'une  façon  plus  précise,  à 
l'évaluation   numérique   dont    il   s'agit. 

Dans  le  procédé  de  M.  Fizeau,  un  rayon  lumi- 
neux était  envoyé  de  Montmartre  à  Suresnes  ;  il 
tombait  à  Suresnes  sur  un  miroir  qui  le  renvoyait 
ensuite  à  Montmartre  où  le  recevait  finalement 
une  lunette  convenablement  disposée  à  cet  effet. 
On  mesurait  alors  aussi  exactement  que  possible 
le  temps  employé  par  ce  rayon  pour  effectuer 
l'aller  et  le  retour,  c'est-i-dire  pour  parcourir  une 
distance  totale  de  17  kilomètres.  La  longueur  du 
parcours  effectué  par  la  lumière  et  la  durée  de  ce 
parcours  étant  évaluées,  on  en  déduisait,  par  un 
«alcul  fort  simple,  la  valeur  de  la  vitesse  du  rayon 
lumineux.  En  réalité,  le  succès  de  l'opération  dé- 
pendait exclusivement  de  la  sensibilité  de  l'appa- 
reil chronométrique  mis  en  jeu.  Cet  appareil,  que 
nous  ne  décrirons  pas  ici,  était  sans  doute  très  in- 
génieusement combiné  :  mais  ce  qu'on  ne  pouvait 
réaliser  dans  les  conditions  où  on  s'était  placé, 
quelle  que  fût  l'habileté  de  l'expérimentateur,  c'é- 
tait de  faire  traverser  au  rayon  de  lumière  qui 
cheminait  de  Montmartre  à  Snresnes  et  inverse- 
ment une  couche  d'air  calme  et  homogène.  Ce 
rayon  à  peu  près  horizontal  passait  forcement  dans 
une  portion  de  l'atmosphère  voisine  du  sol  ;  la 
composition  de  cette  couche  était  nécessairement 
variable  d'un  point  i  l'autre  ;  et  son  agitation 
■était  permanente.  Aussi,  l'image  observée,  quand 
on  recevait  le  rayon  de  retour,  était-elle  toujours 
plus  ou  moins  tremblotante  et  l'époque  exacte  de 
son  extinction  devenait-elle  fort  difficile  à  obser- 
ver. Les  résultats  obtenus  par  M.  Fizeau  et  un 
peu  plus  tard  par  M.  Cornu,  qui  a  répété  les 
mêmes  essais  dans  des  conditions  un  peu  meil- 
leures, ne  donnèrent  pas  la  mesure  de  la  vitesse 
de  la  lumière  avec  plus  de  précision  que  les  ob- 
servations astronomiques. 

Foucault  n'avait  voulu,  b.  l'époque  de  ses  pre- 
miers essais  (en  1850)  que  comparer  la  vitesse  de 
la  lumière  dans  l'air  et  dans  l'eau.  11  avait  con- 
staté —  fait  d'une  grande  importance  —  qu'un 
rayon  lumineux  chemine  plus  lentement  dans  l'eau 
que  dans  l'air,  à  peu  près  dans  le  rapport  de  3 
à  4;  de  18UI  à  186'2,  il  alla  plus  loin  et  perfec- 
tionna son  procédé  au  point  de  le  rendre  apte  h 
fournir  une  évaluation  plus  exacte  qu'aupara- 
vant de  la  rapidité  de  translation  de  la  lumière. 
—  Ses  expériences  peuvent  être  effectuées  dans 
une  chambre  de  dimensions  ordinaires.  Voici 
très  succinctement  en  quoi  elles  consistent.  Le 
rayon  lumineux  provenant  d'une  source  fixe  va 
successivement  frapper  un  miroir  plan,  puis  cinq 
miroirs  concaves,  qui,  après  l'avoir  renvoyé  de  l'un 
à  l'autre,  lui  font  reprendre,  mais  en  sens  inverse, 
sa  marche  primitive  pour  le  faire  pénétrer  finale- 
ment dans  un  microscope  au  foyer  duquel  est 
placé  un  micromètre  divisé.  .\  ce  moment,  l'ob- 
servateur dont  l'œil  est  à  l'oculaire  dudit  micros- 


cope va  pouvoir  estimer  le  retard,  s'il'  existe, 
éprouvé  par  le  rayon  de  retour.  Voici  comment  : 
Les  cinq  miroirs  dont  nous  venons  de  parler 
développaient  en  réalité  une  ligne  dont  la  lon- 
gueur totale  était  de  20  mètres.  Tout  est  dis- 
posé de  telle  façon  que  si  le  filet  lumineux  chemi- 
nait librement,  comme  il  vient  d'être  dit,  le  point 
du  micromètre  qu'il  atteindrait  à  son  retour  dans  le 
champ  de  vision  du  microscope  coïnciderait  exac- 
tement avec  son  point  de  départ,  sur  le  même 
micromètre,  mais  il  n'en  est  pas  ainsi  :  le  miroir 
plan  que  le  rayon  rencontre  sur  sa  route  n'est  pas 
immoijile  ;  il  tourne  au  contraire  avec  une  grande 
vitesse.  Ce  même  rayon  se  réfléchit  alors  une 
première  fois  sur  le  miroir  plan,  peu  après  son 
point  de  départ ,  il  le  rencontre  de  nouveau  à 
son  retour,  et,  comme  il  ne  le  retrouve  plus  exac- 
tement dans  sa  position  initiale,  puisque  ce  miroir 
a  tourné  d'une  certaine  quantité  pendant  le  va  et 
vient  du  rayon  ;  ledit  rayon  va  se  trouver  dévié 
de  sa  position  première  d'une  quantité  d'autant 
plus  grande  que  le  miroir  a  tourné  plus  vite  et 
que  lui-même  a  mis  plus  de  temps  pour  parcou- 
rir la  distance  qui  sépare  le  point  d'aller  du  point 
do  retour.  On  comprend  qu'il  existe  une  relatioo 
déterminée  entre  la  déviation  subie  par  le  rayon 
de  retour,  déviation  que  l'on  mesure  sur  le  mi- 
cromètre, la  longueur  totale  du  cliemin  qu'il  a 
parcouru,  la  vitesse  de  rotation  du  miroir  plan  et 
enfin  la  vitesse  même  de  la  lumière.  Or  de  ces 
quatre  quantités,  les  trois  premières  sont  four- 
nies par  l'expérience  qui  vient  d'être  indiquée  ; 
la  quatrième,  c'est-i-dire  la  vitesse  de  la  lumière, 
pourra  donc  en  être  déduite.  Elle  a  été  trouvée 
égale  à  398  millions  de  mètres  par  seconde,  au 
lieu  de  308  raillions  de  mètres,  chiffre  de  Rœmer. 
Cette  donnée  numérique  avait  une  grande  im- 
portance parce  qu'elle  permettait  de  rectifier  une 
mesure  que  nous  avons  intérêt  à  connaître  avec 
beaucoup  d'exactitude,  la  distance  du  soleil  à  la 
terre  ou,  si  l'on  veut,  la  parallaxe  du  soleil  qui  est 
intimement  liée  avec  cette  distance.  On  croyait 
cette  dernière  égale  à  8", 57  ;  elle  doit  être  portée 
à  la  suite  des  expériences  de  Foucault  à  8'', 86. 
Chose  remarquable!  les  meilleures  observations 
enregistrées  tout  rccemiuent  à  propos  du  dernier 
passage  de  Vénus  sur  le  soleil  (en  1874)  con- 
duisent exactement  au  même  chiffre.  Cette  confir- 
mation des  résultats  de  Foucault  nous  montre, 
d'une  façon  éclatante,  ce  que  peut  la  méthode 
expérimentale  quand  elle  est  sagement  et  rigou- 
reusement appliquée.  Une  simple  expérience 
d'optique  dans  une  chambre  de  quelques  mètres 
carrés  de  surface  a  suffi  pour  évaluer  avec  préci- 
sion la  distance  de  la  terre  au  soleil. 

m.  Mesure  de  l'intensité  de  la  lumière.  —  Pho- 
tométrie.  —  Il  est  nécessaire  dans  bien  des  cas  de 
comparer  les  intensités  de  deux  lumières,  de  savoir 
par  exemple  à  combien  de  bougies  d'espèce  déter- 
minée et  fixe  équivaut  une  lampe,  un  bec  de  gaz, 
un  foyer  électrique,  etc.  Cette  comparaison  est  fon- 
dée sur  la  mise  en  application  d'une  loi  générale  de 
la  nature  qui  se  rapporte  à  la  lumière,  tout  aussi 
bien  qu'à,  la  chaleur,  à  l'électricité,  à  la  gravita- 
tion, la  loi  de  la  raison  inverse  du  carré  de  la 
distance.  En  ce  qui  concerne  la  lumière,  nous 
l'énoncerons  simplement  de  la  manière  suivante  : 
Les  intensités  de  deux  sources  lumineuses,  quand 
ces  sources  produisent  le  même  éelairement  sur 
une  surface  donnée,  sont  proportionnelles  aux 
carrés  des  distances  qui  les  séparent  de  cette  sur- 
face. I  étant  l'intensité  de  la  première  source 
placée  à  une  distance  d  de  la  surface  considérée, 
I'  celle  de  la  seconde  source  placée  à  une  distance 

d'  de  la  surface,  on  a  ,7=  '— .    Partant  de  là,  si 

l'intensité   V   do  la    deuxième  source    est  prise 
comme  unité  on  aura  : 


LUMIERE 


—  1222 


LUMIERE 


-et  il  suffira  de  mesurer  dans  une  expérience  di- 
recte fl  et  cl'  pour  obtenir  la  valeur  numérique 
-de  l'intensité  lumineuse  cherchée. 

Reste  à  savoir  comment  on  pourra  reconnaître 
si  une  surface  donnée  reçoit  un  éclairement  égal 
et  do  la  source  dont  on  veut  mesurer  l'intensité 
et  de  la  source  prise  comme  unité.  Bien  des  mé- 
thodes, dites  photomélnques,  ont  été  employées  à 
cet  effet:  celles  de  Bouguer,  de  Lambert,  la  méthode 
des  ombres  comparées  de  Rumford,  la  perle  tour- 
nante de  Wlieastone,  la  méthode  de  Bunsen  fondée 
sur  la  curieuse  propriété  que  possède  une  tache 
de  matière  grasse  imprégnant,  en  son  milieu,  une 
-feuille  de  papier  blanc  de  disparaître  complètement 
quand  les  deux  faces  de  l'écran  en  papier  sont 
également  éclairées  par  les  deux  sources  que  l'on 
compare.  Il  est  encore  d'autres  procédés  plioto- 
métriques  comportant  un  haut  degré  de  précision 
qui  ont  pour  point  de  départ  les  phénomènes 
étudiés  dans  la  haute  optique  (double  réfraction, 
polarisation,  etc.),  et  dont  A  ni  go  doit  Être  consi- 
déré avec  justice  comme  le  premier  inventeur. 
Nous  nous  bornerons  ici  à  indiquer  très  sommai- 
rement le  photomètre  de  Foucault,  parce  qu'il  est 
aujourd'hui  très  employé  en  France  dans  l'indus- 
trie et  notamment  pour  évaluer  numériquement 
l'intensité  lumineuse  très  variable,  d'un  jour  à 
-l'autre,  d'une  usine  à  l'autre,  du  gaz  de  l'éclai- 
rage. 

Une  lame  de  verre  étant  recouverte  d'une 
couche  parfaitement  homogène  et  très  mince  de 
grains  d'amidon  est  rendue  par  lii  même  unifor- 
mément translucide  dans  toute  son  étendue.  Elle 
-constitue,  dans  le  photomètre  de  Foucault,  la  base 
verticale  extrême  d'un  paiallélipipède  en  bois  dont 
l'axe  est  horizontal.  D'autre  part,  la  caisse  prisma- 
tique dont  il  est  question  est  divisée  en  deux  com- 
partiments égaux  par  une  cloison  opaque  verticale 
elle  aussi,  et  dont  le  plan  est  perpendiculaire  à 
celui  delà  lame  de  verre.  Les  lumières  à  comparer 
.  sont  placées  dans  les  dits  compartiments,  l'une  à 
droite,  l'autre  à  gauche  de  la  cloison  médiane,  et 
leur  mobilité  est  telle  qu'elles  peuvent,  au  gré  de 
-l'expérimentateur,  être  portées  à  une  distance 
-quelconque  de  l'écran  de  verre.  Ceci  compris,  le  jeu 
de  l'instrument  s'explique  de  lui-même  :  l'ombre  de 
la  cloison  médiane  provenant  de  la  lumière  de  droite 
porte  sur  la  moitié  gauche  de  l'écran  translucide  ; 
pareillement,  l'ombre  qui  provient  de  la  lumièr'' 
de  gauche  recouvre  la  moitié  de  droite  du  même 
écran.  En  faisant  mouvoir  la  cloison  dans  son 
plan  pour  la  rapprocher  plus  ou  moins  de  la  lame 
de  verre,  on  parvient  t\  juxtaposer  les  deux  ombres 
et  alors,  comme  il  y  a  continuité  entre  elles,  il 
est  facile  par  le  mouvement  progressif  de  l'unie 
des  sources  d'amener  une  égalité  parfaite  de 
réclairement  sur  toute  la  surface  de  l'écran  ami- 
donné. A  ce  moment  on  mesure  d  et  d'  et  l'on  a 

par  suite  la  valeur  -p-  ou   au   besoin  I  en   valeur 

absolue,  si  I'  est  pris  pour  unité. 

Le  D'  Javal  a  imaginé,  dans  ces  derniers  temps, 
une  sorte  de  photomètre  fort  simple  pour  la  lu- 
mière diffuse,  à  l'aide  duquel  on  peut  étudier  les 
variations  de  Védaiiimpnt  aux  divers  points  d'une 
salle  qui  reçoit  le  jour  d'une  ou  de  plusieurs 
fenêtres.  Cette  étude  a  de  l'importance,  quand  il 
s'agit  notamment  de  nos  salles  de  classe,  dans  les 
écoles  primaires.  On  veut  aujourd'hui,  et  l'on  a 
raison,  que  l'éclairage  soit  unilatérnl  et  que  la 
lumière  arrive  du  dehors  à  la  gauche  de  l'élève. 
C'est  fort  bien;  mais  encore  faut-il  que  les 
dispositions  adoptées  soient  toiles  que  les  élèves 
les  plus  mal  placés,  ceux  qui  sont  assis  loin  de  la 
fenêtre,    reçoivent   un  jour  suffisant.   Comment 


s'en  assurer'?  Le  petit  instrument  du  D'  Javal 
rend  cet  examen  facile.  Voici  en  quoi  il  con- 
siste :  Sur  une  feuille  de  papier  blanc  sont 
tracées  des  raies  noires  parallèles,  égales  en  lar- 
geur et  séparées  les  unes  des  autres  par  des  in- 
tervalles blancs  qui  sont  aussi  égaux  entre  eux. 
Vues  d'une  certaine  distance,  les  bandes  ainsi  for- 
mées par  cet  ensemble  de  lignes  alternativeinent 
noires  et  blanches  présentent  à  l'œil  une  teinte 
uniforme,  dont  l'intensité  lumineuse  totale  dé- 
pend du  rapport  qui  a  clé  établi  entre  la  lar- 
geur des  intervalles  blancs  et  celle  des  raies 
noires.  Cette  largeur  est-elle  la  même  pour  les 
deux  sortes  de  lignes,  il  est  évident  que  la  teinte 
obtenue  aura  une  intensité  d'éclairement  égale  à 
1/2  ou  0,.S0  de  l'intensité  offerte  par  la  feuille  de 
papier  blanc.  L'intervalle  noir  est-il  représenté 
par  1,  tandis  que  le  blanc  l'est  par  2;  la  teinte 
de  la  nouvelle  bande  correspondra  aune  intensité 
lumineuse  0,66  et  ainsi  de  suite.  On  pourra, 
en  faisant  varier  à  volonté  le  rapport  entre  les 
deux  intervalles,  noir  et  blanc,  obtenir  facilement 
une  série  de  teintes  dont  les  intensités  lumineiises 
seront  parfaitement  connues  et  égales  successive- 
ment à  0,05  ;  0,10;  0,15 0,90  ;  0,95,  et  enfin, 

100  centièmes.  Qu'on  étale  ensuite  ces  teintes, 
à  la  suite  l'une  de  l'autre,  sur  une  feuille  de  car- 
ton blanc,  en  les  numérotant  ;  et  qu'enfin,  immé- 
diatement au-dessus  de  chacune,  on  perce  dans  le 
carton  une  petite  ouverture  rectangulaire,  une 
sorte  de  fenêtre,  dont  les  côtés  verticaux  soient 
parallèles  aux  lignes  blanches  et  noires  et  dont  la 
base  inférieure  les  coupe  par  suite  à  angle  droit; 
on  aura  ainsi  construit  le  photomètre  dont  nous 
parlons.  —  Voici  maintenant  son  eniploi  :  faites 
tenir  verticalement  par  un  aide  une  feuille  de 
papier  hlanc  au  point  de  la  salle  de  classe  où  vous 
voulez  tenter  une  première  expérience,  en  A,  par 
exemple  ;  tenez-vous  vous-même  tout  près  de  la 
fenêtre  qui  donne  accès  au  jour  dans  la  pièce  ; 
interposez  alors  le  carton  photmiiétre,  entre  votre 
œil  et  la  feuille  de  papier  blanc  tenue  par  l'aide 
de  telle  façon  que  le  rayon  visuel  en  traversant 
l'une  des  ouvertures  du  carton,  l'ouverture  n"  12 
par  exemple,  aille  rencontrer  ladite  feuille.  Vous 
reconnaîtrez  alors,  sans  peine,  par  une  comparai- 
son que  la  juxtaposition  des  teintes  rend  facile, 
si  réclairement  de  la  feuille  blanche,  en  la  place 
qu'elle  occupe  actuellement,  est  plus  grand  ou 
plus  petit  que  celui  qui  vous  est  offert  par  la 
bande  n°  12.  Ceci  constaté,  vous  ferez  mouvoir 
lentement  le  carton  devant  votre  œil,  de  gauche 
à  droite  ou  de  droite  à  gauche  suivant  les  cas, 
jusqu'à  ce  que  vous  ayez  amené,  sur  le  trajet  du 
rayon  visuel,  une  ouverture  nouvelle  qui  vous 
laisse  voir  la  feuille  de  papier  demeurée  immo- 
bile, avec  le  même  éclairement  que  la  bande  sous- 
jacente  qui  correspond  à  cette  ouverture  :  vous 
lirez,  à  ce  moment,  le  numéro  inscrit  sous  la  bande, 

soit  0,"0.   —  L'expérience  sera  répétée,  dans 

les  mêmes  conditions:  en  H,  en  C,  etc.,  l'opérateur 
restant  à  la  même  place  et  l'aide  se  déplaçant  seul 
pour  porter  la  feuille  blanche  en  ces  différents 
points;  on  trouvera  pour  B,  0,5;>;  pour  C,  li,.35,  etc. 
La  conclusion  finale  sera  (|ue  les  diverses  parties 
de  la  salle  sont  très  inégalement  éclairées,  et  que 
les  enfants  assis  en  A,  B  ,  C  reçoivent  des  quanti- 
tés de  lumière  qui  varient  comme  les  nombres  14, 
11,  7. 

IV.  Changements  de  direction  éprouvés  dans 
certains  cas  par  le  rayon  lumineux.  —  La  lumière 
ne  se  propage  rigoureusement  en  ligne  droite, 
avons-nous  dit,  qu'autant  que  le  milieu  qu'elle 
traverse  est  homogène,  ce  qui  veut  dire  que  ce 
milieu  doit  demeurer  identique  à  lui-même,  au 
point  de  vue  de  sa  nature  propre  et  de  ses  pro- 
priétés physiques,  et  conserver,  en  particulier,  dans 
toutes   les    directions   une    élasticité    constante. 


LUMIÈRE 


—  1223 


LUMIERE 


Mais  lorsque,  sur  son  trajet,  un  faisceau  lumineui 
rencontre  un  corps  nouveau,  ces  conditions  ne 
sont  plus  remplies;  il  éprouve  alors  h  la  surface 
de  séparation  des  deux  milieux  comme  un  double 
brisement:  une  partie  du  faisceau  est  renvoyée  en 
sens  inverse  de  sa  marche  primitive,  il  revient, 
pour  ainsi  dire,  sur  ses  pas,  et  cela  dans  une  direc- 
tion doterniinablo  péométriiiuenient  et  qui  dépend 
exclusivement  de  l'angle  que  fait  avec  la  surface 
le  rayon  incident.  Cette  portion  du  faisceau  ainsi 
renvoyée  est  dite  réfléchie  régulièromont  (V.  /ie- 
flexiun).  Une  autre  portion  du  faisceau  primitif 
pénétre  dans  l'intérieur  du  milieu  rencontré,  au 
moins  quand  celui-ci  est  transparent,  et  alors,  au 
lieu  de  former  le  prolongement  en  ligne  droite  du 
rayon  incident,  le  faisceau  qui  pénètre  fait  un  cer- 
tain angle  avec  lui;  on  le  nomme  rayon  réfracté. 
Seulement,  le  sens  de  la  propagation  n'est  point 
ici  interverti  comme  dans  le  cas  du  rayon  réfléchi. 
Los  lois  de  la  réfraction  ont  été  découvertes  par 
Descartes  (V.  Uéfraction). 

V.  Dispersmi  de  la  lumière.  —  Spectre  solaire. 
—  Il  y  a  plus  :  lorsque  la  lumière  blanche,  celle 
qui  nous  vient  du  soleil,  change  de  milieu,  qu'elle 
passe  par  exemple  de  l'air  dans  un  prisme  de 
verre  pour  émerger  ensuite  du  prisme  dans  l'air, 
ce  n'est  pas  seulement  un  changement  de  direc- 
tion, une  sorte  de  brisement  qui  se  produit;  le 
phénomène  que  l'on  observe  est  beaucou]>-  plus 
complexe.  Le  faisceau  émergeant  du  prisme,  au 
lieu  d'être  blanc  comme  l'était  le  faisceau  inci- 
dent, fournit  sur  l'écran  qui  le  reçoit  une  image 
colorée  dans  laquelle  les  couleurs  sont  toujours 
distribuées  dans  l'ordre  suivant  :  violet,  indigo, 
bleu,  vert,  jaune,  orangé,  rouge.  Si  les  faces 
d'entrée  et  de  sortie  de  la  lumière  dans  le  prisme 
de  verre  sont  disposées  de  telle  manière  que  leur 
intersection,  qu'on  nomme  Varéte  de  rèfriiiuenei'  du 
prisme,  soit  horizontale  ;  si,  de  plus,  le  faisceau 
incident  de  lumière  blanclie  est  cylindrique,  la 
tache  colorée  reçue  sur  l'écran  a  la  forme  d'un 
rectangle  allongé  dont  les  longs  côtés  sont  recti- 
lignes  et  verticaux  et  dont  les  petits  cotés  sont 
remplacés  par  des  demi-cercles.  Les  couleurs  sus- 
nommées y  sont  distribuées  sous  la  forme  de 
bandes  parallèles  entre  elles  et  perpendiculaires 
aux  longs  cotés  du  rectangle.  Cette  image  colorée 
porte  le  nom  de  spectre  solaire.  On  la  produit 
également  dans  les  mêmes  conditions  et  avec  la 
même  distribution  des  couleurs,  quand  on  emploie 
un  faisceau  de  lumière  blanche  provenant  de 
sources  autres  que  le  soleil  —  la  flamme  du  gaz 
de  l'éclairage,  la  lumière  oxhydrique,  etc.  — 
Dans  tous  les  cas,  le  spectre  solaire  obtenu  est 
d'autant  plus  pur  que  le  faisceau  incident  a  des 
dimensions  plus  restreintes  dans  un  sens  perpen- 
diculaire h  l'arête  de  réfringence  du  prisme. 

On  opère  comme  il  suit  :  la  lumière  avant  do  par- 
venir àla  face  d'entrée  d'un  prisme  très  purdeflint, 
'de  quartz  ou  de  sulfure  do  carbone,  passe  par  une 
fente  très  étroite  pratiquée  dans  un  volet,  laquelle 
fente  est  parallèle  à  l'arcte  réfringente.  De  plus, 
sur  le  trajet  du  faisceau  et  à  une  distance  de  la 
fente  égale  au  double  de  la  distance  focale  princi- 
pale, on  dispose  une  lentille  convergente  qui, 
avant  l'interposition  du  prisme,  eut  donné  sur  un 
écran  placé  de  l'autre  coté  de  la  lentille  et  à  cette 
même  distance,  une  image  blanche,  nettement  dé- 
limitée dans  tous  les  sens,  et  de  même  grandeur 
que  la  fente.  Cela  réalisé,  le  prisme  est  placé  sur 
le  trajet  de  la  bande  lumineuse  étroite,  et  l'on 
voit  alors  sur  l'écran  dont  il  vient  d'être  question 
un  spectre  très  pur  à  couleurs  vives  et  parfaite- 
ment distinctes. 

Newton  a  le  premier  interprété  avec  une  grande 
exactitude  ce  phénomène  de  dispersion  de  la 
lumière;  il  a  prouvé  par  des  expériences  décisives 
que  la  lumière  blanche  est  composée  d'une  mul- 


titude de  lumières  colorées  simples,  possédant 
chacune  une  réfrangibilité  propre.  Tant  que  ces 
rayons  de  couleurs  très  diverses  cheminent  paral- 
lèlement, tant  qu'ils  afi'ectent  notre  rétine  tous  à 
la  fois  en  un  même  point,  nous  éprouvons  cette 
sensation  spéciale  dite  de  couleur  blanclie;  mais 
aussitôt  qu'ils  changent  de  milieu  —  leur  direction 
primitive  n'étant  pas  d'ailleurs  perpendiculaire  i 
la  surface  de  séparation  qu'ils  vont  traverser  — 
tous  ces  rayons  subissent  individuellement  en  se 
déviant  de  leur  direction  initiale  la  réfraction  qui 
est  spéciale  à  chacun  d'eux  Dès  lors,  ils  cessent 
d'être  parallèles  soit  dans  l'intérieur  du  prisme, 
soit  quand  ils  en  émergent;  et,  si  on  les  reçoit 
alors  sur  un  écran,  chacun  forme  une  tache  colorée 
distincte  en  un  point  de  cet  écran  dont  la  position 
varie  avec  la  valeur  de  la  déviation  subie.  Théori- 
quement, et  en  se  plaçant  dans  certaines  condi- 
tions voulues,  chaque  rayon  simple  appartenant 
à  la  lumière  incidente  devrait  fournir  une  image 
colorée  ayant  les  mêmes  dimensions  que  la  fente 
elle-même  et  les  diverses  couleurs  devraient  pou- 
voir être  séparées  dans  le  spectre.  11  n'en  est 
rien  ;  c'est  qu'en  elTet  les  couleurs  simples  sont 
loin  de  se  réduire  h  sept  dans  la  lumière  blanche  ; 
il  y  en  a  des  milliers;  les  images  colorées  que  l'on 
obtient  par  la  dispersion  dans  le  prisme,  quelles 
que  soient  les  précautions  prises,  empiètent  donc 
toujours  un  peu  l'une  sur  l'autre  et  on  passe,  par 
nuances  insensibles,  d'une  couleurprincipale  iune 
autre,  —  du  ronge  à  l'orangé,  de  l'orangé  au 
jaune,  etc. 

Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  le  détail  des 
démonstrations  expérimentales  très  variées  par 
lesquelles  Newton  a  établi  le  principe  ci-dessus 
énoncé  ;  nous  citerons  seulement  la  principale, 
celle  qui,  par  sa  simplicité,  paraîtra  très  pro- 
bante au  lecteur  :  un  premier  prisme  décompose 
un  faisceau  de  lumière  blanche  et  donne  sur  un 
écran  un  spectre  fortement  étalé  ;  cet  écran  porte 
une  petite  ouverture,  une  fente  étroite,  par  la- 
quelle on  peut  à  volonté  faire  passer  l'un  ou 
l'autre  des  rayons  colorés,  dont  l'ensemble  forme 
le  spectre.  Au  delà  de  l'écran,  le  rayon  qui 
traverse  cette  ouverture  étroite  peut  être  consi- 
déré comme  un  rayon  simple  isolé  de  tous  ses 
voisins.  On  peut  alors  opérer  sur  lui,  comme  on 
l'entend,  sans  être  gène  par  la  présence  des  autres 
rayons,  on  peut  en  particulier  l'étudier  au  point 
de  vue  de  sa  réfrangibilité  et  évaluer  numérique- 
ment son  indice  de  refraction.  Newton  en  eH'et, 
dans  son  expérience,  faisait  tomber  successivement 
sur  un  second  prisme  cliacun  des  rayons  colorés 
simples  qui  lui  arrivaient  du  premier,  dans  une 
même  direction  par  la  fente  de  l'écran,  et  il  cons- 
tatait que  chacun  d'eux  subissait  dans  ce  second 
prisme  une  déviation  déterminée  qui  n'apparte- 
nait qu'à  lui.  Il  trouvait,  en  effet,  qu'après  avoir 
traversé  le  second  prisme,  chaque  rayon  simple 
allait  former  son  image  colorée  en  un  point  diffé- 
rent sur  un  second  écran  lixe.  La  couleur  la  plus 
réfrangible  est  le  violet  ;  la  moins  réfrangible,  le 
rouge  ;  les  autres  couleurs  ont  des  réfrangibilités 
intermédiaires  entre  ces  deux-là.  et  l'indice  de 
réfraction  (V.  Rèfr'iclion)  va  régulièrement  en  dé- 
croissant depuis  le  violet,  où  il  estmaximum,  jus- 
qu'au rouge,  où  il  est  minimum. 

Newton  ne  s'est  pas  contenté  de  faire  l'analyse 
de  la  lumière  blanche  en  la  décomposant,  comme 
il  vient  d'être  dit,  en  ses  éléments  essentiels;  il 
est  parvenu  à  eu  réaliser  la  synthèse  et  cela  par 
plusieurs  procédés.  Voici  l'une  des  méthodes  em- 
ployées :  l'expérience  est  très  concluante.  On  a 
sept  miroirs  concaves  parfaitement  mobiles  sur 
des  supports  distincts  ;  on  fait  tomber  sur  leur 
surface  les  diverses  couleurs  du  spectre  qu'a  don- 
nées un  prisme  dans  les  conditions  déjà  indiquées  : 
le  violet  sur  le  premier  miroir,  le  bleu  sur  le  se- 


LUMIERE 


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LUMIERE 


con(î,etc.,  et  on  dirige  les  axes  des  réflecteurs  de 
manière  à  faire  aboutir  en  un  même  point  les 
images  colorées  qu'ils  fournissent.  On  constate  que 
de  cette  façon  l'image  résultante,  celle  qui  est 
produite  par  la  superposition  de  toutes  les  images 
partielles,  est  parfaitement  blanche.  On  en  conclut 
forcément  que  l'ensemble  de  toutes  les  couleurs 
que  présente  le  spectre  complet  constitue  bien 
la  lumière  blanche. 

L'appareil  des  sept  miroirs  rend  facile  pour 
l'expérimentation  la  détermination  des  couleurs 
complexes  qui  sont  fournies  par  le  mélange  de 
deux  ou  trois  des  couleurs  simples  du  spectre.  Il 
suffit,  par  un  mouvement  convenable  des  miroirs, 
de  superposer  uniquement  les  images  que  don- 
nent deux  ou  plusieurs  d'entre  eux  convenable- 
ment choisis. 

Les  phénomènes  si  curieux  qui  résultent  de  la 
décomposition  et  de  la  recomposition  de  la  lu- 
mière blanche  permettent  d'expliquer  simplement 
la  coloration  spéciale  présentée  par  chacun  des 
corps  de  la  nature.  (V.  Couleurs,  page  517.) 

VI.  finies  (lu  spfcire  solaire.  —  Le  spectre  so- 
laire n'est  pas  continu  ;  son  défaut  de  continuité 
devient  manifeste  quand  on  le  produit  aussi  pur 
que  possible  en  employant  un  prisme  de  flint 
bien  homogène,  dépourvu  de  stries  et  de  bulles, 
et  en  opérant,  en  outre,  comme  il  a  été  indiqué  plus 
haut.  On  trouve  alors  dans  toutes  les  régions  de 
ce  spectre  lumineux  une  multitude  de  raies  noires 
ou  de  lignes  obscures  parallèles  entre  elles  et 
parallèles  en  même  temps  aux  bandes  chroma- 
tiques brillantes  ;  elles  représentent  comme  au- 
tant de  solutions  de  continuité.  Ce  fait  impor- 
tant n'avait  pu  être  constaté  par  Mewton  ;  il  a 
été  reconnu  et  étudié  pour  la  première  fois 
par  WoUaston,  et  par  Frauenhofer  ensuite.  Ce 
dernier  physicien  proposa  même  un  classement, 
qui  a  été  conservé,  de  ces  raies  obscures  en  sept 
groupes  principaux  se  rapportant  aux  principales 
couleurs  du  spectre,  et  il  a  désigné  chacun  de  ces 
groupes  par  des  lettres  luajuscules  A,  B,  G,  jus- 
qu'à H.  La  raie  A  se  trouve  dans  le  rouge,  D  dans 
le  jaune,  etc.,  H  dans  le  violet,  etc.  L'n  peu  plus 
tard,  en  recourant  à  des  réfracteurs  d'un  grand 
pouvoir  dispersif  et  en  multipliant  le  nombre  des 
prismes  qu'un  même  faisceau  lumineux  doit  tra- 
verser, on  a  reconnu  que  les  grosses  raies,  qu'on 
avait  crues  d'abord  simples,  se  dédoublaient  elles- 
mêmes  en  une  foule  de  raies  plus  petites  qu'on  a 
pu  numéroter  et  qui  permettent  d'indiquer  au- 
jourd'hui d'une  manière  précise,  quand  on  fait 
une  expérience,  quel  est  le  rayon  sur  lequel  on 
opère. 

Les  raies  obscures  existent  dans  le  spectre, 
quand  il  a  pour  origine  un  gaz  ou  une  vapeur  in- 
candescente et  que  la  radiation  qui  en  provient 
traverse  avant  d'arriver  au  prisme  un  gaz  ou  une 
vapeur  de  même  nature.  Le  spectre  est  au  con- 
traire continu  et  brillant  quand  il  provient  d'un 
solide  lumineux  non  susceptible  de  volatilisation, 
au  moins  i  la  température  à  laquelle  il  se  trouve 
porté.  Quand  la  source  lumineuse  est  simple, 
quand  elle  consiste,  par  exemple,  en  une  vapeur 
métallique  d'espèce  unique  placée  dans  la  tlamnie 
du  gaz  de  l'éclairage  ou  dans  l'arc  voltaique,  le 
spectre  se  réduit  à  un  certain  nombre  de  lignes 
brillantes  qui  sont  spéciales  au  métal  employé  et 
qui  sont  alors  caractéristiques  de  ce  métal;  ainsi 
le  sodium  est  caractérisé,  on  particulier,  par  une 
bande  brillante  jaune  correspondant  au  groupe  D 
des  raies  noires  du  spectre  solaire. 

MM.  Kirchhoff  et  Bunsen  ont  donné  de  ces 
faits  curieux  une  explication  rationnelle,  aujour- 
d'hui adoptée  par  tout  le  monde.  Quand  une 
vapeur  est  portée  à  une  haute  température,  elle  a 
une  couleur  qui  lui  est  propre  et  qui  représente 
la  résultante  des  rayons  colorés  émis  par  elle.  Par 


suite,  le  faisceau  lumineux  auquel  elle  donne  nais- 
sance, quand  il  sera  décomposé  par  le  prisme,  ne 
pourra  que  reproduire,  en  les  distribuant  sur  un 
spectre  étalé,  les  seules  radiations  brillantes  que 
la  dite  vapeur  a  émises:  on  aura  donc  un  spectre 
discontinu,  composé  d'un  certain  nombre  de 
bandes  lumineuses  séparées  les  unes  des  autres 
par  des  espaces  obscurs.  Tel  est  en  effet  le 
phénomène  observé  dans  ce  cas.  Si  la  source 
lumineuse  est  un  corps  solide  non  volatil  émettant 
des  radiations  de  tout  genre,  le  spectre  qui  lui 
correspondra  ira  du  rouge  au  violet  sans  interrup- 
tion, sans  intervalles  obscurs,  et  les  raies  noires 
y  feront  complètement  défaut. 

Voilà  un  premier  point  expliqué.  D'autre  part, 
on  a  démontré,  dans  l'étude  de  la  chaleur  rayon- 
nante, l'égalité  du  pouvoir  éniissif  et  du  pouvoir 
absorbant,  égalité  qui  est  toujours  rigoureuse- 
ment exacte,  quand  il  s'agit  d'un  même  rayon  de 
chaleur  d'une  réfrangibilité  déterminée.  Or,  ce  qui 
est  vrai  pour  la  chaleur  est  encore  vrai,  dans  l'es- 
pèce, pour  la  lumière  (V.  Réflexion,  Réfraction). 
Si  donc,  dans  l'expérience  déjà  citée  du  spectre  con- 
tinu fourni  par  un  corps  solide,  nous  interposons  sur 
le  trajet  du  faisceau  lumineux  une  atmosphère  con- 
stituée par  la  vapeur  incandescente  de  sodium,  — 
nous  prenons  le  sodium  comme  exemple,  parce  qu'a- 
vec lui  l'expérience  est  facilement  réalisable,  — 
celle-ci,  qui  a  un  grand  pouvoir  émissif  pour  les 
rayons  jaunes,  absorbera  les  dits  rayons  à  raison  de 
son  grand  pouvoir  absorbant  pour  la  même  radia- 
tion, et  dès  lors  le  spectre  primitif  cessera  d'être 
continu  ;  les  rayons  absorbés  manqueront  dans 
ce  spectre.  Là  où  se  trouvait  tout  à  l'heure  la 
ligne  brillante  D,  une  raie  noire  apparaîtra.  C'est 
ce  phénomène  qu'on  a  nommé  Vinversion  des 
raies. 

Une  conséquence  importante  se  déduit  de  cette 
explication.  Les  raies  noires  du  spectre  obtenu, 
les  places  qu'elles  y  occupent  pourront  servir  dé- 
sormais à  reconnaître  la  nature  des  vapeurs 
incandescentes  existant  dans  la  source  lumineuse, 
soit  que  ces  vapeurs  se  trouvent  dans  le  foyer 
lui-même,  soit  qu'elles  se  montrent  dans  l'atmo- 
sphère qui  l'entoure.  C'est  ainsi  qu'en  aiialysant, 
avec  un  soin  minutieux,  le  spectre  du  soleil  à 
l'aide  du  spectroscopc  ■ —  groupement  de  prismes 
possédant  un  grand  pouvoir  dispersif,  —  on  est 
arrivé  à  constater  la  présence  du  potassium, 
dti  sodium,  du  fer,  du  chrome,  du  nickel,  etc., 
dans  l'atmosphère  de  cet  astre,  et,  au  contraire, 
l'absence  de  l'or,  du  mercure,  etc.  C'est  encore 
ainsi  qu'on  a  pu  découvrir  de  nouveaux  métaux, 
lubidium,  caesium,  thallium,  etc.,  dans  des  pro- 
duits minéraux  où  leur  proportion  était  si  minime 
que  les  réactions  chimiques  ordinaires  n'y  avaient 
rien  signalé  d'inconnu.  Mais  le  spectre  de  la  va- 
peur de  ces  produits  minéraux  contenait  des  raies 
nouvelles  ;  on  en  a  conclu  qu'il  y  avait  des  corps 
simples  nouveaux.  Des  recherches  chimiques  bien 
dirigées  ont  en  effet  permis  de  les  isoler. 

La  spectroscopie  représente  donc  une  méthode 
d'analyse  chimique  des  plus  exactes,  nous  pouvons 
dire  aussi  des  plus  précieuses,  parce  qu'elle  est 
plus  sensible  que  tout  autre.  Le  physicien,  de  son 
cabinet,  analyse  journellement  l'atmosphère  du 
soleil.  Il  constate  la  présence  et  il  mesure  la  lon- 
gueur des  jets  d'hydrogène  qui  en  émanent  par 
intervalles  et  qu'on  a  nommés  les  protubérances  ; 
il  étudie  la  constitution  des  étoiles,  des  comètes, 
même  des  nébuleuses,  et  il  arrive  à  cette  con- 
clusion, tous  les  jours  confirmée  par  des  observa- 
tions nouvelles  :  les  astres  qui  peuplent  le  firma- 
ment sont  composés  des  mêmes  cléments  sim- 
ples que  notre  terre,  l'hydrogène  en  particulier 
se  retrouve  partout,  jusque  dans  les  plus  faibles 
nébulosités  que  nous  apercevons  avec  les  té- 
lescopes. 


LUMIKRE 


1223  — 


LUMIERE 


Vil.  Théories  de  la  lumière.  —  Jusqu'à  présent, 
nous  avons  examinù  lo  mode  de  propagation  de 
la  lumière  et  mesure?  sa  vitesse  ;  nous  avons  indi- 
qué les  niétliodos  qui  permettent  de  comparer  les 
inti-nsités  des  diverses  sources  ;  nous  avons,  enfin, 
suivi  le  rayon  lumineux  dans  les  différentes  modi- 
fications <|u'il  subit  en  se  propageant  :  réflexion, 
réfraction,  dispersion  ;  nous  avons  fait,  en  un  mot, 
ce  qu'on  a  appelé,  avec  raison,  Vetude  f/éométric/uc 
de  la  lumière.  Le  calcul,  un  calcul  élémentaire, 
s'applique,  en  effet,  très  simplement  aux  lois 
expérimentales  que  les  physiciens  ont  découver- 
tes, et  l'on  a  pu  même  analyser  matliématique- 
ment,  jusque  dans  ses  moindres  détails,  le  disposi- 
tif des  instruments  d'optique,  lunettes,  micro- 
scopes, etc.,  dont  la  contruction  est  exclusive- 
ment fondée  sur  ces  lois  elles-mêmes.  —  V.  Opti- 
que (Instruments  d'). 

Tout  cela  a  pu  être  entrepris  et  mené  à  bonne 
fin  sans  qu'il  soit  devenu  nécessaire  de  se  deman- 
der en  quoi  consiste  l'agent  lumineux  et  quelle 
est  sa  vraie  nature.  Les  questions  qu'il  nous  reste 
maintenant  à  examiner  et  qui  forment  le  domaine 
de  la  /laute  optique,  exigent,  au  contraire,  pour 
être  résolues,  la  connaissance  de  la  théorie  géné- 
ralement admise  pour  expliquer  les  phénomènes 
lumineux.  Il  demeure  entendu  que  nous  nous  appe- 
santirons peu  sur  cet  ordre  de  faits,  parce  que  leurs 
applications  aux  choses  de  la  vie  sont  moins  nom- 
ibreuses  et  moins  importantes  et  qu'ils  exigent  lo 
.plus  souvent  l'emploi  du  calcul  infinitésimal  pour 
•être  bien  compris.  Toutefois,  dans  la  haute  optique 
•comme  dans  l'optique  géométrique,  se  trouve  une 
.partie  élémentaire  pouvant  avec  avantage  être 
introduite  dans  l'enseignement  secondaire  et  pri- 
(maire,  et  qui  chez  nos  voisins  figure  déjà  dans  les 
(Programmes  de  ces  enseignements.  On  comprend 
•difficilement  qu'en  France  on  ait  jusqu'à  ce  jour 
systématiquement  réservé  à  l'enseignement  supé- 
rieur l'étude  de  tout  ce  qui  a  rapport  à  la  diffrac- 
tion de  la  lumière.  Il  y  a  li  des  faits  intéressants, 
susceptibles  d'une  application  pratique,  et  qu'il 
serait  utile  de  vulgariser. 

Quoi  qu'il  en  soit,  occupons-nous  d'abord  des 
théories  de  la  lumière,  en  conservant  à  cet  exposé 
un  caractère  tout  à  fait  élémentaire.  La  plus 
ancienne,  la  seule  qui  ait  eu  cours  jusque  vers  le 
milieu  du  xvii'  siècle,  est  la  théorie  de  l'émission  ; 
elle  eut  un  adepte  émincnt.  Newton,  et  jusque  dans 
■ces  derniers  temps  elle  conserva  d'ardents  dé- 
fenseurs. Le  dernier  et  non  le  moins  célèbre  fut 
jBiot,  mort  en  1862,  qui,  jusqu'à  la  fin  de  sa  vie, 

■  demeura  fidèle  à  la  théorie  de  l'émission  et  fit 
•  de  vrais  tours  de  force  en  analyse  mathématique 
,pour  expliquer,  à  son  aide,  quelques  phénomènes 

■  de  la  haute  optique. 

L'idée  de  l'émission  de  la  Jumière  se  présente, 
il  faut  le  dire,  la  première  à  l'esprit  de  l'expéri- 
mentateur. Il  semble  naturel  de  penser  que,  si  les 
corps  lumineux  sont  en  rapport  avec  nous,  mal- 
gré la  grande  distance  à  laquelle  quelques-uns 
sont  placés,  c'est  qu'une  portion  de  la  matière 
qui  les  constitue  se  détache  à  chaque  instant  de 
leur  masse  pour  atteindre  l'organe  de  la  vision  ;  ils 
doivent,  pensait-on,  lancer  dans  toutes  les  direc- 
tions des  particules  émanées  de  leur  surface.  Ces 
particules  traversent  l'espace  avec  une  grande 
rapidité,  et  elles  sont  tellement  déliées  qu'elles 
peuvent  même  passer  entre  les  molécules  de  cer- 

■tains  corps  solides  ou  liquides,  des  corps  dits 
transparents,  pour  continuer  ensuite  leur  marche 
au-delà  de  ces  corps.  C'est  ainsi  qu'en  pénétrant 
dans  les  milieux  de  l'œil  et  en  les  parcourant 
dans  toute  leur  épaisseur,  elles  peuvent  parvenir 
jusqu'à  l'épanouissement  du  nerf  optique,  jusqu'à 
la  rétine   et  là,  par  leurs  chocs  répétés,  produire 

■cette  sensation  spéciale  que  nous  appelons  lu  vi- 
sion. C'est  encore  ainsi  qu'animées  d'une  grande 


vitesse,  elles  vont  choquer  les  obstacles  placés  sur 
leur  route  et  rebondir  à  leur  surface  conimi;  des 
balles  élastiques,  de  même  que  la  bille  d'ivoire 
rebondit  sur  la  bande  d'un  billard  qu'elle  atteint, 
en  faisant  l'angle  de  réflexion  égal  à  l'angle  d'in- 
cidence; et  c'est  là  précisément,  on  le  sait,  la  loi 
fondamentale  de  la  réflexion  de  la  lumière  à  la 
surface  do  séparation  de  deux  milieux.  On  expli- 
quait, de  la  même  façon,  et  très  simplement,  la 
réfraction,  la  dispersion,  les  lois  relatives  à  l'in- 
tensité de  la  lumière,  en  un  mot,  tout  ce  qui  a 
rapport  à  l'optique  géométrique.  Mais  les  difficul- 
tés se  montraient,  et  cette  fois  très  sérieuses, 
quand  il  s'agissait  de  rendre  compte  des  phéno- 
mènes de  la  nouvelle  optique,  des  interférences, 
de  la  diffraction,  etc. 

Huyghens,  Young  et  notre  Fresnel  sont  les  vé- 
ritables auteurs  de  la  théorie  nouvelle,  de  la 
théorie  admise  aujourd'hui  par  tous  les  physi- 
ciens et  qu'on  a  nommée  théorie  des  ondula- 
tions. Voici  en  quoi  elle  consiste  :  Il  existe  dans 
tout  l'espace,  dans  celui  qu'on  appelle  le  vide 
interplanétaire,  comme  dans  l'intérieur  des  corps, 
et  entre  leurs  molécules,  un  milieu  éminem- 
ment élastique,  l'éther,  qui  est  le  véhicule  de  la 
lumière,  de  même  que  la  matière  pondérable  est 
le  véhicule  du  son.  Un  corps  est  lumineux  parce 
qu'il  a  la  faculté  d'exciter  un  ébranlement  dans 
l'éther  qui  le  baigne,  et  cet  ébranlement  va  se  pro- 
pageant ensuite  de  proche  en  proche,  avec  la  rapi- 
dité que  nous  savons,  dans  tout  l'éther  environnant. 
Le  mouvement  propagé  par  l'éther,  analogue  à  celui 
qui  produit  le  son  dans  les  milieux  pondérables, 
est  un  mouvement  de  va  et  vient,  un  mouvement 
vibratoire,  comparable,  moins  l'amplitude  et  la  du- 
rée, à  celui  d'un  pendule.  Dans  ce  qu'on  appelle 
le  vide.  1  éther  a  partout  et  dans  tous  les  sens  la 
même  densité  ;  cette  densité  change  au  contraire 
quand  il  se  trouve  dans  les  interstices  d'une  subs- 
tance pondérable,  gaz,  liquide  ou  solide.  Les  mo-- 
lécules  du  corps  exercent  évidemment  sur  lui 
une  action  spéciale  qui  modifie  sa  constitution. 
Il  arrive  même  que,  dans  les  corps  cristallisés,  son 
élasticité  est  variable  autour  d'un  môme  point  sui- 
vant qu'on  choisit  telle  ou  telle  direction  dans  l'in- 
térieur du  cristal,  à  partir  du  point  considéré.  Des 
modifications  du  même  genre  sont  encore  produites 
dans  l'éther  qui  remplit  un  corps  solide,  quand  on 
fait  subir  à  ce  dernier  des  compressions,  des  dilata- 
tions, ou  même  des  flexions;  en  un  mot,  pour  les 
partisans  de  l'hypothèse  des  ondulations  éthérées, 
le  mouvement  vibratoire  île  l'éther,  c'est  la  h^mière; 
l'nninoijilité  île  l'éther  c'est  l'obscurité.  Aucune 
particule  ne  se  détache  du  soleil,  des  étoiles,  etc.  , 
pour  venir  jusqu'à  la  terre  :  c'est  une  communica- 
tion, une  transmission  de  mouvement  ondulatoire 
qui  se  produit  dans  le  milieu  éthéré  interposé  entre 
les  deux  astres. 

De  touti's  les  expériences  qui  sont  venues  don- 
ner à  lathc'iii-ir  iriliiyi;l]i<ns  une  éclatante  confirma- 
tion, la  plus  ciiiirln.nito  est,  sans  contredit,  l'expé- 
rience dite  tiMwijroi/ s  i/e  ft-e.>;«e/,  laquelle  se  trouve, 
au  contraire,  en  contradiction  formelle  avec 
l'hypothèse  de  l'émission.  Fresnel  fait  tomber  sur 
deux  miroirs  plans  A  et  B,  formant  entre  eux  un 
angle  fortement  obtus,  des  faisceaux  lumineux  pro- 
venant d'une  môme  source.  Une  réflexion  a  lieu  sur 
chacun  des  miroirs,  et  il  en  résulte  des  rayons  ré- 
fléchis par  le  miroir  A  qui  se  rencontrent  sous 
un  angle  très  faible  avec  les  rayons  que  réfléchit 
le  miroir  B.  Un  écran  convenablement  placé  en 
avant  du  miroir  les  reçoit  à  leur  point  de  rencontre. 
Ces  rayons  qui  se  coupent  ainsi  à  des  distances 
variables  du  miroir  ont  des  différences  do  marche 
ou  d'espace  parcouru  qui  peuvent  être  mesurées 
avec  exactitude  par  des  méthodes  géométriques. 
Or,  le  fait  observé  est  celui-ci  :  sur  l'écran  se 
montrent  des  bandes  alternativement  brillantes  et 


LUMIERE 


—  1226 


LUMIERE 


obscures  dont  la  direction  giinérale  est  parallèle  à 
la  ligne  d'intersection  des  deux  miroirs.  La  bande 
centrale  est  brillante,  elle  correspond  à  une  (égalité 
de  marche  des  rayons  concourants  qui  la  forment  ;  i 
droite  et  à  gauche,  et  à  égale  distance  de  la  bande 
centrale,  est  placée  une  premièro  bande  obscure 
qui  correspond  ;"i  une  différence  de  marche  d  des 
rayons  concourants.  Puis  viennent,  systématique- 
ment placées  à  gauclie  et  à  droite  de  la  bande 
centrale  et  en  s'éloignant  d'elle,  des  bandes  ou. 
comme  on  les  nomme  liabituellement,  des  franges 
brillantes  se  rapportant  à  une  différence  de 
marclio  '2'/  des  rayons  qui  les  forment,  puis  de 
part  et  d'autre  une  seconde  frange  obscure  répon- 
dant à  une  différence  de  marche  Ad  des  rayons 
concourants,  et  ainsi  de  suite.  D'une  manière  gé- 
nérale, les  bandes  brillantes  correspondent  à  des 
différences  de  marche  : 

0.  2d.   4d.  6'/.  etc ; 

les  franges  obscures  à  des  différences  : 

D.  —  3'/.  —  5d.  —  'd.  etc... 

Comment  comprendre  l'exister. ce  de  ces  der- 
nières dans  l'hypothèse  de  l'émission?  Quelle  que 
soit  l'inégalité  des  espaces  parcourus  par  les  rayons 
lumineux,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  dès  l'ins- 
tant que  deux  rayons  concourent,  le  prétendu  choc 
des  particules  lumineuses  du  premier  rayon  s'étant 
ajouté  au  choc  d  autres  particules  lumineuses  du 
second  rayon,  une  clarté  plus  grande  devrait  être 
la  conséquence  de  ce  concours.  La  production 
d'une  frange  obscure  dans  ces  conditions  est  donc 
bien  évidemment  incompatible  avec  la  théorie  de 
l'émission. 

Avec  le  système  des  ondulations,  au  contraire, 
tout  s'explique.  Le  rayon  lumineux,  cette  fois,  est 
constitué,  nous  le  savons,  par  un  mouvement  on- 
dulatoire de  l'éther.  Or,  si  les  deux  rayons  ré- 
fléchis par  les  miroirs  se  rencontrent  au  point  où 
la  molécule  d'éther  qu'ils  ébranlent  l'un  et  l'autre 
est  sollicitée  par  eux  .H  se  mouvoir  dans  le  même 
sens,  la  vitesse  de  cette  molécule  est  égale  îi  la 
somme  des  vitesses  individuelles  que  possèdent 
les  deux  rayons,  elle  est  donc  augmentée  et  la 
lumière  produite  devient  plus  intense  :  de  là 
les  franges  brillantes.  Si,  au  contraire,  au  moment 
du  concours  des  doux  rayons,  les  vitesses  de  l'é- 
ther provoquées  par  chacun  d'eux  sont  de  sens 
inverse,  la  vitesse  résultante  est  égale  à  leur  diffé- 
rence, la  clarté  produite  est  donc  diminuée.  Si 
même  les  deux  vitesses  composantes  sont  égales, 
comme  elles  sont  de  signes  contraires,  l'immobi- 
lité de  l'éther  en  sera  la  conséquence,  et  alors  de 
ta  lumière  ajoutée  à  de  In  lumière  produira  de 
Cotscurilé. 

Cette  expérience  célèbre  des  interférences  des 
rayons  lumineux  est  très  décisive,  on  le  voit,  en 
faveur  du  système  des  ondulations. 

Elle  a  permis  en  outre  de  mesurer  la  longueur 
d'ondulation  des  rayons  lumineux  de  diverses  cou- 
leurs, et  de  constater  que  celle-ci  varie  avec  l'espèce 
des  rayons  considérés.  Dans  tous  les  cas,  cette 
longueur  est  très  petite,  comme  on  va  le  voir  : 
Vî'i  millionièmes  de  millimètre  pour  le  rayon  vio- 
let, «30  millionièmes  de  millimètre  pour  le  rayon 
rouge,  et  elle  va  en  croissant,  d'une  manière  con- 
tinue, depuis  le  violet  jusqu'au  rouge. 

En  combinant  maintenant  cette  donnée  numé- 
rique, la  longueur  d'onde,  avec  le  nombre  déjà 
indiqué  plus  haut  pour  représenter  la  vitesse  de 
la  lumière,  on  arrive  à  reconnaître  que  le  nombre 
d'oscillations  par  seconde  qu'exécute  une  molé- 
cule d'éther  est  véritalilement  énorme, do  704  tril- 
lions  quand  il  s'agit  de  la  lumière  violette,  et  de 
480  trillions  quand  c'est  la  lumière  rouge  qui  se 
propage. 

On  explique  complètement,  en  appliquant   le 


calcul  mathématique  à  l'analyse  des  phénomènes  do 
diffraction,  les  moindres  particularités  que  pré- 
sentent les  expériences.  Ainsi,  on  rend  compte  des 
franges  brillantes  qui  se  produisent  dans  l'ombre 
géométrique  produite  par  un  écran  opaque  quand 
un  faisceau  lumineux  rase  ses  bords.  On  se 
rend  compte  do  la  production  d'une  lumière 
assez  vive  au  centre  même  de  l'ombre  portée  par 
un  disque  circulaire  opaque  do  diamètre  étroit, 
ce  qui,  au  premier  abord,  avait  semblé  para- 
doxal. Les  anneaux  colores  des  lames  minces, 
des  bulles  de  savon  par  exemple,  s'expliquent 
encore  dans  la  théorie  des  interférences  en 
partant  toujours  des  principes  de  l'hypothèse  des 
ondulations. 

VIII.  Effets  divers  produits  par  les  radiations 
des  corps  lumineux.  —  Prenons  comme  exemple 
les  radiations  solaires.  Quand  un  faisceau  de  lu- 
mière qui  provient  du  soleil  a  traversé  un  prisme, 
le  spectre  obtenu  ne  se  compose  pas  seulement 
de  rayons  capablesd'impressionner  la  rétine  et  d'a- 
mener en  nous  une  sensation  lumineuse;  il  existe 
encore  au  delà  du  violet  et  en  deçi  du  rouge  des 
radiations  spéciales  que  notre  œil  ne  discerne  pas, 
mais  que  dos  instruments  convenables  ou  des  réac- 
tifs appropriés  peuvent  rendre  manifestes.  Au  delà 
du  violet,  les  radiations  nouvelles  dont  nous  par- 
lons sont  capables  de  décomposer  certains  sels  ha- 
loides  d'argent,  l'iodure  d'argent  par  exemple;  en 
deçà  du  rouge,  les  rayons  non  lumineux  qui  y  sont 
dispersés  agissent  sur  le  thermomètre  et  détermi- 
nent une  élévation  sensible  de  température.  Aussi 
a-t-on  été  conduit  tout  d'abord  à  distinguer  dans 
le  spectre  solaire  trois  spectres  différents,  se  su- 
perposant en  partie:  un  spectre  calorifique  empié- 
tant d'une  part  sur  le  spectre  lumineux  et  s'éten- 
dant  de  l'autre  côté  bien  au  delà  du  rouge  ;  un 
spectre  lumineux,  compris  entre  le  rouge  et  le 
violet;  et  enfin  un  spectre  chimique  empiétant 
d'une  part  sur  le  spectre  lumineux  et  s'étendant 
ensuite  beaucoup  plus  loin  que  le  violet.  Est-ce 
à  dire,  comme  quelques-uns  l'ont  pensé  et  écrit, 
que  le  soleil  envoie  dans  l'espace  trois  sortes  de 
rayons  :  des  rayons  calorifiques,  des  rayons  lumi- 
neux et  des  rayons  chimiques'?  Non  ;  chaque  rayon 
est  capable,  quoique  à  des  degrés  différents,  de 
produire  les  trois  effets;  tout  dépend  de  la  nature 
et  des  propriétés  du  corps  qui  reçoit  le  rayon  con- 
sidéré et  qui  en  subit  l'influence. 

La  sensibilité  de  notre  rétine  est  comprise  entre 
certaines  limites;  elle  n'est  mise  en  jeu  qu'autant 
que  la  radiation  qui  lui  parvient  a  une  longueur 
d'onde  plus  grande  que  4'23  millionièmes  de  milli- 
mètre et  plus  petite  que  C20  millionièmes.  Il  en 
est  de  même  pour  notre  oreille,  qui  ne  peut  être 
impressionnée  par  un  son  qu'autant  qu'il  n'est  ni 
trop  grave  ni  trop  aigu.  Rien  n'empêche  que  la 
rétine  de  tel  autre  animal  n'ait  un  degré  de  sen- 
sibilité autre  que  la  nôtre  et  ne  nerçoive,  par 
exemple, ou  des  rayons  ultra  rouges  ou  des  rayons 
ultra-violets  qui  laissenlnotre  rétine  à  nous  tout  à 
fait  insensible.  Il  faut  ajouter  d'ailleurs  qu'il  y  a 
une  autre  cause,  et  celle-là  est  prépondérante, 
qui  s'oppose  elle  aussi  à  l'impressionnabilité  de 
notre  nerf  optique  par  l'ultra-rouge  et  l'ultra- 
violet :  c'est  que  les  milieux  de  l'œil,  on  l'a  dé- 
montré, qui  sont  nécessairement  traversés  par  les 
radiations  de  tout  genre  avant  que  celles-ci  ne 
puissent  frapper  la  rétine,  ont  la  propriété  d'ab- 
sorber en  grande  partie  les  deux  sortes  de  radia- 
tions dites  obscures. 

La  même  chose  est  vraie  pour  ce  qui  concerne 
les  actions  chimiques  et  calorifiques  du  spectre 
Polaire.  L'action  chimique  n'est  localisée  ni  dans 
le  bleu,  ni  dans  le  violet,  ni  dans  l'nltra-violet  ; 
elle  existe  partout,  dans  le  spectre  obscur  comme 
dans  le  spectre  lumineux,  mais  avec  une  intensité 
très  variable  ;  et,  ici  encore,  l'effet  obtenu  est  en 


LUNE 


—  1227 


LUNE 


relation  avec  l'espècp  du  réactif  employé.  Alors 
que  l'iodurc  et  le  bromure  d'argent  no  sont  dé- 
composés par  la  radiation  spectrale  qu'il  partir  de 
la  région  voisine  dos  raies  F,  G  et  H  jusqu'à 
l'extrême  violet,  le  clilorure  d'argent  subit,  lui, 
uue  action  très  sensible  à  partir  du  rouge.  En  un 
mot,  il  existe  un  certain  rapport  entre  la  longueur 
d'onde  du  rayon  capable  d'agir  et  la  nature  chi- 
mique, ou  mieux,  le  groupement  moléculaire  du 
réactif  mis  en  jeu. 

Le  môme  raisonnement  s'applique  enfin  aux 
radiations  calorifiques.  Il  n'y  a  encore,  cette  fois, 
qu'une  difl'érence  d'intensité  d'une  région  h  l'autre 
du  spectre.  Quand  on  se  sert,  pour  disperser  la 
lumière  du  soleil,  d'un  prisme  de  sel  gemme  qui 
laisse  passer  également  les  rayons  calorifiques  de 
toute  longueur  d'onde,  et  qu'on  promène  ensuite 
dans  toute  l'étendue  de  ce  spectre  un  thermomètre 
sensible,  on  constate  que  la  température  va  en 
croissant  du  violet  au  rouge  ;  que  l'accroissement 
continue  au  delà  du  rouge  dans  la  partie  obscure, 
jusqu'il  une  petite  distance  ;  et  qu'à  partir  de  ce 
maximum,  elle  décroît  de  plus  en  plus  à  mesure 
qu'on  s'écarte  davantage  de  la  portion  lumineuse. 
—  Ajoutons  qu'on  a  pu  constater  dans  l'ultra- 
rouge  et  l'ultra-violet  des  solutions  de  continuité, 
des  raies  analogues  aux  lignes  obscures  du  spectre 
lumineux. 

IX.  Pliospliorescence.  —  Signalons  enfin  une 
propriété  très  curieuse,  manifestée  par  quelques 
corps  :  certains  sulfures  alcalins  ou  alcalins  ter- 
reux.' les  écailles  d'huîtres  calcinées,  le  bois 
pourri,  etc.;  ces  'corps  sont  dits  phosphorescents. 
Quand  ils  ont  subi  une  insolation  prolongée,  ils 
sont  capables  de  constituer  par  eux-mêmes  une 
véritable  source  de  lumière  et  de  répandre  une 
lueur  dans  l'obscurité.  Seulement  il  est  remar- 
quable que  la  lumière  propre  qu'ils  émettent 
dans  cette  circonstance  correspond  toujpurs  à 
une  longueur  d'onde  plus  grande  que  celle  qui 
appartenait  aux  rayons  excitateurs.  En  général, 
du  reste,  une  radiation  est  d'autant  plus  propre  à 
provoquer  la  phosphorescence  dans  un  corps 
qu'elle  est  plus  réfrangible  ou,  si  l'on  veut,  que 
sa  longueur  d'onde  est  plus  faible.  Les  rayons 
ultra-violets  en  général  exercent,  dans  ce  sens, 
une  action  plus  énergique  que  les  autres  radia- 
tions. 

La  durée  de  la  phosphorescence  dans  les  corps 
est  du  reste  très  variable  selon  leur  nature  et  leur 
état  moléculaire.  Elle  persiste  plusieurs  heures 
dans  le  sulfure  de  strontium,  une  demi-seconde 
dans  le  spath  calcaire;  j^  de  seconde  dans  le 
verre  d'urace  ;  j^jôô  "^^  seconde  dans  une  solution 
de  sulfate  acide  de  quinine.  En  outre  ce  dernier 
corps  prend  une  coloration  d'un  très  beau  bleu 
quand  on  le  place  dans  la  région  ultra-violette  du 
spectre.  Un  effet  du  môme  genre  est  encore  ma- 
nifesté par  quelques  infusions  végétales  et  en 
particulier  par  l'écorce  du  marronnier  d'Inde.  On 
avait  donné  à  ces  dernières  substances  le  nom  de 
substances  fluorescentes  à  raison  de  cette  propriété 
spéciale,  mais,  en  réalité,  la  fluorescence  n'est 
qu'un  cas  particulier  de  la  phosphorescence.  11 
n'y  a  pas  lieu  d'établir  entre  les  deux  ordres 
de  phénomènes  une  distinction  fondamentale. 
[A.  Boutan.] 
LUNE.  —  Cosmographie,  V.  —  La  lune  est  cer- 
tainement pour  nous,  après  le  soleil,  le  plus  im- 
portant des  corps  célestes  de  notre  système.  Sa 
proximité  de  la  terre  permet  aux  observateurs 
d'étudier  en  détail  les  accidents  de  sa  surface, 
et  sa  constitution  physique;  les  particularités  de 
son  mouvement  de  circulation  autour  de  la  terre 
sont,  par  la  raison  même  de  sa  faible  distance, 
extrêmement  sensibles  aux  procodés  de  mesure  as- 
tronomiques ;  il  en  résulte,  il  est  vrai,  pour  la  théorie 


de  ces  mouvements  et  des  inégalités  qu'ils  présen- 
tent, des  difficultés  considérables  :  la  théorie  de 
la  lune  estainsi  la  plus  difficile,  la  plus  compliquée, 
mais,  par  cela  môme,  c'est  la  plus  intéressante  delà 
mécanique  céleste  ;  aussi  a-t-elle  été  pour  cette 
science  l'occasion  d'importants  progrès. 

Mais  à  ces  considérations  d'ordre  scientifique, 
se  joignent  d'autres  motifs  d'intérêt  que  tout  le 
monde  peut  aisément  comprendre.  C'est  l'action 
de  la  masse  de  la  lune,  combinée  avec  celle  du 
soleil,  qui  produit  les  oscillations  périodiques  de 
la  mer,  les  marées'.  Une  influence  analogue,  mais 
beaucoup  plus  faible,  s'exerce  sur  les  couches  de 
l'atmosphère.  Les  préjugés  très  enracinés  du 
public  donnent  à  la  lune,  h  son  influence  sur 
les  changements  de  temps,  les  vents  et  les  pluies, 
une  importance  bien  autrement  grande  que  celle 
qu'ont  pu  constater  les  observations  scientifiques. 
Mais  ces  croyances  exagérées,  presque  universel- 
lement répandues,  sont  elles-mêmes  une  preuve 
de  l'intérêt  qui  s'attache  à  tout  ce  qui  regarde 
notre  satellite. 

Nous  croyons  donc  devoir  décrire,  avec  quelques 
détails,  les  phénomènes  lunaires,  en  laissant  de 
coté  les  éclipses  et  les  murées  qui  sont  l'objet 
d'articles  spéciaux  dans  ce  Dictionnaire. 

Mnuvernettl  de  t)  arislation  de  la  lune  autour  de 
ta  terre.  —  Deux  phénomènes,  accessibles  l'un  et 
l'autre  à  l'observation  vulgaire,  démontrent  la  réa- 
lité du  mouvement  de  circulation  de  la  lune  au- 
tour du  centre  de  gravité  de  notre  globe. 

L'un  consiste  dans  les  phases  ou  apparences 
lumineuses  présentées  par  le  disque  lunaire,  et 
qui  sont  la  conséquence  des  positions  successives 
que  le  globe  de  la  lune  occupe  relativement  à  la 
terre  et  au  soleil.  Quand  la  lune  a  la  même  longi- 
tude que  ce  dernier  astre,  c'est-à-dire  quand  leurs 
centres  sont  dans  un  même  plan  perpendiculaire 
à  l'écliptique  (fig.  I),  notre  satellite  tourne  vers 
nous  son  hémisphère  obscur  :  la  lune  est  nou- 
velle ou  en  coijoiiction;  elle  est  invisible.  Si  sa 
latitude  était  en  même  temps  nulle  ou  inférieure 
à  r  environ,  il  y  aurait  éclipse  totale  ou  partielle 
du  soleil. 

A  partir  de  ce  moment,  la  lune  s'éloigne  en 
apparence  du  soleil  ;  la  différence  de  longitude  des 
deux  astres  va  en  augmentant  ;  quand,  après  un 
intervalle  de  sept  à  huit  jours,  elle  atteint  ItO", 
la  lune  est  au  premier  quartier  ;  la  moitié  de 
son  disque  se  trouve  éclairée,  et  dans  l'inter- 
valle la  phase  lumineuse,  qui  a  commencé  par  un 
mince  croissant,  a  été  en  augmentant  d'une  ma- 
nière insensible.  La  Lune  est  alors  en  qundrnture. 
EUepasse  septou  huit  joursplus  tarde»  opposifion, 
et  alors  la  différence  des  longitudes  de  la  lune 
et  du  soleil  est  de  180°.  La  lune  montre  son  dis- 
que entièrement  éclairé:  c'est  la  pleine  lune; 
c'est  aussi  l'époque  où  ont  lieu  les  éclipses  de 
lune,  partielles  ou  totales.  Puis,  après  une  période 
encore  égale,  on  arrive  au  dernier  quartier  (différ 
rence  de  longitude  de  270°)  ;  le  disque  est  éclairé 
à  moitié  sur  son  côté  occidental.  Enfin,  au  bout 
d'un  intervalle  de  huit  jours,  la  phase  se  réduit  à 
un  croissant  de  plus  en  plus  mince,  pour  dispa- 
raître tout  à  fait  :  on  retombe  sur  la  conjonction 
ou  nouvelle  lune. 

Ces  apparences  ou  phases  s'expliquent  de  la 
façon  la  plus  simple  par  le  mouvement  de  la 
lune  autour  de  la  terre,  dans  le  sens  de  l'occi- 
dent à  l'orient.  Un  coup  d'oeil  jeté  sur  la  figure  1, 
qui  présente  notre  satellite  dans  ses  priticipales  po- 
sitions sur  soii  orbite,  suffira  pour  montrer  com- 
ment les  phases  lunaires  sont  liées  à  ces  posi- 
tions. La  période  comprise  entre  deux  conjonc- 
tions ou  deux  phases  semblables  est  de  29  jours 
12  heures  41  minutes  3  secondes.  C'est  ce  qu'on 
nomme  la  révolution  s\innitique. 
Le    second    phénomène     intimement   lié    au 


LUNE 


—  1228  — 


LUNE 


rpliases  et  révélant  comme  celles-ci  le  mouvement 
de    la   lune,  est  le  mouvement   apparent   qu'elle 

•décrit  d'un  jour  à  l'autre  sur  la  voûte  céleste,  et  en 
vertu  duquel  elle  parcourt  successivement  toutes 


lui-même,  mais  avec  une  vitesse  à  peu  près  treize 
fois  aussi  grande.  Le  soleil  chaque  jour  s'avance 
d'à  peu  près  1»  vers  l'orient;  le  mouvement  moyen 
diurne  de  la  lune  est  de  13°  10';  de  sorte  que  son 


ies  constellations,  dans  le  même  sens  que  le  soleil  I  passage  au  méridien  retarde  chaque  jour  d'envi- 


Fig.  1.  —  Orbite  de  la  Lune.  —Principales  phases. 

TOn  50  minutes.  En  57  jours  7  heures  43  minutes  1  tater.  En  notant,  à  un  moment  donné,  sa  distance 
11  secondes  5,  elle  est  revenue  à  son  point  de  dé-  !  à  une  étoile,  on  voit,  une  ou  deux  heures  après, 
part,  et  la  durée  de  cette  période  est  celle  de  sa  ]  cette  distance  augmentée  ou  diminuée  selon  la  po- 
révolution  sidérale.  Dans  le  cours  d'une  nuit,  ce  ;  sition  du  disque  i  1  orient  ou  à  I  occident  de  1  e- 
•mouvement  apparent  de  la  lune  est  facile  à  cens-  I  toile. 


Fig.  2.  —  Révolution  synodique  et  révolution  sidérale. 


A  quoi  tient  la  dififérence  d'environ  2  jours 
5  heures  que  l'on  constate  entre  la  révolution  syno- 
dique  de  la  lune  et  sa  révolution  sidérale?  Pour- 
quoi la  lune  met-elle  plus  de  temps  à  revenir  au 
soleil  qu'à  une  étoile  donnée? 


Il  est  aisé  de  se  rendre  compte  de  cette  diffé- 
rence, si  l'on  réfléchit  que  la  terre  tourne  autour  du 
soleil,  pendant  que  la  lune  tourne  ellc-mùme  autour 
de  la  terre.  La  lune  étant  nouvelle  en  L  (flg.  2), 
c'est  que  la  ligne  TL  passe  par  le  soleil  ;  quand 


LUNE 


—  1229  — 


LUNE 


cette  ligne  sera,  après  une  révolution  complète 
autour  du  centre  de  la  terre  T,  revenue  on  T'L' 
parallèle  à  sa  position  première,  la  révolvlion  si- 
dérale sera  accomplie  ;  pour  nous,  le  centre  de  la 
lune  correspondra  au  même  point  du  ciel,  à  la 
même  étoile.  Mais  la  lune  ne  sera  pas  encore  en  con- 
jonction ;  co  n'est  qu'après  un  intervalle  nouveau  de 
î  jours  i  heures  que,  la  terre  étant  en  T"  et  la 
lune  en  L",  la  ligne  T"L"  passera  de  nouveau  par 
le  soleil,  ou  que,  du  moins,  les  deux  astres  au- 
ront même  longitude. 

L'orbite  de  la  lune  autour  du  centre  de  gravité 
de  la  terre  considérée  comme  immobile  est  une 
courbe  dont  le  plan  ne  coïncide  pas  avec  le  plan 
de  l'orbite  terrestre.  Son  inclinaison  sur  ce  der- 
nier est  égale,  en  moyenne,  i  5"  8'  48".  A  chacune 
de  ses  révolutions,  la  lune  coupe  donc  deux  fois 
l'écliptique  :  co  sont  ces  points  qu'on  nomme  les 
nœuds;  l'un  d'eux  est  le  nœud  a^'ora(/an/,  parce  qu'il 
se  rapporte  au  passage  de  la  lune  de  l'hémisphère 
austral  dans  l'hémisplière  boréal;  l'autre  est  le 
nœud  ilesi'endant.  C'est  quand  la  lune  est  dans  le 
voisinage  d'un  de  ces  nœuds  ou  à  ce  nœud  même 
qu'ont  lieu  les  phénomènes  des  éclipses,  parce 
qu'alors  seulement  le  soleil,  la  terre  et  la  lune 
peuvent  avoir  leurs  centres  ou  au  moins  une  partie 
de  leurs  points  en  ligne  droite;  et  c'est  par  cette 
raison  que  le  plan  de  l'orbite  de  la  terre  a  été 
nommé  édiptique;  il  faut  que  la  lune  soit  dans 
ce  plan  pour  qu'il  y  ait  éclipse.  Seulement  la  con- 
dition n'est  pas  suffisante  :  il  faut  encore  que  la 


lune  se  trouve  à  l'une  des  syzygies,  c'est-à-dire- 
à  l'opposition  ou  à  la  conjonction. 

Les  nœuds  de  la  lune  ne  conservent  pas  la 
même  position  d'une  révolution  à  l'autre;  ils  rétro- 
gradent, c'est-à  dire  marchent  en  sens  inverse  du 
mouvement  d('  la  lune.  Ils  accomplissent  un  tour 
entier  dans  une  période  de  18  ans  2/3  environ. 
C'est  dans  une  période  un  peu  différente,  de  18  ans 
1 1  jours,  que  le  soleil,  la  lune  et  la  terre  se  retrou- 
vent dans  une  position  identique,  et  qu'alors  les 
éclipses  qui  ont  eu  lieu  dans  la  période  antérieure 
se  reproduisent  à  peu  de  chose  près  les  munies. 

Quelle  est  la  forme  de  l'orbite  lunaire?  En  mesu- 
rant jour  parjourles  dimensions  apparentes  du  dis- 
que de  la  lune,  on  trouve  qu'elles  varient  d'une  façon 
continue  entre  deux  limites  extrêmes,  ce  qui  prouve 
que  la  distance  de  la  terre  i  son  satellite  varie  "en 
sens  inverse  des  dimensions  du  disque.  L'orbite 
n'est  donc  pas  circulaire.  C'est  en  effet  une  ellipse, 
courbe  ovale  dont  le  centre  de  la  terre  occupe  un 
foyer,  et  dont  le  grand  axe  ne  conserve  pas  dans 
l'espace  une  position  invariable.  La  lune  est  au 
jiériijée,  quand  elle  occupe  l'extrémité  de  l'axe  la 
plus  voisine  de  nous;  elle  est  à  ['apogée,  lors- 
qu'elle se  trouve  à  l'autre  extrémité. 

Quand  nous  disons  l'orbite  lunaire,  nous  enten- 
dons parler  de  la  ligne  que  la  lune  trace  à  chacune 
de  ses  révolutions,  dans  l'hypothèse  de  l'immobi- 
lité de  la  terre.  C'est  cette  courbe  qui  est  affec- 
tée, dans  SCS  éléments,  d'une  série  d'inégalités 
ou   perturbations  dont  nous  n'avons  pas  k  parler 


Fig.  3.  —  La  Terre  et  la  Lune,  dans  leurs  i 

ici,  et  dont  s'occupent  les  astronomes  qui  étudient 
la  théorie  de  la  lune.  Mais,  en  réalité,  puisque 
la  terre  se  meut  autour  du  soleil,  en  même  temps 
que  son  satellite  gravite  autour  d'elle,  la  courbe 
que  trace  la  lune  dans  l'espace  est  fort  com- 
pliquée; c'est  une  suite  de  courbes  sinueuses  de 
forme  cycloidale,  présentant  leur  concavité  au 
soleil. 

Quel  est  le  rapport  des  distances  de  la  terre  à 
la  Itine  et  au  soleil,  ou  si  l'on  préfère,  quelle  est 
la  distance  de  la  terre  h  la  lune,  mesurée  en 
rayons  du  globe  terrestre?  C'est  un  problème  qui 
a  été  résolu  approximativement  par  les  anciens, 
mais  dont  le  calcul  exact,  avec  Ifes  procédés  de  me- 
sure de  la  science  moderne  n'offre  pas  de  diffi- 
culté sérieuse.  On  a  trouvé  le  nombre  60.273,  c'est- 
à-dire  que  le  centre  de  la  lune,  k  sa  distance 
moyenne  de  la  terre,  et  le  centre  de  notre  globe 
sont  séparés  par  un  intervalle  d'un  peu  plus  de 
60  rayons  équatoriaux  terrestres  et  1/4.  C'est  envi- 
ron 384  500  kilomètres,  ou  90  125  lieues.  A  l'apo- 
gée, la  distance  de  la  lune  est  plus  grande,  et  au 
périgée,  plus  petite  ;  la  différence,  en  chacun  de  ces 
cas,  est  des  55  millièmes  de  la  distance  moyenne  : 
c'est  ce  dernier  nombre  qui  exprime  la  valeur  de 
l'excentricité  de  l'orbite  lunaire.  Il  s'agit  ici  des 
distances  des  centres  :  si  l'on  voulait  obtenir  les 
distances  des  points  les  plus  rapprochés  des  sur- 
faces des  deux  astres,  il  faudrait  ôter,  des  nom- 
bres cités,  la  somme  des  rayons  de  la  lune  et  de 
la  terre,  soit  environ  8  120  kilomètres. 

La  figure  .3  représente  la  distance  de  la  lune 
a  la  terre  en  proportion  exacte  avec  les  rayons 
des  deux  astres.  11  est  bon  de  rappeler  qu'il"  y  a 
environ  23  200  rayons  terrestres   de  la  terre  au 


;ais  rapports  de  dimensions  et  de  distance. 

soleil,  d'où  il  suit  que  la  distance  du  soleil  est 
environ  385  fois  plus  grande  qoe  celle  de  la  lune. 

En  rappelant  ces  données  d'astronomie,  le  pro- 
fesseur pourra,  à  l'aide  de  comparaisons  familiè- 
res, essayer  de  les  graver  dans  la  mémoire  des 
enfants.  Par  exemple  il  leur  fera  calculer  le  temps 
que  mettrait  un  train  express  de  chemin  de  fer 
établi  entre  la  terre  et  la  lune  :  ils  ne  trouve- 
raient guère  moins  de  300  jours;  un  boulet  de 
canon,  conservant  sa  vitesse  initiale  de  500  mètres 
par  seconde,  mettrait  environ  8  jours  5  heures  à 
franchir  la  même  distance.  Enfin,  le  môme  projectile 
mettrait  près  de  10  années  pour  arriver  au  soleil. 

Dimensions  de  la  lime.  —  La  distance  de  notre 
satellite  étant  connue,  un  calcul  très  simple  per- 
met, d'après  ses  diinensions  apparentes  (31' 8"  ou 
à  peu  do  chose  près  le  diaitiètre  apparent  du  so- 
leil), de  calculer  ses  dimensions  réelles.  Son  dia- 
mètre est  égal  à 0.273  rapporté  au  diamètre  équa- 
torial  de  notre  globe  ;  c'est  un  peu  plus  du  quart. 
En  considérant  la  terre  et  la  lune  comme  sphé- 
riques,  on  trouve,  pour  la  surface  de  notre  satel- 
lite, le  treizième  environ  de  la  surface  terrestre; 
pour  son  volume,  entre  le  49'  et  le  50"  ;fig.  4). 

Traduisons  en  unités  kilométriques  ces  nombres 
relatifs.  Le  rayon  de  la  lune  mesure  1  740  kilom., 
soit  435  lieues  ;  son  diamètre,  3  480  kilom.  ou  870 
lieues.  Enfin  sa  surface  évaluée  en  kilomètres 
carrés  donne  le  nombre  approché  38  000  000  :  c'est 
près  de  4  fois  la  superficie  du  continent  européen, 
un  peu  moins  que  celle  de  l'Asie;  c'est  un  excès  de  fi 
millions  sur  la  surface  du  continent  africain. 

Mouvement  de  rotation  île  la  lune.  —  La  lune, 
comme  tous  les  corps  célestes  de  notre  monde  so- 
laire, est  soumise,  dans  son  mouvement  de  trans- 


LUNE 


—  1230  — 


LUNE 


lation  circumterrestre,  aux  lois  de  Kepler,  ou  plus 
jusiement  aux  lois  de  la  gravilatioi).  A-t-elle, 
comme  tous  ces  astres,  un  mouvement  de  rota- 
tion sur  elle-même?  C'est  ce  que  l'examen  de  sa 
surface  permet  de  décider,  même  sans  qu'il  soit 
besoin  de  faire  usage  de  télescopes.  Les  taclies 
du  soleil,  celles  qu'on  aperçoit  sur  Mars,  sur 
Jupiter,  ont  permis,  par  l'étude  de  leurs  déplace- 
ments apparents,  de  leurs  retours  à  la  surface  des 
disques,  de  constater  et  les  mouvements  de  rota- 
tion, et  leurs  directions  et  leurs  durées. 

En  examinant  les  taches  de  la  lune,  on  ne  tarde 
pas  à  être  frappé,  comme  le  furent  les  astrono- 
mes anciens,  de  leur  fixité  relative.  La  lune  sem- 
ble présenter  toujours  les  mêmes  taches,  dans  des 
positions  identiques,  relativement  à  la  terre  :  c'est, 
en  un  mot,  toujours  la  même  face  (ou  h  peu  près) 
qu'elle  nous  montre.  En  fant-il  conclure,  comme 
on  le  fait  souvent  avant  d'y  réfléchir,  que  le  globe 
lunaire  n'a  pas  de  mouvement  de  rotation?  Tout 
au  contraire.  En  effet,  un  corps  est  dépourvu  de 
mouvement  de  rotation,  lorsque,  quel  que  soit 
son  mouvement  de  translation  dans  l'espace,  ce 
sont  toujours  les  mômes  points  de  sa  surface  qu'il 
présenterait  à  un  observateur  supposé  lui-même 
immobile    et  placé  à  une  distance   suffisamment 


grande.  Il  tourne  au  contraire,  si  ces  divers  pointa 
sont  successivement  présentés  à  tous  les  points 
d'une  circonférence  qui  l'ejiveloppe.  Or,  la  lune 
est  dans  ce  dernier  cas,  par  le  fait  de  son  mouve- 
ment de  circulation  autour  de  la  terre  ;  l'une  quel- 
conque des  taches  i|u'elle  nous  présente  sans 
cesse  est  donc  successivement  tournée  vers  des 
points  différents  de  l'espace,  et  cette  circonstance 
particulière  de  la  permanence  qui  caractérise  la 
face  dirigée  vers  nous  ne  prouve  qu'une  chose, 
à  savoir  que  la  durée  de  son  mouvement  de  rota- 
tion est  précisément  égale  à  la  durée  de  son  mou- 
vement de  révolution.  Son  jour  sidéral  est  de  27 
jours  12  heures,  son  jour  solaire  est  de  29  jours 
5  heures. 

L'axe  de  rotation  de  la  lune  est  presque  per- 
pendiculaire à  l'écliptique,  de  sorte  que,  quand 
elle  est  à  ses  nœuds,  c'est-à-dire  dans  l'écliptique, 
on  aperçoit  également  de  la  terre  le  pôle  boréal 
et  le  pôle  austral  de  notre  satellite  ;  mais  quand 
elle  s'éloigne  des  nœuds,  et  atteint  sa  plus  grande 
élévation  au-dessus  ou  au-dessous  de  l'écliptique, 
c'est-i-dire  sa  latitude  maxima,  c'est  l'un  ou  l'autre 
des  pôles  qui  se  trouve  invisible  de  la  terre,  tan- 
dis que  l'on  aperçoit  au  delà  de  l'autre  pôle  une  cer- 
taine zone  de  la  surface  lunaire.  Cette  oscillatioa 


des  taches  lunaires  du  nord  au  sud  est  ce  qu'on 
nomme  la  lil^ration  en  latitn.ie.  Il  y  a  aussi  une 
libration  en  Imgitude,  due  à  l'inégalité  de  vitesse 
de  la  lune  sur  son  orbite,  et  à  l'inégalité  qui  en 
résulte  dans  les  angles  de  rotKtion  et  de  transla- 
tion. Enfin,  la  lihroiion  diio-ne  consiste  en  ce  que, 
dans  le  meuvement  qui  fait  passer  la  lune  de 
l'horizon  au  méridien  à  son  point  le  plus  élevé, 
ce  n'est  pas  le  même  point  de  la  surface  lunaire 
qui  occupe  le  centre  du  disque  :  ce  ne  sont  pas 
identiquement  les  mêmes  régions  qui  sont  en  vue 
aux  divers  instants  de  la  trajectoire  diurne. 

De  toutes  ces  oscillations  optiques  il  résulte, 
en  définitive,  que  de  la  terre  on  voit  plus  de  la 
moitié  de  la  surface  de  la  lune.  D'après  Béer  et 
Mœdier,  576  parties  sur  lOnO  sont  accessibles  à 
l'observation.  Voyons  maintenant  ce  que  donne 
l'observation  sur  l'aspect  du  disque  ou  de  la  sur- 
face do  notre  satellite. 

Consiilution  orographique  et  physique  de  la 
lune.  —  Vu  à  l'œil  nu,  le  disque  lunaire  est  par- 
semé de  taches  sombres  ou  gris.itres  sur  un  fond 
lumineux  blanchâtre,  et  d'un  plus  petit  nombre 
de  J,aches  blanches,  plus  brillantes  que  le  fond. 
Les  contours  en  sont  assez  nets  pour  qu'on  dis- 
tingue et  reconnaisse  aisément  les  diverses  régions 
de  la  surface  tournées  vers  nous.  Ce  premier  exa- 
men suffit,  comme  on  l'a  dit  plus  haut,  à  constater 


lODs  comparées. 


que  la  lune  tourne  toujours  la  même  face  vers  la 
terre. 

Avec  une  lunette  d'une  faible  puissance,  la 
configuration  des  grandes  taches  devient  très 
nette,  et  l'on  peut  en  tracer  tous  les  contours. 
C'est  dans  la  moitié  supérieure  ou  boréale 
qu'existent  les  plus  grandes  taches  grisâtres;  la 
moitié  inférieure  ou  australe  est  presque  entière- 
ment lumineuse  et  blanche,  sauf  vers  la  partie 
orientale  où  les  taches  sombres  descendent  plus 
loin  vers  le  sud.  On  donne  généralement  le  nom 
de  mers  aux  taches  grisâtres,  bien  que  certaine- 
ment ce  ne  soient  pas  des  agglomérations  liquides. 

En  examinant  la  surface  de  la  lune  au  télescope, 
on  voit  aussitôt  que,  dans  toutes  les  parties  de  la 
surface,  existent  une  multitude  de  cavités  des 
dimensions  les  plus  variées,  mais  qui  toutes  af- 
fectent la  forme  circulaire  ovale,  cette  dernière 
forme  étant  d'autant  plus  allongée  qu'on  approche 
plus  du  bord  du  disque.  Ces  cavités  sont  toutes 
limitées  par  des  bords  en  relief,  des  sortes  de 
remparts  dont  les  ombres  portées  soit  à  l'intérieur, 
soit  à  l'extérieur,  indiquent  nettement  qu'il  s'agit 
généralement  d'ouvertures  pareilles  aux  cratères 
de  nos  volcans  terrestres  (Hg.  5).  Dans  loutes,  la 
profondeur  interne  surpasse  de  beaucoup  l'élé- 
vation extérieure. 

Les  cratères  lunaires  sont  beaucoup  plus  nom- 


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breiu  dans  les  parties  lumineuses  du  disque  que 
dans  les  taclies  sombres  ou  mers.  Il  est  à  remar- 
quer, en  outre,  que  ces  dernières  elles-mêmes  ont 
généralement  la  forme  circulaire,  et  que  leurs 
bords  forment  aussi  dos  saillies  prononcées,  mais 
interrompues  et  décliiquetées.  L'intérieur  des 
mers  est  donc  plus  uni,  comme  si  le  sol  avait  été 
comblé  par  des  alluvions  ;  c'est  la  région  des 
plaines,  par  opposition  aux  parties  blancliâtres  du 
disque  qui  forment  la  région  montagneuse. 

Tous  CCS  détails,  que  le  télescope  montre  avec 
netteté  dans  toutes  les  phases,  sont  admirablement 
accusés  lorsque  la  lune  n'estque  partiellementéclai- 
rée.  Au  premier  ou  au  dernier  quartier  par  exemple 
(fig.  G),  les  bords  de  la  ligne  de  séparation  de  la 
lumière  ou  do  l'ombre  sont  comme  dentelés,  et 
l'on  y  voit  avec  évidence  la  structure  cratériforme 
de  presque  tons   les  accidents  du  sol.  Les  bords 


de  certains  cratères  apparaissent  seuls  éclairés 
sur  la  limite  de  l'ombre,  et,  dans  l'ombre  nuMiie, 
on  aperçoit  des  points  lumineux  qui  ne  sont  autres 
que  les  sommets  de  montagnes  que  le  soleil 
éclaire  les  premiers  avant  le  lever,  ou  les  derniers 
après  le  coucher  du  soleil  sur  la  lune. 

Outre  les  cirques  ou  cratères  que  nous  venons 
de  décrire,  la  lune  offre  encore  des  montagnes 
isolées  ou  pics,  et  un  certain  nombre  de  chaînes 
ayant  quelque  analogie  avec  les  chaînes  de  mon- 
tagnes terrestres.  Les  pics  se  trouvent  assez  sou- 
vent situés  au  centre  ou  tout  au  moins  à  l'inlé- 
rieur  des  cirques.  Quant  aux  chaînes,  la  plupart 
bordent  les  grandes  taches  grisâtres  appelées 
mers,  et  il  y  a  toute  apparence  que  ce  ne  sont 
autre  chose  que  les  remparts  en  partie  détruits  de 
ces  anciennes  circonvallations. 

Lu  fiirnie   circulaire  de  la   grande   majorité  dos 


montagnes  de  la  lune  les  a  fait,  dès  le  début  des 
observations  télescopiques ,  considérer  comme 
ayant  une  origine  volcanique  on  éruptive.  Peut-on 
les  assimiler  en  effet  aux  formations  volcaniques 
terrestres?  Une  assimilation  complète  parait  diffi- 
cile, quand  on  songe  aux  dimensions  énormes 
d'une  grande  partie  des  cirques.  Ce  qui  est  pro- 
bable, c'est  que  leur  formation  est  due  à  l'action 
des  forces  internes  ([ui,  s'exerçant  sur  l'écorce  du 
globe  lunaire  alors  que  celui-ci  était  nouvellement 
solidifié,  brisèrent  cette  écorce  suivant  les  lignes 
de  moindre  résistance,  c'est-à-dire  suivant  des  pe- 
tits cercles  de  la  sphère,  et  formèrent,  par  soulè- 
vement, les  remparts  en  partie  disloqués  aujour- 
d'hui qui  simulent  des  chaînes  de  montagnes.  Plus 
tard,  par  le  fait  d'une  consolidation  plus  com- 
plète de  l'écorce,  et  aussi  par  l'affaiblissement 
de  la  force  expansive  des  gaz  intérieurs ,  de 
nouveaux  soulèvements  eurent  lieu,  et  cela  sur 
une  échelle  progressivement  décroissante,  jus- 
qu'aux plus  petits  cratères  qui  criblent,  pour  ainsi 


dire,    la   surface  de  certaines  régions  lunaires. 

Un  mot  sur  les  dimensions  des  cirques.  Les 
plus  grands  atteignent  en  diamètre  des  dizaines, 
des  centaines  de  kilomètres.  Le  cratère  Schickardt 
mesure  d'un  bord  h  l'autre  25G  kilomètres.  Platon, 
Ptolémée,  Hipparque,  (Copernic,  Tycho  sont  des 
cirques  qui  ont  depuis  ISO  jusqu'à  90  kilomètres 
de  diamètre.  Les  plus  petits  cratères  ont  ii  peine 
un  kilomètre.  Quant  aux  hauteurs  dos  montagnes, 
chaînes,  remparts  des  cirques,  pics  isolés,  elles 
sont  également  considérables.  Les  remparts  du 
cratère  iVewlon  dominent  le  fond  intérieur  de 
plus  de  7001)  mètres.  Clavius,  Casatus,  les  monts 
Dœrfel  et  Leibnitz  mesurent  de  "000  à  7500  mè- 
tres d'altitude  ;  Tycho  a  51:00  mètres,  et  Eratos- 
thènes,  4S00.  Ces  hauteurs  sont,  relativement  aux 
dimensions  du  globe  lunaire,  plus  grandes  c|ue 
celles  des  montagnes  de  la  terre  les  plus  éle- 
vées. 

Tels  sont,  en  négligeant  des  particularités  fort 
curieuses,    les    caractères  de  l'orographie  de  la 


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LUNE 


lune.  Il  nous  reste,  pour  achever  de  donner  une 
idée  de  sa  constitution  pliysique,  à  transcrire  quel- 
ques données  astronomiques  et  météorologiques. 
D'après  les  calculs  les  plus  récents,  la  masse  de 
la  lune  est  égale  à  la  81'  partie  de  la  masse  de 
la  terre  :  c'est  une  quantité  environ  26  millions 
de  fois  plus  petite  que  la  masse  du  soleil.  Quant 
à  sa  densité,  elle  surpasse  un  peu  les  G  dixièmes 
de  la  densité  de  notre  globe.  Rapportée  à  l'eau, 
elle  est  égale  à  3.30;  c'est  la  densité  de  plusieurs 
minéraux  de  la  croûte  terrestre,  et  aussi  des  mé- 
téorites du  type  commun.  A  la  surface  de  la  lune, 
l'inteiibité  de  la  pesanteur  n'est  que  le  sixième 


environ  de  l'intensité  de  la  pesanteur  à  la  surface 
de  la  terre. 

Le  mouvement  de  rotation  de  la  lune,  combiné 
avec  celui  de  translation  autour  de  la  terre,  dé- 
termine à  sa  surface  les  mêmes  phénomènes  de 
jour  et  de  nuit  que  nous  avons  ici.  Mais  la  durée 
en  est  considérablement  plus  grande.  Dans  les 
régions  équatoriales  de  la  lune,  le  jour  dure  3,S4 
heures  environ,  et  à  cette  journée  si  longue  suc- 
cède une  nuit  de  même  durée. 

Pour  se  faire  une  idée  exacte  des  effets  qu'une 
aussi  longue  présence  et  une  pareille  absence 
des  rayons  solaires  sur  un  même  horizon  doivent 


produire  à  la  surface  de  notre  satellite,  il  faut  y 
joindre  cette  circonstance,  que  la  lune  n'a  point 
d  atmosphère  et  pas  d'eau,  et  qu'ainsi  les  rayons 
de  lumière  et  df  clialeur  n'ont  eu  à  traverser, 
quand  ils  frappent  le  sol,  aucun  milieu  absor- 
bant, gazeux  ou  vaporeux.  Pendant  la  nuit,  le 
rayonnement  s'effectue  donc  dans  les  espaces 
célestes  avec  une  intensité  extrême.  A  la  chaleur 
directe  de  près  de  quinze  jours  d'un  soleil  ardent, 
succède  le  froid  d'une  longue  nuit  absolument 
sereiiie. 

La  lune  est,  en  effet,  comme  nous  venons  de  le 
dire,  privée  d'atmosphère,  comme  le  prouve  l'ab- 
sence de  toute  réfraction  observable,  lorsque  les 


étoiles,  par  l'effet  du  mouvement  diurne,  sont 
occultées  par  son  disque.  Cette  preuve  négative 
indique  tout  au  moins  que  l'atmosphère  lunaire, 
si  elle  existe  en  effet,  est  d'une  rareté  exces- 
sive. 

Quant  à  l'absence  d'eau,  elle  résulte  de  la  par- 
faite netteté  avec  laquelle  tous  les  détails  de  la 
surface  s'observent  do  la  terre.  S'il  y  avait  de 
1  eau,  rivières,  lacs  ou  mers,  la  faiblesse  ou  la 
nullité  de  la  pression  atmosphérique  en  rendrait 
la  vaporisation  très  facile ,  des  nuages  se  forme- 
raient et  en  quelques  points  absorberaient  la 
lumière,  masqueraient  de  taches  plus  brillantes 
ou  plus  sombres,  suivant  les  cas,  les  accidents  si 


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LUXEMBOURG 


'minutieux  do  la  surface  du  sol.  Or,  rien  do  pareil 
n'a  jamais  pu  ôtre  observé. 

La  météorologie  de  la  lune,  d'après  tous  les 
éléments  que  nous  venons  de  passer  en  revue  et 
qui  touchent  i  sa  constitution  physique,  est  donc 
probablement  fort  différente  de  la  météorologie 
terrestre.  Il  parait  peu  probable  que  notre  satel- 
lite possède  actuellement  des  fitres  organisés, 
soit  végétaux,  soit  animaux,  et  les  habitants  de 
la  lune,  dont  on  a  si  souvent  parlé,  sont  tout  au 
moins  très  problématiques. 

Influences  de  la  lune  sar  la  terre.  —  La  lu- 
mière que  la  lune  réfléchit  vers  la  terre,  et  qui 
n'est  autre  que  celle  du  soleil,  sans  modification 
appréciable  au  spectroscope,  sert  à  éclairer  nos 
nuits,  à  la  vérité  d'une  façon  bien  imparfaite,  c'est- 
à-dire  bien  inégale  ou  irrégulière.  Mais  c'est  la 
moindre  des  influences  que  notre  satellite  exerce 
sur  le  globe  terrestre. 

En  premier  lieu,  la  lune  agit  sur  la  terre  par 
sa  masse.  Combinée  avec  l'action  de  la  masse  du 
soleil,  l'action  de  la  masse  lunaire  produit  la  pré- 
cession des  équinoies,  dont  la  période  est,  comme 
on  sait,  de  26  000  années  environ  ;  seule,  elle  dé- 
termine la  nutation,  autre  phénomène  astronomi- 
que dont  la  période  est  de  18  ans  ïf'i. 

Ces  deux  influences  tiennent  à  la  forme  aplatie 
de  notre  globe,  au  bourrelet  équatorial  qui  en 
résulte. 

Une  autre  influence  beaucoup  plus  manifeste  est 
l'action  de  la  masse  de  la  lune  sur  les  eaux  de 
l'Océan,  laquelle  se  combine  également  avec  celle 
du  soleil,  et  produit  les  mouvements  périodiques 
des  marées '.Bien  que  la  lune  soit  26  millions  de 
fois  moins  pesante  que  le  soleil,  grâce  à  sa  proxi- 
mité, elle  a  sur  les  marées  une  action  environ  deux 
fois  et  demie  aussi  forte  que  le  soleil  lui-même. 

Outre  les  marées  océaniques,  la  lune  produit, 
pour  les  mêmes  raisons,  des  marées  atmosphéri- 
<}ues  dont  la  période  doit  évidemment  être  la 
même.  Mais  les  observations  les  plus  minutieuses 
■et  les  plus  prolongées  n'ont  permis  de  constater, 
de  ce  chef,  qu'une  influence  extrêmement  faible, 
puisque  la  hauteur  du  baromètre  n'en  est  affec- 
tée au  maximum,  dans  nos  latitudes,  que  de  la 
18'  partie  d'un  millimètre.  A  l'équateur,  où  l'ac- 
•tion  est  maximum,  les  variations  dues  à  cette  in- 
fluence de  la  lune  ne  dépassent  pas  I  millimètre 
de  pression. 

Ce  n'est  donc  pas  à  cette  cause  qu'il  est  possi- 
ble d'attribuer  les  changements  de  temps  que  l'o- 
pinion publique  ou  le  préjugé  veut  à  toute  force 
considérer  comme  en  dépendance  avec  les  phases 
de  la  lune.  Est-ce  au  rayonnement,  lumineux,  ou 
•calorifique,  de  cet  astre  qu'il  est  possible  d'attri- 
buer des  changements  aussi  considérables?  Les 
rayons  lunaires  ont  une  action  chimique  incontes- 
table, puisqu'ils  permettent  de  très  belles  repro- 
•duciions  photographiques  des  phases  du  disque  ; 
mais  cette  action  agit  sur  dos  substances  chimi- 
ques spéciales,  non  sur  les  gaz  de  l'atmosphère. 
•Quant  k  la  chaleur,  elle  existe  et  a  été  mesurée. 
Melloni  et  d'autres  physiciens,  en  concentrant  la 
radiation  de  la  lune  à,  1  ai. le  de  miroirs  ou  de  len- 
tilles, ont  obtenu  des  indices  d'une  augmentation 
sensible  de  température.  Peut-être,  aux  limites 
■de  l'atmosphère,  avant  l'absorption  due  aux  cou- 
■ches  de  cette  enveloppe,  la  chaleur  qui  provient 
de»  rayons  de  la  lune  est-elle  assez  grande  pour 
■expliquer  des  changements  notables  :  rien  n'est 
prouvé  encore  à  cet  égard  II  faut  ajouter  que  les 
savants  qui  ont  fait  des  hypothèses  sur  linfluence 
de  la  lune  sur  le  temps,  n'ont  pas  établi  d'une 
façon  certaine  qu'il  y  ait  une  relation  entre  les 
phases  de  la  lune  et  les  changements  de  temps, 
vents  ou  pluies,  pression  barométrique,  tempéra- 
ture, etc.  C'est  cependant  par  là  qu'il  faudrait 
.commencer. 

2'   PARTIE. 


Le  public  n'en  demande  pas  si  long.  Les  culti- 
vateurs, les  marins  et  nombre  de  gejis  avec  eux, 
ont  coutume  de  fonder  leurs  prédictions  météoro- 
logiques sur  l'àL^c  de  la  lune;  que  l'événement 
les  trompe  ou  non,  ils  ont  foi  à  cette  influence  : 
tous  les  raisonnements  ne  les  convaincraient  pas 
de  leur  erreur.  [A.  Guillemin.] 

LUXE.UBOCltG.  —  Nom  d'une  famille  qui  a 
donné  cinq  empereurs  i  l'Allemagne. 

Henri  Vil,  —  Histoire  générale,  XIX,  —  était 
comte  de  Luxembourg  lorsque  les  électeurs  le 
choisirent  pour  succéder  à  Albert  I"  d'Au- 
triche (1308,1.  Keprenant  les  projets  des  empe- 
reurs de  la  maison  de  Souabe,  il  passa  les  Alpes  en 
1310  à  la  tête  de  quelques  soldats  pour  se  rendre 
en  Italie,  où  Dante  l'appelait  comme  un  sauveur. 
Le  pape  Clément  V  l'excommunia,  mais  avec  l'ap- 
pui des  Gibelins  il  put  se  faire  une  armée,  et 
essaya  de  reconquérir  le  royaume  de  Naples.  Il 
mourut  avant  d'avoir  réussi,  en  1314,  empoisonné 
par  un  moine.  Son  fils  Jean  l'Aveugle,  qui  avait 
épousé  l'héritière  du  royaume  de  Bohême,  ne  lui 
succéda  pas  comme  empereur;  la  couronne  impé- 
riale passa  sur  la  tête  de  Louis  de  Bavière.  Mais 
à  la  mort  do  celui-ci,  elle  revint  dans  la  maison 
de  Luxembourg,  par  l'élection  à  l'empire  du  roi 
de  Bohême  Charles,  fils  de  Jean  l'Aveugle. 

Charles  IV.  —  (V.  Charles  IV,  empereur  d'Al- 
lemagne, p.  382.) 

■Wenoeslaa,  —  Histoire  générale,  XX,  —  fils 
de  Charles  IV,  devint  à  la  mort  de  son  père  (1378) 
roi  de  Bohême  et  empereur  d'Allemagne.  Livré  h 
des  vices  honteux,  il  laissa  l'empire  dans  une 
complète  anarchie,  déchiré  par  des  guerres  pri- 
vées que  la  diète  essaya  en  vain  de  faire  cesser. 
Cet  empereur,  que  ses  sujets  appelaient  l'Ivrogne, 
fut  déposé  en  1400;  mais  il  conserva  jusqu'il  sa 
mort  (1419)  le  gouvernement  de  la  Bohême.  Ce 
fut  sous  son  règne,  comme  roi  de  Bohême,  que 
Jean  Huss  prêcha  une  réforme  religieuse  et  que 
commença  la  guerre  des  Hussites  (V.  Guerre  îles 
Hussites,  p.  924).  H  eut  comme  successeur  sur  le 
trône  impérial  Robert  de  Bavière. 

Josse,  —  Histoire  générale,  XX,  —  marquis  de 
Moravie,  cousin  de  l'empereur  Wenceslas,  fut  élu 
empereur  à  la  mort  de  Robert  de  Bavière  (1410), 
mais  mourut  après  trois  mois  d'un  règne  sans 
importance.  Il  avait  eu  pour  compétiteur  Sigia- 
mond,  frère  de  Wenceslas. 

Sigismond,  —  Histoire  générale,  XX,  —  roi  de 
Hongrie  par  son  mariage  avec  la  fille  du  roi  Louis 
le  Grand,  et  frère  de  Wenceslas,  fut  élu  empe- 
reur en  !4in,  en  même  temps  que  Josse,  dont  la 
mort  le  laissa  bientôt  seul  maître  de  l'empire. 
Comme  roi  de  Hongrie,  il  avait  dû  faire  la  guerre 
aux  Turcs,  et  avait  perdu  la  célèbre  bataille  de 
N'icopolis  (1391)),  malgré  le  secours  que  lui  avait 
apporté  une  armée  de  chevaliers  français  (V.  Mon 
yrie).  Le  grand  schisme  d'Occident  (V.  Papauté) 
agitait  alors  l'Europe  catholique;  le  concile  de 
Pise  (1409)  n'avait  fait  que  l'aggraver;  pour  y 
mettre  fin,  Sigismond  fit  décider  la  réunion  du 
concile  de  Constance  (1414).  On  sait  que  Jean 
Huss,  cité  à  comparaître  devant  le  concile,  y  vint 
muni  d'un  sauf-conduit  de  l'empereur,  et  que  ce- 
lui-ci, au  mépris  de  la  parole  donnée,  laissa  en- 
suite brûler  vil'  le  réformateur  dont  le  concile  avait 
condamné  la  docirine.  En  lil9,  la  mort  de  Wen- 
ceslas fil  passer  la  couronne  de  Bohême  sur  la 
tête  de  Sigismond,  qui  eut  alors  à  combattre  la 
redoutable  insurrection  des  Hussites  ^V.  Guerre 
dei  //(^svi^s,  p.  924),  contre  lesquels  échouèrent 
pendant  quinze  ans  toutes  les  forces  de  l'empire. 
(;e  ne  fut  que  grâce  aux  divisions  des  Bohémiens 
que  Sigismond,  après  la  chute  du  parti  taborite, 
parvint  à  se  faire  reconnaître  comme  roi  da 
Bohême  en  souscrivant  aux  conditions  que  lui  im- 
posèrent les  Hussites  du  parti  utra(/uifti;.  Il  mou- 
18 


LYRIQUE  (GENRE)         —  1234  —         LYRIQUE  (GENRE) 

rut  en  143«,  et  avec  lui  s'éteignit  la  maison  de  ]  moyen  âge,  la  poésie  a  commencé  par  le  cliant. 
Luxembourg.  Albert  d'Autriche,   son   gendre,  lui    Homère  a  immortalisé  les  aèdes  helléniques  qui 


succéda  sur  le  trùne  impérial 

LVMPIIE.  —  Zoologie,  XXXIV.  —  Les  vaisseaux 
lymphatiques  constituent  un  appareil  vasculaire 
distinct  du  réseau  capillaire  sanguin,  circulant 
dans  tout  l'organisme  et  venant  déboucher,  par 
deux  canaux,  dans  les  veines  sous-claviéres  gauche 
et  droite. 

Certains  de  ces  vaisseaux  lymphatiques  rampen 


charmaient  la  cour  des  rois  grecs  par  des  chants 
improvisés  aux  accords  de  la  lyre  ;  deux  mille  ans 
plus  tard,  les  troubadours  et  les  trouvères  allaient 
de  château  en  château,  le  luth  ou  la  harpe  en  main. 
C'est  à  ces  antiques  souvenirs  qu'il  faut  remon- 
ter pour  expliquer  le  ternie  de  Poésie  lyrique. 
Etyinologiquement  et  historiquement  la  poésie 
lyrique    est   avant  tout  un   chant;   la    lyre    dont 


sous  la  muqueuse  de  l'intestin  pour  y  former  un  ,  s'accompagnait  le  poète  primitif  a  disparu,  mais 
système  distinct,  celui  des  vaisseaux  ch^li/'èi-es,  }  elle  a  donné  à  cette  poésie  son  caractère  distinc- 
chargc  de  l'absorplion  intestinale.  Tous  les  autres,  ;  tif  entre  la  poésie  épique  et  la  poésie  dramatique, 
constituant  les  vaisseaux  li/mphatiques  propre- |  Elle  n'a  ni  les  longs  et  majestueux  développements 
ment  dits,  recueillent  dans  tout  l'organisme  dos  j  de  l'épopée,  ni  la  saisissante  vivacité  du  drame; 
produits  provenant  soit  de  la  transformation  des  |  mais,  par  un  charme  analogue  à  celui  de  la  musi- 
tissus,  soit  de  l'excédant  du  liquide  cédé  par  les  ,  que,  elle  exprime  les  sentiments  les  plus  intimes, 
capillaires  aux  organes  pendant  l'acte  de  la  nutri- j  les  plus  profonds  de  l'âme  humaine.  Joies  et 
tion  générale.  Le  liquide  en  circulation  dans  les  ,  douleurs,  espérance  et  souvenir,  fièvre  du  com- 
chylifèress'appi-Ue  le  cAv/e;  celui  que  transportent  j  bat,  orgueil  du  triomphe,  élans  du  patriotisme, 
les  lymphatiques  se  nomme  la  bjn.phe.  \  ivresse  des  passions,  langueurs  de  la  rêverie,  en- 

L' étude  du  système  chylifère  et  colle  du  chyle  .  trainements  de  la  volupté,  enthousiasme  de  la 
ont  été  faites  "avec  celle  de  l'absorption  intesli-  vertu,  illusions  de  la  jeunesse,  tendresses  et  fu- 
nale  (V.  A/'Sorption);  nous  n'avons  donc  ici  qu'à  '  reurs  de  l'amour,  amertumes  du  remords,  tris- 
nous  arrêter  quelque  peu  aux  lymphatiques  vrais.  |  tesses  du    deuil,   jeux  cruels   de  la  fortune,  éter- 

L'origine  de  ces  canaux  dans  les  tissus  est  peu  j  nelle  instabilité  de  l'homme,  inquiétudes  ineffables 
connue;  ils  paraissent  d'abord  longer  les  vaisseaux  j  et  curiosités  inassouvies  de  l'âme  humaine,  tel 
capillaires  auxquels  ils  adhèrent,  puis  ils  forment  |  est  l'objet  de  la  poésie  lyrique.  Elle  peut  vraiment 
des  troncs  libres  et,  après  avoir  traversé  plusieurs  |  dire  comme  le  poète  :  rien  de  ce  qui  est  humain 
glandes  ou  ganiilins  lym/iliatiques  où  ils  forment  ,  ne  m'est  étranger.  A  la  différence  des  autres  for- 
des  enchevêtrements  pelotonnés  avec  des  capil-  mes  de  la  poésie,  celle-ci  n'est  pas  un  langage 
laires  sanguins,  ils  débouchent  ou  bien  dans  l'ap-  |  exclusivement  réservé  i  certaines  conditions  de 
pareil  veineux  par  l'intermédiaire  de  la  grande  ,  l'homme  ou  de  la  société,  assujetti  à  des  règles 
veine  lymphatique  s'ouvrant  dans  la  veine  sous-  |  rigoureuses,  enfermé  dans  des  limites  infranchis- 
Clavière  gauche,  ou  bien  dans  le  cnnal  ihoracique  sables.  Elle  a  la  richesse  et  la  souplesse,  l'éten- 
par  l'intermédiaire  d'un  seul  vaisseau;  de  sorte  '  due  et  la  variété  de  l'âme  humaine,  dont  elle  est 
que  la  lymphe  est  finalement  mêlée  au  sang  vei-  |  l'écho  le  plus  pur,  le  plus  clair,  le  plus  libre, 
neux,  mais  tout  près  du  cœur.  Ce  liquide  n'est  Car  suivant  une  juste  et  vive  image,  la  lyre  dont 
pas  formé  de  déchets,  mais  bien  de  substances  ,  elle  fait  vibrer  les  cordes,  à  proprement  parler, 
n'ayant  qu'à  subir  l'action  de  l'oxygène  de  l'air  |  c'est  le  cœur  de  l'homme.  Aussi  le  philosophe 
pour  redevenir  propres  à  se  fixer  dans  les  tissus;  I  Jouffroy  a-t-il  pu  dire  :  la  poésie  lyrique,  c'est  la 
aussi,  immédiatement  après  son  mélange  avec  le    poésie  elle-même.  _       '  , 

sang  veineux  (sang  non  nutritif),  il  est  projeté  par  |      De  cette  définition  même  ressort  1  impossibilité 


le  cœur  dans  l'appareil  pulmonaire  où,  par  la  res 
piration,  il  sera  en  même  temps  que  le  sang  vei- 
neux converti  en  sang  artériel. 

Le  sang  veineux  est  donc  le  sang  privé  d'élé- 
ments nutritifs  ;   il   s'est   formé  dans   tout   l'orga- 


tout  ensemble  et  l'inutilité  d'une  classification  mé- 
thodique des  diverses  formes  poétiques  comprises 
sous  le  nom  de  genre  lyrique.  Les  noms  qu'on  leur 
donne  rappellent  pour  la  plupart  1  idée  de  chant  ; 
les  n)Ots  ùde  et  hi/mji''  sont  les  équivalents  grecs 


nisme;  la  lymphe  est  un  produit  de  la  désassimila-  de  chant,  clmnson,  cantique.  Ces  petits  poèmes 
tion  générale,  mais  contenant  des  éléments  de  ré- 1  changent  d'allure,  de  ton,  de  rhylhme,  de  carac- 
paration  qui  se  mêlent  au  sang  veineux  au  moment ,  tère  suivant  qu'ils  sont  un  chant  religieux  (psau- 
où  celui-ci  va  subir  l'action  de  l'oxygène  de  l'air  j  mes,  hymnes,  cantiques),  un  chant  de  guerre,  un 
sous  la  muqueu-e  respiratoii'e  ;  et  le  chyle  est  un  j  chant  de  fête  ou  de  triomphe  (dithyrambe,  péan), 
liquide  provenant  de  l'absorption  digestive,  (  onte- 1  un  chant  d'amour  (ode  anacréontique,  romance, 
nant  aussi  des  éléments  de  réparation  et  se  com- I  chanson,  etc  ),  un  chant  de  douleur  (élégie, 
portant  comme  la  lymphe.  |  thrène,  etc.).  Quelques-uns  jaillissent  du  fond  de 

La   structure   des   vaisseaux    lymphatiques   est  ;  l'âme   sans  effort   et  sans  règle,  expression  natu- 
celle    des   vaisseaux  chylifères,    et   la    lymphe   a    relie   et  naïve    du  sentiment;  d'autres   prennent 


beaucoup  d'analogie  avec  le  chyle 

Chez  certaines  personnes  ayant  la  peau  fine  et 
blanche,  les  glandes  lymphatiques  sont  sujettes  à 
des  engorgements  déterminant  leur  inflammation  ; 
on  dit  alors  que  ces  sujets  ont  le  teniiiérament 
lymphatique.   Par    suite  d'accidents   comme    des 


une  forme  convenue  et  se  plient  à  des  conditions 
métriques  et  rhythmiques  tout  artificielles  (son- 
net, rondeauj.  M.  Vapereau  propose  de  rame- 
ner tous  les  modes  de  poésie  lyrique  à  trois  types: 
((  l'hymne,  l'ode  et  la  chanson.  L'hymne,  dont 
le    psaume  et  le    dithyrambe  sont    des   variétés. 


contusions  ou  des  blessures,  les  ganglions  du  ,  représente  la  poésie  lyrique  s'attachant  à  des  su- 
membre  atteint  peuvent  s'enflammer  et  devenir  le  i  jets  religieux,  élevant  l'âme  veis  la  divinité  et  lui 
siège  d'une  douleur  qui  cause  une  gène  dans  les  <  adressant  des  hommages  ou  des  actions  de  grâce 


mouvements  du  membre  tout  entier 

Enfin  il  est  bon  de  savoir  que,  lorsque  une  plaie 
(coupure,  brûlure,  etc.)  se  cicatrise,  le  travail  de 
réparation  se  fait  aux  dépens  d'un  liquide  visqueux 
que  les  éléments  voisins  de  la  partie  malade 
laissent  exsuder  et  qu'on  nomme  lynifihe  plastique. 
Ce  liquide,  qui  permet  aux  organes  élémentaires 
du  tissu  disparu  de  se  refaire,  n'est  pas  identique 
à  la  lymphe  proprement  dite.      [G  Philippim.] 

LYUI(JL'E  (Genre).  —  Littérature  et  style,  111. 
—   Dans  l'antiquité  grecque   comme  dans   notre 


La  poésie  lyrique  garde  le  même  nom  quand  elle 
exprime  le  sentiment  patriotique.  Le  mot  hymne 
réveille  l'idée  d'une  manifestation  collective  du 
sentiment  religieux  ou  national.  L'ode  est  l'ex- 
pression de  sentiments  plus  individuels  et,  sur 
des  sujets  variés,  rappelle  à  l'esprit  les  formes 
particulières  du  rliythme  où  s'est  enfermée  la  poé- 
sie lyrique.  La  chanson  désigne,  avec  non  moins 
de  variété,  des  inspirations  d'i.n  ordre  moin» 
élevé  et  qui  sont  restées  plus  intimement  unie» 
au  chant.  » 


LYRIQUE  (GENRE)         —  1235  —         LYRIQUE  (GENRE) 


Nous  n'cntreprfindrons  pas  d'esquisser  l'his- 
toire de  la  poésie  lyrique  i  travers  tous  les  âges 
et  chez  les  divers  peuples  du  monde  civilisé. 
Nous  croyons  mieux  faire,  pour  donner  une  idée 
des  dilTérenles  formes  du  genre  lyrique,  de  trans- 
crire ici  quelques  morceaux  caractéristiques. 

En  consultant  les  articles  spéciaux  que  nous  con- 
sacrons aux  diverses  littératures,  le  lecteur  trouvera 
d'ailleurs  quelques  détails  sur  la  poésie  lyrique 
chez  les  Indous,  chez  les  anciens  Hébreux,  chez 
les  Grecs  et  les  Romains,  enfin,  chez  les  différents 
peuples  modernes,  et  particulièrement  en  France. 
—  V.  Inde,  Isrnélites,  Grèce,  Z-a^/jîe  (Littérature), 
L'tti'm titre  française,  Troubwlours,  Altemnijne 
(au  supplément),  i4nry/eifn-e  (au  supplément),  Ês- 
paçjne.  litats-Vnis,  Italie,  Scan  liriiwes  (Etats),  etc. 

iJans  l'espèce  d'anthologie  —  nécessairement 
très  sommaire  —que  nous  donnons  ci-dessous,  on 
lira  la  tr,iduction  d'un  hymne  du  liuj-Yed'i,  d'un 
psaume,  d'une  ode  de  Pindaro,  d'un  chœur 
do  Sophocle,  d'une  chanson  populaire  grecque, 
de  deux  odes  d'Horace  ;  puis  quelques  mor- 
ceaux qui  permettront  de  suivre  le  développement 
des  diverses  formes  do  la  poésie  lyrique  dans 
notre  littérature,  en  commençant  à,  Charles  d'Or- 
léans, Marot  et  Ronsard,  et  passant  par  Malherbe, 
Jean-Baptiste  Rousseau  et  Lebrun,  pour  aboutir 
à  la  splendide  floraison  de  l'école  romantique  et  du 
lyrisme  contemporain.  Nous  n'avons  pas  prétendu 
ne  donner  que  des  chefs-d'œuvre  :  il  fallait  bien, 
pour  n'être  pas  trop  incomplet,  citer  quelques  stro- 
phes de  certains  lyriques  du  XV!!"^  et  du  xviii»  siè- 
cle, malgré  les  défauts  d'une  poésie  toute  de  con- 
voiiiion  et  trop  souvent  déclamatoire.  D'autre  part, 
nous  n'avons  pu  accorder  autant  de  place  que  nous 
l'eussions  voulu  aux  poètes  contemporains  :  en 
dehors  des  grands  noms  qui  s'imposent,  le  man- 
que d'espace  nous  a  obligés  à  ne  faire  qu'un  choix 
très  restreint  parmi  les  talents  aimés  du  pu- 
blic. 

POÉSIE    LYRIQUE    ANCIENNE. 

UN    HYMNE  DU  RIG-VÉDA. 

'Le  Rirj-  Véda,  ou  Véda  de  la  louange,  est  le  plus  ancien 
des  qualre  li\res  sacrés  des  Indous.  L'hymne  dont  nous 
dounons  la  traduction  est  Je  premier  de  la  1"  seclion). 

A  Agni  (le  feu). 

1.  Je  chante  Agni,  le  dieu  prêtre  et  pontife,  le 
magnifique  Agni,  héraut  du  sacrifice. 

'2.  Qu'Agni,  digne  d'être  chanté  par  les  richis 
(poètes)  anciens  et  nouveaux,  rassemble  ici  les 
dieux. 

.3.  Que  par  Agni  l'homme  obtienne  une  fortune 
sans  cesse  croissante,  glorieuse  et  soutenue  par 
une  nombreuse  lignée. 

4.  Agni,  l'offrande  pure  que  tu  enveloppes  de 
toute  part  s'élève  jusqu'aux  dieux. 

5.  Qu'avec  les  autres  dieux  vienne  vers  nous 
Agni,  le  dieu  sacrificateur,  qui  jnint  à  la  sagesse 
des  œuvres  la  vérité  et  l'éclat  varié  de  la  gloire. 

6.  Agni,  toi  qui  portes  le  nom  d'Angiras,  le  bien 
que  tu  feras  à  ton  serviteur  tournera  à  ton 
avantage. 

7.  Agni,  chaque  jour,  soir  et  matin,  nous  ve- 
nons vers  toi,  t'apportant  l'hommage  de  notre 
prière. 

s.  A  toi,  gardien  brillant  de  nos  offrandes, 
splendeur  du  sacrifice  ;  à  toi,  qui  grandis  au  sein 
du  foyer  que  tu  habites. 

9.  Viens  à  nous,  Agni,  avec  la  bonté  qu'un  père 
a  pour  son  enfant;  sois  notre  ami,  notre  bien- 
faiteur. [Traduetiun  de  Langlois.) 


PSAUME  CXXXV   (PS.   CXXXVI   DE   LA   VOLGATE). 

(Sur  les  Psaumes,  V.  Israélites,  p.  1063.) 

Au  bord  des  rivières  de  Babel 
Nous  étions  assis  et  nous  pleurions, 
En  nous  souvenant  de  Sion. 
Aux  saules  de  la  campagne 
Nous  avions  suspendu  nos  lyres, 
Car  là  nos  ravisseurs  nous  commandaient  des  pa- 
[roles  do  chant. 
Nos  oppresseurs  des  accents  de  joie  : 
(1  Chantez-nous  un  cantique  de  Sion  I  » 

Comment   chanterions-nous    le    chant    de 
Sur  la  terre  étrangère!  [Jéhowah 

Si  jo  t'oublie,  Jérusalem, 
Que  ma  main  soit  oublieuse  aussi  ! 
Que  ma  langue  s'attache  à  mon  palais, 
Si  je  cesse  de  songer  à  toi. 
Si  je  ne  mets  point  Jérusalem 
Au-dessus  de  toutes  mes  joies  ! 

Garde,  Eternel,  aux  fils  d'Edora 
Le  souvenir  du  jour  de  Jérusalem, 
A  ceux  qui  disaient  :  Rasez,  rasez, 
Jusi|u'à  ses  fondements  ! 
Fille  de  Babel,  dévastatrice. 
Salut  à  qui  te  paie  pour  ce  que  tu  nous  as  fait! 
Salut  à  qui  saisit  et  écrase 
'l'es  nourrissons  contre  le  rocher! 

[Ti-uduction  de  M.  Reuss.) 

PiNDARE,  xiv"  Olympique. 

(Sur  Pindare,  V.  Grèce,  p.  910.) 

Pour    le  jiitne   Atopichos,    vainqueur    dans 
le  stade. 

Strophe  1.  —  Vous  qui  régnez  sur  les  eaux  de 
Céphise,  habitantes  d'une  résidence  aux  beaux 
coursiers,  ô  Grâces,  illustres  souveraines  de  la 
brillante  Orchomène,  protectrices  des  antiques 
Minyens,  écoutez  moi  !  Je  vous  implore.  C'est  par 
vous  qu'iirrive  aux  mortels  tout  ce  qui  plaît,  tout 
ce  qui  charme;  que  l'homme  est  sage,  qu'il  est 
beau,  qu'il  est,  renommé.  Car  les  dieux  eux- 
mêmes,  sans  les  Grâces  vénérées,  ne  président 
ni  chœurs,  ni  banquets  ;  mais,  arbitres  de  tout  ce 
qui  se  fait  dans  le  ciel,  assises  sur  des  trônes 
près  d'Apollon  Pythien  à  l'arc  d'or,  elles  rendent 
un  hommage  éternel  au  père  de  l'Olympe. 

Sirophe  ..  —  Auguste  Aglaé.  Euphrosyne  amie 
des  chants,  filles  du  plus  puissant  des  dieux,  exau- 
cez mes  vœux,  et  toi  aussi,  Thalie  qui  chéris  les 
vers,  regarde  cette  pompe  qui  s'avance  légère, 
dans  la  joie  du  succès.  C'est  pour  chanter  Aso- 
pichos  dans  mes  hymnes,  sur  le  mode  lydien,  que 
je  suis  venu.  Car  la  cité  des  Minyens  a  vaincu  à 
Olympie,  grâce  à  toi.  Va  maintenant  dans  la  noire 
demeure  de  Perséphone,  ô  Echo  ;  porte  à  un  père 
cette  glorieuse  nouvelle  ;  vois  Cléodème,  et  dis- 
lui  que  son  fils,  dans  les  vallons  de  Pise  la  fa- 
meuse, a  couronné  sa  jeune  chevelure  des  ailes  de 
la  victoire. 

Sophocle,  Chœur  de  la  tragédie  d'CEdipeà  Colone. 

(Sur  Sophocle,  V.  Grèce,  p.  911.  Le  chœur  que  nous  tra- 
duisons, et  qui  célèhre  les  louanges  de  l'Altique,  est 
celui  que,  selon  la  tradition,  Sophocle,  âgé  de  plus  de 
quat<e-vin::ts  ans.  lut  devant  ses  juges,  lorsqu'il  dut.  en 
réponse  a  l'aetion  judiciaire  que  lui  avaient  intentée  des 
fils  ingrats,  piouver  qu'il  jouissait  encore  de  la  plénitude 
de  ses  facuhe,.) 

Stro/jhe  1 .  —  Etranger,  te  voilà  dans  le  plus 
beau  séjour  de  cène  contrée  riche  en  coursiers, 
dans  le  blanc  Colone.  Ici  le  mélodieux  rossignol 
chante  au  fond  des  vallons  verdoyants,  caché  sous 
le  lierre  rO'  geâtro,  ou  dans  le  bois  sacré  que  nul 
pied  ne  foule,  impénétrable  aux  rayons  du  soleil. 


LYRIQUE  (GENRE)         —  1236  —         LYRIQUE  (GENRE) 


et  dont  les  arbres  cliargés  de  fruits  sont  toujours 
respectés  des  orages  :  là  Dionysos  aux  joyeux 
transports  aime  à  errer,  entouré  de  ses  divines 
nourrices. 

Antistrophe  1.  —  Là  fleurit  chaque  jour  sous  la 
rosée  du  ciel  le  narcisse  aux  belles  grappes,  anti- 
que couronne  des  grandes  déesses,  et  le  safran 
doré.  Les  sources  du  Cépliise  qui  ne  tarit  jamais 
versent  sans  cesse  une  eau  limpide  qui  court 
dans  la  plaine  et  féconde  ces  fertiles  campa- 
gnes, où  se  plaisent  aussi  les  chœurs  des  Muses 
et  Aphrodite  aux  rênes   d'or. 

St:  ophe  2.  —  On  y  voit  un  arbre  que  ne  possè- 
dent, dit-on,  ni  la  terre  d'Asie,  ni  la  grande  Ile 
dorienne  de  Pélops  (le  Péloponèse),  un  arbre  qui 
'  vient  de  lui-même,  sans  culture,  effroi  des  lances 
ennemies,  et  qui  dans  cette  contrée  s'élève  vigou- 
reux, l'olivier  au  feuillage  glauque,  nourricier  de 
l'enfance.  Nul  chef  ennemi,  jeune  ou  vieux,  ne 
pourra  jamais  le  détruire  et  l'arracher,  car  sur  lui 
veillent  sans  cesse  le  regard  de  Zeus,  protecteur 
des  oliviers,  et  Athéné  aux  yeux  bleus. 

Antistrophe  2.  —  J'ai  encore  à  dii-e  le  plus  beau 
titre  de  gloire  de  cette  grande  cité,  le  don  d'un 
dieu  puissant  :  l'art  d'élever  et  de  conduire  les 
coursiers,  et  de  voguer  sur  les  mers.  0  fils  de 
Kronos,  c'est  toi  qui  l'as  élevée  à  ce  degré  de 
gloire,  souverain  Poséidon  ;  par  toi,  elle  a  connu  la 
première  le  frein  qui  dompte  les  chevaux;  par  toi 
le  vaisseau  poussé  par  la  rame  que  gouverne  une 
main  habile  vogue  rapidement  sur  les  flots,  émule 
des  agiles  Néréides. 

CHANSON    D'raHHOUIOS   ET    d'aRISTOGITON. 

(Cette  chanson  populaire,  composée  on  l'honneur  des  deux 
libérateurs  d'Athènes  par  un  auteur  inconnu,  se  chan- 
tait à  Athènes  dans  tous  les  banquets  comme  une  sorte 
d'hymne  national.) 

1. 
Je  porterai  mon  glaive  dans  une  branche  de  myrte, 
Comme  Harmodios  et  Ai  istogiton, 
Lorsqu'ils  tuèrent  le  tyran 
Et  qu'ils  rendirent  Athènes  libre. 

2. 

Cher  Harmodios,  tu  n'es  point  mort, 
Mais  on  dit  que  tu  habites  dans  les  îles  des 
[bienheureux 
Où  sont  Achille  aux  pieds  légers 
Et  Diomède,  le  fils  de  Tydée. 


Je  porterai  mon  glaive  dans  une  branche  de  myrte. 
Comme  Harmodios  et  Aristogiton, 
Lorsqu'à  la  fête  des  Panathénées 
Ils  tuèrent  le  tyran  Hipparque. 

4. 
Votre  gloire  sera  éternelle. 
Cher  Harmodios,  cher  Aristogiton, 
Parce  que  vous  avez  tué  le  tyran 
Et  que  vous  avez  rendu  Athènes  libre. 

HOHACE,    ODES. 

(Sor  Horace,   V.  l'article   Latine   [Littérature],   p.  1127). 

A  Dellius  (livre  II,  ode  in). 

Toujours  égal  et  ferme  au  sein  de  l'infortune. 
Défends-toi  des  transports  dont  une  4ine  commune 
Dans  la  prospérité  se  laisse  enorgueillir, 
Dellius.  Notre  sort  à  tous  est  de  mourir, 
Soit  qu'un  sombre  chagrin  ait  rempli  notre  vie, 
Soit  qu'au  sein  de  la  joie  elle  ait  coalé  gaiment, 
Et  que,  sur  le  gazon  étendus  mollement, 
Un  Falerne  fumeux  l'ait  souvent  embellie. 

Vois-tu  ces  ormes  verts,  ces  pins  hospitaliers, 
Mariant  leurs  rameaux  à  de  blancs  peupliers? 


Ce  ruisseau  fugitif  dont  l'onde  transparente 
Sur  des  cailloux  polis  en  gazouillant  serpente? 
Fais-y  porter  du  vin,  des  parfums  et  des  fleurs. 
Des  fleurs  que  nous   verrons,  hélas,  sitôt  fanées. 
Et  jouis  doucement  de  ces  belles  journées 
Que  te  laissent  encor  les  infernales  sœurs. 

Ces  bois,  ces  beaux  vergers  que  le  Tibre  caresse, 
Cet  élégant  palais  qu'éleva  ta  richesse, 
Il  faudra  les  quitter;  un  héritier  joyeux 
Dépensera  tout  l'or  dont  tu  repais  tes  yeux. 
Fils  de   pauvre  ou  de  roi,   puissant  ou  sans  asile, 
Nul  n'échappe  à  Phiton.Nos  noms  sont,  tôt  ou  tard. 
Tirés  tous  sans  pitié  de  l'urne  du  hasard 
Et  la  barque  fatale  à  jamais  nous  exile. 

{Traduction  île  M.  Goupy.) 

A  la  fontaine  de  Bandusie  (livre  III,  ode   xiii). 

0  fontaine  de  Bandusie,  plus  claire  que  le  cris- 
tal, digne  d'être  honorée  d'un  doux  tribut  de  vin 
et  de  fleurs,  demain  tu  recevras  l'offrande  d'un 
chevreau  à  qui  son  front,  armé  de  cornes  nais- 
santes. 

Promet  des  amours  et  des  combats.  Promesse 
vaine  :  car  il  rougira  de  son  sang  tes  eaux  si 
fraîches,  le  rejeton  du  troupeau  lascif. 

L'heure  brûlante  de  la  Canicule  enflammée  ne 
saurait  t'atteindre  ;  tu  offres  une  aimable  fraî- 
cheur aux  bœufs  fatigués  de  la  charrue  et  au 
bétail  errant. 

Toi  aussi  tu  seras  comptée  parmi  les  fontaines 
illustres,  car  je  chanterai  l'yeuse  qui  domine  le 
rocher  creux  d'où  jaillissent  tes  eaux  murmu- 
rantes. 

POÉSIE   LYRIQUE   FRANÇAISE. 


Le  temps  a  laissié  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluye. 
Et  s'est  vestu  de  brouderie. 
De  souleil  luisant,  cler  et  beau. 
Il  n'y  a  beste,  ne  oyseau. 
Qu'en  son  jargon  ne  chante,  ou  crie  : 
Le  temps  a  laissié  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluye. 

Rivières,  fontaine  et  ruisseau 
Portent,  en  livrée  jolie 
Goûtes  d'argent  d'orfaverie. 
Chascun  s'abillc  de  nouveau. 
Le  temps  a  laissié  son  manteau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluye. 

Charles  d'Okléans  (mort  en  1465) 


DIZAW. 

A  la  reine  de  Navarre. 


Mes  créanciers,  qui  de  dixains  n'ont  cure, 
Ont  lu  le  vostre,  et  sur  ce  leur  ai  dict  : 
«  Sire  Michel,  sire  Bonaventure, 
La  sœur  dn  Roy  a  pour  mny  fatct  ce  dict.  » 
Lors  euli,  cuydant  que  fusse  en  grand  crédit. 
M'ont  appelé  Monsieur  à  cry  et  cor. 
Et  m'a  valu  votre  escript  autant  qu'or, 
(jtr  promis  ont,  non  seulement  d'attendre. 
Mais  d'en  prester  (fo/  de  marchant)  encor. 
Et  j'ay  promis  ,.oy  de  Clément)  d'en  prendra 
Clément  Mabot  (mort  en  1614). 


i 


Je  vous  envoyé  un  bouquet  que  ma  main 
Vient  de  trier  de  ces  fleurs  épanies; 
Qui  ne  les  eust  à  ce  vospro  cueillies, 
Cfceutes  à  terre  elles  fussent  demain. 


il 


LYRIQUE  (GENRE)        —  1237 

Cela  vous  soit  un  exemple  certain 
Que  vos   bcautoz,  bien   qu'elles  soient  fleuries, 
En  peu  de  temps  cherront  toutes  flétries, 
El,  comme  fleurs,  périront  tout  soudain. 

Le  temps  s'en  va,  le  temps  s'en  va,  ma  dame; 
Las!  le  temps,  non,  mais  nous  nous  en  allons. 
Et  tost  serons  estendus  sous  la  lame. 

Et  des  amours  desquelles  nous  parlons. 
Quand  serons  morts,  n'en  sera  plus  nouvelle. 
Pour  ce  aimez-moi,  ce  pendant  qu'estes  belle. 
Ronsard  (mort  en  1586). 

PARAPHRASE  DU  PSAUME   CXLV. 

N'ospcrons  plus, mon  âme,  aux  promesses  du  monde, 
Sa  lumière  est  un  verre  et  sa  faveur  une  onde 
Que  toujours  quelque  vent  empêche  de  calmer. 
Quittons  ces  vanités,  lassons-nons  de   les  suivre. 

C'est  Dieu  qui  nous  fait  vivre, 

C'est  Dieu  qu'il  faut  aimer. 

En  vain,  pour  satisfaire  à  nos  lâches  envies. 

Nous  passons  prèsdesroistout  le  tempsde  nos  vies 

A  souffrir  des  mépris  et  ployer  les  genoux. 

Ce  qu'ils  peuvent  n'est  rien  ;  ils  sont  comme  nous 

Véritablement  hoinmes,  [sommes. 

Et  meurent  comme  nous. 

Ont-ils  rendu  l'esprit,  ce  n'est  plus  que  poussière 
Que  cette  majesté  si  pompeuse  et  si  fière 
Dont  l'éclat  orgueilleux  étonnait  l'univers; 
Et  dans  ces  grands  tombeaux,  où  leurs  âmes  hau- 

Font  encore  les  vaines,  [taines 

Ils  sont  mangés  des  vers. 

Là  se  perdent  ces  noms  de  maîtres  de  la  terre, 
D'arbitres  de  la  paix,  de  foudres  de  la  guerre; 
Comme  ils  n'ont  plus  de  sceptre,  ils  n'ont  plus  de 
[flatteurs, 
Et  tombent  avec  eux  d'une  chute  commune 
Tous  ceux  que  leur  fortune 
Faisait  leurs  serviteurs. 

Malherbe  (mort  en  1628). 


(Contre  le  livre  de  Benserade,  les  Métamorphoses  d'Ovide 
mises  en  rondeaux.) 

A  la  fontaine  où  l'on  puise  cette  eau 

Qui  fait  rimer  et  Racine  et  Boileau, 

Je  ne  bois  point,  ou  bien  je  ne  bois  guère  ; 

Dans  un  besoin,  si  j'en  avais  alTaire, 

J'en  boirais  moins  que  ne  fait  un  moineau. 

Je  tirerai  pourtant  de  mon  cerveau 
Plus  aisément,  s'il  le  faut,  un  rondeau. 
Que  je  n'avale  un  plein  verre-  d'eau  claire 
A  la  fontaine. 

De  ces  rondeaux  un  livre  tout  nouveau 
A  bien  des  gens  n'a  pas  eu  l'heur  de  plaire; 
Mais  quant  à  moi  j'en  trouve  tout  fort  beau  : 
Papier,  dorure,  images,  caractère. 
Hormis  les  vers,  qu'il  fallait  laisser  faire 
A  La  Fontaine. 

Chapelle  (mort  en  1686). 


Les  cieux  instruisent  la  terre 
A  révérer  leur  auteur  : 
Tout  ce  que  le  globe  enserre 
Célèbre  un  Dieu  créateur. 
Quel  plus  sublime  cantique 
Que  ce  concert  magnifique 
De  tous  les  célestes  corps  ! 
Quelle  grandeur  infinie  I 
Quelle  divine  harmonie 
Résulte  de  leurs  accords  I 


LYRIQUE  (GENRE) 

De  sa  puissance  immortelle 

Tout  parle,  tout  nous  instruit. 

Le  jour  au  jour  la  révèle, 

La  nuit  l'annonce  à  la  nuit. 

Co  grand  et  superbe  ouvrage 

N'est  point  pour  l'homme  un  langage 

Obscur  et  mystérieux. 

Son  admirable  structure 

Est  la  voix  de  la  nature 

Qui  se  fait  entejidre  aux  yeux. 

Dans  une  éclatante  voûte 
Il  a  place  de  ses  mains 
Ce  soleil  qui,  dans  sa  route. 
Eclaire  tous  les  humains. 
Environné  de  lumière. 
Cet  astre  ouvre  sa  carrière 
Comme  un  époux  glorieux. 
Qui,  dès  l'aube  matinale. 
De  sa  couche  nuptiale 
Sort  brillant  et  radieux. 

L'univers,  à  sa  présence. 
Semble  sortir  du  néant. 
Il  prend  sa  course,  il  s'avance 
Comme  un  superbe  géant. 
Bientôt  sa  marche  féconde 
Embrasse  le  tour  du  monde 
Dans  le  cercle  qu'il  décrit; 
Et,  par  sa  chaleur  puissante, 
La  nature  languissante 
Se  ranime  et  se  nourrit. 

Oh!  quêtes  œuvres  sont  belles, 

Grand  Dieu  !  Quels  sont  tes  bienfaits! 

Que  ceux  qui  te  sont  fidèles 

Sous  ton  joug  trouvent  d'attraits! 

Ta  crainte  inspire  la  joie  ; 

Elle  assure  notre  voie, 

Elle  nous  rend  triomphants; 

Elle  éclaire  la  jeunesse. 

Et  fait  briller  la  sagesse 

Dans  les  plus  faibles  enfants. 

J.-B.  Rousseau  (mort  en  1741). 

LE  LAC  DE   GENÈVE. 

(Ce  morceau  fut  écrit  par  Voltaire  en  arrivant  dans  sa 
campagne  des  Délices,  près  de  Genève.) 

O  maison  d'Aristippe,  i>  jardins  d'Epicure, 
Vous  qui  me  présentez,  dans  vos  enclos  divers. 

Ce  qui  souvent  manque  à  mes  vers, 
Le  mérite  de  l'art  soumis  à  la  nature  ; 
Empire  de  Pomone  et  de  Flore  sa  sœur, 

Recevez  votre  possesseur  ; 
Qu'il  soit,  ainsi  que  vous,  solitaire  et  tranquille. 
Je  ne  me  vante  point  d'avoir  en  cet  asile 

Rencontré  le  parfait  bonheur  : 
Il  n'est  point  retiré  dans  le  fond  d'un  bocage  ; 

Il  est  encor  moins  chez  les  rois; 

Il  n'est  pas  môme  chez  le  sage  : 
De  cette  courte  vie  il  n'est  point  le  partage  ; 
Il  y  faut  renoncer  ;  mais  on  peut  quelquefois 

Embrasser  au  moins  son  image. 

Que  tout  plaît  en  ces  lieux  i  mes  sens  étonnés.! 
D'un  tranquille  océan  l'eau  pure  et  transparente 
Baigne  les  bords  fleuris  de  ces  champs  fortunés  ; 
D'innombrables  coteaux  ces  champs  .sont  couron- 
Bacchus  les  embellit;  leur  insensible  pente  [nés  ; 
Vous  conduit  par  degrés  à  ces  monts  merveilleux 
Qui  pressent  les  enlers  et  qui  fejident  les  cieux. 
Le  voilà  ce  théâtre  et  de  neige  et  de  gloire, 
Eternel  boulevard  qui  n'a  point  garanti 

Des  Lombards  le  beau  territoire. 
Voilà  ces  monts  affreux,  célébrés  dans  l'histoire. 
Ces  monts  qu'ont  traversés,  par  un  vol  si  hardi. 
Les  Charles,  les  Othon,  Catinat  et  Conti, 

Sur  les  ailes  de  la  victoire. 


LYRIQUE  (GENRE)        —1238—         LYRIQUE  (GENRE) 


Que  le  chantre  flatteur  du  tyran  des  Romains, 
L'auteur  harmoiiipux  des  douces  Géorgiques 
Ne  chaîne  plus  ces  lacs  et  leurs  bords  magnifiques, 
Ces  lacs  que  la  nature  a  creusés  de  ses  mains 

Dans  les  campagnes  italiques. 
Mon  lac  est  le  premier  :  c'est  sur  ses  bords  heu- 
Qu'habite  des  humains  la  déesse  éternelle,    [reux 
L'àme  des  grands  travaux,  l'objet  des  nobles  vœux. 
Que  tout  mortel  embrasse,  ou  désire,  ou  rappelle, 
Qui  vil  dans  tous  les  cœurs,  et  dont  le  nom  sacré 
Dans  les  cours  des  tyrans  est  tout  bas  adoré, 
La  liberté  !  J'ai  vu  celte  déesse  altièrc, 
Avec  égalité  répandant  tous  les  biens. 
Descendre  de  Moral  en  habit  de  guerrière, 
Les  mains  teintes  du  sang  des  fiers  Autrichiens 

Et  de  Charles  le  Téméraire. 
Devant  rlle  on  portait  ces  piques  et  ces  dards. 
On  traînait  ces  canons,  ces  échelles  fatales. 
Qu'elle-même  brisa,  quand  ses  mains  triomphales 
De  Genève  en  danger  défendaient  les   remparts. 
Un  peuple  entier  la  suit  :  sa  naïve  allégresse 
Fait  atout  l'Apennin  répéter  ses  clameurs; 
Leurs  fronts  sont  couronnés  de  ces  fleurs  que  la 

[Grèce 
Aux  champs  de  Marathon  prodiguait  aux  vain- 
(queurs. 
C'est  là  leur  diadème;  ils  en  font  plus  de  compte 
Que  d'un  cercle  à  fleurons  de  marquis  oude  comte. 
Et  des  larges  mortiers  à  grands  bords  abattus. 
Et  de  ces  mitres  d'or  aux  deux  sommets  pointus. 
On  ne  voit  point  ici  la  grandeur  insultante 

Portant  de  l'épaule  au  coté 

Un  ruban  que  la  Vanité 

A  tissu  de  sa  main  brillante; 

Ni  la  Fortune  insolente 

Repoussant  avec  fierié 

La  prière  humble  et  tremblante 

De  la  triste  Pauvreté. 
On  n'y  méprise  point  les  travaux  nécessaires  ; 
Les  éiats  sont  égaux,  et  les  hommes  sont  frères. 
Liberlé,  liberté,  ton  trône  est  en  ces  lieux. 
La  Grèce  où  tu  naquis  l'a  pour  jamais  perdue, 

Avec  ses  sages  et  ses  dieux. 
Rome  depuis  Brulus  ne  t'a  jamais  revue. 
Chez  vingt  peuples  polis  i  peine  es-tu  connue. 
Le  Sarmate  à  cheval  t'embrasse  avec  fureur  ; 
Mais  le  bourgeois  à  pied,  rampant  dans  l'esclavage. 
Te  regarde,  soupire  et  meurt  dans  la  douleur. 
L'Anglais,  pour  te  garder,  signala  son  courage; 
Mais  on  prétend  qu'à  Londre  on  te  vend  quelque- 

[fois  ; 
Non,  je  ne  le  crois  point;  ce  peuple  fier  et  sage 
Te  paya  de  son  sang,  et  soutiendra  les  droits. 
Aux  marais  du  Batave  on  dit  que  tu  chancelles  ; 
Tu  peux  te  rassurer  :  la  race  des  Nassaux, 
Qui  dressa  sept  autels  à  tes  lois  immortelles. 

Maintiendra  de  ses  mains  fidèles 

El  tes  honneurs,  et  tes  faisceaux. 
Venise  te  conserve,  et  Gênes  t'a  reprise. 
Tout  à  cùté  du  trône  à  Stockholm  on  t'a  mise; 
Un  si  beau  voisinage  est  souvent  dangereux. 
Préside  à  tout  Etal  où  la  loi  t'autorise, 

Et  restes-y  si  tu  le  peux. 


Embellis  ma  retraite  où  l'amitié  t'appelle; 
Sur  de  simples  gazons  viens  l'asseoir  avec  elle. 
Elle  fuit  comme  toi  les  vanités  des  cours. 
Les  cabales  du  monde,  et  son  règne  frivole. 
G  deux  divinités  !  vous  êtes  mon  recours  ; 
L'une  élève  mon  àme,  et  l'autre  la  console; 
Présidez  à  mes  derniers  jours. 

'Voltaire  (1"65). 


LA  JEDNE  TARENTINE. 


Pleurez,  doux  alcyons!  ô  vous,  oiseaux  sacrés. 
Oiseaux  chers  à  Thétis,  doux  alcyons,  pleurez  ! 


Elle  a  vécu,  Myrto,  la  jeune  Tarentine  ! 

Un  vaisseau  la  portait  aux  bords  de  Camarine  : 

Là,  l'hymen,  les  chansons,  les  flûtes,  lentement 

Devaient  la  reconduire  au  seuil  de  son  amant. 

Une  clef  vigilante  a  pour  celte  journée. 

Sous  le  cèdre  enfermé  sa  robe  d'hyménée, 

Et  l'or  dont  au  festin  ses  bras  seront  parcs. 

Et  pour  ses  blonds  cheveux  les  parfums  préparés. 

Mais,  seule  sur  la  proue,  invoquant  les  étoiles. 

Le  vent  impétueux  qui  soufflait  dans  ses  voiles 

L'enveloppe  :  étonnée,  et  loin  des  matelots, 

Elle  tombe,  elle  crie,  elle  est  au  sein  des  flots. 

Elle  est  au  sein  des  flots,  la  jeune  Tarentine! 
Son  beau  corps  a  roulé  sous  la  vague  marine. 
Thétis,  les  yeux  en  pleurs,  dans  le  creux  d'un  rocher. 
Aux  monstres  dévorants  eut  soin  de  le  cacher. 
Par  son  ordre  bientôt  les  belles  Néréides 
S'élèvent  au-dessus  des  demeures  humides. 
Le  poussent  au  rivage,  et  dans  ce  monument 
L'ont  au  cap  du  Zéphyr  déposé  mollement  ; 
Et  de  loin,  à  grands  cris  appelant  leurs  compagnes, 
Et  les  nymphes  des  bois,  des  sources, des  montagnes, 
Toutes,  frappant  leur  sein  et  traînant  un  long  deuil, 
Répétèrent,  hélas,  autour  de  son  cercueil  : 

«  Hélas  !  chez  ton  amant  tu  n'es  point  ramenée, 
Tu  n'as  point  revêtu  ta  robe  d'hyménée. 
L'or  autour  de  ton  bras  n'a  point  serré  de  nœuds, 
Et  le  bandeau  d'hymen  n'orna  point  tes  cheveux  !  » 
Andbé  Chénieh  (mort  en  nU4). 

LE  VAISSEAU  le  Veiigeitr. 

Au  sommet  glacé  du  Rhodope 
Qu'il  soumit  tant  de  fois  à  ses  accords  touchants, 
Par  de  timides  sons  le  fils  de  Calliope 

Ne  préludait  point  à  ses  chants. 

Plein  d'une  audace  pindarique. 
Il  faut  que  des  hauteurs  du  sublime  Hélicon 
Le  premier  trait  que  lance  un  poète  lyrique 

Soit  une  flèche  d'Apollon. 

L'Etna,  géant  incendiaire. 
Qui  d'un  front  embrase  fend  la  voûte  des  airs, 
Dédaigne  ces  volcans  dont  la  froide  colère 

S'épuise  en  stériles  éclairs. 

A  peine  sa  fureur  commence, 
C'est  un  vaste  incendie  et  des  fleuves  brûlants. 
Qu'il  est  beau  de  courroux,  lorsque  sa  bouche  im- 

Vomit  leurs  flots  élincelants  !  [mense 

Tel  éclate  un  libre  génie. 
Quand  il  lance  aux  tyrans  les  foudres  de  sa  voix; 
Telle  à  flots  indomptés  sa  brûlante  harmonie 

Entraîne  les  sceptres  des  rois. 

Toi  que  je  chante  et  que  j'adore, 
Dirige,  ô  libert',  mon  vaisseau  dans  son  cours. 
Moins  de  vents  orageux  tourmentent  le  Bosphore 

Que  la  mer  terrible  où  je  cours. 

Argo,  la  nef  à  voix  humaine, 
Qui  mérita  l'Olympe  et  luit  au  front  descieui. 
Quel  que  fût  le  succès  de  sa  course  lointaine, 

Prit  un  vol  moins  audacieux. 

Vainqueur  d'Eole  et  des  Pléiades, 
Je  sens  d'un  souffle  heureux  mon  navire  emporté  ; 
11  échappe  aux  écueils  des  trompeuses  Cyclades, 

Et  vogue  à  l'immortalité. 

Mais  des  flots  fût-il  la  victime. 
Ainsi  que  le  Vengeur  il  est  beau  de  périr  : 
Il  est  beau,  quand  le  sort  vous  plonge  dans  l'abîme, 

De  paraître  le  conquérir. 

Trahi  par  le  sort  infidèle, 
Comme  un  lion  pressé  de  nombreux  léopards, 
Seul  au  milieu  de  tous,  sa  fureur  étincelle; 

Il  les  combat  de  toutes  parts. 


LYRIQUE  (GENRE) 


1239  —         LYRIQUE  (GENRE) 


L'airain  lui  déclare  la  guerre; 
Le  fer,  l'onde,  la  flamme  entourent  ses  héros. 
Sans  doute  ils  triompliaient  ;  mais  leur  dernier  ton- 

Vient  de  s'éteindre  dans  les  flots.         [nerre 

Captifs,  la  vie  est  un  outrage  : 
Ils  profèrent  le  goufl're  h  ce  bienfait  honteux. 
L'Aiiglais,  en  frémissant,  admire  leur  courage; 

Albion  pâlit  devant  eux. 

Plus  fiers  d'une  mort  infaillible, 
Sans  peur,  sans  désespoir,  calmes  dans  leurs  com- 
De  ces  républicains  l'ànie  n'est  plus  sensible    [bats. 

Qu'à  l'ivresse  d'un  beau  trépas. 

Près  de  se  voir  réduits  en  poudre. 
Ils  défendent  leurs  bords  enflammés  et  sanglants. 
Voyez-les  délier  et  la  vague  et  la  foudre. 

Sous  des  mâts  rompus  et  brûlants  ! 

Voyez  ce  drapeau  tricolore 
Qu'élève  en  périssant  leur  courage  indompté; 
Sous  le  flot  qui  les  couvre,  entendez-vous  encore 

Ce  cri  :  Vive  la  hberté  ! 

Ce  cri,  c'est  en  vain  qu'il  expire, 
Fitoufl'é  par  la  mon  et  par  les  flots  jaloux  : 
Sans  cesse  il  revivra,  répété  par  ma  lyre  ; 

Siècles,  il  planera  sur  vous  ! 

Et  vous,  héros  de  Salamine, 
Dont  Téthys  vante  encor  les  exploits  glorieux. 
Non,  vous  n'égalez  point  cette  auguste  ruine, 

Ce  naufrage  victorieux. 

Ecouciiard-Lebrun  (mort  en  180"). 

LA  PBOMENADE. 


Roule  avec  majesté  tes  ondes  fugitives, 

Seine;  jainie  à  rêver  sur  tes  paisibles  rives. 

En  laissant  comme  toi  la  reine  des  cités. 

Ah  !  lorsque  la  Nature,  h  mes  yeux  attristés. 

Le  front  orné  de  fleurs,  brille  en  vain  renaissante; 

Lorsque  du  renouveau  l'haleine  caressante 

Rafraîchit  l'univers  de  jeunesse  paré. 

Sans  ranimer  mon  front  pâle  et  décoloré; 

Du  moins,  auprès  de  toi  que  je  retrouve  encore 

Ce  calme  inspirateur  que  le  poète  implore. 

Et  la  mélancolie  errante  au  bord  des  eaux. 

Jadis,  il  m'en  souvient,  du  fond  do  leurs  roseaux, 

Les  nymphes  répétaient  le  chant  plaintif  et  tendre 

Qu'aux  échos  de  Passy  ma  voix  faisait  entendre. 

Jours  heureux  !  temps  lointain,  mais  jamais  oublié, 

Où  les  arts  consolants,  où  la  douce  amitié. 

Et  tout  ce  dont  le  charme  intéresse  à  la  vie, 

Egayaient  mes  destins  ignorés  de  l'envie  I 


Saint-Cloudjje  t'aperçois;  j'ai  vu, loin  de  tes  rives. 
S'enfuir  sous  les  roseaux  tes  naïades  plaintives; 
J'imite  leur  exemple,  et  je  fuis  devant  toi  : 
L'air  de  la  servitude  est  trop  posant  pour  moi, 
A  mes  yeux  éblouis  vainement  tu  présentes 
De  tes  bois  toujours  verts  les  masses  imposantes, 
Tes  Jardins  prolongés  qui  bordent  ces  coteaux. 
Et  qui  semblent  de  loin  suspendus  sur  les  eaux: 
Désormais  je  n'y  vois  que  la  tngo  avilie 
Sous  la  main  du  guerrier  qu'admira  l'Italie. 
Des  champêtres  plaisirs  tu  n'es  plus  le  séjour: 
Ah!  de  la  liberté  tu  vis  le  dernier  jour! 
Dix  ans  d'etVorts  pour  elle  ont  produit  l'esclavage  I 
Un  Corse  a  des  Français  dévoré  l'héritage  I 
Elite  des  héros  au  combat  moissonnés. 
Martyrs  avec  la  gloire  à  l'échafaud  traînés. 
Vous  tombiez  satisfaits  dans  ujie  autre  espérance  ! 
Trop  de  sang,  trop  de  pleurs  ont  inondé  la  France; 
De  ces  pleurs,  de  ce  sang  un  homme  est  l'héritier! 
Aujourd'hui   dans  un  homme  un   peuple  est  tout 
Tel  est  le  fruit  amer  des  discordes  civiles,  [entier  ! 
Mais  les  fers  ont-ils  pu  trouver  des  mains  serviles? 


Les  Français  de  leurs  droits  ne  sont-ils  plus  jaloux? 
Cet  homme  a-t-il  pensé  que,  vainqueur  avec  tous, 
Il  pouvait,  malgré  tous,  envahir  leur  puissance  '? 
Déserteur  de  l'Egypte,  a-l-il  conquis  la  France'? 
Jeune  imprudent,  arrête  :  où  donc  est  l'ennemi! 

Si  dans  l'art  des  tyrans  tu  n'es  pas  affermi 

Vains  cris!  plus  de  sénat;  la  république  expire; 
Sous  un  nouveau  Cromwell  naît  un  nouvel  empire. 
Hélas!  le  malheureux,  sur  ce  bord  enchanté. 
Ensevelit  sa  gloire  avec  la  liberté. 

Crédule,  j'ai  longtemps  célébré  ses  conquêtes; 
Au  forum,  au  sénat,  dans  nos  jeux,  dans  nos  fêtes. 
Je  proclamais  son  nom,  je  vantais  ses  exploits. 
Quand  ses  lauriers  soumis  se  courbaient  sous  les 
ijuand,  simple  citoyen,  soldat  du  peuple  libre,  [lois, 
Aux  bords  de  l'Eridan,  de  l'Adige  et  du  Tibre, 
Foudroyant  tour  h.  tour  quelques  tyrans  pervers, 
Des  nations  en  pleurs  sa  main  brisait  les  fers; 
Ou  quand  son  noble  exil  aux  sables  de  Syrie 
Des  palmes  du  Liban  couronnait  sa  patrie. 
JVIais,  lorsqu'on  fugitif  regagnant  ses  foyers. 
Il  vint  contre  l'empire  échanger  les  lauriers, 
Je  n'ai  point  caressé  sa  brillante  infamie; 
Ma  voix  des  oppresseurs  fut  toujours  ennemie; 
Et  tandis  qu'il  voyait  des  flots  d'adorateurs 
Lui  vendre  avec  l'Etat  leurs  vers  adulateurs, 
Le  tyran  dans  sa  cour  remarqua  mou  absence  : 
Car  je  chante  la  gloire,  et  non  pas  la  puissance. 


Le  troupeau  se  rassemble  h  la  voix  des  bergers  ; 
J'entends  frémir  du  soir  les  insectes  légers; 
Des  nocturnes  zéphyrs  je  sens  la  douce  haleine  ; 
Le  soleil  do  ses  feux  ne  rougit  plus  la  plaine  ; 
Et  cet  astre  plus  doux,  qui  luit  au  liaut  des  cieux, 
Argenté  mollement  les  flots  silencieux. 
Mais  une  voix  qui  sort  du  vallon  solitaire 
Mo  dit:  Viens;  tes  amis  ne  sont  plus  sur  la  terre; 
Viens  ;  tu  veux  rester  libre,  et  le  peuple  est  vaincu. 
Il  est  vrai  :  jeune  encor,  j'ai  déjà  trop  vécu. 
L'espérance  lointaine  et  les  vastes  pensées 
Embellissaient  mes  nuits  tranquillement  bercées  ; 
A  mon  esprit  déçu,  facile  à  prévenir. 
Des  mensonges  riants  coloraient  l'avenir. 
Flatteuse  illusion,  tu  m'es  bientôt  ravie! 
Vous  m'avez  délaissé,  doux  rêves  de  la  vie  ; 
Plaisir,  gloire,  bonheur,  patrie  et  liberté. 
Vous  fuyez  loin  d'un  cœur  vide  et  désenchanté. 
Les  travaux,  les  chagrins  ont  doublé  mes  années; 
Ma  vie  est  sans  couleur;  et  mes  pâles  journées, 
M'offrent  de  longs  ennuis  l'enchaînement  certain, 
Lugubre  comme  un  soir  qui  n'eut  pas  de  matin. 
Je  vois  le  but,  j'y  touche,  et  j'ai  soif  de  l'atteindre  ; 
Le  feu  (|ui  me  brûlait  a  besoin  de  s'éteindre; 
Ce  qui  m'en  reste  encor ti'est  qu'un  morne  flambeau 
Eclairant  h  mes  yeux  le  chemin  du  tombeau. 
Que  je  repose  en  paix  sous  le  gazon  rustique, 
Sur  les  bords  du  ruisseau  pur  et  mélancolique  ! 
Vous,  amis  des  humains,  et  des  champs,  et  des  vers. 
Par  un  doux  souvenir  peuplez  ces  lieux  déserts; 
Suspendez  aux  tilleuls  qui  forment  ces  bocages 
Mes  derniers  vêtements  mouillés  de  tant  d'orages; 
Là  quelquefois  encor  daignez  vous  rassembler; 
Là  prononcez  l'adieu:  que  je  sente  couler 
Sur  le  sol  enfermant  mes  cendres  endormies 
Des  mots  partis  du  cœur  et  des  larmes  amies  ! 
M.-J.  Chénier  (mort  en  1811.) 

LA  SAINTE-ALLIANCE    DES   PEUPLES. 

J'ai  vu  la  Paix  descendre  sur  la  terre. 
Semant  de  l'or,  des  fleurs  et  des  épis. 
L'air  était  calme,  et  du  dieu  de  la  guerre 
Elle  étouft'ait  les  foudres  assoupis. 
Il  Ah  !  disait-elle,  égaux  par  la  vaillance. 
Français,  Anglais,  Belge,  Russe  ou  Germain 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance. 
Et  donnez-vous  la  main. 


LYRIQUE    (GENRE)         —  1240  —       LYRIQUE   (GENRE) 


m  Pauvres  mortels,  tant  de  haine  vous  lasse  : 
Vous  ne  goûtez  qu'un  pénible  sommeil. 
D'un  globe  étroit  divisez  mieux  l'espace  ; 
Chacun  de  vous  aura  place  au  soleil. 
Tous  attelés  au  char  de  la  puissance, 
Du  vrai  bonheur  vous  quittez  le  chemin. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance, 
Et  donnez-vous  la  main. 

»  Cliez  vos  voisins  vous  portez  l'incendie; 
L'aquilon  souffle,  et  vos  toits  sont  brûlés, 
Et  quand  la  terre  est  enfin  refroidie 
Le  soc  languit  sous  des  bras  mutilés. 
Près  de  la  borne  où  chaque  Etat  commence 
Aucun  épi  n'est  pur  de  sang  humain. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance, 
Et  donnez-vous  la  main. 

»  Des  potentats,  dans  vos  cités  en  flammes. 
Osent  du  bout  de  leur  sceptre  insolent 
Marquer,  compter  et  recompter  les  âmes 
Que  leur  adjuge  un  triomphe  sanglant. 
Faibles  troupeaux,  vous  passez  sans  défense 
D'un  joug  pesant  sous  un  joug  inhumain. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance. 
Et  donnez-vous  la  main. 

»  Que  Mars  en  vain  n'arrête  point  sa  course  ; 
Fondez  des  lois  dans  vos  pays  souffrants. 
De  votre  sang  ne  livrez  plus  la  source 
Aux  mis  ingrats,  aux  vastes  conquérants. 
Des  astres  faux  conjurez  l'influence  ; 
Effroi  d'un  jour,  ils  pâliront  demain. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance, 
El  donnez-vous  la  main. 

»  Oui,  libre  enfin,  que  le  monde  respire; 
Sur  le  passé  jetez  un  voile  épais. 
Semez  vos  champs  aux  accords  de  la  lyre  ; 
L'encens  des  arts  doit  brûler  pour  la  paix. 
L'espoir  riant,  au  sein  de  l'abondance. 
Accueillera  les  doux  fruits  de  l'hymen. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance. 
Et  donnez-vous  la  main.  » 

Ainsi  parlait  cette  vierge  adorée. 
Et  plus  d'un  roi  répétait  ses  discours. 
Comme  au  printemps  la  terre  était  parée  : 
L'automne  en  fleurs  rappelait  les  amours. 
Pour  l'étranger,  coulez,  bons  vins  de  France  ; 
De  sa  frontière  il  reprend  le  chemin. 
Peuples,  formez  une  sainte  alliance. 
Et  donnez-vous  la  main. 

BÉRANGER  (1818). 

LE  VKVX  SERGENT. 

Près  du  rouet  de  sa  fille  chérie. 

Le  vieux  sergent  se  distrait  de  ses  maux. 

Et,  d'une  main  que  la  balle  a  meurtrie. 

Berce  en  riant  deux  petits-fils  jumeaux. 

Assis  tranquille  au  seuil  du  toit  champêtre. 

Son  seul  refuge  après  tant  de  combats, 

Il  dit  parfois  :  «  Ce  n'est  pas  tout  de  naître  ; 

Dieu,  mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas  ! 

Mais  qu'entend-il I  le  tambour  qui  résonne; 
Il  voit  au  loin  passer  un  bataillon  ; 
Le  sang  remonte  à  son  front  qui  grisonne  ; 
Le  vieux  coursier  a  senti  l'aiguillon. 
[    Hélas!  soudain  tristement  il  s'écrie  : 
II  C'est  un  drapeau  que  je  ne  connais  pas. 
Ah  !  si  jamais  vous  vengez  la  patrie. 
Dieu,  mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas  !  » 

»  Qui  nous  rendra,  dit  cet  homme  liéroîque. 

Aux  bords  du  Rhin,  i  Jemmapes,  à  Fleurus 

Ces  paysans,  fils  delà  Bépiiblique, 

Sur  la  frontière  à  sa  voix  accourus. 

Pieds  nus,  sans  pain,  sourds  aux  lâches  alarmes. 

Tous  à  la  gloire  allaient  d'un  même  pas. 


Le  Rhin  lui  seul  peut  retremper  nos  armes. 
Dieu,  mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas  ! 

»  De  quel  éclat  brillaient  dans  la  bataille 
Ces  habits  bleus  par  la  victoire  usés  ! 
La  liberté  mêlait  à  la  mitraille 
Des  fers  rompus  et  des  sceptres  brisés. 
Les  nations,  reines  par  nos  conquêtes, 
Ceignaient  de  fleurs  le  front  de  nos  soldats. 
Heureux  celui  qui  mourut  dans  ces  fêtes! 
Dieu,  mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas! 

»  Tant  de  vertu  trop  tôt  fut  obscurcie  : 

Pour  s'anoblir  nos  chefs  sortent  des  rangs  ; 

Par  la  cartouche  encor  toute  noircie, 

Leur  bouche  est  prête  à  flatter  les  tyrans. 

La  liberté  déserte  avec  ses  armes. 

D'un  trône  à  l'autre  ils  vont  offrir  leurs  bras; 

A  notre  gloire  on  mesure  nos  larmes. 

Dieu, mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas!  » 

Sa  fille  alors,  interrompant  sa  plainte. 
Tout  en  filant,  lui  chante  à  demi-voix 
Ces  airs  proscrits  qui.  les  frappant  de  crainte, 
Ont  en  sursaut  réveillé  tous  les  rois. 
't  Peuple,  à  ton  tour,  que  ces  chants  te  réveillent  : 
11  en  est  temps  !  «  dit-il  aussi  tout  bas. 
Puis  il  répète  à  ses  fils  qui  sommeillent  : 
"Dieu,  mes  enfants,  vous  donne  un  beau  trépas!  a 
BÉRANGER  (1823j. 


Ainsi,  toujours  poussés  vers  de  nouveaux  rivages. 
Dans  la  nuit  éternelle  emportés  sans  retour, 
Ne  pourrons-nous  jamais,  sur  l'océan  des  âges. 
Jeter  l'ancre  un  seul  jour  ? 

0  lac  !  l'année  à  peine  a  fini  sa  carrière. 
Et  près  des  flots  chéris  qu'elle  devait  revoir, 
Regarde  !  je  viens  seul  m'asscoir  sur  cette  pierre 
Où  tu  la  vis  s'asseoir  ! 

Tu  mugissais  ainsi  sous  ces  roches  profondes; 
Ainsi  tu  te  brisais  sur  leurs  flancs  déchirés; 
Ainsi  le  vent  jetait  l'écume  de  tes  ondes 
Sur  ses  pieds  adorés. 

Un  soir,  t'en  souvient-il?  nous  voguions  en  silence; 
On  n'entendaitau  loin,  sur  l'onde  et  sous  les  cieux, 
Que  le  bruit  des  rameurs  qui  frappaient  en  cadence 
Tes  flots  harmonieux. 

Tout  à  coup  des  accents,  inconnus  à  la  terre, 
Du  rivage  charme  frappèrent  les  échos  : 
Le  flot  fut  attentif,  et  la  voix  qui  m'est  chère 
Laissa  tomber  ces  mots  : 

(1  O  temps,  suspends  ton  vol!  et  vous,  heures  pro- 
Suspendez  votre  cours  ?  [pices, 

Laissez-nous  savourer  les  rapides  délices 
Des  plus  beaux  de  nos  jours  ! 

»  Assez  de  malheureux  ici-bas  vous  implorent. 

Coulez,  coulez  pour  eux; 
Prenez  avec  leurs  jours  les  soins  qui  les  dévorent; 

Oubliez  les  heureux. 

»  Mais  je  demande  en  vain  quelques  moments  en- 
Le  temps  m'échappe  et  fuit;  [core. 

Je  dis  à  cette  nuit  ;  sois  plus  lente;  et  l'aurore 
Va  dissiper  la  nuit. 

1)  Aimons  donc,  aimons  donc  !  de  l'heure  fugitive, 

Hâtons-nous,  jouissons! 
L'homme  n'a  point  de  port,  le  temps  n'a  point  de 

11  coule,  et  nous  passons!  »  [rive; 

Temps  jaloux,  se  peut-il  que  ces  momentsd'ivresse 
Où  l'amour  à  longs  flots  nous  verse  le  bonheur, 
S'envolent  loin  de  nous  de  la  même  vitesse 
Que  les  jours  de  malheur? 


LYRIQUE  (GENRE)         —  1241  —         LYRIQUE  (GENRE) 


Hé  quoi  !  n'en  pourrons-nous  fixer  au  moins  la  trace! 
Quoi  1  passes  pourjamais?quoi  !  toutentiersperdus? 
Ce  temps  qui  les  donna,  ce  temps  qui  les  efface, 
Ne  nous  les  rendra  plus  ? 

Eternité,  néant,  passé,  sombres  abîmes, 
Que  faites-vous  des  jours  que  vous  engloutissez? 
Parlez,  nous  rendrez-vous  ces  extases  sublimes 
Que  vous  nous  ravissez? 

O  lac  I  rochers  muets  !  grottes  I  forêt  obscure  I 
Vous  que  le  temps  épargne  et  qu'il  peut  rajeunir. 
Gardez  de  cette  nuit,  gardez,  belle  Nature, 
Au  moins  le  souvenir  1 

Qu'il  soit  dans  ton  repos,  qu'il  soit  dans  tes  orages, 
Beau  laCj  elTdaiis  l'aspect  de  teif  riântS  coteaux. 
Et  dans  ces  noirs  sapins,  et  dans  ces  rocs  sauvages 
Qui  pendent  sur  tes  eaux  1 

Qu'il  soit  dans  le  zéphyr  qui  frémit  et  qui  passe, 

Dans  les  bruits  de  tes  bords  par  tes  bords  répétés, 

Dans  l'astre  an  front  d'argent  qui  blanchit  ta  sur- 

De  ses  molles  clartés  1  [face 

Que  le  vent  qui  gémit,  le  roseau  qui  soupire, 
Que  les  parfums  légers  de  ton  air  embaumé. 
Que  tout  ce  qu'on  entend,  l'on  voit  ou  l'on  respire. 
Tout  dise  :  ils  ont  aimé! 

Lamartine  (Méditations  poétiques). 

Le   CHENE. 

Voilà  ce  chêne  solitaire 

Dont  le  rocher  s'est  couronné  : 

Parlez  à  ce  tronc  séculaire, 

Demandez  comment  il  est  né. 
Un  gland  tombe  de  l'arbre  et  roule  sur  la  terre  ; 
L'aigle  à  la  serre  vide,  en  quittant  les  vallons. 
S'en  saisit  en  jouant  et  l'emporte  à  son  aire, 
Pour  aiguiser  le  bec  i  ses  jeunes  aiglons; 
Bientôt  du  nid  désert  qu'emporte  la  tempête 
Il  roule  confondu  dans  les  débris  mouvants. 
Et  sur  la  roche  nue  un  grain  de  sable  arrête 
Celui  qui  doit  un  jour  rompre  l'aile  des  vents. 

L'été  vient,  l'aquilon  soulève 
La  poudre  des  sillons,  qui  pour  lui  n'est  qu'un  jeu, 
Et  sur  le  germe  éteint  où  couve  encor  la  sève 

En  laisse  retomber  un  peu. 

Le  printemps,  de  sa  tiède  ondée 

L'arrose  comme  avec  la  main  ; 

Cette  poussière  est  fécondée, 

Et  la  vie  y  circule  enfin. 
La  vie  1  Ace  seul  mot  tout  œil,  toute  pensée, 
S'inclinent  confondus  et  n'osent  pénétrer; 
Au  seuil  de  l'Infini  c'est  la  borne  placée. 
Où  la  sage  ignorance  et  l'audace  insensée 

Se  rencontrent  pour  adorer  I 

Il  vit,  ce  géant  des  collines; 
Mais  avant  de  paraître  au  jour, 
Il  se  creuse  avec  ses  racines 
Des  fondements  comme  une  tour. 
11  sait  quelle  lutte  s'apprête. 
Et  qu'il  doit  contre  la  tempête 
Chercher  sous  la  terre  un  appui  ; 
Il  sait  que  l'ouragan  sonore 
L'attend  au  jour....  ou  s'il  l'ignore. 
Quelqu'un  du  moins  le  sait  pour  lui! 

Ainsi,  quand  le  Jeune  navire 
Où  s'élancent  les  matelots. 
Avant  d'affronter  son  empire 
Veut  s'apprivoiser  sur  les  flots, 
Laissant  filer  son  vaste  câble. 
Son  ancre  va  chercher  le  sable 
Jusqu'au  fond  de  vallons  mouvants. 
Et  sur  ce  fondement  mobile 
Il  balance  son  mât  fragile, 
Et  dort  au  vain  roulis  des  vents. 


Il  vit  !  Le  colosse  superbe 

Qui  couvre  un  arpent  tout  entier. 

Dépasse  à  peine  le  brin  d'herbe 

Que  le  moucheron  fait  plier. 

Mais  sa  feuille  boit  la  rosée; 

La  racine  fertilisée 

Grossit  comme  une  eau  dans  son  cours; 

Et  dans  son  cœur  qu'il  fortifie 

Circule  un  sang  ivre  de  vie. 

Pour  qui  les  siècles  sont  des  jours. 

Les  sillons,  où  les  blés  jaunissent 
Sous  les  pas  changeants  des  saisons, 
Se  dépouillent  et  se  vêtissent 
Comme  un  troupeau  de  ses  toisons  ; 
Le  fleuve  nait,  gronde  et  s'écoule; 
La  tour  monte,  vieillit,  s'écroule; 
L'hiver  effeuille  le  granit; 
Des  générations  sans  nombre   •     ■     • 
Vivent  et  meurent  sous  son  ombre: 
Et  lui  ?  voyez,  il  rajeunit  I 

Son  tronc  que  l'écorce  protège. 
Fortifié  par  mille  nœuds, 
Pour  porter  sa  feuille  ou  sa  neige 
S'élargit  sur  ses  pieds  noueux; 
Ses  bras  que  le  temps  multiplie. 
Comme  un  lutteur  qui  se  replie 
Pour  mieux  s'élancer  en  avant. 
Jetant  leurs  coudes  en  arrière. 
Se  recourbent  dans  la  carrière, 
Pour  mieux  porter  le  poids  du  vent. 

Et  son  vaste  et  pesant  feuillage, 
Répandant  la  nuit  alentour. 
S'étend,  comme  un  large  nuage. 
Entre  la  montagne  et  le  jour; 
Comme  de  nocturnes  fantômes. 
Les  vents  résonnent  dans  ses  dômes; 
Les  oiseaux  y  viennent  dormir, 
Et  pour  saluer  la  lumière 
S'élèvent  comme  une  poussière, 
Si  la  feuille  vient  à  frémir. 

La  nef  dont  le  regard  implore 

Sur  les  mers  un  phare  certain, 

Le  voit,  tout  noyé  dans  l'aurore, 

Pyramider  dans  le  lointain. 

Le  soir  fait  pencher  sa  grande  ombre 

Des  flancs  do  la  colline  sombre 

Jusqu'au  pied  des  derniers  coteaux. 

Un  seul  des  cheveux  de  sa  tête 

Abrite  contre  la  tempête 

Et  le  pasteur  et  les  troupeaux. 

Et  pendant  qu'au  vent  des  collines 

Il  berce  ses  toits  habités. 

Des  empires  dans  ses  racines, 

Sous  son  écoroe  des  cités; 

Lh,  près  des  ruches  dos  abeilles, 

Arachné  tisse  ses  merveilles. 

Le  serpent  siffle,  et  la  fourmi 

Guide  à  ses  conquêtes  de  sables 

Les  multitudes  innombrables 

Qu'écrase  un  lézard  endormi. 

Et  ces  torrents  d'âme  et  de  vie. 

Et  ce  mystérieux  sommeil, 

Et  cette  sève  rajeunie 

Qui  remonte  avec  le  soleil  ; 

Cette  intelligence  divine 

Qui  pressent,  calcule,  devine 

Et  s'organise   pour  sa  fin; 

Et  cette  force  qui  renferme 

Dans  un  gland  le  germe  du  germe 

D'êtres  sans  nombre  et  sans  fin; 

Et  ces  mondes  de  créatures 

Qui,  naissant  et  vivant  de  lui, 

Y  puisent  êire  et  nourritures 

Dans  les  siècles  comme  aujourd'hui  ; 


LYRIQUE  (GENRE) 


Tout  cela  n'est  qu'un  gland  fragile 
Qui  tombe  sur  le  roc  siérile, 
Du  bec  de  l'aigle  ou  du  vautour  ; 
Ce  n'est  qu'une  aride  poussière 
Que  le  vent  sème  en  sa  carrière, 
Et' qu'échauffe  un  rayon  du  jour! 

Et  moi,  je  dis:  Seigneur,  c'est  toi  seul,  c'est  ta  force. 
Ta  sagesse  et  ta  volonté 
Ta  vie  et  ta  fécondité  ; 
Ta  prévoyance  et  ta  bonté  ! 
Le  ver  trouve  ton  nom  gravé  sous  son  écorce. 
Et  mon  œi!,  dans  sa  masse  et  son  éternité. 

LAMAnTixE   (1826.  Hat-iiiunies  poétiques 
et  religieuses). 

LA  NUIT  DE  MAI  (fragment). 


—  1242  —         LYRIQUE  (GENRE) 

L'homme  n'écrit  rien  sur  le  sable 
A  l'heure  où  passe  l'aquilon. 
J'ai  vu  le  temps  où  ma  jeunesse 
Sur  mes  lèvres  était  sans  cesse 
Prête  à  chanter  comme  un  oiseau  ; 
Mais  j'ai  souffert  un  dur  martyre, 
Et  le  moins  que  j'en  pourrais  dire. 
Si  je  l'essayais  sur  ma  lyre, 
La  briserait  comme  un  roseau. 

Alfked  de  Jli'SsET  (mort  en  1857). 

LA  MORT  DU  LOUP  (fragment). 
I 


La  muse. 

Crois-tu  donc  que  je  sois  comme  le  vent  d'automne, 
Qui  se  nourrit  de  pleurs  jusque  sur  un  tombeau, 
Et  pour  qui  la  douleur  n'est  qu'une  goutte  d'eau'? 
O  poète!  un  baiser,  c'est  moi  qui  te  le  donne. 
L'herbe  que  je  voulais  arracher  de  ce  lieu. 
C'est  ton  oisiveté  ;  ta  douleur  est  à  Dieu. 
Quel  que  soit  le  souci  que  ta  jeunesse  endure, 
Laisse-la  s'élargir,  cette  sainte  blessure 
Que  les  noirs  séraphins  t'ont  faite  au  fond  du  cœur  ; 
Rien  ne  nous  rend  si  grands  qu'une  grande  douleur. 
Mais  pour  en  être  atteint,  ne  crois  pas,   ô  poète. 
Que  ta  voix  ici-bas  doive  rester  muette. 
Les  plus  désespérés  sont  les  chants  les  plus  beaux. 
Et  j'en  sais  d'immortels  qui  sont  de  purs  sanglots. 
Lorsque  le  pélican,  lassé  d'un  long  voyage. 
Dans  les  brouillards  du  soir   retourne    à  ses  ro- 
Ses  petits  affamés  courent  sur  le  rivage    [seaux, 
En  le  voyant  au  loin  s'abattre  sur  les  eaux. 
Déjà,  croyant  saisir  et  partager  leur  proie. 
Ils  courent  i  leur  père  avec  des  cris  de  joie, 
En   secouant  leurs  becs  sur  leurs  goitres  hideux. 
Lui,  gagnant  à  pas  lents  une  roche  élevée. 
De  soii  aile  pendante  abritant  sa  couvée. 
Pêcheur  mélancolique,  il  regarde  les  cieux. 
Le  sang  coule  à  longs  flots  de  sa  poitrine  ouverte  ; 
En  vain  il  a  des  mers  fouillé  la  profondeur  : 
L'Océan  était  vide  et  la  plage  déserte  ; 
Pour  toute  nourriture  il  apporte  son  cœur. 
Sombre  et  silencieux,  étendu  sur  la  pierre, 
Partag.  ant  à  ses  fils  ses  entrailles  de  père. 
Dans  son  amour  sublime  il  berce  sa  douleur; 
Et,  regardant  couler  sa  sanglante  mamelle. 
Sur  son  festin  de  mort  il  s'affaisse  et  chancelle. 
Ivre  de  volupté,  de  tendresse  et  d'horreur. 
Mais  parfois,  au  milieu  du  diviji  sacrifice. 
Fatigué  de  mourir  dans  un  trop  long  supplice. 
Il  craint  que  ses  enfants  ne  le  laissent  vivant  ; 
Alors  il  se  soulève,  ouvre  son  aile  au  vent. 
Et,  se  frappant  le  cœur  avec  un  cri  sauvage, 
11  pousse  dans  la  nuit  un  si  funèbre  adieu. 
Que  les  oiseaux  des  mers  désertent  le  rivage. 
Et  que  le  voyageur  attardé  sur  la  plage, 
Sentant  passer  la  mort,  se  recommande  à  Dieu. 
Poète,  c'est  ainsi  que  font  les  grands  poètes. 
Ils  laissent  s'égayer  ceux  qui  vivent  un  temps  ; 
Mais  les  festins  humains  qu'ils  servent  à  leurs  fêtes 
Ressemblent  la  plupart  à  ceux  des  pélicans. 
Quand  ils  parlent  ainsi  d'espérances  trompées. 
De  tristesse  et  d'oubli,  d'amour  et  de  malheur, 
Ce  n'est  pas  un  concert  à  dilater  le  cœur. 
Leurs  déclamations  sont  comme  dos  épées  : 
Elles  tracent  dans  l'air  un  cercle  éblouissant  ; 
Mais  il  y  pend  toujours  quelque  goutte  de  sang. 

Le  poète. 

O  Muse!  spectre  insatiable. 
Ne  m'en  demande  pas  si  long. 


Les  couteaux  lui  restaient  au  flanc  jusqu'à  la  garde, 
Le  clouaient  au  gazon  tout  baigné  dans  son  sang; 
Nos  fusils  l'entouraient  en  sinistre  croissant. 
Il  nous  regarde  encore,  ensuite  il  se  recouche. 
Tout  en  léchant  le  sang  répandu  sur  sa  bouche. 
Et,  sans  daigner  savoir  comment  il' a  péri, 
Refermant  ses  grands  yeux,  meurt  sans  jeter  un  cri. 

II 
J'ai  reposé  mon  front  sur  mon  fusil  sans  poudre, 
Me  prenant  à  penser,  et  n'ai  pu  me  résoudre 
A  poursuivre  sa  louve  et  ses  fils,  qui,  tous  trois, 
Avaient  voulu  l'attendre,  et,  comme  je  le  crois. 
Sans  ses  deux  louveteaux,  la  belle  et  sombre  veuve 
Ne  l'eût  pas  laissé  seul  subir  la  grande  épreuve; 
Mais  son  devoir  était  de  les  sauver,  afin 
De  pouvoir  leur  apprendre  à  bien  souffrir  la  faim, 
A  ne  jamais  entrer  dans  le  pacte  des  villes 
Que  l'homme  a  fait  avec  les  animaux  serviles 
Qui  chassent  devant  lui,  pour  avoir  le  coucher, 
Les  premiers  possesseurs  du  bois  et  du  rocher. 

III 

Hélas  I  ai-jepensé,  malgré  ce  grand  nom  d'hommes, 
Que  j'ai  honte  de  nous,  débiles  que  nous  sommes! 
Comme  l'on  doit  quitter  la  vie  et  tous  ses  maux, 
C'est  vous  qui  le  savez,  sublimes  animaux  ! 
A  voir  ce  que  l'on  fut  sur  terre  et  ce  qu'on  laisse, 
Seul  le  silence  est  grand  ;  tout  le  reste  est  faiblesse. 
—  Ah  !  je  l'ai  bien  compris,  sauvage  voyageur. 
Et  ton  dernier  regard  m'est  allé  jusqu'au  cœur  ! 
Il  disait  :  «  Si  tu  peux,  fais  que  ton  âme  arrive, 
A  force  de  rester  studieuse  et  pensive, 
Jusqu'à  ce  haut  degré  de  stoique  fierté 
Où,  naissant  dans  les  bois,  j'ai  tout  d'abord  monté. 
Gémir,  pleurer,  prier,  est  également  lâche. 
Fais  énergiquement  ta  longue  et  lourde  tache 
Dans  la  voie  où  le  sort  a  voulu  t'appeler. 
Puis,  après,  comme  moi,  soufi're  et  meurs  sans  par- 

[1er. .. 
Alfred  de  Vigny,  lii43. 

l'  ENFAXT. 

Lorsque  l'enfant  parait,  le  cercle  de  famille 
Applaudit  à  grands  cris:  son  doux  regard  qui  brille 

Fait  briller  tous  les  yeux. 
Et  les  plus  tristes  fronts,  les  plus  souillés  peut-être, 
Se  dérident  soudain  à  voir  l'enfant  paraître. 

Innocent  et  joyeux. 
Soit  que  Juin  ait  verdi  mon  seuil,  ou  que  Novembre 
Fasse  autour  d'un  grand  feu  vacillantdans  la  cham- 

Les  chaises  se  toucher,  [bre 

Quand  l'enfant  vient,  la  joie  arrive  et  nous  éclaire  : 
On  rit,  on  se  récrie,  on  l'appelle,  et  sa  mère 

Tremble  à  le  voir  marcher. 
Quelquefois  nous  parlons,  en  remuant  la  flamme, 
De  patrie  et  de  Dieu,  des  poètes,  de  l'âme 

Qui  s'élève  en  priant. 
L'enfant  parait  :  adieu  le  ciel  et  la  patrie. 
Et  les  poètes  saints  !  la  grave  causerie 

S'arrête  en  souriant. 


LYRIQUE  (GKNRE) 


—  1243  — 


LYRIQUE  (GENRE) 


Enfant,  vous  Clés  l'aube  et  mon  âme  est  la  plaine 
Qui  des  plus  douces  fleurs  embaume  son  haleine 

Quand  vous  la  respirez  ; 
Mon  âme  est  la  forCt  dont  les  sombres  ramures 
S'emplissent  pour  vous  seul  do  suaves  murmures 

Et  de  rayons  dorés  1 

Car  vos  beaux  yeux  sontpleiiisdndouceurs infinies  ; 
Car  vos  petites  mains,  joyeuses  et  bénies, 

N'ont  point  fait  mai  encor! 
Jamais  vos  jeunes  pas  n'ont  touché  notre  fange; 
Tûle  sacrée!  enfant  aux  cheveux  blondsl  bel  ange 

A  l'auréole  d'or! 

Il  est  si  beau,  l'enfant,  avec  son  doux  sourire, 
Sa  douce  bonne  foi,  sa  voix  qui  veut  tout  dire, 

Ses  pleurs  vite  apaisés; 
Laissant  errer  sa  vue  étonnée  et  ravie. 
Offrant  de  toutes  parts  sa  jeune  âme  à  la  vie, 

Et  sa  bouche  aux  baisers  ! 

Seigneur,  préservez-moi,  préservez  ceux  que  j'aime. 
Frères,  parents,  amis,  et  mes  ennemis  mémo 

Dans  le  mal  triomphants, 
Dejamais  voir.  Seigneur, l'été  sans  fleurs  vermeilles, 
La  cage  sans  oiseau,  la  ruche  sans  abeilles, 

La  maison  sans  enfants! 

Victor  Hugo  [les  Feuilles  d'automne). 


A  SON  FRERE. 

(Un   frère  du  poète  était  mort  jeune,    à   la  suite    d'une 
maladie  qui  avait  altét'é  sa  raisou.) 

Puisqu'il  plut  au  Seigneur  de  te  briser,  poète. 
Puisqu'il  plut  au  Seigneur  de  comprimer  ta  tète 

De  son  doigt  souverain, 
D'en  faire  une  urne  sainte  à  contenir  l'extase. 
D'y  mettre  le  génie  et  de  sceller  ce  vase 

Avec  un  sceau  d'airain  ; 

Tu  pars  du  moins,  mon  frère,  avec  ta  robe  blanche  ! 
Tu  retournes  à  Dieu  comme  l'eau  qui   s'épanche 

Par  son  poids  naturel! 
Ta  retournes  à  Dieu,  tête  de  candeur  pleine. 
Comme  y  va  la  lumière  et  comme  y  va  l'haleine 

Qui  des  fleurs  monte  au  ciel! 

Doux  et  blond  compagnon  do  toute  mon  enfance. 
Oh!  dis-moi,  maintenant,  frère   marqué   d'avance 

Pour  un  morne  avenir; 
Maintenant  que  la  mort  a  rallumé  ta  flamme, 
Maintenant  que  la  mort  a  réveillé  ton  âme, 

Tu  dois  te  souvenir! 

Tu  dois  te  souvenir  des  vertes  Feuillantines, 
Et  de  la  grande  allée  où  nos  voix  enfantines, 

Nos  purs   gazouillements,  [laines, 

Ont  laissé  dans  les  coins  des  murs,  dans  les  fon- 
Dans  le  nid  des  oiseaux  et  dans  le  creux  des  cliênes, 

Tant  d'échos  si  charmants! 

O  temps!  jours  radieux!  aube  trop  tôt  ravie! 
Pourquoi  Dieu  met-il  donc  le  meilleur  de  la  vie 

Tout  au  commencement? 
IVous  naissions!  on  eût  dit  que  le  vieux  monastère 
Pour  nous  voir  rayonner  ouvrait  avec  mystère 

Son  doux  regard  dormant. 

T'en  souviens-tu,  mon  frère?  après  l'heure  d'étude, 
Oh!  comme  nous  causions  dans  cette  solitude, 

Sous  les  arbres  blottis. 
Nous  avions,  en  chassant  quelque  insecte  qui  saute. 
L'herbe  jusqu'aux  genoux,  car  l'herbe  était  bien 

Nos  genoux  bien  petits.  [haute, 

Vives  tètes  d'enfants  par  la  course  effarées. 
Nous  poursuivions  dans  l'air  cent  ailes  bigarrées  : 

Le  soir  nous  étions  las; 
Nous  revenions,  jouant  avec  tout  ce  qui  joue. 
Frais,  joyeux,  et  tous  deux  baisés  k  pleine  joue 

Par  notre  mère,  hélas! 


Elle  grondait  :  —  Voyez  comme  ils  sont  faits  !  ces 

[hommes! 

Les  monstres  !  ils  auront  cueilli  toutes  nos  pommes. 

Pourtant  nous  les  aimons. 
Madame,  les  garçons  sont  le  souci  des  mères; 
Car  ils  ont  la  fureur  de  courir  dans  les  pierres 

Comme  font  les  démons  ! 

Puis  un  môme  sommeil,  nous  berçant  comme  un 

[hôte. 
Tous  deux  au  môme  lit  nous  couchait  côte  à  côte; 

Puis  un  même  réveil. 
Puis,  trempé  dans  un  lait  sorti  chaud  de  l'étable, 
Le  même  pain  faisait  rire  h  la  môme  table 

Notre  appétit  vermeil  ! 
Et  nous  recommencionsnos  jeux,  cueillantpar  gerbe 
Les  fleurs,  tous  les  bouquets  qui  réjouissent  l'herbe, 

Le  lis  à  Dieu  pareil. 
Surtout  ces  fleurs  de  flamme  et  d'or  qu'on  voit,  si 
Luire  ii  terre  en  avril  comme  des  étincelles  [belles, 

Qui  tombent  du  soleil! 
On  nous  voyait  tous  deux,  gaieté  de  la  famille, 
Le  front  épanoui,  courir  sous  la  charmille, 

L'œil  de  joie  enflammé... 
Hélas!  hélas:  quel  deuil  pour  ma  tète  orpheline! 
Tu  vas  donc  désormais  dormir  sur  la  colline, 

Mon  pauvre  bien-aimé! 
Tu  vas  dormir  là-haut  sur  la  colline  verte, 
Qui,  livrée  à  l'hiver,  h  tous  les  vents  ouverte, 

A  le  ciel  pour  plafond  : 
Tu  vas  dormir,  poussière,  au  fond  d'un  lit  d'argile; 
Et  moi  je  resterai  parmi  ceux  du  la  ville 

Qui  parlent  et  qui  vont! 

Victor  Hugo  (Les  voix  intérieures.) 

SOUVENIRS. 

O  souvenirs  !  printemps!  aurore  ! 
Doux  rayon  triste  et  réchaufl'ant  ! 
—  Lorscju'elle  était  petite  encore, 
Que  sa  sœur  était  tout  enfant...  — 

Connaissez-vous  sur  la  colline 
Qui  joint  Montlignon  à  Saint-Leu, 
Une  terrasse  qui  s'incline 
Entre  le  bois  sombre  et  le  ciel  bleu  ? 

C'est  là  que  nous  vivions.  —  Pénètre, 
Mon  cœur,  dans  ce  passé  charmant  ! 
Je  l'entendais  sous  ma  fenêtre 
Jouer  le  matin  doucement. 

Elle  courait  dans  la  rosée 

Sans  bruit,  de  peur  de  m'éveiUer  ; 

Moi,  je  n'ouvrais  pas  ma  croisée. 

De  peur  de  la  faire  envoler. 

Ses  fri-res  riaient...  —  Aube  pure! 

Tout  chantait  sous  ces  frais  berceaux, 

Ma  famille  avec  la  nature. 

Mes  enfants  .avec  les  oiseaux! 

Je  toussais,  on  devenait  brave  ; 
Elle  montait  à  petits  pas, 
Et  me  disait  d'uji  air  très  grave  : 
«  J'ai  laissé  les  enfants  en  bas.  » 

Qu'elle  fût  bien  ou  mal  coifl'ée, 
Que  mon  cœur  fût  triste  ou  joyeux, 
Je  l'admirais.  C'était  ma  fée. 
Et  le  doux  astre  de  mes  yeux  ! 

Nous  jouions  toute  la  journée. 

O  jeux  cliarmants  I  chers  entretiens  ! 

Le  soir,  comme  elle  était  l'aînée, 

Elle  me  disait  :  «  Père,  viens  ! 

(I  Nous  allons  l'apporter  ta  chaise. 

Conte-nous  une  histoiie,  dis!  » 

El  je  voyais  rayonner  d'aise 

Tous  ces  regards  du  paradis. 


LYRIQUE  (GENRE)        —  1244 

Alors,  prodiguant  les  carnages, 
J'inventais  un  conte  profond. 
Dont  je  trouvais  les  personnages 
Parmi  les  ombres  du  plafond, 

Toujours,  ces  quatre  douces  têtes 
Riaient,  comme  h  cet  âge  on  rit. 
De  voir  d'affreux  géants  très  bètes 
Vaincus  par  des  nains  pleins  d'esprit. 

J'étais  l'Arioste  et  l'Homère 
D'un  poème  éclos  d'un  seul  jet; 
Pendant  que  je  parlais,  leur  mère 
Les  regardait  rire,  et  songeait. 

Leur  aieul,  qui  lisait  dans  l'ombre. 
Sur  eux  parfois  lovait  les  yeux, 
Et  moi,  par  la  fenêtre  sombre. 
J'entrevoyais  un  coin  des  cieux  ! 
4  sept.  1846. 

Victor  Hugo  {les  Contemplations). 


PAROLES   D  EXIL. 

Puisque  le  juste  est  dans  lablme. 
Puisqu'on  donne  le  sceptre  au  crime. 
Puisque  tous  les  droits  sont  trahis  , 
Puisque  les  plus  fiers  restent  mornes. 
Puisqu'on  affiche  au  coin  des  bornes 
Le  déshonneur  de  mon  pays  ; 

0  République  de  nos  pères. 
Grand  Panthéon  plein  de  lumières, 
Dôme  d'or  dans  le  libre  azur, 
Temple  des  ombres  immortelles. 
Puisqu'on  vient  avec  des  échelles 
Coller  l'empire  sur  ton  mur; 

Puisque  toute  âme  est  affaiblie. 
Puisqu'on  rampe;  puisqu'on  oublie 
Le  vrai,  le  pur,  le  grand,  le  beau. 
Les  yeux  indignés  de  l'histoire. 
L'honneur,  la  loi,  le  droit,  la  gloire. 
Et  ceux  qui  sont  dans  le  tombeau  ; 

Je  t'aime,  exil  !  douleur,  je  t'aime  ! 
Tristesse,  sois  mon  diadème! 
Je  t'aime,  altière  pauvreté  1 
J'aime  ma  porte  aux  vents  battue. 
J'aime  le  deuil,  grave  statue 
Qui  vient  s'asseoir  à  mon  côté. 

J'aime  le  malheur  qui  m'éprouve; 

Et  cette  ombre  où  je  vous  retrouve, 

O  vous  i  qui  mon  cœur  sourit. 

Dignité,  foi,  vertu  voilée, 

Toi,  liberté,  fière  exilée, 

Et  toi,  dévoûment,  grand  proscrit  ! 

J'aime  cette  île  solitaire. 
Jersey,  que  la  libre  Angleterre 
Couvre  de  son  vieux  pavillon  ; 
L'eau  noire,  par  moments  accrue. 
Le  navire,  errante  charrue, 
Le  flot,  mystérieux  sillon. 

J'aime  ta  mouette,  ô  mer  profonde. 
Qui  secoue  en  perles  ton  onde 
Sur  son  aile  aux  fauves  couleurs. 
Plonge  dans  les  lames  géantes. 
Et  sort  de  ces  gueules  béantes 
Comme  l'âme  sort  des  douleurs  ! 

J'aime  la  roche  solennelle 
D'où  j'entends  la  plainte  éternelle. 
Sans  trêve  comme  le  remords. 
Toujours  renaissant  dans  les  ombres. 
Des  vagues  sur  les  écueils  sombres. 
Des  mères  sur  leurs  enfants  morts  ! 
Décembre  iSbI. 

Victor  Hogo  (/es  Châtiments]. 


LYRIQUE  (GENRE) 

LE    SEMEUR. 

C'est  le  moment  crépusculaire  ; 
J'admire  assis,  sous  un  portail. 
Le  reste  de  jour  dont  s'éclaire 
La  dernière  heure  du  travail. 

Dans  les  terres,  de  nuit  baignées. 
Je  contemple,  ému,  les  haillons 
D'un  vieillard  qui  jette  à  poignées 
La  moisson  future  aux  sillons. 

Il  marche  dans  la  plaine  immense. 
Va,  vient,  lance  la  graine  au  loin. 
Rouvre  sa  main  et  recommence  ; 
Et  je  médite,  obscur  témoin. 

Pendant  que  déployant  ses  voiles, 
L'ombre,  où  se  mêle  une  rumeur, 
Semble  élargir  jusqu'aux  étoiles 
Le  geste  auguste  du  semeur. 


Victor  Hcgo  {les  Chansons  des  rues  et  des  boi<). 

LA    BRETAGNE. 

0  landes,  ô  forêts,  pierres  sombres  et  hautes. 
Bois  qui  couvrez  nos  champs,  mers  qui  battez  nos 

[côtes, 
Villages  où  les  morts  errent  avec  les  vents, 
Bretagne  !  d'uù  te  vient  l'amour  de  tes  enfants? 
—  Des  villes  d'Italie  où  j'osai,  jeune  et  svelte. 
Parmi  ces  hommes  bruns  montrer  l'œil  bleu  d'un 

[Celte, 
J'arrivais  plein  des  feux  de  leur  volcan  sacré, 
Mûri  par  leur  soleil,  de  leurs  arts  enivré. 
Mais  dès  que  je  sentis,  ô  ma  terre  natale. 
L'odeur  qui  des  genêts  et  des  landes  s'exhale, 
Lorsque  je  vis  le  flux,  le  reflux  de  la  mer. 
Et  les  tristes  sapins  se  balancer  dans  l'air. 
Adieu  les  orangers,  les  marbres  de  Carrare  ! 
Mon  instinct  l'emporta,  je  redevins  barbare. 
Et  j'oubliai  les  noms  des  antiques  héros 
Pour  chanter  les  combats  des  loups  et  des  taureaux. 
A.  Bhizeux. 

SUR   LA   NA1SSA.NCE   d'uN   ENFANT. 

Au  fracas  de  l'airain,  cloche  ou  canon  qui  gronde. 
Dans  un  pli  de  la  pourpre  au  monde  présente. 
Quand  un  enfant  naissait,  futur  maître  du  monde. 
Autour  de  son  berceau  je  n'ai  jamais  chanté. 

Mais  je  te  chanterai  d'une  voix  libre  et  fière, 
Toi,  pauvre  nouveau-né,  toi  fils  du  paysan  ! 
Et  l'héritier  sans  nom  d'une  obscure  chaumière 
M'aura  pour  son  poète  et  pour  son  courtisan. 

(>  Semez,  semez  des  fleurs  sur  l'enfant  qui  repose, 
1)  Ornez-le  de  vos  dons,  n  dirai-je  à  tes  parrains; 
Et  je  ne  t'offrirai,  moi,  ni  jasmin  ni  rose. 
Mais,  symbole  meilleur,  l'épi  chargé  de  grains  ! 
Joseph  Autran  [Poèmes  des  beaux  jours), 

A  UN    grave  ÉCOLIER. 

Monsieur  l'écolier  sérieux, 
Vous  m'aimez  encor,  je  l'espère  ! 
Levez  un  moment  vos  grands  yeux; 
Fermons  ce  gros  livre  ennuyeux. 
Et  souriez  à  votre  père. 

Il  est  beau  d'être  un  raisonneur. 
De  tout  lire  et  de  tout  entendre. 
De  remporter  les  prix  d'honne\ir!... 
C'est,  je  crois,  un  plus  grand  bonheur 
D'être  un  enfant  aimable  et  tendre. 

Lorsqu'on  a  fait  tout  son  devoir. 
Que  la  main  est  lasse  d'écrire. 
Quand  le  père  est  rentré  le  soir. 
Avec  les  sœurs,  il  faut  savoir 
Jouer,  causer...  même  un  peu  rire. 


LYRIQUE  (GENRE)        —  1245  — 

Vous  verrez  chez  les  vieux  auteurs, 
Expliqués  au  long  dans  vos  classes, 
Que  la  muse,  b.  ses  sectateurs, 
Ordonne,  en  quittant  les  hauteurs, 
D'aller  sacrilier  aux  Giâces. 

Autres  temps,  autres  conseillers  1 

Dans  le  savant  siècle  où  nous  sommes, 

On  voit  déjà  les  écoliers 

Avec  l'algèbre  familiers. 

Aussi  maussades  que  les  hommes. 

Chez  moi,  qu'il  n'en  soit  pas  ainsi: 

Contre  les  pédants  je  réclame; 

Je  suis  poète,  dieu  merci! 

Kt  j'ai  pour  principal  souci. 

Mes  enfants,  de  vous  faire  une  âme. 

Avant  de  savoir  l'allemand, 
La  physique  et  le  laiin  niêmc. 
Aimez!  c'est  le  commencement; 
Aimez  sans  honte  et  vaillamment, 
Aimez  tous  ceux  qu'il  faut  qu'on  aime! 

Mais  il  est  trop  peu  généreux 
D'aimer  tout  bas  et  bouche  close. 
A  ceux  que  l'on  veut  rondre  heureux, 
Dos  souhaits  que  l'on  fait  pour  eux 
Il  faut  dire  au  moins  quelque  chose. 

Les  vrais  bons  cœurs  sont  transparents; 
On  y  voit  toutes  leurs  tendresses. 
Ah  !  chers  petits  indifférents. 
Gâtez  un  peu  vos  vieux  parents  ; 
Leur  bonheur  est  dans  vos  caresses  1 

C'est  beaucoup  d'avoir  la  bonté: 
Montrez-la  bien,  qu'on  en  jouisse! 
Il  faut  que,  dès  avant  l'été. 
En  fleurs  de  grâce  et  de  gaîté 
Votre  bon  cœur  s'épanouisse. 

Voyez  !  dans  le  meilleur  terrain. 
Parmi  les  blés  hauts  et  superbes. 
C'est  Dieu  <|ui  mule  de  sa  main 
Le  bluet  d'azur  au  bon  grain. 
Le  pavot  rouge  ît  l'or  des  gerbes. 

Vous,  ainsi,  savants,  mais  joyeux, 
Charmez  la  maison  paternelle  : 
Quand  on  a  le  sourire  aux  yeux, 
A  la  lèvre  un  mot  gracieux, 
La  vertu  même  en  est  plus  belle. 

VlCTOB  DE   LaPRADE. 


LYRIQUE  (GENRE) 


Midi,  roi  des  étés,  épandu  sur  la  plaine. 
Tombe  en  nappe  d'argent  dus  hauteurs  du  ciel  bleu. 
Tout  se  tait.  L'air  flamboie  et  brûle  sans  haleine  ; 
La  terre  est  assoupie  en  sa  robe  de  feu. 

L'étendue  est  immense  et  les  champs  n'ont  point 
[d'ombre. 
Et  la  source  est  tarie  où  buvaient  les  troupeaux  ; 
La  lointaine  forêt,  dont  la  lisière  est  sombre, 
Dort  lâ-bas,  immobile,  en  un  pesant  repos. 

Seuls,  les  grands  blés  mûris,  tels  qu'une  mer  dorée. 
Se  déroulent  au  loin,  dédaigneux  du  sommeil  : 
Pacifiques  enfants  de  la  terre  sacrée. 
Ils  épuisent  sans  peur  la  coupe  du  soleil. 

Parfois,  comme  un  soupir  de  leur  âme  brûlante, 
Du  sein  des  épis  lourds  qui  murmurent  entro  eux, 
Une  ondulation  majestueuse  1 1  lente 
S'éveille,  et  va  mourir  k  l'horizo]]  poudreux. 

"Non  loin,  quelques  bœufs  blancs,  couchés  parmi 
[les  herbes, 
'Bavent  avec  lenteur  sur  leurs  fanons  épais, 
Et  suivent  de  leurs  yeux  languissants  et  superbes 
Le  songe  intérieur  qu'ils  n'achèvent  jamais. 


Homme,  si,  le  cœur  plein  de  joie  ou  d'amertume. 
Tu  passais  vers  midi  dans  les  champs  radieux. 
Fuis  !  la  nature  est  vide  et  le  soleil  consume  : 
Rien  n'est  vivant  ici,  rien  n'est  triste  ou  joyeux. 
Mais  si,  désabusé  des  larmes  et  du  rire. 
Altéré  de  l'oubli  de  ce  monde  agité. 
Tu  veux,  ne  sachant  plus  pardonner  ou  maudire. 
Goûter  une  suprême  et  morne  volupté, 
Viens,  le  soleil  te  parle  en  lumières  sublimes; 
Dans  sa  flamme  implacable  absorbe-toi  sans  fin  ; 
Et  retourne,  k  pas  lents,  vers  les  cités  infimes, 
Le  cœur  trempé  sept  fois  dans  le  néant  divin. 
Leconte  de  Lisle. 

le  vase  bbisé. 
Le  vase  où  meurt  cette  verveine 
D'un  coup  d'éventail  fut  fêlé. 
Le  coup  dut  effleurer  à  peine, 
Aucun  bruit  ne  l'a  révélé. 

Mais  la  légère  meurtrissure, 
Mordant  le  cristal  chaque  jour, 
D'une  marche  invisible  et  sûre 
En  a  fait  lentement  le  tour. 
Son  eau  fraîche  a  fui  goutte  à  goutte, 
Le  suc  des  fleurs  s'est  épuisé. 
Personne  encore  ne  s'en  doute; 
N'y  touchez  pas,  il  est  brisé  ! 

Souvent  aussi  la  main  qu'on  aime, 
Effleurant  le  cœur,  le  meurtrit; 
Puis  le  cœur  se  fend  de  lui-même, 
La  fleur  de  son  amour  périt. 
Toujours  intact  aux  yeux  du  monde. 
Il  sent  croître  et  pleurer  tout  bas 
Sa  blessure  fine  et  profonde; 
Il  est  brisé,  n'y  touchez  pas  ! 

Sully-Prudhomme  {Stimces  et  poèmes). 

La  petite  chaise. 
Ils  avaient  perdu  leur  enfant. 
Je  fus  les  voir  :  du  pauvre  père 
Je  serrai  la  main  en  pleurant. 
Sans  oser  regarder  la  mère. 
Et  lorsque  je  pus  lui  parler, 
Tandis  qu'il  cachait  son  visage  : 
(c  Je  ne  viens  pas  vous  consoler, 
Mais  reprenez  un  peu  courage  ; 
Vers  Dieu  l'ange  a  pris  son  essor. 
—  Oui,  me  dit-il;  mais,  triste  chose  I 
Notre  ange,  avant-hier  encor, 
Jouait,  souriait,  était  rose  ; 
Et  maintenant,  fit-il  plus  bas. 
Il  est  froid  sous  la  terre  humide... 
L'herbe  pousse  déjà  là-bas... 
Et  la  petite  chaise  est  vide.  » 

Louis  R1TI8DONNE. 
La  lettre. 

Souflet. 

La  lettre  qui  m'arrivo  est  de  noir  entourée  : 
Elle  annonce  la  mon,  et  j'hésite  à  l'ouvrir. 
Mon  âme  n'est  jamais  tranquille  et  rassurée 
Acette  voix  qui  dit:  «  Quelqu'un  vient  de  mourir  1  » 
Ami,  vieillard,  enfant,  fille  ou  femme  adorée, 
Quel  est  le  corps  glacé  qu'un  marbre  va  couvrir? 
Sous  quel  toit  la  douleur  est-elle  encor  entrée? 
Qui  va  porter  le  deuil,  et  quelscœursvontsouffrir? 
Je  devrais  le  savoir  !  mais  l'heure  est  trop  remplie. 
De  délais  en  délais,  l'âme  en  soi  se  replie  : 
On  remettait  hier,  on  oublie  aujourd'hui. 
A  l'ami  de  vingt  ans  on  ajourne  un  sourire. 
Et  la  lettre  de  mort  un  matin  vient  vous  dire  : 
«Vous  ne  leverrez  plus  jamais  1...  Priez  pour  lui!  » 
Eugène  Manuel. 


MACEDOINE 


—  12/t6  — 


MAGNÉTISME 


M 


MACÉDOINE.  —  Histoire  générale,  VUI-X.  —  Le 
royaume  de  Macédoiue,  dont  les  origines  remon- 
tent à  l'époque  mythique,  était  séparé  de  la  'f  lies- 
salie  au  sud  par  les  monts  Cambuniens.  de  l'il- 
lyrie  à  l'ouest  par  le  Pinde,  et  de  la  Tlirace  h  l'est 
par  le  fleuve  Strymon  ;  les  Balkans  le  limitaient  au 
nord.  Il  était  habité  par  une  population  non  hellé- 
nique, d'origine  pélasgique,  et  parlant  une  langue 
différente  de  celle  des  Grecs  :  aussi  ceux-ci  re- 
gardaient-ils les  Macédoniens  comme  des  Barbares. 
Lors  des  guerres  médiqucs,  la  Macédoine  fut  con- 
trainte de  payer  un  tribut  aux  Perses,  et  le  roi 
Alexandre  \"  dut  accompagner  Xerxès  dans  son 
expédition  contre  les  cités  grecques;  mais  le 
prince  macédonien,  qui  n'obéissait  aux  Perses  qu'à 
regret,  fit  passer  à  plusieurs  reprises  aux  Grecs 
des  avis  utiles,  et  obtint  par  li  d'être  admis  dans 
leur  alliance  quand  les  Asiatiques  eurent  été  re- 
poussés. Sous  le  règne  de  ses  successeurs,  la 
Macédoine,  livrée  aux  guerres  civiles,  ne  joua 
qu'un  rôle  effacé.  Mais  Philippe  II,  monté  sur  le 
trône  en  a59,  sut  en  faire  une  puissance  militaire, 
et  son  habileté  à  profiter  des  discordes  des  villes 
helléniques  le  rendit  maître  de  la  Grèce  ;V.  Grèce, 
p.  DOU).  Alexandre  111.  le  Grand,  continua  l'œuvre 
de  Philippe,  et  fonda  sur  les  ruines  de  l'empire 
perse  une  vaste  monarchie  militaire  (\ .  Alexundre). 
Après  la  mort  d'Alexandre,  la  Macédoine,  restée 
d'abord  simple  province  du  nouvel  empire  sous  le 
gouvernement  d'Antipater,  redevint  un  roj'aume 
indépendant  où  régnèrent  successivement,  de  .306  à 
'ni,  Cassandre,  fils  d  Antipater,  Démétrius  Polior- 
cète, Pyrrhus  d'Epire,  Lysimaque,  Séleucus, 
Ptolémée  CéraunuK,  Antigone  Gonatas,  fils  de 
Démétrius  Poliorcète  puis  de  nouveau  Pyrrhus. 
Antigone  Gonatas,  après  la  mort  de  Pyrrhus  (27v), 
recouvra  la  couronne,  c|iii  devint  héréditaire  dans 
sa  famille.  Nous  racontons,  à  l'article  Grèce,  les 
tentatives  d'Antigone  Gonatas  et  de  ses  succes- 
seurs DéraétriusH,  Antigone  Doson,  et  Philippe  IH, 
pour  replacer  les  Grecs  sous  leur  autorité.  Phi- 
lippe III,  que  son  ambition  mit  aux  prisns  avec  les 
Romains,  protecteurs  prétendus  de  la  liberté  de  la 
Grèce,  fut  battu  à  Cynocéphales  (197),  et  dut  payer 
un  tribut  à  Rome.  Persée,  son  fils,  essaya  de  re- 
lever la  puissance  de  la  Macédoine,  fut  vaincu  à 
Pydna  par  le  consul  Paul-Emile  (I6S),  et  conduit 
captif  à  Rome.  Ce  fut  la  fin  de  la  puissance  macé- 
donienne ;  quelques  années  plus  tard,  le  sénat  ré- 
duisait la  Macédoine  en  province  romaine  (142). 

MACHINES.  -  V.  Mécanique. 

MACHIA'ES  AGRICOLES.  —  V.  Instruments 
aratoires.^ 

M.VGINÉTISME.  —  Physique,  XXV.  — Etymolo- 
gie  :  du  grec  magnés,  aimant.  —  On  trouve  dans  la 
nature  assez  fréquemment,  et  en  particulier  en 
Suède  et  à  l'île  d'Elbe,  un  minerai  de  fer  qui 
jouit  d'une  propriété  spéciale,  singulière,  qui  avait 
attiré  l'attention  des  anciens  et  qui,  plus  tard, 
à  l'époque  des  alchimistes,  fut  l'objet  des  dis- 
sertations les  plus  étranges.  C'est  Vaimant  ou 
pierre  i'aimant  (V.  Aimcnil),  que  les  chimistes 
ont  aussi  nommé,  en  appliquant  les  principes  de 
la  nomenclature,  fer  oxijdulé,  oxyde  sal  n  de  fer. 
Ce  minerai  attire  le  fer  et  l'acier.  Plongé  dans  la 
limaille  de  fer,  il  la  met  en  mouvement  quand  elle 
est  placée  i  une  faible  disiance  de  lui,  la  fixe  à  sa 
surface  et  l'y  maintient  adhérente  malgré  l'aciion 
de  la  pesanteur  qui  f  nd  à  la  faire  tomber. 
Cette  propriété  d'attirer  le  fer  n'est  pas  liée  né- 
cessairement, comme  on  pourrait  le  croire,  à  la 
nature  chimique  do  l'aimant  ;   la  composition  de 


ce  corps  peut  demeurer  la  même,  son  groupement 
moléculaire  le  même,  et  la  propriété  susdite  dis- 
paraître; qu'on  chauffe  au  rouge  la  pierre  d'ai- 
mant, et  le  phénomène  d'attraction  qu'elle  exer- 
çait auparavant  suj- le  fer  n'existera  plus  désormais. 
Semblablement,  si  on  prépare  artificiellement 
l'oxyde  salin  de  fer,  en  faisant  passer,  par  exem- 
ple, de  la  vapeur  d'eau  sur  du  fer  pur  chauffé  au 
iouge,  on  obtient  bien  une  substance  dont  la  com- 
position chimique  est  celle  de  l'aimant  naturel  ; 
mais  la  propriété  d'attirer  la  limaille  ne  se  mon- 
tre pas  pour  cela  dans  le  produit  ainsi  obtenu. 

L'aimant  naturel  renferme  1i,'t  de  fer  pour  27,6 
d'oxygène,  ce  qui  correspond  à  la  formule  Fe^  O' 
ou  bien  FeO,  Fe^O'.  FeO,  le  protoxyde  de  fer, 
jouerait  par  hypothèse,  dans  le  composé,  le  rôle 
de  base,  et  le  sesquioxyde  Fe^O^  celui  d'acide. 
C'est  li  ce  qui  fait  coiisidérer  ce  corps  comme  un 
véritable  sel,  un  oxyde  salin  ;  il  résulterait,  en  effet, 
de  l'union  d'un  acide  avec  une  base.  Dans  la  pro- 
duction artificielle  de  l'aimant  que  nous  indi- 
quions, il  y  a  un  instant,  la  réaction  est  repré- 
sentée par  la  formule  cliimique  : 

3Fe  -f  4H0  =  Fe»0»  -f-  4H 

L'eau  se  décompose,  en  passant  sur  le  fer  chauffé 
au  rouge  ;  l'oxyde  salin  Fo^O''  prend  naissance 
dans  le  tulie  de  grès  ou  de  porcelaine  où  le  fer 
avait  été  d'aboid  placé,  et  l'hydrogène  se  dégage. 

Quelle  que  soit  la  manière  d'interpréter  au  point 
de  vue  chimique  la  constitution  de  la  substance, 
le  fait  fondamental,  la  propriété  caractéristique 
subsiste.  Sous  certaines  conditions  le  corps  Fe'''0'' 
attire  le  fer  doux,  et  on  le  dit  dans  ce  cas  un  ni- 
mnnf.  Mais  alors  même  qu'il  perd  la  propriété 
d'attirer  la  limaille,  il  conserve  toujours  celle  d'ê- 
tre attiré  lui-môme  par  un  aimant  voisin  ;  il  de- 
meure, comme  on  dit,  magnétique.  Ainsi,  dans  le 
langage  convenu  des  physiciens,  une  substance 
peut  être  magnétique,  sans  être  pour  cela  un  ai- 
mant :  le  fer  est  magnétique  et  n'est  pas  un  ai- 
mant, au  moins  dans  les  conditions  ordinaires  ; 
l'oxyde  salin  de  fer  est  toujours  magnétique  ;  dans 
certaines  circonstances  seulement,  il  est  constitué 
à  l'état  à'aimant.  En  tout  cas,  on  désigne  sous  le 
nom  de  magn'-t  sme  le  chapitre  de  la  physique 
qui  s'occupe  des  faits  et  lois  générales  se  ratta- 
chant aux  phénomènes  d'attraction  manifestés  par 
les  aimants. 

1  .Faits  fondamentaux.  —  La  propriété  que  poS' 
sède  la  pierre  d'aimant  peut  être  communiquée, 
par  voie  de  simple  contact,  i  des  barreaux  de  fer 
doux  ou  d'acier  trem|ié.  On  prend  généralement, 
h.  cet  effet,  des  barreaux  prismatiques  d'une  lon- 
gueur de  3U  à  40  cent  ,  de  4  cent,  de  largeur  et 
l"^,.')  d'épaisseur.  Ils  deviennent  de  véritables  ai- 
mants, quand  on  les  a  frottés  avec  l'aimant  natu- 
rel ;  on  les  nomme  même,  pour  ce  motif,  aimants 
artificiels.  Seulement  la  propriété  d'aimantation 
transmise  ainsi  au  fer  doux  n'est  chez  lui  que  tem- 
poraire ;  elle  disparaît  rapidement  aussitôt  que 
l'action  de  l'aimant  naturel  a  cessé;  tandis  qu'elle 
persiste  dans  le  barreau  d'acier  trempé  et  peut 
môme  acquérir  chez  lui  une  très  grande  énergie. 
—  Voilà  le  fait.  —  On  ne  sait  en  donner  aucune 
explication  ;  et  quand  on  dit,  pour  en  rendre 
compte,  que  l'acier  a  une  force  coercitive  dont  le 
fer  doux  est  dépourvu,  on  n'emploie  en  définitive 
qui',  des  mots,  de  simples  mots  destinés  à  cacher 
notre  ignorance.  Ce  qui  reste  comme  certain,  c'est 
que  l'aimant  donne  au  fer  doux  une  aimantation 


MAGNETISME 


—  I2il  — 


MAGNETISME 


paxsaijire,  tandis  qu'il  communique  à  l'acier  trempé 
une  aimantation  pevniuneiite. 

Pour  étudier  les  faits  généraux  du  magnétisme, 
il  est  plus  ('omniode  d'employer  les  aimants  arti- 
ficiels d'acier,  auxquels  on  donne  sans  peine  tou- 
tes les  Cormes  que  l'on  veut,  que  de  recourir  aux 
aimants  naturels.  Le  minerai  qui  constitue  ces 
derniers  se  prête  difficilement  aux  expériences. 
Donc,  quand  nous  parlerons  désormais  d'un  ai- 
mant, on  devra  entendre  qu'il  s'agit  d'un  aimant 
artificiel  constitue  par  une  barre  d'acier  trempé 
possédant  les  dimensions  indiquées  plus  liaut. 

I"  jiropriété.  —  L'action  attractive  ne  s'exerce 
fins  avec  lu  même  iiitensité  dons  toutfs  les  régions 
ilu  barreau  aimant'';  elle  va,  en  i/énérnt,  en  crois- 
sant, (In  milieu  oit  elle  est  nulle  jus'iue  vers  les  extré- 
mités cil  'lie  est  maximum.  On  démontre  expéri- 
mentalement cette  propriété  de  plusieurs  manières  : 
on  présente  successivement  les  diverses  sections 
du  barreau  à  une  petite  aiguille  de  fer  doux,  sus- 
pendue comme  un  pendule  au  bout  d'un  long  fil. 
On  constate  que  l'attraction  sur  ce  pendule  se 
manifeste  à  une  distance  d'autant  plus  grande  que 
la  section  mise  en  regard  de  lui  est  plus  voisine 
de  l'extrémité.  La  section  moyenne  et  les  sections 
voisines  n'attirent  nullement  ledit  pendule. 

Voici  encore  un  second  moyen,  —  et  celui-ci  est 
très  saisissant,  —  d'établir  le  même  principe  par 
l'expérience  :  on  place  sous  un  carton  ordinaire, 
qui  a  60  cent,  de  lojig  sur  40  de  large,  un  bar- 
reau aimanté;  et,  avec  l'aide  d'un  tamis,  on  fait 
tomber,  en  l'éparpillant,  de  la  limaille  do  fer  sur 
le  carton.  On  reconnaît  alors  après  avoir  donne, 
avec  la  main,  quelques  petites  secousses  au  carton 
pour  que  le  frottement  ne  soit  pas  un  obstacle  au 
mouvement  de  la  limaille,  que  celle-ci,  au  lieu  de 
dessiner  simplement  la  forme  du  barreau,  en  s'ac- 
cumulant  également  aux  différents  points  qui  lui 
■  correspondent,  —  ce  qui  arriverait  à  coup  sûr,  si 
les  différentes  régions  du  barreau  attiraient  le 
fer  avec  la  même  énergie,  —  s'agglomère  unique- 
ment vers  les  sections  extrêmes  du  barreau  en 
figurant  des  courbes  assez  régulières,  et  qu'elle 
manque  presque  complètement  vers  la  région 
moyenne.  On  a  appelé  la  figure,  ainsi  dessinée 
par  la  limaille  sur  le  carton,  fanl6me  magnétique. 
De  cette  expérience  très  facile  à  exécuter  dé- 
coule une  double  conclusion.  Premièrement,  on 
en  déduit  la  démonstration  de  la  propriété  signa- 
lée, laquelle  est  même  rendue  de  celte  façon  aussi 
claire  que  possible.  On  est  convenu  d'appeler 
pôles  les  extrémités  de  l'aiguille  où  semble  con- 
centrée l'action  magnétique,  et  l'gne  neutre  ou 
section  neutre,  la  région  intermédiaire.  En  second 
lieu,  la  même  expérience  nous  prouve  que  la  pro- 
priété magnétique  s'exerce  à' distance,  non  seule- 
ment à  travers  l'air,  mais  encore  à  travers  les  corps 
solides  tels  que  le  canon,  l'^n  variant  la  nature  de 
l'écran  interposé  entre  le  barreau  et  la  limaille,  on 
arrive  à  reconnaître  que  cette  propriété  de  trans- 
parence pour  le  magnétisme,  analogue  à  la  transpa- 
rence qu'a  le  verre  pour  la  lumière,  existe  pour 
toutes  les  substances,  le  fer  et  l'acier  exceptés. 

2"  pro/ir-iété.  —  Une  aiguille  aimantée  posée 
sur  un  pivot  vertical  et  mohile  dai,s  un  plan  ho 
rizontal  se  dirige  et  s'oriente,  sous  l'mfluen'C 
seule  lie  lu  terre,  à  ),eu  prés  dani  la  direction  'lu 
sud  au  nord.  Cette  propriété  se  démontre  aisé- 
ment en  recourant,  non  pas  au  barreau  aimanté 
ordinaire  qui  serait  trop  lourd,  mais  à  une  mince 
lame  d'acier  trempé  à  laquelle  on  donne  la  forme 
d'un  losange  très  allongé,  dont  la  grande  diagonale 
a  par  exemple  de  10  à  15  centimètres  et  la  petite 
1  o\>  '2  centimètres.  Cette  lame  ainsi  taillée  reçoit 
le  nom  d'uiguille  aimantée  ;  elle  porte,  fixée  en 
soii  milieu,  une  chape  en  acier  dur  ou  en  agate 
qui  permet  de  la  poser  sur  un  pivot  vertical  ter- 
miné   en  pointe.  De  cette  façon,   le  frottement 


qu'elle  exerce  sur  son  support  est  très  faible  et 
par  suite  sa  mobilité  est  très  grande.  Dans  ces 
conditions,  on  recormaît  que  ladite  aiguille,  aban- 
donnée h  elle-même,  prend  toujours  une  direction 
invariable,  sensiblement  du  nord  au  sud  —  donc 
elle  se  dirige.  On  reconnaît  en  outre  que  le 
même  côté  de  l'aiguille  est  toujours  pointé  vers 
le  nord  et  le  même  côte  toujours  vers  le  sud  — 
donc  elle  s'oriente.  On  a  beau  l'écarter  avec  la 
main  de  sa  position  normale,  l'aiguille  y  revient 
constamment  d'elle-même  aussitôt  qu'on  la  laisse 
libre,  après  avoir  exécuté  un  certain  nombre 
d'oscillations  à  droite  et  à  gauclie  de  cette  position, 
et  l'orientation  primitive  ne  tarde  pas  à  se  repro- 
duire. 

;)"  propriété.  —  U7i  long  barreau  aimanté  sur  le 
milieu  duquel  on  place  une  aiguille  aimantée, 
mobile  comme  à  l'oi  dinaire  sur  son  pivot,  proiluit 
sur  celle-ci  le  même  effet  que  produisait  tout  à 
l'heure  ta  tenre  ngissant  seule.  On  prend  un  bar- 
reau aimanté  de  .SO  centimètres,  on  met  sur  son 
milieu  le  support  de  l'aiguille,  puis  sur  le  sup- 
port l'aiguille  elle-même  ;  on  voit  alors  que,  quelle 
que  soit  la  direction  donnée  au  barreau,  l'aiguille 
lui  demeure  invariablement  parallèle.  Elle  se 
trouve  comme  liée,  comme  soudée  au  barreau,  au 
point  do  vue  de  ce  parallélisme  remarquable  qui 
ne  se  dément  pas  un  instant  quel  que  soit  l'azi- 
mut dans  lequel  le  barreau  soit  porté  :  —  en 
réalité  le  barreau  dirige  l'aiguille  et  annule  mo- 
mentanément l'effet  de  la  terre,  parce  qu'il  est  très 
rapproché  de  l'aimant  mobile.  De  plus,  l'aiguille 
est  oiieiitée  comme  dans  le  cas  précédent,  dans 
ce  sens  que  la  même  moitié  de  l'aiguille  regarde 
toujours  la  même  moitié   du  barreau. 

Ce  n'est  pas  tout  :  si  on  marque  à  la  craie  de 
la  même  lettre  sur  l'aiguille  et  sur  le  barreau  les 
moitiés  qui  se  correspondaient  invariablement  pen- 
dant que  se  réalisait  l'expérience  précédente  (on 
inscrit  par  exemple  la  lettre  N  sur  une  des  moitiés 
et  la  lettre  S  sur  1  autre),  on  constate  que  chaque 
moitié  du  barreau  attire  la  moitié  de  l'aiguille  qui 
lui  correspond,  c'est-i-dire  celle  qui  porte  la  même 
lettre.  Ainsi  le  côté  N  du  barreau  attire  le  côté  N 
de  l'aiguille ;S  du  barreau  attire  S  de  l'aiguille.  Le 
moyen  de  procéder  à  cette  constatation  est  d'ail- 
leurs facile:  1  opérateur  prend  le  barreau  à  la  main 
et  présente  successivement  N  de  ce  barreau  à  N 
de  l'aiguille  et  S  à  S.  L'expérience  réussit  toujours. 
Elle  est  très  concluante.  Nous  en  déduirons  que 
lorsque  l'aiguille  est  sous  l'inlluencc  exclusive  de 
la  terre  (le  barreau  se  trouvait  alors  fort  éloigné 
d'elle)  tout  se  passe  comme  si  la  terre  renfermait 
à  peu  près  dans  le  plan  méridien  du  lieu  un  bar- 
reau aimanté  dont  le  pôle  nord  attirerait  le  pôle 
nord  de  l'aiguille  et  dont  le  pôle  sud  attirerait  en 
même  temps  le  pôle  correspondant. 

4°  propriété.  —  Les  pôles  de  même  nom  se  re- 
poussent, les  pôles  de  nom  contraire  s'attirent. 
Qu'on  place,  à  une  assez  grande  distance  l'une  de 
l'autre,  deux  aiguilles  aimantées  tout  à  fait  pa- 
reilles, piisées  l'Iiacune  sur  son  pivot  et  parfaite- 
ment mobiles,  l'une  et  l'autre  dans  un  plan  hori- 
zontal. Comme  on  doit  s'y  attendre,  d'après  ce  qui 
vient  d'être  dit,  les  deux  aiguilles,  obéissant  à 
l'action  de  la  terre,  se  placeront  en  équilibre  dans 
des  directions  rigoureusement  parallèles.  Les  pôles 
nord  des  deux  aiguilles  peuvent  être  considérés 
comme  étant  de  môme  espèce,  de  même  nom, 
puisqu'ils  jouissent  des  mômes  propriétés;  ils 
subissent  en  effet  la  môme  action  de  la  part  de  la 
terre  et  ils  seraient  l'un  et  l'autre  attirables  par  le 
même  pôle  convenablement  choisi  du  barreau 
qu'on  leur  présenterait.  Même  conséquence  en  ce 
qui  concerne  les  deux  pôles  sud.  Or,  si  on  prend 
i  la  main  l'une  des  deux  aiguilles  et  qu'on  approche 
son  pôle  nord  du  pôh',  nord  de  l'autre  aiguille  de- 
meurée mobile,  on  constate  une  répulsion  exercée 


MAGNETISME 


1248 


MAGNETISME 


sur  cette  dernière.  Pareillement,  le  pôle  sud  de 
l'aiguille  rendue  fixe  repoussa  le  pôle  sud  de  l'ai- 
guille mobile.  Enfin  le  pôle  nord  de  la  première 
attire  le  pôle  sud  de  la  seconde  et  semblablement, 
le  pôle  sud  de  la  première  attire  le  pôle  nord  de 
la  seconde.  On  arrive  comme  conclusion  nécessaire 
à  cet  énoncé  formulé  plus  haut  :  les  pôles  de  mé^ne 
nom  se  repoussent,  ceux  de  nom  contraire  s'at- 
tirent. 

2.  Hypothèse  des  fluides  magnétiques.  —  Jus- 
qu'à présent  nous  sommes  restés  dans  le  domaine 
exclusif  des  faits;  essayons  maintenant,  à  l'aide 
d'une  hypothèse,  d'en  fournir  l'explication.  H  faut 
se  garder  de  considérer  cette  hypothèse  comme 
représentant  exactement  la  vérité  des  choses.  Elle 
n'est,  en  réalité,  qu'un  moyen  commode  de  grou- 
per les  faits  entre  eux  et  de  montrer  leur  dépen- 
dance. Voici  cette  hypothèse. 

On  admet  que  dans  toutes  les  substances  ma- 
gnétiques il  existe  deux  fluides  distincts  qui  s'y 
trouvent  en  quantité  telle  que,  combinés  ensem- 
ble, ils  se  neutralisent  complètement  :  ils  forment 
ce  qu'on  nomme  le  fluide  neutre.  Ces  fluides  pos- 
sèdent la  propriété  de  s'attirer  l'un  l'autre;  mais, 
par  suite  île  la  nature  ou  du  mode  de  groupe- 
ment des  particules  pondérables  au  milieu  des- 
quelles ils  sont  placés,  ou  bien  encore  par  l'cfTet 
de  forces  extérieures,  ils  peuvent,  dans  certains 
cas,  demeurer  séparés,  et  alors  chacun  exerce 
autour  de  lui  une  action  (jui  lui  est  propre  et  que 
rien  ne  contrebalance.  En  outre  les  particules  d'un 
même  fluide  magnétique  se  repoussent  elles- 
mêmes.  On  admet  enfin  que,  dans  le  fer  doux, 
aucune  résistance  n'est  opposée  par  la  matière  qui 
forme  le  métal  ni  à  la  séparation  des  deux  fluides, 
quand  une  force  extérieure  intervient,  ni  à  leur 
réunion  lorsque,  étant  déjà  séparés,  la  force  en 
•question  cesse  d'agir.  Dans  l'acier  au  contraire, 
dans  l'oxyde  salin  de  fer,  etc.,  cette  résistance 
opposée  au  mouvement  dans  les  deux  sens  des- 
dits fluides  se  montre  incessamment  ;  elle  est  plus 
ou  moins  énergique  pour  l'acier  suivant  son  degré 
de  trempe  et  aussi  suivant  qu'il  est  plus  ou  moins 
•carburé. 

Partant  de  là,  voici  comment  on  explique  les 
Xaits    précédemment    signalés  : 

1"  Aimantation  d'un  barreau  d'acier.  —  J'ai  un 
barreau  d'acier  trempé  j  pour  l'aimanter,  je  pro- 
mène à  sa  surface  et  toujours  dans  le  même  sens 
l'un  des  pôles  d'un  aimant  naturel.  Que  se  passe- 
t-il  'i  le  fluide  neutre  contenu  dans  le  barreau  se 
décompose:  l'un  des  fluides,  celui  qui  est  de  nom 
contraire  à  celui  du  pôle  excitateur,  est  attiré  et 
entraîné  dans  le  sens  de  l'aimant,  l'autre  fluide  est 
repoussé  et  se  porte  en  sens  inverse.  L'action 
grandit  à  mesure  que  j'augmente  le  nombre  de 
rictions  jusqu'à  une  certaine  limite,  et  alors  je 
puis  impunément  éloigner  l'aimant  naturel;  les 
deux  fluides  resteront  séparés  dans  le  barreau  à 
raison  de  la  propriété  spécifique  de  l'acier,  pro- 
priété mentionnée  plus  haut.  Mon  barreau  est  de- 
venu un  aimant  permanent. 

2°  Direction  etorientationde  l'aiquille  aimantée. 
—  D'après  ce  qui  a  été  dit  plus  haut,  la  terre  elle- 
même  peut  être  considérée  comme  un  aimant 
toujours  existant;  donc,  une  aiguille  aimantée 
mobile  autour  d'un  axe  vertical  devra,  pour  obéir 
aux  actions  magnétiques  du  globe,  se  placer  tou- 
jours parallèlement  à  l'aimant  terrestre,  son  pôle 
nord  devant  être  de  nom  contraire  au  pôle  nord  de 
la  terre  puisqu'il  est  attiré  par  lui  ;  son  pôle  sud 
de  nom  contraire  au  pôle  sud  de  la  terre  puisqu'il 
subit  de  sa  part  une  attraction.  De  là  par  suite 
la  direction  et  l'orientation  de  l'aiguille  mobile. 

3°  Actions  mutuelles  des  aiguilles  aimantées.  — 
Je  présente  le  pôle  nord  d'une  aiguille  au  pôle  de 
même  nom  d'une  autre  aiguille  :  ces  pôles  devront 
se  repousser,  puisqu'ils  renferment  l'un  et  l'autre 


des  fluides  de  même  espèce  ;  le  pôle  nord  de  l'un 
attirera  le  pôle  sud  de  l'autre,  puisqu'ils  contien- 
nent des  fluides  d'espèce  différente. 

4"  Attraction  du  fer  doux  par  l'aimant.  — Enfin, 
un  aimant  naturel  ou  artificiel  devra  attirer  le  fer 
doux;  car  le  fluide  libre  de  l'aimant  décomposera  à 
distance  le  fluide  neutre  du  fer  doux,  attirera  dans 
la  région  la  plus  voisine  le  fluide  de  nom  contraire 
etrepoussera  dansla  partie  la  plus  éloignée  le  fluide 
de  même  nom  ;  le  fer  doux  deviendra  ainsi  un  ai- 
mant temporaire,  qui  se  précipitera  par  sa  partie 
la  plus  voisine  du  pôle  excitateur  de  l'aimant  vers 
ce  pôle  lui-même;  seulement,  aussitôt  que  l'ai- 
mant permanent  sera  éloigné,  le  fer,  au  point  de 
vue  magnétique,  retombera  dans  son  inertie  pri- 
mitive; il  perdra  toute  trace  d'aimantation. 

Ici  se  place  une  indication  dont  il  est  bon  de 
prendre  note  pour  pouvoir  saisir  l'explication  des 
phénomènes  magnétiques  dans  les  cours  et  dans 
les  livres.  On  a,  en  France,  par  une  anomalie  qui 
au  premier  moment  parait  singulière,  nommé  pôle 
austral  le  pôle  nord  de  l'aiguille  aimantée  et  pôle 
boréal  son  pôle  sud.  En  voici  la  raison.  Admettre 
l'existence  de  l'aimant  terrestre,  c'est  supposer 
que  l'hémisphère  nord  renferme  un  fluide  libre 
d'une  espèce  —  on  l'a  très  naturellement  nommé 
fluide  boréal,  —  et  l'hémisphère  sud  le  fluide  de 
l'autre  espèce  qu'on  a  nommé  austral  ;  jusqu'ici 
tout  est  logique.  Mais  si,  de  l'aimant  terrestre,  nous 
passons  à  T'aiguille  aimantée  mobile,  nous  sommes 
forcés  d'admettre  que  le  côté  de  cotte  aiguille  qui 
se  porte  librement  vers  le  nord  de  la  terre  ren- 
ferme un  fluide  de  nom  contraire  au  fluide  boréal 
du  pôle  terrestre,  puisqu'il  est  attiré  par  lui.  Il  en 
sera  de  même  pour  le  pôle  sud.  Nous  devons 
donc  dire  que  le  pôle  nord  d'une  aiguille  est  un 
pôle  austral  et  le  pôle  sud  un  pôle  boréal.  Telle 
est  la  synonymie  adoptée  depuis  longtemps  dans 
notre  pays. 

On  explique  de  la  même  façon,  en  partant  de 
l'hypothèse  des  deux  fluides,une  foule  d'expérien- 
ces intére*isantes  que  l'on  fait  dans  les  cours. 
Nous  n'y  insisterons  pas  ;  nous  signalerons  deux 
de  ces  expériences  seulement,  en  laissant  au  lec- 
teur le  soin  d'en  trouver  l'explication. 

I.  Lorsqu'on  tient  suspendu  à  un  aimant  un  mor- 
ceau de  fer  doux,  celui-ci  devient  capable  d'en 
attirer  un  second,  ce  dernier  un  troisième,  etc..  de 
manière  qu'on  a  ainsi  comme  un  chapelet  de  frag- 
ments de  fer  devenus  tous  solidaires.  Eloigne-t-on 
l'aimant  permanent,  tous  les  morceaux  de  fer  se 
détachent  d'eux-mêmes  et  tombent. 

II.  Un  morceau  de  fer  se  maintient  suspendu  au 
pôle  d'un  aimant  et  ne  tombe  pas  malgré  son  poids  ; 
vient-on  à  approclier  du  pôle  en  question  le  pôle 
de  nom  contraire  d'un  autre  aimant,  on  voit,  quand 
les  deux  pôles  sont  à  une  petite  distance  l'un  de 
l'autre,  se  détacher  de  lui-même  le  fragment  de 
fer  doux. 

Jusqu'ici  les  deux  fluides  magnétiques  ont  dii  pa- 
raître au  lecteur  se  rapprocher  beaucoup,  par  leurs 
propriétés  et  leurs  actions  mutuelles,  des  deux 
fluides  électriques.  Il  n'en  est  rien  ;  la  différence 
est  profonde.  L'expérience  suivante  est  décisive  à 
ce  point  de  vue  Qu'on  prenne  une  aiguille  à  tricoter, 
—  elle  est  formée,  comme  on  sait,  d'acier  trempé,  — 
et  que  par  des  frictions  exercées,  toujours  dans  le 
môme  sens,  avec  lu  pôle  d'un  aimant,  on  la  con- 
vertisse en  un  aimant  permanent.  Une  de  ses  moi- 
tiés manifestera  la  présence  du  fluide  boréal 
libre  et  l'autre  moitié  la  présence  du  fluide  austral. 
Si  les  deux  fluides  étaient  effectivement  séparés, 
comme  le  sont  les  fluides  électriques  positif  et 
négatifdans  un  cylindre  conducteur  soumis  à  I  in- 
fluence d'une  source;  s'ils  se  trouvaient  l'un  dans 
la  moitié  australe,  l'autre  dans  la  moitié  boréale 
de  l'aiguille,  on  devrait  en  coupant  l'aiguille  par 
le  milieu  emporter  sur  chaque  fragment  l'un  des 


MAGNETISME 


1:2  ia 


MAGNETISME 


deux  fluides  seulement.  Or  l'expérience  donne  un 
toul  autre  résultat  :  quand  on  coupe  l'aiguille  par  le 
milieu,  on  obtient  deux  aimants  au  lieu  d'un  seul  ; 
cliaquo  fragment  possède  ses  deux  pôles  sans  au- 
cune interversion,  le  pôle  austral  et  le  |)ôle  boréal 
gardant  la  position  qu'ils  avaient  avant  la  rupture. 
On  peut  continuer  ainsi,  briser  l'aiguille  en  une 
foule  de  petits  morceaux.  Chacun  d'eux  constitue 
toujours  après  la  séparation  un  aimant  complet. 
Que  conclure  de  Ihl  C'est  que  les  fluides  magnéti- 
ques ne  se  portent  pas  d'un  bout  du  cylindre  d'acier 
à  l'autre.  Chaque  molécule,  si  l'on  p-ut  ainsi  parler 
poui-  être  plus  intelligible,  chaque  molécule  de 
fluide  neutre  ne  se  dédouble  pas  ,  elle  avait  primi- 
tivement dans  le  fer  ou  l'acier  non  aimantés  une 
position  quelconque,  et  l'ensemble  des  positions 
occupées  par  les  diverses  molécules  était  tel  que 
la  résultanie  de  leurs  actions  sur  une  molécule 
extérieure  était  nulle.  Mais  dès  qu'il  se  manifeste 
une  influence  magnétique  venant  de  l'extérieur, 
les  molécules  de  fluide  neutre  se  dirigent  et  s'o- 
rientent toutes  dans  le  même  sens  ;  il  s'établit  alors 
dans  la  lame  magnétique  ce  qu'on  a  appelé  une 
polarité  déterminée.  On  peut  du  reste  par  le  rai- 
sonnement se  rendre  compte  de  l'effet  que  pourra 
produire  une  polarité  de  ce  genre,  et  l'on  arrive  à 
reconnaître  que  grâce  à  elle  il  se  manifestera  une 
action  australe  prodominante  dans  une  moitié  de 
l'aiguille,  une  action  boréale  prédominante  dans 
l'autre. 

Une  explication  des  phénomènes  magnétiques, 
beaucoup  plus  rationnelle  que  la  précédente,  a  été 
donnée  à  l'article  Electricité.  Les  découvertes 
d',\mpère  ont  montré  qu'un  aimant  n'était  en  dé- 
finitive qu'un  solénoidf  d'une  espèce  particulière, 
c'est-à-dire  qu'on  pouvait  le  considérer  comme  con- 
stitué par  un  système  de  courants  circulaires  mar- 
cliajit  dans  le  même  sens.  Tout  s'explique  simple- 
ment dans  la  théorie  électro-dynamique.  Nous  ne 
pouvons  ici  que  la  rappeler.  Nous  dirons  seulement 
que  c'est  grâce  aux  électro-aimanls  dont  l'invention 
est  due  à  Arago,  que  l'on  est  parvenu  h  constituer 
les  aimants  temporaires,  de  beaucoup  les  plus  puis- 
sants. Une  simple  barre  de  fer  doux  contournée  en 
fer  .'i  cheval  et  entourée  d'une  bobine  d'un  long 
fil  de  cuivre,  acquiert  une  aimantation  tellement 
énergique,  quand  on  fait  passer  un  courant  dans 
la  bobine,  qu'on  peut  soulever  à  son  aide  des  ar- 
matures de  fer  doux  portant  un  poids  de  plusieurs 
centaines  de  kilogrammes. 

3.  Dia magnétisme.  —  Ces  mêmes  électro-ai- 
mants ont  permis,  en  outre,  de  reconnaître  la  fa- 
culté magnétique  dans  une  foule  de  corps  où 
elle  n'était  môme  point  soupçonnée.  Pendant  long- 
temps, on  avait  considéré  le  fer  et  ses  composés, 
plus  trois  autres  métaux,  le  nickel,  le  cobalt  et  le 
chrome,  comme  les  seules  substances  magnéti- 
ques; mais  lorsqu'il  put  disposer  de  la  puissance 
magnétique  que  procura  l'emploi  de  l'clectro- 
ainiLint,  Faraday  ne  tarda  pas  h  reconnaître  que  la 
iMti'gorie  des  substances  sensibles  à  l'aimant  était 
Il  >  nombreuse.  On  peut  môme  dire  d'une  manière 
gi'iiérale  que  tous  les  corps  de  la  nature  sont  in- 
fliii'ncés  par  un  aimant  :  solides,  liquides  et  gaz. 
Il  ''xiste  toutefois  entre  eux  une  différence  essen- 
u^'lle  :  les  uns,  placés  entre  les  deux  branches 
d  lia  électro-aimant  en  fer  à  cheval,  se  dirigent  sui- 
v.int  la  ligne  qui  joint  les  deux  pôles,  axialement, 
selon  l'expression  de  Faraday;  ceux-là  sont  attirés 
cl  se  comportent  comme  le  fer;  ce  sont  donc  les 
cnips  proprement  maijnHiques  ou  p'na'nar/?iéti- 
V'"v,;  les  autres  se  placent  dans  une  direction  per- 
p^'iidiculaire  à  la  ligne  des  pôles,  éqwitorialement  : 
ils  sont  repoussés  par  l'aimant.  Faraday  les  nom- 
mait rfi«mo9He;,<^ues.  Les  principaux  parmi  ces 
(liriiiers  sont  le  bismuth,  l'antimoine,  le  zinc, 
l'iLiii),  le  mercure,  l'argent  et  le  cuivre.  Un  petit 
bjii eau  de  bismuth  d'un  centimètre  ou  un  cenli- 

2«  PARTIE, 


mètre  et  demi  do  longueur,  suspendu  à  un  fil  fin  et 
placé  entre  les  deux  pôles  d'un  fort  électro-aimant, 
accuse  très  nettement,  par  une  rotation,  la  pro- 
priété diamagnétiiiue  dont  il  jouit  :  aussitôt  qu'on 
fait  passer  le  courant  il  tourne  pour  se  fixer  dans 
la  position  équatoriale.  Les  nombreux  composés  où 
entre  le  fer  sont  tous  magnétiques,  alors  môme 
que  ce  métal  n'y  est  représenté  que  par  une  très 
faible  proportion.  Ainsi,  le  verre  à  bouteille  est 
magnétique;  il  faut  cependant  ajouter  que  le  prus- 
siate  de  potasse  ou  ferro-cyanure  de  potassium  est 
diamagnétique,  quoiqu'il  renferme  du  fer.  L'eau 
est  dianKiLjn  tique,  roxygèiie  magnétique,  etc. 

4  Magnétisme  terrestre.  —  On  s'est  demandé 
quelle  est  au  juste  la  nature  de  l'action  que  la 
terre  exerce  sur  une  aiguille  aimantée.  Est-elle 
par  exemple  comparable  à  celle  de  la  pesanteur'? 
L'expérience  a  nelteiuent  répondu  :  Nan,  le  globe 
n'exerce  point  une  action  de  transport  sur  l'aiguille 
aimantée;  son  action  est  purement  directrice. 

En  effet,  si  l'action  magnétique  de  la  terre  pou- 
vait être  assimilée  à  la  force  de  la  pesanteur,  elle 
seiait  représentée  finalement  par  une  résultante 
unique  appliquée  en  un  certain  point  de  l'aimant 
considéré,  de  même  que  la  résultante  des  action* 
de  la  pesanteur,  le  poids,  est  appliquée  au  centre  de 
gravité.  Cette  résultante  serait  ou  verticale,  ou  ho- 
rizontale, ou  oblique.  Or,  elle  n'est  pas  verticale. 
En  voici  la  preuve  :  on  suspend  un  barreau  d'acier 
trempé  au-dessous  de  l'un  des  plateaux  d'une  ba- 
lance très  sensible,  de  manière  à  ce  que  son  axe 
soit  vertical.  On  lui  fait  équilibre  avec  une  tare 
placée  dans  l'autre  plateau.  On  aimante  ensuite 
fortement  le  même  barreau  et  on  le  suspend  de 
nouveau  sous  le  même  plateau,  dans  les  mêmes  con- 
ditions qu'auparavant.  On  reconnaît  que  son  poids 
aiparent  n'a  pas  changé.  Cependant,  si  l'action 
magnétique  du  globe  se  réduisait  à  une  force  ma- 
gnétique unique  de  sens  vertical,  elle  agirait  ou 
pour  taire  mouvoir  le  barreau  aiiuanié  de  haut  en 
bas,  ou  pour  le  pousser  de  bas  en  haut.  Le  bar- 
reau ne  bouge  pas,  malgré  la  grande  sensibilité' 
de  la  balance,  donc  la  force  en  question  n'existe 
pas,  ou  du  moins,  dans  la  condition  où  est  exécu- 
tée l'expérience,  sa  pesanteur  est  inférieure  à  la 
force  d'un  milligramme.  La  force  terrestre  est-elle 
horizontale  ?  Pas  davantage.  Placez  une  aiguille 
aimantée  sur  une  lame  de  liège  posée  elle-même 
sur  l'eau  ;  vous  verrez  le  liège  tourner  de  manière 
à  faire  prendre  à  l'aiguille  la  direction  nord-.sud, 
puis  un  équilibre  final  s'établira;  l'aiguille  n'en- 
traînera le  lièffc  ni  dans  un  sens  ni  ilans  l'autre; 
donc,  point  de  force  horizontale.  Enfin,  si  la  force 
terrestre  avait  une  direction  oblique,  cil  ■  pourrait 
être  décomposée  en  deux  forces,  l'une  horizon- 
tale, l'autre  verticale;  or  aucune  de  ces  deux 
composantes  n'existe  réellement.  L'expérience  l'a 
établi  ;  donc  la  résultante  elle-même  fait  défaut. 
1»  Couple  terrestre.  —  En  somme,  l'action  ter- 
restre est  comparable  à  ce  (|u'on  nomme  un  couple 
en  mécanique  (V.  Mécnnique);  elle  se  ramène  à  un 
ensemble  de  deux  forces  égales,  parallèles,  agissant 
en  sens  contraire,  et  appliquées  chacune  à  l'un  des 
pôles  de  l'aiguille  aimantée.  Pour  se  rendre  un 
compte  exact  de  ceci,  il  ne  faut  plus  laisser  au 
mot  pôle  le  sens  un  peu  vague  qui  lui  a  été  attri- 
bué jusqu'ici.  Précisons.  Soit  une  molécule  M  de 
fluide  magnétique  boréal  libre  placée  à  qui'lques 
mètres  de  distance  de  l'une  des  moitiés  AC  de 
l'aiguille  aimantée,  la  moitié  australe  par  exemple, 
dont  nous  supposerons  la  longueur  ésile  à  cinq 
centimètres.  Chaque  particule  magnétique  du  fluide 
austral  AG  agira  par  attraction  sur  M.  Il  y  auiadonc 
autant  de  forces  attractives  intervenant  qu'il  y  a 
de  particules  libres  en  AC,  et  de  plus  ces  forces 
pourront  être  considcrêes  comme  parallèles  entre 
elles  à  cause  de  la  faible  longueur  de  l'aiguille  et 
de  la  distance  relativement  grande  qui  la  séparo 
79 


MAGNETISME 


—  1230 


MAGNETISME 


de  M.  Ces  forces  attraciives  parallèles  entre  elles 
seront  inégales,  mais  elles  conserveront  toujours 
leurs  rapports  de  grandeur,  quelle  que  soit  la  po- 
sition qu'on  donne  à  l'aiguille  par  rapport  à  M, 
car  leur  intensité  relative  ne  dépend  que  de  la  dis- 
tribution du  magnétisme  dans  l'aiguille,  laquelle 
demeure  invariable.  Mais  on  sait  (V.  Mé  aiiiifue) 
que  lorsque,  sur  un  corps  solide,  agit  un  système 
de  forces  parallèles  dont  les  rapports  de  grandeur 
sont  constants,  toutes  ces  forces  sont  rempiaçables 
par  une  résultante  unique  igale  à  leur  somme, 
parallèle  à  leur  direction  et  appliquée  en  un  point 
déterminé,  invariable  aussi,  et  qu'on  nomme  le 
centre  des  forces  parallèles.  Dans  l'espèce,  toutes 
'  les  actions  de  M  sur  AB  se  réduiront  donc  à  une 
seule  force  qui  sera  leur  résultante  et  qui  passera 
par  un  point  fixe  de  AB.  Ce  point  lixe,  c'est  pré- 
cisément le  pôle.  Eh  bien,  quand  on  considère 
l'action  magnétique  exercée  par  le  glcbe  sur  l'ai- 
guille aimantée  tout  entière,  cette  action  peut  être 
représentée  par  deux  forces  égales,  parallèles  et 
de  sens  contraire,  appliquées  chacune  à  un  pôle  de 
l'aiguille  et  formant  par  suite,  par  leur  ensemble, 
un  véritable  couple.  L'aiguille,  sous  leur  influence, 
ne  peut,  si  elle  est  libre,  si  par  exemple  elle  est 
suspendue  à,  un  fil  fin  par  son  contre  de  gravité, 
que  tourner,  de  manière  i  devenir  parallèle  aux 
forces  du  couple.  Alors,  en  etfet,  les  deux  forces 
agissant  en  sens  contraire  et  suivant  la  même  ligne 
droite  se  détruisent,  s'annulent,  et  l'aiguille  reste 
en  équilibre. 

Ceci  nous  conduit  à  une  méthode  fort  simple 
pour  trouver  la  direction  des  forces  terrestres.  11 
faudra  déterminer:  1°  le  plan  du  couple;  ■.J"  la 
ligne  suivant  laquelle  agissent  les  forces  dans  ce 
plan. 

2°  Angle  de  déclinaison.  —  Le  plan  du  couple 
est  fourni  par  l'aiguille  dite  de  d'cnnnisnn.  C'est 
précisément  le  petit  appareil  r  ui  a  servi  jusqu'à 
présent  à  nos  expériences.  Par  tâtonne  i  ent,  on  ar- 
rive en  eifet  à  donnée  à  la  moitié  de  l'aiguille,  qui 
doit  être  le  pôle  boréal,  un  surcroit  de  poids  M  tel 
que  l'aiguille  se  maintient  horizontale  (quand  elle 
est  aimantée),  malgré  l'action  magnétique  du  globe 
qui  tend  à  incliner  au-dessous  de  l'horizon  le  côté 
nord  de  l'aiguille.  En  d'autres  termes,  le  centre 
de  gravité  proprement  dit  de  l'aiguille  n'est  point 
sur  le  prolongement  du  pivot  vcrticul  qui  la  sup- 
porte, et  quand  elle  est  désaimantée,  l'aiguille 
penche  du  côté  du  sud.  Quand  elle  est  aimantée, 
elle  se  maintient  au  contraire  rigoureusement  ho- 
rizontale. Elle  tourne  alors  autour  du  pivot  vertical, 
et  après  quelques  oscillations  elle  vient  se  placer 
nécessairement  dans  le  plan  même  du  couple  ter- 
restre. Là  seulement  elle  peut  se  maintenir  en 
équilibre  stable.  Les  composantes  verticales  des 
forces  du  couple  s  nt  détruites  par  la  résistance 
du  support  de  l'aiguille,  et  ses  composantes  liori- 
zontahes  ne  peuvent  s'annuler  réciproquement 
qu'autant  que  l'aiguille  se  place  dans  leur  propre 
direction.  Le  plan  vertical  passant  par  les  deux 
pôles  de  l'aiguille  en  équilibre  est  donc  exactement 
le  plan  même  du  couple  terrestre. 

On  a  ainsi  reconnu  que  le  plan  du  couple  ter- 
restre, ou  le  méridien  magnétique  d'un  lieu,  ne 
6e_  confond  pas  habituellement  avec  son  méridien 
géographique.  L'angle  que  font  les  deux  plans 
porte  le  nom  d'a.c/le  ite  déclinaison.  Quand  le 
pôle  nord  de  l'aiguille  aimantée  s'écarte  du  méri- 
dien géographique  vers  l'est,  la  déclinaison  est 
dite  orieulcde;  elle  est  occidentale,  quand  le  môme 
pôle  s'écarte,  au  contraire,  vers  l'ouest  On  a 
imaginé  des  appareils  spéciaux  assez  compliqués, 
que  nous  n'avons  pas  à  décrire  ici,  pour  mesurer 
l'angle  de  déclinaison  avec  une  grande  exactitude. 

3»  Angle  (f  inclinaison.  —  Le  plan  du  méridien 
magnétique  étant  maintenant  déterminé,  si  nous 
rendons  mobile  dans  ce  plan  autour  d'un  axe  qui 


lui  soit  perpendiculaire  une  aiguille  aimantée  de 
manière  que  sou  centre  de  gravité  se  trouve  sur 
l'axe  de  rotation,  cette  aiguille  devra  tourner 
dans  son  plan,  qui  est  le  plan  même  du  couple 
terrestre,  jusqu'à  ce  qu'elle  se  place  dans  la  direc- 
tion des  forces  qui  le  constituent.  A  cette  condi- 
tion seulement,  elle  pourra  rester  en  équilibre. 
Or  l'expérience  montre  que  l'aiguille  dite  cette 
fois  d'inclinaison  n'est  généralement  pas  horizon- 
tale. En  ce  moment,  h  Paris,  le  pôle  nord  plonge 
en-dessous  de  l'horizon   d'environ  (15°  31;'. 

L'angle  que  forme  avec  Ihorizon  la  moitié  nord 
d'une  aiguille  aimantée  mobile  autour  d'un  axe 
horizontal  dans  le  plan  du  méridien  magnétique 
du  lieu  se  nomme  l'ongle  n' inclinaison. 

La  connaissance  de  la  valeur,  en  un  lieu  donné, 
des  angles  d'inclinaison  et  de  déclinaison,  fournit 
la  position  du  couple  magnétique  terrestre.  Quand 
on  yjoint  la  mesure  de  l'iniensito  magnétique,  on 
a  déterminé  ce  qu'on  appelle  les  éléments  du  ma- 
gnétisme terrestre  en  ce  lieu. 

4°  Variations  des  éléments  magnétiques.  —  La 
détermination  des  éléments  magnétiques  a  un 
grand  intérêt  ;  leurs  variations  se  lient  avec  les 
changements  de  tout  genre  qu'éprouve  notre 
globe.  On  a  reconnu  que  la  déclinaison  et  l'incli- 
naison en  particulier  subissent  des  variations  sé- 
culaires, des  variations  diurnes  affectant  les  unes 
et  les  autres  une  périodicité  réelle,  et  enfin  des 
variations  accidentelles,  en  relation  avec  l'appari- 
tion des  orages,  des  aurores  boréales,  avec  les 
tremblements  do  terre. 

Voici  quelques  aperçus  sur  les  variations  sé- 
culaires à  Pans  :  1°  de  la  déclinaison  ;  elle  était 
orientale  en  1580,  et  sa  valeur  de  11°, 30',  il  y  a 
juste  300  ans;  puis  l'aiguille  s'est  rapprochée  de 
plus  en  plus  du  méridien  terrestre,  et  la  déclmai- 
son  est  devenue  nulle  en  1603.  A  partir  de  cette 
époque,  l'aiguille  s'est  écartée  de  plus  en  plus  du 
méridien  vers  l'ouest  et  le  maximum  de  la  décli- 
naison occidentale  a  été  de  i2°,34'  en  1SI4.  De- 
puis l«U,  l'aiguille  revient  sur  ses  pas;  elle  se 
rapproche  de  plus  en  plus  du  méridien  ;  la  décli- 
naison a  successivement  été  de  20», 41  en  1K48; 
de  iy°,0',6  en  181!  l;  de  16°56',4  en  janvier  18i9; 
2°  de  l'inclinaison;  depuis  1071,  l'angle  d  incli- 
naison va  en  diminuant  à  Paris  d'une  manière 
continue  comme  si  nous  descendions  progressive- 
ment vers  une  latitude  magnétique  moins  élevée. 
Il  semble  que  le  pôle  magnétique  terrestre  se- 
loigne  de  nous  de  plus  en  plus.  L  angle  d  incli- 
naison en  1611  était  da  75°;  il  a  diminue  depuis 
d'une  manière  continue:  68°, l' en  IS'io;  OO-.O  a  en 
1863;  B;>°, 31, 8  en  janvier  1879.  , 

Ces  mêmes  éléments  magnétiques  considères  4 
la  même  époque  ont  des  valeurs  très  différentes, 
d'un  lieu  à  l'autre.  Ainsi,  en  juin  1870,  la  décli- 
naison étant  à  Paris  de  17«,l9  avait  pour  valeur  à 
Lyon  15°37-  15°,1  à  Marseille,  2U%23  à  Brest.  On 
a  pu  même  marquer  sur  la  carte  de  France  des 
lignes  d'égale  déclinaison  magnétique;  ces  lignes, 
dans  leur  allure  générale,  affectent  un  certain  pa- 
rallélisme et  font  un  angle  très  sensible  avec  la 
méridienne  géographique.  Ainsi  la  ligne  corres- 
pondmt,  le  15  juin  187U,  à  la  déclinaison  de  18 
passait  par  Rouen,  le  Mans,  Niort  en  France,  et 
Logrono  en  Espagne.  La  ligne  donnant  la  déclinai- 
son de  1 7°  passait  un  peu  à  l'est  de  Melun,  à  Bourges, 
à  Guérei,  un  peu  à  lest  d'Auch,  etc.  Il  va  sans 
dire  nue  les  lignes  elles-mêmes  ne  sont  pas  fixes, 
elles  vont  en  se  déplaçant  d'une  manière  continue 
avec  le  temps.  ,„„ 

Pour  la  valeur  de  l'inclinaison,  on  trouve  des 
variations  tout  aussi  considérables  quand  le  Heu 
d'observation  change.  D'une  manière  générale, 
quand  on  marche  de  l'équiiteur  vers  le  P"le  "o™- 
1  angle  d'inclinaison  va  en  croissant.  On  ti  ouve 
même  un  point  de  la  terre  vers  la  latitude  de  7d  , 


MAHOMET 


1251  — 


MAHOMET 


où  cet  angle  prend  la  valeur  do  90".  En  ce  point, 
les  forces  du  couple  terrestre  sont  verticales, 
l'aiguille  d'inclinaison  devient  verticale  elle-même. 
Au  contraire,  dans  une  série  de  lieux  voisins  do 
l'équaleur,  l'inclinaison  est  nulle;  la  courbe  qui  les 
réunit  porte  le  nom  d'équateur  masnétique.  L'c- 
•quateur  magnétique  ne  se  confond  pas  exactement 
avec  l'équateur  géographique  ;  la  courbe  qui  lui 
correspond  présente  une  forme  sinueuse,  elle 
offre  dans  son  ensemble  la  figure  d'un  grand 
cercle  dont  le  plan  formerait  avec  celui  de  l'é- 
<iuateur  terrestre  un  angle  de  12"  et  demi.  Au  sud 
de  l'équateur  magnétique,  le  pôle  sud  de  l'aiguille 
plonge  au-dessous  de  l'horizon,  et  d'autant  plus 
qu'on  s'avance  davantage  vers  les  latitudes  élevées 
de  l'hémisphère  austral. 

Quant  aux  variations  diurnes  de  la  déclinaison, 
«lies  sont  très  faibles:  pendant  la  nuit  l'iiiguille 
reste  à  peu  près  immobile;  le  matin  elle  marche 
de  l'est  vers  l'ouest  à  Paris,  puis,  le  soir,  à  partir 
de  une  lienre  de  l'après-miili.  elle  revient  sur  ses 
pas  pour  reprendre  à  10  heures  du  soir  sa  position 
primitive. 

5.  Procédés  d'aimantation.  —  On  distingue 
plusieurs  pi-océdés  d'aimantation  qui  doivent  être 
employés,  l'un  ou  l'autre,  suivant  les  cas  :  celui 
de  la  simple  touche  avec  frictions,  celui  de  la 
louche  séparée,  celui  de  la  double  touche  (V.  Ai- 
montuliO'').  Nous  indiquerons  le  plus  facilement 
exécutable,  le  procédé  de  la  simple  touche  ;  nous 
J'avons  déji  expliqué  dans  ce  qui  précède  ;  peu  de 
mots  sufliront  pour  comploter  ce  qui  a  été  déjà 
dit  On  pose  sur  une  table  de  bois  le  barreau  d'a- 
cier trempé  AB  que  l'on  veut  aimanter,  on  tient 
d'autre  part  Ji  la  main  un  barreau  aimanté  puis- 
sant A'B'  qui  doit  servir  d'excitateur,  et  on  promène 
ce  dernier  sur  le  barreau  fixe  en  le  plaçant  verti- 
calement en  contact  avec  Ini.  En  exerçant  des  fric- 
tions continues,  toujours  dans  le  même  sens,  de 
A  vers  B,  par  exemple,  on  arrive  après  plusieurs 
passes  à  l'aimanter  à  saturation.  Si  l'on  a  choisi 
Je  pôle  A  pour  provoquer  l'aimantation,  on  cons- 
tate à  la  fin  que  le  dernier  point  touché  B  est  un 
pôle  de  nom  contraire  h  A'  et  le  premier  point 
louché  A  un  pôle  de  môme  nom.  Il  est  bon  de 
retourner  le  barreau  et  d'opérer  encore  des  fric- 
tions comme  auparavant  en  conservant  toujours  le 
sens  du  mouvement  déjà  adopté. 

On  peut  aussi  aimanter  très  énergiquement  un 
(barreau  en  le  plaçant  dans  l'intérieur  d'une  bobine 
de  fil  de  cuivre  que  traverse  un  courant  électrique. 
CV.  Électricité.) 

Enfin  on  peut  produire  l'aimantation  par  l'action 
de  la  terre  qui  sert  alors  d'aimant  excitateur. 
Une  barre  de  fer  doux  placée  .dans  une  direction 
parallèle  à  1  aiguille  d'inclinaison  est  par  là  môme 
aimantée,  mais  d'une  façon  transitoire:  le  pôle 
austral  est  en  bas  et  le  pôle  boréal  en  haut. 
L'aimantation  se  conserve  en  partie  si,  pendant 
que  dure  l'influence  terrestre,  on  fait  éprouver  à 
la  barre  une  action  mécanique  ou  moléculaire 
quelconque  :  choc,  friction,  torsion,  action  chimi- 
que. Les  barres  de  paratonnerre,  qui  sont  implan- 
tées verticalement  au  sommet  des  édifices,  pren- 
nent de  l'aimantation  sousl'actlon  de  la  terre  et  la 
gardent  parce  qu'elles  se  rouillent  à  leur  surface 
pendant  que  s'exerce  l'influence  terrestre. 

L'application    de    l'aiguille    aimantée  à    divers 
usages   pratiques,  entre  autres  à  la  navigation,  a 
donné  naissance  à  la  boussot\  —  V.  Boussole. 
TA.  Boutan.] 

MAHOMET.  —  Histoire  générale,  XVII  ;  Litté- 
ratures étrangères,  X.  —  Mahomet  naquit  .à  la 
M^'^n."';  ^'^rs  l'an  57u.  Orphelin  de  bonne  heure, 
•réduit  à  une  extrême  pauvreté,  il  futdabord  con- 
ducteur de  caravanes  Ce  genre  d'exister. ce  plai- 
sait a  ses  mstincis  contemplatifs;  ses  voyages  le 
jmirent  en   rapport  avec   des   hommes  de  toute 


nation,  il  apprit  bien  des  choses  inconnues  de  ses 
compatriotes.  Son  mariage  avec  une  riche  veuve, 
Khadidja,  lui  fit  des  loisirs.  Il  se  livra  dès  lors  à 
l'étude  et  à  la  méditation.  Tous  le.s  ans,  il  faisait 
une  retraite  dans  la  solitude  du  mont  Ilira,  près 
de  la  Mecque.  Là,  sous  un  ciel  ardent,  par  l'effet 
de  la  prière,  du  jeûne,  son  imagination  s'exalta. 
Ses  idées,  jusqu'alors  confuses,  prenaient  devant 
lui  une  forme  visible,  il  sentit  «  qu'un  livre 
avait  été  écrit  dans  soyi  cœur.  »  )1  commença  à 
dicter  les  sourates  du  Coran,  que  lui  soufflait,  di- 
sait-il, l'ange  Gabriel. 

Htat  de  l'Arnliie.  —  L'Arabie  était  alors  pro- 
fondément divisée.  Les  tribus  se  pillaient  et  s'en- 
tretuaient  avec  un  furieux  acharneinent.  L'anar- 
chie était  dans  les  idées  aussi  bien  que  dans  les 
mœurs.  La  fameuse  pierre  noire  tombée  du  ciel, 
les  génies,  les  ogres,  les  idoles  de  toute  espèce 
étaient  adorés  ensemble.  La  C'iùha  ou  grand  tem- 
ple de  la  Mecque  était  un  pandénionium.  Mais 
tous  les  habitants  de  l'Arabie  se  réclamaient  d'une 
même  origine,  ils  avaient  des  traditions  commu- 
nes, une  langue,  une  littérature.  A  défaut  de 
croyances  précises,  ils  avaient  un  culte  organisé 
dont  le  sanctuaire  était  à  la  Mecque,  où  l'on  ve- 
nait déjà  en  pèlerinage. 

Prédications  de  Mahomet.  L'Héijire.  —  Ce  fut 
en  se  servant  de  ces  éléments  d'unité  que  Maho- 
met entreprit  de  réunir  en  nation  ces  peuples 
épars  et  de  leur  donner  une  religion.  Doué  d'un 
remarquable  talent  d'écrivain  et  d'orateur,  il 
allait  sur  les  places,  dans  les  marchés,  parlant, 
prêchant,  convertissant.  Les  Coréischites,  qui 
étaient  maîtres  de  la  Mecque,  s'alarmèrent  de  ses 
progrès.  Chassé  par  la  persécution,  il  se  réfugia 
dans  une  ville  voisine,  Yatreb,  qui  prit  le  nom  de 
Méilinni-el-Nabi,  cité  du  prophète.  C'est  de  cette 
fuite  ou  hégire  que  date  l'ère  musulmane  (622). 

Fin  de  Mahomet.  —  A  Médine,  Mahomet  orga- 
nisa sa  religion  et  son  gouvernement.il  se  défendit 
victorieusement  contre  ses  ennemis,  prit  à  son 
tour  l'olTensive,  et  tantôt  négociant,  tantôt  com- 
battant, soumit  toute  l'Arabie.  Il  rentra  en  vain- 
queur dans  la  Mecque,  dont  il  voulait  faire  sa  ca- 
pitale, et  installa  son  culte  dans  la  Caaba.  Déjà 
il  portait  ses  vues  au  delà  de  l'Arabie,  il  expédiait 
au  roi  de  Perse  et  à  l'empereur  d'Orient  des  mes- 
sages menaçants  qu'allaient  bientôt  suivre  des 
armées,  lorsqu'il  mourut  en  HXl  L'unité  politique 
de  l'Arabie  était  un  fait  accompli,  son  unité  reli- 
gieuse était  fondée  pour  des  siècles  sur  une  base 
solide  :  le  Coran. 

Le  Coran.  —  Le  Coran  est  l'enseinble  des  dictées 
que  Mahoinet  composait  dans  ses  extases  et  qu'il 
faisait  écrire  par  ses  disciples  et  ses  secrétaires 
sur  des  feuilles  de  papyrus  ou  des  os  de  mouton. 
Chaque  dictée  forme  une  sourate,  chaque  sourate 
se  divise  en  versets.  Le  Coran  n'est  point  un  livre 
didactiiiue  ni  un  récit  continu.  C'est  à  la  fois  un 
livre  religieux,  un  code,  un  recueil  de  narrations 
où  les  prescriptions,  les  récits,  les  descriptions  se 
succèdent  avic  une  variété  et  une  richesse  inouïes. 
Le  ton  général  n'est  pas  celui  d'une  démonstra- 
tion. Mahomet  procède  par  affirmations,  par  apos- 
trophes, par  images  éclatantes  ;  il  parle  autant  aux 
sens  qu'à  l'esprit.  Pour  prouver  l'existence  de 
Dieu,  il  atteste  le  soleil,  la  lune,  le  spectacle  des 

L'Islamisme  dans  le  Coran.  —  Les  doctrines 
relio-ieuses  contenues  dans  le  Coran  peuvînt  se 
raniener  à  deux  principes  essentiels:  la  croyance  à 
un  Dieu  unique  ;  la  croyance  à  une  vie  future  où  les 
actions  de  chacun  seront  examinées  et  deviendront 
l'objet  d'une  récompense  ou  d'un  châtiment.  Au 
jour  du  ju"cinent,  les  morts  se  présenteront  pour 
passer  le  p'oiit  Et-Sirdt,  plus  étroit  qu'un  cheveu, 
plus  effile  que  le  tranchant  d'une  épéc.  Les  vrais 
fidèles    pourront  le  franchir  et  iront  jouir   d'une 


MAIRES  DU  PALAIS       —  1252 


MAISONS 


félicite  éternelle  dans  le  paradis  toujours  vert, 
aux  frais  ombrages,  aux  eaux  jaillissantes.  Les 
autres,  précipités  dans  les  abîmes,  y  subiront  des 
tourments  sans  fin. 

L'Islamisme  dans  riiistràre. — Tel  est  le  dogme. 
Le  credo  musulman  tient  dans  ces  quelques  mots: 
Dieu  ist  lieu  et  Maliomt  est  son  prophète.  Tout 
le  reste  nVst  que  règlements  du  culte,  prescrip- 
tions de  morale,  de  politi(|ue  ou  simplement 
d  hygiène.  L'idée  fondamentale  se  dégage  avec 
une  pi  ccision  et  une  netteté  intelligible  pour  tous. 
Des  millions  d'iiorames  l'acceptèrent.  En  un  siècle, 
l'islamisme,  par  la  parole  et  surtout  par  le  sabre, 
avait  conquis  l'ouest  de  l'Asie,  le  nord  de  l'Afrique 
-et  l'extrémité  de  l'Europe.  A  son  abri,  des  États 
s'organisèrent,  des  civilisations  fleurirent.  Dans 
l'histoire  de  l'iiunianiti',  le  moyen-âge  musulman 
mérite  une  plus  belle  place  que  le  moyen  âge  chré- 
tien. Mais  .andls  que  le  reste  du  monde  marchait. 
1  Islam  est  demeuré  stationnaire.  Les  sociétés  qu'il 
a  formées  n'ont  eu  ni  Rcnais'iance  ni  Kévolution. 
Elles  sont  menacées  de  périr,  si  l'Europe  ne  leur 
reporte  la  lumière  qu'elle  leur  a  prise  autrefois. 
[Maurice  Wahl.l 

MAIItES  DU  l'ALAIS.  —Histoire  de  France, 
IV.  —  Ce  titre  désigne,  à  l'époque  mérovingienne, 
un  personnage  dont  les  attributions  primitives 
sont  assez  mal  connues,  et  qui  paraît  avoir  été 
simplement,  au  début,  le  premier  officier  de  la 
maison  royale,  désigné  par  le  roi  lui-même  pour 
remplir  ces  fonctions.  Mais  dès  le  règne  de  Sige- 
bert,  dans  la  seconde  moitié  du  vi*  Mècle  (V.il/cVo- 
i'Bji'c'S;,  le  maire  du  palais,  en  Austrasie.  nous 
apparaît  comme  le  chef  électif  des  leudes,  c'est-à- 
dire  des  grands  du  royaume;  et  il  en  est  bientôt 
de  même  en  Bourgogne  et  en  IVeustrie.  Clotaire  II 
s'engage,  en  614,  à  ne  jamais  intervenir  dans  l'é- 
lection des  maires  du  palais;  et  pendant  que  les 
royaumes  francs  sont  réunis  sous  l'autorité  nomi- 
nale d'un  seul  souverain,  les  maires  occupent 
dans  cliar|ue  royaume  la  place  d'un  vice-roi.  Sous 
le  règne  de  Dagobrrt  et  de  son  fils  Sigehert  II, 
Pépin  de  Landen  ou  Pépin  le  \ieux  est  maire  du 
palais  en  Austrasie,  et  il  acquiert  une  telle  puis- 
sauce,  que  cette  dignité  devient  héréditaire  dans 
sa  famille.  Grimoald,  son  fils,  lui  succède,  et, 
«  voyant  le  mépris  des  Ausirasieiis  pour  la  race  du 
grand  Clovis,  il  relégua  le  fils  de  Sigehert  dans  un 
monastère  d'Irlande,  et  fit  nommer  roi  son  propre 
fils,  Childebert.  Mais  le  moment  n'était  pas  encore 
venu  de  renverser  l'antique  laniille  des  rois  che- 
velus. Les  Austrasiens  s'unirent  aux  Neuslriens 
contre  Giimoald,  qui  fut  tué  avec  Childebert.  » 
(Lavallée.)  La  tentative  prématurée  de  Grimoald 
ayant  échoué,  les  royaumes  francs  se  trouvèrent 
places  de  nouveau  sous  le  gouvernement  nominal 
des  rois  neustriens,  au  nom  desquels  comman- 
dèrent successivement  deux  maires  célèbres,  F,r- 
kinoald  et  Ebroin.  Cependant  l'Austrasie  supportait 
impatcmnient  le  joug.  Un  petit-fils  de  Pépin  le 
Vieux  par  les  femmes.  Pépin  d'Héristal,  y  devint 
chef  des  leudes,  et,  après  la  mon  d'Ebroin,  vain- 
quit les  Neustriens  .'i  Tcstry  (GS'i).  Cette  victoire 
assura  définitivement  la  prépondérance  de  l'Aus- 
trasie, et  donna  à  Pépin  d'Héristal  un  pouvoir 
qu'il  devait  transmettre  à  S(  s  descendants.  Pépin 
se  conlenla  du  titre  de  maire  du  palais,  et  laissa 
la  couronne  au  roi  de  Neustric  Thierry  III  et  à 
ses  faibles  successfuis  Clovis  III,  Childebert  III, 
Dapobeit  III,  que  l'hisioire  a  appelés  les  rois 
fanéi  vis.  A  sa  nnort  en  7  M,  il  eut  pour  successeur 
son  fils  Charles  Maitel.  qui,  après  avoir  comprimé 
une  tentative  dis  Neustriens  pour  reconquérir 
leur  indépendance  devint  le  maître  de  tout  l'em- 
pire franc,  sans  prendre  toutefois  la  couronne, 
et  en  conservant  à  roté  de  lui  des  simulacres  de 
rois  pris  dans  la  famille  mérovingienne.  Il  confis- 
qua les    biens    de  l'Eglise,  qu'il  distribua  à  ses 


leudes,  et  sauva  la  Gaule  de  l'invasion  musul- 
mane, en  battant  les  Arabes  à  Poitiers  Ci 3?).  Char- 
les Martel  laissa  deux  fils,  Carloman  et  Pépin  le 
Bref,  qui  se  partagèrent  le  pouvoir;  mais  bientôt 
Carloman  se  retira  dans  un  cloître,  et  Pépin  con- 
serva seul  l'autorité.  Déjà  pendant  un  moment, 
sous  Charles  Martel,  le  irône  était  resté  vacant  à 
la  mort  de  Thierry  IV  (737);  Pépin  le  Bref,  conti- 
nuant la  politique  des  chefs  austrasiens,  fit  cou- 
ronner en  742  Childéric  III  ;  mais  dix  ans  plus 
tard,  jugeant  qu'il  pouvait  sans  danger  rompre 
avec  la  tradition  jusqu'alors  respectée,  il  déposa 
le  dernier  représentant  de  la  famille  mérevin- 
gierne,  et  se  fit  proclamer  roi  lui-même  (75"^).  Son 
alliance  avec  le  Saint-Siège,  à  la  suite  de  ses  expé- 
ditions en  Italie  contre  les  Lombards,  affermit 
son  autorité,  et  lorsqu'il  mourut  en  7C8,  nul  ne 
songea  à  disputer  la  couronne  à  ses  héritiers. 
L'nc  race  nouvelle  avait  remplacé  celle  de  t.lovis; 
Charlemagne  *,  fils  et  successeur  de  Pépin  le 
Bref,  allait  achever  l'étonnante  fortune  des  des- 
cendanisdrs  maires  d'Austrasie  en  rétablissant  i 
son  profit  l'emplie  d'Occident. 

31.\ISONS.  —  Hygiène,  VII.  —  Nousavons  rare- 
ment le  privilège  de  faire  construire  notre  de- 
meure, souvent  même  nous  ne  pouvons  guère  la 
choisir,  et  nous  sommes  obligés  de  tirer  le  meil- 
leur parti  possible  d'une  construction  mal  conçue 
et  mal  exécutée.  Peut-être  les  architectes  de  l'a- 
venir apprendront-ils  l'hygiène.  De  nos  jours,  ils- 
ne  s'en  occupent  point,  il  semble  que  cela  ne  Eoit 
pas  de  leur  ressort.  11  s'en  faut  de  beaucoup  que 
le  confort  des  habitations  progresse  du  même  pas 
que  le  luxe  des  constructions  et  des  aménage- 
ments :  c'est  le  contraire  qu'il  faudrait.  Lorsque 
l'hygiène  sera  vulgarisée,  l'opinion  publique  for- 
cera les  architectes  et  les  spéculateurs  h  bâtir  des 
maisons  saines.  Jusque-là,  on  ne  peut  espérer  au- 
cune réforme  sérieuse. 

Il  iraporie  donc  à  chacun  de  savoir  d'après  quel- 
les règles  une  habii.ntion  doit  être  construite,  afin 
d'apprécier,  en  toute  connaissance  de  cause,  les 
qualités  et  les  défauts  de  celle  qu'il  habite  ou  se 
propose  d'habiter.  Si  le  choix  est  possible,  ces 
connaissances  seront  d'un  grand  secours.  Dans  le 
cas  coniraire,  elles  serviront  du  moins  à  suggérer 
les  piécautions  nécessaires  pour  pallier  les  défauts 
du  local  imposé  et  défectueux. 

Nous  aurons  soin,  d'ailleurs,  après  avoir  décrit 
ce  qui  devrait  être,  d'indiquer  les  compromis,  les 
petits  moyens  qui  peuvent  rendre  moins  dange- 
reuse une  habitation  malsaine. 

Emilaomenl.  —  La  localité,  le  sol,  le  voisi- 
nage, l'exposition  doivent  être  l'objet  d'un  minu- 
tieux examen,  soit  pour  fixer  son  choix,  soit  pour 
prendie  toutes  les  précautions  possibles  lorsque 
la  nécessité  permet  seulement  d'atténuer  certains 
désavantages.  Le  inil/'U  dans  lequel  se  trouve  l'ha- 
bitation apporte  naturellement  des  modifications 
dans  sa  construction  et  son  aménagement;  nous 
en  parlerons  en  détail  en  traitant  ce  mot. 

Constiuctioti.  —  Les  bons  matériaux  de  con- 
struction doivent  être  mauvais  conducteurs  de  la 
chaleur,  non  hygroscopiques,  inattaquables  par 
les  moisissures,  non  susceptibles  de  dégager  des 
gaz  délétères.  Les  questions  de  prix,  de  durée,  de 
beauté,  sont  tout  à  fait  secondaires.  Le  granit,  le 
grès,  la  pierre  meulière,  le  calcaire  dur,  remplis- 
sent toutes  ces  conditions.  Le  calcaire  tendre,  qui 
fournit  à  Paris  la  plus  grande  partie  des  pierres 
de  taille  et  des  moellons,  est  plus  sujet  à  retenir 
Ihumidité.  Cependant  on  a  inventé  plusieurs  pro- 
cédés qui  le  rendent  imperméable  à  la  surface. 
Lun  d'eux  consiste  à  l'imprégner  de  silicate  de 
potasse.  Ine  peinture  à  Ihuile  de  lin  cuite  et  sa- 
turée de  litharge  serait  également  utile. 

C'est  surtout  pour  les  fondations  et  le  rez-de- 
chaussée  qu  il  importe  d'employer  des  matériaux. 


MAISONS 


—  1253  — 


MAISONS 


inaccessibles  h  l'Immidito,  comme  la  pierre  meu- 
lière jointe  au  ciment.  Au  niveau  des  fojidations, 
le  sol  devrait  ôtre  parfaitement  draini',  puis  rece- 
voir une  couclie  de  scories  ou  do  pieii-ailles  re- 
couvi'rte  par  une  assise  de  ciment.  De  cette  ma- 
nière on  serait  sur  qu'aucune  cxlialaison  dange- 
reuse ne  pourrait  sV.leverdu  sol  pour  se  répandre  ' 
dans  la  maison.  Il  serait  mfime  avantageux  de  bi-  j 
tumer  le  sol  et  les  murs  de  la  cave. 

La  brique  bien  cuite,  en  partie  vitrifiée,  vérita-  \ 
blc  pierre  siliceuse  artificielle,  est  d'un  excellent 
emploi  pourvu  qu'on  la  joigne  avec  du  ciment.  La 
terre  pilée,  ou  pisé^  peut  servir  aux  constructions 
sur  les  terrains  très  secs,  ;\  la  condition  de  proté-  j 
_ger  les  murs  contre  la  pluie  et  les  infiltrations. 

Le  meilleur  plâtre  est  celui  qui  exige  le  moins 
d'eau  pour  se  gâcher  au  degré  convenable.  Dans 
toutes  les  parties  basses  ou  exposées  à  l'Iiumiditc 
on  doit  lui  substituer  le  ciment.  Le  plâtre,  en  effet, 
est  très  liygroscopique,  et  au  bout  de  quelque 
temps  l'humidité  qu'il  retient  produit  le  salpètrage 
des  murs,  défaut  auquel  on  ne  peut  guère  remé- 
dier. 

Les  bois  employés  dans  les  constructions  sont 
sujets  à  une  décomposition  lente  produite  par  une 
sorte  de  fermentation  et  par  la  production  de  moi- 
sissures. C'est  IJi  une  cause  de  dangers  et  d'insa- 
lubrité qu'il  serait  facile  de  prévenir  en  imprégnant 
ces  bois  d'acide  pyroligneux  ou  d'autres  substances 
préservatrices.  En  tout  cas,  il  faut  savoir  que  les 
bois  coupés  en  sève  sont  fatalement  destinés  à  une 
.prompte  destruction.  On  choisira  les  essences  les 
plus  résistantes  et  surtout  on  prendra  soin  que 
l'humidité  n'ait  accès  nulle  part. 

Si  les  maisons  des  villes  laissent  tant  à  désirer, 
sous  tous  les  rapports,  que  dire  de  celles  des 
paysans  dans  la  plupart  de  nos  provinces  ?  L'es- 
pace étroit  enclos  entre  les  quatre  murs  est  recou- 
vert d'un  toit  de  chaume  surbaissé,  fertile  réser- 
voir de  moisissures  suspectes.  Le  sol  de  terre 
battue  se  détrempe  et  s'imprègne  de  boue  et  de 
fumier;  souvent  même  des  animaux  domestiques, 
admis  dans  une  intimité  compromettante,  rendent 
la  place  inhabitable  pour  leurs  maîtres,  stoïque- 
ment entassés  dans  des  lits  clos  étages  comme 
ceux  des  cabines  de  navires.  L'impôt  des  portes  et 
fenêtres  ingénieusement  éludé  a  fait  percer  dans 
le  mur  des  trous  bouchés  en  hiver  par  de  la 
paille.  A  côté  de  la  maison  un  tas  de  fumier  dont 
le  purin  forme  ruisseau  devant  la  porte,  puis  l'é- 
table  dont  les  émanations  se  mêlent  i  celles  du 
(purin.  Parfois  même,  un  vide  dans  la  muraille 
met  celle-ci  en  communication  directe  avec  lu  mai- 
son pour  que  les  animaux  puissent  y  prendre  leur 
.nourriture  dans  l'auge  ou  le  râtelier. 

Certes  le  mal  n'est  pas  partout  aussi  grand  ; 
mais,  presque  toujours  les  constructions  rurales 
semblent  un  défi  à  l'hygiène  et  à  la  bienséance. 
La  réforme  viendra  de  la  vulgarisation  de  l'hygiène 
qui  fera  aimer,  avec  le  bien-être  relatif,  tout  ce 
qui  augmente  la  dignité  humaine.  Pour  améliorer 
l'hygiène  rurale,  il  faudrait  d  abord  choisir  judi- 
cieusement l'emplacement  des  habitations,  les 
construire  de  façon  à  ne  pas  marchander  l'air  et 
la  lumière,  isoler  les  dépendances  de  l'habitation 
humaiiie,  adopter  pour  les  fumiers  les  fosses  étau- 
ches  et  couvertes,  placées  loin  de  la  maison  et  loin 
des  puits  Ensuite,  l'instruction  bien  dirigée  ap- 
prendrait au  paysan  qu'il  a  intérêt  à  soigner  sa 
maison,  son  fumier,  sa  santé,  celle  des  siens,  que 
c'est  pour  lui  la  meilleure  des  spéculations.  Quand 
il  en  sera  convaincu,  le  reste  sera  facile. 

^  Malgré  leurs  misérables  demeures,  les  paysans 
résistent  à  une  foule  de  causes  de  maladies  ou  de 
dégénérescence,  parce  que  la  plus  grande  partie 
de  leur  vie  se  passe  au  grand  air.  Les  ouvriers  des 
villes  sont  encore  plus  mal  partagés.  Ils  forment  une 
population  chétive,  malingre,  rabougrie.  Après  un 


travail  forcé  dans  les  ateliers  où  l'encombrement, 
les  émanations,  les  poussières,  conspirent  contre 
leur  existence,  ils  s'entassent  dans  de  misérables 
réduits,  où  régnent  le  méphitisme  et  l'asphyxie  ; 
c'est  là  une  des  plaies  de  notre  temps.  Les  consi'ils 
de  salubrité  pourraient  beaucoup  pour  atténuer 
le  mal.  On  a  réussi  en  partie  en  quelques  pays. 
Mais  la  question  du  logement  des  ouvriers  est  lort 
complexe,  elle  touclie  à  l'organisation  môme  de 
la  société,  aux  salaires;  il  faut  donc  se  résigner  k 
donner  des  conseils  palliatifs.  En  les  suivant,  on 
rendra  supportable  ce  qui  est,  et  peu  b,  peu  l'es- 
prit public  améliorera,  sans  secousses,  la  vie  ma- 
térielle des  travailleurs.  L'hygiène  est  une  science 
sociale  :  elle  joindra  sa  voix  aux  revendications  lé- 
gitimes et  profitera  des  progrès  apportés  par  le 
temps  dans  l'organisation  de  la  société. 

La  création  de  grandes  ciléx  ouvrières,  sortes  de 
casernes  fatalement  insalubres,  —  au  physique  et 
au  moral,  —  cède  aujourd  liui  le  pas  aux  essais 
bien  mieux  compris  de  petites  maisons  isolées  ou 
par  groupes  de  deux  à  quatre,  comme  celles  de  la 
Société  mulhousienni',  de  la  Cnmimgnie  des  Mines 
de  Blnnzy.  Aujourd'hui  les  bons  modèles  ne  man- 
quent pas,  il  s'agit  de  tiouver  les  moyens  de  les 
rendre  graduellement  accessibles  h  tous.  Les  plus 
intéressés  sont  ceux  qui  doivent  faire  le  plus  d'ef- 
forts ;  on  peut  leur  dire  :  Aide-toi  et  la  société  t'ai- 
dera. 

Distribution  et  usage.  —  La  maison  la  plus  hum- 
ble doit  avoir  une  salle  commune  destinée  aux 
réunions  de  la  famille  et  aux  relations.  Si  l'espace 
manque,  elle  pourra  fort  bien  servir  aussi  de  salle 
à  manger,  pourvu  que  l'on  ait  soin  d'y  établir, 
après  chaque  repas,  un  rapide  courant  d'air,  qui 
chasse  les  odeurs  et  les  émanations.  Que  cette 
salle  commune,  àme  de  la  maison,  réunisse  tou- 
tes les  conditions  désirables  de  confort  :  tempéra- 
ture douce,  air  pur,  beaucoup  de  lumière,  des 
meubles  bons  à  l'usage  ;  tout  cela  dispose  favora- 
blement l'esprit,  fait  aimer  la  maison,  et  c'est  là, 
en  hygiène,  comme  en  morale,  un  point  essentiel. 
L'amour  du  foyer  crée  des  habitudes  régulières, 
des  plaisirs  simples,  des  satisfactions  toujours 
prêtes  qui  contribuent  puissamment  à  entretenir 
l'esprit  et  le  corps  dans  de  bonnes  conditions.  Le 
salon  do  parade  et  la  salle  à  rainger  sont  des  piè- 
ces de  luxe  pour  lesquelles  on  sacrifie  à  tort  l'es- 
pace et  l'argent  qui  seraient  mieux  employés  ail- 
leurs. Les  tentures  sombres, les  meubles  d'apparat 
n'ont  rien  de  commun  avec  l'hygiène.  Si  les  occu- 
pations exigent  un  cabinet  de  travail,  que  ce  soit 
une  pièce  grande,  bien  éclairée,  dont  on  puisse 
facilement  régler  la  température.  Surtout,  qu'elle 
permette  de  s'isoler  des  bruits  domestiques  comme 
des  bruits  du  dehors,  car  le  cerveau  se  fatigue 
beaucoup  plus  lorsqu'il  est  obligé  de  faire  sans 
cesse  abstraction  de  ces  bruits  pour  rester  seul 
avec  lui-même.  Une  double  porte,  une  double  fe- 
nêtre, peuvent  beaucoup  pour  produire  cet  isole- 
ment et  maintenir  une  température  uniforme. 

Nous  passons  dans  noire  chnmhre  à  conclier  au 
moins  un  tiers  de  notre  existence;  mais  comme 
cette  partie  de  notre  vie  est  absolument  privée, 
nous  croyons  que  tout  est  assez  bien  pour  cette 
pièce  dont  le  salon  et  la  salle  à  manger  réduisent 
à  l'envi  les  dimensions.  En  fait,  on  couche  n'im- 
porte où,  dans  un  cabinet,  une  alcôve,  une  sou- 
pente; il  semble  que  là  où  l'on  peut  placer  une 
couchette  un  homme  peut  dormir.  On  devrait 
chercher  tout  le  contraire.  Que  la  chambre  à  cou- 
cher soit  vaste,  bien  éclairée,  visitée  du  soleil,  le 
grand  assainisseur.  Que  l'air  s'y  renouvelle  natu- 
rellement par  la  cheminée  ouverte,  on  sera  sur 
alors  qu'elle  sera  plus  utile  comme  appareil  de 
ventilation  que  comme  appareil  de  chauffage.  Ou 
aura  donc  soin  de  ne  pas  l'obstruer  en  baissant 
le  rideau  mobile  ou  en  y  plaçant  un  devant  de  cho- 


MAISONS 


—  1254  — 


MAISONS 


mince.  Le  trou  béant  n'est  pas  joli  .\  l'œil,  mais 
c'est  un  poumon  qui  fait  respirer  cette  cliambre 
où  l'air  doit  sans  cesse  se  renouveler.  Il  y  aurait 
d'ailleurs  un  moyen  de  tout  concilier,  ce  serait 
de  fabriquer  des  devants  de  cheminée  en  toiles 
métalliques  peintes  et  ornées  comme  des  stores. 
Il  serait  bon,  en  outre,  de  pratiquer  près  du  pla- 
fond une  ventouse  dans  le  tuyau  de  la  cheminée. 
L'air  vicié  s'écoulerait  naturellement  par  cette 
issue,  que  l'on  pourrait  fermer  quand  la  cheminée 
servirait  au  chauffage. 

La  chambre  à  coucher,  pour  une  personne,  de- 
vrait cuber  61)  mètres  environ,  pour  que  l'air  s'y 
maintienne  dans  un  état  de  pureté  convenable 
sans  recourir  h  une  ventilation  forcée.  En  huit 
I>€ures  nous  absorbons  dans  nos  poumons  .3,G00 
litres  d'air  et  nous  exhalons  180  litres  d'acide  car- 
bonique. Ce  gaz  n'est  pas  à  proprement  parler 
toxique,  mais  il  est  irrespirable.  L'air  pur  n'en 
contient  que  trois  à  quatre  dix-millièmes,  l'air 
d'une  salle  de  spectacle,  d'une  classe,  devient 
malfaisant  et  cause  des  maux  de  tête,  de  l'engour- 
dissement, dès  qu'il  en  contient  quelques  milliè- 
mes. Jugez  quelle  doit  être  l'atmosphère  d'un 
réduit  étroit  où  l'on  passe  huit  ou  dix  heures, 
quelquefois  en  compagnie  d'une  lampe ,  d'un 
chien,  qui  doublent  la  production  de  gaz  irrespi- 
rable. 

Notons  que  l'accumulation  d'acide  carbonique 
ne  constitue  pas  le  plus  grand  danger  de  l'atmo- 
sphère confinée  d'une  chambre  à  coucher.  La  peau 
et  les  poumons  exhalent  aussi  dans  l'air  des  va- 
peurs, des  miasmes  qui  imprègnent  la  literie,  les 
rideaux,  les  papiers  de  tenture,  les  murs  même 
et  qui  constituent,  dans  certaines  circonstances, 
un  véritable  poison  dont  les  effets  se  traduisent 
quelquefois  par  une  maladie  aiguë,  et  le  plus  sou- 
vent par  une  détérioration  générale  de  la  santé 
que  l'on  attribue  à  toute  autre  cause. 

La  laine  des  matelas  et  des  couvertures,  la 
plume  et  le  duvet  surtout,  retiennent  facilement 
les  miasmes.  Ces  deux  derniers  articles  devraient 
être  bannis  de  la  literie,  car  outre  leur  facile 
contamination  ils  habituent  à  une  chaleur  moite 
qui  est  malsaine.  La  laine  est  facile  à  nettoyer  et 
à  désinfecter,  il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  la  pros- 
crire, pourvu  qu'on  procède  fréquemment  à  son 
épuration.  Les  sommiers  élastiques  tendent  à  rem- 
placer partout  la  pnillusse,  véritable  sac  à  pous- 
sière et  à  moisissures.  Faute  de  sommier  élasti- 
que, que  le  premier  matelas  soit  fait  de  paille,  de 
balles  d'avoine,  de  spaihes  de  mais,  de  crin  végé- 
tal, mais  à  la  condition  de  renouveler  très  sou- 
vent ces  substances  pour  assurer  en  même  temps 
l'hygiène  et  le  confort. 

Supprimez  les  rideaux  de  lit,  obstacle  au  re- 
nouvellement de  l'air,  refuge  des  insectes,  réser- 
voir de  poussière  s  et  de  miasmes.  Aérez  chaque 
jour  et  exposez  s  'il  se  peut  au  soleil  les  pièces  de 
la  literie.  Comme  on  fait  son  lit  on  dort  et  l'on  se 
porte. 

Là  où  les  circonstances  le  permettent,  nous  vou- 
drions voir  sacrifier,  au  besoin,  une  des  pièces  de 
luxe  pour  en  fa  ire  la  chuml.re  (les  enfanta.  Lors- 
que le  mauvais  temps  ou  d'autres  causes  ne  leur 
permettent  pas  les  ébats  au  grand  air,  qu'ils  aient 
au  moins  à  la  maison  une  pièce  h  eux,  en  rapport 
avec  leurs  besoins.  Pas  de  rideaux  aux  fenêtres 
presque  toujours  ouvertes,  pas  de  meubles  qu'il 
faille  traiter  avec  cérémonie,  rien  qui  gêne  les 
franches  allures,  mais  ujie  natte  sur  le  plancher 
pour  amortir  les  bruits  et  au  besoin  les  chutes. 
Des  jouets  simples,  qui  soient  une  occasion  d'exer- 
cice et  de  jeux  actifs.  Nous  voudrions  bannir  la 
poupée,  inventée  pour  immobiliser  les  enfants, 
ces  o  bandits  aux  lèvres  roses  >i  qui  ne  doivent 
pas  être  ..  sages  »  si  l'on  veut  qu'ils  se  portent 
bien.  I 


L'adulte  de  20  ii  25  ans  respire  de  18  à  2(1  fois 
par  minute,  l'enfant  de  5  ans,  2C  fois.  Ces  chiffres 
montrent  que  les  besoins  respiratoires  de  l'en- 
fant sont  bien  supérieurs  à  ceux  de  l'adulte, 
et  comme,  d'autre  part,  il  résiste  beaucoup  moins 
aux  causes  d'affaiblissement  ou  de  maladie,  on 
comprend  qu'il  lui  faut  beaucoup  d'espace  et 
beaucoup  d'air  pour  se  développer  convenable 
ment.  Le  luxe  mal  entendu  tue  autant  d'enfants 
que  la  misère,  en  les  condamnant  à  l'immobi- 
lité, au  silence,  en  les  privant  d'air  et  de  lu- 
mière dans  des  appartements  calfeutrés  et  capi- 
toimés. 

Les  ihamtres  de  domestiques  devraient  peu 
différer  de  celles  des  maîtres  au  point  de  vue  de 
l'hygiène.  Nous  admettrons  qu'elles  soient  moins 
confortables,  parce  qu'elles  sont  moins  habitées, 
mais  la  santé,  l'hygiène,  ne  connaissent  point  de 
distinctions  sociales.  Il  y  a  égalité  parfaite  devant 
les  rhumes  et  les  fluxions  de  poitrine,  Tétiole- 
ment  faute  d'air  et  de  lumière,  l'asphyxie  ou  l'em- 
poisonnement dans  une  atmosphère  confinée.  Si 
la  classe  des  serviteurs  est  utile,  indispensable,  il 
importe  de  la  maintenir  dans  les  meilleures  con- 
ditions possibles,  même  au  seul  point  de  vue  de 
l'économie  sociale.  Il  appartient  aux  maîtres  de 
veiller  à  ce  que  les  chambres  des  serviteurs  soient 
aménagées  et  entretenues  de  manière  à  leur  assu- 
rer le  confort  et  la  salubrité  compatibles  avec  les 
circonstances,  mais  les  serviteurs  doivent  s'ins- 
truire eux-mêmes  des  principes  élémentaires  de 
l'hygiène  pour  les  appliquer  avec  soin  et  zèle  ou 
pour  réclamer  les  améliorations  urgentes  dans 
leur  installation. 

A  la  campagne  et  dans  les  petites  localités  les 
ctiishies  des  maisons  bourgeoises  sont  d'ordinaire 
assez  vastes,  suffisamment  aérées  et  disposées  de 
telle  façon  que  les  odeurs  ne  pénètrent  pas  dans 
les  appartements.  Mais  chez  les  paysans,  la  salle 
commune  dont  nous  avons  parlé  sert  aussi  à  la 
préparation  des  repas,  de  sorte  qu'aux  mille 
odeurs  et  émanations  qui  s'y  rencontrent,  s'ajou- 
tent les  vapeurs  culinaires,  les  senteurs  acres  et 
tenaces  de  graisses  surchauffées.  La  plus  humble 
maison  rurale  devrait  avoir  une  cuisine  séparée, 
pour  assurer  la  propreté  et  prémunir  l'habita- 
tion contre  les  émanations,  la  fumée  qui  s'en  dé- 
gagent. 

Dans  les  grandes  villes,  la  cuisine  fait  corps, 
d'ordinaire,  avec  l'appartement  ;  on  lui  donne  à 
regret,  un  coin  obscur,  étroit,  carrelé,  disposé  de 
la  façi'n  la  plus  ingénieuse  pour  ruiner  la  santé 
des  personnes  qui  y  séjournent  et  pour  incommo- 
der plus  ou  moins  les  autres.  Le  fourneau  chauffe 
fortement  la  tête,  tandis  qu'un  courant  d'air  froid 
passant  sous  la  porte  glace  les  pieds;  le  tirage 
illusoire  de  la  Itotte  laisse  disperser  aans  la  pièce 
l'oxyde  de  carbone,  source  immédiate  de  malaise, 
de  maux  de  tête,  et  source  lointaine  d'un  vérita- 
ble empoisonnement  chronique.  Par  intervalles, 
des  bouffées  de  vapeurs  acres  et  irritantes  achè- 
vent de  rendre  irrespirable  cette  atmosphère 
viciée.  Ajoutez  à  cela  un  évier  dont  le  tuyau  ou- 
vert dégage  une  odeur  méphitique  dœufs  pourris. 
Telle  est  la  cuisine  du  plus  grand  nombre  des 
logements  de  Paris  et  des  grandes  villes.  'Voici  ce 
qu'il  faut  faire  pour  la  rendre  moins  dangereuse  et 
moins  disagréable  à  tous  égards.  Sur  le  dallage 
mettre  une  natte  épaisse;  poser  un  bourrelet  au 
bas  de  la  porte  et  à  mi-hauteur  des  côtés  :  établir  à 
la  hauteur  de  la  tête  une  prise  d'air  pur  par  la 
porte  ou  la  fenêtre  ;  pratiquer  une  venlouse  près 
du  plafond  pour  l'échappement  du  n.auvais  air  ; 
ventiler  en  grand,  par  un  courant  d'air,  —  sans  y 
rester  exposé,  —  dès  qu'il  s'est  dégagé  une  cdeur 
un  peu  lotte,  et  après  la  préparation  de  chaque 
repas:  employer  fréquemment,  et  partout,  la 
brosse  et  le  savon.  L'évier  nécessite  dos  soins spé- 


MAISONS 


—  1255  — 


MAISONS 


ciaux.  Plus  tard,  les  architectes  sauront  los  dis-  [  avoir  plus  de  O^ilG  de  hauteur.  On  les  fait  d'or- 
posor  de  manière  à  ne  pas  en  faire  des  foyers  dinaire  planes  ou  légèrement  inclinées  on  avant, 
d'infection.  On  peut  assainir  les  plus  mal  cons-    de   sorte    qu'il  faut  un  efiort    musculaire  consi- 


truils  par  de  grands  lavages  avec  une  solution 
bouillante  de  potasse.  Pour  empêcher  l'air  impur 
de  refluer  par  leur  orilice,  une  soupape  ou  un 
bouchon  de  métal  suffisent  à  la  rigueur.  Pour  faire 
mieux,  on  couvre  l'orifice  d'un  petit  appareil  fil- 
trant, mobile,  en  forme  de  cloche,  dont  le  bord 
ajoure  repose  sur  une  rainure  pleine  d'eau,  de  sorte 
qu'en  laissant  passer  les  liquides  il  s'oppose  à  la 
rentrée  de  l'air. 

Les  cabinets  de  toilette,  ganle-rolies,  débarras 
sont  trop  souvent  des  cabinets  esigus.  privés  de 
lumière  et  d'air,  laboratoires  suspects  où  s'élabo- 
rent, fermentent  et  se  multiplient  les  poussières, 
les  miasmes,  les  vapeurs,  les  moisissures,  les  in- 
sectes. A  tout  cela,  il  faut  de  l'air,  des  nettoyages 
à  fond  renouvelés  souvent.  Le  mieux  serait  de 
réui.ir  dans  une  seule  pièce  nue,  aérée,  ensoleil- 
lée, toutes  ces  dépendances  qui  sont  d'autant  moins 
nécessaires  que  l'ordre  règne  davantage  dans  la 
maison.  Bannissez  les  vieilleries  de  toute  sorte  ;  si 
tout  est  en  usage  et  en  vue  vous  serez  obligés  de 
tout  entretenir  en  bon  état. 

Tout  est  à  faire,  chez  nous,  dans  la  construction 
et  l'aménagement  des  cabinets.  La  meilleure  dis- 
position est  celle  qui  permet  aux  matières  de  se 
rendre  directement  à  l'égout,  en  totalité  ou  après 
séparation  des  parties  solides  dans  des  appareils 
mobiles.  Pour  cela  il  faut  un  service  d'eau 
abondant,  des  soupapes  bien  disposées  et  une 
ventilation  spéciale  des  tuyaux,  afin  que  l'air  des 
égouts  no  pénètre  pas  périodiquement  dans  l'ha- 
bitation. Le  système  de  fosses  fixes  est  absolu- 
ment barbare  et  homicide.  Même  lorsqu'elles  sont 
munies  d'un  Iwjnu  dévent  pour  les  gaz  en  excès, 
elles  infectent  nécessairement  les  habitants  chaque 


déra  hie  pour  porter  le  corps  en  avant  pendant 
qu'on  l'élève;  cet  effort  serait  notablement  dimi- 
nué si  l'on  inclinait  légèrement  les  marches  en 
arrière. 

L'ascension  un  peu  rapide  de  quatre  étages  fait 
souvent  monter  le  pouls  de  72  à  l'IO  pulsations 
par  minute.  Les  fonctions  du  cœur  ei  des  pou- 
mons se  trouvent  donc  gravement  compromises 
pendant  quelque  temps,  chaque  fois  qu'on  renou- 
velle cette  gymnastique.  Les  personnes  disposées 
aux  maladies  de  ces  organes  ou  qui  en  sont  déjà, 
atteintes  doivent  tenir  compte  de  ce  fait.  Vivre 
quelques  étages  plus  haut  ou  plus  has  peut  abré- 
ger ou  prolonger  notablement  leur  existence. 
Voici  d'ailleurs  un  moyen  pratique  de  réduire  au 
minimum  la  fatigue  de  l'ascension.  Prenez  une 
longue  et  profonde  respiration  et  gravissez  dou- 
cement les  marches  jusqu'à  épuisement  de  l'air 
lentement  expiré  :  arrêtez-vous  alors  et  recom- 
mencez la  manœuvre  ;  vous  serez  surpris  du  sou- 
lagement produit  par  cette  simple  précaution. 

Descendons  un  instant  à  la  cave.  Nous  savons  déjà 
que  le  sol  doit  être  drainé,  recouvert  d'une  cou- 
che épaisse  de  matériaux  hydrofnges,  puis  de 
ciment  ou  de  bitume.  Les  soupiraux  seront  ouverts 
toute  l'année,  protégés  seulement  par  des  bar- 
reaux de  fer,  et  l'on  fera  en  sorte  que  les  corri- 
dors, les  escaliers  qui  y  conduisent  soient  secs 
et  bien  aérés.  Cette  pièce  doit  être  aussi  sèche, 
aussi  salubre  qu'une  chambre  à  coucher,  sans 
quoi  elle  répand  dans  la  maison  des  exhalaisons, 
des  miasmes,  des  germes  de  moisissures  qui  en 
font  un  véritable  foyer  d'infection.  Le  bois,  les 
provisions,  les  tonneaux  y  seront  disposés  de  telle 
sorte  qu'une  sur\eillance  journalière  permette  de 


fois  que  s'abaisse  la  cuvette.  De  plus,  il  se  produit    remédier  au  moindre  accident,  d'assainir  aussitôt 
toujours  quelque  fissure  dans  ce  réservoir  d'im-  |  qu'on  aura  découvert  de  l'humidité  ou  des  moisiS' 


mondices,  et  le  sol  des  caves,  l'eau  des  puits  se 
trouvent  tôt  ou  tard  souillés  sans  remède.  De 
graves  épidémies  de  fièvre  typhoïde  sont  dues  à 
cette  cause.  A  la  fosse  fixe  il  faut  donc  abso- 
lument substituer  la  fosse  mobile  en  attendant 
mieux. 

Dans  les  campagnes  le  moyen  le  plus  simple,  le 
plus  salubre  consiste  dans  l'emploi  de  la  terre 
sèche  et  pulvérisée  ou  des  cendres  sans  valeur 
pour  ''ecouvrir  immédiatement  les  matières  qui 
sont  tombées  dans  un  tonneau.  On  ne  perçoit 
aucune  odeur,  il  n'y  a  pas  de  fermentation  pu- 
tride. Ce  moyen  est  non  seulement  facile  et  hygié- 
nique, mais  il  rembourse  bien  vite  les  frais  mi- 
nimes d'installation,  car  le  contenu  des  tonneaux 
forme  un  excellent  engrais.  Il  est  facile  d'improvi- 
ser une  trémie  qui  laisse  tomber  à  volonté  un  peu 
de  poussière  sèche,  mais  à  la  rigueur  on  pourrait 
la  verser  de  toute  autre  manière.  Si  l'on  prend 
les  précautions  nécessaires  et  si  l'on  emploie  assez 
de  niatières  absorbantes,  ce  tonneau  pourrait  re- 
cevoir aussi  tous  les  détritus  de  la  cuisine.  L'im- 
portant, c'est  que  tout  soit  bien  couvert  et  soc  à 
la  surface.  La  plus  humble  habitation  rurale, 
munie  de  cet  appareil,  sera  mieux  partagée  que  les 
somptueuses  maisons  de  Paris. 

Un  mot  seulement  sur  les  ecaliers.  C'est  par 
eux,  d'ordinaire,  qu'arrive  l'air  extérieur  lorsque 
les  fenêtres  sont  bien  closes.  Il  y  aurait  avantage 
et  même  économie  à  les  chauffer  en  hiver  au 
moyen  d'un  poêle,  afin  que  l'air  froid  n'arrive  pas 
subitement  dans  les  pièces  chaufl'ées.  Mais  en  tout 
cas,  il  importe  qu'ils  soient  parfaitement  aérés, 
car  c'est  aussi  par  l'escalier  que  le  mauvais  air 
d'iin  appartement  s'introduit  chez  les  voisins  pour 
y  porter  la  gène,  le  dégoût  ou  !a  maladie. 

Les  escaliers  droits  sont  plus  commodes  que 
ceux  dits  tournants.  Les  marches  ne  devraient  pas 


sures.  Il  faudrait  des  ordonnances  de  police  pour 
obtenir  la  construction  rationnelle  des  caves  et 
l'assainissement  de  celles  déjà  construites.  Tout 
ce  qu'on  peut  faire  comme  palliatif,  c'est  de  chauf- 
fer au  moyen  d'un  poêle  pour  sécher  les  murs  et 
le  sol,  d'élever  tout  ce  que  l'on  y  conserve  sur  des 
madriers  ou  mieux  des  pierres,  et  d'établir  une 
ventilation  aussi  complète  que  possible. 

L'hygiène  des  animaux  est  à  peu  près  la  même 
que  celle  des  hommes.  Si  l'on  veut  en  tirer  tout  le 
profit  possible,  on  a  intérêt  à  tenir  sains  et  propres 
les  locaux  qui  leur  sont  affectés.  Ceux  qu'on  né- 
glige le  plus,  les  porcs,  sont  justement  ceux  qu'il 
importe  de  soigner  davantage.  La  réforme  sur  ce 
point  est  partout  possible  ;  il  suffit  d'en  faire  com- 
prendre l'utilité,  la  nécessité.  Même  en  supposant 
les  écuries,  les  élables,  les  p-^rclievies,  les  pou- 
laillers, les  pigeonniers,  etc.,  tenus  avec  la  plus 
rigoureuse  propreté,  la  nature  même  de  ces  an- 
nexes entraîne  toujours  l'accumulation  de  détri- 
tus et  d'immondices  d'où  se  dégagent  des  odeurs, 
des  miasmes  toujours  désagréables  et  dangereux; 
ce  sont  des  nids  de  parasites.  11  est  donc  indispen- 
sable d'éloigner  tous  les  bâtiments  destinés  aux 
animaux  de  ceux  habités  par  les  hommes. 

C'est  une  erreur  de  croire,  sur  la  foi  de  tradi- 
tions sans  fondement,  que  l'air  des  étables  est 
hygiénique  pour  les  gens  sains  ou  malades. 
Mieux  vaut  coucher,  bien  couvert,  dms  une  cham- 
bre froide  que  dans  l'atmosphère  d'une  ctablo  ou 
d'une  écurie  chauffée  par  les  exhalaisons  des 
animaux  et  toujours  imprégnée  de  miasmes 
qu'une  circonstance  impossible  i  prévoir  peut 
rendre  dangereux. 

HumiilM.  —  Toute  maison  humide  est  mal- 
saine. Au  bout  d'un  certain  temps  ses  habitants 
ressentent   un  trouble   général  des  fonctions  qui 

s'accuse  par  le  lymphatisme,  l'atonie,  l'anémie, 


MAISONS 


—  1256 


MALADIES 


le  scorbut,  les  scrofules,  les  rliumalismes;  la 
même  cause  suffit  pour  causer  des  maladies 
mieux  déterminées  ou  plutôt  mieux  localisées  : 
angines,  bronchites,  fluxions  de  poitrine,  pleuré- 
sies, hydropisies.  C'est  surtout  l'humidité  froide 
qui  est  dangereuse-  Dans  la  même  maison  et  au 
niCme  étage,  les  pièces  situées  au  nord  seront 
meurtrières,  tandis  qu'on  habitera  sans  trop  d'in- 
convénients celles  au  midi. 

Lorsque  l'humidité  tient  à  la  construction  même 
et  non  à  l'aménagement,  elle  est  à  peu  près  irré- 
médiable. Cependant  il  y  a  des  palliatifs  qu'on  ne 
■doit  pas  négliger.  Le  plus  important,  le  plus 
«fficace,  c'est  d'élever  la  température,  en  com- 
mençant par  la  cave  et  le  rez-de-chaussée.  C'est 
aussi  le  remède  le  plus  facile  à  employer  dans 
jjne  maison  à  loyer,  où  l'on  ne  peut  ou  ne  veut 
pas  faire  des  dépenses  d'amélioration.  Un  calorifère 
placé  dans  la  cave  avec  bouches  de  chaleur  dans 
les  corridors,  les  escaliers  et  les  pièces  du  rez-de- 
chaussée,  suffira  presque  toujours  pour  diminuer 
■dans  une  forte  mesure  les  dangers  de  Ihumidité. 
Si  ce  moyen  est  trop  dispendieux,  que  l'on  chauffe 
avec  des  poêles,  depuis  octobre  jusqu'en  mai,  les 
chambres  habitées. 

Si  les  réparations  et  améliorations  sont  possi- 
bles, la  première  consiste  à  dminer  le  sol  sous  le 
bâtiment  et  alentour.  Cela  suffira,  dans  bien  des 
cas,  pour  sécher  les  caves  et  les  murs  du  rez-de- 
chaussée.  Mais  si  les  pierres  poreuses,  impré- 
gnées de  matières  organiques,  ont  donné  lieu  à  la 
formation  de  salpêtre  qui  recouvre  leur  surface 
d'une  inflorescence  blanclie,  l'assèchement  du  sol 
par  le  drainage  ne  suffira  pas  pour  sécher  les 
murs,  parce  que  le  salpêtre,  substance  hygromé- 
trique, attire  et  retient  l'humidité  de  l'air.  Dans 
ce  cas,  le  chaufl"age  constituera  le  meilleur  pallia- 
tif. On  couvre  souvent  de  lambris  de  bois  les  murs 
salpêtres;  c'est  un  moyen  de  diminuer  la  propor- 
tion d'humidité  qui  s'exhale  des  murs,  mais  le 
bois  pourrit  infailliblement  et  la  surface  inté- 
rieur des  lambris  se  couvre  de  moisissures  dont 
la  présence  est  toujours  suspecte.  On  éviterait  cet 
inconvénient  en  interposant  une  mince  feuille  de 
plomb  entre  le  mur  et  le  revêtement  de  bois. 

La  maison  la  mieux  construite  est  humide  long- 
temps après  son  achèvement.  Les  pierres  perdent 
lentement  leur  eau  de  carrière;  le  mortier  et  le 
plâtre  sèchent  plus  lentement  encore.  Habiter 
une  maison  nouvellement  construite,  essui/T  (es 
plâtres,  comme  l'on  dit,  c'est  s'exposer  sciemment 
et  fatalement  aux  maladies  causées  par  1  humidité,  j 
Dans  les  grandes  villes,  on  emploie  maintenant 
des  appareils  de  chaufl'age  pour  hâter  l'assèche- 
ment des  locaux  neufs  :  c'est  une  excellente  me- 
sure qu'il  faudrait  généraliser  et  rendre  obliga- 
toire, mais  on  se  fait  souvent  illusion  sur  son 
efficacité  et  l'on  ne  continue  pas  assez  longtemps 
le  chauffage  forcé  pour  permettre  aux  parties 
profondes  des  murs  d'en  éprouver  l'influence. 

Quelques  moyens  empiriques  permettent  d'ap- 
précier le  degré  d'humidité  d'une  maison,  d'une 
chambre.  Le  sel  gris  y  devient  proniptemeni  hu- 
mide, la  chaux  vive  pulvérisée  se  délite  en  fixant 
l'humidité  de  l'air  et  l'on  peut  apprécier  la  quan- 
tité d'eau  absorbée  en  la  pesant  avant  et  après 
1  expérience. 

A  moins  d'urgence,  on  ne  doit  habiter  une  mai- 
son qu'un  an  après  son  achèvement.  Si  l'on  est 
forcé  d'y  vivre  prématurément,  le  chauffage  éner- 
gique et  continu  constitue  la  seule  ressource  pour 
atténuer  l'influence  dangereuse  de  l'humidité. 

Dans  une  maison  humide,  la  literie  devra  être 
«xposéo  le  plus  souvent  possible  au  soleil  ;  la  toile 
■sera  bannie  du  lit  et  des  vêtements;  l'usage  de  la 
iJanelle  sur  la  peau  est  de  rigueur. 

En  attendant  qu'il  ne  soit  plus  permis  de  cons- 
truire une  maison  contrairement  aux  lois  du  l'hy- 


giène, il  importe  que  chacun  apprenne  à  recon- 
naître les  qualités  et  les  défauts  des  logements 
tels  qu'ils  existent,  et  qu'on  vulgarise  les  connais- 
sances élémentaires  au  moyeu  desquelles  une 
maison  défectueuse  peut  être  habitée  avec  le  moins 
de  risques.  Lorsqu'on  en  comprendra  l'importance, 
on  choisira  son  logement  avec  plus  de  soin  qu'on 
ne  le  fait  d'ordinaire,  et  lorsqu'on  sera  forcé  de 
vivre  dans  un  milieu  malsain,  on  s'appliquera  h 
combattre  les  conditions  défavorables  par  les 
moyens  que  nous  venons  de  résumer. 

[Dr.  Safl'ray.] 

MALADIES.  —  Hygiène,  XVI,  XVIll.  —  Chaque 

milieu  exerce  sur  la  santé  une  influence  plus  ou 

moins  lente,  plus  ou  moins  manifeste,  mais   dont 

l'efl'et  contribue   toujours  à  maintenir,  améliorer 

ou  détruire  la  santé.  L'école,  considérée  comme 

I  milieu  au  point  de  vue  hygiénique,  offre  tous  les 

!  inconvénients  des   locaux   exposés  à  l'encombre- 

!  ment,  source  de  méphitisme  et  de  contagion.  Nous 

traiterons  plus  loin  (V.  Trnvnil,  Vue)àe  l'influence 

spéciale   du  travail    scolaire.   Nous   devons    nous 

,  borner  i  donner  ici    quelques   notions    générales 

I  mais  précises  sur  la  riialaaie,  puis  à  signaler  celles 

!  que  les  maîtres  doivent  s'efforcer  de  reconnaître 

j  dès  le  début  pour  interdire  l'école  aux  enfants  qui 

en  sont  atteints. 

La  santé  et  lu  moladie.  —  La  santé  est  un  état 
caractérisé  par  le  fonctionnement  régulier  et  con- 
cordant de  nos  organes,  en  harmonie  avec  le  mi- 
lieu  où  nous  vivons.  Cet  état  constitue  un  idéal 
I  dont  nous  trouvons  peu  d'exemples,  surtout  chez 
les  peuples  raffinés  ;  mais  heureusement  nous 
'  sommes  organisés  de  telle  sorte  que  nous  pouvons 
nous  en  écarter  sensiblement  sans  que  notre  exis- 
tence se  trouve  compromise. 

Entre  la  santé  parfaite  et  la  désorganisation  qui 
produit  la  mort,  on  peut  établir  une  série  conven- 
tionnelle d'états  intermédiaires  commençant  à 
l'indisposition  et  finissant  à  la  maladie  grave  ou 
mortelle.  Le  langage  usuel  est  suffisamment  pré- 
cis :  par  indisposition,  on  entend  un  désordre  peu 
considérable  et  passager  des  fonctions;  par  mala- 
die un  désordre  de  longue  durée.  Au  point  de  vue 
médical,  le  mot  maladie  indique,  en  outre,  l'idée 
de  lutte  ou  plutôt  de  réactio7i  des  organes  contre 
une  cause  de  désordre  ou  de  destruction.  Quelque- 
fois un  organe  a  reçu  simplement  une  impres^ioti 
passagère,  subite  même.  Cette  impression  a  troublé 
sa  vie,  sa  manière  d'être,  il  lui  faut  un  certain 
temps  pour  rentrer  dans  son  érat  normal.  Souvent 
aussi  l'impression  a  persisté,  accumulant  son  in- 
fluence, aggravant  en  proportion  les  troubles 
fonctionnels,  de  sorte  qu'ils  se  prolongent  long- 
temps après  la  cessation  de  la  cause.  Il  peut  arri- 
ver enfin  que  l'impression  soit  permanente  et  dès 
lors  ne  permette  pas  le  rétablissement  de  l'équi- 
libre dans  les  fonctions.  Que  cette  impression 
provienne  du  froid,  de  la  présence  d'un  gaz  délé- 
tère, d'un  liquide  vénéneux  ou  de  parasites  mi- 
croscopiques, le  résultat  est  le  môme  :  il  y  a 
réaction  contre  la  cause  morinde  en  vertu  d'une 
loi  de  notre  nature,  et  ce  sont  les  phases  de  cette 
réaction  qui  constituent  la  maladie. 

Dans  la  plupart  des  cas  la  maladie  ne  consiste 
pas  dans  la  présence  matérielle  d'un  principe,  d'un 
agent,  d'une  substance  qu'il  s'agit  de  détruire  ou 
de  chasser.  Le  plus  souvent,  lorsque  les  désordres 
fonctionnels  se  manifestent,  la  cause  impression- 
nante a  cessé  d'agir,  l'ennemi  est  hors  de  portée, 
il  ne  reste  que  la  réaction  naturelle,  qui  constitue 
la  maladie.  Que  trois  personnes  s'exposent  en- 
semble au  froid,  dans  des  conditions  identiques, 
l'une  sera  atteinte  d'un  coryza  (rhume  de  cerveau), 
l'autre  d'une  fluxion  de  poitrine,  la  troisième 
d'une  névralgie.  Il  n'y  a  eu  qu'une  cause,  le  froid  ; 
il  n'a  fait  pénétrer  dans  l'économie  aucun  principe 
morbide  matériel,  mais  il  a  causé  trois  impres- 


MALADIES 


1257  — 


MALADIES 


sions  qui  ont  afiocté  (les  points  dilTércnts  et  se  sont 
traduiti's  par  trois  maladies  distinctes. 

Tout  ce  qui  produit  sur  nos  organes  une  im- 
pression perturbatrice  peut  devenir  une  cause  de 
vuilridic.  Ces  causes  peuvent  être  prochaines  ou 
éloignées,  externes  ou  internes,  principales  ou 
accessoires,  générales  ou  locales,  mécaniques,  phy- 
siques, chimiques  ou  physiologiques.  De  plus,  les 
causes  sont  jjfédisjiosanles  ou  délerhdnanles. 

Parmi  les  causes  prédisposantes  de  maladies,  il 
y  en  a  qui  sont  générales,  qui  afl'ectent  tous  ceux 
qni  y  sont  soumis  ;  telles  sont  ;  la  pression  atmo- 
splicrique,  la  composition  de  l'air  respiré,  la  quan- 
tité et  la  nature  de  la  lumière,  les  climats,  les 
saisons,  etc.  ;  elles  produisent  les  maladies  locales, 
les  eni/émies.  D'autres  causes  prédisposantes  sont 
individuelles  et  dépendent  de  la  personne  même 
ou  des  circonstances  spéciales  de  sa  vie.  De  ce 
nombre  sont  :  l'âge,  le  sexe,  le  tempérament,  la 
constitution,  les  maladies  antérieures,  l'hérédité, 
les  impressions  morales,  la  profession,  les  habi- 
tudes, les  aliments,  le  vêlement,  l'exercice. 

Los  causes  prédisposantes  nous  donnent  seule- 
ment une  aptitude  h  être  affectés  par  d'autres 
causes  plus  spéciales  que  l'on  appelle  causer  dé- 
termimntes^  telles  que  le  froid,  le  chaud,  les 
écarts  de  régime,  les  chocs,  les  blessures,  les 
caustiques.  Parmi  les  causes  déterminantes,  quel- 
ques-unes ont  un  caractère  spécifique,  comme  les 
parasites,  les  venins,  les  virus,  les  effluves,  les 
miasmes,  les  eaux  souillées,  l'air  confiné. 

On  appelle  symptômes  les,  troubles  morbides  qui 
se  manifestent  à  nos  sens.  Les  uns  se  rapportent 
aux  fonctions,  comme  la  difficulté  de  respirer,  le 
■manque  d'appétit,  la  fréquence  du  pouls,  la  para- 
lysie; les  autres  révèlent  des  altérations  dans  la 
structure  intime  ou  dans  l'apparence  des  organes: 
gonflement,  rougeur,  amaigrissement,  ossifica- 
tion, etc.  Quelques-uns  frappent  à  première  vue; 
d'autres  ne  se  laissent  découvrir  qu'après  un 
examen  minutieux  et  méthodique.  Parmi  les 
symptômes,  il  y  en  a  qui  constituent  l'aspect  prin- 
cipal de  la  maladie,  d'autres  qui  ne  sont  qu'ac- 
cessoires; il  faut  distinguer  enfin  ceux  qui  appar- 
tiennent au  désordre  initial  et  ceux  qui  résultent 
de  désordres  dépendants  de  la  maladie  principale. 
Notons  d'ailleurs  que  la  maladie  peut  demeurer 
longtemps  latente  et  ne  se  révéler  par  aucun 
symptôme  bien  déterminé. 

Il  arrive  souvent  que  la  maladie  se  propage  par 
contact,  par  cantagion,  ou  même  par  l'infection  de 
l'eau  ou  de  l'air  qui  deviennent  les  véhicules  de  la 
cause  spécifique  :  c'est  ce  qui  arrive  pour  les  épi- 
démies. 

Toute  maladie  passe  parles  périodes  A'invasîon, 
■àe  progrès,  d'état  et  de  rfec/(>! /.quant  à  la  durée, 
elles  sont  aiguës  ou  clironiques.  Elles  se  terminent 
par  la  ffuécî'son,  la  sufjstitui ion  d'une  autre  maUi- 
die,  Vnllération  permanente  d'un  ou  plusieurs 
organes,  ou  par  la  mort.  Notre  organisme  est  dis- 
posé de  telle  aorte  que  la  mort  est  la  terminaison 
la  plus  rare. 

Ces  notions  sommaires  suffisent  pour  faire  com- 
prendre combien  il  est  difficile,  dans  la  plupart 
des  cas,  de  former  un  dirigno'-tic  exact,  complet, 
c'est-à-dire  de  reconnaître  la  nature  de  la  maladie, 
les  troubles  fonctionnels  et  organiques  apparents 
ou  latents,  principaux  ou  accessoires,  etc.  Mais  le 
diagnostic  ne  suffit  pas,  il  faut  encore  établir  un 
prono.</ic,  prévoiret  prédire,  dans  certaines  limites, 
la  durée,  la  marche  et  la  terminaison  de  la  ma- 
ladie. 

Devoirs  de  Finslituteur.  —  Seul  le  médecin  est 
compétent  pour  établir  un  diagnostic  assure.  Mais 
il  importe  que  les  parents,  les  instituteurs, 
apprennent  à  reconnaître  les  symptômes  d'un  cer- 
tain nombre  de  maladies.  Pour  l'instituteur,  c'est 
«n  devoir  impérieux,  car  il  doit  refuser   l'entrée 


de  l'école  h  tout  enfant  qu'il  soupçonne  atteint 
d'une  maladie  contagieuse.  Il  faut  même  qu'il  soit 
pessimiste  dans  son  appréciation,  car  le  tort  qu'il 
causera  en  faisant  perdre  à  un  enfant  quelques 
heures  de  classe  n'est  pas  comparable  h  celui  au- 
quel il  expose  le  sujet  lui-même  et  ses  camarades, 
en  usant  de  tolérance  ou  de  temporisation.  Dès 
qu'il  soupçonne  ujie  maladie,  il  doit  informer  les 
parents  et  n'admettre  l'enfant  que  sur  un  certificat 
du  médecin  constatant  ou  la  Ijonne  santé  de  l'en- 
fant, ou  le  C'iracièie  71011  contagieux  de  la  maladie, 
ou  la  guèrison  assez  complèie  et  ancienne  pour 
que  tout  danger  de  contagion  soit  passé. 

(lu'il  soit  donc  bien  entendu  que  l'instituteur, 
après  avoir  acquis  les  notions  premières  de  l'hy- 
giène médicale,  ne  sera  pas  apte  à  porter  un  dia- 
gnostic sur.  Il  ne  doit  pas  prétendre  i  cela.  Mais 
la  connaissance  de  ces  notions  élémentaires  le 
mettra  à  même  de  reconnaître,  avec  une  précision 
suffisante,  certains  caractères  qui  lui  suffiront 
pour  agir  sans  faiblesse  comme  sans  légèreté.  A 
défaut  d'un  diagnostic  précis,  qui  est  souvent  dif- 
ficile, môme  pour  le  médecin,  au  début  d'un  certain 
nombre  de  maladies,  il  suffira  que  certains  signes 
généraux  indiquent  un  danger.  Il  importe  de  ne  pas 
perdre  de  temps,  quitte  à  se  tromper  et  i.  croire 
malade  un  enfant  simplement  indisposé,  car  pour 
beaucoup  de  maladies  contagieuses,  le  danger  de 
diffusion  commence  avant  le  développement  com- 
plet des  syiuptûmes.  Ce  que  l'on  doit  demander 
aux  instituteurs,  aux  directrices  de  salles  d'asile, 
c'est  bien  moins  un  diagnostic  de  la  maladie  que 
la  connaissance  de  certains  signes  caractéristiques, 
communs  d'ailleurs  à  plusieurs  affections,  et  qui 
suffisent  pour  faire  isoler  l'enfant  qui  les  pré- 
sente. 

On  peut  ranger  en  deux  grandes  classes  les  ma- 
ladies contagieuses  :  celles  qui  sont  accompagnées 
de  fiéore ;  celles  dans  lesquelles  la  fièvre  n'existe 
pas.  Les  premières  comprennent  les  maladies 
éruptives,  les  plus  fréquentes  et  les  plus  graves 
parmi  les  affections  contagieuses  de  l'enfance.  La 
fièvre  est  donc  un  symptôme  général  suffisant 
pour  motiver  le  renvoi  d'un  enfant  à  ses  parents 
jusqu'à  l'avis  du  médecin.  Peu  importe  que  l'on 
se  trompe  sur  la  nature  de  la  fièvre  et  sur  ses  con- 
séquences. S'il  s'agit  d'une  indisposition  passa- 
gère, l'enfant  se  rétablira  mieux  chez  lui  qu'à 
l'école,  dont  le  séjour  ne  peut,  dans  ces  conditions, 
lui  être  profitable  en  aucune  façon.  La  fièvre  la 
plus  bénigne  exige  du  repos,  des  soins,  et  celui  qui 
en  souffre  est  incapable  do  profiter  du  séjour  à 
l'école.  Il  n'y  a  donc  lieu  d'avoir  aucun  scrupule 
à  cet  égard;  tout  enfant  fiévreux  doit  être  exclu  do 
la  classe.  Cette  précaution  devient  surtout  impé- 
rative  lorsqu'il  règne  une  épidémie  de  fièvres 
éruptives.  Il  faut  alors  épier  les  moindres  symp- 
tômes, éloigner  le  malade  avant  toute  contagion  et 
lui  assurer  un  traitement  immédiat. 

Que  l'on  ne  s'inquiète  pas  de  reconnaître  à  quel 
genre  de  fièvre  on  a  affaire.  L'important  c'est  de 
savoir  qu'elle  existe.  Le  médecin  lui  donnera  son 
vrai  nom.  Or  il  y  a  deux  caractères  auxquels  les 
personnes  les  moins  initiées  à  la  médecine  recon- 
naîtront la  fièvre  :  augmentation  delà  température 
du  corps,  accélération  du  pouls.  Il  suffit  de  placer 
la  main  sur  la  poitrine,  ou  même  d'ordinaire  sur 
les  joues,  le  front,  pour  reconnaître  la  chaleur 
insolite  de  la  peau.  11  est  bon  de  se  servir  toujours 
d'une  montre  pour  constater  l'accélération  du 
pouls  ;  cependant  avec  un  peu  d'habitude  (que  l'on 
doit  s'exercer  à  acquérir),  les  doigts  qui  pressent 
l'artère  du  poignet  apprécient  avec  une  approxi- 
mation suffisante  la  dureté  etla  fréquence  du  pouls. 
La  fièvre  est  ordinairement  accompagnée  de  quel- 
ques symptômes  accessoires  :  soif,  frissons  ou 
sueurs,  manque  d'appétit,  langue  blanchâtre, 
rouge  ou  sèche,  alanguissement  ou  éclat  des  yeux, 


MALADIES 


—  1258 


MALADIES 


mal  de  tête,  fatigue,  abattement  ou  excitation  déli- 
rante. 

Nous  allons  passer  en  revue  les  maladies  que 
les  parents  et  les  instituteuis,  les  directrices  de 
salles  d'asile,  ont  intérêt  il  connaître  à  cause  de 
leur  caractère  contagieux. 

Fièvres  éiuptives.  —  Variole  ou  petite  vérol''. 
—  Dès  le  commencement,  douleur  dans  les  reins, 
puis  dans  le  dos  et  la  poitrine,  vomissements, 
fièvre  intense.  11  peuty  avoir  délire  et  convulsions. 
Du  troisième  au  cinquième  jour  commence,  à  la 
face,  une  éruption  de  points  rouges  qui  deviennent 
des  taches,  puis  des  pustules  dépriméesau  centre. 
Du  quatrième  au  sixième  jour  s'étalilit  la  snppura- 
tion,  accompagnée  de  fièvre.  Du  neuvième  au 
dixième  jour,  les  pustules  se  dessèchent,  les 
croûtes  tombent,  laissant  des  taches  rouges  et  des 
cicatrices.  C'est  pendant  celte  dernière  période 
que  la  maladie  se  transmet  le  plus  facilement  par 
les  poussières  desséchées  :  il  est  utile,  pour  pré- 
venir leur  dissémination,  de  graisser  la  peau  avec 
une  pommade  ou  de  l'enduire  de  glycérine.  L'en- 
fant devra  être  baigne  plusieurs  fois  avant  de  ren- 
trer à  l'école. 

La  variole  est  rare  dans  les  asiles  et  dans  les 
écoles  où  les  enfants  ne  sont  admis  qu'avec  un 
certificat  de  vnccine,  car  d'ordinaire  ils  n'ont  pas 
atteint  l'âge  où  la  vaccination  cesse  d'être  efficace, 
puisque  son  action  préservatrice  dure  une  dizaine 
d'années.  Mais  en  temps  d'épidémie  de  variole, 
les  instituteurs  devront  avoir  soin  de  faire  vacciner 
tous  les  enfants  âeés  de  plus  de  dix  ans. 

Varicelle  on  petit:  léro/e  voli.n'e.  —  C'est  une 
maladie  sans  giMvité.  La  fièvre,  toujours  peu  in- 
tense, passe  parfois  inaperçue.  On  voit  d'abord 
quel(|ues  taches  rosées  qui  se  déve!opp(ln  en 
bulles  grosses  t  o  nme  un  petit  pois.  L'eau  qu'elles 
contiennent  se  trouble,  se  dessèche  et  les  croûtes 
qui  en  résultent  tombent  sans  laisser  de  cicatrices. 
Le  cuir  chevelu  est  toujours  atteint. 

Pou<,eole.  —  Elle  débute  par  un  rhume  de  cer- 
veau avec  accès  de  fièvre,  puis  arrive  une  toux 
sèche.  Quelquefois  il  y  a  des  saignements  de  nez 
et  de  la  diarrhée.  Du  troisième  au  quatrième  jour 
apparaissent  à  la  face,  au  cou,  des  taches  rouges 
semblables  h  des  morsures  de  puce,  qui  se  réunis- 
sent en  groupes  irrégnliers.  Souvent  elle  se  com- 
plique de  bronchite  assez  grave.  Cette  alTection  de 
l'enfance  est  éniinemment  contagieuse,  mais  pour 
les  petits  malades  qui  gardent  la  chambre  et  ne 
sont  pas  exposés  au  froid  la  terminaiscn  est  presque 
toujours  favorable. 

La  convalescence,  qui  dure  une  dizaine  de  jours, 
commence  lorsque  la  peau  se  dépouille  de  son 
épidémie.  11  est  bon  alors  de  la  graisser  ou  de 
l'enduire  de  glycérine  pour  empêcher  la  disper- 
sion des  pellicules,  source  de  contagion.  Des  bains 
sont  nécessaires  avant  la  rentrée  h  l'école. 

Scarl'tine.  —  Le  début  est  celui  d'un  mal  de 
gorge  compliqué  d'un  accès  de  fièvre.  Vers  le 
deuxième  jour,  quelquefois  dès  le  début,  apparaît 
aux  mains,  aux  pieds,  à  la  face,  aux  articulations, 
à  la  partie  interne  des  cuisses,  une  éruption  de 
petites  taches  roses  pointillées,  accompagnée  de 
fièvre,  parfois  d'un  peu  de  délire.  Le  pointillé  pro- 
vient de  points  plus  élevés  qui  deviennent  de  pe- 
tites vésicules.  Les  articulations  sont  souvent 
douloureuses.  Après  deux  ou  trois  jours  les  sym- 
ptômes s'apaisent  et  l'épiderme  commence  à  se 
détacher  en  larges  écailles. 

Quelquefois  la  maladie  est  si  bénigne  que  la 
chute  de  l'épiderme  appelle  pour  la  première  fois 
l'attention .  Dans  d'autres  cas  il  survient  h  la  gorge, 
au  poumon, au  cerveau,  des  complications  sérieuses. 

L'usage  de  la  fianelle  est  indispensable  pendant 
la  convalescence,  qui  est  longue  et  réclame  des 
soins  minutieux,  suitout  pour  préserver  du  froid. 
Il  faut  au  moins  six  semaines  après  la  chute  de  l'é- 


piderme pour  q  le  le  danger  de  contagion  soi 
passé.  En  temps  d'épidémie  de  scarlatine,  on  ferai' 
bien  de  donner  aux  enfants,  tous  les  deux  jours, 
deux  ou  trois  giuttcs  de  teinture  de  belladone.  Ses 
vertus  préservatrices  ne  sont  pas  prouvées,  mais  à 
cette  dose  c'est  un  médicament  inoffensif  et  il 
semble  avoir  produit  de  bons  résultats. 

Onillms.  —  Cette  maladie  se  rapproche,  sous 
certains  rapports,  des  fièvres  éruptives  contagieu- 
ses, et  nous  pouvons,  sans  inconvénient,  la  men- 
tionner ici. 

Au  début  malaise,  fièvre,  gêne  vers  l'articula- 
tion de  la  mâchoire,  puis  gonflement  douloureux 
de  \î  glande  parotide  et  des  parties  voisines.  D'or- 
dinaire, les  deux  côtés  de  la  face  sont  pris  succes- 
sivement. La  tuméfaction  se  résout,  le  plus 
souvent,  au  bout  d'une  huitaine  de  jours  ;  quelque- 
fois elle  se  porte  sur  d'autres  organes. 

Fièvre  typhoïde  (nommée  aussi  muligne,  pu- 
tride, muqueuse).  —  Le  début  n'est  jamais  brus- 
que. L'enfant  est  abattu,  il  perd  les  forces  et 
l'appétit,  puis  la  fièvre  se  déclare,  accompagnée  de 
mal  de  tête,  saignement  de  nez,  ballonnement  du 
ventre,  diarrhée  fétide,  stupeur,  somnolence,  dé- 
lire ;  du  sixième  au  douzième  jour  apparaissent, 
sur  l'abdomen  et  la  poitrine,  des  taches  sem- 
blables b.  celles  produites  par  des  piqûres  de  puce. 
Tels  sont  les  symptômes  de  la  première  période. 
L'enfant  cesse  forcément  de  fréquenter  l'école 
avant  l'apparition  des  plus  graves,  mais  sa  pré- 
sence est  dangereuse  dès  le  début  ;  par  conséquent 
il  importe  d'agir  aussitôt  que  les  premières  indi- 
cations sont  corroborées  par  le  développement  de 
la  fièvre. 

Maladies  non  fébkiles.  —  Stomatite  ulcéreuse. 

—  Les  débuts  sont  pou  marqués  et  n'appellent 
gucie  l'attention;  parfois  cependant  il  y  a  un  peu 
de  fièvre.  Les  gencives,  l'intérieur  des  lèvres  et 
des  joues,  le  voile  du  palais,  se  couvrent  peu  à  peu 
d'ulcérations  grisâtres,  saignantes,  qui  s'aggravent 
a^'Sez  rapidement.  La  fétidité  extrême  de  l'haleine 
est  ordinairement  le  premier  symptôme  que  l'on 
remarque. 

Anç/rne  diphtêrilip  e,  ou  maligne,  couew  euse. 

—  Cette  maladie  éminemment  contagieuse  consiste 
dans  la  formation  d'une  exsudation  membraneuse 
(fausse  membrane,  couenne)  d'un  aspect  lardacé, 
jaunâtre  ou  no  râtre,  qui  recouvre  d'abord  les 
amygdales,  puis  l'arrière-gorge.  Quand  ces  fausses 
membranes  gagne  it  le  larynx,  la  maladie  prend  le 
nom  de  croup.  Il  importe  de  ne  pas  confondre  le 
croup,  maladie  terrible  et  parfois  foudroyante, 
avec  la  luri/m/ite  slriduieuse  ou  faux  croup.  Cc\\xi- 
ci  débute  brusquement  par  une  toux  rauque  et 
sifflante,  mais  sonore;  c'est  une  affiction  principa- 
lement spasmodique.  L'examen  de  la  gorge  ne 
montre  pas  de  fausses  membranes. 

L'angine  diphtéritique  débute  par  un  peu  de 
gêne  dans  la  gorge  et  d'enrouement,  comme  un 
cas  de  simple  mal  de  gorge.  11  ne  faut  donc  jamais 
négliger  de  visiter  avec  soin  cet  organe,  dès  qu'un 
enfant  y  accuse  i:n  trouble  quelconque.  L'examen 
au  moyen  d'une  cuiller  dont  le  manche  abaisse  la 
langue  suffit  pour  constater  la  présence  ou  l'ab- 
sence de  fausses  membranes.  A  mesure  que  celles- 
ci  gagnent  les  fosses  nasales,  elles  causent  un 
enchifrènement  du  nez  avec  écoulement  plus  ou 
moins  abondant.  Les  glandes  qui  se  trouvent  er 
arrière  de  l'angle  de  la  mâchoire  s'engorgent,  et  1( 
gonflement  s'étend  vers  le  cou. 

Coqueluche.  —  C'est  une  alïection  nerveuse 
contagieuse  et  épidémique.  A  son  origine  il  n'es 
pas  facile  de  la  distinguer  d'un  simple  rhume:  ce 
pendant  on  remarque  déjà  que  la  toux  se  produi 
par  quinlei  ou  accès  isolés  et  surtout  la  nuit 
Cette  période  un  peu  indécise  peut  durer  plusieur 
semaines.  Enfin  la  maladie  prend  son  caractèr 
spécial.  L'accès  débute  par  un  malaise,  puis  la  tou 


I 


MALADIES 


125!) 


MALADIES 


convulsivc  se  déclare  par  secousses  rapides,  pres- 
que iniiitcrrompuos,  suivies  d'inspirations  sifflan- 
tes. Chaque  accès  se  compose  ordinairement  d'un 
certain  nombre  de  quintes  qui  se  succèdent  il  peu 
d'intervalle,  mais  la  première  est  la  plus  violente. 
Lorsque  le  calme  se  rétablit,  l'enfant  rejette  des 
mucosités  épaisses.  Souvent  les  efforts  produisent 
le  vomissement.  L'expectoration  met  fin  à  l'accès, 
qui  dure  environ  une  minute.  Cette  maladie  se 
complique  souvent  d'accidents  graves. 

Di/ssenlei-ie  ou  fui-  de  sauf].  —  Ce  dernier  nom 
suffit  pour  différencier  la  dyssenterie  de  la  diarrhée. 
Colle-ci  n'est  qu'un  catairhe  de  l'intestin  qui  sé- 
crète plus  de  niueus  (glaires)  qu'à  l'état  normal 
Dans  la  dyssenterie,  l'intestin  enflammé  sécrète  du 
mucus  mêlé  h.  une  exsudation  sanguine.  Les  be- 
soins d'aller  à  la  garde-robe  sont  fréquents,  les 
matières  rendues  sont  peu  abondantes.  Les  coli- 
ques et  le  malaise  obligent  bientôt  le  malade  à 
garder  la  chambre.  Dès  le  début  il  faut  empêcher 
l'enfant  de  se  rendre  aux  cabinets  d'aisance,  car 
la  dyssenterie  peut  être  contagieuse. 

Maladies  parasitaires.  —  Gale.  —  On  donne  ce 
nom  ù  une  maladie  de  la  peau  causée  par  un  petit 
insecte  iacanis)  long  d'un  tiers  de  millimètre  et 
un  peu  moins  large,  qui  ressemble  h.  une  micros- 
I  copique  tortue.  Dans  le  principe,  sa  présence  se 
décèle,  particulièrement  aux  pieds,  aux  mains,  aux 
poignets,  par  de  petites  vésicules  qui  produisent 
une  vive  démangeaison  nocturne.  Souvent  elles 
"lit  été  écorchées  par  les  ongles  et  se  trouvent 
remplacées  par  une  croûte  brunâtre.  De  la  vési- 
cule part  souvent  un  sillon  grisâtre  ou  brunâtre, 
long  de  quatre  à  cinq  millimètres,  semblable  à  une 
ésratignure,  et  terminé  par  une  petite  bosselure 
|iliis  foncée.  Ce  sillon  est  creusé  la  nuit  par  l'in- 
secie,  qui  habite  le  fond  de  la  bosselure  et  y  dé- 
piise  ses  œufs. 

Comme  les  poux,  la  gale  a  eu  ses  défenseurs  : 
nn  la  considérait  comme  un  dépuratif  digne  de 
lespect,  voire  même  de  reconnaissance.  Aujour- 
dliui,  on  s'en  débarrasse  le  plus  tôt  possible  en 
tuant  l'insecte  parasite,  sans  se  préoccuper  des 
ronséquenccs  chimériques  attribuées  à  ce  traite- 
miiii  rationnel  par  la  médecine  populaire. 

L'insecte  de  la  gale  ayant  des  habitudes  noctur- 
nc'S,  la  maladie  se  communique  principalement  la 
nuit  :  cependant  la  contagion  diurne  est  toujours 
|iiissible,  et  l'isolement  des  enfanis  atteints  s'im- 
pose jusqu'à  parfaite  guérison. 

Teignes.  —   Nous  admettrons  ici   trois  teignes 
ésultent  de  la  présence  de  végétaux  parasi- 


Dès  le  commencement,  des  démangeaisons  an- 
noncent l'invasion  du  parasite.  Elles  deviennent 
bientôt  in.supportables,  et  le  cuir  chevelu  exhale 
une  odeur  fétide  caractéristique.  L'enfant  atteint 
de  teigne  doit  être  éloigné  jusqu'à  complète  gué- 
ri.son  certifiée  par  le  médecin. 

La  Icifjne  foiisiiranf'-  doit  son  nom  à  ce  qu'elle 
produit  sur  le  cuir  chevelu  une  véritable  tonsure 
large  de  deux  i  cinq  centimètres.  Au  début  de  l'in- 
vasion, les  cheveux  noirs  deviennent  rougeâtres; 
les  blonds,  d'un  gris  cendré;  en  même  temps  ils 
sont  grêles  et  friables.  Bientôt  leur  base  se  trouve 
étoufice  par  la  végétation  parasitaire  et  tous  les 
cheveux  se  cassent  à  deux  ou  trois  millimètres  au- 
dessus  du  niveau  de  l'épiderme.  Le  fond  de  la  pla- 
que ainsi  tonsurée  semble  chagrinée,  elle  prend 
une  teinte  bleuâtre  et  laisse  échapper  une  poussière 
grise.  Quelquefois  le  mal  est  limité  à  une  seule 
plaque,  mais  le  plus  souvent  il  se  forme  plusieurs 
centres  qui  gagnent  de  proche  en  proche. 

La  feigne  déealvante  ou  pelade,  au  lieu  de  pro- 
duire des  plaques  croûteuscs  ou  des  tonsures,  fait 
disparaître  entièrement  les  cheveux  ou  les  poils 
de  la  partie  attaquée.  La  peau  reste  unie,  douce 
au  toucher  et  très  blanche.  Les  sourcils  sont  fré- 
quemment le  siège  de  cette  variété  de  teigne.  Elle 
est  d'ailleurs  plus  envahissante  que  les  autres  et 
peut,  de  proche  en  proche,  se  répandre  sur  tout 
le  corps. 

Au  début  on  ressent  d'ordinaire  une  assez  vive 
démangeaison,  mais  on  ne  remarque  pas  toujours 
dans  la  couleur  et  la  nature  des  cheveux  les  chan- 
gements qui  annoncent  l'invasion  des  autres  tei- 
gnes. 

Souvent  cette  affection  passe  inaperçue  pendant 
assez  longtemps,  de  sorte  qu'avec  ses  allures  assez 
innocentes  elle  est,  au  fond,  plus  dangereuse,  au 
point  de  vue  de  la  contagion,  que  les  antres  variétés 
qui  attirent  promptement  l'attention.  11  y  a  donc 
lieu  de  surveiller  périodiquement  la  tête  des  en- 
fants pour  signaler  les  premiers  symptômes. 

Ophtiialmies.  —  Toutes  les  fois  que  les  paupières 
sont  tuméfiées  et  sécrètent  du  mucus  ou  du  pus 
ou  un  mélange  de  liquides  sanieux,  on  doit  se  hâ- 
ter d'isoler  et  de  faire  traiter  l'enfant  atteint  d'oph- 
thalmie,  sans  s'inquiéter  de  savoir  s'il  s'agit  d'oph- 
tIialmierf!'joA?e/!'^!7we,;jt/c!(/pn(e ou  autre.  Dans  tous 
les  cas  il  y  a  danger  de  contagion,  et  souvent  la 
maladie  fait  des  progrès  si  rapides  que  le  médecin 
est  impuissant.  On  doit  donc  toujours  considérer 
l'ophthalmie  comme  grave  et  nécessitant  dos  soins 
urgents.  Surtout,  que  l'on   ne  perde  pas  de  temps 


t.iires  analogues  aux  champignons,  mais  d'une  or-    à  essayer  les  recettes  de  familles,  ou  celles  qu'ôf- 
ganisation  tout  à  fait  élémentaire  et  si  petits  qu'on     frent  les  guérisseurs  de  village.  Il  y  a  des  ophthal 


ne  peut  les  reconnaître  qu'i  l'aide  du  microscope. 

_  Ces  végétaux  se  propagent  au  moyen  de  semences 

j  j  d'une   ténuité   extrême,  qui  peuvent  flotter   dans 

j  !  l'air  et  disséminer  la  maladie.  Mais  le   plus  sou- 

jjj  j  vent  la  contagion  provient  du  contact  d'un  objet 
j  I  imprégné  de  ces  semences  ou  ,ipo>es,  comme  un 

'  j  \  peigne,  une  brosse,  une  coiffure.  En  règle  générale, 
j  I  il  faut  donc  veillera  ce  que  les  enfants  ne  s'expo- 
1  i  sont  pas  à  ces  contacts  toujours  suspects  dans  les 
t,  I  aggloniérations.  Chaque  teigne  est  caractérisée  par 

,  j  I  un  végéta)  particulier,  dont  le  développement  et  la 

■  j  j  multiplication  h  la  surface  de  la  peau  sont  accom- 

,J  pagnes  de  symptômes  spéciaux. 

i.l  I     ^^  teigne   proprement  dite,  ou  leir/ne  fweuse, 

i  petit  occuper  toutes  les  régions  garnies  de  poils, 
mais  siège  particulièrement  au  cuir  chevelu.  Les 
cheveux  se  décolorent,  deviennent  grêles,  cassants  ; 
il  se  forme  à  leur  base  des  croûtes  jaunâtres  qui 
,',  i  se  rejoignent  pou  à  peu  sur  des  espaces  assez  con- 
'j|Sidérables,  et  même  envahissent  toute  la  tète.  Ces 
J, croûtes,  formées  de  sérosité,  de  débris  et  de  se- 
.,^i  menées  du  végétal  parasite,  s'écaillent,  tombent 
'en  poussière,  et  leur  dispersion  sème  partout  la 
"maladie. 


mies  dans  lesquelles  il  suffit  de  quelques  heures 
perdues  pour  occasionner  la  perte  des  yeux. 

Maladies  du  svsTiiME  nerveux.  —  Epilep.iie,  ou 
haut  mal,  mal  caduc.  —  Celte  terrible  maladie 
peut  se  transmettre  soit  par  suite  de  la  frayeur 
que  cause  la  vue  d'une  attaque,  soit  simplement 
par  imitation.  II  importe  donc  de  savoir  la  recon- 
naître, afin  d  isoler  les  enfants  dès  le  début  de 
l'attaque.  Les  maîtres  useront,  pour  cela  de  pru- 
dence et  de  discrétion;  ils  se  garderont  bien  de 
prononcer  le  nom  de  la  maladie,  et  en  éloignant 
les  élèves  de  leur  camarade,  ils  auront  soin  de  dire 
que  c'est  une  indisposition  passagère,  qui  réclame 
la  tranquillité  et  l'isolement.  On  pourra  donner  à 
l'accident  le  nom  de  syncope,  dire  que  l'enfant  se 
trouve  mal. 

Quelquefois  la  personne  épileptique  prévoit,  par 
certaines  sensations,  l'arrivée  de  l'attaque  et  peut 
s'y  préparer;  mais  le  plus  souvent  l'invasion  de  la 
crise  est  soudaine. 

Quelquefois  l'attaque  est  bénigne  (petit  mal), 
c'est  un  vertige  épileptique,  qui  consiste  dans  la 
perte  de  la  connaissance  et  du  mouvement.  Tantôt 
le  malade  marche  rapidement  en  ligne  droite  ou 


MALADIES 


1360  — 


MAMMIFERES 


■en  tournoyant,  puis  tombe,  la  face  pâle,  les  yeux 
fixes;  taniôt  le  mal  le  surprend  au  milieu  d'une 
phrase,  d'un  mouvement,  et  il  demeure  comme 
frappé  de  la  foudre.  Dans  quelques  cas  il  se  remet 
presque  aussitôt,  achève  lactioii  ou  la  phrase  com- 
mencée, sans  avoir  conscience  de  ce  qui  est  arrive  ; 
dans  d'autres,  il  demeure  un  peu  assoupi  et  in-  I 
conscient. 

L'enfant  sujet  au  petit  mal  doit  être  l'objet  d'une 
surveillance  spéciale;  si  les  attaques  sont  rares  et  ' 
bénignes,  il  serait  sans  doute  rigoureux  do  lui  re-  ' 
fuser  l'entrée  de  l'école;  mais  on  a  lieu  de  craindre  j 
que  la  maladie  ne  prenne  la  forme  plus  grave  du 
grand  mal,  qui  est  une  cause  d'exclusien.  | 

Au  moment  de  l'attaque,  l'enfant  pâlit,  pousse 
d'ordinaire  un  cri,  et  tombe  sans  connaissance.  Le  j 
■corps  se  raidit,  puis  s'agite  en  mouvements  con-  | 
vulsifs  de  plus  en  plus  violents.  L'insensibilité  est 
complète.  La  face  devient  rouge  violacée,  les  traits 
grimacent,  une  écume  abondante  sort  de  la  bou- 
che. Peu  à  peu  le  calme  se  rétablit,  la  face  pâlit. 
un  assoupissement  profond  remplace  l'agitation  ! 
convulsive.  I 

L'attaque  dure  ordinairement  de  deux  îi  dix  mi-  ' 
nutes,  mais  elle  peut  se  prolonger  pendant  plu- 
sieurs heures.  Il  est  inutile  de  chercher  à  conte-  j 
nir  le  malade,  on  doit  se  borner  Ji  le  placer  de 
telle  sorte  qu'il  ne  puisse  se  blesser. 

Attaque  de  nerfs.  —  Il  est  rare  que  cette  af-  ! 
fection  atteigne  les  pptites  filles  en  âge  d'école  ;  j 
cependant  on  doit  savoir  la  reconnaître,  surtout 
pour  ne  pas  la  confondre  avec  l'épilepsie.  Une 
émotion  violente,  une  contrariété  sont  les  causes 
ordinaires  de  l'attaque  de  nerfs,  qui  n  affecte  pas  l 
le  sexe  masculin.  Elle  est  remarquable  par  l'agita- 
tion générale,  les  cris,  les  pleurs,  rarement  ac-  j 
compagnes  de  la  perte  de  connaissance. 

6i  une  enfant  est  sujette  aux  attaques  de  nerfs, 
sans  qu'on  puisse  les  attribuer  à  une  cause  for- 
tuite et  extraordinaire,  il  devient  nécessaire  de 
l'éloigner  de  l'école  jusqu'à  guérison  complète. 
C'est,  en  effet,  une  des  maladies  qui  se  transmet- 
tent le  plus  facilement  par  imitation,  et  une  fois 
produite,  elle  peut  dégénérer  d'une  façon; alar- 
mante. 

Chorée  ou  Danse  de  Saint-Giiij.  —  Les  filles 
sont  particulièrement  sujettes  à  cette  névrose, 
qui  consiste  en  mouvements  involontaires,  irrégu- 
liers, ordinairement  bornés  h  un  membre,  au  cou, 
à  la  face,  mais  qui  peut  se  généraliser.  'Tout  en- 
fant atteint  de  cette  maladie  doit  être  éloigné  de 
l'école,  car  c'est  une  de  celles  qui  se  propagent 
par  imitation. 

Tic  convulsif.  —  Il  consiste  en  mouvements  lo- 
caux habituels,  involontaires,  de  certains  muscles 
et  particulièrement  de  ceux  de  la  face.  Ce  tic  non 
douloureux  fait  faire  des  grimaces  grotesques  ou 
hideuses,  dont  la  vue  est  une  cause  de  désordre 
ou  de  dégoiit.  De  plus,  les  enfants  sont  portés  à 
les  imiter,  par  raillerie  d'abord,  puis  sous  l'in- 
fluence de  ce  que  l'on  a  nommé  la  i:ontngio?i  ner- 
veuse, c'est-à-dire  l'imitation  inconsciente.  Une 
fois  l'habitude  prise,  le  tic  acquis  devient  aussi 
rebelle  que  la  maladie  naturelle.  Pour  tous  les  cas 
un  peu  marqués,  il  y  a  donc  lieu  d'exclure  de  l'é- 
cole les  enfants  atteints  du  tic  de  la  face. 

Les  indications  sommaires  que  nous  venons  de 
donner  ne  constituent  pas  pour  les  non  initiés 
des  connaissances  médicales,  et  ils  ne  doivent 
point  s'en  jirévaloir  à  ce  point  de  vue.  Elles  suf- 
fisent toutefois  pour  permettre  à  ceux  qui  ont 
charge  d'enfants  d'exercer  sur  leur  santé  une  sur- 
veillance intelligente,  afin  de  remplir  le  devoir 
délicat  mais  impérieux  de  les  exclure  de  la  classe 
dès  qu'ils  présentent  les  symptômes  des  maladies 
que  nous  venons  d'énumérer.  Ils  y  apporteront 
toujours  le  tact,  l'humanité,  les  formes  bienveil- 
lantes, qui  adouciront,  pour  les  parents  et  pour 


les  élèves,  la  rigueur  de  mesures  pénibles,  mais 
nécessaires  pour  sauvegarder  la  santé  de  l'école  et 
assurer  aux  malades  un  traitement  immédiat. 
[D'  Saffi-ay.] 
MAMMIFÈRES.  —  Zoologie,  IV.  —  On  sait  que 
les  animaux  peuvent  être  répartis  en  un  certain 
nombr  ■  de  groupes  principaux,  ou  embranche- 
ments, dont  le  premier  est  constitué  par  les  Ver- 
tébrés, c'est-à-dire  par  des  êtres  très  élevés  en  or- 
ganisation et  pourvus  d'une  charpente  solide  qui 
est  elle-même  formée  de  pièces- osseuses  ou  vertè- 
bres, tandis  que  le  dernier  renferme  des  êtres 
d'une  simplicité  extrême,  les  Zoophytes  et  les  In- 
fusoiref:,  qui  touchent  par  certains  côtés  au  règne 
végétal.  A  leur  tour  ces  embranchements  se  subdi- 
visent en  groupes  secondaires  ou  classes.  Les  Ver- 
tébrés, par  exemple,  comprennent  cinq  classes  : 
les  Poissons,  les  Batracien^:,  les  Reptiles,  les  Oi- 
seaux et  enfin  les  Mammifères,  qui  occupent  le 
sommet  de  la  série  et  dont  nous  allons  dire  quel- 
ques mots. 

Les  Mammifères, étant  les  premiers  des  Vertébrés, 
sont  par  cela  même  le*  premiers  des  animaux,  et 
ils  ont  à  leur  tête  l'espèce  humaine,  en  faveur  de 
laquelle  on  a  voulu  parfois  créer  un  ordre,  une 
classe  ou  même  un  règne  à  part. 

A  première  vue,  les  mammifères  se  distinguent 
des  vertébrés  des  autres  groupes  par  leur  forme 
extérieure  et  par  la  nature  de  leurs  téguments. 
En  effet,  leur  corps  est  ordinairement  muni  de 
quatre  membres  qui  servent  tous  à  la  locomotion, 
ou  qui  peuvent  être  affectés  eu  partie  à  la  préhen- 
sion des  aliments;  la  tête  est  distincte  et  le  corps 
est  très  souvent  recouvert  de  poils.  Mais  il  n'en 
est  pas  toujours  ainsi  :  certains  mammifères 
aquaùques  en  effet,  tels  que  les  baleines,  ont  la 
tête  confondue  en  arrière  avec  le  tronc,  les  mem- 
bres antérieurs  transformés  en  nageoires,  les 
membres  postérieurs  atrophiés,  le  corps  presque 
glabre,  surmonté  d'une  nageoire  dorsale  et  terminé 
par  une  nageoire  caudale  ;  bref,  ces  animaux  aqua- 
tiques ont  tout  à  fait  l'apparence  des  poissons, 
avec  lesquels  on  les  confond  trop  souvent.  Les 
baleines  cependant  ont  le  même  mode  de  dévelop- 
pement que  les  autres  mammifères,  comme  eux 
elles  produisent  des  petits  vivants,  comme  eux 
elles  les  nourrissent  dans  les  premiers  temps 
avec  du  lait,  liquide  sécrété  par  des  organes  par- 
ticuliers nommés  mamelles. 

Il  n'y  a  en  effet  qu'un  nombre  assez  restreint 
de  mammifères  qui  naissent  les  yeux  ouverts  et 
qui  soient  capables  de  courir  immédiatement  à 
droite  et  à  gauche  à  la  recherche  de  leur  nourri- 
ture. La  plupart  ont  besoin  des  soins  de  leurs  pa- 
rents ;  quelques-uns  même  viennent  au  monde 
dans  un  tel  état  de  faiblesse  qu'ils  doivent  s'abri- 
ter, pendant  un  certain  temps,  dans  une  poche 
disposée  sous  le  ventre  de  la  mère.  C'est  le  cas  des 
kangourous,  des  sarigues,  dontil  seraquestion  dans 
un  autre  article  (V.  i\Jarsuijiau.i:). 

Les  poils  qui  couvrent  les  diverses  parties  du 
corps  des  mammifères  varient  beaucoup  sous  le 
rapport  du  nombre,  de  la  longueur,  de  la  qualité 
et  de  la  couleur. 

Les  uns,  comme  les  cheveux  de  l'homme,  sont 
longs,  souples, etfins;  d'autresaucontraire,  comme 
les  piquants  du  porc-épic,  sont  épais  et  asseï 
durs,  assez  aigus  pour  constituer  des  armes  dé- 
fensives ;  d'autres  encore  s'aplatissent  en  écailles 
de  manière  à  former  la  cuirasse  des  tatous  et  des 
pangolins;  ceux-ci  sont  d'une  seule  couleur;  ceux- 
là  marqués  de  zones  ou  d'anneaux,  etc. 

La  forme  du  corps  des  mammifères  est  déter- 
minée par  le  squelette,  qui  offre  en  général  la 
même  disposition  que  dans  l'espèce  humaine.  On 
constate  cependant  dans  certains  groupes  des  mo- 
difications de  détail  :  le  nombre  des  vertèbres  de 
la  région  antérieure  ou  de  la  partie  postérieure  du 


MAMMIFERES 


1261 


MAPPEMONDE 


corps  augmente  ou  diminue  suivant  que  la  tête  est 
portée  sur  un  col  allongé,  comme  chez  la  girafe,  ou 
bien  au  contraire  enfoncée  dans  les  épaules, 
comme  chez  l'ours;  suivant  f|ne  la  queue  est  bien 
développée,  comme  chez  le  lion,  ou  rudimentaire, 
comme  clicz  le  cerf.  De  même  la  forme,  la  lon- 
gueur et  lo  nombre  des  dents  sont  en  rapport  avec 
le  régime;  les  manmiifères  qui  vivent  de  racines 
et  de  graines  dures  ont  des  incisives  bien  déve- 
loppées, ceux  qui  mangent  de  l'herbe  ont  de  larges 
molaires,  ceux  qui  se  nourrissent  de  chair,  de 
puissantes  canines. 

Sans  être  aussi  profondément  iléguisés  que  les 
baleines,  s'il  est  permis  d'employer  cette  expres- 
sion, certains  mammifères  marins,  les  phoques, 
ont  déjà  les  extrémiiés  de  leurs  membres  dispo- 
B''es  en  forme  de  rames;  d'autres  au  contraire, 
qui  pourcherclier  leur  nourriture  ou  pour  échapper 
à  leurs  ennemis  doivent  courir  rapidement  à  la 
surface  du  sol,  ont  les  pattes  longues  et  grêles,  la 
portion  correspondant  au  cou-de-pied  et  au  poi- 
gnet s'ctant  étirée  pour  ainsi  dire  et  le  nombre 
des  doigts  s'étant  réduit.  C'est  le  cas  des  chevaux, 
des  cerfs,  des  antilopes,  etc.  Chez  la  taupe, 
luus  les  os  des  bras  ont  subi  une  modification 
luécisément  inverse;  ils  sont  extrêmeiuent  courts 
et  massifs,  et  la  main  affecte  la  forme  d'une  large 
polie.  La  tête  présente  également  chez  les  mam- 
mifères une  très  grande  variété  de  formes;  elle 
est  tantôt  épaisse  et  arrondie,  tantôt  allongée  et 
piiiiitue  :  les  oreilles  sont  tantôt  i  peine  distinctes. 
laiitôl  longues  et  dressées  ;  la  région  frontale  est 
parfois  surmontée  d'appendices  simples  ou  ra- 
iiirux,  droits  ou  recourbés,  qu'on  appelle  des 
lj<'k  ou  des  cornes  suivant  qu'ils  sont  caducs  ou 
<|iiils  persistent  pendant  toute  la  durée  de  la  vie 
de  l'animal.  Quelquefois  enfin,  comme  chez  l'élé- 
phant, le  nez  s'allonge  démesurément  et  constitue 
une  trompe  au  moyen  de  laquelle  l'aniiual  peut 
saisir  les  objets,  cueillir  des  leuilles  et  les  porter 
à  sa  bouche,  ou  se  défendre  contre  ses  ennemis. 

Nous  avons  déjà  rappelé  que  les  dents  ne  sont 
pas  disposées  chez  tous  les  mammifères  suivant 
un  plan  uniforme  ;  quelquefois  mêmn  ces  organes 
sont  remplacés,  comme  chez  les  baleines,  par  des 
lames  cornées  ou  fanons,  ou  simplement,  coiume 
chez  les  ornilhorhynques,  par  des  lames  garnis- 
sant les  bords  du  museau  et  ressemblant  au  bec 
d'un  oiseau  palmipède.  Signalons  encore,  pour 
terminer  ce  qui  est  relatif  à  l'appareil  digestif,  la 
nature  plus  ou  moins  complextide  l'fStomac,  qui. 
chez  les  mammifères  heibivores  d.ts  ruminantx, 
se  décompose  pour  ainsi  dire  en  plusieurs  parties 
distinctes;  les  dimensions  plus  ou  moins  considé- 
rables de  l'intestin,  le  développement  inégal  des 
glandes  salivaires,  du  foie,  du-pancréas,  etc. 

L'appareil  respiratoire  et  l'appareil  circulatoire 
présentent  une  plus  grande  fixité  ;  le  premier  en 
effet  est  toujours  constitue  par  une  trachée-ar- 
tère, des  broiiches  et  des  poumons  à  petites  cel- 
lules; le  second  par  des  artères,  des  veines  et  un 
cœur  à  quatre  cavités,  deux  oreillettes  et  deux 
ventricules. 

Nous  ne  saurions,  sans  sortir  des  bornes  qui 
nous  sont  tracées,  insister  sur  les  degrés  de  per- 
fection que  peuvent  offi-ir  le  systime  nerveux  et  les 
organes  des  sens  ;  nous  avons  eu  du  reste  l'occasion 
de  signaler  ailleurs  la  finesse  de  lodorat  chez  le 
chien ,  la  délicatesse  de  l'ouic  chez  le  cheval,  la 
faiblesse  de  la  vue  chez  la  taupe,  et  nous  avons 
montré  que  les  différences  de  cet  ordre  sont  en 
rapport  avec  les  mœurs  de  l'animal  et  les  condi- 
tions dans  lesquelles  il  se  trouve  placé. 

En  étudiant  lo  genre  de  vie,  le  régime,  les  al- 
lures, la  physionomie  et  la  structure  intime  de 
tous  les  mammifères,  on  est  parvenu  à  découvrir 
entre  eux,  soit  des  points  de  contact,  soit  des  dis- 
semblances, et  par  suite  on   a  pu  les  distribuer 


en  un  certain  nombre  de  groupes  d'importance  di- 
verse, en  espèces,  en  genres,  en  familles,  en  tribus 
et  en  ordres.  Quelques-uns  de  ces  groupes  sont 
nettement  définis  et  par  consé(|uent  admis  sans 
conteste  par  tous  les  naturalistes  ;  d'autres,  au 
contraire,  se  fondent  les  uns  dans  les  autres  par 
des  transitions  insensibles,  de  sorte  qu'il  est  difficile 
de  leur  assigner  des  limites  précises,  et  que  tous 
les  auteurs  no  leur  attribuent  pas  une  égale  éten- 
due. Tout  le  monde  n'étant  pas  d'accord  du  reste 
sur  la  valeur  qu'il  convient  d'attribuer  à  tel  otii 
tel  caractère,  il  y  a  de  notables  divergences  entre 
les  classifications  proposées  successivement  pour 
la  subdivision  intérieure  de  la  classe  des  mammi- 
fères. 

La  classification  que  nous  indiquerons  ici,  et  qui 
est  empruntée  aux  savants  les  plus  autorisés,  re- 
pose principalement  sur  les  modifications  qui 
existent  dans  le  mode  de  développement  des 
mammifères,  dans  la  conformation  de  leurs  mem- 
bres et  dans  la  disposition  de  leur  système  den- 
taire. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que  certains  mammi- 
fères naissent  dans  un  état  d'imperfection  ex- 
trême, tandis  que  d'autres,  et  ce  sont  les  plus 
nombreux,  au  moins  dans  la  nature  actuelle, 
viennent  au  monde  avec  tous  leurs  organes  ; 
chez  les  premiers,  les  deux  hémisphères  du 
cerveau  offrent  une  structure  peu  compliquée  et 
restent  indépendants  l'un  de  l'autre  ;  chez  les 
derniers,  au  contraire,  ces  mêmes  parties  sont 
marquées  à  leur  surface  de  sillons  plus  ou  moins 
nombreux  et  rattachés  l'un  à  l'autre  par  un  rorps 
ciitleiix  ou  mésûlûbe.  On  peut  donc  subdiviser 
imniédiateiuent  la  classe  qui  nous  occupe  en  deux 
grandes  catégories:  1°  les  Mamtinfh-es  diiiel- 
pliiens  ;  'i"  les  Mammifi'res  monodrl/jlnens. 

Les  Mammifères  didelphiens  à  leur  tour  com- 
prennent deux  groupes  secondaires  ou  oi-dres  :  les 
Marsui'iai'X  et  les  Monotrèmes,  qui  sont  chacun 
l'objet  d'un  arti'  le  spécial.  De  leur  côté,  les  Mam- 
mifères monodelphiens  se  composent  de  Mammi- 
fères ortlinaires,  conformés  pour  vivre  ordinaire- 
ment à  terre,  et  ayant  par  conséquent  le  corps 
couvert  de  poils  et  porté  par  quatre  membres,  et 
de  Mammifères  pisc formes,  conformés  pour  une- 
existence  aquatique  et  ayant  le  corps  pres(|ue  nu, 
terminé  en  arrière  par  une  nageoire,  privé  de  pat- 
tes postérieures  et  muni  seulement  de  membre» 
antérieurs  complètement  transformés.  Les  Cétacés 
et  les  Siréniens  (V.  Cétacés)  constituent  à  eux 
seuls  la  catégorie  des  Mammifères  pisciformes; 
niais  il  y  a  un  beaucoup  plus  grand  nombre  de 
Mammifères  ordinaires. 

En  tête  de  ceux-ci  se  placent  les  Bimanes, 
groupe  comj.osé  de  l'espèce  humaine  (V.  linces 
humaine^)  :  puis,  à  un  niveau  notablement  infé- 
rieur, viennent  les  Quadrumanes,  c'est-à-dire  les 
Singes  et  les  Lémuriens  (V.  Singea);  plus  bas  en- 
core les  Chiro/ii-res  *,  les  Insectii'ores  ',  les  llon- 
g'urs  ',  les  Carnieores  ordinaires',  \<ii  Carnivores 
marins  qu'on  appelle  aussi  les  Amphibies  *,  les 
Prohos'idieJis  '  ou  Eléphants,  les  Pun-ins  ',  les 
Jumentés  (ces  trois  derniers  groupes  étaient  au- 
trefois réunis  en  un  seul  et  formaient  l'ordre  des 
Paclii/dermes  ')  ;  enfin  les  liuniinants  *. 

Pour  l'étude  détaillée  de  ces  différents  ordres, 
nous  renvoyons  le  lecteur  aux  notices  particu- 
lières qui  leur  sont  consacrées  dans  le  corps  du 
Dictionnaire.  |E.  Oustalet] 

i»l  AIT  KM  ON  DE.  —  Géographie  générale,  I.  — 
Forme  du  glitlic.  —  On  connaît  depuis  fort  long- 
temps la  foi  me  du  globe  que  nous  habitons,  puisque 
Thaïes  de  Milet,  G  X)  ans  avant  l'èie  chrétieiine,  en- 
seignait déjà  sa  sphéricité.  Mais  ce  ne  fut  (|ue  doux 
mille  ans  plus  tard,  au  début  du  xvi'  siècle,  que  Ma- 
gellan, en  accomplissant  pour  la  première  fois  la 
circumnavigation  de  la  terre,  vérifia  par  l'expérience 


MAPPEMONDE 


1262  — 


MAPPEMONDE 


la  réalité  de  cette  théorie  Dos  lors  aussi,  on  con- 
nut à  grands  traits  la  distinction  des  eaux  et  des 
terres  émergées  h  la  surface  du  globe,  connais- 
sance qui  devient  chaque  jour  plus  complète  h 
mesure  que  les  nations  civilisées  pénètrent  da- 
vantage chez  les  peuples  encore  barbares,  s'ou- 
vrent de  nouvellet  routes  que  les  difficultés  ma- 
térielles avaient  jusqu'ici  tenues  fermées,  ou, 
perfectionnant  leurs  pro;cdôs  d'expérimentation, 
mesurent  d'une  manière  plus  précise  les  dimen- 
sions de  la  terre,  et  les  coordonnées  géographi- 
ques ainsi  que  l'altitude  de  chaque  lieu. 

Les  mers  et  /es  lerres.  —  Quoiqu'on  n'ait  pas 
encore  pu  délimiter  autour  de  chaque  pùle  l'es- 
pace occupé  par  les  terres  et  celui  qui,  bien  que 
couvert  par  les  glaces,  se  rattache  aux  mers,  on 
peut  dire  que  les  trois  quarts  de  la  surface  du 
globe  sont  du  domaine  de  l'océan. 

Leur  dislriOiiliun  sur  le  globe.  Les  grands 
océans.  —  La  distribution  des  continents  et  des 
mers  n'est  pas  uniforme  sur  les  diverses  parties 
du  globe.  Au  sud  de  l'équatcur  les  océans  sont 
beaucoup  plus  étendus  qu'au  nord,  et  entre  les 
eûtes  occidentales  de  l'Amérique  et  les  côtes 
orientales  de  l'Asie,  l'immense  océa/i  l'iicifique 
couvre  à  lui  seul  près  de  la  moitié  du  globe. 

A  l'est  de  l'Amérique,  Vocéan  Atlantique,  bien 
moins  vaste  que  le  Pacifique,  puisqu'il  n'a  que 
;)5U0  kilomètres  de  largeur  entre  la  côte  du  Bré- 
sil et  celle  de  Guinée,  a  néanmoins  suffi  pour 
isoler  l'.incien  et  le  nouveau  monde  jusqu'à  Chris- 
tophe Colomb.  Aujourd'hui  les  navires  le  traver- 
sent en  une  dizaine  de  jours  entre  l'Europe  et 
l'Amérique  du  nord.  Le  troisième  grand  océan,  ce- 
lui des  Indes,  qui  s'étend  au  sud  de  l'Asie  et  h 
l'est  de  l'Afrique,  n'a  été  tj'aversé  dans  son  entier 
qu'au  XVI'  siècle,  lorsque  les  Portugais  abordèrent 
aux  lies  de  la  Sonde,  et  les  Hollandais  k  la  côte 
d'Australie. 

Avec  les  océans  qui  s'étendent  probablement 
jusciue  sous  les  glaces  des  deux  pôles,  et  que, 
pour  cette  raison,  on  appelle  océa?t  glacial  du 
nord  ou  océan  Arctique,  ucean  glacial  du  sud  ou 
océan  Antarctique,  les  trois  grands  océans  que 
nous  venons  de  nonmier  forment  les  grandes  di- 
visions maritimes  du  globe. 

/.'S  continents. —  L'ancien  continent,  constitué 
par  la  réunion  de  l'Asie,  l'Afrique  et  l'Europe,  est 
baigné  par  ces  trois  océans  et  l'océan  Arctique. 
Le  nouveau  continent  formé  par  l'Amérique  est 
enveloppé  par  l'océan  Pacifique,  l'océan  Atlanti- 
que et  l'océan  Arctique. 

De  ce  dernier  côté,  les  deux  continents  ne  sont 
séparés  l'un  de  l'autre  que  par  le  détroit  de  Beh- 
ring, et  la  chaîne  des  iles  Aléoutiennes,  jeiées  à 
la  rencontre  de  la  presqu'île  asiatique  de  Kam- 
ichatka,  constitue  un  second  trait  d'union  entre 
les  deux  mondes.  Peut-être,  Ji  une  époque  incon- 
nue, des  tribus  asiatiques,  émigrant  de  proche  en 
proclic,  ont-elles  suivi  cette  route  pour  venir  peu- 
pler le  continent  américain. 

Au  nord-est  de  l'Amérique,  le  Groenland  et  l'Is- 
lande jalonnent  aussi  le  chemin  de  1  Europe,  et 
les  navigateurs  Scandinaves  ont  ainsi  trouvé  la 
route  du  Labrador  avant  que  Colomb  n'abordât  à 
son  tour  sur  le  nouveau  continent. 

C'est  donc  par  le  nord  que  les  terres  sont  le 
plus  voisines,  c'est  de  ce  côté  qu'elles  tournent 
leurs  rivages  les  plus  étendus.  Au  sud,  au  con- 
traire, elles  se  terminent  par  des  promontoires 
étroits  :  le  cap  Horn  pour  lAmérique  du  sud,  le 
cap  do  Bonne-Espérance  pour  l'Afriiiue,  le  cap 
Comoriji  pour  l'Inde,  le  cap  Remania,  à  l'extrémité 
de  la  presqu'île  de  Malacca,  pour  l'Indo-Chine. 

Les  mers  sfcondn^res.  L-s  grands  (golfes  et  les 
archipels.  —  Enire  ces  caps,  les  océans  Pacifique, 
Atlantique  et  Indien  s'ouvrent  de  larges  débou- 
chés sur  l'océan  Antarctique. Au  nord,  au  contraire. 


la  communication  avec  la  mer  polaire  ne  se  fait  lar- 
gement qu'entre  l'Europe  et  le  Groenland,  et  elle 
est  réduite  à  des  détroits  à  l'est  et  h  l'ouest  de  l'A- 
mérique. 

Nous  avons  déjà  cité  le  détroit  do  Behring  ;  le 
canal  de  Baffln,  qui  sépare  le  Groenland  des  terres 
de  Parry,  se  partage  en  plusieurs  canaux.  A  l'ouest, 
le  canal  de  Lancastre  forme  l'entrée  du  pa'^sage 
N.-O.  Au  nord,  le  cajial  de  Smith  conduit  dans  la 
mer  paléocristique,  c'est-à-dire  de  glaces  ancien- 
nes, où  l'hommo  a  gagné  jusqu'à  présent  la  plus 
haute  latitude,  83°    environ. 

Les  rivages  do  l'océan  Pacifique  so  développent  en 
courbes  régulières  du  côté  de  l'Amérique,  où  l'on 
ne  remarque  que  la  presqu'île  de  Californie  et 
le  golfe  ou  la  mer  Vermeille  qui  la  sépare  du 
Mexique,  puis,  au  nord,  les  archipels  de  l'A- 
laska et  de  la  Colombie  britannique,  et  au  sud, 
ceux  du  Chili  et  de  la  Patagonie.  Du  côté  de  l'Asie 
au  contraire,  le  Pacifique  projette  une  suite  de 
mers  intérieures,  celles  de  Behring,  d'Ockotsk,  du 
Japon,  la  mer  Jaune,  la  mer  de  Chine,  que  des  pres- 
qu'îles comme  le  Kamtchatka  et  la  Corée,  et  des 
archipels,  comme  les  .\looutiennes,  les  Kouriles, 
les  îles  du  Japon,  les  Philippines  couvrent  du  côté 
du  large. 

La  mer  des  Indes  entame  aussi  le  continent  par 
de  vastes  golfes,  ceux  du  Bengale  et  d'Oman,  les 
golfes  Persique  et  Arabique  ou  mer  Rouge. 

L'océan  Atlantique  découpe  encore  davantage 
les  rivages  de  l'Europe.  L'étroit  canal  de  Gibral- 
tar débouche  dans  la  Méditerranée,  dont  les  ri- 
vages partagés  entre  l'Europe,  l'Asie  et  l'Afrique 
ont  été  le  berceau  de  quelques-unes  des  plus  an- 
tiques civilisations.  La  Manche  et  le  Pas-de-Calais, 
la  mer  du  Nord  et  la  Baltique  pénètrent  au  loin 
dans  l'intérieur  des  contrées  septentrionales  de 
l'Europe. 

Allant  au-devant  du  golfe  .\rabique,  la  Médi- 
terranée faisait  de  l'Afrique  une  presqu'île  ratta- 
chée à  l'Asie  par  le  seuil  bas  et  étroit  de  l'isthme 
de  Suez,  avajit  qu'on  n'y  eût  ouvert  le  canal  mari- 
time qui  en  fait  actuellement  un  des  principaux 
points  de  passage  du  commerce. 

Du  côté  de  l'Amérique,  l'océan  Atlantique  pro- 
jette sur  les  côtes  de  l'Amérique  centrale  la  mer 
des  Antilles,  qui,  avec  le  golfe  du  Mexique,  forme 
la  séparation  entre  l'Amérique  du  nord  et  l'Amé- 
rique du  sud,  et  qui  n'est  séparée  de  l'océan 
Pacifique  que  par  l'étroit  isthme  de  Panama,  où 
un  canal  maritime  fera  bientôt  sans  doute  penaant 
au  canal  de  Suez. 

Dans  l'océan  glacial  Arctique,  il  faut  citer  l'ar- 
chipel qui  couvre  l'Amérique.  Au  sud  de  cet  ar- 
chipel s'ouvre  sur  le  continent  la  vaste  baie 
d'Ilndson  ",  puis,  à  l'est  du  Groenland,  d'où  descen- 
dent les  plus  vastes  glaciers  du  monde,  le  Spitzberg 
et  la  terre  nouvellement  découverte  de  François- 
Joseph  forment  des  archipels  presque  toujours 
couverts  de  glaces.  La  Nouvelle-Zemble  enve- 
loppe au  nord-ouest  la  mer  de  Kara,  limite  com- 
mune de  l'Asie  et  de  1  Europe.  Au  nord  de  ce 
continent,  la  mer  Blanche  entame  profondément 
le  rivage  de  la  Russie. 

C'est  au  long  de  l'océan  Indien  qu'on  trouve  les 
plus  vastes  îles  du  monde,  l'Australie  qu'on  appelle 
quelquefois  le  troisième  continent,  Madagascar,  la 
Nouvelle-Guinée,  Bornéo,  Sumatra.  On  ne  trouve, 
au  contraire,  dans  tout  l'océan  Pacifique,  au  nord 
de  la  Nouvelle-Zélande,  qu'un  très  grajid  nombre 
de  petites  îles.  Dues  pour  la  plupart  aux  construc- 
tions des  coraux,  elles  semblent  les  embryojis  d'un 
continent  en  formation. 

Le  relief  des  continents.  —  Les  montagnes,  qui 
surgissent  sur  le  sol  des  continents,  n'y  sont  pas 
plus  symétriquement  distribuées  que  les  eaux  à 
la  surface  du  globe.  Il  y  a  des  îles  fort  petites  où 
s'élèvent  des  pics  très  élevés.  Chacun  connaît  de 


MAPPEMONDE 


1203 


MAPPEMONDE 


réputation  In  pic  de  TéndriiTe  dans  les  Canaries, 
qu'on  aperçoit  de  40  lieues  en  mer.  Java  et  les 
autres  îles  de  la  Sonde,  Hawaî  au  centre  du  Paci- 
fi(|UO,  renferment  do  nombreux  pics  de  ,i  h  4000 
nii'trcs   d'altitude. 

Sur  les  continents,  c'est  au  pourtour  des  océans 
pUiiCi  qu'au  centre  des  terres  qu'on  rencontre  les 
chaînes  et  les  sommets  les  plus  élevés.  Ainsi  l'o- 
céan Pacifique  est  enfermé,  en  Amérique,  par  la 
chaîne  des  A  ndes,  la  Sierra-Nevada  de  Californie,  le 
mont  Saint-Elie  et  le  mont  Beautemps  de  l'Alaska, 
où  l'on  trouve  des  sommets  de  4  0(iO,  5  00ii,  UiMiO 
mètres  d'altitude  et  au  deli,  à  quelques  lieues  do 
la  côte.  En  face,  sur  les  rivages  de  l'Asie,  les  volcans 
du  Kamtchatka,  des  îles  du  Japon,  et  les  Alpes 
de  l'Australie  ferment  cette  ceinture,  sur  laquelle 
se  rencontrent  presque  tous  les  volcans  du  globe 
qui  n'ont  pas  encore  perdu  leur  activité. 

L'Himalaya,  où  se  trouvent  les  plus  hautes 
sommités  de  la  terre,  n'est  pas  au  centre  du  con- 
tinent asiatique  ;  le  Caucase  unit  la  mer  Noire  à. 
la  Caspienne,  et  c'est  presque  au  bord  de  celle-ci 
que  s'élève  en  Perse  le  haut  mont  Dcmavend. 
En  Europe,  le  pied  de  l'Iîtna  baigne  dans  la  mer 
Ionienne,  la  Sierra  Nevada  d'Espagne  borde  presque 
le  détroit  do  Gibraltar,  les  fjords  de  la  Norvège 
découpent  les  hautes  montagnes  de  la  Scandinavie. 
Eu  Afrique,  les  monts  Camérones  se  dressent  au 
bord  du  golfe  de  Guinée,  et  le  Kénia  et  le  Kiliman- 
djaro non  loin  de  l'océan  Indien.  Et  l'on  pon.rralt 
encore  multiplier  ces  exemples. 

Les  grands  bassins.  —  Les  versants  que  sépa- 
rent les  montagnes  sont  donc  très  inégaux  en 
étendue.  L'océan  Pacifique  ne  reçoit  que  trois 
fleuves  considérables,  le  Kiang.  le  Hoang  Hô  et 
l'Amour.  L'Amérique  ne  lui  envoie  que  l'Orégon 
et  le  Colorado,  ce  dernier  aux  eaux  rares. 

C'est  dans  l'Atlantique  ou  ses  dépendances,  au 
contraire,  que  débouchent  les  deux  fleuves  les 
plus  considérables  du  monde  par  la  masse  de 
leurs  eaux,  l'Amazone  et  leLivingstone,  les  fleuves 
les  plus  longs  par  l'étendue  de  leur  cours,  le 
Mississipi,  le  Nil,  et  d  autres  encore  très  consi- 
dérables, comme  le  Saint-Laurent,  l'Orénoque,  la 
Plata. 

Les  glaciers  du  Tibet  s'écoulent  dans  l'océan 
Indien  par  le  Gange,  le  Brahmapoutre  et  l'Indus, 
et  les  eaux  de  la  Sibérie  vers  l'océan  Arctique  par 
la  Lena,  l'iéniséi,  l'Obi. 

Au  centre  des  continents,  la  sécheresse  est  assez 
forte  pour  que  l'évaporation  sur  les  nappes  où  se 
réunissent  les  eaux  compense  l'apport  de  fleuves 
quelquefois  considérables.  La  Caspienne  boit  ainsi 
le  Volga,  le  fleuve  le  plus  long  de  l'Europe,  dont  le 
bassin  couvre  la  moitié  de  la  llussie  ;  l'Aral  absorbe 
le  Syr  et  l'Amou-Daria  descendus  des  hauts  gla- 
ciers du  Pamir.  La  mer  Morte  boit  le  Jourdain.  Le 
Balkachi  et  plusieurs  lacs  de  la  Mongolie  jouent 
le  même  rôle.  Il  en  est  ainsi  du  lac  Tchad,  en 
Afrique,  du  lue  Sale  dans  les  Etais-Unis,  du  Titi- 
caca  en  Bolivie,  et  de  quelques  nappes  de  la  Con- 
fédération argentine  dans  l'Amérique  du  Sud. 

La  circulation  des  eaux,  /,e^  C"it"inls  maritmies. 
—  Les  eaux  des  océans,  échauffées  par  le  soleil 
sous  l'équateur,  s'élèvent  et  font  place  dans  les 
profondeurs  de  la  mer  à  des  eaux  plus  froides  et 
plus  lourdes  telles  que  celles  des  contrées  plus 
éloignées  de  l'équateur  :  il  tend  donc  naturelle- 
ment à  s'établir  à  la  surface  de  la  mer  un  courant 
se  dirigeant  de  l'équateur  vers  chacun  des  pôles, 
tandis  qu'en  dessous  do  ce  courant  superficiel 
règne  un  courant  inverse  dirigé  vers  le  foyer 
d'appel. 

Mais  les  eaux  à  l'équateur,  entraînées  dans  le 
mouvement  de  rotation  de  la  terre  de  l'ouest  i 
l'est,  sont  animées  dans  ce  sens  d'une  vitesse  plus 
grande  que  les  points  du  globe  situés  sur  des  pa- 
rallèles plus  élevés,  puisque  dans  les  vingt-quatre 


heures  elles  doivent  parcourir  la  circonférence 
de  l'équateur,  plus  grande  (|ue  celle  d'un  parallèle. 
Les  eaux  qui  s'éloignent  de  l'équateur  doivent 
donc  s'incliner  vers  l'est,  tandis  que  celles  qui  se 
rapprochent  de  l'équateur  doivent,  pour  une  raison 
inverso,  im  liner  vers  l'ouest. 

La  rotation  de  la  terre  détermine  une  autre  na- 
ture de  courants.  Les  eaux  et  l'atmosphère  enve- 
loppant le  globe  ne  le  suivent  pas  aussi  vite  dans 
son  mouvement  de  rotation  que  les  corps  attacliés 
à  sa  surface.  Ces  eaux,  comme  lair,  semblent  donc 
reculer  par  rapport  aux  rivages  dans  le  sens  de 
l'est  à.  l'ouest.  C'est  ce  qu'on  appelle  les  courants 
équatoriaux,  situés  au  nord  et  au  sud  de  l'équa- 
teur. Ils  ont  pour  conire -partie  un  contre-courant 
équatorial  suivant  l'équateur  même  dans  le  sens 
de  l'ouest  ii  l'est. 

Le  Gulf-str-arn.  —  Parmi  les  principaux  courants 
maritimesilfaut  citer  celui  duGuIf  stream.Issu  du 
golfe  du  M  exiqne,  ce  courantsuii  les  côtes  des  Etats- 
Unis,  traverse  l'Atlantique,  où  il  se  bifurque  en  deux 
grandes  branches.  L'une  d'elles  baigne  toutes  les 
côtes  de  1  Europe  occidentale,  les  réchaufl'e,  y 
verse  des  pluies  bienfaisantes  et  s'étend  au  nord 
de  la  Scandinavie  jusque  dans  les  parages  com- 
pris entre  le  Spitzberg  et  la  Nouvelle-Zemble.  La 
seconde  branche  du  Gulf-stream  s'infléchit  au 
sud  le  long  des  côtes  de  l'Afrique.  Uiie  troisième 
branche  intermédiaire  vient  contourner  le  golfe  de 
Gascogne. 

Le  KouroSii'O.  —  Un  second  courant  analogue 
au  Guif  stream  part  des  côtes  du  Japon,  traverse 
le  Pacifique  et  vient  baigner  les  côtes  de  l'Améri- 
que septentrionale.  C'est  le  Kmno-Sivo,  dont  les 
efl'ets,  analogues  à  ceux  du  Gulf-stream,  donnent 
à  la  Californii^  un  climat  pareil  à  celui  du  Portugal, 
et  à  l'Alaska  celui  de  la  Norvège. 

Les  deux  courants  froids  les  pins  remarquables 
sont  celui  qui  arrive  du  pôle  nord  le  long  des 
côtes  du  Labrador,  en  charriant  de  grandes  mon- 
tagnes de  glaces  descendues  des  glaciers  du 
Groenland.  Ces  montagnes  fondent  à  la  rencontre 
des  eaux  plus  chaudes  dans  le  voisinage  de  Terre- 
Neuve,  y  déversant  au  fond  de  la  mer  les  pierres 
et  les  autres  matières  solides  qu'elles  tenaient  en- 
f<  rmées  dans  leur  masse.  C'est  là  l'origine  du 
fameux  banc.  Au  delà  le  courant  froid,  poursui- 
vant sa  route,  plonge  sous  les  eaux  chaudes  du 
Gulf-stream  et  reparait  ensuite  à  la  surface  à 
l'ouest  des  Bernuides  Un  autre  courant  froid  ve- 
nant du  pôle  antarctique  refroidit  les  côtes  du 
Chili  et  du  Pérou. 

Les  courants  maritimes  ont  une  grande  influence 
sur  le  climat  des  pays  qu'ils  baignent.  Ils  servent 
aussi  à  faciliter  on  à  entraver  la  marche  des  na- 
vires. C'est  d'après  l'étude  qu  on  en  a  faite  qu'on 
trace  aujourd'hui  la  route  la  plus  sure  et  la  plus  ra- 
pide à  suivre  pour  se  rendre  d'nn  point  à  un  autre. 
.Mais  plus  d'un  marin  inexpérimenté  aura  été  Jeté 
hors  de  sa  route  par  un  courant  dont  il  n'a  pas  été 
le  maître.  N'est-ce  pas  ainsi  sans  doute  que  les 
terres  isolées  de  la  Polynésie  avaient  été  successive- 
ment découvertes  et  peuplées  par  des  blancs 
sortis  de  l'Asie?  Oui  sait  même  si  les  ancêtres  des 
Indiens  d'Amérique  n'avaient  pas  ainsi  traversé 
tonte  l'étendue  du  Pacifique? 

Les  vtnts  réguliers.  —  Les  vents  n'ont  pas  une 
influence  moins  grande  sur  les  climats  que  les 
courants  maritimes.  De  même  que  les  eaux  ma- 
rines, l'air  est  appelé  constamment  des  pôles  vers 
le  point  an  zénith  duquel  se  trouve  le  soleil  dans 
la  zone  lorride.  et  comme  le  foyer  d'appel  se 
trouve  animé  dans  le  mouvement  do  rotation  de 
la  terre  d'une  vitesse  plus  grande  que  les  paral- 
lèles d'où  viennent  ces  vents,  ils  semblent  se  di- 
riger vers  l'ouest  en  se  rapprochant  de  l'équateur. 
Ces  vents,  qui  se  nomment  les  W'ss,  soufflent 
ainsi  du  nord-est  au  sud-ouest  dans  l'hémisphère 


MAPPEMONDE 


1264  — 


MAPPEMONDE 


nord,  du  sud-est  au  nord-ouest  dans  l'hémisphère 
sud  pour  les  océans  Parifiqueet  Atlantique.  Dans  la 
merdes  Indes,  le  soleil  passant  alternativement  au 
nord  et  au  sud  de  l'équateur,  le  foyer  d'appel  se 
trouve  différent  pendant  le  printemps  et  l'été  de 
ce  qu'il  est  pendant  l'automne  et  l'hiver.  Durant 
cinq  mois  la  mousson  souffle  du  nord-est,  et 
pendant  cinq  autres  mois  du  sud-ouest.  Chacune 
des  deux  moussons  est  séparée  par  un  mois  de 
calmes. 

Les  vents  alises  et  les  moussons,  reconnus  de- 
puis longtemps  par  les  marins  des  nations  les 
moins  civilisées,  ont  joué  le  plus  grand  rôle  dans 
les  pérégrinations  et  les  émigrations  de  ces  peu- 
ples. Les  Arabes,  les  iMalais,  les  Hindous  n'entre- 
prennent leurs  voyages  qu'i  l'époque  de  la  mousson 
favorable.  (V.  Cowatits.) 

Clirnals.  Division  île  la  terre  en  cinq  zones.  — 
Le  climat  d'un  lieu  tient  tout  d'abord  à  sa  lati- 
tude ;  et  c'est  ainsi  qu'on  partage  la  terre  en  cinq 
zones  :  au  centre,  la  zone  torride compri&e  entre  les 
deux  tropiques,  et  dont  chaque  point  voit  le  soleil 
passer  à  son  zénith  au  moins  pendant  un  des  jours 
de  l'année  ;  puis  les  deux  zones  tempérées,  situées 
entre  chaque  tropique  et  le  cercle  polaire  du  même 
hémisphère,  dont  les  habitants,  sans  jamais  avoir 
le  soleil  ;\  leur  zénith,  ne  le  perdant  du  moins  ja- 
mais de  vue  pendant  vingt-quatre  heures  consécu- 
tives ;  et  enfin  les  deux  zones  pnlaires,  qui  ont  au 
moins  une  nuit  et  un  jour  de  vingt-quatre  heures 
chacun  par  an. 

Mais  l'altitude,  l'exposition,  le  voisinage  des 
océans  ou  des  montagnes,  le  régime  des  vents  et 
des  pluies,  la  nature  même  du  sol  viennent  mo- 
diller  singulièrement  l'uniformité  du  climat  à 
laquelle  seraient  soumis  les  points  de  même 
latitude,  si  cette  dernière  circonstance  seule  était 
déterminante. 

Les  températures  moyennes  les  plus  élevées  se 
rencontrent  dans  l'hémisphère  septentrional  sur  le 
Soudan  en  Afrique,  le  golfe  du  Bengale  en  Asie, 
la  mer  des  Antilles  en  Amérique.  Dans  l'hémi- 
sphère sud,  les  lignes  isothermes  suivent  à  peu 
près  les  degrés  de  latitude;  mais  dans  l'hémi- 
sphère nord,  elles  dessinent  au  contraire  des  cour- 
bes très  irrégulières.  Grâce  au  Gulf-stream,  la 
température  est  aussi  douce  aux  îles  LolToden 
qu'à  Terre-Neuve,  au  Spitzberg  i|ue  dans  le  nord 
de  la  baie  d'Hudson.  Le  nord  de  la  Sibérie  et  de 
l'Amérique,  tourné  vers  le  pôle  arctique,  est  sou- 
mis à  une  température  moyenne  très  rigoureuse. 
A  l'embouchure  de  l'Amour,  située  à  la  même 
latitude  que  Copenhague,  la  moyenne  de  l'année 
est  la  même  qu'au  cap  Nord  de  l'Europe. 

En  général,  l'hémisphère  sud  est  plus  froid  que 
l'hémisphère  nord,  à  cause  de  la  plus  grande 
masse  d'eaux  qui  le  recouvre  ;  les  côtes  occiden- 
tales de  l'Europe  et  de  l'Afrique  sont  plus  échauf- 
fées que  les  rivages  de  l'Amérique  qui  leur  font 
face.  Pour  l'Amérique  septentrionale  la  tempéra- 
ture, à  latitude  égale,  est  plus  élevée  sur  la  côte 
occidentale  que  sur  la  côte  orientale.  C'est  l'in- 
verse pour  l'Amérique  méridionale. 

Les  pluies.  ■ —  Les  pluies  se  déversent  aussi  très 
irrégulièrement  à  la  surface  du  sol.  Le  Sahara 
africain,  l'intérieur  de  l'Arabie,  de  la  Perse,  de  la 
Mongolie  forment  une  zone  presque  continue  où 
la  sécheresse  de  l'atmosphère  est  extrême  et  où 
il  ne  tombe  jamais  d'eau.  Il  en  est  de  même  au 
centre  de  l'Australie,  sur  les  côtes  péruvienne  et 
bolivienne  du  Pacifique  dans  l'Amérique  du  sud, 
et  sur  quelques  points  du  littoral  mexicain  ou  du 
Colorado  américain. 

Par  contre  le  soleil  pompe  dans  les  mers  équa- 
toriales  une  masse  énorme  de  vapeur  qui  se  dé- 
verse généralement  en  orages  et  pluies  très 
épaisses.  C'est  là  ce  qui  donne  à  la  végétation  in- 
lerlropicale   une  si   grande  force.   Généralement 


c'est  au  long  des  rivages  que  les  pluies  tombent 
en  plus  grande  abondance.  Il  en  est  ainsi  dans 
le  golfe  du  Mexique,  sur  les  cotes  occidentales  de 
la  Patagonio,  de  la  Colombie  britannique,  dans  l'A- 
mérique septentrionale,  sur  les  côtes  de  Norvège, 
de  Malabar,  etc.  La  côte  du  Pacifique,  dans  l'A- 
mérique méridionale,  fait  exception,  comme  nous 
l'avons  vu. 

Les  montagnes  sont  aussi  de  grands  condensa- 
teurs de  l'humidité  des  nuages  sous  forme  de 
pluies  ou  de  neiges.  Ainsi,  sur  le  versant  sud  de 
l'Himalaya,  il  tombe  chaque  année  plusieurs  mè- 
tres d'eau. 

Les  elesirls,  IfS  forêls,  les  cultures,  les  ptHura- 
qes.  —  L'humidilé  est  indispensable  à  la  végéta- 
tion :  aussi  le  Saijara  et  le  désert  de  Kalahari,  au 
sud  de  l'Afrique,  sont-ils  extrêmement  arides.  Les 
premiers  explorateurs  qui  ont  tenté  de  traverser 
le  continent  australien  y  ont  péri  de  soif  et  de 
faim.  Le  désert  du  Co'  ',  dans  la  Mongolie,  celui 
de  Thur,  au  nord-ouest  de  l'Inde,  les  steppes  de 
la  Faim  dans  le  Turkestan,  les  déserts  de  l'Arabie, 
sont  aussi  désolés.  L'Europe  n'ofl'i-e  de  solitudes 
semblables  que  sur  quelques  points  du  littoral  de  . 
la  Caspienne.  L'Amérique  a  le  désert  qui  sépare 
le  Texas  du  Colorado,  et  celui  d'Atacama,  où  l'on 
n'exploite  que  dos  nitrièressurles  confinscommuns 
du  Pérou,    de  la  Bolivie  et  du  Chili. 

A  part  Ces  divers  déserts,  les  zones  tempérées 
sont  pour  la  plus  grande  partie  couvertes  de  forêts, 
que  les  hommes  défrichent  successivement  pour  y 
substituer  diverses  cultures  plus  productives.  Cer- 
taines régions,  toutefois,  ne  se  sont  pas  recouvertes 
spontanément  de  forêts  et  restent  à  l'état  de  pâ- 
turages quand  la  pluie  y  fait  verdir  l'herbe.  Au 
centre  de  l'Asie  et  dans  le  sud  de  la  Kussie,  les 
steppes  sont  le  domaine  des  principales  races  no- 
mades, les  Tartares,  les  Turcs,  les  Mongols,  les 
Kirghiz,  les  Kalmouks.  A  l'ouest  du  Mississipi, 
la  prairie  s'étend  jusqu'au  pied  des  Montagnes 
Rocheuses  :  c'est  l'ancien  domaine  des  Indiens 
chassant  le  buffle,  devenu  aujourd'hui  le  Far  West 
américain,  où  se  créent  chaque  jour  de  nouvelles 
fermes  et  (|ui  sera  bientôt  entièrement  recouvert 
d'épis  et  de  moissons.  Les  pampas  de  la  Républi- 
que argentine,  les  plaines  de  l'Australie  et  de 
1  Afrique  méridionale  nourrissent  aujourd'hui  les 
plus  nombreux  troupeaux  du  monde. 

Les  deux  zones  glaciales  sont  généralement  sté- 
riles, offrant  çà  et  là  quelques  mousses  ou  lichens 
dont  les  rennes  seuls  savent  se  contenter.  Les 
rares  habitants  de  ces  contrées  doivent  chercher 
dans  la  pèche  et  dans  la  chasse  des  animaux  à 
fourrures  le  principal  aliment  de  leur  misérable 
existence. 

Les  races  humaines.  —  On  trouvera  aux  articles 
Europe,  Asi'',  Afrviue,  Amérique,  Australie, 
Oiéanie,  les  détails  concernant  les  divers  peuples 
qui  se  partagent  le  globe.  On  ne  peut  pas  encore 
démêler  d'une  manière  certaine  la  filiation  qui 
rattache  les  races  provenant  de  croisements  aux 
trois  grands  types  blanc  ou  caucasique,  jaune  ou 
ouralo-altaique,  et  enfin  nègre.  On  ne  connaît  pas 
non  plus  exactement  les  migrations  qui  ont  dû 
s'effectuer  successivement  pour  les  disperser  de 
leur  point  d'origine  sur  les  diverses  parties  du 
globe.  L'Asie  oiientale  et  septentrionale  reste 
toujours  le  principal  domaine  de  la  race  jaune, 
l'Europe  est  presque  tout  entière  habitée  par  des 
blancs,  ainsi  que  le  sud-ouest  de  l'Asie,  l'Inde  et 
1  Amérique.  L'Afrique  est  la  terre  des  noirs. 
(V.  Haces  huitaines.) 

Les  aliments.  —  Bien  que  chaque  pays  cherche 
à  tirer  de  son  sol  sa  propre  subsistance,  la  faci- 
lité des  échanges  tend  de  plus  en  plus  à  conci'n-     j 
trer  sur  les  points  les  plus  favorables  les  diverses     ; 
cultures  utiles. 
Le  blé,  qui  forme  la  base  de  la  nourriture  de  la 


MAPPEMONDE 


—  12G3  — 


MAREE 


plus  graiulo  partie  de  l'humanité,  est  produit  par 
riiuropcs  lesÈlats-Unis,  la  Sibérie  centrale,  le  nord 
di'  l'Afrique,  la  Mésopotamie.  11  occupe  ainsi  sur 
If  globe  une  zone  continue  située  dans  l'hémi- 
splièrc  septentrional.  Le  (ihili,  l'Uruguay,  l'Aus- 
tralie, le  sud  de  l'Afrique  en  produisent  en  petite 
quantité   dans  l'autre  liéraisphère. 

Le  riz,  qui  forme  l'aliment  préféré  des  Asiati- 
ques, est  produit  par  l'Inde,  l'Indo-Chine  et  la 
(iliine,  et  un  peu  par  les  États-Unis. 

La  viande  qui  n'est  pas  produite  sur  place  est 
importée,  dans  les  pays  à  population  trop  dense, 
(le  l'Amérique  du  sud,  de  l'Australie  et  des  États- 
Lliiis. 

Les  nations  européennes  envoient  leurs  marins 
pSclier  la  moruo  ii  Terre-Neuve,  les  harengs,  raa- 
(|ueroaux  et  autres  poissons  sur  les  côtes  d'Is- 
lande et  de  Norvège.  Les  mers  de  la  Chine  et  du 
Japon,  la  Caspienne  et  les  eaux  du  fleuve  des 
Amazones  sont  aussi  très  poissonneuses. 

La  France,  l'Espagne,  l'Italie,  la  Hongrie  sont  les 
principaux  pays  producteurs  de  vins.  On  cultive 
encore  la  vigne  en  Grèce  et  en  Asie  Mineure,  en 
Californie,  dans  l'Australie,  en  Algérie  et  au  Cap 
de  Bonne-Espérance . 

Le  sucre  qu'on  ne  retire  pas  de  la  betterave  est 
fourni  aux  raffineries  européennes  par  l'Inde,  les  îles 
de  la  Sonde,  la  Louisiane,  les  Antilles  et  Maurice;  le 
thé  vient  de  la  Chine,  le  café  du  Brésil, de Ceylan, 
di>  Java,  de  la  Réunion  et  de  Mokha,  le  cacao  de 
l'Amérique  centrale  et  du  Venezuela. 

Le  coton  vient  des  États-Unis,  de  l'Inde,  de  la 
Chine,  du  Brésil  ;  la  soie,  de  la  Chine  et  du  Japon, 
de  l'Asie  occidentale,  de  l'Italie,  de  la  France;  la 
laine,  d'Australie,  de  la  Plata,  du  Cap  de  Bonne- 
Espérance;  les  cuirs,  de  l'Amérique  du  sud. 

Le  tabac  vient  surtout  des  États-Unis,  des  An- 
tilles, de  Turquie,  de  Hongrie,  des  Philippines, 
de  l'Inde  et  de  la  Chine. 

Les  mitips.  —  La  houille,  ce  pain  de  l'industrie, 
est  surtout  exploitée  en  Angleterre  et  exportée 
dt?  là  dans  les  divers  pays  du  globe.  C'est  une 
ilrs  grandes  sources  de  fortune  de  l'Angleterre,  car 
iMus  les  navires  qui  viennent  y  décharger  leurs 
niarcliandises  sont  assurés  ainsi  d'y  trouver  tou- 
jiMirs  un  fret  de  retour.  Les  États-Unis  viennent 
.lu  second  rang  sous  ce  rapport.  La  Chine  possède 
les  plus  vastes  bassins  houillers,  mais  ils  sont 
encore  trop  mal  exploités  pour  compter  dans  la 
consommation  générale.  On  en  peut  dire  presque 
autant  des  gisements  de  la  Russie. 

Le  fer  est  le  métal  le  plus  répandu  à  la  surface 
du  globe.  L'Angleterre  et  les  États-Unis  en  sont 
les  plus  grands  producteurs.  La  Suède,  l'Espagne, 
l'Algérie  fournissent  les  plus  estimés.  L'or  existe 
plus  généralement  dans  les  pays  chauds,  tels  que 
la  Californie,  l'Australie,  la  Guinée  ;  toutefois  l'Ou- 
ral en  renferme  d'importants  gisements,  comme  de 
la  plupart  des  autres  métaux.  L'argent  mélangé  au 
plomb  se  trouve  surtout  dans  le  Nevada  aux  Ëtats- 
Unis,  au  Mexique,  au  Pérou,  dans  la  Bolivie,  dans 
l'Altai,  en  Asie.  Le  cuivre  est  exploité  au  Chili, 
sur  les  bords  du  lac  Supérieur,  en  Australie,  en 
Espagne,  en  Suède,  en  Sibérie,  et  les  minerais  en 
sont  apportés  h  Svvansea,  en  Angleterre,  où  on  les 
fond  presque  tous. 

L'étain  vient  de  Malacca  ;  le  zinc,  de  Sardaigne 
cl  d'Espagne. 

Lfs  grandes  roules  maritimes.  —  Pour  opérer 
les  divers  échanges  auxquels  ces  produits  donnent 
lieu  entre  les  nations,  pour  transporter  les  émi- 
grants  qui,  des  contrées  encombrées  de  l'Europe 
ou  de  l'Asie,  se  dirigent  vers  les  terres  fertiles  du 
IVouveau-Monde,  les  navires  des  divers  Etats  sont 
conduits  à  suivre  un  certain  nombre  de  routes 
pnncipales. 

L'une    des    plus  fréquentées   est   celle    qui  de 
1  Europe   occidentale   conduit   sur   les   côtes  des 
^«  Partie. 


Etats-Unis  qui  leur  font  face  de  l'autre  ci^té  de 
rAtlanti(|UC.  Hambourg  et  Brème  pour  l'Alle- 
magne, Rotterdam  pour  la  Hollande,  Anvers  pour 
la  Belgique,  le  Havre  pour  la  France  et  surtout 
Londres,  Liverpool  et  Bristol  pour  l'Angleterre, 
expédient  jourjiellement  leurs  navires  sur  New- 
Vork,  Boston  et  Philadelphie. 

Plus  au  sud,  les  navires  partis  du  Havre  ou  de 
Saint-Nazaire,  pour  la  France,  se  dirigent  sur  les 
Antilles,  la  Vera-Cruz  au  Mexique,  et  Colon- 
Aspinwall,  sur  l'isthme  de  Panama. 

Bordeaux  et  Lisbonne  expédient  leurs  navires  à 
Rio-de-Janeiro  et  à  la  Plata,  où  débarquent  égale- 
ment beaucoup  d'émigrants  italiens  venus  de 
Gènes. 

Londres,  Liverpool,  Bristol  et  Plymouth  en  An- 
gleterre, Marseilleet  Bordeaux  en  France,  envoient 
leurs  navires  desservir  les  escales  de  la  côte  oc- 
cidentale d'Afrique,  depuis  le  Sénégal  jusqu'au 
cap  de  Bonne-Espérance 

Cette  ancienne  route  des  Indes  est  maintenant 
désertée  en  partie  depuis  l'ouverture  du  canal  de 
Suez. 

Les  navires  qui  sillonnent  la  Méditerranée,  ce 
grand  lac  intérieur,  en  venant  de  Gibraltar,  Mar- 
seille, Gènes,  Trieste,  de  la  Turquie  et  de  la 
Russie  méridionale,  se  rencontrent  i  Port-Saïd, 
traversent  le  canal  de  Suez,  et  se  séparent  au 
débouché  de  la  mer  Rouge,  les  uns,  en  petit 
nombre,  pour  desservir  la  côte  orientale  d'Afrique, 
Maurice  et  la  Réunion,  la  plupart  pour  gagner  les 
Indes.  Parmi  ces  derniers,  les  uns  se  dirigent 
sur  Bombay,  les  autres  par  Ceylan,  sur  Calcutta. 
Pointe-de-Galles,  sur  la  côte  sud-ouest  de  Ceylan, 
est  un  nouveau  point  de  bifurcation  entre  la  route 
de  Melbourne,  en  Australie,  et  celle  de  Singapour, 
au  sud  de  la  presqu'île  de  Malacca. 

De  Singapour,  les  navires  vont  aux  îles  de  la 
Sonde  ou  remontcjit  la  cote  de  l'Asie,  desservant 
la  Cochinchine,  Canton  et  Chang-Uai  en  Chine, 
Yokohama  au  Japon.  Pour  ceux  qui  sont  partis 
d'Europe,  c'est  lace  qu'on  appelle  l'extrême  Orient. 
Le  Pacifique  est  aussi  sillonné  par  des  routes 
régulières.  Sau-Francisco  en  Californie  est  direc- 
tement relié  avec  Yokohama  et  les  ports  de  la 
Chine.  Par  Ilonoloulou,  port  des  lies  Sandwich,  il 
communique  avec  Sydney,  en  Australie,  et  la  Nou- 
velle-Zélande. De  San  Francisco,  d'autres  navires 
vont  à  Panama  en  suivant  les  côtes  du  Mexique, 
et  à  Panama  aboutissent  les  lignes  qui  desservent 
les  côtes  occidentales  de  l'Amérique  méridionale, 
la  Colombie,  le  Pérou,  le  Chili,  et  relient  ces  pays 
avec  l'Europe  par  ujie  route  plus  directe  et  moins 
périlleuse  que  la  pénible  voie  du  cap  Horn. 

|G.  Meissas.] 
MARÉE.  —  Mouvement  périodique  d'élévation 
ou  d'abaissement,  de  flux  ou  de  reflut  de  la  mer; 
il  est  du  à  l'action  attractive  que  le  soleil,  et  sur- 
tout la  lune,  exercent  à  la  surface  de  la  terre. 
Cette  action  varie  en  raison  des  masses  qui 
s'attirent  et  en  raison  inverse  du  carré  des  distan- 
ces. Le  soleil  a  une  masse  beaucoup  plus  grande 
que  celle  de  la  lune,  mais  celle-ci  est  plus  rap- 
prochée de  la  terre  que  le  soleil.  L'influence  de 
la  dislance  l'emporte  ici  sur  celle  de  la  masse,  et 
l'action  lunaire  est  prépondérante. 

La  lune  attire  davantage  les  points  de  la  sur- 
face terrestre  diriges  vers  le  satellite  que  le  cen- 
tre terrestre;  elle  atiire  davantage  le  centre  que 
les  points  de  la  surface  opposés  au  satellite.  Les 
deux  extrémités  du  diamètre  terrestre  passant  par 
la  lune  sont  donc  l'une  plus,  l'autre  moins  attirée 
que  l'ensemble  du  globe,  en  sorte  que  si  l'on 
prend  pour  unité  l'attraction  moyenne,  l'une  des 
extrémités  semblera  attirée  vers  la  lune  et  l'autre 
repoussée  en  sens  contraire.  Ce  diamètre  s'allon- 
gera, et  la  surface  terrestre  semblera  légèrement 
renflée  aux  deux  extrémités  considérées. 
81» 


MAREE 


1:260 


MARIE   SÏUART 


C'est  ainsi  du  moins  que  les  clioses  se  passe- 
raient si  la  terre  était  immobile,  tournant  tou- 
jours le  même  point  vers  la  lune.  Il  n'en  est  pas 
ainsi.  La  terre  tourne  sur  elle-même  et  la  lune 
tourne  autour  de  la  terre.  II  résulte  de  ces  mou- 
vements combines  que  tout  le  pourtour  de  la 
terre  passe  succi;ssivement  en  regard  de  la  lune 
qui  nous  semble  effectuer  sa  rotation  complète  en 
24  heures  50  minutes  environ.  Le  double  renfle- 
ment des  eaux  fera  donc  lui-même  sa  rotation 
complète  en  24  heures  50  minutes.  Chaque  jour 
la  mer  montera  et  descendra  deux  fois,  chaque 
marée  du  jour  étant  de  50  minutes  en  retard  sur 
la  marée  du  jour  précédent. 

Mais  ces  deux'  immenses  vagues  qui  courent 
ainsi  à  la  surface  des  mers  ne  répondent  pas  in- 
stantanément à  l'appel  de  la  lune  ;  elles  sont  traî- 
nées à  son  arrière.  Au  lieu  d'êire  à  son  maximum 
quand  la  lune  passe  au  méridien,  la  marée  en  quel- 
ques lieux  commence  alors  à  peine  à  monter  et 
n'atteint  guère  son  plus  haut  point  qu'après  un 
temps  variable  suivant  les  localités.  Ce  relard  se 
nomme  établissement  du  port;  il  est  peu  consi- 
dérable sur  les  côtes  qui  bordent  les  grands 
océans  ;  il  augmente  progressivement  à  mesure 
qu'on  pénètre  plus  avant  dans  des  mers  plus  re- 
tirées dans  les  terres.  Voici  quelques  exemples 
de  ces  retards  ou  établissements  de  ports  : 

Embouchure  de  la  Gironde....  3', 51°' 

Bordeaux 7  ,45 

Bayonne 4  ,5 

Brest .3  ,46 

Saint-Malo G  ,10 

Clierbourg 1  ,58 

Dieppe 11  ,8 

Dunkerque 12  ,13 

La  hauteur  des  marées  est  très  variable  suivant 
les  localités.  En  plein  océan  elle  est  peu  considé- 
rable ;  mais  quand  la  masse  d'eau  mise  en  mou- 
vement pénètre  dans  des  golfes  largement  ouverts 
ou  dans  des  mers  intérieures  communiquant  avec 
l'océan  par  des  espaces  très  étendus,  cette  masse 
brusquement  arrêtée  par  la  côte  peut  atteindre  à 
des  niveaux  très  élevés. 

On  appelle  wiité  de  hauteur  de  la  marée  pour 
un  port  donné,  la  quantité  dont  l'eau  s'y  élève, 
dans  une  marée  moyenne,  au-dessus  du  niveau 
que  la  mer  y  garderait  si  les  marées  n'existaient 
pas  Cette  unité  de  hauteur  change  d'un  port  à. 
l'autre.  En  voici  quelques  exemples  : 

Dunkerque 2>",6S 

Calais 3  ,13 

Dieppe 4  ,40 

Le  Havre 3  ,57 

Cherbourg 2  ,82 

Granville G  ,15 

Saint-Malo 5  ,68 

Brest 3  ,21 

Lorient 2  ,24 

Entrée  de  l'Adour 1  ,40 

Dans  une  marée  moyenne  à  Granville,  la  mer 
monte  à  environ  6  mètres  au-dessus  de  son  ni- 
veau et  descend  ensuite  à  6  mètres  au-dessous, 
ce  qui  fait  une  excursion  totale  de  12  mètres.  A 
l'entrée  de  l'Adour,  l'excursion  correspondante 
serait  inférieure  à  3  mètres  ;  elle  est  presque  nulle  I 
dans  les  ports  français  de  la  Méditerranée,  mais 
sensible  au  fond  de  l'Adriatique.  Ces  conditions 
influent  nécessairement  beaucoup  sur  les  habitu- 
des et  le  régime  des  ports.  Les  ports  où  les  ma- 
rées sont  fortes  ne  sont  généralement  accessibles 
qu'à  la  mer  luontante  et  on  profite  pour  la  sortie 
de  la  marée  descendante.  Des  bassins  munis  d'é- 
cluses s'ouvrant  à  la  marée  montante  et  se  fer- 
mant quand  la  mer  descend  permettent  de  main- 


tenir les  bâtiments  à  flot  pendant  les  basses  mers. 
Les  côtes  voisines  peuvent,  au  moyen  de  bassins 
doubles  coiumuniquant,  l'un  avec  la  haute  mer, 
l'autre  avec  la  basse  mer,  se  créer  ainsi  des  for- 
ces motrices  considérables  et  toujours  prêtes. 

Les  marées  sont  loin  d'être  toujours  égales  dans 
un  même  lieu.  Nous  n'avons  tenu  compte  en  effet 
que  de  l'action  lunaire.  L'action  solaire,  quoique 
plus  fdible,  n'est  pas  négligeable;  mais  elle  ne  se 
superpose  pas  exactement  à  la  première.  Les 
doubles  marées  lunaires  se  succèdent  à  des  inter- 
valles de  2 1  heures  50  minutes  environ  ;  les  doubles 
marées  solaires  se  succèdent  à  des  intervalles  de 
24  heures  seulement.  Les  unes  et  les  autres  se 
superposent  exactement  aux  époques  des  nouvelles 
et  des  pleines  lunes,  surtout  dans  les  périodes 
d'éclipsé  de  soleil  ou  de  lune,  aux  syzygies.  Elles 
se  contrarient  dans  les  gundratures,  quand  la  lune 
est  au  quart  ou  aux  trois  quarts  visible.  Alors  la 
haute  mer  solaire  coïncide  avec  la  basse  mer 
lunaire,  ou  réciproquement,  et  l'excursion  totale 
de  la  marée  en  est  notablement  réduite  ;  c'est 
l'époque  de  la  morte  eau  des  marins.  Toutefois, 
de  même  que  le  maximum  de  la  température 
n'arrive  pas  à  midi,  quand  le  soleil  est  le  plus  haut 
et  nous  verse  le  plus  de  chaleur,  de  môme  la 
marée  maxima  ne  coïncide  pas  exactement  avec 
les  syzygies,  elle  arrive  36  heures  plus  tard.  Les 
effets  s'ajoutent,  et  la  marée  augmente  d'amplitude 
tant  que  la  cause  qui  la  produit  est  supérieure 
aux  frottements  qui  tendent  à  la  restreindre. 

La  théorie  mathématique  des  marées,  ébauchée 
par  Xewton,  a  été  développée  dans  tous  ses  dé- 
tails par  Laplace.  Aujourd'hui  on  calcule  la  hau- 
teur de  chaque  marée  dans  un  temps  indéfini,  et 
la  Connaissani:e  des  temps  publie  à  l'avance  la 
table  des  grandes  marées  de  chaque  année.  Ces 
résultats  théoriques  étant  connus,  pour  en  déduire 
1  la  hauteur  de  la  marée  dans  un  port  donné,  il 
I  suffit  de  multiplier  le  nombre  inscrit  dans  la 
I  Connniss'ince  nés  temps  par  l'unité  du  port  en 
I  queition.  Toutefois,  le  résultat  ainsi  obtenu  n'est 
\  pas  toujours  conforme  à  la  réalité,  parce  que  le 
calcul  suppose  une  atmosphère  calme  qu'on  ne 
rencontre  pas  toujours.  Quand  le  vent  souffle  en 
tempête  de  la  mer  à  la  côte,  l'impulsion  qu'il 
produit  sur  la  mer  s'ajoute  à  l'efl'et  naturel  de  la 
marée,  qui  peut  alors  acquérir  une  énergie  excep- 
tionnelle et  produire  de  véritables  désastres  en 
submergeant  et  détruisant  sans  retour  de  vastes 
étendues  de  terrain.  C'est  ainsi  sans  doute  que 
les  lies  anglaises  de  la  Manche  ont  été  séparées 
du  continent,  dont  le  niveau  baisse  graduellement 
d'ailleurs,  bien  qu'avec  une  extrême  lenteur,  dans 
ces  parages.  Il  en  est  de  même  des  grandes  inon- 
dations de  la  Hollande.  Inversement,  un  vent  fort, 
soufflant  de  la  terre  vers  la  mer,  peut,  en  refou- 
lant les  eaux,  réduire  à  une  proportion  ordinaire 
une  marée  annoncée  comme  devant  être  très 
forte. 

Quand  la  marée  apparaît  à  l'embouchure  de  cer- 
tains fleuves,  tels  que  la  Seine,  elle  y  produit  une 
vague  énorme  qui  remonte  rapidement  le  cours  du 
fleuve  :  c'est  le  mascaret.  [Marié-Davy.] 

MAUIU  STLIART.  —  Histoire  générale,  XXII. 
—  Fille  du  roi  d'Ecosse  Jacques  V  et  de  Marie  de 
Lorraine,  celte  princesse,  née  en  1542,  fut  élevée 
en  France  par  les  soins  de  ses  oncles  le  duc  de 
Guise  et  le  cardinal  de  Lorraine.  En  li58,  elle 
épousa  le  dauphin  François,  et  la  même  année,  la 
reine  d'Angleterre  Marie  Tudor  étant  morte,  elle 
prit  le  titre  de  reine  d'Angleterre  comme  étant  la 
plus  proche  héritière  de  Henri  VIII  (pour  l'Europe 
catholique,  Elisabeth,  fille  d'Anne  Boleyn,  éiail  un 
enfant  illégitime).  Son  époux  devint  roi  de  France 
en  1551),  à  la  mort  de  Henri  11,  et  aussitôt  les  on- 
cles de  Marie  Stuart  s'emparcretit  du  gouverne- 
ment (V.  François  II).  Mais  François  mourut  à  la 


I 


MARIE-THERESE 


—  i-ic- 


MARSUPIAUX 


Vm  (Ift  15G0,  fit  la  roine-mère  Catherine  de  Mcdicis 
«ibligcu  alors  Mario  à  partir  pour  l'Ecosse,  où  elle 
<lcvait  ri^gner.  Elle  y  commit  faute  sur  faute.  Pou 
aimée  des  Ecossais,  dont  le  plus  grand  nombre 
avait  embrassé  les  doctrines  calvinistes  précliées 
par  John  Knox,  elle  acheva  de  soulever  ses  sujets 
contre  elle  par  ses  deux  mariages  successifs,  avec 
lord  Darnley  (1506),  qui  fut  bientôt  assassiné,  et 
dont  la  mort  fut  imputée  à  Marie,  puis  avec  le 
meurtrier  mônie  de  Darnley,  lord  Bothwell  (I5U"). 
Les  Ecossais  se  révoltèrent  sous  la  conduite  de 
lord  Murray,  frère  de  Marie  ;  celle-ci  fut  faite  pri- 
sonnière; mais  ayant  réussi  à  s'échapper,  elle  se 
réfugia  en  Angleterre.  Elisabeth  avait  de  nombreux 
griefs  contre  Marie  Stuart,  qui  lui  avait  autrefois 
contesté  sa  couronne  :  quand  elle  eut  sa  rivale 
entre  les  mains,  elle  prétendit  lui  l'aire  rendre 
compte  du  meurtre  do  Darnley,  en  vertu  du  droit 
«ie  suzeraineté  de  la  couronne  d'Angleterre  sur 
'Celle  d'Ecosse  ;  puis  elle  retint  Marie  en  captivité, 
sous  prétexte  qu'elle  n'avait  pas  sulfisamment  dé- 
montré son  innocence.  Marie  Stuart,  prisonnière 
d'Elisaiyeth ,  intrigua  de  tous  côtés  pour  recouvrer 
sa  liberté  et  détrôner  son  ennemie.  Les  complots 
de  ses  partisans  furent  tous  déjoués  par  Elisaliolh, 
qui  se  conlenta,  pendant  do  longues  années,  de 
faire  surveiller  plus  étroitement  sa  captive.  Mais 
la  rivalité  de  ces  deux  femmes  devait  aboutir  à  un 
dénouement  tragique.  Marie  Stuart  avait  pour  elle 
le  pape,  le  roi  d'Espagne  Philippe  II,  les  ligueurs 
français,  tous  les  mécontents  d'Angleterre;  Elisa- 
beth se  sentait  sérieusement  menacée.  Une  der- 
nière conspiration  ayant  été  découverte  (I5SU), 
Marie  Stuart  y  fut  impliquée;  une  commission 
spéciale  la  condamna  à  mort.  Elisabeth,  qui  joignait 
riiypocrisie  à  la  cruauté,  aurait  préféré  se  dé- 
.barrasser  secrètement  de  sa  rivale  par  le  poison  ; 
.n'ayant  pu  y  parvenir,  elle  se  décida  enfin  à  faire 
exécuter  la  sentence,  et  Marie  porta  sa  tête  sur 
.l'échafaud  (1587). 

.<  Toute  l'Europe  avait  les  yeux  sur  cette  lutte 
■entre  deux  femmes  qui  se  détestaient,  l'une  dans 
sa  prison,  l'autre  sur  le  trône;  mais  la  première, 
aidée  par  la  ligue  catholique,  son  esprit  ardent,  la 
magie  incroyable  de  sa  beauté  non  encore  flétrie, 
semblait  plus  puissante  que  la  seconde,  tyranni- 
que,  vieille,  haie  d'une  partie  de  ses  sujets.  Ces 
deux  femmes  représentaient  les  deux  principes  qui 
Jiataillaient  en  France  ;  la  mort  de  l'une  ou  de 
l'autre  semblait  devoir  être  la  ruine  des  causes 
qu'elles  défendaient.  Si  Elisabeth  désirait  ardem- 
ment la  mort  de  Marie,  et  plusieurs  fois  môme 
avait  demandé  à  ses  gardiens  de  la  faire  périr  en 
secret,  Marie  fomentait  tous  les  complots  contre 
la  vie  d'Elisabeth,  se  croyant.pleinomeiit  dans  son 
droit,  cherchant  la  liberté  par  tous  les  moyens, 
usant  des  seules  armes  qu'elleeùt  en  son  pouvoir... 
Ce  fut  un  événement  qui  fit  tressaillir  l'Europe,  et 
-dont  le  retentissement  est  venu  jusqu'à  nous  :  une 
reine  jugée,  condamnée,  exécutée!  La  Réforme  en 
reçut  partout  une  grande  force;  le  Irùne  d'Elisa- 
beth se  trouva  consolidé;  <■  l'espérance  qu'ont  eue 
les  Guises  de  jouir  de  l'Angleterre,  dirent  les  pro- 
testants de  France,  est  morte  avec  la  reine  d'E- 
cosse. »  Le  catholicisme  en  jeta  des  cris  de  fureur  ; 
il  mil  au  rang  des  saints  la  malheureuse  Marie; 
il  se  prépara  à  des  représailles  terribles.  Sixte- 
Quint  renouvela  la  bulle  de  déchéance  contre  la 
-loui^e  de  la  liretagne;  Philippe  11  hâta  l'armement 
d'une  flotte  formidable  pour  venger  la  martyre 
et  mettre  sur  sa  propre  tête  la  couronne  d'Angle- 
terre »  (Lavallé>3^ 

MARIE-THÉRÈSIi:.  —  Histoire  générale,  XXV. 
—  Fille  de  l'empereur  d'Allemagne  Charles  VI,  le 
dernier  des  Habsbourgs  directs,  Marie-Thérèse 
d'Autriche  devait  hériter  des  vastes  domaines  de 
son  père,  qui  avait  cru  lui  en  assurer  la  paisible 
jouissance  en  faisiuit  recotniailre  à  toutes  les  cour^- 


d'Eurupe  la  pragmatique  sanction,  acte  par  leque 
il  assurait  sa  succession  à  cette  princesse.  Mais  à 
peine  Charles  VI  fut-il  mort  (1710)  que  Marie-Thé- 
rèse se  vit  attaquée  par  la  Prusse,  la  Bavière,  la 
France,  l'Espagne  et  la  Sardaigne  (V.  Guerre  de 
la  succession  d'iis/iiiijite}.  La  jeune  souveraine  sut 
tenir  tète  à  cette  formidable  coalition;  elle  réussit 
à  faire  donner  la  cimroniie  impériale  à  son  époux, 
François  de  Lorraine,  duc  de  Toscane,  et  après 
huit  ans  de  guerre,  elle  vit  son  pouvoir  assuré  dans 
les  Etats  autrichiens  :  elle  avait  dû  seulement  céder 
la  Silésie  à  la  Prusse  et  une  partie  du  Milanais  au 
roi  de  Sardaigne.  La  période  de  paix  qui  suivit 
permit  à  Marie-Thérèse  d'accomplir  des  réformes 
administratives  qui  témoignèrent  de  la  sag^'sse  de 
ses  vues.  Engagée  ensuite  dans  la  guerre  de  Sept 
Ans  [Y. Guerre  deSeptAiis),  elle  essaya  inutilement 
de  reprendre  la  Silésie.  Plus  tard,  elle  s'associa  à 
Frédéric  11  et  à  Catherine  de  Russie  pour  accom- 
plir une  des  grandes  iniquités  de  l'histoire,  le 
partage  de  la  Pologne  (1773).  Elle  régna  jusqu'en 
1780.  Dès  1705,  à  la  mort  de  son  époux,  elle  avait 
fait  donner  le  titre  d'empereur  à  son  fils  aîné  Jo- 
seph Il  :  mais  ce  fut  timjours  elle  qui  exerça  di- 
rectement l'autorité  dans  ses  Etats  héréditaires 
pendant  les  quarante  années  qu'elle  passa  sur  le 
trône. 

MAHIE  TUDOU.  —  V.  Tudor. 
MARIME.  —  V.  Navigation. 
MARIOTTE  (Loi  de).  —  V.  Elasliciié. 
MARSUPIAUX.  —  Zoologie,  XII.  —  En  parlant 
des   mammifères    en    général    (V.    Mammifères), 
nous  avons  dit  que  parmi    les  vertébrés  il  en  est 
uu  certain  nombre  qui  naissent  dans  un  état  d'im- 
perfection extrême  et  qui  achèvent   leur  dévelop- 
pement dans  une  poche  [marsupiuin],  placée  sous 
le  ventre  de  la  mère.   Cette   poche,  formée   aux 
dépens  de  la  peau  de  l'abdomen,  est  soutenue  par 
deux   os   particuliers  ou  plutôt  par  deux  tendons 
ossifiés,  et  renferme  les  mamelles  auxquelles  les 
petits  demeurent  quelque  temps  attachés. 

Les  mammifères  qui  présentent  cette  disposi- 
tion singulière  et  chez  lesquels  le  développement 
des  jeunes  est  plus  tardif  que  d'ordinaire,  consti- 
tuent l'ordre  des  Mursupiitux,  caractérisé  d'ail- 
leurs par  un  certain  nombre  de  caractères  anato- 
miques,  et  entre  autres  par  l'indépendance  des 
deux  hémisphères  du  cerveau.  Dans  les  temps  re- 
culés, c'est-à-dire  aux  époques  géologiques  anté- 
rieures à  la  nôtre,  ces  animaux  comptaient  des 
représentants  jusque  dans  nos  contrées  ;  mais  à 
l'heure  actuelle  ils  sont  confines  dans  l'hémisphère 
austral,  et  se  trouvent  principalement  dans  l'A- 
mérique du  Sud,  à  la  Nouvelle-Hollande,  en  Tas- 
manie  et  à  la  iNouvelle-Guinée.  Dans  ces  diverses 
contrées  ils  revotent  des  formes  variées,  corres- 
pondant à  des  différences  de  régime,  certains  d'en- 
tre eux  étant  insectivores,  d'autres  rongeurs,  d'au- 
tres carnassiers,  d'autres,  enfin,  complètement 
herbivores  ou  frugivores. 

Parmi  les  marsupiaux  insectivores  ou  Ent<mio- 
phriges,  nous  citerons  les  Pernrnèles,  qui  vivent  en 
Australie  et  qui  so  reconnaissent  à  leur  tète  poin- 
tue, à  leur  corps  ramassé,  porté  sur  quatre  pattes 
terminées  par  des  doigts  inégaux.  Les  trois  doigts 
médians  du  membre  antérieur  sont  en  effet  beau- 
coup plus  développes  que  les  doigts  latéraux,  le 
pouce  du  membre  postérieur  est  atrophié,  et  les 
deux  doigts  suivants  sont  soudés  jusqu'à  la  ph.a- 
laiige  unguéale.  Ces  animaux  bondissent  plutôt 
qu'ils  ne  marchent,  et  se  servent  de  leurs  pattes  de 
devant  pour  porter  les  aliments  à  leur  bouche. 
Ils  exercent  de  grands  ravages  dans  les  plantations, 
en  fouillant  la  terre  pour  découvrir  des  insectes 
ou  des  vermisseaux. 

Les  Tiii/lacines  et  les  Dasyures  sont  d'autres 
marsupiaux  des  terres  australes,  aussi  carnassiers 
une  les  loups  et  les  civettes  du  l'Ancien-Monde. 


MARSUPIAUX 


1268  — 


MAZARIN 


Aussi  les  Anglais  établis  en  Tasmanie  ont-ils 
donné  le  nom  deZi'Ora  ii;olf  (loup  zébré)  à  la  T/iy- 
Uirine  ci/itocéphn/c.  qui,  dans  les  premiers  temps 
de  la  colonisation,  faisait  une  rude  guerre  aux 
troupeaux,  et  qui,  maintenant,  repousséo  dans 
l'intérieur  du  pays,  donne  la  cbasse  aux  kangou- 
rous. Cette  tliylacine  ressemble  beaucoup  au  loup 
par  la  taillis  et  la  forme  générale  du  corps,  mais 
elle  a  la  tête  plus  longue,  la  queue  garnie  de  poils 
plus  courts,  les  dents  au  nombre  de  40,  etc. 
Quant  aux  dasyures,  dont  on  connaît  plusieurs 
espèces  propres  à  l'Australie  et  h  la  Terre  de  Van 
Diémen,  ce  sont  des  animaux  do  moyenne  taille, 
au  mufle  nu,  au  corps  effilé,  couvert  d'un  pelage 
doux,  bien  fourni  et  souvent  moucheté. 

Dans  les  mêmes  contrées  que  les  dasyures 
habitent  d'auires  marsupiaux  bien  différents  et 
par  l'aspect  extérieur  et  par  le  régime  :  ce  sont 
les  F/iascol'j?xti;s  ou  Konlas,  au  corps  court,  dé- 
pourvu de  queue  et  revêtu  de  poils  laineux,  i  la 
tête  grosse,  aux  oreilles  petites  et  toufl'ues,  aux 
pattes  robustes,  dont  les  doigts,  au  nombre  de 
cinq,  sont  armés  pour  la  plupart  d'ongles  puis- 
sants. Dans  leur  dentition  ces  animaux  singuliers 
offrent  aussi  des  particularités  curieuses  ;  à  la 
mâchoire  supérieure,  il  y  a  trois  paires  d'incisi- 
ves, deux  canines  très  petites  et  cinq  paires  de 
molaires  ;  à  la  mâchoire  inférieure,  une  paire  seu- 
lement de  grandes  incisives,  point  de  canines,  et 
le  même  nombre  de  molaires  qu'à  la  mâclioire 
supérieure,  ces  dernières  dents  étant  séparées  des 
incisives  par  une  large  bane.  Les  koalas  ont  un 
pelage  gris  varié  de  roux  et  de  blanchâtre  :  ils  se 
nourrissent  de  feuilles  et  de  fruits,  et  grimpent 
sur  les  arbres  avec  tant  de  lenteur  qu'on  les  a 
surnommés  parfois  les  Paresseux  d'Australie. 

Les  Plialangtrs  n'appartiennent  pas  exclusive- 
ment à  la  faune  australienne  ;  ils  se  rencontrent 
aussi  à  la  Nouvelle-Guinée  et  aux  Moluques,  où  on 
les  désigne  généralement  sous  le  nom  de  Cous- 
cous. On  les  reconnaît  immédiatement  à  leur 
queue  longne  et  pesante  et  à  leurs  pattes  posté- 
rieures munies  d'un  pouce  opposable  et  ongui- 
culé. Ils  sont  plus  ou  moins  nocturnes,  se  tiennent 
ordinairement  sur  les  arbres,  et  se  nourrissent  de 
substances  végétales,  d'insectes,  d'œufs,  et  même 
de  petits  oiseaux.  Quelques-uns  d'entre  eux 
exhalent,  parait-il,  une  odeur  camphrée  très  carac- 
téristique. 

Le  Phalancier  tacheté  d'Amboine  est  sujet  à  de 
grandes  variations  de  couleurs  ;  il  est  tantôt  mar- 
qué de  larges  plaques  rousses  sur  fond  blanc,  tantôt 
mi-partie  roux  et  blanc,  tantôt  même  d'un  blanc  pur. 
Le  P/iatanger  renard,  qui  \il  en  Australie,  ressem- 
ble, en  dépit  de  son  nom,  plutôt  â  un  Lémurien,  h 
un  Galago,  qu'à  un  renard  de  nos  pays.  Enfin  le 
Phalanger  iviin,  type  du  genre  Dromicie,  qui  a 
pour  patrie  la  Terre  de  Van  Diémen,  n'est  guère 
plus  gros  qu'un  loir. 

Très  voisins  des  phalangers,  \es  Pélaurisfes  s'en 
distinguent  par  la  présence  de  membranes  laté- 
rales au  moyen  desquelles  ils  peuvent,  à  la  manière 
des  écureuils  volants,  se  soutenir  quelque  temps 
dans  les  airs,  quand  ils  s'élancent  d'une  branche 
à  une  autre  branche,  souvent  fort  éloignée.  Ils 
n'ont  d'ailleurs  pas  toujours  la  queue  préhensile 
comme  les  phalangers. Le  Pétaurisie  t(iguano'vle,àe 
la  Nouvelle-Galles  du  Sud,  est  une  espèce  d'assez 
forte  taille,  au  pelage  noir,  varié  de  gris  et  de 
brun  cendré  ;  le  Belidé  sciurin  est  notablement 
plus  petit,  et  YAcrobnle  pi/gmee,  qui  se  nourrit 
principalement  d'insectes,  peut  être  comparé, 
pour  le  régime  et  la  dentition,  à  nos  musaraignes 
<iu  museltes. 

Les  Ka/if/ouroiis  jouent  parmi  les  marsupiaux  à 
peu  près  le  même  rôle  que  les  ruminants  parmi 
les  mammifères  ordinaires.  C'est  dire  qu'ils  sont 
exclusivement  herbivores.  Si  leur  tube  digestif  est 


très  développé,  leur  estomac  n'est  toutefois  pas 
aussi  compliqué  que  celui  des  ruminants;  en  ou- 
tre leurs  membres,  au  lieu  d'avoir  à  peu  près  la 
même  longueur  et  de  reposer  ordinairement  sur 
le  sol  par  l'extrémité  des  doigts,  enfermés  dans  un 
sabot,  présentent  une  grande  disproportion  et  ne 
servent  pas  tous  au  même  degré  à  la  locomotion  : 
les  membres  antérieurs,  en  effet,  singulièrement 
raccourcis,  restent  appliqués  contre  la  partie  su- 
périeure du  corps  quand  l'animal  est  en  observa- 
tion ou  quand  il  progresse  par  une  série  de  bonds 
successifs;  dans  l'un  et  l'autre  cas,  le  corps,  lé- 
gèrement incliné,  s'appuie  non  seulement  sur  les 
tarses  des  membres  postérieurs,  mais  encore  sur 
la  queue,  qui  acquiert  des  dimensions  extraordi- 
naires et  constitue  pour  ainsi  dire  un  cinquième 
membre.  Par  la  forme  de  leur  tête  et  par  la  nature 
de  leur  pelage,  les  kangourous  ressemblent  un  peu 
aux  lièvres  et  aux  lapins,  mais  ils  en  diffèrent 
par  l'allongement  bien  plus  marqué  des  membres 
postérieurs,  terminés  par  quatre  doigts  dont  l'un 
est  armé  d'un  ongle  tranchant,  par  le  dévelop- 
pement de  la  queue,  par  la  structure  des  dents 
molaires,  et  enfin  par  les  proportions  du  corps, 
qui  sont  beaucoup  plus  fortes.  Une  espèce  de 
l'Australie  méridionale,  le  Kangourou  géant,  me- 
sure en  effet  plus  de  deux  mètres  de  long  de- 
puis le  bout  du  museau  jusqu'à  l'extrémité  de  la 
queue,  et  pèse  souvent  plus  de  lUO  kilogrammes. 
Tous  les  kangourous,  il  est  vrai,  n'atteignent  pas 
des  dimensions  aussi  considérables,  et  dans  \in 
groupe  voisin,  parmi  les  Potnrous,  on  trouve 
même  des  espèces  de  très  petite  taille.  Les  kan- 
gourous sont  en  Australie  l'objet  d'une  chasse  ac- 
tive à  cause  des  qualités  de  leur  chair. 

En  Amérique,  l'ordre  des  marsupiaux  est  repré- 
senté par  les  Sarigues,  auxquels  Linné  donnait 
le  nom  de  Didelphes,  qui  a  été  appliqué  plus  tard' 
par  extension  à  tout  le  groupe  des  mammifères^ 
pourvus  d'une  poche  abdominale.  Les  sarigues 
ressemblent  un  peu  aux  kangourous  par  leurs 
membres  postérieurs,  en  général  plus  dévelop- 
pés que  les  membres  antérieurs,  mais  ils  ont  le 
museau  plus  pointu,  la  queue  écailleuse  et  pré- 
hensile, et  ils  ne  dépassent  point  la  grosseur 
d'un  cliat  domestique.  On  les  trouve  sur  une 
grande  partie  du  continent  américain,  depuis  les 
États-Unis  jusqu'au  Paraguay.  Ce  sont  des  ani- 
maux nocturnes  qui  se  tiennent  d'ordinaire  sur 
les  arbres,  et  se  nourrissent  de  fruits,  d'insectes 
et  de  petits  oiseaux.  D'après  Audubon,  le  Sarigue 
opossum,  qui  vit  sur  les  bords  du  Mississipi,  s'at- 
taque même  au  gibier  à  poil  et  aux  volailles  des 
basses-cours.  Une  autre  espèce  du  Brésil,  le  Sa- 
rigue  crabier,  a  des  mœurs  légèrement  différentes, 
et  comme  son  nom  l'indique,  fait  la  chasse  aux 
crabes  et  autres  crustacés  marins. 

Chez  les  Micourés,  marsupiaux  américains  pro- 
ches parents  des  sarigues,  la  poclie  abdominale 
est  incomplète  et  remplacée  par  un  double  repli 
longitudinal  de  la  peau  du  ventre.  Les  petits  de- 
meurent un  certain  temps  sous  cet  abri,  puis  ils 
grimpent  sur  le  dos  de  leur  mère,  enroulent  leur 
queue  à  la  sienne  et  se  font  ainsi  transporter  jus- 
qu'à ce  qu'ils  soient  assez  forts  pour  chercher 
eux-mêmes  leur  nourriture.  Le  Brésil,  la  Guyane 
et  la  Nouvelle-Grenade  possèdent  plusieurs  es- 
pèces de  micourés. 

Enfin  chez  les  Hémiures.  qui  se  trouvent  à  peu 
près  dans  les  mêmes  régions,  la  queue  est  nota- 
blement plus  courte  que  chez  les  micourés,  mais 
la  forme  du  corps  est  sensiblement  la  même. 
fE.  Oustalet.] 

MAMMILIE>'  I  et  II.  —  V.  Uolishourq. 

M.iZARlK  — Histoire  de  France, XXIII.  —  Jules 
Mazarin  naquit  en  lGrt2  à  Pescina  dans  les 
Abruzzes  (Italie:.  Elevé  dans  la  maison  des  Co- 
lonna,  il  embrassa  d'abord  la  carrière  des  armes. 


MAZARIN 


12(!',)  — 


MECANIQUE 


et  fut  nommé  en  iri22  capitaine  d'infanterie.  Mais 
SOS  goûts  le  portaient  plutôt  vers  la  diplomatie, 
dont  l'Italie  était  alors  la  terre  classique.  Lors  de 
la  ïuerro  de  la  succession  de  Mantoue,  devant  Ca- 
sali'  (1(!30),  il  révola  son  gonie  brillantniais  un  peu 
tliL'àtral,  en  arrêtant  deux  armées  qui  allaient  en 
venir  aux  mains.  Désigné  désormais  à  l'attention 
dos  gouvernoments  italiens,  il  fut  nommé  nonce 
du  papo  en  France  (16:!'i-I()36),  rendit  de  grands 
services  ,\  Riclicliou,  fut  naturalisé  Français  (  Hi'iO), 
promu  cardinal  (IGil),  et,  le  lendemain  môme  de 
ia  mort  de  Riclielicu,  nommé  premier  ministre 
(5  déc.   lG-4'2). 

Après  la  mort  de  Louis  XIII  (1643),  il  devint  le 
véritable  maître  du  pouvoir,  qu'il  conserva  jusqu'à 
la  fin  de  sa  vie  (lUO!).  Souple  et  rusé,  il  rompit 
avec  les  traditions  politiques  de  son  énergique 
prédécesseur,  attendant  tout  du  temps  qui  calme 
les  haines.  Il  est  certain  d'ailleurs  que  Mazarin, 
qui  ne  fut  jamais  prêtre,  exerçait  une  vive  in- 
fluence sur  la  régente  Anne  d'Autriche.  Pout-ôtre 
même  l'épousa-t-il  secrètement.  Grâce  h  cette 
intimité  avec  la  reine-mère,  il  put  triompher  sans 
peine  de  la  cabale  des  Impoi-lants  (l(!i3).  Et  cepen- 
dant, jamais  ministre  n'avait  été  moins  popvilaire. 
On  reprochait  à  Mazarin  les  faveurs,  onéreuses 
pour  la  France,  dont  il  comblait  sa  fanjille.  Son 
frère  Michel,  archevêque  d'Aix  (IGi.'j),  vice-roi  de 
Catalogne  (16t"),  devenait  cardinal  (Hi47),  et  cette 
promotion  coûtait  I2  millions  à  l'Etat.  Les  nièces 
de  Mazarin,  «  lesMazarinettes,  »  richement  dotées, 
épousaient  un  Conti,  un  Mercœur,  un  comte  de 
Soissons.  Protecteur  des  arts,  ami  de  Corneille, 
de  Chapelain,  de  Balzac,  grand  admirateur  de 
l'opéra  italien,  qu'il  introduisit  on  France  (Orphée 
et  Eurydice,  1647),  le  ministre  avait  les  goûts  dé- 
licats d'un  prélat  de  la  Renaissance  italienne.  Ce 
désordre  élégant,  qui  contrastait  avec  l'attitude 
austère  de  Richelieu,  choqua  l'opinion  publique. 
Ji'obJes,  parlementaires  et  bourgeois,  irrités  de  la 
.grande  puissance  du  ministre,  et  de  la  gestion 
■déplorable  des  finances,  s'unirent  pour  renverser 
Mazarin  (1644-1G53).  Le  ministre  brava  l'opposition 
€t  garda  le  pouvoir  (V.  Fronde). 

A  l'extérieur,  Mazarin  a  continué  avec  talent  et 
■succès  la  politique  de  Richelieu  :  voili  son  vrai 
titre  devant  la  postérité.  Les  armées  françaises  se 
•couvrent  de  gloire  dans  la  dernière  période  de  la 
guerre  de  Trente  Ans.  Les  victoires  de  Rocroy  et 
■de  Carthagène  (lGi3),  de  Fribourg  (IG44),  de  Nord- 
lingen  (IG45),  de  Lens,  de  Lavingen  et  de  Sumars- 
ihausen  (1648)  obligent  nos  adversaires  Ji  accepter 
des  traités  de  Westphalie  (IG4S).  La  France  obtient 
la  cession  définitive  des  Trois  Evôchés,  Pignerol, 
l'Alsace  sauf  Strasbourg,  Brisach,  Philipsbourg, 
■et  la  liberté  de  commerce  sur  le  Rhin.  En  intro- 
•duisant  la  Suède  en  Allemagne,  elle  modifie  h  son 
profit  l'équilibre  des  Etats  allemands.  Des  traités 
■d'alliance  sontsignés  aveclaBavièreilfi.ïl),leBran- 
debourg  (IGoG)  ;  enfin  la  ligue  du  Rhin  (1658)  place 
■sous  la  protection  de  la  France  les  petits  Etats  de 
l'Allemagne  du  nord.  La  confédération  franco- 
allemande  mettra  sur  pied  10  0(10  hommes.  La 
France  ne  fournira  pas  moins  de  IGOU  soldats  et 
80»  chevaux.  Ce  grand  succès  diplomatique  console 
Mazarin  de  n'avoir  pu  empêcher  l'élection  de 
Léopold  de  Habsbourg  à  l'Empire  (IG.!"). 

La  branche  espagnole  de  la  maison  d'Autriche 
avait  refusé  de  traiter  avec  la  France  en  1648. 
Pendant  les  troubles  de  la  Fronde,  l'Espagno  avait 
repris  Barcelone,  Ypres,  Dunkerque.  La  défection 
de  Condé  lui  avait  donné  Rethel,  Sainte-Me- 
nehould  et  un  général  qui  passait  pour  invin- 
cible (1652).  Mais  dès  I6.i3,  la  guerre  est  poussée 
avec  vigueur.  Les  Espagnols  sont  arrêtés  sur  la 
Somme,  battus  à  Stenay  et  à  Arras  (ICo4).  Cam- 
brai, Valenciennes,  Condé  sont  assiégés  (16.55- 
1656).  Mazarin  s'allie  alors  avec  Cromvvell  (1656- 


165"),  et  les  Espagnols  sont  écrasés  à  la  bataille 
des  Dunes  (1658).  Epuisée  d'hommes  et  d'argent, 
l'Espagne  signe  le  traité  des  Pyrénées  (1659).  Elle 
cède  à  la  France  le  Roussillon,  la  Cerdagne,  une 
partie  de  l'Artois,  Thionville,  Montmédy,  Avesnes; 
Louis  XIV  épouse  l'infante  Marie-Thérèse,  dont  la 
dot  s'élèvera  à  500  0110  écus  d'or.  Mais  on  stipule 
que,  dans  le  cas  où  cette  dot  ne  serait  pas  payée, 
la  renonciation  delà  n'ine  de  France  à  la  succes- 
sion de  son  père  Phili|)ne  IV  deviendra  nulle. 
Condé  enfin  fait  sa  soumission  et  rentre  en  France. 

En  1660,  l'Europe  entière  était  pacifiée.  Dans  le 
midi  et  dans  le  centre,  l'Espagne  et  l'Autriche, 
ennemies  de  la  France,  étaient  vaincues.  Dans  le 
nord,  les  traités  d'Oliva  et  de  Copenhague  avaient 
assuré  la  prépondérance  politique  de  la  Suède, 
notre  alliée.  Mazarin  qui,  devant  l'étranger,  avait 
eu  le  cœur  vraiment  français,  laissait  la  France 
puissante  et  honorée.  [L.-G.  Gourraigne.] 

MÉCANIOUE.  —  La  m'fcamque  a  pour  objet 
l'étude  des  forces  et  des  elïets  qu'elles  produisent 
sur  les  corps  auxquels  on  les  applique.  Dans  la 
partie  de  cette  science  appelée  dijnamique,  on  s'oc- 
cupe de  déterminer  les  diverses  circonstances 
du  mouvement  d'un  corps  lorsque  l'on  connaît  les 
forces  qui  agissent  sur  lui.  La  statique  est  la 
partie  de  la  mécanique  qui  traite  dft  l'équilibre  des 
forces  appliquées  à  un  corps  solide  ;  on  y  déter- 
mine les  relations  qui  doivent  exister  entre  les 
forces  pour  que  le  corps  prenne  un  mouvement 
égal  à  zéro  ;  c'est  donc  un  cas  particulier  de  la 
dynamique,  celui  où  le  corps  doit  rester  en  repos 
sous  l'action  des  forces  qui  le  sollicitent.  Mais 
comme,  une  fois  ce  dernier  problème  résolu,  il 
est  facile  d'y  ramener  l'autre,  on  commence  ordi- 
nairement l'élude  de  la  mécanique  par  celle  de  la 
statique. 

On  a  vu,  à  l'article  Force, comment  h.  l'aide  d'un 
pcson  à  ressort  on  peut  comparer  toutes  les  forces 
à  un  poids  et  les  exprimer  on  kilogrammes  ;  com- 
ment on  représente,  par  une  ligne,  le  point  d'ap- 
plication d'une  force,  sa  direction  et  son  intensité. 

Nous  admettrons  comme  évidents  les  axiomes 
qui  suivent  et  qui  nous  seront  utiles  par  la  suite; 
la  seule  difficulté  qu'éprouvent  les  élèves,  en  li- 
sant les  premières  pages  d'un  livre  de  mécanique, 
tient  à  ce  que  beaucoup  d'auteurs  entourent  ces 
vérités  d'un  appareil  de  démonstrations  moins 
claires  que  les  énoncés  eux-mêmes  :  1°  Une  force 
appliquée  à  un  corps  solide  peut  être  appliquée 
en  un  point  quelconque  de  sa  direction  pourvu 
que  ce  nouveau  point  soit  lié  invariablement  au 
premier.  Ainsi  la  force  F  appliquée  en  K  (fig.  1) 


Fig.  t. 

peut  être  transportée  en  B  et  prendre  la  position  F' 
sans  que  l'état  du  corps  soit  changé,  "l"  Si  deux 
forces  qui  sollicitent  un  corps  solide,  libre  de 
tourner  dans  tous  les  sens,  agissent  suivant  la 
même  droite,  en  sens  contraire,  et  ont  la  même 
intensité,  elles  tiennentce corps  en  équilibre  ;telles 
sont  les  forces  F  et  F".    Si  les  forces  sont  iné- 


MECANIQUE 


—  1270  — 


MECANIQUE 


gales,  ou  bien  n'agissent  pas  en  sens  directement 
contraire,  le  corps  se  mettra  en  mouvement  sous 
l'action  de  ces  forces.  Ainsi,  que  deux  personnes 
de  même  force,  placées  aux  extrémités  d'une  ta- 
ble, la  poussent  dans  le  sens  de  sa  longueur,  mais 
en  sens  contraire,  elles  ne  produiront  aucun  effet  ; 
que  l'une  d'elles  pousse  à  droite  ou  à  gauche  de 
cette  direction,  la  table  tournera. 

Composition  des  forces  concourantes.  —  On 
appelle  résultante  d'un  système  de  forces  F,  F',  F', 
appliquées  à  un  corps  solide,  une  force  qui  peut, 
à  elle  .seule,  les  remplacer  toutes  ;  on  dit  que  les 
forces  F,  F',  h",  sont  les  composantes  de  la 
force  R.  Par  conséquent,  étant  donné  un  corps 
sollicité  par  plusieurs  forces  F,  F',  F",  dont  la 
résultaote  est  R,  si  l'on  applique  au  corps  une 
nouvelle  force  —  R  égale  et  directement  opposée 
i  R,  l'ensemble  des  forces  F,  F',  F''  et  —  R  tien- 
dront le  corps  solide  en  équilibre. 

Un  système  quelconque  de  forces  n'a  pas  tou- 
jours une  résultante  unique,  il  est  même  rare 
qu'il  en  ait  une  ;  mais,  dans  le  cas  particulier  où 
les  forces  sont  appliquées  au  même  point,  on  peut 
toujours  remplacer  les  forces  proposées  par  une 
seule  appliquée  au  même  point  ;  nous  étudierons 
d'abord  comment  on  détermine  les  éléments  de 
cette  résultante. 

Proposition  I.  —  Si  deux  forces  concourantes 
agissent  suivant  la  même  droite  et  ont  la  même 
direction,  leur  résultante  est  une  force  appliquée 
au  même  point,  agissant  suivant  la  même  direction 
et  dont  l'intensité  est  égale  à  la  somme  des  deux 
premières.  Si  les  forces  agissent  dans  des  di- 
rections opposées,  l'intensité  de  leur  résultante 
est  égale  à  la  différence  des  intensités. 

Cette  proposition  est  évidente 

Proposition  II.  —  Si  un  nombre  quelconque  de 
forces  agissent  suivant  la  même  droite,  les  unes 
dans  un  sens,  les  autres  dans  le  sens  opposé,  leur 
résultante  est  égale  à  l'excès  de  la  somme  des 
forces  qui  tirent  dans  un  sens  sur  la  somme  des 
forces  qui  tirent  en  sens  contraire.  Cette  résul- 
tante agit  dans  le  sens  des  forces  qui  ont  donné 
la  plus  grande  somme. 

Cette  proposition  est  encore  évidente. 

Considérons  maintenant  deux  forces  F  et  F'  ap- 
pliquées .'i  deux  points  A  et  B  d'un  corps  solide  et 
dont  les  directions  passent  par  le  même  point  O; 
on  peut  remplacer  ces  deux  forces  angulaires  par 
une  seule,  et  la  règle  à  suivre  s'appelle /)«i-a//p/o- 
gramme  dfS  forcex;  c'est  une  des  propositions  les 
plus  importantes  de  la  statique. 

Proposition  III.  —  La  résultante  de  deux  forces 
angulaires  est  située  dans  le  plan  de  ces  deux 
forces  ;  elle  est  dirigée  suivant  la  diagonale  du 
parallélogramme  construit  sur  les  lignes  qui  re- 
présentent les  forces  en  grandeur  et  en  direction; 
son  intensité  est  représentée  par  la  diagonale  de 
ce  même  parallélogramme. 

Démonstration  expérimentale. —  \Uachons  (fig.  2) 
trois  poids  de  4Hg,  5"?,  6Hs,  h  des  cordons  aB, 
AC,  AD,  réunis  au  point  A  par  un  nœud;  faisons 
passer  les  deux  premiers  sur  des  poulies  très  mo- 
biles, dont  les  axes  sont  implantés  dans  un  tableau 
noir;  laissons  pendre  le  troisième  cordon  AD  ;  l'en- 
semble de  ces  poids  prendra  bientôt  une  position 
d'équilibre  et  nous  pourrons  dire  qu'alors  la  force 
de  6Hg  appliquée  au  point  \  suivant  la  verticale  AD 
fait  équilibre  aux  forces  F  =  4"?  et  F'  =  5";  ap- 
pliquées directement  au  point  A  suivant  les  di- 
rections AB  et  AC  ;  les  poulies  de  renvoi  ont  sim- 
plement pour  but  de  remplacer  les  tractions  des 
poids  F  et  F',  qui  agissent  suivant  la  verticale,  par 
des  tractions  dirigées  suivant  les  cordons  obli- 
ques AB  et  AC.  Une  fois  l'équilibre  établi,  la 
force  R  est  donc  égale  et  directement  opposée  à 
la  résultante  des  forces  F  et  F'  :  cette  résultante 
est  donc  dirigée  de  A  vers  Z  dans  le  prolongement 


du  cordon  vertical  AD,  et,  pour  vérifier  l'énoncé  de- 
notre  proposition,  il  suffit  de  faire  la  construction. 


R=ff™= 


Fig. 


suivante  sur  le  tableau  noir  qui  est  parallèle  h- 
la  figure  formée  par  les  cordons  et  à  une  petite- 
distance  de  cette  figure  : 

Prenons  sur  AB  la  distance  AM  =4iiin,  et  sur 
AC  la  longueur  AN  ^  5''™,  c'est-à-dire  sur  les. 
directions  des  cordons  des  longueurs  proportion- 
nelles aux  intensités  des  composantes  F,  F':  ache- 
vons le  parallélogramme  AMNG, et  nous  trouverons: 
1°  que  le  sommet  G  est  sur  AZ,  ce  qui  démontre - 
que  la  résultante  est  dirigée  suivant  la  diagonale 
du  parallélogramme  construit  sur  F  et  sur  F'  ; 
2°  que  cette  diagonale  AC  contient  6  décimètres, 
ce  qui  prouve  qu'elle  représente  en  grandeur 
aussi  bien  qu'en  direction  la  grandeur  de  cette 
résultante  qui  est  de  6"ï.  Les  deux  parties  de- 
l'énoncé  sont  donc  vérifiées,  et  cette  démonstra- 
tion expérimentale  suffit  parfaitement  ;  elle  nous 
paraît  même  préférable  à  la  démonstration  théo- 
rique, qui  est  très  longue  et  que  beaucoup  d'élè- 
ves apprennent  par  cœur  sans  la  bien  comprendrfi. 

Relations  entre  les  composantes  et  la  résul- 
tante. —  Proposition  I.  —  Le  carré  de  la  résul- 
tante de  deux  forces  angulaires  est  égal  à  la 
somme  des  carrés  dei  composnates  plus  deux  f'is 
le  produit  de  ces  forces  multiplié  par  le  cosinus 
de  leur  angle. 

En  effet,  considérons  (fig.  3)  deux  forces  F  et  F' 


faisant  entre  elles  l'angle  .A;  dans  le  triangle  ACD 
nous  aurons  : 

AD2  =  AC2-f  CD-'  —  -ÎAC  X  CD  cos  ACD 
et  comme 

ACD  =  180°  —  CAB  =  Î800  —  A, 
cos  ACD=  — cos  A, 
nous  trouverons  en  substituant 

AD2  =  AC2 -I- CD' -f  3AC  X  AB  cos  A, 
c'est-à-dire 

r.3  =  F2  -f-  F's  -i-  2F  X  F'  X  Cos  A. 
Co?>séqucnce.  —  Si  les  foCces  F  et  F'  sont  roc- 


MECANIQUE 


1271   — 


MÉCANIQUE 


tanfîultiiros,  l'angle  A  est  droit,  son  cosinus  est 
nul  l'i  l'on  a  : 

R2  =  F2  +  F'3. 

Ainsi  le  carré  de  la  résvltnnte  de  deux  forces  rec- 
tanyu/aires  est  égal  à  la  somme  des  carrés  des 
composantes. 

PuoposiTioN  II.  —  Si  l'on  considère  deux  forces 
F,  F'  et  leur  résultante  R,  //  exi-te  un  rapport 
constant  entre  chai  une  de  ces  forces  et  le  simcs  de 
l'ani/le  formé  par  les  directvms  des  deux  autres. 

En  effet,  le  triangle  ACD  fournit  la  relation  : 


CD 


AC 


R 


R 


sin  CAD       sin  ADC 

c'est  à-dire 


sin  (ISO"— C) 


R 


sin(F',R)       sin  iF,  R)        sin  (F,  F') 

Décomposition  d'une  force  en  deux  autres.  — 

Problème.  —  Etant  données  une  force  R  appli- 
quée au  point  A  et  deux  directions  AX  et  AY 
Issues  de  ce  point  et  situées  dans  un  ipème  plan 
avec  R,  on  propose  de  décomposer  cette  force  li 
en  deux  autres  F  et  F'  dirigées  suivant  les  direc- 
tions AX  et  AV. 

Solutw}i.  —  On  peut  déterminer  les  intensités 
des  forces  F  et  F'  par  un  tracé  graphique  ;  il  suffit 
de  mener  par  l'cxtréniito  D  de  la  force  R  les  pa-  j 
rallèles  DC  h  AX  et  DB  h  AY  ;  ces  parallèles  dé-  | 
terminent  sur  AX  et  AY'  des  longueurs  AB  et  AC 
proportionnelles  aux  composantes  cherchées  F 
et  F'. 

Si  l'on  veut  calculer  les  intensités  F  et  F',  il 
suffit  de  s'appuyer  sur  la  proposition  précédente  : 
elle  donne  les  relations  : 


F  et  F'  qui  sont  représentées  par  les  lignes  0\ 
et  OB,  nous  construirons  le  parallélogramme 
OABB'  ;  puis  nous  composerons  la  résultante  OU' 
avec  OC  qui  représente  F',  ce  qui  nous  donnera 
la  résultante  OC  ;  composant  OC  et  OD,  nou.s 
obtiendrons  OD',  et  il  ne  restera  plus  qu'à  compo- 
ser OD'  et  OE,  en  construisant  le  dernier  parallé- 
logramme OD'EE'  ;  sa  diagonale  OK'  représentera 
la  résultante  de  toutes  les  forces  pour  sa  direction 
et  son  intensité.  Il  est  bien  clair  qu'il  n'est  pas 
nécessaire  de  tracer  tous  les  côtés  et  les  dia- 
gonales de  ces  divers  parallélogrammes  ;  il  suffit 
de  marquer  le  contour  AB'CD'E'. 

Remarque.  —  Si  le  contour  se  ferme,  la  résul- 
tante totale  est  nulle  et  les  forces  se  font  équi- 
libre. 

PAUAt.LÉLiPiPÈUE  DES  FORCES.  —  Comme  cas  par- 
ticulier, considérons  trois  forces  F,F',F",  appli- 
quées au  point  O  (fig.  5)  et  représentées  par  les 


Remarque.  —  Si  les  composantes  doivent  être 
à  angle   droit,  on  a  : 

sin  BAC  =  I,  et  par  conséquent 

F  =  R  sin  CAD  =  R  cos  BAD 
F'  =  R  sin  BAD  =  R  cos  CAD. 

Ainsi,  chaque  composante  est  égale  au  produit 
de  la  résultante  par  te  cosinus  de  l'angle  compris 
entre  sa  direction  et  celle  de  la  résultante,  ou 
bien  chacune  des  composantes  est  fa  projection  de 
la  résultante  sur  les  directions  données. 

Composition  d'un  nombre  quelconque  de  forces 
concourantes.  —  Proposition  I.  —  Pour  Irourer 
géumétriqui-inent  la  résultante  d'un  si/stème  de 
forces  F,  F',  F",  appliquée»  au  même  point  O  et 
dirigées  d'une  manière  qutlcotique  dans  l'espace, 
on  construit  ^fig.  4)  u7i contour  polgr/onal  AB'CD'E' 


dont  les  côtés  sont  respectivement  éqnux  et  paral- 
lèles aux  lignes  0A,0B,0C,0D.0E'  qui  repré^en- 
te?it  ces  forces  ■  on  joint  au  point  d'a/jplication  O 
l'extrémité  E'  de  ce  omtour,  et  celte  ligne  OE'  rc- 
préseiite  la  résultante  en  grawlenr  et  en  direction. 
En  effet,  si  nous  composons  d'abord  les  forces 


fig.  5. 

lignes  OA,OB,OC  non  situées  dans  un  mêmi 
plan  ;  leur  résultante  sera  représentée  pour  se 
direction  et  son  intensité  par  la  diagonale  OD  du 
parallélipipède  construit  sur  ces  trois  forces. 

Si  les  trois  forces  forment  un  trièdre  tri-rectan- 
gle, leur  résultante  R  est  donnée  par  la  formule: 

RS=F2  4.F'2-|-F"» 

car  dans  un  parallélipipède  rectangle  le  carré  de 
la  diagonale  est  égal  à  la  somme  des  carrés  des 
trois  (limensions. 

Problème.  —  Décomposer  une  force  en  trois 
autres  dont  les  directions  ne  sont  pas  situées  dans 
un  même  plan. 

Soit  OD  la  force  R  qu'il  s'agit  de  décomposer 
en  trois  autres  dirigées  suivant  les  directions 
OA,OB,OC.  On  obtiendra  les  intensités  de  ces 
trois  composantes  en  menant  par  le  point  D  trois 
plans  parallèles  aux  plans  OAB,  OAC,  OBC  ;  cha- 
cun d'eux  coupera  la  troisième  direction,  et  les 
longueurs  OC,  OB,  OA  ainsi  déterminées  repré- 
senteront les  intensités  des  composantes  incon- 
nues. 

Conséquence.  —  Si  les  trois  directions  données 
sont  rectangulaires,  chaque  composante  est  égale 
à  la  projection  de  la  force  donnée  sur  la  direction 
de  cette  composante;  son  intensité  est  égale  i 
celle  de  la  résultante  multipliée  par  le  cosinus 
de  l'angle  que  fait  cette  résultante  avec  la  direc- 
tion de  la  composante  considérée. 

En  effet,  le  triangle  DOA  est  rectangle  en  A  et 
l'on  a  : 

OA  =  ODco3AOD 
OB  =  ODcosBOD 
OC  =  ODcosCOD 

Si  donc  l'on  pose 

OA  =  x,  OB=y,  oc=z 

AOD  =  a,    BOD  =  p,   C0D  =  y 

on  aura  pour  les  trois  composantes  de  la  force  R  : 

X  =  Rcosï,  Y  =  Rcosp,  Z==Rco9Y. 

Ces  formules  sont  générales  et  représentent, 
quelle  que  soit  la  direction  de  la  force,  la  projection 


MÉCANIQUE 


121-2 


MECANIQUE 


de  cette  force  sur  les  directions  OA,OB,OC.  Il 
euffit  de  regarder  comme  positives  les  composantes 
suivant  les  directions  OA.OB.OC  et  comme  né- 
gatives celles  qui  tirent  suivant  leurs  prolonge- 
ments. En  effet,  si  l'angle  a  est  obtus,  son  cosinus 
est  négatif,  et  le  produit  R  cos  a  le  sera  aussi  ;  mais 
alors  la  composante  X  sera  dirigée  en  sens  con- 
traire de  OA  ;  donc  U  cos  a  pris  avec  son  signe 
représentera  à  la  fois  la  grandeur  et  le  sens  de 
la  première  composanle. 

Problème.  —  Déterminer  par  le  calcul  la  résul- 
tante d'un  système  quelconque  de  forces  concou- 
rantes. 

Solution,  -r-  Soient  F,F',F"...,  les  forces  données 
appliquées  au  même  point  0  d'un  corps  solide. 
Menons  par  ce  point  irois  axes  rectangulaires  de 
direction  arbitraire,  OX,  OY,  OZ  (flg.  (i),  auxquels 


nous  rapporterons  les  forces  F,  F',  F" Pour  que 

les  positions  relatives  de  ces  forces  soient  bien 
déterminées,  il  suffit  que  nous  connaissions  les 
angles  que  fait  chacune  d'elles  avec  les  trois  axes  ; 
nous  désignerons  les  angles  que  fait  F  avec 
OX,  OY,OZ,  par  a,  p,  y  ;  nous  appellerons  de 
même  a',  p',  y',  les  angles  qui  correspondent  à 
F',  etc. 

Décomposons  chacune  des  forces  en  trois  autres 
dirigées  suivant  OX,  OY,  OZ  :  nous  aurons  pour 
les  composantes  de  F  : 

F  cos  a,  Fcosp,  F  cos  y, 
pour  celles  de  F'  : 

F' cos  a',  F' cos  3',  F' cos  y', 
et  ainsi  de  suite. 

Toutes  les  forces  dirigées  suivant  OX  se  com- 
poseront en  une  seule  que  nous  appellerons  X,; 
de  même  les  composantes  suivant  OY  fourniront 
une  résultante  Y',,  et  celles  qui  agissent  suivant 
OZ  donneront  la  résultante  partielle  Zi  ;  nous  au- 
rons par  conséquent: 

Xj  =  F  cos  a  -1-  F'  cos  a'  4-.... 
Y,  =  F  cos  p  -f  F'  cos  p'  -1-.... 
Zj  =  Fco3  y-|-F'cosy'+.... 

Il  ne  restera  plus  qu'à  composer  les  trois  forces 
rectangulaires  X,,Y,,Z,,  pour  avoir  la  résultante 
définitive  R  ;  nous  aurons  donc  : 

n2  =  X,2  +  Y,2  +  Z,^ 

Quant  à  la  direction  de  cette  résultante,  elle 
sera  donnée  par  les  angles  a,  b,  c,  qu'elle  fait 
avec  les  trois  axes;  les  cosinus  do  ces  angles  sont: 


cos  a=j^,  cosi: 


■r  ' 


R 


Proposition  II.  —  Pour  que  plusieurs  forres 
concourantes  se  fassent  éqiiilibre,  il  fout  el  il 
suffit  que  la  somme  algébrique  des  projections 
de  ces  forces  sur  trois  axes  rectanqulaires  quel- 
conques passant  par  ce  point  soit  égale  à  zéro  pour 
cliucun  de  ces  axes. 


En  effet,  pour  que  la  résultante  R  soit  nulle,  il 
faut  et  il  suffit  que  l'on  ait  à  la  fois  : 


X,  =  0,  Y, 


:0,      Z, 


Il  faut  bien  remarquer  que  le  corps  ne  serait 
pas  nécessairement  en  équilibre  si  la  somme  des 
projections  des  forces  était  nulle  pour  un  seul 
axe,  si  l'on  avait  par  exemple  Xj  =  0  seulement  : 
en  effet,  il  pourrait  se  faire  que  la  résultante  K 
fût  située  dans  un  plan  perpendiculaire  à  l'axe 
OX  sans  être  nulle  ;  mais  si  l'on  a  en  même  temps 
Y'i  =  0  et  Z|  ^  0,  cette  résultante  est  nécessai- 
rement égale  à  zéro. 

Moments  des  forces  concourantes  situées  dans 
un  même  plan.  —  Ou  appelle  vioment  d'une  force 
F  par  rapport   à    un  point  O  (Hg.    7J    le    produit 


F  X  OP  de  son  intensité  par  la  distance  de  ce 
point  à  la  direction  de  la  force  ;  ce  point  est  appelé 
centre  des  moments,  f^i\a  perpendiculaire  abaissée 
sur  la  force  en  est  le  bras  de  levier. 

Il  est  clair  que  le  moment  d'une  force  est  nul 
quand  celte  force  passe  par  le  centre  des  moments. 

Les  moments  des  forces  F  et  F'  par  rapport  au 
point  0  (fig.  8)  sont  : 

FXOA  et  F'XOA'; 

mais  si  l'on  imagine  que  la  figure  soit  mobile 
autour  du  point  O,  on  voit  que  la  force  F  tend  à 


faire  tourner  la  figure  dans  le  sens  des  aiguilles 
d'une  montre,  tandis  que  la  force  F'  tendrait  à  la 
faire  tourner  en  sens  contraire.  On  caractérise 
cette  opposition  de  sens  des  rotations  fictives  de 
la  figure  autour  du  point  0,  sous  l'action  séparée 
des  forces  F  et  F',  par  une  opposition  de  signes  ;  on 
dit  que  le  moment  de  F  est  positif  et  que  celui  de 
F'  est  négatif  ;  on  met  le  signe  -\-  devant  le  premier 
et  le  signe  —  devant  le  second  en  écrivant  : 

M„  F  =  -1-FX0A,  M„  F'=F'xOA'. 

Cette  convention  est  utile  pour  généraliser  les 
formules  et  pour  réduire  h  un  seul  plusieurs 
énoncés. 

Proposition.  —  Etant  doiiné  un  nombre  quel- 
conque de  forces  concourantes  situées  dans  le 
même  plan  el  leur  résul'ante,  le  moment  de  cette 
résultante  par  rapport  à  un  point  quelconque  du 
plan  des  forces  est  égal  à  la  somme  algébrique 
des  moments  des  comiioxantes. 

Considérons  d'abord  le  cas  de  deux  forces  con- 
courantes F  et  F',  appliquées  au  point  A  ;  soit  R 
leur  résultante  et  0  le  centre  des  moments  (fig.  !))  ; 
il  faut  démontrer  que 

R  X  OP"  =  F  X  OP  -I-  F'  X  OP'. 

Pour  cela  il  suffit  de  remarquer  que  chacun  de 
ces  produits  représente  le  double  de  l'aire  d'un 


iMKCANIOUE 


1273  — 


MEGANKJUE 


triangle  ayant  pour  sommet  lo  point  0  i?t  pour  base 
la  force  considérée  ainsi  : 

FX0P  =  2   tri  OAF, 

F'XOP'  =  2triOAF', 

nxOP"  =  2  tri  OAR; 

tout  revient  donc  à  démontrer  que 

tri  0 AR  =  tri  OAF  +  tri  OAF' 

Prenons  OA  '(fig.  10)  pour  base    commune    i  ces 
triangles,  abaissons  des  points  F,  F'  et  R  les  per- 


pendiculaires  FH,  F'H',  RK  sur  la  direction  OA; 
et  menons  FL  parallèle  h  OA  ;  nous  aurons  : 

RK  =  KL  +  LR  =  HL  +  FH' 
Ainsi  la  hauteur  du  triangle  OAR  est  égale  Si  la 
somme  des  hauteurs  des  deux  autres;  ce  triangle 
OAR  est  donc  équivalent  à  la  somme  des  trian- 
gles OAF  et  OAF',  et  le  moment  de  la  résultante 
est  égal  h  la  somme  des  moments  des  composantes. 

Dans  !e  cas  de  la  figure,  les  trois  forces  tendent 
à  produire  autour  du  point  O  des  rotations  fictives 
de  même  sens,  et  les  trois  moments  sont  positifs  : 
si  les  rotations  étaient  de  sens  contraires,  l'énoncé 
du  théorème  serait  encore  exact,  en  tenant  compte 
•des  signes  que  nous  sommes  convenus  d'attribuer 
aux  moments. 

Soit  maintenant  un  nombre  quelconq  ue  de  forces 

^'  ^\  F" concourantes  et  R   leur  résultante; 

nous  composerons  d'abord  F  et  F'  en  une  seule  R], 
et  nous  aurons; 

M_^  Ri  =  M^  F  +  M^F'; 

il  faudra  composer  maintenant  R,  et  la  troisième 
force  F",  ce  qui  donnera  une  résultante  R,,  pour 
laquelle  ^   ^ 

^o'^2  =  M„Rj-f  M    F", 
ou 

M^  R2  =  M^  F  -f  M^  F'  +  M^  F"  ; 

et  amsi  de  suite  jusqu'à  ce  que  l'on  ait  composé 

toutes  les  forces.  Nous  aurons  donc  en  définitive  : 

M^  R  =  M^  F  +  M^  r  +  M^  r"  +  M„  F"'  +  .... 

•^^IfSénévinié  du  théorème  est  démontrée. 

utiliti;  da  théorème  des  moments.  —  La  propo- 
sition précédente,  connue  sous  le  nom  de  tMorème 


de  Varif/iwii.  permet  de  trouver  la  direction  de  la 
résultante  d'un  système  de  forces  concourantes: 
si  l'on  a  calculé  l'intensité  de  cette  résultante  et 
son  moment  par  rapport  à  un  point  0,  on  en  con- 
clura lo  bras  do  levier  de  cette  force;  il  suflira 
donc  de  décrire  du  point  0  pris  pour  centre  une 
circonférence  avec  ce  bras  de  levier  pour  rayon  et 
de  mener  parle  point  A,  où  concourent  toutes  les 
forces,  des  tangentes  à  celte  circonférence  ;  celle  do 
ces  deux  tangentes  dont  le  moment  aura  le  même 
signe  que  la  somme  algébrique  des  moments  des 
composantes  F,  F',  F"...  sera  précisément  la  ré- 
sultante cherchée. 

Moments  de  forces  concourantes  non  situées 
dans  le  même  plan.  —  Si  les  forces  angulaires 
F,  F',  F',...  que  l'on  compose,  ne  sont  pas  situées 
dans  un  même  plan,  on  ne  peut  plus  dire  que  le 
triangle  ayant  pour  sommet  un  point  O  quelcon- 
que et  pour  base  la  résultante  est  équivalent  à  la 
somme  des  triangles  ayant  môme  sommet  et  pour 
bases  les  forces  F,  F',  F".  Mais  ce  théorème  est 
encore  exact  si  l'on  projette  sur  un  même  plan 
le  système  des  forces  F,  F',  F"....  et  R. 

Définilioii.  — On  appelle  moment  d'une  force 
par  rapport  à  un  axe   AB  (fig.  1 1)  le  moment  de  la 


D 

C 

v\ 

/\  i 

1  'l  /'•"'' 

projection  de  la  force  sur  un  plan  perpendiculaire 
à  l'axe,  le  centre  du  moment  étant  le  point  où 
l'axe  rencontre  le  plan  de  projection.  Ainsi  le 
moment  de  la  force  F'  par  rapport  à  l'axe  AB  s'ob- 
tient en  projetant  F'  en  F"  sur  un  plan  RR'  per- 
pendiculaire à  AB  et  faisant  le  produit  de  F"  par 
sa  distance  AS  au  pied  de  l'axe  AB. 

Proposition.  —  Se  l'on  considère  un  système  de 
forces  concourantes  dirii/ées  arbitrairement  dans 
t'esijace  et  leur  résultante,  le  moment  de  celte  ré- 
sultante par  rapport  à  un  axe  fixe  quelconque  est 
é//al  à  ta  somme  alrjébrique  des  moments  des  com- 
posantes. 

Considérons  d'abord  (fig.  12)  deux  forces  F  et  F' 
C 


MECANIQUE 


1274  — 


MECANIQUE 


concourant  au  point  A  ainsi  que  leur  résultanio 
R,  et  projetons  le  parallélogramme  ABCD  sur 
un  plan  V:  nous  obtinndroiis  un  parallélogramme 
abcd  dont  les  côtés  f  ni  f  sont  les  projections  de  F 
et  de  F'  et  dont  la  diagonale  )'  est  la  projection  de  R. 
Si  donc  nous  rapportons  cette  figure  contenue  dans 
le  plan  V  à  un  point  0  quelconque  de  ce  plan, 
nous  aurons: 

Mais,  par  définition,  le  moment  de  /'par  rapport  au 
point  O  est  précisément  le  moment  de  F  par  rap- 
port :■!  l'axe  ÔX,  nous  aurons  donc  : 

M    R  =  M„^F  +  M^^F'. 

Prenons  maintenant  trois  forces  angulaires  F,  F', 
F"  non  situées  dans  le  môme  plan  ;  le  théorème 
précédent  s'appliquera  à  la  résultante  partielle 
R,  de  F  et  de  F',  puis  à  la  résultante  R  de  R,  et 
de  F",  qui  est  la  résultante  définitive  du  sys- 
tème des  trois  forces.  On  pourra  donc  écrire  en 
général  : 

M„^R  =  M^F-f  M^/'+  M^^F"  +  .... 

quel  que  soit  le  nombre  des  forces  et  leur  disposi- 
tion autour  du  point  A. 

Rpna'que.  — Si  l'on  mène  par  un  point  O  pris 
arbitrairement  dans  l'espace  trois  axes  de  coordon- 
nées rectangulaires  OX,  CV,  OZ,  auxquels  on 
rapporte  le  système  des  forces  concourantes  F,  F' 
F"...  ainsi  que  leur  résultante  R,  on  pourra  pro- 
jeter cet  ensemble  de  forces  sur  les  trois  plans 
ZOl',  ZOX,  XOY,  et  le  théorème  des  moments  pris 
par  rapport  au  point  O  s'applique  à  chacune  de  ces 
projections:  le  triangle  ayant  0  pour  sommet  et 
la  projection  de  la  résultante  pour  base  sera  équi- 
valent à  U  somme  de  triangles  ayant  même  som- 
met et  pour  base  les  projections  des  forces;  on  dit, 
pour  abréger,  que  lu  moment  de  la  résultante  R 
par  rapport  à  chacun  des  axes  OX,  OY,  OZ,  est 
égal  à  la  somme  algébrique  des  moments  des  com- 
posantes. On  pourra  donc  tracer  sur  chacun  des 
plans  de  coordonnées  la  projection  de  la  résultante 
R,  et  cette  résultante  sera  connue  dès  que  l'on 
aura  ses  trois  projections  sur  les  trois  plans  de 
coordonnées. 

Composition  des  forces  parallèles.  —  Pnoposi- 
TlON  I.  —  Deux  forces  parulUles  et  de  même  se?is 
appliquées  aux  extrémités  d'une  barre  rigide  ont 
Uhe  résultante  parallèle  à  leur  direction,  de  même 
sens,  égale  à  leur  somme  et  appliquée  à  la  barre 
en  un  point  qui  partage  cette  droite  en  deux 
segments  additifs  inversement  proportionnels  aux 
forces  rontigiiè'f. 

Soient  P  et  Q  (fig.  13)  deux  forces  parallèles  et 


R2  = 


de  même  sens  agissant  aux  points  A  et  B  d'un  corps 
solide  ;  on  peut  les  assimiler  à  deux  forces  angu- 
laires dont  le  poiiit  de  concours  s'est  éloigné  à 
l'infini  ;  on  voit  donc  que  leur  résultante  R  doit 
être  parallèle  à  chacune  des  composantes  ;  de  plus 
elle  est  égale  à  leur  somme,  puisque  l'on  a  : 


:  P2  +  Q2  +  2PQ  cos  0»  =  Ps  -I-  Q>  4-  2PQ 

=  (P  +  Q>^ 
ou,  en  extrayant  les  racines  : 

R  =  P  +  Q. 

Il  est  facile  de  trouver  le  point  I  de  la  barre  ri- 
gide auquel  est  appliquée  cette  résultante  R  :  en 
effet,  étudions  fig.  14)  la  figure  obtenue  lorsque  les 


y? 


forces  P  et  Q  sont  encore  concourantes,  et  prenons 
les  moments  de  P,  de  Q  et  de  R  par  rapport  au 
point  I;  le  moment  de  R  sera  nul,  puisque  cette 
force  passe  par  le  centre  des  moments,  et  nous 
aurons  : 


«) 


PXIK  — QxIL  =  0 


Si  maintenant  nous  considérons  la  figure  (13)  ob- 
tenue lorsque  les  forces  P  et  Q,  tournant  autour 
des  points  A  et  H,  sont  devenues  parallèles,  nous 
voyons  que  les  bras  de  leviers  IK  et  IL  sont  en 
ligne  droite,  et  les  triangles  semblables  AIK,  BIL 
fournissent  la  proportion 

IK  _  AI 
IL   ~ÏB 

Nous  aurons  donc,  en  remplaçant  dans  (1)  les 
bras  de  leviers  IK  et  IL  par  les  lignes  AI  et  IB 
qui  leur  sont  proportionnelles 

PxAI  =  QXIB, 

ce  qui  revient  à  écrire  : 

P_IB 
Q~AI 

Proposition  II.  —  Deux  forces  parallèles  et  de 
sens  contraires  appliquées  aux  eitrémités  d'une 
barre  rigide  ont  une  résultante  égale  à  leur  diffé- 
rence, de  même  sens  que  la  plus  grande  et  appliquée 
en  unpoint  du  prolongement  de  la  barre  rigide  qui 
divise  celte  droite  en  di-ux  segment):  souslractifs 
inversement  proportionnels  aux  forces  contiguëi. 

Le  système  de  deux  forces  parallèles  et  de  sens 
contraires  peut  être  assimilé  à  la  limite  d'un 
système  de  deux  forces  angulaires  faisant  entre 
elles  un  angle  très  obtus  voisin  de  180°  et  dont  le 
point  de  concours  s'éloigne  de  plus  en  plus. 

En  comparant  les  deux  figures  l.S  et  IG  on  voit 


MECANIQUE 


—  iTi 


Tig.  10. 

que  la  résultante  R  est  encore  ici  parallèle  aux 
composantes  P  et  Q,  et  qu'elle  estcgalo  Ji  P  —  Q, 
puisque  l'on  a  dans  ce  cas 

R2  =  ps  +  Q2  4-2PQcosl80''  =  P2  +  Q«  — ÎPQ, 
ou 

R2  =  (PQ)2 

c'est-ïi-dire,  en  extrayant  les  racines  carrées, 

R=P-Q 

Enfin  le  tliéor6me  des  moments  fait  voir  que 
cette  rosuliante  est  appliquée  en  un  point  I  du 
prolongement  de  AB  tel  que  l'on  ail  : 

P  X IK  =  Q  <  IL 

Mais  les  triangles  semblables  AIK  et  BIL  montrent 
que  les  bras  de  levier  IK  et  IL  sont  proportion- 
nels aux  segments  lA  et  IB;  on  aura  donc  : 

P  X  lA  =  Q  X  IB, 


Remarque.  —  S/  t'oi>  considère  dfux  forces 
parallèles  et  leur  résultmite ,  il  existe  un  rapport 
constant  entre  l'intemité  de  chacune  de  ces  foi  ces 
et  la  droite  qui  joint  les  poi7its  d'application  des 
deux  mitres. 

En  effet,  si  les  forces  sont  parallèles  et  de 
même  sens,  on  a  : 


P  +  Q 
P 

AI  +  BI 
IB 

R 
AB~ 

P         Q 

IB  ~  1a' 

Si  les  deux  forces  parallèles  sont  de  sens  con- 
traires, on  a  : 

P  — Q      AI  — BI 


l' 

BI 

R 
AB 

P      ■  Q 
BI       Al' 

Cette  proposition  nous  sera  utile  pour  décom- 
poser une  force  en  deux  autres  forces  parallèles, 
connaissant  leurs  points  d'application. 

Proposition  III.  —  Le  moment  île  la  résultante 
de  deux  forces  parallèles  par  rapport  à  un  point 
quelconque  de  leur  plan  est  êgid  à  la  somme 
algébrique  des  moments  des  composantes. 

Nous  admettrons  ce  théorème  comme  consé- 
quence de  celui  relatif  aux  moments  des  forces 
angulaires  ;  nous  considérons  en  effet  les  forces 
parallèles  comme  doux  forces  angulaires  dont  le 
point  de  rencontre  s'est  éloigné  indéfiniment,  ot 
la  proposition  étant  toujours  vraie,  quel  que  soit 
l'éloignement  du  point  de  rencontre,  est  encore 
vraie  à  la  limite. 

Proposition  IV.  —  Deux  forces  parallèles  et  de 
sens  contraires  n'ont  pas  de  résultante. 

En  effet,  nous  avons  trouvé  pour  la  distance  BI  : 

BI  =  ABXn-^ 


o  —  MKCAMOUK 

Si  la  différence  P  —  Qtend  vers  zéro,  BI  augmente 
indéfiniment.  On  voit  donc  que  la  résultante  du 
système  do  deux  forces  parallèles  rigoureusemouc 
égales  est  transportée  à  l'infini  et  a  une  intensité 
égale  à  zéro.  Un  pareil  système  ne  peut  donc 
être  remplacé  par  une  force  unique.  On  l'appellc 
couple.  Le  liras  de  levier  d'un  couple  (fig.  H)  est 
la  dislance  AB  des  deux  forces. 

Hemnrque.  —  La  somme  des  moments  de  l'en- 
semble des  deux  forces  qui  constituent  un  couple 
s'appelle,  pour  abréger,  moment  de  ce  couple.  Il' 
est  facile  de  voir  que  le  moment  d'un  couple  par 
rapport  à  un  point  du  plan  de  ce  couple,  ou  par 
rapport  h  tout  axe  normal  à  ce  plan,  est  constant 
et  égal  au  produit  do  la  valeur  commune  de» 
deux  forces  par  le  bras  de  levier. 

En  effet,  soit  0  le  centre  des  moments  (fig.  17), 


le  moment  de  la  force  P  (c'est  la  force  F  de  la 
figure  ci-contre)  est  PxO.\;  celui  de  la  seconda 
force  Q  (qui  est  la  force  —  F  de  la  figure)  est 
QxOB;  ces  deux  moments  de  signes  contraires 
ont  pour  somme  : 

(OB-OA)P=--.PX  AB; 

on  voit  donc  que  le  moment  d'un  couple  (fig.  18) 


Fi?.  IS. 

est  représenté  par  l'aire  d'un  parallélogramme  ayant 
la  force  pour  base  et  le  bras  de  levier  pour  hauteur  ; 
ou  bien  encore  par  l'aire  du  parallélogramme  qui 
aurait  pour  bases  opposées  les  deux  forces. 

PnoDLi-ME.  —  C'iinposer  un  nondjre  qaelconqut 
de  forces  parallél-s  ii/ipliquées  à  un  corps  solide. 

Soient  (fig.  19)  les  forces  F, F', F",...  appliquées 


Fig.  10. 


MÉCANIQUE 


—  1276 


MÉCANIQUE 


aux  points  A,B.C,D  d'un  corps  solide.  Composons 
d'abord  les  deux  premières  F  et  F'  ;  leur  résul- 
tante Ri  appliquée  au  point  L,  devra  se  composer 
avec  F",  ce  qui  fournira  la  résultante  R,  appliquée 
en  Lj  ;  en  continuant  ainsi,  on  obtiendra  la  résul- 
tante définitive  R  appliquée  au  point  L. 

On  voit  donc  que  la  résullanle  d'un  nombre 
^juelconque  île  forces  pnrnllèles  et  de  même  sens 
<ippliquëes  à  ilifférents  points  d'un  corps  solide  est 
■égale  h  leur  somme,  parallèle  à  leur  direction,  et 
<igit  dans  le  même  sens  que  les  furces  proposées. 

Si  les  foi;ces  parallèles  n'étaient  pas  de  même 
sens,  on  composerait  en  une  seule  R,  les  forces 
F, F', F", F'"  qui  tirent  d'un  coté,  puis  en  une  seule 
Rjles  forces  F,,Fi',F,",F,  "  qui  tirent  en  sens  con- 
traire, et  l'on  aurait  ainsi  les  résultantes  partielles: 

R,  =  F  +  F'  -f-  F"  +  F'"  -I-... 
R,  =  F,  +  F,'-f  r,"-|-F,"'+... 

Alors  trois  cas  peuvent  se  présenter  :  1°  les  ré- 
sultantes partielles  Rj  et  R,  sont  inégales,  elles 
se  composeront  en  une  seule  et  l'intensité  de  la 
résultante  définitive  sera  : 

R=(F  +  F' +...)-  F,  +  F,'-f...); 

le  système  de  toutes  les  forces  se  réduira  donc  h 
une  force  unique. 

2"  Les  forces  Ri  etRj  sont  égales  et  directement 
opposées;  leur  résultante  est  nulle  et  toutes  les 
forces  appliquées  au  corps  se  font  équilibre. 

3°  Les  forces  Rj  et  Rj  sont  ésales,  mais  non  di- 
rectement opposées  ;  l'ensemble  des  forces  pro- 
posées se  réduit  à  un  couple. 

Centre  des  forces  p.\r.\li.èles.  —  Étant  donné 
un  système  de  forces  parallèles  appliquées  à  un 
corps  solide,  si  l'on  mcline  successivement  toutes 
les  forces  dans  différentes  directions,  de  telle  sorte 
qu'ellfs  restent  toujours  punillèles  entre  elles  et 
conservent  leurs  grandeurs  et  leurs  points  d'appli- 
cation, les  résultantes  dit  système  dans  ces  diffé- 
rentes positions  passeront  toujours  par  le  même 
point.  Ce  point  s'appelle  centre  des  forces  paral- 
lèles. 

Reprenons  en  effet  la  composition  des  forces 
parallèles  F,F',F". ..:  la  première  résultante  par- 
tielle R]  est  appliquée  au  point  L,  de  AB  dont 
la  position  ne  dépend  que  des  intensités  de  F  et 
de  F'  et  nullement  de  leur  direction  ;  il  en  sera 
de  même  de  la  position  du  point  L,  d'application 
de  la  seconde  résultante  partielle  Kj,  et  ainsi  de 
suite.  On  voit  donc  que  la  position  du  point  d'ap- 
plication L  de  la  résultante  définitive  R  restera 
la  même,  quelle  que  soit  la  direction  des  forces 
parallèles. 

Définition.  —  On  appelle  centre  de  granité  d'un 
«orps  le  centre  des  forces  parallèles,  qui  sont  les 
poids  de  toutes  les  particules  de  ce  corps. 

Moments  d'un  système  quelconque  de  forces 
parallèles  appliquées  en  divers  points  d'un  corps 
solide.  —  Projetons  le  système  de  forces  parallèles 
P,Q,S,T.  et  leur  résultante  R,  sur  un  plan  V  pa- 
rallèle à  leur  direction;  elles  se  projetteront  en 
vraie  grandeur.  Prenons  un  point  0  quelconque 
de  ce  plan  et  abaissons  de  ce  point  des  perpendi- 
culaires /),  q.  s,  (,. . .  sur  les  projections  de  P,  de  Q, 
de  S...;  les  produits  P/j,  Qq,....  Rc  représenteront 
les  moments  des  forces  P.  Q...  R  par  rapport  au 
point  0  ou  par  rapport  c\  l'axe  OX  perpendicul^iire 
au  plan  V,  et  l'on  aura,  en  considérant  les  forces 
parallèles  comme  un  cas  particulier  des  forces 
concourantes, 

Pp  +  Q-Z  +  Ss -(-...  =  Rr. 

Ainsi,  en  donnant  des  signes  convenables  au  mo- 
ment, on  peut  dire  encore  ici  que  le  moment  de  la 
résultante  iCun  système  de  forces  parallèles  par 


rapport  à  un  axe  est  égal  à  la  somme  algébrique 
des  moments  des  composnnles. 

On  donne  souvent  de  ce  théorème  un  autre 
énoncé,  qui  n'en  diffère  pas  au  fond,  en  introdui- 
sant une  définition  nouvi'Ue,  celle  du  momcril 
d'une  force  par  rapport  h  un  plan  parallèle  à  sa 
direction. 

On  appelle  moment  d'une  force  par  rapport 
à  un  plan  le  produit  de  cette  force  par  la  distance 
de  son  point  d'application  ii  ce  plan.  Ainsi  le  mo- 
ment de  la  force  P  ;fig.  20)  par  rapport  au  plan  V 


Fig.  20. 

qui  lui  est  parallèle  est  égal  ^  P  X  Aa  ;  ce  moment 
reste  le  même  quel  que  soit  le  point  du  corps  solide 
situé  sur  la  direction  de  P  auquel  on  suppose  ap- 
pliquée la  force  P. 

Admettant  cette  définition,  on  peut  dire  que  le 
momeyit  de  la  résultante  de  plusieurs  forces  par 
rapport  à  un  axe  est  égal  à  la  somme  des  mo- 
ments ile<  composantes. 

F.n  effet,  prenons  le  cas  de  deux  forces  parallè- 
les de  même  sens  P  et  Q  ;  soit  O  le  point  de  ren- 
contre du  plan  V  avec  la  ligne  AB  qui  joint  les 
points  d'application,  nous  aurons,  en  prenant  le 
moment  des  trois  forces  par  rapport  au  point  O  : 

RxCO  =  PXAO  +  QxBO; 

mais  les  triangles  semblables  OAc,  0B4,  OCc, 
fournissent  les  valeurs  : 


0B  =  0Cx5^ 
Ce 

et  en  substituant  ces  expressions  dans  la  première 
égalité,  on  trouve,  après  avoir  chassé  le  dénomi- 
nateur : 

RxCc  =  PXA«  +  QxBé. 

On  étendrait  facilement  cette  proposition  au  cas 
d'un  nombre  de  forces  parallèles. 

Il  faut  bien  remarquer  que  ces  moments  par 
rapport  au  plan  V  ne  sont  autre  chose  que  les  mo- 
ments des  forces  par  rapport  à  un  axe  situé  dans  le 
plan  V  et  perpendiculaire  à  la  direction  commune 
aux  forces  P.Q...En  eft'et,si  nous  menons  un  planU 
perpendiculaire  à  V  et  parallèle  aux  forces,  les 
distances  Aa,  Bé,  Ce,  se  trouvent  reportées  paral- 
lèlement à  elles-mêmes  sur  le  plan  U  aussi  bien 
que  les  forces  P  et  Q,  quand  on  projette  toute 
la  figure  sur  ce  nouveau  plan  U.  Les  distances  An, 
B6,  sont  donc  précisément  les  distances  d'un 
point  quelconque  de  l'intersection  des  plans  U 
et  V  aux  projections  des  forces  P,  Q...,  sur  le 
plan  U,  et  l'on  voit  que  les  moments  par  rapport 
k  un  plan  ne  sont  autre  chose  que  les  moments 
par  rapport  à  un  axe.  La  distinction  nous  parait 
donc  assez  inutile;  elle  nous  semble  même  fâ- 
cheuse parce  qu'elle  fait  perdre  de  vue  la  géné- 
ralité de  cette  proposition  de  géométrie  qui  s'ap- 
plique aussi  bien  aux  forces  parallèles  qu'aux 
I  forces  concourantes,  qu'aux  forces  dirigées  arbi- 


MECANIQUE 


1277  — 


MECANIQUE 


traii-oment  dans  l'espaco  :  si  l'on  projette  sur 
un  plan  un  système  qu<'lcoiK|UO  de  forces  et  sa 
résultante,  le  triangle  qui  a  pour  sommet  un  point 
quelconque  de  ce  plan  et  pour  base  la  projection 
de  la  résultante  est  équivalent  h  la  somme  des 
triangles  ayant  môme  sommet  et  pour  bases  les 
projections  dos  composantes. 

Applications.  —  1°  Déterminer  la  position  de  la 
résultante  d'un  système  de  forces  parallèles  à  l'aide 
du  tliénréme  des  moments. 

Si  l'on  mène  un  premier  plan  V  parallèle  à  la 
direction  de  ces  forces  P,  Q,  S,  et  si  l'on  mesure 
leurs  distances  ;y,  r/,  s,  au  plan  V,  on  aura  pour  le 
moment  de  la  résultante  : 

nr  =  Pi,  +  Q.j  +  Ss,.... 

et  l'on  en  tirera  : 

_  P;»  +  Q'?  +  S.^+.... 


Décomposition  d'une  force  en  d'autres  forces 
parallèles.  —  Soit  U  la   force   donnée  appliquée 
ig.  13),  il  s'agit  de  la  décomposer   en  deux 


eji  I 


autres  forces  parallèles  appliquées  aux  points  A 
et  B  situés  sur  la  droite  AIE  et  de  part  et  d'autre 
du  point  I.  Soient  P  et  Q  ces  composantes  incon- 
nues ;  nous  avons  déjà  trouvé  la  relation 

AB~m~AI' 

elle  fournit  pour  los  intensités  P  et  Q  des  com- 
posantes qui  sont  alors  de  môme  sens  que  R  : 


AU 


AB 


P  +  Q+S  +  .... 

La  résultante  sera  donc  située  dans  un  plan  pa- 
rallèle à  V  situé  à  la  distance  r.  Si  l'on  mène 
maintenant  un  second  plan  V  parallèle  aux  forces, 
on  aura  pour  la  distance  ;■'  de  la  résultante  ii  ce 
plan  V  : 

,_P;''  +  Q7'4-s>-'-f-...- 
P-i-Q  +  s  +  .- 

La  résultante  R  sera  donc  aussi  comprise  dans  un 
plan  parallèle  à  V  et  situé  i  la  distance  r';  R  se 
trouvera  doue  à  l'intersection  de  ces  deux  plans. 

2°  Déterminer  la  position  du  centre  des  forces 
parallèles  ou  du  centre  de  gravité  d'un  corps. 

Soient  A,  B,C,... les  points  d'application  des  forces 
parallèles  F, F',  F",...etL  le  centre  des  forces  pa- 
rallèles; rapportons  le  système  à  trois  plans  de 
coordonnées  rectangulaires  XOY,  XOZ,  YOZ,  et 
désignons  para,  A,  c  les  coordonnées  du  point  A, 
par  a',  b',  c'  celles  de  B par  x,  y,  z  les  coor- 
données inconnues  de  L;  nous  aurons,  en  prenant 
les  moments  de  F,  F',  F",...  et  de  leur  résultante  U 
par  rapport  aux  plans  'iOZ,  XOZ,  XOY  : 


Si  le  point  I  était  sur  le  prolongement  de  AB  (fig.  U), 
1  les  deux  composantes  seraient  de  sens  contraires  ; 
j  la  plus  grande  serait  appliquée  en  A,  qui  est  le  plus 
1  voisin  de  I,  et  l'on  aurait  pour  les  intensités  de 
i  ces  forces  les  mêmes  expressions  (|ue  plus  baut. 
On  peut  se  proposer  de  décomposer  une  force  V 
!  eu  trois  autres  parallèles  V",  F",  F'"  (fig.  21),  dont 


Fo  +  FV, 

+  F' 

a" 

-t-  .... 

F  -f.  F 
F*  +  F'tj 

+  F' 
+  F' 

+ 
h" 

-1-.... 

F  +  F 

Fc  +  FV 

+  F" 
'  +  F' 

+ 
c" 

+  .... 

F  +  F'  +  F"-h..., 

Si  nous  supposons  un  corps  pesant  de  poids  P 
formé  de  n  particules  de  poids  égaux  à  p,  nous 
aurons  pour  les  coordonnées.du  contre  de  gravité  : 

p  (a  +  «'  +  a")  _  "  +  <•'  +  a"  -)-  .... 


y  ■■ 


np 

■  h'  -t-  «"  - 


0"  +■ 


ses  coordonnées  sont  les  moyennes  arithmétiques 
entre  les  coordonnées  de  ses  différentes  particules. 

On  en  déduit  : 

1°  Que  le  centre  de  gravité  d'un  corps  qui  a  un 
centre  de  symétrie  est  précisément  ce  centre  de 
symétrie  ; 

2°  Que  le  centre  de  gravité  d'un  triangle  est  au 
point  de  rencontre  de  ses  trois  médianes  ; 

3°  Que  le  centre  de  gravité  d'une  pyramide  est 
sur  la  droite  qui  joint  le  sommet  au  centre  de  gra- 
vité de  la  base  et  au  quart  de  cette  ligne  à  partir 
de  la  base. 

Nous  ne  pouvons  indiquer  ici  tous  les  théorèmes 
remarquables  sur  les  centres  de  gravité  des  sur- 
faces et  des  volumes  définis  géométriquement: 
nous  renvoyons  pour  les  énoncés  et  les  démonstra- 
tions aux  traités  de  statique. 


les  points  d'ai)plication  sont  B,  Ll,  U.  Soit  A  le 
point  où  la  force  F  coupe  le  plan  BCD  ;  nous  sup- 
poserons d'abord  ce  point  dans  l'intérieur  du 
triangle  BCD.  Joignons  AB  et  décomposons  F  en 
deux  forces,  l'une  F' appliquée  en  B,  l'autre  R  au 
point  E  où  aB  rencontre  le  coté  DC.  Nous  décom- 
poserons ensuite  la  seconde  force  R  eji  deux  autres 
F"  el  F'"  appliquées  aux  points  C  et  D.  Comme 
toutes  ces  forces  sont  de  même  sens,  nous  devrons 
avoir  : 

F  =  F'-|-F"-f  F'". 

Lorsque  la  force  F  perce  le  plan  du  triangle  BCD 
en  un  point  A'  situé  en  dehors  du  triangle,  les 
trois  composantes  ne  sont  plus  dirigées  dans  le 
môme  sens. 

Coiuposition  d'un  nombre  quelconque  de  for- 
ces situées  dans  le  n.ême  plan.  —  PiiopOSITION.  — 
Un  .siiattiiw  de  forces  diri,/érs  iirhitrairement  dans 
un  iiii/iur  plan  se  réduit  l"U/ours  il  une  force  ré- 
svttiintt'  iinii^uc  nu  ii  un  seul  i  ouple. 

Soiuiit,  en  elVct  (lig.  Tlj,  les  forces  F,  F', F"...  ap- 


pliquées aux  points  M,  M',  M"....  d'un  plan  ,  choisis- 
sons arbitrairement  dans  ce  plan  deux  points  A  et  B, 
et  joignons-les  au  point  M;  nous  pouvons  décom- 
poser la  force  F  en  deux  autres /' et /'i ,  dirigées 


MECANIQUE 


—  1278  — 


MECANIQUE 


la  première  suivant  MA,  la  seconde  suivant  MB; 
<le  même,  joignant  M'A,  MB,  nous  décomposerons 
F'  en  deux  autres  /"  et  fi ,  et  ainsi  de  suite  jusqu'à 
ce  que  cliacune  des  forces  proposées  ait  été  ainsi 
décomposée  en  deux  autres  passant  l'une  par  le 
point  A,  l'autre  par  le  point  B.  Le  système  pro- 
posé sera  alors  remplacé  par  deux  groupes  de  for- 
ces ;  le  premier  composé  des  forces 

f,  /"i  r  ••••  appliquées  au  point  A, 

le  second  des  forces 

Ai  A'i  A"  — ■  appliquées  au  point  B. 

Le  premier  groupe  donnera  une  résultante  uni- 
que Rj,  le  second  la  résultante  Rj,  et  il  ne  res- 
tera plus  qu'à  composer  ces  deux  résultantes 
partielles  R,  et  Rj  :  si  elles  ne  sont  pas  parallèles 
et  de  sens  contraire,  elles  se  composeront  en  une 
seule  R  qui  sera  la  résultante  unique  du  sj'stème 
proposé  ;  si  elles  sont  parallèles  et  de  sens  con- 
traire, elles  donneront  un  couple;  enfin,  si  les 
•deux  forces  Rj  et  Rj  sont  égales  et  directement 
■opposées,  les  forces  proposées  se  feront  équilibre. 

Retnurque.  —  La  décomposition  précédente  de 
chacune  des  forces  proposées  en  deux  autres 
/  et  /i  n'altère  ni  la  somme  des  projections  de 
ces  forces  sur  un  axe  quelconque,  ni  la  somme 
de  leurs  moments  par  rapport  à  un  point  quel- 
conque du  plan.  —  De  même,  lorsque  l'on  com- 
pose en  une  seule  toutes  les  forces  appliquées 
aux  points  A  et  B,  la  somme  des  projections  et  la 
somme  des  moments  est  conservée  ;  on  conclut 
de  là  les  deux  propositions  suivantes  ; 

1»  Lorsque  l'on  a  réduit  à  une  seule  force  ou  à 
un  couple  l'ensemble  de  plusieuis  forces  situées 
dans  un  même  plan,  la  projection  de  la  résultante 
ou  du  couple  résultant  sur  un  axe  quelconque  est 
égale  à  la  somme  algébriqne  des  projections  des 
forces  proposées  sur  ce  même  axe  ; 

2"  Le  moment  de  la  résultante  ou  du  couple 
résultant  par  rapport  à  un  point  quelconque  du 
plan  des  forces  est  égal  à  la  somme  algébriqne 
des  moments  des  forces  proposées. 

Problème  I.  —  Déterminer  la  résultante  unique 
d'un  système  de  forces  dirigées  dnns  le  même  /da/i. 

On  tracera  dans  leur  plan  deux  axes  rectangu- 
laires OX,  OY,  et  l'on  déromposera  chacune  des 
forces  en  deux  autres  dirigées  p.irallèlement  à  ces 
^xes;  la  somme  algébrique  de  ces  projections 
suivant  OX,  sera  : 

X]  =  F  cos  ot  +  F'  cos  a'  +  ... 
/;elle  dos  projections  suivant  OV  sera 

Y)  =  F  sin  a  -|-  F'  siii  a'  +  ... 
et  la  grandeur  de  la  résultante  U  sera 


en  équilibre,  il  faut  et  il  suffit  que  les  deux  con- 
ditions suivantes  soient  à  la  fois  remplies  : 

i"  Que  la  somme  alyéhrique  des  projections  de 
toutes  les  foi-ces  sur  deux  axes  quelconques  tracés 
dans  ce  plan  soit  nulle  pour  chacun  de  ces  axes; 

2"  Que  la  somme  des  moments  de  ces  forces  par 
rapport  au  point  de  rencontre  de  ces  axes  soit  égale 
à  zéro. 

En  effet,  pour  que  le  corps  soit  en  équilibre,  il 
faut  et  il  suffit  que  les  forces  appliquées  se  rédui- 
sent à  deux  forces  égales  et  directement  opposées; 
et  lorsque  ceci  a  lieu,  la  somme  des  projections 
et  la  somme  des  moments  est  nulle.  Ces  condi- 
tions sont  de  plus  suffisantes,  car  si  la  première 
est  remplie,  les  forces  ont  une  résultante  nulle 
ou  se  réduisent  à  un  couple  ;  mais  si  la  seconde 
condition  est  aussi  remplie,  les  forces  ne  peuvent 
se  réduire  à  un  couple;  par  conséquent,  si  les 
deux  conditions  précédentes  ont  lieu  à  la  fois,  la 
corps  est  en  équilibre. 

Composition  d'un  nomJsre  quelconque  de  for- 
ces dirigées  arbitrairement  dans  l'espace.  — 
Proposition  1.  —  U?i  nombre  quelconque  de  forces 
peut  toujours  se  réduire  à  trois  forces  appliquées 
en  trois  points  donnés  à  volonté  dans  le  corps. 

En  effet  (fig.  23)  soit  F  l'une  des  forces  données 


R  =  VX,^-)-Y,2. 

Sa  direction  sera  donnée  par  les  deux  égalités  : 

Xi  Yj 

cos  a  ^  "îT^  1     sui  a  ^  .== 
i\  n 

«  étant  l'angle  que  fait  R  avec  l'axe  OX. 

Quant  à  sa  position  dans  le  plan,  elle  sera  don- 
née par  le  théorème  des  moments.  On  calculoia 
la  somme  des  triangles  ayant  pour  sommet  com- 
mun le  point  0  et  pour  base  les  forces;  ce  sera 
la  surface  du  triangle  ayant  pour  base  la  résul- 
tante, et  l'on  en  déduira  facilement  la  hauteur. 
Alors  du  point  O  comme  centre  avec  cette  hau- 
teur pour  rayon  on  décrira  un  cercle,  et  la  résul- 
tant'; sera  la  tangenie  à  ce  cercle  parallèle  à  la 
-direction  trouvée  plus  haut  et  dont  le  moment  a 
le  signe  convoiiabl 


appliquée  au  point  M  ;  joignons  ce  point  à  trois 
points  arbitraires  A,  B,  C,  et  décomposons  la  force 
F  en  trois  autres  dirigées  suivant  MA,  MB,  MC; 
faisonsde  même  pour  les  autres  forces  F',  F", F'".... 
Nous  aurons  en  définitive  un  premier  groupe  de 
forces  appliquées  en  A,  un  second  en  B,  un  troi- 
sième en  C...  Chacun  de  tes  groupes  donnera  une 
résultante  unique,  et  nous  obtiendrons  ainsi  une 
force  R  appliquée  en  A,  une  force  R'  appliquée  en 
B,  et  une  force  R'  passant  par  le  point  C.  La  ré- 
duction d'un  systtane  quelconque  de  forces  à  trois 
sera  donc  effectuée. 

Proposuiok  II.  —  Un  nombre  quelconque  de 
forces  peut  toujours  se  réduire  à  deux  dont  l'une 
passe  par  un  point  dunué.  —  Réduisons  d'abord 
le  système  proposj  à  trois  forces  R,  R',  R"  appli- 
quées aux  poiiits  A,  B,  C  choisis  arbitrairement. 

Menons  un  plan  par  la  force  R' et  le  point  A  (fig.  24), 


Propositio.v.  —  Pour  qu'un  corps  sollicité  pa. 
rs  forces  situées  dans  un  mène  plan  soi 


plitsieu. 


un  second  plan  par  la  force  R'  et  le  point  A  ;  ces 
deux  plans  se  couperont  suivant  la  droite  AD  ; 
choisissons  sur  AD  un  point  A'  quelconque  et 
traçons  les  lignes  AC,  AB,  puis  A'C  et  A'ii.  La  force 
plan  soit  ,  R'  pourra  se  décomposer  en  deux  autres  que  l'on 


MECANIQUE 


—  1279  — 


MECANIQUE 


iransportora  l'une  en  A,  l'autre  en  A'.  On  peut  do 
nièiMC!  décomposer  la  force  U"  en  deux  autres  di- 
rigées suivant  les  prolongements  de  AC.  et  A'C  et 
transporter  ces  composajite.s  aux  points  A  et  A'. 
On  n'auradoiic  plus  en  définitive  que  deux  groupes 
<[r,  forces  appliquées  aux  points  A  et  A';  le  premier 
groupe  se  réduira  à  une  seule  force  Bj  et  le  se- 
cond groupe  h  une  seconde  force  R,  ;  nous  aurons 
donc  achevé  la  réduction  à  deux  forces  R,  et  Rj  du 
système  de  forces  appliquées  au  corps  solide  II 
est  important  de  bien  se  rappeler  que  l'une  dos 
résultantes  partielles  Rj  passe  par  le  point  A 
choisi  arbitrairement. 

Heinayqiie  —  Lorsqu'on  réduit  un  système  de 
forces  d  abord  h  trois,  puis  à  deux  résultantes 
partielles  comme  nous  venons  de  le  faire,  on  n'al- 
tère ni  la  somme  des  projections  des  forces  sur 
un  axe,  ni  la  somme  des  mouients.  On  peut  donc 
dire  : 

1°  Que  la  somme  dos  projections  sur  un  axe 
quelconque  des  résultantes  R,  et  Rj  est  égale  h 
la  somme  des  projections  des  forces  primitives  ; 

2°  Que  la  somme  des  moments  de  ces  deux  ré- 
sultantes Rj  et  Rj  par  rapport  i  un  axe  quelcon- 
que est  égale  à  la  somme  dos  moments  de  forces 
proposées. 

Phopositiois  III.  —  Ptnii-  que  des  forces  quelcon- 
ques appliquées  ii  un  covfts  solide  se  fussent  équi- 
libre, il  faut  et  il  suffit  : 

1°  Que  la  somme  des  projections  des  forces 
proposées  sur  un  axe  quelconque  soit  éyale  à  zéro; 

2"  Que  la  somme  de<  moments  île  ces  forces  par 
rapport  à  Uiiaxe  quelconque  soit  également  nulle. 

D'abord  ces  deux  conditions  sont  nécessaires, 
car  si  les  forces  F,  F',  F'  se  font  équilibre,  les  ré- 
sultantes R,  et  Rj  doivent  être  égales  et  directe- 
ment opposées  ;  la  somme  de  leurs  projections  et 
colle  de  leurs  moments  sont  donc  séparément 
égales  à  zéro. 

En  second  lieu  ces  conditions  sont  suffisantes  : 
en  effet,  lorsque  la  première  condition  est  satis- 
faite, les  deux  résultantes  partielles  R,  et  R,  sont 
égales,  parallèles  et  dirigées  en  sens  contraires  ; 
elles  se  détruisent  donc  ou  bien  forment  un  cou- 
ple; mais  si  la  seconde  condition  est  aussi  remplie, 
R,  et  Rj  ne  peuvent  former  i>n  couple.  Donc  lors- 
que les  deux  conditions  précédentes  ont  lieu  h  la 
fois.  Ri  et  Rj  tiennent  le  corps  en  équilibre,  et  il 
en  est  de  même  des  forces  proposées  qui  forment 
un  système  équivalent. 

Des  six  équations  d'équilibre.  —  On  rapporte 
le  corps  et  les  forces  qui  le  sollicitent  à  trois 
axes  de  coordonnées  rectangulaires  ox,oy,oz; 
il  est  facile  do  voir  que  si  la  somme  des  projec- 
tions des  forces  sur  ces  trois  axes  est  séparément 
nulle  pour  chacun  d'eux,  la 'somme  des  projec- 
tions sur  un  axe  quelconque  sera  certainement 
nulle;  de  même  si  la  somme  des  moments  des 
forces  appliquées  est  nulle  pour  chacun  de  ces 
axes,  la  somme  des  moments  de  ces  forces  pour 
un  axe  quelconque  sera  nulle  également. 

Les  conditions  que  doivent  remplir  les  forces 
appliquées  à  un  corps  pour  tenir  ce  corps  en 
équilibre  ne  sont  donc  pas  en  nombre  infini; 
elles  sont  au  nombre  de  six,  savoir  : 

La  somme  des  projections  des  forces  sur  ox  =  0 
—  —  —  0,'/  =  0 

~  —  —  oz  =  0. 

. .  oa;  =  0 
..  oij  =  a 
..    oz  =  0. 

:  suivante  : 
=  0 


La  somme  des  moments  par  rapport  ; 


On  les  écrit  en  abrégé  do  la  mani 
-r„_^=0,  IF     =0,  IF 


2M   F  =  0,  2M    F: 


;  M  _F  =  0  ; 


le  signe  2  indique  la  somme  de  quantités  analo- 
gues à  celles  qui  suivent  ;  F  veut  dire  projection 
de  F  sur  ox  ;  M  F  veut  dire  moment  de  F  par  rap- 
port à  ox. 

Cas  où  le  corps  est  mobile  autour  d'un  point 
fixe.  —  S'il  y  a  dans  le  corps  un  point  fixe  autour 
duquel  il  puisse  tourner  librement,  on  peut  choisir 
ce  point  fixe  pour  le  point  d'application  de  la  ré- 
sultante partielle  R,;  cette  force  est  alors  dé- 
truite par  la  résistance  du  point  fixe  supposée 
indéfinie.  Pour  l'équilibre  il  faudra  que  la  se- 
conde résultante  partielle  Rj  passe  égalementpar  le 
point  .\  ;  en  d'autres  termes,  les  forces  doivent  se 
réduire  k  une   seule  passant  par   le  point  fixe  A. 

L'intensité  de  cette  résultante  totale  est  indiffé- 
rente pour  l'équilibre  à  cause  de  la  résistance  du 
point  fixe;  la  seule  chose  importante,  c'est  que  cette 
force  passe  par  le  point  fixe.  On  voit  donc  que  les 
trois  premières  équations  d'équilibre,  qui  fournis- 
sent simplement  l'intensitc  de  la'  résultante,  ne 
fournissent  pas  de  conditions  auxquelles  les  for- 
ces doivent  satisfaire  pour  qu'il  y  ait  équilibre;  il 
ne  reste  plus  que  les  trois  éqii.itii)iis  (].■-.  niuments 
qui  fournissent  l'aire  et  la  iinbiiidu  ilu  iri,iiit;lr  ayant 
le  point  A  pour  sommet  et  la  rcMiliiuir  |m;ir  base. 
Ce  triangle  doit  avoir  une  aire  ég.ili-  à  zei-o  puisque 
la  résultante  passe  par  le  point  A  ;  sus  trois  pro- 
jections sur  les  trois  plans  de  coord(]nnoes  doivent 
être  également  nulles,  les  seules  conditions  que 
doivent  remplir  les  forces  se  réduisent  donc  à 

IM    F  =  0,  IM    F  =  (l,  IM    F  =  0. 

ox  oy  u; 

Ainsi,  quand  un  corps  est  mobile  autour  d'un 
point  fixe,  il  faut  et  il  suffit  pour  l'cquitibre  que 
la  somme  algébrique  d'S  mnmcnls  tics  forces  fiiir 
rapport  à  trois  axes  rectnnrjulaires  passan!  par  le 
point  soit  nulle  pour  chacun  d'eux. 

Cas  où  le  corps  est  mobile  autour  d'un  axe 
fixe.  —  Supposons  le  corps  mobile  aut  lur  d'un 
axe  fixe  le  long  du(|uel  il  ne  peut  glisser,  et  en 
équilibre  sous  l'action  de  forces  (inrlcoiiquos  ; 
nous  choisirons  pour  le  point  d'application  A  do  la 
résultante  partielle  Rj,  lequel  est  arbitraire,  un 
point  situé  sur  l'axe  fixe  ;  cette  fijrce  se  trouvera 
détruite,  et  il  est  clair  que  la  seconde  résultante 
partielle  I!2  doit  rencontrer  aussi  cet  axe,  sans  quoi 
le  corps  ne  serait  pas  en  équilibre  Ainsi  dans  le 
cas  actuel  les  deux  résultantes  partiidles  Rj  et  Rj 
doivent  rencontrer  l'axe  de  rotation  ;  peu  importent 
leurs  intensités,  l'axe  se  chargin-a  de  détruire  ces 
forces  en  leur  opposant  une  résislanC'.'  indéfinie  ; 
donc  les  trois  sommes  de  proj^'ctions  peuvent  être 
quelconques  et  les  trois  premières  équations  d'é- 
quilibre peuvent  être  laissées  de  cùté,  elles  ne 
fourniront  aucune  condition.  11  n'en  est  pas  de 
même  des  équations  des  moments.  Si  l'axe  fixe  a 
été  choisi  pour  l'axe  ox,  les  moments  des  for- 
ces R]  et  Rj  par  rapport  à  ox  doivent  être  nuls, 
puisqu'elles  rencontrent  toutes  les  deux  l'axe,  et 
c'est  la  seule  condition  qu'elles  doivent  remplir, 
car  peu  importe  leur  disposition  par  rappurt  aux 
deux  autres  axes. 

La  seule  condition  d'équilibre  est  donc  ; 

2  \,\^J  =  0. 

Ai?isiquaiid  un  corps  ne  peut  que  tourner  autour 
d'un  nxe  fixe,  il  fiul  et  il  suffit  piuir  l'équilibre 
que  la  somme  al(pb'  iqw  des  mouu.'nls  des  forces 
données  par  rapiiurt  à  cette  droile  suit  éi/ali:n  zéro. 

Si  le  corps  pouvait  glisser  le  long  de  l'axe  ox, 
les  résultantes  Rj  et  Rj  ne  tiendraient  le  corps 
en  équilibre  que  si  chacune  était  perpendiculaire 
."i  cet  axe  ;  il  faudrait  pour  l'équilibre  que  l'on  eût 
une  seconde  condition  : 


£F 


=  0, 


MECANIQUE 


—  1280 


MECANIQUE 


c'est-à-dire  que  la  somme  algébrique  des  pro- 
jections des  forces  données  sur  la  droite  le  long 
de  laquelle  le  cor/js  peut  glisser  fut  égale  à  zéro. 
Cas  où  le  coips  est  assujetti  à  s'appuyer  sur 
un  plan  fixe.  —  Si  nous  supposons  qu'aucun 
l'rottemeiit  ne  s'exerce  entre  le  corps  et  le  plan,  il 
faudra  que  toutes  les  forces  se  réduisent  ù  une 
seule,  perpendiculaire  au  plan  d'appui  ;  son  inten- 
sité du  reste  peut  être  quelconque,  car  le  plan 
étant  inébranlable  détruira  toujours  cette  force. 
Ainsi  la  somme  algébrique  des  composantes  per- 
pendiculaires au  plan  peut  avoir  une  valeur  arbi- 
traire, mais  la  somme  des  composantes  parallèles 
au  plan  doit  être  nulle,  sans  quoi  le  co)-ps  glisserait 
sur  le  plan.  Cette  idée  fournit  les  conditions  d'é- 
quilibre qui  en  sont  la  traduction  algébrique. 
Prenons  pour  plan  des  axes  ox  et  oy  le  plan  fixe, 
et  pour  troisième  axe  la  perpendiculaire  <iz  à  ce 
plan  ;  si  nous  projetons  toutes  les  forces  sur  ox  et 
sur  oy,  la  somme  des  composantes  de  chacun  de  ces 
groupes  doit  être  séparément  nulle,  ce  qui  s'écrit 
en  abrégé  : 

SF     =0,     SF      =0; 

ox  oy 

d'autre  part,  la  résultante  étant  perpendiculaire 
au  plau  xoij  donnera  sur  ce  plan  une  projection 
égale  à  zéro,  et  son  moment  par  rapport  à  l'axe  oz 
sera  nul;  il  doit  donc  en  être  de  même  de  la 
somme  des  moments  des  forces  primitives,  et  la 
troisième  condition  que  doivent  remplir  ces  forces 
pour  qu'il  y  ait  équilibre  doit  être  : 

i:  M^.F  =  0 

Ai7isi  pour  qu'un  corps  qui  repose  sur  un  plan 
fixe  suit  en  équilibre  sous  l'action  de  plusieurs 
forces,  il  faut  :  1°  que  la  somme  des  projections 
des  forces  données  sur  deux  ox'js  rectangulaires 
tracés  dans  le  plan  fixe  soit  nulle  séparément 
pour  chacun  de  ces  axes  ;  2°  que  ta  somme  de  leurs 
moments  pa'-  rapport  à  u?l  aie  perpendiculaire 
au  plan  soit  égale  à  zéro. 

Machines   simples. 

On  appelle  machine  un  corps  ou  un  ensemble 
de  corps  gênés  dans  leurs  mouvements  par  des 
obstacles  fi.xes  et  au  moyen  desquels  on  peut 
mettre  en  équilibre  des  forces  de  grandeur  et  de 
direction  quelconques. 

Pour  que  les  forces  appliquées  aune  machine  se 
fassent  équilibre,  il  n'est  pas  nécessaire  que  leurs 
résultantes  soient  nulles,  il  suffit  que  ces  résultantes 
soient  dirigées  vers  les  obstacles  qui  les  détrui- 
sent par  leur  résistance  supposée  indéfinie. 

Une  machine  est  simple  lorsqu'elle  est  formée 
d'un  seul  corps  solide.  On  distingue  ordinairement 
trois  machines  simples^  d'après  la  nature  de  l'ob- 
stacle qui  gène  le  mouvement  du  corps.  Ce  sont  : 
1°  le  levier,  2"  le  tour,  3"  le  plan  incliné.  Dans 
le  levier  l'obstacle  est  un  point  fixe  ;  dans  le  tour 
c'est  un  axe  fixe  ;  dans  le  plan  incliné  l'obstacle  est 
un  plan  inébranlable  contre  lequel  le  corps  s'ap- 
puie et  sur  lequel  il  peut  seulement  glisser. 

Une  machine  composée  est  un  ensemble  de  ma- 
chines simples  liées  entre  elles  ;  elles  sont  très  nom- 
breuses et  leur  disposition  varie  à  l'infini  suivant  le 
genre  de  travail  auquel  on  les  destine.  Nous  n'é- 
tudierons ici  que  les  machines  simples,  et  au  lieu 
de  les  considérer  en  mouvement,  nous  nous  borne- 
rons pour  l'instant  au  cas  où  elles  restent  en  repos 
sous  l'action  des  forces  appliquées. 

1°  Levier.  —  Un  levier  est  une  barre  AB  (fig.  2.^) 
dont  les  extrémités  sont  sollicitées  par  deux  forces 
et  qui  est  mobile  autour  d'un  point  fixe  O  appelé 
point  d'appui  du  levier.  —  L'une  de  ces  forces  P 
s'appelle  puissance,  l'autre  Q  est  la  résistance  ;  le 
point  d'appui  O  peut  se  trouver  entre  les  deux 
points  \  cflj  d'application  des  deux  forces  P  et  Q, 


comme  dans  les  figures  ':ô  et  20,  ou  bien  sur  le 
prolongement  de  cette  ligne  (fig.  27)  ;  les  deux  dis- 


positions ci-contre  portent  le  nom  de  levier  du  pre- 
mier genre  (fig.  2jj,  levier  du  second  geni-e  (fig.  27). 


Condition  u'éuiilibue.  —  Lorsqu'un  levier  est 
sollicité  par  lieux  forces,  il  faut  et  il  suffit  pour 
qu'il  g  ait  équilibre  :  1°  que  tes  deux  forces  et  le 
pouit  d'appui  soient  dans  un  même  plau;  2°  que 
leurs  intensités  soient  en  raison  inverse  de  leurs 
iiistujices  uu  point  fixe  ;  3°  que  ces  forces  tendent  à 
faire  tourner  le  levier  en  sens  contraire  autour  de 
ce  point  fixe. 

En  etîet  la  résistance  opposée  par  le  point  fixe 
tient  lieu  d'une  force  R'  appliquée  au  corps  en  ce 
jioint,  et  cette  force  R'  jointe  aux  forces  P  et  Q 
doit  tenir  en  équilibre  le  corps  supposé  entière- 
ment libre.  On  voit  donc  que  les  forces  P  et  Q 
doivent  avoir  une  résultante  unique  R  égale  et  di- 
rectement opposée  à  la  réaction  R'  du  poicit  fixe  : 
cette  résultante  R  doit  donc  passer  par  le  point 
fixe  O  et  son  moment  par  rapport  à  ce  point  étant 
nul,  la  somme  algébrique  des  moments  des  forces 
P  et  Q  l'est  aussi.  On  doit  donc  avoir  : 

PxOC  — QxOD  =  0, 

ce  que  l'on  écrit  : 

P  X  ;)  =  Qî  ; 
les  perpendiculaires  OC  =  p,  00  =  q  abaissées 
du  point  fixe  sur  les  directions  des  forces  P  et  Q 
s'appellent  bras  de  levier  de  la  puissance  et  de  la 
résistance.  11  est  clair  que  si  p  =  q,  on  doit 
avoir  P  =  Q.  C'est  le  principe  sur  lequel  on  s'ap- 
puie pour  peser  un  corps  à  l'aide  de  la  balance  or- 
dinaire. 

CiiAiiGE  DU  POINT  d'appui.  —  Elle  n'est  autre 
chose  que  la  résultante  R  des  forces  P  et  Q  trans- 
portées parallèlement  à  elles-mêmes  au  point  0. 


MECANIQUE 


1281  — 


MÉGANIQUE 


•  Balance.  —  La  balance  estun  levier  du  premier 
Ronre  (nii  sert,  à  comparer  le  poids  d'un  corps  h 
l'uniKi  do  poids  c'est-à-dire  au  gramme. 
Elle  se  compose  (fig.  28)  d'une  barre  rigide  appe- 


lée ftéau,  traversée  en  son  milieu  0  par  un  couteau 
d'acior  qui  fait  saillie  des  deux  cotés  et  qui  repose 
par  ces  extrémités  sur  un  obstacle  ;  le  fléau  peut 
tourner  librement  autour  de  1  arête  mousse  du  cou- 
teau. Ce  fléau  porte  à  ses  deux  extrémités  A  et  B,  à 
l'aide  de  cordons  et  de  crocbets,  deux  plateaux 
destinés  à  recevoir  les  poids  marqués  et  le  corps 
qu'il  faut  poser  ;  les  distances  AO,  BO  sont  les  deux 
bras  de  levier  du  fléau.  Perpendiculairement  à  sa 
■longueur  le  fléau  porte  une  aiguille  qui  oscille  en 
même  temps  que  lui;  l'extrémité  de  cette  aiguille 
parcourt  un  petit  arc  de  cercle  gradué,  et  le  zéro 
■de  la  graduation  correspond  k  la  position  verticale 
-de  l'aiguille  et  par  suite  k  la  position  horizontale 
du  fléau. 

Pour  faire  une  pesée,  on  place  le  corps  dans 
■un  des  plateaux,  et  des  poids  marqués  dans  l'autre 
jusqu'à  ce  que  l'aiguille  revienne  librement  au 
.zéro.  Quand  ou  a  par  tâtonnements  obtenu  cet 
■état  d'équilibre,  la  somme  des  poids  marqués 
•donne  le  poids  du  corps. 

CONDITION.S  DE  JUSTESSE  o'UNE  BALANCE.  —  Il  faUt  : 

1°  que  le  centre  de  gravité  de  la  partie  niuhil-', 
c'est-à-dire  du  fléau  et  des  bassint,  soU  situé  stir 
iaperpendici'laie  n  la  liine  droite  AOli  qui  joint 
les  trois  points  de. 'uspension;  2°  qm-  les  de"  x  liras 
■de  lever  du  fliau  soient  rigoureusement  éiaur. 

VÉRiFicvTioN  d'une  BALANCE.  —  On  l'abaudonne 
à  elle-même,  les  plate.iux  étant  vides;  si,  après 
quelques  oscillai  ions,  l'aiguille  vient  se  placer  au 
zéro,  la  première  condition  de  justesse  est  rem- 
plie et  le  centre  de  gravité  du  iléau  est  convena- 
blement placé.  S'il  n'en  est  pas  ain,si,  on  corrige  ce 
défaut  en  roulant  une  petite  feuille  do  plomb  ou 
d'étain  amour  du  bras  de  levier  .-jui  est  trop  léger. 

On  place  ensuite  dans  les  plateaux  doux  poids 
que  l'on  règle  de  telle  sorte  que  l'aiguille  s'arrête 
au  zéro.  L'équilibre  étant  établi,  on  transporte 
dans  le  plate^ju  de  droite  le  poiils  qui  éiaità  gau- 
che et  vice  vrsn;  si  l'aiguille  est  encore  au  zéro, 
on  peut  affirmer  que  les  bras  de  levier  sont  égaux 

MÉTHODE  DES  DOUBLES  PESÉES.  —  On  peut  avec 
une  balance  qui  n'est  pas  juste  faire  une  pesée 
■exacte,  en  procédant  comme  il  suit  : 

On  place  le  corps  à  peser  dans  l'un  dos  plateaux 
et  on  lui  fait  équilibre  avec  de  la  grenaille  de 
plomb  placée  dans  l'autre  ;  on  enlève  le  corps  et 
on  le  remplace  par  des  poids  marqués  jusqu'à  ce 
que  1  aiguille  revienne  au  zéro.  Alors  la  somme  de 
1'  Partie. 


ces  poids  marqués  représente  exactement  le  poids 
du  corps. 

2»  Tour  ou  Treuil-  —  Le  tour  est  un  cylindre 
horizontal  (lig.  '."J)  mobile  autour  do  deux  tourillons 


qui  reposent  sur  des  coussinets.  Une  corde  enroulée 
sur  le  cylindre  porte  à  l'une  de  ses  extrémités  un 
poids,  et,  pour  faire  monter  le  poids,  il  suffit  de  faire 
tourner  le  cylindre  de  manière  à  enrouler  la  corde 
qui  le  soutient.  A  cet  effet  le  cylindre  porte  une 
roue  de  rayon  beaucoup  plus  grand,  et  l'on  tire  sur 
une  corde  qui  passe  dans  la  gorge  de  cette  roue. 
Dans  le  treuil  des  puits  {fig.  aO),  l'axe  de  l'un  des 


Fig.  30. 

tourillons  se  prolonge,  se  coude  deux  fois  à  angle 
droit  et  forme  la  manivelle  à  laquelle  est  appliquée 
la  force  de  traction  des  mains  de  l'homme.  Dans  le 
treuil  des  carriers  (fig.  31  et  »2),  la  grande  roue  est 


MECANIQUE 


1282  — 


MEDICAMENTS 


munie  de  chevilles  sur  laquelle  montent  les 
hommes  de  la  manœuvre  ;  la  force  motrice  est  le 
poids  de  leur  corps. 

Condition  D'ÉQUiLisnE.  —  Pour  qu'une  force  mo- 
trice F  appliquée  à  un  treuil  tienne  en  équilibre 
un  poids  P,  il  iaut  qu'en  muliipliant  F  par  le  rayon 
de  la  roue  et  P  par  le  riiyon  du  cylindre,  on  ob- 
tienne d(U\  produits  égaux.  En  d'aulrns  termes  : 
la  force  motrice  doit  être  au  poids  soulevé  comme 
le  rai/O'i  iln  c/lindre  Càt  au  rayon  de  la  roue  ou 
de  lu  tuanivelle. 

En  effet,  un  treuil  est  un  corps  solide  assujetti 
à  tourner  autour  d'un  axe  fixe,-  il  faut  donc  pour 
l'équilibre  que  la  somme  des  moments  des  forci  s 
appliquées,  par  rapport  à  cet  axe.  soit  égale  à  zéro. 
Soit  li  le  rayon  de  la  roue,  )•  celui  du  cylindre,  on 
doit  avoir: 

P/  =FxR, 

et  l'on  voit  que  dans  les  roues  de  carriers  le  poids 
de  deux  ou  trois  hommes  peut  suffire  pour  faire 
équilibre  à  celui  de  pierres  énormes. 

La  résultante  des  forces  P  et  F  rencontre  l'axe 
et  est  détruite  par  cet  axe.  Si  on  la  décompose  en 
deux  autres  appliquées  aux  points  m'  et  m",  rai- 
lieux  des  tourillons  (fig.  2!)),  on  a  la  charge  qu'ils 
supportent,  et  les  forces  R'  et  R"  éga'es  et  oppo- 
se es  sont  les  réactions  do  ces  tourillons;  ces  forces 
■  !•  tiennent  lieu  et  le  treuil  supposé  libre  est  en 
équilibre  sous  l'action  des  forces  P,  F,  R'  et  R" 
auxquelles  il  convient  d'ajouter  le  poids  H  de  l'ap- 
pareil appliqué  en  son  centre  de  gravité  G  et  qui 
n'est  pas  du  tout  négligeable. 

3°  Plan  incliné  —  Cette  machine  simple  est 
formée  d  utie  surface  plane  résistante  inclinée  à 
l'Iiorizon  et  sur  laquelle  un  corps  est  assujetti  Ji  se 
mouvoir. 

Soit  AB  (fig.  .3.3)  la  ligne  de  plus  grande  pente  du 
plan  incliiié,  c'est-à-dire  la  perpendiculaire  aux  ho- 
rizontales de  ce  plan,  AH  la  projection  horizontale 
de  cette  ligne,  BH  le  fil  à  plomb  mené  par  l'extré- 
mité la  plus  élevée  ;  on  dit  que  : 

AB  est  la  longueur  du  plan 
AH  est  la  base  — 

BH  est  la  hauteur        — 

et   l'on  appelle   inclinaison  du  plan  l'angle  BAH 
que  fait  avec  l'horizontale  la  ligne  de  plus  grande 
pente. 
Considérona  seulement  le  cas  le  plus  simple, 


celui  d'un  corps  MiV  de  poids  Q  tenu  en  équilibre 
par  une  force  P  parallèle  au  plan  incliné  :  nous 
pouvons  décomposer  le  poids  Q  en  deux  autres  for- 
ces, l'une  normale  au  |i|an  incliné,  l'autre  parallèle 
à  sa  longueur;  QQ",  qui  est  la  composante  normale. 


Fig.  33. 

sera  détruite  par  la  résistance  du  plan,  et  la  force 
de  traction  P  devra  seulement  faire.  é(|nilibre  à  la 
normale  composante  IQ"  parallèle  au  plan.  —  Cal- 
culons donc  IQ"  :  Les  triangles  semblables  IQQ"  et 
ABH  fournissent  la  proportion 


qui  donne 


1_Q^' 
IQ 


BH 
'ÂÏÏ 


IQ"=Qx 


AB 


On  doit  donc  avoir  pour  l'équilibre 
BH. 
AB' 


:Qx: 


de  là  résulte  l'énoncé  suivant  : 

Condition  d'équilibbiî.  —  Lorsque  la  direction 
de  la  puiss  nce  eU  parallèle  nu  plan  inclue,  l'i/i- 
tensité  de  cette  puissance  est  au  poids  du  corps 
quelle  tient  en  éifuiliàre  sur  le  plan  comme  la 
hauteur  du  plan  est  à  sa  Injujnenr. 

Nous  venons  d'exposer  dans  cet  article  les  prin- 
cipes généraux  de  la  compo-'siiion  des  forces;  nous 
en  avons  déduit  les  conditions  que  doivent  remplir 
les  forces  appliquées  à  un  corps  solide  pour  qu'il 
y  ait  équilibre;  enfin  nous  avons  appliqué  ces 
principes  généraux  au  cas  des  machines  les  plus 
simples.  C'est  le  résumé  rapide  de  la  première 
partie  de  la  mécanique.  —  11  nous  reste  à  exposer 
les  principes  généraux  de  la  dynamique  et  à  étu- 
dier, comme  application  de  ces  principes,  les  ma- 
chines h  l'état  de  mouvement  c'est-à-dire  les  ma- 
chines produisant  un  travail  industriel.  C'est  ce 
que  nous  ferons  dans  un  second  article  au  mot 
Truv/iil.  [E.  Burat.] 

SlKniCAMENTS.  — Hygiène,  XVL—  L'hygiène 
doit  so  sar'ler  d'empiéter  sur  le  domaine  de  la 
inédecino.  li  prescriptv  n  d  s  romi'dcs  n'est  pa» 
do  son  resso  t  Mais,  pour  apprcc.er  1  Ltit  d»;  sauté 
et  de  lual  die,  Ihygicnisie  a  le«  n  ùe  savoir  ce- 
qu'on  entei.d  par  ces  mots,  il  est  i  bl;go  d'acqui'rir 
(|uelques  notions  élémentaires  sur  le  mude  d'inva- 
sion, les  symptômes  et  le  ti-aitrment  général  des 
affections  les  plus  communes.  L'hygiène  doit  ser- 
vir à  mettre  en  garde  contr.;  les  erreurs,  les  pré- 
jugés qui  forment  le  fond  do  ce  qu''  l'on  dit  et 
lait  dai  s  la  pratique  domestique  de  la  médecine. 
11  est  donc  ut. la,  nécessaire  môme,  rie  connaître 
sommairement  ce  que  c'est  qu'un  médicament  oii 
un  remède  et  comment  ils  agissent.  De  saines  no- 
tions sur  ce  sujet  préviendrunt  beaucoup  d'impru- 
dences et  de  malheurs, c'estlà  do  la  bonne  hygiène. 

Lorsque  le  médecin  a  interrogé,  examine  le  ma- 
Inde,  établi  son  diagno.itic,  c'ost-à  dire  classé, 
étiqueté  pour  ainsi  dire  la  maladie,  il  ne  se  pose 
pas  cette  question:  quel  est  le  remède?  mais  bioi> 
celle  ci  :  quel  traitement    et   quelle  médication 


MÉDICAMENTS  —  1283 


MEDICAMENTS 


vais-je  adopter?  Il  fait  iilors  son  plan  de  campa- 
gne, sauf  i  le  modifier  selon  1ns  circonstances. 
Aussi,  comme  un  général  d'armé;,  so  trouve-t-il 
fliiclqiii'rois  dans  l.i  nécessité  de  choisir  enirc  ces 
trois  résolutions  :  battre  en  retraite  tout  on  sur- 
veillant l'ennemi,  s'abstenir  en  attendant  les  évé- 
nements, af;ir  et  sonner  la  cliarge.  Le  médecin 
choisit  entre  l'aOsleiilion,  Vcxpectution  cl  le  irai- 
tement  ailif. 

L'abstention  est  parfois  le  seul  parti  sage, quoi- 
qu'il déplaise  aux  malades,  car  ceitaines  malidics 
constituent  un  bien  relatif,  au  moins  pour  quelque 
temps,  préviennent  des  accidents  plus  dangereux 
qui  prcndraieni  le  de^sus  par  suite  d'une  inter- 
vention intempestive.  L'expectative,  très  mal  \ue 
des  malades  et  de  leur  entourage,  est  le  parti  le 
plus  sage  dans  un  grand  nombre  de  cas  où  il  suffit 
d'interpréter  la  nature  et  de  surveiller  la  rénction 
toute  physiologique  qui  constitue  la  maladie.  L'in- 
tervention active  une  fois  résolue,  il  reste  à  fixer  le 
mode  de  traitement  et  la  nature  de  la  médication. 
Le  traitement  pourra  être  purement  hygiénique, 
préventif,  préparatoire,  radical  ou  palliaii!',  général 
ou  local,  interne  ou  ixterne,  rationnel  ou  empiri- 
que. Expliquons  ces  deux  dernières  expressions. 
Si  le  siège  et  la  cause  d'une  maladie  sont  bien 
connus,  s'il  n'y  a  aucune  hésitation  dans  le  dia- 
gnostic, le  traitement  est  dit  rationnel,  parce  qu'il 
agit  en  pleine  connaissance  de  cause  et  d'ujie 
façon  presque  mathématique,  au  moyen  d'agents 
dont  il  connaît  le  mode  d'action.  Mais  dans  le  cas 
contraire,  et  en  attendant  de  pouvoir  établir  un 
traitementrationnel.on  peut  employer  des  moyens 
dits  empiriques  dont  l'effc  t  a  été  constaté  sans 
qu'on  en  ait  trouvé  l'explication.  Le  traitement 
empirique  s'adresse  aux  symptômes  et  combat 
surtout  I  élément  douleur. 

Enfin  il  est  un  autre  traitement  qui  seul  accom- 
plit presq\ie  des  miracles  et  qui  contribue  puis- 
samment au  succès  de  tous  les  autres,  c'est  le 
traitement  moral.  Personne  ne  conteste  riiilluence 
des  passions,  de  l'imagination  sur  le  fonctionne- 
ment de  nos  organes.  Un  élève  do  Boerhaavo  fut 
obligé  de  renoncer  à  la  médecine  parce  qu'il 
éprouvait,  à  courte  échéance,  les  symptômes  des 
maladies  décrites  par  le  savant  professeur.  Nos 
anciens  rois  guérissaient  les  scrofuleux  par  l'im- 
position des  mains  ;  dans  le  même  temps,  on 
faisait  disparaître  certaines  tumeurs  en  y  appli- 
quant la  main  desséchée  d'un  pendu.  Tout  le 
monde  connaît  les  succès  extraordinaires  des  pi- 
lules de  mie  de  pain.  Le  courage  diminue  la  gra- 
vité ries  maladies  et  en  abrège  la  convalescence  ; 
la  joie  cause  d'heureuses  modifications  dans  la 
circulation  et  le  fonctionnemerit  des  nerfs  :  «  les 
jiiyeux  guérissent  toujours,  »  disait  Ambroise  Paré. 
Lis  modificateurs  moraux  sont  donc,  entre  les 
mains  du  médecin,  de  puissants  auxiliaires;  c'est 
i  lui  de  les  choisir  selon  les  circonstances,  pour 
en  obtenir  les  plus  grands  effets. 

Le  nombre  des  remèdes  est  considérable  et  va 
chaque  jour  grandi-sant,  en  attendant  qu'une  ex- 
périence plus  mûre,  des  observations  exclusive- 
ment scientifiques,  permettent  de  restreindre  cet 
appareil  encombrant  dont  s'embarrasse  la  méde- 
cine actuelle.  Mais  si  les  remèdes  sont  presque 
innombrables,  il  n'y  a,  heureusement,  qu'un  petit 
nombre  de  médications. 

Un  remède  n'est  point  une  substance  qui,  in- 
troduite dans  nos  organes,  y  pourchasse  un  prin- 
cipe morbide,  le  neutralise  ou  le  tue.  Quehiues 
contre-poisons  et  les  remèdes  antiparasitaires 
agissent  seuls  de  cette  façon.  On  entend  par  re- 
mède un  agent  capable  de  produire  sur  nos  or- 
ganes certaines  impressions  qui  en  modifient  les 
lonctions,  la  manière  d'être,  de  même  que  les 
causes  de  maladie  ont  été  pour  eux  des  sources 
d  impressions  pertubatrices.  A  l'impression  qui  a 


causé  une  accélération  fiévreuse  de  la  circulation, 
si  nous  opposons  une  impression  capable  de 
contre-balancer  la  première,  nous  aurons  appliqué 
avec  succès  un  remède.  Mais  il  y  a  plusieurs 
moyens  d'obtenir  cette  impression  médicairice  ; 
plusieurs  remèdes  la  produisent  à  des  degrés  di- 
vers et  avec  des  effets  accessoires  variés.  Il  y  aura 
donc  un  choix  h  faire;  c'est  une  question  do  dé- 
tail. L'important  est  d'établir  tout  d'abord  quelle 
nature  d'impression  et  par  conséquent  quelles 
modifications  de  fonctions  ou  de  manière  d'être 
nous  voulons  obtenir  :  c'est  en  cela  que  consiste 
la  médication. 

Ces  principes  étant  bien  établis,  nous  allons 
passer  rapidement  en  revue  les  piincipales  mé- 
dications et  les  remèdes  les  plus  importants  dont 
elles  disposent. 

Médication  tonique.  —  Elle  a  pour  but  de  sti- 
muler les  fonctions,  d'accroître  la  force,  le  volume 
de  certains  organes,  afin  de  rétablir  l'équilibre 
vital  qui  constitue  la  santé.  Tout  ce  qui  contri- 
bue i  ce  résultat  est  un  tonique  ;  aussi  les  plus 
importants  sont-ils  les  aliments,  la  lumière,  l'exer- 
cice. Rien  ne  peut  remplacer  ces  agents  naturels. 
Le  fer,  par  exemple,  ce  reconstituant  dont  on 
exagère  singulièrement  les  vertus,  n'est  utile  que 
comme  adjuvant  des  moyens  hygiéniques  que  nous 
venons  de  mentionner. 

On  attribue  h  quelques  toniques  tirés  du  règne 
végétal  la  propriété  d'augmenter  la  force  de  résis- 
tance vitale  par  une  action  spéciale  sur  le  système 
nerveux.  De  ce  nombre  sont  :  le  Quassia,  le  Mar- 
ronnier d'Inde,  la  Gentiane,  la  Centaurée,  la  Chi- 
corée sauvage,  et  le  Quinquina,  que  remplacent  très 
bien,  à  ce  point  de  vue,  nos  plantes  indigènes. 

Médication  ash-ingente.  —  Elle  complète  sou- 
vent la  médication  tonique  en  excitant  la  vitalité 
des  tissus,  en  resserrant  les  trames  relâchées. 
Elle  emploie  les  végétaux  riches  en  tanin  :  écorce 
de  Chêne,  Cachou,  Ratanhia,  Bistorte,  Noyer  ;  des 
sels  de  Honib,  l'Alun,  etc. 

Méilicatio7i  excitante.  —  Son  but  est  d'occasion- 
ner une  exaltation  de  la  vitalité,  une  sorte  de 
fièvre  éphémère.  Pour  cela,  elle  utilise  les  plantes 
aromatiques  :  Anis,  Angélique,  Thym,  Mélisse, 
Menthe,  Sauge,  Camomille,  Arnica,  Gingembre, 
Cannelle,  Girofle  ;  quelques  autres  sans  arôme, 
comme  le  Raifort  sauvage,  le  Cresson;  elle  emploie 
encore  la  Chaleur,  TAIcool,  le  Thé,  le  Café.  Lors- 
qu'il s'agit  d'influencer  spécialement  les  mimi- 
branes  muqueuses,  surtout  celles  des  bronches, 
on  choisit  les  balsamiques  :  Térébenthine,  Gou- 
dron, Soufre,  Genièvre,  Benjoin,  baume  de  Tolu. 
Pour  augmenter  la  sécrétion  urinaire,  on  admi- 
nistre la  Pariétaire,  la  Scille,  l'Asperge,  le  Nitre, 
qui  possèdent  des  propriétés  diurétiques  bien 
établies.  Enfin,  pour  obtenir  une  abondante  sécré- 
tion de  la  peau,  on  prescri  les  sudoriflques  : 
Gayac,  Salsepareille,  Sassafras,  etc. 

Lorsqu'on  a  en  vue  de  donner  du  ton,  do  l'éner- 
gie aux  muscles,  on  a  recours  à  des  remèdes  dits 
exci'airurs,  dont  les  plus  utiles  sont  la  Noix  vo- 
mique,  l'Ergot,  l'Électricité,  le  Massage,  lu  Gymnas- 
tique. 

Médication  irritante.  —  Elle  repose,  en  grande 
I  partie,  sur  des  hypothèses,  et  même  des  préjugés. 
Que  l'on  emploie  des  Alcalis,  des  Acides  ou  de  la 
Moutarde  pour  produire  une  légère  inflammation 
superficielle  qui  stimule  le  système  ni;rveux  et 
augmente  la  circulaiion  capillaire,  rien  de  miinix, 
ce  procédé  peut  rendre  de  grands  services.  Mais 
espérer  qu'une  mouche  de  Milan,  ou  teut  auiro 
dérivaltf.  posé  sur  le  bras,  y  attirera  de  préten- 
dues humeurs  qui  causent  un  mal  d'oreille,  rien 
de  moins  fondé  en  théorie  comme  en  pratique. 
L'action  du  vésicatoire  n'est  pas  non  plus  celle 
qu'on  lui  attribue  d'ordinaire  ;  le  liciuide  qui  s'y 
accumule  provient  exclusivement  des  vaisseaux  oa- 


MEDICAMENTS  —  12 

pillaires  et  jamais  dVpanchements  profonds' 
comme  celui  de  la  pleurésie.  Quant  à  la  cautéri- 
sation, elle  rend  d'incontestables  services  en  dé- 
truisant les  tissus  désorganisés  et  en  provoquant, 
dans  les  parties  encore  saines,  une  vive  circulation 
qui  favorise  la  formation  d'une  cicatrice. 

Médication  altérante.  —  Il  fallait  un  terme  vague 
pour  exprimer  quelque  chose  d'assez  mal  défini. 
L'expérience  a  indiqué  que  le  mercure,  l'iode, 
l'arsenic,  les  sels  alcalins,  agissent  sur  toute 
l'économie  en  ralentissant  la  nutrition  et  la  for- 
mation.de  produits  accidentels  ordinairement  in- 
flammatoires. La  médication  ait  rante  exige  une 
surveillance  minutieuse,  sous  peine  de  produire  de 
véritables  maladies  qu'il  faudrait  combattre  en- 
suite par  un  long  usage  des  toniques  et  des 
agents  liygiéniques. 

MédicatV'Ti  évacuante,  —  Elle  comprend  les  vo- 
mitifs et  les  purgatifs.  Les  vomitifs  sont  destinés 
quelquefois  à  vider  rapidement  l'estomac,  par 
exemple  dans  les  cas  d'empoisonnement;  mais  le 
plus  souvent  on  ne  désire  utiliser  que  leur  action 
sur  le  système  nerveux,  ce  sont  :  le  Tartre  siibié 
(émélique),  l'Ipécacuanha,  la  Violette,  le  Nar- 
cisse, etc. 

On  peut  séparer  les  purgatifs  en  deux  grandes 
classes  :  les  sels  de  soude,  de  pelasse,  de  magné- 
sie, qui  produisent  une  exsudation  de  séii,m  des 
vaisseaux  capillaires,  en  même  temps  qu'une  stimu- 
lation de  l'intestin;  el  les  agents  irritants  qui  ren- 
dent beaucoup  plus  actifs  les  mouvements  naturels 
de  l'intestin  et  causent  un  véritable  catarrhe  de  la 
muqueuse  dont  il  est  tapissé,  ce  sont  :  les  huiles 
de  Croton,  d'Epurge,  de  Ricin  ;  le  Jalap,  l'Aloès, 
la  Coloquinte,  le  Séné,  la  Hliubarbe,  le  Nerprun, 
le  Sureau,  les  fleurs  et  les  feuilles  de  P6cher,  la 
Manne,  lo  Calomel,  etc.  Notons  toutefois  que  la 
purgation,  c'est-à-dire  la  sécr  tion  liquide  de  l'in- 
testin ne  provient  pas  toujours  d'une  irritation 
directe  causée  par  les  purgatifs  et  peut  se  pro 
duire  par  une  simple  action  nerveuse;  peut-être 
les  deux  effets  se  combinent-ils  toujours  après 
l'ingestion  d'un  purgatif. 

Quel  que  soit  l'agent  employé  et  son  mode 
d'action,  le  liquide  rejeté  par  l'intestin  provient 
du  sang  ;  de  là  cet  adage  :  purger,  c'est  saigner. 

On  distingue  ordinairement  trois  classes  de  pur- 
gatifs :  les  laxatifs,  dont  l'action  douce  ne  cause 
aucun  trouble  général,  tels  sont  la  Manne,  lo 
Miel  ;  —  les  drastiques,  qui  opèrent  avec  énergie, 
violence  même,  et  dont  les  effets  se  font  sentir 
dans  toute  l'économie  :  de  ce  nombre  sont 
l'huile  de  Croton,  la  Coloquinte,  la  Bryone,  le 
Jalap  ;  —  les  calluirtiques,  comme  le  Séné,  l'huile 
de  Ricin,  tiennent  lo  milieu  entre  les  laxatifs  et 
les  dra'^ticiues.  Cette  division  n'a  rien  de  bien 
rigoureux  pu  squ'il  suffit  de  varier  les  doses  pour 
obtenir  des  eff.ts  plus  ou  moins  prononcés. 

Mé'liciiion  aimante.  —  Elle  se  propose  de 
diminuer  la  vitalité,  de  ralentir  la  circulation  ; 
c'est  l'opposé  de  la  médication  excitante.  Ses  prin- 
cipaux moyens  d'action  sont  :  la  saignée,  les  pur- 
gatifs, la  diète,  le  froid,  les  bains. 

Dans  celte  classe,  il  faudrait  ranger  les  modica 
ments  dits  émollients,  les  tisanes  si  chères  à  la 
médecine  domestique,  préparées  avec  le  Chien- 
dent, la  Guimauve,  la  graine  de  Lin,  les  quatre- 
fleurs,  et  qui  n'ont  guère  d'autres  vertus  que  cel- 
les, —  très  appré'  iables  d'ailleurs,  —  de  l'eau 
chaude  qui  seit  à  faire  les  décoctions  ou  les  ijifu- 
sions.  Cependant,  si  ces  tisanes  anodines  con- 
tiennent du  iiiuciln{je,dp.  la  fécule,  du  sucre,  il  est 
évident  quelles  sont  utiles,  comme  aliments  légers 

Médication  sédative.  —  Celle-ci  a  principale- 
ment pour  but  de  diminuer  la  force  de  la  circu- 
lation; ses  agents  sont  :  le  Froid,  l'Anlimoino,  le 
Bromure  de  potassium,  le  Véràtre  vert,  le  Col- 
chique, la  Digitale. 


54  —  MEDICAMENTS 

Médication  antispasmodique .  —  Son  objet  con- 
siste à  calmer  les  surexcitations  nerveuses.  Elle 
y  réussit  au  moyen  de  la  Valériane,  de  l'Assa- 
fœtida,  du  Musc,  du  Camphre,  du  Tilleul,  de  la 
fleur  d'Oranger,  de  l'Ëtlier,  du  Chloroforme.  Ces 
deux  derniers  agents,  employés  à  dose  un  peu 
forte,  constituent  des  atiesthé'iques;  non  seule- 
ment ils  calment  les  nerfs,  mais  ils  produisent 
l'insensibilité  :  leur  emploi  prolongé  amènerait  la 
mort  par  asphyxie. 

Médication  stupéfiante.  — Elle  n'emploie  guère 
que  les  narcotiques,  qui  agissent  puissamment  sur 
le  système  nerveux:  ce  sont  la  Belladone,  la  Jus- 
qniame,  le  Datura  stramonium,  le  Tabac,  la  Mo- 
relle,  le  Pavot,  et  surtout  l'Opium  avec  tous  ses  dé- 
rivés, Morphine,  Laudanum,  etc.  La  médication 
stupéfiante  exige  les  plus  grandes  précautions, 
surtout  chez  les  enfants.  On  a  vu  une  seule  goutte 
de  Laudanum  tuer  un  enfant  à  la  mamelle. 

Médication  antiparasitaire.  —  Elle  s'adresse  à 
un  ennemi  connu,  déterminé,  qui  a  élu  domicile 
à  la  surface  du  corps  ou  dans  l'iniérieur  des  orga- 
nes. Ses  principaux  moyens  d'action  sont  le  Sou- 
fre, la  Staphisaigre,  le  Borax,  le  Mercure,  l'Arsenic, 
la  mousse  de  Corse,  le  Semen-contra,  la  Santonine, 
la  Fougère  mâle,  la  Suie,  etc.  Cette  médication 
devient  chaque  jour  plus  importante,  parce  que 
l'on  croit  pouvoir  attribuer  à  la  présence  de  para- 
sites microscopiques,  végétaux  et  animaux,  un 
certain  nombre  de  maladies  dont  la  nature  était 
inconnue. 

Médication  spécifique. —  Certains  agents  comme 
les  poisons,  les  virus,  produisent  toujours  des 
désordres  identiques  dans  des  organes  déterminés; 
il  y  a  aussi  des  médicaments  qui  jouissent  d'une 
sorte  de  faculté  d'élection  et  agissent  spécia- 
lement sur  certains  organes  ou  combattent, 
à  coup  sur,  certaines  maladies,  sans  que  nous 
puissions  expliquer  leur  mode  d'action;  on  leur 
donne  lo  nom  de  spécifiques  :  tels  sont  la  Quinine, 
dans  le  traitement  des  fièvres  intermittentes,  le 
Mercure,  dans  celui  de  plusieurs  maladies  de  la 
peau.  L'idéal  de  la  médecine  serait  d'avoir  pour 
chaque  maladie  un  spécifique,  en  attendant  de 
comprendre  comment  il  agit.  La  médecine  popu- 
laire voit  un  spécifique  dans  tous  les  remèdes,  et 
ne  demande  point  à  comprendre. 

Maintenant  que  nous  avons  quelques  notions 
justes  sur  les  maladies,  les  médications  et  les 
remèdes,  revenons  à  cette  médei.ine  pop'-iaire  qui 
vante  encore  les  «  remèdes  de  précaution  »,  les 
«  remèdes  qui  ne  font  pas  de  mal  s'ils  ne  font 
pas  de  bien  »,  et  les  fameuses  recettes  transmises 
de  père  en  fils,  —  surtout  de  mère  en  fiUo,  — 
avec  la  foi  aux  rebouteurs  et  aux  sorciers. 

Le  temps  n'est  pas  loin  où  l'on  croyait  indis- 
pensable de  se  faire  saigner  au  moins  une  fois 
l'an,  par  précaution.  Aujourdliui  on  continue, 
toujours  par  précaution,  à  se  a  rafraîchir  »,  à  se 
«  dépurer  le  sang  »  de  temps  en  temps.  Si  les 
remèdes  de  précaution  n'étaient  qu'inutiles,  ce  ne 
serait  qu'un  peu  de  temps  et  d'argent  perdus. 
Mais  ils  causent  un  affaiblissement  passager  qui 
rend  plus  sensible  aux  impressions  morbides,  ils 
accoutument  l'économie  à  l'effet  des  remèdes  qui 
agissent  moins  bien  lorsqu'on  en  a  besoin  ;  enfin, 
la  médication  périodique  produisant  une  habi- 
tude, on  se  procure  artificiellement,  à  échéance 
fixe,  une  espèce  do  maladie  qui  ne  cède  qu'à  un 
traitement  devenu  nécessaire. 

Quant  aux  remèdes  qui  ne  peuvent  pas  faire  de 
mal,  il  faut  s'entendre,  i. 'infusion  de  quatre-fleurs 
peut  causer  la  mort  d'un  malade  si  vous  essayez 
de  le  guérir  avec  cette  tisane  inerte  au  lieu  d'ap- 
peler le  médecin. 

Que  dire  des  remodes  populaires  inscrits  par  la 
m  :re  de  famille  à  cùté  des  recettes  pour  les  confi- 
tures,  et   de  ces  panacées  auxquelles  l'annonce 


fait  une  lucrative  popularité?  Si  les  ingrédients]  donc  6tre  en  raison  inverse  des  nombres  3  et  2; 
iont  actifs,  le  médecin  seul  est  compétent  pour  c'est-à-dire  que  la  quantité  cherchée  de  la  seconde 
les  employer;  s'ils  sont  inertes,  ils  vous   feront  ,       ,,,,,..       ,      3  ,    „    ,  „„  , 

perdre  un  temps  précieux.  Que  pensez-vous  espèce  de  hk  doit  6tre  les  -  de  60  hect.  ou  00  hcc- 
l'une  «  eau  pour  les  yeux  »  qui  s'offre  de  guérir  |  tolitres. 


outes   les    atrcclions   internes  ou   externes    des 
jrganes  de  la  vue  ?  Le  succès  des  banalités  rou 


.".: 7  j       A  1  X   1,  „,  ,i„     „  „     ■„  ..„  '  qunncite  aonnee  par  l  excès  au  prix  fort 

in.èrcs  et  des  reclames  à  la  mode  noi.s  prouve  ,  ^.  ^   ^    ^  produit  par  l'exi 

lue  le  pubhc  amie  à  Être   trompe  ;  mais  à  cause   ^   .      J     '        ^        .    ,    P  P 

Je  cela  nous  devons  faire  effort  pour  I  instruire  et   '  ■'        .        '^  '        "  ,, 


MÉLANGES  (RÈGLE  DE)     —  1285 


MEMOIRE 


On  voit  qu'il   a  fallu,  dans  ce  cas,  multiplier  la 
quantité  donnée  par  l'excès  du  prix  fort  sur  le 
'excès  du 


le  désillusionner,  morne  au  risque  de  lui  déplaire, 
pour  détruire  les  préjugés,  héritage  des  temps 
de  ténèbres,  moisissures  de  l'esprit  que  fait  dis- 
paraître la  lumière.  [D'  Saffray.] 

MICDIli:.  -    V.  l'erse. 

MÉI.ANGKS  (Règle  de).  —  Arithmétique,  XLV. 
—  Nous  donnons    le  type    du  calcul    à  effectuer 


On  pourrait  se  proposer  beaucoup  d'autres 
quesiions  sur  les  mélanges;  mais  ce  seraient  des 
problèmes  spéciaux  qui  ne  rentreraient  pas  dans 
la  Règle  de  mélanyes,  objet  de  cet  article. 

[H.  Sonnet.] 

SIÉ3I0IRK.  —  Psychologie,  VIII.  —  La  mémoire 
est   la  faculté  que  nous  avons  de  retrouver  en 


pour  résoudre  les  questions  usuelles  relatives  '  nous  des  notions  antérieurement  acquises,  ou  plus 
aux  mélanges  de  liquides  ou  de  matières  sèches,  exactement  de  nous  retrouver  nous-mêmes  tels 
et  dont  les  principales  sont  analogues  aux  sui-  que  nous  étions  à  tel  ou  tel  moment  du  passé.  A 
vantes  :  proprement  parler,  nous  ne  nous  souvenons  que 

I.  _  'un  fermier  a  mélangé  trois  espèces  de  blé,  des  états  divers  de  notre  esprit,  parce  que  nous 
savoir  :  90  hectolitres  à  25  fr.  l'hectolitre,  KiO/icc-  |  ne  nous  souvenons  de  rien  qui  n'ait  été  l'intuition 
tolitres  à  ni , M,  et  'iO  hectolitres  à 'lu  fr.  ;  quelle  ' ''^médiate  de   la   conscience.  Le   langage   usuel 


semble  contredire  cette  assertion,  mais  seulement 
en  apparence  :  Je  me  souviern  de  telle  personne... 
signifie  Je  mu  souviens  d'avoir  vu  telle  personne. 
En  d'autres  termes,  nous  ne  nous  souvenons  que 
de  nous-mêmes  ;  l'objet  de  la  mémoire,  pour  le 
moi,  c'est  le  moi  lui-même  dans  le  passé. 

Le  fait  de  la  mémoire  est  le  souvenir.  Les  no- 
tions que  nous  avons  acquises  s'affaiblissent  avec 
le  temps,  disparaissent,  puis  se  montrent  de  nou- 
veau soit  spontanément,  soit  par  l'effet  d'un  tra- 
vail de  notre  esprit.  C'est  ce  retour  qui  constitue 


est    la  valeur  d'un   hectolitre  du  mélange'/ 

90  hectol.   i.   25'    représentent   une   valeur  j 

de  90  fois  55,  c'est-à-dire 2250' 

ICO  hectol.  à  22',!)0  représentent  une  valeur 

do  ICO  fois  22',50,  c'est-à-dire 3G0O' 

S(i  hectol.   à  28'  représentent  une  valeur 

de  30  fois  28f,  c'est-à-dire 840' 

La  valeur  totale  du  mélange  est  donc GG90' 

Le  nombre  total  d'hectol.  étant  de  OO-t-lCO -1-30 
ou  ','SO,  on  aura  la  valeur  d'un  hectolitre  du  nié-  !  le  souvenir,  lequel  est  par  conséquent  tantôt  in- 
l.iii;;e  en  divisant  6690  fr.  par  280,  ce   qui  donne  1  stinctif,  tantôt   volontaire    :    ce   qu'on  nomme  la 
'-':'■'. X9.  ]  mémoire  du  cœur  est  le  sentiment  de  reconnais- 

Oii  voit  que,  pour  résoudre  les  questions  de  ce  sauce  que  fait  naître  en  nous  le  souvenir  des  ser- 
t;riirc,  il  faut/'aiVe  la  somme  des  produits  des  prix  vices  qu'on  nous  a  rendus  ou  des  bienfaits  que 
/.nj-  les  quantités  correspondantes,  et  diviser  la  '  nous  avons  reçus.  Quand  le  souvenir  est  vague, 
cumule  par  la  quantité  totale.  I  inconscient,  on  l'appelle  réminiscence.  Le  souve- 

II.  —  Un  mnrchand  de  vin  a  du  vin  à  0',80  lu  j  nir  complet,  conscient,  suppose  deux  éléments: 
litre,  et  du  vin  à  0',.i5;  il  veut  obtenir  120  litres  .  la  représentation  mentale  des  objets  que  la  mé- 
d'un  mélange  qui  vaille  0',C0  le  litre;  co)/;'.ien  ,  moire  nous  rappelle;  la  reconnaissance  do  ces 
ik>  ra-t-il  prendre  de  Cun  et  de  l'autre?  Ou  re- ,  objets  comme  ayant  été  déjà  perçus  par  nous, 
marquera  que  chaque  litre  à  CiSO  qui  sera  vendu  La  mémoire,  comme  toute  faculté,  a  ses  lois. 
O'.iiO  occasionnera  une  perte,  de  0',20;  au  con-  Pour  les  connaître,  analysons  un  fait  de  souvenir. 
traire  chaque  litre  à  0',56  qui  sera  vendu  0',G0  ,  L'acte  seul  d'écrire  lo  titre  de  cet  article  me  rap- 
duimera  lieu  à  un  gain  de  o',05.  Pour  que  lo  ,  pelle  le  chapitre  que  le  philosophe  écossais  Reid 
gain  (  onipense  la  perte,  il  faut  donc  que  les  quanti-  ^  a  consacré  à  cette  faculté,  et  les  réflexions  que  ce 
tés  mélangées  soient  en  raison  inverse  des  nombres  chapitre  a  suggérées  au  philosophe  français  Royer- 
50  et  5,  ou  4  et  1.  On  obtiendra  donc  les  quan-  ]  Collard.  Je  ne  me  souviens  pas  seulement  que 
titos  demandées,  en  divisant  120  lit.  en  deux  par- ,  Reid  a  écrit  ce  chapitre,  mais  je  me  souviens  du 
lies,  dont  la  plus  petite  soit  le  cinquième  de  120,  i  volume  où  il  est  imprimé,  et  de  la  place  qu'il  oc- 
x'est-à-dire  24  lit.,  et  l'autre  4  fois  celle-là,  c'est- [  cnpe  dans  le  volume.  De  tous  ces  faits,  je  ne 
à-dire  9G  lit.  Ainsi  on  prendi-a  24  litres  à  0',S0  et  retiens  pour  le  moment  que  le  premier,  à  savoir 
96  litres  à  O',o5.  l'idée  d'un  chapitre  de  Ri-id.  Je  sais  qu'il  existe, 

La  règle  à  déduire  de  ce  raisonnement  est  donc  j'en  ai  donc  acquis  autrefois  la  notion  ;  cette  notion 
la  suivante  :  faire  la  différence  entre  le  prix  le  plus  ]  reparaît  aujourd'hui,  et  je  la  reconnais  :  il  s'est 
haut  et  le  prix  moyen,  la  différence  e?itre  le  prix  j  donc  écoulé  un  certain  temps  entre  la  première 
moyen  et  le  prix  le  jilus  bas,  et  diviser  le  nombre  perception  et  la  seconde,  et  de  plus  je  suis  le 
d'unités  du  mélunge  à  obtenir,  en  deux  parties  qui  même  être  que  j'étais  alors.  De  là  les  deux  condi- 
soient  en  raison  inverse  de  ces  deux  différences,  tiens  du  souvenir  :  la  durée  et  l'identité  person- 
On  peut  remarquer  que  la  règle  n'éprouverait  nelle.  Elles  constituent  la  loi  de  la  mémoire.  Il  est 
aucune  modification   si   l'une  des  matières  à  mé-    bien   évident,  en  effet,  que,  pour  reconnaître  un 


langer  était  considérée  comme  sans  valeur;  sou 
lement  la  seconde  différence  se  confondrait  dans 
cr  cas  avec  le  prix  moyen. 

111.  —  Au  lieu  de  donner  la  quantité  totale  du 
mélange,  on  peut  donner  la  quantité  de  l'une 
des  matières  mélangées.  Soit  proposé,  par  exemple, 
ce  problème  : 

On  a  GO  hectolitres  de  blé  à  28  fr.;  combien 
faut-il  y  mêler  de  blé  à  23  fr.  pour  faire  un  mé- 
lange dont  In  valeur  soit  de  25  fr.  l'hectolitre?  La 
différence  entre  28  et  25  est  3;  la  différence  entre 
25  et  23  est  2  ;  les  quantités  mélangées_doivent 


état  dans  lequel  je  me  suis  déjà  trouve,  il  faut 
que  j'aie  duré  dans  l'intervalle,  car,  pour  qu'une 
chose  soit  1  objet  de  la  mémoire,  il  faut  qu'elle 
soit  passée  ;  mais  il  faut  en  outre  qu'en  durant,  je 
n'aie  pas  changé  dans  mon  fond,  que  je  sois  reste 
identique  à  moi  même.  —  En  même  temps  que  la 
durée  et  l'identité  sont  nécessaires  à  l'exercice  de 
la  mémoire,  c'est  à  la  mémoire  que  réciproque- 
ment nous  en  devons  la  double  notion.  IVous  ne 
pouvons  concevoir  qu'une  chose  soit  passée,  c'est- 
à-dire  nous  souvenir,  sans  concevoir  uno  du- 
réej  quelconque  entre  le  moment  présent  ,et  ce- 


MEMOIRE 


—  1286  — 


MEMOIRE 


lui  où  nous  en  avons  eu  une  première  idée.  D'autre 
part,  il  n'y  a  point  de  souvenir  sans  la  conviction 
que  nous  existions  au  temp»  que  le  souvenir  nous 
rappelle.  Pour  llionime  qui  perdrait  cotte  convic- 
tion, le  passé  serait  anéanti;  il  lui  semblerait 
qu'il  commence  d'exister  ;  tout  ce  qu'il  aurait 
pensé,  tout  ce  qu'il  aurait  dit,  fait  ou  éprouvé 
avant  cet  instant  pourrait  lui  paraître  appartenir 
à  une  autre  personne,  mais  il  ne  pourrait  se  l'im- 
puter à  lui  même,  et  sa  conduite  future  ne  présen- 
terait rjen  qui  fût  la  suite  de  sa  conduite  passée. 
Par  là  môme  —  et  cela  intéresse  directement  l'édu- 
cation —  disparaîtraittoute  obligation, toute  respon- 
sabilité :on  n'est  responsable  que  de  soi-même, ou, 
quand  on  l'est  des  autres,  c'est  dans  la  mesure  où 
l'on  a  action  sur  eux.  Quant  à  la  notion  de  durée,  il 
faut  bien  qu'elle  se  dégage  un  jour  ou  l'autre  de 
l'intelligence  enfantine,  pour  que  les  mots  de  pré- 
sent, passé  et  futur  lui  présentent  un  sens  et  que, 
par  exemple,  l'enseignement  du  verbe  soit  possible. 

Si  nous  reprenons  le  fait  ci-dessus,  dont  l'a- 
nalyse nous  a  permis  de  formuler  la  loi  de  la  mé- 
moire, nous  y  trouverons  encore  la  preuve  des 
rapports  de  la  mémoire  avec  deux  autres  facultés, 
l'imagination  et  l'association  des  idées.  Non  seu- 
lement je  me  rappelle  un  certain  passage  des 
œuvres  de  Reid,  mais  je  revois  en  esprit  le  vo- 
lume dont  il  fait  partie  ;  mon  souvenir  est  enve- 
loppé dans  une  image,  il  est  une  image.  Non  seule- 
ment jo  pense  à  Reid, mais  je  pense  àlVoyer-Collard, 
parce  que  celui-ci  a  également  traité  de  la  mé- 
moire :  les  deux  souvenirs  se  tiennent,  l'un  vient 
naturellement  à  la  suite  de  l'autre.  Ainsi  double 
secours  pour  la  mémoire,  mais  non  sans  quelque 
réciprocité  d'inconvénients.  L'imagination  se  mêle 
parfois  si  intimement  à  la  mémoire,  que  la  con- 
fusion s'établit  entre  les  produits  de  l'une  et  de 
l'autre,  même  involojitairement.  «  A  beau  mentir 
qui  vient  de  loin,  »  dit  le  provei  be  ;  et  cependant  il 
peut  y  avoir  autant  et  plus  d'illusion  que  de  men- 
songe dans  tel  récit  qui  parait  incroyable.  Le  voya- 
geur, en  retraçant  les  scènes  qui  l'ont  frappé,  ne 
clierclie  pas  à  tromper;  mais,  l'imagination  aidant, 
il  force  la  couleur  du  tableau  dont  le  cadre  est 
réel,  et  bientôt  sa  peinture  n'est  plus  la  repro- 
duction exacte  des  choses  ;  ses  souvenirs  ont  pris 
un  air  de  fiction.  Quant  à  l'association  des  idées, 
c'est  une  opération  qui  simplifie  et  facilite  le  tra- 
vail de  la  mémoire,  mais  comme  elle  est  spontanée 
et  involontaire,  elle  a  besoin  d'être  gouvernée 
par  la  réflexion  et  la  volonté.  Elle  devient  alors  la 
plus  sûre  et  la  plus  rationnelle  des  méthodes  pour 
cultiver  la  mémoire.  Quand  nos  idées  sont  rangées 
dans  un  ordre  systématique,  conforme  autant  que 
possible  à  celui  de  la  nature  ou  aux  lois  de  la  rai- 
son, les  souvenirs  naissent  et  se  suivent  comme 
d'eux-mêmes.  «  Il  est  indubitable,  dit  l'auteur  de 
la  Logique  de  Port  Royal,  qu'on  apprend  avec 
une  faciUté  incomparablement  plus  grande  et 
qu'on  retient  beaucoup  mieux  ce  qu'on  enseigne 
dans  le  vrai  ordre,  parce  que  les  idées  qui  ont 
une  suite  naturelle  s'arrangent  beaucoup  mieux 
dans  notre  mémoire  et  se  réveillent  bien  plus  ai- 
sément les  unes  les  autres.  » 

La  liaison  logique  des  idées  est  donc  la  meilleure 
des  mnéniotechnies.  On  donne  ce  nom  à  des  pro- 
cédés fondés  sur  la  faculté  d'associer  les  idées, 
mais  artiticicls  :  par  exemple,  l'idée  de  telle  cou- 
leur associée  à  celle  de  tel  nombre  rappellera 
cette  dernière  idée.  Ce  sont  donc  des  rapports 
factices  et  accidentels  que  l'on  suppose  entre  les 
idées  que  l'on  veut  retenir  et  les  signes  auxquels 
on  les  associe.  Ces  moyens  donnent  quelquefois 
des  résultats  assez  surprenants,  mais  ils  ont  l'in- 
convénient grave  de  fausser  à  la  longue  le  juge- 
ment. Or,  il  ne  faut  pas  cultiver  la  mémoire  au 
préjudice  du  jugement,  mais  faire  marcher  de  front 
ces  deux  facu'tés. 


j      On  remarque  dans   la  mémoire  de  grandes  di- 

^  versités  selon  les  individus.  Les  uns  retiennent  plus 
facilement  les  notions  acquises  par  les  sens,  avec 
les  signes  qui  les  représentent,  comme  les  formes, 
les  couleurs,  les  sojis;  d'autres,  les  idées  fournies 
par  la  raison,  comme  les  chiffres,  les  idées, 
abstraction  faite  de  leur  formule.  De  lit,  d'une 
part,  la  mémoire  physique  ou  mémoire  des  mots  : 
c'est   celle   des   enfants,  des    peintres,  des  musi- 

I  ciens,  des  poètes,  en  général  des  hommes  d'imagi- 
nation; et,  d'autre  part,  la  mémoire  rationnelle  ou 

I  des  choses,  celle  des  mathématiciens,  des  histo- 
riens, des  philosophes.  Mais  on  rencontre  encore 

1  des  variétés  dans  ces  deux  sortes  de  mémoire  : 
tantôt  la  mémoire  est  paresseuse,  rebelle,  tantôt 
elle  est  vive  et  obéissante;  tantôt  elle  est  fidèle, 
tantôt  elle  laisse  échapper  le  souvenir  à  peine 
formé.  Ces  inégalités  s'expliquent  jusqu'à  un 
certain  point  par  le  degré  d'impression  de  la  no- 
tion primitive  dans  l'intelligence  et  par  le  degré 

^  d'intérêt  de  cette  même  notion.  Quand  l'esprit  a 
été  très  vivement  frappé  par  une  idée,  il  est  na- 
turel que  le  souvenir  s'en  reproduise  plus  vite. 
D'un  autre  côté,  la  mémoire  est  dans  un  rapport 
nécessaire  avec  l'intelligence  elle-mômo  dans 
l'ensemble  de  son  développement,  et  l'on  peut 
dire  que  plus  on  est  intelligent,  éclairé,  instruit, 
plus  on  a  de  mémoire.  Un  esprit  lourd,  peu  ouvert, 
a  peu  de  mémoire  :  pour  avoir  des  souvenirs,  il 
faut  d'abord  avoir  des  idées.  Enfin  il  y  a  des  in- 

I  fluences  physiologiques  :  le  sexe,  la  santé,  l'état 
du  cerveau,  l'âge.  Les  vieillards   perdent   la   mé- 

I  moire;  s'ils  la  conservent  en  partie,  elle  leur  rap- 
pelle les  époques  les  plus  lointaines  de  leur 
existence  et  non  les  faits  contemporains.  A  la  suite 
de  certaines  maladies,  on  perd  la  mémoire  ou 
totalement  ou  partiellement  :  c'est  l'amnésie 
(privation  de  la  mémoire).  Une  lésion  du  cerveau 
sufllt  pour  produire  un  résultat  analogue. 
Quelles  que  soient  les  diversités  et  les  inégalités 

I  de  la  mémoire,  elle  peut  toujours  se  fortifier  par 

'  l'habitude,    et   elle   ne    peut   pas    se    passer   de 

'  l'exercice  :  aucune    faculté    ne    demande   à    être 

I  tenue  plus  constamment  en   haleine  ni  ne  se  dé- 

j  grade  plus  vite.  Bien  cultivée,  elle  présente  à  des 
degrés  divers  trois  qualités  principales  dont  la 
réunion  complète  constituerait  la  perfection  de  la 
mémoire  :  la  facilité  à  apprendre,  la  ténacité  à 
conserver,  la    promptitude   à  reproduire  le  sou- 

I  venir. 

On  a  tenté  plusieurs  explications  de  la  mémoire, 

I  en  se  demandant  ce  que  deviennent  les  notions 
acquises  jusqu'à  ce  qu'elles  se  montrent  de  nou- 

,  veau.  Les  uns  ont  cru  qu'elles  restent  dans  le 
moi,  latentes  et  obscures,  mais  réelles  et  prêtes  à 

I  se  raviver  au  premier  signal.  D'autres  n'ont  adopté 
cette  opinion  que  par  rapport  aux  idées  ration- 
nelles, et  ont  attribué  au  cerveau  la  conservation 
des  idées  sensibles.  Ni  l'une  ni  l'autre  de  ces 
hypothèses  ne  répond  à  la  question.  11  est  bien 
évident  qu'il  faut  tenir  compte  du  cerveau  dans 
la  production  et  dans  la  reproduction  d'une  idée, 
le  cerveau  étant,  non  la  cause,  mais  l'instrument 
indispensable  de  la  pensée.  Ce  n'est  pas  ici  le  lieu 
d  aborder  l'examen  du  rôle  qu'il  joue  dans  le 
travail  de  l'intelligence;  mais  nous  rappellerons, 
en  ce  qui  concerne  la  mémoire,  une  série  de  phé- 
nomènes dont  le  premier  l'intéresse  directement  :. 
à  la  suite  d'une  impression  cérébrale  (faitphysi( 
logique)  se  produit  un  fait  psychologique,  sensa- 
tion, idée  on  volitiun.  Quand  le  même  faij 
physiologique  se  reproduit,  provoqué  par  uni 
circonstance  semblable  ou  analogue,  le  fait  psyi 
chologique  primitif  se  manifeste  aussitôt  comme 
étant  l'effet  d'une  même  cause,  et  la  conscience, 
qui  l'avait  perçu  une  première  fois,  le  perçoit 
de  nouveau.  La  mémoire,  qu'on  a  considérée  si 
souvent  comme  une  faculté  à  part  et  inexplicable, 


MERCURE 


—  1287  — 


MEROVINGIENS 


n'est  donc  en  résurai5  que  la  conscience  qui  per- 
çoit une  seconfie  fois  les  phénomènes  internes 
qu'elle  avait  déjà  perçus.  [Paul  Housselot.j 

iMIil».  —  V.  OcèU'is. 

MEllCCRE.  —  Cliimie,  XX.  —  Le  mercure  ou 
vif-argent  s'appelle  en  grec  et  en  latin  hydrar- 
yi/ron  ou  hydrargi/rum,  c'est  à-dire  argent  liquide, 
d'où  sa  notation  chimique  Hg. 

Propriétés  pliysifjues.  —  Le  mercure  est  le  seul 
métal  liquide  à  la  température  ordinaire.  Il  est 
d'un  blanc  éclatant,  et  est  doué  au  plus  haut 
point  do  la  propriété  de  réflécliir  la  lumière.  Il  est 
sans  odeur.  Sa  densité  est  de  13,6.  il  est  très  bon 
conducteur  do  la  chaleur,  d'où  la  sensation  de 
froid  qu'il  produit  quand  y  plonge  la  main.  Il  est 
très  dilatable  ;  son  coefficient  de  dilatation  est 
0,00018.  Il  est  bon  conducteur  de  l'électricité  ; 
grâce  i  la  facilité  que  l'on  a  de  l'obtenir  pur,  et 
d'en  avoir  une  colonne  de  dimensions  parfaite- 
ment mesurables,  on  a  pris  pour  unité  de  con- 
ductibilité électrique  celle  d'une  colonne  de  mer- 
cure de  1  mètre  de  long  et  de  I  millimètre  carré 
de  section  à  la  température  de  0°. 

Le  mercure  se  solidifie  à  —  •3!j'',5.  On  a  pu  opérer 
sur  le  mercure  solide  pendant  des  hivers  sibériens  ; 
il  tient  alors  par  sa  malléabilité,  sa  ductilité  et 
sa  ténacité  le  milieu  entre  le  plomb  et  l'étain  ;  il 
désorganise  les  tissus  animaux  et  produit,  quand 
on  le  touche,  une  sensation  analogue  h  la  brûlure 
d'un  fer  rouge;  sa  densité  est  alors  l\,i. 

Le  mercure  bout  à  300»  ;  la  densité  de  sa  va- 
peur est  (>.98. 

Propriétés  chimiques.  —  Chauffé  au  contact  de 
l'air  un  peu  au-dessous  du  point  de  fusion,  le 
mercure  absorbe  lentement  l'oxygène  et  se  change 
en  oxyde  rouge.  Il  ne  décompose  l'eau  à  aucune 
température ,  ni  en  présence  des  acides.  Les 
acides  chlorliydrique.  phosphorique,  sulfureux, 
sulfurique  faibles  sont  sans  action  sur  lui;  l'acide 
azotique  et  l'eau  régale  le  dissolvent  à  froid; 
l'acide  sulfurique  concentré  l'attaque  à  chaud  en 
dégageant  de  l'acide  sulfureux  ;  il  se  combine  il 
froid  avec  le  chhire,  le  brome  et  l'iode,  et,  trituré 
en  présence  de  l'eau,  avec  le  soufre.  Le  mercure 
dissout  un  certain  nombre  de  métaux  en  formant 
des  amalgames,  étain,  plomb,  zinc,  argent,  or;  il 
ne  se  combine  pas  dans  les  conditions  ordinaires 
avec  le  fer,  le  magnésium,  l'aluminium,  le  pla- 
tine. 

Le  mercure  contenant  des  métaux  en  dissolution, 
autres  que  l'or  et  l'argent,  peut  se  purifier  à 
l'aide  d'une  petite  quantité  d'acide  azotique  qui 
dissout  les  métaux  étrangers,  et  d'un  lavage.  La 
poussière,  peut-être  un  oxydule  qui  le  ternit,  peut 
être  enlevée  en  le  filtrant  dans  un  cornet  ou  un 
entonnoir  ayant  un  très  petit  trou.  Le  dernier 
globule  retenu  par  capillarité  contient  toutes  les 
impuretés.  On  peut  en  tout  cas  le  purifier  par 
distillation. 

Usiiç/fs.  —  Le  mercure  sert  il  des  préparations 
pharmaceutiques,  à  la  confection  des  baromètres, 
thermomètres,  manomètres,  à  l'étamage  des  glaces 
(vieux  procédé  insalubre  tombant  en  désuétude). 
^  la  métallurgie  de  l'or  et  de  l'argent,  à  l'amalga- 
imation  du  zinc  des  piles,  etc. 

Composés.  —  Les  principaux  composés  du  mer- 
cure sont  les  suivants  : 

Oxyde  rouge  (bioxyde)  obtenu  par  calcination 
■du  métal  ou  même  de  son  azotate  ;  c'est  la  base 
■d'une  pommade  célèbre  contre  les  ophtalmies . 

Oxyde  noir  (protoxyde  ou  suboxyde),  sans  im- 
portance. La  poudre  noire  obtenue  en  triturant 
le  mercure  avec  un  corps  gras  parait  n'être  que 
du  mercure  en  très  petits  globules. 

Bichlorure  ou  perchlnrure  'sublimé  corrosif), 
obtenu  par  l'action  directe  du  chlore  ou  de  l'eau 
régale  sur  le  mercure,  ou  par  la  distillation  sèche 
■d'un  sel  de  peroxyde  de  mercure  mêlé  à  du  sel 


marin;  corps  soluble  dans  l'eau  et  surtout  l'al- 
cool, volatil  au  rouge  sombre,  cristallisable.  Poi- 
son et  remède  violent,  agent  chlorurant,  précieux 
pour  la  conservation  des  herbiers  et  autres  objets 
d'histoire  naturelle. 

Protochlorure  (calomel),  obtenu  par  la  tritura- 
tion de  3  parties  de  mercure  avec  1  de  sublimé 
corrosif  et  lavage  k  l'eau  bouillante,  ou  par  dis- 
tillation sèche  des  protosels  de  mercure  avec  le 
sel  marin.  Purgatif  autrefois  très  employé,  son 
usage  diminue. 

lodure  rouge  (biiodure),  obtenu  directement  ou 
par  double  décomposition.  Kmployé  en  pharmacie, 
dans  la  teinture  (coûteux  et  dangerouxj  ;  il  se 
dissout  en  grande  quantité  dans  l'iodure  de  po- 
tassium. La  dissolution  saturée  et  concentrée  est 
le  liquide  transparent  le  plus  dense  connu  ; 
comme  elle  se  mêle  à  l'eau  en  toute  proportion, 
elle  fournit  des  liquides  de  densités  voulues  entre 
1  et  4,  utiles  au  lapidaire  et  au  minéralogiste, 
en  leur  permettant  de  séparer  immédiatement 
des  pierres  précieuses   f.emblables  en  apparence. 

Sulfure  (cinabre,  vermillon)  naturel  ou  artiticiel  ; 
il  fournit,  quand  il  est  très  finement  pulvérisé, 
une  très  belle  cojleur  rou^e. 

Parmi  les  divers  sels,  signalons  seulement  :  le 
sulfate,  employé  pour  la  peinture  et  pour  des 
piles  puissantes  de  petite  dimension  ;  l'azotate  de 
bioxyde,  cautérisant  énergique;  l'eau  en  quantité 
lui  enlève  une  portion  de  son  acide  et  le  trans- 
forme en  sous-azotate  insoluble  blanc,  réaction 
caractéristique  du  mercure  ;  le  fulminate,  qui  sert 
il  la  préparation  des  amorces  de  canon  et  de 
fusil. 

Etat  naturel,  extraction.  —  Le  mercure  se 
trnuve  surtout  à  l'état  de  sulfure,  souvent  impré- 
j  gné  de  mercure  métallique;  les  mines  les  plus 
célèbres  sont  celles  d'Almaden  en  Espagne,  d'I- 
dria  en  Carniole,  du  Pérou  et  du  Japon.  Le  procédé 
général  consiste  en  une  distillation  du  minerai 
avec  une  quantité  convenable  d'un  corps  propre 
à  retenir  le  soufre,  de  la  limaille  de  fer  ou  un 
j  mélange  de  chaux  et  de  charbon.  Les  mines  d'Al- 
I  maden  sont  exploitées  depuis  2  500  ans;  Pline 
rapporte  que  de  son  temps  les  Romains  en  ex- 
trayaient annuellement  ;jO0iiOO  kilos;  elles  oc- 
cupent aujourd'hui  un  millier  d'ouvriers  et  four- 
nissent IIOUOOO  kilos  par  an;  toutes  les  autres 
mines  en  fournissent  ensemble  250  UOO.  Le  prix 
j  du  mercure,  de  4  à  5  fr.  le  kilo  avant  1x25,  est 
depuis  celte  époque  porté  à  10  ou  12  fr.,  par 
suite,  dit  Laboulaye,  de  la  cession  provisoire  des 
mines  d'Almaden  à  la  maison  Kothschild  par  le 
gouvernement  espagnol. 

Le  vif-argent  est  un  des  corps  sur  lesquels  les 
alchimistes  se  sont  le  plus  exercés;  grâce  à  sa 
propriété  de  dissoudre  les  métaux,  ils  comptaient 
en  faire  l'agent  principal  des  transmutations  qu'ils 
espér.aient.  Ils  avaient  donné  aux  métaux  les  noms 
des  dieux  ou  des  planètes  :  celui  de  mercure  est 
le  seul  qui  soit  resté  en  usage,  le  mot  de  vif- 
argent  et  surtout  celui  d'hydrargyre  ne  s'employant 
presfjue  pas.  [Paul  Robin.] 

MEIIOVI.NGIENS.  —  Histoire  de  France,  III-IV. 
—  L'histoire  de  la  famille  Mérovingi 'iine,  depuis 
la  mort  de  Clovis  *,  peut  se  diviser  en  quatre 
périodes  :  1°  de  àll  à  iiGl,  sous  les  fils  de  Clo- 
vis, les  conquêtes  des  Francs  continuent;  2°  de 
Siil  à  028,  sous  les  fils  de  Clotaire  I'^',  les  guerres 
civiles  désolent  l'empire  franc;  3"  de  628  à  G3S,  le 
règne  de  Dagobert  marque  l'apogée  de  la  puissance 
mérovingienne  ;  4°  de  038  à  7.i2  la  décadence 
commence  et  s'achève  ;  c'est  répo(iue  des  rois  fai- 
néants et  des  maires  du  palais  ;  c'est  l'avènemeni 
d'une  nouvelle  race,  celle  des  Carlovingiens. 

Première  période  (5II-5B1). —  Les  quatre  fils  de 
Clovis  se  partagèrent,  suivant  la  coutume  germa- 
niiiue,  l'armée  et  les  trésors  de  leur  père;  ils  s'o- 


MEROVINGIENS 


—  1288 


MEROVINGIENS 


tablirent,  pour  exercer  le  commandpmenl  sur  les 
peuples  vaincus,  dans  quatre  résidences  diffé- 
rentes, Thierry  à  Metz,  Clodomir  à  Orléans,  Cliil- 
debert  à  Paris,  Clotaire  à  Soissons.  Le  nombre 
des  leudes  donnait  la  puissance  militaire,  les  tré- 
sors assuraient  le  dévouement  des  leudes.  Aussi 
les  quatre  fils  suivirent-ils  l'exemple  de  leur  père  : 
ils  recommencèrent  les  expéditions  pour  contenter 
les  Francs,  les  pillages  pour  enrichir  le  fisc,  et 
les  trahisons  pour  se  ruiner  et  se  massacrer  les 
uns  les  autres. 

Thierry  conquit  la  Thuringe  par  la  guerre  et  la 
perfidie.  Il  persuada  à  Hermanfried,  un  des  rois 
thuringiens,  déjà  meurtrier  de  son  frère  Bertaire, 
de  tuer  son  troisième  frère  Baderic.  «  Si  tu  le 
tues,  lui  dit-il,  nous  partagerons  son  pays.  >>  La 
femme  d'Hermanfried,  Amalaberge ,  ambitieuse 
et  cruelle,  le  poussait  également  au  crime.  Un 
jour  elle  ne  servit  au  roi  que  la  moitié  du  repas. 
"  Quand  on  se  contente  de  la  moitié  d'un  royaume, 
dit-elle,  il  faut  se  contenter  de  la  moitié  d'un 
repas.  »  Baderic  fut  tué.  Thierry  envahit  aussitôt 
la  Thuringe  et  vainquit  Hermanfried  ;  puis,  lui 
prodiguant  les  promesses  et  les  serments,  il  l'at- 
tira dans  son  royaume,  le  conduisit  de  ville  en 
ville  et  lui  jura  une  amitié  inviolable.  Un  jour, 
enfin,  que  les  deux  rois  se  promenaient  seuls  sur 
les  remparts  de  Tolbiac,  Hermanfried  tomba  du 
haut  du  mur,  «  poussé  on  ne  sait  par  qui,  «  et  se 
brisa  la  tête.  Thierry  occupa  la  Thuringe.  Mais 
ses  soldats  étaient  mécontents  de  ces  expédi 
tions  pénibles  et  peu  fructueuses  dans  les  forêts 
marécageuses  de  la  Germanie  ;  ils  sommèrent  leur 
roi  de  les  conduire  en  Bourgogne  et  le  menacèrent 
de  l'abandonner.  Thierry,  tout  effrayé,  leur  dit  : 
«  Venez  avec  moi  dans  l'Auvergne  qui  s'est  ré- 
voltée contre  ma  puissance;  la  terre  est  bonne  et 
les  habitants  seront  à  vous  ;  mais  surtout  ne  sui- 
vez pas  mes  frères  !  »  La  malheureuse  Auvergne 
subit  à  son  tour  les  douleurs  de  l'invasion  qu'elle 
avait  évitées  jusqu'alors,  et  les  Francs  emmenè- 
rent de  longues  files  de  captifs  liés  deux  à  deux, 
qu'ils  vendaient  chemin  faisant.  «  Rien  ne  fut 
laissé  aux  habitants,  si  ce  n'est  la  terre,  que  les 
vainqueurs  ne  pouvaient  emporter.  » 

Le  fils  de  Thierry,  Théodebert,  lui  succéda,  et 
sembla  possédé  de  l'esprit  aventureux  de  ses  an- 
cêtres :  il  entraîna  luO.OOd  hommes  en  Italie, 
passa  le  Tessin  sur  un  pont  de  cadavres,  trompa 
et  battit  tour  à  tour  les  Goths  et  les  Grecs  qui  se 
disputaient  la  vallée  du  P6,  et  mourut  au  retour 
de  l'expédition. 

Sous  son  jeune  fils,  Théodebald,  les  maires  du 
palais  Leutliaris  et  Bucplin  entreprirent  encore 
au  delà  des  Alpes  une  expédition  funeste  à  la  fois 
aux  envahisseurs  et  au  pays  envahi.  Théode- 
bald mourut  (555),  et  le  royaume  des  Francs  de 
l'est  ou  Austrtisie  fut  partagé  entre  les  autres 
rois.  I 

Clodomir,  roi  d'Orléans,  se  tourna  contre  la  ! 
Bourgogne  où  régnaient  les  deux  fils  de  Gonde-  ! 
baud,  Sigjsmond  et  Gondemar.  La  vieille  reine 
Clotilde  poursuivait  contre  les  enfants  de  son 
oncle  la  vengeance  du  meurtre  de  son  père.  «  Que 
je  n'aie  point  à  me  repentir,  avait-elle  dit  à  ses 
fils,  de  vous  avoir  nourris  avec  tendresse  ;  que 
votre  indignation  ressente  mon  injure,  et  mettez 
vos  soins  à  venger  la  mort  de  mon  père  et  de  ma  ' 
mère.  »  Dans  une  expédition,  Clodomir  s'empara 
de  Sigismond  et  le  fit  jeter  dans  un  puits  avec  sa 
femme  et  ses  enfants.  Mais  bientôt  il  fut  puni  de 
son  crime  ;  à  la  bataille  de  Vézéronce  (534)  il 
tomba  dans  une  embuscade  et  fut  tué.  Dix  ans  ! 
après,  Childebertet  Clotaire  soumirent  la  Bourgo- 
gne  à  la  domination  franque.  | 

Clotilde  avait  pris  avec  elle,  à  Paris,  les  trois 
enfants  de  Clodomir.  Un  jour,  Childebert  et  Clo- 
taire se  concertèrent  et  firent  dire  à  leur  mère  :  ' 


Il  Envoie-nous  les  enfants,  que  nous  les  fassions- 
rois.  »  La  reine  embrassa  ses  petits-enfants  et 
les  fit  partir  en  disant  :  «  Je  croirai  n'avoir  pas 
perdu  mon  fils,  si  je  vous  vois  régner  à  sa  place.  » 
Quand  Childebert  les  tint  en  son  pouvoir,  au  palais 
des  Thermes,  il  envoya  à  sa  mère  Arcadlu8,undeces 
Romains  qui  mettaient  leur  esprit  de  ruse  au  ser- 
vice des  passions  violentes  des  barbares.  Celui-ci 
se  présenta  tenant  d'une  main  une  épée  et  de 
lautre  des  ciseaux.  «  Très  glorieuse  reine,  dit-il 
froidement,  nos  seigneurs,  tes  fils,  te  font  deman- 
der conseil  sur  ce  qu'on  doit  faire  des  enfants  ; 
veux-tu  qu'ils  vivent  la  chevelure  coupée,  ou  veux- 
tu  qu'ils  soient  égorgés?  »  Clotilde,  stupéfaite  et 
hors  d'elle,  s'écria  dans  l'égarement  de  la  dou- 
leur :  «  S'ils  ne  sont  pas  rois,  j'aime  mieux  les 
voir  morts  que  tondus  !  »  Arcadius  se  hâta  de  se 
retirer,  sans  lui  donner  le  temps  de  la  réflexion, 
et  porta  cette  réponse  aux  deux  rois.  Alors  Clo- 
taire prit  le  plus  âgé  par  le  bras,  le  jeta  contre 
terre,  et,  lui  plongeant  un  couteau  dans  l'aisselle, 
le  tua  impitoyablement.  Son  petit  frère,  tout  trem- 
blant, embrassa  les  genoux  de  Childebert,  qui  se 
laissa  attendrir.  Mais  i  lotaire  furieux  :  «  Laisse- 
le,  cria-t-il,  ou  je  te  tue  à  sa  place!  C'est  toi  qui 
m'as  poussé  à  faire  ceci,  et  voilà  que  tu  manques 
à  ta  foi  I  »  Childebert  lui  jeta  l'enfant  ;  Clotaire  le 
saisit  et  lui  enfonça  son  couteau  dans  le  flanc. 
Alors  les  serviteurs  et  les  leudes  de  Clodomir 
firent  irruption  dans  la  chambre,  enlevèrent  le 
jeune  Clodoald  que  ses  oncles  allaient  tuer,  et 
le  déposèrent  au  monastère  de  Nogent,  qui  prit 
le  nom  de  Saint-Clodoald  ou  Saint-CIoud.  «  Ces 
choses  étant  faites,  dit  Grégoire  de  Tours,  Clo- 
taire alla  se  promener  tranquillement  par  la 
ville.  » 

Childebert  étant  mort  (558),  Clotaire  resta  seul 
roi.  Les  Saxons  lui  refusèrent  le  tribut  et  le  bat- 
tirent ;  ses  leudes  le  maltraitèrent  et  faillirent  le 
tuer  pour  le  forcer  à  les  mener  au  combat;  son 
fils,  Chramne,  se  révolta  ;  il  le  saisit,  l'attacha 
dans  une  chaumière  avec  sa  femme  et  ses  enfants, 
et  y  mit  le  feu.  L'année  suivante,  il  fut  pris  de 
la  fièvre  et  disait  en  gémissant  :  "  Que  pensez- 
vous  que  soit  le  roi  du  ciel,  qui  tue  ainsi  de  si 
grands  rois'?  »  Et  il  rendit  l'esprit  (5G1).  Il  laissait 
quatre  fils,  Sigebert,  Chilpéric,  Contran  et  Caribert. 
Deuxième  période  (561-62S).  —  Sous  les  fils 
et  les  petits-fils  de  Clotaire  I",  les  Francs  tour- 
nèrent leurs  armes  contre  eux-mêmes .  Sige- 
bert fut  roi  d'Austrasie  ou  de  Metz  ;  Chilpéric, 
roi  de  Xeustrie  ou  de  Soissons;  Contran,  roi  de 
Bourgogne  ou  d'Orléans;  Cariberl,  roi  de  Paris  et 
d'Aquitaine.  La  mort  de  ce  dernier  en  567,  et  le 
partage  de  ses  Etats  entre  ses  frères,  réduisit  à 
trois  le  nombre  des  royaumes  francs. 

C'est  à  cette  époque  qu'éclata  la  guerre  civile 
connue  sous  le  nom  de  rivalité  de  la  Neustrie  et 
de  l'Austrasie.  Elle  fut  provoquée  par  la  différence 
des  moeurs  des  deux  peuples  francs  et  par  la 
haine  violente  de  deux  femmes.  Les  Francs  Aus- 
trasiens,  établis  sur  les  bords  du  Rhin  et  de  la 
Moselle,  près  du  berceau  de  leur  race,  avaient 
peu  subi  l'influence  du  christianisme  et  de  la  ci- 
vilisation romaine;  ils  avaient  conservé  les  institu- 
tions et  les  coutumes  de  la  Germanie.  Les  Neus- 
triens,  au  contraire,  vivant  au  milieu  des  popula- 
tions gallo-romaines,  en  avaient  adopté  les  mœurs 
et  les  usages.  Les  doux  peuples  frères  étaient 
ainsi  devenus  peu  à  peu  étrangers  l'un  à  l'autre. 
La  rivalité  de  Brunehaut  et  de  Frédégonde  en  fit 
des  ennemis. 

Le  roi  Sigebert,  honteux  de  voir  ses  frères 
épouser  des  femmes  de  service  et  changer  d'é- 
pouse à  leur  caprice,  fit  demander  la  main  de 
Brunehaut,  fille  dAthanagilde,  roi  des 'Wisigoths. 
Il  l'obtint  et  célébra  son  mariage  à  Metz,  au  milieu 
d'un   nombreux  concours  de  leudes  francs  et  de 


i 


MEROVINGIENS 


—  1289  — 


MÉROVINGIENS 


noblos  gaulois.  Rien  n'y  manqua,  ni  los  longs  et 
bruyants  festins,  ni  les  éclats  de  la  gaieté  germani- 
que, ni  les  clianls  rauques  des  barbares,  ni  mùme 
les  vei-3  latins  d'un  Italien  bel  esprit,  que  tout  le 
monde  applaudissait  pour  avoir  l'air  de  le  com- 
prendre, le  poiHo  Fortunatus.  Tant  de  gloire  donna 
de  la  jalousie  à  Cliilpéric.  11  renvoya  sa  femme- 
servante  Frédégonde,  et  fit  demander  la  main  de 
la  sœur  aînée  de  Brunehaut,  Galswintbe.  Cette 
jeune  princesse,  d'un  caractère  doux  et  timide,  vit 
cette  alliance  avec  effroi,  et  sa  mère  partageait 
toutes  ses  anxiétés.  «  Sois  heureuse,  ma  fille, 
disait-elle;  mais  j'ai  peur  pour  toi,  prends  bien 
garde.  »  Le  roi  Atlianagilde,  désireux  de  consolider 
son  alliance  avec  les  Francs,  consentit  à  cette 
union.  Cliilpéric  aima  sa  nouvelle  lemme  d'abord 
par  vanité,  parce  qu'elle  était  fille  de  roi,  puis 
l)ar  avarice,  parce  qu'elle  lui  avait  apporté  une 
riclie  dot  ;  enfin  il  s'en  dégoûta,  et  un  matin  la 
malheureuse  reine  fut  trouvée  étranglée  dans  son 
lit.  Frédégonde  reprit  sa  place.  Sigebert,  excité 
par  Brunehaut  qui  voulut  venger  sa  sœur,  accusa 
son  frère  d'assassinat,  conquit  toute  la  Neustrie, 
mais  lut  assassiné  devant  ïournay  par  des  émis- 
saires de  ï"rédégonde  (à75).  Cette  femme  à  l'àme 
féroce  ne  recula  devant  aucun  crime  pour  assurer 
la  couronne  h  ses  enfants  :  elle  fit  périr  tous  les 
fils  ([ue  Chilpcric  avait  eus  d'une  première  femme, 
Audovère;  mais  ses  propres  enfants  furent  empor- 
tés par  la  maladie.  En  684,  Cliilpéric  fut  assassiné 
par  une  main  restée  inconnue  ;  quatre  mois  aupa- 
ravant, Fi-édégonde  avait  donné  le  jour  h  un  fils  qui 
devait  survivre  i  sa  mère  et  lui  succéder. 

Pendant  que  Frédégonde  épouvantait  la  Neustrie 
par  ses  crimes,  Brunehaut  faisait  reconnaître  en 
Austrasie  l'autorité  de  son  fils,  Childebert  II. 
Mais  elle  essaya  vainement  de  soumettre  à  sa  loi 
la  sauvage  indépendance  des  leudes.  Des  révoltes 
éclatèrent  ;  Brunehaut,  revêtue  de  l'habit  de 
guerre,  voulut  se  jeter  au  milieu  des  hommes 
d'armes  :  «  Femme,  lui  dit  le  chef  des  leudes, 
retire-toi,  qu'il  te  suffise  d'avoir  régné  sous  le 
nom  de  ton  mari  ;  maintenant,  c'est  ton  lils  qui 
règne,  et  son  royaume  n'est  pas  sous  ta  garde, 
mais  sous  la  nôtre.  Va-t'en  donc,  de  peur  que  les 
pieds  de  nos  chevaux  ne  t'écrasent  contre  terre.  » 
Brunehaut  parvint  cependant  à  reprendre  son 
pouvoir,  et,  pour  l'assurer  contre  de  nouvelles 
révoltes  des  grands,  elle  ménagea  à  son  fils 
Childebert  l'alliance  de  son  oncle  Contran,  le  plus 
doux  et  le  plus  pacifique  des  rois  mérovingiens.  Au 
traité  d'Andelot  (587).  Childebert  et  Contran  se  re- 
connurent héritiers  l'un  de  l'autre  au  cas  où  ils 
mourraient  sans  enfants  ;  ils  devaient  rester  unis 
contre  les  trahisons  des  grands;. et,  pour  s'assurer 
la  fidélité  de  leurs  leudes,  ils  leur  garantissaient 
l'hérédité  de  leurs  bénéfices,  concession  importante 
qui  était  un  premier  pas  vers  le  régime  féodal. 

Forte  de  cette  alliance ,  Brunehaut  recom- 
mença la  lutte  contre  Frédégonde.  IMais  ses  sol- 
dats furent  vaincus  à  Droisy,  près  de  Soissons 
{h9S).  Childebert  mourut  sans  avoir  pu  réparer 
cette  défaite.  Ses  deux  fils  Théodebert  II  et 
Thierry  II  régnèrent  en  Austrasie  et  en  Bourgogne. 
Leur  aïeule,  Brunehaut,  régente  pendant  leur 
minorité,  tenta  une  fois  encore  le  sort  des  armes. 
Frédégonde  fut  de  nouveau  victorieuse  à  Latofao 
f5i!(j),  et  mourut  l'année  suivante,  au  milieu  de 
toutes  les  grandeurs,  laissant  la  couronne  h  son 
fils  Clotaire  11. 

Tout  autre  fut  la  mort  de  Brunehaut.  Cette 
friiime  qui  avait  l'instinct  de  la  civilisation  voulut 
'(  iiibiittre  la  barbarie  par  des  moyens  barbares. 
I  11  issée  de  l'Austrasie  par  une  révolte  des  grands, 
(  llr  retrouva  son  autorité  en  Bourgogne  et  l'exerça 
.•i\''C  une  cruauté  inouïe  :  elle  fit  lapider  l'évêque 
il.  Vienne,  saint  Didier,  et  chassa  saint  Colora- 
ban    de  son  monastère   de  Luxeuil.  Un  moment 


elle  réunit  ses  deux  petits-fils  contre  Clotaire  II, 
et,  victorieuse  à  Dornians  et  à  Etampes  'CU0-C04), 
elle  enleva  une  partie  de  la  Neustrie.  Mais  la  dis- 
corde ayant  éclaté  entre  Théodebert  et  Thierry, 
elle  prit  la  défense  de  ce  dernier  et  fit  mettre  à 
mort  Théodebert.  Les  leudes  furent  indignés  de 
tant  de  crimes  et  de  tant  d'ambition.  A  la  mort 
de  Thierry,  ils  offrirent  à  Clotaire  II  les  deux  cou- 
ronnes d'Austrasie  et  de  Bourgogne  et  lui  livrè- 
rent la  vieille  reine,  n  Lorsque  Brunehaut  fut 
amenée  en  présence  de  Cloiaire,  dit  le  vieux  chro- 
niqueur Frédégaire,  celui-ci  sentit  se  ranimer  la 
haine  furieuse  qu'il  lui  portait,  et  il  lui  reprocha 
d'avoir  causé  la  mort  de  dix  rois  francs.  Ensuite, 
il  la  livra  pendant  trois  jours  à  tontes  sortes  de 
tourments,  et  la  fit  passer  sur  un  chameau  i  tra- 
vers toute  son  armée.  Après  cela,  elle  fut  atta- 
chée par  les  cheveux,  par  un  pied  et  par  un  bras 
'.i  la  queue  d'un  cheval  très  vicieux  qui  la  brisa, 
membre  par  membre,  à  coups  de  pieds,  en  l'en- 
traînant dans  sa  course.  »  Ainsi  se  vengeaient  les 
Francs  de  la  femme  énergique  qui  .ivait  voulu  les 
plier  au  joug  de  la  loi  et  de  la  volonté  royale. 

Clotaire  11  (G13-6'i8)  resta  l'humble  sujet  de  l'a- 
ristocratie qui  l'avait  fait  vaincre.  «  Ce  Clotaire 
était  patient,  instruit  dans  les  lettres,  craignant 
Dieu,  grand  bienfaiteur  des  églises  et  des  prêtres, 
très  charitable  envers  les  pauvres,  plein  de  bonté 
et  de  piété  envers  tous.  Néanmoins  il  aima  un 
peu  trop  la  chasse  des  bètes  fauves,  et,  vers  la  fin, 
il  prêtait  trop  facilement  l'oreille  aux  suggestions 
des  femmes.  Il  en  fut  vivement  blâmé  par  ses 
leudes.  »  Le  pauvre  roi  eut  besoin  de  toute  cette 
patience,  dont  le  loue  le  vieux  chroniqueur,  pour 
porter  le  joug  pesant  que  sa  victoire  venait  de  lui 
imposer.  Il  resta  entre  les  mains  des  grands, 
conseillé,  redressé,  surveillé,  réprimé.  On  luifit 
assembler  le  fameux  concile  de  Paris  (015),  réii- 
nion  de  leudes  et  d'évêques  qui  prit  à  tâche  d'é- 
crire dans  la  loi  les  conquôies  de  l'aristocratie 
laïque  et  ecclésiastique.  Le  gouvernement  fiscal 
et  absolu  que  les  Mérovingiens  avaient  essayé 
d'établir  fut  irrévocablement  condamné ,  et  la 
royauté  fut  réduite  à  l'impuissance.  Rétablisse- 
ment des  élections  canoniques,  et,  par  consé- 
quent, annulation  de  l'influence  royale  dans  le 
choix  des  évèques;  défense  au  fisc  de  mettre  la 
main  sur  les  successions  dont  un  testament  ne 
disposait  pas,  d'augmenter  les  impôts  et  les  péa- 
ges, d'employer  les  juifs  pour  les  percevoir;  res- 
ponsabilité des  juges  et  des  autres  officiers  du 
roi  ;  restitution  des  bénéfices  enlevés  aux  leudes; 
défense  au  roi  d'accorder  à  l'avenir  des  permis- 
sions pour  enlever  les  riches  veuves,  les  reli- 
gieuses et  les  vierges;  peine  de  mort  contre  celui 
qui  oserait  enfreindre  un  seul  de  ces  articles  : 
tels  sont  les  principaux  points  de  la  Constitution 
perpétuelle  dictée  au  roi  par  le  Concile  de  615. 
Tous  les  abus  de  l'autorité  royale  sont  condam- 
nés; ceux  du  gouvernement  des  grands  vont  com- 
mencer. 

3«  période  {Gn-^ii).  — Les  Francs  au  septième 
siècle.  —  Le  fils  de  Clotaire  II,  Dagobert  (G-'S  C3S) 
fut  le  plus  puissant  des  rois  Mérovingiens.  Après 
la  mort  de  son  frère  Caribert,  à  qui  il  avait  aban- 
donné l'Aquitaine,  il  rentra  en  possession  de  cette 
province.  A  la  môme  époque,  il  reçut  l'iionuiiage 
de  Judicael,  duc  des  Bretons,  et  se  trouva  ainsi 
maître  de  tout  l'empire  des  Francs.  Il  essaya  de 
ramener  un  peu  d'ordre  dans  cette  société  si  trou- 
blée, et,  reprenant  les  idées  de  Brunehaut,  il 
voulut  élever  la  royauté  au-dessus  des  factions 
des  grands.  Il  éluda  les  prescriptions  de  la  Cons- 
titution perpétuelle  et  fit  revivre  le  système  de 
l'administration  romaine.  Sa  cour  devint  aussi 
fastueuse  que  celle  des  empereurs  :  il  siégeait, 
les  jours  de  fête,  sur  un  trône  d'or  massif  forgé 
par  saint  Eloi,  qui  avait  été  orfèvre  et  directeur 


MEROVINGIENS 


—  1290  — 


MEROVINGIENS 


de  la  monnaie  royale  de  Paris,  avant  de  devenir 
évoque  de  Noyon.  Dagobert  bâtit  l'abbaye  de 
Saint-Denis,  dota  les  églises,  mais  écrasa  le  peu- 
ple d'impôts.  Celui  qu'on  a  appelé  le  Sa'omon  des 
Fra7ics  a  laissé  après  lui  le  souvenir  d'une  magni- 
ficence dont  le  déniiment  de  ses  successeurs 
devait  encore  augmenier  le  prestige. 

Quelles  ont  été  les  conséquences  de  l'Invasion 


"VVisigotlis  à  la  fin  du  v'  siècle,  la  loi  Salique  et 
celle  des  Ripuaires  au  commencement  du  vu*. 

La  Loi  salique  est  le  monument  capital  de  cette 
époque.  Rédigée  une  première  fois  avant  la  con- 
quête du  bassin  de  la  Seine  par  les  Krancs,  elle  a 
été  l'objet  de  plusieurs  rédactions  postérieures 
dont  l'une  remonte  à  lépoque  de  Clovis.  La  loi 
Salique,  dit  Guizot  dans  son  Histoire  de  la  eiviti 


\ 


germanique,  et  en  particulier  de  l'invasion    fran- 1  satinn  in  l'i-ance,  traite  de  toutes  choses,  du  droit 


que,  sur  la  constitution  de  la  société  gauloise'? 
Elles  ont, été  moins  grandes  qu'on  ne  le  pense  gé- 
néralement. M.  Fustel  de  Coulanges,  dans  un  li- 
vre remarquable  sur  les  Ins'iluii'Hs  politiques  de 
^ancienne  France,  a  pu  dire  que  l'invasion  n'avait 
apporté  en  Gaule  ni  un  sang  nouveau,  ni  une  nou- 
velle langue,  ni  un  nouveau  caractère,  ni  des 
institutions  essentiellement  germaniques. 

Les  Gaulois  ne  firent  que  changer  de  maîtres  : 
au  fisc  impérial  succède  le  fisc  royal,  au  coinié  ro 


politique,  du  droit  civil,  du  droit  criminel,  de  la 
procédure  civile,  de  la  procédure  criminelle,  de  la 
police  rurale,  et  péle-mèle,  sans  aucune  distinction 
ni  classification.  Quand  on  regarde  de  près  au  con- 
tenu de  cette  loi,  on  s'aperçoit  que  c'est  essentielle- 
ment une  loi  pénale,  que  le  droit  criminel  y  tient 
presque  toute  la  place.  Le  droit  politique  n'y  ap- 
paraît qu'indirectement  et  par  allusion  à  des  insti- 
tutions, à  des  faits  qui  sont  regardés  comme  établis 
et  que   la  loi  n'a  aucun  dessein  de  fonder.  Sur  le 


main  le  fii-f  barbare,  à  l'oppression  systématique  '  droit   civil,   elle    renferme    quelques  dispositions 
la  domination  brutale  et  fantasque.  Toutefois  les  '  plus  précises.  C'est  un  Code  pénal.  On  y  compte 


impôts  se  payèrent  en  nature  plus  souvent  qu'en 
monnaie,  et  devinrent  par  conséquent  moins 
écrasants.  Les  rois  eux-mêmes  ajoutent  volontiers 
à  leur  titre  ceux  tous  romains  de  prince,  pnirice, 
homme  illustre.  Us  prennent  les  insignes  impé- 
riaux, la  couronne  d'or,  le  troue  d'or,  le  sceptre, 
la  chlaniyde  et  la  tunique  de  pourpre.  Leurs  ima- 
ges les  représentent  en  costume  d'empereurs  ro- 
mains et  en  robe  consulaire.  Bientôt  même,  ils 
sentirent  qu'ils  avaient  besoin  dune  administra- 
tion dont  les  Romains  connaissaient  seuls  le  mé- 
canisme. Us  les  appelèrent  h  eux,  les  opposèrent 
à  leurs  leudes  indociles  et  farouches,  et  consultè- 
rent avec  une  véritable  prédilection  les  ovèques 
et  les  patrices  romains. 

Les  terres  de  la  Gaule  formèrent  trois  sortes  de 


34:J  articles  de  pénalité,  et  65  seulement  sur  tous 
les  autres  sujets.  Les  délits  prévus  dans  la  loi  Sa- 
lique se  classent  presque  tous  sous  deux  chefs,  le 
vol  et  la  violence  contre  les  personnes.  Sut  :U3  ar- 
ticles de  droit  pénal,  150  se  rapportent  à  des  cas 
de  vols,  et  dans  ce  nombre  74  articles  prévoient  et 
punissent  les  vols  d'animaux.  La  loi  entre  à  ce 
sujet  dans  les  plus  minutieux  détails  :  le  délit  et 
la  peine  varient  selon  l'âge,  le  sexe,  le  nombre  des 
animaux  volés,  le  lieu  et  l'époque  du  vol.  Les  cas 
de  violence  contre  les  personnes  fournissent 
113  articles,  dont  30  pour  le  seul  fait  do  mutilation, 
également  prévu  dans  toutes  ses  variétés.  Cette 
législation  qui  révèle  des  mœurs  violentes,  bruta- 
les, ne  contient  point  de  peines  cruelles;  elle 
semble   porter  à    la  personne  et  h  la    liberté  des 


propriétés.  Les  alleux  étaient  les  lots  tirés  au  sort  hommes  libres  au  moins,  un  singulier  respect",  car, 
entre  les  conquérants,  qui  y  vivaient  dans  une  ,  dès  qu'il  s'agit  d'esclaves  et  même  de  colons,  la 
indépendance  absolue,  obliges  seulement  au  ser-  cruauté  brutale  reparaît,  la  loi  abonde  en  tourments 
vice  militaire,  lorsque  l'assemblée  générale  déci- [  et  en  supplices;  mais  pour  les  hommes  libres, 
dait  la  guerre.  Les  bénéfices  ou  bienfaits  étaient  ;  Francs  et  même  Romains,  elle  est  d'une  extrême 
des  portions  distraites  par  les  rois  ou  les  chefs  !  modération.  Quelques  cas  seulement  de. peine  de 
puissants  de  leurs  propres  domaines  ;  ils  les  confé-  \  mort  ;  encore  peut-on  s'en  racheter.  Point  de  peines 
raient  à  leurs  compagnons  ou  fidèles  sous  certaines  corporelles,  point  d'emprisonnement.  L'unique 
conditions.  Tantôt  viagers,  tantôt  héréditaires,  !  peine  écrite,  à  vrai  dire,  dans  la  loi  Salique,  est  la 
tantôt  révocables  à  volonté,  tantôt  temporaires,  les  j  composition,  Wehrijeld,  VV'î'A'î'jfW,  c'est-à-dire  une 
bénéfices  obligeaiejit  toujours  le  détenteur  à  des  certaine  somme  que  le  coupable  est  tenu  de  payer 
services  militaires  et  domestiques.  Les  terres  tri-\  à  l'ofl'ensé  ou  à  sa  famille.  Au  Welirgeld  se  joint, 
èutaires,  qui  étaient  les  plus  nombreuses,  payaient  dans  un  assez  grand  nombre  de  cas,  ce  que  les 
un  cens  au  trésor  du  roi  ou  à  un  propriétaire  par-  i  lois  germaniques  appellent  le  Fred,  somme  payée 


ticulier. 

Comme  les  terres,  les  hommes  libres  se  trouvè- 
rent répartis  en  trois  classes.  Les  leude;  francs  ou 
gallo-romains  demeuraient  près  du  roi  dans  sa 
truste  ou  suite,  ou  bien  ils  étaient  chargés  de  gou- 
verner Uii  ou  plusieurs  cantons  en  qualité  de  ducs 


au  roi  ou  au  magistrat,  en  réparation  de  la  viola- 
tion de  la  paix  publique;  c'est  l'amende.  A  cola  se 
réduit  le  système  pénal  de  la  loi. 

Quntriéme  pério'le  (038-752).  —  Les  rois  fui- 
iiéiuts. —  Après  le  règne  de  Dagobert,  la  décadence 
des  Mérovingiens  commença  :  les  descendants  de 


ou  de  comtes.  Les  hommes  libres,  alirimnns  ou  Mérovée  et  de  Clovis  ne  furent  plus  que  les  >0(.' 
racliiiii bourgs  étaient  les  propriétaires  d'alleux  qui  i  fuineauts,  tristes  instruments  aux  mains  des  tout- 
n'étaient  pas  comi'agnons  du  roi.  Leur  nombre  di-  !  puissants  maires  du  palais  '.  Ces  magistrats,  qui 
minua  rapidement,  parce   que  leur  isolement  les  1  avaient  la  surveillance  générale  de  la   maison  et 


exposait  aux  entreprises  des  grands.  Les  tribu- 
taires disparurent  aussi  peu  à  peu,  les  uns  réduits 
au  servage,  les  autres  élevés  au  rang  de  béné- 
ficiaires. 

Il  y  avait  en  Gaule  autant  de  lois  que  de  nations, 
mais  toutes  avaient  trois  principaux  caractères 
•communs.  Elles  étaient  purement  pénales,  c'est-à- 
dire  qu'elles  ne  s'occupaient  qu'à  réprimer  les 
crimes  et  les  délits.  Elles  admettaient  la  coutume 
du  Welirgeld  ou  composition,  par  laquelle  un  cou- 
pable pouvait  toujours  se  racheter  à  prix  d'argent. 
Enfin,  elles  instituaient  dans  l'instruction  des 
procès  les  con/uratcurs,  qui  attestaient  par  ser- 
ment la  véracité  de  l'une  des  parties.  Toutes  ces 
lois  étaient  des  coutumes  traditionnelles,  origi- 
naires de  la  Germanie,  qui  furent  rédigées  posté- 
rieurement,  la   loi  des    liurgondes  et   celle   des 


de  la  truste  du  roi,  étaient  devenus  les  premiers 
officiers  du  palais  et  les  plus  grands  personnages 
après  le  roi.  Réunissant  à  la  fois  les  charges  de 
l'État  et  les  fonctions  de  la  domesticité,  ils  se 
trouvèrent  à  la  fin  les  chefs  des  leudes  et  les  mi- 
nistres de  la  royauté.  Leur  puissance  avait  grandi, 
à  mesure  que  diminuait  l'autorité  des  rois.  Bru- 
nehaut,  qui  voulut  arrêter  leurs  empiétements,  fut 
vaincue;  Clotaire  II  fut  obligé  de  promettre  sous 
serment  à  Warnachaire  de  ne  jamais  lui  enlever 
la  mairie  ;  Dagobert  échappa  un  moment  à  la  ty- 
rannie de  ce  magistrat  des  grands  ;  ses  descen- 
dants y  retombèrent  h  jamais.  Dans  l'Austrasie, 
les  maires  trouvaient  une  royauté  faible,  une  .aris- 
tocratie puissante  :  ils  se  tournèrent  contre  les 
Mérovingiens,  qu'ils  cherchèrent  à  supplanter. 
Dans  la  Neustrie,  ils  voyaient  des  institutions  ro- 


MEROVINGIENS 


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MEROVINGIENS 


mairies  encore  vivacos,  des  leudos  peu  nombreux, 
un  peuple  dès  longtemps  habitué  au  pouvoir  ab- 
solu; ils  se  firent  les  champions  du  pouvoir  royal 
<iu'ils  exerçaient,  et  les  adversaires  de  l'aristocra- 
tie, des  Austrasiens  et  de  leurs  maires,  membres 
de  la  grande  famille  d'Horistal. 

Dans  cette  lutte  nouvelle  de  l'Austrasie  et  de  la 
Neuslrie,  ce  dernier  pays  soutint  sans  trop  de  dé- 
savantage la  lutte,  grâce  au  génie  violent  d'Ebroin. 
Ce  maire  du  palais,  issu  du  pays  de  Suissons,  pos- 
sesseur de  grands  domaines,  mais  d'une  naissance 
peu  illustre,  avait  pris  le  gouvernement  de  la 
Neustrie  et  de  l'Austrasie,  au  nom  du  jeune  Clo- 
taire  III,  fils  de  Clovis  II,  et  petit-fils  de  Dago- 
bert,  tandis  que  les  Austrasiens  choisissaient  pour 
maire  WuU'oald,  et  pour  roi  Childéric  II,  frère  de 
Clotaire  III.  Ebroin  commença  par  supprimer  l'ar- 
ticle de  la  Constitution  perpétuelle  qui  ordonnait 
de  choisir  les  comtes  parmi  les  grands  proprié- 
taires des  comtés,  brisa  sans  scrupule  toutes  les 
résistances,  forçi  la  reine  liathilde,  mère  de  Clo- 
taire, à  se  réfugier  dans  le  monastère  de  thelles, 
et  mit  à  mort  les  évoques  de  Paris  et  de  Lyon. 
Léodegaire  ou  saint  Léger,  évoque  d'Aulun,  se 
fit  le  défenseur  de  l'édit  de  GI5  et  dos  privilèges 
conquis  par  les  grands.  L'hostilité  des  deux  adver- 
saires éclata  en  670,  à  la  mort  du  roi. 

Kbroin  craignit,  en  réunissant  les  Francs  pour 
l'élection  du  nouveau  roi,  de  leur  donner  l'occa- 
sion de  connaître  leurs  forces  et  d'attaquer  son 
autorité.  C'est  pourquoi  il  se  hâta  de  proclamer 
■Thierry  III,  troisième  fils  de  Clovis  II,  et  doniia 
ordre  aux  Francs,  qui  accouraient,  de  rentrer 
chez  eux  sous  peine  de  mort.  Ils  se  conjurèrent 
contre  lui,  brûlèrent,  selon  la  coutume  g'^ruiani- 
que,  les  maisons  de  ses  partisans,  et  donnèrent  la 
couronne  de  Neustrie  h  Childéric  II.  Ebroin,  sur- 
pris par  ce  mouvement  soudain,  fut  abandonné  de 
tous  et  se  réfugia  dans  une  église.  Ses  trésors  fu- 
rent pillés,  lui-même  fut  tondu  et  enfermé  au 
couvent  de  Luxeuil  :  le  pauvre  Thierry  III  eut  le 
même  sort,  il  fut  enfermé  au  monastère  de  Saint- 
Denis.  La  chute  d'Ebroin  eut  les  mêmes  consé- 
quences que  celle  de  Brunchaut  :  les  grands  im- 
posèrent leurs  conditions  au  roi  qu'ils  venaient  de 
reconnaître.  Mais  en  s'établissant  en  Neustrie, 
dans  la  France  romaine,  Childéric  se  mit  à  suivre 
les  exemples  d'Ebroin.  Léger  le  menaça  de  la  ven- 
geance divine  s'il  ne  tenait  son  serment  ;  le  roi 
l'accusa  de  comploter  la  destruction  do  la  royauté, 
et  l'envoya  à  Luxeuil  rejoindre  Ebroin.  Alors  il 
s'abandonna  à  tous  ses  caprices,  et  osa  faire  bat- 
tre de  verges  le  leude  Bodilon.  Peu  de  temps 
après,  il  fut  égorgé  dans  la  forêt  de  Bondy  avec  sa 
femme  et  son  enfant  (673). 

Une  effroyable  anarchie  s'ensuivit.  «  Les  exilés, 
dit  la  Vie  Un  Suint  Léger,  accouraient  comme  des 
serpents  qui  sortent  de  leurs  cavernes,  tout  gon- 
flés de  venin,  au  retour  du  printemps.  »  Ebroin  et 
saint  Léger  quittèrent  ensemble  Luxeuil,  après 
avoir  renouvelé  entre  les  mains  de  l'abbé  le  ser- 
ment d'oublier  le  passe.  Ils  entrèrent  à  Autun  avec 
leurs  partisiins,  et  se  dirigèrent  vers  Paris,  où 
était  le  roi  Thierry,  qui  venait  de  quitter  son  mo- 
nastère. En  chemin,  leur  accord  se  rompit;  Ebroin 
s  échappa  la  nuit,  se  réfugia  dans  ses  domaines 
de  Soissons  et  y  rassembla  ses  amis,  tandis  que 
Leudès,  fils  d'Erkinoald,  était  proclamé  maire  du 
palais  par  Léger  et  les  leudes  de  Burgondie. 
Ebrom  prit  hardiment  l'offensive.  Il  opposa  à 
Thierry  un  prétendu  fils  de  Clotaire  III,  Clovis  III, 
battit  Leudès  à  Pont  Saint-Maxence,  sur  l'Oise,  et  • 
le  força  de  s'enfermer  avec  son  roi  dans  les  murs 
de  Crécy.  L'Austrasie  et  la  Burgondie  repoussaient 
encore  le  faux  roi  et  le  faux  maire:  pour  abattre  ' 
les  révoltés,  Ebroin  mit  le  siège  devant  Autun.  [ 
t>amt  Legiîr,  qui  n'avait  montre  jusqu'alors  que 
les  qualités  d'un  chef  de  parti,  se  souvint  de  son  ' 


titre  d'évêque.  Il  fit  distribuer  aux  pauvres  sa 
vaisselle  d'argent,  ordonna  un  jeiine  de  trois  jours, 
demanda  pardon  à  ceux  qu'il  avait  offensés,  et, 
se  dévouant  pour  son  peuple,  sortit  de  la  ville  et 
se  livra.  On  lui  creva  les  yeux,  on  lui  coupa  la 
langue  et  les  lèvres,  et  il  comparut,  ainsi  mutilé, 
devant  le  concile  de  Marly.  Les  partisans  d'Ebroin 
le  condamnèrent,  et  il  fut  décapité  au  fond  d'un 
bois  (678). 

La  prise  de  Crécy  livra  à  Ebroin  Leudès  et 
Thierry  :  l'un  fut  massacré,  c'était  un  rival  ;  l'au- 
tre fut  épargné,  co  n'était  qu'un  instrument. 
Ebroin  lui  rendit  sa  couronne  et  se  débarrassa  de 
Clovis  III,  qui  n'était  plus  bon  à,  rien.  Alors, 
vainqueur  partout,  en  Burgondie  comme  en 
Neustrie,  il  usa  de  son  pouvoir  sans  scrupule  et 
sans  pitié.  Il  enleva  les  terres  du  domaine  royal 
aux  leudes  qui  les  occupaient,  les  repartit  entre 
ses  créatures,  constitua  une  classe  nombreuse  de 
petits  bénéficiaires,  qui  étaient  tout  à  lui  parce 
qu'ils  tenaient  tout  de  lui,  confisqua  le  patrimoine 
des  grands  rebelles,  et  les  força  à  s'exiler  en 
Austrasie.  En  mémo  temps,  il  gagna  à,  sa  cause 
ceux  des  évêques  qui  aimaient  l'ordre  civil  et 
l'administration  romaine,  saint  Ouen  de  Rouen, 
saint  Prix  d'Auvergne,  saint  Réol  de  Reims,  saint 
Egilbert  de  Paris.  Les  évêques  d'origine  franque, 
tels  que  saint  Genest  de  Lyon,  firent  seuls  cause 
commune  avec  les  leudes. 

Ebroin  poursuivit  ses  ennemis  jusqu'en  Austra- 
sie :  il  réclama  leur  extradition  ;  les  maires  Pépin 
d'Héristal  et  Martin  la  refusèrent,  et  il  envahit 
leur  pays.  Vainqueur  à  Latofao,  il  assassina  Mar- 
tin en  trahison,  et  allait  pousser  jusqu'au  Rhin 
lorsqu'il  périt  lui-même.  Un  leude,  nommé  Her- 
manfriod,  qu'il  avait  insulté,  l'attendit  un  diman- 
che matin,  armé  d'une  hache.  Ebroin  sortait  pour 
aller  aux  matines,  lorsque  son  ennemi  lui  brisa 
la  tête  (G81J. 

La  mort  d'Ebroin  marque  la  chute  de  la  puis- 
sance royale  des  Mérovingiens.  Son  successeur, 
Bertaire.  voulut  continuer  son  œuvre,  et  marcha 
contre  Pépin  d'Héristal  à  la  tête  «  d'une  grande 
multitude  de  petites  gens.  »  Il  fut  battu  et  tué  ï. 
Testry  (687).  La  Neustrie  était  vaincue  par  l'Aus- 
trasie, la  royauté  par  l'aristocratie,  la  famille  de 
Clovis  par  celle  de  Pépin. 

Désormais,  en  effet,  les  rois  mérovingiens 
Thierry,  Clovis,  Childebert,  Dagobei-t,  Chilpéric 
ne  régnent  plus  que  de  nom.  Lo  pouvoir  appar- 
tient tout  entier  à  Pépin  d'Héristal,  à  Charles 
Martel ,  à  Pépin  le  Bref  qui  ont  l'autorité  sans 
avoir  lo  titre  de  roi.  En  752,  Pépin  le  Bref,  avec 
l'assentiment  du  pape  Zacharie,  fit  déposer  dans 
l'assemblée  de  Soissons  le  dernier  Mérovingien, 
Childéric  III,  qui  fut  relégué  au  monastère  de 
Sithieu,  près  de  Saint-Omer.  Cette  révolution,  qui 
substituait  à  la  dynastie  mérovingienne  la  dynastie 
carlovingienne  était  depuis  longtemps  préparée 
et  acceptée  par  les  peuples  francs;  aussi  passa-t- 
elle  inaperçue.  [Désiré  Blanchet.] 

Lectures  et  dictées.  —  La  mort  des  enfants  de 
FbédégoiNue.  —  Agitée  par  ses  craintes  mater- 
nelles, Frédégonde  se  trouvait  un  jour  avec  le  roi 
Hilperik  (Chilpéric)  dans  la  pièce  du  palais  où 
leurs  deux  fils  étaient  couchés,  en  proie  à  l'acca- 
blement de  la  fièvre.  Il  y  avait  du  feu  dans  l'àtre 
à  cause  des  premiers  froids  de  septembre  et  pour 
la  préparation  des  breuvages  qu'on  administrait 
aux  jeunes  malades.  Hilperik,  silencieux,  donnait 
peu  de  signes  d'émotion;  la  reine,  au  contraire, 
soupirant,  promenant  ses  regards  autour  d'elle, 
et  les  fixant,  tantôt  sur  l'un,  tantôt  sur  l'autre  d^^ 
ses  enfants,  montrait,  par  son  attitude  et  ses 
gestes,  la  vivacité  et  le  trouble  des  pensées  qui 
l'obsédaient.  Dans  un  pareil  état  de  l'àme,  il  arri- 
vait souvent  aux  femmes  germaines  de  prendre  la 
parole  en  vers  improvisés  ou  dans  un  langage  plus 


MEROVINGIENS 


—  1292  —   MESURES  ANCIENNES 


poétique  et  plus  modulé  que  le  simple  discours. 
Soit  qu'une  passion  vélicmente  les  dominât,  soit 
qu'elles  voulussent,  par  un  épancliement  de  cœur, 
diminuer  le  poids  de  quelque  souffrance  morale, 
elles  recouraient  d'instinct  à  cette  manière  plus 
solennelle  d'exprimer  leurs  émotions  et  leurs  sen- 
timents de  tout  genre,  la  douleur,  la  joie,  l'amour, 
la  liaine,  l'indignation,  le  mépris.  Ce  moment 
d'inspiration  vint  pour  Frédégonde;  elle  se  tourna 
vers  le  roi,  et,  attachant  sur  lui  un  regard  qui 
commandait  l'attention,  elle  prononça  les  paroles 
suivantes  :' 

»  11  y  a  longtemps  que  nous  faisons  le  mal  et 
«  que  la  bonté  de  Dieu  nous  supporte;  souvent 
i(  elle  nous  a  cliàtiés  par  des  fièvres  et  d'autres 
Il  maux,  et  nous  ne  nous  sommes  pas  amendés. 

»  Voilà  que  nous  perdons  nos  fils  ;  voilà  que  les 
«  larmes  des  pauvres,  les  plaintes  des  veuves,  les 
n  soupirs  des  orphelins  les  tuent,  et  nous  n'avons 
«  plus  l'espérance  d'amasser  pour  quelqu'un. 

o  Nous  thésaurisons  sans  savoir  pour  qui  nous 
o  accumulons  tant  de  choses  ;  voilà  que  nos  tré- 
■I  sors  restent  vides  de  possesseur,  pleins  de  ra- 
«  pines  et  de  malédiction. 

0  Est-ce  que  nos  celliers  ne  regorgeaient  pas 
<i  de  vin  ?  Est-ce  que  nos  greniers  n'étaient  pas 
a  combles  de  froment?  f^st-ce  que  nos  coffres  n'é- 
i<  talent  pas  remplis  d'or,  d'argent,  de  pierres 
«  précieuses,  de  colliers  et  d'autres  ornements 
(i  impériaux?  Ce  que  nous  avions  de  plus  beau, 
«  voilà  que  nous  le  perdons.  » 

Ici  les  larmes  qui,  dès  le  début  de  cette  lamen- 
tation, avaient  commencé  à  couler  des  yeux  de  la 
reine,  et  qui,  à  chaque  pause,  étaient  devenues  plus 
abondantes,  étouffèrent  sa  voix.  Elle  se  tut  et 
resta  la  tête  penchée,  sanglotant  et  se  frappant  la 
poitrine,  puis  elle  se  redressa,  comme  inspirée 
par  une  résolution  soudaine,  et  dit  au  roi  :  «  Eh 
<i  bien  !  si  tu  m'en  crois,  viens  et  jetons  au  feu  tous 
«  ces  rôles  d'impôts  iniques  ;  contentons-nous,  pour 
«  notre  fisc,  de  ce  qui  a  suffi  à  ton  père,  le  roi 
Il  Chlother.  »  Aussitôt  elle  donna  l'ordre  d'aller 
chircher  dans  ses  coffres  les  registres  de  recense- 
ment que  Marcus  avait  rapportés  des  villes  qui 
lui  appartenaient.  Lorsqu'elle  les  eut  sous  sa 
main,  elle  les  prit  l'un  après  l'autre  et  les  jeta 
dans  le  large  foyer,  au  milieu  des  tisons  brûlants. 
Ses  yeux  s'animaient  en  voyant  la  flamme  enve- 
lopper et  consumer  ces  rôles  obtenus  à  grand 
peine;  mais  le  roi  Hilperik,  étonné  bien  plus  que 
joyeux  de  cette  action  inattendue,  regardait  sans 
proférer  un  seul  mot  d'acquiescement.  «  Est-ce 
«  que  tu  hésites,  lui  dit  la  reine  d'un  ton  impérieux  ; 
Il  fais  ce  que  tu  me  vois  faire,  afin  que,  si  nous 
n  perdons  nos  fils,  nous  échappions  du  moins  aux 
n  peines  éternelles.  » 

Obéissant  à  l'impulsion  qui  lui  était  donnée, 
Hilperik  se  rendit  à  la  salle  du  palais  où  les  actes 
publics  étaient  réunis  et  conservés  ;  il  en  fit 
extraire  tous  les  rôles  dressés  pour  la  perception 
des  nouvelles  taxes,  et  commanda  qu'ils  fussent 
jetés  au  feu.  Ensuite  il  envoya  dans  les  diverses 
provinces  de  son  royaume  des  hommes  cliargos 
d'annoncer  que  le  décret  de  l'année  précédente 
sur  l'impôt  territorial  était  annulé  par  le  roi,  et 
de  défendre  aux  comtes  et  à  tous  les  officiers 
fiscaux  de  l'exécuter  à  l'avenir. 

Cependant  la  maladie  mortelle  suivait  son  cours; 
le  plus  jeune  des  deux  enfants  succomba  le  pre- 
mier. Ses  parents  voulurent  qu'il  fût  enseveli  dans 
la  basilique  de  Saint-Denis,  et  ils  firent  transpor- 
ter sou  corps  du  palais  de  Braine  à  Paris,  sans 
l'accompagner  eux-mêmes.  Tous  leurs  soins  se 
portaient  des  lors  sur  Chlodobert,  dont  l'état  ne 
donnait  plus  qu'une  faible  espérance.  Renonçant 
pour  lui  à  tout  secours  humain,  ils  le  placèrent 
sur  un  brancard,  et  le  conduisirent  à  pied  jusque 
dans  Soissons,  à  la  basilique  de  Saint-Médard.  Là, 


suivant  une  des  pratiques  religieuses  du  siècle, 
ils  l'exposèrent,  couché  dans  son  lit,  près  de  la. 
tombe  du  saint,  et  firent  un  vœu  solennel  pour 
le  rétablissement  de  sa  santé.  Mais  le  malade, 
épuise  par  la  fatigue  d'un  trajet  de  plusieurs- 
lieues,  entra  en  agonie  le  jour  même,  et  il  expira 
vers  minuit.  Cette  mon  émut  vivement  toute  la 
population  de  la  ville  ;  à  l'impression  de  sympa- 
thie que  cause  d'ordinaire  la  fin  prématurée  des 
personnes  royales,  se  joignait,  pour  les  habitants 
de  Soissons,  un  retour  personnel  sur  eux-mêmes. 
Presque  tous  avaient  à  pleurer  quelque  perte 
récente.  Ils  se  portèrent  en  foule  aux  funérailles- 
du  jeune  prince,  et  le  suivirent  processionnelle- 
ment  jusqu'au  lieu  de  sa  sépulture,  la  basilique 
des  martyrs  samt  Crépin  et  saint  Crépinien.  (Au- 
gustin Thierry,  Récits  des  temps  mérovingiens, 
septième  récit.) 

MESURES  AJfClENîNES  (Conversion  des).  — 
Arithmétique,  XXXVII.  —  1.  —  Avant  l'établisse- 
ment du  système  métrique,  il  y  avait  en  France  un. 
grand  nombre  de  mesures,  variant  d'une  conirée 
à  l'autre  ;  nous  ne  parlerons  que  des  principales- 

MESURES  DE  i.ONGtEi'B.  —  L'uuité  principale  était 
la  toise  ;  elle  se  divisait  en  6  pieds,  chaque  pied  en 
12  ^0!;e'>s  et  chaque  pouce  en  12  lirjn.s.  Le  quart 
du  méridien,  mesuré  par  les  astronomes  français, 
a  été  trouvé  de  5,l30,"i0  toises.  Il  en  résulte  que 
5,1.30,740  toises  valent  Kl, 000,000  de  mètres.  On 
obtient  donc  la  valeur  de  la  toise  en  mètres  en 
divisant  10.000,000  par  5,130,740,  ce  qui  donne 
1  ",94904.  En  divisant  par  8,  on  obtient  pour  la 
valeur  du  pied  0°, 32484  ;  divisant  par  12,  on  trouve 
pour  la  valeur  du  pouce  0",02"0"  ;  et  la  12'  par- 
tie de  ce  dernier  nombre,  soit  0",0»2256,  est  la 
valeur  de  la  ligne.  A  l'aide  de  ces  valeurs  on  peut 
former  le  tableau  suivant  : 


t  toise  vaut  l'",9400-i 

2  —  3  ,8!!8U7 

3  —  5  ,84-11 

4  —  1   ,19615 

5  —  9  ,74518 


1  pied  vaut 

2  — 

3  — 


0-,32481 
0  ,64908 
0  ,97452 


0  toises  valent  1 1°',69422 
7         —  13  ,64326 

S         —  15  ,59229 

9        —  17  ,541-33 

10  —  19  ,49037 

4  pieds  valent    1  ,2993& 

5  —  1  ,62430 

7  pouces valentO  ,18949' 

8  —  0  ,21656 

9  —  0  ,24.363 
in  —  0  ,27070 

11  —  0  ,29777 

7  lig.  valent  0'°,015791 
8—0  ,1118047 
9—0  ,0-.'0302 

0  ,022558. 

0  ,024814 


10    — 


1  pouce  vaut  0", 02707 

2  —  0  ,05414 

3  —  0  ,08131 

4  —  0  ,10828 

5  —  0  ,13535 

6  —  0  ,10242 

1  ligne  vaut  0°,0n2356 
2—0  ,004512 
3—0  ,0067(17 
4        _  0  ,006023 

5—0  ,011279 
6        —  0  ,013535 

L'usage  de  cette  table  est  des  plus  faciles  ;  soit 
à  convertir  en  mètres  une  longueur  de  3  toises 
5  pieds  9  pouces  10  lignes  ;  la  table  donnera  sup- 
cessivement  : 

pour    3  toises 5", 8471 

pour     5  pieds 1  ,6'.'420 

pour     9  pouces....  0  ,".'4363 

pour  10  lignes 0  ,02;55S 

Total 7",13'i498 

ou,  à  très  peu  près,  7", 737  et  demi. 

2.  —  Pour  opérer  la  conversion  inverse,  on  re- 
marque que  10,01  0,000  de  mètres  valent  5,l3ii,740 
toises  ;  un  mètre  vaut  o'.5Wi074.  Pour  convertir 
en  toises  un  nombre  donné  de  mètres,  il  faudra 
donc  multiplier  0',5I30';4  par  ce  nombie  :  la  par- 
tie entière  exprimera  les  toises     on  multipliera 


MESURES  ANCIENNES  —  1293  —  MESURES  ANCIENNES 


la  partie  fractioiinairo  par  G:  la  partie  entière  du 
produit  exprimerï  les  pieds;  on  multipliera  la 
nouvelle  partie  fractionnaire  par  12  :  la  parue  en- 
tière du  nouveau  produit  exprimera  les  pouces  ; 
enfin,  en  multipliant  la  dernière  partie  fraction- 
naire par  12,  on  aura  les  lignes. 
On  trouvera  ainsi  que 

1»  équivaut  i  3P    Op  11>,S. 

'J»,8088  équivaut  à     a^  0''    2p     4', 2. 

3.  mrsuhes  de  supeuficie.  —  La  toise  ayant 

pour  valeur  n.Ol'JOi.on  obtiendra  celle  de  la  toise 
carrée  en  multipliant  ce  nombre  par  lui-même,  ce 
•qui  donne  ■'i'"i|,Ty87.  La  aC  partie  de  ce  nombre,  soit 
O"»i,1055,  représente  \&  pied  carré.  On  obtiendrait 
la  valeur  du  pouce  carre  en  divisant  celle  du  pied 
■carré  par  IVi.  On  pourrait  à  l'aide  de  ces  valeurs 
former  un  tableau  analogue  au  précédent  ;  mais 
nous  no  croyons  pas  devoir  le  reproduire  parce 
qu'il  a  pou  d'applications.  On  le  trouvera  dans 
l'Annuaire  du  Bureau  des  longitudes. 

A  l'aide  des  valeurs  ci-dessus,  on  trouvera  que 
ISTi   2jP"l   équivalent  à: 

3""l,7987  X  13  -h  0™q,1055  X  25, 

c'est-à-dire  53'"i,  0206. 

Pour  opérer  la  conversion  inverse,  on  remarque- 
ra que  la  valeur  du  mètre  en  toises  étant 
0''',513uTi,  on  obtiendra  la  valeur  du  mètre  carré 
•en  toises  carrées  en  multipliant  ce  nombre  par  lui- 
même,  ce  qui  donne  uT'l,-.'6;i2'i5.  Pour  convertir 
en  toises  carrées  un  nombre  donné  de  mètres 
carrés,  il  faudra  donc  le  multiplier  par  O^q, 20:124.')  ; 
la  partie  entière  du  produit  exprimer-a  les  toises 
carrées;  on  multipliera  la  partie  décimale  par  36, 
-et  la  partie  entière  de  ce  produit  donnera  les 
pieds  carrés;  on  muUipliera  la  nouvelle  partie  dé- 
-cimale.par  144,  et  la  partie  entière  de  ce  produit 
donnera  les  pouces  carrés.  On  trouvera  ainsi  que 

imq  équivaut  à,  OTq,  9''i,  68pq  et  2/3  environ. 


13'"q,75  équivalent  à  a^q,  22Pq,  44p'),1. 

4,  —  HESunrs  de  volume.  —  La  valeur  de  la 
toise  en  mètres  étant  l",949i)l,  on  obtiendra  celle 
■de  la  toise  cube  en  élevant  ce  nombre  à  la  3" 
puissance,  ce  qui  donne  7"*, 403860.  En  divisant 
par  216  (cube  de  6),  on  obtiendra  pour  le  volume 
du  pied  cube  0'":',II3127G.  A  l'aide  de  ces  valeurs 
-on  trouverait  que  ïTs^ijoPa  valent  lS""3^9-)oii2. 

Pour  opérer  la  transformation  inverse,  on  par- 
tira de  la  valeur  du  mètre  en  toises,  soit  0'',5i;i074  ; 
le  cube  de  ce  nombre  sera  la  valeur  du  mètre 
cube  en  toises  cubes  ;  on  trouve  (JT^,  13,^)004.  Pour 
■convertir  en  toises  cubes,  pieds  cubes,  etc.  un 
nombre  donné  de  mètres  cubes,  il  faudra  donc  le 
imulliplier  par  ii,13.>UG'i  :  la  partie  entière  expri- 
mera les  toises  cubes  ;  ou  multipliera  la  partie  dé- 
«imale  par  2IG;  la  partie  entière  du  produit  don- 
nera les  pieds  cubes  :  on  multipliera  la  nouvelle 
partie  décimale  par  1728  (cube  do  12);  la  partie 
•entière  du  produit  donnera  les  pouces  cubes,  etc. 

On  trouvera  ainsi  que 

(«s  équivaut  à  29f3  300?»  environ, 

•et  que 

4"'3,57S  équivalent  à  Vii^l  86jp3  environ.;; 

5.  —  MESuiiEs  *GiAmEs.  —  L'ancienne  unité  des 
j       mesures  agraires  était  ra;'pe?t<,  do  \(ii  perch'S  car- 
rées. Mais  on  distinguait  deux  espèces  de  perclies, 
la  perche  de  Paris,  valant  18?,  et  la  perche  des 
eaux  et  forêts  valant  221" 

Supposons  d'abord  qu'il  s'agisse  de  la  perche 
<le  Pans.  Sa  valeur  est  0»,32481xl3  ou  5",84712  ; 


la  perche  carrée  est  le  carré  de  ce  nombre,  ou 
:i4""l,1887  ou  5,  très  pou  près  3i"iq,19.  Dès  lors 
l'arpent  vaut  31  ares,  19. 

S'il  s'agit  de  la  perche  des  eaux  et  forêts,  sa  va- 
leur est  0'",32'tS4  X  "22  ou  7™,  14648  ;  la  perche 
carrée  est  le  carré  do  ce  nombre,  ou  51"iq,0722. 
Dès  lors  l'arpent  vaut  h\  ares,  07. 

Pour  obtenir,  au  contraire,  l'expression  del'heo- 
tare  on  arpents,  il  faut  diviser  l'unité  par  34,19 
s'il  s'agit  de  l'arpent  de  Paris,  ou  par  f)l,07  s'il 
s'agit  de  l'arpent  des  eaux  et  forêts,  ce  qui  donne 
dans  le  premier  cas  2  arp,,924y,  et  dans  le  second 
l  arp,,9;.80. 

A  l'aide  de  ces  valeurs  on  a  formé  le  tableau 
suivant: 


Arpents 

Hectares 

des  Eam  et  Forets 

1  arpents  des 

Eaux 

en  hectares 

et  Forêts. 

1 

arpent  vaut 

0,5107 

1 

hect.   vaut 

1,0580 

2 

— 

l,li2U 

2 

— 

3,9160 

3 

— 

1,5322 

3 

— 

5,x741 

4 



2,042iJ 

4 

— 

7,8321 

5 

— 

2,5.')36 

5 

— 

9,7901 

6 

^ 

3.0643 

6 

— 

11,7481 

7 

— 

3,5751) 

7 

— 

13,7061 

8 

— 

4,085S 

8 

— 

l.'),G6i2 

9 

— 

4,5'.»6:> 

9 

— 

17,6222 

10 

— 

5,1072 

10 

— 

19,5802 

Arpents 

Hectares 

de 

P,iris  011    lieclares. 

en  arpents  de 

Paris. 

1 

arpent  vaut 

0,3419 

1 

hect.   vaut 

2,9249 

2 

— 

0,68)8 

2 

— 

5,8499 

3 

— 

1,0J^S7 

3 

— 

8,7748 

4 

— 

l,3(i7.S 

4 

— 

I1,69J8 

5 

— 

1,7094 

5 

— 

14,G2'i7 

G 

— 

2,0513 

6 

— 

I7,.i497 

7 

— 

2,3932 

7 

— 

50,47 i6 

8 

— 

2,7351 

S 

— 

23,3995 

9 

— 

3,(1770 

9 

— 

26,3245 

3,4l89     10 


2K,2494 


Il  faut  roni'irquer  que  le  même  tableau  peut 
servir  à  convenir  las  ares  en  perches  ou  les  per- 
ches en  ares,  puisque  la  perche  est  le  10^'  de 
l'hectare. 

Soit  à  convertir  126  arpents  58  perches  des 
eaux  et  forêts  en  hectares.  On  aurait  à  addition- 
ner : 


100  fois  Oi>,5107 

10  fois  1  ,0.'14 

10  fois  2", ,',530 

1  fois  4  ,0858 


soit 51', 07 

10  ,2143 

0  ,2.iGG6 

0  ,O40-i58 

Total. 


0111,5806 


Soit  au  contraire  à  convertir  'JS'',45  en  arpents 
de  Paris;  on  aura  à  additionner: 

10  fois     2Garp.,32ii     soit....     263arp.,2'i5 
1  fois     23        ,3915  ....       '23       ,3995 

10  fois     11  p.    ,6198  1        ,10998 

1  fois     11  p.    ,6247  0        ,ri6.'47 


Total....     287arp.,9G9T 

6. — MESURES  DE  CAPACITÉ.  —  La  principale  unité 
do  capacité  était  le  /loisteau;  il  se  divisait  en  IG 
titrons  ;  et  12  boisseaux  formaient  un  setier.  Le 
boisseau  valait  13  litres,  le  setier  valait  donc  12 
fois  13  ou  ISG  litres;  et  le  litron  valait  le  IG°  do 
13  litres,  soit  Oi,8i2^'>.  On  trouvera  facilement,  i 
l'aide  de  ces  nombres,  qu'une  capacité  de  •)  setiers 
7  boisseaux  et  11  litrons  équivalait  à  507', 931  ou 
environ  5  hectolitres,  67  litres  et  91  centilitres. 

On  employait  aussi  la  pinte,  qui  valait  'J',9.13, 
et  le  muid  qui  valait  2  hectol.  (iia. 

7.    —  MESUIIES    POUR    LE  DOfS  DE  CHAUFFAGE.    —  La 

mesure  la  plus  usitée  était  la  co'de  des  eaux  et 
fori'l'-;  qui  valait  3  st. ,839  ;  et  la  voie,  qui  en  était 
la  moitié  ou  I   st., 9195- 


MESURES  ANCIENNES  —  1294 


Métalloïdes 


3.  —POIDS. —  L'ancienne  unité  de  poids  était  la 
livre;  elle  se  divisait  en  •->  marcs,  ou  16  onces, 
chaque  once  en  h  gros,  et  chaque  gros  en  72  jrramî. 
On  en  déduit  aisément  que  la  livre  contenait 
16  X  S  X  12  ou  9-'lG  grains.  Les  mesures  précises 
exécutées  i  l'époque  de  rétablissement  du  sys- 
tème métrique  ont  donné  pour  la  valeur  du  kilo- 
gramme 1^8.'7  grains,15.  La  valeur  de  la  livre  en 
kilO''rammes  .s'obtient  donc  en  divisant  9216  par 
188-f7,l.i,  ce  qui  donne  0  kil.  ,489505847.  En  divi- 
sant succesfivement  par  16.  par  8,  par  72,  on  en 
déduit  la'valeur  de  l'once,  du  gros  et  du  grain. 

On  obtient  au  contraire  la  valeur  du  kilogramme 
en  livres  en  divisant  18827,15  par  9216,  ce  qui 
donne  2  liv., 042876519. 

Ces  rapports  ont  servi  à  former  les  tableaux 
suivants  ; 


L 

vres 

Kilogrrammes 

en  kilo 

jiammes. 

en  livres. 

1    livre    vaut    0,48951  I 

I 

kilog.    vaut 

2,0129 

2            — 

0,979iil 

2 

— 

4.0858 

3             — 

l,4C«52 

3 

— 

6,l2.s6 

4             — 

1,9.5802 

4 

— 

8,1715 

5            — 

2,44703 

5 

— 

10,2144 

6            — 

293:03 

6 

- 

12,2673 

7            — 

3,420.4 

7 

— 

14,3001 

8             — 

3,91605 

8 

— 

lli,3i30 

9            — 

4, 4055  .S 

9 

— 

18  38:.0 

10             — 

4,89606 

10 

— 

20,4288 

Onces  en 

grammes. 

Gros  en  grammes. 

1      once  vaut        30,59 

1 

gros  vaut 

3,82 

2            — 

61,19 

2 

— 

7,6.i 

3             — 

91,78 

3 

— 

11,47 

i             — 

I22,:t8 

4 

— 

15,30 

5             — 

15'.' ,97 

5 

— 

19,1'.! 

6              - 

18:1,56 

« 

— 

22,94 

7 

214.16 

7 

— 

i6,77 

8             — 

2.4,75 

9            — 

275  35 

10             — 

305,91 

Grains    en 

grammes. 

îrammcs   en 

jrains. 

10  grains  valent     0,5'îl 

I 

gramme  vaut 

18,83 

20            — 

I.(i62 

2 

— 

37,65 

30            — 

1,.593 

3 

— 

56,48 

40            — 

2,125 

4 

— 

75,31 

50            — 

2,G5'i 

5 

— 

94,14 

eo          — 

3,187 

6 

— 

112,96 

70            — 

3,718 

7 

— 

131,79 

8 

— 

150,62 

9 

— 

169,3i 

10 

— 

188,27 

Soit  à  convertir  5  livres  13  onces  7  gros  et  60 
grains  en  kilogrammes  et  fraction  de  kilogrammes, 
on  aura  à  additionner  : 

pour  5  livres 2', 44753 

pour  10  onces 0  ,:i0.in4 

pour  3       »       0  ,0^178 

pour  7  gros 0,02677 

pour  6U   grains .  0  .Ii03  S 


Total..     lS8i520 

Soit  au  contraire  à  convertir  25',74   en  livres, 
onces,  etc.,  on  aura  à  additionner: 

pour  20  kil 4illiv.,85S 


pour    5       

pour    7  liectng.  (le  10'  de  7). 

pour    4  décag.  (le  100°  de  4). 

Total.... 


,2144 
,4300 
,I'8I7 


5211V. ,58  il 


Multipliant  la  partie  décimale  par  16,  on  aura 
9  onces,3i.SG  ;  mnllipliant  la  nouvelle  partie  déci- 
male par  8,  on  trouvera   2   gros,7648  ;  multipliant 


enfin  cette  dernière  partie  décimale  par  72,  on  aura 
55  grains,  61^56. 

Le  poids  dont  il  s'agit  équivaut  donc  à  52  livres 
9  onces  2  gros  et  55  grains. 

9.  —  M0^^A1ES.  —  L'ancienne  unité  monétaire 
était  la  livre  loi  rnois  ;  elle  se  divisait  en  20  sous, 
et  chaque  sou  en  12  deniers.  La  livre  valait  donc 
20  X  12  ou  240  deniers.  La  loi  du  Ta  germinal  an 
IV  (  14  avril  179.'.)  a  fixé  la  valeur  de  la  pièce  de  5  fr. 

à  5  liv.    1  sou  3  deniers  ou  5  liv.  — ,  ou  -—  de 

16  lu 

livre  ;  la  valeur  du  franc,  qui  en  est  la  5'  partie, 

est  donc  —  de  livre,  ou  1  l.v.,0I25. 

Réciproquement  la   livre    vaut  les  —  du  franc 

ou 0  fr., '.876543 

le  sou,  qui  en  est  la  20"  partie, 

vaut  donc 0  fr.  0493827 

et  le  denier,  qui  est  la  12«  partie 

du  sou,  vaut 0  fr.  0041152 

Soit  par  exemple  à  convertir  II  livres  17  sous 
6  deniers  en  francs  et  centimes  ;il  faudra  prendre 
11  fois  Ofr.  9S7i  543,  plus  17  fois  0  fr.  0(93827, 
plus  6  fois  0  fr.  0041152;  en  faisant  le  calcul,  on 
trouve  11  fr.  7;'8  ou  environ  11  fr.   73. 

Soit,  au  contraire,  à  convertir  13  fr.  50  en  livres, 
sous  et  deniers.  On  multipliera  I  liv. ,0125  par  i:'.,5, 
ce  qui  donne  M  liv. .66875.  On  multipliera  la  partie 
décimale  par  20,  ce  qui  donne  13  sons, 37 ..00.  On 
multipliera  la  nouvelle  partie  décimale  par  12,  ce 
qui  donne  4  deniers, 5.  La  somme  proposée  équi- 
vaut donc  i  13  livres,  13  sous  et  4  deniers  — -. 

[H.  Sonnet.] 
MÉTALLOinES.  —  Chimie,  II,  IV,  VI-X.  —  La- 

voisier  divisait  les  corps  simples  en  métaux,  corps 
non  métalliques  et  gaz.  Cette  classification  était 
bonne  au  temps  où  l'on  ne  connaissait,  outre  les 
métaux  usuels,  que  le  carbone,  le  soufre  et  le  phos- 
phore, où  les  théories  sur  les  gaz  se  ressentaient 
encore  de  l'influence  de  celle  du  phlogistiqtie, 
même  d.ins  l'ouvrage  de  celui  qui  l'avait  ruinée. 
On  disait,  et  l'on  répète  encore  aujourd'hui  :  les 
corps  métalliques  ont  un  éclat  spécial,  font  miroir, 
réfléchissent  la  lumière,  les  images,  sont  bons 
conducteurs  de  l'électricité  et  de  la  chaleur,  pa.r 
suite  froids  au  toucher;  leurs  oxydes  sont  neutres 
ou  basiques,  ils  sont  sans  action  sur  la  teinture 
de  tournesol  et  la  ramènent  au  bleu  lorsqu'elle  a 
été  rougie  par  un  acide.  Les  corps  non  métallique» 
(et  c'est  strictement  vrai  pour  le  charbon,  le  soufre 
et  le  phosphore)  n'ont  pas  l'éclat  métallique,  sont 
mauvais  conducteurs  de  la  chaleur  et  de  l'électri- 
cité ;  leurs  combinaisonsavcc  l'oxygène  sont  acides, 
rougissent  la  teinture  bleue  de  tournesol.  Plus  tard 
l'incorporation  des  gaz  et  surtout  de  l'azote  parmi 
les  corps  non  métalliques  raffermit  encore  cette 
distinction.  L'étude  de  l'action  de  la  pile  sur  les 
composés  binaires  conduisit  à  formuler  cette 
loi  incomplète  :  les  corps  métalliques  vont  au  pôle 
négatif,  ils  sont  éleciro-posiiifs.  les  corps  non  mé- 
talliques vont  au  pôle  positif,  ils  sont  électro-né- 
gatifs. 

La  découverte  d'un  grand  nombre  de  corps 
simples  nouveaux,  pendant  le  premier  t'çrs  du 
siècle,  lantôtluten  favrur  de  cette  classification, — 
le  sélénium,  le  tellure  vinrent  se  placer  tout  natu- 
rellement à  côté  du  soufre;  le  potassium,  le  so- 
dium, etc.,  répondirent  encore  mieux  au  type 
métal  que  les  métaux  usuels,  —  tantôt  elle  lui  fut 
contraire  :  plusieurs  corps  incontestablement  con- 
sidérés comme  métaux  se  présentèrent  sous  la 
forme  pulvérulente;  l'iode,  par  contre,  a  l'éc'a' 
méiallique.  L'étude  plus  complète  des  corps  déjà 
connus  lui   porta  un  coup  fatal  ;  l'arsenic,  l'anti- 


METALLOÏDES 


—  1293  — 


METALLOÏDES 


moine  ,  parfaitomoru  métalliqvies  d'apparence,  al- 
lèrent rejoindre  l'azote  etlepliospliore;  li' graphite, 
variiiio  du  cari  one,  surpasse    certains   métaux  en 
éclat  et  en  conductibilité;  plusieurs  métaux,  l'or, 
l'étain,  le  manganèse,  etc.,  forment  avec  l'oxygène 
des  acides  bien    définis.  C'est  vers  I8Î3  que  Uor- 
zelius   donna  aux   corps  non  métalliques  le   nom 
malheureux  de  métalloïdes  (semblables  à  des  mé- 
taux) ;  Ampère  a  adopté  ce  nom,  et,  dans  sa  Philo- 
sojihie  (les  sc)eni:es,    a   compté  seize   métalloïdes 
groupés  en  quatre  classes,  de  quatre  corps  chacune  : 
1"  fliisse  :  Oxygène,  soufre,  sélénium,  tellure. 
2°  c/asse;  Chlore,  brome,  iode,  fluor. 
3"  classe  :  Azote,  phosphore,  arsenic,  antimoine. 
i'  classe:  Hydrogène,  carbone,  bore,  silicium. 
Les  conceptions  de  cette  sorte,  fondées  autant 
sur  des  idées  à  priori  que  sur   des  observations 
réelles,    entravent   un  instant  les  progrès   de    la 
science  par  l'influence  qu'exerce  sur  les  chercheurs 
le  grand  nom  de  leur  auteur. 

De  ces  quatre  classes,  la  seule  nattirelle  est  celle 
du  chlore,  que  Lavoisier  supposait  l'acide  le  plus  oxy- 
géné d'un  radical  dont  l'acide  muriatique  (aujour- 
d'hui chlorhydrique)  était  la  première  combinaison 
avec  le  générateur  des  acides.  Dans  la  première 
classe,  l'oxygène  est  beaucoup  plus  séparé  des  trois 
autres  corps  que  ceux-ci  ne  le  sont  entre  eux.  Dans  la 
troisième  classe,  les  différences  ne  sont  guère  moins 
tranchées  que  les  similitudes,  et  l'antimoine  va  sou- 
vent rejoindre  l'étain  parmi  les  métaux.  Dans  la  qua- 
trième, l'hydrogène  a  été  placé  de  force,  par  respect 
pour  la  classification  quaternaire;  les  chimistes  qui 
tiennent  encore  à  la  division  en  métalloïdes  et  en 
métaux,  le  rangent  souvent  parmi  ces  dernifrs,  tan- 
dis que  les  phénomènes  de  substitution  étudiés  en 
chimie  organique  lui  assignent  une  proche  parenté 
avec  le  chlore,  le  brome  etl'iode.  Entre  le  carbone 
et  le  silicium,  oscille  le  bore,  tantôt  rapproché, 
tantôt  éloigné  de  l'un  ou  de  l'autre,  suivant  les 
considérations  les  plus  en  faveur. 

La  pioportion  des  équivalents  des  corps  d'une 
classe  est  souvent  très  remarquable.  Par  exemple 
ceux  du  fluor,  du  chlore,  du  brome,  de  l'iode  sont 
à  peu  pi  es  dans  les  rapports  de  1,2,  ■1,5,  1  ;  ceux 
de  l'oxygène,  du  soufre,  du  tellure  sont  comme  1, 
2  et  4  ;  mais  par  exemple  le  sélénium  se  place 
plus  difficilement  par  son  équivalent  dans  cette 
série  que  le  phosphore,  qui  s'en  éloigne  à  tout 
autre  égard.  De  sorte  que,  jusqu'à  ce  que  de  nou- 
veaux points  de  vue  soient  présentés,  il  ne  faut 
accorder  que  peu  d'importance  à  ces  curieuses 
coïncidences  numériques. 

Somme  toute,  la  classification  artificielle  des 
corps  simples  en  métalloïdes  et  métaux  a  fait  son 
temps,  et  il  faut  souhaiter  de  voir  le  premier  do 
ces  mots  tomber  le  plus  tô;  possible  en  désuétude. 
Nous  l'avons  suivie  ici  k  cause  de  son  intérêt  his- 
torique et  parce  qu'elle  n'a  pas  encore  été  rem- 
placée par  une  meilleure. 

Le  Dictionnaire  consacre  des  articles  spéciaux  i 
un  certain  nombre  de  métalloïdes,  savoir:  oxygène, 
hydrogène,  carbone  (V.  Ch'irbon).  soufre,  azote, 
phosphore,  chlore,  fluor,  silicium  (V.  Silice).  Les 
autres  n'ayant  pas  d'articles  spéciaux,  nous  allons 
donner  à.  leur  sujet  quelques  brèves  indications. 
Arsenic.  —  Solide,  à  éclat  métallique,  cristallin, 
volatil  au  rouge  sombre;  densité  5,(1;  obtenu  par 
la  réduction  de  l'acide  arsénieux;  s'allie  aux  mé 
taux  en  les  rendant  durs  et  cassants.  —  L'acide 
arsénieux,  AsO',  est  blanc,  crisiallisable,  soluble 
dans  20  parties  d  eau  ;  c'estleterrible  poison  conjm 
sous  le  nom  d'arscic  :  il  corrode  et  perce  les  mem- 
branes de  l'estomac  ;  on  combat  ses  efl'eis  à  l'aide 
de  l'hydrate  dox>de  de  fer  récent,  de  la  magnésie 
calcinée,  et  en  provoquant  en  même  temps  les 
vomissements.  A  petite  dose,  c'est  un  médicament 
précieux  contre  l'asthme,  l'anémie.  Il  sert  à  chauler 
les  blés;  les  semences  trempées  dans  sa  dissolu- 


tion ne  sont  plus  dévorées  par  les  mulots  et  autres 
animaux  nuisibles;  il  entre  dans  la  composition  de 
la  ynort  aux  rrits,  et  sert  b.  la  préparation  du  savon 
arsenical,  indispi'nsable  aux  empailleurs.  Il  forme 
des  sels  bien  délinis  également  très  vénéneux.  ^ 
L'acide  arséniqne,  AsO'',  est  beaucoup  plus  soluble, 
encore  plus  vénéneux;  mais  il  offre  moins  de  dan- 
ger, étant  un  solide  déliquescent,  tandis  que  l'a- 
cide arsénieux  industriel  se  rencontre  le  plus  sou- 
vent sous  forme  de  poudre  blanche  à  peu  près 
sans  odeur  ni  saveur,  et  peut  se  confondre  avec 
beaucoup  d'autres  corps  ;  il  forme  aussi  des  sels 
dont  plusieurs,  entre  autres  l'arséniate  de  fer, 
sont  employés  comme  médicaments.  —  L'hydro- 
gène arsénié,  gazeux,  à  odeur  alliai  ée,  très  véné- 
neux, décomposable  par  la  chaleur  rouge,  s'obtient 
quand  on  produit  do  l'hydrogène  dans  un  liquide 
arsenical;  de  \b,  un  moyen  de  recueillir  les  moin- 
dres traces  d'arsenic  contenues  dans  une  dissolu- 
tion, et  un  moyen  de  recherches  dans  les  cas 
d'empoisonnement.  Les  substances  suspectes  sont 
carbonisées  par  l'acide  sulfurique,  le  charbon  est 
repris  par  de  l'eau  distillée,  la  dissolution  est 
versée  dans  un  appareil  à  hydrogène  ordinaire. 
Le  gaz  produit  brûle  avec  une  fumée  blanche 
odorante  ;  en  interposant  de  la  porcelaine  dans  la 
flamme,  elle  se  recouvre  de  taches  miroitantes; 
on  peut  obtenir  des  anneaux  noirs  dans  le  tube 
de  dégagement  en  le  chauffant  avec  une  lampe  !l 
alcool;  ces  anneaux,  ces  taches  sont  de  l'arsenic 
isolé  dont  on  peut  constater  l'identité.  Ce  procédé 
de  recherches  est  dû  au  chimiste  Marsh  qui  lui  a 
donné  son  nom.  Quand  il  est  employé  dans  une 
expertise  médico-légale,  il  est  indispensable  de 
faire  parallèlement  l'expérience  avec  les  mêmes 
réactifs,  mais  sans  y  ajouter  les  liquides  suspects. 
Il  existe  un  assez  grand  nombre  d'arséniures  na- 
turels employés  comme  minerais.  —  L'arsenic  en 
poudre  s'enflamme  dans  le  chlore  et  forme  dos 
chlorures  d'arsenic,  vapeurs  asphyxiantes  décom- 
posables  par  l'eau. 

Iode.  —  L'iode,  d('couvert  en  ISf  1  dans  les  eaux 
mères  des  soudes  de  varechs,  a  été  étudié  en  1813 
par  Gay-Lusîac.  Il  s'obtient  en  traitant  un  iodure 
alcalin  par  l'acide  sulfurique  et  le  peroiyde  de 
manganèse,  réaction  analogue  à  l'une  de  celles  qui 
produit  le  chlore.  C'est  un  corps  solide,  opaque, 
d'un  gris  métallique,  crisiallisable  par  solution 
dans  l'ai'ide  iodbydrique  et  par  sublimation.  Il 
fonda  107,  bout  il  i8o°  en  donnant  une  vapeur  vio- 
lette très  dense  (S, 8),  est  peu  soluble  dans  l'eau, 
très  soluble  dans  l'alcool  et  le  sulfure  de  carbone. 
On  en  reconnaît  des  traces  à  l'état  libre  par  la  co- 
loration d'un  bleu  intense  qu'il  donne  h  l'amidon. 
L'iode  existe  en  très  petite  quantité  dans  l'eau  de 
mer,  et  se  rencontre  dans  les  plantes  marines.  Il 
se  retrouve  dans  leurs  cendres,  autrefois  princi- 
pale source  des  sels  do  sonde,  et  reste  dans  h's 
eaux  mères  d'où  on  l'extrait;  l'azotate  de  soude  na- 
turel contient  jusriu'à  2  p.  lOli  d'iodure.  Par  ses 
composés,  I  iode  est  un  corps  très  précieux  pour  la 
médecine  et  la  phoingrapbie.  —  Il  forme  avec 
l'oxygène  des  composes,  acides  bypo-iodique,  10', 
iodique,  10^,  et  hypeiiodique.  10',  sans  importance 
praii  |ue.  —  Avec  l'hydrogène  il  forme  l'acide 
iodliydrique,  analogue  de  lacide  chlorhydrique 
et  ayant  des  propriéiés  comparables  à  celles  de  ce 
corps;  il  s'obtient  par  l'action  de  l'hydroi^ène  sul- 
furé sur  l'iode  en  présence  de  l'eau. 

L'iode  forme  des  iodures  avec  tous  les  métaux 
et  plusieurs   mcialloides. 

L'icdure  d'azote  est  une  poudre  noire  explosive, 
comparable  au  chlorure  d'azote.  L'iodure  de  potas- 
sium, composé  naturel  existant  dans  les  eanx 
mères,  ou  obtenu  artificiellement  par  l'action  Ao 
l'iode  sur  la  potasse  et  la  Calcination  du  sel  résul- 
tant pour  décomposer  la  portion  d'iodate  foi  mie, 
est  un  dépuratif  énorgique  très  employé  on  mé- 


METALLOÏDES 


—  1206  — 


METAUX 


decine.  Il  sert  aussi  en  photographie,  mais  moins 
que  les  iodures  d'ammonium,  de  zinc,  de  cad- 
mium, de  fer.  Ces  trois  derniers  s'obtiennent  par 
combinaison  dirette  à  froid  en  présence  de  l'eau; 
l'iodure  d'ammonium  par  la  combinaison  directe 
de  l'ammoniaque  et  de  l'acide  iodliydrique.  L'io- 
dure d'argent,  contenant  plus  ou  moins  de  bro- 
mure, forme  la  couche  sensible  des  plaques  pho- 
tographiques; il  s'obtient  pardouble  décomposition. 
L'iodure  de  mercure  istun  type  d'iodacidc  se  com- 
binant avec  l'iodure  de  potassium. 

Le  irbme  est  un  liquide  très  brun,  d'une  odeur 
très  pcnôtrante  provoquant  la  toux,  densité  "2,  0; 
il  bout  à  .3".  Par  ses  propriétés  cliimiques,  phar- 
maceutiques, indusiriellos,  son  état  dans  la  na- 
ture, il  se  rapproche  de  l'iode  de  la  faron  la  plus 
remirquable.  .Sa  préparation  est  analogue  à  celle 
de  l'iode.  La  dissolution  de  bromure  de  potassium 
est  entre  les  mains  des  médecins  un  des  meilleurs 
calmants  du  système  nerveux. 

Le  boi'e,  qui  a  de  grandes  analogies  avec  le  car- 
bone, se  présente  comme  lui  sous  trois  états: 
amorphe,  grapliioide,  adamantin.  Nous  parlerons 
seulement  de  celte  dernière  forme.  Elle  s'obtient 
en  fondant  ensemble  à  une  très  haute  tempéra- 
ture IdO  grammes  d'acide  borique  et  80  d'alumi- 
nium ;  ce  dernier  décompose  l'acide  borique,  une 
partie  forme  de  l'alumine,  1  autre  dissout  le  bore, 
et  quand  la  dissolution  se  concentre,  le  bore  cris- 
tallise i  l'état  de  diamant,  des  lavages  à  la  soude 
caustique,  aux  ac  des  chlorhydrique  et  fluorliydri- 
que  enlèvcni  l'aluminium,  l'acide  borique,  le  fei- 
et  le  silicium  ;  reste  le  bore  qui  contient  jusqu'à 
4  p.  10(1  de  carbone,  et  qui  est  après  le  diamant  le 
«orps  le  plus  dur.  Sa  poussière  polit  le  diamant; 
ce  corps  est  probablement  appelé  à  un  certain 
avenir  industriel.  Les  deux  autres  ot»ts  du  bore 
sont  sans  importance.  L'acide  borique  est  le  seul 
■composé  oxygéné  du  bore;  c'est  un  produit  natu- 
rel qui  se  trouve  dans  certaines  eaux  thermales 
et  spécialement  dans  les  lagoni  de  Toscane.  Il  est 
soluble  dans  l'eau,  et  encore  plus  dans  l'alcool  dont 
ia  flamme  est  alors  d'un  vert  caractéristique  ; 
aucun  raétalloide  ne  l'attaque  seul;  mélangé  avec 
du  charbon,  il  est  attaqué  par  le  clilore  et  forme 
du  chlorure  de  bore  ;  l'acide  fluorhydrique  forme 
avec  lui  du  fluorure  de  bore  gazi-ux  et  de  l'eau.  11 
sert  à  fabrii)uer  le  borax  ou  borate  de  soude.  Il 
fond  à  une  haute  température  et  dissout  alors  l'a- 
lumine; par  le  refroidissement  celle-ci  cristallise 
et  forme  le  corindon  artiflciel  et  ses  variétés,  le 
rubis,  le  spinelle.  Le  borax  sert  à  décaper  les  mé- 
taux que  l'on  veut  brastr,  souder  avec  les  sou- 
dures fortes  do  cuivre,  d'argent  ou  d'or;  il  forme 
alors  un  verre  fusible  dissolvant  les  oxydes  métal- 
liques et  conserve  chimiquement  propres  les  sur- 
faces métalliques  à  souder. 

Le  sélénium  est  analogue  au  f  oufre  dans  presque 
toutes  ses  propriétés,  et  les  séléniures  se  trouvent 
en  fort  petite  quantité  mélangés  aux  sulfures 
exploités  dans  la  Thuiinge  et  le  Harz.  A  l'état 
amorphe,  c'est  un  solide  noirâtre  brillant.  Il  est 
inutile  d'éiudier  les  acides  séléuieux  et  solénique, 
l'hydrofrène  séléiiic,  les  autres  séléniures,  qui 
ressemblent  beaucoup  aux  composés  sulfurés  cor- 
respondants Signalons  seulement  cette  propriété 
si  remarquable,  spéciale  au  sélénium  et  décou- 
verte en  l.'S'G  par  M.  Siemens.  Le  sélénium  est 
comme  le  soufre  un  très  mauvais  conducteur  de 
l'électricité.  Or  sa  résistance  diminue  immédia- 
tement quand  il  est  exposé  i  la  lumière.  Si  l'on 
interrompt  un  circuit  électrique  et  qu'on  le  ré- 
tablisse à  travers  une  petite  goutte  de  sélénium 
fondu  et  prisse  entre  deux  lames  de  verre,  On 
possède  un  appareil  qui  est  d'une  excessive  sensi- 
bilité aux  impressions  lumineuses  et  les  traduit 
en  un  mouvin'ent  de  l'aiguille  du  galvanomèlre. 
Cette  expérience  est  très  intéressante  au  point  de 


vue  théorique  ;  elle  montre  l'exemple  le  plus  parfait 
delà  transformation  de  lumière  en  mouvement.  On 
se  rappelle  la  découverte  faite  par  Scheele  du  bru- 
nissement de  chlorure  d'argent  etde  sa  décomposi- 
tion parla  lumière;  en  un  demi-siècle  cette  expé- 
rience intéressante  a  enfanté  la  photographie; 
qui  sait  l'avenir  réservé  à  la  sensibilité  du  sélé- 
nium? Déjà  on  s'en  est  servi  pour  fabriquer  un 
œil  artificiel  dont  la  paupière  s'abaisse  comme  les 
nôtres  en  présence  d'une  impression  lumineuse 
intense. 

Le  tellure,  encore  plus  rare  que  le  sélénium,  se 
rencontre  combiné  au  plomb,  à  l'argent,  et  rare- 
ment natif.  Il  a  l'apparence  de  l'étain  et  est  cris- 
tallisable.  Sa  densiié  est  6.26;  son  équivalent  64, 
double  de  celui  du  sélénium.  11  est  en  tous  points 
analogue  au  soufre  et  au  sélénium  ;  sa  conductibi- 
lité électrique  varie,  comme  celle  du  sélénium, 
selon  la  lumière  à  laquelle  il  est  soumis;  il  se 
prête  dont  à  l'expérience  de  Siemens. 

[Paul  Robin.] 
METAL'X.  —  Chimie,  II,  XI,  XVll-XX.  —  On 
indique  comme  premier  caractère  distinctif  des 
métaux  un  éclat  particulier,  dit  éclat  métallique; 
en  masse  ils  réfléchissent  la  lumière,  conduisent 
bien  la  chaleur  et  l'électricité.  Quand  les  métaux 
ont  la  forme  pulvérulente  sous  laquelle  ils  se  pré- 
sentent souvent,  ces  caractères  disparaissent. 
Leurs  oxydes  sont  en  général  neutres  ou  basiques. 
Pas  plus  que  le  précédent,  ce  caractère  ne  les 
distingue  des  métalloïdes  *  d'une  manière  ab- 
solue. 

Laissant  de  côté  une  définition  qui  ne  saurait 
être  irréprochable,  comparons  à  divers  points  de 
vue  les  principaux  métaux. 

Pri'priétés  phxjsiques.  — Les  métaux  sont  tous,  à 
l'exception  du  mercure  et  de  l'hydrogène  —  si  on 
range  ce  corps  parmi  les  métaux,  comme  le  font 
plusieurs  chimistes  —  solides  à  la  température 
ordinaire  ;  plusieurs,  et  spécialement  le  bismuth  et 
l'antimoine,  peuvent  cristalliser. 

Opaques  dans  les  conditions  ordinaires,  ils  sont 
translucide*  et  même  transparents  en  lames  très 
minces;  ainsi  l'or  battu,  collé  sur  une  lame  de 
verre,  se  laisse  traverser  par  la  lumière  verte, 
l'argent  déposé  par  un  procédé  chimique  sur  les 
miroirs  de  télescopes  en  verre,  par  la  lumière 
bleue. 

Les  couleurs  des  métaux  sont  en  général  mas- 
quées ou  atténuées  par  la  grande  quantité  de 
lumière  blanche  qu'ils  réfléchissent.  En  faisant 
réfléchir  le  même  rayon  lumineux  sur  plusieurs 
surfaces  successives  d'un  même  métal,  la  lumière 
blanche  diminue  à  cliaque  réflexion  et  la  couleur 
propre  du  métal  apparaît  avec  son  intensité  réelle  ; 
l'or  est  jaune,  le  cuivre  rouge,  le  strontium  et 
l'argent  jaunâtres,  le  fer  gris,  le  zinc  bleuâtre,  etc. 
Voici  la  densité  de  quelques  métaux  en  nombres 
ronds  : 

I  latine.  21  à  23;  or,  19;  mercure,  1:1.6;  plomb, 
11,3  ;  argent,  10,4;  cuivre.  S, s;  fer,  7, s;  étain,  7,8; 
zinc,  6,'.l  ;  aluminium,  2,6  (à  peu  pr  s  celle  du 
verre  et  du  silex)  ;  sodium,  U,u7  ;  potassium,  0,S6  ; 
lithium,  0.5!i. 

La  fusibilité  des  métaux  e.st  cg.ilement  très 
variable.  Voici  une  liste  des  principaux  points  de 
fusion  : 

iVlercure,  — 39";  potassium,  -t-5.'i°;  sodium,  90"; 
étain,  2ï8";  bismuth,  264";  plomb,  'iW\  zinc,  41()"; 
argent,  I0"0";  cuivre,  110'°;  or,  I2iii°;  fonte  de 
fer,  i2.'>ii°;  fer  forgé,  l.SnO";  platine,  200  °;  iri- 
dium, 2500°;  l'osmium  n'a  pu  être  fondu.  Ces  der- 
nières températures  ne  sont  qu'approchées;  des 
recherches  compliquées  sur  l'énergie  mécanique 
des  diverses  couleurs  des  spectres  donnés  par  les 
métaux  chauffés  à  dos  températures  croissantes 
permettent  en  ce  moment  à  M.  Crova  de  réviser 
et  de  préciser  ces  nombres. 


I 


METAUX 


—  1297 


METAUX 


Quelques  mélaim  sont  volatils  ;  le  nierciire  bout 
à  360»;  le  cadmium,  le  poiassiuin,  lo  sodium,  le 
zinc,  au  rouge  plus  ou  moins  vif;  ou  peut  les  dis- 
tiller. 

La  quantité  de  clialeur  qui  dans  le  môme  temps 
traverse  une  même  section  des  divers  métaux  peut 
être  représentée  par  les  nombres  suivajits  : 

Argent,  lOliO;  cuivre,  736;  or,  &.'!2;  zinc,  193; 
fer,  119;  plomb,  8i;  plaline,  8i;  bismuth,  18. 

La  conductibilité  électrique  est  l'iiiverse  de  la 
longueur  des  fils  de  môme  section  qui,  mis  entre 
les  pôles  d'une  môme  pile,  produisent  le  môme 
affaiblissement  dans  l'intensité  du  courant.  Voici 
ces  longueurs  d'après  M.  E.  Becquerel  : 

Argent,  de  ii3  à  lOO;  cuivre,  de  8:)  à  91  ;  or,  04 
à  65;  étain,  13,";  fer,  12,'2;  plomb,  8;  platine,  8; 
mercure,  1,^0. 

La  chaleur  spécifique  ou  quantité  de  chaleur 
nécessaire  pour  élever  d'un  môme  nombre  de  de- 
grés un  même  poids  des  oivers  corps  est,  en  pre- 
nant pour  uniié  celle  de  l'eau,  pour  les  métaux 
suivants  :  potassium,  0, HO;  fer,  0,1  H  ;  zinc,  0,090; 
cuivre,  0,095;  argent,  0,0.. 7  ;  mercure,  0,033;  pla- 
tine et  or,  0,032  ;  plomb,  0,031. 

La  facilité  qu'ont  les  métaux  de  se  travailler 
au  marteau  ou  au  laminoir  constitue  la  malléabi- 
lité. L'ordre  do  malléabilité  des  métaux  est  le 
suivant,  en  allant  du  plus  au  moins  malléable  : 
or,  argent,  aluminium,  cuivre,  étain,  platine, plomb, 
zinc,  fer,  nickel. 

La  ductiliié  est  la  propriété  qu'ont  les  métaux 
de  pouvoir  s'étirer  à  la  filière  en  fils  plus  ou  moins 
fins.  L'ordre  dans  lequel  ils  possèdent  cotte  pro- 
priété est  le  suivant  :  or,  argent,  platine,  alumi- 
nium, fer,  cuivre,  zinc,  étain,  plomb. 

La  ténacité  d'un  corps  se  représente  par  le 
nombre  de  kilogrammes  capable  de  rompre  par 
traction  un  til  d'un  millimètre  carré  de  section. 
Voici  celle  de  quelques  métaux  :  cobalt,  108  ;  fer, 
02  ;  cuivre,  Z\  ;  platine,  31  :  argent,  21  ;  or,  16,6; 
zinc,  12,4;  étain,  3.9;  plomb,  2,i. 

La  dureté  des  corps  se  mesure  d'après  la  faculté 
qu'ils  ont  de  rayer  ou  de  ne  pas  rayer  certains 
corps,  d'être  ou  de  n'ôtre  pas  rayés  par  eux.  Les 
minéralogistes  se  servent  de  10  types  depuis  le 
diamant  jusqu'au  talc  ;  prenons-en  3  qui  diviseront 
les  métaux  en  4  séries  de  dureté  :  1.  Le  manga- 
nèse, le  chrome  rayent  le  verre.  2.  Sont  rayés 
par  le  verre  et  rayent  le  marbre  :  le  fer.  l'anli- 
moine,  le  zinc.  3.  Sont  rayés  par  le  marbre  :  le 
platine,  le  cuivre,  l'or,  l'argent,  le  bismuth,  l'étain. 
i.  Le  plomb  est  rayé  par  l'ongle.  Ajoutons-y  le  po- 
tassium et  le  sodium,  qui  se  pétrissent  comme  de 
la  cire  sous  l'huile  de  naphte  ^  15°;  le  mercure, 
qui  est  liquide. 

La  conuaissancc  de  ces  propriétés  est  notre 
guide  dans  les  applications  industrielles  des  mé- 
taux, et  nous  les  choisissons  d'après  les  résis- 
tances qu'ils  doivent  ofl'rir  à  l'action  des  forces, 
des  agents  de  toute  nature. 

Propiieti'S  rhbni'iucs,  —  Il  serait  long  et  peu 
profitable  d'examiner  séparément  l'action  des  di- 
vers agents  chimiques  sur  la  série  des  métaux. 
Pour  avoir  des  idées  d'ensemble,  il  faut  nécessai- 
rement établir  des  groupes,  classer  les  corps  étu- 
diés. Or  une  classification  en  une  seule  série  des 
métaux  d'après  leurs  propriétés  chimiques  reste 
toujours  imparfaite,  comme  toutes  les  classifica- 
tions en  série  unique.  Tels  corps  rapprochés  par 
un  caractère  s'éloignent  si  l'on  en  considère  d'au- 
tres, et  la  classification  dépend  de  l'importance 
accordée  à  telle  ou  telle  propriété. 

Classification  des  méliiux.  —  Voici  celle  que  l'on 
emploie  généralement  aujourd'hui  ;  elle  a  surtout 
pour  base  l'action  sur  les  métaux  de  l'air  et  de 
l'eau  aux  diverses  températures;  nous  laissons 
de  côté  un  certain  nombre  de  corps  fort  rares, 
incomplètement  connus  et  qui  n'ont  actuellement 

2*  Partie. 


d'intérêt  que  pour  les  chimistes;  cette  classifica- 
tion comprend  3  classes  et  K  sections  : 

I"  CLAssK.  —  Métaux  s'oxydant  directement  à 
une  température  plus  ou  moins  élevée;  leurs 
oxydes  ne  sont  pas  complètement  réduisibles  par 
la  chaleur  seule. 

I"  sedioTi.  —  Décomposent  l'eau  à  la  tempéra- 
ture ordinaire  :  potassium,  sodium,  litliium,  ba- 
ryum, strontium,  calcium. 

2°  seclinn.  —  Décomposent  l'eau  vers  100"  : 
magnésium,  manganèse. 

.3"  section.  —  Décomposent  l'eau  vers  le  rouge, 
ou  à  la  température  ordinaire  en  présence  des 
acides:  fer,  nickel,  cobalt,  chrome,  zinc,  cadmium. 

4°  section.  —  Décomposent  l'eau  au  rouge,  mais 
pas  à  froid  en  présence  des  acides  ;  forment  avec 
l'oxygène  des  composé  acides  (sont  métalloïdes  à 
cet  égard,  le  dernier  corps  est  souvent  rangé 
dans  cette  catégorie)  :  tungstène,  molybdène,  os- 
mium, titane,  étain,  antimoine. 

5'  section.  —  Décomposent  à  peine  l'eau  aux 
hautes  températures,  et  pas  en  présence  des  aci- 
des :  cuivre,  plomb,  bismuth. 

1"  CLASSE.  —  Ne  s'oxydent  à  l'air  à  aucune  tem- 
pérature. Oxydes  irréductibles  par  la  chaleur,  et 
môme  par  l'hydrogène  et  le  charbon  seuls. 

6'  section.  —  Aluminium,  glucinium,  etc. 

3«  CLASSE.  —  Oxydes  facilement  décomposes  par 
la  chaleur. 

7=  sedion.  —  Absorbent  l'oxygène  à  une  tem- 
pérature peu  élevée;  se  réduisent  à  une  tempé- 
rature supérieure  :  mercure,  palladium,  etc. 

8'  section.  —  Inaltérables  à  toutes  températu- 
res :  argent,  or,  platine,  iridium. 

Les  métaux  des  deux  premières  sections  ne  peu- 
vent être  employés  au  même  titre  que  les  autres, 
à  cause  de  leurs  affinités  puissantes.  Ce  sont  des 
réducteurs  énergiques,  dont  l'un  surtout,  le  so- 
dium, a  sous  ce  rapport  une  grande  importance 
indusirielle.  Le  magnésium  donne  par  sa  combus- 
tion une  lumière  des  plus  intenses,  utilisable  en 
photographie. 

En  outre  la  plupart  des  métaux  ne  sont  pas  ou 
sont  peu  employés  purs,  mais  le  sont  surtout  à 
l'état  d'alliages. 

Le  Dictionnaire  consacre  un  article  spécial  à  un 
certain  nombre  de  métaux  usuels,  fer,  zinr,  étain, 
plomb,  cuivre,  mercure,  argent,  or,  platine;  il 
traite  do  quelques  autres  à  propos  de  leurs  oxydes, 
potasse,  soude,  chaux,  terres  métalliques  compre- 
nant les  oxydes  de  baryum,  strontium,  magné- 
sium, aluminium.  Nous  parlerons  brièvement  ici 
de  quelques  autres. 

Le  Ala7iyanèse  métallique  a  peu  d'intérêt;  il 
s'obtient  par  la  réduction  de  son  oxyde  h  une  très 
haute  température.  Il  est  le  plus  dur  des  mé- 
taux. —  Laissons  de  côté  son  proioxyde,  MnO, 
son  sesquioxyde,  tous  deux  peu  siables  et  sans 
intérêt,  son  oxyde  salti  Mn^O'  ou  MnO,MnsO'; 
parlons  seulement  de  son  peroxyde  MnO-.  Ce 
corps  se  trouve  assez  abondamment  dans  la  nature 
et  est  appelé  pi/rolusiie  par  les  minéralogistes;  il 
abandonne  une  portion  de  son  oxygène  par  la  cha- 
leur seule,  et  une  portion  encore  plus  grande  en 
présence  de  l'acide  sulfuriquo.  Son  mélange  avec 
ce  corps  agit  comme  source  d'oxygène  naissant,  ot 
sert  à  extraire  le  chlore,  le  brome,  l'iode,  des  chlo- 
rures, bromures  et  iodures.  La  richesse  d'un  man- 
ganèse s'estime  par  la  quantité  de  chlore  qu'il 
peut  produire.  Les  verriers  en  jettent  parfois  dans 
le  verre  fondu  pour  diminuer  la  teinte  verdàtre 
produite  par  le  protoxyde  de  fer  en  le  peroxydant 
et  en  y  ajoutant  la  couleur  propre  du  verre  man- 
ganiquo.  Si  l'on  ajoute  un  excès  de  ce  sovnn  des 
verriers,  le  verre  a  une  teinte  violacée.  —  Le  per- 
oxyde de  mangHnèse,  chauffé  avec  la  potasso  ou 
mieux  l'azotate  de  poiasse,  donne  un  sel  violet  très 
colorant,  le  permanganato  de  potasso,  KO.Mu'O''. 


MÉTAUX 


1298  — 


MÉTAUX 


Ce  corps  agit  comme  oxydant  énergique  sur  les 
matières  organir|ues  en  dissolution  dans  l'eau  et 
se  transforme  eu  manganate  vert;  cette  propriété 
l'a  fait  autrefois  appeler  le  caméléon  minéral.  Le 
permanganate  de  potasse  sert  à  éprouver  la  pureté 
de  l'eau  pntable;  sa  dissolution  est  employée  en 
lotions  oxydantes  et  antiseptiques  ;  sans  présen- 
ter les  inconvénients  du  chlore,  elle  possède  plu- 
sieurs de  ses  avantages.  L'usage  ne  peut  que  s'en 
répandre  utilement.  —  Les  sels  de  protoxyde  et 
de  sesqtiioxyde  de  manganèse,  d'une  couleur  ro- 
sée, n'ont  aucun  intérêt  pratique. 

Le  Chrome  est  la  base  d'un  certain  nombre  de 
couleurs  employées  dans  diverses  industries, 
d'où  son  nom.  Comme  métal,  il  n'a  pas  d'inté- 
rêt. Son  sesquioxyde,  Cr^O^,  est  très  réfractaire, 
il  sert  à  la  peinture  sur  porcelaine  ;  l'hydrate 
de  cet  oxyde  donne  un  vert-émeraude  inaltérable, 
non  vénéneux,  remplaçant  avantageusement  les 
verts  arsenicaux  pour  l'impression  des  tissus  et 
des  papiers.  —  L'alun  de  chrome,  isomère  à  l'alun 
proprement  dit,  est  remarquable  par  son  dimor- 
phisme.  — L'acide  chromique  est  un  oxydant  des 
plus  énergiques;  tous  ses  sels  sont  fortement  co- 
lorés. Les  chromâtes  de  potasse  sont  employés 
dans  la  teinture.  Le  chromate  de  plomb  ou  jaune 
de  chrome,  obtenu  par  double  décomposition  k 
l'aide  des  précédents  et  d'acétate  de  plomb,  a 
toutes  les  teintes  du  jaune  à  l'orangé  suivant  que 
la  précipitation  a  été  faite  en  présence  d'un  excès 
de  l'un  ou  de  l'autre  réactif.  Les  chromâtes  de  po- 
tasse se  forment  par  l'action  à  chaud  du  salpêtre 
et  du  carbonate  de  potasse  sur  le  fer  chromé 
naturel,  FeO,Cr  0',  et  servent  i  fabriquer  tous  les 
autres  composés  du  chrome. 

Le  Nickel  et  le  Collait  onl  de  nombreuses  analo- 
gies comme  état  naturel,  préparation,  composés; 
tous  deux  s'obtiennent  par  l'action  de  l'hydrogène 
sur  les  oxydes.  Le  premier  est  très  employé  depuis 
quelques  années  à  cause  de  son  inaltérabilité  à 
l'air;  on  le  dépose  par  la  galvanoplastie  sur  les 
instrtiments  de  fer  et  d'acier  employés  dans  I  in- 
dustrie, la  chirurgie,  etc.,  de  manière  à  les  préser- 
ver de  la  rouille.  Les  monnaies  divisionnaires  de 
Belgi(iue,  de  Suisse  et  des  Etats-Unis  sont  de  pe- 
tites pièces  élégantes  et  propres  formées  d'un  alliage 
dans  lequel  domine  le  nickel.  —  Les  sels  de  nickel 
sont  verts;  la  dissolution  du  sulfate  est  une  des 
couleurs  les  plus  pures,  c'est-à-dire  qu'un  rayon 
de  lumière  qui  a  traversé  ce  liquide  ne  donne 
qu'une  seule  couleur  quand  on  la  reçoit  dans  un 
spcctroscope  ;  ce  vert  est  complémentaire  du  rouge 
égalemejit  très  pur  fourni  par  la  fuclisine.  Quand 
(jn  regarde  à  travers  cette  dissolution,  on  voit  les 
objets  comme  les  voient  les  personnes  incapables 
de  discerner  les  couleurs  et  que  l'on  appelle  dal 
toniens.  —  Les  sels  de  cobalt  hydratés  ou  dissous 
«ont  roses;  secs,  ils  sont  bleu  violacé.  Le  verre 
bleu  est  coloré  pnr  l'oxyde  de  cobalt  ou  smalt.  Ce 
métal  fsl  la  base  du  bleu  Thonard,  ou  bleu  d'azur 
artificiel;  un  précipité  d'oxyde  de  zinc  et  de  cobalt 
constitue  une  belle  couleur,  le  vert  de  Rinman. 
Quand  on  écrit  avec  une  dissolution  étendue  d'un 
sel  de  cob.ilt,  surtout  le  chlorure,  les  caractères 
sont  invisibles  sur  le  papier;  ils  paraissent  en 
bleu  quand  on  chauffe  le  papier;  telle  est  l'encre 
sympathique  connue  depuis  longtemps,  et  à  qui 
l'introduciiim  des  caites  postales  avait  donné 
un  certain  renouveau.  Du  p.ipier  buvard,  du  linge 
imprégnés  de  chlorure  de  cobalt  concentré  chan- 
gent de  cnnlenr  suivant  l'état  hygrométrique  de 
l'atmosphère.  On  a  utilisé  cette  propiiété  pour 
faire  un  prétendu  prophète  du  teniLS  composé 
d'un  disciuo  de  papier  cobaké  entouré  de  cinq  cou- 
leurs de  comparaison  variant  du  rouge  au  bleu,  et 
des  fleurs  artificielles  aux  couleurs  changeantes. 
Ces  deux  métaux  ilonnent  des  produits  utilisés 
pour  la  peinture  sur  émail  et  sur  porcelaine. 


Le  Cadmiwm  est  un  métal  voisin  du  zinc,  fusible, 
disiillable,  combustible  comme  lui  Ajouté  parpar- 
ties  égales  à  l'alliage  Darcet,  il  forme  un  corps 
très  fusible,  dit  alliage  de  Woocl,  restant  un  cer- 
tain temps  pâteux  ii  la  température  ordinaire  et 
parfaitement  bon  pour  le  plombage  des  dents.  Le 
sulfure  de  cadmiuiu,  le  seul  qui  soit  jaune,  fournit 
une  très  belle  couleur,  dite  jaune  indien.  Les 
autres  sels  sont  sans  importance. 

Le  Tungstène  est  un  métal  très  rare,  qui  a  ce- 
pendant peut-être  un  avenir  industriel  dans  la 
fabrication  du  noir  d'aniline. 

Le  Molybdène  n'a  d'importance  que  comme 
base  du  molybdate  d'ammoniaque,  réactif  spécial 
servant  à  reconnaître  le  phosphore. 

L'Usmium  est  le  seul  corps  simple  qui  ait  ré- 
sisté à  toute  tentative  de  fusion,  et,  chose  étrange, 
ses  composés  oxygénés  sont  volatils. 

Le  Titane  parait  augmenter  la  dureté  du  fer  et 
de  l'acier  qui  en  contiennent  une  petite  quantité. 
Ce  métal  et  ses  composés  n'ont  d'intérêt  que  pour 
les  savants. 

Les  quatre  métaux  précédents  sont  de  la  fa- 
mille de  l'étain. 

VAidinioine  est  tantôt  classé  parmi  les   métal- 
loïdes i  côté  de  l'arsenic,  tantôt  parmi  les  métaux 
[  auprès   de    l'étain.  11    a   l'éclat    métallique,  est 
j  cristallin,  fragile,  facile  à  pulvériser.    Sa  densité 
est  G, 7.  11  fond  vers  500",  est  volatil  au  rouge  vif, 
'  brCile  h  une  haute  température  en  répandant  une 
,  fumée  blanche  d'oxyde  d'antimoine.  Il  s'enflamme 
'  surtout  en  poudre  dans  le  chlore  à  la  température 
ordinaire.  Il  est  attaqué  par  les  acides  concentrés 
I  et  chauds. 

L'antimoine  isolé  est  sans  usage.  Allié  îi  quatre 
parties  de  plomb,  il  forme  le  métal  des  caractères 
d'imprimerie.  L'antimoine  forme  un  certain  nom- 
bre de  composés  qui  sont  ou  ont  été  employés  en 
'  pharmacie  ;  loxyde  d'antimoine,  Sb  G',  base  ou 
acide  peu  énergique,  vomitif  violent,  générale- 
^  ment  remplacé  aujourd'hui  par  l'émétique,  tar- 
trate  double  de  ce  sesquioxyde  et  de  potasse. 
L'acide  antimonique,  Sb^O',  forme  avec  la  potasse 
I  le  seul  léactif  de  la  soude.  La  dissolution  ré- 
cente d'antimoine  de  potasse  précipite  les  sels  de 
soude  même  assez  étendus. 

L'hydrogène,  préparé  avec  une  eau  contenant  de 
l'antimoine,  contient  de  l'hydrogène  antimonié 
qui  ofl"re  à  peu  près  les  mêmes  réactions  que  1  hy- 
drogène arsénié  dans  l'appareil  de  Marsh.  Les  ta- 
ches et  les  anneaux  d'antimoine  sont  beaucoup 
moins  volatils  que  ceux  d'arsenic  et  d'une  nuance 
de  noir  un  peu  roussâtre.  Le  protochlorure  ou 
beurre  d'antimoine  sert  pour  cautériser  les  tnorsures 
ou  piqûres  d'animaux  venimeux,  -pour  bronzer  le 
[  fer  et  le  préserver  de  la  rouille,  en  le  recouvrant 
d'une  couche  d'antimoine  moins  altérable  que  lui. 
Le  sulfure  naturel  a  l'aspect  métallique  et  est 
très  fusible.  Un  oxy.^ulfure  rouge,  le  kermès,  pré- 


I  paré  à  l'aide  d'une  réaction  assez  cotnplexe  avec 
j  le  sulfure  naturel  et  le  carbonate  de  soude,  est  uti 
médicament  très   ancien   et  encore  très   employé 
contre  les  affections  pulmonaires. 

Le  Bismuth  se  trouve  i  l'état  natif;  il  est  blanc 
rougeâtre,  cristallin  et  très  fusible.  Sa  densité  est 
est  !),8.  Il  fond  à  'JG'r  et,  comme  dans  le  cas  de 
!  l'eau,  le  solide  surnage  au-dessus  du  liquide;  on 
obtient  de  maanifiriues  géodes  de  cristaux  en  lais- 
sant refioidlr  le  bNmuth  fondu,  perçant  d'uii fer 
rouge  la  couche  supérieure  qui  vient  d  ■  se  solidifier, 
et  faisant  écouler  l'excès  de  liquide.  Sa  faible  cori- 
ductlbillté  pour  la  chaleur  et  l'électiiclté  le  fait 
employer  comme  l'un  des  cotnposants  des  piles 
Ihermo-électriques,  l'autre  étant  du  cuivre  ou  de 
l'antlirolne  II  est  le  type  des  corps  dlamagucti- 
qnes  :  un  barreau  de  bismuth  librement  suspendu 
entre  les  deux  pôles  dun  aimant  est  (également 
repoussé  par  les  deux  et  se  met  en  croix  avec  la 


MÉTAMORPHIQUES      —  1299  —      MÉTAMORPHIQUES 


ligne  qui  les  joint.  Cinq  parties  de  bismutli,  trois  ' 
d'étain  et  doux  de  plomb  fonnent  l'alliage  de  Dar- 
cet,    fusible  dans    l'eau   bouillante.     Le    bismuth 
brûle  à  une  liaute  leuipéralure,  s'onnarame  dans 
le  chlore  froid.  ^         I 

Uc  ses  composés,  le  plus  intéressant  est  l'azo-  ] 
tate  ;  le  sel  acide  est  décomposé  par  l'eau  en 
acide  azotique  et  sous-azotate  insoluble,  remède 
excellent,  prompt  et  sans  danger  contre  la  diar- 
rhée. Co  même  sel  est  le  fard,  dont  1  usage  dét5-  ! 
riore  la  peau.  Le  phosphate  est  remarquable  en 
ce  qu'il  est  insoluble  et  fournit  un  des  moyens  de  , 
dosage  de  l'acide  phosphorique. 

Le  Glucinium,  analogue  de  l'aluminium,  fournit  \ 
des  sels  à  saveur  sucrée,  d'où  son  nom.  C'est 
une  curiosiié  de  laboratoire. 

Le  PaUa'lium,  compagnon  fréquent  et  analogue 
du  platine,  est  plus  précieux  que  l'or.  Il  donne 
avec  l'argent  l'alliage  qui  se  prête  le  mieux  i  la 
gravure,  et  est  très  inaltérable  :  on  l'emploie  pour 
les  graduations  d  instruments  de  précision. 

Vliiilium,  que  l'on  trouve  aussi  à  côté  du  platine 
et  qui  a  des  propriétés  semblables,  forme  avec  lui 
un  alliage  fort  dur  qui  tend  à  remplacer  le  pla- 
tine  pur  pour  la  fabrication  des  appareils  de 
«himie. 

Le  mineni  de  platine  est  encore  accompagne 
d'autres  métaux  excessivement  rares,  rhodium, 
ruthénium,  qui  n'ont  d'intérêt  que  pour  le  chi- 
miste. [Paul  Robin.] 

MÉTAMOItPIIIOUES  (Roches).  —  Géologie,  V. 
—  Les  sorties  de  matières  en  fusion  de  l'intérieur 
de  la  terre  ne  se  sont  pas  bornées  à  amener  vers 
sa  surface  les  divers  amas  de  roches  ignées  ;  jointes 
aux  éruptions  de  gaz  et  à  l'action  de  la  chaleur 
centrale,  elles  ont  ejicore  plus  ou  moins  modifié 
les  matériaux  proexistants,  en  donnant  lieu  h  des 
phénomènes  importants,  dont  les  géologues  ne  se 
sont  occupés  que  dans  ces  derniers  temps  et  auxquels 
ils  ont  donné  le  nom  de  métamorphisme  des 
rocks. 

On  n'a  d'abord  connu  que  le  métamorp/nsme  de 
rconlact,  c'est-à  dire  les  altérations  actuelles,  et  les 
caractères  particuliers  que  présentent  quelquefois 
les  roches  do  sédiment  au  contact  des  basaltes  et 
•des  trachytes,  caractères  que  l'on  attribuait  aux 
■effets  de  la  chaleur  développée  par  ces  roches. 
C'est  ainsi  que  l'on  avait  remarqué,  par  exemple, 
que  des  bancs  do  craie  ou  de  calcaire  compact 
prennent,  dans  le  voisinage  des  basaltes,  ans  tex- 
ture lamellaij'e  ou  saccharoïde,  un  aspect  brillant 
et  un  commcincement  de  translucidité  ;  que  de  la 
houille  se  trouve  transformée  en  anthracite,  que 
Je  lignite  devieut  plus  sec  et  se  divise  en  paralle- 
.pipèdes,  que  des  grès  sont  crevassés  et  prennent 
un  aspect  vitreux,  que  des  s'chistes  argileux  de- 
viennent plus  durs  et  passent  au  jaspe  ou  à  la 
j>orcellanite.  Mais  depuis  que  l'on  attribue  à  des 
•éjaculatlons  intérieures  l'origine  des  dykes  por- 
.phyriques  et  des  filons  cristallins,  on  a  vu  aussi 
«n  effet  de  C"S  éjaculalions  intérieures  dans  les 
■différences  qui  existent  souvent  entre  les  parties 
des  nichis  nfpluniennes  qui  avolsinent  ces  ma- 
tières et  celles  qui  en  sont  éloignées.  D'un  autre 
côté,  on  a  reconnu  aussi  que  ces  différences  no 
■consistent  pas  seulement  dans  la  cohérence  et 
dans  la  texture  des  roches,  mais  qu'elles  s'éien- 
dcnt  même  à  leur  nature,  c'est-i-dire  que  l'on 
voyait,  par  exemple,  le  calcaire  passera  hidoloraie 
■ou  au  gypse,  les  roches  schisteuses  aux  roches 
.felrtspatliiques  ou  talqueuses,  d'où  l'on  a  conclu 
que  des  émanations  contenant,  entre  autres,  du 
magnésium,  du  pota'isium,  du  sodium,  rendus 
-gazeux  par  leur  combinaison  avec  d'autres  corps, 
•et  aidés  par  le  développement  de  la  chaleur,  s'é- 
taient introduites  dans  l'intérieur  des  roches  cal- 
•caires  ou  schisteuses  et  y  avaient  donné  lieu  à  des 
•couibinaisoiis    nouvelles.  Ces   idées  ont  d'abord 


rencontré  beaucoup  d'opposition  ;  mais  la  facilite 
avec  laquelle  elles  expliquent  des  faits  dont  on 
ne  pouvait  se  rendre  raison  auparavant,  les  ont 
fait  assez  généralement  adopter,  et  elles  ne  peu- 
vent plus  être  contestées  depuis  que  l'on  est  par- 
venu à  produire  expérimentalement  des  résultats 
analogues. 

Dans  les  contrées  où  les  dépôts  stratifiés  ont  été 
fortement  disloqués,  relevés  ou  renversés,  les 
roches  sont  généralement  plus  cohérentes  et  plus 
cristallines  que  celles  des  contrées  où  elles  sont 
restées  en  couches  horizontales,  et,  comme  elles 
se  rapprochent  beaucoup  plus  que  celles-ci  des 
roches  métamorphiques,  on  attribue  aussi  leurs 
propriétés  à  une  action  métamorphi<|Ue  que 
M.  Daubrée  a  appelée  rcf/i  nale,  parce  que,  au 
lieu  d'être  restreinte  h  de  petites  portions  de 
roches,  elle  s'étend  sur  de  vastes  étendues.  Cette 
action  métamorphique,  plus  générale,  est  moins 
évidente  et  moins  facile  i  concevoir  que  celle 
qui  s'est  opérée  au  contact  des  roches  en  fu- 
sion ;  aussi  n'aurait-on  peut-être  jamais  pensé  i 
l'admettre,  si  l'on  n'y  avait  été  conduit  par  l'ob- 
servation du  métamorphisme  de  contact;  mais  on 
ne  peut  plus  contester  son  existence  depuis  que 
l'on  a  reconnu  qu'un  même  dépôt  composé  de 
craie,  de  sable  et  d'argile  dans  une  plaine  en  cou- 
ches horizontales,  passe  à  l'état  de  marbre,  de 
quarzite  et  de  schiste  satiné  dans  une  montagne  en 
couches  disloquées,  état  de  choses  que  M.  Elle 
de  Beaumont  a  ingénieusement  comparé  à  un  tissu 
à  moitié  charbonné.  Du  reste,  une  lois  que  l'on  a 
reconnu  que  des  émanations  de  l'intérieur  ont  pu 
modifier  des  portions  de  roches,  on  peut  conce- 
voir que  les  phénomènes  qui  ont  soulevé  et  dis- 
loqué de  grandes  parties  de  l'écorce  terrestre,  ont 
produit  une  chaleur  et  des  émanations  suffisantes 
pour  que  l'action  métamorphique  se  fît  sentir  sur 
tout  le  massif  disloqué.  Lorsque  l'on  a  commencé 
à  faire  ce  rapprochement,  on  assimilait  entière- 
ment cette  action  au  métamorphisme  de  contact, 
et  on  l'attribuait  à  l'action  immédiate  des  roches 
éruptives  qui  avaient  traversé  soulevé  des  dé- 
pôts disloqués  ;  mais,  comme  il  existe  des  contrées 
où  la  tiansformation  a  eu  lieu  sans  que  l'on  y 
aperçoive  des  roches  éruptives,  et  que  l'on  voit 
souvent  de  ces  roches  qui  ont  traversé  les  masses 
stratifiées  sans  que  les  parties  de  ces  dernières 
qui  avoisinent  les  premières  soient  différentes  de 
la  masse  principale,  on  doit  reconnaître  que  la 
modification  est  due  à  une  action  plus  générale 
que  celle  do  l'injection  dos  roches  éruptives.  On 
conçoit  d'ailleurs  que  quand  celles-ci,  en  crevas- 
sant l'écori^e  terrestre,  parvenaient  jusqu'au  jour, 
elles  perdaient  bientôt  une  partie  do  leur  chaleur, 
et  que  les  émanations  gazeuses  qui  s'en  échap- 
paient se  dissipaient  dans  I  atmosphère,  tandis 
que,  quand  le  massif  de  roches  stratifiée-l  mettait 
un  obstacle  au  passage  du  liquide  intérieur,  la 
chaleur  dont  celui-ci  était  doué,  et  les  matières 
gazeuses  qui  s'en  échappaient,  devaient  exercer 
une  action  beaucoup  pins  générale  sur  la  masse 
qui  faisait  obstacle  à  leur  passage. 

On  voit  par  ce  qui  précède  qu'il  ne  doit  pas 
exister  do  limites  tranchées  entre,  les  roches  mé- 
tamorphiques et  les  autres  matériaux  qui  compo- 
sent l'écorce  du  globe,  lin  effet,  l'action  métamor- 
phique partant  du  point  de  contact  des  matières 
cjaculces  avec  celles  qu'elles  traversaient,  on  con- 
çoit que  ses  effets  doivent  aller  en  diminuant  d'une 
manière  presque  insensible;  de  sorte  qu'il  doit 
être  souvent  impossible  de  savoir  où  elle  s'est  ar- 
rêtée, d'autant  plus  qu'il  y  a  encore  d'autres  cau- 
ses, notamment  la  pression,  qui  peuvent  modifier 
les  caractères  originaires  des  dépôs. 

Les  phénomènes  du  métamorphisme  donnent 
.lussi  une  explication  très  facile  de  l'origine  des 
minéraux  duséminis  dans  des  roches  d'une  autre 


MÉTÉOROGNOSIE 


1300  — 


METEOROGNOSIE 


nature  ;  ou,  pour  mieux  dire,  la  formation  de  ces 
minéraux  n'est  qu'une  simple  conséquence  du 
méianiorpliisme;  car,  si  la  clialeur  a  dilaté  les 
roclies  préexistantes  et  permis  l'iniroduction  dans 
leur  sein  d'émanations  de  natures  différentes,  le 
jeu  des  a'fiiiités  a  du  donner  naissance  à  la  for- 
mat-on  de  cristaux  divers,  de  même  que,  dans  nos 
chaudières  de  cristallisation  et  dans  nos  fourneaux 
de  fusion,  nous  voyons  se  former  des  cristaux  de 
diverses  naiures.  Cette  manière  de  voir  explique 
pourquoi'  les  minéraux  disséminés  sont  si  rares 
dans  les  dépôts  neptuniens  non  motamorplii(|ues, 
et  pour(|Uoi  ceux  que  l'on  rencontre  dans  les  dé- 
pôts métamorpliiques  ont  en  général  beaucoup  de 
rapport  avec  ceux  qui  se  trouvent  dans  les  roclies 
plutoniennes.  Il  est  à  remarquer  b.  ce  sujnt  que, 
dans  les  roches  trappéennes  et  au  voisinage  de 
ces  roches,  il  s  est  principalement  formé  des 
hydrosilicates,  tandis  que  ce  sont  des  silicates 
anhydres  qui  se  trouvent  dans  les  granités  et  dans 
les  dépôts  voisins  des  granités. 

Les  changements  résultant  de  l'introduction  de 
principes  étrangers  dans  des  roches  préexistantes 
ont  aussi  donné  les  moyens  d'expliquer  le  nlive- 
ment  r/px  conclies  qui  recouvrent  certains  amas 
lenticulaires,  notamment  ceux  de  gypse  enfermes 
dans  des  marnes  triasiques.  En  effet,  le  calcul  dé- 
montre que  si  du  calcaire  est  transformé  en 
gypse,  celui-ci  prend  un  volume  beaucoup  plus 
considérable  que  celui  du  calcaire.  Or,  lorsqu'on 
voit  que  l'eau,  en  se  congelant,  brise  les  vases  les 
plus  lenaces,  et  que  de  simples  racines  d'aibros 
soul('venl  des  pierres  d'un  grand  poids,  on  conçoit 
que  le  gonflement  éprouvé  par  le  calcaire  Iran.s- 
formé  en  gj'pse  puisse  relever  et  même  renveiser 
les  couches  qui  le  recouvr, lient. 

Enfin  le  métamorplii-mn  ■  i  nibiné  avec  les  mou- 
vements (|ue  les  soulève'ii''nts  ont  imprimés  aux 
dépôts,  donne  les  moyens  de  concevoir  l'origine  de 
la  fo  inlion,  c'est-à-dire  des  feuillets  schisloides 
contrastant  avec  la  direction  des  couches,  ainsi 
que  cela  a  lieu  si  fréquemment  dans  les  ardoisières 
des  Ardennes;  fait  dont  il  était  impossible  de  se 
rendre  raison,  car  si  ces  feuillets  résullaiint  du 
dépôt  successif  des  sédiments,  leurs  plans  auraient 
dû  et  le  parallèles  00  peu  0bli(|ucsà  ceux  des  couches 
qu'ils  forment.  On  conçoit  au  contraire,  et  l'ex- 
périence a  prouvé,  que  réchauffement  d'une  roche 
dihitjnt  lies  molécules  donne  à  celles-ci  de  I  apti- 
tude à  glisser  les  unes  sur  les  autres  lorsque  la 
roche  est  mise  en  mouvement  sons  une  forte  prns- 
sinn,  et  qu'il  peut  en  résulter  la  formation  d'une 
texture  feuilletée  dont  les  joints  de  clivage  sont 
parallèles  à  la  direction  de  ce  mouvement. 

Actuellement,  un  ceitain  nombre  de  géologues 
regardent  comme  métanrorphiqucs  un  grand 
ensemble  do  roches  cristallines  stratifiées  situées 
au  di'ssous  de  tous  les  terrains  sédimentaires  à 
fossih's;  mais  nous  préférons  les  considérer  en- 
core comme  le  résultat  de  la  consolidation  h'Ute 
des  parties  les  plus  extérieures  du  globe  terrestre 
et  1rs  décrire  sous  leur  ancien  nom  do  lenvihts 
primitifs  *.  [V.  Raul  n.] 

HIKTAVAr.!'..  —  ■y.  Exploitn'inn  (Si/slè'nes  d'). 

AIÉ'I  KOliOL-oroSli:.  —  Météorologie,  XX.  — 
Art  de  prévoir  les  changements  de  temps  d'après 
certains  signes  ou  pronustici. 

l'r,.i}iislics  founiis  i,a<-  l'homme  et  Ifs  animaux 
—  Un  grand  nombre  de  personnes  dont  le  sys- 
tème nerveux  a  acc|uis  un  c  rtain  degré  d'irrita 
bilité  soit  par  suite  de  maladies  ou  d'affections 
rhumaiisraalfs,  soit  par  alTaiblisscmeiit  du  système 
musculaire  ou  sanguin,  soit  par  toute  autre  cause, 
^c^scntl•llt  fréquemment  des  indispositions  plus 
ou  moins  graves  aux  époques  de  changement  do 
temps.  A  l'approche  de  la  pluie,  les  hirondelles 
rasent  la  terre  de  leur  vol,  les  lézards  se  cachent, 
les  chats  se  fardent,   les   oiseaux  lustrent  leurs 


!  plumes,  les  mouches  piquent  plus  fortement,  les 
i  poules  se  grattent  et  se  couvrent  de  poussière, 
I  les  oiseaux  aquatiques  battent  des  ailes  et  se  bai- 
gnent. Tous  ces  actes  se  rattachent  à  des  causes 
diverses  :  l'accroissement  de  chaleur  et  le  calme 
humide  qui  précèdent  l'arrivée  des  orages,  les 
mouvements  électriques  de  l'atmosphère,  tout 
aussi  bien  que  l'arrivée  de  la  pluie.  Tous  ces  pro- 
nostics n'ont  donc  de  valeur  pratique  que  si  une 
observation  attentive  et  prolongée  a  permis  de  leS' 
rattacher  à  l'état  de  l'atmosphère  et  h  ses  varia- 
tions. L'emploi  des  instruments  donne  une  base 
plus  précise  à  ce  travail  de  comparaison,  sans  eil' 
I  diminuer  la  nécessité. 

l'ionosHcs  généraux.  —  Sur  la  surface  de  l'Eu- 
I  rope,  les  variations  du  temps  sont  sous  la  dépen- 
dance des  fluctuations  du  courant  équatorial, 
(V.  Cimrantsaérvnsit  man?;sl,  etdcs  mouvemcnt& 
tournants  qui  s'y  succèdent  à  de  courts  intervalles 
,  (V.  Oriiges,  Tenij  ê  es.  :  Le  ciel  y  est  généralement 
I  couvert  ou  nuageux  sur  le  trajet  du  courant  équa- 
torial :  d'autant  plus  qu'on  est  plus  près  des  côtes 
ou  qu'on  est  plus  élevé  sur  le  versant  occidental 
des  massifs  mintagneux;  d'autant  moins  qu'on- 
est  plus  avant  dans  l'intérieur  des  terres  ou  qu'on 
est  mieux  abrité  par  les  montagnes.  Le  ciel  est 
pur  dans  les  régions  oii  sont  établis  les  courants 
de  retour  ou  courants  polaires  ;  il  e^t  encore 
beau,  mais  d'une  manière  moins  constante,  dans- 
la  région  comprise  entre  le  courant  équatorial  et 
le  courant  polaire. 

Les  massifs  montagneux  produisent  des  dévia- 
tions quelquefois  considérables  dans  le  courant 
équatorial  ou  polaire,  et  il  est  nécessaire  d'en 
tenir  compte  dans  chaque  région  de  la  France. 
Chaque  branche  dérivée  dunneia  lieu  à  des  pro- 
babilités de  pluie  d'autant  plus  ^irandes  qu'elle 
marchera  de  régions  plus  chaudes  vers  des  ré- 
gions plus  froides  ou  qu'elle  gravira  ries  pentes 
plus  prolongées.  Les  probabilités  se  changeront 
presque  en  certitude  à  l'approche  de  chaque  bour- 
rasque tournante,  forme  sous  laquelle  se  présen- 
tent à  peu  près  toutes  les  perturbations  atmosphé- 
riques de  1  Europe. 

Il  est  presque  sans  exemple  qu'un  mouvement 
tournant  de  lair  ait  abordé  l'Europe  sans  y  semer 
des  pluies,  et  qu'une  pluie  un  peu  importante 
survienne  sans  se  rattacher  au  passage  plus  ou 
moins  proche  ou  lointain  d'un  mouvement  tour- 
nant. Ces  derniers  sont  accusés,  sur  le  bulletin 
météorologique  quotidien,  par  la  forme  concave, 
dirigée  vers  le  centre  du  mouvement,  que  prennent 
les  lignes  d'égale  pression  barométrique  à  la  sur- 
,  face  de  notre  continent  —  V.  l'rei  ixion  du  temps. 
!  Le  passage  d'un  mouvement  tournatit  en  vue 
d'un  lieu  donné  ne  dure  généralement  qu'un  pe- 
tit nombre  de  jours;  les  pluies  qu'il  amène  sont 
encore  moins  prolongées,  surtout  en  été  ;  mais  ces 
phénomènes  se  suivent  souvent  à  des  intervalles 
rapprochés,  et  l"ur  ensemble  peut  constituer  toute 
une  saison  ou  toute  une  année  pluvieuse.  Les  ora- 
ges suivent  la  marche  des  pluies.  Il  ne  s'en  forme 
jamais  dans  la  région  occupée  par  le  courant  po- 
laire, mais  seulement  dans  le  courant  équatorial. 
Quelquefois  cependant  il  s'en  forme  dans  la  bran- 
che descendante  de  ce  dernier  courant  vers  le  sud, 
alors  que,  limité  dans  son  expan.sinn  sur  l'Europe, 
il  pénètre  au  travers  de  l'Allemagne  ou  de  la 
France  sur  le  bassin  de  la  Méditerranée. 

l'ronoslics  tiies  du  bnrnmelre.  —  La  hauteur  du 
baromètre  en  un  lieu  varie  avec  la  direction  du- 
courant  général  qui  règne  en  ce  lien  et  (|ue  les  gi- 
rouettes accusent  d'une  manière  beaucoup  moins 
sûre  que  la  niaiclie  des  nuages.  Cette  hauteur  est 
moindre  que  la  moyenne  quand  on  est  en  plein 
courant  éipiatorial  ;  elh-  augmente  gradnellemeiit 
quand  on  s'approche  do  la  rive  méridionale  du  lit 
de  ce  courant;  elle  est  supérieure  à  la  moyenne- 


METEOROGNOSIE 


1301  — 


METEOROGNOSIE 


■quand  on  est  placé  en  (lel)or3  du  courant,  dans  la 
concavité  de  l'orbe  qu'il  décrit,  entre  le  courant 
équalorial  ot  lo  courant  de  retour  ou  courant  po- 
laire. L'iiscillation  des  courants  oquatorial  cl  po- 
laire il  la  surface  de  l'Europe  produit  donc  des 
oscillations  correspondantes  dans  les  hauteurs  du 
baromètre  ;  mais  ces  oscillations  sont  généralo- 
mi'ut  progressives  et  à  longues  périodes,  durant 
plusieurs  semaines,  quelquefois  des  mois  entiers. 
Les  périodes  de  pression  barométrique  générale- 
ment basse  ne  sont  pas  continues,  elles  sont  en- 
trecoupées par  des  iiausses  barométriques  acci- 
dentelles et  temporaires  dont  cliacune  se  rattaclie 
au  passage  d'une  bourrasque  avec  retour  ou 
recrudescence  du  mauvais  temps.  Ctiaque  bour- 
rasque tournante  est,  en  effet,  précédée  et  suivie 
d'une  hausse  barométrique;  elle  est  accompagnée 
d'une  baisse  qui  atteint  son  maximum  au  centre 
môme  de  la  bourrasque.  L'oscillation  accidentelle 
qui  en  résulte  dans  la  hauteur  du  baromètre  est 
d'autant  plus  brusque  et  plus  profonde  que  le 
centre  do  la  bourrasque  pa.sse  plus  près  de  nous 
et  que  la  perturbation  est  plus  intense. 

En  suivant  la  marche  du  baromètre,  on  recon- 
naîtra, par  un  retour  à  la  hausse  succédant  i  une 
baisse,  que  le  centre  de  la  bourrasque,  après  s'être 
approché  de  nous,  commence  h  s'en  éloigner. 

Le  baromètre  est  donc  l'instrument  par  ex- 
cellence de  la  prévision  du  temps  en  France; 
mais  il  est  nécessaire  de  se  familiariser  avec  ses 
indications  par  une  pratique  de  tous  les  jours. 
On  peut  y  employer  soit  un  baromètre  à  cadran, 
ancien  système,  soit  un  baromètre  métallique, 
anéroïde,  holostérique,  etc.  On  ne  doit  jamais 
s'en  tenir  à  ses  indications  actuelles  ;  mais  con- 
sulter ses  mouvements,  en  partant,  autant  que 
possible,  de  sa  hauteur  moyenne  dans  le  lieu  où 
il  est  placé. 

Dans  les  périodes  de  beau  temps,  le  baromètre, 
généralement  haut,  varie  peu.  Sa  baisse  peu  pro- 
noncée indi(|ue  une  bourrasque  passant  au  loin 
dans  le^  nord,  mais  sans  nous  atteindre.  Si  la 
baisse  s'accentue  et  se  prolonge,  c'est  que  lo  cou- 
rant équalorial  s'approche  de  nous  amenant  des 
temps  variables  et  souvent  des  pluies.  Les  signes 
barométriques  acquièrent  alors  des  valeurs  très 
inégales  suivant  qu'on  est  en  plein  été,  dans  une 
période  de  temps  orageux,  ou  bien  qu'on  est  en- 
tré dans  la  saison  froide,  de  l'automne  au  prin- 
temps, époque  des  tempêtes.  Dans  cette  dernière 
■les  oscillations  du  baromètre  sont  profondes.  Dans 
la  première,  au  contraire,  elles  sont  faibles  et  les 
plus  forts  orages  arrivent  souvent  quand  le  baro- 
mètre est  à  sa  hauteur  moyenne.  Toute  baisse 
du  baromètre  dans  les  périodes  de  temps  va- 
riables indique  une  tendance  à  la  pluie,  mais 
l'arrivée  de  celle-ci  est  généralement  précédée 
4'un  ou  deux  beaux  jours.  Toute  hausse  du  baro- 
mètre indique  une  tendance  au  beau  temps,  mais 
souvent  précédé  de  pluies  peu  durables.  Le  baro- 
mètre continuant  à  mor.ter,  le  beau  temps  s'ac- 
centue; mais  si  le  vent  des  nuages,  qui  a  lourtié 
vers  l'ouest  ouïe  nord  ouest,  cesse  de  continuer 
à  gagner  le  nord  et  le  nord-est,  surtout  s'il  rétro- 
grade vers  l'ouest,  ce  n'est  qu'un  répit  :  une  nou- 
velle bourrasque  suit  la  première  et,  produira  la 
même  série  d'effets. 

Pronnstics  tvés  du  thermomètre.  —  En  hiver,  la 
température  est  généralement  douce  sur  le  trajet 
du  courant  équatorial,  en  même  temps  que  le  ciel 
est  couvert  ou  pluvieux.  Sur  celui  du  courant  po- 
laire elle  est  au  contraire  d'autant  plus  froide  que 
ce  courant  vient  de  plus  l"in  dans  le  nord-est. 
Entre  les  deux  courants,  l'air  est  calme,  le  ciel 
souvent  brumeux;  le  froid  moins  vif  est  plus  hu- 
mide et  plus  désagréable. 

Durant  l'été,  la  température  baisse  au  contraire 
•en  plein  courant  équatorial  sous  l'action  das  nua- 


ges et  dos  pluies.  Le  courant  polaire  est  chaud  et 
sec  ;  l'évaporation  qu'il  produit  à  la  surface  de 
notre  corps  nous  aide  à  supporter  la  chaleur; 
mais  la  sécheresse  jointe  à  une  grande  lumière 
amènent  quelquefois  le  hâle  des  récoltes.  Entre 
les  deux  courants  l'air  est  calme,  chaud  et  hu- 
mide ;  la  chaleur  devient  pénible.  Les  fluctuations 
du  courant  équatorial  vers  le  sud  ou  le  nord 
amèneront  donc  des  fluctuations  correspondantes 
dans  la  température  d'un  même  lieu,  mais  elles 
sont  généralement  à  longues  périodes.  On  les 
retrouve  encore  en  plein  courant  équatorial,  mais 
elles  y  sont  dues  aux  bourrasques  tournantes  et 
elles  ne  durent  alors  que  quelques  jours,  sauf  à 
se  renouveler  à  des  intervalles  plus  ou  moins 
rapprochés.  Sur  chaque  disque  tournant  de  l'air, 
la  température  est  à  son  maximum  sur  le  demi- 
cercle  méridional  et  antérieur,  là  où  les  vents  souf- 
flent d'entre  sud-est  et  sud-ouest;  elle  est  à  son  maxi- 
mum dans  le  demi-cercle  septentrional  et  posté- 
rieur, lioii  les  vents  soufflent  d'entre  oueslet  nord- 
est.  Le  passage  d'une  bourrasque  tournante  estdonc 
précédé  d'une  hausse  du  thermomètre  en  même 
temps  que  d'une  hausse  du  baromètre;  mais  le 
baromètre  a  déjà  commencé  à  descendre  que  la 
température  continue  à  monter.  Ce  passage  est 
suivi  d'une  baisse  du  thermomètre  en  même 
temps  que  le  baromètre  se  relève.  C'est  alors 
que  les  gelées  blanches  sont  particulièrement  à 
craindre  dans  le  printemps.  Succédant  à  une  pé- 
riode de  quelques  jours  humides  et  chauds, 
elles  trouvent  de  jeunes  pousses  pleines  de  sève 
nouvelle  et  très  sensibles  au  froid. 

Si,  malgré  la  hausse  du  baromètre,  l'air  reste 
tiède,  lèvent  rétrogradera  vers  l'ouest.  C'estqu'une 
nouvelle  bourrasque  suit  la  première  :  le  beau 
temps  sera  de  courte  durée. 

Le  thermomètre  employé  peut  êlre  un  thermo- 
mètre à  alcool,  qui  est  d'un  prix  peu  élevé;  autant 
que  possible  on  le  place  au  nord;  s'il  est  adossé  à 
un  mur,  il  doit  en  être  écarté  de  10  à  Vl  centi- 
mètres. La  température  la  plus  basse  de  chaque 
nuit  est  celle  à  laquelle  M.  do  Gasparin  attachait 
le  plus  d'importance.  Elle  est  donnée  par  le  ther- 
momètre à  minima  à  alcool,  que  l'on  pose  dans 
une  position  presque  horizontale,  le  réservoir  un 
peu  plus  bas  que  l'extrémité  opposée,  et  qu'on 
redresse  chaque  jour  après  la  lecture,  pour  re- 
mettre l'index  en  contact  avec  l'extromiié  libre  de 
la  colonne  liquide. 

D'après  M.  de  Gasparin,  le  vent  soufflant  de  la 
région  cliaude  et  humide,  si  la  température  mi- 
nima de  la  nuit  s'abaisse,  la  pluie  est  très  proba- 
ble pour  le  jour  môme  ou  le  jour  suivant. 

Si  cette  température  minima  s'élèvo  pendant 
que  régnent  les  vents  froils  et  secs,  ces  derniers 
sont  près  de  leur  fin,  et  il  peut  y  avoir  pluie  par 
rentrée  des  vents  du  sud.  La  fi,xité  des  minima 
annonce  la  continuité  du  môme  temps. 

Les  minima  haussant  graduellement  annoncent 
que  l'air  devient  moins  sec,  qu'il  se  sature  de  va- 
peur et  qu'on  marche  vers  la  pluie.  L'inverse  a 
lieu  quand  le  ciel  tourne  au  beau  temps. 

Pronostics  lunmres.  —  Parmi  les  dictons  les 
plus  enracinés  dans  le  peuple  se  trouvent  ceux 
qui  s'appuient  sur  les  phases  de  la  lune  ;  ce  sont 
aussi  les  plus  controversés  parmi  les  météorolo- 
gistes. Il  en  est  ainsi  en  particulier  de  la  lune 
rousse.  Cette  lunaison  coïncide  à  pou  près  avec 
la  période  critique  des  gelées  tardives.  Elle  a 
longtemps  tenu  lieu  pour  les  cultivateurs  d'al- 
manach  et  d'instruments  météorologiques  ;  et  on 
l'a  considérée  comme  la  cause  des  faits  dont  elle 
n'est  que  le  témoin  accidentel.  Quand  la  lune 
brille,  le  ciel  est  clair;  quand  le  ciel  est  clair,  le 
refroidissement  nocturne  est  intense  au  printemps 
et  les  gelées  blanches  sont  à  craindre,  surtout  si 
elles  succèdent  à  une  période  de  jours  pluvieux 


METEORE 


—  1302 


METEOROLOGIE 


et  chauds.  L'action  de  la  lune  sur  le  baromètre, 
sur  le  tliermomètre,  sur  la  pluie  ou  l'état  du  ciel, 
est  tellement  problématique  qu'il  est  à  peu  près 
impossible  de  la  constater  par  des  chiffres  pri^cis 
et  que  les  résultats  obtenus  changent  ou  se  ren- 
versent d'un  lieu  à  l'autre  ou  d'une  année  à  l'au- 
tre. La  crédulité  publique  a  étendu  l'influence 
des  phases  lunaires  à  toutes  les  opérations  agri- 
coles, h  tous  les  actes  de  la  \ie  des  champs.  Avec 
M.  de  Gasparin,  l'un  de  nos  plus  grands  agrono- 
mes, not;s  dirons  aux  personnes  les  plus  prévenues 
en  faveur  des  influences  lunaires  :  Ou  vous  pensez 
que  ces  influences  résident  principalement  dans 
les  modifications  qu'elles  impriment  à  l'atmosphère 
et,  par  contre-coup,  à  la  végétation  ;  alors  simpli- 
fiez votre  tâche  :  adressez-vous  aux  résultats  sans 
remonter  aux  causes,  consultez,  pour  planter,  se- 
mer, récolter,  etc. .l'état  du  terrain  ft  l'état  du  ciel, 
sans  vous  préoccuper  des  phases  de  la  lune.  Ou 
bien  vous  croyez  que  la  lune  agit  par  elle-même 
sur  la  plante,  sur  la  marche  occulte  de  la  sève,  etc. 
Cette  opinion  a  été  soumise  à  de  nombreuses  vé- 
rifications, fondées  sur  des  données  précises  régu- 
lièrement enregistrées  et  non  sur  de  fugitifs  sou- 
venirs, et  rien  n'est  venu  en  confirmer  l'exacti- 
tude. Les  concordances  et  les  discordances  se 
présentent  toujours  en  égal  nombre  et  de  valeurs 
semblables,  et  on  en  trouve  l'explication  dans 
les  faits  purement  météorologiques  et  nullement 
dans  les  phases  lunaires.  [Marié-Davy.] 

MÉTÉOBE.  —  Météorologie  VU  et  XIII.  — 
Étym  :  du  grec  météôros,  élevé.  —  Dans  le  langage 
des  météorologistes,  ce  mot  s'applique  à  tous  les 
phénomènes  qui  se  produisent  dans  l'atmosphère. 
Les  nuages,  la  pluie,  la  neige,  sont  des  météores 
aqueux,  comme  l'arc-en-ciel  ;  les  couronnes,  les 
étoiles  filantes  sont  des  météores  lumineux.  —  V. 
Méténrotoqic,  Phénon,è?tes  optiques  de  l'atmosphère. 

HÉTEORITES.  —  Nom  primitivement  donné 
aux  pierres  tombées  du  ciel.  —  V.  AéiolUlies. 

MÉTÉOROLOGIi;.  — La  météorologie  ou  science 
des  météores  a  pour  objet  l'élude  des  variations 
du  temps  et  des  climats,  ainsi  que  la  recherche 
de  leurs  causes  et  de  leurs  effets. 

La  météorologie  est  très  ancienne.  Dès  le  com- 
mencement des  temps  historiques,  on  trouve  dans 
les  traditions  des  peuples  les  moins  civilisés  quel- 
ques notions  de  météorologie  particulièrement 
applicables  à  la  prévision  des  changements  de 
temps;  dans  les  ouvrages  des  peuples  de  l'antiquité 
classique,  on  rencontre  une  foule  d'observations  et 
de  lois  météorologiques  consignées  avec  soin. 

Malgré  cette  origine  reculée,  et  malgré  ses  rap- 
ports continuels  avec  l'astronomie,  la  météorolo- 
gie est  encore  peu  avancée.  C'est  qu'elle  est  essen- 
tiellement une  science  d'observation  portant  sur 
des  faits  d'une  mobilité  extrême,  et  que  pendant 
de  longs  siècles  les  observateurs,  dépourvus  de 
tout  moyen  de  mesure,  devaient  s'en  tenir  à  l'exa- 
men du  ciel  et  des  vents  et  aux  impressions  fu- 
gitives et  changeantes  que  les  interrpéries  exer- 
cent sur  nos  organes.  Ses  progrès  les  plus  mar- 
qués datent  d'une  époque  récente. 

L'invention  du  thermomètre  *  à  la  fin  du  seizième 
ou  au  commencement  du  dix-septième  siècle  ;  celle 
du  baromètre*  vers  le  milieu  du  dix-septième  siècle, 
ont  déjà  permis  de  substituer  des  évaluations  pré- 
cises aux  indications  vagues  qui  les  avaient  pré- 
cédées, et  d'agrandir  le  champ  des  observations. 
Avec  le  pluviomètre,  dont  l'usage  est  à  peu  près 
contemporain  des  deux  premiers,  et  la  girouette, 
dont  l'origine  est  très  lointaine,  on  a  l'ensemble 
des  quatre  instruments  principaux  qui  ont  long- 
temps suffi  à  l'étude  générale  des  climats  du  g!obe 
et  des  intempéries  des  saisons.  Aujourd'hui  encore 
ils  forment  la  base  du  travail  des  avertissements 
météorologiques  en  usage  dans  la  plupart  des  pays 
civilisés.  Mais  si  leurs  indications,  augmentées  de 


celles  que  fournit  l'examen  direct  de  l'état  du  cie!, 
peuvent  conduire  à  la  découverte  des  causes  des 
variations  du  temps,  elles  sont  insuffisantes  pour 
en  faire  connaître  les  effets  sur  la  végétation  ou 
sur  la  santé  publique.  Ici,  le  champ  de  l'observa- 
tion s'élargit  et  se  transforme.  Pour  discerner 
quelles  sont  les  données  météorologiques  réelle- 
ment actives  sur  la  végétation,  quelles  seront  les 
conséquences  immédiates  ou  lointaines  des  allu- 
res d'un  climat  ou  d'une  saison  sur  les  cultures 
engagées  ou  sur  celles  qu'il  convient  d'entrepren- 
dre, les  rapprochements  vagues,  indéterminés  ne 
peuvent  conduire  qu'à  l'erreur  ;  l'étude  exacte  de 
la  marche  des  cultures  doit  être  constamment  as- 
sociée à  celle  de  la  marche  des  saisons  :  les  me- 
sures doivent  y  être  faites  avec  un  égal  soin.  On 
constate  alors  que  les  résultats  ordinaires  fournis 
par  le  baromètre,  le  thermomètre,  le  pluviomètre, 
la  girouette  et  l'inspection  du  ciel  sont  incomplets 
au  point  de  vue  agricole  ;  qu'il  est  un  autre  élément 
aussi  essentiel  à  évaluer  que  la  chaleur  et  l'hu- 
midité :  c'est  la  lumière  que  le  ciel  nous  départit 
en  proportions  très  variables.  L'éclairement  des 
plantes  ne  peut  pas  être  évalué  avec  quelque  pré- 
cision par  la  simple  inspection  des  nuages;  on  le 
mesure  exactement  avec  Vacti?w»iètre. 

Même  augmenté  de  l'actinomètre,  le  matériel 
d'observation  du  météorologiste  est  donc  encore 
très  simple  ;  mais  la  valeur  du  tr  ivail  qu'on  en  tire 
au  point  de  vue  de  la  science  ressort  principale- 
ment de  la  réunion  et  de  la  discussion  de  l'ensem- 
ble des  données  similaires  recueillies  sur  la  plus 
grande  étendue  possible  de  la  surface  du  globe. 

La  théorie  de  la  plupart  des  phénomènes  mé- 
téorologiques, envisagés  en  eux-mêmes  et  sur  place, 
est  déjà  très  avancée  grâce  aux  travaux  des  physi- 
ciens. C'est  l'étude  de  leur  origine,  de  leurs  causes, 
de  leurs  effets  qui  laisse  le  plus  à  désirer.  Déjà, 
cependant,  llumboldt,  en  réunissant  les  obser- 
vations de  température  connues  de  son  temps,  a 
pu  figurer  sur  une  sphère  terrestre  le  mode  gé- 
néral de  répartition  de  la  chaleur  à  la  surface  du 
globe.  Berghauss,  à  l'aide  des  relevés  de  pluie 
également  épars,  a  pu  construire  une  carte  approxi- 
mative de  la  répartition  des  pluies  sur  la  terre,  en 
sorte  que  l'on  connaissait  déjà  deux  des  éléments 
de  la  distribution  géographique  des  plantes  libres 
et  des  cultures. 

Maury,  en  compulsant  un  nombre  considérable 
des  livres  de  bord  tenus  par  les  marins  pendant 
leurs  traversées,  a  pu  reconnaître  et  figurer  sur  des 
cartes  le  mode  général  de  circulation  de  l'atmo- 
sphère sur  la  surface  des  océans  ;  il  a  pu  en  même 
temps  tracer  aux  navigateurs  les  routes  les  plus 
courtes  en  durée  pour  se  rendre  d'un  point  à  ui> 
autre  ;  et  les  traversées  les  plus  longues  ont  été 
abrégées  de  plus  d'un  tiers.  'Tous  ces  grands  tra- 
vaux d'ensemble,  plus  ou  moins  imparfaits  à  l'ori- 
gine, se  complètent  peu  à  peu.  Ils  constituent  de 
grands  progrès  qui  en  appellent  d'autres. 

Pour  reconnaître  la  nature  des  liens  intimes 
qui  unissent  entre  eux  les  divers  climats  du  globe  ; 
pour  trouver  l'origine,  la  cause,  la  nature,  le  mode 
de  progression  et  les  signes  précurseuis  des  per- 
turbations atmosphériques  auxquelles  nous  som- 
mes exposés,  les  observations  faites  à  des  dates 
indéterminées  sur  les  divers  points  de  la  terre  et 
des  mers  ne  suffisent  pas;  il  y  faut,  de  plus,  la 
simultanéité  de  ces  observations  permettant  la 
construction  de  cartes  synoptiques  du  temps  dres- 
sées chaque  jour,  afin  de  figurer  l'état  général  de 
l'atmosphère  à  un  même  instant,  et  de  suivre  les 
changements  qui  s'y  produisent  d'un  jour  à  l'autre. 
Plus  les  régions  embrassées  gagnent  en  étendue, 
plus  il  convient  au  début  de  limiter  les  données 
employées  et  de  les  réduire  à  celles  qui  ont  lo 
plus  d'importance  au  point  de  vue  du  travail  en- 
trepris. 


MÉTÉOROLOGIE 


—  1303 


METEOROLOGIK 


Le  grand  mouvement  nidléorologicino  dont  nous 
sommes  témoins  a  eu  son  origine  en  France  dans 
la  seconde  moitié  du  siècle  dernier. 

Lavoisior,  frappé  de  l'importance  des  premières 
observations  de  borda  sur  la  possibilité  de  prédire 
le  temps  h  courte  écliéanco,  s'entendit  avec  lui 
pour  ouvrir  di-s  conférences  auxquelles  prirent 
partl.aplace.d'Arcy,  Vandermonde,  Montigny,  etc. 
Il  s'agissait  d'établir  des  instruments  et  surtout 
dos  baromètres  comparables  sur  un  grand  nom- 
bre do  points  de  la  France,  de  l'Europe,  et  môme 
de  l'univers.  Nombre  de  ces  instruments  furent 
distribues  par  Lavoisior,  et,  quand  on  en  a  lu  la 
description,  il  n'est  pas  difficile  de  s'assurer  que 
quelques  châteaux  possédaient  encore,  il  y  a  peu 
d'années,  des  instruments  donnés  par  lui  b.  cotte 
occasion. 

L'idée  éminemment  française  de  Lavoisier  dis- 
parut avec  lui,  mais  pour  être  reprise  par  la  France 
dans  des  conditions  plus  favorables.  C'est  h  l'Ob- 
servatoire de  Paris  que  fut  conçu  et  réalisé  le  pro- 
jet de  réunir  en  un  bulletin  quotidien  les  obser- 
vations simultanées  faites  à  la  môme  beure  le  ma- 
tin de  chaque  jour  dans  les  principales  stations  de 
l'Europe  et  expédiées  à  Paris  par  télégraphe.  C'est 
là  que  furent  inaugurées  les  premières  cartes 
synoptiques  du  temps  sur  l'Europe,  que  furent 
rédigées  les  premières  cartes  de  la  marche  des 
tempêtes  sur  l'Atlautiquo,  de  la  marche  des  orages 
sur  la  France. 

Tout  cet  ensemble  de  recherches  qui  s'est  gé- 
néralisé en  Europe  et  qui  a  été  établi  sur  une  très 
large  échelle  en  Amérique,  a  pour  principal  objet 
la  science  des  mouvements  de  l'atmosphère,  et  les 
avertissements  qui  en  peuvent  découler  concer- 
nant les  changements  de  temps  probables  dans  un 
avenir  très  prochain.  Il  est  loin  de  répondre  h 
tous  les  besoins  de  l'agriculture. 

Il  est  sans  doute  des  circonstances  dans  les- 
quelles l'annonce  faite  quelques  heures  à  l'avance 
de  l'arrivée  d'un  orage  qui  compromettra  la  ren- 
trée d'une  récolte  ou  cette  récolte  elle  même,  peut 
rendre  i  l'agriculteur  de  grands  services.  Il  en  est 
de  même  de  l'annonce  des  crues  qui  menacent  ses 
intérêts  les  plus  chers.  Mais,  en  dehors  de  ces  cas 
spéciaux,  l'agriculteur  subit  passivement  les  intem- 
péries. Ce  qui  lui  serait  plus  généralement  et  pltis 
pratiquement  utile,  serait  de  lui  apprendre  les  re- 
lations vraies  qui  exislent  entre  les  variations  du 
temps  et  la  marche  de  ses  cultures  ;  de  lui  fournir 
les  moyens  de  prévoir  quelle  sera  la  valeur  de  ses 
récoltes  pendantes  et,  par  suite,  de  pallier  pour 
lui  leur  insuffisance  ou  de  profiter  le  mieux  pos- 
sible de  leur  succès;  de  le  renseigner  enlin,  s'il 
se  peut,  sur  les  caractères  probables  d'une  année 
agricole  qui  va  commencer,  afin  qu'il  puisse  régler 
ses  emblavures  au  mieux  de  ses  intérêts. 

Pour  cultiver  avec  économie  et  profit,  il  faut 
connaître  sa  terre  et  son  climat;  il  faut,  de  plus, 
savoir  de  quelle  façon  la  plante  cultivée  se  com- 
porte en  présence  des  éléments  climatériques  ou 
autres  au  milieu  desquels  elle  vit,  ce  qu'elle  exige 
d'eau,  de  chaleur,  de  lumière;  ce  qu'il  lui  faut 
d'engrais  divers  en  raison  de  l'eau,  de  la  chaleur 
et  de  la  luniière  dont  elle  dispose.  L'observateur 
qui  travaille  pour  la  météorologie  générale  four- 
nit les  matériaux  d'un  type  uniforme  et  convenu, 
qui  seront  élaborés  dans  l'établissement  central 
d'où  lui  reviendront  les  résultats  déduits  de  l'en- 
semble. Tout  en  continuant  cette  collaboration  né- 
cessaire, le  météorologiste  agricole  doit  travailler 
aussi  pour  son  propre  usage,  sur  le  terrain  qu'il 
occupe  et  que  nul  ne  connaît  mieux  que  lui.  Il 
doit  y  associer  sans  cesse  l'observation  de  la  mar- 
che des  cultures  à  celle  de  la  marche  des  saisons, 
afin  de  se  pénétrer  de  leurs  liens  communs,  trop 
généralement  faussés  par  des  préjugés  nés  d'une 
interprétation  incomplète  de  faits  eux-mêmes  in- 


suffisamment étudiés.  Rien  n'est  plus  propre  d'ail- 
leurs à  développer  ses  facultés  d'observation  et  à 
accnltre  les  plaisirs  des  champs. 

La  météorologie  agricole  est  loin  d'avoir  suivi  la 
marche  progressive  imprimée  à  la  météorologie 
générale.  Elle  a  été  magistralement  traitée  par 
M.  de  Gasparin  dans  son  Cours  d'agriculture.  De- 
puis cette  époque,  déjà  un  peu  éloignée  cepen- 
dant, nous  ne  voyons  guère  qu'on  ait  songé  !i  com- 
bler les  nombreuses  et  importantes  lacunes  que 
l'éiuinent  agronome  signalait  lui-même  aux  mé- 
téorologistes. La  cause  en  est  restée  la  même  que 
de  son  temps.  «  Préoccupé  des  grands  problèmes 
de  la  physique  générale  du  globe,  dit  M.  de  Gas- 
parin (t.  II,  p.  21,  de  son  Cours  d'agriculture),  le 
météorologiste  néglige  les  détails  qui  sont  les  plus 
importants  pour  nous.  Qu'il  soit  question,  par 
exemple,  des  abaissements  de  température,  nous 
devons  consulter  leurs  effets  sur  le  sol,  sur  les 
plantes,  les  époques  où  ils  arrivent,  leur  coïnci- 
dence avec  l'état  de  la  végétation,  qui  les  rendent 
plus  ou  moins  pernicieux  ou  indifférents  ;  les 
régions  du  glohe  qu'ils  affectent,  leurs  limites  qui 
indiquent  les  limites  des  différentes  cultures,  les 
probabilités  de  leur  retour  en  chaque  lieu,  ce  qui 
mesure  les  chances  de  réussite  de  certains  végé- 
taux, etc.  Toutes  ces  notions  appartiennent  bien 
à  la  météorologie,  mais  elles  importent  peu  aux 
physiciens,  tandis  qu'elles  préoccupent  vivement 
l'agriculteur.  Les  premiers  insisteront  sur  les 
questions  qui  se  rattachent  i  la  tem|iérature  de 
l'espace,  à  la  chaleur  intérieure  du  globe,  tandis 
que  nous  devons  surtout  étudier  ce  qui  se  passe 
dans  le  milieu  où  vivent  nos  plantes,  la  couche 
d'air  en  contact  avec  la  terre,  la  couche  de  terre 
où  plongent  leurs  racines.  » 

Il  en  est  de  môme  de  la  question  capitale  de  la 
lumière  qui,  en  l'absence  d'un  instrument  de  me- 
sure, a  coûté  tant  de  peines  h  M.  de  Gasparin  pour 
la  sortir  du  vague  où  elle  était  laissée.  Les  météo- 
rologistes physiciens  se  préoccuperont  surtout  du 
pouvoir  lumineux  du  soleil,  du  degré  de  transpa- 
rence de  l'atmosphère  sous  un  ciel  accidentelle- 
ment pur.  Le  météorologiste  agronome,  au  con- 
traire, s'efforcera  surtout  de  mesurer  la  somme 
effective  de  lumière  que  le  ciel  envoie  par  tous  les 
temps  aux  plantes,  qui  ne  peuvent  vivre  et  croître 
que  sous  l'action  de  cette  lumière. 

La  météorologie  doit  être  étudiée  sous  toiis  ses 
points  de  vue,  dans  ses  lois  générales  aussibien 
que  dans  ses  applications  diverses  :  les  premières 
servant  de  guide  sîir  dans  les  secondes;  mais,  dans 
les  campagnes  surtout,  celles-ci  ne  doivent  pas 
être  sacrifiées  à  celles-li.  C'est  dans  ce  sens  qu'il 
convient  de  développer  le  programme  suivant. 
Nous  le  partageons  en  deux  parties  :  la  première 
consacrée  à  la  météorologie  générale;  la  seconde 
consacrée  à  la  météorologie  agricole.  Les  dévelop- 
pements h  donner  à  l'une  et  à  l'autre  peuvent 
changer  avec  les  conditions  spéciales  dans  les- 
quelles est  fait  le  cours. 

PROGRAMME  DU  COURS 
1"=  partie:  Mistéorologie  généiiale. 

I-IV.    —  La    météorologie,   sa  place  dans  les 

sciences,  son  utilité.  —  L'atmosphère,  sa  compo- 
sition, éléments  constants  ou  variables  qu'elle  con- 
tient ;  son  action  sur  les  températures  du  globe. 
—  Températures  de  l'air  suivant  l'altitude  et  sui- 
vant les  saisoiis.  —  Températures  à  la  surface  du 
sol  ;  leur  distribution  suivant  la  latitude  et  dans  le 
cours  des  saisons.  —  Circulation  générale  de  l'at- 
mosphère et  des  mers  ;  leurs  causes;  leur  influence 
réciproque  sur  les  températures  dos  continents.  •— 
Lignes  isothermes.  —  V.  A/mosjihne,  Air,  Cha- 
leur,  Rajonnemeid,   Température,   Thermomètre, 


MÉTIERS 


—  1304  — 


METIERS 


^Baromètres,  Coumnt,  Ilumid4é,  Hygrométrie,  Ge!, 
Gelée  blanche,  Givre. 

V-V'I.  —  Perturbations  de  l'atmosplière,  vents, 
tourbillons  et  tempêtes.  —  Origine  et  mnde  de 
.progression  des  vents  et  tempêtes.  —  Influence 
des  vents  sur  l'état  du  ciel  et  sur  la  température 
de  l'air  et  du  sol.  —  V.  Vents,  Tempêtes,  Baro- 
mètre. 

^  VII-X.  — Météores  aqueux;  nuages,  pluie,  neige, 
grêle.  —  Relations  qui  existent  entre  la  pluie  et  la 
circulalion  générale  de  l'atmosphère  ;  répartition 
générale  des  pluies  à  la  surface  du  globe.  —  Rela- 
tions qui  existent  entre  les  pluies  et  les  veots, 
tourbillons  ou  tempêtes;  distribution  des  pluies  i 
la  surface  de  la  France.  — Influence  do  la  position 
du  lieu,  de  son  altiiude  et  des  circonstances  lo- 
cales. —  Quantité  d'eau  tombée  par  jour  de  pluie, 
fréquence  des  pluies  et  nébulosité  du  ciel  suivant 
les  saisons.  —  V.  Nuages,  Pluie,  Serge,  Baromètre. 

XI-XII.  —  Electricité  atmosphérique  ;  orages, 
éclair,  foudre,  tonnerre  ;  paratonnerre.  —  Magné- 
tisme terrestre.  —  V.  Electricité,  Orages,  Foudre, 
Piiratomt'  rre,  Mugnéti^me. 

XIII.  —  Phénomènes  optiques  de  l'atmosphère  ; 
aurores  boréales,  arc-en-ciel,  halos  :  météores,  mé- 
téorites, bolides,  aérolithes.  —  V.  Méléorfs,  Aéro- 
lilhes,  l'hénomènes  optiques  de  l'atmosphère. 

II'  partie:  Météobologie  agricole. 

XIV-XIX.  Influence  de  l'eau  sur  la  végétation  ; 
■pluies,  irrigations.  —  Influence  de  la  chaleur  sur  la 
végétation;  chaleur  atmosphérique,  chaleur  so- 
laire ;  durée  des  cultures.  —  Influence  de  la  lu- 
mière sur  la  végétation  ;  qualité  des  récoltes.  — 
■Climats,  régions  agricoles  ;  limites  des  cultures. 
—  V.  Climiils,  Régions  agricoles.  Pluies,  Irriga- 
tions, Inon'latio7is. 

XX.  —  Avertissements  météorolopiques.  —  Pro- 
nostics du  temps.  —  V.  PrévisioJi  du  temps,  Mé- 
tévrognosie.  Baromètre.  [Marié-Davy.] 

MIÎTIKRS.  —  Connaissances  usuelles,  XI.  — 
Il  est  difficile  de  tracer  une  ligne  de  démarcation 
précise  entre  les  métiers  et  la  grande  industrie. 
On  peut  dire  que  les  premiers  sont  ceux  auxquels 
les  ouvriers  travaillent  individuellement  ou  en 
trèspetitsgroupes,oùils  n'emploient  que  des  outils 
relativement  simples  et  dans  lesquels  leur  force 
musculaire  est  généralement  le  seul  moteur.  Dans 
la  grande  industrie,  au  contraire,  la  force  muscu- 
laire de  l'ouvrier  ne  compte  plus;  sa  puissance 
directrice  elle-même  perd  chaque  jour  de  son 
importance,  à  mesure  que  les  grandes  machines- 
outils  se  perfectionnent  et  se  spécialisent. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  chercher  k  évaluer 
d'avance  les  conquêtes  que  l'industrie  est  encore 
appelée  h  faire  sur  le  domaine  des  anciens  mé- 
tiers, ni  d'apprécier  leur  influence  probable  sur 
le  bonheur  humain.  En  tout  cas  l'étude  et  la  pra- 
tique des  métiers  resteront  les  seuls  moyens  de 
cultiver  une  faculté  humaine  importante,  jusqu'ici 
négligée  dans  l'éducation  générale,  nous  voulons 
dire  l'habileté  manuelle  ;  c'est  grâce  k  la  posses- 
sion de  cette  faculté  autant  qu'à  des  conceptions 
théoriques  ou  empiriques  que  les  inventeurs  ont 
fait^  les  grandes  découvertes  industrielles,  et  c'est 
-vraisemblablen  ent  elle  aussi  qui  sera  le  facteur 
principal  des  progrès  de  détail  réservés  k  l'avenir. 

C'est  afin  d'attirer  l'attention  sur  le  développe- 
ment de  cette  faculté,  que  nous  allons  présenter 
quelques  considérations  sur  les  principaux  mé- 
tiers. 

L'impossibilité  de  tout  dire  à  la  fois,  le  besoin 
de  suivre  un  ordr-e  déterminé,  de  rapprocher  les 
travaux  qui  ont  entre  eux  des  rapports  de  diverse 
nature,  tout  cela  nécessite  une  classification,  et,  ici 
comme  ailleurs,  trouver  une  bonne  classification, 
c'est  avoir  fait  la  majeure  partie  de  la  besogne. 


La  classification  qui  séduit  tout  d'abord  consiste 
à  diviser  les  métiers  d'après  la  nature  des  besoins 
qu'ils  sont  destinés  à  satisfaire  :  alimentation,  vê- 
tement, logement.  Son  inconvénient  est  de  laisser 
de  côté  un  certain  nombre  de  métiers  préparatoi- 
res à  ceux  de  cuisinier,  de  tailleur  et  de  maçon,  et 
d'éloigner  les  uns  des  autres  des  travaux  analo- 
gues. Du  reste  aucune  classification  n'est  parfaite, 
et  la  classification  dite  naturelle  est  un  idéal  dont 
on  se  rapproche  sans  doute,  mais  qu'on  ne  peut 
atteindre.  Nous  préférerons  donc  une  classification 
qui  fasse  mieux  comprendre  les  relations,  les 
analogies  des  divers  métiers,  leur  dépendance  ré- 
ciproque, les  progrès  que  peut  introduire  dans  l'un 
l'imitation  des  procédés  employés  dans  un  autre. 
Celle  que  nous  adoptons  a  pour  point  de  départ  la 
nature  des  modifications  que  1  on  fait  subir  aux 
matériaux.  Ces  modifications  sont  de  deux  sortes  : 
chimiques  ou  géométriques.  De  li  deux  grandes 
classes. 

La  première  comprend  la  cuisine,  la  conserva- 
tion des  aliments,  les  industries  accessoires  ou 
préparatoires  aux  métiers  du  vêtement  et  du  loge- 
ment, telles  que  la  préparation  des  fibres  textiles, 
la  tannerie,  la  teinture,  la  fabrication  des  produits 
chimiques. 

La  seconde  peut  être  subdivisée  en  trois,  d'après 
le  nombre  des  dimensions  dominantes  des  objets 
fabriqués  ou  employés  comme  matières  irumédia- 
tes. 

Dans  la  première  subdivision  se  place  la  filature 
des  fibn.  s  textiles,  de  la  laine,  de  la  soie,  licorderie, 
le  tréfilage  des  métaux;  citons,  parmi  les  industries 
qui  s'y  rattachent  encore,  la  fabrication  des  clous, 
des  épingles,  des  aiguilles,  des  chaînes. 

La  seconde  comprend  les  tissus,  tricots,  travaux 
au  croihet,  toile  et  réseaux  métalliques,  la  con- 
fection des  vêtements,  et  en  général  le  travail  du 
papier,  du  carton,  des  étoffes,  des  cuirs,  des  lames 
métalliques. 

Dans  la  troisième,  nous  placerons  à  part  la  cul- 
ture, l'action  de  l'ouvrier  n'étant  qu'une  aide  ac- 
cessoire ou  une  direction  des  effets  naturels,  et 
prendrons  pour  type  :  le  modelage,  d'où  dérivent 
la  poterie,  la  briqueterie,  la  verrerie,  la  forge,  la 
fonderie;  et  la  sculpture,  comprenant  le  travail  du 
bois,  des  blocs  métalliques,  de  la  pierre,  les  divers 
genres  de  gravure.  Un  grand  nombre  des  métiers 
que  nous  avons  cités  se  sont  plus  ou  moins  com- 
plètement transformés  en  grandes  industries,  et 
des  articles  spéciaux  leur  ont  été  consacrés  dans 
ce  Dictionnaire.  Nous  nous  contenterons,  dans 
les  quelques  considérations  que  nous  allons  pré- 
senter ici,  d'indiquer  ce  qui  ne  le  serait  pas  ail- 
leurs. 

A.     MÉTtERS     QUI  FONT    SUBIR     AUX  MATIÈRES    PBE- 

MrÈRES  UNE  MODIFICAT.ION  CHIMIQUE.  —  Les  ani- 
maux mangent  leur  nourriture  telle  que  la  nature 
la  leur  fournit,  et  pour  un  certain  nombre  d'entre 
eux  le  travail  de  la  digestion  absorbe  une  partie 
notable  de  leur  énergie.  Une  découverte  qui  a 
transformé  les  conditions  de  la  vie  humaine  a  dé- 
montré que  l'action  du  feu  retuplaçait  une  partie 
du  travail  d'assimilation,  qu'un  aliment  cuit  se 
digérait  plus  facilement  que  le  môme  aliment  cru  ; 
et  la  saveur  de  cet  aliiuent  a  paru  meilleure,  ob- 
servation probablement  connexe  avec  la  première. 
Les  innombrables  expériences  qui  ont  suivi  cette 
découverte  ont  fondé  l'art  de  la  cuisine.  Cet  art 
en  est  arrivé  aujourd'hui  k  comprendre  une  cer- 
taine quantité  do  préceptes  pratiques  qui  devraient 
trouver  leur  place  dans  tout  bon  enseigneiuent. 
La  cuisine,  dont  la  boulangerie,  la  pâtisserie,  la 
préparation  des  conserves,  ne  sont  que  des  bran- 
ches, devieiit  déjà  souvent,  comme  ces  dernières, 
une  grande  industrie.  Les  manutentions  militaires, 
la  conrpagnie  anglaise  du  pain  aéré  emploient 
des  machines,   des  fours  continus  dirigés  par  des 


METIERS 


—  1305 


METIERS 


mécaniciens  plutôt  que  par  dos  boulangers.  Dans 
les  grands  liùtels  des  capitales,  lus  casernes,  les 
prisons,  le  cuisitiier  emploie  aux  divers  degrés 
les  appareils  perfectionnes  des  industries  chimi- 
ques. Tandis  que  le  procédé  d'Apport,  fondé  sur 
la  destruction  par  la  chaleur  des  germes  de  fer- 
mentation contenus  dans  les  aliments  enfermés 
dans  des  vases  h(;rmétiquement  clos,  ne  s'applique 
gnf're  que  sur  UJie  grande  échelle,  toutes  les  mé- 
nagères de  la  campagne  et  les  petils  marchands 
des  villes  salent  et  fument  la  viande,  sèchent  des 
légumes,  des  champignons,  des  fruits. 

Des  métiers  préparatoires  cités  dans  notre  pre- 
mière classe,  il  n'y  a  guère  que  la  préparation, 
teillage,  rouissage  du  lin  et  du  chanvre,  le  lavage 
de  la  laine,  qui  occupent  des  travailleurs  isolés; 
tous  les  antres  sont  complètement  conquis  à  la 
grande  industrie. 

B.  MÉTIERS  QUI  FONT  SUBIR  AUX  MATIERES  PRK- 
UIÈRES  UN  CHANGIÎMENT  DANS  LA  FORME  GÉOMÉTRIQUE. 

—  1.  Oliiels  OÙ  II'.  Iriiiail  ne  porie  que  sur  nue  s^ule 
dimension.  —  On  pourrait  en  dire  autant  de  la 
plupart  des  métiers  de  cette  classe  :  la  quenouille 
et  le  fuseau  sont  tombés  en  dé-uétude;  on  voit 
encore  le  cordier,  entouré  de  chanvre  et  marchant 
à  reculons,  arracher  de  sa  ceinture  les  fibrilles  qui 
composeront  le  brin,  mais  ce  n'est  plus  toujours 
un  malheureux  enfant  qui  tourne  la  roue  :  les 
ports  militaires  ont  des  corderies  comparables  aux 
filatures,  sauf  la  dimension  de  l'objet  fabriqué.  Le 
bijoutier  emploie  encore  la  filière  aux  trous  dimi- 
nuant graduellement  pour  obtenir  le  fil  d'or  ou 
•d'argent  dont  il  ne  peut  avoir  d'avance  toutes  les 
dimensions  désirables,  mais  l'industrie  seule  four- 
nit le  fil  de  fer,  de  cuivre,  de  laiton.  A  l'aide 
d'un  marteau  qu'il  manie  avec  une  rapidité  pro- 
digieuse, le  cloutier  antique  détache  d'une  baguette 
de  fer  rougie  un  clou  irrégulier,  pendant  que  la 
machine  coupe  à  froid  le  fil  do  fer,  en  façonne 
sans  bruit  et  par  simple  pression  la  tête  aux  formes 
géométriques.  La  chaîne  de  grosses  dimensions 
rentrerait  plutôt  dans  notre  dernière  division  ; 
celle  de  taille  moyenne  seule  se  fabrique  à.  la 
main  à  froid  ;  i  l'industrie  encore  appartiennent 
les  chaînes  à  forme  compliquées  et  celles  de  pe- 
tites dimensions,  qui  atteignent  leur  minimum  sur 
les  fusées  des  montres  et  des  chronomètres. 

II.  Oi'jcti  où  le  travail  porte  sur  deux  dimen- 
sions. —  La  seconde  division  est  le  vrai  domaine 
des  métiers  proprement  dits,  sinon  complètement 
en  ce  qui  concerne  la  fabrication  des  matériaux  à 
deux  dimensions,  au  moins  quant  5,  leur  utilisation. 
Après  que  l'industrie  a  fourni  le  papier  *,  le  car- 
ton, les  étoffes  de  toute  espèce,  le  cuir",  les 
lames  métalliques,  c'est  l'ouvriçr  qui,  guidé  par 
des  principes  géométriques,  les  découpe  à  l'aide 
de  procédés  analogues.  Le  problème  général  est  ce- 
lui-ci :  étant  donnée  une  surface  déterminée,  une 
partie  du  corps  humain  par  exemple,  la  recouvrir 
de  portions  de  diverses  surfaces  doveloppables.  Le 
cas  le  plus  simple  est  évidemment  l'emploi  immé- 
diat des  surfaces  planes  elles-mêmes,  comme  pour 
la  plupart  des  cartonna;;es.  Mais  ordinairement  le 
plan  doit  être  plus  ou  moins  déformé,  et  modifié 
avec  une  précision  qui  varie  suivant  le  but  à 
atteindie.  De  plus,  à  leur  flexibiliié  les  matériaux 
employés  ajoutent  une  certaine  somme  d'élasticité 
ou  de  malléabilité  qui  facilite  le  problème.  Les 
étoffes,  les  toiles  métalliques  aux  mailles  carrées 
peuvent  dans  certaines  limites  s'allonger  ou  se 
raccourcir  dans  le  sens  des  diagonales  et  prendre 
la  forme  de  surfaces  assez  compliquées;  les  lames 
d'argent,  de  cuivre,  de  fer  peuvent  à  l'aide  d'un 
martelage,  qui  les  allonge  surtout  dans  le  sens 
perpendiculaire  à  la  panne  du  marteau,  être  re- 
pousséos.  et  prendre  les  formes  les  plus  variées. 
L'industrie  obtient  sans  choc,  par  des  pressions 
successives,  des  elTets  encore  plus  surprenants  et 


réussît,  entre  des  poinçons  et  des  matrices  par- 
faitement adaptées,  à  étendre  ou  à  contracter  des 
lames  que  les  moyens  anciens  eussent  déchirées 
ou  froissées.  Les  tricots,  les  travaux  au  crochet,  le 
filet,  soiit  relaiivement  peu  annexés  à  la  grande 
industrie,  et  offrent  à  l'ouvrière  les  ressources 
les  plus  variées;  les  mailles  sont  formées  par  un 
seul  fil  dont  les  tours  successifs  viennent  se  lier 
aux  précédents  d'une  manière  plus  ou  moins  in- 
time; la  possibilité  de  fixer  plusieurs  points  nou- 
veaux à  un  seul  ancien,  ou  inversement,  d'aug- 
menter ou  de  diminuer,  permet  de  donner  au  tissu 
toutes  les  formes,  tous  les  ornements  imaginables  ; 
de  plus,  le  fil,  dans  les  deux  premiers  tissus  sur- 
tout, n'est  pas  tendu,  reste  arrondi,  ce  qui  leur 
donne  beaucoup  d'élasticité  et  les  rend  spéciale- 
ment propres  h.  la  confection  des  vêtements  qui 
doivent  s'appliquer  exactement,  tels  que  les  bas, 
les  gants,  etc. 

Quels  que  soient  la  nature  de  la  surface  plane 
déformée  et  le  rôle  qu'elle  doit  remplir,  il  est 
rare  qu'un  seul  morceau  puisse  suffire  à  l'exécu- 
tion de  l'objet  demandé.  Les  procédés  pour  join- 
dre les  divers  morceaux  offrent  de  l'analogie 
dans  tous  les  métiers  que  nous  plaçons  dans  cette 
seconde  classe.  Citons,  en  première  ligne,  la  sou- 
dure autogène  qui  permet  de  réunir  en  une  seule 
deux  lames  de  plomb  dont  les  bords  sont  juxta- 
posés, en  fondant  successivement  leurs  divers 
points  à  la  flamme  du  chalumeau.  L'usage  de 
flammes  puissantes  et  de  petites  dimensions  per- 
met d'étendre  ce  procédé  .\  d'autres  métaux  ou 
tout  au  moins  d'employer  pour  le  laiton,  par 
exemple,  des  soudures  qui  diffèrent  i  peine  par 
leur  fusibilité,  leur  couleur,  leurs  diverses  pro- 
priétés, du  métal  qu'elles  ont  à  joindre.  Le  fer- 
blantier, le  plombier  emploient  des  soudures 
tout  à  fait  dilTorentes  des  métaux  à  unir,  et  leur 
travail  a  l'analogie  la  plus  proche  avec  celui  du 
cartonnier,  du  relieur,  de  l'ébéniste  ;  la  colle  forte, 
la  colle  de  pâte  remplacent  les  alliages  fusibles  ; 
les  mêmes  précautions  sont  h  prendre  pour  le 
rapprochement  des  surfaces  h.  unir,  pour  le  net- 
toyage parfait  qui  assurera  leur  adhérence  à  la 
substance  interposée. 

La  couture  des  étoffes,  des  peaux,  du  cuir  fut 
sans  doute  l'un  des  premiers  métiers.  L'aiijuille 
rudinientaire,  os  pointu  ou  arête  de  poisson  per- 
cée, se  retrouve  dans  les  anciens  restes  de  la  ci- 
vilisation primitive;  l'aiguille  moderne,  merveille 
de  perfection  et  de  bon  marché,  lype  de  ce  que 
peuvent  accomplir  les  forces  industrielles,  est 
l'instrument  inévitable  de  toutes  les  ménagères. 
Nous  devons  renvoyer  pour  les  détails  sur  ce  sujet 
aux  traités  spéciaux,  bien  qu'une  partie  théorique 
des  plus  intéressantes  y  soit  toujours  négligée  ;  c'est 
cependant  grâce  à  l'intuition  de  cette  théorie  que 
le  métier  si  minutieux  de  couturière  a  subi  dans 
ces  vingt  dernières  années  une  transformation 
complète  par  l'introduction  de  la  machine  à  cou- 
dre. Tout  a  dû  être  mélhodiquement  calculé, 
longueur,  tension,  résistance  des  fils,  distance 
des  points  successifs.  A  l'aiguille  qui  passe  tout 
entière  il  travers  l'étoffe,  entraînant  un  bout  de 
fil  limité,  on  a  substitué  l'aiguille  entrant  en  par- 
tie dans  l'étoffe  et  y  laissant  un  fil  illimité  dont 
chaque  point  se  bouclait  avec  le  précédent  ;  la 
machine  fondée  sur  ce  principe,  employant  un 
seul  fil  d'une  longueur  triple  de  la  couture  effec- 
tuée, forme  le  point  de  chaînette  décousable,  ce 
qui  e~t  tantôt  un  inconvénient,  tantôt  un  avan- 
tage. Une  deuxième  sorte  de  machine,  dont  lo 
travail  n'avait  aucune  analogie  avec  celui  que  la 
couturière  efl'ectue  h  la  main,  produisit  à  l'aide 
de  deux  aiguilles  et  de  deux  fils  indéfinis  un  puint 
difficilement  décousable,  qui  compte  encore  des 
amateurs;  mais  la  machine  à  navette,  inventée  si- 
multanément par  Singer  et  par  llowe,  paraît  le  der- 


!-.lr:TIERS 


—   130G 


MEXIQUE 


1 


nier  mot  du  progrès,  détails  ;\  part.  Deux  fils  de  lon- 
gueur égale  à  la  couture  s'entrelacent  à  chaque 
point.  L'un,  indéfini,  est  conduit  par  boucles  suc- 
cessives à  travers  l'étoffe  par  une  aiguille  sembla- 
ble à  celle  de  la  machine  à  point  de  chaînette  ; 
l'autre,  enroulé  sur  une  petite  bobine  placée  dans 
la  navette,  traverse  h  chaque  point  la  boucle  for- 
mée par  l'autre  fil  ;  tous  deux  se  serrent  en  même 
temps,  et  le  résultat  est  un  point  presque  identi- 
que à  celui  des  selliers  et  des  cordonniers.  Ces 
derniers  cousent  avec  deux  fils  imprégnés  de  poix 
agglutinante,  portant  aux  extrémités,  au  heu 
d'aiguille,  une  soie  de  sanglier  raide  et  suffisante 
pour  introduire  le  fil  dans  un  trou  percé  d'avance 
avec  une  alcne. 

Le  rivetage,  employé  à  joindre  les  cuirs,  les 
lames  métalliques,  est  analogue  ii  la  couture  ;  le 
fil  de  fer  ou  le  rivet  a  ses  deux  extrémités  élar- 
gies par  choc  ou  pression,  la  jonction  est  parfaite. 
Ajoutons,  comme  mode  de  jonction  des  lames  métal- 
liques, le  bouclage  des  ferblantiers,  l'assemblage 
à  queue  des  chaudi'onniers,  lesquels  donnent, 
après  que  la  pièce  est  soudée  ou  brasée,  un  ré- 
sultat d'une  solidité  absolue. 

III.  Oljjels  où  U  travail  parle  sur  les  Irais  di- 
mensions. —  Dans  cette  dernière  section,  nous  ne 
citons  que  pour  mémoire  le  métier  de  cultivateur 
et  ses  nombreuses  variétés.  11  ne  façonne  pas 
directement  la  matière  ;  il  vient  en  aide  aux  forces 
naturelles  des  êtres  organisés,  en  dirige  l'action 
en  intervenant  sans  cesse  dans  la  lutte  pour 
l'existence  qui  est  le  fait  dominant  de  la  vie  ani- 
male et  végétale  ;  il  entrave  ou  arrête  le  déve- 
loppement des  espèces  les  moins  utiles  ou  nuisi- 
bles, facilite  le  développement  de  celles  qui  lui 
servent. 

Le  travail  de  la  matière,  quand  ses  trois  dimen- 
sions sont  d'égale  importance,  peut  se  rapporter 
à  deux  types,  le  modelage  et  la  sculpture.  Ce 
sont  bien  les  deux  premiers  efforts  de  rimmaiiité, 
ei,  quelque  grand  que  puisse  être  dans  l'avenir  le 
rôle  de  la  machine,  le  modelage  et  la  sculpture 
sont  des  domaines  d'où  la  main  ne  sera  jamais 
chassée.  Si,  dans  leurs  manifestations  les  plus 
élevées,  ces  travaux  appartiennent  à  l'art,  plu- 
sieurs métiers  proprement  dits  s'y  rattachent.  La 
poterie,  la  briqueterie  donnent  toutes  les  formes 
aux  diverses  argiles  que  des  cuissons  convenables 
transforment  en  véritables  pierres. 

Le  verrier  modèle  i  son  gré  le  verre  amené  par 
la  chaleur  à  l'état  pâteux,  le  forgeron  agit  sur  le 
fer  ramolli;  mais,  moins  favorisé  que  le  verrier, 
il  n'obtient  de  résultats  qu'à  l'aide  des  chocs  du 
marteau.  11  n'appartient  qu'aux  puissances  de  la 
grande  industrie  de  modeler  les  métaux  chauds 
ou  froids  comme  des  matières  plastiques.  Les  mé- 
dailles, les  monnaies  se  coupent  sans  bruit  à 
l'emporte-pièce,  et  la  plus  fine  gravure  y  est  non 
frappée,  mais  imprimée  par  de  formidables  presses 
aux  mouvements  déterminés  de  la  manière  la  plus 
exacte.  La  fonderie  elle-même  se  rattache  de  loin 
au  modelage,  soit  par  la  fabrication  de  moules  à 
l'aide  du  sable,  de  l'argile,  soit  par  la  pression  que 
ceux-ci  exercent  sur  la  matière  amenée  par  la 
fusion  au  maxin.um  de  plasticité. 

La  taille  de  la  pierre  est  à  la  sculpture  ce  que 
l'art  du  briquetier  est  au  modelage.  La  scie  pour 
les  pierres  tendres,  le  burin  et  le  marteau  pour 
toutes,  sont  les  instruments  à  l'aide  desquels  l'ou- 
vrier applique  sa  force  musculaire  et  son  adresse. 
Le  graveur  sur  métal,  sur  bois,  conserve  presque 
toujours  l'outillage  individuel  ;  la  molette  tournant 
rapidement  est  indispensable  au  lapidaire,  au  gra- 
veur sur  pierre,  et  commence  ii  pénétrer,  trans- 
formée, dans  le  façonnage  du  bois  et  des  métaux. 
De  la  sculpture  dérivent  les  travaux  plus  géomé- 
triques du  charpentier,  du  menuisier,  du  tour- 
neur, du  mécanicien.  En  général  les  surfaces  qu'ils 


produisent  peuvent  être  considérées  comme  en- 
gendrées par  des  lignes  droites,  des  cercles;  d'où 
l'usage  d'appareils  tantôt  rudimentaires,  tantôt 
compliqués,  spécialement  propres  à  produire  ces 
surfaces,  rabot,  tour,  foret. 

Par  les  piocédés  employés  pour  joindre  les  di- 
verses pièces  d'un  même  objet,  les  métiers  de 
cette  section  se  rapprochent  de  ceux  de  la  précé- 
dente. Les  clous,  les  chevilles,  les  vis  sont  les 
analogues  des  rivets  ;  les  assemblages  du  charpen- 
tier, du  menuisier  ne  sont  que  des  modifications 
de  ceux  employés  dans  le  travail  des  lames  minces. 
Les  colles  diverses,  les  soudures  y  jouent  le  même 
rôle. 

A  la  fin  de  notre  rapide  promenade  îi  travers  les 
métiers,  nous  trouvons  la  construction  des  édifices, 
depuis  la  plus  humble  masure  jusqu'au  palais. 
Dans  la  jonction  des  masses  pesantes  de  pierre, 
de  mêlai  ou  de  bois  qui  les  composent,  on  s'ar- 
range autant  qui!  possible  pour  que  ces  matériaux 
restent  en  équilibre  sous  la  simple  action  de  la  pe- 
santeur, abstraction  faite  des  mortiers,  des  ciments 
considérés  comme  agglutinants  ;  et,  quand  c'est 
impossible,  il  faut  avoir  recours  aux  puissants 
liens  de  fer  qui  seuls  peuvent  longtemps  résister 
à  un  effort  continu.  Les  mortiers,  les  ciments  ne 
servent  qu'i  combler  les  vides,  ou  à  résister  à  des 
actions  temporaires  notablement  inférieures  à 
celle  de  la  pesanteur.  Leur  rôle  diffère  donc  es- 
sentiellement de  celui  des  colles  et  des  soudures. 
A  cette  courte  revue  des  métiers,  sous  le  rap- 
port technique,  il  y  aurait  h  ajouter  quelques  no- 
tions sur  l'histoire  de  leur  naissance,  de  leur  dé- 
veloppement; mais,  à  ce  point  de  vue,  h  défaiit 
d'une  nomenclature  avec  dates  précises  dont  il 
serait  impossible  de  retrouver  les  éléments,  on 
trouvera  tout  ce  qui  est  nécessaire  dans  les  ar- 
ticles Indusirie  et  hiceniinn.  fPaul  Robin.] 

MEXIQUE.  —  Histoire  générale,  XVII-XXVI. — 
I.  Temps  primilifs.  —  L'histoire  des  premiers  ha- 
bitants du  Mexique  est  tout  ii  fait  inconnue.  C'est 
seulement  à  partir  du  vi"  ou  du  vu"  siècle  de  no- 
tre ère  que  l'on  constate  en  cette  contrée  l'exis- 
tence d  un  corps  de  nation  et  d'un  gouvernement 
à  peu  près  régulier.  Lesïoltèques,  peuplade  venue 
du  Nord  (et  qui  parait  originaire- de  l'.Vsie),  enva- 
hirent vers  l'an  o44  (s'il  faut  en  croire  les  tra- 
ditions du  pays)  le  haut  plateau  d'Anahuac. 
Ils  y  établirent  le  culte  du  dieu  QuetzalcohuatI, 
comme  l'attestent  les  pyramides  de  Cholula,  de 
Papantla  et  de  Téotihuacan.  Leur  domination  fit 
place,  au  x=  ou  xi"  siècle,  à  celle  des  Chichimè- 
ques,  des  Tlascalais,  des  Acolhuis,  nations  plus 
grossières,  qui  se  disputèrent  longtemps  le  pays, 
mais  finirent  par  se  policer  au  contact  des  vain- 
cus. Le  Mexique  subit  encore,  du  \i'  au  xiii"  siècle, 
une  troisième  invasion,  celle  des  Aztèques.  Ces 
derniers  venus,  vaincus  d'abord  et  asservis  par  les 
Acolhuis,  construisirent,  après  avoir  recouvré 
leur  indépendance,  la  ville  de  Tenochtitlan  (que 
les  Européens  ont  appelée  Mexico,  de  Mexi  ou 
Mexitli,  ancien  chef  divinisé  des  Aztèques).  A  par- 
tir de  cette  époque  (l32ô),  ils  ne  cessèrent  d'éten- 
dre leur  empire.  Le  plus  puissant  et  le  plus  re- 
douté de  leurs  rois  parait  avoir  été  Montézuma, 
qui  vivait  au  commencement  du  xvi'  siècle.  A  ce 
moment,  si  l'on  ne  tient  pas  compte  du  petit  Etat 
de  TIascala,  qui  formait  une  sorte  de  républi- 
que, l'immense  région  comprise  entre  la  Califor- 
nie et  l'Amérique  centrale  constituait  une  monar- 
chie féodale,  dont  le  chef  ne  régnait  qu'à  condi- 
tion de  respecter  les  privilèges  de  ses  vassaux.  La 
noblesse  possédait  presque  toutes  les  terres  et 
n'avait  d'autre  métier  que  celui  des  armes.  La  plèbe 
vivait  dans  le  servage:  des  terres  communes  {cal- 
pulli).  lui  étaient  assignées  dans  chaque  province 
pour  sa  subsistance.  Les  prêtres,  fort  nombreux, 
attaches  aux  temples  \teocallij  des  divinités  meu-  ; 


y.:::: 


raiiios  (dont  la  principale  était  Mexi  ou  lluitzilo- 
polli,  personnification  du  soleil),  sacrifiaient  sou- 
vent des  victimes  liumaines.  Mais,  en  dehors  de 
CCS  pratiques  sanguinaires,  les  mœurs  do  la  nation 
étaient  assez  douces.  Les  Aztèques  cultivaient  la 
terre  avec  soin.  De  nombreuses  routes  leur  faci- 
litaient les  relations  commerciales,  mais  ils  ne 
possédaient  pas  de  bétes  de  somme.  L'or  et  l'ar- 
gent abondaient  dans  leur  pays,  mais  s'ils  excel- 
laient ;\  en  confectionner  dos  objets  d'art,  ils  n'a- 
vaient pas  l'idée  d'en  faire  des  moyens  d'échange. 
]is  avaient  du  goût  pour  les  sciences  niatliémali- 
ques,  ))our  l'astronomie,  et  avaient  dressé  un 
calendrier  plus  parfait  que  celui  des  anciens  Ro- 
mains. Enfin,  leurs  aptitudes  artistiques  nous  sont 
révélées  par  leurs  délicates  poteries  et  par  ceux 
de  leurs  monuments  relioieux  (pyramides  tron- 
quées, tombeaux,  etc.),  qui  ont  échappé  au  van- 
dalisme fanatique  des  conquérants  (ruines  de  Pa- 
lenqué,  d'Ytzalan,  etc.). 

II.  Conquête  iiu  Mexique  par  les  Espagnols.  — 
Dès  1515,  Velasquez,  gouverneur  espagnol  do 
Cuba,  avait  fait  explorer  par  Hernandez  de  Cor- 
dova  la  presqu'île  du  Yucatan.  Un  peu  plus  tard, 
un  autre  de  ses  lieutenants,  Grijalva,  s'avança 
jusqu'à  Guajaca  et  put  apercevoir  les  bannières 
blanches  de  Montézunia.  Mais  la  conquête  du 
Mexique  ne  commença  qu'en  1519.  Elle  fut  l'œuvre 
de  Fernand  Cortez,  gentilhomme  ambitieux  et 
hardi,  qui,  envoyé  par  Velasquez,  puis  rappelé, 
refusa  d'obéir,  biûla  ses  vaisseaux  et  commença 
par  fonder  la  ville  de  la  Vera-Cruz.  Il  n'avait  avec 
lui  que  ,'i53  soldats  (dont  13  armés  de  mousquets 
et  32  d'arquebuses),  16  chevaux  et  10  petits  ca- 
nons de  campagne.  Mais,  bien  secondé  par  ujie 
jeune  fille  du  pays,  qui  lui  servait  d'interprète,  et 
profitant  de  la  terreur  inspirée  par  les  armes  à 
feu  aux  indigènes,  qui  le  prenaient  pour  le  dieu 
Quetzalcohuatl,  il  poussa  rapidement  jusqu'au 
centre  de  l'empire,  Comme  il  détruisait  partout 
les  temples,  brisait  les  idoles  et  imposait  de  force 
le  christianisme,  les  prêtres  de  Cholula  essayèrent 
de  l'attirer  dans  un  piège,  pour  le  massacrer,  lui 
et  ses  hommes.  Cortez  se  vengea  en  saccageant 
cette  ville,  dont  il  fit  égorger  presque  toute 
la  population.  L'Etat  de  TIascala  s'était  sou- 
mis à  lui.  Plusieurs  caciques,  vassaux  de  Mon- 
tézuma,  étaient  aussi  devenus  ses  auxiliaires.  Le 
roi  de  Mexico  voulut  éloigner  les  étrangers  par 
de  riches  présents,  qui  ne  firent  que  surexciter 
leur  convoitise.  Obligé  de  recevoir  pompeusement 
Cortez,  ce  malheureux  souverain  devint  bientôt 
son  prisonnier.  Le  conquérant  dut,  il  est  vrai,  en 
mai  I5'.!0,  quitter  la  capitale  pour  marcher  contre 
Narvaez,  que  Velasquez  avait  envoyé  contre  lui,  et 
que,  du  reste,  il  ne  tarda  pas  S  faire  passer  sous 
ses  ordres.  En  son  absence,  son  lieutenant  Alva- 
rado  avait  fait  périr  les  principaux  chefs  de  la  no- 
blesse mexicaine.  Un  soulèvement  national  s'était 
produit.  Cortez,  rentré  h  Mexico,  vit  tomber  Mon- 
tézuma,  tué  par  les  insurgés,  et  se  trouva  dans 
une  situation  si  critique  qu'il  crut  devoir  se  retirer 
—  de  nuit  —  avec  sa  petite  troupe,  pour  aller  de- 
mander des  renforts  à  ses  alliés  (I"  juillet).  Moins 
de  six  mois  après,  il  était  de  retour  avec  deux 
cent  mille  auxiliaires.  Guatimozin,  successeur  de 
Montézuma,  ayant  refusé  de  traiter  avec  lui,  le 
siège  de  Mexico  fut  régulièrement  entrepris  (mai 
15'il).  Il  dura  plus  de  80  jours  et  amena  la  prise 
et  la  destruction  presque  totale  de  la  ville 
(13  août).  Plus  de  cent  mille  habitants  avaient 
peri.  Les  Espagnols  recueillirent  des  richesses 
immenses.  Guatimozin  fut  pris  et,  comme  il  refu- 
sait d'indiquer  l'endroit  où  était  caclié  le  trésor 
de  son  prédécesseur,  on  l'étendit  sur  des  char- 
bons ardents  avec  un  de  ses  miiiistres.  Ce  dernier 
poussant  des  gémissements  :  Et  moi,  dit  le  roi, 
iuts-je  donc  sur  un  lit  de  ruses  ?  Bientôt,  du  reste, 


Cortez  fit  mettre  b.  mort  Guatimozin  et  la  plupart 
des  caciques  mexicains.  Il  est  juste  de  dire  qu  il  fit 
rebâtir  Mexico  et  qu'il  n'épargna  rien  pour  attirer 
dans  la  Nouvelle-Espagne  (ainsi  qu'il  appelait  sa 
conquête)  la  civilisation  européenne.  La  prise  de 
possession  de  l'empire  des  Aztèques  par  les  Espa- 
gnols fut  complétée  par  les  expéditions  heureuses 
<|ue  l'audacieux  aventurier  envoya  ou  conduisit 
jusque  dans  le  Guatemala  et  le  Honduras  (i5'21- 
15'.'5).  Plus  tard,  il  fit  explorer  et  parcourut  lui- 
môme  les  côtes  occidentales  du  Mexique  et  parti- 
culièrement la  presqu'île  de  Californie  (1533-1536). 
Mais  après  avoir  enrichi  Charles-Quint  en  lui 
donnant,  comme  il  disait,  plus  de  provinces  que 
ses  ancêtres  ne  lui  avaient  laissé  de  villes,  il 
éprouva  toute  l'ingratitule  de  ce  prince,  qui  lui 
retira  le  gouvernement  de  la  Nouvelle-Espagne. 
11  mourut  à  Séville,  presque  oublié,  en  HAÏ. 

m.  Le  Mexique  sous  la  dimiinntin  espagnole. 
—  Pendant  près  de  trois  siècles,  li>  Mexique  a  été 
soumis  à  un  joug  de  fer  et  presque  stérilisé  par 
un  despotisme  religieux  et  administratif  dont  il  se 
ressent  encore  cruellement  de  nos  jours.  Les  vice- 
rois  (dont  le  premier  fut  Mendoza,  nommé  en  1536), 
étaient,  il  est  vrai,  révocables;  le  pouvoir  judiciaire, 
attribué  à  laudiencia  ou  tribunal  suprême,  leur 
échappait;  le  Conseil  dfs  Indes,  siégeant  à  Séville, 
avait  sur  eux  un  droit  de  contrôle;  enfin  il  leur 
était  défendu  de  prendre  femme  dans  la  Nouvelle- 
Espagne  et  d'y  acquérir  des  terres.  Ils  n'en  exer- 
çaient pas  moins,  vu  l'éloignement  de  la  métro- 
pole et  l'impossibilité  d'une  surveillance  exacte, 
une  autorité  presque  arbitraire,  dont  ils  n'usaient 
en  général  que  pour  s'enrichir  par  tous  les  moyens. 
Au-dessous  d'eux,  douze  Hi/e?îda»/s  procédaient  à 
peu  près  de  même  dans  les  provinces  (Potosi, 
SoDora,  Durango,  Guadalaxara,  Yucatan,  Mexico, 
Oaxaca,  \era-Cruz,  Michoacan,  Puebla,  Zacatecas 
et  Guanaxuato).  Dans  les  villes,  les  pouvoirs,  d'a- 
bord électifs,  des  alcades  et  regidores  d'une  part, 
des  ayuntamienloi  (ou  conseils  municipaux)  de 
l'autre,  ne  tardèrent  pas  à  être  usurpés  par  le 
gouvernement  central.  Non  contente  des  revenus 
énormes  qu'elle  tirait  des  mines  d'or  et  d'argent, 
presque  inépuisables,  du  Mexique,  l'Espagne  s'at- 
tribua dans  cette  colonie  le  monopole  de  l'impor- 
tation et  de  1  exportation.  Elle  y  interdit  ou  res- 
treignit singulièrement  certaines  cultures  qui 
auraient  enrichi  ce  pays  (celles  du  cacao,  du  café, 
de  l  indigo,  par  exemple).  Quant  aux  colons,  ils 
avaient  commencé  par  décimer,  comme  à  plaisir, 
la  population  indigène.  Charles-Quint,  il  est  vrai, 
garantit  aux  Mexicains,  par  une  loi,  la  liberté  per- 
sonnelle. Les  neuf  dixièmes  des  indigènes  n'en 
demeurèrentpas  moins,  jusqu'à  la  fin  du  xviii'  siè- 
cle, serfs  de  la  glèbe.  Les  chrétiens  purs  ou  espa- 
gnols exerçaient  seuls  les  fonctions  publiques  et, 
presque  seuls,  possédaient  les  terres.  Les  bastes 
ou  métis  étaient  artisans.  Au  point  de  vue  reli- 
gieux, l'Inquisition  régnait  au  Mexique  comme  en 
Espagne.  Un  clergé  fanatique,  astucieux  et  peu 
instruit,  disposait  d'immenses  richesses  et  mainte- 
nait lanationdans  une  ignorance  telle  que,  sur  plus 
de  4  millions  d'habitants  que  comptait  la  colonie 
au  commencement  de  ce  siècle,  trois  ou  quatre 
cent  mille  à  peine  savaient  lire  et  écrire. 

IV.  (iuerre  de  iindépenilunce.  —  Les  métis,  qui 
formaient  la  classe  la  plus  énergique  de  la  popula- 
tion, aspiraient  depuis  longtemps  à  l'indépen- 
dance. Les  Indiens  étaient  prêts  à  les  soutenir. 
L'usurpation  de  Joseph  Bonaparte  en  Espagne 
(1818)  servit  de  prétexte  aux  patriotes  mexicains 
pour  se  soulever.  Le  cuié  Hidalgo,  qui,  en  1810, 
donna  le  signal  de  la  guerre  de  l'Indépendance,  fut 
battu  et  fusillé  (ISll).  Morelos,  qui  réunit  un 
Congrès  et  Ht  voter  une  constitution  (18r2i,  n'eut 
pas  un  sort  plus  heureux.  Mina,  qui  prit  les  armes- 
en  18 li,  fut  également  mis  à  mon.  Mais  la  révolu- 


MEXIQUE 


—  1308  — 


MILIEU 


•tion  espagnole  de  1R20  eut  son  contre-coup  au 
Mexique.  Le  général  Augustin  Iturhide,  après  s'èlre 
insurgé  contre  le  vice-roi  Apndaca  (février  I8.'l), 
le  força  de  quitter  le  pays.  Il  finit  par  se  faire  pro- 
clamer empereur  par  un  congrès  (i8;2,.Mais,  vio- 
lemment attaqué  par  plusieurs  de  ses  lieutenants 
(Vittoria,  Gucrrero,  Saiita-,\n.ia),  il  dut  abdiquer 
(1"  mai  1823)  et  faire  place  à  la  république. 
L  année  suivante,  il  reparut  en  armes  au  Mexique, 
mais  fut  presque  aussitôt  pris  et  fusillé  (!)  juillet 
1824;.  yittoria,  qui  venait  de  faire  adopter  (janvier, 
par  le  Congrès  une  constitution  semblable  à  celle 
des  Etats-Unis  (moins  le  principe  de  la  tolérance 
religieuse),  fut  le  premier  président  de  la  fédéra- 
tion mexicaine.  Il  lui  fallut,  pour  satisfaire  au  vœu 
national,  expulser  une  grande  partie  des  Espagnols 
qui  étaient  restés  dans  le  pays.  L'affrancliissement 
<le  l'ancienne  colonie  fut  complété  par  la  défaite  et 
la  capture  du  gé.)éral  Barradas,  lieutenant  de 
Ferdinand  VU  (1829). 

V.  Guerres  civiles  et  intenjenfion  françatse.  — 
Malheureusement,  le  Mi-xique  était  mal  préparé 
par  le  régime  oppressif  qu'il  avait  si  longtemps 
subi  i  l'exercice  régulier  du  gouvernement  répu- 
blicain. Le  peuple  n  avait  presque  pas  conscience 
de  ses  droits.  Les  généraux  n'avaient  d'autre 
souci  que  de  s'emparer  du  pouvoir.  Les  principes 
de  l'unitarisme  et  du  fédéralisme,  la  liberté  et  la 
religion,  n'ont  guère  été,  dans  ce  pays,  depuis 
1824  jusqu'à  nos  jours,  que  des  prétextes  à  coups 
d'Etat.  Jusqu'en  1865  le  parti  unitaire  et  rétro- 
grade a  eu  presque  constamment  le  dessus,  grâce 
à  Santa-Anna  qui,  parvenu  au  pouvoir  après  plu- 
sieurs révolutions  militaires  (IS-îi)  et  renversé 
-vainement  quatre  fois,  a  exercé  plus  de  vingt  ans 
sur  son  pays  la  plus  déplorable  influence.  C'est 
sous  son  administration  que  le  Texas  s'est  déclaré 
indépendant,  (1S36J.  L'annexion  do  cette  contrée 
aux  Etats-Unis  (ISlS)  amena  (1846-1^48)  une  guerre 
funeste  au  Mexique,  qui  dut  céder  à  ses  puis- 
sants voisins  non  seulement  le  territoire  en  litige, 
mais  le  Nouveau-Mexique  et  la  Californie  (1848). 
Après  la  chute  définitive  de  Santa-Anna,  la  fédé- 
ration étant  rétablie,  le  président  Comonfort  (I8.16) 
essaya  sans  succès  de  réconcilier  les  partis.  La 
guerre  civile  sévit  pendant  plusieurs  années  avec 
une  nouvelle  violence.  Enfin,  après  le  court  pas- 
sage au  pouvoir  du  général  Miramon.  cliampion 
de  l'aristocratie  et  de  l'Eglise  (18.VJ-1860'i,  les  li- 
béraux  venaient   de    triompher   avec   Onega  et 


se  retournèrent  presque  tous  contre  lui  (conspi- 
ration de  Santa-Anna).  Le  gros  de  la  nation  le 
baissait  et  soutenait  moralement  Juarez,  dont  les 
guérillas  tenaient  encore  une  grande  partie  du 
pays.  Quand  Napoléon  111,  reconnaissant  enfin  la  , 
faute  qu  il  avait  commise,  et  sommé  par  les  Etats-  . 
Unis  de  rendre  le  Mexique  à  lui-même,  ann(mça  j 
l'intention  de  rappeler  ses  troupes,  Maximilien,  , 
qui  ne  put  le  faire  revenir  sur  sa  détermination, 
se  montra  d'abord  disposé  i  abdiquer  (déc.  ISGB). 
Mais,  cédant  aux  instances  et  aux  promesses  d'une 
partie  du  clergé,  il  se  décida  finalement  à  défen- 
dre seul  sa  couronne.  En  février  18lj7,  l'armée 
française,  sous  les  ordres  de  Bazaine,  se  retira. 
Les  troupes  républicaines  réoccupèrent  aussitôt 
presque  tout  le  Mexique.  Maximilien  était  allé 
s'enfermer  îi  Queretaro  (13  mars).  Deux  mois 
après,  la  trahison  de  Lopez  le  livra  au  gnéral 
Escobedo,  qui  l'assiégeait  (15  mai).  Il  ne  tarda 
guère  à  être  jugé,  condamné  à  mort  par  un  con- 
seil de  guerre,  et  fusillé  (19  juin)  en  même  temps 
que  les  généraux  Miramon  et  Mejia,  qui,  jusqu'au 
bout,  étaient  demeurés  ses  partisans. 

VI.  Le  Mexique  riepuis  la  mort  de  Maximilien. 
—  Le  15  juillet  18G7,  Juarez  rentra  triomphale- 
ment à  Mexico,  Réélu  président  en  ociobre,  il 
s'appliqua  à  eff'acer  les  traces  de  l'invasion,  fit 
voler  l'amnistie  de  1SU9  et  s  eH'orça  par  des  lois 
sages  (sur  la  presse,  sur  le  jury,  etc.)  et  par  des 
entreprises  utiles  (chemins  de  fer,  lignes  télégra- 
phiques, etc)  d  habituer  le  pays  au  régime  de  la 
liberté  et  aux  travaux  de  la  paix.  Malheureuse- 
ment, de  nouvelles  insurrections  se  produisirent. 
Juarez,  maintenu  ila  présidence  en  octobre  1H71, 
luttait  énergiquement  contre  les  rebelles,  quand 
une  mort  subite  l'arrêta  dans  son  œuvre  répara- 
trice (juillet  1872),  Son  successeur,  Lerdo  de 
Tejada,  a  fait  voter  en  18'!3  des  lois  destinées  à 
aft'ranchir  la  société  civile  de  l'autorité  ecclésiasti- 
que. Vivement  attaqué  par  le  clergé,  qui  n'a  pas 
hésité  à  fomenter  des  troubles  graves  dans  plu- 
sieurs Etats,  il  a  été  renversé,  après  une  longue 
lutte,  par  le  général  Porfirio  Diaz  (1876),  Mais  ce 
dernier,  qui  est  devenu  président  en  avril  187", 
appartient  au  même  parti  que  son  prédécesseur 
et  semble  devoir  continuer  la  politique  de  Juarez 
et  de  Lerdo  de  Tejada.  [A-  Debidour.] 

MIAS.MES.  —  V.  Coninqio'i  et  Hnniiiliié. 
MILIEU.  —   Hygiène,  IV  et  V.  —  En  hygiène, 
on   appelle  milieu  l'ensemble  des  circonstances 


Juarez,  et  ce  dernier  venait  de  prendre  posses-  1  extérieures  qui  inQuencent  le  développement  et 
■     ■-     ■  le   fonctionnement   des    organes;    qui    moditient 


sion  de  la  présidence  (I8CI),  lorsque  le  Mexique 
eut  à  repousser  l'invasion  étrangère.  L'Angleterre, 
1  Espagne  et  la  France,  au  nom  de  leurs  nationaux, 
dont  les  intérêts  avaient  été  lésés  par  le  gouver- 
nement toujours  obéré  de  Mexico,  occupèrent  de 
concert  la  Vera-Cruz.  De  ces  trois  puissances,  les 
,deus  premières,  ayant  reçu  satisfaction,  se  reti- 
rèrent après  la  convention  de  la  Soledad  (1862). 
Mais  la  France,  ou  plutôt  Napoléon  111,  qui  exi- 
geait le  payement  intégral  d  une  créance  usuraire 
et  qui  se  proposait  de  conquérir  tout  le  pays 
pour  y  rétablir  la  monarchie,  persista  dans  son 
action,  L  échec  du  général  Lorencez  devant  Pue- 
bla(5mai  1862)  ne  1  arrêta  pas.  En  février  I8i;3, 
le  général  Forey,  à  la  tête  de  3.S,nuO  homme-^, 
reprit  l'offensive.  Cette  fois,  Puebla,  rempart  de 
Mexico,  dut  capituler,  après  deux  mois  de  siège 
(mai),  et  les  Français  entrèrent  dans  la  capitale 
du  Mexique  (lO  juin),  pendant  que  Juarez,  sans 
■désespérer,  se  retirait  vers  le  nord.  Bientôt,  sous 
la  pression  d'S  vainqueurs,  la  constituiion  fut 
renversée,  l'empire  proclamé  et  la  couronne  ofi'ene 
à  l'archiduc  Maximilien  d'Autriche.  Ce  prince,  qui 
vint  s'établir  à  .Mexico  en  juin  1864,  n'eut  jamais 
pour  lui  que  quelques  traîtres,  appartenant  pour 
la  plupart  à  l'Eglise  et  au  parti  de  la  réaction,  et 
<}ui,  dès  186U,  le  trouvant  sans  doute  trop  libéral, 


l'homme  au  point  de  vue  physique,  intellectuel 
et  mor.U.  Toutefois  l'hygiène  étudie  surtout  en 
détail  les  modifications  physiques. 

Nous  allons  embrasser,  en  traitant  ce  sujet, 
tout  ce  que  nous  aurions  pu  éparpiller  aux  mots 
Atmospltére,  Eau,  Hlect-icité,  Sd,  etc.;  mais 
nous  renvoyons  pour  certains  détails  spéciaux 
aux  mots  Climat,  Epidémies,  Contagion,  Maisons, 
Profession. 

L'AIR.  —  Air  libre.  —  Le  corps  de  l'homme  est 
soumis,  au  niveau  de  la  mer,  à  une  pression 
d'environ  18  000  kilogrammes.  Cette  pression  se 
trouvant  également  répartie  à  l'intérieur  et  à 
l'extérieur,  nous  n'en  avons  pas  conscience  et  elle 
n'entrave  pas  nos  mouvements.  Les  poissons  sup- 
portent, pour  la  même  raison,  des  pressions  cent 
fois  plus  considérables,  sans  rien  perdre  de  leur 
agilité. 

Si  nous  descendons  au  fond  d'une  mmn,  la  pres- 
sion augmente;  elle  diminue  lorsque  nous  nous 
élevons  au-dessus  du  niveau  de  la  mer.  Des  expé- 
riences récentes  permettent  d'expliquer  l'influence 
de  la  pression  sur  le  sang.  Quand  elle  augmente, 
le  sang  contient  plus  d'oxygène  et  la  proportion 
d'acide  carbonique  est  sensiblement  dimmuée. 
Quand  la  pression  diminue,  on   constate  un  ap- 


MILIEU 


—  1309  — 


MILIEU 


pouvi'isspment  en  oxygènfi  et  en  acide  ca''bonir|uc. 

Il  est  rare  que  l'on  séjourne  assez  prorondénieiU 
dans  l'inlérieur  de  la  icire  pour  que  l'accroisse- 
menl  de  pression  baroniétri(|ue  modifie  pnissara- 
nieiit  les  Tondions.  On  se  trouve  d'ailleurs  sou- 
mis ti  d'autres  causes  ppriurbatricos  beaucoup 
plus  iniporlanies,  viciation  do  l'air,  liumidiié,  ab- 
sence de  lunnèie,  qui  compliquent  les  résultats. 
La  niOmc  pression,  produite  artificiellement,  à  la 
surface,  ne  produirait  qu'une  certaine  accéléra- 
tion des  fonctions  vitales. 

Les  liabiianls  des  montagnes  et  des  hauts  pla- 
teaux, soumis  à  une  faible  pression  atmosphéri- 
que, ont  le  sang  moins  oxygéné  que  les  habitants 
des  plaines  basses.  Cette  condition  entraîne  une 
diminution  dans  la  force  musculaire. Us  ont  besoin 
d'un  excédent  de  nourriture  réparatrice  pour 
accomplir  le  même  travail  que  l'homme  de  la 
plaine. 

Sur  les  lieux  élevés,  la  phiisie  est  rare,  mais 
le  poumon  cl  le  foie  se  congestionnent  facilement; 
les  fièvres  des  marais  otlrent  moins  de  fré- 
quenci^  et  de  gravité  que  dans  les  lieux  bas. 

L'air  des  montagnes  produit  ccriainemeiit  sur 
les  voyageurs  et  les  nouveaux  venus  une  action 
excitante,  tonii|ue,  mais  il  faut  tenir  compte  du 
changement  de  régime,  de  milieu,  d'habitudes. 
Les  montagnards,  en  France,  ne  présentent  pas 
une  mortalité  moindre  que  les  gens  des  plaines 
et  des  vallées.  C'est  d'ailleurs  dans  cet  air,  dont 
on  vante  par  routine  les  qualités,  que  vivent,  sur 
divers  points  du  globe,  à  diverses  hauteurs,  les 
êtres  dégénérés  que  Ion  nomme  crétins.  Un  exer- 
cice suffisant,  la  vie  au  grand  air,  des  habitudes 
régulières  aguerrissent  le  montagnard,  mais  il 
faut  attendre  de  nouvelles  études  pour  attribuer 
une  influence  bienfaisante  au  séjour  des  monta- 
gnes. On  sait  déjà  qu'il  ne  faut  pas  y  envoyer  les 
malades  atteints  de  phtisie  aiguë  ou  d'autres  affec- 
tions du  poumon,  ceux  qui  s-uuffrent  du  cerveau 
ou  du  coeur.  Les  personnes  qui  s'en  trouvent  le 
mieux  sont  celles  d'un  tempérament  lymphati(|ue, 
débilitées  par  l'anémie, le  séjour  des  grandes  villes, 
l'hypocondrie.  Mais  les  bons  résultats  obtenus 
ne  dépendent  pas,  probablement,  de  l'air  des 
montagnes,  de  sa  moindre  pression,  mais  de  sa 
pureté,  et  surtout  du  cliangement  d'habitudes  de 
ceux  qui  vont  y  chercher  la  santé. 

En  Europe,  il  y  a  au  plus  Vil  Oi'O  individus  vi- 
vant à  une  altitude  de  f.'On  mètres.  Les  religieux 
du  Saint-Goihard,  qui  résident  à  2075  mètres, 
ceux  du  Petit  Saint-Bernard,  à  vS.SO  mètres,  suc- 
combent, au  bout  de  peu  d'années,  i  la  phtisie  ame- 
née graduellement  par  l'appauvrissement  du  sang. 

L'effet  produit,  varie  d'ailleurs  beaucoup  avec 
la  latitude.  Ainsi  on  trouve  dans  les  Andi's  des 
villes  florissantes  à  des  hauteurs  de  2CU0  à  4iiOU 
mètres.  Poiosi,  la  ville  la  plus  élevée  du  globe 
(40(iO  mètres)    compte   plus  de    2(J  ÛUO  habitants. 

Lorsqu'on  s'élève  rapidement  dans  l'atmos- 
phère, en  gravissant  une  n^ontagne,  loffort  mus- 
culaire fait  perdre  graduellement  au  sang  une 
portion  de  sou  oxygène  (jui  n'est  pas  renouvelée. 
Les  accidents  nommés  ,„nl  d  s  m  ■atnfines,  fati- 
gue, douleurs  articulaires,  fréquence  du  pouls, 
palpitations,  soif,  nausées,  commencent  à  se  faire 
sentir,  en  Europe,  vers  4.  Ou  mètres,  mais,  dans 
les  pays  où  la  limite  des  neige^  perpétuelles 
est  bien  plus  reculée,  l'air  étant  moins  froid,  on 
consomme  moins  doxygcne  pour  arriver  i.  celle 
hauteur,  et  les  accidenis  sont  ri'tardés. 

L'air  en  mouvement  ou  vent  agit  sur  Ihomme 
par  son  action  mécanique,  par  ses  qualités  météo- 
rologiques, par  les  matières  qu'il  traOKpurte. 

Les  bouffées  de  vent  modéré  produisent  sur  la 
peau  un  effet  comparable  à  celui  .les  vagues,  elles 
agissent  mécaniquement,  compriment  les  vais- 
seaux capillaires  superficiels  et  favorisent  la  cir- 


culation. Le  bain  d'air  peut  donc  être  tonique.  %v 
le  vent  est  rapide,  il  cause  une  compression  qui 
peut  devenir  douloureuse  et  susciter  une  réaction 
trop  vive  du  sang  refoulé. 

La  vitesse  de.  l'air  augmente  l'effet  de  ses  pro- 
priétés méiéorologi(|ues,  surtnul  en  raison  de  sa 
température  et  de  son  humidité.  L'air  froid  en 
repos  nous  impressionne  bien  moins  que  s'il  est 
agité,  car  alors  de  nouvelles  molécules  se  mettent 
à  chaque  instant  en  contact  avec  l'épiderme  pour 
lui  enlever  de  la  chaleur.  Si  le  vent  est  humide, 
le  refroidissement  de  la  peau  est  encore  plus  sen- 
sible, car  la  vapeur  d'eau  est  meilleur  conducteur 
lie  la  chaleur  que  l'air.  L'air  chaud  et  immobile 
nous  semble  étouffant  parce  que  les  parties  en 
contact  avec  la  peau  se  saturent  d'humidité  et  s'op- 
posent dès  lors  à  la  transpiration  pulmonaire  et 
cutanée,  .■sources  de  froid  que  nous  favorisons  par 
une  ventilation  ariiticielle. 

Les  vents  acquièrent  certaines  qualités  suivant 
les  pays  qu'ils  traversent.  Ainsi  en  France  les  vents 
qui  nous  arrivent  du  nord-est,  après  avoir  par- 
couru la  Sibérie,  la  Russie  et  une  partie  de  l'Alle- 
magne, sont  froids  et  secs  ;  les  vents  du  sud  et  du 
sudest,  soufflant  de  l'intérieur  de  l'Afrique,  se 
chargent  de  vapeurs  en  traversant  la  Méditerranée 
et  nous  apportent  un  air  chaud  et  humide  dont 
l'influence  déprimante  est  manifeste  Les  vents 
d'ouest,  qui  arrivent  de  l'Atlantique,  dans  la  direc- 
tion du  courant  marin  chaud  nommé  Gulf-Stream, 
sont  chaigés  de  vapeurs  qui  se  condensent  en 
pluie  s'ils  rencontrent  un  courant  d'air  froid.  La 
présence  des  montagnes  change  la  direction,  la 
sécheresse  et  l'humidité  des  vents.  Ainsi  un  cou- 
rant chaud  et  humide,  passant  sur  un  sommet 
glacé,  y  perdra  sa  vapeur  d'eau  et  son  calorique; 
il  desrendra  froid  et  sec  dans  la  plaine. 

L'air  en  mouvement  entraîne  souvent  des  pous- 
sières, des  miasmes,  des  émanations  dangereuses. 
AU  voisinage  îles  marais  le  vent  dissémine  les 
germes  des  fièvres  intermittentes.  Un  rideau  d'ar- 
bres suffit  pour  empêcher  cet  effet  pernicieux  des 
vents  locaux. 

Air  lonfiné.  —  L'air  qui  a  servi  à  la  respiration, 
ou  qui  est  demeuré  quelque  temps  en  contact 
avec  notre  corps  est  empoisonné.  Il  n'y  a  de  santé 
parfaite  qu'à  lair  libre  ou  continuellement  renou- 
velé. L'air  confiné  est  une  des  principales  causes 
d'affaiblissement,  de  maladies  et  d'abàiardisse- 
meiit.  Voilà  des  vérités  qu'il  faudrait  avoir  toujours 
présentes  à  l'esprit. 

On  peut  respirer,  sans  éprouver  de  gêne  sensi- 
ble, une  atmosphère  chargée  artificiellement  d'un 
centième  d'acide  carboniiiue  pur.  Mais  i|uand  l'air 
d'une  chambre  se  Irouve  charge,  par  la  respira- 
tion, de  la  même  proportion  d'acide  carbonique 
dégagé  par  les  poumons  et  par  la  peau,  on  y 
éprouve  un  malaise  qui  devient  bientôt  intoléra- 
ble. C'est  que  les  poumons  et  la  peau  ne  versent 
pas  seulement  dans  l'air  de  1  acide  carbonique  formé 
aux  dépens  de  son  oxygène,  ces  organes  exha- 
lent en  même  temps  plus.eurs  substances  azotées, 
putrescibles,  qui  inlectent  rapidement  le  milieu 
où  elles  se  dégagent.  Le  danger  de  l'air  confiné 
provient  surtout  de  leur  présence,  mais  l'accumu- 
lation d'acide  carbonique  complique  toujours  l'as- 
phyxie, ou  plutôt  l'cmprisonnenieut  causé  par 
l'air  confiné. 

Un  animal  renfermé  dans  un  espace  clos  dans 
lequel  on  entretient  l'arrivée  d'un  courant  d'oxy- 
gène, meurt  lorsi|UO  sa  présence  a  produit  une 
quantité  d'iicide  carbonique  assez  considérable 
pour  s'opposer  à  la  sortie  do  l'acide  carbonique 
du  sang.  .M  is  si  on  absorbe  à  mesure  l'acide  car- 
bonique exhalé,  l'animal  meurt  néanmoins  dans  le 
milieu  artificiel  bien  pourvu  d'oxygène,  si  l'almo- 
splièco  non  renouvelée  laisse  accumuler  les  matièro.t 
azotées. 


MILIEU 


—  1310  — 


MILIEU 


C'est  donc  la  présence  de  matières  organiques 
d'origine  animale  qui  rend  spécialement  dange- 
reux l'air  confiiiô.  Pour  constituer  Vencotn/jty- 
ment  au  point  de  vue  de  l'iiygiène,  ccst-à  diie 
un  danger  sérieux,  il  n'est  pas  nécessaire  que  le 
nombre  de  personnes  rassemblées  dans  le  même 
local  soit  considérable,  il  suffit  qu'il  y  ait  dispro- 
portion entre  le  nombre  de  ces  personnes  et  la 
quaniité  d'air  pur  dont  elles  disposent.  Un  seul 
homme  dans  une  petite  chambre  peut  produire 
l'encombrement  et  succomber  aux  effets  de  l'air 
confirié.  Les  animaux  agissent  comme  l'Iiomme. 

L'encombrement  ne  se  manifeste  pas  d'ordinaire 
par  l'appaiiiion  soudaine  de  maladies  graves 
comme  le  typhus,  mais  sous  son  influence  les  ma- 
ladies communes  deviennent  plus  nombreuses, 
puis  prennent  graduellement  un  caractère  grave 
et  épi'lémiqufi.  Cependant  le  typhus  peut  éclater 
d'emblée  lorsque  l'air  est  rapidement  empoisonné 
par  le  miasme  humain.  On  ne  connaît  pas  la  na- 
ture de  ce  poison,  on  ne  peut  attribuer  les  acci- 
dents morbides  à  la  seule  présence  d'organismes 
microscopiques,  agents  de  putréfaction  dans  notre 
corps  et  partout  ailleurs,  mais  sa  présence  se  ré- 
vèle toujours  par  des  symptômes  que  le  médecin 
classe  aujourd'hui  sans  hésiter. 

L'air  confiné  n'agit  pas  toujours  en  provoquant 
une  maladie  aiguë.  Son  action  peut  être  letite  et 
miner  graduellement  la  santé  jusqu'à  produire  la 
phtisie  pulmonaire.  Les  observations  suivies  dans 
les  casernes,  à  bord  des  navires  et  dans  les  locaux 
encombrés,  concordent  à  démontrer  que  la  phtisie, 
le  fléau  qui  fait  le  plus  de  victimes,  peut  prove- 
nir uniquement  du  manque  d'air  pur.  De  plus, 
l'agent  virulent  de  la  phtisie  est  transmissible 
et  coramunicable,  de  sorte  qu'une  fois  répandu 
dans  une  caserne,  un  navire,  une  prison,  une 
maison  particulière,  un  atelier,  toutes  les  person- 
nes qui  respirent  cet  air  empoisonné  sont  sous  le 
coup  de  la  maladie,  et  les  plus  faibles,  les  prédis- 
posées sont  les  premières  victimes.  Ainsi  le  miasme 
humain  suffit  pour  causer  par  infection  la  phtisie 
pulmonaire,  dont  le  produit  morbide,  le  tubercule, 
peut  ensuite  se  prop^igerpar  contau'on. 

On  ne  saurait  trop  insister  dans  les  leçons 
d'hygiène  sur  l'importance  capitale  du  milieu  eii 
ce  qui  concerne  l'air  respirable.  L'air  pur  est  aussi 
nécessaire,  plus  nécessaire  même  que  l'alimetit, 
car  on  peut  vivre  plusieurs  jours  sans  manger,  et  il 
suffit  de  séjourner  qutiques  heures  dans  l'air 
confiné,  empoisonné  par  le  miasme  humain,  pour 
mourir  sur  place  ou  pour  contracter  le  germe  de 
maladies  monclles.  Il  faut  absolument  vaincre  à 
ce  sujet  l'indifférence;  le  seul  moyen,  c'est  d'é- 
clairer sur  le  danger.  11  ne  suffit  pas  de  dire  :  «  Res- 
pirez un  air  pur  ;  n  on  doit  discuter,  prouver,  inté- 
resser, émouvoir.  Répétez  en  toute  occasion  cette 
phrase  de  J.J.  Rousseau  :  «  L'haleine  de  l'homme 
est  mortelle  à  l'homme.  »  afin  que  l'on  comprenne 
l'importance  de  la  venlilalion  constante  et  du  net- 
toyage fréquent  de  tout  ce  qu'a  touché  le  miasme 
humain  :  linge,  vêtements,  literie,  meubles,  mu- 
railles. Un  milieu  d'air  pur  est  un  milieu  de  santé 
et  de  longévité. 

La  LiMiÈiiE.  —  L'homme  n'a  pas  seulement  be- 
soin d'air  libre  et  pur,illui  faut,  comme  à  la  plante, 
la  lumière  qui  modifie  les  phénomènes  de  la  vie. 
Placez  des  œufs  de  grenouille  dans  deux  vases 
pleins  d'eau  1  un  transparent,  l'autre  .paquc;  dans 
le  premier  ils  se  développeront  normalement,  dans 
le  second  il  n'v  aura  que  des  rudiments  d'em- 
bryons. Des  têtards  placés  au  soleil  dans  les 
mêmes  conditions  se  développent  d'une  façon 
très  différente.  Les  plantes  s'étiolent  et  meurent 
dans  l'obscurité  :  les  fleurs,  les  fruits  sont  de  la 
lumière  vivante. 

Allez  dans  les  crèches,  dans  les  salles  d'asile, 
■daus  les  écoles  des  grandes  villes  et  contemplez  ces 


frêles  créatures,  chétifs  descendants  d'une  géné- 
ration débile.  Voyez-le,  ce  petit  :  membres  grêles, 
démarrhe  hésitante,  mouvements  indécis,  chairs 
flasques,  peau  terne  d'un  jaune  cendré,  cou  long 
et  maigre,  tête  trop  forte  en  apparence  parce  que 
le  corps  est  en  retard,  pommettes  saillantes,  nez 
pincé,  lèvres  minces  et  pâles,  oreilles  plates  et 
transp.arentes,  œil  enfoncé  dans  un  cercle  bleuâtre, 
expression  anxieuse,  physionomie  de  vieillard. 
Cet  enfant  a  vécu  dans  un  mauvais  milieu,  privé 
d'air  et  de  lumière.  De  l'air!  du  grand  soleil!  de 
libres  ébats  sur  l'herbe!  voilà  le  salut.  Avec  cela 
vous  en  ferez  un  enfant  rose  et  joufflu,  un  peu 
diable,  il  le  faut,  mais  cœur  d'or,  car  le  fond  est 
bon  quand  le  corps  est  sain.  Puis,  quand  il  sera 
fort,  vers  les  dix  ans,  vous  pourrez  l'envoyer  à  l'é- 
cole, à  la  condition  qu'il  y  trouve  en  abondance 
l'exercice,  l'air  et  la  lumière. 

Ce  n'est  pas  seulement  l'enfant  du  travailleur, 
du  prolétaire,  qui  s'atrophie  dans  une  atmosphère 
sombre  et  confinée.  La  postérité  de  ceux  que  l'on 
appelle  "  les  heureux  de  la  terre  »  n'est  pas  mieux 
partagée.  L'avantage  est  môme  parfois  du  côté  de 
l'enfant  pauvre.  La  rue  ou  le  chemin  lui  appar- 
tiennent et  il  peut,  de  temps  à  autre,  y  jouer  en 
liberté.  Mais  dans  les  classes  aisées,  l'éducation 
première  commence  par  supprimer  tout  ce  dont 
l'enfant  a  le  plus  besoin.  Les  appartements  sorit 
bien  clos,  assombris  par  des  tentures,  et  Bébé  doit 


\ 


comprendre,  avant  son  premier  mot  et  son  pre- 
mier pas.  que  l'immobilité  est  l'apanage  des  en- 
fants bien  élevés.  Aussi  Bébé  est  sage,  mais  à  quel 
prix!  sauf  une  peau  de  satin  et  de  fines  petites 
manières,  on  dirait  le  frère  jumeau  de  celui  (|ue 
nous  contemplions  tout  à  l'heure.  Les  parents  di- 
sent qu'il  est  délicat,  mignon,  mais  pour  nous, 
l'un  et  l'autre  sont  d'innocentes  victimes  de  l'igno- 
rance, de  l'ir.souciance,  des  préjugés.  Plaignons- 
les  également,  car  ces  corps  débiles  ne  peuvent 
servir  de  demeure  à  des  âmes  bien  trempées;  en 
étiolant  le  corps,  on  atrophie  et  pervertit  l'intelli- 
gence. De  l'air!  do  la  lumière! 

Nous  renvoyons  au  mot  Vue  pour  ce  qui  con- 
cerne 1  influence  de  la  lumière  sur  ce  sens  et  sur 
ses  organes. 

Les  eaux.  —  Nous  n'avons  à  envisager  l'eau  que 
dans  ses  rapports  avec  le  milieu  dont  elle  modifie 
les  propriétés. 

Ea"X  en  mouvement.  —  La  vapeur  d'eau  répan- 
due dans  l'atmosphère  fait  varier  notablement  l'in- 
fluence de  celle -ci  sur  l'homme  en  rendant  l'air  plus 
ou  moins  conducteur  de  la  chaleur,  pins  ou  moins 
apte  à  s'incorporer  la  transpiration  pulmonaire  cl 
cutanée.  Lorsqu'elle  se  condense  sous  forme  de 
brouillard,  de  pluie,  de  neige,  elle  apporte  auss' 
dans  le  milieu  ambiant  des  perturbations  impor 
tantes  qui  affectent  plus  ou  moins  les  fonctions 
la  santé.  Les  pluies  assainissent  l'atmosphère  en 
faisant  retomber  les  poussières,  elles  lavent  aussi 
les  arbres,  les  routes,  les  rues,  les  toits  des  mai- 
sons, mais  elles  forment,  en  bien  des  endroits 
des  flaques  d'eau  qui  deviennent,  en  été,  un 
source  de  danger,  et  elles  entretiennent  les  marais 
véritables  foyers  de  maladies.  L'aliernaiice  d 
pluies  et  de  sécheresse  pendant  la  saison  chaud 
déveliippe  souvent,  dans  des  régions  exemptes  d 
marécages,  le  dégagement  de  miasmes  et  l'appi 
rition  de  fièvres  intermittentes. 

L'air  marin  est  plus  pur  que  celui  des  cont 
nents,  il  contient  du  sel  et  d'autres  substanci 
actives  en  petite  quantité.  Lorsque  1  on  peut  eyit 
le  combrement  et  combattre  les  effets  de  I  h 
midité  par  des  vêtements  et  une  nourriture  co 
vcnable,  le  séjour  sur  la  mer  ne  parait  pas  et 
une    cause    spéciale    de    maladies.   L'aimosphe 

maritime  est  môme  favorable  aux  indivi.ius  affi 
blis,   étiolés,  atteints  de  maladies  clironiques  < 


système  nerveux 


mais  il   faut  tenir  compte  d 


MILIEU 


—  1311  — 


MILIEU 


cITcts  tout  puissants  d'un  bon  régime,  du  clian- 
gomont  d  liubiludei,  do  la  distraction,  etc. 

L'oviiporalioii  do  l'eau  des  rivières  et  des  fleuves 
est  une  cause  appréciable  do  rel'roidisscnient  ;  de 
plus  elle  «iodllie  loialement  l'état  hygrométrique 
de  l'air  et  produit  des  brouillards  insalubres.  Ces 
cours  d'eau  entraînent  une  grande  quantité  d'im- 
mondices et  nettoient  les  parties  hautes  de  leur 
lit,  mais  ils  déposent  sur  leurs  bords,  près  des  re- 
mous, et  surtout  dans  les  parties  basses,  un  limon 
riche  en  matières  putrescibles  et  en  germes  dan- 
gereux; aussi  la  navigation  fluviale,  dans  les  pays 
chauds,  est-elle  beaucoup  plus  dangereuse  que  la 
navigation  mariiime.  Il  y  a  des  pays  où  le  bord 
des  fleuves  et  surtout  leurs  deltas  sont  des 
milieux  meurtriers. 

L'iiommo  contribue  puissamment,  par  son  sé- 
jour et  par  son  industrie,  à  souiller  et  à  infecter 
les  eaux  courantes. 

Dans  l'eau  infectée  les  poissons  meurent  en  se 
putréfiant.  Le  cresson  caractérise  les  eaux  très 
salubres.  Dans  les  eaux  corrompues,  les  algues 
perdent  leurs  couleurs  vertes  et  se  réduisent  aux 
plus  petites  dimensions. 

Eaux  stagnantes.  —  Il  reste  encore  beaucoup  à 
faire  pour  préciser  l'elTet  des  eaux  stagnantes  et 
leur  rôle  dans  la  production  ou  la  propagation  de 
certaines  maladies.  Miiis  l'observation  la  plus  su- 
perficielle suffit  pour  établir  que  le  voisinage  des 
marais,  des  terres  alternativement  sèches  et 
mouillées,  est  insalubre  dans  tous  les  pays.  La 
présence  d'eaux  stagnantes  h  la  surface  du  sol,  ou 
même  à  une  petite  profondeur,  modifie  le  milieu 
d'une  manière  toujours  défavorable  et  souvent  ter- 
rible. Il  se  produit  une  sorte  d'empoisonneinriit 
spicial  qui  débilite  et  ouvre  la  porte  à  tous  les 
germes  spécifiques  de  maladies  :  fièvres  palu- 
déennes, dyssenterie,  fièvre  jaune,  etc.  11  se 
peut  d'ailleurs  que  l'eau  serve  en  outre  de  véhi- 
cule à  ces  germes  pour  les  iutioduire  dans  l'orga- 
nisme. 

Ce  qu'il  importe  de  constater  dans  l'état  actuel 
de  nos  connaissances,  c'est  la  coïncidence  fatale 
do  certaines  altérations  générales  de  la  vitalité,  et 
de  certaines  maladies,  avec  la  présence  des  eaux 
stagnantes. 

Les  précautions  à  prendre  pour  en  diminuer 
ou  en  annuler  l'action  sont  les  suivantes  :  Ou- 
vrir aux  eaux  dormantes  des  lits  profonds  en 
pente  ou  en  assurer  l'écoulement  par  le  drainage 
du  sol.  Eviter  de  séjourner  dans  le  voisinage. 
Faire  bouillir  l'eau  avant  de  l'employer  comme 
boisson.  La  clariliir  dans  de  grands  réservoirs  par 
le  repos,  puis  par  l'addition  de  5  centigrammes 
d'alun  par  litre.  Ce  dcrniiT  moyen  ne  constitue 
qu'une  ressource  extrême,  car  l'alun,  même  à 
cette  dose,  ne  serait  sans  doute  pas  inofl'ensif 
après  un  long  usage  d'eau  ainsi  modifiée.  Nous  ne 
mentionnons  le  filtrage  qu'en  dernier  lieu,  parce 
que  les  bon';  filtres  sont  rares  et  deviennent  promp- 
temcnt  inutiles.  Le  seul  qui  offre  des  garanties 
sérieuses  est  le  filtre  à  la  briise  récemment 
été  nte,  renouvelée  chaque  iour.  Notons  d'ailleurs 
que  le  meilleur  filtre  ■iarifi'e  l'eau  sans  la  purifier 
entièrement,  et  que  certains  germes  suspects  pas- 
sent au  travers  des  appareils  dont  on  dispose  dans 
la  pratique  journalière 

Le  SOL.  —  Les  qualités  du  milieu  résultent  de 
1  ensemble  des  modifications  causées  par  l'air,  les 
eaux  et  le  sol.  Celui-ci  agit  de  diverses  manières  : 
par  son  étendue,  son  élévation,  sa  constitution, 
la  naiure  et  l'état  de  la  surface. 

La  constitution  géologique  d'un  lieu  exerce  une 
influence  considérable  sur  la  végétation  et  sur  la 
santé  des  habitants.  Sur  les  terrains  graniti(|ues, 
les  eaux  sont  potables  et  s'écoulent  facilement, 
1  air  local  est  sec,  la  végétation  suffisante,  condi- 
tions qui  constituent  d'ordinaire  un  sol  salubro. 


Les  schistes  ardoisiers  offrent  des  caractères  à 
peu  près  semblables,  mais  moins  décidés.  Les 
terrains  calcaires  se  laissent  entamer  pai-  les  eaux 
sans  leur  pi-rmettre  de  filtrer  à  travers  leur 
masse,  do  sorte  qu'il  s'y  forme  des  marécages  ou 
des  couches  stagnantes  souterraines  :  les  eaux 
chargées  do  calcaires  sont  potables,  mais  de  qua- 
lité iiiférieurc.  La  craie,  plus  poreuse  que  le  cal- 
caire, laisse  filtrer  les  eaux,  de  sorte  que,  si  elle 
ne  repose  pas  sur  un  lit  imperméable  d'argile,  le 
sol  est  généralement  sec  et  salubre.  Les  sables 
peuvent  constituer  de  bons  et  de  mauvais  sols. 
Le  sable  pur,  en  masses  épaisses,  donne  aux  eaux 
un  écoulement  facile,  et,  à  moins  qu'il  ne  recouvre 
une  couche  argileuse,  les  miasmes  paludéens  ne 
sont  pas  à  craindre.  Mais  si  le  terrain  sablon- 
neux consiste,  comme  dans  les  Landes,  en  un 
mélange  de  grains  siliceux  et  de  matières  organi- 
ques, les  pluies  peuvent  y  développer  des  mias- 
mes, des  effluves  dangereux,  surtout  lorsque  le 
sous-sol  est  imperméable.  De  plus  les  sables 
chargés  de  chaux  et  de  magnésie  rendent  les  eaux 
impropres  aux  usages  domestiques. 

Les  plus  mauvais  terrains  sont  d'ordinaire  ceux 
où  dominent  l'argile,  les  conglomérats,  les  allu- 
vions.  Les  eaux  coulent  difficilement  à  leur  sur- 
face, s'y  infiltrent  plus  difficilement  encore,  de 
sorte  qu'il  s'y  forme  des  marécages  et  des  cou- 
ches stagnantes  souterraines. 

Généralement  les  sols  cultivés  depuis  long- 
temps sont  salubres.  Les  besoins  de  la  culture 
ont  obligé  à  les  améliorer,  et  la  végétation  active 
empêche  l'accumulation  do  l'humidité  ainsi  que 
la  production  de  principes  nuisibles. 

La  nature  de  la  surface  du  sol,  sa  couleur,  la 
présence  ou  labsence  de  végétation  naturelle  ou 
cultivée,  modifient  l'absorption  et  la  radiation  du 
calorique  et  par  là  la  température  locale.  Les  sa- 
bles s'échauffent  plus  que  les  argiles;  le  calcaire 
réfléchit  la  chaleur  solaire;  les  terres  noires  l'ab- 
sorbent; les  plantations,  les  forêts,  entretien- 
nent la  fraîcheur  et  l'humidité.  Les  terres  ri- 
ches en  humus  absorbent  une  grande  quantité 
d'eau  et  leur  humidité  engendre  facilement  des 
effluves  ;  de  plus,  il  s'y  forme  souvent  de  vastes 
nappes  souterraines  dont  la  présence  est  un 
danger. 

On  voit  par  cet  exposé  succinct  que  les  pro- 
priétés d'un  lieu  quelconque  résultent  d'une 
foule  d'éléments  dont  il  est  assez  dificile  d'appré- 
cier séparément  la  valeur  et  que  compli(iuent  les 
circonstances  de  climat,  do  saisons,  etc.  11  est 
avéré  que  certaines  localités  donnent  lieu  à  des 
endé-ntes  ou  maladies  limitées  à  une  population 
restreinte.  De  (dus,  le  sol  joue  un  rûle  considéra- 
ble dans  la  production  du  germe  de  plusieurs  ma- 
ladies épidéniiques,  et  surtout  du  choléra  et  de  la 
fièvre  typhoïde.  Le  sol  semble  nécessaire  à  la  for- 
maiion  de  certains  principes  morbides,  entre 
autres  celui  des  fièvres  paludéennes.  Cependant 
ils  se  déve'oppent  aussi  dans  un  milieu  artificiel, 
comme  la  cale  d'un  vaisseau  mal  entretenu.  Mais 
dans  cet  égout  du  navire,  on  retrouve  tous  les  élo- 
luents  d'un  terrain  marécageux  imprégné  de  ma- 
tières organiques  en  décomposition. 

Ces  indications  générales  suffisent  pour  donner 
une  idée  des  qualités  hygiéniques  d'une  localité. 
L'humidité  étant  le  plus  grand  fléau,  on  s'attachera 
partout  à  modifier,  à  assainir  les  terrains  inondés, 
marécageux,  imperméables.  Le  dessèchement  des 
étangs  et  des  marais,  la  canalisation  des  eaux  mal 
encaissées,  le  drainage,  les  amendements,  la  cul- 
ture, h-s  plantations  appropriées,  suffisent  pres- 
que toujours  pour  assaillir  une  localité.  Les  admi- 
rables résultats  obtenus  depuis  un  demi-siècle 
doivent  servir  d'exemple  et  d'encouragement,  d'au- 
tant plus  que  toute  opération  de  ce  genre  produit, 
avec  une  amélioration  hygiénique,  une  plus-value 


MINERALOGIE 


1312  — 


MINERALOGIE 


considérable  des  terrains  modifiés  par  l'industrie 
humaine. 

Dans  tontes  les  régions  suffisamment  peuplées, 
l'homme  peut  lutter  avantageusement  contre  les 
défauts  naturels  du  milieu.  Quelques  générations 
meurent  à  la  peine,  et  lèguent  à  leurs  descendants 
une  terre  propice.  Dans  les  régions  plus  favori- 
sées, il  suffit  d'un  peu  de  peine  pour  recueillir  le 
fruit  de  son  travail  et  se  faire  un  milieu  salubre. 
Les  grands  travaux  pub'ics  y  contribuent  pouf  une 
large -part  ;  mais  chacun  doit  agir  dans  son  petit 
domaine,  dans  son  champ,  autour  de  sa  maison, 
pour  que  l'air,  les  eaux,  le  sol,  concourent  k  lui 
assuri-r  ces  biens  inestimables  :  sanié,  bien-être, 
longévité.  [D'  Saffray.] 

miM'.RALOGlE,  MI\nnAi:x.  —  On  appelle 
minéraux  tous  les  corps  de  la  nature  qui  existent 
sans  avoir  la  vie,  et  sans  présenter  les  organes 
qui  l'entretiennent.  La  minéralogie  est  la  science 
qui  étudie  les  minéraux,  bur  composition,  leurs 
propriétés,  leur  manière  d'être,  leurs  gisements, 
leur  importance,  le  rôle  qu'ils  jouent  dans  la  na- 
ture, leurs  applications  aux  arts,  à  lagricullure, 
à  l'industrie.  C'est  une  science  naturelle,  et  l'une 
des  plus  anciennes  au  point  de  vue  de  l'observation. 
Théopliraste  et  Pline  avaient  déjà  réuni  dans  l'an- 
tiquité des  notions  souvent  un  peu  vagues,  mais 
aussi  précises  que  le  permettait  l'état  général  des 
connaissances  de  leur  temps.  Les  découvertes  de 
la  géologie  archéologique  nous  montrent  que 
l'homme  a  trouvé  dans  les  pierres  ses  premiers  ou- 
tils de  labourage,  ses  premières  armes  et  sa  pre- 
mière parure.  L'homme  a  plus  tard  appris  à  ex- 
traire et  à  travailler  les  métaux.  Aussi  n'a-t-il 
apprécié  d'abord  les  pierres  que  pour  leur  couleur 
et  leur  dureté,  surtout  pour  leur  résistance  au 
choc  Puis  il  a  cherché  les  matières  minérales  qui 
pouvaient  lui  procurer  le  cuivre,  le  fer,  le  zinc, 
l'étain,  l'argent,  qui  lui  étaient  devenu?  néces- 
saires. L'or,  ne  se  rencontrant  qu'à  l'état  métalli- 
que, fut  un  des  premiers  métaux  employés.  Aus- 
silôt  qu'il  y  eut  une  chimie,  cette  science  apporta 
son  concours  à  la  minéralogie.  Aujourd'hui  encore 
la  minéralogie  est  une  science  naturelle  en  tant 
qu'elle  s'occupe  d  êtres  de  la  nature;  mais  ses 
méthodes  d'investigation  sont  empruntées  à  la  chi- 
mie, à  la  physique  et  même  à  la  géométrie. 

Les  minéraux  se  distinguent  d'abord  les  uns  des 
autres  parleur  composition  chimique  ;  on  ne  pourra 
pas  confondre  ensemble,  évidemment,  le  carbonate 
de  fer  et  le  sulfate  de  chaux.  La  qualité  de  la 
matière  dont  est  composé  un  minéral  a  donc  avant 
tout  de  l'importance.  Mais  la  chimie  enseigne  que 
tous  les  corps  ont  une  composition  définie,  et 
qu'en  outre  deux  corps  peuvent  avoir  des  pro- 
priétés très  différentes,  lorsque  leurs  éléments, 
tout  en  étant  identiques  au  point  de  vue  de  la 
qualité,  ne  se  trouvent  pas  combinés  dans  les 
mêmes  proportions.  11  faut  donc  tenir  compte  de 
la  quantité  comme  de  la  qualité.  L'analyse  chi- 
mique permet  de  résoudre  ce  double  problème. 

Les  données  de  la  chimie  sont  loin  de  suffire 
à  la  connaissance  des  corps.  Tous  les  composés 
Inorganiques,  lorsqu'ils  prennent  l'état  solide, 
peuvent  revêtir  une  forme  régulière,  et  se  présen- 
ter à  l'étal  de  cristaux  (V.  Crisia').  Ce  n'est  pas 
tout  :  la  forme  cristalline  exicrieure  d'un  corps 
correspond  à  une  disposition  intérieure  symétri- 
que, à  un  arrangement  déterminé  de  ses  parties 
constituantes.  L'orientation  des  plus  petites  par- 
ties d'un  cristal  est  régulière  et  toujours  la  même 
dans  une  même  direciinn  ;  elle  constitue  la  struc- 
ture cristalline;  elle  règle  le  nombre  et  l'inclinai- 
son relative  des  plans  superficiels,  elle  est  en  har- 
monie également  avec  les  phénomènes  physi(|ues 
auxque's  donne  lieu  dans  le  cristal  l'action  des 
forces  de  la  nature,  chaleur,  lumière,  éicciricité. 
Dans  un  cristal  du  système  cubique,  la  vitesse  do 


la  lumière,  la  dilatation,  la  propagation  delà  cha- 
leur restent  constamment  égales  à  elles-mêmes 
dans  toutes  les  directions.  Dans  les  cristaux  qui 
présentent  des  facettes  disposées  symétriquement 
par  4  ou  par  un  des  multiples  de  ce  nombre  autour 
d'une  direction  et  d'une  seule,  et  dont  le  type  est  un 
prisme  droit  à  base  carrée,  la  vitesse  de  la  lumière 
reste  la  même  autour  de  cette  direction  unique, 
la  dilatation  est  aussi  constante,  ainsi  que  la  dis- 
tance à  laquelle  une  source  de  chaleur  transmet 
une  même  température.  Toutes  ces  propriétés 
atteignent  au  contraire  leur  maximum  do  diffé- 
rence suivant  la  direction  de  principale  symétrie 
crislallographique.  Les  cristaux  dont  le  type  est 
un  hexagone  régulier  ou  un  rhomboèdre  dans  le- 
quel on  observo  3,  6,  quelquefois  9  ou  même 
\i  faces  symétriques  autour  d'une  seule  direc- 
tion, rentrent  au  point  de  vue  physique  dans  le 
cas  précédent.  Dans  les  cristaux  des  autres  sys- 
tèmes, il  y  a  toujours  trois  directions  rectan- 
gulaiies  entre  elles,  que  les  physiciens  appel- 
lent pri'Cijiales,  où  la  vitesse  de  la  lumière,  la 
dilatation  par  la  chaleur,  la  facilité  avec  laquelle 
se  propagent  les  changements  de  température, 
présentent  le  maximum  et  le  minimtim  de  leurs 
diffcrence.s  extrêmes,  et  une  valeur  intermédiaire. 
Nous  ne  pourrions,  sans  être  obligé  d'entrer 
dans  de  trop  longs  développements,  montrer  com- 
ment ces  directions  sont  les  seules  où  l'actioi» 
d'une  force  donne  lieu  à  une  réaction  qui  lui  reste 
parallèle. 

Nous  nous  contenterons  de  dire  qu'elles  coïnci- 
dent avec  les  axes  cristallographiques  dans  les 
cristauxdu  prisme  droit  à  base  rhombi'iuc;  que  dans 
les  cristaux  du  prisiue  oblique  à  base  rectangu- 
laire ou  rhombique,  l'une  d'entre  elles  est  per- 
pendiculaire au  plan  de  symétrie;  et  que  dans  les 
cristaux  du  prisme  doublement  ob  ique,  elles  n'ont 
ni  les  unes  ni  les  autres  de  position  qu'on  sache 
déterminer  jusqu'ici  par  rapport  aux  arêtes  visi- 
bles d'un  cristal. 

Sans  nous  étendre  beaucoup  sur  ces  phénomfr 

nos  pliysii|nes,  nous  devons  dire  que,  si  on  taille 

dans  un  cristal  du  système  quadratique  fprisme 

droit  à  base  carrée)  ou  du  système  hexagonal  ot) 

rhombnédrique,  une  plaquf   ayant  ses  deux  faces 

parallèles  entre  elles  et  perpendiculaires  à  l'axe 

de  principale   symétrie,  et  qu'on  interpose  cetti 

1  plaque  entre  deux  niçois  en  croix,  on  observe  de; 

anneaux  colorés  circulaires  traversés  par  unecroi: 

noire.  (On  appelle  yiicol  un  rhomboèdre  de  spatl 

I  d  Islande,  caibonate  de  chaux,  qui  a  été  coupé  ei 

;  deux  moitiés  qu'du  recolle  ensuite  avec  du  baum 

'  de  Canada,  et  qui  ne  laisse  plus  passer  qu'un  de 

deux    rayons    polarisés   auxquels   donne   lieu   ui 

rayon  de  lumière  naturelle  en  traversant  le  cris 

tal.J  La  symétrie  des  couleurs  autour  du   centr 

est  en  harmonie   avec  celle  des  facettes  que  pré 

sente  le  cristal  d'où  la  plaqne  a  été  tirée. 

Toutes  les  autres  propriétés  des  cristaux  sor 
aussi  en  harnnonie  les  unes  avec  les  autres  en  mêm 
temps  qu'avec  celles  dont  il  vient  d'être  questior 
et  par  exeiuple  celle  de  la  dureté,  celle  du  clivagi. 
Dans  un  cristal  la  dureté  peut  varier  d'une  direci 
tion  à  une  autre;  mais  dans  les  cristaux  qui  possi' 
dent  une  direction  de  principale  symétrie,  el 
reste  la  même  pour  toutes  les  directions  du  plaj 
perpendiculaire  à  cette  ligne.  Il  en  est  de  mèn( 
de  la  cohésion,  et  l'on  peut  même  dire  que  c'ej 
de  la  cohésion  que  tout  le  reste  dépend  dans  f 
cristal.  De  la  cohésion  dépend  avant  tout  le  ci 
vage,  cette  propriété  que  possèdent  un  grand  noij 
bre  de  cristaux  de  se  diviser,  quand  on  les  frap;!- 
à  l'aide  d'un  marteau,  en  fragments  à  faces  planf| 
Le  diamant  se  rencontre  en  morceaux  de  forr 
plus  ou  moins  régulière,  mais  qu'on  ratuène  pai 
clivage  à  celle  de  l'octaèdre  régulier.  Les  forn 
du  calcaire  sont  extrêmement  variées  ;  toutes  p 


« 


MINERALOGIE 


—  1313  — 


MINERALOGIE 


le  clivage  se  réduisent  i.  dos  parallélipipèdes  b. 
'€  faces  inclinées  l'une  sur  l'autre  d'un  angle  de 
.105°5'  ou  de  son  supplément. 

Puisque  ces  caractères  sont  toujours  d'accord  les 
■uns  avec  les  autres,  on  n'a  pas  besoin  de  les  ob- 
•servor  tous  à  la  Ibis;  car  l'un  d'entre  eux  permet 
de  prévoir  ceux  qu'on  n'a  pas  examinés. 

Leurs  connexions  nous  dévoilent  la  structure  de 
la  matière  ;  il  importe  donc  de  les  connaître  ;  mais 
l'étude  en  est  délicate  ;  elle  exige  une  connais- 
sance profonde  de  la  cristallographie. 

Il  est  d'autres  propriétés  qu'on  envisage  dans  les 
•corps  pris  en  blocs.  Telles  sont  la  densité,  la  du- 
reté, la  couleur. 

La  (leiixité  d'une  matière,  c'est  le  quotient  de  son 
:(poids  par  celui  d'un  égal  volume  d'eau  distillée 
prise  à  la  température  de  4  degrés. 

La  d'ireté  d'un  corps  est  sa  résistance  plus  ou 
moins  grande  aux  frottements.  Le  gypse  et  le  talc 
sont  facilement  rayés  avec  l'ongle  ;  le  calcaire,  le 
phosphate  de  chaux  cristallisé  ou  apatite,  le, sont  à 
j'aide  d'un  burin.  On  a  dressé  une  échelle  des  du- 
retés, dont  les  degrés  sont  occupés  par  des  ma- 
tières prises  comme  des  types  auxquels  on  com- 
>pare  les  autres.  La  plus  tendre,  le  talc,  a  le  pre- 
mier rang  ;  la  plus  dure,  le  diamant,  porte  le 
n"  10. 

Echelle  des  duretés  :  I,  talc  ;  2,  gypse;  3,  cal- 
caire; 4,  fluorine;  6,  apatite;  B,  feldspath; 
7,  quartz  ;  8,  topaze  ;  9,  corindon  ;  10,  diamant. 

hi,  couleur  est  un  des  caractères  les  plus  faciles 

àobservor,  mais  les  plus  capricieux.  Lorsqu'il  s'a- 

ji-    gitdes  pierres,  elle  a  en  général  un  médiocre  in- 

■     iorèt  au  point  de  vue  scientifique,  bien  c|u'à  elle 

-iMile  elle  donne  quelquefois  au  contraire  une  va- 

Irur  considérable  dans  le  commerce  à  une  matière 

iB  :  <|ui  par  elle-même  aurait  peu  de  prix.  Un  corindon 

«  j  rouge  dont  la  couleur  n'est  pas  franche,  ni  homo- 

I  gène,  est  peu  recherché.  Mais  que  la  couleur  en 
■-)    ioit  vive,  bien  uniformément  répandue,  et  la  lim- 

"iâii^é  complète,  il  devient   le  rubis,  estimé   quel- 

lui'lois  plus  clier  que  le  diamant.  Il  ne  faut  pour- 

I  (;iiit  que  des  quantités  d'acide  chromique  bien  dif- 

;j(^|  liciles  à  doser  à  cause  de  leur  poids  insignifiant 

lB«  PO"""  produire  cette  métamorphose.  La  couleur  ici 

,.,,i,jest  purement  accidentelle  :  aussi  la  substance  ré- 

„,(luitc  en  poudre  fine  parait-elle  souvent  incolore. 

Dans  les  substances  métalliques  elle  est  des  plus 

importantes  et  des  plus  caractéristiques;  elle  est 

„,, essentielle,  propre  à  la  matière  même.   L'azurite, 

,  .jiun  carbonate  de  enivre  hydraté,  est  bleue  en  pou- 

,Udre  comme  en  masse.  Le  cinabre,  vermillon  natu- 

J.Tel,  est  d'un  rouge  vif,  même  à,  l'état  de  poussière 

..daussi  fine  que  possible. 

■M  ^'^j^'  ^^^  ^ussi  un  caractère  souvent  utile  S 
,,(.  considérer.  Le  diamant  a  un  éclat  gras,  particu- 
lier, appelé  ndamantin,  qu'on  retrouve  dans  les 
,„,  sels  de  plomb.  Le  cristal  de  roche  a  ce  qu'on  ap- 
UjiPelle  I  éclat  vitreux,  celui  du  verre. 
,  J  La  cassure  enfin,  c'est-à-dire  l'aspect  des  surfa- 
ites obtenues  à  l'aide  du  choc,  a  quelquefois  une 
^  arande  utilité  pratique.  Les  substances  clivnbles 
ij,  tinrent  après  cette  opération  des  laces  planes  et 
jII  lisses  dans  certames  directions.  D'autres  ont  une 
cassure  inégale,  comme  le  cristal  de  roche  ;  cer- 
taines une  cassure  condioidale,  comme  le  verre. 
La  cassure  dite  esrjuilleuse  ressemble  à  celle  du 
bois  mal  rabote  (.agates,  etc.). 
tl  ..•,n''nm,i*n?*"°°j  "  ^n  a  classé  les  minéraux  en 
rrfn^nn^ml'T-  •?*  P'''"<^ipes  bien  difl-érents.  La 
c  mpos  tion  chimique  doit  être  évidemment  con- 

"^  ermen.    P^m"**""  ""f^T}"  '"^  composés  qui  ren- 
ferment le  même  métal,  les  autres  <-,.u^  ',ui  ont 
le  même  acide  ou  mieux  qui  contiennent  le  mê  i.e 
élément  électro-négatif.  Ilestplus  commode  pour 

II  industrie   de   grouper  ensemble  les  minerais  du 
fer,  ceux  du  cuivre,  de  l'argent,  etc.  Il  est  plus 

2°  Paiitie. 


conforme  aux  relations  naturelles  de  la  composi- 
tion chimique  des  corps  et  de  leur  forme,  de  leur 
structure,  de  réunir  en  groupes  les  sulfates,  les 
carbonates,  quel  que  soit  le  métal  qu'ils  contien- 
nent. Dans  ce  rapide  résumé,  nous  adopterons  la 
classification  chimique  suivante  :  I  Corps  simples 
non  métalliques.  Il  Métaux  natifs.  III  Sulfures. 
IV  Oxi/des.  V.  Chlorures  et  Fluorures.  VI  Sili- 
ciites.  VII  Carbonates.  VIII  Phosphates  et  Azotates. 
IX  Sulfales. 

I.  Corps  simples  non  métalliques  :  le  soufre  ;  le 
carbone  et  ses  variétés. 

Le  soufre  forme  de  petits  amas,  des  veines,  mé- 
langés h  des  marnes,  aux  environs  de  Caltanisetta 
et  de  Girgenti  en  Sicile.  Il  a  cristallisé  dans  des 
fentes  de  ces  roches  en  octaèdres  droits  k  base 
rhombique.  Il  est  d'un  jaune  caractéristique,  et  brûle 
à  l'air  en  donnant  lieu  à  la  production  du  gaz  acide 
sulfureux,  dont  l'odeur  est  connue  de  tous  ceux 
qui  ont  brûlé  des  allumettes  soufrées. 

Le  carbone  se  présente  dans  la  nature  sous 
deux  états  bien  dift'érents  ;  l'un  est  celui  du  gra- 
phite, qui  est  disséminé  dans  les  calcaires  et  les 
gneiss  en  écailles  luisantes,  d'un  gris  noirâtre, 
diiuces  et  onctueuses  au  toucher,  facilement  raya- 
bles  par  l'ongle,  ou  qui  constitue  des  masses  gre- 
nues assez  importantes  dans  le  district  d'Ir- 
koutsk,  en  Sibérie,  îi  Borrowdale,  en  Cumberland. 
Il  sert  à  la  fabrication  des  crayons,  lorsqu'il  peut 
se  couper  en  petites  baguettes  :  il  vaut  dans  ce 
cas  de  :10  à  50  fr.  le  kilogramme.  Le  second  état 
du  carbone  est  celui  qui  fournit  le  diamant 
(V.  Pifrres).  Ces  deux  espèces,  le  graphite  et 
le  diamant,  ont  une  origine  minérale.  Il  n'en 
est  pas  de  même  des  matières  appelées  anthra- 
cite, houille  ou  charbon  de  pierre,  lignite,  tourbe. 
Celles-ci  ont  une  origine  végétale  ;  ce  sont  des 
plantes  soumises  dans  le  sein  de  la  terre,  après 
leur  enfouissement  dans  les  sables  ou  les  argiles 
qui  les  enveloppent,  à  des  températures  élevées 
en  même  temps  qu'à  des  pressions  considérables. 
On  a  donné  à  du  bois  un  faciès  analogue  à  celui 
des  charbons  fossiles,  en  le  soumettant  à  l'action 
combinée  dune  haute  température  et  d'une  haute 
pression,  h'an'hra-ite  ne  renferme  guère  que  du 
carbone;  il  a  la  cassure  conchoidale  ;  il  est  d'un 
noir  un  peu  jaunâtre:  il  exige  pour  brûler  un 
courant  d'air  très  actif.  La  houille,  dun  beau 
noir,  contient  ordinairement  des  proportions  plus 
ou  moins  grandes  d'hydrogène,  qui  lui  donnent 
ses  propriétés  les  plus  importantes  :  3  à  4  0/0 
(houilles  maigres)  ;  .■>,2  à  ô,8  0/0  (houilles  à 
gaz).  Le  lignite,  qui  donne  à  la  distillation  beau- 
coup d'eau,  de  matières  bitumineuses,  d'acide 
pyroligneux,  d'alcool,  est  un  moins  bon  combusti- 
ble que  le  précédent;  il  fournit  la  matière  appe- 
lée jai/el  ou  jais,  dont  on  se  sert  pour  la  fabrica.- 
tion  de  parures  de  deuil.  La  tourbe  n'est  qu'une 
agglomération  de  végétaux,  dont  l'altération  con- 
siste en  ce  qu'ils  renferment  plus  de  carbone  que 
le  bois,  environ  55  0/0. 

II.  Métaux  natifs.  —  Les  métaux  les  plus  im- 
portants qu'on  connaisse  à  l'état  natif  sont  le 
cuivre,  l'argent,  l'or  et  le  platine.  Ils  cristalli- 
sent en  octaèdres  réguliers.  Le  platine  et  l'or 
se  rencontrent  en  petites  lamelles  ou  en  mas- 
ses arrondies  appelées  pépites  dans  des  allu- 
vions,  ou  couches  formées  de  sable  quartzeux 
mêlé  de  fer  titane.  On  a  trouvé  quelques  pépi- 
tes d'or  d'un  poids  considérable.  On  en  cite 
une  de  C.alifornie  qui  pesait  60  kilogrammes.  L'or 
est  aussi  répandu  en  filaments  ou  en  lamelles 
dans  dos  fissures  qui  déchirent  le  quartz  des 
filons  dans  un  assez  grand  nombre  de  régions  où 
les  roches  cristallines  affleurent  à  la  surface  du 
sol;  mais  il  est  en  prénéral  assez  rare.  L'argent 
sort  en  filaments  plus  ou  moins  déliés,  contournés, 
d'autres  minorais  du  même  métal,  particulière- 
83 


MINERALOGIE 


1314  — 


MINERALOGIE 


mont   du  tullure;   il  est  étalé  en  lames  sur  les 
parois  des  fentes  des  silex. 

Le  cuivre  natif  offre  les  mêmes  allures;  mais 
sur  les  bords  du  lac  Supérieur,  on  l'extrait  aussi 
en  blocs  quelquefois  considérables,  mêlé  à  do 
l'argent  également  natif. 

Le  fer  natif  a  peu  d'intérêt  au  point  de  vue 
industriel.  M.  Nordenskiôld  en  a  trouvé  en  blocs 
engagés  dans  le  basalte  d'Ovifak,  île  de  Disko, 
Groenland,  qui  renferment  du  nickel  et  se  rap- 
prochent à  s'y  méprendre  du  fer  météorique, 
tombé  des  espaces  célestes. 

III.  Sllfi  res.  —  Ils  fournissent  un  grand  nom- 
bre des  minerais  métalliques.  Le  sulfure  di:  jilontb 
ou  galène  cristallise  dans  le  système  cubique  ;  il 
se  clive  en  cubes  ;  il  se  présente  le  plus  souvent 
en  masses  lamellaires  ou  grenues,  tendres,  d'un 
gris  d'acier  un  peu  bleuâtre,  i  cassure  lisse  et 
brillante.  C'est  le  principal  minerai  de  plomb 
(SG,5  de  plomb  et  13,5  de  soufre;.  Il  contient  en 
général  un  peu  d'argent,  jusqu'à  'A  et  4  millièmes, 
et  quelquefois  moins  de  2  dix-millièmes.  La 
A/e«^e  (ZnS)  ou  sulfure  de  Einc  cristallise  aussi 
dans  le  système  cubique  et  se  clive  suivant  les 
faces  du  dodécaèdre  rhomboidal.  Elle  est  jaunâtre 
et  transparente,  quelquefois  brune  ou  même  noire 
et  presque  opaque  par  suite  de  mélanges  avec  des 
oxydes  de  fer  ;  elle  a  un  peu  l'aspect  de  la  cire  ;  elle 
renferme  :  zinc  66,72;  soufre  ;!3,"2,s.  La  cobaltiue, 
sulfo-arséniure  de  cobalt  (cobalt  'ib,i'i  ;  soufre 
19,35  ;  arsenic  45,1  s)  est  mélangée  souvent  de 
nickel  et  de  fer;  elle  cristulUse  eu  dodécaèdres 
pentogonaux  modifiés  par  les  faces  de  l'octaèdre 
régulier  ou  du  cube.  C  est,  avec  la  smatline,  biar- 
séniure  de  nickel,  la  source  à  peu  près  unique 
du  cobalt,  qui  joue  un  si  grand  rôle  dans  la  fabri- 
cation du  bleu  d'azur  ou  bleu  de  cobalt. 

Les  bi^ulfures  de  fer  simple  (FeS*),  appelés 
p!/riles,  sont  divisés  en  deux  espèces  que  distingue 
leur  forme  cristalline.  Ils  contiennent  en  poids  : 
fer  45,74;  soufri-  bi,2lj.  L'un  est  cristallisé  en 
cubesmarqués  souventsur  les  trois  faces  adjacentes 
d'un  même  solide  d'un  seul  système  de  stries,  les 
stries  d'une  face  étant  perpendiculaires  à  celles 
des  deux  autres  faces.  Souvent  les  cristaux  sont 
des  dodécaèdres  pentagonaux  ou  d'antres  formes 
bémièdres,  qui  n'ont  que  la  moitié  des  faces 
qu'elles  devraient  avoir  si  le  cube  primilif  avait  ses 
éléments  remplacés  par  toutes  les  faces  que  com- 
porte la  symétrie  du  cube  proprement  dit.  Cette 
pyrite,  appelée  pyrite  ord  nain-  ou  cubique,  est 
d'un  jaune  d'or;  elle  est  quelquefois  assez  abon 
dante  en  petits  grains  ou  en  peiils  cristaux  dans 
les  schistes  argileux,  les  ardoises.  Elle  fait  feu  au 
briquet,  la  seconde  pyrite,  appelée  mnrrassUe. 
speerkies,  est  d'un  jaune  plus  pâle;  les  cristaux 
ont  pour  type  un  prisme  droit  i\  base  rlionibique,  mo- 
difié par  les  faces  d'un  ociaèdre  droit  à  base  rec- 
tangle; ils  sont  souvent  rassemblés  en  boule,  en 
rognons  irréguliers  dans  les  terrains  secimdaires 
ou  tertiaires.  On  prend  souvent  les  deux  pyriies 
pour  de  l'or;  mais  les  grains  en  sont  bien  moins 
lourds:  leurdensiié  est  inférieure  à  5.  c'est-à-dire 
h  peu  près  quatre  fois  plus  petite  que  celle  du 
métal  précieux. 

Le  sesquisulfure  d'antimoine  (Sb^S'),  du  ^libine. 
a  une  couleur  analogue  à  celle  de  la  galène,  mais 
il  est  tendre  au  point  de  laisser  sa  trace  sur  li 
papier;  les  cristaux  sont  allongés  dans  une  direc 
lion  ;  ils  ont  la  forme  de  longues  bagueites,  r|uel 
quefois  de  libres  Courbes;  ils  présenient  une  di- 
rection plane  de  clivage  des  plus  faciles  et  de; 
plus  nettes. 

Le  sesquisulfure  d'arsenic,  o>7i»Hf»/,  fournit  l'au 
ripigmentum  ou  peinture  d'or  employée  dam 
la  teinture  en  jaune  des  bois  blancs,  ou  par  lei 
Orientaux  dans  la  préparation  d'un  dépilatoire.  Le 
sulfure   de  mercure  (HgS)  est  nommé   cinabre  ; 


il  cristallise  dans  le  système  rhomboédrique;  il 
est  composé  en  poids  de  mercure  86, '29  et  soufre 
13,71.  Chauffé  avec  de  la  limaille  de  fer  ou  de  la 
chaux,  il  abandonne  son  métal  qui  distille,  et 
qu'on  recueille  dans  des  récipients  convenablement 
refroidis.  La  couleur  d'un  rouge  écarlate  de  ce  mi- 
nerai le  fait  employer  quelquefois  en  peinture  sous 
le  nom  de  vermillon  natif;  mais  on  préfère  en 
général  fabriquer  le  vermillon  au  moyeu  du  soufre 
et  du  mercure,  parce  qu'on  obtient  un  composé 
plus  pur  et  de  couleur  plus  nette  que  la  combi- 
naison naturelle. 

Les  sulfures  de  cuivre  sont  assez  nombreux; 
mais  ils  renferment  d'autres  métaux.  Le  piincipal 
est  la  chalkop!/!  ite  ;  c'est  le  plus  abondamment  ré- 
pandu; il  contient  environ  :15  p.  1(10  de  cuivre, 
autant  de  soufre  et  iiO  de  fer.  Il  est  d'un  jaune 
verdàtre,  brillant,  quelquefois  varié  de  reflets 
rouges  ou  bleus  par  suite  d'altérations  en  général 
superficielles;  il  a  l'aspect  métallique;  la  pous- 
sière en  est  noire.  Il  est  soluble  dans  l'acido  azoti- 
que, et  la  dissolution  se  r.o'ore  en  bleu  céleste 
quand  on  y  ajoute  de  l'ammoniaque,  et  laisse  dé- 
poser en  môme  temps  un  précipité  jaunâtre  de 
sesquio\yde  de  fer  hydraté.  A  côté  de  ce  sulfure 
se  placent  la  phillipsiie  ou  cuivre  panaché;  le  cui- 
vre gris,  ou  tétraedril- ,  appelé  encore  panabase, 
à  rause  des  nombreux  métaux  cuivre,  fer,  zinc, 
mercure,  argent,  qu'il  peut  renfermer;  la  biU'-- 
nunite,  qui  est  comme  le  précédent  un  sulfo-anti- 
moniure,  mais  qui  ne  renferme  que  du  cuivre  el 
du  plomb. 

Les  sulfures  d'argent  sont  en  assez  grand  nom- 
bre aussi;  celui  dont  la  composition  est  la  plu» 
simple  est  Vargi^rose  (AgSl,  dont  la  teneur  en  ar- 
gent est  de  87  "/g.  Il  est  noir,  il  cristallise  en  cube» 
ou  sous  une  des  formes  du  système  cubique  ;  mais 
les  ciistaux  nets  sont  rares;  ce  m  lierai  forme  sou- 
vent comme  des  enduits  ou  même  des  taches  à  la 
surface  des  matières  que  renferment  les  filn/is 
Les  autres  minerais  d  argent  soi. t  des  sulfo-aiitimo- 
niures.  Les  uns  ont  la  poussière  noire  ;  par, 
exemple  la  p-iAhuruse  et  la  poh/basite,  celle-ci 
contenant  encore  environ  7»  "/o  d'argent.  Les, 
autres  ont  la  poussèi-e  rouge  :  {apyraryyril/;  dont 
la  teneur  en  argent  est  de  6U  %;  elle  crisialhse 
dans  le  système  rhomboédrique  ;  la  protislite,  qui  a 
les  mêmes  formes,  et  m' s'en  distingue  que  par  s: 
poussière  qui  est  d'un  rouge  aurore,  tandis  que 
celle  de  la  pyrargyrite  est  de  couleur  plus  sombre 
Chimiquement,  la  pyrargyrite  est  un  sulfo-aniimo 
uiure,  et  la  proustite  un  sulfo-arséniure  d  argent 

IV.  Groupe  dus  o.xvdes.  —  Il  fournit  égalemen 
un  assez  grand  nombre  de  minerais.  On  y  distin 
»ue  d'abord  le.  îiii're  „ji/diib^  (C.a'-O),  composé  d 
SS  78  de  cuivre  et  11,'.''-'  d'oxygène,  cristallisé  e 
cubes  ou  sous  une  des  formes  du  système  cubi- 
que dont  la  poussière  a  la  couleur  rouge  brique 
soluble  dans  l'acide  azotique  qu'il  colore  en  ver 
et  réductible  en  globule  de  cuivre  au  feu  de  r( 
duction  sur  le  charbon,  lorsqu'on  active  la  flamœ 
au  moyen  du  chalumeau. 

Puis  viennent  les  minerais  les  plus  abondan 
du  fer  (V.  Fer,  p.  764).  D'abord  \^  ,?.agnétite,  ( 
oxyde  de  fer  magnétique  (FeO.Fe^O')  renferma; 
72  5  do  fer  et  27,:.  d'oxygène.  Elle  a  la  poussiè 
noire  elle  cristallise  en  octaèdres  réguliers.  < 
dodécaèdres  rhomboîdaux  ;  elle  agit  foriement  s 
l'aiguille  aimantée;  certaines  variétés,  d  aspc 
ordinairement  terreux,  attirent  et  repoussent 
même  pOle  dune  aig.ille  aimantée  suivant  la  i 
gion  de  leur  masse  qu'on  présente  h  1  aiguille  ;  el|. 
ont  le  magnétisme  polaire;  on  les  appelle  pier-.! 

d-ui t  rv.  Miigiieti'iiie).  Le  /.;•  otigtsl"  est  I 

sesquioxyde  de  for  .Fe^O»),  qui  ne  contient  pj 
que  70  p  10"  de  métal.  Cet  oxyde  cristallise  } 
rhomboèdres  modifiés  par  des  scalénoèdres  d  1 
les  faces  se  rencontrent  suivant  uu  hexagone  r 


I 


' 


MINERALOGIE 


—  1313  — 


MINERALOGIE 


fialior;  les  faces  en  sont  assez  souvent  irisées; 
mais  la  fjonssière  en  est  rouge,  un  peu  violacée  ; 
les  collections  possèdent  touti's  des  échantillons 
do  ces  masses  cristallisées  de  lîle  d'Iîlbe,  à  reflets 
vorts,  bleus,  routes  ou  de  couleur  d'or.  L'oxyde 
appelé  iimimite  contient  Qe  l'eau,  environ  15  p. 
1(10  ;  c'est  du  sesquioxyde  de  fer  hydraté  ;  la  pous- 
sière en  est  d'un  jaune  tirant  plus  ou  moins  sur 
le  brun.  Cet  oxyde  colore  en  jaune  une  grande 
quantité  d'argiles,  de  grès,  de  calcaires,  de  marnes, 
comme  le  précédent  les  colore  en  rouge.  La  limo- 
nite  en  forme  do  pois  (variété  pixolilluque),  ou  de 
grains  aussi  petits  que  des  œufs  de  poisson  (va- 
riété oohthiqne),  est  le  minerai  de  fer  le  plus  ré- 
pandu en  France;  c'est  le  moins  riche  en  métal. 

Les  o.\ydes  de  manganèse  servent  à  la  prépara- 
tion de  l'oxygène  en  même  temps  qu'à  l'extraction 
du  métal  appelé  manganèse,  (|ui  est  employé  dans 
la  préparation  de  l'acier.  Le  plus  riche  en  oxy- 
gène est  le  bioxyde  (iVlnO*)  ou  pyrnlusit'.  11  a  la 
poussière  noire  et  se  présente  en  fibres  divergen- 
tes, en  cristaux  cannelés  qui  dérivent  d'un  prisme 
droit  à  base  rhombe.  Un  oxyde  qui  lui  ressemble 
beaucoup  extérieurement,  mais  qui  a  la  poussière 
brune,  est  ractcrfèsei,Mn-0'HO). 

Ënliu,  il  est  un  oxyde  métallique  d'autant  plus 
intéressant  à  mentionner  que  c'est  le  seul  minerai 
d'étain  connu;  c'est  la  cassiléritr,  bioxyde  d'étain 
ou  acide  stannique  naturel  (SnO^i,  qui  contient 
théoriquement  ISJii  d'étain  et  31.38  d'oxygène. 
11  est  toujours  crist  illisé  ;  les  cristaux  sont  des 
prismes  à  base  carrée  combinés  à  des  octaèdres 
de  même  section,  quelquefois  il  des  dioctaèdres 
"i\  doubles  pyramides  à.  huit  faces  très  aiguës.  Us 
s  iut  rarement  incolores,  ordinairement  d'un  jaune 
'lunàtre,  quielquefois  noirs;  la  poussière  en  est 
ilore.  Ils  se  groupent  souvent  deux  à  deux,  de 
'in  à  ménager  entre  eux  un  angle  rentrant,  une 

■  uttière  qui  donne  au  groupe  la  forme  d'un  bec, 
'l'pelé  par  les  mineurs  Oec  d'étain.  La  cassure  en 
'st  inégale  et  l'éclat  un  peu  résineux.  Chauffés  au 
rlialumcau  sur  le  charbon  après  avoir  été  pulvéri- 
ses, puis  mélangés  avec  du  carbojiate  de  soude,  ils 
donnent  de  l'étain  métallii|ue.  Les  oxydes,  et  par- 
ticulièrement les  aluminaies,  comprennent  encore 
un  certain  nombre  d'espèces  minérales,  dont  nous 
renvoyons  la  description  au  mot  Pierres,  parce  que 
leur  aspect  n'a  rien  de  métallique  et  les  fait  res- 
sembler aux  substances  pierreuses. 

V.     GnOUPE     llES     CHL0ni:RES,     FLLOHURES.    —     LcS 

deux  chlorures  métalliques  véritablement  impor- 
tants sont  celui  d'argent  et  celui  de  cuivre.  Le 
dilorure  d'argent,  argeiil  corné,  kérar.iyre  des 
minéralogistes,  est  incolore  et  transparent  à  l'état 
Irais  ;  mais,  sous  l'influence  de  la  lumière  solaire, 
il  devient  gris,  puis  brun,  enfin  noir.  Les  cristaux 
très  rares  de  cette  espèce  appartii'nnent  au  sys- 
tème cubique.  Le  chlorure  d'arac^ni  se  coupe  faci- 
lement à  l'aide  d'un  couteau,  qui  en  détache  des 
copeaux  ayant  la  translucidité  de  la  corne.  Ce  mi- 
nerai, qui  renferme  argent  75,25  et  chlore  21,75, 
se  rencontr"  en  petites  masses,  en  enduits,  en 
croûtes,  môle  à  des  sulfures  argentifères,  surtout 
dans  les  mines  du  Pérou,  du  Chili  et  du  Mexique. 

hatacamite  est  un  oxychlorure  de  cuivre  d'un 
beau  vert  émeraude,  qui  se  trouve  dans  le  désert 
d  Atacamaen  Bolivie,  en  masses  cristallines  assez 
considérables  pour  être  traitées  comme  minerais 
de  cuivre. 

Les  autres  chlorures  ou  fluorures  les  plus  im- 
portants sont  le  sel  gemme  et  la  fluorine.  Le  set 
yemme,  ou  chlorure  de  sodium,  cristallise  en  cubes, 
en  cubooctaedres;  il  se  présentP,  en  masses  quel- 
quefois limpides,  à  clivages  cubiques,  ou  colorées 
en  bleu,  en  vert,  par  des  matières  organiques,  en 
rouge  par  un  oxyde  de  fer;  il  forme  des  dépôts 
souvent  considérables  dans  le  silurien  des  États- 
Unis  et  dans  les  terrains  permiens  ou  triasiques 


du  Mansfeld,  du  Tyrol,  du  versant  fran(;ais  de,  la 
chaîne  des  Vosges  et  du  versant  allemand  de  la 
ForOt-Noire,  dans  le  crétacé  d'Algérie,  dans  le  ter- 
tiaire de  Wieliczka  en  Pologne,  de  Cardona  en 
Espagne.  La  fluoriiin,  fluorure  de  calcium  (CaFl), 
est  une  substance  do  filon.  Elle  sert  de  gangue  à 
beaucoup  de  sulfures  métalliques,  pyrite,  galène. 
Elle  est  ou  cristallisée  en  cubes  différemment  mo- 
difiés, ou  en  masses  cristallines  k  clivages  paral- 
lèles aux  faces  de  l'octaèdre  régulier.  Elle  offre  à 
peu  près  toutes  les  couleurs  du  spectre.  On  croit 
que  les  vases  murrhins  si  célèbres  dans  l'anti- 
quité, promenés  par  les  Homains  du  siècle  d'Au- 
guste et  des  suivants  avec  la  plus  grande  pompe 
dans  leurs  triomphes,  étaient  faits  de  cette  jolie 
maiière.  On  en  fabrique  encore  vn  Angleterre  des 
coupes  et  des  objets  d'ornement  d'un  assez  grand 
prix;  les  variétés  violettes  sont  les  plus  employées. 
Quelques  minéralogistes  modernes  pensent  que 
les  vases  murrhins  étaient  en  améthyste. 

VI.  Ghoupk  des  silicates.  —  Un  petit  nombre 
renferment  assez  d'oxydes  métalliques  pour  être 
classés  parmi  les  minerais;  mais  il  se  rencontrent 
en  cristaux  disséminés  ou  en  masses  de  peu  d'im- 
portance ;  en  outre  le  traitement  de  la  plupart  d'en- 
tre eux  serait  difficile  ou  trop  coûteux  par  rapport 
au  prix  du  métal  qu'on  en  retirerait;  aussi  figu- 
rent-ils plutôt  parmi  les  objets  de  collection,  et 
parmi  les  espèces  qui  intéressent  les  savants  ou 
les  amateurs  que  parmi  les  matièresindustrielles. 
lieux  silicates  pourtant  ont  do  l'importance  à  ce 
dernier  point  de  vue  :  l'un  est  un  minerai  de  zinc, 
l'autre  un  minerai  de  nickel. 

Le  silicate  hydraté  de  zinc,  appelé  calamine,  et 
contenant  07,5  d'oxyde  do  zinc,  25  de  silice  et 
7,5  d'eau,  forme  des  masses  cristallines,  fibreuses, 
mamelonnées;  les  cristaux,  dont  les  formes  peu- 
vent être  rapportées  à  un  prisme  droit  à  base 
rhombique,  portent  des  facettes  dissemblables  aux 
extrémités  d'un  môme  axe.  Cet  axe  est  eu  même 
temps  pyroélecirique,  en  ce  sens  qu'il  présente 
des  pôles  électriques  de  noms  contraires  à  se» 
deux  extrémités,  lorsiiu'il  a  été  porté  à  une  tem- 
pérature un  peu  élevée. 

Le  stlicnte  de  nicket,  utilisé  pour  l'extraction 
de  ce  métal,  est  un  composé  de  silice,  de  magné- 
sie, de  nickel  et  d'eau,  que  M.  Garnier  a  décou- 
vert à  la  Nouvelle-Calédonie,  où  le  minerai  est  ré- 
pandu en  amas  considérables  dans  des  serpenti- 
nes. C'est  une  matière  tendre,  facile  i  rayer  avec 
la  pointe  d'un  burin.  Elle  est  d'un  beau  vert  éme- 
raude, lorsqu'elle  est  riche  en  nickel  ;  elle  en  con- 
tient alors  jusqu'à  34  p.  100  ;  elle  est  d]un  vert 
pomme  lorsqu'elle  est  pauvre.  On  en  a  distingué 
deux  espèces  appelées  l'une  garniérite,  l'autre no«- 
niéite,  aussi  mal  définies  scientifiquement  l'une 
que  l'autre.  Les  deux  espèces  proviennent  des 
environs  de  Kanala,  et  non  de  Nouméa,  comme 
pourrait  le  faire  croire  un  de  leurs  noms. 

VII.  GiiooPE  DES  CARBONATES.  —  Lcs  carbouatcs 
sontsolubles  avec  efl'ervescence  dans  les  acides,  au 
moins  à  une  température  inférieure  à  celle  de  l'é- 
bullition.  Il  y  a  dans  ce  groupe  quelques  minerais 
fort  utiles  et  d'un  traitement  assez  simple  ;  car  il 
suffit  de  les  chauffer  en  présence  du  charbon  pour 
en  extraire  le  métal.  Plusieurs  cristallisent  dans  le 
système  rhoniboédrique  ;  ils  sont  appelés  isomor- 
phes h  cause  de  la  double  analogie  de  leurs  formes 
cristallines,  surtout  de  celle  donnée  par  le  clivage, 
qui  est  pour  tous  un  rhomboèdre  d'environ  l(i6°, 
et  de  leur  constitution  chimique  qu'on  peut  tou- 
jours ramener  à  la  formule  M0C02(CM0'  dans  la 
notation  atomique). 

Le  carbonate  de  fi^r  (FeOCO^),  sidérose  ou  fer 
spulliiffue,  est  d'un  gris  clair,  tirant  d'ordinaire  sur 
le  jaune  ou  même  sur  le  brun,  lorsqu'il  est  altéré. 
Il  se  présente  en  masses  cristallines,  facilement 
clivables,  en  cristaux  dans  les  filons.  Mêlé  de  ma- 


MODERNES  (TEMPS)     —  1316  —      MODERNES  (TEMPS) 


titres  argileuses,  il  so  rencontre  dans  les  couches 
du  terrain  houiller,  en  rognons  plats,  ovoïdes,  qui 
renferment  ordinairement  dans  leur  intérieur  des 
débris  d'animaux  de  cette  époque,  de  sauriens  par 
exemple. 

Lecarbonate  de  z\nc{ZnOCO^)onsnntli>:oniie,est 
associé  i  la  calamine  dans  les  gisements  de  la 
Vieille-Montagne.  11  constitue  à  lui  seul  de  riclies 
dépôts  dans  les  mines  du  Laurium,  en  Grèce,  que 
les  anciens  ont  exploitées  au  temps  de  Périclès 
pour  la  galène  argentifère  qui  s'y  trouvait  mêlée. 
L'argent  extrait  de  cette  galène  a  fait  la  fortune 
des  Athéniens. 

Le  carbonate  de  manganèse  (MnOCO*),  diallo- 
qile  des  minéralogistes,   est  fort  peu  abondant. 

Le  carbonate  de  plomb  (PbOCO*),  céi  use,  a  une 
formule  chimique  du  môme  type  que  celle  des  car- 
bonates précédents;  mais  il  cristallise  en  prismes 
droits  àbaserhombique  ;  au  chalumeau,  sur  le  char- 
bon, il  perd  son  acide  carbonique,  son  oxygène,  et 
donne  un  globule  de  plomb  métallique. 

Enlin,  deux  carbonates  de  cuivre  hydraté,  l'un 
bleu  appelé  azwite,  ou  shessylithe,  et  cristallisé 
en  prismes  obliques  àbaserhombique;  l'autre,  d'un 
beau  vert,  ordinairement  concrétionné  ou  mame- 
lonné, qui  porte  le  nom  de  mulaciiite,  tels  sont 
les  principaux  carbonates  qui  fournissent  des  mi- 
nerais. La  malachite,  à  cause  de  sa  belle  couleur, 
est  souvent  employée  dans  l'ornementation,  sur- 
tout dans  les  mosaïques  ou  en  incrustations. 

Nous  traitons  au  mot  Pierres  des  alu minâtes, 
silicates,  carbonates,  phosphates  et  sulfates  en 
général,  des  services  que  rendent  leurs  espèces 
principales,  du  rôle  qu'elles  jouent  dans  la  na- 
ture, et  particulièrement  dans  la  constitution  de 
l'écorce  solide  du  globe  terrestre;  nous  y  parlons 
également  des  pierres  précieuses. 

[Edouard  Jannettaz.] 

MODERNES  (TEMPS).  —  Histoire  générale, 
XXXIX-XL.  —  On  fixe  ii  l'année  1453  le  terme 
du  moyen  âge.  Il  serait  plus  exact  de  prolonger  le 
moyen  âge  d'un  demi-siècle  et  de  dater  de  l'année 
15(j0  le  commencement  des  temps  modernes.  En 
France,  en  Angleterre,  en  Allemagne,  les  grands 
Etals  d'alors,  l'année  14j3  ne  termine  rien:  en 
Orient,  l'Empire  byzantin  succombe,  mais  son  ago- 
nie avait  commencé  le  jour  où  les  Ottomans  mi- 
rent le  pied  en  Europe  En  1,S00,  au  contraire,  on 
voit  poindre  une  révolution  dans  les  croyances  et 
une  révolution  dans  les  lettres  ;  on  peut  prévoir 
les  conséquences  inévitables  de  la  double  révolu- 
tion déjà  accomplie,  dans  la  politique  par  la  vic- 
toire de  la  royauté  sur  l'aristocratie,  dans  les  rela- 
tions sociales  et  économiques  par  les  inventions  et 
les  découvertes  nouvelles.  La  Réforme  se  prépare, 
la  Renaissance  commence,  la  Féodalité  est  vaincue, 
l'Amérique  est  ouverte  :  voilà  des  événements 
autrement  Importants  que  le  bombardement  de 
Constantinople  par  Mahomet  II  et  l'établissement 
d'un  camp  turc  sur  terre  chrétienne. 

Cette  constatation  faite,  nous  adoptons  la  date  de 
1453;  elle  est  arbitraire,  mais  elle  est  en  usage  dans 
l'enseignement,  et  employée  dans  la  langue  cou- 
rante. 

S'il  est  difficile  de  préciser  l'année  exacie  où 
commencent  les  temps  modernes,  il  est  plus  ma- 
laisé encore  de  leur  assigner  un  terme  et  de  dire 
quel  événement  et  quel  jour  marquent  le  début  de 
ce  qu'on  appelle  l'histoire  contemporaine.  Sup- 
primons donc  cette  distinction  vaine,  et  réunissons 
dans  un  récit  ininterrompu  les  quatre  siècles  qui 
nous  séparent  du  moyen  âge  ;  montrons  les  vieilles 
institutions  ébranlées,  les  vieilles  opinions  battues 
en  brèche,  l'ancienne  unité  catholique  rompue,  la 
société  féoiiale  dissoute.  En  Allemagne,  en  France, 
en  Angleterre,  la  lutte  est  ouverle,  encore  incer- 
taine dans  sa  marche,  hésitante  dans  ses  principes, 
mais  fort  nette  dans  son  but,  contre  le  système  po- 


litique et  religieux  qui  a  prévalu  de  Constantin  à 
saint  Louis.  Cette  lutte,  qui  s'appelle  la  Réforme  au 
XVI"  siècle,  la  guerre  de  Trente  ans  ou  la  Révolution 
d'Angleterre  au  xvii' ,  la  Révolution  française  au 
xviii*.  elle  se  poursuit  sous  nos  yeux,  au  xix'.  et  elle 
ne  semble  pas  près  de  son  terme.  Nous  allons  eu 
esquisser  les  traits  principaux,  en  montrer  les  con- 
s-équences  plus  sensibles  de  siècle  en  siècle,  prou- 
ver que  tout  a  concouru  depuis  quatre  cents  ans, 
malgré  des  apparences  contraires,  des  haltes  pro- 
longées, des  pas  en  arrière,  de  cruels  malheurs 
publics  et  privés,  au  développement  de  l'esprit 
humain,  au  progrès  de  la  moralité  humaine. 5 

Dans  la  seconde  moitié  du  xv  siècle  une  im- 
portante révolution  s'accomplit  en  Europe  :  la  mo- 
narchie absolue  triomphe  de  la  féodalité.  Cette 
victoire  fut  chèrement  disputée  et  la  noblesse 
féodale  ne  fut  pas  seule  vaincue;  de  précieuses 
libertés  succombèrent  avec  elle. 

Dans  aucun  pays  le  triomphe  de  la  royauté  ne 
lut  plus  complet  ni  plus  inattendu  qu'en  Angle- 
terre. Au  sortir  de  la  guerre  des  Deux  Roses,  le  roi 
reste  seul  debout  sur  les  ruines  de  l'aristocratie 
décimée  par  les  boucheries  de  VVakefield,  Towton, 
Barnet  et  Tewkesbury.  Un  prince  habile,  mais 
sans  grandeur,  le  cupide  Henri  Tudor,  vainqueur 
de  Richard  III  à  Bosworth  (1485),  réconcilie  par 
son  mariage  avec  l'héritière  d'York  les  deux  roses 
rivales  et  règne  en  despote.  L'aristocratie,  réduite 
de  53  à  29  lords,  perd  en  1487  le  droit  de  mainte- 
nance, en  1492  celui  de  substitution.  Henri  VII 
choisit  ses  ministres,  un  Epsom,  un  Dudley,  parmi 
les  gens  de  rien,  comme  fait  Louis  XI,  et  amasse, 
à  force  d'extorsions,  un  trésor  de  300  millions. 
Son  autorité  en  Irlande  comme  en  Angleterre  est 
sans  bornes.  Le  gouvernement  anglais  est  entré 
dans  la  voie  de  l'absolutisme,  qu'il  suivra  pen- 
dant un  siècle  et  demi;  le  parlement  et  la  nation 
ne  songeront  à  revendiquer  leurs  droits  qu'à 
l'avènement  de  la  dynasi  ie  impopulaire  des  Stuarts. 

En  Ecosse,  la  nature  même  du  sol,  sans  parler 
des  traditions  d'indépendance,  explique  l'acharne- 
ment de  la  lutte  entre  les  rois  et  la  noblesse  :  les 
Ross,  les  Grampians,  recèlent  des  tribus  indomp- 
tées ;  les  îles  n'obéissent  qu'au  Lord  des  lies. 
Jacques  II  Stuart  (1437-1460)  poignarde  de  sa 
main  Guillaume  de  Douglas  et  organise  la  Cour 
des  sessions.  Jacques  III  (li60-1488)  est  vaincu  à 
Bannock  Burn  par  une  ligue  des  seigneurs  et 
assassiné  après  la  bataille.  Jacques  IV  (1488-1513) 
établit  des  cours  de  justice  royale  dans  le  Nord  et 
soumet  les  Hébrides. 

En  France,  Charles  VIT  et  Louis  XI  poursuivent 
et  atteignent  le  même  but  par  des  moyens  bien 
différents. 

Charles  VII  accepte  et  fait  siennes  (1445-14o3) 
les  réformes  financières  de  1355  et  1413,  établit 
un  budget  (14431,  met  un  terme  au  désordre  ju- 
diciaire par  l'ordonnance  do  Montils-les-Tours 
(1453),  fait  rentrer  dans  le  devoir  l'Université  et 
ses  20,(iOO  écoliers  trop  souvent  déchaînés.  Faible 
et  indolent  par  nature,  il  sut  se  montrer  vigou- 
reux et  actif  contre  les  seigneurs;  il  les  attaqua 
de  front  par  l'établissement  de  la  taille  royale 
(1439),  la  création  d'une  infanterie  (1448)  et  dune 
cavalerie  (1450)  permanentes. 

Louis  XI  fit  le  bien  à  coup  de  hache,  et  le  mal 
aussi  volontiers  que  le  bien.  Après  les  fautes  de 
son  début  (traités  de  Conflans  et  Saint-Maur)  U  se 
montre  plus  prudent,  sait  avancer  ou  reculer  à, 
propos,  signe  le  traité  d'A"cenis,  les  trêves  d  A- 
miens,  de  Senlis,  de  Soleure,  enlevé  Commines, 
l'historien,  à  son  colérique  rival,  Charles  le  feme- 
1  aire,  et  après  les  défaites  du  duc  de  Bourgogne  à 
Grandson,  h  Morat,  à  Nancy,  couronne  sa  lutte 
contre  le  dernier  représentant  de  la  grande  féo- 
dalité par  le  traité  d'Arras  (148.').  Fils  dénature, 


MODERNES  (TEMPS) 


1317  —     MODERNES  (TEMPS) 


mauvais  père,  frère  barbare,  voisin  perfide, 
Louis  XI,  s'il  ne  fut  ni  un  bon  roi,  ni  un  grand 
roi,  fut  un  souverain  de  ferme  volonté  et  un  des 
fondateurs  de  la  France  moderne. 

Son  successeur  (1483),  «  jeune  homme  de  peu 
de  sens,  plein  do  son  vouloir  et  peu  accompa^nd 
do  sages  gens  «,  était  faible  et  sans  culture  d'es- 
prit ;  mais  l'œuvre  paternelle  fut  continuée  par 
madame  de  Beaujeu,  «  la  moins  folle  femme  du 
monde.  "  Chaque  jour  le  pouvoir  royal  établissait 
plus  solidement  sa  suprématie.  Louis  XU  (l498) 
justifia  cet  accroissemciit  d'autorité  par  un  gou- 
vernement bienfaisant,  d'allure  moins  despotique 
en  apparence,  aussi  absolu  au  fond. 

La  révolution  que  nous  étudions  fit  perdre  à 
l'Espagne  quelques  libertés,  mais  surtout  une 
prospérité,  une  intensité  de  vie  que  la  monarchie 
absolue  n'a  pas  su  lui  conserver,  qu'elle  cherche 
encore  à  travers  les  convulsions  de  son  histoire 
contemporiiine. 

Ferdinand  le  Catholique,  souple  et  ferme,  pru- 
dent jusqu'à  la  méfiance,  fin  jusqu'à  la  fausseté, 
est  le  digne  contemporain  des  Louis  XI  et  des 
Borgia  :  il  s'appuie  sur  la  bourgeoisie  contre  les  sei- 
gneurs, dépouille  les  grands  de  leurs  terres,  intro- 
duit l'étiquette  qui  oblige  les  nobles  à  plus  de 
déférence,  proscrit  les  guerres  privées  (1-iSS). 
Isabelle,  plus  noble,  plus  fière,  plus  généreuse, 
soutient  ou  relève  Gonzalve  de  Cordoue,  Christo- 
phe Colomb,  tous  les  hommes  supérieurs  victimes 
des  défiances  ou  des  jalousies  de  Ferdinand.  L'u- 
nion politique  des  deux  époux  donne  k  l'Espagne 
I  unité  territoriale,  l'unité  de  gouvernement,  l'unité 
religieuse  assurée  par  res|)ulsioii  des  juifs,  la  prise 
de  Grenade  etl  établissement  (lel'inquisitionl  1478) 

A  la  mort  d  Isabelle  (1504),  Ximénès  de  Cisne- 
ros,  cardinal,  grand  inquisiteur  et  gouverneur  de 
Castille,  acheva  d'affranchir  la  couronne  de  la 
tutell-î  des  grands  vassaux  en  «  écrasant  leur  fierté 
sous  .ses  sandales,  n 

A  Lisbonne,  le  féroce  Jean  II  (148I-I48.S)  con- 
fisque tous  les  privilèges  de  l'aristocratie,  poignarde 


Au  nombre  des  pays  soumis  de  nom  à  cet  Empire, 
il  faut  citer  l'électoral  de  Brandebourg,  luoins 
pour  son  importance  au  xv"  siècle  que  pour  sa 
future  grandeur;  la  ligue  helvétique,  indépen- 
dante de  fait  depuis  cent  cinquante  ans  ;  l.i  Bo- 
hême, tour  k  tour  réunie  à  la  Hongrie  et  à  la 
Pologne.  Cette  dernière  est  encore  la  première 
puissance  du  Nord  ;  elle  vient  de  soumettre  la 
Prusse  et  de  pénétrer  jusqu'à  la  Baltique.  Les  hé- 
ritiers de  Casiiuir  JV  (1445-119;')  régneront  à  Var- 
sovie, à  Prague  et  à  Pesth. 

A  lextrémité  orientale  de  l'Europe,  Ivan  Vasi- 
lievitch  est  un  des  premiers  artisans  de  la  gran- 
deur russe  (UG2-lôO.'>).  Il  s'intitule  «  grand  prince, 
par  la  grâce  de  Dieu  souverain  de  la  Russie  ;  » 
mais  ses  sujets,  vêtus  de  peaux,  vivant  grossière- 
ment dans  des  huttes  de  bois,  ressemblent  beau- 
coup plus  aux  soldats  d'Attila  qu'à  leurs  contem- 
porains de  Venise  ou  de  Florence. 

Les  Etats  Scandinaves  sont  plus  avancés,  malgré 
la  rigueur  du  climat  et  la  difficulté  des  communica- 
tions :  la  prépondérance  y  appartient  au  Danemark, 
qui  a  civilisé  la  Suède  et  la  Norwège,  mais  qui  ne 
parviendra  pas  à  les  retenir  sous  sa  domination. 
La  Turquie  est  alors  une  grande  puissance. 
Mahomet  II,  maître  de  Constantinople,  a  soumis 
la  Grèce,  renversé  les  Comnène  en  Asie  et  fait 
de  la  Mer  Noire  un  lac  ottoman.  Seules  Belgra- 
de et  Rhodes  lui  ont  résisté  victorieusement.  A 
l'intérieur  il  ne  s'occupa  que  de  fortifier  l'anuée  : 
aucun  plan  ne  présida  à  l'organisation  politique 
des  provinces  conquises.  Les  Turcs  ne  cherchè- 
rent jamais  à  s'incorporer  les  vaincus;  méprisant 
toutes  les  nations,  ils  ne  prirent  pas  plus  leurs 
vices  qu'ils  ne  communiquèrent  les  leurs  ;  ils 
restèrent  en  Europe  ce  qu'ils  étaient  en  Asie, 
tour  à  tour  altiers  et  efféminés,  quelquefois  cruels, 
plus  souvent  indifférents  et  dédaigneux. 

A  la  fin  du  xv"  siècle  la  révolution  religieuse 
était  accomplie  dans  les  principaux  États  de  l'Eu- 
rope, en  France,  on  Angleterre,  en  Espagne  ;  la 
révolution  littéraire  était  préparée  par  la  décou- 


le duc  de  Viseu  (1484,,  «  enseignatu  à  tous  les  rois  j  verte  de  l'iniprimorie  et  U'dift'usion'des  livres;  la 
du   monde   l'art   de   régner.  »    comme  dit  le   Ca-    révolution  économique  s'annonç.iit  par  les  grands 


moëns.  Emmanuel  le  Fortuné  (I49Ô-1S2I)  traite 
les  villes  comme  Jean  II  a  traité  l'aristocratie. 

Datis  le  mouvement  de  concentration  politique 
qui  s'opère  en  Europe,  l'Italie  fait  exception  avec 
l'Allemagne  :  elle  reste  morcelée  ;  seule  la  tyran- 
nie est  en  progrès;  dans  chaque  Etat  le  pouvoir 
d'un  seul  tend  à  remplacer  les  oligarchies  oppres- 
sives ou  les  démocraties  turbulentes.  La  pénin- 
sule oulilie  ses  libertés  perdues  et  l'invasion  im- 
minente, dans  le  culte  dos  beaux-arts  ,  dans  les 
travaux  de  la  pensée,  dans  le  prestige  déjà  décli- 
nant de  la  religion.  <t  Les  princes  et  la  noblesse 
s'amusaient  plus  à  se  rendre  ingénieux  et  sçavans 
que  vigoreux  et  guerriers.  »  (Montaigne). 

En  Allemagne,  les  Habsbourg,  qui  sont  remontés 
sur  le  trône  en  1438,  sont  plus  soucieux  d'agrandir 
leur  maison  que  de  maintenir  la  paix  publique. 
Frédéric  III,  «  le  souverain  de  la  chrétienté,  » 
ne  peut  empêcher  Matliius  Corvin  d'occuper 
vienne  et  la  basse  Autriche  pendant  cinq  ans 
(1485-1190).  Son  successeur  est  le  célèbre  Maximi- 
lien,  l'écrivain,  le  poète,  le  héros  du  Tkeuerdunk, 
1  ami  de  Peutinger,  le  chevalier  errant  de  l'empire, 
qui  promène  des  Pays-Bas  en  Italie  ses  coudes 
perces,  ses  besoins  d'argent  et  ses  projets  roma- 
nesques. Sous  son  régne  s'achève  la  constitution 
du  corps  germanique  par  lu  création  du  conseil 
aulique  et  la  division  de  l'Alleniagoe  en  dix  cercles. 
Alaximihen  pratiqua  avec  succès  la  politique  ma- 
trimoniale, établitune  armée  permanente  (lansque- 
nets et  reitres)  et  chercha  vainement  à  donner  à 
1  empire  d'Allemagne  la  prépondérance  qu'il  dut 
plus  tard  aux  victoires  de  Charles-Quint  et  à  l'an- 
nexion de  1  Espagne. 


voyages  d'exploration  au  delà  des  mers.  Seule,  la 
révolution  religieuse  restait  à  faire  :  ce  sera  l'œu- 
vre du  siècle  suivant. 

Voltaire  compare  le  xvi=  siècle  à  une  robe  de 
soie  et  d'or  ensanglantée;  aucune  époque,  en  effet, 
ne  fut  plus  sanglante  ni  plus  glorieuse  ;  dans  tout 
l'Occident  le  xvi«  siècle  est  un  âge  héroïque. 

L'Espagne  est  alors  la  puissance  prépondérante 
et  dangereuse.  En  làlt;,  Charles  d'Autriche  re- 
cueille l'héritage  de  Ferdinand  d'Aragon.  Il  a 
appris  en  Flandre  l'art  de  gouverner;  il  mécon- 
tente pourtant  ses  nouveau-x  sujets  dès  1(!  début 
et  provoque  l'insurreciion  des  coniuneros.  Lais- 
sant k  ses  Flamands  le  soin  de  la  comprimer,  il. 
va  prendre  possession  de  la  couronne  impériale- 
au  risque  de  perdre  celle  d'Espagne  (15v0).  L'al>- 
sence  de  concert  entre  les  révoltés  espagnols, 
l'antipathie  entre  les  royaumes,  entre  les  villes, 
entre  la  noblesse  et  la  bourgeoisie,  assurèrent  la 
victoire  de  la  royauté.  De  retour  en  Espagne, 
Charles  se  montre  plus  prudent;  il  publie  une 
amnistie,  il  adopte  les  mœurs,  le  costume  des 
Castillans,  il  parle  leur  langue  et  trouve  parmi  les 
rebelles  repentants  les  plus  dociles  artisans  de  sa 
grandeur,  de  ses  succès,  de  sa  domination  dans 
le  inonde  entier.  Dès  1540,  absorbé  par  les  art'aires 
d'Allemagne,  il  laisse  le  gouvernement  de  l'Es- 
pagne à  son  fils  Philippe,  en  faveur  duquel  il  ab- 
dique en  l5.')6;  la  môme  année  il  se  retire  au 
monastère  do  Saint-Just,  où  il  expirera  deux  ans 
plus  tard  (IS.SS). 

Philippe  11,  génie  étroit  et  barbare,  dans  un 
règne  de  quarante  ans,  précipita  la  décadence  de 


MODERNES  (TEMPS)     —  1318 


MODERNES  (TEMPS) 


l'Espagne.  La  volonté  implacable,  l'orgueil  inflexi- 
ble, le  fanatisme  d'un  sectaire  qui  ordonne  le  meur- 
tre un  crucilix  à  la  main,  lui  tiennent  lieu  des  dons 
qui  ont  fait  la  grandeur  do  Cliarles-Quint.  Sa  ré- 
sidence préférée,  l'Escurial,  est  moins  un  palais 
qu'un  sépulcre.  Il  laisse  le  grand  inquisiteur  con- 
damner à  mort  son  fils  don  Carlos;  son  épouse 
Elisabeth  meurt  peut-être  empoisonnée.  Ce  des- 
pote est  l'âme  même  de  l'Inquisition.  L'Espagne 
sous  son  règne  est  soumise  à  un  régime  abrutis- 
sant :  tranquille  et  misérable,  elle  prend  une 
physionomie  sinistre,  monacale,  qui  sied  bien  à 
son  appauvrissement.  Philippe  II  fait  banque- 
route en  1575  et  en  I59G;  il  laissera  une  dette 
d'un  milliard,  le  commerce  nul,  l'industrie  anéan-  ' 
tie.  Le  plus  riche  pays  de  l'Europe,  le  plus  in- 
dustrieux, le  mieux  cultivé,  s'esi  comme  pétrifié 
entre  les  mains  sanglantes  du  n  démon  du  Jlidi  ii. 
De  toutes  ses  entreprises,  une  seule  semble  avoir 
réussi  :  la  conquête  et  l'annexion  du  Portugal.      | 

L'histoire  de  l'Espagne  est  souvent  confondue 
avec  celle  de  l'Allemagne  dans  la  première  moitié 
du  XVI"  siècle.  Elu  empereur  en  1519,  couronné 
en  15'iO,  Charles  Quint  fait  élire  roi  des  Romains,  ! 
en  15:il,  son  fi-ère  Ferdinand,  déjà  souverain  de  ' 
l'Autriche,  de  la  Hongrie  et  de  la  Bohême  :  leur 
puissance  eût  menacé  l'indépendance  des  princes 
et  des  Etats  allemands,  si  Ferdinand  n'avait  eu  à 
lutter  contre  les  Turcs  et  Charles-Quint  contre 
la  Réforme.  Après  l'abdication  de  Charles-(1uint 
(IjSO),  Ferdinand  prit  la  couronne  impériale  sans 
demander  le  consentement  da  pape,  et  mit  fin  ! 
ainsi  à  la  dépendance  où  le  Saint-Siège  avait  long- 
temps tenu  l'Empire.  I 
_  Maximilien  II,  qui  essaya  vainement  de  se  faire 
élire  roi  de  Pologne,  fut  sinon  un  prince  remar-  [ 
quable,  au  moins  un  modèle  de  tolérance  et  de 
sagesse.  Son  successeur  Rodolphe  II  M.'i'G)  ne 
mérite  pas  le  même  éloge;  gâté  par  l'influence  de 
sa  mère,  sœur  de  Philippe  II,  par  la  déplorable 
éducation  qu'il  reçut  des  Jésuites  en  Espagne,  il 
prit  ouvertement  parti  dans  les  querelles  reli- 
gieuses, il  fut  maniaque,  morose  ou  violent  jus- 
qu'à la  frénésie  :  toutes  les  espérances  de  ses  su- 
jets se  tournèrent  vers  .Mathias,  troisième  fils  de 
Maximilien  II;  Rodolphe  mourut  en  16  2,  peu  de 
mois  après  avoir  subi  l'humiliation  d'une  abdica- 
tion forcée. 

Dans  l'histoire  de  l'Angleterre,  le  xvi«  siècle 
forme  une  période  à  part  ;  jamais  peuple  plus  at- 
taché h  ses  franchises  n'accepta  plus  docilement 
despotisme  plus  sanglant,  outrages  plus  répé- 
tés à  ses  convictions.  C'est  dans  la  servitude  et 
dans  les  larmes  que  les  Anglais  ont  fait  l'apprentis- 
sage du  gouvernement  représentatif  et  de  la  liberté 
religieuse  Henri  VIII  (15' 9-1547),  le  premier  de 
ces  tyrans  malfaisants,- attaque  sans  relâche  la  reli- 
gion et  la  liberté  de  ses  sujets  ;  Edouard  V'I,  en- 
fant maladif,  intelligent  et  bon,  monte  sur  le 
trône  à  neuf  ans  et  succombe  à  dix- sept  en  1  i53. 
Jeanne  Grey  règne  dix  jours.  Marie  la  Sanglante 
est  la  digne  épouse  de  Philippe  II.  Elisabeih,  qui 
inaugure  la  grande  politique  anglaise  et  donne  i 
ses  sujets  un  demi-siècle  de  gloire  et  de  despo- 
tisme, est  un  \rai  roi.  Sous  le  règne  de  cette 
femme,  qui  mourut  peut-être  d'un  dépit  amou- 
reux (icu:i),  commencent  toutes  les  institutions, 
toutes  les  fondations  qui  devaient  assurer  plus 
tard  la  puissance,  la  richesse,  même  les  libertés 
de  l'Angleterre. 

Il  manqua  une  Elisabeth  à  l'Ecosse  pour  sauve- 
garder son  indépendance  :  Marie  Stuart,  qui 
excite  encore  aujourd'hui  de  nombreuses  sympa- 
thies, les  doit  surtout  à  sa  fin  si  touchante  et  à 
l'hypocrite  cruauté  de  ses  bourreaux  :  la  noblesse 
de  sa  mort  a  fait  trop  oublier  les  fautes,  les  crimes 
peut-être  de  sa  vie. 
En  France,  ce  siècle  do  despotisme  s'ouvre  par 


le  règne  du  Pèif  ilu  peuple.  Prince  chaste,  sévère 
et  grave.  Louis  XII  eut  le  mérite  peu  commun  de 
fonder  un  gouvernement  honnête,  sérieux  et  appli- 
qué. Le  règne  de  son  successeur  est  celui  du  bon 
plaisir:  le  roi  gentilhomme,  moins  occupé  de  ses 
affaires  que  de  ses  amours,  tranchant  du  despote 
avec  le  Parlement,  immolant  les  liberiés  de  l'Eglise 
gallicane,  mérite  comme  souverain  toutes  les  sévé- 
rités de  l'histoire  qu'il  ne  désarme  que  comme 
appréciateur  délicat  des  écrivains  et  des  artistes. 
Henri  II,  a  de  belle  prestance etd'honnête accueil,» 
mais  aussi  lourd  d'esprit  qu'actif  de  corps,  infé- 
rieur à  son  père  comme  politique  et  comme  soldat, 
le  valant  comme  moralité,  laissa  moins  de  regrets 
encore.  Le  règne  de  François  II  voit  commencer 
la  longue  et  fatale  domination  de  Catherine  de 
Médicis.  Après  la  retraite  du  chancelier  de  L'Hôpi- 
tal (15G.S),  qui  défendit  quelque  temps,  dans  une 
cour  dissolue,  la  raison,  le  bon  sens  et  la  tolé- 
rance, Morvilliers  est  sans  influence  ;  Birague  est 
le  type  du  magistrat  de  cour  servile  etfértCî.  Le 
maître  vaut  les  vali-ts  :  Charles  IX  est  un  poltron 
effaré  que  la  peur  rend  féroce  ;  Henri  III  est  n  en 
certaines  choses  au-dessus  de  sa  dignité,  on  d'au- 
tres, au-dessous  même  de  l'enfance.  "  Son  long 
duel  avec  Henri  de  Guise  se  termine  par  la  double 
tragédie  de  Blois  (15SS)  et  de  Saint-Cloud  (1589). 
Henri  II  avait  rompu  le  dernier  lien  entre  la 
France  et  l'Italie:  celle-ci,  dominée  par  l'étranger 
qui  l'asservit,  passant  sans  regret  d'un  maître 
à  un  autre,  est  incapable  d'affirmer  sa  nationalité. 
L'affaiblissement  de  l'esprit  militaire  fut  la  prin- 
cipale cause  de  l'abaissement  de  l'Italie  :  les  vertus 
guerrières  encore  vivaces  en  Pologne  maintiennent 
ce  pays  parmi  les  puissances  prépondérantes, 
malgré  les  vices  de  sa  constitution,  l'anarchie  de 
ses  diètes,  la  turbulence  de  sa  noblesse.  Sigismond 
I"  (15Ui;-1548)  est  un  dos  héros  de  son  siècle,  au 
dire  de  Paul  Jove.  L'extinction  desJagellonsen  1572 
introduit  définitivement  l'élection  dans  la  consti- 
tution polonaise  ;  et  en  1587  une  élection  orage  ise, 
en  portant  au  pouvoir  Sigismond  Wasa,  met  pour 
quatre-vingt  ans  la  Pologne  dans  une  quasi  dépen- 
dance de  la  Suède. 

L'alliance  de  la  royauté  et  du  peuple,  qui  aurait 
pu  sauver  la  Pologne,  s'est  accomplie  en  Suède 
avec  Gustave  Wasa  :  elle  a  soustrait  ce  pays  à  la 
dépendance  du  Danemark  où  l'aristocratie  toute 
puissante  annule  le  roi. 

En  Russie,  le  règne  de  Vassili  IV  (1.S05-1533)  est 
effacé  entre  ceux  des  deux  terribles  Ivan  III,  son 
père,  et  Ivan  IV  son  fils.  Ce  dernier  continue 
énergiquement  la  lutte  de  l'autocratie  contre 
le  pouvoir  oligarchique  des  anciens  princes  sou- 
verains, qui  ne  pouvaient  se  résigner  à  n  être  que 
des  sujets.  Ivan  IV  a  une  physionomie  à  part  dans 
la  galerie  des  princes  du  xvi'  siicle;  il  a  tous 
leurs  vices  sans  leur  hypocrisie  :  la  Russie  est 
encore  un  Etat  orienial  et  son  chef  un  barbare. 

Les  Ottomans  aussi  sont  des  Orientaux,  mais 
tous  leurs  sultans  ne  sont  pas  des  b.irbares  :  si 
Sélim  l'Inflexible  vaut  Ivan  IV,  Soliman  le  Magni- 
fique flô'.'O-l.'iCtJ)  peut  rivaliser  avec  Charles- 
Quint.  Ses  crimes,  communs  en  Orient,  n'ont  pas 
diminué  sa  gloire  aux  yeux  des  Turcs.  Le  n  lé- 
gislateur »  est  resté  le  plus  grand  de  leurs  sultans. 
Son  successeur  Sélim  II  l'Ivrogne,  le  vaincu  de 
Lépante  (1572),  ouvre  la  série  des  sultans  elTéminés. 
Au  milieu  de  l'Europe  monarchique,  la  Suisse  est 
avec  Venise  la  seule  république  indépendante.  Le 
xvi«  siècle  n'est  pas  la  période  la  plus  honorable 
de  son  histoire:  c'est  pour  de  l'or  que  se  battent 
désormais  les  vainqueurs  de  Grandson  et  de  Morat. 
La  Suisse,  par  sa  constitution  fédérative,  échappe 
à  la  concentration  du  pouvoir  aux  mains  d'un  seul  ; 
dans  les  grands  Etats  d'aiors,  France.  Angleterre, 
Suède,  Russie,  Turquie,  même  en  Allemagne,  le 
pouvoir  absolu  s'exerce  sans  obstacles.  Deux  mo- 


MODERNES  (TEMPS)     -  1319  —     MODERNES  (TEMPS) 

iKircliic3   seulement  font  exception,  le  Danemark  |  cliampion  vigoureux.  Plillippe  II  essaya  d'imposer 
<'t  la  Pologne  :   1  aristocratie    y    est  puissante,  la    à  toute  l'Kurope  les  décrets  du  concile  rie  Trente 


royauté  annulée,  la  nation  opprimée;  les  Dano_  , 
peuple  et  roi,  sauront  s'affranchir  au  xvii'  siècle  ; 
les  Polonais  le  tenteront  trop  tard  au  xviii'. 

Le  système  d'équilibre  et  la  politique  de  coalition 
qui  datent  de  l'année  l'iO.i  et  de  la  bataille  de 
Fornoiie  commencent  avec  les  guerres  d'Italie  : 
ces  guerres  remplissent  une  longue  période  de 
■soixante-cinq  ans  (HO.i-là.'pg).  Sous  Charles  VIII 
de  brillants  faits  d'armes,  l'initiation  des  Français 
aux  merveilles  de  l'art  et  à  la  corruption  do  l'Italie 
sont  les  seuls  résultats  d'une  déplorable  expédi- 
tion. Louis  XII,  plus  déloyal  que  son  prédéces- 
seur, est  aussi  maladroit;  Ji  aucun  moment  de  son 
règne  il  ne  comprit  combien  les  chevauchées  au 
delà  des  monts  étaient  contraires  aux  intérêts  de 
la  France:  Ferdinand  le  Catholique  et  Jules  II 
n'eurent  qu'i  exploiter  ses  fautes,  le  premier 
pour  agrandir  sa  maison,  le  second  pour  chasser 
les  barbares  de  l'Italie.  François  I"  ne  fut  pas  plu.s 
habile  :  après  le  grand  et  stérile  succès  de  Mari- 
gnan,  il  perd  en  un  jour  h  l'avie  le  fruit  de  cinq 
années  de  guerres  :  le  traité  de  Cambrai  no  com- 
pense pas  la  déshonorante  convention  de  Madrid; 
en  l.SSo  Charles-Quint  est  le  maître  do  l'Italie  et 
le  premier  souverain  de  l'Europe.  Il  triomphe  des 


et  l'Inquisition  :  il  fut  vaincu  partout  :  en  France 
par  Henri  IV,  en  Angleterre  par  Elisabetli,  chez 
les  Bataves  par  le  prince  de  Nassau,  Guillaume 
d'Orange  ;  sa  victoire  sur  les  Turcs  h  Lépante  resta 
stérile,  et  son  succès  en  Portugal  augmenta  ses 
charges  sans  augmenter  sa  puissance. 

L'année  même  de  sa  mort,  le  traité  de  Vervins  et 
l'éditde  N'antes  sont  deux  nouvelles  condamnations 
de  sa  politique. 

Les  grandes  découvertes  maritimes  remontent 
à  la  fin  du  xv'  siècle,  la  création  des  grands 
empires  coloniaux  ne  date  que  du  xvi'.  Les  Por- 
tugais reconnaissent  successivement  Madère,  les 
Açores,  les  lies  du  Cap  Vert,  et  fondent  des  éta- 
blissements au  Congo;  en  l'iSG,  Barthélémy  Diaz 
atteint  le  cap  des  Tempêtes  et  entrevoit  la  route 
que  Vasco  do  Gama  doit  parcourir  onze  ans  plus 
tard.  C'est  sur  la  côte  de  Malabar  qu'abordèrent 
les  trois  petits  navires  du  grand  marin.  Après  lui. 
Cabrai  fonde  h.  Calicut  la  première  des  colonies 
européennes  :  une  tempête  qui  le  jette  à  l'ouest 
lui  fait  découvrir  le  Brésil.  Albuquerque  étend  et 
affermit  l'empire  portugais,  prend  Socotora,  Or- 
muz,  et  triomphe  de  Venise  unie  au  Soudan  d'E- 
gypte. Après  Goa,  Ceyian  et  Malacca  furent  occu- 


lurcs  comme  il  a  triomphe  des  Français;  Soliman  pés  et  donnèrent  à  Lisbonne  la  mer  du  Bengale 
le  Magnifique, en  possession  de  Rhodes,  convoite  la  !  l'alliance  du  roi  do  Siam  et  de  Pégu,  le  commerce 
yallOe  du  Danube  :  il  bat  les  Hongrois  et  pénètre  \  avec  la  Chine  et  le  Japon  augmentent  encore  cette 
jusqu  à,  Vienne  ou  I  union  de  l'Allemagne  chré-  '  puissance  :  elle  ne  déclinera  que  par  la  faiblesse 
tienne  arrête  ses  conquêtes.  François  I"  ne  sait  j  de  la  métropole,  par  le  développement  maritime 


pas  profiter  de  l'utile  alliance  des  Ottomans  :  les 
dernières  guerres   et  les  derniers  traités  de  son 


de  l'Espagne  et  de  la  Hollande. 
Le  Portugal  avait  mis  plus  d'un  siècle  à  fonder 


règne  laissent  pourtant  la  France  intacte.  Entre  !  cet  empire.  L'Espagne  est  maîtresse  de  tout  un 
Henri  a  et  Charles-Quint,  puis  Philippe  II,  la  lutte!  monde  en  moins  de  cinquante  ans.  Un  Génois, 
recommence  avec  plus  d'ardeur.  Allié  des  protes-  Chrislophe  Colomb,  en  cherchant  par  l'ouest  la 
lants  allemands,  le  roi  de  France  s'empare  des  Trois!  route  des  Indes,  trouve  l'Amérique  le  il  novem- 
n-.K'M,"  .T^'"  ''^  f°''''"»e  de  Charles- ]  bre  M9.' ;  Nunez  lialboa  traverse  l'isthme  de 
Vmnt  a  Metz  et  I  hilippe  II,  malgré  son  alliance  j  Panama  et  aperçoit  le  grand  Océan  ;  un  avenlu- 
avec  Marie  ludor,  malgré  sa  victoire  de  Saint-  rier,  Fernand  Cortez,  découvre  et  occupe  le  Mexi- 
Vuentin,  ne  peut  enlever  h  la  France  ses  récentes  '  que  avec  cinq  cents  soldats,  seize  chevaux  et  dix 
conquêtes  :  mais  e  traité  de  Cateau-Cambrésis  lui  ,'  canons  :  trois  autres  aventuriers,  Pizarre,  Alma- 
aonne  Naples,  Milan  et  les  Pays-Bas.  I  gro   et  Luques,   envahissent  le  Pérou  avec   deux 


voiution   de   1,,S9    Lest  d  abord    l'Allemagne   du  conquêtes  qu'il   divise  en   deux   gouvernements, 

nord  qui  se  détache  de  Rome,  puis  la  Suède  que  celui  de  Mexico  et  celui  de  Lima. 

y^^.r  1   .^'!f  '"■.'■*'■'"=  ^,"   Danemark   et  entraine  Toutes  ces   dérouvertes  ouvrent  une   nouvelle 

ji"  ,„    '.""'«'•aiiisme  ;  1  Angleterre,  qui  annonce  carrière  à  l'activité   de   l'Europe  et  de  nouveaux 

c,?,  o-I^"*^    c    ■        "            ^"^  divorce  avec  le  continents  à  la  civilisation  ;  la  marine  et   le  com- 

fni   nm      m'      •   n^f*^.'   °j  Zwmgli  meurt  pour  la  merce se  développent, et  l'E-pagne,  enrichie  parles 

nnni  f  • ''  ^'  "^    x"      ,     ^Omine  assez    longtemps  métaux   précieux   du    nouveau    continent,    aurait 
pour  idire  de  Genève  la  Rome  du  proieslaniis.ne  ;  ]  menacé  l'ancien  de  sa  redoutable  prépondérance, 

le  uanemark,  ou  noblesse  et  royauté  sont  d'accord  si  elle  n'avait  rencontré  deux  obstacles  à  sa  tyran- 


pour  établir  le  luthéranisme.  Quand  le  peuple 
veut  tirer  les  conséquences  politiques  et  sociales 
des  doctrines  prêchées  par  Luiher  et  par  Calvin, 
reformés  et  catholiques  sont  d'accord  contre   l 


nie,  la  Renaissance  qui  éclaira  les  esprits,  la  Ré 
forme  qui  les  émancipa. 
Malgré  l'intérêt  qui  s'attache  à  l'histoire  politi- 

,,.__„„  ,  .  ,    -       ,  ----    que,  religieuse  et  économi(|ue  du  xvi'  siècle,  sa 

sacramentaire.s  et  les  anabaptistes, mais  reprennent    grande  attraction,  c'est  l'histoire  littéraire  et  a 
îes  armes  au  ^ndemain  de  la  bataille.  La    lutte  |  tistique,  c'est  la  R 


entre  Charles  Quiut  et  les  protestants  se  termine 
au  profit  de  ceux-ci:  l'intérim  et  le  traité  d'Augs- 
bourg  consacrent  le  triomphe  de  la  Réforme  en 
Allemagne  au  moment  même  où  elle  s'établit  en 
Angleterre  sous  Edouard  VI  :  le  règne  de  Marie  la 
sanglante  et  sa  réaction  désespérée  en  faveur  du 
catnolicisme,  font  place  au  despotisme  d'Elisabeth 
qui  rcg  e  souverainement  le  dogme  et  le  culte  de 
ce  que  Ion  a  appelé  l'anglicanisme.  Le  Saint-Siège 
]-il»  nf  ^P  "'  i"^l^<'^-^  que  Cliarles-Quint:  le  con- 
cile de  Trente  reformera  le  catholicisme  sans  ra- 
mener les  dissidents  k  l'unité  catholi.,ue.  Les  pays 
FrZl'  T'  i"""^"'  '=°"^™«  rAllen'iagne,  et  la 
Ln^  u  ''"«:';;ûnie  aurait  peut-être  échappé  .-i  Rome 
«ans  Henri  IV.  L'ortîiodoxie  rencontra  ptiurtant  un  I 


que,  c'est  la  Renaissance,  c'est  le  grand  mou- 
vement scientifique  qui  l'accompagne. 

Dans  toutes  les  directions  l'esprit  humain  prit 
un  rapide  essor  :  affranchi  de  la  lourde  domina- 
tion de  l'Église,  il  s'élança  hardiment  dans  les 
voies  naturelles,  en  politique,  en  littérature,  dans 
les  arts,  comme  les  Colomb  et  les  Gama  s'élan- 
çaient sans  crainte  sur  les  Océans  inconnus.  —  V. 
Siècle  [seizième). 

Le  traité  d'Augsbourg,  l'édit  de  Nantes,  et  la 
victoire  d'Elisabeth  sur  Philippe  II,  semblaient 
avoir  clos  les  luttes  religieuses.  Elles  se  rouvrent 
au  xvir-  siècle  et  englobent  toute  l'Europe  dans 
une  guerre  mémorable. 

Les  successeurs   de  Charles-Quint   menaçaient 


MODERNES  (TEMPS)  -  1320  -  MODERNES  (TEMPS) 


les  conquêtes  de  la  Réforme  en  Allemagne  :  les 
protestants,  pour  faire  face  à  l'Espagne,  à  la  mai- 
son d'Autriche  et  au  Saint-Siège,  s'appuyèrent  sur 
la  France  et  sur  les  puissances  protestantes  du 
Nord.  Du  côté  des  catholiques,  le  grand  rôle  ap- 
partient à  l'empereur  Ferdinand  II  :  il  triomphe 
facilement  du  médiocre  Frédéric  V,  électeur 
palatin;  il  bat  également  le  roi  de  Danemark, 
t.liristian  IV,  avec  l'appui  de  Maximilien  de  Ba- 
vière, de  Tilly,  de  la  Ligue  catholique,  et  surtout 
d'un  aventurier  de  génie,  Wallenstein.  La  Réforme 
semble  anéantie  par  l'édit  de  restitution  (1629). 
Lintcrvention  de  Gustave-Adolphe  et  de  la  Suède 
lui  rend  la  victoire  et  la  prépondérance  :  celle  de 
Richelieu  et  de  la  France,  de  la  Hollande  et  de  ses 
grands  amiraux,  assurent  la  défaite  de  l'Autriche, 
de  l'Espagne  et  du  catholicisme  :  les  traités  de 
Munster  et  d'Osnabruck  consacrent  l'indépendance 
des  Provinces-Unies  et  de  la  Suisse,  l'avènement 
d'une  nation  jeune  et  vigoureuse,  la  Suède,  l'a- 
grandissement de  la  France  et  celui  des  princes 
protestants. 

La  lutte  générale  des  deux  religions  est  termi- 
née par  le  traité  de  Westphalie  :  la  guerre  entre 
elles  ne  dépassera  plus  les  limites  de  chaque  Etat. 

En  Angleterre,  cette  lutte  se  prolonge  pendant 
tout  le  xvii'  siècle  et  aboutit  à  deux  révolutions  à 
la  fois  politiques  et  religieuses,  en  1648  et  en  IC.SH, 
qui  eurent  pour  dernière  conséquence  la  fonda- 
tion définitive  de  la  monarchie  constitutionnelle 
dunscepays.  mais  auxquelles  l'Europe  ne  prit  au- 
cune part.  La  religion  anglicane,  menacée  par 
l'Irlande  catholique  et  par  l'Ecosse  presbytérienne, 
persécute  les  non-conformistes:  les  Stuarts  pré- 
tendent exercer  le  pouvoir  absolu  des  Tudors  ;  la 
foi  et  les  libertés  font  cause  commune,  la  révolu- 
tion est  inévitable  :  préparée  par  l'incapacité  de 
Jacques  I",  hâtée  par  la  mauvaise  foi  de  Char- 
les I",  elle  commence  dès  1610.  Le  Long  Parle- 
ment obtient  la  condamnation  de  Strafford,  s'em- 
pare du  pouvoir  exécutif  et  prend  la  direction  de 
la  guerre.  Il  est  d'abord  soutenu  par  la  secte  des 
indépendants. Leur  chef,  Cromwoll,  vainqueur  des 
troupes  royales,  maître  de  Charles  I",  le  fait  con- 
damner h  mort  par  un  parlement  intimidé  (I64'.J), 
proclame  la  République  et  dissout  le  Long  Parle- 
ment. Après  la  défaite  de  l'Irlande  catholique 
et  de  l'Ecosse  presbytérienne,  il  prend  le  titre  de 
Protecteur  et  sait  rendre  à  l'Angleterre  la  pré- 
pondérance en  Europe.  Son  fils  Richard  n'a  ni  le 
goût,  ni  l'ambition  du  pouvoir  :  la  défection  du 
général  Monk  rétablit  la  royauté  redevenue,  après 
vingt  années  de  lutte,  aussi  absolue  sous  Charles  II 
que  sous  Charles  I".  Les  Stuarts  restaurés  n'ont 
rien  appris,  rien  oublié  :  l'opposition  parlemen- 
taire leur  arrache  le  bill  dhabeas  coi-piis;  la 
nation,  menacée  encore  une  fois  dans  sa  religion 
et  dans  ses  libertés,  les  chasse  définitivement  en 
lt88,  et  impose  à  leur  sucéesseur,  Guillaume  d'O- 
range, la  célèbre  Déclaration  des  droits  qui  fonde  la 
monarchie  constitutionnelle  au  delà  de  la  Manche. 

Pendant  que  la  liberté  de  conscience  recevait 
en  Angleterre  une  solennelle  confirmation,  le 
fanatisme  étroit  remportait  en  France  une  déplo- 
rable victoire  :  l'édit  de  Nantes  était  révoqué.  Cet 
acte  funeste  était  la  conséquence  du  régime  des- 
potique inauguré  au  xvi'  siècle,  poursuivi  au  xvii" 
par  Henri  IV,  par  Richelieu  et  par  Louis  XIV; 
mais  Henj-i  IV  rachetait  la  tyrannie  par  l'esprit  et 
la  bonne  humeur,  Richelieu  par  la  grandeur  du 
but  qu'il  visait  et  qu'il  atteignit;  Louis  XIV  tendit 
S  les  briser  tous  les  ressorts  du  gouvernement  :  à 
l'intérieur  comme  au  dehors  sa  politique  est  né- 
faste. Son  ambition,  ses  fautes  punies  par  de 
cruels  revers,  ont  tour  h  tour  porté  à  l'apogée  et 
mis  à  deux  doigts  de  sa  ruine  cette  monarchie  ab- 
solue, sévère  pour  le  peuple,  hostile  à  l'étranger, 
appuyée  sur  un  clergé  asservi,  sur  la  police  et  sur 


l'armée.  Il  faut  oublier  le  roi  et  reporter  sa  pen- 
sée sur  Colbert.  sur  Louvois,  sur  Vauban,  sur  les- 
grands  généraux,  sur  les  grands  artistes  et  les- 
grands  écrivains,  pour  laisser  k  ce  siècle  le  nom 
que  l'histoire  trop  complaisante  lui  a  donné. 

Ce  n'est  pas  seulement  en  France  que  l'abso- 
lutisme est  en  progrès.  En  Espagne,  un  prince 
fastueux  et  misérable  comme  son  royaume,  Phi- 
lippe III,  se  laisse  gouverner  par  un  favori,  le  duc 
de  Lerme  ;  son  fils  Philippe  IV  n'a  ni  plus  de  vi- 
gueur, ni  plus  de  volonté  :  Olivarez  est  le  Riche- 
lieu de  ce  Louis  XIII.  Charles  II  est  le  dernier  et 
indigne  rejeton  de  Charles-Quint  au  delU  des  Pyré- 
nées, qui  vont  s'abaisser  devant  un  prince  de  la. 
maison  de  Bnurbon.  L'Espagne  a  perdu  le  Portu- 
gal, reconquis  par  Jean  de  Bragance,le  Roussillon, 
l'Artois,  la  Flandre  et  la  Franche-Comté  cédés  à  la 
France  victorieuse. 

Dans  l'autre  branche  de  la  maison  d'Autriche 
la  décadence  est  moins  rapide  :  Mathias,  Ferdi- 
nand II  montrent  encore  quelque  vigueur;  le  long 
règne  de  Léopold  n'est  pas  sans  gloire;  mais  la 
vie  et  la  puissance  ne  sont  plus  ni  à  Vienne  ni  à 
Madrid,  elles  passent  h  Amsterdam,  à  Stockholm,  à 
Paris  et  à  Londres  ;  Moscou  et  Berlin  ne  comptent 
pas  encore  :  le  Grand  Electeur  vient  de  mourir 
et  Pierre  I"  se  révèle  à  peine. 

Le  xvn'  siècle,  comme  le  xvi',  brille  surtout  de 
la  gloire  des  lettres,  mais  il  n'a  ni  sa  fécondité,  ni 
son  originalité.  Le  pouvoir  absolu  a  accompli  son 
œuvre,  discipliné  les  esprits  et  effacé  les  carac- 
tères. La  guerre  seule,  qui  va  bien  au  despotisme, 
est  en  progrès  :  peu  de  noms  pi  uvent  être  com- 
parés à  ceux  de  Wallenstein,  de  Turenne,  de 
Condé,  de  Montccuculli.  La  civilisation,  le  goût,. 
l'instruction  grnérale  sont  plus  répandues  en  l'on 
qu'en  1600,  sous  Louis  XIV  que  sous  Henri  IV  : 
on  n'oserait  affirmer  que  l'esprit  humain  soit  plus 
émancipé;  que  la  société  européenne  soit  plus 
libre  et  plus  heureuse;  mais  Louis  XIV  va  mou- 
rir, l'heure  approche  des  grandes  ruines  et  des 
grandes  reconstructions.  —  V.  Siècle  [dix-septiéme]. 

Le  XVIII"  siècle  s'ouvre  par  une  guerre  géné- 
rale :  l'Espagne,  qui  expie  par  un  abaissement  et 
une  misère  sans  égale  sa  lutte  contre  la  civilisa- 
tion et  la  1  borté  des  esprits,  est  transmise  par 
l'arrière-petit-fils  de  Philippe  II  h  un  petit-fils  de 
Louis  XIV  ;  Charles  II  se  donne  comme  succes- 
seur Philippe  V.  L'Espagne  accepte  cette  dynastie 
nouvelle  :  l'Europe  forme  une  nouvelle  ligue  Ji  la- 
Haye  contre  l'ambition  conquérante  de  Louis  XIV:- 
Angleterre,  Empire,  Provinces-Unies,  Brandebourg- 
et  Hanovre  s'engagent  à  ne  laisser  au  nouveau  roi 
d'Espagne  que  la  Péninsule.  Grâce  à  trois  hom- 
mes énergiques,  Eugène  de  Savoie,  Mariborough  et 
Heinsius,  la  coalition  atteint  son  but  :  après  treize 
ans  de  luttes,  qui  ont  mis  la  France  à  deux  doigts 
du  démembrement,  qui  la  laissent  ruinée  pour 
vingt  ans,  le  traité  d'Utrecht  (II  avril  ni3i  donne  la 
Sicile,  le  Milanais  et  le  titre  de  roi  au  duc  de  Sa- 
voie, la  Haute-Gueldre  et  le  titre  de  roi  de  Prusse 
à  l'électeur  de  Brandebourg.  Gibraltar,  Minorque. 
la  baie  d'Hudson,  l'Acadie,  Saint-Christophe  ei 
Terre-Neuve  à  l'Angleterre.  Les  traités  de  Ras- 
tadt  et  de  Bade  confirment  celui  d'Utrecht  :  ils 
enlèvent  à  l'Espagne  les  Pays-Bas,  Naples,  la  Sar- 
daigne,  le  Milanais  et  les  présides  de  Toscane. 
Louis  XIV  meurt  au  lendemain  de  ces  traités 
(1715).  Ses  excès  de  pouvoir  ont  rendu  un  relâche- 
ment général  nécessaire  et  certain. 

De  la  mort  de  Louis  XIV  à  la  révolution  fran- 
çaise, le  maintien  de  l'équilibre  dans  l'Europe  cen- 
trale, assuré  par  la  guerre  de  la  succession  de  Po- 
logne, par  celle  de  la  succession  d'.\utriclie,  et  par 
la  guerre  de  Sept  ans,  est  surtout  l'œuvre  de  l'An- 
gleterre et  tourne  au  profit  dt^  sa  grandeur,  tandis 
qu'à    l'Orient   s'élève   par    l'affaissement    do    la 


MODERNES  (TEMPS)     —  1321  —     MODERNES  (TEMPS) 


SnJ'ilo  Pt  do  la  Turr|uio  et  par  l'anéantiasenient  ds 
la  PoliiRiio  une  nouvi'lle  et  redoutable  puissance, 
la  Russie,  et  qu'à  l'Occident,  au  delà  des  mers,  se 
prépare  ot  s'établit  avec  éclat  la  féconde  liberté 
de  rAinérique. 

L'histoire  politique  et  militaire,  les  agitations 
stériles  des  peuples  h  celte  époque  n'otfrent  pas 
le  mémo  intérêt  que  l'histoire  des  esprits  qui 
vont  enfanter  les  grands  renouvellements  de  la  fin 
sirrir.  C'est  surtout  la  France  qui  prépare  la  Révo- 
lution, c'est  elle  qui  doit  l'accomplir,  comme  c'est 
l'Ile  qui  en  est  restée  le  foyer  et  qui  en  a  goûté 
tous  les  fruits  doux  ou  amers  :  c'est  elle  qu'il 
faut  reçiarderpour  comprendre  combien  cette  révo- 
lution était  nécessaire.  Le  pouvoir  royal  absolu, 
l'Eglise  et  l'Etat  confondus,  la  justice  vénale,  la 
législation  compliquée  et  inique,  la  misère  entre- 
tenue par  les  lois  et  châtiée  comme  un  crime, 
voilà  ce  que  les  philoscplies  ont  attaqué,  voilà  ce 
qne  le  grand  mouvement  de  n«9  a  emporté.  Les 
philosophes  proclament  que  la  souveraineté  réside 
dans  !a  nation,  ils  veulent  que  la  loi  protège  éga- 
lement tous  les  cultes  :  Montesquieu,  Rousseau, 
les  Encyclopédistes,  l'école  des  économistes,  tous 
contribuent  à  l'rcuvre  communii;  Voltaire,  le  vrai 
chef  de  l'armée  pliilnsophique,  en  affjchant  son 
prosélytisme  antichrétien,  ruine  la  domination 
de  l'Eglise  sur  les  esprits  des  hommes  et  sur  les 
affaires  du  monde,  il  inspire  à  tous  l'horreur  de 
la  persécution  et  le  respect  de  la  liberté  de  con- 
science. Il  fut  le  véritable  artisan  de  la  çhûte  des 
jésuites,  qui  privait  l'Eglise  de  son  plus  ferme  ap- 
pui et  qui  commençait  bien  d'autres  destructions. 

Sans  doute  Voltaire  et  les  philo.sophes  attaquent 
sans  ménagement  la  société  et  la  religion.  Sans 
doute  ils  ont  précipité  les  esprits  au  delà  du 
monde  réel  en  les  détournant  violemment  de  ce 
qui  existait,  et  préparé  les  biens  et  les  maux  de  la 
révolution,  sa  grandeur  et  ses  excès  :  cette  révolu- 
tion en  était-elle  moins  légitime,  moins  nécessaire  ? 
Nous  n'avons  qu'à  comparer  le  passé  au  présent 
pour  proclamer  qu'elle  fut  un  inestimable  bien- 
fait. —  V.  Siècle  (dix-huitième). 


nÉvoLiiTioN  (USO-ITJO). 

1789.  Ouverture  des  Etats  généraux  à  Versailles 
(5  mai).  —  Assemblée  nationale  (17  juin).  — 
Serment  du  Jeu  de  Paume  (20  juin).  —  Assem- 
blée constituante  (9  juillet).  —  Prise  de  la  Bas- 
tille (14  juillet).  —  Nuit  du  4  aoiit.  —  Journées 
des  5  et  ti  octobre. 

En  Amérique,  présidence  de  Georges  Washing- 
ton. —  Révolte  des  Pays  Bas  contre  Joseph  II. 

1790.  Réorganisation  de  la  France  par  la  Consti- 
tuante. —  Première  fêle  de  la  Fédération 
(14  juillet). 

Mort  de  Franklin  aux  États-Unis.  —  Mort  de 
Joseph  11. 

17(11.  Mort  de  Mirabeau  (2  avril).  —  Fuite  du  roi 
à  Varennes  (20  juin).  —  Massacre  du  Champ- 
de-Mars  (17  juillet),  —  Congrès  et  déclaration 
de  Pilnitz  (27  août).  —  La  nouvelle  Constitu- 
tion est  sanctionnée  par  Louis  XVI  (13  septem- 
bre). —  Clôture  de  la  Constituante  (30  septem- 
bre).—Ouverture  de  la  Législative  (!=' octobre). 
Traité  de  Sistowa  entre  l'Autriche  et  la 
Turquie,  et  proliminaires  de  Galatz  entre  la 
Turquie  et  la  Russie.  —  l.a  Pologne  se  donne 
une  constitution  moins  anarchique. 

1792.  Louis  XVI  déclare  la  guerre  à  François  II 
(20  avrili.  —  Journée  du  20  juin.  —  Les  Prus- 
siens envahissseni  la  France  (5  juillet).  —  Ma- 
nifeste du  duc  de  Brunswick  (25  juillet).—  Prise 
des  Tuileries  et  renversement  de  la  royauté 
(10  août).  —  Massacres  de  septembre  (2,  3,  4  et 


5  septembre).  —  Clôture  de  la  Législative  et 
victoire  de  Valmy  (20  septembre).  —  Ouverture 
de  la  Convention  et  proclamation  do  la  Répu- 
blique (21  septembre).  —  Ministère  Roland; 
domination  des  Girondins.  —  Victoire  de  Jem- 
mapes  (9  novembre).  —  Commencement  du 
procès  du  roi  (i  1  décembre). 

Fondation  d'une  cnpilale  fédérale,  Washington, 
aux  f.tats-Onis.  —  Paix  définitive  de  Jassy  entre 
la  Russie  et  la  Turquie.  —  Assassinat  de  Gus- 
tave m  à  Stockholm. 
1793.  Exécution  de  Louis  XVI  (21  janvier).  —  La 
Convention  déclare  la  guerre  à  l'Angleterre  et  à 
à  la  Hollande  (1"  février),  puis  à  l'Espagne 
(7  mars).—  Soulèvement  de  la  Vendée  (10  mars). 

—  Défaite  de  Uumouriezà  Neerwinden  (18  mars). 

—  Création  du  Comité  de  salut  public  (27  mars). 

—  Duraouriez  passe  aux  Autricliiens  (4   avril). 

—  Chute  des  Girondins  (31  mai).  —  Constitu- 
tion de  1703  (23  juin).  —  La  France  est  en 
guerre  avec  toute  l'Europe  ;  la  moitié  des  dé- 
partements sont  soulevés.  —  Décret  de  la  levée 
en  masse  (23  août).  —  Commencement  de  la 
Terreur  (5  septembre).  —  Loi  des  suspects 
(17  septembre).  —  Loi  du  maximum  (29  sep- 
tembre). —  Arrestation  de  soixante-treize  Gi- 
rondins (3  octobre).  —  Prise  de  Lyon  (9  octo- 
bre). —  Exécution  de  Marie-Antoinette  (16  oc- 
tobre). —   Calendrier  républicain  (24  octobre). 

—  Exécutionde  vingt  etun  Girondins  (31  octobre, 
10  brumaire  an  II).  —  Fête  de  la  Raison  (lO  no- 
vembre, 20  brumaire).  —  Prise  de  Toulon 
(19  décembre,  211  frimaire).  —  Déroute  des 
Vendéens  au  Mans  (23  décembre,  3  nivôse). 

En  Amérique,  deuxième  présidence  de  Was- 
hington. —  Second  démembrement  de  la  Polo- 
gneî  au  profit  de  la  Piusse  et  de  la  Russie. 

1794.  Exécution  des  hébertistes  (24  mars,  4  ger- 
minal). —  Exécution  des  dantonistes  (5  avril, 
K;  germinal).  —  Fête  de  l'Etre  suprême  (S  juin, 
20  prairial).  —  Loi  du  22  prairial  (10  juin).  — 
Victoire  do  Fleuras  (2C.  juin,  8  messidor).  — 
Chute  de  Robespierre  (-.'7  juillet,  9  thermidor). 

—  Domination  des  thermidoriens.  —  Marat  au 
Panthéon  (12  septembre,  2(J  fructidor).  —  Fer- 
meture du  club  dos  Jacobins  (S  novembre. 
18  brumaire  an  III).  —  Rappel  des  soixante- 
treize  Girondins  (8    décembre,  18  frimaire).  — 

—  Abolition  du  maximum  (23  décembre,  3  ni- 
vôse). 

Agonie  de  la  Pologne.  —  Défaite  de  Kos- 
ciusko   à  Macejovice  (10  octobroj. 

1795.  Pichegru  entre  à  Amsterdam  (20  janvier, 
1"  pluviôse).  —  Déportation  de  plusieurs  mem- 
bres des  anciens  comités  révolutionnaires 
(1"  avril,  12  germinal).  —  Paix  avec  la  Prusse 
(25  avril,  10  germinal;.  —  Insurrection  du  parti 
montagnard  (20  mai,  1"  prairial).  —  Mort  du 
dauphin  au  Temple  (8  juin,  20  prairial).  _— 
Exécution  des  derniers  Montagnards  (17  juin, 
2i»  prairial).  —  Victoire  de  Hoche  à  Quiberon 
(17  juillet,  29  messidor).  —  Paix  avec  l'Espagne 
(22  juillet,  4  thermidor).  —  Constitulion  de 
l'an  m  (22  août,  5  fructidor).  —  Insurrection 
royaliste  (5  octobre,  n  vendémiaire  an  IV).  — 
Dernière  séance  de  la  Convention  (26  octobre, 
4  brumaire).  —  Installation  du  Directoire  et  des 
conseils   des  Cin(|  Cents  et  di'S  Anciens. 

Partage  définitifde  la  Pologne  (8  octobre). 
I7H6.  Fin   de   la  guerre  de  Vendée.  —  Abolition 
des  assignats.   —  Glorieuse    campagne    de    Bo- 
naparte   en    Italie.    —  Moreau    et  Jourdan  en 
Allemagne  reculent   devant  l'archiduc  Charles. 

—  Proclamation  de  la  république  batavo;  for- 
mation de  la  république  cispadane. 

En  Russie,  mort  de  Catherine  11  et  avènement 
de  Paul  1". 
1797.  Fin   de    la    campagne    d'Italie.    Victoire    du 


MODERNES  (TEMPS)     —  1322  —      MODERNES  (TEMPS) 


Rivoli  (janvier).  Traité  de  Tolentino  avec  le 
Saint-Siège  (19  février).  Préliminaires  de  Leo- 
lien  (18  avril).  —  Coup  d'Etat  du  Directoire 
contre  les  royalistes  des  deux  conseils  (4  septem- 
bre, 18  fructidor  an  V.  —  Monde  Hoche  (18  sep- 
teuibre).  —  Traité  de  CampoFormio  (l"  octobre). 

—  Républiques  ligurienne  et  cisalpine.  —  Re- 
tour de  Bonaparte  en  Krance  (décembre). 

Aux  Etats-Unis,  présidence  de  John  Adams.  — 
En  Prusse,  mort  de  Frédéric-Guillaume  II.  — 
A  Constantinople,  essai  de  réformes  euro- 
péennes par  Sélim  III. 
179-.  Republique  romaine  (février).  —  Républi- 
blique  helvétique  (mars).  —  Départ  de  Bona- 
parte pour  l'Egypte  (mai).  — Deuxième  coalition. 

—  Bataille  des  Pyramides  (21  luillet).  —  Dé- 
sastre d'Aboukir  (I"  août).  —  Etablissement  de 
la  conscription  (8  septembre  . 

Toussaint  Louverture  k  Haïti  chasse  les  blancs 

et  proclame  l'île  indépendante. 

nM9.    République    parthénopéenne    (janvier).    — 

Assassinat  des  plénipotentiaires  français  ù  Ras- 

Udt  (avril).  —  Victoire  du  Mont-Thabor  (avril). 

—  Triomphe  des  Jacobins  aux  élections  de 
l'an  VII  (mai).  —  Loi  des  otages  (juillet).  — 
La  France  perd  l'Italie,  sauf  Gênes.  —  Souvaroff 
et  Korsakoir  en  Suisse.  —  Victoires  de  Masséna 
i  Zurich  et  de  Brune  à  Bergen  i  septembre)  :  la 
coalition  est  repoussoe.  —  Bonaparte  revient 
d'Egypte  (octobre).  —  Coup  d'Etat  du  18  bru- 
maire (il  novembre).  —  Consiitution  de  l'an  VIII  : 
un  Sénat,  un  Corps  législatif,  un  Tribunat; 
Bonaparte  premier  consul. 

Dans  llndci,  Tippou-Saîb,  allié  de  la  France, 
succombe  àSeringapatam.  —  Mort  de  Washing- 
ton aux  Etats-Unis. 

CONSULAT    ET   EMPIRE    (n99-18U). 

ISCO.  Traité  de  Luçon  avec  la  'Vendée  ;  soumis- 
mission  de  la  Bretagne.  —  Préfectures  et  sous- 
préfectures.  —  Banque  do  France.  —  Complots 
jacobins  et  chouans.  —  Kléber,  vainqueur  à 
Héliopolis  (.0  mars),  est  assassiné  au  Caire 
(It  juin).  —  \  ictoires  de  Moreau  à  Engen, 
Mieskirch,  Biberach,  Hohenlinden  (3  décemlire), 
de  Bonaparte  à  Montebel  o  età  .Marengo  (I5juin). 
L'Irlande  est  réunie  à  l'Angleterre  et  à  l'E- 
cosse ;  les  Iles  Britanniques  n'ont  plus  qu'un  seul 
Parlement.  —  Toussaint  Louverture  est  prési- 
dent à  vie.  —  Election  de  Pie  VU,  h  Venise; 
il  succède  à  Pie  VI,  mort  prisonnier  à  Valence, 
en  I79y.  —  Les  sept  lies  Ioniennes  sont  consti- 
tuées en  république  par  la  Russie  et  la  Turquie. 

1801.  Restauration  du  catholicisme  en  France. 
Concordat  (15  juillet).  —  Traité  de  Lunéville 
avec  l'Autriche.  —  Menou,  battu  i  Aboukir, 
perd  l'Egypte. 

Pitt  quitte  le  pouvoir  qu'il  a  exercé  dix-sept 
ans  (8  février).  —  Aux  Etats-Unis  Thomas  Jeffer- 
son  est  président.   —  Assassinat  de  Paul  I". 

1802.  Paix  d'Amiens  entre  la  France  et  l'Angle- 
terre. —  Lois  organiques,  complément  du  Con- 
cordat (8  avril).  —  Réorganisation  de  l'ensei- 
gnement (l"  mai).  —  Création  de  la  Légion 
d'honneur.  —  Vote  plébiscitaire  du  consulat  h 
vie  (mai)    —  Réorganisation  de  l'Institut. 

1803.  Nouvelle  guerre  avec  l'.^ngleterro.  —  Prépa- 
ratifs de  Boulogne.  —  La  France  vend  la  Loui- 
siane aux  Etats-Unis.  —  Médiation  de  Bonaparte 
en  Suisse. 

1804.  Conspiration  Cadoudal  et  Moreau.  —  Enlè- 
vement et  exécution  du  duc  d'Enghien  (20  mars). 
—  Adoption  du  Code  civil  par  le  Corps  législa- 
tif. —  Napoléon,  empereur  (18  mai). 

1805.  Napoléon,  roi  d'Italie.  Eugène  de  Bcauhar- 
nais,  vice-roi.  —  Troisième  coalition.  Levée  du 
camp  de  Boulogne.  Campagne  do  1805.  Capitu- 


lation d'Ulm  (20  octobre).  Trafalgar  (21  octobre). 
Austcriitz  (2  décembre).  Traité  de  Presbourg 
(26  décembre).  —  Suppression  du  calendrier 
républicain  fixée  au   1"  janvier  1806  (an  .\IV). 

I80U.  Mort  de  William  Pitt  (janvier)  et  de  Fox 
(septembre).  —  Université  impériale.  —  Joseph 
Bonaparte,  roi  de  Naples,  Louis  Bonaparte,  roi 
de  Hollande  —  La  féodalité  impériale  :  grands 
duchés,  duchés,  comtés,  baronies.  —  Confé- 
dération du  Rhin.  —  Quatrième  coalition  : 
léna,  Auerstasdt.  —  Napoléon  à  Berlin.  —  Blo- 
cus continental. 

180'.  Eylau  et  Friediand.  —  Traité  de  Tilsit 
(8  juillet).  —  Jérôme  Bonaparte,  roi  de  West- 
phalie.  —  Le  grand-duché  de  Varsovie  est 
constitué.  —  Réunion  des  Etats  de  l'Eglise  à  la 
France.  —  Occupation  du  Portugal.  —  Sup- 
pression du  Tribunat.  —  Cour  des  comptes. 

180S.  Fontanes,  premier  grand-maître  de  l'Univer- 
sité impériale.  —  Entrevue  de  Rayonne.  — 
Joseph  Bonaparte  roi  d'Espagne.  —  Occupa- 
tion de  Rome.  —  Murât,  roi  de  Naples.  — 
Guerre  d'Espagne. 

1809.  Cinquième  coalition  ;  Eckmiihl,  Essling  et 
Wagram  (6  juillet).  —  Traité  de  Schiinbrunn 
(14  octobre  .  —  Divorce  de  Napoléon  et  de  José- 
phine (IG  décembre). 

Guerre  de  la  Russie  contre  la  Suède  et  la 
Turquie.  —  En  Suède,  abdication  de  Gustave  IV 
et  proclamation  de  Charles  XllI. 

18:0.  Napoléon  épouse  Marie-Louise.  —  Abdica- 
tion de  Louis  Bonaparte,  roi  de  Hollande.  La 
Hollande  est  réunie  à  la  France. 

Premières  agitations  dans  les  colonies  espa- 
gnoles de  r.\mérique.  —  Bernadette  est  pro- 
clamé prince  royal  de  Suède  et  adopté  par 
Charles  XIII. 

1811.  Naissance  du  roi  de  Rome  (20  mars). 
Massacre  des  beys  Mameluks   par  le   pacha 

d'Egypte,  Méhémet-Ali. 

1812.  Campagne  de  Russie. 

Les  Etats-Unis  déclarent  la  guerre  à  l'Angle- 
terre. —  Traité  de  Bucharest  entre  la  Turquie 
et  la  Russie. 

1813.  Sixième  coalition.  —  Campagne  d'Allema- 
gne. Liitzen,  Bautzen,  Leipzig.  —  La  France 
est  envahie.  —  Résistance  du  Corps  législatif  à 
Napoléon  :  il  est  ajourné. 

18U.  Campagne  de  France.  —  Entrée  des  alliés  à 
Paris  (.il  mars).  —  Le  Sénat  nomme  un  gouver- 
nement provisoire  et  proclame  la  déchéance  de 
Napoléon.  —  Son  abdication  (G  avril). 

L.A  RESTAURATION   (1814-1830). 

1814.  Napoléon  part  pour  l'Ile  d'Elbe  (20  avril).  — 
Louis  XVIII  débarque  à  Calais  (24  avril).  —  Dé- 
claration de  Saint-Ouen  (2  mars).  —  Traité  de 
Paris  (30  mai).  —  Octroi  de  la  charte  constitu- 
tionnelle (4  juin). 

Ouverture  du  Congrès  de  Vienne  (I"  novem- 
bre'. —  En  Italie,  restauration  de  l'ancien  régime 
et  des  Jésuites.  —  En  Espagne,  tyrannie  de  Fer- 
dinand VII;  soulèvement  du  Mexique,  du  Chili, 
du  Venezuela  et  de  la  Nouvelle-Grenade.  —  Aux 
Etats-Unis,  victoires,  puis  défaites  des  Anglais 
et  traité  de  Gand. 

1815.  Napoléon  au  golfe  Juan  (1''  mars),  à  Lyon 
(8  mars),  à  Paris  (2ii  mars).  —  Les  Cent-Jours. 
—  Louis  XVIII  à  Gand.  —  Acte  additionnel 
(22  avrilj.  —  Acte  final  du  Congrès  de  Vienne 
(9  juin).  —  Campagne  de  Belgique  ;  Waterloo 
(is  juin). —  Seconde  abdication  de  Napoléon 
{22  juin).  —  Il  part  pour  Rochefort  '29  juin).  — 
Seconde  capitulation  de  Paris  (3  juillet).  —  Ren- 
trée de  Louis  XVIU  (8  juillet. i— La  Sainte 
Alliance  (20  septembre).  —  Deuxième  traité  de 
Paris  (20    novembre).  —   Terreur   blancho   en 


MODERNES  (TEMPS) 

France.  Cours  prévôtales.  —  Murât  fusillé  h 
Pizzo  le  13  octobre. 

Organisation  de  la  confédération  germanique. 
—  Promesses  libérales  des  princes.  —  Progris 
de  la  révolte  des  colonies  espagnoles  en  Améri- 
que. Bolivar  au  Venezuela.  —  Aux  Etats-Unis, 
victoire  du  général  Jackson  à  la  Nouvelle-Or- 
léans sur  les  Anglais. 
I8|(i.  Dissolution  de  la  Chambre  introuvable. — 
Missions  dans  les  départements. 

Indépendance  des  provinces  unies  de  La 
Plata.  —  La  Serbie  se  révolte  contre  les  Turcs. 

1817.  Suppression  des  cours  prévfitales. 

Fête  de  la  Wartbonrg  en  Allemagne  (18  octo- 
bre). Discours  séditieux.  —  Indépendance  du 
Chili  et  du  Venezuela.  —  Monroë,  président  des 
Etats-Unis. 

1818.  Congrès  d'Aix-la-Chapelle.  —  Evacuation  de 
la  France  par  les  alliés.  —  Ministère  Decazes- 
Dessolles.  —  Le  roi  de  Rome  est  nommé  duc  de 
Reichsladt. 

L'Angleterre  signe  des  traités  avec  différentes 
puissances  pour  l'abolition  de  la  traite.  —  Avè- 
nement de  Bernadette  ((;iiarles  XIV), 

1819.  Progrès  des  idées  libérales  en  dépit  des  lois 
restrictives.  —  Agitation  révolutionnaire  en 
Allemagne.  —  Assassinat  de  Kotzebue  par  Sand. 

—  Mesures  réactionnaires  votées  par  la  diète 
de  Francfort  et  le  Congrès  de  Vienne.  —  In- 
dépendance de  l'Uruguay.  —  La  Nouvelle- 
Grenade  et  Quito  affranchis  par  Bolivar  forment 
la  république  de  Colombie.  —  Fermentation  dé- 
mocratique et  socialiste  en  Angleterre,  —  Cons- 
pirations libérales  en  Espagne.  —  Opposition 
des  Belges  au  gouvernement  de  Guillaume  I". 

—  Gouvernement  libéral  et  modéré  d'Alexandre 
l"  en  Russie. 

ISîO.  Assassinat  du  duc  de  Berry  (13  février).  — 
Chute  du  ministère  Decazes.  —  Naissance  du  duc 
de  Bordeaux  (','9  septembre). 

Sucre,  lieutenant  de  Bolivar,  affranchit  le  Pé- 
rou, —  En  Portugal,  en  Espagne,  révolutions 
constitutionnelles,  —  Avènement  de  Georges  IV 
ù  Londres.  —  Insurrection  victorieuse  dans  les 
Deux  Siciles.  —  Congrès  de  Troppau  et  de  Lay- 
bach,  —  Révolte  d'Ali,  pacha  deJaiiina,en  Epire. 

1821.  Mort  de  Napoléon   à  Sainte-Hélène  (5  mai). 

—  Ministère  Villèle  (là  décembre). 
Intervention  de  l'Autriche  dans  les  Deux  Si- 
ciles et  dans  le  Piémont.  —  Iturbide  généralis- 
sime de   l'empire  du    Mexique.    —   Début    de 
l'insurrection  hellénique. 

I.S'22.  En  France,  déplorable  gouvernement  des 
ultra-royalistes,  des  jésuites  et  des  missionnai- 
res. —  Nombreuses  conspirations  ;  émeutes. 

En  Angleterre, Canning  premier  ministre. — Don 
Pedro,  empereur  héréditaire  du  Brésil.  —  En 
Portugal  don  Miguel,  en  Espagne  Ferdinand  VII 
tentent  une  contre-révolution.  —  Congrès  de 
Vérone,  —  Indépendance  du  Mexique,  Iturbide 
empereur  'Augustin  1").  —  Lutte  entre  les 
Grecs  et  les  Turcs. 

1823.  Intervention  de  la  France  en  Espagne, 
rétablissement  de  l'absolutisme.  —  Manuel 
exclu  de  la  Chambre  (.3  mars). 

Indépendance  du  Guatemala.  —  Mort  de 
l'ie  VII.   Election  de  Léon  XII. 

18'-'4,  La   Chambre  septennale.  —  Mort  de  Louis 
XVIII.  Charles  X. 
Réactions  sanglantes  en  Italie  et  en  Espagne. 

—  Echec  de  don  Miguel  à  Lisbonne.  —Iturbide 
fusillé  au  Mexique. 

ISV.i.  Un  milliard  est  accordé  aux  émigrés.  —  Vote 

de  la  loi  du  sacrilège.  —  Mort  du  général  Foy. 

Mort  d'Alexandre  1".  Avènement,  de  Nicolas  I". 

182C.  Perpétuelles  révolutions  et  guerres  fréquen- 
tes entre  les  républiques  américaines,  le  Brésil, 
l'Espagne.  —  Intervention  de  la  diplomatie  anglo- 


1323  -      MODERNES  (TEMPS) 


russe  dans  la  question  grecque.  —  Nouvelle 
tentative  des  Miguelistes  en  Porttigal.  —  Révolte 
et  massacre  des  Janissaires  àConstantinople. 

1827.  Dissolution  de  la  Chambre  des  députés.  — 
Elections  libérales.  —  Chemin  de  fer  de  Saint- 
Eiienne. 

Bataille  navale  de  Navarin.  La  flotte  ottomane 
est  détruite.  —  Mort  de  Canning,  Wellington 
premier  ministre,  —  Don  Carlos  proclame  en 
Catalogne  par  les  apostoliques  qui  ne  trouvent 
pas  Ferdinand  Vil  assez  absolu,  —  Don  Miguel 
proclamé  à  Lisbone  :  sa  régence  durera  quatre 
ans. 

18','8.  Chute  du  ministère  Villèle.  Cabinet  Mar- 
tignac.  —  Ordonnance  du  16  juin  sur  les  petits 
séminaires  :  les  Jésuites  quittent  la  France  pour 
la  plupart. 

Les  Russes  déclarent  la  guerre  à  la  Porte 
qu'ils  attaquent  en  Europe  et  en  Asie.  —  In- 
tervention anglo-française  en  Grèce. 

1829.  Ministère    Polignac. 

Le  Zollverein  est  conclu  entre  la  Prusse,  la 
Hesse-Darmstadt,  la  Bavière,   le   Wurtemberg, 

—  Affranchissement  des  catholiques  d'Irlande, 
voté  par  le  Parlement  anglais.  —  Convention  de 
Londres  en  faveur  de  la  Grèce.  —  Succès  écla- 
tants des  Russes  ;  traité  d'Andrinople.  —  Indé- 
pendance de  la  Grèce.  —  Mort  de  Léon  XII. 
Election  de  l'ie  VIII.  —  Odieux  gouvernement 
de  Don  Miguel  :  près  de  lonoon  personnes  exé- 
cutées, bannies  ou  emprisonnées  en  un  an. 

1830.  Adresse  des  221.—  Dissolution  de  la  Cham- 
bre (i6  mai).  —  Réélection  des  •,'21  fjuillet).  — 
Conquête  d'Alger.  —  Les  ordonnances  (25  juil- 
let). —  Révolution  des  27,  28,  21)  juillet. 

LA  MONARCHIE   DE   JUILLET   (  1830-18-'l8). 

1830.  Abdication  de  Charles  X  et  du  Dauphin 
(2  août).  —  Proposition  Bérard  offrant  la  cou- 
ronne au  duc  d'Orléans  (7  août).  —  Premier  mi- 
nistère do  Louis-Philippe  (Dupont  de  l'Eure).  — 
Ministère  Laffitte  (2  novembre).  —  Procès  des 
ministres  de  Charles  X. 

En  Amérique,  retraite  de  Bolivar,  —  A  Lon- 
dres, avènement  de  Guillaume  IV  et  du  cabinet 
wliig  de  lord  Grey,  —  Premier  chemin  de  fer 
pour  voyageurs  entre  Liverpool  et  Manchester. 

—  Abolition  de  la  loi  salique  en  Espagne. 
Naissance  d'Isabelle.  —  Mort  de  Pie  VIII  à 
Rome.  —  Révolution  de  Bruxelles  (25  aoiit). 
Les  Belges  victorieux  adopient  la  monarchie 
conslitulionnelle,  à  l'exclusion  de  la  maison  d'O- 
range. —  Révolution  à.  Varsovie. 

1831.  Manifestation  légitimiste  i  Paris  :  sac  de 
l'archevêché.  -  Cabinet  du  13  mars  (Casimir  Pé- 
rier).  —  Insurrection  de  Lyon. — Expédition  de 
Mcdeah   contre  les  Kabyles. 

Léopold  roi  des  Belges  (4  juin)  Interven- 
tion de  la  France  en  Belgique.  —  Election  du 
pape  Grégoire  XVI.  —  Insurrection  dans  les 
Etats  pontificaux.  —  Nouvelle  intervention  des 
Autrichiens  en  Italie,  des  Françnis  en  Portugal. 

—  Les  Russes  maîtres  do  Varsovie;  sanglante 
réaction  ;  émigration.  —  Réformes  de  Mahmoud 
en  Turquie. 

1832.  Choléra  de  mai  h  septembre  :  il  emporte 
Casimir  Périctr.  —  La  duchesse  de  Berry  en 
Vendée.  —  Prise  d  armes  des  républicains  les 
5  et  6  juin  h.  Paris.  —  Mort  du  duc  de  Reich- 
sladt à  Schœnbrunn.  —  Cabinet  du  II  novem- 
bre (Soult).  —  Prise  d'Anvers  par  Gérard  et 
Haxo.  —  Occupation  d'Ancone  par  la  France. 

Oihon  de  liavière  roi  de  Grèce.  —  Lord  Grey  et 
lord  John  Russell  font  adopter  la  réforme  élec- 
torale. —  Premiers  succès  des  constitutionnels 
en  Portugal.  —  Ibrahim,  fils  de  Méhémet-Ali, 
bat  les  Turcs  en  Syrie. 


MODERNES  (TEMPS)  —  1324  —  MODERNES  (TEMPS) 


1833.  Loi    Guizot   sur    l'instruction  primaire.  — 
Extension    du  Zollverein    en    Allemagne.    — 

Avènement  d'Isabelle  II,  régence  de  Marie- 
Christine  ;  les  carlistes  proclament  don  Carlos 
sous  le  nom  de  Charles  V.  —  Agitation  entrete- 
nue en  Italie  par  Mazzini.  —  Don  Pedro  triom- 
phe enfin  de  don  Miguel  en  Portugal.  —  La 
Russie,  puis  la  France  et  l'Angleterre,  intervien- 
nent dans  la  lutte  entre  le  sultan  et  Méhémet- 
Ali. 

1834.  Insurrections  républicaines  à  Paris  et  k 
Lyon. 

Le  congrès  de  Vienne  diminue  les  pou- 
voirs de  la  diète  au  profit  do  l'absolutisme. 
—  Ministère  Robert  Peel-Wellington.  —  Lutte 
entre  les  constitutionnels  et  les  absolutistes  en 
Espagne  et  en  Portugal.  —  La  Suisse  est  forcée 
de  dissoudre  les  comités  révolutionnaires  ita- 
liens qui  se  sont  formés  chez  elle.  —  Schamyl, 
i  la  tête  des  Circassiens,  lutte  contre  la  Russie. 

1835.  Ministère  de  Broglie-Thiers.  —  Attentat 
de  Fieschi.  —  Lois  de,  répression  dites  de  sep- 
tembre. —  Succès  d'Abdel  Kader  en  Algérie. 

Chute  de  Robert  Peel,  cabinet  Melbourne,  Rus- 
sell,   Palmerston.  —  En   Espagne  guerre   car- 
liste. 
183(1.  Ministère  Thiers,  puis  Mole.  —  Mort  de  Char- 
les X   à  Goritz.  —  Tentative  du    prince   Louis- 
Napoléon  à  Strasbourg. 
Agitation  entretenue  parO'Connell  en  Irlande. 
1837.  Inauguration  du    musée   de   Versailles.   — 
Prise  de  Constantine. 

Avènement  de  Victoria.  —  Le  Hanovre  est  sé- 
paré de  l'Angleterre.  —  Crise  commerciale  en 
Angleterre,  aux  Etats-Unis 


et  à  Robert  Peel.  — ■  Insurrection  polonaise  :  I» 
république  de  Cracovie  est  incorporée  à  l'Au- 
triche. —  Isabelle  épouse  don  François  d'Assi- 
ses ;  sa  sœur  doha  Louisa  le  duc  de  Montpen- 
sier.  — •  Election  de  Pie  IX  :  ses  premiers  actes 
sont  libéraux. 
184".  Disette,  émeutes  en  province.  — Divers  pro- 
cès scandaleux,  où  sont  compromis  de  liants 
personnages,  portent  atteinte  au  prestige  du 
gouvernement.  —  Agitation  pour  la  réforme 
électorale  ;  banquets  réformistes. 

En  Italie,  Pie  I.\  continue  à  se  montrer  libé- 
ral, et  quelques  souverains  l'imitent.  —  Guerre 
du  Sonderbund  en  Suisse  :  la  ligne  séparatiste 
des  sept  cantons  est  vaincue  par  l'armée  fédé- 
rale. —  Guerre  entre  les  Etats-Unis  et  le  Mexi- 
que ;  cession  du  Nouveau-Mexique  et  de  la 
Nouvelle-Californie  aux  Etats-Unis. 

LA  SECONDE  BÉPfBLIQDE  ET   LE   SECOND  EMPIRE 

(1848-1870). 

1848.  France.  —  34  février.  Gouvernement  provi- 
soire, proclamation  de  la  République.  —  4  mai. 
Réunion  de  la  Constituante.  —  9  mai.  Commis- 
sion executive.  —  15  mai.  Tentative  de  RIaiiqui 
et  Barbes  contre  l'Assemblée.  —  '2^  juin.  Rap- 
port de  Falloux  concluant  à  la  dissolution  immé- 
diate des  ateliers  nationaux  ;  insurrection  contre 
l'Assemblée,  journées  de  juin.  —  24  juin.  Ca- 
vaignac  chef  du  pouvoir  exécutif.  —  17  septem- 
bre. Louis-Napoléon  élu  député  à  Paris.  — 
4  novembre.  Adoption  do  la  nouvelle  Constitu- 
tion. —  10  décembre.  Election  de  Louis-Napo- 
léon comme  président  de  la  République. 


V 


18  :S.  Intervention  de  la  France  dans  la  répuhVi-  \  Allent'igne. —  13-14   mars.  Révolution  h  Vienne, 


(|nfi   Argentine  et    au   Mexique.  —  Evacuation 
d'AncÔne. 

1839.  Chute  du  ministère  Mole  (mars\  —  Insur- 
rection de  Blanqui  et  Barbes  {12  mai).  —  Minis- 
tère Soult. 

Par  le  traité  de  Bergara  Espartero  met  fin  à  la 
guerre  carliste.  —  Nouvelle  guerre  entre  Ibra- 
him pacha  et  le  sultan. 

18iO.  Ministère    Thiers    (1"    mars);  la    question 

d'Orient   amène    sa   chute.  —  2'  tentative  de 

Louis-Napoléon,  à  Boulogne.  —  Cabinet  du  29 

novembre  (Soult-Guizot). 

Campagne  anglaise  dans  les  mers  de  Chine. 

1841.  Nouveaux  troubles  en  province. 

Solution  de  la  question  d'Orient  par  le  traité 
des  détroits  (13  juillet).  —  Cabinet  Robert  Peel. 
Seconde  campagne  anglaise  en  Chine.  Campagne 
désastreuse  dans  l'Afghanistan.  —  Espartero  ré- 
gent en  Espagne.  —  Les  républiques  de  l'Amé- 
rique centrale  se  séparent. 

184'.'.  Mort  du  duc  d'Orléans.  —  Vote  de  la  loi  des 
chemins  de  fer. 

Robert  Peel,  quoiqtie  tory,  propose  des  réfor- 
mes libérales  et  établit  la  taxe  du  revenu.  3" 
campagne  anglaise  en  Chine  :  traité  de  Nankin. 
2''  campagne  dans  l'Afghanistan. 

1843.  Ouverture  des  chemins  de  fer  de  Paris  à 
Rouen  et  à  Orléans.  —  Protectorat  français  sur 
les  iles  de  la  Société. 

Ligue  libre-échangiste  fonnée  par  Cobden. 

1844.  Victoire  de  Bugeaud  sur  l'Isly.  —  Traité  de 
commerce  avec  la  Chine.  Afifaire  Pritchard. 

En  E>ipagne,  retour  de  la  reine-mère.  —  Mort  de 
Bernadette  en  Suède;  son  fils  Oscar  I"  lui  suc- 
cède. —  Sonderbund  ou  alliance  séparée  des 
sept  cantons  catholiques  en  Suisse. 

1845.  Insurrection  générale  des  Kabyles  :  ils  sont 
vaincus  par  Lamoricière  et  Cavagnac. 

Annexion  du  Texas  aux  États-Unis. 

1846.  Evasion  de  Louis-Napoléon.  —  Crises  finan- 
cières et  alimentaires. 

Triomphe  du  libre-échange,  grâce  à  Cobden 


démission  de  Metternich.  —  17-19  mars.  Révo- 
lution à  Berlin.  —  20  mars.  Révolution  à  Mu- 
nich ;  Louis  I'''  abdique  en  faveur  de  Maximi- 
lien  I".  —  Février-mars.  Agitation  en  Hongrie, 
Kossuth.  —  Avril.  Guerre  en  Schleswig.  Insur- 
rection républicaine  dans  le  grand-duché  de 
Bade.  —  25  avril.  L'empereur  d'Autriche  accorde 
une  constitution.  —  10  mai.  Les  jésuites  ban- 
nis d'Autriche.  —  15  mai.  Nouvelle  révolution 
à  Vienne.  L'empereur  Ferdinand  se  réfugie 
en  Tyrol.  —  18  mai.  Ouverture  du  Parlement 
de  Francfort.  —  22  mai.  Ouverture  de  la  Consti- 
tuante prussienne.  —  2G  mai.  Le  Parlement  de 
Francfort  nomme  larchiduc  Jean  vicaire  de 
l'empire.  —  Juillet.  Guerre  en  Hongrie  :  les 
Hongrois  sont  dirigés  par  Kossuth  et  Rem; 
contre  eux  combattent  les  Croates  sous  Jella- 
chich.  —  1 3  août.  Ferdinand  1='  revient  à  Vienne. 

—  Septembre.  Insurrection  dans  le  grand-duché 
de  liade  et  à  Francfort.  —  6  octobre.  Nouvelle 
révolution  à  Vienne  ;  Ferdinand  quitte  de  nou- 
veau sa  capitale.  —  2S-31  octobre.  Bombarde- 
ment et  prise  de  Vienne  par  Windischgrœtz.  — 
9  novembre.  Exécution  de  Robert  Blum.  —  2  dé- 
cembre. Abdication  de  Ferdinand  en  faveur  do 
son  neveu  François-Joseph.  —  5  décembre.  La 
Constituante  prussienne  est  dissoute  par  la 
force  ;  le  roi  fait  lui-même  une  constitution. 

Italie.  —  Janvier.  Insurrection  de  la  Sicile.  —  Fé- 
vrier. Constitutions  accordées  en  Piémont,  à 
Naples,  en  Toscane.  —  15  mars.  Constitution 
accordée  par  Pie  IX.  —  18  mars.  Insurrection  à 
Milan.  Les  Autrichiens  évacuent  Milan  et  Venise. 

—  25  mars.  L'armée  de  Charles-Albert  entre  à 
Milan.  La  Toscane,  Naples  et  le  pape  se  joignent 
au  Piémont   pour   former  la  ligue  italienne.  — 

9  et  11  avril.  Révolutions  àModène  et  à  Parme. 

—  18  avril.  Victoire  de  Charles-Albert  à  Goito. 

—  25  juillet.  Déroute  des  Piémnntais  Ji  Custozza. 

—  5  avril.  Radetzky  rentre  à  Jlilan.  —  9  août. 
Armistice  entre  Charles-Albert  et  l'Autriche.  — 

10  août.   Venise,   abandonnée    par  Cliarles-Al- 


MODERNES  (TEMPS)     —  1325  —      MODERNES  (TEMPS) 


bfti't,  proclame  la  république.  —  Septembre. 
Bombardement  et  prise  de  Messine.  —  24  novem- 
bre. Pie  IX  f|uilte  Uome  pour  se  réfuRier  k 
Gaiile.  —  Il  décembre.  Constituante  italienne 
convoiiuoo  îi  liome. 

Poloi/ue.  —  Mars  et  avril.  Agitation  et  insurrec- 
tions dans  le  grand-duché  de  Posen  et  à  Craco- 
vie,  bientôt  compriméi^s. 

Anijleteire.  —  10  avril.  Manifestation  chartiste  à. 
Londres.  Le  même  mois,  troubles  en  Irlande. 

Suisse.—  12  septembre.  Constitution  fédérale.  — 
11)  novembre.  Election  du  premier  conseil  fédé- 
ral suisse. 

J849.  France.  —  22  avril.  Expédition  romaine 
sous  le  général  Oudinot.  —  2S  mai.  L'Assem- 
blée législative  remplace  la  Constituante;  les 
républicains  y  sont  en  minorité.  —  13  juin.  Ma- 
nifestation dite  du  Conservatoire  contre  l'expé- 
dition romaine;  proscription   de  Ledru-RoUin. 

—  Suppression  des  clubs. 

Alleniaij7ie.  —  Janvier.  Commencement  de  la 
guerre  de  Hongrie.  —  28  mars.  Le  jiarlement 
de  Francfort  offre  la  couronne  impériale  au  roi 
de  Prusse,  qui  refuse.  —  14  avril.  Kossuth  dic- 
tateur de  la  Hongrie  ;  déchéance  des  Habsbourg 
proclamée.  L'Autriche  demande  des  secours  à 
la  Russie.  —  Mai-juin.  Insurrections  à  Dresde 
et  dans  le  grand-duché  de  Bade.  —  Le  parle- 
ment de  Francfort  quitte  cette  ville,  et  bientôt 
sera  dissous.  —  13  aoiit.  Capitulation  de  Vilàgos, 
par  laquelle  le  général  Goergey  livre  l'armée 
hongroise  à  la  Russie.  Fin  de  la  révolution 
hongroise;  sanglantes  exécutions  ordonnées  par 
le  général  autrichien  Haynau. 

Ualie.  —  Février.  Ouverture  de  la  Constituante 
romaine.  République  proclamée  à  Rome,  puis 
à  Florence.  —  Mars.  Charles-Albert  recommence 
la  guerre  contre  l'Autriche.  Il  est  vaincu  à.  No- 
vare  (23  mars),  et  abdique  en  faveur  de  Victor- 
Emmanuel  11,  qui  fait    la  paix  avec  l'Autriche. 

—  Avril.  Les  Autrichiens  rétablissent  la  plupart 
des  princes  italiens  dans  leurs  Etats.  —  25 
avril.  Le  général  Oudinot  débarque  à  Civita- 
Vecchia.  —  Siège  de  Rome,  défendue  par  Gari- 
baldi.  La  ville  est  prise  le  3  juillet;  restaura- 
tion de  Pie  IX.  —  22  août.  Capitulation  de  Ve- 
nise, assiégée  par  les  Autrichiens  depuis  près 
d'un  an. 

Etats-Unis.  — Présidence  du  général  Taylor,  dé- 
mocrate. 

185(1.  France  —  15  mars.  Adoption  do  la  loi  orga- 
nique de  renseif;nement.  —  .Mai.  A  la  suite  de 
plusieurs  élections  républicaines,  l'Assemblée 
législative  vote  la  loi  du  31  mai,  qui  restreint 
le  suffrage  universel.  —  Juillet.  La  majorité 
monarchiste  de  l'Assemblée,  commençant  à 
craindre  un  coup  d'Etat  de  Louis-Napoléon, 
institue  une  commission  de  permanence  pour 
surveiller  le  président.  —  'i&  août.  Mort  de  Louis- 
Philippe  à  Claremont.  —  Août  et  septembre. 
Voyages  du  président  en  province;  manifes- 
tations bonapartistes.  —  Octobre.  Revue  de 
Satory,  cris  de  Vive  l'empereur.  Le  général 
Changarnier.  commandant  militaire  de  Paris,  se 
prononce  nettement  contre  la  propagande  bona- 
partiste. 

Allemagne.  —  Juillet.  Guerre  dans  le  Holstein 
entre  les  Danois  et  les  Allemands  ;  les  Danois 
sont  vainqueurs. 

Etats-Unis.  —  Mort  du  président  T;iylor;  il  est 
remplacé  par  le  vice-président  Fillmore. 

1851.  France.  —  Janvier.  Louis-Napoléon  destitue 
le  général  Changarnier.  —  Mai.  Expédition  de 
Kabylie,  destinée  à  créer  des  généraux  en  vue 
d'un  coup  d'Etat.  —  Mai-juin.  Nouvelles  tour- 
nées du  président  en  province. —  Juillet.  L'.\s- 
semblée  refuse  de  réviser  la  constitution,  c'est- 
à-dire  de  permettre  la  rééligibilité  du  président, 


dont  les  pouvoirs  expireront  en  1852.  —  Novem- 
bre. Le  président  propose  l'abolition  de  la  loi 
du  31  mai;  l'Assemblée  rejette  cette  proposi- 
tion. Est  également  rejetée  la  célèbre  proposi- 
tion des  questeurs,  tendant  à  donner  au  prési- 
dent de  l'Assembléo  le  droit  de  réquisition  di- 
recte des  troupes.  —  2  décembre,  tîoup  d'Etat 
de  Louis-Napoléon  contre  l'Assemblée.  —  3  dé- 
cembre. Combats  dans  Paris.  Mort  de  Baudin.  — 
4  décembre.  Massacres  sur  les  boulevards.  — 
Dans  plusieurs  départements,  tentatives  de  résis- 
tance comprimées. —  8  décembre.  Décret  du  pré- 
sident ordonnant  la  transportation  sans  jugement 
de  tous  les  individus  regardés  comme  dangereus 
par  la  police.  —  '20  déceinbri'.  Le  peuple  français 
approuve  le  coup  d'Etat  par  7  millions  de  oui. 
Aiiglelerre.  —  Mai.  Première  Exposition  univer- 
selle, au  Palais  de  Cristal. 

1852.  Frrmce.  —  9  janvier.  Décret  ordonnant  la 
transportalion  ou  le  bannissement  de  79  repré- 
sentants. —  14  janvier.  Nouvelle  constitution  : 
un  président,  un  sénat,  un  corps  législatif,  lo 
suffrage  universel.  —  24  janvier.  Rétablisse- 
ment des  titres  de  noblesse.  —  ifi  février.  Le 
15  août  est  déclaré  seule  fête  nationale.  —  17  fé- 
vrier. Décret  sur  la  presse.  —  Août  Divers 
Wannis,  entre  autres  M.  Thiers,  obtiennent  l'au- 
torisation de  rentrer.  —  9  octobre.  Discours  de 
Bordeaux  :  «  L'empire,  c'est  la  paix.  »  —  7  no- 
vembre. Sénatus-consulte  ordonnant  le  rétablis- 
sement de  l'empire.  —  ".iO  novembre.  Le  peuple 
français  approuve  le  rétablissement  de  l'em- 
pire par  8  millions  de  votes.  —  2  décembre. 
Proclamation  de  l'empire. 

Angleterre.  —  Décembre.  Ministère  de  coalition 
de  lord  Aberdeen,  lord  John  liussell  et  lord 
Palmerston. 

1853.  Frame.  —  30  janvier.  Napoléon  III  épouse 
Eugénie  de  Montijo. 

Iialie.  —  Soulèvement  k  Milan.  Le  gouvernement 
autrichien   met  la  Lombardie  en  état  de  siège. 

fiu.ssie  et  Turquie.  —  Mai.  Rupture  des  relations 
diplomatiques  entre  la  Russie  et  la  Turquie.  — 
Juillet.  Entrée  des  Russes  à  Jussy.  —  Octobre. 
Déclaration  de  guerre  de  la  Turquie  k  la  Russie. 

—  Novembre.  Destruction  de  la  flotte  turque  à 
Sinope. 

Etdls-Unis.  —  Présidence  du  général  Pierce,  dé- 
mocrate. 

1854.  Itussie  et  Turquie.  —  Janvier-septembre. 
Guerre  dans  les  provinces  danubiennes.  Siège 
de  Silistrie.  Les  troupes  russes  se  retirent 
en  septembre.  —  Mars.  Traité  d'alliance  entra 
la  Turquie,  la  France  et  l'Angleterre.  —  Avril. 
Bombardement  d'Odessa.  —  Août.  Prise  de  Bo- 
marsund.  —  Septembre.  Débarquement  des 
alliés  en  Crimée;  le  20,  bataille  de  l'Alina.  — 
Octobre.  Commencement  du  siège  de  Sébasto- 
pol.  —  5  novembre.  Bataille  d'Inkermann. 

Iliilie.  —    Kl   décembre.  Pie  IX  publie  le  dogme 

de  l'ImmaculéeConception. 
18.i5.   Husiie    et   Turquie.   —   Janvier-septembre. 

Continuation  du  siège  de  Sébastopol.  —  2  mars. 

Mort  du  tsar  Nicolas;  Alexandre  II  lui  succède. 

—  Mars.  Le  Piémont,  où  Cavourest  ministre,  se 
joint  aux  alliés  —  Juillet-août.  Expédition  an- 
glo-française dans  la  Baltique.  —  9  septembre. 
Evacuation  de  Sébastopol  par  les  Russes.  — 
L'armée  anglo-française  passe  un  second  hiver 
en  Crimée. 

France.  —  Mai.  Attentat  de  Pianori  contre  Napo- 
léon III.  —  Mai.  Ouverture  de  la  deuxième  Ex- 
position universelle,  k  Paris. 

Anateterre.  —  Janvier.  Ministère  Palmerston. 

1856.  France.  —  16  mars.  Naissance  du  prince 
impérial.  —  30  mars.  Traité  de  Paris  qui  mnt 
fin  k  la  guerre  d'Orient. 

Suisse,    —  Septembre.    Insurrection   royaliste    i 


MODERNES  (TEMPS)     —  1326 


MODERNES  (TEMPS) 


Neucliâtel.  Conflit  entre  la  Suisse  et  la  Prusse. 

IS.'i';.  France.  —  Juin.  Secondes  électiojisau  Corps 
législatif.  Cinq  députés  de  l'opposition  sont 
nommés  h  Paris.  —  Juin-juillei.  Soumission 
de  la  grande  Kabylie. 

Suisse.  —  Le  conflit  entre  la  Suisse  et  la  Prusse 
est  réglé  par  le  traité  de  Paris  (mai). 

Etats- U/iis.  —  Présidence  de  Buchanan,  démo- 
crate. 

Ciii/ie.  —  Expédition  anglo-française  en  Chine. 

Inde.  —  Mai-décembre.  Grande  révolte  des  Ci- 
payes. 

1838.  France.  —  H  janvier.  Attentat  d'Orsini.  — 
19  janvier.  Loi  de  sûreté  générale. 

Angleterre.  —  Février.  Le  rejet  d'un  bill  relatif 
aux  réfugiés  étrangers  amène  la  retraite  de 
lord  Palmerston.  — Ministère  tory  Derby  Dis- 
raeli. 

It'ilie.  —  Novembre.  Conflit  entre  le  Piémont  et 
l'Autriche. 

Chine.  —  L'expédition  anglo-française  aboutit  aux 
traités  de  Tien-tsin,  ouvrant  la  Chine  aux  étran- 
gers. 

Inde  —  L'insurrection  des  Cipayes  est  étouffée 
dans  des  flots  de  sang.  —  4  août.  Le  gouverne- 
ment de  l'Inde  est  enlevé  i  la  Compagnie  des 
Indes  et  transmis  à  la  couronne. 

\%;,'.t.  Fr-nci-,  llalie,  Autriche.  —  Avril.  L'Autriche 
déclare  la  guerre  au  Piémont.  Napoléon  III, 
allié  de  Victor-Emmanuel,  déclare  la  guerre 
à  l'Autriche.  La  Toscane,  Parme,  Modène, 
chassent  leurs  souverains.  —  Mai.  Garibaldi 
guerroie  dans  les  Alpes  lombardes.  —  ;'2  mai 
Mort  du  roi  de  Naples  Ferdinand  H.  François  II 
lui  succède.  —  4  juin.  Ilataille  de  Magenta.  — 
Soulèvement  de  plusieurs  villes  des  Eiats  pon- 
tificaux. —  30  juin.  Sac  de  Pérouse  par  les  sol- 
dats du  pape.  —  24  juin.  Bataille  de  Solférino. 

—  11  juillet.  Paix  de  ViUafranca.  La  Lom- 
bardie  est  annexée  au  Piémont.  —  Août,  sep- 
tembre. Sans  s'arrêter  aux  stipulations  de  ViUa- 
franca, la  Toscane,  Parme,  Modène,  les  Léga- 
tions et  la  Romagne  se  donnent  à  Victor-Em- 
manuel par  le  vote  de  leurs  représentants. 

Angleterre.  —  Ministère  whig  Russell-Palmerston- 
Gladstone. 

Russie.  —  Conquête  définitive  du  Caucase,  soumis- 
sion de  Schamyl. 

Egypte.  —  Commencement  du  percement  de 
l'isthme  de  Suez. 

Etats-Unii.  —  Octobre.  Prise  d'armes  de  John 
Brown  à  Harper's-Ferry. 

18'  0.  France.  —  Janvier.  Traité  de  commerce  avec 
l'Angleterre.  —  Mars.  La  Savoie  et  Nice  cédés  à 
la  France  par  Victor-Emmanuel.  —  Septembre. 
Expédition  de  Syrie.  —  Novembre.  Expédition 
de  Cochinchine,  prise  de  Saîgoun. 

Italie.  —  Mars.  Plébiscite  en  Toscane  et  en  Emilie, 
rendant  définitive  l'annexion  au  Piémont.  — 
Mai.  Garibaldi  et  les  Mille  débaniuent  en  Sicile. 

—  Septembre.  Garibaldi  entre  à  Naples.  Les  Pié- 
montais  envahissent  les  Etats  pontificaux.  La- 
moricière  est  vaincu  i  CastelfiJardo  (18  sep- 
tembre). —  Octobre.  Le  royaume  des  Deux 
Siciles  se  donne  à  Victor-Emmanuel  par  un  vote 
national.    Siège    de    Gaëte,    où   s'est    enfermé 

,  François  II. 

Etats-Unix.  —  Novembre.  Election  de  Lincoln 
comme  président. Triomphe  du  parti  républicain. 

Chine.  —  Avril.  Nouvelle  expédition  franco-an- 
glaise. —  Octobre.  Pillage  du  Palais  d'Eté. 
Entrée  des  allies  à  Pékin.  La  Chine  consent  à 
l'exécution  des  traités  de  Tifn-tsin. 

1861.  Frayice.  —  Par  la  con\tention  de  Londres 
(octobre),  la  France  s'engage  à  intervenir  au 
Mexique  avec  l'Angleterre  et  l'Espagne. 

Italie.  —  Victor-Emmanuel  prend  le  titre  de  roi 
d'Italie.  —  Juin.  Mort  de  Cavour. 


Prusse.  —  Mort  de  Frédéric-Guillaume  IV.  Son 
frère  Guillaume  I"  lui  succède. 

liussie.  —  19  février.  Ukase  du  tsar  Alexandre  II 
.  émancipant  les  paysans  russes. 

Étnts-lhiis.  —  Février.  A  la  suite  de  l'élection  de 
Lincoln,  quinze  Etats,  sous  la  présidence  de  Jef- 
ferson  Davis,  se  séparent  de  l'Union.  —  Avril. 
Commencement  de  la  guerre  entre  le  Nord  et 
le  Sud. 

186J.  -  France.  La  guerre  du  Mexique  est  blâmée 
par  l'opposition. 

AnyMerre.  —  Mai.  Ouverture  de  la  troisième  Ex- 
position universelle  à  Londres. 

llalie  —  Août.  Prise  d'armes  de  Garibaldi  en 
Sicile.  Il  passe  en  Italie  pour  marcher  contre 
Rome  :  il  est  vaincu,  blessé  et  fait  prisonnier  à 
Aspromonte  par  les  troupes  de  Victor-Emmanuel 
(■.'9  août). 

Prusse.   —  Octobre.  Ministère  de  M.  de  Bismarck. 

El'its-Unis.  —  Continuation  de  la  guerre  civile.  — 
22  septembre.  Proclamation  de  Lincoln  émanci- 
pant les  esclaves  à  partir  du  1"  janvier  18B3, 
moyennant  indemnité. 

Mexique.  —  Négociations  entre  le  président  Juarez 
et  les  puissances  alliées.  L'Angleterre  et  l'Es- 
pagne, ne  voulant  pas  de  l'établissement  d'un 
empire  mexicain,  se  retirent  et  laissent  la 
France  agir  seule. 

13f;:i.  France.  —  Mai  juin.  Elections  générales. 
Triomphe  de  l'opposition  à  Paris  et  dans  quel- 
ques villes. 

Allemagne  't  Danemark.  —  Conflit  au  sujet  de 
la  succession  des  duchés  de  SchlesvvigHolstein. 

Pologne.  —  Janvier.  Insurrection  qui  dure  toute 
l'année,  et  qui  est  réprimée  .cruellement  par 
,  Mouravieff. 

Etats-Unis.  ^Continuation  de  la  guerre  civile. 

Mexique.  —  17  mai.  Prise  de  Puebla.  —  8  juin. 
Prise  de  Mexico.  —  II)  juillet.  Une  asstmblée  de 
notables  proclame  empereur  l'archiduc  Maximl- 
lien. 

1861.  Fronce.  —  Convention  du  15  septembre,  par 
laquelle  la  France  s'engage  à  retirer  ses  troupes 
de  Rome  dans  un  délai  de  deux  ans.  En  re- 
vanche, Victor-Emmanuel  promet  de  respecter 
le  territoire  pontifical  et  de  prendre  Florence 
pour  capitale. 

Italie.  —  Pie  IX  proteste  contre  la  convention  de 
septembre  et  lance  l'encyclique  et  le  syllabus 
fs  décembre). 

Allemagne  1 1  Danemark.  —  Février-juillet.  Guerre 
dans  les  duchés  danois.  Le  Danemark  doit  les 
céder  à  l'Autriche  et  à  la  Prusse. 

Etiits-Uîiis.  —  Continuation   de  la   guerre  civile. 

—  Novembre.  Réélection  de  Lincoln  comme 
président. 

Mexique.  —  Juin    Arrivée  de  Maximilien  à  Mexico. 

—  Octobre.  Décret  de  Maximilien  ordonnant  de 
traiter  les  défenseurs  de  l'indépendance  comme 
des  malfaiteurs. 

181)5.  France.  —  Progrès  de  l'opposition  républi- 
caine ou  libérale.  La  convention  de  septem- 
bre a  en  outre  aliéné  le  haut  clergé;  vives  dis- 
cussions sur  l'encyclique  et  le  syllabus. 

Allemagne.  —  Brouille  entre  l'Autriche  et  la  Prusse 
au  sujet  de  la  possession  des  duchés  danois. 

Italie.  —  Mai.  Transfert  de  la  capitale  de  Turin 
à  Florence. 

Etiiis-Unis.  —  -3  avril.  Prise  de  Richmond,  capi- 
tale de  la  confédération  du  Sud.  —  14  avril. 
Assassinat  de  Lincoln.  Le  vice-président  An- 
drew Johnson  le  remplace.  —  .Mai.  Fin  de  la 
guerre  civile  par  la  capitulation  des  dernières 
armées  du  Sud.  —  Octobre.  Un  amendement  à 
la  Constitution,  abolissant  l'esclavage,  est  adopté 
par  la  majorité  des  Etats. 

Mexique.  —  Des  volontaires  belges  et  autrichiens 
viennent  renforcer  les  troupes  de  Maximilien. 


MODERNES  (TEMPS) 


1327 


MODES 


—  Résistance  désespérée  des  républicains.  — 
I.e  gouvernument  des  Etats-Unis  proteste  contre 
l'intervention  armée  do  la  France. 

ISGC.  Friince.  —  Avril.  Napoléon  III  se  décide,  sur 
les  monaces  des  Etats-Unis,  à  retirer  ses  trou- 
pes du  Mexifiue.  —  Il  se  forme  à  la  Clianibre 
un  parti  libéral  dynastique  à  la  tête  duquel 
est  Emile  Ollivier. 

Anijletevie,  —  Chute  du  ministère  Russell-Glad- 
stone,  dont  le  biU  do  réforme  électorale  est 
rejeté.  —  Ministère  tory  Derby-Disraéli.  — 
,\gitation  des  fénians  en  Irlande. 

Allemagne  et  Italie.  —  Mars.  Alliance  secrète 
entré  la  Prusse  et  l'Italie  contre  l'Autricbe.  — 
Juin.  La  Prusse  déclare  la  guerre  à  l'Autricbe 
et  il  ses  alliés  allemands,  Saxe,  Hanovre,  Hesse. 
L'Italie  leur  déclare  la  guerre  en  même  temps. 

—  2i  juin.  Défaite  des  Italiens  àCustozza.  — 
3  juillet.  Victoire  des  Prussiens  à  Sadowa.  — 
20  juillet.  Défaite  de  la  Hotte  italienne  il  Lissa. 

—  2\  août.  Paix  de  Prague  entre  l'Autriche  et 
la  Prusse.  La  Prusse  s'annexe  le  Hanovre, 
le  duché  de  Nassau,  la  Hesse  et  Francfort. 
L'Autriche  est  exclue  de  l'Allemagne.  Fon- 
dation de  la  Confédération  du  Nord,  sous  la 
présidence  de  la  Prusse.  —  3  octobre.  L'Autri- 
che cède  la  Vénétie  ii  l'Italie  par  le  traité  de 
Vienne,  contre  une  indemnité.  —  Décembre. 
Les  troupes  Irançaises  évacuent  Rome,  con- 
formément à  la  convention  de  septembre  ; 
elles  sont  remplacées  par  divers  corps  de 
volontaires. 

Turquie.  —  Insurrection  en  Crète. 

Etats-Unis  —  Conflit  entre  le  président  Johnson, 
favorable  aux  sudistes,  et  le  Congrès. 

Mexique.  —  Les  troupes  françaises  commencent  à 
évacuer  le  Mexique.  —  L'impératrice  Charlotte 
vient  en  Europe  et  y  cherche  vainement  des 
appuis;  elle  perd  la  raison.  —  Les  républicains 
reprennent  le  dessus. 

iSBl.  Fiance.  —  19  janvier.  Napoléon  III  concède 
à  la  Chambre  le  droit  d'interpellation  et  annonce 
des  mesures  libérales.  —  1"  avril.  Ouverture 
de  la  quatrième  Exposition  universelle  à  Paris. 

—  6  juin.  Attentat  de  Berezowski  sur  Alexan- 
dre II.  —  Octobre.  Nouvelle  intervention  fran- 
çaise en  faveur  du  pape  ;  à  Montana  (3  novem- 
bre), c(  les  chassepots  font  merveille,  n 

Angleterre.  —  Le  ministère  tory  fait  voter  lui- 
même  un  bill  de  réforme  électorale. 

Allemaqne.  —  Février.  Première  session  du 
Reichstag  de  la  confédération  du  Nord,  élu  par 
le  suffrage  universel.  —  Conflit  diplomatique 
avec  la  France  au  sujet  du  Luxembourg. 

Autriche.  —  Réorganisation  de  la  monarchie  aus- 
tro-hongroise :  elle  est  divisée  en  deux  frac- 
tions autonomes,  Cisleithanie  et  Transleithanie 
(Hongrie). 

Italie.  —  Septembre.  Grande  agitation  populaire 
en  faveur  de  l'annexion  de  Rome  à  l'Italie  ; 
Garibaldi  est  arrêté  il  Sinalunga.  —  Octobre. 
Expédition  de  Garibaldi  contre  Rome.  Une 
armée  française  est  envoyée  pour  défendre  le 
pape.  —  3  novembre.  Défaite  de  Garibaldi  ii 
Mentana. 

Etats-Unis.  —  Le  congrès  vote  un  blâme  à  l'a- 
dresse du  président  Johnson. 

Me.T,i<jue.  —  Les  dernières  troupes  françaises  se 
retirent.  —  Maximilien,  fait  prisonnier,  est  fu- 
sillé à  Queretaro  (t9  juin). 

1868.  France.  —  Mars.  Lois  sur  la  presse,  sur 
l'armée  et  sur  les  réunions  publiques,  en  exé- 
cution des  promesses  du  t9  janvier.  Publica- 
tion de  la  Lanlerne.  —  Octobre.  Le  gouverne- 
ment français  refuse  d'évacuer  Rome. —  Novem- 
bre. Manifestation  sur  la  tombe  de  Baudin. 
Procès  ;  retentissante  plaidoirie  de  Gambctta 
pour  Delcscluzc. 


Angletej're.  —  Décembre.  Chute  du  ministère 
Disraeli.  Ministère  Gladstone. 

Espagne.  —  Septembre.  Révolution  qui  renverse 
le  trône  d'Is.ibelle.  Gouvernenietit  provisoire 
de  Serrano  et  Prim. 

Turquie.  —  L'insurreciion  Cretoise,  quidure  depuis 
deux  ans,  est  réduite  à  l'impuissance. 

Etats-  Unis.  —  Procès  du  président  Johnson  de- 
vant le  Sénat.  Il  est  absous.  —  tlection  du 
général  Grant  à  la  présidetice. 

1869.  France.  —  Mat-juin.  Elections  générales; 
l'opposition  l'emporte  dans  les  grandes  villes, 
et  réunit  les  deux  cinquièmes  du  total  des  suf- 
frages exprimés.  —Juillet.  Ij'empereur  promet 
de  nouveau  des  réformes  libérales.  M.  Rouher 
quitte  le  ministère  et  devient  président  du  Sénat. 

—  Septembre.  Sénatus  consulte  introduisant 
quelques  réformes  parlementaires.  —  Novembre. 
Élections  complémentaires.  Rochefort  est  élu  à 
Paris. 

Allemagne.  —Janvier.  Le  gouvernement  prussien 
met  sous  séquestre  les  biens  de  l'ex-roi  de 
Hanovre  et  de  l'ex-électeur  de  Hes^e. 

Angliterre.—imWsl.  Acte  du  Parlemetit  pronon- 
ç.tnt  le  disestublishment  de  l'Eglise  anglicane 
d'Irlande. 

Esjag'ie.  —  Février.  Ouverture  des  Certes  consti- 
tuantes.—Vote  d'une  constitulioti  monarchique. 
Serrano  est  chef  provisoire  du  pouvoir  exécutif 
avec  le  titre  de  régent.  —  Juillet.  Commence- 
ment de  l'insurrection  carliste.  —  Août.  Insur- 
rection des  républicains  fédéraux  à  Valence, 
comi  rimée  en  octobre. 

Italie.  —  8  décembre.  Ouverture  du  concile  œcu- 
ménique du  Vatican. 

\ST U.France.  —2  janvier. Ministère  Etnile  Ollivier. 

—  12  janvier.  Grande  manifestation  populaire 
aux  funérailles  de  Victor  Noir,  tué  par  Pierre 
Bonaparte.  —  Février.  Tentatives  insurrection- 
nelles dans  Paris.  —  Mars.  Procès  et  acquittement 
de  Pierre  Bonaparte.  —  8  mai.  flébiscite: 
1  .SOOiifllI  votants  se  prononcent  contre  le  régime 
impérial.  —  Juin-juillet.  Conflit  diplomatique 
avec  la  Prusse  au  sujet  de  la  candidature  du 
prince  de  Hohenzollern  au  trône  d'Espagne.  — 
15  juillet.  La  guerre  cotitre  la  Prusse  est  votée 
par  les  Chambres  sur  la  demande  d'Emile 
Ollivier.  —  2  août.  Premier  engagement  à 
Saarbruck.  —  Défaites  de  Wissembourg  (4  août), 
de  Wœrth  et  de  Forbach  ((Saoût).  —  9  août.  Mi- 
nistère Palikao.  —  Batailli'S  devant  Metz  (IB- 
IS août),  où  Bazaine  se  laisse  enfermer.  L'armée 
de  Mac-Mabon,  où  se  trouve  l'empereur,  cherche 
à  rejoindre  Bazaine;  elle  est  coupée  par  l'en- 
nemi et  cernée  à  Sedan  l:iii  août).  —  Capitula- 
tion de  Napoléon  III  (î  septembre). —  Révolution 
h  Paris  il  la  nouvelle  de  la  capitulation  de  Sedan  ; 
chute  du  régime  impéiial;  installation  du  gou- 
vernement de  la  Défense  nationale  (4  septembre). 

Esf.ngne.  —  Mai.  Espartero  refuse  la  couronne.  — 
Juillet.  Le  prince  de  Hohenzollern  la  refuse  aussi, 
à  cause  de  l'oiiposiiion  de  Napnléon  III.  —  16  no- 
vembre.   Le    prince    Amédée,    fils   de    Victor- 
Emmanuel,  est  élu  roi  par  les  Cortès.  —  28  dé- 
cembre. Assassinat  de  Prim. 
Italie.  —  Juillet.   Le  concile  du  Vatican  vote  l'in- 
faillibilité   du    pape.     Les    troupes    françaises 
évacuent  Rome.  —  20   septembre.  Rome  est  oc- 
cupée par  les  troupes  italiennes.  —  Décembre. 
Le  parlement  italien  vote  la  translation  de  la  ca- 
pitale à  Rome.  [Edgar  Zevort.] 
MODES.  — Grammaire  française,  XIII.  —  Quelle 
que  scit  la  voix  que  l'on  considère,  active,  passive, 
moyenne    ou   réfléchie,   un   môtue  temps  peut  y 
passer  par  des  formes  diverses  (|ui,  sans  altérer  en 
rien  la  significaiion  propre  du  verbi',  la  présentent 
ceppudaiit  sous  des  aspects  différents  (|iii  consti- 
tuent en  quelque  sorte  auiatit  de  manières  d'être 


MODES 


1328  — 


MODES 


de  cette  signification.  Les  grammairiens  appellent 
mortes  ces  différents  états,  et  ce  terme,  mode,  dé- 
rive du  latin  rnodus,  qui  signifie  manière. 

On  pourrait  donc  définir  les  modes  les  différents 
états  par  lesquels  peut  pa<ser,  dans  n'importe 
quellf.  voix,  la  significition  du  verbe. 

Mais  cette  définition,  si  elle  n'était  expliquée 
par  la  pratique  de  la  conjugaison,  serait  certaine- 
ment aussi  peu  intelligible  que  le  mot  lui-même 
pour  la  plupart  dos  élèves.  L'intelligence  des  en- 
fants reste  longtemps  rebelle  aux  formules  abs- 
traites; de  sorte  que  pour  se  faire  comprendre  de 
ces  jeunes  esprits,  le  meilleur  moyen  est  encore 
de  recourir  aux  exemples,  et,  quand  on  le  peut, 
aux  comparaisons  les  plus  familières.  Le  terme 
mode  se  prête  tout  naturellement  à  l'emploi  de  ce 
dernier  procédé.  Puisque  l'on  assimile  d'ordinaire 
les  mots  à  des  personnages  qui  jouent  un  rôle 
dans  le  drame  du  discours,  on  pnurra  dire  aux 
élèves  que  le  verbe  peut  jouer,  dans  chaque  voix, 
six  I  ôles  particuliers,  et  iiU3,  pour  représenter  ces 
six  personnages,  il  prend  drs  manier  s  d'être  tt 
suit  en  qu-lqut  sorte  des  modes  différentes,  de 
même  que  nous  revêtons  des  costumes  différents 
selon  que  nous  devons  travailler,  faire  des  visites, 
aller  à  la  chasse  ou  à  la  pêche,  etc.  Mais,  de  même 
<iu'en  revêtant  ces  vètemciits  divers,  nous  restons 
toujours  ce  que  nous  étions  auparavant,  de  même 
la  signification  propre  i  chacune  des  voix  du 
verbe  ne  s'altère  point  en  passant  par  les  modes  : 
elle  ne  fait  que  se  présenter  dans  des  étals  diffé- 
rents. Examinons,  par  exemple,  les  deux  phrases 
suivantes:  «J'ai  récité  ma  leçon,  —  Récitez  lOtie 
leçon.  1)  IJans  les  deux  cas,  le  verbe  réciter  a  la 
même  signification  ;  dans  les  deux  cas,  réciter  veut 
dire  :  «  reproduire  de  vive  voix  un  passage  aj'pris 
par  roiur.  »  Mais,  dans  la  première  phrase,  "j'ai 
récité  ma  leçnn,»  il  n'y  a  que  {'indication  d'un 
fait.  Celui  qui  dit  «  J'ai  récitent  affirme  que  l'ac- 
tion de  reproduire  un  morceau  de  mémoire  a  cer- 
tamement  été  accomplie.  Le  verbe  se  présente 
donc  ici  au  mode  indicatif,  dont  le  caractère  dis- 
tinctif  est  l'affirmation  positive  du  fait  exprimé 
par  le  radical  du  verbe. 

Si  l'on  me  dit,  au  contraire  :  «  Récitez  votre 
leçon,  u  je  sens  très  bien  que  la  signification  pro- 
pre du  verbe  n'a  nullement  changé;  mais  je  com- 
prends en  même  temps  qu'elle  se  présente  sous  la 
forme  d'un  nrdre,  d'une  injonction  i  laquelle  je 
dois  obéir;  je  m'explique  en  conséquence  que 
cette  manière  d'être  nouvelle  sous  laquelle  le  verbe 
réciter  m'apparait  maintenant,  constitue  un  mode 
particulier,  que  l'on  appelle  le  mode  impératif,  du 
latin  imperare,  qui  signifie  commander. 

Si  l'intelligence  des  élèves  restait  rebelle  à  des 
explications  aussi  familières,  il  faudrait  se  rési- 
gner, pour  le  moment,  à  leur  présenter  simple- 
ment rénumération  des  modes.  Si,  au  contraire, 
on  les  trouvait  assez  bien  préparés  par  leurs  études 
antérieures  pour  qu'ils  puissent  compretidre  l'ex- 
plication scientifique  de  la  modalité,  on  leur  rap- 
pellerait tout  d'abord  que  les  mots  n'ont  pas  été 
faits  d'une  seule  pièce;  que  le  verbe,  en  particu- 
lier, s'est  formé  d'éléments  assez  nombreux,  que 
l'analyse  peut  encore  séparer  dans  les  plus  anciens 
idiomes  de  la  famille  à  laquelle  appartient  la 
langue  française,  bien  que  nous  ne  distinguions 
plus  aujourd'hui,  dans  les  verbes  de  notre  langue, 
que  le  radical  et  les  désinences  personnelles.  On 
ajouterait  enfin  que  l'idée  accessoire  qui  constitue 
le  mode,  était,  comme  celle  du  temps,  primitive- 
ment exprimée  par  un  suffixe  auxiliaire  qui.  placé 
à  la  suite  du  radical,  s'est,  avec  le  temps  et  sous 
l'influence  de  l'accent  tonique,  soudé  à  ce  radical, 
ou  même  confondu  avec  lui  au  point  de  devenir 
le  plus  souvent  méconnaissable.  (V.  Griimmahe 
comparée,  page  8i)ii.)  On  démontrerait  ainsi, 
par   des   preuves    irrécusables,    que   les    modes 


constituent,  comme  nous  le  disions  en  commen- 
çant, amant  à'élots  différents  par  lesquels  peut 
passer,  dans  chaque  voix,  la  signification  du  verbe, 
et,  en  réalité,  autant  de  manières  de  conjuguer 
chaque  temps  dans  ses  voix  différentes. 

Il  y  a,  en  français,  six  modes  :  1°  l'Indicatif,  où 
le  fait  exprimé  par  le  radical  du  verbe  est  pré- 
senté comme  certain,  posiiif.  Aussi  appelle-t-on 
l'indicatif  le  mode  de  Vaffiimatiou.  Ex.:  »  Nous 
allons  fini  notre  devoir  et  nous  étudio7is  notre  le- 
çon. )i 

2°  L'Impératif,  qui  sert  h  commander  {impe- 
rare), h  ordonner  l'accomplissement  de  l'acte  ex- 
primé par  le  verbe.  Exemple  :  «  Etudiez  votre 
leçon  ;  finissez  votre  devoir.  » 

3°  Le  Coiidttinnel,  qui,  comme  son  nom  l'in- 
dique, devrait  exprimer  que  l'action  marquée  par 
le  verbe  s'accomplira  moyennant  certaine  condi- 
tion. Exemple  :  «  Tu  deviendmis  savant  si  tu 
étudiais.  »  Ce  mode  correspond  à  celui  qu'on 
appelle  optatif  [optare,  souhaiter)  dans  les  gram- 
maires grecques  ;  et  par  le  fait,  comme  mode, 
le  conditionnel  ne  sert  jamais  qu'à  l'expressioti 
d'un  souhait,  d'un  désir.  Ex.  :  «  Que  je  voudrais 
être  riche  !  je  désirerais  tout  savoir!  »  Dans  tous 
les  autres  cas,  notre  prétendu  conditionnel  n'est 
plus  qu'un  temps,  qui  appartient  au  mode  indica- 
tif; il  sert  tout  simplement  d'imparfait  au  futur, 
et,  en  réalité,  il  est  absolument  formé  comme  lui, 
de  l'infinitif  et  de  l'auxiliaire  :  toute  la  différence 
consiste  en  ce  que  le  futur  est  formé  de  l'infinitif 
et  du  préserd  de  l'ijidicatif  du  verbe  avoir,  tandis 
que  le  conditionnel  est  formé  de  Vimparfad  du 
même  auxiliaire.  Ex.  :  J'aimer-ai,  j'imnrr-ais  (ais 
est  tiré  do  avais).  Pour  se  convaincre  d'ailleurs 
que  le  conditionnel  n'exprime  par  lui-môrae  au- 
cune condition  et  peut  même  s'employer  pour 
exprimer  l'affirmation  la  plus  absolue,  il  suffit 
d'introduire  un  petit  changement  de  temps  dans 
cette  phrase,  qui  n'a  certainement  rien  de  condi- 
tionnel :  "  Je  V'jus  assure  que  je  reviendrai  l'an 
prochain.  »  Mettons  le  verbe  assurer  à  l'imparfait, 
et  nous  serons,  en  conséquence,  forcés  décrire  : 
i<  Je  vous  assurais  que  je  reviendrais  l'an  pro- 
chain. »  Or  ce  n'est  pas  évidemment  le  change- 
ment de  temps  qui  a  pu  introduire  dans  cette 
phrase  une  idée  de  condition;  donc  le  condition- 
nel n'est  en  réalité  ici  qu'un  temps,  c'est-à-dire 
['imparfait  du  futur. 

i"  Le  Subjonctif  présente  l'accomplissement  de 
l'action  marquée  par  le  verbe  comme  subordon- 
née à  une  autre  action,  c'est-à-dire  comme  dépen- 
dant d'une  circonstance  exprimée  dans  une  pro- 
position précédente.  Ex.  :  «  Le  maître  exige  —  que 
nous  apprenions  nos  leçons.  »  L  affirmation  est 
donc  loin  d'avoir,  dans  ce  mode,  le  même  degré 
de  force  et  de  certitude  que  dans  l'indicatif.  «  Le 
maître  veut  que  nous  travaillions,  »  c'est  fort 
bien;  mais  travaillerons-nous^  On  devra  donc  faire 
remarquer  avec  soin  la  différence  qui  sépare  Vin- 
dicatif du  sub/iinctif,  en  disant  que  le  premier 
exprime  ce  qui,  en  réalité,  est,  a  été,  vu  sera; 
tandis  que  le  subjonctif  exprime  ce  qui  peut  ér.re. 

b°  V Infinitif  s'appelle  ainsi  parce  qu'il  présente 
la  signification  du  verbe  dans  sa  généralité  la  plus 
indéfinie  :  aussi  l'a-t-on  souvent  comparé  à  un 
nom.  Certains  infinitifs,  il  est  vrai,  sont  devenus 
de  véritables  noms,  comme  le  savoir,  le  devoir,  etc. 
L'infinitif  cependant  se  distingue  du  nom,  dans  les 
cas  où  un  long  usage  n'a  pas  amené  une  assimila- 
tion absolue,  en  ce  qu'il  éveille  toujours  l'idée  d'un 
sujet  accomplissant  l'acte  qu'il  exprime.  Aussi  le 
dormir  et  le  sommi-il  sont-ils  loin  de  présenter  le 
môme  degré  d'abstraction. 

li"  Le  Participe,  comme  son  nom  l'indique,  par- 
ticipe de  la  nature  du  verbe  et  de  l'adjectif.  Il 
tient  du  verbe  en  ce  qu'il  peut  avoir,  comme  lui, 
un  sujet  et  un  complément,  et  concourir  à  la  for- 


MOIS 


1321)  — 


MOIS 


mation  do  proposilions  absolues;  il  tient  de  l'ad- 
jiicuf  en  ce  qu'il  s'emploie  comme  lui  pour  expi-i- 
jiier  certaines  manières  d'être.  Cette  double  uature 
du  participe  on  fait  un  terme  1res  original,  et,  à 
re  titre,  il  a  été  regarde  à  bon  droit  comme  une 
(les  parties  du  discours. 

Exercices.  —  Un  moyen  excellent  de  faire  con- 
stater par  les  élèves  les  diiïorences  qui  caracté- 
risent les  modes,  c'est  de  leur  donner,  comme 
(!xercicos,  des  morceaux  à  tranffornu^r,  c'est-i- 
dire,  à  changer  do  telle  sorte  que  les  verbes  pas- 
sent successivement  d'un  mode  à  un  autre.  Nous 
allons  en  donner  quelques  exemples. 

Le  maitre  commence  par  dicter  à  ses  élèves  le 
morceau  suivant  : 

«  Mon  cher  enfant,  tu  f/nrderas  toujours  la  plus 
grande  circonspection  à  l'égard  d'un  chien  qui  te 
semblerait  présenter  les  symptômes  de  la  rage. 
Quand  une  personne  aura  été  mordue,  tu  emploie- 
ras immédiatement  les  moyens  suivants  :  tu  pren- 
dras un  fer  qui  puisse  pénétrer  dans  toute  la  pro- 
fondeur de  la  plaie  ;  (a  l"  row/iras  dans  un  feu 
ardent  ;  tu  l'irc-as  la  plaie  avec  de  l'e.iu  froide  et 
salée,  lu  en  recouperas  les  bords,  et /«la  sèc/ieras 
soigneusement;  tu  cuutéris''riis  profondément  avec 
le  fer  rougi  à  blanc  et  tu  hrûlerus  même  les  chairs 
au  delà  do  la  partie  qu'a  atteinte  la  morsure.  » 

Ce  morceau  se  prête  à  diverses  transformations 
de  modes.  On  peut,  en  eflet  : 

1°  Faire  remplacer  la  deuxième  persomie  du 
singulier  du  futur  de  Vindicatif  par  la  même  per- 
sonne du  présent,  de  V impératif.  Exemple  : 

«  Mon  cher  enfant,  garde  toujours...,  e«(/j/oie..., 
prends...,  etc.  u 

2°  On  peut  faire  mettre  les  verbes  à  la  deu- 
xième personne  du  pluriel  du  même  temps  : 

<'  Mes  chors  enfants,  gardez  toujours...,  em- 
ployez..., prenez...,  etc.  » 

3°  On  pourra  ensuite  faire  mettre  les  verbes  au 
mode  conditionnel.  Ex.  :  «  Mon  cher  enfant,  tu 
devrais  garder...,  tu  empluii'i-ai'i...,  etc.  » 

Quand  une  petite  modification  est  nécessaire, 
comme  dans  l'exemple  précédent  ou  dans  le  sui- 
vant, le  maître  l'indique  en  donnant  le  devoir.  Il 
peut  même  faire  modifier  l'exercice   de  vive  voix. 

4°  On  pourra  faire  passer  l'exercice  précédent 
au  mode  subjonctif,  en  introduisant  il  faut,  il 
est  nécessaire,  il  est  utile...,  avant  les  verbes  qui 
sont  au  futur. 

Ex.  :  .<  Mon  cher  enfant,  U  faut  que  tu  gardes... 
Il  faut  que  tu  emnloies...,  il  est  nécessaire  que  tu 
saisisses...,  il  connient  que  lu  ro'ffis-es... 

5°  En  mettant  les  verbes  des  propositions  prin- 
cipales à  un  autre  temps  du  mode  itulicatif  ou  du 
conditionnel,  on  pourrait  exercer  les  élèves  sur  la 
concordance  des  modes. 

Exemple  :  «  Si  une  personne  était  mordue,  il 
faudrait  que  tu  employasses...,  il  cmuiendrait 
que  tu  saisisses...  » 

Tous  les  morceaux  ne  se  prêtent  pas  indifférem- 
ment à  toutes  ces  transformations.  Le  maître,  en 
faisant  lui-même  les  modifications  avant  de  don- 
ner le  devoir,  se  rendra  compte  des  difficultés 
qu  elles  présentent,  et  pourra,  s'il  y  a  lieu,  lever 
tous  les  ob>tacles  en  faisant  exécuter  de  vive  voix 
les  transformations  qui  lui  sembleraient  devoir 
embarrasser  les  élèves.  [C.  Rouzé.] 

MOIS.  —  Connaissances  usuelles,  VJII.  —  La 
première  unité  que  les  hommes  durent  employer 
pour  évaluer  la  durée  du  temps  fut  le  jour,  c'est- 
a-aire  l  intervalle  qui  s'écoule  entre  deux  levers 
consécutifs  du  soleil  {W.Joiir).  Ils  ne  tardèrent 
pas  a  sentir  le  besoin  dune  unité  plus  grande, 
pour  des  intervalles  de  temps  plus  considérâ- 
mes.  ce  fut  encore  dans  le  ciel  qu'ils  la  trouvè- 
rent. Les  changements  daspects  de  la  lune  frap- 
paient 1  attention  de  tout  le  inonde;  en  les  voyant 
«accomplir  régulièrement  dans  une  durée  de  T.) 
i'  Pahtie. 


ou  ;îO  jours  environ,  on  adopta  tout  naturellement 
cette  période,  ot  on  évalua  la  durée  du  temps  par 
le  nombre  decesporiodes,  coinmefont  les  sauvages 
de  l'Amérique  qui  comptent  encore  aujourd'hui  par 
lunes,  en  disant  que  tant  de  lunes  se  sont  écoulées 
depuis  tel  événement,  ou  qu'une  chose  aura  lieu 
,^  la  première,  ;\  la  seconde  lune,  etc.  Telle  est  l'o- 
rigirio  du  iii:,i\  ;  elle  peut  encore  s'appuyer  sur  des 
prriivi's  l'ij  iMoliif^iques. 

Eu  effet,  les  mots  grecs  mené,  lune,  et  méi,  mois, 
sont  évidemment  dérivés  l'un  de  l'autre;  de  là 
encore  vient  le  mot  latin  mens-is,  qui,  se  trans- 
formant peu  à  peu  dans  le  langage  populaire  de 
nos  ancêtres,  devint  d'abord  mens  par  la  chute  de 
la  terminaison  is,  puis  mes,  usité  encore  aujour- 
d'hui dans  certains  patois,  et  enfin  mois  par  le 
changement  de  son  de  la  voyelle  e.  Cette  parenté 
entre  les  noms  du  mois  et  de  la  lune  se  montre 
aussi  dans  l'allemand,  qui  possède  jhohi/,  lune,  et 
mottrti,  mois,  et  dans  l'anglais  où  l'on  trouve  moon, 
lune,  et  munlh,  mois. 

La  durée  de  la  période  des  phases  de  la  lune  étant 
de  29  jours  et  demi  environ,  les  mois  lunaires  eurent 
naturellement  29  et  30  jours.  Comment  donc  est- 
on  arrivé  aux  mois  actuels  dont  les  uns  ont  31  jours, 
les  autres  30,  et  parmi  lesquels  un  a  seulement  28 
et  quelquefois  29  jours?  C'est  ce  quia  été  expliqué 
aux  articles  Calendrier  et  Ere. 

Le  mois  des  Grecs  était  divisé  en  trois  parties 
égales  nommées  décades,  du  mot  déca  qui  signifie 
dix;  dans  les  mois  de  29  jours  ou  mois  caves  (par 
opposition  aux  mois  pleins,  qui  avaient  30  jours),  la 
troisième  décade  n'avait  que  9  jours.  La  première 
décade  s'appelait  décade  <lu  mois  comnienr.ant  ;  la 
seconde,  décade  du  m'ds  dans  son  milieu;  la  troi- 
sième, décade  du  mois  finissant.  On  indiquait  le 
jour  du  mois  par  le  rang  qu'il  occupait  dans  une 
décade  ;  mais  dans  la  troisième,  les  jours  se  comp- 
taient à  reculons  :  ainsi,  le  o  troisième  jour  de  la 
décade  du  mois  finissant  »  était  le  vingt-huitième 
jour  des  mois  pleins,  le  vingt-septième  des  mois 
cave<.  Le  premier  jour  du  mois  s'appelait  noumé- 
nie,  c'est  à-dire  nouvelle  lune. 

La  nomenclature  des  noms  donnés  aux  mois 
grecs  est  trop  peu  utile  pour  qu'elle  figure  ici;  pas 
sons  immédiatement  aux  mois  du  calendrier  romain. 

Selon  la  tradition,  Romulus  établit  une  année 
de  dix  mois  lunaires  et  les  désigna  d'abord  par  leur 
rang  :  preni'er  mois,  deuxième  mois,  etc.  Mais 
bientôt  après  il  donna  au  premier  le  nom  de 
Martius  (mars),  en  l'honneur  de  Mars,  le  dieu  de 
la  guerre,  dont  il  se  disait  le  fils.  Le  second  reçut 
le  nom  d'Aprilis  (avril),  qu'on  tire  du  verbe  latin 
aperire,  ouvrir,  parce  que  c'est  l'époque  où  la 
terre  s'entr'ouvre  en  quelque  sorte  pour  la  germi- 
nation et  la  végétation  des  plantes.  Le  nom  de 
Aiams(mai',que  prit  le  troisième, vient,  dit-on,  de 
la  déesse  Mala,  mère  de  Mercure;  le  quatrième 
prit  le  nom  de  Junius  (juin)  en  l'honneur  de  Junon, 
la  reine  des  dieux.  A  partir  de  juin,  les  mois  étaient 
désignés  par  leurs  numéros  d'ordre  :  le  cinquième 
s'appelait  quintiis,  le  sixième  sextilis,  le  septième 
september,  le  huitième  october,  le  neuvième  no- 
vemher,  le  di.xième  december. 

L'année  de  Komulus  s'accordait  trop  peu  avec 
l'année  solaire  pour  qu'on  n'éprouvât  pas  bientôt 
la  nécessité  de  corriger  ce  grossier  calendrier. 
Aussi  iVuma  ajouta-il  deux  mois  à  l'année,  en  les 
plaçant  au  commencement,  avant  les  dix  autres 
auxquels  il  conserva  leurs  noms,  do  sorte  que  le 
dernier  s'appela  toujours  december,  quoiqu'il  fût 
désormais  le  douzième. 

Le  premier  des  deux  mois  ajoutés  fut  nommé 
.lanunrius  (janvier),  de  Janus,  le  dieu  à  deux  faces, 
parce  qu'il  semblait,  comme  ce  dieu,  regarder  d'un 
côté  l'année  qui  finit  et  de  l'autre  l'année  qui 
commence.  Le  second  reçut  le  nom  de  Febi-U'irius 
(février/,   du    mot  fel/run,  sacrifices    expiatoires. 


MOLIÈRE 


—  1330 


MOLIERE 


parce  que  c'était  dans  ce  mois  qu'étaient  célébrées 
les  fêtes  expiatoircsenriionneurdesniorts. Comme 
les  douze  lunaisons  équivalent  à  354  jours,  N'uma 
donna  un  jour  de  plus  à  l'année,  car  un  nnmbre 
pair  était  regardé  comme  funeste.  Sous  l'influence 
de  cette  idéej  les  mois  eurent  alternalivemrnt  des 
nombres  impairs  de  jours,  29  et  31  ;  février,  à  cause 
de  son  caractère  funèbre,  conserva  le  nombre 
pair  28. 

Le  premier  jour  du  mois  était  désigné  par  le 
nom  de  crdendeg,  d'un  verbe  ciilare  qui  signifie  ap- 
peler, parce  que  c'était  ce  jour-li  que  les  prêtres 
annonçaient  les  fêtes  du  mois  au  peuple  réuni. 
Les  calendes  ne  se  trouvent  que  dans  le  calejidrier 
romain  ;  de  là  vint  le  proverbe  «  renvoyer  aux  ■  a- 
tendes  grecques,  »  c'est-à-dire  h  une  époque  ima- 
ginaire, comme  on  dit  quelquefois  la  semaine  des 
trois  jeudis. 

Deux  autres  jours,  celui  des  noues  et  celui  des 
ides,  divisaient  le  mois  romain  en  trois  parties  iné- 
gales; les  nones  arrivaient  le  7  et  les  ides  le  15 
dans  les  mois  de  mars,  mai,  juillet  et  octobre,  le 
5  et  le  13  dans  les  autres. 

Les  Romains  ne  comptaient  pas  les  jours  du  mois 
dans  le  môme  ordre  que  nous,  mais  en  sens  inverse. 
Ils  les  désignaient  parle  rang  qu'ils  occupaient  avant 
le  jour  des  nones,  des  ides,  puis  des  calendes  du 
mois  suivant.  Par  exemple  le  premier  jour  d'avril 
s'appelait  les  calendes  d'avril  ;  le  i  avril  était  le  4 
des  nones  d'avril,  le  3  avril  était  le  troisième  jour 
des  nones,  le  4  avril  était  le  deuxième  jour  des 
nones,  le  5  s'appelait  les  nones  d'avril,  \enait  en- 
suite la  période  des  ides:  le  G  avril  était  le  hui- 
tième jour  des  ides  d'avril,  le  7  avril  était  le 
septième  jour  des  ides,  le  8  avril  le  sixième  jour 
des  ides,  et  ainsi  de  suite  jusqu'au  13  avril,  date 
à  laquelle  tombaient  les  ides  en  ce  mois-là.  Enfin 
venait  la  période  des  calendes,  dont  les  jours, 
comptés  d'après  leur  distance  des  calendes  du 
mois  suivant,  s  appelaient  dix-builième  juur  des 
calendes  de  mai  (14  avril),  dix-septième,  seizième 
jours  des  calendes  de  mai  (15  et  IG  avril),  etc., 
jusqu'au  1"  mai,  jour  des  calendes. 

La  réforme  apportée  au  calendrier  par  Jules 
César  a  été  expliquée  au  mot  Calendrier,  ainsi 
que  l'origine  des  noms  de  Juillet  et  d'août  donnés 
aux  deux  mois  Quintilis  et  Sextilis. 

Le  jour  supplémentaire  qui  fut  alors  ajouté  à 
chaque  quatrième  année  fut  placé  dans  le  mois  de 
février  et  intercalé  entre  le  5  et  le  G  des  calendes 
de  mars  (v4  et  25  février),  jour  anniversaire  de 
l'expulsion  du  dernier  roi  de  Rome  ;  mais  pour  ne 
pas  changer  le  nombre  pair  28  attribué  au  mois 
de  février,  le  jour  intercalé  fut  appelé  deuxième 
six  des  calendes  de  mars,  en  latin  biss-xius  calen- 
darutn  Marlii;  delà  vint  l'épithète  de  bissextilis, 
bissextile,  donnée  à  l'année  de  36B  jours. 

La  réforme  grégorienne,  au  .xvi'  siècle,  n'a 
rien  changé  aux  noms  ni  à  l'ordre  des  mois. 

En  nH3,  la  Convention  nationale,  in  donnant  à 
la  France  un  nouveau  calendrier,  enleva  aux  mois 
leurs  noms  traditionnels,  pour  y  substituer  des 
noms  nouveaux,  dus  au  poète  Fabre  d'Eglantine 
(V.  Ciilendr  er).  Ce  calendrier  fut  mis  en  vigueur 
le  24  octobre  1793;  mais  on  lui  donna  un  effet 
rétroactif,  en  faisant  commencer  la  première  année 
de  l'ère  républicaine  au  22  septembre  1792.  11  fut 
aboli   par   Napoléon    en   18(15. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

MOISSON.   —  V.   Céréales. 

MOLIÙI'.E.  —  Littérature  française,  XIL  — 
Le  plus  grand  nom  peut-être  dos  lettres  françai- 
ses, l'écrivain  que  Sainte-Beuve  eût  proposé  de 
députer  à  un  congrès  des  génies  de  tous  les  peu- 
ples pour  représenter  la  France.  De  même  que 
(Corneille  a  créé  cliez  nous  cette  forme  de  l'art  que 
l'on  appelle  la  tragédie  et  lui  a  donné,  malgré  les 
étroitesses  de  tout  genre  qu'il  iui  lallut  subir,  mie 


élévation,  un  sublime  qui  sont  restés  sa  marque 
propre,  ainsi  Molière,  laissé  plus  libre  dans  son 
œuvre,  a  donné  à  la  comédie  française  classique 
une  forme,  une  allure,  un  esprit  qui  font  de  lui 
un  créateur. 

Il  faut  dire  au  moins  un  mot  de  l'homme.  C'est 
la  figure  la  plus  sympathique  de  tout  le  xvii'  siè- 
cle :  je  n'en  excepte  pas  La  Fontaine,  qui  avait 
un  peu  trop  d'abandon  moral.  On  sent  en  lisant 
Molière  qu'il  avait  pour  le  vice,  la  bassesse,  la 
tyrannie  ces  haines  vynureusfs  qu'il  a  mises  au 
cœur  de  son   Alceste.  Cela  était  pssez  rare  alors. 

Il  est  né  à  Paris  (1U22),  il  y  est  mort,  à  peine 
âgé  de  cinquante  et  un  ans  ;  mais  il  n'y  a  pas  passé 
toute  sa  vie,  ce  qui  fut  pour  lui,  poète  comique, 
un  grand  avantage.  On  sait,  en  effet,  que  vers 
l'âge  de  vingt  à  vingt-deux  ans,  après  de  fort  so- 
lides études,  il  fut  pris  d'une  vocation  irrésistible 
pour  le  théâtre,  essaya  de  tenter  la  fortune  à  Pa- 
ris même,  avec  une  troupe  formée  par  lui,  et 
n'ayant  pas  réussi,  se  mit  à  courir  la  province. 
Cette  vie  aventureuse  et  souvent  misérable  eût 
sans  doute  élé  la  perte  d'un  esprit  médiocre;  pour 
lui,  ce  fut  un  stage  fécond,  la  préparation  la  plus 
efficace  qu'il  y  eût.  Si  les  vices,  les  travers,  les 
ridicules  sont  la  matière  indispensable  de  la 
comédie  et  la  proie  même  du  poète,  c'est  en  pro- 
vince que  la  chasse  est  le  plus  facile  et  le  plus 
abondante.  Les  provinciaux  sont  sujets  à  se  don- 
ner plus  volontiers  en  spectacle;  ils  s'étalent  da- 
vantage, ils  ont  le  ridicule  plus  expansif,  les 
prétentions  de  tout  genre  plus  accentuées.  Il  fit 
donc  là  sa  première  moisson  d'originaux;  mais  ce 
ne  fut  qu'à  Paris  qu'il  mit  en  œuvre  ces  trésors 
accumulés.  Il  est  fort  prubable  que  dans  ses  pé- 
régrinations il  écrivit  pour  sa  troupe  plus  d'une 
comédie  plus  ou  moins  au  pied  levé  :  on  a  con- 
servé quelques  titres  de  ces  essais  informes  en- 
core ;  luais  en  réalité,  dans  cette  première  partie 
de  sa  vie  qui  va  au  moins  jusqu'à  trente-cinq  ans, 
Molière  est  surtout  chef  de  troupe  et  acteur.  Il 
ne  devient  auteur,  sans  cesser  d  être  comédien, 
que  vers  1G58,  Tannée  où  il  donne  sur  un  théâtre 
de  Paris  sa  pièce  des  Précieuses  i-iiicules.  On 
raconte  qu'à  la  première  représentation,  un  vieil- 
lard se  leva  au  milieu  du  parterre  et  s'écria  : 
(i  Bravo,  Molière  !  courage.  Molière  I  Voilà  enfin 
la  véritable  comédie  I  »  Anecdote  suspecte,  et  en 
tout  cas,  ce  vieillard  eût  bien  restreint  le  génie  de 
Molière.  La  pièce  des  Précieuses  ridicules^,  si 
charmante  qu'elle  soit,  n'est  après  tout  qu'une 
pièce  d'actualité,  la  satire  d'un  ridicule  de  la  modo 
dans  un  certain  monde.  Il  devait  aller  bien 
au  delà. 

On  sait  de  quel  poids  était  alors  le  jugement  de 
la  cour  sur  les  œuvres  d'art  quelles  qu'ellesfus- 
sent  :  c'était  la  cour  qui  faisait  les  réputations. 
Il  n'y  avait  pas  bien  longtemps  que  la  société 
suivait  les  représentations  dramatiques,  grâce  à 
l'exemple  donné  par  Richelieu,  qui  persuada  au 
roi  Louis  XIII  qu'il  devait  montrer  comme  soii 
ministre  un  intérêt  particulier  pour  tout  ce  qtil 
touchait  le  théâtre.  Le  roi  rendit  même  un  édit 
en  faveur  des  comédiens,  défendant  expressé- 
ment que  leur  profession  put  leur  porter  préju- 
dice dans  le  commerce  public  et  leur  être  impu- 
tée à  blâme  en  quoi  que  ce  fut.  On  ne  voit  pas 
que  l'Eglise  ait  protesté  alors  contre  tant  d'in- 
dulgence, elle  qui  se  montra  si  sévère  plus  tard- 
Mazarin  aimait  aussi  le  théâtre,  mais  il  préfe- 
rait la  comédie  ou  plutôt  la  farce,  à  la  tragédie. 
C'est  lui  qui  installa  en  France  les  Italiens, 
troupe  bouffonne  qui  fut  toujours  la  plus  riche; 
ment  subventionnée,  jusqu'au  jour  où  le  roi 
Louis  XIV,    devenu  \ieux,  chassa  ces  étrangers. 

C'était  donc  comme  une  tradition  établie,  que 
le  roi  se  déclarât  le  protecteur  des  auteurs  et 
acteurs  dramatiques.   L'une  des  troupes  avait  le 


MOL[ÈRE 


—  l.CM 


MOLIHIIE 


titre  (lo  troupe  du  roi,  comédiens  ordinaiivs  de 
Sa  Majesté,  et  était  subventionnée  d'une  façon 
si  exiguë,  sept  ou  liuit  mille  livres,  qu'elle  avait 
grand  besoin  des  contributions  volontaires  du  bon 
public  pour  pouvoir  subsister. 

A  partir  de  IGGO,  le  roi  Louis  XIV  témoigna  de 
l'intérêt  ïi  Molière  :  c'était  juste,  c'était  marque 
du  goût.  On  a  singulièrement  exagéré  cette  protec- 
tion, jusque-lS  qu'on  a  prétendu  qu'un  jour  le 
roi,  pour  venger  Molière  des  dédains  de  quelques 
officiers  de  sa  maison,  fit  asseoir  le  comédien  h  sa 
table  et  le  servit  de  ses  propres  mains.  Cette  anec- 
dote, relatée  pour  la  première  fois  par  M"'  Cam- 
pan  en  1321,  n'a  aucun  fondement  sérieux,  et  de 
plus  elle  est  en  opposition  formelle  avec  les  rè- 
gles les  plus  élémentaires  de  l'étiquette  suivie  à 
la  cour  du  roi  qui  eut  l'honneur  de  servir  do 
modèle  à  Napoléon  I"  (|iiand  celui-ci  voulut  ren- 
chérir sur  les  splendeurs  dont  les  monarques 
aiment  à  s'entourer.  La  protectinn  de  Louis  XIV 
fut  cependant  réelle.  D'abord,  il  accorda  une  sub- 
vention à  Molière  ;  puis  il  montra  hautement  en 
toute  occasion  que  les  pièces  de  Molière  et  son 
talent  de  comédien  avaient  l'heur  de  lui  plaire  ; 
ce  qui  détermina  les  courtisans,  en  gens  bien 
appris,  à  applaudir  le  poète  acteur  de  leur  mieux; 
enfin,  dans  certaines  circonstances  où  le  génie  de 
Molière  essayait  de  sortir  du  cadre  un  peu  étroit 
des  libertés  permises  et  de  mettre  sur  la  scène 
des  originaux  redoutables,  l'hypocrite  de  religion, 
l'immortel  Tartuffe,  lo  roi,  jeune  alors  et  non 
encore  troublé  et  ravalé  par  des  terreurs  dévoles, 
donnait  au  poète  l'autorisation  de  faire  jouer 
(après  quelques  hésitations)-  la  comédie  que  le 
crédit  des  amis  de  Tartuffe  a  fait  si  souvent  inter- 
dire. Il  est  regrettable  qu'à  la  mort  de  Molière 
le  roi  ne  soit  pas  intervenu  d'une  manière  plus 
directe  et  plus  courageuse  pour  assurer  à  ce  grand 
homme  des  obsèques  dignes  de  lui.  Il  fut  enseveli 
à  la  dérobée,  de  nuit.  Le  génie  du  poète  n'avait 
pu  sauver  le  comédien.  Disons  à  l'honneur  de 
Boileau  que,  le  seul  h  peu  près  de  tous  les  gens 
de  lettres,  il  eut  le  courage  de  protester  contre 
cette  inhumation  furtive  : 

Avant  qu'un  peu  de  terre  obtenu  par  prière 
Pour  jamais  sous  la  tombe  eût  enfermé  Molière. 
{É/jUre  à  Racine.) 

C'est  lui  aussi,  dit-on,  qui  eut  la  hardiesse  de 
dire  un  jour  à  Louis  XIV,  qui  lui  demandait  quel 
■était  le  premier  poète  do  son  règne  :  «  C'est  Mo- 
lière. I)  Cela  surprit  fort  le  roi.  qui  ne  voyait  guère 
•en  Molière  qu'un  amuseur  supérieur  aux  autres. 
Ce  n'est  guère  le  lieu  de  parler  ici  avec  quel- 
ques détails  de  la  vie  privée  "de  Molière.  Elle  est 
peu  connue  d'abord,  nul  homme  n'était  mains  en 
dehors,  jusque-là  que  nous  n'avons  pas  une  ligne 
de  son  écriture  ;  ensuite,  il  faudrait  discuter  et 
réfuter,  documents  en  main,  les  calomnies  que 
les  amis  do  Tartuffe  ont  semé(!s  et  sèment  encore 
contre  ce  grand  homme,  qu'ils  ont  accusé,  par 
exemple,  d'avoir  épousé  sa  fille.  Cela  donne  une 
idée  du  reste.  Molière  était  bon,  généreux,  ser- 
viable.  11  encouragea,  aida  à  ses  débuts  Racine, 
qui  ne  le  lui  rendit  guère,  il  honora  hautement 
•Corneille  qu'on  négligeait,  et  lui  paya  deux  mille 
livres  ^o\xr  Attila,  pièce  médiocre  en  somme. 

Ce  qu'était  la  comédie  avant  iMolière,  on  l'aura 
bientôt  dit.  Corneille  avait  donné  l'admirable  mo- 
dèle du  Menti-ui\  spécimen  du  comique  noble, 
emprunté  i»  l  Espagne,  mais  quLne  détermina  pas 
un  mouvement  chez  nous.  Quelques  pièces  gaies, 
amusantes,  composées  surtout  de  scènes  facétieu- 
ses, sans  liaison  et  sans  composition,  comme  les 
Trois  Orontp  de  Bois-Robert, lest  wion^'/ires  de  Des- 
marets,  bref,  à  peu  près  rien.  Ce  qui  était  seul 
vivant  et  prospère,  c'était  la  farce  :  les  Italiens 
.nous  avaient  transmis  ce  goût,  et  Mazarin,  nous 


l'avons  dit,  acclimata  à  la  cour  les  bouffonneries 
de  son  pays.  Ajout(nis  notre  Tabarin,  et  si  l'on 
veut  encore,  notre  Scarron  dont  la  comédie  bur- 
lesque (Dun  Japket  d'Arménie)  n'est  pas  si  mépr.- 
sable. 

Les  éléments  de  l'œuvre  de  Molière  se  compo- 
sent de  ce  fond  éternel  de  vices,  de  ridicules,  de 
travers  de  tout  genre  qui  constituent  la  nature 
humaine,  et  qui  se  manifeste  par  des  formes  di- 
verses suivant  les  mœurs  de  chaque  pays  et  de 
chaque  époque.  Donc  deux  parties  dans  lœuvre  : 
l'une  qui  est  l'accessoire,  la  peinture  de  la  société 
avec  ses  usages,  ses  goûts,  ses  idées,  son  train 
ordinaire,  ce  qui  fait  enfin  qu'extérieurement  pour 
ainsi  dire,  un  homme  du  .xvii'  siècle  ne  i-esseinblo 
pas  à,  un  homme  du  xix=.  Cette  partie,  bien  que 
secondaire,  offre  un  grand  intérêt,  et  elle  eût 
offert  chez  Molière  un  intérêt  tout-puissant,  si  le 
poète  eût  été  plus  libre.  Que  de  vices,  de  préju- 
gés, d'iniquités,  d'abus  de  tout  genre,  qui  étaient 
pour  ainsi  dire  la  société  elle-même,  et  dont  la 
peinture  lui  était  interdite  !  Il  a  osé  montrer  l'hypo- 
crite de  religion,  mais  il  n'a  pas  osé  dépeindre 
le  courtisan,  si  ce  n'est  en  passant,  et  h  la  légère. 
Il  n'a  pas  parlé  du  traitant,  du  magistrat,  de  tant 
d'autres,  qui  étaient  comme  les  ressorts  d'une 
société  fondée  sur  des  institutions  que  nul  ne 
songeait  à  examiner.  Ce  qui  l'a  attiré,  ce  que  son 
génie  a  saisi  et  rendu  avec  une  incomparable 
puissance,  c'est  cette  partie  de  l'œuvre  qui  a  pour 
but  non  la  peinture  des  mœurs  du  jour,  partie 
éphémère  et  périssable,  mais  ce  que  l'on  peut 
appeler  la  partie  éternelle,  impérissable,  la 
peinture  des  caractères.  L'homme  du  xvii«  siècle, 
il  l'a  montré;  mais  il  a  surtout  étudié  et  montré 
Ihomme,  il  a  pénétré  ce  fond  invariable  et  mys- 
térieux qui  se  retrouve  sous  toutes  les  différences 
de  costume,  de  langage,  de  mœur.s,  etc.,  etc. 

Cette  conception  de  l'art,  c'est-à-dire  la  pein- 
ture de  ce  qu'il  y  a  de  plus  général  dans  la  na- 
ture humaine,  détermina  la  forme  de  l'art  créée 
par  Molière,  la  comédie  dite  classique.  On  sait 
avec  r|uelle  rigueur  jalouse  et  inflexible  les  diver- 
ses classes  de  la  société  étaient  séparées  les  unes 
des  autres  :  il  en  fut  de  même  dajis  les  genres 
littéraires.  Ils  ne  devaient  sous  aucun  prétexte  se 
confondre  les  uns  avec  les  autres.  Qu'on  lise  avec 
quel  soin  Boileau,  le  législateur  du  Parnasse, 
marque  les  barrières  qui  les  séparent.  La  comédie 
forma  donc  un  genre  bien  distinci,  et  surtout 
bien  à  part  de  la  tragédie.  La  tragédie  prenait  ses 
personnages  dans  le  monde  des  rois,  des  héros, 
des  princes;  la  comédie  prit  les  siens  dans  le 
monde  de  la  bourgeoisie;  la  tragédie  prenait  ses 
sujets  dans  les  grands  intérêts  et  les  passions 
d'ordre  supérieur,  la  comédie  se  renferma  dans 
les  événements  qui  composent  le  train  ordinaire 
de  la  vie  moyenne,  surtout  le  mariage;  ejifin,  la 
tragédie  avait  le  ton  et  le  style  sublimes,  la  co- 
mt.'die  eut  un  langage  familier,  simple,  naturel. 
C'est  une  étrange  difficulté,  disait  iVIolière,  que 
de  faire  rire  les  iionnètes  gens;  et  tous  les  criti- 
ques de  quelque  poids,  à  commencer  par  Horace, 
estiment  que  les  diffii^ultés  du  genre  ne  le  cèdent 
en  rien  k  celles  qu'offre  la  tragédie. 
Voici  comment  procède  Molière. 
Il  choisit  un  des  travers,  des  ridicules,  des  vices 
de  la  nature  humaine,  soit  l'avare,  Ihypocrile,  le 
bourgeois  vaniteux,  le  malade  imaginaire,  la  femme 
pédante  ;  ce  s.ra  son  personnage  principal,  le 
centre  môme  de  l'œuvre.  Il  groupe  autour  de  ce 
personnage  les  personnages  secondaires,  destinés 
soit  à  collaborer  au  but  (luo  poursuit  le  premier, 
soit  à  le  combattre  Delà  l'action,  ou  la  lutte.  Une 
partie  des  acteurs  du  drame  seconde  lesdess(tins 
annoncés  dès  le  principe  par  le  héros,  l'autre  par- 
lie  fait  tous  ses  efforts  pour  les  faire  échouer.  Il 
s'agit  presque  toujours  d'un   mariage.  L'avare,  le 


MOLIERE 


—  1332  — 


MOLIERE 


bourgeois  vaniteux,  le  malade  imaginaire,  l'enti- 
ché de  dévotion,  tous  dominés  par  une  passion 
égoïste  et  tyrannique,  ne  poursuivent  qu'une 
chose,  de  sacrifier  leur  fille  in  un  époux  qu'elle 
n'aime  pas,  elle,  mais  qui  leur  convient,  à  eux, 
parce  que  cette  union  les  accommode  :  la  pé- 
dante est  bien  aise  d'avoir  un  pédant  pour  gen- 
dre, le  malade  imaginaire  d'avoir  un  médecin  tou- 
jours sous  la  main,  l'avare  de  se  débarrasser  de  sa 
fille  sans  donner  de  dot.  Le  conflit  s'engage  donc 
entre  ces  tj'rans,  ces  oppresseurs,  d'une  part,  et 
de  l'autre  les  victimes  si  intéressantes  qui  ont 
pour  elles  les  droits  de  la  jeunesse  et  de  l'amour. 
Les  moindres  incidents  mettent  en  relief  la  passion 
dominante  du  tyran  ou  son  ridicule  à  qui  il  est 
prêt  à  tout  immoler.  Arguments  des  personnes 
raisonnables,  supplications  des  victimes  qui  se 
débattent,  plaisanteries  et  railleries  des  person- 
nages secondaires,  notammejil  des  braves  ser- 
vantes, les  Nicole,  les  Dorine,  les  ïoinon,  tout 
contribue  à  nous  présenter  sous  tous  les  aspects 
ces  originaux  dont  la  plupart  sont  devenus  des 
types  et  qui  personnifient  quelqu'une  de  ces 
maladies  morales  que  la  comédie  a  pour  but  de 
peindre. 

On  a  blâmé  souvent  les  dénouements  de  Molière, 
et  non  sans  raison;  lui-même  semble  y  attacher 
peu  d'importance.  Ils  sont  le  plus  souvent  invrai- 
semblables, ou  arrivent  un  peu  à  la  diable.  Le 
dénouement  heureux  ou  le  mariage  était  imposé 
au  poète  par  la  loi  du  genre  ;  il  a  subi  cette  loi. 
Mais  il  savait  bien,  ce  grand  observateur,  que  les 
choses  ne  se  passent  point  ainsi  dans  la  réalité, 
que  les  passions  absolues  et  tyranniques  dont  sont 
possédés  les  Harpagon,  les  Orgon,  les  Argan 
mêmes,  ne  cèdent  jamais  et  accomplissent  leur 
œuvre,  qui  est  de  se  satisfaire  coûte  que  coûte, 
detoui  immoler  à  elles-mêmes;  qu'elles  ont  dans 
ce  combat,  qui  est  l'action  du  drame,  toute  la  force 
de  leur  côté,  et  ces  droits  invincibles  dont  la  so- 
ciété arme  les  pères,  qu'enfin  le  plus  souvent 
elles  écrasent,  anéantissent  la  résistance  des  op- 
primées. Ce  spectacle,  on  ne  pouvait  le  montrer 
aux  yeux,  il  n'eût  pu  être  supporté,  Molière  a 
donc  sacrifié  la  réalité  il  ces  protestations  de  la 
conscience  que  l'injustice  dans  la  violence  sou- 
lève en  nous,  mais  sans  se  dissimuler  que  ces 
tyrans,  vaincus  sur  la  scène,  ne  l'étaient  jamais  ou 
presque  jamais  dans  la  vie  réelle.  C'est  parla  que 
son  œuvre,  si  vraie  dans  la  peinture  des  caractè- 
res, ne  va  pas  jnsqu'îi  rendre  la  conclusion  su- 
prême qui  est  la  peinture  do  la  réalité  sociale,  ce 
qui  n'est  pas  d'ailleurs  le  but  du  poète. 

Cette  partie  de  l'œuvre  de  Molière  appartient  à 
ce  que  l'on  est  convenu  d'appeler  le  comique 
noble  :  elle  obtenait  presque  sans  restriction  l'as- 
sentiment de  Boileau. 

C'est  par  là  que  Molière,  illustrant  ses  écrits, 
Peut  être  de  son  art  eiit  remporté  le  prix. 

Mais  il  y  en  a  une  autre,  que  le  sévère  critique 
et  les  juges  plus  ou  moins  délicats  ne  pouvaient 
admettre,  C  est  celle  qu'ils  désignaient  sous  le 
nom  de  comique  bas.  Achevons  en  efi'et  la  cita- 
tion de  Boileau;  il  nous  apprendra  quels  étaient 
les  scrupules  et  les  dégoûts  de  certains  critioufs. 
Molière,  dit-il,  eût  remporté  le  prix  de  son  art, 

Si,  moius  ;uni  du  peuple,  en  ses  doctes  peinlures 
H  n'eut  fait  trop  souvent  grimacer  les  figures, 
Quitté  pour  le  lioultoii  l'ajrréable  et  le  lin, 
Et  sans  lionli-  à    léience  allié  Tabariu. 
Dans  ce  sac  lid.ciile  où  Scapin  leiiveloppc, 
Je  ne  reconnais  plus  l'auteur  du  Misanthrope. 

Le  comique  bas,  c'est  Monneur  de  Pnurcfaugnac, 
les  Foiirb'-riis  île  Scapin,  une  bonne  partie  du 
Malade  nnnqfnaii-e  et  du  Bow-gems  i,ent  tliomm'i, 
SyanaicUe,   eic.    Les   gens  de  bonne  compagnie 


étendaient  la  condamnation  i  d'autres  pièces  en- 
core ou  à  des  parties  de  pièces.  11  faut  savoir  gré- 
à  Molière  de  n'avoir  point  voulu  sacrifier  cet  élé- 
ment comique:  il  a  sa  place  dans  l'art,  qu'on  ne 
doit  jamais  borner.  11  y  a  dans  toutes  les  littéra- 
tures des  chefs-d'œuvre  qui  touchent  au  burlesque, 
ou  tout  au  moins  au  bouffon.  Aristophane  et  Plaute- 
chez  les  anciens,  et  sans  aller  clierclier  si  loin, 
notre  littérature  nationale  du  moyen  âge  doit  sa 
supériorité  bien  plus  â  l'élément  comique  qu'à  ces 
longues  et  souvent  fastidieuses  épopées  que  nous 
nous  efi'orçons  d'admirer  aujourd'hui.  Nos  fabliaux,, 
le  roman  de  Renart,  certaines  de  nos  farces, 
comme  celle  de  Pathelin,  l'incomparable  boufl'on- 
nerie  semée  par  Rabelais  dans  son  Pantagruel, 
voilà  les  autorités  sur  lesquelles  Molière  pourrait 
s'appuyer  s'il  en  avait  besoin. 

On  ne  voit  pas  d'ailleurs  que  les  contemporains- 
aient  été  aussi  difficiles  que  Boileau;  mais  c'est  le 
gros  public,  dit-on,  le  peuple,  les  habitués  des 
tréteaux  et  de  Tabarin.  Bien  d'autres,  j'imagine, 
se  rencontraient  volontiers  avec  les  spectatetirs 
qu'on  affectait  de  mépriser.  Ce  qui  est  certain, 
c'est  que  .Molière  était  loin  de  dédaigner  les  suffra- 
ges qui  venaient  de  ce  côté,  et  s'il  faut  tout  dire, 
c'étaient  ceux  qu'il  préférait.  Le  bon  goût,  eu  le- 
vrai  goût,  répétait-il,  tient  encore  au  parterre,  qui 
lui  du  moins  est  sincère  et  indépendant.  Les  cour- 
tisans riaient  et  applaudissaient  sur  commande, 
(|uand  le  roi  les  y  autorisait  et  pour  plaire  au  roi; 
les  gens  qui  avaient  donné  leurs  quinze  sous  pour 
s'amuser  librement,  en  prenaient  pour  leur  argent 
sans  recevoir  de  mot  d'ordre  de  personne. 

Si  l'on  ne  craignait  de  dépasser  les  limites  de 
cet  article,  qui  ne  peut  être  (|u'un  résumé,  on 
tiaiterait  la  question  de  la  morale  dans  le  théâtre 
de  Molière,  Elle  a  été  fort  attaquée  et  par  des  ar- 
guments qui  n'étaient  pas,  il  s'en  faut,  bien  con- 
vaincants, s'ils  étaient  sincères,  Bossuet,  qui  garda, 
le  silence  tant  que  Molière  vécut  et  plut  au  roi, 
découvrit  vingt  ans  après  la  mort  du  poète  une 
foule  d'infamies  dans  ses  pièces;  J.-J.  Rousseau 
prétendit  que  Molière  avait  voulu  dans  son  Uisan- 
tkrope  rendre  la  vertu  ridicule.  Je  ne  parle  pas 
de  ceux  qui  dans  tous  les  temps  ont  essayé  de 
faire  expier  au  poète  le  Tartuffe  et  le  Don  Juan. 
—  L'auteur  comique  n'est  pas  un  moraliste  de 
profession  ,  il  laisse  cette  tâche  aux  prédicateurs. 
Il  n'agit  sur  les  âmes  que  par  des  impressions,  et 
la  sphère  de  son  action  même  est  dans  le  monde 
idéal. 

L'œuvre  de  Mol'ère,  prise  dans  son  ensemble, 
est  saine.  Elle  fait  haïr  les  oppresseurs,  les  tyrans 
de  la  volonté  qui  immolent  tout  à  leur  passion 
unique;  elle  apprend  à  rire  des  exagérés,  quand 
ils  sont  inofl'ensifs  et  simplement  ridicules.  Elle 
prêche  le  bon  sens,  la  douceur,  l'humanité,  tout  ce 
que  le^  avares,  les  hypocrites.  Les  vaniteux,  les- 
maniaqncs  oublient  et  persécutent.  Ce  n'est  pas  | 
là  toute  la  morale,  mais  ce  n'est  pas  non  plus  si  I 
peu  de  cliose. 

La  gloire  de  Molière  a  été  toujours  en  grandis- 
sant. D'autres,  parmi  les  plus  grands,  ont  subi  des 
éclipses,  lui  s'est  élevé  sans  cesse  de  plus  en  plus 
dans  l'admiration  des  hommes.  Au  xviii'  siècle, 
l'Académie,  regrettant  qu'il  n'ait  pu  compter  parmi 
ses  membres,  donna  du  moins  l'hospitalité  à  son 
buste,  avec  cette  inscription  du  poète  Saurin  : 

Hien  ne  manque  à  sa  gloire  :  il  manquait  à  la  nôtre. 

Les  étrangers,  sauf  certains  critiques  allemands, 
proclamèrent  sa  supériorité.  Gœtbo  avait  pour  lui 
la  plus  vive  admiration.  Los  Anglais  n  hésitent 
pas  à  le  mettre  à  côté  de  leur  Shakespeare,  Au 
xviii'  siècle,  l'Italien  Goldoni  s'honorait  de  se  dire 
un  de  ses  humbles  disciples.  On  sait  enfin  que 
la  France  lui  a  enfin  élevé  une  statue,  en  face  de 
la   maison  où  il  est  mort,  et  un  tombeau.  Depuis 


MOLLUSQUES 


—  1333  — 


MOLLUSQUES 


quarante  ans,  ses  œuvres  ont  été  l'objet  d'innom- 
brables études  ;  l'admiration ,  on  pourrait  dire 
l'amour  public,  ne  so  lassent  pas.  Lo  xix°  siècle 
semble  vouloir  payer  au  grand  poète  la  dette  que 
ses  contemporains  du  grand  siècle  n'ont  acquittée 
qu'en  partie.  [Paul  Albert.) 

MiH.LUSQUES.  —  Zoologie,  XXVIII.  —  L'om- 
brancliement  des  Mollusques  comprend  des  ani- 
maux mous,  caractérisés  par  un  système  nerveux 
formé  d'un  double  collier  œsophagien  sans  chaîne 
ventrale,  et  par  un  système  circulatoire  incom- 
plot, lacunaire. 

Il  peut  se  diviser  en  sept  grandes  classes  :  les 
Céphalopodes,  les  Céphalophores,  les  Solénocon- 
ques,  les  Lamellibranches,  les  Brachiopodes,  les 
Bryozoaires  et  les  Tuniciers. 

Les  trois  dernières  classes  renferment  les  ani- 
maux les  moins  élevés  de  l'embranchement  des 
Mollusques.  Le  système  nerveux  typique  so  réduit 
à  un  seul  collier  chez  les  Brachiopodes  et  à  un 
seul  ganglion  chez  les  Bryozoaires  et  les  Tuni- 
ciers. Ces  trois  classes  sont  réunies  ensemble 
pour  former  le  sous-embranchement  des  MoUus- 
coïdes,  les  quatre  premières  formant  le  sous- 
cmbranchoment  des  Mollusques  proprement  dits. 
Céphalopodes  (Classe  des'.  —  Les  Céphalopodes, 
dont  les  types  bien  connus  sont  le  Poulpe,  le  Cal- 
mar, le  Nautile,  occupent,  par  leur  organisation 
élevée,  le  premier  rang  parmi  les  mollusques. 

Ils  ont  un  corps  parfaitement  symétrique,  et 
nettement  divisé  par  un  étranglement  en  deux 
parties,  l'une,  la  tête,  portant  huit  ou  dix  bras  bien 
développés,  l'autre,  le  tronc,  dans  lequel  se  trou- 
vent renfermés  les  viscères  Le  manteau,  fixé  à 
l'animal  sur  la  face  dorsale,  forme  à  la  face  ven- 
trale une  grande  cavité  palléale,  divisée  en  deux 
à  sa  partie  inlérieure,  au  moyen  d'une  membrane 
musculaire. 

De  cette  cavité  palléale  fait  saillie  sur  la  ligne 
médiane  une  sorte  de  tube,  l'entonnoir,  qu'on 
considère  comme  l'analogue  du  pied  chez  les 
autres  mollusques.  C'est  un  tube  cylindrique  ré- 
tréci en  avant,  fendu  en  dessous  chez  le  nautile, 
et  dont  la  base  très  large  est  en  communication 
directe  avec  la  cavité  palléale. 

A  l'intérieur  de  cette  cavité  se  trouvent  deux 
ou  quatre  branchies  lamelleuses,  dont  la  surface 
est  baignée  par  un  courant  d'eau,  pénétrant  par  la 
fente  du  manteau.  Cette  eau  est  rejetée  au  dehors 
par  l'entonnoir,  en  entraînant  les  résidus  de  la 
digestion,  grâce  aux  contractions  du  manteau,  la 
fente  palléale  se  fermant  alors  au  moyen  de  carti- 
lages spéciaux  par  et  le  jeu  de  muscles  particuliers. 
Dans  la  cavité  palléale  ou  branchiale,  on  ren- 
contre un  certain  nombre  d.'ouvertures. 

Sur  la  ligne  médiane,  sous  l'entonnoir,  se 
trouve,  à  côté  de  l'orifice  terminal  du  tube  diges- 
tif, l'ouverture  d'une  glande  spéciale,  pyriforme, 
existant  presque  généralement,  et  qui  sécrète  un 
liquide  noir,  au  moyen  duquel  l'animal  peut  s'en- 
tourer d'une  sorte  de  nuage  opaque  et  cacher  sa 
fuite  à  ses  ennemis. 

Au-dessous  et  de  chaque  côté  existent  les  ori- 
fices de  deux  grands  sacs,  dans  lesquels  sont  des 
imasses  spongieuses  développées  sur  les  artères 
branchiales  et  qu'on  considère  comme  des  reins. 
Outre  ces  orifices,  on  trouve  chez  les  Céphalo- 
podes femelles  un  ou  deux  orifices  servant  h  la 
sortie  des  œufs,  suivant  qu'ils  appartiennent  au 
.groupe  des  Décapodes  ou  h  celui  des  Octopodes. 
La  têie,  en  général  d'une  forme  globuleuse, 
porte  latéralement  des  yeux  énormes  qui  ont  une 
grande  analogie  avec  ceux  des  poissons. 

Au-dessus  des  yeux,  se  trouve  une  couronne 
formée  par  huit  appendices,  désignés  sous  le  nom 
de  bras.  Ces  bras,  excepté  chez  lo  nautile  où  ils 
sont  peu  développés,  sont  munis  à  leur  face  infé- 
rieure de  ventouses  ou  de  griffes. 


La  bouche,  située  au  milieu  des  bras,  est  en- 
tourée d'un  repli  circulaire  cutané,  formant  une 
sorte  do  lèvre.  Les  mâchoires  très  développées 
ont  la  forme  d'un  bec  de  perroquet  renversé. 
C'est  au  moyen  de  ce  bec  très  puissant  que  les 
Céphalopodes  déchirent  leur  proie,  et  non  avec  les 
ventouses  qui  tapissejit  leurs  bras  et  qui  ne  ser- 
vent qu'à  la  saisir  et  h  la  maintenir.  Outre  les 
mâchoires,  la  bouche  présente  une  masse  buccale 
très  développée  armée  de  sept  rangées  de  cro- 
chets et  analogue  à  la  râpe  linguale  des  Céphalo- 
phores. 

Les  Céphalopodes,  à.  l'exception  du  nautile,  ne 
possèdent  qu'une  coquille  interne  rudimentaire 
ou  nulle. 

Leur  peau  lisse  est  munie  de  cellules  h  pigment 
variable  et  auxquelles  on  a  donné  le  nom  de  chro- 
niatophores. 

Ces  chromatophores,  disposés  sur  des  plans  dif- 
férents, sont  des  cellules  contractiles  contenant 
des  granules  pigmentairos,  toujours  d'une  cou- 
leur uniforme  dans  chacune  d'elles,  et  produisant 
des  taches  rouges,  brun  jaunâtre,  bleues  ou  vio- 
lettes, qui,  suivant  que  les  cellules  sont  dilatées 
ou  contractées,  s'étendent  plus  ou  moins  et  sont 
d'une  nuance  plus  ou  moins  foncée.  Ce  sont  ces 
contractions  et  dilatations  alternantes  et  par 
groupe,  qui  produisent  ces  remarquables  varia- 
tions dans  la  couleur  de  la  peau  des  Céphalopodes 
et  les  aident  puissamment  h  échapper  à  leurs  en- 
nemis. Au-dessous  de  ces  chromatophores  placés 
sous  la  volonté  de  l'animal,  il  existe  encore  une 
couche  de  petites  paillettes  brillantes,  qui  don- 
nent k  la  peau  son  éclat  chatoyant  et  argenté. 

A  l'intérieur,  les  Céphalopodes  sont  pourvus 
d'un  squelette  cartilagineux,  que  l'on  compare 
souvent  au  squelette  interne  des  vertébrés.  Ce 
squelette  sert  à  protéger  les  centres  nerveux  très 
condensés  chez  ces  animaux,  et  à  fournir  des 
points  d'attache  aux  muscles.  L'appareil  digestif 
se  compose  d'un  long  œsophage  dans  lequel  vien- 
nent déboucher  deux  paires  de  glandes  salivaires. 
Chez  les  Octopodes,  l'œsophage  présente  un  élar- 
gissement assez  considérable  auqnel  on  donne  le 
nom  de  jabot.  L'estomac,  arrondi,  a  des  parois 
épaisses  offrant  à  l'intérieur  des  plis  longitudi- 
naux. Au  point  où  il  se  continue  avec  l'intes- 
tin, se  trouve  un  vaste  caecum  en  général  con- 
tourné en  spirale  et  dans  lequel  viennent  dé- 
boucher les  deux  canaux  excréteurs  du  foie  très 
volumineux.  L'intestin  remonte  ensuite  presque 
sans  circonvolutions,  pour  aller  s'ouvrir  au  dehors 
sous  l'entonnoir. 

L'appareil  circulatoire  est  bien  plus  compliqué 
que  chez  les  autres  mollusques.  Le  système  vei- 
neux lacunaire  tend  à  disparaître  et  il  est  rem- 
placé en  grande  partie  par  des  vaisseaux  à  paroi 
propre  se  continuant  par  de  fins  capillaires,  met- 
tant en  relation  directe  le  système  veineux  et  le 
système  artériel. 

L'appareil  respiratoire  se  compose  de  deux  oii 
quatre  branchies  lamelleuses  situées  dans  la  cavité 
du  manteau. 

Les  Céphalopodes  se  divisent  en  deux  grands 
groupes  suivant  qu'ils  ont  deux  ou  quatre  bran- 
chies. Ces  deux  groupes  sont  :  les  Tétrabranchiaux 
ou  Céphalopodes  â  quatre  branchies,  et  les  Di- 
branchiaux  ou  Céphalopodes  pourvus  de  deux 
branchies. 

Tétrabranchiaux.  —  Les  Céphalopodes  tétra- 
branchiaux, autrefois  très  nombreux,  ne  sont  plus 
représentés  actuellement  que  par  un  seul  genre, 
le  genre  Nnidile. 

Dans  le  nautile,  la  tête  est  entourée  d'un  grand 
nombre  de  tentacules  filiformes,  que  l'on  regarde 
comme  correspondant  aux  ventouses  des  bras  des 
autres  (léphalopodes,  les  bras  du  nautile  étant 
rudimentaires.  Seul  parmi   les  Céphalopodes  ac- 


MOLLUSQUES 


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MOLLUSQUES 


tiiellement  vivants,  le  nautile  est  pourvu  d'une 
coquille  externe  cloisonnée. 

La  coquille,  épaisse,  est  divisée  par  des  cloisons 
transversales  en  chambres  remplies  d'air  et  tra- 
versée s  pai'  un  siphon  médian.  Elle  est  constituée 
par  une  couche  calcaire  extérieure,  et  par  une 
couche  épaisse  de  nacre  à  l'intérieur.  Los  Chinois 
profitent  de  cette  disposition  pour  sculpter  sur  la 
couche  externe  des  dessins  qui  ressortent  sur  le 
Tnid  nacré  situé  au-dessous.  Les  nautiles,  qui  ne 
sont  plus  représentés  actuellement  que  par  quatre 
ou  cinq  espèces  vivant  dans  les  mers  des  Indes, 
ont  apparu  dès  le  terrain  silurien. 

Les  genres  fossiles  les  plus  importants  de  ce 
groupe  des  Tétrabranchiaux  sont  :  les  Gonialites, 
apparaissant  presque  en  môme  temps  que  les 
nautiles,  mais  s'arrôtant  dans  le  trias;  les  Céra- 
tiles,  allant  du  dévonien  à  la  craie;  les  .\mmonites. 
si  abondantes  surtout  dans  le  terrain  jurassique  ; 
les  Orlhoceras,  à  coquille  droite,  apparaissant  dès 
lo  silurien  inférieur. 

Dibranchiaux.  —  Les  Céphalopodes  dibranchiaux 
portent  autour  de  la  bouche  huit  bras  armés  de 
ventouses  ou  quelquefois  de  crochets. 

Outre  ces  huit  bras,  un  certain  nombre  de  genres, 
formant  le  sous-ordre  des  Décapoilps,  possèdent 
deux  longs  appendices  plus  ou  moins  réiractiles, 
dont  les  extrémités,  en  forme  de  massue,  possè- 
dent seules  des  ventouses  ou  des  griffes. 

On  donne  à  ces  appendices  le  nom  de  tentacu- 
les ou  de  bras  tentaculaires.  Chez  les  Céphalopo- 
des dibranchiaux  dépourvus  de  ces  deux  appendi- 
ces tentaculaires,  et  formant  le  sous-ordre  des 
Octo/'orles,  les  bras  sont  réunis  à  leur  base  par 
une  membrane  plus  ou  moins  développée  et  for- 
mant une  sorte  d'entonnoir  au  fond  duquel  se 
trouve  la  bouche. 

Les  huit  bras  sessilcs  sont  ordinairement  coni- 
ques. Chez  l'Argonaute  femelle  seule,  deux  des 
bras  se  replient  sur  eux-mêmes  et  sont  pourvus 
û  une  membrane  très  extensible  chargée  de  sécré- 
ter une  coquille  très  délicate,  dans  laquelle  l'a- 
nimal place  ses  œufs.  Cette  coquille  n'a  aucun 
rapport  avec  les  coquilles  des  autres  mollusques 
qui  sont  des  sécrétions  du  manteau.  A  la  surface 
interne  de  ces  huit  bras  et  sur  toute  leur  lon- 
gueur, se  trouvent  des  ventouses  disposées  en 
plusieurs  séries,  excepté  dans  le  genre  Eledone, 
où  il  n'y  en  a  qu'une  seule  rangée. 

Chez  les  Octopodes,  les  ventouses  sont  sessiles 
et  entièrement  charnues.  Chez  les  Décapodes 
les  ventouses  sont  pédonculées,  et  leurs  parois 
latérales,  très  minces,  sont  garnies  sur  leurs  bords 
d'un  anneau  corné  et  dentelé.  C'est  surtout  au 
moyen  de  cet  anneau  que  ces  animaux  saisissent 
et  maintiennent  leurs  proies. 

Les  bras  tentaculaires  portent  aussi,  sur  leiir 
extrémité  renflée,  des  ventouses  à  anneau  corné. 
Mais  dans  le  genre  Onychoteuthis,  ces  ventouses 
sont  remplacées  par  de  forts  crochets  pouvant 
rentrer  comme  les  griffes  des  chats.  Aussi  ces 
animaux  sont-ils  redoutés  des  plongeurs. 

.\ucun  de  ces  Céphalopodes  dibranchiaux  ne 
porte  do  coquille  externe  sécrétée  par  le  manteau. 
Mais  chez  la  plupart  des  Décapodes,  le  manteau 
sécrète  dans  la  région  dorsale  une  coquille  in- 
terne plus  ou  moins  délicate  ou  rudimentaire. 

Chez  les  Calmars,  la  coquille  est  formée  d'une 
substance  cornée,  homogène,  d'un  brun  jaunâtre. 
D'après  sa  forme,  elle  a  été  comparée  h  une 
plume  [pluuie  de  calmar),  ou  à  un  fer  de  lance. 
Cette  coquille  présente,  en  effet,  une  tige  amincie 
à  une  de  ses  extrémités  et  deux  ailes  latérales 
plus  ou  moins  longues. 

Chez  les  Seiches,  la  coquille  est  bien  différente. 
Elle  est  aussi  large  et  aussi  longue  que  le  corps, 
très  épaisse  en  avant,  concave  en  arrière  à  la  face 
interne  ;  elle  se  termine  en  arrière  par  une  petite 


pointe  qui  fait  souvent  saillie  au-dehors  de  l'a- 
nimal. Cette  coquille  est  très  légère  et  très  po- 
reuse. Elle  est  formée  de  couches  cornées,  sépa- 
rées par   des   dépôts    calcaires. 

Dans  le  seul  genre  Spirule.la  coquille  interne  est 
spiralée  et  cloisonnée  ;  les  diverses  chambres  de  la 
coquille  sont  traversées  par  un  siphon  marginal. 
Quelques  genres  de  Décapodes  ont  pu,  grâce 
à  leur  coquille,  se  conserver  dans  les  terrains 
géologiques;  de  tous  ces  genres,  le  plus  impor- 
tant de  beaucoup  est  le  genre  Bélemnite,  dont  le 
rostre  surtout,  bien  conservé,  et  atteignant  par- 
fois une  très  grande  taille,  est  l'arialogue  de  la 
pointe  qui  termine  la  coquille  des  Seiches. 

Les  Céphalopodes  dibranchiaux  peuvent  être 
considérés  comme  jouant,  parmi  les  mollusques, 
le  rôle  que  les  oiseaux  de  proie  remplissent 
parmi  les  oiseaux.  Bien  armés,  doués  en  général 
d'une  locomotion  en  arrière  rapide,  grâce  en 
panie  au  mouvement  de  recul  qu'ils  impriment  à 
leur  corps  en  rejetant  violemment  par  leur  siphon 
l'eau  qui  remplit  leur  cavité  palléalc,  ce  sont  de 
terribles  destructeurs  de  poissons,  de  mollus- 
ques et  de  crustacés,  qu'ils  déchirent  bien  sou- 
vent sans  les  manger.  D'un  autre  côté,  ils  ont 
aussi  de  nombreux  ennemis  ;  un  grand  nombre 
de  cétacés  ne  vivent  presque  exclusivement  que 
de  céphalopode^  ;  les  thons  et  beaucoup  d'autres 
gros  poissons  s'acharnent  i  leur  poursuite  ;  les 
albatros,  les  pétrels  les  chassent  aussi  la  nuit, 
quand  ils  apparaissent  à  la  surface  de  l'eau. 

Ces  animaux  atteignent  parfois  une  taille  assez 
considérable.  Dans  la  Méditerranée,  on  rencontre 
des  poulpes  dont  les  bras,  quatre  ou  cinq  fois  plus 
longs  que  le  corps,  dépassent  1  mètre.  Dans  les 
mers  du  Sud  en  Océanie,  on  en  rencontre  quel- 
quefois d'une  taille  énorme  ;  ainsi  celui  que  M.  Ve- 
lain  a  trouvé  sur  la  plage  de  l'ile  Saint-Paul  me- 
surait •;",  15  de  long.  Aussi  ces  animaux  pourraient 
très  bien'attaqucr  une  barque  et  la  couler;  mais 
il  y  a  loin  de  là  au  monstre  imaginé  par  Denis  de 
Montfort,  et  qui  était  capable,  d'après  lui,  de  cou- 
ler un  trois-mâts. 

Dans  certains  pays,  les  Céphalopodes  sont  as- 
sez recherchés  comme  nourriture.  C'est  ce  qui  a 
lieu  dans  la  Méditerranée  et  le  golfe  de  Gasco- 
gne. Dans  le  Nord  de  la  France,  on  n'en  mange 
que  très  peu,  mais  on  s'en  sert  comme  d'appât. 
C'est  surtout  dans  la  pêche  à  la  morue  qu'ils  sont 
utilisés. 

L'osselet  interne  des  Seiches  est  aussi  d  un  grand 
usage.  Il  y  en  a  dans  presque  toutes  les  cages,' 
et  les  oiseaux  captifs  y  trouvent  le  calcaire  qui 
leur  est  nécessaire.  On  s'en  sert  encore  pour  faire 
de  la  poudre  de  sandaraque.  L'encre  de  seiche 
était  autrefois  employée  pour  faire  de  l'encre  de 
Chine  et  de  la  scpia. 

Parmi  les  Octopodes  vivant  dans  nos  mers,  or 
trouve  les  genres  suivants  : 

O'topus  (poulpe  ,  dont  les  bras  très  longs  son 
munis  de  deux  rangées  de  ventouses;  le  poulpe 
commun  est  quelquefois  appelé  pieuvre; 

Eledone,  dont  les  bras  n'ont  qu'une  seule  ran 
gée  de  ventouses  ; 

Argnnin.ta;  la  femelle,  plus  grande  que  le  maie 
possède  deux  bras  en  forme  de  nageoires,  qui  si 
crètent  une  coquille  mince. 
Parmi  les  Décapodes  nous  trouvons  les  :  ! 

Sepia  (seiche),  dont  le  corps  large  est  pourvi 
de  deux  longues  nageoires  latérales  ;  ■ 

Udiao  (calmar),  dont  le  corps  très  long^  ei 
pourvu  à  son  extrémité  de  deux  nageoires  trian 
gulaires;  ,  ,    ,        .       j      „ 

Sepiola,  les  plus  petits  Céphalopodes  de  ni 
côtesj  à  corps  arrondi  en  arrière  et  muni  de  dei 
nageoires  demi-circulaires; 

Onychoteuthis,  dont  les  tentacules  sont  pourvu 
de  crochets 


MOLLUSQUES 


1333 


MOLLUSQUES 


Céphalophores  (Classe  des).  —  La  classe  des 
(i('|)lial(i|ihorcs  se  divise  en  trois  sous-classes 
bien  riisiincles: 

Li's  Cidstn-o/n'ilcs,  caractérises  par  un  pied  large, 
niusi-ulairc,  scrvuiil  d'organe  de  reptation. 

Les  l'tijropodes-,  chez  qui  le  pied  est  transformé 
en  deux  nageoires  latérales. 

Les  llétéropodcs,  chez  qui  le  pied  est  transformé 
en  une  na;;'eoiro  verticale. 

Les  animaux  des  deux  dernières  sous-classes 
sont  essentiellement  pélagiques. 

Gastéropodes  (Sous-classe  des).  —  Los  Gasté- 
ropodc^s,  dont  les  escargots,  les  limaces  sont  des 
représentants  bien  connus,  sont  caractérisés  par 
un  pied  musculaire,  très  développé,  au  moyen 
duquel  ils  rampent.  Leur  tète  bien  distincte 
porte  doux  et  quelquefois  quatre  tentacules,  deux 
yeux  bien  développés  situés  tantôt  k  la  base  des 
tentacules,  tantôt  i  l'extrémité  de  la  paire  tontacu- 
laire  postérieure.  La  bouche  s'ouvre  dans  une  ca- 
vité armée  de  màclioires  latérales  et  d'une  râpe 
linsuale  souvent  très  longue  et  pouvant  dépasser 
la  longueur  du  corps  de  l'animal.  Cette  cavité  est 
suivie  de  rœ«ophage  et  de  l'estomac  plus  ou  moins 
développé.  L'intestin,  après  quelques  circonvolu- 
tions, vi(.'nt  s'ouvrir  en  général  sur  le  côté  droit  en 
arrière  de  la  tète. 

La  cavité  du  corps  constitue  le  plus  souvent  un 
sac  viscéral  atténué  de  plus  en  plus  vers  son 
extrémité  postérieure  et  enroulé  en  spirale.  Toute 
cette  masse  est  entourée  par  le  manteau  qui,  dans 
les  Gastéropodes  munis  d'une  coquille,  en  tapisse 
tout  l'intérieur  et  la  sécrète. 

Entre  le  manteau  et  le  pied  se  trouve  ménagée 
une  cavité  dans  laquelle  se  trouvent  les  organes 
respiratoires.  Ces  organes  se  composent  de  deux 
branchies  inégalement  développées.  Cependant 
cl;ez  la  plupart  des  Gastéropodes  terrestres  et 
chez  quelques-uns  de  ceux  qui  vivent  dans  les  eaux 
douces  (Limnées.  Pliyses),  ces  branchies  n'existent 
p.is,  mais  alors  la  paroi  supérieure  de  la  chambre 
est  parcourue  par  un  réseau  très  riche  de  vais- 
seaux, à  travers  les  parois  desquels  se  fait  l'en- 
dosmose des  gaz.  Tous  les  Gastéropodes  jouissant 
de  ce  dernier  mode  de  respiration  sont  réunis 
dans  un  même  groupe  sous  le  nom  de  Mollusques 
pulmonés. 

La  coquille  calcaire  qui  enveloppe  le  plus  sou- 
vent les  viscères,  et  dans  laquelle  l'animal  peut 
généralement  rentrer  entièrement,  est  ordinaire- 
ment univalve  et  enroulée  en  spirale;  l'enroule- 
ment, à,  de  rares  exceptions  près,  est  dextre,  c'est- 
ii-dire  que  l'ouverture  de  la  coquille  est  à  droite; 
chez  les  Clausilies,  les  Physes,  la  coquille  est  sé- 
nestre,  l'ouverture  étant  à  gauche.  On  rencontre 
quelquefois  des  monstruosités  sénestres  dans  les 
espèces  généralement  dextres. 

L'ouverture  est  souvent  entière;  souvent  aussi 
elle  est  échancrée  en  avant  ou  prolongée  en  un 
canal.  Cette  échancrure  ou  ce  canal  indique  la  po- 
sition de  l'oritice  respiratoire. 

Dans  les  Patelles,  la  coquille  est  en  forme  de 
coupe,  et  chez  les  Oscabrions  elle  est  formée  de 
pièces  placées  bout  h  bout  et  mobiles  les  unes  sur 
les  autres  ;  l'animal  a  alors  une  forme  anuelée  et 
peut  s'enrouler  en  boule.  Enfin  la  coquille  peut 
s'atrophier  beaucoup,  comme  chiz  les  Limaces,  ou 
même  disparaître  entièrement.  Lorsque  la  coquille 
est  spiralée,  l'animal  porte  fréquemment  à  l'extré- 
mité du  pied  une  pièce  calcaire  ou  cornée  au 
moyen  de  laquelle  il  peut  fermer  l'ouverture. 
Celte  pièce  est  l'opercule.  Il  ne  faut  pas  la  con- 
fondre avec  la  production  calcaire  que  sécrètent 
certains  Mollusques  dépourvus  d'opercule ,  en 
particulier  les  Escargots,  et  au  moyen  de  laquelle 
ils  ferment  leur  coquille  au  moment  de  l'hiberna- 
tion. Cette  pièce,  complètement  indépendante  de 
l'animal,  est  l'épiphragme. 


Tous  les  Gastéropodes  pulmonés  sont  herma- 
phrodites ;  la  plupart  des  autres  mollusques  sont 
dioï(|ue9,  c'esl-i-dire  6  sexes  séparés. 

Les  Gastéropodes  terrestres  pondent  des  œufs 
isolés,  entourés  d'une  enveloppe  calcaire;  les 
Gastéropodes  aquatiques,  à  l'exception  de  quelques 
espèces  vivipares,  subissent  des  métamorphoses  et 
pondent  des  chaînes  d'oeufs,  ayant  souvent  des 
formes  bizarres. 

la  larve  au  sortir  de  l'oeuf  est  constamment 
pourvue  d'une  coquille  et  d'un  disque  céphalique 
bilobé.  Ce  disque  ou  voile  est  garni  de  cils  vibra- 
tils  qui  permettent  à  l'animal  de  nager  librement. 
Plus  tard,  la  coquille  disparaît  chez  les  Gastéro- 
podes nus,  le  voile  est  remplacé  par  le  pied,  et  l'a- 
nimal auparavant  nageur  ne  peut  plus  que  ramper. 

Les  Gastéropodes  peuvent  se  diviser  en  deux 
groupes  principaux  :  les  Gastéropodes  pulmonés 
et  les  Gastéropodes  à  branchies. 

Les  Gastéropodes  pulmonés  comprennent  pres- 
(|ue  tous  les  mollusques  terrestres:  les  Limaces, 
les  Hélices  ou  colimaçons,  et  quelques  espèces 
vivant  dans  les  eaux  douces  :  les  Limnées,  les 
Physes,  ;i  coquille  sénestre,  les  Planorbcs,  à  co- 
quille discoïde. 

Les  Gastéropodes  à  branchies  sont  presque 
tous  marins  et  contiennent  un  nombre  considéra- 
ble de  genres,  parmi  lesquels  les  principaux  sont: 
les  Murex  ou  Rochers,  dont  la  coquille  est  garnie 
d'épines,  les  Pourpres,  les  Porcelaines,  les  Cônes, 
les  Strombes,  les  Haliotides  ou  Oreilles  de  mer,  les 
Patelles,  les  Oscabrions.  Les  Paludines  vivipares 
de  nos  eaux  douces  appartiennent  à  ce  groupe. 

A  l'exception  des  Hélices  (escargots),  des  Halio- 
tides (oreilles  de  mer)  et  d'un  petit  nombre  d'au- 
tres espèces,  les  Gastéropodes  ne  sont  pas  utilisés 
comme  aliments.  Les  coquilles  épaisses  des 
Strombes  et  des  Casques  sont  employées  dans  la 
fabrication  des  camées. 

Les  Murex,  les  Pourpres  sécrètent  une  liqueur 
prenant  au  soleil  une  belle  teinte  violette.  C'est 
de  cette  liqueur  que  les  anciens  tiraient  la  couleur 
si  renommée  de  la  pourpre. 

Presque  tous  les  mollusques  terrestres,  à  l'ex- 
ception des  Testacelles,  sont  herbivores  et  par 
conséquent  nuisibles  à  l'agriculture.  Parmi  les 
mollusques  marins,  ce  sont  au  contraire  les 
e-pèces  carnivores,  en  particulier  les  Murex,  les 
Nasses,  qui  sont  nuisibles.  Ces  animaux  peuvent 
en  effet  percer  au  moyen  de  leur  râpe  linguale  les 
coquilles  des  bivalves  et  en  dévorer  l'animal.  Ils 
sont  surtout  nuisibles  dans  les  huîtrières,  où  ils 
occasionnent  de  nombreux  dégâts. 

Ptéropodes  (Sous-classe  des).  —  Les  Ptéro- 
podes,  qu'on  désigne  souvent  sous  le  nom  de  Pa- 
pillons de  la  mer,  présentent  au-dessus  de  la  bou- 
che deux  grosses  nageoires  latérales,  qui,  par  leurs 
battements,  font  progresser  1  animal. 

Le  corps  est  tantùl  nu  et  sans  manteau  distinct, 
tantôt  il  est  enveloppé  d'une  coquille  symétrique 
ou  spiralée,  cartilagineuse  ou  calcaire  ;  dans  ce 
cas  le  manteau  est  bien  développé  et  couvre  en 
avant  la  cavité  palléale. 

La  bouche,  située  à  l'extrémité  céphalique,  est 
entourée,  chez  les  Ptéropodes  nus,  d'appendices 
parfois  munis  de  ventouses  analogues  à  celles  des 
Céphalopodes.  Elle  fait  suite  à  une  cavité  armée 
de  mâchoires  et  d'une  râpe  linguale.  L'œsophage, 
très  long,  est  suivi  d'un  estomac  spacieux  et  d'un 
large  intestin  à  plusieurs  circonvolutions.  Les  or- 
ganes de  la  respiration  se  composent,  chez  les 
Ptéropodes  à  coquilles,  de  rudiments  de  branchies 
situées  dans  la  cavité  palléale.  Chez  les  Ptéropo- 
des nus,  ils  manquent  entièrement  ou  consistent 
en  lamelles  foliacées  situées  à  l'extrémité  posté- 
rieure du  corps. 

Tous  les  Ptéropodes  sont  hermaphrodites;  les 
œufs  sont  pondus  en  longs  cordons  flottant  libre- 


MOLLUSQUES 


—  i33G  — 


MOLLUSQUES 


ment  à  la  surface  de  la  mer.  Les  larves  sont  libres 
ot  ont  un  voile  cilié  à  deux  lobes  et  une  coquille. 
Le  voile  est  ensuite  remplacé  par  les  deux  na- 
geoires, la  coquille  disparaît  pour  toujours  ou  pour 
être  remplacée  par  une  nouvelle. 

Les  Ptéropodes  ont  été  divisés  en  deux  groupes, 
suivant  qu'ils  ont  une  coquille  ou  qu'ils  en  sont 
dépourvus. 

Parmi  les  Ptéropodes  à  coquille,  les  principaux 
sont  :  les  Hi/ales,  à  coquille  globuleuse,  symétri- 
que, transparente,  munie  de  trois  pointes  en  ar- 
rière; les  Cleodora,  dont  la  coquille  a  la  forme 
d'une  pyramide  triangulaire  ;  les  Limnctnes,  Ji  co- 
quille spiralée,  sénestre  ;  les  Cijmbulie-^,  dont  la 
coquille  en  forme  de  nacelle  est  cartilagineuse. 

Parmi  les  Ptéropodes  nus,  il  y  a  les  tV/oi,  dont 
le  corps  est  dépourvu  de  branchies  et  la  tête  armée 
de  deux  tentacules  ;  les  Pneiimodermom,  ayant 
des  branchies  externes  et  une  tête  armée  de  tenta- 
cules à  ventouses. 

Tous  ces  animaux  de  petite  taille  sont  do  haute 
mer,  où  on  les  rencontre  parfois  en  bandes  con- 
sidérables. Dans  les  mers  polaires,  les  Clios  ser- 
vent de  nourriture  aux  baleines. 

Héféropodex  (Sous-classe  des).  —  La  sous-classe 
des  Hétéropodes  comprend  un  petit  nombre  d'ani- 
maux remarquables  par  leur  transparence.  Leur 
pied  est  transformé  en  une  nageoire  caudale  très 
développée  et  en  une  nageoire  ventrale  portant  un 
petit  suçoir,  qui  leur  permet  d'adhérer  aux  algues. 
Tandis  que  la  partie  antérieure  du  corps,  ponant 
deux  tentacules,  est  très  allongée,  la  niasse  viscé- 
rale est  très  petite  et  logée  dans  une  coquille 
transparente,  spiralée  ou  patelliforme. 

Les  Hétéropodes  sont  dioiques.  Les  larves  sont 
pourvues,  comme  chez  tous  les  Céphalophores, 
d'un  voile  bilobé  et  d'une  coquille;  le  pied  porte 
en  outre  un  opercule.  Ce  voile,  parfois  l'opercule 
et  même  lacoquille  tombent,  le  pied  se  transforme 
en  nageoire  et  la  métamorphose  est  accomplie. 

Tous  ces  animaux  sont  pélagiques  et  progressent 
lentement  au  moyen  des  mouvements  de  leur 
nageoire,  la  face  ventrale  tournée  en  haut.  Ils  sont 
tous  carnassiers  et  saisissent  les  petits  animaux 
marins  au  moyen  de  leur  râpe  linguale  très  déve- 
loppée. 

Les  principaux  genres  de  cette  sous-classe  sont: 
les  Carinaii-es,  à  coquille  patelliforme;  les  Atlan- 
tes, à  coquille  spiralée,  et  les  Firotes,  dépourvues 
de  coquille. 

Solènoconques  (Classe  des).  —  Cette  petite 
classe  de  Mollusques  renferme  des  êtres  inter- 
médiaires entre  les  Céphalophores  et  les  Lamelli- 
branches. 

Comme  les  Céphalophores,  ils  présentent  une 
coquille  univalve  ayant  la  forme  d'un  tube  allongé, 
conique,  ouvert  à  ses  doux  extrémités.  L'animal, 
de  forme  analogue,  s'y  tient  caché,  fixé  par  un 
muscle  à  la  partie  inférieure.  La  bouche  est  aussi 
armée  d'une  râpe  liiiguale,  elle  est  suivie  d'un 
pharynx,  d'un  estomac  et  d'un  intestin  à  plusieurs 
circonvolutions.  Mais  comme  chez  les  Acéphales, 
le  corps  est  symétrique,  dépourvu  de  tète  ;  le 
cœur  qui  manque  est  remplacé  par  une  sorte  de 
bourse  traversée  par  le  rectum.  Les  larves  libres 
ont  une  coquille  presque  bivalve  et  un  voile  ana- 
logue à  celui  dos  Lamellibranches. 

Le  genre  principal  des  Solènoconques  est  le  genre 
Deninle. 

Ces  animaux  vivent  enfoncés  dans  la  vase,  ou 
rampent  à  l'aide  de  leur  pied  trilobé.  Ils  sont  car- 
nivores, et  se  nourrissent  de  Foraminifères  et  de 
petits  Lamellibranches. 

Lamellibranches  'Classe  des).  —  La  classe  des 
Lamellibranches  ou  des  Conchifères  comprend  des 
mollusques  acéphales  tous  aquatiques,  et,  à  l'ex- 
ception de  quelques  genres,  tous  marins.  L'animal 
est  logé  dans  une  coquille  i  ivalve,  dont  les  deux 


valves  très  souvent  symétriques  sontréunies  entre 
elles,  sur  la  face  dorsale,  par  un  ligament  élas- 
tique, déterminant  leur  écartemenl.  En  outre, 
leurs  bords  supérieurs  présentent  des  dents  et 
des  fossettes  qui,  s'engicnant  les  unes  dans  les 
autres,  contribuent  h  les  réunir  solidement.  Ces 
bords  constituent  ce  qu'on   appelle  la  charnière. 

A  l'intérieur,  les  deux  valves  sont  tapissées  par 
une  membrane  très  fine  qui  les  sécrète.  Les  deux 
lobes  de  celte  membrane  ou  manteau  recouvrent 
l'animal  comme  la  couverture  d'un  livre. 

Souvent  les  bords  du  manteau  sont  libres  et 
portent,  comme  chez  les  Peignes,  les  Limes,  des 
taches  pigmentaires  considérées  comme  des  yeux. 
Plus  souvent,  les  bords  sont  réunis  entre  eux,  ne 
laissant  que  deux  ou  trois  ouvertures  pour  l'en- 
trée et  la  sortie  de  l'eau  et  pour  le  passage  du 
pied  de  l'animal.  Parfois  ces  ouvertures  d'entrée 
et  de  sortie  de  l'eau  sont  prolongées  en  forme  de 
tubes  musculaires ,  susceptibles  de  s'allonger 
beaucoup,  en  particulier  dans  les  espèces  fouis- 
santes. Ces  tubes  ou  siphons  sont  situés  à  la 
partie  postérieure  de  l'animal.  Par  le  siphon  bra- 
chial, le  plus  éloigné  du  dos,  pénètre  l'eau  chargée 
des  matières  alimentaires  et  des  gaz  nécessaires 
;\  la  respiration  ;  par  le  siphon  anal  sort  l'eau  qui 
a  servi  à  la  respiration,  en  entraînant  les  détritus 
de  la  digestion.  Ces  siphons  sont  parfois  réunis 
entre  eux,  les  deux  canaux  n'étant  séparés  que 
par  une  simple  cloison  musculaire. 

Immédiatement  sous  le  manteau  se  trouvent, 
de  chaque  coté,  deux  paires  de  lamelles  foliacées 
en  forme  de  peignes;  ce  sont  les  organes  de  la 
respiration,  les  branchies.  Elles  sont  fixées  sur 
l'animal  par  le  bord  supérieur  ou  dorsal  et  se 
réunissent  entre  elles  à  la  partie  postérieure. 
Entre  ces  branchies  se  trouve  le  corps  de  l'nni- 
I  mal,  formant  une  sorte  de  sac  où  sont  logés  les 
viscères,  et  un  piert  plus  ou  moins  extensible  en 
forme  de  soc  de  charrue.  C'est  au  moyen  de  ce 
pied  que  se  meuvent  les  Lamellibranches  suscep- 
tibles de  se  mouvoir.  Chez  certaines  espèces, 
comme  les  moules,  les  huitres  perlières,  les  jam- 
bonneaux, ce  pied  est  creusé,  à  sa  face  dorsale, 
d'une  gouttière  au  fond  de  laquelle  se  trouvent  des 
glandes  sécrétant  des  fils  soyeux,  au  moyen  des- 
quels l'animal  se  fixe  aux  corps  étrangers.  Cet 
organe  d'adhérence  porte  le  nom  de  byssus. 

La  bouche,  en  forme  de  fente,  est  entourée  de 
deux  paires  de  lamelles  trianguhiires,  dont  la  sur- 
face est  tapissée  de  cils  vibratiles  entraînant  les 
particules  alimentaires  vers  la  bouche.  On  ne 
trouve  chez  les  Lamellibranches  aucun  organe 
comparable  à  la  râpe  linguale  des  Mollusques 
plus  élevés.  Le  tube  digestif,  sans  traces  d'esto- 
mac, est  contourné  en  spirale,  et  après  avoir  tra- 
versé le  cœur  situé  sous  la  charnière,  il  s'ouvre 
au  dehors  à  l'extrémité  d'un  petit  tube. 

Le  reste  du  corps  est  occupé  par  des  glandes 
volumineuses,  parmi  lesquelles  il  faut  citer  sur- 
tout le  foie. 

Deux  muscles  puissants,  transversaux,  situés 
l'un  en  avant  de  la  bouche,  l'antre  à  la  partie  pos- 
térieure, sont  fixés  aux  deux  valves  et  ont  pour 
objet  de  fermer  la  coquille.  Ces  muscles  laissent 
sur  chaque  valve  des  empreintes  très  nettes, 
désignées  sous  le  nom  d'empreintes  musculaires. 
Souvent  le  muscle  postérieur  s'atrophie  et  dispa- 
rait même  entièrement  dans  certains  genres,  en 
particulier  dans  les  huitres. 

Parmi  les  mollusques  lamellibranches,  les  uns 
restent  constamment  fixés;  c'est  ce  qui  a  lieu  par 
exemple  pour  l'huître,  qui  adhère  aux  roches  au 
moyen  de  sa  valve  gauche  qui  est  la  plus  bom- 
bée. 

D'autres  espèces  restent  fixées  au  moyen  du 
byssus  qu'elles  sécrètent.  D'autres  restent  enfouies 
dans  le  sable  ou  dans  la  vase  ;  elles  ont  alors  un 


MOLLUSQUES 


—  1337  — 


MOLLUSQUES 


i,i,Hl  tiTS  drvcloppé,  qui  leur  perniRt  de  fouiller  le 
l  1  ..  de  s,pl,ons  IrU  longs  dont  les  c^trem,  es 
neûvent  vcni  arflourer  i  la  surface  du  fond.  Cer- 
tains bivalves,  comme  les  Pholades,  se  creusent 
re  dS.re  dans  des  sols  plus  durs  et  .é.e    an 


Les  genres  dépourvus  de  cliarnières  présentent 
cncoe^d'antres  différences  fondamen.ales  ;  ce  qm 
a    permis   de  diviser  les  Bracluopodcs  en  deux 

^''T"'l\f  Brachiopodes  pourvus  d'une  chnrnière, 


un^^^^mi^^ed..  des  sols  pl;.^u.<Hmém<=d^^^^  ,,,,,,,3  et  par 

des  roches. D'autres,  comme  'esTarcts  cieuse  t  le    c  ^^   ^^^.^  dépourvu  d'anus.  ^  ,      _____ 


(les  rocnes.u  aunes,  .-.».....<=  ■--  '-~:;^.^  mn^irié 
bois  et  peuvent  occasionner  des  degats  conside 
râbles  on  ruinant  les  digues  et  '«s  navires 

EnHn  un  grand  nombre  de  f,%  '^^  "'J^^,^ 
vivent  indépendants  et  se  meuvent  à  la  s»'l*/«  ''" 
sol  et  sur  les  plantes  marines  au  moyen  des  con- 
racUons  de  le'ur  pied,  ou  «".""v-ant  et  en  refer- 
mant brusquement  leur  coqudle  (Limes,  Peignes) 
a  plupart  des  Lamellibranches  sont  dioiques  . 
les  œu  s,  en  nombre  considérable,  sont  retenus 
entr?"es  lobes  du  manteau  et  les  feuillets  des 
branchies.  Us  restent  1.1  jusqu'à  l<=ur  eçlosion  e 
même  chez  certaines  espèces,  comme  ^'^^^'J'^f 
de.  nos  eaux  douces,  les  jeunes  y  demeut'- 


un  tube  digestif  dépourvu  danus. 

Ce  groupe,  le  plus  nombreux,  comprend  les  gen- 
res principaux  siivantst  Terchmlula,  Rhjnconella , 
Sub-ifei-,  Piodiictus,  Ortliis. 

■2"  Les  Braohiopodes  sans  charnières;  -dans  ce 
groupe  le  test  e.st  corné,  le  tube  digestif  est 
pourvu  d'un  anus.  Le  genre  le  plus  important  de 
ce  •troupe  est  le  genre  Lmg"la.  .      „„ 

Si  on  ouvre  la  coquille  d'un  Brachiopode,  on 
voit  que  sur  chaque  valve  est  adhérente  une  a-, 
mè  le  membraneise,  analogue  au  ^■"anteau  des 
Lamellibranches,  mais  toujours  •<'^.deux  lobes  du 

anleau    des   Bracbiopodes  sont  disjoints   et   les 


même  cnez   eeriainr.o.  ^^i^^.^^-, ------        ,„„„,;„.    manteau    des   Bracniopuuu»  nu.ii.  ^..jj"- ■--   --   -   - 

de  nos  eaux  douces,  les  jeunes  y  d<>me"re  t  jus-    '»;"  «f"   ?,n,„,      pénètrent,  ce  qui  n'a  pas  lieu 
qu'à,  ce  qu'ils  aient  atteint  le  tiers  de  la  taille  des    »;;|^^"',-^/'Larnellibranches.   Le   manteau   est  en 


Tous  les  Lamellibranches  subissent  des  meta-  ] 
morphoses.  Les  embryons  nagent  t''"JO"'-f,  Ij?;^: 
ment  dans  l'eau,  au  moyen  d  iin  voile  un  obe 
qu'ils  portent  à  leur  partie  anleneure  et  dont  la 
surface  est  couverte  de  cils  vibn^ils.  Ils  peuven 
ainsi  se  répandre  à  de  grandes  distances  ce  qm 
est    en    général  absolument  impossible    à    leurs 

''*Ap"ès  quelques  jours  de  cette  existence  errante. 
les  animaux  sédentaires  choisissent  la  place  qu  ils 
occuperont  toute  leur  vie.  L'Huitre  se  fixe  par  sa 
coquille,  la  Moule  et  le  Jambonneau  hlent  un 
byssus.  La  Mye  et  le  Solen  creusent  dans  e 
sable  ou  dans  la  vase,  le  Taret  creuse  le  bois  la 
Pholade  la  roche.  En  même  temps  leur  vmle  ois- 
parait  et  la  larve  acquiert  sa  forme  définitive. 

D'après  la  présence  ou  l'absence  de  siphons, 
les  Lamellibranches  sont  divisés  en  deux  grands 
groupes  :  les  Siphoniens  et  les  Asiphoniens.  Dans 
le  groupe  des  Siphoniens  nous  trouvons  les  Lucines, 
lesCyclas,  les  Vénus,  lesTellines,  les  Myes,  les  So- 
lens  ou  Couteaux,  les  Pholades,  les  Tarets,  etc. 
C'est  aussi  dans  ce  groupe,  qu'on  place  le  genre 
fossile  si  important  des  Hippurites. 

Les  plus  remarquables  des  Asiphoniens  sont  :  les 
Huîtres,  les  Pintadines,  les  Moules,  les  Tridacnes 
ou  Bénitiers,  les   Peignes   ou  coquilles   de  baint-  , 
Jacques,  et  les  .lambomieaux.  1 

Beaucoup  de  bivalves  sont  comestibles  ;  quel- 
ques-uns, comme  les  Huîtres,  les  Moules,  sont 
très  recherchés  et  leur  culture  a  donne  naissance 
à  des  industries  très  lucratives,  telles  que  1  os- 
tréiculture et  la  mytiliculture. 

D'autres,  et  en  particulier  la  Pintadme  ou 
Huître  perlière,  sont  recherchés  pour  la  beauté  de 
la  nacre  de  leur  coquille  et  pour  les  perles  qu  Us 
produisent.  Enfin,  dans  quelques  pays,  on  hle  les 
fils  très  soyeux  du  byssus  des  Jambonneaux. 

Brachiopodes  (Classe  des).  -  Les  Brachiopo- 
des,  comme  les  mollusques  lamellibranches,  sont 
pourvus  d'une  coquille  à  deux  valves;  mais  cette 
coquille  est  toujours  privée  de  nacre,  et  tandis 
que  chez  les  Lamellibranches  l'une  des  valves 
est  droite,  l'autre  gauche,  ici  l'une  est  ventrale, 
l'autre  dorsale.  En  outre,  chez  les 


es  Bracliiopodes 

les  deux  valves,  toujours  équilatérales,  sont  iné- 
quivalves.  La  valve  ventrale,  la  plus  grande,  est 
pourvue,  en  général,  d'un  crochet  au  moyen  du- 
quel elle  se  fixe  aux  corps  étrangers,  ou  au  tra- 
vers duquel  passe  un  organe  d'adhérence.  La 
valve  la  plus  petite  ou  dorsale  est  toujours  libre 
et  imperforée.  Ces  deux  valves  sont  le  plus 
souvent  articulées  au  moyen  de  deux  dents 
courbes,  situées  sur  le  bord  de  la  valve  ventrale 
et  reçues  dans  des  fossettes  de  la  valve  opposée. 
L'articulation  est  si  complète  qu'on  ne  peut  sépa- 
rer les  deux  valves  sans  rupture. 


:;",i:"  s^Lamëinir^anches.  Le  -anteau  est  en 
outre  bordé  de  filaments  chitmeux  présentant  des 
stries  de  forme  variable  avec  les  espèces. 

Sous  le  manteau,  on  ne  trouve  pasd  organes 
comparables  aux  branchies  des  Lamellibranches 
Z  s  on  rencontre  deux  lamelles  frangées,  ayant 
r  m-me  de  bîas  enroulés  en  spirale,  d'où  e  nom 
de  Brr-c/»o;.o.te  donné  à  ces  animaux.  Ces  la- 
melles par  ent  de  chaque  côté  de  la  bouche  et 
sin  u^portées  par  un  appareil  apophysaire  cal- 
aire  ou  corné,  a!lhérent  à  la  valve  dorsale,  e  de 
forme  diflerente  avec  les  genres  Ce  support  so 
idë  empoche  les  lamelles  de  «'étendre  et  de  sor- 
tir au  dehors;  c'est  tout  au  plus  si,  chez  les 
Ungules  l'extrémité  des  bras  est  susceptible  d  une 
faible  extension.  . ,      ,        •, 

Ces  bras,  grâce  au  mouvement  ''aP'de  des  «u 
vibratiles  qui  les  recouvrent,  servent  à  en  rahier 
les  particules  alimenta.res  vers  '«  '~  •  '^ 
concourent  aussi  d'une  façon  très  efficace  avec  le 
manteau  à  la  respiraùon.  Le  corps  proprement 
dit  d>.  Brachiopode  occupe  une  faible  place 
près  de  la  charnière,  et  sa  plus  grande  partie  es 
remplie   par    le   foie   très   volumineux  et    granu 

'""tÔus  les  Brachiopodes  sont  marins.  On  les 
trouve  dans  toutes  les  mers  et  k  toutes  les  profon- 
deui^  Ce  sont  de  tous  les  Mollusques  les  pre- 
Ss  qui  aient  apparu,  et  ils  étaient  smtout 
abondants    dans    les    te^nsjrnnan^es^^^^^.^^^ 

Bryozoaires    Classe  aes;  „    ,„  .rlvistpnre 

sont  des  animaux  qui,  par  le'"",  ™f  f', ''/IV.^Jet 

élevés.  On  les  place  maintenant  il  cote  des 
'"crque'Zma'Te  la'côlonie  est  placé  dans  une 
nelie  loge    dont  les   parois  sont,  ou  cornées    ou 
petite  iog,,uui  1  arriver  aussi   que 

3"...  s.'?»  p...cto  «  7"r>;"","„'r, 

Br:nï:;'Êi.nrs!,'.r?"^Hî 


MOLLUSQUES 


—  1338 


MONGOLS 


Cet  épistorae  n'existe  que  chez  les  Bryozoaires 
pourvus  d'un  '.ophopliore  en  forme  de  fer  à  che- 
val. La  bouche  est  suivie  d'un  œsophage  cilio, 
conduisant  dans  un  estomac  d'où  part  l'intestin 
f|ui  remonte  vers  le  haut  et  va  s'ouvrir  au  dehors, 
au-dessous  du  lophopliore. 

Des  muscles  puissants  permettent  à  l'animal  de 
rentrer  entièrement  dans  sa  cellule. 

Dans  les  Bryozoaires  marins,  le  lophophore 
n'est  plus  en  forme  de  fer  à  cheval,  mais  circu- 
laire avec  la  bouche  centrale.  11  n'y  a  plus  d'épis- 
tome.  Le  reste  de  l'animal  est  semblable  i  ce  que 
l'on  trouve  chez  les  Bryozoaires  pourvus  d'un 
lophophore  en  fer  à  cheval. 

Les  tentacules  sont  creux  et  communiquent 
avec  la  cavité  générale,  remplie  du  liquide  sanguin 
dans  lequel  flottent  les  viscères;  les  tentacules 
servent  h  amener,  grâce  au  mouvement  de  leurs 
cils  vibratiles,  les  particules  alimentaires  vers  la 
bouche,  et  en  même  temps  concourent  à  la  respi- 
ration avec  les  autres  parties  du  lophophore. 

Dans  beaucoup  de  Bryozoaires  marins,  on  ren- 
contie  près  de  l'ouverture  des  cellules  où  sont 
logés  les  animaux,  des  organes  particuliers,  que 
l'on  considère  souvent  comme  des  individus  mo- 
difiés de  la  colonie.  Ce  sont  les  Aviculaires  et  les 
Vihracuhires. 

Les  Aviculaires,  ainsi  nommés  à  cause  de  leur 
ressemblance  avec  un  bec  d'oiseau,  peuvent  saisir 
les  petits  organismes  qui  passent  dans  leur  voi- 
sinage et  les  maintenir  jusqu'à  leur  mort;  ces 
organismes  sont  alors  entraînés  vers  la  bouche  sous 
l'action  du  courant  produit  par  les  cils  vibratils 
des  tentacules.  Les  Vibraculaires  sont  des  organes 
semblables  aux  aviculaires;  seulement,  au  lieu  de 
pinces,  ils  portent  un  filament  très  long  et  très 
mobile. 

Les  Bryozoaires  se  reproduisent  par  œufs,  et 
aussi  par  bourgeons  restant  fixés  à  la  colonie  et 
au  moyen  desquels  cette  dernière  s'accroît. 

D'après  la  forme  de  leur  lophophore,  et  par 
suite,  d'après  l'existence  ou  non  d'un  épistome, 
les  Bryozoaires  ont  été  divisés  en  deux  grands 
groupes  : 

1°  Les  Phylactolcmes,  à  lophophore  en  forme  de 
fer  à  cheval,  renfermant  presque  tous  les  Bryo- 
zoaires d'eau  douce.  Les  principaux  genres  de  ce 
groupe  sont  les  Cristatelùi,  les  Plwnatella,  les 
Alcyo7fl/a,  etc. 

2°  Les  Gymnolèmes,  h  lophophore  circulaire, 
tous  marins,  à  l'exception  des  Vrnatelln  et  des 
Palurlic-lla  qui  vivent  dans  les  eaux  douces.  Les 
principaux  genres  de  ce  groupe  très  nombreux 
sont  les  Crisin,  Tubuliporii,  Fludra,  Cellularia, 
Mfmhranipora,  Eschura,  etc. 

Les  Bryozoaires  se  fixent  sur  la  plupart  des 
corps  que  l'on  trouve  dans  l'eau,  tels  que  pier- 
res, coquilles,  liges  et  feuilles  de  plantes  aqua- 
tiques. Quelques  Cristatelles  seules  peuvent  ram- 
per sur  les  corps  submergés. 

Les  Bryozoaires  étaient  très  répandus  aux  diver- 
ses époques  géologiques,  et  en  particulier  à  l'épo- 
que de  la  mer  jurassique,  dans  les  sédiments  de 
laquelle  on  retrouve  un  très  grand  nombre  de 
débris  de  Bryozoaires. 

Tunioiers  Classe  des).  —  Les  animaux  de  cette 
classe,  dépourvus  de  coquille,  ont  le  corps  pro- 
tégé par  une  peau  coriace,  la  tunique,  qui  leur  a 
fait  donner  le  nom  de  Tuniciers.  Cette  peau  est 
percée  de  deux  orifices;  l'un  s'ouvre  dans  une  vaste 
cavité,  le  sac  branchial,  tapissée  de  cils  vibratiles, 
et  au  fond  de  laquelle  se  trouve  la  bouche.  Par 
le  second  orifice  sortent  les  détritus  de  la  diges- 
tion et  l'eau  qui  a  servi  à  la  respiration.  La  cir- 
culation présente  chez  ces  animaux  un  phéno- 
mène remarquable.  Le  cœur,  en  forme  de  long 
vaisseau,  est  animé  de  mouvements  rapides  qui  se 
propagent    sur   toute   son  étendue  ;    au  bout  de 


quelques  instants  ces  mouvements  s'arrêtent  et 
reprennent  en  sens  inverse,  de  sorte  qu'alternati- 
vement les  vaisseaux  sanguins  jouent  le  rôle  de 
veines  ou  d'artères. 

Tous  ces  animaux  sont  hermaphrodites.  Leurs  J 

larves,  toujours  libres,  passent  par  des  métamor-  1 

phoses  ;  ils  ont  en  général  une  longue  queue  qui  ; 

leur  permet  de  se  mouvoir.  Outre  la  reproduction 
par    larves,    certains    tuniciers    se    reproduisent  J 

encore  par  bourgeonnement.  r 

Les  Tuniciers  peuvent  se  diviser  en  deux  grands         ' 
groupes,  les  Ascidies  et  les  Salpes. 

Dans  le  groupe  des  Ascidies,  on  rencontre  :  les 
Ascidies  simples,  vivant  isolées,  fixées  sur  les 
pierres  ou  dans  le  sable,  et  dont  la  tunique  se 
recouvre  de  corps  étrangers; 

Les  Ascidies  agrégées,  vivant  en  colonies  for- 
mées d  individus  placés  sur  des  stolons  ramifiés; 

Les  Ascidies  composées,  formant  des  colonies 
dans  lesquelles  les  différents  individus  sont  con- 
fondus dans  une  enveloppe  commune.  Ces  asci- 
dies, de  couleurs  très  vives,  se  développent  sur  les 
algues  et  les  pierres  ; 

Enfin  les  Pyrosomes,  dont  les  individus  sont 
réunis  en  colonies  libres.  Ces  colonies  ont  la  forme 
d'un  long  cylindre  ouvert  à  une  de  ses  extrémités. 
Ces  animaux  sont  remarquables  par  leurs  brillan- 
tes couleurs  et  leur  phosphorescence. 

Le  groupe  des  Salpes  comprend  dos  animaux 
présentant  le  phénomène  de  la  génération  alter- 
nante. C'est  du  reste  chez  ces  animaux  que  ce 
phénoiuène  a  été  pour  la  première  fois  observé. 
On  les  rencontre  soit  isolés,  soit  réunis  en  lon- 
gues chaînes  flottant  à  la  surface  de  la  mer.  Les 
Salpes  isolées  sont  asexuées  et  produisent  à  leur 
intérieur,  par  bourgeonnement,  les  Salpes  en  chaî- 
nes; ces  dernières,  de  forme  différente,  sont 
sexuées  et  donnent  naissance  aux  Salpes  isolées. 

Ces  animaux  transparents  et  phosphorescents 
flottent  à  la  surface  de  la  mer  et  progressent  au 
moyen  des  contractions  de  leur  manteau. 

D'après  cette  élude  des  Mollusques,  on  peut 
voir  que  tous,  à  l'exception  de  quelques  genres, 
sont  marins;  que  les  Lamellibranches  presque 
seuls  ont  une  utilité  immédiate,  et  encore  assez 
peu  importante,  soit  comme  aliments,  soit  comme 
producteurs  de  nacre  et  de  perles.  Mais  au  point 
de  vue  géologique,  les  mollusques,  au  moins  ceux 
qui  sont  pourvus  d'une  coquille,  ont  une  toute 
autre  importance.  En  effet,  par  leur  nombre  con- 
sidérable, ces  mollusques  contribuent  puissam- 
ment à  extraire  le  carbonate  de  chaux  dissous 
dans  les  eanx  de  la  mer,  et  leurs  débris,  aujour- 
d'hui, comme  aux  époques  géologiques  antérieu- 
res, jouent  un  rcMe  important  dans  les  modifica- 
tions que  subit  sans  cesse  l'écorce  terrestre. 

[J.  Poirier.] 

MO>'GOLS.  —  Histoire  générale,  \X-XM.  — 
Les  Mongols,  qui  paraissent  descendre  de  la  tribu 
des  Tatares,  établie  entre  l'Altai  et  le  lac  Baïkal 
et  dont  le  nom  a  été  corrompu  au  moyen  âge  en 
celui  de  Tartares,  sont  les  nombreuses  tribus 
nomades  qui  habitent  le  haut  plateau  appelé 
Mongolie  (et  en  Chine  :  Tao-tsi,  Terre  des  herbes), 
compris  entre  la  Chine  proprement  dite  au  S., 
la  Sibérie  au  N.,  la  Haute  Tarlarie  h  l'O.,  la 
Mandchourie  à  l'E.,  et  qui  renferme  au  centre  le 
vaste  désert  de  Gobi  ou  Chama  et  le  Kliou-khou- 
noor.  Ces  Mongols,  dont  le  nombre  encore  in- 
connu peut  être  évalué  de  ".'  à  4  millions,  ont  donné 
leur  nom  à  la  race  mongolique  ou  race  jaune. 
(V.  Races  humaines.) 

Ils  se  divisent  aujourd'hui  en  Mongols  occiden- 
taux ou  Kalmoucks,  qui  comprennent  plusieurs 
peuplades  :  les  Kochots,  les  Dzoungares,  les  Dur- 
bets,  les  Torgoouts  ;  et  en  Mongols  orientaux, 
qui  comprennent  les  Khalkhas,  les  Bouriates,  les 
Kortchins,  les  Naimans,  les  Toumets. 


MONGOLS 


1339 


MONNAIE 


L'iiistoii-G  de  ce  peuple  est  d'abord  ir^s  obscure, 
l'ii  'i\'t  avant  J.-C,  l'empereur  cbinois  Tsi-Cbi- 
lloan;;-'!'!,  de  la  dynastie  dos  Tbsin ,  élève  la 
grande  muraille  pour  arrêter  les  incursions  de  ces 
peuplades  entraînées  par  les  Hiong-nou  ou  Huns, 
(|ui  appartiennent  comme  eux  à  la  famille  tartaro- 
cbinoise.  Puis,  pendant  près  de  quinze  siècles, 
riiistoire  ne  mentionne  plus  les  Mongols. 

Au  moyen  ftge,  les  difl'érentes  peuplades  mon- 
goles ont  été  réunies  deux  fois  sous  une  même 
dcmiiiation.  La  première  fois  en  12113,  par  le  cbef 
d'une  grande  tribu,  Temoudgin,  qui  fut  surnommé 
Tcliingis-Klian  ou  Gengis-Kan,  le  «  chef  des  chefs.  » 
Avec  une  armée  que  la  terreur  Ht  croire  innombra- 
ble et  qu'on  n'évalue  qu'h  '20(jOO  hommes,  il  con- 
quit, par  lui-mftme  ou  par  ses  fils,  l'empire  des 
Huns  du  Kharisnae,  la  Perse  et  la  moitié  de  la 
liussie  d'Europe.  Il  mourut  en  r227,  au  moment 
de  conquérir  la  Chine,  que  subjuguèrent  ses  suc- 
cesseurs. Son  empire,  l'un  des  plus  vastes  qui  aient 
jamais  existé,  se  divisa  en  quatre  royaumes  :  le 
Kaptchak  ou  royaume  de  la  Horde  d'Or,  le  royaume 
d'Iran,  le  Djaggathai,  et  la  Mongolie  propre  avec 
la  Chine.  Les  chefs  de  ces  royaumes  (khanals)  pri- 
rent le  titre  de  Khans  ;  celui  de  Mongolie  fut  le 
Khan  suprême  ou  Grand-Khan.  Ces  khanats  de- 
vaient former  les  parties  intégrantes  d'un  empire 
unique;  mais  avant  la  fin  du  xiii"  siècle,  la  sépara- 
tion était  complète.  En  I'iG.3,  l'empire  de  la  Horde 
d'Or  se  divisait  en  cinq  khanats  :  le  klianat  des 
Tarlares  Nogais,  entre  le  Don  et  le  Dniester,  qui 
fut  détruit  au  xviii'  siècle  ;  le  khanat  de  Crimée, 
qui  fut  définitivement  réuni  à  la  Russie  par  le 
traité  de  Constantinople  (l'I84)  ;  le  khanat  d'As- 
trakhan, qui  y  fut  réuni  en  1654;  le  khanat  de 
Kaptchak,  détruit  par  Ivan  III  en  liSI  ;  et  le  kha- 
nat de  Kliazan,  qui  fut  réuni  à  la  Russie  en  15a2. 
Le  khanat  d'Iran  fut  détruit  par  un  descendant 
de  Gengis-Khan,  Timour-Leng  ou  Tamerlan,  chef 
d'une  tribu  du  royaume  de  Djaggathai,  qui,  pour 
la  seconde  fois,  réunit  tou^  les  Mongols  sous  la 
même  domination.  Il  s'empara  du  Djaggathai  tout 
entier,  et  prit  Samarcand  pour  capitale;  puis  il 
conquit  la  Khowaresmie,  le  Kachgar,  le  Khoraçan, 
la  Perse,  l'Arménie,  et  s'empara  de  Delhi  en  Inde, 
en  I3'.)8.  Il  revint  en  Syrie,  vainquit  le  sultan 
turc  Bajazet  à  Ancyre  (1402),  et  mourut  en  se 
dirigeant  vers  la  Chine.  A  la  mort  de  Tamerlan, 
tous  les  peuples  qu'il  avait  conquis  reprirent  leur 
indépendance  ;  la  domination  mongole  ne  réussit 
à  s'affermir  que  dans  l'Inde  avec  Baber,  petit- 
flls  du  conquérant,  qui  y  fonda  l'empire  appelé 
l'empire  du  Grand-Mongol.  Cet  empire  s'étendit 
bientôt  sur  tout  i'Hindoustan  et  la  Perse;  quel- 
ques provinces  restèrent  sôus  la  domination  di- 
recte de  leurs  princes  (radjahs);  les  contrées  im- 
médiatement soumises  aux  Grands-Mongols  se  divi- 
sèrent en  12  provinces  (soubabiesj  subdivisées  el- 
les mêmes  en  provinces  secondaires  (nababies).  Cet 
empire  commença  à  déchoir  dans  la  seconde  partie 
du  règne  d'Aureng-Zeb,  cinquième  successeur  de 
Baber.  En  H^S,  l'invasion  du  Persan  Nadir-Schah 
et  le  pillage  de  Delhi  inaugurèrent  la  période  de 
troubles  où  cet  empire  fut  attaqué  par  les  Abdalis, 
les  Mahrattes,  les  Français  et  surtout  les  Anglais, 
qui  conquirent  successivement  le  Bengale  (1769), 
Bénarès,  la  sultanie  de  Mysore ,  Seringapatam 
(1793),  le  Sindh  (184a),  le  Pendjab  i:I849),  le  Bé- 
rar  (18o4),  et  le  royaume  dOude  (I85G).  En  Chine, 
la  domination  mo])gole,  renversée  par  la  dynastie 
nationale  des  Ming  (l:i6«),  fut  relevée  en  lt)44  par 
la  dynastie  mandchoue,  qui  règne  encore,  et  qui 
peu  à  peu  soumit  la  plupart  des  Mongols;  la 
Mongolie  constitue  aujourd'hui  une  des  six  par- 
ties de  l'Empire  chinois. 

Les  différentes  peuplades  mongoles,  divisées 
en  grandes  tribus  commandées  chacune  par  un 
chef,  et  on  hordes,  sont  disséminées  sur  tous  les 


points  de  la  Mongolie  :  les  Torgoouts,  établis  dans 
le  Turkestan,  puis  au  xvu'  siècle  en  Russie,  sont 
revenus  dans  la  Dzoungarie  (1771),  que  peuplent 
les  Dzoungares  ;  les  Kochots  habitent  le  Khou- 
khou-noor;  les  Durbets,  mêlés  autrefois  aux  Dzoun- 
gares et  aux  Kochots,  se  sont  établis  depuis  le 
xviii"  siècle  sur  les  bords  du  Volga  et  de  U 
Kouma,  où  ils  forment  les  troupes  légères  de  la 
Russie  pour  la  défense  des  frontières;  le  Turkes- 
kan  oriental,  conquis  par  les  Mongols  en  1758,  i 
été  soumis  par  les  empereurs  mandchoux,  ainsi 
que  les  trois  khanats  des  Klialkhas.  Les  steppes 
des  Kirghiz  ont  été  conquises  par  la  Russie  ya 
1819. 

Depuis  que  le  boudhisme  leur  a  été  prêcha, 
les  Mongols  sont  devenus  pacifiques  et  hospii.a- 
liers  ;  le  vol  et  le  pillage  sont  rares  parmi  eux. 
Les  lamas,  prêtres  et  moines  boudhistes,  exercent 
une  puissante  influence.  Les  empereurs  chinois, 
qui  ne  craignent  rien  tant  qu'une  nouvelle  coali- 
tion de  toutes  ces  tribus,  favorisent  de  tout  leur 
pouvoir  le  lamaïsme  ;  ils  fondent  des  lamaseries 
et  donnent  des  revenus  aux  lamas  selon  le  degré 
qu'ils  occupent  dans  la  hiérarchie  ;  ceux-ci,  compo- 
sés de  presque  tous  les  cadets  de  famille,  forment 
au  moins  un  tiers  de  la  population.  Les  empe- 
reurs s'assurent  encore  la  soumission  des  Mon- 
gols en  donnant  en  mariage  h  leurs  princes  des 
princesses  chinoises  auxquelles  ils  font  une  pen- 
sion qu'une  désobéissance  peut  leur  faire  perdre. 
(Th.  Lindenlaub.] 

MO>".NAin.  — La  monnaie  est  une  certaine  mar- 
chandise qui,  d'un  commun  accord,  est  reçue  d»ns 
une  contrée  en  échange  de  toutes  les  autres  mir- 
cliandises.  C'est  pourquoi  l'on  dit  qu'elle  sert  de 
dénuminalew  cominwi  à  toutes  IfS  valeurs.  La  va- 
leur d'une  marchandise  exprimée  en  monnaie, 
c'est-à-dire  à  l'aide  de  ce  dénominateur  commun, 
s'appelle  le  prix. 

Sans  la  monnaie,  les  hommes  seraient  réduits 
à  un  troc  grossier  :  ici  un  mouton  s'échangerait 
contre  un  certain  nombre  de  lapins,  contre  un  fer 
de  charrue  ou  une  mesure  de  blé;  \h,  celui  qui 
voudrait  acheter  de  la  farine  ofl'rirait  des  fruits  o» 
des  légumes.  Il  n'y  aurait  pas  de  terme  général 
de  comparaison  des  valeurs,  parce  qu'il  n'y  aurait 
pas  de  mesure  commune  ;  le  commerce  serait  tou- 
jours difficile,  souvent  impossible  et  nécessaire- 
ment très  restreint.  Au  contraire,  lorsqu'on  dit:  un 
mouton  vaut  30  francs  ;  un  lapin,  5  francs  ;  un  soc 
de  charrue,  10  francs  ;  une  mesure  de  blé,  25  francs, 
on  a  une  expression  claire  de  la  valeur  relative  des 
choses  et  l'on  se  rend  aisément  compte  qu'un 
mouton  vaut  deux  mesures  de  blé  ou  cinq  socs 
de  charrue,  et  qu'un  lapin  n'a  que  le  cinquième 
de  la  valeur  d'une  mesure  de  blé. 

Si  la  monnaie  n'avait  pas  elle-même  une  valeur 
réelle,  elle  ne  pourrait  pas  servir  à  mesurer  des 
valeurs.  On  ne  peut  comparer  que  des  quantités 
de  même  nature:  il  faut  ujie  longueur  pour  me- 
surer les  longueurs,  un  poids  pour  mesurer  lee 
poids.  La  monnaie  n'est  donc  pas  seulement  une 
mesure  commune  ;  elle  doit  être  aussi  un  équiva- 
lent. C'est  un  principe  qu'il  importe  de  ne  pas 
perdre  de  vue.  Il  existe  bien  des  instruments  d'é- 
change qui  ne  sont  pas  des  équivalents,  comme  les 
sous  ou  les  billets  de  banque;  mais  ceux-ci  cona- 
tituènt,  les  premiers  une  monnaie  divisionnaire 
qu'on  n'est  obligé  de  recevoir  qu'en  quantité  très 
limitée  et  pour  la  commodité  des  petits  paii'ments, 
les  seconds  une  monnaie  fiduciaire,  c'est-à-dire  une 
monnaie  reposant  sur  la  confiance,  et  représenta- 
tive d'une  monnaie  réelle. 

Dans  certains  pays,  on  a  employé  comme  mon- 
naie diverses  marchandises  d'uji  usage  très  général, 
telles  que  le  bétail  chez  les  anciens,  le  tabac  en 
Virginie,  les  peaux  de  martre  en  Russie.  Mais  les 
métaux    précieux,   or  et   argent,  présentent  ae« 


MONNAIE 


—  1340  — 


MONNAIE 


avantages  si  grands  que  les  peuples  civilises  les 
ont,  depuis  l'antiquité,  adoptés  pour  la  fabrication 
delà  monnaie.  En  efl'et,  ils  ont: 

1°  Une  granité  valeur  soiisimpetit  volume.  Le  fer 
et  le  blé  n'auraient  pas  cette  qualité.  Si  l'on  avait 
un  paiement  de  1000  francs  à  faire  en  plomb  ou 
en  charbon  de  terre,  on  serait  embarrassé  pour  le 
transport,  tandis  qu'on  met  très  aisément  lUOO  francs 
en  or  dans  sa  poche  et  qu'on  porte  même  sans 
peine  lOOo  francs  en  argent  (s  kilogrammes). 

2°  Une  parfaite  homogénéité  de  toutes  les  parties 
et  la  divisilnhié  de  ces  parties  sans  altération  de 
la  valeur.  Un  diamant  vaut  beaucoup  plus  que  l'or 
à  poids  égal  ;  mais  deux  diamants  de  même  poids 
ont,  suivant  leur  eau  et  leur  taille,  des  valeurs  très 
différentes.  Lorsqu'un  diamant  est  cassé  en  plu- 
sieurs morceaux,  les  morceaux  n'ont  plus  qu'une 
valeur  totale  très  inférieure  à  celle  qu'avait  le  dia- 
mant entier.  Tout  kilogramme  de  laine  n'est  pas 
l'équivalent  d'un  autre  kilogramme  de  laine  ;  il 
en  est  ainsi  de  la  plupart  des  marchandises.  Au 
contraire,  un  kilogramme  d'or  fin  ou  d'argent  fin, 
de  quelque  mine  qu'il  provienne,  est  exactement 
semblable  à  tout  autre  kilogramme  d'or  ou  d'ar- 
gent fin. 

3»  Vinalti'rabilité.  Si  l'on  payait  avec  des  fruits, 
celui  qui  les  aurait  reçus  et  qui  ne  les  aurait  pas 
consommés  ou  cédés  prompiement.  les  verrait 
pourrir  et  perdrait  bientôt  tout  son  avoir.  Si  l'on 
payait  avec  du  bétail,  il  faudrait  le  nourrir  et  ce 
■bétail  serait  également  exposé  i  périr.  Si  c'était 
avec  du  fer,  il  finirait  par  s'oxyder. 

4°  La  fixité  de  la  valeur.  Il  n'y  a  pas  de  valeur 
qui  soit  entièrement  fixe.  Toutes  les  marchandises 
subissent  à  cet  égard,  suivant  l'offre  et  la  demande, 
des  variations  auxquelles  les  métaux  précieux  n'é- 
chappent pas  eux-mêmes  entièrement.  Mais  il  y 
a  une  grande  différence  entre  l'offre  des  métaux 
précieux  et  celle  de  la  plupart  des  marchandises. 

Le  blé  récolté,  par  exemple,  est  en  très  grande 
partie  consommé  quand  vient  la  récolte  suivante; 
l'offre  consiste  donc  chaque  année  dajis  la  der- 
nière récolte,  laquelleapuêtre  bonne  ou  mauvaise; 
la  valeur  se  trouve  ainsi  très  sensiblement  affec- 
tée par  l'abondance  ou  la  disette.  On  peut  en  dire 
à  peu  près  autant  des  autres  marchandises  que  la 
consommation  détruit  ou  transforme. 

Il  n'en  est  pas  de  même  de  l'ur  et  de  l'argent, 
dont  une  petite  partie  seulement  est  transformée 
ou  employée  par  l'industrie,  et  dont  la  majeure 
partie  circule  à  l'état  de  lingots,  de  pièces  de  mon- 
naie ou  même  d'objets  fabriqués,  sans  s'altérer. 
Aussi  l'offre  des  métaux  précieux  consiste  t-elle 
dans  presque  toute  la  masse  qui  s'est  accunmlée 
durant  la  suite  des  temps.  Que  la  production  des 
mines  soit  plus  ou  moins  abondante  à  un  moment 
■donné,  cette  offre  ne  se  trouvera  que  légèrement 
modifiée  d'une  année  à  l'autre.  C'est  pourquoi 
la  valeur  des  métaux  précieux,  qui  a  beaucoup 
changé  par  une  action  lente  et  continue  dans 
le  cours  dos  siècles,  est  beaucoup  plus  lixe  d'une 
année  à  l'autre  que  celle  du  blé  ou  de  la  plupart 
des  marchandises. 

Si  la  valeur  du  métal  avec  lequel  la  monnaie  est 
faite  n'est  pas  absolument  fixe,  il  importe  du 
moins  que  la  quantité  de  métal  fin  qui  constitue 
l'unité  monétaire  soit  invariable.  C'est  un  principe 
qui  est  généralement  reconnu  aujourd'hui.  Les 
gouvernements  le  méconnaissaient  souvent  dans 
les  siècles  passés,  où  les  altérations  de  monnaies 
étaient  fréquentes. 

Le  système  monétaire  de  la  France,  décrété  en 
principe  par  l'Assemblée  constituante  et  par  la 
■Convention  (7  avril  no.i),  a  été  organisé  par  la  loi 
dit  7  germinal  an  \I  fis  mars  180:3).  L'unité  mo- 
nétaire est  le  franc,  pièce  pesant  5  grammes  d'ar- 
gent à90U/louO,  et  contenant  par  conséquent  is'-jâO 
d'argent  fin. 


Les  multiples  et  sous-multiples  d'argent  qui  se 
trouvent  aujourd'liui  dans  la  circulation  sont:  la 
pièce  de  5  francs,  celles  de  2  francs,  de  ."lO  cen- 
times, de  20  centimes  (laquelle  a  remplacé  celle 
de  23  cent.). 

Les  pièces  d'or,  qui  étaient  de  40  et  50  francs 
dans  le  principe  et  qui  sont  aujourd'hui  de  100, 
de  iO,  de  20,  de  10,  de  5  francs,  sont  frappées 
à  raison  de  I  kilogramme  d'or  fin  pour  lô  kilo- 
grammes 1/2  d'argent  fin;  c'est  pourquoi  la  pièce 
de  20  francs  pèse  (i5%4.')161  à  !I00/I000  de  fin 
(6«',4516l  —  08',(i4S161  d'alliage  =  b«',W(,'ti%  de 
fin  X 1 5,5  =  00  grammes  d'argent  fin  ou  4=',50  X  20). 

Les  pièces  de  bronze,  refondues  en  1852,  ont 
une  valeur  nominale  de  10  centimes,  de  5  centimes, 
de  2  centimes  et  de  1  centime  ;  mais  leur  valeur 
réelle  est  be.iucoup  moindre,  puisque  la  pièce  de 
10  centimes  ne  pèse  que  10  grammes  et  que  le 
kilogramme  de  bronze  ne  vaut  pas  aujourd'hui 
2  francs  sur  le  marché.  Aussi  sont-elles  considé- 
rées comme  une  simple  monnaie  d'appoint  :  la  loi 
limite  à.  5  francs  la  somme  qu'un  créancier  est 
tenu  d'accepter  de  son  débiteur  en  monnaie  de 
bronze. 

Depuis  1864,  le  gouvernement  français,  voulant 
rendre  impossible  l'exportation  des  monnaies 
divisionnaires  d'argent  que  sollicitait  alors  le 
haut  prix  de  ce  métal,  a  décidé  que  les  pièces  de 
'.;  francs,  de  1  franc,  de  50  centimes  et  de  20  cen- 
times seraient  fabriquées  au  titre  de  8-35/1000  de 
fin  seulement,  au  lieu  de  9U0/1000.  Aussi  la  circu- 
lation de  ces  pièces,  qui  n'avaierit  plus  une  valeur 
intrinsèque  égale  à  leuT  valeur  nominale,  a-t-elle 
été  limitée,  comme  celle  des  pièces  de  bronze  ; 
les  particuliers  ne  sont  pas  obligés  de  les  accepter 
pour  une  somme  supérieure  à  50  francs. 

Le  23  décembre  1SG5,  la  France  conclut  avec 
la  Belgique,  l'Italie  et  la  Suisse  une  convention 
monétaire  par  laquelle  ces  Etats  adoptèrent  le 
système  français;  la  quantité  de  monnaie  divi- 
sionnaire que  chacun  eut  le  droit  de  fabriquer 
fut  limitée  à  6  francs  par  tête  d'habitant.  La 
Grèce  fait,  depuis  1808,  partie  de  cette  union,  dé- 
signée sous  le  nom  d'union  monétaire  latine.  La 
baisse  de  l'argent  a  obligé  les  Etats  à  signer  plu- 
sieurs conventions  spéciales  par  lesquelles  ils  ont 
limité  d'abord  (de  ls74  à  1818),  puis  suspendu 
(depuis  1878)  le  monnayage  de  l'argent. 

De  1795  au  31  décembre  ls78,  les  monnaies  d'or 
et  d'argent  frappées  en  France  à  diverses  époques 
ont  été  : 


i"  Répuhliiius 
i"  Emphe... 
Restaiiratien.. 
Lûuis-i*hilippe 
2"  République 
2'  Empii-c.... 
3«  Riipublique 


Dont 

de  20  francs  ur 


■4-27.2 
6iS1.9 
926.8 


887.8 
1247.3 
1756.9 

459.2 

626.2 

42-1.0 
5511.9(2) 


;i)  OntclédémoDoliscspourTI  millions  do  picccs  de  10  cl  de 
)  Irancs  petit  modelé. 

(2)  Ont  été  démonèlis.'S  pcMir  S2  raillions  rie  pièces  de  0  fr.  23, 
le  2  te.,  de  1  fr.,  de  0  fr.  50  el  de  0  fr.  20. 


(Extrait  de  l'Annunire  du  Bureau  des  Longi- 
twl-s.) 

Nous  joignons  h  ce  tableau  deux  autres  tableaux 
indiquant  d'une  manière  sommaire  le  système 
monétaire  des  principaux  Etats  civilisés. 


MONNAIE 


1341  — 


MONNAIE 


États    qui    ont  la   môme    monnaie    que   la   France   ou    certaines   monnaies    frappées    daprès 
le  système  français. 


ÉTATS. 

INITK  SIOMCI-AIHE. 

IM!SF1IV.\TI0NS. 

Kiaiic. 

Franc. 

Lire 

Dr.ichmi''.  Loi    de"  1867.  —   Con- 
vention de  isCK. 

Divisée  en  100  eentesimi. 

La  Suisse  n*a  pas  frappé  de  monnaies  d'or, 

La  drachme  se  divise  eu  lOU  lepla. 

Le  ley  est  divisé  en  100  banis. 

La  Serbie  se  riîseive  le    .Ir.iil  .l'adopter,   quand   elle  le 

l,i:.Il,L-n,.  ,,  i,,,|,|ir,  ,ir|,inOr  i i„bre  1868,  dcsmou- 

n.i.r,   ,1  i|,ir,  I,    sv.f.Hir  iiithu,;  msis  Ics  aueieiiues 
niou]i:.ie>  du  ^^bl.■HlL■  de  Isù  i  biilisist-enl  et  l'on  compte 
encore  en  léanx  (0  fr.  ::ii)  ou  eu  piastres  fortes  (5  fr.  20). 

L'unité  monétaire  qui  est  le  florin  (2  fr.  47)  n'est  pas  con- 
forme au  système  français.  La  réforme  de  1870  a  créé, 
conformément  à  ce  système,  la  pièce  d'or  de  8  floricis 
=  20  fr.  ;  la  pièce  de  3  llorins  =  5  fr. 

La  ref.irme  de  1877  a  établi  l'étalon  d'or;  la  pièce  de 
10  marcs  pèse  2b', 903226  d'or  ûu. 

Divisé  en  10  decimos. 

Divisé  en  iO  dincros  ou  100  centi. 
Divise  en  lUO  centav.,s. 

l"  États  unis  àla  France 
par  la  comention  mo- 
nétaire de  déc.  1S65  : 

iTiLlK 

SUISSB 

Ghbcb 

'2"  États  ayant  une  mon- 
naie semblable  à  celle 
de  la  France  : 

Dinar  (1  fr.)  Loi  de    1S7S 

Peseta  (1  fr.)  Uécr.  de  1868 

Florin  (-2fr.47j  Laide  iS.ÏS 

Harka    ou  marc  (1    fr.)  Loi    de 

1877. 
Peso  d'or{D  fr.)  Loi  de  1871. 
Venezolano  (5  fr.)  Loi  de  1871. 
Piastre  (6  fr.)  Loi  de  1863. 
Sol  ou  soleil  (5  fr.)  Loi  de  1804. 
Peso  (5  IV.)  Lois  de  1851  ell871l. 
Piastre  (5  Ir.)  Loi  de  I8tj3. 

l'SPiGNK 

il»  Élats  ayant  certaines 
monnaies  semblables  à 
celle  de  la  France  ; 

AUTniCUE-HONGlUE 

Finlande 

Y 

. 

Principaux  États  qui  ont  un  système  monétaire  différent  du  système  français 
(D'après    M.  Sudre,  Annuaire   du   Bureau    des   Longitudes,   et   II,  de    Walaicc,  Almanach   du  Commerce.) 


Ahg 

Pays-Bas 

Hambourg 

AOTBlCHB-HoNCn 

Portugal  

Emi-ire  ottoma>. 


VNITE 

ftlONÉTAlRB. 


Livre  sterling  (sou- 
verain de  20  shil- 
lings) Loi  de  1S70, 


Mark  (de  iOU  pft-n- 
fligs).Loide  IS71. 

Marc  banco  (niou- 
naie  de  coiiinte  du 
la  banque). 

Florin  (de  lOOkreut- 


Piastre   (40   paras. 
Loi  de  18H. 
Uouble(IOO  kopecks) 


(de  100  ores). 


Y.\LEL;II  au  PAIIi 


3100 

(il  existe  un  autre  titrf 
plus  ancien). 


3100 

il  existe  un  autre  titn 
plus  ancien). 

3157.40  21 


3137.40 


203.70 


310O 
(ileiistcd'autr 


rilINCIPALES  MONNAIES 


alant  un  peu  plus 
MOflorins);  pièce 
;  lu  IL,  etc. 
:   20  marks;   10 
arks  (couronne). 


)i   :    ducat  (un  pc 
plus  de  8  11    ■     ■ 


pièce  de  8  flurins 
(20  fr.). 

)r   :    couronne    (10 
iniiréis). 

>r    :    bourse     (500 
piastres). 

)r  :    </.,    impériale 
(5  rouEles)."^ 
)r  :  20  kroners. 


(10  shilliogs). 
Arg.  :  couronne  (5 

shil.);  shilling. 
Ars.    :    florin,    25 

cents,  etc. 


Arg. :  20  kreulze 


Arg.  :  Teston  (100 

ré-.s). 
Arg.  ;  20  piastres; 

piaslr.;  l/apiaslr. 
Arg.  :  rouble. 


Arg. 


30  I 


MONOCOTYLÉDONES       —  13'i2  —       MONOCOTYLÉDONES 


DiaiiMAIiK. 
NOIIVÈGE . 

Même  monnaie  que 
celle  de  la  Suède, 
d'après  la  con 
vention  de  1872 
ratifiée  en  1873  et 
1874. 


SUM. . .  . 
JiPOîï... 

Étits-1  i> 

MSXIQUB. 

Cuba 


PiHiGUÀÏ  

Uruguay 

RÉPUBLIQtJe  ARGEK- 


Piaslre  (de  40  paras) 
Piastre 

Roupie.    (Règl.    di- 

1870.) 
Thomaa 

Taël  M  000  chas) 

Tical  

ïen  (100  sen).    Loi 

de  1S71. 
Dollar      d'or     (100 

c.-nis).       Lois     de 

1873  et  1878. 
Peso  (de  100  cenla- 

vos).  Loi    de   18(i7. 
Peso 


Piastre  forte.  (A  Bue- 
iios-Ayres,ou  eomp 
te  en  peso-papel, 
valant  Ofr.  216.) 

Miiréîs.  Décr.  dt 
1870,  etc. 


VALEl  R   AU  PAIR 


doi-.  d'argent. 


0.6i 
i.3S 


3.16 
5.18 


3100 
3100 


PRINCIPALES  MO.NXAIES 


Or  :  SO  piastres. 
Or  :  i5  piastres. 

Or  :  molmr  (IS  rou- 
pies). 
Or    :    clioman    (100 


Arg.  :  5  piastre 
Arg.  :  1  piaslr( 


Arg.  :  1/4  roupie. 


Arg.   :    abassis   (4 
chahis).  cllahis). 

de  cuivre  et  plomb, 
lant  0f,0073,  est  la  seule  pièce  de 
xiiiaie.  Les  lingots  et  les  piastres 
rveut  à  la  circulation. 

Arg.  :  Tical. 
Arg.  :  20  seo. 


10  yeu. 
aigle  (10  dol.) 


doll 

Or  :  10  pesos.  .'trg.  :  10  ccntavos. 

Le  dollar  des   États-Unis,   les  piastres 
d'Espagne  et  du  Mexique  servent  à  la 


Arg.  ;  dollar  ;    1/, 
dollar;  âp  ceutst 


lac 


ulatic 


)r  ;  quadruple  (IC 
piastres). 

)r  :  once  [17  pias- 
tres) ;  écu  d'or  (un 
peu  plus  de  4  pias 


\rg.  :  piastre  d'ar- 
gent. 

\rg.  :  j.iastre,  boli- 
viau  (I/2  piastre). 


Arg.  :  SOO  réis. 


MOTJOCOTYLÉDOiVES.  —  Botanique,  XXV.  — 
Etym.  :  des  deux  mots  grecs  monos,  seul,  et  cot'/- 
ledon,  objet  en  forme  de  cuiller.  —  Les  plantes 
phanérogames  de  l'embranchement  des  Monocoly- 
lédones  sont  caractérisées,  ainsi  que  leur  nom 
l'indique,  par  la  présence  d  un  seul  cotylédon  à 
leur  embryon.  Passons  brièvement  en  revue  les 
caractères  généraux  de  ces  plantes. 

La  graine  des  monocotylédones  comprend  tou- 
jours deux  parties,  l'une  intérieure,  Vamande,  l'au- 
tre extérieure,  le  spermodenne  ou  tégument  ^émi- 
nnl.  L'amande  est  constituée  pur  un  embryon  et 
une  réserve  nutritive  ou  albumen.  D'une  manière 
générale,  l'embryon  des  plantes  monocotylédonées 
est  très  développé  dans  la  graine  mûre,  même 
chez  celles  de  ces  plantes  que  leur  vie  aquatique 
ou  épiphyte  semble  avoir  le  plus  dégradées.  Cet 
embryon  se  compose  d'une  région  centrale  axile, 
Xaxe  hi/fiocoti/lè,  qui  se  termine  inférieurement 
par  un  filament  d'une  ténuité  extrême.  Ce  lila- 
ment  a  reçu  le  nom  de  suspens'ur,  parce  que  jus- 
qu'à une  date  récente  on  admettait  qu'il  avait  pour 
mission  de  fixer  la  jeune  plante  a  la  paroi  du  sac 
embryonnaire.  Les  belli»s  recherches  de  M.  ïreiib 
sur  le  rôle  du  susponscur  ont  montré  que  chez  les 
monocotylédones,  cet  organe  sert  le  plus  souvent 
d'organe  spécial  d'absorption,  pour  l'embryon  qui 


[V..  Levasseur.] 

en  est  muni  ;  chez  les  rares  monocotylédones  dont 
le  suspenseur  ne  se  développe  pas,  l'absorption 
des  matières  nutritives  se  fait  également  bien  par 
tous  les  points  de  la  surface  de  l'embryon.  L'axe 
hypocotylo  présente  vers  sa  région  supérieure  un 
seul  appendice  généralement  très  développé  :  c'est 
le  cotylédon  unique,  caractéristique  des  plantes 
monocotylédonées.  Ce  cotylédon  unique  est  tou- 
jours un  réservoir  de  matières  nutritives  de  na- 
ture albuminoïde.  Parfois  ce  cotylédon,  dont  la 
forme  est  des  plus  variable,  présente  sur  un  point 
de  sa  surface  une  large  expansion  dorsale  que  l'on 
qualifie  de  suçoir  ou  de  scilellum,  le  mot  suçoir 
désignant  le  rôle  physiologique  que  cette  partie 
remplit  à  la  germination,  le  terme  scutellum  in- 
diquant la  ressemblance  que  cette  partie  présente 
avec  un  bouclier.  Le  cotylédon  unique  de  l'em- 
bryon des  monocotylédonées,  grâce  à  son  grand 
développement,  enveloppe  complètement  l'extré- 
mité supérieure  de  l'axe  hypocotylé  ;  la  fente  se- 
lon laquelle  se  touchent  les  bords  du  cotylédon 
est  la  fente  gemomlaire ;  on  la  voit  très  facilement 
sur  des  germinations  de  mais.  Au  fond  de  la  fente 
gemmulaire,  on  voit  le  bourgeon  gemmulairo  ter- 
minant supérieurement  l'axe  hypocotylé.  En  par- 
courant la  description  qui  précède,  on  remarquera 
que  l'embryon  monocotylédoné  ne  présente  pas 


MONOCOTYLÉDONES   —  1343  —   MONOCOTYLÉDONES 


d'indication  de  racine,  bien  (|ue  par  licence  de 
langage  on  continue  encore  à  désigner  snus  le 
nom  do  radicule  (petite  racine)  la  région  inférieure 
de  l'axe  liypocotylé. 

Chez  ces  végétaux,  les  racines  ne  se  développent 
que  très  tardivement  dans  l'épaisseur  même  de  la 
région  inférieure  de  l'axe  liypocotylé.  Pour  arriver 
au  jour,  cliaque  racine  perfore  les  tissus  superfi- 
ciels de  cette  partie  de  la  plante.  Il  en  résulte  une 
collerette  à  la  base  de  cliaquo  racine;  cette  colle- 
rette a  reçu  le  nom  de  coléorhize;  les  racines  el- 
les-mêmes sont  dites  endurhhie-. 

Sauf  clioz  les  orcliidées  *,  qui  se  distinguent  des 
autres  monocotylédoncs  par  leur  mode  de  vie  épi- 
pliyte  et  parfois  liumicole,  l'embryon  se  présente 
comme  il  vient  d'être  dit.  Dans  les  orchidées,  au 
contraire,  l'embryon  se  présente  sous  la  forme 
d'un  globule  cellulaire  sphérique,  homogène  dans 
toutes  ses  parties.  Il  est  impossible  de  distinguer 
dans  ce  corps  si  s.mple  les  diverses  parties  que 
nous  avons  nommées  précédemment.  Dans  ces  em- 
bryons, l'axe  liypocotylé,  la  gemmule  et  le  coiylé- 
don  ne  se  forment  que  pendant  la  germination. 

Autour  de  rembryoïi,  et  contre  lui,  se  trouve  la 
réserve  nutritive  que  nous  avons  nommée  nlhu- 
men.  Cette  réserve  nutritive  consiste  en  amidon 
chez  les  graminées  ',  les  cypéracées  ;  en  cellulose, 
en  matières  grasses  et  en  matières  albuminoides 
chez  les  palmiers".  Lorsque  la  réserve  nutritive  est 
formée  pour  ujie  large  part  par  de  la  cellulose, 
cette  matière  peut  présenter  une  très  grande  du- 
reté et  donner  la  substance  connue  sous  le  nom 
à'ivoiri-  véfft'il.  Cette  matière,  sur  laquelle  nous 
aurons  occasion  de  revenir,  nous  est  fournie  par 
une  sorte  de  palmier,  le  phytelc-phas,  qui  croit 
aujourd'hui  dans  les  marais  du  Gange.  Dans  les 
typha,  les  sparganium,  les  pandanus  ou  paquois, 
la  réserve  nutritive  de  l'albumen  consiste  surtout 
en  matières  albuminoides  cristallisées;  ce  sont  les 
cristaltoides.  On  montre  bien  ces  cristalloldes  en 
laissant  séjourner  des  lames  minces  des  albumens 
de  ces  plantes,  dans  une  solution  aqueuse  extrê- 
mement étendue  de  bleu  d'aniline  ^oluble  h  l'eau. 
Même  dans  le  cas  des  réserves  amylacées,  on  trouve 
toujours  dans  l'albumen  une  certaine  quantité 
d'huile  et  de  matière  albuminoide  ;  tout  le  monde 
connaît  le  gluten  que  l'on  extrait  de  la  farine  du 
froment,  en  enlevant  par  le  lavage  l'amidon  avec 
lequel  il  est  mêlé.  Exceptionnellement,  comme 
dans  le  cocotier,  l'albumen  des  monocotylédones 
demeure  pulpeux,  semi-fluide  ;  telle  est  l'origine 
du  lait  que  l'on  retire  de  la  noix  de  coco. 

Le  spermoderme  ou  tégument  séminal  des  mo- 
nocotylédones est  assez  simple.  Il  se  réduit  à  une 
pellicule  très  mince  qu'il  est  impossible  de  sépa- 
rer du  péricarpe  chez  les  graminées  ;  il  devient 
dur,  noir,  crustacé  chez  les  liliacées  *.  Ailleurs  la 
surface  du  tégument  séminal  demeure  sèche  et 
membraneuse,  tandis  que  sa  partie  profonde  de- 
vient ligneuse  et  se  charge  doxalate  de  chaux  et 
de  matières  fortement  colorantes.  Parfois  la  pelli- 
cule superficielle  de  la  graine  se  gélifie  sous  l'ac- 
tion do  l'eau  et  lui  fournit  ainsi  un  moyen  de  fixa- 
tion au  sol  ;  c'est  un  phénomène  analogue  i  ce  que 
nous  voyons  se  produire  k  la  surface  des  graines 
de  lin,  de  melon,  de  cresson,  de  moutarde.  Un 
petit  nombre  de  spermodermes  présentent  des  ex- 
pansions en  forme  d'aile  qui  favorisent  la  disse 
mination  des  graines. 

Lors  de  la  germination,  une  partie  seulement  de 
la  plante  monocotylédonée  sort  d'abnrd  de  l'enve- 
loppe de  la  graine,  grâce  au  grand  dévidoppement 
que  le  cotylédon  prend  à  cette  époque.  Par  lal- 
longemer)t  très  considérable  de  ce  cotylédon,  l'axe 
hypocotylé  et  la  gemmule  sont  poussés  hors  du 
spermoderme  et  enfoncés  dans  le  sol  à  une  cer- 
taine profondeur.  A  ce  moment  seulement  on  voit 
naître  les  premières  racines,  dont  le  riile  physio- 


logique spécial  à,  cotte  période  de  la  vie  de  l'être 
est  de  fournir  à  celui-ci  un  moyen  do  fixation. 
Tant  qu'il  reste  quelque  chose  de  la  réserve  nu- 
tritive enfermée  dans  la  graine,  la  partie  supé- 
rieure du  cotylédon  y  demeure  engagée  et  absorbe 
la  réserve  imtriiive.  Quand  l'albumen  est  épuisé, 
ou  bien  le  cotylédon  se  flétrit  et  meurt,  ou  bien  il 
se  dégage  complètement  de  son  enveloppe  sémi- 
nale, arrive  il  la  surface  du  sol  et  remplit  pendant 
un  temps  plus  ou  moins  long  le  rôle  d'une  feuille 
ordinaire.  Un  des  meilleurs  exemples  qui  se 
puisse  indiquer  pour  observer  toutes  ces  phases  de 
la  germination  des  monocotylédones  nous  est 
fourni  par  l'oignon. 

Les  racines  des  monocotylédones  sont  toujours 
adventives.  L'organe  que  l'on  qualifie  de  pivot 
chez  quelques  palmiers  n'est  <|ue  la  région  infé- 
rieure de  l'axe  hypocotylé,  et  c'est  à  tort  que  cer- 
tains auteurs  l'ont  assimilé  à  une  racine  pivotante 
placée  dans  le  prolongement  direct  de  la  tige.  Les 
racines  des  monocotylédones  sont  très  nombreu- 
ses, cylindriques,  grêles,  très  peu  l'amifiées,  blan- 
ches quand  elles  so."-t  enfouies  dans  le  sol,  brunes 
lorsqu'elles  sont  superficielks.  Ces  racines  ne 
présentent  qu'un  seul  faisceau  libéro-ligneux,  i 
plusieurs  centres  de  développement.  Le  nombre 
des  centres  de  développement  de  cet  unique  fais- 
ceau peut  s'élever  jusqu'à  soixante  et  quatre-vingts 
dans  les  racines  des  palmiers.  Le  faisceau  de  la 
racine  des  monocotylédonées  ne  présente  jamais 
de  zone  cambiale,  et  par  suite  ne  présente  pas  d'ac- 
croissement secondaire;  par  suite  aussi  le  volume 
de  ce  faisceau  demeure  toujours  fort  petit  et  la 
racine  elle-même  reste  grêle.  Un  renouvellement 
rapide  et  une  production  toujours  abondante  de 
nouvelles  racines  supplée  au  faible  développement 
de  chacun  de  ces  appareils.  La  surface  de  la  ra- 
cine est  toujours  constituée  par  une  couche  su- 
béreuse, qui  prend  un  développement  exception- 
nellement puissant  chez  les  orchidées  épiphyies, 
comme  les  vanilles,  les  dendrobium,  etc.  Dans 
ces  plantes  spéciales,  en  dehors  de  son  rôle  pro- 
tecteur, le  liège  superficiel  des  racines  aériennes 
a  pour  mission  d'emmagasiner  de  l'air  et  de  l'eau, 
puis  de  retenir  ces  fluides  à  proximité  de  la  sur- 
face absorbante.  Les  racines  des  monocotylé- 
dones sont  très  rarement  tubéreuses.  On  coimaîl 
cependant  queli|ues  exemples  de  racines  transfor- 
mées en  tubercules  chez  ces  végétaux;  telles  sont 
par  exemple  celles  du  ûios'.orea  4atoto.<,  connue 
vulgairement  sous  le  nom  d'Iynanie  de  Chine  ou 
de  fatale  de  Chine,  et  qu'il  ne  faut  pas  confondre 
avec  la  patate  provetiant  de  VIpomea  ùatat  is,une 
convolvulacée  ;  telles  sont  encore  celles  de  quel- 
ques orchidées.  On  retire  d.i  ces  derniers  tuber- 
cules une  sorte  de  tapioca  connu  sous  le  nom  do 
salep.  Quelques  monocotylédones  peuvent  vivre 
sans  racines;  telles  sont  par  exemple  certaines 
broméliacées;  d'autres  n'ont  jatnais  de  racines, 
telles  sotit  le  corallorhiza  et  1  épipogon.  Les  mo- 
nocotylédones sans  racines  remplacent  ces  organes 
par  de  petits  poils  absorbants  qui  naissent  sur 
toute  la  surface  de  la  tige;  ces  plantes  vivent 
d'ailleurs  dans  des  etidroits  très  humides  et  très 
sombres. 

La  tige  développée  des  monocotylédones  pré- 
sente une  surface  lisse  parfois  revêtue  d'une  sorte 
de  vernis  siliceux  comme  dans  les  graminées,  les 
cypéracées.  Le  revètetnent  siliceux  des  cypéracées 
forme  à  leur  surface  de  très  petites  épines  tran- 
chantes ;  tout  le  monde  a  touché  la  /evhe,  qui 
maintient  les  talus  des  canaux  et  des  rivières; 
chacun  sait  aussi  combien  les  bateliers  de  la  na- 
vigation des  canaux  se  plaignent  du  préjudice  que 
leur  cause  cette  plante  par  la  rapidité  avec  laquelle 
elle  use  et  coupe  les  cordages  les  plus  solides. 
Tout  le  monde  connaît  encore  des  exemples  de 
pâturages    ruinés   parce  que  quelques  touffes  do 


MONOCOTYLEDONES 


1344  —   MONOCOTYLEDONES 


leiche  s'y  sont  développées  et  que  les  bêtes  à 
cornes  et  les  chevaux  qui  veulent  manger  cette 
leiche  se  coupent  la  bouclie  et  la  langue.  Sauf 
dans  un  très  petit  nombre  de  monocotylédones, 
la  tige  de  ces  végétaux  demeure  grole  et  se  ■•a- 
milie  peu.  Ce  n'est  guère  que  dans  les  palmiers, 
les  yuccas,  les  agaves  que  la  tige  des  monocoty- 
lédones prend  un  certain  développement  en 
diamètre  et  en  hauteur.  Dans  le  palmier  rotang, 
dont  on  retire  le  jonc  à  canne,  la  tige,  tout  en  con- 
servant un  diamètre  très  faible,  présente  une  lon- 
gueur qui  peut  atteindre  200  et  même  300  mètres. 
La  tige  des  monocotylédones  présente  uu  très 
grand  nombre  de  faisceaux  libéro-ligneus  à  un  seul 
centre  de  développement;  tous  ces  faisceaux  sont 
plongés  au  sein  d'un  parenchyme  ou  tissu  fonda- 
mental. La  surface  de  l'organe  est  constituée  par 
une  lame  épidermique.  Quelques  mots  sur  chacun 
de  ces  éléments,  faisceaux  libéro-ligneux,  tissu  fon- 
damental et  épidémie,  ne  seront  pas  inutiles.  Clia- 
que  faisceau  libéro-ligneux  comprend  une  petite 
masse  de  bois  primaire,  composée  de  trachées  de 
vaisseaux  rayés  et  de  quelques  fibres  ligneuses,  et 
une  masse  principale  de  liber  composée  de  cellu- 
les grillagées,  de  fibres  primitives  et  de  paren- 
chyme libérien.  Les  cellules  grillagées,  toujours 
très  simples,  du  liber  des  faisceaux  de  ces  tiges, 
ont  été  désignées  par  Hugo  von  Mohl  sous  le  nom 
de  vaisseaux  propres,  alors  qu'on  ignorait  leur 
véritable  nature;  ce  nom  est  encore  en  usage 
dans  beaucoup  de  manuels  élémentaires.  Excep- 
tionnellement, le  faisceau  libéro  ligneux  peut  pré- 
senter des  laticifèrcs.  Eu  général  dans  cliaque  fais- 
ceau le  liber  et  le  bois  sont  situés  sur  un  même 
rayon  qui  passe  par  le  centre  de  la  tige,  le  liber 
étant  plus  près  de  la  périphérie  de  la  tige,  le  bris 
au  contraire  étant  plus  près  du  centre  de  cet  or- 
gane. Dans  sa  course  à  travers  la  tige,  chaque 
faisceau  part  d'un  faisceau  siiué  plus  bas  que  lui- 
môme  et  voisin  de  la  périphérie;  de  là  on  le  voit 
s'avancer  peu  i  peu  vers  le  centre  de  la  tige,  dont 
il  apprO'  lie  plus  ou  moins,  puis  il  s'incline  de  nou- 
veau vers  la  périphérie  et  se  rend  dans  une  feuille  ; 
toute  cette  évolution  s'est  faite,  non  dans  un  plan, 
mais  bien  sur  une  sorte  de  surface  gauche.  Aux 
différents  poims  de  sa  course,  un  faisceau  n'a  pas 
toujours  la  même  constitution  ;  il  est  plus  simple  à 
sa  partie  inférieure  que  vers  sa  région  supérieure 


ces  éléments  aux  fibres  libériennes  et  les  ont 
rattachés  aux  faisceaux  libéro-ligneux.  Cette 
erreur  a  entraîné  certains  industriels  dans  une 
fabrication  désastreuse,  en  leur  faisant  rechercher 
dans  des  végétaux  monocotylédones  comme  l'alfa, 
le  phormium,  le  jute,  des  fibres  textiles  compara- 
bles à  celles  du  chanvre  et  du  lin.  Ces  dernières, 
étant  constituées  par  des  libres  libériennes,  ont 
des  qualités  de  longueur,  de  souplesse,  et  de 
finesse  qu'il  est  ridicule  de  demander  à  des  fibres 
mécaniques.  L'épiderme  qui  revêt  la  tige  aérienne 
des  monocotylédones  est  remarquable  par  sa  lon- 
gue durée,  et  la  faculté  que  possède  chacune  de 
ses  cellules  constituantes  de  se  cloisonner  perpen- 
diculairement à  la  surface  de  la  plante  pendant 
un  temps  fort  long.  Vu  le  faible  grossissement  des 
tiges  des  monocotylédones  en  diamètre,  ces  végé- 
taux ne  présejiicnt  que  rarement  des  phénomènes 
de  déconication  comparables  à  ceux  que  nous 
observons  sur  la  surface  des  arbres  de  nos  pays. 

Beaucoup  de  monocotylédones  ont  des  tiges 
souterraines  dont  les  bourgeons  latéraux  ou  ter- 
minaux viennent  à  la  surface  du  sol  et  donnent 
les  hampes  florales.  Les  tiges  souterraines  sont 
généralement  transformées  eu  rhizomes,  c'est-à- 
dire  que  chacun  de  leur-i  entre-nœuds  se  raccour- 
cit, augmente  de  diamètre  dans  des  proportions 
souvent  considérables  ;  les  faisceaux  de  la  tige  se 
pressent  les  uns  contre  les  autres  et  ne  forment 
plus  qu'une  inasse  minime  concentrée  autour  du 
centre  du  rhizome;  la  région  corlicale  du  tissu 
fondamental  est  alors  très  développée.  La  surra;e 
des  rhizomes  est  très  souvent  constitué  ■  par  une 
couche  subéreuse.  Le  rhizome  se  montre  donc 
comme  un  appareil  d  hibernation  comprenant  un 
réservoir,  c'est  le  rhizome  lui-même,  et  des  points 
de  végétation  qui  sont  les  bourgeons  latéraux  du 
rhizome.  Ces  points  de  végétation  sont  destinés  à 
redonner  chaque  année  ou  périodiquement  les 
parties  florales. 

Quelques  tiges  courtes  de  monocotylédones  et 
les  bourgeons  qu'elles  portent  se  transforment  en 
bulbes  par  l'épaississement  des  écailles  qui  les  re- 
vêtent. Tout  le  monde  connaît  les  bulbes  de  l'oi- 
gnon, de  la  jacinthe,  du  lis. 

Les  feuilles  des  monocotylédones  sont  simples, 
entières,  ou  déchiquetées  en  lanières,  sessiles,  em- 
brassantes, à    nervures   généralement  parallèles. 


Dans  sa  course,  un  faisceau  a  donné  généralement  \  Chez  quelques  asparaginées  et  chez  les  dioscorées, 
naissance  à  plusieurs  autres  faisceaux,  il  a  aussi  j  la  nervation  des  feuilles  est  exceptionnellement  ré- 
touché un  certain  nombre  de  faisceaux,  ses  voi-  |  ticulée.  Dans  quelques  juncus,  les  feuilles  sont 
sins,  avec  lesquels  il  s'est  parfuis  plus  ou  moins  i  cylindriques  et  cannelées.  La  surface  des  feuilles 
confondu.  Cette  marche  assez  compliquée  de  cha-  l  des  monocotyléd'nes  est  presque  toujours  lisse, 
que  faisceau  de  la  tige,  jointe  au  grand  nombre  |  luisante.  La  feuille  par  elle-même  est  assez  cou- 
de ces  faisceaux,  justifie  l'idée  exprimée  dans  la  :  sistante.  Les  stomates  sont  disposés  en  files  pa- 
plupart  des  ouvrages  botaniques,  à  savoir  que  les  •  rallèles  à  la  longueur  des  feuilles,  sur  toute  la 
faisceaux  sont  dispersés  sans  ordre  dans  la  tige  surface,  ou  seulement  sur  la  face  inférieure  de 
des  monocotylédones.  Rarement  le  faisceau  11-  j  ces  organes.  Chaque  stomate  forme  par  lui-même 
béro-ligueux  de  la  tige  des  monocotylédones  pré-  :  un  appareil  assez  compliqué.  Dans  quelques  plan- 
sente  une  zone  cambiale.  Ce  faisceau  jie  peut  donc  tes,  les  stomates  sont  cachés  au  fond  de  canne- 
croîire  eu  épaisseur  d'une  manière  tant  soit  peu  lures  plus  ou  moins  profotides;  le  rôle  de  ces  can- 
notable:  on  dit  qu'il  est /■«■««.  11  en  resuite  aussi  nelures  est  d'immobiliser  une  certaine  quantité 
que  la  tige  des  plantes  monocotylédonées  ne  peut  ;  d'air  dans  le  voisinage  de  la  surface  d'absorption 
non  plus  augmenter  beaucoup  en  diamètre,  à  moins  des  gaz.  La  plupart  des  feuilles  des  monocoty- 
que,  comme  dans  les  dragonniers,  il  ne  se  produise  lédones  ne  se  détachent  pas  imiuédiatement  de 
à  la  périphérie  de  la  tige  une  zone  spéciale  d'épais- I  la  tige  qui  les  porte,  lorsqu'elles  cessent  d'être 
sissement  dans  laquelle  apparaissent  de  nombreux  utiles  à  la  plante.  Dans  les  plantes  des  régions 
faisceaux  secondaires.  Le  tissu  fondamental  qui  \  tropicales  où  cette  disposition  est  le  plus  ac- 
rattache  entre  eux  les  faisceaux  libéro-ligneux  centuée,  la  feuille  se  détruit  sur  place.  La  pré- 
est  formé  de  cellules  polyédriques  à  parois  minces  sence  de  tous  ces  débris  de  feuille  autour  de 
gorgées  de  suc.  A  cet  état,  ce  lissu  est  comparable  la  tige  fournit  à  celle-ci  un  revêtement  très 
à  la  moelle  et  à  l'écorce  des  plantes  dicotylédo-  puissant  constitué  par  une  sorte  de  bourre 
nées.  Dans  quelques  palmiers  le  tissu  fondamen-  .  brune,  très  recharchée  aujourd'hui  pour  la  fabri- 
tal  de  la  tige  se  fibréfie  et  forme  ces  éléments  cation  des  tissus  grossiers  en  filasse  de  palmier, 
que  M.  Schwendener  a  désignés  sous  le  nom  de  Ce  n'est  que  dans  des  plantes  très  avancées  en 
fibres  mécaniques.  Quelques  botanistes,  trompés  âge  que,  par  suite  de  la  décortication,  la  surface 
sur  la  véritable  nature  de  ces  fibres  n)écaniques,  redevient  lisse.  Les  feuilles  des  monocotylédones 
par  leur  position  et  par  leur  aspect,  ont  assimilé  ,  sont  disposées  sur  la  surface  de  la  tige  en  séries  al- 


MONOnOTYLEDONES 


13'(S  — 


MONOTRÈMES 


ternes  représentées  par  les  cycles  i  •  J  •  '  •  iî  •  jîj . 
Rarement  le  cycle  do  groupement  des  CouillKs  sur 
la  tig;e  de  ces  plantes  est  plus  élevé  que  ,',.  Les 
feuilles  des  monocotylédones  sont  généralemt^nt 
iuermes  ;  toutefois,  dans  les  brnniéliacties,  quel- 
ques palmiers,  les  smilax,  les  d'uilles  présentent 
des  aiguillons  tranchants  très  acérés.  Dans  le  bo- 
napartca,  chaque  aiïuillon  porte  à  son  extrémité 
une  ouverture  qui  fait  communiquer  une  sorte  de 
glande  avec  l'extérieur. 

Chaque  Ouille  de  monocotylédone  comprend 
une  double  lame  d'épiderme  renlbrcée  intérieure- 
ment de  fibres  mécaniques.  Otépiderme  recouvre 
une  masse  de  tissu  pareiichymateux  nu  tissu  fon- 
damental dans  lequel  courent  parallèlement  les 
uns  aux  autres  et  parallèlement  à  la  lungueur  de 
la  feuille  des  faisceaux  libéro-ligneux  dont  la  struc- 
ture ne  diffère  pas  de  celle  îles  laisceanx  de  la 
tige.  La  raison  en  est  que  les  faisceaux  foliaires 
sont  les  terminaisons  dos  faisceaux  tigellaires. 
Chaque  faisceau  libéro-ligneux  est  le  plus  ordi- 
nairement revêtu  d'une  lame  pé  ipliérique  de  fi- 
bres mécaniques  qui  ont  pour  but  non  .seulement 
de  le  protéger,  mais  encore  de  régulariser  les 
pressions  qui  peuvent  se  faire  sentir  sur  la  masse 
libérienne  du  faisceau,  lors  de  la  circulation  des 
gaz  dans  la  feuille. 

Dans  quelques  bulbes,  les  feuilles  réduites  à  l'é- 
tat d'écaillés  charnues  sont  transformées  en  réser- 
voir de  nourriture.  Dans  les  rhizomes  souterrains, 
les  feuilles  se  réduisent  à  l'état  de  petites  écailles 
membraneuses. 

La  fleur  des  végétaux  monocotylédones,  lors- 
qu'elle est  complète,  présente  généralement  de 
dehors  en  dedans  :  1°  Deux  verticilles  alternants 
comprenant  chacun  trois  pièces  colorées  ou  non. 
Ce  double  verticille  d'enveloppes  florales  forme  le 
périanthe;  sauf  dans  les  fluviales,  il  ne  fait  jamais 
défaut;  "2°  deux  verticilles  alternant  entre  eux 
et  avec  les  précédents  et  comprenant  chacun  trois 
étaraines  ;  3°  deux  verticilles  alternant  entre  eux 
et  avec  les  verticilles  précédents  et  comprenant 
cliacun  trois  carpelles.  En  résumé,  la  fleur  com- 
prend donc  un  périanthe.  un  androcoe  et  un  gy- 
nécée. Tous  les  trois  ont  six  pièces  disposées  trois 
à  trois  sur  deux  rangs.  De  là  l'idée  de  considé- 
rer toutes  les  fleurs  des  monocotylédones  eoinme 
formées  de  verticilles  floraux  composés  chacun  de 
trois  pièces  élémentaires.  De  là  la  symétrie  par 
trois,  qne  l'on  regarde  comme  caractéristique  de 
ces  fleurs.  Des  adhérences  plus  ou  moins  grandes 
peuvent  réunir  plus  ou  moins  les  termes  de  cha- 
que verticille,  ou  encore  les  termes  de  verticilles 
consécutifs.  Les  pièces  d'un  verticille  peuvent  faire 
défaut  en  tout  ou  en  partie.*  Une  pièce  d'un  ver- 
ticille peut  s'hypertrophier  tandis  que  d'autres 
s'atrophient.  En  combinant  convenablement  toutes 
ces  dispositions,  on  a  l'explication  des  divers  types 
de  fleurs  que  l'on  rencontre  chez  les  diverses  fa- 
milles de  végétaux  monocotylédones. 

La  placentaiion  des  monocoiylédones  est  géné- 
ralement axile;  les  orchidées  sont  u.i  des  rares 
exemples  de  placentation  pariétale  chez  les  végé- 
taux de  cet  embranchement,  et  quelques  aroidées 
un  des  rares  exemples  de  placontatioii  basilaire. 

Les  ovules  d-s  monocotylédones  sont  anatropes 
et  bitégunientés;  rarement  ces  ovules  sont  or- 
thotropes,  comme  chez  les  ériocaulonées,  les  ira- 
descantiées,  le  vallisneria  spiralis  et  quelques 
aroidées. 

Le  pollen  des  monocotylédones  est  formé  gé- 
néralement do  petites  cellules  globuleuses  qui 
sont  dispersées  et  déposées  sur  les  stigmates  des 
organes  femelles  p.ir  les  insecies  Dans  les  orclii 
dées,  les  cellules  du  pollen  demeurent  accolées  les 
unes  aux  autres  par  une  nialièrc  gommeuse  très 
adhésive.  Ces  masses  polliniijues  ont  reçu  le  nom 
?*  Parti». 


de  pollinies;  comme  le  pollen  ordinaire,  elles  sont 
apportées  sur  les  stigmates  par  les  insectes,  en 
particulier  parles  abeilles.  Dans  les  zostères,  mo- 
nocotylédones qui  vivent  dans  la  mer,  le  pollen  est 
constitué  par  de  petites  cellules  allongées  vermi- 
formes.  Il  y  a  tout  lieu  de  croire,  d'après  les  der- 
nières recherches,  que  ces  tubes  polliniques  dtî  la 
oslère  germent  dans  l'intérieur  même  de  l'an- 
thère où  ils  se  sont  formés,  et  qu'ils  perforent  la 
tissu  de  l'anthère  et  celui  du  pistil  pour  arriver 
jusqu'à  l'ovule  sans  qu'il  soit  nécessaire  pour  eui 
d'être  déposés  sur  le  stigmate. 

Au  moment  de  la  fécondation,  les  fleurs  des  mo- 
nocotylédones sont  quelquefois  le  siège  d'une  élé- 
vation de  température  très  considérable.  Cette  pé- 
riode d'excitation  s  accuse  parfois  par  la  produc- 
tion de  nectars  ou  de  parfums  ;  les  plus  connus 
de  ces  parfums  sont  ceux  émis  par  les  aroidées. 
L'odeur  bien  connue  de  VAnim  nwcu/nlum,  vul- 
gairement nommé  gouet  ou  pied-de-veau,  rappelle 
celle  de  la  viande  corrompue,  à  ce  point  que  les 
mouches  viennent  visiter  les  fleurs  de  l'arum  et  s'y 
laissent  emprisonner.  , 

Le  fruit  qui  succède  à  l'ovaire  varie  beaucoup 
d'un  groupe  (Je  monocotylédones  à  l'autre;  ainsi 
le  fruit  est  un  caryopse  chez  les  graminées,  c'est 
un  achaine  chez  les  cypéracées,  c'est  une  capsule 
à  déhiscence  variée  chez  les  liliacées,  les  orchi- 
dées; c'est  une  baie  charnue  à  la  surface,  lorsque 
la  graine  est  insuffisamment  pourvne  d'appareils 
dissominateurs,  comine  cela  se  voit  dans  beaucoup 
d'asparaginées.  Le  fruit  de  quelques  monocoty- 
lédones peut  atteindre  un  volume  et  un  poids 
énorme;  tel  est  le  fruit  du  cocotier  et  surtout  le 
fruit  du  iO'ioicea  SecheUamm,  qui  atteint  le  poids 
de  II)  kilogrammes.  A  l'article  P"  "/îe-s,  on  trou- 
vera tous  les  détails  désirables  sur  ces  fruits  et 
sur  les  croyances  auxquelles  leur  singulier  mode 
de  dispersion  a  donné  naissance.  Presque  tous 
cesfruitsmonstrneux  sont  recouverts,  vers  l'époque 
où  ils  se  détachent  des  arbres  qui  les  produisent, 
d'une  sorte  de  bourre  brune  très  épaisse  qui  les 
protège,  amortit  le  choc  au  moment  de  la  chute 
et  les  empêche  de  s'écraser  en  tombant  sur  le 
sol. 

Nous  n'insisterons  pas  ici  sur  les  usages  généraux 
des  monocotylédones  ;  nous  reviendrons  sur  ce 
point  en  traitant  chacune  des  princifiales  familles 
en  particulier.  V.  à  cet  efl-et  les  articles  Palmiers, 
d'aminées,  Lh-ioï'/ées,  Mnswées,  Orc/ii  lées. 

La  grande  majorité  des  monocotylédones  est 
originaire  des  régions  chaudes  du  globe.  Plusieurs 
d'entre  elles  sont  aquatiques,  submergées  ou 
nageantes;  tels  sont  les  potamogetons,  les  vallisne- 
ries,  les  lentilles  d'eau,  les  hydrochaùs,  les  slra- 
tiotes.  Quelques-unes  même  habitent  la  mer.  com- 
me les  zostères,  les  posidonies. 

fC.-E.  Bertrand.] 

MOÎNOTRÈJIES.  —  Zoologie,  XII.  —  Tout  à 
côté  des  Marsupiaux',  mais  à  un  degré  encore 
moins  élevé  dans  la  série  zoologique,  se  placent 
\i"i  Mo"Otrèu,es,  qui  si-mblent  établir  le  passage 
entre  les  Matnmifères  et  les  Oiseaux.  Comme  chez 
ces  derniers,  en  effet,  l'intestin  débouche  dans 
un  vestibule  comtnun,  dans  un  chot/ue,  au  lieu 
de  s'ouvrir  directement  au  dehors.  D'autre  part 
les  dents  proprement  dites  ^ont  représentées  par 
des  tubercules  cornés,  ou  font  môme  complète- 
ment défaut,  tandis  que  les  lèvres  sont  garnies 
de  lames  cornées  qui  acquièrent  souvent  un  très 
grand  développement  et  simulent  le  bec  d'un  oi- 
seau. Enfin,  quniim'il  n'y  ait  point  de  poche  pour 
log'T  les  petits  immédiatemint  après  la  nais- 
sance, il  existe  cependant  eti  avant  du  bassin  deux 
os  semblables  ii  ceux  qui  soutiennetit,  chrz  les 
marsupiaux,  un  repli  de  la  p^au  de  l'abilomen. 
Jns(|U  à  ces  derniers  temp.s,  on  croyait  qu  il  ii'exis- 
tait  que  deux  animaux  offraot  ces 

a 


cala 


MONTESQUIEU 


—  1346  — 


MONTESQUIEU 


d'organisation,  VCrmlhorhi/7ique  et  VFchidné,  qui 
habitcut  l'Australie  et  la  Tasmanie  ;  mais  tout  ré- 
cemment on  a  découvert  à  la  Nouvelle-Guinée  une 
troisième  forme,  un  Ecliidné  qui,  tout  en  étant 
parent  de  celui  de  la  Nouvelle-Hollande,  diffère 
cependant  de  ce  dernier  par  quelques  caractères 
anatoniiques. 

L'Ornitliorhynquc  et  l'Echidné  d'Australie  sont 
connus  depuis  la  fin  du  siècle  dernier;  ils  ont 
d'abord  été  réunis  par  G.  Cuvier  à  l'ordre  des 
Edentcs,  puis  élevés  au  rang  de  sous  classe  par 
de  Blainville,  sous  le  nom  de  Monotrèmes,  em- 
prunté à  E.  Geoffroy-Sainl-Hilaire.  Le  premier  de 
ces  mammifères  singuliers,  VOrmt/iorhi/nqw  pa- 
radoxal,  est  ainsi  nommé  à  cause  de  ses  mâchoi- 
res prolongées  en  bec  de  canard  et  pourvues  seule- 
ment d'une  paire  de  grosses  dents  cornées  qui 
sont  situées  à  la  place  occupée  ordinairement  par 
les  dents  molaires;  il  a  le  corps  terminé  par  une 
queue  élargie  et  aplatie  en  dessous,  comme  celle  du 
castor,  mais  velue  sur  sa  face  supérieure  ;  son 
corps  est  revêtu  de  poiLs  courts,  et  ses  pattes  se 
terminent  par  cinq  doigts  pourvus  d'ongles  ro- 
bustes, et  réunis  entre  eus  par  des  membranes 
analogues  à  celles  de  la  patte  d'un  canard  et  par- 
ticulièrement développées  aux  membres  anté- 
rieurs. Cet  animal  étrange  habite  la  Tasmanie  et 
l'Auitraiie,  et  estconnu  des  colons  anglais  sous  le 
nom  de  Watermole  (taupe  de  rivière).  Il  se  ticni 
en  effet  au  bord  des  rivières,  barbotte  parmi  les 
plantes  aquatiques,  et  nage  avec  l'agilité  d'un 
poisson;  sa  nourrittlre  consiste  en  larves  d'insec- 
tes, en  vers  et  en  petits  mollusques.  Les  mâles 
ont  le  talon  armé  d'un  éperon  corne,  muni  d'ujie 
fente  qui  sert  à  l'écoulement  d'un  liquide  vis- 
queux. Ce  liquide,  sécrété  par  une  glande  parti- 
culière, logée  dans  la  cuisse,  est,  contrairement 
à  ce  qu'on  avait  pensé  d'abord,  dépourvu  de  toutes 
propriétés  venimeuses. 

Les  Ecbidnés  diffèrentdes  Ornithorhynques  par 
leur  corps  garni  de  piquants  plus  forts  que  ceux 
des  hérissons,  et  entremêlés  do  quelques  poils, 
par  leur  tête  prolongée  en  un  bec  très  effilé,  qui 
porte  en  avant  une  bouehe  d'une  petitesse 
extrême,  et  enfin  par  leurs  pattes  disposées  non 
pour  fendre  les  eaux,  mais  pour  fouir.  Le^ 
mœurs  de  l'Echidné  de  la  Nouvelle-Guinée  sont 
encore  inconnues,  mais  tout  porte  à  supposer 
qu'elles  ne  diffèrent  pas  sensiblement  de  celles 
de  l'Echidné  du  continent  australien  et  de  la 
Tasmanie.  Ce  dernier,  VEchidné  vpineux,  vit  dans 
les  endroits  sablonneux  où  il  recherche  les  vers 
et  les  insectes,  particulièrement  les  fourmis  et  les 
termites  II  les  cherche  avec  le  bout  de  son  mu- 
seau, qui  parait  doué  d'une  grande  sensibilité,  et 
les  capture  au  moyen  de  sa  langue  qui  est  enduite 
d'une  salive  visqueuse  et  peut  être  projetée  hors 
de  sa  bouche.  Au  moindre  danger,  l'Echidné  se 
met  en  boule  et  présente  de  toutes  pans  des 
piquants  acérés.  Les  mâles  portent  en  outre, 
comme  les  Ornithorhynques,  des  ergots  au  talon. 

L'Echidné,  de  même  que  l'Ornithorhynque,  a 
l'intelligence  extrêmement  bornée.  Pendant  le 
jour  il  reste  caché  dans  un  trou  et  ne  se  montre 
qu'à  la  chute  du  jour.  Ses  mouvements  sont 
d'une  lenteur  extrême.  A  diverses  reprises,  des 
Ecliidnés  ont  vécu  en  captivité  dans  les  jardins 
zoologiques  de  l'Europe,  et  particulièrement  dans 
la  ménagerie  du  Muséum  d  histoire  naturelle  de 
Paris.  [E.   Oustalet.] 

MOJiTF.SOl'IKf.  —  Littérature  française.  XI\. 
—  Charles  de  Secondât,  baron  de  la  Brède  et  de 
Montesquiei,),  naquit  au  château  de  la  Brède,  non 
loin  de  Boideaux,  le  18  janvier  itjsO.  Son  père, 
ancienjtofficior  (|ui  avait  de  bonne  heure  quitté  le 
service,  comprit,  dès  l'enfa'ice,  quelles  espérances 
autorisait  l'esprit  vif  et  curirux  de  son  fils,  et  pa- 
rait avoir   fait  de  son   instructioji    sa  principale 


sollicitude.  Dès  l'adolescence,  le  jeune  Secondât 
témoigna  d'une  véritable  vocation  pour  l'étude  du 
droit  ;  à  peine  ses  études  classiques  terminées,  il 
s'y  lança  avec  toute  l'ardeur  de  ses  vingt  ans. 
Son  oncle  paternel,  qui  était  président  à  mortier 
au  parlement  de  Bor.ieaux,  encourageait  ces  étu- 
des. Le  24  février  1714,  au  temps  où  le  grand  roi 
vivait  encore,  Montesquieu,  âgé  de  vingt-cinq  ans, 
fut  nommé  conseiller  au  parlement  de  Bordeaux. 
Deux  années  plus  tard,  en  niii,  son  oncle,  qui 
n'avait  pas  de  fils  et  le  considérait  comme  son  hé- 
ritier, lui  légua  avec  la  plus  grande  partie  de  ses 
biens  sa  charge  de  président  à  mortier.  Ainsi  Mon- 
tesquieu, à  peine  âge  de  vingt-sept  ans,  se  trouva 
possesseur  tout  h  la  fois  et  d'une  fortune  consi- 
dérable et  d'une  des  plus  hautes  situations  de  la 
magistrature  d'alors. 

Ce  double  avantage  n'était  pas  fait  cependant 
pour  le  satisfaire.  Nous  voyons,  à  ce  moment, 
Montesquieu,  avec  ces  curiosités  multiples  qui 
sont  comme  l'apanage  de  la  jeunesse,  tourner  de 
tous  côtés  son  activité.  En  même  temps  qu'il 
remplit  les  devoirs  de  sa  charge  et  poursuit  ses 
travaux  juridiques,  il  se  sent  attiré  vers  d'autres 
études  :  il  se  montre  l'un  des  membres  les  plus 
actifs  de  l'académie  de  Bordeaux  récemment 
fondée  ;  il  publie  en  1719  le  Projet  d'une  étude 
ptiysique  de  la  len-e,  où  il  fait  appel  au  concours 
de  tous  les  savants  ;  il  écrit  divers  opuscules. 
Deux  ans  plus  tard,  en  i;2l,  il  remet  à  un  édi- 
teur étranger  le  manuscrit  des  Lettres  pn-snnes. 
Qui  eût  pu  croire  qu'un  livre  pareil  était  l'œuvre 
d'un  grave  magistrat,  d'un  président  à  mortier  d'un 
parlement? 

Le  succès  fut  prodigieux.  Le  livre  eut  coup  sur 
coup  un  nombre  d'éditions  considérable,  en  un 
temps  où  le  public  lettré  n'était  pas  h  beaucoup 
près  ce  qu'il  est  aujourd'hui.  Montesquieu  lui- 
même  a  constaté,  non  sans  une  satisfaction  bien 
excusable,  ce  succès  :  «  Les  éditeurs,  a-t-il  écrit, 
allaient  tirant  les  passants  par  la  manche  et  leur 
disaient:  «  Monsieur,  faites-nous  des  Lettres ptr- 
snnes.  »  C'était  alors  le  temps  de  la  régence  et 
l'aurore  du  xviii'  siècle  se  levait.  Après  la  vieil- 
lesse du  grand  roi,  et  le  règne  triste  et  austère  de 
M'""  de  Maintenon,  il  semblait  que  la  France  op- 
primée depuis  près  de  quarante  ans  fut  déli- 
vrée d'un  poids  qui  pesait  sur  sa  poitrine.  Une 
réaction  s'accomplissait,  violente  et  excessive 
comme  toutes  les  réactions.  Le  livre  de  Montesquieu 
résumait  ce  qui  était  dans  la  conscience  et  ie  seii- 
timent  de  presque  tous.  On  y  trouvait  un  esprit 
frondeur  et  hardi  qui  a  toujours  été  comme  le  génie 
propre  de  la  race  française,  une  satire  amère  du 
régime  qui  venait  de  disparaître  et  n'avait  laissé 
dans  l'opinion  que  des  souvenirs  détestés,  une 
foi  robuste  en  la  possibilité  d'un  avenir  meil- 
leur, que  tous  partageaient,  l'invitation  à  des  ré- 
formes libérales  que  tous  souhaitaient  et  appe- 
laient; et,  ce  qui  en  France  n'a  jamais  rien  gâté, 
le  livre  tout  entier  était  écrit  dans  une  langue 
vivo,  alerte,  précise,  piquante  et  un  peu  raffinée, 
pleine  de  nerf  et  de  sève,  qui  donnait  au  bon 
sens  même  et  à  la  vérité  l'allure  pi(|Uante  du  pa- 
radoxe. Les  Français  ont  toujours  aimé  à  s'eiilen- 
dre  dire  leurs  vérités  quand  elles  sont  bien  dites  : 
on  trouvait  une  saveur  piquante  à  entendre  un 
étranger,  un  barbare,  un  Persan  —  comment  peut- 
on  être  Persan'  —  se  moquer  si  spirituellement 
des  Français  et  des  Pan  siens,  et  leur  faire  si  galam- 
ment la  leçon.  Faut-il  ne  rien  omettre?  L'époque 
de  la  régence  était  une  époque  libertine,  et  le 
xviii»  siècle  tout  entier  ne  guérit  jamais  bien  de 
cette  maladie.  Certaines  pages  sensuelles  et  eroti- 
ques des  Lettres  p-rr^O'^es  ne  nuisirent  pas.  elles 
non  plus  au  suce,  s  de  l'ouvrage  :  et  certaines  let- 
tres en  firent  lire  à  beaucoup  pluhicu:  s  autres  que, 
sans  celles-ci,  ils  n'auraient  peut-être  pas  lue». 


MONTESQUIEU 


—  1347  — 


MONTESQUIEU 


Quand  nous  relisons  aujourd'hui. les  Lettres  /le r- 
sn/ies,  instruits  par  l'œuvre  l'ntiore  de  Montesquieu, 
et  par  les  progrès  de  la  science  dont  il  a  été  en 
partie  l'auteur ,  il  est  permis  de  penser  que 
pont-ôtre  nous  les  comprenons  mieux  que  ne  le 
fircni  ceux  qui  lespreniieis  les  connurmit.  Sons 
une  forme  légère,  une  pensée  profonde  et  sé- 
ricmse  s'y  manifi;stc  :  pensée  devenue  banale  de- 
puis, mais  qui  alors  était  bien  faite  pour  étonner, 
pour  scandaliser  même.  La  voici  :  c'est  que 
tout  ce  <iue  l'homme  considère  volontiers  comme 
étant  la  vérité  absolue,  b,  savoir  les  idées  politi- 
ques, religieuses,  morales,  les  institutions,  les 
mœurs,  les  opinions,  tout  cela  est  en  réalité  non 
pas  ;ibsolu,  mais  relatif;  c'est  que  des  conditions 
■de  vie  différentes  ont  amené  des  constitutions 
diverses  de  la  société,  des  conceptions  diverses  de 
l'État,  de  la  famille,  de  la  religion,  du  bien  et  du 
mal,  et  que  ce  n'est  le  plus  souvent  (|ue  par 
ignorance  que  nous  condannions  tout  ce  qui  s'est 
fait  ailleurs  et  que  nous  admirons  sans  réserve 
tout  ce  qui  se  fait  chez  nous.  Tout  V Esprit  i/cs 
lois  était,  on  le  voit,  déjà  en  germe  dans  les 
Lettres  persiines. 

Il  ne  pouvait  suffire  à  un  esprit  aussi  vigoureux 
que  celui  de  IMoTitesquieu  de  s'être  borné  à  laisser 
entrevoir  ses  pensées  sous  une  forme  légère.  Ce 
qui  l'avait  tenté  d'abord,  c'était  la  satire  de  tous 
les  préjugés  qu'il  voyait  acceptés  autour  de  loi 
comme  d'incontestables  vérités,  et  il  avait  cédé 
h  la  tentation  d'écrire  cette  satire  ;  mais  en 
l'écrivant,  à  mesure  qu'il  réfléchissait  lui-même 
"davantage,  il  était  amené  à  entrevoir  un  second 
livre  derrière  le  premier,  un  livre  où,  renonçant 
à  toutes  les  ficùons,  il  laisserait  parler  la  raison 
seule;  où  il  expliquerait  ce  que  sont  les  sociétés 
humaines,  comment  elles  se  forment,  s'adminis- 
trent, se  transforment:  de  quelles  forces  multiples 
elles  se  composent,  quel  rôle  y  jouent  les  divers 
intérêts,  par  quelles  lois  elles  se  fondent,  s'ac- 
croissent, déclinent  et  enfin  se  succèdent.  11  vit  là 
une  œuvre  utile  et  grande,  que  personne  encore 
n'avait  tentée,  qui  pourrait  être  la  gloire  d'un 
liomme  en  même  temps  qu'elle  serait  l'œuvre  de 
toute  une  vie.  Il  ne  se  sentait  pas  incapable  de 
l'entreprendre. 

Nous  voyons  alors  Montesquieu  prendre  un 
grand  parti.  Il  n'est  pas  de  spectacle  plus  inté- 
ressant que  ces  vies  dont  un  homme  fait  ce  qu'il 
•veut;  avec  une  sorte  de  généreux  égoisme,  il  immole 
tout  à  un  besoiii  impérieux  qui  l'emporte,  renonce 
à  toutes  les  autres  ambitions,  et  suit  sans  hésiter 
l'appel  du  génie  intérieur. 

En  1726,  Montesquieu  vend  sa  charge  de  prési- 
dent à  mortier  au  parlement  de.  Bordeaux.  11  re- 
nonce à  la  carrière  qui  eût  pu  l'élever  à  de  pins 
hautes  dignités  encore.  Qu'eût  dit  l'oncle  qui  l'a- 
vait fait  son  héritier  s'il  eut  été  lémoin  de  celte 
résolutiim?  On  peut  compter  qu'il  l'eût  désavoué 
et  maudit.  On  peut  compter  aussi  que  ses  amis 
(le  Bordeaux  furent  sévères  pour  Montesquieu  et 
attribuèrent  sa  décision  soit  à  la  paresse,  soit  à 
une  coupable  inquiéiude  d'esprit.  Mais  Montes- 
quieu savait  ce  qu'il  faisait. 

Il  vient  à  Paris  d'aboid  :  il  passe  deux  années 
dans  la  grande  ville,  et.  non  sans  quelques  difli- 
cultés,  il  est  nommé  membre  de  l'Académie  fran- 
çaise. 11  est  admis  dans  l'illustre  compagnie  le  '24 
janvier  1728.  Il  est  permis  de  penser  qu'il  attachait 
à  ce  titre  une  importance  considérable,  et  nous 
allons  aussitôt  voir  pourquoi. 

.\vant  d'entreprendre  le  grand  ouvi-age  qu'il 
médjte  et  pour  lequel,  depuis  plusieurs  années 
déjà,  il  accumule  les  matériaux,  Montesquieu  veut 
voyager.  Il  veut  parcourir  l'Europe  entière.  Il  a 
beso]]i  de  visiter  les  diverses  nations  pour  obser- 
ser  l.'urs  mœurs  et  leurs  iiistituiioiis;  il  veut  les 
visiteraussi  pour  s'eni lettmir  partout  avec  les  hom- 


mes émincnts  formés  par  une  autre  éducation  que 
l'éducation  française,  rencontrer  d'autres  idées, 
observer  des  préjugés  divers,  et  ainsi  se  mieux 
guérir  lui-même  de  tous  les  préjugés  que  malgré 
lui  il  conserve  encore.  Son  titre  d'académicien  lui 
ouvrira  toutes  les  portes  et  le  fera  bien  accueillir 
partout. 

Il  a  trente-neuf  ans.  11  est  dans  toute  la  vigueur 
de  sa  raison,  et  pour  voir  il  a  de  bons  yeux.  Les 
livres  lui  ont  appris  tout  ce  qui  peut  être  appris 
du  passé  :  il  lui  reste  à  coniiaîire  le  présent  qui  ne 
s'apprend  bien  que  par  l'observation,  et  qui  lai- 
dera  à  voir  le  passé  avec  des  clartés  nouvelles, 
quand  demain  il  revienilra  dans  son  cabinet  à  ses 
études  et  à  ses  livres.  Bien  ne  fait  mieux  com- 
prendre Montesquieu  que  ce  besoin  de  voyager 
pour  s'instruire  à  une  époque  où  si  peu  de  Fran- 
çais voyageaient.  11  ne  sera  pas  un  voyageur 
comme  l'aimable  président  de  liiosses,  pour  qui 
un  tour  en  Italie  n'est  qu'une  longue  partie  de 
plaisir  et  qui  consacre  les  loisirs  de  la  route  à 
raconter  gaiement  à  ses  amis  ce  qu'il  a  vu.  Il 
voyage  pour  lui  seul  et  il  voyage  pour  apprendre. 
Ce  n'est  pas  un  touriste,  c'est  un  studieux  :  il 
passe  indifférent  sur  les  curiosités  qu'il  rencontre, 
il  n'écrit  guère  ;  il  se  borne  à  observer  et  à  réfléchir, 
à  prendre  des  notes  pour  lui-même.  S'il  éprouva, 
vers  la  fin  de  sa  vie,  la  tentation  d'écrire  le  récit 
do  ses  voyages,  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  exécuté 
ce  dessein. 

Il  a  quitté  Paris  en  1728.  Il  se  rend  d'abord  à 
Vienne,  alors  le  grand  centre  allemand,  la  capitale 
du  Saint-Kmpire,  et  visite  également  la  Hongrie. 
De  là  il  descend  en  Italie  ;  il  séjourne  à  Venise, 
à  Rome,  à  Gênes  ;  puis,  par  la  Suisse  et  la  vallée 
du  Rhin,  il  se  rend  en  Hollande,  où  il  s'arrête. 
Tous  ces  voyag(^s  durent  une  quinzaine  de  mois. 
De  Hollande,  à  l'automne  de  li2y,  il  se  rend  en 
Angleterre.  L'Angleterre  à  ce  moment  avait, 
depuis  quarante  ans  environ,  fermé  l'ère  de  ses 
révolutions  politiques.  Elle  avait  définitivement 
fondé  ce  gouvernement  constitutionnel  et  parle- 
mentaire que  seule  au  monde  alors  elle  possédait. 
Elle  y  trouvait,  malgré  les  menaces  intermitten- 
tes des  prétendants,  et  la  paix  et  la  prospérité. 
Le  spectacle  d'un  peuple  libre,  se  gouvernant 
lui-même  sous  l'autorité  d'un  roi  et  en  possession 
de  l'exercice  de  tous  les  droits  individuels,  droits 
de  la  conscience  et  droits  politiques,  frappa  vive- 
ment Montesquieu.  11  se  plut  à  étudier,  longue- 
ment et  par  le  détail,  et  le  mécanisme  de  la  con- 
stitution anglaise  et  les  mœurs  d'où  ces  institu- 
tions étaient  sorties  et  qui  faisaient  leur  force.  11 
garda  toute  sa  vie  une  vive  admiration  pour  le 
peuple  anglais,  son  culte  de  la  liberté,  son  res- 
pect de  la  légalité,  son  amour  quasi  supersti- 
tieux du  formalisme  et  des  traditions  :  on  ne  s'é- 
tonnera pas  qu'un  magistrat  et  un  légiste  ait  été 
particulièrement  frappé  de  ces  vertus.  L'Angle- 
terre garda  dès  lors  dans  son  admiration  une 
place  privilégiée.  Il  n'était  pas  étonnant  non  plus 
que  l'Angleterre  ait  plus  tard  fait  entre  tous  les 
écrivains  français  une  place  à  part  au  philosophe 
politique  qui  lui  avait  si  parfaitement  rendu  jus- 
tice. 

Montesquieu  s'attarda  deux  années  entières 
en  Angleterre,  accueilli  là,  comme  il  l'avait  été 
partout",  avec  la  plus  grande  faveur.  A  la  lin  de 
i7:il,  il  rentre  en  l'raiice.  11  a  vu  tout  ce  qu'il  vou 
lait  voir  :  il  a  fait  sur  les  gouvernements  et  les 
sociétés  une  ample  provision  d'observations;  ce 
qu'il  lui  faut  maintenant,  pour  mener  à  bien  l'œu- 
vre entreprise,  c'est  le  recueillement  et  le  silence. 
S'il  n'eût  été  qu'un  homme  de  plaisir,  aimant  à 
jouir  do  la  vie  —  et  il  n'était  point  par  naiure  in- 
différent au  plaisir  —  Paris  avait  à  lui  offrir  les 
pins  séduisantes  distractions.  Son  nom  et  sa  répu- 
tation lui  ouvraient  les  portes  de  tous  les  salon», et 


MONTESQUIEU 


—  1348  — 


MONTESQUIEU 


ga  fortune  lui  pcrmoltait  de  mener  la  vie  du  plus 
limable  seigneur.  Mais  il  avait  de  plus  nobles 
ambitions  et  il  sentait  qu'il  avait  à  faire  de  ses 
forces  un  plus  noble  emploi.  A  son  retour 
d'Ano-leierre  il  s'arrête  J(  peine  à  Paris:  il  reprend 


mot  tout  ce  qu'il  vaut  que  de  constater  qu'après- 
bientôt  un  siècle  et  demi,  et  malgré  tous  les  pro- 
grès accomplis  depuis  lors  par  la  science  bistori- 
<iue,  il  est  demeuré  classique.  Certains  détails 
ont  pu  être  corrigés  depuis  :  l'ensemble  demeure 


le  chemin   de   sa  province,  il  va  s'enfermer  dans  debout;  toutes  les  recberches  de 

son  château  de  la  Brèdo.  Pendant  de  longues  an-  ajouté  que  bien  peu  à  ce  qu  avait  devine  la  perspi- 

nées   il  n'en   sortira  guère  que  pour  passer  çà  et  cacité  de  Montes.|Uieu.  Il    avait   du   même   coup 

k  quelques  semaines  à  Paris,  où   il  est  toujours  créé  pour  ainsi  dire  un  genre  nouveau  :  la  pli.loso 


fort^  recherché,  ou  entreprendre  dans  le  midi 
quelques  rapides  voyages.  Le  reste  de  son  temps, 
il  le  passe  dans  son  cabinet,  étudiant  l'histoire 
et  les  législations,  pnursuivant  sur  l'antiquité,  sur 
le  moyen  âge.  sur  les  temps  modernes,  ce  grand 
et  persévérant  travail  dont  il  attend  la  gloire. 

Il  n'aborde  pas  tout  d'abord  cependant^  ce 
grand  ouvrage.  Les  éludes  de  droit  de  sa  jeu- 
nesse avaient  fixé  son  attention  sur  le  peu- 
ple romain,  qui  a  constitué  autrefois  la  science 
juridique.  Il  avait  été  vivement  frappé  par  le 
spectacle  de  cotte  race  singulièrement  forte,  te-  , 
nace  en  ses  entreprises,  qui  à  l'origine  est  seu-  j 
lement  une  petite  cité  du  centre  de  l'Italie,  qui 
peu  à  peu.  par  son  énergie,  ses  vertus,  sa  patience, 
son  ambition  aussi  et  sa  politique,  impose  son 
joug  à  toutes  les  cités  voisines,  conquiert  l'Ita- 
lie, puis  l'Espagne,  l'Afrique,  la  Gaule,  la  Grèce 
et  l'Orient,  fait  de  la  Méditerranée  un  lac  romain, 
et  devient  la  maîtresse  de  tout  l'univers  alors 
connu.  Puis  un  autre  spectacle  ne  l'avait  pas 
moins  frappé:  Rome  conquérante  du  monde  suc- 
combant sous  sa  propre  grandeur;  l'empire  suc- 
cédant à  la  république,  comme  la  république 
avait  succédé  à  la  royauté  :  les  vices  remplaçant  les 
Tenus;  cette  puissance  prodigieuse  qui  si  lente- 
ment avait  grandi,  déclinant  et  s'affaiblissant,  pé- 
rissant sous  ses  propres  fautes  après  s'être  élevée 
par  ses  vertus,  retombant  enfin  au  néant  d'où  elle 
était  sortie.  Son  séjour  en  Angleterre  lui  avait  en 
quelque  sorte  mieux  fait  comprendre  la  Rome 
antique,  dont  une  aristocratie  fermement  atta- 
chée ^  ses  droits  et  une  démocratie  vaillamment 
résolue  à  réclamer  la  liberté  avaient  fait  la  gran- 
deur, et  qui  avait  marcljé  vers  la  décadence  sitôt 
que  l'équilibre  entre  ces  deux  forces,  opposées 
mais  également  miles,  avait  disparu.  De  la  vic- 
toire de  la  démocratie  l'empire  était  sorti  par  une 
loi  nécessaire,  et  avec  l'empire  la  décadence,  dans 
l'abaissement  de  tous  sous  la  loi  d'un  despote. 
La  conclusion  ne  déplaisait  pas  à  Montesquieu, 
baron  lui  même,  fort  peu  démocrate  et  qui  ve- 
nait de  voir  par  l'étude  do  l'Angleterre  ce  que 
peut  pour  la  grandeur  d'un  pays  une  aristocratie 
qui  défend  ses  privilèges  avec  énergie,  mais  qui 
en  même  temps  a  la  conscience  de  ses  devoirs 
et  ne  cheicho  pas  !i  s'y  dérober. 

Il  remet  à  plus  tard  son  grand  ouvrage.  Il  s'ar- 
rête à  en  écrire  comme  un  chapitre  détaché. 
Reprenant  à  son  tour  cette  histoire  romaine  qui 
a  sollicité  Machiavel,  Bnssuet,  Saint-Evfemond,  il 
relit  tous  les  historiens,  et  il  s'efforce  de  lire  entre 
les  lignes  de  leurs  livres.  Par  delà  l'histoire  ro- 
maine, telle  qu'un  Rollin  l'a  écrite  avec  uoe  can- 
deur innocente  et  prête  à  accepter  toutes  les 
fables,  il  en  entrevoit  une  autre  qui  ramène  les 
légend.s  à  la  réalité,  et  ne  veut  prendre  conseil 
que  du  bon  sens  et  de  la  raison  :  histoire  d'où  le 
peuple  romain  sort  bien  plus  glorieux  et  plus  vrai- 
ment grand  que  de  tous  les  recils  menteurs  de 
ics  propres  annalistes,  car  on  y  sent  bien  mieux 
i.  quel  effort  de  volonté,  à  quelle  politique  habile 
et  résolument  poursuivie,  il  a  dû  son  triomphe, 
avant  que  le.s  mèmescauses  naturelles  qui  l'avaient 
élevé  précipitassent  au^si  sa  chute. 

De  celte  étude  paticnti',  de  cette  concentration 
de  pensée  soli  aire  sort  le  petit  volume  intitulé  : 
Cons  d  riilicn'  -^r  /  '  yan'lnur  et  l  ■  démit  ne-  des 
Romains,  qui  parut  en  1734.  C'est  dire  en  un  seul 


phie  de  l'histoire.  Combien  peu  sans  doute,  parmi 
les  lecteurs  des  Lettres  persanes,  avaient  imaginé 
que  I  écrivain  qui  tenait  la  plume  d'Usbek  était  un 
si  profond  penseur  et  capable  d'une  telle  gra- 
vité 1 

Montesquieu  s'était  donné  à  lui-même  la  preuve 
de  sa  force  d'esprit  et  de  sa  vigueur  d'expression. 
Il  ne  lui  restait  plus  qu'à  se  consacrer  tout  entier 
à  la  composition  de  ce  grand  ouvrage  de  synthèse 
historique  et  de  philosophie  politique  qu'il  médi- 
tait depuis  dix  années  déjà.  A  en  rassembler  pa- 
tiemment les  matériaux,  à  en  ordonner  les  matiè- 
res, à  l'écrire,  il  employa  quatorze  années.  On  petit 
dire  que  depuis  l'âge  d'homme  il  y  mi'ttait  déjà 
toutes  ses  pensées.  Il  semble  que,  vers  1740,  vin 
sujet  particulier  le  tente  de  nouveau,  comme  l'his- 
toire des  Romains  l'avait  tenté  déjà.  Au  cours  de 
ses  études  historiques,  il  avait  rencontré  la  physio- 
nomie de  Louis  XI,  et  il  avait  été  d'abord  séduit 
et  par  l'énergie  sombre  de  l'homme  et  par  la  gran- 
deur de  son  œuvre.  On  a  dit  que  cette  histoire 
avait  été  écrite,  puis  jetée  au  feu  par  l'étourderie 
d'un  secrétaire.  Quand  on  sait  le  soin  avec  lequel 
Montesquieu  conservait,  non  pas  seulement  ses 
manuscrits,  mais  jusqu'à  ses  moindres  brouillons 
d'écrivain,  l'aventure  parait  très  singulière.  Ce  qui 
est  vraisemblable,  c'est  iiu'en  effet  Montesquieu 
songea  d'abord  à  écrire  une  histoire  de  Louis  XI: 
c'est  aussi  qu'après  en  avoir  écrit  un  certain  nom- 
bre de  chapitres,  que  probablement  on  retrouve- 
rait encore  dans  les  papiers  dont  a  hérité  sa  fa- 
mille, il  renonça  à  son  projet.  11  sentait  que  son 
grand  ouvragi^  était  ce  qui  pressait  d'abord,  que  là 
était  le  monument  qu'il  importait  d'achever. 

Enfin  l'année  l';48  vint  et  V Esprit  des  las  parut. 
Cette  date  est  restée  une  date  littéraire  mémora- 
ble, môme  en  ce  xviii»  siècle  où  parurent  tant  d'ou- 
vrages qui  sont  demeurés  des  événements  Insto- 
ri(|ues.  D'intimes  amis  auxquels  l'auteur  avait 
communiqué  son  manuscrit,  entre  autres  Helve- 
tius.  s'effrayèrent,  parait-il,  de  l'austérité  du 
livre  et  prièrent  Montesquieu,  dans  l'intérêt  de  sa 
réputation,  de  ne  pas  le  publier.  Il  n'en  crtit  que 
lui  même,  et  il  eut  raison.  Le  succès  de  1  Espnt 
des  lois,  en  effet,  fui  prodigieux  :  il  n'obtmt  pas 
moins  de  vingt  et  une  éditions  en  moins  de  deux 
années  •  succès  sans  précédent  et  depuis  même  sans 
égal  pour  un  livre  de  haute  raison.  Voltaire,  qui; 
n'aimait  qu'à  demi  Montesquieu  et  sur  lequel  Mon- 
tesquieu de  son  côté  faisait  bien  des  reserves  -- 
et  combien  en  effet  ces  deux  hommes  ne  diffe- 
raient-ils  pas?  —  a  exprimé  en  un  mot  toute  la 
beauté  de  cet  ouvrage  :  ..  L'humanité  avait  p^'rdu 
ses  titres:  Montesquieu  les  lui  a  rendus.  » 

On  peut  faire  à  YEsprit  des  lots  plus  d  une  cri 
ique  fondée.  On  a  pu  signaler  ce  qu'a  de  factici 


et  de  faux  la  théorie  générale  posée  par  1  auteur 
nue  l'honneur  est  le  ressort  des  monarchies  comnni 
la  vertu  celui  des  républiques:  on  a  pu  montre 
le  décousu  de  certaines  parties;  on  a  pu  surtou 
relever  dans  le  style,  tantôt  une  brièveté  senten 
cieuse  qui  va  jusqu'à  l'obscurité,  tantôt  un  cou 
de  l'antithèse  qui  va  jusqu'à  l'affectation  et  ai 
raffinement  du  bel  esprit.  Quel  écrivain  na  se 
défauts,  et  Montesquieu  a  certainement  eu  le 
siens  Penseur  solitaire,  vivant  dans  1  étude,  1 
lecture  <1  la  méditation  plus  que  dans  la  realitC 
lia  été  certainement  disposé  à  abuser  de  1  abstra( 
tion,  et  à  construire   une  humanité   plus  logiqu 


MONTESQUIEU  -  1340  -  MONTESQUIEU 


et  plus  absolue  que  jamais  elle  n'a  pu  se  montrer; 
écrivain  sévère  à  l'excès  pour  lui-même,  il  a  ni- 
contrstablfment  visé  plus  que  de  raison  ;\  eiifer- 
moi'  chaque  pensée  en  une  forme  brève  et  saisis- 
sant!- presque  toujours  tendue  et  souvent  forcée. 
La  meilleure  langue  est  k  coup  sur  celle  qui  se  met 
le  mieux  il  la  portée  de  l'esprit  moyen  d'S  lec- 
teurs et  pour  6tre  comprise  n'exige  point  d  etlort. 
VEsfvit  des  lois-  est  assurément  une  lecture  la- 
borieuse :  mais  personne  ne  s'y  est  un  peu  apph- 
mu-  sans  être  largement  payé  de  sa  peine  :  on  a 
pu  «lire  iustpmcnt  de  Montesquieu  ce  que  lui-mônie 
disait  de  Tacite,  qu'il  abrogeait  tout  parce  qu  il 
voyait  tout.  L'Esprit  des  lois  ne  sera  jamais  un 
livre  populaire:  il  ne  s'adresse  qu'aux  e^prns  déjà 
cultivés,  et   qu'un    peu  d'aridité   ne  rebute  pas  • 


On  en  eut  vainement  clierché  la  trace  dans  let 
livres  les  plus  illustres.  .„„,  rp.w/ 

Ce  n'est  pas  cependant  encore  là  tout  lt>pnt 
,les  tms.  La  France  d'alors,  lasse  d  abus  sans 
nombre  dont  le  poids  devenait  plus  \^»>'-f  J'' 
jour  en  jour,  à  mesure  que  la  raison  s  éveillant 
en  comprenait  mieux  l'injusuce,  à  mesure  aussi 
que  le  iliai.gement  des  mœurs  .avait  supprimé  la 
raison  d'être  de  la  plupart  des  privilèges  appc  ait 
de  tous  ses  vœux  une  réforme  :  elle  l  appelait 
dans  le  gouvernement,  elle  l  appelait  dans  1  ao 
ministration,  dans  l'ordre  judiciaire,  dans  la  ré- 
partition des  impôts,  dans  la  condition  civile,  poli- 
tique, religieuse  des  individus  :  la  réforme  ayant 
refusé  de  s'accomplir,  elle  finit  par  faire  une  ré- 
volution. Le  livre  de  Montesquieu,  s  il  nous  parle 


;,cu7i  liVr^ne  fait  penser  davantage,  et  il  1  avec    développement   de   l'a'it'q^jité     d»    rnoy«n 
^u,  di^lfTla^Icliarge  dJ  l'auteur,  que  s'il  i.e.t    ^^^^ ^:ZZ::^:'i:i^^l^.]l^ 


adopté  la  forme  rapide  et  sommaire,  toute  nerveuse 
et  concentrée,  qu'il  a  cboisie,  nne  longue  série  de 
volumes  n'et\l  pas  été  de  trop  pour  faire  tenir  tou- 
tes les  réflexions  et  toutes  les  pensées  qu'il  a  en- 
fermées en  ce  seul  ouvrage. 

La   durable  valeur  de  1  Esprit  des  lois  est  non 
pas  dans  la  thèse  contestable  qui  en  fait  l'apparente 

unité  et  qui  est  le  système  du  livre  ;  elle  est  dans    "^■'"j"';'  "=■;■;-;;;.',  .rMontesquicu  est  fermement 
les  observations  si  précises,    et   presque  toujours  ,  «/piibique  de     i-K     Montesquieu 
profondes  et  fortes,  qui  le  remplissent,  sur  l  anti-  j  attache  à  ,  '"^'~  i,!^^  «.fp^o^,  le  système  féo- 
qui.é.sur  le  moyen  âge,  sur  les  constitutions  des  |  ^'f  "   »  ';  P^^  ^°"  ^^~7.,P°   jes  capacités  dn 
div.rs  pays.  On  peut  dire  que  personne,  plus  .|Ue  ,  dal  ;    I  n  a  point  conhance  ""''^  .«     l'exemple  de 

jiontesHuL,  nj  contribué  ^ ^on^e. j.^ou.  f^^^^:^^:;::::^^^^::;^^^':^ 


laire  directement  la  critique  de  ce  qui  existe  en 
France  ou  de  proposer  des  reformes  directes.  Le 
philosophe  n'est  pas  un  pamphlétaire,  et  il  plane 
Volontiers  au-dessus  des  lieux  et  des  temps.  Ne 
demandons  pas  davantage  au  baron  de  IVrontes- 
quieu  d'être  un  partisan  de  la  République,  et  qui 
d'ailleurs,  en  17  48,  pouvait  en  France  prévoir  la 


philosophique.  Tout  le  mouven.ent  moderne  des 
sciences  historiques  est  sorti  de  lui  pour  une  part 
considérable.  Mais  l'originalité  véritable  de  l'ou- 
vrage est  dans  ces  chapitres  qui  précisément 
étonnèrent  et  même  scandalisèrent  le  plus  les 
contemporains  :  dans  ceux  où  il  signale  le  ca- 
ractère relatif  de  toutes  les  institutions,  des  lois, 
des  mœurs,  de  la  moralité  elle-même.  Si  étrange 


veux;  mais  s'il  veut  conserver  et  Ij.'jst""»"" 
la  noblesse  et  celle  de  la  royauté,  s  il  i^stime  que 
hors  de  Util  n'est  point  de  s^l"^^<=^4>;e  =  Pas^é 
de  la  France  doit  régler  son  avenir,  il  f  «"  ''"^e  â 
la  royauté  de  renoncer  b.  son  pouvoir  ''bsola,  aaii- 
.ereu\  pour   elle-même,  oppressif  P^-^-  ^^^/^J^;! 


q;;;  p^;;aisïe"i;„œnti.dicUon,,on  peut  toe^  quau-  j  -ssi  bien^c^ie^de  ses^d^iu  :  U^-^am^^ 


1  esprit  ne  fut  à  la  fois  plus   systématique  et    paysans  et  vilains,  les  gaauiesûe   ai  e 
,ins  absolu  que  celui  de  Montesquieu.  Le  pre-    viduelle.  Il  i.e  '=™/ PtV,,nt 'société  dur 
er  il  a  bien  montré  comment  il  y  avait  en   l'hu- 1  .ir.tuellement  en  France  une   société  Qur 
manité  comme  plu-ieurs  humanités    différentes 


I  de  fonder 
niier  il  a-b^e,;  montré  comment  il.y.avait^en   Thu-  ]  J^^«- ^isl^^iil^'X  dë^  S^ »X; 

idéal,  il  l'a  vu  en  Angleterre 


neincnt   et  là    une    autre,    amené    à    considérer  ment,  la  monarchie,  l  aristocraue    "'  "•" 

comme   le    devoir  la  pratique    de  telles   ou  telles  et  rend    le  progrès  P°\l'^^''-  ^J^^J^''^^^^\^,c^n 

vertus,  parfois  même  de  tels  ou  tels  vices  :  aussi  sécurité,  sans  aucune  de.f^'  ^ec'J'isses  ou  auc 

c'est  presque  toujours  pour  ne  pas  connaître  suf-  de  ces  redoutables  enfa.'^eme.  ts   ou  peut 

fisarament  les  conditions  d'existence  des  époques  bret;  la  fortune,  la  ^'P, '"f'i^'l^^,    '"""iou  que 
ou  des  contrées  qui  diffèrent  de  la  nôtre,  que  nous        C'est  cette  partie  du  livre  de  Montesquu  u  q  _ 


plus  gl'i 

esprits  d'alors,  et  particulièrement  le  magnilique 
Essai  sur  les  mœurs  de  Voltaire  lui-même,  pour 
voir  combien  il  était  difficile  à  un  Français  d'alors 
de  comprendre  uu  d'expliquer  ce  qui  choquait  sa 
raison,  et  de  quel  service  la  science  moderne  est 
redevable  à  Montesquieu. 

Ln  autre  mérite  original  de  l'Esprit  des  lois, 
c'est  d'avoir  bien  marqué,  dans  la  vie  des  na- 
tions, l'impoi  tance  du  rôle  de  la  richesse,  les  ef- 
fets du  commerce,  la  place  des  échanges.  C'est 
l'avènement  de  l'économie  politique  dans  l'his- 
toire, dont  elle  est  nn  facteur  si  considérable.  Les 
historiens  jusqu'alors  s'en  étaient  à  peine  doutés.  | 


vait'être  amené  pour  eux  sans  compromettre 
l'équilibre  d'une  société.vieille  déjà  fe^ P  --"" 
sièiles.  Les  hommes  qui,  comme  Malesherbes  et 
Turgot,  essayèrent  de  réconcilier  la  wy^^te „?','* 
nation  en  extirpant  les  abus,  furent  des  disciple» 
véritables  de  Montesquieu.  ,.     „    ,„  ^,,.„,p^. 

Quinze  ans  environ  après  le  livre  de  Montes- 
quieu, un  autre  livre  de  philosophie  sociale  paru  . 
le  Contrat  social  de  Rousseau.  Fils  d  une  petite 
république,  Rousseau  fondait  toute  rorganisatioa 
politiciue  sur  la  souveraineté  populaire,  et  i» 
souveraineté  populaire  directement  exercée  L,e 
livre    de    Montesquieu   devait   conduire    a    la  ro- 


MONTESQUIEU 


—  1350  — 


MOHALE 


forme  politique  :  celui  de  Rousseau  à  la  révolu- 
tion. A  partir  de  ce  jour,  la  lutte  fut  entre  les 
deux  écoles.  On  l'a  dit  bien  souvent  :  {'Esprit  da 
lois  fut  l'évangile  de  la  Constituante,  le  Contrat 
social  fut  celui  delà  Convention.  La  Constituante 
proclama  les  droits  individuels  et  établit  la 
royauté  constitutionnelle.  On  sait  comment  et 
pour  quelles  causes  multiples  la  réforme  de 
l'Assemblée  constituante  échoua.  11  ne  resta  plus 
qu'à  faire  la  révolution.  Sur  la  ruine  de  la  mo- 
narchie constitutionnelle  s'éleva  avec  la  Républi- 
que la  souveraineté  populaire. 

Nous  sortirions  du  cadre  de  cette  étude  en  recher- 
chant si  ce  fut  un  bien  ou  un  mal  que  la  réforme 
rêvée  par  Montesquieu  n'ait  pu  s'accomplir.  Aussi 
bien  les  philosophes  proposent  dans  leur  cabinet 
et  les  événements  disposent.  11  est  souvent  hasar- 
deux, et  plus  souvent  inutile,  de  rechercher  si  ce 
qui  s'est  accompli  eût  pu  ne  pas  s'accomplir  ou 
s'accomplir  autrement.  Il  est  temps  de  revenir  à 
Montesquieu  lui-même,  et  il  nous  reste  peu  de 
choses  à  dire. 

Il  avait  achevé  l'oeuvre  de  sa  vie  et  mené  à  bien 
la  tâche  entreprise.  Il  était  comme  épuisé  luimêmo 
de  ce  prodigieux  effort  de  vingt  longues  années.  A 
partir  de  li'iS,  il  ne  prend  plus  que  rarement  la 
plume  ;  en  n.SO,  pour  écrire  une  courte  Défense  rie 
l'Esprit  dis  lois,  contre  certaines  critiques  vio- 
lentes; en  1751,  pour  envoyer  le  fragment  de  Ly- 
simugiic  à  l'académie  de  Nancy  qui  l'avait  appelé 
dans  ses  rangs;  en  17,S4,  semble"  t-il,  pour  composer 
le  roman  d'Arsnn  et  hménie,  publié  en  HS-i  seule- 
ment par  son  fils,  et  où  se  irahit  une  imagination 
affaiblie.  Il  songeait  à  écrire  une  relation  de  ses 
voyages;  sa  vue,  qui  n'avait  jamais  été  bien  forte, 
baissait  ;  il  était  devenu  presque  complètement 
aveugle.  11  partageait  désormais  son  temps  entre 
Paris,  où  il  était  fort  recherché  et  comptait  de 
fidèles  amitiés,  et  son  cliàteau  de  la  Brède.  Ce  fut 
à  Paris  que  la  mort  vint  le  prendre  le  10  février 
n.S5.  Une  fièvre  inflammatoire,  qui  lui  laissa  jus- 
qu'à la  dernière  heure  la  lucidité  de  l'intelli- 
gence, l'enleva  en  quelques  jours.  Il  avait  un  peu 
plus  de  soixante-six  ans. 

La  vie  d'un  homme  comme  Montesquieu  est  tout 
entière  dans  ses  livre*.  Il  avait  vécu  pour  étu- 
dier, penser,  réflécliir.  Il  avait  pris  la  meilleure 
part  d'actinn,  celle  qui  est  durable.  L'humanité 
cependant  aime  les  petits  détails  sur  les  grands 
hommes,  et  désire  connailre  la  personne  et  le 
caractère  de  ceux  qu'elle  admire.  Ajoutons  donc 
ici  quelques-uns  de  ces  traits.  Montesquieu,  dans 
sa  jeunesse,  avait  aimé  le  plaisir.  Au  fond  l'étude 
fut  sa  seule  passion  :  o  Je  n'ai  jamais  eu,  disait- 
il  lui-même,  de  chagrin  qu'une  demi-heure  de 
lecture  n'ait  dissipé.  »  Il  n'était  pas  indifférent  à 
l'argent  ;  on  l'a  accusé  d'avoir  été  un  voisin  proces- 
sif et  un  seigneur  qui  n'entendait  pas  qu'on  tou- 
chât à  ses  droits.  Mais  ce  qu'il  faut  ajouter, 
c'est  que,  rigide  sur  le  chapitre  de  ses  driùts,  il 
était  aussi  un  seigneur  sans  morgue  et  charitable. 
On  a  cité  souvent,  entre  beaucoup  d'autres,  un 
trait  de  sa  bii^nfaisance.  Un  jour,  à  Marseille,  ayant 
pris  une  barque  pour  se  promener  dans  le  port,  il 
remarque  que  les  mains  de  sou  batelier  sont  bien 
blanches  pour  le  métier  qu'il  exerce.  Il  l'inter- 
roge, il  apprend  qu'il  est  ouvrier  joaillier  de  son 
état,  fils  d'un  négociant  de  Marseille  que  les  cor- 
saires ont  pris  et  emmené  à  Alger.  Joaillier  la 
semaine,  le  dimanclie  le  fils  se  fait  batelier  pour 
soutenir  la  famille  et  amasser  s'il  se  peut  la  ran- 
çon du  père.  De  retour  sur  le  quai,  Montesquieu 
jette  sa  bourse  au  jeune  homme  et  se  dérobe.  Quel- 
que temps  après  la  famille  marseillaise  est  surpri- 
se de  voir  revenir  le  pore  et  apprend  que  sa  rançon 
a  été  payée.  Montesquieu,  plus  tard,  revenant  à 
Marseille,  est  reconnu  par  le  jeune  homme,  qui  se 
précipite  vers  lui,  ne  doutant  pas  qu'il  soit  leur 


bienfaiteur  inconnu  :  Montesquieu  le  repousse, 
disant  qu'il  ne  sait  de  quoi  on  lui  parle.  Ce  fut 
seulement  à  la  mort  de  .Montesquieu  que  l'on 
trouva  sur  ses  livres  l'envoi  d'une  somme  de  sept 
mille  livres  à  un  banquier  anglais  de  Cadix,  et  que 
l'on  sut  par  celui-ci  que  la  somme  avait  servi  à 
payer  la  rançon  du  négociant  marseillais  Robert, 
il  ne  suffit  pas  sans  doute  d'avoir  l'âme  généreuse 
pour  écrire  Y  Espi  it  f/e.  lois  ;  mais  on  est  toujours 
heureux  d'apprendre  qu'un  giand  homme  a  été, 
liumain,  et  que  le  cœur  s'est  trouvé  chez  lui  à  la 
hauteur  de  l'intelligence.  [Charles  Bigot.] 

MOR.\LH.  —  Psychologie  et  Morale,  XIX.  — 
On  peut  définir  la  morale,  la  science  des  principes 
ou  du  principe  par  lequel  doit  se  diriger  la  vo- 
lonté de  l'homme. 

.^'ous  disons  que  la  morale  est  une  science.  Il 
y  a  des  faits  appelés  ntoraux  dont  l'existence  et 
les  caractères  sont  universellement  reconnus. 
Certaines  actions  sont  jugées  moralement  bonnes, 
d'autres  moralement  mauvaises  ;  auteurs  ou  té- 
moins, soit  des  unes,  soit  des  autres,  nous  éprou- 
vons des  sentiments  divers;  nous  admettons  que 
l'homme  a  des  devoirs  à  remplir,  qu'il  mérite 
d'être  récompensé  s'il  les  accomplit,  puni  s'il  les 
viole.  Autant  de  faits  que  la  science  des  mœurs 
ou  morale  constate,  explique,  et  se  propose  de 
ramènera  l'unité  d'un  système. 

Nous  disons  de  plus  que  la  morale  est  la  science 
des  principes  ou  du  priitcipe  par  lequel  doit  se 
diriger  la  volonté  de  l'homme.  En  effet,  toute  règle 
de  conduite  est  un  principe  d'action  qui  s'appli- 
que à  un  grand  nombre  de  cas  particuliers. 
C'est  un  principe,  par  exemple,  qu'il  faut  être 
fidèle  à  sa  parole,  c'en  est  un  autre  qu'il  faut 
pardonner  les  injures,  etc  Autant  de  devoirs, 
autant  de  principes.  Mais  ces  principes,  dans  leur 
multiplicité  presque  indéfinie,  doivent  pouvoir  se 
subordoinier  les  uns  aux  autres,  et  se  rattacher  à 
un  principe  suprême,  dont  ils  ne  sont  que  les 
conséquences  et  comme  les  déductions  néces- 
saires. 

La  science  de  la  morale  a  pour  objet  de  déter- 
miner cette  hiérarchie  de  principes  et  de  formu- 
ler celui  duquel  tous  empruntent  leur  valeur  et 
leur  autorité. 

Ces  principes,  ou  ce  principe,  disons-nous 
encore,  doivent  diriger  la  volonté  de  l'homme. 
Le  caractère  essentiel  de  la  volonté,  c'est  la  li- 
berté. 

La  conciliation  du  libre  arbitre  humain,  soit 
avec  le  déterminisme  des  phénomènes  de  la  natu- 
re, soit  avec  la  prescience  et  la  providence  divines, 
peut  présenter  au  métaphysicien  des  diflicultés- 
presque  insolubles  ;  mais  pour  le  p.sychologue  et 
le  moraliste,  la  liberté  est  un  fait  que  le  senti- 
ment iiitérieur  atteste  avec  une  irrrésistible  clar- 
té. Nous  sentons  que  nous  sommes  libres,  c'est à- 
dire  que  nous  pouvons  choisir  entre  tel  ou  tel 
motif  d'action,  vouloir  ou  ne  pas  vouloir,  et  cela 
suffit  pour  établir  notre  responsabilité. 

Si  la  liberté  est  proprement  la  possibilité  de 
choisir  entre  deux  ou  plusieurs  motifs,  il  faut, 
pour  que  la  liberté  se  détermine,  qu'il  y  ait  une 
raison  de  ce  choix.  Tous  les  motifs  ne  sauraient 
donc  avoir  une  valeur  égale.  Or,  les  motifs  se 
ramènent  facilement  à  trois,  qui  sont  le  plaisir, 
l'intérêt,  le  devoir,  ou,  en  d'autres  termes,  l'a- 
gréable, l'utile,  l'honnête. 

On  agit  en  vue  du  plaisir,  quand  on  ne  se  'pro- 
pose qu'une  satisfaction  immédiate  de  la  sensi- 
bilité, quelles  qu'en  doivent  être  d'ailleurs  les 
conséquences.  Le  motif  du  plaisir  n'implique 
qu'un  faible  degré  de  réflexion  :  il  est  à  pevi  près 
puiement  in'-linctif,  et  reçoit  ordinairement  le 
nom  de  mobile. 

On  ag  t  par  intérêt,  quand  on  recherche,  non 
un  plaisir  immédiat,  passager,  et  que  suivra  peut- 


MORALE 


—  1331  — 


MORALE 


être  une  (imilciii-  intonsn  et  ilurablo,  mais  hi 
somme  la  plus  grande  possible  de  satist'aclioii,  ac- 
compagnée de  la  moindre  quantité  possible  de 
peine.  On  voit  ainsi  nue  celui  qui  Sii  détermine 
par  intérêt  est  nécessairement  un  calculateur.  Il 
réfléchit  sur  les  conséquences  plus  ou  moins 
probables,  plus  ou  moins  lointaines  de  ses  actes; 
il  embrassi',  par  la  réflexion,  une  période  plus  ou 
moins  longue  de  l'avenir.  Ce  n'est  plus  ici  la  spon- 
tanéité du  mobile  instinctif  :  c'est  l'intelligence 
en  pleine  possession  d'elle-même,  modérant  les 
impulsions  d'une  sensibilité  aveugle,  mais  ten- 
dant en  réalité,  et  par  une  voie  plus  sûre,' au 
môme  but  que  celle-ci,  savoir,  le  plaisir  ou  tout  au 
moins  l'absence  de  douleur. 

Tout  autre  est  le  motif  du  devoir,  ou  motif 
moral.  Il  se  manifeste  dans  la  conscience  par 
opposition  avec  les  deux  précédents.  Régulus 
s'est  engagé  h  reprendre  ses  cbaines  s'il  échoue 
dans  la  mission  que  lui  a  confiée  le  sénat  de  Car- 
thage  ;  il  sait  (|uels  supplices  l'attendent  :  épou- 
vantée par  l'aspect  de  la  douleur,  sa  sensibilité 
lui  crie  de  violer  sa  parole.  Sa  femme,  ses  en- 
fants, ses  amis,  sa  patrie  même  qui  peut  avoir 
besoin  encore  d'un  général  longtemps  victorieux, 
unissent  leurs  prières  :  ne  semble-t-il  pas  que 
l'intérêt  (tel  au  moins  que  l'entend  un  vulgaire 
égoïsme)  soit  ici  d'accord  avec  la  sensibilité  ? 
Mais  non  ;  il  a  juré,  et  le  devoir  commande  de  ne 
pas  manquer  à  son  serment.  Sur  un  théâtre 
plus  humble,  dans  des  circonstances  moins  tra- 
giques, s'impose  à  chacun  de  nous,  et  plus  d'une 
fois  pendant  le  cours  de  sa  vie,  le  même  choix 
qu'à  Régulus. 

Les  motifs  du  plaisir  et  de  l'intérêt  sont  égoïs- 
tes, car  ils  n'ont  en  vue  que  la  satisfaction  de 
l'individu.  Le  motif  du  devoir  est  désintéressé, 
car  il  commande  surtout  le  sacrifice  du  bonheur, 
de  la  vie  même;  seul  encore,  le  motif  moral  est 
(ibligatniie.  Il  faut  entendre  par  IJi  qu'il  s'impose 
à  la  liberté  sans  la  contraindre.  11  apparaît  comme 
un  ordre,  absolu,  inconditionnel;  il  est,  pour 
parler  le  langage  de  Kant,  un  impératif  catégori- 
que. Il  ne  dit  pas  :  fais  ceci,  pourvu  que  tu  y 
trouves  ton  plaisir  ou  ton  intérêi  ;  mais  :  fais  ceci, 
dusses-tuen  souffrir,  dusses-tu  en  mourir.  Le  noble 
adage  :  fais  ce  que  dois,  advienne  que  pourra, 
exprime  d'une  manière  populaire  et  saisissante 
ce  que  Kant  traduit  par  les  deux  mots  d'impératif 
catégorique. 

Le  motif  moral,  qui  ne  saurait  venir,  ni  de  la 
sensibilité,  ni  de  la  réflexion  appliquée  aux 
moyens  d'acquérir  la  plus  grande  somme  possible 
de  jouissances  avec  la  moindre  somme  de  peines,  ne 
peut  avoir  sa  source  que  dans  la  faculté  de  concevoir  i 
l'absolu,  l'inconditionnel  :  c'est  la  raison.  Le  mo- 
tif moral,  puisqu'il  commaii'de,  est.  une  loi;  et  j 
cette  loi  a  son  fondement  dan.s  la  raison.  Disons  ; 
mieux,  elle  est  la  raison  môme  en  tant  qu'elle 
éclaire  et  dirige  la  volonté,  ou,  comme  dit  Kant, 
la  raison  pratique. 

Ainsi,  d'une  part,  la  liberté,  capable  de  choisir 
entre  plusieurs  motifs,  d'autre  part,  la  loi  de  cette 
liberté  appelée  raison  pratique  ou  loi  morale, 
telles  sont  les  deux  conditions  essentielles  de 
la  science  des  mœurs.  Les  êtres  raisonnables  et 
libres  sont  seuls  susceptibles  de  moralité.  Les 
partisans  de  la  doctrine  évolulionniste  n'ont  pas 
réussi  à  prouver  que  les  animaux  inférieurs  à 
l'homme  soient,  même  au  plus  faible  degré,  des 
êtres  moraux  ;  il  faudrait  pour  cela  qu'ils  eussent 
établi  que  l'animal  est  raisonnable  et  libre,  et 
cette  démonstration,  ils  ne  l'ont  pas  fournie. 

Par  suite  encore,  toutes  les  causes  qui  altèrent 
ou  détruisent  dans  l'homme  la  liberté  et  la  raison, 
détruisent  on  diminuent  sa  responsabilité.  Toiles 
sont  la  folie,  l'idiotie,  certaines  maladies  nerveu- 
ses, la  sénilité  extrême,  etc.;  l'enfant  non  plus  n'est 


pas  responsable,  avant  un  certain  âgi\  Il  sembler 
que  la  passion,  l'ivresse  devraient  abolir  de  môme 
la  responsabilité  ;  mais  elle  subsiste,  bien  qu'a- 
moindrie peut-ôtre,  car  il  dépendait  do  la  volonté 
de  ne  pas  laisser  prendre  soit  à  la  passion,  soit  à 
des  habitudes  funestes,  une  force  qu'elle  devient 
h  la  longue  à  peu   près   impuissante  à  combattre. 

Mous  avons  dit  précédemment  que  la  loi  morale 
est  absolue  et  obligatoire.  On  lui  attribue  ordi- 
nairement un  troisième  caractère,  celui  de  l'uni- 
versalité. Si  la  raison  révèle  à  tous  les  esprits  les 
mêmes  vérités  nécessaires,  la  loi  morale,  on  raison 
pratique,  ne  doit-elle  pas  imposer  les  mêmes  or- 
dres il  toutes  los  volontés'/ Pourtant  il  est  difficile 
de  contester  que  d'un  peuple  à  l'autre,  d'une  épo- 
que à  une  autre  époque,  ne  se  manifestent  des 
divergences  profondes  dans  les  jugements  moraux. 
Le  sauvage  commet  sans  scrupule  des  actes  i|ui 
pour  nous  sont  abominables  :  où  donc  retrouver 
dans  l'histoire  cette  unité  niorale  de  l'espèce 
liiimaine  dont  parlent  certains  philosophes  'I 
«  Trois  degrés  d'élévation  du  pôle,  dit  Pascal, 
changent  toute  la  jurisprudence...  Plaisante  jus- 
tice qu'une  rivière  borne  :  Vérité  en  deçà  des 
Pyrénées,  erreur  au  delà!  >- 

Sans  discuter  à  fond  cette  objection,  ce  qui 
nous  entraînerait  trop  loin,  contentons-nous  d'ob- 
server que  si  la  raison  est  le  privilège  de  l'huma- 
nité, elle  est  loin  d'être  également  développée 
chez  tous  les  hommes.  De  même  en  est-il  do  la 
conception  d'une  loi  morale.  Les  difficultés  de 
l'existence  matérielle,  l'obligation  d'une  lutte  de 
tous  les  instants  contre  une  nature  ennemie, 
l'ignorance,  la  superstition  peuvent  maintenir  in- 
définiment à  l'état  embryonnaire  les  facultés  su- 
périeures de  l'âme.  Pourtant,  môme  chez  les 
peuplades  les  plus  dégradées  se  retrouve  la  cons- 
cience morale,  avec  ses  traits  essentiels.  "  En  fait, 
dit  M.  Henri  Joly,  la  générosité,  la  clémence,  la 
véracité,  la  foi  dans  la  parole  donnée,  voilà  des 
venus  dont  on  trouve  des  exemples  nombreux 
dans  les  populations  les  plus  grossières.  »  Les 
témoignages  les  plus  récents  et  les  plus  authenti- 
ques des  voyageurs  sont  unanimes  sur  ce  point. 

Avec  la  civilisation,  la  notion  du  bien  et  du  mal 
croît  en  précision,  en  clarté,  en  délicatesse  "  Le 
pillage  et  le  brigandage,  autrefois  privilèges  des 
héros,  sont  devenus  le  refuge  des  malfaiteurs;  et 
en  même  temps  la  propriétc'  est  devenue  plus 
accessible  à  tous  et  de  mieux  en  mieux  garantie. 
L  esclavage  sous  toutes  ses  formes,  ainsi  que  les 
cruautés  exercées  sur  la  conscience  au  nom  de  la 
foi.  ne  sont  déjà  plus  que  des  souv'-nirs...  Le 
pillage,  le  massacre  des  vaincus,  la  réduction  dos 
prisonniers  en  esclavage,  les  armes  empoisonnées, 
les  courses,  ont  été  de  plus  en  plus  flétries  et 
condamnées,  comme  le  droit  d'épaves  et  le  droit 
d'aubaine  et  autres  restes  de  l'état  barbare.  » 
(P.  Janet,  cité  par  M.  H  Joly.)  S'il  n'est  pas  rigou- 
reusement exact  de  diie  avec  Socrate  et  Platoii 
que  nul  ne  péclie  que  par  ignorance,  il  reste  vrai 
néanmoins  que  l'homme  est  d'autant  plus  porté  à 
faire  le  bien  qu'il  le  connaît  mieux  et  qu'en  géné- 
ral le  progrès  do  la  moralité  est  proportionnel  à 
celui  des  lumières,  liisiruiri!,  c'est  moraliser. 

Nous  avons  déterminé  l'existence  et  les  carac- 
tères de  la  loi  morale;  il  nous  reste  à  en  recher- 
cher l'essence  et  la  formule.  Dire  qu'elle  est 
l'obligation  de  faire  le  bien  et  d'éviter  le  mal,  ce 
n'est  pas  assez,  car  on  demandera  ce  que  c'est 
précisément  que  le  bien  et  le  mal  Une  sorte 
d'instinct,  qu'on  appelle  sens  moral,  nous  révèle 
sans  doute,  avec  une  clarté  ordinairement  suf- 
fisante pour  la  pratique,  quelles  actions  sont 
bonnes,  quelles  autres  mauvaises;  mais  la  science 
exige  qu'on  rende  compte  de  ces  révélations 
mêmes,  qu'on  les  ramène  à  leur  principe. 

Plusieurs  systèmes  ont  été  proposés.  Pour  les 


MORALE 


—  135-2 


MORALE 


uns,  la  loi  morale  a  son  fondoment  dans  la  vo- 
lonté divine.  Sa  (ormule  serait  ainsi  :  obéis  aux 
commandements  du  ^ouverain  législateur.  Ces 
commandements,  lileu  les  aurait  gravés  lui-même 
dans  la  conscience  humaine,  ou  exprimés  direc- 
tement à  certains  élus,  chargés  par  lui  de  les 
transmettre  et  rie  les  interpréter  au  reste  du  genre 
humain,  lîne  telle  doctrine  est  au  moins  dénuée 
de  preuves  philosophiques.  La  volonté  de  Dieu 
nous  est  impénétrable.  Nous  affirmons  qu'il  ne 
peut  rien  vouloir  de  contraire  à  la  loi  moiale, 
mais  parce  que  nous  connaissons  cette  loi  immé- 
diatement et  par  elle-même,  et  qu'il  est  contra- 
dicioire  avec  l'idée  d'un  être  pariait  qu'il  puisse 
vouloir  le  mal.  Loin  d'être  le  principe  de  la  loi 
mor.ile.  la  volonté  divine  ne  saurait  en  être  que 
l'expression.  D'autres,  ce  sont  les  utilitaires,  ont 
prétendu  ramener  la  loi  morale  soit  i  l'intérêt 
pariiculier,  soit  à  l'inté  et  général.  Mais  l'intérêt, 
si  bien  enti-ndu  qu'on  le  suppose,  n'est  point 
obligatoire;  et  c'est  par  là,  nous  l'avons  vu,  (|U0 
l'utile  se  distingue  de  l'honnête.  Sans  doute,  en 
un  sens  très  élevé,  l'intérêt  suprême  pour  l'indi- 
vidu c'est  de  faire  son  devoir,  et  Cicéron  a  montré 
admirablement  l'ideniité  fondamentale  de  Ihon- 
ncte  et  do  l'utile:  mais  cette  sorte  d  intérêt  qui 
peut  exiger  jusqu'au  sacrifice  de  tout  bonheur 
terrestre  n'est  pas  celle  qu'eniendent  les  parti- 
sans de  système  égoïste  (Epicure,  Hobbes,  Hel- 
vétiusl. 

Quant  à  l'intérêt  général,  ou.  selon  la  formule 
de  Bentham.  le  plus  grand  bonheur  possible  du 
plus  grand  nombre  possible,  il  ne  peut  avoir  é\i- 
demment  d'autres  caractères  que  ceux  des  inté- 
rêts pariicnliers  dont  il  est  la  résultante  et  la 
synthèse.  Outre  qu'il  est  très  difficile  à  détermi- 
ner, il  lui  manque,  à  lui  aussi,  d'être  obligatoire 
en  soi.  Que  si  parfois  nous  sommes  moralement 
tetius  de  subordonner  notre  utilité  individuelle  à 
celle  du  plus  grand  nombre,  c'est  en  vertu  d'un 
principe  supérieur  à  l'ulilité,  fùtrce  celle  de  tout 
le  seiire  humain.  Fonder  la  morale  sur  l'intérêt 
jinblic,  c'est  justifier,  c'est  glorifier  tous  les  crimes 
i|U  enregistre  l'Iiistoiie  au  nom  de  la  raison- d'Etat. 
11  est  bien  vrai  qu'en  fait  le  plus  grand  bonheur 
du  plus  grand  nombre  possible  ne  saurait  être 
mieux  assuré  que  par  la  pratique  universelle  de  la 
loi  luorale:  mais  il  s'n£;it  ici  de  principes,  et  théori- 
quement, ils  restent  profondément  distincts.  (Les 
représentants  les  plus  éminents  du  système  de 
l'intérêt  général  sont,  depuis  Bentham,  Stuart 
Mill,  Bain,  H.  Spencer,  Darwin. 1 

Selon  nous,  lessence  véritable  de  la  loi  morale, 
c'est  une  conception  idéale  nue  nous  nous  formons 
nécessairement  de  l'humanité,  h  l'occasion  et  à 
pro|)os  de  no're  propre  conduite  ou  de  celle  des 
autres.  Sommes-nous  témoins  des  eiuportements 
de  la  colère,  de  la  vengeance?  nous  concevons  le 
type  d'un  homme  maître  ae  lui-même,  capable  de 
pardonner  l'injure:  aux  excès  d'une  basse  sensua- 
lité, nous  opposons  le  modèle  de  la  sobriété  et  de 
la  t'  m|)erance,  à  la  lâcheté,  le  courage,  à  la  dureté 
d'un  cœur  que  ne  peuvent  émouvoir  les  sonfl'ran- 
ces  d'auirui,  la  bienveillance,  la  philantlimpie,  la 
charité.  C'est  d'après  cet  homme  idéal  que  nous 
nous  jugeons  nous-mêmes  et  que  nous  jugeons 
nos  semblables.  A  toutes  les  époques,  à  tous  les 
degrés  de  civilisation,  l'humanité  s'ett  ainsi  re- 
présentée une  image  plus  parfaite  d'elle-même, 
et  il  y  a  progros  dans  ces  conceptions  successives 
de  l'idéal  moral.  Mais  toujours  et  partout  s'im|iose 
à  elle  l'obligation  d'y  tendre  de  plus  en  plus.  C'est 
li  proprement  la  loi  morale,  que  l'on  pourrait  for- 
muler ainsi  :  eflorce-toi  de  réaliser  par  ta  conduite 
le  type  de  l'humanité  que  tu  portes  en  toimêiue  ; 
ou  plus  simplement  encore  :  efforce-toi  d'être 
homme. 

Les  stoïciens  n'entendaient  pas  autre  chose  par 


leur  maxime  célèbre  :  il  faut  vivre  conformément 
à  la  nature.  Ce  qui  constitue  la  nature  d'un  être, 
c'est  ce  qui  l'achève,  le  rend  parfait  :  la  vraie  nature 
de  l'homme  n'est  donc  pas  la  sensibilité  intérieure, 
qui  lui  est  commune  avec  les  animaux,  mais  la 
rai^on  et  la  liberté.  Vivre  conformément  ii  la  nature 
que  conçoit  l'idéal  du  sage,  vivre  confoi  raétnent  au 
bien,  à  la  perfection,  autant  de  formules  identi- 
([ues  de  la  loi  morale. 

Le  devoir  consiste  il  obéir  en  tout  et  partout  k 
cette  loi.  Le  droit  n'est  en  moi  qui'  l'obligation 
pour  autrui  de  respecter  ma  liberté  dans  ses  ma- 
nifestations légitimes.  Le  respect  du  droit  d'autrui 
s'appelle  la  justice.  Quand,  non  cotitent  de  ne  pas 
nuire  à  mon  semblable,  je  fais  en  sorte  d'écarter 
tous  les  obstacles  qui  s'opposent  au  plein  déve- 
loppement de  sa  liberté,  souffrance,  misère,  igno- 
rance, etc.,  que  je  travaille  selon  mes  forces  à  son 
bonheur,  je  dopasse  la  justice  ;  j'atteins  la  charité. 

Nous  avons  dit  qui^  ta  pratique  du  devoir  exige 
souvent  des  sacrifices  pénibles  pour  la  sensibilité. 
Néanmoins  il  est  contradictoire  aux  yeux  de  la 
raison  que  le  malheur  soit  la  conséquence  de  la 
vertu.  Nous  affirmons  invinciblement  que  quicon- 
que fait  le  bien  doit  tôt  ou  tard  en  être  récompensé, 
pourvu  que  l'espoir  de  celte  récompense  n'ait  pas 
été  le  motif  principal  et  déterminant  de  sa  con- 
duite. On  appelle  méri-e  ce  droit  au  bonheur  ac- 
quis par  un  être  à  qui  rien  n'a  coûté  pour  accom- 
plir la  loi  morale.  Le  démérite  est  ce  qu'on  pourrait 
appeler  le  droit  à  la  punition  pour  celui  qui  l'a 
violée. 

Les  sanctions  d'une  loi  sont  les  peines  et  les 
récompenses  attachées  à  la  pratique  ou  à  la  viola- 
tion de  cette  loi.  La  loi  morale  a  différentes  sortes 
de  sanctions. 

La  vertu,  c'est-à-dire  la  pratique  constante  et 
habituelle  du  devoir,  est  accompagnée  d'une  satis- 
faction profonde,  d  une  sérénité  d'âme  inaltérable. 
Le  coupable,  au  contraire,  est,  selon  la  gravité  de 
la  faute,  mécontent  de  soi  ou  déchiré  de  remords. 

La  santé  ou  la  maladie,  conséquences  ordinaires 
de  la  vertu  ou  du  vice,  l'estime  ou  le  mépris  de 
nos  semblables,  les  châliiuents  prononcés  par  les 
tribunaux  humains,  autant  de  sanctions  plus  ou 
moins  efficaces.  Mais  toutes  sont  insuffisantes, 
car  l'intensité  du  remords  est  presque  toujours  en 
proportion  inverse  de  la  perversité  du  criminel; 
une  constitution  vigoureuse  peut  résister  à  toutes 
les  débauches,  l'estime  et  le  mépris  peuvent  s'é- 
garer sur  de  fausses  apparences;  enfin  la  justice 
dos  hommes,  toujours  faillible,  ne  recherche  et 
ne  punit  que  les  actes  qui  compromettent  l'ordre 
et  la  sécurité  sociale.  De  là,  aux  yeux  des  plus 
grands  moralistes,  tels  que  Platon  et  Kant,  la 
nécessité  d'une  sanction  définitive  dans  une  vie 
ultérieure  ;  c'est  le  fondement  le  plus  solide  de  la 
croyance  à  l'immortalité  de  la  personne  humaine. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  cette  partie  de  la 
morale  qu'on  appelle  morale  particulière,  et  qui 
n'est  que  l'exposition  méthodique  des  principaux 
devoirs  qui  s'imposent  à  Ihonime.  Contentons- 
nous  de  mppeler  les  grandes  divisions  générale- 
ment adoptées  :  Morale  inilividui-Ue,  nu  devtiirs  de 
l'homme  envers  lui-même  (devoirs  envers  son 
corps  :  fortifier,  développer  le  corps  pour  en  faire 
un  serviteur  docile  de  l'intelligence  et  de  la  vo- 
lonté, interdiction  du  suicide;  devoirs  envers  son 
àme  :  cultiver  les  diverses  facultés  conformément 
à  la  loi  du  bien)  ;  —  Morale  domestique,  ou  devoirs 
de  l'individu  dans  la  famille:  —  Morale  sociale  ou 
devoirs  de  l'homme  envers  l'Etat,  envers  l'huma- 
nité (justice  et  charitéi;  —  Morale  religieuse,  ou 
I  devoirs  de  l'homme  envers  Dieu.  On  admet  quel- 
'  quefois,  sous  le  nom  de  morale  réell",  une  classe 
I  spéciale  de  devoirs  envers  les  choses  et  envers  les 
I  animaux.  On  peut  douter  néanmoins  que  cette  di- 
1  vision  soit  parfaitement  justifiée:  les  devoirs  de 


MOUSSES 


1353 


MOUSSES 


l'iinmiiii'  oiivci's  les  animaux  poumiient  bien  n'clre 
qu'nne  extension  de  ceux  qu'il  a  envers  lui-niftme 
(m-  pns  endurcir  son  cœur  et  contracter  des  liabi- 
tudcs  de  cruauté  en  maltraitant  sans  raisou  des 
fctri's  inelVensirs;.  Les  mauvais  traitcMuenis  envers 
les  l)ùtcs  sont  d'ailleurs  interdits,  sous  certaines 
peines,  par  la  loi  française  (loi  Granimont). 

[L.  Carrau.j 
MOU  l'AUTK.  —  V.  Populittion. 
MOUSSUS.  — Botanique,  XXVUI.  —  Etym.  :  de 
l'allemand  ancien  nios,  i|ui  signifie  mousse.  —On 
(U'-sifïUO  sous  le  nom  général  de  Mousses  de  petits 
végétaux    cryptogames    cellulaires,    qui    lorcnent 
dans  la  nature  actuelle  un  groupe  très  nettement 
isolé  de  tous  les  groupes  voisins.  Tout  nous  porte 
;\   regarder    les  mousses   comme  les   plus  élevés  j 
des  cryptogames  cellulaires.  Malgré  l'extrême  dé- 1 
licatessB  de  leurs  tissus,  certaines  mousses  ont  été 
conservées  à  l'état  fossile  ;  leur  présence  a  été  si-  | 
gnalée  dnns  les  terrains  les  plus  anciens;  et  celles  | 
de  ces  formes  anciennes  que  Ion  peut  leconnaitre  1 
diffèrent  assez  peu  des  espèces  actuelles.  | 

Dans  l'histoire  complète  du  développement  i 
d'une  mousse  on  distinguo  trois  stadies;  1°  le  i 
stade  fruit;  2°  le  stade  prolonema  ou  stade  /î'a- 
mniteux  ;  .S"  la  phase  adulte  ou  de  mousse  pro- 1 
prement  clita.  _    ' 

L'embryon  des  mousses  n'est  jamais  libre.  Sitôt 
forme,  il  se  développe,  et  les  premières  phases  de 
son  déveliippemciii  s'accomidissent  au  sein  de  l 
l'archégone  dans  lequel  il  a  pris  naissance.  Lorsque  , 
la  jeune  plante  a  aciuis  un  certain  développement, 
elle  rompt  l'arcliégoiio  dont  la  partie  supérieure  | 
demeure  à  son  sommet,  la  recouvrant  comme  une 
sorte  de  chapeau.  Cette  pièce  protectrice,  qui  per- 
siste parfois  pendant  un  temps  très  long  au 
sommet  de  la  plante,  a  reçu  le  nom  de  cni/fe.  Les 
premiers  développements  de  la  mousse  ont  pour 
effet  de  la  transformer  en  un  appareil  spécial  que 
l'on  nomme  la  capsule  ou  le  fruit.  A  cet  effet  le  ! 
corps  de  la  jeune  plante  se  partage  en  trois  parties. 
L'inférieure  demeure  fixée  sur  la  plante  mère;  elle 
se  tuméfie  légèrement  ;  c'est  à  la  fois  un  suçoir 
pour  la  plante  et  aussi  un  moyen  de  fixation.  La 
région  moyenne  du  corps  de  l'embryon  s'allonge 
en  un  pédicelle  très  délié,  que  l'on  jiomnie  le 
liédoncule  ou  la  soi)-  de  la  capsule.  Cette  soie  se 
renfle  supérieurement  en  un  corps  globuleux 
nommé  npopkiise,  à  l'extrémité  duquel  se  dresse 
la  capsule  proprement  dite,  qui  résulte  delà  trans- 
formation du  tiers  supérieur  du  corps  de  l'em- 
bryon. I.a  capsule  était  d'abord  formée  par  un  tissu 
cellulaire  homogène  plein,  recouvert  superficielle- 
ment par  une  couche  de  cellules  épidermiques 
iTun  seul  rang  de  cellules.  Dans  la  région  moyenne 
de  l'épaisseur  du  tissu  de  là  capsule,  à  une  dis- 
tance sensiblement  la  môme  de  la  surface  et  du 
centre  de  l'organe,  on  voit  s  établir  une  rangée 
de  cellules  qui  se  transforme  bientôt  en  un  sac 
spoiifère.  Ce  sac  sporilère,  complètement  déve- 
loppé, forme  donc  une  sorte  de  ceinture  lâche  et 
plissée  autour  d'une  colonne  centrale.  La  colonne 
centrale  de  la  capsule  s'étale  supérieurement  en 
un  disque  qui  se  raitaciie  à  la  couche  opidermique, 
et  termine  le  fruit  par  une  sorte  de  dôme  de  forme 
variée.  A  la  maturité,  la  partie  supérieure  du  fruit 
de  la  mousse  se  détache  et  s'enlève  à  la  manière 
d'un  couvercle,  d'où  le  nom  d'oprrcu/e  par  lequel 
on  désigne  quelquelols  cette  partie  de  la  plante.  Le 
bord  de  l'ouverture  faite  dans  le  fruit  par  la  chute 
de  l'opercule  tst  te  i  éristome.  Les  caractères  des 
principaux  genres  des  mousses  sont  tirés  de  l'or- 
nementaiioii  plus  ou  moins  complexe  de  ce  péris- 
tome  ;  cestauisi  (|ue  les Téirapliisontquatre dents 
au  périslome.  les  Splaehnum  en  ont  seize,  les 
Grimmia  en  ont  trente-deux,  le  Polylric  commun 
en  présente  jusqu'à  soixante-quatre.  Haiement 
l'opercule    demeure  en   place,   comme   dans   les 


Andréa  ;  alors  la  capsule  mûre  se  déchire  latérale- 
ment pour  mettre  les  spores  en  liberté. 

Par  la  chute  de  l'opercule  et  la  déchirure  du  sac 
sporilère,  les  spurcs  ou  cellules  dissémitiatrices 
produites  dans  son  intérieur  tombent  sur  la  terre 
humide  et  lit  germent  immédiatement.  Sous  l'ac- 
tion de  l'humiditc  la  régioti  superficielle  solide  et 
dure  de  la  paroi  cellulaire  de  la  spore  se  brise,  et 
la  région  inierne  molle  de  cette  môme  paroi  s'al- 
longe au  dehors  en  un  filament  grêle  qui  est  une 
nouvelle  forme  de  la  plante.  Cette  nouvelle  forme 
de  la  monsse  est  désignée  sous  le  nom  de  proto- 
nemji.  Le  stade  ptoionema,  dans  le  développement 
des  mousses,  est  la  phase  à  laquelle  ces  êires  se 
montrejit  comme  constitués  par  de  petits  fila- 
ments verdàtres.  Le  proionema  se  ramifie  abOQ- 
datiimi^nt.  iiienlùt,  eti  certains  points,  on  voit  le 
protonema  émettre  vers  le  sol  des  poils  fixateurs, 
véritables  crampons  qui  l'altachenl  au  sol  d'une 
manière  définitive.  Dans  la  région  du  protonema 
qui  vient  démettre  ses  poils  fixateurs,  on  voit  le 
filament  se  segmenter,  et  la  niasse  cellulaire  pro- 
duite s'édifier  bientôt  en  une  sorte  de  tige  chargée 
de  petites  feuilles;  nous  trouvons  etifin  l'aspect 
sous  lequel  nous  sommes  habitués  à  voir  ce  que 
tout  le  monde  nomme  les  mousses. 

Dans  cette  troisième  phase  de  leur  développe- 
ment, que  l'on  regarde  ordinaiiement  comme  la 
phase  adulte  de  la  plante,  la  mousse  se  compose 
d'une  tige  grêle  courte  ;  les  plus  élevées  de  ces 
tiges  n'atteignent  pas  0"|,()0.  Cette  tige  est  plus 
ou  moins  ramifiée  selon  les  genres.  Elle  porte 
toujours  do  petites  écailles  membraneuses  ou  feuil- 
les, arrangées  en  disposition  spiralée.  La  struc- 
ture des  tiges  des  mousses  est  des  plus  simples; 
c'est  une  masse  de  cellules  à  parois  très  forte- 
ment épaissies,  d'autant  plus  petites  qu'elles  sont 
plus  voisines  de  la  périphérie  de  l'organe.  Les 
cellules  extérieures  forment  à  la  surface  de  la 
tige  un  revêtement  épidermique.  Toutes  les  parois 
cellulaires  des  mousses  prennent  avec  l'âge  de 
vives  colorations  et  déterminent  les  couleurs  de 
ces  végétaux.  Dans  les  mousses  les  plus  élevées 
en  organisation,  on  trouve  au  sein  des  cellules 
épaisses  de  la  tige  des  cordons  do  cellules  à  pa- 
rois minces,  (|Ue  l'on  désigne  sous  le  nom  de  lais- 
reauj:,  en  les  assimilant  à  tort  aux  faisceaux  tibro- 
vasculaires  des  mononoiylédones  et  des  fougères. 
L'existence  de  ces  faisceaux  n'est  pas  constante 
pour  une  même  espèce:  elle  dépend  surtout  du 
volume  pris  par  la  tige  lors  de  son  développement. 
Quant  aux  feuilles  des  mousses,  fré(|Uemmetit  elles 
sont  constituées  par  une  lame  d'un  seul  rang  de 
cellules  plus  rarement  on  trouve  deux  rangs  de 
cellules  à  parois  minces  dans  l'épaisseur  de  la 
feuille,  l'iès  souvent  les  feuilles  des  mousses  sont 
chargées  de  petites  pelotes  cellulaires  nommées 
pnip'  gules;  ce  sont  des  sortes  de  végétations  in- 
formes qui  naissent  i  la  surface  des  feuilles.  Les 
propagules  >e  détachent  facilement  de  la  feuille  sur 
laquelle  elles  sont  nées,  elles  tombent  sur  le  sol 
humide  et  donnent  en  s'y  développant  immodiate- 
meni  une  nouvelle  tige  de  mousse.  Les  propa- 
gules sont  donc  des  organes  de  dissémination. 
Les  feuilles  des  mousses  sont  colorées  en  vert  par 
de  la  chlorophylle  granulée.  'Vu  la  délicatesse  de 
la  texture  de  leurs  feuilles,  les  mousses  ne  peu- 
vent vivre  que  dans  les  endroits  humides.  Les 
quelques  spécimens  de  mousses  que  l'on  rencon- 
tre parfois  dans  les  pays  exposés  à  la  sécheresse 
n'y  vivent  que  pendant  la  saison  des  pluies  et 
disparaissent  avec  le  premier  rayon  de  soleil. 

Les  organes  reproducteurs  des  mousses  appa- 
raissent à  l'exirémité  des  liges  et  des  raniificaiions 
latérales  de  ces  tiges.  Ces  organes  sont  de  deux 
sortes.  Les  un-;,  nommés  on'li  ndies,  correspon- 
dent aux  anthères  des  phanérogames  ;  ce  sont 
de  gros  sacs  cellulaires  qui  produisent  dans  leur 


MOUTON 


1354  — 


MOUTON 


intérieur  de  très  petits  corps  nommés  attthéru- 
zoldes.he^  aiitlicrozoidcs  correspondent  aux  grains 
de  pollen  produits  par  les  anthères.  Ctiaquo  ari- 
tliérozoîde  se  présente  sous  la  forme  d'un  filament 
très  fin  portant  i  sa  partie  antérieure  deux  fils 
vibratiles  extrêmement  mobiles  et  à  son  nxtré- 
mité  opposée  une  vésicule  pleine  d'amidon,  i^cs 
anthérozoïdes  nagent  dans  l'eau  et  s'y  déplacent 
avec  une  très  grande  rapidité.  Les  autres  nrganes 
reproducteurs,  ceux  qui  correspondent  aux  pistils 
des  végétaux  phanérogames,  consistent  en  des 
sortes  de  petites  bouteilles  nommées  ay-chéf/oyia. 
Chaque  archégone  contient  dans  sa  partie  basi- 
laire  un  globule  protoplasmique  nommé  ortsphéie. 
A  la  maturité  de  l'archégone,  son  tube  s'ouvre, 
recueille  les  anthérozoïdes,  qui  agissent  sur 
l'oosphère.  Par  le  fait  de  cette  actioji  des  anthé- 
rozoïdes, l'oosphère  est  transformée  en  embryon. 
Cet  embryon  forme  la  graine  de  la  mousse,  mais 
cette  graine,  au  lieu  de  quitter  la  plante  mère, 
se  développe  immédiatement  sans  se  séparer  de 
rétro  qui  lui  a  donné  naissance.  Selon  les  genres, 
les  anthéridies  et  les  archégone»  forment  des 
groupes  distincts.  Ailleurs,  les  atithéridies  sont 
mêlées  parmi  les  archégones;  des  groupes  d'an- 
théridies  et  d'archégones  forment  ce  i|u'nn  appelle 
les  fleuis  de  mousses.  Selon  que  la  tige  d'une 
mousse  se  termine  par  un  fruit  ou  selon  que  ce 
sont  ses  ramifications  qui  portent  les  fruits,  on  a 
les  Mousses  acrocarpes  et  les  Mousses  pleuro- 
carpes. 

Aux  mousses  on  rapporte  quelquefois  les  Sphai- 
gnes,  petits  végétaux  très  semblables  aux  mous- 
ses, qui  vivent  surtout  dans  les  marais  tourbeux. 
Les  sphaignes  se  distinguent  des  mousses  par  un 
sac  sporifère  en  forme  de  calotte  sphériflque  au 
lieu  d'être  en  forme  de  ceinture,  et  par  des  spo- 
res de  deux  espèces,  les  nues  petites,  nommées 
microspo<es,  les  autres  très  volumineuses  et  ap- 
pelées pour  cette  raison  des  mncrnspures. 

Généralement  aussi,  on  rapproche  encore  des 
mousses  les  Hépatiques.  Les  hépatiques,  avec 
une  histoire  très  semblable  h  celle  des  mousses, 
difTèrent  de  ces  dernières  par  leur  forme  générale 
à  l'état  d'adulte.  Beaucoup  d'hépatiques  adultes 
se  présentent  en  eflTet  sous  la  forme  de  lamelles 
foliacées,  dans  lesquelles  oti  ne  peut  rieti  reconnaî- 
tre qui  soit  comparable,  même  de  loin,  à  une  ti-'C 
ou  à  des  feuilles.  Les  hépatiques  différent  encore 
des  mousses  par  la  présence  dans  leur  sac  spori- 
fère d'un  appareil  destiné  à  favoriser  la  disséiui- 
nation  des  spores.  Ce  sont  de  petites  cellules  élas- 
tiques nommées  elatires,  très  sensibles  aux  varia- 
tions de  l'état  hygrométrique  de  l'air  et  qui,  sous 
cette  influence,  exécutent  des  mouvements  brus- 
ques qui  ont  pour  résultat  la  projection  des  spores 
à  quelque  distance.  Le  type  des  hépatiques  est  le 
Murchantiii  po! iimnrpha,(\m  se  développe  entre  les 
pavés  des  cours  humides  et  sans  soleil. 

Usages  de-  mou^sps.  —  Les  mousses  ne  servent 
guère  dans  nos  régions  qu'à  l'emballage  des 
objets  fragiles  Les  horticulteurs,  mettant  à  profit 
les  propriétés  spongieuses  des  mousses,  les  em- 
ploient souvent  pour  maintenir  l'humidité  autour 
de  leurs  cultures  Dans  les  pays  froids,  les  mous- 
ses sont  utilisées  pour  couvrir  les  habitations; 
grâce  à  leur  faculté  de  conserver  la  chaleur,  elles 
protègent  très  efficacement  les  habitations  contre 
les  rudes  atteintes  de  l'hiver.  Quelques  mousses 
servent  à  la  nourriture  des  animaux.  En  Laponie 
ce  sont  les  mousses  qui,  associées  aux  lichens*, 
forment  la  majeure  partie  de  la  nourriture  des 
ennes  pendant  l'hivpr.  Dans  l'économie  générale 
du  gh'be,  les  mousses  entrent,  pour  une  part  im- 
portante, dans  la  production  de  la  totirbe  et  du 
terreau.  [G. -E.  Bertrand.] 

MOUTON  ET  n.VCnS  OVI.VES.  —  Agricul- 
ture, XV.  —   Le  mouton    est  un   des   priticipaux 


animaux  domestiques  agricoles.  Sa  domestication 
remonte  aux  âges  les  plus  reculés  Les  moutons 
formaient  dans  l'antiquité  la  principale  richesse 
des  peuples  pasteurs;  les  conditions  de  leur  pro- 
duction se  sont  modifiées  en  Europe:  mais  dans 
plusieurs  parties  du  nouveau  monde,  il  existe  au- 
jourd'hui encore  d'immenses  troupeaux  aussi 
considérables,  sinon  plus,  que  ceux  dont  l'histoire 
a  gardé  le  souvenir. 

Le  iriot  générique  de  mouton  est  employé  pour 
désigner  les  individus,  à  quelque  race  qu'ils  ap- 
partiennent: mais,  en  langage  absolument  correct, 
il  s'applique  aux  mâles  châtrés.  Le  mâle  est  ap- 
pelé hédei,  la  femelle  bre'is  ;  les  jeunes  sont  dé- 
signés, pendant  leur  première  année,  sous  le  nom 
d'agiieaux  ou  d'a.y?!e//es;  à  un  an,  ils  deviennent 
antennis  et  antmais'-x.  La  brebis  porte,  en 
moyenne,  150  jonrs.  Dans  les  circonstances  ordi- 
naires, en  France,  on  adopte  trois  époques  pour 
les  agnelages  ou  naissances  ;  l'hiver  (décembre- 
janvier),  le  printemps  (février  et  mars),  l'été  (juin). 
1,'allaitement  des  agtieaux  par  leur  mère  doit  durer 
de  quatre  à  cinq  mois. 

La  peau  des  moutons  porte  une  espèce  spéciale 
de  poils  désignée  sous  le  nom  de  luine  ;  ce  sont 
des  poils  fins,  longs,  onduleux  et  souples.  A  la 
laine  sont  môles  en  proportion  variable  des  poils 
rudes  et  grossiers,  qu'on  appelle  jnrre;  le  jarre  se 
rencontre  surtout  à  la  base  de  la  queue  et  sur  les 
membres. 

Les  produits  que  l'agriculteur  demande  au  mou- 
ton sont  la  viande,  la  laine  et  le  lait.  Ce  dernier 
produit  est  tout  à  fait  accessoire,  et  ce  n'est  que 
dans  des  circonstances  assez  rares  qu'il  acquiert 
de  l'importance,  principalement  pour  la  fabrica- 
tion du  fromage. 

rendant  longtemps,  la  laine  a  été  le  produit  à 
peu  près  exclusivement  recherché  dans  1  élevage  du 
mouton.  Sous  l'inlluence  des  anciennes  méthodes 
de  culture,  où  de  nombreuses  jachères  et  des 
biens  communaux  étendus  pouvaient  recevoir  et 
nourrir  à  bon  niaiché  de  grands  troopeaux,  le 
mouton  ne  comptait  que  pour  la  laine  qu'il  pro- 
duisait. En  outre,  en  raison  des  difficultés  de 
communication,  et  de  son  faible  poids  sous  un 
grand  volume,  la  laine  était  un  objet  difficile  à 
transporter,  et  elle  se  vendait  à  des  prix  élevés. 
On  a  donc  cherché  à  en  encourager  la  productioi» 
en  France,  et  c'est  dans  cette  pensée  que  le  gou- 
vernement préconisa,  au  siècle  dernier,  l'introduc- 
tion et  la  propagatmn  du  mouton  mérinos.  Mais, 
depuis  une  quarantaine  d'années,  les  conditions- 
ont  beaucoup  changé  ;  la  propriété  territoriale 
s'est  sensibl  ment  modifiée,  la  jachère  a  perdu 
du  terrain,  les  communaux  se  sont  divisés  et  ont 
été  cultivés.  L'élevage  du  mouton  n'a  donc  pu  se 
faire  suivant  lesanciens  errements.  D'un  autre  côté, 
la  laine,  pressée  en  balles  compactes,  a  pu  voyager 
faciletuent,  en  même  temps  que  sa  production 
prenait  d'énormes  proportions  dans  r.\mérique 
du  Sud  et  en  \ustralie:  par  suite,  son  prix  a 
baissé.  La  production  de  la  viande  de  mouton, 
jadis  secotidaire,  est,  par  suite  de  ces  circons- 
tances, devenue  le  côté  priticipal  de  l'élevage.  Les 
anciens  grands  troupeaux  ont  disparu  dans  quel- 
ques régions.  De  nombreuses  piaint-s  se  sont 
élevées  au  sujet  de  cette  transformation.  Pour  y 
répondre,  il  suffit  de  comparer  la  situation  des 
agriculteurs  aux  deux  époques  :  elle  est  incontesta- 
blement metlleure  aujourij'hui.  La  transfortnation 
leur  a  donc  été  favorable. 

I  L'élevage  du  mouton  est  principalement  di- 
rigé aujourd'hui  vers  la  production  de  la  viande. 
Pour  que  celle-ci  soit  avantageuse,  il  a  fallu  trans- 
foriner  les  anciennes  races  françaises  i  our  leur 
donner  plus  do  précocité,  c'cst-h-dire  pour  faire 
arriver  les  animaux  en  moitis  de  temps  à  leur 
1  complet  développetnent.  Pour  atteindre  ce   but. 


MOUTON 


—  1353 


MOUTON 


on  peut  suivre  deux  niciliodes.  La  pri^mièro  con- 
siste h  croiser  les  anciennes  races  avec  des  races 
doj^  plus  parfaites  au  point  do  vue  de  la  préco- 
cité. Quelques  races  anglaises  ayant  été  antériiu- 
rement  développées  dans  ce  sens,  ont  été  choisies 
par  un  certain  nombre  d'agriculteurs  pour  faire 
ces  croisements.  Le  principal  exemple  est  dans 
le  croisemeni.  disliley-mérinos,  très  apprécié  dans 
le  rayon  de  Paris  et  dans  le  nord  do  la  France,  et 
qui  a  donné  au  mérinos  une  ampleur  de  formes 
jadis  inconnue.  La  deuxième  méthode  consiste 
dans  le  développement  des  qualités  qui  consti- 
tuent la  précocité,  au  moyen  de  1 1  sélection  entre 
les  animaux  d'une  mémo  race.  Cette  méthode  a 
aussi  été  adoptée  pour  la  race  mérinos  :  c'est  par 
son  emploi  qu'ont  été  créées  les  variétés  de  mé- 
rinos du  Soissonnais,  du  Chatillonnais,  dont  le 
développement  est  presque  aussi  rapide  que  celui 
des  races  dites  à  viande,  en  môme  temps  que  ces 
variétés  ont  gardé  l'avantage  de  fournir  une  laine 
abondante  et  de  qualité  supérieure. 

Pendant  longtemps,  l'opinion  qu'une  race  de 
moutons  ne  peut  pas  être  à  la  fois  bonne  produc- 
trice de  laine  et  bonne  productrice  de  viande,  a 
prévalu  parmi  les  agriculteurs.  Mais  les  faits  ont 
démontré  que  cette  opinion  était  erronée.  Les 
mérinos  précoces  obtenus  aujourd'hui  dans  les 
centres  qui  viennent  d'être  indiqués  n'ont  rien 
perdu  des  qualités  qui  ont  fait  la  réputation  de  la 
laine  mérinos.  En  môme  temps,  le  poids  de  leur 
toison  n'a  pas  diminué:  et  cela  devait  être,  puis- 
que, quand  on  cherche  à  rendre  une  race  plus 
précoce,  on  tend  ;'i  diminuer,  dans  le  corps  oes 
animaux,  le  volume  des  parties  les  moins  utiles, 
c'est-à-dire  les  membres,  le  cou  et  la  tête,  où  la 
laine  est  toujours  de  moindre  qualité. 

Quelques  parties  de  la  France  sont  plus  spé- 
cialement des  régions  i  moutons.  Ce  sont  surtout 
les  plaines  du  Berri,  de  la  Beauce,  de  la  Brie,  de 
la  Champagne,  et  dans  le  Midi  une  partie  de  la 
Provence  et  du  Languedoc.  Dans  ces  pays,  les 
troupeaux  de  moutons  sont  mis  à  la  pâture  pen- 
dant une  bonne  partie  de  l'année  ;  on  les  sort  de 
la  bergerie  au  printemps,  pour  les  y  rentrer  pen- 
dant l'hiver.  Les  pâturages  socs,  à  herbe  courte, 
sont  ceux  qui  conviennent  le  mieux;  les  moutons 
réussissent  peu  dans  les  terrains  bas  imperméa- 
bles, plus  ou  moins  humides  et  marécageux.  Les 
bois  ne  forjnent  pour  eux  qu'un  pâturage  médio- 
cre, surtout  quand  ils  sont  très  couverts  et  rem- 
plis de  broussailles.  Quant  à  la  quantité  de  mou- 
tons qu'un  pâturage  peut  nourrir,  il  est  impossible 
de  l'indiquer  d'une  manière  tant  soit  peu  précise  ; 
elle  dépend  de  la  nature  des  pâturages,  et  de 
leur  produit,  variable  suivant  les  conditions  cli- 
matériques  des  années.  En'géiiéral,  le  pâturage 
dure  de  170  à  180  jours  par  an. 

Pendant  l'hiver,  les  moutons  sont  nourris  à  la 
bergerie  :  la  nourriture  qui  leur  convient  la 
mieux  consiste  en  fourrages  divers,  et  on  raci- 
nes Les  fourrages  les  plus  avantageux  sont  les  ' 
mélanges  de  trèfle  et  de  paille  d'orge  ou  d'avoine,  1 
les  pailles  de  féverolles,  etc.  Quant  aux  racines, 
ce  sont  les  betteraves,  les  carottes,  les  navets, 
coupés  en  tranches  minces,  mélangés  avec  des 
balles  ou  des  pailles  hachées,  ou  encore  avec  du 
son.  Cette  nourriture  leur  est  distribuée  dans 
des  crèches,  qui  doivent  être  maintenues  dans  un 
grand  état  de  propreté.  Les  rations  journalières 
varient  suivant  le  poids  et  l'âge  des  animaux. 

Les  béliers  doivent  être  séparés  des  brebis  | 
d'une  manière  constante.  Plusieurs  méthodes  [ 
sont  employées  pour  la  reproduction;  celle  qui 
parait  la  plus  commode  est  de  mettre,  au  moment 
opportun,  un  bélier  pendant  quelque  temps  dans 
un  compartiment  spécial  avec  une  quinzaine  de 
brebis. 

En  dehors  de  l'élevage  des  moutons,  un  grand 


.nombre  d'agriculteurs,  surtout  dans  les  régions 
plus  spécialement  consacrées  à  la  culture  des  cé- 
réales, se  livrent  îi  leur  engraissement.  Pour  cette 
sorte  de  spéculation,  les  moutons  sont  achetés  au 
moment  de  la  moisson,  et  parqués  sur  les  chau- 
mes. Ils  commencent  h  s'y  engraisser,  et  ils  arri- 
vent à  leur  état  complet  dans  la  bergerie,  pendant 
l'hiver,  sous  l'inlluence  d'une  nourriture  plus 
concentrée.  Le  principal  bénéfice  de  cotte  opéra- 
tion est  dans  la  diflcrcncc  dn  poids  do  l'animal 
au  moment  do  l'achat  et  à  celui  de  la  vente.  Les 
moutons  sont  ainsi  employés,  comme  les  bœufs, 
dans  la  région  de  la  betterave,  à  consommer  et 
transformer  les  résidus  des  distilleries  et  des  su- 
creries, drèches,  pulpes,  etc. 

Chaque  année,  les  moutons  sont  soumis  à  la 
tonte.  Cette  opération  a  pour  but  d'enlever  limr 
laine  à  l'époque  la  plus  favorable  pour  que  les 
animaux  n'aient  pas  à  sonfTrir  des  intempéries. 
La  fin  du  printemps  est,  dans  la  plus  grande 
!  partie  de  la  France,  le  moment  le  plus  propice. 

La  qualité  de  la  laine  est  très  variable  suivant 
!  les  races  qui  la  fournissent.  En  pratique,  on  dis- 
]  tingue    un    grand  nombre    do    sortes    de  laines. 
(  D'une  manière  générale,  la  finesse  et  la  longueur 
de  la  laine  sont  les  deux  qualités  qui  sont  le  plus 
recherchées.    Au   point  de   vue  de  la  finesse,  on 
classe    les    laines    en    superfines    ou    extrafines, 
\  laiiies   fines,  laines  urdiuaires  et  laines   intermé- 
diaires. Il  serait  peut-être  préférable  de  ne  consi- 
dérer que   trois   catégories  :  laines   fines,    laines 
communes,  laines  grossières.  Mais  c'est  une  ques- 
1  tion  de  commerce  et  d'appellations  qu'il  est  difficile 
!  de   changer.    Au  point   de    vue    de   la   longueur, 
I  c'est  l'égalité  dans  la  longueur  des  brins  qu'il  faut 
'  surtout  rechercher  dans  une  toison.  Cette  égalité 
existant,  les  laines  longues  sont  celles  qui  sont  le 
I  plus   appréciées.  Après  ces   qualités,  celles   qu'il 
■  faut   principalement  rechercher,   sont  l'élasticité 
ou  le  nerf,  la  douceur  et  la  force  ;  cette  dernière 
qualité   dépend   principalement  de   la  nature  du 
suint  dont  la  toison  est  imprégnée. 

Autrefois  la  tonte  des  moutons  se  faisait  avec 
des /oire.ç  ;  aujourd'hui  on  possède  plusieurs  ap- 
pareils spéciaux  désignés  sous  lo  nom  de  tondeu- 
ses, qui  présentent  l'avaiitage  de  faire  plus  l'api- 
dement  une  tiinte  plus  régulière,  sans  blesser  la 
peau  du  mouton,  ainsi  qu  il  arrive  trop  souvent 
quand  l'ouvrier  tondeur  n'est  pas  très  expéri- 
menté. 

Lorsque  le  mouton  est  tondu  sans  lavage  préa- 
lable, on  dit  que  la  laine  est  en  suint;  quaiid  la 
toison  a  été  lavée  avant  d'être  enlevée  du  corps 
de  l'animal,  la  laine  est  dite  lavée  l'i  dos.  Il  y  a 
une  diminution  de  près  de  40  p.  100  dans  le  poids 
de  la  toison  ;  mais  la  laine  est  vendue  notablement 
plus  cher.  Il  est  difficile  de  se  prononcer  sur 
l'avantage  de  cette  pratique,  usitée  dans  quelques 
contrées,  notamment  en  Lorraine,  en  Champagne 
et  en  Bourgogne,  tandis  qu'elles  est  proscrite 
ailleurs,  particulièrement  dans  la  Beauce. 

Classification  ues  uaces  ovines.  —  La  classi- 
fication des  races  ovines  a  été  faite  d'après  des 
méthodes  très  difl'érentes.  Ainsi  que  nous  l'avons 
fait  pour  les  races  bovines  (V-  Bœu/),  nous 
suivrons  la  classification  adoptée  par  Sanson, 
parce  qu'elle  repose  sur  des  caractères  précis  et 
bien  déterminés.  On  a  vu,  à  propos  des  races  bo- 
vines, quelle  est  la  base  de  cette  classification;  il 
n'y  a  donc  pas  à  y  revenir  ici. 

I.a  première  catégorie,  celle  dite  des  races  bra- 
chycépliales,  comprend  quatre  races  spéciales  :  la 
race  germanique,  la  race  des  Pays-lîas,  la  race  des 
dunes,  et  la  race  du  plateau  central. 

La  rfice  i/eri>,anique,  de  grande  taille,  à  tête 
chauve,,'!  toison  grossière  avec  brins  très  longs,  à 
peau  épaisse,  est  surtout  une  race  de  bouchoiie, 
mais  donnant  une  viande   de   qualité  ordinaire. 


MOUTON 


1356  — 


MOUTON 


Cette  race  appartient  à  l'Europe  centrale;  on  en 
trouve  une  variété  Tort  intéressanie  en  Angleterre  ; 
c'est  la  variété  Leicester  ou  dUhlen,  remarquable 
aujourd  hui  par  ses  aptitudes  de  précocité  et  de 
production  d'une  grande  quantité  de  viande.  Le» 
animaux  de  cette  variété  arrivent  à  peser  jusqu'à 
lOn  kilogr.  et  au  delà,  avec  un  rendement  consi- 
dérable en  viande  nette.  Cette  race  a  été  intro- 
duite en  l'rance,  il  y  a  une  quarantaine  d'années  ; 
elle  a  été  surtout  croisée  avec  la  race  mérinos. 

La  raci;  des  Pni/s-Has  est  aussi  d'assez  grande 
taille,  donne  une  laine  grossière,  mais  a  un  déve- 
loppement assez  précoce.  Elle  s'étend  panicu- 
lièrement  en  Hollande;  en  Angleterre,  la  variété 
New-Kent  appartient  à  cette  race. 

La  race  des  dunes  est  de  taille  moyenne;  elle 
se  distingue  par  une  peau  de  couleur  foncée;  sa 
toison  est  courte  et  frisée;  elle  niojUre  les  carac- 
tères d'une  grande  précocité  ;  elle  donne  une 
viande  délicate  et  abondante.  La  principale  va- 
riété est  la  variété  Soutkdown,  originaire  d'Angle- 
terre, mais  qui  s'est  répandue  depuis  quelque 
temps  dans  toutes  les  parties  de  l'Europe;  cette 
variété  est  celle  qui  a  le  corps  le  plus  régulière- 
ment développé,  avec  le  squolettc  le  plus  réduit. 
En  Erance,  elle  a  été  principalement  introduite 
avec  succès  dans  le  centre  et  dajis  l'ouest.  A  coté 
de  la  variété  Southdown.  il  l'aut  citer  celles  appe- 
lées Oxl'ordsliire  et  Sliropshire,  qui  ont  les  mômes 
qualités,  mais  à  un  moindre  degré,  avec  une  taille 
plus  élevée. 

La  nice  du  plnteau  central  parait  urigi'  aire  du 
centre  de  la  France.  Elle  est  de  petite  taille,  à 
laine  courte  et  frisée  présetitant  des  mèches 
pointues;  la  face  est  courte,  le  front  un  peu 
bc.iibé;  elle  s'engraisse  assez  facilement  Les  prin- 
cipales variétés  sont  celles  di.'S  moutons  auver- 
gnats, limousins,  raarcliois.  La  variété  limousine 
aune  laine  de  meilleure  qualité. 

La  deuxième  catégorie,  celle  des  races  doliclio- 
cépliales,  comprend  sept  races  :  race  du  Dane- 
mark, race  britannique,  race  du  bassin  de  la  Loire, 
race  des  Pyrénées,  race  méiinos,  race  de  Syrie 
et  race  du  Soudan. 

La  race  du  Danemark  est  de  grande  taille, 
avec  les  membres  longs  et  la  tète  volumineuse. 
Le  corps  est  étroit,  et  la  toison  est  assez  courte 
et  grossière  ;  la  chair  est  de  qualité  médiocre. 
Les  principales  variétés  sont  celle  des  landes  du 
Nord,  celle  des  polders,  la  variété  flamande  ou 
picarde,  la  variété  poitevine.  Ces  doux  dernières 
seules  sont  françaises. 

La  race  irilannique  est  aussi  de  très  grande 
taille  ;  sa  toi>on  est  longue  et  douce  ;  elle  a  été 
améliorée  au  point  de  vue  de  la  précocité.  Les 
principales  variétés  sont  les  Coiswold  et  les 
Cheviot.  Elles  sont  conlinées  en  Angleterre. 

La  race  du  bassin  de  la  L  ire  est  générdlement 
de  taille  moyenne  ;  quelques  variétés  sont  plus 
développées.  La  tête  est  petite.  La  toison  est  fine 
et  d'une  bonne  qualité.  La  chair  est  délicati-.  Elle 
présente  deux  variétés  principales,  la  variété  ber- 
richonne et  la  variété  solognote.  La  variété  ber- 
richoiHie,  d'un  tempérament  rustique,  donne  de 
belle  laine,  et  elle  s'engraisse  facilement.  On  fait 
avec  succès  des  croisements  de  cette  race  avec 
des  southdowns  pour  produire  des  animaux  de 
boucherie  d'une  grande  précocité.  Quant  à  la  va- 
riété solognote,  quoiqu'elle  soit  généralement 
assez  négligée,  elle  peut,  avec  de  bons  soins, 
donner  d'excellents  résultats. 

La  rnce  des  Pi/rénécs,  de  grande  taille,  avec  une 
forte  tête,  une  laine  longue  mais  grosse,  habite 
les  vallées  des  Pyrénées  ;  elle  s'est  étendue  au-delà 
de  cette  zone  dans  le  midi  de  la  France.  Ses 
principales  variétés  sont  les  basquaise  et  béar- 
naise landaise  et  gasconne,  kuraguaise,  albigeoise 
et  du  Larzac.  Cotte  race  est  une  de  celles  qui  sont 


le  plus  spécialement  élevées  au  point  de  vue  de 
la  production  du  lait.  C'est  avec  le  lait  di'S  brebis 
du  Larzac  qu'on  fabrique  le  célèbre  fromage 
de  Roquefort,  et  ses  similaires  dans  le  Languedoc. 
La  ra  e  mérihos  est  originaire  d'Espagne.  La 
tête  est  forte  et  presque  toujours  porte  des  cor- 
nes volumineuses.  La  taille  varie  ;  elle  est  géné- 
ralement assez  forte.  La  toison  est  extrêmement 
abondante;  la  laine  est  fine  et  longue.  Le  sque- 
lette est  volumineux,  et  la  croissance  est  tardive, 
sauf  dans  quelques  variétés  améliorées  au  point 
de  vue  de  la  précocité.  La  production  de  la  laine 
est  l'aptitude  prédomitiante  de  la  race  mérinos. 
Celte  race  s'étend  aujourd'hui  dans  la  plupart  des 
parties  de  l'Europe,  en  Australie,  en  Amérique, 
au  sud  de  l'Afrique.  C'est  au  xvi,"  siècle  que  des 
moutnns  mérinos  ont  été  introduits  pour  la  pre- 
mière fois  en  irance,  mais  leur  grande  extension- 
date  du  siè.  le  dernier.  Elle  a  eu  un  tel  succès  ((u'elle 
ne  forme  pas  moins  de  la  moitié  de  la  population 
ovine  du  pays.  On  distingue  un  assez  grand  nom- 
bre de  variétés  de  mérinos  :  les  principales  varié- 
tés françaises  sont  celles  du  Roussillon,  de  la  Cham- 
pagne, de  la  Brie,  de  la  Beauce,  du  Cliatillonnais, 
du  Soissonnais.  Datis  ces  dernières  variétés,  on 
compte  aujourd'hui  un  certain  nombre  de  trou- 
peaux dans  lesquels  les  éleveurs  se  sont  attachés 
à  obtenir  une  grande  précocité,  sans  nuire  aux 
anciennes  qualités  si  remarquables  de  la  toison 
du  iTiérinos  ;  la  production  du  mérinos  précoce 
tond  à  prendre  une  extension  de  plus  en  plus 
grande. 

La  race  de  Syri',  d'assez  grande  taille,  à  toison 
assez  grossière,  est  originaire  du  pays  dont  elle 
porte  le  nom.  Parmi  ses  variétés,  celle  dite  bar- 
barine  est  assez  répandue  en  Algérie  et  dajis  le 
snd-est  de  la  France.  Sa  laine  est  plus  longue, 
mais  elle  est  toujours  assez  grosse.  Le  inouton 
baibarin  a  des  qualités  prolifiques  et  laitières  re- 
marquables. C'est  cette  variété  qui  forme  surtout 
les  grands  troup-'aux  exploités,  dans  le  midi  de 
la  France,  d'après  le  système  de  la  transhuiiuince. 
Ce  système  consiste  à  faire  émigrer  les  troupeaux, 
pendant  l'été,  sur  les  lieux  élevés,  pour  qu'ils  y 
trouvent  la  nourriture  qui  manque  dans  les  plai- 
nes brûlées  par  le  soleil.  La  transhumatice  «si  une 
bonne  opération  au  point  de  vue  du  profit  qu'on 
retire  du  troupeau  ;  ir.ais  elle  a  de  graves  inconvé- 
nients pour  les  régions  montagneuses  qu'elle  con- 
tribue puissammenl  à  dénuder.  Toutefois,  il  faut 
faire  obseiver  que  cet  inconvénient  disparaîtrait, 
si  l'on  aménageait  avec  plus  de  soin,  sur  les  pen- 
I  tes,  les  pâturages  à  moutons  qui  ne  sont  le  plus 
j  souvent  l'objet  d'aucune  surveillance. 
i  La  race  du  Soumn,  répandue  dans  l'Afrique 
centrale,  ji'olTre  aucun  intérêt  pratique  pour  les 
agriculteurs  français. 

Entre  les  races  qui  viennent  d'être  décrites,  il 
s'opère  souvent  des  croisements  qui  se  terminent 
par  la  prédominance  dans  les  produits,  au  bout  de 
quelques  générations,  de  la  race  la  plus  puissante. 
Les  croisements  dishiey-niérinos  en  forment,  en 
France,  le  lype  le  plus  connu. 

Mtdddies  d-  s  moulons.  —  Les  conditions  d'une 
bonne  hygiène  sont  la  première  condition  de  l'éle- 
vage du  mouton,  comme  de  tous  les  animaux 
domestiques.  La  plus  simple  prudence  conseille 
d'éloigner  des  troupeaux  toute  cause  de  maladie. 

Nous  ne  pouvons  donner  ici  que  la  liste  des 
principales  maladies  qui  attaquent  les  moutons. 
Ces  maladies  sont:  le  sang  de  rate,  endémique 
dans  quelques  régions,  notatumetit  en  Beance;  le 
claveau,  le  tournis,  le  piétin,  la  gale,  la  niétéori- 
sation,  le  muguet,  etc. 

Bergers.  —  11  est  essentiel  d'avoir  un  bon  ber- 
ger pour  conduire  un  troupeau.  Tant  vaut  le 
berger,  tant  vaut  le  troupeau.  Une  école  spécialede 
bergers  a  été  créée  à  Ratnbouillet  en  ISli.  bile 


MOUVEMENT 


—  1357  — 


MOUVEMENT 


est  appeloH  Ji  rondrft  des  sorvicrs,  en  foiirnisRant 
aux  prnpriétniros  àf  iroupeaux  dos  berj^ers  capa- 
bles qui  font  trop  souvent  défaut. 

[Henry  Sagnier.] 

MOI'VEMFNT.  —  Physique,  I.  —  Le  mouvement 
est  l'état  d'un  corps  qui  se  transporte  d'un  point 
Si  un  autre  do  l'espacn.  L'observation  journalière 
nous  apprend  que  les  corps,  !\  la  surface  de  la 
terre,  n'occupent  pas  toujours  la  môme  place, 
mais  qu'ils  ch.Tnp;ent  ou  peuvent  changer  de  posi- 
tion relativement  les  uns  aux  autres.  Ceux  qui 
changent  de  place  sont  on  monrpment;  ceux  qui 
paraissent  occuper  toujours  la  môme  position  sont 
en  reiox.  Mais  la  propriété  de  pouvoir  èlre  mis 
en  mouvement,  autrement  dit  la  mobilité,  appar- 
tient ."i.  tous  les  corps  :  c'est  une  propriété  générale 
de  la  matière. 

On  reconnaît  qu'un  point  matériel  est  en  mou- 
vement quand  si  dislance  i  d'autres  points  sup- 
posés immobiles  vient  h  changer.  C'est  habituelle- 
ment il  deux  axes  rectangulaires  d'un  plan  ou  à 
trois  plans  perpendiculaires  que  l'on  rapporte  les 
positions  d  un  point  ou  d'un  corps  de  l'espace.  Si 
ces  axes  ou  ces  plans  soot  réellement  lixes,  le 
mouvement  du  point  que  l'on  y  rapporte  est  réel 
ou  nfjxolu  Si  au  contraire  les  axes  cm  les  plans  de 
positionsonteux-niènies  un  mouvementpaniculier. 
celui  du  corps  ou  du  point,  par  rapport  à  eux, 
n'est  ([w'iipjinrent  ou  rclatil.  Ainsi  les  mouve- 
ments de  va  et  vient  qu'exécute  un  voyageur  dans 
on  wagon  ou  dans  la  chambre  d'un  navire  en  mar- 
che ne  sont  que  re'alifs,  parce  que  les  divers 
objets  auxquels  il  rapporte  les  positions  successi- 
ves qu'il  occupe,  sont  eux-mêmes  en  mouvement. 
Tous  les  mouvements  que  nous  observons  à  la 
surface  de  la  terre  sont  relatifs,  puisque  notre 
globe  tourne  sur  lui-même  en  même  temps  qu'il 
évolue  autour  du  soleil.  Nous  ne  connaissons  pas 
plus  le  repos  absolu  que  le  mouvement  absolu;  il 
n'existe  pas  sur  la  terre,  qui  emporte  dans  son 
double  mouvement  tous  les  corps  situés  à  sa 
surface.  Il  n'existe  pas  plus  dans  le  monde  plané- 
taire ;  car  on  sait  que  les  astres,  longtemps  suppo- 
sés fixes,  accomplissent  aussi  des  mouvements  de 
translation  ou  de  rotation.  Le  mouvement  apparaît 
donc  pour  ainsi  dire  comme  un  des  attributs  es- 
sentiels de  la  matière. 

Parmi  tous  les  mouveinents  réels  ou  possibles,  ' 
il  en  est  quelques-uns  qui  peuvent  êt:e  défi;;is  avec 
une  grande  simplicité  et  dont  il  importe  de  for- 
muler les  lois  fondamentales. 

Si  l'on  ne  considère  que  la  direction  parcourue 
par  le  mobile  dans  son  déplacement,  le  mouve- 
inent  est  recHlir/ne  quand  sa  trajectoire  est  une 
ligne  droite  ;  il  est  cm  rilipi^,  quand  la  trajectoire 
est  une  courbe;  dans  ce  dernier  cas,  le  mouve- 
ment change  à  chaque  instant  de  direction,  car  il 
suif  les  éléments  rertilignes  infiniment  petits  dont 
l'ensemble  forme  la  courbe. 

Si  l'on  considère  dans  le  mouvement  l'espace 
parcouru  et  le  temps  employé  h  le  parcourir,  on 
arrive  à  la  notion  du  mimvement  uni/orme  et  du 
motiviment  vnrié. 

Mmtwme'it  tu.iforme.  —  Le  mouvement  est 
uniformi'  quand  les  espaces  parcourus  dans  des 
temps  égaux  sont  égaux,  c'est-à  dire  quand  l'es- 
pace croit  proportionnellement  au  temps  compté 
depuis  l'origine  du  mouvement. 

I/espace  parcouru  dans  l'unité  de  temps,  (on 
prend  comme  unité  de  temps  la  seconde)  mesure 
«lors  ce  qu'on  appelle  la  rutesse  du  mobile. 

En  sorte  qu'on  connaîtra  l'esp  ice  parcouru  dans 
un  temps  donné  en  multipliant  le  temps  évalué 
en  secotides  par  le  chemin  parcouru  en  une  se- 
conde, c'est  à-dire  en  multipliant  la  vi  esse  par  le 
tenips;  c'est  ce  que  l'on  exprime  par  la  formule 
e  —  v.t,  où  p  représente  l'espace,  »  la  vitesse,  t  le 
nombre  de  secondes. 


Ce  mouvement  est  celui  que  présentent  les 
corps  entièrement  abandonnés  à  eux-mêmes,  puis- 
qu'on verin  de  l'inertie,  ils  ne  peuvent  rien  chan- 
ger aux  conditions  de  leur  mouvement,  C'est  celui 
de  la  terre  autour  de  son  axe,  celui  de  la  propaga- 
tion du  son,  dont  la  vitesse  est  de  S-l  i  mètre»  par 
seconde,  celui  delà  lumière,  qui  i)arcourt  environ 
28(1  Oi  0  kilomètres  par  seconde. 

Mouvemnit  vnrif.  —  Le  mouvement  est  dit 
vnrié  quand  les  espaces  parcourus  pendant  des 
temps  égaux  ne  sont  plus  égaux  entre  eux.  il  est 
accéléré,  si  les  espaces  parcourus  dans  des  temps 
successifs  égaux  croissent  sans  cesse;  retardé, 
si  ces  espaces  diminuent  d'une  manière  contenue; 
mixte,  si  les  espaces  varient  alternativement  dans 
un  sens  ou  dans  l'antre. 

On  ne  peut  plus  dire  ici  que  la  vitesse  du  corps 
est  l'espace  qu'il  parcourt  dans  l'unité  de  temps, 
puisque  cet  espace  change  sans  cesse.  On  ne  peut 
plus  indiquer  que  la  vitesse  moyenne  ou  la  vi- 
tesse à  un  instant  donné. 

La  vile^xemi'f/ennf  est  la  vitesse  du  mouvement 
uniforme  dont  il  faudrait  supposer  le  corps  animé 
pour  que,  dans  le  même  temps,  il  fasse  le  même 
chemin  que  celui  qu'il  fait  réellement.  Si  on  la 
prend  pour  un  temps  un  peu  long,  elle  ne  donne 
pas  une  idée  très  approchée  du  mouvement  réel 
:\  chaque  instant. 

La  ri/esse  à  un  instant  donné,  c'est  l'espace  que 
parcourrait  le  corps  dans  l'unité  de  temps  qui  suit 
l'instant  considéré,  si,  à  partir  de  ce  moment-là, 
le  mouvement  se  conservait  sans  s'accélérer  ou  se 
ralentir.  Cette  vitesse  nécessite  l'indication  pré- 
cise du  moment  auquel  on  la  considère,  sans  quoi 
elle  n'aurait  plus  de  sons  ;  et  elle  ne  donne  pas 
l'espace  réel  parcouru  par  le  corps,  mais  celui 
que  le  corps  pourrait  parcourir  dans  l'unité  de 
temps,  si  tout  à  coup  le  mouvement  redevenait 
uniforme. 

Mouvment  uniformémfnt  l'arié.  —  Il  peut  arri- 
ver que  la  vitesse,  après  chaque  seconde,  varie 
d'une  quantité  constante;  le  mouvement  est  alors 
uniformément  accéléré  ou  retardé,  suivant  que  la 
vitesse  a  augmenté  ou  diminué. 

Cette  quantité  constante  dont  la  vitesse  aug- 
mente ,^  chaque  seconde  dans  le  mouvement  uni- 
formément accéléré  s'appelle  Vaccélér(it:on  ;  il 
surfit  de  la  connaître  pour  pouvoir  trouver  la 
vitesse  d'un  mobile  après  un  temps  donné  t.  Si 
on  la  désigne  par  o,  qu'on  appelle  F„  la  vitesse 
initiale  que  possédait  le  corps  avant  l'application 
de  la  cause  accélératrice,  la  vitesse  K,  après  le 
temps  t.  sera  donnée  par  la  formule  K=  K„  -j- af 
et  par  V  =  /it  dans  le  cas  particulier  où  le  corps 
part  du  repos. 

Ces  délinitions  posées,  on  trouve  facilement  la 
loi  suivant  laquelle  s'accroit,  avec  le  temps,  l'es- 
pace parcouru  par  un  mobile  animé  d'un  mouve- 
ment uniforméiuent  accéléré.  Le  cas  le  plus  sim- 
ple est  celui  oi'i  le  corps  part  du  repos  :  l'espace 
parcouru  est  le  produit  de  la  moitié  de  l'accéléra- 
tion par  le  carré  du  temps.  C'est  le  cas  des  corps 
qui  tombent  dans  le  vide  ;  les  espaces  qu'ils  par- 
courent sont  proportionnels  aux  .carrés  des  temps 
employés  îi  les  parcourir. 

Com/iositicn  des  monve'nents ,  —  Lorsqu'un 
corps,  assujetti  à  se  mouvoir  sur  un  plan  fixe,  y 
parcourt  une  certaine  longueur  pendant  un  temps 
déterminé,  il  y  parcourra  encore  la  môme  ligne 
dans  le  même  temps,  si  le  plan  se  trouve  animé 
d'une  vitesse  qui  le  transporte  en  une  nouvelle 
position  pendant  ce  temps-là.  L'exactitude  de  celte 
assertion  est  établie  par  l'expérience  journalière  ; 
on  sait  en  effet  que  les  différentes  piè:es  d'une 
inonti-e  se  nienvent  de  la  mêiiid  manière  les  unes 
par  rapport  aux  autres,  que  la  monti'e  soit  en  repos 
ou  en  mouvement.  On  en  a  déJuit  la  marche 
réello  dans  l'espace  d'un  mobile  soumis  à  deux 


MOYEN  AGE  —  1358  —  MOYEN   AGE 

vitesses  simultanées.  Galilée  a  montré  le  premier  I  La  possession  de  la  terre,  souvent  contestée, 
que  les  vitesses  se  composent  comme  les  forces  ',  élevait  des  barrières  entre  les  peuples  et  aussi 
et  que  la  vitesse  résultant  de  deux  vitesses  simul- 1  entre  les  individus.  Partout  la  classe  des  hommes 
tanéns  est  représentée,  en  grandeur  et  en  direction,  !  libres  devenait  de  moins  en  moins  nombreuse.  Le 
par  la  iliager);ile  (lu  |.ar.ilkM(i;;t;iiiinio  consiruii  sur  pouvoir  resiait  aux  riches  propriétaii  es  du  sol, 
les  doux  droilus  représentani  k'»  directions  et  les  '  aux  ducs,  comtes  et  barons,  au  profit  desquels  se 
grandeurs  des  deux  vitesses  primitives.  |  constituait  le   régime  des  bénéfices  et  des  fiefs. 

Production  ries  mouvements.  —  On  conçoit  sans  1  C'était  le  morcellement,  à  la  place  de  l'unité  gran- 
la  moindre  difficulté  comment  naissent  les  mou-  ,  diose  et  chimérique  que  Charlemagne  avait  rêvée, 
vements  uniformes  et  les  mouvements  accélérés,  ]  La  féodalité  grandit,  dans  une  société  renouvelée, 
au  moins  dans  le  cas  où  ils  se  font  en  ligne  droite.  .  qui  eut  une  littérature,  des  mœurs,  en  un  mot  une 
Lorsqu'une  force  unique,  qui  reste  identique  à  i  civilisation  parliculiére.  Puis  cette  société  vieillit 
elle-mênip,  agit  sur  un  corps  toujours  dans  le  à  son  tour.  Elle  avait  eu  ses  jours  de  gloire  au 
même  sens,  elle  lui  impr.me,  dans  sa  propre  direc-  temps  des  premières  croisades  ;  elle  avait  écrit 
lion,  un  mouvement  qui  va  en  s'accélérant  régu-  son  histoire  dans  les  poèmes  des  trouvères  et  les 
lièrement.  Et  si  à  un  instant  donné  la  force  cesse  sentences  des  cours  d'amours.  L'ordre  féodal  se 
d'agir  sur  le  mobile,  celui-ci,  persévérant  dans  l'état  transforma,  comme  se  transforment  toutes  les 
où  il  se  trouve  alors,  continue  à  se  mouvoir  uni-  institutions  humaines.  Au  bruit  des  révolutions 
fermement  avec  la  vitesse  qu'il  possède  i  cet  ins-  qui  ébranlaient  le  pouvoir  des  papes,  des  empe- 
tant.  reurs  et  des  rois,  les  peuples  se  rappelèrent  leurs 

Les  mouvements  curvilignes  peuvent  être  natu-  '  droits  qu'ils  semblaient  avoir  oubliés.  La  discus- 
rellement  produits  par  une  force  changeant  con-  sion,  qui  est  une  forme  de  la  liberté,  pénétra 
stamment  de  direction;  mais  ils  résultent  parfois  partout,  dans  les  conseils  des  souverains,  dans  les 
aussi  de  l'action  d'une  force  de  direction  constante;  écoles,  dans  le  sanctuaire  même.  Les  communes 
c'est  quand  le  mobile,  animé  d'une  certaine  vitesse  se  fondèrent,  la  bourgeoisie  naquit,  rivale  souvent 
initiale,  tend  à  se  mouvoir  de  ce  chef  suivant  une  i  heureuse  de  la  noblesse;  le  chaos  des  siècles 
droite  difl'érenle  de  celle  que  l'action  seule  de  la  passés  tendit  à  disparaître  :  le  moyen  âge  arrive  à 
force  lui  ferait  parcourir.  [Haraucourt,]        l'apogée  de  sa  brillante  maturité. 

MOYEIV  AGI':.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL.  Le  xiit'  siècle  mérite  de  former  à  lui  seul  une 
—  On  appelle  Moyen  âge  la  période  qui  sépare  l'an-  période  complète,  la  troisième.  Dans  toute  l'Europe, 
tiquité  des  temps  modernes.  un  ancien  ordre   de   choses  fijiit,  un  régime  nou- 

Divisions  du  inoyei  ùije.  —  Peut-on  assigner  au  veau  commence.  Dans  l'histoire  politique,  litté- 
moyen  âge  une  origine  et  une  fin  précises?  Dans  raire,  artistique,  ce  siècle  laisse  d'impérissables 
la  série  des  siècles  qu'on  aura  groupés  sous  cette  souvenirs.  C'est  le  couronnement  radieux  d'une 
dénomination  générale,  pourra-t-on  marquer  des  œuvre  qui  a  coûté  dix  siècles  de  patience  et  d'ef- 
divisions  rationnelles'?  Voih'i  les  questions  que  l'on  forts  obscurs.  Puis  l'horizon  s  assombrit  de  nou- 
doit  examiner  tout  d'abord.  .  veau  ;  la  quatrième  et  dernière  période  du  moyen- 

L'histoire  du  monde  romain  ne  s'arrête  pas  brus-    âge  se  termine  au  milieu  des  guerres  sanglantes 
quement  à   la   mort   de  Théodose  f.395).  Pendant    qui  déchirent  l'Occident  et  l'Orient.  C'est  l'enfan- 
quatre-vingtsans  encore  l'empire  a  existé,  sinon  de    tement  douloureux  de  l'Europe  moderne, 
fait,  lu  moins  de  nom.  A  la  fin  même  du  v»  siècle,        Méthode  critique .   —   L'histoire   du  moyen  âge 
après  la  déposition  du  dernier  empereur,  Komulus    n'a  pas  toujours  été   écrite  avec  impartialité.  Cer- 
Augustule,  l'idée  d'empire  a  survécu  à  un  événe-    tains  historiens  ont  été  trop  sévères,  d'autres  trop 
ment  depuis  longtemps  prévu.  D'ailleurs  la  chute    complaisants.  C'est  l'honneur  de  l'école  historique 
de  l'empire  n'a  pas  eu  pour  résultat  l'anéantisse-    contemporaine  d'avoir  étudié  sans  passion  et  d'a- 
ment  soudain  des  lois,  des  institutions,  de  la  so-    près   une    méthode  scientifique   ces  âges   si  long- 
ciété  romaines.  L'esprit  romain   a   survécu    à   la    temps  méconnus  ou  méprisés.  Dès  le  xviii*  siècle, 
puissance    de    Rome.    Les    idées    romaines,    ou,    en  France,  Fréret,  BouUynvilliers,  Duclos,  Mably, 
comme  on  disait  alors,  la  «  romanité  »  a  subsisté    commençaient  l'élude  approfondie  de  nos  antiqui- 
forte  et   vivace,   conservée  par  la   littérature,  les    tés  nationales.  Depuis  ce  temps  on  peut  dire  que 
loi.s,   la  religion  même,  qui  montre  dans  la  Rome    la  science  du  moyen  âge  est  restée  essentiellement 
des    empereurs    la  capitale   du  monde    chrétien,    française.   Les    travaux,  d'ailleurs    remarquables. 
Mais    l'uniformité   que    l'empire    avait    durement    qui  ont  été  publiés  i  l'étranger  depuis  un  demi- 
imposée  au  monde  a  cessé  d'être.  Des  peuples  peu    siècle,  les   ouvrages    de  Ferrari   et   de    Sisraondi 
ou  point  n  romanisés  »  franchissent  des  frontières    pour  l'Italie,  de  Roth,  de  VVaitz  et  de  Wariikœnig 
longtemps  respectées,  et  sur  un  sol  jodis  romain    pour  l'Allemagne  et  la  Flandre,  de  Geyer  pour  les 
fondent   des   Etats  barbares.  Longtemps  les  deux    pays   Scandinaves,   ne   sauraient    se    comparer   à 
sociétés  vivent  côte  à  côte  pour  ainsi  dire.  On  peut    l'œuvre    si    considérable    des     érudits    français, 
étudier  dans  les  documents   contemporains  leurs    MM.  Guizot,Amédée  et  Augustin  Thierry,  Michelet, 
histoires  distinctes,  comme  l'on  voit  deux  fleuves    Guérard,  de  Pétigny  Lehuerou,  Pardessus,  de  Ro- 
couler  parallèles  avant  de  confondre  leurs  eaux,    zièrc,  Boutaric,ZcHer,  Fustcl  de  Coulanges,  Renan 
C'est  par  un  mouvement  insensible  que  s'est  mo-    ont  apporté  dans  ces  difficiles  études  tout  ce  qu'ils 
difiée    et   transformée    l'antiquité    classique.  Il    a    avaient  de  perspicacité,  de  science    et  d'inipartia- 
fallu    quatre   siècles  pour  achever  la   fusion  des    lité.  Ils    ont  interrogé   les  écrits  de  la   décadence 
barbares  et  des  peuples  qui  avaient  directement    latine  et  les  codes  des   barbares,  les  annales  des 
subi  l'influence   de  Rome.  C'est  4  ô  ans   après  la    monastères,  les    polyptiques   des    abbayes,  et  les 
monde  Thoodose  qu'un  Germain,  Charlemagne,  a    chartes  des  villes.  La  philologie  est  venue  en  aide 
établi  sur  des  bases  nouvelles  l'empire  d'Occident,    à  l'histoire.  La  littérature  et  l'art  ont  apporté  des 
Ces  quatre  siècles   '.'Î9.i-800)  peuvent  former   une    contributions  nouvelles   à  la  connai^.sance  de  ces 
première  période.  Des  éléments  combinés  du  i  orna-    temps  reculés.  Des  générations  d'hommes  que  l'i- 
nisine  et  du  germanisme,  le   moyen  âge  va  sortir,    gnorance    ou    la    malveillance  des  siècles  avaient 
Les  successeurs  de  Ch.irlemagne  ont  succombé,    condamnées  â  l'obscurité,  reparaissent  enfin  à  la 
moins    par  leur   propre   faiblesse,  que  par  la  riif-    lumière.    On     écarte   les    idées    préconçues   que 
ficulté  de  l'œuvre  à  accomplir.  Les  peuples,  même    Voltaire,  .abusé  pour  celte    fois,  avait   répandues 
barbares,  qui   durant   de  lonLrs  siècles  de  migra-    contre  le  moyen  âge.  11  n'y  a  pis  de  siècle  stérile, 
tions   incessantes  n'avaient  point  oublié  l'origine    pas   de    génération    inutile.    L'humanité    marche 
commune    devenaient,  en   se  fixant  enfin   sur   le    toujours,  et  le  liavail  le  plus  lent,  le  plus  obscur 
sol,  de  plu-  on  plus  étrangers  les  uns  aux   autres,    de  l'homme  s'appelle  encore  le  progrès. 


MOYEN  AGE 


—  1359  — 


MOYEN   AGE 


Les  bornes  de  cet  article  ne  nous  permettent  j 
pas  d'entrer  dans  linis  les  détails  de  l'iiistoire  du 
moyen  âge.  Nous  nous  borneions  à  indiquer  les  | 
traits  généraux  do  cette  époque,  en  renvoyant 
aux  articles  spé>  iuux  dont  on  trouvera  la  nonien-  ^ 
clature  au  mot  Histoite.  [ 

1"  Période  (•■i9n-«o0).  —  Dès  la  fin  du  iv"  sii'Cle,  ( 
l'empire  romain  était  menacé  de  tous  côtés  par  les 
Barbares.  Sur  le  Uliin,  le  Danube,  se  pressaient  les 
peuples  germaniques  et  slaves,  avides  de  trouver 
sur  un  sol  plus  fertile  et  sous  un  ciel  plus  doux  ' 
un  établissement  durable.  En  Orient,  sur  le  lit-  | 
toral  de  la  mer  Noire,  des  peuplades  inconnues 
s'ébranlaient  vers  la  Mœsie  et  Constanlinople, 
avant-garde  frémissante  de  tout  un  monde  en 
marche.  Sur  les  bords  de  l'Euphrate,  depuis  deux 
siècles,  Rome  luttait  avec  peine  contre  les  Perses 
régénérés.  Au  Midi,  des  cojifins  de  l'Arabie  Pétrée  \ 
aux  colonnes  d'Hercule,  le-i  légions  disséminées  ■ 
et  comme  perdues  au  milieu  des  déseris,  recu- 
laient devantl'invasion  obstinéedes  Africains  etdes  i 
Arabes,  soldats,  brigands  et  marcliands.  Sur  les 
mers,  entin,  où  les  pirates  ne  redoutaient  plus  un 
Pompée,  les  Sarrasins  au  Midi,  les  Normands  dans 
le  Nord,  ne  craignaient  pas  d'insulter  par  des  in- 
cursions fréquentes  b.  la  majesté  mécojinue  du 
peuple  romain.  Pour  mieux  résister  aux  efforts 
d'aussi  nombreux  adversaires.  Théodose  partagea 
l'empire  entre  ses  deux  fils.  L'un  régnerait  en 
Italie,  l'autre  à  Constantinople.  Le  vieux  monde 
semblait  à  la  veille  de  s'écrouler  sous  la  pres- 
sion formidable  d'un  monde  nouveau 

Un  tel  état  do  choses  ne  surprenait  pas  les 
hommes  du  V  siècle.  Ils  s'effrayaient  bien  moins 
que  nous  ne  le  supposons  d'une  situation  depuis 
longtemps  prévue,  plus  grosse  de  menaces  en  ap- 
paieiico  qu'en  réalité.  Beaucoup  de  tribus  barba- 
res étaient  depuis  des  siècles  au  service  de  l'Em- 
pire ;  les  territoires  contigus  aux  frontières  étaient 
couverts  de  villages,  où  sous  les  noms  à'alnés, 
féd''irs,  co  ODS,  vivaient  des  milliers  de  ces  dan- 
gereux amis.  Lorsque  l'empire  fléchit  sous  son 
propre  poids,  lorsque  les  provinces,  et  dans  les 
provinces,  les  villes  habituées  à  se  gouverner  pres- 
que comme  des  républiques  indépendantes, 
brisèrent  le  lien  fragile  qui  les  unissait,  surtout 
lorsque  la  race  de  Théodose  en  Occident  se  fut 
éteinte  {ihh),  les  Barbares  songèrent  il  tirer  parti 
de  leur  force  et  de  la  faiblesse  de  Rome.  Ils 
déchirèrent  le  pacte  qui  les  liait  h  Théodose  et  h  sa 
famille.  Les  fédérés  Wisigoths,Burgundes,  Franks, 
s'estimèrent  indépendants.  Sous  un  Euric,  sous 
un  Gondebaud,  sous  un  (Jlovis,  ils  étendirent  les 
limites  des  terres  que  Rome  leur  avaitjadis  don- 
nées, en  récompense  de  leurs  services  militaires. 
Ils  s'emparèrent  des  biens  d\i  ft,r,  propriété  des 
empereurs,  ils  dépouillèrent  parfois  les  anciens 
possesseurs,  en  leur  ejilevant  les  deux  tiers  du 
sol  ;  ils  créèrent  enfin  des  Etats  autonomes,  sans 
souci  des  alliances  d'autrefois,  imitant  les  Bar- 
bares qui  par  la  force  de  leur  épée  s'étaient  im- 
posés à  l'empire,  les  Suèves  et  les  Alains  en  Es- 
pagne, les  Vandales  en  Afrique,  les  Angles  et  les 
Saxons  dans  la  Grande-Bretagne,  les  Slaves  sur  le 
cours  moyen  du  Danube.  Attila  menace  Rome  ; 
Genséric  la  prend.  Le  Tatar  à  demi  sauvage,  en- 
nemi de  Rome,  se  rencontre  avec  le  Wend'- 
civilisé,  jadis  ami  des  empereurs.  La  barbarie 
X  officielle,  >>  parée  de  titres  romains,  semble 
donner  la  main  à  une  barbarie  inconnue  venue 
des  déserts  de  l'Orient.  L'empire  a  cette  fois 
cessé  d'exister.  Bientôt  Odoacre  lo  Héiule,  puis 
Théodoric  l'Ostrogoth,  sont  les  maîtres  de  l'Italie. 
Et  copenilant,  cet  empire  si  facilement  détruit 
s'impose  longtemps  encore  au  respect  di'S  Barba- 
res. Rome,  n'étant  plus  la  capitale  politique  du 
monde,  c'est  vers  Constantinople  qu'ils  tourjient 
leurs  regards,  l.h  règne  le  César  d'Uriunt,  le  seul 


((ui,  dans  cette    Europe  partagée  entre  les  «   roi- 
telets  1)  (i-i-i/ult)  barbares,    porte    le   titre   incon- 
testé d'cniptreur   llusileus).  Devant  lui  Théodoric, 
prince   puissant,  s'incline  ;  c'est  à   lui   (|U0  Clovis 
demande  la  pourpre  consulaire.  Mais  Constantino- 
ple est  trop  éloignée  de  la  Germanie,  de  l'Espagne, 
de   la    Gaule,  de   l'Italie   même,    pour  manitenir 
longtemps  son  hégémonie  politique.  Au  \l°  siècle, 
gouverné  par  un  homme  de  valeur,  Juslinien,  que 
secondent   de    bons    généraux,   l'empire  d'Orient 
pourra  faire  illusion  sur  ses  forces  réelles.  L'Ita- 
lie, l'Afrique,  sont  un    instant  reconquises.  Mais 
cette   restauration  du    passé,   qui    irait    contre   la 
fatalité   immuable  des  choses,  ne  saurait  être  ni 
durable  ni  vraie.  L'empereur  de  Constantinople  a 
beau    s'intituler   successeur   des    empereurs    de 
Rome.  Il    n'est  point   le  représentant  d'une  épo- 
que   morte,    d'une    civilisation   qui    chaque  jour 
s  efface.  Lui  aussi,  il  appartient  à  des  temps  nou- 
veaux. L'empire    byzantin   est    bien    un    Etat  du 
I  moyen    âge,    avec    ses    passions   religieuses,   son 
enthousiasme  mystique  au   temps  d'Héraclius,  sa 
j  langue  dégénérée,  chac|ue  joer  plus  corrompue  et 
plus  étrangère  au    grec   de  l'antiquité  classique. 
Constantinople  n'aura  plus  que  de   lointains  rap- 
ports avec  l'Europe  occidentale.    De  son   ancien 
1  pouvoir  au  delà  du    Danube    et  de    l'Adriatique, 
elle  ne  gardera  plus  que  des  titres  pompeux,  con- 
servés avec  un  faste  tout  oriental  par  les  chancel- 
leries  impériales.  D'ailleurs,  elle  aussi  est  mena- 
cée par  les  Barbares.   C'est  un  prodige   que  cet 
I  empire,  réputé  si  faible,  ait  pu  résister  pendant 
dix  siècles  aux  efforts  de  redoutables  agresseurs. 
.\u   vu'   siècie,  un   Arabe,   Mahomet,  prêche  une 
I  religion  nouvelle  qui  impose  comme  un  devoir  la 
guerre   contre  les  infidèles.    Une  grande  révolu- 
tion s'opère  dans  l'Orient.  Poussés  par  une  force 
irrésistible,   les  Musulmans   renversent    l'empire 
persan,  occupent  tout  le  Nord  de  l'Afrique,  con- 
quièrent l'Asie-Miiieure  :  mais  Constantinople  der- 
rière ses  hautes    murailles   les   lient  en  respect. 
Les  Slaves,  bien  plus  nombreux  que   les  peuples 
germaniques,     envahissent  les   bassins  moyen  et 
inférieur  du   Danube.   Constantinople  résiste  en- 
core. Il  est  vrai  que  bientôt  la  capitale  constitue 
seule  presque  tout  l'Empire.  Au  delà  de   la  Ma- 
ritza,  l'autorité  des  empereurs  est  à  peine  recon- 
nue. L'un  d'eux  constate  avec  tristesse  au  x'  siè- 
cle que  ce  la  Grèce  tout  entière  est  devenue  slave.  » 
L'Europe  était  comme  émancipée.  Les  royautés 
barbares  purent    alors   se   développer  en   liberté. 
Mais   ici    se     manifeste    la   grande    influence    de 
Rome    sur    les   destinées    politiques    du    monde 
qu'elle  avait  gouverné.  Les  peuples  qu'elle  n'avait 
pas  conquis,   au  delà  du  Rhin,   du  Danube  et  de 
la  mer  Noire,  restent  soumis  au  régime  dangereux 
des  tribus  confédérées.  Rien    n'est    plus  obscur 
ni  plus  triste  que   l'histoire  de   la  Germanie  pro- 
prement dite,  de  la  Russie,  de  la  presqu'île  Scan- 
dinave durant  ces  premiers  siècles.  Au  contraire, 
dans  les  anciennes  provinces  romaines  se  fondent 
des  royautés  qui,  pour  être  exercées  par  des  bar- 
bares, ne  tendent  pas  moins  à  devenir  absolue.'-. 
Dans  la  Grande-Bretagne,  la  Gaule,  l'Espagne,  l'I- 
talie,  les  souverains  conservent  l'ancienne  admi- 
nistration impériale,   s'entourent  de  cours   qu'ils 
essaient  de  rendi'e  pompeuses,  et  dont  les  digni- 
taires portent  les  vieux  titres   romains.   Les  an- 
ciens impôts  sont  presque  toujours  conservés  ;  la 
loi  remanie  est  presque  partout  en  vigueur  à  côté 
des  lois  barbares  ;  les  codes  mômes  des  Wisigoths 
et  des  Burgundes  sont  adoucis  par  l'influence  bien- 
faisante  des  codes   romains.   Dailleurs,  ces    ten- 
tatives  pour  fonder  un  pouvoir  absolu  soulèvent 
parfois  la  colère   des   peuples.  Après  la  mort  dt 
t;iovis  (511),  après  la  conquête  de  la  Bourgogne, 
éclate  la   guerre   terrible    des   Austrasieiis  et  des 
Neustriens,  envenimée  par  les   tendancos  .autori- 


MOYEN   AGE 


—  1360  — 


MOYEN  AGE 


tairos  de  Bruneliaiit  En  Espagne,  les  succes- 
seurs de  Keccarèdi»  et  de  VVamba  ont  peine  h 
contenir  leurs  '•ujets  révoltés.  Eu  Italie,  l'aristo- 
cratie lonibanle  l'itte  contre  le,<  souverains,  et 
finit  par  détruire  le  pouvoir  des  rois. 

Ces  guerres  générales,  qui  remplissent  l'histoire 
de  l'Europe  du  vif  au  vu"  siècle,  compromettaient 
singulièrement  la  force  des  Etats  barbares.  La 
(;aule  franke  est  sérleusemenl  menacée  par  les 
Frisons,  les  Saxons,  les  Alamans  ;  elle  ne  se 
débarrassera  de  ce  danger  permanent  que  par  un 
brusque  changement  de  dynastie  L'Espagne,  après 
la  bataille  de  Jerez  ("lli,  est  conquise  sans  diffi- 
culté par  les  Arabes.  L'Italie  enfin  est  à  chaque 
instant  menacée  par  les  pirates  de  toutes  nations 
et  de  toutes  religions  qui  écument  la  Méditer- 
ranée. Partout  la  diversité  des  pouvoirs  avait  en- 
gendré l'anarchie,  et  l'anarchie  la  faiblesse.  L'Eu- 
rope, si  longtemps  habituée  à  l'unité  politique  de 
Rome,  qui  était  une  entrave,  mais  aussi  un  appui, 
semblait  jetée  hors  de  ses  voies.  C'est  le  trait 
caractéristique  du  moyen  âge  d'avoir  substitué,  à 
l'unité  politique,  l'unité  religieuse,  et  d'avoir  cher- 
ché dans  'a  Rome  des  papes  le  lien  moral  qu'on 
demandait  jadis  à  la  Rome  des  empereurs. 

Quand  les  Barbares,  de  gré  ou  de  force,  péné- 
trèrent dans  l'empire  l'Eglise  était  déjà  forte.  La 
hiérarchie  ecclésiastique  était  constituée.  Le  con- 
cile de  Constantinople  (381)  avait  reconnu  à  l'évè- 
que  de  Rome  la  suprématie  sur  le  monde  chré- 
tien. Protégée  par  les  empereurs,  l'Eglise  avait 
fait  des  conversions  nombreuses.  Les  lioths,  no- 
tamment, avaient  reçu  l'Evangile  d'HIphilas.  Les 
prédications,  il  est  vrai,  n  étaient  pas  toujours 
orthodoxes.  Parmi  les  Barbares  surtout,  I  hérésie 
d'Arius  était  en  faveur.  Mais  l'église  de  Rome 
devait  plus  tard  triompher.  Dans  l'empire,  la  loi 
romaine  avait  donné  aux  évèques  une  grande 
puissance.  Sous  le  titre  de  '<  défenseurs,  »  ils 
étaient  devenus  de  véritables  magistrats  munici- 
paux, parlant  au  nom  de  la  cité,  nourrissant  les 
pauvres,  surveillant  les  prisons,  protégeant  les 
orphelins.  La  plupart  des  évèques  d'ailleurs  appar- 
tenaient aux  famillfs  nobles.  Leur  grand  nom 
joint  à  leur  caractère  religieux  leur  donnait  une 
autorité  acceptée  par  tous.  Après  la  chute  de 
l'empire  et  la  disparition  dos  fonctionnaires  im- 
périaux, le  diocèse  remplaça  la  province.  En  face 
des  Barbares,  l'évèque  conserva  ses  anciennes 
fonctions   politiques  et  ecclésiastiques. 

Saint  Paulin,  saint  Hilaire.  Sidoine  Apollinaire, 
saint  Aignan  appartiennent  à  l'histoire  politique 
autant  qu'à  l'hi-stoire  religieuse.  Attila  s'arrêtait 
devant  Rome  à  la  voix  de  Léon  !'=■'.  Le  plus  bar- 
bare des  Barbares  semblait  rendre  un  suprême 
hommage,  à  la  puissance  de  l'Eglise  qui  allait 
pour  des  siècles  transformer  l'Occident. 

Les  évèques  défendaient  devant  les  chefs  bar- 
bares les  privilèges  de  la  religion  chrétienne.  Les 
moines  la  rendaient  populaire.  L'Orient  possédait 
depuis  longtemps  des  monastères.  Les  couvents 
de  la  Thébaide  et  de  la  Palestine  étaient  célèbres. 
Mais  la  rêverie  mystiqu".  l'amour  des  discussions 
subtiles,  l'impatience  de  la  règle,  condamnaient 
les  moines  d'Orient  h  rester  inutiles  ou  à  devenir 
dangereux.  Dans  l'Occident,  h  Noirnioutiers,  h 
Ligugé,  à  Lerins,  se  fondent  des  monastères  où  le 
travail  est  itriposé  comme  règle  essentielle.  En 
Italie,  saint  Benoît  crée  le  couvent  du  Mont  Cas- 
sin  et  impose  S  ses  moines  di'S  obligations  sévères. 
En  Irlande  Columban  combat  les  restes  du  drui- 
distne  et  fonde  des  abbayes  d'où  sortiront  des 
missionnaires  nombreux,  fondateurs  aussi  de  cou- 
vents (Luxeuil,  Saint-Gall).  La  foi  se  répand  et 
l'orthodoxie  s'impose.  Le  catholique  Clovis  a  dé- 
truit en  Gaule  les  royaumes  ariens  des  V  isigoths 
et  des  Burgnndes.  Il  semble  avoir  triomphé  par 
l'Eglise   et   pour   lEglise.   Les  Franks    sont   les 


soldats  de  la  papauté,  qui  voit  grandir  son  auto- 
rité durant  tout  le  vi'  siècle.  Le  pape  saint  Gré- 
goire (59tl-(i04),  le  premier  des  grands  papes  du 
moyen  âge,  s'attribue  comme  une  sorte  de  supré- 
matie temporelle  et  spirituelle  sur  l'Espagne,  la 
Gaule.  l'Italie,  l'Allemagne,  la  Grande-Bretagne, 
où  un  roi  se  convertit  La  papauté  siège  triom- 
phante dans  l'église  de  Latran.  fondée  vers  le 
milieu  du  V  siècle.  Toujours  prête  à  affirmer,  à 
exagérer  même  ses  droits,  elle  devient  d'autant 
plus  puissante  sur  les  Barbares  que  ceux  ci  sont 
plus  pénétrés  par  la  civilisation  latine  et  la  foi 
chrétienne.  A  la  fin  du  vu'  siècle.  Rome  se  débar- 
rasse de  l'autorité,  d'ailleurs  nominale,  des  Césars 
byzantins.  Korte  de  sa  liberté  et  de  sa  puissance 
morale,  la  papauté  ne  pourra-t-elle  pas  avec  des 
éléments  nouveaux  créer  un  nouvel  empire  romain  4 
d'Occident"?  '\ 

Au  viii"  siècle,  les  royautés  barbares  semblent  , 
près  de  mourir  d'une  sénilité  précoce.  Menacée  de 
perdre, après  l'Espagne  et  l'Orient,  le  nord  de  l'Italie, 
la  Germanie  peut-être,  où  les  Saxons  païens  ont 
fondé  une  confédération  puissante,  la  papauté  se? 
décide  h  accomplir  une  ré\oUition.  Aux  Mérovin- 
giens décrépits  elle  substitue  une  famille  nouvelle, 
qui  a  pour  ancêtres  un  évèque  et  un  soldat.  Lliar- 
les  Martel  a  arrêté  les  .Arabes.  con(|uérants  de 
l'Espagne  :  Pépin  le  Bref  menace  les  Lombards,  et 
fonde  la  puissance  temporelle  des  papes;  Cnarles 
extermine  les  Saxons,  détruit  la  royauté  lombarde, 
arrête  les  invasions  musulmanes.  Le  •i.î  décembre  , 
de  l'an  SIMI,  le  pape  pose  la  couronne  impériale  sur 
la  tête  de  Charlemagne.  L'Eglise  et  lEmpire. 
comme  au  temps  de  Constantin,  semblent  se  con-  | 
fondre,  union  fatale  qui  couvrira  l'Europe  de 
ruines  et  de  sang. 

2-  Période,  du  IXe  au  XII"  siècle.  —  L'empire 
créé  par  Charlemagne  ne  survécut  pas  longtemps 
à  son  fondateur.  Des  Pyrénées  à  la  mer  du  Noid, 
de  l'Atlantique  à  la  Theiss  et  h  l'Elbe,  se  pres- 
saient trop  de  nations  diverses.  Si  l'Italie  et  la 
Gaule,  conservant  encore  le  souvenir  des  Césars 
romains,  consentaient  à  devenir  provinces  d'un 
nouvel  empire  d'Occident,  la  Germanie  tout  en- 
tière se  montrait  peu  disposée  à  reconnaître  l'au- 
torité d'un  seul  chef,  résidant  au  delà  du  Rhin. 
Dans  la  Gaule  même  et  dans  1  Italie,  comme  on  ne 
sentait  plus  la  forte  tuain  de  Charlemagne,  les 
luttes  intestines  recommençaient;  l'aristocratie 
militaire  et  religieuse,  mise  en  possession  d'une 
grande  partie  du  sol,  cherchait  à  conquérir  l'in- 
dépendance. Vingt  ans  après  la  mort  de  l'empe- 
reur, une  désagrégation  lente,  symptôme  de  la 
mort,  détruisait  en  détail  son  œuvre.  Sous  le  règne 
de  Louis  le  Débonnaire  (814-S40),  les  partisans  de 
l'unité  impériale  essayèrent  en  vain  de  faire  triom-  ■ 
pher  leurs  idées.  La  bataille  de  Fontanet  (SU)  et 
le  traité  de  Verdun  (S4:<;  consacrèrent  un  démem- 
brement devenu  ini'vitable.  La  Gaule,  l'Italie, 
l'Allemagne  se  séparèrent.  Une  fois  encore,  en 
884,  le  monde  occidental  n'eut  qu'un  seul  chef. 
Mais  Charles  le  Gros  fut  déposé  (887).  et  les  dilTé- 
rents  pays  qui  .ivaient  composé  l'empire  se  sépa- 
rèrent pour  toujours. 

La  séparation  ne  se  fit  pas  sans  d'affreux  dé- 
sordres. On  eût  dit  que  le  vieux  monde  ie  déchi- 
rait. Le  IX'  siècle  mérite  bien  le  nom  de  i.  siè- 
cle de  fer  ».  L'Europe  entière  semble  se  couvrir 
de  sang  et  de  ruim  s.  Ce  ne  sont  pas  seulement 
des  guerres  privées  qui  désolent  la  Gaule,  l'Italie 
et  l'Allemagne.  Des  invasions  inces-antcs  de. 
Normands  an  nord,  d'Arabes  au  sud,  rie  Hongrois 
à  l'est,  de  Slaves  sur  les  frontières  de  l'empire 
byzantin,  viennent  .ajouter  à  l'iiorreur  de  ces 
temps  si  troublés.  L'invasion  danoise  ébranle  toute 
l'île  de  Breiagno.  Le  monde  Scandinave,  agité  par  4 
des  convulsions  intestines,  est  comme  projeté  en 
dehors  de  ses  limites  séculaires.  L'invasion  s'é- 


MOYEN  AGE 


i:jgi  — 


MOYEN   AGE 


tend  sanglante  ot  rapide  sur  l'Écosso,  les  Ildbridcs, 
les  Orcados,  l'Islaiidc,  le  Groenland  au  nord-ouest, 
sur  lu  Ôussio  h  l'est  où  Uurik  fonde  vers  802  un  em- 
pire Scandinave  ;  à  l'ouest,  les  mers  sont  sillonnées 
par  les  longues  barques  des  Normands  ((ui  vou- 
draient fonder  aussi  des  établissements  dans 
l'Europe  occidoniale.  Au  deli  du  Danube,  les  ca- 
valiers Magyars,  menaçant  la  «  Marclie  orien- 
tale u  (OEsterrcicli,  Autricbe),  préparent  la  fonda- 
tion du  futur  royaume  de  Hongrie.  C'est  le  temps 
enfin  où  le  monde  slave  franchit  décidément  le 
Danube  et  couvre  de  ses  innomljrables  tribus  la 
presqu'île  dos  Balkans.  Vu  monde  nouveau  s'im- 
pose Ji  Uyzance,  et  transforme  tout,  jusqu'au  nom 
des  pays  qu'il  occupe  (Péloponèse,  Moroe).  Dans 
l'Espagne  enfin,  les  successeurs  d'Abder-Rab- 
man,  (\m  s'était  déclaré  indépendant  en  755,  ont 
à  combattre  les  fréquentes  révoltes  de  leurs  sujets 
musulmans,  tandis  que  le  royaume  cbrélien  dos 
Asturies  commence  contre  l'islamisme  une  lutte 
qui  a  dure  six  cents  ans. 

C'est  cependant  de  ce  sang  et  de  ces  ruines 
que  sont  sortis  les  Etats  du  moyen  âge.  Le  monde 
barbare,  qui  avait  si  longtemps  roulé  sur  lui- 
même,  semblable  à,  une  mer  agiiée.  se  calme  onfi  i 
et  s'arrête.  Malgré  tant  de  sang  répandu,  le 
ix"  siècle  n'est  pas  un  temps  de  mort;  c'est  un 
siècle  de  vie  et  de  création  féconde. 

L'empire  romain  avait  laissé  après  lui  le  sou- 
venir de  l'unité  fondée  sur  la  loi.  Cliarlemagne 
avait  cbercbé  l'unité  dans  la  foi  religieuse.  Celte 
foi  avait  inspiré  la  première  renaissance  des  let- 
tres et  des  arts  en  Gaule,  en  Italie,  en  Angleterre. 
La  religion  parut  désormais  un  élément  indispen- 
sable il  la  fondation  et  à  la  durée  des  nouveaux 
Etats.  Du  X'  au  xu=  siècle,  le  clirisiianismo  se 
répandit  en  Norvège,  en  Suède,  en  Pologne,  en 
Russie,  en  Hongrie,  môme  dans  les  Etals  fondés 
par  les  Slaves,  bulgarie,  Croatie,  Serbie.  A  ces 
nouveaux  venus  lo  christianisme  semblait  donner 
droit  de  ciié,  à  côté  des  Etals  plus  anciens  de 
l'Occident  et  du  midi.  Cette  unité  religieuse  était 
d'ailleurs  toute  morale.  Elle  respectait  les  natio- 
nalités, se  bornant  à  inspirer  au  monde  une  foi 
ardente  et  mystique  dans  l'Evangile. 

Vers  le  même  temps  l'Europe  adoptait  un  ré- 
gime politique  presque  uniforme,  celui  de  la  féo- 
dalité. Fondée  dans  des  sociétés  composées  d'élé- 
ments romains  et  d'éléments  germaniques,  la 
féodalité  emprunte  des  traits  aux  deux  civilisa- 
tions de  Rome  et  de  la  Germanie.  L'empire  ro- 
main avait  connu  les  patrons  et  les  clients,  les 
nobles  qui  possédaient  le  sol  et  |ps  colons  qui 
le  cultivaient,  sans  parler  des  esclaves.  Dans  la 
Germanie,  la  truste,  le  comitat  étaient  des  insti- 
tutions analogues  k  la  clientèle  romaine.  Les  codes 
romain  et  barbares  proclamaient  la  grande  auto- 
rité du  patron,  chef  de  la  famille,  «  qui  parle  au 
nom  des  autres  »  (m'oido'il /,  de  mui'/,  bouche  . 
Au  milieu  des  troubles  du  ix»  siècle,  le  principe 
de  la  i-ecommnnilal  on  {de  com»vnil<iiv]  l'umporta. 
Les  plus  faibles  se  groupèrent  autour  des  plus 
forts,  leur  confiant  la  défense  de  leur  personnes 
et  de  leurs  terres.  Le  caractère  disiinciif  de  la 
société  est  désormais  l'attachement  à  la  pro.iriélé 
foncière.  Aux  divers  modes  de  possession  corres- 
pondent diverses  formes  dans  l'ordre  polili(iue  et 
social.  La  terre  sur  laquelle  s'exerce  un  droit 
absolu  de  propriété  se  nomme  nlleu.  La  terre 
dont  on  ne  (.os  ède  que  la  jouissance,  ou  sur  la- 
quelle s'exerce  un  droit  de  po-,ses>ion  incomplet, 
se  nomme  béihifice  ou  fief.  Celui  qui  lient  une 
terre  en  fief  d'un  autre  homme  est  vassal  d'un 
suzerain.  La  vassaliié,  d'ailleurs,  n'entriine  pas  la 
servitude.  La  cérémonie  da  l'hommage,  par  la- 
quelle le  vassal  se  lie  au  suzerain,  respecte  la 
liberté  des  doux  parties  contra  tantus.  Au-dessous 
des  vassaux,  les  colons,  aussi  nombreux  et  aussi 

2'  P*RTIE. 


variés  qu'au  temps  de  l'empire,  paient  des  rede- 
vances aux  seigneurs.  Enfin  au  dernier  degré  de 
la  société  sont  placés  les  esclaves.  Voili  les  ca- 
ractères généraux  du  régime  féodal.  Sans  doute, 
dans  divers  Etats,  on  doit  remarquer  quelques 
difféiencos  de  détail.  En  Orient,  par  exemple, 
la  féodalilé  n'existe  à  proprement  parler  que 
pour  les  terres  militaires  ou  impériales  donmes 
en  récompense  à  des  soldats.  Dans  les  pays  gou- 
vernés par  les  Musulmans,  la  féodalité  est  sur- 
tout personnelle  et  administrative;  elle  ncst 
(|u'uno  forme  particulière  d'une  hiérarchie  reli- 
gieuse et  militaire.  Dans  le  fond  elle  est  en- 
core analogue  à  la  féodalité  européenne  et  chré- 
tienne. Sur  les  points  où  Arabes  et  chrétiens  se 
rencontrent,  en  Kspagne  et  en  Oriejt,  chroni- 
queurs et  poètes  soni  frappés  moins  des  diffé- 
rences que  dos  ressemblances  des  deux  régimes. 
Partout,  sous  des  noms  divers,  l'aristocratie  do- 
mine. Dans  le  groupe  des  Etats  Scandinaves  se 
retrouvent  les  vieilles  divisions  germaniques  par 
dizaine,  et  rentnine,  les  réunions  de  district,  les 
liiiqs  ou  assembice-i  générales  dans  lesquelles  les 
hommes  libres  règlent  les  affaires  du  pays.  Ces 
institutions,  plus  démocratiques  que  celles  de 
l'Europe  centrale  et  méridionale,  se  moilifient  dès 
le  xi'  siècle,  sous  l'influence  du  droit  romain  et 
du  droit  canon.  L'Europe  tout  en;ière  parait  alors 
soumise  aux  mêmes  règles.  Au-dessus  des  diffé- 
rences internes  de  chaque  peuple  se  forme  un  ré- 
gime politique  unique,  sorte  de  patrimoiiie  com- 
mun à  tous  les  Etats  européens.  Partout  les 
hommes  s'assetnblent  et  les  Etats  se  fondent 
d'après  des  lois  communes  basées  sur  l'identité 
de  cause,  la  possession  territoriale,  et  l'identité 
de  but,  le  maintien  de  la  propriété  foncière. 

La  féodalité  parait  arriver  i  son  plein  épanouisse- 
ment danslecourant  du  xi'  siècle.  Loin  d'entretenir 
la  barbarie,  comme  on  l'a  cru  si  longtemps,  elle  lui 
impose  des  barrières,  ot  l'arrête.  Ses  institutions, 
loin  d'être  un  chaos,  sont  fort  régulières  ;  ses  lois 
sont'fixes  dans  leur  rauliiplicité.  De  véritables 
écoles  de  législation  se  fondent  et  produisent  de 
savants  jurisconsultes.  La  iNormandie  surtout  se 
distingue  dans  ce  grand  travail  d'organisation 
politi(|ue  et  judiciaire.  Litileion  et  Glanville  sont 
les  premiers  des  grands  feudistes  au  moyen  âge. 
Plus  tard,  l'Angleterre  normande  produira  liracton 
et  Briiton.  L'Ilalie  possédera  les  codes  de  Obertus 
ab  Orto  et  de  (ierardus  Niger  (xu«  siècle):  l'Alle- 
magne a  lo  code  intitulé  Vclu^  auctor  de  Hen-ft- 
ai'.  La  féodalité  semble  appelée  moins  à  con- 
quérir des  Etats  qu'à,  les  organiser.  Au  lendemain 
mè  ne  de  l'invasion  normande  (xi=  siècle),  l'An- 
gleterre est  féodalement  divisée  entre  70  i  graniis 
barons  et  GOil.i  barons  inférieurs  A  la  tin  du 
même  siècle,  lorsque  la  France  et  l'Europe  mirent 
le  pied  sur  le  sol  de  l'Asie,  la  féotalilé  s'implanta 
naturellement  dans  ce  pays  où  vivaient  cependant 
des  races  si  diverses  Les  Assise<  de  Jérusalem 
furent  rédigées  avec  soin,  au  milieu  même  du 
tumulte  des  batailles.  Elles  devaient  plus  tard 
servir  de  base  aux  travaux  de  PliiUppe  do  Navarre 
et  de  Jean  d'Ibelin  (xiii"  siècle). 

Les  résultats  de  la  féodalité  n'ont  pas  été  mé- 
diocres. Elle  a  pres.|iie  partout  effacé  pour  loti- 
jours  les  distinctions  de  races;  elle  a  multiplié 
les  familles  agricoles,  protégées  plus  qu'on  ne  pour- 
rait le  supposer  par  les  institutions  féodales  Elle 
a  répandu  l'activité  et  la  vie  dans  les  campagnes 
longtemps  abandonnées.  Bile  a  appelé  un  grand  nora- 
bre'dhommos  à  la  possession  du  sol.  ICntin,  dans  un 
autre  ordre  d'idées,  elle  a  partout  inspiré  une  lit- 
teraturo  originale.  Il  no  faudrait  pas  exagérer  ce- 
pendant les  bienfaits  de  ce  régime  politique.  La  so- 
ciété féodale  était  rude.  Milgfé  l'innuenco  de 
l'Eglise,  malgré  t'instiiution  religieuse  ot  iniliiaiije 
de" la  chevalerie,  qui  intéressait  les  forts  à  la 
86 


MOYEN  AGE 


—  1362  — 


MOYEN  AGE 


défense  des  faibles,  le  moyen  âge  est  un  temps  |  motifs  de  desaccord.  En  Allemagne  en  Italie, 
de  passions  fougueuses  ot  de  luttes  sanglantes,  dans  l'Europe  catholique  1  Etat  devait-il  absorber 
Dès  le  x«  siècle,  l'aristocratie  féodale  affirme  sa    l'Eglise,  en  transformant  les  evéqueseï  les  abbé» 


puissance.  En  Allemagne,  elle  domine  les  faibles 
Un  Luiipold  en  Bavière,  un  Otto  en  Saxe,  un  Gi- 
selbert  en  Lorraine  sont  les  véritables  maîtres  des 
du'  liés  allemands.  En  France,  les  seigneurs  peu- 
vent en  0S7  opérer  une  révolution  tout  aristo- 
cratique, en  plaçant  sur  le  trône  un  prince  féodal, 
Hugues  Capot.  En  Italie  un  marquis  d'Ivrée,  un 
duc  de  Frioul  se  disputent  la  couronne.  Le  pape 
lui-môme  est  obligé  de  défendre  contre  les  barons 
la  papauté  qui  n'est  plus  qu'un  fief.  Partout, 
d'ailleurs,  la  force  et  les  prétentions  de  l'aristo- 
cratie féodale  donnent  naissance  à  des  guerres 
privées.  L'Allemagne  est  troublée  par  les  Glierard 
et  les  Mattfried,  les  Conrad  et  les  Bamberg  ;  la 
France  par  Foulques  Nerra  et  Eudes  de  Blois. 
Pendant  près  d'un  siècle  dure  celte  effervescence 
qui  agite  toute  l'Europe  et  trouble  l'Eglise  même. 
Les  évêquos  et  les  abbés  sont  entrés  dans  n  le 
siècle.  •  Leurs  mœurs  sont  celles  de  la  société  mili- 
taire ;  les  évêchés  et  les  abbayes  deviennent  des 
souverainetés  dont  on  trafique  ouvertement:  c'est 
ce  qu'on  appelle  la  simonie.  Le  clergé  renonce 
partout  au  célibat  ;  l'Europe  va  se  couvrir  peut- 
être  d'une  caste  sacerdotale.  Sous  toutes  les  for- 
mes, dans  le  sanctuaire  comme  dans  les  cbàteaux, 
la  féodalité,  qui  a  morcelé  le  sol.  morcelle  l'au- 
torité. Le  mysticisme  religieux,  développé  dans 
l'isolement,  pousse  les  hommes  i  de  grandes 
aventures.  Au  xi'  siècle,  la  race  normande  se 
répand  dans  le  midi  de  l'Italie  (llliG-i053),  en 
Angleterre  (1066)  ;  des  chevaliers  bourguignons 
s'établissent  dans  la  péninsule  hispanique  (lOl.O;. 
Ils  fonderont  plus  tard  le  royaume  de  Portugal 
(M4u).  Enfin  l'Europe  entière,  emportée  dans  un 
élan  de  foi,  se  précipite  à  la  fin  de  ce  siècle  vers 
le  tombeau  du  Christ.  C'est  une  démocratie  im- 
mense, qui  ne  connaît  encore  que  ses  Oevoirs,  et 
qui  semble  ignorer  ses  droits.  Aujourd'hui,  elle 
obéit  docile  à  l'aristocratie  qui  la  mène,  peut-être 
elle  se  soulèvera  demain. 

La  féodalité  avait  établi  des  rapports  intimes 
d'homme  à  homme,  de  pouvoir  à  pouvoir.  Si  le 
vassal  dépond  du  seigneur,  et  le  seigneur  du  roi, 
le  roi  à  son  tour  ne  dépendra-t-il  de  personne  ? 
Question  redoutable,  que  la  papauté  a  voulu  ré- 
soudre à  son  avantage. 

Dans  la  seconde  moitié  du  x'  siècle,  un  Alle- 
mand, Otton  I"',  avait  essayé  de  rétablir  l'empire 
de  Charlemagne.  Il  iiarvinl  difficilement  h  impo- 
ser son  autorité  à  l'Allemagne  et  à  l'Italie  :  les 
autres  souverains  se  gardèrent  de  reconnaître 
cette  suzeraineté  nouvelle;  quelques-uns,  comme 
le  César  de  Byzance,  refusèrent  de  donner  au 
César  germanique  le  titre  d'empe  eur.  Les  nations, 
en  effet,étaient  désormais  trop  distinctes  pour  qu'on 
pût  constituer  à  nouveau  1  unité  rêvée  par  Charle- 
magne. Ce  n'est  qu'un  dehors  de  la  politique,  dans 
le  monde  chrétien,  que  cette  unité  pouvait  se  ren- 
contrer. Home  espéra  réussir  où  les  Oitons  avaient 
échoué.  Au  XI'  siècle,  avec  le  moine  Hildebrand  et 
Pierre  Damien,  elle  entreprit  la  réforme  profonde 
de  l'Eglise,  créant  des  ordres  religieux,  inteidisajit 
la  simonie  et  le  mariage  des  prêtres,  chorchaiil 
aussi  dans  le  passé  dos  litres  à  la  domination  du 
monde,  con>ultant  à  cet  effet  les  Evangiles  et  les 
Décrétales,  trouvant  partout  inscrites  la  glorifica- 
tion de  l'Kglise  et  la  puissance  du  successeur  de 
Pierre.  Devenu  pape,  Hildebrand  iGrégoire  VU) 
voulut  réaliser  son  rêve.  Il  imposa  le  respect  absolu 
du  Saint-Siège  à  l'Espagne,  au  Portugal,  à  l'Angle- 
terre, à  la  Pologne,  à  la  Jrance  même.  Il  entama, 
enfin,  avec  l'Empiii'  une  lutte  qui  devait  duier 
deux  cents  ans.  Lnire  le  pape  et  l'empereur  ces 
deux  unités  puissantes  et  terribles  que  Charlema- 
gne avait  léguées  au  monde,  surgissaient  de  graves 


en  de  simples  vassaux  militaires?  L'Eglise  devait- 
elle  supprimer  l'Etat?  Rendrait-elle  les  princes 
ecclésiastiques  indépendants  des  souverains  tem- 
porels, «  avec  de  vastes  territoires  dépourvus  de 
charges,  avec  des  droits  dégagés  d'obligations,.... 
placés  dans  un  pays  sans  lui  appartenir,  membre» 
de  la  république  chrétienne  ?  » 

Le  débat  qui  s'engageait  était  politique  autant  que 
religieux.  Au  xii"  siècle,  au  temps  de  Frédéric  I" 
et  d'Alexandre  III,  le  caractère  politique  domine. 
Il  ne  s'agissait  plus  seulement  de  la  papauté  et 
de  l'empire,  mais  aussi  des  villes  de  la  Lombardte, 
qui  avaient  grandi  au  milieu  de  la  lutte.  Garde- 
ront-elles leurs  privilèges  ourccevront-elles les  con- 
stitutions de  l'empire':'  Au  siècle  suivant,  la  ques- 
tion se  déplace  de  nouveau.  Les papesinnocent m  et 
Innocent  IV  défendent  l'indépendance  de  1  Italie, 
que  FrédéricII  voudrait  annexer  àl'empire  allemand. 
La  papauté  semble  victorieuse  à  la  mort  de  Frédé- 
ric II  (r.'5(l).  La  maison  des  Hohenstaufen  s'étemt  ; 
l'Italie  et  l'Allemagne  reprennent  chacune  séparé- 
ment le  cours  de  leur  destinée.  Mais  le  triomphe 
de  la  papauté  n'est  qu'apparent.  Au  xiV  siècle,  un 
pape  est  fait  prisonnier  dans  Rome;  le  Saint-Siège 
est  transféré  h  Avignon.  Pendant  plus  d'un  demi- 
siècle,  le  chef  de  l'Eglise  n'est  que  le  lieutenant 
d'un  souverain  laïque.  En  réalité  les  papes  sor- 
taient vaincus  d'une  lutte  qui  avait  duré  près  de 
trois  siècles.  Ils  devaient  renoncer  à  tenir  dans 
une  complète  dépendance  les  sociétés  civiles. 
Mais  cette  lutte,  que  des  hommes  énergique» 
avaient  fièrement  soutenue,  aux  dépens  mcnie  de 
la  papauté,  n'était  pas  sans  gloire.  Le  Saint-biège 
a  rendu  de  grands  services  au  monde  du  moyen 
âge  il  a  préservé  l'Europe  occidentale  de  la  do- 
mination allemande;  il  a  rudement  ébranle  une 
féodalité  orgueilleuse  et  re^loutable;  en  saillant 
contre  les  Césars  allemands  au  peuple  des  villes, 
il  a  révélé  à  celui-ci  toute  sa  force;  enfin,  il  a 
lancé  surlOccid.nt  ses  missionnaires  et  ses  iiioi- 
nes  sortis  du  peuple,  véritable  arme^-  révolution- 
naire, qui,  pour  lutter  contre  le  despotisme  laïque, 
jetait  îi  tous  les  vents  le  mot  de  liberté. 

Pendant  la  longue  lutte  du  sacerdoce  et  de  1  em- 
pire le  rc^gime  féodal  se  modifie.  Les  villes  gran- 
dissent; la  bourgeoisie  prend  de  l'importance. 
Alors  s'accomplii  ce  qu'on  a  appelé  la  révolution 
communale.  Dans  le  nord  de  l'Italie,  les  villes  qui 
ont  conservé  le  souvenir  des  constiiuttons  ro- 
maines, Pise,  Gènes,  Milan,  avaient  toujours  pos- 
sédé une  «  commune  ...  Le  commerce  les  mettait 
en  relations  permanentes  avec  le  midi  de  la  France. 
Là  aussi  les  communes  se  formèrent.  Les  chartes 
de  fondation  fureniimiiées  en  Espagiieeten  Portu- 
gal. Les  communes  du  Norddérivent  surtout  des  as- 
sociations de  marchands  ou  gliilds,  dont  on  signale 
l'existence  en  Flandre,  en  Angleterre,  dans  les  Etats 
Scandinaves,  en  Allemagne,  en  Russie.  Dans  ces 
pays,  comme  dans  la  Fiance  septentrionale,  le 
mouvement  communal  ne  s'est  pas  opère  sans 
troubles.  Il  a  fallu  lutter  contre  une  aristocratie 
jalouse,  conquérir  les  chartes  d'indépendance.  De 
là  les  associaiions  de  communes,  la  H-inse,  ou 
union  des  armateurs  du  Noid,  la  ligue  du  Rhin 
formée  par  les  villes  de  commerce  situées  le  long 
du  fleuve.  Du  nord  au  midi,  les  villes  deviennent 
puissantes.  Des  relations  s'établissent  entre  elles 
Déjà  l'horizon  semble  s'élargir.  La  foi  religieuse 
n'est  plus  désormais  le  seul  mobile  q">  PP^^f» 'f 
hommes.  Dès  la  iroisiome  croisade  ("**•'■, If.""" 
blesse  i.resque  seule  figure  dans  ces  expéditions 
plus  pompeuses  qu'utile-.  La  bourgeoisie  sadonne 
au  commerce  et  s'enri.hit.  A  la  nob!es-e  de  nais- 
sance elle  oppose  une  noblesse  de  fortune.  Adver- 
saire de  la  féodalité,  elle  est  l'alliée  naturelle  de 


MUYLIN   AGE 


—  1363  — 


MOYEN   AGE 


tous  ceux  qui  luttont  contre  les  institutions  féo- 
dales. 

En  France,  la  bour<;eoisio  s'est  alliée  de  bonne 
heure  ii  la  royaulo.  Dans  cette  alliance,  elle  a 
perdu  l'indépendance  communale,  mais  cette  indé- 
pendance, i  la  fin  du  xii*  siècle,  dégénérait  déjà 
en  de  graves  désordres.  Sous  Louis  VI,  Louis  VII 
et  surtout  Philippe-Auguste,  la  royauté  française 
so  développe,  au  temps  où  dans  d'autres  pays,  en 
Allemagne,  en  Angleterre,  dans  les  Etats  Scandi- 
naves, les  rois  luttent  péniblement  pour  le  main- 
tien do  leur  autorité.  Dans  l'Europe  troublée,  la 
Franco  apparaît  comme  un  pays  véritablement  uni 
et  désormais  réglé.  Suger  a  donné  i  la  royauté  la 
force  qui  lui  manquait.  Saint  Bernard  réforme 
l'Eglise  de  France.  Abailard  le  philosophe  «  met  à 
jour  les  secrets  de  Dieu,  et  jette  au  vent  les  plus 
hautes  questions.  »  Ses  disciples  vont  répandre 
dans  le  monde  la  pensée  libre  du  maître.  Arnaud 
do  Brescia  sera  pendu  à  Rome  pour  avoir  rêvé  de 
république.  Le  politique  qui  a  dégagé  la  royauté 
des  entraves  féodales,  le  théologien  qui  demande 
à  la  raison  la  confirmation  de  la  foi,  le  penseur  qui 
voudrait  sonder  tous  les  mystères,  annoncent  des 
temps  nouveaux.  L'aristocratie  féodale  est  comme 
rejetéo  au  second  plan.  Les  rois  et  les  peuples  sont 
en  présence,  moins  pour  se  combattre  que  pour 
s'unir.  De  cette  union  toute  politique  la  cojisé- 
quence  est  pour  les  uns  la  force,  pour  les  autres 
la  richesse,  plus  de  sécurité,  la  gloire  enfin  des 
lettres  et  des  ans. 

3.  et  4'  périodes,  du  XIII»  siècle  à  l'an  1453. 
—  Le  xm"  siècle  marque  l'apogée  de  la  France 
au  moyen  âge.  Philippe-Auguste  et  surtout  saint 
Louis  ont  organisé  le  pouvoir  royal.  Les  commu- 
nes, de  gré  ou  de  force,  se  soumettent  il  l'auto- 
rité des  prévôts  du  roi.  Le  midi  de  la  France, 
dompié  par  la  terrible  guerre  des  Albigeois,  de- 
vient moins  étranger  au  reste  du  royaume.  La  féo- 
dalité, frappée  par  Philippe- Auguste,  s'incline  avec 
respect  devant  Louis  )X  dont  l'Eglise  a  fait  un 
saint.  L'Allemagne  est  en  proie  aux  troubles  du 
grand  interrègne;  l'Italie  est  déchirée  par  les 
g'ierres  civiles  ;  l'empire  grec  d'Orient  a  disparu 
ponr  faire  place  à  un  empire  latin;  l'Angleterre 
est  affaiblie  par  les  longues  luttes  des  barons,  des 
bourgeois  et  des  rois  ;  la  Suède  est  attristée  par 
les  drames  sanglants  doiit  le  palais  des  Foikungs 
est  le  théâtre;  seuls  le  Danemark  et  la  Grande- 
Hanse  ont  quelque  puissance  dans  les  régions  du 
Nord.  Au  milieu  de  ce  désordre  général,  la  France 
voit  s'accomplir  avec  lenteur  mais  sûrement  l'œu- 
vre de  l'unification  territoriale.  Son  inlluence  est 
prépondérante  sur  la  Méditerranée,  à  Montpellier, 
à  Marseille,  dans  les  Deux-Siciles,  où  s'établit  une 
maison  française,  dans  la  Moréê  occupée  surtout 
par  des  chevaliers  français,  à  Constanlinople  où 
régnent  des  empereurs  latins  soutenus  par  la 
Franco,  en  Egypte,  où  domine  notre  influence 
commerciale  ;  saint  Louis  essaye  même  de  fonder 
un  établissement  chrétien  h  Tunis  Dans  le  même 
temps,  le  français  tend  à  devenir  la  langue  de  la 
science;  il  est  déjà  celle  de  la  poésie.  L'université 
de  Paris,  fréquentée  par  des  étudiants  de  toutes 
nations,  brille  d'un  éclat  incomparable.  Guillaume 
do  Samt-Amour,  OJon  de  Douai,  Chrétien  de 
Beauvais,  Rutobœuf.  JoinviUo,  saint  Bonaventure, 
saint  Thomas,  un  des  plus  ailmirables  génies  du 
moyen  âge,  publient  leurs  ouvrages.  Des  corpora- 
tions d'archit.'Ctes  et  de  maçons  couvrent  la  France 
et  l'Europe  occidentale  de  magnifiques  cathédrales. 
Le  royaume,  riche  et  prospère  à  l'intérieur,  reçoit 
u.ie  organisation  administrative.  Le  parlement  est 
hxé  a  Pans,  les  états  généraux  sont  assemblés. 
A  1  extérieur,  la  France  devient  redoutable  sous 
1  hilippe  le  B.l,  l'ennemi  des  Anglais  et  le  vain- 
queur des  pape.i;. 
Mais  Cette  ère  de  prospérité  s'arrête  brusque- 


ment au  xiv'  siècle.  Une  lutte  qui  devait  durer 
cent  ans  met  aux  prises  la  France  et  l'Angh'terre. 
Les  deux  pays  sont  ruinés.  Il  faudra  plus  tard  les 
gouvernements  de  Charles  VII  et  de  Louis  XI  en 
France,  pour  réparer  les  malheurs  que  le  sage 
Charles  V  n'avait  pu  conjurer.  Cette  guerre  terri- 
ble est  loin  d'ailleurs  de  desservir  la  France.  Le 
patriotisme  naît  enfin,  et  Jeanne  d'Arc  en  est  la 
piTsonnification  éclatante.  Les  provinces  occupées 
par  les  Anglais  reviennent  à  la  couronne,  et  ce 
retour  resserre  le  lien  qui  unissait  déjà  les  autres 
pays  do  France. 

L'Angleterre,  après  la  guerre  étrangère,  connaît 
la    guerre    civile  ;    elle    subit   la   sanglante    que- 
relle des  deux  Roses.  L'aristocratie  en  sort  dé- 
cimée, et  Henri  Vil  (148j)   peut  sans  difficultés 
établir   le    pouvoir    absolu   chez   une   nation   très 
attachée    pourtant    à    ses    droits.    L'Espagne    va 
bientôt  trouver  l'unité  nationale,  sous  Ferdinand 
et  Isabelle.  L'Italie  voit  tomber   les   républiques. 
Des  familles  priocières  régnent  à  Milan  et  à  Flo- 
rence, comme  à  Naples.  Venise,  seule  des  grandes 
villes  italiennes,  conserve    sa   constitution   répu- 
blicaine et  aristocratique.  L'Allemagne,  si  long- 
temps divisée,  a   comme  pressonii  l'unité  possi- 
ble, sous  la  dynastie  des  Luxembourg.  Mais  cette 
famille  slave,  dont  Prague  est  la  capitale   de  pré- 
dilection, ne    saurait    plaire   aux   Allemands.   En 
H'-W,  la  couronne  impériale  revient  à  la  maison 
vraiment    allemande   des    Habsbourg.    Les    Etats 
Scandinaves,  Suède,  Norvège  et  Danemark,  signent 
en    Li9"   l'union   de   Calmar,  et  n'ont  plus  qu'un 
seul  souverain.  L'Orient,  perdu  lentement  par  les 
Grecs,  est  occupé  par  les  Turcs,  qui,  en  1453,  en- 
trent à   Constantinople,  consolident  leur  pouvoir 
dans  la   presqu'île   des  Balkans,  et  fondent  une 
1  administration  solide  sur  cette  terre  classique  du 
désordre.  La  Russie  enfin,  envahie  par  les  Tatares 
au    xiii"    siècle,    secoue    leur    domination    sous 
Ivan  III  (14G.3J.  Moscou  devient  la  capitale  défini- 
;  tive  d'un  monde   qui  se  dégage  des  ténèbres  du 
I  moyen  âge.   Dans  toute  l'Europe,  «  nous   voyons 
]  la  même  tendance  à  la  centralisation,  à  l'unité,  à 
la  formation  et  à   la  prépondérance  des   intérêts 
généraux,  des  pouvoirs  publics.  » 
Une  révolution  s'accomplit  en  effet  au  xV  siè- 
'  cle.  Au  régime  féodal  et  aux   constitutions  com- 
munales, qui  n'avaient  pu  rien  produire  de  dura- 
!  ble,   on  substitue  un    ordre   politique   fondé  sur 
,  l'absolutisme  du  pouvoir  royal.  Cette  révolution 
;  rencontre  sans  doute  des  résistances.  A  la  fin  du 
j  xiV  siècle,  des  troubles  éclatent  en  France  sous 
j  Charles    VI,  en   Angleterre  et  en    Allemagne,  où 
I  deux  souverains  sont  déposés,  dans  les  Flandres 
j  dont  les    grandes  et   tumultueuses   cites   sont  le 
foyer  révolutionnaire  de  l'Europe.  Ce  mouvement 
J  s'apaise  dans  la  seconde  moitié  du  xv=  siècle.  Le 
principe  du  pouvoir  personnel  l'emporle   dans  la 
,  politique,  au  moment  où  les  idées  démocratiques 
bouleversent  l'Église. 

En  131s,  la  nomination  de  deux  papes  provoque 
le  Grand-Schisme.  En  1409.  la  chrétienté  a  trois 
papes  à  sa  tète.  Pour  réformer  les  déplorables 
abus  de  l'Église,  des  conciles  se  réunissent  à  Con- 
stance f  141  il,  à  Bàle  (li:il).  Malgré  les  proposi- 
j  tiens  démocratiques  de  Gersoii,  d'Ailly,  des  doc- 
teurs français  et  anglais,  ces  conciles  ne  par- 
j  viennent  pas  à  limiter  l'autorité  des  papes.  Les 
gouveinenients  laïques  fixeront  eux-mêmes  des 
barrières  au  pouvoir  pontifical',  par  des  pragmati- 
ques sanctions.  D'ailleurs,  pour  n'avoir  pas  per- 
mis une  réforme,  l'Église  est  menacée  d'une  révo- 
lution. Les  Flandres  et  l'Angleterre,  depuis  le 
tenip";  de  Wicleff,  sont  hostiles  à  Rome.  A  Con- 
stance, le  pape  et  l'empereur  ont  fait  brûler  Jean 
Huss  et  Jérôme  de  Prague.  Mais  l'Allemagne  cen- 
tral', est  ravagée  par  une  guerre  de  religion.  Le 
désordre  est  au  comble.  En  Saxe,  sur  les  bords  du 


MUSCLES 


—  1364  —        MULTIPLICATION 


Rbin.  dans  les  universités  allemandes  se  forment 
de  libres  associations  d'étudiants,  dont  l'espfit  et 
les  tendances  annoncent  la  Rél'oinie. 

Le  mouvement  littéraire  du  \y'  siècle  vient  ap- 
porter encore  dos  forces  nouvelles  aux  idées  démo- 
cratiques. L'imprimerie,  répandue  déjà  avant 
1453,  est  un  agent  de  progrès,  le  plus  rapide  et  le 
plus  sûr  que  les  liommes  aient  jamais  connu. 
Plus  de  morcellement  comme  dans  les  temps  pas- 
sés, plus  de  pouvoirs  locaux,  plus  d'idées  locales. 
Le  domaine  dos  esprits  s'étend;  l'intelligence  des 
hommes,  mieux  cultivée,  deviendra  plus  libérale 
et  plus  haute.  La  Renaissance  fera  aimer  la  liberté. 
La  politique  aussi  est  simplifiée.  D'un  côté  se 
dressent  les  rois,  qui  marchent  vers  le  despotisme 
personnel,  de  l'autre  les  peuples  qui  obéissent  et 
souffrent,  mais  qui  rêvent  déjà  d  indépendance. 
[L.-G.  Gourraigne.] 
MOYF.rraE  PR0l'0RTI01>?il  LLIi.  —  V.  Li'jn'S 
proportiont'tttes. 

ML'SCLES.  —  Zoologie  et  Physiologie,  XXXVL 
—  Définition.  —  Les  muscles  sont  des  oiganes 
fibreux  qui,  sous  l'influence  de  la  vulonlé,  ou 
d'excitations  étrangères  à  celle-ci,  sont  capables 
de  se  raccourcir  dans  le  sens  do  leurs  fibres  et 
provoquent  les  mouvements  des  parties  auxquelles 
ils  sont  insérés. 

Diverses  espèces  de  muscles.  —  Il  y  a  deux  grou- 
pes principaux  de  muscles  :  1°  les  muscles  à  fibres 
striées;  i°  les  muscles  à  fibres  lisses. 

Le  premier  groupe  se  subdivise  lui-même  en 
deux  catégories  de  muscles,  ceux  qui  s'insèrent 
sur  1rs  os  et  font  mouvoir  les  pièces  du  squelette 
en  obéissant  à  la  volonté,  et  ceux  qui  forment  la 
paroi  cliarciue  du  cœur  et  déterminent,  en  se  con- 
tractant, la  dilatation  et  la  contraction  do  ce  vis- 
cère. 

Le  groupe  des  muscles  à  fibres  lisses  comprend 
ceux  qui  sont  annexés  aux  viscères  (le  cœur 
excepté),  et  les  mettent  en  mouvement  en  se  rac- 
courcissant indépendaiTiraent  de  la  volonté. 

Muscles  a  fibiies  srniÉiîs.  —  I»  Muscles  du  sque- 
lette. —  Ilssont constituésparlajuxtaposition  d'un 
très  grand  nombre  de  filaments  microscopiques 
appelés  fibrilles  musculaires,  ayant  jL.  je  milli- 
mètre environ,  et  tous  dirigés  dans  le  même  sens, 
ou  bien  pouvant  diverger  par  faisceaux,  ou  bien 
encore  pouvant  devenir  concentriques  et  constituer 
un  anneau  circulaire  autour  de  certaines  ouver- 
tures. La  fibrille  musculaire  est  coupée  transver- 
salement par  des  bandelettes  alternativement 
blanches  et  rouges,  d'où  résulte  leur  aspect  strié. 
Les  fibrilles,  se  groupant  en  faisceaux,  constituent 
les  fibres  musculaires  dont  la  réunion  forme  le 
muscle  tout  entier  ;  celui-ci  est  recouvert  par 
une  membrane  appelée  api  n<  vi  ose,  très  résistante, 
luisante,  qui  se  replie  dans  son  intérieur  pour 
déterminer  des  cloisons  si' p:irant  des  groupes  do 
fibres.Sur  l'aponévrose  s'insèrent  les  fibrilles  mus- 
culaireSj  et  cette  membrane  se  cent  nue  à  chaque 
extrémité  du  muscle  par  un  ligament  fibreux,  le 
tendon,  dont  les  éléments  sont  aussi  en  continuité 
avec  les  fibres  musrulaires.  C'est  par  l'intermé- 
diaire des  tendons  que  les  muscles  s'attachent 
au  périoste  (gaine  fibreuse  des  os).  On  conçoit 
dès  lors  que  du  raccourcissement  simultané  de 
toutes  les  fibres  musculaires,  il  résulte  des  trac- 
tions sur  les  pièces  articulées  du  squelette,  et  que 
celles-ci  puissent  exécuter  des  mouvements.  Lors- 
que les  niusclis  entrent  en  jeu,  leur  tempéra- 
ture augmente,  et  ils  transforment  une  grande 
quantité  de  sang  artériel  en  sang  veineux.  C"s  or 
ganes  sont  sous  la  dépendance  des  nerfs  raciii- 
diens.  Lorsque  l'on  coupe  un  nerf  qui  se  rend  à  un 
muscle,  celui-ci  perd  la  faculté  de  se  mouvoir  vo- 
lontairement. 

Les  muscles  do  la  vie  animale,  ceux  que  nous 
venons  d'étudier  en  général,  recouvrent  ordinaire- 


ment les  os;  dans  la  région  du  tronc,  ils  consti- 
tuent les  parois  charnues  des  ca>ités  thoracique 
et  abdominale.  Sur  le^  membres,  ils  sont  groupés 
par  faisceaux  musculaires,  ne  délimitant  pas  de 
cavité.  Dans  les  intestins,  ils  couvrent  les  vais- 
seaux et  les  nerfs  ;  ils  sont  recouverts  par  la  peau, 
qui,  au  niveau  de  certains  inteivalles  musculaires 
(bouche,  nez,  anus),  se  modifie  en  muqueuse  pour 
former  la  membrane  qui  tapisse  intérieurement  la 
surface  des  viscères. 

2°  Muscles  du  ro'ur.  —  La  couche  musculaire 
du  coeur  est  formée  de  fibrilles  musculaires  striées, 
plus  fines  que  celles  des  muscles  ordinaires.  Elles 
présentent  de  plus  un  caractère  qu'elles  ont  de 
commun  avec  celles  de  la  langue,  d  èiro  anastomo- 
sées, c'est-à-dire  d'êire  réunies  entre  elles  par  de 
petites  branches  transversales  et  obliques. 

Muscles  a  fibkes  lisses.  —  Jamais  ils  ne  sont  sou- 
mis à  la  volonté;  ils  se  contractent  sous  l'in- 
fluence de  filets  nerveux  appartenant  au  système 
nerveux  de  la  vie  organique,  et  sont  généralement 
situés  dans  les  parois  des  viscères.  Dans  l'intestin 
en  particulier,  ils  forment  une  couche  superposée 
à  la  muqueuse,  composée  défibres  longitudinales, 
coupées  perpendiculairement  par  des  fibres  trans- 
versales :  au  niveau  de  l'estomac  s'ajoutent  des 
fibres  obliques.  Les  fibres  ont  jfj  à  -i^  de  millimè- 
tre de  longueur;  leur  diamètre  le  plus  grand  est 
en  moyenne  de  -r^  de  millimétro;  elles  sont  fusi- 
formes,  blanches,  et  présentent  un  noyau  allongé 
dans   leur  région  centrale.  [G.  l'hilippon.] 

ML'LllI'LIC.iTlOIV.  —  Arithmétique,  VI- VIU.— 
1.  —  On  renconire,  dans  l'addition,  un  cas  particu- 
lier remarquable  :  c'est  celui  où  tous  les  nom- 
bres à  additionner  sont  égaux.  Soit  proposée  cette 
addition  : 

658 
658 
658 
658 
658 
658 

4606 

On  voit  qu'ici  l'opération  a  pour  but  de  répéter 
7  fois  le  nombre  058;  elle  prend  alors  le  nom  de 
multiplication.  Le  nombre  658  que  l'on  répète 
s'appelle  le  mnHiplicinile;  le  nombre  7.  qui  indi- 
que combien  de  fois  on  répète  le  multiplicande, 
s'appelle  le  multiplicateur,  et  le  résultat  de  I  ope- 
ration  porte  le  nom  de  pro'vit.  Le  multiplicande 
et  le  muLiplicateur  sont  les  deux  fncieurs  du 
produit.  En  faisant  l'addition  à  la  manière  ordi- 
naire on  reconnaît  que  Ii58  multiplie  par  7  donne 
pour  produit  4Gii6.  Mais  l'opération  peut  se  faire 
d'une  manière  plus  simple.  On  remarque  en  effet, 
que  la  colonne  des  unités  ronfe-rme  7  fois  le  cliiB're 
8-  le  résultat  de  l'addition  de  cette  colonne  est 
donc  le  résultat  de  la  multiplication  de  8  par  7. 
De  même  la  colonne  des  dizaines  renferme  7  lois 
le  chiffre  5;  et  l'addition  de  cette  colonne  a  pour 
résultat  le  produit  de  5  par  7.  On  verrait  de  même 
que  le  résultat  de  l'addition  de  la  colonne  des 
centaines  est  le  produit  de  G  par  7.  Si  donc  on 
savait  d'avance  les  |  réduits  des  nombres  8,  5,  0 
par  7  l'opération  se  trouverait  abrégée;  on  dirait  : 
7  fois  8  font  5B,  je  pose  6  et  retiens  5  ;  -  7  fois  o 
font  35,  et  5  de  retenue  font  40,  je  pose  0  et  re- 
tiens 4  •  —  7  fois  ti  font  4-2,  et  4  do  retenue  font  46, 
je  pose'e  et  avanpe  *,  ce  qui  donne  bien  46011. 

La  même  simplification  se  présenterait,  toutes 
les  fois  que  le  muliiplicateur  ne  dépasse  pas  .1, 
si  l'on  savait  par  cœur  les  produits  des  nombres 
d'un  chiff.-e  p:T  les  nombres  d'un  chiffre.  Ces  pro- 
duits sont  reunis  dans  le  tableau  ci-dessous,  au- 


MULTIPLICATION 


—  13G3  —        MULTIPLICATION 


(luel  on  donne  le  nom  de  TahU  de  mulUplicatvm 
(ou  Table  de  Pyiliagorc,  du  nom  du  pliilosoplie 
auquel  on  en  attribue  l'invention). 

î.  —  Table  de  multiplication. 


1 

3 
4 

6 

7 
S 
9 

2 

■ï 

6 

8 

10 

12 

14 

1(1 

18 

3 
G 

11 
12 
1.', 
18 
21 
2i 

4 
8 
12 
10 
20 

28 
32 
3C 

10 
15 
2i) 

30 
35 
40 

45 

(1 

12 

18 

24 

30 

36 

42 

48 

51 

7 

14 

21 

28 

35 

42 

40 

5G 

63 

8 
16 
24 
32 
40 
48 
50 

i;4 

"2 

9 

18 

27 

36 

45 

54 

63 

72 

81 

produit  prccéd(!nt   (s'il  y  en   a  une).  L  opération 
n'est  ici  qu'une  addition  abrogée. 

5.  —  Supposons  maintenant  que  le  multiplicande 
et  le  muluplicaieur  aient  un  nombre  quelr.onque 
de  chiffres,  et  soit,  par  exemple,  îi  multiplier 
250  319  par  4087. 

250319 
4087 


Iu23u53753 


Pour  former  cette  table,  on  écrit  sur  une  pre- 
mière ligne  horizontale  les  9  premiers  nombres. 
On  forme  une  seconde  ligne  horizontale  en  ajou 
tant  à  eux-mêmes  les  nombres  de  la  première. 
Ou  forme  la  troisième  horizontale  en  ajoutant  aux 
nombres  de  la  seconde  ceux  de  la  première;  on 
forme  la  quatrième  ligne  horizontale  en  ajoutant 
aux  nombres  de  la  troisième  ceux  de  la  première, 
et  ainsi  de  suite  jusqu'à  la  neuvième  ligne. 

Pour  se  servir  de  la  table,  on  prend,  dans  la 
première  colonne  verticale,  le  multiplicande,  et 
l'on  suit  la  ligne  horizontale  qui  commence  par 
le  multiplicande  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  à  la  co- 
lonne verticale  qui  commence  par  le  multiplica- 
teur; le  nombre  inscrit  à  la  rencontre  de  ces  deux 
lignes  est  le  produit  que  l'on  cherche.  Ainsi,  pour 
trouver  le  produit  de  8  par  7,  je  prends  dans  la 
première  colonne  verticale  le  nombre  »,  et  je  suis 
la  ligne  horizontale  commençant  par  8  jusqu'à  ce  , 
que  j'arrive  à  la  colonne  verticale  commençant 
par  7  ;  le  nombre  50,  inscrit  à  la  rencojitre  de  ces 
deux  colonnes,  est  le  produit  de  S  pur  7. 

3. —  On  a  vu,  dans  la  numération,  que  l'on  rend  i 
un  nombre  10  foi-;  plus  grand  en  mettant  un  zéro  à 
sa  droite;  on  le  rend  100  fois  plus  grand,  en  met-  I 
tant  deux  zéros  à  sa  droite:  lOO  l  fois  plus  grand 
en  mettant  trois  zéros,  et  ainsi  de  suite.  Par  con-  , 
séquent,  lorsqu'il  s'agit  de  multiplier  un  nombre  i 
par  10,  100,  lOUO,  lOOJO,  etc.,  il  suftit  d'écrire,  à 
la  droite,  un,  deux,  trois,  quatre  zéros,  etc.  Par 
exemple  le  produit  de  75^1  par  lOOo  est  759000. 

4.  _  Les  règles  de  la  multiplication  se  déduisent 
aisément  de  ce  qui  précède. 

Supposons  d'abord  que,  le  multiplicande  étant 
quelconque,  le  multiplicateur  soit  un  nombre 
d'un  seul  chiffre;  et  soit,  par  exemple,  à  multi- 
plier 05«  par  7.  On  écrit  le  multiplicateur  au- 
dessous  du  multiplicande: 

058 

7_ 

4000 

et  on  les  sépare  par  un  trait  du  produit  à  chercher. 
Faisant  ahn's  usage  de  la  table  de  multiplication, 
oh  muliiplie  successivement  cliaque  chiffre  du 
multiplicande  par  le  muUiplicatour,  en  ajoutant  à 
chacun  de  ces  produits  la  retenue  provenant  du 


L'opération  a  pour  but  de  répéter  4087  fois  le 
multiplicande.  Pour  y  parvenir,  nous  le  répéterons 
d'abord  7  fois,  puis  80  fois,  puis  400O  fois.  La  pre- 
mière opération  partielle  rentre  dans  lo  premier 
cas,  et  l'on  obtient  pour  premier  produit  1752  233, 
que  l'on  écrit  au-dessous  du  trait.  Il  s  agit 
maintenant  de  répéter  le  multiplicande  80  fois; 
mais  comme  8  i  n'est  autre  chose  que  lu  fois  S, 
on  arriveia  au  résultat  en  répétant  le  multipli- 
cande N  fois,  et  en  répétant  10  fois  le  résultat 
obtenu.  Le  produit  du  multiplicande  par  8  est 
■1002552,  et  pour  le  répéter  10  fois  il  suffirait  de 
mettre  un  zéro  à  la  droite;  on  l'écrirait  alors  au- 
dessous  du  premier  produit  partiel;  mais  on  peut 
se  dispenser  décrire  le  zéro  :  il  suffit  de  placer 
le  premier  chiffre  à  droite  du  produit  partiel  con- 
sidéré, au  rang  des  dizaines,  c'est-à-dire  au-des- 
sous du  chifl're  8  par  lequel  on  a  multiplie.  Reste 
à  répéter  le  multiplicande  400'  fois.  Comme  40110 
revient  à  lOOO  fois  4,  on  obtiendra  le  résultat 
cherché  en  répétant  le  multiplicande  4  fois,  et  en 
multipliant  le  résultat  par  lOOii,  ce  à  quoi  on  par- 
viendra sans  écrire  de  zéros  à  la  droite  du  pro- 
duit partiel  obtenu.  lOOlïTii,  mais  en  plaçant  le 
chiffre  6  do  ses  unités  au  rang  des  mille,  c  est-à- 
dire  sous  le  chiffre  4.  par  lequel  on  a  multiplié. 

On  tire  alors  un  trait  au-dessous  du  dernier  pro- 
duit partiel,  on  fait  la  somme  de  ces  produits 
partiels,  ce  qui  donne  le  produit  total  1  0'.'3o53  753. 

6  —  Il  peut  arriver  que  le  multiplicande  ou  le 
multiplicateur,  ou  tous  deux  à  la  fois,  soient  ter- 
minés par  des  zéros;  on  peut  alors  laire  la  multi- 
plication s  ins  avoir  égard  à  ces  zéros,  sauf  à  écrire 
à  la  droite  du  prortuit  autant  de  zéros  qu  il  y  en 
avait  au  multiplicande'  et  au  multiplicateur.  Si,  par 
exemple,  on  avait  h  n.nl.iplirr  9  000  par  OOO,  cela 
reviendrait  à  m^^Wr,A\rr  mio-i  par  0,  et  :\mulliplier 
le  résultat  par  .on,  w  \-   produit   de   90U0  par  6 

'  est  54  000,  et  pour  inullipiier  ce  résultat  par  100, 
il  faut  écrire  deux  zéros  à  la  droite,  cequi  donne 
5400000.  On  voit  que  ce  résultat  n  est  autre 
chose  que  le  produit  51  de  9  par  0,  à  la  droite  du- 

I  quel  on  a  mis  les  trois  zéros  du  multiplicande  et 

I  les  deux  zéros  du  multiplicateur. 

7  —  L-i  rèqli'  'Ip  In  mnliipUcalion  peut  S  énoncer 
de  la  manière  suivante  :  Écrivez  te  mulliphcnleur 
au-ilessous  du  muUtfdic.d-,  et  tirez  un  trait  nu- 
dessous   d„  mullii'li'-'itmr;  mulUiMez  sncces^we- 

'  ,nent  rlKiiiiir  rhiiïn-  du  multiplicande  par  les 
unités  du  L„/l,,,u,.,lno:  en  ayant  soin  d'ajouter 
à  cliaa..r  ,.n.d,ul  bi  'eteniK-  prnvennnl  du  produit 
pié-eàenl-  fermez  'le  In  même  m-miere  le  pro'iuit 
du  multplicnnde  par  chaque  chpedn  multudicn- 
leur  en  niiont  snin  de  p  a'-.er  (>:s  unités  du  produit 
vartirt  ■iniU  /-  rlii/frr  ■/"  inidlii.ticateurqui  a  lourni 
{■'):'„ /ni'  nnrft^'l:  lirrz  un  trait  sons  Ic  dernier 
',/,,/  ,„irii'i,  r'  f'ii  es  Ift  somme  de  tous  ces 
produil-u  c,- st-rn  k- produit  total. 

Si  le  multiplicnnde  et  le  multiplicateur  snnt 
terminés  par  des  zéros,  failes  la  mul  il'l":">'on 
sans  avoir  éqard  à  ces  zé'os,  et,  à  la  droi'e  du 
produit  ohtriiu.  placez  autant  de  zéros  qu  il  y  en 
avait  nu  ijidfiitlicande  C  au  multiplicateur. 

\     La  multiplication  se  désigne    par  le  caractère 


MULTIPLICATION        —  1366 


MULTIPLICATION 


Mais,  au  lieu  de  compter  5  unités  par  ligne  lieri- 
zonlale  et  do  les  répéter  3  fois,  on  peut  compter 
3  unités  par  colotine  verticale  et  les  répéter  b  Ibis. 
Ce  tableau    représente   donc    indifféremment    le 


celte  ligne;  nous  aurons  ce  tableau  ; 


X  placé  entre  les  deux  facteurs.  Ainsi  7  X  "  '"di-  1  facteur  4  sur  une  même  ligne  et  répétons  3  fois 

que  le  produit  de  1  par  8;  de  même  369X13  indi-  '  — •"  '■ -  -"  ■-^•l■'-■  ■ 

que  le  produit  de  3C9  par  75. 

g.  Le  produit  dp  deux  nombres  reste  le  même, 

dans  quelque  or. ire  qu'on  les  tnultiplie.  Soit,  par 
exemple,  à  multiplier  5  par  3,  on  obtiendra  tontes 
les  unités  du  produit,  si  l'on  écrit  h  unités  sur 
une  même  ligne,  et  qu'on  écrive  3  de  ces  lignes 
comme  l'indique  le  tableau  ci-dessous  : 


qui,  lorsque  l'on  compte  par  lignes  horizontales, 
présente  bien  le  produit  de  4  par  5,  répéié  3  fois, 
c'est-à-dire  (4  X  5)  x  3.  Mais  si  l'on  compte  par 
lignes  verticales,  ce  même  tableau  présente  le 
produit  de  4  par  3,  répété  b  fois,  c'est  à-dire 
(4  X  3)  X  5.  Oes  deux  produits  sont  donc  équiva- 
lents ;  et  le  même  raisonnement  peut  s'appliquer 
à  des  nombres  quelconques. 

Il  en  ré^ulte  que  l'on  peut  intervertir  l'crdre  de 

deux    facteurs   consécutifs  quelconques,   et,  avec 

cette  faculté,  on  peut,  par  des  permutations   suc- 

r    I     I  cessives,  amener  chaque   facteur  à  occuper  dans 

produit  de  5  par  3,  ou  le  produit  de  .)  par  b.  Le  !  jg    produit  telle  place  que  l'on  voudra.    On   p,-ut 

raisonnement  étant  indépendant  des  noiiibres  5  et  i  ^^^^  admettre  comme  démontré  qu'un  p^oilvit  de 


3,  la  conclusion  s'applique  à  deux  nombres  quel- 
conques; ce  qui  démontre  la  proposition  énoncée. 

On  peut  la  vérifier  sur  la  table  de  multiplication; 
ainsi  7  X  8  et  8  X  1  donnent  également  56  ;  6X5 
et  5X11  donnent  également  30. 

Cette  propriété  sert,  à  faire  la  itreuve  de  la  mul- 
tiplication. La  preuve  d'une  opération  est  une  se- 
conde opération  que  l'on  exécute  pour  s'assurer  de 
l'exactitude  de  la  première.  La  preuve  de  la  mul- 
tiplication se  fait  naturellement  en  prenant  le 
multiplicateur  pour  multiplicande  et  le  multipli- 
cande pour  multiplicateur;  le  produit  doit  être 
le  même  Soit,  par  exemple,  h  multiplier  729  par 
358,  on  obtient  directement  2(jii,98-i  ;  et,  si  l'on 
recommence  l'opération  en  changeant  l'ordre  des 
facteurs,  on  obtient  le  même  produit;  ce  qui  petit 
faire  supposer  que  la  première  opération  était 
exacte  : 

729  358 

358  729 


5-32 
3645 
2187 

TûôâsF 


32  V  2 
716 
2506 

2GU982 


9.  _  Tout  produit  d'nn  nombre  par  un  autre 
est  ditni;. //i///e  du  premier.  Ainsi  le  produit  de  l7 
par  un  nombre  quelconque  est  un  multiple  de  17. 
Ainsi  encore  chaque  ligne  horizontale  de  la  table 
démultiplication  renferme  les  multiples  successifs 
du  nombre  placé  en  tête  de  cette  ligne  ;  il  en  est 
de  même  pour  les  nombres  inscrits  dans  une 
même  colonne  verticale. 

On  peut  avoir  à  faire  le  produit  de  plus  de  deux 
nombres;  on  peut  demander,  par  exemple,  de 
multiplier  4  par  3,  de  multiplier  le  produit  par  5, 
et  ce  dernier  produit  par  7.  C'est  ce  que  l'on  ap- 
pelle des  !i  uitipl  ridions  successives;  le  dernier 
résultat  est  regardé  comme  le  produit  de  tous  les 
facteurs  employés.  Dans  l'exemple  ci-dessus,  ce 
résultat  pourrait  s'écrire  : 

4x3X5X7. 

On  démontre  que  le  produit  final  est  indépen- 
dant de  l'ordre  des  multi|dications. 

10.  C.  S.  —  Dans  un  produit  de  plus  de  deux 
facteurs,  on  peut  toujours  intervertir  l'ordre  des 
deux  premiers,  puisque  la  multiplication  dont  il 
s'agit  précède  toutes  les  uutres,  et  que  dès  lors  on 
n'a  à  considérer  qu'un  produit  de  deux  facteurs. 

Mais  on  reconnaît  facilement  que  l'on  peut  in- 
tervertir l'ordre  de  deux  facteurs  consécutifs  quel- 
conques. Par  exemple,  au  lieu  de  multiplier  4  par 
5  et  le  produit  pur  •!,  on  peut  multiplier  4  p.;ir  :i. 
et  le  produit  par  5.   Ecrivons,  en  effet,  5   fois  le 


plusieurs  fadeurs  e>t  indépendunt  de  l'ordre  de 
ces  facteurs. 

II.  —  Au  lieu  de  multiplier  un  nr,mbre  succes- 
siiienieid  par  plusieurs  fœteurs,  on  ptut  le  mul- 
tiplier juir  le  proilidt  I  fffctiié  de  et'  mêmes  fac- 
tei'r.<.  Par  exemple  :  au  lieu  de  multiplier  4  suc- 
cessivement par  5  et  le  produit  par  3,  on  peut 
multiplier  4  parle  produit  effectué  de  .S  et  de   3. 

En  effet,  l'ordre  des  facteurs  successifs  étant 
indifférent,  on  a  : 

(4  X  5)  X  3  =  (5  X  3)  X  4 

ou,  en  changeant  l'ordre  de  ces  deux  facteurs, 

(4  X  5)  X  3  =  4  X  (5  X  3) 

ce  qui  démontre  la  proposition  pour  trois  facteurs. 

On  retendrait  de  la  même  manière  à  un  nombre 
de  facteurs  quelconque. 

CoROLLAinES.  —  l.  Pour  multiplier  tin  produit 
par  un  nombre,  il  suffit  de  multiplier  pur  ce 
nombre  un  quelconque  des  facteurs  du  produit. 
Je  dis,  par  exemple,  que,  pour  multiplier  par  II  le 
produit  4  X  5  X  3,  il  suffit  de  multiplier  par  1 1  le 
facteur  5.  On  a,  en  effet,  d'après  les  propositions 
précédentes, 

4x5x3xll  =  ix5xllx3  =  4x(5xll)x3 

le  signe  (5  x  M)  représentant  le  produit  effectué 
de  6  par  11.  Cette  égalité  démontre  la  proposi- 
tion. ,  .        , 

11.  On  rend  un  produit  2,3,4,  etc.  fois  plus 
grand  en  multipliant  par  V,  3,  4,  etc.  l'un  des 
facteurs  de  ce  produit.  . 

12.  _  Quand  tous  les  facteurs  d  un  produit 
sont  égaux,  ce  produit  es'  ce  que  l'on  appelle  une 
puissance  do  l'un  de  ces  facteurs  ;  cette  puissance 
est    d'ordre  marqué  par   le  nombre  des  facteurs 


3X3  représente  la  seconde  puissance  de  3  ; 
3X3X3  1*  troisième  puissance  de  3; 

3X3X3X3      li  quatr.ème  puissance  de  3  ; 

Pour  écrire  une  puissance  d'un  nombre,  on  se 
contente  décrire  ce  nombre,  et  l'on  place  à  sa 
droite,  et  un  peu  au-dessi^s,  un  nombre  que  l'on 
appelle  un  exiiosnnt  et  qui  indique  le  nombre  des 
facteurs  ésaux.  Ainsi,  32,  33,3',  36...,  représentent 
la  deuxième,  la  troisième,  la  quatrième,  la  cin- 
quième puissance  de  ;i,  etc. 

II  résulte  de  ce  qui  a  été  dit  au  numéro  II,  que 
multiiilier  un  nombre  successivement  par  2,  3, 
4.  eic.  fact'  urs  égaux  à  un  autre  nombre,  revient  à 
le  multiplier  par  la  seconde,  la  troisième,  la  qua- 


MUSACÉES 


—  1367  — 


MUSACEES 


trième,  etc.  puissance  de  ce  second  nombre.  Ainsi 
4  X.'>  X  5  X  .'i  revient  îi  4  X  &■'■ 

13.  KxEiiciOEs.  — Effectuer  les  produits  suivants: 


45(17x89:1 

.",0:t2   -.  lUC) 

12uOx80() 

ï  X  :i  X  4  x  r>  X  G. . 
CX.SXix:iX2.. 

7X»^ liop... 

S*XV Rép... 


nép. 

Hép. 
lîop. 
nép. 
lîép. 


4  0-8:i:îl 
35.1.' 592 
1000  001) 
■|20 
120 
507 
800 
[H.  Sonnet.] 
MVSACÊES.  —  Botanique,  XXV.  —  Étym.  :  le 
mot  Musai  ées  est  tiré  du  mot  latin  mus-i  par  le- 
quel on  désigne  les  bananiers. 

Définition.  —  Les  Musacces  sont  des  vi'gétaux 
monocotylédonés  caraclérisos  par  leur  fleur  irré- 
gulière liypogyne  avec  une  ou  plusieurs  étamines 
stériles.  Presque  tous  les  botanistes  réunissent 
aux  Musacces  les  familles  des  Zingi/iéracéi-s  et  des 
Cannnc'i'es,  pour  former  la  classe  des  Scitnminées. 
Eu  égard  à  l'utilité  majeure  que  présentent  les 
plantes  de  ces  deux  dernières  familles,  nous  fe- 
rons aussi  connaître  leurs  caractères  principaux 
par  comparaison  avec  ceux  des  Musacées. 

Caractères  t,oiani(jues.  —  Les  graines  des  Mu- 
sacées sont  ovoïdes  ou  triangulaires;  elles  pré- 
sentent souvent  un  arille  charnu  ou  membraneux 
(Ravmiilii),  ou  poilu  (Urama);  dans  ce  dernier 
cas,  r.irille  est  très  vivement  coloré  en  bleu  cé- 
leste ou  en  rouge  de  Saturne  ;  c'est  un  organe 
destine  à  favoriser  la  dissémination  des  graines. 
Le  tégument  séminal  de  ces  graines  est  extrême- 
ment épais,  très  solide,  et  fréquemment  relevé 
en  manière  de  bourrelet  autour  du  bile  ;  sous  le 
spermodorme,  on  trouve  un  albumen  farineux, 
blanc,  très  volumineux,  qui  doit  son  origine  aux  ma- 
tières nutritives  qui  se  sont  accumulées  dans  les  dc- 
■bris  du  nucelle  de  l'ovule  ;  nous  avons  donc  affaire 
dans  ce  cas  à  un  périsperme;  l'albumen  véritable 
fait  défaut.  Au  sein  de  cette  réserve  nntrilive  de 
nature  amylacée,  nous  remarquons  un  embryon 
plus  ou  moins  allongé,  mais  toujours  droit. 

La  germination  des  graines  des  Musacées  de- 
mande, pour  s'accomplir,  un  temps  considérable. 
La  tige  des  Musacées  se  réduit  à  une  liampe 
florale  qui  présente,  vers  sa  partie  supérieure, 
une  inflorescence  très  cbargce  de  fleurs,  et,  tout 
à  fait  à  son  extrémité,  un  gros  bourgeon  charnu 
utilisé  souvent  comme  légume,  et  qui,  très  sou- 
vent aussi,  sert  à  multiplier  les  Musacces  par 
bouture.  La  tige  ou  hampe  est  enveloppée  par  les 
gaines  persistantes  des  feuilles. 

Les  feuilles  sont  alternes,  pétiolces,  simples, 
entières,  très  volumineuses;  chacun  sait  en  effet 
que  les  nègres  utilisent  les  feuilles  de  bananiers 
pour  couvrir  leurs  cases.  La  nervure  médiane  de 
ces  feuilles  est  très  épaisse;  elle  émet  latérale- 
ment des  nervures  secondaires  tiès  fines,  paral- 
lèles entre  elles. 

Les  racin''s  des  Musacées  sont  presque  toutes 
dos  racines  adventives;  elles  sortent,  de  très 
bonne  heure,  de  toute  la  région  inférieure  de  la 
tige. 

La  fleur  présente  de  dehors  en  dedans  :  1°  un 
périanthc  formé  de  six  pièces  très  différentes  les 
unes  des  autres,  comme  dimensions,  comme  forme 
et  comme  coloration.  Les  six  pièces  de  ce  périan- 
the  sont  disposées  sur  deux  rangs,  et  toutes  sont 
insérées  au  sommet  même  de  l'ovaire;  2"  un  an- 
drocée  formé  de  six  pièces,  disposées,  elles  aussi, 
sur  deux  rangs  au  sommet  de  l'ovaire.  Des  six 
pièces  de  l'androcée,  cinq  sont  des  étamines  nor- 
malement constituées;  la  sixièm'^  est  une  foliole 
de  forme  variée  ;  3"  un  gynécée  formé  par  un  ovaire 
infère  à  trois  carpelles  ;  cet  ovaire  est  lui  même 
surmonté  d'un  style  très  long  terminé  par  un  stig- 
mate  globuleux   trilobé.  Les  ovules  sont  anatro- 


pes.  généralement  nombreux  dans  chaque  loge 
de  l'ovaire.  Ils  sont  bitégumentés  et  très  volumi- 
neux ;  on  les  trouve  dans  cha(|Uo  loge  dans  l'an- 
gle interne  de  la  loge  ;  ils  sont  insérés  sur  un 
seul  rang. 

Le  fruit  qui  résulte  de  la  transformation  de 
l'ovaire  des  Musacées  sous  l'influence  de  la  fé- 
condation est  une  sorte  de  gros  cylindre  charnu 
indéhiscent  chez  les  bananiers.  Uans  le  genre 
Knccnala,  le  fruit  est  une  capsule  ligneuse  à 
cloisons  très  épaisses,  qui  s'ouvre  à  la  maturité 
en  trois  valves.  La  structure  des  parois  de  la  ca- 
psule des  liavenatn  est  des  plus  compliquées. 

Les  Zingibrracées  se  distinguent  des  Musacées 
par  ce  fait  que  toutes  le»  pièces  de  leur  androcée 
sauf  une  seule  sont  transformées  en  lamelles  folia- 
cées. La  dernière  pièce  de  l'androcée  est  une  éta- 
mine  régulièrement  constituée.  Les  Zingibéracées 
ont  de  plus  leurs  ovules  disposés  sur  deux  rangs 
dans  chacune  des  loges  de  leur  ovaire. 

La  graine  des  Zingibéracées  présente  souvent 
un  arille  ;  son  spermoderme  s'élève  aussi  en 
forme  de  bourrelet  autour  du  micropyle.  Vu  l'é- 
paisseur excessive  du  tégument  de  la  graine, 
colle-ci  demeure  entière  au  moment  de  la  germi- 
nation ;  l'embryon  doit,  pour  se  trouver  en  liberté, 
soulever  une  sorte  de  petit  couvercle  conique 
produit  par  une  transformation  des  plus  sini.'u- 
lières  des  bords  du  micropyle.  Les  graines  des 
Zingibéracées  ont  un  double  albumen.  L'albumen 
externe  ou  périsperme  est  de  nature  amylacée  ; 
il  correspond  à  l'albumen  des  Musacées  ;  l'albu- 
men interne  est  de  nature  charnue,  huileuse  ; 
c'est  le  véritable  albumen,  celui  qui  se  produit 
autour  de  l'embryon  dans  l'intérieur  même  du 
sac  embryonnaire. 

Les  Zingibéracées  ont  souvent  des  rhizomes 
souterrains,  rampants  et  vivaces,  qui  émettent  de 
distance  en  distance  des  tiges  aériennes  ou  des 
hampes  florales.  Les  autres  caractères  des  Zingi- 
béracées ne  diffèrent  pas  des  caractères  correspon- 
dants des  Musacées. 

Les  Cannacées  sont  des  Zingibéracées  dont 
l'étamine  fertile  est  à  demi  stérilisée  ,  c'est-à-dire 
que  l'une  des  loges  de  l'antlière  des  Zingibéracées 
demeure  stérile;  l'étamine  elle-même  est  trans- 
formée en  une  sorte  de  languette  foliacée.  Le 
style  (les  Cannacées  diffère  aussi  de  celui  des 
Zingibéracées  par  sa  forme  en  languette.  L'em- 
bryon des  Cannacées  est  courbé  en  cercle,  tandis 
que  celui  des  Musacées  et  celui  des  Zingibéracées 
sont  droits.  La  graine  des  Cannacées  no  présente 
qu'un  seul  albumen  amylacé,  ((ui  correspond  à 
l'albumen  externe  des  Zingibéracées.  La  graine 
du  T/ittlia  dealhnta,  une  Cannacée,  mérite  une 
mention  toute  spéciale  à  cause  du  singulier 
organe  disséminateur  dont  elle  est  pourvue. 
Dans  l'épaisseur  de  l'albumen  de  cotte  graine, 
on  trouve  deux  canaux  demi -circulaires  pleins 
d'air;  ces  deux  canaux  communiquent  entre 
eux  dans  la  région  du  bile.  Tout  cet  appareil 
est  disposé  de  telle  façon  que  la  graine  du  Tha- 
liii,  étant  placée  dans  l'eau,  vient  flotter  à  la  sur- 
face, le  hile  sortant  notablement  du  liquide. 
De  la  sorte,  la  graine  peut  nager  pendant  assez 
longtemps.  A  l'état  sauvage,  les  Tlmlia  habitent 
les  bords  des  lacs  peu  profonds.  Leurs  graines 
miires  tombent  dans  l'eau,  puis  viennent  nager  à 
la  surface  du  liquide.  Les  vents  et  les  courants 
assurent  la  dispersion  de  ces  graines.  Les  exem- 
ples de  graines  pourvues  de  vessies  natatoires  sont 
extrêmement  rares  dans  la  nature  actuelle  ;  à  l'é- 
poque liouiUère,  au  contraire,  ou  connaît  de  très 
nombreux  exemples  de  plantes  pourvue^  de  ces 
ampoules  natatoiies  destinées  à  assurer  la  dissé- 
mination des  graines  par  l'eau. 

Usiigrs  (les  scilaviinéfs.  —  Toutes  les  Scitami- 
nées  sont  des  plantes  originaires  des  régions  tropi- 


MUSACEES 


1368 


MUSIQUE 


cales  du  globe.  Les  Musn  ou  Bananiers  sont  origi- 
naires àtt  l'ancien  continent  ;  ils  ont  été  importés 
en  Amérique  et  sont  maintenant  cultivés  dans 
toutes  les  régions  chaudes  du  nouveau  continent. 
Le  fruit  des  Bananiers  fournit  h  l'Iionime  un  ali- 
ment farineux  sucré  qui,  par  la  fermentation, 
donne  une  boisson  rafraîchissante  rappelant  le 
puiqué  des  Mexicains  ;  la  moelle  de  leur  tige  et 
le  bourgeon  terminal  de  leur  inflorescence  se 
mangent  cuits  en  guise  de  légumes.  La  culture 
des  Bananiers  n'est  pas  moins  importante  entre 
les  tropiques  que  celle  des  céréales  et  des  tuber- 
cules farineux  dans  les  régions  tempérées.  On  es- 
time qu'un  plant  de  Bananiers  peut  fournir  par  an 
jusqu'à  trois  r-'gimes  de  fruit,  chaque  régime 
pesant  '27  kilogrammes;  on  arrive  ainsi  à  calculer 
qu'un  hectare  de  Bananiers  produirait  annuelle- 
ment environ  2iiOlOU  kilogrammes  de  bananes 
sous  l'équateur.  A  la  Nouvelle-Grenade  le  rende- 
mont  moyen  des  Bananiers  est  encore  de  700.  d  ki- 
logrammes à  l'hectare.  Des  pétioles  des  Bananiers, 
on  relire  une  filasse  dont  les  nègres  font  un  fil 
très  estimé. 

Le  Havfnala  mndai^ascariensis,  dont  le  nom  po- 
pulaire est  l'Arbre  du  voyageur,  tire  ce  dernier 
nom  du  fait  suivant  :  les  feuilles  du  Buvena/a 
engaînent  la  tige  et  forment  autant  de  réservoirs 
dans  lesquels  la  rosée  s'accumule  ;  en  perforant 
avec  une  vrille  la  base  de  la  feuille,  on  voit  s'é- 
couler une  eau  limpide  et  fraîche  qui  permet  au 
voyageur  d'étuncher  sa  soif.  Les  graines  du  Rnve- 
nalii,  broyées  et  cuites  avec  du  lail,  fournissent 
aux  liabiianis  de  Madagascar  une  bouillie  dont  ils 
sont  très  friands.  Les  ariiles  bleus  do  ces  mêmes 
graines  donnent  une  huile  volatile  abondante  très 
employée  à  Madagascar  contre  les  attaques  de 
rhumatisme. 

La  racine  du  Gingembre, une  des  «quatre  épices» 
du  moyen  âge,  que  les  seigneurs  du  xiV  siècle 
achetaient  au  poids  de  l'or,  a  été  transplantée  des 
Indes  dans  les  Antilles  par  les  Espagnols.  Cette 
racine  possède  une  odeur  forte,  acre,  piquante; 
les  médecins  l'emploient  comme  un  stimulant 
puissant  ;  elle  entre  en  cette  qualité  dans  la  fa- 
brication d'une  bière  anglaise  fort  en  usage  dans 
le  nord  de  l'Europe.  On  peut  aussi  la  confire  dans 
le  sucre. 

Les  racines  de  Galanga  étaient  naguère  employées 
pour  la  fabrication  d'une  sorte  de  confiture. 

Les  racines  des  Co-tus  contiennent  un  principe 
amer  qui  les  fait  employer  dans  l'Inde  comme 
toniques.  Les  Cosfiis  fournissent  aussi  une  belle 
matière  colorante  jaune  très  employée  en  tein- 
ture. On  retire  aussi  des  Curci.ma,  qui  sont  des 
plantes  voisines  desCosiUi,une  matière  colorante 
jaune  très  belle  fort  employée  dans  l'industrie. 
Quelques  Curcuma  donnent  en  ouire  une  farine 
comparable  à  celle  que  l'on  extrait  des  Mnrantn. 

Les  fruits  des  Amomiim  sont  connus  sous 
le  nom  de  cardnmomcs  ;  ils  sont  utilisés  à  cause 
de  leurs  propriétés  excitantes  et  stomachiques. 
La  maniquette  ou  graine  de  paradis  est  une  graine 
qui  provient  d'une  espèce  à'Amoinmn  originaire 
de  la  Guinée  ;  elle  sert  à  donner  de  la  force  au 
vinaigre,  et  parfois  à  falsifier  le  poivre  noir. 

Les  feuilles  odoriférantes  des  llfnecotmia  sont 
employées  par  les  Péruviens,  au  dire  de  Pôppig, 
contre  les  douleurs  rhumatismales. 
_  Le  Maranfa  arundinacea  est  cultivé  dans  les  An- 
tilles pour  la  farine  que  l'on  retire  dr  sa  moelle 
réduite  en  pulpe.  La  farine  de  Maraii.u  est  sur- 
tout connue  sous  le  nom  d'acjow-ioo/.  Le  rhizome 
cru  du  Muinnta  arund  nncea  contient  un  principe 
vénéneux  qui  disparaît  .'i  la  cuisson.  Les  tubercu- 
les du  Maranla  ol  ouii'i,  cuits  et  assaisonnés  avec 
du  poivre,  remplacent  aux  Antilles  nos  pommes 
de  terre. 

La  racine  des  Canna  est  diurétique.  On  retire 


du  spermodermc  des  graines  de  certains  Canna 
une  matière  colorante  pourpre  d'une  très  belle 
couleur.  [C.-E.  Bertrand.] 

MUSIQUE.  —  La  musique  est  l'art  des  sons. 

Pour  lire  la  musique  et  comprendre  cette  lec- 
ture, il  faut  connaître  les  signes  au  moyen  des- 
quels on  l'écrit,  et  les  lois  qui  les  coordonnent. 
L'étude  de  ces  signes  et  de  ces  lois  est  l'objet  de  la 
Théorie  lie  la  musique. 

Tous  les  signes  se  placent  sur  la  portée,  qui  est 
la  réunion  de  cinq  lignes  parallèles  et  horizon- 
tales. L'espace  compris  entre  ces  lignes  se  nomme 
interligne.  Les  lignes  et  les  interlignes  se  comp- 
tent de  bas  en  haut.  Ex.  : 


5?  ) _ 

i'  1 :.^ 

y  1 ^ 

i"  ligue,  Jl 


I.  SIGNES  EMPLOYÉS  POUR  ÉCRIRE  LA  MUSIQUE  — 
A.  Signes  principaux.  —  Les  signes  principaux  au 
moyen  desquels  on  écrit  la  musique  sont  :  1°  les 
no'es;  —  2"  les  clefs;  —  3°  les  silences;  —  4°  les 
dllération'^. 

Les  notes.  —  Les  notes  représentent  des  durées 
et  des  soirs. 

Selon  leurs  différentes  figures,  les  notes  expri- 
ment des  duré' s  différentes.  —  Selon  leurs  diffé- 
rentes positions  sur  la  portée,  les  notes  expri- 
ment des  sons  différents. 

Figures  des  notes  {signes  des  durées).  —  Il  y  a 
se/it  figures  de  notes  qui  sont:  la  ronde  O,  la 
blanche  ,0 ,  la  noire  •  ,  la  croche  /•  ,  la  double 

croche  10  ,   la   triple   croche   ^,  et  la  quadruple 


'"Q- 


Lorsque  plusieurs  croches,  doubles  croches,  tri- 
ples croches  ou  quadruples  croches  sont  placées 
les  unes  à  côté  dos  autres,  on  peut  remplacer  les 
crochets  par  des  barres  unissant  ces  notes.  Le 
nombre  des  barres  doit  toujours  être  égal  pour 
'chaque  note  au  nombre  des  crochets  qu'elles  rem- 
placent. Ex.  : 


Deus  croches. 


Trois  double 


p  r"u 


"OJ" 


Les  figures  de  notes  étant  disposées  dans  l'or- 
dre indii|né  ci-dessus,  la  ronde  représente  la  plus 
longue  duré",  et  chacune  des  autres  figures  vaut 
la  moitié  de  la  figure  qui  la  précède.  Ainsi  :  la 
roU'Ie  vaut  2  blanches,  ou  4  noires,  ou  8  croches, 
ou  IC  doubles  croches,  ou  32  triples  croches,  ou 
fj4  quadruples  croches. 

Position  des  notes  sur  la  portée  (s'gnes  des  sons). 
—  Les  no/es,  quelles  que  soient  leurs  figures,  se 
placent  sur  la  portée  :  soit  sur  les  lignes,  soit 
dans  les  interlignes. 

On  place  également  une  note  au-dessous  de  la 
1"  ligne  et  une  au  dessus  de  la  5'. 

Lignes  siipidémentaii  es.  —  On  peut  aussi  écrire 
d'autres  notes  en  dehors  de  la  portée,  soit  au- 
dessous,  soit  au-dessus.  On  emploie  pour  cela  de 
petites  lignes  nommées  lignes  supidémintaires, 
dont  le  nombre  n'est  pas  limité  et  qui  s'em- 
ploient de  la  manière  suivante  : 


MUSIQUE 


1369  — 


MUSIQUE 


Au-dessus  iln  hi  portée 
^       O      »      ^ 


*      ^      5      ï 

Au-dessous  de  la  purlée. 
t^»ms  des  notei.  —  Il  n'y  a  que  sept  >/oms  de 
notis  pour  exprimer  tous  les  sons.  Ce  sont  : 
1  2        3        4        S        6       l 

ui  ou  do,  ré,  mi,  fa,  sol,  h,  si. 
Ces  notes  fonnont  une  série  de  sons  allant  du 
grave  à  l'aigu,  et  que  l'on  nomme  série  ascirulanti-. 
En  prononçant  ces  noms  de  notes  dans  1  ordre 
inverse,  on  obtient  une  série  de  sons  allant  de 
l'aigu  au  grave,  et  que  l'on  nomme  série  ''«f  ™- 
daiite.  On  peut  ajouter  une  ou  plusieurs  séries  ù 
la  première.  . 

On  nomme  octave  la  distance  qui  sépare  deux 
notes  de  même  nom,  appartenant  ii  deux  séries 
voisines.  .... 

Les  clffs.  —  Les  clefs  sont  des  signes  qui  ser- 
vent à  fixer  le  nom  des  notes.  Elles  se  placent  au 
commencement  de  la  portée. 

Il  y  a  trois  figures  de  clefs  :  la  clef  de  fa,  la  clef 
d'!(/  et  la  clef  do  soi.  Les  clefs  qui  sont  le  plus 
employées  sont  :  la  clef  de  sol,  sur  la  deuxième 
ligne,  et  la  clef  de  fn,  sur  la  miatrihne  ligne.  La 
première  sert  à  écrire  les  sons  aigus,  et  la  se- 
conde les  sons  graves. 

Chaque  clef  donne  son  nom  à  la  note  placée  sur 
la  ligne  même  qu'elle  occupe  : 

Clef  de  sol  2'  ligne.  Clef  de  fa  4"  lisnc. 


Le  nom  d'une  note  étant  connu,  il  est  facile 
de  trouver  le  nom  des  autres  notes,  car  elles  se 
succèdent  toujours  dans  l'ordre  indiqué  précé- 
demment. 

Noms  des  notes  écrite 
soi     la     si      ut 


Chaque  ligure  de  silence  a  une  durée  corres- 
pondante h  celle  d'une  figure  de  note  :  la  panse 
vaut  une  rujid- ;  la  demi-pause,  une  blanche;  le 
soupir,  une  noire;  le  den,i-soupr,wm  c>oclic;le 
quait  de  soupir,  une  doulde  croche;  le  huitième 
de  soupir,  une  triple  croche;  el  le  seizième  de 
S'iupir,  une  quadruple  crache. 

L'altébation.  —  L'altération  est  un   signe   qui 
modifie  le  son  de  la  note  h  laquelle  il  est  affecté. 
Il  y  a  trois  altérations  : 

1°  Le  aièse  t,  qui  élève  le  son  de  la  note  (le 
rend  plus  aigu)  ; 

2°  Le  hemol  [>,  qui  abaisse  le  son  de  la  note 
(le  rend  plus  grave); 

3°  Le  bécarre  Ij,  qui  détruit  l'effet  du  dièse  ou 
du  bémol. 

L'altération  se  place  :  1°  devant  la  note  dont 
elle  modifie  le  son;  son  effet  se  produit  sur  toutes 
les  notes  de  même  nom  qui  se  trouvent  dans  la 
même  mesure;  2"  au  commencement  delà  portée 
et  immédiatement  après  la  clef;  son  effet  se  pro- 
duit alors  sur  toutes  les  notes  de  môme  nom  pen- 
dant la  durée  du  morceau. 

B.  Signes  secondaires.  —  Les  signes  secondai- 
res sont  :  1°  le  voi7it  et  le  double  point;  —  2°  le 
trio/et;  —  3°  la  liaison. 

Le  point.  —  Le  point  se  place  après  une  note 
et  augmente  la  valeur  de  cette  note  de  la  moitié 
de  sa  durée  primitive.  Ainsi  la  ronde  vaut  deux 
blanches;  étant  pointée,  elle  en  vaudra  trois. 

On  place  également  le  point  après  les  figures 
de  silence. 

Le  double  point.  —  On  peut  aussi  placer  deux 
points  après  une  note  ou  un  silence.  Le  second 
point  augmente  la  durée  do  celte  note  ou  de  ce 
silence  de  la  moitié  de  la  durée  du  premier  point 
(c'est-h-dire  augmente  encore  d'un  quart  de  sa 
durée  primitive  la  note  ou  le  silence  déjà  pointé). 
Une  blanche  suivie  de  deux  points  équivaut  a 
la  valeur  de  :  une  blanche,  une  noire  et  une  cro- 
che. 


rites  en  Clef  de  fa,  4'  ligne 


m 


mi    ré     ut    si     la    sol     fa    mi 

La  succession  de  deux  notes  immédiatement 
voisines  forme  le  nouvemeni  ronjoint ;  ceWe  ie 
deux  notes  non  voisines  forme  le  mouvement  dis- 
joint. 

Les  silences.  —  Les  silences  sont  des  signes  qui 
indiquent  l'i?!ie/'7-up(!on '/«son.  Selon  \e\ivs  diffé- 
rentes figures,  les  silences  expriment  la  durée 
plus  ou  moins  longue  de  cette  interruption. 

Figures  des  silences.  —  Il  y  a  sept  figures  de 
silence,  qui  sont  :  la  pause  "«^,  la  'lemi  pause  -m-, 
le  soupir  y,  le  demi-soupir  M,  le  quart  de  sou- 

\r  y,  le  huitième  de  soupir  y,  le  seizième  de 


pir 


soupir 


r 


Le  triolet.  —  Le  triolet  est  la  division  ternaire 
d'une  figure  de  note.  . 

On  emploie,  pour  représenter  le  triolet,  les 
figures  de  durée  que  nous  connaissons  déjà  ;  seu- 
lement, trois  de  ces  figures  (ou  un  nombre  de 
figures  équivalant  à  la  même  somme  de  valeur) 
employées  dans  une  division  ternaire,  ont  une 
valeur  égale  h  deux  des  mêmes  figures  employées 
dans  une  division  binaire. 

On  place  le  cliiffre  3  au-dessus  ou  au-dessous 
du  triolet;  ce  cliitIVe  3  suffit  pour  indiquer  la  divi- 
sion ternaire.  Ex.  : 


Ce  triolet  de  croches  équivaut  à  une  noire. 

Un  triolet  peut  ne  pas  former  un  groupe  de 
trois  notes  égales,  pourvu  que  la  somme  île  ses 
durées  sod  éqniuulenie  à  celle  des  irui.  notes  éga- 
les. Le  silence  peut  aussi  faire  partie  d'un  tnolet  : 


MUSIQUE 


1370  — 


MUSIQUE 


On  nomme  double  triolet,  sizain  ou  sextolef, 
l'union  en  un  seul  groupe  de  deux  InoUls  voisins. 

Au  lieu  d'indiquer  par  un  3  chacun  des  triolets 
séparés,  on  indique  le  dnuble  trio'et  par  un  6 
placé  au  milieu  du  groupe  entier.  Ex.  : 


LLLUJ 


La  liaisoh.  —  La  liaison  est  un  signe  qui  unit 
deux  notes  de  même  son  et  presque  toujours  de 
même  7!0"',  quelle  que  soit  leur  durée. 

Elle  indique  l'adjonction  de  la  valeur  de  la  se- 
conde note  h  la  valeur  de  la  première  ;  on  dit 
alors  que  ces  notes  sont  liées.  Ex.  : 


On  peut  également  lier,   les   unes  aux  autres, 
plus  de  deux  notes  consécutives.  Ex.  ; 


n.  LA  GAMME.  —  LES  INTERVALLES.  —  On 
nomme  gamme  diatonique  une  succession  de  sons 
disposés  par  mouvement  conjoint  et  selon  les  lois 
de  la  tonalité.  (La  tonalité  fera  l'objet  de  notre 
S''  chapitre.) 

Les  sept  notes  se  succédant  ainsi  :  ut-ré-mi-fa- 
sol-la-si,  et  auxquelles  on  ajoute  un  huitième  son, 
forment  une  gumme  diat^/iigiie.  Ce  huitième  son 
n'est  autre  que  la  première  note  répétée  à  l'octave 
supérieure. 


Chaque  note  d'une  gamme  prend  aussi  le  nom 
de  degré. 

Ton  et  demi-ton.  — Les  degrés  ou  notes  de  la 
gamme  ne  sont  pas  également  espaces  entre  eux  ; 
entre  les  uns  la  distance  est  plus  grande,  entre 
les  autres  elle  est  plus  petite.  La  distance  plus 
grande  se  nomme  ton,  la  distance  plus  petite  se 
nomme  dem'-ton. 

Le  demi-ton  est  placé  entre  le  .3'  degré  et  le  4«, 
entre  le  7'  degré  et  le  8'.  Le  ton  est  placé  entre 
les  autres  degrés  de  la  gamme. 

Cette  gamme  pourrait  être  figurée  par  une  échelle 
dont  les  échelons,  inégalement  espacés  entre  eux, 
en  leprésenteraient  les  notes  en  degrés  : 


La 

Sol 


<k  ton 

1  ton 

1  ton 

1  ton 

1/2  ton 

1  ton 

1  ton 

'i'  degré 

6'  degré 

5'  degré 

i'  degré 
3«  degré 

2'  degré 

1"  degré 


La  gamme  diatonique  est  donc  composée  de  cinq 
tons  et  deux  demi-tons.  Elle  peut  commencer  par 
toute  autre  note  que  la  note  ut. 

Division  du  ton.  —  Un  ton  peut  se  diviser  en 
deux  demi-tons.  Entre  deux  notes  séparées  par  un 
ton,  soit  ut-ré,  on  peut  faire  entendre  un  son  in- 
termédiaire. De  la  note  ut  à  ce  son  intermédiaire 
il  y  a  un  demi-ton.  De  ce  son  intermédiaire  à  la 
note  ré,  il  y  a  un  autre  demi-ton. 

Ce  son  intermédiaire  peut  s'obtenir  :  1°  en  éle- 
vant le  son  de  la  note  inférieure  par  un  dièse  # 
(le  dièse  élève  d'un  demi-ton  le  son  de  la  note 
devant  laquelle  il  est  placé)  : 


\  '""■.  k  '""• 


0     >'""■  /^'° 


2°  En  abaissant  le  son  de  la  note  supérieure  par 
un  bémol  b  (le  bémol  abaisse  d'un  demi-ton  le 
son  de  la  note  devant  laquelle  il  est  placé): 


Demi-ton  diatonique.  —  Demi-ton  chromatique. 
—  Les  deux  demi-tons  formant  un  ton  ne  sont  pas 
égaux  ;  l'un  est  un  peu  plus  grand  que  l'autre.  Le 
plus  petit  se  nomme  demi  ton  diidoniqne.  C'est 
celui  qui  se  place  entre  deux  notes  de  noms  diffé- 
rents. 


^ 


Le  plus  grand  se  nomme  demi-ton  chromatique. 
C'est  celui  qui  se  place  entre  deux  notes  de  même 
nom,  mais  dont  l'une  est  altérée. 


*C 


m 


I 


Un  ton  contient  toujours  deux  demi-tons  de 
natures  différentes  :  l'un  diatonique,  l'autre  chro- 
matique. 

L'enharmonie.  —  L'enharmonie  est  le  rapport, 
l'espèce  de  synonymie  (|ui  existe  entre  deux  notes 
de  noms  différents,  mais  affectées  toutes  deux  au 
même  son,  soit  ut  |  et  lé  \r,  mi  et  fa  b. 

Les  notes  formant  l'enharmonie  se  nomment 
notes  enharmoniques. 


Les  inlervalles.  —  On  nomme  intervalle  la  dis- 
tance qui  sépare  deux  sons.  On  mesure  un  inter- 
valle par  le  nombre  de  degrés  qu'il  contient,  y 
compris  le  son  grave  et  le  son  aigu.  Le  nombre  de 
degrés  est  exprimé  par  le  nom  de  l'intervalle.  Ainsi 
l'intervalle  contenant  2  degrés  se  nomme  seconde; 
3  degrés,  tieice;i  degrés,  quarte;  .S  degrés,  qui'i'e; 
6  degrés,  sixte;  '  degrés,  'Cfjtiéme;  S  degrés, 
oJiive;  9  degrés,  neuvième;  etc. 


MUSIQUE 
quinte. 


1311  — 


MUSIQUE 


L'intervalle  est  ascendant  ou  descendant;  sim- 
ple ou  redoublé.  L'intervalle  est  ascendant  lors- 
qu'on le  mesure  en  partant  du  son  grave;  il  est 
descendant  lorsqu'on  le  mesure  en  partant  du  son 
aigu.  L'intervalle  est  simple  lorsqu'il  n'excède  pas 
l'étendue  d'une  octave  ;  il  est  redoublé  lorsqu'il 
excède  l'étendue  d'une  octave. 

Qunlifi  alion  fies  mlertmlles.  —  Les  intervalles 
contenant  le  même  nombre  de  degrés  ne  sont  pas 
toujours  égaux  entre  eux  ;  ainsi  les  deux  tierces  ut- 
mi  et  id-mi  \>  ne  sont  pas  égales,  puisque  la  pre- 
mière contient  deux  tons  et  que  la  seconde  con- 
tient seulement  un  ton  et  un  demi-ton  diatonique. 


Il  y  a  donc  plusieurs  espèces  de  secondes,  de 
tierces,  de  quartes,  etc.  Pour  distinguer  ces  dif- 
férentes espèces,  on  emploie  plusieurs  qualifica- 
tions qui  sont  :  minew,  majeur  et  juste.  La  se- 
conde, la  tierce,  la  sixte  et  la  septième  peuvent 
être  mineures  et  majeures.  La  quarte,  la  quinte 
et  l'octave  peuvent  être  justes. 

Composition  des  intervalles  : 

o         j  i  mineure 1  demi-ton  diatonique. 

Secondes...   j  ^^^^^^^ j  t^^^  ^ 

Tifirrtxi  I  ""'"^"ï"*^ *  *o"  «t  1  demi-ton  dîat. 

ixerces....    j  majeure 2  tons. 

Quarte juste 2  tons  et  1  demi-ton  diat. 

Quinte juste 3  tous  et  1  demi-ton  diat. 

Sixtes  *   mineure 3  Ions  et  2  demi-tous  diat. 

{   majeure 4  tons  et  1  demi-ton  diat. 

„     ,.,  l    mineure 4  tons  et  2  demi-tons  dint. 

Septièmes.,   j  „,^j^„^^     _        j  j„„^  ^^  ,  j^,,,,.;^,,  ^-^^ 

Octave juste 5  tons  et  t  derai-tuns  diat. 

Il  y  a  encore  les  qualifications  de  diHfmué  et  d'm/j- 
menté.  A  l'exception  de  la  seconde,  tous  les  inter- 
yalles  peuvent  être  diminués.  Un  intervalle  dimi- 
nué a  toujours  un  demi-ton  chromulique  de  moins 
que  le  même  intervalle  juste  ou  mineur. 

A  l'exception  de  la  septième,  tous  les  intervalles 
peuvent  être  rnigmentés.  Un  intervalle  augmenté 
a  toujours  un  demi-ton  chromatique  de  plus  que 
le  môme  intervalle  juste  ou  majeur. 

On  voit  par  ce  qui  précède  qu'un  intervalle  tire 
son  nom  du  nombre  de  degrés  (|u'il  contient,  et  sa 
qualification  du  nombre  de  tons  et  de  deEiii-tons 
qui  séparent  ces  degrés. 

Renversement  des  intervalles.  —  Renverser  un 
intervalle,  c'est  intervertir  la  position  respective 
des  deux  sons  qui  le  forment,  de  façon  que  le  son 
grave  de  l'intervalle  i  renverser  devienne  le  son 
aigu  (lu  renversement.  On  opère  le  renversement 
d'un  intervalle,  soit  en  transposant  le  son  grave 
de  cet  intervalle  à  l'octave  supérieure,  soit  en  en 
transposant  le  son  aigu  à  l'octave  inférieure. 

Les  intervalles  simples  peuvent  seuls  être  ren- 
versés. 

Dans  le  renversement  l'unisson  devient  octave, 
la  i"  devient  7°",  la  3"  devient  (J",  la  4'"  devient 
à",  la  o"  devient  4",  le  d"  devient  3''',  la  ".""  de- 
vient 2"",  l'octave  devient  unisson. 


Remorque.  —  Le  chiffre  représentant  l'intervalle 
à  renverser  et  le  chiffre  représentant  son  renver- 
sement, additionnés  ensemble, donnent  pour  total 
lo  nombre  9. 


Intervalle 


3",  4'",  S'",  0" 
,  6'»,  5",  4'",  3" 


Totauj 


Par  le  renversement  les  intervalles  mineurs  de- 
viennent majeurs,  les  intervalles  majeurs  devien- 
nent mineurs.  —  Les  intervalles  justes  restent 
justes.  —  Les  intervalles  diminués  deviennent  aug- 
mentés, les  intervalles  augmentés  deviennent  di- 
minués. 

Ainsi  le  renversement  d'une  3°°  majeure  est  une 
G"  mineure.  Le  renversement  d'une  4""  juste  est 
une  5"  juste. 

m.  L\  TONALITÉ.  —  La  tonalité  est  l'ensemble 
des  lois  qui  régissent  la  constitution  des  gammes. 
Prise  dans  un  sens  plus  restreint,  la  toncdité  ou 
le  ton  exprime  l'ensemble  des  sons  formant  une 
gamme  diatonique. 

On  a  vu  que  les  huit  notes  formant  la  gamme 
diatonique  sont  disposées  ainsi:  deux  tons  consé- 
cutifs, un  demi-ton,  trois  tons  consécutifs  et  un 
demi-ton. 

Cette  disposition  est  le  résultat  de  la  résonance 
naturelle  des  corps  sonores.  Cette  gamme  est  en- 
gendrée par  les  trois  sons  générateurs  ut,  l'a  et 
sol.  Ces  trois  sons  générateurs  sont  nommés  pour 
cette  raison  noies  tonales,  et  occupent  ies  1",  4% 
et  ô"  degrés  de  la  gamme. 

Noms  des  degrés  de  la  gamme.  —  Chaque  son 
peut  être  la  première  note,  le  premier  degré  d'une 
gamme  semblable  à  la  précédente.  Pour  éviter 
tonte  confusion,  chaque  degré,  quel  que  soit  le 
nom  de  la  note  qui  le  représente,  a  reçu  un  nom 
particulier  qui  caractérise  la  position  qu'il  occupe 
dans  la  gamme  et  la  fnnction  qu'il  y  remplit. 

Le  I"  degré  se  nomme  tnniqne;  le  2',  sus-toni- 
qtt;\a  3',  médiante;le  i' ,  sous-dominante  ;  le  h' , 
dominante:  le  (i*,  sus-dominante;  le  7',  note  sn- 
si/ile;  et\e  H',  oetare. 

Gammes  nouvelles. —  Pour  former  une  nouvelle 
gamme  en  prenant  pour  tonique  une  autre  note 
que  \'ut,  il  faut  que  les  notes  de  cette  nouvelle 
gamme  soient  disposées  de  la  même  façon  que  les 
notes  de  la  gamme  d'ut  ;  c'est-à-dire,  que  les 
demi-tons  soient  placés:  le  premier  du  3'  au  4' 
degré,  et  lo  second  du  7"  au  IS". 

La  nouvelle  gamme  fermera  alors  le  même 
chant  que  celui  de  la  gamme  à'ut.  Pour  cela,  il  faut 
modifier  le  son  de  certaines  notes  en  l'élevant  ou 
l'abaissant  au  moyen  des  altérations  '^dièse  ou 
bémol;. 

Gammes  contena:t  des  notef  diésées.  —  La 
gamme  dont  une  seul'  note  estdiésée  est  la  gamme 
de  sol.  La  note  diésée  est  /a.  —  La  gamme  dont 
deux  notes  sont  diésées  est  la  gamme  de  ré;  les 
deux  notes  diésées  sont  fa  et  ut.  —  La  gamme 
dont  trois  -otes  sont  diésées  est  la  gamme  de  la; 
les  trois  notes  diésées  sont /«,  nt  et  .-ol.  —  La 
gamme  dont  7  "a</e  noies  sont  diésées  est  la  gamme 
de  mi;  les  quatre  notes  diésées  sont  /a,  ut,  sol  et 
ré  ;  et  ainsi  de  suite. 

On  voit:  l"quo  les  gnmmes  qui  contiennent  des 
notes  diésées  se  succèdent  par  une  pro  /rcsston 
iiscendnnle  do  quinte  en  quinte;  'J"  que  chaque 
nouveau  dièse  se  présente  également  dans  l'ordre 
ascendant  de  quinte  en  quinte. 

Armureou  ormniurede  In  clef  [en  dihes).  —  Les 
dièses  qui  font  partie  d'une  gamme  (do  la  tonalité) 
se  placent  dans  leur  ordre  de  succession,  immé- 
diatement après  la  clef,  au  commencemcmt  de  la 
portée,  et  sur  les  mêmes  lignes  ou  dans  les  mêmes 
interlignes  que  les  noies  qu'ils  altèrent. 


MUSIQUE  —  1372 


MUSIQUE 


(W    (28)     (3  j?)    (4  C) 


(5t?)       (6  8)        (7  8) 


Les  dièses  placés  ainsi  forment  l'armure  fie  la 
clef  (armure  en  dièses)  et  leur  effet  se  continue 
pendant  tonte  la  durée  du  morceau,  i  moins  que 
l'armure  de  la  clef  ne  soit  modifiée.  L'armure  de  la 
clef  (en  dièses)  indique  la  tonalité  dans  laquelle 
un  morceau  est  écrit  :  le  dernier  dièse  affectant 
toujours  ia  note  sensible,  la  tonique  est,  pur  con- 
séquent, la  note  placé''-  un  nemi-tnn  rjialrmique 
au-dessus.  Ainsi  :  avec  trois  dièses  à  la  clef  qui 
sont  fil,  ut,  et  S"/,  le  dernier  dièse  étant  sol,  la  to- 
nique est  /n,  demi-ton  diatonique  au-dessus.  On 
est  donc,  avec  trois  dièses,  dans  le  ton  de  la. 

Gammes  contenant  des  notes  /j-nioUsées.  —  La 
gamme  dont  une  seule  not-  est  bémolisée  est  la 
gamme  de  fa;  la  note  bémolisée  est  si.  —  La 
gamme  dont  deui:  not^s  sont  bémolisées  est  la 
gamme  de  si  1?  ;  les  deux  notes  bémolisées  sont  si 
et  mî.  —  La  gamme  dont  D-ois  Jiotes  sont  bémoli- 
sées est  la  gamme  de  mi  l>;  les  trois  notes  bémoli- 
sées sont  si,  mi  et  lu.  —  La  gamme  dont  ijuafie 
notes  sont  bémolisées  est  la  gamme  de  /o  t  ;  les 
quatre  notes  bémolisées  sont  si,  mi,  la  et  ré,  etc. 

On  voit:  r  que  les  gammes  qui  contiennent 
des  notes  bémolisées  se  succèdent  par  une  pro- 
gression di^scen'laiite  de  quinte  en  gi'inle;'i°  que 
chaque  nouveau  bémol  se  présente  également  dans 
l'ordre  descendant  de  q'ànte  en  quinte. 

Aimure  de  la  clef  {en  bémoU).  —  Les  bémols 
qui  font  partie  d'une  gamme  (de  la  tonalité)  se 
placent  dans  leur  ordre  de  succession,  immédiate- 
ment après  la  clef,  au  commencement  de  la  portée, 
et  sur  les  mêmes  lignes  ou  dans  les  mêmes  inter- 
lignes que  les  notes  qu'ils  allèrent. 


Les  bémols  placés  ainsi  forment  l'armure  de  la 
clef  (armure  en  bémols;  et  leur  effet  se  continue 
pendant  toute  la  durée  du  morceau,  à  moins  que 
l'armure  de  la  clef  ne  soit  modifiée. 

L'armure  de  la  clef  (en  bémols)  indique  la  tona- 
lité dans  laquelle  un  morceau  est  écrit;  l'avant- 
dernier  bémol  affectant  toujours  la  tonique,  le 
nom  d-  t'avant-devnier  bémol  est  aussi,  par  consé- 
quent, celui  de  la  tonique.  Ainsi  :  avec  trois  bé- 
mols à  la  clef,  qui  sont  si  \>,tin  b  et  la  l7,ravant- 
dernier  bémol  étant  mi  k  mi  \>  est  le  nom  de  la 
tonique  ;  on  est  donc  dans  le  ton  de  mi  t». 

Les  modes.  —  On  appelle  mode  la  manière  d'être 
de  la  gamme  diiionique. 

11  y  a  deux  niodts:  le  mode  majeur  et  le  mode 
mineur. 

La  gamme  étudiée  jusqu'à  présent  est  la  gamme 


diatonique  du  mode  majeur,  ou,  par  abréviation  : 
gamme  mnjeure.  Dans  la  gamme  minmrc,  les 
demi-tons  sont  placés  différemment.  En  jetant  un 
regard  en  arrière  sur  la  gamme  majeure,  on  re- 
marque: 1"  que  la  tonique  et  la  médi-  nte,  soitîi^et 
»iî  dans  la  gamme  d'u<  majeur,  forment  l'intervalle 
de  tiera  majeure;  2°  que  la  tonique  et  la  sus- 
di^mitumie,  soit  ut- la  dans  la  mémo  gamme,  for- 
ment l'intervalle  de  ^ixte  majeure. 

Dans  la  gamme  mineure  celte  tierce  ei  cette 
sixte  sont  mineures. 

La  ii'édinnle  et  la  sus-dominante  d'une  gamme 
majeure  seront  donc  abaissées  d'un  demi-ton  chro- 
matique pour  former  une  gamme  mineure;  par 
suite  de  cette  modification  de  la  tierce  et  de  la 
sixte,  la  gamme  mineure  contiendra  trois  demi- 
tons  diatonii/ues  placés  entre  le  2°  et  le  3»  degrés, 
entre  le  5=  et  le  i,',  et  entre  le  ""  et  le  8=. 

La  médiante  et  la  sus  dom  nante  n'offrant  pas, 
dans  ces  deux  gammes,  les  mêmes  rapports  de  dis- 
tance avec  la  tonique,  constituent  les  caracières 
distinctifs  des  modes,  et  pour  cette  raison  pren- 
nent le  nom  de  notes  mo'iates. 

Gamaifs  relatives.  —  On  nomme  gammes  rela- 
tives deux  gammes  n'ayant  pas  la  même  tonique, 
dont  l'une  est  majeure  et  l'autre  mineure,  et  qui, 
toutes  deux,  sont  formées  des  mêmes  sons,  ont  la 
même  armure  de  ta  clef. 

Ainsi  la  gamme  à'ut  majeur  a  pour  gamme  rela- 
tive mineure  la  gamme  de  la. 

Mais  cette  gamme  mineure  offre  un  point  dé- 
fectueux; le  T  degré  est  à  un  ton  du  8% 
et  perd  ainsi  sa  qualité  de  note  sensible,  puisque 
la  note  sensible  ne  doit  être  séparée  de  la  toni- 
que que  par  un  demi-ton  diatonique. 

Pour  rendre  à  ce  7'  degré  sa  qualité  de  note 
sensible,  on  l'altère  en  l'élevant  d'un  demi-ton 
cliromatique,  mais  l'altération  qui  élève  le  7*  de- 
gré de  la  gamme  mineure  ne  fait  jamais  partie 
de  l'armure  de  la  clef. 

Gamme  de  la  mineur. 


altération. 

La  gamme  mineure  es  une  tierce  mineure  au- 
dessous  de  sa  gamme  relative  majeure  et  vice 
versa. 

Les  deux  gammes  relatives  ayant  la  même  ar- 
mure de  la  clef,  pour  reconnaître  dans  laquelle  de 
ces  deux  gammes  est  écrit  un  morceau  de  musi- 
que, il  faut  chercher  dans  les  premières  mesures 
la  note  qui  n'est  pas  commune  aux  deux  gnmmes. 

Cette  note  est  la  dominante  du  mode  majeur, 
qui,  dans  la  gamme  mineure,  élevée  d'un  demi- 
ton  chromatique,  représente  la.  no  e  sensitde.  Donc, 
si  cette  note  n'esi  pas  attirée  le  morceau  est  dans 
le  mode  majeur  ;  si,  au  contraire,  elle  est  élevée 
d'un  demi-ton  chromatique,  le  morceau  est  dans 
le  mode  mineur  relatif.  Ainsi,  avec  deux  dièses  à 
la  clef,  on  est,  soit  en  ré  majeur,  soit  en  si  mineur. 
Si  le  la,  dominante  de  ré  majeur,  n'est  pas  altéré, 
on  est  en  ré  majeur;  si,  au  contraire,  le  la  est  al- 
téré par  un  S,  on  est  en  si  mineur  dont  la  #  est  la 
note  sensible. 

Gamine  chromatique.  —  La  gamme  chromati- 
que est  celle  qui  ne  contient  que  des  demi-tons 
diatoniques  et  chromatiques. 

Toute  gamme  majeure  ou  mineure  peut  être 
transformée  en  gamme  chromatique.  Cette  trans- 
formation s'opèi'e  en  faisant  entendre  le  son  in- 
termédiaire qui  se  trouve  entre  tous  les  degrés 
espacés  entre  eux  par  un  ton. 

ildulatio'i.  —  La  modulation  est  le  changement 
de  ton  ou  de  mode,  et,  en  même  temps,  la  transi- 
tion au  moyen  de  la(iuolle  ce  changement  s'opère. 


MUSIQUE 


—  1373  — 


MUSIQUE 


La  modulation  est  déterminée  par  l'altération 
d'iiiio,  ou  do  plusieurs  noies  du  ton  dans  lequel 
on  est.  (^es  altérations,  étrangères  au  ton  que 
Ion  c|uitie,  ai'parliennent  au  ton  dans  lefiuel  on 
entre.  ,   , 

Si  lo  ton  dans  lequel  on  module  n  est  que  pas- 
sager, on  place  immédiatement  devant  les  noies 
qu'ails' allèrent  los  accidents  appartenant  à  ce  nou- 
veau ton.  Si  an  contraire  le  ton  dans  lequel  on 
module   doit    persister   pendant    un    temps  assez 


noui'elU  meswe   par  de  nom-eoiix  chiffres  qu'on 
placeraitapros  une  double  barre  de  séparation.  Kx.  : 


W^ 


Le    chiffre   supérieur  [numérateur),  exprime  la 
qunntilii  de  valeurs  formant  une  mesure.  Lé  chif- 

,  .  Ire  inférieur  (d«?îO";»ia(e'i'-),  exprime  la  çw'ii'i,' de 

long,  on  remplace  l'armure  de  la  clef  du  ton  que    ^gg  valeurs.  Ainsi  :  l  exprime  une  mesure  formée 


l'on  a  quitté  par  celle  du  ton  où  l'on  module  Lg    ^^^^  quarts    de  ronde,   cest-idire  de  deux 

IV.  L4   MESliUE.   —  Les   règles  qui  pré»idei_it  k  \  „„|^p^        ^ 


noires. 

On  énonce  les  différentes  mesures  par  le  nom 
des  chiffres  qui  les  représentent  :  par  conséquent, 
une  mesure  composée  de  deux  quarts  de  ronde 
(deux  noires),  et  chiffrée  \,  se  nomme  «  mesure  à 


l'ordonnance  des  différents  signes  de  durée  font 
l'objet  de  l'étude  de  U  mesure. 

Barres  de  mesuiie.  —  La  mesure  est  la  division 
d'un  morceau  de  musique  en  parties  égales.  Cette 
division  s'indique  au  moyen  de  barres  qui  traver-  ,   ,  , 

sent  perpendiculairement  la  portée,  et   que  l'on    aeM.r  quntre.  »  ....  , 

nomme  bnrres  de  mesure.  On   emploie  une  abréviation  pour  les  mesures 

L'ensemble  des  valeurs,  notes  ou   silences,  qui    qui  se  chiffrent  par  ;  et  par  J. 
se   trouvent  comprises  entre  deux  barres  de  me-       ç^^^^^       ■   ^^  ^^^.^^'^^         2  g^j  indiquée  par  un 
sure,  forme  une  me-ure.  La  somme  de  ces  valeurs  '  '       2 

doit  ftire  égale  pour  toutes  les  mesures  d'un  même  '  seul  ?,  ou  par  le  signe  (Tj  (c  barré).  Celle  qui  se 
morceau  (à  moins  qu'il  n'y  ait  un  changement  de  1      ^^^^  ,  ^^^  .^^^^  ^_^  ^^^^        „^ 

mesure),  hx.  :  _,  ' 

le  signr  rv  (c). 

Mesukes  simples.  —  La  mesure  simple  est  celle 
dont  la  somme  des  valeurs  formant  chaque  temps 
équivaut  à  un  signe  de  valeur  simple,  S"it  :  une 
ro7id",  une  btunche,  une  >i"ire  ou  une  c/  oc/i". 

Le  chiffre  intérieur  (dénominateur)  indique 
la  durée,  qu'occupe  un  temps.  Ce  chiffre  est  1 
pour  une  roude,  i  pour  une  blanche,  4  pour  une 
nuire,  et  8  pour  une  croche. 

Le  cliiffre  supérieur  (numérateur)  indique  la 
quaniitu  de  ces  valeurs,  par  conséquent  le  nombre 
lie  temps.  Ce  chiffre  sera  donc  i  pour  une  mesure 
à  2  lempi,  .i  pour  une  mesure  à  3  temps,  et  4 
pour  une  mesure  à  k  tempi. 

Les  mesures  simples  les  plus  usitées  sont  celles 
dont  chaque  temps  est  occupé  par  une  nuire.  Elles 
se  chiffrent  ainsi  : 


On  voit  que  chaque  mesure  renferme  une 
somme  de  valeurs  égale  à  une  bt-nch''. 

La  fin  d'un  morceau  de  musique  s'indique  tou- 
jours par  une  rfoifi/e  barre  de  mesure.  La  doulde 
barre  se  place  aussi  pour  séparer  deux  parties 
d'un  morceau  :  elle  est  alors  bun  e  de  rue^ine  et 
bane  de  séparation;  ou  avant  un  changement 
d'armure  de  la  clef;  ou  enfin  avant  un  change- 
ment de  mesure. 

Les  temps.  —  Une  mesure  se  subdivise  en  2,  .3 
ou  4  parties  qu'on  nomme  ttmps.  Il  y  a  donc  la 
mesure  i  2  teu,ps,  la  mesure  à  3  temps,  la  mesure 
à  4  tC'ups. 

Tous  les  temps  d'une  mesure  n'ont  pas  une  im- 
portance égale  au  point  de  vue  de  l'accentuation. 
Les  uns  doivent  être  articulés  plus  foriemenlque 
les  autres;  les  premiers  se  nomment  <em;js  /oits, 
et  les  autres  (?■/  ps  /aib'e<.  Les  temps  forts  sont: 
le  t'i-emier  temps  de  chaque  mesure,  et,  de  plus, 
le  troisième  temps  de  la  mesure  b.  quatre  temps. 
Chaque  temps  peut  se  subdiviser  à  son  tour  en 
pl"°-eurs  parties  ;  la  première  partie  d'un  temps 
est /'<7'e  relativement  aux  autres,  qui  sont  Iniblei. 
Lorsque  les  temps  d'une  mesure  sont  divisibles 
par  deiix,  on  les  nomme  teutfis  binaii es,  et  ils 
constiti'cnt  la  mesure  simple.  Lorqu'ils  sont  divi- 
sibles f  ar  trois,  on  les  nomme  leuips  ternaires,  et 
ils  tuiistitucnt   la  mesure  'Omiosée. 

Les  termes  de  mesure  sit'jple  et  de  mesure  com- 
posée &onl  employés  par  tous  les  musiciens;  mais 
il  serait  plus  rationnel  de  les  remplacer  par  ceux 
de  un  sure  à  teiups  binaires  et  mesure  à  temps  ter- 
naires. 

Lts  CHIFPRFS  I [ndi'-aleurs  des  différentes  mesu- 
res]. —  Les  différentes  mesures  sont  indiquées 
par  doux  chiffres  disposés  sous  forme  de  fractions 
(moins  labaire  qui,  dans  les  fractions,  sépare  les 
deux  chiffres),  dont  la  ronde  est  l'unité. 


Deux  temps 
(2  est  le  Dumératf] 


Trois  temps 
(3  est  le  numérat') 


Les    mesures   suivantes   sont  aussi   employées 
fréquemment: 

à  trois  temps 
croche  par  temps. 


Ex. 


Ces  chiffres  se  placent  au  commencement  du 
morceau,  immédiatement  après  l'armure  do  la  clef. 
Si  un  cliaiigement  de  mesure  se    présentait  dans 


Mesures  composées.  —  La  TOe«!i)">  rnmpo^ée  est 
celle  dont  la  somme  des  valeurs  formant  chaque 
temps  équivaut  à  un  signe  de  valeur  pointée,  soit 
ViVia  rniide  pi  in'ée,  une  btunche  po  ntée,  une  nuire 
poiutée  ou  une  croche poiitée: 

Le  chiffre  i;fériuur  (dénominateur),  indique  la 

dune,  qui  occupe   un   tiert  de  teuii's    Ce  chiffre 

est  2  pour  une  bluuclic,  tiers  d'une  ronde  pointée; 

4  pour  une    nniie,   tiers   d'une  blanche  poiniée; 

le  Courant  du  même  morceau,  on   indiquerait  la  1  8  pour  une  croche,  tiers  d'une  noire  pointée  ;   et 


MUSIQUE 


1374  — 


MUSIQUE 


IG   pour  une  double   croche,   tiers  d'une   croche 
poiiuée. 

Le  chiffre  supérieur    (numérateur)    indique  la 
qnaitlité  de   ces  valeurs,  et   par  conséquent    ne 
peut  être  que  G,  9  ou  12. 
le  thilTre  G  imliquanl  6  lien  Je  lemps,  pour  Ij  mesure  a  2  lem|]! 

—  9     —     9        —  —  a    — 

—  12      —     12  —  -  4     - 

Les  mesures  composées  les  plus  usitées  sont 
celles  dont  chaque  temps  est  occupé  par  une 
noire  pointée.  Elles  se  chiffrent  ainsi  : 

Dcu\  temps  Trois  temps  Quatre  temps 

(6  est  le  uumérat')    (9  est  le  niiinérat')    (12  est  le  numéral') 


une  noire  pointée  par  temps  (8  est  le  dénominateur) 
Les  mesures  suivantes   sont  employées    aussi 
quelquefois  : 


mesure  à  2  temps 

ayant  une  blanche  pointée 

par  temps 


Mesure  à  3  temps 

,vant  une  croclie  pointée 

par  temps. 


Manière  de  battre  la  mksube.  —  Battre  la  me- 
sui-e.   c'est  marquer   par   des  signes  de  la    main 
l'ordre  et  la  durée  de  chaque  temps. 
Mesui-e  à  deux  temps. 
Le  1"  temps  se  bat  en  bas.  —  Le  2«  temps,  en 
haut. 

Mesure  à  trois  temps. 

Le  1"  temps  se  bat  eu  bas.  —  Le  2^  temps,  à 
droite.  —  Le  3'  temps,  ch  haut. 

Mesure  à  quatre  temps. 

Le  1'"  temps  se  bat  en  fins.  —  Le  2'  temps,  à 
ijiiuc'.e.  —  Le  3' temps,  «  droite.  —  Le  i«  temps, 
m  liiiut. 

Dans  les  mesures  d'un  mouvement  lent,  on  peut 
marquer  la  division  de  chaque  temps  en  répétant 
eu  raccourci  chacun  des  signes  principaux. 

Le  rythme.  —  Le  rythme  est  l'ordre  plus  ou 
moins  symétrique  et  caractéristique  dans  lequel 
se  présentent  les  différentes  durées.  —  Parmi  les 
formes  rytlimique-,  il  en  est  deux  fort  importan- 
tes :  la  syncope  et  le  contre-temps . 

La  M/ncope.  —  La  sync  pe  est  un  son  artietdé 
sur  un  temp--  ftiible  ou  sur  la  partie  faible  d'un 
temps,  et  pro'cngé  sur  uu  lempt  fort  ou  sur  la 
partm  forte  du  temps.  Ex.   : 


ble  d'un  temps,  mais  ne  se  prolongeant  pas  sur  le 
temps  fort  ou  sur  la  partie  forte  du  temps. 

Ce  temps  fort  ou  cette  partie  forte  du  temps  est 
alors  occupé  par  un  silence.  Ex.  : 


Le  MoivEMENT.  —  Le  mouvement  est  le  degré  de 
lenteur  ou  de  vitesse  dans  lequel  doit  être  exécuté 
un  morceau  de  musique. 

Les  signes  qui  expriment  des  durées  (notes  ou 
silencesi  ont  entre  eux  une  valr-ur  re/ntive,  mais 
aucun  de  ces  signes  n'a  une  durée  absolue.  C'est 
le  mouvement  qui  détermine  la  durée  absolue  de 
ces  différents  signes. 

Il  y  a  une  graude  variété  de  mouvements,  depuis 
le  plus  lent  jusqu'au  plus  vif.  Le  mouvement  est 
indiqué  par  des  termes  italiens  que  l'on  place  au 
commencement  d'un  morceau  et  au-dessus  de  la 
portée.  I  es  termes  suivants  expriment  les  princi- 
paux mouvements,  en  allant  du  plus  lent  au  plus 
rapide  : 

TEnHBS.  ABnEVUTION-  SIGNIFICATION. 

Largo Large. 

LargtieUo Moin?  lent  que  Largo. 

Lenio Lent. 

A'îagio Minns  lent  que  Lento. 

Andante And"....  Modéré  (allant). 

Andantino .4..d'"»...  Moins  leot  que  Andante. 

Allegretto AW-" Moins  vif  que  Allegro. 

Allegr-j AU' Gai,  vif. 

Presto Pressé,  rapi-le. 

Prestissimo Presf^"..  Très  pressé,  très  rapide. 

A  térntion  d  /  mouvement.  —  L'expression 
d'une  phrase  musicale  peut  quelquefois  exiger 
que  le  mouvement  soit  animé  ou  ralenti.  Ces  al- 
térations du  mouvement  sont  indiquées  par  les 
expressions  suivantes  qui  se  placent  dans  le  cou- 
rant du  morceau  : 

POUn    AMMBII    LE   MOCVBUBNT. 


nto. 


imé. 


Acceieran'io.. 


En  accélérant. 

Plus  de  mouvemeat . 

Stretlo Serré. 


Rallentand-> 
Bitardando. 
Bitenuto. . . . 
Slurgando.. 


sl,i 


En  ralentissant. 

En  retardant. 

Retenu. 

En  élargissant. 


sons  articulés  sur  le  2«  et  le  4«  temps  (/e>//)«  fai- 
bles), et  prolongés  sur  le  1"  et  le  -i'  [temf.i 
forts,. 


POUn   SUSPENDRE    LA   MARCUR   REGeLIEIlE    DU   MOUTSMENT. 

Ad  libitum ad  liblt A  volonté. 

A  piacere A  plaisu-. 

Senza  tempo Sans  mesure. 

Après  l'altération  du  mouvement,  le  retour  au 
mouvement  régulier  s'indique  par  ces  termes  : 

Tempo      ) 

A  tempo       1"  mouvement, 

^'  Tempo  ) 

t  Point  d'rgw  et  point  fCarrèt.  —  Le  mouve- 
'  ment  peut  être  momentanément  suspendu.  Cette 
suspension,  dont  la  durée  est  indéterminée,  s'ex- 
prime par  le  sign  ■  suivant  T 

Placé   au-dessous  ou  au-dessus  d'une  note,  ce 
signe  prend  le  nom  de  jOint  d'orgue. 


sous  articulés  sur  la  2'  partie  do  chaque  temps 
{partie  fiible),  et  prolongés  sur  la  I"  partie  du 
temps  suivant  (partie  [frie).  ' 

Le  œntri -temps.  —  Le  contre-temps  est  un  son  , 
arhcii.'é  sur  vu  temps  fai' In  ou  sur  la   ;  ^rtie  fai- 


MUSIQUK 


—  13"i 


MUSIQUE 


l'li\c/  ail-dessous    ou  a\i-dessus  d'un  silence,  il 
^iid  le  nom  de  point  d'arrcl. 


Ce  signe  indique  que  la  durée  de  cette  note  ou 
de  ce  silence  doit  être  prolongée  au  de/à  de  sa 
valeur,  aussi  longtemps  que  l'exige  le  bon  goût 
de  l'exécutant. 

Adiiéviatio\s.  —  Barres  de  reprise.  —  On  a  vu 
que  la  double  barre  indiquait  la  fin  d'un  morceau 
ou  d'une  de  ses  parties  principales.  L'une  de  ces 
parties  prend  le  nom  de  rrpri<e  si  elle  doit  6tro 
exécutée  deux  fois.  On  indi<|U(^  la  reprise  par  deux 
points  placés  auprès  de  la  double  barre,  et  il 
faut  répéter  la  partie  qui  se  trouve  du  côté  de  ces 
points. 


Si,  dans  la  répétition  d'une  partie,  on  devait, 
en  la  terminant,  remplacer  une  ou  plusieurs  me- 
sures par  une  ou  plusieurs  autres,  on  l'indiquerait 
ainsi  : 

I  V  fois.H  2™  fois.  I 


Renvoi.  —  Le  renvoi  .^'  est  un  signe  qui,  lors- 
qu'il se  présente  pour  la  seconde  fois,  indique 
qu'il  faut  retourner  à  l'endroit  où  il  s'est  déjà 
montré  et,  de  cet  endroit,  continuer  l'exécution 
jusqu  à  la  fin. 

Lorsque  le  re7ivo':  indique  qu'il  faut  revenir  au 
commencement  du  morceau,  ce  renvoi  est  ordi- 
nairement accompagné  des  mots  DA  CAPO  (de  la 
tête,  du  commencement),  ou  par  abréviation, 
D.  C. 

Lorsqu'on  reprend  un  morceau  au  commence- 
ment, et  qu'«/i^'  ou  plusieurs  reprises  se  ren- 
contrent jusqu'à  la  fin,  chacune  de  ces  reprises  ne 
doit  pli'S  éire  expcuiée  qn'une-foi<. 

Particularités  relativks  a  la  mesure.  —  1°  Lors 
qu'une  mesure  est  en  silence,  qmlle  que  soit  la 
mesure,  on  riii'liqu-'  pur  une  pnuiC. 


2"  Lorsque  2  ou  4  mesures  sont  en  silence,  on 
les  indique  par  le  bâton  de  deux  pauses  surmonté 
d'un  2,  pour  deux  mesures,  et  par  le  bâton  de 
quatre  pauses,  surmonté  d'un  4  pour  quatre 
mesures. 


Bàlou  de  2  pan 


Bâton  'le  4  pa 


^  "4 


gne  I— (  surmonté  du  cliiCTrc  indiquant  le  nombre 
de  mesures  de  silence. 


Cet  exemple  indique  un  silence  de  10  mesures. 
Ce  signe  s'emploie  seulement  dans  les  parties 
séparées  d'un  morceau  d'ensemble. 

4°  Lorsque  la  première  mesure  d'un  morceau 
commence  par  des  silences,  on  les  supprime  or- 
dinairement. 


au  lieu  de 
■— ^     r     y  -I — T — "-■ 0       r — a 


■3°  Lorsqu'il  y  a  un  plus  grand  nombre  de  me- 
sures en  silence,  on    place  sur  la  portée  le  si- 


Historique.  —  On  n'est  point  d'accord  sur  l'his- 
toire de  la  musiqui'  dans  l'antiquité.  Cette  partie 
de  la  science  est  encore  obscure  et  mal  connue, 
et  il  n'y  a  guère  de  sujet  où  l'on  ait  vu  naître  un 
plus  grand  nombre  de  divagations  prétentieuses 
et  fastidieusrs.  Des  écrivains  systématiques  ont 
abandonné  l'iiistoiro  de  la  musique  modi/rne.  qu'ils 
ne  savaient  guère,  pour  celle  de  la  musique  .mti- 
que,  qu'ils  ignoraient  profondément.  Nous  croi- 
rions ridicule  de  discuter  ici  des  opinions  qui  ne 
sont  que  subtiles  ou  bizarres. 

Nous  appellerons  toutefois  l'attention  sur  un 
petit  nombre  de  faits  insuffisamment  observés. 
Nous  ferons  remarquer  par  exemple  qu^  la  mu- 
sique grecque,  dont  les  traditions  populaires  en 
Orient  et  la  tradition  ecclésiastique  dans  les  deux 
rites  ont  pu  nous  conserver  que!q\ics  types  légè- 
rement dégradés,  semble  s'être  distinguée  sou- 
vent par  un  caractère  extatique  et  mystique  qui 
se  marquait  surtout  dans  la  musique  des  temples. 
Cette  musique  de  lyres,  do  flûtes,  de  cymb.iles  et 
de  voix,  respirait  même  quelquefois  une  fureur 
bachique  et  orgiastique  dont  on  peut  se  faire  une 
idée  en  lisant  le  petit  traité  (attribué  à  Lucien), 
IJe  la  déesse  de  Si/rie. 

C'est  une  musique  du  même  genre  que  faisaient 
entendre  aux  empereurs  romains  ces  musiciens 
dont  il  est  souvent  question  dans  VHistoir!-  d'Au- 
guste, ces  orchestres,  ces  chœurs  nombreux  con- 
fondus dans  la  suite  immense  des  Césars,  mêlés 
avec  leur  cortège  d'acteurs,  de  danseurs,  de  cour- 
tisanes et  de  mimes. 

Nous  devons  égdement  appeler  l'attention  sur 
la  musique  qui,  en  dehors  du  monde  gréco-latin, 
subsista  à  Jérusalem  jusqu'à  la  destruction  du 
temple  d'Ilérode  par  Titus.  Divers  litres  ou  débuts 
de  psaumes,  queli|ues  passages  dos  livres  narra- 
tifs de  la  Bible,  notamment  des  Hois  et  dos  Pura- 
lipoménes,  les  traditions  qui  se  rattachent  aux 
noms  d'Asaph  et  de  Jodithun,  donnent  l'idée 
d'une  musique  vocale  et  instrumentale  majes- 
tueuse, sans  qu'il  soit  possible  de  déterminer 
quel  était  le  caractère  et  le  vrai  style  de  cette 
musique. 

Cet  art  disparut  avec  le  Temple  :  la  musique 
gréco  romaine  elle-même  s'altéra  profondément 
quelques  siècles  après,  dans  l'éiat  de  décadence 
et  de  barbarie  où  clait  tombé  le  monde  Pendant 
le  moyen  âge,  la  musique  n'exista  guère  qu'à 
l'église,  dépourvue  do  tout  caractère  artistique, 
et  privée  môme  d'une  notation  suftisaramcnt  pré 
cisc. 


MUSIQUE 


—  1376 


MUSIQUE 


Cependant,  quelques  musiciens,  presque  tous 
ecclésiasùques,  travailleurs  appliqués  et  observa- 
teurs parfois  pénétranis,  accumulèrent  lentement 
des  expériences  et  des  remaniues  qui  renouvelè- 
rent peu  à  peu  l'état  de  la  science  musicale.  On 
convient  aujourd'hui  d'attribuer  à  Gui  d'Arezzo, 
moine  du  xi'  siècle,  l'inve  tion  de  la  notation 
modi-rne,  perfectionnée  par  Franco  de  Cologne  au 
xiif  siècle  et  par  Jean  de  Mûris  dans  le  xiv  siè- 
cle. Ce  .système  de  notation,  contre  lequel  on  a 
élevé  de  futiles  objections,  n'a  pas  été  sans  in- 
fluence sur  le  merveilleux  développement  de  la 
musique,  car  il  se  prêtait  à  exprimer,  d'une  ma- 
nière limpide  et  d'abord  saisissable,  les  détails  les 
plus  ténus  dans  les  combinaisons  les  plus  vastes. 

C'est  vers  le  temps  de  la  Renaissance  que  les 
maîtres  flamands  tirent,  les  premiers,  entendre 
des  compositions  régulières  à  plusieurs  voix.  La 
musique  polyphonique,  jusque-là  déshonorée  par 
d'informes  puérilités  et  parfois  abaissée  jusqu'au 
rang  d'un  bruit  grotesque,  acquit  peu  à  peu  la 
sûreté,  la  puissance  et  la  souplesse,  grâce  aux 
travaux  de  ces  maUres  du  contre-point.  iVous  ne 
pouvons  que  nommer,  sans  caractériser  leur  ma- 
nière, les  grands  musiciens  de  cette  époque  de 
sève  extraordinaire,  Willaert,  Josquin  des  Prés, 
Roland  de  Lassus. 

Dans  le  xvi»  siècle,  Goudimel,  en  France,  mé- 
rita l'un  des  rangs  les  plus  élevés  parmi  les  mai 


à  un  point  qui  permit  de  l'atteindre  aux  artistes 
de  l'âge  suivant.  Le  Florentin  Lulli  vint  en  France, 
ettr.ivaiUapourla  fasiueuse  cour  de  Louis  XIV.  Ses 
œuvres  pleines  d'élégance  et  de  noblesse  pâlissent 
devant  celles  des  maîtres  du  xviii°  siècle,  qui 
n'ont  fait  à  quelques  égirds  qu'eiiricliir  et  épu- 
rer le  style  dans  lequel  avait  écrit  Lulli. 

Les  bornes  de  cet  article  nous  interdisent  même 
de  nommer  les  autres  maîtres  do  cette  époque. 
Nous  ne  pouvons  cependant  omettre  le  Sicilien 
Scarlalli,  qui  écrivit  dans  les  dernières  années  du 
siècle,  et  dont  on  admira  la  grâce  voluptueuse  et 
le  sentiment  délicat. 

C'est  â  la  fin  du  xvii"  siècle  et  presque  simulta- 
nément que  naquirent  quelques-uns  de  ces  grands 
et  surprenants  artistes  qui  devaient  faire  dusièi;l<} 
suivant  le  commencement  de  la  plus  belle  époque 
de  la  période  héroïque  de  l'art  musical.  Rameau 
vint  au  monde  en  1B83,  Bach  et  Hœndol  en  1B85, 
Marcello  en  16s6. 

Marcello,  la  perle  et  le  joyau  de  l'école  véni- 
tienne, littérateur  érudit  et  politique  raffiné,  re- 
nouvela dans  ses  psaumes,  en  l'ornant  sobre- 
ment, le  .«tyle  vocal  des  maîtres  d'un  autre  âge. 
Hsndel,  né  en  Allemagne,  alla  triompher  en  An- 
gleterre, et  fut.  pour  ainsi  dire,  adopté  par  la 
nation  qui  lui  donna  un  lit,  funèbre  enire  ses 
princes  et  ses  héros,  à  peu  de  distance  de  Shake- 
speare. D'abord  attaché  au  magnifique  duc  de 
^!.        .  ->•  1 I., Li~,.,,].^i     v.«:i_ 


rita  l'un  des  rangs  les  plus  élevés  parmi  les  mai-  speare.  u  anoru  auac  e  au  ■.■ag.Mu.i^.v^  ^>.>,  ^v- 
îres  du  -rand  style  vocal.  On  distingue  dans  ses  Chandos,  puis  au  roi  d  Angleterre,  Haendel,  br.l- 
o^uvres  quelques-uns  des  caractères  qui  ont,  en  lant  d'esprit  et  de  verve,  g  and  organiste,  compo- 
tout  c^enre  illustré  l'école  française,  un  mélange  :  sitour  fécond  pour  le  clavecin  et  pour  I  orchestre, 
exquil  de  finesse  et  d'imagin.,tion,  de  fougue  et  {  s'est  surtout  illustre  par  ses  incomparables  ora- 
j!1.,?„„  ^i"  ,:o.„»  c,  Hb  riir.,nrtinn  I  torios.  Ces  ouvrages  ma  estueux,  ou  brûle  un  feu 


e  erâce   de  verve  et  de  distinction.  lorios.  (.es  ouvrages  .iidjeaiucu..,  uu  ..,..<.  "■■■-- 

Goudimel  eut  pour  élève  P-ilestrina ,  le  plus  1  extraordinaire,  qui  etincellent  du  plus  ardent 
grand  musicien  qui  ait  com,osé  dans  cestylo  qu'on  I  coloris  ,  sont  composes  dans  un  style  tout  i 
nomme  le  sivie  fi-uré.  Comme  l'a  écrit  Halévy,  ;  fait  propre  à  ce  maure.  En  Allemagne,  Bach  se 
Tombla  que  le  ciel  eût  fait  naître  Palnstrina  montrait  le  plus  puissant  et  le  plus  ingemcux  des 
pour  consoler  le  monde  de  la  mort  de  Raphaël.  j  organistes,  .1  prodiguait  les  cnefs-d  œuvre  en 
^  La  musique  de  l^alestrina  est  en  merveilleux  |  plus  d'un  genre,  et  écrivait  ces  deux  ^..«îon. 
accord  avec  la  peinture  et  l'architecture,  avec  lart  ■  immortelles,  do.it  l'une  au  moins  a  sa  place  sur 
dé' oralif  de  son  temps.  Elle  semble  faite  pour  ,  la  liste,  assez  brève,  des  chefs-d  œuvre  de  1  esprit 
-..: i-„  r»,..„n„,,oo  orrilsoo  rip   1.1    Renaissance,     humain. 


animer  les  fastueuses  églises  de  la    Renaissance 
Elle  se  relie  et  se  raccorde  pour  ainsi  dire   aux 


humain. 

En  Fiance,  enfin,  Rameau  déployait  les  taltints 


File  se  relie  et  se  raccorde  pour  ainsi  Qire  aux  r.n  r  lance,  enim,  i,a...i=<.v.  >i=H.",-.v  ...,.  .».„...- 
dômes  et  aux  colonnades.  Chateaubriand  a  oit  :  d'une  dos  plus  rares  natures  de  musicien  qui  aient 
"T^.-i.  L„.  K„„„„  oo=  h,.„ir.  n„nn  entend  autour  '  iamais  paru  dans  le  monde.  Il  y  a  eu  peu  de  l-ran- 


uoilies    eu    auA  \^v.piv/nii«^i^o.    ^. .,.„■. 

«  Qu'ils  sont  beaux  ces  bruits  qu'on  entend  autou 
des  dômes  !  »  On  n'en  saurait  entendre  aucun  qui 
puisse  valoir   l'harmonie  pure,  noble,  élégante  en 
son  austérité,  du  triste  et  suave  Palestnna. 
A  côté   de  Palestrina,    lécole    romaine  de   ce 


U   une   UU3   piU^    luiisoiif'i.uiv.'    "^    ...  ...j,^ -j... 

jamais  paru  dans  le  monde.  Il  y  a  eu  peu  de  Fran- 
çais d  un  génie  aussi  original  que  ce  grand  homme, 
à  la  fois  artiste  inspiré  et  théoricien  philosophe. 
Lui  aussi  combattit  et  s'illustra  dans  plus  d'une 
carrière  ;  mais  le  meilleur  do  sa  gloire  lui  vint  de 


A  côté  de  Palestrina,  leco  e  romaine  ûe  ce  i  carrière  ;  mais  le  nu-. hbui  uu=.a  ;,.....>.  .-..■..- — 
temps  produisit  d'autres  grands  maîtres.- et  parmi  j  ses  opéras  où  Diderot  disait  qui  y  avait  ..de 
euT   G?egorio   Allegri,   dl  la  famille  du  Corrège,    airs  de  danse  qui  dureront  éternellement,  ..  eto^u 

dont  le  a  Mi  erere  »  écrit  pour  deux  chœurs,  l'un    règne  partout  une  splendeur  fa; -"■ 

inuatre  et  l'autre  à  cinq  voix,  a  passé  longtemps  ,  imposante. 


stueuso,  magnifique, 

Rameau  était  grand  organiste  comme  Bich  et 
Hajodel.  Il  contribua  comme  eux  â  fixer  et  à  per- 
fectionner le  style  de  cet  instrument,  paien  à  l'o- 
rigine, qui  accompagna  dans  le  cirque  les  jeux, 
les  pantomimes,  les  évolutions  des  factions  bl.jue 
et  verte,  et  qui,  devenu  l'instrument  mystiiiue  par 
excellence,  est  aujourd'hui  l'une  des  plus  magiques 
puissances,  l'un  des  plus  forts  enivi-ements  de  la 
musique  sacrée. 

C'est   dans  le    xviii»    siècle  que  brillèrent   en 
France  plusieurs  artistes  excellents,  tels  que  Mon- 
delssohn  et  Mevcrbeer.  I  donville,  qui  ayant,  durant  leur  vio,  passionné  le 

Les  p  c^nie  s^opéras  dignes  de  ce  nom  furent  '  monde  le  plus  spirituel  et  le   plus   relevé,   son 
écHÎ    't^UaUepar'îes  maîtres  de  l'école  qui  suc-    tombés  après  leur  mort,  ï>'>^]J'^l^'^^'°'^\ll 
céda  à  celle  de  Palestrina.  iNous  citermis  ici  Mon-    serait  trop   long  de    déduire   iç,  dans    un    oubli 
toverde  (mort  en  IiU3),  qui  semble  avoir,  le  pre-    immérité  d  où  ils  sortiront  quelque  jour 
mer,   an^a^Ié  exaci^m^ntet   déterminé   avec'ri-     .  ^afindusiècle  ut  marquée  par  m,  dos  plns^^^^^^^^^ 
gueur   la   nature   du    quatrième   et  du  septième  '  événements  de  l  histoire  de  la  musique    Nou>  vou- 
degré  de  la  gamme,  et\ui.  en  caractérisant  ainsi    Ions  parlerde  l'avènement  de  t''.";'l;_f"^'^  'i^"»  f« 
lAe,i~if./e  efla  so'.s-dlan.nto,  contribua  i  lixer  ,  l'^■■'^,Ond^■>t[emarquerâcesu  et  quecest  à  Paris 
la  tonalité  et  à  préparer  l'évolution  de  la  musique    avec  1  appui   des  poè.es  français,  avec   '«  ^«=»"^^ 
moderne  'l*^*   décorations  ingcnieuses  de   notre  Opéra,  de 

l.ans  lé  xviie  siècle   l'opéra  continua  de  se  dé-  |  nos  l^biles  et  experts  m.nteurs  en  scène,  que  plu- 
velopper,  et,  sans  arriver  k  la  perfection,  fut  porté  1  sieurs  parmi  les  plus  grands  musiciens  étrangers 


a.lliaLICVlj.aM."^'"^""!- ,"!----  ij         ,1 

pour  une  merveille   musicale,  miracle  d  inspira 
tion,  prodige  d'exécution. 

Dans  le  même  temps  florîssaîl  l'école  vénitienne, 
digne  de  b  iller  magnifli|uement  dans  la  cité  de 
Mantegna,  de  Titien  et  de  Véronèse. 

A  peu  près  vers  la  môme  époque,  sous  I  in- 
fluence de  Luther.  l'Allemagne  introduisait  la  mé- 
lodie populaire  à  l'église.  Tout  le  monde  connaît 
ce  choral  de  Luther  quia  été,  de  nos  jours,  traité 
avec  infiniment  d'art  et  de  richesse  par  deux  des 
musiciens  les  plus  raftînés  de  ce  temps,  Men- 
delssohn  et  Meycrbeer 


MUSIQUE 


—  1377  — 


MUSIQUE 


vinrent  écrire  leurs  cliefs-d'iuuvre  les  plus  origi- 
naux. Ainsi  en  at-il  été  do  Gluck,  de  Saccliiui, 
plus  lard  do  SpoiUini,  de  Rossini  et  de  Meyorbeer. 
Ce  fuit  est  sunout  remarquable  pour  ce  qui  con- 
cerne Gluck  et  Meyerbeer,  à  qui,  pour  des  rai- 
sons diverses,  tous  les  théâtres  de  l'Europo 
étaient  ouverts.  Il  est  certain  que  l'opéra,  tel 
qu'il  s'est  constitué  i  la  lin  du  xviii*  siècle  et  au 
commencement  de  celui-ci,  est  vraiment  une  créa- 
tion do  la  France,  ou  plutôt  de  Paris. 

La  venue  de  Gluck  eu  France  donna  naissance 
à  une  querelle  fastidieuse  qui  parut  mériter  la 
devise  applicable,  d'après  Voltaire,  à  toutes  les 
querelles  :  ■■  Sottise  des  deux  parts.  »  Des  opinions 
extravagantes  et  des  systèmes  peu  intelligibles 
furent  soutenus  par  des  plillosoplies  qui  ne  s'en- 
tendaient pas  touioufs  eux-mônies.  On  opposait 
l'un  à  l'autre  Gluck  et  Piccini,  et  l'on  croyait  que 
ces  grands  maîtres  différaient  justement  par  où 
ils  se  ressemblent  le  plus. 

D'autres  musiciens  obtinrent  de  grands  succès 
à  Paris,  dans  le  temps  où  Gluck  y  donnait  les 
deux  luhii/énie.i.  Nous  ne  pouvons  omettre  Salieri, 
qui  eut  la  gloire  de  travailler  avec  Beaumarchais, 
et  Grétry;  ce  dernier  mit  dans  ses  ouvrages  la 
grâce  et  la  finesse  qui  parent  les  tableaux  des 
peintres  de  son  temps. 

Tandis  que  Paris  semblait  ainsi  la  capitale  mu- 
sicale de  l'univers,  on  voyait  fleurir  et  se  dévelop- 
per en  Allemagne  cette  grande  école  viennoise, 
qui  devait  transformer  la  musique  symphonique 
et  amener  l'art  musical  à  produire  en  ce  genre 
•des  effets  inattendus.  Haydn  commençait  d'écrire 
cette  innombrable  quantité  d'œuvres  dont  la  plu- 
part sont  des  chefs-d'œuvre.  Il  semble  que  nul 
musicien  ne  puiise  lui  être  comparé,  si  l'on  con- 
sidère sa  fécondité,  la  richesse  infinie  et  le  bril- 
lant de  son  esprit,  l'éclat  doux  et  soutenu  de  son 
imagination.  Mozart,  né  quelques  années  après 
Haydn,  se  montrait  supérieur  et  novateur  en  tout 
genre,  déployait  l'originalité  la  plus  éclatante,  l'ac- 
tivité la  plus  inconcevable,  et  par  une  fortune  qui 
n'a  été  accordée  à  aucun  autre  musicien,  laissait 
des  ouvrages  qui  sont  des  modèles  accomplis, 
dans  la  symphonie,  dans  la  musique  de  chambre, 
à  l'église  et  au  théâtre. 

Cependant  les  chefs  de  l'école  italienne  de  ce 
temps-là,  Cimarosa  et  Paisiello,  se  rendaient  cé- 
lèbres par  des  ouvrages  sans  nombre,  où  respire 
cette  gaieté  d'Italie,  sensuelle  et  capiteuse,  essence 
infiniment  précieuse  et  subtile. 

Le  xviii'  siècle  avait  été,  comme  on  le  voit,  pour 
la  musique,  une  période  de  fécondité  admirable 
et  qui  lient  du  prodige.  Cependant  la  période  qui 
s'étend  des  vingt  dernières  années  du  siècle  aux 
quarante  ou  cinquante  premières  de  celui-ci,  est 
peut-être  encore  plus  extraordinaire  par  la  réunion 
des  génies  et  des  talents.  On  peut  dire  que  cette 
époi|ue  où  brillent  presque  simultanément,  à  côté 
de  Haydn  et  de  Mozart  encore  vivants,  des  maîtres 
comme  Beethoven,  Sponlini,  Cherubini,  Weber, 
Rossini,  Mendeissolin,  Meyerbeer,  est  dans  l'his- 
toire de  la  musique  quelque  chose  d'analogue  à  ce 
<iue  le  xvi«  siècle  fut  dans  l'histoire  de  la  peinture 
italienne,  une  période  de  maturité  opulente  et  ma- 
gnifique, l'époque  du  plus  riche  épanouissement, 
de  la  floraison  la  plnsétincelante  et  la  plus  délicate. 
Beethoven,  adniir.ible  en  plus  d'un  giinrc,  ma- 
nifesta sa  plus  grande  puissance  dans  la  sympho- 
nie :  il  y  déploya,  avec  une  simplicité  magistrale, 
une  sobriété  énergique;  il  sut  donner  à  ses  gran- 
des compositions  un  coloris  tour  à  tour  funèbre, 
héroïque,  pastoral,  triomphal.  Quoique  lart  ait 
depuis  raffiné  sur  certains  moyens,  les  symphonies 
de  lieothovon  demeurent  jusqu  à  ce  jour  le  mo- 
dèle achevé,  la  plus  haute  expression  do  la  musi- 
<iuc  instrumentale. 

C'est  peut-être  à  Weber  qu'appar'ieni,  en  face 
"'  Partie. 


de  Beethoven,  le  rang  le  plus  élevé  parmi  les  mu- 
siciens du  môme  temps.  Il  joignit  à  la  sensibilité 
profonde  et  touchante  des  poètes  de  sa  r.ace  une 
grâce  qui  n'est  qu'à  lui.  Mien  n'a  égalé  la  force 
et,  si  l'on  ose  le  dire,  la  véhémence  de  son  senti- 
ment musical,  si  ce  n'est  la  finesse  de  sa  gaieté, 
le  charme  de  son  sourire. 

Que  dire  dos  musiciens  qui  écrivaient  en  France 
à  peu  près  dans  le  même  temps  que  Beethoven 
donnait  ses  plus  beaux  chefs  d'oeuvre?  Losueur, 
auteur  de  systèmes  trop  célèbres  et  d'opéras  trop 
oubliés  ;  Méhul,  l'un  des  compositeurs  qu'admirent 
le  plus  aujourd'hui  ceux-là  mêmes  qui  en  musique 
font  profession  d'être  des  hérétiques  et  des  dissi- 
dents. Dans  l'histoire  de  l'opéra,  une  place  singu- 
lière et  éminente  doit  être  attribuée  à  Spontini. 
Peu  de  musiciens  peuvent  lui  être  comparés  pour 
la  pureté  et  l'élégance  des  récitatifs,  la  noble  et 
sitvante  architecture  des  ensembles,  la  couleur 
exquise  de  l'orchestration  et  la  splendeur  héroï- 
que du  tout. 

Vers  le  même  temps,  Cherubini  affectait  dans  la 
musique  d'église  une  manière  d'écrire  ingénieuse 
et  docte,  où  il  déployait  l'entente  de  toutes  les 
ressources,  de  tous  les  artifices  de  l'ancien  style 
intrigué. 

Ce  fut  vers  1810  que  commença  de  se  produire 
Bossini,  l'un  des  plus  grands  Italiens  qui  aient 
jamais  paru  et  dont  le  génie  doit  être  admiré 
comme  l'une  des  productions  les  plus  précieuses 
de  cette  terre  où  vécurent  Virgile  et  Raphaël. 
Après  .avoir  conçu  et  exécuté  maint  chef-d'œuvre, 
il  passa  de  longues  années  dans  le  repos,  à  la 
manière  de  Shakespeare  qui  laissa  sécher  sa  plume 
après  avoir  écrit,  la  Tempête. 

Rossini  était  venu  comme  Gluck  triompher  à 
Paris,  lorsqu'arriva  dans  cette  ville  un  musicien 
qui  devait  à  son  tour  s'emparer  de  l'opéra  où  il 
règne  à  cette  heure  presque  sans  partage.  Gia- 
como  Meyerbeer,  auteur  de  quelques  opéras  ita- 
liens, ne  reçut  pas  d'abord  en  France  un  très 
grand  accueil,  et  Stendhal,  alors  l'un  des  juges 
attitrés  du  dilettantisme  mondain,  affecta  de  le 
traiter  en  amateur  riche,  en  fils  de  banquier  juif, 
qui  écrit  pour  se  divertir  :  il  censura  la  monoto- 
nie et  même  la  vulgarité  de  ce  qu'il  nommait  3e,s 
cantilènes.  Bientôt  Meyerbeer  donna  fioàert  le 
Diable  et  les  Huguenots.  Soit  dans  ses  opéras  que 
tout  le  monde  connaît,  soit  dans  ses  autres  ou- 
vrages, il  montra,  outre  le  génie,  les  ressources 
d'un  homme  qui  avait  infiniment  d'esprit  et  qui 
l'avait  riche  et  fécond,  apte  à  briller  en  tout  genre 
de  talent. 

Mendeissolin,  dans  les  mêmes  années,  écrivait 
ses  symphonies,  ses  chœurs,  ses  pièces  d'orgue  et 
de  chambre,  ses  oratorios  de  Paulus  et  d'É'/is.  On 
l'a  souvent  rapproché  de  Meyerbeer,  quoique  ces 
deux  grands  artistes  aient  été  maîtres  en  des  gou- 
res différents.  Tous  deux  en  effet,  érudits  et  dé- 
licats, ont  ceci  de  commun,  qu'ils  sortaient  de  ce 
inonde  Israélite  de  Berlin,  si  raffiné,  si  curieux,  si 
docte,  qui  produisit  les  Heine,  les  Rahel,  les 
Michaël  Béer,  les  Henriette  Herz,  et  tant  d'autres 
personnalités  éclatantes  ou  distinguées. 

Nous  ne  pouvons  que  nommer  ici  les  artistes 
les  plus  originaux  de  cette  période  qui  comprend 
la  première  moitié  du  siècle.  L'Italie,  après  Ros- 
sini, avait  vu  naître  liollini,  talent  si  délicat,  com- 
parable à  ces  poiiitres  qui,  par  la  grâce  et  la 
finesse  de  leur  pinceau,  se  sont  fait  une  place  à 
part,  sans  parvenir  à  se  fixer  au  premier  rang. 

Parmi  les  compositeurs  de  notre  pays,  citons 
Boieldieu  et  Auber.  Boîeldieu,  musicien  charmant 
et  fécond  aux  mélodies  fraîches  et  distinguées,  et 
dont  le  chef-d'œuvre,  la  Dame  Blandie,  se  main- 
tient avec  honneur  au  répertoire.  Auber,  esprit  si 
français,  P.irisien  mondain  et  sceptique,  qui  écrivit 
en  so  jouant  plus  de  cinquante  ouvrages  de  ce  style 
87 


MUSIQUE 


1378 


MUSIQUE 


étincebnt  et  léger  qu'on  a  vainemeut  tenté  de  dé- 
crier. Herold.  niulgrc  sa  mon  prématurée,  s'est  mis 
au  rang  des  plus  grands  artistes.  Aucun  musicien 
né  en  France  ne  l'a  peut-être  égalé  pour  l'abon- 
dance et  la  fougue  des  iûécs.  jointes  chez  lui  à  un 
esprit  luminei  x  et  riant  et  à  une  pompeuse  ima- 
gination. Ses  mélodies,  claires  et  colorées,  brillent 
d'un  air  de  grâce  et  d'immortelle  jeunesse. 

Nous  nommerons  cntin  Fronienlal  Halévy,  qui 
fut  un  prosateur  élégant  et  pur,  en  même  lemps 
qu'un  grand  musicien,  et  qui  a  excellé  dans  la  mu- 
sique légère  et  ironique,  ainsi  que  dans  le  style 
fasiueux  et  magnifiquement  décoratif.  Parmi  ses 
grands  opéras,  il  en  est  plusieurs  qui  ne  sont  point 
demeurés  au  répertoire  et  qui  renferment  néan- 
moins des  morceaux  de  la  plus  rare  élégance  et 
des  fragments  de  la  plus  imposante  majesté. 

Depuis  un  certain  nombre  d'années,  on  voit  dis- 
tinctement se  dessiner  dans  l'iiistoire  de  la  musi- 
que "ne  période  nouvelle.  Cette  période  n'est 
pas  ninins  fe'conde  en  talents  que  celles  qui  l'ont 
précédée.  Pour  ne  mentionner  que  deux  artistes 
qui  sont  dés  aujourd'hui  au-dessus  de  toutes  les 
discussions  d'écoles,  nous  citerons  MM.  Ambroise 
Thomas  et  Gounod,  deux  maîtres  accomplis  et  ex- 
quis avec  des  manières  fort  distinctes  On  peut  dire 
que  c'est  h  la  période  présente  qu'appartiennent  les 
ouvrages  de  Berlioz,  puisque,  s'ils  sont  écrits  de- 
puis un  assez  grand  nombre  d'animées,  ils  ne  sont 
parvenus  que  depuis  peu,  du  moins  en  France, 
au  succès  retentissant  Berlioz,  apprécié  surtout 
comme  symphoniste,  fut  simultanément  un  grand 
musicien  et  un  littérateur  inégal,  mais  brillant  et 
ingénieux. 

Quelles  conjectures  peut-on  former  sur  l'avenir 
de  la  niusi(iue?  Doit-on  croire  il  sa  future  apo- 
tliéose,  ou  à  sa  prochaine  décadence''  Ce  qui  est 
certain,  c'est  que  la  plupart  des  penseurs  de  l'é- 
poque (t-nire  lesquels  on  peut  citer  MM.  Michelet 
et  Benan)  ont  considéré  que  la  musique  était  une 
des  plus  grandes  originalités  de  ce  temps-ci.  Les 
progrès  qu'elles  a  réa'isés,  son  développement,  sa 
diffusion  ont  paru  une  acquisition  capitale  de  l'es- 
prit Immain,  une  conquête  qui,  toute  proportion 
gardée,  se  peut  comparer  à  la  découveiie  on  it  la 
propagation  de  l'alpliahet  phonét  que.  Il  semble 
qu'un  art  si  jeune  et  si  puissant  doive  être  encoie 
réservé  à  des  destinées  brillantes,  à  de  merveil- 
leuses aventures.  Certes  il  est  permis  de  douter 
que  la  musique  retrouve  jamais  une  réunion  de 
génies  et  de  talents  comme  celle  qui  se  produisit 
vers  la  fiii  du  dernier  siècle.  Ne  vit-on  point,  après 
le  Cii.qufcenlo,  la  peinture  italienne  décliner  et 
s'appauvrir/  Toutefois,  il  faut  se  garder  de  irom- 
peuses  analogies,  considérer  que  la  musique  est 
un  domaine  à  part,  et  ne  point  croire  que  tout  pé- 
rit alors  seulement  que  tout  se  Irons  fonne. 

Enfin  il  faut  surtout  remarquer  que  la  musique 
est  de  nos  jours  un  objet  d'attenlion  singulière, 
de  curiosité  passionnée,  de  sollicitude  ingénieuse 
et  constante.  L'en.^eignement  populaire  et  général 
de  la  musique,  t-l  (|U'il  est  par  e.vemple  ré. ■lise  à 
Paris,  peut  avoir  des  consé(|uences  iticalculables, 
en  répandant  la  culture  d'un  sens  si  noble  et  si 
pur.  C'esi  iiinsi  qu'on  préparera  des  générât  ioos  qui 
seront  à  la  fois  plus  son-bibles  et  plus  intelligentes. 
Il  n'est  pas  diHiteux  qu'en  travaillant  ainsi  à  pio- 
duire  des  oreille^  plus  délicates  et  des  âmes  plus 
fines,  on  ne  réussisse  à  susciter  des  compositeurs 
à  qui  ne  manquenmt  ni  les  eACCutants  accomplis, 
ni  les  auditeurs  eritliousi^stes.      [A.  Danlianser.j 

iVous  dunnoos  ci-dessous  le  programme  de  l'en- 
seignement musical,  actuellement  adopté  dans  les 
écoles  de  la  ville  de  Paris,  pour  les  élève-  des 
cours  m^jcn  et  ^upérieHr.  de  même  que  le  pro- 
gramme de  l'examen  aui|uel  sont  astreints  le^  in 
stituteurs  et  institnlrires  de  Paris  pour  obtenir  le 
certificat   d'aptitude  i  1  enseignement  du    chant 


dans  les  cours  élémentaires  (cet  enseignement  est 
donné  par  des  professeurs  spéciaux  aux  élèves  du 
cours  supérieur  et  de  la  première  division  du  cours 
moyen).  Nous  y  joignons  en  outre  le  programme 
du  cours  de  musique  des  écoles  primaires  de  la 
ville  de  Bruxelles. 

PROGRAMME 


PKOGRA.MME  UE  1"  AN>£E. 

Cours  tuojeii. 

1"    TRlMESTBi;. 

(  Octobre  ,    novembre    et    décembre.  ) 

Etude  des  signes  principaux. 

Lu  portée.  Lignes  supplémentaires. 
Les   Jiotes.  Figures  des  notes. 

—  Position  des  notes  sur  la  portée. 

—  Noms  des  notes. 
Les  clefs.    Définition. 

—  Etude  spéciale  de  la  clef  de  sol. 
Gamme  dut  majeur  Sa  division  en  tons  et  dcini 

tons. 

—  Noms  des  degrés  de  la  gamme 

—  Explication     sommaire     des     intervalles 

compris  dans   la  gamme   d'ut  majeur. 

—  Exercices    d'intonation  sur    ces    mêmes 

intervalles. 
/)!e/f'e  d'inti.naliiin,  orale  et  écrite  sitnultanément, 
en  rapport  avec  les  exercices  du  trimestre. 

2''  TRIMESTRE. 
(Janvier,  février  et  mars.) 

Figures  des  noies.  Signes  de  durée. 
Lés  silences.  Leurs  différentes  figures. 
Théorie  de  lu  mesure  simple  a  deux  et  à  quatre 
temps. 
—     Exercices  pratiques  sur  ces   mesure',  en 
employatit  seulement  la  ronde,  la  blan- 
che et   la  u..ire,  ainsi   que   les   silences 
équivalents. 
AlVration'i.  Le  iiièse,  le  bétnol  et  le  bécarre. 

—  Demi-ton  diatonique  et  demi-ton  chroma- 

tique. 
Gamme  de  li  mineur.  Explication  sommaire  des 
intervalles  compris  dans  la  gamme  de  la 
mineur. 

—  Exercices  d'intonation  sur  ces  mêmes  in- 

tervalles. 
Dictée  d'intonation,  orale  et  écrite  simultanément, 
en  rapport  avec  les  exercices  du  trimestre. 

3'  TRIMESTRE. 

Avril,   mai  et   juin,  i 

Gamme  chromatique. 

—  La  croche  et  le  demi-soupir. 

—  Le  point,  le  triolet  et  la  liaison. 
T',é  rie  de  la  „„ >w   simpli-  à  trois  temps. 

—  Exercices  pratiques  sur  cette  mesure. 
G'ovm"  desol  maj-w,  mi  mineur,  fa  majeur  et  ré 

m  neur.  Armure  de  la  clef. 
D'Cte    iCintoim  ion   't  ile  dwée,  orale  et  écrite 

simultanément,  en   rapport  avec  les   exercices 

du  trimestre. 
Chimts  l'aàUs  avec  paroles,  à  une  ou  à  deux  voix. 

(Juillet.) 
Récnpilu'-li'in  gménde. 
Etude  de  morceaux  pour  la  distribution  des  prix. 

Résumé. 
A  la  lin  de  cette  année  d'étude,  les  élèves  stu- 
dieux doivent  cire  en  état  ; 


MUSIQUE 


137'J 


MUSIQUl 


r  De  cliaiilor  un  morceau  facile  écrit  dans  une 
mesure  simple,  soit  à'2,  à  3  ou  à  4  temps,  pouvant 
contenir  les  dilTérenles  valeurs  comprises  de  la 
ronde  i  la  croclie  inclusivement,  et  dans  une  to- 
nalité majeure  ou  mineure  pouvant  avoir  une  alté- 
ration h  la  clef; 

2°  De  faire  une  dictée  très  élémentaire  ; 

;i»  1)0  répondi'c  nux  questions  de  tli('orie  qui 
découlent  do  ce  programme. 

Recommandations  générales. 

Division  de  ta  leçon. 
On  conseille  aux   professeurs   de    diviser  ainsi 
cliaque  leçon  d'une  liaure,  sauf  les  modifications 
que  les  circonstances  exigeraient  : 
Consacrer  environ  10  minutes  h  la  théorie. 
10      —        à  la  dictée. 
10       —        aux  exercices   au 

tableau. 
15      —        aux  exercices  du 

solfège. 
15      —        aux  chœurs  avec 
paroles. 

Total tiU  minutes. 

Emission  <lu  son. 
1°  S'attacher  au  mécanisme  de   la  respiration  ; 
2°  Faire  prendre  le  registre  du  fausset  à  partir 
du  fit  placé  en  clef  de  sol  dans  le  premier  inter- 
ligne. 

Mesure. 
Rxiger  que  tous  les   élèves   battent   la  mesure 
par  des  mouvements  de  la  main,  et  ne  jamais  to- 
lérer que  les  temps  soient  marqués  par  des  mou- 
vements du  pied. 

Chant  avec  paroles. 
Indépendamment  des  nuances  et  du  style,  veil- 
ler à  ce  que  la  prononciation  soit  correcte. 

PROGRAMME  DE   2"  ANNÉE. 
Cours  supérieur. 
1"  TRIMESTRE. 

(Octobre,  novembre  et  di^ccmbre.) 

Itécaijitulation  rapide  des  matières  de  la  1"  année. 
lnt''rvaUes.  li\iCi\Me.s  simples  et  redoublés,  leur 

composi  ion,  leurs  renversements. 
Gamme  ma/eure.  Sa   constitution,  le  tétracorde, 

gammes  en  dièses,  gammes  on  bémols. 

Mesures  à  ^  et  à  ^. 

—       Signes  de  reprise,  renvoi,  point  d'orgue, 
point  d  arrêt. 
Dictée  d'iatonation  i-t  de  Jurée,  orale  et   écrite 
simulianément,  en    rapport  avec  les  exercices 
du  trimestre. 
Chœurs  à  2  ou  .•}  voix,  selon  le  degré   d'avance- 
ment des  élèves. 


(Ja 


'2'  TRIMESTRE, 
nier,  février  et  nie 


Gamme   m!n''are.  Sa  constitution;    gammes  rela- 
tives. 

—  La  double  croche,  la  triple  croche  et  la 

quadruple  croche,  ainsi  que  les  silences 
équivalenis 

—  Le  double  point.  Le  sextolet  ou  sixain. 
Théorie  de  la  mesure  composée  à  2  et  à  4  temps 

—  Exercices  pratiques  sur  ces  mesures. 
Dictée  d'intonation  et    de  dur  e,  orale  et  écrite 

simultanément,  en  rapport  avec  les  exercées  du 
irimcslre. 
'hœurs  k  3  voix. 


'.i'  TKIMEiTllE. 

(Avril,  mai  et  juin.) 

Gnaini'  cliromatique'  tonale.  Double  dièse,  dou- 
ble bémol. 
Enharmonie.  Gammes  enharmoniques. 
—       Modulation. 

Théorie  de  la  mesure  composée  à  3  temps  I  ^  I  ■ 

—  Du  mouvement,  explication  du  mélrononie. 

—  Exercices  pratiques  sur  les  mesures. 
Dictén  telle  qu'elle  se  pratique  au  concours. 
Chœurs  à  a  voix. 

(Juillet.) 
r.écapitulation  générale. 
Etudes   des  morceaux  pour  la  distribution  de» 
prix. 

PROGRAMME 

de  l'examen  pour  le  certificat  d'aptitude  à  l'en- 
seigneuient  élémentaire  du  chant  dans  les  éco- 
les primaires  de  la  ville  de  Paris. 

L'examen  portera  sur  les  matières  suivantes  : 

Epreuves  écrites  : 

1°  Dctée  musicale  ; 

2°  Bédaction  sur  une  question  d'enseignement 
musical. 

Epreuves   orales  : 

1°  Lecture  h  première  vue  d'une  leçon  de  sol- 
fège en  clef  de  sol  ; 

2°  Interrogation  sur  les  principes  généraux  de 
la  musi(|ue  ; 

3°  Execution  par  cœur,  sans  accompagnement, 
d'un  petit  chant  d'école,  choisi  par  le  jury,  dans 
un  cahier  de  six  chants  scolaires  présenté  par  le 
candidat.  (Il  sera  tenu  compte  du  bon  choix  de  ces 
chants.)  Exécution  du  même  chant  dans  un  autre 
ton  indiqué  par  le  jury. 

Chant  d'une  mélodie  avec  paroles,  choisie  et 
préparée  d'avance  par  le  candidat.  (Le  candidat 
sera  accompagné  au  piano.)  Il  sera  plutét  tenu 
compte  des  qualités  de  goût  et  de  diction  que  de 
la  qualité  de  la  voix. 

Epreuves  facultatives  : 

Le  candidat  pourra  faire  constater  qu'il  a  la 
pratique  do  l'accompagnement  au  piano.  Mention 
en  sera  faite  sur  le  certificat. 

PROGRAMME 
des  cours  de  musique  des  écoles  primsdres  de  la 
ville  de  Bruxelles. 

L'enseignement  comprend  :  I»  la  connaissan 
des  notes;  'i"  les  valeurs  jusquos  et  y  compris  la 
double  croche  comme  complément  d'un  temps 
3°  les  silences  équivalents;  i"  les  mesures  en  2 
en  3  et  en  4  ten.ps  on  commence  par  la  mesure 
en  ■.;  temps)  -,  5"  les  mesures  composées  les  plu 
usinées;  (i"  le  ton;  1°  le  mode;  8°  exercices  de 
solfège,  mélodies  et  morceaux  de  chant  d'en- 
semble. 

DIVISION  DES  MATIÈRES  d'eNSEIGNEMENT. 

Classe  inférieure. 

(3*  division.) 

Des  notes. 

Valeurs:  ronrirs,  blanches,  noires. 
Sileucrséqu.val.iits. 

Inlouatioua  :  «.  Uillérenles  lonililés  s»ni  uiin  ire  a  la  ciel  ; 
—  4.  L.'s  di  uiilun-i  par  auilitinu  ; 

c.  Gamme  iniueu  e  par  audiliba. 

Uesuie  en  îel  en  ^  temps. 

Mélodies  simples  et  canons  avec  paroles. 


MUSIQUE  —  l'iSO  — 

Classe    moyenne. 
(J.  division.) 

Lps  lalrurs,  y  compris  la  croclic. 

Silences  équivaliiiils. 

Intonations   :  a.  Différentes  tonalités  sans  armure  a  !a  clef; 

'         —  b.  Les  demi-tons  par  audition  ; 

c.  Gamme  mineure  par  audition. 

Mesures  en  2,  en  3  et  en  4  temps. 

Exécution    de  moiceaui    d'ensemble    et   de  canons    avec 
paroles. 

Classe  supérieure. 
(1-  division.) 
y  compris  la  double    croche  comme  complé- 


MYRIAPODES 


meut  d'un  le 
Silences  éq-iiTaleiits, 
Intonations 


_.  I)  fferenles  tonalités  avec  armure  à  la  clef; 
b.  Dièses  et  bémols; 
—  c.  Gamme   mineure. 

Mesures  simples  et  composées  les  plus  usitées. 
Exécution  de  m.irceaui  d'ensemble  à   2   et  à  3  voii,  et  ca- 
nons avec  paroles. 

Dans  les  classes  inférieures,  les  institviteurs 
enseignent  les  signes  grapliiques  à  leurs  élèves 
trois  fois  par  semaine,  un  quart  d'iieure  par 
leçon. 

Ils  leur  font  apprendre,  par  audition,  des  mélo- 
dies qui  sont  chantées  en  classe,  aux  cliango- 
mentsde  inatièrcs,  aux  entrées  et  aux  sorties. 

Tous  les  trimestres,  le  muîire  de  musique  fait 
faire  une  composition  dont  la  matière  est  donnée 
par  rin.specieur.  Le  résultat  de  cette  composition 
est  remis  à  l'inspecteur,  qui  constate  ainsi  les 
progrès  des  élèves. 

Pour  former  ses  trois  divisions,  le  maître  de 
musique  aura  égard  h  la  force  des  élèves  et  non 
à  la  classe  à  laquelle  ils  appartiennent  dans 
l'école. 

Dans  les  trois  divisions,  la  première  moitié  de 
la  leçon  doit  être  consacrée  aux  applications  et 
aux  exercices  d'application  et  de  solfège;  la  se- 
conde moitié  à  l'exécution  de  mélodies,  de  canons 
avec  paroles,  de  morceaux  d'ensemble  à  une,  à 
deux  et  à  trois  voix. 

Les  exercices  de  solfège  seront  à  une  et  à  deux 
voix  pour  la  division  inférieure  ;  à  une,  à.  deux  et 
à  trois  pour  les  deux  divisions  supérieures, 
gradués  écrits  dans  le  diapason  de  la  voix  des 
enfants. 

Les  morceaux  d'ensemble  devront  être  bien 
rythmés,  simples  d'harmonie  et  de  mélodie,  et  les 
paroles,  à  la  portée  des  enfants. 

Pour  la  deuxième  année,  il  serait  bon  de  com- 
mencer chaque  leçon  par  une  gamme  majeure, 
une  gamme  mineure  et  une  gamme  chromatique, 
ainsi  que  par  quelques  exercices  vocalises  dans 
lesquels  on  s'attacherait  spécialement  à  la  respi- 
rat'on  et  au  timbre. 

MVRlArOUES  (Classe  des).  — Zoologie,  XXV. 
—  On  les  appelle  vulgairement  Miliepieds,  mot 
quia  une  signification  tout  àfait  analogue.Ces  arti- 
culés, que  Cuvier  réunissait  encore  aux  insectes, 
ont  été  constitués  en  une  classe  distincte  par  La- 
treille;  ils  se  reconnaissent  tout  de  suite,  mémo 
pour  les  personnes  peu  accoutumées  à  l'observa- 
tion, à  l'existence  d'une  très  grande  quantité  de 
patles  articulées,  à  peu  près  semblables  les  unes 
aux  autres,  de  nombre  très  variable  au  reste,  puis- 
qu'il va  de  vingt-quatre  ou  douze  paires  (Polyxèiie, 
Gloméris)  à  plus  de  trois  cents  certains  Géophi- 
les).  On  ne  trouve  plus  de  séparation  en  trois  ré- 
gions, la  tète,  le  thorax,  l'abdomen,  mais  uni', 
tète  suivie  d'un  grand  nombre  d'anneaux  portant 
chacun  une  ou  deux  paires  de  pattes.  A  ne  con- 
sidérer que  l'aspect  extérieur  de  ces  animaux,  on 
leur  trouve  une  ressemblance  éloignée  avec  les 
Annélidos  *,  surtout  avec  certains  genres  marins, 
comme  hs  Ncréidi;s,  pourvus  de  pattes  latérales 
avec  houppes  de  branchies  ;  il  y  a  des  myriapodes, 


les  Polyxènes,  les  Gloméris,  qui  se  rapprochent 
beaucoup  plus  des  crustacés  à  sept  paires  da 
pattes,  c'est  à-dire  des  cloportes  soit  terrestres, 
soit  marins. 

L'analogie  la  plus  réelle  des  myriapodes  est 
avec  les  insectes,  non  pas  en  prenant  ceux-ci  h 
l'état  adulte,  où  ils  n'ont  plus  que  six  pattes,  mais 
en  considérant  certaines  formas  larvaires,  ainsi 
les  chenilles  des  papillons  et  surtout  les  fausses 
chenilles  des  mouches-à-scie,  qui  ont  en  général 
encore  plus  de  pattes  que  les  chenilles.  Leur  or- 
ganisation intérieure  est  k  peu  près  la  même  que 
celle  des  insrctes. 

Los  myriapodes  ont  de  vraies  métamorphoses, 
au  moins  dans  beaucoup  de  genres,  et  on  peut 
même  dire  qu'ils  sont  pendant  plusieurs  jours  des 
insectes  à  six  pattes.  De  l'œuf  sort  un  ver  d'abord 
sans  pattes,  présentant  bientôt  après  des  seg- 
ments distincts;  puis,  à  la  suite  d'une  mue,  appa- 
raissent antérieurement  trois  paires  de  pattes; 
ensuite  l'animal  s'accroît  en  longueur  d'avant  en 
arrière,  de  nouveaux  anneaux  se  dessinent  et  de 
nouvelles  paires  de  pattes  s'y  joignent.  Les  myria- 
podes n'oot  jamais  d'ailes. 

Les  myriapodes  n'ont  pas  de  représentants 
aquatiques.  On  peut  dire  que  ce  sont  des  articu- 
lés essentiellement  terrestres  et  presque  oxclusi-; 
vemenl  de  la  surface  du  sol,  car  il  y  en  a  peu  qui 
puissent  grimper  aux  arbres,  entre  les  crevasses 
de  l'écorce  et  surtout  dans  les  espaces  obscurs 
qu'elle  laisse  entre  elle  et  l'aubier.  Ils  craignent 
la  lumière  et  la  sécheresse,  et  pour  les  éviter  se 
réfugient  dans  les  fissures,  sous  les  pierres,  sous 
les  feuilles  sèches,  dans  la  mousse,  au  milieu  des 
fumiers  et  du  terreau  meuble.  Leur  nourriture 
est  variée  ;  certains,  les  plus  utiles  pour  nous, 
sont  des  carnassiers  d'insectes  et  do  limaces  ;  beau- 
coup vivent  d'insectes  morts,  de  détritus  d'origine 
animale  ou  végétale,  et  de  fruits,  surtout  quand 
ils  ont  été  crevassés  par  la  pluie  ou  entamés  par 
le  bec  des  oiseaux  ou  les  mandibules  des  guêpes. 
Classiticatlon.  —  Les  myriapodes  se  divisent, 
d'une  manière  très  naturelle,  en  deux  ordres,  que 
nous  désignerons  parles  noms  de  deux  genres  foii- 
damentaux,  en  leur  donnant  une  signification  gé- 
nérale ;  ce  sont  les  [aies  et  les  Scolopendres. 

IcEs.  —  La  tête  est  munie  d'antennes  d'un 
petit  nombre  d'articles,  également  épaisses  par- 
tout, et  les  pièces  de  la  bouche  n'ont  pas  de  glan- 
des à  venin  ;  les  pattes,  presque  toujours  au  nom- 
bre (le  deux  paires  par  anneau,  sont  insérées  au- 
dessous  du  corps,  plus  ou  moins  près  de  la  ligne 
médiane  du  ventre  ;  les  orifices  de  ponte  de  la 
femelle  sont  situés  à  la  région  antérieure  du  corps, 
sous  le  quatrième  anneau,  ce  qui  est  un  caractère 
de  crustacés. 

Nous  commencerons  l'étude  de  cet  ordre  par  un 
singulier  et  très  petit  animal,  à  corps  mou,  oblong 
et  déprimé,  d'un  jaune  grisàire,  de  '.'  millimètres 
seulement  de  longueur  :  c'est  le  Poh/xène  à  queue 
en  pinc-mi,  à  tête  large  et  hérissée  de  petites 
soies  grises,  le  corps  composé  de  douze  anneaux 
ayant  chacun  une  paire  de  pattes,  avec  de  jolies 
houppes  de  poils  écailleux  sur  les  cotés  et  terminé 
par  deux  appendices  ornes  chacun  d'un  pinceau 
de  soies  argentées.  Cet  animal,  assez  rare  près  de 
Paris,  se  trouve  sous  les  écorces.  Si  nous  en  par- 
lons, c'est  qu'on  l'a  signalé  en  Allemagne  comme 
un  destructeur  acharné  du  phylloxéra  des  racines 
de  la  vigne;  en  supposant  le  fait  bien  constaté,  il 
n'en  serait  pas  moins  fort  difficile  d'amener  en 
nombre  immense  ces  minuscules  créatures  au 
pied  dû  chaque  cep  de  vigne. 

On  trouve  dans  les  bois  ombragés,  sous  les 
pierres  et  les  feuilles  tombées  et  humides,  des 
myriapodes  à  peau  crustacée.  grisâtre,  sans  pin- 
ceaux sur  les  côtés,  se  roulant  en  boule  rnmme 
les  cloportes  de  bois  ou  arm.-idillcs,  auxquels  ils 


MVRIAi'UDKS 


lasi 


MYRIAPODES 


ressemblent  beaucoup  d'aspect,  mais  dont  ils  se 
distingucni  par  uiio  quantilc  bien  plus  gmnde  do 
pattes,  car  elles  sont  au  noujbre  de  34  clii^z  les 
niàlos  et  iO  clicz  les  fenielles,  la  plupart  des  douze 
anneaux  en  portant  deux  paires.  Ce  sont  les  Glo- 
méris,  et  l'espèce  la  plus  commune  dans  le  midi 
de  la  France  est  le  Giomérii  bordé,  dont  la  tfite 
et  les  anneaux  sont  entourés  de  rouge  ;  on  trouve 
près  de  Paris  deux  autres  espèces  d'un  gris 
plombi5,  dont  l'une  a  les  anneaux  entoures  de 
blancliâtre. 

Les  Iules  proprement  dits  ont  le  corps  très  long 
et  cj'lindrique,  avpc  des  yeux  simples  très  rappro- 
cliés  et  de  nombreuses  et  très  petites  pattes, 
deux  paires  par  anneau,  atteignant  jusqu'au  nom- 
bre de  l'JO  paires  dans  certaines  espèces,  s'inscrant 
très  près  les  unes  des  autres  en  dessous  du  ventre, 
ce  qui  fait  que  ces  myriapodes  marchent  fort  len- 
tement. Sur  les  côtés  du  corps,  des  glandes  lais- 
sent suinter  par  des  pores  un  liquide  dont  l'odeur 
forte  rappiUe  celle  des  gaz  nitreux. 

Les  luios  viv^nt  sous  les  mousses  humides  et 
les  feuilles  mortes  ;  il  en  est  qui  se  cachent  sous 
les  pierres;  d'autres  habitent  sur  le  bord  des  eaux, 
ou  dans  les  terrains  sablonneux,  ou  enfin  sous  les 
mottes  de  terres.  Il  y  a  deux  espèces  très  com- 
munes partout,  sortant  volontiers  sur  les  sentiers 
après  la  pluie  et  se  roulant  sur  le  sol  en  spirale  plate 
ou  s'accrochani  aux  écorces  des  arbres  Ce  sont  le 
Iule  lerrestr  ,  long  de  30  il  i»  millimètres,  grisâ- 
tre, avec  deux  raies  plus  pâles  de  chaque  côté  du 
dos,  et  le  luie  iies  snô/es,  ayant  sur  le  dos  une 
double  ligne  rougeâtre.  Les  Iules  vivent  de  détri- 
tus végétaux,  peut-ê  re  aussi  d'insectes  mons. 
Dans  un  genre  voisin,  privé  d'yeux,  se  trouve  le 
Blnniul-  à  i/otiiteletles,  dont  le  corps  est  d'un 
blanc  jaunâtre  très  pâle,  avec  74  pattes,  les  seg- 
ments ayant  presque  tous  un  point  rouge  de  cha- 
que côté,  ce  qui  forme  comme  deux  rangées  de 
gouttelettes.  Ce  myriapoda  est  nuisible,  car  il  sh 
nourrit  de  fruits  qu'il  cnuse  à  l'intérieur  eji  se 
cachant  par  crainte  do  la  lumière,  de  sorte  qu'il 
les  vide  de  leur  pulpe  sans  qu'on  s'en  aperçoive 
au  dehors.  11  fait  souvent  du  tort  aux  cultures  des 
grosses  fraises  ananas  et  les  perce  de  trous. 

Les  Polydesmes  sont  aveugles,  aplatis,  avec  des 
anneaux  subiectanglts,  tronques  latéralement  et 
bordés,  la  plupart  des  anneaux  portant  deux  paires 
de  pattes,  qui  sont  sous  le  ventre,  mais  moins 
rapprochées  que  chez  les  Iules  ;  aussi  les  l'o- 
lydesmes  marchent  plus  vite.  On  les  trouve  dans 
les  lieux  humides,  sous  les  pierres,  sous  les  feuil- 
les tombées  et  autres  débris  végétaux.  Les  plus 
communs  sont  le  J'idi/rtesme  aplani,  la  «  Scolopendre 
à  60  pattes  »  de  Geoffroy,  ntrirâtre  et  chagriné  en 
dessus,  d'un  blanc  cendré  en  dessous,  les  pattes 
rougeâtres,  et  le  Polijdesme  à  pattes  pâles,  dont 
les  anneaux  ont  une  couleur  ferrugineuse,  avec 
deux  points  jaunâtres. 

Scolopenhhes.  —  La  tête  est  large  et  le  corps 
toujours  aplati;  les  segments  n'ont  jamais  qu'une 
paire  de  pattes  rejeiées  latéralement,  ce  qui 
permet  une  marche  rapide;  les  mandibules  sont 
très  fortes, aiguës  et  en  faucille;  la  seconde  paire 
de  mâchoires  offre  à  sa  base  une  paire  de  crochets 
acérés,  ayant  près  de  la  pointe  un  trou  par  où 
coule  le  venin  d'une  glande  interne,  appareil  tout 
à  fait  analogue  aux  chélicères  venimeux  des 
araignées;  les  ouvertures  pour  la  ponte  des  œufs 
sont  situées  à  lextrémilé  anale  de  l'abdomen, 
comme  chez  les  insectes.  La  plus  grande  partie  des 
scolopendres  sont  des  articulés  carnassiers,  des- 
tructeurs d'insectes,  de  larves,  de  limaces,  par 
suite  très  utiles  ;  l'instituteur  doit  recommander 
le  respect  de  ces  animaux  aux  enfants,  qui  sont 
toujours  tentés  de  les  écraser  en  raison  de  leur 
aspect  bizarre,  parfois  effrayant. 
Les  Scolopendres    proprement   dites   ont   des 


a;;neaux  égaux  et  vingt  et  une  paires  de  pattes, 
les  dernières  plus  longues  et  plus  fortes;  il  y  a  des 
assemblages  dyeux  lisses.  Dans  l'extrôme  midi  de 
la  France  et  en  Algérie  se  trouve  la  Seolopemire 
mordante,  de  70  à  75  millimètres,  d'un  ferrugineux 
verdàtre,  très  carnassière  d'insectes;  elle  mord 
fort ementavec  ses  mandibules,  en  même  temps  que 
la  piqtire  de  ses  crochets  cause  une  douleur  très 
vive,  suivie  d'enllure  locale,  sans  véritable  danger 
pour  l'homme  ;  on  dit,  en  revanche,  que  les  énormes 
scolopendres  des  pays  chauds  ont  une  piqiire  très 
redoutée,  causant  de  graves  accidents  à  l'homme. 

Les  Lithobies  (c'est-à-dire  «  vivant  sous  les  pier- 
res »)  présentent  en  dessus  des  plaques  dorsales  car- 
rées, ahernativement  plus  grandes  et  plus  petites, 
oITiant  quinze  paires  de  pattes  et  des  yeux  simples 
agrégés.  L'espèce  la  plus  commune,  répandue  dans 
toute  la  France,  est  la  Lilhnhif  à  leninlle,  d'un 
brun  tantôt  roussàtre  tantôt  noirâtre,  devant  son 
nom  â  ses  fortes  pattes  de  deriière,  simulant  uno 
tenaille  Elle  mord,  mais  faiblement  et  sans  dan- 
ger; dans  son  jeune  âge  elle  est  comme  étiolée, 
car  elle  vit  alors  dans  des  lieux  très  obscurs.  On 
la  trouve  sous  les  pierres,  sous  les  écorces  hu- 
mides, sous  les  pots  à  fleurs,  dans  les  fissures  des 
vieilles  charpentes,  et  elle  est  carnassière.  D'an- 
tres utiles  carnassiers  sont  les  Cryptops  («  œil 
caché  »),  qui  ont  les  yeux  nuls  ou  non  apparents, 
les  derniers  segments  épineux,  et  vingt  et  une 
paires  de  pattes,  dont  les  dernières  sont  plus 
fortes  ;  nous  avons  plusieurs  espèces  à  pattes 
poilues,  ferrugineuses  sur  le  dos,  plus  pâles  on 
dessous,  vivant  surtout  dans  le  bois  pourri  et  sous 
les  écorces,  et  qui  sont  fréquentes  dans  les  jardins. 

LesScutigères  ("  porte-écusson  »)  présentent  de 
longues  antennes  grêles  comme  des  fils,  et  des 
yeux  composés,  à  nombreuses  facettes,  analogues 
à  ceux  des  crustacés  supérieurs;  le  corps,  propor- 
tionnellement plus  court  que  celui  des  genres  pré- 
cédents, est  recouvert  en  dessus  do  huit  plaques, 
ou  boucliers,  tandis  qu'en  dessous  sont  quinze 
demi-segments  portant  une  paire  de  pattes,  ter- 
minées par  un  tarse  grêle  et  très  long,  formé  d'un 
gr.nnd  nombre  d'articles;  les  dernières  paires  de 
pattes  sont  plus  longues  et  plus  fortes  que  les 
autres.  Ce  genre  est  ^epro^enté  par  une  espèce 
nommée  la  Sctitigére  ardiiéfid'',  longue  de  4  centi- 
mètres en\iron,  d'un  jaune  roussâire  ou  couleur 
de  cire,  avec  trois  lianes  bleues  longitudinales  sur 
le  dessus  du  corps,  les  pattes  très  longues  et  très 
grêles,  surtout  les  dernières,  portant  des  bande» 
bleues.  Ce  myriapode,  répandu  du  nord  de  l'Europe 
jusqu'au  nord  de  l'Afrique,  perd  ses  pattes  avec  la 
plus  grande  facilité  si  on  cherche  â  le  saisir  ou 
seulement  si  on  le  lait  tomber,  et  leurs  articles 
restent  quelque  temps  agités  de  mouvements  con- 
vulsifs,  comme  les  longues  pattes  arrachées  aux 
Faucheurs  (V.  Arac/niid's).  On  croirait  voir  une 
araignée  à  pattes  multiples,  quand  on  aperçoit  ce 
bizarre  animal  dans  sa  course  rapide  ;  il  vit  dans 
les  celliers,  les  granges,  les  greniers  inhabités,  les 
vieilles  charpentes,  et  nous  est  très  utile  en  dori- 
nant  la  chasse  aux  insectes  qui  rongent  les  bois 
ouvrés  et  surtout  à  leurs  larves  dites  Vers  de  buis. 
Il  détruit  encore  les  chipories  dans  les  serres. 

Les  Géophiles("  amis  delà  terre  »;  ont  la  tête  â 
peu  près  triangulaire,  et  dépourvue  d'organes  de 
vision,  le  corps  démesurément  long,  avec  des  seg- 
ments et  dos  pattes  très  nombreux,  parfois  plus  de 
trois  cents;  ce  corps  est  déprimé  et  s'élargissant 
peu  h  peu  jusqu'à  une  certaine  distance  de  la 
tôle.  Bien  que  les  pattes  soient  petites,  leur  inser- 
tion très  latérale  permet  aux  Géophiles  une  course 
rapide  dans  une  reptation  ondulée  qui  rappelle  les 
serpents  ;  souvent  on  les  voit  grimpant  sur  une 
crête  et  la  dépassant,  la  moitié  antérie.uro  du  corps 
descendant,  tandis  que  l'autre  monte.  Los  Géophi- 
les vivent  le  plus  ordinairement  dans  l'humus  du 


MYIVTACEES 


—  1382 


MYRTACEES 


sol,  ce  qui  est  en  rapport  avec  leur  nom;  on  les 
trouve  sous  les  pierres,  dans  les  trous  des  vieux 
murs,  sous  le  fumier  et  jusque  dans  les  liabita- 
tions.Iis  reclicrclient  encore  les  endroits  liumides, 
le  bord  des  ruisseaux, les  bosquets  touffus,  le  pied 
(les  arbres  et  les  mousses.  D'après  une  croyance 
populaire,  ces  animaux  s'introduisent  dans  les  na- 
rines des  personnes  endormies,  séjournant  dans 
les  fosses  jiasales  et  y  amenant  de  graves  désor- 
dres. Les  journaux  de  médecine  rapportent  même 
des  cas  paihologiques  de  ce  genre  où  d'intoléra- 
bles douleurs  cessèrent  après  que  le  géophile 
l'Ut  éié  expulsé  da  nez.  Nous  ne  trouvons  pas  à 
ces  récils,  qui  portent  cependant  le  caractère 
d'une  parfaite  bojine  foi,  une  autlienticité  suf- 
lisante,  car  ils  proviennent  de  personnes  qui  ne 
bontpas  babituées  aux  observations  précises. 

Certains  Géopliiles  sont  nuisibles,  car  ils  pénè- 
trent à  l'intérieur  des  fruits  conservés  dans  les 
garde-mangers  et  les  rongent;  parfois  on  ne  peut 
réprimer  un  mouvement  de  dégoût,  presque  d'ef- 
froi, quand  on  voit  sortir  brusiiuement  d'un  beau 
fruit  qu'on  porte  à  la  boucbe  une  sorte  de  petit 
serpent  jaunâtre',  couleur  babituelle  des  Géophi- 
les.  L'espè  e  qui  attaque  principalement  les  fruits, 
surtout  les  pèches,  les  prunes  et  les  abricots,  est 
le  Gé  phile  cnrpop/mge,  long  d'environ  .S  centi- 
mètres, marqué  sur  tout  le  dos  d'une  ligne  d'un 
brun  violet  boi'dée  de  jaunâtre,  la  tète  et  la  ré- 
gion  anale   jaunâtre,    il    faut    placer   auprès   des 


A  ces  premiers  caractères  on  peut  encore  ajouter 
la  courbure  de  lembryon  et  son  Kfand  volume  ;  la 
consistance  du  tégument  séminal  de  la  graine,  et 
la  présence  constante  de  résines  odorantes  dans 
les  feuilles  de  ces  plantes.  Les  Myrtacées  se  rap- 
prochent beaucoup  des  Granatées  et  des  Calycan- 
tliées.  M.  Brongniart  a  réuni  ces  trois  familles  dans 
sa  classe  des  Myrtoïdées. 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  myr- 
tacées nous  présente  ne  dehors  en  dedans  :  1°  un 
tégument  séminal  crustacé  extrêmement  dur, 
ligneux,  très  résistant.  Ce  tégument  acquiert  son 
maximun  de  puissance  dans  les  beriholleiia,  dont 
les  graines  se  vendent  sous  le  nom  de  noix  de 
Hié'il;  2°  un  embryon  très  volumineux,  charnu, 
gorgé  de  matières  grasses.  Cet  embryon  est  en 
général  très  fortement  courbé  sur  lui-même  ; 
dans  les  bertholletia  et  les  barringtonia,  il  est 
souvent  fort  difficile  de  mettre  en  évidence  ses 
deux  cotylédons  ;  à  plus  forte  raison  ne  peut-on 
pas  montrer  sa  gemmule.  Dans  un  peut  nombre 
de  myrtacées.  la  graine  présente,  en  plus  des 
deux  parties  ci-dessus  mentionnées,  un  albumen; 
cet  albumen  toutefois  n'acquiert  qu'un  faible  dé- 
veloppement. 

La    germination   de   la   graine  des    myrtacées 
n'offre    aucune  particularité  digne   d'être  notée. 
La  racine   des   myrtacées  est  pivotante,  toute- 
fois le  pivot  se  développe  peu  ;   en  revanche  la 
racine   se  ramifie  abondamment.  Toutes  les  raci- 


Iruits  des  feuilles  de  chou  repliées  en  quatre,  où  nés  des  myrtacées  sont  extrêmement  contour- 
se  loge  ce  millepied,  et  le  détruire.  11  y  a  des  [  nées;  leur  écorce,  très  épaisse,  est  très  riche  en 
Géophiles  qui  deviennent  pliospliorescents  dans  principes  actifs;  plusieurs  de  ces  écorces  contien- 
l'obscurilé  à  certaines  époques,  la  lueur  prove-  nent  aussi  des  glandes  qui  sécrètent  des  matières 
nant  de  l'exsudation,  surtout  entre  les  anneaux  et    fortement  colorantes. 

sous  le  ventre,  d'une  substance  qui  éprouve  a  ]  La  lige  des  myrtacées  est  généralement  li- 
lair  une  combustion  lente  et  laisse  une  raie  lu-  gneuse,  elle  peut  acquérir  un  très  grand  déve- 
mineuse  après  les  corps  sur  lesquels  l'animal  a  loppemcnt  en  hauteur  et  en  diamètre;  c'est  ainsi 
marché;  c'est  tout  à  fait  analogue  à  ce  qui  se  [  que  dans  les  eucalyptus  de  la  Nouvelle-Hollande, 
produit  sous  le  ventre  des  vers-luisants  IV.  Co- \  on  voit  cette  tige  atteindre  une  hauteur  de  130  mè- 
téoptèrfs).  L'espèce  qui  présente  principalement  ,  très  et  une  circonférence  de  \i  mèiros.  Selon  les 
cette  propriété  est  le  Géup/nle  é.ectnque,  ainsi  espèces,  le  bois  des  myrtacées  est  tendre  et  blanc, 
nommé  parce  qu'il  sort  surtout  de  dessous  les  comme  dans  Ihs  eucalyptus,  ou  au  contraire 
mottes  de  terre  après  les  orages.  A  peu  près  de  dur,  veiné  et  colore,  comme  dans  les  myrtes.  Le 
la  longueur  de  l'espèce  précédente,  il  est  en  entier  bois  des  myrtacées  est  toujours  fortement  impré- 
d'un  jaune  d'ocre,  l'extrémité  de  la  tête  blanchâ-  gné  de  matières  résineuses.  Cette  circonstance 
tre,  et  en  arrière  de  celle-ci  un  collier  jaune  rou- i  donne  h  ces  bois  une  grande  valeur,  car  elle 
geâtre  ;  les  pattes  sont  assez  longues  et  celles  de  les  rend  presque  imputrescibles,  et  surtout  les 
la  dernière  paire  plus  grosses.  La  phosphores-  |  met  à  l'abri  des  attaques  des  animaux  perforants, 
cence  paraît  exister  aussi,  mais  moins  régulière-  Ceux  des  bois  des  myrtacées  qui  présentent  une 
ment,  chez  le  Géophile  phosp'ioré  et  parfois  chez  certaine  dureté  sont  recherchés  pour  l'ébéniste- 
le  Géophile  carpophage.  Une  espèce  très  remar-  |rie;  plusieurs  sont  utilisés  par  la  parfumerie  à 
quable  est  le  Géophiie  de  Wolckenaer,  long  de  cause  de  leur  oileur  suave.  L'écorce  de  la  tige 
plus  de  deux  décimètres,  ayant  jusqu'à  326  pattes,  :  des  myrtacées  est  presque  toujours  lisse,  sèche  ; 
le  premier  tiers  du  corps  et  la  tète  d'un  jaunâtre  elle  est  assez  mince.  Lorsque  la  décortication  se 
pâle,  le  reste  d'un  brun  ferrugineux,  sauf  le  der-  produit,  les  pellicules  de  rithydome  qui  se  for- 
nier  anneau  qui  est  jaune  comme  la  tête;  il  y  a  ment  se  réduisent  à  de  très  petites  écailles  qui  se 
comme  des  traînées  sanguinolentes  le  long  du  détachent  très  peu  de  temps  après  leur  formation, 
corps  Ou  a  rencontré  cet  énorme  millepied  dans  \  Toutes  les  écorces  des  myrtacées  sont  gorgées  de 
des  jardins  de  l'intérieur  de  Paris,  sous  le  fu-  j  baumes  et  de  résines  que  l'on  peut  extraire  par 
mier,  sous  les  pierres  et  dans  la  terre;  on  le  des  incisions  longitudinales, 
trouve  aussi  dans  les  appartements  et  surtout  \  Les  feuilles  des  myrtacées  sont  simples,  en- 
dans  les  ateliers  et  magasins  de  bois  des  éb^nis-  |  tières,  persistantes;  presque  toutes  sont  couver- 
tes, qui  l'appellent  le  «  roi  des  scolopendres  ».  Nous  tes.  au  moins  supérieurement,  d'un  cmluit  cireux 
sommes  portés  à  supposer  que  cette  espèce  n'est  '  parfois  très  épais.  Ces  feuilles  ne  portent  de  sto- 
pas  indigène,  mais  a  été  introduite  cachée  dans  1  mates  que  sur  leur  face  inférieure.  Dans  lesjeu- 
ies  fissures  des  bois  d'ornement  exotiques.  }  nés  eucalyptus,  les   feuilles  sont  de  tous  points 

Les  instituteurs  verront,  par  les  ext-mples  qui  semblables  à  la  description  qui  précède  ;  à  un  âge 
précèdent,  qu'ils  peuvent  tirer  des  sujets  de  le-  plus  avancé,  à  ces  premières  feuilles  en  succèdent 
cens  dites  de  c/iose<,  même  de  l'élude  des  ani-  d'autres  qui,  au  lieu  d'être  insérées  sur  la  tige 
maux  les  plus  dédaignés  et  qui  appellent  le  moins  horizontalement,  sont  insérées  verticalement;  de 
l'attention.    _  [Maurice  Girard.]        telle  sorte  qu'au  lieu  de  recevoir  les  rayons  solai- 

SiYIlTACEES.  —  Botanique,  XXII.  —  Klym.  :  res  de  face,  ceux-ci  frappent  la  feuille  de  champ. 
Wyrtacéps  est  tiré  du  nom  grec  nii/itos  qui  dési-  Ces  feuilles  insérées  verticalement  sont  croiton. 
gne  l'arbre  que  nous  appelons  myrte.  ;  des  feuilles  ordinaires  réduites  à  leur  pétiole;  on 

Dépniti'n.  —  Les  Myrtacées  sont  des  plantes  les  nomme  phyllodes.  La  surface  feuillue  des 
dicotylédonées  à  étamines  nombreuses,  insérées  myrtacées  est  extrêmement  étendue,  grâce  au 
sur  l'ovaire;  à  ovaire  pluriloculaire  et  pluriovulé.    grand  nombre  des  feuilles  de  chaque  branche  et -i 


MYRTACÉES 


—  1383  — 


MYRTACEES 


1  aljondaïUo  ramification  des  brandies  de  la  tige. 
\  cotm  grande  surface  fouillée  correspond  une 
Iri's  grande  aciivilé  Iranspiratoire,  et  par  suite  la 
Ki'aiide  surface  feuillue  dés  myrtacces  fait  de  ces 
végétaux  dos  agents  de  dessèchement  des  marais, 
'l'outos  les  fouilles  des  myrtacées  produisent  en 
al)ondanco  dos  matières  résineuses  très  odorantes 
<'.os  matières  résineuses  sont  sécrétées  par  des 
glandes  spéciales  très  petites,  closes  de  toutes 
parts.  I.eur  forte  réfringence  permet  de  les  dislin- 
gnei-  il  l'œil  nu  par  transparence  h  travers  la 
feuille,  comme  auiant  di'  petits  points  blancs. 

Les  fleurs  des  myrtacées  sont  le  plus  souvent 
solitaires  et  liermaplirodites.  Chaque  fleur  com- 
prend ordinairement,  de  dehors  en  dedans  :  1°  un 
calice  à  cinq  dents,  coloré,  persistant,  d'une  con- 
sistance assez  grande.  Ce  calice  se  voit  encore  sur 
lo  fruit  mûr,  comme  une  sorte  de  couronne  de  con- 
sistance ligneuse;  2"  une  corolle  à  cinq  pièces.  Cha- 
que pièce  est  insérée  sur  un  bourrelet  qui  borde 
intérieurement  la  base  du  calice.  Dans  quehjues 
myrtacées  la  corolle  fuit  défaut;  on  môme  temps 
aussi  les  dents  dn  calice  sont  caduques.  Dans  les 
eucalyptus,  qui  peuvent  servir  de  type  à  ces 
myrtacées  anormales,  les  dents  du  calice  soudées 
supérienrcment  forment  une  sorte  de  calotte  qui 
se  détache  au  moment  de  la  floraison  ;  .3"  un  an- 
drocée  formé  d'un  nombre  considérable  d'étami- 
nes  généralement  égales  entre  elles.  Dans  le 
conroupita,  un  certain  nombre  des  étamines  sur- 
passent, de  beaucoup  les  autres  par  la  longueur 
de  leurs  filets.  Dans  les  beauforlia,  chaque  filet 
staminal  se  divise  en  un  certain  nombre  de  fila- 
ments plus  gièles  dont  chacun  porte  h  son  extré- 
mité une  anthère  biloculaire.  Les  an  hères  sont 
fréquemment  fortement  colorées  en  orangé  ;  4°  un 
gynécée  qui  se  réduit  Ji  un  pistil  trilocul..ire  ou 
tétraloculaire,  toujours  nettement  infère.  Le  pistil 
est  surmonté  d'un  style  simple,  lequel  se  termine 
supérieurement  par  un  stigmate  sphérique.  Cha- 
cune des  loges  de  l'ovaire  prési'Ote,  dans  son  angle 
intérieur,  un  placenta  charnu  hémisphérique 
dont  la  surface  est  toute  couverte  d'ovules.  De  ces 
ovules,  les  supérieurs  seuls  se  développent  et 
sont  fécondés:  les  inférieurs  s'atrophient  et  de- 
meurent stériles.  Les  uns  et  les  autres  acquiè- 
rent pourtant  un  tégument  ligniux;  les  ovules 
fei-tiles  se  distinguent  aisément  des  autres  par 
leur  «rande  taille  et  leur  forme  allongée.  Tous  ces 
ovules  ont  deux  téguments,  tous  sont  anatropcs. 

Le  fruit  des  myrtacées  présente  toujours  des 
parois  épaisses  et  une  consistance  assez  grande. 
Dans  les  myrtes,  ce  fruit  est  une  sorte  de  baie. 
Dans  les  eucalyptus,  le  fruit,  arrondi  ou  tétragone, 
a  la  consistance  du  cuir;  ses  parois  sont  gorgées 
de  résine.  Dans  les  bertholletia  et  les  conrou- 
pita, le  fruit  en  se  développant  prend  un  très 
grand  volume;  ses  parois  acquièrent  une  consis- 
tance ligneuse  telle  qu'il  faudrait  employer  la 
liache  pour  les  ouvrir. 

Les  dranalée'  diffèrent  des  myrtacées  par  leur 
ovaire  à  deux  étages  de  loges,  l'étage  supérieur 
est  tétraloculaire,  l'étage  inférieur  est  triloculaire. 
A  cet  ovaire  succède  un  fi'uit  tout  particulier, 
nommé  balauste  ou  grenade.  Ce  fruit  présente 
une  coque  papyracée,  un  certain  nombre  de  lo- 
ges, et  dans  cha(|ue  loge  des  graines  dont  le  té- 
gument est  mi-partie  ligneux  et  mi-partie  charnu. 
La  pulpe  rosée  et  sucrée  qui  recouvre  la  graine 
des  grenades  a  pour  but  d'assurer  la  dissémina- 
tion de  es  graines  par  les  oiseaux.  L'embryon 
des  granatées  est  fortement  plissé  dans  l'inté- 
rieur de  leur  graine.  La  famille  des  granatées  ne 
contient  qu'un  seul  genre,  le  genre  Punica  ou 
grenadier. 

Les  Cribjcanlhées  se  distinguent  des  myrtacées 
et  de>  granatées  :  i"  par  l'apparition  précoce  de 
leurs  fleurs  qui  se  montrent  en  môme  temps  que 


leurs  feuilles;  2"  par  le  grand  nombre  des  pièces 
do  leur  calice;  3°  par  leur  corolle  h  neuf  pétales  ; 
i'  par  leurs  étamines  au  nombre  de  cinq  seule- 
ment; 5"  enfin,  par  leur  gynécée  composé  de  dix 
carpelles  presque  indépendants  les  uns  des  autres. 
Chacun  de  ces  carpelles  se  transforme  en  un  fruit 
qui  est  un  achaine  comparable  à  ceux  de  la  benoîte. 
Tous  ces  caractères  font  des  calycanthées  un 
type  intermédiaire  entre  les  myrtacées  et  les 
rosacées. 

Usages  des  Myrto'idèes.  —  Un  grand  nombre 
de  Myrloidées  fournissent  il,  l'homme  des  produits 
dont  il  tire  parii  pour  son  alimentation,  pour  son 
industrie,  ou  comme  médicament.  Nous  nous  bor- 
n-rons  h  ciier  les  genres  principaux. 

Les  eucalyptus,  grands  arbres  originaires  de 
l'Australie,  fournissent  d'excellents  bois  de  cons- 
truction; les  feuilles  de  ces  plantes,  macérées 
dans  l'alcool  pendant  un  certain  temps,  donnent 
une  liqueur  aromatique  qui  peut  remplacer  l'absin- 
the. La  croissance  de  l'eucalyptus  est  des  plus 
rapides.  En  quelques  années,  un  eucalyptus,  venu 
do  semis,  devient  un  grand  arbre,  (À>tte  plante  a 
été  transportée  de  ,son  pays  d'origine  daii,j  l'Inde, 
dans  l'Amérique,  en  Alg('"rie,et  môme  en  Provence. 
Partout  l'eucalyptus  a  prospéré  et,  dans  un  temps 
très  court,  a  provoqué  le  dessèchement  dés  marais 
et  par  suite  l'assainissement  des  localités  où  il  a 
été  planté.  C'est  ainsi  que  les  environs  de  Bouffarick 
en  Algérie,  qui  éiaient  considérés  autrefois  comme 
un  foyer  d'infection  etde  miasmes  pestilentiels,  sont 
devenus  l'un  des  points  les  plus  sains  et  les  plus 
riches  de  l'Algéri-,  grâce  aux  plantations  d'euca- 
lyptus qui  y  ont  été  faites. Dix  années  ont  suffi  à  la 
transformation  de  ce  pays  jadis  inliabitable.  Les 
eucalyptus  plantés  :i  lioufl'arick,  il  y  a  trente  ans  à 
peine,  sont  aujourd'hui  des  arbres  gigantesques. 
A  l'heure  présente  le  gouvernement  italien  entre- 
prend le  dessèchement  et  la  désinfection  des 
Marais  Pontins  en  ayant  recours  à  des  plantation» 
d'eucalyptus. 

Les  melaleuca.en  particulierle  M-lalewa  minor, 
originaire  des  îles  Moluques,  et  le  ,1/.  viridiflora, 
originaire  delà  Nouvelle-Calédonie,  fournissent  par 
la  distillation  de  leurs  feuilles  fraîches  une  huile 
aromatique  verte.  En  vieillissant  cette  substance 
perd  sa  coloration  verle:  par  fraude  on  lui  rend  sa 
coloration  primitive  à  l'aide  du  chlorure  de  cuivre. 
L'huile  de  melaleuca  est  connue  sons  le  nom  de 
liuile  de  Cnjp.pui.  Abandonnée  il  l'air  pendant  un 
certain  temps,  elle  perd  son  odeur  première  et  con- 
serve une  odeur  spéciale  qui  rappelle  à  s'y  mé- 
prendre celle  de  l'essence  de  rose  faible;  au-si  la 
plus  grande  partie  de  l'huile  de  Cajeput  est-elle 
utilisée  pour  falsifier  l'essence  de  rose  liquide. 

Les  Myrtiis  de  la  Grèce,  de  l'Italie,  de  la  Provence 
et  do  l'Espagne  ne  sont  guère  utilisés  que  comme 
arbrisseaux  d'ornement.  Jadis  le  myrte  était  con- 
sacré il  la  déesse  Vénus;  exceptionnellement  on 
en  faisait  un  attribut  de  iVlinervc.  Les  feuilles  de 
myrte  servaient  à  préparer  une  eau  aromatique 
très  usitée  contre  les  maladies  des  yeux.  Le 
Mi/rtus  pimenta  ou  Ewjeniii  pimenUi  est  un 
arbre  de  la  Jamaïque.  On  le  culiive  avec  grand 
soin  dans  les  Antilles-  on  le  plante  en  bordure  le 
long  des  promenades;  son  feuillage  dure  toute 
l'année.  Toutes  ses  parties  sont  aromatiques  et 
sont  usitées  dans  son  pays  d'origine.  Nous  n'en  re- 
cevons que  les  fruits  secs;  ce  sont  de  petites  baies 
sèches  de  la  grosseur  d'un  pois;  leur  surface  est 
toute  couverte  de  tubercules.  Chacun  de  ces  tu- 
bercules du  piricarpe  esi  formé  par  une  glande. 
Les  fruits  du  Myrtiis  pimenta  possèdent  une 
odeur  très  forte  et  très  agréable  qui  tient  h.  la  fois 
du  girofle  et  de  la  cannelle  :  aussi  lui  a-t-oii  donné 
les  n(nns  de  ont''  épve  et  de  pinu-nt  de  In  Jmn.  ïqw. 
Le  piment  Talicirjd,  qui  nous  vient  du  Mexique,  est 
formé  par  les  fruits  du  Myrtus  ati-is.  Le  poivre  de 


MYTHE,   MYTHOLOGIE   —  1384  —  MYTHE,  MYTHOLOGIE 


Chevet  on  piment    couronné  ou  poivre  de  Sai7lt- 
Viiicenl  provient  du  Myrtus  pimentoides. 

Les  psidiuni  ou  goyavierb,  les  jambosa  ou  jam- 
bosiers,  les  josséiiia  ou  néfliers  de  l'île  Maurice 
produisent  des  fruits  très  estimés  à  cause  de  leur 
saveur  très  parfumée,  acidulée  et  sucrée.  On  les 
conserve  en  marmelade. 

Les  couroupita  de  la  Guyane  sont  de  très  grands 
arbres,  dont  le  bois  est  fort  rcclierclié  pour  les 
constructions.  Les  couroupita  produisent  un  fruit 
dont  la  grosseur  peut  atteindre  celle  d'une  tête 
d'enfant;  son  poids  dépasse  parfois 5  kilogrammes. 
Il  est  gorgé  d'une  pulpe  sucrée  acide  très  agréable. 
Ces  fruits  sont  très  rechercbés  par  les  naturels 
du  pays. 

Les  quatelés  de  la  Guyane  ou  Leiythis  sont  des 
arbres  très  semblables  aux  couroupiias  et  servent 
aux  mêmes  usages.  Leurs  fruits,  nommés  marmites 
de  singe,  consistent  en  une  capsule  ligneuse  très 
épaisse,  en  forme  d'urne,  pourvue  vers  le  milieu 
de  sa  hauteur  d'un  bourrelet  proéminent.  I. a  par- 
tie supérieure  de  ce  fruit  est  formée  par  un  opercule 
conique  qui  se  prolonge  en  un  axe  quadrangulaire. 
C'est  à  la  base  de  cet  axe  que  sont  fixées  les  se- 
mences, peu  nombreuses.  A  la  maturiié,  l'opercule 
se  détache  tout  seul,  et  les  e;raines  sont  mises  en 
liberté.  L'amande  enfermée  dans  la  graine  est  très 
riche  en  matières  grasses  ;  au  Brésil  et  à  la  Guyane 
on  en  retire  une  huile  très  recherchée  aujour- 
d'hui pour  la  fabrication  des  savons  communs. 

Les  juvia,  touka  ou  chûtaigniers  du  Brésil  sont 
de  très  grands  arbres  originaires  des  bords  de 
rOrénoque.  On  les  cultive  aujourd'hui  en  grand  à 
Cayenne  et  dans  tout  le  Brésil.  Ces  arbres,  outre 
leur  bois  qui  est  très  estimé,  nous  fournissent  des 
fruits  volumineux  qui  rappellent  beaucoup  ceux 
des  lecythis.  Les  graines  qui  sont  enfermées  dans 
ces  fruits  sont  très  volumineuses.  On  les  nomme 
châtaignes  du  Brésil  ou  noix  de  Para.  L'amande 
qu'elles  contiennent  est  très  riche  en  matières 
grasses.  M.  Correnwinder,  qui  le  premier  a  fait 
l'analyse  de  cette  graine,  y  a  trouvé  jusqu'à  60  p. 
100  de  matières  huileuses.  L'huile  que  l'on  retire 
des  graines  des  noix  de  Para  est  de  très  bonne 
qualité;  elle  peut  rivaliser  avec  l'huile  d'olive.  Le 
nom  botanique  des  juvia  est  liertlndtelia  excelsa. 

Le  Ciiryophi/tlus  aromaticiis  ou  girollier  est  un 
arbre  originaire  des  îles  Moluques,  d'où  il  a  passé 
dans  l'Ile  Bourbon  vers  1710.  Deux  ans  plus  tard 
Il  était  transplanté  à  Cayenne;  de  là  il  a  gagné  peu 
à  peu  toutes  jios  autres  colonies.  Le  giroflier  pro- 
duit le  girofle  du  commerce.  Les  clous  de  girofle 
sont  formes  par  les  fleurs  du  giroflier  cueillies 
avant  que  leur  corolle,  qui  est  caduque,  ne  se  soit 
détachée.  Les  fleurs  de  girofle  sont  sécliées  au 
grand  soleil  sitôt  après  la  cueillette.  Le  girofle, 
soumis  à  la  distillation,  en  présence  de  l'eau, 
fournit  une  huile  lourde  dont  on  retire  l'essence 
de  girofle.  Cette  dernière  substance  est  très  em- 
ployée en  parfumerie. 

Les  Pumca  ou  grenadiers  sont  originaires  de  la 
Mauritanie  ;  c'est  de  là  que  leur  vient  leur  nom  bo- 
tanique, qui  rappelle  les  Carthaginois.  Les  grena- 
diers sont  cultivés  aujourd'hui  sur  tout  le  littoral 
méditerranéen  et  dans  toutes  les  régions  tempé- 
rées du  globe.  La  racine  fraîche  du  grenadier  est 
un  puissant  vermifuge  ;  de  tous  les  remèdes  em- 
ployés contre  le  taenia,  c'est  de  beaucoup  le  plus 
prompt  et  le  plus  efficace;  mais  il  importe  que  la 
racine  soit  employée  toute  fraîche.  La  pulpe  sucrée 
du  fruit  est  fort  recherchée.  L'écorce  du  fruit  est 
employée  par  les  tanneurs  comme  succédané  de 
l'écorce  do  cliêne;  cette  écorce  est  alors  désignée 
sous  le  nom  de  malicor. 

L'écorce  du  Cnli/c-  nt/iui  /loridui  est  employée 
en  Amérique  comme  tonique  stimulant. 

[C.-E.  Bertrand.] 

MYTHE,  MYTHOLOGIE.  —    Mythe    (du   grec 


mythns,  récit,  conte;  plus  tard,  liciion,  fable)  est 
le  nom  commun  de  ces  anciens  récits  tradition- 
nels que  l'on  trouve  à  l'origine  de  toutes  les  his- 
toires et  que  l'on  peut  ranger  en  deux  genres:  ou 
bien  ils  décrivent  des  faits  de  l'oidre  naturel, 
mais  interprétés  comme  des  exposants  de  drames 
divins  ;  ou  bien  ils  incorporent  une  idée  morale 
dans  une  forme  historique  et  dramatique.  Dan& 
les  deux  cas,  ce  qui  est  permanent,  ou  fréouent, 
ou  périodique,  dans  la  nature  et  dans  l'humanité, 
est  ramené  à  un  événement  accompli  une  foi» 
pour  toutes,  et  le  drame,  bien  que  fictif,  est  tenu 
pour  réel.  —  La  Mythologie  est  ou  bien  la  science 
qui  s'occupe  de  rechercher  l'origine,  le  sens  et 
les  ramifications  de  ces  mythes  divers,  ou  bien 
leur  simple  exposition. 

Il  n'y  a  pas  encore  très  longtemps  que  cette 
notion  du  mythe  est  acquise  à  la  science.  Notre 
littérature  classique  ne  la  connaît  pas.  Pour  elle» 
il  n'y  a  que  les  deux  catégories  de  l'histoire  réelle 
et  de  la  futile  inventée  à  dessein,  avec  la  claire 
conscience  qu'elle  n'est  qu'une  fiction.  Il  a  fallu 
les  recherches  approfondies  qui  se  sont  faites  ^ 
la  fin  du  siècle  dernier  en  France  et  surtout  en 
Allemagne  sur  le  terrain  de  l'histoire  religieuse, 
pour  qu'on  découvrît  la  vraie  nature  des  récits 
mythiques,  lesquels  ne  sont  ni  des  histoires  ni 
des  fables,  ne  racontant  ni  des  faits  réellement 
accomplis  comme  les  premières,  ni  des  faits  d'in- 
vention arbitraire  et  voulue  comme  celles-ci. 

Toutes  les  religions  de  l'antiquité  sont  plus  oti 
moins  mythiques.  La  mythologie  la  plus  connue 
parmi  nous  est  la  mythologie  grecque,  bien  que  les 
noms  par  lesquels  nous  désignons  les  divinités 
mythologiques  soient  latins  (Jupiter,  Junon,  Nep- 
tune, Diane,  Mercure,  Mars,  Minerve,  Vénus,  etc.). 
Cela  tient  d'abord  à  ce  que  la  mythologie  grecque, 
plus  riche  et  plus  belle  que  la  mythologie  latine, 
se  répandit  de  bonne  heure  en  Italie  et  se  fusionna 
avec  celle-ci,  mais  en  lui  donnant  beaucoup  plus 
qu'elle  n'en  reçut  ;  puis,  la  conquête  romaine  ap- 
porta dans  notre  Gaule  cette  religion  gréco-latine 
qui  absorba,  chez  nous  aussi,  bon  nombre  d'élé- 
ments de  la  vieille  religion  gauloise,  en  les  frappant 
à  son  empreinte,  mais  toujours  avec  la  prépondé- 
rance marquée  de  la  mythologie  grecque;  enfin  la 
littérature  et  les  beaux-arts  en  maintinrent  le  sou- 
venir en  lui  empruntant  toute  sorte  de  sujets 
dont  la  poésie,  la  peinture,  la  sculpture,  le  théâtre 
profitèrent  beaucoup.  Mais  il  ne  faut  pas  consi- 
dérer cette  mythologie  classique  comme  la  seule 
existant  autrefois.  Toutes  les  nations,  non  seule- 
ment la  Grèce  et  l'Italie,  mais  encore  la  Germanie, 
la  Perse,  l'Inde,  la  Chine,  I  Egypte,  les  peuples 
dits  sémitiques  (Chaldée,  Assyrie,  Phénicie,  Ara- 
bie. etc.1,  noire  Gaule,  les  populations  indigènes 
de  l'Amérique,  celles  de  l'Afrique  et  de  la  Polyné- 
sie, etc.,  ont  eu  ou  ont  encore  leur  mythologie 
distincte.  Nous  supposons  dans  ce  qui  va  suivre 
que  nos  lecteurs  connaissent,  au  moins  en  gros, 
les  principaux  récits  de  la  mythologie  gréco  -latine 
ou  classique. 

Comment  se  sont  formés  les  mythes  ? 

Pour  le  comprendre,  il  faut  se  reporter  en  ima- 
gination aux  âges  de  la  complète  ignorance,  quand 
l'homme  commençait  seulement  à  sortir  de  la  vie 
purement  instinctive  et  à  jeter  un  regard  curieux 
sur  le  monde.  Il  fut  alors,  comme  nous  l'avons 
tous  été  dans  notre  enfance,  porté  à  animer,  à 
personnifier,  à  dramatiser  les  choses  inanimées. 
L'enfant  croit  aisément  que  sa  poupée  ou  son  che- 
val de  bois  sont  dos  êtres  animés.  S'il  se  fait  mal 
en  se  heurtant  contre  une  chaise,  cette  chaise  est 
méclionte  et  il  la  bat  pour  la  punir.  La  lune  lui 
fait  l'efTet  d'une  tête  humaine  qui  le  contemple. 
C'est  dans  un  état  d'esprit  tout  semblable  que 
l'homme  regarda  primitivement  les  phénomènes 
!  de  la  nature.  Dans  l'éclair  il  vit  tantôt  les  replis 


MYTHE,   MYTHOLOGIE  —  1385  —    MYTHE,  MYTHOLOGIE 


d'un  grand  serpent  de  fou,  tantôt  la  lance  ou 
l'épée  brandie  par  un  guerrier  céleste  caché  der- 
rifre  la  nue  orageuse.  Le  tonnerre  fut  son  cri  de 
guerre,  ou  le  roulement  de  son  chariot,  ou  le  mu- 
gissement de  taureaux  monstrueux.  Dans  le  vent 
il  crut  entendre  les  hurlements  d'une  meute 
aérienne  lancée  par  des  chasseurs,  ou  bien  les 
doux  accords  d'une  lyre  invisible.  Les  nuages 
furent  tantôt  do  bonnes  vaches  laitières  qui  nour- 
rissaient la  terre,  tantôt  les  bœufs  du  soleil,  ou 
des  cygnes,  ou  des  dragons  monstrueux.  L'orage 
était  un  combat  entre  des  puissances  lumi- 
neuses, bienf.iisantes,  amies  des  hommes,  et  des 
puissances  ténébreuses,  destructives,  redoutables. 
Ainsi  se  formèrent,  non  pas  encore  des  tni/t/ifs, 
mais  des  éléments  mi/thiques  dont  le  rapproclie- 
ment  et  la  mise  en  action  formèrent  ensuite  les 
mythes  compleis. 

Du  moment  en  effet  que  la  nature  paraissait 
ainsi  remplie  d'êtres  animés,  ayant  des  sentiments, 
des  désirs,  des  passions  tout  à  fait  analogues  à 
ceux  de  l'homme,  il  était  tout  simple  d'appliquer 
à  leurs  rapports  apparents  les  analogies  de  la  vie 
humaine.  Ainsi  l'aurore  paraît  avant  le  soleil,  qui 
semble  la  poursuivre,  vouloir  s'unira  elle,  et  devant 
lequel  elle  disparaît.  L'aurore  personnifiée  fut 
donc  considérée  comme  l'amante,  ou  la  fiancée,  ou 
la  victime  du  soleil  également  personnifié.  La 
terre,  stérile  pendant  l'hiver,  se  couvre  de  ver- 
dure et  de  fleurs,  k.rsque  le  ciel  redevient  plus 
doux  :  de  là  l'idée  d'un  mariage  fécond  du  cîpI 
(Uranus,  Saturne,  Jupiter)  et  de  la  terre  (Géa, 
Gérés,  Lalone,  Sémélé,  etc.),  et  ce  mythe  est  i  la 
base  d'une  quantité  de  mythologies.  Cette  pro- 
pension à,  dramatiser  ainsi  les  faits  de  l'ordre 
naturel  étant,  en  Grèce  surtout,  le  partage  d'une 
race  éminemment  imagiiiative  et  artistique,  donna 
lieu  à  ces  innombrables  récits  où  sont  décrits  les 
rapports,  les  alliances,  les  parentés,  les  amours 
et  les  rivalités  des  innombrables  dieux  et  déesses 
de  la  religion  grecque. 

C'est  ce  qui  nous  explique  pourquoi  l'on  peut 
attribuer  à  ces  divinités  tant  de  défauts  ou  d'actes 
qui  nous  paraissent  contraires  à  la  perfection  di- 
■vine.  Les  phénomènes  de  la  nature  ne  sont  ni 
moraux  ni  immoraux;  mats  si  on  les  personnifie, 
si  l'on  dramatise  leurs  rapports  apparents,  ils  peu- 
vent très  bien  donner  lieu  à  des  représentations 
d'un  caractère  blâmable.  Par  exemple  Apollon  est 
le  soleil,  les  nuages  rouges  de  son  coucher  sont 
des  bœufs  qu'il  fait  paître  le  soir,  Mercure  est  le 
vent  frais  du  crépuscule  qui  les  chasse.  L'imagi- 
nation mythique  traduit  immédiatement  ce  phéno- 
mène en  disant  que  Mercure  détourne  les  bœufs 
d'Apollon,  les  lui  vole  et  s'enfuit  avec  eux. 

Une  fois  cette  forme  mythique  donnée  aux  phé- 
nomènes de  la  nature,  on  comprend  aisément 
qu'antérieurement  à  la  naissance  de  la  philosophie 
et  de  toute  science  réfléchie,  mais  à  l'époque  où 
les  questions  morales  commençaient  à  se  poser  à 
leur  tour  devant  l'esprit  humain,  cette  même  forme 
ait  servi  d'expression  à  certaines  vérités  d'expé- 
rience pratique  et  donné  lieu  à  ce  second  genre 
de  mythes,  moins  nombreux  que  le  premier,  mais 
non  le  moins  remarquable  ni  le  moins  instructif, 
qui  incorpore  une  idée  morale  dans  un  récit,  fictif 
iM)  réalité,  mais  tenu  pour  réel.  Le  plus  célèbre 
'le  ces  mythes,  celui  de  Prométhée  enchaîné  et 
i  irturé  sur  un  rocher  pour  avoir  voulu  le  bien  des 
liommes  et  leur  avoir  communiqué,  avec  l'art  de 
faire  du  feu,  les  moyens  de  la  civilisation,  est  un 
des  plus  tragiques,  et  il  a  inspiré  l'un  des  chefs- 
d'œuvre  du  drame  grec  (Trilogie  d'Eschyle  sur 
Promélliée), 

Lorsque  dans  l'antiquité  elle-même  les  esprits 
plus  éclairés  ne  purent  ajouter  foi  comme  aupara- 
vant à  tous  ces  naïfs  récits  mythologiques,  il  s'en 
I      fallut  bien  que  leur  véritable  origine  fût  reconnue 


par  ceux  qui  s'en  occupèrent.  L'explication  la- 
plus  répandue,  bien  qu'elle  fût  inadmissible,  et 
que  bien  des  modernes  ont  reproduite  au  cours 
des  deux  derniers  siècles,  fut  que  les  dieux  et  les 
déesses  étaient  d'anciens  rois  et  reines  divinisés 
après  leur  mort.  Cette  explication  s'appuyait  en- 
tre autres  sur  le  fait  qu'on  montrait  en  Crète  le 
berceau  et  le  tombeau  de  Jupiter.  Mais  non  seu- 
lement en  Crète,  de  plus,  en  bien  des  endroits 
de  l'Asie,  on  avait  des  dieux  mourant  en  hiver 
pour  renaître  au  printemps  (Adonis,  Atys,  etc.), 
et  les  mythes  dont  ils  étaient  les  héros  n'étaient 
autre  chose  que  la  dramatisation  du  cours  régu- 
lier de  l'année.  Ce  genre  d'explication,  aujour- 
d'hui tout  à  fait  abandonné,  s'appelle  l'n'hémé- 
risme,  du  nom  d'Evhémère,  bel  esprit  qui  vivait  à 
la  cour  du  roi  macédonien  Cassandro  dans  la 
seconde  moitié  du  iV  siècle  avant  notre  ère,  et 
qui  contribua  beaucoup  à  la  mettre  à  la  mode. 

On  appelle  mi/thologie  comparée  une  science 
spéciale  qui  s'occupe  de  rapprocher  les  traditions 
mythiques  des  diverses  nations  pour  en  rechercher 
les  traits  communs  et  les  origines,  soit  distinctes, 
soit  identiques.  Cette  science  a  jeté  de  vives  lu- 
mières sur  les  origines  anté-historiques  et  les 
parentés  des  peuples.  C'est  elle  qui  a  porté  le 
dernier  coup  à  l'évhémérisme  en  montrant  que  les 
noms  de  beaucoup  de  divinités  grecques  étaient 
déj!i  connus  et  invoqués  sur  les  bords  de  l'Indus 
par  les  Aryas,  cousins  germains  des  Grecs,  mais 
se  dirigeant  vers  le  sud,  tandis  que  les  Grecs  avan- 
çaient dans  la  direction  de  l'ouest  ;  que  ces  noms 
sanscrits  ne  sont  pas  autres  que  ceux  qui  dési- 
gnaient, dans  la  langue  commune  primitive  des 
deux  branches,  le  ciel,  l'aurore,  le  soleil,  la  lune, 
le  vent,  les  nuages,  en  un  mot  la  plupart  des 
phénomènes  personnifiés  sous  les  noms  des  dieux 
grecs. 

La  vieille  mythologie  gauloise  est  encore  très 
mal  connue,  bien  qu'on  travaille  à  la  faire  sortir 
de  vingt  siècles  d'oubli.  Elle  a  pourtant  laissé  des 
traces  nombreuses,  soit  dans  les  superstitions  de 
nos  campagnes  (dames  blanches,  fées,  lutins),  soit 
dans  certaines  légendes  à,  la  fois  boufl'onnes  et  tra- 
giques comme  celle  de  Gargantua  (qui  paraît 
avoir  été  une  personnification  du  soleil  dévorant, 
insatiable),  soit  enfin  dans  de  poétiques  récits, 
comme  la  légende  de  la  Mélusine,  qui  devint  le 
mythe  d'origine  de  la  célèbre  maison  de  Lusi- 
gnan.  On  en  trouve  aussi  d'intéressants  débrisdans 
les  vieux  contes  de  fées  que  l'errault  a  si  agréa- 
blement contés  et  qui  ont  charmé  notre  enfance. 

Comme  on  abuse  aisément  de  toute  idée  nou- 
velle, on  abusa  aussi  de  la  théorie  des  mythes  en 
voulant  l'appliquer  à  tout  et  partout,  au  point  de 
reléguer  dans  le  domaine  du  mythe  des  person- 
nages et  des  événements  parfaitement  historiques. 
C'est  à  ce  genre  d'abus  que  répondit  un  spirituel 
pamphlet  bien  connu  qui  démontrait  que,  selon 
cette  théorie.  Napoléon  1"  n'avait  jamais  existé. 

A  son  tour  l'auteur  do  cette  démonstration  mé- 
connaissait qu'il  y  a  des  règles  qui  permettent  de 
distinguer  quand  un  récit  est  mythique  et  quand 
il  ne  l'est  pas.  11  est  clair  qu'un  événement  ra- 
conté, un  personnage  décrit  par  des  contempo- 
rains ou  par  des  hisloriens  rapprochés  de  soa 
temps,  ne  saurait  être  classé  parmi  les  mythes, 
surtout  quand  ce  qui  nous  en  est  dit,  bien  que 
surprenant  ou  rare,  n'est  en  contradiction  ni  avec 
les  lois  de  la  nature,  ni  avec  les  données  de  l'expé- 
rience commune.  De  plus  on  peut  s'assurer  de  la 
réalité  historique  d'un  fait  allégué,  si  l'on  est  suf- 
fisamment certain  de  ce  qui  le  précède  et  de  ce 
qui  le  suit,  et  si  l'on  trouve  que  ce  fait  est  la  tran- 
sition logique  et  naturelle  de  ses  antécédents  à 
ses  conséquents.  On  voit  tout  de  suite  l'applica- 
tion que  l'on  pimt  faire  de  cette  double  règle  ;;  la 
personne  et  à  l'histoire  de  Napoléon  I". 


NAPOLEON 


1386  — 


NAPOLEON 


Mais  quand  le  merveilleux  du  récit  est  en  con- 
tradiction dli'ccte  avec  toute  expérience,  .|uand 
aucun  document  écrit,  rapproché  des  événements 
racontés,  ni;  nous  permet  de  faire  la  part  du  réel 
et  du  légendaire,  quand  enfin  il  y  a  des  raisons 
pliilologiques,  ethnologiques,  comparatives,  pour 
appuyer  lliypothèso  du  caractère  mythique  de  ce 
récit,  rien  ne  serait  plus  arbitraire  que  de  la  re- 
pousser sous  le  prétexte  qu'on  a  quelquefois  vu 
des  mythes  où  il  n'y  en  avait  pas. 

il  faut  se  rappeler  enfin  que  le  mythe  est  fils  de 
l'imaginaiion  et  du  travail  spontané,  irrélléclu,  de 
l'esprit  humain.  Par  conséquent  il  e-t  étranger 
aux  âges  de  réflexion  et  de  travail  méthodique.  On 
voit  la  faculté  de  produire  des  mythes  aller  en  di- 
minuant h  mesure  que  les  peuples  s'instruisent 
et  s'éclairent.  Du  mythe,  on  passe  à  l'histoire 
my  hiquo,  c'est  à-dire  contenant  des  parties 
mythic|ues  mêlées  à  des  parties  historiques  et 
allant  toujours  en  diminuant.  Au  moyen  âge  il  se 
forma  encore  de   véritables  mythes  dans  la  tradi- 


tion populaire,  celui  par  exemple  du  Juif  Errant, 
concepiion  bizarre  qui  personnifie  pourtant  si  bien 
la  destinée  lamentable  du  peuple  juif  à  cette 
époque.  Bien  des  légendes  locales  sont  de  véri- 
tables mythes  racontant  la  victoire  du  christianisme, 
entés  souvent  sur  un  mythe  païen  antérieur  qui 
rarontait  la  victoire  ries  forces  lumineuses  et  bien- 
faisantes sur  les  puissances  des  ténèbres.  De  nos 
jours  l'influence  piépondérante  des  classes  ins- 
truites empêche  absolument  les  mythes  de  se 
constituer  et  de  se  répandre.  Pourt:int  les  éléments 
mythiques  sont  encore  i  l'état  latent  au  fond  des 
masses  encore  étrangères  à  la  culture  moderne; 
on  en  voit  quelquefois  surgir  comme  des  ébauches 
ou  des  commeticements,  lorsqu'un  personnage  ou 
un  événement  frappe  vivement  l'iinaginalion  po- 
pulaire, et  le  tour  d'esprit  mythologique  ne  dis- 
paraîtra tout  à  fait  que  le  jour  où  linstiuclion 
publique  aura  partout  répandu  sa  lumière. 

[Albert  Réville.l 


N 


N"APOLEO\  (IVabulione,  Napolenne).—  Histoire 
générale,  XXVI  ;  histoire  de  France,  XX.XU. 
XXXVI.  —  Ce  nom  appartient  à  l'histoire  générale 
au  même  titre  que  ceux  d'Alexandre  ou  de  César. 
Il  rappelle  un  homme  de  guerre  prodigieux  dont 
le  inonde  ne  cessera  plus  de  parler  avec  un  éton- 
nement  mêlé  d'épouvante. 

Dans  notre  histoire,  il  désigne  une  dynastie  im- 
périale, maintenant  éteinte,  après  avoir  fourni 
deux  fois,  depuis  le  début  du  siècle,  des  souve- 
rains à  la  France,  et  lavoir  deux  fois  livrée  vain- 
cue aux  horreurs  de  l'invasion  étrangère. 

La  légende  bonapartiste  compte  quatre  Napo- 
léons ;  1  histoire,  deux  seulement.  Quant  à  ces  deux 
pseudo-souverains  que  leurs  partisans  appellent 
Napoléon  II  et  Napoléon  IV,  ce  furent  de  pauvres 
enfants,  dont  la  courte  et  tragique  destinée,  faite 
pour  éveiller  la  pitié,  dévoile  la  fragilité  des  plus 
grandes  fortunes  politiques. 

I. 

Le  premier  Napoléon  est  né  à  Ajaccio  le  15  août 
nc.Q.  Selon  M.  luni,  cette  date  serait  fausse;  et 
Je  but  de  cette  falsification  aurait  été  la  nécessité 
de  produire  un  acte  rie  naissance  conforme  au 
règlement  d'entrée  de  l'Ecole  militaire  où  Charles 
Bonaparte  désirait  faire  entrer  son  fils  Napo- 
léon. 

La  maison  était  noble,  et,  paraît-il,  d'une  no- 
blesse fort  ancienne  que  Napoléon  renia  un  itistant 
en  179!,  mais  qu'il  prit  soin  plus  tard  de  faire  re- 
monter jusqu'à  des  temps  fabuleux  et  à  des  ori- 
gines impériales  (Comnènes).  Charles  Bonaparte 
s'était  comproiuis  dans  le  parti  opposé  à  la  France 
avec  Paoli  ;  mais  il  avait  su  faire  sa  paix,  et  trouva 
même  le  moyen  de  s'assurer  la  faveur  de  M.  de 
Marboeuf,  gouverneur  de  lile. 

En  1779,  Napoléon  entra  à  l'Ecole  militaire  de 
Brienne.  Là,  comtue  datis  sa  famille,  sa  nature 
artieme  se  révéla  :  c'était  un  enfant  passionné, 
opiniâtre;  ce  fut  un  écolier  capricieux.  A  Brienne, 
plus  tard  à  Paris  en  1784,  il  vécut  solitaire  et  taci- 
turne, travaillé  du  mal  du  pays,  du  sentiment  de 
sa  pauvreté,  probablement  ridicule  par  sa  tour- 
nure, son  accent  étranger,  son  langage  incorrect  et 
ses  façons  rudes. 

Il  venait  de  prendre  rang  au  régiment  de  la 
Fère  comme  lieutenant  en  second  quand  son  père 
mourut  (l7^5).   Quoiqu'il  ne  fût  pas  l'aîné  de  la 


luaison,  son  caractère,  son  grade,  si  modeste  qu'il 
fût,  enfin  la  ti.midiié  de  Joseph  lui  donnèrent  l'idée 
et  presque  le  droit  de  jouer  le  rôle  de  chef  de 
famille. 

La  tâche  était  lourde  :  Charles  Bonaparte  laissait 
huit  enfants,  et  nulle  fortune,  sans  autre  protecteur 
qu'un  vieil  oncle,  l'archidiacre  Lucien.  Est-ce  à 
cette  préoccupation  honorable,  ou  bien  aux  fantai- 
sies itivincibles  d'un  caractère  indisciplinable,  qu'il 
faut  dès  lors  attribuer  l'irrégularité  des  états  de 
service  du  jeune  offieier? 

M.  lung  r.e  laisse  aucun  doute  sur  ce  point  : 
preuves  en  main,  il  montre  qu'en  congés  réguliers 
ou  non.  Napoléon  a  passé  hors  du  régiment  àS  mois 
sur  99  de  grade  Dans  toute  autre  circonstance,  il 
n'aurait  eu  d'autre  alternative  que  la  démission 
ou  le  con'-eil  de  guerre  ;  mais  de  1789  à  1 79:!  la  dé- 
sorganisation des  services  militaires  était  si  géné- 
rale que  de  telles  irrégularités  pouvaient  passer 
inaperçues. 

Moins  Français  que  Corse,  et  moins  attentif  aux 
événements  terribles  qui  agitaient  sa  nouvell  • 
patrie  qu'aux  querelles  de  son  clocher,  c'est  d'A 
jaccio  ou  de  Corte  plutôt  que  de  Paris  que  le 
jeune  Napoléon  se  souciait  alors.  Mêlé  aux  intrigues 
fort  obscures  qui  au  bout  de  deux  ans  firent  de 
Paoli  I  ennemi  déclaré  de  la  France,  un  jour  même 
dénoncé  comme  traître  et  fauteur  de  guerre  civile, 
il  fut  etifin  réduit  à  quitter  la  Corse  avec  sa  famille 
proscrite  et  ruinée. 

Tout  espoir  de  devenir  un  héros  corse  étant 
perdu  pour  Napoléon,  il  se  rejeta  avec  ardeur  vers 
la  France.  Le  Sotipçi'rf''  /;wi('/j(re(|u'il  écrivit  alors, 
et  qui  fit  un  certain  bruit,  fut  un  coup  de  maître:  la 
ferveur  d'un  dévouement  aussi  résolu  aux  idées 
révolutionnaires  le  désignait  pour  quelque  com- 
mandement. La  République  avait  besoin  d'hommes 
d'action  :  Toulon  venait  d'être  livré  à  l'ennemi; 
il  fallait  le  reprendre  au  plus  vite.  La  légtïnde  qui 
représente  Bonaparte  comme  sauvant  par  un 
éclair  de  génie  l'opération  du  siège  comprotnise  par 
l'iiieptie  des  généraux,  est  une  ittjure  pour  des  su- 
périeurs auxiiuels  Napoléon  lui-même  rendait  jus- 
tice. Sa  conduite  d'ailleurs  avait  été  fort  brillante 
et  fut  signalée  à  la  Convention,  qui  le  nomma  gé- 
néral de  brigade  en  t7t)4  à  l'armée  d'Italie. 

Le  9  thermidor  eut  un  contre-coup  ten  ibie  sur 
la  fortune  des  Bonaparte.  Disgracié  à  cause  de 
sps  ri-lations  avec  les  Robespierre,  Napoléon  subit 
une  courte  captivité  de  quinze  jours,  puis  perdit  son 


NAPOLEON 


1387 


NAPOLEON 


commandement,  refusa  une  compensation  en  Ven- 
dée et  donna  sa  démission. 

Réfugié  k  Paris,  fatiguant  le  ministère  de  ses 
mémoires,  b'efTorçant  de  ne  point  se  faire  perdre 
de  vue  et  prêt  à  tout,  il  accepta  au  13  vendomiiiii-e 
le  soin  de  combattre  la  réaction  royaliste. 

Sa  victoire  du  parvis  de  Saint-Hocli  lui  valut  le 
grade  de  général  de  division,  avi'c  le  commande- 
ment en  chef  de  l'armée  de  l'intérieur.  C'était  le 
temps  du  Directoire;  et  comme  l'avait  prédit 
Duport  en  1791,  le  moment  approchait  où  «  la  Ré- 
volution ferait  naufrage  sur  l'écueil  du  tiiilitn- 
risme.  • 

En  face  d'un  gouvernement  justement  décrié 
pour  ses  tripotages  et  ses  faiblesses,  au  milieu 
d'une  société  ivre  de  repos  après  le  péril  de  l'in- 
vasion, il  eût  élo  vraiineiit  prodigieux  qu'un  géné- 
ral n'eût  pas  la  lentalioii  de  profiter  de  sa  répu- 
tation pour  saisir  le  pouvoir,  sauver  l'ordre, 
comme  on  dit  en  pareille  occurrence,  et  fonder  sa 
fortune  sur  quelque  aventure,  dont  l'illégalité 
pourrait  être  atténuée  par  l'impopularité  même 
du  gouvernement  au  détriment  duquel  elle  serait 
commise. 

Cette  tentation,  Bonaparte  l'eut,  et  la  satisfit 
au  18  brumaire.  Il  n'y  a  pas  lieu  de  retracer  ici  le 
détail  des  deux  grands  événements  sur  lesquels  il 
avait  fondé  sa  réputation  miliiaire,  en  supplantant 
dans  l'opinion  publique  des  compagnons  d'armes 
aussi  méritants  et  plus  anciens  que  lui.  Tout  le 
monde  sait  la  campagne  d'Italie  de  iTOti  et  la 
campagne  d  Egypte. 

En  ITJC,  le  Directoire,  tout  en  ordonnant  un 
débarquement  en  Irlande ,  jetait  trois  armées 
sur  la  route  de  Vii'nne.  La  petite  armée  d'Italie 
fit  merveille  sous  Bonaparte  :  les  Alpes  tournées 
en  avril,  la  cour  do  Turin  contrainte  à  la  paix,  Mi- 
lan occupé,  la  Lombardie  conquise  et  pacifiée,  l'A- 
dige  franchi,  les  Autrichiens  rejelés  dans  le  Tyrol, 
le  pape  et  les  petits  princes  rie  l'Emilie  admis  à 
traiter,  la  cour  de  Naples  dédaignée,  l'Autriche 
quatre  fois  revenant  îi  la  charge  pour  sauver  Man- 
toue  des  coups  de  Bonaparte,  et  quatre  fois  battue 
en  août,  septembre,  novembre  1798,  et  janvier 
1797  à  Lonato,  Roveredo,  Arcole.  Rivoli  ;  puis 
■Bonaparte  courant  sur  Vienne  malgré  l'archiduc 
Charles,  arrivant  au  Semmering,  et  signant  comme 
il  avait  combattu,  sans  ordre  ou  malgré  les  ordres 
reçus,  d'abord  un  armistice  à  Léoben.  puis  la  paix 
i  Campo  Formio  (17  oct.  17u7),  et  sacrifiant  Venise 
d'un  trait  de  plume. 

Bonaparte  s'était  révélé  tout  entier  :  art  d'en- 
flammer les  troupes,  d'improviser  des  ressources, 
d'enfler  ses  moindres  succès,  do  traiter  les  afl'di- 
res_  et  les  hommes  avec  cette  brusque  impétuo- 
sité qui  paralyse  l'cfl'ort  de  l'ennemi,  coupp  court 
à  toute  objection  et  colore  d'un  éclair  de  génie 
les  actions  les  plus  imprudentes  ou  les  caprices 
les  plus  injustes. 

Au  retour,  qui  fut  triomphal,  le  Directoire  se 
sentit  gêné  en  face  de  son  impérieux  général,  en  qui 
il  lui  était  facile  do  reconnaître  moins  un  servi- 
teur qu'un  rival.  Il  écouta  donc  avec  faveur  la 
singulière  proposition  que  fit  Bonaparte  de  porter 
la  guerre  en  Egypte  pour  réduire  à  la  paix  l'An- 
gleterre inexpugnable  chez  elle. 
_  Tout  fut  préparé  dans  le  secret  ;  rien  ne  fut 
épargné,  et  l'expédition,  partie  en  mai  1798,  dé- 
buta merveilleusement  :  Malte  enlevée  aux  (  he- 
valiers,  puis  Alexandrie  et  le  Caire  aux  Mameluks 
après  une  victoire  au  pied  des  Pyramides  de  Gizeh 
(vl  juillet). 

Cependant  le  désastre  d'Aboukir  isolait  l'armée 
de  Bonaparte;  deux  armées  turques  vinrent  l'atta- 
quer dans  sa  conquête;  il  les  battit  au  mont  Tha- 
fcor,  à  Aboukir  [IV.t'.)).  Mais  il  avait  échoué  en 
byrie  (levant  Saint-Jean-d'Acre,  et  la  route  des 
Indes  restait  fermée.  Dès  lors,  et  malgré  son  zèle 


pour  la  colonisation  do  l'Egypte  ou  ])Our  les  tra- 
vaux de  son  Inst  tut  'lu  Caire,  le  sentiment  de 
son  impuissance  l'envahit.  Son  devoir  était  de 
rester  avec  ses  troupes;  son  intérêt  lui  parut  être 
de  revenir  en  Fran  e  :  il  partit  donc,  sans  ordre, 
jurant  qu'il  allait  ramener  un  renfort. 

Le  9  octobre  il  débarquait;  le  16  octobre  il  en- 
trait .'i  Paris,  le  9  novembre  il  frappait  son  coup 
d'Etat  du  18  brumaire,  et,  prenant  en  mains  la 
direction  suprême  des  affaires  militaires,  de  la 
diplomatie  et  du  gouvernement  intérieur,  il  ré- 
duisait les  plus  glorieux  généraux  do  la  Révolu- 
tion au  rôle  de  simples  lieutenants. 

Il  On  avait  vu  tant  de  coup  d'Etats  qu'on  s'était 
habitué  h.  les  luger  moins  par  leur  moralité  que 
d'après  leurs  suites.  » 

Au  18  brumaire.  Bonaparte  eut  pour  lui  la  con- 
nivence d'une  majorité  désenchantée  de  la  liberté 
et  incapable  de  prévoir  que  le  régime  nouveau 
amcne'-ait  fatalement  le  retour  de  maux  encore 
plus  grands  que  ceux  qu'il  venait  réparer. 

Ce  régime,  c'était  la  monarchie,  en  dépit,  de 
l'illusion  républicaine  que  le  partage  apparent  du 
pouvoir  consulaire  était  chargé  d'entietciiir.  Le 
préambule  de  la  constitution  de  l'an  Vlll  disait  : 
(c  La  Révolution  est  fixée  aux  principes  qui  l'ont 
commencée,  elle  est  finie.  » 

Cette  assertion  souleva  bien  quelques  opposi- 
tions; mais,  fort  des  4  millions  de  suffrages  obte- 
nus lors  du  plébiscite,  servi  par  une  police  vi- 
goureuse, entouré  de  fonctionnaires  choisis  par 
lui  il  tous  les  degrés,  le  premier  consul  poursui- 
vit son  œuvre. 

Désintéressée  ou  non,  eUe  fut  évidemment  fé- 
conde et  habile. 

11  réconcilia  la  France  avec  la  cour  de  Rome,  au 
moyen  d'un  nouveau  Conconlnt  établi  sur  des 
bases  plus  conformes  à  notre  droit  public;  il  rou- 
vrit les  églises  au  culte,  inais  sans  rendre  au 
clergé  ni  ses  biens,  ni  son  indépendance;  il  donna 
enfin  une  sanction  éclatante  au  principe  d'égalité 
proclamé  en  1789,  dans  le  C"rfe  cio  l  iies  Frajiçm's. 
Mais  en  môme  temps  il  fondait,  sous  le  nom  de 
LégiQ'i  d'Ho'inew,  un  système  de  distinctions  qui, 
peu  à  peu,  devait  accoutumer  le  pays  au  rétablis- 
sement d'une  hiérarchie  sociale  sans  laquelle  il 
est  k  peu  près  impossible  de  fonder  et  de  soutenir 
une  mon.irchie. 

De  môme,  les  cadres  si  souvent  admirés  de  no- 
tre administration  publique,  qui  servirent  d'abord 
au  rétablissement  rapide  de  l'ordre,  se  prêtèrent 
un  peu  plus  tard,  avec  une  commodité  bien  dange- 
reuse, à  la  constitution  du  gouverncinent  le  plus 
despotique  qui  ait  jamais  asservi  un  peuple  libre 
et  vainqueur. 

De  tous  les  services  rendus  au  pays  par  le  gou- 
vernement consulaire,  le  plus  sensible  fut  la  paix 
avec  l'Autriche  et  l'Angleterre.  Après  quelques 
ouvertures  mal  reçues,  la  campagne  de  1  0  i,  illus- 
trée par  la  victoire  de  Bonaparte  à  Marengo 
(14  juin)  et  par  celle  de  Moreau  à.  Hohenlinden 
rî  décombre\  aboutit  à  la  paix  de  Lunéville  (février 
UOi),  qui  laissait  l'Angleterre  sans  alliés. 

Bonaparte  voulait  la  contraindre  à  traiter.  Les 
malheurs  de  l'armée  d'Egypte  pesaient  en  effet 
sur  lui  comme  un  remords  :  car  il  n'avait  pu  faire 
parvenir  ni  un  renfort,  ni  l'escadre  nécessaire  au 
rapatriement,  et  les  glorieux  débris  de  cette  ar- 
mée venaient  de  capituler  à  Alexandrie  et  au 
Caire  (mai-août  i801). 

Successivement  il  essaya  de  nouer  contre  l'An- 
gleterre deux  coalitions  maritimes  :  celle  du  Nord 
échoua  par  la  mort  de  l'aul  1"  de  Russie  (mars)  et 
par  la  capitulation  de  Copenhague  (avril  1801); 
mais  celle  du  Sud  aboutit,  après  la  chute  do  Pitt, 
à  la  paix  d'Amiens  ('.'5  mars  IK02). 

Digne  dos  deux  grandes  nations  qu'elle  réroii- 
ciliait,  et  féconde,  si  elle  pouvait  durer,  en  résul- 


NAPOLEON 


1388 


NAPOLEON 


tats  que  Fox  et  Bonaparte  se  plaisaient  à  escomp- 
ter, cette  paix  fut  malheureusement  rompue  au 
bout  d'un  an,  le  17  mai  1x03. 

Pendant  cet  intervalle,  la  France  avait  réglé 
souverainement  le  sort  de  l'Italie,  annexé  le  Pié- 
mont, créé  1  '  royaume  d'Etrurie,  la  république  du 
Valais.  Bonaparte  était  intervenu  en  Suisse  pour 
créer  sous  le  nom  û'nite  i<e  méiliatiou  une  consti- 
tution fédérale,  et  en  Allemagne  pour  régler  le 
grand  débat  excité  par  la  question  des  icndunsa- 
tions.  Enfin  le  rachat  de  la  Louisiane  et  l'expédi- 
tion contre  les  nègres  révoltés  de  Saint-Domingue 
attestaient  son  dessein  d'étendre  partout  l'action 
de  la  France,  déjà  prépondérante  sur  le  conti- 
nent. 

Cette  liaule  situation  de  notre  pays,  un  désac- 
cord survenu  à  propos  de  Malte  et  de  l'Egypte, 
d'imprudentes  paroles  dans  les  deux  pays,  rame- 
nèrent la  guerre. 

Cette  fois,  la  paix  du  monde  allait  être  troublée 
pour  plus  de  douze  ans!  S'il  y  a  injustice  à  pré- 
tendre que  cette  rupture  de  la  paix  doit  être  im- 
putée à  Bonaparte  seul,  la  suite  de  l'histoire 
prouve  surabondamment  qu'il  fut  plus  d'une  fois 
le  maître  d  abréger  la  durée  ou  de  restreindre  les 
proportions  de  la  guerre. 

Ce  n'est  plus,  dès  lors,  en  magistrat  responsable, 
investi  d'un  pouvoir  limité,  qu'il  use  du  droit  de 
guerre  ou  de  paix,  mais  en  souverain,  fondateur 
de  dynastie,  et  qui  subordonne  les  intérêts  du 
pays  aux  calculs  sensés  ou  non  d'une  politique 
toute  personnelle. 

Quelques  efforts  que  l'on  fasse,  la  politique 
napoléonienne  ne  peut  donner  le  change  à  l'his- 
toire. Malgré  la  solennité  des  déclarations  de 
Napoléon,  s'il  aime  la  France,  c'est  parce  qu'elle 
met  à  la  disposition  de  ses  fantaisies  impériales  des 
ressources  que  sa  passion  de  gloire  et  de  con- 
quêtes aime  à  croire  inépuisables.  La  France  n'est 
qu'un  moyen  d'action  ;  le  but,  c'est  la  grandeur  de 
Napoléon,  empereur,  roi  des  rois,  remaniant  l'Eu- 
rope, faisant  et  défaisant  des  rois,  des  princes,  des 
nobles,  rendant  la  France  solidaire  des  haines 
qu'il  excite,  ripostant  i  d'utiles  conseils  par  l'in- 
jure, et  quand  la  défaite  vient  avec  l'épuisement, 
ne  sachant  encore  accuser  que  les  hommes  ou 
les  éléments,  puis  tombant  sans  autres  remords 
que  l'échec. 

C'est  en  isni,  le  18  mai,  qu'un  sénatus-consulte, 
suivi  d'un  plébiscite  (l!  nov .  ),  rétablit  le  régime  mo- 
narchique au  profit  de  Bonaparte.  Déjà,  prévenant 
ou  satisfaisant  ses  secrets  désirs,  en  l'an  X  on  lui 
avait  décerné  de  la  même  façon  une  dictature  vé- 
ritable sous  le  nom  de  consulat  à  vie  (3  août 
1802). 

Le  nom  d'empereur  faisait  meilleur  efl'et,  et  pour 
rehausser  l'éclat  de  sa  couronne,  Napoléon  I" 
n'épargna  aucune  des  coûteuses  fantaisies  de  ce 
qu'on  appelle  une  cour.  La  complaisance  intéres- 
sée des  pouvoirs  publics  et  des  personnages  les 
plus  illustres  assura  le  succès  de  cette  parodie  de 
l'ancien  régime  ;  et  bientôt  même  le  pape  vint  en 
personne,  à  Paris,  donner  le  sacre  à  cette  majesté 
sortie  de  la  Révolution. 

Il  faut  rendre  cette  justice  à  Napoléon  qu'il  n'a- 
vait pas  rêvé  l'empire  pour  s'endormir  au  pouvoir. 

Préludant  par  l'occupation  du  Hanovre  à  son 
projet  de  descente  en  Angleterre,  il  eût  voulu 
prendre  corps  à  corps  sa  grande  ennemie.  De 
juillet  IxOi  au  mois  d'août  ISnb,  quatre  tentatives 
furent  faites  par  la  marine  française  ;  mais  la  mort 
de  Latouche  Tiéville,  celle  de  Bruix,  les  tempêtes, 
enfin  l'incapacité  de  Villeneuve  firent  avorter  le 
dessein.  Le  camp  de  Boulogne  fut  levé,  et  comme 
l'Angleterre  avait  trouvé  le  moyen  de  former  sur 
le  continent  une  troisième  coalition.  Napoléon 
courut  sur  le  Rhin  chercher  une  revanche  écla- 
tante. 


L'Autriche,  la  Russie,  la  Suède,  Naples,  irritée» 
de  la  constitution  du  royaume  d'Italie  par  Napo- 
léon et  de  l'annexion  de  Gênes  à  la  France  (mars- 
juin  ISi'.S), avaient  signé  une  alliance  (9aoûl).  L'em- 
pereur, devançant  l'attaque  et  prévenant  la  jonc- 
lion  de  ses  ennemis,  passe  le  Rhin,  manœuvre  par 
le  Meiu  et  le  Neckar.  coupe  les  Autrichiens  de  la 
rou'O  de  Vienne,  les  fait  capituler  à  Ulm  (VO  oct.). 
et  court  au-devant  des  Russes.  Avant  son  entrée 
dans  Vienne  (i'i  nov.),  il  avait  appris  la  destruc- 
tion de  sa  flotte  par  Nelson  k  Trafalgar  (vl  oct.). 
Il  la  venge  par  sa  victoire  d'Austerlitz  '2  déc), 
suivie  de  la  paix  de  Prcsbourg  qui  coûte  à  l'Au- 
triche Venise  et  son  territoire. 

De  plus,  en  se  retirant.  Napoléon  bouleversa 
l'Allemagne  du  sud-ouest  au  profit  de  ses  trois 
alliés,  la  Bavière,  Bade  et  le  W  urtembeig.  En  face 
de  la  Co7i/é'lernlioii  du  fi''î",  placée  sous  le  pro- 
tectorat de  la  France,  l'Autriche  dut  abdiquer  le 
titre  impérial  en  Allemagne  (I '2  juillet  1806).  D'au- 
tre part  Naples  et  Amsterdam  étaient  devenues  ca- 
pitales de  deux  Bonapartes,  Joseph  et  Louis  ;  tonte 
une  première  série  d'Etats  feudataires  s'implantait 
sur  l'Europe  occidentale,  sans  qu'il  y  eût  profit  ou 
nécessité  pour  la  France.  A  ce  système  d'annexions 
ou  d  appendices,  uniquement  inspiré  par  la  vanité. 
Napoléon  se  flattait  d'avoir  assuré  l'appui  de  l'Es- 
pagne et  de  la  Prusse. 

Or,  au  milieu  de  négociations  trompeuses  avec 
l'Angleterre,  l'empereur  fut  surpris  par  une  qua- 
trième coalition.  Sans  consulter  ses  forces,  et 
convaincue  qu'elle  servait  de  jouet  à  Napoléon,  la 
Prusse  déclarait  la  guerre  !li  oct),  s'appuyant  d'une 
part  sur  l'Angleterre,  de  l'autre  sur  la  Russie  qui 
n'avait  pas  traité  en  1n05. 

Sans  tenir  compte  de  la  mauvaise  humeur  de 
l'Espagne  fatiguée  d'une  alliance  exigeante  et  com- 
promettante, Napoléon  marcha  sur  l'Elbe  par  le 
Mein.  En  un  mois  la  monarchie  prussienne  fut 
détruite  ^batailles  d'iéna  et  d'Auerstœdt,  octobre 
I8UG);  les  Russes  furent  devancés  dans  la  Polo- 
gne, que  notre  approclie  enflamma  d'espérances 
bientôt  déçues  (déc.  1806). 

Ici  la  victoire  fut  plus  lente  et  plus  difficile  ;  les 
boues  de  la  région  polonaise,  la  rigueur  de  1  hi- 
ver, la  résistance  de  Dantzig,  l'équivoque  batnille 
d'Eylau  H-S  fév.  1807)  donnèrent  à  réfléchir  à  Napo- 
léon. Il  sentit  la  nécessité  d'une  grande  alliance; 
et  par  force  ou  par  caprice,  plus  que  par  préfé- 
rence calculée,  après  la  bataille  de  Friedland 
(U  juin),  il  acheta  l'alliance  russe  au  traité  de  ïil- 
sitt,  dont  la  Prusse,  la  Pologne  et  l'Allemagne 
firent  tous  les  frais  :  une  nouvelle  fournée  de  rois 
et  de  princes  fut  faite  (Jérôme  Bonaparte,  roi  de 
■\Vestphalie,  le  roi  de  Saxe,  grand-duc  de  Varso- 
vie, etc.)  :  après  quoi,  Napoléon  revint  h  son  idée 
fixe,  la  guerre  avec  l'Angleterre. 

De  Berlin,  le  décret  du  b/ocus  fontinental 
(Il  nov.  IH06)  avait  répondu  aux  violences  de 
l'amirauté  anglaise  contre  nos  marchands  ou  nos 
alliés.  Napoléon  voulait  empêcher  l'Angleterre  de 
trouver  nulle  part  en  Europe  un  débouché  pour 
ses  marchandises.  Pour  que  cette  politique  sau- 
vage aboutit,  il  fallait  deux  choses  :  à  la  France 
une  marine  qui  pût  tenir  la  mer  et  assurer  à  l'Eu- 
rope son  appiovisionnementde  denrées  coloniales  ; 
à  l'Europe  une  résignation  absolue  à  toutes  les 
exigences  d'une  politique  qui  ne  permettait  plus 
à  personne  de  garder  la  neutralité. 

En  elTet,  résolus  ou  contraints  i  ne  plus  admet- 
tre qu'il  y  eût  des  neutres  entre  eux.  Napoléon  et 
Canning  saisirent  ou  atteignirent  tout  ce  qui  était 
à  leur  portée  ou  à  leur  convenance.  Le  bombarde- 
ment de  Copenhague  inaugura  cette  époque  de 
terreur  en  Europe  (août  1807). 

Au  tsar,  avec  l'assentiment  de  Napoléon,  la 
Finlande  à  défaut  des  provinces  danubiennes  qu'on 
lui   laisse   espérer  ;    aux  Anglais,  la   mer  et  les 


NAPOLEON 


1389  — 


NAPOLEON 


colonies  laissées  sans  défensfi  ;  à  Napoléon,  tout 
ce  qu'il  peut  atl''indre;  les  porls  de  l'Adriatique, 
la  Toscane,  le  Portugal  ("27  oct.  IS07),  Flossin^ue, 
Wcsel  (IKHS),  enfin  l'Kspagne.  Prise  depuis  ilOi, 
sinon  malgré  elle,  du  moins  au  deli  de  sa  volonté 
et  de  ses  iniéréts,  dans  notre  alliance  contre  l'An- 
gleterre, et  visiblement  lasse  depuis  is()6.  l'Espa- 
gne fut  indignement  trompée  en  isng,  h  l'entrevue 
de  iiayonnc,  où,  sous  prétexle  d'interposer  entre 
Cliarles  IV  et  son  fils  Ferdinand  une  médiation 
amicale.  Napoléon  retint  les  deux  rois  prisonniers, 
et,  de  sa  soûle  autorité,  donna  aux  Espagnols  pour 
roi  son  propre  frère,  Joseph. 

L'injure  fut  vivement  sentie,  et  si  terrible  que 
fût  Napolénn,  le  peuple  espagnol  entreprit  de  lui 
résister  énergiquement. 

Cette  guerre  fut  recueil  où  se  brisa  la  fortune  de 
Napoléon.  Engagée  d'une  façon  immorale,  mal 
conduite  avec  des  contingents  insuffisants  et  dis- 
persés, aggravée  par  des  jalousies  d'état-majnr, 
elle  aboutit  en  1811  à  l'invasion  de  la  France  (V. 
Gun-re  it'Espnyne.) 

L'Europe  —  bostile  ou  sujette,  —  n'avait  pas 
assisté  inerte  k  cette  lutte  d'un  peuple  sans  ar- 
mée régulière  contre  l'empereur  ou  ses  lieute- 
nants. Dès  IS"!),  en  elîcr,  créant  une  diversion 
favorable  à  l'Espagne,  I  Autriche  avait  repris  les 
armes. 

Cette  cinquième  coalition  a  été  définie  «  l'al- 
liance des  dynasties,  des  peuples,  du  sacerdoce  et 
du  commerce  contre  Napoléon  »  :  ceci  sera  plus 
vrai  de  la  sixième,  car  en  I8'i9,  l'Autriche  fut  seule 
h.  soutenir  le  choc.  Elle  fut  vaincue  encore,  soit  en 
Bavière  (batailles  d'Abensberg,  Landshut,Eckmulil, 
Katisbonne  en  avril),  soit  auprès  de  Vienne, 
mais  non  sans  avoir  tenu  la  fortune  indécise  pen- 
dant les  six  semaines  qui  séparèrent  les  deux 
batailles  d'Essling  (22  mai)  et  de  Wagram  ((i  juil- 
let). Réduite  à  signer  la  paix,  puisque  personne 
n'entrait  en  ligne  et  que  les  Anglais  venaient 
d'échouer  sur  Anvers  et  sur  Madrid,  elle  fut  en- 
core démembrée  par  le  traité  de  Vienne  (14  oct.). 

Napoléon  avait  eu  un  moment  do  grande  inquié- 
tude dans  l'île  Lobau,  quand  le  pape  s'était  en- 
hardi jusqu'à  lancer  contre  lui  une  excommuni- 
cation, motivée  par  des  violences  politiques  ou 
par  l'àpreté  des  débats  relatifs  aux  Aitichs  orgn- 
niques.  Pour  détruire  les  espérances  de  ceux  qui 
l'avaient  cru  battu,  et  pour  accroître  les  effets  de 
sa  victnirej  Napoléon  poussa  alors  ses  annexions, 
au  nord  jusqu'à  Lubeck,  au  centre  jusqu'au  Sim- 
plon,  au  sud  jusqu'à  Rome  ,18iiS-l810j.  Peuples, 
rois,  pape,  femme,  frères,  sa  volonté,  sa  police, 
ses  armées  ne  ménageaient  plus  personne  :  garni- 
sons partout;  le  pape  enlevé  et  prisonnier,  l'im- 
pératrice Joséphine  répudiée,  le  roi  Louis  de 
Hollande  détrôné,  etc.,  etc. 

Bientôt  la  splendeur  de  son  mariage  nouveau 
avec  la  fille  de  l'empereur  d'Autriche  (1"  avril 
ISlO)  parut  ajouter  à  sa  puissance  un  nouvel  éclat  ; 
et  le  20  mars  181 1 ,  la  naissance  de  celui  qu'il  pro- 
clama pompeusemer.t  roi  île  R'^me  mit  le  comble 
à  la  fortune  du  soldat  parvenu  :  il  y  avait  dès  lors 
une  dynastie  napoléonienne! 

Maître  d'un  empire  de  131  départements  et  de 
CO  millions  d'habitants,  roi  d'Italie,  protecteur  de 
la  confédération  du  Rhin  et  de  la  Suisse,  suze- 
rain des  rois  de  iXaples,  d'Espagne,  de  VVestpIia- 
lie  et  des  grands  feudataires,  entouré  d'une  haute 
noblesse  qu'il  a  créée,  plus  obéi,  plus  riche  et 
plus  fort  que  ne  le  fut  jamais  Louis  XIV,  gendre 
do  1  empereur  d'Auirich",  patron  des  rois  de 
Saxe,  B.ivière  et  Wuitemberg,  allié  du  tsar  et  des 
rois  de  Danemark,  de  Suède,  il  se  trouva  si  haut 
placé  que  la  têt.;  acheva  de  lui  tourner. 

Cependant,  dès  le  In  avril  1810,  le  tsar  rompait 
le  blocus  continental.  L'infatuation  était  alors  telle 
chez  Napoléon  que,  loin  de  redouter  celte  guerre, 


il  semblait  l'avoir  désirée.  Pendant  une  année, 
il  fit  ses  préparatifs,  levant  dans  toute  l'Europe 
des  contingents  nombreux,  mais  peu  sûrs  ;  puis 
quand  tout  fut  prêt,  il  franchit  le  Niémen  (24  mai 
1812),  sans  se  soucier  de  la  Suède  qu'il  avait 
irritée,  ni  de  l'Espagne.  Par  Wilna,  Smolensk, 
au  prix  d'une  seule  bataille  à  Borodino,  sur  la 
Moskowa  (7  sept.),  il  arrive  à  Moscou. 

Mais  la  paix  qu'il  est  venu  chercher  fuit  devant 
lui,  et  un  mois  plus  tard,  quand  l'heure  de  la 
retraite  arrive,  l'hiver  tombe  si  rudement  sur  la 
grande  armée  que ,  lorsqu'elle  repasse  le  Nié- 
men, le  3'i  décembre,  ce  n'est  plus  qu'une  in- 
forme et  lamentable  cohue  d'hommes  débandés, 
estropiés  par  le  froid,  sans  canons,  sans  bagages 
et  sans  chef  :  car  Napolron  a  pris  les  devants,  et 
comme  lui.  Murât  a  déserté,  sentant  chanceler 
son  trône  de  Naples. 

Tout  autre  se  serait  rendu  à  l'évidence  et  se  fût 
résigné  à  traiter.  Mais  Napoléon,  incorrigible, 
ne  voulut  voir  dans  cet  effroyable  désastre  qu'une 
surprise  de  l'hiver  dont  le  printemps  devait  le 
venger.  Sans  écouter  les  plaintes  de  la  France, 
sans  considérer  les  dispositions  ini|uiétantes  de 
l'Europe,  il  leva  de  nouvelles  troupes,  substituai 
la  vieille  garde  presque  anéantie  une  jeune  garde 
héroïque  encore,  et  reparut  sur  la  Saale  et 
l'Elbe  pour  rallier  les  débris  de  la  grande  armée 
ramenés  par  le  prince  Eugène  de  Beauliarnais, 
toujours  fidèle  et  dévoué,  malgré  l'injure  faite  à 
sa  mère,  l'iraporatrice  Joséphine. 

Une  dernière  fois  la  victoire  sourit  à  Napoléon, 
mais  à  quel  prix  !  Les  victoires  de  Lûtzen  et  de 
Bautzen  lui  coûtaient  une  armée  (mai  1813). 

La  paix  lui  fut  offerte,  à  des  conditions  si  ho- 
norables qu'il  fallait  être  insensé  pour  s'y  refuser. 
Oii  comprend  dès  lors  que  pour  éviter  de  porter 
cette  lourde  responsabilité.  Napoléon  ail  essayé 
de  travestir  toutes  les  ouvertures  qui  lui  furent 
faites  en  autant  de  manœuvres  déloyales  desti- 
nées à  masquer  la  trahison  de  l'Autriche.  La 
publication  des  papiers  de  Metternicli  a  jeté  un 
peu  de  lumière  sur  cet  entêtement  meurtrier 
de  Napoléon  qui, ne  pouvant  se  résigner  à  ne  plus 
paraître  dicter  la  paix  au  monde,  rompit  l'ar- 
mistice de  Pleswitz,  rendit  inutiles  les  conférences 
de  Prague  et  reprit  les  armes. 

Du  Ifi  au  l'J  octobre  fut  jouée  et  perdue  autour 
de  Leipzig  la  partie  décisive.  On  l'a  nommée  avec 
raison  la  Bataille  des  nalions.  La  Prusse  était 
vengée,  l'Allemagne  délivrée.  La  revanche  com- 
mençait pour  nos  ennemis. 

Ce  fut  à  grand'peine  que  Napoléon  put  attein- 
dre la  frontière  de  France,  c'est-à-dire  le  Rhin, 
laissant  en  Allemagne  plus  de  100  0 m  hommes  de 
bonnes  troupes  dispersés  en  garnisons  inutiles, 
tandis  que,  pour  faire  face  à  l'invasion  qu'il  fal- 
lait prévoir,  il  n'avait  que  des  invalides  ou  des 
recrues. 

Les  trois  souverains,  vainqueurs  à  Leipzig, 
déclarèrent  que,  puisque  Napoléon  était  le  seul 
obstacle  à  la  paix  du  monde,  leur  devoir  était  de 
l'anéantir  ou  de  lui  imposer  un  traité.  Dans  ces 
conditions,  ils  lui  firent  parvenir  de  Francfoitun 
projet  de  traité  sur  la  base  de  celui  de  Lunéville  ; 
pui>,  n'ayant  pas  reçu  de  réponse  en  temps  utile, 
ils  lancèrent  une  proclamation  à  la  France,  ren- 
voyant la  respon.sabilité  de  la  guerre  à  l'Implaca- 
ble ennemi  du  repos  de  tous. 

Ceci  fait,  trouvant  le  Rhin  dégarni  de  troupes,  ils 
le  franchirent;  1  Alsace  ne  fut  pas  défendue;  la 
Lorraine  ne  le  fut  qu'à  peine.  C'est  à  Châlons-sur- 
Marne  que  les  maréchaux  eurent  l'ordre  de  se  con- 
centrer autour  de  Napoléon. 

Le  2h  janvier  I81i  commence  ce  qu'on  a  appelé 
la  campagne  de  France.  Après  une  jonction  que 
l'empereur  ne  put  empêcher  11"  févrierj,  BIfichor 
et  Scliwartzenborg   se  séparèrent  p  lur   marcher 


NAPOLEON 


1390  -^ 


NAPOLÉON 


sur  Paris  par  la  Marne  et  par  la  Seine,  afin  de  di- 
viser les  forces  de  Napoléon. 

Avec  une  admirable  rapidité,  l'empereur  court 
sur  llluclier,  et  du  10  au  H  février  l'écrase  et  le 
réduit  de  moitié  à  Champaubert,  Cliàteau-Tliierry, 
Montmirail  et  Vauxcliamps.  Se  tournant  aussiiot 
contre  Schwarizenberg,  il  le  bat, essaie  de  le  couper 
à  Montereau,  et  rentre  vainqueur  dans  Troyes.  (Ce- 
pendant un  congrès  s'était  ouvert  à  Cliàiillon-sur- 
Seine,  sous  la  direction  de  lord  Castlereagli,  offrant 
cette  fois  à  la  France  les  froiitiè  es  de  179;;  et 
ralliaiice  de  Cliaumoiit  assignait  le  20  mars  comme 
dernier  délai  à  Napoléon  avec  qui  la  coalition  re- 
fuserait h  l'avenir  de  traiter.  Les  liostiliiés  ne  s'é- 
taient pas  interrompues.  Malheureuses  ave  c  Soult 
aux  Pyrénées,  avec  Au^ereau  dans  la  vallée  du 
Rhône,  elles  le  devinrent  dans  la  vallée  de  la 
Seine,  quand  BIQchcr,  opérant  entre  la  Marne  et 
l'Aisne,  eut  réussi  à  donner  la  main  h  l'armée  du 
nord  après  la  capiiulation  de  Soissons  et  les  com- 
bats de  Craonne,  de  Laon  (7,  lo  mars). 

Napoléon  si-ntait  approclier  l'heure  suprême. 
Son  activité  éiait  redevenue  prodigieuse;  ses  res- 
sources étaiejit  nulles.  Il  appelait  le  peuple  aux 
armes;  il  essayait  d'exalter  le  palrioiisme;  mais 
comme  il  en  avait  tari  la  source,  le  pays  épuisé 
n'opéra  pas  cette  levée  en  masse  que  l'empereur 
espérait  et  qu'en  d'autres  temps  la  hainn  de  l'in- 
vasion et  l'enthousiasme  pour  la  République 
avaient  réussi  à  provoquer. 

Tentant  sur  les  derrières  de  l'ennemi  une  ma- 
nœuvre désespérée.  Napoléon  découvrit  Paris. 
Le  .tl  mars,  presque  sans  bataille,  après  quelques 
heures  de  vive  fusillade,  les  alliés  y  entrèrent, 
au  milieu  d'une  population  anéantie  de  surprise 
et  désarmée. 

Le  gouvernement  avait  fui  sur  la  Loire  ;  Napo- 
léon, revenu  en  hâte,  campait  dans  Fontainebleau. 
Alors  on  vit  quel  néant  laissait  derrière  lui  le  ré- 
gime impérial,  le  pays  qu'il  avait  ruiné  d'hommes 
et  déshabitué  des  discussions  politiques  ne  fut  pas 
consulté. 

Trois  éléments  seuls  concoururent  h  l'œuvre  de 
la  déchéance  de  Napoléon,  ei  le  silence  du  pays 
ratifia  cette  sentence  prononcée  par  le  sénat,  h. 
la  requête  du  tsar  Alexandre  et  au  profit  des  rois 
Bourbons,  qui  suivaient  de  si  près  les  alliés  qu'on 
a  pu  dire  qu'ils  étaient  rentrés  dans  leurs  four- 
gons. 

Talleyrand.  confident  disgracié  de  Napoléon,  et 
personnellement  lié  au  tsar,  conduisit  cette  courte 
campagne.  Le  2  avril  la  déchéance  est  volée  au 
Sénat  ;  le  3  elle  est  ratifiée  par  le  Corps  législatif; 
et  le  4  un  gouvernement  provisoire  de  cinq  mem- 
bres lance  une  proclamation  annonçant  ce  fait  à  la 
France  et  au  monde. 

Cependant  Napoléon,  tiraillé  entre  la  colère  et 
l'impuissance,  rêvant  de  folies  aventures,  accu- 
sant son  entourage  de  trahison,  se  refusait  à  l'é 
vidence  d'une  situation  si  netie.  Il  e^^ayait  de 
sauvegarder  au  moins  les  droits  de  son  llls,  et 
n'abdiquaiique  sous  cette  réserve.  Mais  leU' corps, 
qui  lui  seivait  d'avant  garde,  et  que  commandait 
Marmont,  ajant  fait  défection,  l'abdication  pnre  et 
simple  fut  signée  le  G  avril.  Le  sort  du  vaincu  fut 
réglé  avec  générosité  ;  on  lui  assignait  un  domaine, 
un  revenu;  on  lui  laissait  une  garde.  Il  partit.  A 
la  poétique  et  légendaire  scène  des  adieux  do 
Foiiiaineblean,  s'oppnse  la  longue  série  des  malé- 
dictions et  des  menaces  qui,  dans  le  voyage  de 
Fontainebleau  à  l'ile  d'Elbe,  vinrent  troubler  les 
sombres  inédilaiions  et  mettre  même  une  fois  en 
péril  la  vie  du  niuîirc  déchu. 

L'cniui,  le  dépit,  la  crainte  d'être  enlevé,  le 
remords,  !'•  spociacle  des  avides  coii'pétiiion^  dont 
le  par  agedr  ses  dépouilles  était  l'objet  au  congrès 
de  Vienne,  1  invincible  conviction  (|ue  tout  n'était 
pas  perdu,  enfin  quelques  flatteuses  consolations 


prises  pour  un  ordre  pressant  de  venir  délivrer  la 
France  du  joug  des  Bourbons,  lui  donnèrent  la 
fatale  idée  de  tenter  une  restauration. 

Son  imagination  voyait  déjà  la  l'rance  éclatant 
en  bravos,  l'aigle  volant  de  clocher  en  clocher  jus- 
(|u'au)i  tours  de  Notre-Dame,  l'Europe  acceptant  le 
fait  accompli  au  prix  de  promesses  pacifii|ues,  et 
la  dynastie  des  Napoléon  sauvée  du  naufrage  ! 
Hélas  !  cette  lugubre  folie  s'appelle  les  Cent  jours. 
De  mars  à  juin  1SI5,  Napoléon  s'est  donné  la 
satisfaction  de  remplir  encore  une  fois  le  monde 
du  bruit  do  son  nom. 

Il  débarque  au  golfe  Juan  le  1"  mars  181.').  Dé- 
robant sa  marche  à  travers  la  montagne,  il  arrive 
le  s  à  Grenoble,  le  12  à  Lyon  ;  et  comme  sou  parti 
se  grossit,  il  fait  acte  de  souverain  dès  lors,  dis- 
sout les  Chatnbres,  convoque  les  collèges  électo- 
raux, et  poursuivant  sa  marche,  embrasse  le  17  à 
Auxerre  Ney  venu  pour  l'arrêter.  Le  20  il  est  à 
Paris,  et  cet  étourdissant  voyage  s'est  accompli 
sans  que  la  royauté  des  Bourbons  ait  rien  su  ou 
■  pu  faire  pour  l'arrêter, 

«  Je  suis  la  liberté  et  la  paix,  >•  disait  Napoléon 
voulant  rassurer  d'un  coup  la  Franco  et  l'Europe. 
Mais  le  moyen  de  se  faire  croire  lui  manquait.  La 
liberté,  ne  l'avait-il  pas  traitée  pendani  quinze  ans 
comme  une  ennemie  de  sa  gloire?  Après  l'avoir 
outragée  au  18  brumaire,  quelle  place  lui  avait-il 
faite  dans  ses  conseils?  Cependant,  connue  il  ne 
pouvait  pas  faire  moins  que  les  Bourbons  eux- 
,  mêmes,  il  substitua  à  la  (  harle  de  lxi4  un  Acle 
adUilioimel  aui  consUfution^  de  l' Empire,  dont  les 
principes  étaient  ceux  d'un  gouvernement  vrai- 
ment libéral,  mais  don!  le  titre  déplut  à  tous  ceux 
I  à  qui  le  régime  impérial  avait  laissé  de  si  tristes 
I  souvenirs.  Publié  le  "^  mai,  sous  forme  de  décret, 
et  solennellement  adopté  au  Champ  de  mai  du 
1"  juin,  cet  acte  de  réconciliation  de  Napoléon 
avec  la  liberté  était  au  fond  peu  sincère.  L'arti- 
cle t;7,  qui  interdisait  au  peuple  français  le  rap- 
pel des  Bourbons,  dévoilait  les  préoccupations 
auxquelles  avait  obéi  l'empereur.  Or  l'intrigue 
s'agitait  déjà  pour  ménager  celte  restauration;  et 
le  mini-tre  Fouché  s'y  mêlait  sans  trop  de  se- 
cret. En  somme,  la  France  restait  défiante,  et 
l'enthousiasme  ne  la  gagnait  pas.  En  Vendée,  il 
Bordeaux,  à  Toulouse  la  réaction  royaliste  avait 
écla;ô. 
1  Quant  à  l'Europe,  elle  avait  retiré  ses  ambassa- 
deurs dès  le  Ti  mars,  puis  refusé  de  recevoir  ceu.\ 
de  Napoléon  (30)  ;  et  par  deux  fois  le  ".'.S  mars,  le 
il  mai,  le  mettant  au  ban  des  nations,  elle 
avait  préparé  ses  armées.  Un  million  d  hommes 
allait  être  levé  contre  nous  :  c'était  la  guerre  à 
I  mort. 

Napoléon,  qui  s'était  hâté  d'appeler  Carnot  au 
minisicre,  ouvrit  les  Chambres  le  7  juin,  confia  à 
j  ses  ministres  le  soin  de  présenter  un  rapport  sur 
I  la  siluat  on,  et  courut  à  la  froniièie  :  il  eût  voulu 
du  moins  épargner  à  la  France  1  horreur  de  l'iii 
i  vasion.  De  plus,  il  coiupiait  surprendre  ses  ennc 
[  mis  en  voie  de  formation.  Ce  fut  vite  fait  de  et  > 
.  dernières  ressources  amassées  à  grand'peiin' 
\  Passage  de  la  Sambre,  bataille  de  Ligny  et  des 
Quatre  Bras,  enfin  bataille  de  Waterloo  (18  juin)  : 
I  en  cinq  jours  tout  était  fini  !  Vingt  jour.--  plu.s  tard. 
I  le  8  juillet  ISI.S,  Louis  XVLl  se  réinstallait  au\ 
Tuileries.  S'échappant  sur  lo  soir  du  champ  d  ■ 
I  bataille  où  il  n'avait  pu  trouver  la  moit,  Napo- 
I  léon  avait  du  VO  au  Vil  juin  tenté  de  retenir  le  poii- 
voir.  Encore  une  fois  la  pensée  d'un  coup  d'Etat 
1  hanta  son  esprit;  mais,  avertie  par  Fo.  clié,  la 
Chambre  prit  les  di'vants.  Contraint  \  s  gner  un 
j  acte  d'abdication  qu'il  ne  consentait  que  sous 
]  léserve  des  droits  de  son  fila  (ri  juin  ,  quittant 
j  Paris  le  2.S,  la  Malmaison  le  2!l  au  moment  nvi 
1  Fnuché  s'abouchait  avec  M.  de  Viirolles  et  avec 
I  Wellington  pour  précipiter,  en  dehors  et  en  dépit  ■ 


NAPOl.KON 


13iH 


NAPOLEON 


de  ses  collègues  du  {gouvernement  provisoire,  la 
rcstiiuralion  des  Bourbons,  Niipoloon  vint  il  Roche- 
fort  Ne  pouvant  écliapper  b.  la  surveillaiico  des 
croisrurs  anglais,  il  prit  le  parti  de  se  remettre 
à  la  géi'.érosito  de  l'Angleterre  il5  juillet).  Mal  lui 
en  prit  :  car,  s'il  faut  écarter  la  légende  des  tor- 
tures do  toute  sorte  méchamment  multipliées  par 
sir  Hudson  Lowe,  on  peut  sans  peine  imaginer 
(luel  long  et  rude  supplice  fut  pouç  Napoléon 
déchu  l'oisiveio  dans  la. solitude  effroyable  do  Sainte- 
Hélène.  11  y  mourut  le  5  mai  |s21,  et  ses  restes 
n'ont  été  lamenés  en  France  que  le  15  décembre 
l.s4n  par  les  soins  du  gouvernement  de  Louis- 
Philippe. 

Ainsi  finit  l'homme  extraordinaire  dont  l'histoire 
commence  à  pouvoir  êire  écrite,  et  dont  la  puis- 
sante originalité  impose  à  tout  patriote  plus  d'ef 
froi  que  d'admiration. 

Le  pouvoir  de  Napoléon  reposait  sur  le  prestige 
qui  s'attache  aux  noms  glorieux,  sur  la  recon- 
naissance due  aux  services  rendus,  mais  aussi  sur 
une  équivoque.  Comme  il  était  le  fils  de  la  liévo- 
lution,  on  l'en  croy.iit  le  continuateur;  on  voyait 
en  lui  l'incarnation  de  la  France  nonvelle.'  Cènes 
l'histoire  a  le  droit  de  lui  demander  des  comptes 
sévères  :  car  jamais  il  n'en  rendit  au  pays  qui 
s'était  livré  à  lui  avec  cette  imprudence  assez 
commune  aux  nations  héroïques. 

Dans  l'ordre  politique,  la  constitution  im|iériale 
de  l'an  XII  revenait  au  vieu  principe  de  la  trans- 
mission héréditaire  du  pouvoir.  Sous  le  nom  de 
majorats  et  de  substitutions,  le  droit  d'aînesse 
reparaissait  dans  notre  droit  civil  en  faveur  de 
la  noblesse  impériale.  Les  dotations,  les  sénalore- 
ries,  le  niaréchalat,  la  création  de  grands  digni- 
taires, l'organisation  d'une  cour  que  le  maître 
voulut  très  luxueuse,  reconstituèrent  et  cette  tra- 
dition servile  de  l'ét  quelte  où  les  caraclèies  s'a- 
nioindiissent,  et  cette  iradiiion  de  p  odigalité,  si 
dangereuse  poui  la  fortune  publique.  L'Acte  addi- 
tionnel, qui  maintint  la  pairie  héréditaire,  et  les 
décrets  de  Lyon  du  1;  mars  i815,  témoignèrent 
que  jusqu'au  dernier  jour  Napoléon  testa  entiché 
de  Cl!  système  de  distinctions  absolument  anii- 
déniocraiiques. 

Assisté  de  douze  ministres,  parmi  lesquels 
quatre  seulement  ont  eu  un  instant  d'itifluence 
(Talleyratid  jusqu'en  18(13,  Fouette  jusqu'en  l«iO, 
Cantbucérès  et  Maret),  il  garda  jusqu  au  dernier 
moment  la  passion  de  connaître  le  détail  de  toutes 
les  affaires.  On  eût  dit  que  l'adminisi-ation  le  re- 
posait des  soucis  de  la  guerre.  Le  Conseil  d'Etat, 
qui  dans  sa  pensée  devait  être  une  pépinière  d'ad- 
ministrateurs, rendit  en  quatorze  atis  plus  de 
soixante  mille  décisions.  Les  .trois  codes  de 
procédure  civile,  de  commerce,  d'instruction  cri- 
minelle et  le  Code  pénal  furent  i  ubiiés.  Quant  au 
Sénat,  ce  fut  la  cheville  ouvi ièie  du  gouvernement. 
Il  Fait  pour  proscrire  et  conscrire,  "  a  dit  Daunou, 
c'est  lui  qui  eut  la  garde  et  la  police  de  toutes 
nos  libertés  publiques.  C'est  entre  ses  mains  que 
tomba  la  totalité  du  pouvoir  législatif,  après  la 
suppression  du  tribu  at  (ISliT)  et  au  dolrinientdu 
corps  législatif,  devenu  après  isl»  u  tat  lorps  siins 
voix,  .v/,n<  ijeux,  sari'  O'eilti-^ !  v 

Depuis  la  réorganisation  des  collèges  électo- 
raux à  vie,  sous  la  hante  direction  d'un  grand  élec- 
teur, l'élection  n'était  plus  qu'un  rouage  inutile. 

Le  césarisme  dès  lors  touchait  à  son  idéal  : 
l'ordre  dans  le  despotisme,  la  police  coitime  pre- 
mier riiuage  de  gouvernement,  l'état  de  siège 
comme  régime  politique! 

Pour  les  budgets  pas  de  discussion  D'ailleurs  les 
finances  sont  exactement  régies,  mais  dans  le  se- 
cret. M.  Mollien,  ministre  du  trésor  (  t.sOC),  orga- 
nise une  caisse  de  service  et  surveille  la  cottipta- 
bilitéen  partie  double  du  budget  ordinaire.  Quant 
au  domaine  extraordinaire  (ISiti),  l'empereur  en 


dispose  seul,  sans  contrôle  ;  la  dette  flottante,  il  la 
liquide  d'un  trait  de  plutne  par  la  consolidation  en 
bloc  de  l'arriéié  (l,Si;i)  ;  la  Banque  de  Fiance  lui 
avance  en  ([uatorze  ans  880  raillions;  entiii  la  sai- 
sie des  biens  communaux  lui  fournit  de  nouvelles 
ressources.  Quand  il  fallut  faire  le  bilan  de  l'ein- 
pire  au  i"  avril  1814,  le  chifi're  de  la  dette  ins- 
crite n'était  iiue  de  ij'i  millions  de  rente.s  ;  mais  un 
an  plus  tard,  après  les  Cent  jours,  la  dette  était 
accrue  de  plus  de  1.5t)U  millions  ! 

D'ailleurs,  au  milieu  de  ces  baiailles  à  peine 
interiotïipues,  la  Franco  souffrait.  Malgré  les  ad- 
mirables découvertes  de  cette  époque,  et  les  tra- 
vaux de  ceux  qu'il  appelait,  dans  un  jour  de  bon 
sens,  >«■  (jruiiils  ieue'nntx  j.oiir  la  bonne  ijucrre, 
Chaptal.  BerthoUet,  Foutcioy,  'l'einanx,  Ober- 
kampf,  Richard  et  Lenoir,  Bicguet,  etc.,  le  rap- 
port de  Monlalivet  (l«li)  constatait  la  gène.  L'abus 
des  conscriptions,  le  blocus  avaient  désolé  les  cam- 
pagnes, enrayé  le  commerce.  Par  contre  l'indus- 
trie, sollicitée  do  se  développer  pour  suffire  aux 
besoins  du  pays  et  profiter  de  l'éloigneraent  mo- 
mentané des  concurrents  anglais,  avait  accompli  de 
réels  [irogrès.  Mais  la  disette  sévissait,  dans  cette 
tnême  atinée  1810  oij  tout  semblait  promettre  à 
l'empire  la  gloire  et  la  durée. 

Dans  l'ordre  matériel,  d'immenses  et  impérissa- 
bles travaux  attestent  l'activité  excitée  |  ar  I  em- 
pereur. Mais  dans  l'ordre  moral,  quelle  stérilité  I 
quelle  inqui'te  surveillance  I  L'armée,  cette  pépi- 
nière de  citoyens,  était  devenue  moins  nationale 
qu'impériale.  La  conscription  devint  odieuse,  et  il 
lallut  une  véritable  armée  pour  traquer  les  déser- 
teurs. Mais  on  ne  put  étouffer  «  le  cri  fies  mères.  » 
Pour  suffire  aux  besoins  de  la  guerre,  on  leva 
des  cnniingotils  étrangers,  mais  ils  donnèrent  plus 
d'inquiétude  que  de  secours;  enfin  on  mobilisa  la 
garde  nationale;  niais  on  se  défiait  tant  de  cette 
force  vive,  que  Paris  assiégé  ttianqua  d'armes  ou 
de  poudre  pour  se  défendre  en  1814  ! 

On  avait  tracé  pour  l'instruction  publique  en 
ISilS  un  cadre  splendide;  mais  si  1  Université  im- 
périale, docile  et  menée  comme  un  régiment, 
trouva  des  élèves  pour  ses  lycées,  et  des  étu- 
diants pour  ses  facultés,  le  gouvernement  smible 
s'être  peu  soucié  de  peupler  les  écoles  primaires. 
Dans  l'ordre  littéraire,  pauvreté  absolue  :  l'Ins- 
titut trouve  des  candidats  pour  ses  prix  décen- 
naux ;  mais  l'historien  littéraire  ne  peut  qu'indi- 
quer les  désastreux  effets  de  la  censure  implucable 
et  de  la  presse  officiidle.  (;'est  seulement  dans 
les  rangs  de  l'oppositi  m  littéraire,  et  parmi  ces 
idèoloijifs  que  la  police  impériale  tra(|uait  par- 
tout, qu'il  faut  chercher  des  noms  illustres  : 
Chateaubriand,  M""  de  Staël.  Royer-Collard,  de 
Maistre,  etc.  La  science  et  l'an,  naturellement 
moins  redoutables,  puisque  Irur  domaine  ne  con- 
fine pas  à  la  politique,  eurent  une  pan  plus 
grande  aux  faveurs  du  maître  et  moins  du  tra- 
casseries à  subir.  Laplace,  Lalande,  Lagratige, 
Monge,Gi'offi  oy  Saint-llilairo.Cuvier,  Bicliat,Brun- 
gniart;  David  et  son  école,  les  Drouais,  les  Gé- 
rard, les  Gros,  les  Girodet,  les  Vernet,  enfin 
Prudhon  et  (Chaude',  etc.,  enrichirent  de  décou- 
vertes précieuses  et  de  chefs-d'œuvre  nombeux 
la  science  et  l'art  français  pendant  l'époque  con- 
sulaiie  et  impériale. 

II 

Ce  qui  suit  est  de  moindre  importance.  Si  de 
1815  à  I8:i2  il  y  eut  un  parti  napoléonien,  si  en 
I«I5  et  en  1  3.',  les  rois  de  la  Sainte-Alliance,  les 
Bourbons  et  le  gnuveinement  de  Juillet  crurent 
devoir  prendre  di'S  précautions  de  police  contre  la 
famille  lion.iparte,  il  ne  faut  pas  en  conclure  <|ue 
celui  <|U  on  a  l'Iiiibitude  d  appeler  iVapoléon  11  ait 
joué  un  rôle  quelconque  ou  manifesté  la  lenlalioii 


NAPOLÉON 


—  1392  — 


NAPOLEON 


de  reprendre  la  place  de  son  père.  Après  18'3I, 
•chef  officiel  d'une  dynastie  déchue  et  d'une  fa- 
mille proscrite,  le  duc  de  Reiclistadl  n'a  pas 
d'histoire.  Ce  pauvre  enfant,  qui  mourut  sans 
laisser  d'héritier,  n'avait  eu  à  aucun  moment  la 
direction  du  parti  qui  gardait,  en  face  des  Bour- 
bons, sa  foi  à  l'empereur. 

Ce  parti  était  un  étrange  amalgame  de  libéraux 
ardents  et  de  soldats  fidèles  qui,  pi'ndantle  temps 
de  la  Restauration,  entretinrent  pieusement  la 
légende  napoléonienne  et  continuèrent  à  exalter 
ce  rég  me  si  peu  libéral  et  si  tristement  tombé  du 
faite  de  sa  gloire.  Si  l'on  cherche  la  cause  qui  fit 
«e  rallier  alors  au  bonapartisme  des  amis  de  la 
liberté,  il  faut  se  rappeler  la  crainte,  fondée  ou 
non,  qu'eurent  pendant  quinze  ans  tant  de  Fran- 
çais do  voir  sombrer  dans  une  réaction  cléricale 
et  aristocratique  toutes  les  conquêtes  de  la  révo- 
lution de  nS'J. 

C'est  sur  cotte  équivoque  que  s'est  établie  la 
fortune  de  celui  qui  s'appelait  le  prince  Louis,  et 
dont  il  nous  reste  à  raconter  l'histoire  comme  chef 
de  l'Etat  français  sous  les  deux  titres  de  prince- 
président  de  la  République,  puis  d'empereur 
Napoléon  III.  —  Pour  le  détail  des  faits  qui  sui- 
vent, nous  préférons  renvoyer  à  la  série  chrono- 
logique de  l'article  Modernei  {^Tenps).  parce  qu'il 
nous  semble  prématuré  de  prétendre  donner  à 
l'exposé  de  ce  règne  la  forme  rigoureuse  d'un  ré- 
cit historique. 

Napoléon  III  était  né  le  20  avril  ISng.  C'était  le 
troisième  fils  du  roi  de  Hollande,  Louis  Bonaparte, 
et  de  la  reine  Hortense.  Esprit  cultivé,  caractère 
singulier  fait  de  dissimulation  et  d'audace,  mais  plv»- 
tôt  mystique  que  réellement  actif,  le  prince  Louis 
n'était  guère  connu,  avant  I8:f2,  que  par  quelques 
■ouvrages  techniques  sur  l'artillerie,  ou  par  quel- 
ques entreprises  qui  témoignaient  de  son  besoin 
de  se  produire.  En  IsSI,  il  avait  combattu  dans 
les  rangs  de  l'insurrection  romaine,  et  reçu  des 
Polonais  révoltés  l'invitation  de  se  mettre  à  leur 
tête. 

La  mort  de  son  cousin  le  duc  de  Reichstadt  fai- 
sait de  lui  un  personnage.  Pour  se  révéler  à  ses 
partisans,  il  ne  lui  suffisait  plus  de  quelques 
écrits;  le  30  octobre  ls3(i,  à  Strasbourg,  il  vint 
tenter  la  fidélité  de  la  garnison.  Cette  téméraire 
aventure  ne  pouvait  aboutir.  Il  fut  pris,  mais  non 
gardé  prisonnier.  On  a  nié  qu'il  ait  fait  le  ser- 
ment de  ne  jamais  revenir.  Quoi  qu'il  en  soit,  la 
mort  de  sa  mère  {'i  oct.  1S37)  le  ramena  d'Améri- 
que en  Europe.  Forcé  do  quitter  la  Suisse  pour  ne 
pas  exposer  ce  pays  à  la  colère  du  gouvernement 
de  Juillet,  il  se  réfugia  en  Angleterre. 

C'est  alors  que,  sous  le  titre  li'li/ées  napMéo- 
niennes,  il  fit  une  apologie  si  peu  déguisée  du 
césarisme,  que  ce  livre  ne  peut  manquer  de  pa- 
raître à  tout  esprit  un  peu  libéral  la  meilleure 
critique  de  cette  fausse  démocratie  impériale  dont 
on  a  essayé  tant  de  fois  de  faire  un  idéal  de  gou- 
vernement. 

Bientôt  après,  il  voulut  tenter  de  nouveau  la 
fortune,  et  vint  débarquer  à  Boulogne  avec  quel- 
ques compagnons.  Arrêté  aussitôt,  il  fut  cette  fois 
traduit  devajit  la  Cour  des  pairs. 

Condamné  à  la  prison  perpétuelle  et  enfermé 
au  fort  de  Ham,  il  employa  les  loisirs  de  sa  capti- 
vité à  des  études  politiques  et  sociales,  collaborant 
à  divers  journaux,  et  publiant  un  livre  sur  VEx- 
tinction  du  paupérisme. 

Enfin,  le  25  mai  184C,  il  réussit  à  tromper  la 
surveillance  de  ses  gardiens  et  gagna  la  Belgique, 
puis  l'Angleterre.  Deux  ans  plus  tard,  la  Révolu- 
tion de  184s  abaissait  la  barrière  qui  lui  fermait 
les  portes  de  la  France. 

Aussitôt  l'agitation  commença  autour  de  son 
nom.  Une  quadruple  élection  lui  permettait  un 
retour  presque  triomphal.  Le  prince  différa  pour- 


tant, et  déclara  qu'il  n'avait  pas  recherché  l'hon- 
neur d'être  représentant  du  peuple.  «  Si  le  peu- 
ple m'imposait  des  devoirs,  ajoutait-il,  je  saurais 
les  remplir.  « 

Le  V4  septembre  seulement,  il  arrivait  à  Paris; 
le  26,  il  siégeait  à  l'Assemblée  constituante,  et  le 
12  octobre  il  obtenait  l'abrogation  des  lois  de  1815 
et  de  \i.A  contre  les  Bonaparte. 

A  la  fin  de  l'année  eurent  lieu  les  élections 
pour  la  présidence  de  la  République  :  ce  fut  le 
nom  du  prince  Louis-Napoléon  Bonaparte  qui  sor- 
tit de  l'urne  le  lO  décembre  1848,  avec  cinq  mil- 
lions et  demi  de  suffrages,  contre  un  million  et 
demi  de  voix  pour  le  général  Cavaignac. 

L'élection  s'était  faite  sur  le  nom  de  Bonaparte. 
Le  président  s'en  prévalut  pour  reprendre  la  tra- 
dition consulaire.  On  vit  commencer  alors  le  duel 
déloyal  de  la  République  et  du  magistrat  qui, 
lié  à  elle  par  un  serment  solennel,  n'eut  qu'une 
idée  fixe  :  la  détruire  pour  refaire  l'empire.  De 
môme  que  son  oncle,  il  mit  quatre  ans  à  fran- 
chir tous  les  degrés  du  trône  ;  mais  tandis  que 
le  premier  consul  avait  à  son  actif  en  1804  d'é- 
clatantes victoires,  une  grande  situation  en  Europe, 
et  la  réputation  bien  établie  d'un  chef  d'Etat  ac- 
tif, ingénieux,  habile,  son  neveu  ne  s'était  révêlé 
ni  comme  capitaine,  ni  comme  politique. 

Ses  adversaires  furent  à  coup  sûr  fort  mala- 
droits; ils  manquèrent  de  clairvoyance,  d'esprit 
de  conduite  et  de  mesure;  ils  lassèrent  l'opinion 
sans  la  satisfaire  :  en  un  mot  ni  la  Constituante,  ni 
la  Législative  ne  furent  à  la  hauteur  de  leur  tâche. 
Mais  le  prince,  qui  ne  fut  supérieur  parle  talent 
il  aucun  de  ses  adversaires,  n'eut  la  victoire  qu'au 
prix  d'un  forfait. 

Le  2  décembre  1851,  un  coup  de  force  coupa 
court  à  toute  discussion,  et  sur  le  terrain  déblayé 
par  la  terreur,  le  prince,  servi  par  la  nouvelle 
constitution  de  1852,  n'eut  aucune  peine  à  fonder 
l'empire. 

Sept  raillions  et  demi  de  suffrages  ayant  donné 
raison  au  président  dès  le20-.'l  décembre  1851, 
l'empire,  qui  fut  proclamé  le  jour  anniversaire  du 
coup  d'Etat,  se  prétendit  invinciblement  fondé  sur 
la  volonté  nationale. 

A  cause  de  son  origine,  et  sans  manquer  à  ses 
engagements  envers  ce  parti  ultra-conservateur  et 
clérical,  qui  s'était  livré  au  prince  pour  échapper 
au  spectre  du  socialisme,  le  gouvernement  impé- 
rial semble  avoir  pu  la  pensée  d  une  organisation 
sociale.  Napoléon  III  ne  pouvait  oublier  en  effei 
qu'il  avait  écrit  autrefois  sur  l'extinction  du  pau- 
périsme ;  de  là  une  multiplicité  de  lois  intéressant 
l'ouvri(!r  :  loi  déterminant  le  nombre  des  heures 
de  travail  dans  les  fabriques,  loi  des  logements 
insalubres  {18.S0-52),  crèches  et  salles  d'asile  (1852- 
I85:t),  gratuité  des  secours  médicaux  (18  i4),  so- 
ciétés de  secours  mutuels  (I8(i0j,  asiles  du  Vési- 
net  et  de  Vincennes;  organisation  do  l'assistance 
judiciaire  (1851),  caisse  de  retraite  pour  la  vieil- 
lesse (1850)  ;  plus  tard  orphriinats  sous  le  patro- 
nage de  l'impératrice  Eugénie  ou  du  prince  impé- 
rial, société  du  prince  impérial  (IsGJ),  etc.  .Mais 
la  tutelle  intéressée  de  la  philanthropie  impériale 
ne  laissait  aucune  place  à  la  liberté  dont  l'ouvrier 
est  au  moins  aussi  soucieux  que  de  son  bien-être. 
Bientôt  l' Internationale  donna  aux  travailleurs 
l'idée  d'une  organisation  plus  indépendante.  Le 
pouvoir  en  prit  ombrage;  les  poursuites  ordon- 
nées en  1868  prouvèrent  que  le  charme  était  j 
rompu. 

La  b  mrgeoisie  française  s'était  ralliée  à  l'empire 
par  amour  de  l'ordre  et  parce  que  le  nouveau 
gouvernement  lui  avait  promis,  avec  la  paix  dans 
la  rue,  la  prospérité  et  le  mouvement  des  affaires. 
L'empire  lui  donna  longtemps  saiisl'action  :  im- 
menses travaux  de  construction  et  île  démolition  , 
dans  les  grandes  villes,  îi  Paris,  Lyon,  Marseillej 


NAPOLEON 


—  13'J3 


NATURALISTES 


surtout,  dcvoloppement  de  notre  premier  roseau 
do  cliemins  de  fer,  et  création  d'un  deuxième  ré- 
seau, expositions  universelles  d'industrie  de  1855 
et  18tn  ;  multiplication  ou  réorganisation  d'éta- 
blissements de  crédit  :  Crédit  foncier,  Crédit  mo- 
bilier { 1  S52), Comptoir  d'escompte  (  1 854  ),  Banque  de 
France  (1857),  Crédit  agricole  (18.S8J,  Caisse  de  la 
boulangerie  (1853-54,  etc.)  ;  enfin  inauguration  d'un 
nouveau  régime  commercial  sur  la  base  du  libre 
échange  (janvier  186U).  Mais  peu  h  peu  la  situa- 
tion tinancièro  s'assombrissait;  la  faculté  d'ouvrir 
des  crédits  en  l'absence  des  Chambres  fut  un  péril 
signalé  dès  1861;  les  ministres  gardèrent  encore 
le  droit  d'opérer  des  virements  de  fonds  de  chapi- 
tre h  chapitre;  le  contrôle  des  budgets  était  nul  ; 
les  déficits  s'entassaient,  mal  compensés  par  des 
emprunts  toujours  couverts  avec  un  empresse- 
ment trompeur,  mais  pleins  de  périls  que  la  voix 
impuissante  de  l'opposition  dénonçait  au  pays.  Les 
élections  générales  de  1861)  manifestèrent  nette- 
ment cette  réaction  de  l'opinion  publique.  Les 
troubles  recommencèrent  dans  la  rue,  servant  de 
prétexte  aux  brutalités  de  la  police.  La  nouvelle 
génération  grandissait  avec  un  sentiment  d'hosti- 
lité visible  contre  le  gouvernementimpérial  ennemi 
des  «  libertés  nécessaires  n  qu'avait  dès  1861  récla- 
mées M.  Thiers.  «  Le  2  décembre  est  un  crime!  » 
s'était  écrié  M.  Ernest  Picard  en  1865.  En  dépit 
de  la  volte-face  pseudo-libérale  que  se  chargeait 
d'exécuter  le  cabinet  du  "2  janvier  1870;  en  dépit 
du  succès  douteux  du  plébiscite  de  la  même  année, 
l'empire  était  décidément  impopulaire  dans  les 
villes. 

Les  campagnes  étaient  moins  hostiles.  A  l'aide 
des  concours  régionaux  (1850-BOj,  de  plus  de  700 
comices  agricoles,  d'expositions  universelles  agri- 
coles (1855- 56);  à  l'aide  surtout  de  la  loi  munici- 
pale, l'empire  disposait  là  d'une  popularité  réelle. 
D'autre  part  la  prospérité  de  notre  agriculture 
avait  répandu  le  bien-êlre  dans  les  campagnes  ; 
et  ce  bien-être  y  éteignait  toute  autre  passion. 

L'attitude  du  clergé  n'était  pas  aussi  bonne. 
Comme  l'empire  n'a  jamais  su  jusqu'à  quel  point 
il  convenait  à  ses  intérêts  d'épouser  la  cause  de 
l'Eglise,  l'Eglise  de  son  côté  n'a  jamais  eu  pour 
l'Empire  qu'une  sorte  de  fidélité  intéressée.  Le 
maintien  entêté  du  pouvoir  temporel  du  pape,  l'in- 
fluence manifeste  de  l'impératrice  réagissant  con- 
tre les  tendances  anti-cléricales  de  quelques  mi- 
nistres, étaient  des  gages  auxquels  le  clergé  s'est 
montré  sensible,  mais  sans  se  départir  d'une  cer- 
taine réserve  qui  témoigne  que  le  régime  impérial 
ne  lui  inspire  pas  une  confiance  absolue. 

Une  formule  restée  célèbre  rappelle  la  première 
et  la  plus  populairedes  promesses  de  Napoléon  III  : 
«  Ueiiipire,  c'est  la  paix!  »  avait-il  dit  à  Bordeaux. 
Jamais  assertion  plus  formelle  n'a  reçu  démenti 
plus  complet.  Toujours  en  quête  de  quelque  aven- 
ture, mêlant  d'une  façon  singulière  l'audace  et 
l'indécision  dans  ses  projets,  sans  crédit  eu  Europe, 
excitant  des  rancunes  ou  des  craintes  par  la  mobi- 
lité de  son  attitude  souvent  agressive,  finalement 
sans  alliés  en  face  du  terrible  ennemi  qu'il  pro- 
voque en  1870,  Napoléon  111  a  porté  dans  toutes 
les  parties  du  monde  les  forces  de  la  France,  et 
quelquefois  avec  lionneur.  Mais  ces  forces,  que 
son  caprice  a  souvent  gaspillées  sans  profit  pour 
notre  pays,  il  n'a  su  ni  les  réparer,  ni  les  tenir  en 
état.  Fier  de  la  bonne  tenue  de  sa  garde  impé- 
riale, satisfait  de  quelques  inventions  techniques 
dont  ses  flatteurs  exaltaient  la  puissance,  il  ne  se 
rendit  jamais  compte  ni  de  l'insuffisance  des  ap- 
provisionnements, ni  de  celle  des  contingents. 
L'art  de  la  guerre  se  renouvelait  chez  nos  voisins, 
sans  qu'il  y  prît  garde,  quoique  provenu.  Au  jour 
suprême,  l'armée,  qu'on  croyait  prête,  ne  se  trouva 
ni  suffisante  en  nombre,  ni  pourvue  :  matériel 
de  siège  ou  de  campagne,  moyens  de  concentra- 
2°  Pautie. 


tion,  intendance,  état-major,  vivres,  armes  et  direc- 
tion :  tout  fit  défaut  à  nos  soldats,  sauf  le  courage 
désespéré  et  impuissant.  La  loi  militaire  de  1868, 
qui  pouvait  être  le  salut,  était  restée  lettre  morte, 
soit  par  incurie,  soit  par  défiance  politique;  et  la 
garde  mobile  se  trouva  inexpérimentée,  incapa- 
ble de  servir. 

Aussi  c'est  par  un  désastre  presque  sans  exem- 
ples que  finit  l'histoire  militaire  du  second  em- 
pire. 

Il  était  allé  bien  loin  dans  toutes  les  directions, 
mais  il  ne  sut  pas  préserver  le  pays  de  l'invasion, 
ni  l'en  délivrer  :  1852,  conquête  de  la  Kabylie  ; 
1854-56,  guerre  de  Crimée  contre  la  Russie  ;  1859, 
guerre  d'Italie  contre  l'Autriche,  annexion  de  Nice  et 
de  la  Savoie  (en  1860);  1857  et  1861,  guerres  de 
Chine;  1857  à  1862,  guerre  de  Cochinchine;  1861, 
expédition  de  Syrie;  1861-66,  guerre  du  Mexique, 
cette  triste  et  coûteuse  aventure  qu'on  a  osé  appe- 
ler la  «plus grande  pensée  du  règne;»  1807,  expédi- 
tion de  Montana  pour  la  défense  du  pouvoir  tempo- 
rel du  pape  ;  1870  enfin,  guerre  contre  la  Prusse, 
pendant  laquelle  Napoléon  III  capitula  le  2  sep- 
tembre à  Sedan,  perdant  du  même  coup  sa  dynas- 
tie et  la  France  que  d'autres  ont  réussi  à  sauver, 
sans  pouvoir  éviter  toutefois  de  livrer  au  vain- 
queur implacable,  comme  la  rançon  des  fautes  de 
l'empire,  l'Alsace  et  la  Lorraine. 

Depuis  ce  jour.  Napoléon  III  est  mort  le  9  jan- 
vier 1873  à  Chislehurst  en  Angleterre;  et  la  mort 
de  son  fils  unique,  le  prince  Loui.s-Napoléon,  tué 
au  pays  des  Zoulous  le  l"  juin  1879,  a  marqué 
l'extinction  d'une  dynastie  dont  la  déchéance 
avait  été  ;9olennellemeut  proclamée  le  38  février 
lb71  par  un  vote  de  l'Assemblée  nationale. 

[I.  Melouzay.] 
NATURALISTES.  —  De  tout  temps  l'attention 
de  l'homme  a  été  sollicitée  par  le  globe  sur  lequel 
il  vit,  par  les  animaux  et  les  plantes  qui  se  multi- 
plient autour  de  lui.  On  peut  donc  dire  que  l'obser- 
vation delà  nature  est  aussi  ancienne  que  l'homme 
lui-même  ;  il  s'en  (aut,  cependant,  que  cette  étude 
se  soit  constituée  dès  l'abord  en  science  distincte  ; 
que  les  premiers  observateurs  aient  été  des  luitu- 
rtilistes,  dans  le  sens  que  nous  attachons  aujour- 
d'hui à  ce  mot.  En  Europe,  c'est  dans  les  œuvres 
des  poètes  et  des  philosophes  qu'il  faut  chercher 
les  premières  notions  des  anciens  sur  les  plantes 
et  les  animaux.  Esculape,  Orphée,  Cliiron  de  Thes- 
salie  sont  donnés  comme  ayant  connu  aUx  temps 
mythologiques  les  propriétés  médicinales  de  cer- 
taines plantes;  l'armée  grecque  qui  assiégea  Troie 
avait  pour  médecins  deux  fils  d'Esculape,  Machaon 
et  Podalire,  dont  Linné  a  donné  les  noms  aux 
deux  plus  beaux  papillons  de  notre  pays,  Homère, 
Hésiode  possédaient  des  connaissances  précises 
sur  un  assez  grand  nombre  de  plantes  et  d'ani- 
maux. 

Mais  quittons  les  temps  légendaires,  et  arrivons 
à  l'époque  historique.  Anaximandre  (610-547  av. 
J.-C.  I,  disciple  de  Thaïes,  avait  déjà  spéculé  sur  les 
origines  de  l'humanité;  il  pensait,  comme  on  l'a  sup- 
posé bien  souvent  depuis,  que  les  hommes  avaierit 
été  successivement  poissons,  reptiles  et  mammi- 
fères. Pythagore  1 608-50'.)  av.  J.-C.)  s'était  occupé 
de  botanique  ;  Alcméon  de  Crotone  (500  av.  J.-C.) 
est  le  premier  qui  ait  disséqué  des  animaux  et 
se  soit  occupé  de  lour  mode  de  développement;  il 
annonça  que  chez  eux  la  tète  se  développe  la  pre- 
mière ;  Empédocle  (444  av.  J.-C.)  attribuait  aux 
plantes  un  sexe  ;  il  les  croyait  douées  de  sensibi- 
lité et  avait  entrevu  certaines  analogies  entre  l'œuf 
et  la  graine. 

Anaxagore  (.')00-428  av.  J.-C),  maître  de  So- 
crate,  admettait  que  la  lune  et  les  planètes 
étaient  habitées  comme  la  terre.  Leucippe,  in- 
venteur des  atomes,  eut  pour  disciple  Démocrite 
(490-381   av.  J.-C),  qui  étendit  la  théorie   de  son 


NATURALISTES 


—  1391 


NATURALISTES 


maître,  découvrit  les  canaux  de  la  bile,  assigna  ;\ 
ce  liquide  un  rôle  dans  la  digestion,  et  écrivit  sur 
diverses  parties  de  la  botanique. 

On    doit   à    Socratc    (nO-400)    d'avoir    sévère- 
ment critiqué  les  liypotbèses  diverses  à  l'aide  dos- 
quelles  ses    prédocessesseurs  et  ses  contenipo-  j 
rains  essayaient  d  expliquer  le  monde  ;  il   mérite 
d'être  considéré  comme  l'un  des  fondateurs  de  la  ! 
méthode  scientifique.  Le  plus  célèbre  des  méde-  | 
cins  de  l'école  de  Cos  qui  ont  porlé  le  nom  d'Hip- 
pocrate   parait  avoir  vécu  de  son  temps.  Malheu- 
reusement, dans  toute  cette    longue  période,  les 
observations   sont  rares,  et  servant  de  points  de  ! 
départ  à  des  spéculations   hasardées,  qui  remet-  1 
tent    sans  cesse  en  question    les   faits  déjà  dé- 
couverts;   il    en  résulte   que   ces   faits    ne  sont  ' 
jamais  réunis  en  un  faisceau  qui  puisse  porter  le  j 
nom  de  science.  i 

Malgré  le  nombre  considérable  des  philosophes 
qui  se  succèdent,  il  faut  arriver  jusqu'à  Aristote  1 
(ïSi-.322!,  pour  trouver  un  liomme  qui,  ayant  fait 
lui-môme  un  nombre  considérable  d'observations,  I 
soit  en  môme  temps  capable  de  les  grouper  en 
corps  de  doctrine. 

La  Chine,  sous  ce  rapport  comme  sous  tant  d'au- 
tres, avait  précédé  l'Europe.  L'empereur  Yu  a  écrit 
un  traité  d'histoire  naturelle,  le  Clian-Hai-King, 
2vOO  avant  notre  ère.  Les  connaissances  scienti- 
fiques des  autres  peuples  de  l'Orient  sont  géné- 
ralement consignées  dans  leurs  livn's  sacrés,  où 
l'on  trouve  souvent  des  preuves  incontestables 
d'une  étude  attentive  de  la  nature. 

L'œuvre  d'Aristote,  dont  les  études  avaient  été 
favorisées  par  les  conquêtes  d'Alexandre  son  élève, 
est  l'une  des  plus  considérables  qui  aient  jamais 
été  produites  par  un  seul  homme.  Ce  grand  homme 
s'était  occupé  de  toutes  les  branches  de  l'histoire 
naturelle  ;  observateur  savarjt  et  judicieux,  il  était 
arrivé  à  acquérir  sur  les  êtres  vivants  des  connais- 
sances dont  la  justesse  et  l'étendue  nous  éton- 
nent encore  aujourd'hui.  Ses  œuvres  de  botani- 
ques sont  perdues  ;  mais  ses  divers  traités  sur 
VHisloire  des  anininux,  sur  les  Parties  des  ani- 
maux et  sur  la  Génération  îles  animmix,  sont 
demeurés  comme  des  monuments  de  son  génie. 
Dans  le  premier,  il  divise  les  animaux  en  ani- 
mnur  san/fums  et  eu  animiui  ex-^angurs.  Ces 
deux  grandes  divisions  correspondent  aux  Verté- 
brés et  aux  Invertébrés  de  Lamarck.  Chacun  do 
ces  groupes  est  divisé  en  groupes  secondaires 
dont  plusieurs  diffèrent  à  peine  de  ceux  que  nous 
adoptons  aujourd'hui.  C'est  là  un  véritable  essai 
de  classification.  Le  traité  des  Parties  'les  animaux 
est  une  sorte  d'anatomie  comparée.  Dans  le  traité 
de  la  Génération  des  animaux,  on  trouve  déjà  des 
observations  précises  sur  le  développement  du 
poulet  dans  l'œuf,  et  sur  les  métamorphoses  des 
insectes,  auxquels  Aristote  attribue  cependant  une 
génération  spontanée. 

Théophraste  (371-286  av.  J  -C),  successivement 
le  disciple  de  Platon  et  d'.\ristote,  fut  surtout 
botaniste  et  minéralogiste,  et  devint  le  chef  d'une 
brillante  école.  Il  ne  connaissait  pas  moins  de 
400  plantes  et  en  réunit  un  grand  nombre  dans 
une  sorte  de  jardin  botanique  qu'il  légua  à  sa 
mort  à  la  république  d'Athènes. 

Les  guerres  qui  suivirent  la  mort  d'Alexandre 
firent  passer  la  plupart  des  savants  grecs  en  Egypte, 
où  les  Ptolémées  favorisèrent  longtemps  la  science, 
qu'ils  cultivaient  eux-mômesavec succès.  On  attri- 
bue à  Ptolémée  Philadelphe  (-309-277;  un  ouvrage 
sur  les  animaux  vrais  et  fabuleux,  qui  suppose  un 
esprit  critique  très  éclairé.  Ce  sont  toutefois,  dans 
l'école  é.'yptienno,  les  sciences  médicales,  prin- 
cipalement l'anatomie,  qui  l'emportent  sur  l'his- 
toire naturelle  proprement  dite.  Proxagoras  dis- 
tingue les  veines  des  arières,  Héropliile  (■'îî") 
mo  lire  que  les  nerfs  sont  différents  des  tendons, 


reconnaît  l'isochronisme  du  pouls  et  des  batte- 
ments du  cœur;  Erasistrate  découvre  que  le  cer- 
veau tient  tous  les  nerfs  sous  sa  dépendance,  et 
décrit  le  premier  les  vaisseaux  chylifères.  Les 
persécutions  de  Ptolémée  Physcon  et  de  son  fils 
Ptolémée  Sotor  mirent  fin  aux  succès  de  l'école 
d'Alexandrie  (8i). 

On  peut  encore  compter  parmi  les  naturalistes 
Nicandre  (i"  siècle  av.  J.-C),  médecin  d'Attale  III, 
dont  les  traités  Theriaca  et  Alexijjharmaca  sont 
respectivement  consacrés  aux  animaux  venimeux 
et  aux  poisons.  Dans  toute  celte  longue  période, 
les  sciences  naturelles  sont  cultivées  surtout  en 
vue  de  leur  application,  et  semblent  perdre  le 
caractère  philosophique  qu'Aristote  avait  réussi  à 
leur  donner. 

Les  Romains  sont  loin  de  s'élever,  môme  dans 
cette  direction  pratique,  à  la  hauteur  des  Grecs. 
On  trouve,  cependant,  dans  les  Commentaires  do 
César,  de  précieux  renseignements  sur  les  ani- 
maux de  la  Germanie,  et  Lucrèce  ('.15-44),  contem- 
porain de  César,  consacre  à  la  science  un  su- 
blime poème  où  il  développe  d'une  fav'on  magis- 
trale la  philosophie  d'Epicure  et  expose  relative- 
ment à  la  Nature  des  clioses  des  idées  qui  se  rap- 
prochent à  certains  égards  de  quelques-unes  des 
conceptions  de  la  science  moderne.  Lucrèce  croit 
que  les  premiers  animaux  avaient  des  lormes 
monstrueuses  et  n'étaient  même  parfois  que  des 
organes  privés  de  corps  et  capables  cependant  de 
vivre  ainsi  isolés.  Virgile  et  surlout  Ovide  se 
montrent  en  plusieurs  passages  de  leurs  poèmes 
excelleLits  observateurs;  Ovide  peut  môme  comp- 
ter comme  ayant  possédé  des  connaissances  fort 
étendues  en  histoire  naturelle.  Les  jeux  du  cir- 
que, le  goût  des  Romains  raffinés  pour  la  bonne 
chère  et  les  mets  extraordinaires,  firent  connaître 
à  Rome  un  assez  grand  nombre  d'animaux  étran- 
gers à  l'Europe.  Tout  ce  qui  concerne  ces  ani- 
maux se  trouve  opars  dans  des  ouvrages  traitant 
des  sujets  les  plus  divers.  Le  géographe  Strabon 
(50  av.  J.-C.)  a  exactement  décrit  les  poissons  du 
Nil  ;  le  médecin  Dioscoride  (qui  vivait  dans  le 
1"  siècle  de  notre  ère)  a  joui  longtemps  d'une 
réputation  de  botaniste  que  ne  justifie  pas  la  va- 
leur de  ses  ouvrages.  De  tous  les  naturalistes 
romains,  celui  qui  s'est  acquis  la  plus  grande 
célébrité  est  Pline  l'Ancien  [a-'i'i  apr.  J.-C),  mort 
victime  de  la  science  en  voulant  observer  la  pre- 
mière éruption  du  Vésuve.  L'Histoire  naturelle 
de  Pline  ne  comprend  pas  moins  de  trente-sept 
livres,  et  traite  en  réalité  de  tontes  les  scien- 
ces d'observation.  C'est  u)ie  immense  compila- 
tion de  plus  de  deux  mille  ouvrages  dont  un  grand 
nombre  sont  perdus  .aujourd'hui.  .Malheureuse- 
ment Pline  semble  avoir  peu  observé  par  lui- 
même,  et  il  a  recueilli  côte  à  côte  d'excellentes 
observations  et  les  récits  les  plus  fantastiqiies. 
Les  onvrages  d'Athénée  et  d'Elien  ne  sont  guère, 
comme  ceux  de  Pline,  que  de  simples  compilations. 
Elien  cite  cependant  soixante-dix  espèces  de  mam- 
mifères, cent  neuf  espèces  d'oiseaux,  cinquante  es- 
pèces de  reptiles,  cent  trente  espèces  de  poissons 
dont  la  plupart  ont  pu  être  reconnus.  On  peutcon- 
sidérer  comme  un  naturaliste  Oppien,  dont  les 
trois  poèmes,  les  Cynéyétiijues,  les  Halieuliqw's  et 
les  lieutiques  contiennent  de  précieux  renseigne- 
ments sur  les  animaux  que  l'on  chassait  ou  que  l'on 
pochait  habituellement  de  son  temps.  Nous  arri- 
vons enfin  à  un  homme  dont  l'influence  a  long- 
temps été  considérable  sur  la  médecine,  Galien, 
né  à  Pergame  l'an  131  de  J.-C,  mort  vers  l'an  2011. 
Galien  s'attache  surtout  à  faire  revivre  les  doctri- 
nes d'Hippociate;  cherchant  à  tout  expliquer  par 
quai  re  éléments,  l'eau,  la  terre,  l'air  et  le  feu,  quatre 
qualités,  le  chaud,  le  froid,  l'humidité,  et  le  sec, 
quatre  humours,  le  sang,  la  bile,  la  pituite  et  l'a- 
trabile.  Ses  principaux  ouvrages  ont  pour  titre  : 


NATURALISTES 


1395 


NATURALISTES 


Des  miminislratiom  aniitomiques.  De  l'usaye  des 
parties,  Tln'rapeulique,  etc.  Son  nom  est  Ih  der- 
nier (]ui  mérite  d'ûtre  cité  parmi  les  hommes  de 
science  de  l'antiquité. 

An  moyen  âge  les  Arabes  sont  à  peu  près  les 
seuls  héritiers  des  philosophes  de  l'antiquité.  A 
partir  du  ix'  siècle  on  voit  les  sciences  médicales 
prendre  chez  eux  un  épanouissement  remarqua- 
ble. Hippocrate,  Aristote  sont  traduits  en  langue 
vulgaire.  Mais  dans  cette  période  singulière  la 
magie  se  trouve  sans  cesse  alliée  à  la  science 
et  à  la  métaphysique.  Rhazes  (850-923),  Avicenne, 
Avenzoar  (lO^O-llOI),  Averrhoès  (1120-1198)  son 
élève,  ont  laissé  la  réputation  de  médecins  fort 
habiles  et  fort  instruits  ;  néanmoins  les  savants 
arabes  s'abandonnent  beaucoup  plus  h  la  spécu- 
lation qu'à  l'observation  ;  le  philosophe  domine 
ordinairement  en  eux,  et  s'ils  ont  largement  con- 
tribué à  nous  conserver  les  traditions  scientifiques 
des  anciens,  il  faut  reconnaîtra  qu'ils  ont  fait  faire 
à  l'anatomie,  à  la  physiologie  et  au  diagnostic  des 
maladies  peu  de  progrès  réels.  Ils  avaient  cepen- 
dant une  connaissance  approfondie  des  propriétés 
des  plantes,  et  on  leur  doit  l'inlroduciion  dans  la 
thérapeutique  d'un  assez  grand  nombre  de  médi- 
caments. 

L'influence  des  Arabes  fut  considérable  sur 
l'esprit  des  hommes  qui  cultivèrent  la  science  en 
Occident  durant  le  moyen  âge.  C'est  h  elle,  en 
;;rande  partie,  qu'il  faut  attribuer  ce  mélange  sin- 
^'U  lier  de  l'astrologie  et  de  l'alchimie  à  la  science  vé- 
ritable, mélange  dont  les  plus  grandes  intelligences 
ne  surent  pas  toujours  se  garder  et  qui  eut  pour 
résultat  d'amener  dans  l'esprit  du  vulgaire  une 
confusion  complète  entre  les  savants  et  les  sor- 
ciers. Kogcr  Bacon  (1214-1292)  lui-môme,  quoique 
]irotcstant  de  la  nullité  de  la  magie,  sacrifia  large- 
mcr,t  à  l'alchimie.  C'était  un  homme  d'un  vaste 
savoir  et  un  expérimentateur  habile  ;  à  lire  cor- 
tains  passages  de  son  Opns  majus,  on  croirait  qu'il 
a  deviné  les  plus  belles  inventions  modernes  ;  il 
parait  aussi  avoir  connu  l'art  de  fabriquer  des 
poudres  explosibles.  Ce  fut  un  de  ceux  qui  con- 
iiibuérent  le  plus  i  ramener  les  hommes  d'études 
L  l'observation  de  la  nature.  Les  savants  de  cette 
i  pu. |ue  cultivaient  d'ailleurs  simultanément  toutes 
1'  •  sciences  :  ils  unissaient  étroitement  la  prati- 
lUC  de  la  médecine,  les  discussions  philosophi- 
<jU0S  ou  mime  théologiques,  à  la  reciierche  de  la 
pierre  philosophale  et  de  la  transmutation  des 
métaux.  Aussi  peut-on  considérer  comme  des  na- 
turalistes les  alchimistes  tels  qu'Arnaud  de 
Villeneuve  (I23«-I3i4;,  qui  découvrit  l'alcool,  Ray- 
mond LuUe,  et  Albert  le  Grand  (l  133-1 280\  domi- 
nicain, puis  évêque  de  Ratisbonne;  et  qui  abandon- 
na l'épiscopat  pour  se  livrer  exclusivement  à  la 
culture  et  i  l'enseignement  des  sciences.  Albert  le 
Grand  écrivit  de  nombreux  ouvrages  d'alchimie 
et  d'hisioire  naturelle.  On  compte  parmi  ses  dis- 
ciples le  fameux  saint  Thomas  d'Aquin  (122"-I2Ti), 
iqui  Pic  de  laMirandole  attribue  un  ouvrage  d'al- 
chimie, et  que  l'Eglise  catholique  place  encore 
au  rang  le  plus  élevé  parmi  ses  hommes  de 
science.  Durant  le  vu"  siècle  quelques  voyages, 
tels  que  ceux  de  Guillaume  Hubruquis  et  de  Marco 
Polo,  firent  connaître  l'Asie  orientale  ;  Marco  Polo 
est  le  premier  qui  ait  pénétré  en  Chine  et  au  Ja- 
pon, mais  le  récit  de  ses  voyages  fut  longtemps 
considéré  comme  une  œuvre  d'imagination.  Mal- 
gré l'invention  de  l'imprimerie  (l43l),  malgré  les 
grands  voyages  de  Christophe  Colomb  et  U  dé- 
couverte de  l'Amérique  (1492  ,  le  xv"  siècle  pour- 
suit encore  longtemps  les  errements  scientifiques 
du  xni«  et  du  xiv';  mais  au  xvi=  siècle  la  lumière 
commence  à  se  faire  dans  les  esprits,  et  d'impor- 
tantes recherches  scientifiques  sont  entreprises. 
André  Vénale  (l5U-l.^(il)  régénère  l'anatomie; 
Fallope,   Eustache,    ^Spicgel,     Ingrassias,    Botal, 


Varole,  ont  tous  attaché  leur  nom  k  la  découverte 
de  quelque  organe  ou  de  quelque  particularité  de 
structure   du    corps   humain.  Les  recherches   de 
Fabrice  d'Acquapendente  (1537-1CI9),  celles  de  Co- 
lombo et  de  Césalpin,qui  fut  aussi  un  botaniste  re- 
marquable, préparent  la  découverte  de  la  circula- 
tion du  sang,  nettement  entrevue  parle  malheureux 
Michel  Servet  (I. 509-1  ;i5.')),  briilé  à  Genève,  comme 
hérétique,  par  Calvin.   C'est  aussi  à  cette  époque 
que  vécut    le    célèbre    cliirurgien    de   Henri    II, 
Anibroise  Paré  (1517-1590),  qui,  en  dehors  de  son 
mérite  comme  praticien,  songea  le  premier  à  com- 
parer le  squelette  des  oiseaux  i  celui  des  mammi- 
fères. A  côté  de   cette   renaissance  de  l'anatomie 
se  manifeste  aussi  une  renaissance  évidente  de  la 
botanique  et  de  la  zoologie.  Jean  et  Gaspard  Bau- 
liin,  morts  le  premier  en  ICJIS,  le  second  en  ÎC24, 
publient,  toutou  s'occupantde  médecine,  d'impor- 
tants   ouvrages    do   botanique;  Pierre   Belon,  né 
en   1518,  assassiné  au   bois  de  Boulogne  en  15G'i, 
ècrbiii  \\n&  H  stiiire  ■•'"itureUe  des  poissons  mnrini 
et  une  Histoire  des  oiSfWix;  il  compara  entre  eux 
les  organes   des  divers  animaux  qui  avaient    fait 
l'objet  do  ses  études,  et  ouvrit  ainsi  la  voie  à  l'ana- 
tomie comparée.  Ala  même  époque,  Rondelet  (1507- 
1566)  publia  une  fort  belle  Histoire  naturelle  des 
poitsoHS,  où  l'on  trouve  un  véritable  essai  de  classifi- 
cation naturelle.  Mais  les  naturalistes  de  ce  siècle 
les  plus  remarquables  par  leursavoir  furent  Conrad 
Gessner,  de  Zurich  (l510-laC5)  et  l'Italien  Aldro- 
vande(  1527-1605).  Gessner  publia,  outre  divers  tra. 
vaux  philosophiques  et  scientifiques,  une  Histoire 
des  animaux  en  quatre  volumes  in-folio,  et  divers 
écrits  de  botanique  dans  lesquels  il  établit  sur  les 
organes  de  fructification  la  première  classification 
scientifique  des  végétaux;  il  traite  aussi  dos  cris- 
taux, et  pense  que  les  fossiles  peuvent  bien  être 
les  dépouilles  d'êtres  vivants.  Aldrovande  est  l'au- 
teur d'une  vaste  Histoire  naturelle  dans  laquelle 
il  traite  des  trois  règnes  de  la  nature,  et  qui  fut 
imprimée  en  grande  partie  sous  les  auspices  du 
sénat  de  Bologne.  Ce  fut  aussi  un  des  titres  de 
gloire  du  grand  artiste  Bernard  de  Palissy  (15110- 
1589)  d'avoir  énei-giquement  soutenu  que  les  fos- 
siles   étaient    des    restes   d'animaux,    la  plupart 
marins,  et  que  les  mers  avaient  autrefois  couvert 
une  vaste  étendue  des  continents.  La  foi  dans  l'ob- 
servation,   dans    l'expérience,   dans  la    raison    se 
substitue  ainsi  peu  à  peu  à  la  foi  dans  l'autorité, 
aux  discussions  sans  fin  sur  les  opinions  dos  mai- 
Ires,  dont  la  philosophie  scolastique  nous  offre  le 
triste  tableau.  Tandis  que  de  nombreux  investiga- 
teurs  prêchent  d'exemple  et  ajoutent  h    nos  con- 
naissances dans  toutes  les  directions,  sans  trop  de 
souci    de     l'autorité,    quelques     hommes    hardis 
comme  Argentier  proclament  leur  confiance  exclu- 
sive   dans  la   raison   et    préparent   ainsi    l'avène- 
ment de  François   Bacon  (I561-1U2U)   dont  Vln-- 
tauratio   nvKj'ia  posa   pour   la  première   fois   les 
vrais  principiîs  de  la  piiilosophie  et  de  la  méthode 
scientifique.    Bacon     déclare     que    l'homme    de 
science  doit  avant   tout   appuyer  ce  qu'il  affirnu' 
sur    l'expérience,  et  il  étend   même  la  méthode 
expérimentale   à    la  recherche    de   l'origine    des 
êtres.  Dans  sa  Noya  Atlantis,  sorte  de  projet  d'un 
établissement    uniquement    consacré    au  progrès 
des     sciences     naturelles,     comme    l'est    notre 
Muséum   d'histoire  naturelle,   il  recommande  de 
tenter  la  métmwtriihose  des  organes  et  de  recher- 
cher, en  faisiiid  varier  les  espèces,  comment  elles 
se  sont  multipliées  et  div  ■rsifiie^.  C'est  la  première 
expression  scieniificiue  de  l'idée  que   les   espèces 
de  plantes  et  d'animaux  ne  sont  pas  immuables, 
et  que    le   monde   vivant   n'est   parvenu    h.    l'état 
actuel  que   par  une  série  de   lentes  et  graduelles 
modifications.  L'illustre  philosophe  put  connaître 
avant  de  mourir  l'une  des  plus  belles  découvertes 
ducs  \  la  méiiiode  expérimentale,  celle  do  la  cir- 


NATURALISTES 


—  1390  — 


NATURALISTES 


« 


culation  da  sang  annoncée  dès  t619  par  Harvey, 
médecin  de  Jacques  I"  et  de  Charles  I",  et  élève 
de  Fabrice  d'Acquapendente  qu'il  avait  assisté 
dans  ses  recherches  sur  les  valvules  des  veines. 
Cette  découverte  donne  un  nouvel  élan  aux  re- 
cherches anatomiques.  Aselius  retrouve  les  vais- 
seaux chylifères,  Pecquet  montre  qu'ils  sont  des- 
tinés i  puiser  dans  le  sang  les  matières  assimila- 
bles et  qu'ils  les  transportent  dans  le  canal  tlio- 
racique  par  lequel  elles  sont  versées  dans  la 
circu 


1634  doit  marquer  dans  l'histoire  des  sciences 
naturelles,  comme  date  do  la  fondation  h  Paris, 
sur  les  instances  de  Guy  de  Labrosse,  du  jardin 
botanique  qui  devait  plus  tard  devenir  le  Jardin 
des  plantes  et  que  la  Convention  réorganisa  sous 
son  nom  actuel  de  Muséum  n'histoire  naturelle. 

Cependant  le  nombre  des  animaux  et  des  plan- 
tes recueillis  en  Europe  ou  rapportés  de  leurs 
voyages  par  les  navigateurs  augmente  considéra- 
blement. Tout  d'abord  il  était  facile  de  les  diviser 


ui.>.ulation.  Rudbeck  et  Bartholin  se  disputent  la  |  en  groupes  plus  ou  moms  étendus  dans  lesquels 
découverte  des  vaisseaux  lymphatiques  ;  Wirsung  I  une  description  ordinairement  réduite  à  une  courte 
fait  connaître  le  canal  pancréatique;  Bartholin  et  :  phrase  permettait  de  reconnaître  chaque  espèce. 
Sténon  complètent  l'étude  des  glandes  salivaires.  L'espèce  était  elle-même  designée  soit  par  1  un  de 
Wepfer,  Schneider,  'iVillis,  Vieussen,  étendent  sesnomsvulgaires.soitparlaphrasecaracteristique, 
les  connaissances  acquises  sur  le  cerveau,  dont  ils  \  à  laquelle  on  tentait  parfois  de  substituer  des  noms 
précisent  le  rôle;  enfin  Ruysch,  par  l'application  tirés  du  grec,  mais  trop  souvent  forgés  de  la  façon  la 
aux  recherclies  anatomiques  d  un  procède  qui 
consiste  à  injecter  des  liquides  colorés  dans  les 
vaisseaux  et  les  cavités,  fit  faire  de  grands  progi'ès 
à  l'histoire  de  l'appareil  vasculaire. 

Vers  la  même  époque,  l'application  à  l'étude 
des  organismes  d'une  autre  méthode  d'investiga- 
tion fut  encore  plus  féconde.  Presque  en  même 
temps,  Malpighi,  professeur  de  médecine  à  Bolo- 
gne (1G2S-Ii.9f),  Leuwenhock  de  Delft  (Ir,;i2-1T^3) 
et  Swammerdamm  (lf;3"-16S0),  introduisent  l'em- 
ploi des  verres  grossissants  dans  les  recherches 
d'histoire  naturelle,  et  sont  aussitôt  récompensés 
par  de  magnifiques  découvertes  Malpighi  fait  con- 
naître un  grand  nombre  de  particularités  de  struc- 
ture des  organes  humains,  découvre  les  trachées 
des  insectes  et  étudie  le  développement  du  poulet; 
on  doit  à  Leuwenhoek  d'avoir  révélé  aux  n«tura- 
listes  l'existtnce  des  infusoires;  il  paraît  aussi 
avoir  connu  la  reproduction  des  pucerons  sans 
le  secours  de  la  fécondation,  dont  la  réalité  fut 
mise  hors  de  doute  bien  plus  tard  par  Bonnet  de 
Genève,  et  il  fit  sur  la  génération  par  bourgeonne- 
ment des  polypes  des  observations  qui  devaient 
demeurer  oubliées  jusqu'aux  recherches  de  Trem- 
bley.  Swammerdamm,  qui  publia  une  grande  par- 
tie de   ses  travaux  sous  le  litre  de  Bihlin  naturœ, 


plus  étrange.  Les  plus  sages  nomenclateurs  arrivent 
peu  à  peu  à  l'idée  de  désigner  chaque  espèce  par 
un  nom  générique  et  un  nom  spécifique,  corres- 
pondant le  premier  au  nom  de  famille,  le  second 
au  prénom  que  l'on  emploie  pour  désigner  les  indi- 
vidus dans  la  vie  civile.  C'est  là  l'idée  fondamen- 
tale de  la  nomenclature  binaire,  quo  Linné  (HOÎ- 
ITÎS)  appliqua  avec  une  admirable  netteté  à  tous 
les  êtres  vivants.  Son  S>/stème  de  ta  nature,' -pw- 
blié  en  1135,  fit  époque  dans  la  science  et  lui  valut 
une  réputation  universelle.  On  a  dit  de  lui  qu'il 
avait  été  le  législateur  de  l'histoire  naturelle,  et 
de  nombreux  naturalistes  ont,  en  effet,  convenu  — 
ce  qui  est  du  reste  une  injustice  —  de  ne  pas  accep- 
ter dans  la  science  de  nom  antérieur  à  Linné.  Le 
système  de  classification  adopté  par  Linné  pour 
les  végétaux  eut  surtout  un  prodigieux  succès;  les 
découvertes  récentes  relatives  à  la  sexualité  des 
plantes  y  étaient  pour  la  première  fois  appliquées  ; 
ce  n'était  pourtant,  comme  Linné  en  prévenait  lui- 
même,  qu'un  sysième,  c'est-à-dire  un  moyen  com- 
mode d'arriver  au  nom  d'une  plante,  et  non  une 
méthode  naturelle  de  classification  dans  laquelle 
toutes  les  plantes  auraient  été  disposées  d'après 
leur  degré  réel  de  ressemblance.  Mais  le  système 
de  Linné  se  recommandait  par  son  admirable  prè- 


le monde  savant  :  Redi  combat  par  des  expériences 
d'une  réelle  précision  l'hypothèse,  morte  aujour- 
d'hui, des  générations  spontanées.  Newton  signale 
déjà,  à  la  fin  de  son  Optique,  cette  uniformité  de 
structure  des  animaux  à  la  démonstration  de  la- 
quelle Geoffroy  Saint-Hilaire  devait  consacrer  sa 
vie  scientifique;  et  Pascal,  dépassant  Bacon,  croit 
que  les  êtres  animés  n'étaient  à  leur  début  que  des 
individus  informes  et  ambigus  dont  les  circon- 
stances permanentes  au  milieu  desquelles  ils  vivaient 
ont  décidé  originairement  la  constitution  ;  Syl- 
vius  Leloë,  de  Leyde,  soutient  que  tous  les  phéno- 
mènes qui  se  produisent  dans  les  viscères  sont 
analogues  aux  réactions  qu'on  voit  s'accomplir 
dans  les  cornues  des  laboratoires  de  chimie; 
Swammerdamm  établit  les  bases  de  la  doctrine  du 
développement  des  animaux  par  formation  succes- 
sive des  parties;  Jean  Ray,  rompant  avec  les  tra- 
ditions aristotéliques,  propose  un  système  de 
classification  des  animaux  et  des  plantes  d'une  ad- 
mirable précision,  et  il  contribue  largement  h 
faire  connaître  la  sexualité  des  végétaux,  soupçon- 
née autrefois  à  diverses  reprises,  mais  démontrée 
par  les  recherches  de  Millington,  Grew,  Bobart, 
Camerarius,  Buccone,  etc.  Tournefort  (16.')6-1"08) 
combat  cette  grande  découverte;  nia'is  ses  Inslilu- 
tiones  rei  herbariœ  ne  lui  assurent  pas  moins  une 
incomestable  illustration;  on  y  trouve  une  classi- 
fication des  plantes  fondée  sur  la  structure  et  la 
disfiosition  des  fleurs,  et  le  groupe  naturel  que  les 
naturalistes  désignent  sous  le  nom  de  genre  y  est 
pour  la  première  fois  clairement  défini.  L'année 


raliste  suédois.  .    ,  ■ 

Il  s'en  faut  cependant  que  les  travaux  de  Linnu 
aient  été  dès  l'abord  universellement  acceptés.  11 
rencontra  d'ardents  contradicteurs,  parmi  lesquels 
Héaumur  (l«83-n:.7),  Bufi-on  (1707-1788),  Adan- 
son  (17'27-180li),  Charles  Bonnet  (I  i2(i-l  (93),  de 
Genève  etc  Réaumur,  physicien  et  naturahste, 
doit  surtout  sa  grande  réputation  sous  ce  dernier 
titre  a  ses  Mémoires  pour  servir  a  l  lastoire  des 
insectes,  où  sont  consignées  les  plus  patientes  et 
plus  ingénieuses  recherches  sur  les  mœurs  et  les 
métamorphoses  de  ces  animaux.  Adansnn  eut  le 
courage  de  demeurer  pendant  cinq  ans  au  Séné- 
gal dont  il  voulait  faire  connaître  les  productions  ; 
son  Histoire  naturel  e  dn  Sémgnl  n'a  jamais  ete 
terminée;  ses  Familles  d';s  p'a7ite<  témoignent 
d'une  grande  justesse  de  vues;  Adanson  était 
un  esprit  d'une  vaste  étendue  :  il  avait  conçu  le 
plan  d'une  encyclopédie  des  sciences  humaines 
qu'il  voulait  réaliser  à  lui  seul,  et  les  matériaux 
qu'il  recueillit  pour  cela  formaient  un  ensemble 
tellement  formidable,  que  la  publication  na 
même  pu  en  être  entreprise.  Buffon  s  est  eleve  au 
premier  rang  des  naturalistes,  non  pas  tant  par 
la  beauté  de  ses  descriptions  qui  ont  rendu  1  his- 
toire naturelle  attrayante  pour  tous,  que  par  les 
vues  générales  vraiment  grandioses  qui  signa- 
lent ses  écrits.  11  fut  tour  à  tour  épris  de  mathé- 
matiques, de  physique  et  d'histoire  ""'"'^'le-  s^ 
première  œuvre  de  naturaliste  est  sa  Tiéoncde  la 
terre  (1749),  la  dernière  ses  Epoques  de  la  Salure 
(1778)    qui   eurent  un  si  grand  retentissement; 


NATURALISTES 


1397 


NATURALISTES 


V  Histoire  (te  minéraux, celie  des  unimaux  et  cell(> 
de,  Vtwinme  tionnetit  entre  ces  deux  dates.  Buffon 
admet  que  la  terre  et  les  planètes  ont  d'abord  été 
des  globes  incandescents  qui  se  sont  graduelle- 
ment refroidis,  mais  conservent  encore  une  plus 
ou  moins  prande  clialeui-  intérieure.  La  terre  a 
été  à  un  certain  moment  couverte  par  les  eaux.  Ce 
sont  les  eaux  qui  en  ont  façonné  la  surface  et  ont 
déterminé  lentement  la  formation  de  ses  reliefs, 
produisant  ainsi  «  des  effets  qui  arrivent  encore 
tous  les  jours;  »  les  couches  parallèles  des  strati- 
fications géologiques,  les  fossiles  répandus  par- 
tout par  bancs  immenses,  sont  pour  Bufl'on  les 
preuves  irréfutables  de  l'action  des  eaux.  Il  croit 
à  la  disparition  d'espèces  anciennement  existantes, 
pense  qu'un  grand  nombre  d'animaux  peuvent 
naître  par  géiiération  spontanée,  admet  la  créa- 
tion d'espèces  primitives  distinctes,  mais  attribue 
cependant  à  ces  espèces  une  variabilité  suffisante 
pour  qu'elles  aient  graduellement  donné  nais- 
sance à.  un  grand  nombre  d'autres  espèces  diffé- 
rentes les  unes  des  autres.  Le  climat,  la  nourri- 
ture et  la  domesticité  sont  pour  lui  les  principales 
causes  de  variation.  Il  considère  les  climats 
comme  ayant  déterminé  le  mode  de  distribution 
des  animaux  sur  la  terre,  fait  le  premier  remar- 
quer qu'aucune  espèce  n'est  commune  aux  ré- 
gions chaudes  des  deux  mondes,  et  pose  ainsi  les 
bases  de  la  géographie  zoologique.  Seule  l'espèce 
humaine  aurait  échappé  à  cette  influence  et  se  re- 
trouverait essentiellement  une  dans  toutes  les 
parties  du  globe.  Buffon  insiste  sur  l'uniformité 
du  dessein  qui  a  présidé  à  la  création  des  animaux  ; 
cette  uniformité ,  que  démontrent  les  travaux 
anatomiques  faits  pour  lui  par  Daubenton,  il  es- 
saie de  l'expliquer  par  l'hypothèse  qu'il  existe  une 
foule  de  petits  êtres,  de  molécules  viuanies  iden- 
tiques, sauf  les  dimensions,  aux  êtres  vivants  de 
grande  taille  qui  résultent  de  leur  association.  Il  y 
aurait  enfin,  suivant  lui,  des  passages  gradués 
entre  la  plupart  des  formes  animales.  Si  l'on  peut 
retrouver  dans  ces  idées  quelques-unes  des  opi- 
nions émises  avant  Buffon,  il  faut  reconnaître  qu'il 
les  fait  absolument  siennes  par  la  façon  dont  il  les 
expose  et  dont  il  les  enchaîne;  d'autres  sont  des 
vues  de  génie  dont  l'influence  sur  les  sciences 
naturelles  a  été  considérable  ;  nous  les  retrouve- 
rons plus  tard  développées  et  conlirmées  par  les 
successeurs  de  l'illustre  intendant  du  jardin  du 
roi. 

Buffon  ne  s'est  jamais  occupé  que  des  animaux 
supérieurs.  Cependant  autour  de  lui  d'importantes 
découvertes  sur  les  animaux  inférieurs  préparent 
une  révolution  dans  les  idées  courantes  sur  le  règne 
animal.  Peysonnol  démontre  (1T27)  l'animalité  du 
corail  et  fournit  ainsi  le  premier  exemple  d'ani- 
maux bourgeonnants  les  uns  sur  les  autres  à  la 
façon  des  plantes  et  demeurant  unis  toute  leur  vie 
dans  une  étroite  communauté  comme  peuvent  le 
faire  les  branches  d'un  arbre.  Les  naturalistes  les 
plus  compétents  se  montrent  d'abord  incrédules  ; 
mais  les  mémorables  recherches  de  Trembley  sur 
Ieshydresd'eaudouce(n40)  déterminent  un  revire- 
ment d'opinion.  Bernard  de  Jussieu  se  rend  au 
bord  de  la  mer  pour  étudier  à  nouveau  les  flustres, 
les  cschares  et  les  organismes  voisins,  que  tous 
les  naturalistes  classaient  jusque-là  parmi  les 
algues,  et  reconnaît  en  eux,  à  son  grand  étonne- 
rnent,  de  véritables  animaux.  Cette  découverte 
d'animaux  composés,  d'animaux  vivant  en  colonies, 
est  fondamentale,  mais  son  importance  n'a  guère 
été  comprise  que  de  nos  jours.  Quelques  années 
après  (UàQ),  Bernard  de  Jussieu  yWM-Vill)  for- 
mulait sa  méthode  naturelle  de  classiflcation  des 
végétaux,  publiée  seulement  d'une  façon  complète 
en  1789  par  son  neveu  Antoine-Laurent  de  Jus- 
sieu (1748-1836).  Abandonnant  les  errements  de 
Lmné,  qui  ne  s'était  servi  dans  son  système  que 


d'une  seule  série  de  caractères,  les  do  Jussieu  font 
appel  h  tous  les  caractères  fournis  par  la  plante, 
mais  ils  établissent  que  ces  caractères  n'ont  pas  tous 
la  même  valeur;  il  en  est  d'importants,  d'autres  de 
secondaires  :  c'est  le  principe  même  de  la  sut/ordi- 
nation (les  caractères,  dont  Cuvier  devait  faire  à 
son  tourcinquante  ans  plus  tard  la  pierre  angulaire 
de  sa  classilication  du  règne  animal.  Le  degré  d'im- 
portance des  caractères  est  établi  au  moyen  de  leur 
degré  de  généralité  :  un  caractère  présenté  par  un 
très  grand  nombre  de  plantes  est  évidemment  plus 
important  qu'un  caractère  restreint  à  quelques 
espèces  ;  le  premier  pourra  servir  h  distinguer 
des  divisions  très  étendues  telles  que  les  classes, 
le  second  sera  un  caractère  de  genre,  et  dans  l'in- 
tervalle on  trouvera  de  même  des  caractères  de 
familles,  d'ordres  ou  de  tribus.  Ainsi  les  carac- 
tères fournis  par  les  différents  organes  de  la  plante 
peuvent  intervenir  tour  à  tour  dans  la  classifi- 
cation, et  l'ordre  de  leur  succession  est  en  quel- 
que sorte  déterminé  expérimentalement.  Le  prin- 
cipe de  la  méthode  naturelle  était  trouvé  ;  mais 
l'application  peut  en  être  faite  de  manière  très  di- 
verse; i  mesure  que  l'on  connaît  plus  exactement 
la  structure  d'un  plus  grand  nombre  de  plantes, 
limportanco  relative  des  caractères  peut  se  modi- 
fier, et  des  caractères  nouveaux  peuvent  réclamer 
«lans  les  méthodes  une  place  qu'on  ne  leur  avait 
pas  faite  tout  d'abord.  H  n'y  a  donc  pas  lieu  de 
s'étonner  que  Bernard  et  Laurent  de  Jussieu  ne 
soient  pas  arrivés  d'un  seul  coup  à  la  perfection  ; 
on  n'a  cessé  depuis  eux  de  chercher  à  représenter 
dune  façon  plus  complète,  dans  la  méthode,  les 
véritables  affinités  des  plantes,  et  ces  tentatives 
ont  illustré  des  botanistes  tels  que  de  CandoUe, 
Adrien  de  Jussieu,  Lindley,  Endlicher  et  surtout 
Adolphe  Brongniart. 

On  n'est  arrivé  que  plus  tard  à  une  classification 
naturelle  des  animaux.  Le  système  de  Linné  a 
conservé  la  prédominance  jusqu'au  moment  où 
Cuvier  (i7C9-1832),  dans  son  Hàr/ne  animal  distri- 
Ijué  d'après  son  organisatiimilUlG),  montrant  l'im- 
portance exceptionnelle  du  système  nerveux,  in- 
troduisit dans  la  science  l'idée  des  types  de  struc- 
ture, et  démontra  que  tous  les  animaux  connus 
de  son  temps  étaient  conformés  suivant  quatre 
types,  quatre  plans  généraux  caractérisant  autant 
d'embi-ajichements. 

Pendant  que  vers  la  fin  du  xviii'  siècle  se  déga- 
gent les  idées  qui  doivent  conduire  i  une  appré- 
ciation de  plus  en  plus  exacte  des  rapports  que  les 
organismes  présentent  entre  eux,  une  révolution 
profonde,  accomplie  dans  les  sciences  physiques, 
montre  sous  un  jour  tout  nouveau  les  rapports  des 
organismes  avec  le  milieu  qui  les  entoure.  Ce  mi- 
lieu était  pour  ainsi  dire  inconnu.  Les  découvertes 
de  Scheele,  de  Priestley,  do  Lavoisier  nous  dévoi- 
lent sa  constitution:  eu  1774,  Scheele  en  Suède, 
Priestley  en  Angleterre  découvrent  l'oxygène  ; 
en  1776,  Lavoisier  démontre  qu'il  fait  partie  inté- 
grante de  l'air  et  qu'il  donne  en  se  combinant  avec 
le  carbone  le  gaz  môme  qu'exhalent  les  animaux 
et  qui  est  l'aliment  par  excellence  des  végétaux, 
l'acide  carbonique.  Presque  en  même  temps,  l'eau 
perd  comme  l'air  le  caractère  d'élément  que  lui 
attribuaient  les  anciens  chimistes  ;  Cavendish  on 
extrait  l'hydrogène,  el  Lavoisier  démontre  irréfuta- 
blement en  1783  que  cet  hydrogène,  se  combinant 
avec  l'oxygène  de  l'air,  forme  de  l'eau,  de  même 
que  le  charbon  forme  de  l'acide  carbonique  en  brû- 
lant dans  l'air.  La  théorie  de  la  combustion  est 
établie  ;  celle  de  la  respiration  en  est  une  consé- 
quence immédiate:  alors  apparaît  entre  le  règne 
animal  et  le  règne  végétal  une  admirable  harmo- 
nie :  les  animaux  versent  sans  cesse  dans  l'atmo- 
sphère des  torrents  d'acide  carbonique  formé  aux 
dépens  de  l'oxygène  de  l'air.  Les  végétaux  s'empa- 
rent de  cet  acide  carbonique,  le  décomposent,  en 


NATURALISTES 


1398 


NATUMALISTES 


gardeni  U'  carbone  et  restituent  à  l'air  l'oxygène 
C|ue  les  animaux  lui  enlèvent;  la  substance  même 
des  végétaux  sort  ensuite  à  l'alimentation  des  ani- 
maux, et  ceux-ci, après  leur  mort  ou  même  de  leur 
vivant,  rendent  au  sol,  où  les  végétaux  les  retrou- 
vent, les  substances  qu'ils  ont  prises  à  ces  derniers. 
Haies  (16'i7-l"i)l),  dans  sa  Statique  des  rniimnux 
et  dans  sa  Statique  liesvégélmiT,  avait  déjà  clierché 
h  déterminer  ces  rapports  des  êtres  vivants  avec  le 
milieu  qui  les  entoure;  il  peut  être  considéré 
comme  ayant  jeté  les  bases  de  la  physiologie  végé- 
tale ;  mais  que  pouvait  être  la  pliysiologie  à  une 
époque  où  ni  l'oxygène,  ni  l'ijydiogène,  ni  l'azote 
n'étaient  connus,  où  la  nature  de  l'air,  de  l'eau,  de 
l'acide  carbonique  restaient  à  déterminer,  où  l'on 
ignorait  même  en  quoi  pouvait  consister  ce  phé- 
nomène fondamental  :  la  comijinaison  chimique? 
Ingenhonsz.  de  Saussure,  Sennebier.  poursuivent 
dans  des  voies  nouvelles  l'œuvre  de  Haies.  Au 
temps  do  Lavoisier,  on  commence  d'ailleurs  à 
peine  à  entrevoir  les  liens  qui  unissent  entre 
eux  ce  que  l'on  nomme  les  agents  physiques  ;  les 
propriétés  les  plus  importantes  de  l'électricité  sont 
encore  inconnues  ,  les  iiliysiciens  ont  bien  imaginé 
des  ftuide'i  pour  expliquer  la  ehaieur,  la  It/mièi'", 
Yéleriricité,  le  magnéti'"  e,  des  fcrces  pour  expli- 
quer Yatlra'tion  de?  astres,  la  culiésinn  des  molé- 
cules des  corps,  Vulfinité  qui  pousse  les  éléments 
i\  se  combiner;  mais  rien  ne  relie  ces  conceptions 
diverses,  et  telles  sont  encore  les  habitudes  de 
l'esprit  humain  que  l'on  accepte  ces  mots  de  ftvide 
et  de  force,  comme  désignant  des  êtres  mystérieux 
dont  l'existence  est  au<si  inexplicable  que  celle 
des  êtres  vivants  eux-mêmes.  La  science  n'en  a 
pas  moins  trouvé  ses  voies:  toutes  les  questions 
s'agrandissent,  les  horizons  prennent  la  plus  vaste 
étendue  ;  un  immense  travail  se  fait  dans  les  idées 
et  prépare  l'avènement  des  hommes  de  génie  dont 
la  brillante  pléiade  resplendit  au  seuil  du  xix' siècle. 
En  France,  la  Convention,  sur  le  rapport  de  Lakanal, 
inspiré  par  les  héritiers  scientifiques  de  Buffon, 
organise,  avec  une  hauteur  de  vue  qu'on  a  rarement 
retrouvée  depuis,  le  Muséum  d'histoire  naturelle,  et 
s'efforce  d'y  concentrer  tout  ce  qui  peut  en  faire 
un  véritable  <>  Temple  de  la  nature.  »  Lamarck, 
Geoffroy  Saint-Hilaire,  Cuvjer,  donnent  bientôt 
aux  sciences  naturelles  une  portée  que  l'on  ne  con- 
naissait pas.  Comme  introduction  à  son  cours  de 
zoologie  du  Muséum,  Lamarck  (n44-lfi2:i)f  d'a- 
bord botaniste  et  collaborateur  de  Candolle,  pu- 
blie en  1809  sa  Philosophie  zoologique,  ]iremière 
et  puissante  tentative  d'explication  de  l'origine 
des  animaux.  Il  y  regarde  les  espèces  actuelles 
comme  descendant  d'espèces  qui  les  ont  précédées 
qui  se  sont  graduellement  transformées  sous  l'in- 
fluence des  milieux  et  de  l'habitude,  et  dont  les  in- 
dividus modifiés  ont  transmis  par  liérédité  h  leur 
descendance  hMirs  nouveaux  caractères.  Son  His- 
toire  natwelte  des  animaux  sans  vertèhres  {18IG  à 
182'.').  où  il  classe  et  décrit  avec  une  méthode  ri- 
goureuse la  multitude  des  animaux  inférieurs,  lui 
a  mérité  d'être  appelé  le  Linné  français.  Etienne 
Geoffroy  Saint-Hihiire  (l"72-IH44),  font  entier  do- 
miné par  l'idée  de  démontrer  Yunité  de  composition 
du  régne  animal,  dote  l'anatomie  comparée  de 
ses  véritables  moyens  d'investigation ,  trace  le 
chemin  dans  lequel  elle  n'a  cessé  de  marcher  de- 
puis lui  ;  montre  le  parti  que  l'on  peut  tirer  de 
l'embryogénie  par  les  comparaisons  anatoniiques, 
explique  par  les  lois  naturelles  du  développement 
la  formation,  chez  l'homme  et  les  animaux,  de  ces 
monstrtn.S'tés  que  tant  de  gens  considèient  encore 
comme  miraculeuses,  et  crée  ainsi  une  science 
nouvelle,  la  tcratolngie.  Il  croit  aussi  à  la  mmab 
lité  des  formes  spécifiques,  et  attribue  à  la  seule 
influence  des  milieux  les  changements  qu'elles  ont 
subis.  Cuvier  soutient  au  contraire  limmuabilité 
absolue    des   espèces.  Tandis  que  ses    deux  col 


lègues  considèrent,  dans  une  certaine  mesure,  les  ' 
êtres  vivants  comme  le  résultat  de  l'action  du 
monde  extérieur  sur  une  ou  plusieurs  formes  pri- 
mitives, qui  se  sont  modifiées  a\  ce  le  milieu  dans 
lequel  elles  devaient  vivre  de  manière  à  être  tou- 
jours en  harmonie  avec  lui,  Cuvier  pense  que  le» 
êtres  ont  été  créés  d'un  coup  pour  vivre  dans  des 
conditions  déterminées.  Geoffroy  recherche  dans  les 
animaux  les  traces  plus  ou  moins  effacées  du  type 
primitif  d'où  ils  dérivent,  Cuvier  nie  ce  plan  primitif: 
pour  qu'un  animal  puisse  vivre  dans  des  conditions 
données,  il  faut  que  ses  organes  présentent  cer- 
tains rapports  déterminés  par  ces  conditions  elles- 
mêmes,  et  qu'ils  soient  en  harmonie  les  uns  avec 
les  autres  :  il  y  a  donc  entre  le's  formes  des  organes 
une  coirélaliim,  qu'il  appartient  à  l'anatomie  com- 
parée de  déterminer.  Les  lois  de  ces  corrélations 
une  fois  établies,  il  doit  être  possible  de  reconsti- 
tuer presque  entièrement  un  animal  dont  quel- 
ques parties  seulement  sont  connues.  C'est  en 
s'appuyant  sur  ce  principe,  devenu  le  principe  fon- 
damental de  \n paléontologie', qwe  Cuvier  a  pu  dé- 
montrer que  la  terre  a  été  jadis  peuplée  d'animaux 
dont  les  espèces  ont  aujourd'hui  complètement 
disparu,  et  reconstituer  dans  une  certaine  mesure 
les  formes  de  ces  animaux.  En  présence  de  ce 
fait,  Cuvier  se  trouve  conduit  par  ses  idées  sur 
l'invariabilité  de  l'espèce  à  admettre  de  périodi- 
ques cataclysmes,  de  périodiques  révotuUons  du 
globe  qui  auraient  détruit  le  plus  grand  nombre 
des  espèces  vivant  à  un  moment,  espèces  périodi- 
quement remplacées  aussi  par  des  créations  suc- 
cessives. La  géologie,  à  laquelle  les  travaux  de 
Cuvier  devaient  donner  un  si  brillant  essor,  la 
paléontologie,  qu'il  a  fondée,  sont  venues  depuis 
infirmer  ces  deux  hypothèses;  le  géologue  anglais 
Ch.Lyell,  reprenant  l'idée  de  Buflbn.a  montré  bien 
nettement  que  les  causes  actuelles,  qui  agissent 
lentement  sous  nos  yeux,  mais  accumulent  leurs 
effets  pendant  de  longs  siècles,  suffisent  à  expli- 
quer tous  les  phénomènes  géologiques;  et  d'autre 
part  les  innombrables  recherches  des  paléontologis- 
tes modernes  s'accordent  àprouver  que  les  espèces 
animales  et  végétales  d'une  période  géologique 
donnée  n'ont  jamais  disparu  en  bloc,  mais  se  sont 
éteintes  graduellement,  une  à  une,  tandis  que  des- 
espèces nouvelles  prenaient  successivement  leur 
place. 

Au  moment  mêmeoùenFranceCuvier  et  Geoffroy 
Saint-Hilaire  captivaient  l'attention  des  savants  par 
les  grandes  luttes  scientifiques  qui  s'élevaient  en- 
tre eux.  en  Allemagne  se  développait,  sous  l'in- 
fluence de  SchcUing,  l'école  de  la  Philosophie  de  lu 
nature,  qui  attribuait  à  la  raison  humaine  uno 
puissance  suffisante  pour  découvrir  sans  le  secours 
de  l'observation  les  lois  du  monde  physique.  Oken 
(ITig-lSôl)  fut,  parmi  les  naturalistes  proprement 
dits,  le  plus  éminent  représentant  de  cette  école; 
il  acquit  une  influence  considérable  sur  ses  com- 
patriotes. On  lui  doit  d'avoir  attiré  l'attention  sur 
les  similitudes  qui  existent  entre  les  diverses  par- 
ties d'un  même  organisme,  et  d'avoir  exprimé,  en 
même  temps  que  le  grand  poète  Gœthe,  la  pensée 
probablement  vraie,  que  le  crâne  dos  animaux  su- 
périeurs n'est  autre  chose  qu'une  association  de 
vertèbres  modifiées.  Cette  idée  qu'un  même  organe 
peut  se  répéter  chez  un  être  vivant  tout  eri  pre- 
nant des  formes  variées,  conduisit  Goethe  à  démon- 
trer quelques  années  après  que,  chez  les  végétaux, 
les  divers  appendices  et  notamment  les  parties  va- 
riées de  la  fleur,  pétales,  étamines,  etc  .  ne  sont 
autre  chose  que  des  feuilles  modifiées.  Comparer  ■ 
ensemble  les  diverses  parties  d'un  même  orga-  I 
nisme,  comme  le  faisaient  Gœthe  et  Oken;  com- 
parer dans  des  animaux  différents  les  organes  qui 
se  correspondent,  comme  le  faisait  Geoffroy  Saint- 
Hilaire;  rechercher  dans  des  animaux  de  même 
type  les  modifications    de    formes  qu'entraînent 


NATUUAL1ST15S 


131)'J 


NATURALISTES 


dans  les  divers  organes  les  modifications  d'un 
orgnno  donné,  comme  lo  faisait  (Uivier  :  ce  sont  li 
trois  des  points  de  vue  essentiels  de  Yannlomie 
compiiri'e;  une  part  dans  la  fondation  de  cette 
science  revient  donc  h  chacun  des  grands  hommes 
que  nous  venons  de  nommer.  Une  place  doit  ôtrc 
réservée  auprès  deux  à  Vicq  d'Azir  (17)8-1794),  et 
à  IWockel  (17SI-1S33).  Pendant  que  l'anatomie  com- 
parée se  constiiuait  ainsi,  un  autre  naturaliste  cmi- 
nent,  Von  BaCr,  fondait  l'embryogénie  comparée 
ou  science  du  développement  des  animaux  et,  par 
une  méthode  Ji  lui,  arrivait,  relativement  au  nom- 
bre de  types  du  rf'gne  animal,  h  des  résultats  dont 
la  concordance  avec  ceux  de  Cuvier  a  été  fort  re- 
marquée. M.  Milne  Edwards  a  depuis  nettement 
précisé  IIS44)  tonte  limporlance  de  lombryogé- 
nie  pour  l'appréciation  dos  rapports  des  êtres;  il 
n'y  a  aujourd'hui  encore  que  bien  peu  de  chose 
à  ajouter  à  ce  qu'il  disait  il  y  a  trente-six  ans. 
Aux  côtés  de  ces  hommes  illustres,  une  part  plus 
modeste,  mais  grande  encore,  revient  à  deux  zoo- 
logistes, Savigny  et  Latreille.  Le  premier  a  laissé 
d'immortels  Mémoires  sur  les  ntiimauv  sans  verlé- 
bres;  le  second  eut  lo  mérite  de  concevoir  avant 
Cuvier  une  méthode  de  classification  naturelle  des 
insectes  :  c'est  lui  qui  a  donné  h.  l'entomologie 
cette  précision  qui  en  fait  l'une  des  branches  de 
la  zoologie  la  plus  propre  à  former  déjeunes  natu- 
ralistes. De  Blainville  (i777-l.s50), Isidore  Geoffroy 
Saint-Hilaire  (1805-1361), .4udouin  (1797-1841)  sou- 
tiennent la  gloire  scientifique  de  leurs  prédéces- 
seurs. Le  premier  s'efforce  même  de  créer  une 
école  indépendante;  il  croit  à  une  sn-ie  nnimalt 
qui  ne  comprend  pas  tous  ces  organismes,  mais 
'un  certain  nombre  d'entie  eux,  autour  desquels 
viennent  se  ranger  des  lypes  dégradés  qui  rom- 
praient la  série  générale  si  on  essayait  de  les  y  in- 
tercaler, mais  qui  forment  eux-mêmes  série  quand 
on  les  range  autour  du  type  fondamental  auquel 
ils  se  ratiai'hcnt.  De  Blainville  rejette  la  classifi- 
cation de  Cuvier  et  lui  en  substitue  une  autre, 
fondée  sur  le  mode  de  symétrie  des  animaux. 

Les  découvertes  paléontologiques  de  Cuvier 
devaient  amener  dans  la  géologie  une  révolution 
profonde.  VVerner  (175i'-1817),  le  grand  minéralo- 
giste de  Freiberg,  partisan  résolu  de  l'explication 
de  tous  les  phénomènes  géologiques  par  l'action 
des  eaux,  classait  les  diverses  couches  de  l'écorce 
terrestre  d'après  leurs  caractères  minoralogiques; 
Alexandre  Brongniart  (1770-184")  eut  le  premier 
l'idée  de  faire  appel  aux  fossiles  pour  déterminer 
l'âge  relatif  des  couches  et  distinguer,  en  dehors 
de  tout  caractère  niinéralogii|UO,  les  couches  con- 
temporaines de  celles  qui  ne  le  sont  pas.  Cette 
méthode  de  classification  des-terrains  devait  deve- 
nir plus  tard,  grâce  aux  patientes  recherches  du 
savant  concliyliologiste  Deshayes(n!)5-1K75)  et  aux 
généralisations  de  sir  Charles  Lyell,  la  méthode 
exclusive  des  géologues.  Enfin,  comme  si  toutes 
les  branches  de  l'histoire  naturelle  devaient  à 
cette  époque  recevoir  une  impulsion  nouvelle  du 
grand  établissement  que  la  Convention  avait  en 
France  consacré  à  leur  culte,  Haiiy  (I743-:8Î'2) 
achevait  d  un  coup  la  crist(dlo<irapi:ie  dont  Berg- 
mann  et  Rome  de  Lille  avaient  à  peine  avant  lui 
Jeté  les  bases. 

A  l'école  de  médecine  de  Paris,  Bichat  (1771- 
180.3)  faisait  de  son  coté  entrer  l'anatomie  dans 
des  voies  nouvelles.  11  professait  que  les  divers 
organes  et  appareils  étaient  constitués  de  parties 
essentiellement  les  mêmes  dans  tout  l'organisme, 
les  éléments  aiiatomiques.  groupés  eux-mêmes  en 
tissus  et  en  systèmes  d'organes  semblables;  il  de- 
vint ainsi  le  fondateur  d'une  science  nouvelle, 
l'histologie  ou  science  des  tissus;  mais  il  ne  put 
connaître,  faute  de  procédés  de  recherche  suffi- 
sants, les  véritables  éléments  anatomiques.  11  mou- 
rut à  l'âge  de  trente  et  un  ans,  avant  d'avoir  vu  réa- 


liser les  découvertes  qui  devaient  donner  un  élan 
si  remarquable  à  la  science  qu'il  venait  de  fon- 
der. 

Vers  1S15  seulement,  l'invention  du  microscope 
achromatique  et  les.  perfectionnements  rapides 
do  cet  instrument  par  Amici,  Chevallier,  etc., 
mettent  dans  les  mains  des  naturalistes  un  pro- 
cédé d'investigation  d'une  grande  puissance.  On 
pénètre  plus  avant  dans  la  structure  des  animaux 
et  des  végétaux,  et  l'on  suit  avec  plus  d'attention 
les  phénomènes  intérieurs  qui  s'accomplissent  en 
eux.  Turpin(  1775-1 84"),  de  Mirbel(177G-lS54)  signa- 
lent dans  les  végétaux,  comme  constituant  essen- 
tiellement la  base  de  leurs  tissus,  de  petits  utricu- 
les  sur  lesquels  Raspail  attire  de  nouveau  l'atten- 
tion, et  que  Schwann  finit  par  considérer  comme 
les  éléments  nécessaires  de  tout  organisme, 
comme  produisant  par  leurs  associations  et  leurs 
transformations  diverses  tous  les  tissus;  ce  sont 
les  cellules,  dont  la  considération  produit  dans  les 
sciences  de  la  vie  une  révolution  aussi  complète 
que  celle  produite  en  chimie  par  la  découverte  et 
la  détermination  précise  des  corps  simples.  C'est 
grâce  au  microscope  qu'Adolphe  liroiigniart  (1801- 
1S76)  peut  entreprendre  ses  recherches  sur  la 
fécondation  des  plantes,  et  fonder  la  paléontologie 
végétale  par  ses  éludes  sur  les  végélaux  fossiles. 
En  Allemagne  le  microscope  permet  encore  h. 
Ehrenberg  (1795-1876)  de  saper  les  fondements 
mêmes  de  la  u  philosophie  de  la  nature  »,  en  détrui- 
sant la  croyance  Ji  la  génération  spontanée  des 
animaux  et  des  végélaux  les  plus  simples,  dont  il 
fait  connaître  les  nombreux  modes  de  reproduc- 
tion. On  doit  à  Ehrenberg  d'avoir  décrit  et  figuré 
une  multitude  infinie  d'êtres  microscopiques  dont 
l'existence  était  à  peine  soupçonnée,  et  d'avoir 
montré  la  part  immense  que  ces  petits  êtres  ont 
prise  à  l.i  formation  des  couches  géologiques  les 
plus  puissantes.  Mais,  enthousiasmé  par  ses  dé- 
couvertes sur  quelques-uns  d'entre  eux,  les  Uoii- 
fères,  séduit  par  certaines  idées  théoriques, 
Ehrenberg  se  laissa  entraîner  â  attribuer  aux  infu- 
soiros  une  organisation  beaucoup  trop  compliquée. 
11  fut  vivement  attaqué  sur  certains  points,  et  l'un 
de  ses  contradicteurs  les  plus  ardents  fut  notre 
compatriote  Dujardin,  professeur  à  la  Faculté  des 
sciences  de  Rennes,  à  qui  l'on  doit  la  découverte  de 
ce  fait  important  qu'il  existe  une  substance  douée 
de  vie,  sans  être  organisée,  qui  forme  le  corps 
des  infusoires,  et  à  laquelle  il  a  donné  le  nom  de 
sarcode.  Cette  substance,  retrouvée  depuis  dans 
tous  les  éléments  constitutifs  des  êtres  vivants, 
n'est  autre  chose  que  le  protoplasma,  dont  Hugo 
von  Mohl  et  IVlax  Schultz  ont  montré  l'importance 
hors  ligne,  et  qui  doit  être  considéré  comme  la 
substance  vivante  fondamentale,  la  base  physique 
de  la  vie.  Comparable  à  certains  égards  â  un  com- 
posé chimique,  mais  possédant  toutes  les  facultés 
qui  sont  l'essence  de  la  vie,  le  protoplasma  n'e- 
xiste jamais  qu'à  l'état  de  petites  masses  indépen- 
dantes qui  revêtent  ordinairement  la  forme  de  CH- 
tule-^:  Ce  sont  là  les  véritables  éléments  anatomi- 
ques, ceux  que  Claude  Bernard  a  appelés  les  ou- 
vriers de  la  vie,  ceux  dont  les  propriétés  contien- 
nent l'explication  do  la  structure  comme  aussi  des 
fonctions  diverses  des  organismes.  L'idontité  de 
ces  éléments  dans  les  deux  règnes  a  ramené  ce 
grand  physiologiste  à  concevoir,  à  l'exemple  de 
Lamarck,  une  science  générale  de  la  vie,  la  biolo- 
gie, ayant  pour  objet  de  réduire  à  un  cnseml)le  de 
lois  communes  les  phénoiuènes,  jujque-là  considé- 
rés comme  antagonistes,  do  la  vie  végétale  et  de 
la  vie  animale.  Ce  fut  la  préoccupation  constante 
des  dernières  années  de  l'homme  de  gériie  qui 
fixa  à  la  physiol'ii/ie  ejcpéritnentale  une  voie  défi- 
nitive, jalonnée  déjà  par  les  travaux  de  Spallan- 
zani,  de  Réaumur,  de  H,iUer  (17r8-m7),  à  la  fois 
poète,   médecin,  botaniste    et    physiologiste,   de 


NATURALISTES 


—   l'iOO  — 


NATURALISTES 


Charles  Bell  {n7i-1842),  de  Jlagendie  (1783-1S55), 
(le  riomens. 

Longtemps  on  s'était,  à  quelques  exceptions  près, 
borné  à  étudier  les  êtres  vivants  à  leur  état 
adulte,  à  classer  et  à  décrire  les  formes  que  l'on 
découvrait  sans  trop  se  préoccuper  de  suivre  un 
même  organisme  dans  les  diverses  phases  de  son 
existence.  Les  insectes,  avec  leurs  métamorpho- 
ses, paraissaient  une  exception  unique  parmi  les 
êtres  vivants.  Les  grands  voyages,  tels  que  ceux 
de  Pérou  et  Lesueur,  de  Lesson,  de  Quoy  et  Gai- 
mard,  etc.,  font  connaître  un  grand  nombre  de 
formes  nouvelles  de  zoophytes  et  d'autres  ani- 
maux marins,  et  ramènent  l'attention  sur  ces  sin- 
guliers organismes.  Lesueur,  décrivant  certains  aca- 
lèphes  (1815),  est  amené  à  les  considérer  comme 
des  colonies  flottantes  d'animaux  qui,  bien  que 
nés  les  uns  des  autres,  et  demeurant  tonte  leur 
vie  associés,  revêtent  cependant  dans  la  même 
colonie  les  formes  les  plus  différentes.  Dans  l'un 
de  ses  voyages,  Adalbert  de  Chamisso,  à  la  fois 
poète,  romancier  et  naturaliste,  fait  connaître 
(1819)  des  animaux,  les  Salpes,  qui  revêtent  alter- 
nativement deux  formes  différentes  h  chaque  gé- 
nération, de  sorte  que  les  enfants  ne  ressemblent 
jamais  à  leurs  parents,  mais  bien  i  leurs  grands 
parents.  Un  pasteur  norwégicn,  Sars,  de  Bergen, 
découvre  (1835)  des  faits  entièrement  analogues 
sur  les  D'édiises;  le  grand  physiologiste  Johannes 
Millier  (1801-1  s58)  fait  connaître  le  mode  de  dé- 
veloppement plus  étrange  encore  des  étoiles  de 
mer  et  des  oursins;  une  série  de  découvertes 
successives  de  Boianus,  von  Baër,  Mehlis,  Nord- 
man,  Creplin,  Dujardin,  Zeder,  von  Siebold,  de 
Filippi  font  entrevoir  des  phénomènes  analogues 
dans  le  mode  de  propagation  encore  mystérieux 
•les  helminthes  ou  vers  parasites  de  l'intestin  et 
de  divers  autres  organes  de  l'homme  et  des  ani- 
maux ;  enfin,  un  éminent  naturaliste  danois,  Ja- 
petus  Steenstrup,  réunit  tous  les  faits  observés  jus- 
qu'à lui  sur  les  zoophytes  et  les  vers,  et  développe 
en  1842  sa  grande  théorie  des  g'néralioju  alter- 
7tantes.  qui  a  reçu  de  P  -J.  van  Beneden  et  de 
M.  de  Quatrefages  d'importants  développements. 
Les  travaux  de  von  Baër,  de  Prévost  et  Dumas, 
de  Wagner,  de  Purkinge,  de  Lallemand,  de  l'ou- 
chet,  de  Cosle,  avaient  établi  sur  des  bases  iné- 
branlables la  généralité  de  la  reproduction  par 
voie  sexuée  ;  la  théorie  des  générations  alteinan- 
tes  donnait  à  la  reproduction  par  voie  de  simple 
bourgeonnement  ou  de  division  transversale  du 
corps  une  importance  qui  s'accroît  chaque  jour 
et  qui  paraît  destinée  à  devenir  de  premier  ordre. 
Les  faits  de  génération  alternante  ne  sont  pas 
limités  d'ailleurs  aux  animaux:  on  les  retrouve  chez 
un  très  grand  nombre  de  cryptogames,  et  la  con- 
naissance du  mode  de  propagation  de  ces  plantes, 
celle  de  leurs  singuliers  éléments  reproduct'-urs, 
doués  de  mouvement  comme  de  petits  infusoires, 
constitue  encore  un  progrès  important  du  prin- 
cipalement aux  travaux  tl'Agardh,  de  Loger,  de 
Berkeley,  de  MohI,  de  Thuret,  de  Derhès  et 
Solier,  de  Pringsheim,  de  de  Eary,  etc.  Des  liens 
nouveaux  se  trouvent  ainsi  établis  entre  les  ani- 
mauxet  les  végétaux. 

La  géologie  fait  à  son  tour  de  rapides  progrès, 
î^es  anciens  géologues  se  partageaient  en  pluto- 
niens  et  en  neptuniens,  les  uns  attribuant  à  l'ac- 
tion exclusive  du  feu,  les  autres  à  l'action  non 
moins  exclusive  de  l'eau  la  conformation  actuelle 
de  la  surface  du  globe.  En  1811,  Lreislak  à  Rome, 
dans  son  ouvrage  sur  la  structure  extérieure  du 
globe,  fait  la  part  de  ces  deux  éléments:  le  globe, 
d'abord  à  l'éiat  de  fusion,  s'est  refroidi,  sa  surface 
s  est  solidifiée  ;  les  eaux  s'y  sont  condensées  et 
n'ont  cessé  depuis  lors  de  contribuer  ;\  la  modifier. 
Mais  le  feu  central  n'a  pas  cesse  pour  cela  d'in- 
tervenir. On  distingue  nettement  les  roches  ignées 


'  des  roches  sédinuntnires,  dont  quelques-unes  ont 
subi  au  contact  de  ces  dernières,  portées  à  une  haute 
température.des  modifications  importantes;  Hutter 
appelle  l'attention  sur  ces  modifications,  et  désigne 
les  roches  qui  les  présentent  sous  le  nom  de  roches 
'  métamori'hiqu's.  Alexandre  de  Humboldt  il'69- 
1859),  esprit  encyclopédique,  recueille  dans  ses 
I  voyages  une  foule  de  documents  relatifs  à  la  cons- 
i  titution  physique  du  globe  et  les  expose  d'une 
I  façon  magistrale  dans  son  grand  ouvrage,  le  Cos- 
\  mus.  Léopold  de  Buch  et  Elle  de  Beaumont  éta- 
!  blissent  d'une  façon  définitive  1k  théorie  du  sou- 
lèvement des  montagnes.  Elle  de  Beaumont  (1798- 
1874)  tente  même  d'exprimer  la  disposition  géné- 
rale des  principaux  systèmes  de  montagnes  au 
moyen  de  lois  géométriques.  C'est  à.  cet  illustre 
géologue  et  à  son  collaborateur  Dufrénoy  que 
l'on  doit  la  carte  géologique  de  France.  Mais  le 
feu  et  l'eau  à  l'état  liquide  ne  sont  pas  les  seules 
causes  qui  ont  contribué  à  modifier  le  relief  du 
globe.  On  s'aperçoit  qu'il  faut  aussi  faire  inter- 
venir dans  une  large  mesure  l'action  des  glaciis. 
Les  observations  de  Venetz,  de  Charpentier  ont 
montré  que  les  glaciers  de  la  Suisse  ont  eu  autre- 
fois une  plus  grande  étendue.  Louis  Agassiz  reprend 
ces  observations  et  arrive  à  conclure  que  les  gla- 
ces ont  couvert,  pendant  une  période  relative- 
ment récente,  une  grande  partie  de  l'hémisphère 
boréal  et  ont  laissé  en  maints  endroits  des  traces 
de  leur  passage.  On  a  cru  longtemps  que  la  fin 
de  cette  période  glaciaire  marquait  la  date  de 
l'apparition  de  l'homme  sur  la  terre,  mais  des 
découvertes  récentes  tendent  à  reculer  beaucoup 
plus  l'époque  de  cette  apparition.  Non  moins  pa- 
léontologiste que  zoologiste  et  géologue.  Louis 
Agassiz  tente  de  préciser  les  caractères  des  in- 
nombrables fossiles  découverts  depuis  Cuvier 
et  de  déterminer  leurs  rapports  avec  les  êtres 
qui  vivaient  de  nos  jours.  Les  uns  lui  semblent 
conserver  toute  leur  vie  les  traits  des  embryons 
des  animaux  actuels  :  ils  constituent  des  tfijies 
embryonnaires  ;  d'autres  paraissent  présager  par 
certains  de  leurs  caractères  l'apparition  prochaine 
de  types  nouveaux  :  ce  sont  les  tijpes  prophé- 
tiques ;  d'autres  enfin  réunissent  en  eux  des  ca- 
ractères que  l'on  ne  trouve  plus  aujoiird'hui 
qu'isolés  sur  des  êtres  assez  éloignés  les  uns  dos 
autres  :  ce  sont  les  types  ■•ynthétigufs.  Tous  ces 
fossiles  étendent  singulièrement  l'idée  que  les 
êtres  vivants  nos  contemporains  peuvent  nous 
donner  de  la  nature  et  de  la  variété  des  formes 
organiques.  Louis  Agassiz  croit,  comme  Cuvier,  à 
la  fixité  de  ces  formes  ;  mais  les  paléontologistes 
sont  pressés  sans  relâche  par  les  conséquences 
inévitables  de  leurs  découvertes;  il  est  hors  de 
doute  que  les  espèces  animales  et  végétales 
ont  été  plusieurs  fois  totalement  renouvelées  à  la 
surface  du  globe.  Ce  renouvellement  a  eu  lieu 
sans  cataclysme  ;  \es  espèces  ont  disparu  une  à 
une,  ont  été  remplacées  une  à  une  de  telle  façon 
que  leur  ensemble  a  subi  une  transformation 
lente  et  graduelle.  Comment  se  sont  produites  les 
espèces  nouvelles?  Ont-elles  été  tirées  du  néant; 
leurs  premiers  représentants  ont-ils  été  faits  d'un 
coup  à  l'aide  de  la  matière  inerte;  ou  bien  chaque 
forme  spécifique  nouvelle  n'est-elle  que  le  ré- 
sultat de  la  transformation  d'une  forme  analogue 
qui  l'a  précodée?  Il  faut  décider  entre  ces  trois 
alternatives  ;  les  probabilités  en  faveur  de  la  der- 
nière augmentent  chaque  jour. 

En  1H59,  un  naturaliste  qui  s'était  déjà  illustré 
par  un  voyage  autour  du  mondej,  où  il  avait  recueilli 
d'innombrables  observations  et  qui  lui  avait  permis 
de  donner  l'explication,  bien  des  fois  tentée  avant 
lui,  de  la  formation  des  îles  de  coraux  cjui  abon- 
dent dans  le  Pacifique,  Charles  Darwin,  publie 
son  livre  sur  VCrigine  d<s  espècis,  en  même 
temps  qu'un  de  ses  compatriotes,    A.-R.    Wal- 


NAVIGATION 


—  1401  — 


NAVIGATION 


laco,  exprime  des  vues  analogues  dans  uu  ou- 
vrage sur  la  Sélection  naturelle.  Les  idées  de 
Lamarck  reviennent  au  jour  ;  mais  Darwin  et 
Wallace  montrent  par  quel  mécanisme  la  varinbi- 
lilé  des  formes,  et  la  transmission  par  /icrMiié 
des  caractires  acquis,  peuvent  produire  dfs  es- 
pèces nouvelles  et  non  de  simples  variétés  sans 
aucune  stabilité.  Les  variations  qui  constituent 
un  avantage  pour  les  êtres  qui  les  présentent  sont 
seules  conservées  :  elles  sont  l'objet  d'un  choix, 
d'une  détection  nnturelli',  conséquence  de  la  lutte 
pour  la  vie  dont  les  animaux  et  les  végétaux  nous 
offrent  l'émouvant  spectacle.  Les  impossibilités 
apparentes  qui  n'avaient  pas  permis  aux  théories 
de  Lamarck  et  de  Geoffroy  Saint-Hilaire  de  ré- 
sister h  l'opposition  de  Cuvier  s'évanouissent. 
Quoiqu'il  reste  encore  bien  des  points  obscurs 
dans  la  théorie  de  la  transformation  des  formes 
spécifiques,  un  grand  nombre  de  naturalistes  se 
rallient  à  une  doctrine  qui  leur  donne  l'espé- 
rance de  soulever  un  jour  le  voile  qui  couvre  l'ori- 
gine des  êtres  vivants  :  de  là  un  mouvement 
scientifique  dont  il  est  impossible  aujourd'hui  de 
nier  la  grandeur  Les  rapports  des  Êtres,  les  clas- 
sifications, l'anatomie  comparée,  l'embryogénie,  la 
répartition  géographique  des  formes  vivantes  ap- 
paraissent sous  un  jour  nouveau.  A  l'ancienne  con- 
ception de  la  nature  vient  s'opposer  une  concep- 
tion toute  difl'érente.  Nous  avons  essayé  de  montrer 
dans  cet  article  les  pierres  successives  que  les 
siècles  ont  portées  i  l'édifice  que  nous  voyons 
subir  de  nos  jours  une  métamorphose  nouvelle. 
[Kdmond  Perrier.] 

NAVIGATION.  —  Temps  anciens.  —  La  navi- 
gation remonte  :\  la  plus  haute  antiquité,  et  l'on 
s'égare  dans  les  récits  fabuleux  lorsqu'on  tente 
d'en  pénétrer  l'origine.  Les  notions  que  l'on  pos- 
sède sur  l'art  nautique  des  anciens  peuples  se 
bornent  à  quelques  images  grossières  peu  propres 
à  fixer  les  idées.  Ce  n'est  d'ailleurs  que  lorsque 
la  navigation  a  acquis  un  certain  développement 
et  qu'elle  est  devenue  l'un  des  principaux  agents 
de  la  civilisation,  que  son  histoire  est  intéressante 
à  étudier. 

La  pirogue  des  anciennes  populations  lacustres 
ou  des  Océaniens,  creusée  dans  un  simple  tronc 
d'arbre,  et  le  radeau,  composé  de  roseaux  assem- 
blés, de  tronçons  d'arbres  réunis,  sont  probable- 
ment les  premiers  flotteurs  employés  par  les 
hommes  pour  se  mouvoir  sur  l'eau;  la  perche, 
appuyée  au  fond,  dut  être  le  premier  engin  de 
propulsion. 

L'invention  des  rames  et  du  gouvernail  remonte 
aussi  aux  temps  les  plus  recules;  ces  créations 
d'ailleurs,  comme  celle  du  navire,  ont  dû  être 
communes  à  tous  les  peuples  établis  sur  les  ri- 
vages de  la  mer. 

Après  être  resté  longtemps  informe,  l'art  nau- 
tique reçut  sa  première  impulsion  des  Phéniciens; 
c'est  ce  peuple  qui  semble  tout  d'abord  avoir 
compris  que  la  mer,  loin  d'être  un  invincible 
obstacle  aux  transactions  des  hommes,  était  au 
contraire  appelée  à  les  rendre  plus  faciles.  C'est 
aux  Phéniciens  que  nous  devons  les  premiers  per- 
fectionnements des  navires  de  mer,  1  emploi  des 
voiles,  l'usage  de  l'ancre,  d'abord  simple  pierre 
lourde,  puis  crochet  en  fer,  celui  du  lest  pour  as- 
surer la  stabilité  des  embarcations,  de  la  sonde 
pour  mesurer  la  profondeur  des  chenaux,  de  la 
rose  des  vents,  etc. 

Les  Phéniciens  furent  longtemps  les  maîtres  de 
l'empire  des  mers;  Sidon  et  Tyr,  aujourd'hui  dé- 
laissées, montrent  encore  les  vestiges  de  leurs  an- 
ciens ports.  Ils  conquirent  les  lies  voisines  de  leur 
pays,  Chypre,  Rhodes,  la  Crète,  les  Cyclades.  Parla 
mer  Rouge,  ils  entrèrent  dans  les  golfes  Arabique  et 
Persique,  et  avancèrent  jusqu'aux  Indes,  où  ils  se 
rendirent  maîtres  de  Taprobane  (Ceylan).  Duns  la 


Méditerranée,  ils  naviguèrent  lo  long  du  littoral 
africain,  où  ils  fondèrent  Carthage,  et  créèrent 
des  établissements  sur  les  côtes  de  la  Gaule  et  de 
l'Espagne  jusqu'au  détroit  de  Gadès.  C'est  h  l'Her- 
cule des  Phéniciens  qu'est  attribuée  la  célèbre  lé- 
gende des  colonnes  d'Hercule. 

Des  Phéniciens  la  suprématie  sur  mer  passa 
aux  mains  des  Carlhaginois,  dont  la  domination 
s'étendit  sur  toutes  les  lies  connues  de  la  Médi- 
terranée, et  qui  possédèrent  pendant  plusieurs 
siècles  l'empire  absolu  de  la  mer.  Dans  ses  luttes 
avec  Syracuse,  qui  durèrent  près  de  deux  cents  ans, 
Carthage  équipa  des  flottes  considérables,  se  chif- 
frant par  plusieurs  milliers  do  navires,  et  livra  de 
nombreuses  batailles  navales.  Elle  ne  réussit  ce- 
pendant pas  à  subjuguer  sa  rivale,  qui  parvint 
même  à  la  menacer  sur  le  sol  africain. 

Syracuse  ne  fut  pas  du  reste  sa  plus  redoutable 
ennemie;  elle  eut  à  soutenir  contre  Rome  une 
lutte  terrible,  pendant  laquelle  elle  disputa  long- 
temps à  cette  dernière  l'empire  du  monde  et  où 
elle  finit  par  succomber.  C'est  au  début  des  guerres 
puniques  que  les  Romains,  jusqu'alors  sans  ma- 
rine, équipèrent  leur  première  flotte,  que  Duilius 
conduisit  cependant  à  la  victoire,  malgré  l'infé- 
riorité des  bâtiments  qui  la  composaient.  Dans 
cette  première  bataille  navale,  lo  général  romain 
craignant,  avec  ses  lourds  vaisseaux  construits  à  la 
hâte  et  ses  équipages  peu  exercés,  de  ne  pouvoir 
lutter  avantageusement  contre  les  navires  légers 
et  maniables  des  Carthaginois,  inventa  les  cor- 
bemix,  sorte  de  mains  de  fer  destinées  à  accro- 
cher les  bâtiments  ennemis  et  à  faciliter  l'abor- 
dage ;  ces  terribles  engins,  en  portant  l'épouvante 
parmi  les  Carthaginois,  contribuèrent  à  leur  dé- 
faite. 

La  troisième  guerre  punique  amena,  à  la  suite 
d'un  siège  mémorable,  la  chute  de  la  puissante 
ville  africaine. 

Carthage  avait  dû  son  origine  au  trafic  des 
Tyriens  ;  l'activité  de  sa  navigation  avait  contri- 
bué au  rapide  développement  de  sa  grandeur; 
sa  situatioii  était  d'ailleurs  plus  avantageuse 
que  celle  de  Tyr.  Les  transactions  des  Cartha- 
ginois s'étendirent  au  delà  des  colonnes  d'Her- 
cule, .sur  la  côte  occidentale  d'Afrique,  visitée  par 
Hannon,  auquel  on  attribue  un  périple  resté  cé- 
lèbre, et  sur  la  côte  d'Europe,  explorée  par  Hi- 
niilcon.  Les  historiens  rapportent  même  qu'une 
grande  île  de  l'Océan  fut  découverte  et  habitée 
par  les  Carthaginois. 

Les  Grecs  furent  également  d'habiles  naviga- 
teurs; mais  il  est  difficile  de  préciser  l'origine  de 
leur  marine,  les  faits  de  leur  histoire  étant  déna- 
turés par  les  légendes  et  les  fictions  de  l'époque 
fabuleuse.  Bien  que  Thucydide  attribue  aux  Corin- 
thiens la  première  construction  des  galères  à  trois 
rangs  de  rames, il  est  présumable  que  ceux-ci  tinrent 
des  Phéniciens  leurs  connaissances  sur  la  naviga- 
tion et  la  construction  des  vaisseaux.  Quoi  qu'il 
on  soit,  les  colonies  grecques  contribuèrent  puis- 
samment au  progrès  de  la  civilisation.  Phocée  et 
Milet,  en  Asie  Mineure,  marchèrent  en  tête  de 
toutes  les  autres  :  les  Phocéens  fondèrent  Mar- 
seille, dont  les  vaisseaux,  sous  la  conduite  du 
Massilien  Pythéas,  remontèrent  les  côies  de 
l'Europe  occidentale  et  colonisèrent  la  Gaule  et 
l'Espagne  ;  Milet  fonda  de  nombreuses  villes  dans 
la  mer  Noire. 

L'asservissement  de  l'Asie  Mineure  par  les  Perses 
arrêta  le  développement  colonial  des  Grecs  et  pro- 
voqua les  guerres  médiques,  qui  placèrent  Athè- 
nes au  premier  rang  des  villes  maritimes.  La 
bataille  de  Salamine,  la  plus  belle  bataille  navale 
des  temps  anciOTis,  fut  gagnée  par  Thé.mistocle 
qui,  avec  'lOO  voiles,  défit  la  flotte  des  Perses  forte 
de  1300  bâtiments. 

La  guerre  du  Péloponèse  entraîna   ensuite  la 


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—  1402  — 


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mine  d'Ailièncs,  en  consolidant  la  puissance  de 
Sparte.  Après  Sparte,  1  hèbes  occupe  quelque  ^ 
temps  le  premier  rang.  On  arrive  ensuite  à  la  dé- 
cadence de  l'empire  des  Grecs  et  au  berceau  de 
la  puissance  macédonienne,  puissance  qui  se  de-  ^ 
veloppe  rapidement,  mais  en  restant  plus  conti- 
nentale que  maritime,  car  les  exploits  sur  mer  de  • 
Philippe  et  d'Alexandre  se  bornent  en  somme  au 
siège  de  Byzance  et  à  la  prise  de  Tyr.  ! 

Alexandre  avait  cependant  conçu  de  vastes  pro-  i 
jets  maritimes;  il  avait  fondé,  entre  Tyr  et  (Car- 
tilage dont  il  voulait  anéantir  la  piiissajice  commer- 
ciale, la  ville  d'Alexandrie,  que  sa  situation  même 
destinait  à  être  l'entrepôt  du  commerce  de  l'E- 
gypte et  de  la  mer  Rouge.  Il  se  proposait  encore 
d'envoyer  des  colonies  sur  les  côtes  du  golfe 
Persiquo  et  do  porter  ses  armes  dans  l'Arabie; 
ses  idées  de  conquête  s'étendaient  aussi  sur  l'A- 
frique et  il  méditait  la  destruction  de  la  puissance 
des  Cartliaginois,  alors  à  son  apogée.  Ce  fut  dans 
ces  vues  et  pour  d'autres  desseins  maritimes 
encore  plus  hardis  qu'il  avait  réuni  une  grande 
quantité  de  navires,  qu'il  avait  équipé  de  nou- 
velles flottes  et  fait  construire,  aux  bouches  de 
l'Euplirate,  un  immense  port  pouvant  contenir 
plus  de  mille  vaisseaux. 

Les  successeurs  du  grand  conquérant  stiivirent 
les  traces  qu'il  avait  marquées  dans  la  voie  mari- 
time. Les  Ptolémées,  à  qui  échut  l'Egypte,  ouvri- 
rent une  route  d'Alexandiie  aux  Indes  :  l'un  d'eux, 
Philadelphe,  se  rendit  puissant  par  l'étendue  de 
ses  flottes  et  exerça  son  empire  sur  la  Syrie,  la 
Cilicie,  la  Lydie,  les  Cyclades,  où  il  fit  aTfluer  par 
le  trafic  des  mers  les  richesses  de  1  Orient.  Séleu- 
cus,  qui  hérita  de  la  Babylonie,  s'appliqua  aussi 
au  progrès  de  la  marine;  dans  les  guerres  qu'il 
eut  avec  Antigène,  l'un  et  l'autre  couvrirent  de 
leurs  flottes  la  mer  Méditerranée.  Le  fils  de  ce 
dernier,  Dcmétrius  Poliorcète,  pour  se  rendre 
maître  de  l'Asie,  équipa  une  flotte  de  5i  0  voiles, 
où  l'on  voyait,  dit  Plutarque,  des  vaisseaux  de 
quinze  rangs  de  rames,  qui,  malgré  leurs  dimen- 
sions extraordinaires,  possédaient  toutes  les  qua- 
lités nécessaires  pour  la  marche  et  révolution. 

Les  Homains,  avant  la  première  guerre  punique, 
n'avaie:it  aucune  idée  des  choses  de  la  mer,  du 
moins  pour  la  réunion  des  flottes  et  leur  emploi  à 
la  guerre.  A  la  suite  de  la  victoire  de  Duilius,  les 
progrès  de  leur  marine  furent  rapides  et,  après 
avoir  longtemps  disputé  à  Carthage  l'empire  de  la 
mer,  ils  finirent  par  anéantir  cette  puissance  Ce- 
pendant les  circonstances  seules  les  conduisirent 
par  la  suite  à  équiper  des  flottes.  Au  début  de  la 
guerre  contre  Miihridate,  roi  de  Pont,  Sylla  recon- 
nut la  nécessité  d'avoir  une  flotte  pour  agir  contre 
un  ennemi  dont  la  puissance  consistait  principale- 
ment en  forces  maritimes,  et  chargea  Luculhis 
d'en  assembler  une.  Plus  tard,  lorsque  Jules  Cé- 
sar, après  avoir  soumis  les  Gaules,  songea  i  la 
conquête  de  l'Angleterre,  il  dut  faire  venir  des 
vaisseaux  et  des  matelots  de  toutes  les  provinces 
conquises. 

Après  avoir  vaincu  Pompée  et  être  parvenu  à 
la  suprême  puissance.  César  donna  ses  soins  à  la 
navigation,  fit  construire  des  ports,  des  jetées, 
des  phares  sur  le  littoral,  et  rendit  l'embouchure 
du  Tibre  et  le  port  d'Ostie  accessibles  aux  plus 
forts  navires.  La  bataille  d'Actium  vit  aux  prises 
les  deux  plus  formidables  flottes  qu'eussent  en- 
core équipées  deux  puissances  ennemies,  iprès 
l'établissement  de  l'empire,  lorsque  la  Méditer- 
ranée connut  la  sécurité  de  la  «  paix  romaine,  » 
la  marine  marcliande  prit  un  développement  con- 
sidérable, tandis  qu'au  point  de  vue  militaire, 
l'art  naval  n'ofl're  plus  guère  de  faits  intéressants, 
ni  de  progrès  marqués. 

Pour  terminer  ce  rapide  aperçu  de  l'histoire  de 
la  marine  des  anciens  peuples,  disons  quelques 


mots  des  navires  dont  ils  se  sfrvaient.  Les  vais- 
seaux en  usage  étaient  de  deux  sortes  :  les  uns, 
diis  vaisseaux  ronds,  étaient  destinés  au  commerce 
et  au  transport;  les  autres,  appelés  vaisseaux 
longs,  mus  par  les  rames  et  les  voiles,  étaient 
généralement  connus  sous  le  nom  de  galères.  Les 
Giecs  divisaient  ces  dernières  en  nt'ûières,  diètes, 
trières,  etc..  selon  qu'elles  étaient  maiiœuvrées 
par  une,  deux  ou  trois  rangées  de  rames.  Les 
Komains  employaient  les  termes  correspondants 
de  vnirrme'i,  hirènies,  trirèmes,  etc. 

Jusqu'à  trois  rangs  de  rames,  on  conçoit  la  pos- 
sibilité de  superposer  les  bancs  de  vogue  ;  mais 
lorsqu'il  s'agit  d'expliquer  les  dispositions  adop- 
tées pour  les  rameurs  dans  les  quatrirèmes,  quin- 
quérèmes,  etc.,  et  surtout  dans  les  galères  h  seize 
ou  i.  quarante  rangs  de  rames,  on  se  trouve  arrêté 
par  la  longueur  démesurée  que  la  superposition 
eût  donnée  aux  rames  supérieures,  dont  la  ma- 
nœuvre eût  été  impossible.  Il  faut  admettre  que 
ce  sont  là  des  appellations  défectueuses  et  que 
l'on  doit  entendre,  non  pas  seize  ou  ([uarante  éta- 
ges de  rameurs,  mais  seize  ou  quarante  files,  ran- 
gées probablement  en  échelon,  comme  les  mai|- 
clies  d'un  escalier,  en  pariant  de  l'une  des  extré- 
mités de  la  galère  pour  aller  vers  l'autre. 

Les  trières  des  Grecs,  ou  les  trirèmes  des  Ro- 
mains, étaient  les  galères  les  plus  employées, 
ayant  les  meilleures  qualités  nautiques  pour  la 
marche  et  l'évolution  ;  elles  portaient  à  l'avant  un 
éperon  pour  l'attaque  par  le  choc,  et  l'on  estime 
à  150  hommes  en  moyenne  l'équipage  qui  les 
manœuvrait.  Elles  étaient  pontées  de  l'avant  h 
l'arrière  et  généralement  gréées  de  deux  mâts. 
Moyen  âge.  —  De  la  chute  de  l'empire  d'Occident 
jusqu'à  la  prise  de  Constantinople  par  les  Turcs,  la 
géographie  fit  peu  de  progrès,  la  navigation  et 
l'architecture  navale  restèrent  à  peu  près  station- 
naircs.  Les  galères  à  un  seul  rang  de  rames  fu- 
rent en  grand  usage  sur  la  mer  Méditerranée  : 
d'une  longueur  de  40  à  50  mètres,  sur  une  lar- 
geur de  5  à  G  mètres,  et  assez  basses  sur  l'eau, 
elles  difl'éraient  peu,  potir  la  forme  et  les  dimen- 
sions, des  anciennes  tri'ères  grecques.  Los  7iefs. 
nni'ft,  ou  vaisseaux  ronds  de  haut  bord,  étaient 
particulièrement  en  usage  dans  l'Océan  ;  phis 
courts  et  plus  creux  que  les  galères,  ces  bâti- 
ments naviguaient  surtout  à  la  voile.  Les  Scandi- 
naves employèrent  pour  la  haute  mer  des  Drakars 
à  rames  et  à  voiles.  Mais  toutes  ces  construciions 
ne  présentaient  pas  un  progrès  bien  marqué  sur 
celles  des  anciens  navigateurs. 

Parmi  les  nations  maritimes  du  moyen  âge,  il 
faut  citer  en  première  ligne  les  Northnions,  har- 
dis navigateurs  ou  plutôt  pirates,  conduits  par 
leurs  terribles  Wlk^ngs,  dont  la  guerre  é'ait  la 
continuelle  occupation.  Au  ix'  siècle,  les  Norwe- 
giens  déjà  établis  aux  Orcades,  aux  Hébrides,  aux 
Shetland  et  aux  Féroc,  découvrirent  l'Islande, 
qu'ils  colonisèrent  et  qui  devint  le  point  de  dé- 
part d'expéditions  nouvelles;  celles-ci  amenèrent 
à  leur  tour  la  découverte  du  Groenland  et  de 
Terre-Neuve. 

Au  commencement  de  ce  même  siècle  les  Nor- 
mands ou  Danois  ravagèrent  les  côtes  de  la  Grande- 
Bretagne,  ainsi  que  celles  de  la  Gaule,  dont  ils  dis- 
putèrent le  territoire  aux  Francs.  Pendant  long- 
temps leurs  navires  firent  des  acscontes  sur  les 
côtes  et  remontèrent  le  cours  des  grands  fleuves, 
pillant  et  dévastant  tout  sur  leur  passage.  Vn 
siècle  après  la  mort  de  Charlemagne,  ils  finissent 
par  s'étaldiren  Neuslrie.  Plus  tard,  ils  se  signa- 
lèrent par  de  grandes  expéditions;  en  I06G, 
Guillaume  de  Normandie  conquit  l'Angleterre; 
vers  la  même  époque  des  chevaliers  normands 
s'établissaient  an  midi  de  l'Italie  et  en  Sicile. 

A  peu  près  abandonnée  au  début  de  la  nfonar- 
chie  française,  la  marine  fut  l'objet  de  la  soUici- 


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—  M03  — 


NAVIGATION 


tudo  de,  r.liarlemagne,  qui  ontrctint  plusieurs  flot- 
tes suf  les  deux  mers,  dont  les  côtes  étaient 
fréf|uemment  ravagées  par  les  Normands  et  les 
Sarrazins. 

A  l'exception  dos  expéditions  d'outre-mer  pro- 
voquées par  les  Croisades  et  des  épisodes  qui  ont 
fait  arriver  jusqu'à  nous  les  noms  do  Primauguct 
et  d(î  Prégent,  l'histoire  maritime  de  la  France 
n'offre  jusqu'à  François  1"  aucun  fait  saillant 
digne  d  être  mentionné  ici. 

Les  républiques  italiennes,  au  contraire,  brillè- 
rent au  moyen  <àge  par  leur  marine.  Gênes,  au 
commencement  du  x"  siècle,  après  s'être  débar- 
rassée des  Sarrazins,  s'enrichit  par  le  commerce 
et  la  navigation  et  fournit  aux  princes  chrétiens 
de  puissants  secours  pour  le  transport  des  Croi- 
sés. Elle  fut  la  rivale  de  Pise,  avec  laquelle  elle 
eut  à  soutenir  de  nombreuses  luttes  et  dont  ellu 
consomma  la  ruine  après  la  célèbre  victoire  navale 
qu'elle  remporta  eu  1234  auprès  de  l'île  de  la 
Mt'loria. 

Venise  fut  de  bonne  heure  maîtresse  de  l'Adria- 
tique. La  quatrième  croisade,  qui  amena  la  prise  de 
Consiantinople,  lui  donna  les  plus  belles  stations 
maritimes  de  l'Empire  grec»  les  ports  de  la  Morée, 
l'Arcliipel,  l'île  de  Crète  et  une  partie  de  Cons- 
tantinople.  Mais  la  part  que  les  Génois  prirent 
ensuite  au  rétablissement  des  empereurs  grecs 
sur  le  trûiie  de  cette  dernière  ville  amena  la  lutte 
des  deux  puissantes  républiques.  Après  avoir  été 
sur  le  point  de  succomber,  Venise  finit  par  domi- 
ner sa  rivale  jusqu'à  la  fin  du  moyen  âge  et  ne 
perdit  ses  colonies  de  l'Archipel  et  de  la  Morée 
qu'après    l'entrée   des    Turcs    à    Consiantinople. 

Dans  le  Nord,  la  célèbre  Ligue  hanséaiique  ren- 
dit de  son  côté  à  la  navigation  de  grands  services 
par  les  ra|iports  commerciaux  qu'elle  établit  entre 
les  peuples.  D'abord  formée  en  TMI  par  un  traité 
entie  Hambourg  et  Lubeck,  la  Hanse  se  grossit 
rapidement  de  nombreuses  villes  maritimes  et 
pendant  plusieurs  siècles  étendit  sa  navigation  et 
son  trafic  sur  le  littoral  de  la  mer  du  Nord  et  de 
la  Baltique. 

L'invention  do  la  boussole  avait  ouvert  une 
ère  nouvelle  à  la  navigation  et  à  ses  progrès  ;  elle 
amena  de  grandes  découvertes  maritimes  qui 
changèrent  la  face  des  choses  et  firent  passer  aux 
nations  occidentales  l'empire  des  mers,  jusque-là 
réservé  aux  peuples  de  la  Méditerranée. 

C'est  au  napolitain  Flavio  Ginja  que  l'on  at- 
tribue généralement  cette  grande  invention  ; 
mais  il  est  cependant  reconnu  que  dès  le  xii"  siè- 
cle les  marins  provençaux,  et  au  xiii«  les  Nor- 
mands, employèrent  la  rnarinelte,  barre  de  fer 
aimantée,  maintenue  en  suspension  sur  l'eau  à 
l'aide  d'un  morceau  de  liège.  Il  semble  égale- 
ment avéré  que  les  Arabes  se  servirent  dès  le 
SI'  siècle  de  la  boussole,  dont  ils  tenaient  l'inven- 
tion des  Chinois.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  à  cette 
importante  découverte  que  la  navigation  dut  de 
prend]  e  un  développement  extraordinaire. 

11  est  intéressant  de  remarquer  que  les  pre- 
miers efforts  tentés  pour  franchir  les  limites  ma- 
ritimes connues  ne  furent  pas  l'œuvre  des  Etats 
qui  avaient  le  plus  cultivé  jusqu'alors  l'art  de  la 
navigation.  C'est  aux  Portugais  et  aux  Espagnols 
que  lut  réservée  la  gloire  d'ouvrir  la  voie"  des 
grandes  découvertes. 

Le  Portugal  avait  cependant  déjà  acquis  une 
certaine  renommée  dans  la  science  nautique.  L'in- 
fant don  Henri,  quatrième  flls  de  Jean  le  Grand, 
après  s'être  distingué  à  Ceuta  et  à  Tanger,  orga- 
nisa plusieurs  expéditions,  qui  amenèrent  la  dé- 
ccuverte  de  Madère,  l'occupation  des  Canaries, 
déjà  reconnues  par  le  français  Jean  de  Béilien- 
court,  la  découverte  des  Açores,  celle  des  îles  du 
Cap-Veit,  l'exploration  des  côtes  occidentales 
d'Afrique,  où  l'échange  de  quelques  captifs  mau- 


res donna  liea  à  la  traite  des  noirs.  Don  Henri, 
surnommé  le  navigateur,  fonda  auprès  du  cap 
Saint-Vincent  une  académie  nautique  ;  c'est  à  lui 
que  l'on  attribue  l'invention  des  cartes  plates,  les 
seules  en  usage  sur  mer  avant  les  cartes  rédui- 
tes de  Mercator.  En  liTI,  les  Portugais  franchis- 
saient l'équateur  et  observiiient  les  étoiles,  in- 
connues jusqu'alors,  de  l'hémisphère  austral; 
quinze  ans  plus  tard,  Barthélémy  Diaz  atteignait 
le  cap  des  Tempêtes,  que  Jean  JI  appela  le  cap  do 
Bonne-Espéranci',  dans  la  pensée,  prompteinent 
réalisée,  que  cette  découverte  devait  un  jour 
ouvrir  la  route  des  Indes. 

Ce  sont  ces  entreprises  hardies  des  Portugais 
qui  engagèrent  le  Génois  Christophe  Colomb  à 
venir  offrir  ses  services  à  Jean  II,  roi  de  Portugal. 
Repoussé  par  ce  dorjiier,  il  s'adressa  à  Isabelle 
d'Espagne,  qui  lui  confia  trois  caravelles,  avec 
lesquelles  le  grand  navigateur  découvrit  l'Améri- 
que (.U  octobre  149"^).  Nous  renvoyons  à  l'article 
liécouverfes  pour  le  récit  de  cette  glorieuse 
expédition  et  de  celles  de  Vasco  de  Gania  aux  Indes 
orientales  et  de  Magellan  autour  du  monde. 

Temps  modernes.  —  De  cette  époque  mémora- 
ble datent  les  grands  progrès  de  la  navigation  et 
le  perfectionnement  rapide  de  la  construction 
navale.  Aux  caravelles  de  Colomb,  longues  de 
'.'i  à  30  mètres  et  larges  de  "  à  S  mètres,  succé- 
dèrent des  navires  de  mer  de  ."iO  à  60  mètres  de  lon- 
gueur, de  9  à  IC  mètres  de  largeur  et  de  6  àS  mètres 
de  profondeur.  Les  galions  d'Espagne,  affectés  à 
l'importation  des  richesses  du  Nouveau  Monde,  at- 
teignirent jusqu'à  lOnO  et  1200  tonneaux. 

L'usage  de  la  poudre  à  canon,  (jui  avait  suivi 
de  près  celui  do  la  boussole,  contribua  aussi  à 
l'accroissement  des  dimensions  des  bâtiments; 
les  avaries  considérables  que  causaient  les  bou- 
lets dans  des  navires  de  faible  échantillon  ame- 
nèrent l'augmentation  de  l'épaisseur  dos  mem- 
brures et  des  murailles;  celles-ci  furent  ensuite 
percées  de  sa/iurds  pour  la  volée  des  pièces  d'ar- 
tillerie, longtemps  placées  sur  les  ponts  ou  dans 
les  encombrants  châteaux  d'avant  et  d'arrière.  Les 
batteries  se  superposèrent  ensuite  l'une  à  l'autre, 
et  le  vaisseau  do  ligne  fut  créé. 

La  découverte  des  Indes  occidentales  et  orien- 
tales ne  fut  pas  laseule  conséquence  de  l'invention 
de  la  boussole;  la  navigation  s'étendit  aussi  vers 
les  deux  pôles  :  les  Anglais,  les  Allemands,  les 
Hollandais  cherchèrent  longtemps  un  passage  par 
le  nord  de  l'Europe,  pour  aller  en  Chine  ;  la  Nou- 
velle-Zemble, le  Spitzberg.  furent  découverts  la 
même  année  par  le  navigateur  anglais  Willoughby 
(I65:i).  La  grande  pèche,  cet  auxiliaire  puissant 
de  l'alimentation  publique,  reçut  également  un 
essor  considérable  dès  la  fin  du  xv=  siècle. 

Les  conquêtes  des  Espagnols  dans  le  Nouveau 
Monde  donnèrent  à  Charles-Quint  un  empire  co- 
lonial immense  .-  le  Mexique,  la  Floride,  les  An- 
tilles, la  Nouvelle-Grenade,  le  Chili,  le  Pérou 
étaient  autant  de  provinces  espagnoles.  Toutcfoii 
cette  domination  n'éiait  effective  que  sur  le  litto- 
ral, et  il  fallut  de  longues  années  pour  que  ces 
établissements,  fondés  par  des  poignées  d'aven- 
turiers, pussent  acquérir  la  forme  d'Etals  régu- 
liers, et  pour  que  la  civilisation  s'étendit  dans 
l'intérieur  de  ces  vastes  contrées;  il  fallut  sur- 
tout attendre  que  l'agriculture  et  l'industrie 
succédassent  à  la  soif  trop  ardente  des  richesses 
faciles. 

A  la  mort  de  Charles-Quint,  la  marine  espa- 
gnole atteignait  son  apogée;  Philippe  II,  son  fils, 
assista  à  la  ruine  de  sa  flotte,  l'inoinKibte  Armada, 
détruite  par  l'Angleterre.  L'Espagne  perdit  alors 
la  plus  grande  partie  de  ses  colonies  et  de  celles 
des  Portugais  dont  elle  s'était  emparée.  L'empire 
des  mers  passa  aux  Anglais  et  aux  Hollandais. 

11  convient  de  mentionner  ici  un    événement 


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1404  — 


NAVIGATION 


maritime,  important  par  ses  conséquences  :  c'est 
sous  le  règne  de  Pliilippe  II  que  don  Juan  d'Au- 
tiiclie,  choisi  pour  commander  les  forces  navales 
réunies  de  l'Espagne  et  de  l'Italie,  défit  la  flotte 
ottomane  à  la  célèbre  bataille  de  Lépante.  De 
cette  défaite  datent  les  débuts  de  la  décadence  des 
Turcs,  dont  la  puissance  devenait  inquiétante 
depuis  les  exploits  des  frères  Barberousse,  qui 
avaient  tenu  tète  h  Charles-Quint  et  à.  Doria,  l'un 
des  plus  grands  marins  de  ce  siècle. 

Les  Hollandais  profitèrent  les  premiers,  après 
les  Portugais,  des  grandes  découvertes  de  Vasco 
de  Gama  et  de  Magellan.  Après  un  premier  voyage 
aux  Indes  orientales,  ils  s'établirent  dans  les  Mo- 
luques,  que  les  Portugais  avaient  découvertes,  et 
créèrent,  en  1G02,  la  célèbre  compagnie  des  Gran- 
des Indes,  qui  fonda  un  comptoir  i  Java,  et  bâtit 
la  ville  de  Hatavia,  encore  aujourd'hui  le  centre 
du  commerce  néerlandais  dans  le  grand  archipel 
d'Asie.  Ils  s'établirent  ensuite  successivement  à 
Sumatra,  h  Bornéo,  h  Malacca  et  même  au  Japon, 
dans  le  port  de  Nangasaki,  où,  dès  ICàO,  ils  pu- 
rent, à  l'exclusion  de  tous  autres  étrangers,  faire, 
jusqu'à  nos  jours,  le  trafic  avec  les  Japonais. 

Les  Hollandais  firent  en  même  temps  d'impor- 
tantes découvertes  :  le  détroit  de  Lemaire,  dans 
le  sud  de  l'Amérique,  entro  la  Terre  de  Feu  et  la  ! 
Terre  des  Etats,  le  cap  Horn,  déji  vu  par  l'Anglais  j 
Drake,  une  partie  de  la  Nouvelle-Hollande,  la 
terre  de  Van  Diénicn,  appelée  aussi  Tasmanio,  du 
nom  du  célèbre  navigateur  Tasman. 

Au  milieu  du  XMi'  siècle,  la  Hollande  était  la 
première  puissance  maritime  du  monde.  Plus  de 
lîOfl  navires  entretenaient  son  commerce  exté- 
rieur et  ses  importantes  flottes  de  guerre  étaient 
conduites  par  les  Tromp  et  les  Ruyter. 

En  IGol  éclatèrent  les  premières  hostilités  entre 
la  Hollande  et  l'Angleterre.  L'amiral  Tromp,  après 
avoir  battu  les  anglais  à  Douvres,  fut  défait  h  son 
tour  dans  les  batailles  de  Portland,  des  Dunes  et 
de  Catvvyk  ;  les  Provinces-Unies  durent  alors  se 
soumettre  à  VA'.te  de  navir/aiion  et  reconnaître  la 
suprématie  de  l'Angleterre. 

En  IGJl,  dans  la  guerre  qu'ils  firent  au  Portu- 
gal, les  Hollandais  perdirent  le  Brésil  qu'ils 
avaient  conquis  peu  à  peu  et  occupé  pondant 
quinze  ans;  mais  ils  s'emparèrent  de  la  colonie  du 
Cap,  où  ils  fondèrent  la  ville  de  ce  nom,  chassè- 
rent les  Portugais  de  Ceyian,  de  Bornéo  et  de  Cé- 
lèbes,  et  les  dépouillèrent  de  leurs  principaux 
établissements  du  Malabar. 

La  seconde  guerre  qu'ils  eurent  à  soutenir  contre 
l'Angleterre  et  qui  fut  en  partie  provoquée  par 
la  traite  des  noirs,  dont  chacune  des  deux  nations 
voulait  avoir  le  monopole,  leur  fit  perdre  Nieuw- 
Amsterdam,  aujourd'hui  New-York, dont  ils  avaient 
jeté  les  premiers  fondements  en  Ia21.  Ils  acqui- 
rent Surinam. 

Après  que  Louis  XIV  eut  dissous  la  triple 
alliance,  formée  contre  lui  par  la  Hollande,  l'An- 
gleterre et  la  Suède,  la  France  attaqua  les  Pays- 
Bas  par  terre  et  par  mer.  Les  Hollandais,  sous  la 
conduite  de  Piuyter,  avec  50  vaisseaux,  tinrent 
tête,  dans  plusieurs  batailles  remarquables,  à  la 
flotte  franco-anglaise  forte  de  80  vaisseaux,  et 
l'habileté  du  célèbre  amiral  contribua  puissam- 
ment au  rétablissement  de  la  prospérité  de  son 
pays. 

Lorsque  Guillaume  III  monta  sur  le  trône  d'An- 
gleterre, la  marine  hollandaise  ne  fut  plus  qu'une 
annexe  de  celle  de  l'Angleterre  ;  elle  servit  à 
accroître  la  puissance  de  cette  dernière  et,  à  par- 
tir de  cette  époque,  elle  courut  rapidement  ^ers 
sa  décadence.  La  guerre  de  l'indépendance  des 
Etats-Unis  lui  porta  le  dernier  coup  et  fit  perdre 
à  la  Hollande  une  partie  de  ses  colonies.  Mais  cette 
nation  occupe  cependant  aujourd'hui  encore  le 
second  rang  comme  puissance  coloniale. 


Ce  n'est  guère  que  du  règne  d'Elisabeth  que 
datent  les  débuts  de  la  prospérité  navale  de  l'An- 
gleterre. Avant  cette  époque  l'histoire  anglaise 
mentionne  bien  quelques  grands  faits  maritimes, 
des  descentes  en  France,  et  même  plusieurs  vic- 
toires navales,  parmi  elles,  celle  de  l'Ecluse  en 
l:!40,  mais  ces  faits  isolés  ne  justifiaient  pas  les 
prétentions  de  souveraineté  des  mers  que  s'ar- 
rogeait cette  nation.  A  l'époque  des  grandes  dé- 
couvertes, qui  rendirent  si  puissantes  l'Espagne 
et  le  Portugal,  à  l'exception  des  deux  Cabot,  Véni- 
tiens d'origine  au  service  de  l'Angleterre,  qui 
firent  plusieurs  voyages  d'exploration,  et  de 
Hugues  Willoughby,  qui  découvrit  en  15531eSpitz- 
berg.  les  annales  britanniques  ne  mentionnent 
aucune  illustration  maritime. 

La  lutte  contre  Philippe  II  d'Espagne  donna  la 
première  impulsion  h.  la  marine  anglaise.  Pour 
tenir  tête  à  X'invmcihle  Aniwda,  Elisabeth  fit 
d'énormes  préparatifs  de  défense  sur  les  côtes  et 
réunit,  k  force  de  sacrifices,  une  flotte  d'environ 
200  bâtiments  de  guerre.  L'inhabileté  de  l'amiral 
espagnol  et  de  ses  équipages,  aussi  bien  que  les 
mauvai"s  temps,  facilitèrent  la  victoire  des  Anglais, 
victoire  qui  ne  leur  coûta  que  la  perte  d'un  bâti- 
ment, alors  que  les  Espagnols  virent  disparaître 
80  vaisseaux  et  plus  de  12  000  hommes;  cette 
expédition  avait  englouti  300  millions  (1588).  Quel- 
ques années  après,  l'amiral  Howard,  le  vainqueur, 
avec  Drake,  de  VAnnaila,  précipitait  la  ruine  de 
la  marine  espagnole,  en  s'emparant  de  Cadix  et 
en  brûlant  dans  ce  port  une  nouvelle  flotte. 

La  compagnie  des  Indes  orientales,  fondée  en- 
suite par  Elisabeth  (ICnO),  donna  l'essor  au  mou- 
vement maritime  commercial  de  l'Angleterre  et 
ouvrit  la  voie  à  de  nouvelles  découvertes  géogra- 
phiques. Plusieurs  navigateurs  avaient  déjà  illus- 
tré ce  règne  par  des  voyages  d'exploration  remar- 
quables; parmi  eux  il  faut  citer  :  Francis  Drake, 
qui,  en  1577,  franchit  le  détroit  de  Magellan,  prit 
possession  de  la  Californie  et  revint  en  Europe  par 
les  Indes  et  le  cap  de  Bonne-Espérance;  Davis, 
qui  donna  son  nom  au  grand  détroit  glacé  qui 
sépare  le  Groenland  du  Cumberland  ;  Raleigh,  qui 
entreprit  de  coloniser  l'Amérique  du  nord  et  qui 
fonda  en  1584  l'établissement  de  la  Virginie.  Les 
explorations  de  ce  dernier  furent  l'origine,  sous 
Jacques  I"',  de  nombreux  établissements  des  An- 
glais dans  l'Amérique  du  nord,  dont  la  colonisa- 
tion fut  par  la  suite  très  rapide,  grâce  aux  puri- 
tains. Plusieurs  expéditions,  qui  honorent  les 
navigateurs  anglais,  furent  aussi  entreprises  en 
vue  de  rechercher  un  passage  au  nord  du  Nou- 
veau Monde.  En  1610  Hudson  explora  l'immense 
baie  qui  porte  aujourd'hui  son  nom,  mais  que  le 
Danois  Anskold  avait  déjà  découverte  ;  le  pilote 
Baffin,  l'un  des  compagnons  d'Hudson,  parvmt  en 
iei6  jusqu'à  cette  vaste  mer  qui  lui  doit  son 
nom.  L'exploitation  des  pêcheries  reçut  égale- 
ment un  grand  développement  au  xvii*  siècle  ; 
les  armements  pour  la  pèche  do  la  morue  et  celle 
de  la  baleine  acquirent  en  Angleterre  une  exten- 
sion considérable. 

En  1651  fut  promulgué  par  Cromwell  le  fameux 
Ade  de  7iavigufion,âe&ùn6  à  exclure  les  marines 
étrangères  des  ports  de  la  Grande-Bretagne  et  à 
réserver  aux  seuls  marins  anglais  le  monopole  du 
commerce  avec  les  colonies.  Cet  acte,  auquel 
l'Angleterre  a  dû  en  grande  partie  sa  prospérité 
maritime,  et  qui  n'a  été  aboli  qu'en  1850,  frappait 
la  Hollande  dans  son  commerce  et  sa  navigation 
et  provoqua  la  première  guerre  de  l'Angleterre 
avec  cette  puissance  maritime. 

Jusqu'à  François  If,  nous  l'avons  dit,  la  manne 
fut  à  peu  près  délaissée  en  France  comme  force 
militaire;  les  diverses  expéditions  maritimes  qui 
avaient  précédé  cette  époque  avaient  été  entre- 
prises avec  des  flottes  mercenaires  rapidement 


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—  1405  — 


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cnnipéos.  Ce  règne  vit  les  premiers  efTorls  tentés 
en  vue  do  créer  une  marine  nationale  permanente. 
François  I"  appela  auprès  de  lui  le  célèbre  marin 
pénois  André  Dorla;  colui-ci,  à  la  tête  des  galères 
françaises,  battit  en  15-24  la  flotte  de  Charles- 
Quint  sur  la  côte  do  Provence,  mais  tourna  en- 
suite ses  armes  contre  les  Français  qu'il  cliassa 
de  Gènes,  à  la  suite  de  sa  rupture  avec  François 
I"  qui  n'avait  pas  tenu  les  promesses  faites  en 
faveur  de  sa  patrie. 

Kn  l.'iVS  le  HorentinVerazzani,  envoyé  par  l'ran- 
rois  I"  en  exploration  sur  les  côtes  d'Amérique, 
prenait  possession  do  Terre-Neuve;  en  1534  le 
Français  Jacques  Cartier  remontait  le  fleuve 
Saint-Laurent  et  donnait  le  Canada  h  la  France. 

Sous  Henri  IV,  en  159s,  l'Acadie,  déjà  visitée 
par  Verazzani,  était  colonisée  par  les  Français  du 
Canada,  et  en  1G04  se  fondaient  les  premiers  éta- 
blissements de  la  France  équinoiiale,  devenue 
plus  tard  la  Guyane.  Telles  étaient  nos  colonies  à 
l'avènement  de  Louis  XIII. 

Notre  flotte  était  alors  à  peine  ébauchée  ;  Riche- 
lieu fut  chez  nous  le  véritable  créateur  de  la  manne. 
Ce  ministre  fonda  des  arsenaux,  fit  construire  des 
bâtiments,  organisa  la  flotte  et  la  marine  du  com- 
merce, créa  l'académie  royale  de  marine,  destinée 
i  former  la  jeunesse  au  métier  de  la  mer,  et  des 
écoles  d'hydrographie  dans  les  principaux  centres 
maritimes.  Il  commença  les  établissements  du 
Sénégal,  de  Cayenne,  de  Madagascar,  de  Bourbon 
et  d'une  partie  des  Petites  Antilles. 

Mazarin  laissa  ensuite  dépérir  l'œu\Te  de  son 
prédécesseur  ;  mais  le  génie  et  l'activité  de 
Colbert  portèrent  bientôt  la  puissance  navale  de 
la  France  à  son  plus  haut  degré  de  grandeur  ; 
sous  ce  ministre  l'élan  fut  dunné  h  nos  colonies 
languissantes,  qui  s'accrurent  des  comptoirs  de 
Chandernagor  et  de  Pondichéry;  la  marine  fut 
reconstituée,  la  construction  navale  transformée 
par  la  suppression  des  châteaux  d'arrière  et  d'a- 
vant qui  alourdissaient  inutilement  les  vaisseaux; 
la  flotte,  considérablement  accrue,  comptait  «00 
1. aliments,  dont  110  vaisseaux  de  ligne,  portant 
l.jOilli  canons  et  plus  de  liiO.OOO  hommes  d  équi- 
page. Les  arsenaux  furent  agrandis,  des  bassins 
de  radoub  creusés,  le  port  de  Rochefort  créé,  do 
vastes  travaux  entrepris  à  Dunkerque  et  au  Havre. 
Le  recrutement  du  personnel  de  la  flotte  fut  as- 
sure par  l'institution  des  classes,  devenue  par  la 
suite  l'inscription  maritime,  qui  a  survécu  jus- 
qu'ici à  toutes  nos  révolutions.  Enfin  une  caisse 
de  retraite  créée  pour  les  gens  de  mer,  les  ordon- 
nances de  la  marine  promulguées,  l'administra- 
tion organisée,  tels  sont  les  faits  qui  témoignent 
de  l'activité  et  du  génie  ds  grand  ministre  de 
Louis  XIV. 

Le  premier  soin  de  Colbert  fut  de  purger  la 
Méditerranée  des  corsaires  barbaresques  qui  l'in- 
festaient; les  flottilles  d'Alger  et  de  Tunis  furent 
détruites.  Lors  des  premières  hostilités  entre 
l'Angleterre  et  la  Hollande,  Louis  XIV,  allié  de 
cette  dernière,  ne  participa  que  faiblement  aux 
luttes  maritimes  des  deux  puissantes  nations  et 
ménagea  ses  forces  navales,  qu'il  réservait  à  d'au- 
tres vues.  Unie  plus  tard  â  celle  des  Anglais, 
notre  flotte,  conduite  par  d'Estrées,  prit  part 
contre  Ruyter  h  plusieurs  actions  dont  le  résultat 
fut  indécis.  De  nouvelles  expéditions  dirigées  par 
Duqucsne  contre  les  corsaires  de  Tripoli,  le  bom- 
bardement d'Alger,  la  soumission  de  cette  der- 
nière ville  par  TourviUe,  le  bombardement  de 
Gènes,  sont  les  premiers  faits  qui  illustrèrent 
notre  marine  avant  qu'elle  eût  à  se  mesurer  avec 
celle  de  l'Angleterre.  C'est  à  la  chute  de  Jacques  II 
que  commença  entre  les  deux  nations  celte  lutte 
trrrible  qui  devait  durer  plus  d'un  siècle  et  où 
s'illustrèrent  en  France,  sous  LouisXIV,  avecToiir- 
ville,  Jean  Bart,  Duguay-Trouin,Forljin  et  Cassard. 


Notre  cadre  restreint  ne  nous  permet  pas  d'en- 
treprendre le  récit  détaillé  de  l'histoire  maritime 
de  la  France  et  des  autres  Etats  d'Europe  dans  les 
temps  modernes.  Nous  nous  bornerons  â  rappe- 
ler brièvement  les  faits  les  plus  importants,  et  à 
mentionner  les  progrès  réalisés  tant  dans  la  ma- 
rine de  guerre  que  dans   la  marine  marchande. 

Sous  la  Régence,  la  marine  française  sembla 
s'être  éteinte  avec  les  dernières  illustrations  du 
règne  précédent;  mais  nos  colonies  reçurent  ce- 
pendant une  certaine  impulsion.  Sous  Louis  XV, 
nos  armes  reprirent  quelque  éclat  dans  les  Indes 
orientales  :  La  Bourdonnais  s'illustrait  au  siège  de 
Mahé,  à  Négapatam,  â  Madras,  et  Dupleix,  à  Pon- 
dichéry, montrait  un  génie  supérieur. 

C'est  sous  ce  règne  que  disparurent  les  galères, 
dont  la  chiourme  de  vogue  fut  versée  dans  les  ba- 
gnes créés  à  Toulon,  à  Brest  et  â  Rochefort.  Des 
expéditions  scientifiques  restées  célèbres  furent 
entreprises  :  Mauportuis,  Clairaut  et  d'autres  sa- 
vants étaient  envoyés,  en  nsii,  en  Laponie  par  le 
ministre  Maurepas,  pour  la  mesure  d'un  arc  de 
méridien.  La  Condamine  et  Bouguer  se  rendaient 
dans  le  même  but  au  Pérou,  auprès  de  l'équateur. 
Lacaille,  en  1750,  allait  au  cap  de  Bonne-Espé- 
rance observer  le  ciel  austral.  Enfin  d'autres  sa- 
vants étaient  envoyés  aux  Indes  et  â  l'Ile  Rodrigue 
pour  observer  le  passage  de  Vénus  sur  le  soleil. 

Lorsque  la  guerre  de  Sept  ans  éclata,  notre  ma- 
rine, qui  avait  fait  des  efforts  pour  se  relever, 
n'était  cependant  pas  en  mesure  de  tenir  tète  à  la 
flotte  puissante  de  lAnglelerre. 

La  France  perdit  le  Canada,  que  Montcalm, 
sans  secours,  disputa  glorieusement  aux  troupes 
du  général  Wolf  et  à  la  flotte  de  l'amiral  Saunders. 
Partout  les  revers  poursuivirent  nos  colonies, 
sans  flotte  pour  les  protéger  ou  les  ravitailler.  En 
1761  Lally,  bloqué  à  Pondichéry,  sans  un  seul 
bâtiment,  sans  vivres,  après  avoir  longtemps  ré- 
sisté, avec  700  hommes,  à  une  armée  de  20  OilO  hom- 
mes et  à  une  escadre  de  14  vaisseaux,  fut  contraint 
de  se  rendre.  L'année  suivante  voyait  la  perte  de 
la  Martinique,  de  Sainte-Lucie  et  de  la  Grenade. 
En  176:)  le  traité  de  Paris  consacrait  la  perte  ir- 
révocable du  Canada  et  de  l'Indoustan  et  l'aban- 
don définitif  de  la  Louisiane,  donnée  i  l'Espagne, 
notre  alliée,  qui  échangeait  la  Floride  contre  les 
Philippines  et  Cuba,  que  leur  rendaient  les  Anglais. 

Choiseul  et  après  lui  Praslin  travaillèrent  acti- 
vement à  relever  la  marine;  ils  réorganisèrent  les 
arsenaux  et  le  personnel  et  s'occupèrent  de  la 
flotte,  qui  s'éleva  bientôt  à  75  vaisseaux  de  ligne. 

Des  navigateurs  expédiés  dans  les  différente.* 
mers  du  globe  enrichirent  â  cette  époque  les 
sciences  nautique  et  géographique  d'importantes 
découvertes.  Bougainville  visita  les  lies  Pomotous 
(Touamotou),  Tahiti,  les  Samoa,  les  Nouvelles- 
Hébrides,  les  grandes  Cyclades,  les  lies  de  la 
Louisiade,  la  Nouvelle-Irlande,  la  Nouvelle-Guinée. 
L'Angleterre  envoya  Cook  entreprendre  plusieurs 
voyages  de  circumnavigation.  L'illustre  navigateur 
commanda  trois  e.xpédiiions  restées  célèbres;  il  fit 
le  tour  de  la  Nouvelle-Zélande,  découvrit  le  dé- 
troit qui  sépare  les  deux  grandes  lies  et  qui  porte 
aujourd'hui  son  nom  ;  il  visita  les  côtes  orientales 
de  1  Australie,  les  terres  australes,  en  pénétrant 
dans  la  znne  glaciale,  reconnut  dans  l'Océanie 
l'archipel  de  Cook,  les  îles  Tonga,  la  Nouvelle- 
Calédonie,  les  lies  Sandwich,  franchit  le  détroit 
de  Behring,  sans  pouvoir  trouver  le  passage  qu'il 
pensait  exister  au  nord  de  l'Amérique,  et  revint 
aux  Sandwich,  où  il  fut  tué  par  les  naturels. 

Sous  Louis  XVI,  la  marine,  relevée  de  ses  dé- 
sastres, paiticipa  glorieusement  à  la  guerre  de 
l'indépendance  des  Etats-Unis;  les  noms  de  d'Es- 
taing,  de  Vaudreuil,  de  Du  Couédic,  di:  Laniotto- 
Piquet,  de  Guichen,  de  Sufl'ien,  méritent  d'être 
rappelés. 


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—  1406  — 


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Après  la  conclusion  de  la  paix,  Louis  XVI 
s'eflorça  de  maintenir  la  flotte  au  niveau  où 
l'avait  placée  cette  dernière  guerre  ;  des  tra- 
vaux importants  furent  entrepris  dans  nos  ports, 
la  digue  de  Clierbourg  fut  commencée ,  nos 
constructions  navales  furent  perfectionnées  par 
l'illusiro  ingénieur  Sané,  de  nouveaux  voyages 
de  circumnavigation  entrepris,  parmi  lesquels 
celui  de  l'ijiforiuné  Lapérouse,  qui  s'était  fait 
connaître  déji  dans  la  baie  d'Hudson ,  en  dé- 
truisant les  forts  de  Wales  et  d'York.  Mais  le 
recrutement  de  l'état-niajor  de  la  flotte,  conti- 
nuant à  se  faire  dans  les  seuls  rangs  de  la  no- 
blesse, devait  bientôt  avoir  des  conséquences 
fatales  pour  nos  armes.  Lors  de  la  révolution, 
Icniigralion  amena  rapidement  la  disparition  à 
peu  près  complète  de  nos  officiers  de  marine. 
La  Convention  fit  d'inutiles  efl'orts  pour  reconsli- 
tuer  le  personnel  naval;  elle  ne  put  remplaciT 
ces  cbefs  expérimentés  qui  venaient  de  diriger 
nos  flottes  victorieuses;  elle  dut  envoyer  à  la  mer 
des  escadres  mal  équipées  et  surtout  indiscipli- 
nées. 

A  cette  époque  appartiennent  néanmoins  quel- 
ques faits  remarquables,  parmi  lesquels  il  faut 
citer  la  fin  héroïque  du  Vengeur  (1794). 

Les  guerres  de  la  Révolution,  du  Consulat  et 
l'Empire,  où  la  France  ne  put  opposer  à  l'Angle- 
terre, sur  mer,  des  forces  égales,  eurent  pour  ré- 
sultat la  perte  de  presque  tout  ce  qui  nous  restait 
de  colonies.  C'est  en  vain  que  par  le  hlccui  conti- 
nental (180"),  Napoléon  essaya  de  frapper  le  com- 
merce anglais  :  dans  cette  luite  implacable,  ce  fut 
le  conquérant  de  l'Europe  qui  eut  le  dessous.  A 
!a  chute  de  l'Empire,  l'Angleterre  était  maîtresse 
absolue  de  la  mer. 

Sous  la  Restauration, la  marine  française  se  re- 
constitua cependant.  Favorisée  par  la  paix  générale, 
la  navigation  reprit  son  rôle  de  progrès  :  de  nom- 
breuses expéditions  sillonnèrent  les  mers  du 
globe.  Les  Français  Freyciiiet,  Duperrey,  dans  le 
grand  Océan,  le  Russe  Kotzebue,  les  Anglais  John 
lloss,  Parry,  Franklin,  dans  les  régions  polaires, 
contribuèrent  au  développement  des  connaissances 
géographiques. 

En  1823  notre  marine  restaurée  se  montrait  de 
nouveau  :  la  guerre  d'Espagne  amenait  devant 
Cadix  une  flotte  de  07  bâtiments  et  l'amiral  Uu- 
perré,  déjà  célèbre  par  ses  exploits  dans  l'Inde, 
bombardait  les  forts  et  obtenait  la  reddition  de  la 
place. 

Le  règne  de  Charles  X  fut  également  marqué 
par  plusieurs  expéditions  autour  du  mond*!.  L'An- 
glais Beecliey  fut  envoyé  au  détroit  de  Behring  ; 
iîoss  entreprit  un  second  voyage  dans  les  mers 
antiques;  Dumont  d'Urville,  guidé  par  les  indi- 
cations du  navigateur  anglais  Dillon,  retrouva  à 
Vanikoro  les  débris  des  bâtiments  de  Lapérouse. 

En  18"27,  les  escadres  réunies  de  la  France,  de 
I  Angleterre  et  de  la  Russie  couraient  au  secours 
de  la  Grèce  et  anéantissaient  à  Navarin  la  flotte 
turque.  Cette  même  année,  l'insulte  faiie  à  notre 
consul  par  le  dey  d'Alger  amenait  le  blocus  de 
cette  ville  et,  trois  ans  plus  tard,  le  vice-amiral 
Duperré,  avec  une  flotte  de  lOil  bâtiments  de 
guerre,  convoyant  une  autre  flotte  do  .iOO  navires 
de  commerce,  débarquait  à  Sidi-Fen'uch  une  ar- 
mée de  i"  OiiO  hommes,  commandée  par  le  général 
Bourraont,  qui  s'emparait  d'Alger  et  jetait  les 
premiers  fondemeats  de  notre  domination  en  Al- 
gérie. Sept  bâtiments  à  vapeur  faisaient  partie  de 
cette  flotte. 

La  vapeur,  destinée  à  apporter  dans  la  marine, 
comme  dans  l'industrie,  ujie  révolution  complète, 
avait  fait  son  apparition  en  France  peu  de  temps 
auparavant.  C'est  au  marquis  de  Jouff'roy  que  l'on 
attribue  la  première  application  de  la  vapeur  à  la 
navigation  fluviale;  mais  les  premiers  essais  qu'il 


tenta  en  1776  sur  le  Doubs  et  en  1783  sur  le 
Rhône,  n'aboutirent  pas  à  une  solution  pratique 
de  la  question.  L'Américain  Fulton,  après  des 
échecs  en  France  et  en  Angleterre,  réussit,  dans 
son  propre  pays,  à  mettre  ses  idées  à  exécution. 
En  181)7  un  bateau  à  vapeur  naviguait  sur  d'Hud- 
son, entre  New-York  et  Albany.  En  1819  un  autre 
navire  à  vapeur  partait  de  l'Amérique  et  traversait 
1  Atlantique.  En  181'2  seulement  l'Angleterre  fit 
les  premiers  essais,  sur  la  Clyde,  de  ce  mode  de 
navigation,  qui  ne  commença  à  être  appliqué  en 
France  qu'eu  1SI9  et  dont  l'adoption  définitive  fut 
assez  lente.  Ce  ne  fut  que  vers  184»  que  l'hélice 
commença  à  être  en  usage  pour  la  propulsion  des 
bâtiments  de  mer. 

Sous  Louis-Philippe,  la  marine  i  voiles  atteignit 
son  plus  haut  degré  de  perfection.  Ce  règne  compte 
quelques  faits  maritimes,  dont  les  plus  impor- 
tants sont  :  pour  la  France,  l'expédition  du  Tage, 
dont  l'entrée  fut  forcée  par  l'amiral  Roussin  tn 
1S31;  celle  de  Saint  Jean-d'Ulloa,  le  blocus  de 
Buenos-Ayres,  la  prise  de  possession  des  îles 
Marquises,  le  bombardement  de  Tanger  et  de  Mo- 
gador;  du  côté  de  l'Angleterre,  la  prise  de  posses- 
sion de  la  Nouvelle-Zélande,  l'occupation  d'Aden, 
la  guerre  de  Chine,  amenée  par  la  question  de  l'o- 
pium, dont  le  gouvernement  de  Pékin  voulait  in- 
terdire la  vente,  l'occupation  des  îles  Chusan,  la 
prise  de  Canton  et  de  Shanghai,  succès  qui  dé- 
cidèrent le  traité  de  Nankin  (1842",  ouvrant  aux 
nations  européennes  cinq  ports  du  Céleste-Empire 
et  reconnaissant  aux  Anglais  la  possession  de  l'ilc 
de  Hong-Kong. 

En  1845,  une  division  navale  française,  sous  les 
ordres  de  l'amiral  Tréhouart,  livrait  aux  Argentins 
le  combat  d'Obliga'lo,  qui  ouvrit  la  libre  naviga- 
tion du  Rio  de  la  Plata.  Vers  cette  même  époque, 
Franklin  entreprenait  son  dernier  voyage  au  pôle 
nord;  trois  ans  plus  tard,  commençaient  les  fa- 
meuses expéditions  anglaises  et  américaines  en- 
voyées à  sa  recherche  et  qui  amenèrent  la  décou- 
verte, en  1SS3,  du  passage  du  nord-ouest  par  Mac 
Lure  et,  en  1854,  celle  de  la  mer  de  Kane  par  l'A- 
méricain de  ce  nom. 

Sous  le  second  empire,  la  marine  i  vapeur,  qui 
avait  déjà  pris  un  certain  essor  à  la  fin  du  règne 
de  Louis-Philippe,  acquit,  surtout  lors  de  la 
guerre  de  Russie,  un  développement  important; 
l'emploi  de  1  hélice  comme  propulseur  définitif 
permit  de  créer,  en  France,  le  véritable  vaisseau 
do  ligne  à  vapeur,  qui  provoqua  la  rapide  trans- 
formation des  flottes.  Les  approvisionnements 
amassés  dans  nos  arsenaux  maritimes  depuis 
les  dernières  guerres  de  Napoléon  1"  servi- 
rent à  créer  de  nouvelles  constructions.  Dans  la 
guerre  qui  commença  en  1  5'i  contre  les  Russes, 
le  rôle  de  la  marine  fut  immense;  le  bomiiarde- 
ment  des  villes  du  littoral,  le  transport  et  le  dé- 
barquement dos  troupes  en  Crimée,  leur  ravitaille- 
ment, les  expéditions  de  la  mer  Baltique,  de  la 
mer  Blanciie,  de  Petropaulovski,  le  blocus  des 
côtes  russes,  la  destruction  dos  ports  de  la  mer 
Noire  et  de  la  mer  d'Azoff',  lenvoi  des  marins  aux 
batteries  de  siège,  sont  autant  de  faits  qui  ont 
contribué  au  succès  de  cette  guerre.  Aucune  ba- 
taille navale  ne  fut  cependant  livrée.  La  marine 
russe,  dont  les  débuts  ne  datent  que  de  Pierre 
le  Grand,  était  pourtant  nonibi'euse,  mais  impuis- 
sante à  lutter  contre  les  flottes  alliées  des  deux 
plus  grandes  nations  maritimes. 

Cette  môme  guerre,  qui  avait  déjà  amené_  la 
transformation  des  bâtiments  à  voiles  en  bâti- 
ments à  hélice,  et  où  la  marine  française  avait 
brillé  par  des  types  admirables  de  Taisseaux  à 
vapeur,  donna  également  naissance  aux  navires 
cuirassés.  Les  résultats  obtenus  par  les  lourdes, 
mais  puissantes  batteries  blindées,  employées  au 
siège  de  Kinburn,  firent  décider  la  construction, 


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-.   I.'i07  — 


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sur  nos  chantiers,  des  premières  frégates  cuiras- 
sées qui  marquèrent  alors  le  mouvement  vers  le 
progrès  récent. 

I.a  guerre  de  Russie  fut  bientôt  suivie  d'autres 
événements  militaires   qui  nécessitèrent  l'emploi 
«le  notre  marine.  En  18i8,  l'amiral  Uigault  de  Ge-  : 
nouilly,  à  la  tète    d'une   expédition  franco-cspa-  \ 
gnole,  occupa  Tourane,  en  Cochiiicliine,  et  enleva 
Saif;on,  qui  devait  devenir  le  siège  de  notre  gou- 
vernement colonial  de  l'extrême  Orient.   L'année  j 
suivante   éclatait  la  guerre   d'Italie,   pondant   la- 
quelle le   rôle   de  notre   marine  se  borna  à  des 
transports  de  troupes  et  à  l'envoi  dans  l'Adriati- 
que d'une  imposante  flotte,  que  la  rapidité  des 
événements  du  continent  rendit  inactive. 

lin  ISGO,  les  forces  navales  alliées  de  la  Franco 
et  de  l'Angleterre  ouvraient  à  nos  troupes  le  clie- 
min  de  lu  capitale  du  Céleste-Empire,  et  la  p.aix 
était  à  peine  signée  avec  cette  nation,  que  l'ami- 
ral Oliarncr  emportait,  en  Cocliincliine,  les  lignes 
de  Ki-lioa,  pendant  que  l'amir.il  Page  remontait  le 
Cambodge  et  s'emparait  de  Mytho. 

En  18UI  éclata  aux  Etats-Unis  la  fameuse  guerre 
de  la  sécession,  où  les  combats  de  Monilnn  don- 
nèrent naissance  à  une  forme  particulière  de  bâ- 
timents. En  1SG2  avait  lieu  l'expédition  du  Mexi- 
que. En  18ii6  la  guerre  de  la  Prusse  et  de  l'Italie 
contre  l'Autriche  donna  lieu  à  un  fait  marilime 
d'une  grande  importance  pour  l'avenir  des  ba- 
tailles navales  :  ce  fut  le  premier  clioc  des  bâti- 
ments cuirassés.  La  flotte  italienne,  composée  de 
36  bàdmenis,  dont  12  cuirassés,  se  rencontra  à 
Lissa  avec  l'escadre  autrichienne  de  l'amiral  Te- 
gethof,  forte  seulement  de  7  frégates  blindées  et 
de  2  1  bâtiments  en  bois  ;  elle  se  retira  après  avoir 
perdu  une  frégate  cuirassée  coulée  par  le  choc 
d'une  frégate  autrichienne  également  cuirassée,  un 
monilor  incendié  et  environ  700  hommes. 

Enfin,  pour  clore  cette  nomenclature  des  faits 
de  l'histoire  maritime  contemporaine,  nous  parle- 
rons du  rôle  de  la  flotte  pendant  la  guerre  de 
Prusse.  Au  début  des  hostilités,  il  avait  été  ques- 
tion d'expédier  dans  la  Baltique  une  escadre  cui- 
rassée et  une  flotte  de  transports  avec  40,000  hom- 
mes. Mais  la  rapidité  de  nos  défaites  sur  terre 
mit  à  néant  ces  projets,  et  deux  escadres  bloquè- 
rent dans  leurs  ports  les  forces  navales  prussien- 
nes. L'absence  de  petits  bâtiments  spéciaux  empê- 
cha toute  opération  offensive;  mais  nos  divisions 
navales  lointaines  tinrent  la  mer  libre  à  nos  natio- 
naux et  arrêtèrent  le  mouvement  commercial  des 
Allemands 

Nous  finirons  cet  aperçu  de  l'historique  de  la 
navigation  et  de  la  marine  par  l'examen  de  l'état 
actuel  des  choses. 

La  science  nautique  a  acquis  aujourd'hui  un 
degré  de  perfection  qu'il  semble  difficile  de  dépas- 
ser. Les  grandes  voies  maritimes  sont  sillonnées 
par  des  milliers  de  bâlimonls  à  voiles  et  à  vapeur, 
par  des  lignes  régulières  de  magnifiques  paque- 
bots, â  bord  desquels  on  retrouve  toutes  les  com- 
modités de  la  vie.  La  météorologie  nautique,  à 
laquelle  l'essor  a  été  donné  par  les  remarquables 
travaux  de  l'Américain  Maury,  a  conduit  progres- 
sivement à  la  connaissance  des  meilleures  routes 
<i  suivre  pour  utiliser  les  vents  et  les  courants  ré- 
gnant îi  chaque  époque  de  l'année.  L'hydrogra- 
phie des  mers,  poursuivie  par  les  principales  na- 
tions maritimes,  a  établi  la  confignialion  exacte, 
et  dans  ses  moimlres  détails,  des  côtes  maritimes 
du  globo  et  des  dangers  qui  les  bordent.  Six 
mille  phares  régulièrement  entretenus  sur  le  lit- 
toral du  monde  entier  guident  le  marin  par  la 
puissance  et  la  diversité  de  leurs  feux  ;  des  balises 
nombreuses  lui  signalent  l'existence  des  écueils 
sous-marins,  «oit  en  attirant  ses  regards,  soit  en 
frappant  ses  oreilles  par  la  production,  à  l'aide  de 
la  houle    do   sons   d'une  graniie   puissance.   Des 


règlements  internationaux  sont  adoptés  par  les 
marines  pour  prévenir  les  terribles  catastrophes 
des  rencontres  k  la  mer.  De  nombreuses  stations 
de  sauveta','0,  munies  de  tous  les  engins  propres  à 
sauver  la  vie  des  naufragés,  sont  échelonnées  le 
long  du  littoral  des  pays  civilisés.  La  terre  est 
partout  fouillée  pour  alimenter  de  combustible  ces 
hottes  immenses  qui  traversent  les  mors.  Des  dé- 
pôts do  charbons  sont  établis  partout  où  le  sol  n'a 
pas  encore  été  creusé.  De  vastes  pêcheries  sont 
entreprises  dans  les  parages  reconnus  les  plus 
poissonneux,  en  Islande,  à  Terre-INeuve  où  cette 
industrie  occupe  plus  de  trois  mille  bâtiments. 
D 'S  câbles  télégraphiques  transmettent  la  pensée 
i  travers  les  océans. 

Une  voie  nouvelle,  ouverte  en  1860,  rapproche 
aujourd'hui  de  l'Europe  les  peuples  de  l'extrème- 
Oi-ient  et  de  l'Océanie.  L'isthme  de  Suez  est  percé; 
un  canal  long  de  162  kilomètres,  large  de  60  mètres 
et  profond  de  8  mètres,  fait  communiquer  la  Médi- 
terranée à  la  mer  Rouge  :  grande  œuvre  de  civili- 
sation qui  immortalise  le  nom  de  son  créateur, 
M.  de  Lesseps,  dont  la  ferme  velouté  poursuit 
encore  cet  autre  projet  grandiose  de  séparer  les 
deux  Amériques  et  d'inaugurer  une  nouvelle  route 
pour  le  Pacifique.  Enfin  le  passage  du  nord-est, 
reconnu  récemment  par  les  Suédois  Nordenskiôld 
et  Palander,  au  nord  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  est 
appelé,  sinon  à  devenir  une  route  commerciale 
pratique,  du  moins  à  étendre  le  domaine  scienti- 
fique et  peut-être  même  les  relations  de  certains 
peuples. 

Le  temps  semble  proche  où  les  antiques  nations 
orientales  et  les  peuplades  océaniennes,  subissant 
l'influence  civilisatrice  des  nombreuses  relations 
que  créeront  ces  voies  multipliées,  seront  entraî- 
nées il  leur  tour  dans  le  grand  mouvement  mari- 
time, auquel  elles  n'ont  pas  encore  participé.  Déjà 
le  Japon,  renversant  ses  anciennes  traditions,  s'est 
lancé  dans  le  progrès,  et  le  vieil  empire  chinois 
lui-même  a  commencé  à  ébranler  ses  antiques 
institutions. 

En  ce  qui  concerne  les  flottes  actuelles  destinées 
à  la  guerre,  l'introduction  des  cuirasses  et  des 
tourelles  en  a  amené  la  transformation  complète. 
Les  anciens  vaisseaux  do  cent  et  de  cent  vingt  ca- 
nons ont  fait  place  à  des  bâtiments  portant  un 
petit  nombre  de  pièces  d'une  artillerie  formidable, 
destinée  â  percer  les  plaques  de  cuirasse,  dont 
l'épaisseur  atteint  jusqu'à  60  centimètres.  Un 
éperon  terrible  en  acier,  placé  à  une  certaine  pro- 
fondeur sous  la  ligne  de  flottaison,  arme  le  taille- 
mer  de  ces  colosses  bardés  de  fer.  L'adoption  des 
torpilles  pour  la  destruction  instantanée  de  ces 
coûteuses  constructions,  dont  le  prix  atteint  plu- 
sieurs dizaines  de  millions,  modifie  également  les 
conditions  de  la  guerre  maritime  dont  elle  anéan- 
tit les  anciennes  tactiques. 

Ces  torpilles,  dont  la  première  application  fut 
faite  par  les  Russes, en  I8.i5,  dans  la  mer  Baltique, 
sont  aujourd'hui  de  plusieurs  espèces  selon  leur 
destination  :  les  unes,  dites  doi-'iianlc'.  reposent 
sur  le  fond  ou  sont  mouillées  entre  deux  eaux  ; 
chargées  de  poudre  ou  do  coton-poudre,  elles 
sont  enflammées  soit  par  l'électricité,  soit  par  le 
choc  même  des  bâtiments;  d  autres,  dites  auto- 
motrices, sont  de  véritables  petits  navires  sous- 
marins,  en  forme  de  cigares  ;  lancées  tout  d'abord 
au  moyen  de  l'air  comprimé,  elles  conlinuetit  leur 
course  dans  une  direction  rectiligtie  ou  circulaire 
prévue,  à  l'aide  de  petites  hélices  mises  en  mou- 
vement par  une  machine  à  air  comprimé  placée  à 
l'intérieur.  Elles  peuvent  atteindre  une  vitesse  de 
vingt-cinq  nœuds  (46  kilomètres  à  l'heure).  D'autres 
sont  remorquées  par  les  bâtiments  en  marche  dont 
elles  défendent  les  approches;  d'autres  enfin  sont 
portées  au  bout  d'un  mâtereau  disposé  à  lavant 
d'embarcations  à  vapeur  filant  jusqu'à  vingt  nœuds 


NAVIGATION 


1408 


NEIGE 


(37  kiloni.  à  l'heure).  Ces  dernières  torpilles  sont 
également  ennamniées  soit  par  l'électricité,  soit 
par  leur  choc  contre  le  navire. 

11  est  reconnu  qu'une  torpille, chargée  de  15  ki- 
logrammes de  coton-poudre,  éclatant  à  l",5(>  au- 
dessous  de  la  surface  de  l'eau  et  à  30  centimètres 
de  la  muraille  du  plus  fort  cuirassé,  suffit  pour  le 
faire  immédiatement  sombrer. 

LaFrance  qui,  la  première,  adonné  l'impulsion 
aux  types  nouveaux  des  navires  de  guerre,  consacre 
chaque  année  un  budget  de  165  millions  à  l'entre- 
tien de  sa  flotte  ;  celle-ci  occupe  aujourd'hui,  par  le 
nombre  des  bâtiments  qui  la  composent,  le  se- 
cond rang  parmi  les  nations  maritimes. 

Notions  techniques.  —  Au  point  de  vue  techni- 
que, la  navir/ittion  est  cette  branche  de  la  science 
nautique  qui  a  pour  but  de  déterminer  la  route  à 
suivre  sur  les  mers  pour  aller  d'un  point  à  un 
autre  et  la  position  du  navire  sur  le  globe  h  tout 
instant  de  cette  route.  La  position  d'un  lieu  sur  la 
terre  étant  donnée  par  sa  latitude  et  sa  longitude, 
c'est  à  la  connaissance  de  ces  coordonnées  géogra- 
phiques que  tendent  les  moyens  employés.  Lorsque, 
dans  la  recherche  de  ces  éléments,  la  navigation 
agit  sans  le  secours  des  astres,  elle  prend  le  nom 
de  navigation  par  Vestirne,  et  lorsqvi'elle  utilise  la 
position  et  la  marche  des  astres  dans  la  voûte  cé- 
leste, elle  prend  le  nom  de  navigation  astronomi- 
que ou  Itautuiiére. 

Dans  la  première,  les  moyens  employés  sont 
élémentaires  et  leur  intelligence  ne  nécessite  que 
quelques  explications  très  simples.  Si  le  bâtiment 
navigue  le  long  d'une  côte,  sans  perdre  la  terre 
de  vue,  ce  qui  constitue  le  cutjidiv^e,  le  problème 
est  réduit  à  sa  plus  simple  expression  et  se  borne 
à  la  connaissance  des  écueils  sous-marins  qu'il 
importe  d'éviter,  à  celle  des  courants  qu'il  faut 
utiliser  ou  écarter,  à  l'emploi  de  la  boussole  :  c'est 
le  pilotnqe. 

Dans  la  navigation  au  long  cours,  alors  que  le 
bâtiment  franchit  des  étendues  considérables  de 
mer,  le  marin  combine  l'estime  avec  les  observa- 
tions des  astres.  Sans  vouloir  entrer  ici  dans  des 
détails  que  ne  comporte  pas  cet  article,  il  peut 
être  utile  de  donner  l'explication  de  quelques 
termes  usuels  employés  dans  la  marine.  La  navi- 
gation par  l'estime  comprend  la  connaissance  du 
point  de  départ  du  bâtiment,  lorsque  celui-ci  va 
perdre  la  terre  de  vue,  la  direction  à  suivre  ou 
celle  suivie,  et  la  longueur  de  chemin  parcouru. 
Les  deux  premiers  éléments  sont  obtenus  à  l'aide 
de  la  boussole  et  de  la  carte  marine;  le  troisième 
à  l'aide  du  loch. 

La  boussole,  que  les  marins  appellent  compas, 
est  généralement  connue  de  tout  le  monde,  aussi 
n'avons  nous  besoin  d'entrer  ici  dans  aucune  expli- 
cation h.  ce  sujet  (V.   Boussole  et  Orientation). 

Les  cartes  marines  employées  dans  la  navigation 
sont  les  cai-tes  réduites,  dites  aussi  caitCide  Mer- 
cator,  du  nom'  de  l'inventeur  de  cette  projec- 
tion (1569);  elles  satisfont  à  cette  double  condi- 
tion de  représenter  la  route  du  bâtiment  par  une 
ligne  droite  faisant,  avec  les  méridiens  qui  y  sont 
tracés,  le  même  angle  que  la  route  réelle,  suivie 
sur  le  globe,  fait  avec  les  plans  méridiens  de  la 
terre,  et  de  conserver  aux  points  de  la  carte  les  po- 
sitions relatives  que  les  points  correspondants  ont 
sur  le  globe.  La  route  suivie,  lorsque  le  bâtiment 
ne  parcourt  pas  un  méridien  ou  un  parallèle,  est 
une  courbe  à  double  courbure  appelée  toxodnimie, 
qui,  coupant  tous  les  méridiens  sous  un  même 
angle,  se  rapproche  indéfiniment  du  pôle  sans 
pouvoir  l'atteindre.  Les  arcs  loxodromiques  sont 
représentés  sur  la  carte  réduite  par  des  lignes 
droites. 

Enfin  le  loch,  qui  sert  à  estimer  la  vitesse  des 
bâtiments,  n'est  autre  qu'un  simple  flotteur,  con- 
venablement disposé,  que  l'on  abandonne  dans  le 


sillage  du  navire,  à  l'aide  d'une  corde,  ou  ligne, 
graduée  en  nceudi.  La  longueur  théorique  du 
nœud  est  de  15", 43  ;  c'est  la  12U"  partie  du  mille 
marin.  Le  mille,  qui  vaut  I8S2  mètres,  est  le 
tiers  de  la  lieue  marine  représentant  elle-même 
la  2U'  partie  du  degré  de  la  terre,  soit  5i55  mètres. 
Le  mille  est  donc  la  U0°  partie  du  degré,  c'est-à- 
dire  la  minute.  Le  temps  pendant  lequel  on  estime 
la  vitesse  du  bâtiment,  c'est-à-dire  pendant  lequel 
on  file  le  loch,  est  de  30  secondes,  précisément 
la  liO"  partie  de  l'heure,  de  telle  sorte  que  le 
nombre  de  nœuds  filés  en  30  secondes  répond 
au  nombre  de  milles  parcourus  en  une  heure  : 
ainsi,  dire  qu'un  bâtiment  file  12  nœuds,  c'est  dire 
qu'il  fait  12  milles  dans  une  heure,  soit  4  lieues 
marines,  soit  22  kilomètres  et  220  mètres.  Dans 
la  pratique  on  a  reconnu  qu'il  était  nécessaire, 
pour  l'exactitude  des  résultats,  de  faire  subir  à  la 
longueur  théorique  du  nœud  une  petite  réduction, 
et  cette  longueur  réelle  est  de  U"',61. 

La  navigation  astronomique  s'occupe  de  la  dé- 
termination des  latitude  et  longitude  du  lieu  du 
navire.  Cette  détermination,  qui  résulte  de  formu- 
les établies  par  la  science,  se  base  sur  des  obser- 
vations faites  à  l'aide  d  instruments  dedeuxsortes  : 
les  instruments  à  réflexion,  octant,  sextant,  cercle. 
pour  l'observation  des  hauteurs  des  astres  au-dessus 
de  l'horizon  de  la  mer,  et  les  chronomètres  pour 
la  connaissance,  à  tout  instant,  de  l'heure  du  pre- 
mier méridien.  Oa  sait  que  la  longitude  d'un  lieu 
est  la  distance  de  ce  lieu  à  un  méridien  de  con- 
vention, dit  premier  méridien  (l'observatoire  de 
Paris,  pour  la  France,  celui  de  Greenwich  pour 
toutes  les  autres  nations  maritimes,  sauf  l'Espagne 
qui  conserve  encore  celui  de  San  Fernando;.  Cette 
distance  a  pour  mesure  l'arc  de  l'équateur  com- 
pris entre  ces  méridiens;  elle  n'est  autre  que  l'in- 
tervalle de  temps  qui  sépare  le  passage  des  plans  de 
ces  méridiens  par  le  centre  du  soleil  pendant  le  mou- 
vement de  rot;ition  de  la  terre  sur  son  axe.  L'heure 
d'un  lieu  s'obtient  par  l'observation  directe  de  la 
hauteur  des  astres  et  à  l'aide  d'éléments  astrono- 
miques, convenablement  modifiés,  que  l'on  extrait 
d'un  ouvrage  spécial,  publié  régulièrement  et  plu- 
sieurs années  d'avance  :  en  France  par  le  Bureau 
des  longitudes,  c'est  la  «  Connaissance  des  temps  ;  >. 
en  Angleterre  par  l'observatoire  royal  de  Green- 
wich, c  est  le  Nautic'd  almanw.h. 

[A.  lianaré,  capitane  de  frégate.] 

IVEIGE.  —  Météorologie,  VU-X.  —  La  neige 
résulte  de  la  condensation  lente  de  la  vapeur 
d'eau  dans  une  atmosphère  dont  la  température 
est  notablement  au-dessous  de  h°  ;  elle  remplace 
la  pluie  dans  les  régions  ou  dans  les  saisons 
froides.  Les  flocons  de  neige  sont  d'autant  plus  vo- 
lumineux que  l'air  est  plus  chargé  de  vapeur  et 
que  sa  température  est  moins  abaissée  au-dessous 
de  zéro. 

Lorsqu'on  reçoit  pendant  l'hiver  un  flocon  de 
neige  sur  un  corps  de  couleur  sombre  et  qu'on  le 
regarde  avec  une  forte  loupe,  on  voit  qu'il  est 
formé  par  l'agglomération  d'un  nombre  plus  ou 
moins  grand  de  cristaux  dont  les  formes  très  va- 
riées dérivent  toutes  de  l'hexagone,  polygone  régu- 
lier à  six  côtés  et  à  six  angles  égaux,  ou  du  trian- 
gle équilutéral.  Les  lamelles  cristallines  juxtapo- 
sées, dans  les  figures  les  plus  compliquies,  for- 
ment toujours  entre  elles  un  angle  de  60  ou 
de  120°. 

Chaque  lamelle  cristalline,  prise  isolément,  est 
d'une  transparence  parfaile  ;  mais  les  faces  qui 
la  terminent  sont  très  polies  et  brillantes.  Cha- 
cune d'elles  réfléchit  une  notable  partie  do  la  lu- 
mière qu'elle  reçoit;  et  comme  elles  sont  extrê- 
mement nombreuses,  môme  sous  une  faible  épais- 
seur de  neige,  la  somme  de  lumière  réfléchie 
donne  à  l'ensemble  un  aspect  de  vive  blancheur. 
Celte   neige    qui  semble  si   pure  a,    ceiiendant 


NEIGE 


_  l'iO!)  — 


NIVELLEMENT 


ramassé  pendant  sa  chute  au  li-avei'b  de  l  atmo- 
sphère, toutes  les  poussières  quelle  a  rencon- 
trées ;  ot,  si  on  la  fait  fondre,  elle  donne  une  eau 
rarement  transparente,  surtout  près  des  villes 
industrielles  :  elle  est  moins  pure  que  l'eau  de 
pluie.  , 

Les  flocons  de  neige  ont  un  poids  très  faible 
on  comparaison  de  leur  volume.  Leur  chute  dans 
l'air  est  donc  très  lente;  la  couche  qu'ils  forment 
il  la  surface  du  sol  occupe  une  épaisseur  beau- 
coup plus  considérable  que  celle  de  l'eau  qui  pro- 
vient de  leur  fusion  ;  d'autant  plus  considérable 
iiue  l'air  est  plus  humide  et  la  température  plus 
ilouce.  Il  faut  de  C  ii  18  ou  20  centimètres  de  neige 
pour  donner  1  centimètre  d'eau  de  fusion,  dont 
le  poids  est  10  kilogrammes  par  mètre  carré. 

A  Paris,  et  dans  les  plaines,  la  chute  de  la 
neige  peut  être  accompagnée,  comme  la  pluie  ou 
la  grôle,  d'éclairs  et  de  tonnerres.  Ce  phénomène 
est  rare,  toutefois,  parce  que  les  orages  s'y  montrent 
peu  durant  l'hiver;  que  l'orage  est  alors  accom- 
pagné de  coups  de  vents.  La  neige  est,  dans  ce 
cas,  le  plus  souvent  roulée.  Il  est  beaucoup  plus 
cpmmun  dans  les  pays  de  hautes  montagnes  sur 
lesquelles  la  neige  peut  tomber  en  toute  saison. 
La  température  de  l'air  décroît  assez  rapide- 
ment h  mesure  qu'on  s'y  élève  en  hauteur.  Cette 
diminution  de  la  température  est  en  moyenne  de 
r  par  100  ou  -JUO  mètres  d'élévation,  suivant  les 
lieux,  les  saisons  et  l'état  de  l'atmosphère.  Il  en 
résulte  que,  quel  que  soit  le  degré  de  chaleur  que 
l'on  éprouve  à  la  surface  du  sol,  on  trouvera 
toujours  dans  l'atmosphère  une  couche  de  niveau 
variable  dans  laquelle  le  thermomètre  marque- 
rait 0°.  Plus  haut  la  température  est  encore  plus 
basse.  Il  peut  donc  neiger  dans  la  montagne  alors 
qu'il  pleut  dans  la  plaine. 

En  toutes  les  régions  du  globe,  on  peut  ren- 
contrer des  montagnes  assez  élevées  pour  que  la 
neige  tombée  en  certaines  saisons  ne  puisse  y 
fondre  entièrement  dans  le  cours  de  toute  une 
année  :  elles  pénètrent  alors  dans  la  zone  des 
neiges  perpétuelles.  Cette  zone  couvre  la  surface 
entière  du  globe,  de  l'équateur  au  pôle  ;  seule- 
ment, elle  est  généralement  d'autant  plus  élevée 
au-dessus  du  niveau  prolongé  de  la  mer  qu'on 
avance  plus  près  de  l'équateur.  Les  circonstances 
locales  peuvent  toutefois  en  modifier  sensiblement 
la  hauteur.  En  voici  quelques  exemples  : 


Cotes  <li'  Noiwe(,'c 

Oural  scptcntnonal 

Alpes 

Pyrénéfis 

Etna  (Sicile) 

Himalaya,  versant  septentrional 
—  versant  meridion-' 

Abyssinic 

Sierra  Nevaihi  fAnicii(|ue   n 

llionalo) : 

Andes  ,1e  Quito 

Détroit  «le  Magellan 


7IM5'.\- 

-i6  0  .N' 

.13  0  >■ 

:17  30  N 

31  0  N 

31  0  N 

31  0  N 

19  U  N 


3930 
4Ô01J 
4' .30 
4SI3 
1130 


La  neige,  tant  qu'elle  est  à  l'état  de  blancheur, 
est  un  très  mauvais  conducteur  du  froid;  elle 
ralentit  la  pénétration  de  la  gelée  dans  le  sol  et 
préserve  de  ses  effets  les  plantes  qu'elle  recou- 
vre. Dès  qu'elle  commence  à  fondre  par  l'action 
des  pluies  ou  d'un  air  chaud,  elle  absorbe,  pour  se 
transformer  en  eau,  une  grande  quantité  de  cha- 
V  Partie. 


leur  qu'elle  fait  passer  h  l'état  latent;  elle  devient 
alors  une  source  de  fraîcheur  en  quelque  lieu 
([U'elle  soit  déposée. 

La  neige  peut  disparaître  aussi  sans  trop  chan- 
ger d'aspect,  soit  par  simple  évaporation  dans 
l'air,  soit  sons  l'influence  des  rayons  solaires  ; 
mais  comme  elle  réfléchit  énergiquement  ces  der- 
niers, elle  n'en  retient  qu'une  faible  partie  et 
fond  lentement;  mais  si  des  poussières,  des  cen- 
dres, couvrent  sa  surface,  chaque  grain  opaque 
absorbe  une  plus  forte  proportion  de  ces  rayons 
et  active  la  fusion. 

La  neige  est  quelquefois  rouge,  surtout  dan» 
les  régions  polaires  ou  dans  celles  des  neiges 
perpétuelles.  Cette  coloration  est  due  à  un  petit 
champignon,  VUredo  nioiiUs,  qui  a  la  propriété 
de  végéter  sur  la  neige.  [Marié-Davy.] 

NEUFS.  —  V.  Systènw  nci-veux. 

NIVKLLKMENT.  —  Arpentage,  VIII  et  IX.  — 
Opération  accessoire  de  l'arpentage  qui  a  pourbut 
de  déterminer  la  distance  des  différents  points 
d'un  plan  à  une  même  surface  horizontale  qu'on 
appelle  le  phm  île  lepè-e  ou  de  compavnnon.i^p. 
plan  de  repère  est  arbitraire  ;  on  le  prend  ordinai- 
remint  au-dessous  de  tous  les  points  du  terrain 
qu'on  veut  représenter  ;  la  distance  d'un  point 
quelconque  du  terrain  à  ce  plan  est  ce  qu'on 
nomme  la  ciAe  de  ce  point.  On  peut  se  donner  ar- 
bitrairement la  cote  d'un  point  particulier  du  ter- 
rain ;  l'opération  consiste  alors  à  déterminer  les 
différences  de  cote  entre  ce  premier  point  et  tous 

—  Un  nivellement  peut  être  simple  ou  com- 
posé. Il  est  simple  lorsqu'il  s'agit  de  trouver  la  dif- 
férence de  cote  de  deux  points  Aet  B  peu  éloignés 
l'un  de  l'autre,  de  telle  sorte  qu'on  puisse,  par  une 
seule  station,  obtenir  le  résultat.  Le  plus  souvent 
on  opère  avec  \enweriiid'eau.  —  y.  Arpent/ig,'  (In- 
struments d'.)  —  On  établit  l'instrument  en  un  point 
C,  qui  no  soit  pas  éloigné  de  plus  de  40  ou  50  mètres 
de  chacun  des  deux  points  A  et  B.  On  fait  dresser 
une  iniic  au  point  A;  on  dirige,  à  l'aide  do  l'ins- 
trument, un  rayon  visuel  horizontal  vers  cette 
mire  ;  et  l'on  fait  élever  ou  abaisser  le  voijant 
jusqu'à,  ce  que  le  rayon  visuel  passe  au  centre, 
ou  du  moins  par  un  point  de  l'horizontal  qui  le 
coupe  en  deux  parties  égales  ;  l'aide  fixe  alors  le 
voyant  à  la  mire,  et  lit,  sur  la  division  qu'elle 
porte,  la  hauteur  du  centre  du  voyant  au-dessus 
du  talon  de  l'instrument,  qui  est  posé  sur  le 
sol.  On  fait  transporter  la  mire  au  point  B;  l'o- 
pérateur, sans  déplacer  le  niveau,  fait  tourner 
le  tube  autour  de  son  axe  vertical,  mène  un  rayon 
visuel  horizontal  vers  sa  mire,  fait  fixer  le  voyant 
comme  il  a  été  dit,  et  tire  la  hauteur  de  son  centre 
au-dessus  du  talon.  La  différence  entre  les  hau- 
teurs lues  sur  la  mire  exprime  la  diflérence  de  cote 
des  points  A  et  B.  Le  point  IS  est  au-dessus  on 
au-dessous  du  point  A,  suivant  que  la  hauteur 
mesurée  en  B  est  plus  petite  ou  plus  grande  que 
celle  qui  a  été  mesurée  au  point  A. 

2.  —  Le  nivellement  est  composé  lorsque  la  dif- 
férence de  niveau  que  l'on  cherche  ne  peut  être 
obtenue  qu'à  l'aide  de  plusi 'urs  stations  intermé- 
diaires. C'est  ce  qui  a  lieu  quand  la  distance  des 
deux  points  est  un  peu  considérable,  car  il  arrive 
alors  que  les  rayons  visuels  horizontaux  menés 
d'une  station  intermédiaire,  passent,  l'un  au-dessus 
d'une  des  deux  mires  et  l'autre  au-dessous  du  talon 
de  l'autre.  Oo  choisit  alors,  entre  les  points  A  et 
B,  un  certain  nombre  de  points  intermédi^iires 
M  i\,  P,  etc.,  assez  rapprochés  pour  que  la  difTé- 
re'nco  de  cote  des  deux  points  consécutifs  puisse 
être  obtenue  par  un  nivellement  simple;  et  l'en- 
semble de  ces  nivellements  simples  constitue  le 
nivellement  composé. 

Soient  /i„  ot  A,  ces  hauteurs  lues  sur  les  mires  à 
la   première   station,   entre  A   et   M;  /i,  et  A,  les 
80 


NIVELLEMENT 


—  1410  — 


NOM 


hauteurs  analogues  obtenues  à  la  seconde  station, 
entre  M  et  N  ;  /14  et  A5  les  hauteurs  lues  à  la  troi- 
sième station,  entre  N  et  P;  et  ainsi  de  suite. 

Les  différences  successives  entre  les  cotes  se- 
ront /(o  ~  ''11  Ih—  ''3.  ''»  — ''5.  etc.;  la  différence 
totale  sera  donc: 

Aj  —  /(,  +  //.  —  //3  +  /,j  —  /(5  +  etc., 

ou,  ce  qui  revient  au  même, 

(//o-f/ij  +  Ai  +  etc.)  —  (/(,4-;,3  +  /,.  +  etc.), 

c'est-à-dire  la  somme  des  coups  arrière  diminuée 
de  la  somme  des  cuups  avant,  en  entendant  par 
i:oiip  de  nivfiau  la  hauteur  lue  sur  la  mire. 

Le  point  B  sera  au-dessus  ou  au-dessous  de  A 
suivant  que  cette  différence  totale  sera  positive 
ou  négative.  Si  elle  était  nulle,  les  points  A  et  B 
seraient  au  même  niveau. 

11  est  bon,  surtout  lorsque  le  nombre  des  sta- 
tions intermédiaires  est  considérable,  de  vérifier 
l'opération  en  allant  de  B  vers  A,  si  l'on  a  été 
d'abord  de  A  vers  B  ;  en  théorie,  les  deu.\  opéra- 
tions devraient  donner  la  môme  différence  de 
cote,  au  signe  près.  Il  est  rare  qu'on  obtienne 
cette  précision  ;  mais  si  les  deux  résultats  ne  dif- 
fèrent que  de  1  à  2  décimètres  par  kilomètre, 
quand  on  a  opéré  avec  le  niveau  d'eau,  ou  de  I  à 
'i  centimètres  quand  on  a  opéré  avec  un  niveau 
plus  précis,  on  regarde  l'opération  comme  suffi- 
samment exacte,  et  l'on  se  contente  de  répartir 
l'erreur  également  sur  toutes  les  cotj'S,  sauf  la 
première.  ;-i  l'erreur  était  plus  considérable,  il 
faudrait  reprendre  les  opérations. 

3.  —  Pour  tenir  une  note  exacte  des  opéra- 
tions parlielles,  on  ouvre  d'oidinaire  un  registre 
spécial  qui  porte  le  nom  de  registre  de  nivelie- 
rnent.  Il  se  compose  de  "  colonnes.  La  1"  contient 
les  numéros  d'ordre  des  points  successivement 
observés.  Les  2*  et  3'  reçoivent  lis  hauteurs  de 
mire  observées,  savoir  les  coups  arrière  dans  la 
'l'  et  les  coups  avant  dans  la  3«.  Les  4°  et  i>'  co- 
lonnes sont  affectées  aux  différences  entre  les 
coups  arrière  et  avant;  ces  différences  s'inscrivent 
dans  la  i'  colonne  si  elles  sont  positives,  et  dans 
la  5'^  si  elles  sont  négatives.  Les  cotes  déduites 
de  ces  différences  s'inscrivent  dans  la  B'  colonne, 
en  tète  do  laquelle  on  a  eu  soin  d'inscrire  la  cote, 
donnée  ou  arbitrairement  choisie,  du  point  de 
départ  de  l'opération.  La  V  colonne  est  réservée 
aux  observations. 

■i.  —  Il  est  rare  que,  dans  les  opérations  d'ar- 
pentage proprement  dit,  on  ait  besoin  de  faire 
connaître  exactement  le  relief  du  terrain  sur  le- 
quel on  opère;  mais  il  est  utile  cependant  que 
l'arpenteur  ait  quelques  notions  sur  la  représen- 
tation de  ce  relief.  L'élément  principal  de  cette 
représentation  consiste  dans  les  courbes  horizon- 
tales. 

Supposons  le  terrain  coupé  par  un  plan  hori- 
zontal :  l'intersection  de  ce  plan  avec  la  surface 
du  terrain  jouira  de  cette  propriété  que  tous  ses 
points  auront  la  même  cote.  Et  réciproquement  : 
si  l'on  réunit,  par  une  ligne  droite,  ou  brisée,  tous 
les  points  du  terrain  qui  ont  la  môme  cote,  cette 
ligne  sera  une  ligne  horizontale. 

Pour  se  procurer  une  pareille  ligne,  on  se  place, 
muni  d'un  niveau  d'eau,  ou  d'un  instrument  plus 
précis,  en  un  point  du  terrain  dont  la  cote  soit 
connue;  on  règle  le  voyant  d'une  mire  de  telle 
sorte  que  son  centre  soit  à  une  hauteur,  au-des- 
sus du  lalon,  égale  à  la  hauteur  du  niveau  em- 
ployé. On  fait  porter  cette  mire  sur  le  terrain,  et 
on  fait  varier  sa  position  jusqu'à  ce  que,  en  visant 
avec  le  niveau  dans  sa  direction,  le  rayon  visuel 
passe  par  le  centiedu  voyant;  on  est  sur  alors  que  le 
point  où  repose  la  hiirea  la  même  cote  que  le  point 
où  l'on  stationne;  et  on  y  fait  planter  un  piquet 
Sans  changer  de  station,  on  fait  une  série  d  obser- 


vations analogues,  en  variant  la  direction  hori- 
zontale de  la  visée;  on  obtient  ainsi  sur  le  terrain 
autant  de  points  que  il'on  veut  ayant  la  même 
cote  que  la  station  ;  on  lève,  à  la  planchette, 
le  plan  des  piquets  qui  ont  été  plantés;  par  les 
points  obtenus  on  fait  passer  une  courbe  continue; 
c'est  la  courbe  horizontale  correspondante  à  la 
station  choisie.  On  détermine  de  la  môme  manière 
les  courbes  horizontales  qui  correspondent  à 
d'autres  stations.  En  général  on  les  choisit  de 
manière  que  les  courbes  horizontales  obtenues 
soient  équidistantes,  de  5  mètres  en  .S  mètres,  de 
10  mètres  en  10  mètres,  suivant  l'étendue  et  le  re- 
lief du  terrain.  L'ensemble  de  ces  courbes  suffit 
pour  donner  tine  idée  de  ce  relief. 

5.  —  On  associe  aux  courbes  horizontales  deux 
autres  espèces  de  courbes. 

En  premier  lieu  on  trace  une  série  de  lignes 
rencontrant  à  angle  droit  toutes  les  courbes  hori- 
zontales successives;  ces  lignes,  auxquelles  on 
donne  le  nom  de  hachures,  expriment  des  pentes 
d'autant  plus  grandes  que  la  portion  comprise 
entre  deux  courbes  horizontales  consécutives  est 
plus  petite;  et  le  rapport  de  cette  portion  de  ha- 
chure à  la  distance  connue  des  deux  courbes 
horizontales,  sert  de  mesure  à  la  pente  moyenne 
entre  ces  deux  courbes. 

On  fait  aussi  usage  de  ce  qu'on  appelle  des 
profils.  Si  l'on  suppose,  par  exemple,  que  le  ter- 
rain soit  coupé  par  un  plan  vertical,  l'intersec- 
tion sera  un  profil;  et,  connaissant  les  projections 
horizontales  et  les  cotes  d'un  nombre  suffisant  de 
points  de  cette  courbe,  il  sera  facile  d'en  obtenir 
la  représentation  à  une  échelle  quelconque.  Au 
lieu  d'un  plan  vertical,  on  peut  employer  un  cy- 
lindre à  générations  verticales,  et,  en  opérant  de 
même  manière,  on  se  procure  le  profil  du  terrain  la 
suivant  une  courbe  quelconque  tracée  sur  ,sa  sur- 
face. 

On  multiplie  les  profils,  soit  rectilignes,  soit 
curvilignes,  de  manière  à  obtenir  tous  les  rensei- 
gnements nécessaires  pour  la  représentation  du 
relief. 

De  plus  amples  détails  sur  ce  sujet  appartien- 
draient à  la  topographie  plus  qu  à  l'arpentage. 
[H.  Sonnet.] 

NOM  ou  SUBSTANTIF.  —  Grammaire,  L\.  — 
Le  uom  (en  latin,  nomen,  et,  en  grec,  onoma  ou 
O'it/iii'i)  est  le  mot  qui  sort  à  désigner  les  per- 
sonnes et  les  choses.  Les  Latins  appelaient  le  nom 
sutjstantivuin  quand  il  désignait  des  individus, 
tandis  qu'ils  le  nommaient  (idjectivum,  quand  il 
servait  à  exprimer  leurs  qualités.  De  ces  deux 
catégories  de  noms,  nous  avons  formé  deux  es- 
pèces de  mots  distinctes  :  i'adj-'clif  et  le  substnn- 
lif.  Mais  ce  terme  .substantif,  dont  le  sens  précis 
est  assez  difficile  ù  saisir  pour  les  enfants,  et 
qui  d'ailleurs  ne  répond  pas  toujours  exactement 
à  l'usage  pour  lequel  on  l'avait  créé,  s'emploie  de 
moins  en  moins  dans  nos  classes,  et  finira  bientôt 
par  céder  la  place  à  ce  mot  si  simple,  le  nom,  qui 
est  beaucoup  plus  juste  et  beaucoup  plus  familier 
aux  élèves. 

Noms  propre.i.  Noms  conimuiis.  —  Au  point  de  vue 
de  la  compréliension,  c'est-à-dire  du  nombre  des 
individus  auxquels  un  même  nom  peut  s'appliquer, 
on  distingue  deux  sortes  de  noms  :  le  nom  prupre 
et  le  nom  commun.  Le  num  /riipre  (du  latin  pro- 
/j//«.>-,  qui  appartient  à  un  seul,  qu'on  ne  partage 
point  avec  d'autres)  est  celui  qui  ne  désigne 
qu'une  seule  personne  ou  une  seule  chose.  Exem- 
ples: Adam,  Eve,  faris,  tu  Heine,  les  Alpes. 

Au  contraire,  le  nom  coinniun  (du  latin  commu- 
his,  qui  appartient  à  tous)  est  celui  qui  désigne 
tous  les  individus  de  la  même  espèce.  Tels  sont 
homt/'C.  f'tmme,  ville,  fleure,  qui  peuvent  se  dire 
indifféremment  de  toics  les  hommes,  de  toutes  les 
femmes,  de  loules  les  villes  et  de  tous  les  fleuves. 


NOM 


—  1411 


NOM 


La  compréhension  dos  noms,  quii'tait  très  étroile 
il  l'oripine,  qu.iiid  on  ne.  connaissait  qu'un  indi- 
vidu, ou  que  quelques  individus  d'une  espèce, 
s'est  élargie  avec  le  progrès  des  connaissances,  et 
voici  ce  que  dit  Condillac  de  cette  transformation 
des  noms  pi  op'-es  en  noms  cutinnuns  : 

«  Si  nous  n'avions  pour  substantifs  que  des 
noms  propres,  il  les  faudrait  multiplier  sans  fin  : 
les  mots,  dont  la  multitude  surchargerait  la  mé- 
moire, ne  mettraient  aucun  ordre  dans  les  ob- 
jets de  nos  connaissances,  ni,  par  conséquent, 
dans  nos  idées,  et  tous  nos  discours  seraient 
dans  la  plus  grande  confusion.  On  a  donc  classé 
les  objets,  et  les  substantifs,  qui  étaient  des 
noms  propres,  sont  devenus  des  noms  communs, 
lorsqu'on  a  remarqué  des  choses  qui  ressem- 
blaient à  celles  qu'oJi  avait  déjà  nommées.  (Con- 
dillac, Grammriire,  11"  partie,  ch.  i''.)  n 

Les  enfants  demandent  quelquefois  si  des  noms 
tels  f\\iA.exnndie,  <  hurles,  Heiin,  qu'ils  trouvent 
employés  pour  désigner  des  individus  nombreux 
et  différents,  sont  des  noms  propres.  On  leur  fera 
facilement  comprendre  que  ces  noms  ne  peuvent 
être  des  noms  communs,  on  appelant  leur  atten- 
tion sur  le  sens  exact  de  ce  terme,  et  en  leur  di- 
sant qu'un  nom  cutnrnun  doit  pouvoir  s'appliquer 
à  n'importe  quel  individu  de  l'espèce  à  laquelle  il 
appartient. 

Noms  concrets,  noms  abitraits.  —  Lorsqu'un 
objet  se  présente  à  nos  regards,  nous  remar- 
quons en  lui  un  certain  nombre  de  manières  d'être. 
Sa  couleur  nous  révèle  sa  forme  et  son  étendue; 
le  toucher  peut  aussi  nous  apprendre  s'il  est  lisse 
ou  rugueux,  dur  ou  mou,  etc.  Je  vois  un  arbre, 
par  exemple  ;  il  me  parait  gris  ou  vert,  suivant  la 
saison  ;il  est  petit  ou  grand,  mince  ou  gros,  élancé 
ou  touffu.  C'est  parce  que  ces  qualités  se  <lé<eio,,- 
pent  en  quelque  sorte  nvec  ('■oitcrescunt)  l'objet 
que  l'on  considère,  qu'on  a  appelé  noms  concrets 
ceux  qui  désignent  des  objets  considérés  avec  l'en- 
semble de  leurs  qualités.  Ainsi,  arlire,  jnrd'n. 
maison.  Iinmine,  sont  des  nous  concrets,  puisque 
leur  aspect  révèle  une  quantité  plus  ou  moins 
considérable  de  manières  d'être.  C'est  à  ces  noms 
concrets  seulement  que  peut  convenir  la  dénomi- 
nation de  substiiiiti/<,  puisque  les  obiets  qu'ils 
désignent  sont  les  seuls  qui  éveillent  dans  notre 
esprit  l'idée  d'une  su'.staiice,  c'est-à-dire  d'une 
sorte  de  fond  qui  semble  se  tenir  sous  (sub-sture) 
ces  qualités  et  leur  servir  de  base  et  d'appui. 

Mais,  parmi  toutes  les  manières  dètre  d'un 
objet,  je  puis  en  considérer  une  isolément,  et  la 
détacher  (a/,s/)-«//e/<')  en  quelque  sorte,  par  une 
opération  de  mon  esprit,  de  l'objet  auquel  elle 
appartient.  Ainsi  que  je  sois  frappé,  par  exemple, 
des  dimensions  que  présente  le  tronc  de  l'arbre 
que  j'examinais  tout  à  l'heure,  je  dirai  :  <.  la  ç/ros- 
seur  et  la  hauleur  de  cet  arbre  m'ont  étonné.  » 
J'a,i  ainsi  abstrait,  c'est-à-dire  détaché  deux  ma- 
nières d'être  de  l'arbre  ;  je  puis  aller  plus  loin 
encore,  je  puis  prêter,  en  quelque  sorte,  une 
existence  indépendante  à  ces  produits  de  l'abstrac- 
tion, et  dire  :  «  La  qnmiteur  et  l'éMimtion  frappent 
vivement  tous  les  hommes.  »  On  appelle,  en  con- 
séquence, noms  abstraits  ceux  qui,  comme  qrnn- 
cleur,  élévation,  désignent  des  nianif'res  d'être  sé- 
parées de  l'objet  auquel  elles  appartenaient. 

Noms  collertifs.  _  Les  noms  collertifs  (du 
latm  lollectum,  supin  de  colnijcre,  réunir)  se 
nomnient  ainsi  parce  que.  môme  au  singulier,  ils 
e.\prinient  une  réunion,  une  collection,  un  nom- 
bre plus  ou  moins  considérable  d'individus  ;  tels 
sont  :  muititui/e,  foule,  i-ifvnté,  nombre,  etc. 

Il  y  a  deux  sortes  de  noms  collectifs  :  les  col- 
lectifs (léneriiux  et  les  collectifs  partitifs. 

Un  collectif  est  général  quand  il  comprend  une 
catégorie  tout  entière  d'individus.  Kx.  :   la  /ouïe 


des    hommes.  Il   est  ici  question  de   l'humanité 
tout  entière. 

Un  collectif  est  partitif,  lorsqu'il  ne  désigne 
qu'une  partie  de  l'espèce  dont  il  s'agit.  Exemple  : 
une  foule  de  gens.  Il  n'est  pas  question,  dans  ce 
cas,  de  toute  l'humanité.  Cette  distinction  est 
importante.  Kn  effet,  bien  qu'un  écrivain  soit  tou- 
jours libre  d'appeler  l'attention  du  lecteur  sur  le 
collectif  ou  sur  le  nom  qui  lui  sert  de  complé- 
ment, c'est  ordinairement  avec  le  collectif  que 
le  verbe  s'accorde  quand  ce  collectif  est  gé- 
néral, tandis  qu'il  prend  le  nombre  du  com- 
plément quand  le  collectif  est  partitif.  On  dira 
donc  : 

«  La  foule  des  hommu^  est  sujette  ii  l'erreur.  — 
Une  foule  d'enfants  se  perdent  par  la  lecture  des 
mauvais  livres.  » 

On  reconnaît  que  le  collectif  est  général, 
quand  il  est  précédé  de  l'article  défini  ou  de  l'ad- 
jectif démonstratif  ;  au  contraire,  le  collectif  est 
partitif  quand  il  est  précédé  d'un  adjectif  in- 
défini, comme  un,  une. 

Noms  composés.  —  On  appelle  noms  composés 
ceux  à  la  formation  desquels  concourent  deux  ou 
plusieurs  radicaux.  Tels  sont  :  philoso/ihos,  en 
grec,  philosophas,  en  latin,  qui  ont  donné  le  mot 
français  philosophe.  Dans  la  langue  grecque  et  la 
langue  allemande,  les  mots  composés  se  forment 
avec  la  plus  grande  facilité.  Les  radicaux  se  sou- 
dent les  uns  aux  autres,  et  la  désinence  s'ajoute 
au  dernier  radical.  En  français,  si  l'on  excepte 
ceux  qui  dérivent  du  latin  ou  du  grec,  les  noms 
que  les  grammairiens  français  ont  appelés  com- 
posés se  forment  par  juxtaposition.  Tels  sont  : 
chi.u-fleur,  porte-étendard,  pot-au-fu. 

Ces  noms  ne  sont  pas  en  réalité  composés, 
mais  bien  plutôt 7"a'<a/.o,ses.  On  verra,  à  la  fin  de 
cet  article,  comment  les  noms  se  composent  à 
l'aide  des  affixos. 

Noms  mdc finis.  —  On  appelle  indéfinis,  les 
noms  qui  désignent  un  nombre  indéfini,  indéter- 
miné, de  personnes  ou  de  choses.  Tels  sont  :  peu, 
beaucoup,  lu  plupart,  quantité,  tmp,  assez,  etc. 
Il  faut  remarquer  que  peu  et  heauc'uip  ne  doi- 
vent point  s'employer  comme  collectifs,  sans  un 
complément  qui  les  détermine.  Ne  dites  donc  pas  : 
cbeuucoup  pensent  ainsi,  »  mais  :  "  beaucoup 
à'hnmmes,  de  personnes,  pensent  ainsi.  » 

Du  genre.  —  En  grammaire,  on  appelle  genre 
la  propriété  qu'ont  certaines  parties  du  discours 
de  distinguer  le  sexe. 

En  fiançais,  il  n'y  a  que  deux  genres  :  le  mas- 
culin et  le  féminin.  Notre  langue  n'a  conservé 
aucune  trace  importante  du  genre  neutre,  qui 
désignait  généralement,  en  grec  et  en  latin,  ce 
qui  n'appartenait  ni  au  sexe  mâle,  ni  au  sexe 
femelle. 

Les  noms  d'hommes  et  d'animaux  mâles  sont 
du  genre  masculin  ;  les  noms  de  femmes  et  d'a- 
nimaux femelles  sont  du  genre  féminin.  De  plus, 
on  a  attribué,  en  français,  le  genre  masculin  et  le 
genre  féminin  à  la  plupart  des  noms  qui  avaient, 
en  latin,  l'un  ou  l'autre  de  ces  genres. 

Quant  aux  noms  neutres,  ils  sont  généralement 
devenus  masculins  en  passant  du  lalin  en  fran- 
çais. Cependant,  quelques  pluriels  neutres,  étant 
terminés  en  a,  ont  été  pris  à  tort  pour  des  noms 
féminins  de  la  première  déclinaison  latine,  qui 
ont  aussi  a  pour  désinence.  Ainsi  foliu,  pluriel 
neutre  de  fulium.  a  donné  le  nom  féminin  feuille. 
Il  en  est  de  même  de  piru,  puma,  etc.,  qui  ont 
formé  la  poire,  la  pomme. 

Iieu,aii/ues  sur  le  i/en^e  de  quelques  noms.  — 
Quelques  noms  soin  tantôt  du  masculin  et  tantôt 
du  féminin.  Ainsi,  amour,  del'ce  et  orgue  sont 
du  masculin  au  singulier  et  du  féminin  au  plu- 
riel. La  grammaire  historique  rend  compte  de 
celte     anomalie.     En   co   qui     concerne    le     mot 


NOM 


1412 


NOM 


amour,  elle  nous  apprend  que  les  mots  mascu- 
lins en  or  du  latin  sont  presque  tous  devenus 
féminins  en  passant  dans  la  langue  française.  Les 
savants  du  moyen  âge  ayant  voulu  restituer  au 
mot  amour  son  genre  latin,  ne  réussirent  que 
pour  le  singulier.  On  écrit,  en  conséquence,  U7i 
fol  amour,  de  folles  amourx. 

Quant  au  mot  déliera,  il  vient  du  mot  latin 
neutre  delicium,  dont  le  pluriel  était  du  féminin  ; 
deliciic.  On  s'explique  donc  facileiuent  qu'il  ait 
également  ces  deux  genres  en  français,  lie  même, 
orgue,  masculin  au  singulier,  reproduit  le  neutre 
orqnnum;  tandis  que  le  pluriel  féminin  a  été 
calqué  sur  le  pluriel  neutre  orgnna,  que  l'on  a 
pris,  comme  nous  l'avons  dit  plus  liaut,  pour  un 
nom  féminin  de  la  première  déclinaison. 

Gent  (qui  vient  du  latin  gens,  race,  famille) 
est  féminin  au  singulier  comme  en  latin;  «  la 
gent  écnliére.  »  Au  pluriel,  "  les  gens,  »  il  désigne 
collectivement  les  liommes  et  les  femmes,  et,  par 
conséquent,  devrait  être  exclusivement  du  mascu- 
lin. Il  semble  qui!  se  soit  fait  sur  ce  mot  un  com- 
promis ;  les  adjectifs  qui  précèdent  immédiatement 
ce  nom  prennent  son  genre  étymologique,  c'est-à- 
dire  le  féminin;  tandis  que  les  adjectifs  qui  le  sui- 
vent prennent  le  genre  qu'a  ce  nom  au  figuré,  le 
mnsctdin.  On  écrira  donc  :  «  Formés  par  l'expé- 
rience, les  vieilles  gens  sont  pruihnts,  soupçon- 
neux, »  ce  qui  parait  très  bizarre  quand  on  ne  re- 
connaît pas  la  cause  de  cette  anomalie.  Quant 
au  mot  unis,  précédant  i/rus.  il  se  règle  sur  l'eu- 
phonie. On  écrit  :  «  tout  les  honnêtes  gens,  u 
parce  qulujiniéte  n'a  pas  au  féminin  une  forme 
spéciale  ;  et  on  dit  :  «  tnuffs  les  vieil/es  gens,  » 
parce  que  vieilles  est  une  forme  spéciale  qui  for- 
cément appelle  le  féminin  toutes.  —  Gens  est  uni- 
quement du  masculin  quand  il  éveille  spéciale- 
ment l'idée  d'honnnes  :  «  de  nombreux  gens  d'af- 
faires, les  vrais  gens  do  lettres.  » 

Parmi  les  noms  qui  ont  les  deux  genres,  il  faut 
encore  citer  les  suivants  : 

Aigle,  oiseau,  est  du  masculin,  îi  moins  qu'on 
ne  désigne  spécialement  la  femelle  :  "  On  fit  en- 
tendre Ji  l'aigle  enfin  qa'clle  avait  tort.  «  (La  Fon- 
taine.) Au  figuré,  il  est  du  féminin  ;  «  les  aigles 
romaines  ii  (les  enseignes). 

Couple,  signifiant  simplement  dtajc.  est  du 
féminin  :  «  une  roupie  de  perdreaux.  >■  Il  est  du 
masculin  quand  il  exprime  l'idée  d'union,  d'en- 
tente :  «  un  couple  bien  assorti.    » 

Foudre,  au  propre,  est  du  féminin  ;  dans  le 
sens  figuré,  il  est  du  masculin  :  «  un  foudre  de 
guerre.  » 

CEuvre  était  autrefois  du  masculin  au  singu- 
lier; il  l'est  encore  au  figuré  et  dans  le  style  sou- 
tenu :  0  le  grrind  œuvre,  tout  l'œuvre  de  Cor- 
neille. »  Mais,  dans  le  style  ordinaire,  il  est 
du  féminin,  et  il  vaut  mieux  lui  donner  dans 
tous  les  cas  ce  genre  :  «  une  bonne  oeuvre,  une 
belle,  œuvre.  » 

Orge  n'est  du  masculin  qu'en  pharmacie,  «  de 
l'orge  perlé,  de  l'orire  mondé.  ■>  Dans  tous  les 
autres  cas,  il  est  du  féminin. 

Pàque,  fête  des  Juifs,  est  du  féminin  singulier 
et  prend  l'article  :  «  manger  la  Pàque.  »  —  Pf'i- 
ques,  fête  des  chrétiens,  est  du  masculin  singu- 
lier :  «  Pâques  est  tardif  cette  année.  »  Au  figuré, 
il  est  du  féminin  pluriel  :  «  faire  de  tonnes  P.i- 
ques  »  fc'est-a-dire  faire  une  bonne  communion). 
Ce  qu'il  importe  de  faire  remarquer  avant  tout 
aux  élèves,  c'est  que  le  changement  du  genre  est 
presque  toujours  la  conséquence  d'un  change- 
ment de  signification. 

Formation  du  féminin  dans  les  noms.  —  La 
langue  française  a  des  noms  spéciaux  pour  dési- 
gner les  deux  sexes  dans  la  famille,  ou  encore 
dans  les  espèces  animales  qui,  de  temps  immé- 
morial, vivent    dans  la   domesticité  do   l'iiommc. 


C'est  ainsi  que  nous  disons  :  homme,  femme, 
père,  mère,  oncle,  tante,  net^eu,  nièce,  fils,  fille, 
—  et,  de  même  :  chuval,  jument,  binuf,  taureau, 
vache,  génisse,  bouc,  c'ièvre,  bélier,  brebis,  coq, 
poule,  etc. 

Notons  en  passant  que  certains  mots,  comme 
chevid,  bœuf,  mou/on,  s'emploient  non  pour  expri- 
mer l'idée  de  sexe,  mais  pour  désigner  ces  ani- 
maux comme  alimoits  ou  comme  espèces. 

Lorsque  le  nom  spécial  manquait,  on  a  pu  tirer 
le  féminin  du  masculin,  quand  la  terminaison  s'y 
prêtait,  do  même  qu'on  forme  le  féminin  de  l'ad- 
jectif (V.  Adjertif).  Exemple  :  ours,  ourse;  chien; 
chienne;  chat,  chatte;  tigre,  tigresse;  loup,  louve. 
Cependant  l'usage  n'a  pas  étendu  cette  formation 
à  tous  les  cas,  et  fort  souvent  l'on  emploie  les 
mots  mâle  et  femelle,  que  l'on  ajoute  au  nom  pour 
désigner  de  quel  sexe  on  parle,  bien  que  la  dési- 
nence du  masculin  se  prêtât  tout  naturellement  à 
la  dérivation  d'un  nom  féminin.  On  dit,  par  exem- 
ple, un  pinson,  un  chardonneret  mnlc,  un  pinson, 
un  chardonneret /'fme//p,  ou  encore  une  femelle  de 
pinson,  de  chardonneret. 

Notons  encore  que  le  mot  enfant  peut  s'em- 
ployer pour  désigner  les  deux  sexes,  mais  seule- 
ment au  singulier;  on  dira  donc,  en  parlant  d'une 
fille  :  «  une  charmante  enfant.  "  Au  pluriel,  ce 
mot  est  exclusivement  du  masculin. 

Du  nombre  dans  les  noms.  —  On  entend  par 
nombre,  en  grammaire,  Vindication  de  l'unité  ou 
de  la  pluralité. 

Il  n'y  a,  en  français,  que  deux  nombres,  le  sin- 
guliei ,  qui  ne  désigne  qu'un  seul  objet,  et  ie  plu- 
riel, qui  en  désigne  une  quantité  plus  ou  moins 
considérable. 

Les  Grecs  avaient  un  troisième  nombre,  dont  on 
ne  trouve  que  quelques  traces  chez  les  Latins  : 
le  dîiel,  qui  servait  à  désigner  les  objets  qui  se 
présentent  généralement  par  couple  dans  la  na- 
ture :  les  deux  yeux,  tes  deux  mains,  les  deux 
pieds. 

Formation  du  pluriel.  —  Le  pluriel  se  forme 
généralement  en  ajoutant  un  s  au  singulier.  Exem- 
ple :  le  livre,  les  livres.  Cette  règle  nous  vient  du 
latin.  Des  six  cas  que  pouvaient  prendre  les  noms 
déclinables  de  cette  langue,  deux  seuls  survécu- 
rent enfin  aux  mutilations  que  subit  la  langue  la- 
tine depuis  le  jour  où  elle  fut  introduite  dans  la 
Gaule  par  les  légions  de  Jules  Cé.sar.  Ces  deux  cas 
étaient  Vnccusatif  siiigulier  et  ['ocrnsatif  pluriel, 
le  premier  terminé  généralement  par  le  suffixe  m, 
et  le  second,  par  le  suffixe  .ç.  Il  est  dès  lors  natu- 
rel que  la  forme  de  ces  deux  cas  ait  servi  de  mo- 
dèle à  notre  singulier  et  à  notre  pluriel.  De  là  ces 
noms  singuliers  qui,  comme  la  rove,  le  livre,  la 
couleur,  représentent  les  accusatifs  rosnm,  li- 
brum,  colorem,  tandis  que  les  noms  pluriels  les 
roses,  les  livres,  les  couleurs  ont  été  calqués  exac- 
tement sur  rosns,  libres,  colores  et  leur  ont  em- 
prunté l's  désinentiel. 

Quant  aux  noms  français  qui  ont  été  formés 
de  noms  neutres  latins,  dont  l'accusatif  pluriel  se 
termine  par  a,  et  non  par  .s,  ils  n'auraient  pas  dû 
logiquement  prendre  un  s  au  pluriel.  Et,  en  effet, 
nous  avons  remarqué  plus  haut  que  quelques-uns 
de  ces  pluriels  neutres  avaient  même  formé  des 
noms  singuliers,  comme  la  joie,  la  feuille.  Mais 
comme  ces  noms  étaient  de  beaucoup  les  moins 
nombreux,  on  leur  a  appliqué  le  procédé  le  plus 
général,  et  on  a  écrit  les  tetnpies.  les  arme^,  bien 
que  teriipla,  arma  ne  fussent  point  terminés  par 
un  s. 

Remarques  sur  la  formation  du  pluriel.  — 
1"  Quand  un  nom  est  déjà  terminé  par  un  s  au 
singulier,  il  est  naturel  que  l'on  n'ajoute  point  ce 
signe  pour  former  le  pluriel.  On  écrit  donc  :  le  fijs, 
li-s  fils.  Il  on  est  de  même  si  le  nom  se  termine 
par  .1  ou  par  :.  qui  n'étaient  ([uc  des  équivalents 


NOM 


—  i'ii;j 


NOM 


de  s  dans  notre  ancienne  langue,  où   l'on  écrivait 
indifféremment  /es  lois  ou  les  loiv;  un  7îes  ou  un 

2"  Cet  emploi  de  a;  pour  s  est  maintenant  de 
règle  pour  former  le  pluriel  des  noms  en  au  et  en 
eu,  et  l'on  est  forcé  d'écrire  i/es  couteaux,  des  che- 
veux (la  seule  exception  est  landau,  pluriel  lan- 
daus, espèce  de  voiture); 

3"  On  emploie  encore  exclusivement  \'x  pour 
former  le  pluriel  de  sept  noms  en  ou,  bijou,  cail- 
lou, chou,  genou,  hiOou,  joujou  Et  pou.  Les  sLUtrea 
noms  en  ou  suivent  la  règle  générale. 

4°  Les  noms  en  al  font  leur  pluriel  par  le  chan- 
gement de  cette  terminaison  at  en  aux,  qui  n'est 
qu'une  prononciation  adoucie  de  als.  On  écrivit 
d'abord  des  ch-vuls;  puis,  des  chevaus,  et,  enfin, 
en  substituant  k  Va  son  équivalent  x,  on  forma 
des  chevaux. 

Quant  à  cette  tendance  de  l  h  s'adoucir  en  m, 
nous  en  trouvons  des  exemples  dans  Vuugirard 
pour  Valgirard,  chccau-Uger  pour  checal-Uger, 
et  surtout  dans  le  passage  du  latin  en  français  : 
n/ia-aube;  aftp;'-autre  ;  ea/uus-chauve,  etc. 

Quelques  noms  en  al,  cependant,  suivent  la 
règle  générale.  Les  plus  usités  sont  hiil,  carnaval, 
chacal,  régal,  qui  prennent  un  s  au  pluriel. 

5°  Sept  noms  en  ail  forment  aussi  leur  pluriel 
par  le  changement  de  ail  en  aux.  Ce  sont  :  bail, 
corail,  émail,  soupirail,  travail,  vantail  et  vitmil, 
peu  usité  au  singulier.  On  écrira  donc  den  baux, 
des  coraux,  etc.  Tous  les  autres  noms  en  ad  sui- 
vent la  règle  générale. 

Noms  ù  double  pluriel.  —  Le  double  pluriel  de 
certains  noms  a  pour  but  d'en  exprimer  le  double 
se.ns  propre  oa  figuré. 

Ainsi,  aïeul  fait  aïeuls  quand  il  désigne  le 
grand-père  et  la  grand'mère,  et  nieux.  quand  il 
désigne  les  ancêtres.  Ces  deux  pluriels  ne  sont 
d'ailleurs  que  deux  formes  absolument  équiva- 
lentes. (V.  plus  haut  ce  que  nous  avons  dit  de 
l'équivalence  de  s,  x,  z.)  —  .iil  fait  nulx,  chez  le 
jardinier,  et  ails,  chez  le  botaniste.  —  Ciel  fait 
deux  pour  désigner  la  voûte  apparente,  et  ciels 
pour  exprimer  tout  ce  qui  en  présente  l'image.  — 
Œil  fait  yeux  pour  tous  les  noms  qui  ne  présen- 
tent aucune  équivoque  :  les  yeux  du  pain,  du 
fromage,  de  la  vigne  ;  on  sait  très  bien  que  ces 
objets  n'ont  pas  d'organe  visuel;  mais  on  dit  des 
yeux  de  bœuf,  de  perdrix,  de  cliat,  de  serpent, 
pour  désigner  lorgane  de  la  vue,  et  des  ouïs  de 
bœuf,  de  perdrix,  de  chat,  etc.,  pour  exprimer 
tout  ce  qui  ressemble  aux  yeux  de  ces  animaux. 

De  même,  travail  fait  son  pluriel  avec .«,  quand 
il  conserve  son  sens  primitif,  et  désigne  cet  assem- 
blage de  poutres  (Irabes),  qni  sert  à  contenir  les 
chevaux  vicieux  ;  ou  encore  quand  il  désigne  des 
études,  des  comptes,  faiis  en  commun  ;  mais  il  fait 
travaux  dans  tous  les  autres  cas. 

Noms  invariables.  —  Un  certain  nombre  de 
noms,  pris  dans  leur  sens  propre,  ne  s'emploient 
point  au  pluriel.  Tels  sont,  par  exemple,  les  noms 
abstraits,  comme  ta  vieillesse,  la  jeunesse,  la  pau- 
rcffé,  la  yloire,  le  bonheur,  l'adversité. 

Cependant,  beaucoup  de  ces  mots  peuvent  s'em- 
ployer au  figuré  et  prendre  le  pluriel.  On  dira, 
par  exemple  :  «■  cet  homme  ne  débite  que  des  pau- 
vretés )),  c'est-à-dire  des  mots  vides  de  sens,  des 
hajiatités. 

On  ne  fait  jamais  varier  non  plus  les  noms  for- 
més à  l'aide  d'un  adjectif  ou  d'un  verbe  et  de 
l'article:  te  juste,  le  beau,  le  boire,  le  manger.  Il 
en  est  de  même  des  noms  de  métaux,  l'or,  le  fer, 
l'urgent,  à  moins  qu'on  ne  veuille  spécifier  :  «  les 
fers  de  la  Suède  sont  excellents.  » 

Sont  encore  invariables  les  noms  des  arts  et  des 
sciences  :  l'agriculture,  la  chimie,  etc.    L'usage 
apprendra  toutes  ces  particularités. 
Au  contraire,  il  y  a  des  noms  qui  ne  s'emploient 


qu'au  pluriel.  Tels  sont:  ancêtres,  annales,  ar- 
moiries, appas,  arrérages,  brouisuilles,  catacombes, 
décombres,  funérailles,  mœurs,  vêpres,  vivres,  etc. 
On  les  trouvera  tous  dans  les  grammaires. 

Pluriel  des  noms  dérivés  des  langues  étran- 
gères. —  Les  noms  étrangers  qu'a  francisés  un 
long  usage  prennent  le  signe  du  pluriel.  On  écrit 
donc  :  des  accessits,  des  agendas,  des  atbunn,  des 
alibis,  des  alinéas,  des  altos,  des  bravos,  dos  ilo- 
minos,  des  iluos,  des  factums,  des  folios,  des  im- 
broglios, des  numéros,  des  opéras,  des  oratorios, 
des  panoramas,  des  pensums,  des  quiproquos,  des 
quolibets,  des  récépiasés,  des  trios,  des  vivats,  des 
zéros. 

Comme  c'est  l'usage  qui  est  ici  le  seul  guide, 
il  ne  faut  pas  toujours  rechercher  la  logique  dans 
la  formation  de  ces  pluriels.  Ainsi,  en  dit  nn  pen- 
sum, des  pensums,  tandis  qu'on  dit  un  errata,  des 
errata,  bien  que  pensum  ait  pour  pluriel  pensa, 
I  tandis  qu'errata  a  pour  singulier  erratum  en 
latin.  Mais  comme  un  errata  est  une  liste  de 
fautes,  on  ne  le  trouve  point  en  français  avec  la 
forme  du  singulier.  De  même,  on  ne  devrait  pas  dire 
des  alibis,  avec  un  .v,  puisque  alibi  est  un  adverbe. 

11  faut,  pour  se  tirer  de  toute  incertitude,  con- 
sulter le  Dictionnaire  de  l'Académie,  qui  fait  seul 
autorité  en  cette  matière. 

L'Académie  fait  invariables  duplicnta,  errata, 
maximum,  recto,  verso.  Elle  écrit  des  cicérone,  des 
quintettes,  des  ladics,  des  tories  ou  torys. 

Quelques  mots  conservent  le  pluriel  qu'ils  ont 
dans  la  langue  d'où  on  les  a  tirés.  On  dit  donc  : 
des  carbonnri,  des  dileitunti,  des  lazzaioni,  des 
soprnni,  11  serait  bien  ;\  soubaitor  qu'on  appliquât 
enfin  à  tous  les  noms  étrangers  la  règle  générale. 

Les  noms  qui  ne  prennent  pas  la  marque  du 
pluriel  sont: 

1"  Ceux  qui  sont  formés  de  plusieurs  parties. 
Exemple  :  des  ex-voto,  des  in-ocliivo,  des  post- 
scriptum,  des  Te-Deum.  Cependant  l'Académie 
écrit  des  autodafés  en  un  seul  mot. 

2°  Les  noms  des  prières  :  des  Ai  e,  des  Confiteor^ 
des  Pater.  Cependant  l'Académie  écrit  :  des  Allé- 
luias . 

Pluriel  des  noms  composés.  —  Les  mots  qui 
concourent,  en  français,  à  la  formation  des  noms 
dits  cumpO'iés,  sont  :  le  7iom,  Va/ljectif,  le  verbe, 
la  préposition  et  {'adverbe.  De  ces  cinq  mots,  le 
nom  et  l'adjectif  sont  les  seuls  qui  puissent  pren- 
dre la  marque  du  pluriel. 

En  formant  le  pluriel  des  noms  composés,  on 
doit  examiner  si  les  parties  composantes  sont  unies 
par  un  rapport  de  concordance  ou  par  un  rapport 
de  coinplcnienl.  Ainsi,  dans  coffre-fort,  le  second 
terme  ne  sert  qu'à  qualifier  le  premier,  au  Con- 
traire, dans  le  mot  chef-d'œuvre,  le  premier  nom 
a  pour  complément  déterminatif  celui  qui  le  suit. 
De  là  les  règles  suivantes  : 

1»  Un  nom  composé  formé  de  deux  noms  dont 
le  second  qualifie  le  premier,  prend  la  marque  du 
pluriel  aux  deux  parties  composantes.  Ex.  : 

Un  chou-fleur,  des  choux- fleurs. 

i"  Si  le  nom  est  composé  d'un  nom  et  d'un  ad- 
jectif, la  règle  est  la  même.  Ex.  : 

Un  coffre-fort,  des  coffres-forts. 

Une  basse-cour,  des  basses-cours. 

3°  Si  le  nom  est  composé  de  deux  noms  dont  le 
second  sert  de  complément  déterminatif  au  pre- 
mier, le  premier  seul  prend  la  marque  du  plu- 
riel. Ex.  :  Un  chef-d'œuvre,  des  chefs-d'œuvre, 
un  holel-Dieu,  des  hôtels-fjieu. 

Quelquefois  le  nom  déterminant  est  placé  le 
premier.  Ex.  :  un  havre-snc,  des  havre-sacs,  c'est- 
à-dire  des  sacs  à  l'avoine  (hafer,  en  allemand). 

Quelquefois  aussi  on  sous-cntend  le  nom  qui 
seul  renferme  l'idée  de  pluralité.  Ex.  :  des  te'te-à- 
téte,  c'est-à-dire  des  entretiens  où  l'on  est  tête  à 
tdte. 


NOM 


1414 


NOM 


4"  Si  le  noQi  est  composé  d'un  verbe  et  d'un 
nom,  lo  nnm  seul  prend  la  marque  du  pluriel,  à 
moins  qu'il  n'exclue  toute  idée  de  pluralité.  On 
dira  donc  :  un  possi'pnrl,  des  passeport-:,  mais  on 
écrira  :  un  sen  e-léle,  des  serre-têt--,  parce  qu'on  ne 
serre  qu'une  tête  dans  un  bonnet. 

C'est  en  venu  de  ce  principe  qu'on  a  proposé 
d'écrire  au  singulier  un  essuie-mains,  parce  que 
l'on  n'essuie  pas  une  Sfule  main. 

5°  Si  le  nom  est  composé  d'un  nom  et  d'un  mot 
invariable,  il  est  naturel  que  le  nom  seul  prenne 
la  marque  du  pluriel.  Ex.  :  Un  contre-coun,  des 
contre-coups',  un  avunt-courtur,  des  avant-cou- 
reurs. 

(i"  Si  le  nom  composé  ne  renferme  que  des  élé- 
ments invariables  de  leur  nature,  aucune  partie  ne 
prend  la  marque  du  pluriel.  Ex.  : 

Un  in-douze,  des  in-douze. 

Un  oui-dire,  des  oui-nire. 

Un  pass--iiartout,  des  passe-pnrtout. 

Pluriel  des  nnms  propres.  —  Lorsque  les  noms 
propres  conservent  leur  caractère  spécial  et  ser- 
vent h  distinguer  certains  individus  de  tous  ceux 
qui  leur  ressemblent,  ils  restent  invariables.  On 
dira  donc  :  «  Les  doux  Corneille  et  les  deux  Racine 
ne  sont  pas  également  célèbres.  "  On  dira  de 
même  :  «  Envoyez-moi  deux  Télémaque,  »  c'est- 
à-dire  deux  exemplaires  du  livre  intitulé  Télé- 
maque. 

Mais,  lorsque  les  noms  propres  sont  employés 
pour  désigner  une  espèce,  ils  deviennent  de 
véritables  noms  communs.  On  écrira  donc  : 


Un  Auguslc 


nt  pout  fairp  *li'>   \irgiles, 


c'est-à  dire,  un  empereur  éclairé  comme  Auguste 
peut  faire  surgir  des  poètes  semblables  a    Virgile. 
On  dira  de  même  : 
La  Seine  a  des  Bourbons,  le  Tiijre  a  des  Césurs. 

parce  que  ces  noms,  Bourbims  et  Céiars,  sont  des 
litres  g-nériques  communs  à  tous  ceux  qui  appar- 
tiennent A  la  même  dynastie. 

On  dira  encore,  en  vertu  du  même  principe  : 
des  Elz  vil  s,  des  Pouss-ns,  des  Raphaèh.  parce  que 
ces  noms  sont  employés  au  figuré,  pour  désigner 
les  œuvres  qu'ont  produites  les  imprimeurs  et  les 
peintres  célèbres  dont  il  s'agit. 

Les  noms  propres  prennent  encore  la  marque 
du  pluriel  quand  ils  désignent  plusieurs  pays. 
Exemple:  les  deux  Siciles,  les  deux  Amériques,  les 
deux  tasiilles,  toutes  les  Russies.  Ces  noms  pro- 
pres sont  de  véritables  attributs  des  noms  com- 
muns teires,  provinces,  pays,  royaumes,  sous- 
entendus. 

Oriqine  des  noms  propres  et  des  noms  communs. 
—  Lorsqu'un  objet  se  présente  à  nos  yeux,  nous 
sommes  frappés  de  certaine  qualité,  de  certaine 
manière  d'éire  qui  le  caractérise  et  lui  donne  sa 
physionomie  particulière.  Les  noms  qui  ont  servi 
à  désigner  les  personnes,  les  animaux  et  les 
choses,  ont  été  tirés  des  caractères  spéciaux  que 
présentait  chacun  d'eux.  Lorsqu'on  analyse  ces 
noms, on  trouve,  dans  chacun  d'eux,  deur  éléments 
irréductibles,  que  l'on  a,  pour  ce  motif,  appelés 
7-ucines,  parce  qu'ils  sont,  en  quelque  sorte,  les 
germes  dont  les  noms  ont  été  formés. 

Il  y  a  deux  sortes  de  racines.  Pour  rendre  celte 
explication  plus  facile,  empruntons  un  exemple  à 
la  langue  française.  Soit,  par  exemple,  le  mot 
roses,  au  pluriel.  Si  je  compare  ce  nom  pluriel 
avec  le  singulier  rose,  j'y  trouve  un  élément  de 
plus,  la  lettre  s.  Ces  deux  parties,  rose  et  la  lettre 
s,  représentent  préci^ément  les  deux  sortes  de  ra- 
cines dont  les  mots  ont  été  formés.  Le  premier, 
rose,  représente  une  racine  verbale  ou  nominale, 
qui  a  pour  propriété  de  désigner  les  objets.  Ces 
racines,  verbales  ou  nomindes.  contiennent  la. si- 
gnification des  mots,  et  en   forment  en   quelque 


sorte  la  base  :  aussi  appelle-t-on  thèmes  les  radi- 
caux qui  sont  le  produit  direct  de  ces  racines  et 
de  leurs  combinaisons.  Dans  le  mot  phibsoplie, 
par  exemple,  il  y  a  deux  racines,  philosophe,  dont 
la  réunion  forme  un  radical. 

Mais  ce  n'était  pas  assez  que  d'avoir  désigné  les 
individus  par  leur  qualité  essentielle.  Il  fallait 
encore,  pour  la  commodité  du  langage,  pouvoir 
exprimer  les  rniypnrts  dans  lesquels  ces  individus 
se  trouvent  avec  tout  ce  qui  les  entoure.  L'expres- 
sion de  ces  rapports  se  fait  à  l'aide  d'une  seconde 
espècede  racines  que  l'on  a,  pour  ce  motif,  appelées 
démonstratives  ou  indicatives.  Quand  nous  disons, 
en  français,  cet  homme-ci  a  frappé  cet  homme-là, 
les  paiticules  et  et  là  déterminent  la  positinn  des 
deux  hommes  par  rapport  h.  nous,  ci  désignant 
celui  qui  est  le  plus  voisin,  et  lii  celui  qui  est  le 
plus  éloigné.  Eh  bien,  toutes  les  désinences  qui, 
dans  les  langues  anciennes,  servent  à  déterminer 
la  position  des  individus  ou  à  les  montrer  comme 
on  le  fait  par  un  geste,  sont  tirées  des  racines  in- 
dicatives. Les  pronoms  qui  ne  sont,  en  quelque 
sorte,  que  des  gestes  écrits,  à  l'aide  desquels  on 
désignerait  les  individus  dont  on  ne  saurait  pas  le 
nom,  n'ont  pas  d'autre  origine. 

Pour  en  revenir  au  mot  /o.?es,  la  première  partie, 
rose,  exprime  l'idée  rie  la  fleur  qui  porte  ce  nom. 
Quant  à  la  lettre  s,  elle  exprimait,  au  pluriel,  dans 
la  langue  latine,  un  rapport  d'éloignement,  et  ser- 
vait, par  conséquent,  à  l'indication  d'un  complé- 
ment direct,  sur  lequel  se  /lortoit  l'acte  marqué 
par  le  verbe,  Vobji-t,  qui  supporte  l'action,  étant 
naturellement  plus  éloigné  des  yeux  de  l'observa- 
teur que  le  sujet  qui  accomplit  cet  acte. 

On  a  vu,  à  la  formdion  du  pluriel,  comment 
cet  s  a  pris,  en  français,  un  rôle  tout  différent  de 
celui  pour  lequel  il  avait  été  créé. 

Tous  les  éléments  qui  servent  îi  former  les  mots 
peuvent  donc  se  diviser  en  deux  grandes  catégories  : 
la  première  et  la  plus  considérable  contient  les  par- 
ties fondamentales  des  radicaux,  c'est-à-dire  celles 
qui  en  renfermentlasignification;  la  seconde,  beau- 
coup moins  considérable,  renferme  les  affixes,  qui 
s'ajoutent  aux  radicaux  pour  marquer  les  rapports 
qu'ils  souliennent  dans  le  discours  et  exprimer 
les  idées  de  tas,  de  nombre,  de  genre,  de  temps, 
de  mode  et  de  personnes.  \\ .  Ornmoiaire  com- 
parée.) 

Formation  des  substantifs.  —  Pour  former  un 
7iom  ou  sub-tnntif,  il  faut,  comme  on  vient  de  le 
voir,  deux  éléments.  Ainsi,  lonp  se  dit  en  latin  In- 
liis  et  en  grec  lyko-i.  Si  nous  comparons  lupui  et 
hjko',  nous  y  trouvons  un  même  suffixe,  .«,  qui 
marque  proximité  comme  notre  particule  ci,  et  sert 
à  indiquer  le  sujet;  c'est  la  désinence.  Ce  qui  pré- 
cède cette  désinence,  c'est-à-dire  lupu.  lyUo,  ce 
sont  les  radicaux  auxquels  est  attaché  le  sens  de 
loup.  Tous  les  noms  ont  la  même  origine  ;  tous 
ont  été  noms  propres  tant  que  l'on  n'a  connu 
qu'un  individu  de  l'espèce  qu'ils  désignent  ;  tous 
sont  devenus  noms  communs  quand  ils  ont  été 
employés  pour  désigner  un  nombre  plus  ou  moins 
considérable  d'individus. 

îsoms  composés-,  uoois  dérivés.  —  Les  noms 
com/iosés  proprement  dits  sont  formés  de  radi- 
caux devant  lesquels  on  place  un  ou  plusieurs 
affixes  qui,  dans  cette  position,  prennent  le  nom 
de  préfixes.  Ainsi,  controdiction,  désobéissanci-, 
mésinieiligence,  formés  des  noms  diction,  obéis- 
sance, intelligence,  et  des  préfixes  contra,  dés, 
)7tés,  sont  véritablement  des  noms  composés. 

Les  principaux  préfixes  employés  en  français 
sont  a  (idée  d'éloignement).  arf(idée  de  tendance 
vers),  ante  (antériorité),  bene  (bien),  bis  (deux 
fois),  cire  (autour),  C'>«  (ensemble),  contra  (op- 
position), de  (séparation),  e  et  ses  différentes 
formes  (sortie,  expulsion),  in  ou  en  (contenance, 
introduction,   tendance,  privation),   mé    ou    mes 


NOM 


1413 


NOMBRES   DECIMAUX 


(mal,  difflcultù),  )ivé  (antériorité),  pro  (pii  avant, 
pouv),  rc  (redoublement,  réciprocité,  opposition, 
rénovation), .to/i  (sous),  sK/cr  (sur),  ^■";i.s'(au  delà). 

Déi-ivé.i.  —  Quand  un  aftixe  s'ajoute  il  la  xuito 
du  radical,  il  projid  le  nom  de  suffire,  et  le  nom 
ainsi  formé  est  un  nom  iléiivé.  (V.  Dcrivntinn.) 

lilxemple  :  paroissien,  feuittar/e,  formés  des 
noms  paroisse  et  /etiille,  et  des  suffixes  ien  ctage. 

Les  noms  dérivés  peuvent  se  former  de  sub- 
stantifs à  l'aide  des  suftixes  ade  (qui  exprime 
l'idée  d'assemblage),  at  (profession),  oge  (état), 
OH,  nin,  ien  (état,  collection),  ard  (espèce),  aire, 
ter,  er  (profession),  ilie,  ice,  esse  (état,  manière 
d'être).  Exemple  :  colotmade,  cnrdinalat ,  escla- 
vat/e,  charltita»,  épinard,  statuaire,  calvitie,  com- 
plice, allégresse,  etc. 

On  peut  encore  tirer  des  noms  dérivés  des 
adjectifs,  h  l'aide  des  suffixes  esse,  ice,  ise,  ie,  ti, 
lire,  qui  indi(|uent  un  élat,  une  manière  d'être. 
Exemple  :  sage ,  saç/esse  ;  avare ,  avarice  ;  sot, 
s:;tlise;  malade,  mula'lie;  pauvre,  pauvreté;  y exi, 
verdure. 

On  peut  aussi  en  tirer  des  verbes,  ^  l'aide  des 
suffixes  iide.  ai/e,  ance  (état,  inaction),  eur,  euse, 
eresse,  ice  (celui  qui  fait  une  action),  (s.  vi-nt, 
lire  (résultat  d'un  acte),  air  (lieu  où  se  fait  l'acte), 
on,  ison,  aison  (action).  Exemple  :  snUule,  bbm- 
c/iissai/e,  vengeance,  chanteur,  chanteuse,  venge- 
resse, logis,  logement,  trottoir,  salaison,  bouchon, 
blessure,  etc. 

Beaucoup  de  noms  dérivés  des  verbes  ne  sont 
à  proprement  parler  que  l'infinitif  même  :  le 
deuoir,  le  savoir,  le  manger;  ou  le  participe 
passé  féminin  :  la  dictée,  la  livrée,  la  tenue,  la 
revw^;  ou  le  participe  présent:  un  mo7itant.  \m 
mourant.  Ces  mots  ne  sont  pas  de  véritables 
noms  dérivés. 

Exercices.  —  Voici  un  moyen  commode  et 
amusant  d'apprendre  aux  enfants  l'onhograplie 
d'usage  et  la  signification  des  noms.  Le  maître 
partage  le  tableau  noir  en  deux  colonnes.  Il  écrit 
deux  ou  trois  noms  dans  la  colonne  de  gauche  ; 
puis  il  écrit  dans  la  colonne  de  droite,  mais  en 
intervtrtissiint  l'ordre,  des  noms  qui  indiquent 
d'une  manière  générale  la  signification  des  pre- 
miers. Exemple  : 

Colonne  de  gauche.  Colonne  de  droite. 

Violon.  —  Sabre.  -—  Arbre.  —  Fleur.  — 
Peuplier.  —  P,ose.  —  Arme.  —  Animal.  —  In- 
•  'hien.  strument. 

Voici  maintenant  comment  se  fait  cet  exercice, 
qui  intéresse  au  plus  haut  point  les  enfants. 

L'élève  écrit  sur  son  cahier  le  premier  nom  de 
la  colonne  de  gauche  :  violon:  Il  cherche  ensuite, 
dans  la  colonne  de  droite,  le  nom  qui  indique  ce 
que  c'est  qu'un  violon,  et  il  forme,  h  l'aide  de  ce 
mot,  une  proposition  : 

Le  violon  i-st  un  instrument. 

Procédant  de  même  h  l'égard  des  autres  noms, 
il  écrira  successivement  : 

Le  sabre  est  une  arme.  —  Le  peuplier  est  un 
arbre.  —  La  rose  est  mie  fleur.  —  Le  chien  est  un 
animal. 

Ces  exercices  pourront  servir  une  seconde  fois, 
dans  l'étude  de  la  formation  du  pluriel  des  noms. 
11  suffira  de  faire  transformer  les  propositions  de 
cette  manière  : 

Les  violons  .\ont  des  iii^truments,  etc. 

On  tirera  encore  un  excellent  fruit  de  ces  exerci- 
ces, si  l'on  veut  compléter  la  définition.  On  ferairoM- 
ver  à  l'élève  les  réponses  nécessaires,  en  le  ques- 
tionnantavec  adresse  :  «  Un  violon  est  un  mslrume/it 
de  musique,»  etc.,  etc.  Des  exercices  ainsi  faits 
vaudront  les  meilleures  leçoni  de  clisses.  Mais  il 
faudra  que  le  maître  évite  avec  le  plus  grand  soin 
de  multiplier  les  noms  outre  mesure  dans  un 
même   exercice,  ce   qui   embarrasserait  le  jeuie 


élève;  il  faudra  aussi  qu'il  prenne  garde  de  mettre 
dans  la  colonne  de  gauche  deux  noms  auxquels 
s'appliquerait  un  même  nom  de  la  colonne  de 
droite.  On  ne  placera  donc  point  deux  noms  d'ar- 
bres, deux  noms  de  plantes,  etc. 

Noms  concrets-,  noois  nbstraits.  —  Pour  bien 
faire  comprendre  aux  enfants  la  différence  qui 
distingue  ces  noms,  on  pourra  les  exercer  d'abord 
à  former  des  noms  abstraits.  Exemples  : 

1°  Des  adjectifs  suivants,  formez  des  noms  ab 
straits,  sur  ce  luodèle  :  Prudent,  la  prudence;  sage, 
la  sagesse. 


Prudent. 

Constant. 

Souple 

Vieufaisaut. 

Paiicnt. 

Juste. 

Abondant. 

Sage. 

Triste. 

Confiant. 

Tendre. 

2°  Formez  des  noms  abstraits,  à  l'aide  des  ad- 
jectifs suivants,  sur  ces  modèles  :  Laid,  la  laî- 
deur;  fertile,  la  fertilité. 

Haut. 
Gros. 
Froid. 
Large. 

.3"  Enfin,  dans  un  morceau  dicté,  on  fera  sou- 
ligner d'uii  trait  les  noms  concrets,  et  de  deux 
traits  les  noms  abstraits. 

Pour  apprendre  aux  élèves  à  former  le  pluriel 
des  noms  dits  composés,  tout  en  exerçant  leur 
sagacité,  on  leur  donnera  une  liste  de  noms,  à  la 
suite  desquels  on  leur  dictera  des  propositions  où 
chacun  des  noms  proposés  doit  trouver  place,  et 
ils  devront  compléter  ces  phrases. 

Exemple:  Basse-cour.—  Clvf-lieu.  —  Passeport. 

—  Serre-téte.  —  Passe-partout. 

Phrases  a  compléter.  —  Les  —  sont  des  clefs 
qui  ouvrent  toutes  les  portes  d'un  établissement. 
Los  paons  sont  l'ornement  de  nos  — .  Les  villes 
les  plus  importantes  de  nos  départements  en  sont 
les  — .  Les  États  de  l'Europe  ont  abolijla  formalité 
des  — .  Les  femmes  du  Midi  remplacent  souvent 
les  bonnets  par  des  — . 

On  emploiera  le  même  moyen,  indépendam- 
ment des  dictées,  pour  apprendre  aux  enfants  la 
formation  du  féminin. 

Exemple  :  Orphelin.  —  Paysan.  —  Fermier.  — 
Instituteur.  —  Patron.  —  Blanchisseur. 

Phrases  a  coMPLÉTt'.n.  —  Les  jeunes  filles  ap- 
prennent à  lire  chez  leur  — .  Sainte  Geneviève  est 
la  —  de  Paris.  —  Une  fille  qui  a  perdu  son  père 
et  sa  mère  est  une  — .  Jeanne  d'Arc  était  une  — . 
La  —  prend  le  plus  grand  soin  de  la  basse-cour. 

—  La  —   repassera  la  robe  blanche. 

On  les  exercera  de  même  à  former  le  pluriel. 

Exemple  :  Corps.  —  Troupeau.  —  Aveu.  — 
Clou.  —  Journal.  —  Soupirail. 

Phrases  a  compléter.  —  Les  bergers  sont  les 
gardiens  des  — .  Les  —  sont  des  écrits  quotidiens 
ou  périodiques  — .  Les  —  sont  des  ouvertures  qui 
servent  à  aérer  les  caves.  —  C'est  avec  le  mar- 
teau qu'on  enfonce  les  — .  Nous  mériterons  notre 
pardon  par  des  —  sincères. 

Nous  ne  voulons  pas  multiplier  ces  exercices. 
Les  maîtres  sauront  les  modifier  do  manière  à 
enseigner  l'orthographe  tout  en  formant  le  juge- 
mont  de  leurs  élèves.  [C.  Rouzé.J 

NOSIBKUS  lniCIMAL'X.  —  Arithmétique, 
XV-XVIII.  —  (Pour  la  numération  des  nombres 
décimaux,  V.  Numération.) 

l.  —  Addition.  —  Si  l'on  a  des  nombres  déci- 
maux à  additionner,  on  peut  d'abord,  en  écrivant 
des  zéros  à  la  droite  de  quelques-uns  d'entre 
eux,  ce  qui  n'en  altère  pas  la  valeur,  leur  faire 
exprimer  il  tous  des  unités  décimales  du  même 
ordre  ;  la  somme  devra  donc  aussi  exprimer  des 
unités  décimales  de  cet  ordre;  on  fera  donc  la 
fomiTie  cninmo  s'il   s'agissait  de   nombres  entiers, 


NOMBRES   DÉCIMAUX    —  1416  —     NOMBRES  DÉCIMAUX 


et  l'on  fera  L-xpriniei-  au  total  des  unités  du  même 
ordre  que  les  unités  additionnées. 

Soit,  par  exemple,  à  additionner  les  nombres 
2,5  —  2,1498  —  1,32  et  ",166.  On  pourra  d'abord 
les  écrire  ainsi  : 

2,5000 

3,1498 

1 .3300 

',1660 
14.1.358 

en  leur  faisant  expiimer  des  dix-millièmes.  La 
somme  de  ces  dix-millièmes,  faite  par  le  môme 
procédé  que  pour  les  nombres  entiers,  est  141358 
dix-millièmes  ou  14,13i8.  On  voit  que,  pour  addi- 
tionner 'les  7wmbies  déciniuUT,  il  faut  /es  écrire 
les  uni  au-dessous  d'S  autres,  de  mnnière  que  les 
unités  lie  même  "rdre  se  correspondent  (les  zéros 
rais  îi  droite  pour  l'explication  ne  sont  pas  néces- 
saires dans  la  pratique),  faire  la  somme  comme  si 
c\taieni  des  nom>'re<  tntio-s,  et  placer,  au  résul- 
tat, une  mrqvle  décimale  au-dessous  des  virgules 
des  nombres  à  addiiionner. 

On  pourra  exercer  les  élèves  sur  les  exemples 
suivants  : 


0,883 

0,164 

2.11 

1.415 

0,15- 

0,186 

l,3il3 

3.163 

1.2310 

0,9 

(I.9S 

1.8 

0.87 

0,75 

1.2387 

2.51 

2,000 


8.888 


3,141(1 

2.  —  SoiJSTBACTlox.  —  L'opération  est  la  môme 
que  pour  les  nombres  entiers,  quand  on  a  placé 
les  nombres  donnés  de  manière  que  les  unités  de 
même  ordre  soient  dans  une  même  colonne. 
Kx.  : 

17,3285  8,75 

9,65  3.2964 


,6785 


5,4536 


On  a  quelquefois  ù  retrancher  une  fraction  dé- 
cimale de  l'unité  ;  on  verra  facilement  que  l'opé- 
ration peut  se  faire,  en  commençant  par  la  gauche, 
d'après  cette  règle  :  retrancher  tous  les  chiffres 
de  9,  et  le  dernier  de  10. 
Exemple  : 

1, 
(l,49715(;S 


3.  —  Multiplication.  —  Supposons  d'abord 
que  le  multiplicateur  soit  entier  :  et  soit  à  mul- 
tiplier 7,325  par  14k.  Le  but  de  l'opération  est 
alors  de  répéier  146  fois  le  nombre  7.325  ou  7325 
millièmes;  la  multiplication  devra  donc  se  faire 
comme  pour  les  nombres  entiers  :  mais  le  produit, 
au  lieu  d'exprimer  des  unités,  devra  exprimer  des 
millièmes;  il  faudra  donc  séparer  sur  la  droite 
trois  décimales,  c'est-à-dire  autant  de  décimales 
qu'il  y  en  avait  au  multiplicande.  On  trouvera 
1069, i50  ou  simplement  10(i9,45. 

Supposons  en  second  lieu  que  le  multiplicateur 
soit  décimal  et  qu'on  ait  à  multiplier  7,325  par  1,46. 
Le  but  de  l'opération  dans  ce  cas  n'est  plus  de 
répéier  le  multiplicande  146,  mais  de  répéter  116 
fois  la  10»'  partie  du  multiplicande  i c'est-à-dire 
prendre  les  146  centièmes  de  ce  multiplicandei. 
Or,  pour  en  prendre  le  100%  il  suffit  de  reculer  la 
virgule  de  deux  rangs  vers  la  gauche,  ce  qui  donne 
0,07i25;  et,  en  multipliant,  par  I  i6  on  obtiendra 
10,6945(1  ou  10,1)915.  On  voit  que  l'opération  est  la 
même  que  dans  le  premier  cas,  si  ce  n'est  qu'il 
faut  séparer  à  la  droite  du  produit,  non  plus 
seulement  3  décimales  comme  au  multiplicande, 
mais  3  plus  2,  c'est-.à-dire  autant  do  décimales 
qu'il  y  en  avait  au  multiplicande  et  au  multipli- 
cateur réunis. 


La  règle  de  la  multiplication  des  nombres  déci- 
maux est  donc  la  suivante  :  faire  lu  inultiplica- 
tion  sans  avoir  égard  aux  virgules,  et  séparer  sur 
la  droite  dn  produit  uutnnt  de  décimales  qu'il  y 
en  avait  dans  les  deux  facteurs  réunis. 

On  trouvera  ainsi  que  le  produit  de  : 

5,8     par  4,25    est    24,650      ou    24,65 
13,75  7,836        107,74500        107,745 

9,125         2,16  19,71000  19,71 

Il  peut  arriver  qu'on  ait  à  séparer  au  produit 
plus  de  chiffres  décimaux  que  ce  |iroduit  n'a  de 
chiffres  ;  on  y  supplée  à  l'aide  de  zéros  placés  à 
la  gauche.  Soit,  par  exemple.  ;\  multiplier  n,(J08 
par  0,u7  ;  le  produit,  abstraction  faite  des  virgules, 
est  56,  et  l'on  a  cinq  décimales  à  séparer  ;  on  met- 
tra donc  quatre  zéros  à  la  gauche  de  50;  et,  en 
séparant  les  cinq  décimales,  on  obtiendra  0,00055. 

4.  —  Division.  —  Nous  supposerons  d'abord 
que  le  diviseur  soit  entier,  et  qu'on  ait  h  diviser, 
par  exemple,  1069,45  par  146.  L'opération  a  pour 
but  de  prendre  la  14()°  partie  de  106945  cen- 
tièmes :  on  opérera  donc  comme  si  le  dividende 
était  entier,  en  se  rappelant  que  le  quotient  doit 
exprimer  des  centièmes.  On  trouvera  732  cen- 
tièmes, et  un  reste  de  7.3  centièmes.  Ce  reste  vaut 
730  millièmes,  dont  la  146''  partie  est  5  millièmes. 
Le  quotient  complet  est  donc  7.325. 

Il  n'arrive  pas  toujours  que  le  quotient  se  ter- 
mine; mais  on  peut  toujours  prolonger  la  division, 
on  mettant  un  zéro  à  la  droite  de  chaque  reste 
pour  le  convertir  en  unités  de  l'ordre  immédiate- 
ment inférieur.  On  arrête  l'opération  lorsqu'on 
juge  avoir  obtenu  au  quotient  une  approximation 
suffisante.  Soit,  par  exemple,  à  diviser  4.096  par 
35;  les  calculs  auront   la  disposition    ci  dessous  : 

4,096   L35 


20 

Après  avoir  obtenu  au  quotient  0,117,  on  trouve 
pour  reste  1  millième  ;  multipliant  par  10,  on  ob- 
tient 10  dix-millièmes,  dont  la  35'  partie  est 
Odix-millièmes  ;  les  10  dix-millièmes  valent  lOOcent- 
millièmes,  dont  la  35°  partie  est  2  cent-millièmes, 
et  il  reste  30  cent-millièmes,  qui  valent  300  luil- 
lièmes  dont  la  :i,5''  partie  est  8  millionièmes  :  et  il 
reste  20  millioniètnes.  On  pourrait  pousser  l'ap- 
proximation  plus  loin  si  on  le  jugeait  nécessaire. 

Supposons,  en  second  lieu,  que  le  diviseur 
soit  décimal,  et  soit  i  diviser  1069,458  par  1,46.  On 
ramène  ce  cas  au  précédent  en  multipliant  le  di- 
vidende et  le  diviseur  par  100,  car  on  a  alors  h 
diviser  1069*5,8  par  le  nombre  entier  146.  Cette 
opération  n'altère  pas  le  quotient,  car  si  l'on  ap- 
pelle D  le  dividende,  d  le  diviseur,  q  le  quotient 
et  r  le  reste,  on  a  : 

D  =  rfX '/  +  '•. 

Cette  relation  ne  sera  pas  altérée  en  multipliant 
tous  les  termes  par  lOU;  on  aura  donc,  en  remar- 
quant que,  pour  luultiplierpar  1 00  le  produit  rfx  q, 
il  suffit  de  multiplier  le  facteur  d, 

100D=100rfXî-f  100»', 

ce  qui  exprime  qu'en  divisant  100  D  par  100  d,  on 
obtient  encore  le  munie  quotient  q;  le  reste  r  est 
seul  multiplié  par  100. 


NOMENCLATURE 


ivn  — 


NOMENCLATURE 


Uans  l'Gxmuple  actuel, Ir  calcul  donno  poui-iiuo- 
tieiit  ":i2,j();.4.... 

La  règle  de  la  division  des  nombres  décimaux 
est  donc  la  suivante  :  Rendre  le  diviseur  entier,  en 
supprimant  la  virgule;  avancer  la  virç/ule  du  di- 
vidende d'autant  de  rangs  vers  la  droite  qu'il  y 
avait  de  décimales  au  diviseur;  faire  la  division 
eomme  dans  le  cas  dus  nombres  entiers. 

[H.  Sonnet.] 
NOMENCLATURE.  —  Chimie,  H.  —  Après  que 
Lavoisier,  par  son  analyse  de  l'air,  eut  donné  l'ex- 
plication du  pliénomènc  cliimique,  en  faisant  voir 
([ue  tout  corps  provient  d'une  union  intime  ou  d'une 
séparation  dont  les  éléments  se  retrouvent  tout  en- 
tiers, la  clef  de  l'analyse  chimique  fut  trouvée,  et 
les  chimistes,  pouvant  connaître  dès  lors  la  compo- 
sition des  principales  substances  usitées  dans  leurs 
laboratoires  et  dans  leurs  recherches,  sentirent  la 
nécessité  de  leur  donner  des  noms  rappelant  celte 
composition.  Juscpi'à  Lavoisier,  les  produits  chimi- 
ques ou  pharmaceutiques  sur  lesquels  s'exerçaient 
les  recherches  des  alchimistes  portaient  des  noms 
plus  ou  moins  bizarres,  ou  n'ayant  aucune  signi- 
fication, ou  rappelant  au  contraire  par  leurétymo- 
logio  les  fausses  idées  qu'on  s'était  faites  sur 
leur  composition  ou  sur  leurs  propriétés.  Une 
science  étant  la  connaissance  certaine  des  rapports 
existant  entre  les  éléments  des  choses  dont  elle  s'oc- 
cupe, exige  un  langage  précis,  systématique  et  ap- 
proprié, exprimant  et  représentant  ces  rapports. 

En  arithmétique,  par  exemple,  la  numération 
est  la  nomenclature  des  nombres  fondée  sur  la 
méthode  d'après  laquelle  ils  ont  été  formés.  De 
même,  dans  la  nomenclature  chimique,  le  nom  d'un 
corps  doit  être  en  rapport  direct  avec  la  constitu- 
tion qu'on  lui  a  trouvée  par  l'analyse.  Guyton  de 
Morveau,  né  à  Dijon  en  1137,  proposa  le  premier  la 
réforme  du  langage  chimique  dans  un  travail  qui 
a  pour  titre  :  Mémoire  sur  les  dénominalions  chi- 
miques, la  nécessité  d'en  perfectionner  le  si/slème, 
les  règles  pour  y  parvenir,  suivi  d'un  tableau 
d'une  nomenclature  chimique. 

Vers  le  milieu  de  1"86,  BerthoUet,  Fourcroy, 
Lavoisier  et  Guyton  de  Morveau  se  réunirent  pour 
examiner  ensemble  le  projet  de  nomenclature  pro- 
posé par  Guyton,  et  arrêtèrent  d'un  commun  accord 
le  plan  d'une  réforme  exigée  par  le  progrès  de  la 
chimie.  Tous  les  chimistes  d'alors,  même  les  plus 
attachés  aux  traditions  du  passé,  comprenaient  la 
nécessité  de  cette  réforme.  «  Ne  faites  grâce,  écri- 
vait Bergmann  à  Guyton,  à  aucune  dénomina- 
tion impropre;  ceux  qui  savent  déjà  entendront 
toujours;  ceux  qui  ne  savent  pas  encore  enten- 
dront plus  tôt.  >i 

.^près  huit  mois  de  conférences,  presque  journa- 
lières avec  ses  collègues,  dit  M.  F.  Hœfer,  Lavoisier 
communiqua  à  la  séance  publique  de  l'Académie 
des  sciences  du  IS  avril  1787,  les  principes  de  la 
réforme  et  du  prrfectiunnement  lU  la  nomencla- 
ture de  In  chimie,  et  il  les  développa  dans  un 
second  mémoire  lu  le  2  mai  suivant. 

L'œuvre  collective  de  ces  savants  porte  particu- 
lièrement sur  les  corps  composés;  ceux-ci  ont  été 
divisés  en  acides,  en  bases  et  en  sels  (V.  Acides, 
Bi'ses  et  f'eis).  Cette  nomenclature  est  une  vérita- 
ble classification  ;  c'est,  avec  la  théorie  de  la  com- 
bustion, la  base  fondamentale  de  ce  qu'on  a  appelé 
l'école  de  Laioisier  ou  l'école  chimique  française. 

L'ensemble  des  noms  des  corps  simples  ne 
constitue  pas,  à  vrai  dire,  une  partie  de  la  nomen- 
clatu[-e  ;  ces  noms  n'ont  rien  de  systématique  et  leurs 
origines  sont  très  diverses;  tantôt  le  nom  rappelle 
une  propriété  réelle  ou  apparente,  comme  oxijyéne, 
qui  veut  dire  n  producteur  d'acide  »,  ou  azote, 
signifiant  ..  absence  de  la  vie  u  ;  tantôt  il  rappelle 
l'un  des  principaux  composés  du  corps,  comme 
lifldrogènc,  qui  veut  dire  o  producteur  do  l'eau  »  ; 
tantôt  enfin  il  date  de  l'antiquité   et  appartient  à 


la  langue  littéraire,  commi'  or,  argeal,  frr,  etc. 

—  V.  Corps  simples. 

Ces  noms  ont  été  conservés  parce  que  l'usage 
les  a  consacres  et  qu'ils  en  valent  d'autres. 

NOMENCLATllKE  DES    CORPS  BINAiniîS  DONT   I.'uN    DES 

ÉLÉMENTS  EST  L'oxYoiiNE.  —  On  appcllc  corps  bi- 
naires des  corps  composés  formés  de  deux  corps 
simples.  Les  plus  importants  et  les  plus  nombreux 
sont  ceux  qui  contiennent  de  l'oxygène.  Ils  portent 
le  nom  générique  d'oxydes.  Ce  nom  doit  être  suivi 
de  celui  du  corps  simple  qui  est  combiné  à  l'oxygène 
et  qui  spécifie  l'oxyde.  Ainsi  on  dira:  oxyde  de  fer, 
oxyde  de  plomb,  oxyde  de  phosphore,  oxyde 
d'azote,  oxyde  de  carbone,  pour  désigner  des  com- 
binaisons formées  exclusivement  d'oxygène  et  do 
l'un  de  ces  corps. 

Quand  on  brûle  du  phospliore  dans  l'air  sec 
sous  une  cloche,  il  se  forme  des  fumées  blanches 
résultant  de  la  combinaison  du  phosphore  et  de 
l'oxygène  de  l'air,  car  le  gaz  restant  après  la  con- 
densation des  fumées  est  de  l'azote.  Cette  sub- 
stance blanche  est  acide;  mise  dans  de  l'eau,  elle 
s'y  combine  énergiquomentet  s'y  dissout  :  la  dis- 
solution a  une  saveur  fortement  piquante,  et  elle 
rougit  le  tournesol  bleu;  c'est  ce  qu'on  appelle  un 
acide  i,V.  Acide).  Le  composé  acide  résultant  de 
la  combinaison  de  l'oxyuène  et  du  phosphore  s'ap- 
pelle acide  phosphorique ;  il  n'était  pas  nécessaire 
de  faire  entrer  dans  cette  dénomination  la  mention 
de  l'oxygène  :  elle  y  est  sous-entendue,  l'oxygène 
étant  le  générateur  habituel  des  acides. 

Si  0(1  met  dans  l'eau  la  substance  blanche  qui 
résulte  de  la  combustion  du  potassium  i  l'air,  elle 
s'y  dissout  aussi,  mais  elle  a  une  saveur  brûlante, 
caustique,  tout  à  fait  différente  de  celle  de  l'acide  ; 
elle  verdit  le  tournesol  et  ramène  au  bleu  celui 
qui  a  été  rougi  par  un  acide;  cette  combinaison 
du  potassium  avec  l'oxygène,  dont  le  vieux  nom 
est  potasse,  sera  inscrite  dans  la  nomenclature  sous 
le  nom  d'oryde  de  potassium  et  s'appellera  une 
base,  ainsi  que  tous  les  oxydes  qui  auront  des 
propriétés  semblables.  La  chaux,  qui  est  de  Voxyde 
de  calcium,  est  une  base;  la  magnésie,  qui  est  de 
Voxyde  de  magnésium,  est  une  base  ;  la  soude, 
oxyde  de  sodium,  est  une  base. 

Si  nous  mettons  un  acide  en  présence  d'une 
base,  nous  arriverons  par  tâtonnements  à  obtenir 
une  substance  qui  n'aura  ni  les  propriétés  carac- 
téristiques de  l'acide  ni  celles  de  la  base  ;  ces  pro- 
priétés opposées,  pour  ainsi  dire,  se  seront  neu- 
tralisées; le  composé  nouveau  sera  un  sel  ou  corn- 
posé  ternaire.  Il  y  a  des  oxydes  métalliques,  comme 
celui  qui  se  forme  h  l'état  de  poussière  jaune  sur 
le  plomb  fondu,  qui  ne  se  dissolvent  pas  dans  l'eau, 
n'agissent  ni  sur  le  tournesol  ni  sur  aucune  couleur 
végétale,  et  qui  sont  cependant  capables  de  former 
des  sels  en  neutralisant  les  acides:  ce  sont  aussi 
des  bases,  car  c'est  li  le  caractère  le  plus  impor- 
tant d'une  base. 

Nomenclature  des  acides  cordenant  île  l'oxygène. 

—  L'acide  qui  se  forme  par  la  combustion  du  phos- 
phore dans  l'air  sec  est  appelé  amte  phosplio- 
riQuc. 

Le  gaz  acido  qui  se  dégage  de  la  combustion  du 
charbon  ou  carbone  est  appelé  acide  carbona/ue. 
Il  suffit  de  nommer  les  acides  chlo'iquc,  iodique, 
azotique,  pour  qu'on  en  devine  la  composition. 
Quand  on  tient  dans  les  doigts  un  bâton  de  phos- 
phore mouillé,  ou  simplement  des  allumettes  chi- 
miques humides,  il  s'en  dégage  des  fumées  d'une 
odeur  désagréable  et  ayant  les  caractères  des 
acides.  L'analyse  chimique  de  cette  substance  a 
montré  qu'elle  était,  comme  l'acide  phosphorique, 
formée  de  phosphore  et  d'oxygène,  mais  qu'à 
poids  égal  elle  contient  moins  d'oxygène;  on  l'ap- 
pelle acide  phosphoreux  ;  de  même  on  dit  acide 
azoteux.,  chloreux,  etc.,  pour  désigner  des  acides 
moins  riches  on  oxygène  que  les  acides  phospho- 


NOMENCLATURE 


—  1418 


NOMENCLATURE 


rigue, azotique,  chlûrigiie.'Sous  pouvons  donc  dire, 
avec  les  illustres  auteurs  de  la  nomenclature,  que, 
quand  un  corps  simple  forme  avec  l'oxygène  un 
ou  deux  acides,  on  désignera  l'acide  unique  ou  prin- 
cipal en  faisant  suivre  le  nom  du  corps  simple  de 
la  terminaison  ique  qui  se  substitue  à  \'e  final  ;  le 
second  acide,  le  moins  oxypéné,  se  nomme  en  met- 
tant eur  à  la  place  de  ique.  On  comprendra  faci- 
lement le  sens  des  quelques  exceptions  qui  suivent, 
dans  lesquelles  la  forme  française  du  nom  des 
corps  simples  est  légèrement  modifiée  :  acide  5»/- 
furique,  acide  sulfuietix ; &c\àe  anti»io7tique, acide 
anttmotiieux  ;  acide  orsénique,  acide  arséniejix  ; 
acide  mang (inique,  etc. 

Quelquefois  un  m6me  corps  simple  forme  avec 
l'oxygène  trois,  quatre  et  même  cinq  acides.  Pour 
former  leurs  noms,  on  emploie  les  préfixes  hi/po, 
per  ou  hyper,  prépositions  d'origine  grecque  qui  si- 
gnifient, la  première,  au-dessous,  la  deuxième,  au- 
dessus.  Ainsi  on  dira  :  acide  hiipochloreux,  acide 
hypocltloriijue,  pour  désigner  des  acides  moins 
riches  en  oxygène  que  les  acides  cliloreiuc  et 
chlorique,  et  acide  liy/ien-h/nrique  et  hypermanya- 
nique  pour  désigner  des  acides  plus  oxygénés  que 
les  acides  clilorique  et  mangnnique. 

La  série  importante  qui  suit,  en  résumant  ce 
que  nous  venons  de  dire,  en  fera  retenir  l'ensemble: 

Composés  oxygénés  acides  du  r/ilore  : 

Acide  pe7-  ou  liypercMovigue 

—  ch\oriqiie 

—  hypocMorique 

—  chlorc'îix 

—  /lypocMoreux. 

•  On  voit  par  ces  exemples,  dit  M.  H  urlz,  que  le 
degré  d'oxydation  est  exprimé  dans  la  nomencla- 
ture française  par  certaines  modifications  qu'on 
fait  subir  à  l'adjectif  qui  marque  Yeipèce  d'acide, 
le  mot  ucide  lui-même  étant  pris  comme  substan- 
tif et  marquant  le  genre.  On  modifie  cet  adjectif 
tantôt  en  faisant  varier  la  terminaison,  tantôt  en 
le  faisant  précéder  de  liypo  ou  per.  » 

Nonienclature  des  oxydfs  non  acides.  —  Un 
même  corps  simple  peut  former  avec  l'oxygène 
plusieurs  oxydes  qui  ne  diffèrent  dans  leur  com- 
position que  par  les  quantités  d'oxygène  combi- 
nées à  un  même  poids  de  l'autre  corps  simple. 

Le  premier  degré  d'oxydation  est  le  protoxyde ; 
le  degré  le  plus  élevé  est  le  peroxy/e. 

Pour  la  même  quantité  du  métal  ou  du  métal- 
loïde, le  deidoxyde  ou  binxyde  renferme  deux  fois 
plusd'oxygène  que  \e  protoxyde  ;  le  sesquioxydeea 
renferme  une  fois  et  demie  autant.  Ainsi  on  dit  : 
protoxyde  de  manganèse,  ^esquioxi/de  de  manga- 
nèse, oioxi/de  ou  peroxyde  de  manganèse,  pour 
désigner  des  combinaisons  de  manganèse  et  d'o- 
xygène dans  lesquelles  les  quantités  d'oxygène 
croissent,  le  poids  de  manganèse  restant  le  même, 

comme  1,  |-, '2.0n  devine  lasignificationdesnoms: 

protoxyde  de  plomb,  sesquioxyde  de  fer,  protoxyde 
de  mercure,  bioxyde  de  mercure.  On  dit  quelque- 
fois, d'après  Berzelius  et  par  analogie  avec  la  no- 
menclature des  acides  :  oxyde  mercweux,  oxyde 
tnercurique  ;  oxyde  (en'eux,  oxyde  (errique. 

Nomenclature  des  corps  composés  binaires  ne 
CONTENANT  PAS  d'oxygène.  —  Comiiinaiious  d'un 
métnlliiide  et  d'un  métnl.  —  On  termine  en  me 
le  nom  du  métalloïde  qui  caractérise  le  genre  du 
composé,  et  le  nom  ainsi  modifié  est  suivi  du 
nom  du  métal  qui  définit  l'espèce.  Ainsi  on  dira: 
cldorure  lie  fer,  indure  de  potn.tsinm,  pour  repré- 
senter les  combinaisons  du  chlore  et  du  fer,  de 
l'iode  et  du  potassium;  par  exception,  on  dit  .<«/- 
fwc  de  fer,  arsémure  de  cuivre,  etc. 

Un  même  métalloïde  peut  former  avec  un  mé- 
tal plusieurs  combinaisons  dans  lesquelles,  pour 


un  même  poids  du  métal,  les  quantités  du  mé- 
talloïde seront  entre  elles  comme  1,   -ir  ,  2,  etc. 

On  dira,  comme  pour  les  oxydes,  chlorure  de  fer, 
iesqiiiMorure  lie  fer,  bi:-li/orute  de  fer,  proto- 
sulfure  de  plomb,  bisulfwe  de  cuivre. 

Combinaisons  d'un  métalloïde  avec  un  autre 
métolloide.  —  On  applique  les  mêmes  règles  qu'aux 
combinaisons  précédentes,  en  tenant  compte  de 
ceci  :  que  le  nom  générique  (celui  que  l'on  devra 
terminer  en  ure]  est  celui  du  métalloïde  qui  dans 
la  décomposition  du  composé  binaire  par  la  pile  se 
porte  au  pôle  positif.  Ainsi  on  dira  :  cldorure  de 
phosphore,  .ml/nre  d'arsenic,  et  chlorure  de  sou- 
fre, etc.  Le  chlorure,  le  bromure,  l'iodure  et  le 
sulfure  d'hydrogène,  qui  se  comportent  comme  des 
acides,  ont  été  appelés  liydrucidfs,  et  on  les  dési- 
gne presque  toujours  parles  noms  suivants  :  acide 
clilor hydrique,  acides  iodhydrique,  bt  omhydrique, 
sulfhydrique,  flunrhydrique. 

De  même  que  les  acides  se  combinent  aux 
oxydes  pour  former  des  sels,  de  même  deux  chlo- 
rures, deux  iodures,  deux  sulfures,  deux  bromu- 
res peuvent  se  combiner  ensemble  pour  former 
des  composés  ternaires  analogues  aux  sels,  l'un 
jouant  le  rôle  d'acide,  l'autre  le  rôle  de  base. 
Un  chlorure  acide  se  combinant  à  un  chlorure 
basique  forme  un  chlorO'."!  ou  chlorure  double. 
Ainsi  le  chlorure  de  platine  en  se  combinant  au 
chlorure  de  potassium  forme  un  cldorure  double  de 
plntine  ef  de  potassium.  On  le  désigne  quel- 
quefois sous  le  nom  de  chloroplatinale  de  po- 
tassium. 

Le  persulfure  d'antimoine  et  le  protosulfure 
de  sodium  forment  ensemble  un  sulfo-set  ap- 
pelé sulfo-anlinioninte  de  sodium  ou  simplement 
sulfantimoninte  de  sodium. 

On  rencontre  encore  quelquefois  les  noms  de 
chlori'les,  sulfi'Ies,  que  Berzelius  avait  donnés  aux 
chlorures  et  aux  sulfures  acides. 

Enfin,  nous  dirons  qu'on  nomme  alliages  les 
combinaisons  des  métaux  entre  eux.  On  dit  ul- 
linge  de  plomb  et  n'étain,  allioye  de  cuivre  et  de 
zinc,  etc.  Quand  le  mercure  entre  dans  un  alliage, 
celui-ci  porte  le  nom  d'umalgnme  :  amalgame 
d'étain,  etc. 

Nomenclature  des  composés  ternaires  ou  sels. 
—  Pour  ces  sortes  de  composés,  la  nomenclature 
française  sous-entend  que,  dans  la  constitution  du 
sel,  l'acide  et  la  base,  quoique  intimement  liés,  res- 
tent distincts.  Cette  hypothèse,  qui  n'est  pas  ad- 
mise par  tout  le  monde,  s'appuie  cependant  sur 
quelques  faits  importants  réunis  dans  ce  qu'on 
appelle  les  lois  'le  Hertholltt.  On  peut,  par  exem- 
ple, chasser  l'acide  d'un  sel,  soit  par  la  chaleur, 
soit  par  un  autre  acide,  sans  que  la  base  ait  été  en 
rien  altérée. 

Il  faudrait  donc  que  la  base  se  fût  reformée 
pendant  la  réaction,  si  les  éléments  de  l'acide  et 
de  la  base  avaient  été  unis  dans  le  sel,  de  telle 
façon  que  ces  deux  composés  binaires  n'aient  plus 
eu  d'existence  propre. 

Dans  l'hypothèse  sous-entendue  dans  la  no- 
menclature française,  on  peut  dire  que  les  com- 
posés terniures  sont  des  combinaisons  binaires  de 
second  ordre. 

Le  nom  d'un  sel  est  formé  de  la  combinaison 
du  nom  de  l'acide  et  de  celui  de  la  base  ;  le  pre- 
mier indique  le  genre,  l'autre  l'espèce.  Si  l'acide 
a  un  nom  terminé  en  iqne,  le  nom  générique 
du  sel  se  termine  en  nie,  et  le  nom  spécifique 
est  celui  de  l'oxyde  qui  joue  le  rôle  de  base.  L'a- 
cide azotique  en  se  combinant  à  de  la  potasse  ou 
oxyde  de  potassium  formera  de  Vuzoïate  de  polaise. 

On  dira  de  même  : 

Azotate  de  deutoxyde  de  mercure  ou  azotate 
mercurique  ; 

Sulfate  de  protoxyae  de  fer  ou  sulfate  ferreux  ; 


.NOMENCLATURE 


—  I'(l9 


NOMENCLATURE 


Pliosplmie  ilf  c/i(iux; 

Ciirhuiie  rlf  priitoxijde  île  plomb  ; 

Ar^t'iitiile  Ile  /lofusse  ; 

C/rnra/i:  lie  poliiS!te,   etc.  ;  ces   noms   indiquent 

es  combinaisons  des  acides  azotique,  sulluWque, 

)liospiiorique,   carbonique,    arscnique,    clilorique 

l'ec  les  oxydes  dont  les  noms  suivent  les  mots 

erminos  en  aie. 

Si,  au  contraire,  l'acide  porte  un  nom  terminé 
ni  eiir,  le  nom  générique  du  sel  sera  lormé  par 
e  remplacement  de  ctix  par  iie.  On  dira  :  ArsénUe 
le  siiiide,  phO''plnle  île  chaux,  sulfite  de  soiiflf, 
izolili'  lie  polavie,  pour  représenter  les  sels  formés 
les  acides  arsénieux.  phosphoreux,  sulfureux,  azo- 
eux  avec  les  bases  dont  les  noms  suivent  les  mots 
KTminés  en  ite. 

On  nomme  seli  ncides  les  sels  qui  renferment 
plus  d'acide  qu'il  n'en  faut  pour  saturer  la  base. 
(Vinsi  on  connaît  deux  combinaisons  de  l'acide 
sulfureux  avec  la  potasse  :  l'une  renferme  deux 
fois  plus  d'acide  sulfureux  que  l'autre  pour  le 
même  poids  de  potasse;  la  première  s'appellera 
liisulfite  de  potasse,  la  seconde  sulfite  neutre  de 
potasse.  On  dira  de  même  :  sulfate  neutre  de  pa- 
sse et  bisulfate  de  potaxse. 
On  connaît  trois  carbonates  de  soude,  dont  les 
quantités  d'acide  carbonique  pour  un  même  poids 

de  soude  sont  entre  elles  comme  I,  ^,  2;  on  les 

appelle  :  Carbonate  de  soude,  sesquicarbonate  de 
onde,  bicarbonate  de  soude. 

D'antres  sels  contiennent  un  excès  de  base  :  on 
les  appelle  sels  bu.siques.  Tels  sont  :  le  sous-sul- 
fate du  bioxyde  de  cuivre,  le  sous-azotate  de  bis- 
muth; on  dit  souvent  de  cuivre,  de  bismuth,  de 
pininb,  etc.,  au  lieu  de  dire  il'oryde  de  cuivre, 
d'o.ryde  de  bismuth,  d'oxyde  de  plomb,  etc. 

Lorsqu'une  certaine  quantité  d'acide  se  combi- 
rir  :i    diverses  quantités  d'une   même  base   pour 
Ifiiiiiei-  plusieurs    sels    différents,    celles-ci    sont 
'■inr,'  olles  comme   (,   2,  3,  et  on  le  rappelle   par 
les  mots    luoiio,  bi,    Iri  placés   en  avant  du   mot 
l"ish/ite.  Ainsi  les  expressions  : 
Azotate  de  deutoxyde  de  mercure  monohasique  ; 
Azotate  de  deutoxyde  de  mercure  bdjasique; 
\zoiate    de  deutoxyde  de    mercure    Iribusique, 
i-oprésentent  trois  sels  formés  d'acide  azotique  et 
d'une  môme  base,  le  deutoxyde  do  mercure,  mais 
on  proportions  telles,  que,  pour  une  môme  quan- 
tité d'acide,  il   y  a  dans   le  2°  deux  fois   plus  de 
base,   et  dans  le  3"  trois   fois   plus  que   dans  le 
premier. 

Sels  doubles.  —  Un  sel  peut  se  combiner  à  un 
autre  sel  en  formant  un  composé  tinaire  de  troi- 
sième ordre  ou  qua  ernuire  et  qu'on  appelle  un 
■<el  double.  Ainsi,  si  on  verse  du  sulfate  d'alumine 
dans  du  sulfate  de  potasse,  on  obtient  de  petits 
cristaux  à'aluu:  l'analyse  de  ce  corps  montre  qu'il 
'SI.  forme  par  la  combinaison  des  deux  sulfates. 
On  lo  nomme  sul/ate  doub'e  de  potasse  et  d'aln- 
iiiiiv.  C'est  en  s'appnyant  sur  cette  hypothèse, 
reposant  du  leste  sur  un  grand  nombre  de  faits, 
qu«  Berzelius,  le  célèbre  chimiste  suédois,  a 
exprimé  l'idée  que  toutes  les  combinaisons  chi- 
miques se  faisaient  entre  deux  corps  :  simples 
pour  former  un  composé  binaire  ;  binaires  pour 
former  un  composé  ternaire  ou  sel  ;  ternaires 
pour  former  un  composé  quaternaire.  C'est  cette 
manière  de  voir  qu'on  a  appelé  la  théorie  dnnlis- 
tique.  L'étude  des  composés  organiques  l'a  mise  en 
défaut  malgré  les  efforts  de  son  illustre  auteur 
(V.  Chimie  organique).  Aujourd'hui,  comme  plu- 
sieurs autres  théories  qui  l'ont  successivement 
remplacée,  elle  représente  une  partie,  mais  une 
partie  seulement  de  la  vérité.  C'est  ainsi  que 
notre  insatiable  et  légitime  désir  de  tout  expli- 
quer par  ce  que  nous  savons  déjà,  nous  porte  à  | 


faire  des  théories  générales  qui  embrassent  tout, 
mais  que  nos  connaissances  si  incomplètes  rendent 
forcément  imparfaites  et  provisoires. 

Formules  chimiques.  —  Les  formules  chimiques 
sont  les  expressions  abrégées  et  exactes  de  la 
composition  des  corps  ;  elles  représentent  non  seu- 
lement les  corps  simples  constituant  un  corps 
composé,  mais  aussi  les  proportions  suivant  les- 
quelles ils  s'y  trouvent  unis. 

Les  noms  dos  corps  simples  s'écrivent  par  leurs 
symboles  qui  sont  formés  par  la  première  lettre, 
ou  par  les  deux  premières  du  nom  français  ou  de 
son  équivalent  latin  ou  arabe,  ou  par  les  deux  pre- 
mières consonnes,  ou  enfin  par  les  deux  pre- 
mières consonnes  des  deux  premières  syllabes; 
c'est  l'usage  qui  les  apprend.  Nous  allons  don- 
ner la  série  des  symboles  des  principaux  corps 
simples  : 


KOMS 

SÏMBOT.ES 

Hydrogène . 

H 

OxygèiiP  . . . 

II 

Soufre 

S 

Sélénium... 

Se 

Tellure.... 

Te 

Azote 

Az 

Phosphore.. 

Ph 

Arsenic. ... 

As 

rhlorc 

r.l 

Fluor 

l'I 

Bi'ônie 

Br 

lod,. 

i 

r.iu-honiy.... 

(; 

Bore 

Bo 

Potassium.. 

K  (kalinm) 

Sodium  .... 

Na(nn(nu»!) 

Daryuni.... 
r.alcium. . . , 

.      Ha 

Magnésium. 
Aluminium. 

.      Mg 
.     Al 

Manganèse  . 
r.hrôme  . . . . 

.      Mn 

Fer 

.     Fe 

Zinc 

.      Zn 

Plomb 

.      Pli 

Elain 

Antimoine., 
r.uivre 

Sn  {stajutum) 
.     Sb  {stibium) 
.     Cu 

Argent 

Ag 

Platine  ... 

PI 

Mercure. . . . 

Itg   (liydrar- 
gyrum). 

Pour  obtenir  la  formule  d'un  corps  composé  bi- 
naire, on  place  à  côté  l'un  de  l'autre  les  symboles 
des  corps  simples  qui  le  constituent. 

Ainsi  pour  représenter  l'eau,  qui  est  formée  par 
de  l'hydrogène  et  de  l'oxygène,  on  écrira  HO.  La 
formule  00  représentera  de  l'oxyde  de  carbone  ; 
CaO,  de  la  chaux  ou  oxyde  de  calcium. 

Le  symbole  d'un  corps  simple  ne  représente  pas 
seulement  son  nom,  mais  encore  la  proportion  sui- 
vant laquelle  il  entre  dans  la  combinaison,  en  un 
mot  son  èquivnlenl  '.  Ainsi  HO  n'exprime  pas  seu- 
lement que  l'eau  est  formée  d'hydrogène  et  d'oxy- 
gène, mais  encore  que  ces  doux  éléments  y  en- 
trent dans  la  proportion  de  I  à  H,  qui  sont  les  équi- 
valents de  l'hydrogène  et  de  l'oxygène. 

CaO  indique  que  dans  la  chaux  le  calcium  et 
l'oxygène  sont  combinés  dans  la  proportion  de  20 
à  (S,  ces  deux  nombres  étant,  le  premier  l'équiva- 
lent du  calcium,  le  deuxième  celui  de  l'oxygène. 
SO-i,  formule  de  Vai.ide  sulfurique  anhijiire,  ex- 
prime que  ce  corps  composé  est  formé  par  du 
soufre  et  de  l'oxygène  dans  la  proportion  de  IG  à 
3  -|- 8,  c'est-à-dire  de  I  équivalent  de  soufre  pour 
3  équivalents  d'oxygène.  D'après  ces  exemples, 
on  comprendra  tout  de  suite  les  relations  de  com- 
position qui  existent  dans  les  séries  suivantes  : 


CIO.    Acide  hyperchlopeux. 
C103,     —    chloieux. 
CIO'.,      -      hjperelilorique. 
C105,      —     rhlmique. 
CW,     —     pcichlorique. 
MnO,  Proloxyde   de    manga- 

Mn^O-*,  Sesquioxyde  de  man- 

Mn02.  Bioxyde  de  manganèse. 
MnOa.  Acide  manganique. 
Mn^O'ï,    Acide    permangani- 
qiie. 


.\zO.  Protoxvde  d'azote. 
Az02,  Bioxyde  d'azote. 
AzO-^,  Acide  azoteux. 
AzO^,  Acide  hypoazotique. 
AzO^,  Acide  azotique. 
KeS,  Protosulfurc  de  fer. 

FcSS',  Sesquisulfure  de  fer. 


Formule  d'im  corps  binaire  de  deuxième  ordre 
ou  sel.  —  On  sait  qu'en  versant  de  la  potasse  dans 
de  l'acide  sulfurique  ou  réciproquement,  on  obtient 


NOMENCLATURE 


1420  — 


NORMANDS 


une  liqueur  neutre  qui  est  formée  par  la  combi- 
naison de  ces  doux  corps  binaires.  La  formule  de 
ce  sel,  qui  est  du  sulfate  de  potasse,  se  formera  en 
mettant  à  ciité  l'une  do  l'autre  la  formule  de  l'acide 
et  celle  de  la  base,  en  commençant,  généralement 
du  moins,  par  celle  de  la  base  :  KO.bO-';  les  deux 
formules  doivent  être  séparées  par  une  virgule. 
CaO,CO-  représente  du  carbonate  de  chaux  ; 
JVaO,AzO!>  de  l'azotate  de  soude;  PbO,CO-du  car- 
bonate do  plomb.  Ce  qui  précède  parait  aussi  na- 
turel que  logique;  cependant  cette  manièi-e  de 
représenter  un  sel  implique  une  hypothèse  îi  la- 
quelle nous  avons  déjà  faitallusion.  On  comprend, 
en  effet,  que  le  carbonate  de  plomb  peut  être  for- 
mulé autrement:  au  lieu  d'écrire  PbO,CO-,  on 
peut  écrire  PbC,0-',  cette  dernière  formule  repré- 
sentant les  proportions  de  plomb,  de  carbone  et 
d'oxygène  qui  constituent  le  carbonate  de  plomb 
sans  aucune  indication  hypothétique  sur  la  ma- 
nière dont  les  atomes  de  ces  corps  junivent  être 
groupés  dans  la  molécule  de  carbonate  de  plomb; 
tandis  que,  dans  la  formule  PbO,C02,  on  suppose 
que  la  mulénde  biiinire  PbO  est  juxtaposée  ;i  la 
molécule  C0-.  Nous  avons  déjà  dit  plus  haut  que 
cette  hypotiièse,  fondée  sur  un  grand  nombre  de 
faits  à  la  vérité,  ne  pouvait  pas  cependant  rendre 
compte  de  la  plupart  des  réaclions  que  présentent 
les  composés  organiques. 

Formules  des  xels  acides  et  des-  sels  Oasiques. 
—  L'équiva/ent  d'un  corps  composé  est  égal  à  la 
somme  complète  des  équivalents  des  corps  simples 
qui  le  constituent.  L'équivalent  de  l'eau  est  égal 
à  I  +  8=  HO;  celui  de  l'acide  sulfurique  h  I(i -j- 
8  +  8-1-8  =  SO^  ;  celui  du  sesquioxyde  fer  =  28 
X  2  +  8X3=  Fe^O^.  L'équivalent  du  sulfate  de 
potasse  sera:  (21  +  8  =KOj  + (10  +  8  X  3  =  S0^) 
=  6!)  =  K0,S0». 

Le  sulfate  de  sesquioxyde  de  fer,  qui  contient 
3  équivalents  d'acide  sulfurique  pour  chaque 
équivalent  de  sesquioxyde.  s'écrira  :  Fe-O^jSSO^. 
Le  bisulfate  de  potasse  :  KO,2S03.  Le  phosphate 
tribasique  de  chaux  :  :iCaO,Ph05,  etc. 

('o;'/).<  quaternaires  on  sels  doubles.  —  La  for- 
mule de  l'alun  ou  sulfate  double  d'alumine  et  de 
potasse  s'écrit  : 

A1203,3S03,  K0.S03 
Sulfate  d'alumine    Sulfate  de  potasse. 

Les  deux  formules  des  deux  sulfates  se  juxtapo- 
sent pour  former  celle  du  sulfate  double. 

Nous  avons  cru  devoir  donner  en  détail  la  no- 
menclature si  simple,  si  précise  et  qui  a  été  si 
féconde,  de  Lavoisier  et  de  ses  illustres  collabora- 
teurs, p.'irce  que  nous  la  regardons  comme  la  leçon 
la  plus  importante  d'un  cours  de  chimie. 

Cependant  l'expérience  de  l'enseignement  mon- 
tre que  la  plupart  des  élèves  arrivés  à  la  fin  de 
leur  cours  sont  incapables  d'écrire  la  formule  d'un 
corps  composé  qu'on  leur  nomme,  aussi  bieji  que 
de  nommer  la  substance  représentée  par  une  for- 
mule écrite.  A  quoi  cela  tient-il  surtout?  A  ce 
qu'ayant  trop  rapidement  passé  sur  cette  impor- 
tante leçon,  et  ne  la  sachant  point  par  conséquent, 
ils  ne  comprennent  point  les  leçons  suivantes;  la 
chimie  leur  paraît  difficile,  rebutante,  ils  la  négli- 
gent complètement,  et  cola  tout  simplement  parce 
qu'ils  n'en  savent  point  le  langage.  Une  formule 
est  pour  eux  un  jargon  incompréhensible  capable 
de  rebuier  la  plus  heureuse  mémoire.  Ou  ne  sau- 
rait   donc    trop   insister  dans   le   commencement 


est  très  utile  au  contraire,  avant  de  commencer  la 
nomenclature,  et  afin  de  familiariser  les  élèves 
avec  les  noms  et  avec  les  choses,  de  consacrer  plu- 
sieurs leçons  (trois  ou  quatre  au  moins)  à  des  gé- 
néralités appuyées  d'un  grand  nombre  d'expériences 
choisies,  répétées  lentement  devant  l'auditoire,  au- 
quel on  doit  faire  toucher  les  substances  dont  on 
se  sert.  [A.  Jacquemard.) 

NORMANDS.  —  Histoire  générale,  XVHI;  His- 
toire de  France,  VII-VIIL  —  C'est  sous  le  nom  de 
Normands  ou  Northmans  (hommes  du  Nord)  qu'on 
a  désigné,  au  moyen  âge.  les  pirates  de  race  Scan- 
dinave (Danois,  Suédois  et  Norwégiens)  qui,  dès 
le  XI"  siècle,  s'élancèrent  sur  l'Europe  et  les  îles 
Britanniques.  Marins  excellents  par  la  situation 
de  leur  pays,  aventureux  par  caractère,  par  reli- 
gion (leur  paradis  n'était  ouvert  qu'aux  braves 
morts  en  combattant),  ils  montaient  des  barques 
d'osier  recouvertes  de  cuir,  et,  sous  la  conduite 
d'un  roi  de  mer.  coiinai^.sant  les  lettres  mysté- 
rieuses qui,  gravées  sur  les  rames  ou  sur  l'épée, 
préservent  du  naufrage  ou  de  la  mort,  ils  allaient 
à  la  découverte  et  à  la  conquête.  Leurs  premiè- 
res incursions  on  Europe  eurent  sans  doute 
pour  cause  la'  guerre  que  fit  Charlemagne  aux 
Saxons  ;  l'empereur  construisit  contre  eux  des 
forteresses  et  des  flottilles  qui  ne  purent  pas  les 
arrêter.  En  8B2,  un  de  ces  chefs  normands,  Rurik, 
appelé  par  les  habitants  de  Novgorod,  en  Russie, 
contre  leurs  voisins,  prit  le  titre  de  grand-duc  des 
Varègues.et  fonda  le  premier  des  Etats  normands, 
dont  le  rôle  devait  être  si  important  jusqu'aux 
temps  modernes.  A  partir  de  cette  époque,  les 
courses  des  Normands  ont  deux  buts  :  les  terres 
polaires  et  les  côtes  d'Angleterre  et  de  France. 
Entraînes  dans  les  mers  du  IVord  par  la  pêche  de 
la  baleine,  ils  s'établissent  aux  îles  Feroé,  vers 
861  ;  en  Islande,  vers  870,  où  ils  fondèrent  un  pe- 
tit Et.at;  puis  dans  le  Groenland  («  terre  verte  >>), 
qui  fut  découvert  et  baptisé  par  Eric  le  Roux 
(vers  982).  Le  Labrador,  découvert  aussi  par 
eux,  ne  reçut  ce  noiu  qu'au  xV  siècle.  Pendant 
ce  temps,  profitant  de  l'anarchie  qui  suivit  le 
règne  de  Charlemagne,  d'autres  bandes  rava- 
geaient les  côtes  de  France.  Elles  choisirent  trois 
stations  principales  :  1"  station  de  la  Meuse  et  de 
l'Escaut,  d'où  elles  étendirent  leurs  incursions 
sur  la  Hollande,  la  Zélande,  la  Frise,  la  Flan- 
dre, le  Hainaut  et  les  bords  du  Rhin  jusqu'à  Aix- 
la-Chapelle.  Charles  le  Gros  ayant  tué  en  trahi- 
son leur  chef  Godefried,  les  Normands  de  la 
Meuse  s'unirent  aux  Normands  de  la  Seine  et 
assiégèrent  Paris,  que  défendirent  Eudes,  comte 
de  l'Ile-de-France,  l'évêque  G»zUn  et  Ebles,  abbé 
de  Saint-Germain  des  Prés.  Ils  furent  vaincus  à 
Louvain,  en  891,  par  Arnulf  de  Germaiiie  qui  mit 
fin  à  leurs  ravages  ;  2"  station  de  la  Loire  ;  ils  re- 
montèrent ce  fleuve  jusqu'en  Auvergne,  après 
avoir  pillé  Nantes.  En  86U,  Robert  le  Fort,  comte 
de  Paris,  périt  en  leur  livrant  la  bataille  de 
Brisserte.  Dans  le  pays  entre  Seine  et  Loire  vivait 
aussi  un  paysan  nommé  Tertulle,  que  Charles  le 
Chauve  créa  sénéchal  d'Anjou.  Il  fut  la  tige  des 
Plantagenets.  Le  chef  des  Normands  de  la  Loire, 
Thiebold,  s'établit  entre  Chartres  et  Tours  et  de- 
vint la  tige  des  coiutes  de  Blois  et  de  Champagne 
(879)  ;  3"  station  de  la  Seine,  d'où  ils  pillèrent 
Rouen  (891),  et  les  rives  do  la  Seine  jusqu'à  Paris. 
Ils  songèrent  ensuite  à  rester  dans  ce  pays  «  qui 
languissait    inculte   et    tout    couvert   de  grands 


d'un  cours  sur  l'importance  absolue  de  la  nomencla-  bois.»  RoU,  leur  chef,  s'établit  à  Rouen:  Charles  le 
ture.  Les  élèves  sont  aussi  efl'rayés,  sinon  décou-  i  Simple  lui  offrit  la  main  de  sa  fille  Gisèleàcondition 
rages,  par  ces  noms  bizarres  qu'on  leur  prodigue  |  qu'il  se  ferait  chrétien,  et  lui  céda,  par  le  traité  de 
dès  la  première  ou  la  deuxième  leçon.  Quoique  la  |  Saint-Clair  sur  Epte,  le  pays  situé  entre  l'Epte 
connaissance  de  la  nomenclature  soit  indispensable  !  et  la  Bretagne,  qui  prit  le  nom  de  Normandie  (911). 
pour  suivre  fructueusement  un  cours  de  chimie,  il  !  RoU  divisa  la  terre  entre  ses  compagnons:  les 
n'est  point  pour  cela  nécessaire  de  l'expliquer  dans  ]  Neustriens  furent  réduits  à  l'état  de  serfs  et  do 
la  première  ni  même  dans  la  deuxième  leçon  ;  il  .  colons.  La  Normandie  devint  entre  ses  mains  riche 


NUAGES 


l'iiil  — 


NUAGES 


ot  pi-ospcrc,  mais  les  Normands  couservoreiil 
toujours  Iftur  ancien  amour  des  expéditions  loin- 
taines, ('t  avec  leur  établissement  ne  se  termina 
point  leur  rùle  en  Kurope. 

F.n  lOlfi,  fiuaranto  chevaliers  normands  de  Neus- 
trie,  revenant  d'un  pèlerinage  en  Terre-Sainte, 
arrivèrent  h  Salerne  au  moment  où  la  ville  était 
assiégée  par  des  Sarrasins  ;  ils  les  attaquèrent, 
les  vainquirent  et  se  mirent  à  la  solde  des  prin- 
ces d'Italie.  Le  duc  de  Naples  leur  donna  Aversa 
en  récompense  do  leurs  services.  En  1033,  les  fils 
dun  gentilhomme  du  Cotentin,  Tancrède  de  Hau- 
t(!villo,  amenèrent  en  Italie  une  bande  plus  nom- 
breuse, chassèrent  les  Grecs  de  la  Pouille  et  l'é- 
rigèrent  en  comté.  Attaqués  par  le  pape  Léon  IX, 
ils  le  vainquirent  près  deCivitella  etobtinrent  de  lui 
l'investiture  de  la  Pouille,  de  la  Calabre  et  de  la  Si- 
cile (105:!).  Le  dernier  des  fils  de  Tancrède,  Robert 
Wiscart  ou  le  Rusé,  lui  paya  tribut  et  prit  le  titre  de 
duc  de  Pouille  et  ie  Calabre  ;  un  de  ses  frères  régna 
sur  la  Sicile.  Les  INormands  devinrent  alors  les  dé- 
fenseurs'dévoués  du  Saint-Siège  et  de  l'Kglise.  Ils 
soutinrent  Grégoire  VII  contre  Henri  IV,-  empe- 
reur d'Allemagne,  dans  la  querelle  des  investitu- 
res, et  forcèrent  l'empereur  à  lever  le  siège  du 
château  Saint-Ange  (1084).  Ils  prirent  aussi  une 
part  active  aux  croisades.  Lorsque  la  première 
croisade  fut  prôchée  (109.S),  la  Pouille  et  la  Cala- 
bre étaient  gouvernées  par  Boëmond,  fils  de  Ro- 
bert Wiscart,  qui  partit  à  la  tête  de  son  armée  et 
s'établit  à  Antioche  que  l'on  érigea  en  principauté. 
Boêmond  commanda  une  seconde  expédition  en 
1107,  et  voulut  la  mener  à  la  conquête  de  Constanti- 
nople  ;  mais  il  échoua  dans  son  projet. La  domination 
normande  finit,  dans  le  royaume  des  Deux-Siciles, 
en  1194,  par  la  conquête  d'Henri  VI,  empereur 
d'Allemagne,  héritier,  par  sa  femme,  du  dernier 
roi  normand  Guillaume. 

Pendant  ce  temps,  la  puissance  des  ducs  de 
Normandie  n'avait  cessé  de  s'accroître  sous  le 
gouvernement  de  Robert  le  Magnifique.  Les 
Normands  étaient  entrés  en  relations  avec  la 
Grande-Bretagne  ot  avaient  essayé  d'y  rétablir 
les  rois  saxons.  A  la  mort  du  dernier  roi  da- 
nois, le  fils  d'Ethelred  II.  Edouard  le  Confes- 
seur, réfugié  en  Normandie,  monta  sur  le  trùnc. 
Los  Normands, avec  lui,  devinrent  tout  puissants 
en  Angleteirp.  A  sa  mort  (1066),  Guillaume  le  Bâ- 
tard secondé  par  le  pape  Alexandre  II,  disputa  le 
trône  au  fils  du  comte  saxon  Godwin,  Harold.  Il 
envahit  l'Angleterre,  vainquit  Harold  k  Hasiings 
et  soumit  tout  le  royaume.  Une  enquête  territo- 
riale consignée  dans  le  r/rani-lerriev,  ro/e  roi/nt 
ou  (jion'l  rôle,  ou,  comme  l'appelèrent  les  Saxons, 
Doomsdny-book  (livre  du  jour  du  jugement),  di- 
visa tout  le  royaume  en  G"2,.')ll0  fiefs  partagés  entre 
les  compagnons  de  Guillaume.  Les  Saxons,  ré- 
duits à  l'état  de  serfs,  furent  soumis  à  la  taille, 
aux  lois  du  couvre-feu,  d'anglaiserie,  etc.  Le 
code  de  chasse  et  le  code  forestier  leur  fermèrent 
les  forêts.  Le  français-roman,  que  les  Normands 
avaient  perfectionné  et  employé  les  premiers  dans 
leurs  poésies,  fut  désormais  la  seule  langue  em- 
ployée dans  les  actes  publics,  en  Angleterre.  — 
V.  Scandinaves  {Etats},  Churles  le  Simple,  Guil- 
laume-le  Conquérant,  Italie,  An'fleterre. 

[Tli.   Lindenlaub.] 

.NOKWÈGE.  —  V.  Scandtnnres  (Étatx). 

NUAGIÎS.  — Météorologie,  VII-X.—  Les  nuages 
sont  des  brouillards  vus  de  loin  ;  ils  en  reprennent 
l'aspect  quand  on  s'en  approche  ou  qu'on  y  pé- 
nètre. Leur  nature  change  suivant  la  situation 
qu'ils  occupent  et  suivant  la  saison. 

Le  plus  ordinairement,  dans  nos  climats,  les 
nuages  sont  formés  par  des  amas  de  vapeur  con- 
densée en  globules  liquides  d'une  extrême  ténuité. 
Ces  globules  tombent  dans  l'air  avec  une  lenteur 
d'autant  plus   grande   qu'ils  sont  plus   fins.  Si  la 


masse  d'air  dans  laquelle  ils  descendent  c^t,  au 
contraire,  animée  d'un  mouvement  ascensiomicl 
d'ensemble,  il  peut  arriver  qu'ils  montent  (Ui 
réalité,  malgré  leur  chute  relative:  une  barque 
qui  remonterait  le  cours  d'un  fleuve  avec  une  vi- 
tesse moindre  que  celle  de  l'eau  descendrait  en 
réalité  par  rapport  aux  rives.  Aussi  voit-on  gé- 
néralement les  nuages  monter  ou  descendre  avec 
les  heures  du  jour. 

La  couche  d'air  dans  laquelle  se  forment  les 
nuages  est  saturée  de  vapeur  d'eau;  la  couche 
d'air  placée  au-dessous  ne  l'est  généralement  pas 
encore;  les  globules  d'eau  qui  y  pénètrent  dans 
leur  chute  se  vaporisent  promptement,  comme  les 
panaches  de  vapeur  condensée  qui  s'échappent 
des  cheminées  des  locomotives  se  dissipent  dans 
l'air  plus  ou  moins  sec.  C'est  une  seconde  cause 
de  délimitation  inférieure  des  nuages.  Quant  ii 
leurs  limites  latérales,  elles  sont  dues  à  la  dis- 
tance ;  leur  précision  apparente  disparaît  à  mesure 
qu'on  s'en  approche  davantage.  Ces  limites  d'ail- 
leurs sont  perpétuellement  changeantes  au  gré  des 
courants  d'air  intérieurs.  L'épaisseur  des  nuages, 
plus  variable  encore,  peut  quelquefois  atteindre  et 
dépasser  un  millier  de  mètres. 

Parmi  la  masse  des  globules  qui  composent  un 
nuage,  il  s'en  trouve  de  plus  volumineux  que 
d'autres  et  dont  la  chute  est  plus  rapide.  Les  pre- 
miers peuvent  heurter  les  seconds  et  les  absor- 
ber; ils  augmentent  progressivement  de  volume 
Jusqu'il  former  des  gouttes  de  pluie. 

Les  globules  d'eau,  une  fois  formés,  peuvent 
subir  l'action  de  froids  inteuses  sans  se  congeler. 
Les  physiciens  disent  qu'ils  sont  alors  à  l'état  de 
surfusion;  mais  s'ils  touchent  un  corps  solide,  et 
surtout  un  fragment  de  glace,  ils  se  congèlent  su- 
bitement :  de  là  ces  verglas  désastreux  comme 
celui  du  ?0  janvier  1879. 

Si  la  condensation  de  la  vapeur  d'eau  a  lieu  h 
une  température  inférieure  i  0°,  cette  vapeur, 
au  lieu  de  se  condenser  en  globules  aqueux, 
se  transforme  en  lamelles  cristallines  très  fines 
qui  restent  isolées  ou  se  groupent  en  flocons  de 
neige,  chaque  cristal  en  appelant  un  autre.  Dans 
le  premier  cas  on  a  un  brouillard  cristallin  du  nord, 
dans  le  second  on  a  une  chute  de  neige.  Les 
brouillards  cristallins  en  couches  très  minces  et 
vus  de  très  loin  forment,  luôme  pendant  l'été,  ces 
nuages  filameiUeux  qu'on  nomme  cirrus. 

Les  météorologistes  attachent  une  assez  grande 
importance  à  la  forme  des  nuages.  Quelques-uns 
même  divisent  ces  formes  en  classes  très  nom- 
breuses dont  ils  font  une  nomenclature  détaillée. 
.\ous  indiquerons  seulement  quelques-unes  des 
formes  principales. 

Les  cirrus,  o  queues  de  chat  »  des  marins,  sont 
des  nuages  extrêmement  élevés,  très  légers  et  très 
déliés,  composés,  comme  il  vient  d'être  dit,  de 
particules  cristallines  de  vapeur  congelée.  On  peut 
les  rencontrer  on  toute  saison.  Ils  accusent  l'inva- 
sion des  courants  du  sud-ouest  dans  les  hautes 
régions  de  l'air. 

Si  cette  invasion  fait  des  progrès  assez  lents,  les 
lamelles  do  glace  fondent,  les  filaments  se  ras- 
semblent, les  nuages  deviennent  pommelés,  le  ciel 
se  moutonne. 

Les  cumutui,  «  balles  de  coton  u  des  marins,  ont 
des  formes  arrondies,  massives,  souvent  très  volu- 
mineuses. Ce  .sont  surtout  les  nuages  d'été,  ou  do 
montagnes;  ils  sont  dus  à  la  condensation  de  la 
vapeur  .au  sein  des  masses  d'air  soulevées  par  les 
courants  ascendants. 

Les  stratus  sont  des  nn.ages  de  formes  très 
alloiifjées,  ayant  l'aspect  de  bandes,  que  l'on  aper- 
çoit près  de  l'horizon.  Ils  sont,  le  plus  souvent,  i 
peine  visibles  des  lieux  qu'ils  dominent;  la  per- 
spective seule,  les  montrant  par  la  tranche,  les  fait 
paraître  plus  compacts. 


NUMERATION 


—  iA-2-2  — 


NUMERATION 


Les  7ii>nhus  sont  des  nuages  bas,  étendus,  d'où 
s'échappent  le  plus  souvent  les  pluies  ou  les 
neiges. 

Les  brumes  ou  bionillavrls  sont  des  nuages  plus 
ou  moins  denses,  descendant  jusqu'à  la  surface 
du  sol,  s'y  formant  même  le  plus  souvent,  et  au 
milieu  desquels  nous  sommes  plongés. 

Lfs  nuages,  quelle  que  soit  leur  forme,  peuvent 
prendre  naissance  dans  deux  conditions  différen- 
tes, mais  pouvant  se  superposer. 

Quand  le  temps  se  refroidit,  soit  par  l'effet  du 
rayonnement  terrestre,  soit  par  l'invasion  de  vents 
desri'gions  du  nord,  une  partie  do  la  vapeur  conte- 
nue dans  l'air  ne  peut  plus  y  conserver  l'état  ga- 
zeux ;  elle  se  condense  (cirrus  brumes,  brouillards^ 
Quand  l'air  chaud  et  humide  des  régions  voisines 
du  sol  monte  progressivement  dans  l'atmosphère, 
soit  par  l'effet  de  l'inégal  échauffement  des  terres 
couvertes  de  cultures  différentes,  soit  par  l'effet 
des  inégalités  d'un  sol  accidenté  ou  montagneux, 
cet  air  se  refroidit  progressivement  par  le  fait 
même  de  son  ascension  et  de  l'expansion  qu'une 
diminution  de  pression  produit  en  lui.  Il  arrive 
finalement  à  une  hauteur  ou  à  une  température  à 
laquelle  il  ne  peut  plus  garder  toute  sa  vapeur, 
qui  se  condense  en  partie  (cumulus).  Les  monta- 
gnes élevées  sont  fréquemment  couronnées  par 
des  nuages  ayant  cette  seconde  origine,  et  c'est  à 
des  nuages  de  cette  nature  que  les  marins  recon- 
naissent au  milieu  des  grands  océans  équatoriaux 
la  présence,  au  loin,  d'ilôts  même  des  plus  petites 
dimensions.  [Marié-Davy.] 

NUITS.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL.,  — 
Nous  complétons  notre  article  Jow  nées  par  l'énu- 
mération  des  Nuits  historiques  les  plus  célèbres. 
Ce  sont  :  la  nuit  de  la  Saint-Brice  (100'2),  dans 
laquelle  les  Anglo-Saxons  égorgèrent  tous  les 
Danois  établis  en  Angleterre;  la  nuit  triste  (la 
noclie  triste  en  espagnol,  l"'  juillet  Ii'20),  durant 
laquelle  Cortez  et  ses  compagnons,  assaillis  par 
une  insurrection  des  indigènes,  durent  évacuer 
Mexico;  la  nuit  de  la  Saint-Barthélémy  (V4  août 
1ÔT2)  :  souillée  par  le  massacre  des  protestants 
français;  la  nuit  du  4  août  1789,  durant  laquelle 
se  tint  la  fameuse  séance  de  l'Assemblée  consti- 
tuante où  eut  lieu  la  renonciation  aux  privilèges 
féodaux . 

AUMÉUATIOIV.  —  Arithméti(|ue,  I-llL  — 
Étym.  :  du   latin  numerntio,  action   de   compter. 

Nombre  ;  unité.  —  Qu'un  enfant  interrogé  au  ta- 
bleau soit  invité  par  le  maître  à  dire  combien  d'élè- 
ves sont  assis  à  la  table  qui  est  devant  lui;  il  compte 
et  répond  qu'il  y  en  a  six,  par  exemple  :  le  terme 
six  est  un  nombre,  et  l'élève  est  Viiniié.  Qu'on  lui 
demande  ensuite  d'indiquer  la  longueur  de  la  ta- 
ble ;  il  porte  le  mètre  d'un  bout  de  la  table  à  l'au- 
tre, et  s'il  trouve  qu'il  y  est  contenu  quatre  fois  par 
exemple,  il  est  dit  que  la  table  a  une  longueur  de 
quatre  mètres;  ici  \e  terme  (juatre  est  un  nombre 
et  le  mètre  est  l'unité. 

D'après  ces  exemples  (qu'on  fera  bien  de  multi- 
plier) on  voit  que  meswcr  une  ijuuntitê  qiielcun- 
que,  c'est  chercher  combien  de  fois  elle  contient  une 
certaine  quantité  de  même  espèce,  connue  ou  adop- 
tée par  l'ustifje. 

Cette  quantité  connue,  qui  sert  à  évaluer  les 
quantités  de  môme  espèce,  est  appelée  uwté. 

On  appelle  notnbn:  l'expression  qui  indique 
combien  il  y  a  d'unités  dans  la  quantité  mesurée. 

Unité  fractionnaire;  nombre  fractionnaire  ;  trac- 
tion; n  '/nbre  entier.  —  On  peut  avoir  à  mesurer  une 
quantité  moindre  que  l'unité.  Soit  par  exemple  à 
mesurer  la  longueur  d'un  cahier  :  le  mètre,  qui  est 
l'unité  ordinaire  de  longueur,  étant  trop  grand,  on 
emploie  pour  mesure  une  des  dix  parties  égales 
dont  se  compose  la  longueur  du  mètre  et  qui  s'ap- 
pellent rfec!»ié()r;  si  elle  se  trouve  contenue  trois 
fois,  par  exemple,  dans  la  longueur  du  cahier,  on 


fait  connaître  cette  longueur  en  disant  qu'elle  a 
trois  décimètres.  Dans  ce  cas,  trois  est  le  nombre 
et  le  drcimélre  est  l'unité.  Mais  cette  unité,  n'é- 
tant qu'une  des  parties  égales  dans  lesquelles  le 
mètre  est  subdivisé,  peut  être  appelée  unité  frac- 
tionnaire, du  mot  fraction  qui  signifie  partie,  por- 
tion de  quelque  chose. 

Pour  mesurer  une  longueur  moindre  que  le  mè- 
tre, on  pourrait  prendre  toute  autre  partie  du  mè- 
tre comme  unité;  par  exemple,  en  le  partageant  eu 
deux  parties  égales,  on  aurait  la  motié  du  mètre 
ou  demi-mètre  ;  en  le  partageant  en  trois,  on  aurait 
la  troisième  partie  appelée  aussi  ficc.s-;  en  le  par- 
tageant en  quatre  parties,  on  aurait  la  quatrième 
partie  appelée  aussi  quart;  en  cinq,  six,  etc.,  on 
aurait  la  cinquième  partie,  la  sixième  partie  du 
mètre,  etc.  L'une  quelconque  de  ces  parties  égales 
étant  employée  comme  mesure  de  longueur  sera 
une  unité  fractionnaire.  On  dira  par  exemple  que 
la  largeur  de  la  table  est  égale  à  trois  quaris  de 
mètre,  que  la  longueur  d'une  règle  est  égale  à  cinq 
fois  la  huitième  partie  du  mètre,  ou,  comme  on  dit 
souvent,  à  cinq  îiuitièmes  de  mètre. 

Il  n'est  pas  nécessaire  que  l'unité  soit  effective- 
ment divisée  en  plusieurs  parties  égales  ;  il  suffit 
que  l'esprit  conçoive  cette  division  ;  par  exemple  le 
prix  d'un  objet  sera  un  tiers,  un  quart,  deux  cin- 
quièmes de  franc. 

On  appelle  donc  undé  fractionnaire  une  partie 
quelconque  de  l'unité  entière  qui  est  empliiyée 
aussi  comme  unité  pour  la  mesure  d'une  quantité. 

Le  nom  de  cette  unité  est  facile  à  former  ;  on 
ajoute  la  terminaison  ième  au  nom  du  nombre 
qui  indique  en  combien  de  parties  égales  on  a  par- 
tagé l'unité  entière  pour  former  cette  unité  frac- 
tionnaire :  un  ciiiqu'ème,  un  sixiè'ne,  un  dixième, 
etc.  Seulement  on  emploie  de  préférence  les  mots 
flemie,  tiers,  quart,  nu  lieu  de  deuxième,  troisième, 
quatrième  pariie. 

Le  nombre  ({ui  exprime  des  unités  fractionnai- 
res esl  appelé  nonhre  fractionnaire  ;  celui  qui 
n'exprime  que  des  unités  entières  est  un  nombre 
entier. 

Quand  le  nombre  fractionnaire  exprime  une 
quantité  moindre  que  l'unité  entière,  il  porte  le 
nom  de  fraciv.n.  Ainsi  cinq  tiers  de  mètre,  neuf 
quaris  de  franc  sont  des  nombres  fractionnaires; 
deux  tiers  de  mètre,  tmis  quarts  de  franc  sont  des 
fractions. 

Nombre  abstrait  ;  nombre  concret.  —  Un  nom- 
bre, suit  entier,  soit  fractionnaire,  n'est  pas  tou- 
jours accompagné  du  nom  de  l'unité,  comme  quand 
on  dit  par  exemple  :  un,  deux,  trois,  ou  bien  une 
demie,  il  eux  tiers,  trois  quaris,  etc.,  sans  avoir  en 
vue  une  espèce  d'unité  plutôt  qu'une  autre.  Dans 
ce  cas  le  nombre  est  a/.strait,  c'est-à-dire  séparé 
de  la  quantité  à  laquelle  il  se  rapportait.  Par  op- 
position, le  nombre  qui  est  accompagné  du  nom 
de  l'unité  est  appelé  nombre  concret  (du  latin  con- 
crctns,  épais,  solide);  par  exemple  trois  fra.  es,  cinq 
sixièates  de  mè're. 

Formation  desnombres;  numération.  —  Quelque 
grand  que  soit,  par  exemple,  le  nombre  des  hari- 
cots contenus  dans  un  sac,  tout  enfant  conçoit 
parfaitement  qu'en  ajoutant  un  haricot  à  ce  nom- 
bre, puis  un  autre  et  ainsi  de  suite,  on  obtient 
des  nombres  qui  peuvent  aller  en  augmentant  ainsi 
indéfiniment  sans  aucune  limite.  Il  était  donc  né- 
cessaire de  trouver  un  moyen  pour  désigner  tous 
les  nombres,  quelque  grands  qu'ils  puissent  être, 
par  des  noms  faciles  à  retenir  et  à  composer  :  c'est 
en  cela  que  consiste  la  numération. 

La  numération  est  un  système  de  règles  d'après 
lesquelles  tous  les  nombres  peuvent  être  désignés 
à  l'aide  de  quelques  mots  et  écrits  à  l'aide  de  quel- 
ques caractères. 

Bornée  U  la  formation  des  noms  qui  désignent 
les  nombres,  elle  se  nomme  numération  parlée; 


NUMERATION 


1-4^23  — 


NUMERATION 


appliquée  Ji  l'écriture  des  nombres,  elle  se  nomme 
numération  écrite. 

Numération  parlée.  —  Môme  avant  leur  entrée 
;\  recule,  les  enfants  savent  tous  que  le  nombre  qui 
ne  désigne  qu'une  seule  cliose.une  seule  unité,  est 
appelé  un  ;  que  un  ajouté  i  lui  forme  le  nombre 
dc"X  ;  que  un  ajouté  î  deux  forme  le  nombre  /;'0(>', 
et  qu'on  continuant  à  ajouter  un  successivement  à 
un  nombre  précédent,  on  a  les  nombres  appelés 
r/uatre,  cinq,  six,  sept,  liuil,  neuf  et  dix.  Quoique 
la  plupart  des  élèves  soient  capables  de  compter 
plus  loin  :  onze,  <J"UZP,  etc.,  arrêtons-nous  à  dix. 
Observons  que,  l'esprit  se  trouvant  fatigué  par  l'at- 
tention qu'exigent  des  nombres  trop  grands,  un 
marchand,  par  exemple,  compte  ses  œufs  par  dou- 
zaines, en  disant  trois  douzaines,  quatre  douzaines. 
De  même,  et  probablement  à  la  vue  des  dix  doigts 
des  deux  mains,  on  a  formé  de  dix  unités  un 
groupe  considéré  comme  une  nouvelle  unité  plus 
grande  nommée  dizaine,  et  on  compte  les  objets 
par  dizaines  :  une  dizaine,  deux  dizuines,  trois 
dizaines,  etc.,  jusqu'à  neuf  dizaines.  Au  lieu  de 
une  dizaine,  on  emploie  le  mot  dix  qui  est  plus 
court;  les  autres  nombres  de  dizaines  sont  aussi 
remplacés  par  les  mots  suivants,  tirés  du  latin  : 
deux  dizaines,  vingt;  trois  dizaines,  trente;  quatre 
dizaines,  quarante;  cinq  dizaines,  cinquante;  six 
dizaines,  soixante;  sept  dizaines,  septa^de;  huit 
dizaines,  huitanle  ;  neuf  dizaines,  nouante. 

iMais,  par  une  irrégularité  regrettable,  les  termes 
septante,  huitante  et  nouante  sont  peu  en  usage,  et 
à  leur  place  on  dit  :  soix-inte-dix,  quatre-vingts, 
quatre-vingt-dix . 

Pour  désigner  un  nombre  contenant  des  dizaines 
et  des  unités,  on  joint  au  nom  des  dizaines  celui 
des  unités  :  vinql-cinq,  trente-huit,  etc.  Cepen- 
dant au  lieu  de  dix-un,  dix-deux,  dix-trois,  dix- 
quatre,  dix-cinq,  dir-six,  on  se  sert  de  mots  équi- 
valents venus  du  latin  :  onze,  douze,  treize,  qua- 
torze, quinze,  seize.  Au  delà  on  reprend  la  règle  : 
dix-sept,  dix-huit,  etc. 

Avec  ce  qui  précède,  on  est  en  état  de  désigner 
tous  les  nombres  depuis  un  jusqu'à  nonante-neuf, 
ou,  pour  employer  l'expression  plus  usitée,  quatre- 
vingt-dix-neuf. 

En  ajoutant  une  unité  simple  à  ce  dernier  nom- 
bre, on  a  neuf  dizaines  plus  une  dizaine  ou  dix  ili- 
zaines:  ce  nombre  est  appelé  eut.  Le  groupe  dedix 
dizaines  est  considéré  aussi  comme  une  troisième 
espèce  d'unités  appelées  centaines,  et  on  compte 
par  centaines,  comme  on  compte  par  dizaines  et 
par  unités  simples  :  une  centnine,  deux  centaines, 
etc.,  ou  plutôt  cent,  deux  cents, etc.,  jusqu'à  neuf 
cents. 

l'our  désigner  un  nombre  contenant  des  centai- 
nes, des  dizaines  et  dos  unités,  on  joint  au  nom 
des  centaines  celui  des  dizaines  et  des  unités;  par 
exemple  :  Deux  cent  trenti'-q uatre ;  cinq  centquutre- 
vingt-dix-sfpt  {poaTcinq  cent  Clouante  sept),  etc.  On 
est  ainsi  en  étal  de  compter  depuis  un  jusqu'à  neuf 
cent  qnnlre-vingt-dix-neuf(neufcfnt  nonante-neuf). 
On  distingue  les  unités  simples,  les  dizaines  et 
les  centaines  par  ordres:  les  unités  simples  sont 
les  unités  du  premier  ordre;  les  dizaines  sont 
celles  du  deuxième  ordre  ;  les  centaines,  celles  du 
troisième  ordre. 

Augmenté  d'une  unité  simple,  le  nombre  neuf 
cent  quatre-vingt-dix-neuf  devient  un  nouveau 
nombre  contenant  neuf  centaines,  neuf  dizaines  et 
une  dizaine,  c'est-à-dire  dix  centaines;  on  le 
nomme  anlle.  Le  groupe  de  mille  unités  simples 
est  regardé  comme  une  nouvelle  unité,  qui  est 
celle  du  quatrième  ordre  ;  ces  unitt^s  se  comptent 
comme  les  unités  simples  :  un  mille  ou  plus  sim- 
plement mi/le,  dfux  mille,  etc.  jusqu'à  neuf  mille. 
Pour  ne  pas  répéter  sans  nécessité  les  détails  des 
explications  précédentes,  il  suffira  de  dire  pour  ce 
qui  •îuit  que  dix  unités  de  mille  font  la  dizaine  de 


mille,  ou  unité  du  cinquième  ordre,  que  dix  di- 
zaines de  mille  font  la  ceritame  de  mille  on  unité 
du  sixième  ordre,  que  dix  centaines  de  mille  font 
Vunité  de  million  ou  unité  du  septième  ordre,  et 
ainsi  de  suite  :  dizaine  de  million,  unité  du  hui- 
tième ordre;  centaine  île  »)i.7îOî(,  unité  du  neu- 
vième ordre  ;  unité  de  hillinn,  dizaine  de  billion, 
centaine  de  billion.  L'unité  de  billion  est  aussi 
appelée  milliard,  particulièrement  en  termes  de 
finances. 

Il  est  inutile  de  pousser  cette  nomenclature  plus 
loin,  et  d'énoncerdes  unités  telles  que  les  tnllwns, 
les  quitlritlions, etc.,  qui,  par  leur  grandeur  on  de- 
hors do  toutes  les  réalités  ordinaires,  ne  disent 
rien  à  l'esprit  des  élèves. 

(;e  qui  est  plus  important,  c'est  la  remarque 
suivante:  les  unités  des  divers  ordres  se  succèdent 
de  telle  manière  que  chacune  vaut  dix  unités  de 
l'ordre  immédiatement  inférieur.  Tel  est  le  prin- 
cipe de  la  numération  parlée. 

Ainsi  le  nombre  dix  sert  de  base  à  ce  système 
de  numération,  qui  pour  cette  raison  s'appelle  tiu- 
mératinn  décimale. 

Observons  encore  que  les  divers  ordres  d'unités 
forment  naturellement  des  groupes  contenant 
chacun  les  trois  ordres  :  unités,  itizaines  et  cen- 
taines.  Ces  groupes  sont  les  classes  d'unités  prin- 
cipales :  classe  des  unités  simples;  classe  des 
mille,  classe  des  raillions,  etc. 

Pour  éviter  toute  équivoque,  on  se  rappellera 
que  le  mot  unité  seul  désigne  toujours  l'unité 
simple,  celle  du  premier  ordre. 

Numérntion  écrite.  —  Chaque  ordre  ne  contient 
pas  plus  de  neuf  unités  ;  car  treize  p-M  exemple  est 
la  môme  chose  que  une  dizaine  et  trois  nniiés; 
de  même  quarante-huit  désigne  quatre  dizaines  et 
huit  unités.  Par  conséquent  neuf  caractères  suf- 
fisent pour  représenter  les  neuf  nombres  d'unités 
de  chaque  ordre  ;  ces  caractères,  nommés  chiffres, 
sont  : 

1  un;         2  deux;    3  trois; 
4  quatre;  5  cinq;     (I  six; 
7  sept;       8  huit;     9  neuf. 

Ces  chiffres  nous  viennent  des  Arabes. 

Ainsi  le  chilTre  7  représentera  aussi  bien  sept 
unités  de  mille  que  sept  centaines  ou  sept  di- 
zaines ou  sept  unités  simples  ;  mais  il  faut  qu'en 
môme  temps  il  indique  l'ordre  des  unités  qu'il 
exprime.  C'est  ce  qui  se  réalise  d'après  la  règle 
suivante  :  le  cliiffre  des  unités  simples  étant  écrit 
le  premier,  celui  des  dizaines  sera  le  second  en 
allant  de  droite  à  gauche,  celui  des  centaines  le 
troisième,  celui  des  unités  de  mille  le  quatrième, 
et  ainsi  de  suite,  de  sorte  que  l'ordre  aes  unités 
d'un  chiffe  est  marqué  par  le  rang  qu'il  occupe. 
Par  exemple,  dans  le  nombre  675li,  le  chilTre  6 
exprime  6  unités  du  quatrième  ordre  ou  6  raille,  le 
chiffre  7  exprime  7  unités  du  troisième  ordre  ou 
7  cents  ;  le  chifl're  5  exprime  5  unités  du  deuxième 
ordre  ou  5  dizaines  (cinquante);  enfin  le  chiffre  9 
exprime  9  unités  du  premier  ordre  ou  9  unités 
simples. 

Il  peut  arriver  qu'au-dessous  de  ses  unités  les 
plus  élevées,  un  nombre  manque  d'un  ou  même  de 
plusieurs  des  ordres  inférieurs.  D.ins  ce  cas,  pour 
que  chaque  chiffre  occupe  le  rang  qu'il  doit  avoir, 
on  écrit  à  la  place  des  ordres  qui  manquent  le  ca- 
ractère 0,  nommé  zéro.  Ainsi  le  nombre  quatre  cent 
sept  unités  contient  4  unités  du  troisième  ordre, 
7  unités  du  premier,  et  n'a  pas  de  dizaines  ;  il  s'é- 
crira 407.  Le  nombre  quatre  cent  soixante-dix 
(quatre  cent  septante)  contient  4  unités  du  troi- 
sième ordre,  7  du  second  et  n'a  pas  d'unités  du 
premier;  il  s'écrira  47(1. 

Le  zéro  chez  les  Arabes  portait  le  nom  deçafar, 
qui  signifie  u  vide  ».  Importé  en  Italie,  ce  mot  de- 
vint cifra  et  zefirn.  La  syllabe  fi  étant  brève,  ce 


NUMÉRATION 


au  — 


NUMERATION 


dernier  mot  se  réduisit  à  zcra,  pendant  que  le 
premier  finit  par  désigner  les  neuf  autres  carac- 
tères; notre  terme  chiffre  n'est  autre  que  le  mot 
àfra  avec  la  prononciation  italienne  du  c.  Les 
Anglais  ont  conservé  au  mot  chiffre  [cipher]  son 
sens  étymologique  de  zéro  ;  les  neuf  autres  carac- 
tères portent  le  nom  de  fir/ures.  qu'ils  ont  eu 
longtemps  aussi  en  français. 

De  ce  qui  précède  ressort  ce  principe  :  Dans 
tout  nombre  écrit,  un  chiffre  de  ranu  quelconque 
exprime  îles  unités  dix  fois  plus  grondes  que 
celles  (tu  chiffre  qui  est  immédiati'ment  à  sa  droite. 

C'est  là  le  principe  fondamental  de  la  numéra- 
tion écrite. 

liét/lc  pour  écrire  les  nombres.  —  U't  éci  it  suc- 
cessivement  de  qauche  à  droite  le  chiffre  rfes 
centaines,  le  chiffre  des  dizainrs  et  celui  des  uni- 
tés de  chaque  classe  (('unités  prni'ipales,  en  coin- 
mençunl  par  la  classe  le  plus  élevée  et  en  ayant 
soin  lie  mettre  un  zéro  à  la  plaie  de  chaque  ordre 
inanqumit  iluiis  le  nombre. 

Soit  par  exemple:  Irente-qunlre  niillioni  vingt- 
liuit  mille  SIX  i  enl  sept  unités.  Ce  nombre  con- 
tient 34  millions  ;  la  classe  dos  mille  n'a  pas  de 
centaines  et  renferme  seulement  2  dizaines  et  8 
unités;  la  classe  des  unités  simples  contient  (j 
centaines  et  7  unités,  mais  pas  de  dizaines.  Ce 
nombre  s'écrira  donc  ainsi  : 

34028C07. 

Hégle  pour  lire  un  nombre  écrit  en  chiffres.  — 
P-mr  lire  un  nombre,  on  le  divise  en  tranches  de 
trois  chiffres  par  des  poirits  à  partir  de  la  droite; 
la  dernière  peut  n'avoir  qu'un  ou  deux  chiffrer. 
Chaque  franche  correspond  ainsi  aux  clauses  d'u- 
nités principales.  La  première  à  dioife  représerite 
la  classe  des  unités  simples,  la  seconde  celle  des 
mille,  etc.,  et  dans  chaque  tranche  le  primier 
chiffre  à  droite  exprime  les  vnitis,  le  second  les 
dizaines  et  le  troisième  les  centaines.  On  ht  alois 
chaque  tranche  de  gauche  à  droite  en  énonçant 
après  chacune  le  nom  de  la  classe  de  ses  unités 
pri7icipales .  . 

Nota.  —  Nous  n'avons  pas  besoin  de  recomman- 
der aux  maîtres  de  commencer  par  des  nombres 
n'ayant  pas  plus  de  trois  chiffres,  et  de  monter 
graduellement  à  ceux  de  six  chiffres,  puis  i  ceux 
de  neuf,  sans  dépasser  les  billions.  Au  delii  ce  sont 
des  nombres  fantastiques  dont  les  élèves  n'auront 
jamais  à  faire  usage. 

Influence  des  zéros  sur  la  drode  d'un  nombre 
entier.  —  Un  nombre  entier  prend  une  valeur  10 
fois  plus  grande,  quand  on  écrit  un  zéro  sur  sa 
droite;  lu»  fois  plus  grande,  quand  on  en  écrit 
deux  ;  1000  fois  plus  grande,  quand  on  en  écrit 
trois,  etc. 

En  effet,  soit  le  nombre  68  ;  avec  un  zéro  sur  sa 
droite  il  devient  680.  Dans  le  premier,  le  chiffre  8 
exprime  des  unités  simples,  et  dans  le  deuxième 
des  dizaines  ;  le  chiffre  6  dans  le  premieriexprime 
des  dizaines  et  dans  le  deuxième  des  centaines  : 
par  la  présence  du  zéro,  chaque  chiffre  du  nombre 
a  donc  pris  une  valeur  10  fois  plus  grande  que 
celle  qu'il  avait  auparavant. 

De  là.  cette  distinction  entre  la  râleur  absolue 
d'un  chiffre  et  sa  valeur  rehdive,  c'est-iVdire  celle 
qu'il  prend  d'après  le  rang  qu'il  occupe. 

Nl!Ml':HAT10N    DES    NOMBRES    DÉCIMitlX.    —   Des    pluS 

fortes  unités  aux  plus  faibles,  une  unité  de  chaque 
ordre  est  la  10"  partie  de  celle  qui  la  prccc'^de  im- 
médiatement; si  donc  on  prolonge  la  série  des 
ordres  d'unités  au-dessous  des  unités  simples,  on 
a  d'abord  la  Ki'partie  de  l'unité,  puis  la  10"  partie 
du  10",  qui  est  la  lOO'  partie  de  l'unité,  puis  la 
ni"  partie  du  100°,  qui  est  la  lOOO»  partie  de  l'u- 
nité, etc.  :  c'est  ce  que  montre  de  la  manière  la 
plus  nette  le  mètre  avec  ses  subdivisions  en  déci- 
mètres, centimètres  et  millimètres. 


Ces  unités  fractionnaires  sont  appelées  unités 
décimales  (du  latin  decimus,  dixième),  parce  que 
chacune  est  la  10'  partie  de  la  précédente;  elles 
doivent  être  regardées  comme  la  continuation  de 
la  série  des  ordres  d'unités  entières. 

Un  nombre  qui  exprime  des  unités  décimales 
est  appelé  |)iO»(/j'e  décimal;  s'il  est  moindre  que 
l'unité  entière,  il  prend  le  nom  de  fraction  déci- 
male. Ainsi  'i  mètres  et  3  dixièmes  est  un  nombre 
décimal;  3  dixièmes  de  mètre,  34  centièmes  de 
franc  sont  des  fractions  décimales. 

Règle.  —  Pour  écrire  un  nombre  décimal,  on 
écrit  d'ubor  I  la  partie  entière  du  nombre,  eu  la 
marquant  par  ui  zéro  s'il  n'y  a  pas  d'uni'és  en- 
tières; à  droite  on  place  une  virgule,  puii  au 
\"  rang  à  droite  de  cette  virgule  le  chiffre  des 
dixièmes,  au  2"  rang  le  chiffre  des  centièmes,  au 
'i^  rang  celui  des  millièmes,  etc.  On  a  soin  de 
mettre  un  zéro  i  la  place  des  unités  décimales  qui 
manqueraient. 

Par  e-aemple.poMT  quatre  unités  trente-huit  mil- 
lièmes deux  ceni -millièmes,  on  écrira  4,0.3802. 

Souvent  la  fraction  décimale  à  écrire  est  énoncée 
comme  un  nombre  entier  suivi  du  nom  de  la  der- 
nière unité  décimale  :  trois  mille  huit  cent  deux 
cent-millièmes.  Dans  ce  cas  on  l'écrit  comme  un 
nombre  entier  ."i  la  droite  de  la  virgule,  en  ayant 
soin  que  le  dernier  chiffre  à  droite  se  trouve  au 
rang  indiqué  par  l'ordre  de  ses  unités  décimales. 
Aussi  le  cent-millième  devant  être  au  5'  rang,  le 
nombre  380.'  devra  être  précédé  d'un  zéro,  et  on 
écrira  0,03802. 

Observation.  —  A  propos  do  la  virgule,  nous 
devons  profiter  de  cette  occasion  pour  protester 
contre  la  détestable  habitude  prise  par  les  im- 
primeurs d'employer  la  virgule  à  séparer  les  nom- 
bres en  tranches  de  trois  cliiffres.  et  de  l'omettre 
à  la  place  qui  lui  appartient.  Sous  prétexte  de 
faciliter  la  lecture  du  nombre,  ils  le  rendent  inin- 
telligible, comme  le  montre  cet  exemple  extrait  du 
compte  rendu  d'un  journal  financier:  Les  recettes 
des  Tramwnys-Nnrd  sont  de  54,128;  celles  de  la 
semaine  précédente  n'avaient  été  que  de  50,469. 

C'est  aux  auteurs  qu'il  appartient  de  combattre 
cet  abus;  nous  le  signalons  particulièrement  aux 
rédacteurs  des  Bulletins  départementaux  de  l'ins- 
truction primaire,  où  cette  confusion  se  montre 
trop  souvent  dans  les  énoncés  des  problèmes. 
Conservons  k  la  virgule  son  emploi  traditionnel, 
et,  pour  contenter  tout  le  monde,  séparons  par  un 
petit  espace  blanc  les  tranches  de  trois  chiffres. 

Règle.  —  Pour  lire  un  nombre  décimal,  on  lit 
d'abord  la  partie  entière,  piii<  la  partie  décimale 
en  la  faisant  suirre  du  7iom  de  l'unité  décimale 
du  dernier  chiffre  à  droite.  Soit  par  exemple  le 
nombre  237. 40658.  On  dira  :  23"  unités  40  mille 
658  cent-millièmes.  On  peut  dire  aussi  :  237  unités 
406  millièmes  58  cent-millièmes;  ou  237  unités  40 
centièmes  658  cent-millièmes,  etc. 

Remarque.  —  On  peut  même  lire  le  nombre  dé- 
cimal, sans  faire  attention  à  la  virgule,  comme  si 
c'était  un  nombre  entier  exprimant  des  unités 
marquées  par  le  rang  qu'occupe  le  dernier  chiffre 
à  droite  de  la  virgule. 

Par  exemple,  le  nombre  4,35  se  lirait  435  cen- 
tièmes. 

Observation.  —  Il  importe  que  les  élèves  s'habi- 
tuent k  envisager  le  nombre  décimal  comme  un 
nombre  entier.  C'est  en  se  mettant  à  ce  point  de 
vue  qu'il  est  facile  de  faire  marcher  de  pair  l'é- 
tude des  opérations  sur  les  nombres  décimaux 
avec  celle  des  nombres  entiers.  Les  commençants, 
sans  y  rencontrer  plus  de  difficulté,  y  trouveront 
l'avantage  de  pouvoir  résoudre  de  petits  problèmes 
oiii  ils  pourront  opérer  sur  des  fractions  décimales 
du  franc  et  du  mètre,  par  exemple,  aussi  bien  que 
sur  les  unités  entières. 

De  ta  présence  des  zéroi  sur  lu  droite  d'une  frat- 


1 


NUMERATION 


1423  — 


NUTRITION 


tion  (léi-imale.  —  On  peut,  écrire  ou  supprimer 
des  zéros  sur  la  droite  d'une  Iraclion  décimale 
sans  altérer  sa  valeur. 

En  effet  soit  2,:i'(,c'03t-à  dire  2  unités  34  centiè- 
mes: en  mettant  un  zéro  adroite,  on  obtient 2, -UO. 

La  partie  entière,  2  unités,  n'a  pas  changé  ;  mais 
il  la  partie  décimale,  34  centii'nics  a  été  remplacé 
par  310  millièmes;  le  nombre  des  unités  décimales 
est  devenu  dix  fois  plus  grand,  et  en  môme  temps 
les  unités  sont  devenues  dix  fois  plus  petites  :  la 
valeur  de  la  fraction  décimale  n'a  donc  pas 
clianc;é. 

Déplnoement  de  In  virgule.  —  Si  dans  un  nombre 
décimal  on  avance  la  virgule  vers  la  droite  d'un 
rang,  sa  valeur  devient  dix  fois  plus  grande;  de 
deux  rangs,  cent  fois  plus  grande;  de  trois  rangs, 
mille  fois  plus  grande. 

Par  exemple,  si  dans  le  nombre  4,728  la  virgule 
est  avancée  de  deux  rangs  à  droite,  ce  qui  donne 
472,8,  chaque  chiffre  prend  une  valeur  cent  fois 
plus  forte  :  4,  qui  dans  le  premier  nombre  exprime 
des  unités  simples,  exprime  dans  le  second  des 
centaines;  7,  qui  exprime  dans  le  premier  des 
dixièmes,  exprime  dans  le  second  des  dizaines, 
et  la  dizaine  vaut  lOn  dixièmes;  etc. 

Réciprijqu'ment,  si  l'on  recule  la  virgule  h  gau- 
che, le  nombre  devient  dix  foi*  plus  faible  pour  un 
rang,  cent  fois  plus  faible  pour  deux  rangs,  etc. 

Des  aulr-s  si/stémes  de  numération.  —  Le  sys- 
tème décimal  a  pris  sans  doute  naissance  dans  le 
nombre  des  doigts  des  deux  jnains;  mais  il  est 
évident  qu'on  aurait  pu  adopter  comme  base  tout 
autre  nombre.  Nous  en  trouvons  un  exemple  dans 
l'usage  populaire  de  rompter  par  doazdiws;  il 
provient  aussi  de  l'habitude  de  compter  sur  les 
quatre  doigts,  qui,  avec  leurs  trois  phalanges,  for- 
ment un  groupe  de  quatre  fois  trois  ou  douze.  La 
douzaine  est  donc  l'unité  du  second  ordre  ;  celle 
du  troisième  vaudrait  douze  douzaines;  elle  est 
encore  usitée  dans  le  commerce  sous  le  nom  de 
grosse  :  une!  groise  d'écheveaux  de  fil  pour  dire 
douze  douzaines  d'écheveaux.  Ce  système  de  nu- 
mération dundédmrile  se  retrouve  dans  les  subdi- 
visions des  anciennes  unités  de  longueur  :  le  pi'd, 
qui  se  divisait  en  12 pouces;  le  pouce,  en  12  lignes; 
la  ligne,  en  12  points.  Pour  écrire  des  nombres 
dans  ce  système,  il  faudrait  employer  onze  chiffres 
plus  le  zéro. 

Le  système  qui  exigerait  le  moins  de  chiffres 
est  celui  où  une  unité  de  chaque  ordre  serait 
compo^oededeux  unités  de  l'ordre  immédiatement 
inférieur  :  c'est  le  .système  binnire.  11  n'a  d'autres 
chiffres  que  I  et  0.  Dans  ce  Système  l'expression 
10  indique  1  unité  du  T  ordre  ou  2  unités  sim- 
ples ;  l'expression  lOJ  indique  1  unité  du  3»  ordre, 
ou  2  unités  du  2"  ordre,  ou  2  fois  2  unités  du 
1"',  c'est-à-dire  4  unités  simples,  etc. 

Numération  romaine.  —  Nous  ne  devons  pas 
finir  cet  article  sans  exposer  la  numération  ro- 
maine, qui  est  encore  en  usage  aujourd'hui  pour 
les  inscriptions  gravées  sur  les  monuments,  pour 
les  chapitres  et  les  divisions  d'un  livre,  et  souvent 
sur  les  cadrans  des  horloges. 

Tout  ce  système  repose  sur  les  sept  nombres  : 
1     S     10    .'iO     100     500       1000 
qui  sont  désignés  par  les  lettres  suivantes  : 
I     V      X      L       C        D  M. 

Pour  représenter  deux  ou   trois  unités  de  l'un 

des   quatre  premiers  ordres,  on    répète  la  lettre 

correspondante  à  cette  unité  deux  fois,  trois  fois  : 

2,  H;     3,  III;     20,  XX;     .30,  XXX- 

201,  CG;;iO0,  CGC;  2000,  IVI.VI. 

Pour  quatre  unités  d'un  ordre  quelconque  on 
écrit    cinq  u  n  rs   de   cet    ordre   moins    une,    en 

'j.'  l'AKTn.:. 


plaçant  l'unité  .'i  soustraire   à  gauche   de   cinq  : 
4,  IV;     40,      XL;     400,  CD. 

Pour  les  nombres  six,  sept,  huit  unités  de  l'un 
des  trois  ordres  on  écrit  cinq  plus  un,  cinq  plus 
deux,  cii.q  plus  trois,  en  plaçant  à  la  droite  de 
cinq  le  nombre  d'unités  du  même  ordre  à  lui 
ajouter  : 

6,  VI  ;       7,       VII;       8,       VIII  ; 
Gii,  LX;    70,       LXX;  80,     LXXX  ; 
GUO,  DC;     700,     DCG;  800,    DGCC. 

Pour  neuf  unités  d'un  ordre  quelconque,  on  agit 
comme  pour  quatre,  c'est-à-dire  qu'on  écrit  dix 
unités  moins  une  : 

9,  IX  ;     90,  XC  ;     900,  CIVI. 

D'après  ce  qui  précède,  on  écrit  un  nombre 
quelconque  inférieur  à  deux  mille  en  plaçant  à  la 
droite  du  nombre  de  mille  le  nombre  des  cen- 
taines, puis  le  nombre  des  dizaines  et  enfin  le 
nombre  des  unités  simples.  Voici  quelques  exem- 
ples : 

14,  XIV.  250,  CCLIX. 

18,  XVIII.  432,  CDXXXU. 

10,  XIX.  (15S  DC.LVIII. 

37,  XXXVII.  830,  DC(',C\XX. 

76,  LXXVI.  0.S7.  CMLXXXVIL 

1517,  MDXLVIl. 

1880,  MDCCCLXXX. 

Il  n'y  aurait  aucun  intérêt  pour  nous  à  écrire 
des  nombres  supérieurs  .'i  mille.  Nous  termine- 
rons par  la  remarque  suivante  :  dans  la  numéra- 
tion romaine,  toute  lettre  est  diminuée  de  la  lettre 
moins  forte  qui  la  précède,  et  au  contraire  aug- 
mentée de  la  lettre  moins  forte  ou  égale  qui  la 
suit.  [G.  Bovier-Lapierre.] 

NUTRITION.  —Zoologie  et  Physiologie,  XXXII  ; 
Botanique,  II.  —  Les  êtres  vivants  ne  durent  qu'à 
la  condition  de  se  renouveler  sans  cesse  dans  toutes 
leurs  parties.  La  durée  totale  de  chaque  être  est 
.soumise  à  des  limites  tracée^  d'avance  par  la 
nature.  Chaque  instant  de  son  existence  use  les 
matériaux  dont  il  est  construit  ;  les  portions  usées, 
véritables  détritus,  tendent  à  se  séparer,  à  s'élimi- 
aer  par  voie  à'excri'tion  ou  à  s'immobiliser  sous  une 
forme  vivante  qui  ne  fait  qu'accroître  le  volume 
de  la  plante  ou  de  l'animal. 

En  physiologie,  vii  re  et  se  nourrir  sont  syno- 
nymes, car  tout  ce  qui  vit,  être  ou  tissu,  faisant 
partie  d'un  être  s'use  et  se  renouvelle;  or  cette 
rénovation  n'est  autre  chose  que  la  nutrilinn. 

La  nutrition  constitue  une  fonciion  commune 
aux  animaux  et  aux  vé::étaux,  mais  elle  s'exerce 
dans  les  deux  règnes  avec  des  dilférences  nota- 
bles. On  peut  considérer  les  végétaux  comme  des 
appareils  réducteurs,  qui  fnnn>"'nt  ch's  principes 
immédiats  organiques  au  '  n  il's  .léinents  chi- 
miques empruntés  au  nu. ml  ■  ininri.il  ;  tandis  que 
les  animaux,  appareils  ch'  (■iiniliii~iion,  brûlent  ces 
principes  immédiats  qu'il  sont  incapables  de 
former. 

Cependant  cette  manière  d-^  comprendre  la  nutri- 
tion, attrayante  par  sa  simplicité,  n'est  pas  con- 
forme aux  principes  généraux  de  la  physiologie.  En 
réalité  nous  ne  devons  admettre  aucune  différence 
entre  la  nutrition  d'un  élément  végétal  et  celle 
d'un  élément  animal.  Dans  les  végétaux  il  existe 
comme  dans  les  animaux  un  milieu  intérieur  qui 
contient  des  sucs  nutritifs  et  des  gaz  accumulés 
pour  l'usage.  Lorsciu'un  bourgeon  pousse,  il  brûle 
ces  matériaux  alimentaires  et  produit  comme  ré- 
sidu de  l'acide  carbonique  ainsi  que  le  ferait  un 
tissu  animal. 

L'organisme  animal  peut,  comme  l'organisme 
végétal,  former  dans  son  milieu  inférieur  les 
principes  immédiats  nécessaires  à  la  nutrition  de 


NUTRITION 


—  1426 


NUTRITION 


ses  éléments  :  albumine,  fibrine,  sucre,  etc.  Par 
conséquent  les  pliénomènes  nutritifs  de  réduction 
et  de  combustion  existent  dans  les  di'ux  icgnes, 
seulement  la  puissance  réductive  existe  au  mini- 
mum chez  les  animaux,  car  ils  ne  peuvent  trans- 
former que  des  matières  déjà  très  élaborées,  tan- 
dis qu'elle  existe  au  maximmn  chez  les  végétaux 
qui  peuvent  agir  sur  les  éléments  minéraux,  et 
même  fixer  Tazote  et  le  carbone  de  l'air. 

Celte  disproportion  des  phénomènes  de  réduc- 
tion et  de  combustion  dans  les  animaux  et  dans 
les  végéiaux  leur  fait  altérer  l'air  d'une  manière 
inverse.  Les  végétaux,  à  l'aide  de  la  matière  verte 
(chlorophylle),  attirent  l'azote  ainsi  que  le  carbone 
de  l'air  et  dégagent  de  l'oxygène  ;  les  animaux  sont 
pourvus  de  globules  sanguins  qui  attirent  l'oxygène 
nécessaire  aux  combustions  et  aux  fermentations 
tandis  qu'ils  restituent  à  l'atmosphère  de  l'aride 
carbonique.  Mais  au  lieu  de  considérer  le  résultat 
prédominant  des  actions  vitales  par  rapport  au 
milieu  extérieur  ou  ambiant,  si  nous  considérons 
le  milieu  intérieur,  nous  constatons  que  les  végé- 
taux et  les  animaux  le  vicient  de  la  même  ma- 
nière. Les  gaz  de  l'atmosphère  intérieure  des 
plantes  et  des  animaux  sont  l'oxygène,  l'azote  et 
l'acide  carbonique.  Au  printemps,  (|uand  se  pro- 
duisent h'S  phénomènes  de  nutrition  et  de  bour- 
geonnement, l'oxygène  disparait  et  l'acide  carbo- 
nique augmente  dans  l'atmosphère  intérieure  du 
végétal.  Fendant  l'hiver,  elle  est  très  pauvre  en 
acide  carbonique,  comme  l'atmosphère  intérieure 
des  animaux  hibernants  dont  les  appareils  de 
combustion  sont  au  repos  et  engourdis.  Nous  pou- 
vons donc  conclure  que  si  les  manifestations  de 
la  nutrition  végétale  et  animale  sont  différentes 
dans  le  milieu  extérieur,  elles  sont,  au  fond,  les 
mêmes  dans  le  milieu  intérieur. 

Il  est  prouvé  aujourd'hui  que  la  nutrition  ne  ré- 
sulte pas  d  une  assimilation  directe  :  les  aliments 
digérés  et  absorbés  ne  vont  pas  immédiateiuent 
se  fixer  sur  les  tissus;  ils  sont  d'abord  employés  à 
former  dans  l'intérieur  de  l'organisme  un  liquide 
alimentaire,  réserve  toujours  prête  à  laquelle 
puisent  également  les  éléments  organiques  pour 
y  chercher  les  matériaux  de  leur  rénovation.  Le 
sang  lui-même  n'est  pas  augmenté,  enrichi,  par 
une  simple  addition  d'aliments  dissous  et  modi- 
fiés par  les  sucs  digestifs;  il  s'assimile  d'abord 
ces  matières  par  une  véritable  génération  orga- 
nique, pour  leur  donner  une  vie  nouvelle,  une 
organisation  spéciale,  c'est  un  pro  luit  de  sécré- 
tion dont  la  composition  varie  à  peine  avec  1  ali- 
mentation, et  dans  lequel  se  produisent  des  prin- 
cipes immédiats  qu;  n'existent  pas  tout  formés 
dans  les  aliments.  Une  certaine  quantité  de  ma- 
tières accumulées  et  transformées  dans  le  sang 
ne  sont  utilisées  que  fort  taid,  au  fur  et  à  mesure 
des  besoins  ;  elle  constitue  utie  réserve  précieuse 
en  cas  d'abstinence  prolongée.  Aussi  ne  peut-on 
espérer  retrouver  à  courte  échéance,  dans  les 
sécrétions  et  les  excrétions,  tous  les  matériaux 
assimilés  par  le  sang. 

Le  liquide  alimentaire  doit  contenir,  en  outre,  des 
matériaux  nutritifs  dissous  dans  leau,  dessub.stan- 
ces  qui  semblent  destinées  à  jouer  le  rôle  d'ej.c!^'«'s 
nutritifs,  par  exemple  le  sucre,  l'oxygène.  Notons 
toutefois  que  la  présence  de  l'oxygènn  no  semble 
pas  indispensable  au  développement  de  certains 
tissus. 

Dans  chaque  être,  la  nutrition  constitue  un 
phénomène  général,  une  action  vitale  qui  s'exerce 
sur  toutes  ses  parties," tous  ses  tissus,  toutes  ses 
cellules.  Mais  si  nous  la  considérons  dans  une 
cellule  isolée,  nous  voyons  que  le  nui/au  sert  de 
centre  au  mouvement  d'accroissement,,  de  repro- 
duction, de  régénération.  On  distitigue,  en  elTet, 
dans  chaque  cellule,  l'enveloppe,  son  contenu, 
plus  le  noyau  qui  lui-mciiie  rculerme  un  nuciéule. 


Le  noyau  des  cellules  paraît  être  le  centre  des 
actions  nutritives.  Dans  le  muscle,  par  exemple, 
le  noyau  de  la  cellule  persiste  à  l'intéiieur  do  la 
paroi  de  la  fibre  tubulaiie,  il  se  forme  autour  de 
ce  centre,  comme  par  sécrétion,  une  matière  or- 
ganisée, le  priUop/usnia,  qui  sert  à  la  nutrition 
du  tissu. 

Il  résulte  de  ces  considérations  que  la  nutrition 
et  le  développement  dépendent,  avant  tout,  d'une 
aptitude  spéciale  qui  réside  dans  le  tissu,  et  pour 
mieux  préciser,  dans  le  noyau  des  cellules  de 
chaque  tissu.  Si  cette  aptitude  est  diminuée, 
suspendue,  annulée,  les  qualités  du  milieu  in- 
terne, la  qualité  des  matières  alimentaires  ne 
produiront  aucun  résultat. 

En  résumé,  la  nutrition  est  une  propriété  com- 
mune à  tous  les  éléments  anatomiques  des  végé- 
taux et  des  animaux,  par  laquelle  s  effectue  la 
rénovation  continuelle  des  tissus  usés  par  la  vie, 
sans  altérer  la  forme  ni  les  propriétés  caractéris- 
tiques (le  chaque  élément,  de  chaque  tissu.  C'est 
la  plus  générale  des  propriétés  vitales,  on  peut 
même  dire  qu'elle  caractérise  la  vie,  car  les  au- 
tres forces  ou  propriétés  vitales  ne  se  manifes- 
tent que  si  la  nutrition  a  lieu,  tandis  qu'elle  peut 
être  la  seule  force  en  action  sensible  dans  un  être 
vivant. 

La  nutrition  se  compose  essentiellement  de 
deux  actes  :  la  désassimilution,  par  laquelle  les 
parties  usées  s'éliminent .  Yassimi  ntion,  paria- 
quelle  des  parties  neuves  et  identiques  se  for- 
ment pour  les  remplacer.  Pour  que  ces  deux  actes 
s'accomplissent,  tl  faut  que  l'oj»/o<e  *  permette 
Vuljsorijtio  i  *  et  la.  sécrétion  ".  Notons  toutefois 
que  l'absorption  et  la  sécrétion  ne  s'accomplis- 
sent dans  les  éléments  anatomiques,  dans  les 
cellules,  que  d'une  manière  tout  à  fait  locale,  en 
vue  de  la  vie  de  l'élément  Isolé,  mais  que  dans 
le  sens  ordinaire,  ces  deux  fonctions  appartien- 
nent au  tissu  lui-même  considéré  comme  en- 
semble d'éléments  contribuant  à  former  un  or- 
gane. 

Nutrition  des  aniiuaux.  —  Le  sang  forme  pour 
les  animaux  le  milieu  intérieur  dans  lequel  la 
nutrition  puise  ses  matériaux  de  reconstruction. 
Par  conséquent,  la  nutrition  se  trouve  sous  la 
dépendance  de  la  circUntion  ',  de  la  respiratiou  ' 
et  aussi  de  la  digestion  '  chez  les  animaux  supé- 
rieurs. Ces  trois  fonctions  préparent,  dissolvent, 
élaborent,  transforment,  les  matériaux  apportés 
du  dehors  pour  les  rendre  propres  il  la  nutrition. 

Les  matières  azntées  (alburainoides;  aliments 
rénovateurs  ou  plastiques  par  excellence,  sont 
transformées  par  les  sucs  digrstifs  en  matières 
(dtjuminosinues,  susceptibles  de  pénétrer,  par  os- 
mose, dans  le  sang  qui  les  transforme  à  son  tour 
en  albumine  et  en  fibrine  auxquelles  les  tissus 
emprunteront  la  matière  première  de  leur  nutri- 
tion, c'est-à-dire  de  leur  rénovation  et  de  leur 
accroissement.  Le  sang,  chargé  de  ces  principes 
réparateurs  qu'il  porto  à  tous  les  éléments  aiia- 
tomiques,  reçoit  en  échange  les  produits  de  l'u- 
sure vitale,  de  la  combustion  des  éléments  :  urée, 
acide  urique,  créatine,  etc.,  qui  sont  éliminés  par 
les  sécrétions. 

C'est  dans  le  sang  que  les  matières  non  azotées 
(fécule,  graisse,  etc.)  subissent  leur  transfor- 
mation. Leur  rôle  est  spécialement  calorifique, 
elles  ne  nourrissent  les  tissus  qu.;  dans  une  pro- 
portion infiniment  restreinte;  quand  un  animal 
engraisse,  ce  n'est  pas  par  suite  de  la  nutrition, 
du  développement  des  tissus,  mais  par  l'interpo- 
sition de  graisse  accumulée.  Les  matières  azo- 
tées, au   contraire,   nourrissent   sans   engraisser. 

L'organisme  possédant  la  propriété  de  trans- 
former en  matières  grasses  les  matières  amylacées, 
une  nourriture  féculente  équivaut  à  une  nourri- 
ture riche  en  matières  grasses. 


OBLIGATIONS 


—  1427 


OBLIGATIONS 


Lorsque  les  malières  amylacées  ou  sucrées  font 
défaut  dans  l'alimentation  comme  cliez  les  ani- 
maux carnivores,  l'organisme  possède  en  outre  la 
remar(|uable  propriété  de  fabrif|uer  la  quantité  de 
ces  substances  indispensable  à  la  nutrition. 

Bien  que  les  sels  minéraux  participent  très  peu 
aux  phénomènes  nutritifs,  leur  présence  dans  le 
san^'  n'est  pas  moins  importante;  ils  favorisent  les 
métamorplioses  des  substances  organiques  et  re- 
tardent la  désassimilation.  Le  sel  commun  (chlo- 
rure de  sodium)  exerce  une  action  niat.ifeste.  Ainsi 
un  lot  do  bœufs  augmente,  en  moyenne,  par  année, 
4o  6  kilogrammes  par  100  kilogrammes  de  fuin 
consommé  sans  sel,  tandis  qu'un  lot  semblable, 
nourri  de  foin  salé,  augmente  de  "  kilogrammes. 
NuTUiTiON  nES  VÉGÉTAUX.  —  Les  aliments  des 
plantes  consistent  en  gaz  et  en  sels  niinorjux  so- 
îubles.  Les  gaz  sont  absorbés  surtout  par  les  feuil- 
les, et  fort  peu  par  la  tige  et  les  racines.  Celles-ci 
puisent  dans  le    sol   les  aliments  minéraux.  1 

Les  animaux,  parvenus  à  une  certaine  période 
■de  leur  existence,  cessent  de  croître,  et  chez  eux 
la  nutrition  se  borne  à  maintenir  l'équilibre  entre 
la  perte  et  le  gain  d«s  tissus.  Dans  les  plantes  la 
nutrition  constitue  un  accroissement  continuel; 
elles  perdent  toujours  moins  qu'elles  n'acquièrent 
•et  |)Oussent  constamment  des  bourgeons  qui  de 
viennent  des  feuilles  et  des  fleurs;  quelques-uns 
même  grandissent  constamment  dans  toutes  les 
dimensions. 

La  tige  s'accroît  en  hauteur  et  en  diamètre  ;  cliez 
iei  dicoti/lédones,  l'accroissement  en  diamètre  est 
déterminé  par  la  formation  de  nouvelles  couches 
■de  bois.  Entre  la  dernière  couche  formée  et  l'ccorce 
se  trouve  une  couche  de  tissu  utriculuire  lâche 
nommée  couche  généi-a'rice.  Son  tissu  est  rempli 
de  sucs  nutritifs  (carabium)  qui  s'accumulent  pen- 
dant la  période  la  plus  active  de  l.i  végétation  et 
qui  s'enricliit  par  résorption  d'une  partie  des  élé- 
ments des  feuilles  lorsque  celles-ci  se  détachent 
à  l'automne.  Lorsque  la  sève  devient  active,  la 
plupart  des  utricules  s'allongent,  leur  par.d  s'é- 
paissit, ils  se  transforment  en  fibres;  d'autres 
augmentent  à  la  fois  en  diamètre  et  en  longueur, 
se  ponctuent,  et  les  cloisons  qui  les  séparent  dans 
le  sens  de  la  hauteur  se  résorbant,  il  se  forme  des 
vaisseaux.  C'est  cette  agrégation  de  vaisseaux  et 
de  fibres  qui  constitue  la  couche  nouvelle  de  bois. 
Toutes  les  parties  des  plantes  débutent  par  l'élat 
■utriculaire,  de  sorte  que  leur  accroissement,  leur 
nutrition  s'opère  d'après  un  procédé  à  peu  près 
identique. 

L'accroissnment  en  hauteur  des  tiges  dicoty'édo- 
■nées  se  produit  parle  dévetoppemeiit  du  bourgeoji 


terminal,  continuation  de  ]a.ge»imule  de  l'embryon. 
Chez  les  mriHOColi/li'dones,  l'accroissement  on 
diamètre  se  fait  d'une  manière  un  peu  différente. 
La  tige  est  surmontée  d'nn  bourgeon  terminal  re- 
couvert de  feuilles  à  l'état  rudimentaire.  A  mesure 
que  ces  feuilles  s'accroissent,  se  séparent,  elles 
repoussent  celles  qui  les  avaient  précédées  et  les 
font  tomber.  En  môme  temps  il  se  forme  des  fais- 
ceaux/ï'/co-'ascii  aires  qui  augmentent  le  diamètre. 
Hygiène  générale  de  la  nutrition.  —  Nous 
avons  iiidiqué  an  mot  alimenta*  les  propriétés  nu- 
ti^itives  des  substances  les  plus  communément 
utilisées  pour  la  nutrition  de  l'iiomme.  11  nous  reste 
seulement  à  signaler  en  peu  de  mots  l'inHuonce 
hygiéni<|ue  de  la  nutrition.  La  pénurie  ou  l'abon- 
dance de  l'alimentation  exercent  une  influence 
considérable  sur  le  physique  et  le  moral  :  on  en 
découvre  les  conséquences  dans  la  fécondité,  la 
moralité  et  la  prospérité  des  peuples.  C'est  donc 
le  devoir  des  législateurs  de  développer  l'agricul- 
ture, les  moyens  de  transport,  de  faciliter  la  con- 
servation des  denrées,  de  laisser  entrer  librement 
les  produits  étrangers. 

Si  Ion  consulte  les  statistiques,  on  trouve  qu'en 
France  il  existe  une  relation  constante  entre  le 
prix  du  blé,  les  mariages,  les  naissances  et  la  taille 
de  la  population.  La  mortalité  comparée  des  riches 
et  des  pauvres  démontre  que  la  perte  annuelle 
sur  cent  individus  est  plus  que  doublée  chez  le 
pauvre,  et  l'on  ne  peut  s'empêcher  de  reconnaître 
que  la  nutrition  insuffisante  contribue  pour  la  plu» 
large  part  à  cette  différence.  On  arrive  au  môme 
résultat  si  l'on  compare  la  population  des  divers 
arrondissements  de  Paris.  Le  precnier  arrondisse- 
ment perd  1  habitant  sur  52,  et  le  douzième,  1 
sur  ïG.Dans  les  quartiers  pauvres  et  riches  la  vie 
moyenne  varie  de  2i  à  4.'  ans.  Si  l'on  compare  les 
départements  riciies  et  ceux  où  la  vie  misérable 
rend  l'aliiniMitaLion  insuffisante,  on  constate  une 
différence  de  douze  ans  dans  la  vie  moyenne  des 
individus.  L'augmentation  factice  du  prix  des 
denrées  alimentaires  par  des  octrois  produit  un 
résultat  semblable.  Ainsi  rinsuffisance  de  l'ali- 
mentation, de  la  nutrition,  agit  d'une  manière  des- 
tructive, elle  dégrade  l'espèce  en  diminuant  la  sta- 
ture, en  restreignant  la  fécondité,  on  ouvrant  la 
porte  à  une  foule  de  maladies. 

La  nutr'tion  exerce  aussi  sur  les  centres  ner- 
veux, sur  l'intelligence  et  le  moral  une  action  ma- 
nifeste. Aus'iiàtous  les  points  de  vue  la  nutrition 
constitue  une  des  questions  hygiéniques  et  so- 
ciales les  plus  importantes,  et  Mirabeau  avait  bien 
raison  de  dire  :  «  Le  pot  au  feu  du  peuple  est  la  base 
des  empires.  »  [D'  Saffray.] 


0 


OBLIGATIONS.  —  Aritlimétique,  XLVL  —  Les 
■villes,  les  compagnies  de  chemin  i  de  1er,  les  so- 
ciétés financières  ou  industrielles  ont  besoin,  dans 
certaines  circonstances,  d'emprunter  de  l'argent; 
l'emprunt,  après  avoir  été  autorisé  par  l'Etat,  s'ef- 
fectue dans  des  conditions  spéciales. 

Pour  cela,  la  compagnie  met  en  vente  à  un  prix 
déterminé,  et  sous  le  nom  à'ohligalions,  dos  titres 
par  lesquels  elle  s'engage  à  payer,  en  retour  du 
prix  qu'elle  a  reçu,  un  intérêt  fixe  annuel,  et  à 
rembourser,  à  certaines  époques,  un  capital  géne- 
lalement  plus  élevé  que  celui  qu'elle  a  reçu.  Par 
exemple  les  obligations  des  chemins  de  fer  fran- 
çais sont  remboursables  à  50:i  francs  et  produisent 
chaque  année  un  intérêt  de  i5  francs,  sauf  l'impôt 

d'environ  —  dont  il  est  frappé  au  profit  de  l'État. 


Les  obligations  peuvent  passer  des  mains  de 
celui  qui  ItiS  a  acquises  en  la  possession  d'une 
autre  personne,  moyennant  un  prix  qui  est  plus 
ou  moins  élevé  que  le  prix  d'émission.  suivanti|H(; 
la  situation  financière  de  la  Compagnie  est  plus  ou 
moins  prospère  et  inspire  par  là  môme  plus  ou 
moins  de  confiance.  La  vente  de  ces  litres  se  fait 
à  la  Bourse  et  par  le  ministère  des  agents  de 
change. 

11  y  a  deux  espèces  d'obligations  :  les  obligations 
no>nmalives  et  les  obligations  au  porteur.  Los 
premières  sont  inscrites  au  nom  de  leur  possess(mr, 
et  leur  transfert  à  une  autre  personne  est  soumis  ;i 
certaines  formalités  qui  sont  dans  les  attributions 
des  asrents  de  change.  Les  autres  sont  la  propriété 
de  celui  qui  les  possède,  qui  les  porte,  sans  que 
son  nom  figure  nulle  part,   et  elles  peuvent  Cire 


OBLIGATIONS 


—  1428  — 


OGEANIE 


transmises  de  main  en  main,  sans  que  la  compa- 
gnie ait  à  intervenir  en  rien. 

L'intérêt  est  ordinairement  payé  deux  fois  par 
an,  à  six  mois  d'intervalle.  Pour  le  loucher,  il  suffit 
de  délaclier  de  l'obligation  un  petit  coupon  indi- 
quant l'intérùt  et  l'époque  de  l'échéance  et  de  le 
présenter  à  la  compagnie,  qui  le  retient  en  en 
donnant  le  montant  au  porteur.  Quant  au  rem- 
boursement du  capital,  la  compagnie,  en  émettant 
son  emprunt,  indique  combien  elle  remboursera 
d'obligations  cliaque  année  et,  par  suite  au  bout  de 
combien  d'années  le  remboursement  intégral  sera 
effectué.  C'est  par  un  tirage  au  sort  que  sont  dési- 
gnées les  obligations  à  rembourser  chaque  an- 
née. 

Citons  un  exemple.  La  compagnie  des  chemins 
de  l'Ouest  a  contracté  un  emprunt  nu  moyen  d'une 
série  de  ;iOt)(inu  obligations  renjboursabies  à 
500  francs  et  donnant  lieu  à  un  intérêt  semestriel 
de  7", 50  Le  remboursement  a  commencé  en  1873 
par96i  obligations:  en  1874  elle  en  a  remboursé 
:)9:i;  en  1 875  le  nombre  a  été  do  UI2:!,  et  il  va  ainsi 
en  augmentant  d'année  en  année,  de  telle  sorte 
que  l'amortissement  de  cet  emprunt  sera  accompli 
en  1951  par  le  remboursement  des  iil)74  obliga- 
tions qui  resteront  à  cette  dertiière  époque.  Au 
1.3  juillet  I8.S0,  ces  obligations  étaient  cotées  à  la 
Bourse  au  cours  de  3S4  francs. 

Les  obligations  émises  pir  les  villes  sont  assez 
souvent  (Ion  obligations  ii  prinwx,  c'est-à-dire  que 
des  lots  d'ujie  cename  valeur  en  une  somme  d'ar- 
gent sont  attribués  à  un  nombre  déterminé  des 
numéros  sortis  h  chaque  tirage.  Elles  peuvent  être 
coiTiparces  aux  billets  d'une  loterie  dont  le  tirage 
doit  avoir  lieu  en  plusieurs  fois,  et  où  l'on  est 
assuré  de  voir  sortir  son  billet  tôt  ou  tard,  en 
percevant  l'intérêt  jusqu'au  moment  de  sa  sortie, 
et  avec  la  chance  d'ameneravec  lui  nii  lot  supérieur 
au  |)rix  du  billet.  Par  exemple  la  ville  de  Paris  a 
contracté  un  emprunt  en  187(>,  au  moyen  de 
V5SI)h5  obligations  qui  furent  émises  à  4G5  francs, 
qu'elle  rembourse  à  50t>  francs,  et  pour  lesquelles 
elle  paye  un  intérêt  semostiiel  de  lu  francs. 
Quatre  tirages  ont  lieu  chaque  année,  les  10  fé- 
vrier, 10  mai,  10  aoiit,  10  novembre,  et  à  chaque 
tirage  le  1"  numéro  sortant  a  droit  à  un  lot  de 
100  Oun  francs,  le  2'  à  un  lot  de  lOOon  francs,  le 
3«  h  un  lot  de  5i  00  francs  et  les  dix  suivants  à  uji 
lot  de  I  000  francs  chacun.  Les  auir.-s  numéros  ne 
reçoivent  que  le  capital  de  500  francs.  Le  rem- 
boursement, commencé  en  1877.  ne  se  terminera 
qu'en  19  9.  En  raison  des  chances  que  ces  obliga- 
tions offrent  d'amener  un  lot,  leur  prix  s'est  assez 
vite  élevé  au-dessus  du  pair,  c'est-à-dire  du  capi- 
tal de  500  francs. 

Valeur  d'une  obligation.à  un  moment  donné.  — 
La  valeur  d'une  obligation  à  un  moment  donné  ne 
dépend  pas  seulement  de  lintérêt  qui  lui  est 
attribué,  mais  encore  des  rhanc-s  quelle  a  de 
sortir  au  prochain  tirage  et  d'apporter  ainsi  à  son 
propriét  ire  un  capital  supérieur  ."i  celui  qui  cor- 
respond à  l'intérêt.  Envisagée  à  ce  point  de  vue,  la 
valeur  do  l'obligation  exigerait  pour  être  déterminée 
des  calculs  de  probabilités  tout  à  fait  semblables 
à  ceux  qui  se  rapportent  aux  Assurances  sur  la  vie, 
ce  qui  est  complètement  en  dehors  du  cadre  où 
nousdevons  nousrenfermerlci.  Dans  les  problèmes 
que  les  obligi.tions  peuvent  fournir  à  l'enseigne- 
ment primaire,  elles  doivent  être  regardées  sini- 
pienient  comme  un  capital  ordinaire  d'une  valeur 
variable,  an. Icigneaux  rentes  *  sur  l'Etat  et  produi- 
sant un  certain  intérêt  ;  ces  questions  ne  sont  plus 
alors  que  des  problèmes  d'intérêt.  Ln  voici  quelques 
exemples  : 

1"  Piioiit.ÈME.  —  On  achète  des  obligations  Ouest 
nu  cours  de  384  francs;  à  quel  taitx  place-ton 
non  argent  ? 

l'ne  somme  de  384  francs  rapportant  15  francs. 


I  franc  rapporterait  -r^  ; 
ino  francs  rapporteraient 


15  X  100 


384 


=  3",90. 


2'  Problème.  —  Un  iiinlirulicr  i-i'iil  arlirter  des 
obligations  Ouest  de  mnin.if  „  >,.  /„,,,  ,/,,  ifvenu 
amiuel  dedbO  francs  ;  r/nrl  ra/,il,il  il,,,i.il  employer 
à  cet  achat,  indépendaininetd  des  frais  de  négo- 
ciation, site  cours  de  ces  obligations  est  384  francs  ? 

Ce  capital  doit  être  égal  à  autant  do  fois  384 
francs  qu'il  y  a  de  fois  15  dans  650;  il  est  donc 
égal  à 

-j£x  384=10  040  francs. 

Si  on  veut  tenir  compte  de  l'impôt  qui  réduit  le 
revenu  annuel  de  15  francs  à  environ  14  francs,  on 
devra  dans  ce  problème  remplacer  15  par  14,  ce 
qui  exigera  un  capital  plus  élevé  pour  avoir  un 
revenu  net  de  G50  francs. 

3=  Problème.  —  Un  homme  achète  le  5  aoril  20 
otjligatiotis  de  la  ville  de  Paris  {emprunt  IsTii),  au 
coitrs  rfe  52.i",.'i0  ;  U  les  revend  le  US  juillet  au 
cours  rf(?5l9  francs,  après  avoir  touché  le  Ib avril 
un  coupon  de  \U  francs  réduit  par  l'impôt  à  '.)'',3S. 
Y  n-t-il  pour  lui  bénéfice  ou  perte  dans  cette  opé- 
ration 1 

Entre  le  prix  d'achat  et  le  prix  de  vente  de  l'o- 
bligation, il  y  a  à  son  détriment  une  difl'érence 
égale  à 

t25,50  — 519  =  6",.^0. 

Mais  il  a  touché  dans  l'intervalle  9'', 35  par  obli- 
gation. Il  a  donc  en  résumé  un  bénéfice  égal  à 
9,35- 6,50 --=2",8.i. 
Sur  20  obligations  il   réalise   donc  un  bénéfice 
égal  à 

2,85x20  =57  francs. 

Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  quels  pro- 
blèmes on  peut  avoir  à  traiter  sur  les  obligations 
dans  les  cours  de  l'enseignement  primaire;  c'est 
aux  maîtres  à  savoir  y  meitre  de  la  variété.  Par 
exemple,  dans  ce  dernier  problème,  ils  pourraient 
ajouter  :  à  quel  taux  cet  homme  a-t  il  placé  son 
argent,  lorsque  dans  l'intervalle  du  jour  de  l'achat 
au  jour  de  la  vente  il  a  gagné  57  francs  ? 

fG.  Bovier-Lapierre.] 

OCKAME.  —  Géographie  générale,  VI  —  Bor- 
nes;   LONGITUDES   ET  LATITUDES;    SUPERFICIE     ET    PO- 

PUL.^TION.  —  L'Océanie  tire  son  nom  du  Grand 
océan,  qui  enveloppe  de  toutes  parts  cette  cin- 
quième partie  du  monde,  excepté  à  l'ouest,  où  elle 
est  baignée  par  la  mer  des  Indes.  Son  nom  a 
souvent  varié.  On  l'a  appelée  hide  du  Sud,  Po- 
hinésie,  Nouvelle-Hollande.  Le  premier  de  ces 
noms  correspond  aux  îles  du  nord-ouest,  voisi- 
nes do  l'Indo-Chine,  et  qui  furent  reconnues 
longtemps  avant  les  autres,  à  l'époque  de  la  décou- 
verte delà  route  maritime  de  l'Inde.  Lo  second  est 
réservé  aux  innombrables  îles  et  Ilots  semés  dans 
les  mers  du  Sud.  Le  troisième  ne  désigne  plu» 
que  le  vaste  continent  appelé  plus  généralement 
Austi'alie,  nom  qui  est  encore  donné  à  l'ensemble 
de  ce  monde  d'Iles  disséminées  dans  le  Pacifique 
austral. 

Les  limites  ont  varié  comme  le  nom.  La  plu- 
part des  géographes  groupent  sous  le  nom  d'O- 
céanie  toutes  les  îles  du  Pacitique  répandues  entre 
l'Indo  Chine  et  la  Chine  à  l'O.,  le  Mexique  et  l'A- 
mérique du  Snd  à  l'E.  ;  d'autre"-,  en  distinguent 
les  lies  du  nord-ouest,  situées  entre  le  détroit  de 
Malacca  et  la  mer  de  Chine  d'une  part,  la  mer 
Arafoura  (c'est-à-dire  des  Alfourous)  de  l'autre,  et, 
sous  le  nom  d'  -lustralasie,  les  rattachent  à  l'Asie, 
dont  el  es  semblent  le  prolongement  méridional. 
Les  plus  occidentales  se  rappro.-liHnt  en  effet  de 
ce  continent  par  leurflore  et  leur  faune,  ainsi  que 


OCI'LXNIE 


I  i-2!t  — 


OCEANIE 


par  leur  populalion.  Nous  suivrons  l'usage  qui  en 
fait  une  panie  de  l'Océanie. 

Dans  ces  limites  l'Ocoanie  s'étend  sur  158  degrés 
do  longitude  et  sur  81  de  latitude.  Elle  couvre  en 
cITet  de  ses  innombrables  archipels  et  îles  l'im- 
mense étendue  de  mer  qui  sépare  l'Asie  de 
l'Amérique,  depuis  93°  long.  E. jusqu'à  lir  long. 
O.,  depuis  25°  lat.  N.  jusqu'il  56°  lat.  S.  Elle  ap- 
partient à  la  fois  aux  liémisplières  oriental  et  occi- 
dental, boréal  et  austral.  La  plupart  de  ses  îles  et 
archipels  sont  situés  au  centre  de  ce  dernier 
hémisphère,  qui  présente  la  plus  grande  masse 
«l'eau  et  où  les  terres  ne  figurent  que  pour  un 
dixième.  Sa  superficie  est  de  lu  9ol  (lOO  kilomètres 
carrés, sapopulation  estdeSs  millions  d'habitants, 
dont  :iO  raillions  et  demi  pour  l'Australasie,  qui 
n'en  forme  que  la  cinquième  partie. 

GnANDES  uivisioNS.  —  L'Océanie  se  divise  en 
quatre  parties  :  1°  l'Aiixtralasie,  appelée  encore 
Malais'te,  du  nom  de  la  race  dominante,  au  N.-O.  ; 
H"  l'Australie  ou  Nouvelle-Hollande,  avec  ses  dé- 
pendances au  S.-O.  ;  3°  la  Mclanésie  au  S.-E., 
longue  chaîne  d'archipels  et  d'îles,  la  plupart 
grandes,  élevées  et  volcaniques,  commençant  sous 
l'Equateur,  à  l'E.  des  Moluques  avec  la  Nouvelle- 
Guinée,  et  se  prolongeant  au  delà  de  la  Nouvelle- 
Zélande  jusqu'à  ûC°  lat.  S.;  i"  la  Polynésie  et  la 
Micronésie,  à  l'E.  et  au  N.  ;  innombrables  groupes 
d'îles  la  plupart  petites,  basses  et  de  formation 
corallienne,  essaimes  au  loin  sur  le  Pacifique,  dans 
la  direction  de  l'Amérique  centrale  et  méridionale, 
commençant  à  l'E.  des  Philippines,  auxMariannes, 
et  s'éparpillant  des  deux  côtés  de  l'Equateur, 
jusqu'au  sud  du  tropique  du  Capricorne. 

I.  AusTn.iLAsiE  ou  Malaisie.  —  Elle  s'étend  du 
30°  lat.  N.  au  10°  lat.  S.,  du  91°  au  13λ  long.  E. 
Les  îles  dont  elle  se  compose,  disséminées  sur 
cette  vaste  étendue  de  mer,  entre  l'océan  Indien 
elle  Pacifique,  entre  l'Asie  et  l'Australie,  semblent 
des  fragments  d'une  masse  de  terre  qui  faisait 
communiquer  ces  deux  continents.  Toutefois, 
quoiqup  situées  sous  les  mêmes  latiludes,  aux 
deux  côtés  de  l'Equateur,  elles  forment  deux 
groupes  distincts  séparés  par  un  détroit  profond, 
le  détroit  de  Lombok,  entre  1  île  de  ce  nom  et 
Bali  :  à  l'O.  le  groupe  (;!rfo-c/ti«ow,  kl'E.  le  groupe 
australien.  «  Au  groupe  de  l'ouest,  une  civilisation 
et  des  religions  venues  de  l'Asie,  dos  forêts  exu- 
bérantes, rappHiant  l'Inde  et  l'Indo-Chine,  l'élé- 
phant, le  rhinocéros,  le  tigre  royal,  les  bêtes  à 
cornes,  les  grands  animaux  sauvages,  les  singes 
de  l'Asie  et  du  Vieux  Monde..,  Au  groupe  de  l'est, 
rien  de  l'ancien  continent,  ni  bêtes  énormes,  ni 
félins,  ni  singes  ;  des  eucalyptus,  des  acacias,  le 
kangourou...,  la  flore  et  la  "faune  de  l'Australie.  » 
(0.  Reclus.) 

L'archipel  indo-chinois  comprend  les  grandes 
îles  de  la  Sonde, c'est  à  direSumatraet  Java,  Bali, 
Bornéo  et  Ips  Philippinei.  Les  petites  lies  de  la 
Sonde,  (  élèbes  et  les  .Moluques  composent  l'ar- 
chipel australien. 

Archipel  indo-chinois.  1°  Sumatra,  la  plus  occi- 
dentale, longe  la  presqu'île  de  Malacca,  dont  elle 
est  séparée  par  le  délroit  de  ce  nom.  Elle  est  en- 
tourée d'une  ceinture  de  petites  îles  :  Bam,  Nias, 
Pagai,  Eng(.no,  au  S.-O.,  Bm.litox,  Banca,  riches 
CJi  étain,  LiNGiNotun  groupe  d'îlots  dans  le  détroit, 
au  N.-E.  C'est  une  grande  île  de  42-i  (100  kil. 
carrés,  traversée  dans  sa  longueur  par  une  chaîne 
volcanique  dont  un  des  pics,  \e  Gowionr;  d'Indra- 
pour,  dépasse  41100  mètres.  L'Étiuateurla  coupe  à 
peu  près  par  le  milieu.  Les  Hollandais  en  possèdent 
les  trois  quarts,  et  en  tirent  en  abondance  les 
produits  qui  alimentent  leur  commerce  colonial  : 
l'aloès,  le  camphre,  le  piment,  surtout  le  poivre 
noir,  la  principale  richesse  de  l'île,  qui  fournit 
près  de  la  moitié  delà  production  totale  du  globe; 
des  métaux  précieux,  tels  que  l'or  et  le  diamant. 


La  partie  N.-O.  forme  l'État  indépendant  d'  4lchin. 
La  population  est  d'environ  '2  millions  d'ànies  ; 
elle  se  compose  de  Malais,  de  Chinois,  d'Arabes 
et  d'un  petit  nombre  d'Européens.  Les  principales 
villes  sont:  Palembanq,  40  000  hab.  ;  Padanq, 
30  000;  Bencouten. 

1°  Java  et  Madura.  L'île  de  Java,  avec  Madnra 
qui  en  est  une  dépendance,  est  séparée  de  Su- 
matra par  le  détroit  de  la  Sonde,  de  Bornéo  par 
la  mer  qui  porte  son  nom.  Elle  est,  comme  Su- 
matra, traversée  par  une  chaîne  de  volcans,  la 
plupart  en  activité,  ilontle  plus  élevé,  le  Sémirou 
(3  800  m.),  dépasse  les  plus  hauts  sommets  des 
Pyrénées  et  atteint  presque  ceux  des  Alpes.  Les 
flancs  de  la  chaîne  sont  couverts  de  vastes  forêts 
de  tek.  Au  pied  s'épanouit  une  végétation  exubé- 
rante. ChaufTée  par  le  soleil  des  tropiques,  mais 
moins  près  de  l'Equateur  que  Sumatra,  Java  tient 
le  premier  rang  pour  les  produits  de  son  sol  parmi 
les  colonies  des  Indes  orientales  néerlandaises. 
Elle  no  le  cède  qu'au  Brésil  pour  la  production  du 
café  (60  0011  tonnes  par  an).  La  canne  à  sucre 
(I2n00i)  tonnes),  le  tabac  (1)0  000  tonnes),  le  thé 
(I  1100  tonni's)  et  le  riz,  qui  y  occupe  les  trois 
quarts  des  terres  en  culture,  constituent  avec  le 
café  la  grande  richesse  commerciale  de  cette  île, 
dont  la  Hollande,  qui  en  a  monopolisé  les  produits, 
tire  d'énormes  revenus.  «  Java  est  une  usine,  les 
Malais  et  les  250  000  Cliinois  en  sont  les  ouvriers, 
les  29  000  Européens  les  contre-m:nircs,  le  gou- 
vernement hollandais  le  patron  qui  nr£;anise,  sur- 
veille, tyrannise  avec  sagesse  et  s'enrichit.  » 
(O.  Reclus.)  Aussi,  bien  qu'elle  n'ait  que  134  G07 
kil.  carrés,  le  tiers  de  la  superficie  de  Sumatra,  est- 
elle  près  de  10  fois  plus  peuplée  :  18  3  KiOOO  hab. 
(Malais,  Chinois,  Arabes,  Hindous,  Européens). 
Batavia  en  est  le  chef-lieu  et  la  résidence  du  gou- 
verneur général  des  Indes  orientales  néerlandaises, 
90  000  hab.  Les  autres  villes  les  plus  importantes 
sont  :  Sourabai/a.  9l)000  hab.,  Saniarang,  situées, 
comme  la  capitale,  sur  la  côte  septentrionale.  — 
2liO  kil.  de  chemins  de  fer. 

3°  Bali,  à  l'E.  de  Java,  dont  elle  est  séparée  par 
un  détroii  peu  large,  est  la  plus  orientale  des  iles 
du  groupe  indo-chinois;   chef-lieu,  Karangassim. 

4°  Bohnéo.  la  plus  grande  île  du  monde  après 
la  Nouvelle-Guinée:  748  000  kil.  carrés, plus  grande 
que  la  Franre  de  près  d'un  tiers,  avec  2  millions 
et  demi  d'habitants  (Malais  païens  on  Musulmans, 
Chinois).  Elle  est  séparée  de  Java  au  S.  par  la  mer 
de  la  SoEide.  des  Célèbes  à  l'E.  par  le  détroit  de 
Macassar,  d"s  Philippines  au  N.  par  la  mer  de 
Mindoro  ;  la  chaîne  des  îles  Soulous  et  la  longue 
île  l'alawan  la  joignent  presqu'à  ce  groupe.  Bornéo 
fait  panie  des  Indes  néerlandaises,  mais  elle  n'est 
colonisée  que  sur  les  côtes;  l'intérieur  est  encore 
inconnu.  La  partie  nord-ouest  forme  le  royaume 
indopendantde  Bornéo,  borné  à  l'E.  par  une  longue 
chaîne  dont  le  point  culminant,  à  l'extrémité  sep- 
tentrionale, le  Kini-lielou,  s'élève  à  4(i0!l  mètres. 
Près  de  cette  côte  se  trouve  l'île  anglaise  de  La- 
houan.  Le  nord-est  fait  partie  du  ro'/aume  de 
Soiilou,  ainsi  que  les  îles  de  ce  nom  qui  relèvent 
nominalement  de  l'Espagne. 

Bornéo  ist.  comme  Sumatra,  coupée  par  l'Equa- 
teur, sa  végétation  se  rapproche  de  celle  de  Java. 
Comme  ces  iles,  elle  est  couverte  de  forêts  riches, 
on  bois  de  luxe,  d'ébénisterie  et  de  teinture.  On 
y  trouve  aussi  de  la  houille,  dos  métaux  précieux, 
tels  que  l'or  et  le  diamant,  des  gîtes  d'aniimoino. 
—  Band;eriiianing,  Ponitana  et  Santhas,  sur  la 
côte  S.  et  S.-O.,  sont  les  principaux  établissements 
hollandais. 

5°  Philippines.  —  L'Archipel  espagnol  des  Phi- 
lippines, au  N.  de  Bornéo,  s'étend  du  .S°  au  lu" 
lat.  N.  Les  îles  dont  il  se  compose  sont,  comme 
celles  de  la  Sonde,  volcaniques  et  d'une  grande 
feitilité.  Leurs   richesses,  moins  bien    exploitées 


OCEANIE 


—  1430  — 


OCEANIE 


que  celles  des  colonies  lioUandaises,  consistent 
en  bois  de  construction  (tek),  sucre  de  canne, 
café,  et  surtout  en  tabac.  Leur  superficie  est  de 
291  OilU  kil.  carrés,  avec  une  population  de  CIG:îiiOO 
hab.  (Malais,  Alfourous  ou  Haraforas,  Tapales, 
Négritos,  Cliiiiois).  La  plus  septentrionale,  LiçoN 
ou  Manille,  n'est  séparée  do  l'île  chinoise  de  For- 
niose,  que  de  1°  30'.  Ses  principales  villes  sont  : 
Manille,  100 OOT  hab.,  résidence  du  gouverneur, 
et  Siial,  sur  la  côte  occidentale.  —  MI^nANA0  la 
plus  méridionale,  touche  au  S.-O.  aux  iles  Sou- 
lou  ;  Zamboanija  el  Sp/aiiga  sont  les  plus  impor- 
tants établissements.  —  Les  autres  îles  de  cet 
archipel  sont  :  Minooro,  Palawan,  Paxay,  .N'eghos, 
ZÉBD,  Leyte  et  Samar. 

Arcldijel  Australien.  —  1»  Petites  îles  be  la 
SoNiiE.  —  Elles  sont  séparées  des  grandes  par  le 
détroit  de  Lonibok  et  s'étendent  parallèlement  à 
rEijuateur  au  N.  et  au  S.  du  10°  lat.  S.,  entre  le 
112°  et  le  125°  loi'g.  E.  Lombok,  île  volcanii|Ue  de 
5  500  kil. carrés  ;  chef-lieu  :  Mota^U'u.  —  Simbanva, 
près  de  trois  fois  plus  grande  (|uc  la  précédente 
(15  C20  kil.  carrés),  couverte,  comme  elle,  de  vol- 
cans dont  l'un,  le  liniboro,  est  célèbre  par  la  ter- 
rible éruption  de  1815;  chef-lieu  :  liima.  —  Sumba 
ou  Sandeldosch  (forêt  de  sandal),  2  200  kil.  car- 
rés. —  Flohès,  20  000  kil.  carrés,  séparée  de  la 
précédente  par  la  petite  île  de  Komoho.  —  Timor, 
la  plus  orientale  et  la  plus  grande  du  groupe, 
30  000  kil.  carrés,  plus  grande  que  la  Belgique; 
environ  1  5l'0  000  hab.  (Malais,  Chinois,  Papouas!. 
Ile  volcanique,  riche  en  bois  de  sandal.  Elle  est 
partagée  entre  les  Hollandais  et  les  Portugais.  La 
partie  occidentale  et  la  plus  considérable  appar- 
tient aux  premiers  dont  la  domination  ou  la  suze- 
raineté s'étend  sur  tout  l'Archipel.  Chef-lieu  : 
Koupanq.  La  partie  orientale  ou  portugaise  a  pour 
chef  lieu  Dilli.  —  A  cette  île  se  rattachent  au  N. 
SoLOR,  Ombay,  Wetta  ;  au  S.  Sava  et  Rotti. 

2°  CÉLÈBES,  au  iN.  du  groupe  précédent,  sépa- 
rée de  Bornéo  par  le  détroit  do  Macassar  et  des 


Cette  dernière,  située  en  face  de  la  colonie  de 
Victoria,  en  est  séparée  par  le  détroit  de  liass 
large  de  240  kil.,  et  semé  d'îles  (Kings,  Flinders, 
Fourneaux  et  Barren).  Plus  grande  que  la  Hol- 
lande et  la  Belgique  réunies  {07  801  kil.  carrés), 
elle  ne  compte  encore  que  105  000  habitants  mal- 
gré la  douceur  de  son  climat  dans  la  zone  tem- 
pérée du  sud  (entre  le  40°  et  le  'i2°}  et  sa  luxu- 
riante végétation.  Devenue  en  1HI3  colonie  an- 
glaise, elle  fut  jusqu'en  185^1  un  lieu  de  déportation. 
Elle  changea  alors  son  nom  de  Vnn  Ùiémen  et 
prit  celui  de  Tasuumie  (d'Abel  Jansen  Tasman, 
qui  la  découvrit  au  milieu  du  xvii"  siècle).  La  po- 
pulation indigène  avait  alors  entièrement  disparu, 
détruite  par  u  la  chasse  aux  Noirs  »,  à  laquelle  se 
livraient  les  cnnvicts;  ses  derniers  débris,  réduits 
en  I8.3.i  k  200  individus,  s'étaient  éteints  sous  le 
climat  trop  rude  de  l'île  Flinders  où  on  les  avait 
déportés.  La  Tasmanio  a  pour  chef-lieu  Ho'art- 
Toimi,  h  l'embouchure  du  Dervent;  "iO  000  hab., 
et  pour  villes  principales  :  Laumeslon  et  Georf/c- 
town,  stations  pour  les  baleiniers  de  la  mer  du  Sud. 
m.  Mélanésie.  —  A  l'E.  de  l'Australasie  s'é- 
tend autour  du  continent  australien  une  double 
chaîne  d'archipels  et  d'îles,  l'une  intérieure, 
l'autre  extérieure.  La  première  commence  i  l'E., 
des  Moluques  avec  la  Nouvelle-Guinée  et  se  ter- 
mine au  S.  de  la  Nouvelle-Zélande.  Les  îles  de 
ce  groupe,  généralement  grandes,  sont  situées 
dans  l'hémisphère  du  sud  et  forment,  avec  le  con- 
tinent australien,  la  Mélanésie.  La  seconde  enve- 
loppe la  précédente,  commence  à  l'E.  des  Philip- 
pines avec  les  Mariannes  et  s'infléchit  vers  le 
S.-E.,  en  coupant  l'Equateur,  puis  se  prolonge 
dans  la  direction  de  l'Amérique  du  sud.  Les  îles 
qui  composent  ce  groupe,  à  la  différence  des  pre- 
mières, sont  toutes  de  très  petite  dimension,  les 
unes  élevées  et  volcaniques,  les  autres  basses  et 
de  formation  corallienne,  lentement  bâties  sur 
des  plateaux  sous-marins  n'ayant  pas  plus  de  50 
mètres  de  profondeur  par  d'innombrables  insectes 


Philippines  par  un  bras  de  mer  auquel  elle  donne  1  madréporiques.  Presque  tous  ces  archipels,  situés 
son  nom.  C'est  une  île  de  2115 OiiO  kil.  carrés,  .  au  S.  de  l'Equateur,  ont  reçu  le  nom  d'îles  des 
grande  comme  .30  départements  français.  Elle  est  |  mers  du  Sud.  Ils  forment  la  Polynésie  et  la  Micro- 
traversée  nar  l'Equateur  et  bizarrement  découpée  '  nésie.  On  trouve  en  outre  un  certain  nombre  d'îles 


sur  la  mer  des  Moluques  en  quatre  presqu'îles  à  tra- 
vers lesquelles  une  chaîne  volcanique  allonge  ses 
rameaux.  Les  Hollandais  occupent  environ  la 
moitié  de  la  superficie  de  l'île,  avec  330  OuO  hab, 


et  de  groupes  d'îles  tout  à  fait  isolés,  tels  que  les 
îles  Sandwich  ou  Hawaî. 

Les  indigènes  du  premier  groupe  appartiennent 
à  la  race  des  Papouas   ou   Nègres  océaniens,  au 


(Bougis,  Malais, Chinois,  Arabes,  Hollandais). Leurs    teint  d'un  brun  noirâtre,  aux  cheveux  noirs,  cré- 
principaux  établissements  sont  au  N.  Menar/o,  au  {  pus  et  rudes,  au  visage  plat,  au  nez  proéminent. 


S.  Macassar  ou    Vluatdingen.  —  A  Célèbes   se 
rattachent  au  N.  les  îles  Siao  et  Sangiiir,  h  l'E. 
les  îles  XtJLLA,  au  S.  les  iles  Bodton  et  Molna. 
3°  MoLuguEs.  —  On  les  appelle  encore  Iles  kvs. 


Dans  l'échelle  des  êtres  humains  ils  occupent 
l'un  des  degrés  les  plus  bas.  Toutefois  les  nègres 
des  îles  occidentales  sont  moins  sauvages  que 
ceux  du  continent  dont  on  les  a  distingués  sous 


Epices,  de  leur  principal  produit  ;  entre  Célèbes,  1  le  nom  de  MéUmésie7!s.  Leurs  voisins  de  l'est 
les  Philippines  et  la  Nouvelle-Guinée.  Elles  se  I  et  du  nord,  les  Pohjné.tiens  et  les  Mii:ro7ie\'iipns, 
composent  de  trois  grandes  îles;  Gilolo,  Ceram,  I  répandus  sur  l'immense  étendue  du  Pacifique, 
BouRoc,  et  de  plusieurs  petites  :  Mortv,  'Iebnate,  1  depuis  la  Nouvelle-Zélande  jusqu'aux  îles  San- 
TiDOR,   Batchian,   Oby,   Amboine,    etc.   Gilolo  ,   la  '  dvvich,  sont  moins  rebelles  à  la  civilisation.  Leur 


plus  grande,  est  coupée  par  l'Equateur  et  traver- 
sée par  tine  chaîne  volcanique.  Elle  a  '.'6  (lOi)  kil. 
carrés.  Ses  côtes,  découpées  comme  celles  de  Cé- 
lèbes en  4  presqu'îles  ouvertes  sur  la  mer  des 
Moluques,  sont  bordées  de  récifs  de  corail.  Am- 
boine, dans  l'île  de  ce  nom,  est  le  chef  lieu  de 
l'Archipel  et  la  résidence  du  gouverneur  hollan- 
dais. 

4°  L'Archipel  de  Banoa,  au  S.,  du   précédent, 
se  compose  de  4  lies  couvertes  de  plantations  de 


couleur  plus  claire,  leurs  mœurs  et  leur  langage 
les  rapprochent  des  Malais  et  des  Hindous.  Un 
grand  nombre  ont  adopté  le  catholicisme  ou  le 
protestantisme.  «  Cependant  ils  s'adonnent  en- 
core ça  et  là  à  l'anthropophagie  avec  ses  conséquen- 
ces :  guerres  civiles,  massacres,  razzias,  engrais- 
sement d'esclaves,  et  tous  pratiquent  le  tatouage.  >> 
(0.  Reclus.) 

Quoique  situés  dans  la  zone  torride.  aux  Antipo- 
des de  l'Afrique  tropicale,  ces  îles  jouissent  d'un 


muscade.  La  principale   est  Timor-Lai't.  —  Au  j  climat  plus  doux   que  celui   de   l'ancien  monde 

N.-E.,  sont  les  îles  Arrou.  sous  les  mômes  latitudes;   la  chaleur  y  est  tem- 

n.    AiSTUALiE   et    SCS    dépendances.    —    Nous    pérée  par  le  voisinage  de  la  mer.  et  elles  ressen- 


avons  décrit  ailleurs  V Australie  '.  A  ce  conti 
neni  se  rattachent  plusieurs  îles  mélanésiennes, 
telles  que  Melleville  et  Bathurst  au  N.-O., 
MinoLEToN,  Lord  Howk  et  Noufolk  à  l'E.  ;  l'île  des 
Kangourous  et  la  grande  île  de  Tasmanie   au  S. 


tent  l'influence  des  vents  alizés  qui  soufflent  régu- 
lièrement toute  l'année.  On  y  trouve  le  cocotier, 
le  sagoulier,  l'arbre  à  pain,  l'igname,  de  magnifi- 
ques forôls  peuplées  par  d'innombrables  espèces 
d'oiseaux. 


1 


OGEANIE 


—  1431 


OGEANIE 


1°  NouvELLE-GuiNÉK.  —  Cette  île.  la  plus  grande 
<iu  monde,  appelée  encore  Pai'iiuasie  du  nom  de 
la  race  qui  l'Iiabile,  s'étend  du  ^'.-0.  au  S  -E  , 
entre  le  128"  et  le  150"  long,  orientale,  sur  une 
longueur  de  2235  kil.  Au  N.-O.,  elle  touche  pres- 
que à  l'Equateur,  au  S.-E  ,  elle  atteint  11°  latit. 
australe.  Kétrocic  i  ses  deux  extréniiti^s,  elle  pré- 
sente au  centre  une  grande  masse  de  terre 
d'une  largeur  de  ()25  kil.  La  côte  occidentale  est 
profondément  creusée  par  le  golfe  de  Geelvink 
jusqu'au  cap  d'Urville.  Au  S.,  elle  est  séparée  de 
l'Australie  par  le  détroit  do  Torrès  large  de  225 
kil.,  et  embarrassé  de  récifs  de  corail  qui  en  ren- 
dent la  navigation  dangereuse.  L'intérieur  est 
peu  connu.  La  souveraineté  de  la  Hollande  est 
toute  nominale  et  ne  s'étend  que  sur  quelques 
districts  de  la  côte  N.-O. 

2°  Au  N.,  de  la  Nouvelle-Guinée,  de  l'O.  à  l'E.  : 
les  iles  de  rAMiiiAiiTÉ,  le  IVouvei.-Hinovre,  la 
Nouvelle- Iri.anue  ou  Tombara,  la  Ncuivkllk -Bre- 
tagne ou  îles  BiUAiiA,  séparée  de  la  INîouvelle-Gui- 
néc  par  le  détroit  de  Danipieire. 

3°  A  l'extrémité  orientale  et  la  Nouvelle-Guinée, 
l'Arcliipel  peu  connu  de  la  Louisiade,  habité  par 
des  Papouas  anthropophages. 

4»  Plus  à  l'E.,  séparé  de  l'Australie  parla  mer  de 
Corail,  et  entouré,  d'écueils  madrépoiiqnes  :  l'Ar- 
chipel des  îles  Salomon  ou  Nouvei.le-Georgie  du 
12°  au  lb°  lat.  S.;  les  principales  sont  :  Uoligai\- 
viLLEs,  Choiseul,  IsAisiLLE ,  la  plus  grande  du 
groupe,  MalaïTa,  Gcadalcanar  avec  un  volcan  de 
3200  m.  ;  Saint- (.hristoval.  —  Les  iles  de  Sainte- 
Croix,  dont  la  plus  grande  est  Nitendi.  C'est  sur 
les  écueils  de  l'une  d'elles,  Van'icoro,  que  se  bri- 
sèrenl  les  deux  vaisseaux  de  Lapérouse. 

5"  L'Archipel  des  Nouvelles-Hébrides  ou  des 
îles  du  Sai\t-Esprit,  du  20°  au  10"  lat.  S.  :  l'île 
du  Saint-Esprit,  la  plus  grande,  Mallicolo,  Sand- 
wich, Erhomango.  Tanna. 

6°  La  Nouvelle-Calédonie,  découverte  par  Cook 
en  mt  et  occupée  par  la  France  en  l.sSî.  Elle 
s'allonge  du  N.-O.  au  S.-E.,  entre  le  20"  lat.  S., 
et  le  ironique  de  Capricorne,  depuis  le  cap  Ton- 
nerre au  N.  jusqu'au  cap  du  Prince  VVales  au  S.  Sur 
17513  kil  carrés.  Elle  est  entourée,  comme  d'ail- 
leurs toutes  les  iles  de  cette  partie  do  l'Océanie 
d'une  ceinture  de  récifs  madi-époriques.  L'inté- 
rieur est  traversé  par  une  longue  chaîne  dont  le 
pic  le  plus  élevé,  le  Mont  HnmboUU,  a  l'altitude  des 
hauts  sommets  du  centre  de  la  France  {I6't2  m). 
On  y  trouve  la  végétation  tropicale,  principale- 
ment la  canne  à  sucre-  L'arbre  à  pain,  toutefois, 
n'a  pu  s'y  acclimater.  La  •population,  de  58  ;i00 
hab.,  est  (le  la  race  des  Papouas  anthropophages. 
Noumfa,  sur  la  côte  S.-O.,  est  le  chef-lieu  de  la 
colonie.  —  De  la  Nouvelle-Calédonie  dépendent  : 
l'île  des  Pins,  les  îles  Lovalty  ou  Loyauté  dont 
la  plus  grande  est  Lifoa  ou  Chabrol  ;  Mari,  Ou- 
ytk,  toutes  trois  de  formation  corallienne. 

""  Nouvelle-Zélande,  la  «  Grande-Bretagne  de 
la  mer  du  Sud,  »  mais  avec  une  superficie  qui 
dépasse  de  plus  de  40  OllO  kil.  carrés  celle  de  la 
Grande-Grot;igne  d'Europe  :  270  050  kil.  carrés. 
Découverte  en  IG42.  par  le  navigateur  ■hollandais 
Abel  Tasnian,  elle  fut  visitée  en  HB!)  par  Cook 
qui  reconnut  qu'elle  se  composait  de  deux  îles 
séparées  par  un  détroit  qui  a  roi;u  son  nom  :  Te- 
Ika-a  Maoui,  au  N.,  Te-waî-Pounamou  au  S.  Elles 
s'étendent  du  W  20'  au  4tl''  40'  lat.  australe.  Elles 
sont  traversées  par  une  chaîne  do  montagnes  dont 
les  sommets  les  plus  élevés  sont,  dans  l'île  du 
Nord,  le  Tungariro  (lO.iO  m.),  le  mont  Egmont 
(2480  m.)  et  le  lUiap-hn  (2700  m.);  dans  celle  du 
Sud,  le  mont  Cook  (396n  m.)  point  culminant  des 
Alpes  'lu  Sud.  De  leurs  flancs  s'échappent  de  nom- 
breux cours  d'eau  ;  les  plus  considérables  sont, 
dans  l'île  du  Nord  le  Waikalo  qui  traverse  le  lac 
Taupo  ;  dans  celle  du  Sud  le  Mulynoux  qui  sort 


des  lacs  Hnwea  et  Wanaka.  Située  dans  la  zone 
tempérée  australe,  la  Nouvelle-Zélande  jouit  d'un 
climat  doux  et  salubre  ;  son  sol,  bien  arrosé  et 
d'une  grande  fertilité,  est  propre  à  toutes  les  cul- 
tures européennes.  On  y  trouve  des  arbres  gigan- 
tesques, telsqne  le  Datiiara  austrtili^,  de  58  mè- 
tres de  haut,  fournissant  une  résine  dont  l'expor- 
tation atteint  quelquefois  i  million  1/.'  de  francs. 
En  185'J,  on  y  a  découvert  d'importants  gisements 
aurifères.  Mais  une  de  ses  principales  richesses 
consiste  dans  les  laines  de  ses  6  millions  de  mou- 
tons. 

Déclarée  colonie  anglaise  en  IS40,  la  Nouvelle- 
Zélande  n'a  cessé  depuis  de  prospérer.  Elle  avait, 
en  I87G,  Il55  kil.  de  chemins  de  fer.  Un  service 
régulier  de  paquebots  la  met  en  commuincation 
avec  Sydney  et  San  Francisco  (ligr,es  d'AukIand  à 
Sydney  et  à  San  Francisco  par  Honoloulou).  La 
population  est  de  4l4  0iiO  hab.,  non  compris  les 
Maoris,  peuple  indigène,  de  race  polynésienne, 
converti  par  les  missionnaires  anglicans,  et  dont 
il  ne  restait  plus,  en  1h7I,  que  37  0  lO  individus. 
En  18' G  la  colonie  a  été  divisée  en  G3  comtés,  y 
compris  l'île  Stewabt,  son  appendice  méridional 
qui  en  est  séparé  par  le  détroit  de  Foveaux.  Les 
villes  principales  sont  :  dans  l'île  du  N.  :  Wel- 
lington, siège  du  pailement  colonial,  sur  le  dé- 
troit de  Cook,  1051)0  hab.,  avec  son  port  iVîc/iO/- 
so7i;  Aukland.  principale  place  de  commerce, 
21  «"0  hab.;  dans  l'île  du  S.  :  Dunedin,  l-S  000  hab., 
Chriulchiirrh  17  000  hab..  Ne  son  .S8li0  hab.,  port 
sur  la  côte  septentrionale.  Porl  Lyltlrt-  n  sur  la 
côte  orientale.  —  A  l'E.  de  la  Nouvelle-Zélande, 
l'Angleterre  possède  :  les  îles  Brouuhton  (Ijhatham, 
Pitt,  Cornwallis),  lîle  Bounty,  l'île  des  Antipo- 
des; au  S.  les  îles  Aukland,  Campbell,  Macodaiiie 
et  Eherald 

IV.  Polynésie  et  Micronésie.  —  1°  Iles  Vixi  ou 
Fidji  (aux  Anglais);  entre  20"  et  15°  lat.  S.,  en- 
viron 2'  0  îles,  dont  deux  grandes  :  Viti-Lévou, 
11  600  kil.  carrés,  40  ;\  50iiOii  hab.,  et  Vanoua- 
LÉvoii,  G  500  kil.  carrés.  La  population  totale  de 
l'Archipel  est  de  13'i  000  hab.,  en  partie  convertis, 
en  partie  encore  anthropophages. 

W  lies  Samoa  ou  des  [Navigateurs,  ou  Bougain- 
viLLE,  du  nom  du  célèbre  navigateur  français  qui 
les  visita  en  170^;  sous  le  14«  parallèle  S  ;  en 
partie  d'origine  volcanique;  3  0i)0  kil.  carrés.  Les 
indigènes,  au  nombre  de  IGOOno,  ont  le  teint 
moins  noir  que  les  autres  Polynésiens;  ils  sont 
chrétiens,  en  grande  ni.ijorité  protestanls.  Les 
principales  sont  :  Oupoulou,  Sawaî,  Tutuila,  Ma- 
^0M0,  Manoa.  —  A  l'O.,  les  îles  Walli  et  Fou- 
TOUNA  sont  sous  le  proteciorat  français. 

3°  Au  IS .  de  ces  deux  archipels,  entre  l'Equa- 
teur et  le  10°  parallèle  S.  :  les  îles  d'ELLiCE,  dont 
la  principale  est  Plvster  ;  le  groupe  du  Phénix 
(Enderbury  et  Sydney)  ;  le  groupe  de  1  Union. 

4°  Iles  Tonga  ou  des  Amis,  entre  18°  et  20°  lat. 
S.;  150  iles  presque  toutes  basses  :  Tongabatou 
est  la  plus  grande  ;  Vavao,  Tufoua,  Laté.  L'Ar- 
chipel compte  environ  2  000  habitants  sur  une  su- 
perficie de  I  000  kil.  carrés. 

5°  Archipel  de  Cook  ou  Iles  Harvey,  sous  le 
20°  latitude  S.  ;  800  kil.  carres  ;  environ  p.'  000  hab., 
convertis  au  chrisiianisme.  Les  principales  sont  : 
Rarotonga  et  MvNr.iA. 

0°  Iles  de  la  Société,  par  17°  latitude  S.,  de 
formation  volcanique.  Elles  ont  été  visitées  deux 
fois  par  Cook  et  après  lui  par  Bougainville  et 
d  antres  navigateurs.  Les  cultures  euroiiéennes 
qu'ils  y  ont  propagées  y  prospèrent  sous  le  beau 
ciel  ausiralien.  Taiti  ou  Otaheiti,  la  plus  méri- 
dionale et  la  plus  grande,  1  lOO  kil.  carrés, 
lOonO  hab.,  chef-lieu  Papéiii,  est  sous  le  protec- 
torat français,  ainsi  que  Moorra  ou  Amko,  Te- 
touaroa  et  Maîtéa.  Les  indigènes  sont  convertis 
au  christianisme.  Le  roi  réside  dans  l'île  RaîatiU. 


OCEANIE 


—  1432 


OCEANS 


—  Au  S.  de  cet  archipel,  les  îles  Toubouai  et  Va- 
viTOU  sous  le  tropique  du  Capricorne,  Kapa  sous 
le  '2'°  latitude  S.  sont  placées  également  sous  le 
protectorat  de  la  France. 

1°  Iles  Toamotou  ou  Basses  ou  Archipel  Dan- 
gereux,  répandues  entre   15"2°   et  lli»   longitude] 
occident.,  entre  14°  et  25°  latitude  S  ;  79  petites 
îles,   plates,   basses,   parmi   lesquelles  des  alolU,  ' 
îlots  bàlis  annulairenient  ou  en  croissant  par  des 
polypes  autour  des  lagunes.  A  ce  groupe  se  ratta- 
chent les  îles  Gambier,  sous  le  protectorat  de  la  | 
France;  la  piincipale  est  MANGAnÉVA,  située  pres- 
que sons  le  tropique  de  Capricorne.  Au  S.-E.  l'île 
PiTCAiiiN,  colonie  pénitenti.aire  de  matelots  anglais,  i 
Plus  à  l'Est,  l'Ile  volcanique  de  Paqies,  do  toutes 
les  îles  polynésiennes  habitées  la  plus  voisine  de 
r.Améri(|ue  (Chili).  —  Les   Si-Oll  insulaires  de  ce 
vaste   archipel  sont  en   partie  chrétiens  dans  les 
îles  occidentales,  en  partie  païens  et  encore  an-  | 
thropophages  dans  les  îles  les  plus  orientales. 

8°  Iles  Marqcises,  vers  le  10"  latitude  S.,  au 
nombre  de  11;  sous  la  domination  française  ; 
12iU  kil.  carrés,  GOOi.)  hab.,  la  plus  belle  race 
polynésienne,  en  partie  convertis  ou  catholicisme. 
Les  principales  sont  :  Nouka-Hiva,  chef-lieu  Taio-  j 
huc;  Hiva-Oa,  Washington  ou  Hoi'A-Houna. 

9°  Poli/'.è.sie  desÉtats-Utiis.  —  Au  N.  et  au  S. 
de  l'EquaK-ur,  entre  10°  lat.  N.  et  12»  lat.  S.,  I 
les  Etats-Unis  possèdent  sur  la  route  de  l'Aus- 
tralie :  WALKrn.  Christmas,  Washington,  Sama- 
liANG,  Palmvra,  Barber,  Jarvis,  Bboke,  Peniihyn, 
Flint.  —  Dajis  les  mêmes  parages  les  îles  an-  [ 
glaises  de  Fanning,  Malden,  Staihiuck,   Caroline. 

La  llicronésie,  située  au  N.-O.  de  la  Polynésie, 
se  compose  de  4  groupes  : 

r  Les  Mariannes  ou  Iles  tes  Larrons,  rangées 
du  nord  au  sud  sur  une  ligne  qui  va  du  20°  au  14°  » 
lat.  N.  Leur  superficie  est  do  I  0'9  kil.  carrés,  avec  1 
8  000  hab.  Deux  sont  occupées  par  les  Espagnols  ; 
les  autres  sont  inhabitées.  La  |)lus  grande  est  Goam. 

2°   Les  Carolines  (i   l'Espagne),    rattachées  au  ' 
gouvernement  des  Mariannes;  entre  10°  et  7°  lat. 
N.,    12S°   et     105°    long.    E.;     1384    kil.    carrés;! 
18  800  hab.  î 

Entre  cet  archipel  et  les  Philippines, les  îles  Pa- 
LAOS  (à  l'Espagne),  897  kil.  carrés,  lOOOi)  hab.,  et 
Pelew. 

3°  Archipel  de  Marshall,  entre  15°  et  5°  lat.  N., 
avec  les  iles  Ralik  et  Fiadak. 

4»  Archipel  des  Mulgraves,  ou  Gilbert  ouKi^g- 
SMILL,  n  iles  au  N.  et  au  S.  de  l'Eciuateur,  dont  les 
principales  sont  Tarava  et  Mabaki. 

Royaume  d'HAWAi  ou  îles  Sandwich.  Cet  archi- 
pel, situé  sous  le  2U°  lat.  N.  et  sous  le  tropique 
du  Cancer  est  composé  des  îles  Hawai  ou  Owaihi, 

MaOII,     MoLAKAi,     LANAÏ,    OaHOC,     KaOLAÎ.    NlHAOU, 

Kahoulahi  :  I9  75G  kil.  carrés;  1)7  OOn  hab.  con- 
vertis au  protestantisme.  Hawai,  la  plus  méridio- 
nale et  la  plus  grande  (12  010  kil.  carrés),  a  deux 
volcans,  le  Maouivi-Ken  de  4  RIO  mètres  et  le 
Mununa-Lori  qui  s'élève  à  4  220  moires,  et  dont  le 
cratère  a  11  kil.  de  tour.  Dans  Maoui  le  pic  H'iti'i- 
Itala  se  dresse  à  3  100  m.  La  capiiale  du  royaume 
est  H onoloulou.  dans  Oahou,  15000  hab.,  princi- 
pale station  navale  entre  les  Etats-Unis  et  la  Chine; 
ville  principale  Hilo,  dans  Hawni,  4  OaO  hab. 

Découvertes  en  1776,  par  Cook,  qui  y  périt 
trois  ans  plus  tard,  ces  îles,  habitées  alors  par 
une  population  encore  sauvage,  sont  devenues  en 
1864  un  Etat  constitutionnel.  Leur  position  entre 
l'Amérique  du  Nord,  la  Chine  et  l'.Australie  leur 
donne  une  grande  importance  qui  ii'a  cessé  d'ang- 
menter  depuis  l'achèvement  du  chemin  de  fer  du 
Pacifique.  Un  service  régulier  de  paquebots  met 
Honoloulou  en  communication  avec  San-Francisco 
d'une  part,  Aukiand  et  Sydney  de  l'autre.  Los 
Etats-Unis  sont  en  possession  du  protectorat  de 
l'archipel  depuis  I8j1.  [F.  Oger.] 


OCÉANS.  —  Géographie  générale,  1  et  XX.  —  On 
donne  le  nom  d'Océan  à  cette  masse  d'eaux  qui 
couvre  environ  les  trois  quaris  du  globe  terrestre, 
et  dont  les  divisions  naturelles  forment  les  mers 
particulières  désignées  par  des  noms  distincts. 

Profondeur  des  océans.  —  Généralement  peu 
profonde  au  voisinage  des  terres,  la  mer  se  creuse 
rapidement,  mais  d'une  manière  fort  irrégulière. 
Le  Pas-de-Calais,  entre  la  France  et  l'Angleterre, 
n'olTre  nulle  part  une  tranche  d'eau  assez  épaisse 
pour  recouvrir  les  tours  Notre-Dame,  par  exemple. 
Le  Zuiderzée  n'offre  aucun  chenal  qui  puisse 
amener  les  grands  navires  d'aujourd'hui  jusqu'au 
port  d'Amsterdam.  En  revanche,  dans  les  fjords 
de  la  Norvège,  la  sonde  descend  aussi  bas  que  les 
falaises  du  littoral  s'élèvent  au-dessus  des  eaux;' 
la  baie  de  Biscaye,  sur  les  côtes  de  France  et 
d'Espagne,  forme  une  fosse  profonde. 

Peu  à  peu  on  étudie  le  fond  de  la  mer  comme 
la  surface  du  sol  émergé.  On  y  trouve,  comme  sur 
les  continents,  des  plaines,  des  vallées,  des  hau- 
teursiisolées  ou  rattachées  en  chaînes  de  monta- 
gnf  s  et  en  plate.iux.  La  plus  grande  profondeur, 
mesurée  d'une  manière  certaine  aujourd'hui  dans 
le  grand  Océan  Pacifique,  dépasse  8  kilomètres  et 
demi.  Elle  se  trouve  au  voisinage  des  iles  KifUriles, 
h  l'ouest  d'une  vaste  dépression  qui  s'étend  de- 
puis les  côtes  du  Japon  jusqu'à  cellesde  Californie. 
C  est  aussi  dans  la  partie  occidentale  de  l'Atlanti- 
que, entre  les  Bermudes  et  la  Nouvelle-Ecosse 
qui  se  trouve  la  vallée  la  plus  profonde  de  cette 
dernière  mer. 

Volume  des  eaux  de  la  mer  et  des  terre-  émer- 
gées. —  En  moyenne,  on  évalue  à  4300  mètres  la 
profondeur  générale  des  mers,  tandis  que  l'altitude 
moyenne  des  terres  émergées  ne  dépasse  pas 
330  mètres.  Il  en  résulte  que  le  volume  des  eaux 
de  la  mer  est  environ  trente-six  fois  aussi  consi- 
dérable que  celui  de  la  croûte  terrestre  qui  s'é- 
lève au-dessus  de  leur  niveau. 
'  C'est  cette  masse  énorme  d'eaux  qui,  lente  à 
échauffer  comme  à  refroidir,  tempère  les  ardeurs 
!  de  l'été,  modère  les  froids  de  1  hiver,  fournit  à  la 
î  végétation  l'huraiJité  dont  elle  a  besoin  pour  se 
développer. 

'  Salinité  des  eaux  de  la  mer.  —  Les  eaux  de  la 
mer  sont  salées  ;  par  évaporation,  ell''S  laissent  de 
35  à  40  parties  de  substances  salines  pour  liitio  par- 
ties d'eau,  et  le  sel  de  cuisine  ou  chlorure  de  so- 
'  dium  forme,  à  lui  seul,  les  3/4  de  ces  substances 
,  salines. 

Les  causes,  qui  font  varier  le  degré  de  salinité 
dos  eaux  marines,  sont  faciles  à  comprendre.  A 
l'embouchure  des  fleuves,  la  mer  est  moins  salée 
qu'au  large.  Les  mers  qui  reçoivent  de  nom- 
breuses rivières,  comme  la  mer  Noire  ou  la  Bal- 
tique, sont  moins  salées  que  r.\tlantique,  et  leurs 
eaux  deviennent  de  plus  en  plus  chargées  à  mesure 
qu'on  les  puise  plus  près  des  détroits  qui  leur 
servent  de  débouchés.  Dans  les  mers  soumises  i 
une  forte  évaporation  solaire  comme  la  Méditer- 
ranée on  la  mer  Rouge,  la  salinité  devient  très 
forte  et  augmenterait  sans  cesse,  si  les  eaux  arri- 
vant des  autres  mers  pour  combler  le  vide  pro- 
duit ne  tendaient  constamment  par  leur  mélange  i 
rétablir  l'équilibre.  Mais  qu'une  cause  accidentelle 
vienne  à  isoler  une  partie  de  ces  mers  du  reste 
des  Océans,  comme  cela  est  arrivé  sans  doute 
pour  les  cliolts  algériens  et  tunisiens,  et  pour  un 
lac  situé  entre  le  golfe  d'.Aden  et  le  plateau  de 
lAbyssinie,  la  nappe  ainsi  formée  diminue  rapi- 
dement do  niveau  depuis  qu'elle  no  reçoit  plus  le 
trop  plein  des  autres  mers.  Et  cette  nappe  lacustre 
ofi're  cette  singularité  de  se  trouver,  bien  qu'au 
milieu  des  terres  émergées,  à  un  niveau  inférieur 
à  celui  des  mors.  C'est  le  cas  de  la  mer  Morte  et 
de  la  Caspienne. 

Glaces  polaires  et  flottantes.  —  Si  l'cvaporation 


OCEANS 


—  1-433 


OCEANS 


solaire  augmente  la  salinité  des  mers,  la  forma- 
tion (les  glaces  dans  les  mers  polaires  conconrt  au 
mC'mo  résultat,  puisque  les  glaçons  ne  renferment 
gurrc  r|Uf  5  lnilli^mes  de  sol  au  liou  de  afi  ou  40. 
l'uis,  (jiins  les  nuTS  où  ils  viennent  fondre,  les 
glaçons  .likiucissent  les  eaux  comme  les  fleuves 
près  de  leur  eniboucliure. 

Ces  glaces,  qui  se  forment  constamment  dans 
les  régions  froides  des  pôles,  et  môme  dans  les 
mers  fermées  des  régions  tempérées  comme  la 
Baltique  ou  la  mer  Noire  pendant  1  hiver,  sont  en- 
traînées par  les  courants  vers  l'équateur  avec  les 
grandes  masses  gelées  des  glaciers  du  Groenland. 
Les  navires,  qui  traversent  l'Atlantique  entre 
l'Europe  et  les  Elafs-Unis,  rencontrent  au  voisi- 
nage de  Terre-Neuve  d'énormes  montagnes  de 
glaces  flottantes  contre  lesquelles  ils  risquent  do 
se  briser,  d'autant  plus  que  la  fonte  de  ces  glaçons 
entretient  darjs  ces  régions  un  brouillard  dos  plus 
épais  au  travers  duquel  on  ne  voit  qu'à  quelques 
mètres.  Ces  glaçons  dépassant  quelquefois  de  120 
ou  150  mètres  le  niveau  des  eaux,  on  peut  en  con- 
clure qu'avec  la  partie  immergée  ils  atteignent 
de  lOOO  Ji  1200  mètres  d'élévation  totale.  Ce  sont 
do  vraies  montagnes  longues  quelquefois  de  plu- 
sieurs kilomètres,  revêlant  les  formes  les  plus 
diverses  et  les  plus  bizarres  et  qui  cheminent 
lentement  vers  le  sud.  Brisées  les  unes  contre  les 
autres,  arrêtées  quelquefois  par  les  inégalités  du 
fond  de  la  mer,  fondues  par  les  eaux  plus  chaudes, 
les  vents  et  les  rayons  solaires,  elles  disparais- 
sent lentement  avant  d'avoir  accompli  la  moitié 
de  la  course  qui  les  conduirait  du  pôle  à  l'équa- 
teur. Des  navires  emprisonnés  dans  les  glaces  ont 
ainsi  dérivé  vers  le  sud  pendant  plusieurs  centaines 
de  jours  avant  de  recouvrer  leur  liberté.  Il  y  a  peu 
d'années  le  glaçon  du  Polans  a  porté  pendant  six 
mois  de  niallieureux  naufragés  réduits  h  la  der- 
nière extrémité  quand  ils  furent  rencontrés  et 
sauvés  par  un  navire. 

C'est  au  sud  de  Terre-Neuve  que  fondent  géné- 
ralement les  derniers  glaçons  dans  l'hémisphère 
septentrional,  mais  dans  l'iiômisphère  opposé,  les 
montagnes  de  glace  s'avancent  jusque  près  du  cap 
de  Bonne-Espérance,  sur  le  -ib'  de  latitude.  En  re- 
montant vers  le  pôle,  on  trouve  ces  glaçons  de 
plus  en  plus  nombreux.  Finalement,  ils  forment 
une  vraie  barrière,  h  travers  laquelle  les  navires 
ne  peuvent  s'engager  qu'en  courant  les  plus 
grands  risques.  Cette  barrière  ou  banquise  se  dé- 
place suivant  l'intensité  des  courants  ou  desvenis 
qui  peuvent  la  fondre  ou  la  repousser.  Parfois 
elle  chemine  tout  entière  vers  le  Sud,  et  Parry, 
ayant  quitté  son  navire  pour  atteindre  le  pôle  avec 
des  traîneaux  en  cheminant  sur  les  glaces, 
marche  en  vain  dans  la  direction  de  l'éloile  po- 
laire sans  s'élever  en  latitude.  La  dérivation  de 
la  banquise  lui  fait  perdre  ce  que  la  marche  lui 
fait  gagner.  On  nepcutpas  assigner  k  cette  barrière 
unelatiiude  moyennesuivant  les  saisons.  Geriaines 
mers,  comme  la  mer  de  Kara,  restent  quelquefois 
fermées  par  les  glaces  pendant  des  années  en- 
tières, tandis  qu'à  d'autres  moments,  la  fiavigation 
y  redevient  relativement  facile. 

Couvanls  locaux.  —  L'écoulement  des  fleuves 
vers  la  mer,  et  l'évaporation  produite  par  les 
rayons  du  soleil  tendent,  en  sens  inverso,  à  mo- 
difier localement  le  niveau  des  eaux  marijies.  La 
différence  de  densité  entre  les  eaux  chaudes  et  les 
eaux  froides,  les  eaux  douces  et  les  eaux  salées, 
est  une  autre  cause  qui  tend  aussi  à  détruire  l'é- 
quilibre dans  les  divers  points  de  la  nappe  mai'ine. 
Mais  cet  équilibre  n'est  pas  rompu  d'une  manière 
durable  à  cause  de  la  mobilité  des  molécules  li- 
quides qui  se  déplacent  consiaiument  pour  venir 
combler  les  vides  pour  précipiter  au  fond  les 
eaux  salées  et  froides  plus  denses  que  les  eaux 
douces  et  chaudes.  C'est  là  l'origine  d'une  foule 


de  courants  locaux.  Le  détroit  de  Gibraltar  est 
traversé  par  un  courant,  allant  de,  l'Atlantique 
dans  la  Méditerranée  rendre  à  cotte  mer  l'eau 
que  lui  enlève  l'évaporation  solaire  et  que  les 
fleuves  de  son  bassin  ne  suffisent  pas  à  rempla- 
cer. Par  coiitre,  les  eaux  salées  et  lourdes  de  la 
Méditerranée  s'écoulent  vers  l'océan  en  dessous 
de  ce  courant  superficiel  pour  prendre  la  plice  des 
eaux  moins  salées  et  moins  lourdes  de  l'Atlantique. 
On  trouve  dans  le  détroit  de  Bab-el-Mandeb  la 
reproduction  de  ce  qui  se  passe  au  détroit  de 
Gibraltar.  Les  eaux  de  l'océan  Indien  viennent 
remplacer  les  eaux  de  la  mer  Rouge,  sur  laquelle 
l'évaporation  n'enlève  pas  chaque  année  une 
tranche  de  moins  de  7  mèires  d'épaisseur,  et  qui 
ne  reçoit  ni  pluie  ni  rivière,  mais,  par  contre,  les 
eaux  salées  de  la  mer  Rouge  s'écoulent  dans  les 
profondeurs  du  détroit  pour  remplacer  les  eaux 
plus  douces  de  l'océan  Indien. 

Le  détroit  de  Constantinople  est  parcouru  su- 
perficiellement par  un  courant  rapide  faisant  plu- 
sieurs kilomètres  à  l'heure,  car  la  mer  Noire  reçoit 
le  tribut  de  plusieurs  fleuves  puissants  qui 
exhausse  son  niveau.  Mais  au  fond  du  détroit 
règne  un  contre  courant  qui  amène  les  eaux 
lourdes  et  salées  de  la  Méditerranée  à  la  place 
des  eaux  relativement  douces  du  Pont-Euxin. 

Ce  ne  sont  là  que  des  courants  locaux,  qui  ne 
peuvent  être  comparés  aux  courants  généraux 
causés  par  la  rotation  de  la  terre  et  sa  révolution 
annuelle  autour  du  soleil.  (V.  Courants,  Mappe- 
monde.) 

Marées.  — Les.  marées  ',  comme  les  courants 
généraux  et  locaux,  mélangent  sans  cesse  les  eaux 
de  la  mer,  et  c'est  ainsi  qu'elles  offrent  à  peu  près 
partout  la  même  composition  chimique. 

Venls.  —  Une  troisième  cause  d'agitation,  les 
vents,  n'agit  qu'à  la  surface  des  eaux  marines, 
mais  grâce  à  la  fluidité  des  molécules  liquides,  ces 
vents  les  relèvent  en  bourrelets  séparés  par  des 
vallées  profondes,  et  le  trouble,  qui  se  produit 
ainsi  en  un  point  de  la  mer,  se  propage  de  proche 
en  proche  comme  un  mouvement  vibratoire. 

D'autant  plus  régulièrement  transmise  que  rien 
ne  vient  la  troubler,  cette  vibration  se  transmet 
très  vite  et  bien  plus  loin  que  le  vent  qui  lui  a 
donné  naissance,  de  sorte  que  c'est  aux  endroits 
les  plus  calmes  en  apparence  que  les  lames  se 
Pressentie  plus  haut.  Elles  sont  au  contraire  dé- 
primées quand  le  vent  tombe  directement  sur  elles, 
ou  que  plusieurs  lames  arrivant  des  divers  points 
de  l'horizon,  dans  des  directions  différentes,  sui- 
vant le  souffle  qui  les  a  fait  naître,  viennent  s'a- 
battre ou  se  détruire  l'une  l'autre. 

On  trouvera  au  mot  Courants  la  description  des 
courants  aériens  réguliers  comme  les  courants 
marins. 

Si  les  diverses  causes  de  tous  ces  phénomènes, 
prises  isolément,  sont  simples  à  comprendre,  il 
est  souvent  diflicile  de  dcnièler  en  chai|UO  point 
la  part  qui  revient  à  chacune  d'elles  Et  c'est  à 
cette  étude  qu'on  s'applique  chaque  jour  davan- 
tage pour  mieux  a pprendi-e  à  utiliser  la  mer  comme 
grande  voie  de  communication.  C'est  depuis  peu 
d'années  aussi  qu'on  s'est  occupé  de  l'étude  du 
fond  de  la  mer,  à  propos  de  la  pose  des  câbles 
télégraphiques  qui  relient  les  continents  entre  eux. 
Immersions  et  émerijenees  des  rivages.  —  N'y 
a-t-il  pas  là  du  reste  le  laboratoire  où  se  sont  for- 
mées succe-sivoment  les  diverses  couches  géolo- 
giques actuellement  émergées,  et  où  s'en  forment 
maintenant  de  nouvelles  qui  surgiront  à  leur  tour. 
Sans  atiendre  les  grandes  convulsions  qui  sou- 
lèvent les  montagnes  ou  engloutissent  les  conti- 
nenls,  on  voit  chaque  jour  certaines  côtes  s'élever 
au-dessus  des  flots  qui  les  baignaient  naguère, 
tandis  (|ue  d'autres,  au  contraire,  s'enfoncent  au- 
dessous  des  eaux. 


OCÉANS 


—  1434  — 


OCEANS 


La  Norvège  et  les  côtes  septentrionales  de  l'Asie  1 
sont  dans  une  période  d'émergence,  il  en  est  de 
même  des  côtes  méridionales  du  Spitzberg  et  de 
la  Nouvelle  Zombie,  rie  l'Ecosse,  de  la  Barbarie, 
du  littoral  du  la  mer  Rouge,  d'une  partie  de  l'A- 
natolie,  de  l'île  de  Sumatra,  du  Chili,  du  sud-ouest 
du  Groenland. 

En  revanche,  au  contraire,  les  deux  rives  du  dé- 
troit de  Smith,  qui  conduit  de  la  mer  de  Baffiri 
dans  la  mer  polaire,  lo  littoral  de  la  Floride  et 
des  Carolines,  celui  de  la  Guyane  et  l'embouchure 
de  l'Amazone  s'afl'aissent  comme  le  delta  du  Nil, 
lo  littoral  dn  la  Baltique  et  celui  des  Pays-Bas. 

Modifications  de  la  forme  des  rivaijes.  —  Pous- 
sées par  les  vents,  les  courants,  les  marées,  les 
eaux  de  la  mer  modifient  sans  cesse  la  forme  des 
rivages.  Là,  aidées  par  les  météores,  elles  démo- 
lissent les  falaises,  ici,  chargées  des  dfbris  qu'elles 
ont  pulvérises  peu  i  peu,  elles  vont  combler  les 
golfes.  Tantôt  elles  entassent  miette  à  miette  sur 
la  rive  des  dunes  de  sable,  qu'elles  repoussent 
constamment  vers  l'intérieur  si  on  ne  les  arrête 
par  des  plantations,  tantôt  elles  déposent  des  cor- 
doiis  littoraux  qui  isolent  peu  à  peu  de  la  pleine 
mer  des  lagunes  et  des  étangs. 

Arrêtant  le  courant  des  fleuves,  les  eaux  de  la 
mer  les  forcent  à  déposer  à  leur  embouchure  une 
barre  qui,  dans  les  mers  sans  marée,  obstrue  bientôt 
leur  cours  et  les  force  à  s'ouvrir  une  nouvelle 
route.  Là  au  contraire  où  la  marée  se  fait  sentir, 
le  mouvement  du  flux  et  du  reflux  balayant  sans 
cesse  lo  chenal  maintient  l'ouverture.  C'est  pour 
cela  que  les  grands  fleuves  qui  débouchent  dans 
des  mers  fermées  ne  peuvent  recevoir  les  grands 
navires.  Les  porls  sont  obligés  de  se  créer  dans  le 
voisinage  :  Alexandrie,  à  l'ouest  des  bouches  du 
Nil,  Marseille,  à  l'est  du  Rhône.  Venise  n'est  pas 
sur  le  Pô,  ni  Barcelone,  sur  l'Ebre.  Dans  les  mers 
à  marée,  au  contraire,  presque  tous  les  grands 
fleuves  ont  leur  port  de  mer  :  Hambourg  sur  l'Elbe, 
Londres  sur  la  Tamise,  Anvers,  sur  l'Escaut,  le 
Havre  et  Rouen,  sur  la  Seine,  Bordeaux,  sur  la 
Gironde,  etc. 

Ces  fleuves,  cependant,  ne  sont  pas  immuables; 
l'embouchure  de  la  Gironde,  celle  de  la  Seine  se 
sont  bien  des  fois  modifiées  depuis  les  temps  his- 
toriques. Sur  la  Seine,  le  port  d'embouchure  est 
descendu  successivement  de  Lillcbonne  à  Harfleur, 
puis  au  Havre.  L'Adour  a  déplacé  son  embouchure 
de  plusieurs  kilomètres. 

Diverses  parties  de  l'Océan.  Océan  Atlantique. 
—  La  partie  de  l'Océan,  qui  baigne  les  côtes  occi- 
dentales de  la  France  et  de  l'Europe,  porte  le  nom 
à'Océan  Atlantique.  Il  a  environ  4  000  kilomètres 
de  largeur  entre  notre  p.iys  et  les  rivages  les  plus 
rapprochés  de  l'Amérique,  qui  leur  font  face  à  la 
même  latitude.  Mais  entre  la  côte  du  Brésil  et 
celle  de  Guinée,  la  largeur  de  l'océan  Atlantique 
se  réduit  aux  trois  quarts  environ  de  cette  distance. 

L'océan  Atlantique  projette,  à  l'est,  entre  les 
côtes  d'Europe  et  celles  d'Afrique,  la  Méditer- 
ranée et  ses  dépendances  avec  lesquelles  il  com- 
munique par  le  détroit  de  Gibraltar.  Plus  au  nord, 
il  projette  la  Manche,  qui,  par  le  Pas-de-Calais, 
conduit  dans  la  mer  du  Nord;  le  canal  Saint- 
Georges  et  le  canal  du  Nord,  qui,  avec  la  mer 
d'Irlande,  séparent  cette  même  île  de  la  Grande- 
Bretagne.  Enfin  entrel'Écosse  etla  Norvège  s'ouvre 
la  mer  du  Nord,  qui  communique  avec  la  Baltique 
par  les  détroits  danois. 

A  l'ouest,  du  côté  de  l'Amérique,  l'océan  Atlan- 
tique projette  la  merdes  Antilles  entre  l'Amérique 
méridionale  et  la  chaîne  des  Antilles,  et  le  golfe 
du  Mexique,  où  conduit  le  canal  de  Baliama,  entre 
la  Floride  et  (;uba. 

Au  sud,  l'océan  Atlantique  s'otivre  largement 
sur  lo  Grand  océan  Austral  ou  Antarctique  ^ntre 
le  cap  de  Bonne-Espérance  et  le  cap  Horn. 


Au  nord  enfin,  i!  communique  avec  Vocéan  Bo- 
réal ou  Arctique  par  la  large  mer  qui  sépare  la 
Norvège  du  Groenland,  et  où  s'élèvent  l'Islande  et 
les  îles  Féroë. 

Entre  le  Groenland  et  le  Labrador,  le  détroit  de 
Davis  ouvre  une  nouvelle  série  de  communications 
de  l'Atlantique  avec  la  mer  Polaire,  Au  Nord,  le 
détroit  de  Davis  se  continue  par  la  mer  de  BafSn, 
les  canaux  de  Smith,  de  Kennedy  et  de  Robeson» 
qui  aboutissent  à  la  mer  paléocrystique  de  Nares, 
où  l'homme  a  approché  le  plus  du  pôle  nord,  sans  y 
trouver  de  mer  libre  de  glaces.  A  l'ouest  du  détroit 
de  Davis,  le  détroit  d'Hudson  conduit  à  la  vaste 
baie  du  même  nom,  qui  creuse  profondément  le 
territoire  du  Dominion  de  Canada.  A  l'ouest  de  la 
mer  de  Bafftn,  le  détroit  de  Lancaster,  continué 
par  celui  de  Barrow,  forme  l'entrée  au  passage  du 
N.-O.,  c'est-à-dire  d\i  passag3  conduisant  de  l'At- 
lantique dans  le  Pacifique  par  le  nord  ducontinent 
américain.  Ce  passage  a  été  découvert  par  Mac 
Clure,  il  y  a  un  quart  de  siècle. 

Ce  n'est  que  depuis  un  an  qu'on  a,  non  pas  dé- 
couvert, mais  elTectuépourla  première  fois  complè- 
tement le/)«ss«3ef/i(  iV.-£. ,  en  allant  de  l'Atlantique 
dans  le  Pacifique  par  le  nord  de  l'Europe  et  de 
l'Asie. 

Océan  Pacifique.  —  Qu'on  arrive  d'un  côté  ou 
de  l'autre,  de  l'est  ou  de  l'ouest,  on  passe  de 
Vocéan  4  relique  dans  le  grand  océan  Pacifique 
par  le  détroit  de  Bering,  qui  n'a  que  92  kilomètres 
de  large  entre  l'Asie  et  r.\mérique. 

Entre  ce  détroit,  la  presqu'île  asiatique  du  Kam- 
tchatka et  la  chaîne  des  Aléoutiennes,  la  mer 
porte  le  nom  de  mer  de  Bering,  comme  le  détroit, 
puis  elle  s'élargit  rapidement  jusqu'à  15000  kilo- 
mètres de  largeur  sur  l'équateur  entre  l'Amérique 
centrale  et  la  Nouvelle-Guinée  .  C'est  le  crand 
océan  Pacifique  A  l'est,  du  côté  de  l'Amérique,  il 
ne  projette  qu'un  seul  golfe  important,  celui  de 
Californie.  A  l'ouest,  au  contraire,  du  côté  de  l'Asie, 
il  forme  une  série  de  mers  secondaires,  dont  le  sé- 
parent des  chaînes  d'archipels.  A  l'ouest  des  Kou- 
riles, c'est  la  mer  d'Ockotsk;  à  l'ouest  du  Japon, 
la  mer  du  Japon  ;  entre  le  Japon  et  la  Chine,  la 
mer  Jaune  ;  à  l'ouest  des  Philippines  et  de  Bornéo, 
la  mer  de  la  Chine. 

Les  Philippines  commencent  la  série  des  archi- 
pels qui  séparent  le  Pacifique  de  ['océan  Indien. 
Le  détroit  de  Macassar,  entre  Bornéo  et  Célèbes, 
celui  des  Moluques,  entre  Célèbns  et  Gilolo,  et 
celui  de  Torrès,  entre  la  Nouvelle-Guinée  et  l'Aus- 
ralie,  conduisent  du  Pacifique  dans  les  mers  inté- 
rieures qui  baignent  ces  archipels.  On  en  ressort, 
à  l'ouest,  sur  la  mer  des  Indes,  par  le  détroit  de 
Malacca,  entre  la  pointe  méridionale  de  l'Asie  et 
l'île  de  Sumatra,  et  par  le  détroit  de  la  Sonde,  entre 
Sumatra  et  Java. 

De  tous  les  canaux  qui  séparent  ensuite  les 
îles  de  la  Sonde  entre  elles,  le  plus  important 
est  celui  de  Lomboc,  entre  les  îles  de  Bail  et 
de  Lomboc.  A  l'ouest  de  ce  détroit,  Sumatra, 
Java,  Bornéo,  les  Philippines  appartiennent,  par 
leur  flore' et  leur  faune,  au  monde  asiatique.  A 
l'est,  au  contraire,  l'Australie  et  les  îles  voisines 
forment  un  monde  à  part.  Et  les  sondages  faits  à 
leur  pourtour  indiquent  l'existence  de  deux  pla- 
teaux sous-marins  distincts  qui  servent  chacun  de 
socle  à  ces  deux  groupes  d'archipels. 

Au  sud  de  l'océan  Pacifique,  l'archipel  de  la  Nou- 
velle-Zélande forme  aussi  un  monde  distinct  qui 
s'élève  seul  entre  le  Pacifique  et  le  grand  océan 
Antarctique. 

Océan  Antarctique.  —  C'est  sur  ce  grand  océan 
Antarctique  que  s'ouvrent  tous  les  autres  grands 
océans  Pacifique,  Indien,  Allaniiqne.  C'est  là  que 
se  trouve  la  plus  grande  étendue  d'eau,  que 
naissent  les  grandes  lames  de  marée,  quesetrouvfr 
aussi   la  plus  vaste  région  inconnue  à  l'homme. 


ODORAT 


—  143o  — 


ODORAT 


Ross  no  s'est  avancé  de  ce  côté  que  jusqu'au  78" 
de  latitude,  tandis  que  Nares,  au  nord,  a  dépasse 
le  S:i".  La  terre  la  plus  inéridionalo,  située  sous  le 
méridien  de  la  Nouvelle-Zélande,  s'appelle  terre 
Victoria.  lA  se  dressent  dos  montagnes  volcaniques 
hautes  comme  nos  Alpes.  En  suivant  le  cercle  po- 
laire de  l'est  i  l'ouest,  on  rencontre  successivement 
la  terre  de  Vilkes  au  sud  de  l'Australie,  celles  de 
Kcnip  et  d'Knderby  au  sud  de  l'océan  Indien, 
celles  de  Graliam  et  d'Alexandra,  vis-îi  vis  l'Amé- 
rique. 

Ocëan  Indien.  —  L'océan  Indien,  qui  baigne  les 
côtes  méridionales  de  l'Asie  et  orientales  do 
l'Afrique,  ne  mélangeait  ses  eaux  h  celles  de  l'At- 
lantique qu'au  sud  du  cap  de  Bonne-Espérance, 
avant  le  percement  du  canal  de  Suez,  qui  ouvre  une 
communication  directe  entre  la  mer  Rouge,  dépen- 
dance de  la  mer  des  Indes,  et  la  Méditerranée, 
dépendance  de  l'Atlantique.  Le  détroit  de  Bab-el- 
Mandeb,  le  canal  de  Suez,  le  détroit  de  Gibraltar 
forment  trois  portes  successives  il  franchir  dans  ce 
voyage.  Les  Anglais  y  oni  occupé  Aden,  Chypre  et 
Gibraltar  sans  compter  Malte,  qui  sépare  la  Médi- 
terranée en  deux  bassins  distincts. 

Océan  Arctii/i/e.  —  Nous  avons  dit  par  où  cette 
mer  communique  avec  les  antres  océans.  Mais 
pas  plus  que  pour  l'océan  Antarctique,  on  ne  con- 
naît ses  limites.  Où  finit  le  Groenland,  qui  sépare 
l'Atlaiilique  de  la  mer  de  BafHn  '?  Jusqu'où  s'éten- 
dent les  terres  qu'on  a  vues  au  nord  du  passage 
nord-ouest  et  à  l'ouest  du  canal  Robeson?  Au  nord 
de  l'Europe  on  connaît  trois  archipels  :  le  Spitz- 
berg,  la  terre  François-Joseph  et  la  Nnuvelle- 
Zemble.  Au  nord  de  l'Asie,  on  ne  connaît  que 
l'archipel  de  la  Nouvelle-Sibérie  et  la  terre  de 
Vrangel,  non  loin  du  détroit  de  Bering. 

[G.  Meissas.] 

ODORAT.— Zoologie,  XXXVIII.— Hygiène,  XIV. 
—  Les  substances  susceptibles  de  se  volatiliser 
se  répandent  dans  l'air  et  nous  avons  conscience 
de  leur  présence  par  le  sens  de  l'odorat,  mis  en 
jeu  par  \'olfaili"n. 

Pour  exciter  le  sens  de  l'odorat,  il  faut  que  les 
particules  odorantes  ou  effluves  contenues  dans 
l'air  se  dissolvent  dans  l'humeur  dont  la  membrane 
intérieure  du  nez  est  enduite.  Si  les  narines  sont 
desséchées,  comme  pendant  la  période  inflamma- 
toire du  coryzn  (rhume  de  cerveau),  la  perception 
des  odeurs  est  impossible. 

Des  nerfs  spéciaux  recueillent  l'Impression  ol- 
factive et  la  transmettent  au  cerveau  qui  perçoit 
une  sensation.  Le  volume  de  ces  nerfs  est  très 
variable  et  proportionné,  le'  plus  souvent,  au  dé- 
veloppement de  l'odorat. 

Chez  certains  animaux,  ce  sens  est  la  source 
d'indications  compIii|uées  et  très  précises  sur  la 
nature  et  les  propriétés  des  aliments,  des  bois- 
sons, etc.  Souvent  le  flair  les  renseigne  mieux 
que  la  vue.  Chez  l'Iiomme  et  le  singe,  l'appareil 
nerveux  de  l'odorat  est  peu  développé;  il  l'est 
moius  encore,  d'ordinaire,  chez  les  cétacés  et  les 
oiseaux. 

^  La  partie  extérieure  et  saillante  de  l'organe  de 
l'olfaction,  appelée  le  nez,  constitue  une  cavit^i 
limitée  par  des  os  de  la  face  et  partagée  par  une 
cloison  en  deux  chambres  ou  fosses  nasales  dont 
l'orilico  externe  s'appelle  narines.  Les  fosses  na- 
sales, dont  la  surface  se  trouve  augmentée  par  des 
saillies  osseuses,  est  tapissée  par  une  muqueuse 
nommée  membrane  piluitaire  à  cause  de  l'humeur 
jadis  nommée  pitnife  qui  la  lubrélie. 

Les  nerfs  fournis  par  l'appareil  olfactif  pénètrent 
dans  le  nez  par  un  grand  nombre  de  petits  trous 
percés  dans  la  lame  criblée  de  l'os  ethmoîde; 
mais  ces  nerfs  bouchent  parfaitement  les  trous,  do 
sorte  qu'il  n'existe  aucune  communication  entre 
le  nez  et  le  cerveau. 

Les  narines  communiquent,  h  la  partie  posté- 


rieure, avec  l'arrière  bouche  et  quand  celle-ci  est 
fermée,  fournissent  l'air  directement  h  la  trachée- 
arière.  Cependant  cette  disposition  varie  chez  les 
animaux  inférieurs. 

Chez  1  homnie  et  chez  beaucoup  d'animaux  les 
cavités  olfactives  sont  en  rapport  avec  dos  exca- 
vations formées  dans  les  os  avoisinants.  Ces  exca- 


A 


Fig.  i.  —  Organe  de  l'oJoral. 

—  ô  et  6',  sinus;  —  c,  lobe  olfactif  fournis- 
sant les  nerfs  de  l'odorat  qui  se  répamlent  sut-  la  nncmbrane 
pituitaire;  —  d,  rameau  nasal  de  tt  cinquième  paire  de 
nerfs;  —  e.  autre  filet  de  la  cinquième  paire  ;  —  /",  orifice 
de  la  trompe  d'Eustacbe. 

vations  sont  parfois  considérables  et  embrassent 
la  plus  grande  partie  du  crâne;  elles  servent  sans 
doute  à  emmagasiner  les  émanations  odorantes. 

Le  nez  varie  beaucoup  de  forme  et  reçoit  un 
nom  spécial  selon  la  disposition  en  trompe,  muffle 
ou  boutoir.  Quelques  chauves-souris  ont  le   nez 


fig.  2.  —  Tèle  ilu  FliïHiisluiiie  vampire. 

entouré  d'une  feuille  nasale,  destinée  à  recueillir 
et  concentrer  les  effluves.  -i 

L'odorat  est  faible  chez  les  reptiles,  presque 
nul  chez  les  oiseaux.  Les  poissons  perçoivent  les 
odeurs  par  deux  appareils  qui  ne  communiquent 
pas  avec  la  bouche  et  qui  sont  revèius  de  nom- 
breuses lamelles  richement  pourvues  de  ni'rfs. 

Les  insectes  reconnaissent  les  odeurs  au  moyen 


ODORAT 


—  l-'iUC.  — 


OISEAUX 


des  antennes.  Cliez  quolques-uns  le  sens  de  l'o- 
dorat très  développé  les  guide  vers  la  nourriture 
convenable  et  vers  les  individus-dc  la  même  es- 
pèce. 

On  peut  considérer  r"dc?at  comme  complé- 
mentaire du  goût.  Si  l'on  comprime  fortement  les 
narines  extérieures,  on  avale  sans  en  distinguer 
la  saveur  les  substances  les  plus  répugnantes.  Les 
maladies  du  nez,  l'habitude  de  priser  du  tabac  ou 
du  camphre  émoussent  le  sens  du  goût.  Celui-ci 
est  ordinairement  prévenu  en  faveur  des  sub- 
stances dont  l'odeur  e?t  agréable,  mais  l'habitude 
suffit  pour  en  faire  aimer  d'autres  qui  paraissent 
d'abord  repoussantes.  Les  animaux  sont  d'ailleurs 
mieux  servis  que  l'homme  par  t'instinrt  nuirilif 
auquel  l'odorat  sert  de  guide.  Cependant  môme 
chez  l'homme  les  perceptions  olfactives  acquièrent, 
par  l'habitude,  une  délicatesse  remarquable.  Mais 
l'habitude  des  odeurs  fortes  suffit  également  pour 
émousser  la  sensation  qu'elles  produisent  jusqu'à 
y  rendre  absolument  insensible;  c'est  ce  qui  ar- 
rive aux  ouvriers  d'un  grand  nombre  de  profes- 
sions. 

Les  odeurs  exercent  une  romarqualde  influence 
sur  le  système  nerveux.  Quelquefois  la  médecine 
utilise  leur  action  irrilante  pour  provoquer  une 
sécrétion  abondante  de  mucus  et  de  larmes.  Quel- 
ques odeurs  produisent  nne  excitation  spéciale 
des  sens  et  de  l'intelligence,  accompagnée  de  sen- 
sations agréables  ;  d'autres  dites  i-irei/ses,  comme 
celles  de  la  jusquiame,  du  pavot,  du  stramonium, 


Anleones  de  l'abeille. 


engourdissent  l'intelligence  et  les  sensations, 
amènent  la  somnolence  et  la  céphalalgie  (mal  de 
tête). 

Les  odeurs  les  plus  agréables  peuvent  d'ail- 
leurs provoqurT  des  accidents  lorsqu'elles  s'accu- 
mulent dans  une  atmosphère  non  renouvelée; 
elles  occasionnent  du  malaise,  des  maux  de  tête, 
des  nausées,  des  vomissements,  parfois  même  la 
syncope  et  l'asphyxie. 

Les  femmes  nerveuses  sont  spécialement  im- 
pressionnées par  les  odeurs.  On  en  voit  tomber 
en  syncope  à  la  seule  vue  d'une  fleur  odorante; 
certains  parfums  leur  causent  des  attaques  de 
nerfs.  L'imagination  est  pour  beaucoup  dans  ces 
efleis  maladifs.  On  rapporte  qu'une  dame  qui  ne 
pouvait,  disait-elle,  souflrir  l'odeur  de  la  rose,  se 
trouva  mal  en  recevant  la  visite  d'une  de  ses 
amies  qui  en  portait  une  à  la  ceinture,  et  cepen- 
dant cette  fleur  néfaste  était  artificielle.  H  y  a 
d'ailleurs,  sous  ce  rapport,  u  bon  nombre  d'hom- 
mes qui  sont  femmes»,  et  nous  avons  connu  un  gé- 
néral qui  entrait  en  fureur  à  la  vue  d'un  ananas. 

Il  ne  faut  pas  confondre  l'influence  de  l'impres- 
sion olfactive  avec  les  accidents  d'asphyxie  ou 
d'empoi.sonnement  causés  par  des  substances 
odorantes.  Celles-ci  peuvent,  en  efl'et,  vicier  l'air 
et  le  rendre  irrespirable,  ou  bien  y  répandre  un 
principe  vénéneux  dont  l'absorption  produit  des 
troubles  plus  ou  moins  graves,  et  parfois  mortels. 

Ces  indications  sommaires  suffisent  pour  indi- 
quer l'hygiène  de  l'odorat. 

On  maintiendra  dans  son  intégrité  l'appareil 
olfactif  en  évitant,  autant  que  possible,  les  refroi- 


dissements, causes  d'angines  et  de  coryzas  ;  en 
s'abstenant  de  priser  des  substances  irritantes  ou 
odorantes  ;  en  n'usant  de  parfums  que  d'une  façon 
intermittente  et  avec  beaucoup  de  modération. 

Les  enfants  s'introduisent  souvent  dans  les  nari- 
nes des  corps  durs  susceptibles  d'y  provoquer  une 
inflammation  ;  il  faut  les  surveiller  à  ce  sujet  et  re- 
tirer sans  retard  les  corps  étrangers.  Pour  cela,  il 
suffit,  le  plus  souvent  d'introduire  quelques  gouttes 
d'huile  dans  la  narine  en  penchant  fortement  la 
tête  en  arrière,  puis  de  provoquer  une  sorte  d'é- 
ternuement  artificiel  en  tenant  la  bouche  fermée. 
[D'  Safl'ray.] 

OEIL.  —  V.  Vue. 

OlSi; AUX.  -  Zoologie,  XIV-XVIIL  —  Les  Oi- 
seaux constituent  parmi  les  animaux  vertébrésune 
subdivision,  une  classe  des  plus  naturelles  et  des 
mieux  délimitées.  Il  suffit  en  efl'et.  pour  caracté- 
riser les  Oiseaux,  de  dire  que  ce  sont  des  vertébrés 
ovipares,  dont  la  circulation  est  double  et  com- 
plète, qui  ont  le  sang  chaud,  la  peau  garnie  de 
plumes,  et  les  membres  antérieurs  transformés  en 
ailes.  Les  oiseaux  en  effet  pondent  des  œufs  qui 
sont  presque  toujours  couvés  soit  par  la  mère 
seule,  soit  alternativement  par  les  deux  parents, 
ou  qui,  plus  rarement,  sont  soumis  à  l'action  des 
rayons  solaires.  De  ces  œufs  sortent,  au  bout 
d'un  temps  qui  varie  suivant  les  espèces,  des  pe- 
tits, d'abord  couverts  de  duvet,  et  souvent  incapa- 
bles de  pourvoir  à  leur  nourriture.  Ces  petits  sont 
généralement  l'objet  des  soins  les  plus  touchants 
de  la  part  de  leur  père  et  de  leur  mère;  ils  gran- 
dissent peu  à  peu,  ils  sont  capables  de  sortir  du 
nid,  et  de  voltiger  aux  alentours,  et  ils  se  revêtent 
de  plumes  normales,  bref,  au  bout  de  quelques 
mois,  ou  quelquefois  seulement  au  bout  d'un  an, 
ils  ressemblent  à  leurs  parents  et  présentent  tous 
les  caractères  distinctils  de  leur  espèce. 

Tous  les  oiseaux  ont  le  torps,  ou  du  moins  la 
plus  grande  partie  du  corps  abritée  par  des  plu- 
mes, c'est-à-dire  par  des  productions  analogues 
aux  poils  des  mammifères,  mais  d'une  structure 
beaucoup  plus  compliquée.  Dans  une  plume  on 
distingue  en  effet  un  tube  corné,  ouvert  inférieu- 
rement  et  surmonté  d'une  tige,  puis  des  barbes 
qui  s'insèrent  le  long  de  celte  tige  et  qui  sont  par- 
fois elles-mêmes  munies  de  barbules.  La  plume 
naît  dans  une  sorte  de  capsule,  ayant  un  bulbe 
central,  elle  grandit,  se  montre  à  nu  et  épanouit 
latéralement  ses  barbes  qui  étaient  d'abord  enrou- 
lées ;  enfin  au  bout  d'un  certain  temps,  elle  se 
fane,  elle  tombe,  pour  faire  place  à  une  plume 
nouvelle.  Ce  phénomène  de  la  mue  a  lieu  à  des 
époques  variables,  une  ou  deux  fois  par  an,  mais 
n'affecte  pas  toujours  la  totalité  des  plumes;  il 
est  accompagné  d'une  sorte  de  malaise  général 
qui  détermine  souvent  chez  l'oiseau  la  suppression 
de  la  voix  pendant  un  sertain  temps. 

Les  plumes  varient  beaucoup  sous  le  rapport  de 
la  forme  et  de  la  couleur.  Quelquefois  elles  sont 
réduites,  comme  dans  l'aile  des  Casoar^,  à  une  tige 
rigide,  à  une  sorte  de  piquant,  d'auires  fois  elles 
ont  des  barbules  flexibles  qui  no  s'accrochent  pas 
les  unes  aux  autres,  d'autres  fois  encore  elles  for- 
ment une  lame  dont  toutes  les  parties  adhèrent 
solidement.  Il  y  a  des  plumes  d'un  blanc  pur  ou 
d'un  noir  uniforme,  des  plumes  teintes  en  rouge, 
en  bleu,  en  vert,  en  jaune  vif,  des  plumes  aux 
reflets  métalliques  ou  irisés.  Celles  qui  forment 
le  bout  des  ailes  et  la  queue  acquièrent  en  général 
plus  de  longueur  et  de  résistance  que  les  autres, 
et  servent  à  la  locomotion  ;  elles  sont  plus  spéciale- 
ment désignées  sous  le  nom  de  pemifs,  par  oppo- 
sition aux  plumes  onlinaires  qui  revêtent  le  reste 
du  corps. 

Dans  leur  charpente  osseuse  les  oiseaux  diffè- 
rent notablement  des  mammifères,  mais  la  plu- 
part des  modifications  qu'ils  présentent  à  cet  égard 


OISIÎAUX 


li37 


OISEAUX 


résultent  de  la  (raiisformatioii  des  membres  anté- 
rieurs en  organes  de  locomotion  aérienne.  Le 
sternum,  co  grand  bouclier  osseux  qui  cloisonne 
en  avant  la  cavité  ilioracique,  acquiert  en  efl'et, 
chez  les  oiseaux,  un  développement  exceptionnel, 
et  est  presque  toujours  (sauf  chez  les  Oiseaux 
t'.oureurs)  pourvu  d'une  arête  plus  ou  moins  sail- 
lante, d'un  /iréclicl,  do  cliaque  côté  duquel  pren- 
nent leur  insertion  les  muscles  moteurs  du  bras. 
Sur  le  bord  supérieur  de  ce  bouclier  s'appuient 
en  général,  deux  arcs  boutants  qu'on  appelle  les 
o.s'  cariicoïùiens  parce  qu'ils  correspondent  à  l'a- 
pophyse coracoïdo  des  mammifères.  Ces  os  s'ar- 
ticulent supérieurement  avec  l'omoplate,  avec 
l'humérus  et  avec  la  clavicule.  Celle-ci  constitue, 
avec  l'os  correspondant  du  côté  opposé,  une  sorte 
d'arc,  légèrement  élastique,  qu'on  nomme  la  four- 
rhelte,  et  qui  a  pour  but  de  maintenir  l'iScartement 
des  épaules  pendant  ces  mouvements  nécessités 
par  le  vol.  Cet  arc,  plus  ou  moins  développé  et  plus 
ou  moins  évasé,  vient  parfois  rejoindre  le  sternum, 
mais  d'autres  fois  en  reste  indépeiularit  L'humérus 
ainsi  que  le  radius  et  le  cubitus,  qui  lui  font  suite, 
ne  présentent  chez  les  oiseaux  rien  de  particulier, 
si  ce  n'est  qu'ils  peuvent  recevoir  dans  leur  inté- 
rieur une  certaine  quantité  d'air,  mais  la  tnain 
est  pour  ainsi  dire  méconnaissable  :  le  carpe 
est  très  réduit,  et  le  métacarpe  consiste  en  deux 
os,  réunis  par  leurs  extrémités  seulement,  et  por- 
tant, sur  le  coté,  un  pouce  rudimentaire,  et  à 
l'extrémité  un  doigt  médius  à  deux  phalanges  et 
un  petit  doigt  à  une  seule  phalange.  C'est  sur 
cette  main,  profondément  modifiée,  que  prennent 
leur  insertion  les  plus  longues  peimes,  celles 
qu'on  appelle  les  rémiyes,  tandis  que  d'autres 
pennes  moins  longues,  et  nommées  pennes  secon- 
daires, viecment  s'attacher  sur  le  bras  et  l'avant- 
bras.  Les  proportions  de  ces  pennes  influent  na- 
turellement sur  la  forme  de  l'aile  et  par  suite  sur 
la  puissance  du  vol.  Ainsi  chez  les  Autruches,  les 
Nandous,  les  Casoars  et  les  Aptéryx,  qui  peuvent 
courir  sur  le  sol,  mais  qui  sont  privés  de  la  faculté 
de  s'élever  dans  les  airs,  et  chez  les  Pingouins,  qui 
se  servent  de  leurs  membres  antérieurs  pour 
nager,  les  rémiges  sont  atrophiées,  tandis  qu'elles 
acquièrent  au  développement  inusité  chez  les 
Frégates,  oiseaux  de  mer  qui  se  meuvent  dans 
l'espace  avec  une  rapidité  extraordinaire. 

Les  oiseaux,  par  suite  de  la  transformation  de 
leurs  membres  antérieurs,  ne  reposent  sur  le  sol 
que  par  leurs  membres  postérieurs,  ce  sont  des 
animaux  bipèdes;  ils  ont  besoin  conséquemment 
d'avoir  le  bassin  solidement  soudé  àla colonne  ver- 
tébrale. Chez  eux  les  os  des'hanclies,  les  os  ilia- 
ques, se  réunissent  avec  les  vertèbres  sacrées  et 
lombaires  pour  constituer  un  os  uni  ne,  mais 
d'ordinaire  les  os  pubis  ne  se  rejoignent  pas  an- 
térieurement, de  sorte  que  la  ceinture  osseuse 
reste  ouverte.  La  tète  du  fémur  ou  de  l'os  de  la 
cuisse  est  rfçue  dans  une  cavité  placée  tantôt 
vers  le  milieu  de  la  longueur  du  bassin,  tantôt 
plus  en  avant  ou  plus  en  arrière,  et  de  ces  diffé- 
rences de  position  résultent  des  différences  dans 
la  station  de  l'oiseau;  d'autre  part  le  fémur  s'ar- 
ticule avec  un  tibia  plus  ou  moiiis  allongé,  sur  le 
côté  duiiuel  est  placé  un  péioné,  ordinairement 
très  grêle;  au  bout  du  tibia  vient  se  placer  un  os 
résultant  de  la  fusion  de  trois  baguettes,  de  trois 
métacarpiens,  qui  correspondent  à  trois  doigts 
antérieurs,  et  présentant  en  arrière  un  autre  petit 
métacarpien  auquel  s'attache  le  pouie  ou  doigt 
postérieur.  L'os  unique  formé  par  la  fusion  des 
métacarpiens  porte  le  nom  de  inrsf  ou  de  taiso- 
mélalunien  ;  \\  représente  le  canon  du  cheval,  et 
c'est  biim  à  tort  qu'on  le  considère  comme  la 
jatiibe.  c'est  en  réalité  le  pied  de  l'oiseau,  l't  ce 
qu'on  nomme  le  gemm  n'est  autre  rhnso  que  le 
talon.  Dans  certains  cas  le  doigt  postérieur  et  par- 


fois môme  l'un  des  doigts  antérieurs  peuvent  man- 
quer; c'est  ce  qui  arrive  par  exemple  chez  l'Au- 
truche d'Afrique.  La  portion  du  membre  anté- 
rieure correspondant  à  la  jambe  est  en  partie  ca- 
chée sous  les  téguments,  et  des  plumes  retombent 
ordinairement  sur  le  talon  et  môme  sur  le  haut 
du  canon;  dans  sa  portion  inférieure  le  tarso-mé- 
tatarsien  est  ordinairement  dégarni  déplumes,  et 
couvert  de  sortes  d'écaiUos  ou  de  petites  plaques 
accolées;  il  en  est  de  même  des  doigts  qui  ont 
plusieurs  phalanges  et  qui  se  terminent  par  des 
ongles  tantôt  presque  droits,  tantôt  recourbés  en 
forme  de  griffes.  Chez  les  oiseaux  aquatiques, 
chez  les  Pulmipèdes  ',  les  doigts  antérieurs  et 
parfois  niêtne  le  doigt  postérieur  sont  unis  par 
des  membranes  qui  transforment  le  pied  en  une 
véritable  rame. 

Les  côtes  sont  rattachées  au  sternum,  non  plus 
par  de  simples  cartilages,  comme  chez  les  mam- 
mifères, mais  par  des  arcs  osseux,  et  chacune 
d'elles  offre  un  prolongement,  une  apophyse  qui 
vient  s'appuyer  sur  la  côte  suivante.  Les  vertèbres 
de  la  région  dorsale  sont  généralement  soudées  et 
immobiles,  afin  de  donner  plus  de  solidité  à  la 
cage  thoraciq ne,  tandis  que  les  vertèbres  cervicales 
peuvent  jouer  l'une  sur  1  autre  et  permettent  au 
cou  de  s'allonger  ou  de  se  raccourcir  en  se  ployant 
en  S.  Cette  disposition  est  particulièrement  frap- 
pante chez  les  Hérons,  chez  les  Cygnes,  chez  les 
Cormorans,  etc.  La  tôte  est  relativement  petite  ; 
dans  les  premiers  temps  de  la  vie  sa  portion  crâ- 
nienne présente  comme  chez  les  mammifères  deux 
frontaux,  deux  pariétaux,  un  occipital,  deux  tem- 
poraux, un  sphénoïde  et  un  ethmoide  distincts, 
mais  tous  ces  os  se  soudent  de  très  bonne  heure. 
La  face  est  formée  en  majeure  partie  par  les  mâ- 
choires, dont  l'une,  la  mâchoire  supérieure,  est 
unie  au  front,  mais  conserve  presque  toujours  une 
certaine  mobilité,  tandis  que  l'autre,  la  mâchoire 
inférieure,  est  suspendue  au  crâne  par  l'intermé- 
diaire de  l'os  tym  unique  ou  as  citrri.  Entin  la 
tète  peut  exécuter  des  mouvements  plus  étendus 
que  chez  les  mammifères,  car  elle  repose  sur  la 
colonne  vertébrale  par  un  seul  pivot,  par  un  seul 
condyle. 

Les  deux  mâchoires  ou,  comme  on  dit  plus 
généralement,  les  deux  mandibules,  sont  recou- 
vertes d'étuis  cornés  dont  l'ensemble  constitue  le 
bec.  Ces  étuis,  moulés  pour  ainsi  dire  sur  les  os 
sous-jacents,  suivent  tous  les  changements  de 
forme  des  mandibules,  ils  s'allongent  de  manière 
h  constituer  une  pince  eflilée  chez  les  Oiseaux- 
Mouches,  ils  s'élargissent  démesurément  chez  les 
Engoulevents,  ils  s'aplatissent  chez  les  Spatules, 
et  se  raccourcissent  au  contraire  chez  les  Rapaces 
et  chez  les  Granivores.  Leur  bord  est  parfois  garni 
de  lamelles,  comme  chez  les  Canards,  ou  plus  sou- 
vent taillé  en  biseau  tranchant,  ou  bien  encore 
dentelé,  comme  cliez  les  Faucons,  les  Pies-griè- 
ches,  etc.,  mais  ne  sert  jamais  i  la  mastication, 
et  ne  remplace  dans  aucun  cas  les  dents  des 
mammifères.  Le  bec  est  essentiéllomHnt  un  or- 
gane de  préhension,  et  quelquefois  la  langue  con- 
court au  même  but,  pouvant  être  projetée  au  de- 
hors, grâce  aune  disposi  lion  particulière  de  l'os  hyoï- 
de.C'est  ainsi  que  chez  les  Pics  la  langue,  engluée 
d'une  salive  visqueuse,  va  saisir  à  une  certaine 
distance,  dans  les  fentes  de  l'écorce,  les  menus 
insectes  dont  ces  oiseaux  font  leur  nourriture. 
Chez  les  Perroquets  la  langue  est  épaisse  et 
charnue,  et  chez  les  Oiseaux  de  proie  elle  est 
encore  assez  molle,  mais  dans  l'inmiense  majorité 
des  passereaux  elle  est  sèche,  triangulaire  et  ar- 
mée de  crochets  et  de  dentelures;  elle  ne  peut 
guère,  par  conséquent,  être  employée  comme  or- 
gane de  gustation.  Au-dessons  d'elle  sont  placées 
\i:s  glandes  salivaires,  qui  sécrètent  une  liumeur 
épaisse  et  gluante. 


OISEAUX 


1438  — 


OISEAUX 


L'arricre-bouclie,  confondue  en  avant  avec  la 
bouche,  se  continue  en  arrière  par  l'oesophage; 
celui-ci  se  dilate  en  une  première  poche  digestive, 
nommée  jatiot.  Dans  cette  poche,  qui  nian(|ue  chez 
les  espèces  piscivores,  les  cléments  séjournent 
pendant  un  certain  temps,  puis  ils  passent  dans 
le  veiihicule  nicceiduriê^  véritable  estomac  dont 
les  parois  renferment  un  grand  nombre  de  petites 
glandes  sécrétant  du  suc  gastrique  ;  enfin,  après 
avoir  subi  certaines  inodiflcations,  ils  tombent 
dans  le  f/i'si'-r,  poche  généralement  assez  vaste, 
et  dont  les  parois  sont  tantôt  membraneuses,  tantôt 
épaisses  et  musculaires.  (Je  dernier  mode  de 
structure  peut  être  observé  chez  les  oiseaux  gra- 
nivores qui  ont  besoin  de  triturer  des  graines  ré- 
sistantes, le  premier  au  contraire  se  rencontre 
chez  les  oiseaux  insectivores  ou  carnivores.  L'in- 
testin, moins  long  que  chez  les  mammifères,  se 
subdivise  également  en  deux  portions  distinctes, 
l'intestin  grêle  et  le  gros  iniesiin,  et  le  point  de 
jonction  de  ces  deux  portions  est  indique  par  l'in- 
'section  de  deux  tubes  aveugles,  de  deux  cœca. 
Enfin  le  gros  intestin  débouche  dans  un  vestibule, 
dans  un  cloaque,  à  côté  de  l'oviducte  et  des  ca- 
naux urinaires.  Le  foie  est  très  volumineux  chez 
les  oiseaux,  et  verse  ses  produits,  soit  directe- 
ment dans  l'intestin,  soit  dans  un  réservoir  biliaire, 
dans  une  vésicule  du  fiel.  Le  pajicréas  est  assez 
développé,  la  rate  assez  petite,  et  les  reins,  de 
forme  irrégulière,  s'allongent  sur  la  face  infé- 
rieure de  la  voûte  du  bassin. 

Le  sang  des  oiseaux  circule  de  la  même  façon 
que  celui  des  mammifères,  mais  il  renferme  des 
globules  plus  nombreux  et  de  forme  elliptique, 
et  quand  il  s'est  vicié  en  traversant  les  diverses 
parties  du  corps,  il  peut  se  trouver  en  contact 
avec  l'air,  pour  se  régénérer,  non  seulement  dans 
les  poumons,  mais  encore  sur  un  grand  nombre  de 
points.  La  respiration  chez  les  oiseaux  est  double, 
si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi  :  les  poumons  en 
efl'et,  placés  contre  les  côtes,  présentent  à  leur 
surface  inférieure  plusieurs  ouvertures  qui  com- 
muniquent avec  degrandesccliules membraneuses 
pénétrant  jusque  dans  les  interstices  des  muscles. 
Les  dimensions  et  le  nombre  de  ces  cellules  et 
par  suite  la  quantité  d'air  distribuée  aux  diverses 
parties  du  corps,  sont,  toutes  cho-ies  égales  d'ail- 
leurs, en  rapport  avec  l'énergie  des  mouvements 
que  l'oiseau  doit  exécuter.  Souvent  même,  comme 
chez  les  Eperviers  et  les  Albatros,  le  fluide  aérien 
pénètre  dans  tous  les  os  des  membres. 

Grâce  à  cette  activité  de  la  respiration,  les  oi- 
seaux consomment  beaucoup  plus  d'oxygène  que 
les  mammifères,  et  résistent  moins  longtemps  à 
l'asphyxie.  Ils  produisent  aussi  beaucoup  de  cha- 
leur et  peuvent  élever  la  température  do  leur 
corps  jusqu'à  4'2  ou  même  45  degrés  centigrades. 

Beaucoup  de  volatiles  sont  doués  d'une  voix 
très  puissante  relativement  à  leur  taille,  et  cer- 
tains d'entre  eux  sont  des  virtuoses  consommés. 
En  général  tous  les  oiseaux  cliaiueurs  possèdent, 
au-dessous  du  larynx  proprement  dit  qui  ne  sert 
que  fort  peu  à  la  production  des  sons,  un  larynx 
inférieur,  soito  de  tambour  osseux,  surmonté 
d'une  membrane  mince  et  communiquant  avec 
deux  tubes  qui  résultent  de  la  terminaison  dos 
bronches  et  qui  sont  pourvues  de  replis  ou  de 
cordes  iiocoi'.v.  L'air  en  s'échappant  entre  ces  lèvres, 
qui  peuvent  être  plus  ou  moins  tendues,  et  en  fai- 
sant vibrer  les  parois  du  tambour  osseux  et  la 
membrane  supérieure,  munies  elles-mêmes  de 
muscles  spéciaux, produit  cette  succession  de  sons 
rythmés  qui  constitue  le  chant  de  l'oiseau. 

En  raison  de  la  nature  cartilagineuse  de  la  lan- 
gue, le  gnùt  est  peu  développé  chez  les  oiseaux; 
l'odorat  n'est  guère  plus  parfait,  malgré  la  gran- 
deur souvent  considérable  des  fosses  nasales, 
l'ouïe  laisse  beaucoup  à  désirer,  et  le  toucher  ne 


]  peut  s'exercer  que  sur  des   points  extrêmement 

î  restreints  :  la  majeure  partie  du  coros  est  en  effet 

[  recouverl,e  de  plumes,  les  lèvres  sont  cachées 
sous  des  étuis  cornés  et;  les  pattes  sont  garnies  de 
plaques  et  de  scutelles.  En  revanclie  le  sens  et  la 
vue  est  véritablement  exquis.  Les  yeux  sont  très 
grands  relativement  au  volume  de  la  tête,  et  à  la 

,  rétine  est  annexée  une  membrane  plissée  en  éven- 
tail et  qui,  suivant  plusieurs  naturalistes,  aurait 
pour  objet  d'augmenter  l'étendue  de  la  surface 
visuelle.  La  pupille  est  ronde,  l'iris  très  contrac- 
tile, la  cornée  transparente  grande  et  convexe,  la 
sclérotique  fortifiée  par  un  cercle  de  pièces  osseu- 
ses. Enfin  aux  deux  paupières  horizontales  se 
joint,   pour   protéger  l'org.me  de   la    vision,    une 

I  troisième  paupière,  verticale  et  semi-transparente. 
Certains  oiseaux  qui,  lorsqu'ils  étainnt  perdus  dans 
les  nues,  distinguaient  avec  facilité  de  petits  ani- 
maux cheminant  à  la  surface  du  sol,  voient  avec 
la  même  netteté,  lorsqu'ils  sent  redescendus  sur 
la  terre,  les  objets  placés  dans  leur  voisinage 
immédiat  ;  il  est  donc  probable  que  dans  cette 
classe  de  vertèbres,  l'œil  jouit,  plus  que  dans  tout 
autre  groupe,  de  la  faculté  précieuse  de  s'accom- 

'  moder  aux  distances. 

1  Certaines  parties  du  cerveau  qu'on  appelle  les 
lobes  optiques  acquièrent  un  développement  en 
rapport  avec  la  puissance  de  la  vision  et  se  mon- 

,  trent  à  découvert  et  en  arrière  des  hémisphères 
cérébraux.  Ceux-ci  sont   lisses,  dépourvus  de  cir- 

I  convolutions  et  plus  ou  moins  indépendants  l'un 

'  de  l'autre,  par  suite  de  l'absence  d'un  corps  cal- 

'  leux  ;  le  cervelet  est  sillonné  de  plis  transversaux, 
et  presque  réduit  au  lobe  médian  ;  enfin  la  moelle 
épinière,  très  allongée,  présente  deux  renflements 

'  correspondant  5.  l'origine  des  nerfs  des  membres. 

I  Nous  n'avons  pas  à  insister  ici  sur  les  facultés 
intellectuelles   des  oiseaux.  Chacun   sait  que  ces 

'  animaux  sont  capables  non  seulement  de  pourvoir 
à  leurs  propres  besoins,  mais  de  trouver  la  nour- 

'  riture  qui  convient  le  mieux  à,  leurs  petits,  qu'ils 

'  construisent,  souvent  avec  un  art  admirable,  des 
demeures  pour  abriter  leur  progéniture,  que  cer- 
tains d'entre  eux  s'associent  pour  former  de  vé- 
ritables colonies,  et  que  les  uns  habitent  cons- 
tamment les  pay.s  qui  les  ont  vus  naître,  tandis 
que  d'autres,  à  l'approche  de  la  mauvaise  saison, 
émigrent  vers  des  climats  plus  doux. 

Dans  la  nature  actuelle,  on  connaît  plus  de  dix 
mille  espèces  d'oiseaux,  qu'il  a  fallu  nécessaire- 
ment répartir  en  un  certain  nombre  de  groupes 
d'ordre  supérieur  Mais  les  naturalistes  sont 
loin  d'être  d'accord  sous  les  limites  qu'il  convient 
d'assigner  à  ces  différents  groupes,  aux  genres,  aux 
familles  et  aux  ordres,  et  depuis  un  certain  nom- 
bre d'années  la  classification  des  oiseaux  a  subi 
de  nombreux  remaniements.  Ne  pouvant,  sans 
sortir  des  limites  qui  nous  sont  tracées,  indiquer 
tous  les  changements  qui  ont  été  proposés  dans 
ces  derniers  temps  et  dont  quelques-uns  d'ailleurs 
ne  sont  pas  universellementadoplés.  nous  croyons 
préférable  de  nous  en  tenir  à  l'ancienne  classi- 
fication de  G.  Cuvier.  Ce  grand  naturaliste,  em- 
ployant principalement  les  caraitères  fournis  par 
le  bec  et  les  pattes,  c'est-à-dire  par  des  organes 
dont  la  structure  est  généralement  en  rapport 
avec  le  régime,  a  subdivisé  la  classe  des  oiseaux 
en  six  ordres  :  linpaces,  Passereiux.  Grimpeurs, 
Gallinacés,  Echns^iers  et  Palmipèdes.  Chacun  de 
ces  ordres  est  dans  ce  Dictionnaire  l'objet  d'un 
article  spécial  ;  nous  n'avons  donc  pas  à  signaler 
maintenant  les  différences  (|ui  les  séparent  ;  mais 
nous  devons  constater  que  les  caractères  tirés  de 
la  forme  du  bec,  delà  longueur  des  pattes,  de  l'in- 
dépendance des  doigts  ou  de  leur  réinion  au 
moyen  de  membranes  peuvent  souvent  induire  en 
erreur  :  ainsi  pour  ne  citer  qu'un  ou  deux  exem- 
ples, les  Serpentaires  d'une  part,  les  Autruches  et 


I 


OLEINEES 


1439 


OLEINEES 


les  Casoars  de  l'autre,  rapportés  primitivement 
aux  Kclidssiers  à  cause  de  leurs  tarses  allongés, 
ne  peuvent  plus  être  laissés  dans  cette  division, 
les  Serpentaires  étant  do  vrais  Rapaces  par  l'en- 
semble de  leur  organisation  et  les  Autruclies  mé- 
ritant de  constituer  avec  les  Nandous,  les  Casoars 
et  les  Aptéryx  un  groupe  pariiculier  sous  le  nom 
d'Oiseaux  Coureurs.  De  même  les  Pigeons  s'écar- 
tent à  beaucoup  d'égards  des  Gallinacés  et  les 
Perroquets  sont  supérieurs  en  organisation  aux 
autres  Grimpeurs. 

[E.  Oustalet.] 
OLKINÉES.  —  Botanique,  XX.  —  Etym.  :  Du 
latin  Olea,  olivier.  —  Définition.  —  Famille  de 
plantes  dicotylédonées  angiospermes  que  l'on 
place  dans  la  classe  dos  Diospi/ruidees  à  côté  des 
.Snpotres.  des  Ef'énacées,  des  llicinèes,  des  Styra- 
c-êes.  Cette  classe  elle-raônie  appartient  au  groupe 
dos  gamopétales  hypogyjies;  c'est-U-dire  que  les 
Heurs  des  Inospyroi^lées  ont  des  pétales  soudés 
en  une  seule  pièce  et  que  leur  ovaire  est  libre, 
tous  les  autres  verticUles  floraux  étaiU  insérés  au- 
dessous  de  lui. 

A  la  suite  des  Oléinées,  nous  dirons  quelques 
mots  des  autres  familles  de  la  classe  des  Diospy- 
loidées  ;  car  toutes  renferment  des  végétaux  uti- 
lisés par  riiomme. 

Caractères  botaniques  des  Oléinées.  —  Les  vé- 
ï;élaux  de  celte  famille  sont  tous  des  arbres  comme 
le  frêne,  ou  des  arbustes  comme  le  Iroëne.  Us 
présentent  des  feuilles  opposées,  pétiolées,  dé- 
pourvues de  stipules;  ces  feuilles  sont  simples 
chez  l'olivier,  le  lilas  ;  elles  sont  découpées,  impa- 
ripennées,  chez  le  frêne. 

L'inflorescence  des  oléinées  est  généralement 
une  grappe  composée  que  l'on  désigne  quelquefois 
sous  le  nom  de  Ihyrse  (Ulà^).  Les  fleurs  présen- 
tent, de  l'extérieur  à  l'intérieur  :  1°  un  calice  mo- 
nosépale à  quatre  divisions  parfois  si  réduites 
que  le  calice  semble  manquer;  2°  une  corolle 
gamopétale  à  quatre  lobes  plus  ou  moins  pro- 
fonds; chez  le  frêne  commun  cette  corolle  fait  dé- 
faut; elle  existe  au  contraire  chez  le  frêne  à 
manne  ;  3°  deux  étamines  insérées  sur  la  co- 
rolle et  alternant  avec  ses  lobes  ;  les  anthères  très 
développées  sont  biloculaires  et  à  déhiscence 
longitudinale  ;  4"  un  ovaire  libre,  supère,  à  deux 
loges  qui  alternent  avec  les  étamines  et  dans  cha- 
cune desquelles,  il  y  a  ordinairement  deux  ovules. 
L'ovaire  est  surmonté  d'un  stigmate  entier  chez 
la  lilas,  bifide  chez  l'olivier;  il  donne  un  fruit  sec 
ou  un  fruit  charnu.  Chez  l'olivier,  ce  fruit  est 
une  drupe,  chez  le  troène,  c'est  une  b'ii'  ;  chez 
le  lilas,  le  fruit,  sec  et  déhiscent,  s'ouvre  à  la  ma- 
turité en  deux  valves  loculicides;  chez  le  frêne,  le 
fruit  est  sec  et  indéhiscent;  on  le  nomme  santare  ; 
il  est  caractérisé  par  ce  fait  que  l'un  des  côtés  de 
son  péricarpe  se  prolonge  en  une  aile  qui  a  pimr 
but  de  faciliter  la  dissémination  de  l'unique  graine 
qu'il  renferme. 

Beaucoup  d'auteurs  divisent  les  oléinées  en 
deux  sous-familles  :  1°  les  oléinées  vraies  qui  ont 
un  fruit  charnu;  2"  les  Fraxinées  dont  le  fruit  est 
samaroîde  ou  sec  et  déhiscent. 

Carnciéres  hotuniijue.i  des  Jusminéet.  —  Tout  h 
colé  des  Oléinées  se  place  la  famille  des  Juftni- 
nées  qui  pendant  longtemps  d'ailleurs  a  été  consi- 
dérée comirie  une  tribu  des  Oléinées. 

Les  Jasminées  sont  des  arbustes  ou  des  arbris- 
seaux souvent  volubiles  ou  grimpants  qui  difl'è- 
rent  des  oléinées  :  1»  par  leurs  feuilles  souvent 
alternes  et  toujours  composées,  parfois  à  une  seule 
foliole  articulée,  le  plus  souvent  à  trois,  ou  cinq, 
ou  sept;  2°  par  leur  corolle  gamopétale  qui  est 
rarement  à  quatre  divisions,  mais  presque  toujours 
à  cinq  ou  à  six.  —  Le  fruit  est  toujours  une 
baie. 
Le  tableau  suivant  suffira  pour  nous  faire  con- 


naître  les    caractères    botaniques   des   autres  fa- 
milles de  la  classe  des  Diospyroidées. 


phroililes; 

litariiines  ex- 

Irorses 

ennomlireét'al 

des  lobes  ilc  la  ' 

n. II.. 

Sapotles. 

(i;..njll.:  /,- 
loties.) 


iioiulir.'d.mlild 

(le  cclLli  •    EbÉNACÉeS. 

lies  1.1  bes  lie  l 


Calice 
gamosé- 
pale ; 
corolle 


(r.oiMlle,  3  à  6 
lobes).        / 


i.pe  ; 


(Lobes 
3-4-3). 


■miiphi'odites,  j 

'-^^al    a  celui   '  Iliginèbs. 
1  de  la  corolle  \ 
e  1,1   corolle. 


y 


ulée: 


fniU 


lobcs-      I   Ovaire  à  loges  plui 

i  charnu,  huit  a  dix  étamines  iu- 
\  trorses,  fleurs  herm.iphro'tites 
1      (Lobes  de  la  corolle,  D-4-li-7). 

Usages  des  Oléinées.  —  1»  Le  lilas  est  cultivé 
exclusivement  comme  plante  d'ornement.  Les 
Turcs  font  des  tuyaux  de  pipe  avec  les  jeunes  ra- 
meaux dont  ils  retirent  la  moelle. 

2°  Les  frênes  sont  des  arbres  élevés  qui  crois- 
sent spontanément  en  Europe  et  dans  l'Amérique 
septentrionale.  Leur  bois,  à  cause  de  son  élasti- 
cité, sert  à.  faire  des  limons  de  voiture,  des 
échelles,  des  chaises,  etc.  Le  feuillage  du  frêne 
élevé  (Fraxinus  excelsior)  est  la  nourriture  habi- 
tuelle des  cantharides,  à  tel  point  que  vers  la 
milieu  de  juin,  l'arbre  est  entièrement  dépouillé 
de  ses  feuilles.  L'écorce  du  frêne  a  été  proposée 
comme  succédanée  du  quinquina. 

En  Sicile  et  en  Galabre,  on  cultive  deux  espèces 
de  frêne,  le  fraxinus  ornus  et  le  fmxinus  rotun- 
difolia  qui  ont  la  propriété  de  laisser  exsuder 
spontanément,  ou  par  suite  do  la  piqtire  d'une 
Cigale  (Cicfida  Omi),  une  quantité  considérable 
d'une  liqueur  sucrée  appelée  Manne.  Ordinaire- 
ment, on  provoque  ai'tiH(;iellement  la  sortie  de  la 
manne,  par  des  incisions  que  I  on  pratique  dans 
l'écorce  de  l'arbre,  depuis  le  commencement  de 
juillet  jusqu'à  la  fin  d'octobre.  Mais  la  manne  de 
qualité  supérieure  est  celle  qui  est  recueillie  en 
juillet  et  en  aoîit,  parce  que,  séchant  au  fur  et  à 
mesure  qu'elle  sort  de  l'arbre,  elle  est  tout  i  fait 
pure;  on  lui  donne  le  nom  de  Manne  en  larmes,  à. 
cause  de  la  forme  quelle  afl'ecte.  Au  contraire,  la 
manne  qui  s'écoule  pendant  les  mois  de  septem- 
bre et  d'octobre  est  souvent  mouillée  par  la  pluie, 
elle  sèche  lentement,  coulo  le  long  de  l'arbre  et 
englobe  des  matières  étrangères;  eile  a  beaucoup 
moins  de  valeur  que  la  première.  —  A  l'état  frais, 
la  manne  est  nutritive;  mais  elle  renferme  un 
principe  immédiat,  la  mannde,  qui  s'altère  rapi- 
dement et  devient  purgatif.  C'est  à  cause  de  cette 
propriété  que  la  manne  est  utilisée  en  médecine. 
Si  on  dissout  la  manne  dans  l'eau  et  si  on  la 
souinot  ît  une  longue  ébuUilion,  elle  perd  ses 
qualités  purgatives. 


OLÉINÉES 


—  1440  — 


OMBELLIFÈRES 


3»  Les  oliviers  sont  les  arbres  les  plus  utiles 
do  cette  famille.  Ils  sont  origiii;iires  do  l'Orient 
et  se  sont  répandus  sur  tout  le  rivage  de  la  Mé- 
diterranée, où  on  les  cultive  exclusivement  pour 
leur  fruit  qui  est  une  drupe  dont  la  partie 
charnue  renferme  une  (|uantité  considérable 
d'iiuile.  Tout  le  monde  connaît  l'huile  d'olives  ; 
on  l'obtient  en  exprimant  dans  un  pressoir  les 
olives  écrasées  ;  du  reste  le  procédé  change  un 
peu  d'une  ville  il  l'autre.  Partout  cependant, 
l'huile  qu'on  obtient  à  la  première  expression, 
sert  seule  à  l'alimentation  ;  l'autre  est  employée 
pour  la  fabrication  des  savons  et  pour  l'éclairage. 
L'huile  d'olives  est  souvent  falsifiée  îi  l'aide  de 
l'huile  de  pavots  ou  huile  d'œillette. 

Un  moyen  fort  simple  de  reconnaître  la  falsi- 
fication consiste  à  remplir  à  moitié  une  bouteille 
avec  l'huile  qu'on  veut  éprouver,  et  à  agiter  for- 
tement, puis  à  laisser  reposer  ;  si  l'huile  d'olives 
est  pure,  sa  surface  devient  rapidement  très  lim- 
pide ;  si  elle  est  mêlée  d'huile  d'œillette,  fut-ce 
dans  la  proportion  de  0,1  seulement,  il  reste  à  sa 
surface  un  certain  nombre  do  bulles  d'air;  on  dit 
que  riiuile  forme  chapelet. 

Un  autre  procédé,  non  moins  simple,  consiste  h 
faire  congeler  1  huile,  en  entourant  de  giace  pi- 
lée,  le  vase  qui  la  contient;  l'huile  dreillette  sur- 
nagera liquide  au-dessus  de  l'hnilo  d'olives  con- 
gelée; si  le  mélange  est  dans  la  proportion  de 
2  d'huile  d'olives  pour  1  d'huile  d'œillette,  il  ne 
se  congèlera  rien. 

Dans  les  environs  de  Naples,  on  recueille  sur  la 
surface  des  troncs  d'oliviers,  une  substance  rou- 
geàire  plus  ou  moins  transparente  qu'on  appelle 
i/oiitm"  d'olivier  et  qui  se  rapproche  beaucoup  de 
la  SiircoC'Ule. 

Les  olives  elles-mêmes  sont  comestibles;  on  les 
cueille  avant  la  maturité,  on  les  fait  macérer  dans 
la  saumure,  et  on  les  mange  crues  ou  cuites. 

Les  feuilles  de  l'olivier  et  son  écorce  ont  été 
autrefois  employées  comme  médicameiits  astrin- 
gents, ainsi  que  les  feuilles  du  troène. 

U.1  'f/es  t/es  J'isminées.  —  Les  plantes  de  cette 
famille  ne  se  recommandent  que  |iar  leur  beauté, 
leur  élégance  et  l'odeur  suave  de  leurs  fleurs. 
Celte  odeur  est  due  à  une  huile  volatile  que  l'on 
fixe  et  que  l'on  conserve  au  moyen  de  l'huile  de 
lien.  C'est  surtout  avec  les  corolles  du  Jn-miti 
Smn'ac  (arbrisseau  indien)  et  celle  du  Jasmin 
d'Kspagne  que  se  prépare  l'essence  de  Jasmin. 

Usni/es  des  S'ipnées.  —  Les  arbres  de  cette  fa- 
mille sont  presque  tous  utiles  à  l'homme;  les  uns 
fournissent  des  fruits  très  recherchés;  ce  sont  les 
Lu  UDi'i  de  l'Oré?i"que,  les  S'ipo  il'i  )'-,les  Chri/so- 
l'/ii/lliim  arbres  des  Antilles);  les  Bassin  et  les 
liiilD-iairia  (arbres  de  l'Inde).  Des  jirainns  du  Bus- 
sia  l/ut'inicen  (Inde)  et  de  celles  du  BuS'ia  P'irkii 
(Sénégal),  on  retire  par  expression  une  huile 
fixe  qui  se  fige  promptement  et  que  l'on  nomme 
Ijiitrre  'le  Galnn.  Ce  beurre  est  fort  usié  comme 
aliment,  et  fait  l'objet  d'un  commerce  assez 
étendu,  dans  l'Inde  et  au  Sénégal.  D'autres  Sapo- 
lées  fou^n^^sent  des  bois  de  construction  (|Ue  l'on 
désigne  dans  le  commerce  sous  les  noms  de  bois 
dp  fer  (le  Cayenne  et  Lois  d»?  natte.  Enfin  de 
Vlsonnndra  liuttn,  arbre  qui  croît  à  Bornéo  et 
dans  les  environs  de  Singapore,  s'écoule  en  abon- 
dance, un  suc  qui  n'est  autre  que  hi  rjuitu- 
perrlia.  Cette  substance  a  la  propriété  de  se  ra- 
mollir dan<  l'eau  chaude,  et  de  pouvoir  prendre 
alors  toutes  les  formes  qu'on  veut  lui  donner  ;  en 
se  refroidissant,  elle  se  durcit  de  nonve.iu  et  con- 
serve la  forme  qu'elle  a  acquise.  Elle  est  d'un 
usage  extrêmement  répandu  dans  l'industrie;  on 
en  fait  dos  moules  pour  la  galvanoplastie,  des 
manches  de  fouet,  etc.,  etc. 

Usag  s  des  Eh  na-  ées.  —  Cette  famille  fournit  à 
l'industrie  le  bois  i'éhrne;  ce  bois  provient  de 


grands  arbres  qui  appartiennent  tous  au  genre 
DIosfirus ;  il  est  d'un  noir  uniforme  et  d'un  grain 
très  fin  ;  sa  dureté  est  fort  grande;  ce  n'est  qu'en 
vieillissant  que  le  bois  acquiert  sa  couleu>  noire; 
à  l'état  d'aubier,  il  est  presque  blanc;  aussi  n'est- 
ce  que  les  parties  centrales  des  vieilles  tiges,  que 
l'on  emploie  dans  l'ébénisterie. 

Us'ijje  des  Hiciiiées.  —  Les  plantes  de  cette 
famille,  utilisées  par  l'homme  rentrent  toutes  dans 
le  genre  Houx.  Les  houi;  renferment  un  prin- 
cipe amer  nommé  ilicine.  Les  feuilles  du  houx 
vomitif  (//f.r  roinituria)  sont  employées  en  guise 
d'émétique  par  les  sauvages  de  l'Amérique  sep- 
tentrionale; celles  du  houx  du  Paraguay  rempla- 
cent le  thé  de  Chine  dans  l'Amérique  du  Sud; 
celles  du  houx  commun  [l/ex  aquifoliutji)  ont  été 
usitées  comme  fébrifuge  ;  on  a  même  proposé 
d'employer  l'Uicine  comme  succédanée  de  la  qui- 
nine. C'est  l'écorco  de  ce  même  houx  qui  donne 
la  glu  des  oiseleurs.  Le  bois  du  houx  est  serré, 
dur,  très  solide,  et  recherché  pour  l'ébénisterie. 

Usngp'  des  Sti/rncées.  —  Deux  arbres  de  cette 
famille  fournissent  des  baumes  :  Valirioufier  offi- 
cinal {Styrax  officinale),  arbre  de  la  région  médi- 
terranéenne qui  donne  le  stor'ix\  le  sii/rax  ben- 
zoin,  arbre  dos  Moluques  et  des  Iles  de  la  Sonde, 
qui  fournit  le  benjoin.  Ces  deux  baumes  découlent 
des  arbres  par  des  incisions  que  l'on  pratique 
dans  l'écorce.  Chacun  d'eux  se  compose  d'une 
résine  aromatique  unie  à  une  huile  volatile  et  à  un 
acide  cristalli>able  nommé  acide  benzoique.Le  ben- 
join est  rougeàlre  ;  il  exhale  une  odeur  de  vanille  et 
d'ambre  ;  le  storax  est  blanc  jaunâtre  :  son  parfum 
est  aussi  des  pins  agréables.     |^C.-E.  Berfand.] 

O.UBICLI.II'UKCS.  —  Botanique,  XXI.  '  — 
Etym.  :  Des  deux  mots  latins  umbella,  parasol, 
et  ferre,  porter,  c'osl-à-dire  qui  porte  des  parasols 
ou  ombelles,  à  cause  de  la  forme  de  l'inflorescence 
qui  s'appelle  ombelle. 

Définition.  —  Les  Ombellifères  sont  caractéri- 
sées par  leur  inflorescence,  leurs  ovules,  et  leurs 
glandes  résinifères.  On  rattache  aux  Ombellifères 
les  deux  petites  familles  des  Cumèes  et  des  Ara- 
liacées  qui  ont  avec  elles  les  plus  grandes  affini- 
tés. La  plupart  des  auteurs  regardent  les  Ombel- 
lifères comme  formant  un  groupe  intermédiaire 
I  entre  les  Gamopétales  hypogynes  représentées 
par  les  Sambucinées  et  les  Dialypétalos  épigynes 
représentHCS  par  les  Rosacées. 
I  Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  Om- 
j  bell.fères  n'est  jamais  libre;  elTe  demeure  tou- 
'  jours  enfermée  dans  le  péricarpe;  elle  contient 
j  un  embryon  très  petit,  dicotylédoné,  droit,  enve- 
I  loppé  de  tous  côtés  par  un  albumen  corné  très 
j  riche  en  matières  aleuriques.  Le  tégument  de  la 
graine  est  tellement  aplati  contre  la  paroi  du  fruit 
que  son  existence  a  souvent  passé  inaperçue. 

La  racine  des  Ombellifères  est  pivutaïue,  bien 
développée;  elle  s'enfonce  perpendiculairement 
dans  le  sol  ;  chaque  pivot  porte  deux  rangées  ver- 
i  ticales  diamétralement  opposées  de  radies  se- 
!  condaires.  Dans  la  ciguè  rireiise,  le  pivot  reste 
'  court  et  se  renfle  en  un  tubercule  arrondi.  Chez 
le  Crirum  bulbo-r.nstaninn,  certaines  r.icines  se- 
\  condaires,  profondément  enfoncées  dans  le  sol, 
'  se  transforment  en  tubercules.  Ces  derniers  sont 
!  comestibles,  et  dans  certaines  régions  de  la  France 
\  on  les  vend  sous  le  nom  de  truffes  blanches.  La 
racine  principale  de  l'impératoire  rampe  horizon- 
talement à  peu  de  distance  de  la  surface  du  sol. 
Dans  le  céleri  rave,  le  panais,  la  carotte,  le  pivot 
se  développe  énormément  sous  l'influence  de  la 
j  culture  et  se  transforme  en  une  m.i-se  charnue 
1  comestible.  Le  pivot  des  Ombelliréres  est  très 
généralement  transformé  en  organe  d'hibernation. 
!  Ce  fait  est  surtout  évident  chez  les  Ombellifères, 
à  végitation  bisannuelle  et  chez  les  Ombellifères 
j  vivaces. 


OMBELLIFERES 


1441 


OMBELLIFERES 


La  lige  des  ombellifères  est  orilinairoment 
herbacée,  fistuleuse  et  assez  élancée  ;  cette  tige  ne 
ilovieijl  arborescente  que  chez  un  très  petit  nom- 
bre dionibellifores  originaires  de  la  i\ouvelle-Ca- 
lédonie.  La  structure  de  cette  tige  est  très  remar- 
quable, à  cause  des  l'aisceaux  libériens  qu'on 
trouve  dispersés  au  sein  de  la  moelle,  et  aussi  h 
cause  de  certains  faisceaux  secondaires  qui  peu- 
vent se  développer  dans  la  même  région.  Ou  voit 
fréquemment  ces  productions  singulières  de  la 
moelle  de  la  tigo  des  ombellifères  s'entourer 
d'une  couche  subéreuse,  en  même  temps  qu'elles 
subissent  une  dégénérescence  qui  les  transforme 
en  tissu  glandulaire  excrémentitiel.  Très  fréquem- 
ment, au  point  de  sortie  des  faisceaux  de  la  tige 
qui  se  rendent  dans  une  feuille,  on  voit  ceux-ci 
prendre  une  orientation  différente  de  l'orientation 
normale. 

Les  feuilles  des  ombellifères  sont  embrassan- 
tes, pétiolées;  leur  limbe  est  très  profondément 
<lécoup6,  excepté  dans  le  genre  Bupleurum. 

L'inflorescence  des  ombellifères  est  une  om- 
belle composée,  excepté  dans  les  genres /ls/ra«/i«, 
Uydrocoli/le,  Didiicus  ;  VomheWe  est  transformée 
en  capitule  dans  le  genre  Eri/ngium,  par  suite  du 
raccourcissement  considérable  des  pédicelles  flo- 
raux. Chacune  des  parties  d'une  ombelle  composée 
a  reçu  le  nom  d'ombellule.  Selon  les  genres,  la 
base  de  l'ombelle  est  nue  et  dépourvue  de  feuilles, 
ou  bien,  au  contraire,  présente  une  sorte  de  colle- 
rette ou  d'involucre  ;  une  collerette  analogue  peut 
exister  à  la  base  de  chaque  ombcUule  ;  ces  invo- 
lucres  secondaires  portent  le  nom  A'invulucelles. 
Les  fleurs  des  ombellifères  sont  blanches  ou  jau- 
nes ;  exceptionnellement,  rouges  ou  bleues.  Ces 
Heurs  sont  hermaphrodites,  plus  rarement  uni- 
sexuées  par  avortement.  Les  fleurs  hermaphrodi- 
tes présentent  de  dehors  en  dedans  :  l"  un  calice 
rudimentaire  à  cinq  divisions  très  petites,  presque 
nulles;  2°  une  corolle  à  cinq  pétales  qui  alternent 
avec  les  divisions  du  calice;  dans  la  fleur  non  en- 
core épanouie,  chaque  pétale  est  plié  en  deux 
vers  sa  région  moyenne  ;  ces  pétales  sont  caducs 
et  souvent  inégaux  entre  eux,  les  plus  grands 
étant  extérieurs  ;  3°  un  androcée  formé  de  cinq 
étamines  qui  alternent  avec  les  pétales  ;  la  corolle 
et  l'androcée  sont  insérés  sur  un  disque  épigyne 
qui  couvre  le  haut  de  l'ovaire;  la  déhiscence  des 
anthères  est  longitudinale  et  marginale,  presque 
introrse;4''  un  gynécée  composé  de  deux  carpelles 
cohérents  et  d'uji  ovaire  biloculaire.  La  direction 
des  carpelles  est  telle  que  l'un  d'eux  regarde 
l'extérieur  de  l'ombelle,  tandis  que  l'autre  en  re- 
garde l'intérieur.  Chaque  loge  de  l'ovaire  des 
ombellifères  ne  contient  qu'un  ovule  très  gros, 
anatrope,  unitégumenté,  à  nucelle  excessivement 
petit,  tellement  que  pendant  longtemps  son  exis- 
tence a  été  mise  en  doute.  A  la  maturité,  les  deux 
carpelles  se  séparent  l'un  de  l'autre  et  devien- 
nent deux  achaines,  qu'on  appelle  méricarpes  ; 
chacun  d'eux  reste  suspendu  au  sommet  d'une 
sorte  de  support  central  nommé  columelle,  ou 
carpopluire;  ce  carpophore  reste  simple  comme 
dans  le  Scandix  peclen,  ou  bien  se  bifurque  de  haut 
en  bas  comme  dans  le  fenouil. 

La  classification  des  ombellifères  est  fondée 
sur  l'ornementation  du  fruit;  celui-ci  présente 
dix  côtes  saillantes  primaires,  qui  sont  séparées 
l'une  de  l'autre  par  des  sillons  ou  inlléciiles ; 
dans  l'épaisseur  de  la  paroi  du  péricarpe,  on  re- 
marque généralement  des  glandes  résinifères  que 
Ion  désigne  en  botanique  descriptive  sous  le 
nom  de  vittœ  ou  bandelettes. 
Les  ombellifères  sont  divisées  en  deux  tribus  : 
1°  Les  HeM-séininées,  caractérisées  par  leurs 
graines  à  face  commissurale  plane  ou  convexe; 

2«   Les  Curui-sémhiées,  caractérisées  par  leurs 
graines  à  face  commissurale  convexe  ou  canaliculée. 
"  Partie. 


Les  AiiALiACKES  ne  diffèrent  des  ombellifèrci? 
que  par  leurs  fleurs  en  grappes,  leurs  fruits  char- 
nus pluriloculaires  et  la  variété  extrême  de  leur 
port  ;  témoin  VAdoxa,  qui  est  une  plante  humi- 
cole,  qui  vit  dans  le  terreau  de  nos  bois,  presque 
entièrement  cachée  sous  les  feuilles  sèches  ;  le 
Lierre,  qui  est  une  plante  grimpante;  et  li^s  A ralin, 
qui  sont  arborescents  et  que  l'on  cultive  dans  les 
salons  comme  plante  d'ornement  à  cause  de  leur 
feuillage. 

Les  Cornées,  que  l'on  rapproche  des  araliacéos 
et  des  ombellifères,  en  diffèrent  par  les  caractè- 
res suivants  :  ce  sont  des  arbres  à  feuilles  entiè- 
res, opposées,  à  fleurs  tétramères  et  à  fruit  dru- 
pacé,  h  noyau  osseux.  Leurs  feuilles  sont  persis- 
tantes comme  celles  de  presque  toutes  les  ara- 
liacéos. 

Usages  des  Ombellifères.  —  Les  ombellifères 
comprennent  un  grand  nombre  d'espèces  ;  les  unes 
alimentaires,  les  autres  médicinales  ou  vénéneu- 
ses. Ces  propriétés  si  différentes  sont  dues  à  des 
principes  qui  résident  en  proportions  variables 
dans  les  feuilles,  la  racine  ou  le  fruit.  Les  racines 
contiennent  principalement  des  substances  rési- 
neuses ;  les  fruits  possèdent  une  huile  volatile  ; 
les  feuilles  sont  quelquefois  aromatiques  et  condi- 
mentaires,  et,  d'autres  fois,  elles  renferment  un 
principe  narcotique  acre.  Les  plus  employées  et 
les  plus  connues  des  ombellifères  sont  : 

1°  Les  Férules,  qui  donnent  à  la  médecine  des 
gommes-résines,  telles  que  Vcissa-fœtiila,\esaga- 
penam  on  gomme  séraphique,  le  galbanum,  le 
laser.  Vossa-fœtida  vient  de  Perse  ;  c'est  une  sub- 
stance qui  ressemble  au  benjoin,  altéré  par  l'hu- 
midité et  les  moisissures  ;  elle  répand  une  odeur 
d'ail  très  fétide  ;  sa  saveur  est  acre,  amère  ;  les 
Persans  la  vendent  comme  un  condiment  déli- 
cieux ;  elle  est  ordonnée  par  les  médecins  d'Eu- 
rope pour  combattre  les  vapeurs  et  l'asthme.  Les 
autres  gommes-résines  que  nous  avons  citées  en 
même  temps  que  Vassa-fœtida  possèdent  des  pro- 
priétés analogues  ; 

2"  Le  Dorema  ammoniaeum,  qui  produit  la 
gomme  ammoniaque  ;  cette  gomme-résine  est 
d'une  saveur  d'abord  sucrée,  puis  acre  et  amère  ; 
on  l'emploie  pour  stimuler  les  fonctions  des  vis- 
cères abdominaux  et  des  organes  respiratoires  ; 

3°  Les  Ciguës.  On  désigne  sous  ce  nom  un  cer- 
tain nombre  de  plantes  très  vénéneuses,  assez  dif- 
férentes les  unes  des  autres  pour  que  les  bota- 
nistes aient  cru  devoir  en  faire  des  genres  différents. 
On  distingue  trois  sortes  de  ciguës  :  1"  la  ciguë  aqua- 
tique {Cicntarix  virosa);  cette  plante  est  caracté- 
risée par  le  suc  jaunâtre  très  vénéneux  qui  s'é- 
chappe de  sa  lige  et  de  sa  racine  lorsqu'on  vient  à 
les  couper;  2»  la  ciguë  tachetée  ou  grande  ciguij 
(Conium  maculatum)  ;  cette  dernière  espèce  res- 
semble beaucoup  h  la  suivante,  h  la  taille  près  ; 
3»  la  petite  ciguë  (.Elhusa  cynopium),  caracté- 
risée par  sa  tige  glauque,  striée  de  lignes  rouges, 
par  ses  feuilles  finement  découpées,  d'un  vert 
sombre,  d'une  odeur  désagréable  et  suspecte  quand 
on  les  froisse  entre  les  doigts.  A  côté  des  Ciguës 
viennent  se  placer  la  Phellendrie  aquatique,  \'A- 
clie  odorante,  dont  la  racine  aromatique  est  em- 
ployée en  médecine,  à  cause  de  ses  propriétés 
amères  et  apéritives  ;  VAche  cultivée  ou  Céleri, 
transformé  par  la  culture,  qui  fournit  une  racine 
et  des  feuilles  comestibles  très  en  usage  dans  le 
nord  de  la  France; 

■'i"  Le  Persil  (Petroselium  sativum)  et  le  Cer- 
feuil(.htthrisatscaref'olium),quisontcu\livésdnns 
tous  les  jardins  potagers  pour  l'odeur  agréable 
que  leurs  feuilles,  hachées,  donnent  aux  ali- 
ments ; 

6°  Le  Panais  [Pastinaca  saliva)  et  les  Sium,  pro- 
duisant une  racine  succulente  d'un  arôme  agréa- 
ble; 

91 


OMBRES 


1442  — 


OMBRES 


6°  Les  Biiniitm,  certains  Canon,  l'Aracacha  es- 
culenld,  qui  produisent  des  tubercules  radicaux 
souterrains,  gorgés  d'une  substance  féculente 
comestible  qui  leur  a  valu  le  surnom  de  noix 
de  terre.  h'Axantlie  siifranée  présente  la  même 
disposition  ;  mais  ses  tubercules  oblongs  contien- 
nent un  suc  laiteux  jaunissant  à  l'air  et  très  véné- 
neux; 

1'  Le  Carum-Carvi,  V Ani.^  (Pimpiiiella  an'isum), 
qui  fournissent , par  la  macération  de  leurs  fruits  dans 
l'alcool,  des  liqueurs  aromatiques  vendues  sous  le 
nom  ianisette.  Les  fruits  du  Fenouil  [Feniculum 
vulgare),  del'An.géli(jue,  du  Cumin  (Citminum  iij- 
minum),  de  VAnHh  odorant,  sont  usités  comme 
condiment.  En  outre,  la  tige  et  les  jeunes  feuilles 
A' Angélique,  confites  dans  le  sucre,  forment  un 
dessert  recherché  ; 

8°  L'Egopode  des  goutteuses  (.Fgopodnim  poda- 
gravia),  le  Crithmum  rnuriiiminn  on  Perce-pierre, 
le  Peucedanum  officinal';  le  T/iapsia  villosa,  le 
Myrrhis  odorata,  l'Hi/drocoti/te  asudigne  et  le  Co- 
riandrum  sativuin,  fournissant  à  la  médecine  des 
médicaments  stimulants  par  leurs  racines,  leurs 
feuilles  ou  leurs  fruits.  Le  Thapsia  vdtosa,  en 
particulier,  possède  une  racine  qui  contient  une 
huile  extrêmement  active,  qu'on  emploie  quelque- 
fois comme  succédané  de  l'huile  de  croton  pour 
amener  une  forte  rubéfaction  de  la  peau  ; 

9°  La  Cai-otte  commune  {Daucus  carotta),  dont 
la  racine  sucrée  est  comestible.  Les  fleurs  de  la 
carotte  infusées  dans  l'alcool  donnent  la  liqueur 
connue  sous  le  nom  d'huile  de  Vénus  qui  forme 
la  base  de  certaines  eaux  de  toilette. 

Usages  des  Araliaoèes.  —  Les  pousses  de  VHel- 
wingia  sont  mangées  au  Japon  en  guise  d'as- 
perges. 

Les  Aralies  de  l'Amérique  du  Nord  sont  esti- 
mées comme  dépuratives  et  sudoritiques.  On  em- 
ploie, en  cette  qualité,  les  rhizomes  de  YAralie 
midiciiule,  l'écorce  de  l'Aralie  épineuse  et  la  ra- 
cine de  VAratie  en  grappes. 

Les  feuilles  du  Lierre  sont  aromatiques.  Leur 
matière  verte  dissoute  dans  l'axonge  sert  au  pan- 
sement des  ulcères. 

La  racine  de  Ginsenq  (Panax  quinqnefolium)  a 
eu,  au  siècle  de  Louis  XIV,  une  telle  renommée, 
que  les  ambassadeurs  Siamois  en  avaient  apporté 
en  présent  au  grand  roi  ;  elle  ne  poussait  qu'en 
Chine  et  se  vendait  trois  fois  son  poids  d'argent. 
Mais,  un  peu  plus  tard,  on  la  trouva  dans  l'Amé- 
rique du  Nord  et  particulièrement  au  Canada;  elle 
perdit  dès  lors  la  plus  grande  partie  de  sa  valeur; 
on  l'emploie  encore  en  pharmacie  comme  médi- 
cament sudorifique  et  excitant. 

Usages  des  Cornées.  —  Le  bois  des  cornées  est 
d'une  très  grande  dureté  ;  l'écorce  des  Cornouil- 
lers est  amère  et  astringente  ;  on  l'administre  dans 
l'Amérique  du  Nord  comme  succédané  de  la  qui- 
nine. Les  drupes  du  Cornus  mas  ont  une  saveur 
légèrement  acide  et  astringente  ;  la  graine  du  Cor- 
nouiller sanguin  contient  une  huile  fine  propre  à 
l'éclairage  et  à  la  fabrication  du  savon. 

Le  Benthamia  porte-fraise  est  un  arbrisseau  du 
Népaul  et  du  Japon  dont  les  fruits  offrent  l'aspect 
d'une  fraise  et  possèdent  une  saveur  agréable. 

Dans  les  cornées,  ou  peut  encore  citer  I'^Ih- 
cuha,  arbrisseau  originaire  du  Japon,  que  l'on 
cultive  généralement  dans  les  jardins  d'Europe 
comme  plante  d'ornement  à  cause  de  ses  feuilles 
coriaces,  panachées  et  persistantes,  et  de  ses  fruits 
d'un  très  beau  rouge  vif. 

rC.-E.  Bertrand.] 

OSIBRES  (V.  Géométrie  descriptive  et  Lavis).  — 
Une  des  applications  les  plus  intéressantes  de  la 
géométrie  descriptive  consiste  à  déterminer  les 
ombres  qui  existent  sur  les  corps  mis  en  projec- 
tion et  celles  qui  sont  portées  par  ces  corps  sur 
les  plans  de  projeclion  ou  sur  d'autres  corps. 


F.n  effet,  si  l'on  veut  donner  du  relief  k  un  des- 
sin, c'est-à-dire  faire  paraître  certaines  parties 
en  creux,  d'autres  en  saillie,  on  a  recours  à  des 
effets  de  lumière  et  d'ombre.  Le  principal  mérite 
des  peintres  et  des  dessinateurs  est  de  rendre 
l'illusion  complète  et  de  laisser  croire  à  l'existence 
réelle  des  saillies  et  des  creux. 

Pour  résoudre  quelques  problèmes  relatifs 
aux  ombres  du  point,  des  lignes,  des  surfaces 
et  des  solides,  nous  adopterons  la  convention  sui- 
vante : 

La  direction  des  rayons  lumineux  est  celle  de 
la  diagonale  d'un  cube,  qui  se  dirige  de  haut  en 
bas,  de  droite  à  gauche  et  d'avant  en  arrière,  en 
supposant  le  cube  appliqué  contre  le  plan  vertical 
et  reposant  sur  le  plan  horizontal. 

Ex.  :  la  diagonale  Sa  du  cube,  fig.  1,  est  la  posi- 


F'S-  !• 

tion  du  rayon  lumineux  dans  l'espace  ;  ses  pro- 
jections sont.w,  s'a,  sur  les  deux  plans;  elles  font 
45°  avec  la  ligne  de  terre  ;  mais  la  diagonale  elle- 
même  fait  un  angle  de  .3.S°16'  avec  chacune  de  ses 
projections,  parce  qu'elle  est  l'hypoténuse  d'un 
triangle  rectangle  qui  a  pour  côtés  de  l'angle  droit 
une  arête  du  cube  et  la  diagonale  d'une  face 
de  ce  cube.  Le  rayon  lumineux  ainsi  adopté 
sera  le  rayon  à  45»  et  l'angle  de  35"  16'  sera  Va7i- 
gle  ç  iphi). 
Cela  posé,  soient  une  source  lumineuse  S,  flg.  2, 


qui  envoie  des  rayons  dans  tous  les  sens,  et  un- 
point  matériel  A,  c'cst-h-dire  un  solide  qui  a  un 
volume  infiniment  petit.  Ce  point  intercepte  un 
rayon  lumineux  et  produit  une  ligne  d'ombre  qui, 
théoriquement,  doit  se  prolonger  à  l'infini. 

Soit  un  plan  situé  à  une  certaine  distance  du 
point  A.  La  ligne  d'ombre  produite  par  A  ren- 
contre le  plan  en  a  :  on  dit  que  a  est  romb?e por- 
tée par  A  sur  le  plan. 

Ce  problème  simple  nous  indique  la  métliode 
générale  pour  tTOn\ev  l'ombie portée  par  un  point, 
et,  par  suite,  par  une  figure  quelconque  sur  les 


OMBRES 


—  1443  — 


OMBRES 


plans  de  projection  :  nn  fait  passer  par  If  point 
dimnc  un  rayon  lumineux  et  l'on  aétermine  la 
tract  de  ce  rayon  sur  le  premier  plan  qu'il  ren- 
contre, soit  l'Iiiirizontal,  soit  le  vertical. 

Pour  bien  fairu  comprendre  ce  qui  suit,  nous 
devons  donner  la  règle  employée  pour  trouver  les 
traces  d'une  droite. 

Pour  avoir  la  trace  horizontale  d'une  droite, 
c'est-à-dire  le  point  où  elle  rencontre  le  plan  hori- 
zontal, on  prolonge  la  projection  verticale  jusqu'à 
la  ligne  de  terre  et  Von  élève  une  perpendicu- 
laire à  cette  ligne  de  terre  jusqu'à  la  rencontre 
de  la  projectii.ii  liorizontale. 

De  môme,  p'iu-  nmir  la  trace  verticale  d'une 
droite,  on  pro/'i/ii/r  lu  jirojectioJi  horizontale  jus- 
qu'à la  ligne  de  terre  et  l'on  élève  une  perpendi- 


culaire à  cette  ligne  de  terre  jusqu'à  la  rencontre 
de  ta  projection  verticale. 


Ex.  :  thei  tv  ,  fig.  3  et  fig.  4,  sont  les  traces  de 
deux  droites  quelconques  de  l'espace. 
Soit  donc  un  point  matériel  aa'  (fig.  5),  dont  on 


Fig.  5.  Fig.  0. 

veut  trouver  l'ombre  portée  sur  les  plans  de  pro- 
jection. 

Le  rayon  lumineux  à  4.S%  passant  par  le  point 
aa',  a  sa  trace  horizontale  au  point  ah,  qui  est  l'om- 
bre demandée. 

Si  l'on  veut  l'ombre  portée  par  le  point  6// 
(fig.  6),  on  la  trouve  sur  le  plan  vertical  au  point 

Soit  maintenant  une  droite  matérielle  ah,  a'b' 
(fig.  7),  dont  on  veut  avoir  l'ombre  portée  sur  les 
plans  de  projection. 

Le  rayon  lumineux  passant  par  aa'  a  sa  trace 
horizontale  en  a/,,  et  celui  passant  par  64',  en  4;,. 
1  ombre  cherchée  est  la  ligne  ai,   hh. 

La  figure  8  donne  l'ombre  portée  par  une  droite 
sur  le  plan  vertical. 

Il  arrive  souvent  qu'une  partie  d'une  droite 
porte  ombre  sur  le  plan  vertical  et  l'autre  partie 


sur  le  plan  horizontal  :  dans  ce  cas,  l'ombre  forme 


Fig.  7. 


un  coude  sur  la  ligne  de  terre.  Ainsi,  la  droite  ab, 
a'h'  (fig.  9),  porte  ombre  suivant  une  ligne  coudée 
qui  va  du  point  «u  au  point  6a.  On  a  déterminé  les 


Eig.  9. 


Fig.  10. 


deux  traces  horizontales  an  et  h/,  des  rayons  lumi- 
neux et  on  les  a  réunies  par  une  droite  en  ayant 
soin  de  s'arrêter  à  la  ligne  de  terre  pour  remonter 
vers  la  trace  verticale  a„. 
Voici  d'autres  positions  d'une  droite  : 
L'ombre  portée  par  une  droite  verticale  est  une 
ligne  à  ii"  sur  le  plan  liorizontal  et  une  perpen- 
diculaire à  la  ligne  de  terre  sur  le  plan  vertical 
£x.  :  fig.  10. 

L'ombre  portée  par  une  perpendiculaire  au  plan 
(vertical  est  une  ligne  à  ib'  sur  le  plan  vertical  et 


>• 


Fig.  11. 


Pig.  12. 


une  perpendiculaire  à  la  ligne  de  terre  sur  le  plan 
horizontal.  Ex.  :  fig.    11. 

L'ombre  portée  par  une  parallèle  aux  deux 
plans  de  projections  est  une  parallèle  à  la  ligne 
de  terre,  égale  à  la  ligne  de  l'espace.  Ex.  :  lig.  12. 

Si  nous  passons  maintenant  à  l'ombre  portée 
par  une  surface  plane  quelconque,  nous  n'aurons 
qu'à  déterminer  l'ombre  portée  par  son  périmè- 
tre, lequel  est  composé  de  lignes  droites  ou  do 
lignes  courbes.  Nous  trouverons  des  applications 
nombreuses  de  cette  question  dans  l'étude  des 
corps  solides;  qu'il  nous  suffise  en  ce  moment  de 
dire  qu'une  surface  plane  quelconque  parallèle  ."i 


OMBRES 


1444  — 


OMBRES 


un  des  plans  de  projection  porte  sur  ce  plan  une 
ombre  égale  à  elle-même,  et,  sur  l'autre  plan,  une 
ombre  qui  est  cette  surface  déformée. 

Ainsi  un  rectangle,  un  liexagone  régulier,  un 
cercle,  etc.,  parallèles  au  plan  horizontal,  portent 
respectivement  ombre  sur  ce  plan  suivant  un  rec- 
tangle égal,  un  liexagone  égil,  un  cercle  égal,  etc., 
et,  sur  le  plan  vertical,  suivant  un  parallélo- 
gramme, un  hexagone  irrégulier,  une  ellipse,  etc. 

Résultat  inverse  si  ces  figures  sont  parallèles 
au  plan  vertical. 

Occupons-nous  maintenant  des  corps  solides. 


Fig.   13. 

Soient  une  source  de  lumière  S  et  un  corps 
opaque  A  (fig.  13). 

Les  rayons  lumineux  qui  partent  de  S  enve- 
loppent le  corps  opaque  en  formant  un  cône  qui 
rase  ce  corps  opaque  suivant  une  courbe  appelée 
la  ligne  de  séparation  d'ombre  et  de  lumière,  ou 
simplement  la  ligne  d'ombre  propre,  de  manière 
que  toute  la  surface  du  corps  située  à  gauche  de 
la  courbe  est  éclairée,  et  que  toute  la  surface  située 
à  droite  est  dans  l'ombre. 

Soit  un  plan  P  situé  h  droite  du  corps  opaque. 

Les  rayons  lumineux,  après  avoir  touché  le 
corps,  viennent  rencontrer  ce  plan  et  y  forment 
une  courbe  appelée  la  ligne  d'ombre  portée,  de 
manière  que  toute  la  surface  comprise  dans  cette 
courbe  est  dans  l'ombre  et  que  toute  la  partie  du 
plan  située  hors  de  la  courbe  est  éclairée. 

Supposons  que  la  source  lumineuse  s'éloigne  à 
l'infini  :  le  cône  lumineux  précédent  devient  un 
cylindre  qui  enveloppe  également  le  corps  et  y 
détermine  une  ligne  d'ombre  propre,  différente  de 
la  première;  il  donne  aussi,  sur  le  plan  P,  une 
courbe  d'ombre  portée,  plus  petite  que  la  pre- 
mière. Dans  le  premier  cas,  on  a  une  ombre  au 
flamleau  sur  le  plan  P,  et  dans  le  second,  une 
ombre  au  soleil. 

A  la  rigueur,  on  pourrait  dire  que  le  soleil,  qui 
n'est  pas  à  une  distance  infinie  des  corps,  produit 
un  cône  d'ombre  au  lieu  d'un  cylindre  ;  mais  l'er- 
reur est  insensible  et  l'on  est  convenu  d'admet- 
tre que  ses  rayons  sont  parallèles.  C'est  l'om- 
bre au  soleil  qui  est  presque  excl,usivement  em- 
ployée dans  le  dessin  géométrique. 

Dans  l'un  et  l'autre  cas,  on  peut,  dès  mainte- 
nant, indiquer  une  méthode  générale  pour  trouver 
les  ombres  propre  et  portée  d'un  corps  de  forme 
quelconque  :  on  fait  passer  des  plans  par  la 
source  lumineuse,  ou  parallèlement  aux  rayons 
lumineux,  plans  qui  coupont  le  corps  A  et  le  plan 
P  ;  on  mène  i  chaque  courbe  d'intersection  des 
tangentes  parallèles  aux  rayons  lumineux,  que 
l'on  prolonge  jusqu'au  plan  P.  Les  points  de  con- 
tact de   ces  tangentes  forment  la  ligne  d'ombre 


propre,  et  leurs  traces  sur  le  plan  P  forment  la 
ligne  d'ombre  portée. 

Citons,  à  l'appui  de  ce  qui  précède,  un  certain 
nombre  d'applications. 

1°  Ombres  d'un  cube. 

Soit  un  cube  placé  sur  le  plan  horizontal,  à 
une  assez  grande  distance  du  plan  vertical  pour 
avoir  l'ombre  tout  entière  sur  ce  plan  horizontal 
(fig.   U). 

Tel  qu'il  est  placé,  le  cube  n'a  pas  d'ombre  pro- 


pre visible  en  projection,  parce  que  la  face  d'a- 
vant, qui  est  seule  vue  en  projection  verticale,  et 
la  face  supérieure,  qui  est  seule  vue  en  projection 
horizontale,  sont  éclairées.  Quant  à  l'ombre  portée, 
on  sait  d'avance  qu'elle  se  composera  d'un  carré 
cb^l^^d^  égal  à  la  face  abcd,  et  de  deux  lignes  à  45°. 
6*1  et  fWj,  qui  sont  les  ombres  des  deux  arêtes 
verticales  b,  b'b"  et  a,a'a". 
Rapprochons  maintenant  le  même  cube  du  plan 


vertical  de  manière  h  avoir  de  l'ombre  sur  les  deux 
plans  de  projection  ^fig.  15). 

Nous  construisons  le  contour  précédent  o6,c,aio', 
comme  si  le  plan  vertical  n'existait  pas,  puis 
nous  relevons  l'ombre  à  partir  de  la  ligne  de 
Iprre  pour  venir  passer  par  les  traces  verticales 
rf'i  et  e'i  des  rayons  lumineux.  Une  partie  de  l'om- 
bre est  cachée  par  le  cube  lui-même. 


OMBRES 


—  1443  — 


OMBRES 


Si  nous  plaçons  le  cube  contre  le  plan  verti- 
cal {fig.  16),  nous  obtenons  le  triangle  rectangle 
isocèle  iA,6''  pour  le  contour  de  l'ombre  portée. 


Enfin,   si  nous  plaçons  le  cube  à  une  Iiauteur 
suffisante  pour  avoir  l'ombre  tout  entière  sur  le 


Faisons  passer  un  rayon  lumineux  par  le  som 
met  de  la  pyramide  et  déterminons  ses  traces 
sh  et  Su;  joignons  ensuite  d  sh  et  h  sk.  ^'ous  voyons 


a'      ,fV e'c'       d 


plan  vertical,  nous  obtenons  la  fig.  17,  analogue  îi 
la  fig.  U. 

2°  Ombres  d'un  prisme  droit. 

Soit  un  prisme  hexagonal  droit  reposant  sur  le 
plan  horizontal  (fig.  18).  ■ 

On  voit  immédiatement  qu'il  y  a  trois  faces 
latérales  qui  sont  éclairées,  ainsi  que  la  base 
supérieure,  et  qu'il  y  a  trois  faces  latérales  dans 
l'ombre.  Parmi  ces  dernières  il  n'y  en  a  qu'une 
seule  qui  soit  visible  sur  le  plan  vertical  et  qui 
donne  Yombre  propre  du  prisme. 

Le  rayon  lumineux  rase  le  prisme  suivant 
l'arôte  verticale  projetée  au  point  e,  puis  suivant 
les  arêtes  horizontales  ed,  c'd'  ;  de,  d'e'  ;  ef,  e'f',  et 
enfin  suivant  l'arête  verticale  projetée  au  pomt  f. 

L'arête  verticale  projetée  en  e  donne  une  ligne 
d'ombre  à  46°  jusqu'à  la  ligne  de  terre,  puis  une 
verticale  jusqu'en  t-',  ;  les  arêtes  projetées  hori- 
zontalement en  cd,  de  et  rf  portent  ombre  sur  le 
plan  vertical  respectivement  suivant  les  lignes 
c'id\,  d'ic'i  et  e'i  f'^;  enfin,  la  verticale  projetée 
en  f  donne  une  ombre  terminée  au  point  f'i,  ana- 
logue à  celle  portée  par  l'arête  projetée  en  c. 

Il  faut  remarquer  qu'une  portion  de  l'ombre  por- 
tée sur  le  plan  vertical  est  cachée  par  l'élévation 
môme  du  solide. 

.3"  Ombres  d'une  pt/ramiile. 

Soit  une  pyramide  octogonale  régulière  repe- 
sant sur  le  plan  horizontal  (lig.  19).  j..,. 


Fig.  ts. 

immédiatement  que  les  arêtes  latérales  ds  et  (As 
de  la  pyramide  sont  les  séparatrices  d'ombre  |et 


Fig.  19. 

de  lumière,  c'est-îi-dire  que  les  quatre  faces  situées 
il  gauche  de  ces  arêtes  sont  éclairées,  tandis  que 
les  autres  sont  dans  l'ombre.  En  élévation,';  une 


OMBRES 


—  1446  — 


[OMBRES 


seule  de  ces  faces  est  visible.  Voilà  pour  l'ombre 
propre. 

L'ombre  portée  parla  pyramide  tout  entière  sur 
les  plans  de  projection  est  limitée  par  l'ombre 
portée  par  ces  mêmes  arêtes  ds  et  h.s  ;  elle  se  dirige 
d'abord  vers  le  point  sh.  puis  se  relève,  à  partir  de 
la  ligne  de  terre,  vers  le  point  Sv. 

4°  Ombres  d'un  rylindre. 
Soit  un  cylindre  droit  reposant  sur  le  plan  hori- 
zontal (fig.  20). 
Les  rayons  lumineux  rasent  le  cylindre  suivant 


rige  d'abord  vers  le  point  .••Vi.  puis,  arrivée  àla  ligne 
de  terre,  se  relève  au  point  su. 

Il  faut  remarquer  que  les  deux  génératrices  d« 
séparation  d'ombre  et  de  lumière,  sr  et  srf,  sont 
les  lignes  de  contact  de  deux  plans  tangents  for- 
més par  des  rayons  lumineux  rasant  le  cône.  Les 
traces  de  ces  plans  forment  les  limites  de  l'ombre 


Fig.    20. 

les  deux  génératrices  verticales  c,r'r"  et  d.d'd", 
et  suivant  la  demi-circonférence  cbd.  Les  deux 
génératrices  en  question  sont  les  lignes  de  sépa- 
ration d'ombre  et  de  lumière  ;  elles  déterminent 
l'ombre  propre  du  cylindre. 

Pour  trouver  l'ombre  portée,  il  suffit  de  se  rap- 
peler que  la  base  supérieure  du  cylindre  porte 
ombre,  sur  le  plan  horizontal,  suivant  un  cercle 
égal,  dont  le  centre  est  en  rij,  et  sur  le  plan  verti- 
cal, suivant  une  ellipse  qu'il  est  facile  de  déter- 
miner par  points  ou  au  moyen  de  deux  diamètres 
conjugués,  qui  sont  les  ombres  portées  par  deux 
diamètres  perpendiculaires  de  la  base  supérieure 
du  cylindre. 

Ainsi,  la  génératrice  cc'c"  porte  ombre  suivant 
la  ligne  ce,  à  45";  l'arc  horizontal  projeté  en  ce 
porte  ombre  suivant  un  arc  égal  et  parallèle  c iC,  ; 
l'arc  projeté  en  ebd  porte  ombre  suivant  l'arc 
d'ellipse  Cii'irf'i;  la  génératrice  dd'd"  porte  om- 
bre suivant  la  ligne  brisée  dfd\. 

5°  Ombres  d'un  cône. 

Considérons  successivement  des  cônes  droits  h 
22"  1/5,  à  45°  et  Cî"  1/2,  c'est-à-dire  des  cônes 
dont  les  génératrices  font  des  angles  de  1/4,  1/2  et 
3/4  d'angle  droit  avec  l'axe. 

Soit  un  cône  i  22°  1/2  situé  sur  le  plan  horizon- 
tal (flg.  21). 

Menons  un  rayon  lumineux  par  le  sommet  du 
cône;  déterminons  ses  traces  sa  et  Si-;  par  le 
point  Sh,  menons  deux  tangentes  à  la  base  du  cône 
et  traçons  les  génératrices  sr,  !,'c',  et  sd,  s'd'  : 
nous  avons  immédiatement  l'ombre  propre  et 
l'ombre  portée  du  cône.  La  première  est  limitée 
par  les  deux  génératrices  en  question,  dont  une 
seule  est  visible  en  élévation;  la  seconde  se  di- 


portée,  et  leur  intersection  est  précisément  le 
rayon  lumineux  passant  par  le  sommet  du  cône. 

Soit  maintenant  un  cône  à  45"  situé  sur  le  plan 
horizontal  (lig.  22). 

Le  rayon  lumineux  passant  par  le  sommet  a  sa 
trace  horizontale  en  Sh.  Si  l'on  mène,  de  ce  point, 
deux  tangentes   à  la  base  du  cône,    on    obtient 


l'ombro  portée  suivant  le  contour  csn  b  ;  l'ombre 
propre  est  comprise  entre  les  génératrices  xb  et 
se,  et  l'on  voit  que  cette  ombre  propre  est  entière- 
ment invisible  en  élévation. 

Soit  enfin  un  cône  à  ti?"  1/2  (fig.  2.3). 

Si  l'on  mène  un  rayon  lumineux  par  le  sommet 
du  cône,  il  se  trouve  tout  entier  dans  l'intérieur 
du  cône,  de  sorte  qu'on  ne  peut  pas  mener  de 


OMBRES 


—  mi  — 


OMBRES 


tangente  par  la  trace  horizontale  si,,  ce  qui  prouve 
que  le  cône  n'a  ni  ombre  propre  ni  ombre  portée. 

C"  Oinhref  de  la  sphrrc. 
Soit  une  splière  oo'  reposant  sur  le  plan  hori- 
zontal (fig.  24). 
Cette   sphère   est   inscrite    dans    un     cylindre 


fprmé  par  les  rayons  lumineux,  qui  la  rasent  sui- 
vant un  grand  cercle  dont  le  plan  est  perpendi- 
culaire à  leur  propre  direction.  On  sait,  d'ailleurs, 
que  ces  rayons  lumineux  sont  inclinés  h  l'angle  ç 
de  35°  16' sur  le  plan  horizontal. 

l'our  bien  voir  la  position  du  cylindre  en  ques- 
tion, prenons  une  nouvelle  ligne  de  terre  Lj  Tj, 
parallèle  à  .so.  Sur  le  nouveau  plan  vertical,  la 
sphère  se  projette  en  o'.;  les  rayons  lumineux, 
suivant   la  direction  .s',o  j  faisant  l'angle  ç  avec 


L,T,  ;  le'  cercle  de  contact  .se  projette  suivant 
la  droite  «i''»,',  perpendiculaire  :'is',o',.La  projec- 
tion horizontale  de  ce  cercle  est  l'ellipse  a  c  h  d  : 
c'est  la  ligne  de  séparation  d'ombre  et  de  lumière 
sur  le  plan  horizontal. 

En  opérant  sur  le  plan  vertical  comme  sur  le 
plan  horizontal,  on  obtiendra  une  ellipse  identi- 
que à  la  précédente. 

L'ombre  portée  sur  le  plan  horizontal  est  la 
trace,  sur  ce  plan,  du  cylindre  circonscrit  à  la 
sphère  :  c'est  une  ellipse  dont  le  petit  axe  est 
égal  au  diamètre  de  la  sphère,  et  dont  le  grand 
ai^e  est  inn  ==  m\H^', 

1°  Du  ressaut  (les  ombres. 
Nous  allons  terminer  cette  étude  par  une  ap- 


d'  d; 


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i 

b 

Fig.  2fi. 

plication  fréquente  des  ombres,  principalement 
dans  les  dessins  d'architecture. 

Lorsqu'un  corps  porte  ombre  sur  plusieurs 
plans  parallèles,  ou  plus  généralement  encore  sur 
plusieurs  surfaces,  cylindres,  cônes,  etc.,  placées 
les  unes  devant  les  autres,  l'ombre  passe  de  l'une 
à  l'autre  de  ces  surfaces  en  se  rapprochant  ou  en 
s'éloignant  du  corps  qui  porte  ombre  et  en  chan- 
geant de  forme  suivant  la  nature  des  surfaces. 

Os  mouvements  constituent  ce  que  l'on  nomme 
le  ressaut  des  ombres.  On  dit  que  l'ombre  res- 
saute  d'un  corps  sur  un  autre. 

Soient,  par  exemple,  ah,  a'U  les  projections  de 
l'arête  horizontale  d'un  larmier,  et  une  série  de 
plans  verticaux  indiqués  en  projection  horizontale 
(fig.  25). 

L'ombre  de  l'arête  est  une  ligne  horizontale  sur 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D')  —  1448  —  OPTIQUE  (INSTPiUMENTS  D') 

<!ianii>  de  ces  plans  verticaux,  parallèles  et  éclie- 
iuiinés  ;  lorsqu'ils  s'éloignent  de  l"i,2",3'",  l'ombre 
iM'scend  ou  ressaute  de  1"',2",3'";  lorsqu'ils  se 
rapprochent,  au  contraire,  l'ombre  s'élève;  donc  la 
ligne  brisée  en  projection  horizontale,  prise  à 
partir  de  ah,  se  reproduit  exactement  en  projec- 
tion verticale  à  partir  de  n'A'  pour  limiter  l'ombre  ; 
il  suffit  dp  faire  un  calque. 

Il  faut  ajouter  à  cette  ombre  portée  par  l'arête 
du  larmier  l'ombre  de  chaque  plan  vertical  sur 
celui  qui  vient  après  et  qui  est  situé  en  arrière. 
Ainsi  l'arête  verticale  rc'r"  du  premier  plan  porte 
ombre   sur  le  second  suivant  la  verticale  '.'ic'ic"!. 

Soit  encore  proposé  de  trouver  l'ooibre  portée 
par  l'arête  horizontale  d'un  larmier  sur  une  série 
de  moulures  verticales,  dont  la  forme  est  indiquée 
en  projection  horizontale  (fig.  26). 

En  raisonnant  comme  dans  l'exemple  précédent, 
on  voit  que,  pour  avoir  l'ombre  portée  par  l'arête 
o' ,  a'b'  sur  la  série  des  moulures,  il  suffit  de 
décalquer,  à  partir  de  ab,  le  profil  donné  en  pro- 
jprtion  horizontale  et  de  le  reporter  sur  le  plan 
vertical,  à  partir  de  a'b' .  Il  faut  ajouter,  en  outre, 
les  ombres  portées  par  les  moulures  les  unes  sur 
le.-  autres  en  se  servant  de  rayons  à  4ô"  menés 
taiigentiellement  à  chaque  moulure  sur  le  plan 
horizontal. 

On  obtiendrait  de  la  même  manière  l'ombre 
lioitce  par  une  ligne  verticale  sur  des  moulures 
liorizontales.  [A.  Bouguerel.] 

OPTIQUE  (Instruments  d').  —  Physique,  XXXII. 
—  Les  instruments  d'optique  sont  formés,  tantôt 
par  des  groupements  de  lentilles  {dw/itinque), 
tantôt  par  des  combinaisons  de  miroirs  et  de  len- 
tilles (cntadioplrigue).  Tout  ce  que  nous  allons 
dire  sur  la  théorie  et  l'emploi  de  ces  instruments 
suppose  donc  chez  le  lecteur  une  connaissance  des 
lois  et  faits  principaux  se  rapportant  à  la  réflexion  * 
et  à  la  réfraction*  de  la  lumière. 

Nous  étudierons  d'abord  les  instruments  les 
plus  simples,  ceux  qui  n'exigent  que  l'emploi 
dune  seule  lentille  :  loupe,  chambre  noire,  cham- 
i>rc  claire.  —  Nous  passerons  ensuite  à  l'examen 
iIj-s  appareils  plus  complexes  :  1°  résultant  de 
i  assemblage  de  plusieurs  lentilles  :  microscope 
co  iiposé,  lunette  astronomique,  lunette  terrestre, 
lunette  de  Galilée  ;  2°  obtenus  par  des  combi- 
naisons de  lentilles  et  de  miroirs  :  télescope  de 
Nrwtou,  de  Foucault. 

I.  Loupe.  —  Quand  un  objet  n'a  que  de  très 
petites  dimensions, 
nous  le  voyons  mal, 
s'il  est  placé  à  une 
distance  de  l'œil  égale 
à  la  distance  de  la  vi- 
sion distincte  (25  ou 
30  centimètres  pour 
les  vues  ordinaires), 
parce  qu'il  nous  en- 
voie tmp  peu  de  lu- 
mièri'  et  que  la  sensi- 
bilité de  la  rétine  est,  Fig.  1. 
nous  le  savons,    fort 

limitée.  Si,  pour  mieux  l'apercevoir,  nous  le  rappro- 
chons de  la  pupille,  une  plus  grande  quantité  de  la 
lumière  qu'il  diffuse  pénètre,  il  est  vrai,  dans  les 
milieux  de  l'œii  ;  mais  les  rayons  qu'il  émet  se  pré- 
sentent alors  avec  un  degré  de  divergence  trop  pro- 
noiicé  et  son  image  ne  se  forme  plus  par  suite  sur  la 
rétine  elle-même;  elle  devientvague,mal  déterminée 
et  finalement  les  détails  de  l'objet  nous  échappent 
complèiement.  Ainsi,  le  phylloxéra  de  la  vigne,  qui 
n'a  qu'un  tiers  de  millimètre  environ  dans  sa 
plus  grande  longueur,  nous  paraît,  à  l'œil  nu, 
co;nme  un  grain  de  poussière  informe  ;  nous  ne 
distinguons  ni  ses  pattes,  ni  ses  antennes,  etc.  La 
Joujie,  qui  n'est  qu'une  simple  lentille  conver- 
gente de  verre,  a  précisément  pour  but  de  per- 


mettre ce  rapprochement  si  désirable  de  l'objet  du 
côté  do  la  lentille,  tout  en  nous  le  faisant  voir  ou 
plutôt  en  plaçant  son  image  ;\  la  distance  de  la 
vision  distincte. 

Les  deux  conditions  voulues  pour  une  vision 
nette  sont  donc  ainsi  réalisées  :  clarté  suffisante, 
parce  que  l'objet  est  très  voisin  de  ro?il,  et  en 
même  temps  transport  de  son  image  i  25  ou  30 
centimètres,  afin  que  celle-ci  puisse  se  former  avec 
netteté  sur  le  réseau  rétinien. 

En  somme,  l'effet  produit  par  l'interposition 
de  la  loupe,  représente  pour  nous  comme  un 
grossissement  de  l'objet.  Aussi  dit-on  habituelle- 
ment, pour  rendre  l'impression  produite  :  telle 
loupe  grossit  trois  fois  en  diamètre,  telle  autre 
cinq  fois.  La  figure  1  nous  permettra  d'expliquer 
simplement,  par  la  marche  des  rayons  lumineux 
dans  le  verre  convergent,  l'effet  signalé.  La  len- 
tille .M  est  d'un  court  foyer,  un  centimètre  par 
exemple  ;  l'objet  de  petite  dimension  ub  est  placé 
entre  le  foyer  principal  de  la  lentille  et  la  len- 
tille elle-même  ;  il  se  trouve  donc,  en  réalité,  à 
un  très  petit  nombre  de  millimètres  de  distance  de 
l'œil  K.  Si  la  lentille  n'existait  pas,  il  est  bien  clair 
que  cet  objet  ah  (dont  nous  exagérons  volontaire- 
ment ici  les  dimensions  pour  rendre  la  figure  in- 
telligible), placé  trop  près  de  la  pupille,  ne  nous 
donnerait  de  lui-même  qu'une  image  confuse. 
Mais,  grâce  à  la  loupe,  les  rayons  tels  que  a  M 
qu'il  envoie  sont  déviés  de  leur  direction  :  lorsqu'ils 
passent  de  l'air  dans  un  milieu  plus  réfringent,  le 
verre,  ils  sont  rendus  convergents  et  viennent 
pénétrer  dans  l'œil  dans  une  direction  telle  que 
KM,  exactement  dans  les  mêmes  conditions  que 
s'ils  partaient  de  A,  point  de  concours  de  leurs 
prolongements  respectifs.  L'œil  verra  donc  l'extré- 
mité supérieure  du  petit  objet  non  point  en  a, 
où  elle  se  trouve  réellement,  mais  bien  en  A.  Il 
suffira  alors  de. porter,  par  voie  de  tàtonnement,la 
lentille  aune  distance  convenable  de  nh  ou  d'ef- 
fectuer ce  que  l'on  appelle  la  mise  au  point,  pour 
que  KA  soit  précisément  égale  à  la  distance  de  la 
vision  distincte  de  l'observateur.  La  même  ex- 
plication se  rapporte  aux  rayons  émanés  de  t,  et 
finalement' l'œil  apercevra,  à  la  distance  de  25 
ou  30  centimètres,  l'image  du  très  petit  corps  ab, 
situé  pourtant  très  près  de  sa  pupille;  il  verra 
donc  ce  dernier  nettement  et  de  plus  il  le  verra 
amplifié;  car  AB  et  ab  sont  des  lignes  parallèles 
interceptées  par  les  côtés  d'un  même  angle  AOB  ; 
et  AB  est  plus  loin  du 
sommet  O  que  ab. 
Le  grossissement  sera 
.  ,  .  AB  ,  CO,, 
égal  à  —r-  ou  à  — 11 
°  ah  co. 

sera  d'autant  plus  fort 
pour  un  même  obser- 
vateur que  eo  sera  plus 
faible  et  par  suite  que 
la  lentille  aura  un  plus 
court  foyer. 

—  Loupe.  Voilà    une    théorie 

tout  à  fait  élémentaire 
de  la  loupe.  Si  l'on  veut  maintenant  une  explication 
plus  complète,  il  faut  se  reporter  à  ce  qui  est 
dit  (article  Réfraction)  sur  la  marche  de  la  lumière 
dans  les  verres  convergents. 

Puisque,  par  hypothèse,  ab  est  îi  une  distance 
de  M  plus  petite  que  la  distance  focale  principale 
de  la  lentille:  l'image  que  celle-ci  doit  fournir  est 
virtuelle,  droite,  située  du  même  côté  de  la  len- 
tille que  l'objet  et  plus  grande  que  lui.  On  ob- 
tiendra alors  facilement  par  une  construction  géo- 
métrique l'image  du  point  o.  A  cet  effet,  on  mè- 
nera par  ce  dernier  point  inie  ligne  qui  ira  passer 
par  le  centre  optique  0,  on  la  prolongera  de  part 
et  d'autre  de  a  et  de  0.  L'image  do  a  sera  néces- 
sairement, nous  le  savons,  sur  l'axe  secondaire  nO. 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D)  —  IM'J  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 


Rn  second  lieu  on  consifK^rera,  parmi  les  rayons 
lumineux  qui  partent  du  point  it,  celui  qui  est 
parallèle  à  l'axe  principal  :  soit  «M  ;  ce  rayon,  k 
son  émergence,  ira  passer  par  le  foyer  principal 
de  la  lentille  en  F,  et  alors  l'image  de  a  sera 
nécessairement  au  point  de  concours  A  des  rayons 
tels  que  Off  et  MF  qui,  ;\  leur  sortie  de  la  loupe, 
viendront  traverser  la  pupille.  Même  construc- 
tion pour  l'image  de  A  et  pour  chacun  des  autres 
points  appartenant  à  l'objet  nh. 
Quant  au  grossissement  delà  loupe,  nous  avons 

déjà  vu  que — r  était  égal  a  -— ,    ou,   en  prenant 

les    notations    ordinaires  (V.   Ilé/'rartion],  égal   à 

- .  Mais,  dans  le  cas  du  foyer  virtuel  des  lentilles 

P 

convergentes,  on  a  entre /j  et//  la  relation  : 

î-_i  =' 

P       !>'  ~  ? 
a  ou  : 

P  f 

Remplaçant-   par  sa  valeur   dans  l'expression 
du  grossissement,  on  a  : 


AB 

ah  ■■ 


P'  +  f 
f 

Or,  p'  ou  CO  =  KC  —  KO.  D'autre  part,  KC,  c'est 
la  distance  de  la  vision  distincte  de  l'observateur, 
nous  l'appellerons  D  ;  KO  c'est  la  distance  de  l'oeil 
à  la  lentille,  nous  la  nommerons  l  ;  on  aura  donc  : 


p'  =  D  —  / 


et  finalement  : 


AB 

ab  '' 


Mais  f—lne  représente  qu'un  très  petit  nom- 
bre de  millimètres,  3  ou  4  au  plus  ;  ce  nombre 
est  négligeable  en  présence  de  D,  qui  en  repré- 
sente de  250  à  300  ;  et  alors  on  a  simplement  : 
AB_D 

valeur  à  laquelle  nous  étions  arrivés  plus   haut 
par  des  considérations  élémentaires. 

Ce  qu'il  faut  retenir  de  tout  ceci,  c'est  que  pour 
avoir  un  fort  grossissement  il  faut  recourir  à  une 
loupe  d'un  très  court  foyer,  du,  ce  qui  est  la 
même  chose,  h  une  lentille  dont  les  faces  présen- 
tent une  grande  courbure.  Or,  quand  la  courbure 
est  grande  on  ne  peut  utiliser  pour  la  forma- 
tion desimages  que 
les  rayons  inci- 
dents qui  s'écar- 
tent peu  de  l'axe 
principal  ;  les  au- 
tres produiraient 
une  déformation 
considérable  de  l'i- 
mago. L'élimina- 
tion nécessaire  de 
ces  derniers  rayons 
produit  un  affai- 
blissement notable 
dans  la  clarté  de 
l'image,  afl'aiblis- 
sement  qui  peut 
être  tel  que  les  dé- 
tails de  l'objet  ne 
soient  plus  percep- 
tibles. Pour  obvier 
à  cet  inconvénient  on  a  recours  h  un  éclairement 
artificiel  de  l'objet  à  étudier  (fig.  v).  La  loupe  /  i 


Microscope  î 


court  foyer  est  enchâssée  dans  un  anneau  métal- 
lique qui,  en  s'évasant  vers  le  haut,  permet  à  l'œil 
de  l'expérimentateur  de  trouver  un  point  d'appui 
résistant  pendant  la  durée  de  l'observation.  Le  sup- 
port de  cette  loupe  est  mobile  à  l'aide  d'une  cré- 
maillère que  l'on  fait  mouvoir  dans  le  sens  vertical 
à  l'aide  du  bouton  V.  Cette  disposition  rend  facile 
la  mise  au  point;  car,  pendant  que  la  loupe  se  dé- 
place, l'objet  à  étudier  demeure  fixe  sur  le  porte- 
objet  'C.  La  loupe  seule  est  mobile  et  peut  être 
placée  à  telle  distance  de  l'objet  qu'il  plaît  à 
l'observateur  d'obtenir.  Enfin,  un  miroir  concave 
M,  qu'on  peut  faire  tourner  autour  d'un  axe,  per- 
met de  concentrer  sur  l'objet,  en  l'y  accumulant, 
la  lumière  des  nuées  ou  celle  d'une  lampe  placée 
dans  le  voisinage  de  l'appareil. 

Le  petit  instrument  que  nous  venons  de  dé- 
crire sert  constamment  au  botaniste  et  à  l'ento- 
mologiste. Une  loupe  simple  ou  une  oiloupe  logée 
I  dans  un  petit  étui  de  corne  est  aujourd'hui  d'un 
prix  très  abordable  pour  tout  le  monde.  Chaque 
instituteur  doit  avoir  la  sienne  ;  elle  lui  sera  d'une 
grande  utilité  soit  pour  sa  propre  instruction, 
soit  pour  faire  bien  comprendre  aux  enfants  de 
son  école  là  constitution  de  la  fleur,  de  la  graine, 
l'organisation  des  insectes,  etc.  Il  n'y  a  pas 
de  leçons  de  chof:ps,  il  n'y  a  pas  d'explications  re- 
latives aux  questions  élémentaires  d'histoire  natu- 
relle à  la  plus  facile  intelligence  desquelles  la 
loupe  ne  puisse  concourir  utilement. 

II.  Ceiambiie  noire.  —  Une  lentille  convergente  est 
enchâssée  dans  le  trou  du  volet  d'une  chambre  her- 
métiquement close  de  toute  part,  en  vue  d'empêcher 
la  pénétration  accidentelle  de  la  lumière  extérieure. 
Nous  savons  que,  dans  ces  conditions,  un  objet 
éclairé  placé  en  dehors  de  la  chambre  sur  l'axe  de 
ladite  lentille  et  à  une  distance  de  cette  dernière 
plu<:  grande  que  la  distance  focale  principale,  vien- 
dra former  dans  l'intérieur  de  la  chambre,  sur  un 
écran  convenablement  placé,  son  image  réelle  et 
renversée.  Quand,  à  la  suite  de  tâtonnements 
convenables,  l'écran  aura  été  mis  au  point,  l'image 
en  question  sera  d'une  netteté  parfaite,  et  un  des- 
sinateur pourra  avec  un  crayon  tracer  sur  l'écran 
lescontours  de  l'objet  avec  la  même  exactitude  que 
s'il  s'agissait  du  calque  d'un  dessin  ordinaire.  Le  fait 
s'explique  sans  difficulté,  en  partant  de  la  théorie  des 
lentilles  convergentes  (V.  Réfraction);  p  repré- 
sentant la  distance  de  l'objet  à  la  lentille,  et  étant 
supposé  plus  grand  que  f,  longueur  focale  de  celle- 
ci,  on  a  pour  la  distance  p'  de  l'image  réelle  à  la 

vf  f 

même  lentille  :;y  =  -i-i--,=  — - — -,  C'est  précisé- 
V-t       ,       t 


r 


ment  à  celte  distance  p'  qu'il  faut  placer  l'écran 
pour  que  l'image  obtenue  possède  toute  la  netteté 
désirable. 

De  plus,  le  rapport  de  grandeur  de  l'image  et  de 
l'objet  étant  donné,  dans  ce  cas,  par  l'expression 

f 
-p  on  voit  que,  si  p  est  plus   petit  que  2  f, 

l'image  est  plus  grande  que  l'objet  ;  si  p  =  2  /■,  l'i- 
mage et  l'objet  ont  les  mômes  dimensions;  et  enfin, 
si  p  est  plus  grand  que  3  /,  l'imago  devient  plus 
petite  que  l'objet  et  d'autant  plus  petite  que  p  a 
une  plus  grande  valeur.  Dans  le  premier  cas,  c'est- 
à-dire  quand  le  corps  éclairé  est  placé  entre  le 
foyer  principal  de  la  lentille  et  le  double  de  la 
longueur  focale,  ce  corps  est  donc  amplifié  ;  il  se 
montre  grossi  sur  l'écran.  L'instrument  qui  réa- 
lise cette  condition  porte,  suivant  sa  destination, 
le  nom  de  méyascope  ou  celui  de  lanterne  ma- 
ç/ique. 

L'appareil  à  projection,  si  utilisé  aujourd'hui 
dans  les  cours  scientifiques,  n'est  qu'une  variété 
de  la  lanterne  magique.  L'objet  ou  la  photogra- 
phie dont  l'image  agrandie  doit,  être  projetée  sur 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D')  —  1450  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 


un  écran  est,  en  efl'et,  placé  entre  le  foyer  prin- 
cipal d'une  lentille  convergente  et  le  double  de 
sa  longueur  focale;  seulement,  pour  que  l'image 
dont  il  s'agit,  et  qui  se  trouve  amplifiée  par  la 
lentille,  soit  visible  dans  ses  moindi-es  détails  pour 
tout  un  auditoire,  on  a  le  soin  de  concentrer,  i 
l'aide  d'un  miroir  concave  ou  d'une  boule  de 
verre,  une  masse  énorme  de  lumière  sur  l'objet 
en  question.  La  lumière  utilisée  à  cet  effet  est 
fournie  soit  par  une  lampe  i  gaz  oxhydrique,  soit 
par  une  simple  lampe  i  pétrole  renfermée  dajis 
une  sorte  de  lanterne  sourde. 

Dans  le  troisième  cas,  alors  que  l'objet  est  au 
delà  du  double  de  la  longueur  focale,  l'image  pré- 
sente une  réduction  de  l'objet,  mais  sans  que, 
pour  cela,  ce  dernier  se  trouve  déformé  ;  elle  est 
d'autant  plus  petite  que  le  corps  s'éloigne  davan- 
tage de  la  lentille.  C'est  dans  l'appareil  nommé 
_  chambre     noire      des 

dessinateurs  et  dans  le 
daguerréuti/pe  que  ce 
troisième  cas  est  réa- 
Usé. 

Toutefois,  dans  la 
chambre  noire  des 
dessinateurs, on  n'em- 
ploie pas  une  lentille 
véritable,  mais  bien 
un  prisme  qui  est  l'é- 
quivalent dune  len- 
tille. Ce  prisme  (ftg. 
3)  a  une  face  anté- 
rieure convexe.  C'est 
par  elle  que  pénètrent 
dans  le  verre  les 
rayons  lumineux  émis 
par  l'objet;  puis  une 
face  inférieure  con- 
cave par  laquelle 
émergent  les  mêmes 
rayons.  En  passant  de 
la  première  face  à  la 
seconde,  ils  trouvent  sur  leur  route  une  surface 
plane  convenablement  inclinée  pour  s'opposer 
à  leur  sortie  et  qui  fait  fonction  de  miroir  plan. 
C'est,  on  le  voit,  le  phénomène  de  la  réfle.iion 
totale  de  la  lumière  i  la  surface  de  séparation  de 
deux  milieux  inégalement  réfringents  qui  est  ici 
utilisé.  En  tout  cas,  l'ensemble  des  deux  faces  con- 
vexe et  concave  produit  sur  la  lumière  le  même 
effet  qu'un  ménisque  convergent,  et  «ne  image 
réelle  des  objets  éloignés  vient  se  peindre  en  A  sur 
un  écran  disposé  pour  la  recevoir.  Qu'on  imagine 
alors  le  prisme-lentille  avec  sa  garniture  formant 
la  partie  centrale  et  culminante  d'une  sorte  de 
tente  dont  il  figurera  comme  la  cheminée  ;  qu'on 


dite  du  nouvel  appareil  est  constituée  par  une 
caisse  parallélipipédique  en  bois,  dont  une  moitié 
N  est  fixe  et  l'autre  M  mobile.  La  paroi  postérieure 
de  la  caisse  porte  un  écran  en  verre  dépoli  et  à 
coulisse  C,  sur  lequel  viendra  se  peindre  l'image 
des  objets  extérieurs.  Cela  dit,  le  mode  d'em- 
ploi du  daguerréotype  s'explique  de  lui-même. 
On  4>rige  le  tube  AB  vers  l'objet  à  reproduire.  Par 
un  mouvement  progressif,  en  avant  ou  en  arrière 
suivant  les  cas,  de  la  caisse  mobile  M,  on  amène 
l'écran  i  la  position  voulue  derrière  la  lentille  pour 
que  l'image  de  l'objet  s'y  reproduise  avec  netteté,  et 
on  achève  enfin  la  mise  au  point  très  exactement 
en  faisant  tourner  le  bouton  V.  11  n'y  a  plus  alors 
qu'à  substituer  au  verre  dépoli  l'écran  sensibilisé, 
sur  lequel  l'image  laisse  désormais  une  trace 
durable,  pour  que  la  reproduction  fidèle  de  l'objet 
puisse  s'opérer  dans  de  bonnes  conditions.  Nous 


n'avons  pas  à  insister  davantage  sur  ce  point,  les 
détails  opératoires  relatifs  à  la  sensibilisation  de 
la  plaque,  à  la  durée  de  la  pose,  à  la  fixation  de  l'i- 


lîl.  CiuMBRE  CLAinE.  —  La  chambre  claire  a  la 
même    destination 


se  représente  ensuiie  le  dessinateur  assis  sous  la  \  mage  sont  donnés  à  l'article  P/iotogrop/ne. 

tente  et  entouré  complètement  d'un  rideau  d'étoffe       """    "^ -   -  -         .      -.       .        . 

noire  pour  faire  chambre  obscure;  qu'on  le  suppose 
ayant  devant  lui,  en  A,  une  table  posée  sur  le  sol  j  que     la     chambre 
qui  lui   permette   de  dessiner  commodément   l'i-    noire  ;  mais  elle  est 
mage  projetée  sous  ses  yeux,  et  l'on  comprendra  :  beaucoup  plus  em- 
ce  qu'est  au  juste  la  chambre  noire  du    dessina 
leur.    L'artiste    pourra   aisément   tracer   avC' 
plus  parfaite  exactitude  sur   une   feuille    de    pa          .         . 
pier   les   contours  du   paysage   ou  du   monument  '  tographie  a  accom- 
v«rs    lesquels    il  aura   dirigé    la   face  convexe  du  '  pli  les  grands  pro- 
prisme.                                                                            I  grès    que    tout    le 
Le   daguerréotype,  qui  est  devenu  la  chambre    monde  peut  appré- 
noire  usuelle  des  photographes,   conduit   par  un    cier,    la     chambre 
moyen  différent  à  un  résultat  semblable.  Cette  fois,    noire  ne  sert  plus 
c'est  une   véritable  lentille  convergente  L  (fig.  4)  '  pour  ainsi  dire  aux 
ou  plutôt    une  lentille   double  LE,  qui  est   em- 1  dessinateurs. Ceux- 
ployée.  Elle    est  placée  dans  uu    tube  de  cuivre  '  ci  ont   recours,  de 
BL  que  l'on  peut  faire    mouvoir   parallèlement  à    préférence,  à  l'ins- 
""■^  <.,„   !.   l'aifig  (j'ui,  pigiioi,  V  et  d'une  crémail-    trumenf"-" 


ployée  aujourd'hui 

la  I  que  celte  dernière. 

I  Depuis  que  la  pho- 


îDaguer- 


T 


^ 


,  —  Chambre  claire. 


1ère;  et  cela,  le  long  d'un  tube  fixe  A  qui  s'em-    re.  La  chambre  claire  a  été  conservée  pour  la  topo-; 
boite  dans  BL.   La    chambre    noire   proprement  \  graphie  ;  elle  permet,  en  campagne  et  sans  reoou-: 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D')  —  l'w»  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 

rir  i  uiio  installation  gênante,  d'effectuer,  avec 
quelquu  rigueur,  des  levers  de  plan.  Le  colonel 
ilu  g('!inc  Laussodat  a  perfection n<i,  dans  ce»  der- 
niers temps,  ce  petit  instrument,  et  en  a  fort  ingé- 
nieusement péfjuJarisc  l'emploi.  Nous  nous  borne- 
rons ici  h  indiquiT  le  principe  de  la  chambre  claire. 

Un  prisme  quadrangulaire  de  verre,  dont  la  sec- 
tion droite  ABCD  est  représentée  dans  la  fig.  5,  di- 
rige vers  l'œil  de  l'opérateur,  placé  au-dessus  de  la 
lentille  1  et  de  l'arôte  D,  los  rayons  lumineux  prove- 
nant de  l'objet  il  étudier.  Ces  rayons  tombent  d'a- 
bord sur  la  face  AU  du  prisme  dans  une  direction 
telle  que  L;  ils  subissent  doux,  fois,  après  avoir 
pénétré  dans  le  verre,  une  réflexion  totale,  d'abord 
sur  la  face  BC,  puis  sur  la  face  CU  ;  tinalement  ils 
arrivent  dans  l'œil  et  lui  fout  percevoir  l'image  des 
objets  comme  le  ferait  un  simple  miroir  convena- 
blement disposé.  L'oeil,  placé  de  façon  à  ce  que  sa 
pupille  soit  divisée  en  doux  parties  égales  par  le 
plan  vertical  qui  contient  l'arôte  D,  projette  ins- 
tinctivement cette  image  sur  une  feuille  de  papier 
blanc  posée  en  E  sur  une  table  et  éprouve  la  même 
impression  que  si  elle  y  existait  réellement.  L  opé- 
rateur peut  donc  avec  son  crayon  en  dessiner  tous 
les  contours.  Seulement,  la  grande  difficulté,  c'é- 
tait l'adaptation  de  l'œil  à  la  fois  à  la  vision  d'ob- 
jets éloignés,  ceux  dont  l'image  est  fournie  par  le 
prisme,  et  à.  la  vision  nette  d'un  objet  distant  de 
SO  centimètres,  à  savoir  le  crayon  que  manie  le 
dessinateur.  On  a  résolu  la  difficulté  par  l'emploi 
d'une  lentille  I  convenablement  ajustée  et  que  tra- 
versent avant  d'arriver  à  l'œil  les  seuls  rayons 
venant  de  l'objet  éloigné.  Leur  point  de  concours 
est  ramené  par  cette  lentille  au  point  E,  et  l'œil 
peut  alors  voir  en  môme  temps  et  très  distincte- 
ment l'image  qmi  se  projette  sur  le  papier  et  la 
pointe    du  crayon  qui  y  trace  des  lignes. 

Les  angles  dièdres  du  prisme  quadrangulaire 
employé  ont  les  valeurs  suivantes: 

A=  90»,0 
B=  67",5 
C=135°,0 

D=  trr,5 

On  prouve,  h  l'aide  de  considérations  géomé- 
triques très  simples,  que  danscesconditions,  tout 
rayon  incident  qui  pénètre  dans  le  prisme  parla 
face  AB  en  émerge  par  la  face  AD,  en  prenant 
finalement  une  direction  exactement  perpendicu- 
laire h  sa  direction  initiale.  Ainsi,  si  le  rayon 
incident  L  est  horizontal,  le  rayon  émergent  qui 
lui  correspond  est  vertical.  Les  deux  réfractiojis 
que  le  rayon  subit  en  traversant  le  prisme  se 
compensent  exactement,  et  tout  se  passe  finalement, 
au  point  de  vue  de  la  déviation  totale,  comme  si  la 
lumière  avait  traversé  un  milieu  à  faces  parallèles. 

IV.  Microscope  composé. —  Quel  est  le  premier 
inventeur  du  microscope?  Cette  question  de  prio- 
rité est  demeurée  fort  incertaine.  Les  uns  en  attri- 
buent la  découverte  à  un  Hollandais,  Zacharie  Jans, 
d'autres  en  font  honneur  au  naturaliste  Leuwen- 
hoeck,  son  compatriote.  Ce  qu'il  y  a  de  positif,  c'est 
que  le  microscope  composé  date  de  la  fin  du  sei- 
zième siècle  ou  des  premières  années  du  dix-sep- 
tième. Ce  qu'ily  a  d'incontestable  aussi,  c'est  que, 
dans  son  état  premier  et  à  raison  des  images  peu 
nettes  et  par  trop  irisées  sur  leurs  bords  qu^U  four- 
nissait, cet  instrument  n'avait  au  point  de  vue  scien- 
tifique qu'une  médiocre  importance.  Euler,  le  pre- 
mier, en  1769,  démontra  la  possibilité  de  le  rendre 
achromatique,  et  c'est  la  réalisation  pratique  en 
1816  par  Frauenhoferde  l'idée  d'Euler  qui  a  fait  du 
microscope  un  de  nos  meilleurs  instruments  de 
recherches.  Amici  de  Modèno.Pritchaid  et  Ross  en 
Angleterre,  Charles  Chevalier,  Lerebours,  Ober- 
hauser  et  Nachet  en  France  ont  ensuite  porté  l'ins- 
trument, par  des  modifications  successives,  au  degré 
de  perfection  que  nous  lui  connaissons  aujourd'hui. 


Dans  sa  plus  grande  simplicité,  le  microscope 
est  constitué  par  une  lentille  convergente  0 
(fig.  6),  dite  iihjeitif,  qui 
doit  fournir,  des  très  pe- 
tits objets  0  il  examiner, 
une  image  cd  réelle  ren- 
versée et  agrandie  :  c'est 
dire  que  l'objet  sera 
placé  entre  le  foyer  p)in- 
cipal  de  la  lentille  objec- 
tive et  le  double  de  la 
longueur  locale.  Cette 
image  réelle  est  ensuite 
grossie  par  une  seconde 
lentille  B,  par  une  vraie 
loupe,  dite  oculaire,  qui 
la  transforme  en  une 
image  virtuelle  CD  por- 
tée à  la  distance  de  la 
vision  distincte  de  l'opé- 
rateur. La  lentille  b  est 
désignée  sous  le  nom 
d'objectif,  parce  qu'elle 
est  placée  du  côté  de 
l'objet;  la  lentille  B  est 
appelée  oculaire  parce 
qu'elle  est  tournée  vers 
l'œil.  On  comprend,  sans 
qu'il  soit  nécessaire  d'y 
insister,  que  l'objectif  et 
l'oculaire  devront  être 
portés  par  des  tubes  de 
métal  s'emboîtant  l'un 
dans  l'autre,  et  permet- 
tant de  taire  varier  la 
distance  dps  doux  lentil-  rig 
les.  De  plus  la  distance 
du  porte-objet  a  au  mi- 
croscope lui-même  pourra  changer  au  gré  de  l'o- 
pérateur, afin  do  réaliser  la  mise  au  point  et  d'ob- 
tenir le  maximum  de  netteté. 

Cette  simple  description  et  la  marche  des  rayons 
lumineux  indiquée  dans  la  figure  6  permettent  de 
comprendre  tout  de  suite  qu'il  se  produit  ici  un 
double  grossissement  de  l'objet. 

En  premier  lieu,  par  la  lentille  b.  L'objet  étant 
placé  entre  le  foyer  principal  et  le  double  de  la 
distance  principale,  on  sait  (V.  Héfraclion)  que 
le  rapport  de  grandeur  de  l'image  et  de  l'objet  est 

f 
égal  Ji — - —  ,  expression  dans  laquelle /'représente 

la  distance  focale  principale  de  l'objectif  et  p  la 
distance  de  l'objet  à  l'objectif.  Or;;  étant  par  hy- 
pothèse <.  2  f  cl  >  f  ;  f  est  nécessair.'iuent 
plus  grand  que  p  —  f  et  par  conséquent  l'image 
est  plus  grande  que  l'objet.  Elle  est  d'autant  plus 
grande  que  p  a  une  valeur  plus  voisine  de  celle 
do  /'.  Donc  l'objet  et  par  suite  le  porte-objet  a 
seront  toujours  dans  le  microscope  placés  très 
près  de  l'objectif,  attendu  que  la  longueur  focale 
de  ce  dernier  est  toujours  très  courte.  —  En  se- 
cond lieu,  l'image  réelle  cd  que  donne  l'objectif 
se  transforme  en  image  virtuelle  CD  par  le  fait  de 
la  loupe  B  ;  l'on  a  donc,  comme  nous  l'avons 
vu  plus  haut,  pour   le  nouveau  grossissement  : 

—  =  \  D  étant  la  distance  de  la  vision  dis- 
tincte de  l'observ-ateur  et  f  la  longueur  focale  de 
l'oculaire. 

On  a  par  suite  :  d'une  part,  par  le  fait  de  l'ob- 
jectif ; 

cd  f 

grandeur  de  l'olijet      p  —  f' 
d'autre  part,  par  le  fait  de  l'oculaire  : 

CD  ou  grandeur  finale  do  l'image       D 
lid  ""  /■' 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D')  —  1452  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 


En  multipliant  ces  deux  égalités  membre  à  mem- 
bre, cd  disparait  comme  facteur  commun  et  l'on 
grandeur  de  l'image 


arrive  à  ce  résultat  final  : 


grossissement  = 


D/- 


grandeur    de    l'objet 


On  en  conclut  que  pour  un  même  microscope 
le  grossissement  dépend  à  la  fois  de  la  distance, 
de  la  vision  distincte  de  celui  qui  l'emploie  et.  en 
outre,  de  la  distance  ;;  de  l'objet  à  la  lentille  ob- 
jective. ^ 

On   mesure   liabiluellement   ce    grossissement  j  -^g-;"5;";,'r—p^^-î;"p3; -f^;-™:-^         ™- 


blcs,  il  ne  faut  guère  dépasser  un  grossissement 
de  500  qui  correspond  en  réalité  à  une  étendue 
superficielle  égale  à  250, OuO  fois  celle  de  l'objet. 
Pour  des  études  d'histoire  naturelle  dans  une 
école  normale  primaire,  par  exemple,  des  grossis- 
sements de  10,  20,  30,  iO  fois  en  diamètre  sont 
toujours  suffisants.  Ce  qu'il  faut  demander  avant 
tout  au  microscope,  c'est  de  donner  des  images 
bien  éclairées,  nettes  dans  leurs  contours  et  nettes 
aussi  quand  elles  correspondent  i  des  couches 
un  peu  profondes  de  l'objet.  Cette  dernière  qua- 
lité constitue  \e  pouvoir  de  pénétration  dumicros- 


par  une  expérience  directe.  Sur  le  porte-objet  a  ^^^^  j  ^^^^^  ^j^  ^^^^^^^^  ,g^  appréciations  les 
est  pose  un  micromètre  divise  en  centièmes  de  mil- i  ,yj  ^(j,.^,^  sur  la  forme  et  la  constitution  des 
imètre.   C  est  une  lame  de  verre  à  la  surface  de  |  J"^.  ^       j^^  ^^- ^^^  ,.g„  ^  ^  observer, 

laquelle  on  a  trace  au  diamant  des  traits  opaques,        ^^^  ^^  ^^  microscope  sont  des  plus  impor- 

distants  lun  de  l'autre  d  un  centième  do  railli- ,  ,^j^jg  g^  ch\m\^,  il  permet  une  étude  exacte  et 
mètre.    On    met   1  œil  à  1  oculaire    :    la   distance  |  ^^^g^^^  ^^^  séparation  des  cristaux  les  plus  ténus 


des   traits  paraît    plus    grande.   Si.  pour   l'obser- 
vateur,   elle  est  par    exemple   égale    à   un   milli- 


qui  quelquefois   se  mêlent  et  se  confondent  dans 
un  même  dépôt,  si  on  se  contente  de  les  examiner 


mètre,  on  en  conclut  que  le  grossissement  a  pour  ,  ^  [,^j,  ^^^  ;,  ^j^^^j,  ^^^  indications  exactes  sur  la 
valeur  KiO.  Dans  le  cas  qui  nous  occupe,  la  me-  (.ons,iiuUon  des  liquides  animaux  :  sang,  urine, 
sure  du  grossissement  revient  donc  à  ceci  :deter- 1  p^^.  ^^  ,^3  ^^^^^^  ferments  qui  interviennent 
•■■Hier   en   millimètres   et  fractions  de  millimètre  modifier  les  substances    organiques.    Il  est 


quelle  est  la  grandeur  apparente  de  l'image  vir 
tnelle  fournie  par  l'oculaire.  Il  suffit  pour  résou- 
dre pratiquement  ce  problème  de  munir  l'ocu- 
laire d'une  petite  chambre  claire  (V.  plus  haut) 
et  de  projeter  l'image  grossie  du  micromètre  que 
donne  le  microscope  sur  une  règle  graduée  en  mil- 
limètres et  que  l'on  n  placée  juste  à  la  distance  de 
la  vision  distincte.  Si  l'image  de  l'intervalle  cor- 
respondant à  deux  divisions  consécutives  du  mi- 
cromètre recouvre  exactement  un  millimètre  et 
demi  de  la  règle  graduée,  ou  bien  deux  miUimè 


l'instrument  favori  du  médecin  et  du  naturaliste 
qui  ne  peuvent  pénétrer  sans  lui  dans  la  profon- 
deur des  tissus  vivants  quand  il  s'agit  d'étudier  leur 
constitution  normale  ou  de  constater  leuraltération. 
Il  sert  dans  l'industrie  pour  reconnaître  les  fraudes 
et  aussi  pour  guider  le  fabricant  qui  a  souvent 
intérêt  à  estimer  avec  précision  la  finesse  des 
laines,  des  soies  qui  lui  sont  livrées  et  qui,  s'il  n'y 
prend  garde,  peut  être  victime  de  mélanges  frau- 
duleux, non  reconnaissables  à  l'œil  nu. 
,  ,  .     I      V.  Lt'NETTE  ASTRONOMIQUE.  —  L'hîstoîre  dc  l'in- 

ires  de  cette  règle,  on  en  conclut  que  le  grossis-  mention  de  la  lunette  astronomique  est  envelop- 
soment  est,  dans  le  premier  cas,  de  150  en  dia-  ^^  ^^  nuages  comme  le  sont  presque  toujours 
mètre  et  de  200  dans  le  second.  Cette  détermina-  [g^  premiers  faits  qui  se  rapportent  aux  gran- 
tion,  on  le  voit,  est  des  plus  faciles.  ,.  .  J  des  découvertes.  La  légende  se  mêle  infaillible- 

Le  microscope  ramené  au  degré  de  simplicité  ^  ^^.^^  ^g  ^^^  ^  ,j  réalité,  et  il  devient  bien 
que  nous  venons  d'indiquer  constituerait  un  mau-  difficile,  à  deux  cents  ans  de  distance,  de  saisir 
vais  instrument;  les  images  qu'il  fournirait  seraient  ^^^^  exactitude  la  part  de  vérité  qu'il  serait  inte- 
rnai définies,  mal  arrêtées  ;  leurs  bords  présente-  cessant  et  juste  de  mettre  en  évidence.  C'est, 
raient  des  irisations  désagréables.  Une  bonne  ob-  j  ^^^^^  ^jj  y^  légende,  le  fils  d'un  fabricant  de 
servation  serait  impossible  avec  une  appareil  aussi  j  im^ettgg  ^e  Middlebourg  qui  fut  conduit,  par  un 

heureux  hasard,  à  placer  des  lentilles  de  verre 


défectueux. 

On  a  rendu  le  microscope  nchromatique  en  in- 
troduisant, entre  l'objectif  et  roculaire,une  troisième 
lentille,  dite  lentille  de  champ,  qui  ramène  sur  la 
surface  d'un  même  cône,  dont  le  sommet  est  à  la 
pupille,  les  différentes  couleurs  simples  que  les 
premières  réfractions  avaient  séparées  (V.  Lu- 
yifière,  p.  l'iTi).  Alors,  toutes  ces  couleurs  se 
superposant  pour  l'œil  de  l'observateur  lui  don- 
nent la  sensation  de  la  lumière  blanche  ;  les  irisa- 
tions disparaissent  complètement. 

On  est  même  allé  plus  loin  depuis  1823  :  onachro- 
matise  à  la  fois  l'oculaire  et  l'objectif.  Grâce  aux 
travaux  persévérants  des  physiciens  et  des  cons- 
tructeurs que  nous  avons  nommés  plus  haut,  le 
microscope  est  devenu  un  excellent  instrument, 
un  appareil  de  précision  qu'on  peut  se  procurer 
.Tujourd'hui  à  un  prix  très  modéré. 

Quand  l'objet  à  étudier  e>t  transparent,  on  l'é- 
claire  fortement  en  dessous,  en  dirigeant  sur  lui  la 
lumière  des  nuées  concentrée  par  un  miroir  con- 
cave ;  quand  il  est  opaque,  on  l'éclairé  par  dessus  à 
l'aide  d'une  lentille  convergente  convenablement 
disposée.  On  a  construit  des  microscopes  dont 
le  grossissement  dépasse  2,000  en  diamètre.  C'est 
une  folie  :  l'image  perd  alors  en  clarté  et  en  net- 
teté ce  qu'elle  gagne  en  surface  ;  on  ne  voit 
plus  aucun  détail  de  l'objet  d'une  façon  distincte, 
tout  est  nuageux,  et  c'est  alors  que,  l'imagination 
aidant,  on  peut,  tout  i  son  aise,  faire  du  roman  en 


dans  des  positions  relatives  telles  que  leur  grou- 
pement constitua  la  lunette    d'approche.    Galilée 
aurait   eu    connaissance   du    résultat    obtenu    en 
Hollande  ;  il  se  serait  aussitôt  mis  à  l'œuvre  et  il 
n'aurait  pas  tardé  b.  découvrir  la  lunette  qui  porte 
son  nom.  Elle  est  formée  essentiellement  par  la 
combinaison  d'une  lentille  biconvexe  servant  d'ob-  | 
jectif  avec  une  lentille  biconcave  placée  à  une  dis-  I 
tance  convenable  de  la  première  et  servant  d'ocu-  ' 
laire.   Ce   qu'on  peut  affirmer,  en  tout    cas,  c'est  ' 
que   dès    l<i09  le    céK'bre  astronome   italien  dont 
nous  parlons  était  en    possession    d'une     lunette 
d'approche  qu'il  venait  de  construire  et  à  l'aide  de 
laquelle    il    put  faire   dans    le   ciel  de    curieuses 
observations.    Le    plus    fort    grossissement    qu'il' 
employa  était  égal  kh'i.  Peu  après  Galilée,  Kepler 
remplaça    la  lentille    biconcave  de    l'oculaire  par 
une  lentille  biconvexe.  Kepler  est  donc  véritable- 
ment le  premier  auteur  de  la  lunette  astronomique 
telle  que  nous  la  construisons  aujourd'hui. 

La  lunette  astronomique  étant  destinée,  comme 
son  nom  l'indique,  à  observer  de  la  terre  les  astres 
qui  peuplent  le  firmament,  a  par  là  même  sa  len- 
tille objective  placée  h  une  immense  distance  de 
l'objet  à  observer.  L'image  réelle  de  cet  objet 
viendra  donc  se  former  en  avant  de  ladite  leniille 
et  tout  près  de  son  foyer  principal  ;  elle  sera  de 
plus  renversée  et  infiniment  plus  petite  que  l'ob- 
jet. Si  l'on  dispose  alors,  sur  le  trajet  des  rayons 


histoire   naturelle  et   substituer   la   fantaisie  i  la  •  qui  ont  déjà  donné  naissance  h  l'image  aérienne 
réalité.  Pour  se  placer  dans  des  conditions  favora-  1  un  oculaire  convergent,  de  telle  façon  que  l'imagt 


OPTlUUEdNSTRUMENTS  D)  —  1433  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 

réelle  en  qviestion  se  trouve  pliicée  entre  le  foyer 
principal  de  la  lentille  oculaire  et  cette  lentille 
elle-mfime,  l'image  de  l'astre  sera  vue  en  réalité 
à  travers  une  loupe,  elle  sera  par  suite  amplifiée, 
conservera  sa  situation  première,  renversée  comme 
elle  l'était  d'abord,  et  l'image  virtuelle  que  don- 
nera cet  oculaire  pourra  sans  peine  être  portée  à 
la  distance  de  la  vision  distincte  de  l'observateur. 
La  figure  7 


l'objectif  et  vont  former  en  ba  une  image  réelle  et 
renversée.  Ils  continuent  leur  marclic,  traversent 
l'oculaire  pour  arriver  h  l'œil  et  prennent  à  leur 
sortie  de  l'oculaire  des  directions  telles  que  leurs 
prolongements  vont  se  couper  en  13'A'  pour  con- 
stituer l'image  virtuelle  que  l'observateur  aperce- 
vra à  la  distance  de  sa  vision  distincte.  11  lui  suf- 
fira, en  effet,  pour  obtenir  ce  résultat,  de  dépla- 
cer lentement  le  tube  de  l'oculaire,  dans  un  sens 
ou  dans  l'autre,  de  manière  à  effectuer,  par  tâton- 
nement, la  mise  au  point  dans  chaque  cas. 

Dans  ces  conditions,  la  longueur  totale  de  la 
lunette  sera  sensiblement  égale  à  la  somme  des 
longueurs  focales  de  l'objectif  et  de  l'oculaire. 

Dans  la  lunette  de  Galilée,  l'oculaire  était, 
nous  l'avons  dit,  formé  par  une  lentille  biconcave, 
mais  dans  ce  cas,  ledit  oculaire  devait  être  placé, 
pour  jouer  le  rôle  de  loupe,  entre  A«  et  l'objectif 
lui-même  ;  et  dès  lors  la  longueur  de  la  lunette  était 
seulement  égale  à  la  différence  des  deux  longueurs 
focales.  De  plus,  dans  la  lunette  astronomique 
ordinaire,  l'image  est  renversée  par  rapport  i 
l'objet,  ce  qui  n'offre  aucun  inconvénient,  quand 
on  observe  un  astre  ;  tandis  que,  dans  la  lunette 
de  Galilée,  l'image  est  droite  comme  l'objet  lui- 
même. 

Le  grossissement  s'évalue  facilement  par  la 
théorie.  On  appelle  ici  grossissement  le  rapport 
de  l'angle  sous  lequel  l'objet  est  vu  directement 
par  l'observateur,  sans  l'interposition  d'aucun 
instrument,  à.  l'angle  sous  lequel  il  est  vu  à 
travers  la  lunette.  En  nommant  O  et  0'  les  centres 
optiques  de  l'objectif  et  de  l'oculaire,  qui  ne  sont 
pas  indiqués  sur  la  figure,  mais  que  le  lecteur 
se    représentera    facilement,     le     grossissement 

,     ,    ,.  B'O'A' 
sera  égal  à      ,       ou,  ce  qui  est  la  même  chose, 

hO'a 
aOb 

Or,  si  les  deux  angles  dont  il  s'agit  avaient,  l'un 
et  l'autre,  leur  sommet  au  centre  dune  même  cir- 
conférence, leur  rapport  serait  égal  au  rapport  des 
arcs  compris  entre  leurs  côtés,  et  comme  ici  les 
angles  sont  très  petits,  on  peut  prendre  au  lieu  du 
rapport  des  arcs  le  rapport  des  cordes  qui  les  sou- 
tiennent. 

Cherchons  donc  la  valeur  de  ce  dernier  rap- 
port. —  Soit  décrite  de  0'  comme  centre  une 
circonférence  de  rayon  1  ;  sur  cette  circonférence, 
1  arc  compris  entre  les  cotés  de  l'angle  iO'a  pour- 
rait être  considéré  comme  égal  à  ~,  en  nommant 

f  la  longueur  focale  de  l'oculaire.  Pareillement, 
1  arc  compris  entre  les  côtés  de  l'angle  «06  sur 


cette  même  circonférence  de  rayon  1  aurait  pour 
expression   —  ;  F  étant  la  longueur  focale  de  l'ob- 

jectif.  Donc  le  rapport   —rrr  ou  le  grossissement 

sera  représenté  par  -p  divisé  par-^   c  est-à-dire 

F 

par  —  •    On 

voit  donc 
que  le  gros- 
sissement 
4  de  la  lunet- 
te astrono- 
mique sera 
d'autantplus 
fort  que  l'ob- 
jectif sera 
à  plus  long 
foyer  et  l'ocu 
laire  à  plus 
court  foyer. 

Ni  la  lunette  de  Galilée,  ni  celle  de  Kepler 
n'auraient  jamais  acquis  l'importance  qu'elles  ont 
aujourd'hui,  sans  la  découverte  de  l'objectif  achro- 
matique. Elle  est  due  à  un  célèbre  opticien  anglais, 
Dollond,  qui  la  fit  connaître  vers  le  milieu  du  dix- 
huitième  siècle.  Dans  les  lunettes  d'approche 
primitives,  les  bords  de  l'image  présentaient, 
comme  dans  le  cas  du  microscope  primitif,  des 
irisations  d'autant  plus  prononcées  que  le  gros- 
sissement était  plus  fort  ;  il  eût  donc  fallu  forcé- 
ment restreindre  ledit  grossissement  et  s'en  tenir 
à  de  faibles  instruments.  Dollond  eut  l'idée  d'ac- 
coler pour  former  son  objectif  une  lentille  con- 
vergente de  crown  à  une  lentille  divergente  de 
flint.  En  choisissant  convenablement  les  courbures 
des  deux  verres  et  en  tenant  compte  en  même 
temps  des  valeurs  de  leurs  indices  de  réfraction 
qui  sont  notablement  différentes,  il  parvint  à  détruire 
la  dispersion  sans  supprimer  la  réfraction.  Celle-ci 
n'était  que  diminuée  parle  groupement  du  crown  et 
du  nint.  On  avait  donc  toujours  dans  l'objectif  ainsi 
constitué  un  système  lenticulaire  qui  demeurait 
convergent,  mais  qui,  en  même  temps,  et  c'est  là  le 
point  essentiel,  éliminait  dans  les  images  toute  colo- 
ration accidentelle.  En  réalité,  la  découverte  de 
Vnhjerlif  achromiiiique  a  été  le  plus  grand  pro- 
grès en  optique  instrumentale  qui  ait  été  accompli 
dans  le  dix-huitième  siècle.  Sans  exagérer  la  lon- 
gueur de  la  lunette,  on  a  pu  dès  lors  obtenir  des 
grossissements  considérables,  et  conserver  en 
même  temps  aux  images  une  clarté  suffisante. 

Cette  clarté,  on  le  comprend  aisément,  dépend 
du  diamètre  de  l'objectif;  aussi,  s'est-on  efforcé 
avant  tout  d'obtenir  de  larges  disques  de  crown  et 
de  flint  bien  homogènes,  dépourvus  de  stries  et  de 
bulles.  Par  leur  association,  ces  disques  convena- 
blement taillés  pouvaient  seuls  donner  do  bons  ob- 
jectifs achromatiques.  C'est  un  industriel  suisse, 
M.  Guinand,  qui  a  rendu  par  l'excellente  fabri- 
cation des  deux  sortes  de  verre  le  plus  grand  ser- 
vice à  la  science. 

L'oculaire  a  été  à  son  tour  perfectionné.  Au  lieu 
de  l'oculaire  simple  formé  d'un  seul  verre,  on  em- 
ploie assez  souvent  un  système  de  deux  lentilles, 
se  compensant  l'une  l'autre,  au  point  de  vue  de 
l'aberration  de  sphéricité  et  de  l'aberration  do  ré- 
frangibilité.  L'un  des  oculaires  doubles  le  plus 
souvent  utilisés  dans  ce  but  est  celui  de  Ramsden, 
dit  oculaire  positif  :  il  est  formé  de  deux  verres 
plan-convexes  dont  les  faces  convexes  se  regar- 
dent. 

La  lunette  astronomique  ne  sert  pas  seulement 
à  l'observation  des  corps  célestes  ;  elle  sert  en- 
core, et  cet  autre  usage  a  de  l'importance,  h  la  me- 
sure des  angles.  Lecercle  répétiteur,  le  théodolite, 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D')  —  1454  —  OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D') 


le  catliétomètre  portent  une  ou  plusieurs  lunettes 
dont  les  déplacements  sur  des  limbes  f;raduels 
permettent  d'évaluer  les  distances  angulaires  de 
deux  points  donnés.  Il  fallait  seulement,  pour  f|ue 
cette  mesure  eût  quelque  exactitude,  établir  dans 
la  lunette  une  ligne  à  points  de  repère  fixes  qui 
guidât  sûrement  l'observateur  quand  il  dirige- 
rait l'instrument  vers  un  point  détermine.  Cette 
ligne  porte  le  nom  d'axe  optique;  elle  est  fixée, 
quant  à  sa  position,  par  deux  points  invaria- 
bles :  !°  le  centre  optique  de  l'objectif  ;  2°  le 
point  de  croisement  de  deux  fils  se  coupant  à 
angle  droit,  point  de  croisement  que  l'on  met  tou- 
jours au  foyer  de  l'oculaire.  L'ensemble  des 
deux  fils  adaptés  ainsi  à  la  lunette  constitue 
le  réticule.  Ce  réticule  est  placé  en  avant  de  l'o- 
culaire de  Ramsden 
et  en  est ,  par  là 
même,  rendu  indé- 
pendant. Vise-t-on 
un  point  de  laterre? 
La  ligne  droite  qui 
joint  ce  point  à  son 
image  va  passer  né- 
cessairement par  le 
centre  optique  de 
la  lentille  objective. 
Si  donc,  dans  cha- 
que observation,  on 
fait  mouvoir  cette 
lunette  jusqu'à  ce 
que  l'image  du  point 
extérieur  coïncide 
avec  la  croisée  des 
fils  de  rélicule,  on 
sera  sûr  que  la  li- 
gne nommée  axe 
optique  et  qui  est  invariable  de  position  dans  la 
lunette  ira  rencontrer  le  point  examiné. 

\'I.  Lunette  tbrbestbe.  —  La  lunette  astronomi- 
que, avons-nous  dit  plus  haut,  donne  des  images 
renversées  des  objets  ;  son  emploi  serait  donc  fort 
incommode  pour  l'observation  des  objets  terres- 
tres. On  l'a  rendue  propre  à  ce  dernier  usage  en 
intercalant  entre  l'objectif  et  l'oculaire,  un  système 
de  deux  lentilles  convergentes  dont  la  position  et 
la  distance  sont  calculés  de  façon  à  produire  un 
redressement  de  l'image  que  donne  l'objectif,  et 
cela,  avant  qu'elle  n'aille  se  former  au  foyer  de 
l'oculaire.  La  figure  8  donne  la  marche  des  rayons 


tapose  deux  lunettes  pareilles,  à\iei  jumelles,  pour 
rendre  plus  commode  pour  l'observateur  la  vision 
des  objets  peu  éloignés,  vision  qui  se  fait  alors 
sans  aucune  gêne  par  les  deux  yeux  à  la  fois. 

VIII.  TÉLESCOPE  DE  Kewton.  —  Les  télescopes, 
dont  la  destination  est  la  même  que  celle  des  lu- 
nettes, sont  constitués  par  un  système  de  miroirs 
et  de  lentilles.  L'objectif  y  est  représenté  par  un 
miroir  concave,  l'oculaire  par  une  sorte  de  micros- 
cope. Gregory,  Newton,  Cassegrain  et  Uerschell 
ont  construit  des  appareils  télescopiques  offrant 
chacun  une  disposition  spéciale,  et  qui  portent 
leur  nom.  Le  principe  théorique  est  le  même  pour 
tous  ;  l'agencement  des  miroirs  et  des  lentilles  est 
seul  dift'érent.  Nous  nous  bornerons  ici  à  décrire 
brièvement  le  télescope  de  Newton,  en  signalant 
toutefois  le  perfec- 
ionnement  de  pre- 
iiier  ordre  queFou- 
ault  a  introduit 
lans  sa  construc- 
>n.' 

Un  miroir  conca- 
>e  M  (fig.  9)  est 
|ilacé  au  fond  d'un 
ong  tube  de  métal  ; 
I  axe  de  ce  miroir 
coïncide  sensible- 
nent  avec  l'axe  géo- 
iiétrique  du  cylin- 
Ire  que  le  tubecon- 
-titue.  Quand  on 
lirige  le  télescope 
.  i!rs  un  point  du 
ciel,  les  rayons  lu- 
tte lerreslre.  mineux  émanés  de 
ce  point  arrivent  pa- 
rallèles entre  eux  et  parallèles  à  l'axe  principal  du 
miroir.  Ils  iraient  donc  converger,  après  réflexion, 
à  son  foyer  principal  sensiblement  placé  au  rai- 
lieu  du  rayon  de  courbure;  mais  avant  que  leur 
croisement  ne  s'effectue,  les  rayons  réfléchis  sont 
interceptés  par  un  miroir  plan  m  incliné  de  45°  sur 
l'axe,  lequel  les  rejette  latéralement  vers  la  lentille 
oculaire.  L'image  ab  obtenue  est  ensuite  trans- 
formée par  l'oculaire  en  une  image  virtuelle 
agrandie  que  l'observateur  peut  examiner  tout  à 
l'aise,  lorsque,  par  la  mise  au  point  de  l'oculaire, 
il  l'a  portée  à  la  distance  de  la  vision  distincte. 
Au  miroir  plan  m,  on  substitue  souvent  un  pris- 


lumineux  dans  ce  nouveau  cas.  O''  et  O'"  sont  les    me   de   verre   à   réflexion  totale,  prisme  de  très 


deux  lentilles 
supplémentai  - 
res;  0'  est  la 
lentille  oculaire 
ordinaire  ;  ba 
représente  l'I- 
mage réelle  et 
renversée  for- 
mée par  l'objec- 
tif. Cette  image 
est  redressée 
par  les  deux 
verres  0"  et  0'" 
et  vient  se  for- 
mer droite  en 
a'b'  d'où  l'œil 
l'aperçoit  vir- 
tuelle et  agrandie  en  A'B'. 

VII.  Lunette  de  Gaulée.  —La  lunette  de  Galilée, 
dont  il  a  été  plusieurs  fois  question  dans  ce  qui  pré- 
cède, a,  nous  le  savons,  une  lentille  divergente,  bi- 
concave d'ordinaire,  pour  oculaire;  elle  présente 
l'avantage  de  donner  directement  l'image  droite 
des  objets,  mais  elle  ne  comporte  pas  un  grossisse- 
ment aussi  considérable  que  la  lunette  astronomi- 
que. On  ne  l'emploie  guère  aujourd'hui  que  comme 
lunettede  spectacle.  Habituellement  incme,onju\- 


petite  dimen- 
sion qui  rem- 
plit l'office  du 
miroir  plan,  et 
dans  de  meil- 
leures condi- 
tions que  lui. 

Le  grossisse- 
ment du  téles- 
cope a  la  même 
expression  que 
celui  de  la  lu- 
nette astrono- 
mique. Sous  sa 
forme  la  plus 
sim])lo,  il  est 
représenté  par 

dans   lequel  F   est   la   longueur 

focale  principale  du   miroir  concave  et  f  celle  de 
l'oculaire  supposé  simple. 

Le  miroir  du  télescope  était,  jusqu'à  Foucault, 
creusé  dans  l'épaisseur  d'une  masse  métallique, 
sorte  de  bronze  formé  de  plusieurs  métaux  que 
l'on  mélangeait  dans  des  proportions  déterminées 
au  moment  de  leur  fusion.  L'alliage  dont  il  s'agit 
était  composé  en  moyenne  de  07  p.  100  de  cuivre 


Télescope  de  Newton. 


le    rapport 


OPTIQUE  (INSTRUMENTS  D)  —  i455  — 


OR 


pt  àt;  :Vi  d'ctuiti  ;  un  disfine  obtenu  par  la  voie 
du  moulage,  il  la  suiio  de  la  fusion  préalable  de 
l'aiHuge,  présentait,  h  l'une  de  ses  faces,  une 
courbure  h  peu  près  splicrifiue.  Puis,  par  une 
usure  progressive  eNécnlée  à  la  main,  on  achevait 
do  donner  à  la  surface  concave  assez  grossière 
t(ne  le  moulage  avait  fournie  la  forme  et  le  poli  le 
plus  parfait  qu'il  ftait  possible  d'obtenir.  Eu  tout 
cas,  le  miroir  en  ([ueslion  avait  toujours  mallieu- 
l'cusemcnt  un  poids  considérable.  Celui  que  con- 
Strttisit  Lord  Koss,  et  dont  le  diamètre  dépassait 
T",30,  no  'pesait  pas  moins  de  3,800  kilogrammes. 
Ajoutez  h.  ce  poids  celui  du  tube  et  des  pièces  an- 
nexes, et  vous  arrivez  ii  un  chiffre  total  de  plus  de 
10,000  kilogrammes.  Cette  lourde  machine  était, 
on  le  comprend,  d'un  maniement  des  plus  diffi- 
ciles et  l'emploi  en  était  forcément  très  limité.  Le 
télescope  d'Herscliell,  que  le  célèbre  astronome 
anglais  avait  construit  lui-même  et  dont  il  avait 
travaillé  le  miroir  de  ses  propres  mains,  était 
moins  lourd,  il  est  ■vrai,  que  celui  de  Lord  Ross, 
mais  il  fallait  encore  recourir  h  des  cabestans 
pour  le  mouvoir. 

Si,  en  dehors  de  cet  inconvénient  si  grave  du 
poids  énorme  de  l'instrument,  on  tient  compte  de 
cette  autre  circonstance  plus  importante  encore, 
à  savoir  l'impossibilité  oii  l'on  est  de  travailler 
convenablement  une  surface  métallique  quelle 
qu'elle  soit  ;  si  l'on  sait  que  les  miroirs  d'Herschell 
et  de  Lord  Ross  présentaient,  par  suite,  aux  diffé- 
rents points  de  leur  surface,  des  inégalités  nota- 
bles dans  la  courbure,  inégalités  qui  Ôtaient  beau- 
coup de  leur  netteté  aux  images,  on  se  rendra 
compte  sans  peine  du  progrès  considérable  que 
les  travaux  de  Foucault  ont  amené  dans  la  cons- 
ti'uction  du  télescope. 

'IX.  TÉLESCol'E  DE  ToucAOLT.  —  Foucault  a  sub- 
stitué, en  premier  lieu,  le  verre  au  bronze  pour 
la  confection  du  miroir,  c'est-à-dire  un  corps  so- 
lide d'une  densité  de  "i.h  h  un  corps  d'une  den- 
sité égale  à  IL  C'était  déjà  un  grand  pas  de  fait  ; 
ttiais  le  point  capital  dans  la  découverte  du  sa- 
vant français,  c'est  la  méthode  tout  à  fait  originale 
à  laquelle  il  a  eu  recours  pour  le  travail  du  miroir 
de  verre.  Il  est  parvenu  b.  donner  à  volonté  à  la 
surface  réfléchissante,  ou  la  courbure  sphérique 
la  plus  parfaite  qu'on  puisse  imaginer,  ou  la  cour- 
bure parabolique  ;  et,  dans  ce  dernier  cas,  nous 
le  savons,  l'abprration  de  sphéricité  disparait 
Complètement.  Foucault  a  construit  des  miroirs 
d'une  surface  tellement  régulière  que  les  varia- 
tions de  courbure  les  plus  fortS's  qu'on  pouvait 
'y  découvrir  étaient  inférieures  à  un  dix-millième 
de  millimètre.  Aussi  l'observation  des  astres  à 
l'aide  du  télescope  Foucault  donne-t-elle  le  spec- 
tacle le  plus  admirable  qu'on  puisse  concevoir. 
'L'es  nébuleuses  résolubles  se  montrent  composées 
de  milliers  do  petites  étoiles  d'éclat  variable.  On 
se  croirait  en  présence  du  bouquet  persistant 
tl'un  feu  d'ariifice.  Les  planètes  sont  vues  avec 
une  netteté  de  contours  et  de  détails  qui  permet 
xine  étude  approfondie  de  leur  constitution  physi- 
que. Les  deux  plus  grands  miroirs  qui  aient  été 
construits  dans  le  système  Foucault  ont,  l'un,  80 
centimètres  de  diamètre,  l'autre  l'",'20.  L'exposé  de 
la  méthode  de  Foucault  ne  saurait  entrer  dans  le 
cadre  de  cet  article.  Le  lecteur  devra  se  repor- 
ter aux  traités  spéciaux  sur  la  matière. 

C'est  pourtant  le  verre,  nous  l'avons  dit,  qui  four- 
nit la  surface  réfléchissante,  et  Ion  sait  que  le  pou- 
voir réflecteur  du  verre  est  assez  faible  ;  la  clarté 
des  images  sera  donc  très  réduite  dans  les  nou- 
veaux télescopes  ?  Il  n'en  est  rien  :  la  difficulté  a 
été  habilement  tournée.  On  argenté  la  surface  du 
miroir  après  qu'elle  a  été  amenée  à  la  courbure 
Voulue  et  au  degré  de  poli  le  plus  parfait.  Cette 
argenture  est  d'une  facilité  extrême.  Foucault 
avait  d'abord  utilisé  le  procédé  Drayton  qu'on  avait 


mis  en  œuvre  en  .Angleterre  pour  l'étamage  des  gla- 
ces.11  l'abandonna  plustard  pourlui  substituer  celui 
d'un  de  ses  élèves. .M.  A. Martin, procédé  qui  est  fondé 
sur  la  propriété  que  possèdent  les  solutions  des 
sels  d'argent  de  se  réduire  à  froid  en  présence  des 
alcalis  sous  l'action  du  sucre  interverti.  Le  miroir 
de  verre  plongé  dans  une  liqueur  de  ce  genre  se 
recouvre  uniformément  d'une  couche  d'argent 
poli,  couche  tellement  mince  qu'elle  demeure 
translucide. 

Cette  lame  si  ténue  d'argent  qui  revêt  le  ratroii- 
de  verre  a  un  pouvoir  réflecteur  de  0,92  environ, 
tandis  que  le  pouvoir  réflecteur  du  métal  des  mi- 
roirs ne  dépasse  pas  0,6't.  .Mnsi,  ce  n'est  pas  sou 
lement  au  point  de  vue  de  la  netteté  des  images, 
mais  encore  au  point  de  vue  de  leur  clarté,  que 
le  télescope  de  Foucault  l'emporte  de  beaucoup 
sur   ceux  de  Newton  et  d'Herschell. 

Quant  à  l'agencement  optique  du  miroir  et  de 
l'oculaire,  Foucault  a  adopté  le  mode  suivi  par 
Newton,  mais  en  perfectionnant  encore  l'instru- 
ment dans  cette  autre  direction.      [A.  Boutan.] 

on.  —  Chimie,  XX.  —  tlistorupie.  —  Les  qua- 
lités remarquables  de  l'or  ont  fait  rechercher  de 
bonne  heure  ce  métal,  dont  la  valeur  se  trouve 
augmentée  par  la  rareté. 

C'était  l'Inde,  l'Afrique,  l'Arabie,  la  Macédoine, 
la  Thrace,  l'Espagne,  l'Italie,  etc.,  qui  fournis- 
saient l'or  aux  peuples  anciens.  On  en  fil  d'abord 
des  vases,  des  ustensiles,  des  statues,  etc. 

L'or  fut  employé  de  très  bonne  heure  comme 
monnaie,  c'est-à-dire  qu'il  servit  à  représenter  la 
valeur  des  objets  et  qu'il  facilita  les  échanges  ou 
le  commerce. 

Le  métal  précieux  était  employé  tel  que  la  na- 
ture le  fournissait  ;  il  n'était  donc  pas  pur,  et  les 
monnaies  d'or  de  l'antiquité  ne  pouvaient  avoir 
des  titres  fixes  comme  les  monnaies  de  nos 
jours. 

A  la  découverte  do  l'Amérique,  les  gîtes  auri- 
fères du  Pérou,  du  Mexique  et  du  Brésil  fourni- 
ront une  telle  quantité  d'or,  que  la  valeur  de  ce 
métal  diminua  d'environ  les  deux  tiers. 

La  découverte  de  nouveaux  gisements  en  Sibé- 
rie (18 i2),  en  Californie  (1847)  et  en  Australie 
(vers  18ôO)  a  augmenté  encore  d'une  manière 
assez  considérable  la  quantité  d'or  versée  annuel- 
lement dans  la  circulation. 

Aussi  l'usage  de  l'or,  qui  d'abord  était  très  res- 
treint, s'étend-il  chaque  jour  davantage,  et  la 
monnaie  d'or  est-elle  aujourd'hui  la  monnaie  cou- 
rante. 

Élnt  nnturel.  — 'L'or  n'a  qu'une  très  faible  af- 
finité pour  les  autres  corps.  C'est  pourquoi  on  ne 
le  rencontre  guère  que  sous  les  trois  états  sui- 
vants :  I»  à  Vêtit  natif;  l'alité  avec  quelques  mé- 
taux ;  3»  comhiné  avec  le  tellure. 

C'est  à  \'état  natif  que  le  métal  précieux  se 
trouve  le  plus  communément.  Il  contient  toujours, 
dans  cet  état,  de  l'argent  et  du  cuivre.  L'argent 
lui  donne  une  teinte  verdâtre,  le  cuivre  aug- 
mente son  éclat.  Parfois  l'or  natif  renferme  aussi 
du  fer  (jui  le  rend  bleuâtre. 

On  trouve  des  filons  d'oc  natif  dans  des  roches 
cristallines  ;  on  le  rencontre  également  dans  les 
mines  d'argent,  et  surtout  dans  les  terrains  d'allu- 
vions  ou  dans  des  sables  de  transport. 

Dans  ces  sables,  l'or  se  présente  sous  la  forme 
de  paillettes  ou  sous  celle  de  petits  grains  arron- 
dis. Quelquefois  ces  grains,  que  l'on  désigne  sous 
le  nom  de  pépites,  atteignent  la  grosseur  d'une 
noisette.  On  a  même  rencontré  des  pépites  d'un 
poids  considérable.  La  plus  forte  qui  ait  été  dé- 
couverte jusqu'à  ce  jour  a  été  fournie  par  les  mines 
de  l'Australie  (en   1858)  ;  elle  pesait  60  kilog. 

Certains  fleuves  et  certaines  rivières  roulent, 
dans  leurs  sables,  des  paillettes  d'or.  Ces  fleuves 
et  ces  rivières  prennent  leur  source  dans  des  ter- 


OR 


—  1456  — 


OR 


rains  formés  de  roches  cristallines  aurifères,  et 
parcourent  de  longs  espaces  sur  ces  mêmes  ter- 
rains. 

On  peut  citer  en  France  la  Garonne,  l'Ariège, 
le  Rhône,  le  Rhin,  l'Aidèche,  l'Hérault,  etc. 

Extra<:tion.  —  Pendant  longtemps  l'or  charrié 
par  ces  cours  d'eau  a  donné  lieu  à  une  exploita- 
tion plus  ou  moins  active,  suivant  que  la  valeur 
de  l'or  recueilli  offrait  une  rémunération  suffisante 
aux  orpailleurs  ou  chercheurs  d'or. 

Le  procédé  d'extraction  était  d'ailleurs  des  plus 
simples  ;  l'orpailleur  se  bornait  à  tendre  une  pièce 
d'étoffe  de  laine  sur  une  large  planche;  puis  cette 
planche  était  inclinée  vers  la  rivière  et  disposée 
de  manière  à  ce  que  le  poil  de  l'étoffe  se  trouvât 
tourné  vers  le  haut  de  la  planche. 

L'orpailleur  puisait  ensuite  de  l'eau  et  du  sable 
dans  la  rivière  à  l'aide  d'une  forte  sébile  en  bois 
ou  en  corne,  munie  d'un  manche  solide.  Il  ver- 
sait le  tout  sur  la  partie  supérieure  de  la  plan- 
che :  le  sable  roulait  au  bas  de  l'appareil,  entraîné 
par  l'eau,  tandis  que  les  paillettes  d'or,  plus  den- 
ses, étaient  retenues  par  les  poils  du  drap  de 
laine. 

Lorsque  l'ouvrier  jugeait  que  ce  drap  était  assez 
chargé  de  poudre  d'or,  il  le  brossait  et  faisait 
tomber  dans  une  autre  sébile  cette  poudre,  qu'il 
vendait  d'autant  plus  cher  quelle  était  plus  riche 
en  or  pur. 

La  main-d'œuvre  étant  devenue  très  chère  et  les 
sables  aurifères  de  nos  rivières  contenant  fort  peu 
de  métal  précieux,  cette  exploitation  a  complète- 
ment cessé  en  France. 

Mais  elle  se  continue  en  Russie  ,dans  l'Oural) 
et  en  Californie,  où  l'on  rencontre  des  sables  of- 
frant une  teneur  en  or  beaucoup  plus  forte.  Le 
procédé  d'extraction  n'est  d'ailleurs  plus  aussi  pri- 
mitif :  les  sables  sont  d'abord  lavés  pour  être  dé- 
barrassés des  matières  terreuses  qui  les  accompa- 
gnent le  plus  souvent  ;  ils  sont  aussi  séparés, 
par  le  criblage,  des  cailloux  qu'ils  peuvent  conte- 
nir. L'or  est  ensuite  enlevé  soit  à  l'aide  de  la 
fusion,  soit  pirVumnlyamation. 

Le  procédé  de  ïarnalgamatiou  consiste  à  mettre 
le  sable  aurifère  en  contact  avec  du  mercure,  qui 
dissout  l'or. 

L'amalgame  une  fois  obtenu,  il  n'est  pas  difficile 
de  séparer  l'or  et  le  mercure. 

Pour  extraire  l'or  des  roches  quartzeuses,  on 
brise  et  l'on  réduit  en  poussière  ces  roches,  à 
l'aide  de  machines  appropriées,  qui  opèrent  en 
même  temps,  non  seulement  le  lavage  de  la  pous- 
sière aurifère,  mais  encore  l'amalgamation  du  métal 
précieux. 

Ce  procédé  perfectionné  permet  aujourd'hui  de 
traiter  avec  avantage  des  terrains  dont  la  teneur 
en  or  est  très  faible  (l  kil.  d'or  par  4000  tonnes 
de  minerai),  et  la  production  annuelle  atteint 
le  chiffre  énorme  de  plus  de  40  milliards  de 
francs. 

Propriétés  physiques.  —  L'or  a  une  couleur 
magnifique  et  caractéristique  ;  il  acquiert  par  le  poli 
un  éclat  des  plus  vifs.  Il  est  inaltérable  par  la  plu- 
part des  agents  chimiques,  même  par  les  acides 
énergiques,  tels  que  les  acides  sulfurique,  azoti- 
que et  chlorhydrique.  Parmi  les  métalloïdes,  il 
n'y  a  que  le  chlore  et  le  brome  qui  l'attaquent  à 
froid. 

L'or  jouit  d'une  malléabilité  et  d'une  ductilité 
extrêmes.  .Vussi  l'on  est  parvenu  à  le  transformer  j 
en  feuilles  d'un  dix-mUliétne  de  millimètre  d'é- 
paisseur, et  à  le  tirer  en  fil  d'un  diamètre  si  faible 
qu'avec  1  gramme  d'or  on  obtient  3000  mètres 
de  fil. 

Par  contre  il  n'est  pas  très  tenace,  car  un  fil  d'un 
diamètre  de  2  millimètres  rompt  sous  le  poids  de 
08  kilogrammes. 

L'or  a  besoin  d'être  allié  au  cuivre  pour  devenir 


plus  dur  et  résister  davantage  à  l'usure  résultant 
de  la  circulation. 

Il  fond  et  se  volatilise  à  la  température  d'environ 
1200  à  1300  degrés. 

Son  poids  spécifique  rapporté  à  celui  de  l'eau 
est  de  1H,5. 

Propriétés  chintii/ues.  —  L'or  a  pour  symbole 
Au;  son  équivalent  rapporté  à  100  d'oxygène  est 
12'27,75  ;  rapporté  à  1  d'hydrogène  il  est  de  98,18. 

L'or  ne  se  combine  pas  directement  avec  l'oxy- 
gène, n'importe  à  quelle  température  ;  néanmoins 
il  existe  deux  oxydes  d'or,  un  protoxyde  Au*0,  et 
un  sesquioxyde  ou  peroxyde,  Au-O^.  On  obtient 
ces  deux  oxydes  indirectement,  le  premier  en  pré- 
cipitant le  protochlorure  d'or,  Au^Cl,  par  une  disso- 
lution étendue  de  potasse,  le  deuxième  en  faisant 
bouillir  une  dissolution  de  perchlorure  d'or,  Au-Cl^, 
avec  de  la  potasse  en  excès,  et  en  ajoutant  un  peu 
d'acide  sulfurique  à  la  dissolution. 

Ces  deux  oxydes  ne  se  combinent  pas  avec  les 
oxacides  pour  former  des  sels.  Le  protoxyde  est 
indifférent;  le  peroxyde  joue  le  rôle  d'acide  lors- 
qu'il est  mis  en  présence  des  bases  alcalines,  telles 
que  la  potasse.  C'est  ce  qui  le  fait  désigner  encore 
sous  le  nom  d'aride  aurique. 

Parmi  les  oxacides,  il  n'y  a  que  l'acide  sélénique 
et   l'acide  iodique  qui  puissent  dissoudre  l'or. 

Les  hydracides  du  chlore,  du  brome,  de  l'iode 
et  du  fluor,  additionnés  d'oxacides  peu  stables,  tels 
quelesacides  azotique,  chlorique,  bromique,  etc., 
(lissolvent  également  l'or. 

Mais  le  plus  énergique  dissolvant  de  ce  métal 
est  l'eau  régale,  composée  de  quatre  parties  d'a- 
cide chlorhydrique  à  "22°  et  d'une  partie  d'acide 
azotique  à  40^ 

L'or  forme  avec  le  chlore  deux  composés  chi- 
miques, le  protoclilorure  (Au"-Cl)  et  le  perchlorure 
(Au'-C13).  Ce  dernier,  qui  esi  regardé  encore  par 
certains  chimistes  comme  un  sesquichlorure,  est 
le  seul  composé  chimique  important  de  l'or. 

On  se  procure  le  perchlorure  d'or  en  faisant 
évaporer  la  dissolution  d'or  obtenue  à  l'aide  de 
l'eau  régale. 

Il  cristallise  et  se  présente  sous  la  forme  de 
paillettes;  il  est  soluble  dans  l'eau  et  dans 
l'éther. 

La  médecine  l'emploie  dans  le  traitement  de 
certaines  maladies. 

Il  sert  aussi  à  reconnaître  les  eaux  qui  renfer- 
ment trop  de  matières  organiques  pour  pouvoir 
être  employées  sans  danger  comme  boisson. 

Usages  de  l'or.  —  L'or  étant  doué  d'une  très 
grande  malléabilité  et  d'une  très  grande  ducti- 
lité, se  laisse  docilement  façonner  suivant  les  besoins 
de  l'industrie  et  suivant  les  caprices  du  luxe  le 
plus  exigeant.  L'industrie  en  fait  des  vases,  des 
ustensiles,  des  bijoux,  etc.  Il  enrichit  les  étof- 
fes de  soie  et  les  divers  articles  de  passemente- 
rie, tout  en  rehaussant  leur  éclat. 

A  cause  de  son  inaltérabilité  par  la  plupart  des 
agents,  tels  que  lair,  le  soufre,  les  gaz,  etc.,  il 
sert  à  recouvrir  les  autres  métaux,  comme  le 
cuivre,  le  laiton,  l'argent,  etc.,  qu'il  préserve  contre 
les  agents  extérieurs,  et  auxquels  il  communique 
son  poli  et  son  éclat. 

Le  bois,  le  carton,  la  porcelaine,  etc.,  sont  éga- 
lement recouverts  de  minces  couches  d'or. 

Pour  appliquer  l'or  sur  les  autres  métaux, 
l'industrie  a  recours  à  divers  procédés  dont 
les  plus  employés  sont  :  1°  la  dorure  au  mer- 
cure ;  2°  la  dorure  à  la  /feuille  et  au  bouchon  ; 
o"  la  dorure  par  immersion  :  4"  enfin  la  dorure 
gaU'Uiiiijue.  Ce  dernier  procédé  a  remplacé  tous 
les  autres  i  peu  près  complètement  depuis  1840, 
époque  à  laquelle  il  a  reçu  de  remarquables  per- 
fectionnements de  Mil.  Elkington  et  de  Ruolz. 
(V.  Galvanoplastie.) 

Comme  cela  a  été  indiqué  plus  haut,   l'or  n'est 


ORAGE 


—  1457  — 


ORAGE 


■jamais  employé  snul  ;  il  est  toujours  allié  h  une 
certaine  quantité  de  cuivre. 

ï?L'ur  lies  monnaies  françaises  est  un  alliage  de 
000  parties  d'or  pur  et  de  100  parties  de  cuivre. 
On  dit  pour  cela  qu'elles  sont  au  titre  de  0,900. 

Les  médailles  d'or  sont  toutes  au  litre  do  0,910, 
les  bijoux  à  celui  de  0,7;)0.  La  loi  reconnaît  trois 
aitres  (0,920,  0,840  et  0,750)  pour  les  autres  ou- 
vrages d'or  (ustensiles  et  vaisselle). 

Des  agents  de  l'État  sont  chargés  du  contrôle 
des  objets  d'orfèvrerie.  L'épreuve  se  fait  approxi- 
mativement (10  à  20  millièmes  près)  à  1  aide  de 
la  picriv  de  tourlœ,  et  d'une  manière  précise  à 
l'aide  de  la  couiieUat'ioii.  [J.  Bousquet.] 

OUACK.  —  Météorologie,  XI-XII.  —  Trouble  at- 
mosphérique dont  le  caractère  principal  est  fourni 
par  les  manifestations  électriques  de  l'air:  éclair, 
foudre,  tonnerre. 

Naturr  (les  orai/e^.  —  L'explication  des  orages 
par  l'électricité  remonte  à  la  découverte  même  de 
cet  agent,  et  la  première  étincelle  tirée  de  l'ambre 
par  Wall  fut  immédiatement  comparée  aux  éclats 
<l9  la  foudre.  Mais  c'est  Franklin  qui  le  premier 
ifit  connaître  l'identité  des  deux  phénomènes. 
Dans  les  premiers  mois  de  1150,  Franklin  dévelop 


état  aqueux  primitif,  nuage,  pluie  ou  neige.  C'est 
dans  les  régions  intertropicales,  là  où  l'évapora- 
tion  est  le  plus  active  et  où  la  condensation  est  le 
plus  abondante,  que  les  orages  se  montrent  avec 
le  plus  de  fréquence  et  d'énergie.  Les  auroreu  bo- 
réales, qui  ne  sont  que  de  grandes  et  silencieu- 
ces  manifestations  électriques  dans  les  régions 
voisines  du  pôle,  sont  toujours  accompagnées  du 
retour  du  courant  équatorial  vers  ces  hautes  ré- 
gions. Nos  orag(!S,  enfin,  se  produisent  dans  des 
conditions  analogues. 

Electricité  des  nwiqes.  —  hi.  plupart  des  nuages 
sont  électrisés  positivement,  comme  l'atmosphère 
au  sein  de  laquelle  ils  se  forment.  Les  nuages 
électrisés  négativement  sont  cependant  très  nom- 
breux; ce  fait  est  dû  à  plusieurs  causes.  Le  sol, 
soumis  à  l'ialluence  de  l'électricité  positive  de 
l'atmosphère,  s'électrise  négativement  sur  tous  ses 
points  en  saillie.  Les  brouillards  qui  le  recouvrent 
pendant  certaines  nuits,  puis  s'élèvent  le  matin 
dans  l'ail-  pour  y  former  des  nuages;  le*  nuages 
qui  naissent  aux  sommets  des  montagnes  élevées 
par  la  condensation  des  vapeurs  qu'y  apportent  les 
brises,  sont  généralement  négatifs.  Quand  deux 
couches  de    nuages    sont    superposées,  la  plus 


pait,  dans  deux  lettres  adressées  k  P.  Collinson,  ses    élevée  est  le  plus  fortement  électrîsée  ;  l'électri 
opinions  sur  l'origine  de  la  foudre,  et  il  décrivait     '  '        ''      ^  :.i-i-:  -„r„..i.!.,        „  i, 

l'instrument  qui  devait  préserver  les  édifices  de 


ses  atteintes,  le  paratonnerre.  Il  invitait  en  même 
'temps  les  physiciens  français  à  réaliser  l'expé- 
rience qu'il  se  proposait  de  faire  lui-même  sur  un 
■clocher  de  Philadelphie  alors  en  construction. 

Dalibart  fut  prêt  le  10  mai  I75'.',  h  Marly-la-Ville, 
un  mois  avant  que  Franklin,  impatient  des  lenteurs 
■apportées  à  la  construction  du  clocher,  y  substi- 
tuât un  cerf-volant  iiu'il  lança  à  l'approche  d'un 
■orage.  Le  cerf-volant  réussit  mal  d'abord  ;  mais 
une  petite  pluie  fine  étant  survenue  et  ayant 
mouillé  la  corde,  celle-ci  devint  conductrice  de 
l'électricité  et  on  put  tirer  de  vives  étincelles  de 
■son  extrémité  liée  à  un  support  isolant.  Dalibart 
avait  suivi  la  première  idée  de  Franklin  :  il  fixa 
dans  un  jardin  situé  au  milieu  d'une  plaine  élevée 


cité  positive  du  nuage  inférieur,  refoulée  vers  le 
bas,  s'écoule  avec  les  premières  pluies,  et  bientôt 


ce  nuage  inférieur  se  trouve  chargé  d'un  excès 
d'électricité  négative  que  l'influence  y  développe. 
Les  pluies  sont  donc  chargées  tantôt  d'électricité 
positive,  tantôt  d'électricité  négative,  comme  les 
nuages  d'où  elles  s'échappent. 

Quand  deux  couches  de  nuages  inégalement 
électrisées  sont  en  présence,  des  éclairs  peuvent 
jaillir  entre  eux  ;  quand  un  nuage  électrisé  dans 
un  sens  quelconque  se  rapproche  de  la  surface 
du  sol,  des  éclairs  peuvent  encore  s'en  échapper 
et  venir  foudroyer  un  objet  terrestre.  Mais  il  ar- 
rive très  souvent  que  des  éclairs  jaillissent  de  la 
partie  supérieure  ou  latérale  d'un  nuage  entière- 
ment isolé,  mais  surchargé  d'électricité.  Ces  éclairs 
sont  généralement  très  ramifiés  et  se  perdent  dans 


et  sur  un  support  isolé,  une  barre  de  Lt  mètres  les  hauteurs. 
■de  hauteur  et  terminée  par  une  pointe  d'acier  Sur  terre  et  en  rase  campagne,  le  bruit  dn  ton- 
poli.  Au  moment  où  des  nuages  orageux  passèrent  nerre  peut  être  entendu  à  six  ou  sept  lieues  de 
au-dessus  de  la  barre,  celle-ci  s'électrisa  assez  distance,  au  plus,  du  point  où  part  l'éclair.  L'éclair 
fortement  pour  donner   de   longues  et  brillantes  au  contr.iire,  ou  lillninination  qu'il  produit,  peut 


étincelles 

Electrv'Até  aiinosphcrique.  —  L'atmosphère  est 
constamment  chargée  d'électricité^  même  pendant 
les  plus  beaux  temps,  et  les  variations  de  cet 
agent  sont  régulièrement  observées  dans  les  prin- 
-cipaux  observatoires  du  globe.  On  n'obtient  géné- 
ralement aucun  signe  électrique  dans  les  lieux  bas 
■ou  couverts  par  des  édifices  ou  des  arbres  ;  mais 
dans  les  lieux  môme  incomplètement  découverts, 
ces  signes  commencent  à  se  montrer  i  une  petite 
distance  du  sol  et  des  objets  qui  le  recimvrent,  et 
ils  augmentent  progressivement  ;\  mesure  qu'on 
s'élève  plus  haut  au-dessus  de  la  surface  terrestre. 
Sous  un  ciel  sans  nuages,  les  signes  électriques 
«ont  toujours  positifs,  c'est-à-dire  que  l'atmo- 
sphère est  chargée  de  l'électricité  positive  ou  vi- 
trée que  le  frottement  de  la  laine  développe  sur 
le  verre;  mais  quand  des  nuages  apparaissent,  et 
surtout  quand  la  pluie  tombe,  même  à  plusieurs 
kilomètres  de  l'observateur,  les  signes  deviennent 
le  plus  souvent  négatifs.  Sous  l'influence  des 
nuages  orageux,  ils  peuvent  acquérir  une  très 
grande  énergie,  tout  en  changeant  rapidement  de 
sens. 

L'origine  de  l'électricité  atmosphérique  est  assez 
mal  connue;  elle  n'a  pu  être  fixée  par  aucune 
expérience  directe  bien  concluante,  et  il  est  pro- 
bable qu'elle  est  multiple.  Une  des  opinions  les 
plus  répandues  la  rattache  k  l'évaporation  <le  l'eau, 
•et  peut-être  au  retour  de  la  vapeur  formée  à  son 
î*  Partie. 


être  aperçu  à  une  distance  do  trente  ou  quarante 
lieues.  De  là  les  éclairs  sans  tonnerre,  appelés 
éclairs  de  chaleur:  ils  sont  dus  à  des  orages  loin- 
tains. ,  . 

Formation  des  orafjes.  —  Les  orages  des  régions 
interlropicales,  dans  la  zone  équatoriale  des  pluies, 
se  forment  généralement  sur  place,  au  milieu  des 
nuages  produits  par  la  condensation  des  vapeurs 
de  la  nappe  équatoriale  ascendante.  Ils  y  sont  en 
permanence,  comme  les  nuages  et  les  pluies,  et, 
comme  eux,  se  déplacent  annuellement  à  la  sur- 
face du  globe  à  la  suite  du  soleil. 

Dans  nos  régions  tempérées,  les  orages  sont 
beaucoup  plus  rares;  ils  sont  loin  d'accompagner 
toutes  les  pluies  ;  mais  on  peut  les  entendre  en 
toute  saison,  en  hiver  comme  en  été,  bien  que 
cette  dernière  saison  soit  plus  favorable  à  leur 
produciion. 

Les  brises  ascendantes  le  long  des  flancs  méri- 
dionaux ou  occidentaux  des  massifs  montagneux 
produisent  des  nuages  locaux  assez  fréquemment 
accomp  Ignés  d'orages  également  limités;  mais  le 
plus  ordinairement,  les  orages  de  l'Europe  ont  un 
caractère  plus  général.  C'est  particulièrement  sur 
le  parcours  du  courant  équatorial  et  sur  la  partie 
méridionale  d'un  mouvement  tournant,  plus  ou 
moins  accentué  dans  l'air,  qu'on  les  rencontre 
(V.  C.oumnls,  Teinfidtrs).  Ils  parcourent  donc  à  la 
surface  de  la  France  des  bandes  plus  ou  moins 
étroites  et  longues,  se  propageant  quelquefois  dos 


ORAGE 


—  1458  — 


ORAGE 


eûtes  de  l'Océan  jusqu'en  Belgique  on  en  Allema- 
gne. Cliuque  dcparlement  place  leur  origine  vers 
sa  limite  occidentale,  alors  que  quinze  ou  vingt 
départi_ment>. quelquefois,  peuvent  être  traversés 
non  par  les  mêmes  nuages  orageux,  mais  par  le 
même  groupe  d'orages  qui  se  succèdent  ou  se  re- 
laiejit  progressivement. 

Pendant  l'été,  et  sur  le  trajet  du  courant  éqiia- 
torial,  le  plus  faible  mouvement  tournant  peut 
faire  naître  des  orages  sur  la  partie  méridionale 
de  son  disque  tournant,  et  les  semer  tout  le  long 
de  son  parcours.  Plus  on  avance  dans  la  saison 
froide,  plus  ce  mouvement  tournant  doit  être  in- 
tense pour  provoquer  de  véritables  orales. 

Mais  si  les  grandes  manifestations  électriques 
sont  ainsi  provoquées  par  les  bourrasi|ues  tour- 
nantes de  I  air  dont  le  diamètre  dopasse  plusieurs 
centaiiies  de  lieues,  elles  peuvent  aussi  provoquer 
elles-mêmes  des  girations  plus  circonscrites  et 
dont  l'énergie  atteint  quelquefois  des  proportions 
redoutables.  Ce  sont  les  tromlies  qui  dévastent 
le  sol  sur  de  longues  bandes  généralement  très 
étroites.  Le  mouvement  de  giraiion,de  tourbil- 
lonnement, qui  caractérise  tous  les  troubles  de 
l'atmosphère,  étroits  ou  étendus,  énergiques  ou 
faibles,  est  la  conséquence  directe  du  mouve- 
ment de  rotation  de  la  terre  sur  elle-même,  ce 
qui  produit  leur  généralité  d'aspect  et  aggrave 
leurs  effets  comme  leur  durée  totale.  C'est  en 
même  temps  aux  circonstances  de  leur  forma- 
tion et  de  leur  propagation  que  nous  devons  la 
possibilité  de  les  prévoir  et  de  prévenir  de  leur 
arrivée. 

lirèie.  —  La  grêle  est  un  des  fléaux  les  plus 
redoutables  des  orages.  Son  mode  de  formation 
est  très  obscur  et  très  controversé.  Pendant  long- 
temps on  admit  avec  Volta  qu'elle  prenait  nais- 
sance entre  deux  couches  de  nuages  supprposés, 
électrisés  en  sens  contraire  et  donnant  lieu  à  un 
va-et-vient  rapide,  de  l'un  à  1  autre,  des  grêlons 
qui  pouvaient  ainsi  grossir  par  dépots  successifs 
et  acquérir  des  poids  souvent  considérables.  Mais 
des  grêles  redoutables  se  produisent  même  quand 
il  n'existe  qu'une  seule  couche  de  nuages. 

Par  contre,  il  n'est  pas  de  grêles  qui  ne  soient 
accompagnées  d'une  violente  agitation  de  la  masse 
nuagHUSe,  et  trè?  souvent  elles  marchent  avec  de 
véritables  trombes  dont  l'axe  de  rotation  descend 
jusqu'à  la  surface  du  sol.  Il  est  probable  que  ces 
trombes  existent  dans  la  région  nuageuse  alors 
même  qu'elles  ne  se  font  pas  sentir  jusqu'à  nous. 
Ces  trombes,  qui  se  produisent  surtout  (|uand  la 
température  décroît  rapidement  dans  le  sens  de 
la  hauleur,  ont  pour  effet  de  mélanger  brusque- 
ment des  massHs  d'air  d'inégales  températures: 
d'accroître  encore  le  froid  par  la  raréfaction  de 
l'air  dans  l'axe  du  tourbillon;  de  brasser  violem- 
ment les  grains  de  neige,  de  grésil,  de  grêle,  de 
les  entrecliO(|uer  et  de  b'S  souder  les  uns  aux 
autres.  Ce  sont  les  chocs  des  grêlons  les  uns  contre 
les  autres  qui  produisent  le  bruit  caractéristique 
qui  précède  les  nuages  à  grêle,  et  tous  les  obser- 
vateurs qui  se  sont  accidentellement  trouvés  au 
milieu  de  ces  nuages  ont  été  témoins  de  la  vio 
lente  agitation  produite  eu  eux  et  dont  l'appa- 
rence est  encore  visible  à  de  grandes  distances. 
Les  grêlons  croissent  par  dépots  successifs  d'eau 
congelée  à  leur  surface  et  par  soudures  de  plu- 
sieurs grêlons  en  un  seul. 

Fréqueniy;  des  mayi's.  —  Très  fréquents  et 
même  quntidiens  dans  les  régions  intertropicales, 
pendant  la  saison  des  pluies,  ils  sont  rares  dans 
les  régions  des  alizés;  ils  reparaissent  en  de- 
hors des  tro|)iques,  et  leur  nombre  annuel  dé- 
croît progressivement  à  mesure  qu'on  s'appro- 
che des  pèles.  Voici  le  tableau  des  nom  lires 
moyens  des  orages  annuels  dans  diverses  localités 
du  globe  : 


Sombre  dejouv~  d'orage  en  année  moyenne. 

r.nlcutla 00        Padoue I7,î 

Ilio   Janeiro .'iO,6     Strasbourg 17 

Marvland /,.!         Toulouse 15,4 

Martinique 39         Utrcthl 15 

Abvssinie 38        Pari? 13, G 

Guadeloupe 37        Leyde 1-2,5 

Viviers  (Ardèrhe) 34.7    Athènes il 

Québec  (Canada) 23,3     Polpéro(r.ornouaillcs).  i» 

Buenos  Ayres 22,5     Pétersbourg 9,t 

Denainvilliers  (Loiret:.  20,6     Londres 8.3 

Smvrne 19,       Pékin 5,8 

Berlin 18,3     Le  Caire .3. S 

[Marié-Davy.] 
Hygiène,  IV.  —  Toutes  les  actions  chimiques, 
mécaniques  et  vitales  qui  se  passent  dans  l'inté- 
rieur de  la  terre,  à  sa  surface  et  dans  l'atmo- 
sphère, donnent  lieu  à  des  dégagements  d'électri- 
cité. Nous  sommes  donc  constamment  soumis  à 
l'influence  de  cet  agent.  Cette  influence  est  encore 
peu  connue.  Elle  se  manifeste  principalement  lors- 
qu'il survient  une  perturbation  dans  les  phéno- 
mènes ordinaires. 

L'instrument  appelé  élecliosi'ope  *  permet  de 
constater,  môme  dans  les  temps  les  plus  calmes, 
la  présence  de  l'électricité  dans  l'atmosphère  :  au 
point  de  vue  de  l'hygiène,  on  pourrait  la  con- 
sidérer comme  un  de  ses  éléments  constitutifs^ 
Cette  électricité,  comme  celle  des  nuages,  est 
ordinairement  pofitice,  tandis  que  le  sol  est  élec- 
trisé  nég'ilivement. 

Notre  corps,  en  contact  avec  le  sol,  sert  d& 
londucteur  par  lequel  les  deux  électricités  se  re- 
composent. Nous  n'avons  pas  conscience  de  ce 
passage  continuel  du  courant  électrique  à  travers 
nos  organes,  lorsque  l'énergie  vitale  est  asser 
forte  pour  dominer  les  causes  légèn-s  de  pertur- 
baiion.  Mais  dans  certains  états  de  faiblesse,  do 
langueur,  et  dans  quelques  maladies  nerveuses, 
nous  devenons  de  beaucoup  plus  impressionna- 
bles, et  des  changements  presque  insignifiants, 
dans  le  mineu  où  nous  vivons  causent  toute  une 
série  de  troubles  variables,  selon  les  individus. 

On  ne  peut  nier  l'influence  des  temps  orageux 
sur  l'organisme  :  mais  pour  apprécier  la  part  de 
l'électricité  il  faudrait  expérimenter  en  dehors  des 
conditions  ordinaires  L'orage  se  complique  tou- 
jours de  changements  dans  la  pesanteur  de  l'air, 
dans  la  température,  la  direction  des  vents,  le 
de;;ré  d'humidité,  etc.,  de  sorte  que  les  consé- 
quences des  temps  orageux  sont  la  résultante  de 
tous  ces  éléments  combinés  avec  les  variations 
électriques.  Pour  Ihygiéniste,  l'orage  ou  le  temps 
orageux  consiste  donc  en  un  certain  nombre  de 
perturbations  du  milieu  qui  réagi-sent  les  unes 
sur  les  autres  et  impressionnent  l'organisme  hu- 
main. 

Sous  l'influence  des  orages,  les  personnes  mala- 
des, nerveuses,  éprouvent  du  malaise,  de  l'agita 
tien,  des  douleurs  dans  la  tête  ou  les  articula- 
tions. Les  rhumatisants,  les  névralgiques,  sentent 
revenir  d'anciennes  douleurs  ou  augmenter  celles 
dont  ils  souffraient.  La  respiration  devient  difficile 
pour  les  malades  atteints  de  certaines  affections 
des  poumons  ou  du  cœur.  L'exaceibalion  des  acci- 
dents morbides  amène  prématurément  une  crise 
fatale  chez  des  malades  qui  auraient  pu  vivre 
encore  quelque  temps. 

Malheureusement  nous  sommes  impuissants 
contre  ces  perturbations  atmosphériques  qui  mo- 
difient et  souvent  compiomettent  notre  santé.  Il 
n'y  a  aucun  moyen  pratique  de  se  soustraire  à 
l'influence  des  temps  orageux,  dpendant  nous 
pouvons  beaucoup,  par  l'hygiène,  pour  nous  pré- 
munir. Rarement  les  gens  sains,  robustes,  habi- 
tués à  la  vie  en  plein  air  et  menant  une  vie  régu- 
lière, ressentent  les  effets  des  orages.  Par  consé- 
quent, tout  ce  qui  contribue  à  préserver  de  l'étio- 
lemeiit,  du  ttenushme,  devient  un  moyen  de  se 


ORAGE 


l'i59  — 


ORATEURS 


préserver  aussi  des  influences  dépressives  des 
temps  orageux.  Contre  l'orage  nous  ne  pouvons 
rien  ;  nous  pouvons  beaucoup  pour  nous  rendre 
insensibles  à  ses  efTots. 

La  fouilie  consiste  dans  la  recomposition  in- 
stantanée de  deux  excès  d'électricités  contraires 
soit  entre  deux  nuages,  soit  entre  un  nuage  et  la 
terre.  C'est  une  étincelle  électrique  semblable  à 
celle  que  produisent  noS  appareils  de  physique, 
mais  de  dimensions  infiniment  plus  considérables. 
Comme  le  fluide  électrique  parcourt  l'atmosplière 
plus  viie  que  la  lumière,  l'individu  foudroyé  est 
frappé  avant  môme  d'avoir  vu  l'éclair.  Quant  au 
tonnerre,  ce  n'est  que  le  bruit  incffensif  produit 
par  un  mouvement  subit  de  l'air,  répercuté  par 
les  nuages,  la  terre,  les  édifices,  les  forêts. 

Rien  de  plus  variable  que  les  effets  du  fou- 
droiement. Quelquefois  la  personne  atteinte  en 
est  quitte  pour  une  commotion  plus  ou  moins  ^ 
forte;  souvent  le  choc  seul  suffit  pour  tuer  instan- 
tanément. On  a  vu  des  gens  foudroyés  conserver 
l'attitude,  le  geste  dans  lequel  la  mort  les  a  sur- 
pris. On  peut  être  tué  par  la  foudre  sans  en  être 
touché;  il  suffit  de  se  trouver  à  peu  de  distance 
de  son  traj  t  :  on  succombe  alors  à  l'asphyxie,  ou 
it  ce  que  l'on  appelle  choc  en  retour  qui  produit 
une  conimoliiin  analogue  îi  celle  de  la  foudre. 

Dans  quelques  cas  la  foudre  ne  laisse  aucune 
trace,  mais  le  plus  souvent  on  observe  sur  le  ca- 
davre des  brûlures  ou  des  plaies,  les  vêtements 
sont  brûlés,  lacérés,  dispersés.  Les  personnes 
foudroyées  restent  d'ordinaire  affligées  de  quebjue 
infirmité  :  céciié,  surdité,  paralysie. 

L'éclair  est  le  plus  souvent  dirigé  des  nuages 
vers  la  terre,  mais  on  a  vu  des  gens  frappés  par 
un  éclair  ascendant,  qui  entraînait  au  sommet  d'un 
arbre  ou  d'un  édifice  des  parties  de  leurs  vête- 
ments. 

.  L'usage  de  sonner  les  cloches  poitr  écarter  l'o- 
rage n'a  pas  encore  disparu  de  nos  campagnes.  Il 
importe  donc  de  détruin^  ce  vieux  préjugé  qui  a 
causé  déjà  bien  des  malheurs.  L'ébranlement  pro- 
duit dans  l'air  par  la  cloche  est  sans  doute  négli- 
geable, mais  le  métal  est  bon  conducteur,  il  se 
trouve  dans  un  lieu  élevé  où  s'accumule  l'élec- 
tricité terrestre,  et  par  conséquent  dans  les 
meilleures  conditions  pour  attirer  I  électricité  des 
nuages  et  produire  une  étincelle.  De  plus,  la  corde 
de  la  cloche,  pour  peu  qu'elle  soit  mouillée  ou 
humide,  de>ient  un  bon  conducteur  et  porte  l'é- 
tincelle jusqu'au  sonneur,  qui  tombe  foudroyé.  En 
Bretagne,  vingt-quatre  sonneurs  ont  été  tués  ainsi 
pendant  la  même  nuit. 

On  prétend  généralement  qu'il  est  dangereux, 
pendant  l'nragn,  de  courir  à  pied  ou  à  cheval,  de 
marcher  contre  le  vent,  de  produire  un  courant 
d'air  dans  les  maisons.  Il  y  a  un  fond  do  vérité 
dans  cette  croyance  populaire.  La  forme  en  zig-zag 
de  l'éclair  nous  prouve  i|ue  l'électricité  suit  dans 
l'air  les  parties  les  meilleures  conductrices.  Or  la 
moindre  perturbation  suffit  pour  créer  des  cou- 
rants plus  ou  moins  conducteurs  qui  viennent 
remplir  le  vide  produit  par  un  homme  qui  court, 
par  un  courant  d'air,  etc.  Si  faible  que  puisse  être 
cette  chance  de  danger,  on  fait  bien  de  ne  pas 
s'y  exposer. 

La  foudre  frappe  de  préférence  les  lieux  et  les 
objets  élevés  où  s'accumule  le  fluide  terrestre.  On 
doit  donc  éviter  leur  voisinage.  Le  plus  sûr  est 
de  rester  tranquille  en  rase  campagne,  et  d'éviter, 
en  tout  cas,  l'abri  des  arbres  ou  des  maisons  un 
peu  hautes.  Rien  ne  justifie  le  préjugé  populaire 
qui  attribue  k  certains  arbres,  tels  que  le  hêtre,  le 
laurier,  le  bouleau,  l'érable,  une  sorte  d'immunité 
contre  la  foudre. 

Les  accumulations  d'hommes  et  d'animaux,  les 
clei)ôts  de  matières  susceptibles  de  fermenter  ou 
de  dégager  des  vapeurs,  produisent  des  courants 


ascendants  bons  conducteurs  de  l'électricité,  qui 
favorisent  le  passage  de  la  foudre.  Autant  que 
possible  il  faut  s'isoler  pendant  les  orages,  s'éloi- 
gner des  groupes,  des  meules  de  foin  et  de  paille, 
dont  la  forme  conique  et  l'élévation  favorise  d'ail- 
leurs l'accumulation  du  fluide  terrestre. 

Les  vêtements  do  lin  et  de  coton,  surtout  s'ils 
sont  humides,  conduisent  assez  bien  l'électricité 
et  deviennent  dangereux  pendant  les  orages.  Ceux 
de  laine  et  surtout  de  soie  étant  mauvais  conduc- 
teurs peuvent  préserver  daus  une  certaine  me- 
sure. 

Dans  les  maisons,  la  suie  des  cheminées,  le  tain 
des  glaces,  les  dorures,  les  objets  et  ornements  en 
métal  étant  bons  conducteurs,  constituent  un  voi- 
sinage dangereux  pendant  l'orage.  Le  mieux  est 
de  s'isoler  auiant  que  possible  des  murs,  et  môme 
du  sol.  Pour  cela,  on  pourrait  interposer  entre  le 
corps  et  le  sol  un  support  mauvais  conducteur, 
en  soie  ou  en  verre  :  le  plus  sûr  serait  de  s'ntendre 
dans  un  hamac  suspendu  par  des  cordes  de  soie 
bien  sèche;  mais  évidemment  ces  précautions  sont 
peu  pratiques  et  le  plus  souvent  superflues. 

On  a  essayé  avec  succès  de  combattre  les  orages 
en  allumant  sur  tout  un  district  des  feux  de  paille, 
de  broussailles,  etc.,  distants  de  80  à  100  mètres." 
Ce  moyen  mériterait  d'être  essayé  en  grand,  car 
on  lui  attribue  la  préservation  de  la  foudre  et  de 
la  grêle. 

Quant  aux  maisons,  il  n'y  a  qu'un  moyen  de  les 
préserver,  c'est  de  les  surmonter  d'un  paraton- 
nerre établi  selon  les  règles  de  l'art  et  soigneu- 
sement e'itretcnu. 

Les  méfaits  de  la  foudre  sont  incontestables, 
mais  on  a  essayé  de  la  réhabiliter  par  compensa- 
tion, en  prouvant  qu'elle  rend  aussi  de  grands  ser- 
vices :  voici  comment.  Lorsqu'une  étincelle  élec- 
trique passe  dans  de  l'oxygène,  ce  gaz  acquiert 
une  odeur  et  des  propriétés  spéciales,  son  pimvoir 
oxydant  est  singulièrement  accru  et  il  peut  servir 
de  désinfectant  éner;;ique.  Les  premiers  expéri- 
mentateurs qui  s'occupèrent  de  ce  phénomène 
crurent  que  l'étincelle  électrique  formait,  dans 
l'oxygène,  un  corps  nouveau  qui  fut  appelé  ozone. 
Le  nom  est  resté,  mais  il  s'agit  simplement 
d'oxygène  électrisé. 

Il  y  a  dans  la  nature  plusieurs  sources  d'ozone. 
Vraisemblablement  tout  ce  qui  produit  de  l'élec- 
tricité au  contact  de  l'oxygène  donne  naissance  k 
de  l'oxygène  électrisé.  On  constate  toujours  sa 
présence  dans  l'air.  L'atmosplière  des  bois,  prin- 
cipalement des  bois  d'essences  résineuses,  est 
riche  en  ozone,  ainsi  que  l'atmosplière  maritime. 
La  foudre  en  produit  rapidement  de  grandes  quan- 
tités. 

On  a  cru  pouvoir  attribuer  k  un  excès  d'ozone 
l'exacerbalion  de  quelques  maladies  catarrhaies, 
I  mais  le  fait  n'est  pas  prouvé,  tandis  qu'on  peut 
raisonnablement  supposer,  avec  le  vulgaire,  que 
les  orages  purifient  l'air  parce  qu'ils  accumulent 
en  un  point  donné  une  quantité  d'ozone  capable 
d'oxyder  et  de  rendre  inoffensifs  certains  mias- 
mes dangereux. 

Il  faut  reconnaître,  quant  à  présent,  quo  cet 
agent  modifie  le  milieu,  le  rend  plus  stimulant, 
peut-être  même  le  purifie,  mais  que  son  action, 
favorable  aux  personnes  bien  portantes  ou  sim- 
plement affaiblies,  peut  être  irritante  pour  des 
sujets  atteints  de  certaines  affections  II  serait 
prématuré  d'affirmer  autre  chose.     [D'  SalTray.J 

onAlliUKS.  —  Littérature  et  style,  IV.  —  Le 
mot  orateur,  dans  son  sens  primitif  et  étymo- 
logique, orator  en  latin,  rketor  en  grec,  signifie 
Il  celui  qui  piirle.  »  Il  s'est  appliqué  d'abord  à 
l'homme  qui  a  pris  la  parole  dans  une  assemblée, 
qui  a  harangué  une  foule,  sans  qii  on  attachât  èi 
celte  expression  une  idée  d'habileté  ou  de  talent. 
C'est  encore  en  ce  sens  qu'aujourd'hui  on  désigna 


ORATEURS 


—  1460  - 


ORATEURS 


par  ce  mot  celui  qui  parle  en  public,  bien  ou  mal, 
qu'il  soit  député,  sénateur,  membre  d'un  conseil 
municipal  ou  d'une  réunion  quelconque  :  «  L'ho- 
norable orateur  a  dit  ceci  »,  n  le  précédent  orateur 
pense  cela.  »  Toutefois,  dans  son  acception  la 
plus  étendue  et  la  plus  élevée,  le  ternie  d'orateur 
sert  à  désigner  celui  qui  possède  un  certain  talent 
d'élocution,  naturel  ou  acquis  par  le  travail,  qui  sa 
sert  ou  qui  est  prêt  à  se  servir  habilement  de  la 
parole  en  toute  occasion  et  qui  arrive  parfois  à  l'é- 
loquence. 

Oii  rattache  d'ordinaire  l'idée  d'éloquence  à  celle 
d'orateur.  Cependant  il  n'existe  pas  entre  elles  une 
connexité  nécessaire  et  constante.  L'orateur  vise  à 
être  éloquent,  sans  y  réussir  toujours.  De  môme,  on 
peut  être  éloquejit  sans  être  orateur.  On  a  défini 
souvent  l'éloquence  le  talent  de  persuader.  Cette 
définition  estincomplète:elle  nedonne  pasl'idéede 
cette  llamme  qui  allume  tout  à  coup  les  regards 
d'un  homme,  qui  lui  faittrouver  des  accentschaleu- 
reuxet  émus,  et  qui  communique  à  une  foule  la  pas- 
sion qu'il  veut  lui  faire  partager.  L'éloquence  est, 
pour  ainsi  dire,  intermittente.  Elle  éclate  à  certains 
moments,  et  se  soutient  rarement  dans  toute  la 
suite  d'un  discours.  Elle  existe  parfois  dans  une 
phrase,  dans  un  mot,  dans  un  geste  et  peut  se 
trouver  même  chez  l'homme  ignorant  et  grossier. 
Le  vieux  sanvage  répondant  aux  Européens  qui 
voulaient  le  chasser  de  soji  pays  natal  :  «  Dirai-jo 
aux  os  de  nos  pères  :  levez-vous,  et  marchez  de- 
vant nous  vers  une  terre  étrangère!  »  prononce  une 
phrase  éloquente.  De  même  le  centurion  Virginias 
brandissant  le  couteau  avec  lequel  il  a  frappé  sa 
fille  Virginie,  et  menaçant  le  décemvir  Appius, 
trouve  des  accents  éloquents  pour  exciter  le 
peuple  à  la  révolte.  L'indignation  et  la  douleur 
paternelle  animèrent  ce  jour-là  sa  parole.  Ou  l'eût 
étonné  en  le  saluant  du  nom  d'orateur. 

L'orateur,  au  contraire,  s'est  formé  peu  à  peu 
par  le  travail  et  l'habitude  k  l'usage  de  la  parole. 
L'étude  et  la  réflexion  lui  ont  appris  à  trouver  les 
meilleurs  arguments  pour  porter  la  conviction 
dans  les  esprits,  à  Irs  disposer  de  la  manière  la 
plus  favorable,  ejifin  à  les  présenter  dans  les  ter- 
mes les  plus  propres  à  persuader  et  à  charmer 
ses  auditeurs.  S'il  est  réellement  bien  doué  par  la 
nature,  il  rencontrera  au  moment  opportun  l'ins- 
piration qui  doit  rendre  son  langage  vivant  et 
animé,  et  l'enthousiasme  qui  conduit  à  l'élo- 
quence. 

De  tout  temps,  il  y  a  eu  des  hommes  qui,  sous 
l'empire  d'une  émotion  puissante,  ont  prononcé  un 
jour  des  mots  ou  même  des  discours  éloquents. 
C'est  aux  époques  seules  de  culture  intellectuelle 
que  l'on  voit  des  orateurs.  L'examen  rapide  que 
nous  allons  faire  des  temps  et  des  hommes  remar- 
quables par  leur  talent  oratoire  confirmera  la  jus- 
tesse de  cette  observation. 

Orateurs  anciens.  1°  Grecs.  —  Le  peuple  grec, 
si  heureusement  doué  parla  nature,  acompte  de 
tout  temps  des  hommes  diserts  et  habiles  à  parler. 
Dans  Ylliade  et  l'Odyssée  d'Homère,  toutes  les 
affaires  se  décident  en  conseil  après  délibération. 
Ulysse  et  Nestor  y  occupent  la  première  place,  et 
font  prévaloir  leur  avis  par  la  persuasion.  Cepen- 
dant les  Grecs  eux-mêmes  ne  leur  donnaient  pas 
le  nom  d'orateurs.  Ils  ont  réservé  cette  désignation 
aux  personnages  d'une  époque  bien  postérieure, 
qui  avaient  perfectionné  leurs  dispositions  natu- 
relles par  l'étude  et  la  connaissance  des  règles  de 
l'art  oratoire,  qui  n'ont  pas  été  éloquents  une  fois 
seulement,  mais  qui,  dans  toutes  les  circonstances 
où  ils  ont  ou  à,  parler,  l'ont  fait  avec  méthode  et 
avec  habileté. 

Périclès  (né  vers  -iOi,  mort  en  429  avant  notre 
ère)  est  le  premier  auquel  les  anciens  s'accor- 
dèrent i  donner  le  titre  d'orateur.  Il  a  longtemps 
gouverné,  par  l'ascendant  de  sa  parole,  la  Répu- 


blique démocratique  d'Athènes.  On  vantait  entre 
autres  discours  son  oraison  funèbre  des  soldats 
morts  pendant  la  première  année  de  la  guerre  du 
Péloponèse. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  ici  tous  les  orateurs 
qui  ont  brillé  en  Grèce  au  v'  et  au  iv«  siècle  avant 
notre  ère  ;  nous  nous  bornerons  à  mentionner  les 
noms  des  dix  orateurs  attiques  que  les  grammai- 
riens d' .Alexandrie  ont  compris  dans  ce  qu'ils  ap- 
pellent le  Canon  des  orateurs  classi(jiies. 

Antiphonde  Rhamnonte  en  .\ttique  (mort  en  411) 
composa,  le  premier,  des  discours  à  prix  d'argent 
pour  les  orateurs  politiques  et  les  plaideurs  dans 
l'embarras.  Il  nous  reste  15  discours  de  lui.  — 
Andocide,  né  à  Athènes  en  4GS,  a  laissé  4  discours 
consacrés  à  ses  propres  afl'aires.  —  Lysias,  né 
h  Athènes  en  4.i9,  mort  en  :i79,  avait  composé 
2-33  harangues  dont  il  nous  reste  seulement  'ii 
consacrées  h  des  causes  judiciaires.  —  Isocrate  ne 
prit  jamais  la  parole  en  public.  Ce  fut  le  maître 
d'éloquence  le  plus  renommé  de  toute  la  Grèce.  Il 
écrivit  des  discours  que  d'autres  devaient  pro- 
noncer. Sur  les  60  qu'on  lui  attribuait,  21  sont 
parvenus  jusqu'à  nous.  Il  était  né  en  4 16  et  mourut 
en  338.  —  Isée,  élève  d'Isocrate  et  maître  de  Dé- 
mosthène,  a  laissé  11  discours,  qui  sont  tous  rela- 
tifs à  des  affaires  de  succession.  —  Lycurgue, 
d'Athènes, né  en  408,morten3"26,  fut,  au  contraire, 
un  orateur  politique.  On  a,  avec  quelques  frag- 
ments, un  admirable  discours  de  lui,  une  accusa- 
tion dirigée  contre  Léocrate.  —  Hypéride,  d'A- 
thènes, mort  en  3'.'2,  prit  une  grande  part,  aux 
côtés  de  Démosthène,  à  la  direction  des  affaires 
politiques  d'Athènes,  mais  ses  discours  ont  péri; 
il  ne  nous  reste  que  des  fragments  de  l'oraison 
funèbre  qu'il  prononça  en  l'honneur  des  guerriers 
morts  dans  la  guerre  contre  Antipater.  —  Dinarque, 
né  à  Corinthe  vers  360,  s'établit  de  bonne  heure  à 
Athènes,  où  il  devint  le  chef  du  parti  macédonien. 
Il  nous  reste  de  lui  trois  discours  d'accusation, 
dont  le  plus  remarquable  est  celui  qu'il  prononça 
devant  le  peuple  contre  Démosthène,  son  adver- 
«aire  politique. 

Les  plus  célèbres  de  ces  dix  orateurs  attiques 
sont  les  deux  rivaux  d'éloquence,  Eschine  et  Dé- 
mosthène. Eschine  naquit  à  Cothoce  en  Attique 
en  393,  et  mourut  à  Samos  en  314.  Il  n'avait  écrit 
que  les  trois  discours  (|ue  nous  avons.  Les  anciens 
les  nommaient  les  trois  Grâces.  Bien  qu'il  sou- 
tienne contre  Oémosthène  une  cause  funeste  à  sa 
patrie,  celle  du  roi  de  Macédoine,  on  admire  la 
grâce,  l'abondance,  le  charme  de  sa  parole.  Tou- 
tefois il  est  inférieur  à  son  rival,  qu'on  s'accorde 
à  proclamer  le  premier  des  orateurs  de  l'anti- 
quité. 

Démosthène,  né  à  Péanie  en  Attiqne  en  385, 
mort  en  322,  est  la  personnification  de  l'éloquence 
grecque.  Il  prit  part  d'abord  i  dos  luttes  judiciaire» 
pour  arracher  les  débris  de  sa  fortune  à  des  tu- 
teurs infidèles.  11  écrivit  ensuite  des  plaidoyers 
qui  lui  valurent  beaucoup  d'argent  et  commen- 
cèrent sa  réputation.  11  aborda  ensuite  la  tribune 
politique,  après  s'être  proparé  par  de  longs  exer- 
cices. Il  ne  réussit  pas  d'abord,  mais  à  force  de 
persévérance,  il  parvint  à  vaincre  sa  timidité,  et 
une  sorte  de  bégaiement  qui  gênait  sa  parole.  Il 
se  fit  le  champion  de  la  liberté  de  son  pays,  et 
essaya  de  lutter  contre  l'influence  et  les  intrigues 
de  Philippe,  roi  de  .Macédoine.  Celui-ci,  rendant 
justice  à  son  adversaire,  déclarait  qu'il  redoutait 
plus  un  discours  de  Démosllione  (jne  toutes  les 
armées  grecques  réunies.  11  nous  reste  de  lui  61  dis- 
cours dont  3(1  sont  consacrés  à  des  causes  judi- 
ciaires. Les  31  autres  sont  relatifs  à  des  affaires 
publiques  et  ont  été  prononcés,  soitdevant  l'assem- 
blée du  peuple,  soit  devant  les  tribunaux  appelés 
à  juger  les  causes  politiques.  Les  plus  célèbres 
soiit  les  1 1   harangues   connues   sous  le   nom  de 


ORATEURS 


—  imi  — 


ORATEURS 


Phllippiques  et  dirigées  contre  le  roi  de  Macédoine. 
Mais  le:  chef-d'œuvre  de  l'éloquence  de  Démosthène 
est  le  plaidoyer  désigné  sous  le  nom  de  Discours- 
pour  la  couroiinn.  Un  ami  de  Démosthène,  Ctcsi- 
phon,  avait  proposé  de  décerner  à  Démosthène 
une  couronne  d'or  en  récompense  des  services 
rendus  par  lui  i  Athènes.  Eschine  accusa  Ctési- 
plion  d'avoir  proposé  une  mesure  illégale,  et  atta- 
qua la  conduite  politique  de  Démosthène.  Celui-ci 
défendit  Ctésiphon  et  justifia  sa  propre  conduite 
par  une  longue  harangue,  que  Cicéron  traduisait 
pour  se  former  h.  l'éloquence,  et  pour  laquelle  on  a 
épuisé  toutes  les  formules  d'éloges  et  d'admiration. 
Eschine,  vaincu  dans  ce  débat,  fut  obligé  de  s'exi- 
ler d'Athènes. 

Avec  Démosthène  périt  la  liberté  de  la  Grèce. 
11  n'y  eut  plus  après  lui,  sauf  son  contemporain 
Démétrius  de  Phalère,  que  des  avocats  aussi  obs- 
curs que  les  causes  qu'ils  plaidaient. 

2°  Lcdina.  —  A  Rome,  tant  que  dura  la  République, 
la  parole  fut  toute-puissante  au  Sénat  et  devant 
l'assemblée  du  peuple.  Il  y  eut  dès  l'origine  des 
hommes  éloquents.  Nul  doute  que  Brutus,  le 
vengeur  de  la  chaste  Lucrèce,  n'ait  atteint  la  vé- 
ritable éloquence  en  excitant  les  Romains  à  chas- 
ser les  ïarquins  de  leur  ville.  Ménénius  Agrippa, 
qui  apaisa  une  sédition  en  racontant  au  peuple 
retiré  sur  le  Mont  Sacré  l'ingénieuN  apologue  des 
membres  et  de  l'estomac,  dut  être  aussi  un  haran  - 
gueur  habile.  Toutefois  lalangue  latine,  longtemps 
rude  et  presque  barbare,  se  prêtait  difficilement 
k  la  grande  éloquence.  La  tradition  d'ailleurs 
interdisait  l'emploi  de  l'art  oratoire  dans  les  dis- 
cussions du  Sénat  ;  d'un  autre  coté,  les  harangues 
agressives  que  les  tribuns  du  peuple  adressaient  à 
la  multitude  ne  visaient  ni  à  l'élévation  du  senti- 
ment ni  Jl  la  beauté  de  la  forme.  Aussi  Cicéron, 
qui  s'est  fait  l'historien  de  l'éloquence  romaine, 
ne  compte  de  véritables  orateurs  qu'à  une  épo- 
que relativement  récente. 

Parmi  eux,  il  place  le  premi'r  Scipion  Africain, 
le  vainqueur  d'Annibal  (né  vers  235,  mort  IS4  av. 
J.-C.)  qui,  accusé  de  concussion  par  les  tribuns, 
dédaigna  do  se  défendre,  et  ejitraîna  la  foule  der- 
rière lui  au  Capitole  pour  rendre  grâces  au  \  dieux 
de  la  victoire  de  Zaïna.  Caton  l'Ancien  ou  le  Cen- 
seur (23-5-149),  outre  les  nombreux  ouvrages  qu'il 
avaitcomposés,  avait  laissécent  cinquante  discours 
que  Cicéron  connaissait  et  dont  il  nous  reste  de 
nombreux  fragments.  Son  éloquence  était  pleine 
de  véhémence,  de  douceur,  et  mêlée  de  bonhomie. 
Cicéron  ne  craint  pas  de  la  comparer  à  celle  de 
l'orateur  attique  Lysias. 

Après  Caton,  le  second  Scipion  Africain,  qui 
détruisit  Carthage  et  mourut  en  r.'9,  se  distingua 
par  une  éloquence  simple  et  énergique.  Les  deux 
Gracques,  Tibérius  Gracchus  (mort  en  133)  et  son 
frère  Caius  Gracchus  (mort  en  121),  furent  des 
tribuns  ardents  et  passionnés  dont  la  parole  gé- 
néreuse excitait  plus  tard  l'admiration  de  Cicéron. 
Mais  ils  ne  nous  sont  connus  que  par  des  frag- 
ments insuffisants.  Nous  n'avons  rien  ou  presque 
rien  de  l'orateur  Marcus  Antonius,  né  l'an  143, 
mort  l'an  87,  de  Licinus  Crassus  (140-91).  de 
Q.  Hortensius,  le  rival  de  Cicéron  (115-5U  avant 
notre  ère).  Nous  savons  seulement  par  le  témoi- 
gnage de  Cicéron  lui-même  qu'ils  avaient  un 
grand  talent  de  parole,  et  qu'ils',  ont  été  les  ora- 
teurs les  plus  éloquents  de  l'époque  qui  l'a  pré- 
cédé. 

Cicéron,  le  plus  grand  orateur  romain  (né  à  Arpi- 
nuin,  l'an  lOU.mort  en  43av.  J.-C),  nous  est  connu 
coinme  écrivain  par  ses  nombreux  ouvrages  do 
rhétorique,  de  philosophie,  par  sa  correspondance 
volumineuse,  et  comme  orateur  par  cinquante-six 
discours  qui  nous  dévoilent  sous  toutes  ses  faces 
son  admirable  éloquence.  Il  se  fit  d'abord  connaî- 
tre au   barreau,   par  ses  plaidoyers,  surtout  par 


ceux  qu'il  écrivit  contre  Verres,  le  magistrat  pré- 
varicateur de  Sicile,  et  qu'on  nomme  les  Verrincs. 
Consul,  il  démasqua  et  combattit  la  conspiration  de 
Catilina  par  ses  quatre  Catilinaires.  Enfin,  après 
la  mort  de  César,  il  prononça,  comme  sénateur, 
quatorze  harangues  principalement  dirigées  contre 
Antoine,  et  qu'on  a  appelées  P/iilippignes  par  une 
allusion  glorieuse  aux  discours  composés  par  Dé- 
mosthène contre  le  roi  de  Macédoine.  Il  n'est  pas 
possible  d'avoir  plus  d'an,  d'abondance,  d'esprit,  de 
souplesse  que  n'en  montre  Cicéron  dans  ses  œuvres 
oratoires.  Aussi  a-t-il  exercé  une  grande  influence 
sur  la  littérature  romaine  tout  entière.  Son  nom  est 
devenu,  même  pour  les  modernes,  synonyme  d'élo- 
quence. On  l'a  souvent  comparé  et  presque  tou- 
jours préféré  à  Démosthène.  Fénelon  seul,  au 
xvii'  siècle,  mettait  Démosthène  au-dessus  de  lui. 
Les  modernes,  plus  sensibles  àla  valeur  des  idées 
qu'au  charme  du  style,  semblent  s'accorder  à. 
mettre  en  première  ligne  Dcmosthcne  «  à  qui  on 
ne  pourrait  rien  retrancher,  o  et  à  placer  après 
lui  Cicéron,  «  à  qui  on  ne  pourrait  rien  ajouter,  o 
Aussi,  contrairement  à  l'opinion  ancienne  qui  ad- 
mirait surtout  les  Verrinrs  et  les  Catilinaires.  plus 
abondantes  et  plus  fleuries,  on  leur  préfère  au- 
jourd'hui les  Philippiques  de  Cicéron,  moins  ornées, 
où  la  préoccupation  de  l'homme  politique  lui  fait 
oublier  plus  souvent  les  artifices  et  les  règles  de 
l'art  oratoire. 

Avec  Cicéron  finit  l'éloquence  politique  à  Rome, 
comme  elle  avait  fini  en  Grèce  avec  Démosthène. 
Sous  l'empire,  il  n'y  eut  plus  que  des  avocats  et 
des  rhéteurs.  On  cite,  au  i"'  siècle  de  notre  ère, 
Quintili(>ii, Pline  le  Jeune.  Pui^,  bien  que  l'éloquence 
soit  cultivée  avec  passion  en  Italie,  en  Espagne,  en 
Gaule,  on  ne  voit  plus  surgir  de  nom  vraiment 
remarquable.  De  nombreux  orateurs  plaident  des 
causes  sans  gloire,  ou  composent  des  panégyriques 
sans  conviction,  où  la  médiocrité  des  idées  n'a 
d'égale  que  la  faiblesse  du  style. 

Ei.oijCENCE  si-CKÉE.  Eglise  grecque.  —  Cependant, 
avec  le  christianisme,  un  nouveau  genre  d'élo- 
quence, l'éloquence  sacrée,  s'était  introduit  dans  le 
monde  romain.  On  comprend  sous  ce  nom  les  ser- 
mons prononcés  par  les  prêtres  et  les  évêques.les 
homélies,  sermon  d'un  genre  plus  familier  et  plus 
simple,  les  panégyriques  des  saints,  et  les  orai- 
sons funèbres  des  membres  de  l'Eglise.  Les  prin- 
cipaux orateurs  de  l'Eglise  grecque  sont  saint 
Athanase,  évoque  d'Alexandrie  (29ii-313)  ;  saint 
Grégoire  de  Nazianze  (3-.'8-3s9),  archevêque  de 
Constantinople  dont  il  nous  reste,  entre  autres 
œuvres,  cin(|uanle  sermons;  saint  Grégoire  de 
Nysse.  né  h  Sébaste  vers  33(i,  mort  vi-rs  400,  au- 
teur de  nombreux  sermons  ;  saint  Basile,  frère  du 
précédent,  né  vers  'i'id  k  Césarée  en  Cappadoce, 
mort  en  37»,  qui  a  laissé  des  sermons  remarqua- 
bles par  l'élévation  du  style  et  la  largeur  des 
idées;  saint  Jean  Chrysoslome,  ou  «bouche  d'or», 
dont  le  nom  seul  suffit  à  caractériser  l'éloquence. 
Il  naquit  à  Antioche  vers  344,  fut  patriarche  de 
Constantinople,  et  mourut  en  exil  en  407.  Il  a 
laissé  un  grand  nombre  d'homélies,  de  discours  et 
de  panégyriques  qui  étincellent  de  beautés,  malgré 
l'époque  de  décadence  littéraire  à  laquelle  ils 
appartiennent. 

ICgli^e  latine.  —L'Eglise  latine  compte  un  moins 
grand  nombre  d'orateurs  sacrés  que  l'Eglise  grec- 
que. En  ellct,  la  barbarie  corrompit  plus  vite  la 
langue  latine.  En  outre,  les  prêtres  ont  affaire  à 
des  auditeurs  plus  grossiers,  plus  ignorants,  qui 
comprennent  à  peine  la  langue  qu'on  leur  parle 
et  les  enseignements  religieux  qu'on  leur  donne. 
On  cite  cependant  :  saint  Hilaire  de  Poitiers,  né 
vers  300,  mort  vers  307  ;  saint  Jérôme  caractérisait 
son  éloquence  impétueuse  en  appelant  Hilaire  le 
Moise  de  l'éloquence  /«(mi?  ;  saint  Ambroise,  évoque 
de   Milan   (340-397).    auteur  de    sermons  et    do 


ORATEUHS 


—  1.462 


ORATEURS 


traités  qui  font  autorité  dans  l'Eglise;  saint  Jérôme, 
né  vers  l'an  3.0  à  Siridoii  dans  la  Dalnialie,  mnri 
en  4'.'0,  connu  surtout  par  la  traduction  latine  qu'il 
fit  de  la  Bible  et  qu'on  nomme  la  Viilgate;  saint 
Paulin,  évoque  de  Noie,  né  à  Bordeaux  en  3ô3,  mort 
en  431,  sermonnaire  et  poète  très  remarquable  ; 
enfin  saint  Augustin,  le  plus  éminent  des  pères  d.;- 
l'Eglise  latine,  né  en  351  à  Tagaste  en  Numidie, 
mort  évoque  d'Hippone  en  430;  ses  Cuiife^sions  si 
célèbres,  de  même  que  ses  nombreux  écrits  théo- 
logiques,  no  doivent  pas  faire  oublier  qu'il  a  été 
l'orateur  le  plus  éloquent  de  son  temps;  toutefois 
son  stjle,  par  l'affectation  et  les  ornements  de 
mauvais  goût,  iraljit  une  époque  de  décadence  et 
de  barbarie. 

Oratcl'bs  MonERXES.  —  Nous  n'avons  pas  eu  lieu 
de  partager  en  classes  distinctes  les  orateurs  an- 
ciens. Le  même  liomme  d'ordinaire  brillait  à  la 
fois  au  barreau  et  à  la  tribune  poliiique.  Il  n'en 
est  pas  toujours  ainsi  chez  les  modernes.  Tel 
avocat  illusire  n'a  jamais  abordé  la  politique.  Tel 
orateur  éminent  de  la  Chambre  des  députés  n'a 
jamais  plaidé  de  cause  au  Palais  de  justice.  ÎVous 
partagerons  donc  ici  les  orateurs  en  trois  grandes 
classes  :  1°  les  orateurs  sacrés.  2"  les  orateurs  ju- 
diciaires, 3°  les  orateurs  politiques.  Nous  dirons 
ensuite  quelques  mois  de  l'éloquence  académique 
et  de  l'éloiuence  militaire. 

1°  Orateurs  sacrc's.  —  L'éloquence  n'a  pas  man- 
qué aux  orateurs  sacrés  du  moyen-âge,  malgré  la 
barbarie  et  l'ignorance  des  temps  où  ils  vivaient  : 
il  suffit  de  citer,  avec  Pierre  l'Ermite,  qui  prêche 
la  première  croisade  en  lOyS,  saint  Bernard,  né  à 
Fontaine  en  10:»l,mort  en  11.3;  saint  Thomas 
Becket  de  Cantorbéry.  1119-ino  ;  saint  Thomas 
d'Aquin,  12-2:-l27i;  Gerson,  né  près  de  Rethel. 
en  13(i3,  mort  en  I4'29,  .'iqui  on  atiribue  Vhnilaiion 
de  Jésits-Clirist.  Les  temps  orageux  de  la  Ligue, 
au  XVI'  siècle,  ont  vu  de  nombreux  orateurs,  mais 
qui  avaient  plus  de  passion  que  de  charité  chré- 
tienne et  d'éloquence. 

Le  premier  grand  orateur  digne  de  ce  nom  est 
saint  François  de  Sales,  né  en  I-6Î  en  Savoie, 
mort  en  lt>.;2.  L'an  li.iri  il  prêcha  le  Carême  dans 
la  chapelle  du  Louvre  avec  tant  de  succès 
qu'Henri  IV voulut  le  retenir  et  le  fixer  en  France. 
On  vante  encore  Jean  de  Lingendes  (1j'.15-1GG6), 
aumônier  de  Louis  XIU  et  auteur  de  sermons  et 
d'oraisons  funèbres  estimés. 

Mais  tous  les  noms  dos  orateurs  sacrés  pâlissent 
devant  les  grands  hommes  nui  illustrèrent  le 
iviie  siècle,   si  fécond  en  génies  de  toute  sorte. 

Bourdaloue,  né  à  Bourges  (16.2-1704),  com- 
mença à  prêcher  à  Paris  en  !■  6».  Il  y  obtint  un 
succès  si  éclatant  qu'il  futchargé  dix  ans  do  suite 
de  prêcher  l'Avent  ou  le  Carême  de\ani  Louis  .\IV 
et  toute  la  cour.  On  goûtait  surtout  les  portraits  et 
les  peintures  morales  qu'il  traçait  dans  ses  ser- 
mons; il  en  reste  un  grand  nombre. 

Bossuet,  no  à  Dijon  (Iti27-n(l4),  fut  surtout  célè- 
bre au  xvii"  siècle  par  les  oraisons  funèbres  qu'il 
a  prononcées.  Les  trois  plus  remarquables  sont 
celles  de  la  reine  d  Angleterre,  de  la  duchesse 
d'Orléans,  et  du  prince  de  Condé.  On  appréciait 
moins  ses  sermons  qui,  du  reste,  n'étaient  pas 
imprimés.  Aujourd'hui  qu'ils  ont  été  publiés,  on 
les  trouve  aussi  remarquables  que  ses  oraisons 
funèbres,  et  un  met  Bossuet  comme  sermonnaire 
au-dessus  même  de  Bourdaloue 

Flécliier,  évêque  de  Nimes,  né  près  d'Avignon 
en  1632,  mort  en  i;iO,  se  fit  connaître  par  des 
«çrmons  qui  eurent  beaucoup  de  succès,  avant 
de  composer  des  oraisons  funèbres.  La  plus  belle 
de  ses  oraisons,  celle  de  Turenne,  atteint  souvent 
l'éloquence, bien  qu'on  reproche  à  l'auteur  un  style 
trop  fleuri,  et  un  abus  des  antithèses  qui  finit  par 
fatiguer. Il  aécnt  aussi  des  panéfjyriques  des  saints, 
qui  ne  sont  pas  exempts  des  mêmes  défauts. 


Mascaron,  évêque  de  Tulle,  né  en  1634  à  Mar- 
seille, mort  en  l70l,  prêcha  devant  Louis XIV  l'A- 
vent  de  I6G6  et  le  Carême  de  lOU'.t.  Il  étHit  très 
goûté  du  roi  malgré  la  hardiesse  de  sa  parole.  Il  a 
composé  plusieurs  oraisons  funèbres,  entre  autres 
celle  d'Henriette-  d'Angleterre,  duchesse  d'Orléans, 
où  il  eut  à  lutter  contre  le  souvenir  de  celle  de 
Bossuet,  et  l'oraison  funèbre  de  Turenne,  où  il 
égala,  s'il  ne  dépassa  pas  l'oraison  de  Flécliier. 
Son  style  est  véhément  et  plein  d'imag''S,  mais  il 
n'évite  pas  toujours  la  subtilité  et  l'enflure. 

Fénelon,  archevêque  de  Cambrai,  né  au  château 
de  Fénelon  dans  le  Querry  en  16  >l,  mort  en  171Ô, 
a  composé  beaucoup  d'ouvrages  pour  l'éducation 
du  duc  de  Bourgogne,  petit-fils  de  Louis  XIV, 
entre  autres  le  Téi.''ninqne.  Il  se  livra  toute  sa  vie 
à  la  prédication  et  y  obtint  par  l'onction  et  la 
douce  chaleur  de  sa  parole  les  plus  grands  suc- 
cès. Toutefois  il  écrivait  rarement  ses  discours, 
et  ceux  qui  nous  restent  nous  donnetitunc  faible 
idée  de  son  éloquence  abondante,  familière  et 
persuasive. 

Massillon,  évêque  de  Clermont,  né  à  Hyères  en 
1663,  mort  en  1762,  écrivait,  au  contraire,  ses 
sermons  avant  de  les  prononcer.  Il  en  a  laissé  plus 
de  cent.  Les  plus  célèbres  sont  ceux  du  Petit  €<•- 
le'ine,  ainsi  appelés  parce  qu'ils  furent  prêches 
pendant  le  Carême  de  1717  devant  le  jeune  roi 
Louis  \V  ;  le  sermon  sur  l'aumône  et  celui  sur  lu 
petit  nombre  rfe.  élus  sont  les  plus  remarquables 
par  leur  éloquence.  Il  prononça  aussi  l'oraison 
funèbre  de  Louis  XIV,  qui  offre  de  très  grandes 
beautés. 

Après  lui,  l'éloquence  sacrée  n'offre  plus  au 
xviii"  siècle  que  des  noms  secondaires,  malgré  la 
réputation  du  sermon  sur  l'Ecernité,  prononcé  i 
Saint-Sulpice  par  le  père  Bridaiiie  (17  11-176"),  et 
les  2.i6  missions  que  cet  infatigable  prédicateur 
prêcha  dans  toute  la  France.  Le  cardinal  Maury, 
né  près  d'Avignon  en  146,  mort  en  ISI7,  a  com- 
posé un  Essai  sur  l'éloquence  de  la  chaire,  des 
panégyriques  et  des  sermons  écrits  dans  une 
langue  correcte  et  facile,  mais  d'une  éloquence 
moyenne. 

Le  XIX'  siècle  a  compté  beaucoup  de  prédica- 
teurs élégants  et  estimables.  Deux  seulement  ont 
montré  un  véritable  talent,  le  père  Ravignan,  tié 
à  Bayonne  en  l';93,  mort  en  ls58,  et  le  père  La- 
cordaire,  né  dans  la  Côte-d'Or  en  1802,  mort  en 
1861. 

Les  prédicateurs  protestants  les  plus  célèbres 
sont,  en  Allemagne,  Luther,  né  en  liS3,  mor^  en 
l.')4H  ;  Mélanchthon,  son  disciple,  né  en  14'i7  dans 
le  Bas-Palatinat,  mort  en  15fin.  Calvin,  né  à  Noyon 
en  Picardie  en  i.'.09,mort  àGenèveen  564, a  com- 
posé beaucoup  d'écrits,  et  prononcé  des  sermons 
remarquables.  En  Angleterre,  Sterne,  né  en  1713, 
mort  en  1768,  s'était  fait  connaître  par  des  ser- 
mons avant  d'écrire  le  Voijngi-  ■■enti-i'ental  ;  on 
vante  beaucoup  aussi  les  sermons  de  Hugues 
Blair,  né  en  1718  à  Edimbourg,  mort  en  ISOO;  ils 
ont  été  traduits  en  français. 

2°  Orateur^  judiciaires.  —  L'éloquence  judiciaire 
ne  remonte  pas  en  France  au  deli  du  règne  de 
Louis  XIV.  Avant  le  progrès  du  gnùt  amené  par 
les  chefs  d'œuvre  de  la  littérature  du  xvii'  siècle, 
les  avocats  parlaient  une  langue  barbare,  héri-sée 
de  termes  de  droit  et  de  citations  latines.  Ceux 
qui  eurent  le  plus  de  renommée  sous  Louis  XiV 
se  ressentent  encore  des  défanis  de  leurs  prédé- 
cesseurs, et  ont  une  éloquence  lourde  et  souvent 
pédantesque.  Tels  sont  Olivier  Patru,  né  à  Paris 
en  1604,  mort  en  1681;  Lemaislre,  né  à  Paris  en 
1608,  mort  en  1658  ;  Orner  Talon,  né  à  Saint-Quen- 
tin en  l.i9i,  mort  en  I6:i2;  l'avocat  général  Denis 
,  Talon,  né  en  1628,  mort  en  169s. 

L'avocat  Cochin,  né  à  Paris  en  1687,  mort  en 
I  1747,  ouvre  brillamtnent  le  xvin'  siècle,  et  mar- 


i 


ORATEURS 


—  1463  — 


ORATEURS 


<jue  un  progrès  réel  sur  ses  devanciers.  Il  brillait 
surtout  dans  l'improvisation  ;  aussi  les  plaidoyers 
qui  nous  restent  de  lui  paraissent-ils  inférieurs  à 
sa  réputation.  Gerbier,  né  i  Rennes  en  172."),  mort 
«n  n«8,  surnommé  l'aigle  'lu  bat-renu,  a  peu  écrit. 
Ceux  qui  l'ont  entendu  ont  fait  le  plus  grand  éloge 
<ie  SCS  discours. 

La  Chalotais,  procureur-général  au  parlement 
de  Bret.igne,  né  à  Ucnnes  en  1701,  mort  en  1785, 
sn  fit  connaître  par  ses  écrits  contre  les  jésuites, 
et  par  les  mémoires  justificatifs  qu'il  écrivit  pen- 
dant sa  longue  détention  au  château  de  Saint- 
Malo.  Ces  mémoires  ont  de  l'éloquence  et  oflrent 
un  vif  intérêt. 

On  cite  encore  avec  éloges  Servan,  né  à  Romans 
en  1737,  mort  en  1807  :  son  discours  sur  la  justice 
criminelle  exciia  en  17(;fi  le  plus  grand  enthou- 
siasme. Le  président  Dupaty,  né  à  la  Rochelle  en 
1744,  mort  en  i;sS,est  moins  connu  par  ses  dis- 
£ourSj  qui  sont  excellents,  que  par  ses  Lettres  sur 
l'ItiUie,  ouvrage  superficiel  et  ampoulé.  Lally-Tol- 
lendal,  né  h  Paris  en  1751,  mort  en  18;10,  est  célè- 
bre par  les  mémoires  qu'il  écrivit  pour  obtenir  la 
réhabilitation  de  son  père,  moit  sur  l'échafaud 
en  nCG,  et  par  le  plaidoyer  qu'il  composa  pour 
Louis  XVI;  Malo^herbes,  né  i  Paris  en  1721, 
mort  en  l79i,  s'illustra  surtout  par  le  touchant 
plaidoyer  qu'il  prononça  à  72  ans  pour  Louis  XVI 
dont  il  avait  été  ministre. 

Portails,  né  en  Provence  en  1745,  mort  en  1807, 
6st  moins  comui  par  les  éloquents  discours  qu'il 
prononça  contre  Beaumarchais  et  Mirabeau,  que 
par  la  part  importante  qu'il  prit  à  la  rédaction  du 
Code  civil.  H  eut  pour  principal  collaborateur 
Tronchet,  né  à  Paris  en  1726,  mort  en  18u6,  qui 
fut  aussi  un  orateur  distingué. 

Dans  le  xix*  siècle,  les  plus  célèbres  orateurs 
judiciaires  sont  Lacuée,  né  à  Bordeaux  en  nt>7, 
mort  en  182.i  ;  Borryer,  né  à  Paris  en  17!I0,  mort 
en  18G8,  le  défenseur  du  maréchal  Ney,  l'orateur 
du  parti  légitimiste,  et  aussi  célèbre  par  ses  dis- 
cours politiques  que  par  ses  plaidoyers;  Dupin 
aîné,  né  à  Varzy  eu  1783,  mort  en  lS(i5,  célèbre 
comme  jurisconsulte  et  comme  personnage  poli- 
tique; Chaix  d'Ëst-.\nge,  né  à  Reims  en  IHOO,  avo- 
cat habile,  fécond  en  ressources,  mais  qui  n'obtint 
pas,  comme  orateur  poliiiiiue,  les  succès  qu'il 
-avait  mérités  comme  avocat. 

Le  barreau  compte  de  nos  jours  un  grand  nom- 
bre d'avocats  éniinents,  mais  leurs  noms  n'appar- 
tiennent pas  encore  à  l'histoire.    . 

Les  avocats  les  plus  distingués  de  l'Angleterre 
contemporaine  furent  O'Connell,  le  célèbre  agita- 
teur irlandais,  né  en  177.5,  mort  en  1847,  qui  débuta 
d'abord  au  barreau  et  y  eut  les  plus  grands  succès 
avant  d'-  se  lancer  dans  la  politique  ;  et  Lord  tirou- 
.gham,  né  en  1)78  àEdinbourg,  mort  à  Cannes  ou 
1868.  Ses  succès  au  barreau  le  firent  nommer  de 
bonne  heure  membre  du  Parlement.  La  cause  la 
iplus  célèbre  qu'il  ait  plaidée  est  celle  de  la  reine 
Caroline,  accusée  d'adultère  par  le  roi  d'Angle- 
terre Georges  IV. 

3°  Orateur X puh tiques .  —  Malgrél'éloquence  dont 
Robert  Miron,  prévôt  des  marchands  de  Paris 
-{mort  en  lli41),  fit  preuve  aux  Etais  généraux  de 
iol4.  malgré  quelques  orateurs  dont  la  parole  re- 
tentit avec  éclat  dans  des  circonstances  sembla- 
bles, l'éloquence  politique  ne  date  réellement  en 
France  que  de  la  révolution  de  178'.).  Fénelon  en 
indi(|nait  la  raison  dès  I7l5.  «  Chez  nous,  toutes 
les  affaires  publiques,  dit-il,  se  décident  en  secret 
dans  le  cabniel  des  princes  ou  dans  quelque  négo- 
ciation particulière  :  aussi  notre  nation  n'est  point 
.excitée  à  faire  les  mêmes  efforts  (|ue  les  Grecs 
pour  dominer  par  la  parole.  L'usage  public  de 
l'éloquence  est  maintenant  presque  borné  aux 
jirédicateurs  et  aux  avocats  ». 

Le  premier  et  l'un  des  plus  grands  de  nos  ora- 


teurs politiques  est  le  fameux  Mirabeau  (Gabrie 
Honoré  de  llic|uetti,  comte  do),  né  au  Bignon  près 
do  Nemours  Cil  17  i9,  mort  en  17'JI.'i'out  le  monde 
connaît  les  paroles  éloquentes  qu'il  répondit  h. 
IVl.  do  Dreux-Brezé  :  »  Allez  dire  à  votre  maître 
que  nous  sommes  ici  par  la  volonté  du  peuple 
et  que  nous  n'en  sortirons  que  par  la  force  des 
baïonnettes  «.Cependant  ses  plus  beaux  discours, 
même  celui  conirn  la  lianqueroule,  perdent  à  la 
lecture.  Ils  devaient,  en  effet,  une  grande  partie 
de  leur  valeur  à  la  voix  sonore  de  Mirabeau,  b.  son 
geste  véhément,  h  ses  accents  passionnés. 

A  côté  de  Mirabeau  se  placent  son  adversaire 
l'abbé  Maury,  que  nous  avons  déjJi  nommé;  Bar- 
nave,  né  à  Grenoble  en  1701,  mort  en  li'J2,  dont 
le  plus  éloquent  discours  e-t  celui  qu'il  prononça 
devant  le  tribunal  révolutionnaire;  Cazalès,  né  dans 
la  Haute-Garonne  ;  I752-I8U.'>)  ;  Meunier,  né  à  Gre- 
noble, |758-I8n6;  Malouet,  né  à  Riom  en  1740, 
mort  en  1814.  Ensuite  vinrent  les  orateurs  connus 
sous  le  nom  de  Girondins  :  Vergniaud,  le  plus 
éloquent,  né  à  Limoges  en  1759,  mort  en  ITiiS  ; 
sa  parole,  moins  ardente  et  moins  passionnée  que 
celle  de  Mirabeau,  avait  plus  de  finesse  et  de  pé- 
nétration ;  Guadet,  né  à  Saint-Kmilion  en  1758, 
mort  en  1793;  Gensonné,  né  à  Bordeaux  en  1758, 
mort  en  1793;  Brissot,  né  à  Warville,  près  de 
Chartres  en  1754,  mort  en  1793;  Isnard,  né  à 
Grasse  en  1751,  mort  en  1k3U;  Louvet,  né  à  Pa- 
ris on   1764,  mort   en  1797. 

Quelques-uns  des  adversaires  des  Girondins, 
Danton,  né  à  Arcis-sur-Aube  (i7i9-l794),  Robes- 
pierre, né  à  Arras  {1759-17:'4),  et  Saint-Just,  né 
à  Decize  {I76M-I791),  avaient  aussi  un  grand  ta- 
lent de    parole. 

Sous  l'Empire,  il  n'y  eut  plus  de  tribune  poli- 
tique. Avec  la  Restauration,  l'éloquence  ri  parut 
dans  nos  assemblées  délibérantes.  Les  orateurs 
qui  y  montrèrent  le  plus  de  talent  furent  :  le  gé- 
néral Foy,  né  ù.  Ham  en  1775,  mort  en  1825,  qui 
déploya  à  la  tribune  une  éloquence  remar- 
quable, et  la  mit  au  service  de  la  liberté  et  des 
principes  consiitulionnels;  de  Martignac,  né  SiBor- 
deaux  en  1776,  mort  en  1832,  qui  aurait  sauvé 
la  Restauration  sans  le  ministère  Polignac  ;  Ben- 
jamin Constant,  né  à  Lausanne  en  17B7,  mort  en 
1830,  chef  de  l'opposition  au  gouvernement  de 
Charles  X;  Royer-Cbllard,  né  a  Sonipuis,  dans 
la  Marne,  en  176i,  mort  en  184.i,  qui  prononça 
des  discours  admirables,  notamment  contro  la 
loi  d'ainesse  et  la  lui  du  sacriièye.  ot  obtint  une 
telle  popularité  qu'en  1827  sept  collèges  électoraux 
l'envoyèrent  spontanément  à  la  Chambre  des  dé- 
puiés. 

Le  gouvernement  de  Louis-Pliilippe  a  compté 
aussi  un  grand  nombre  d'orateurs  éminents  qui 
ont  illustré  la  tribune  française.  Il  suffira  de  citer: 
Casimir  Périer,  né  i  Grenoble  en  17; 7,  mort  en 
1832,  qui  montra  autant  de  talent  comme  orateur 
que  de  décision  et  de  fermeté  comme  ministre; 
Guizot,  né  ft  Nîmes  en  1787,  mort  en  1874,  dont 
la  parole  élevée  et  hautaine  sut  maintenir  une 
majorité  trop  docile,  pendant  son  long  ministère 
de  Ik40  à  1848;  Borryer  déjà  nommé  parmi  les 
orateurs  judiciaires;  enfin  Lamartine,  né  à  Màcon 
en  17;iO,  mort  en  1869.  La  révolution  de  I8:i0  avait 
décidé  le  poète  à  entrer  dans  la  politique.  Son 
rôle  devint  des  plus  actifs  vers  la  fin  du  règne 
de  Louis-Philippe.  Membre  de  l'opposition,  il 
contribua  à  amener  la  révolution  de  IS48  et  fut 
nommé  au  2i  février  membre  du  gouvernement 
provisoires  Ses  plus  beau.x  discours  politiques  da- 
tent de  cette  époque. 

Ledrii-RoHin,  né  à  Paris  en  1807,  se  fit  con- 
naître d'abord  sous  le  règne  de  Louis-Philippe 
par  l'opposition  ardente  qu'il  fil  h  son  gouverne- 
ment. Organe  du  parti  républicain,  il  enllanimait 
par  sa  parole  les  passions  populaires.  Il  contribua. 


ORATEURS 


—  1464  — 


ORCHIDÉES 


avec  Lamartine  à  préparer  la  révolution  de  1848. 
Mais  ses  qualités  d'administrateur,  de  politique, 
d'iiomme  de  gouvernement  furent  loin  de  ré- 
pondre i  son  talent  d'orateur. 

Tliiers,  né  à  Marseille  en  1797,  mort  en  1877,  a 
dans  sa  longue  existence  montré  les  plus  rares  et 
les  plus  grandes  qualités  d'orateur  politique. 
Journaliste,  il  attaqua  avec  vivacité  le  gouverne- 
ment de  Charles  X,  et  signale  premier  la  protes- 
tation contre  les  ordonnances  de  1830.  Ministre  de 
Louis-Philippe  ou  membre  de  l'opposition  de  183ii 
à  1848,  il  ne  cessa  de  prendre  la  parole  sur  les 
questions  les  plus  importantes.  Rappelé  au  Corps 
législatif  sous  l'Empire,  il  y  prononça  son  fameux 
discours  sur  Ipx  iiOcrtcs  7iéce.'.-saires,  qui  eut  un  si 
long  et  si  durable  retentissement.  Enfin  on  connaît 
le  rùle  parlementaire  qu'il  a  joué  depuis  IS'^O  jus- 
qu'à sa  mort.  Son  testament  politique  fut  la  lettre 
qu'il  adressait,  après  le  coup  d'État  du  IC  mai  1876, 
aux  électeurs  de  son  quartier,  et  que  la  France 
entière  lut  avec  admiration.  Sa  veuve  publie  au- 
jourd'hui les  discours  de  son  illustre  époux.  Ce  qui 
caractérise  l'éloquence  de  Thiers,  c'est  sa  force  de 
persuasion.  Sa  parole  simple,  claire,  limpide,  son 
art  d'élucider  les  questions  les  plus  obscures,  ga- 
gne peu  à  peu  les  auditeurs.  Les  convictions  des 
plus  opiniâtres  sont  déjà  ébranlées,  lorsque 
quelques  accents  élevés  et  patriotiques  achèvent 
de  les  entraîner. 

En  Angleterre,  l'éloquence  politique  date  du 
xvjii"  siècle  et  a  offert  d'éclatants  modèles  à  nos 
orateurs  delà  Révolution.  Les  plus  célèbres  sont: 
lord  Chatham,  né  en  1708  à  Westminster,  mort 
en  1778;  son  plus  beau  discours  est  celui  qu'il 
prononça,  presque  mourant,  dans  le  Parlement 
anglais  pours'opposer  à  ce  que  l'Angleterre  recon- 
niit  l'indépendance  des  États-Unis  ;  son  fils  Wil- 
liam Pitt,  né  en  1759,  ministre  à  vingt-trois  ans, 
.mort  en  1806,  qui  fut  l'ennemi  acharné  de  la 
France  pendant  la  Révolution,  et  ne  cessa  de  diri- 
ger par  sa  parole  un  Parlement  indocile  et  las  des 
défaites  répétées  essuyées  par  l'Angleterre  pen- 
dant les  guerres  de  la  République;  Fox,  né  à 
Londres  en  1749,  mort  en  18in,  qu'on  a  surnommé 
le  Dcmosthène  de  l'Angleterre:  il  fut  l'adversaire 
et  le  successeur  de  Pitt  ;  liurke,  né  à  Dublin  en 
nSO,  mort  en  1707,  qui  se  distingua  surtout  par  ses 
Violentes  attaques  contre  la  Réuolution  française. 

Les  orateurs  anglais  de  notre  époque  sont  infé- 
rieurs en  général  .'i  leurs  devanciers.  La  parole 
règne  toujours  dans  les  deux  Chambres.  Mais  les 
orateurs,  ce  qui  vaut  peut-être  mieux,  s'attachent 
surtout  à  parler  en  hommes  d'affaires  ;  leur  langage 
est  simple,  juste,  quoique  trop  prolixe  ;  il  n'a  pas 
l'envergui'e  et  les  grands  coups  d'aile  des  orateurs 
du  xviii"  siècle. 

i°  Eloquence  acarlémirjue.—'Est-'ûbienutUe,apTès 
ces  grands  genres  d'éloquence,  de  parler  de  l'élo- 
quence académique?  On  appelle  de  ce  nom,  dans 
les  traités  de  rhétorique,  le  discours  que  chaque 
membre  de  l'Académie  française  prononce  lorsqu'il 
vient  s'y  asseoir  pour  la  première  fois,  et  le  dis- 
cours qu'on  lui  adresse  en  réponse.  Cela  ne  con- 
stitue pas  un  genre  bien  étendu.  On  y  comprend 
aussi  les  compositions  littéraires  mises  au  concours 
par  l'Académie  et  dont  la  meilleure  obtient  une 
recompense.  Mais  il  est  rare  que  la  même  per- 
sonne se  livre  plusieurs  fois  à  ces  compositions 
annuelles,  réservées  plutôt  à  des  jeunes  gens  qui 
veulent  se  faire  connaître.  Par  exception,  lecélèbre 
■i  f"*^  Cî-î'-'-nsâ)  concourut  cinq  fois  au  xvni" 
siècle  et  remporta  cinq  fois  le  prix  d'éloquence, 
avant  d'entrer  à  l'Académie  française. 

A  l'éloquence  académique  appartiennent  aussi 
les  éloges  des  membres  défunts  composes  par  le 
secrétaire  perpétuel  de  certaines  académies.  Deux 
hommes  seuls,  remarquables  par  leur  longévité, 
ont  eul'occasion  d'en  pronoiicerun  graud  nombre  : 


Fontenelle  (1657-1757),  comme  secrétaire  perpétuel' 
de  l'Académie  des  sciences,  et  M.  Mignet,  né  à 
Marseille  en  1796,  secrétaire  de  l'Académie  des 
sciences  morales  et  politiques.  Les  Éloges  de 
M.  Mignet  sont  des  modèles  d'élévation  et  de 
style., 

5°  Éloquence  niilUaire.  —  L'éloquence  militaire 
aussi  est  un  genre  qu'on  n'a  pas  souvent  l'occasion 
de  pratiquer.  Elle  comprend  les  harangues  et  les 
proclamations  qu'un  général  adresse  à  ses  soldats. 
Dans  la  réalité,  elle  se  borne  à  quelques  mots 
énergiques,  et  n'a  pas  les  développements  que  les 
historiens  anciens  lui  donnent  par  une  fiction 
qui  ne  trompe  personne.  Cependant,  on  admire 
avec  raison  les  proclamations  que  Napoléon  I" 
adressait  soit  à  l'armée,  soit  aux  populations  au 
milieu  desquelles  il  se  trouvait.  Elles  enflammaient 
ses  soldats  et  étonnaient  les  peuples  par  leur- 
grandeur  et  leur  éclat  un  peu  déclamatoire.  Les 
plus  célèbres  sont  la  premier.-  proclamation  à  l'ar- 
mée d'Italie,  et  les  deux  proclamations  adressées- 
l'une  aux  populations  de  l'Egypte,  après  la  bataille 
des  Pyramides,  et  l'autre  aux  habitants  de  Vienne 
en  Autriche  après  la  bataille  de  Wagram. 

[Victor  Cucheval.] 

ORCHIDEES.  —  Botanique,  XXV.  —  Etym.  : 
Le  mot  Orchidées  vient  du  nom  du  principal  genre 
de  cette  famille,  qui  est  le  genre  Orcliis,  et  le  mot 
Orcliis  est  lui-même  un  mot  grec  qui  signifie- 
pliinte  liulhettse. 

Défitiilion.  —  Les  Orchidées  sont  des  plantes 
monocotylédones  caractérisées  par  leur  pollen  ag- 
gloméré en  grosses  masses  nommées  poUinies, 
par  leur  embryon  non  différencié,  par  leur  pé- 
rianthe  irrégulier  et  par  leur  androcée  presque 
toujours  réduit  à  une  anthère. 

Caractères  botaniques-  —  La  graine  des  orchi- 
dées se  compose  d'un  tégument  séminal  mem- 
braneux formé  d'un  seul  rang  de  grandes  cellules, 
à  parois  généralement  minces,  plus  rarement 
épaissies  sur  leur  face  profonde,  comme  dans 
la  vanille;  sous  ce  tégument  séminal,  on  trouve 
un  embryon  globuleux  non  différencié  en  axe,  ni 
appendice  ;  souvent  le  tégument  sémijial  de  la 
graine  des  orchidées  semble  s'étendre  de  chaque 
coté  du  corps  central  de  cette  graine,  comme  une 
sorte  d'aile  générale.  Cette  disposition  a  en  vue 
de  faciliter  la  dispersion  des  graines  ;  seul,  le  genre  ■ 
Vanille  fait  exception  avec  ses  graines  noires, 
brillantes,  lourd  s  et  de  consistance  crustacée. 
Lors  de  la  germination,  il  s'écoule  un  temps  très 
long  entre  le  moment  où  la  graine  est  confiée  au 
sol  et  celui  où  l'embryon,  en  voie  de  germination, 
déchire  le  tégument  séminal.  A  cette  époque,  il 
n'est  pas  encore  possible  d'indiquer  le  point  de 
végétation  et,  par  conséquent,  le  sommet  de  l'em- 
bryon. Bientôt,  en  un  point  absolument  quelcon- 
que de  cet  embryon,  ou  voit  surgir  une  ou  plu- 
sieurs racines  ;  il  n'y  a  pas  là  de  racine  principale 
comme  cela  arrive  habituellement  chez  la  plupart 
des  autres  plantes. 

Les  racines  ordinaires  des  orchidées  sont 
aiivnlh'ef,  c'est-à-dire  qu'elles  naissent  en  un 
point  absolument  quelconque  de  la  surface  de  la 
plante.  Elles  sont  cylindriques,  arrondies  à  leur 
extrémité,  et  offrent  un  aspect  tout  particulier. 
Elles  ne  se  ramifient  jamais.  On  voit  très  fréquem- 
ment plusieurs  de  ces  racines  adhérer  entre  elles 
par  un  tissu  parenchymateux  ;  on  appelle  ctado- 
des  de  racines  ces  régions  communes  à  plusieurs 
racines.  Si,  comme  il  arrive  souvent,  un  cladode 
de  racines  devient  le  siège  d'une  hypertrophie 
cellulaire  et  en  même  temps  un  magasin  de  ré- 
serves nutritives,  on  le  désigne,  en  botanique 
descriptive,  sous  le  nom  de  lubeccule  diijilé. 

Lorsque  les  racines  adventives  des  orchidées 
doivent  vivre  dans  l'air,  loin  du  sol,  on  les  nomme 
racines   aériennes,   et   leur   surface  se   recouvre 


ORCHIDÉES 


1165 


ORIENT  (EXTRÊME) 


d'une  enveloppe  blancliàtre  que  l'on  nomme  ve- 
lamen  ;  le  velamen  ]i'est  autre  chose  qu'une  pilo- 
rliizo  ordinaire  qui  ne  subit  pas  d'exfolialion  ;  le 
velamen  est  par  conséquent  un  revêtement  subé- 
reux qui  protège  la  surface  de  la  racine.  Dans  un 
petit  nombre  de  plantes,  ces  racines  aériennes  se 
cliargont  de  cliloropliylle  et  jouent  ainsi  partielle- 
ment le  rôle  de  feuilles. 

La  tige  des  orchidées  est  généralement  assez 
peu  développée,  rampante  ou  dressée,  parfois 
très  grêle  et  se  terminant  par  une  hampe  florale 
nue.  Dans  un  petit  nombre  de  genres,  chacun  des 
entre-nœuds  de  cette  tige  se  renfle  en  un  tuber- 
cule d'une  forme  toute  particulière.  Ce  n'est  que 
dans  le  genre  Vanille  que  la  tige  présente  un 
très  grand  développement;  mais,  même  dans  ce 
cas,  elle  demeure  herbacée  et  conserve  une  struc- 
ture très  simple. 

Les  feuilles  des  orchidées  sont  engainantes, 
entières,  allongées,  à  nervures  parallèles  peu  nom- 
breuses ;  ces  feuilles  sont,  la  plupart  du  temps, 
presque  radicales.  Ce  n'est  guère  que  dans  le  genre 
Vanille  qu'on  trouve  les  feuilles  dispersées  sur 
toute  la  surface  de  la  plante.  Y,n  approchant  de 
1  inflorescence,  les  feuilles  se  réduisent  à  l'état  de 
petites  écailles. 

La  fleur  des  orchidées  se  compose  d'un  périan- 
the  hexaphylle  dont  les  pièces  fort  dissemblables 
les  unes  des  autres  sont  disposées  sur  deux  rangs. 
L'une  des  pièces  du  verticille  intérieur  de  ce  pé- 
rianthe  prend  un  développement  considérable  et 
une  forme  spéciale;  on  lui  donne  le  nom  de 
labelle ;  très  fréquemment  le  labelle  présente  un 
enfoncement  ou  éperon  dans  lequel  est  cachée 
une  glande  dont  le  nectar  a  pour  but  d'attirer  les 
insectes  qui  doivent  concourir  à  la  fécondation  de 
la  fleur.  Les  diverses  pièces  de  la  fleur  sont  insé- 
rées au  sommet  de  l'ovaire  qui  devient  par  cela 
même  infère.  L'androcée  ne  comprend  qu'une 
seule  étamine  opposée  au  labelle,  hypertrophiée 
et  adhérente  au  style  qui  surmonte  l'ovaire  ;  cette 
anthère  est  biloculaire;  tous  les  grains  de  pollen 
de  chaque  loge  demeurent  adhérents  les  uns  aux 
autres  et  forment  ce  que  l'on  nomme  une  pollinie; 
très  fréquemment  chaque  pollinie  se  prolonge  en 
une  sorte  de  bec  ou  caudicule.  En  regard  de  l'an- 
thère le  siyle  porte  une  glande  ou  rétinaele  qui 
produit  une  humeur  visqueuse  très  adhésive  ;  cette 
humeur  se  répand  jusque  sur  les  caudicules,  et 
s'y  attache  ;  en  séchant,  elle  se  contracte,  tire  à 
elle  les  pollmies,  par  l'intermédiaire  des  caudi- 
cules et  vient  ainsi  en  aide  à  la  déhiscence  très 
imparfaite  des  loges  de  l'anthère. 

L'ovaire  est  uniloculaire,  tricarpellé,  et  présente 
trois  placentas  pariétaux  bilobés  qui  sont  chargés 
d'une  multitude  d'ovules  anatropes  bitégnmentés. 
Dans  l'épaisseur  des  parois  ovariennes,  on  trouve 
parfois  des  glandes  septales  très  développées. 
L'ovaire  est  surmonté  d  un  style  court  massif  qui 
se  termine  par  un  stigmate  glanduleux  très 
grand  et  fortement  courbé  en  forme  de  cuiller  ; 
la  concavité  de  ce  sligm.jte  regarde  vers  le  sol. 
Dans  la  position  ordinaii'C,  le  stigmate  semble 
placé  immédiatement  au-dessus  de  l'anthère. 

Les  pollinies  sont  transportées  sur  le  stigmate 
par  l'intermédiaire  des  insectes  hyménoptères. 

La  fleur  d'un  petit  nombre  d'orchidées  difl'ère 
quelque  peu  de  celle  que  nous  venons  de  faire 
connaître  :  c'est  ainsi  que  dans  le  Ci/pripedium,  le 
périaiithe  et  l'androcée  ont  une  symétrie  binaire 
et  un  ovaire  infère  tricarpellé. 

Le  fruit  des  orchidées  est  une  capsule  déhis- 
cente en  trois  ou  six  valves  ;  très  souvent,  dans 
les  orchidées  de  nos  pays,  les  trois  valves  inter- 
placentaires restent  unies  entre  elles  au  sommet. 
Pendant  le  développement  du  fruit  et  la  formation 
de  la  graine,  on  voit  souvent  les  suspenseurs  des 
embryons  s'étaler  à  la  surface  des  placentas,  pour 


y   absorber  les   matières    nutritives  que  ceux-t 
contiennent. 

L'ensemble  des  caractères  des  orchidées  nous 
montre  ces  végétaux  comme  des  types  profon- 
dément dégradés,  et  ce  fait  s'accorde  parfai- 
tement avec  l'habitude,  générale  chez  les  plantes 
de  cette  famille,  do  vivre  soit  comme  plantes 
humicoU",  soit  comme  plantes  èpiphytes.  Un  très 
petit  nombre  d'orchidées  sont  franchement  para- 
sites :  telles  sont  le  Liniodorum,  la  Neottia  nidus 
avis;  dans  ces  deux  plantes,  la  chlorophylle  est 
remplacée  par  des  cristalloîdes  rouges.  Certaines 
orchidées  sont  tellement  dégradées  qu'elles  ne 
présentent  jamais  de  racines  ;  telles  sont  le  Cora- 
lurhiza  et  VEpipogon. 

Usages  des  Orchidées.  —  Los  plantes  de  la  fa- 
mille des  orcliidées  sont  très  recherchées  Ji  cause 
de  la  bizarrerie  et  de  la  beauté  de  leurs  fleurs, 
qui  ressemblent  tantôt  à  un  papillon,  tantôt  à  une 
abeille,  tantôt  à  un  singe,  etc.  Leur  culture  de- 
mande le  plus  ordinairement  la  serre  chaude  et 
des  soins  assidus;  elle  est  devenue  en  Angleterre 
et  en  Belgique  l'objet  d'une  véritable  passion.  Les 
célèbres  horticulteurs  Veitch  et  Linden  entretien- 
nent à  grands  frais  des  voyageurs  dans  les  ré- 
gions tropicales  du  globe  pour  y  recueillir  spé- 
cialement les  orchidées.  Aussi  Linné,  qui,  au 
milieu  du  siècle  dernier,  ne  connaissait  qu'une 
douzaine  d'orchidées  exotiques,  pourrait-il  lire  au- 
jourd'hui, sur  les  catalogues  des  horticulteurs  an- 
glais, les  noms  de  3  500  espèces  de  ces  végétaux. 

Parmi  les  orchidées,  peu  nombreuses,  qui 
sont  utiles  à  l'homme,  nous  citerons  : 

1°  Les  Vayiilles.  C"  sont  des  plantes  sarmen- 
teuses  qui  croissent  dans  les  régions  chaudes  et 
humides  du  Mexique  et  de  la  Guyane.  La  culture 
les  a  acclimatées  dans  les  Antilles,  au  Brésil,  et 
dans  l'Ile  lUaurice.  On  les  cultive  pour  leur  fruit. 
Ce  fruit  est  une  capsule  longue,  noire,  dont  les 
graines  globuleuses,  coriaces,  fort  petites,  sont 
plongées  dans  un  tissu  placentaire  qui  sécrète 
une  huile  balsamique  à  laquelle  est  dû  le  parfum 
délicieux  du  fruit.  La  vanille  est  employée  dansia 
préparation  de  quelques  mets  délicats.  La  variété 
la  plus  estimée  est  celle  qui  vient  de  l'île  Bourbon. 
Conservée  dans  un  endroit  sec,  elle  se  couvre  de 
cristaux  blancs  d'acide  benzoique.  La  vanille  du 
Mexique,  qui  est  la  plus  commune  et  la  moins  par- 
fumée, est  connue  dans  le  commerce  sous  le  nom 
I  de  vanilbm. 

1      2"  L'Affrecum    fragrans  ou   Faham,   originaire 
j  des  lies  Mascareignes.  Les  feuilles  de  cette  plante 
sont  vendues  sous  le  nom  de  thé  de  Bourbon  ;  elles 
'  ont  une  saveur  amère  et  une  odeur  de  fève  tonka. 
I      3"  Les  Orchid,  qui  produisent  un  p<;tit  tubercule 
I  dont  on   extrait  une    fécule  très  légère   connue 
sous    le  nom  de  salep.  Le  salep  nous  vient  de 
l'Asie-Mineure  et  de  la  Perse.  Bien  que  les  es- 
pèces  qui   produisent  le    salep  soient  indigènes 
dans  l'Europe  centrale,  ces   plantes  n'y  sont  pas 
assez  abondantes  pour  y  permettre  la  fabrication 
directe  de  cette  fécule. 

Le  sijlep  se  mange  cuit  comme  le  tapioca  ou  in- 
corporé au  chocolat.  [C.-E.  Bertrand.] 

OuiaiXE.  —  V.  Ouï?. 

OKfiANISÉS  (Klres).  —  'V.  Règnes. 

ORlE.\T  (KXTItÈ.Hlî).  —  Histoire  générale,  I. 
—  L'extrême  Orient  comprend  les  deux  empires 
de  la  Chine  et  du  Japon. 

Chine.  —  Les  Chinois  font  remonter  leur  anti- 
quité à  81600  ans  avant  leur  ère  historique.  La 
Chine  était  alors  gouvernée  par  des  dieux,  puis 
par  des  souverains  descendant  des  dieux,  tels  que 
Fu-Iii,  Chin-Noiinij  et  Yao,  auxquels  on  attribue 
l'invention  du  feu,  des  maisons,  de  l'agriculture, 
t  des  arts  et  métiers,  de  la  médecine,  do  l'écriture, 
\  du  calendrier,  etc.  L'époque  historiiiue  commence 
I  en  2(i'J8  avec  le  règne  de  Hoang-Ti,  que  les  Chi- 


ORIENT  (EXTRÊME) 


1466  —       ORIENT  (EXTRÊME) 


nois  regardent  comme  leur  premier  législateur. 
En  22(i5  l'empire,  éli-ciifjusqu'alors,  devient  liéré- 
ditaire,  et  Yu  fonde  la  dynastie  Hia,  qui  règne  jus- 
qu'en n(:6.  Le  dernier  empereur  de  cette  famille, 
Li-Koué,  déposé  à  cause  de  ses  cruautés,  fut  rem- 
placé par  Tchinfj-Timg  qui  fonda  la  dyjiastie 
Chang  (IVQ-WTi).  Celle  des  Tclicou  lui  succéda 
«t  occupa  le  trône  jnsqu'en  24".  Son  fondateur, 
Wou-Wang,  fit  rédiger  le  Thcou-li,  recueil  de  lois 
politiques  et  sociales  déjà  existantes  et  suivies  en- 
core aujourd'hui.  Sous  le  règne  do  Liiig-Ncuig  na- 
quit Confucius  (55I-4';9).  La  dynastie  des  Tcliéou 
fut  renversée  par  l'usurpateur  T/isin.  qui  mit  un  j 
peu  d'ordre  dans  l'empire  morcelé  et  bouli-versé, 
et  qui  fonda  une  dynastie  nouvelle  i2ilj-i9';;,  la- 
quelle donna  son  nom  à  l'empire  :  Thsina.  Chine. 
lin  des  successeurs  de  ïhsin,  Chi-Hoang-Ti.  éleva, 
vers  214,1a  grande  muraille  contre  les  Hiong-nou 
(Huns).  On  dit  que,  pour  se  délivrer  des  impor- 
tunités  des  hauts  fonctionnaires  qui  à  son  auto- 
rité opposai. ut  les  traditions,  il  fit  brûler  tous 
les  livres  relatifs  aux  mœurs  et  à  l'histoire  de  la 
Chine.  A  la  dynastie  des  Thsin  a  succédé  celle  des 
Han'àa  197  av.  J.-C.à  2vOap.  J.-C.)  Sous  les  llan, 
la  Chine  eut  des  rapports  officiels  avec  l'empire  ro- 
main, qu'elle  appelait  Taï-Tsin  et  où  elle  éiait 
■connue  sous  le  nom  de  Sénque  'pays  de  la  soie). 
Une  ambassade  chinoise  s'arrêta,  en  revenant, 
dans  l'Inde,  et  en  rapporta  lu  religion  de  Bouddha 
(le  F6  des  Chinois). 

Après  les  Han,  la  Chine,  livrée  aux  discordes, 
se  divisa  en  deux  empires  :  celui  du  Nord  formé 
par  une  invasion  de  Tartares,  et  celui  du  Sud. 
En  589,  la  dynastie  des  Soui  monta  sur  le  trône 
€t  réunit  les  deux  empires.  Celle  des  long  lui 
succéda  (617-90")  et  fut  très  brillante.  Sous'cotte 
dynastie,  la  Chine  étendit  sa  domination,  par  force 
ou  par  soumission  volontaire,  sur  la  Corée,  le 
Japon,  le  Tliibrt,  le  Turkestan,  la  Mongolie,  le 
pays  des  Mandchoux,  le  Toiikin,  le  Cambodge, 
la  Cochincliine,  Siam,  Hainan  et  Formose.  Elle 
prit  pour  capitale  Signan-fon.  Après  les  Tang, 
les  troubles  éclatèrent  de  nouveau  et  les  dynas- 
ties se  succédèrent  rapidement,;  la  deuxième 
dynastie  des  Song  se  maintint  plus  longtemps 
(990-127:')-  Sous  son  règne,  le  Nord  do  la  Chine 
fut  envahi  par  les  Tariares  ,  les  empereurs  n'en 
conservèrent  une  partie  qu'en  se  soumettant  à 
un  tribut;  ils  durent  transporter  lenr  résidence 
&  Hang-tchou-fou.  Délivrés  un  moment  par  les 
Mongols  sous  la  conduite  de  Gengis-klian  qu'ils 
avaient  appelé,  ils  furent  bientôt  les  victimes 
de  leurs  alliés.  Gengis  khan  conquit  la  Chine 
par  deux  victoires  et  fit  périr  l'empereur  avec 
tous  les  membres  de  la  famillj  des  Song.  Son 
petit  fils  Kublal  Khan,  connu  en  Chine  sous  le 
nom  do  ThiTsoii,  fonda  la  vingiiènie  dynastie 
chinoise,  celle  des  A/o^o/s  ou  Vefi  I  I2fy-13^.>),  qui 
administra  sagement  l'empire.  Sous  le  règne  de 
cette  dynastie,  les  missionnaires  et  les  voyageurs 
européens  pénétrèrent  dans  la  Chine,  connue 
alors  en  Eui'ope  sous  le  nom  de  Cathay.  Le  plus 
illustre  d'entre  eux  est  Marco  Polo.  Avec  icluiu 
ou  T'.ï-Tsung  l<^',  monta  sur  lo  trône  la  dynastie 
nationale  dés  Ming  (13t)8-i6'i4  .  Les  Européens 
commencèrent,  pendant  cette  période,  à  entretenir 
des  relations  suivies  avec  l'empire;  les  l'ortugais 
s'établirent  ,\  Macao  (1522),  et  le  jésuite  Mathieu 
Ricci  fonda  des  missions  avec  assez  de  succès 
(1583  .  La  dynastie  aujourd'hui  régnante,  celle 
des  Tnl-isiug  ou  des  Tariurps-Mand,:hou.T,  a  été 
imposée  à  la  Chine  par  la  conquête  (lG4i).  Elle 
a  déjà  donné  à  la  Chine  sept  empereurs,  dont  le 
dernier,  Clii-sang,  est  monté  sur  le  trône  en  ISGI. 
Ces  princes  ont  conquis  la  Mongolie,  Formose, 
le  Thibei,  le  Kaschj;ar,  la  Dzoungario  ;  ils  ont 
introduit,  dans  l'empire ,  lo  faste  et  la  servi- 
lité des  royaumes  orientaux,  mais  ils  n'ont  rien 


changé  à  l'administration  plusieurs  fois  séculaire. 

A  la  fin  du  .wur  siècle  ont  commencé  les  démê- 
lés qui  durent  encore  entre  l'Europe  et  la  Chine. 
L'Angleterre  profita  la  première  dos  mauvais 
traitements  exerces  contre  les  Européens  pour 
prendre  pied  dans  l'empire.  Les  ambassades  de 
lord  Macartney  (i:U2)et  de  lord  Amherst  (IS02/ 
n'eurent  point  de  résultats,  et  en  I8!5  tous  les  ca- 
tholi(|ues  furent  chassés  ;  les  missionnaires  de 
Pékin  eurent  le  môme  sort  en  I82N.  Le  privilège 
de  la  Compagnie  des  Indes  ayant  ces^é  en  1834,  le 
gouvernement  anglais  ne  craignit  plus  de  se  voir 
fermer  le  port  de  Canton  sans  intervention  possi- 
ble, et,  désormais  seul  chargé  de  protéger  son 
commerce,  il  chercha  une  occasion  de  commencer 
les  hostilités,  La  Chine  l'offrit  bientôt.  L'empereur 
s'émut  des  effets  de  l'opium  introduit  en  grande 
quantité  malgré  sa  prohibition,  et  de  l'exporlation 
de  l'or  et  de  l'argent  donnés  seuls  en  paiement. 
Les  commerçants  européens  furent  retenus  pri- 
sonniers jusqu'à  ce  (|u'ils  eussent  livré  leurs  car- 
gaisons d'opium  :  la  guerre  commença  (I8:i9).  Les 
Anglais  bombardèrent  Canton  et  arrivèrent  jusqu'à 
Nankin.  Une  convention  signée  dans  cette  ville 
(1812)  mit  fin  à  la  guerre  de  l''  pium  et  imposa  aux 
Chinois  la  légalisation  du  commerce  de  l'opium,  la 
cession  de  Hong-Kong  à  l'Angleterre,  une  indem- 
nité de  loi  millions  de  fr.  et  l'ouverture  des  cinq 
ports  conquis  au  commerce  européen.  M.  deLagre- 
née,  représentant  de  la  France  à  Canton,  entama  à 
son  tour  des  négociations  et,  de  sa  propre  autorité, 
imposa  a  la  Chine  le  traite  de  Vampora  (1841),  qui 
donnait  à  la  France  les  avantages  du  traité  de 
Nankin,  permettait  aux  Chinois  d'embrasser  le 
christianisme  et  prescrivait  la  restitution  des 
églises  bâties  depuis  i'iTl  qui  n'avaient  pas  en- 
core été  converties  en  pagodes.  La  France  obtenait 
en  outre  un  acte  officiel  lui  donnant  le  droit  de 
faire  des  réclamations. 

Pendant  cette  période  d'embarras,  la  secte  des  Né- 
nufars,  ayant  pour  but  de  placer  sur  le  trône  une 
dynastie  n^tiojiale,  fit  de  rapides  progrès  et  abou- 
tit à  une  révolte.  A  la  voix  des  I clvmg-mao  ou  re- 
helles  aux  longs  c/ieyeii.r,  les  populations  se  soule- 
vèrent; en  mars  lS.i3,  Nankin  tomba  entre  leurs 
mains  et  l'empereur  des  rebelles  proclama  l'ou- 
vertured'une  ère  nouvelle,  celle  de  la  ('•ron  le-Paix 
ou  Tai  Ping  II  s'empara  ensuite  d  Emouy  et  de 
Shang-Haî.  Une  nouvelle  guerre  avec  l'Europe, 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure,  empêcha  le 
gouvernement  de  diriger  toutes  ses  forces  contre 
les  insurgés:  toutefois,  attaqués,  après  les  truites 
de  ISUl,  par  l'armée  franco-anglaise,  ceux-ci  ont 
perduNankin  ctShang-Haî,mais  ilsrestaientencore 
maîtres,  en  1878,  d'une  partie  des  provinces  cen- 
trales. La  révolte  du  Turkestan  amena  la  sépara- 
tion de  ce  pays  d'avec  l'empire  (1873),  celle  des 
Chinois  musulmans  ou  Pamis  (IS75)  vient  enfin 
d'être  apaisée. 

En  I8j(i,  les  Anglais,  profitant  des  einbarras  du 
gouvernement  chinois,  et  s'api'uyanl  sur  une 
prétendue  insulte  faite  à  leur  pavillon,  reprirent 
la  guerre  avec  l'alliance  de  la  France.  Canton 
fut  pris;  l'armée  franco-anglaise  remonta  le  Pé-ro 
(Pei-ho)  jusque  près  de  Pékin  (IS:i8).  Les  traités 
de  Tien  Tsin  et  la  convention  commerciale  de 
Shanghaï  ouvrirent  aux  Européens  les  cinq  nou- 
veaux ports  de  .Niou-Cliouang,  Teng-Tchéou, 
Souatan,  Thai-Ouan,  Kioung-Tchéou,  cédèrent' à 
la  Russie  le  territoire  de  l'Amour  qu'elle  avait 
occupé  en  18.i5,  consacrèrent  la  résidence  perma- 
nente à  Pékin  d'ambassadeurs  européens,  et 
fixèrent  les  droits  de  douane  à  5  p.  100  de  la  va- 
leur dos  marchandises  importées  ou  exportées  ;  la 
taxe  fut  abaissée  pour  la  soie  et  le  thé,  1  interdic- 
tion du  commerce  de  l'opium  fut  levée.  Mais  lors- 
qu'on 1859  les  envoyés  français  et  anglais  se  pré- 
sentèrent aux  bouches  du  Pé-ro,  l'entrée  leur  en 


ORIKNT  (EXTRÊME)      -  1^67  -       ORIENT  (EXTRÊME) 


futrfifusôe;  la  guerre  recommença  (rSGO).  L'armée 
n-anco  anglaise  s'empara  de  l'ije  de  Cliusai),  et, 
après  lecombat  de  Peli-Tang.  des  forts  de  Ta-Kou  ; 
elle  marrlia  ensuite  jusqu'àTong  Tcliéou,  à  II.  ki- 
Inmèircs  de  Pékin.  Pendant  que  le  gouvernement 
cliiiiois  amusait  les  ambassadeurs  par  des  négo- 
ciations, l'armée  européenne  fut  attaq\iée,  i  l  im- 
proviste, par  les  Tarlares,  près  de  Tcliang  Kia- 
Wang,  mais,  victorieuse  au  pont  de  Pa-li-Kau.elle 
entra 'il  Pékin.  Les  traités  y  furent  signés.  Ils 
cunfirn.èient  ceux  de  Tien-Tsin,  donnèrent  une 
indemnité  de  60  raillions  à  la  France  et  à  l'Angle- 
torre,  restituèrent  aux  chrétiens  tous  les  établis- 
sements religieux,  et  ouvrirent  au  commerce  eu- 
ropéen trois  nouveaux  ports:  Tien-Tsin,  Tcliing- 
Kiang,  Han-Kéou.  Un  ministère  des  affaires 
étrangères  fut  créé  en  I8GI,  et  les  ambassadeurs 
français  et  anglais  s'établirent  dans  la  capitale.  A 
la  mort  de  l'empereur,  le  prince  Kong,  son  frère, 
qui  avait  signé  les  traités,  s'empara  du  gouverne- 
ment malgré  le  conseil  de  régence,  et  prit  la  tutelle 
de  son  neveu  Clii-Sang,  âgé  de  sept  ans.  Depuis 
cette  époque,  les  fonctionnaires  de  l'empire  se 
divisent  en  deux  partis  :  celui  de  la  résistance  et 
celui  du  progrès  ;  les  progressistes  veulent  em- 
prunter à  l'Europe  ses  armes  perfectionnées  son 
instruction  scieniilique,  son  organisation  militaire, 
ses  engins  de  défense,  afin  de  préserver  la  Chine 
d'une  nouvelle  attaque  et  d'une  ruine  imminente; 
le  parti  de  la  résistance,  qui  veut,  avec  un  patrio- 
tisme moins  éclairé,  conserver  intactes  les  mœurs 
nationales,  est  en  minorité,  et,  grâce  à  l'appui  du 
prince  Kong,  les  progressistes  ont  commencé  avec 
succès  la  réalisation  de  leurs  projets.  Un  arsenal 
et  une  école  de  marine  militaire  ont  déji  été  fon- 
dés èi  Fou-Tcliéou. 

Les  Chinois  appartiennent  h  la  race  jaune  et  à 
la  famille  indo-sinique  ;  ils  ont  le  visage  large, 
les  yeux  noirs,  petits  et  relevés  vers  les  tempes, 
la  bouche  et  le  nez  petits,  les  pommettes  saillan- 
tes, le  teint  jaune,  les  cheveux  noirs  et  légère- 
ment crépus  Ils  n'ont  pas  de  barbe.  Les  Chinois 
sont  doux  et  polis  jusqu'à  l'obséquiosité,  mais 
aussi  fourbes,  poltrons  et  ■lains.  Leur  langue  ap- 
partient à  la  famille  des  langues  monosyllabiques, 
elle  n'a  ni  genre  ni  nombre;  elle  comprend  la 
langue  officielle  ou  langue  mandarine,  et  un  grand 
nombre  de  dialectes  ;  ceux-ci  ne  sont  point  compris 
lorsqu'on  les  parle  hors  de  leurs  provinces  respec- 
tives, mais  la  langue  écrite  est.  comprise  partout. 
L'écriture  chinoise  se  trace  de  haut  en  bas;  elle 
compte  3fi185  caractères,  outre  12'i  lettres-mères 
servant  à  former  les  autres. 

Les  Chinois  qui  veulent  arriver  aux  fonctions  pu- 
bliques sont  astreints  à  des  examens  destinés  à  cons- 
tater leur  degré  d  instruction.  Les  bacheliers  ont  le 
monopole  de  l'enseignement,  peuvent  porter  le  bou- 
ton d'<ir  sur  leur  chapeau  et  de\eniT  inrindan?is, 
titre  que  portent  seuls  ceux  qui  remplissent  une 
fonction  publique.  Les  mandarins  forment  doux 
classes  :  les  muniarins  civils  ou  /"Itrés,  et  les  mun- 
dariyis miidai'-'-s.On  dislingue, dansle  mandarinat, 
un  certain  nombre  de  grades.  Le  plus  liant,  celui 
"    •iid''mii:ie-n  (kan-lin),  s'obtient  après  une  épreuve 


d'à 


dont  l'empereurlui-même  est  le  juge   suprême. 

Trois  religions  se  partagent  la  Chine:  la  religion 
d'Yu.  qui  est  celle  de  l'Etat  et  des  lettrés,  établie 
par  Confucius;  le  Tao-tse  (ou  la  Raison  primi- 
tive', doctrine  enseignée  par  Lao-tseu,  et  le  culte 
de  Fô  ou  le  Bouddhisme. 

Les  Chinois  sont  très  indifférents  en  matière  de 
religion  ;  les  sectateurs  des  deux  premières  reli- 
gions surtout  sont  le  plus  souvent  libres-penseurs  ; 
néanmoins  la  prati(|ue  de  leur  religion  est  un 
grand  moyen  de  conserver  leur  ascendant  sur  le 
peuple  allaclié  aux  superstitions  les  plus  gros- 
sières. Les  I\oui-tz;  (Ouigours),  incorporés  Ji  l'em- 
pire auxviis  siècle,  sont  restés  musulmans  et  sont 


assez  libres.  Les  juifs,  au  nombre  d  environ  .>()  000, 
pratiquent  librement  leur  culte.  Le  christianisme, 
intruduit  par  les  Nostoriens,  au  vu'  siècle,  et  pro- 
pagé plus  tard  par  les  jésuites,  au  xvii«  et  au  xviii 
siècle,  s'est  heurté  à  l'indifférence  des  Chinois  et 
aux  persécutions  du  gouvernement;  les  efforts 
des  missionnaires  n'ont  réussi  qu'à  conserver  à 
peu  près  intact  le  nombre  des  familles  converties. 
Les  Chinois  se  divisent  en  quatre  classes  :  celle 
des  lettrés  ou  de  la  noblesse,  dans  laquelle  on  peut 
entrer  après  avoir  subi  trois  examens  publics; 
celle  des  agriculteurs,  celle  des  industriels  et 
celle  des  commerçants.  Les  maîtres  de  maisons 
de  jeu,  les  acteurs,  les  coiffeurs  et  les  bateleurs 
sont  exclus  des  fonctions  publiques.  . 

Le   gouvernement  chinois   est   une    monarchie 
absolue,  héréditaire  sans  ordre  déterminé  dans  la 
ligne  masculine.  Le  piince,  Fils  i/n  ciel,  réside  à 
Pékin,  et  à  Djé  liol  en  été.  Il  a  pour  conseil   les 
Ts  ise-SiaiiO',  mandarins  nommés  par  lui.  Ce  con- 
seil dirige  neuf  départements  :  Hnat'ons  •■vec  les 
pans  Iribu' aires  ,  intà-iew\  finances,  cul  le,  guerre, 
justic,  trnvnnx  pubbcs,  extérieur,  censure.  Les 
provinces   gouvernées,   deux    par    deux,  par   un 
[soni-Tho'i,  ont  chacune  un  gouverneur  gênerai 
ou  vice-roi  appelé  T^ong-Konan.  Chaque  ville  de 
premier  ordre  est  gouvernée  par  un   kouan  fou 
qui  dirige,  en  même  temps,  un  ceriain  nombre  de 
villes  de  deuxième  ordre.  Les  villes  du  troisième 
ordre    sont    sous   l'autorité   d'un    mandarin     Les 
bourgs  ont  un  Tso-Thnng,  et  les  villages  (Paô)  un 
Yû.  Ces  lonctionnaires  sont  amovibles,  nommes  et 
rétribués    par    l'empereur,  sauf    le   Yù    qiii     est 
nommé  par  le  mandarin  et  non   rétribué.  U  n  y  a 
ni  classes  privilégiées,  ni  places  héréditaires.  Cha- 
que province  doit  envoyer  à  Pékin  une  redevance 
en  nature  et  en  espèces.  Les  bureaux  de  douane, 
très  nombreux,  prélèvent   les  droits   sur  les  raar-- 
chandises.  Tous  les  hommes  de  2U  à  CO  ans  paient 
une  capitation.  Il   n'y  a  pas  de  monnaies  d  or  ou 
d'argent  ;  le  commerce  se  fait  par  lingots  dont  l  u- 
nité  de  poids,  variable  selon  les  provinces    est  le 
lue  ou   liang  (37  grammes  .,),  ou   par  feuilles   de 
métal  ou  par  papier.  11  n'y  a  qu'une  monnaie  de 
cuivre,  le  safiéqw^  achi-n,  dont  la   valeur,  sujette 
à  des  variations,  est  d'à  peu  près  l/-'    centime. 
L'empereur  ne  paie  que  ses  mandarins,  ses  sol- 
dats et  son  sérail  ;  chaque  province  lève  ses  contri- 
butions et  se  suffit  à  elle-même.  L'armée  s  élève  à 
peu  près  à  un  million  d'hommes  avec  l'arrière-ban. 
Elle  se  compose  de  l'armée  tartare  et  de  l'armée 
chin  .ise.  L'ai  mée  tartare,  la  moins  nombreuse,  mais 
la  plus  solide, comprend  lecontingentregulieretle 
contingent  irrégulier.  Le  premier,  qui  se  rapproche 
le  plus  de  notre  armée  permanente,  comprend  tous 
les  hommes  valides  de  la  race  tartare-mandchoue  et 
garde  les  places  fortes.  Quand  il  est  appelé  à  mar- 
cher, ce  qui  n'a  lieu  qu'à  la  dernière  extrémité,  il 
reçoit  une  solde  régulière  partie  en  espèces,  partie 
en  nature;   ses  généraux  \Tch'im  i-kui)  sont   tar- 
tares-mMidchoux.  Le  contingent  irreguher  est  com- 
posé  des    Tartares-Mongols   disséminés  sous   les 
ordres  des  différents  petits  princes,  et  se  divise  en 
huit  bannières.  Les  Tartares-Mongols  vivent  dans 
leur  patrie  et  ne  marchent  qu'à  l'appel  de  1  empe- 
reur. L'armée  chinoise,  composée  de  volontaires, 
est   répartie    dans    les    dix-huit  provinces   de    la 
Chine.  Chaque  soldat  est  enrôlé  dans  sa  province 
et  ne   sert  qu'une  partie  de    l'année.  Le   chiffre 
de  l'effectif  est  très  variable  ;  la  discipline  presque 
nulle.  Los  grades   sont  donnés  au  concours.  Les 
armes  étaient  l  arc  et  litlèche;  le  fusil  tend  de  plus 
en  plus    à    s'y   substituer.    La    marine    militaire 
compte  environ  son   bâtiments,  et  5  0  lO  hommes, 
commandos  par  deux  amiraux.  —  L'agriculture,  éle- 
vée, par  les  lois  et  les  coutumes,   au-dessus   des 
auti'-es  professions,  est  très  développée  ;  ses  pro- 
duits sont  les  légumes,  le  colon,  le  thé,  le  mûrier, 


ORIENT  (EXTRÊME)      —  1468 


ORIENT   (EXTRÊME) 


le  tabac,  l'indigo,  la  canne  à  sucre,  le  riz,  le  blé, 
le  maïs,  l'avoine,  la  vigne.  Le  gouvernement  pro- 
page des  notions  sur  l'éi  ononaie  agricole,  la  tein- 
ture, et  l'éducation  des  vers  à  soie.  —  Le  com- 
merce des  Cliinois  avec  les  Mongols  se  réduit  aux 
objets  de  première  nécessité;  avec  les  Russes,  il 
ne  porte  guère  que  sur  les  draps,  les  fourrures 
et  le  thé,  mais,  dans  les  provinces  chinoises  et 
dans  les  ports  ouverts  au  commerce  européen,  il 
est  très  actif.  Parmi  les  principaux  entrepôts  de 
commerce  intérieur,  nous  citerons  seulement 
Emouy,  Canton,  ChaoHing,  Ou-Tcliang,  Yo- 
Tchéou,  Nang-Khang,  Nankin.  Les  villes  affec- 
tées au  commerce  extérieur  sont  :  Kuéi-Lin- 
Fou,  Yauug-Tchang-Fou,  Maimatschin,  Y.irkand, 
Kaschgar,  Ladak,  Ssa-Lha.  Le  port  do  Cha-Pou 
est  ouvert  aux  Japonais  ;  ceux  de  Canton,  Emouy, 
Fou-Tchéou-Fou,  Ning-Po,  Shang-liai  le  sont  aux 
Européens.  Les  Portugais  possèdent  Macao,  et 
les  Anglais,  Hong-kong.  Les  articles  d'exportation 
sont  le  thé,  la  soie,  le  sucre,  le  riz,  les  plan- 
tes médicinales,  les  épices,  l'ivoire,  la  porce- 
laine, l'étoffe  dite  7tanki>i,  les  ouvrages  de  laque 
et  d'écaillé.  Les  articles  d'importation  sont  :  l'o- 
pium, les  tissus  de  coton,  les  draps,  les  fourrures, 
les  objets  en  cuivre  et  en  laiton,  les  fils  d'or  et 
d'argent,  les  glaces  et  verres,  l'acier,  l'étain,  le 
plomb,  le  corail,  la  cochenille.  —  L'esprit  mercan- 
tile des  Chinois  leur  a  fait  braver  les  décrets  qui 
leur  interdisent  de  s'expatrier;  ils  se  sont  répan- 
dus à  Java,  aux  Philippines,  h  Singapour,  à  Siam, 
h  Calcutta,  en  Australie,  sur  les  côtes  occidentales 
de  l'Amérique,  au  point  de  se  substituer  aux  tra- 
vailleurs indigènes  et  de  provoquer  des  révoltes 
de  la  part  de  ceux  ci.  Le  travailleur  chinois  ou 
coolie  (prononcez  kou/i]  est  sobre,  actif  et  éco- 
nome. De  là  les  préférences  des  entrepreneurs 
anglais  ou  américains,  qui  vont  les  chercher  par 
convois  et  font  avec  eux  un  traité  qu'ils  tiennent 
plus  ou  moins  honnêtement.  Le  coolie  revient  ! 
toujours  dans  son  pays,  soit  vivant,  avec  le  pécule  I 
qu'il  a  amassé,  soit  raort  pour  reposer  au  milieu  I 
des  siens  :  il  fait  promettre  à  celui  qui  l'engage  j 
de  renvoyer  son  corps  dans  la  province  qu'il  a  ' 
quittée.  —  Les  sciences,  plus  avancées  en  Chine 
jusqu'au  XV"  siècle  que  partout  ailleurs,  sont  res-  j 
tées  stationnaires  ;  l'imprimerie,  la  poudre  à  ca- 
non, la  boussole,  dont  on  fait  remonter  l'invention 
à  l'an  2CU2,  et  le  gnoinon  qui  daterait  de  I  lOlt,  in- 
ventés par  les  Chinois,  n'ont  été  perfectionnés  ou 
employés  qu'en  Europe.  Les  Chinois  font  peu  de 
mathématiques,  mais  le  système  décimal  est  en 
usage  parmi  eux  depuis  longtemps.  La  médecine 
se  réduit  en  Chine  à  l'usage  des  siinples  ou  à  des 
pratiques  superstitieuses  ;  les  Chinois  ne  connais- 
sent ni  la  physique,  ni  la  chimie,  ni  l'astronomie. 
Ils  se  servent  du  levier,  de  la  poulie,  du  treuil, 
de  la  roue  dentée,  et  ils  ont  emprunté  aux  Euro- 
péens la  vis  et  la  vapeur  qu'ils  appliquent  à  la 
cuisson  des  aliments.  Leur  seul  moyen  de  trans- 
port est  la  brouette  dont  le  milieu  repose  sur  un 
essieu  muni  de  deux  roues,  auxquelles  on  peut 
ajuster  une  petite  voile  pour  se  faire  aider  par  le 
vent.  Mais  400  canaux  facilitent  les  transports  par 
eau.  —  Les  Chinois  n'ont  point  d'architecture  pro- 
prement dite. Les  maisons  n'ont  qu'un  rez-de-chaus- 
sée qu'entourent  des  cours  ;  elles  sont  couvertes 
en  tuiles  jaunes,  pour  les  palais  impériaux,  rouges 
pour  ceux  des  princes,  grises  pour  les  habitations 
ordinaires;  le  papier  remplace  les  vitres  aux  fenê- 
tres. Les  temples  sont  ou  des  tours  (pagodesj,  ou 
des  éJifices,  à  peu  près  de  même  forme  que  les 
maisons  d'habitation,  mais  ornés  de  peintures,  de 
bois  précieux,  d'animaux  fantastiques,  etc.  Les 
Chinois  ne  savent  représenter  les  objets  que  par 
la  peinture.  Leur  peinture  est  caractérisée  par  des 
teintes  très  pâles  et  un  manque  absolu  de  pers- 
pective et  de  proportions.  —  La  littérature  chinoise 


est  la  plus  riche  de  l'Asie;  en  \~13,  l'empereur 
Kien-long  ordonna  de  former  une  bibliothèque 
des  ouvrages  les  plus  estimés;  en  1810  elle  comp- 
tait déjà  7S,73I  volumes  comprenant  des  ouvrages 
do  législation,  de  philosophie,  d'histoire,  de  géo- 
graphie, de  jurisprudence,  des  lexiques,  des  en- 
cyclopédies, des  livres  bouddhiques  en  grand  nom- 
bre, des  romans,  des  pièces  de  théâtre,  etc.  Un 
certain  nombre  de  ces  ouvrages  ont  été  traduits 
en  français,  les  principaux  sont  :  le  Chou-kini), 
collection  de  documents  sur  l'histoire  des  quatre 
premières  dynasties  chinoises,  traduit  par  Gaubil, 
mo,  et  par  Pauthier,  1841  ;  le  Thi'ou-li,  code 
d'institutions  politiques,  traduit  par  Biot,  1851, 
;^vol.in-8°;  le  Tn-hio,  ou  art  de  gouverner  sageinent 
les  peuples,  traduit  par  Pauthier,  ls.'!";le  Tliong- 
Kian-Kiang-mou,  abrégé  chronologique  de  l'his- 
toire de  la  Chine,  traduit  par  le  P.  Mailla  [His- 
toire génér.ite  de  la  Chine,  1177-83,  \1  vol. 
in-4°)  ;  le  Fo-kou-'-ki,  relations  des  royaumes  bou- 
dhiques ,  traduit  par  A.  Rémusat,  183(1,  in- 
4",  etc.  —  L'année  chinoise  commence  à  l'équi- 
noxe  de  printemps.  Les  Chinois  se  servent,  pour 
compter  le  temps,  d'un  cycle  de  60  ans  composé 
de  dix  signes,  appelés  troncs,  qui  marquent  les 
décades,  et  de  douze  autres  signes,  appelés  bran- 
ches, qui  marquent  les  mois.  Les  signes  du  cycle 
décadaire  sont  exprimés  par  les  noms  des  cinq 
éléments  répétés  deux  fois  ;  ceux  du  cycle  duo- 
dénaire  sont  désignés  par  le  nom  de  douze  ani- 
maux. Pour  préciser  les  années  des  cycles  sexa- 
génaires déjà  écoulés,  les  souverains  donnent  aux- 
années  de  leur  règne  un  nom  particulier.  —  Le 
cycle  sexagénaire  actuel  a  commencé  en  Chine  en 
186li.  —  Pour  la  géographie  de  la  Chine,  V.  Asie. 

Japon.  —  Il  est  à  peu  près  certain  que  le  Ja- 
pon a  été  peuplé  d'abord  parles  Ebiû,  Yessos  o\i 
Ainos,  dont  les  derniers  descendants,  voisins  des 
Esquimaux  par  leur  type,  sont  en  train  de  dispa- 
raître. A  une  époque  préhistorisque,  une  colonie 
étrangère  vint  s'établir  au  sud  du  Japon  et  étendit 
bientôt  ses  conquêtes.  La  ressemblance  entre  le 
type  des  Javanais pursetceluidesJaponaisde  haute 
race  pourrait  faire  supposer  que  les  envahisseurs 
étaient  malais.  Toutefois  l'origine  de  la  race  japo- 
naise est  encore  controversée.  La  légende  attribue  à 
Jin-mu.  premier  m; A-nrfo  (souverain),  fils  de  la  déesse 
du  Soleil,  la  fondation  delà  dynastie  impériale. 

L'histoire  du  Japon  se  divise  en  deux  périodes: 
lapremière  (oshéi,  s'étend  de  660avant  J.-C.à  1192 
après  J.-C  ;  c'est  celle  de  la  puissance  des  mi- 
kados; la  deuxième  (ashéi),  ll9-.'-)SGS,  correspond 
au  pouvoir  des  S'ogouns  (appelés  aussi  taïkouns) 
ou  commandants  militaires  :  mais  ce  n'est  qu'au 
xvii«  siècle  que  la  transition  est  accomplie  et 
que  le  siogounat  est  une  institution  légale  et 
incontestée.  Sudjin,  dixième  mikado  (97  à  30 
av.  J.-C),  introduisit  le  premier  qtielque  régu- 
larité dans  la  vie  nationale,  établit  un  impôt 
du  sang,  une  corvée,  encounigea  l'agriculture,  fit 
creuser  des  canaux  d'irrigation,  construire  des 
navires,  et  divisa  l'empire  en  quatre  commande- 
ments militaires  à  la  tête  de  chacun  desquels  il 
plaça  un  siogoun.  Au  ii*^  siècle  après  J.-C,  les  Ja- 
ponais conquirent  la  Corée  et  lui  imposèrent  tribut. 
Ils  se  trouvèrent,  par  ce  moyen,  en  contact  avec 
la  civilisation  chinoise  alors  dans  toute  sa  splen- 
deur. Le  bouddhisme  remplaça  bientôt  l'antique 
mythologie  indigène.  A  la  fin  du  m'  siècle,  les 
livres  de  Confucius  pénétrèrent  au  Japon!:  de 
cette  époque  datent  l'écriture  et  l'histoire  vérita- 
ble. Les  classes  se  formèrent  peu  à  peu,  et  en 
794  la  cour  vint  se  fixer  à  Kioto.  Les  empereurs, 
asservis  par  une  aristocratie  nombreuse  et  tur- 
bulente, ne  furent  bientôt  plus  que  des  rois 
fainéants.  Bientôt  aussi  les  principales  familles 
se  disputèrent  le  pouvoir;  alors  commença  une 
longue  suite  de  troubles  dans  laquelle  on  n'a  à 


ORIENT  (EXTRÊME) 


1469 


ORIENT  (EXTRÊME) 


remarquer  que  peu  d'évcneraents  importants  : 
uue  attaque  tentée,  sur  le  Japon,  par  les  Coréens 
et  les 'l'artaros  deGengis-khan,  mais  qu'un  typlion 
lit  avorter  (liSO);  l'introduction  du  christianisme 
par  les  jésuites  do  Macao  qu'y  amena  en  1549  le 
portugais  Mendez  Pinto,  jeté  par  un  naufrages  sur 
les  côtes  du  Japon  (154'^),  et  qui  obtint  d'abord 
la  faveur  de  quelques  princes  à  qui  il  avait  fait 
prosont  de  fusils  i  mèches  ;  enfin,  une  nouvelle 
(■xpédition  en  Coréo  pour  y  établir  le  tribut 
(I.'jOS).  a  cette  époque,  le  gouvernement  du  Japon 
l'St  tout  entier  entre  les  mains  d'un  descendant  de 
la  grande  famille  de  Minatomo,  Yég'is,  qui  se  trans- 
porta do  KaiTiakura  à  Yédo  (15»(0,  y  lit  bâtir  le 
siro  (forteresse),  restaura  le  bouddhisme  dont  le 
centre  fut  transporté  à  Yédo,  et  légua  à  ses  des- 
cendants un  pouvoir  qu'ils   conservèrent  250  ans. 

En  1558,  les  Portugais  abordèrent  de  nouveau 
au  Japon  et  furent  confinés  dans  l'îlot  de  DôSima. 
Les  Hollandais  s'étaient  établis  à  Firando,  où  les 
Anglais  vinrent  les  rejoindre  de  1GI3  à  10',!3.  Mais 
en  lii38  les  rivalités  des  Franciscains  et  des  Do- 
minicains, leurs  excès,  amenèrent  une  réaction  : 
tous  les  chrétiens  furent  égorges  ;  les  Portugais, 
expulsés,  furent  remplacés,  à  Dé-Sima,  par  les 
Hollandais  qui  y  restèrent  enfermés  jusqu'en  1856. 
On  les  tint  dans  une  étroite  surveillance;  ils  ne 
purent  avoir  que  des  bateaux  dont  la  forme  ne 
permettait  pas  de  s'éloigner  des  cotes  ;  le  nombre 
des  bâtiments  étrangers  pouvant  aboider  chaque 
année  fut  réduit  de  5  à  2  ;  il  fut  défendu  aux  in- 
digènes de  répondre  aux  questions  des  étrangers 
sur  leur  pays;  les  liiiimios  (princes)  ne  purent  se 
voir  sans  une  autorisation  spéciale;  depuis  cette 
époque  les  Japonais  devinrent  inquiets,  soupçon- 
neux et  insociables. 

Sous  Charles  II,  les  Anglaisavaient  essayéen  vain 
de  prendre  f  ied  dans  l'île  :  on  leur  en  refusa 
l'entrée  sous  prétexte  que  leur  roi  avait  épousé 
une  princesse  portugaise.  Le  Japon,  mentionné 
pour  la  première  fois  par  Marco  Polo,  ne  fut  plus 
connu  que  par  les  récits  de  quelques  voyageurs  : 
Kœmpfer  (16:)0),  Thunberg  (m2-lT;5).  Les  Kusses 
échouèrent  également  au  Japon,  en  1806  :  l'ami- 
ral Golowine  fut  détenu  pendant  trois  ans  ;  les 
Anglais  n'eurent  pas  plus  de  succès  en  18u8,  1811 
et  1849.  En  1851,  le  Commodore  Perry  fut  envoyé, 
par  les  Etats-Unis,  demander  au  Japon  un  traité 
d'amitié  et  de  commerce.  L'empereur  ne  répondant 
pas,  le  tuteur  du  siogoun  de  Yédo  signa,  avec  les 
Américains  (1854)  d'abord,  puis  avec  les  Anglais, 
les  Russes  (18.55),  les  Français' (1858),  Ils  Hollan- 
dais, les  Autrichiens,  un  traité  leur  ouvrant  les 
ports  de  Hakodaté,  Kanawaga  et  Nagasaki.  Ayant 
envoyé,  en  I8G0,  une  ambassade  aux  Etats-Unis, 
ce  fut  un  prétexte  de  révolte,  et  il  fut  assassiné. 
Après  huit  ans  de  troubles,  le  siogounat  dispa- 
rut, et  le  pouvoir  impérial  fut  restauré  ;  les  per- 
sonnages formant  l'entourage  de  l'empereur,  les 
chefs  de  clans  révoltés,  formèrent  un  conseil  et 
prirent  en  main  le  gouvernement.  Les  Européens 
furent  confirmés  dans  leur  concession,  le  mikado 
promit  la  création  d'une  assemblée  délibérante, 
l'abolition  des  anciennes  coutumes  barbares,  la 
distribution  d'une  jus,tice  impaniale,  et  déclara 
ouverte  une  ère  nouvelle,  l'ère  de  Mei-dji,  qui 
sigjiifie  youverner  clairement .  Il  transporta  sa  ré- 
sidence à  Yédo,  aujourd'hui  Tokio,  et  défendit  au 
peuple  de  se  prosterner  sur  son  passage.  Les 
clans  furent  convertis  en  ken  (départements),  les 
daimios  ne  furent  plus  que  des  adniinistrateuis. 
Mais  le  décret  qui  ferme  le  Japon  aux  étrangers 
n'a  pas  encore  été  révoqué,  laccès  du  pays  est 
toujours  interdit  aux  voyageurs,  à  moins  d'une 
permission  spéciale  qu'on  peut  toujours  leur  re- 
fuser s'ils  ne  sont  ni  ministres,  ni  consuls.  Un 
vaisseau  ne  peut  entrer  dans  un  port  qu'en  cas 
d'avaries  graves.  Les  Européens  ne  peuvent  s'éloi- 


gner de  leur  concession  de  plus  de  40  kilomètres. 
Les  traités  de  1850  ont  été  renouvelés  en  1874,  et 
un  traité  postal  a  été  conclu  entre  l'Amérique  et 
le  Japon.  Depuis  l'arrivée  des  Européens  au  Japon, 
et  la  guerre  de  1860-1868  contre  l'antique  orga- 
nisatioji  féodale,  le  gouvernement  ne  s'est  occupé 
que  de  faire  passer,  dans  les  mœurs  et  l'adminis- 
tration, les  traditions  européennes.  Pour  s'y  con- 
sacrer tout  entier,  il  a  conclu  avec  la  Corée  un 
traité  qui  l'alTrancliit  définitivement  d'un  tribut 
depuis  longtemps  réclamé,  jamais  paye  (1876). 
Au  contact  des  mœurs  et  dos  idées  européennes, 
sous  l'influence  du  gouvernement,  l'état  social  et 
les  mœurs  se  sont  profondément  modifiés.  Le 
mikado,  descendant  des  dieux,  était  considéré 
comme  le  représentant  et  l'héritier  de  la  divinité, 
l'intermédiaire  entre  son  peuple  et  le  ciel,  le  chef 
et  le  souverain  juge  du  clergé,  comme  une  sorte 
de  père  spirituel  ;  depuis  qu'il  a  cessé  d'être  invi- 
sible, les  Japonais,  qui  se  prosternaient  devant  sa 
litière,  ne  le  saluent  même  plus  au  passage,  ce  qui 
leur  a  attiré  récemment  un  rappel  i  l'ordre  sous 
forme  de  décret.  Toutefois  ils  continuent  à  s'aban- 
donner à  sa  direction  avec  la  même  confiance 
passive.  Le  trône  était  héréditaire  et  passait,  à 
défaut  d'héritier  direct,  ^  un  neveu  ou  h.  un  des 
fils  que  le  mikado  avait  eus  des  douze  «  servantes 
de  rimpcralrice,  »  prises  dans  les  cjuatre  familles 
chargées  de  lui  fournir  des  épouses.  Ces  princes 
et  les  membres  de  cinq  autres  familles  qui  se  per- 
pétuaient sans  mélange,  formaient  une  caste  guer- 
rière qui  conserva  longtemps  le  pouvoir.  Au-des- 
sous il  y  avait  les  daimios  et  les  4«»iuii/v/(  (nobles). 
Tout  cela  a  été  balayé  par  la  guerre  de  1860-1868. 
Le  mikado,  après  avoir  renversé  le  siogoun,  a 
repris  le  pouvoir  direct  avec  l'assistance  d'un  pre- 
mier ministre  qui  seul  signe  les  décrets.  Cette 
mesure  est  un  moyen  de  gouvernement  :  un  décret 
est-il  impopulaire,  on  déclare  que  le  ministre  a 
mal  rendu  la  pensée  du  monarque  et  on  le  retire. 
En  1875  il  a  été  créé  une  assemblée  i/rs  «i  illardi 
(genro-in),  sans  attributions  définies,  et  une  assem- 
blée annuelle  des  préfets  qui  dure  50  jours.  Les 
débats  sont  secrets  dans  ces  deux  corps.  Quant 
aux  daimios  et  aux  samouraï,  ils  ont  été  remplacés 
par  des  employés  d'administration,  et  vivent,  sans 
pouvoir  et  sans  influence,  de  pensions  que  leur  fait 
le  gouvernement.  Le  peuple  n'a  aucun  droit  politi- 
que ;  il  ne  peut  même  porter  les  armes  ni  monter 
à  cheval  ;  mais  déjà  la  classe  des  marchands,  des 
entrepreneurs  de  travaux  industriels  et  des  ban- 
quiers est  sortie  du  mépris  où  on  l'avait  reléguée; 
les  lois  somptuaires  ont  été  supprimées,  et  le 
mikado  a  commencé  à  entrer  en  rapports  avec  ces 
classes  inférieures  dont  l'argent  lui  est  nécessaire. 
L'opinion  publique  n'existe  pas,  mais  la  presse 
commence  à  s'étendre  ;  le  nombre  des  journaux 
s'est  élevé  de  1  à  15  de  1873  à  1877. 

La  législation  japonaise  est  l'œuvre  du  siogoun 
Yéyas.  Elle  renl'erme  des  préceptes  de  morale, 
des  lois  constitutionnelles,  des  pénalités,  des  sou- 
venirs personnels,  des  conseils  sur  l'art  de  gou- 
verner. Elle  a  plutôt  le  caractère  d'un  testament 
que  d'un  code,  aussi  n'était-il  permis  qu'à  cer- 
tains fonctionnaires  de  la  consulter.  Il  en  reste 
surtout  une  soumission  aveugle  de  la  part  du  peu- 
ple envers  ses  supérieurs,  une  certaine  bonté  de 
la  part  de  ceux-ci,  et,  enfin,  cette  éliquette  méti- 
culeuse qui,  au  Japon  comme  en  Chine,  est  le 
fondement  des  relations  sociales. 

Ces  lois  déféraient  les  fonctions  de  juges  aux 
gouverneurs  de  province;  elles  sont  confiées  ac- 
tuellement à  des  magistrats  particuliers.  Des  tri- 
bunaux de  première  instance  ont  été  établis  dans 
60  ken.  Quatre  cours  de  justice  se  partagent  l'em- 
pire, et  deux  de  leurs  membres  font  chaque  année 
une  tournée  dans  leur  ressort.  Au-dessus  de  ces 
cours  en  est  une  autre  instituée  en  1879,  et  qui  a 


ORIENT  (EXTRÊME)       —  1470  —       ORIENT  (EXTRÊME) 


pour  mission  do  réformer  les  arrôts  mal  rendus. 
Ces  lois  pénales,  refondues  une  fois  déjà  depuis  la 
composition  des  Cent-Lo  s,  sont  l'objei  d'un  travail 
encore  inachevé.  La  question  préparatoire  a  été 
récemment  abolie,  et  une  prison  cellulaire  a  été 
construite  à  Tokio.  Les  condamnés  à  perpétuité 
sont  reiégnésdans  l'ilot  de  Skuda-Sima,  où  on  les 
occupe  k  des  travaux  pour  lesquels  ils  sont  payés. 
La  peine  de  mort  ne  s'applique  plus  que  par  la  dé- 
collation ou  par  l'étranglement.  Les  cotidamiiés 
s'y  soustraient  souvent  par  le  suicide.  Ce  genre 
de  mort  est  quelquefois  ordonné  par  le  gouverne- 
ment comme  châtiment  d'un  crime  politique  ;  il 
consiste  à  s'ouvrir  le  ventre  (hara-kirij,  et  n'est 
pas  une  peine  infamante. 

Le  service  militaire,  exclusivement  réservé  au- 
trefois aux  samouraï,  est  obligatoire  et  universel 
depuis  1S72.  L'armée  a  été  parla  tement  organisée 
par  une  mission  militaire  que  le  gouvernement 
français  a  mise  à  la  disposition  du  mikado  en  18b7  ; 
son  costume  est  à  peu  près  celui  de  l'armée  fran- 
çaise ;  sa  hiérarchie  est  la  même.  Elle  a  pour 
armes  le  canon  et  le  fusil.  Une  école  militaire  sur 
le  modèle  de  Saint-Cyr,  un  arsejial  militaire  et 
un  arsenal  maritime  ont  été  fondes  par  des  offi- 
ciers français.  L'organisation  de  la  inarine  est  di- 
rigée par  des  officiers  anglais.  L'instruction  est 
très  favorisée  au  Japon.  Chaque  village  a  son 
école ,  et  un  homme  ne  sachant  ni  lire  ni 
écrire  serait  difficile  à  trouver.  Vers  sept  ans. 
les  enfants  apprennent  l'alphahet,  puis  vont  à 
l'école  où  on  leur  enseigne  suivant  leur  rang 
les  principes  qui  doivent  guider  leur  vie:  1  or- 
gueil et  le  mépris  de  la  mon  ou  l'obéissance  et 
l'amour  de  la  médiocrité  ;  à  tous,  les  formules  de 
politesse  que  tout  Japonais  rougirait  d'ignorer,  et 
surtout  la  vénération  pour  le  mikado.  A  douze  ans, 
ils  savent  tous  lire  et  écrire.  Le  siège  des  études 
clasviques  est  à  Say-Kio.  Il  y  a  au  Japon  dix  éco'es 
supérieures  sous  l'autorité  immédiate  du  ministre 
de  l'instruction  publi(|ue,  et  6201  écoles  particu- 
lières entretenues  parles  provinces.  On  y  apprend 
le  japonais,  le  chinois,  les  sciences  physiques,  la 
chimie,  l'histuire  naturelle,  la  médecine,  les  scien- 
ces e.'iactes  ot  les  langues  européennes,  surtout 
l'anglais.  Mais  cette  instruction,  termitiée  vers 
seize  ans,  ne  s'adresse  exclusivement  qu  à  la  mé 
moire.  Il  y  a  en  outre  des  écoles  spéciales  où 
les  cours  se  font  en  langue  étrangère,  le  japonais 
ne  pouvant  se  plier  aux  ex'gences  du  langage 
scientifique.  Ce  sont  ;  I  école  de  médecine,  à  Tokio, 
où  les  cours  se  font  en  allemand,  l'école  de  droit 
où  ils  se  font  en  frjiiçais, l'école  centrale,  teclmiciil 
school,  où  ils  se  font  en  anglais.  Le  gouvernement 
a  créé  ausr.i  des  écoles  secondaires  de  femmes,  des 
écoles  professionnelles  et  une  écolo  normale.  Pour 
subvenir  m  tant  de  dépenses,  il  a  fallu  modifier  le 
système  financier.  Les  impôts  ne  sont  plus  perçus 
qu'en  espèces.  Ils  ont  pour  unité  le  prix  courant, 
variable  d'ailleurs,  de  la  mesure  de  riz  appelée 
koku.  Chaque  année  le  gouvernement  publie  le 
budget  projeté,  mais  le  peuple  n'est  pas  en  me- 
sure de  lo  contrôler;  do  plus  le  règlement  des 
comptes  reste  secret.  Les  principdes  sources  du 
revenu  public  sont  aujourd'hui  l'impôt  foncier,  le 
produit  des  postes,  dos  douanes,  l'impôt  sur  le 
salaire  des  employés,  le  produit  des  travaux  pu- 
blics et  établissements  de  l'Etat.  La  dette  publi 
que  comprend  la  dette  étrangère,  les  deux  em- 
prunts contractés  à  Londres  à  7  et  à  9  p.  100,  la 
dette  inscrite  envers  les  créanciers  indigènes,  et  la 
dette  flottajite  représentée  par  lo  papier  monnaie. 
La  décadence  du  commerce  rend  les  ressources 
du  Japon  insuffisantes  pour  ses  besoins.  Très  flo- 
rissant après  les  traités  de  185:i-lS.Si',  ce  commerce 
décline  peu  à,  peu,  malïré  l'ouverture  des  nouveaux 
ports  de  Yokohama,  Osaka,  Hiogo,  Yédo  et  Nie- 
gala,  ruiné  et  entravé  par  la  concurrence,  le  manque 


de  capitaux  et  la  persistance  hors  des  villes  de 
l'ancien  genre  de  vie.  Le  Japon  consomme  peu  et 
ne  vend  guère  plus.  A  part  les  cotonnades  an- 
glaises et  les  mousselines  de, laine  qui  se  répan- 
dent un  peu  partout,  le  commerce  n'est  alimenté 
que  par  les  quelques  milliers  d'habitants  qui  ont 
adopté  les  modes  européennes.  Les  principaux 
articles  d'exportation  sont  le  thé,  qui  se  vend  sur- 
tout en  Amérique,  mais  sans  grand  bénéfice,  les 
soies,  aussi  chères  que  les  nôtres,  mais  de  qua- 
lité inférieure,  enfin  les  porcelaines,  les  bronzes, 
les  objets  de  laque.  Le  gouvernement,  craignant 
de  perdre  son  indépendance  nationale,  se  refuse 
à  promulguer  les  lois  civiles  et  commerciales  qui, 
ouvrant  le  Japon  au  crédit  européen,  lui  permet- 
traient de  faire  des  routes,  de  cultiver  son  sol  et 
d'exploiter  ses  mines-  Les  rares  voies  de  commu- 
nication et  les  moyens  de  transport  trop  primitifs 
sont  encore  un  obstacle  au  commerce.  Outre  les 
canaux  qui  relient  Tokio  ot  Osaka  avec  les  ports, 
il  n'y  a  qu'un  chemin  de  fer  entre  Tokio  et  Yoko- 
hama et  un  autre  entre  Kobé  et  Osaka  ;  le  reste 
du  pays  ne  renferme  que  des  routes  insuffisantes 
et  mal  entretenues.  Les  tran.^pnrts  se  font  sur  mer 
par  des  jonques  oti  de  petits  sifamfrs  ;  sur  terre, 
h  dos  de  chevaux  dans  les  campagnes,  dans  des 
carrioles  traînées  par  des  hommes  dans  les  villes. 
Les  seuls  moyens  de  locomotion  pour  les  voya- 
geurs sont  les  chevaux,  la  carriole  et  le  kango, 
espèce  de  panier  muni  de  perches  que  soutien- 
nent des  porteurs.  Le  service  postal  est  fait  par 
des  coureurs  de  relais  en  relais.  Une  li;ne  télé- 
graphique a  été  établie  de  Nagasaki  à  Hakodaté  et 
dans  l'île  de  Yéso.  Le  gouvernement  est  presque 
seul  à  s'occuper  d'.igriculture  ;  il  a  fonde  une 
ferme-modèle  a  Tokio  et  une  ferme-école  à  l'Ile 
de  Yéso.  Quelques  terrains  ont  été  défrichés, 
mais  il  rest".  encore  de  vastes  espaces  abandon- 
nés faute  de  bétail. 

Il  n'y  a  pas  d'architecture  au  Japon.  L'absence 
de  vie  politi(|ue,  les  doctrines  bouddhistes,  les 
frtquents  sinistres  ont  contribué  à  la  construction 
d'édifices  de  bois  sans  caractère  monumental.  Il 
n'y  a  pas  non  plus  de  sculpture  :  le  bronze  est 
trop  cher  et  le  marbre  n'existe  pas.  Il  n'y  a  de 
statues  que  les  Bouddha  impassibles  et  les  dieux 
grimaçants  qui  ornent  les  temples.  La  peinture 
est,  en  revanche,  très  développée.  On  la  re- 
trouve partout  :  sur  les  panneaux  de  bois  des 
temples,  sur  les  paravents  de  papier,  sur  les 
écrans  de  soie,  etc.  Elle  représente  tantôt  des 
scènes  héroïques  avec  des  formes  roides,  tantôt 
des  scènes  patriarcales  ou  comi(|ues  où  la  fami- 
liarité est  poussée  souvent  jusqu'à  la  caricature, 
tantôt  des  oiseaux,  des  fleurs,  etc.  D'ailleurs, 
comme  la  peinture  chinoise,  elle  n'a  ni  propor- 
tions, ni  perspective,  ni  justesse  de  coloris.  La 
musique  n'était  connue  autrefois  que  des  musi- 
ciens de  a  cour;  cette  charge  a  été  abolie,  et  la 
notion  musicale  sera  bientôt  étrangère  au  Japon. 
La  musique  japonaise  est  à  la  fois  criarde  et  lamen- 
table, peu  variée  et  souvent  faussée  par  les  instru- 
ments. Il  y  a  deux  sortes  de  danses  :  la  danse  sa- 
crée qu'on  ne  voit  qu  ila  cour,  et  la  danse  populaire, 
plus  vive,  en  usage  dans  toutes  les  réjouissances. 
La  littérature  japonaise  est  pauvre, surtout  décom- 
positions poétiques  que  le  caractère  tout  positif  et 
formaliste  des  Jap  iuais  n'a  pas  su  créer  et  que  la 
langue  n'eût  pu  exprimer.  Elle  consiste  principa- 
lement en  chroniques,  dont  la  plus  renommée  est 
le  Gengi  momigatari,  œuvre  de  la  poétesse  Mura- 
saki;  en  drames,  comédies,  dont  le  principal  mé- 
rite est  une  exacte  imitation  de  la  vie  réelle,  en 
romans,  contes  sat'u-iques  ou  allégoriques  et  pro- 
verbes. 

La  religion  du  Japon  a  d'abord  été  le  shinto 
(voie  des  dieux),  ou  adoration  des  K'imi,  c'est-i- 
dire  des   forces  de  la  nature  transformées  en  gc- 


ORIENTATION 


—  1471   — 


ORIliNTATION 


11109,  auxquels  se  sont  môlcos,  depuis  le  vi"  siècle, 
les  doctrines  de  Confucius,  de  l.ao-tscu  et  du 
liouddjiisme.  Il  n'y  a  pas  d'idoles  dans  les  leni- 
ples  du  shinto;  le  culte  se  réduit  à  des  fôies  en 
l'honneur  des  Kami,  à  des  offrandes  de  gâteaux, 
d'iiuilo,  d'oisHaux  vivants  et  il  des  représentations 
ilraniatic|uos;  le  shinlu  n'a  ni  dOf£me,  ni  morale, 
il  n'enseigne  que  le  culte  des  ancêtres  et  l'imita- 
lion  lit:  leurs  exemples.  Il  n'a  pas  conservé  sa  pu- 
reté, mais  s'est  amalgamé  au  bouddhisme  et  a  vu 
'liniinuer  considérablement  le  nombre  do  ses  sec- 
iiteurs.  La  religion  dominante  est  le  bouddhisme; 
liais  lîi,  comme  en  Chine,  il  se  borne  à  des  prati- 
Muos  toutes  machinales  et  h.  des  superstitions  gros- 
•  iéres  qui  n'ont  plus  cours  que  dans  le  peuple  ; 
I  incrédulité  la  plus  complète  règne  dans  les  autres 
classes. 

La  langue  japonaise  appartient  à  la  famille  des 
langues  agglutinantes;  elle  est  divisée  en  un  grand 
nombre  de  dialectes.  L'écriture  est  celle  de  la 
Chine  simplifiée  et  adaptée  à  la  langue  ;  l'écri- 
ture vulgaire  comprend  47  caractères. 

Pour  la  géographie  du  Japon,  V.  Asie 

[Th.  Lindenlaub.] 

ORIENTATIOIV.  —  Connaissances  usuelles, 
VIII.  —  I-  Mé'id  eus  et  méridienne.  Points  cardi- 
}inux.  —  S'orienter,  c'est  déterminer  où  est  l'o- 
rient,  c'ost-i-dirc  comment  sont  placés  sur  l'ho- 
rizon ce  qu'on  nomme  les  quatre  points  car- 
diiiaiiv;  c'est,  plus  généralement,  savoir  rap- 
porter les  directions  horizontales  à  une  direction 
première  fixe  :  cette  direction,  qui  s'appelle  le 
nord  d'un  cùlé,  le  sud  de  l'autre,  est  pour  chaque 
lieu  la  direction  des  pôles,  ou  mieux,  la  tr.ice 
horizontale  du  plan  qui  passe  par  les  deux  pôles 
elle  centre  delà  terre,  coupant  sa  surface  suivant 
un  grand  cercle  qu'on  nomme  méridien  terrestre. 

Ce  plan  lui-même,  considéré  en  un  point  particu- 
lier de  la  terre,  est  un  plan  vertical  dont  le  prolon- 
gement coupe  la  voûte  céleste  suivant  un  grand 
cercle  qu'on  nomme  méridien  céleste.  Il  divise  en 
deux  parties  égales  le  cours  de  tous  les  astres, 
dont  cliacun  atteint,  au  moment  où  il  «  passe  au 
méridien  »,  le  poi..t  le  plus  élevé  du  cercle  oblique 
qu  il  décrit. 

La  ligne  horizonta'e  suivant  laquelle  se  projette 
le  plan  méridien  sur  le  sol  s'apprl\e  méridienne; 
c'est  une  petite  portion  locale  du  grand  cercle  du 
méridien  tiTrestre  :  le  .■.■(«/  ou  mcdi  (medin  dies, 
milieu  du  jour)  est  sa  direciion  considérée  du  côté 
où  dans  noire  zone  tempérée  se  trouve  le  soleil 
au  milieu  du  jour,  et  le  nord  ou  septentrion  la 
direction  opposée.  Dans  la  zone  tempérée  de  l'autre 
hémisphère,  au  Chili,  au  Cap,  en  Australie,  c'est  au 
contraire  du  côté  du  nord  i|ue  se  trouve  le  soleil. 

Si  l'on  mène,  au  lieu  où  l'on  est,  une  horizontale 
perpendiculaire  à  la  tnéiidienne,  elle  donne  la 
direction  des  deux  autres  points  cardinaux  :  lest 
ou  orient,  situé  à  droite  quand  on  regarde  le  nord, 
à  gauche  quand  on  regarde  le  sud,  c'est-à-dire  du 
côté  oii  les  asties  se  lèvent  ;  l'ouest  ou  occident, 
situé  du  côté  oppose,  vers  lequel  les  astres  se  di- 
rigent et  se  couchent. 

Toutefois,  les  directions  précises  nommées  est 
et  ouest,  qui  marquent  au  ciel  les  extrémités  de 
l'axe  du  méridien  céleste,  ne  sont  pas  du  tout, 
comme  le  disent  à  tort  beaucoup  de  traités  élé- 
meniaires  de  géographie,  les  «  points  où  le  soleil 
se  lève  et  se  couche  »  ;  il  n'y  a  que  deux  jours  par 
an  où  le  soleil  se  lève  à  l'est'etse  couche  à  l'ouest; 
ce  sont  les  deux  jours  d'équinoxc,  le  "il  mars  et  le 
22  septembre,  où  le  soleil  décrit  le  grand  cercle 
de  l'équaleur  céleste,  coupé  en  deux  parties  égales 
par  Ihorizon.  Au  printemps  et  en  été,  le  soleil 
décru  des  cercles  parallèles  plus  élevés,  qui  vont 
coupi-r  l'horizon  en  deux  points  plus  avancés  vers 
le  nord;  en  automne  et  en  hiver,  il  décrit  des 
cercles  parallèles  plus  bas,  dont  une  moindre  por- 


tion reste  au-dessus  de  l'horizou,  et  qui  vont  le 
couper  en  deux  points  de  plus  en  pins  reculés  vers 
le  sud.  lîn  France,  pendant  les  mois  de  juin  et  de 
juillet,  le  soleil  se  lève  au  N.-E.  et  se  couche  au 
N.-O.  ;  pendant  les  mois  do  déoenibre  et  janvier,  il 
se  lève  au  S  -E.  et  se  couche  au  S.-O.  C'est  donc 
toujours  la  ligne  iV.-S.  qu'il  faut  déterminer  pour 
s'orienter;  c'est-i-diro  que  l'orientation  sur  place 
consiste  ;\  déterminer  la  méridienne. 

IL  l'ians  et  caries.  Rose  des  vents.  —  L'orienta- 
tion d'un  plan  ou  d'une  carte  locale  consiste  à 
tracer  sur  ce  plan  ou  cette  carte  la  direction 
d'une  méridienne.  On  trace  dans  un  coin  du  plan, 
quand  cette  direction  est  connue  deux  traits  per- 
pendiculaires dont  l'un,  marqué  N.-S.,  ou  désigné 
par  une  fleur  de  lys  du  côte  du  nord,  est  parallèle 
à  cette  direction.  Quant  aux  cartes  géographiques, 
on  a  l'Iiabitude  d'en  tracer  toujours  le  c^dre  de 
manière  il  ce  que  le  méridien  du  milieu  de  la  carte 
soit  parallèle  à  l'un  de  ses  bords,  le  nord  en  haut, 
le  sud  en  bas.  l'est  à  droite  et  l'ouest  à  gauche' 
Les  marins  ont  adopté,  pour  désigner  les  diverses 
directions  de  l'horizon,  une  subdivision  des  points 
cardinaux  dont  la  figure  est  connue  sous  le  nom 
de  cosp  des  ven's.  La  circonférence  s'y  trouve  di- 
visée en  trente-deux  parties  dites  rianlis,  dont 
chacun  vaut  1 1  degrés  '/i,  et  dont  les  noms  sont 
formés  de  ceux  des  points  cardinaux,  de  la  manière 
suivante  :  les  bissectrices  des  quatre  angles  droits 
des  points  cardinaux  s'appellent  des  noms  réunis 
des  côtés  de  l'angle  qu'ils  bissèquent  :  nord-est 
(N.-E.„  nord  ouest  [Îi.-O.), sud-ouest  (,S.-0  ),  sud- 
est  (S.-E.);  les  bissectrices  des  huit  angles  ainsi 
formés  se  désignent  encore  d'après  la  même  règle  : 
nord-nord-est  (N.  l'V.-E.),  ouest-nord  ouest  (O.  N.- 
O.),  ouest-sud-ouest  (O.-S.-O.)  ,  sud-sud  ouest 
(S. -S.-O.),  sud-sud-est  ;S.-S.-E.;,  est-sud-est  {E.- 
S.-E  ),  est-nord-pst  (E.-N.-E.  ,  et  nord-nord-est 
(N.-N.-E.).  Déjà  ces  huit  noms  sont  bien  moins 
usités  que  les  huit  premiers.  Quant  aux  bissectri- 
ces des  seize  angles  ainsi  obtenus,  il  n'y  a  guère 
que  les  marins  qui  en  fassent  usage  :  leurs  noms 
sont  formés  de  celui  des  huit  principaux  dont  le 
rumb  considéré  est  le  plus  voisin,  et  de  celui  du 
côte  duquel  on  se  porte,  précédé  du  moi  quart, 
puisqu'on  n'a  fait  que  le  quart  du  chera  n  vers 
lui.  Ainsi  le  voisin  du  nord,  du  côté  du  nord-est, 
s'appelle  nord-quan-nord-est  ;  tandis  que  le  voi- 
sin du  nord  est  du  côté  du  nord  s'appelle  nord- 
est-quart-nord. 

III.  Détermination  de  la  méridienne  par  le  soleil. 
—  Le  soleil,  avons-nous  dit,  semble  décrire  dans 
le  ciel  des  cercles  obliques  toujours  parallèles, 
ayant  pour  axe  commun  une  ligne  constante,  l'axe 
du  monde,  inclinée  sur  l'horizon  d'un  angle  égal 
il  la  latitude  du  lieu  (V.  Latitude).  Ces  cercles 
sont  plus  bas  en  hiver,  plus  hauts  en  évé,  de  sorte 
qu'en  France,  en  juin,  les  deux  tiers  du  cours  du 
soleil  sont  au-dessus  de  l'horizon,  et  en  décembre 
seulement  un  tiers. 

La  directiiin  du  plan  vertical  où  se  trouve  le 
soleil  ;\  la  même  heure  chaque  jour  varie  donc 
continuellement,  excepté  celle  du  milieu  de  son 
cours,  du  point  le  plus  élevé  du  cercle  qu'il  décrit 
chaque  jour,  du  point  où  il  est  à  midi  vrai.  La 
direction  de  l'omhre  d'une  tige  verticale  à  ce  mo- 
ment sera  donc  toujours  la  môme;  c'est  à  ce  mo- 
ment que  l'ombre  est  la  plus  courte,  puisque  le 
soleil  est  au  point  le  ilus  élevé  de  la  journée.  Le 
cours  circulaire  du  soleil  étant  si/metrique  de  part 
et  d'autre  de  cette  position,  elle  se  trouvera  tou- 
jours la  bisseciricede  l'anglede  deux  ombres  égales 
forméfS  par  la  tige  le  matin  et  le  soir  quand  le 
soleil  sera  à  deux  points  situés  exactement  à  la 
même  hauteur,  il  deux  moments  également  éloignés 
de  I  heure  de  midi. 

Or,  on  aura  plus  exactement  la  posilion  de  deux 
ombres  égales,  le  matin  et  le  soir,   quand  la  hau- 


ORIENTATION 


—  1472  — 


ORIENTATION 


teur  de  l'ombre  varie  rapidement,  que  vers  midi 
où  cette  liauteur  varie  très  peu  pendant  que  le 
soleil  parcourt  presque  horizontalement  la  partie 
supérieure  de  son  cercle. 

D'après  cela,  pour  tracer  une  méridienne,  on 
dressera  bien  verticalement,  dans  un  lieu  décou- 
vert, une  tige  bien  droite  sur  un  plan  horizontal 
bien  dressé  au  niveau.  On  décrira  sur  ce  plan  des 
cercles  concentriques  du  pied  de  la  tige  comme 
centre,  ayant  pour  rayon  de  une  à  trois  ou  quatre 
fois  la  hauteur  de  la  tige  :  on  marquera,  dans  la 
matinée,  les  points  où  l'ombre  de  l'extrémité  de  la 
tige  vient  juste  raser  ces  cercles,  et  on  fera  de 
même  dans  la  soirée,  à  des  heures  sensiblement 
équidistantes  de  midi  (le  midi  vrai  n'est  pas  le 
même  que  le  midi  moyen.  V.  Cadran  solaifp).  La 
bissectrice  commune  de  toutes  ces  positions 
d'ombres  égales  est  la  méridienne. 

IV.  Orientation  de  nuit.  Étoile  polaire.  —  On 
pourrait,  la  nuit,  tracer  la  méridienne  au  moyen  de 
la  pleine  lune  exactement  comme  le  jour  au  moyen 
<iu  soleil,  car  la  lune  décrit  au  ciel  des  cercles 
parallèles  semblables  à  ceux  du  soleil;  mais  il  y  a 
un  moyen  bien  plus  simple  d'obtenir  immédiate- 
ment la  direction  du  plan  méridien  :  les  étoiles 
aussi  décrivent  ces  mêmes  cercles  parallèles,  et 
comme  leurs  rayons  vont  en  diminuant  du  côté  du 
pôle  céleste,  s'il  y  a  des  étoiles  très  voisines  de  ce 
pôle,  les  cercles  qu'elles  décrivent  sont  très  petits, 
et  les  étoiles  doivent  être  visibles  toujours  du  même 
côté  du  ciel,  et  faire  reconnaiire  le  pôle. 

11  se  trouve  en  effet  de  ce  côté,  pour  nous  qui 
habitons  l'hémisphère  nord  du  globe  (l'autre  hémi- 
sphère n'a  pas  cet  avantage),  deux  constellations 
bien  connues,  de  forme  assez  semblable,  mais 
tournées  en  sens  inverse,  la  (Grande  Ourse  et  la 
Petite  Ourse,  et  la  dernière  étoile  de  la  queue  de 
cette  dernière,  l'étoile  polaire,  n'est  qu'ai  degré '/î 
du  pôle,  c'est-à-dire  qu'elle  décrit  autour  du  pôle 
un  cercle  dont  le  diamètre  n'est  pas  plus  de  trois 
fois  celui  de  la  lune. 

Oes  constellations  sont  formées  cliacune  de  sept 
étoiles    principales,    ce    que    rappelle   le  nom  de 


des  vents  imprimée  sur  une  matière  très  mince  et 
très  légère. 

.Mais  le  point  important  à  considérer  ici  est  que 
la  direction  de  l'aiguille  n'est  pas  rigoureusement 
du  sud  au  nord;  elle  en  diffère  d'un  an,i>;le  variable 
avec  les  lieux  et  avec  les  temps,  qu'on  appelle  dé- 
rlinaison  {V.  Magnétisme).  En  France  cet  angle 
peut  varier  de  (i  dfgrés,  de  N'ice  à  Brest.  L'.in- 
nuaire  du  Bureau  des  longitudes  a  publié  une 
petite  carte  de  ses  valeurs  pour  1876;  mais  en  ce 
moment,  la  déclinaison  en  France  diminue  rapi- 
dement (d'un  degré  en  six  ou  sept  ans).  On  peut 
donner  le  chiffre  de  16  degrés  pour  sa  valeur  sur 
la  ligne  moyenne  Lillo-Paris-Pau  vers  1SS2  ou  188;{ 
(15  degrés  en  IS'JO),  avec  3  degrés  de  plus  pour 
Brest  et  3  degrés  de  moins  pour  Nice,  les  lignes 
intermédiaires  étant  sensiblement  équidistantes 
et  parallèles.  C'est  de  cet  angle  qu'il  faut  écarter 
vers  la  droite  la  ligne  nord-sud  de  la  rose  des 
vents  en  laissant  à  gauche  la  pointe  bleue  de  l'ai- 
guille, pour  avoir  avec  la  boussole  l'orientation 
véritable. 

VI.  Applications  scolaires.  Ohservatoire  popu- 
laire. —  Toute  école  doit  avoir  au  moins  la  direc- 
tion de  la  méridienne  tracée  dans  chaque  classe, 
sur  le  plafond  ou  sur  le  sol,  afin  que  lo  maître 
puisse,  en  parlant  des  points  cardinaux,  les  dési- 
gner de  la  main  dans  leur  vraie  position.  On 
trouve  chez  plusieurs  éditeurs  des  roses  des  vents 
peintes  sur  une  grande  feuille  de  papier  qu'on  peut 
coller  au  plafond.  Si  l'on  trouve  difficile  de  tracer 
la  méridienne,  dans  la  classe,  d'une  manière  ma- 
thématique, on  peut  toujours  l'obtenir  approxima- 
tivement en  prenant,  le  soir,  la  direction  de  l'é- 
toile polaire,  ou  la  direction  de  l'ombre  d'une 
ligne  verticale  de  porte  ou  de  fenêtre  i  midi 
précis. 

Un  instituteur  intelligent  pourrait  construire  h 
peu  de  frais,  dans  le  point  du  préau  découvert  le 
mieux  exposé  et  le  plus  éloigné  des  murs,  un  ap- 
pareil d'orientation  qui  serait  en  même  temps  un 
excellent  indicateur  des  heures  et  un  moyen  puis- 
sant de  faire  comprendre   aux  enfants  le  mouve- 


septentrion   donné   souvent  au  point  nord.  Quatre    ment   diurne    apparent    du    soleil   et   des   autres 


de  ces  étoiles  forment  un  quadrilatère,  les  trois 
autres  une  ligne  aboutissant  à  l'un  des  angles 
comme  le  timon  d'un  chariot,  d'où  le  nom  popu- 
laire de  Chariot,  par  lequel  on  désigne  quelquefois 
la  Grande  Ourse. 

Le  pôle  céleste  forme  avec  la  Polaire  et  l'étoile 
suivante  de  la  queue  de  la  Petite  Ourse  un  petit 
triangle  dont  il  est  facile  de  retenir  la  forme  et 
qui  permet,  avec  un  fil  à  plomb,  de  vérifier  le  soir 
assez  exactement  la  position  de  la  méridienne 
qu'on  atirait  tracée  par  le  procédé  précédent,  ou 
même  de  la  tracer  directement  avec  deux  jalons 
dans  la  cour  d'une  école. 

V.  La  boussole.  —  Lorsque  les  astres  du  ciel  ne 
sont  pas  visibles,  lorqu'on  se  trouve,  par  exemple, 
dans  des  souterrains  ou  dans  des  bâtiments,  sous 
le  feuillage  d'une  forêt  ou  simplement  sous  un  ciel 
nuageux,  on  peut  s'orienter  au  moyen  de  la  bous- 
sole, qui  n'est  autre  chose  qu'une  aiguille  d'acier 
aimantée  tournant  librement  dans  un  plan  hori- 
zontal. (V.  Aimant,  Boussole,  Maynétisine.) 

La  boussole  commune,  en  France,  est  un  losange 
très  allongé  en  acier  dont  on  laisse  le  bleu  de  la 
trempe  du  côlé  qui  se  dirige  vers  le  nord;  l'autre 
moitié,  limée,  a  la  couleur  du  métal.  Elle  tourne 
sur  un  pivot  dans  nne  boite  au  fond  de  hiqnelle 
est  une  rose  des  vents,  tandis  que  le  cercle  par- 
couru par  les  pointes  de  l'aiguille  est  divisé  en 
360  degrés.  Dans  la  boussole  marine,  au  contraire, 
le  barreau  aimanté  porte  un  disque  léger  sur  le- 
quel est  peinte  la  rose  des  vents,  qui  se  trouve 
ainsi  toujours  orientée.  11  serait  facile  d'imiter 
cette  disposition,  et  de  construire  de  petites  bous- 
soles d'orientation  dont  l'aiguille  porterait  une  rose 


astres.  .\vec  un  cerceau  d'enfant,  d'environ  un 
mètre  de  diamètre,  placé  verticalement  dans  la 
plan  méridien,  et  soutenu  par  une  tige  de  fer 
verticale  solidement  enfoncée  dans  un  pieu,  on 
aurait  la  position  du  plan  méridien  :  une  baguette 
de  bois,  fixée  i  son  centre,  inclinée  sur  l'horizon 
de  l'angle  de  la  latitude  du  lieu  (43°  à.  .Si-  en 
France),  et  dépassant  le  cercle  par  ses  deux  ex- 
trémités en  pointes,  représenterait  l'axe  du 
monde,  et  serait  facile  à  fixer  au  moyen  de  l'étoile 
polaire  :  un  cercle  de  même  diamètre  que  celui 
du  méridien,  fait  avec  une  bande  métallique 
mince,  large  de  deux  doigts,  et  ayant  cette  tige 
pour  axe,  pourrait  représenter  l'équateur  solaire; 
en  le  divisant  en  2i  parties  égales,  numérotées 
de  I  à  XII  de  chaque  côté,  on  aurait  les  divisions 
d'un  cadran  solaire  équinoxial,  l'ombre  de  l'axe 
venant  sur  ces  divisions  aux  différentes  heures 
du  jour;  enfin,  quatre  petites  vergettes  de  fer, 
placées  horizontalement  suivant  les  diamètres  dos 
cercles,  qu'elles  solidifieraient,  représenteraient 
la  direction  des  quatre  points  cardinaux  ;  on  pour- 
rait les  terminer  par  quatre  lettres  de  métal, 
N,  E,  S,  O,  fixées  sur  lesc  ercles.  L'extrémité  de  la 
tige  verticale  pourrait  porter  une  petite  girouette 
pour  donner  la  direction  du  vent,  si  la  cour  était 
grande  et  le  lieu  bien  découvert. 

Il  serait  à  désirer  que  des  appareils  de  ce  genre, 
servant  en  quelque  sorte  d'observatoires  popu- 
laires, fussent  construits  .\  bon  marché  par  le 
commerce  et  fournis  aux  écoles  ou  aux  commu- 
nes. C'est  certainement  la  forme  la  plus  instruc- 
tive et  la  plus  propre  aux  explications  de  tout 
genre  qu'on  puisse  donner  à  un  cadran  solaire. 


ORTHOGRAPHE 


—  liT.i  — 


ORTHOGRAPHE 


Uni!  municipalité  gcndi'euse  pourrait  même,  au 
grand  protilde  l'instruction  populaire,  le  construire 
en  matoriaux  durables  et  dans  des  proportions 
airliitfictnrales,  et  en  faire  un  prtil  monument  i 
publie  i|ui  ornerait  utilement  (a  place  située  de-  j 
vaut  l'ocole  communale.  [Albert  Dupaigne.J      ^ 

(»UM  l'IIOLO(iIU.  —  V.  Oisraux. 
OKTIKXillAl'IIE. —  Grammaire,  VII. —  On  di- 
sait autrefois  plus  correctement  Vovthoijraphie, 
(irajihie  désignant  to\ijours  la  science  et  ijraphe 
le  savant:  la  i/éograpliie  et  un  géograplie,  la  cal- 
/ii/raphie  et  un  calliyraphe,  etc.  Quoi  qu'il  en 
soit,  l'orlhograplie  ou  l'ortliograpliie  est  la  maiiiôro 
d'écrire  les  )«,o/s  et  les />/()-«ses  d'une  langue,  selon 
l'usage  établi  et  les  règles  de  la  grammaire. 

I.  Orthographe  des  mots. —  C'est  l'ortliographe 
proprement  dite,  qui  consiste: 

r  A  écrire  chaque  mot  dans  son  état  simple 
avec  les  lettres  ou  les  signes  phoyiétiqnes  dont  il 
doit  se  composer;  c'est  ce  qu'on  appelle  ordinai- 
rement Yorlhographe  d'usage. 

2°  A  écrire  les  mots  variables  avec  les  modifica- 
tions qui  leur  sont  propres,  modifications  qui  por- 
tent le  plus  souvent  sur  la  terminaison  (par 
exemple  le  chant,  les  chants  ;  il  c!ia7iti.n,  je 
chant \\)y  mais  quelquefois  aussi  sur  le  radical  des 
mots  {mourir,  je  iiiEvrs)  ;  cette  partie  de  l'ortho- 
graplie  porto  le  nom  d'orthographe  de  principes 
ou  à'orlhographe  grammaticale. 

L'ortliograplie  de  principes  s'appelle  aussi  or- 
thographe relaliue,  parce  que  c'est  la  manière  d'é- 
crire les  mots  selon  la  relation  ou  le  rapport  qu'ils 
ont  dans  le  discours,  abstraction  faite  do  la  forme 
qui  leur  est  propre. 

L'orthographe  d'usage  est  ainsi  nommée  parce 
que,  ne  dépendant  pas  des  règles  de  la  grammaire 
proprement  dite,  l'usage  semble  en  être  le  seul 
•régulateur.  Cependant  cette  partie  de  l'orthogra- 
phe n'est  pas  plus  arbitraire  que  l'autre,  et  il 
vaudrait  mieux  l'appeler  orthographe  absolue, 
puisque  c'est  la  manière  d'écrire  les  mots  absolu- 
ment, c'est-à-dire  seîi/s,  isolés,  tels  qu'ils  sont  dnas 
les  dictionnaires,  en  particulier  dans  celui  de 
l'Académie. 

A.  Orthographe  absolue.  —  L'orthographe  des 
mots  dépend  essentiellement  de  la  nature  des  so)is 
ou  des  éléments  matériels  qui  les  constituent.  On 
appelle  orthographe  ratiomielle  ou  phonétique  la 
manière  de  représenter  ces  sons  de  la  langue,  soit 
par  des  lettres,  soit  par  d'autres  signes,  dits 
orthographiques,  selon  les  règVes  propres  à  la  pho- 
nétique française.  Mais,  en  français,  l'orthographe 
n'est  pas  toujours  la  représentation  fidèle  de  la 
prononciation  ;  comme,  en  général,  c'est  l'origine 
du  mot  qui  en  détermine  l'écriture,  cette  ortho- 
graphe étymologique  est  souvent  en  désaccord  avec 
l'orthographe  rationnelle.  Ainsi,  par  exemple,  les 
■trois  premiers  sons  du  mot  chapeau  sont  repré- 
sentés régulièrement  par  les  lettres  ch,  a,p,  qui, 
en  français,  ont  pour  valeur  propre  de  servir  à 
marquer  ces  sons  ;  au  contraire,  le  son  final  n'est 
pas  rendu  par  son  signe  propre  o,  mais  bien  par  la 
combinaison  dos  voyelles  eau,  à  cause  de  l'étymo- 
logle.  la  forme  ancienne  de  chapeau  étant  cluipet. 
1.  Quant  aux  lettres  dont  on  se  sert  en  français 
pour  marquer  les  divers  sons  de  la  langue,  elles 
peuvent  être  élymuto.^iques  ou  seruiles. 
^  a)  Les  lettres  étymologiques  oont  données  par 
l'étymologie  latine  ou  romane;  elles  sont  étymo- 
logiques mémo  quand  elles  ne  sont  pas  de  prove- 
nance latine,  si  elles  ont  été  introduites  dans 
l'ancienne  langue  en  application  des  lois  de  la 
phonétique  française,  comme  d  dans  peindre,  et 
t  dans  croître,  (jù  la  consonne  linguale  ou  dentale 
det  ta.  été  intercalée  pour  cause  d'euphonie  entre 
/(  et  r  :  peiii-u-re,  ou  entre  s  et  ;■  :  crois-t-re,  d'où 
croître. 
Les  lettres  étymologiques  sont  sonorei  ou 
2»  Pahtie. 


maellcs,  selon  qu'on  les  fait  entendre  ou  non  dans 
la  prononciation.  Les  lettres  muettes  sont  des 
voyelles,  mais  plus  souvent  des  consonnes.  Les 
voyelles  étymologiques  qui  peuvent  être  muettes 
sont  a,  e,o.  !«,  comme  dans  août,  .seiir,  paon,  qua- 
lité. Los  consonnes  muettes  sont  surtout  dos  con- 
sonnes fortes  qui  se  présentent  au  commencement 
ou  à  la  fi}i  des  mots,  comme  dans  a/franchir,  ap- 
pauvrir, asservir,  attendrir,  diffamer,  effacer  ;  des, 
Ut,  vers,  fort,  sans,  rhunt ;  beaucoup  plus  rare- 
ment au  (/iiïi'ew,  comme  dans  baptême,  Aisne,  etc. 
Au  commencement  des  mots,  la  consonne  nulle 
provient  toujours  de  la  consonne  finale  d'un  préfixe 
qui  s'est  assimilée  à  la  consonne  initiale  du  mot 
simple,  d'où  résulte  une  consonne  redoublée  qui 
se  prononce  comme  une  consonne  simple,  par 
exemple  dans  appauvrir,  de  ad  et  pauvre.  En  gé- 
néral les  consonnes  finales  ne  sont  muettes  qu'ac- 
cidentellement, et  elles  seraient  mieux  appelées 
quiescentes,  parce  que,  si  elles  se  reposent  souvent, 
elles  se  font  do  nouveau  entendre  soit  dans  la 
liaison  des  mots,  par  exemple  des  amis,  soit  dans 
la  flexio.i  et  la  dérivation,  par  exemple  haut,  haute, 
hauteur;  c'est  la  raison  pour  laquelle  l'orthogra- 
phe moderne,  qui  a  supprimé  dans  l'intérieur  des 
mots  presque  toutes  les  consonnes  purement 
étymologiques,  les  a  au  contraire  conservées  quand 
elles  sont  finales. 

6)  On  appelle  lettres  servîtes  celles  qui,  ne  se 
prononçant  pas,  ne  servent  qu'à  donner  à  la  con- 
sonne ou  à  la  voyelle  qui  précède  telle  ou  telle 
prononciation.  Les  lettres  servilcs  peuvent  être 
des  voyelles  ou  des  consonnes.  Les  voyelles  ser- 
viles  sont  u,  qui  maintient  au  q  et  au  c  devant  e 
et  i  le  son  guttural  (en  pareil  cas  eu  devient  pres- 
que toujours  qu)  :  gueule,  guichet,  ruvque, 
quille,  et  e,  qui  donne  à  ces  consonnes  le  son  lin- 
gual de  ,/  et  de  s  :  gagsure,  doucsâtre.  Les  con- 
sonnes serviles  sont  l,  m,  n,  s,  t  ;  elles  apparaissent 
comme  doubles  consonnes  à  la  fin  des  mots.  Dans 
la  règle  le  doublement  des  consonnes  ne  devrait 
avoir  lieu  que  dans  la  pénultième  accentuée,  c'est 
à-dire  suivie  d'une  syllabe  muette  :  tandis  que 
toutes  les  syllabes  non  accentuées  sont  brèves,  la 
pénultième  qui  a  l'accent  tonique  est  le  plus  souvent 
longue  quand  elle  est  suivie  d'une  consonne 
simple,  comme  dans  fête,  idiome,  zone,  rose  date, 
et  elle  devient  brève  quand  elle  est  suivie  d'une 
consonne  redoublée,  comme  dans  dette,  pomme. 
Couronne,  rosse,  patte.  Mais  les  exceptions  à  cette 
règle  abondent,  et  la  pénultième  accentuée  peut 
être  brève  quoique  suivie  d'une  consonne  simple, 
par  exemple  parole,  et  d'autre  part  le  doublement 
de  la  consonne  a  souvent  lieu  sans  nécessité  après 
une  voyelle  atone,  puisque  cette  voyelle  est  tou- 
jours brève,  de  telle  sorte  que  la  consonne  qui  suit 
ne  sert  à  rien  et  est  une  lettre  complètement  pa- 
rasite,  par  exemple  honneur,  rayonner,  barannie, 
cantonnier,  monnaie,  tonner,  sommet,  elc.  En  re- 
vanche, après  un  e  muet  qui  doit  recevoir  l'accent 
Ionique,  le  doublement  do  la  consonne  est  néces- 
saire pour  marquer  que  cet  e  muet  est  devenu  so- 
nore, comme  dans  d  Jette,  il  appelle,  qu'il  vienne, 
où  ce  doublement  de  t,  de  /  ou  de  7i  produit  le 
même  effet  qu'un  accent  grave  sur  l'e  pénultième  : 
jéte,  appelé,  viène. 

Les  consonnes  l  et  n  sont  dites  mouillées  quand 
elles  sont  suivies  imméaiatement  du  son  du  j 
allemand  ;  ce  son  se  marque  en  français  par  un  /  ou 
par  un  g  préposé  à  la  consonne  mouillée  et  qui  doit 
être  considéré  comme  une  lettre  servilo,  quoique 
étymologique:  feuille àf  folium,siGne  designum. 
2.  Les  signes  orthographiques  étaient  inconnu» 
au  vieux  français  et  ne  remontent  qu'au  xvi«  siè- 
cle. 

Ces  signes,  qui  suppléent  jusqu'à  un  certain  point 
aux  lacunes  et  aux  défectuosités  de  notre  alphabet, 
sont  des  caractères  qui  servent  à  marquer  tantAt 


ORTHOGRAPHE 


—  1474  — 


ORTHOGRAPHE 


\e  son  {signes  phonétiques)  et  tantôt  la  forme 
(signes /'oi-mad/s)  des  mots. 

al.  Les  signes  iihonébques  sont  la  cédille,  le 
tréma,  V apostrophe  et  les  accents  écrits. 

La  èédi/Ze  est  un  signe  qu'on  place  sous  le  c 
pour  lui  donner  le  son  de  la  sifflante  s  ;  on  mit 
.l'abord  un  :  après  c  :  faczon,  puis  on  le  souscri- 
vit au  c  :  façon.  j  n  . 

Pour  indiquer  que  les  groupes  de  voyelles, 
comnip  ni  et  au,  doivent  se  prononcer  séparément, 
oa  place  sur  la  seconde  le  signe  appelé  tiéma  (••)  : 
iiaïf  Saûl.   On  met   encore  le  tréma  sur  Ve  de  la 


comme  signes  diacritiques  les  lettres  italiques 
opposées  aux  lettres  droites  ou  romaines. 

/)).  11  n'y  a  qu'un  signe  funnatif,  c'est  le  trait 
d'uniO'i  (-),  qu'on  place  entre  les  parties  constitu- 
tives d'un  mot  composé,  comme  chef-d'œuvre, 
c'est-à-d  re,  dic-sei.t,  ou  entre  deux  ou  plusieurs 
mots  tellement  unis  qu'ils  semblent  n'en  former 
qu'un  au  point  de  vue  de  l'accentuation,  comme 
viens-tu?  niiez- vous-en,  etc. 

B.  Ohthogkaphe  relative.  —  L'orthographe  re- 
lative est  l'orthographe  des  flexions  ou  terminai- 
sons des  mots  variables,  dont  la  grammaire  ensei- 


svllabe  finale    que   lorsque  Vu  est  sonore  :  rigué,    gne  l'origine  et  1  emploi  dans  des  règ  es  précises  ; 
syllaoe  '''^^^'' J  -^  ^^   prononcerait   comme    c'est  pourquoi  on  l'appelle  aussi  orthographe  de 


fique.  .  ,, 

Pour  éviter  l'hiatus  ou  la  rencontre  de  voyelles 
dans  deux  mots  qui  se  suivent,  la  langue  clide  la 
voyelle  qui  termine  le  premier  mot,  quand  cette 


règles  ou  de  principes. 

Cette  orthographe,  iio  dépendant  que  des  règles 
de  la  grammaire,  est  certaine  et  ne  peut  pas  nous 
induire  en  erreur.  C'est  une  règle  générale  que 
les  substantifs  et  les  adjectifs  font  leur  pluriel  en 


vove  e  est  un  e  muet,  et  la  consonne  qui  précède  les  substantifs  et  les  adjectils  lont  leur  pluriel  en 
se  /7e  alors  à.  la  voyelle  initiale  du  mot  suivant;  ,  s,  quelques-uns  en  x,  que  le  féminin  se  forme  en 
mais  la  voyelle  élidée  dans  la  prononciation  ne  ajoutant  un  e,  et  que  la  terminaison  des  verbes 
IW   nas  dans  récriture,  sauf  dans  quelques  mo- '  varie    selon   le  temps,  le   mode    et   la  , personne. 


l'est  pas  dans  l'écriture,  sauf  dans  quelq 
nosyllabes   où  l'e  muet  est  remplacé  par  le  signe 
appelé   apostrophe  ('):   l'ami  =  Ie  ami,  faune  = 


Tout  cela  est  du  ressort  de  l'ctymologic  ou  pre- 
annelé  anostrophe  ('):  l'ami  =  /e  ami,  faune  =  i  mière  partie  de  la  grammaire  et  ne  présente  au- 
%^^meflÊZ.  l'élision  existe  sans  qu'elle  soit  cune  difflculté  ;  avec  un  peu  d  attention  ones^t  sur 
niarq 


uée  dans  l'écriture  :  quelque  autr^,  entre  eux  ,  de  ne   pas  s'y  tromper.  11   n  en  est  pas  tout  à  faU 
"!?„.,•„!.;.  pntr'P.uxl     ^  de  même  des  règles  de  concordance  que  donne  la 


=  quelqu'autre,  entr  eux) 
Ve  muet  est  remplacé  par  une  apostrophe  : 


syntaxe,  grâce  aux  subtilités  que  se  sont  plu  à  y 
introduire  la  plupart  des  grammairiens;  mais  il 
est  facile  de  débarrasser  la  syntaxe  de  toutes  ces 
subtilités  et  de  réunir  en  quelques  pages  toutes  les 
"VtTh'wirvïfnn':' il  ett  saisi  deflroi'  ~        1  règles   concernant    l'accord   des  mots,  ainsi  que 

2   uan^  queiquLsp    ,  j  elle  .  jusquen  .  maire  élémentaire  de  la  lingue  française  (p.  I2i 


1»  Dans  les  monosyllabes  le  (article  et  pronom). 
,  me,  te,  se.  ce,  que,  ne,  de:  l'aiiii, j'honore,  il 
'aime,  je  t'avertis,  il  s'amuse,  c'est  juste,  qu'il 
"    '■   -il  pas,  il  est  saisi  d'effroi. 

ilqUL'S  polysyllabes  composés  de  que, 

que,  devant  toute  voyelle  .  jusqu'en 

oique,  lors(juc,  puisque,  parce  que, 

ots  sont  suivis  de  il,    elle,  on,  un  :  ^ 

^qu'elle,    puisqu'on,     parce    qu'une    des  phrases   consiste  uni-iuemenl 

loue,  presque,  ainsi  que  entre,  dans  ,  tion  des  règles  de  la  pouctualion 

5   composes  :  quelqu'un,  pre,s-?«'i'/e,    coulent  d'une  analyse  %«/»e  réel 


savoir  :  a)  jusque,  devant  toute  voyelle  .  jusq 
Suiss>-;  h    quoique,  lorsifw,  puisque,  parce  que, 
quand  ces  mots  sont  suivis  de  il,    elle,  on,  un  : 

quoiqu'il,     lor   '"'  "       "" 

faute  :  c]  que 
tous  les  mots 

entr'ade.  Hors  ces  cas,  l'e  des  mots  quoiqu 
lorsque,  quelque,  etc.,  n'est  pas  remplacé  par  une 
apostrophe  :  quoique  étranger,  lorsque  André, 
puisque  aucun  de  vous,  parce  que  en  Italie,  quelque 
autre,  presque  usé,  entre  eu-c,  entre  autres,  etc. 
La  voyelle  finale  des  monosyllabes  la  et  si  s'é- 


II.  Orthographe  des  phrases.  —  L  orthographe 

'   uement  dans  l'applica- 

Lion,  règles  qui  dé- 

réelleraent  digne  de 

ce  nom. 

La  lionctuotion  consiste  à  marquer,  pardos  signes 
convenus,  les  divisions  ou  la  fin  des  phrases  (si- 
gnes objectifs),  et  la  manière  actuelle  dont  nous 
considérons  telle  ou  telle  proposilion,  tel  ou  tel 
membre  de  la  proposilion  (signes  snh/edtfs).  Les 


lide  cônîme  ré  muet  :  l'âme,  ,e  l'n,  vue,  s'il  pleut,  signes  objectifs  sont  :  le  point  (.),  le  s  gne  ûe 
Les  accèrî;/to"7s  qu'il  ne  faut  pas  confondre  1  ponctuation  le  plus  fort  et  qui  se  met  à  la  hn  de 
Les  accents  eu  Us,  qu  ^p^^^  ^^  ^^^.^  _  ,  v^    ^^^^^^  ^^^^^  indiquer  que  le  sens  est  tou    à  fait 

é.  l'accent  orave  ,  terminé  ;  la  virgule  (,),  le  signe  de  ponctuation  le 
plus  faible  et  qui  s'emploie  dans  la  phrase  de 
subordination  pour  séparer,  dans  certains  cas,  la 


avec  l'accent  tonique,  sont  au  no 
l'accent  aigu  ('),  comme  dans  café,  l'accent  grave 
("),  comme  dans  père,  et  l'accent  circonflexe  ("^ 
comme  dans  fête. 


"L'accent  aigu  se  place   ordinairement  sur  tout    proposition  subordonnée  de  la  P,^|"'=iP^'^' ,«' f.^"' 
^r"îe^^inant^a^syllabe.^xceptéqua.idcet;|a^phras^ 

qui  expriment 
ibies  que  le 


e  es    suivd'ûê  syllabe  muette  finale,  auquel  cas  !  pour  en  séparer  les  termes  s.milau-j 

es  quand  .  n'est  pas   le  signe  du  pluriel  :  abcès,  |  P«;f  •  Pj^^^^f'^^f  g^nerl  dl  séparer  les  proposi- 
tions coordonnées,  soit  de  marquer  les   divisions 


pôle,  dôme,  cône. 

On  emploie  encore  l'accent  grave  et  l'accent 
circonflexe  comme  slgno  purement  diacritique, 
c'est-à-dire  qui  sert  à  distinguer  les  mois  sans 
influer  aucunement  sur  la  prononciation  :  a.  pré- 
position, et  a,  verbe;  l't,  ça,  oit,  adverbes,  et  la. 
article,  ça.  pronom,  ou,  conjonction  ;  —  jeune, 
7/iiir  sûr,  crû,  dû,  ot  jeune,  mur,  sur,  cru,  du. 

Le's  lettres  majuscules  sont  aussi  des  signes  dia- 
critiques qui  servent  à  distinguer  des  noms  com- 
muns les  noms  propres  et  les  noms  communs  em- 
ployés comme  noms  propres  ;  le  Portugal,  t  Aca- 
démie française,  etc.  On  peut  encore  considérer 


signe  de  ponctua- 


quant  une  separ 

aussi  être  considéré  comme 

jjQP    V    Piinii"-'''"n. 

ni  Variations  de  1  orthographe.  —  L'orthogra- 
phe de  l'ancienne  langue  était  indécise  et  flot- 
tante, mais  elle  se  distinguait  par  une  grande 
simplicité  et,  en  somme,  elle  dillorait  moins  de 
lorthographe  actuelle  que  de  celle  de  Rabelais  ou 
de  Montaigne.  Voici  comment  M.  Rracliot  a  résume 
ces  variaiions  de  notre  ortliograplie  : 

u  II  n'existe,  en  théorie,  que  deux  systèmes  d  or- 
thographe :  le  premier  qui  liKure  exac-eraent  l.i 
prononciation  ou   orlliographe  phonétique;  le  se- 


ORTHOGRAPHE 


—  1473  — 


ORTHOGRAPHE 


coud  qui  s'altaclio  plutôt  i  rappeler  l'origine  du 
mot  et  est  dit  ortliograplie  iHj/mulDi/ii/ui;.  L'orilio- 
gi'aplie  plion6tir|UO,  exacte  peiiiture  de  la  voix, 
n'admet  que  des  lettres  vivantes  ou  pronoucées  : 
elle  écrira  filautropie ,  oi'/elùi,  fitoiofin,  comme 
muis  écrivons  faisan  (do  /ihasianos'',  fanlnisin 
(du  grec  phantasia),  fantôme  (de  iiliantnsma).  A 
coté  de  ces  lettres  actives,  l'orthographe  étymolo- 
gique admet,  au  contraire,  des  lettres  mortes,  qui 
rappellent  aux  yeux  l'élymologie,  mais  qui  ne 
jouent  aucun  rôle  dans  la  prononciation  ;  telle 
i:st,  par  exemple,  la  consonne  p  dans  exempt  i,de 
ftemplus),  baptiser  (de  baplizare)  :  dans  ce  sys- 
tème on  écrira  phaisan,  pliantaisie,  phiinto^nif  ; 
sH/'et,  venant  de  sufijectuin,  sera  orthographié 
su'iject,  etc. 

»  Au  point  de  vue  do  la  pure  logique,  le  sys- 
tème phonotique  est  la  seule  orthographe  ration- 
nelle; l'orthographe  étymologique  .manque  en 
effet  de  base,  puisqu'elle  ne  s'appuie  que  sur  l'or- 
thographe d'une  langue  antérieure,  et  que  d'autre 
p;irt  elle  suppose  arbitrairejnent  que  les  étymolo- 
gios  sur  lesquelles  elle  se  fonde  pour  imposer  aux 
mots  telle  ou  telle  lettre  parasite  sont  indiscu- 
tables. D'ailleurs,  l'orthographe  d'une  langue, 
comme  la  langue  elle-même,  n'est  point  faite  pour 
quelques  lettrés,  mais  pour  l'ensemble  de  la  na- 
tion :  le  /■  de  faisan  n'empêchera  pas  plus  l'hellé- 
niste de  reconnaître  dans  cette  forme  le  grec  pha- 
sianos  que  le  j)h  de  philosiplue  n'aidera  les  illet- 
trés à  retrouver  l'origine  du  mot. 

"  De   ces   deux    sy.stèmes  orthographiques,  le 
moyen  âge,  à  l'origine,  adopta  le  premier,  la  lan- 
gue de  la  Renaissance  adopta  le  second,  et  notre 
orthographe  actuelle  est  le  résultat  d'un  compro- 
mis très  arbitraire  entre  les  deux.  Le  moyen  âge 
chercha  d'abord  à  modeler   l'orthographe  sur  la 
prononciation  :  au  xii'  siècle  on  écrivait  comme 
aujourd'hui   neveu  (de  netiotrm),   recevoir    (reci- 
fiere),  ensevelir  (insepelire)  ;  le  xvi"    siècle,  pour 
rapprocher   ces   mots  de    leurs   originaux  latins, 
écnvit /<e/iye//,  recupvoir^  R7tsepvi'lv\  sans  se  douter 
que  le  p  Utin  existait  déjîi  dans  tous  ces    mots 
sous  la  forme  du  v;  do   même  les  formes  du  xii' 
siècle    devoir    [debere),   fièvre    (februn),    février 
(frbruarium),  sont  devenues  auxvi'  siècle  aeifoic, 
fiebvre,  febvrier.  Le  moyen  âge,  changeant  le  d 
latin   on  it,  écrivait  lait  {Iwtem),  fait  {fadu-n), 
iriiil  [tractuin],  nuit  [noctem);  le  xvi«  siècle  refait 
ces   mots  en  laict,  traict,  faic't,  nuict.  Cette  re- 
clierche d'orthographe  érudite,  quiavait  commencé 
dos   le  xv=  siècle  avec  les  clercs  et  les  premiers 
i);iducteurs    des    livres    de    l'antiquité,    s'accrut 
d  une  manière  démesurée  sous  la   Renaissance, 
pav  l'influence  que  prennent  alors  les  imprimeurs 
orudils  :   Robert  et  Henri    Estienne  surchargent 
les  éditions  sorties  de  leurs  presses  d'une  foule 
de  lettres   parasites  empruntées   i  l'orthographe 
des  langues  anciennes.  'Cette  invasion  de    lettres 
muettes  jette   un  tel  trouble  dans  l'orthographe, 
qM'une  réaction  en  sons  inverse  ne   tarde  point  à 
Si'  produire.  Meigret  etrillustre  Ramus,  qu'approu- 
VMil  Ronsard,  Du  Bellay  et  toute  l'école  nouvelle, 
tentent  contre  les  Estienne  et  l'école  des  éli/nio- 
t'^jistes^  de  ramoner  l'orthographe  au  pur  système 
poonetique.  Cette  tenutive  échoue,  et  l'orthogra- 
piie  étymologique  persiste,  en  s'allégaant,  quelque 
peu,  jusqu'à   la   fin    du   xvii»  siècle.  Malgré   les 
efforts  de  Corneille  et  de  Bossuet,  l'Académie  con- 
serva presque  intact  ce  sysième  orthographique 
dans    la   première    édition   de   son   Dictionnare 
(i'i94);  elle  proscrivit  même   l'usage  des  accents 
o:  ne  jugea  point  à  propos  d'adopter  l'orthogriphe 
de  Richelet,  qui  écrivait  télé  pour  leste,  épée  pour 
e--pée,  etc.. 

»  Ce  fut  seulement  en  n40.d-ins  sa  troisième 
e.lition,  que  l'Académie  remplaça  par  l'accent  l's 
étymologique;  elle  écrivit  alors  tête,  épée,  apôire; 


elle  supprime  de  même  le  d  muet  de  advoeat,  nd- 
venlure,  etc.,  qu'elle  avait  jusque-là  conservé. 
Mais  elle  n'osa  point  aller  jusqu'au  changement  de 
ni  en  ai  que  Voltaire  proposait,  et  jusqu'en  18.38, 
elle  écritye  conîtoissois^  il  étoit,  il  marchoit  ;  ce  fut 
seulement  dans  sa  sixième  édition  que  l'Académie 
sanctionna  la  réforme  voltairienne. 

»  Notre  orthographe  contient,  malgré  ces  utiles 
réformes,  plus  d'un  reste  de  la  manie  érudite  du 
svi"  siècle  :  le  moyen  âge  écrivait  autr-'  (alter), 
paume  (palmaj,  pous  (puisus)  ;  le  xvi'  siècle,  aul- 
tre,  paulrn-,  poult  ;  nous  avons  repris  pawiie  et 
autre,  mais  nous  avons  gardé  ponts.  Le  moyen  âge 
disait  oser  (otisare;,  oreille  ('/iiricula),  p  -vre  [\>au- 
per),  trireau  (tawrellum),  acheter  (acca;)'are),  bali- 
ser (bap/izare),  dérou/e  (derup/a),  escri^  (scri/)(us); 
le  xvi"  siècle,  '/Mser,  awreille,  pauvre,  taureau,  et 
de  même  aclia/j<er,  ba/Wiser.  dérou/j^e,  escripi. 
L'orthographe  moderne  a  repris  oser,  mais  non 
povre  ;  oreille,  niiiis  non  t  ^reau  ;  acheter,  mais 
non  ba/iser.  Les  lettres  doubles  qui  infestent  notre 
vocabulaire  sont  encore  l'héritage  du  xvi°  siècle  ; 
nous  écrivons  arbitrairement  et  sans  aucune  raison 
d'étymologie,  ni  de  prononciation  :  aba(is  et  aba<- 
to'w,  —  chan-etier  et  chariot,  coureur  et  cou/rier, 
—  timo'iier  et  cano;i7iier,  canto?ial  et  cantoïi«ier, 
félonie  et  baro«/iie,  patroHal  et  patro;i«er,  to/mant 
et  déto/iation,  —  agrandir  et  aj(/raver,  a/daoir  et 
ap/;laudir,  a/i^-auvrir  et  apercevoir,  etc. 

»  Le  moyen  âge  écrivait  nacion,  porcinn.  Au 
lieu  de  garder  cotte  orthographe  qui  nous  per- 
mettait de  conserver  au  t  un  son  unique,  les  lati- 
nistes rétablirent  dans  tous  ces  mots  le  ti  latin  : 
de  là  les  inconséquences  de  prononciation  telles 
que  les  édit  oris  et  nous  éditions,  les  portions  et 
710US  apportions,  les  inspections  et  nous  inspec- 
tions, etc. 

»  Cette  orthographe  dite  étymologique,  qui  ne 
représente  pas  la  prononciation,  devient  même 
tout  à  fait  arbiiraire  quand  elle  repose,  comme 
cela  est  arrivé  plus  d'une  fois  au  xvi"  siècle,  sur 
une  étymologio  erronée.  De  même  que  peser  vient 
de  pejuaie.  le  latin  pensum  (au  sens  de  poids) 
donna  le  vieux  français  poi-,  comme  mensis  a 
donné  mois,  tensa  toise.  Le  xvi'  siècle,  qui  tirait 
pois  de  pondus,  voulut  conformer  l'orthographe 
du  mot  à  cette  fausse  étymologie  et  écrivit  poids, 
dont  nous  avons  hérité  et  qui  sous  cette  forme  a 
perdu,  en  apparence,  toute  parenté  avec  peser. ^ 

»  Il  est  à  souhaiter  que,  dans  la  septième  édition 
qu'elle  prépare  du  Dictionnaire  de  l'usage,  l'Aca- 
démie, qui  a  déjà  fait  en  lS3i  tant  d'utiles  réfor- 
mes dans  notre  orthographe,  persiste  dans  cette 
voie  en  supprimant  la  plupart  des  doubles  lettres 
et  en  bannissant  bon  nombre  de  ces  prétendus 
signes  étymologiques.  »  [ISràchet,  Morceaux  choisis 
dcf  yunds  tc-'.t)  dns  du  xvi"  siècle,  p.  LXXIU.) 

Malheureusement  l'Académie  n'a  pas  répondu  à 
cet  appel,  et  la  septième  édition  de  son  Diction- 
naire, qui  a  paru  en  IS77,  n'a  guère  amélioré 
notre  orthographe.  Non  seulement  l'Académie  n'a 
pas  fait  disparaître  les  anciennes  bizarreries  de 
cette  orthographe,  mais  elle  y  en  a  ajouté  de  nou- 
velles et  elle  n'a  pas  même  su  éviter  les  contra- 
dictions. Voici  à  ce  sujet  quelques  indications 
sommaires  qui  pourront  être  utiles  aux  maîtres 
ausîi  bien  qu'aux  élèves. 

Emploi  des  voyelles  :  l'Académie  continue  à 
écrire  les  voyelles  muettes  môme  quan  1  elles  sont 
complètement  inutiles,  comme  dans  bœuf,  'iiœurs, 
loast,  paon,  heaume,  etc;  elle  supprime  le  e  éty- 
mologique dans  Voir  et  le  conserve  dans  seoir, 
mais  olle  écrit  je  surseoirai ol  j'assoirai,  etc. 

Emploi  des  consonnes  :  capricwd,  fabricant, 
provocant,  suffocant,  vacant  et  chof/  lant,  mar- 
quant, pratiqu  'nt,  trafiquant,e\,c  ;  excédant  fpar- 
ticipe)  et  excédent  (adjectif),  excellant  et  excellent, 
néyligeunt   et   négligent,   etc.  ;  —    aphte,  apo- 


ORTHOGRAPHE 


—  1476  — 


ORTHOGRAPHE 


phtegme,  autochtone,  diphtongue,  hémorragie,  \gle-né,  nouveau-né,  nouveau  venu,  court  vêtu; 
hérrwti  oïiles,  hi/poco7idre,  ichtyophagf,  opidalmie,  corps-saint,  corps  de  ganle;  eau-de-vie,  enu  de 
phtisie,  rythme,  etc.  :  rapsode  et  rhapsode,  flegmi',  rose  ;  état-major,  tiers  état  ;  haut- fond,  haut  four- 
et  phlegrne,  frénésie  et  phrénésie.  para/e  et  pa-  neau;  faux-fuyunt,  faux  frais,  faux  mmnayeur; 
rophe,  fantasmagorie  et  pliantasmugorie,  parélie  francs-tireurs,  corps  francs;  pied-de-cliat,  pied 
et  parhélif,  etc.  de  l/œuf;  pot-mi-feu,  pot  pourri;  c'est-à-dire,  cest 

Doublement  des  consonnes  :  l'Académie  a  éga-  à  savoir;  au-devant  et  au  deliors,  au-d' ssus,  au- 
lisé  rorlliograplie  des  mots  assonance,  cnnsoiumce  ,  dessous  et  en  dessus,  en  dessous;  là-dessus  et  là 
et  dissnn'-m-e,  emmailloter  et  démailtoter;  mais  dedans;  ici-bas,  là-bas  et  en  bas;  là-fiaut  et  en 
elle  continue  à'  écrire  résonner,  résonnutit  et  ré-  \  haut;  par-ci  p^r-là  et  par  in)  par  là,  par  deçà; 
sonance  ;  consonne  et  consonont,  consonance  ;  abat-  par-devers,  par-dessous  et  jjar  devant  sa  chambre 
tre,  abattement  et  ahatage,  abatis  (à  côté  de  lattis);  (mais  par-devant  notaire)  ;  très  bon,  trotte  menu  ; 
assujettir  et  nssujétir,  carotte,  calotte  et  compote,  havresac  ;  morte-eau  et  eau  morte;  un  téte-à-téte 
camelote;  ballotter,  culotter,  crachotter,dccrutt'-r,  et  tête  à  tête  'adv.),  avenir  et  à-venir  (subst.); 
grelotter,  gar'  tter,eXt..,  et  barboter,  chevrot'r,  cla-  rouvieux  ou  loux-vienx;  bis-blanc  et  pain  bis  ; 
poter,  caillouter,  lorloter,  fricoter,  grignoter,  an  homme  bien-disant,  de  soi-disant  docteurs,  à 
gigoter,  etc.  ;  tabletterie  et  buffleterie  ;  sijfler  et  bras-le-corps,  acompte,  afin,  atour,  averse  et  à 
persifler,  gifle  ;  souffler,  essouffler  et  boursoufler,  verse,  à-coup,  à-propos,  à  vna-Veau,  etc.;  contre- 
emmitoiifler,  etc.;  chamtte,  charrue  et  chariot;  bawle,  contrepoison  et  contre-ordre,  contre-poil, 
courrier  et  coureur;  baronnieet  félonie  ;  cancaner  etc.;  endos,  encaisse,  entrain,  en-téte,  en-cas;  en- 
et  camionner;  bananier,  marinier,  nautonier,  ti-  trecouper,  entrelacs,  entrecôte,  entresol,  entremets 
monier,  etc.,  et  bâtonnier,  braconnier,  chiffon-  et  entre-bdilter.  entre-temps,  entre-voie,  etc.  ; 
nier,  marronnier,  prisonnier,  vannier,  etc;  imbé- '  soucoupe  et  sous-sot,  etc.;  surpoids,  surtut  et 
cile  et  imbécillité;  accourir  et  acoquiner,  atlen-  '  sur-arbitre,  susdit  et  sus-énoncé,  etc.  ;  malsain 
dre  et  atermoyer,  approfondir  et  aplanir,  ullon-  et  mal-cire,  mal-oppris  ;  non  pareil  et  non-sens, 
ger  et  alourdir,  etc.  non-payement,  non  seulement,  les  gens  non  inlé- 

Emploi  de  la  cédille  :rfouc«î<w  au  lieu  de  rfo!«-  ressé^',  etc.;  boutefeu  et  boute-en-train;  cuille- 
çâtre.  botte  et  caille-lait;  claquedent  et  casse-cou; léche- 

Em'ploi  des  accents  :  l'Académie  écrit  mainte-  frite  et  à  léche-a'oiyts;  passavant,  passeport,  pas- 
nant  je  siège,  d'après  la  règle  générale,  mais  elle  sepoit  et  passe-debont,  passe-droit,  pusse-partout, 
maintient  l'ancienne  ortliograplie  dans  tussé-je,  passe-temps,  etc.; porteballe,  portecrayon,porte- 
dussé-je,  etc.;  elle  écrit  avec  l'accent  grave  ba-  faix,  portefeuille, portemayiteuu  et  porte-aiguille, 
rrme,  orfèvre, poète,  sève,  troène,  prèle;  avecVac-  porte-clefs,  p'.rte-drapeau,  porte-liqueurs,  portè- 
rent aigu  :  énamourer  (contrairement  \k  l'étymo-  montre,  porte-voix,  etc.  ;  coivlamnulion  par  corps 
logie  qui  exige  e7iamourer,  comme  enivrer,  enor-  elle  par-corps;  quant  à  moi  et  le  quant-à-n.oi, 
gueillir,  etc.).  goéland,  goélitte,  goémon,  pépin,  bien  fnre  et  le  bien-faire,  cette  description  est 
pépie,  pétiller  ;  avènement ,  affrètement,  soutène-  \hors  d'œuvre  et  un  lors-d'œuvre.  crier  sauve  qui 
ment,  tènemint  et  événement; complètement,  dià-^.,  peut  et  ce  fut  un  sauve-qvi-peut. 
et  complètement,  subst.  ;  règlement  et  dérègle-  ,  Ponctuai  ion  :  Vive  la  liberté!  et  vive  le  vm. 
ment,  subst.,  et  règlement,  déréi/lément,  adv.  ;  Ah!  mon  Diu,qu'avez-ious  fait?  Eh!  mon  bieu, 
réclusion  et  réclusion,  celer  et  celer,  etc.  L'Acadé-  laissons  cela.  Ah!  quelle  chute!  et  :  Oh  Ineu,  que 
mie  écrit  maintenant  sans  accent  circonHexe  :  gaine  je  souffre  !  Oh  çà, parlons  de  nos  affaires.  0  tcaips, 
et  gainier,  goitre,  levure,  masse  et  masser  (termes  â  mœurs  !  0  mon  Dieu  !  —  Plaise  à  Dieu  qu  il  re- 
6e  jeu);  elle  admet  également  aboiement  et  vienne  sain  et  sauf!  Plût  à  Bieu  que  cela  fui,  etc. 
aboiment,  dénouement  et  dénoûment,  dénuement  IV.  Rétorme  de  l'orthographe.  —  Comme  on 
et  dénùment,  engouement  et  etigoùment,  en-  l'a  vu  plus  liaut,  l'orthograplie  de  1  ancien  fran- 
jouement  et  enioûmeyit,  etc.  Elle  écrit  angélus  ,  çais  était  très  simple  et  en  somme  beaucoup  plus 
et  angélus,  ad  hoc  et  ab  hac,  optime,  nec  rationnelle  que  celle  qui  l'a  remplacée  après  la 
plus  ultra,  a  posteriori,  a  priori,  vice  versa  et  à  Renaissance.  Gttte  orthographe  moderne  de  Ma- 
minimâ,  med-culpd,  nota  benè,  sine  quà  non;  rot  et  de  Rabelais,  toute  hérissée  de  lettres  eiy- 
soul,  sower  et  saoul,  saouler  ;  palustre  et  palâtre;  mo\og\i:\ne&  mntWes,  dont  trois  siècles  n  ont  pu 
trinôme  et  binôme,  monôme,  etc.  '  nous    débarrasser  entièrement,  est  encore  la  no- 

Emploi  des  majuscules  :  amen  et  Ave;  les  an-  ,  tre  aujourd'hui,  sinon  dans  les  détails,  du  moins 
techrisls  et  Y  Antéchrist;  le  Bas-Empire  et  la  dans  l'ensemble.  Il  y  a  là  une  tradition  d  autant 
basse  Bretagne,  les  busses  Pyrénées;  le  Très-Haut,  plus  puissante  qu'elle  remonte  à  une  époque  ou 
le  haut  /iAi'sun  liant  pays,  le  haut  mal;  VEsprit-  '.  la  langue  française  s'est  fixée  et  est  entrée  dans 
Saint,  VEaituresamle,  hsainte  Vierge,  la  sainte  la  phase  classique  de  son  histoire,  et  cest  prect- 
Famille,  la  sainte  Bible,  les  lieux  suints,  le  saint  \  sèment  à  cause  de  cette  tradition  que  toute  relor- 
sépulcre;  saint  Jean,  la  Saint-Jean,  le  saint-père,  i  me  radicale  de  l'orthographe  française  est  entou- 
\e  saint-siège,  le  saint-office,  le  ia«i<-e??îpi>e;  '  rée  de  difficultés  presque  inextricables. 
Noire-Seigneur  ;  le  conseil  des  dix,  les  dix,  les  |  11  est  bien  prouvé  cepc  ndant  que  de  tous  les 
Seize,  \esQuurante;]î  Grammaire  de  Port-Royal  •■  idiomes  romans,  c'est  le  français  qui  possède  le 
et  le  dictionnaire  de  l'Académie  ;  un  bon  barème,  .système  orthographique  le  plus  défectueux, 
c'est  un  ion  Bai  ème;  la  satire  mc7iippée et  U  Mé-\  Ce  système  a  en  eflet  deux  défauts  bien  graves: 
nippée;  le  Pont-Neuf,  le  Long  parlement,  le  )•  11  manque  de  signes  simplf»  pour  exprimer 
Thédlre-Francaic,la.  Comédie  française,  lesFrancs  des  sons  simples,  savoir  .  les  voix  pures  que  nous 
saliens,  les  girondins,  les  trois  heures;  c'est  un  représentona  par  les  combinaisons  de  voyelles  ou 
S'ivoyard  (homme  grossier),  un  scapin,  un  séide,  et  eu;  les  voix  nasales,  de  a,  de  e,  de  o  et  de  eu, 
c'est  son  sosif,  un  se/-i'ice  de  sèvres,  une  garniture  qui  se  rendent  par  une  voyelle  suivie  de  n  ,on  m  , 
de  vulenciennes,  etc.  c'est  à-dire  la  nasale  de  l'a  par  an  ou  e«,la  nasale 

Emploi  du  trait  d'union  :  l'Académie  écrit  un  de  l'e  parain,  ein  ou  in,  la  nasale.de  l'o  par  on  et 
blanc-seing  et  un  blanc  seing,  un  acte  sous-seing  ,  la  nasale  de  l'eu  par  un  ;  la  chuintante  forte  que 
privé  et  un  acte  sous  seing  privé,  un  sajis-cœur  nous  représentons  par  cA,  et  enfin  les  consonnes 
et  un  soîis  cœur,  le  sans  façon,  le  sans  gène,  le  mouillées  dont  la  notation  par  ill  et  gn  est  très 
libre-échange  et  le  libre  échange,  le  coton-poudre  défectueuse,  parce  quo  ;//  et  yn  ont  une  double 
et  le  coton  poudre,  la  gomme-résme  et  la  gomme  valeur  phonétique,  comme  on  peut  le  voir  dans 
résine,  le  laisser-aller  et  le  laisser  aller,  \e  qu'en-  les  mots,  fille  et  ville,  agneau  et  ognus,  etc. 
dira-t-on  et  le  qu'en  dira-t-on;  clairsemé,  aveu- 1     'i"  Certaines  consonnes  ont  en   français  un  dou- 


ORTHOGRAPHE 


—  1477  — 


ORTHOGRAPHE 


l>le  ou  niCnie  un  triple  emploi,  d'où  il  résulte  que 
lo  mùiiK!  son  peut  se  rendre  par  plusieurs  signes, 
comme  l'y  forte,  qui  est  représentée  par  s,  s.f,  c,  ç, 
t  et  X,  comme  dans  sel,  /jo^se,  ceci,  maison,  nn- 
tion,  soixante.  Ces  emplois  multiples  de  la  môme 
lettre  sont  très  fréquents  et  compliquent  inutile- 
ment notre  orthographe. 

l'our  que  cette  orthographe  fût  complètement 
rationnelle,  il  faudrait  :  1°  que  chaque  son  fût  re- 
présenté par  un  signe  distiiict,  et  2°  que  chaque 
signe  ou  lettre  eût  un  son  qui  lui  fût  propre  et 
ne  servit  pas  à  marquer  d'autres  articulations. 
Plusieurs  essais  de  réforme  ont  été  tentés  dans 
ce  S(!ns,  afin  de  rapprocher  l'écriiure  le  plus  pos- 
sible de  la  prononciation.  Après Mcigret et  Ramus, 
dont  nous  avons  déjà  parlé,  on  peut  citer  parmi  les 
réformateurs  les  plus  marquants  :  au  dix-septième 
siècle,  Cliiflet,  Ménage,  l'abbé  Dangeau  et-Riche- 
let;  au  dix-huitième,  Regnior-Desmarais,  Buftier, 
l'abbé  Girard,  Dumarsais,  Duclos,  Wailly  etBoau- 
zée  ;  et  dans  notre  siècle,  Domergue,  Volney, 
Marie,  Féline,  Erdan,  Raoux  et  Ambroise-Firmin 
Didot.  Mais  ces  tentatives  ont  toutes  échoué,  parce 
que  la  plupart  ne  tenaient  pas  assez  compte,  soit 
de  l'étymologie,  soit  de  la  flexion  et  de  la  dériva- 
tion des  mots. 

Et  cependant  l'orthographe  se  modifie  constam- 
ment et  insensiblement  dans  le  sens  d'une  plus 
grande  simplification  «  On  n'a,  dit  Littré,  qu'à  com- 
parer l'orthographe  d'un  temps  bien  peu  éloigné, 
le  XVII»  siècle,  avec  celle  du  nôtre  pour  recon- 
naître Combien  elle  a  subi  de  modifications.  Il 
importe  donc,  ces  modifications  étant  inévitables, 
qu'elles  se  fassent  avec  système  et  jugement.  Ma- 
nifestement le  jugement  veut  que  l'orthographe 
aille  en  se  simplifiant,  et  le  système  doit  être  de 
combiner  ces  simplifications  de  manière  qu'elles 
soient  graduelles  et  qu'elles  s'accommodent  le 
raii'ux  possible  avec  la  tradition  et  l'étymologie.» 
(Histoire  de  la  Imir/ue  française,  I,  H?7.) 

Voici,  croyons-nous,  les  améliorations  de  détail 
qui  auraient  le  plus  de  chance  d'être  adoptées, 
parce  qu'elles  constitueraient,  non  pas  une  révo- 
iulion,  qui  bouleverserait  toute  noire  orthographe, 
mais  une  simple  évolution,  qui  pourrait  s'opérer 
tout  naturellement  et  pour  ainsi  dire  sans  se- 
cousse. 

1°  Remplacer  l'y  par  i  dans  tous  les  mots  d'ori- 
gine grecque,  où  il  a  le  son  de  cette  voyelle  ;  on 
écrirait  donc  annlise,  sttle,  comme  l'on  écrit  ami- 
don, cristal,  au  lieu  de  annlijse,  style,  umi/ilon, 
crystai,  et  l'on  conserverait  Vr/  comme  lettre  fran- 
çaise avec  sa  valeur  propre  à'i  consonne  (y  espa- 
gnol,y  allemand),  telle  qu'elle  s'est  conservée  en 
général,  sauf  après  l'a  où  y  vaut  aujourd'hui  deux 
i  dont  le  premier  se  combine  avec  ia  de  manière 
h  former  le  son  c,  tandis  que  le  second  est  un  i 
consonne  qui  commence  une  nouvelle  syllabe,  de 
telle  sorte  que  pai/er  sonne  comme  pai-i/er,  ce  qui 
n'était  pas  le  cas  dans  l'ancienne  langue  où  l'on 
prononçait  pn-ycr  sans  modifier  le  son  de  l'a, 
prononciation  qui  s'est  conservée  dans  les  noms 
propres,  comme  Bai/onn-',  Mayenne,  et  même  dans 
quelques  verbes  et  noms  communs,  tels  que  bayer, 
muyonnnise,  etc. 

2"  Supprimer  la  lettre  h  partout  où  elle  est  inu- 
tile, ce^t-à-dire  au  commencement  des  mots,  quand 
elle  est  mu"tte,  et  dans  les  combinaisons  ch  ayant 
le  son  de  c  dur,  rli,  th,  etp'i,  qu'on  remplacerait  par 
f;  on  écrirait  donc  iver,  arcuïsme,  cro'iique,  rétori- 
gue,  rul/arbe,  atlète,  m'tO'le,  alfahet,  épitafe, 
comme  étique,  colère,  école,  rapsode,  trésor,  fai- 
san, fanal,  fl-yme,  soufre,  qu'on  écrivait  autre- 
fois/ierii9U.,V./,o/(!,.e,  escole,  rhapode,  tlirésor, 
ptwisan,  phanal,  pldeyme,  sonplire  ;  il  n'y  aurait 
d'exception  que  pour  quelques  mots  où  e'i  sonne 
comme  c  dur  devante  et  i  :  arJ(éologi  ',  ecchymose, 
mnlacliite,  orchestre. 


3"  Remplacer  partout  l's  faible  par  z  et  écrire 
poizon  au  lieu  de  poison. 

4"  L'emploi  de  l'accent  circonflexe  est  tout  par- 
ticulièrement abusif;  car,  si  ce  signe  doit  indi- 
quer l'allongement  de  la  voyelle,  il  y  a  beaucoup 
de  voyelles  qui  ont  l'accent  circonflexe,  bien 
qu'elles  soient  brèves,  comme  o  dans  hôpital, 
tandis  qu'une  foule  d'autres  ne  l'ont  pas,  lors 
même  qu'elles  sont  longues.  Il  serait  donc  préfé- 
rable de  supprimer  partout  ce  signe  et  de  le 
remplacer,  sur  l'e  terminant  la  syllabe,  soit  par 
l'accent  grave  dans  la  pénultième  tonique,  soit 
par  l'accent  aigu  partout  ailleurs  ;  on  écrirait  donc 
sans  accent  jimlel,  conmme  on  écrit  ohjet,  mais 
avec  l'accent  grave  fête,  hlème,  et  avec  l'accent 
aigu  fêter,  blêmir,  etc.  On  pourrait  peut-être 
conserver  l'accent  circonflexe  dans  les  mots 
tels  que  dcre,  bdilhr,  chasse,  jeûne,  mâtin,  pêcher, 
tâche,  mûr,  sûr,  crû,  dû,  pour  les  distinguer  des 
homonymes  acre,  bailler,  chasse,  jeune,  matin, 
pêchi'r,  ta-he,  mur,  sur,  cru,  du. 

b"  Dans  les  consonnes  doubles,  il  n'y  a  que  la 
seconde  qui  se  fasse  entendre,  la  première  est 
nulle.  L'Académie  et  tous  les  dictionnaires,  depuis 
celui  de  Boiste  jusqu'à  celui  de  Littré,  disent 
qu'on  prononce  quelquefois  les  lettres  doubles, 
comme  pp  dans  appétence,  mm  dans  imnvvulê. 
Il  dans  illustre,  etc.  Rien  de  plus  contraire  au 
génie  de  notre  langue.  On  ne  peut  d'ailleurs 
émettre  deux  fois  de  suite  le  même  son-consonne, 
par  ex.  Il  dans  illustre,  sans  séparer  les  deux  ar- 
ticulations par  une  voyelle,  si  faible  qu'elle  soit, 
comme  l'e  muet  dans  le  lustre.  Il  faut  excepter 
les  consonnes  c  et  </  devant  e,  i  :  accès,  siygérer, 
parce  qu'alors  le  premier  e  ou  ^  conserve  le  son 
guttural  qui  lui  est  propre,  tandis  que  le  second 
c  prend  le  son  d's  et  le  second  q  le  son  de  ,/'.  Sauf 
dans  ce  dernier  cas,  les  doubles  consonnes  se 
prononcent  donc  comme  les  consonnes  simples,  et 
l'on  simplifierait  beaucoup  l'orlhographe  si  l'on 
supprimait  toutes  celles  qui  sont  nulles,  en  écri- 
vant, comme  dans  les  premiers  temps,  acroire, 
agraver,  atendre,  aservir,  apeler,  an^ncer,  ahii- 
ter,  aroser,  doner,  courone,  somet,  volée,  etc.  Par 
cette  réforme  on  rendrait  uniforme  l'orthographe 
de  tous  les  verbes  en  eler  et  eter:  il  yle  et  il 
appelé  (au  lieu  de  appelle),  il  achète  et  il  jètc  (au 
lieu  de  jelt'') . 

C  Supprimer  dans  l'intérieur  des  mots  toutes 
les  consonnes  parasites,  comme  p  dans  baptiser, 
compter,  etc. 

1"  On  a  vu  plus  haut  que,  pour  l'emploi  du  trait 
d'union,  l'Académie  ne  suivait  aucun  système  et 
qu'elle  tombait  dans  les  plus  étranges  contradic- 
tions. Pour  sortir  de  ce  dédale  et  simplifier  l'or- 
thographe des  mots  composés,  il  n'y  a  qu'un 
moyen,  c'est  de  les  réunir  le  plus  possible  en  un 
seul  mot.  Nous  renvoyons  pour  les  détails  de  cette 
réforme  à  l'ouvrage  de  Didot  sur  l'orthographe  et 
à  celui  de  M.  Darmesteter  sur  la  formation  des 
mots  composés. 

8"  Substituer  l's  à  l'x  dans  les  noms  et  les  ad- 
jectifs qui  prennent  cette  dernière  consonne 
comme  marque  du  pluriel  ;  on  écrirait  donc  les 
beaus  bafraui  et  non  pas  les  beaut  hnteaux.  On 
étendrait  plus  tard  cette  réforme  à  tous  les  mots 
où  la  consonne  finale  a;  a  la  valeur  de  s,  comme 
dans  je  veux,  heureux,  etc. 

Nous  nous  arrêtons  ;  peut-être  est-ce  déjà  trop 
pour  la  routine,  si  puissante  partout,  mais  plus 
particulièrement  sur  le  terrain  de  la  grammaire 
et  de  l'orthographe.  Il  faudrait  donc  ajourner  les 
autres  modifications  à  introduire  dans  notre  sys- 
tème orthographique,  comme  l'emploi  de  y  pour 
le  g  doux  (;/  juija  pour  jugea),  de  /  cédille  pour 
distinguer  les  mots  terminés  en  lie  et  tion,  qui  se 
prononcent  tantôt  avec  lo  son  de  t  et  tantôt  avec 


OSMOSE. 


—  1478 


OTHON  OU  OÏTON 


le  son  de  s  {ineptie,  les  rations),  de  ly  et  ny  pour 
mouiller  les  deux  consonnes  l  et  ?i  (palye,  si- 
nyal),  etc. 

V.  Exercices  d'orthographe.  —  Mous  avons  vu 
que  l'ortliograplie  d'usage  a  ses  règles,  tout  aussi 
bien  que  l'orthographe  dite  de  principes  ;  c'est  ce 
qu'on  oublie  trop  souvent.  A  ce  point  de  vue,  on  ne 
saurait  trop  recommander  l'étude  de  la  dérivation 
et  de  la  composition  des  mots  au  moyen  des  suf- 
fixes et  des  préfixes,  étude  aussi  intéressante 
qu'utile  pour  la  connaissance  de,  la  langue,  bien 
qu'elle  ait  été  à  peu  près  complètement  négligée 
jusqu'à  nos  jours.  Comment  hésiter  sur  la  manière 
d'écrire  salutaire,  pilier,  clievreau,  alpin,  ter- 
rasse, glacis,  finesse,  hautain,  nuée,  jetée,  bon- 
té, etc.,  quand  on  sait  que  ces  mots  sont  formés 
des  primitifs  salut,  pile,  chèvre,  a/pe,  terre,  glnce, 
fin,  fiant,  nue,  jeté,  bon,  etc.,  au  moyen  des 
suffixes  aire,  ier,  eau,  in,  asse,  is,  esse,  ain,  ée,  e, 
té,  etc.  ?  On  ne  saurait  non  plus  être  embarrassé 
d'écrire  exorbitant,  inonder  et  innommé,  ces 
mots  étant  formés  de  orbite,  onde  et  nonnné,  au 
moyen  des  préfixes  ex  et  in  ;  comme,  devant  une 
consonne,  le  j-  de  ex  s'élide,  tandis  que  le  n  s'as- 
simile aux  liquides  l  et  r,  cela  suffit  pour  expli- 
quer pourquoi  on  écrit  avec  un  seul  r  éniption 
(de  ex  et  rumpere,  rompre)  et  avec  deux  r  irrup- 
tion (in  et  rumpere). 

Il  n'est  peut-être  pas  inutile  de  faire  remarquer 
que  les  recueils  de  dictées  dont  on  se  sert  dans 
beaucoup  d'écoles  ne  s'occupent  guère  que  de 
l'orthographe  de  principes  et  semblent  renfermer 
toutes  les  difficultés  grammaticales  dans  le  cadre 
étroit  des  règles  sur  les  participes,  les  quelque  et 
les  quoique,  etc.  Les  instituteurs  feront  bien  de 
ne  pas  trop  s'en  tenir  à  ces  recueils  et  de  consa- 
crer un  peu  plus  de  temps  à  l'étude  sérieuse  du 
matériel  même  de  la  langue,  c'est-à-dire  des  mots 
envisagés  au  double  point  de  vue  de  leur  significa- 
tion et  de  leur  orthographe. 

Enfin  on  ne  saurait  trop  recommander  aux  maî- 
tres d'accorder  à  la  ponctuation  beaucoup  plus 
d'importance  qu'on  ne  le  fait  généralement,  et 
pour  cala  il  est  essentiel  d'analyser  la  phrase 
d'après  une  méthode  toute  différente  de  celle  qui 
est  suivie  par  nos  anciennes  grammaires.  Soit, 
par  exemple,  la  phrase  suivante  à  ponctuer  : 

M  La  parole  de  Dieu  est  semblable  à  la  semence 
a  du  laboureur:  si  une  pierre  dure  la  reçoit,  elle 
Il  ne  germe  pas;  si  elle  tombe  parmi  les  ronces, 
«  elle  est  ctoulTée;  si  une  bonne  terre  la  reçoit, 
«  elle  produit  une  récolte  abondante.  » 

Il  ne  servirait  de  rien,  pour  la  ponctuation  de 
cette  phrase,  de  se  borner,  comme  on  le  fait,  à  dis- 
tinguer les  propositions  subordonnées  des  princi- 
pales; il  faut  que  l'analyse  pénètre  plus  profondé- 
ment dans  la  structure  de  la  phrase  et  qu'elle  la 
décompose,  d'abord  dans  ses  parties  principales, 
puis  dans  ses  divisions  secondaires  et  teniaires,  de 
la  manière  suivante  : 

Cette  phrase  de  coordination  compr.'nd  deux 
parties  qui  sont  dans  un  rapport  copulatif  et  sont 
séparées  par  les  deux  points  ;  la  première  partie 
est  une  proposition  simple  ;  la  seconde  est  com- 
posée de  trois  propositions  copulatives  entre  les- 
quelles  se  place  le  point-virgule,  signe  de  la  coor- 
dination, et  chacune  de  ces  propositions  a  à  son 
service  une  proposilion  subordonnée  exprimant 
une  condition  et  séparée  de  la  principale  par  une 
virgule,  signe  de  la  subordination.      [G.  Ayer.] 

Ouvrages  à  consulter.  .4. -F.  DiJot,  Obserualions  sur 

lorthogruphr  ou  ortogrnfii-  fraticuise,  2'  édition,  1868; 
Darmesli  ter,  Traité  de  lu  formation  des  mots  composés 
dans  la  hingue  française.  1875;  AyiT,  Grammaire  compa- 
rée de  la  langue  française. 

OS.  —  V.  Squelette. 

OSUOSE.  —  Botanique,  VII;  Zoologie,  XXXII. 


—  Etym.   :   du  grec  ôsmos,    action   de   pousser. 

L'osmose  est  la  propriété  que  deux  liquides  dif- 
férents ont  de  se  mêler  à  travers  les  parois 
membraneuses  qui  les  séparent.  —  Supposez  un 
vase  divisé  en  deux  compartiments  par  une  cloison 
membraneuse  :  que  dans  l'un  des  compartiments 
on  mette  de  l'eau  salée,  dans  l'autre  de  l'eau 
pure;  il  s'établira  à  travers  la  membrane  deux 
courants  inverses  ;  de  l'eau  salée  traversera  la 
cloison  pour  aller  se  mélanger  à  l'eau  pure;  et  de 
l'eau  pure  passera  en  sens  contraire  pour  aller 
diluer  de  plus  en  plus  l'eau  salée  :  et  ce  phéno- 
mène continuera,  jusqu'à  ce  que  la  proportion 
d'eau  et  de  sel  soit  la  même  de  part  et  d'autre. 
Voilà  ce  qui  constitue  Yosmo^e. 

Supposez  que  l'un  dns  liquides  soit  dans  une 
cavité  par  rapport  à  l'autre  ;  celui-ci  pourra  être 
considéré  comme  extérieur  relativement  au  pre- 
mier; le  courant  liquide  de  dehors  en  dedans 
s'appellera  endosmose,  et  le  phénomène  inverse 
exosmose. 

Dutrochet  a  fait  le  premier  une  expérience  que 
l'on  peut  facilement  répéter,  et  qui  met  parfaite- 
ment en  évidence  l'endosmose;  l'appareil  dont  il 
se  servait  s'appelle  endosmométre. 

C'est  un  tube  ouvert  à  ses  deux  extrémités  ;  son 
extrémité  inférieure  est  renflée  en  forme  de  ré- 
servoir dont  le  fond  est  formé  d'une  membrane 
fermant  exactement  le  tube.  Dans  celui-ci  on 
met  de  l'eau  alcoolisée  et  rougie  ;  on  marque  alors 
le  niveau  de  la  liqueur  dans  le  tube,  puis  on  met 
en  contact  la  membrane  avec  de  I  eau  pure.  On 
voit  alors  le  niveau  s'élever  dans  l'endosmomètre. 
C'est  que  l'eau  extérieure  a  traversé  les  pores  de 
la  membrane,  pour  venir  se  mêler  à  celle  du 
tube. 

C'est  par  des  phénomènes  d'osmose  qu'on  ex- 
plique les  échanges  nutritifs  entre  les  divers  élé- 
ments dont  se  composent  anatomiquement  les 
corps  vivants,  par  exemple,  l'absorption  des  sub- 
stances alimentaires  transformées  dans  l'intestin 
et  qui  passent  soit  dans  les  vaisseaux  cbylifères, 
soit  dans  la  veine  porte.  —  C'est  également  l'os- 
mose qui  est  la  force  active  principale  dans  l'ab- 
sorption des  racines. 

Il  faut  se  garder  de  confondre  l'endosmose  avec 
l'imbibition  ou  la  Hllration,  qui  jouent  un  rôle 
très  important,  mais  tout  spécial,  dans  les  phéno- 
mènes physiologiques.  [G.  Philippon.] 

OTIIOA'  ou  OTTO>".  —  Histoire  générale,  XVIII- 
XIX,  XXVII.  —  i\om  de  quatre  empereurs  d'.Vlle- 
magne,  dont  les  trois  premiers  appartiennent  à  la 
maison  de  Saxe,  et  le  quatrième  à  la  maison 
Guelfe. 

1"  Mai<ion  de  Saxe. 

Othon  I",  fils  et  successeur  d'Henri  I"'  l'Oise- 
leur, reçut  la  couronne  d'Allemagne  en  9-ifi.  Il  eut 
d'abord  à  combattre  plusieurs  grands  vassaux  qui 
refusaient  de  reconnaître  son  autorité,  et  qui  s'é- 
taient alliés  au  roi  de  France,  Louis  IVd'Outrcmer. 
Il  les  vainquit,  et,  maître  incontesté  de  l'.MIoma- 
gne.  il  assura  la  sécurité  de  ce  pays  par  sa  grande 
victoire  sur  les  Hongrois  à  Augsbourg  (955),  et 
par  diverses  expéditions  contre  les  Bohèmes,  les 
Polonais  et  les  Danois.  Profitant  ensuite  dos  dis- 
cordes de  lltalie.  il  marcha  au  secours  d'Adélaïde, 
veuve  du  roi  italien  Lothairo,  attaquée  par  Béren- 
ger  II,  l'épousa  (9oI),  et,  plus  tard,  détrôna  Bé- 
renger,  et  prit  pour  lui  même  la  couronne  d'Italie 
et  la  couronne  impériale  (9li"2).  Il  avait  rétabli 
ainsi,  au  profit  de  la  Germanie,  l'empire  de  Char- 
lemagne,  ne  laissant  en  dehors  de  sa  domination 
que  cette  partie  de  la  Gaule  où  régnaient  encore 
les  derniers  Carlovingiens.  Le  mariage  de  son  fils 
avec  la  princesse  grecque  Théophanie  lui  donna 
en  outre  des  droits  sur  l'Italie  méridionale. 

Ces  succès  méritèrent  à  Othsn   le  surnom   de 


ouïe 


—  1479  — 


ouïe 


Oraitil.  Mais  ses  licritiers  ne  surent  pas  main- 
tenir l'Allemagne  au  degré  de  puissancs  où  il  l'a- 
vait portée.  Il  mourut  en  973. 

Othon  II,  fils  d'Otlionl'"  et  d'Adélaïde  de  Bour- 
gogne, succéda  à  son  père  en  913.  Il  dut  faire  la 
guerre  au  roi  de  Bavière  qui  lui  disputait  la  cou- 
ronne, et  au  roi  de  France,  Lotliairc,  qui  réclamait 
la  Lorraine.  Il  battit  Lotliaire,  s'avança  jus(|u'à 
Paris  et  fit  la  pai\  en  gardant  la  Lorraine,  et  on 
cédant  à  un  frèra  de  Lotliaire  le  duclié  de  Bra- 
bant.  Après  avoir  rétabli  le  pape  Benoit  VII,  qu'a- 
vait détrôné  le  consul  Crescentius,  il  employa  les 
dernières  années  de  son  règne  îi  guerroyer  dans 
l'Italie  méridionale,  qu'il  disputa  aux  Grecs  en 
vertu  des  dioits  qu'il  prétendait  tenir  do  son 
épouseTliéoplianie;  mais  il  ne  réussit  pas  à  la  con- 
quérir. Il  mourut  en  983. 

Othon  m.  fils  d'Otlion  II  et  petit-fils  d'Othon  F', 
régnade  1)S3  h  1002.  Pendant  sa  minorité,  sa  grand- 
mère  Adélaïde  et  sa  mère  Théoplianie  exercèrent  la 
régence.  Devenu  majeur,  il  se  rendit  en  Italie,  força 
les  Romains  i  reconnaître  son  autorité,  mit  a  mort 
leur  consul  Crescentius,  et  donna  la  tiare  ponti- 
ficale au  savant  évêque  français  Gerbert  (Sylves- 
tre II),  qui  avait  été  le  précepteur  de  son  père. 
Il  mourut  à  l'âge  de  vingt-deux  ans,  empoisonné, 
dit-on,  par  la  veuve  de  Crescentius.  Il  eut  pour 
successeur  son  cousin  Henri  II  le  Saint. 

2°  Maison  Guelfe. 

Othon  rv  de  Brunswrick,  fils  du  duc  de  Ba- 
vière Henii  le  Lion,  fut  élu  empereur  en  1198,  .'i 
la  mort  de  Henri  VI  de  Souabe.  Il  eut  pour  com 
pétiteur  Pliilippe  de  Souabe.  frère  de  Henri  VI 
La  lutte  entre  les  deux  rivaux  dura  dix  ans  ;  mais 
Philippe  ayant  été  assassiné  par  Othon  de  Wittels- 
bach,  Othon  IV  demeura  seul  maître.  Bientôt  le 
pape  Innocent  III,  qui  avait  d'abord  été  son  allié, 
se  brouilla  avec  lui,  et  lui  suscita  un  nouveau 
compétiteur,  le  jeune  Frédéric  II  de  Hohenstaufen. 
Le  fait  le  plus  important  du  règne  d'Othon  IV  est 
sa  guerre  contre  le  roi  de  France,  dans  laquelle 
il  eut  pour  allié  le  roi  d'.\ngleterre,  Jean-sans- 
Terre.  Philippe-Auguste  le  vainquit  à  Bouvines 
IVili).  Othon  mourut  en  \-IiS,  et  Frédéric  II 
fut  reconnu  empereur  par  toute  l'Allemagne. 

ouïe.  —  Zoologie  et  physiologie,  XXXIX  ; 
Hygiène,  XIV.  —  L'audition,  ou  le  sens  de  l'ouïe, 
a  pour  siège  l'oreille.  Ce  sens  permet  de  per- 
cevoir les  bruits  produits  par  les  vibrations  des 
corps  solides,  liquides  ou  gazeux,  les  suns  musi- 
caux formés  par  des  vibrations  isoclinmes ;  il  fait 
distinguer  Vinlensite  du  bruit  ou  du  son,  le  timbre 
qui  indique  la  nature  de  l'objet  vibrant. 

L'appareil  auditif  est  placé  sur  les  cotés  de  la 
tête.  On  y  reconnaît  trois  parties  :  l'oreille  externe, 
Voreille  moyenne  eiVoreiHe  interne. 

L'oreille  externe  comprend  lepavillon  ou  conque 
auditive  et  le  méat  auditif.  Le  pavillon  n'existe 
que  chez  les  mammifères,  et  même  les  espèces 
souterraines,  comme  la  taupe,  et  les  espèces  aqua- 
tiques, manquent  de  cet  appendice  destiné  à  re- 
cueillir les  oniles  sonores  ou  vibrations  de  l'air,  ou 
de  l'eau.  Chez  l'homme,  cette  partie  est  bordée 
par  un  repli  régulier  et  terminée  inférii^uroment 
par  un  ''otiule  graisseux  La  chauve-souris  est  pour- 
vue d'un  o/y/Z/on,  sorte  de  petite  conque  logée  dans 
la  grande  (fig.  2),  qui  lui  permet  de  fermer  le  tube 
auditif  pour  se  recueillir  etse  livrer  au  sommeil. C'est 
le  prolongement  de  la  partie  de  l'oreille  humaine 
nommée  trayus  que  l'on  voit  à  la  partie  antérieure 
et  moyenne  de  l'oreille,  en  avant  du  méat  auditif. 

La  conque  est  munie,  à  la  base,  de  muscles, 
très  Qéveloppés  chez  certains  animaux,  qui  per- 
mettent de  l'orienter  dans  la  direction  du  bruit. 

Le  méat  auditif  ou  conduit  de  l'oreille  externe 
80  termme  à  l'oreille  moyenne.  Les  animaux  aqua- 
tiques peuvent  le  fermer  par  la  contraction  d'un 


muscle  circulaire.  La  peau  qui  garnit  ce  tube 
renferme  un  grand  nombre  de  petites  ijtamies  qui 
sécrètent  une  matière  jaunâtre  appelée  rerumen. 
L'oreille  moyenne  consiste  en  une  sorte  de 
caisse  pleine  d'air  logée  dans  une  cavité  osseuse. 
Elle  est  séparée  de  l'oreille  externe  par  une  mem 


ulaii 


I  ifï   i.  —  Oreille  de  1  homnu 
1  L.)ri.|ue    .ludltive,  —  B,  coiiduil  du.lilif 
,  membrane  du  tympan;  —  0,  cai:^se  du  tj 
enclume;  —  M,  marteau;  —  G,  canaux  se 

—  H,  limaçon  ;  —  (,  trompe  d'Eustache. 


brane  tendue,  le  tympan,  susceptible  de  vibrer 
sous  l'influence  des  ondes  sonores  de  l'air  ou  de 
l'eau.  Du  côté  opposé,  la  caisse  est  fermée  par 
deux  membranes  tendues  sur  deux  ouvertures 
nommées  fendlre  ovale  et  fenêtre  ronde;  de  sorte 
que  l'oreille  moyenne   peut  être  comparée  à  un 


Tête  d'oreillard. 


tambour.  Ce  tambour  est, rempli  d'air  à  la  pres- 
sion extérieure,  grâce  à  un  conduit,  nommé 
trompe  d'Eustache  (du  nom  de  celui  qui  l'a  dé- 
couvert) qui  s'ouvre  dans  l'arrière-bouche. 

La  membrane  du  tympan  est  reliée  'a  celle  ilr 
la  fenêtre  ovale  par  une  chaîne  de  quatre  pi^ins 
pièces  osseuses  mues  par  des  muscles.  Ces  osseli'ts 
sont  appelés,  ;\  cause  de  leur  forme  parliculièrc, 
le  marteau,  l'enclume,  le  lenticulaire  (semblable 


ouïe 


1480  — 


OVALE 


à  une  lentille),  et  Vétrier.  L'action  des  muscles  et 
des  osselets  détend  ou  raidit  les  membranes  pour 
faciliter  ou  atténuer  leur  vibration. 


Fig.  3.  —  Les  osselels  de  l'oreillo. 

H,  le  marteau  et  ses  muscles;  -E,  l'enclume;  —  L,  le  lenli- 

culairc  ;  —  K,  l'étrier  et  sou  muscle. 

L'ensemble  do  l'oreille  interne,  logé  dans  un 
os  très  épais,  s'appelle  labyrinltie:  il  comprend  le 
vestibule,  trois  canaux  recourbés  dits  senti-circu- 
laires, et  le  limaçon,  qui  doit  son  nom  i  sa  ressem- 
blance avec  la  coquille  ainsi  nommée.  Tout  le 
labyrinthe  est  tapissé  par  une  membrane  sur  la- 
quelle s'étalent  les  extrémités  des  nerfs  auditifs. 
Cette  membrane  renferme  un  liquide  gélatineux 
qui  transmet  les  vibrations. 

Il  semble  que  le  vestibule  donne  la  sensation 
du  tjruit,  les  canaux  semi-circulaires  celle  du 
timbre,  et  le  limaçon,  celle  du  ton,  c'est-à-dire  du 
nombre  de  vibrations. 

Chez  les  mollusques,  l'oreille  se  réduit  au  ves- 
tibule. I.e  limaçon  manque  aux  batraciens  ;  parmi 
les  poissons,  il  y  en  a  qui  n'ont  que  le  vestibule, 
mais  la  plupart  possèdent  en  outre  les  canaux 
semi- circulaires.  L'oreille  des  crustacés,  réduite 
au  vestibule,  occupe  la  base  des  grandes  antennes. 


Fc;;.  4.  —  CoU|ie  oblique  du  limaçon. 
.,l:uue  spirale  exlt-rieure;  —  BB,  iame  spirale  iotérieu 
laquelle  s'étendent  les  terminaisons  a  du  nerf  acousi 
—  C,  séparation  du  deuxième  tour  d'avec  le  troisitn 
D,  rampe  supérieure,  vue  au  second  tour  ;  —  E,  se 
du  lit 


Cette  description  sommaire  nous  permet  de 
constater  que  l'ouïe  est  une  sorte  de  toucher  des- 
tiné à  constater  et  à  interpréter  les  vibrations  des 
corps.  Les  vibrations  violentes  afi'ectent  en  outre 
le  cerveau  d'une  façon  assez  intense  pour  causer 
de  graves  accidents  et  même  la  mort. 

Comme  les  autres  sens,  l'ouïe  s'émousse  par 
l'habitude  des  excitations  violentes,  se  perfec- 
tionne par  une  éducation  méthodique. 

L'ébranlement  général  produit  par  les  bruits 
intenses,  spécialement  par  les  détonatious,  est 
dangereux  pour  les  personnes  à  poitrine  délicate, 
disposées  à  l'hémoptysie  et  aux  maladies  du  coeur  : 
il  cause  souvent  la  perte  complète  de  l'audition 
chez  les  chaudronniers,  les  artilleurs,  etc. 

L'audition  est  sujette  à  des  modifications  pas- 
sagères auxquelles  on  remédie  souvent  par  des 
précautions  hygiéniques.  Il  faut  éviter  surtout  les 
brusques  changements  de  température,  les  cou- 
rants d'air,  l'action  prolongée  du  vent.  Lorsque 
l'accumulation  du  ceriuiien  bourbe  le  conduit 
externe,  on  le  ramollit  avec  de  l'huile  pour  en 
faciliter  l'extraction.  Les  soins  de  propreté  sont 
indispensables  à  tout  âge,  mais  spécialement  pen- 
I  dant  la  jeunesse. 


C'est  un  tort  grave  de  comprimer  le  pavillon 
contre  la  tète  par  les  attaches  d'un  bonnet.  Non 
seulement  on  aplatit  et  déforme  cette  partie,  mais 
on  rétrécit  le  méat.  Celui-ci  éprouve  souvi-nt  un 
rétrécissement,  cause  de  demi-surdité,  par  suite 
de  la  perte  des  incisives,  qui  fait  porter  le  menton 
en  avant  et  en  haut  et  déplace  l'articulation  de  la 
mâchoire  :  on  y  remédie  en  faisant  remplacer  les 
dents  absentes. 

De  même  que  l'on  peut,  au  moyen  de  lunettes 
bien  choisies  et  bien  graduées  pallier  les  défauts 
de  la  vue,  on  peut  augmenter  la  faculté  auditive 
émousséeau  moyen  de  divers  instruments,  tubes 
ou  cornets  acoustiques.  11  y  a  longtemps  que 
Jurissen  et  Winkler  ont  conseillé  l'usage  de  lattes 
minces  qui,  placées  entre  les  dents,  transmettent 
les  vibrations  sonores  à  la  trompe  d'Eustache. 
llard  a  transformé  cet  instrument  primitif  en  un 
petit,  porte-voix  dont  l'extrémité  amincie  en  bec 
de  clarinette  se  presse  entre  les  dents.  11  est  bon 
de  rappeler  le  nom  de  ces  inventeurs  aujourd'hui 
qu'on  applique  leur  système  modifié  sous  le  nom 
à'audiphiijie.  Celui-ci  consiste  en  une  plaque  mince 
de  bois,  de  caoutchouc  durci  ou  d'autre  substance 
que  l'on  tient  à  la  main  et  que  l'on  serre  entre 
les  dents,  en  lui  faisant  prendre  une  forme  légè- 
rement concave.  Les  ondes  sonores  frappant  cette 
plaquo  so  communiquent  à  l'oreille  interne  par 
les  os  du  labyrinthe,  et,  si  la  surdité  n'affecte  que 
l'oreille  moyenne,  on  peut  entendre  assez  distinc- 
tement, au  bout  de  quelques  heures  d'exercice. 

L'inflammation  de  l'angine  et  du  coryza  peut  se 
propager  à  la  trompe  d'Eustache  et  causer  une  sur- 
dité momentanée  ou  même  permanente.  L'hygiène 
et  les  ablutions  froides  fréquentes  éloigneront  ce 
danger.  La  propreté  et  l'hygicne  préviendront  éga- 
lement la  propagation  au  conduit  auditif  des  ma- 
ladies du  cuir  chevelu  :  impétigo,  eczéma,  gourmes. 
Dès  qu'un  enfant  se  plaint  d'un  mal  d'oreille,  il 
faut  s'assurer  qu'il  n'y  a  pas  introduit  un  corps 
étranger  et,  s'il  y  a  lieu,  procéder  immédiatement 
i  son  extraction  ;  le  plus  souvent  l'intervention  du 
médecin  est  nécessaire. 

Pour  l'ouie  comme  pour  les  autres  sens,  la 
modération  est  de  rigueur  si  l'on  veut  conser- 
ver son  intégrité  et  sa  sensibilité.  On  s'accou- 
tume, il  est  vrai,  au  bruit,  mais  son  effet  n'est  pas 
moins  pernicieux.  Par  contre,  si  le  calme,  le  si- 
lence sont  utiles  dans  la  plupart  des  maladies,  et 
après  les  fatigues  intellectuelles,  l'absence  absolue 
de  bruits  donne  à  l'ouïe  une  sensibilité  maladive 
comme  celle  que  contracte  la  vue  des  personiies- 
privées  longtemps  de  lumière.         [D'  Saffray.] 

OVALE.  —  Géométrie,  XXIV.  —  Etym.  :  du 
latin  ovum,  œuf.  —  L'ellipse  n'étant  pa^^  facde  a 
tracer  d'un  mouvement  continu  sur  le  papier,  on 
a  imaginé  de  construire  des  courbes  qui  en  difle- 
rent  très  peu,  en  les  formant  d'arcs  de  cercles  qui 


ont  des  rayons  inégaux  et  sont  raccordés  ensemble  y 
ces  courbes  sont  appelées  ovnles.  Parmi  les  diver» 
procédés  propres  à  les  décrire,  nous  indiquerons 
les  principaux. 
Il  y  a  deux  cas  à  examiner  :  1»  on  donne  seu- 


OVALE 


—  1481  — 


OVALE 


lompiit  un  axe  ;  5*  on  donne  les  deux  axes,  comme 
dans  l'ellipse. 

1.  Ovale  a  un  axe.  —  1°  Soit  AA'  l'axe  donné. 
On  11!  divise  en  3  parties  égales  (fig.  1);  des  points 
do  division  C  et  D  pris  pour  centres,  on  décrit 
avec  AC  pour  rayon  deux  circonférences  qui  se 
coupent;  des  deux  points  d'intersection  1  et  F.  on 
mène  les  diamètres  IM'  et  IN',  EM  et  F.N  ;  puis 
du  point  E  pour  centre,  on  décrit  avec  EM  pour 
rnjon  un  arc  de  M  en  N,  et  de  I  pris  pour  centre, 
avec  le  môme  rayon,  un  are  de  M'  en  N'.  On  ob- 
tient ainsi  l'ovale  AMINA'N'M',  composé  des  deux 
ïrcs  égaux  MN  et  M'N'  dont  le  rayon  est  double 
du  rayon  des  deux  autres. 

Il  est  bon  d'observer  que  le  quadrilatère  CIDE 
est  un  losange. 

2°  On  divise  l'axe  AA'  en  i  parties  égales  (fig.  2}, 


.  1/ 


E^' 


et  des  trois  points  de  division  C,G,D  pris  pour 
centres,  on  décrit  avec  AC  pour  rayon  trois  cir- 
conférences qui  se  coupent  deux  k  deux.  Par  le 
centre  G  de  la  première  et  chacun  des  deux  points 
où  elle  est  coupée  par  la  seconde  on  mène  doux 
droites;  on  fait  de  môme  par  le  centre  D  de  la 
troisième  et  chacun  des  deux  points  où  elle  est 
coupée  par  la  seconde.  Ces  droites  en  se  rencon- 
trant déterminent  un  losmge  GIDE.  Du  point  E 
pris  pour  centre  avec  EM  pour  rayon  on  décrit 
un  arc  de  M  en  N;  puis  àa  point  I  pris  pour  cen- 
tre et  avec  le  môme  rayon  on  décrit  un  arc  de 
M'  en  N'.  On  a  ainsi  l'ovale  AMNA'N'M',  composé 
des  deux  arcs  égaux  MAM'  et  NA'N'  raccordés  par 
les  arcs  égaux  MN  et  M'N'. 

3°  Si  l'on  veut  avoir  un  ovale  plus  étroit  que 
les  deux  précédents,  on  partage  AA'  en  5  parties 
égales  (fig.  3;.  Des  points  de  division  C  et  D,  on 


Fig.  3. 

décrit  avec  CA  pour  rayon  deux  circonférences; 
puis  des  mômes  centres,  avec  la  distance  GD 
pour  rayon,  deux  arcs  passant  en  C  et  en  D  et  se 
coupant  aux  points  I  et  E.  De  chacun  de  ces  deux 


points  on  mène  des  droites  par  les  centres  C  et 
D,  ce  qui  forme  un  losange  CIDE;  puis  du  centre 
E  avec  EM  pour  rayon  on  décrit  un  arc  de  M  en 
N,  et  du  centre  I  avec  le  même  rayon  un  arc  de 
M'  en  N'.  On  obtient  ainsi  l'ovale  AM'VA'N'M'. 

II.  Anse  de  panied.  —  Dans  la  construction  dos 
ponts  à  voûte  surbaissée,  les  ingénieurs  préfèrent 
souvent  la  forme  de  l'ovale  à  celle  d'une  vraie 
ellipse,  non  seulement  parce  qu'elle  se  trace  ra- 
pidement sur  le  papier,  mais  encore  par  la  plus 
grande  facilité  (|u'ellc  fournit  pour  l'exécution  des 
panneaux  destinés  à  la  taille  des  voussoirs.  Dans 
ces  circonstances,  ce  n'est  pas  seulciuent  le  grand 
axe  qui  est  donné  par  la  largeur  de  la  rivière,  le 
petit  axe  est  aussi  déterminé  par  la  hauteur  que 
doit  avoir  le  pont.  On  a  donc  cherché  h  former 
au  moyen  d'arcs  de  cercle  des  ovales  dont  les 
deux  axes  sont  donnés.  La  moilié  de  l'ovale  si- 
tuée d'un  côté  du  grand  axe  est  vulgairement  ap- 
pelée imse  de  panier;  parmi  les  divers  procédés 
employés  pour  décrire  celte  courbe,  nous  en  in- 
diquerons trois  des  plus  simples. 

1°  Anne  de  panier  à  3  centres.  —  Soit  AA'  le 


grand  axe  (fig.  4),  et  OB,  perpendiculaire  au  milieu 
de  AA',  la  hauteur  de  la  voûte. 

Sur  AA'  pris  pour  diamètre,  on  décrit  une  demi- 
circonférence  qu'on  divise  en  3  parties  égales 
aux  points  H  et  H'  ;  on  mène  les  cordes  AH, 
HG,  GH',  H'A'  et  les  rayons  011  et  0(1'.  Puis  du 
sommet  B  on  tire  BM  parallèle  il  GH  et  BM'  pa- 
rallèle ix  GH'  ;  on  mène,  du  point  M,  la  droite  MD 
parallèle  au  rayon  HO,  et  de  M'  une  parallèle  au 
rayon  H'O,  qui  doit  aboutir  au  môme  point  D  du 
prolongement  de  BO. 

Le  triangle  AMC  est  semblable  au  trianfjle  équi- 
latéral  AHO;  donc  CM  est  égal  à  CA  ;  de  môme 
le  triangle  DMB  est  semblable  au  triangle  iso 
scèle  OHG;  donc  DM  est  égal  à  DB.  D'après  cela 
on  décrit  du  centre  C  avec  GA  pour  rayon  l'arc 
AM,  puis  dn  centre  D  avec  DM  pour  rayon  un 
arc  de  M  en  B  et  en  M',  et  enlin  du  centre  G'  l'arc 
M'A'.  On  obtient  ainsi  l'anse  de  panier  AMBM'A'  à 
trois  centres  C,  D,  G'. 

Cette  construclion  est  due  h  Iluyghens,  célèbre 
mathématicien  hollandais  du  xvii'  siècle. 

2°  A7ise  de  panier  à  5  centres.  —  On  divise  en 
5  parties  égales  AK  =  KH  =  IIH',  etc.,  la  demi-cir- 
conférence décrite  sur  AA'  comme  diamètre 
(fig.  5);  on  mène  les  cordes  AK,KH,HG,GH',  etc., 
et  des  rayons  aux  points  K,H  G,H',K'.  On  prend  h 
volonté  sur  AO  un  point  C,  par  exemple  au  mi- 
lieu de  AO,  et  par  ce  point  on  mène  une  pa- 
rallèle au  rayon  KO.  Du  point  M  où  elle  rencontre 
la  corde  AK,  on  mène  une  parallèle  h  la  corde 
KH,  et  du  sommet  B  une  parallèle  à  la  corde  GH 
ces  deux  parallèles  se  rencontrent  en  un  point  N 
De  ce  point  N  on  tire  une  parallèle  au  r:iyon  HO  , 
elle  coupe  la  droite  MGet  la  direction  du  i)etitaxe 
aux  points  V  et  I). 

Par  la  similitude  des  triangles  ACVl  et  AKO, 
des  triangles  MNF  et  KHO,  des  triangles  \BU  et 


OVALE 


1482  — 


OVE 


HGO,  on  reconnaît  facilement  que  CM  est  égal  à 
CA,  que  FN  est  égal  à  FxM,  que  DB  est  égal  à  DN. 


3)« 

Fi?.  5. 

D'après  cola  on  déci-it  du  centre  C  l'arc  AM,  du 
centre  F  l'arc  MN  et  du  centre  D  l'arc  NB  pro- 
longé jusqu'en  N'.  En  répétant  ces  constructions 
à  droite,  on  forme  l'anse  de  panier  AMNBN'M'A'  .'i 
6  centres  C,F,D,F',C'. 

3""  Anse  de  papier  à  3  centres.  ~-  Le  tracé  sui- 
Yant  a  été  indiqué  par  l'abbé  Bossut,  mathématicien 
français  mort  en  1814. 

On  rabat  la  hauteur  OB  sur  le  demi-axe  OA 
(fig.  6)  en  OT,  ce  qui  donne  leur  différence  AT, 


ii) 

Fig.  6. 

et  on  porte  cette  différence  en  BH  et  BH'  sur  les 
droites  BA  et  BA'.  Par  le  milieu  des  droites  AH 
et  A'H'  on  mène  des  perpendiculaires,  qui  rencon- 
trent le  prolongement  du  petit  axe  au  mémo 
point  D  et  coupent  l'autre  axe  aux  points  C  et  C. 
De  ces  points  pris  pour  centres  on  décrit  les  arcs 
égaux  AM  et  A'M'  ;  puis  du  point  D  pris  pour 
centre  avec  DM  pour  rayon  un  autre  arc  joignant 
le  point  M  au  point  M'.  Ce  deuxième  arc  passera 
par  le  sommet  B;  car  d'après  cette  construction 
la  distance  DB  doit  être  égale  à  la  distance  L)M. 
Pour  le  démontrer  il  suffit  de  faire  voir  qu'on  a  : 
DB  =  DM  =  DK  +  CA  -CK. 
Afin  d'abréger,  posons  : 

OA  =  a;      OB  =  i;      AB  =  c. 
On  aura  d'abord  : 

-fj)       0  —  «  +  6 . 


AK  =  - 


BK  =  : 


-(a- 


■é  = 


■-1-  a  —  b 


Des  triangles  rectangles  semblables  BDK  et  ABC, 
on  tire  les  deux  proportions  : 

BD 

AB 


DK 
Ao' 


BO 

BK 

'bo 


d'où      DK  = 


a(c+a  —  h) 
■ib 


Des  triangles  rectangles  semblables  ACK  et  ABO, 
on  tire  les  deux  proportions  : 

AC       AK       ,..,        .^       c(c  — «  +  M. 
2'i 


AC  =  - 


AK 


d'où      CK  = 


b(c  —  a  +  b) 
■2a 


CK 

BO~AO 

D'après  cela  on  aura  : 

DK-f  CA-CK=°^'^+"-^^  I  ^«^-"+b)_hjc-a±b) 
^  2i  la  '2a 

En  effectuant  la  réduction  dans  le  deuxième  mem- 
bre, on  trouve  en  effet  : 

DK  +  CA  -  CK  =  ilî±^  =  BD, 

ce  qui  démontre  l'égalité  énoncée. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 
OVE.  —  Géométrie,  XXIV.  —  Etym.  :  du  latin 
oviim,  œuf.  —  1°  Soit  à  construire  un  ove  sur  une 
droite  AA'  (fig.  1).  On  décrit  sur  A  A' comme  dia- 


mètre une  circonférence  ;  des  extrémités  A  et  A  ,  on 
mène  par  le  milieu  C  de  la  demi-circonférence 
ACA'  les  droites  ACD'  et  A'CD;  puis  de  A  pris 
pour  centre  avec  AA'  pour  rayon,  on  décrit  un 
arc  de  A'  en  D',  et  avec  A'  pour  centre  et  le  même 
rayon  un  autre  arc  de  A  en  D;  enfin  de  C  pris 
pour  centre  avec  le  rayon  CD,  on  décrit  de  D  en 
D'  un  arc  qui  raccorde  les  deux  arcs  précédents. 

On  obtient  ainsi  l'ove  BADD'A',  composé  des 
deux  arcs  inégaux  ABA'  et  DD'  raccordés  par  les 
deux  arcs  égaux  AD  et  A'D'. 

Cette  courbe  se  rencontre  dans  certains  orne- 
ments d'architecture  C'est  aussi  la  forme  de  la 
section  droite  des  égouts  souterrains  contruits 
dans  les  grandes  villes;  la  voûte  est  un  pb-in 
cintre  et  la  partie  inférieure  se  compose  de  deux 
surfaces  cylindres  égales  se  raccordant  à  une  autre 
surface  cylindre  qui  forme  le  fond. 

2°  Voici  un  autre  tracé  d'un  usage  assez  fré- 
quent pour  la  section  droite  à  donner  à  un 
égout. 

Après  avoir  décrit  une  demi-circonférence  sur 
AA'  comme  diamètre  (fig.  2),  on  lui  mène  une 
perpendiculaire  par  le  centre  O  ;  on  divise  ce  dia- 
mètre en  4  parties  égales  et  on  le  prolonge  à 
chacune  de  ses  extrémités  d'une  longueur  (Al  et 
AT)  égale  au  quart  OG  du  diamètre. 

Des  points  1  et  I'  pris  pour  centres,  on  décrit 
avec  IG'  pour  rayon,  et  à  partir  de  G  et  de  G', 
deux  arcs  qui  se  coupent  en  un  point  C_;  de  ce 
point  C  pris  pour  centre,  on  décrit  une  circonfé- 
rence avec  un  rayon  égal  à  OG  ;  puis  on  tire  les 
droites  indéfinies  IC  et  l'C,  et  des  points  I  et  I' 
pris  pour  centres,  on  décrit,  avec  un  rayon  égal 


OXYGENE 


—  1483  — 


OXYGENE 


à  lA',  deux  arcs,  l'un  de  A  en  D  et  l'autre  de  A' 
en  D'.  On  obtient  ainsi  la  section  BADKD'A'. 
Ordinairement  c'est  la  profondeur  de  l'égout  BK 


qui  est  déterminée  par  la  nature  des  lieux  plutôt 
que  le  diamètre  horizontal  AA';  l'ingénieur  est 
obligé  alors  de  recourir  au  calcul  pour  trouver 
les  rayons  des  arcs  qui  doivent  composer  l'ove. 
[G.  BovierLapierre]. 
OXYDES.  —  V.  Nomenclature  et  Oxi/géne. 
OXY(iÈ>'E.  —  Chimie,  1.  —  C'est  au  mois 
d'août  1774  que  l'Anglais  Priestley,  célèbre  par 
les  nombreux  gaz  qu'il  a  découverts,  parvint  à 
isoler  l'oxygène,  et  c'est  l'année  suivante  que  La- 
voisier,  en  faisant  l'analyse  de  l'air,  montra  que 
l'oxygène  constitue  l'élément  actif  de  la  combus- 
tion et  de  la  respiration  des  animaux.  Il  peut  au 
premier  abord  sembler  étonnant  qu'on  n'ait  point 
plus  tôt  découvert  un  gaz  qui  existe  dans  l'air  et 
dans  l'eau.  Mais  pour  se  rendre  compte  de  la  dif- 
ficulté d'extraire  l'oxygène  de  l'air  ou  de  l'eau,  il 
suffit  d'en  connaître  les  propriétés  chimiques.  En 
effet,  chaque  fois  qu  on  veut  séparer  deux  gaz 
combinés  ou  intimement  mélangés,  il  faut  en 
fixer  un  dans  une  nouvelle  conibinaison  ;  or  lors- 
qu'on essaie  celte  analyse  sur  l'air  ou  sur  l'eau, 
c'est  toujours  l'oxygène  qui  se  combine  avec  le 
corps  que  l'on  fait  intervenir.  Ainsi,  en  faisant 
passer  de  la  vapeur  d'eau  sur  du  fer  chaufl'é  au 
rouge,  l'eau  est  décomposée,  mais  le  fer  est  oxydé 
et  c'est  l'hydrogène  quiestnjisen  liberté.  Si  on  fait 
brûler  du  phospljore,  du  cuivre,  etc.,  dans  l'air, 
c'est  de  l'azote  que  l'on  obtient  en  même  temps  que 
de  l'acide  phosphorique,  de  l'acide  sulfureux  ou  de 
l'oxyde  de  cuivre. 

Le  problème  industriel  si  important  qui  consiste 
à  pouvoir  extraire  à  bon  marché  l'oxygène  de  l'eau 
ou  de  l'air  n'est  pas  encore  résolu.  Nous  verrons 
plus  loin  que  cela  peut  cependant  se  faire  indi- 
rectement . 

Propriétés  de  /'oxygène.  —  L'oxygène  est  un 
gaz  incolore,  inodore,  incombustible  ei  comburant. 
C'est  l'agent  actif  des  combustions*  et  de  la  respi- 
ration* des  animaux.  Une  allumette  en  ignition 
qu'on  y  plonge  s'y  rallume  et  y  brûle  avccvivacité; 
le  phosphore,  le  fer,  le  magnésium  y  produisent 
une  combustion  d'une  vivacité  telle  que  la  lumière 
en  est  éblouissante;  la  température  qui  en  ré- 
sulte volatilise  le  fer  et  l'acide  phosphorique  au 
moment  où  celui-ci  se  produit.  Presque  tous  les 
corps  peuvent  s'unir  à  l'oxygène  ;  quand  la  com- 
binaison se  fait  à  froid  lentement,  on  l'appelle 
combustion  lente.  Le  phosphore  que  l'on  tient 
dans  les  doigts  humides  donne  naissance  à  une 
combustion  lente  ;  il  se  produit  dans  ce  cas  de 
l'acide  pliosphoreux,  moins  riche  en  oxygène  que 
1  acide  phosphorique.  Le  bois  qui  pourrit  se  com- 
bine lentement  à  l'oxygène  de  l'air  en   dégageant 


de  l'acide  carbonique.  Le  fer  et  les  autres  métaux 
qui  se  rouillent,  surtout  dans  l'air  humide,  se 
combini'nl  lentement  à  l'oxygène. 

A  une  température  plus  ou  moins  élevée,  tous 
les  métaux,  excepté  l'or  et  le  platine,  se  combi- 
nent directement  à  l'oxygène.  C'est  même  comme 
cela  que  se  préparent  certains  oxydes  métalliques 
employés  dans  l'industrie,  par  ex.  :  la  litharge,  le 
minium  (oxyde  de  plomb),  le  blanc  de  zinc  {oxyde 
de  zinc). 

Parmi  les  métalloïdes,  l'hydrogène,  le  carbone, 
le  phosphore  sont  ceux  qui  se  combinent  le  plus 
facilement  à  l'oxygène.  A  une  température  sufti- 
samment  élevée,  les  deux  premiers  enlèvent 
l'oxygène  h  tous  les  corps  qui  en  contiennent  :  c'est 
ce  qui  fait  qu'ils  sont  dits  réductei'rs. 

C'est  i  cause  de  cette  précieuse  propriété  que  le 
charbon  sous  toutes  ses  formes,  charbon  de  bois, 
houille,  anihracite,  coke,  est  si  employé  dans  la 
métallurgie  soit  comme  réducteur,  soit  comme 
combustible. 

L'hydrogène  en  brûlant  dans  l'oxygène  pur 
donne  une  flamme  dont  la  température  peut  être 
assez  élevée  pour  fondre  et  volatiliser  instantané- 
ment le  fer,  le  cuivre,  le  zinc,  etc.  {V.  Hydrogéné). 

On  a  cru  pendant  longtemps  que  l'oxygène, 
l'hydrogène  et  l'azote  ne  pouvaient  être  réduits  il 
l'état  liquide  ou  solide,  et  on  les  appelait  pour 
cette  raison  gaz  permanents.  Mais  les  belles  expé- 
riences de  MM.  Pictet,  à  Genève,  et  Cailletet,  i 
Paris,  ont  démontré  que  l'oxygène,  aussi  bien  que 
l'azote*  et  l'hydrogène,  pouvait', sous  une  très  hante 
pression,  être  amené  à  l'état  liquide.  Ces  résultats 
ont  démontré  qu'aucun  corps  n'est  essentielle- 
ment gazeux,  mais  que  cet  état  dépend  seulement 
des  conditions  de  pression  et  de  température 
auxquelles  il  est  soumis. 

L'oxygène  est  assez  peu  soluble  ;  sa  densité  par 
rapport  à  l'air  est  \,WM,  c'est-à-dire  qu'un  litre 
d'oxygène  à  0"  et  sous  la  pression  de  TGo"™  de  mer- 
cure pèse  1,105(1  X  le',?93,  ce  dernier  nombre 
représentant  le  poids  d'un  litre  d'air  i  cette  même 
pression  et  i  celte  même  température. 

L'oxygène  respiré  pur  produit  une  sensation  de 
fraîcheur  agréable  et  souvent  quelques  vertiges. 

On  a  essayé  de  le  l'aire  respirer  pur  aux  phtisi- 
ques, mais  sans  succès;  mêlé  d'air,  et  respiré  tous 
les  jours,  il  améliore  l'état  des  anémiques.  Res- 
piré à  haute  pression  [h  atmosphères  d'oxygène 
pur),  il  constitue  un  poison  pour  toutes  les  cel- 
lules vivantes,  d'après  les  expériences  qu'a  faites 
M.  Paul  Bert  sur  les  animaux  et  les  végétaux  ;  il 
tne  les  anim.aux  avec  d'alTreuses  convulsions.  Fait 
inattendu,  h  cette  dose  il  n'exagi'  re  pas  les  combus- 
tions organiques,  mais  au  contraire  les  ralentit,  les 
dévie  et  enfin  les  arrête. 

Dans  le  phénomène  de  la  respiration,  l'oxygène 
joue  lin  rôle  universellement  important;  son  ac- 
tion sur  l'organisme  est  une  des  conditions  essen- 
tielles de  la  vie  ;  c'est  ce  qui  a  fait  dire  à  Lavoisier 
que  celle-ci  est  une  véritable  combustion.  D'après 
les  récents  et  remarquables  travaux  de  M.  Pasteur, 
les  qnelques  ferments*  qui  en  apparence  semblent 
vivre  et  se  développer  sans  oxygène  empruntent 
au  contraire  ce  gaz,  dont  ils  ont  autant  besoin  que 
les  plus  grands  animaux,  aux  corps  oxygénés  au 
milieu  desquels  ils  se  développent. 

Les  plantes  elles-mêmes  absorbent  aussi  de 
l'oxygène  et  dégagent  de  l'acide  carbonique. 

I.'oxygène  inti'rvient  donc  dans  tous  les  phéno- 
mènes vitaux  qui  s'accomplissent  il  la  surface  du 
globe  ou  dans  les  profondeurs  de  l'Océan,  puisque 
les  poissons  respireni,  aussi  bien  que  dans  la 
plupart  des  transformations  que  subissent  ii  l'air 
les  substances  minérales  ou  les  débris  organiques 
qui  s'y  décomposent  pour  revenir  plus  ou  moins 
rapidement  par  une  combustion  lente  à  l'état  mi- 
néral {W.  Fcrmeulniion). 


PACHYDERMES 


148  i  — 


PALEONTOLOGIE 


Prépara/ion  de  l'orygène.  —  On  obtient  de 
l'oxygène  en  décomposant  de'!  corps  qui  en  con- 
tiennent beaucoup,  sels,  acides  on  oxydes 

Un  moyen  facile  consiste  à  calciner  dans  une 
cornue  de  gros  portant  un  tube  à,  dégagement  du 
bioxyde  de  manganèse  naturel.  On  l'achète  à  lion 
marché  en  poudre  grise  légèrement  brillante.  Il 
perd  une  partie  de  son  oxygène,  le  tiers k  peu  près, 
et  on  retrouve  dans  la  cornue  un  oxyde  brun  de 
manganèse.  Voici  la  formule  représentant  la  réac- 
tion :  4Mii02  =  Mn»0*XOs. 

On  peut  encore  traiter  le  môme  bioxyde  de  man- 
ganèse par  l'acide  sulfuriquo  ordinaire  ;  l'expé- 
rience peut  se  faire  dans  un  ballon  de  verre,  car 
il  n'est  pas  nécessaire  de  chaulTer  à  plus  de  200°. 
Le  bioxyde  de  manganèse  ne  se  combine  point  à 
l'acide  sulfuriquo  pour  former  du  sulfate  de  man- 
ganèse, sans  avoir  perdu  la  moitié  de  son  oxygène 
et  s'être  ainsi  transformé  en  protoxyde.  Cette  pré- 
paration est  peu  employée.  On  obtient  encore  de 
l'oxygène,  comme  l'ont  fait  Lavoisier  et  Priestley, 
en  calcinant  l'oxyde  rouge  de  mercure  ;  il  aban- 
donne tout  son  oxygène. 

La  préparation  la  plus  employée  consiste  à 
chauffer  dans  une  petite  cornue  de  verre  avec  une 
lampe  à  ak'ool  un  mélange  de  chlorate  de  potasse 
et  de  bioxyde  de  manganèse  ;  le  dernier  n'inter- 
vient dansla  décomposition  du  premier  qu'en  fa- 
cilitant son  échauffement  lorsqu'il  est  fondu  ;  on 
peut  remplacer  le  bioxyde  de  manganèse  par  du 
peroxyde  de  fer  (colcotliar)  ou  par  de  l'oxyde  do 
cuivre.  Le  chlorate  de  potasse  est  très  riche  en 
oxygène,  comme  sa  formule  l'indique:  KO,CIO^; 
b.  une  température  inférieure  à  celle  du  rouge  il 
perd  rapidement  tout  son  oxygène,  en  laissant  un 
résidu  de  chlorure  de  potassium.  KO,CIO°  =  KCI 
-f  O*.  Le  dégagement  étant  très  rapide,  il  faut  avoir 
soin  de  remplir  d'eau  d'avance  un  certain  nombre 
de  flacons  et  d'éprouveltes  de  manière  k  les  glis- 
ser rapidement  dan^  la  cuve  à  eau  au-dessus  de 
l'ouverture  du  tube  à  dégagement,  aussitôt  que  le 
flacon  (|ui  .s'y  trouve  est  rempli. 

Le  savant  professeur  H.  Deville  a  dans  ces  der- 


nières années  donné  un  moyen  d'obtenir  de 
grandes  quantités  d'oxygène  à  un  prix  très  peu 
élevé.  C'est  en  décomposant  l'acide  sulfurique  par 
son  contact  avec  des  fils  de  platine  portés  au  rouge. 
C'est  peut-être  par  ce  procédé  qu'on  arrivera  à 
éclairer  nos  villes  k  la  lumière  oxhydrique  (mé- 
lange de  gaz  d'éclairage  et  d'oxygène  brtilant  à  la 
sortie  du  bec).  Jusqu'à  présent  les  essais  tentés 
dans  cette  voie  semblent  n'avoir  pas  réussi  suffi- 
samment, puisque  la  lumière  oxhydrique  n'est 
point  employée  en  grand. 

Vers  1867  MM.  Tessié  du  Motay  et  Maréchal  or- 
ganisèrent un  éclairage  au  gaz  oxhydrogène  sur  la 
place  de  l'Hôtel-de-Ville  et  dans  la  cour  des  Tuile- 
ries. Ils  se  procuraient  l'oxygène  en  exposant  à  l'air 
des  manganates,  qui,  en  absorbant  de  l'oxygène,  se 
transformaient  en  permanganates  qu'on  ramenait 
ensuite  à  l'état  de  manganates  en  leur  reprenant  de 
l'oxygène.  Enfin  on  a  essayé  de  prendre  l'oxygène 
h  l'air  en  le  faisant  passer  sur  de  la  baryte  chauffée 
au-dessous  du  rouge;  celle-ci  se  transforme  en 
bioxyde  de  baryum,  qui.  au  rouge,  abandonne  son 
excès  d'oxygène  et  redevient  de  la  baryte. 

L'oxygène  a  pu  être  obtenu  dans  un  état  parti- 
culier où  ses  propriétés  chimiques  sont  extrême- 
ment développées.  Dans  cet  état  il  se  combine 
directein.mt  et  à  froid  à  la  plupart  des  métaux, 
détruit  les  matières  organiques. 

On  l'appelle  alors  0~one. 

L'oxygène  existe  pour  ainsi  dire  partout,  dans 
l'air,  daiîs  l'eau,  presque  dans  tous  les  produits  or- 
ganiques et  dans  la  plupart  des  pierres  ou  des 
roches  constituant  la  croûte  terrestre,  depuis  le 
granit  le  plus  dur  jusqu'à  l'argile  !a  plus  plastique. 
Dans  l'air  il  est  à  l'état  de  luélange  avec  l'azote  ; 
partout  ailleurs  il  est  en  combinaison  solide  ou 
liquide  ;  dans  les  roches  granitiques  il  est  à  l'état 
de  combinaison  avec  le  silicium,  constituant  la 
silice  ou  acide  silicique,  et  avec  le  potassium,  le 
calcium,  etc.,  constituant  la  potasse,  la  chaux, 
bases  qui  dans  ces  sortes  de  roches  sont  combi- 
nées à  la  silice.  [A.  Jacquemart.] 


PACHVDER.MES.  —  Zoologie,  X-XI.  —  Dans  les 
anciennes  classifications  zoologiques,  l'ordre  des 
Piirh>j'lerm''s  renfermait  un  grand  nombre  de 
mammifères  différant  notablement  les  uns  des 
autres  par  leur  structure  intime,  par  leurs  formes 
extérieures,  par  leur  régime  et  par  leurs  mœurs, 
et  n'ayant  guère  d'autre  caractère  commun  que 
l'épaisseur  de  leurs  téguments.  Aussi,  dans  ces 
derniers  temps,  a-t-on  jugé  nécessaire  de  subdi- 
viser ce  groupe  hétérogène  en  trois  ordres:  les 
Proboscidiens'  ou  éléphants,  les  Jumentés  '  ou 
Périsso'Iactyles,  et  les  Porcins'.     [E.  Oustalet.] 

PACTE.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL.  — 
Nom  donné  dans  l'histoire  à  diverses  conventions 
secrètes  ou  publiques,  ainsi  qu'à  des  actes  consti- 
tutionnels. Citons  entre  autres  :  1"  le  Pacte  de 
famille,  acte  signé,  à  l'instigation  du  duc  de  Choi- 
seul,  en  PCI,  par  divers  souverains  de  la  maison 
de  Bourbon  (le  roi  de  France,  le  roi  d'Espagne,  le 
duc  de  Parme),  qui  unissaient  leurs  forces  con- 
tre l'Angleterre  ;  f  \e  Pacte  de  famine^  nom  sous 
lequel  ou  a  désigné  les  agissements  au  moyen 
desquels  certains  financiers  provoquèrent  des  di- 
settes artificielles  en  accaparant  les  grains  sous  les 
règnes  de  Louis  XV  et  de  Louis  XVI  ;  3"  le  Pacte 
de  ISl.S,  noiu  donné  à  la  constitution  qui  a  régi  la 
Suisse  de  I81ià  ISiiJ,  et  qui  avait  succédé  à  l'Acte 
de  médiation. 


PALÉONTOLOGIE.  —  Géologie,  IV.—  Etym.  : 
du  grec  palnios,  ancien,  on.  être,  et  lo;}os,  science. 
—  La  paléontologie  est  la  science  des  fossiles  '. 

Dès  la  plus  haute  antiquité  on  a  remarqué  les 
fossiles;  leur  nombre  parfois  prodigieux  dans  la 
même  couche  et  la  régularité  de  leurs  formes  les 
imposaient  en  quelque  sorte  à  l'observation.  Mais 
ils  n'ont  pendant  bien  des  siècles  procuré  aucune 
notion  sérieuse.  Bien  que  beaucoup  d'anciens, 
parmi  lesquels  se  détachent  les  grands  noms  de 
Platon,  de  Pythagore,  d'Aristote,  de  Pline,  de  Sé- 
nèque,  eussent  signalé  à  maintes  reprises  les  pé- 
trifications, celles-ci  ne  donnèrent  lieu  jusqu'à  la 
fin  du  XV'  siècle  qu'à  des  dissertations  tout  à  fait 
vasues. 

Au  .xvi«  siècle;  les  fossiles  furent  remarques 
davantage;  mais  après  en  avoir  fait  do  simples 
caprices  de  la  nature,  on  imagina,  pour  en  expli- 
quer l'origine  et  la  nature,  les  hypothèses  les  plus 
bizarres;  de  façon  que  malgré  des  éclairs  inter- 
mittents de  génie,  comme  ceux  que  répandirent 
Léonard  de  Vinci  et  Bernard  Palissy,  l'examen  de 
ces  restes,  qui  devaient  être  si  précieux  pour  la 
science,  ne  fut  qu'un  siiuple  détail  de  l'étude  des 
roches  où  ils  sont  renfermés. 

C'est  à  notre  compatriote  Georges  Cuvier  qu'est 
due  sans  conteste  la  création  de  la  paléontologie. 
Les  découvertes   de  cet  homme  illustre  ont  eu 


PALEONTOLOGIE 


—  1485 


PALEONTOLOGIE 


pour  premier  thcâtro  les  plàtrières  de  Montmartre 
et  pour  origine  les  trouvailles  d'ossemi'nts  fossiles 
<lu'oii  y  fit.  Comme  on  voit,  la  paléontologie  est 
essentiellHment  française  et  sa  création  est  un 
titre  do  gloire  pour  notre  pays. 

La  question  capitale  étudiée  d'abord  par  Cuvier 
fut  de  savoir  si  les  fossiles  proviennent  d'êtres 
difl'érents  de  ceux  qui  vivent  actuellement.  Déjà 
l'observation  des  coquilles  pétrifiées  avait  amené 
à  so  faire  la  même  demande  à  l'égard  des  mollus- 
ques ;  mais  le  problème  avait  dû  être  regardé 
comme  insoluble  à  cuuse  de  l'immense  variété  de 
ces  animaux  inférieurs,  et  h  cause  aussi  de  la  cer- 
titude que  les  abîmes  des  mers  profondes,  où  les  re- 
clierclies  sont  loin  d'être  complètes,  nous  réservent 
pour  plus  tard  la  connaissance  d'une  faune  innom- 
brable. 

Ces  considérations  conduisirent  Cuvier  à  porter 
toute  sou  attention  sur  les  animaux  supérieurs, 
qui  sont  en  nombre  bien  plus  restreint  et  qui  ne 
peuvent  échapper  aussi  facilement  à  nos  investi- 
gations. Mais  il  s'aperçut  tout  de  suite  que  le  pro- 
blème qu  il  poursuivait  supposait  connue  dans 
tous  ses  détails  l'ostéologie  de  tous  les  animaux 
contemporains,  et  c'est  ainsi  que  l'ajiatomie  com- 
parée, simple  accessoire  de  travail  principal,  fut 
créée  en  passant. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  les  résultats  obtenus 
par  Cuvier:  ils  peuvent  s'exprimer  en  disant  que  les 
êtres  fossiles  diffèrent  des  animaux  d'aujourd'lmi, 
et  par  conséquent  que  la  faune  a  été  renouvelée 
à  la  surface  du  globe  depuis  les  temps  géologiques. 
Cuvier  montra  aussi  que  par  suite  des  lois  de  l'or- 
ganisation animale,  des  fragments  incomplets  d'un 
squelette  peuvent  permettre  de  reconstituer  l'être 
tout  entier  d'où  ils  proviennent,  et  même  de  déter- 
miner une  foule  de  particularités  de  celui-ci  qu'on 
ËÙt  pu  croire  bors  de  l'atteinte  de  nos  études, 
comme  celles  qui  regardent  ses  liabitudes  et 
même  son  aspect  général.  Ces  conséquences  ont 
perdu  depuis  Cuvier  un  peu  de  la  certitude  ab- 
solue qu'il  leur  attribuait,  par  suite  de  la  décou- 
verte de  nombreux  animaux  participant  à  la  fois 
de  caractères  empruntés  à  divers  types  ;  mais  le 
principe  subsiste  tout  entier  et  constituera  tou- 
jours uns  des  plus  grandes  conquêtes  de  l'esprit 
scientifique  sur  la  nature. 

Le  nom  du  Pala^ot/teriinn,  le  plus  frappant  des 
animaux  de  Montmartre,  consacre  le  fait  de  la  des- 
truction des  espèces  aujourd'hui  fossiles,  et  pour- 
rait par  conséquent  s'appliquer  à  la  plupart  des 
animaux  dont  s'occupe  la  paléontologie. 

Il  importe  d'ajouter  tout  de  suite  que  les  fossiles 
comprenant  des  plantes  au  môme  titre  que  des 
animaux,  les  conclusions  générales  sont  les  mêmes 
à  leur  égard. 

Mais,  en  montrant  que  la  faune  actuelle  diffère 
de  la  faune  éteinte,  Cuvier  était  bien  loin  d'avoir 
épuisé  le  sujet,  et  son  célèbre  collaborateur,  Alexan- 
dre Brongniart,  fut  conduit  par  l'étude  de  la  géo- 
logie proprement  dite  à  une  notion  complémentaire 
de  première  importance.  C'est  celle  des  caractères 
paléontologiques  des  formations  successives. 

Déj.\  Cuvier  avait  parfaitement  remarqué  que 
les  grands  reptiles  fossiles  des  couches  jurassi- 
ques fotit  place,  dans  le  plâtre  de  Montmartre,  à 
des  animaux  tout  différents.  Mais  cette  observa- 
tion ne  l'avait  pas  conduit  où  Brongniart  arriva.  En 
effet,  celui-ci  reconnut  que  les  fossiles  caractéri- 
sent les  couches  qui  les  renfermetit,  de  façon  àpou- 
voir  servir  à  la  détermination  de  làge  de  celles-ci  : 
ce  fait  d'application  journalière  est  devenu  la  base 
même  de  la  géologie  stratigraphique. 

La  première  carrière  venue  montre  les  couches 
successives  renfermant  souvent  des  faunes  diffé- 
rentes; et  des  carrières  même  distantes  montrent 
la  même  faune  se  poursuivant  au  même  niveau. 

La  découverte    de  Brongniart  a   admis    un    vif 


éclat  par  l'application  qu'il  en  lit  au  classement 
de  couches  dont  l'âge  réel  n'était  pas  soupçonné. 
Nous  en  citerons  deux  exemples. 

Le  premier  concerne  la  montagne  des  Fiz,  près 
du  Buet,  dans  les  Alpes.  Cette  montagne  est  formée 
de  lits  nombreux  qui  s'ijiclinent  du  N.-E.  au  S.-O., 
et  qui  à  Servez,  où  ils  se  montrent  par  la  trajiche, 
semblent  horizontaux.  Vers  le  haut,  sur  la  pente 
roide  qui  va  aux  chalets  de  Sales,  est  une  couche 
noire,  dure,  compacte,  d'un  faciès  très  ancien  et 
qui  renferme  des  coquilles.  Or  Brongniart,  étu- 
diant celle-ci,  y  recoiniut,  contre  toute  attente,  les 
fossiles  de  la  craie  de  Rouen.  Malgré  sa  couleur  et 
sa  situation  élevée,  c'est  maiiitcnant  sans  hésitation 
qu'on  rapporte  la  couche  alpine  à  ce  niveau  du 
terrain  crétacé. 

En  second  lieu,  auxDiablerets,lemcme  géologue 
signala  une  assise  d'aspect  analogue,  mais  dont  les 
fossiles,  d'âge  encore  plus  récent,  datent  de  l'é- 
poque tertiaire. 

Les  progrès  de  la  science  ont  confirmé  ces  ré- 
sultats si  liardis,  et  chaque  jour  les  géologues  tirent 
le  plus  grand  parti  de  synchronismes  de  ce  genre. 

Nous  n'avons  pas  à  revenir  sur  le  mécanisme  de 
la  fossilisation,  déjà  exposé  à  l'article  Fossiles;  mais 
il  importe  de  fixer  un  moment  notre  attention  sur 
la  manière  d'être  des  fossiles  dans  les  couches 
qui  les  renferment. 

Dans  la  plupart  dos  dépôts,  ces  débris  ne  jouent 
par  leur  volume  qu'un  rôle  tout  k  fait  secondaire: 
ce  sont  comme  de  simples  accidents,  plus  ou 
moins  fréquents  d'ailleurs,  à  l'intérieur  des  cou- 
ches de  sédiment.  Parfois  cependant,  certaines 
couches  sont  essentiellement  composées  de  fos- 
siles. Il  en  est  ainsi  pour  diverses  assises  do  la 
pierre  à  bâtir  de  Paris  et  pour  les  couches  de 
sable  des  environs  de  Tours. 

On  assiste  k  la  formation  actuelle  de  semblables 
accumulations  sur  une  foule  de  points,  et  par 
exemple  sur  les  cotes  de  Normandie  et  de  Bretagne, 
où  des  coquilles  charriées  par  des  courants  vien- 
nent se  réunir  dans  des  anses  déterminées,  h  la 
suite  d'un  véritable  triage.  Parfois  aussi  l'accumu- 
lation des  fossiles  est  due  au  mode  même  d'existence 
des  animaux  fossilisés.  Ainsi,  dans  les  lacs,  il  se 
fait  quelquefois  des  agglomérations  de  ces  curieux 
fourreaux  minéraux  dont  s'enveloppent  les  larves 
do  phryganes  (V.  Insectes,  p.  1028)  pour  protéger 
leur  corps,  mou  comme  celui  des  vers,  contre  l'at- 
taque des  carnassiers.  De  même  les  huîtres  édi- 
fient, en  se  superposant  les  unes  aux  autres,  des 
bancs  entiers  qui  passent  pour  ainsi  dire  en  bloc 
il  la  fossilisation.  Mais  c'est  parmi  des  êtres  bien 
plus  inférieurs  encore  que  l'on  trouve  les  construc- 
teurs de  roches  de  beaucoup  les  plus  actifs.  Les 
rhizopodes  ou  foraminifères  (V.  Protozoaires)  sont 
des  animaux  de  très  petite  taille,  souveiit  mi- 
croscopiques, et  dont  le  corps  est  protégé  par 
une  enveloppe  presque  toujours  siliceuse.  Or,  le 
sable  du  littoral  des  mors  est  tellement  rempli  de 
rhizopodes  qu'il  s'en  montre  quelquefois  à  moitié 
composé.  On  en  a  compté  Gi)W)  dans  une  once  de 
sable  de  l'Adriatique,  et  480, "00  dans  3  grammes 
de  sable  des  Antilles,  ou  :!,84U,OO0  dans  une  once. 
Ces  proportions  nmltipliées  par  1  mètre  cube  dé- 
passent toutes  les  prévisions  humaines  et  grossis- 
sent tellement  le  nombre  des  chitl'res  qu'on  a  de 
la  peine  k  lus  saisir.  Mais  que  sera-ce  pour  peu 
qu'on  l'étende  il  l'immensité  do  la  surface  des 
cotes  maritimes  du  globe  ?  Les  restes  de  rhizo- 
podes forment  en  grande  partie  les  bancs  qui 
gênent  la  navigation,  obstruent  les  golfes  et  les 
détroits  et  comblent  les  ports.  On  ne  sera  pas 
étonné  d'après  cela  d'apprendre  que  des  couches 
entières  du  globe  sont  constituées  par  les  restes 
de  rhizopodes  fossilisés. 

Les  polypiers,  dont  le  corail  est  un  exemple  des 
plus  connus,  offrent  l'image  la  plus  saisissante  de 


PALEONTOLOGIE 


—  1486 


PALEONTOLOGIE 


l'intervention  de  la  vie  dans  l'accroissement  des  ; 
couches  du  globe.  Les  débris  qu'ils  laissent  après  j 
eux,  au  lieu  de  s'entasser  pêle-mêle,  se  rattachent 
intimement  à  la  roche  sous-jacente  qui  sert  de  , 
support  et  de  fondement  à  l'édiflce  qu'ils  élèvent. 
Ces  débris  se  soudent  entre  eux  pour  constituer  ^ 
des  masses  qui  affectent  des  formes  particulières  j 
dont  les  uto  Is  et  les  îles  Lnfjoun  nous  montrent  ^ 
l'exemple  le  plus  remarquable.  On  cojinait  dans 
le  terrain  jurassique  un  énorme  ensemble  de  cou- 
ches auxquelles  on  a  donné  le  nom  de  curallien- 
nes,  parce  qu'elles  représentent  d'immenses  atolls 
fossilisés.  ] 

En  se  fossilisant,  les  végétaux  édifient  des  ro- 
ches aussi  bien  que  les  animaux  :  tantôt  leurs  dé- 
bris viennent  s'amasser  en  certains  points  où  les 
iharrient  des  courants  ;  tantôt  ils  s'accumulent  sur 
place  de  façon  à  constituer,  toute  proportion 
gardée,  des  sortes  d'atolls  végétaux.  I 

Parmi  les  formatiojis  du  premier  genre,  on  peut 
citer  les  couches  de  bois  charriées  en  Islande  par 
le  Gulf-Stream.  Ce  bois  originaire  de  l'Amérique 
centrale  fournit  à  l'Islande  son  principal  com- 
bustible. 11  forme  par  exemple  au  fond  de  la  baie 
de  Verki  un  amas  de  1 10  mètres  de  long  sur  12  d'é- 
paisseur. Beaucoup  de  couches  de  lignite  des  ter- 
rains tertiairesontmanifestement  la  même  origine. 
Parmi  les  couches  dues  à  des  débris  végétaux 
accumulés  sur  place,  nous  nous  bornerons  à  men- 
tionner les  tourbières,  faciles  à  étudier  dans  une 
foule  de  localités.  Ce  sont  des  sortes  de  maréca- 
ges dans  lesquels  poussent  diverses  plantes  et 
spécialement  des  mousses  connues  sous  le  nom  de 
sphairpie'.  Ce  qui  rend  ces  végétaux  particulière- 
ment propres  au  tourbage,  c'est  qu'ils  poussent 
exclusivement  par  leur  sommet.  A  mesure  que  la 
partie  supérieure  de  la  tige  s'allonge,  la  partie  in- 
férieure jneurt  et  tend  i  se  transformer  en  tourbe. 
Des  études  très  précises  ont  montré  que  le  tour- 
bage rend  raison  presque  dans  les  moindres  dé- 
tails do  la  formation  si  importante  de  la  houille 
et  des  autres  combustibles  minéraux. 

Ces  notions  générales  une  fois  acquises,  il  nous 
reste  i  en  faire  une  application  immédiate  en 
montrant  comment  les  terrains  superposés  dont 
se  compose  l'écorce  terrestre  sont  caractérisés  par 
des  fossiles  particuliers. 

Dans  le  terrain  cambrien  inférieur  on  a  signalé 
la  présence  du  problématique  Eozooi.  Il  se  pré- 
sente sous  l'aspect  de  sinuosités  régulières  dans 
lesquelles  beaucoup  de  géologues  se  refusent  ce- 
pendant à  voir  les  vestiges  d'une  organisation.  Les 
plus  gros  échantillons  viennent  du  Canada;  on  en 
a  trouvé  aussi  en  Europe  et  spécialement  en  Bo- 
hème. Les  Linrpiles  caractérisent  le  cambrien  su- 
périeur :  ce  sont  des  mollusques  *  bracliiopodes  dont 
le  nom  vient  de  leur  ressemblance  avec  une  lan- 
gue, et  qui  sont  reconnaissables  à  leur  coquille 
allongée  dont  les  deux  crochets  sont  également 
creusés  d'un  sillon  interne  par  le  passage  du 
muscle  qui  retient  les  deux  valves. 

A  l'époque  silurienne,  nous  devons  signaler 
tout  spécialement,  à  cause  de  leur  profusion,  les 
étranges  animaux  qu'on  nomme  des  Trihibi'es.  Ce 
sont  des  crustacés  '  qui  se  présentent  habituelle- 
ment sous  la  forme  d'un  bouclier  ovale,  composé 
d'articles  divisés  en  trois  parties  par  des  dépres- 
sions longitudinales.  Les  mêmes  terrains  con- 
tiennent beaucoup  de  mollusques.  On  y  trouve 
aussi  des  empreintes  extrêmement  abondantes  dé- 
signées sou.T  le  nom  de  grap/io  it/ies;  on  s'accorde 
à  les  considérer  comme  des  polypes  alcyonai- 
res,  mais  on  a  eu  successivement  à  leur  égard  les 
opinions  les  plus  contradictoires.  D'abord  on  y  a 
vu  des  plantes.  Liinié,  en  17  6,  les  confondait  avec 
une  foule  d'objets  fort  différents,  tels  que  des 
dendriles,  des  marbres  veinés,  des  fucus,  etc. 
On  les  a  pris  ensuite  pour  des  céphalopodes  cloi- 


soiinés{\' . Molliisi]uef:),  pour  des  foraminifères.etc. 
C'est  dans  le  terrain  dévonien  que  les  poissons 
commencent  à  apparaître  en  nombre  considérable  : 
ils  sont  extrêmement  différents  des  poissons  ac- 
tuels. Parmi  eux.  le  Céphalmpis,  le  Coccortœus,  le 
Pié'ichihys  se  signalent  par  des  formes  véritable- 
ment étranges.  Les  trilobites  n'existent  plus  qu'en 
nombre  relativement  petit,  mais  à  leur  place  on 
trouve  des  crustacés  bizarres  dont  le  Plénjgotus 
est  un  bon  exemple  :  les  carriers  écossais,  qui  le 
rencontrent  souvent  dans  le  vieux  grès  rouge,  le 
désignent  sous  le  nom  de  Svruplii'i  k  cause  de 
deux  appendices  qui  ressemblent  un  peu  à  des 
aile?  ;  il  est  encore  très  mal  connu,  et  se  caracté- 
rise par  les  grandes  dents  qui  arment  les  diverses 
pièces  de  ses  téguments.  C'est  dans  le  terrain  dé- 
vonien qu'on  trouve  le  Té'evpéton,  qui  est  jus- 
qu'ici le  reptile  le  plus  ancien.  Des  végétaux  peu- 
vent être  cités  en  grand  nombre  :  ils  sont  comme 
l'annonce  de  ceux  qui  dans  le  terrain  suivant  ont 
donné  lieu  à  la  formation  du  charbon  de  terre. 
Les  Lépidodenilviin^  et  les  Fougères  sont  particu- 
lièrement caractéristiques. 

Dans  le  terrain  carbonifère  on  assiste  à  une  vé- 
ritable explosion  botanique.  11  faut  citer  les  genres 
Sigîil  'na,  Stigmriria,  Spliempiens,  Neoropteris, 
Calamités,  Curd  nies,  parmi  ceux  dont  on  trouve 
les  vestiges  en  plus  grand  nombre.  Les  études 
récentes  ont  permis  de  reconstituer  l'histoire  de 
ces  plantes  et  de  préciser  les  conditions  climati- 
ques de  ces  temps  si  éloignés.  Beaucoup  d'ani- 
maux vivaient  en  même  temps.  Outre  de  nom- 
breux mollusques  marins,  il  faut  mentionner  des 
poissons  et  des  reptiles  tels  que  \' Archégnsaure. 

Le  terrain  permien  peut  être  regardé  comme  un 
affaiblissement  du  terrain  houiller.  On  y  retrouve 
des  plantes  tout  à  fait  analogues,  mais  avec  une 
exubérance  incomparablement  moindre  et  des  di- 
mensions plus  restreintes. 

Un  contraste  complet  signale  le  trias  :  ici  plus 
de  grandes  forêts,  la  mer  a  repris  son  empire,  et 
I  les  mollu.sques  associés  aux  Crinoides  les  plus 
variés  et  les  plus  gigantesques  forment,  par  leurs 
dépouilles,  des  couches  entières.  Sur  le  sol  conso- 
lidé des  plages  de  ce  temps  on  a  retrouvé  avec  un 
très  vil  intérêt  des  pistes  laissées  par  des  ani- 
1  maux  errant  sur  le  littoral  de  la  mer.  De  nombreux 
oiseaux  et  des  batraciens  gigantesques  {C/ieiro- 
,  thenum)  ont  été  ainsi  révélés  à  la  science  par  la 
simple  trace  de  leurs  pas. 

Le  lias  fournit  une  immense  légion  de  reptiles 
énormes  et  bizarres  où  l'art  gothique  aurait  pu 
trouver  des  inspirations.  L'Ichthi/osaicr,',  le  Plé- 
siosaiire,  le  Ptérod  icti/le,  diffèrent  par  des  carac- 
tères profoiids  de  tous  les  reptiles  actuels  et  de- 
vaient composer  la  faune  la  plus  étrange  qu'on 
puisse  concevoir.  Des  poissons  et  des  mollusques 
se  mêlent  à  leurs  débris,  et  parmi  ceux-ci  les  Bé- 
lemnites.  dont  la  vraie  nature  a  été  le  sujet  de  dis- 
sertations sans  nombre  et  de  discussions  longtemps 
]  continuées  (V.  Mollusque^,  p.  13:Ji)- 

Les  reptiles  continuent  en  grand  nombre  dans 
l'épais  ensemble  de  couches  qui  constituent  le 
terrain  jurassique.  C'est  là  aussi  que  prennent  tout 
leur  développement  les  Aiiimundes  et  les  Poly- 
piers. 

Ce  sont  encore  les  reptiles  qui  contribuent  i  ca- 
ractériser le  terrain  crétacé  ;  mais  ils  se  rappro- 
chent des  formes  actuelles  dont  ils  se  bornent 
souvent  à  peu  près  à  exagérer  beaucoup  les  di- 
mensions. Les  Céphalopode,  sont  représentés  avec 
un  luxe  inouï  par  les  genres  Bé  eiiinites,  Turritt- 
tes,Baeulites,  Scai  hites,  Ancglnceras,  Hiiinite', etc., 
qui  réalisent  tous  les  modes  d'enroulement  que  l'on 
peut  imaginer.  Les  mollusques  bracliiopodes  nous 
,  offrentles  formes  si  spéciales  des  liudistes,  qui  n'ont 
pas  survécu  i  la  période  qui  les  a  vu  naître.  Enfin  les 
I  Foraniinifères  ont  pris  un  développement  excessif, 


PALMIERS 


—  1487  — 


PALMIERS 


et  composent  en  grande  partie  de  leurs  dépouilles 
accumulées  les  épaisses  couches  de  la  craie  blan- 
che. La  flore  prend  en  même  temps  des  caractères 
qui  font  pressentir  jusque  dans  les  détails  les  vé- 
gétaux d'aujourd'hui. 

On  peut  dire  que  la  période  tertiaire  représente 
le  règne  des  mammifères  et  des  oiseaux.  C'est 
alors  que  vécurent  le  Palandhérium,  VAnoplothé- 
riuin,  le  Xypiiodon,  le  Mastoiionte,  le  Dinothé- 
riuin,  parmi  les  preiniers,  le  Gastomis  parmi  les 
autres.  Toutes  les  autres  classes  du  règne  animal 
sont  abondamment  ri'présentés.  Les  Nummulites 
sont  des  foraminifères  tout  à  fait  caractéristiques. 
Les  plantes  oifront  des  formes  très  voisines  de 
celles  de  leurs  cotigcnères  vivant  de  nos  jours, 
mais  le  climat  général  est  plus  chaud,  de  telle 
sorte  que  les  palmiers,  par  exemple,  abondent  sous 
la  latitude  de  Paris. 

Enfin  les  fossiles  du  terrain  quaternaire  sont 
regardés  à  bon  droit  comme  les  ancêtres  immédiats 
des  êtres  actuellement  vivants.  En  première  ligne 
doit  être  cité  Vhomme,  dont  l'histoire  est  mainte- 
nant reconstituée  d'une  manière  à  peu  près  com- 
plète, non  seulement  au  point  de  vue  de  son  ostéo- 
logie,  mais  en  ce  qui  concerne  ses  usages  et 
même  ses  croyances  philosophiques  et  religieuses. 
Il  faut  aussi  mentionner  une  foule  d'animaux  tels 
que  VOun,  le  Renne,  le  Cheval,  qui  ont  générique- 
ment  et  même  parfois  spécifiquement  persisté. 
Beaucoup  d'autres  au  contraire  ont  absolument 
disparu,  comme  le  Megat/terium,  le  Mammouth, 
le  Dinornis,  etc. 

Ce  qui  précède  suffit,  pensons-nous,  pour  mon- 
trer l'importance  do  la  paléontologie.  Ce  n'est 
pas  seulement,  comme  on  voit,  une  zoologie  et  une 
botanique  relatives  à  des  êtres  disparus,  compa- 
rables par  l'étendue  de  leurs  domaines  à  la  zoo- 
logie et  h  la  botanique  proprement  dites  :  c'est  le 
résumé  d'une  série  infinie  de  zoologies  et  de  bota- 
niques successives,  correspondant  aux  diverses 
époques  géologiques  au  cours  desquelles  la  faune 
et  la  flore  ont  été  constamment  en  se  modifiant. 
La  paléontologie  concerne  donc  un  ensemble  d'é- 
tudes d'une  immensité  incompar.ible. 

Mais  elle  a  encore  un  autre  titre  plus  considé- 
rable à  notre  puissant  intérêt,  C'est  elle  en  efl'et 
et  c'est  elle  seule  qui,  en  nous  faisant  assister  aux 
modifications  successives  des  êtres  organisés,  peut 
nous  promettre  quelque  notion  sur  l'origine  même 
de  la  vie  à  la  surface  de  la  terre 

[Stanislas  Meunier.] 

l'ALIUlEltS.  —  Botanique,  XXV.  —  Etym.  :  le 
mot  palmier  vient  du  latin  palmarius  (arbre  qui 
parte  des  palmes). 

Définition.  —  Les  Palmiers  sont  des  végétaux 
monocotylédones  arborescents  dont  les  caractères 
servent  de  transition  entre  ceux  des  Graminées  ei 
ceux  des  Liliacées.  A  cause  de  leur  grand  dévelop- 
pement, quelques  auteurs  ont  cru  devoir  consi- 
dérer les  palm.iers  comme  les  représentants  les 
plus  parfaits  des  végétaux  monocotylédones. 

Caractères  botaniques.  —  Les  graines  des  pal- 
miers seprosententavcc  des  caractères  qui  varient 
selon  es  genres  dans  lesquels  on  les  considère. 
Uans  les  dattiers,  le  tégument  de  la  graine  est 
mmce  ;  il  recouvre  une  masse  albumineuse  pleine, 
de  consistance  cornée.  En  unpointde  cet  albumen, 
on  trouve  un  tout  petit  embryon.  L'albumen  du 
tl.ittier  offre  une  résistance  très  grande,  qui  fait 
qn  on  désigne  vulgairement  la  graine  du  dattier 
sous  le  nom  de  7ioi/au  de  datte.  La  réserve  albu- 
mineuse du  dattier  est  formée  de  cellulose  et  de 
matières  grasses.  Cette  réserve  se  dissout  très 
■ontement  au  moment  de  la  germination  ;  elle  est 
■ilors  absorbée  par  le  suçoir  cotylédonalre.  Dans 
les  cocotiers,  la  graine,  extrêmement  volumineuse, 
se  compose  d'un  testa  ligneux  sous  lequel  on  ren- 
contre une  couche  albumineuse  blanche,  charnue, 


comestible.  Le  centre  de  cette  graine  est  occupé 
par  une  cavité  ordinairement  gorgée  d'un  liquide 
blanc,  laiteux,  de  saveur  sucrée.  Ce  liquide  n'est 
autre  chose  qu'une  partie  de  l'albumen,  qui  a  con- 
servé sa  consistance  fluide  primitive.  Il  est  connu 
vulgairement  sous  le  nom  de  lait  de  coco.  L'em- 
bryon de  la  graine  du  cocotier  est  très  petit  ;  on  le 
trouve  immédiatement  sous  le  testa,  dans  la  masse 
de  la  partie  charnue  de  l'albumen. 

Au  moment  de  la  germination,  le  cotylédon 
unique  de  l'embryon  des  palmiers  s'allonge  beau- 
coup. Sa  partie  supérieure,  transformée  en  suçoir, 
reste  engagée  dans  l'intérieur  de  la  graine,  dont 
elle  absorbe  l'albumen  au  fur  et  à  mesure  de  la 
dissolution  de  celui-ci.  La  région  inférieure  de  ce 
cotylédon  est  amenée  hors  de  la  graine  par  l'élon- 
gation  même  de  cet  organe.  Cette  partie  inférieure 
du  cotylédon  est  transformée  en  une  sorte  de 
gaine  ou  de  tube  qui  contient  la  partie  principale 
du  corps  de  l'embryon,  l'axe  hypocotylé.  L'élon- 
gation  du  cotylédon  pendant  la  germination  a  sur- 
tout pour  but  d'enfoncer  le  plus  loin  possible  dans 
le  sol  l'axe  hypocotylé.  Ces  opérations  prélimi- 
naires terminées,  on  voit  surgir  une  grosse  racine 
de  la  partie  tout  à  fait  inférieure  de  l'axe  hypoco- 
tylé. Cette  première  racine  ou  pivot  n'a  souvent 
qu'une  durée  très  éphémère.  Parfois  cependant  ce 
pivot  persiste  longtemps  après  la  fixation  de  la 
plante.  Dans  tous  les  cas,  ce  n'est  que  lorsque 
déjà  les  racines  fonctionnent  activement  comme 
organes  absorbants  que  le  suçoir  cotylédonalre  se 
flétrit. 

La  première  racine  des  palmiers  est  peu  volu- 
mineuse, cylindrique,  courte.  Cette  racine  ne  pré- 
sente jamais  d'accroissement  secondaire.  Son  sys- 
tème vasculaire  se  compose  d'un  seul  faisceau 
primaire,  où  le  nombre  des  centres  de  développe- 
ment ligneux  est  très  considérable.  En  général, 
peu  de  temps  après  la  naissance  de  cette  première 
racine,  on  en  voit  naître  un  très  grand  nombre 
d'autres  sur  toute  la  surface  de  la  région  basilaire 
de  la  tige.  Ces  racines,  que  l'on  qualifie  d'adven- 
tives,  sont  généralement  grêles,  cylindriques. 
Lorsque  ces  racines  adventives  demeurent  expo- 
sées à  i'air,  leur  surface  prend  un  aspect  feutré  ; 
elles  ne  se  ramifient  pas,  elles  ne  s'allongent 
guère  non  plus  :  ce  sont  alors  bien  plutôt  des 
organes  de  défense  que  des  organes  d'absorption. 
Lorsque,  au  contraire,  les  racines  adventives  pé- 
nètrent dans  le  sol,  elles  s'y  allongent  beaucoup, 
se  ramifient  abondamment,  et  assurent  à  la  plante 
un  puissant  appareil  d'absorption.  A  mesure  que 
la  plante  avance  en  âge,  ses  racines  adventives 
naissent  de  plus  en  plus  haut  sur  sa  tige.  Toutes 
ces  racines  adventives,  se  recouvrant  les  unes  les 
autres,  se  dirigent  vers  le  sol  en  formant  autour 
de  la  région  inférieure  de  l'axe  aérien  du  végétal 
une  sorte  de  cône  qui  assure  la  stabilité  de  cet 
axe.  Toutefois,  comme  jamais  les  racines  des 
palmiers  ne  pénètrent  h  une  très  grande  profon- 
deur dans  le  sol,  ceux  de  ces  végétaux  qui  sont 
arborescents  à  tigo  dressée  se  laissent  facilement 
déraciner  par  le  moindre  vent.  C'est  pourquoi 
beaucoup  de  palmiers  arborescents  ne  peuvent 
prendre  tout  leur  développement  que  dans  les 
forêts,  où  ils  sont  abrités  et  soutenus  par  les  arbres 
voisins.  Il  arrive  môme  assez  souvent  que  les  pal- 
miers cultivés  en  serre  sont  beaucoup  plus  élevés 
que  lorsqu'ils  croissent  en  liberté,  car  dans  la 
station  abritée  qu'on  leur  assure,  ils  n'ont  point 
à  craindre  d'être  déracinés. 

La  tige  des  palmiers  est  parfois  un  rhizome 
court,  rampant  sous  terre  près  de  la  surface  du 
sol,  ou  simplement  couché  sur  le  sol  ;  ces  palmiers 
k  rhizomes  sont  ditsacaules;  ils  ont  pour  type  le 
genre  Sabal.  Selon  les  espèces,  ce  rhizome  est 
plus  ou  moins  volumineux.  La  forme  spéciah;  de 
certains  de  ces  rhizomes  très  courts  luur   a  valu 


PALMIERS 


1488 


PALMIERS 


le  nom  de  sabots.  Dans  le  genre  Calanius  ou  Ro- 
tani/  la  lige,  très  élancée  et  très  grêle,  traîne  à  la 
surface  du  sol  ou  sur  les  plantes  basses  qui  le  re- 
couvrent. La  tige  des  rotangs  peut  atteindre  jus- 
qu'à 200  et  300  mètres  de  longueur  sur  un 
diamètre  de  3  i  4  centimètres.  Cette  tige  est  re- 
marquable par  l'incrustation  siliceuse  vernissée 
dont  elle  est  revêtue  et  par  sa  grande  flexibilité. 
La  tige  du  rotang  n'est  autre  chose  que  le  Jonc  à 
cannes.  Dans  d'autres  genres,  enfin,  Pliœnix, 
Chamœrops,  Buctris,  la  tige  s'élève  du  sol  vertica- 
lement ;  c'est  une  grosse  colonne  cylindrique, 
lisse  ou  revêtue  par  les  débris  des  bases  des  an- 
ciennes feuilles,  que  termine  un  magnifique  dôme 
de  verdure.  La  vestiture  de  la  tige  verticale  des 
palmiers  varie  beaucoup  d'un  genre  i  l'autre. 
Lorsque  les  feuilles  se  détachent  nettement,  la 
surface  de  la  tige  est  lisse,  vernissée,  marquée  de 
distance  en  distance  par  des  cicatrices,  qui  indi- 
quent la  place  des  feuilles  tombées  :  tel  est  le  cas 
des  Vhamœduiœa.  Cette  surface  lisse  de  la  tige 
peut  être  inerrae,  ou  bien  au  contraire  garnie  de 
piquants  noirs  très  acérés,  à  pointe  simple  ou 
ramifiée.  Dans  les  Chainœrops,  les  feuilles  se  dé- 
truisent sans  se  détaclier  de  la  tige  ;  celle-ci  est 
alors  revêtue  d'une  sorte  de  bourre  toute  spéciale. 
Ce  n'est  qu'à  un  âge  avancé  que  cette  tige  se  dé- 
cortique et  se  sépare  du  revêtement  tout  particu- 
lier qui  la  recouvrait.  Dans  quelques  Thrinax,  la 
présence  de  cette  bourre  autour  du  tronc  main- 
tient à  la  surface  de  celui-ci  une  humidité  cons- 
tante. De  la  surface  de  ce  tronc  naissent  un  très 
grand  nombre  de  racines  adventives  qui  se  déve- 
loppent dans  l'épaisseur  du  revêtement  de  la  tige 
et  le  traversent.  Tout  le  temps  que  ces  racines 
étaient  enfouies  dans  la  bourre  de  la  tige,  elles 
trouvaient  l'humidité  nécessaire  à  leur  développe- 
ment et  croissaient  rapidement.  Après  avoir  tra- 
versé cette  bourre,  elles  tombent  dans  l'air,  où 
elles  se  sèchent  et  se  transforment  en  épines  très 
aiguës. 

La  structure  de  la  tige  des  palmiers  a  été  prise 
pour  type  de  celle  des  végétaux  nionocotylédonés. 
On  ne  remarque  pas  dans  cet  organe  de  zone  cam- 
biale comparable  à  celle  des  végétaux  dicotylédones. 
En  revanche,  on  voit  qu'il  se  compose  d'un  très 
grand  nombre  de  faisceaux  dispersés  au  sein  d'une 
masse  de  tissu  parenchymaleux  ou  tissu  fonda- 
mental. Le  tout  est  recouvert  d'épiderme.  Chaque 
faisceau  se  compose  d'une  petite  masse  ligneuse, 
réduite  le  plus  souvent  à  quelques  trachées,  et 
d'une  masse  libérienne  formée  de  cellules  grilla- 
gées très  simples.  Sur  une  section  transversale 
de  la  tige,  les  trachées  de  chaque  faisceau  sont 
plus  rapprochées  du  centre  de  l'organe  que  le 
liber  qui  on  dépend.  Lorsque  les  faisceaux  sont 
très  conipliiiués,  on  remarque  en  avant  des  tra- 
chées, vers  le  centre  de  la  tige,  une  lacune  bordée 
par  quelques  éléments  libériens. 

Chacun  des  faisceaux  de  la  tige  des  palmiers 
a  une  marche  très  sinueuse.  Il  nait  d'un  faisceau 
situé  plus  bas,  s'élève  selon  une  ligne  sinueuse, 
tantôt  s'approchant,  tantôt  s'écartant  de  l'axe  de 
la  tige  ;  puis  à  un  moment  donné  il  se  recourbe 
vers  l'extérieur,  sort  de  la  tige  et  se  rend  dans 
une  feuille.  Chemin  faisant,  le  faisceau  que  nous 
avons  considéré  donne  naissance  Ji  un  certain 
nombre  d'autres  faisceaux  qui  auront  le  même 
trajet  que  lui  dans  l'intérieur  de  la  tige.  D'après 
celte  brève  description,  il  est  facile  de  voir  que 
les  faisceaux  des  palmiers  n'ont  aucune  solidité. 
D'où  vient  pourtant  la  grande  résistance  des  tiges 
de  quelques-uns  de  ces  végétaux'?  Dans  un  très 
petit  nombre  de  palmiers,  comme  les  rotangs, 
les  éléments  du  faisceau,  aussi  bien  les  éléments 
ligneux  que  les  éléments  libériens,  se  tibrifient 
en  avançant  en  âge  et  prennent  une  certaine  soli- 
dité ;  plus  généraleraont,  une  partie  des  éléments 


du  tissu  fondamental  dans  lequel  sont  plongés  les 
faisceaux  se  transforment  en  fibres  mécaniques. 
Cette  transformatioii  s'opère  surtout  dans  le  voi- 
sinage des  faisceaux.  Il  en  résulte  bientôt  que 
chacun  de  ceux-ci  est  entouré  d'un  étui  ou  gaine 
très  solide.  Toutes  ces  gaines  finissant  par  se  tou- 
cher les  unes  les  autres  assurent  à  la  tige  sa 
solidité. 

On  remarque  que  ces  gaines  mécaniques, 
comme  les  a  nommées  M.  Schwendener,  sont 
beaucoup  plus  nombreuses  à  la  périphérie  de  la 
tige  qu'en  son  centre;  de  là  vient  que  la  surface 
de  la  tige  des  palmiers  est  la  partie  la  plus  ré- 
sistante de  cet  organe.  Nombre  d'auteurs  ont  dé- 
signé les  fibres  mécaniques  des  palmiers  par  le 
nom  de  fibres  libériennes,  les  rapportant  ainsi 
aux  faisceaux  ;  il  en  est  résulté  une  confusion  assez 
grande  dans  la  plupart  des  ouvrages  qui  traitent 
des  caractères  anatomiques  de  ces  végétaux.  Il  est 
bon  que  le  lecteur  en  soit  prévenu.  Les  faisceaux 
sortant  de  la  tige  pour  se  rendre  dans  les  feuilles 
sont  extrêmement  nombreux;  leur  arrangement 
est  invariable  pour  chaque  genre;  il  en  résulte 
que,  malgré  le  désordre  apparent  des  faisceaux 
de  la  tige  des  palmiers,  ces  parties  sont  néanmoins 
disposées  avec  la  plus  grande  régularité.  De  très 
bonne  heure  la  tige  des  palmiers  atteint  son 
diamètre  définitif,  après  quoi  elle  le  conserve  in- 
définiment dans  toute  son  étendue.  Un  très  petit 
nombre  de  palmiers,  comme  ÏArenya  snccharifera, 
présentent  un  renflement  assez  considérable  veia 
le  haut  de  leur  tige.  Ce  réservoir  est  d'abord  plein 
d'amidon.  A  l'époque  de  la  floraison,  l'amidon  est 
peu  h  peu  remplacé  par  du  sucre.  La  tige  aérienne 
des  palmiers  ne  se  ramifie  pas  ou  se  ramifie 
très  peu.  Leurs  rhizomes  et  leurs  branches 
souterraines  au  contraire  se  ramifient  abon- 
damment. 

Chaque  tige  aérienne  se  termine  supérieurement 
par  un  bouquet  de  grandes  feuilles  au  centre  du- 
quel est  un  bourgeon.  Ce  bourgeon  est  très  re- 
cherché chez  quelques  palmiers;  on  le  mange 
cuit  en  guise  de  légume  :  c'est  le  chou  palmiste. 
Lorsqu'on  tranche  le  bourgeon  terminal  d'un  pal- 
mier, il  s'écoule  souvent  une  liqueur  sucrée  qui 
donne  par  la  fermentation  le  vin  de  palme.  Les 
bourgeons  qui  terminent  les  branches  souter- 
raines des  palmiers  à  rhizomes  peuvent  être  uti- 
lisés comme  succédanés  des  patates. 

Les  feuilles  des  palmiers  sont  toujours  vertes, 
coriaces,  vernissées  en  dessus.  Assez  simples  dans 
le  jeune  âge,  elles  vont  se  compliquant  de  plus  en 
plus.  Les  feuilles  des  palmiers  adultes  soju  péfis- 
îées,  à  limbe  entier,  mais  déchiré  en  lanières  4e 
manière  à  donner  à  la  feuille  entière  l'apparence 
d'une  feuille  composée.  Lorsque  la  feuille  d'un 
palmier  s'est  déchirée  naturellement,  elle  peut 
paraître  pennée  ou  palmée.  En  général  les  déchi- 
rures du  limbe  sont  moins  étendues  dans  le  cas 
des  feuilles  palmées  que  dans  celui  des  feuilles 
pennées.  Ce  sont  les  feuilles  pennées  qui  forment 
ce  que  l'on  appelle  vulgairement  les  palmes.  Les 
feuilles  des  palmiers  peuvent  atteindre  de  très 
grandes  dimensions;  leurs  pétioles  robustes,  li- 
gneux, élastiques,  sont  très  recherchés  pour  fabri- 
quer des  cannes  et  des  manches  de  parapluies.  Le 
limbe  de  ces  feuilles  est  rempli  do  faisceaux  ùe 
fibres  méca[iiques  qui  leur  donnent  leur  grande 
solidité.  Les  feuilles  des  palmiers  sont  tantôt 
inermes,  tantôt  pourvues  de  solides  aiguillons  très 
acérés. 

Les  tleurs  des  palmiers  sont  très  petites,  insi- 
gnifiantes pour  ainsi  dire  ;  elles  sont  réunies  en 
grand  nombre  sur  des  inflorescences  généralement 
enveloppées  de  voiles  ou  spathes  de  consistance 
liés  variable.  Quelques-unes  de  ces  spathes  sojit 
ligneuses,  solides,  et  assez  grandes  pour  qu'une 
seule    puisse    fournir    une    pirogue  capable   de 


PALMIERS 


—  1489  — 


PALMIERS 


porter  un  homme  et  plusieurs  jours  de  vivre.  Dans 
d'autres  palmiers  la  spatlie  est  membraneuse  ;  en 
se  dessécliant,  ses  fibres  deviennent  indépen- 
dantes les  unes  des  autres,  et  forment  un  tissu 
feutré  très  léger;  les  habitants  des  régions  tro- 
picales emploient  ces  spathes  en  guise  de  cha- 
peau. En  général  les  fleurs  des  palmiers  sont  uni- 
sexuées.  Leur  périanthe  a  six  divisions,  petites, 
verdàtrcs  ou  jaunâtres,  cliarnues.  Au  centre  de 
ce  périanthe  on  trouve  le  plus  souvent,  dans  les 
fleurs  mâles,  six  étamines  sessiles  à  anthères  bilo- 
culaires  introrses  ou  extrorses,  et  dans  les  fleurs 
femelles  un  pistil  tricarpellé.  Des  trois  carpelles 
de  ce  pistil,  bien  souvent  une  ou  deux  loges 
avortent  ou  ne  se  développent  pas.  Les  stjles  de 
ces  carpelles  sont  cohérents  entre  eux;  les  stig- 
mates, au  nombre  de  trois,  sont  simples  et  indé- 
pendants. Chaque  carpelle  forme  une  loge  ova- 
rienne dans  laquelle  on  observe  deux  ovules 
bitégumentés.  Le  plus  ordinairement  un  seul  des 
sixovules  de  l'ovaire  est  transforméen  graine.  Dans 
un  très  petit  nombre  de  palmiers,  les  Borassus,  les 
Lodoicea ,  chaque  fleur  mâle  contient  jusqu'à 
vingt-quatre  étamines,  au  lieu  de  six  le  nombre 
ordinaire. 

Le  fruit  des  palmiers  est  une  petite  baie  à 
noyau  très  solide,  ce  noyau  n'étant  autre  chose 
que  la  graine,  dans  les  dattiers,  les  chamœrops. 
Chacun  sait  de  quelle  importance  est  la  récolte 
des  dattes  pour  les  habitants  de  certaines  régions 
du  Sahara,  cliez  qui  la  datte  forme  la  base  de  l'a- 
limentation. Dans  les  sagoutiers,  le  fruit  ressemble 
beaucoup  à  un  cône  de  pin  renversé  et  vernis. 
Dans  les  cocotiers,  les  lodoicea,  le  fruit  acquiert 
un  volume  considérable  ;  il  est  revêtu  extérieure- 
ment par  une  bourre  épaisse,  roussâtre,  fibreuse  ; 
intérieurement  cette  bourre  se  transforme  en  une 
sorte  de  noyau  solide.  Grâce  à  cette  organisation, 
les  graines  se  trouvent  protégées  lors  de  la  chute 
du  fruit  qui  est  porté  par  des  végétaux  de  très 
haute  taille. 

Usages  des  Palmiers.  —  Presque  toutes  les 
espèces  de  palmiers  trouvent  un  emploi  dans 
l'écoiiomie  domestique,  dans  l'industrie  ou  dans 
l'horticulture.  Tous  les  palmiers  fournissent  des 
fibres  textiles,  propres  surtout  â  la  confection  du 
papier.  Leurs  grandes  feuilles  découpées  en  la- 
nières entrent  dans  la  fabrication  de  cordes,  de 
nattes,  de  paniers,  de  chapeaux.  Le  bois  de  beau- 
coup de  palmiers  fournit  des  solives.  Passons 
brièvement  en  revue  les  espèces  dont  les  produits 
sont  les  plus  connus. 

Les  Sayoutiers  (Sagus  rhumphii,  S.  lœvis),  qui 
croissent  dans  les  lies  Moluques,  contiennent 
dans  leur  tige  une  moelle  farineuse  très  nourris- 
sante :  c'est  le  sarjou.  Les  Mauritin  de  l'Amérique 
tropicale  remplacent  les  sagoutiers  dans  les  régions 
où  ils  croissent.  L'A  renga  sncdiarifera,  le  Borassus 
flabellifurmis,  le  Mauritia  vini/eia  et  le  Sagus 
rhumphii  produisent  aussi  une  sève  abondante 
dont  on  peut  retirer  du  sucre,  ou  qui  se  convertit 
par  la  fermentation  en  une  boisson  alcoolique 
connue  sous  les  noms  de  vin  de  palme,  arrak, 
tvddy,  laymi. 

Le  Daliier  est  un  arbre  dioique  ;  ses  fleurs  fe- 
melles donnent  naissance  chacune  à  trois  baies, 
dont  deux  avortent  généralement;  leur  chair  so- 
lide, sucrée,  un  peu  visqueuse,  est  une  nourriture 
fort  recherchée  des  nègres  et  dos  Arabes  du  pays 
des  dattes.  Le  dattier  est  le  palmier  le  plus  an- 
ciennement introduit  en  Europe.  La  culture  l'a 
répandu  dans  le  nord  de  l'Afrique  et  en  Perse.  Ce 
végétal  est  originaire  de  l'Arabie.  Les  meilleures 
dattesnousviennent  des  oasis  centrales  du  Sahara  ; 
on  peut  encore  en  récolter  jusque  dans  les  envi- 
rons d  Elche  en  Espagne,  mais  ces  dattes  sont 
acerbes  et  de  mauvaise  qualité.  En  Italie  et  en 
Provence,  le  dattier  n'est  cultivé  que  pour  ses 
2*  Partie. 


.èun'les  ou  palmes,  qui  servent  aux  cérémonies  do 
dimanche  des  Rameaux  dans  le  culte  catholique, 
ainsi  qu'à  celles  de  la  Pâque  juive.  Partout  ailleurs 
en  Europe  le  dattier  n'est  qu'une  plante  ornementale 
dont  la  rusticité  e>t  à  peu  près  celle  de  l'oianger. 
Le  Cocotier  (Cocos  nucifera)  a  reçu  dos  voya- 
geurs le  nom  de  roi  des  végétaux  à  cause  de  son 
immense  utilité.  Ce  palmier  croît  dans  le  voisinage 
des  mers  de  toutes  les  régions  intertropicalos.  Sa 
tige,  ses  feuilles  et  les  fibres  qui  les  accompagnent, 
sa  graine,  suffisent  à  tous  les  besoins  dos  peu- 
plades qui  vivent  sous  la  zone  torride  :  il  leur 
fournit  du  sucre,  du  lait,  une  crème  solide,  du 
vin,  du  vinaigre,  de  l'huile,  des  cordages,  de  la 
toile,  des  vases,  du  bois,  des  toitures,  etc. 

Le  véritable  chou  puhnisle  est  le  bourgeon  cen- 
tral des  ^reca.  D'autres  palmiers  donnent  égale- 
ment un  chou,  plus  gros  et  plus  savoureux  que 
celui  de  l'areca  :  ce  sont  le  Cocos  nucifera,  l'A- 
rengii  saccharifera,  le  Maxitniliana  regia,  et  notre 
seul  palmier  indigène  en  Europe,  le  Chamœrops 
humilii. 

L'Elœis  guianensis ,  grand  palmier  originaire 
de  l'Afrique  occidentale,  transporté  et  cultivé  en 
Amérique,  a  pour  fruit  une  drupe  dont  le  sarco- 
carpe  contient  une  huile  jaune  odorante  nommée 
/((«7e  de  palme,  que  l'on  emploie  à  la  Guyane  aux 
mêmes  usages  que  l'huile  d'olive.  Cette  huile  de- 
meure toujours  fluide  dans  les  régions  tropicales. 
Elle  est  importée  en  grandes  quantités  en  France 
et  en  Angleterre  ;  mais  elle  arrive  figée  en  Europe, 
où  elle  sert  surtout  à  la  fabrication  des  savons.  La 
graine  de  cet  Elieis  fournit  aussi  une  huile  blanche 
très  estimée  ;  cette  huile  n'est  pas  importée  ea 
Europe. 

Le  Cori/pha  cerifera  ou  Carnaiiba  des  Brésiliens 
et  le  Ceroxylon  andicola  des  Péruviens  produisent 
une  véritable  cire  qui  exsude  des  feuilles  et  sur- 
tout du  tronc  par  les  cicatrices  des  feuilles  tom- 
bées. 

Le  Coco  des  Maldives  ou  Lodoicea  Sechellarum 
est  un  arbre  de  très  haute  taille,  dont  le  fruit 
noir  bilobé  atteint  une  grosseur  monstrueuse. 
Pendant  longtemps  on  n'a  connu  que  le  fruit  de 
cette  plante,  que  l'on  avait  trouvé  flottant  dans  la 
nier,  sans  avoir  jamais  vu  l'arbre  qui  le  portait. 
Les  fables  les  plus  invraisemblables  étaient  ad- 
mises pour  justifier  l'origine  mystérieuse  de  ce 
fruit.  A  cette  époque,  le  fruit  du  coco  des  Mal- 
dives passait  pour  un  antidote  universel,  jouissait 
dune  réputation  extrême.  Aujourd'hui  ce  n'est 
plus  qu'un  simple  objet  de  curiosité. 

h'Arfca  c/itechu  de  llnde,  de  Ceylan  et  des 
Moluques  produit  la  noix  d'arec,  dont  la  graille 
sert  à  préparer  un  suc  astringent.  Cette  amande, 
mêlée  à  la  chaux  vive  et  au  poivre  héiel,  forme  le 
masticatoire  ordinaire  des  Indiens. 

Le  piaçiiba  est  une  filasse  incorruptible  à  l'ean, 
qui  nous  est  fournie  par  l'Attalea  funifera  et  le 
Leopoldina  Pinçaha.  Le  tecum  est  un  fil  extrême- 
ment solide,  très  fin,  que  les  Brésiliens  fabriquent 
avec  la  filasse  qu'ils  retirent  des  feuilles  de  plu- 
sieurs espèces  de  Baclris.  Ce  fil  de  tecum  ne  peut 
être  employé  à  faire  des  tissus,  à  cause  de  l'es- 
pèce de  mordant  qui  l'imprègne  et  qui  lui  donne 
la  propriété  de  la  lime  ;  un  vêtement  de  teciaii 
appliqué  sur  la  peau  l'excorie  ;  si  on  le  met  snr 
d'autres  vêtements,  il  les  râpe  et  les  use  très  vite. 
Le  fil  de  tecum  est  jusqu'ici  réservé  à  la  fabrica- 
tion des  filets  de  pêche. 

L'Hgphœne  thebaïca,  palmier  d'Egypte  remar- 
quable par  sa  dichotomie,  produit  une  gomme 
résine  nommée  bdellium.  Le  brou  ou  coquo  de  son 
fruit  a  la  saveur  du  pain  d'épice. 

Le  fruit  du  Calainus  draco  est  imprégné  d'une 
résine    rouge  astringente   nommée    sang-dragon, 
bien  plus  répandue  dans  le  commerce  de  la  dro- 
guerie que  le  sang-dragon  des   Antilles,  qui  pru- 
9i 


PALMIPÈDES 


—  1490  — 


PALMIPEDES 


vient   des  Pterocavpus,    ou   que   le  sang-dragon 
produit  par  les  Dracœua. 

La  sève  du  Corypha  umhrficulifera  est  employée 
comme  émétique  dans  l'extrême  Orient. 

Presque  tous  les  palmiers  sont  recherchés  par 
les  horticulteurs  et  les  amateurs  do  plantes,  :i 
cause  de  la  beauté  et  de  l'élégance  de  leur  port 
et  de  leur  feuillage. 

Distribution  géographique  des  Palmiers.  —  Les 
palmiers  appartiennent  exclusivement  i  la  zone 
torride  et  aux  régions  les  plus  chaudes  de  la  zone 
tempérée.  Une  seule  espèce  est  indigène  de  l'Eu- 
rope méridionale  :  c'est  le  Palmier  nain  [C'iamœ- 
rops  humilis),  qui  se  retrouve  avec  beaucoup  plus 
d'abondance  en  Algérie.  Ce  palmier  nain  est  l'un 
des  plus  grands  obstacles  que  les  colons  algériens 
aient  rencontrés  au  défrichement  du  sol,  tant  la 
végétation  de  cette  plante  est  intense  et  tenace. 
Ce  n'est  que  par  le  feu  qu'on  peut  la  chasser  des 
terrains  où  elle  croit. 

Certains  palmiers  vivent  en  société  et  occupent 
seuls  d'immenses  espaces  de  terrain  ;  les  uns 
croissent  dans  les  savanes  inondées,  comme  les 
Iriarlea.  les  autres  au  milieu  des  sables  arides, 
comme  les  Hi/ptiœne.  Les  palmiers  sont  relative- 
ment rares  en  Afrique  ;  ils  sont  plus  nombreux 
dans  l'Inde,  l'Asie  tropicale  et  l'archipel  indien  ; 
ils  abondent  dans  l'Amérique  tropicale. 

[C.-E.  Bertrand.] 

PALMIPÈDES.  —  Zoologie,  XVIII.  —  Les  oiseaux 
qu'on  désigne  sous  le  nom  de  Pahnipèdes  sont 
particulièrement  conformés  en  vue  d'une  existence 
aquatique.  Leurs  membres  inférieurs  sont  en  effet 


Les  Palmipèdes  peuvent  être  subdivisés,  d'une 
manière  assez  naturelle,  en  quatre  tribus,  savoir  : 

r  Les  Plongeurs  ou  Brac/iyptères. 

2°  Les  Longipennes. 

3°  Les  Totipidmes. 

4"  Les  Lnmellirostres. 

Les  Plongeurs  ont  les  ailes  extrêmement  courtes, 
et  ordinairement  impropres  au  vol,  et  les  pattes 
implantées  tout  à  fait  i  l'arrière  du  corps,  ce  qui 
force  l'oiseau  à  se  tenir  sur  le  sol  dans  une  posi- 
tion verticale  et  ce  qui  rend  la  marche  extrême- 
ment difficile.  Aussi  ces  palmipèdes  ne  sont-ils 
point  faits  pour  fendre  les  airs,  ni  pour  courir 
sur  le  sol  :  l'eau  est  leur  véritable  clément.  Li 
ils  se  meuvent  avec  rapidité,  se  servant  de  leurs 
ailes  comme  de  nageoires  et  de  leurs  pieds  palmés 
comme  de  rames  ou  de  gouvernail.  Leur  pUimagi', 
très  serré,  est  ordinairement  lubrétié  par  une  ma- 
tière grasse  qui  empêche  l'imbibition,  et  ne  pré- 
sente généralement  que  des  couleurs  simples,  du 
blanc,  du  noir,  du  gris,  du  roux  ou  du  jaune. 

A  ce  groupe  appartiennent  les  Grèbes,  les  Plon- 
geons, les  Guillemots,  les  Macareux,  les  Pingouins 
et  les  Manchots. 

Les  Grèbes,  dont  la  dépouille  est  très  recher- 
chée par  les  fourreurs,  ont  le  plumage  lustré,  le 
corps  trapu,  la  tête  petite,  souvent  ornée  d'une 
sorte  de  huppe  ou  de  collerette,  le  bec  grêle  et 
pointu,  les  pattes  courtes,  les  doigts  antérieurs 
réunis  seulement  à  la  base  et  bordés  de  mem- 
branes découpées  dans  la  plus  grande  partie  de 
leur  longueur,  comme  chez  les  Poules  d'eau.  Le 
Petit  Grèbe  ou  Castagonux  est   très  commun  sur 


transformés  en    rames,    grâce  il  l'existence  d'une  1  les  eaux  douces  de  la  France.  ,   . 

membrane  qui  s'étend  entre  les  doigts  antérieurs  |      Les  Plongeons,  qui  habitent  les  regionsjep^ten- 


Tt  qui  comprend  parfois  aussi  le  pouce  ou  doigt  trionales  des  deux  mondes  ressemblen  aux  G.^^^^^^^ 
postérieur.  Cette  particularité  de  structure  per-  par  leurs  f«'''"es  générales,  mais  so  de  taille 
met  en  général,  de  distinguer  les  Palmipèdes  des  plus  forte  et  ont  le  plumage  moins  brillant. 
Échàs^ïe'rs;  parmi  ces  derniers  on  rencontre  ce-  _  Les  Guillemots  n'ont  que  l^'^Jlf^l'^^^/fll 
pendant  certains  genres,  tels  que  le  genre  Ga'ti-  le  pouce  étant  avorté,  et  '«""^/\''=,',f''"  ,f'J,^. 
nula  ou  poule  d'élu,  chez  lesquels  les  doigts  sont  duites  qu  ils  peuvent  i  peine  voler.  Ils  ne  quittent 
déjà  bordés  d'une  membrane  étroite.  Chez  les  Pal-  guère  les  pays  glaces  du  nord 
mipèdes  les  pattes  sont  ordinairement  placées  très  |  Les  Macareux  se  d'Sti.'guent  par  leur  bec  apla^^^ 
loin  en  arrière,  dans  la  région  abdominale  ;  le  bec  ,  latéralement  en  une  •^■^«/5^''^„"'"P,^'.''^t','='t^'^' 
est  tantôt  grêle  et  pointu,  tantôt  élargi  en  spatule,  et  susceptible  de  se  partager  en  Plusieurs  pièces 
et  garni  dl  lamelles  sur  le  bord  des^mandibules  ;  1  qui  se  détachent  à  certaines  ^^^f  °"^-,  '  ^P/^^^^^^",» 
les  ailes  sont  tantôt  entièrement  développées,  !  la  plus  grande  partie  de  leur  vie  s"r  les  eaux  Qe 
tantôt  considérablement  réduites,  ou  parfois  même  la  mer,  dans  le  voisinage  des  C"^.'  f' f  .^°'^™^ 'f 
modifiées  au  point  de  constituer  des  organes  de  Guillemots  font  leurs  nids  au  f"  «"  "^«^  ™S°.^^': 
natation  Les  Pingouins  ont  le  bec  plus  allonge,  en  rorme 

Les  Palmipèdes  habitent  les  bords  de  la  mer,  de  lame  de  couteau,  mais  leurs  ""^"■■^  f  "';'  l"^" 
des  fleuves  ou  des  étangs,  et  quelques-uns  même  près  les  mêmes  que  celles  '*'=»  ^'^^^^^^^''^  ^A„^d 
passent  la  plus  grande%anie  de  leur  existence  leurs  espèces  ^^^  P^""'  ^'^'^^l^^^^^'f-J^  y^u^ 
loin  du  rivage,  au  milieu  des  fiots  de  l'Océan,  i  Pmgoum  (Ao,  "'V'^'"'V'''.L''''^^,P  w'able  oui 
Beaucoup  d'entre  eux  plongent  avec  facilité  et  actuelle,  à  la  suite  de  '^'^.'j^f^^  '7''%'„TA^ 
nagent  avec  aisance  entre  deux  eaux.  Leur  nour-  lui  a  été  faite  dans  les  contrées  septenti tonales  de 
riture  consiste  en  plantes  aquatiques,  en  vers,  en  I  l'Europe.  ,„  nin»  Imit  de^ré 

mollusques  et  en  poissons.  Enfin  les  Manchots  o^™"»   f  P'"/„ ''*"   .^.^ 

Sur  le  sol,  les  Palmipèdes  ont  des  allures  gau-  cette  imperfection  des  organes  du  vol  qui  ca--" 
ches  et  embarrassées,  et,  à  quelques  exceptions  '  térise  '«^  «'^eaux  de  leur  groupe,  leurs  aiiescon 
prè»,  ils  sont  incapables  de  se  Percher;  ils  font  ;  sidérablemeot  réduites  étant  couver  es  de^^^^^^^^ 
leurs  nids  sur  des  rochers,  dans  les  trous,  au  mi-  plumes  semblables  à  ^es  écailles  et  servant  exclu 
lieu  des  joncs  et  des  broussailles,  ou  tout  simple-  i  sivemout  à  la  natation.  l'^^^^f^f  °"^f  "'  P"^,';'P\ 
ment  sur  la  grève.  Leurs  oeufs  sont  tantôt  d'un  'ement  dans  les  terres  australes  dans  es  parage^ 
blanc  pur,  tantôt  d'un  jaune-verdàtre  marbré  de  de  la  N'ouvelle-HoUande  et  h  1  extrémité  meridio 
taches  brunes.  Les  petits  qui  en  sorient  sont  cou-  ;  nale  de  l'Amérique.  r,.„,,w,-  „oi- 

veru  d'un  duvet  d'un  gris  brunâtre  ou  d'un  blanc  I  La  tribu  des  Longipennes  »"  df^  6  a«d>  to' 
pur,  puis  ils  revêtent  une  livrée  plus  ou  moins  /iers  renferme  des  Pal'^'Pedes  ^em^quables  par 
sombre,  et  ce  n'est  guère  que  dans  la  deuxième  ou  le  développement  de  '«"■■^^''^f./f 't  P^'^jé- 
la  troisième  année  qu'ils  Icquièrent  leur  plumage  de  leur  vol  Chez  tous  i^f  ,"'/<=^"^ '^f.'„ff,ent  d^ 
définitif.  Mais  lors  même  ([uils  sont  parvenus  h  pourvu  de  dentelures,  et  les  P'f''s  n  °„^^«"  .,^! 
leur  développement  complet,  les  Palmipèdes  con-  membranes  palmaires  qu  e"'™  ''■^,^°  =^'  ('"^s 
servent  presque  toujours,  au-dessous  de  leurs  rieurs,  le  pouce,  quand  il  existe,  étant  toujours 
plumes  normales,  une  couche  moelleuse  de  duvet  ■  indépendant.  i„„  uA.roi»  Hnnt 

dont  on  fait  grand  cas  dans  le  commerce  des  pcl-  |  Dans  ce  groupe  prennent  place  les  t^etrm  °oiu 
leteries.  A  l'âge  adulte  les  radies  se  distinguent  le  bec  se  termine  par  un  crochet  "-eco"™,  ^^ 
ordinairement  des  femelles  par  la  richesse  ou  l'é-  dont  les  narines  sont  réunies  ei  un  t"»^  Q"""'« 
elat  métallique  de  certaines  parties  de  leur  plumage.  ^  couché  sur  la  mandibule  supérieure ,  les  Aioairos, 


PALMIPÈDES 


—  1491 


PAPAUTE 


qui  sont  de  véritables  géants  parmi  les  oiseaux 
de  mer,  et  qui,  grâce  à  leurs  ailes  puissantes, 
peuvent  suivre  pendant  plusieurs  jours  un  vais- 
seau voguant  à  pleines  voiles  ;  les  Mouettes,  au 
bec  allonge  et  simplement  arqué  vers  le  bout,  aux 
narines  ouvertes  par  deux  fentes  étroites  sur  la 
mandibule  supérieure  ;  les  Stercoraires,  qui  dif- 
fèrent dos  Mouettes  par  la  disposition  de  leurs  na- 
rines et  la  forme  de  leur  queue,  généralement  co- 
nique; les  Sternes  ou  Hirondelles  de  mer,  au  bec 
ordinairement  effilé,  aux  ailes  considérablement 
développées,  à  la  queue  profondément  fourchue, 
et  les  Rliyncliops  ou  Becs-en-ciseaux,  aux  mandi- 
bules aplaties  en  deux  lames  inégales  qui  peuvent 
s'opposer  l'une  i  l'autre  sans  s'emboîter.  Tous  ces 
oiseaux  se  nourrissent  de  chair  morte,  de  mollus- 
ques, ou  de  poissons  vivants,  qu'ils  pèchent  avec 
beaucoup  d'adresse  ou  qu'ils  cueillent,  pour  ainsi 
dire,  à  la  surface  des  flots.  Quelques-uns  d'entre 
eux,  comme  la  Sterne  fluviatile,  remontent  parfois 
les  cours  d'eau  jusqu'à  une  assez  grande  distance 
dans  l'intérieur  des  terres.  Sur  nos  côtes  abon- 
dent les  Mouettes  à  manteau  gris,  à  manteau  noir, 
et  à  manteau  bleu,  et  les  Hirondelles  de  mer  de 
l'espèce  dite  Pinne-Garin. 

Les  Totipalmi's  sont  des  palmipèdes  par  excel- 
lence, ayant  non  seulement  les  doigts  antérieurs, 
mais  le  pouce  lui-même  embrassé  par  une  vaste 
membrane.  Ils  comprennent  les  Pélicans,  facile- 
ment reconnaissables  à  leur  forte  taille,  à.  leur 
plumage  blanc  ou  grisâtre,  et  surtout  à  la  vaste 
poche  qui  pend  de  leur  mandibule  inférieure  et 
qui  sert  de  filet  ou  de  réservoir  à  poissons  ;  les 
Cormorans,  c|ui  sont  également  ichthyophoges, 
mais  dont  la  peau  du  cou  est  peu  extensible  et 
dont  le  bec,  au  lieu  d'être  aplati,  est  grêle  et  re- 
courbé à  la  pointe;  les  Fous  ou  Boubies,  qui  ont 
l'ongle  du  doigt  médian  denté  en  scie,  comme  les 
Cormorans,  et  le  bec  conique  et  dentelé  aussi  sur 
les  bords;  les  Frégates  aux  ailes  démesurément 
longues,  à  la  queue  profondément  fourchue,  au 
bec  long  et  crochu,  aux  palmaires  largement  échan- 
crées;  les  Anhingas  ou  Oiseaux-Serpents,  ainsi 
nommés  à  cause  de  leur  cou  long  et  souple  portant 
une  petite  tête  au  bec  pointu  ;  et  les  Phaëtons  ou 
Pailles-en  queue,  qui  ressemblent  à  des  Hiron- 
delles de  mer,  sauf  par  la  disposition  de  leurs  pieds 
et  par  la  forme  de  leur  queue  munie  de  deux 
pennes,  de  deux  /<;•;««  extrêmement  allongés. 
__Enfin  les  Lninellirastres  ont,  comme  leur  nom 
1  indique,  le  bec  (en  latin  vost'iim)  garni  sur  les 
bords  de  lames  parallèles  ou  de  petites  dents. 
Leur  langue,  épaisse  et  charnue,  est  également 
dentelée,  leur  gésier  très  grand  et  très  muscu- 
leux,  leur  trachée-artère  souvent  dilatée  sur  une 
partie  de  son  parcours,  au-dessus  de  la  bifurca- 
tion. 

Ces  palmipèdes  fréquentent  plutôt  les  eaux 
douces  que  les  eaux  salées;  ils  nagent  et  plon- 
gent avec  facilité,  et  leurs  ailes,  sans  être  à  beau- 
coup près  aussi  développées  que  celles  des  Fré- 
gates, sont  cependant  assez  fortes  pour  leur  per- 
™?J*r^.<l.' exécuter  de  lointains  voyages.  Dans  cette 
subdivision   deux   types   prijicipaux  sont  à  consi- 

;1"'  n  ''"'^  canard,  au  bec  plus  ou  moins  aplati 
et  lamel  eux,  et  le  type  harle,  au  bec  cylindrique 
et  dentelé.  —7  j  1 

Au  premier  type  appartiennent  non  seulement 
les  Lanards  proprement  dits  que  tout  le  monde 
connaît  mais  les  Cygnes,  grands  oiseaux  au  plu- 
mage blanc  noir  fuligineux,  ou  mi-parti  blanc  et 
noir,  et  les  Oies,  à  la  livrée  généralement  grise  ou 
Dianclie,  aux  jambes  assez  élevées,  à  la  démarche 
moins  enibarrassce  que  celle  des  Canards. 

La  chair  de  la  plupart  des  Lamellirostres  consti- 
tue un  aliment  agréable,  aussi  un  grand  nombre 
L,  -î"  5"."'  .'''^  '  '"'"'*»•  les  Sarcelles  et  les  Oies, 
ont-Ils  été  de  tout  temi.s  recherchés  comme  gi- 


bier. D'autres,  comme  les  Eiders,  fournissent  un 
duvet  très  estimé,  et  d'autres  enlin,  réduits  en 
domesticité,  peuplent  nos  basses-cours  ou  font 
l'ornement  de  nos  pièces  d'eau.  Parmi  les  der- 
niers nous  citerons  le  Cygne  noir,  le  Cygne  blanc, 
le  Cygne  à  col  noir,  l'Oie  cendrée,  le  Canard  vul- 
gaire, lo  Canard  musqué  ou  Canard  de  Barba- 
rie, etc. 

Les  Harles  ont  pour  patrie  les  climats  froids  et 
se  répandent  en  hiver  dans  les  pays  tempérés. 
(.'est  dans  cette  dernière  saison  que  l'on  voit  chez 
nous  le  Harle  vulgaire,  qui  est  aussi  gros  qu'un 
canard,  lo  Harle  huppé,  et  le  Harle  pietto,  dont  la 
taille  est  notablement  inférieure. 

[E.  Oustalet,] 

PAl'AUTE.  —  Histoire  générale,  .Wll-XXVI, 
XXX.  —  L'histoire  des  premiers  évoques  de  Rome 
est  très  obscure.  Lorsque  Constantin  eut  fait  de 
l'Eglise  chrétienne  une  Eglise  d'Etat,  les  évoques  de- 
vinrent des  personnages  ofliciels  ;  ceux  des  capitales 
de  province  ou  mélropoUtams  (archevêques)  ob- 
tinrent juridiction  sur  leurs  collègues  des  petites 
villes;  enfin  ceux  de  quelques  cités  importantes, 
Rome,  Alexandrie,  Antioche,  Constantinople, 
furent,  sous  le  nom  de  patriarches,  les  chefs 
ecclésiastiques  de  toute  une  région.  L'évèque  de 
Rome,  qui  se  considérait  comme  le  successeur  de 
saint  Pierre,  revendiquait  en  outre  une  suprématie 
générale  sur  l'Eglise  tout  entière.  Comme  les 
autres  évèques,  celui  de  Rome  était  alors  élu 
par  l'assemblée  des  fidèles  ;  simple  sujet  de  l'em- 
pereur, il  n'avait  aucun  pouvoir  temporel;  le  titre 
de  pape,  qui  servit  plus  tard  à  le  désigner  exclu- 
sivement, était  donné  à  l'origine  à  tous  les  évoques. 

Après  la  chute  de  l'empire  d'Occident,  l'évèque 
de  Rome  fut  successivement  le  sujet  des  rois  os- 
trogoths,  puis  celui  des  empereurs  de  Constanti- 
nople qui  gouvernaient  l'Italie  par  leurs  exarques 
Vers  7311,  à  l'occasion  de  la  querelle  des  iconoclas- 
tes, Rome  se  souleva,  chassa  son  gouverneur 
grec,  et  le  pape  Grégoire  II  devint  indépendant 
de  fait.  Grâce  à  l'alliance  de  la  papauté  avec  les 
premiers  Carlovingiens,  les  papes  purent  se  main- 
tenir contre  les  Lombards  ;  ils  obtinrent  en  outre 
de  Pépin  le  Bref  la  donation  de  Ravonne  et  de  la 
l'entapolo,  et  de  Charlemagno  celle  de  Poreuse  et 
de  Spolète  :  telle  fut  l'origine  du  pouvoir  tempo- 
rel de  la  papauté. 

Du  ix"  au  xi"  siècle,  durant  l'époque  féodale,  les 
papes  ne  jouent  qu'un  rôle  cïacé  clins  les  luttes 
sans  cesse  renaissantes  qui  rerrplissent  l'Italie. 
Ils  sont  tour  à  tour  les  créatures  de  la  célèbre 
Théodora  et  de  sa  fille  Marozia,  puis  des  Othons 
de  Saxe  ou  de  leur  eniemi  le  consul  Crescentius, 
et  de  Henri  III  de  Franconie.  C'est  alors  que  se 
consomme,  au  milieu  du  xi'  siècle,  le  grand 
schisme  d'Orient,  qui  sépara  définitivement  l'E- 
glise grecque  de  lÉglise  latine  (V.  Sehisme). 

Mais  le  moment  est  venu  où,  tirée  de  l'obscu- 
rité par  une  série  de  pontifes  éminents,  la  papauté 
va  prétendre  b.  la  domination  universelle,  et  s'en- 
gager dans  des  luttes  retentissantes  contre  les  cé- 
sars d'Allemagne  et  les  rois  de  France.  L'impérieux 
Grégoire  Vil  force  Henri  IV  de  Franconie  à  s'hu- 
milier à  Canossa,  et  accroît  les  Etats  pontificaux 
par  l'adjonction  du  patrimoine  de  Saint-Pierre 
(donation  do  la  comtesse  Matliilde);  Urbain  II 
prêche  la  première  croisade,  et  lance  l'Occident 
chrétien  à  la  conquête  de  l'Orient  infidèle;  Alexan- 
dre m  tient  tête  à  Frédéric  Barberousse,  et,  en 
réservant  désormais  aux  seuls  cardinaux  le  droit 
d'élire  les  papes,  assure  l'indépendance  du  Saint- 
Siège  à  l'égard  du  peuple  romain  et  de  l'empereur; 
Innocent  III  se  conduit  on  maître  du  monde,  dis- 
pose des  couronnes,  fonde  l'inquisition,  fait  exter- 
miner les  Albigeois;  Grégoire  IX,  et  hiiiocent  IV 
poursuivent  de  leurs  excommunications  Frédé- 
ric 11  et  la  race  des  llohenstaufen,  qui  finit  par 


PAPAUTE 


—  1492 


PAPAVERACEES 


succomber;  enfin  Boniface  VTII,  le  dernier  des 
grands  papes  du  moyen  âge,  engage  contre  Phi- 
lippe le  Bel  une  lutte  inégale,  dont  la  conséquence 
allait  être  l'abaissement  du  Saint-Siège  et  son 
transfert  à  Avignon. 

Pendant  tout  le  xiv  siècle  et  la  première  moitié 
du  xv',  les  papes  n'ont  plus  que  l'ombre  de  leur 
ancienne  autorité.  Tant  qu'ils  résident  à  Avignon, 
ils  sont  sous  la  main  du  roi  de  France  ;  et  h  peine 
Grégoire  XI  s'est-il  décidé  à  retourner  à  Home, 
qu'éclate  le  grand  schisme  d'Occident,  auquel  une 
longue  série  de  conciles  (Pise,  Constance,  Bâle, 
Ferrare ,  Florence)  eut  grand'peine  i  mettre  fin. 
Les  scandales  du  schisme  avaient  produit  dans 
l'Eglise  une  vive  agitation  ;  des  voix  éloquentes 
«'étaient  élevées,  demandant  des  réformes  (Wi- 
clefT,  Jean  Huss,  Gerson).  Cependant,  grâce  à 
l'habileté  d'Eugène  IV  et  de  Nicolas  V,  tout  sem- 
bla s'apaiser  ;  mais  ce  ne  fut  qu'un  moment  de 
trêve. 

La  Renaissance  venait  d'ouvrir  pour  l'Italie  une 
ère  nouvelle.  Les  papes  se  montrèrent  les  zélés 
protecteurs  des  lettres  et  des  arts  (Jules  II, 
Léon  X)  ;  mais  en  même  temps  la  corruption  de 
la  cour  de  Rome  allait  croissant  ;  les  crimes  d'un 
Alexandre  Borgia,  les  désordres  du  clergé,  la 
Tente  des  indulgences,  la  résistance  de  la  papauté 
h  toute  velléité  de  réforme,  suscitèrent  de  nou- 
Telles  protestations  :  alors  parurent  Luther,  Zwin- 
gli,  Calvin,  Knox.  La  moitié  de  l'Europe  rejeta 
l'autorité  du  pontife  romain. 

La  nécessité  de  combattre  les  progrès  de  l'hé- 
résie rendit  pour  un  temps  i  la  papauté  une  vi- 
gueur nouvelle.  Paul  III  approuve  l'ordre  des 
jésuites  et  assemble  le  concile  de  Trente;  Paul  IV 
institue  la  congrégation  de  l'Index  ;  Pie  V  prêclie 
a  croisade  contre  1rs  Turcs,  qui  sont  battus  à 
Lépanle;  Grégoire  XIII,  l'auteur  de  la  réforme  du 
calendrier,  fait  frapper  une  médaille  commcmora- 
tÏTe  en  l'honneur  du  ni.issacre  de  la  Saint-Barthé- 
lémy ;  Sixte-Quint  lutte  avec  énergie  contre  Eli- 
sabeth d'Angleterre  et  Henri  de  Navarre.  Mais  au 
XVII"  siècle  les  passions  religieuses  sont  moins 
violentes  :  les  guerres  de  religion  font  place  aux 
guerres  politiques,  le  Snint-Siège  se  trouve  subor- 
donné à  quelque  grande  puissance,  1  Kspagne, 
l'Empire,  ou  la  France.  Louis  .\IV,  malgré  son  jes 
pect  pour  la  foi  catholique,  le  prend  de  très  haut 
avec  Alexandre  VII,  et  menace  même  un  moment 
de  rompre  entièrement  avec  le  pape  Innocent  XI, 
à  propos  de  la  déclaration  de  1C8'.'. 

Au  xvin*  siècle,  plusieurs  papes  semblent  occu- 
pés surtout  de  la  querelle  du  jansénisme,  que 
Clément  XI  ravive  par  la  bulle  L'niffe?iitîts  ;  quel- 
ques-uns de  leurs  successeurs,  plus  tolérants, 
cultivent  les  lettres  et  sont  même  en  correspon- 
dance avec  les  philosophes  :  Voltaire  dédie  sa  tra- 
gédie de  Mahomet  à  Benoit  XIV  ;  Clément  XIV 
supprime  l'ordre  des  jésuites,  et  meurt  empoi- 
sonné. Son  successeur  Pie  VI  voit  éclater  la  Révo- 
lution française  :  enlevé  de  Rome  par  ordre  du 
Directoire,  il  meurt  en  captiviié  à  Valence  (n99). 
Pie  VII  négocie  le  Concordat  avec  Napoléon 
Bonaparte,  qu  il  vientcouronner  ensuite  à  Paris.  Lui 
aussi,  il  est  plus  tard  enlevé  de  Rome,  par  ordre  de 
l'empereur,  et  retenu  prisonnier  à  Fontainebleau. 
Rendu  à  la  liberté  en  1HI4,  il  rétablit  les  jésuites. 
Ses  successeurs  Léon  XII,  Pie  VIII,  Grégoire  XVI.  | 
cherchent  dans  l'Autriche  un  protecteur  contre 
les  tentatives  de  l'Italie  révolutionnaire.  Pie  IX 
(1846-1878)  s'associe  d'abord  aux  aspirations  libé- 
rales du  peuple  italien  ;  mais  il  abandoiuie  bientôt 
cette  voie  pour  se  faire,  durant  tout  le  reste  de 
«on  long  pontificat,  l'inflexible  défenseur  de  l'auto- 
rité :  il  promulgue  les  dogmes  de  l'Immaculée 
Conception  et  do  l'infaillibilité  du  pape,  et  publie 
l'Encyclique  de  1861  et  le  Syllabus.  En  lS70,  il 
p«rd  le  pouvoir  temporel  que  les  papes  avaient 


exercé  durant  onze  siècles.  Son  successeur  est 
Léon  XIII.  —  V.  Christianisme,  ConciUs,  Eglise^ 
Réforme,  Sc/nsme. 

PAI'AVÉR.iCÉES.  —  Botanique,  XXIII.  —  Ety- 
mol.  :  Le  mot  papavérncéei  vient  de  papuver,  qui; 
est  le  nom  latin  du  pavot. 

Définition.  —  Les  Papavéracces  forment  une 
famille  naturelle  dont  les  caractères  servent  de 
transition  entre  ceux  des  Renonculacées  et  ceux 
des  Crucifères;  elles  sont  reconnaissables  à  leur 
ovaire  uniloculaire,  supére,  à  leurs  étamines 
nombreuses,  et  à  leur  calice  à  deux  sépales  caducs. 
Caractères  botaniques.  —  Les  graines  des  pa- 
pavéracées  sont  excessivement  petites  ;  néanmoins 
elles  ont  une  structure  assez  compliquée  ;  chacune 
d'elles  présente  un  petit  embryon  cylindrique,  en- 
vironné de  toutes  parts  par  un  albumen  qui  con- 
tient presque  toujours  une  quantité  considérable 
d'une  matière  grasse, huileuse  que  l'on  peut  extraire 
par  la  pression  ou  par  le  sulfure  de  carbone  ;  telle 
est  l'origine  de  l'huile  d'oeillette.  Le  tégument  sé- 
minal de  ces  petites  graines  des  papavéracées,  mal- 
gré sa  faible  épaisseur,  présente  une  couclie  exté- 
rieure sèche,  membraneuse,  et  une  couche  pro- 
fonde, solide,  fortement  imprégnée  d'oxalate  de 
chaux.  Quelqaes-unes  de  ces  graines  sont  munies, 
sur  le  raphé,  d'expansions  cellulaires  que  l'on 
nomme  slrophinles.  Les  racines  des  papavéracées 
sont  pivotantes,  mais  elles  demeurent  toujours 
très  grêles  et  se  ramifient  abondamment.  Leurs 
tiges  sont  herbacées,  annuelles  ou  vivaces  ;  de 
même  que  les  racines,  elles  contiennent  un  suc 
laiteux,  blanc,  jaune  ou  rouge.  Ce  latex  desséché 
à  l'air  forme  Vo/num.  Leurs  feuilles  sont  alternes, 
simples,  penni-nerviées,  dentées  ou  penni-Iobées  ; 
elles  contiennent  aussi  du  latex. 

Les  fleurs  des  papavéracées  sont  hermaphrodi- 
tes ;  elles  présentent,  de  dehors  en  dedans  :  1°  un 
calice  à  deux  sépales  caducs  libres,  ou  plus  rare- 
ment cohérents  en  une  sorte  de  coiffe  ;  2°  une  co- 
rolle à  quatre  pétales  rouges,  jaunes  ou  blancs, 
réguliers,  hypogynes,  chiffonnés  avant  leur  épa- 
nouissement ;  :i°  un  androcée  composé  d'un  nom- 
bre considérable  d'étamincs  hypogynes,  libres  ; 
4°  un  gynécée  formé  de  plusieurs  carpelles  sou- 
des en  un  ovaire  ovoide  uniloculaire,  à  placentas 
pariétaux.  Les  ovules  enfermés  dans  cet  ovaire 
sont  bilégumentés,  anatropes  et  hétérotropes.  Le 
style  qui  surmonte  l'ovaire  est  court  ou  même 
nul  ;  les  stigmates,  aussi  nombreux  que  les  pla- 
centas, sont  presque  scssiles,  aplatis  en  lames; 
ils  forment  une  sorte  de  plateau  qui  surmonte 
1  ovaire. 

A  ia  maturité,  l'ovaire  devient  une  capsule,  plus 
rarement  une  if/î'^i^e  uniloculaire  ;  ses  parois  res- 
tent toujours  sèches,  papyracées. 

Les  Fumariacées,  que  l'on  rattache  quelquefois 
auxPapavéracées,  ne'diffèrent  do  celles-ci  que  par 
leurs  pétales  irréguliers,  leurs  étamines  peu 
nombreuses,  souvent  soudées  en  deux  phalanges, 
à  anthères  extrorses.  et  par  leur  ovaire  unilocu- 
laire k  deux  placentas  pariétaux. 

Usages  des  Papavéracées.  —  Les  plus  impor- 
tantes parmi  les  papavéracées  sont  : 

rLe  Pavot  somnifère,  herbe  annuelle  origi- 
naire de  l'Asie;  on  en  recueille  le  latex  concrète  ii 
l'air;  i.  cet  efl'et,  on  pratique  un  certain  nombre 
d'incisions  à  la  surface  de  sa  capsule  encore  jeune. 
Le  suc  du  pavot  somnifère  n'est  autre  chose  que 
Vopium  de  Chine.  Celle  substance  renferme  de 
nombreux  produits  immédiats,  dont  trois  au  moins 
sont  narcotiques  à  un  très  haut  degré,  et  parmi 
ceux-ci  deux  surtout  sont  usités  en  médecine  ;  ce 
sont  la  tiiorjiliine  et  la  codéine.  Pris  Miaule  dose, 
l'opium  est  un  poison  mortel;  mais  l'habitude 
émousso  rapidement  son  action,  et  l'on  peut  arri- 
ver par  degré  à  en  absorber  des  quantités  consi- 
dérables. Les  Chinois  mâchent,  fument  et  boivent 


ï 


PAPIER 


-   1493  — 


PAPIER 


lie  l'opium  d'une  façon  journalière  ;  cette  sub- 
stance leur  procure  une  ivresse  dont  le  renouvel- 
lement 'quotidien  devient  pour  eux  un  besoin 
qu'ils  satisfont  ."i  tout  prix;  les  fumeurs  d'opium 
tombent  bientôt  dans  un  état  d'abrutissement 
complet,  et  ils  linisseiit  par  mourir  dans  des  accès 
de  folie  qui  rappellent  ceux  du  delirium  tremens. 

On  cultive  en  grand,  dans  le  nord  do  la  France, 
une  variété  du  pavot  somnifère,  le  pavot  noir,  dont 
les  graines  fournissent  par  expression  une  huile 
douce  comestible  connue  sous  les  noms  d'huile 
blanche  ou  d'huile  d'œillette.  Les  pétales  des 
pavots  et  leurs  capsules  bouillis  dans  l'eau  sont 
émollients  et  légèrement  narcotiques. 

2"  La  Chélidome  ou  Granile  éclaire,  dont  le  latox 
jaune  est  utilisé  pour  enlever  les  verrues;  jadis 
on  l'employait  pour  dissoudre  les  taies  qui  se  lor- 
ment  sur  les  yeux  ;  c'est  même  cette  propriété 
qui  lui  a  valu  le  nom  A'é'laire;  aujourd'hui  on  a 
renoncé  à  son  usage  parce  que  son  acidité  exige 
■qu'on  la  manipule  avec  les  plus  grandes  précau- 
tions. —  Le  suc  de  \' Argemone  mexicana  possède 
les  mêmes  vertus. 

3°  La  Sanguinaria  canadensis,  dont  la  racine 
renferme  un  suc  rouge  qui  par  ses  propriétés  rap- 
pelle les  propriétés  sédatives  de  la  digitale.  Les 
-graines  sont  narcotiques. 

■4°  Les  Glauchim,  les  Eschhollzia,  qui  sont  cul- 
itivées  comme  plantes  d'ornement. 

Usages  des  Fumariacées.  —  En  dehors  de  la 
Fumeterre  officinale  et  des  Corijdabs,  dont  les 
parties  herbacées  sont  employées  pour  faire  des 
tisanes  amères,  toutes  les  autres  fumariacées  sont 
cultivées  comme  plantes  orjiementales.  Parmi 
elles,  nous  citerons  le  Diccntra  speclahilis,  qui 
produit  de  magnifiques  fleurs  roses  ;  c'est  le  l>i- 
W.y/r»  des  jardiniers.  [C.-E.  Bertrand.] 

PAl'IEK.—  Connaissances  usuelles, II-V. —  Tout 
•d'abord,  d'oùvientce  nom?  —  Du  mot  papyrus,  em- 
ployé par  les  anciens  pour  désigner  certaine  plante 
<)ui  croissait  particulièrement  sur  les  rivages  du  Nil, 
€t  dont  les  fibres  intérieures  étaient  employées  à 
fabriquer  des  lames  flexibles,  des  feuilles  sur  les- 
quelles on  écrivit,  en  premier  lieu  chez  les  Egyp- 
tiens, puis  chez  la  plupart  des  autres  peuples,  qui 
pendant  bien  des  siècles  furent  tributaires  de  l'E- 
gypte pour  la  fourniture  de  ce  papier  ou  produit  du 
papt/rus.  Pline  le  naturaliste  asommairementdé- 
crit  le  procodé  qu'employaient  les  Egyptiens  pour 
préparer  le  papyrus.  Après  avoir  dépouillé  de  son 
écorce  la  plante,  espèce  de  Souchct  [Cyperus 
,papyrus),  qui  dans  le  pays  acquérait  un  dévelop- 
pement considérable,  on  en  tirait,  par  un  tour  de 
■main  particulier,  d'assez  larges  pellicules  qu'on 
étendait  les  unes  sur  les  autresen  entre-croisant  le 
■sens  des  fibres,  et  qu'on  faisait  adhérer  soit  en 
les  frappant,  soit  en  les  pressant  fortement.  L'on 
polissait  ensuite  par  le  frottement  à  l'aide  d'une 
grosse  dent  de  cheval,  et  les  feuilles  étaient  prêtes 
à  recevoir  l'écriture.  Chez  les  Egyptiens  l'usage 
de  ce  papier  semblerait  remonter  à  des  époques 
fort  reculées,  car  l'on  possède  aujourd'hui  des 
manuscrits  sur  papyrus  trouvés  dans  des  tom- 
Ibeaux  datant  d'au  moins  dix-huit  siècles  avant 
•notre  ère.  Jusqu'à  ce  que  le  papyrus  leur  fût 
venu  de  l'Egypte,  les  diverses  nations  de  l'anti- 
quité avaient  écrit  sur  toutes  sortes  de  substances 
rigides  ou  flexibles,  mais  notamment  sur  des  peaux 
de  bêtes  plus  ou  moins  bien  appropriées  i  cet, 
usage.  Ce  fut  môme,  dit-on,  par  suite  de  l'inter-  j 
dit  que  des  rois  d'Egypte  mirent  à  une  certaine 
époque  (250  ans  avant  J--C.)  sur  l'exportation 
du  papyrus,  que  dans  le  royaume  de  Pont,  et  en 
la  ville  de  Pergame,  pour  suppléer  à  la  disette 
du  papier  égyptien,  on  apporta  de  remarquables 
perfectionnements  aux  procédés  de  préparation 
des  peau\  i  écrire,  connues  sous  les  noms  de  1 
■  charta  Pergami,  membrana  pergamena,  ou  plus! 


simplement  pergamen  (qui  est  devenu  notre  mot 
parchemin)  ;  les  produits  de  cette  industrie,  dont 
le  secret  se  répandit,  furent  dès  lors  employés 
concurremment  avec  le  papyrus,  qui  cependant 
resta  plus  particulièrement  recherché  jusque  vers 
le  milieu  du  vii=  siècle,  où  l'invasion  des  Arabes 
en  Egypte  vint  apporter  un  grand  trouble  à  l'in- 
dustrie de  ce  pays  et  à  ses  relations  avec  les  peu- 
ples européens.  Un  peu  plus  tard,  ces  relations 
s'étant  rétablies,  l'Occident  reçut  i  nouveau  du 
papyrus  ;  et  pendant  deux  ou  trois  siècles  encore 
la  plante  du  Nil  garda  son  crédit,  alors  d'ailleurs 
fortement  diminué  par  les  qualités  de  résistance, 
de  durée,  reconnues  au  parchemin,  qui  était  pres- 
que exclusivement  employé  pour  les  actes  et  les 
livres.  Entre  temps,  au  surplus,  ces  mêmes  Arabes, 
étendant  leurs  conquêtes  du  côté  de  l'Orient, 
avaient  connu,  par  le  fait  des  caravanes  établissant 
le  trafic  avec  les  plus  lointaines  régions  d'Asie, 
un  papier  que  les  Chinois  fabriquaient  depuis 
des  temps  immémoriaux  avec  le  coton.  Et  non 
seulement  ils  apportèrent  dans  leurs  possessions 
d'Occident  de  nombreux  spécimens  de  ce  papier, 
mais  encore  ayant  connu  ou  découvert  les  pro- 
cédés à  l'aide  desquels  les  Chinois  le  préparaient, 
ils  établirent  dès  le  ix'  siècle,  dans  les  pro- 
vinces méridionales  de  la  péninsule  ibérique, 
d'importantes  manufactures  de  papier  de  coton 
dont  les  produits,  en  même  temps  qu'ils  faisaient 
une  redoutable  concurrence  au  parchemin,  consi- 
dérablement plus  coûteux,  achevaient  de  ruiner 
l'industrie  du  papyrus  égyptien,  qui  ne  pouvait 
lutter  ni  au  point  de  vue  de  la  qualité,  ni  au  point 
de  vue  de  l'économie,  mais  qui  cependant  resta 
partiellement  en  usage,  autant  que  l'on  peut 
croire,  jusque  vers  la  fin  du  -xi'  siècle.  Au  papier 
de  coton  d'ail  leurs,  dont  les  fabriques  ne  pouvaient 
guère  s'alimenter  qu'en  des  régions  cultivant  ou 
recevant  facilement  la  matière  première,  s'était 
peu  à  peu  substitué  le  papier  dit  de  c/d/fnns,  c'est-* 
à-dire  fait  avec  les  débris  d'étofl'e  de  chanvre  et 
de  lin.  Dès  le  xii'  siècle  on  en  fabriquait  sur 
plusieurs  points  de  l'Europe  occidentale,  et  no- 
tamment en  France.  On  a  conservé,  en  effet, 
une  charte  datée  de  1189  par  laquelle  un  évêque 
de  Lodève,  en  Languedoc,  autorise  l'établis- 
sement de  moulins  à  papier  sur  l'Hérault.  Au 
siècle  suivant  des  papeteries  se  créaient  en  Italie. 
Au  xiv'  siècle  seulement  c'était  le  tour  d'abord  de 
l'Allemagne,  puis  de  la  Hollande.  Au  xv»  siècle 
un  essai  fut  fait  en  Angleterre,  mais  sans  succès, 
et  ce  ne  fut  qu'à  la  fin  du  xvi"  qu'enfin  cette  in- 
dustrie s'établit  régulièrement  dans  ce  pays,  quia 
aujourd'hui  le  second  rang  pour  l'impurtance  de 
ses  papeteries,  le  premier  étant  occupii  par  les 
Etats-Unis  qui  ne  fabriquent  pas  moins  de  250  à 
-30(1  millions  de  kilogrammes  de  papier,  tandis  que 
la  France  en  produit  environ  150  raillions,  contre 
200  qui  sont  dus  aux  manufactures  anglaises. 

Quoi  qu'il  on  soit  des  dates,  d'ailleui^s  assez 
incertaines,  où  furent  créées  les  papeteries  des  di- 
vers pays,  nous  devons  noter,  comme  coineidence 
heureuse,  que  l'époque  où  cette  fabrication  eut 
atteint  dans  ses  principaux  centres  les  perfec- 
tionnements qui  lui  permettaient  de  livrer,  avec 
une  économie  relative,  d'excellents  produits^  est 
aussi  celle  où  fut  inventé  l'art  typographique 
dont  elle  devait  si  puissamment  seconder  les  pro- 
grès. 

Or,  sans  nous  préoccuper  d'abord  de  l'état 
actuel  de  cette  considérable  industrie,  voyons  sur 
quels  principes  reposa  dès  l'origine  et  repose 
encore  d'ailleurs  (car  rien  n'a  pu  être  changé  aux 
données  primitives)  la  fabrication  du  papier,  telle 
qu'elle  nous  est  venue  des  peuples  de  l'extrême 
Orient,  et  telle  qu'elle  se  pratique  aujourd'hui. 

11  est  dans  le  règne  végétal  une  substance  tech- 
niquement appelée  cellulose,  que  les  botanistes 


PAPIER 


—  1494  — 


PAPIER 


définissent  «  une  matière  insoluble  qui  forme 
essentiellement  les  parois  des  cellules,  des  fibres 
et  des  vaisseaux  «(Lemaout  et  Decaisne),  et  dont  la 
composition  est  identique  dans  tous  les  végétaux. 
Notons  même  que  la  substance  à  laquelle  on  a 
donne  le  nom  de  ligneux  ou  hoix  n'est  autre 
chose  que  de  la  cellulose  épaissie  et  condensée. 

Cette  cellulose,  nous  la  recherchons  le  plus 
communément  dans  des  végétaux  qui,  par  suite 
de  la  disposition  de  certaines  de  leurs  parties, 
constituent  pour  nous  des  matières  que  nous 
nommons  textiles,  ou  propres  à  donner  des  fils 
servant  à  la  fabrication  des  tissus  :  notamment 
dans  les  fibres  corticales  du  chanvre,  du  lin,  que 
nous  débarrassons  pai-  le  rouissage  des  substances 
gommeuses,  résineuses  qui  y  sont  associées,  ou 
mieux  encore  dans  le  duvet  qui  enveloppe  le 
fruit  du  cotonnier  et  qui  nous  offre  les  fibres  de 
cellulose  pures. 

Etant  donné  cette  cellulose  h  l'état  de  fibrilles 
infiniment  divisées,  toute  la  théorie  de  la  fabrica- 
tion du  papier  se  réduit  i  obtenir  avec  ces  élé- 
ments végétaux  un  feutrage  analogue  à  celui 
qu'on  obtient  en  pressant,  en  foulant  les  poils  de 
divers  animaux.  A  bien  prendre,  en  effet,  une 
feuille  de  papier  n'est  autre  chose  qu'un  mince 
feutre  végétal,  car  le  tissu  qui  la  constitue  est 
formé  par  l'enchevêtrement,  par  l'étroite  adhésion 
des  brins  de  cellulose,  ce  dont  il  est  facile  de  s'as- 
surer en  regardant  à  la  loupe  la  déchirure  d'une 
feuille  de  papier,  comme  on  regarderait  à  l'œil 
nu  la  déchirure  d'un  morceau  de  feutre. 

Cela  constaté,  nous  devons  comprendre  que  la 
transformation  des  matières  végétales  en  papier 
donne  lieu  à  deux  opérations  principales:  1"  l'ex- 
trême division  des  fibres  de  cellulose,?"  la  produc- 
tion du  mince  feutre  végétal.  Nous  allons  voir 
comment  s'obtiennent  ces  résultats. 

Le  premier  soin  consiste  à  éplucher  et  nettoyer 
les  chiffons  recueillis  un  peu  partout,  qui  sont  les 
éléments  les  plus  ordinaires  de  la  fabrication.  Tout 
d'abord  des  femmes,  qui  reçoivent  le  nom  de  chif- 
f07miéres,  procèdent  en  même  temps  au  triage  et 
au  délissage.  Le  triage  a  pour  objet  de  faire  divers 
lots  des  chiffons  qui,  selon  leur  finesse,  leur  nature, 
leur  couleur  ou  même  leur  degré  d'usure,  doivent 
servir  à  confectionner  telle  ou  telle  qualité  de  pa- 
pier ;  le  déli^sag"  est  le  travail  que  font  ces  femmes 
en  divisant  les  chiffons  en  petits  morceaux,  en  ou- 
vrant ou  coupant  les  coutures,  les  ourlets,  en  en- 
levant tous  les  corps  étrangers:  boutons,  agrafes, 
baleines,  œillets  qui  auraient  pu  rester  adhérents 
à  ces  débris  de  linge  ou  de  vêtements.  Cette  double 
opération  ne  peut  guère  être  faite  qu'à  la  main. 

Une  fois  triés,  délissés  et  coupés,  les  chiffons 
sont  battus  ou  blutés  pour  être  débarrassés  de 
leur  poussière:  ce  qui  se  fait  i  l'aide  d'un  grand 
tambour  ou  blutoir  en  toile  métallique  qui  les  se- 
coue énergiquement. 

Autrefois,  aprèsleblutagp,  les  chiffons,  fortement 
humectés,  étaient  déposés  dans  un  lieu  ordinaire- 
ment souterrain  qui  avait  reçu  le  nom  do  pourris- 
soir,  et  où  on  les  laissait  séjourner  jusqu'à  ce 
qu'il  s'établît  une  sorte  de  fermentation  qui  avait 
pour  effet  de  désagréger  les  tissus.  Aujourd'hui 
cette  opération  a  été  abandonnée,  parce  qu'on  a 
reconnu  qu'elle  n'agissait  qu'en  altérant  le  prin- 
cipe résistant  de  la  cellulose.  Aujourd'hui  donc, 
lorsqu'ils  ont  été  blutés,  les  chiffons  sont  soumis 
ïu  lessivage,  qui  dissout  les  corps  gras  dont  ils 
pourraient  être  imprégnés.  Puis  ils  sont  rincés  ou 
lavés  dans  un  grand  courant  d'eau  pure,  et  l'on  pro- 
cède au  <léfitiiclinr/e  ou  défilage,  qui  a  pour  objet  de 
les  réduire  en  fibrilles  aussi  divisées  que  possible. 
Ce  travail  était  fait  jadis  par  des  marteaux,  pilons, 
ou  maillets  qui  battaient  les  chiffons  dans  des  cuves 
ou  bach'its,  et  qui  «ont  aujourd'hui  remplacés  par 
des  machines  formées  d'une  caisse  rù  un  cylindre  I 


se  meut  très  rapidement  en  engrenant  les  lames 
nombreuses  dont  il  est  armé,  dans  les  lames  dont 
le  fond  de  la  caisse  est  également  garni,  mouve- 
ment qui  a  pour  effet  de  hacher  les  chiffons,  les- 
quels sortent  de  cet  appareil  à  l'état  de  pâte,  de 
bouillie.  Cette  pâte  cependant  ou  di'filé  n'a  pas  en- 
core atteint  le  dernier  degré  de  trituration,  mais 
on  a  interrompu  le  travail  pour  pratiquer  le  blan- 
chiment, qui  autrefois  était  obtenu  en  exposant 
pendant  bien  des  jours  et  des  nuits  le  défilé  sur 
un  pré,  où  les  effets  alternatifs  de  la  rosée,  du 
soleil,  ou  pour  mieux  dire  de  l'oxygénation  atmo- 
sphérique parvenait,  mais  lentement, aies  décolorer 
entièrement.  Aujourd'hui  c'est  en  faisant  arriver 
dans  une  auge,  où  la  pâte  est  constamment  remuée, 
des  courants  de  chlore  liquide  ou  gazeux  qu'on 
obtient  le  blanchiment. 

Le  défilé  est  ensuite  porté  dans  la  cuve  de  raf- 
finage,  semblable  à  celle  où  a  été  opérée  la  pre- 
mière trituration,  mais  avec  cette  différence  que 
les  jeux  de  lames  étant  plus  serrés,  la  matière  y 
est  hachée  plus  menu,  et  se  trouve  convertie  en 
une  pâte  très  fine,  très  homogène,  composée  de 
cellulose  relativement  pure,  que  l'on  peut  aisément 
étendre  en  une  couche  à  la  fois  très  unie  et  aussi 
milice  qu'on  le  désire.  C'est  alors  que  la  première 
série  des  opérations  étant  achevée,  qui  a  eu  pour 
effet  d'arriver  à  l'extrême  division  des  fibres  végé- 
tales, on  peut  passer  à  la  seconde,  qui  consiste  i 
produire  ce  feutre  qui  s'appelle  feuille  de  papier. 

Deux  procédés  sont  aujourd'hui  en  usage  pour 
cette  transformation  :  l'un,  qui,  de  nos  jours,  est 
absolument  semblable  à  ce  qu'il  dut  être  dans  les 
papeteries  des  premiers  âges,  et  qui  donne  ce  qu'on 
appelle  le  papier  à  la  cuve,  à  la  main,  qui  est  ob- 
tenu en  feuilles  séparées,  et  où  le  travail  est  dû 
tout  entier,  en  effet,  à  la  main  de  l'homme  ;  l'au- 
tre, d'invention  toute  moderne,  donnant  le  papier 
dit  continu  ou  sans  fin,  et  dont  le  travail  est  com- 
plètement exécuté  par  une  machine. 

Il  va  de  soi  que  la  première  et  la  plus  ancienne 
des  deux  méthodes  a  consacré,  si  nous  pouvons 
ainsi  dire,  des  principes  de  fabrication  qui  sont 
absolument  respectés  et  suivis  par  la  seconde  ; 
même  point  de  départ,  même  but,  mêmes  résul- 
tais ;  les  moyens  d'action  seuls  diffèrent. 

Notons  que  l'ancien  procédé,  qui  peut  d'ailleurs 
sembler  d'une  simplicité  vraiment  élémentaire, 
est  encore  usité  de  préférence  quand  on  veut  ob- 
tenir des  papiers  recherchés  à  la  fois  pour  l'aspect 
et  la  solidité,  et  notamment  destinés  aux  actes  et 
à  certaines  impressions  d'amateurs. 

Pour  la  fabrication  du  papier  à  la  main,  un  ou- 
vrier se  place  devant  une  cuve  où  une  certaine  quan- 
tité de  pâte  a  été  délayée  avec  de  l'eau,  où  elle  est 
en  même  temps  maintenue  tiède  par  un  petit  four- 
neau ou  un  jet  de  vapeur,  et  remuée  sans  cesse 
par  un  agitateur  qui  empêche  que  les  parties 
plus  lourdes  se  déposent  au  fond.  L'ouvrier,  ou 
plutôt  Vouvreur  (c'est  le  nom  qu'on  lui  donne), 
plonge  dans  la  pâte  une  furme,  espèce,  de  cadre 
grand  comme  le  format  du  papier  à  obtenir  et  dont 
le  fond  est  formé  par  un  ensemble  de  menus  fils 
de  laiton  très  rapprochés,  soutenus  par  l'entre-croi- 
sement  de  plusieurs  tringles  ;  il  prend  sur  ce  cadre 
une  certaine  quantité  de  pâte  qu'il  répartit  égale- 
ment par  une  manœuvre  dont  il  a  l'habitude;  un 
autre  cadre  dit  couverte,  qui  s'emboîte  exacte- 
ment dans  le  premier,  détermine  l'épaisseur  et  le 
format  de  la  feuille  de  papier.  L'eau  qui  délayait 
la  pâte  s'étant  écoulée  à  travers  la  toile  métallique, 
et  la  masse  de  pâte  ayant  dès  lors  formé  d'elle- 
même,  par  l'enchevêtrement  de  ses  fibres,  ce  feutre 
dont  nous  avons  parlé,  l'ouvrier  enlève  la  couverte 
et  donne  la  forme  h  un  autre  ouvrier  nommé  cou- 
clieur,  qui,  pendant  que  le  premier  s'occupe  i  rem- 
plir un  autre  cadre,  renverse  la  feuille  sur  un  carré 
de  foutre  ou  de  drap,  nommé  flotrc,  et  le  recou- 


PAPIER 


—  li'ôo  — 


PAPIER 


vi'rt  d'un  de  ces  mômes  carrés  destiné  à  recevoir 
la  feuille  suivante.  Quand  ces  deux  ouvriers  ont 
fait  un  nombre  convenable  de  feuillus,  ils  les  por- 
tent sous  une  presse  qui  exprime  la  majeure  partie 
de  l'eau  qui  y  est  encore  retenue.  Après  cette  pres- 
sion, les  feuilles  possèdent  déjà  une  résistance 
suffisante  pour  pouvoir  être  séparées  des  flotres  et 
empilées  par  un  ouvrier  (le  leveur)  qui  doit  cepen- 
dant agir  avec  les  précautions  résultant  d'un  tour 
de  main  particulier.  Ensuite,  d'autres  pressages 
ont  lieu  pour  chasser  graduellement  tout  ce  qui 
peut  rester  d'eau  dans  la  masse  et  pour  effacer 
les  rugosités  que  ce  contact  des  flotres  a  pu  lais- 
ser .\  la  surface  des  feuilles  ;  puis  le  tout  est  porté 
il  Vétcmloir.  Là  les  feuilles  sont  mises  à  séclier 
sur  des  cordes  où  on  les  pose  à  cheval  comme  on 
ferait  de  serviettes  revenant  du  lavage.  L'été, 
l'air  libre  suffit  à  opérer  le  séchage;  l'hiver,  des 
courants  d'air  chaud  sont  établis  dans  l'étendoir. 

Une  fois  sèches,  les  feuilles  doivent  recevoir 
Yejuollage,  qui  a  pour  but  de  faire  que  le  papier 
rendu  imperméable  ne  boive  pas  lorsqu'on  s'en 
sert  pour  écrire.  Cette  opération  se  fait  en  plon- 
geant les  feuilles  dans  une  légère  dissolution  de 
colle  animale  ou  de  gélatine,  additionnée  d'un  peu 
d  alun  et  de  savon  résineux.  Séchées  de  nouveau, 
elles  reçoivent  ensuite  le  lissage  ou  le  satinur/e  qui 
doit  lustrer  leur  surface  et  qui  s'obtient  en  les  sou- 
mettant à  de  fortes  pressions  après  les  avoir  pla- 
cées entre  des  feuilles  de  carton  très  unies  et  très 
dures.  Si  on  les  veut  encore  plus  brillantes,  on 
procède  au  glaçage  dont  les  procédés  ne  diffèrent 
de  ceux  des  précédentes  opérations  qu'en  ce  que 
des  feuilles  métalliques,  zijic  ou  cuivre,  remplacent 
les  cartons  intermédiaires  et  permettent  d'obtenir 
une  pression  dont  l'effet  est  beaucoup  plus  sensible 
stir  le  grain  du  papier. 

Cela  fait,  il  ne  reste  plus  qu'à  Irier  les  feuilles, 
pour  séparer  les  bonnes  d'avec  celles  qui  présen- 
teraient quelques  taches  ou  imperfections,  et  à  les 
ranger  par  mains  de  '.>5  feuilles  qui,  réunies  par 
20,  forment  lai-amede  500  feuilles,  laquelle,  après 
avoir  été  pressée,  enveloppée,  entre  dans  le  com- 
merce . 

Telle  est  la  fabrication  du  papier  à  la  cuve  ou  à 
la  main,  qui  fut  seule  pratiquée  jusqu'à  la  fin  du 
dernier  siècle,  époque  où  les  premiers  essais  de 
fabrication  mécanique  furent  faits, mais  sans  succès 
décisif,  à  Essonnes,  par  un  employé  de  la  papete- 
rie de  François  Didot,  nommé  Robert.  L'idée  fut 
presque  aussitôt  reprise  par  le  fils  de  François 
Didot,  qui,  avec  le  concours  d'ingénieurs  anglais, 
put  enfin  faire  fonctionner  régulièrement  et  fruc- 
tueusement sa  machine  dans  un  établissement  du 
Hartfordshire.  Et  dès  lors,  non  sans  recevoir 
toutefois  de  nombreux  et  importants  perfection- 
nements, fut  inaugurée  la  fabrication  mécanique 
du  papier,  qui  aujourd'hui  produit  les  plus  mer- 
veilleux résultats. 

Loin  de  nous  le  dessein  de  décrire  cette  ma- 
chine perfectionnée,  dont  la  complication  même 
n'a  d'autre  but  que  d'arriver  à  répéter  aussi 
exactement  que  possible,  par  des  moyens  auto- 
matiques, l'ensemble  des  opérations  de  la  main 
humaine,  à  quoi  d'ailleurs  elle  réussit  dans  une 
telle  mesure  que  quelques  minutes  à  peine  suffi- 
sent pour  que  la  masse  de  cellulose,  entrant  d'un 
cOté  de  l'appareil,  à  l'état  de  pâte  ou  bouillie, 
exactement  préparée  comme  pour  la  fabi  ication  à 
la  main,  avec  cette  seule  difl'érence  qu'on  y  a 
mélangé  les  substances  destinées  à  l'encollage,  se 
présente  de  l'autre  côté  à  l'état  de  feuille  d'une 
longueur  indéfinie,  parfaitement  séchée  et  relati- 
vement lustrée. 

Tout  d'abord  la  pâte,  au  sortir  d'une  cuve  où  des 
agitateurs  la  remuent  sans  cesse,  tombe  sur  des 
nappes  de  toile  métallique  où  elle  s'étale,  et  qui 
la  conduisen  tp.ntre  des  rouleaux  garnis  de  feutres; 


ceux-ci  la  pressent,  l'égalisent,  et  en  expriment 
l'humidité  ;  de  là,  elle  est  cojiduite  entre  des 
I  cylindres  chauffés  par  la  vapeur  qui,  en  même  temps, 
sèchent  et  lissent  la  feuille  produite.  Enfin  cette 
feuille  s'enroule  d'une  façon  continue  sur  un  dé- 
I  vidoir  que  l'on  enlève  quand  il  est  garni  d'une 
quantité  suffisante  de  papier,  et  que  l'on  remplace 
par  un  autre.  La  feuille  sans  fin  est  ensuite  dé- 
coupée à  diverses  dimensions  ou  formats  que  l'on 
désire  avoir;  et  il  ne  reste  plus  qu'à  opérer  le 
salinage,  le  glaçage  et  la  mise  en  rame  des  feuil- 
les, comme  on  a  fait  pour  les  papiers  à  la  main. 

Notons  que  les  diverses  dénominations  données 
aux  formais  en  raison  des  longueurs  et  largeurs 
relalivesdcs  feuilles,  jt'i*.?»?,  raisin,  cavalier,  cloche, 
double  cloche,  coquille,  couronne,  grand  aigle, 
granit  soleil,  etc.,  proviennent  pour  la  plupart  de 
marques  que  les  fabricants  mirent  dans  le  principe 
dans  les  diverses  papiers  à  l'aide  de  fils  métalli- 
ques disposes  à  cet  effet  parmi  ceux  qui  consti- 
tuent le  fond  de  la  forme,  et  qui  donnent  à  la 
feuille  par  des  dilTérences  d'épaisseurs  cette  fili- 
grane que  chacun  a  pu  remarquer  en  regardant 
le  papier  par  transparence. 

Un  format,  entre  autres,  cependant,  le  ministre 
ou  telliére,  mesurant  45  centimètres  sur  35,  doit 
son  nom  à  ce  que  le  papier  de  cette  dimension 
fut  la  première  fois  fabriqué  sous  Louis  XIV  pour 
le  service  des  bureaux  du  ministre  Le  Tellier,  père 
de  Louvois. 

Avons-nous  besoin  de  mentionner  que  les  di- 
verses teintes  données  aux  papiers  s'obtiennent  en 
mélangeant,  avant  la  fabrication  à  la  main  ou  le 
travail  de  la  machine,  telle  ou  telle  substance  co- 
lorante à  la  pâte  qui  doit  être  employée. 

De  ce  que  la  cellulose  obtenue  par  la  trituration 
des  chifl'ons  de  chanvre,  de  lin  ou  de  coton,  con- 
stitue l'élément  par  excellence  de  la  fabrication  du 
papier,  il  ne  s'ensuit  pas  que  d'autres  matières 
ne  soient  employées, car  outre  que  pour  les  papiers 
grossiers,  de  pliage,  d'emballage  on  a  coutume 
de  mettre  en  œuvre  la  paille  de  nos  céréales  et 
maints  débris  de  tissus  même  de  provenance  ani- 
male, avec  adjonction  obligée  cependant  d'une 
partie  d'autres  chifTons,  l'on  a  encore  en  ces 
dernières  années  fait,  avec  plus  ou  moins  de  suc- 
cès, des  essais  portant  sur  les  fibres  de  plusieurs 
espèces  de  végétaux,  Vagnve,  l'orlie,  le  palmier, 
et  plus  particulièrement  sur  une  graminée  qui 
abonde  dans  les  régions  incultes  de  notre  posses- 
sion algérienne,  où  elle  est  connue  sous  le  nom 
vulgaire  d'alfa.  Plus  récemment  encore,  on  a  ob- 
tenu des  papiers  de  bois  relativement  beaux  et 
résistants,  et  nous  pouvons  même  constater  que 
ce  genre  de  fabrication,  en  pleine  activité  déjà 
dans  certains  lieux  de  Suède  et  d'Allemagne,  sem- 
ble vouloir  prendre  un  grand  développement.  En 
principe  d'ailleurs,  beaucoup  de  plantes  peuvent 
ofi'rir  les  fibres  propres  à  la  fabrication  du  papier, 
mais  la  difficulté  d'appropriation  ressort  le  plus 
souvent,  malgré  toutes  les  ressources  dont  dis- 
pose actuellement  la  chimie,  de  l'impossibilité  où 
l'on  se  trouve,  soit  d'isoler,  soit  de  décolorer  les 
fibres  qu'on  voudrait  utiliser.  Mais  sans  nul  doute 
de  nouveaux  progrès  s'accompliront,  dont  nous 
sont  garants  ceux  qui  viennent  d'être  réalisés  dans 
l'utilisation  de  la  partie  ligneuse  des  arbres  :  car 
il  faut  bien  le  dire,  encore  que  l'usage  des  divers 
tissus  végétaux  soit  plus  considérable,  plus  ré- 
pandu qu  autrefois,  la  disette  des  chiffons,  qui 
devient  de  plus  en  plus  grande  en  face  de  l'ac- 
croissement de  consommation  du  papier,  menace- 
rait de  paralyser  l'industrie  papetière,  si  la  science 
et  l'ingéniosité  humaine,  surexcitées  par  la  néces- 
sité, ne  lui  fournissaient  bientôt  d'inépuisables 
éléments  à  mettre  on  œuvre 

Disons  pour  achever  quelques  mots  de  certains 
papiers   spéciaux  qui   sont  d'usage  journalier   et 


PAPILLONS 


1496  — 


PAPILLONS 


dont  quelques-uns  d'ailleurs  n'ont  du  papier  que 
le  nom.  Le  papier  dit  à  calquer  ou  véqétnl  est  fa- 
briqué avec  de  la  filasse  de  clianvre  ou  de  lin  qui 
n'a  pas  été  décolorée;  l'opération  du  calque  se  fait 
encore  parfois  avec  du  papier  dit  qéUitine,  qui 
n'est  autre  chose  qu'une  feuille  de  gélatine  cou- 
ée  très  mince;  le  papier  AU  porcelaine,  qui  sert 
jlus  ordinairement  pour  les  cartes  de  visite,  est 
un  papier  sur  lequel  on  a  étendu  une  couclie  de 
céruse  ;  le  papier  pelure  a  pour  éléments  des  chif- 
fons très  purs  et  très  résistants  ;  le  papier  Joseph 
on  papier  de  suie  —  qui  d'ailleurs  n'est  nullement 
fait  avec  de  la  soie  —  est  dû  au  contraire  ii  des 
chiffons  très  mous  traités  d'une  façon  particulière  ; 
il  doii  son  nom  à  Joseph  Montgolfler,  qui  l'in- 
venta ;  le  papier  goudron  résulte  d'une  pâte  formée 
avec  des  débris   de   cordages  goudronnés.  Quant 


flexible,  de  longueur  très  variable,  roulée  en  spirale 
au  repos,  entourée  h  sa  base  de  deux  palpes  velus 
ou  écailleux  ;  parfois  la  spiritrompe  manque  et  le 
papillon  ne  prend  pas  de  nourriture,  comme  on 
le  voit  pour  le  ver  h  soie  du  mûrier.  Les  pattes 
se  terminent  par  des  tarses  de  cinq  articles,  sauf 
les  cas  d'atrophie;  enfin  l'abdomen  des  femelles  se 
prolonge  quelquefois  en  tarière  rétractile,  quand 
elles  doivent  pondre  dans  des  cavités,  ainsi  entre 
les  fentes  dos  écorces  (Cossus,  Zeuzère). 

Les  lépidoptères  ont  des  métamorphoses  com- 
plètes. Ils  commencent  par  être  des  chenilles,  ordi- 
nairement à  seize  pattes,  quelquefois  moins  (fig.  1). 
Les  pattes  du  thorax,  dites  en  crochets,  subsiste- 
ront seules  chez  le  papillon  ;  les  pattes  de  l'abdo- 
men, dites  en  mamelons,  sont  molles  et  se  plissent 
en  pince  pour  serrer  le  pétiole  des  feuilles  ;  sou- 


au  papier  dit,  avec  raison,  de  Chine  (car  telle  est    vent  elles  portent  une  couronne  de  petits  crochets 


sa  provenance),  mais  qui  du  reste  est  dans  ce  pays 
même  un  papier  de  choix,  il  est,  dit-on,  fabriqué 
en  général  avec  l'écorce  d'un  mûrier,  qui  par  cela 
même  a  reçu  le  nom  de  mûrier  à  papier,  ou  avec 
la  moelle  d  un  a:a/ea.  Remarquons  que  c'est  un 
papier  plus  grossier,  obtenu  du  reste  du  coton, 
qui  au  moyen  âge  servit  de  point  de  départ  et  de 
modèle  aux  Occidentaux,  lorsqu'ils  fabriquèrent 
leurs  premiers  papiers.  Enfin  l'on  fait  maintenant 
usage,  pour  suppléer  en  beaucoup  de  cas  au  par- 
chemin proprement  dit,  de  certain  parcliemin  vér/c- 
tal  ou  papier  par.: he7?ini  qui  est  fabriqué  en  plon- 
geant pendant  quelques  instants,  dans  un  mélange 
par  portions  égales  d'eau  et  d'acide  sulfuriqueà  66°, 
du  papier  ordinaire  que  l'on  lave  ensuite  à  grande 
eau  avec  adjonction  légère  d'ammoniaque,  et  qui 
acquiert  dans  cette  opération  non  seulement  la 
ténacité  et  la  sonorité,  mais  encore  l'espèce  de 
transincidité  membraneuse  du  parchemin  animal, 
qu'il  remplace  de  la  façon  la  plus  économique. 
[Eugène  Mnller.] 
PAPILLONS.  —  Zoologie.  XXIV.  —  Nom  vul- 
gaire des  insecte»  adultes  de  l'ordre  des  Lépidop 
tares. 

Les  insectes  de 
cet  ordre  ont  qua- 
tre ailes   membra- 
neuses ,    les  infé- 
rieures     toujours 
plus    petites    que 
les      supérieures; 
ces  ailes  sont  tou- 
jours   recouvertes 
de   fines    écailles, 
souvent     colorées 
des     plus     riches 
nuances,   qui  font 
de     beaucoup    de 
ces  insectes  de  vé- 
ritables fleurs  animées.   Ces  écailles,  qui  ont  fait 
donner    aux    papillons    le    nom    de    lépidoptères 
(c'est-à-dire  insectes  h  ailes  écailleuses),   restent 
après    les     doigts    comme    une    poussière    fari- 
neuse. Ce  caractère   est   tout    à  fait   général.  On 
voit   bien  quelques   papillons    à   ailes    vitrées    et 
transparentes  comme  celles   des   mouches  :  ainsi 
certains  Macroglosses,  àitsSphinx  gazés,  et  les  Sé- 
sies,    qu'on  prend  d'ordinaire  pour    des  hyméno- 
ptères ;  mais  à  léclosion,  en  sortant  de  leur  chry- 
salide, ces  papillons  ont   les  ailes    couvertes   dé- 
cailles  comme  les  autres:  senlement  ces  écailles 
ne  tiennent  pas  et  tombent  dès    que    l'insecte   a 
donné  quelques  coups  d'aile.  Dans  certains  cas,  les 
femelles  sont  tout  à  fait  dépourvues  d'ailes,  ou  ne 
les  possèdent  qu'à  l'état  de  petits  moignons  im- 
propres au  vol.  Les  lépidoptères  ont  toujours  deux 
yeux  composés  ou   à   facettes;  les   organes  de  la 
bouche  sont  conformés  pour  la  succion  du  nectar 
des  fleurs  ou  de  divers  sucs  liquides,  et  se  compo- 
sent essentiellement    d'une  spiritrompe    cornée, 


Fig.  1.  —  Chenille  de  Sph! 


aidant  la  chenille  à  se  cramponner  sur  la  surface 
des  feuilles.  On  les   sent  très  bien   si  on  laisse 
une  chenille  se  promener  sur  le  dos  de  la  main. 
La  tête  des  chenilles  odre  en  avant  six  très  petits 
yeux  de  chaque  coté,  et  la  bouche  est  formée  de 
pièces  courtes  et  consistantes  destinées  à  broyer, 
car  la  nourriture  de   la   chenille   est   tout  à   fait 
difi'érente  de    celle    du  papillon.  La   très    grande 
partie  des  chenilles  se  nourrit  de  feuilles,  parfois 
de  fleurs,  de  fruits   ou   de  graines,  rarement  de 
cire,  de  substances  grasses,  de  matières  animales 
sèches  (certaines  Teignes);  il  y  a  des  chenilles  à 
téguments  blafards  et  décolorés,  qui  vivent  dans 
des  galeries  à  l'intérieur  des  tiges  de  végétaux, 
ainsi  celles  des  Cossus  et  des  Sésies.  Quand  les 
chenilles  passent  leur  vie  à  l'air,  elles  sont  colo- 
rées de  teintes  variées,  avec  divers  dessins,  ban- 
des, chevrons,  taches  ;  leur  peau  est  lisse  ou  gra- 
nuleuse, tantôt  nue,  tantôt   couverte  de  duvets, 
ou  de  poils  plus  ou  moins  longs  et  de  prolonge- 
ments variés.  Les  chenilles,  et  pour  la  plupart  dès 
la  sortie  de  l'œuf,  laissent  sortir  par  un  orifice  de 
la  lèvre  inférieure,  la  filière,  des  fils  de  soie,  pro- 
venant d'un  liquide 
visqueux    qui     su 
solidifie     à     l'air, 
sorte  de  salive  éla 
borée    dans    deux 
glandes. Cette  soie 
sert  aux  chenilles 
à  se   tenir   sur   la 
feuille,    parfois    à 
en  rouler  les  bords 
en    cornet ,    ou    à 
accoler     plusieurs 
feuilles  ensemble, 
afin    de    se     faire 
une  retraite,   à  fi- 
ler de  grandes  toi- 
les sous  lesquelles  elles  vivent  en  commun  dans 
leur  jeune  âge,  à  se  laisser  pendre  des  branches 
jusqu'au   sol  ;   enfin  cette   soie    est  employée  par 
beaucoup  de   chenilles  pour  s'entourer  de  cocons 
lors  de  leur  métamorphose,  cocons  tantôt  en  soie 
pure,   tantôt   en  soie   mêlée  de  poils  de  la  che- 
nille,  de  fragments  végétaux    ou   de    grains   de 
terre . 

Après  avoir  subi  plusieurs  mues,  ou  change- 
ments de  peau,  pendant  lesquelles  elles  restent 
immobiles  et  sans  manger,  les  chenilles  passent 
h  l'état  nymphal,  état  de  repos  où  elles  ne  pren- 
nent pas  de  nourriture  et  perdent  tous  les  jours 
de  leur  poids  par  évaporation,  à  mesure  que  s'or- 
ganise le  papillon.  Dans  cette  phase,  l'insecte  est 
recouvert  d'une  peau  dure,  laissant  voir  grossière- 
ment les  formes  futures  du  papillon,  la  tête  et  la 
spiritrompe,  les  fourreaux  des  ailes,  les  antennes 
et  les  pattes  repliées  en  dessous,  les  anneaux  de  l'ab- 
domen (fig.  '.!).0n  désigne  alors  l'insecte  sous  le  nom 
de  fève,  mot  très  juste  en  raison  de  sa  forme  et  de 


L  troène. 


PAPILLONS 


1497  — 


PAPILLONS 


sa  couleur   brunâtre  et  plus  souvent  sous  celui 
A'attrélie  et  surtout  de  cknjsalUle,  nom  beaucoup 


Fig.  2.  —  Chrysalide  de  Spliinn  du  liseron. 

moins  exact,  car  ce  n'est  que  dans  un  petit  nom- 
bre de  cas  que  le  corps  de  l'insecte  est  alors  cou- 
vert de  taches  dorées  ou  argentées  (certaines  Va- 
nesses  et  Nympliales),  dues  i  de  l'air  intercalé 
sous  une  mince  pellicule.  Les  chrysalides  se  for- 
ment tantôt  absolument  à  nu  sur  le  sol,  tantôt 
suspendues  d'une  manière  variable  par  des  liens 
soyeux,  tantôt  enfin  entourées  des  cocons  dont 
nous  avons  parlé.  Les  chrysalides  peuvent  éclore  en 
peu  de  semaines,  ou  bien  passer  l'hiver  ou  même 
plusieurs  hivers,  avant  de  laisser  sortir  le  papil- 
lon. Celui-ci,  d'abord  mou  et  informe  (\\%.  3),  fend 
avec  sa  tôte  la  peau  du  dos 
de  la  chrysalide,  étale  ses 
antennes  et  ses  pattes,  fait 
pénétrer  l'air  dans  les  ner- 
vures de  ses  ailes,  ces  ailes 
étant  d'abortl  sous  l'aspect 
de  doux  moignons  qui  pen- 
dent inertes,  les  sèche,  les 
fait  vibrer  et  les  étale  peu 
h  peu,  jusqu'à  ce  que,  bien 
raffermi  et  ayant  rejeté  par 
l'anus  le  mécouium,  excré- 
ment liquide  de  l'état  nym- 
phal,  il  prenne  son  essor 
dans  l'atmosphère  ,  route 
nouvelle,  interdite  jusqu'a- 
lors. 

On  peut  élever  en  capti- 
vité un  grand  nombre  de 
chenilles,  soit  recueillies  au 
dehors,  soit  nées  des  œufs 
pondus  par  les  papillons.  11  y  a  U\  pour  les  ins- 
tituteurs de  nombreux  sujets  de  lerons  de  cliO- 
ses  ;  les  élèves  s'intéressent  beaucoup  à  suivre 
ces  curieuses  métamorphoses.  Il  faut  placer  les 
chenilles,  avec  des  fragments  dç  la  plante  nourri- 
cière ou  la  plante  elle-même,  dans  une  cage  de 
gaze  ou  de  toile  métallique,  ou,  plus  simpleinent, 
dans  un  pot  à  fleur  recouvert  d'un  couvre-plat  en 
treillis  de  fil  de  fer.  Le  fond  de  la  cage  ou  du  pot 
contiendra  de  la  fine  terre  de  bruyère,  et,  quand 
on  aura  obtenu  les  chrysalides,  on  fera  bien,  pour 
•éviter  leur  mort  par  dessic.ttion,  d'injecter  de 
temps  h  autre  une  fine  pluie  de  gouttelettes  d'eau, 
aJin  de  maintenir,  le  mieux  possible,  les  condi- 
tions naturelles  d'humidité.  L'instituteur  peut 
aussi  placer  certaines  chenilles  sur  des  rameaux 
■d'arbustes  du  jardin  de  l'école,  en  entourant  la 
branche  d'un  manchon  de  gaze  bien  fermé  h  sa 
'base  ;  les  élèves  suivront  ainsi  très  facilement 
toutes  les  phases  de  la  vie  de  la  clienille,  et  même 
son  changement  en  chrysalide,  si  celui-ci  s'opère 
sur  la  plante  même  et  non  en  terre. 

Classification.  —  Pendant  longtemps  en  France 
■on  a  subdivisé  les  papillons,  d'après  leurs  mœurs, 
en  trois  groupes  :  diurnes,  cv('pusculaires,  noc- 
tiirw's;  les  instituteurs  trouveront  encore  cette 
division  dans  beaucoup  d'ouvrages  élémentaires, 
même  peu  anciens.  Cette  division  doit  être  abandon- 
née, sinon  pour  le  premier  groupe,  au  moins  pour 
les  deux  autres.  En  effet,  un  assez  grand  nombre 
àa  leurs  espèces,  comme  certains  Sphingiens,  les 
Sesies,  les  Zygènes,  beaucoup  de  Noctuelles,  de 
Phalènes,  de  Tordeuses  et  de  Teignes,  volent  en 


plein  jour  et  souvent  exclusivement;  en  outre  il 
n'y  a  pas  de  véritables  nocturnes,  car  aucun  papil- 
lon ne  demeure  actif  à  la  nuit  avancée  et  profonde, 
mais  seulement  au  crépuscule,  qui  se  prolonge 
en  été,  chez  nous,  jusqu'à  près  de  onze  heures  du 
soir,  dernière  heure  où  volent  encore  quelques  pa- 
pillons. Nous  diviserons  les  papillons  en  deux 
sous-ordres,  dont  les  noms  sont  tirés  de  caractères 
fournis  par  les  antennes,  les  Rhopalocères  et  les 
Hétérocères. 

Rliopalooères  ou  Diurnes.  —  Antennes  se  ter- 
minant par  un  bouton  plus  ou  moins  renflé;  ailes 
inférieures  estièrement  libres  des  supérieures, 
les  quatre  ailes  presque  toujours  accolées  au 
repos  et  relevées  porpendlculairenient  au  corps  ; 
vol  pendant  le  jour  seulement;  chenilles  en  géné- 
ral peu  nuisibles.  Nous  indiquerons  les  princi- 
paux groupes  de  ces  papillons  de  jour,  dont  cer- 
taines espèces  frappent  les  yeux  des  enfants 
par  leurs  belles  couleurs. 

Un  premier  groupe  de  Diurnes  n'offre  que  quatre 
pattes  propres  à  la  marche,  les  deux  antérieures, 
dites  palatines,  étant  très  raccourcies  et  entou- 
rant le  cou  comme  une  collerette,  au  moins  chez 
les  mâles.  Les  chrysalides  sont  nues  et  suspen- 
dues par  la  queue,  la  tête  en  bas,  au  moyen  d'un 
court  faisceau  de  fils  de  soie.  Nous  citerons  les 
Sat;/res,  de  couleur  fauve,  avec  des  taches  ocel- 
lées, et  les  Argé  ou  Demi-deuils,  avec  taches  noires 
sur  un  fond  d'un  blanc  un  peu  jaunâtre  ;  ce  sont 
des  papillons  des  prairies,  des  sentiers,  des  che- 
mins de  bois,  dont  les  chenilles  sont  nocturnes  et 
vivent  sur  les  graminées.  Les  Vanesses  sont  or- 
nées de  belles  couleurs,  et  la  plupart  hivernent  à 
l'état  adulte,  pour  reparaître  au  printemps  et  voler 
aux  premiers  soleils,  plus  ou  moins  usées  et 
défraîchies.  Telles  sont  trois  espèces  dont  les  che- 
nilles se  nourrissent  d'orties,  la  Petite-Tortue,  à 
taches  noires  et  bleues  sur  un  fond  rouge-fauve, 
le  Vulcain,  à  bandes  de  feu,  le  Paon  de  jour,  avec 
quatre  superbes  yeux  d'un  bleu  violet  sur  les 
ailes  ;  une  espèce  plus  rare,  le  Morio,  h  fond  d'un 
pourpre  sombre  avec  une  large  bordure  jaune,  la 
chenille  se  nourrissant  du  saule,  du  peuplier  et 
du  bouleau  ;  la  Grande-Tortue,  dont  la  chenille  vit 
sur  les  ormes  et  est  quelquefois  nuisible  dans 
l'extrême  midi  de  la  France  ;  la  Belle-Damo,  à 
chenille  mangeant  les  chardons  et  parfois  nuisible 
aux  artichauts  dans  les  années  où  le  papillon  est 
commun  :  c'est  en  effet  un  papillon  cosmopolite, 
dont  la  race  se  renouvelle  jusqu'au  nord  de  l'Eu- 
rope par  des  migrations  venues  d'Afrique;  uil 
passage  considérable  a  eu  lieu  en  France,  en  mai 
et  juin  1879,  du  sud  au  nord.  Citons  encore  le 
Robert  le  Diable  ou  Gamma,  offrant  en  dessous, 
aux  ailes  inférieures,  la  lettre  grecque  gamma. 
Viennent  ensuite,  dans  les  bois,  les  Papillons- 
Damiers,  fauves  avec  une  marqueterie  de  taches 
noires;  ce  sont  les  Argipines-,  dont  les  che- 
nilles vivent  sur  les  violariées,  ayant  souvent 
en  dessous  des  ailes  inférieures  des  bandes  ou  des 
taches  nacrées,  ainsi  chez  le  Tabac-d'Espagne,  le 
Grand-Nacré  et  le  Petit-Nacré  ;  et  les  Mélitées,  analo- 
gues aux  Argynnes  en  dessus,  offrant  en  dessous 
des  bandes  et  des  ocelles  jaunes  variés,  mais 
sans  taches  nacrées.  Les  Nympliales  habitent  aussi 
les  bois.  Trois  grandes  espèces,  farouches  et  d'un 
vol  rapide,  pompent,  non  pas  le  nectar  dos  fleurs, 
mais  le  suc  des  plaies  des  arbres  et  celui  des  ma- 
tières stercoraires  des  chemins  ;  ce  sont,  en  juin, 
le  Grand-Sylvain,  d'un  brun  fauve  à  bandes  blan- 
ches, la  chenille  vivant  sur  les  trembles  et  les  peu- 
pliers, et  en  juillet  les  deux  Mars,  des  peupliers, 
avec  les  ailes  des  mâles  offrant  dans  un  sens  un 
riche  reflet  d'un  bleu  d'azur,  les  écailles  étant  de 
deux  couleurs,  à  la  façon  do  ces  images  plissées, 
qui  représentent  des  objets  très  différents,  suivant 
qu'on  les  regarde  à  droite  ou  à  gauche.  Les  Petits- 


PAPILLONS 


1498  — 


PAPILLONS 


Sylvains  ou  Deuils,  noirs,  avec  une  bande  de  ta- 
ches blanclies,  et  dont  les  clienilles  vivent  sur  les 
cliivrefeuilles,  ont  un  vol  doux  et  se  posent  fré- 
quemment sur  les  taillis  qui  bordent  les  routes  de 
bois  et  sur  les  ronces. 

Un  second  groupe  de  Diurnes  présente  les  six 
pattes  propres  à  la  marche.  Les  chrysalides  sont 
nues,  mais  doublement  attachées  contre  le  support, 
par  un  faisceau  de  soie  caudal  et  par  un  autre,  qui 
foi-me  un  lien  en  ceinture  autour  du  milieu  du 
corps.  Nous  y  trouverons  les  Pol'/ommates  fauves, 
avec  des  ocelles  variés  en  dessous,  appelés  aussi 
Petits  Porte-queues,  car,  dans  certaines  espèces, 
l'aile  inférieure  se  prolonge  en  un  grêle  filet;  et 
les  Lycéiies,  charmants  petits  papillons  des  prés, 
des  champs,  des  bords  de  routes,  dont  les  mâles 
sont  bleus  en  dessus  et  les  femelles  brunes,  avec 
les  mêmes  taches  et  ocelles  sur  le  dessous  grisâtre. 
Les  chenilles  sont  larges  et  plates,  d'aspect  de 
cloportes,  à  pattes  très  courtes,  et  vivent  sur  les 
légumineuses.  Les  Piérides  sont  les  papillons 
blancs  ;  il  y  a  deux  espèces  très  nuisibles  aux 
choux,  aux  na- 
vets, aux  radis, 
le  grand  papillon 
blanc  du  chou  et 
le  petit  papillon 
blanc  de  la  rave. 
Il  faut  détruire  les 
adultes  et  les  che- 
nilles de  la  pre- 
mière espèce  dans 
les  jardins  pota- 
gers ;  heureuse- 
ment que  des  en- 
toinophages  du 
gOiU-e  Micrognster 
fout  périr  beau- 
coup de  chenilles. 
On  doit  bien  se 
garder  d'écraser 
les  amas  de  petits 
cocons  jaunes  filés 
par  les  larves  sor- 
ties du  corps  des 
chenilles.  Le  Ga- 
zé, blanc  à  ner- 
vures noires,  est 
nuisible  aux  pru- 
niers et  aux  aubé- 
pines, et  ses  che- 
nilles au  prin- 
temps vivent  sur  les  arbustes  sous  de  grandes 
toiles  qu'il  faut  flamber  à  la  torche.  Les  Coliades 
ont  deux  espèces  principales,  le  Soufré,  à  ailes 
d'un  jaune  soufre,  et  le  Souci,  à  ailes  d'un  jaune 
foncé,  bordées  de  noir  ;  leurs  chenilles  vivent  sur 
les  légumineuses  fourragères  et  ne  sont  pas  nui- 
sibles, pas  plus  que  celle  de  YAnthoclitins  Au- 
rore, dont  l'apparition  signale  le  début  du  prin- 
temps, le  mâle  ayant  le  sommet  de  l'aile  supé- 
rieure d'un  beau  rouge  orangé,  les  deux  sexes 
ayant  les  ailes  marbrées  de  verdàtre  en  dessous  ; 
enfin  citons  les  Citrons,  à  antennes  roses,  à  ailes 
anguleuses;  celles  du  mâle  d'un  beau  jaune  ci- 
tron, celles  de  la  femelle  d'un  blanc  verdàtre  ;  il 
en  est  qui  hivernent  et  qu'on  voit  voler  au  soleil 
en  février  dans  les  bois  encore  absolument  sans 
feuilles  ;  les  chenilles  vivent  sur  les  nerpruns  et 
les  fusains. 

LesGrauds  Porte-queues  appartiennent  au  genre 
Pnpillon  proprement  dit.  Le  plus  répandu  est  le 
Machaon,  jaune  avec  dessins  noirs,  des  taches 
en  bordure  et  un  œil  violet  et  rouge  contre  la 
queue  de  l'aile  inférieure  ;  la  chenille,  verte  avec 
des  incisions  d'un  noir  do  velours,  vit  sur  les  ca- 
rottes et  le  fenouil,  et  laisse  sortir  du  cou,  quand 
on  l'inquiète,  un  tentacule  rétractile   et  orangé. 


en  Y,  caractère  du  genre.  L'autre  espèce,  le 
Flambé,  avec  de  longues  bandes  noires,  comme 
des  flammes,  sur  un  fond  jaune  pâle,  est  moins 
commune  ;  sa  chenille  se  nourrit  des  feuilles  du 
prunellier  et  du  prunier. 

Enfin  le  dernier  groupe  des  Diurnes,  à  six  pattes 
propres  h  la  marche,  est  formé  par  les  Hespériens, 
petits  papillons  qui  volent  surtout  dans  l'après- 
midi,  par  les  clairières  des  bois  et  les  champs,  et 
tiennent  au  repos  leurs  ailes  seulement  à  demi 
relovées  ;  les  chrysalides  sont  fixées  par  la  queue 
et  par  des  fils  de  soie  entre-croisés  au  milieu  d'un 
réseau  soyeux  très  lâche  attaché  entre  les  feuilles. 
Hétérocères  (anciens  Crépusculaires  et  Noctur- 
nes). —  Dans  ce  sous-ordre,  qui  comprend  la  plus 
grande  partie  des  lépidoptères,  et  sur  Idiuel 
nous  ne  pouvons  donner  que  des  indications  très 
sommaires,  les  antennes  ont  toutes  les  formes 
possibles,  en  dents  de  peigne,  en  fuseau,  en  fils, 
crénelées,  lisses  ou  poilues,  etc.  Outre  les  yeux 
composés,  ne  manquant  jamais,  il  y  a  souvent 
deux  stemmates  ou  yeux  simples,  cachés  dans  les 
poils  sur  le  des- 
sus de  la  tête.  Au 
repos  les  ailes 
sont  parfois  étalées 
à  plat  ou  horizon- 
talement ,  plus 
souvent  repliées 
en  toit  sur  le 
corps ,  les  supé- 
rieures recouvrant 
complètement  les 
inférieures,  enfin 
les  ailes  pouvant 
être  roulées  au- 
tour du  corps  (cer- 
taines teignes). 
Les  ailes  inférieu- 
res sont  fréquem- 
ment ornées  de 
couleurs  très  vi- 
ves et  très  déli- 
cates, en  raison  de 
l'abri  que  leur  of- 
frent au  repos  les 
ailes  supérieures, 
qui  sont  souvent 
grises  on  brunes  ; 
la  lumière  déco- 
lore promptemenl 
ces  ailes  inférieu- 
res des  Hétérocères,  et  ce  sont  surtout  les  col- 
lections de  ces  insectes  étalés  que  les  institu- 
teurs doivent  avoir  soin  de  conserver  en  lieu 
obscur.  S'ils  les  laissent  accrochées  au  mur  et 
au  grand  jour,  bientôt  tout  sera  efface,  blanchi,, 
méconnaissable.  Enfin  il  arrive  souvent,  surtout 
pour  les  mâles,  que,  par  l'appareil  du  frein,  les 
ailes  inférieures  sont  liées  aux  supérieures,  de  fa- 
çon à  les  suivre  dans  tous  leurs  mouvements  ;  un 
crinraide,  à  la  base  de  l'aile  inférieure,  passe  dans 
un  anneau  corné,  h  l'insertion  de  l'aile  supérieure, 
comme  un  verrou  dans  sa  gâche;  les  instituteurs 
feront  aisément  voir  à  leurs  élèves  ce  curieux  mé- 
canisme en  prenant  de  gros  Sphinx. 

Les  Sphinx,  à  spiritrompe  très  longue^  (fig.  4),. 
ont  des  espèces  qui  nous  arrivent  d'Afrique, 
comme  le  Sphinx  du  liseron  et  celui  du  laurier- 
rose,  et  leurs  ailes  aiguës  sont  en  rapport  avec 
ce  vol  puissant;  les  chenilles,  souvent  à  demi  dres- 
sées, à  la  façon  du  Sphinx  de  la  Fable  jetant  sa  ter- 
rible énigme  aux  passants,  ont  une  corne  sur  le 
onzième  anneau.  Le  Sphinx  à  tète  de  mort,  portant 
ce  lugubre  emblème  sur  le  corselet  et  faisant  en- 
tendre un  bruit  aigu,  estnuisibleauxabeillesdansle 
midi  de  la  France,  car  il  s'introduit  dans  les  ruches 
pour  segorjçer  demiel  ;  son  énorme  chenille  jaunâ- 


PAPILLONS 


—  1499  — 


PAPILLONS 


trc  rongo  les  feuilles  de  pomme  de  terre.  Les  chry- 
sulidcsdos  Sphinx  reposentsur  la  terre,  soit  nues, 
soit  dans  des  coques  mêlées  de  grains  de  terre  et 
do  fragments  végétaux.  Les  Zyjé/cs  ou  Sphinx-bé- 
liers, à  antennes  en  fuseau  h  l'extrémité  (fig.  5),  ont 


Flf.  3.  —  Zygcne  du  trclli 


de  brillantes  taches  rouges,  sur  un  fond  d'nn  noir 
luisant,  bleuâtre  ou  verdâtre,  et  volent  assez  lour- 
dement au  soleil  ;  leurs  chenilles,  qui  vivent  sur- 
tout sur  les  petites  légumineuses,  filent,  le  long 
des  tiges,  un  cocon  allongé,  en  bateau,  de  consis- 
tance parcheminée.  C'est  également  au  soleil  que 
volent  les  Sésies  ou  Sphinx-gazés,  h  ailes  sans 
écailles,  analogues  à  des  hyménoptères  ou  à  des 
diptères  (fig.  6),  et  dont  les  chenilles  rongent  l'inté- 


rieur des  arbres  et  des  arbustes.  La  Sésie  apiforme, 
qui  ressemble  à  un  frelon,  et  la  Sésie  asiliforme, 
sont  nuisibles  aux  jeunes  peupliers  et  bouleaux,  la 
Sésie  tipuliforme  aux  groseilliers  des  jardins, 
d'autres  espèces  aux  pommiers. 

Le  groupe  des  Bombyciens  présente  les  antennes 
pectinées,  au  moins  dans  les  mâles;  les  chenilles 
de  certains  d'entre  eux  fournissent,  par  leurs  co- 
cons, les  plus  riches  matières  textiles  qu'utilise 
l'industrie  humaine  (V.  Ver  à  soie'.  Le  genre 
Atlncus,  remarquable  par  les  taches  vitrées  de  ses 
ailes,  nous  présente  les  plus  grands  papillons  qui 
existent;  le  plus  grand  papillon  d'Europe  est  le 
Grand-Paon  de  nuit,  dont  l'énorme  chenille,  verte 
avec  des  tubercules  poilus  que  termine  une 
étoile  d'un  bleu  de  turquoise,  vit  principale- 
ment sur  les  poiriers  et  les  ormes  ;  le  Petit- 
Paon  de  nuit,  de  taille  moindre,  a  sa  chenille  sur 
l'aubépine,  la  ronce,  le  charme,  etc.  Les  :;henilles 
des  Paons  de  nuit  ne  sont  pas  assez  nombreuses 
pour  être  nuisibles,  et  filent  pour  se  chrysalider 
des  cocons  ouverts  à  un  bout,  par  où  sortira  le  pa- 
pillon, et  trop  fortement  incrustés  d'une  gomme 
brunâtre  pour  que  nous  puissions  en  faire  usage. 

D'autres  Bomhyciens  sont  très  nuisibles  aux 
bois,  aux  champs,  aux  jardins.  Les  Bombyx  pro- 
cessionnaires du  chêne  et  du  pin,  de  couleur  gri- 
sâtre, ont  leurs  chenilles  vivant  dans  des  nids 
soyeux,  sur  le  tronc  des  chênes  ou  entre  les  bran- 
ches des  pins  ;  elles  en  sortent  la  nuit  en  proces- 
sion pour  dévaster  le  feuillage.  Le  Bombyx  ncus- 
trien  pond  ses  œufs  en  bracelets  autour  des 
branches  des  arbres  fruitiers  où  ils  passent  l'hi- 
Ter;  il  faut  les  détruire  ;  la  chenille,  dite    livrée 


en  raison  de  ses  bandes  rouges  et  bleues,  doit  être 
ramassée  par  les  enfants  sur  les  feuilles  des  pom- 
miers et  poiriers,  et  écrasée.  On  couvrira  de  gou- 
dron au  pinceau  les  œufs  du  Liparis  disparate  (le 
mile  est  beaucoup  plus  petit  que  la  femelle  et 
tous  deux  ont  des  bandes  noirâtres  en  zic-zag),  qui 
adhèrent  aux  troncs  des  tilleuls  et  des  ormes,  sous 
un  tampon  de  poils  roux  arrachés  du  ventre  de  la 
mère,  et  les  œufs  du  Liparis  du  saule,  bombycien 
tout  blanc,  qui  semblent  couverts  d'un  enduit, 
comme  une  bave  de  limaçon,  sur  les  troncs  des 
peupliers  et  des  saules.  Le  Liparis  queue-dorée,  éga- 
lement blanc,  avec  un  gros  paquet  de  poils  roux  au 
bout  de  l'abdomen  de  la  femelle,  est  un  ravageur 
des  vergers  et  des  haies  (fig.  7)  ;  les  petites  chenilles 


Fi;.  7.  —  Lipa 


qiicue-dol-( 


passent  l'hiver  entre  les  feuilles  terminales,  assem- 
blées en  paquets  par  des  fils  de  soie;  il  faut  les 
couper  par  les  jours  les  plus  brumeux  et  les  plus 
froids  de  décembre  et  de  janvier  et  les  briiler  avec 
soin,  sans  les  laisser  sur  le  sol. 

Les  Orgyes  ont  des  chenilles  offrant  en  avant 
deux  longues  aigrettes  de  poils  ;  les  femelles 
n'ont  que  des  petits  moignons  d'ailes  et  se  posent 
sur  le  cocon  pour  attendre  le  mâle.  L'Orgye 
antique  est  nuisible  aux  arbres  à  fruit  et  aux 
rosiers  ;  on  voit  voler  en  plein  jour,  surtout  en 
septembre  et  octobre,  le  mâle,  qui  est  très  vif  et 
fauve,  avec  une  étoile  blanche  sur  chaque  aile 
supérieure  qui  l'a  fait  nommer  l'Etoile  (fig.  8).  Les 


,  s.  —  Orgye  auliqui 


Psychés  sont  de  très  singuliers  papillons;  les  mâles, 
très  petits,  noirâtres,  i  antennes  pectinées,  volent 
avec  rapidité  le  matin  ;  les  femelles,  absolument 
sans  ailes,  ressemblent  à  des  larves  ;  les  chenilles 
des  deux  sexes  sont  couvertes  de  fourreaux  for- 
més par  des  brins  d'herbe,  ou  des  morceaux  de 
feuilles,  d'où  sortent  seulement  les  pattes  écail- 
leuses  et  la  tête.  Enfin  il  y  a  des  genres  dont 
les  chenilles  vivent  à  l'intérieur  des  tiges  et  font 
souvent  beaucoup  de  mal  ;  ainsi  la  grosse  che- 
nille du  Cossus  ligniperde,  couverte  d'écussons 
cornés  rougeâtres,  abîme  de  ses  galeries  les  troncs 
des  saules  et  des  ormes;  la  chenille  jaunâtre  à 
points  noirs  (Clienillo  léopard  des  Anglais)  de  la 
Zeuzèro  du  marronnier  fait  souffrir  beaucoup 
d'arbres  do  toute  sorte  dont  les  branches  rongée? 
il  l'intérieur  cassent  sous  les  coups   de  vent  ;  le 


PAPILLONS 


—  1500  — 


PAPILLONS 


Fi  g.  9. 


papillon,  blanc  tacheté  de  noir,  a  été  appelé  la 
Coquette.  Il  faut  tuer  les  chenilles  en  passant  un 
fil  de  fer  dans  les  trous.  Les  femelles  des  Cossus 
et  des  Zeuzères  ont  une  tarière  rétractile  qui 
leur  sert  à  pondre  en- 
tre les  écorces  (flg.  9); 
il  faut,  dans  le  jour, 
chercher  les  papil- 
lons au  repos  sur  les 
troncs  et  les  écraser. 

Une  tribu  considé- 
rable est  celle  des 
Noctuelles,  dont  beau- 
coup d'espèces,  mal- 
gré leur  nom,  volent 
en  plein  jour  ;  les 
espèces  du  soir  sem- 
blent au  reste  crain- 
dre encore  plus  la 
clarté  de  la  lune  que 
celle  du  soleil.  Les 
antennes  des  Noc- 
tuelles sont  en  géné- 
ral grêles  et  comme 
des  fils  ;  leurs  ailes 
supérieures  souvent  marbrées  ont  de  petites  taches 
sur  le  disque  en  forme  de  rein,  et  les  ailes  infé- 
rieures, cachées  au  repos  sous  les  autres  qui  s'a- 
baissent en  double  toit,  sont  souvent  blanchâ- 
tres, ou  jaunes 
bordées  de  noir, 
ou  rouges  avec 
<les  bandes  noi- 
res ;  les  chrysa- 
lides sont  le  plus 
souvent  légère- 
ment enterrées. 
Il  faut  rechercher 
les  chenilles  ou 
écraser  les  adul- 
tes de  beaucoup 
de  Noctuelles; 
^insi  doit-on  faire 
pour  la  Noctuelle 
potagère  et  la 
Noctuelle  du 
chou,  dont  les 
chenilles  dévo- 
rent les  cultures 
maraîchères,  sur- 
tout les  choux  et 
les  choux-fleurs; 
pour  les  Agrotis, 
dont  les  chenil- 
les, appelées  vers 
gris  par  les  agri- 
culteurs, causent 
le  plus  grand 
dommage  aux  racines;  celles  de  l'Agrotis  point 
d'exclamation  (d'après  une  marque  sur  l'aile)  aux 
turneps,  raves,  choux  et  colzas;  celles  de  l'Agrotis 
des  moissons  aux  betteraves,  au  point  de  compro- 
mettre en  certaines  années  la  production  sucrière 
de  la  façon  la  plus  grave.  On  doit  signaler  les 
Plusies,  qui  volent  très  vivement  en  plein  jour  ; 
leurs  ailes  supérieures  sont  ornées  de  beaux  re 
flets  d'un  vert  doré  ou  de  taches  d'or  ou  d'argent, 
simulant  des  lettres.  La  Plusie  gamma  (portant 
la  lettre  grecque  argentée  gamma)  est  commune 
partout  et  très  nuisible  en  certaines  années  aux 
prairies  artificielles. 

Les  P/ialéniens  tiennent  en  général  leurs  ailes 
étalées  à  plat  au  repos  ;  leurs  antennes  sont  plu- 
nieuses  ou  simples.  Leur  caractère  essentiel  est 
donne  par  les  chenilles.  Elles  n'ont  plus  que  dix 
pattes,  les  six  écailleuses  et  quatre  au  bout  de 
1  abdomen  ;  aussi,  une  grande  partie  de  leur  corps 
«e  pouvant  s'appuyer  sur  lo  support,   elles  relè- 


',  femelle. 


Fig.  tu.  —  Chenilles  de  la  Phalène  du  sureau. 


vent  en  boucle  ou  en  compas,  quand  elles  raar- 
client,  tout  le  milieu  de  leur  corps,  ce  qui  les  a  fait 
nommer a7-penteuses oui/éométres {&g.  10).  Souvent, 
fixées  sur  les  deux  pattes  anales,  immobiles  pen- 
dant des  heures  en- 
tières, elles  ressem- 
blent à  de  petites 
branches  sans  feuil- 
les. Beaucoup  se  lais- 
sent tomber  au  bout 
d'un  fil.  Les  chrysa- 
lides sont  pour  la 
plupart  en  terre  et 
quelques-unes  entou- 
rées de  ligers  co- 
cons. Nous  citerons 
la  Phalène  du  groseil- 
lier, blanche  avec 
des  séries  de  taches 
noires  et  jaunes,  dont 
les  chenilles  hiver- 
nent sous  les  feuilles 
sèches.  Il  faut  ra- 
masser en  hiver  les 
feuilles  sèches  au 
pied  des  groseilliers,  et  les  brûler  avec  leurs  pe- 
tites chenilles  engourdies.  De  singulières  pha- 
lènes sont  les  Hibernies  ou  Papillons  do  l'hiver, 
qui  se  montrent,  selon  les  espèces,  de  novem- 
bre à  février. 
Les  mâles  sont 
au  repos  sur  les 
feuilles  sèches 
ou  sur  les  troncs 
d'aibre,  volant 
parfois ,  s'il  fait 
du  soleil  ;  les  fe- 
melles ont  des 
ailes  nulles  ou  en 
moignons  rudi- 
nientaires.  Sont 
très  nuisibles 
aux  arbres  fores- 
tiers et  fruitiers 
la  Phalène  dé- 
feuillante  (flg.  II 
et  12),  dont  la 
femelle,  tout  i 
fait  sans  ailes, 
ressemble  à  une 
araignée  allon- 
gée, et  la  Phalène 
liyémale  ,  d'un 
gi-is  brunâtre 
nuageux,  parais- 
sant en  décem- 
bre. La  femelle 
n'a  que  de  très 
petites  ailes,  sans  usage.  On  la  trouve  en  abon- 
dance, le  matin,  après  les  vitres  des  lanternes 
qu'on  laisse  allumées  la  nuit  dans  les  vergers  ou 


Flg.  11.  —  Phalène  défeuillanlo 
maie. 


Fiff.  12.  —  Phalène 
défcuillante  femelle. 


dans  les  bois.  Les  femelles  des  Hibernies  vont 
pondre  sur  les  bourgeons,  que  les  petites  che- 
nilles dévorent  au  printemps,  passant  ensuite  aux 
feuilles  ;  on  fera  bien  d'enduire  de  goudron  gras 


PAPILLONS 


1501  — 


PAPILLONS 


la  base  des  arbri's  .fniitiiMs,  afin  d'cmpùclici-  de 
grimper  les  femelles  incapables  de  voler. 

l^a  lin  de  l'ordre  des  lépidoptères  comprend 
un  nombre  con>ldérable  d'espèces,  dont  certaines 
sont  de  vrais  fléaux,  et  qui  ont  été  nomméc^s 
MicHOLÉPiDOPTÈnEs  par  les  entomologistes,  parce 
que  leurs  papillons  sont  presque  toujours  de 
très  peiite  taille,  ainsi  que  leurs  chenilles,  com- 
pensant malheureusement  cette  petitesse  par  une 
exirèmo  fécondité.  Nous  en  détacherons  d'abonl 
les  Ga  léries  de  la  cire  (fausses-teignes  de  Ré.ui- 
mur).  Nous  en  avons  deux  espèces  très  voisines, 
l'une  grande,  dont  les  femelles  ont  jusqu'à  40  mil- 
limètres d'envergure,  les  ailes  étalées;  l'autre 
plus  petite.  La  grande  Gallérie  de  la  cire  est  plus 
répandue  que  l'autre  dans  la  zone  parisienne, 
pioins  au  contraire  dans  les  régions  plus  méri- 
dionales de  notre  pays.  C'est  elle  que  les  paysans 
apiculteurs  des  environs  de  Paris  appellent  le 
papillon.  Les  papillons  des  deux  espèces  ont  les 
aile.s  supérieures  découpées,  à  couleurs  grisâtres 
et  nébuleuse?,  les  inférieures  plus  claires  et 
recouvertes  au  repos  par  les  supérieures.  Ils 
volent  peu,  bien  que  pouvant  le  faire  aisément, 
mais  courent  et  sautillent  avec  rapidité,  leurs 
écaillas  luisantes  et  comme  graissées  les  aidant  i 
passer  par  d'étroits  interstices.  Ils  pénètrent  le 
soir  dans  les  ruches,  s'insinuent  avec  prestesse 
pour  pondre  entre  les  gâteaux  et  échappent  à 
l'aiguillon  meurtrier  grâce  à  leur  cuirasse  d'é- 
cailles.  11  en  est  qui  pondent  sur  les  fleurs,  d(^ 
sorte  que  les  abeilles  transportent  les  œufs  atta- 
chés à  leurs  poils  ou  intercales  dans  le  pollen 
qu'elles  amassent  en  provision  dans  les  ce)luli;s. 
Les  chenilles  des  Galléries  ont  .seize  pattes  et 
courent  très  vite,  par  des  ondulations  précipitéi^s 
d'arrière  en  avant.  Elles  ne  touchent  pas  au  miel, 
mais  perforent  les  gâteaux  de  cire  de  tuyaux,  en 
méandres  multiples,  formés  de  soie  mèiée  de  gra- 
nules d«  cire  et  d'excréments  noirs.  En  ronjjeant 
ainsi  la  cire,  elles  font  effondrer  pôle-mèle  miel, 
poUon,  couvain  et  abeilles  ;  les  chrysalides  se  pro- 
duisent dans  la  ruche,  eHtourées  de  cocons  de  soie 
blanch»,  épais  et  consistants,  comme  gommés, 
accolés  les  uns  contre  les  autres.  Il  faut  couper 
largement  toutes  les  parties  de  la  ruche  envahies 
et  les  brùlar,  puis  fortifier  la  colonie  par  une 
réunion,  ou,  si  le  mal  est  trop  grand,  transvaser 
à  la  fumée  les  abeilles  dans  une  autre  ruche.  La 
petite  Gallérie  de  la  cire  est  moins  nuisible,  car 
ses  tuyaux  et  ses  cocons  restent  d'ordinaire  con- 
finés dans  une  portion  restreinte  de  la  ruche. 

Un  groupe  considérable  d'espèces  est  celui  des 
Tordeuses,  nommées  souvent  Pyrales,  mot  assez 
impropre  dans  ce  sens  restreint,  car  presque  tous 
les  papillons  qui  volent  le  soir  sont  attirés  par  les 
lumières.  Les  chenilles,  à  seize  pattes,  se  laissent 
pendre  à  un  fil  de  soie  sortant  de  la  bouche,  qui 
leur  sert  à  descendre  et  à  remonter,  et,  quand  on 
les  touche,  se  tortillent  comme  de  petits  serpents. 
La  plupart  se  tiennent  dans  des  feuilles  qu'elles 
roulent  en  cornet  ou  qu'elles  assemblent  en  pa- 
quet avec  d'autres,  rongeant  ainsi  les  parties  ver- 
tes sous  un  abri  qui  les  défond  du  soleil,  les  cache 
k  leurs  ennemis  et  sous  lequel  elles  deviennent 
chrysalides.  Beaucoup  de  ces  chenilles  font  au 
printemps  des  toiles  sous  lesquelles  elles  se  tien- 
nent en  commun  ;  il  en  est  qui  mangent  les  grap- 
pes de  jeunes  fruits,  qu'elles  enveloppent  de  soie, 
et  certaines  rongent  l'intérieur  des  fruits.  Une  très 
redoutable  Tordeusc  est  la  célèbre  Pyrale  de  la 
vigne  (fig.  13),  le  plus  grand  ennemi  des  vignobles 
après  le  Phylloxéra '.  C'est  un  très  joli  papillon,  5, 
longs  palpes  accolés  en  pointe  en  avant,  qui  sem- 
ble, posé  sur  les  feuilles,  un  triangle  émaillé  de 
jaune,  de  gris  et  de  noirâtre,  pondant  ses  œufs 
aussi  par  plaques  sur  les  feuilles,  en  juillet  et 
août  i  les  petites  chenilles  éclosent  en  septembre 


et  passent  l'hiver  engourdies  entre  les  écorces  de» 
ceps  et  sur  les  échalas,  se  réveillent  au  printemps 


Fig.  13.  —  Pjrale  de  la  vigne  à  ses  divers  états. 

et  dévorent  les  feuilles  et  les  jeunes  grappes, 
feuilles  et  grappes  enlacées  dans  un  tissu  soyeux. 
Il  faut  pratiquer  en  hiver  l'êtouillaiitnf/e,  c'est-à- 
dire  tuer  les  chenillettes  avec  la  vapeur  d'eau 
bouillante  qu'on  injecte  sur  les  ceps  et  sur  les 
échalas.  Une  autre  Pyrale,  moins  nuisible  h  la  vi- 
gne, est  celle  de  la  grappe  (genre  CorAy//;),  dont 
les  chenilles  vivent  dans  les  jeujics  grappes  de 
raisin,  qu'elles  enveloppent  de  soie  au  moment 
de  la  floraison  ;  il  faut  les  enlever  à  la  pince  pour 
les  raisins  de  treille  qui  ont  une  grande  valeur  et 
les  écraser  ;  en  vignoble,  on  goudronnera  ou  on 
flambera  légèrement  i  la  torche  les  jeunes  grappes 
attaquées.  La  Pyrale  verte  cause  d'immenses  dé- 
gâts dans  les  forêts;  en  certaines  années,  les  ar- 
bres, au  printemps,  sont  entièrement  dépouillé» 
de  leurs  feuilles,  et  les  petits  crottins  qui  tombent 
sans  cesse  sur  les  feuilles  sèches  imitent  le  bruit 
de  la  pluie.  Les  fauvettes  et  les  rossignols  hap- 
pent au  vol  les  innombrables  chenilles  qui  pen- 
dent à  des  fds.  Les  instituteurs  comprendront, 
par  cet  exemple,  entre  beaucoup  d'autres,  com- 
i)ien  il  leur  importe  d'interdire  sévèrement  le  dé- 
nichage  îleurs  élèves.  D'autres  Pyrales  attaquent 
gravement  les  rosiers,  les  poiriers,  les  abricotiers 
et  surtout  les  pruniers.  Les  Pyrales  des  pins  font 
beaucoup  de  tort  aux  arbres  résineux,  surtout  aux 
pins  sylvestres.  Leurs  chenilles  rongent  les  bour- 
geons terminaux  dans  lesquels  elles  restent  ca- 
chées en  hiver,  déterminent  des  écoulements  de 
résine  qui  épuisent  les  arbres,  araèjient  la  des- 
truction des  aiguilles  et  obligent  les  branches  à 
se  ramifier.  Les  Carpocapses  sont  le  fléau  des  ver- 
gers. La  Carpncapse  des  pommes  pond  sur  le 
jeune  fruit,  et  la  chenille  ou  ver  des  p'>mmes  perce 
les  pommes  et  les  poires  de  ses  galeries  souillées 
d'excréments,  passe  d'un  fruit  h  l'autre  dans  les 
paquets  de  fruits  contigus  ou  se  laisse  tomber  par 
un  111  d'un  fruit  au  fruit  inférieur.  La  Carpocapse 


PAPILLONS 


—  1502  — 


PAPILLONS 


des  prunes  a  une  chenille  qui  attaque  les  prunes 
et  les  abricots  de  plein  vent,  et  les  perfore  de  ses 
tuyaux  remplis  d'une  marmelade  brune  d'aspect 
répugnant  ;  la  chenille  de  la  Carpocapse  des  châ- 
taignes se  nourrit  de  l'intérieur  des  noix,  des 
amandes  et  surtout  des  châtaignes,  produisant  les 
marrons  véreux  qui  constituent  en  certaines  an- 
nées un  déchet  considérable.  Il  faut,  pour  sauver 
les  récoltes  futures,  ou  du  moins  diminuer  le  mal, 
ramasser  avec  soin  tous  les  fruits  véreux  dès  qu'ils 
tombent  et  même  provoquer  leur  chute,  les  em- 
porter au  loin  et  les  briiler.  En  hiver,  on  fera 
bien  d'ébouillanter  à  la  vapeur  les  troncs  des  ar- 
bres et  le  sol  au-dessous  d'eux,  car  les  chenilles 
de  Carpocapses  sorties  des  fruits  s'y  trouvent  à 
l'état  dormant. 

Les  Teigiirs,  encore  plus  petites  généralement 
que  les  Tordeuses,  ont  comme  elles  des  chenilles 
i  seize  pattes  et  marchant  vivement  h  reculons,  j 
Les  papillons,  presque  toujours  minuscules  et  qui 
ne  prennent  pas  de  nourriture,  ont  souvent  les 
ailes  supérieures  ornées  des  couleurs  les  plus  | 
vives  et  de  bandes  d'or  et  d'argent.  Ces  ailes 
s'enroulent  autour  du  corps  au  repos  dans  beau- 
coup d'espèces.  Les  ailes  inférieures  sont  bordées 
inférieurement  de  longues  franges  de  poils.  Il  est 
difflcile  de  préparer  pour  les  collections  ces  pa- 
pillons si  délicats,  dont  les  belles  écailles  se  déta- 
chent des  ailes  au  plus  léger  attouchement;  le 
mieux  est  de  les  faire  périr  dans  le  flacon  de  chasse 
à  cyanure  de  potassium,  de  traverser  leur  thorav, 
sous  la  loupe,  avec  un  fin  fil  de  platine  qu'on  fixe  , 
sur  un  petit  cube  de  moelle  de  sureau,  attaché  ^ 
lui-même  à  l'épingle  qui  porte  l'étiquette.  | 

Dans  la  catégorie  des  Fauxfe^-Teigni'S  de  Réau-  ! 
mur,  les  chenilles  vivent  à  découvert.  Les  Ypono- 
meutes  ont  des  papillons  dont  les  ailes  supérieures, 
enroulées  autour  du  corps,  sont  blanches,  pique- 
tées de  petits  points  noirs.  Une  espèce  pour  les 
pruniers,  deux  espèces  très  voisines  pour  les  pom- 
miers, causent  d'immenses  ravages.  En  mai  et 
juin,  les  arbres  paraissent  couverts  de  vastes  toiles  " 
d'araignée,  sous  lesquelles  les  chenilles  rongent 
les  feuilles  en  commun,  se  laissant  pendre  à  un 
fil,  puis  remontant  si  on  les  dérange;  des  toiles 
nouvelles  sont  filées  de  place  en  place,  selon  le 
besoin,  jusqu'à  ce  qu'il  ne  reste  plus  une  feuille  ; 
c'est  sous  les  toiles  également  que  les  chenilles 
se  transforment  en  chrysalides,  qui  pendent  la  tète 
en  bas.  Les  papillons  éclosent  en  juillet  et  août  ;  les 
femelles  pondent  aux  fourches  des  rameaux  des 
paquets  d'œufs  entourés  d'une  enveloppe  de 
gomme  sous  laquelle  passent  l'hiver  les  petites 
chenilles  qui  naissent  en  septembre  ;  réveillées  aux 
premières  chaleurs  du  printemps,  elles  commen- 
cent aussitôt  leurs  nids  soyeux  ;  c'est  alors  qu'il 
faut  les  enlever  avec  des  balais  de  houx  ou  les 
flamber  à  la  torche  de  paille.  Si  on  a  attendu  plus 
tard,  quand  les  arbres  ont  des  feuilles,  il  faudra 
injecter  i  la  pompe,  sur  les  toiles,  une  forte  eau 
de  savon  noir  ou  des  émulsions  de  pétrole  dans 
l'eau. 

Beaucoup  des  Teignes  qui  nous  occupent  sont 
des  mineuses  de  feuilles.  Trop  faibles  pour  dévorer 
toute  la  feuille,  les  chenilles  se  glissent  dans  des 
galeries  entre  les  deux  épidermes,  en  rongeant  le 
parenchyme  ;  la  feuille  est  sillonnée  de  mines 
jaunâtres,  se  flétrit,  ses  bords  se  contournant.  Des 
espèces  mineuses  détruisent  ainsi,  dans  les  jar- 
dins, les  lilas,  surtout  ceux  de  Perse,  les  feuilles 
des  aulx  et  poireaux,  celles  des  carottes,  dont  les 
ombellules  sont  liées  par  des  fils  de  soie,  celles 
du  pêcher  (le  véreau  des  arboriculteurs),  etc.  Il 
faut,  au  début  du  mal,  arracher  avec  soin  les 
feuilles  minées  et  les  brûler  ;  les  enfants  peuvent 
rendre,  en  ce  genre,  de  grands  services.  Il  y  a  de 
ces  Teignes  sans  fourreaux  dont  les  chenilles  ron- 
gent les  grains  de  blé  ;  ainsi  l' OEcophore  des  crains, 


dont  la  chenille  lie  ensemble  plusieurs  grains  de 
blé  au  milieu  desquels  elle  file  sa  coque  de  soie 
pour  se  chrysalider  ;  l'Alucite  des  grains,  plus  pe- 
tite et  plus  nuisible,  qui  vit  en  chenille  dans  un  seul 
grain  dont  elle  ronge  toute  la  farine.  Autrefois, 
avant  la  facilité  actuelle  des  transports,  quand  on 
emmagasinait  les  grains,  ces  Teignes  étaient  com- 
munes et  causaient  des  pertes  considérables.  Il 
faut  employer  contre  elles  les  mêmes  moyens  que 
contre  les  Calandres  du  blé  et  du  riz  (V.  Coléop- 
tères), à  savoir  les  tarares  h  choc,  le  chauffage  à 
1  air  chaud,  la  mise  en  silos  avec  du  sulfure  de 
carbone.  Dans  l'extrême  midi  de  la  France,  la 
Teigne  de  l'olivier  fait  beaucoup  de  mal  à  cet 
arbre.  La  première  génération  mine  les  feuilles, 
la  seconde,  plus  funeste,  vit  en  chenille  dans  le 
noyau  de  l'olive  où  elle  entre  à  sa  sortie  de  l'œuf 
pondu  sur  le  jeune  fruit  et  dont  elle  sort  à  la  fin 
d'août  pour  se  chrysalider  sur  le  sol  dans  une  co- 
que de  soie.  Les  olives  percées  tombent  et  sont 
perdues  pour  l'industrie. 

Réaumur  appelle  Teignes  vraies  celles  dont  les 
chenilles  s'entourent  de  fourreaux  de  protection 
façonnés  avec  les  matières  mêmes  dont  elles  vi- 
vent. Il  en  est  qui  ramassent  autour  de  leur  corps 
des  lambeaux  de  l'épiderme  des  feuilles  et  s'en- 
tourent de  collerettes  étagées  qui  les  ont  fait  ap- 
peler Teignes  à  falbalas  par  Réaumur.  Il  en  est 
une  à  fourreau  noirâtre  qui  ravage  parfois  les  poi- 
riers et  les  pommiers,  une  à  fourreau  pareil,  à  une 
robe  blanche  à  plusieurs  jupes,  qu'on  trouve  sur 
les  feuilles  du  baguenaudier.  De  splendides  Tei- 
gnes dont  les  chenilles  sont  dans  un  étui  lisse, 
comme  un  papier  gris,  sont  les  Adèles,  qu'on  voit 
voler  en  montant  et  en  descendant  le  long  des 
buissons  par  les  belles  matinées  de  printemps  ; 
les  papillons  étincellent  au  soleil  comme  des  pierres 
précieuses  vivantes  ;  le  vol  des  mâles  est  très  ra- 
lenti par  leurs  immenses  antennes,  ayant  vingt  à 
trente  fois  la  longueur  du  corps  et  qui  semblent 
deux  fins  fils  de  soie  ;  les  antennes  des  femelles 
sont  en  soies  épaisses,  à  peu  près  de  la  longueur  du 
corps.  Nos  maisons  sont  infestées  par  plusieurs 
espèces  de  Teignes  domestiques  dont  les  écailles 
laissent  aux  doigts  une  poussière  jaunâtre.  La 
Teigne  tapissière  ronge  les  étoffes  Je  laine  en  ma- 
gasin. Une  autre  espèce  plus  commune,  la  Fri- 
pière, dévore  noî  vêtements  de  laine  dans  les  armoi- 
res (fig.  14).  Les  chenilles  de  ces  Teignes  s'entourent 


Fig.  14.  —  Teigne  des  draps,  très  grossie. 

de  fourreaux  de  débris  laineux  (fig.  15).  Les  insti- 
tuteurs pourront  montrera  leurs  élèves  une  jolie 
expérience  renouvelée  de  Réaumur.  En  donnant  à 
manger  à  ces  chenilles  des  morceaux  de  tissus  de 
laine  de  diverses  couleurs,  on  ne  tarde  pas  à  les 
voir  habillées  en  arlequins.  La  chenille  de  la 
Teigne  des  pelleteries  coupe  le  poil  des  fourrures 
pour  s'en  faire  un  tuyau  feutré  ;  celle  de  la  Teigne 
des  crins  dévore  les  crins  des  meubles  et  des  ma- 
telas. Enfin,  une  autre  Teigne  se  nourrit,  à  l'état 
de  chenille,  des  duvets  des  oreillers  et  des  lits 
de  plume,  des  collections  d'oiseaux  et  d'insectes. 
Si  les  étaloirs  chargés  d'insectes  sont  b.  l'air  libre, 
il  est  bon  de  couvrir  le  corps  des  insectes  de  tabac 
à  pri.^er  ou  de  poudre  de  pyrèthre  pour  empêcher 
cette  Teigne,  qui  vole  partout,  de  venir  pondre 
dessus.  Pour  se  préserver  de  ces  minuscules,  mais 


PARABOLE 


1503  — 


PARABOLE 


si  dangereux  ennemis,  il  est  bon  d'aérer  et  d'ex- 
I)Oser  fréquemment  ces  objets  à  la  lumière,  que 


liole  peut  être  regardée  comme  une  moitié  d'el- 
lipse dont  les  axes  seraient  infiniment  grands. 
C'est  co  que  nous  allons  mettre  en  évidence,  pour 
en  déduire  ensuite  la  définition  ordinaire  de  cette 
courbe. 
Soit  une  ellipse  dont  le  grand  axe  est  AA'  (flg.  1), 


Fig.  15,  —  Drap  rongé  par  des  chenilles  de  Teigne  (gross 

les  chenilles  de  Teignes  ont  en  horreur  ;  épouvan- 
tées, elles  se  laissent  tomber  au  battage.  On  peut 
encore  placer  les  objets  infestés  pendant  un  ou 
deux  jours  dans  des  caisses  bien  closes  avec  de  la 
benzine,  ou  mieux,  du  sulfure  de  carbone,  encore 
plus  toxique  et  qui  s'évapore  ensuite  plus  vite. 
Ou  bien  on  fera,  entre  les  plis  des  étoffes  ou  dans 
les  matelas,  des  insufflations  de  poudre  insecti- 
cide de  Vicat. 

Le  dernier  groupe  des  papillons  est  formé  de 
petits  insectes  frappés  de  dégradation  organique, 
car  leurs  ailes,  au  lieu  d'offrir  une  membrane  con- 
tinue, sont  divisées  en  espèces  de  plumes  fine- 
ment barbelées  ;  les  pattes  de  derrière,  très  lon- 
gues et  très  grêles,  sont  armées  de  grands  éperons 
et  sont  très  fragiles.  Une  espèce  du  genre  Ptéro- 
phore  (porteur  d'ailes  emplumées),  d'un  beau  blanc 
de  lait,  commune  dans  les  jardins,  au  bord  des  che- 
mins, le  long  des  haies,  présente  comme  ailes  cinq 
élégantes  plumes  blanches  (fig.  1 U);  une  autre  espèce 
plus  petite,  du  genre  Ornéode  (aspect  d'oiseau), 
se  trouve  assez  souvent  collée  aux  vitres  des  mai- 
sons de  village,  avec  des  ailes  ayant  l'apparence 
d'un  éventail  étalé  à  douze  divisions  (fig.  i7). 


,  16.  —  Ptérophore  penta- 
dactjle. 


—  Ornéode  hexa- 
;tyle,  grossi. 


Les  instituteurs  feront  bien  de  consulter,  dans 
l'intérêt  de  leurs  leçons  de  choses  relatives  aux  pa- 
pillons, les  ouvrages  d'entomologie  appliquée  que 
nous  indiquons  h  la  fin  de  l'article  Insectes  ;  en 
outre,  pour  étiqueter  aisément  leurs  petites  col- 
lections scolaires,  ils  se  serviront  de  la  Faune  élé- 
mentaire des  lépidoptères  de  France,  par  Berce 
(Paris,  DeyroUe),  ouvrage  qui,  malheureusement, 
ne  contient  pas  les  Microlépidoptères. 

[Maurice  Girard.] 

PAIlABOLE.  —  Géométrie,  XXIV.  —  Étym.  :  de 

parabole,  nom  que  les  géomètres  grecs  ont  donné 

à  cette  courbe.  —  En  parlant  des  courtes  usuelles 

^V.  Courbe   Utuellcs),  nous  avons  dit  que  la  para- 


Fig.  1. 


les  foyers  étant  les  points  F  et  F'.  Si  on  mène  en 
divers  points  de  cette  ellipse  deux  rayons  vecteurs, 
tels  que  mf  et  niF,  et  qu'on  prolonge  le  plus  grand 
F'm  d'une  longueur  mh  égale  à  l'autre  tnF,  les 
extrémités  de  ces  prolongements,  telles  que  />, 
sont  à  une  distance  de  F'  égale  au  grand  axe  AA', 
et  se  trouvent  par  conséquent  sur  une  circonfé- 
rence ayant  le  foyer  F'  pour  centre,  avec  un  rayon 
égal  au  grand  axe,  et  coupant  le  prolongement  de 
cet  axe  en  un  point  G  séparé  de  A  par  une  distance 
AC  égale  à  AF.  Chaque  point  de  l'ellipse  est  k 
égale  dislance  du  foyer  F  et  de  la  circonférence. 

Supposons  que  l'ellipse  grandisse  indéfiniment, 
en  conservant  le  sommet  A  et  le  foyer  F  qui 
restent  fixes,  et  qu'on  répète  les  mêmes  construc- 
tions. Les  extrémités  k  des  droites  obtenues  en 
prolongeant  chaque  rayon  vecteur  issu  du  foyer 
mobile  F"  d'une  quantité  égale  à  l'autre  rayon 
vecteur,  seront  sur  une  circonférence  décrite  du 
foyer  F"  pour  centre  avec  un  rayon  égal  à  AA", 
et  passant  aussi  en  C,  où  elle  est  tangente  à  la 
précédente,  et  chaque  point  de  cette  nouvelle 
ellipse  est  encore  également  distant  du  foyer  fixe 
F  et  de  la  circonférence  correspondante. 

Or,  à  mesure  que  le  second  foyer  s'éloigne  de 
plus  en  plus,  la  circonférence  s'ouvre  davantage 
et  diffère  de  moins  en  moins  de  la  perpendicu- 
laire DD'  à  l'axe,  qui  lui  est  tangente,  et  les  jayons 
vecteurs  qui  partent  du  foyer  mobile  font  avec 
l'axe  des  angles  de  plus  en  plus  petits.  Par  con- 
séquent, lorsque  ce  foyer  est  à  une  distance  i'^fi- 
ninient  grande,  le  petit  axe  de  l'ellipse  qui  a 
grandi  en  même  temps  que  l'autre  est  infiniment 
grand,  et  il  ne  reste  que  la  moitié  représentée 
par  l'arc  PAP';  l'autre  moitié  est  pour  ainsi  dire 
perdue  dans  l'infini.  Les  rayons  vecteurs  tels  que 
GX,  venant  du  second  foyer  qui  est  à  l'infini, 
sont  alors  parallèles  à  l'axe  ;  la  circonférence  est 
devenue  la  tangente  DD',  et  chaque  point  I  de 
la  moitié  de  l'ellipse  infinie  est  également  dis- 
tant du  foyer  F  et  de  la  droite  DD'  ;  cette  demi- 
ellipse  infinie  est  précisément  la  parabole. 

DÉFiNiiiON.  —  Nous  arrivons  ainsi  k  la  défini- 
tion ordinaire  :  la  parabole  est  une  courbe  plane 
non  fermée  telle  que  chacun  de  ses  points  e^t 
\  éyalenieiU  distant  d'un  point  fixe  qui  se  n'.mni 


PARABOLE 


—  1504  — 


PARABOLE 


foyer,  H  d'une  droite  fixe    gui  est  la   directrice. 

CONSTRLCTION    DE    LA  PARABOLE.  —  D'apfès  Cette 

définition,  il   est  facile   de    décrire  d'un   mouve- 
ment continu,  non  pas    la  parabole  entière,  mais 
un  arc  de  parabole,   étant  donnés  le  foyer  et  la 
directrice. 
1°  Soit  Fie  foyer  donné  etDD'la  directrice  (fig.  2). 


La  droite  CFX  menée  i)ar  F  perpendiculairement 
i  DD'  est  l'axe,  et  le  milieu  A  de  la  distance  CF 
est  le  point  nommé  sonvnet  de  la  parabole. 

On  applique  une  règle  le  long  de  la  directrice, 
et  contre  cette  règle  le  petit  côté  de  l'angle  droit 
d'une  équerre  GHK,  à  l'extrémité  G  de  laquelle 
est  attaché  un  fil,  dont  l'autre  bout  est  fixé  au 
foyer  F,  et  qui  a  une  longueur  égale  au  côté  GK 
de  l'équerre.  On  fait  ensuite  glisser  l'équerre  le 
long  de  la  règle,  en  tenant  au  moyen  d'une 
pointe  le  fil  tendu  sur  le  côté  GK  de  l'équerre, 
de  manière  qu'il  forme  une  ligue  brisée  GMF, 
dont  les  deux  parties  varient  de  longueur  dans 
le  déplacement  de  l'équeiTe.  La  pointe  placée 
en  M  se  déplace  aussi  et  décrit  l'arc  de  parabole  ; 
en  effet  la  distance  MK  du  point  M  à  la  directrice 
et  sa  distance  MF  au  foyer  restent  constamment 
égales  l'une  h  l'autre.  L'arc  qui  sera  décrit  au- 
dessous  de  ex  est  identique  à  celui  qui  est  décrit 
au-dessus. 

2°  On  peut  aussi  construire  un  arc  de  parabole 
en  déterminant  un  nombre  suffisant  de  ses  points. 


on  marque  le  milieu  A  de  la  distance  CF,  qui  est 
le  sommet  de  la  courbe.  En  un  point  quelconque  I 
de  l'axe  on  élève  une  perpendiculaire  indéfinie  ; 
puis  avec  un  rayon  égal  à  la  distance  IC  de  ce 
point  à  la  directrice,  on  décrit  du  foyer  F  pris 
pour  centre  un  arc  qui  coupe  cette  perpendicu- 
laire en  deux  points  M  et  M'  :  ces  deux  points 
appartiennent  à  la  parabole.  En  prenant  ensuite 
d'autres  points  sur  l'axe  et  en  répétant  les  mêmes 
constructions  que  pour  le  point  I,  on  obtient 
autant  de  groupes  de  deux  points  symétrique- 
ment placés,  comme  M  et  M',  par  rapport  à  l'axe. 
Il  ne  reste  plus  qu'à  tirer  un  trait  continu  par 
tous  ces  points 

Exemples  de  paraboles.  —  Les  comètes  pério- 
diques, c'est-à-dire  celles  qui  doivent  reparaître  à 
des  époques  plus  ou  moins  éloignées,  décrivent, 
comme  les  planètes,  autour  du  soleil  des  ellipses 
dont  cet  astre  occupe  un  foyer  ;  c'est  ce  que  les 
astronomes  ont  reconnu  en  les  observant  en  divers 
points  de  leur  course.  Mais  pour  la  plupart  des 
comètes,  ils  ont  trouvé  à  l'aide  du  calcul  qu'elles 
décrivent  des  ellipses  tellement  allongées  que 
leur  orbite  ne  diffère  pas  d'une  parabole  ;  c'est 
ainsi  que  ces  astres,  après  qu'ils  ont  passé  près 
du  soleil,  s'éloignent  continuellement  et  ne  seront 
plus  visibles  pour  nous. 

Nous  rencontrons  aussi  la  parabole  plus  près 
de  nous  dans  la  forme  que  prennent  les  câbles 
qui  soutiennent  les  ponts  suspendus,  dans  le  che- 
min que  suivent  les  projectiles  lancés  par  un  ca- 
non ou  une  pierre  à  laquelle  on  a  imprimé  une  vive 
impulsion  dans  une  direction  différente  de  la  ver- 
ticale. 11  est  bon  d'observer  que  la  résistance  de 
l'air  altère  toujours  la  trajectoire  parabolique  que 
tend  à  suivre  le  mobile. 

Tangente.  —  La  parabole  possède  aussi  une 
propriété  importanle,  relative  à  sa  tangente  ;  c'est 
la  même  que  celle  de  la  tangente  à  l'ellipse. 

Si  du  point  de  contact  d'une  tangente  à  la  pa- 
rabole on  mène  une  droite  au  foyer  et  une  droite 
paralli-le  à  l'axe,  ces  deux  droites  font  avec  la 
tant/ente  des  angles  égaux. 

Soit  TS  tangente  en  M  à  une  parabole  (fig.  4)  et 
MV  parallèle  à  l'axe  ;  les  angles  VMS  et  FMT  sont 


4h 


Soit  F  le  foyer  et  DD'  la  directrice  (fig.  3).   On 
mène  l'axe  CX  perpendiculaire  i.  la  directrice,  et 


égaux.  Par  suite,  la  normale  MN,  perpendiculaire 
b.  la  tangente,  est  bissectrice  de  l'angle  VMF. 

Si  l'arc  de  parabole  PAP'  tourne  autour  de 
l'axe,  la  surface  courbe  qu'il  engendre  est  un  pa- 
raboloîde,  et  en  supposant  que  cette  surface  soit 
métallique  et  bien  polie  à  l'intérieur,  on  a  ce  qu'on 
appelle  un  miroir  poral-olique. 

Qu'on  mette  ce  miroir  en  face  de  la  lune  par 
exemple  ;  les  rayons  de  cet  astre  tombant  sur  ce 
miroir  peuvent  être  regardés   comme  parallèles. 


PARASITES 


1503 


PARATONNERRE 


Soit  VM  un  do  ces  rayons;  son  angle  d'incidence  lia  propreté  obligatoire   s'étend  à  tout  le  corps  et 
sur  le  réflecteur  est  V'M.\  ;  l'angle  do  réflexion  de-    aux  vêtements.  La  moindre  négligence  suffit  pour 


vaut  lui  être  égal,  le  rayon  réfléclii  suivra  la  di 
roction  MF.  Ainsi  tous  les  rayons  de  lumière  en- 
voyés par  la  lune  sur  ce  miroir  iront,  après  leur 
réflenion,  se  croiser  au  foyer  F.  Là  se  forme  une 
image  réelle  et  toute  petite  de  la  lune  A  l'aide 
d'une  loupe  d'un  grossissement  considérable,  dis- 
posée convenabiemi'nt  dans  le  voisi'iage,  on  verra 
l'image  très  amplifiée  de  la  lune  :  cet  instrument 
n'est  autre  chose  que  le  télescope. 

Réciproquement,  une  lampe  étant  placée  au  foyer 
d'un  miroir  parabolique,  les  rayons  lumineux  en- 
voyés par  celte  lampe  sur  le  nnroir  seront  réflé- 
chis et  suivront  après  cette  réflexion  une  direction 
parallèle  à  l'axe  :  ils  forment  ainsi  un  faisceau 
/luniineu.'s  cylindrique,  qui  peut  se  propag>'r  à  une 
grande  distance.  C'est  ainsi  qu'étaient  disposés 
les  phares,  avant  qu'on  eût  remplacé  le  réflecteur 
parabolique  par  un  système  de  lentilles. 

La  réflexion  des  rayons  calorifiques  s'opère 
•comme  celle  des  rayons  lumineux.  Par  consé- 
quent les  rayons  solaires  tombant  sur  un  réflec- 
teur paraboli<|ue,  se  croiseront  tous  au  foyer  et 
pourront  enflammer  un  corps  combustible  placé 
en  ce  point. 

Des  effets  analogues  se  produiront  pour  les 
rayons  sonores.  Ainsi  un  homme  dont  l'o- 
reille serait  placée  au  foyer  d'une  surface  para- 
bolique, entendrait  des  sons  venus  de  loin  et  qui 
resteraient  imperceptibles  pour  d'autres  person- 
nes ;  c'est  un  fait  qui  a  été  observé  sur  un 
vaisseau  qui  se  dirigeait  vers  la  côte  orientale 
de  r.\morique  du  Sud.  Un  matelot  debout  sur  le 
pont  dit  un  jour  qu'il  entendait  le  son  des  clo- 
•  elles.  Comme  on  était  loin  de  la  terre, on  crut  qu'il 
plaisantait;  mais  plus  tard  on  apprit  qu'à,  ce  mo 
ment   même  toutes   les   cloches    avaient    été  mi 


donner  asile  à  des  insectes  dont  la  multiplication 
cause  une  gfine  insupportable  ou  de  véritables 
maladies. 

L'instituteur  ne  se  bornera  donc  pas  à  une  ins- 
pection sommaire  et  à  des  conseils  généraux  sur 
les  avantages  de  la  propreté.  Il  lui  faudra  prendre 
h  partie  chaque  ennemi,  le  signaler  aux  enfants, 
le  décrire,  leur  inspirer  du  dégoût,  de  l'horreur 
pour  tous  les  parasites.  La  leçon  familière  et  pra- 
ti(|ue  faite  à.  l'école  sera  sans  doute  répétée  par 
l'enfant  à  ses  parents  :  ce  sera  un  enseignement 
et  un  avertissement. 

Dans  quelques  campagnes,  la  routine,  les  pré- 
jugés, la  misère  rendent  difficile  l'exécution  des 
règlements  scolaires  relatifs  à  la  propreté.  Dans 
ces  conditions  défavorables,  le  maître  doit  redou- 
bler de  zèle,  stimuler  les  enfants,  les  parents, 
employer  la  persuasion  sous  toutes  ses  formes.  Si 
ses  efforts  sont  vains,  qu'il  n  hésite  pas  à  consi- 
dérer comme  atteint  de  maladie  contagieuse  tout 
enfant  sur  lequel  il  découvrira  des  traces  de  para- 
sites :  l'exclusion  est  alors  indispensable. 
V.  Maladies,  Helminthes,  Insectes. 

[D.  Saffray.] 
PAnATONKERRE.  —  Physique,  XXIII.  —  Le 
paratonnerre,  destiné  à  préserver  les  édifices  des 
effets  de  la  foudre,  est  une  tige  métallique  verti- 
cale, terminée  par  une  pointe,  placée  sur  le  som- 
met de  l'édifice  et  communiquant  intimement  avec 
le  sol  par  un  conducteur  métallique  non  inter- 
rompu. Il  est  fondé  sur  la  propriété  des  pointes 
de  ne  pas  laisser  l'électricité  s'accumuler  sur  les 
corps  dont  elles  font  partie,  en  présence  d'un  autre 
corps  fortement  chargé  d'électricité. 

Lorsqu'un  nuage   orageux  vient  à  passer   assez 
près  d'un  édifice,  l'électricité  qu'il  renferme  exerce 


ses  en  branle   à  Rio-Janeiro,    à  l'occasion   d'une    une  action  d'influence  sur  les  corps  voisins  non 

fêle   publique.  Une  voile  gonflée  par  le  vent  avait    encore  électrisés  ;  une  charge  électrique  est  appe- 

,pris  à.  cet  instant  la  forme  d'un  réflecteur  paraboli-    lée  au  sommet  de  l'édifice  et  elle  tend  à  se  recom- 

que,  au  foyer  duquel  l'oreille  da  matelot  s'était  trou-    biner  à  l'électricité  du  nuage  sous    forme  d'une 

■vée  par  hasard.  grande  et  vive  étincelle.  Le  môme  phénomène  d'in- 

SuRFACE  d'un  segment   DE  PARABOLE.  —  Il  peut    fluenco  a  lieu  quand  l'édifice   est   surmonté   d'un 

■  être  utile  de   savoir  évaluer  la   surface  d'un   seg-    paratonnerre  ;    mais    la    pointe    laisse    échapper 

ment  de    parabole   compris    entre    le    sommet  A    l'électricité  au  lieu  de  la   retenir  ou  de  l'accumu- 

fig.  3)  et  une  corde  iWlM'  perpendiculaire  à  l'axe.    1er  ;  et  cette  électricité  va  au  travers  de  l'air,  peu  it 

Nous  nous  bornerons  à  énoncer  le  théorème  sui-    peu,  neutraliser   celle  du  nuage  ;    la  tension  élec- 

vant  :  Le   seyment  de  parabole   compris  entre  /e    triciue  de  celui-ci  diminue  et  il  devient  alors  moins 

sommet  et  une  corde  perpendiciduire  à  /'nxe  es<    dangereux,  souvent  même  iiioffensif.  Telle  est  dans 

.les  deux  tiers  du  rr-d'inyle  (jui  aurnil  celtrcordel  la  plupart  des  cas  l'action  du  paratonnerre  ;  elle 

_pour  base  et  sa  dislance  au  som'tnetpow  hauteur,    est  tout  antre  qu'on  ne  se  le  figure  généralement.  On 

SuiiFACE  DE  l'ellipse.   —  A  Cette  occasion  nous    croit  qu'il  attire  l'électricité  au  moment  où  l'éclair 

réparerons     une    omission  qui    a    eu  lieu    dans    part  et  qu'il  la  conduit  dans  le  sol  ;  c'est  tout  le 

l'article  Ellipse,  au  sujet  de   la  surface  de  cette    contraire  qui    a  lieu,  puisque  l'électricité  pin-t  de 

courbe  :  elle  est  égale  au  produit  des  deux  demi-    la  pointe  pour  se  porter  vers  le  nuage;    et  c'est 

axes  multiplié  par  n.  Par  conséquent  les  demi-axes    si  vrai,  que  dans  les  jours  d'orage  on  peut  voir  les 


étant   représentés   par  a  et  é,   on  a  nab  pour  la 
surface  de  l'ellipse.  [G.  Bovier-Lapierre.] 

PARALLÈLICS.  —  V.  Lignes,  Dmites  et  Plans. 

l'AKALLÉLII'lPÈDE.  —  V.  Pohjèdres. 

PAUALLELOGRAM.ME.  —  V.  Poiyijones. 

PARASITES.  —  Hygiène,  XVIII.  -  L'école 
■étant  un  milieu  éminemment  favorable  à  la  dissé- 
mination des  parasites,  l'instituteur  doit  veiller, 
avec  un  soin  minutieux,  à  la  propreté  apparente 
et  réelle  des  enfants.  L'inspection  ordinaire  ne 
suffit  pas.  Des  cheveux  bien  lissés  peuvent  en  im- 
poser sur  la  condition  du  cuir  clievelu.  Il  serait 
désirable  que  les  écoliers  eussent  toujours  les 
cheveux  très  courts,  cela  facilite  le  nettoiement  à 
fond  de  la  tête  et  permet  d'apercevoir  dès  les  pre- 
miers jours  les  intrus  qui  cherchent  à  y  prendre 
domicile.  La  propreté  et  l'hygiène  s'arcordent  donc 
à  conseiller  la  coitTure  en  brasse,  qui  sied  d'ailleurs 
bien  \\  un  jeune  visage. 

Un^l  figure   bien  nette,   des  mains  bien  lavées 


paratonnerres   surmontés    d'aigrettes  lumineuses 
visibles  dans  l'obscurité. 

Un  nuage  a-t-il  une  charge  trop  forte  pour  que 
la  pointe  suffise  i  la  neutraliser?  le  paratonnerre 
est  encore  utile  :  c'est  entre  lui  et  le  nuage  que 
jaillit  l'étincelle  électrique,  parce  que  sa  haute  tige 
métallique  est  le  point  de  l'édifice  le  plus  rappro- 
ché du  nuage,  le  plus  rapidement  électrisé  et  le 
meilleur  conducteur. 

Pour  qu'un  paratonnerre  soit  dans  de  bonnes 
conditions,  il  faut  observer  quelques  précautions 
dans  sa  construction.  Les  règles  à  suivre  ont  été 
formulées  en  1 854  par  une  commission  de  l'Académie 
des  sciences  ;  elles  ont  trait  à  la  tige,  à  la  pointe, 
au  conducteur  et  à  la  communication  avec  le  sol. 

La  tige  est  une  barre  do  5  à  «  centimètres  de 
diamètre  à  la  base,  allant  en  s'amincissaiit.  Elle  se 
termine  à  la  partie  supérieure  par  un  cône  de  cui- 
vre, visse  etsoudé,  au  1er  et  recouvert  d'une  couche 
de  plali  le  qui  le  préserve  de  l'oxydation.   Autre- 


sont  de  rigueur  pour  se  présenter  à  l'école.  Mais  1  fois  on  faisait  les  pointes  plus  effilées  et  l'cMrémitc 
î"  Paiitie:.  Ui 


PARIS 


—  1506  — 


PARIS 


était  tout  entière  en  platine;  mais,  dans  ces  condi- 
tions, elles  pouvaient  être  fondues  par  la  haute 
température  de  l'étincelle  et  s'émousser  trop  faci- 
lement. 

A  sa  partie  inférieure,  la  tige  est  solidement  fixée 
à  la  cliarpente  du  bâtiment,  et  elle  porte  le  conduc- 
teur qui  doit  la  mettre  en  communication  avec  le 
sol.  Le  conducteur  est  une  barre  de  fer  de  2  cen- 
timèlres  environ  de  côté,  qui  descend  suivant  les 
contours  de  l'édifice  et  vient  s'enfoncer  dans  le  sol. 
La  communication  avec  le  sol  doit  t;tre  établie 
de  la  manière  la  plus  parfaite.  D'ordinaire,  on  ter- 
mine le  conducleur  dans  l'eau  d'un  puits  qui  ne 
doit  jamais  tarir.  Autrement,  il  faudrait  creuser 
dans  le  sol  une  fosse  assez  vaste,  la  remplir  de 
charbon  conducteur  comme  la  braise  de  boulanajer 
et  y  terminer  la  chaîne  conductrice  par  un  très 
grand  nombre  de  rameaux.  Une  nappe  d'eau  na- 
turelle est  de  beaucoup  meilleure  ;  mais  une  citerne 
dont  les  parois  sont  imperméables  à  l'eau  ne  rem- 
plirait pas  les  conditions. 

Les  grandes  masses  métalliques  du  bâtiment  doi- 
vent être  mises  en  communication  avec  le  conduc- 
teur; sans  cela,  elles  s'électriseraient  très  forte- 
ment par  influence,  et  l'étincelle  pourrait  jaillir 
entre  elles  et  le  nuage  malgré  le  paratonnerre. 

Lorsqu'il  y  a  plusieurs  paratonnerres  sur  un 
édifice,  il  est  bon  de  les  faire  communiquer  tous 
ensemble  et  d'avoir  pour  chacun  d'eux  un  puits  où 
aboutit  le  conducteur. 

On  admet  qu'un  paratonnerre  peut  protéger  un 
espace  en  cercle  d'un  rayon  double  de  sa  hauteur; 
mais  il  n'y  a  rien  d'absolument  certain,  et  il  est 
probable  que  cette  distance  est  le  minimum  du  cer- 
cle de  protection. 

C'est  à  Franklin  que  l'on  est  redevable  de  cet 
appareil  si  utile,  appliqué  très  heureusement  au- 
jourd'hui, non  seulement  sur  beaucoup  d'édilices. 
mais  aussi  sur  les  constructions  flottantes  comme 
les  grands  navires  qui  sont,  tout  autant  que  les 
objets  terrestres,  exposés  aux  effets  de  la  foudre. 
[Haraucourt.] 
PARIS.  —  Histoire  de  France.  X.\XV1I1-XL.  — 
L  histoire  de  Paris  devance,  explique  et  résume 
celle  de  la  France  entière. 

Elle  la  devance,  car  la  plupart  des  grandes  trans- 
formations sociales,  politiques  ou  intellectuelles, 
avant  d'être  acceptées,  acclamées  par  les  provinces, 
ont  d'ordinaire  été  conçues,  mûries,  élaborées  dans 
le  grand  creuset  parisien. 

Elle  l'explique,  car  la  population  parisienne,  for- 
mée du  mélange  de  toutes  les  vieilles  nationalités 
.  provinciales  (plus  des  deux  tiers  des  habitants  de 
Paris  sont  nés  dans  les  départements),  représente, 
avec  une  parfaite  harmonie,  l'admirable  équilibra 
de  vingt  tempéraments  divers,  et  concentre  en 
elle,  avec  une  singulière  énergie,  les  vagues  aspi- 
rations de  la  France  entière. 

Elle  la  résume  enfin,  car  chez  un  peuple  aussi 
anciennement  formé,  aussi  fortement  centralisé 
que  le  notre,  le  sort  de  la  capitale  a  dû,  aux  heures 
solennelles,  décider  du  sort  du  pays.  Voilà  pour- 
quoi toutes  les  grandes  crises  de  notre  vie  natio- 
nale ont  eu  là  leur  origine  ou  leur  dénoiiment. 

Pourquoi  fnris  deiinl  cnpitale  cl"  la  Friince.  — 
!•  Causes  politiques.  —  Pouniuoi  Paris  est-il  de- 
venu la  capitale  de  la  France'/'  D'où  vient  ce  pro- 
digieux essor  de  la  pauvre  bourgade  gauloise, 
perdue,  au  temps  de  César,  dans  les  roseaux  do 
'  la  Seine,  et  formant  aujourd  hui,de  l'aveu  de  tous 
les  étrangr-rs,  la  plus  étonnante  cité  de  l'univers'/ 
Le  temps,  la  nature  et  les  hommes,  tels  sont  les 
trois  facteurs  de  la  j.'randeur  parisienne.  Vingt  siè- 
cles d'existence,  une  evcellente  situation  géogra- 
phique et  le  caractère  essentiellement  novateur  et 
militant  des  Parisiens,  voilà  les  éléments  de  celte 
incomparable  grandeur  historique  dont  nous  allons 
brièvement   raconter  les    débuts    laborieux,    les 


étapes  douloureuses,  les  éclipses  passagères  et  les 
derniers  progrès. 

Jetons  les  yeux  sur  une  carte  d'Europe.  Nous  y 
verrons  que  d'impérieuses  raisons  politiques  ont 
dicté  à  chaque  peuple  le  choix  de  sa  capitale. 
Pourquoi  Londres  est-il  situé  à  l'extrémité  sud- 
est  des  îles  Britanniques?  C'est  que,  de  tout 
temps,  l'Angleterre  a  dû  faire  tête  à  la  France,  aux 
Pays-Bas  et  à  l'Allemagne.  Pourquoi  la  capitale 
de  l'Autriche  est-elle  à  Vienne,  et  non  sur  le 
cours  central  du  Danube?  C'est  que  l'Autriche 
visait  jadis  à  dominer  l'Allemagne ,  et  non 
l'Orient  slave.  Pourquoi  le  tsar  Pierre  a-t-il,  fou- 
lant aux  pieds  la  nature  et  les  hommes,  jeté 
Saint-Pétersbourg  au  milieu  des  marécages  bru- 
meux de  la  Neva?  C'est  que  la  ville  nouvelle  me- 
naçait la  grande  ennemie  de  la  Russie  d'alors,  la 
Suède.  Et  pourquoi  la  Suède  elle-même  avait-elle 
fait  de  Stockholm  le  centre  de  sa  puissance  t 
Pour  dominer  plus  sûrement  la  Baltique. 

Ainsi  c'est  une  loi  de  l'histoire  et  une  loi  inflexi- 
ble. Tout  peuple  doit  porter  sa  capitale  vers  le 
point  le  plus  menacé  de  sa  frontière,  là  où  il  faut 
résister  à  l'ennemi.  Et  pour  la  France  où  donc  sera 
cette  brèche  ouverte  à  la  frontière,  celle  plaie  sai- 
gnante encore  du  fer  de  l'étranger?  Le  seul  aspect 
de  la  carte  suffirait  à  répondre,  si  l'histoire  et  les 
souvenirs  du  peuple  ne  répondaient  déjà  trop 
éloquemment. 

Ce  n'est  pas  du  côté  de  ces  peuples,  latina 
comme  le  notre,  ayant  mêmes  goûts,  même  his- 
toire, et  parlant  une  langue  sœur  de  la  nôtre,  les 
Espagnols  et  les  Italiens.  Le  danger,  c'est  l'inva- 
sion du  Nord,  que  ne  peut  arrêter  la  vaste  plaine 
ouverte  qui  s  ouvre  jusqu'au  Khin  ou  expire  à  la 
Manche.  C'est  l'invasion  germanic|ue ,  anglo- 
saxonne  on  purement  allemande;  c'est  Edouard  111 
ou  Wellington,  Biùcher  ou  Guillaume;  c'est  Crécy, 
■Waterloo  ou  Sedan;  c'est  la  lormidable  concur- 
rence de  l'industrie  allemande  ou  de  la  marine 
anglaise.  Dans  cette  région  du  nord  ont  eu  lieu 
toutes  nos  grandes  luttes,  padfiques  ou  militaires. 
Là  est  le  point  vulnérable  de  la  France.  Voilà 
pourquoi,  des  quatre  grands  bassins  de  fleuve  qui 
la  sillonnent  (Rhône,  Garonne.  Loire  et  Seine),  le 
plus  septentrional  éiait  prédestiné,  par  l'impé- 
rieuse nécessité  de  la  politique,  à  devenir  le  centre 
de  sa  nationalité  et  le  berceau  de  sa  grandeur. 

2'  Causes  nuturellfs.  —  Etant  donné  que  la  ca- 
pitale de  la  France  dût,  par  la  fo''ce  des  choses  et 
sous  la  pression  du  péril  extérieur,  venir  s'asseoir 
sur  les  rives  de  la  Seine,  voyons  ce  qu'avait  fait  la 
nature  pour  la  prospérité  du  Paris  à  venir. 

Vers  le  cours  central  de  la  Seine  s'étend,  entre 
deux  rivières  navigables  lia  Marne  et  l'Oise),  une 
plaine  fertile  que  borne  à  l'horizon  un  cercle  de 
collines  boisées.  Les  méandres  du  fleuve,  les  ren- 
flements du  terrain  y  forment  comme  un  fossé 
multiple  et  un  rempart  naturel  de  facile  défense. 
Voilà  pour  le  pittoresque  et  pour  la  sécurité.  Mais 
ce  qui  distingue  essentiellement  ce  vaste  amphi- 
théâtre, c'est  la  nature  du  sol,  plein  de  fossiles, 
étonnamment  riche  en  matériaux  de  constructioii, 
en  grès,  en  chaux,  en  pierre  blanche.  Sous  les  ri- 
ches vignobles  qui  le  recouvrent,  ce  sol  cache  les 
futures  assises  que  prodiguera  Paris  à  ses  lastueux 
monuments.  Le  meollon  esta  Montrouge.  le  plâtre 
h  Montmartre,  le  pavé  à  Fontainebleau,  la  brique  à 
Vaugirard.  Et  les  nappes  d'eau  souterraines  sont 
prêtes  à  sourdre  sous  lo  puits  artésien. 

Elargissons  le  cercle.  De  Saint-Germain,  Marly, 
Versailles,  Montmorency,  Bondy,  Rambouillet, 
Chantilly  et  Compiogne,  se  déroule  comme  une 
vaste  enceinte  de  forets  offrant  à  la  ville  future  du 
bois  pour  ses  bateaux,  ses  constructions  et  son 
chauffage. 

A  l'est  s'étend  la  Brie  avec  ses  pâturages,  la 
Bourgogne  et  ses  vignobles;  à  l'ouest, les  champs 


PARIS 


—  1507  — 


PARIS 


de  blé  de  la  Bcauce  et  les  plaines  qui  nourrissent 
les  troupeaux  normands  ;  autant  de  réservoirs  tout 
prûts  h  alimenter  le  grand  estomac  parisien. 

En  résumé,  la  nature  a  dojiné  largement  à  Paris 
l'eau,  le  bois,  la  pierre,  un  sol  fertile,  tous  lis 
éléments  réunis  f|ui  assurent  la  prospérité  maté- 
rielle d'une  capitale.  Essayons  de  voir  ce  que  l'é- 
nergie des  hommes  et  le  travail  des  temps  en  a 
tiré. 

Paris  préhisloriqu!'.  —  Le  sol  où  s'élève  aujour- 
d'hui Paris  nous  apparaît,  à  l'aurore  des  temps 
historiques,  comme  parsemé  de  marécages  qui  s'é- 
tendirent longtemps  encore  vers  l'est  (quartier  du 
Marais),  et  sillonné  par  deux  ou  trois  ruisseaux 
tombant  des  pentes  de  Montmartre  ou  traversant 
le  futur  faubourg  Saint-Germain.  A  l'ouest,  une 
forêt  épaisse  couvrait  l'emplacement  du  Louvre  et 
se  prolongeait  d'une  part  sur  les  hauteurs  de 
Chaillot,  de  l'autre,  au  delà  de  la  Seine,  vers  la 
rive  où  s'étendit  plus  tard  le  Pré-aux-clercs.  Dans 
cette  plaine  verdoyante  et  marécageuse  erraient 
en  abondance  les  loups  et  les  sangliers.' 

Paris  yaulois.  —  C'est  li  que,  ià  ans  avant  notre 
ère,  Jules  César,  le  conquérant  des  Gaules,  décou- 
vrit, dans  une  petite  île  boueuse  de  la  Seine  {l'Ile 
de  la  Cité,  dont  la  superficie  n'était  alors  que  de 
là  hectares),  un  amas  de  huttes  faites  de  bois  et 
de  paille,  habitées  par  une  pauvre  tribu  gauloise, 
les  Pwisii  ou  Parisiens.  La  ville  s'appelait  Lutèce 
(Lucutetia  .suivant  Ptolémée  et  Lcuti-kia  suivant 
Julien],  ce  qui  signifie  en  celtique,  selon  les  uns 
«  le  lieu  fortifié  »  {Lu-tas-sry),  suivant  les  autres 
0  la  ville  au  milieu  des  eaux  »  [Lou-tou-hezi). 

César  fut  frappé  de  soli  heureuse  situation.  Il 
y  convoqua  l'assemblée  générale  des  Gaulois  (53). 
Mais,  dès  l'année  suivante,  les  Parisiens,  sans  s'ef- 
frayer du  sort  de  leurs  voisins  les  Sénonais,  accla- 
maient le  Vercingétorix,  libérateur  des  Gaules,  et 
armaient  8  000  hommes  pour  la  défense  de  la  pa- 
trie commune. 

Labiénus,  le  meilleur  lieutenant  de  César,  mar- 
che contre  eux  avec  dts  forces  écrasantes  (quatre 
légions).  Les  Parisiens  choisissent  pour  chef  un 
vieillard  renommé  pour  son  habileté  et  sa  bra- 
voure, Camulogène,  et  barrent  la  route  à  l'armée 
romaine,  liais  Labiénus,  par  un  mouvement  tour- 
jiant,  force  le  passage  de  la  Seine  \  Melodunum 
(Melun)  et  revient  sur  Lutèce  pour  la  prendre  à 
revers.  Les  Parisiens,  à  cette  nouvelle,  brûlent 
■  leur  ville  et  se»  deux  ponts,  et  se  cantonnent  au 
milieu  des  marécages  pour  couper  aux  Romains 
toute  retraite.  Labiénus,  bloqué  à  son  tour,  fran- 
chit le  fleuve  (vers  le  Point-du-Jour)  à.  la  faveur 
d'une  surprise  nocturne,  et  s'ouvre  une  ligne  de 
retraite.  Pour  l'arrêter,  les  Parisiens  livrent  ba- 
taille, soutiennent  victorieusement  le  clioc  de  la 
12"  légion,  mais  sont  bientôt  enveloppés.  «  Pas 
un  Gaulois  ne  recula,  »  dit  César.  Ils  se  firent  ex- 
terminer tous  sans  lâcher  pied,  avec  leur  vieux 
chef  Camulogène  (52  avant  J.-C).  Le  lieu  du  dé- 
sastre fut  la  plaine  de  Grenelle.  C'est  la  première 
bataille  de  Paris. 

Paris  .  oma'ii.  —  La  Gaule  soumise,  Lutèce  re- 
construite devint  ville  tributaire.  Elle  fut  comprise, 
après  Auguste,  dans  la  1'  Lyonnaise,  au  ii'  rang 
parmi  les  villes  qui  composaient  cette  province, 
^es^omains  voulaient  en  faire  une  cité  latine.  Us 
y  créèrent,  pour  la  garder,  un  camp  retranché  (sur 
la  colline  du  Luxembourg)  avec  avant-posle  sur  la 
montagne  de  Valérius  (Mont-Valérienl.  Pour  la 
gouverner,  ils  élevèrent  un  petit  palais,  agrandi 
plus  tard  sous  Julien,  et  qui  devint  les  célèbres 
lneriii.es,  le  plus  antique  monument  qui  subsiste 
n  "i'^l'î  P""^  IST  la  montagne  Sainte-Geneviève;. 
Ils  établirent  un  cirque  (au  faubourg  Saint-Ger- 
main) un  grand  aqueduc  (à  Arcueil),  et  plusieurs 
templj.s  pour  propager  la  religion  romaine,  tem- 
ples dédiés  par  Tibère  à  Mercure,  Apollon  ou  Ju- 


piter (sur  l'emplacement  de  la  future  église  Notro- 
Damel.  En  face  de  ces  constructions  officielles 
élevées  sur  la  rive  gauche  s'étendaient,  sur  la  rive 
droite,  des  bains  publics  (au  Palais-Royal),  un 
champ  de  sc])ulturcs  {rue  Vivienne),  et  un  grand 
nombre  de  villas  quo  dominait  au  loin  le  temple 
élevé  sur  la  colline  d<!  Mars  (Montmartre). 

C'est  du  règne  de  'l'ibère  que  date,  pour  la  cor- 
poration dos  «  pilotes  parisiens  »  [naidx parisiaci) , 
le  précieux  monopole  des  transports  sur  la  Seine.  De 
là  sortit  plus  tard  la  Confrérie  des  marchands  de 
l'eau  et  la  l'anse  parisienne,  avec  ses  armes  sym- 
boliques et  sa  devise  qu'a  confirmée  l'histoire  : 
Il  Fluctuât  nec  mergilur  ».  Malgré  bien  des  orages, 
le  vaisseau  parisien  ne  devait  pas  sombrer. 

Lutèce  la  gauloise  était  devenue,  dès  lors,  sous 
l'intelligente  administration  laline,  le  centre  d'une 
petite  puissance  navale.  Là  était  la  station  de  la 
flotte  romaine.  Les  hardis  pilotes  de  la  Cité  cou- 
vraient de  leurs  escadrilles  marchandes  toutes  les 
rivières  de  la  Gaule  du  Nord.  Certaines  légendes 
naïves,  rappelées  parGrégoire  de  Tours,  affirmaient 
que  la  ville  était  sacrée,  que  l'incendie  n'y  pou- 
vait s'allumer,  que  les  serpents  n'en  pouvaient  fran- 
chir le  seuil. 

L'arrivée  du  christianisme  et  des  barbares  de- 
vait brusquement  interrompre  ce  rêve  de  prospé- 
rité. 

C'est  vers  l'an  260  que  saint  Denis  vint  prêcher 
la  foi  nouvelle  à  Lutèce.  Saisi  avec  deux  de  ses 
compagnons,  Eleuthère  et  Rustique,  il  fut  conduit 
sur  la  colline  de  xMars  et  décapité.  En  mémoire  de 
son  supplice,  les  chrétiens  donnèrent  à  ce  lieu  le 
nom,  qui  lui  est  resté,  de  mont  des  .Martyrs. 

La  religion  nouvelle  conserva  pourtant,  à  Lutèce, 
plus  d'un  adepte.  Un  concile  s'y  tint  librement 
en  :)6l),  et  bientôt,  sous  Tliéodose,  un  enfant  de 
Paris,  Marcel,  en  deviendra  l'évoque  et  donnera 
son  nom  à  un  des  faubourgs  du  sud. 

Cependant  Constance  Clilore  avait  embelli  le 
palais  des  Thermes,  d'où  partaient  plusieurs  voies 
romaines.  Après  lui,  le  jeune  César  Juhen,  un  des 
plus  grands  esprits  de  l'antiquité,  s'éprit  d'un  vif 
amour  pour  Lutèce.  Il  y  fixa  sa  résidence,  y  passa 
quatre  années  (:iJf!-3Cl)  après  avoir  vaincu  les 
Alamans  sur  le  Rhin.  «  J'avais  établi,  dit-il,  mes 
quartiers  d'hiver  dans  ma  chère  Lutèce,  ainsi 
que  les  Celtes  appellent  la  petite  ville  des  Pa- 
risiens. Elle  est  située  sur  le  fleuve  qui  l'envi- 
ronne de  toutes  parts,  en  sorte  qu'on  n'y  peut 
aborder  que  par  deux  ponts  de  buis  (le  Pont-au- 
Change  et  le  Petit-Pont).  Il  est  rare  que  la  ri- 
vière déborde  après  les  pluies  d'hiver  ou  se  des- 
sèche pendant  les  chaleurs  de  l'été.  Ses  eaux 
pures  sont  agréables  à  la  vue  et  excellentes  à 
boire.  L'hiver  n'y  est  pas  rude...  On  y  cultive 
de  bonnes  vignes  et  même  des  figuiers.  »  Ailleurs 
l'élève  du  philosophe  Libanius  vante  les  mœurs 
austères  des  Gaulois  de  Lutèce  :  «  Ils  fuient  les 
danses  lascives ,  n'adorent  Vénus  que  comme 
présidant  au  mariage,  et  n'usent  des  dons  da 
Bacchus  que  parce  que  ce  dieu  est  le  père  de  la 
joie.  ■>  Julien  s'entourait,  à  Lutèce,  de  savants, 
parmi  lesquels  Oribase,  qui  y  rédigea  un  abrégé 
de  Galion.  C'est  le  premier  ouvrage  connu  qui  ait 
été  composé  à  Paris. 

Tandis  quo  le  jeune  César,  enfermé,  comme  un 
ascète,  dans  une  chambre  glaciale  au  plus  fort  de 
l'hiver,  méditait  une  lutte  suprême,  par  l'épée  et 
par  la  plume,  contre  les  chrétiens  vainqueurs,  une 
nuit  des  légions  se  soulèvent,  environnent  le  pa- 
lais des  Thermes  à  la  lueur  des  flambeaux,  et, 
malgré  les  protostations  de  Julien,  qui  refuse  l'e  in- 
pire  et  fait  barricader  les  portes,  ils  le  proclament 
Auguste  (361).  Lutèce  vit  le  dernier  efl'ort  de  la 
philosophie  antique,  personnifiée  dans  ce  stoïcien 
couronné. 

Valentinien  Graiien,  Maxime  ne  tirent  que  pas- 


PARIS 


1508  — 


PARIS 


ser  à  Lutèce,  y  jetant  quelques  arcs  de  triom-  [derniers    défenseurs.    Pourtant    les    Northmans 
phe  (3831.  Les  barbares  d'outre-Rliin  étaient  déjà    J-— -»  '-"■"••  '"  «i^"»   «^"i-n»  "»>•  rfinoririo  ^  „.,= 
aux   portes.    Quand  arriva  le  a  Fléau  de  Dieu  », 
ce  fut,  selon   la  légende,   une  jeune  fille  de  Nan- 
terre,  Geneviève,  qui  releva  le  courage   des  Pari- 
siens.  Ils  s'armèrent,  et,  du  haut  de  leurs  murs, 
regardèrent  passer  les  hordes  d'Attila  (451).  Gene- 
viève fut  canonisée  et  devint  la  patronne  de  Paris. 
Paris  mérovingien.  —  Après  la  défaite  de  Sya- 
grius  (496),  Clovis  occupe  la  ville.  Comme  César,    La  disette,  à   son  tour,  engendrait  divers  genres 
il  on  comprend  l'importance,  et  se  décide  bientôt    de   peste  :  feu   sacré,  mal   des   ardents,   lopre  et 


durent  lever  le  siège,  vaincus  par  l'énergie  d'une 
poignéa  d'hommes,  tandis  que  l'empereur  Charles 
le  Gros,  cantonné  sur  la  colline  de  Montmartre, 
reculait  pour  ne  pas  livrer  bataille  aux  bar- 
bares (88B). 

L'invasion  avait  amené  la  famine.  Au  disièma 
siècle,  Paris  souffrit  vingt-cinq  années  de  disette. 
En  9'5,  on  en  vint  à  manger  de  la  chair  humaine. 


à  en  faire  la  capitale  de  son  royaume  ecclésias 
tique  et  barbare  (508).  Il  dédie  aux  saints  Pierre  et 
Paul  une  église  où  il  voulut  se  faire  inhumer 
iSainte-Geneviève).  Paris  se  couvre  dès  lors  d  une 
quantité  de  chapelles,  d'abbayes,  de  basilique» 
(Saint-Germain  des  Prés,  Saint-Etienne  des  Grès, 
Saint-Jean  le  Rond,  Saint-Séverin,  Saint-Marcel). 
Clovis  mort,  la  ville  de  Paris  tombe  aux  mains  de 
Childebert.  A  la  mort  de  Clotaire  I",  ses  fils  dé- 
cident que  Paris  est  une  position  assez  impor- 
tante pour  rester  indivise  entre  eux.  Néanmoins, 
Chilpéric  I"  y  fixe  sa  résidence,  et,  en  584,  oblige 
la  moitié  de  la  population  à  partir  pour  accom- 
pagner sa  fille  en  Espagne.  «  Beaucoup  de  gens 
s'étranglèrent,  dit  Grégoire  de  Tours  ;  d'autres 
firent  leur  testament  comme  s'ils  allaient  mou- 
rir; et  grande  était  la  désolation  dans  Paris." 
On  ne  peut  s'empêcher  de  comparer  ce  triste  ta- 
bleau à  celui  que  présentait  Lutèce  sous  la  do- 
mination des  Romains. 

Peu  de  temps  après  le  grand  concile  do  GIS, 
tenu  à  Paris  sous  Clotaire  II,  la  dynastie  sanglante 
des  Mérovingiens  rendit  à  la  ville  le  service  de  la 
quitter.  Paris,  redevenu  simple  bourgade,  respira 
du  moins  loin  de  ses  barbares  tyrans. 

Paris  carluvingien.  —  Paris  se  releva  sous  Char- 
lemagne.  Ses  fabricants  d  armes,  ses  orfèvres,  qui 
se  gloriflaientd'avoirpour  patron  saint  Eloi,  étaient 
célèbres  dans  toute  la  Gaule.  Le  vainqueur  des 
Saxons  donna  à  la  ville  renaissante  deux  écoles, 
dont  une  devint  célèbre  (Saint-Germain  l'Auxer- 
rois),une  administration  régulière, un  co«(<e  (sorte 
de  préfet)  et  des  échrvins  (sorte  de  conseillers 
municipaux).  Enfin  les  habitants,  réunis  par  lo 
comte  Etienne,  votèrent  les  Capitiilaires,  sorte  da 
constitution  émanée  de  la  première  assemblée  de 
Paris. 

Mais  la  prospérité  de  la  cité,  ressuscitée  par 
les  u  marchands  de  l'eau  »,  grâce  à  la  paix  inté- 
rieure de  l'empire,  attira  bientôt  les  pirates  du 
Nord,  les  Scandinaves,  les  Northmans.  Vainement 
Louis  le  Débonnaire  multipliait  h  Paris  les  conciles 
(en  8'iO  et  en  829).  Le  danger  était  grand.  Bientôt, 
montés  sur  leurs  pirogues,  apparurent  les  terri- 
bles «  rois  de  la  mer  ».  A  quatre  reprises  Paris  ou 
ses  environs  sont  ravagés.  En  8il  et  845,  la  ville 
incendiée  achète  le  départ  des  barbares.  En  856, 
nouvelle  attaque  :  "  Les  Danois  envahissent  la 
Lutèce  des  Parisiens,  brûlent  la  basilique  du 
bienheureux  Pierre  et  celle  de  Sainte-Geneviève, 
ainsi  que  les  bateaux  et  les  maisons  des  mar- 
chands. »  En  >i6l.  ce  fut  le  tour  de  Saint-Ger- 
main des  Piés  qu'ils  dévastèrent.  Les  Parisiens, 
au  comble  de  la  misère,  résolurent  de  se  défendre 
eux  mêmes,  puisque  la  royauté  les  abandonnait. 
Aussi  quand  les  Northmans  reparurent,  en  885, 
ils  trouvèrent  la  vaillante  cité  en  armes,  derrière 
ses  murailles  de  bois,  appuyée  sur  trois  fortes 
tours,  dont  une  à  la  place  où  s'élève  le  Palais  de 
Justice,  et  les  deux  autres  aux  extrémités  des 
deux  ponts.  L'évèque  Gozlin  et  le  comte  Eudes 
animaient  la  résistance.  Le  siège  dura  treize  mois, 
aggravé  par  le  feu  et  la  famine.  Dans  la  nuit  du 
6  février  886,  une  crue  de  la  Seine  ayant  emporté 
le  Petit-Pont,  les  barbares  donnèrent  l'assaut  à 
la  tour  qui  en  couvrait  les  approches,  et  massa- 
crèrent, après  une  journée  do  combat,  ses  douze 


fièvre  noire.  Les  abbés  de  Saint-Germain  dos  Prés 
et  de  Saint-Martin  des  Champs  s'entre-battaient 
sur  ces  ruines.  Paris,  sous  les  derniers  Carlovin- 
giens,  devint  un  vaste  charnier. 

Paris  féodal.  —  En  arrêtant  l'invasion  étran- 
gère, la  cité  avait  dignement  conquis  son  titre  de 
capitale.  L'ai  ènement  de  son  dernier  comte,  Hugues 
Capet,  à  la  royauté,  lui  rendit  le  premier  rôle 
parmi  les  villes  françaises  (987).  Au  milieu  de 
l'anarchie  féodale,  Paris  eut  du  moins  dès  lors  ce 
vague  prestige  qu'apportait  avec  elle  la  royauté 
des  Capétiens.  Robert  le  Pieux,  Henri  I"  y  séjour- 
nèrent, y  multiplièrent  les  conciles  (1050  et  105;t). 
Philippe  I"  institua  le  prévôt  de  Paris.  Louis  le 
Gros  jeta  les  fondements  de  deux  forteresses,  le 
Grand  et  le  Petit  Chàtelet.  La  royauté  fit  mieux 
encore  en  protégeant  l'École  de  Paris.  De  là  allait 
sortir  cette  brillante  Université  où  Pierre  Lombard, 
Pierre  Comestor,  Guillaume  de  Champeaùx  atti- 
raient, par  le  charme  de  leur  parole  ou  l'audace 
de  leurs  doctrines,  la  fuule  bruyante  et  bigarrée 
dos  étudiants  de  l'Europe  entière.  C'est  là  qu'en- 
tassée dans  les  rues  boueuses  de  la  montagne 
Sainte-Geneviève  (futur  ijunrlier  Latin),  cette  jeu- 
nesse pauvre  et  turbulente,  fort  peu  disciplinable 
et  souvent  dangereuse  aux  pacifiques  bourgeois 
de  la  Cité,  a  préludé  à  coups  de  syllogismes  à 
l'émancipation  de  la  pensée  et  au  réveil  de  l'es- 
prit humain. 

Au  nord  de  Paris  s'étendait  lentement  la  ville 
du  commerce,  autour  de  la  forteresse  élevée,  sous 
Louis  VII,  par  les  Templiers.  Au  sud  était  la 
ville  cosmopolite  du  travail  et  du  plaisir,  la  cla- 
meur des  tavernes,  les  promenades  au  Pré-aux- 
Clercs,  les  rixes  avec  le  guet  du  roi,  et  la  chaude 
parole  du  tribun  populaire  qu'aimait  Héloise  et 
qui  fut  Pierre  Abélard. 

L'importance  de  Paris,  ville  féodale  et  universi- 
taire, fut  facilement  comprise  des  rois  Capétiens. 
Les  trois  règnes  de  Philippe-Auguste,  de  Louis  IX 
et  de  Philippe  le  Bel  marquent  trois  grandes 
étapes  dans  l'Iiistoire  de  la  capitale. 

Paris  capétien.  —  «  Le  roi  Philippe,  dit  Rigord, 
était  aux  fenêtres  de  son  palais  à  regarder  la 
Seine.  Des  voitures  traversaient  alors  la  Cité, 
et  remuant  la  boue,  faisaient  exhaler  une  odeur 
insupportable.  Philippe  en  fut  sulToqué  et  conçut 
dès  lors  un  grand  projet  qu'aucun  de  ses  prédé- 
cesseurs n'avait  osé  entreprendre.  Il  convoqua 
les  bourgeois  et  le  prévôt  et  leur  ordonna  de 
paver  avec  de  forts  et  durs  carreaux  de  pierre 
toutes  les  rues  et  voies  de  la  ville.  »  Néanmoins, 
on  n'en  para  d'abord  que  deux,  celle  qui  réunis- 
sait les  ponts  de  la  Cité,  et  au  nord  de  la  Seine, 
celle  qui  partait  du  Louvre  pour  finir  à  la  porte 
Baudoyer.  , 

Le  Louvre  même  fut  construit,  à  l  ouest  de 
Paris  ;  sorte  de  bastille  royale  dont  la  grosse 
tour  devint  la  prison  des  vassaux  turbulents. 

En  môme  temps,  à  la  vieille  enceinte  de  Louis 
le  Gros,  Philippe-Auguste  substituait  une  forte 
muraille,  garnie  de  nombreuses  tours,  et  dont  il 
reste  encore  plus  d'un  vestige  dans  les  quartiers 
du  sud  (rue  de  la  Vieille-Estrapade).  Ce  formidable 
travail  fut  exécuté  en  vingt-cinq  ans  (1190  à  1215). 
Paris  comprenait  déjà  près  de  'IWi  hectares,  et  se 
trouvait  à  l'abri  d'un  coup  de  main. 


PARIS 


—  1509 


PARIS 


D(!  son  côté,  l'Université  recevait  sa  charte  ; 
■  li'l'onse  était  faite  aux  officiers  royaux  comme  aux 
boui'fîpois  de  molester  clercs  ou  étudiants.  La 
royauié,  grâce  ^  l'hilippe-Aususte,  s'appuyait 
d'une  main  sur  les  remparts,  de  l'autre  sur  les 
écoles.  Paris  devenait  i  la  fois  place  de  guerre  et 
ville  d'études. 

Aussi  la  cité  reconnaissante  répondit-elle  à  l'ap- 
pel do  la  royauté  contre  la  noblesse  féodale. 
Apprenant  que  les  barons  voulaient  fermer  au 
jeune  Louis  IX  la  route  de  la  capitale,  «  les  Pari- 
siens sortirent  en  si  grande  quantité,  dit  Join- 
ville,  que  le  clioniin  était  plein  de  gens  d'armes 
jusqu'il  Montlliéry.  » 

A  .son  retour  dn  la  croisade,  Louis  IX  voulut 
payer,  à  son  tour,  sa  dette  de  reconnaissance  aux 
Parisiens.  Il  accorde  la  liberté  aux  serfs  royaux  de 
Pari.s.  11  confie  la  prévôté  à  Etienne  Boileau, 
bourgeois  actif  et  intelligent,  qui  purge  la  ville 
des  truands  et  des  malfaiteurs.  Aux  boiirgeois  il 
accorde  la  création  d'une  municipalité  parisienne, 
la  Hanse,  dont  le  chef  recevra  le  titre  de  pré- 
vôt des  marchniids.  En  outre,  au  guet  du  roi, 
police  monarchique,  il  adjoint  le  giiet  des  mé- 
lierx,  formé  par  les  Parisiens,  qui  auront  la  garde 
exclusive,  des  portes  et  des  marchés  de  la  ville. 
C'est  l'origine  de  la  milice  bourgeoise,  ou  garde 
nationale  des  temps  féodaux. 

Les  étudiants  n'étaient  pas  oubliés.  Robert 
Sorhon,  confesseur  du  roi,  jetait  les  fondements 
de  la  Sorbonne,  autour  de  laquelle  allait  grossir 
bientôt,  sous  la  protection  du  pieux  Louis  IX, 
une  innombrable  troupe  de  moines  dont  se 
moquait  le  trouvère  Rutebeul',  et  qui  se  querel- 
laient avec  les  joyeux  étudiants. 

Aux  nombreux  collèges  groupés  sur  la  mon- 
tagne Sainte-Geneviève,  Philippe  III  en  joignit 
encore  quatre,  parmi  lesquels  le  célèbre  collège 
d'Harcourt. 

Sous  Philippe  le  Bel ,  nouveaux  progrès  de 
Paris  et  de  la  royauté.  Ce  fut  sous  ce  roi  despote 
et  faux  raonnayeur  que  la  vieille  cité  capétienne 
vit,  le  10  avril  ISO'.',  à  l'église  Notre-Dame,  s'ac- 
complir une  des  plus  grandes  scènes  de  notre 
histoire,  la  réunion  des  premiers  états  généraux. 
La  même  année  était  fondé  le  célèbre  Parlement 
de  Paris.  La  royauté  procédurière  s'appuyait  sur 
la  Basoche.  Paris  devenait  ville  gouvernementale, 
mais  perdait  insensiblement  les  franchises  de  sa 
municipalité. 

Aussi,  dès  1.30G,  le  peuple,  pressuré  par  la  mal- 
tôte  et  lassé  de  l'excès  des  impôts,  s'insurge  et 
poursuit  le  roi  Philippe  jusqu'aux  murs  de  la  for- 
teresse du  Temple  où  la  colère  publique  vient  se 
briser.  Philippe,  le  lendemain  de  cette  émeute, 
fait  pendre,  aux  quatre  coins  de  la  ville,  vingt-huit 
des  bourgeois  révoltés.  La  tyrannie  s'aggrave.  Les 
Juifs  sont  dépouillés,  expulsés,  livrés  aux  rancu- 
nes populaires.  Les  Templiers  sont  arrêtés,  con- 
damnés, exécutés  (1314).  C'est  sur  le  terre-plein 
du  Pont-Neuf  (alors  nommé  l'Ile  aux  Vaches)  que 
fut  brûlé  leur  grand-maltre,  Jacques  de  Molay. 

Aussi,  malgré  la  création  de  nouveaux  collèges 
(Bayeux,  Navarre,  Laon,  Du  Plessis,  Montaigne, 
Narbonne),  malgré  le  bienfait  réel  d'une  sévère 
police,  bien  préfjêrable  à  l'anarchie  des  premiers 
temps  féodaux,  le  lourd  despotisme  do  la  royauté 
devenait  odieux  aux  Parisiens.  «  La  ville  prenait 
de  la  superbe,  »  en.contemplant  ses  nombreuses 
milices,  son  opulence  et  ses  fêtes  qui  éblouis- 
saient les  princes  étrangers.  Quand  les  fils  de 
Philippe  le  Bel  furent  armés  chevaliers,  ce  furent 
de  splendides  réjouissances,  des  mystères  où  l'on 
vit  «  Dieu  manger  des  pommes,  rire  avec  sa  mère, 
dire  ses  patenôtres  avec  ses  apôtres  ;  les  bien- 
heureux chanter  en  paradis;  les  damnés  pleurer 
dans  un  enfer  noir  et  infect.  « 

Pourtant,  malgré  toutes  ces   splendeurs,  la  co- 


lère publique  s'en  prenait  à  la  cour,  et,  sous  les 
fils  do  Philippe  le  Bel,  au  ministre  Enguerrand 
de  Marigny,  qui  fut  sacrifié  et  conduit  an  gibet  de 
Montfaucon.  De  sombres  légendes  voulaient  qu'il 
se  passât,  chaque  nuit,  des  scènes  d'orgie  san- 
glante à  la  Tour  de  Nesle,  dont  le  noir  profil  s'é- 
levait sur  la  Seine,  en  face  du  Louvre  (vers  le  lieu 
où  se  trouve  aujourd'hui  l'Institut).  Ce  n'étaient 
qu'histoires  de  chevaliers  ou  d'étudiants  poignar- 
dés sur  l'ordre  do  la  reine  Marguerite  de  Bour- 
gogne, sorte  de  Messaline  moderne,  et  précipités 
dans  les  eaux  de  la  Seine.  De  là  le  souvenir  du 
docteur  Buridan,  que  le  roman  et  le  drame  ont 
popularisé. 

Paris,  h  l'avènement  des  Valois,  était  une  cité 
puissante,  comprenant  311  rues,  divisée  en  trois 
quartiers  distincts.  Il  dépendait  de  la  branche 
nouvelle  d'effacer  le  souvenir  de  Philippe  le  Bel 
et  de  s'assurer  le  dévouement  et  l'appui  des  Pari- 
siens. Mais  la  folle  présomption  et  l'insolence  des 
Valois  devaient  rapidement  perdre  tout  le  Truit 
des  efforts  accumulés  des  Capétiens  directs. 

Paris  communal.  —  A  cette  époque,  un  double 
mouvement  de  fermentation  politique  agitait  l'Eu- 
rope. Au  nord  s'élevaient  les  communes  d'Allema- 
gne :  au  sud.  les  municipalités  italiennes  ressus- 
citaient, à  force  d'héroïsme,  les  plus  beaux  temps 
de  l'antiquité  gréco-romaine.  Placées  entre  ceS 
deux  mouvements,  les  villes  françaises  avaient 
éprouvé,  à  leur  tour,  la  contagion  de  la  liberté. 
Mais  Paris,  ménagé  par  les  grands  Capétiens,  res- 
tait encore  une  «  ville  royale  ».  L'invasion  étran- 
gère réveilla  la  cité,  comme  au  temps  de  Charles 
le  Chauve,  et,  dans  l'écroulement  général,  Paris 
se  trouva  debout  pour  arrêter  les  Anglais. 

La  France  doublement  vaincue,  à  Crécy,  à  Poi- 
tiers, le  roi  Jean  fait  prisonnier,  le  dauphin  Char- 
les déshonoré  par  sa  piètre  conduite  au  champ  de 
bataille,  il  semblait  que  l'ennemi  n'eût  qu'à  paraî- 
tre pour  saisir  la  couronne  mal  affermie  sur  la 
tête  des  Valois.  Mais  un  bourgeois  héroïque,  le 
prévôt  des  marchands,  Etienne  Marcel,  prend  en 
main  la  direction  des  affaires.  Il  jette  autour  de 
Paris  une  nouvelle  enceinte,  avec  larges  fossés  et 
fortes  tours  (de  la  porte  Billy,  voisine  de  l'Arsenal, 
à  la  porte  du  Bois,  voisine  du  Louvre;.  Les  trois 
cents  rues  de  Paris  se  hérissent  de  chaînes  de  fer, 
avec  poutres,  pierres,  tonneaux,  pour  arrêter,  à 
défaut  de  l'enceinte,  ou  les  archers  anglais  ou  la' 
cavalerie  des  brigands  féodaux.  La  barricade  est 
inventée,  et  Paris  mis  à  couvert  d'une  attaque, 
(t  Ce  fust  grand  faict,  »  dit  Froissart,  pourtant  ami 
des  nobles,  «  et  vous  dis  que  ce  fust  le  plus  grand 
bien  qu'oncques  prévôt  di'S  marchands  fist  (  l.'15G).  n 

Les  états-généraux  venaient  d'être  convoqués  à 
Paris.  Etienne  Marcel  saisit  la  direction  du  mou- 
vement, appelle  à  l'aide  les  grandes  villes  fran- 
çaises. Pour  le  combattre,  l'astucieux  dauphin 
Charles  court  haranguer  le  peuple  au  Pré-aux- 
Clercs.  Un  prétendant  à  la  couronne,  Charles,  roi 
de  Navarre,  établit,  pour  lui  répondre,  une  sorte 
de  club  sous  les  piliers  des  halles.  De  son  côté, 
Marcel  réunit  les  bourgeois  à  la  place  de  Grève, 
devant  la  maison  aux  Piliers  (futur  Hôtel  de  ville). 
Paris  devient  un  instant,  comme  l'Athènes  de 
Démosthène,    le    prix  d'un   tournoi   d'éloquence. 

Mais  le  danger  augmente.  Le  Dauphin  trahit 
secrètement  les  états  généraux.  Les  Parisiens 
irrités  envahissent  le  palais,  massacrent  dr.a\  des 
ministres  impopulaires,  et  Marcel  est  proclamé, 
(i  de  par  la  volonté  du  peuple,  »  chef  d'une  sorte 
de  ri'publique  parisienne  où  l'on  adopte  pour 
emblème  le  chapi'.ron  rouge  et  bleu  (février  13.58). 

Attaqué  par  le  dauphin  Charles  et  par  l'armée 
féodale,  menacé  par  les  Anglais,  tralii  par  le 
roi  de  Navarre,  Paris  est  un  moment  soutenu 
parle  secours  inespéré  des  paysans.  Pour  discipli- 
ner l'élan  furieux  des  Jacques,  Etienne  Marcel  leur 


PARIS 


—  1510 


PARIS 


envoie  deuï  compagnies  bourgeoises,  qui  partagent 
la  défaite  des  paysans  sous  les  murs  de  Meaux 
(1338).  Le  prévôt  des  marchands,  désespéré,  va 
s'en  remettre  au  douteux  appui  du  roi  de  Navarre, 
quand  Jean  Maillard  l'assassine,  une  nuit,  près 
de  la  porte  Saint-Antoine.  Avec  Marcel  tombait  la 
commune  de  Paris  (31  Juillet  1358J. 

Rentré  dans  la  capitale,  le  dauphin  Charles 
(Charles  V),  après  une  courte  réaction,  entreprend 
de  fortifier  l'autorité  royale  si  compromise  par  les 
folies  de  son  père.  Sur  la  place  même  où  avait 
péri  le  glorieux  prévùt  des  marchands,  il  jette  les 
fondements  d'une  redoutable  forteresse  qui  devait, 
pendant  quatre  siècles,  menacer  la  ville  frémis- 
sante :  la  Bastille.  A  l'autre  extrémité  de  Paris,  il 
fortifie  le  Louvre,  y  entasse  le  trésor,  les  archives, 
la  bibliothèque  de  la  royauté  900  volumes).  Enfin, 
comme  maison  de  plaisance,  il  fait  élever  le  célè- 
bre hôtel  Saint-Pol,  ou  Hoste/  des  grands  eshate- 
ments.  Mais,  pour  se  concilier  les  Parisiens 
domptés,  il  leur  accorde  à  tous  dos  lettres  de  no- 
blesse, et  choisit  comme  prévôt  Hugues  Aubryot, 
dont  la  vigilance  assure  au  moins  à  la  ville  la 
sécurité  des  rues  par  l'expulsion  des  coupe-jarrets 
et  des  malandrins. 

La  minorité,  puis  la  folie  de  Charles  VI  rou- 
vrent l'ahlme  des  guerres  civiles.  Le  malheureux 
Aubryot,  pour  avoir  voulu  sauver  quelques  fem- 
mes juives  sur  lesquelles  s'acharnait  le  fana- 
tisme inintelligent  des  masses,  est  jeté  à  la  Bas- 
tille pour  y  finir  ses  jours  o  avec  l'eau  d'angoisse 
et  le  pain  de  douleur,  o  Les  scandales  de  la 
cour  et  l'excès  des  impôts  sur  les  vivres  amènent 
un  soulèvement  (1"  mars  |:18'.').  Les  bourgeois 
envahissent  l'arsenal,  y  saisissent  les  maillets  de 
fer  préparés  en  cas  d'attaque  anglaise,  et  en  as- 
somment les  collecteurs.  Charles  VI,  vainqueur 
des  Flamands,  revient  châtier  les  Maillotins.  Il 
renverse  les  murs  de  Paris,  fait  enlever  les  chaî- 
nes des  rues,  et  rançonne  la  ville  rebelle  ;  200 
bourgeois  sont  décapités,  30n  exilés  (1383).  La 
féodalité  victorieuse  élève  au  cœur  de  la  cité 
domptée  les  fastueux  hôtels  d'Artois,  de  Nesle, 
de  Bohême  et  Barbette.  Paris  devient  un  lieu 
d'orjjieet  de  meurtre.  Olivier  de  Clisson  est  assas- 
siné par  le  sire  de  Craon  (I39'.');  le  duc  d'Or- 
léans, par  le  duc  de  Bourgogne  (UOI).  La  guerre 
civile  éclate  entre  le  parti  des  nobles  (Armagnacs) 
et  le  parti  populaire  (Bourguignons).  Un  moment 
le  boucher  Capeluche,  l'écorclieur  Caboche  et  le 
vieux  chirurgien  Jean  de  Troyes  terrorisent  Paris 
(1411).  Les  nobles  ont  bientôt  leur  revanche  avec 
Tanneguy-Duchâtel,  qui  décime  la  population. 
Mais  Perrinet  Leclerc  ouvre  aux  Bourguignons, 
une  nuit,  la  porte  Bucy(l4l8",  et  les  Armagnacs 
sont  massacrés  à  leur  tour.  Sur  les  ruines  de 
Paris  dépeuplé  par  le  carnage  et  la  famine  s'éta- 
blit un  prince  étranger,  Henri  V,  avec  une  gar- 
nison anglaise  (Is  novembre  14"Mj.  En  vain  Jeanne 
d'Arc,  traînant  après  elle  ce  fantôme  de  roi, 
Charles  VII,  vient  donner  l'assaut  \  la  capitale 
(H30).  Elle  est  blessée  sur  les  fossés  de  la  porte 
Sainl-Honoré  (butte  Saint-Roch).  Six  ans  plus  tard. 
Armagnacs  et  Bourguignons,  enfin  réconciliés, 
ouvraient  la  porte  Saint-Jacques  aux  troupes  roya- 
les, guidées  par  le  bourgeois  Michel  Lallier.  Pour- 
chassés, bloqués  dans  la  Bastille,  les  Anglais 
capitulèrent.  Paris  était  enfin  délivré  (13  avril 
143G). 

Mais  cinquante  années  de  misère  avaient  fait  de 
la  capitale  un  cadavre  de  ville.  Dans  ses  ruelles 
désertes, infectes  et  tortueuses,  les  loups  couraient 
la  nuit  dévorer  les  passants  attardés.  Tant  de  mai- 
sons étaient  désertes  qu'on  les  démolissait  pour 
avoir  du  bois  de  chaufTage.  Les  houspilletifs  et  les 
retoiideui  s  erraient  àn\  portes.  Des  enfants  affamés 
pourrissaient  sur  les  charniers  comme  une  vermine 
humaine.  Les    lépreux  s'insurgeaient    dans   leur 


prison  de  Saint-Lazare.  Au  couvre-feu,  chacun 
s'armait  derrière  sa  lucarne  grillée.  Partout  régnait 
la  misère  et  le  meurtre,  rue  Vide-Goussot,  rue 
Tire-Boudin,  rue  Trousse-Vache.  La  royauté  avait 
beaucoup  à   faire  pour  tirer  Paris  de  son  linceul. 

Par^s  monarchique.  —  Louis  XI,  par  ses  allures 
caressantes  et  populacières,  sut  vite  capter  la 
sympathie  des  bourgeois.  Désormais  le  sort  avait 
prononcé.  Paris  ne  serait  pas,  comme  Florence, 
une  brillante  république;  ce  serait  la  capitale  fa- 
vorisée d'un  royaume  destiné  !i  former  la  nationa- 
lité française.  Ce  serait  la  première  des  "  bonnes 
villes  i>,  et  ses  bourgeois  s'enorgueilliraient  du 
titre  de  ■-  bourgeois  du  roi  ». 

Louis  XI,  bien  sur  de  leur  appui,  organisa  en 
soixante-douze  compagnies  les  30  000  hommes  de 
leur  milice,  augmenta  les  privilèges  de  la  cité,  y 
établit  la  première  imprimerie  (i  la  Sorbonne),  la 
première  librairie,  et  une  école  spéciale  de  méde- 
cine. Mais,  tandis  qu'il  devisait  joyeusement  avec 
les  marchands  parisiens,  les  appelant  ses  amis, 
ses  ti  compères  »,  Louis  XI  faisait  secrètement  jeter 
à  la  Seine,  la  nuit,  dans  un  sac  de  cuir, les  derniers 
partisans  des  libertés  municipales. 

Sous  Charles  VIII  et  Louis  XII,  la  ville  assainie, 

fiourvue  d'égouts,  dotée  d'un  pavage,  vit  refleurir 
es  soties,  furces  et  moralités  que  jouaient,  aux 
jours  de  fôte,  les  clercs  de  la  Basoche  et  les  En- 
fants sans  souci.  La  Renaissance  italienne  et  la  Ré- 
forme allemande  allaient  singulièrement  modifier, 
à  partir  de  François  1*',  l'aspect  extérieur  de  la 
cité  et  l'état  Intellectuel  de  la  population.^ 

Paris  fut  embelli,  régénéré  par  la  Renaissance. 
C'est  là  que  Pierre  Lescot,  Philibert  Delorme, 
Jean  Goujon  et  Germain  Pilon  déployèrent  leur 
génie  si  gracieux  et  si  multiple.  Le  vieux  Louvre 
abattu,  transformé  de  prison  en  palais  ;  l'hôtel  de 
Cluny  élevé  par  Jacques  d'Amboise;  le  collège  de 
France  fondé;  l'imprimerie  royale  établie  ;  Villon, 
Rabelais,  Arayot,  Ramus,  les  Estienne  éveillant  les 
intelligences  par  l'ironie,  par  le  rire,  par  l'érudi- 
tion, par  la  critique,  par  la  science,  ce  fut  comme 
une  vie  nouvelle  et  un  épanouissement  de  l'esprit 
parisien. 

Pnris  hgueur.  —  Cependant  la  guerre  grondait 
aux  portes.  En  lfi2H  et  en  l.i44,  le  danger  parut 
assez  grand  pour  qu'on  se  décidât  à  élever,  en 
prévision  d'une  attaque  espagnole,  une  nouvelle 
ceinture  de  remparts  autour  des  quartiers  du 
nord.  La  guerre  civile  fut  autrement  redoutable. 
Déjà,  sous  François  1"  et  Henri  II,  la  capitale  avait 
vu  les  premiers  protestants  français  marcher  au 
bûcher  ou  à  la  potence.  On  estimait  alors,  sur 
3001100  habitani,s,  le  nombre  des  huguenots  à  " 
ou  8  000.  Pour  les  détruire,  Paris  vit  s'accomplir  le 
grand  forfait  de  la  Saint-Barthélémy  (24  août  I5"2), 
précédé  de  l'empoisonnement  de  Jeanne  d'Albret, 
de  l'attentat  de  Maurevel  sur  Coligny,  et  du  triste 
mariage  de  Henri  de  Navarre.  «  Le  bruit  continuel 
des  arquebuses,  les  hurlements  des  meurtriers, 
les  corps  dctranchés  tombant  des  fenêtres  ou 
traînés  à  la  rivière,  le  pillage  de  plus  de  six 
cents  maisons,  »  marquèrent  cette  tuerie  lamen- 
table, où  succombèrent  Coligny,  Ramus  et  Jean 
Goujon. 

La  ville  grandissait,  malgré  tant  d'orgies  san- 
glantes. Près  de  ce  Louvre  d'où  Charles  IX  affolé 
avait  tiré  sur  les  huguenots  fugitifs,  Catherine  de 
Médicis  faisait  élever  un  palais  splendide,  sur  l'em- 
placement d'anciennes  tuileries,  dont  il  a  gardé 
le  nom. 

Mais  les  scandales  de  la  cour  des  Valois,  les 
prédications  frénétiques  des  moines,  le  vieux  levain 
démocratique  qui  fermentait  dans  la  foule  pari- 
sienne, habilement  exploités  par  la  maison  de 
Guise,  amenèrent  la  formation  de  la  Ligne.  Elle 
naquit  \  Paris,  rue  des  Sept-Voies,  dans  une  as- 
semblée de  bourgeois  et  de  prêtres  (I5S5;.  La  ville 


PARIS 


1511  — 


PARIS 


sosoulôve  à  l'arrivée  du  duc  do  Guise,  enveloppa 
la  garde  suisse  dans  un  inextricable  réseau  de  bar- 
ricades (qui  donnèrent  leur  nom  Ji  la  journée),  et 
environne  le  Louvre,  d'où  Henri  III  apeuré  s'é- 
cliappe  sous  les  coups  d'arquebuse  tirés  de  la 
porte  de  Nosle.  Il  jure  de  ne  rentrer  dans  sa  ca- 
pitale que  par  la  brèclio  (I58S). 

La  nouvelle  du  meurtre  des  Guises  augmente 
encore  l'exaspération  des  Parisiens.  Des  chefs  po- 
pulaires, élus  chacun  par  un  des  seize  quartiers 
<le  la  ville,  s'emparent  du  pouvoir,  sous  le  nom  du 
faible  Mayenne.  Déj."!,  des  hauteurs  de  Saint- 
Cliiud,  Henri  III  jette  à  la  ville  rebelle  ces  paroles 
menaçantes:  «  Encore  quelques  jours,  et  l'on  ne 
verra  plus  ni  tes  maisons  ni  tes  murailles  I  » 
Mais  un  moine  fanatisé,  Jacques  Clément,  délivre 
la  capitale  en  poignardant  le  roi  (1589). 

Aucune  page  peut-être  de  l'histoire  militaire 
«l'égale  la  coura'.^euse  résistance  de  Paris  aux 
troupes  d'Henri  IV.  Dés  l.'iSO,  la  ville  repousse  un 
furieux  assaut  où  401)  bourgeois  périssent  en  dé- 
fondant le  faubourg  du  Pré-aux-Clercs.  En  1,S90, 
après  quatre  mois  de  siège  et  de  combats  conti- 
ciuols,  malgré  la  plus  affreuse  famine  qui  enlève 
30  000  hommes  et  force  des  mères  h  manger  leurs 
enfants,  la  population  tient  ferme,  se  repaît  de 
•chevaux  morts  et  de  cadavres  piles,  se  trahie  en- 
core aux  proches  ou  meurt  sans  quitter  les  rem- 
parts. 

Délivré  par  l'armée  espagnole,  Paris,  surexcité, 
mal  contenu  par  Mayenne,  se  déchire  après  la 
victoire.  Les  bourgeois,  les  parlementaires,  les 
<■  politiques  »  inclinent  à  la  paix.  La  masse  popu- 
laire, sous  la  conduite  des  Seize,  les  contient  par 
la  terreur.  Mais  Mayenne  effaré  fait  pendre  les 
chefs  les  plus  ardents,  et  ruine  ainsi  tout  l'espoir 
■de  la  Ligue,  qui  voit  échouer  les  états  généraux 
tenus  à  Paris  en  1593,  et  à  jamais  ridiculisés  par 
les  spirituels  railleurs  de  la  Ménippée.  Henri  IV 
eonverti.  car  <t  Paris  vaut  bien  une  messe,  »  achète 
la  ville  h  Brissac  pour  VOO  000  écus.et  se  fait  li- 
vrer une  nuit  les  portes  Neuve  et  Saint-Honoré. 
Les  Ligueurs  sont  surpris,  les  Espagnols  expulsés, 
et  Paris,  tout  frémissant,  dépose  les  armes 
(23  mars  1594). 

Encore  une  fois,  il  fallait  réparer  les  ruines  des 
guerres  civiles.  Henri  IV  sut  y  parvenir,  et,  grice 
à  sa  ruse  gasconne,  trouva  moyen  de  léguer  aux 
Parisiens  la  légende  d'un  roi  débonnaire.  Pour 
■éviter  la  mésaventure  de  son  prédécesseur,  il  fit 
joindre,  par  une  immense  galerie  traversant  les 
remparts,  le  Louvre  aux  Tuileries,  assurant  ainsi 
sa  retraite  en  cas  d'émeute.  Henri  acheva  le  Pont- 
Neuf,  commença  la  place  Royale,  agrandit  le  quar- 
tier du  Marais.  L'influence  italienne,  renforcée  par 
Marie  de  Médicis,  les  modes  espagnoles,  adoptées 
ii  la  cour,  transformaient  peu  h.  peu  la  rude  gé- 
fiération  des  guerres  civiles.  Mais  de  sourdes  co- 
lères grondaient  toujours  dans  les  foules.  Henri  IV 
fut  assassiné  par  Ravaillac  (14  mai  1610). 

Paris  frondeur.  —  Ce  fut  la  dernière  vengeance 
des  Ligueurs.  Sous  Marie  de  Médicis  et  sous 
Louis  XIII,  Paris,  réconcilié  avec  la  cour,  se  con- 
tenta de  chansonner  le  gouvernement  sans  le 
combattre.  Non  loin  de  l'hôtel  du  Louvre,  de- 
meure officielle  de  la  royauté,  s'élevait  l'hûtel  de 
(Rambouillet  (rue  Saint-Thomas\  quartier  général 
des  gens  de  lettres.  Ce  fut  là  que  trônèrent  et  Bal- 
zac et  Voiture;  là  que,  po\ir  la  première  fois,  les 
grands  seigneurs  altiers  durent  s'incliner  devant 
le  talent,  et  reconnaître  du  moins  aux  bourgeois 
l'égalité  de  l'esprit.  Paris  devint  comme  un  foyer 
d'opposition  railleuse,  où  l'on  critiquait  Richelieu 
avant  que  le  mordant  Scarron  fit  rire  aux  dépens 
de  Mazarin.  L'opinion  publique  naissante  ne  fut 
pas  sans  contribuer  h.  la  chute  du  maréchal  d'An- 
cre, cet  aventurier  italien  que  le  jeune  Louis  XIII 
laissa  assassiner  au  Louvre  (1C17).  Quand  l'armée 


espagnole  menaça  Paris  (1636)  après  les  premiers 
échecs  de  la  guerre  de  Trente  ans,  le  peuple  des 
faubourgs  courut  en  masse  à  l'Hôtel  de  ville  s'en- 
rôler pour  la  défense  du  pays  menacé,  n  Oui,  mon- 
sieur le  maréchal,  nous  voulons  aller  en  guerre 
avec  vous!  "  criaient  à  La  Force  les  crocheteurs 
de  la  place  de  Grève. 

Pour  se  concilier  la  faveur  de  Paris,  le  grand 
cardinal  y  prodigue  les  monuments  et  les  créa- 
tions de  tout  genre.  Le  Jardin  des  Plantes  est 
ouvert  ((62G);  la  célèbre  Académie  française  est 
fondée  (1«35).  On  bâtit  le  Palais-Cardinal  (Palais- 
Royal)  ;  on  rebâtit  la  Sorbonne-,  on  achève  le 
Luxembourg;  on  ouvre  deux  hôpitaux  'la  Pitié, 
les  Incurables),  et  trois  ponts  sur  la  Seine.  Une 
nouvelle  enceinte  (celle  des  boulevards  actuels) 
enveloppe  Paris  au  nord,  à  partir  de  l626.  Enfin 
le  Pré-aux  Clercs  est  purgé  des  spadassins  et  des 
duellistes. 

Paris  soutenait  Richelieu,  tout  en  raillant  ses 
rigueurs.  Les  insolences  d'Anne  d'Autriche  et  les 
petites  ruses  de  Mazarin  réveillèrent  les  colères 
bourgeoises  et  le  regret  cuisant  des  libertés  mu- 
nicipales. La  Fronde  naquit. 

Paris  s'y  porta  d'abord  avec  enthousiasme.  Pour 
soutenir  son  Parlement  et  délivrer  Broussel,  la 
ville  s'insurge  (25  août  1G48),  élève  autour  du 
Louvre  1600  barricades,  force  à  la  fuite  la  régente 
et  le  petit  Louis  XIV;  mais,  trompée  parles  grands 
qui  réclament  l'appui  de  l'étranger,  elle  rappelle 
le  roi  l'août  1649),  et  assiste,  sans  y  participer,  à 
la  bataille  du  faubourg  Saint-Antoine,  où  Condé, 
bloqué  par  Turenne,  n'est  sauvé  que  par  le  canon 
de  la  Bastille,  dont  mademoiselle  de  Montpensier 
lui  a  ouvert  les  portes  (2  juillet  1652).  Sommés  d'ap- 
peler une  armée  espagnole,  les  députés  de  Paris 
refusent,  et  sont  massacrés  par  les  soldats  de 
Condé,  qui  s'enfuit  peu  après,  poursuivi  par  les 
malédictions  du  peuple  (octobre  1652). 

Ainsi,  pour  ne  pas  trahir  la  cause  nationale, 
Paris  avait  sacrifié  ses  libertés,  rappelé  la  régente, 
accepté  Mazarin.  La  réaction  monarchiqne  n'en 
fut  pas  moins  complote.  Milices  désarmées,  chaî- 
nes brisées,  parlement  muselé,  garnison  imposée, 
privilèges  municipaux  abolis,  Paris  tomba  à  l'état 
de  ville  sujette.  Pour  la  réduire  encore  en  lui  en- 
levant son  rôle  de  capitale,  Louis  XIV  transporta 
la  cour  à  Saint-Germain,  et  plus  tard  à  Versailles, 
où  s'éleva  la  ville  du  roi  en  face  de  la  ville  du 
peuple.  La  revanche  de  la  Fronde  devait  se 
faire  attendre  jusqu'au  14  juillet  1189. 

Paris  resta  pourtant  ce  qu'on  ne  pouvait  l'empê- 
cher d'être,  la  capitale  de  l'esprit  et  du  goût. 
C'est  là  qu'écrivit  Corneille,  soutenu  contre  l'hos- 
tilité du  pouvoir  par  la  faveur  enthousiaste  du  pu- 
blic; là  que  vécut  quarante  ans  Racine;  là  que 
naquit  l'impétueux  Boileau,  l'ingénieux  Regnard, 
l'aimable  Quinanlt,  le  sévère  Arnault,  le  rêveur 
Malebranche  et  l'incomparable  Molière.  C'est  là 
que  travailla  le  sav.int  l'ollin,  digne  successeur 
de  cet  autre  Parisien,  l'historien  De  Thou  ;  là  que 
se  fit  applaudir  le  trop  gracieux  Marivaux.  Et  quel 
éclat  dans  les  arts!  Claude  et  Charles  Perrault, 
François  et  Hardouin  Mansard,  quatre  enfants  de 
Paris,  révolutionnent  l'architecture.  Au  peintre 
Lesueur  succède  le  graveur  Picart,  puis  le  sculp- 
teur Coustou.  Et  sur  les  champs  de  bataille,  Paris 
envoie  l'austère  Catinat  et  l'ardent  prince  Eugène, 
deux  hommes  de  guerre,  deux  hommes  d'opposi- 
tion 

La  vieille  cité  frondeuse,  dans  sa  disgrâce,  est 
protégée  par  le  bourgeois  Colbert,  le  plus  grand 
ministre  de  la  monarchie  absolue.  Grâce  à  lui, 
grâce  à  son  influence,  quatre  Académies  y  sotit 
fondées  (Sciences,  Inscriptions,  Musique,  Archi 
teclure)  ;  l'Observatoire  s'élève.  Aux  fastueux  arcs 
de  triomphe  des  portes  Saint-Denis  et  Saint-Mar- 
tin s'ajoute   l'utile  création   du  jardin  des  Tuile  • 


PARIS 


—  1512  — 


PARIS 


ries  et  des  Champs-Elysées,  dessinés  par  le  Parisien  :  Aux  émotions  de  la  guerre  d'Amérique  succèdent 
Le  Nôtre.  La  colonnade  du  Louvre,  la  manufac-  !  Ihs  premiers  tressaillements  de  la  Révolution 
ture  des  Gobelins,  l'Hôtel  des  Invalides  rappellent  |  C'est  surtout  à  partir  de  la  mort  de  Voltaire  que 
à  la   fois  la  splendeur  artistique,  l'activité  manu-  I  Paris   semble     saisir    la    direction    morale    de   la 


faclurière  et  les  pompes  belliqueuses  de  l'époque. 
La  création  d'un  lieutenant  de  police  (Nicolas  de 
La  Reynie,  1607,  puis  d'Argenson,  1691)  achève 
de  mettre  aux  mains  du  gouvernement  l'adminis- 
tration de  la  ville,  mais  lui  vaut  du  moins  la  fer- 
meture définitive  de  la  Cour  des  miracles,  quar- 
tier général  des  scélérats  fprès  la  porte  de  Saint- 
Denis),  l'éclairage  des  rues  (:i  500  lanternes)  et  la 
sécurité  publique  (archers  du  guet).  La  ville  s'em- 
bellit h.  vue  d'œil.  «  La  rue  d'Enfer,  dit  madame  de 
Sévigné,  est  devenue  un  vrai  chemin  de  Para- 
dis. »  Malgré  les  proscriptions  qui  suivirent  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes,  malgré  la  famine  et 
les  rigueurs  de  l'iiiver  de  1709,  Paris  comptait 
déjà,  à  la  fin  du  règne  de  Louis  XIV,  600  000  ha- 
bitants. 

Paris  philosophe.  —  L'opposition  parisienne,  long- 
temps contenue,  éclate  à  la  mort  du  maître  (1715). 
Le  peuple  accompagne  de  ses  railleries  le  cercueil 
de  Louis  XIV  qu'on  porte  à  Saint-Denis.  Après  un 
demi-siècle  de  compression  politique,  le  vent  est 
aux  idées  nouvelles  et  aux  modes  étrangères.  On  ac- 
cueille avec  faveur  la  visite  de  Pierre  le  Grand 
(1717);  on  acclame  le  financier  John  Law,  et  l'on  se 
jette,  à  corps  perdu,  dans  son  n  système  »  (1718). 
Aux  folles  espérances  de  la  spéculation  financière 
succèdent  les  comédies  religieuses  (au  cimetière 
Saint-Modard).  Les  Parisiens,  amis  des  jansénistes 
par  haine  des  jésuites  qui  dominent  à  Versailles, 
soutiennent  un  moment  les  «  Convui siimniiires  ». 
Cependant  la  cour  amuse  le  peuple  à  coups  d'exé- 
cutions sanglantes.  Au  supplice  de  Dan'iens  suc- 
cède celui  de  l'héroïque  Lally-ToUendal.  A  la  place 
de  Grève,  à  la  rue  du  Trahoir,  on  roue,  on  pend, 
on  brûle,  on  écartèle.  C'est  là  le  seul  enseigne- 
ment jugé  bon  pour  le  peuple  en  ce  siècle  qui  de- 
vait voir  1789. 

MaisdéjMa  foule  s'agite. On  se  répète,!  voix  basse, 
de  lugubres  histoires  sur  le  Parc-auxCerfs.  Louis 


France,  et  donner   au  reste  du  pays  l'impulsion 
politique  que  suivra  souvent  l'Europe  entière. 

Paris  révoluliiinnaire.  —  Les  députés  des  états 
généraux,  réunis  à  Versailles,  venaient  de  se  pro- 
clamer Assemblée  nationale  (17  juin);  mais  la 
cour  préparait  un  coup  d'Etat  militaire.  Le  renvoi 
de  Necker  en  est  le  premier  acte.  A  cette  nouvelle 
(12  juillet),  Paris  s'enflamme,  se  soulève  au  Palais- 
Royal,  aux  Tuileries,  malgré  la  charge  de  la  garde 
royale  allemande.  La  foule  exaspérée  court  s'ar- 
mer aux  Invalides,  et  revient  donner  l'assaut  à' 
la  vieille  Bastille.  Après  cinq  heures  de  lutte,  la 
forteresse  détestée  où  la  royauté  avait  enfermé- 
Pélisson  et  Fouquct,  La  Bourdonnais,  et  Latude, 
et  Voltaire,  tombait  entre  les  mains  du  peuple 
(14  juillet  1789).  La  contre-révolution  ne  s'en  re- 
leva pas. 

Aussitôt  Paris  arbore  les  vieilles  couleurs  d'E- 
tienne Marcel,  dont  il  fait  le  drapeau  tricolore; 
organise  la  garde  nationale,  la  municipalité  pro- 
visoire de  120  membres  (25  juillet).  Mais  la  fa- 
mine augmente,  et,  avec  elle,  la  colère  des  mas- 
s  s.  Le  .i  octobre,  tout  Paris  court  au  château  de 
Versailles  pour  y  arracher  Louis  XVI  aux  conseils 
de  la  réaction.  L'Assemblée  nationale  rentre  Ji 
Paris,  qui  redevient  enfin  capitale  de  la  France 
(6  octobre  1789;. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  raconter  les  grandes 
journées  de  la  Révolution,  de  dépeindre  les  en- 
thousiasmes ardents  et  patriotiques,  et  aissi  les 
délires  farouches,  les  fureurs  de  la  population  pa- 
risienne durant  ces  années  terribles  et  sublimes 
où  Paris,  luttant  presque  seul  pour  la  liberté  et  la 
patrie  menacées,  sauva  l'unité  nationale  et  assura 
le  triomphe  des  principes  de  la  démocratie  mo- 
derne. Ce  fut  Paris  qui,  dans  toutes  les  crises, 
joua  le  grand  rôle,  le  rôle  décisif;  ce  fut  lui  qui 
fit  le  10  août,  le  31   mai,  et  qui  plus  tard,  au  mo- 

^ ,__ ment  où  les  royalistes  de  vendémiaire  assaillaient 

XV,  que  Paris  adorait  au  temps  de  Fontenoy  (1745),  I  la  Convention  défaillante,  sauva  le  gouvernement 
n'ose  traverser  la  ville  pour  aller  à  Saint-Denis  et  républicain  par  un  dernier  effort.  Tout  en  ren- 
prend  la  route  qui  porte  encore  le  nom  de  la  voyant  à  l'article  Révolution  française  pour  les 
Révolte.  En  vain  quelques  créations  utiles  (Ecoles  [  détails  historiques,  rappelons  quf^lqufs-unes  des 
militaire,  de  droit,  de  médecine,  promenade  des  impérissables  créations  dont  cette  héroïque  et  fé- 
bculevards)  sont  ébauchées.  La  vogue  est  aux  conde  époque  dota  la  grande  ciié  :  le  Muséum, 
cnfès,  mode  nouvelle  importée  d'Orient  par  le  l'Ecole  polytechnique,  le  Conservatoire  des  Arts 
Sicilien  Procope  et  l'Arménien  Pascal,  mode  qui  et  métiers,  les  Archives,  le  Musée  du  Louvre, 
remplace  avantageusement  les  caùnreis  du  xvii*  ;  l'Institut  remplaçant  les  anciennes  Académies, 
siècle,  où  s'enivrait. Chapelle,  où  bataillait  Boileau  Paris,  sous  le  Directoire,  fatigué  de  tant  de  lut- 
et  où  rcvait  Molière.  Déjà  les  cafés  de  la  Ro:onde  tes.  avait  perdu  sa  première  énergie.  Les  coups 
et  de  la  Rét/ence  deviennent  le  rendez-vous  des  !  d'État  successifs  de  fructidor,  floréal  et  prairial 
curieux,    des_  nouvellistes,  des   gens   de   lettres.  |  passèrent    au    milieu   de   l'indifl'érence  générale. 


Tandis  que  Paris  populaire  s'amuse  aux  facéties 
de  Lesage  et  aux  bouffonneries  gauloises  de  Piron, 
les  enfants  de  la  grande  cité  ouvrent  h  la  science, 
à  la  géographie,  à  l'histoire,  à  la  philosophie  sur- 
tout, des  horizons  nouveaux.  La  connaissance  de 
l'univers  physique  se  précise  grâce  aux  travaux 
astronomiques  des  trois  Cassini,  aux  recherches 
dp  Danville,  aux  découvertes  de  Bougainville, 
aux  explorations  de  La  Condamine.  L'histoire  du 
haut  Orient  progresse  avec  les  Anquetil,  qui  dé- 
brouillent du  même  coup  le  chaos  de  nos  origines. 
Et  quel  éclat  dans  le  monde  de  la  littérature  et 
de  la  pensée!  Sans  compter  le  doux  Sédaine  et 
l'emphatique  J.-B.  Rousseau,  n'avons-noiis  pas 
d'Alembert.  Beaumarchais,  et  le  roi  intellectuel 
du  siècle.  Voltaire  ! 

Sous  la  frivolité  apparente  de  l'époque,  on  sent 
fermenter  déjà  les  grands  élans  do  17S9.  Déià 
l'émeute  gronde  dans  la  rue.  Toute  la  ville  se  lève 
pour  saluer  Franklin,  pour  faire  ovation  au  pa- 
triarche de  Ferney,  qui  vient  mourir  sous  les 
acclamations  et  les  couronnes  parisiennes  (1778). 


C'était  le  temps  des  danses,  des  théâtres,  des  fèies 
symboliques,  et  l'on  voyait  trôner  sur  les  boule- 
vards les  «  muscadins  n  réfractaires  aux  armées 
de  la  République.  N'oublions  pas  pourtant  une 
innovation  féconde.  C'est  le  22  septembre  1798 
que  l'on  ouvrit,  à  Paris,  au  Champ-de  Mars,  la 
première  exposition  des  produits  de  l'industrie 
nationale.  L'idée  devait  faire  son  chemin. 

Paris  napoléo^iieti.  —  Survint  le  coup  d'Etat  de 
brumaire.  Bonaparte,  se  défiant  des  Parisiens, 
multiplia  d'abord  contre  eux  les  mesures  arbi- 
traires. Vn  préfet  de  police  fut  créé,  ayant  sous  ses 
ordres  12  maires  d'arrondissement  nommés  par  le 
pouvoir.  Les  journaux  furent  bàillo.inés,  la  liberté 
des  cultes  .sacrifiée,  la  liberté  individuelle  foulée 
aux  pieds.  Devenu  empereur.  Napoléon  rêva  pour- 
tant de  faire  de  Paris  une  capitale  splendide.  »  Je 
voulais,  disait-il  plus  tard  à  Sainte-Hélène,  (|u'elle 
devint  quelque  chose  de  fabuleux,  de  colossal, 
d'inconnu  jusqu'à  nos  jours.  «  C'est  à  Paris  que 
furent  célébrées  toutes  les  grandes  journ^'cs  de 
l'empire;  là   que  Napoléon  épousa  Marie-Louise 


PARIS 


1513  — 


PARIS 


(ISin),  li  que  naquit  l'enfant  cliétif  qui  devait  être 
Il  lo  roi  do  Uome  (ISll)  ». 

Malgr(5  l'opposition  timide  des  salons  bourgeois, 
malgré  les  souvenirs  de  république  toujours  vivants 
dans  le  peuple,  Paris  s'éprit  bientôt  de  la  gloire 
impériale,  se  grisa  d'entliousiasme  aux  revues  de 
la  vieille  garde  qui  défilait  au  Cliarap-de-Mars,  et 
salua  d'acclamations  patriotiques  les  centaines  de 
di-apoaux  captifs  quecliaquo  nouvelle  année  ame- 
nait triomplialoment  aux  voûtes  de  Notre-Dame. 
Les  ponts  d'Austerlitz  et  d'Iéna,  ceux  des  Arts  et 
de  la  Cité,  la  vaste  rue  de  Rivoli  et  tout  le  quar- 
tier do  la  place  Vendôme  dont  les  noms  rappe- 
laient tant  de  victoires  (Castiglione,  Mondovi, 
Moiit-Thabor,  etc.),  la  Halle  aux  blés,  les  grands 
quais,  '20  nouvelles  fontaines,  la  Bourse,  les  arcs 
de  triomphe  du  Carrousel  et  de  l'Étoile  transfor- 
maient l'aspect  du  vieux  Paris,  devenu  la  capitale 
de  l'Europe.  La  colonne  de  la  place  Vendôme  fut  éle- 
vée, après  i80.'>,  avec  le  bronze  des  canons  conquis. 
Vinrent  les  désastres  de  1812,  amenant  l'auda- 
cieux complot  du  général  Mallet  (IG  octobre), 
suivi  de  l'exécution  des  conjurés  à  la  plaine  de 
Grenelle.  Mais  la  noblesse  et  le  clergé,  ouverte- 
ment favorables  à  l'ennemi  ;  la  bourgeoisie,  indif- 
férente et  ruinée  par  la  guerre,  ouvraient  la 
route  à  la  coalition.  Seul,  le  peuple  des  faubourgs 
offrait  encore  ses  bras  à  l'empereur.  A  Vitepsk,  à 
Valoutina,  à  Lùtzen,  à  Leipzig,  les  bataillons 
formés  d'enfants  de  Paris  eurent  l'honneur  de  la 
journée.  Dans  cette  dernière  bataille,  1  300  jeunes 
gens  du  faubourg  Saint-Antoine  avaient  perdu  la 
vie  en  couvrant  la  retraite. 

Un  jour,  on  entendit  gronder  le  canon  des 
Prussiens  et  dr'S  Russes  autour  de  la  capitale 
(30  mars  18U).  Dès  la  veille,  l'impératrice  régente 
avait  fui.  Le  roi  Joseph  la  suivait  dans  sa  fuite, 
laissant  pour  tout,  ordre  celui  de  capituler.  Le 
peuple  trahi,  furieux,  indigné,  assiégeait  les  mai- 
ries en  demandant  des  armes.  Mais  l'autorité  fai- 
sait croiser  la  baïonnette  sur  ces  patriotes,  parmi 
lesquels  était  l'honnête,  le  pacifique  poète  Béran- 
giT.  Une  poignée  de  désespérés,  armés  de  piques 
et  de  fusils  de  chasse,  se  firent  massacrer  aux 
Buttes-Chaumoiit.  à  Montmartre,  aux  Batiguolles 
(barrière  Clicliy)  autour  du  maréchal  Monciy.  Le 
lendeiuain  (31  mars)  les  émigrés,  parés  de  la 
cocarde  blanche,  acclamaient  l'entrée  des  cosaques 
sur  les  boulevards. 

Moins  d'une  année  plus  tard,  Paris  voyait  s'en- 
fuir h.  son  tour  le  vieux  Louis  XVIII,  et  replantait 
sur  les  Tuileries  ses  couleurs  tricolores,  foulées 
aux  pieds  par  les  Bourbons  (20  mars  1815).  Pour 
résister  à  l'Europe  monarchique,  les  fédérés  des 
faubourgs,  aussi  ardents  qu'en  n93,  vinrent  offrir 
à  l'i'mpereur  le  foriuidable  appui  de  la  démocra- 
tie en  armes.  Napoléon  n'osa  l'accepter.  Il  passa, 
le  3  juin,  au  Champ-de-Mars,  la  dernière  revue 
de  la  grande  armée,  et  partit  pour  Waterloo. 

A  la  nouvelle  du  désastre,  le  peuple  de  Paris 
offre  encore  une  fois  son  secours  révolutionnaire 
à  Napoléon  pour  sauver  la  France.  Déjà  l'ennemi 
touche  à  Vaugirard,  à  Montrouge  oii  une  suprême 
bataille  va  s'engager.  Mais  la  convention  du  3  juil- 
let, signée  malgré  les  cris  de  rage  de  la  popula- 
tion, ouvre  à  Wellington  et  à  Bliicher  les  portes 
de  la  capitale. 

Paris  libéral.  —  Tandis  que  des  acclamations, 
payées  par  la  police,  saluaient  le  honteux  retour 
de  Louis  XVllI  (.s  juillet  ,  que  Paris,  occupé  par 
quatre  armées  étrangères  (Anglais,  Prussiens, 
Autrichiens,  Russes)  se  voyait  la  proie  des  alliés 
et  assistait  aux  saturnales  de  la  terreur  blanche 
(le  général  Labédoyère  fusille  à  la  plaine  de  Gre- 
nelle, Ifiaoùt;  le  maréchal  Ney  devant  l'Observa- 
toire, 7  décembre;  les  généraux  Mouton-Duvernet, 
Chartran,  etc.)  ;  tandis  que  la  ville  était  rançonnée, 
ses  musées  dévastés,  ses  monuments  mutilés,  son 


drapeau  déchiré  ;  un  sentiment  d'universel  dégoût 
s'élevait  peu  à  peu  dans  les  masses  populaires. 
Pendant  les  quinze  années  que  dura  la  Restaura- 
tion, Paris  n'a  jamais  pardonné  aux  Bourbon.s  ces 
heures  d'huniiliation  'nationale. 

Les  élections  parisiennes  de  1817  envoient  à  la 
chambre  cinq  libéraux.  Les  chansons  mordantes  du 
poète  populaire,  de  cet  enfant  de  Paris  qui  s'ap- 
pelait Béranger,  ridiculi>cnt  les  gouvernants  du 
jour.  Aux  conspirations  sans  cesse  renouvelées,  le 
pouvoir  répond  par  do  sanglantes  exécutions.  Sous 
Charles  X,  l'opposition  grandit,  les  manifestations 
s'accentuent  aux  funérailles  du  général  Foy  (18251, 
du  député  Manuel,  de  La  Rochefoucauld-Liancourt 
(1827).  La  garde  nationale  de  Paris  est  lirenciée. 
A  cette  provocation,  la  ville  répond  en  envoyant, 
aux  élections  de  18'37,  douze  députés  libéraux. 
Enfin  le  vieux  Charles  X,  en  déchirant  la  Charte, 
engage  avec  la  capitale  cette  lutte  mémorable  de 
trois  journées  qui  peid  à  jamais  les  Bourbons 
(27,  28  et  2!)  juillet  1830). 

La  Restauration  avafit  prodigué  à  Paris  les  édi- 
fices religieux  et  les  chapelles  expiatoires.  Le 
gouvernement  de  Louis-Philippe,  proclamé  roi 
(le  9  août)  au  Palais-Royal,  éleva,  en  mémoire  de 
son  origine,  la  colonne  de  Juillet,  qui  couvre  de 
son  ombre  les  restes  des  citoyens  morts  pour  la 
cause  de  la  liberté.  Dix-huit  années  de  paix 
allaient  permettre  au  nouveau  régime  la  répara- 
tion de  nombreu.x  monuments  (Madeleine,  Hôtel 
de  ville.  Palais  de  Justice),  enfin  et  surtout  une 
œuvre  capitale,  la  fortification  de  Paris. 

Le  ministère  proposait  la  création  de  forts  dé- 
tachés ;  l'opposition  réclamait  une  enceinte  conti- 
nue. Les  deux  projets  furent  amalgamés  li-ii!  ,  et, 
après  de  longs  débats,  l'exécution  en  fut  confiée 
à  trois  officiers  généraux  qui  construisirent  en 
cinq  années  f  l8''il-lS4Gj  l'enceinte  bastionnée  et  17 
ouvrages  extérieurs. 

La  place  nous  manque  pour  rappeler  les  nom- 
breux événements  dont  Paris  fut  le  théâtre  de  18-30 
à  18i8.  Il  nous  suffira  de  dire  que  le  mouvement 
frondeur  du  xvii'  siècle,  devenu  philosophique  au 
dix-huitième,  puis  révolutionnaire  en  89,  républi- 
cain en  92  et  93  ;  un  moment  comprimé  sous  le 
Directoire  et  l'Empire,  puis,  vivement  ranimé  sous 
les  Bourbons  comme  opposition  libérale,  se  trans- 
forma encore  après  les  journées  de  Juillet.  Le  peu- 
ple, envahi  rapidement  par  les  idées  républicaines 
et  les  théories  socialistes,  allait  livrer  plus  d'un 
combat  au  gouvernement  de  Louis-Philippe.  Après 
le  procès  des  ministres  de  Charles  X  (décembre 
183(1),  la  révolution  de  Pologne,  la  manifestation 
de  Saint-GeriTiain  l'Auxerrois  (février  1831),  les 
funérailles  du  général  Lamarque  provoquent  une 
terrible  insurrection  (5  et  0  juin  1832).  Nouveau 
soulèvement  en  1834,  signalé  par  les  tristes  évé- 
nements de  la  rue  Transit onain  (avril).  Le  28  juillet 
183'.,  la  machine  infernale  de  Fieschi  éclate  sur  le 
cortège  royal.  Malgré  la  répression  organisée  parles 
lois  de  septembre,  les  sociétés  socrèles  ne  désar- 
ment pas  :  le  12  mai  1839,  une  émeute  éclate  en- 
core, conduite  par  Blanqui  et  Barbes.  Puis,  c'est 
la  rentrée  dos  cendres  de  Napoléon  qui  sert  do 
prétexte  à  une  immense  démonstration  hostile  au 
gouvernement  (14  décembre  ISiO).  Enfin,  après 
quelques  années  de  tranquillité  apparente,  la  po- 
litique du  ministère  Guizol  amène  les  banquets 
réformistes,  le  soulèvement  du  peuple  et  la  chute 
de  la  royauté  (2i  février  1848). 

Durant  cette  longue  série  de  convulsions  poli- 
tiques, Paris  avait  produit,  en  trois  quarts  do 
siècle,  la  plus  merveilleuse  pléiade  de  savants, 
d'artistes,  d'Iiommes  de  lettres  et  d'hommes  de 
guerre  qui  ait  jamais  illustré  une  capitale  :  Bailly, 
Lavoisier,  Fqurcroy,  Darcet,  les  Bron^niart  pour 
la  science  pure  ;  Emile  Burnouf,  Letronne,  Bois- 
sonnade,   Barbie  du  Boccage    et  Quatremère  de 


PARIS 


—  1514  — 


PARIS 


Quincy  pour  l'archéologie  et  l'érudition  ;La  Harpe 
et  Villemain  pour  la  critique  ;  Ecoucliard-Lcbruii, 
M""  de  Staol,  Héranger,  Legouvé,  Scribe,  Tocque- 
ville  pour  les  lettres  ;  Berryer  pour  l'éloquence  ; 
Mctor  Cousin  pour  la  philosophie  ;  David,  Gros, 
Paul  Delaroche,  Carie  et  Horace  Vernct,  Dela- 
croix, Devéria,  Gudin  pour  la  peinture  ;  Horold 
et  Halévy  pour  la  musique  ;  Lekain,  Talraa, 
M"'  Mars  pour  la  scène;  aux  armées,  le  maréchal 
Maison  et  le  général  Friant. 

Pari'  répuh'irain.  —  La  proclamation  de  la 
République  à  l'Hôtel  de  ville  ouvrit  pour  la  grande 
cité  une  nouvelle  ère.  Paris  recouvra  ses  franchi- 
ses, sa  mairie  centrale,  l'armement  de  tous  ses 
citoyens.  Les  clubs  reparurent;  les  journaux  pul- 
lulèrent, harcelant  le  gouvernement  provisoire  et 
lui  dictant  les  premières  réformes  qui  l'ont  honoré.  : 
Malgré  plusieurs  manifestations  menaçantes,  faites  , 
tour  à  tour  par  les  conservateurs  et  par  les  socia-  1 
listes,  la  grande  fête  de  la  Fraternité,  où  400  000  | 
hommes  armés  défilèrent  devant  le  gouvernement 
nouveau,  rappela  les  plus  belles  journées  de  la 
première  république.  Mais  les  élections  (4  uiai), 
bientôt  suivies  de  l'invasion  de  l'Assemblée  (15  mai), 
avaient  fait  éclater  des  haines  qu'envenima  la 
misère.  L'impolitique  décret  de  la  Constituante, 
jetant  brusquement  sur  le  pavé  les  ouvriers  des 
ateliers  nationaux,  amena  le  lamentable  drame 
connu  sous  le  nom  de  journées  de  Juin  (du  22  au 
26).  Paris  fut  mis  en  état  de  siège  par  le  général 
Cavaignac,  et  une  violente  réaction  jeta  dans  les 
prisons  12  000  citoyens,  au  delà  des  mers  3  000 
déportés.  .     ,  , 

Cependant,  le  prince  Louis  Bonaparte  avait  ete 
élu  à  la  présidence.  Après  la  manifestation  du  13 
juin  1849,  la  ville  désarmée,  durement  surveillée 
par  le  général  Changirnier,  essaya  vainenr-nt  de 
protester  contre  les  lois  réactionnaires  de  l'Assem- 
blée législative.  Paris,  également  hostile  aux  deux 
pouvoirs  en  présence,  le  président  Louis  Bonaparte  ^ 
et  la  majorité  cléricale  et  royaliste  de  l'Assemblée; 
humilié  d'ailleurs  et  foulé  aux  pieds  depuis  la  ré-  ^ 
pression  de  Juin,  allait  voir  s'accomplir  le  coup 
d'Etat  du  2  décembre  1S51.  ! 

Pourtant,  du  2  au  4  décembre,  la  capitale  sans 
armes  tenta  de  résister  à  la  troupe  derrière  ses 
barricades.  Les  conspirateurs  victorieux  déporté-  ] 
rent  arbitrairement  plusieurs  milliers  de  Parisiens. 
Néanmoins,  malgré  la  terreur,  la  ville  ne  donna  ' 
pas  la  majorité  de  ses  votes  au  pouvoir  issu  du 
coup  d'Etat  (132  OuO  otii  sur  291  000  électeurs  in- 
SCrits).  1 

Paris  cosmopolite.  —  De  même  qu'au  sortir  du 
régime  austère  de  la  Convention,  on  avait  vu  se 
produire,  au  temps  du  Directoire,  une  ivresse  de 
volupté  et  un  débordement  de  fêtes,  de  même, 
.iprès  les  orages  de  la  seconde  république,  on  vit 
s'ouvrir  une  ère  de  spéculations  et  comme  une  fré- 
nésie de  jouissances.  L'Empire  conçut  le  plan  de 
iiansformer  Paris,  de  lui  prodiguer  tous  les  em- 
bellissements matériels,  d'en  faire  une  ville  uni- 
que, cosmopolite,  éblouissante,  pour  effacer  le 
souvenir  des  libertés  perdues. 

Administré  par  une  commission  municipale 
nommée  par  le  pouvoir,  par  12  maires  au  choix 
de  l'autorité,  surveillé  par  un  préfet  de  police, 
gardé  par  30  000  hommes  de  troupes  d'élite  (garde 
impériale),  Paris  avait  perdu  la  dernière  trace  de 
ses  vieilles  franchises.  En  revanche,  l'ordre  assuré 
par  la  vigilance  de  la  police  attirait  dans  la  ville 
une  innombrable  multitude  d'étrangers,  exploi- 
teurs, curieux,  touristes,  agents  d'affaires.  Pour 
réaliser  ce  rêve  grandiose,  la  destruction  du  vieux 
Paris  et  la  création  d'une  ville  entièrement  nou- 
velle, l'Empire  devait  appeler  forcément  de  tous 
les  points  de  la  France,  et  même  de  l'étranger 
(Belgique,  Luxembourg),  une  immense  armée  d'ou- 
vriers. Grâce  à  cette  légion  de  travailleurs,  Paris 


voyait  doubler  sa  population  et  devenait  un  des 
principaux  centres  do  l'industrie  nationale,  une 
Babel  commerciale  et  manufacturière.  En  1866,  la 
population  de  la  capitale  et  des  faubourgs  annexé» 
dépassa  le  chiffre  de  I  8'25  OO'J  habitants. 

Il  serait  trop  long  d'énumérer  la  liste  des  non- 
veaux  boulevards  éventrant  les  vieilles  rues  tor- 
tueuses (Sébastopol,  Saint-Michel,  Saint-Germain, 
Prince-Eugène),  les  larges  avenues  rayonnant  au- 
tour de  l'Arc  de-Triomphe  ;  les  places  du  Louvre, 
du    Palais-Royal,    de   l'Hôtel-de  Ville,    créées   ou 
agrandies;  la  rue  do   Rivoli  prolongée,  le   Louvre 
achevé  et  réuni  aux  Tuileries  ;  les  Halles  centrales 
construites.  Des  squares  s'ouvraient  sur  plusieurs 
points  de  la  capitale;  un  parc  était  planté  pour  le 
peuple  auxButtos-Chaumont.  Le  préfet  Haussmann 
'  attachait  son  nom  à  cette  colossale  transformation. 
!      Aussi  l'Europe  accourut-elle,  pendant  la  guerre 
I  de  Crimée,  contempler   aux   Chainps-Elysées  les 
.merveilles   de  l'Exposition  universelle    (1855\  Et 
'  quand  une  loi  nouvelle  eut  doublé  l'étendue  de 
Paris  et  porté  de  12  à  20  le  nombre  de  ses  arron- 
dissements, de  48  à  80  celui  de  ses  quartiers,  par 
,  l'annexion  de  quinze  communes  suburbaines  (1S60); 
quand  de  nombreux  travaux  eurent  encore  embelli 
la  ville,  versé  l'air  et  la  lumière  aux   extrémités 
comme  au  centre  (rues  Turbigo,  Auber,  de  Rome, 
etc.i;  ce  fut  le  concours  du  monde  entier  qui  se 
pressa  aux  portes  de  l'Exposition  universelle  ou- 
verte au  Champ-de-Mars  en  I8CT.  Tous  les  souve- 
rains voulurent  s'y  rendre,  depuis  le  tsar  jusqu'au 
sultan  (la  reine  d'Angleterre  avait  déjà  visité  la  ca- 
I  pitale  à  la  fin  d^'  la  guerre  de  Crimée).  La  splen- 
deur extérieure  de   Paris  n'avait  jamais   semble 
aussi  éblouissante. 

Mais  il  y  avait  plus  d'une  ombre  au  tableau. 
Outre  les  libertés  perdues,  que  le  vote  populaire 
des  Parisiens  réclamait  chaque  fnis  avec  plus  d'in- 
sistance trois  députés  de  l'opposition  en  1857,  neuf 
sur  neuf  en  186.)  et  en  1861)!;  outre  les  spécula- 
tions effrénées  causées  par  la  loi  d'expropriation; 
outre  la  cherté  croissante  des  logements  et  les  ri- 
gueurs de  l'octroi  obligeant  les  familles  pauvres  à 
se  réfugier  hors  des  barrières,  loin  du  centre  du 
travail;  un  plus  fatal  symptôme  commençait  à 
frapper  tous  les  yeux.  Paris  tendait  à  devenir  de 
plus  en  plus  une  ville  de  luxe  et  de  plaisir.  La 
guerre  de  1870  allait  être  un  bien  sinistre  réveil; 
mais  il  devait  en  sortir  aussi  de  salutaires  leçons. 
'  Il  n'entre  pas  dans  le  plan  de  ce  Dictionnaire 
'de  poursuivre  cet  aperçu  historique  au  delà 
I  du  4  septembre  et  de  la  chute  de  l'Empire.  Les 
'  événements  de  «  l'année  terrible  »  sont  encore 
trop  près  de  nous  pour  que  l'histoire  puisse  les 
1  inaer  les  épisodes  héroïques  ou  douloureux  du 
rsiè'-'e,'  les  scènes  tragiques  de  l'épouvantable 
guerre  civile  qui  suivit,  sont  encore  dans  toutes 
I  les  mémoires.  Laissons  à  une  autre  génération 
'  le  soin  de  déterminer  les  responsabilités,  de 
1  constater  les  fautes,  de  flétrir  les  crimes,  et  d  exer- 
I  cor  cette  justice  impartiale  qui  n'appartient  qu  â 
I  la  postérité.  Avec  la  fondation  définitive  de  la  Ré- 
'  publique,  une  ère  nouvelle  s'est  ouverte  pour  Pa- 
ris et  la  grande  cité  marche  désormais  d  un  pas 
assuré  dans  cette  voie  pacifique  du  progrès  où  la 
euident  le  travail,  la  science  et  la  liberté. 

me  de  Parts  dam  l'histoire.  -  Nous  venons 
d'esquisser  brièvement  la  glorieuse  et  sanglante 
histoire  des  destinées  parisiennes.  Nous  avons  vu 
naître,  grandir  et  prospérer,  malgré  les  invasions 
et  les  guerres  civiles,  la  bourgade  gaiiloise,  la 
cité  latine,  la  ville  mérovingienne,  royale,  coni- 
munale,  berceau  du  monde  moderne  et  mère  de 
la  Révolution.  Nous  avons  vu,  au  cours  de  sa 
longue  carrière,  Paris  nous  apparaître  sous  tes 
aspects  les  plus  divers,  entrepôt  maritime,  siè^e 
de  gouvernement,  foyer  scientifique,  ville  de  plai- 
sir et  place   de  guerre.  Nous  avons  vu  le  grand 


PARIS 


—  1515  — 


PARLEMENT 


TÔle  de  Paris  considiSré  comme  centre  de  l'unité 
française,  et  sa  part  d'influoncc  dans  la  marche 
générale  de  la  civilisation.  Sans  vouloir  faire  ici 
la  philosophie  de  l'histoire  parisienne,  il  nous 
reste  à  préciser  ce  rOle,  à  résumer  les  traits  sail- 
lants et  caractéristiques  qui  on  constituent  l'ori- 
ginalité. 

I.  —  La  résistance  à  l'invasion  romaine,  l'hé- 
roïque siège  soutenu  contre  les  Nortlimans,  les 
soulèvements  du  quatorzième  siècle,  les  guorrcs 
du  quinzième,  la  défense  acharnée  dos  ligueurs 
parisiens  contre  Henri  IV,  des  frondeurs  contre 
Louis  XIV,  la  prise  de  la  Bastille  en  89,  des  Tui- 
leries en  '.!!,  la  bataille  de  juillet  1830,  celles  de 
février  etde  juin  1848,  la  lutte  inégale  du  î  décem- 
bre, enfin  le  douloureux  siège  de  I870-I87I,  attes 
tent  et  proclament,  à  chaque  époque,  le  bouillant 
courage,  l'ardeur  patriotique  et  l'esprit  militaire 
des  Parisiens. 

Voilà  pour  les  époques  de  crise;  voici- pour  les 
époques  de  paix. 

II.  —  L'interminable  liste  dos  artistes,  savants, 
historiens,  philosophes  ou  poètes  qui,  depuis  le 
moine  Abbon  et  le  trouvère  Rnimbert  de  Paris, 
depuis  Rutebeuf  et  Villon,  ont  eu  la  capitale  ou 
pour  berceau  ou  pour  patrie  d'adoption  ;  le  succès 
éclatant  de  la  Ménippée,  des  Mnzaiinailes,  des 
chansons  de  Béranger.  si  éminemment  parisien- 
nes; tout  atteste  l'extrême  aptitude  littéraire,  les 
dons  brillants  d'imagination  contenus  par  le  sé- 
vère bon  sens,  par-dessus  tout  enfin  l'esprit  ciiti- 
que,  incisif  et  mordant  de  Paris.  L'ironie  pari- 
sienne emplit  toute  notre  histoire;  ironie  naïve 
avec  Rutebeuf,  funèbre  avec  Villon,  sévère  avec 
Ramus,  emportée  avec  Boileau,  douloureuse  avec 
Molière,  indignée  avec  Voltaire,  cynique  avec 
Beaumarchais,  touchante  avec  Béranger. 

De  cette  aptitude  doublement  militante,  par  la 
parole  et  par  l'action,  résulte  un  troisième  carac- 
tère, le  plus  essentiellement  parisien,  qui,  de  tout 
temps,  a  fait  la  gloire  et  le  malheur  de  la  cité. 

III.  —  Paris,  i  toutes  les  époques,  a  donné  le  signal 
des  grands  mouvements  nationaux  qui  ont  eu  leur 
contre-coup  au  delà  de  nos  frontières.  Résistance 
aux  barbares;  réveil  des  études  philosophiques 
au  moyen  âge,  des  libertés  communales  au  qua- 
torzième siècle,  de  l'unité  française  au  quinzième  ; 
première  protestation  contre  les  tueries  religieuses 
au  seizième  (les  «  politiques  »),  contre  le  despo- 
tique monarchique  au  dix-septième-(les  frondeurs)  ; 
bruyantes  ovations  à  la  philosophie  et  à  la  science 
au  dix-huitième  ;  initiative  du  mouvement  révolu- 
tionnaire sous  les  trois  grandes  Assemblées  (Cons- 
tituante, Législative,  Convention)  ;  protestations 
libérales  sous  l'Empi'e,  nationales  sous  les  Bour- 
bons, républicaines  sous  Louis-Philippe,  sociales 
après  184s;  enfin,  lutte  opiniâtre  contre  le  second 
Empire,  et  défense  désespérée  contre  l'invasion 
élrangère;  Paris  a  devancé  toujours,  dans  ces  di- 
verses phases  de  sa  longue  existence,  le  mouve- 
ment extérieur;  souvent  soutenu,  plus  souvent 
combattu  par  les  provinces,  qui  marchaient  d'un 
pas  plus  lent.  C'est  que  Paris  représente,  comme 
Athènes  dans  l'antiquité,  comme  Florence  au 
moyen  âge,  l'esprit  novateur,  initiateur  par  excel- 
lence. «  Paris  s'en  va  seul;  la  France  suit  de  force 
et  irritée;  plus  tard  elle  s'apaise  et  applaudit. 
C'est  une  des  formes  de  notre  vie  nationale.  »  (Vic- 
tor Hugo.)  Ces  mots  résument  l'histoire  de  Paris. 

De  là  les  coalitions  et  les  haines.  Mais  de  là  aussi 
la  sympathie  de  l'univers  qui  pense,  l'admiration 
des  lettrés,  la  complicité  de  tous  les  propagateurs 
d'idées  nouvelles.  Tous  les  poètes  patriotes  ont 
chanté  la  grande  ville  :  Eustache  Deschamps  au 
temps  des  invasions  anglaises;  Lebrun-Pindaro 
au  xviiie  siècle;  Victor  Hugo  et  Béranger  au  xtx=. 
«  Paris  est  la  tête  et  le  cœur  de  la  France,  »  disait 
déjà  Vauban  au  xvii'  siècle.   «  Paris  est  la  Jéru- 


salem notivoUe,  »  s'écriait,  il  y  a  quarante  ans, 
un  Allemand  enthousiaste,  n  Si  j'étais  riche  et  in- 
dépendant, disait,  au  dernier  siècle,  l'historien 
Gibbon,  c'est  à  Paris  que  j'aurais  fixé  ma  rési- 
dence. »  Gœlhe  ne  tarissait  pas  d'éloges  sur 
cette  ville  ..  où  les  meilleures  têtes  sont  toutes 
réunies  dans  un  même  espace  ;  »  sur  "  cette 
ville  universelle,  où  chaque  pas  sur  un  pont, 
sur  une  place,  rappelle  un  grand  passé  ;  où  cha- 
que coin  de  rue  a  vu  se  dérouler  un  fragment 
d'histoire où  des  hommes  comme  Molière,  Vol- 
taire, Diderot  ont  mis  en  circulation  une  abon- 
dance d'idées  que  nulle  part  ailleurs  sur  la 
terre  on  ne  peut  trouver  ainsi  réunies.  »  Ter- 
minons par  le  jugement  de  notre  vieux  Montaigne, 
que  l'on  n'accusera  pas  d'être  un  enthousiaste  : 
CI  Paris  a  mon  cœur  dez  mon  enfance,  et  m'en  est 
advenu  comme  dos  choses  excellentes.  Plus 
j'ay  veu  depuis  d'autres  villes  belles,  plus  la 
beauté  de  celle-cy  peult  et  gaigne  sur  mon  af- 
fection. Je  l'aynie  tendrement  jusques  à  ses 
verrues  et  à  ses  taches.  Je  ne  mis  Français 
que  par  cette  grande  cité,  grande  en  peuples, 
grande  en  félicité  de  son  assiette,  mais  surtout 
grande  et  incomparable  en  variété  et  diversité 
de  commodités,  la  gloire  de  la  France  et  l'un 
des  plus  nobles  ornements  du  monde.  Dieu  en 
chasse  loing  nos  divisions!  » 

Puisse,  pour  le  bien  du  pays,  ce  dernier  vœu 
du  moins  être  exaucé.  [Paul  Martine.] 

PAHLIîMENT.  —  Histoire  de  France,  XX.XV III- 
XL.  —  Le  nom  de  Parlement  s'appliquait,  à  l'ori- 
gine, à  toute  sorte  d'assemblée.  Il  a  été  ensuite 
réservé,  en  Angleterre,  à  l'assemblée  des  barons  et 
des  députés  des  communes  qui,  dès  le  xiil»  siècle, 
partagea  avec  le  roi  le  pouvoir  législatif.  En  France, 
il  prit  une  signification  toute  différente,  et  servit 
à  désigner  les  corps  judiciaires  que  le  souverain 
avait  chargés  de  rendre  la  justice  en  son  nom. 
Nous  allons  rappeler  brièvement  l'origine  et  l'his- 
toire des  parlements  français. 

De  très  bonne  heure,  les  rois  eurent  auprès 
d'eux  une  courde justice.  Dans  cette  coursiégoaient 
côte  à  côte  des  seigneurs  et  des  légistes.  Un  recueil 
célèbre,  les  OUni,  renferme  les  arrêts  du  parle- 
ment, du  règne  de  saint  Louis  à  celui  de  Philippe 
le  Long;  le  plus  ancien  remonte  à  l'année  1V54. 
Philippe  le  Bel,  qu'on  a  appelé  le  roi  des  Uqistes, 
donna  au  parlement  une  organisation  régulière 
(1308)  :  ce  corps  dut  tenir  ses  sessions  à  Paris, 
deux  fois  par  an,  et  se  composa  de  trois  sections, 
la  Grand  Chambre,  la  CUamhre  des  enquêtes  et 
la  Chambre  des  requêtes;  une  chambre  spéciale, 
la  Chamhre  des  cmptes,  eut  à  s'occuper  de  l'ad- 
ministration des  finances  du  royaume  (la  Chambre 
des  comptes  fut  plus  tard  séparée  du  parlement 
et  constituée  en  corps  indépendant).  En  même 
temps,  un  second  parlement  était  institué  à  Tou- 
louse pour  les  pays  de  langue  d'oc. 

L'importance  du  parlement  grandit  vite.  Les  rois 
avaient  pris  l'habitude  de  faire  transcrire  leurs 
édits  et  ordonnances  sur  les  registres  de  ce  corps  ; 
cette  formalité  de  Venregi^tnmunt  se  transforma 
peu  à  peu  en  un  véritable  droit  de  contrôle  con- 
cédé aux  magistrats  judiciaires  :  il  fut  dès  lors  ad- 
mis qu'une  ordonnance  n'obtetiait  force  de  loi 
qu'à  la  condition  d'avoir  été  enregistrée  ;  et  le  par- 
lement s'enhardit  sijuvent  jusqu'à  discuter  la  vo- 
lonté royale,  à  présenter  des  remontrances,  et 
même  à  refuser  l'enregistrement  demandé.  Il  est 
vrai  que  ce  refus  no  tenait  pas  devant  une  déter- 
mination arrêtée  du  souverain  de  passer  outre  : 
le  roi  se  rendait  en  personne  au  parlement,  s'y 
plaçait  sur  le  trône  appelé  lit  de  justic  (de  là  le 
nom  de  n  lit  de  justice  »  donné  à  ces  séances  so- 
lennelles), et  ordonnait  aux  chambres  réunies 
d'avoir  à  enregistrer  son  édit  sans  discussion  ;  le 
parlement   alors  cédait,  et  constatait  la  violence 


PARLEMENT 


1516  — 


PARLEMENT 


qui  lui  était  faite  par  la  mention  :  n  enregistré  du 
très  exprès  commandement  du  roi.  » 

Louis  XI,  roi  jaloux  de  son  autorité,  institua  trois 
parlements  nouveaux,  ceux  de  Grenoble,  de  Bor- 
deaux et  de  Dijon,  afin  d'affaiblir  le  pouvoir  de 
celui  de  Paris.  Le  parlement  de  Paris  n'en  resta 
pas  moins  la  première  cour  judiciaire  du  royaume, 
et  il  conserva  cette  position  prépondérante  môme 
après  que  d'autres  parlements  eurent  été  succes- 
sivement créés  dans  la  plupart  des  provinces  :  h 
Rouen  et  à  Aix,  sous  Louis  XII;  à  Rennes,  sous 
Henri  II;  à  Pau  et  h  Metz,  sous  Louis  XIII;  à 
Besançon,  à  Trévoux,  et  h  Douai,  sous  Louis  XIV  ; 
enfin  à  Nancy,  sous  Louis  XVI. 

Au  début,  les  conseillers  au  parlement  étaient 
nommés  parle  roi;  à  partir  de  1401,  ce  fut  le  parle- 
ment qui  présenta  lui-même  au  souverain  les  can- 
didats. Mais  François  I",qui  cherchait  à  grossir  par 
tous  les  moyens  les  revenus  de  la  couronne,  imagina 
de  vendre  les  charges  judiciaires;  et,  dès  ce  moment, 
les  places  de  conseiller  s'achetèrent  à  prix  d'ar- 
gent. Cet  abus,  si  scandaleux  qu'il  fût,  eut  au  moins 
un  bon  côté  :  le  magistrat,  sa  charge  une  fois 
payée,  se  sentit  plus  indépendant  de  la  couronne; 
la  fonction  qu'il  occupait  était  devenue  une  pro- 
priété dont  nul  ne  pouvait  le  déposséder.  Le  droit 
de  remontrance  fut  formellement  reconnu  au  par- 
lement par  l'ordonnance  de  15C5. 

Dans  les  guerres  de  la  Ligue,  la  magistrature 
joua  un  rôle  assez  important.  Soixante  membres 
du  parlement  de  Paris,  à  la  tête  desquels  était  le 
premier  président  Achille  de  Harlay,  refusèrent 
de  reconnaître  la  révolte  des  ligueurs,  et  furent 
mis  à  la  Bastille  par  ordre  des  Seize  (1589);  les 
autres  membres,  sous  la  présidence  de  Brisson, 
adhérèrent  à  la  révolte  et  devinrent  le  parlement 
de  la  Ligue;  mais  bientôt  ils  furent  trouvés  trop 
tièdes  :  Brisson  et  deux  autres  conseillers  furent 
pendus  (151)1).  Après  la  chute  des  Seize,  le  par- 
lement, se  ralliant  au  parti  des  poldi  lUes.  rendit 
un  arrêt  pour  le  maintien  de  la  loi  salique  (I.'.9.3), 
et  contribua  ainsi  à  empêcher  l'élection  d'une 
princesse  espagnole  au  trône  de  France. 

Lorsqu'Henri  IV  eut  terminé  les  guerres  de  re- 
ligion par  l'édit  de  Nantes,  une  modification  fa- 
vorable aux  protestants  fut  introduite  dans  les 
parlements  :  il  y  eut  désormais,  au  parlement  de 
Paris,  une  chambre  spéciale  exclusivement  com- 
posée de  protestants,  dite  Cha>nhre  'le  l'édit  ;  et 
les  parlements  de  Toulouse,  de  Bordeaux  et  de 
Grenoble  eurent  des  chambres  mi-parties,  c'est- 
à-dire  mixtes.  Ce  régime  dura  jusqu'à  la  paix 
d'Alais  (l6-.'!t),  qui  enleva  aux  protestants  les  pri- 
vilèges civils  et  politiques  que  l'édit  de  Nantes 
leur  avait  accordés. 

Une  autre  modification  importante,  mais  plus 
durable,  fut  apportée  à  l'ancienne  constitution  des 
parlements  par  l'édit  de  IG04,  qui  rendit  les  fonc- 
tions judiciaires  héréditaires,  moyennant  le  paye- 
ment par  le  titulaire  d'une  redevance  annuelle 
(la  paillette). 

A  la  mort  d'Henri  IV,  Marie  de  Médicis  crut 
devoir  s'appuyer  sur  le  parlement,  et  ce  fut  d-^s 
mains  de  celui-ci  qu'elle  reçut  la  régence  :  par 
cet  acte,  ce  corps  prit  une  importance  politique 
qu'il  n'avait  pas  eue  jusqu'alors.  S'enhardissant, 
il  voulut,  après  la  clôture  des  états  généraux  do 
1P14,  essayer  de  prendre  en  main  hi  direction  des 
affaires;  toutefois  l'attitude  résolue  de  la  régente 
le  fit  reculer,  et  il  se  contenta  de  quelques  con- 
cessions de  pure  forme.  Mais,  au  commencement 
du  règne  suivant,  il  renouvela  ses  prétentions 
avec  plus  de  vigueur  et  de  ténacité.  Comme  Marie 
de  Médicis,  Anne  d'Autriche  eut  besoin  de  lui  :  le 
parlement,  invité  h  statuer  sur  la  question  de 
régence,  n'hésita  pas  à  casser  le  testament  de 
Louis  XIII  en  supprimant  le  conseil  de  régence 
que  le  monarque  défunt  avait  voulu  imposer  à  la 


reine.  Mais,  après  ce  premieracte,  les  magistrats 
voulurent  exercer  eux-mêmes  un  contrôle  effectif 
sur  le  gouvernement;  Varrét  d'union,  rendu  par 
le  parlement,  la  chambre  des  comptes  et  la  cour 
des  aides,  déclara  que  des  députés  de  ces  trois 
cours  se  réuniraient  pour  s'occuper  de  la  réforme 
de  l'Etat.  La  reine  essaya  en  vain  de  résister  ;  le 
peuple  prit   le    parti  du   parlement,   et,    Mozarin 
ayant   fait  arrêter  le  conseiller  Broussol  (36  août 
IGi8!,  les  Parisiens  exigèrent  et  obtinrent  sa  mise 
en  liberté.  Ce  fut  le  commencement  de  la  Fronde. 
Dans  un  autre  article  (V.  Fronde),  nous  avons 
raconté  cette  lutte  de  la  magistrature  et  d'une  par- 
tie   de   l'aristocratie  contre   le    pouvoir  royal.  La 
Fronde  ne  pouvait  vaincre  ;  la  bourgeoisie  fran- 
çaise, dont  le  parlement,  d'ailleurs,  ne  pouvait  se 
dire   le  représentant  légitime,  n'était  pas  encore 
mûre  pour  la  liberté  politique,  et  dut  bientôt  ren- 
trer dans  l'obéissance.  On   sait  comment,  un   an 
après  l'occupation  de  Paris  parles  troupes  royales, 
le  jeune  Louis  XIV  réduisit   le  parlement  au  si- 
lence; il  chassait  dans  la  forêt  de  Vincennes,  lors- 
qu'il apprit  que  les  magistrats,  auxquels  il  avait  or- 
donné d'enregistrer  des  édits  établissant  de  nou- 
veaux impôts,  s'étaient  réunis  pour  en  délibérer;  il 
accourt    au   Palais   dans   son    costume    de    chas- 
seur, et,  s'asseyant  tout  botté  sur  le  M  de  justice, 
il  s'adresse  en  ces  termes  aux  conseillers  :  «  Cha- 
cun  sait  combien  vos  assemblées   ont  excite   de 
troubles  dans  mon   Etat  ;...  j'ai  appris  que  vous 
prétendiez  encore  les  continuer,  sous  prétexte  de 
délibérer  sur   mes   édits.   Je   suis   venu    ici   tout 
exprès  pour  en  défendre  la  continuation,  ainsi  que 
je  fais  absolument,  et  à  vous.  Monsieur  le  premier 
président,  de  les  soufl'rir  ni  de  les  accorder.  »  Le 
parlement  se  le  tint  pour  dit  ;  dans  un  lit  de  jus- 
tice précédent,  le  roi  lui  avait  enlevé   le  droit  de 
faire    des   remontrances;    pendant    les    soixante 
années  qui  suivirent,  il  redevint  une  simple  ma- 
chine à  enregistrement.  . 

Il  prit  sa  revanche  à  la  mort  de  Louis  XIV,  lors- 
que, appelé  par  le  duc  d'Orléans  h  casser  le  tes- 
tament du  grand  roi,  comme  il  avait  casse  celui 
de  son  prédécesseur,  il  sembla  redevenir  un  mo- 
ment un  pouvoir  politique.  Mais,  quoiqu'il  eut  re- 
couvré le  droit  de  remontrance,  le  parlement  ne 
songeait  pas  à  deman.ler  dis  réformes  sérieuses; 
sous  couleur  de  bien  public,  ce  qu'il  poursuivait, 
c'était  la  satisfaction  de  ses  propres  intertls,  le 
triomphe  des  passions  sectaires  dont  ses  membres 
étaient  devenus  les  adhérents  opiniâtres.  En  haine 
des  jésnites,  qui  avaient  dominé  le  gouvernement 
de  Louis  XIV,  les  parlementaires  s'étaient  ralliés 
au  parti  janséniste.  Ils  avaient  été  contraints 
d'enregistrer  la  bulle  Vnigemtus  en  l.l.i,  noi» 
toutefois  sans  qu'ils  eussent  réussi  à  y  faire  des 
changements;  mais  en  1730,  Louis  XV  exigea, 
dans  un  lit  de  justice,  l'enregistrement  de  la 
bulle  sans  modifications  ;  le  parlement  protesta, 
fut  exilé,  puis  rappelé;  et  cependant  les  persé- 
cutions contre  les  jansénistes  continuèrent  tu 
1752  la  querelle  recommença  au  sujet  des  IjiUets 
de  confession;  le  parlement  essaya  de  résister 
aux  exigences  du  clergé,  et  finit  par  donner  sa 
démission  en  masse  ;  il  fallut  l'attentat  de  Damiens 
pour  amener  une  conciliation  :  le  roi,  effraye,  céda 
alors  et  rétablit  le  parlement  il757).  Cinq  ans 
plus  ta-d,  un  arrêt  du  parlement  de  Pans,  appuyé 
par  tous  les  parlements  de  province,  prononçait 
l'abolition  de  l'ordre  des  jésuites,  et  cet  arrêt 
était  confirmé  par  un  édit  royal.       _  _ 

En  même  temps  qu'ils  triomphaient  des  jésui- 
tes, les  parlementaires  se  montraient  les  adver- 
saires déclarés  des  idées  philosophiques.  Le  parle- 
ment de  Paris  avait  condamné  l'^'";;/"  f '«'^  " 
\ Emile;  il  avait  fait  périr  le  chevalier  de  Labarre. 
accusé  de  blasphème,  pendant  que  le  parlement 
de  Toulouse  prononçait  la  peine  de  la  roue  contre 


I 


PARONYMES 


—  1517 


PARONYMES 


Calaset  Sivvcii.  Aussi  l'opinion,  loin  de  voir  comme 
autrefois  dans  les  parlements  les  gardions  des  li- 
bertés publiques,  ne  les  regardait  plus  que  comme 
les  défenseurs  des  vieux  abus  et  de  privilèges 
odieux  ou  ridicules. 

Lors(iue  Louis  XV,  à  l'instiRation  de  la  Dubarry, 
supprima  par  un  coup  d'Etat  les  parlements  qui  gê- 
naient son  auturilé  absolue  ,1771),  et  les  remplaça 
par  les  cours  nouvelles  que  créa  le  chancelier  Mau-    du  corps, 
peou,  la  Krancene  s'émut  que  médiocrement.  Louis  |      g.  Oais,  s.  m.,  voile  ou  tonte 
\V1  toutefois,  àson  avènement, crut  devoirles  réta-  ,  jouer  ou  pour  coud 


3.  Bn<,  du  verbe  battre.  -  B(i<,  s.  m.,  selle  de  l'âne. 

4.  Ilotté^  cliaussô  de   bottes.   —   Beauté,  s.  f., 
qualité  de  ce  qui  est  beau. 

5.  Boite,  du  verbe  boiier.  —  Boite,  s.  m.,  petit 
coffre. 

0.  Chasse,  s.  f.,   action   de  chasser.  —    C/uhse, 
s.  f.,  coffre  h  reliques. 

1.  Cotte,  s.  f.,   vêtement.  —  Côte,  s.  f.,  partie 


Dé,  s.  m.,  pour 


blir;  mais  il  eut  lieu  de  s'en  repentir:  les  magis- 
trats réintégrés  dans  leurs  privilèges  se  montrèrent 
les  ardents  adversaires  des  réformes  que  tentèrent 
Turgot  et  Malesherbes  ;  jalou.x  de  leur  autorité, 
qu'ils  sentaient  menacée  à  la  fois  par  les  cham- 
pions de  l'absolutisme  royal  et  par  les  partisans 
des  idées  nouvelles,  ils  harcelèrent  le  gouverne- 
ment de  leurs  tracasseries,  et  donnèrent  un  té- 
moignage éclatant  de  leur  malveillance  en  acquit- 
tant le  fameux  cardinal  de  Rohan  lors  du  procès 
du  collier.  Lorsque  Loménie  de  Briennë,  enfin, 
voulut,  pour  rétablir  l'équilibre  des  finances,  créer 
un  impôt  territorial  qui  devait  frapper  toutes  les 
terres  indistinctement,  la  magistrature  Ht  une 
violente  opposition,  et  déclara  l'édit  illégal.  Cette 
opposition,  quoique  dictée  par  des  motifs  égoïstes, 
rendit  soudain  les  parlements  populaires  ;  et  la 
déclaration  du  parlement  de  Paris  'juillet  1787), 
portant  que  les  états  généraux  avaient  seuls  le 
droit  de  consentir  les  impôts,  eut  un  immense 
retentissement  :  ce  fut  l'acte  préliminaire  de  la 
Révolution  française.  En  vain  le  roi  essaya  de 
vaincre  la  résistance  des  parlementaires  par  des 
lits  de  justice  répétés,  par  l'exil,  par  l'arrestation 
de  deux  membres  du  parlement  de  Paris,  par  des 
mesures   de   violence  contre  les  parlements   do 


9.  Faite,  du  verbe  faire.  —  Faite,  s.  m.,  le 
sommet. 

10.  Halle,  s.  f..  place  couverte  pour  le  marché. 
—  Ildle,  s.  m.,  effet  du  vent  sur  la  peau. 

11.  Jeune,  adj.,  à  la  fleur  de  l'âge. —  Jeune,  s.  m., 
abstinence. 

12.  Malle,  s.  f.,  coffre  pour  voyager.  —  Mâle, 
s.  m.,  l'opposé  de  la  femelle. 

13.  Manne,  s.  L,  panier.  —  Mânes,  s.  f.,  dieux 
des  morts  chez  les  anciens. 

14.  Ma,  adj.  poss..  —  Mût,  s.  m.,  arbre  qui 
porte  les  voiles. 

15.  Patte,  s.  f.,  pied  de  certains  animaux.  — 
Pâte,  s.  f.,  farine  détrempée. 

16.  Pomme,  s.  f.,  fruit  du  pommier. —  Paume, 
t.  t.,  le  dedans  de  la  main. 

17.  Raisonner,  faire  un  raisonnement.  — Réson- 
ner, rendre  un  son. 

18.  Sole,  s.  f. ,  poisson  de  mer.  —  Saule,  s.  m., 
arbre. 

19.  Tacher,  faire  une  tache.  —  Tâcher,  s'effor- 
cer de. 

W.  Votre,  adj.  poss.  —  Vautre,  du  verbe  se 
vautrer. 

Comme  on  le  voit  par  ces  exemples,  la  diffé- 
rence entre  deux  paronymes  consiste  le  plus  sou- 


province  :  il  y  eut  des  troubles  en  Bretagne,  en  [  yent  dans  la  nature  de  la  première  syllabe  qui  est 
Dauphiné  ;  on  vit  la  bourgeoisie  se  soulever,  les  :  longue  ou  brève,  ouverte  ou  fermée.  Aussi  plu- 
troupes  refuser  obi^issance,  le  clergé  se  prononcer  ,  sieurs  grammairiens  les  ajoutent  aux  homonymes, 
en  faveur  des  parlements.  Louis  -WI  dut  enfin  ne  regardant  comme  paronymes  que  les  parony- 
céder,  et  consentit  à  la  convocation  des  états  gêné-    mes  éloignés. 


Mais  à  peine  l'Assemblée  constituante  eut-elle 
■commencé  sa  tâche  rénovatrice,  que  les  parlemen- 
taires se  retrouvèrent  au  premier  rang  des  défen- 
seurs obstinés  de  l'ancien  répime  ;  aussi  perdi- 
rent-ils leur  populariié  aussi  vite  qu'ils  l'avaient 
conquise.  On  oublia  le  service  qu  ils  avaient 
rendu  en  bravant  le  despotisme  royal  ;  on  ne  vit 
plus  en  eux  que  les  représentants  des  vieux  abus 
^ue  la  Révolution  avait  pour  mission  de  détruire. 
A  une  société  nouvelle,  il  fallait  d'ailleurs  de  nou- 


velles institutions  ;  une  réorganisation  fondamen-    courber,  etc. 


Voici  quelques  exemples  de  paronymes  éloignés: 

Abstraire,  faire  abstraction.  —  Distraire,  dé- 
tourner l'esprit  d'une  application. 

Appareiller,  ordinairement  mettre  à  la  voile.  — 
Apparier,  assortir  par  couple. 

Am?nstie,  s.  f.,  oubli  des  crimes  commis  contre 
l'État.  — -  Armistice,  s.  m.,  suspension  d'armes. 

Denier,  s.  m. .pièce  de  monnaie.  —  Dernier,  adj. 

Infecter,  répandre  une  mauvaise  odeur.  —  In- 
fester, piller,  ravager. 

Plier,  mettre  en    double  par  plis.   —  Ployer, 


taie  de  la  justice  était  indispensable.  Le  G  sep- 
tembre  I7U0,  la  Constituante  décréta  la  suppres- 
sion définitive  et  irrévocable  des  parlements,  des 
chambres  des  comptes,  des  cours  des  aides,  et 
de  toute  l'ancienne  magistrature  ;  une  somme  de 
quatre  cent  cinquante  millions  fut  consacrée  à 
indemniser  les  possesseurs  des  offices  abolis  ;  et 
sur  le  principe  do  l'élection  des  juges  par  le  peu- 
ple, une  magistrature  nouvelle  fut  fondée. 

TAIIONYMES.  —  Grammaire,  XXll.  —  On 
appelle  paronymes  les  mots  dont  la  prononciation 
est  assez  voisine  pour  qu'on  soit  exposé  à  les  con- 
fondre, tels  que  goûte  et  goutte,  mdlin  et  ma- 
■tin,  etc.  On  appelle  encore  paronymes  des  mots 
qui  ont  une  ressemblance  de  son  encore  plus 
■éloignée,  tels  que  anoblir  et  ennoblir,  consommer 
■et  consumer.  De  là,  deux  classes  de  paronymes: 
.1*  les  paronymes  prochains  ;  2'  les  paronymes 
■éloignés. 

■Voici  la  lisie  des  principaux  paronymes  pro- 
■chains  : 

1.  Ah!  interj.  —  A,  du  verbe  avoir. 

2.  Bailler,  donner  en  bail.  —  Bâiller,  ouvrir  la 
bouche. 


Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  que  tous 
les  mots  de  notre  langue  pourraient  entrer  dans 
la  liste  des  paronymes  éloignés.  Chaque  nom, 
chaque  verbe  n'a-t-il  pas  un  voisin  qui  lui  ressem- 
ble, soit  par  le  son,  soit  par  le  sens  ?  Et  quand  il 
n'y  a  aucune  analogie  entre  deux  mots,  comme 
entre  amnistie  et,  armistice  qui  sont  pourtant  cités 
par  la  plupart  des  grammairiens,  la  prononciation 
vicieuse  du  peuple  et  des  étrangers,  les  jeux  de 
mots  par  à  peu  près,  les  ont  bien  vite  rapprochés. 
On  entend  dire  tous  les  jours;  «  Qu'allait-il  faire 
dans  cette  gnbare  a  (barque),  pour  bagarre  (que- 
relle). —  «  Le  lièore  (pour  le  lierre)  meurt  où  il 
s'attache.  »  —  ci  C'est  un  domaine  conséquent  » 
(pour  considèrablr),  etc.  Ces  confusions,  nées  de 
l'ignorance  ou  de  la  fantaisie,  ont  produit  des 
effets  curieux  dans  notre  langue.  C'est  ainsi  que 
fasolet,  diminutif  de  faseol  [faseolus,  petit  hari- 
cot), a  été  remplacé  par  flageolet  (petite  flûte)  ; 
réticule  {reticulwn,  petit  filetj,  par  son  paronyme 
ridicule,  etc.  De  pareilles  erreurs  nuisent  à  la  pu- 
reté de  la  langue.  Les  maîtres  ne  sauraient  trop 
réagir  contre  de  semblables  tendances,  en  insis- 
tant fortement  sur  le  sens  propre  et  le  sens  figuré 


PARTICIPE 


—  1318  — 


PARTICIPE 


des  mots  français,  en  marquant  ncitemenl  les 
nuances  qui  les  distinguent  et  les  diverses  modi- 
fications que  les  préfixes  et  les  suffixes  viennent 
apporter  au  sens  étymologique  de  la  racine. 
[J.  Dussouchet.] 
l'ARTICIl'E.  —  Grammaire,  XIV.  —  Le  parti- 
cipe est  un  mot  qui  tient  à  la  fois  du  vei-be  et  de 
Vudjectif.  .         ,     . 

Parlicipe  vient  du  latm  particeps  (qui  prend 
part,  qui  participe  à).  Il  tient  du  verbe  dont  il 
dérive  parce  qu'il  peut  avoir  les  mêmes  complé- 
ments :  «  Les  éclairs,  nous  effrayant  tous,  redou- 
blèrent. »  11  tient  de  l'adjectif,  parce  qu'il  marque 
comme  lui  la  qualité,  la  manière  d'être  :  «  Ce 
conte  est  effrayant.  « 

Remarque.  —  Le  participe  n'est  pomt  une  partie 
du  discours,  c'est  un  mode  impersonnel  du  verbe 
comme  l'infinitif  (V.  Verbe). 

Il  y  a  deux  sortes  de  participes  :  le  participe 
présent  et  le  participe  passé. 

1.  Accord  du  participe  présent.  —  1°  Le  parti- 
cipe présent  employé  comme  verbe  est  toujours 
invariable  :  «  (^ette  personne,  tjHiijeant  tous  les 
mallieureux,  est  vraiment  charitable.  » 

Nos  participes  présents  viennent  des  participes 
présents  latins;  ceux-ci  étant  traités  par  les  Ro- 
mains comme  de  simples  adjectifs,  nos  participes 
présents  furent  toujours  variables  jusqu'à  la  fin  du 
seizième  siècle.  On  trouve  dans  Rabelais  :  «  Elles 
sont  femmes  bien  entendantes  les  beaux  en- 
droits ;  »  dans  Amyot  :  «  Des  paroles  s'adressantes 
aux  Ioniens;  »  Dans  Malherbe  ;  «  Des  enfants 
bienheureux  ayants  Dieu  dans  le  cœur;  »  dans 
Bossuet  :  «  Des  âmes  virantes  d'une  vie  brute 
et  bestiale  ;  »  dans  La  Fontaine  :  «  Donner  la 
chasse  aux  gens  portants  bâtons  ;  »  etc.  Ce  fut 
seulement  en  1660  qu'Arnauld  et  Lancelot  ensei- 
gnèrent, dans  leur  Grammaire  de  Port-Rotjal, 
qu'il  y  avait  lieu  de  distinguer  dans  les  formes  en 
aiit  un  adjectif  verbal  déclinabie  et  un  participe 
présent  indéclinable.  Ce  principe  erroné  (que 
Vaugelas  avait  admis  en  partie  dès  1641)  fut  re- 
connu par  l'Académie  dans  sa  séance  du  3  juin 
1679,  et  obtint  dès  lors  force  de  loi.  On  trouve 
cependant  encore  des  traces  de  l'ancien  usage 
dans  quelques  termes  de  jurisprudence  tels  que  : 
des  ayants  cause,  des  ayants  droit. 

2°  Employé  comme  adjectif,  le  participe  présent 
est  dit  adjectif  verbal,  et,  comme  tous  les  autres 
adjectifs,  est  soumis  aux  règles  de  l'accord  : 
u  Cette  personne  est  obligeante.  » 

Le  participe  présent  exprime  l'actio7t  {«  l'orage, 
en  effrayant  les  animaux,  dispersa  tout  le  trou- 
peau »),  tandis  que  l'adjectif  verbal  exprime  l'état 
(«  l'obscurité  est  effrayante  »).  Il  faut  donc  savoir 
reconnaître  s'il  y  a  état  ou  action. 

Il  y  a  action  et  par  conséquent  pas  d'accord  : 
1°  Quand  le  participe  a  un  complément  direct  : 
u  On  n'entendit  plus  les  marteaux  fmppant  l'en- 
clume, n  ... 

r  Quand  il  est  précédé  de  la  préposition  en  : 
«  La  mer  s'avance  en  7nugissant  »  (c'est-à-dire  en 
faisaid  faction  de  mugir). 

:,'  Quand  il  e=t  suivi  d  un  adverbe  :  «  Une  tille 
obéissatit  bien  ;  des  esprits  agissant  toujours.  >. 
Il  y  a  état  et  par  conséquent  accord  : 


débris  flottent,  se  dirigent  vers  la  cête.  Dans  le 
second  eus,  flottant  s'accorde  parce  qu'il  est  adjec- 
tif et  marque  l'état  de  ces  débris,  qui  sont  aban- 
donnés depuis  longtemps  aux  flots. 

Le  français  crée  des  noms  nouveaux  à  l'aide  du 
participe  présent  :  de  croyant,  tranchant,  débi- 
tant, participes  de  croire,  trancher,  nébiter,  il 
forme  un  croyant,  le  tranchant,  un  débitant, 
mots  qui  naturellement  suivent  au  pluriel  la  règle 
ordinaire  des  substantifs  :  des  croyants,  des  tran- 
chants, des  débitants. 

11  ne  faut  pas  confondre  les  participes  présents, 
tels  que  m-gligeant,  adhérait,  différant,  extrava- 
guant,c\.a..  avec  les  adjectifs  négligent,  adhérent, 
différent,  extravagant,  etc.  Les  premiers  sont  ré- 
gulièrement formés,  par  le  français,  des  verbes 
négliger,  adhérer,  différer,  extraoaguer.  Les  se- 
conds sont  de  véritables  adjectifs  tirés  directement 
du  latin.  Ces  adjectifs  ne  peuvent  donc,  en  aucun 
cas,  être  dits  les  adjectifs  verbaux  de  négliger, 
adhérer,  etc. 

En  voici  la  liste  à  peu  près  complète  : 

1°  Participes  dont  le  radical  diffère  de  celui  de 
l'adjectif  : 


Participes  présents  tirés  des] 

Adjectifs  ou  substantifs  ver- 

verbes   français 

COM 

JBI- 

baux  tirés  des  participes 
latins. 

QOER,  etc. 

■".onvainquaot. 

Coniaincanl. 

Exlravnguant. 

Extravagant. 

Fabriquant. 

Fabricant. 

Fatiguaut. 

Fatigant. 

IntriKuanl. 

Intrigant. 

Sulîoquaut. 

Suffocant. 

"Vaquant. 

Vacant. 

2»  Participes  dont  la  terminaison  diffère  de  celle 

de  l'adjectif: 

Participes  présents 

tirés 

des 

Adjectifs  ou  substantifs  ver 

verbes    français 

ASHGILBR, 

baux  tirés  des  participes 

iFFLUEE,   etc. 

latins. 

.adhérant. 

Adhéri-nt. 

Ainuuut. 

Afflueul. 

UilTérant. 

Dillérent. 

Diverg.ant. 

nivci-gcnt. 

ÉquiY.ilant. 

Equivalent. 

Excellant. 

Eicellenl. 

Eipédjant. 

Expédient. 

Négligeant, 
Précédant. 

Négligent. 

Piécédenl. 

Présidant. 

Président.                ) 

Résidant. 

Kéiident. 

Violant, 

Violent. 

Le  participe  présent  précédé  de  en  forme  ce 
qu'on  appelle  en  latin  le  gérondif  (amando,  en 
aimant  ;  monendo,  en  avertissant).  Cette  forme 
verbale,  toujours  invariable  en  latin,  l'a  été  aussi 
de  tout  temps  dans  notre  langue.  C'est  là  sans 
doute  l'origine  de  l'invariabilité  de  noire  pnrticipe 
présent,  que  les  grammairiens  ont  peu  à  peu  con- 
fondu avec  la  forme  du  gérondif.  Au  contraire, 
notre  adjectif  verbal,  ordinairement  tiré  du  parti- 
cipe présent  latin,  qui  était  toujours  variable,  en  a 
conservé  la  variabilité. 

II.  Accord  du  participe  passé.  —  1"  Principes 
Quand  le  participe  passé  est  joint 


généraux. 
V^Oua^d  'i'adîèctiT'verbar''esraccompagné  du    au  substantif  sans  l'aide  d'un  verbe  il  est  traite 
rheétre  ■  -  Cette  fleur  est  charnvmte.  »  comme    un    adjectif,    c  est-à-dire    qu  il   s  accorde 

roBdie.      ^.clv .   ,^,  j.        ^ojjjours  avec  le  nom  en    genre  et  en  nombre: 

Les  mérites  récompensés,  les  bonheurs  passés. 
Quand  le  participe  passé  est  précédé  du  verbe 


2o  "Quand  cet 'âdjectii'  verbal  est  précédé  d'un 
adverbe  :  •>  Une  fille  bien  obéissante;  des  esprits 
toujours  agissants,  u  ,,  i . 

Quand  la  forme  en  anl  est  suivie  d  un  complé- 
ment indirect  ou  circonstanciel,  le  sens  peut  seul 
indiquer  s'il  doit  y  avoir  accord,  .\insi  l'on  écrira  : 
a  Voyez-vous  ces  débris  flottant  vers  la  cote'?  » 
mais  :  ■-  Calypso  vit  des  cordages  flottants  sur  la 
côte.  '>  Dans'le  premier  cas,  flottant  est  invariable, 
parce  qu'il  est  participe  et  marque  l'action  :  ces 


être,  il  s'accorde  toujours  avec  le  sujet  en  genre 
et  en  nombre  :  il  est  venu,  elle  est  venue,  ils  sont 
venus,  elles  sont  venues-. 

Quand  le  participe  passé  est  précédé  du  verbe 
avoir  et  n'est  accompagné  d'aucun  complément, 
il  est  toujours  invariable  :  il  a  chanté,  elle  a 
chanté,  ils  ont  chanté,  elles  ont  chanté. 


PARTICIPE 


4319 


PARTICIPE 


2°  Parliciiie piiisc  avec  l'uuxiliaire  étue.  —  Nous 
avons  dit  iiiio  le  participe  piissi'  joiiU  à  l'auxiliaire 
étri:  s'acconlo  toujours  avec  le  sujet  :  la  ville  est 
ouvn-tt-;  le  port  est  fci-mc;  ces  fleurs  sont  épa- 
noui a. 

Par  conséquent,  les  verbes  passifs,  se  conjuguant 
tous  avec  l'auxiliaire  être,  ont  leur  participe  passé 
toujours  d'accord  avec  le  sujet  :  le  roi  est  aimé,  la 
reine  est  aimée,  les  princes  sont  aimés. 

Il  en  est  de  même  dos  quelques  verbes  neutres 
qui  se  conjuguent  avec  être,  tels  qu'aWei',  venir, 
partir,  arriver.  Leur  participe  passé  s'accorde 
toujours  avec  le  sujet  :  il  est  parti,  elle  est  partie, 
ils  sont  ;uar/!s,  elles  sont  parties. 

Dans  les  verbes  impersonnels  conjugués  avec 
être,  le  participe,  s'accordant  avec  le  sujet  inva- 
riable il,  ne  change  jamais  :  il  est  survenu  une 
tempête  ;  il  est  arrivé  des  malheurs. 

Le  français  crée  dos  prépositions  nouvelles  à 
l'aide  de  certains  participes  passés ,  comme 
excepté,  attendu,  passé,  etc.;  par  exemple,  dans 
exeepté  ma  mère,  attendu  l'heure,  passé  l'épo- 
que, etc.  Dans  ce  cas,  les  mots  excepté,  atten- 
du, etc.,  sont  toujours  placés  devant  le  nom. 
Mais  les  mômes  mots  sont  participes  et  pren- 
,  nom  l'accord  quand  ils  sont  placés  après  le 
nom  :  sa  mère  exceptée,  l'heure  attendue,  l'époque 
passée. 

S°  Participe  passé  avec  l'auxiliaire  avoir.  —  Le 
participe  passé  conjugué  avec  avoir  s'accorde  avec 
sou  complément  direct  quand  il  en  est  précédé  : 
les  chevaux  quejW  vus  ;  les  fleurs  que  j'ai  coupées; 
'^ue  de  services  je  lui  ai  rendus!  combien  de  pro- 
jets il  a  formés! 

Mais  il  reste  toujours  invariable  quand  il  n'a 
point  de  complément  direct,  ou  quand  le  complé- 
,  ment  direct  suit  le  participe  au  lieu  de  le  précé- 
der :  )e  lui  ai  porté  la  lettre;  fui  vu  la  rose;  fat 
YU  des  roses. 

Le  complément  direct  placé  devant  le  participe 
.  est  en  général  l'un  des  pronoms  personnels  :  me, 
.  te,  se,  le,  la,  les,  nous<i  vous,  ou  le  relatif  que. 
Mais  dans  notre  vieille  langue  on  plaçait  souvent 
en  poésie  le  nom  complément  avant  le  participe. 
Ex.  :  «  Il  avait  dans  la  terre  une  somme  enfouie  » 
(La  Fontaine};  u  Le  seul  amour  de  Rome  a  sa 
main  animée  »  (Corneille',  etc.  Du  reste,  les 
règles  d'accord  du  participe  conjugué  avec  avoir 
n'étaient  pas  observées  par  nos  anciens  écrivains. 
Ils  suivaient  la  langue  latine  qui  disait  :  «  copias 
quas  habehat  puratas,  les  troupes  qu'il  avait 
préparées,  u  faisant  du  participe'un  adjectif  qui 
s'accordait  toujours  avec  le  complément.  C'est 
ainsi  que  ViUehardouin  a  dit  :  «  Seignors,  je  ai 
veues  vos  lettres,  »  c'est-à-dire  «  j'ai  vos  lettres 
vues.  Il  C'est  à  partir  du  seizième  siècle  que  l'usage 
de  l'invariabilité,  quand  le  complément  suit,  com- 
mence à  se  produire. 

Les  verbes  neutres  n'ayant  jamais  de  complé- 
ment direct,  le  participe  passé  de  ces  verbes  con- 
jugués avec  avoir  est  par  suite  toujours  invaria- 
ble :  Il  Cette  mauvaise  actioji  nous  a  ?iui;  les 
mères  ont  ijémi  de  tous  ces  malheurs.  » 

Nous  avons  vn  que  quelques  verbes  sont  em- 
ployés tantôt  comme  neutres,  tantôt  comme  actifs. 
Lorsqu'ils  sont  employés  comme  actifs,  ils  suivent 
les  règles  du  participe  passé  conjugué  avec  avoir. 
Ainsi  l'on  écrira  avec  accord  :  o  Cet  homme  nous 
a  fidèlement  servis.  »  Mais  lorsqu'ils  sont  employés 
comme  neutres,  ils  n'ont  pas  de  complément 
direct.-  et  leur  participe  reste  invariable.  Ainsi 
l'on  dira  sans  accord  :  «  Ces  livres  nous  ont  beau- 
coup servi  11  (c'est-à-dire  ont  servi  ù  nous). 

a)  Les  participes  couru,  peté,  valu  soin  invaria- 
bles quand  ils  sont  emnloyés  au  sens  propre, 
cest-ù-dire  quand  ils  expriment  lidoe  de  course, 
de  poid'.;  de  valeitr.  Ëx,  :  «  Je  regrette  les  dix 
mille  francs  que  cette  maison  m'a  coûté,  parce 


qu'elle  ne  les  a  jamais  valu  ;  les  deux  heures  que 
j'ai  couru  m'ont  essoufflé  ;  vingt  kilogrammes  ! 
cette  caisse  ne  les  a  jamais  pesé,  n  —  Ces  parti- 
cipes varient  quajid  ils  sont  employés  au  si-ns 
figuré,  c'est-à-dire  quand  ils  signifieju  affronter, 
estimer  la  pesanteur  d'un  objet,  procurer.  Ex.: 
.1  Les  dangers  que  j'ai  courus  sont  nombreux  ;  les 
caisses  que  j'ai  pesées  sont  lourdes;  voilà  les  cha- 
grins que  vous  a  valus  votre  paresse.  » 

b)  Le  participe  passé  des  verbes  vivre,  dormir, 
régner  est  toujours  invariable.  Ex.  :  «  Les  jours 
qu'on  a  vécu  dans  l'oisiveté  sont  perdus  ;  les 
heures  qu'elle  a  d'irmi  l'ont  reposée;  les  années 
que  Louis  XIV  a  réyné  ont  été  bien  remplies.  » 
C'est  comme  s'il  y  avait:  pendant  lesquelles  il  a 
vécu...  pendant  lesquelles  elle  a  dormi...  pen- 
dant lesquelles  Louis  XII'  a  régné. 

Les  verbes  impersoimels  conjugués  avec  avoir 
n'ayajit  pas  de  complément  direct,  leur  participe 
passé  est  nécessairement  invariable  :  il  a  neigé,  il 
i  plu,  il  a  tonné. 

Par  analogie,  on  a  étendu  cette  règle  au  parti- 
cipe des  verbes  actifs  employés  comme  verbes 
impersoimels  :  les  grandes  chaleurs  qu'il  a  fait  ; 
les  inondations  qu'il  y  a  eu. 

Les  verbes  réfléchis  peuvent  être  soit  des  ver- 
bes réfléchis  par  nature  (s'écrouler),  soit  des  ver- 
bes actifs  que  l'on  emploie  comme  verbes  réfléchis 
[se  laverj,  soit  des  verbes  neutresemployés  de  la 
même  façon  [se  nuire).  Suiya.\it  ces  trois  cas,  le  sort 
du  participe  passé  est  dilTérent. 

Les  verbes  réfléchis  par  nature,  tels  que  s'écrou- 
ler, s'évanonir,  se  cabrer,  etc.,  ont  toujours  leur 
pariicipe  passé  variable  et  s'accordent  avec  le 
pronom  complément  :  «  La  jument  s'est  cabrée; 
nous  nous  sommes  évanouis  ;  la  maison  s'est 
écroulée,  >i  c'est  à-dire,  la  jument  a  cabré  elle; 
nous  avons  évanoui  nous,  etc.  (l'auxiliaire  être 
dans  ces  verbes  étant  mis  pour  avoir,  d'où  l'ac- 
cord, puisque  le  complément  direct  précède). 

S'arroger  est  le  seul  verbe  réfléchi  par  nature 
qui  n'ait  pas  pour  complément  direct  le  pronom 
qui  le  précède  :  on  écrira  donc  :  ■.  Elles  se  sont 
arrogé  certains  droits  qu'elles  n'avaient  pas;  ><  (se 
signifie  à  soi  et  est  complément  indirect)  ;  — 
c<  Elles  n'avaient  pas  les  droits  qu'elles  se  sont 
arrogés  »  {arrogés  s'accorde  avec  que,  mis  pour 
lesquels  droits,  complément  direct  et  précédant  le 
verbe). 

On  range  parmi  les  verbes  réfléchis  par  na- 
ture certains  verbes  tels  que  apercevoir,  attaquer, 
attendre,  douter,  plaindre, prévaloir,  saisir,  tair-e, 
etc.,  qui  changent  de  sens  en  devenant  réfléchis: 
s'apercevoir,  se  douter,  se  taire,  etc.  Ex.  :  «  Elles 
se  soM prévalues  de  leur  faiblesse;  elles  se  sont 
tues.  » 

Les  verbes  actifs  employés  comme  réfléchis  font 
toujours  accorder  leur  participe:  «Je  me  suis 
lavée,  ils  se  sont  lavés  •>  (c'est-à-dire  j'ai  lavé  moi, 
ils  ont  lavé  eux). 

Quand  le  complément  direct  suit,  le  participe 
du  verbe  réfléchi  reste  naturellement  invariable: 
11  Elle  s  est  brûlé  le  doigt  »  {se  est  ici  complément 
indirect,  elle  a  brûlé  le  doi./t  à  elle).  —  «  Elle 
s'est  brûlée  au  doigt  (c'est-à-dire  elle  a  brûlé  elle 
au  doigt;  se  étant  ici  complément  direct). 

Les  verbes  actifs  imaginer,  persuader,  em- 
ployés comme  réfléchis,  n'ont  généralement  pas 
pour  complément  direct  le  pronom  qui  les  pié- 
cède  et  restent  invariables:  «Elles  se  sont  ima- 
giné que  tout  serait  prêt;  elles  s'éiaient/j(;;'.«(i«rfe 
i|u'on  n'oserait  les  contredire.  »  Ici  le  verbe  a 
pour  complément  direct  la  proposition  suivante. 
Employés  activement,  ils  suivent  la  règle  géné- 
rale :  «  Je  connais  les  contes  qu'elles  ont  imag  nés 
et  les  gens  qu'elles  oui  persuadés.  » 

Cependant  se  persuader  exprime  parfois  nnis 
idée  de  réciprocité;  alors  le  pronom  »■<;  commande 


PARTICIPE 


—  1520 


PARTAGE  DES  TERRES 


l'accord,  parce  qu'il  est  complément  direct  : 
«  Elles  se  sont  mutuellement  persuadées  de  leur 
sincéiité.  » 

Le  participe  des  verbes  neutres  employés 
comme  réflécliis  reste  toujours  invariable,  parce 
que  ces  verbes  ne  peuvent  avoir  de  complément 
direct.  Kx.  :  a  Bien  des  rois  se  sont  succédé  sur 
le  trône  ;  elles  se  sont  ri  de  nos  menaces  j  il  se 
sont  plu  à  mal  faire.  » 

Remnr fîtes  parlv  ulières  sur  l'accord  des  pnrti- 
■cip'-s  passi'S.  —  Quand  le  participe  est  suivi  d'un 
infinitif,  il  s'accorde  s'il  a  pour  complément  di- 
rect le  nom  ou  pronom  qui  le  précède  ;  mais  il 
reste  invariable  s'il  a  pour  complément  direct 
l'infinitif:  ainsi  le  participe  entendu  varie  dans 
■cette  phrase  :  «  Ces  femmes,  je  les  ai  entendues 
chanter  »  (c'est-à-dire  j'ai  entendu  ces  femmes 
chauler).  Au  contraire,  dans  «  ces  romances,  je 
les  ai  entendu  chanter  à  Paris  »  (c'est-à-dire  j'ai 
entendu  chanter  ces  lOmances),  le  pariicipe  en- 
tendu, ayant  pour  complément  direct  l'infinitif 
chanter,  reste  invariable. 

Le  participe  fait,  suivi  d'un  infinitif,  est  tou- 
jours invariable.  Ei.  :  «Les  maisons  qu'il  difait  cons- 
truire. » 

Les  participes  dû,  pu,  voulu,  sont  invariables 
lorsqu'on  peut  sous-entendre  un  verbe  après  eux. 
Ex.:  «  Je  lui  ai  rendu  tous  les  services  que  j'ai 
pu  et  que  j'ai  dû  «  (sous-enlendu,  lui  rendre).  — 
«  Je  lui  ai  lu  tous  les  livres  qu'il  a  voulu  »  (sous- 
entendu  que  je  lusse).  —  Mais  on  écrira:  «  J'ai 
payé  les  ï,ommes  que  j'ai  diLçs.  » 

Le  participe  passé,  placé  entre  un  que  relatif  et 
la  conjonction  que,  reste  invariable:  «  Les  livres 
que  j'avais  ^/-esume  que  vous  liriez  »  (parce  qu'ici 
le  relatif  que  n'est  pas  le  complément  du  parti- 
cipe, mais  du  verbe  de  la  proposition  qui  suit). 
Celte  tournure  est  d'ailleurs  à  éviter. 

Le  participe  passé  précédé  de  en  reste  invaria- 
ble :  «Tout  le  monde  m'a  ofl'ert  des  services,  mais 
personne  ne  m'en  a  rendu.  » 

L'accord  a  lieu  quand  le  pronom  en  est  précédé 
d'un  adverbe  de  quantité.  Ex.  :  «  Plus  il  a  eu  de 
livres,  plus  il  en  a  lus  »  (c'est-à-dire ///us  de  livres 
il  a  lus)  ;  «  Combien  en  ai-je  vus  mourir  7  »  — 
Dans  ce  cas  le  participe  s'accorde,  par  syllepse 
(V.  Figures,  p.  776),  avec  le  nom  dont  le  pro- 
nom en  rappelle  l'idée.  Dan»  :  Combien  en  ai-je  eus 
mourir,  combien  est  mis  pour  combien  d'hommfs, 
et  l'accord  du  participe  est  ici  tout  aussi  logique 
que  dans:  Combien  y  S07tt  restés. 

Mais  l'accord  n'a  plus  lieu  si  l'adverbe  suit  le 
pronom  en  au  lieu  de  le  précéder.  Ex.  :  a  J'en 
ai  beaucoup  vu;  —  j'en  ai  tant  visité,  a 

Quand  le,  signifiant  celn,  précède  le  participe, 
celui-ci  est  toujours  invariable:  «Sa  tranquillité 
n'est  pas  aussi  assurée  qu'il  l'aurait  désiré  » 
(c'est-à-dire  il  aurait  désiré  cela,  à  savoir  que  sa 
tranquillité  fût  assurée). 

Le  participe  passé  précédé  delà  locution  le  peu 
varie  selon  le  sens  de  cette  locution  : 

Lorsque  le  peu  signifie  une  petite  quantité,  le 
participe  s'accorde  avec  le  nom  :  «  Le  peu  de 
nourriture  qu'il  a  prise  l'a  sauvé  o  (c'est-à-dire 
cette  quantité  de  nourriture,  si  petite  qu'elle  fût, 
a  su/ fi  pour  le  sauver). 

Lorsque  le  peu  signifie  l'insuffisance,  le  man- 
que, le  participe  reste  invariable  :  Ex.  :  «  C'est  le 
peu'  de  nourriture  qu'il  a  pris  qui  a  causé  sa 
mort  »  (c'est-à-dire  cest  la  trop  petite  quantité 
de  nourriture  qui,  etc.). 

Du  rôle  du  participe  dans  la  proposition.  — 
Le  participe  peut  occuper  trois  places  dilïérentes 
dans  la  proposition  :  I"  il  peut  se  rapporter  au 
sujet  :  «  L'homme  poussé  par  la  faim  devient  crimi- 
nel ;  »  2°  il  peut  se  rapporter  au  complément  : 
«  Plaignons  l'homme  tombé  dans  le  vice  ;  »  ■<■"  il 
peut,  en  apparence,  ne  se  rapporter  ni  au  sujet. 


ni  au  régime  :  «  Tout  étant  fini,  nous  nous  sépa- 
râmes. 1)  On  l'appelle,  dans  ce  dernier  cas,  parti- 
cipe absolu. 

Quand  le  participe  se  rapporte  au  sujet  et  qu9 
celui-ci  précède  :  c.  L'enfant,  ai/ant  mangé  des 
mets  empoisonnés,  mourut  sur-le-champ ,  »  on 
ne  doit  pas  répéter  le  sujet  devant  le  verbe.  Il 
ne  faut  donc  pas  dire:  «  L'enfant  ayant  mangé  des 
mets  empoisonnés,  il  mourut  sur-le-champ.  » 

Le  participe  doit  toujours  se  rapporter  claire- 
ment à  un  mot  exprimé  dans  la  phrase.  Ainsi 
l'on  ne  dira  pas  :  «  En  vous  accordant  cette  fa» 
veur,  c'est  me  pn-cw  er  un  véritable  plaisir  »  ; 
mais  :  «  En  vous  accordant  cette  faveur,  je  nie 
procure  un  véritable  plaisir.  » 

[J.  Dussouchet.j 

P.\RT.VGE  DES  TERRES.  —  Arpentage,  XV.  — 
Le  partage  des  terres  est  une  opération  d'arpen- 
tage qui  a  généralement  pour  but  de  diviser  uns 
propriété  entre  plusieurs  héritiers,  soit  en  parties 
égales  si  le  terrain  a  partout  la  môme  valeur,  soit 
en  parties  inégales  si  le  terrain  n'a  pas  partout  la 
même  valeur  ou  n'off're  pas  les  mêmes  facilites 
pour  la  culture,  le  transport  des  récoltes,  l'arro- 
sage, etc. 

(.Nous  dirons  figures  égales  au  lieu  de  figures 
équivalentes.  La  première  expression  est  moins 
exacte,  mais  plus  usitée.) 

L  Terrain  d'égale  valeur.  —  (a)  Division  en  par- 
ties égales;  yh)  Division  en  parties  proportionnel- 
les à  des  nombres  donnés.  —  1°  Soit  d'abord  un 
terrain  de  forme  rectangulaire  à  diviser  en  2,  3,  4... 
parties  égales  sans  conditions  spéciales. 

Il  suffit  de  se  transporter  sur  le  terrain  avec  la 
chaîne  d'arpenteur,  de  diviser  une  des  dimensions, 
la  largeur,  par  exemple,  en  "2,  :3,  4...  parties  égales 
et  de  jalonner  des  ligues  perpendiculaires  à  cette 
largeur. 

2°  Soit  un  terrain  rectangulaire  ABCD,  entouré 
de  murs  de  tous  côtés,  ayant  58", 50  de  long  et 
3(i",20  de  large,  que  l'on  veut  diviser  en  trois  par- 
ties égales  aboutissant  à  une  porte  commune  située 
en  P,  (fig.  1). 


Fig.  1. 

Il  faut  d'abord  calculer  la  surface  du  terrain  et 
en  prendre  le  tiers. 

.^.S,ix:iG,-2 


'/3  de  la  surface  = 


;  =  70„""l,  90. 


L'axe  de  la  porte  se  trouve  à  20  uiètres  du  côté 
BC.  Calculons  la  surface  du  triangle  PBC. 


:îfi,2X20 


=  3G2""I. 


Pour  former  une  première  part,  il  manque 
705""l,0O  —  3G2  =  3i3""l,90, 
que  nous  allons  prendre  au  moyen  d'un  triangle 


PARTAGE  DES  TERRES  —  1521 


PARTAGE  DES  TERRES 


BMP  dont  nous  connaissons  la  hauteur,  3G",20.  La 
base  MB  s'obtient  on  doublant  la  surface  et  en 
divisant  par  la  hauteur. 

343,90  X  2 


MB=  ■ 


3G,20 


•  =  19"'- 


On  détermine  la  base  MN  de  la  deuxième  part, 
représentée  par  le  triangle  MNP,  do  la  mômo  ma- 
nière. 

70.'.,90X2 


MN  =  - 


30,20 


-=39"= 


La  troisième  part  est  représentée  par  le  quadri- 
latère NADP. 

Avant  le  tirage  au  sort  des  parts,  il  peut  être 
stipulé  que  la  première,  qui  est  la  plus  avanta- 
geuse i  cause  de  sa  forme  plus  régulière  et  de  ses 
trois  mursde  clôture,  restituera  à  la  seconde,  qui 
est  la  moins  avantage  se,  une  bande  de  terre  do 
20  mètres  carrés,  par  t'xemplo.  Il  suffit  alors  de 
détacher  de  cette  première  part  un  petit  triangle 
MP»î  dont  la  base  M»;  est  égale  à  : 

3o,ij 

3*  Soit  un  triangle  quelconque  à  diviser  en  5, 
3,  4...  parties  égales  au  moyen  de  lignes  issues 
d'un  même  sommet. 

Il  suffit  de  se  transporter  sur  le  terrain  avec  la 
chaîne  d'arpenteur,  de  diviser  le  côté  opposé  au 
sommet  commun  en  2,  3,  4...  parties  égales  et  de 
jalonner  des  lignes  droites  vers  ce  sommet. 

En  effet,  tous  les  triangles  obtenus  ont  même 
base  et  même  hauteur  ;  ils  ont  donc  môme  surface. 

4°  Soit  un  terrain  de  forme  triangulaire  à  diviser 
en  trois  parties  égales  au  moyen  de  lignes  pa- 
rallèles au  côté  LC,  fig.  2. 


On    a   de  même,  en   considérant  les    triangles 
semblables  AFG  et  ABC; 


AFG      2 

ABC~3 
AFG       AF« 
ABG~AB2 
AF2       AG2 
AB'—AC' 

AGt 

~AC« 
_2 
3 

AF  =  AB  y''!  =6-.!,4X  j^  =50,9. 
AG  =  AC  \/|  =  48,5  X  |4t2  =  ^^'^* 

Cet  exemple  suffit  pour  indiquer  comment  on  di- 
vise un  triangle  en  un  nombre  quelconque  de  par- 
ties égales  ou  en  parties  proportionnelles  à  des 
nombres  donnés  au  moyen  de  parallèles  à  l'un  des 
côtés. 

.S"  Soit  un  triangle  à  diviser  en  trois  triangles 
équivalents  ayant  chacun  un  des  côtés  pour  basa 
et  le  sommet  commun,  fig.  3. 


IFig.    2. 

On  mesure  les  côtés  AB  et  AG,  puis  les  longueurs 
AD  et  AF,  AE  et  AG,  que  l'on  détermine  comme 
il  sera  dit  plus  loin,  et  l'on  jalonne  les  parallèles 
DEetFG.  ^ 

Les  triangles  ADEet  ABC  étant  semblables,  on  a  : 


(1) 
(3) 


ADE_  I 

ABC  ""3 
ADE  _  AD2  _  AE2 
ABC  ""  AB«  ~  AC« 
ADS  _  AE2  _  1 

AB2  ~  AC2  ~  3 

(On  démontre  en  géométrie  que  les   surfaces  de 
deux  triangles  semblables  sont  entre  ellfs  dans  le 
même  rapport  que  les  carrés  de  deux  côtés  homo- 
logues.) 
Supposons  que  : 

AB  =  G2°,4etAC  =  48»,5. 
On  lire  des  égalités  (3)  : 

AD  =  AB  y/l  =  C2,i  X  j-J^  =  3G'". 

AE  =  AG  y/^  =  48,5  X  p^  =  28». 
2'  Partie. 


On  divise  le  côté  AB  en  trois  parties  égales;  par 
le  point  D  on  mène  une  parallèle  à  AC.  et  par  le 
point  F  une  parallèle  à  BC.  Ces  deux  lignes  se 
rencontrent  au  point  0,  qui  est  le  sommet  commun 
des  trois  triangles.il  ne  reste  plus  qu'à  joindre 
OA,  OB  et  OC. 

En  effet,  la  parallèle  FG  est  menée  au  tiers  de 
la  hauteur  du  triangle,  c'est-à-dire  que  HK^l/3 
AH  ;  donc  le  triangle  BOC,  qui  a  la  hauteur  HK  et 
la  même  base  que  le  triangle  donné,  est  équiva- 
lent au  tiers  de  ce  triangle.  On  démontrerait  faci- 
lement qu'il  en  est  de  même  pour  le  triangle 
AOC. 

On  ferait  une  construction  analogue  dans  le  cas 
où  les  trois  triangles  seraient  proportionnels  à  des 
nombres  donnés.  Il  suffirait  de  diviser  le  côté  AB 
proportionnellement  à  ces  nombres  et  de  mener 
des  parallèles. 

6"  Soit  un  terrain  ayant  la  foime  d'un  trapèze 
à  diviser  en  2,  3,  4...  parties  égales  au  moyen  de 
lignes  joignant  les  côtés  parallèles. 

11  suffit  de  diviser  ces  côtés  chacun  en  2,  3,4... 
parties  égales  et  de  joindre  les  points  de  division 
correspondants. 

En  effet,  on  obtient  ainsi  des  trapèzes  ayant 
mêmes  bases  et  même  hauteur,  par  conséquent 
même  surface. 

7"  Soit  un  terrain  ayant  la  forme  d'un  trapèze 
à  diviser  en  quatre  parties  égales  au  moyen  de 
parallèles  aux  bases,  fig.  4. 

On  prolonge  les  côt(5s  non  parallèles  AB  et  CD 
jusqu'à  leur  rencontre,  au  point  E  ;  on  calcule  la 
surface  du  triangle  EAD  et  celle  du  trapèze  ABCD  ; 
on  détermine  les  points  de  division  F,  H,  M.  G,  K, 
N  et  l'on  trace  les  parallèles  FG,  HK,  et  MN. 

Les  bases  dutrapèzeont  IH  mètres  et  ô2  mètres 
et  la  hauteur  48  mètres. 

9G 


PARTAGE  DES  TERRES 


—  1522  —  PARTAGE  DES  TERRES 

{i'  question),  c'est-h-dire  que  l'on  déterminerait 
dircclement  les  points  F,  G,  H,  etc., au  mo\en  de 
proportions  comme  celle-ci,  par  exemple  : 


:^ 


La  surface  du  trapèze  est  esprimcc  par  : 

- — ^^-  X-i8  =  4224mq. 
La  surface  do  chaque  part  est  donc  égale  à  : 


4224 


=  lOÔC"'-'!- 


Pour  calculer  la  surface  du  triangle  AED,  il  faut 
d'abord  déterminer  la  hauteur  EO,  que  nous  re- 
présentons par  X.  Or  les  deux  triangles  semblables 
BEC  et  AED  donnent  la  proportion  : 

48  +  0-       124 

d'où  l'on  tire  successivement  : 

48  X  52  -I-  52  J  =  1242;. 

VHx  —  b':x=  48x52. 

nx  =  Î4Q0. 

x=  -r^  =24"", G 
La  surface  du  triangle  AED  est  exprimée  par  : 

ci:llo  du  triangle  total  CEC,  par  : 

4224H-8S9,6  =  512;>'1.6. 

Pour  avoir  la  position  de  la  première  lia:ne  de 
division  FG,  il  faut  délaclicrdu  triangle  total  I.EC 
le  petit  triangle  AED,  plus  une  part  du  trapèze, 
c'cst-i-dire  une  surface  égale  i  : 

890,6 -f  1050  =  l'J55"'q.  G. 

En  considérant  les  deux  triangles  semblables 
AED  et  FEG,  on  a  la  relation  : 

FEG_ER3 
AED~EU2 
ia556        ER^ 

su'Jii  ~~  :i4.(i2 


V  S'J'Jti 


ER  = 


Ul,8 


■  =5rM0 


Il  ne  reste  plus  qu'à  mesurer  ER  =  51™, 10  cl 
à  mener  la  ligne  FG  parallèle  à  BC. 

On  obtiendrait  de  la  même  manière  les  paral- 
lèles IIK  etMN. 

Dans  le  cas  où  l'on  pourrait  mesurer  directement, 
sur  le  terrain,  les  quatre  côtés  du  trapèze  ainsi 
que  les  prolongements  xVE,  ED  et  la  hauteur  EO, 
le  problème  sciait  résolu  comme  précédemment 


FEG 
BEC 


FE2 
BE»' 


8°  Soit  un  terrain  ayant  la  forme  d'un  penta- 
gone h  partager  en  trois  parties  égales  par  des 
lignes  issues  du  sommet  A  (lig.  5). 


On  comiBence  par  transformer  ce  polygone  en 
un  triangle  équivalent,  en  conservant  le  sommet 
indiqué,  puis  l'on  divise  le  triangle  en  trois  par- 
ties égales.  A  cet  effet,  on  prolonge  le  côté  DC  i 
droite  et  k  gauche,  on  mène  la  diagonale  .\D,  une 
parallèle  EF  à  AD,  et  la  ligne  AF.  On  peut  rem- 
placer le  triangle  AED  du  polygone  par  le  nou- 
veau triangle  AFD,  rar  ils  ont  la  même  base  AD 
et  la  même  hauteur,  qui  est  la  distance  entre  les 
parallèles  AD  et  EF. 

On  trace  de  même  la  diagonale  AC,  la  ligne  BG, 
parallèle  à  AC,  et  la  ligne  AG.  On  peut  remplacer 
le  triangle  ABC  du  polygone  par  son  équivalent 
ACG,  et  le  polygone  tout  entier  se  trouve  alors 
transformé  en  un  triangle  équivalent  AFG.  Il 
suffit  maintenant  do  diviser  la  base  FG  eii  trois 
parties  égales  et  de  joindre  les  points  de  division 
au  sommet  A. 

Il  est  évident  que  cette  construction  ne  convient 
que  dans  le  cas  où  les  points  de  division  K  et  H: 
se  trouvent  sur  le  côté  DC  du  polygone,  car  s'ils 
étaient  en  dehors,  il  y  aurait,  dans  les  parts,  des 
surfaces  qui  ne  seraient  point  contenues  dans  le 
terrain  donné,  de  sorte  que  le  tracé  précédent, 
toujours  vrai  au  point  de  vue  graphique,  ne  donne- 
rait pas  de  solution  pratique.  On  serait  ramené  au 
tracé  par  tdtcunement  que  nous  allons  employer., 

9°  Soit  un  terraiu  bordé  par  une  rivière  à  par^, 
tager  en  trois  parties  égales  au  moyen  de  lignesj. 


Fig.  n. 


PARTAGE  DES  TERRÎIS 


lo23 


PARTAGE  DES   TERRES 


;;boutissant  Ji  un  passage  commun  et  de  ma- 
iiiiTO  que  les  doux  parts  situées  au  bord  de 
l'eau  reçoivent  une  augmentation  égale  à  1/ill  de 
Irnir  surface,  à  cause  des  dégâts  possibles  de  l'eau 
(fig.  fl). 

Il  faut  d'abord  calculer  !a  surface  du  terrain  et, 
pour  cela,  tracer  une  hnse  (^opérations  AB  con- 
venablement choisie,  diviser  le  bord  de  la  rivière 
on  lignes  Ji  peu  près  droites,  planter  des  jalojis 
|)ar  tous  les  points  de  division  ainsi  que  par  les 
•sommets  C,  D,  E  du  polygone,  et  abaisser  dos  per- 
pendiculivros  sur  cetie  base  d'opérations.  Le  ter- 
rain est  ainsi  divise  en  triangles  rectangles  et  on 
trapèzes  qu'il  est  facile  d'évaluer: 


18X9 

•2 
I?,4x28,5 

2 
15  X  ;.-i,8 


=  81,00 

=  17G,70 

=  306,00 

=  370,60 


I"trapczo= — ^ — xI5  =   1CÔ,00 


2 


18-1- -24 


X35       =  5i2,50 
X  12       =   ÏJ-2,00 


2 


X27,6=   724,50 


iC-l-52.RX8':,5  =  4!7l,'j0 


Surface  totale  =  7089,10 

l.a  première  et  la  troisième  parts  auront  une 
surface  égale  à  : 

'iO'iO.lO    ,    7080,1(1 

Reste  pour  la  deuxième  : 

TOSSJ.IO  — 2410,27  X  2  =  22GS,5G 

En  examinant  la  figure,  on  voit  tsut  de  suite  que 
la  deuxième  part  se  coojposera  principalement  d'un 
triangle  ayant  sa  base  sur  le  côté  ED  du  polygone 
et  sa  hauteur  suivant  PU.  perpendiculaii'e  sur  ED. 
Cette  perpendiculaire  est  égale  à  «."".SO.  En  sup- 
4)osantque  tonte  la  deuxième  part  soit  un  triangle 
place  sur  la  ligne  ED,  on  obtiendrait  la  base  en 
•divisant  le  double  de  la  surface  du  triangle  par 
<J4'",80,  ce  qui  donne  : 

22fi8,5Gx2 

La  question  est  ramenée  à  déterminer  la  posi- 
tion d  un  sommet  de  la  base  du  triangle,  celle  du 
point  M,  par  exemple.  .V  cet  effet,  on  t;ace,  par 
idtonnement.  une  ligue  Pm:  on  calcule  la  surface 
do  toute  la  partie  du  terrain  située  à  gaucho  do 
cette  ligne,  que  l'on  déplace  ensuite  dune  lon- 
gueur Mm,  facile  à  déterminer. 

La  surface  du  terrain  située  à  gauche  do  Vm  se 
•compose  de  deux  triangles  rectangles  et  d'un 
■trapèze  déjà  mesurés,  pois  d'un  nouveau  trapèze 
'^/'f'.^Â^  ^  "'°'*  nouveaux  triangles  nhn,  Ivk 
■et  klV.  On  a  mesuré  les  bases  et  les  iiauteurs 
nécessaires  pour  calculer  ces  surfaces  et  l'on  a 
trouve  : 

fy=W"Vjk=1\;rjm='i';,'i-^rk=  lo;P/i=18; /6-=10,5 


18x9 

2 
4CX1G,5 


triangle  li-k     = 


—      gkm 


21  x^iG,4 


=  81,00 
=  379,50 
=  97,50 
=  175,50 

=  487,20 


1"  trapèze      =     "^      X 15     =  105,00 

i-|-4fi,4  , 


Trapèze  fijmH  =  ■ 


2 


XlO  =  4Gi.O0 


Total ,.  ..     1847,-;0 

Il    manque  i    la  première    part    une   surface 
égale  à 

2410,27  —  1847,70  =  5G3""I57 
qu'il  faut  prendre  au  moyen  d'un  triangle   situé 
à  droiti:  de  la  ligne  Pm  et  dont  la  base  mM  est 
calculée  de  la  manière  suivante  : 


5fi2,57  X  2 


=  n'»,3G 


La  ligne  PM  étant  déterminée,  on  mesure  la  sur- 
face du  triangle  PMD,  qui  est  égale  i  : 


Il  manque   à  la   deuxième   part    une    surface 
égale  à  : 

2208,56  -  2008,80  =  259,76 

qu'il  faut  prendre  au  moyen  d'un  petit  triangle 
ayant  pour  base  DPf  sur  le  côté  DB  et  pour  hau- 
teur la  perpendiculaire  PQ  =  GU"  : 


DX  = 


250,76  X  2 
G6 


,87. 


Le  terrain  situé  à  droite  de  la  ligne  P-\  repré- 
sente la  troisième  part. 

10"  Soit  un  terrain  allongé,  de  forme  très  irré- 
guiière,  h  diviser  en  doux  parties  égales  suivant 
la  longueur  (lig.  7). 


Il  suffit  de  tracer  un  certain  noiiibr 
lèles  é(|Uidistaiit>'S  suivant  la  largeur 
de  diviser  toutes  ces  parallèles  en  de 
égales  et  de  j  Jindre  les  poini^  de  divis 


■}  de  par 
du  terri 
iix   pari 

10.1. 


PARTAGE  DES  TERRES     —  1524 


PARTIES  DU  DISCOURS 


Lorsque  la  ligne  de  partage  est  très  sinueuse, 
comme  dans  le  cas  présent,  il  convient  de  la  rem- 
placer par  une  courbe  plus  facile  à  tracer  sur  le 
terrain  ou  même  par  une  ligne  droite  en  faisant 
des  comi^ejisaiions,  c'est-à-dire  en  prenant  et 
restituant  à  chaque  part  des  surfaces  sensible- 
ment égales.  Exemple,  la  droite  AB. 

Partaye  proportionnel  à  des  nombres  ilonnés.  — 
11°  Une  propriété  ayant  la  forme  d'un  quadrila- 
tère irrégulier  a  été  achetée  à  raison  de  lâOÛU  fr. 
par  trois  acquéreurs,  qui  ont  versé  respective- 
ment 7000,  CuOO  et  2U00  fr.  :  on  demande  un  par- 
tage proportionnel  à  ces  nombres,  à  condition  que 
les  trois  parts  aboulisseat  à  un  point  intérieur  P 
(fig.  S). 


Fig.  8. 

Il  faut  d'abord  calculer  la  surface  du  terrain  tout 
entier  en  le  décomposant  en  deux  triangles  au 
moyen  de  la  diagonale  DB,  puis  la  surface  d(;  chaque 
part  proportionnellement  aux  nombres  2,  G  et  7. 

On  prendra  la  ligne  PC,  par  exemple,  comme 
première  ligne  de  pnriage  ;  on  détachera  un 
triangle  MPC  appuyé  sur  le  côté  BC,  ayant  pour 
hauteur  PH  et  une  surface  égale  à  2/Iâ  de  la  sur- 
face totale.  On  mesurera  ensuite  le  triangle  CPD 
ayant  pour  hauteur  PK,  et  l'on  ajoutnra,  pour  coni- 
pk'ter  la  deuxième  part,  égale  à  C/Iô  de  la  sur- 
face totale,  un  petit  triangle  DPX  ayant  pour 
hauteur  PQ.  Il  restera  pour  la  troisièmo  part, 
é^aleà.7/15  de  la  surface,  le  pentagone  irrégu- 
lier P.NABM. 

n.  Terrain  d'inégale  valeur.  —  12°  Soit  un 
terraiu  ayant  la  forme  d'un  hexagone  irrégulier, 
composé  de  trois  classes  de  terre,  à  diviser  en 
trois  parties  de  même  valeur  (fig.  9). 


Fig.  9. 

On  jalonne  au  préalable  des  lignes  de  sépara- 
tion des  diverses  classes  de  terre  ;  on  calcule  la 
surface  de  chaque  catégorie  et  le  prix  suivant  les 
habitudes  locales,  puis  on  procède  au  partage. 

On  comprend  (|ue  le  problème  est  très  com- 
plexe et  demande  une  grande  expérience  de  la 
part  de  l'arpcnieur. 


Dans  le  cas  présent,  chaque  classe  a  été  divisée 
en  trois  parties  égales,  ce  qui  a  donné  des  lignes 
de  division  très  irrégulières,  ahcd  et  efcjh.  Une 
première  rectification  des  limites  a  été  faite  au 
moyen  des  lignes  inn  et  pq,  par  des  compensa- 
tions basées  sur  la  valeur  des  terres,  par  exemple, 
75  francs  l'are  en  première  classe,  30  francs  en 
deuxième,  et  10  francs  en  troisième.  Enfin,  la 
portion  du  milieu,  à  cause  de  sa  configuration 
plus  régulière,  et,  par  suite,  plus  avantageuse 
pour  la  culture,  a  dû  céder  une  petite  bande  de 
terre  représentant  I/IOO  de  sa  surface  à  chacune- 
des  deux  autres,  ce  qui  a  donné  les  lignes  défini- 
tives MN'  et  PQ. 

III.  Bornage.  —  La  consécration  naturelle  de 
tout  partage  de  terrain  est  un  bornage  avec  pro- 
cès-verbal à  l'appui. 

Les  bornes  sont  généralement  de  grandes  pier- 
res brutes  ou  taillées,  que  l'on  enfonce  dans  la 
terre  pour  les  garantir  du  soc  de  la  charrue.  On 
met  souvent  quatre  moellons  en  dessous,  qu'on 
appelle  téinoms  de  la  borne  ;  au  milieu  de  ces- 
moellons,  on  casse  encore  une  tuile  dont  on  rap- 
proche les  morceaux,  appelés  témoins  muets  ou 
bien  on  emploie  du  charbon,  dos  fragments  d'ar- 
doise, des  cailloux. 

Les  bornes  se  placent  aux  angles  des  terrains 
pour  indiquer  le  bout  et  le  coté,  ainsi  que  sur 
les  longueurs  ;  elles  sont  d'autant  plus  nombreu- 
ses que  les  contours  sont  plus  accidentés. 

Il  est  nécessaire  do  marquer  les  bornes  sur  les 
plans  on  indiquant  leur  éloignenieiit  et  môme  les 
angles  qu'elles  forment  entre  elles. 

Des  peines  sévères  sont  édictées  contre  toute 
personne  qui  arrache  ou  déplace  une  borne  sans 
une  autorisation  signée  de  tous  les  propriétaires 
riverains  ou  un  ordre  du  juge. 

[A.  Bougueret.] 
TARTIES  DU  DISCOURS.  —  Grammaire,  IX. 
—  On  appelle  ainsi,  en  terme  de  grammaire,  les 
diflférentes  espèces  de  mots,  le  discours,  ou  encore 
l'oraison,  conmie  l'entendent  les  grammairiens, 
n'étant  autre  chose  que  la  suite  des  mots  ou  des 
phrases,  en  tant  qu'ils  expriment  nos  pensées. 

On  compte  ordinairement  dix  parties  du  dis- 
cours, dix  espèces  de  mots  :  le  nom,  l'article, 
l'adjectif,  le  pronom,  le  verbe,  le  participe,  l'ad- 
verbe, la  prépositioi],  la  conjonction  et  l'interjec- 
tion. Quelques  grammairiens  n'en  comptent  au- 
jourd'hui que  neuf  ou  même  huit,  faisant  rentrer 
le  participe  dans  la  catégorie  du  verbe  et  l'article 
dans  celle  dos  adjectifs  déterminatifs.  Chaque  es- 
pèce se  subdivise  en  un  certain  nombre  de  sous- 
espèces. 

L'origine  de  cette  classification  dos  espèces  dé- 
mets est  fort  ancienne.  Elle  remonte  à  Platon  et 
à  Aristnte;  l'école  d'Alexandrie  l'a  singulièrement 
perfectionnée  ;  adoptée  par  les  grammairiens  la- 
tins du  bas  i-mpire  et  par  ceux  du  moyen  âge,  elle 
est  parveime  jusqu'à  nous  en  ne  se  modifiant 
guère  que  sur  certains  détails,  et  l'on  peut  dire 
fort  justement  que  les  termes  d mt  se  servaient 
les  Uenys  le  Thrace,  les  Apollonius  Dyscole,  les 
Priscien  pour  enseigner  la  grammaire  à  la  jeu- 
nesse grecque  OU  à  la  jeujiesse  romaine,  «  sont 
ceux-là  mêmes  dont  nous  nous  servons  encore  au- 
jourd'hui. »  (V.  Grammaire,  V  partie  du  Diction- 
naire, article  de  M.  C.   Bouzé.) 

Est-ce  à  dire  que  cette  classification  réponde 
bien  à  la  réalité  des  choses?  Sans  vouloir  subtili- 
ser, sans  vouloir  se  demander  si  les  mots,  tels  que 
Ihistoire  de  la  langue  nous  les  montre  dans  leur 
naissance,  leur  développement  et  leurs  transforma- 
tions, répondetit  bien  à  celte  idée  d^!  catégories 
irréductibles,  qui  seule  caractérise  véritablement 
l'espèce,  on  est  à  tout  le  moins  en  droit  d'exa- 
miner si  la  classification  des  espèces  grammati- 
cales, telle  que  nous  l'avons  reçue  de  l'antiquité, 


PARTIES  DU  DISCOURS     —  1525  - 


PASCAL 


■       .o  V,  r„cnrit  ,],.=.  notions  bien  claires,  et  si  i  qualificatifs,  qui  désignent  les  manières  d'être  des 
'?i;rr  ^IS^  Tl^l...  ses  dlvl.    |.^..s^et  - -oses  ,  d.s^,d.er.^U.  qu. 

dWs  cel^un  motSu  s-  jouS^^^  autre.'  I  sexualité  ou  de  ce  qu'on  y  assimile,  des  d.fferen- 
M  "^IJl^hî^n  aiTncé  Ouel  est  en  effet,  le  mot  tes  circonstances  de  tendance,  de  milieu  ou  de- 
mi leset  ouvrais  ce^cas?  Je  sais  bien'quo  l'on  poque.  Il  y  en  a  d'autres  Hui  ne  désignent  que  de 
d  sV  autroSetn '«4.ta«ù/etleno»<«.'i.c(</.  ;  simples  rapports  rapports  de  l-a'^»"-  ^  pparte- 
1  o„?  .innn,l:,it  -i  une  Catégorisation  précise  de    nance,   de  dépendance,   de    conditionnalite,  etc., 

v4ueou7ces  toiles  d'à "ai°ice  métaphysiques.  Le  ,  lificatifs,  les  déterminatifs,  les  pronoms,  les  verbes 
^Xes  il  mirui  dénommé  que  l'adjectif?  Kerie,  (aux  modes  personnelsl,  et,  d'autre  Pfrt,  les  w 
Te  ■6«m  veut  diîe  mof.  Le  verbe,  i'est  donc  le  variables  servant  à  marquer  des  rapports.  Nous  ne 
m  ,t  Le  mot  nar  excellence  peut-être.  Soit,  mais,  parlons  pas  ici  de  l'interjection  qm,  en  so  ,  n  ap- 
saà;  compterTue  lenom  qui  fait  la  loi  au  verbe,  partient  pas  au  langage  articulé,  et  d«»  '^^  Pl»" 
nmirraTsans  doute  réclamer  une  juste  prédomi-  part  des  types  rentrent  dans  d'autres  classes  ou 
.■^ïnrT  L  erait  1  pas  à  désirer  que  la  dénomi-  sont  des  débris  de  propositions.  App  iquons- 
ation  mê  ne  des  espèces  de  mots  indiquât  autant  nous,  k  l'école,  k  faire  reconnaître  et  distinguer 
ue  'os"^bie^eurc^aTère  spécial,  ceîui  qui  fait  !  par  leurs  tt-^i^t/^tV^cUÎnliauée^'D^ru  merci 
qu'ils  sont  des  espèces  ?  Quand  je  dis  '''',■<!'*' '■'.  to"«e  la  variabilité,  assez  compliqu^^^^^^ 
mammifères,  bimanes,  moU,.s,i„es,  etc.,  j'ai  tout    de   leurs  mamères  d  être  et   de  leurs  évomtions 


de  suite  dans  l'esprit  des  idées  précises,  et  voilà 
des  noms  d'espèces  bien  formés  :  nous  n'en  avons 
pas  de  tels  dans  la  grammaire. 

Il  y  a  même,  malheureusement,  pis  ;  u  y  a  des 
dénominations  grammaticales  qui  induisent  en 
erreur,  si  bien  que  les  règles  concernant  certaines 
espèces  de  mots,  c'est-à-dire,  en  définitive,  les 
observations  et  constatations  purement  expéri- 
mentales et  historiques  relatives  k  leur  manière 
d'être,  ne  répondent  point  k  la  définition  qu'on  a 
donnée,  définition  qui  est  une  conséquence  de  la 
dénomination  môme  de  l'espèce.  Voici,  par  exem- 
ple, Vadverh''.  L'Académie  et  la  plupart  des  gram- 
maires le  définissent  ainsi  :  «  L'adverbe  est  une 
partie  invariable  du  discours  qui  se  joint  avec  les 
verbes,  les  iidjectifs  ou  les  adverbes,  et  qui  les 
modifie  de  divorsrs  manières.  »  Or  cela  est  vrai 
de  certains  adverbes  et  non  de  tous.  Cela  est  vrai, 
si  l'on  veut,  de  la  plupart  des  adverbes  de  lieu, 
des  adverbes  do  manière  ;  cela  n'est  pas  vrai  des 
■adverbes  de  quantité,  au  moins  quand  ils  sont  sui- 
vis d'un  complément,  qui  est  un  véritable  régime. 
<)uand  je  dis  :  Beaucoup  de  vin  amène  l'ivresse  ou 
Versez-mrji  beaucoup  de  vin,  il  est  clair  que  le 
soi-disant  adverbe  beaucoup  agit  sur  le  verbe  autre- 
mont  que  comme  un  simple  modiflcatif,  puisque, 
dans  le  premier  cas,  il  est  sujet  et,  d.ms  le  second, 
complément  direct.  Ou  il  faudrait  changer  la  défi- 
nition de  l'adverbe,  ou  il  faudrait  ôter  de  l'espèce 
adverbe  les  mots  comme  beaucoup,  assez , 
trop,  etc.,  qui  sont,  par  leur  fonction,  et  quelque- 
fois par  leur  forme,  de  véritables  noms. 

Nous  n'avons  poinl  la  prétention  de  vouloir  for- 
muler ici  une  classification  scientifique  des  mots. 
•Cela  demanderait  de  grandes  études  et  de  lon- 
gues démonstrations.  Nous  voudrions  seulement 
que  l'instituteur,  qui  se  perdrait  certainement 
rien  qu'à  essayer  de  mettre  ensemble  les  innom- 
brables théories  nées  ou  à  naître  de  cette  source 
indéfinie  de  difficultés,  voulût  bien  s'attacher, 
•dans  son  enseignement  pratique,  à  quelques  points 
fondamentaux,  indiscutés  et  indiscutables. 

Il  y  a,  dans  notre  langue  —  nous  ne  voulons 
parler  que  de  celle-là  —  des  mots  qui  servent  à 
Jiommer  les  personnes  et  les  choses  ;  il  y  a  des 


ue    leurs    luamcica   vj^viy^    .-—    v*^    ' _    ; 

Mais  de  savoir  si  l'article  et  le  participe  sont, 
oui  ou  non,  des  mots  à  part;  si  les  articles 
sont  des  déterminatifs  ou  si  les  déterminati  s 
sont  des  articles  ;  s'il  faut  dire  des  pronoms  ad- 
jectifs ou  des  adjectifs  pronominaux,  etc.,  que 
tout  cela  ne  nous  touche  point;  ce  n  est  point 
afl'aire  à  nous,  qui  avons  tant  d'autres  choses  sur 
les  bras,  je  veux  dire,  tant  d'autres  matières  né- 
cessaires, indispensables,  à  enseigner  à  nos  élevés. 
Prenons  la  classification  traditionnelle,  tellO 
qu'elle  est  donnée  dans  le  livre  de  grammaire  que 
nous  aurons  choisi  comme  le  meilleur,  c  est-a-dire 
comme  le  plus  simple,  sans  la  critiquer,  bien  en- 
tendu, comme  nous  l'avons  fait  ici,  non  pour  les 
élèves,  mais  pour  les  maîtres,  sans  nous  y  atta- 
cher non  plus,  au  moins  dans  les  détails,  comme 
à  parole  d'Evangile.  Servons-nous-en  comme  dun 
langage  commode,  puisqu'il  est  accepté  et  en- 
tendu de  tous  depuis  des  siècles,  mats  en  le  rédui- 
sant au  strict  nécessaire,  et  restons  persuades 
qu'une  phrase  ou  un  mot  bien  compris  vaudra 
toujours  cent  fois  mieux  qu'une  phrase  ou  un  mot 
bien  analysés.  Ce  qui  ne  veut  pas  dire  —  et  cest 
par  là  que  nous  voulons  terminer  —  qu  il  lame 
supprimer  l'analyse;  il  faut  seulement  la  subor- 
donner. [Cb-  Defodon.j 

PASCAL.  —  Littérature  française,  XI.  --  Biaise 
Pascal  naquit  le  19  juin  Ui'23  à  Glermont-Ferrand, 
où  son  père  exerçait  les  fonctions  de  président  de 
la  cour  des  aides  (tribunal  chargé  spécialement  de 
iugcr  les  diftérends  en  matière  d'impôt).  Il  perdit 
sa  mère  à  trois  ans.  Son  père  alors  vendit  sa 
charge  et  s'établit  à  Paris  avec  son  fils  et  ses  deux 
filles,  Gilberte  (M""'  Périer)  et  Jacqueline  qui  se 
fit  religieuse  à  Port-Royal  et  mourut  en  1661. 

Le  jeune  Pascal  était  de  constitution  délicate, 
mais  d'une  prodigieuse  précocité  intellectuelle. 
Son  père,  qui  redoutait  pour  lui  des  études  pré- 
maturées, découvrit  un  jour  que  son  fils  de  douze 
ans  «  avec  des  barres  et  des  ronds,  »  avait  pour 
ainsi  dire  invente  la  géométrie  et  qu'il  était  par- 
venu tout  seul  jusqu'à  la  Si'  proposition  d  Luclide. 
A  seize  ans  Pascal  publiait  un  Traité  des  sections 
coniques,  ,  .        .„  ,^i 

En  1U39  il  suivit  à  Rouen  son  père  qui  avait  été 


PASCAL 


—  1526  — 


PASCAL 


nomme  intendant  ries  tailles  dans  cette  ville.  Pour 
l'aider  dans  ses  calculs  pénibles,  il  imagina  sa 
Machine  à  compter.  Puis  il  s'acquit  un  renom 
immortel  dans  l'histoire  de  la  physique  en  démon- 
trant la  pesanteur  de  l'air,  en  expliquant  ainsi 
l'ascension  des  liquides  dans  les  corps  de  pompe 
vidés  d'air  et  la  limite  de  cette  ascension  en  rai- 
son inverso  du  poids  du  liquide.  Il  commença  la 
science  dite  Calcul  des  pro'-a'jilttés.  il  entrevit  le 
Calcul  dijfén-ntitil  et  intéyi-al,  enfin  il  inventa  le 
baquet.  On  veut  même  qu'il  ait  suggéré  la  pre- 
mière idée  des  omnibus. 

Pascal  n'était  pas  seulement  un  savant  et  un 
inventeur,  c'était  aussi  un  homme  profondément 
religieux.  L'atmosphère  morale  de  sa  famille  et 
par  conséquent  la  direction  imprimée  à  son  édu- 
cation avaient  fortement  incliné  sa  pensée  vers  la 
méditation  des  grands  problèmes  de  la  philoso- 
phie et  de  la  religion.  A  Rouen  il  subit  l'influence 
d'un  ecclésiastique,  disciple  de  Port-Royal,  qui 
jeta  dans  son  esprit  les  germes  de  la  tendance 
janséniste  à  laquelle  il  demeura  fidèle  jusqu'à  sa 
mort.  On  sait  que  le  jansénisme  désigne  cette  école 
religieuse  à  laquelle  se  rattachaient  nombre  d'hom- 
mes distingues  de  cette  époque,  dont  le  centre 
était  à  Port-Royal-des  Champs  prés  Paris,  et  dont 
le  trait  caractéristique  était  de  joindre  à  un  grand 
zèle  pour  l'Eglise  catholique,  son  culte  et  sa  disci- 
pline, des  vues  sur  la  grâce  et  sur  les  conditions 


quelques  années  plus  tard;  mais  on  peut  dire  quo 
la  blessure  est  restée  saignante,  toujours  oi>- 
verte  sur  ses  flancs.  L'avenir  nous  apprendra  si, 
connne  quelques-uns  le  croient,  destinée  ii  s'élargir 
et  à  s'envenimer  toujours  plus,  elle  ne  dégénérera 
pas  en  plaie  mortelle. 

Momentanément,  en  tout  cas,  le  succès  fut  im- 
mense. Ce  fut  un  premier  appel  àl  opinion  publique, 
qui  se  prononça  vigoureusement  pour  l'auteur  et 
pour  la  cause  qu'il  défendait,  au  point  que  l'orage 
qui  menaçait  le  jansénisme  fut  détourné  pour  urî 
temps.  Du  reste,  Pascal  se  plongeait  plus  que 
jamais  dans  les  méditations  religieuses,  et  il  y  ap- 
portait, dans  un  mélange  assez  bizarre,  la  fougue 
d'un  esprit  passionné,  la  profondeur  et  l'indépen- 
dance d'un  génie  divinateur  et  les  faiblesses  d'une 
dévotion  superstitieuse.  C'est  ainsi qu'ils'imposait 
des  macérations  et  des  pénitences  qui  achevaient 
de  détruire  une  santé  déj.'i  très  affaiblie,  qu'il  ne 
reculait  pas  deyant  la  nécessité  de  s'abêtir  de  mot 
est  de  lui),  si  l'on  ne  pouvait  autrement  se  pro- 
curer la  foi,  et  qu'il  maintenait  l'authenticité  d'ui> 
miracle  assez  puéril  dont  la  Sainte-Épine  de  Port- 
Royal  aurait  fait  bénéficier  une  petite  fille  souffrant 
d'une  fistule  lacrymale.  Mais  ce  n'est  pas  par  leur» 
côtés  faibles  qu'il  convient  de  juger  les  grands 
hommes,  et  Pascal  devait  s'acquérir  d'aulres  titres 
à  l'admiration  de  la  postérité. 
Autant  Pascal  était  volontairement  croyant  et 
du  salut  qui  la  rapprochaient  singulièrement  du  !  soumis  aux  traditions  de  l'Église  gallicane  (Si  »!6r 
calvinisme.  Ajomons-y  la  morale  trèsaustère  qu'elle  /cifcM  sont  condamnées  à  Rome,  ce  que  fi/ con- 
en  déduisait  et  qu'elle  opposait  aux  relâchements  damyie  est  coridumné  dans  le  ciel),  autant  son- 
et  aux  indulgences,  aussi  dangereuses  que  subtiles,  esprit  élevé  voyait  avec  terreur  s'avancer  le  mo- 
que le  jésuitisme  cherchait  à  introduire  dans  la  ment  où  les  bases  mêmes  de  la  révélation  chré- 
pratique  de  la  dévotion.  |  tienne   seraient   contestées   au  nom   de  la   phl- 

Gependant  l'altération  de  sa  santé,  minée  par  losophie,  de  l'histoire,  de  la  science,  en  un  mot 
des  travaux  excessifs,  fit  que  les  médecins  lui  im-  |  de  la  raison.  Chez  lui  les  nouvelles  notions  du 
posèrent  des  loisirs  et  des  distractions.  Pascal  monde,  telles  qu'elles  ressortent  des  découvertes 
traversa  quelques  années  de  vie  mondaine,  ,  modernes  sur  la  constitution  de  la  terre  et  du 
exempte,  il  est  vrai,  de  tout  libertinage,  mais  assez  '  ciel  (Le  silence  éternel  de  ces  espaces  infinis  m'ef- 
dissipée  en  apparence  pour  qu'on  apprit  avec  sur-  fraie),  faisaient  malgré  lui  la  guerre  ii  des  croyances 
prise  en  1G55  sa  résolution  de  se  retirer  à  Port-  impliquant  ou  semblant  impliquer  une  géologie  et 
Royal  et  de  se  livrer  tout  entier  aux  études  et  aux  une  astronomie  encore  enfantines  Les  doutes  que 
méditations  religieuses  dont  il  voulait  désormais  suggéraient  à  Montaigne  les  progrès  des  connais- 
faire  le  seul  aliment  de  sa  pensée.  sances  géographiques,  en  lui  révélant  tant  de  pays 

Est-ce,  comme  on  l'a  soupçonné,  la  blessure  et  de  peuples  où  l'on  vivait  depuis  des  siècles 
faite  à  son  cœur  par  un  amour  déçu,  ou  l'influence  dans  une  profonde  ignorance  du  christianisme,  où 
de  sa  sœur  Jacqueline,  ou  bien  l'accident  où  il  l'on  professait  des  maximes  de  religion  et  de  mo- 
faillit  périr  en  traversant  en  voiture  le  pont  de  raie  diamétralement  contraires  aux  nôtres,  vis-à-vis 
Neuilly,  ses  chevaux  s'étant  emportés  et  lui-même  desquels  la  chrétienté  n'était  que  la  minorité  du 
étant  resté  quelque  temps  suspendu  sur  l'abîme,  '  genre  humain,  ces  doutes  que  le  spirituel  et  char- 
ou  bien  l'extase  nocturne  fpeut-être  en  rapport  1  mant  écrivain  résumait  dans  son  continuel  Que 
physiologique  avec  cet  accident)  dont  il  conservait ,  sais-je?  mais  qui  ne  troublaient  en  rien  sa   belle 


le  souvenir  écrit  sur  un  scapulaire  cousu  dans  son 
habit,  ou  bien  enfiji  toutes  ces  circonstances  en- 
semble qui  expliquent  sa  brusque  détermination  7 
Nous  n'oserions  nous  prononcer,  tout  en  faisant 
observer  qu'avec  des  caractères  comme  celui  de 
Pascal,  on  prend  souvent  pour  la  cause  de  pareilles 
résolutions  ce  qui  n'est  que  l'occasion  accidentelle 
d'une  explosion  dont  les  matériaux  inflammables 
se  sont  lentement  et  invisiblement  déposés  tout 
au  fond  de  leur  être. 

Quand  Pascal  s'associa  ainsi  aux  Arnauld,  aux 
d'Andilly,  aux  Nicole,  en  un  mot  à  cette  élite  de 
penseurs  qui  formait  alors  l'état-major  du  jansé- 
nisme, les  affaires  de  ce  parti  religieux  n'étaient 
pas  dans  un  état  brillant. 

Les  intrigues  du  parti  jésuitique  avaient  réussi 
à  compromettre  le  jansénisme  à  Rome,  à  la  Sor- 
bonne  et  auprès  du  pouvoir  royal.  C'est  alors  que 
Pascal,  cédant  à  l'indignation  de  sa  conscience 
d'honnête  homme  et  de  chrétien  sincère,  lança 
contre  la  célèbre  Compagnie  ses  immortelles  Pro- 
vinciales sous  le  pseudonyme  de  Louis  de  Mon- 
talte  (ll)56-lt)."i7).  L'ordre  de  Loyola  reçut  du  coup 
une  blessure  à  lacjuelle  sans  doute  il  a  survécu  et 
dont  il  se  vengea  cruellement  contre  Port-Royal 


humeur,  se  répercutaient  dans  l'âme  de  Pascal  avec 
une  intensité  doublée  par  l'accroissement  des 
sciences  auquel  il  avait  tant  co])tribué  et  par  le 
sérieux  pour  ainsi  dire  tragique  de  son  caractère. 
Aussi,  tout  en  luttant  contre  un  dépérissement 
physique  dont  l'issue  fatale  et  prompte  était  cer- 
taine, Pascal  conçut-il  l'audacieux  projet  de  fonder 
la  vérité  de  la  révélation  chrétienne  et  des  princi- 
pales doctrines  de  l'orthodoxie  sur  un  ensemble 
de  preuves  irréfutables,  capables  de  rendre  la  paii 
à  son  esprit  agité  et  à  tous  ceux  qui  auraient  à 
subir  la  même  crise  de  la  foi.  La  mort  le  surprit 
au  milieu  de  ce  grand  travail  qui  n'existait  encore 
dans  sa  pensée  qu'à  l'état  d'ébauche  et  dont  il  avait 
simplement  tracé  les  linéaments  ou  les  prélimi- 
naires sur  des  feuilles  éparses,  sans  ordre,  que 
ses  amis  trouvèrent  dans  sa  chambre.  Frappés  des 
beautés  de  premier  ordre  que  recelaient  ces  notes 
confuses,  ils  les  publièrent  en  10G9  sous  le  titre 
de  Pensées  de  Pascal,  mais  non  sans  opérer  des 
retranchements  et  des  modifications  là  où  les  idées 
de  l'illustre  défunt  leur  paraissaient  dénoter  trop 
de  hardiesse  et  pouvaient  compromettre  le  renom 
de  son  orthodoxie.  Les  éditions  suivantes  ne  remé- 
dièrent pas  au  mal.  C'est  en  1844  seulement  que. 


PASCAL 


—  1527  — 


PASSEREAUX 


sur  l'imitation  de  Cousin,  M.  Prosper  Faugère 
s  attacha  i  reconstituer  l'origiiial  d  après  les  ma- 
nuscrits autographes  réunis  en  un  caluer  à  la 
bibliothèque  nationale.  Ce  travail,  repris  et  com- 
plété par  M.  E.  Havet,  nous  a  rendu  le  vrai  Pascal 
et  ses  vraies  Pensées.  ,         ,         , 

Il  ne  nous  appartient  pas  de  décider  jusqu  à  quel 
point  Pascal  aurait  réussi  dans  sa  vaste  entreprise 
s'il  lui  avait  été  donné  de  la  mener  à  bonne  fin.  ue 
nos  iours  certainement  on  lui  eût  reproche  une 
lacune  énorme  dans  un  travail  de  ce  genre  ou  U 
est    continuellement    question   de   la    Bible,   ûes 
dogmes    et   des    faits    de    l'histoire    religieuse. 
Pascal,  savant    physicien,    géomètre   de   premier 
ordre,    profond    penseur,     manquait    absolument 
d'érudition  et  de  critique.  On  le  voit  qui  s  extasie 
sur  des  contre-sens  et  qui  accepte  les  yeux  fermé» 
des  traditions  très  contestables.  Il  est  à  cet  égard 
au-dessous  même  de  son  temps.  Ce  qui  le  relevé, 
ce  sont  les  aperçus  pleins  d'oriKinalité,  de  perspi- 
cacité psychologique,  de  vérité  expérimentale  qui 
viennent    i    chaque   instant   reluire    comme    des 
éclairs  à  travers  le  nuage  nécessairement  obscur 
de   pensées  et  d'observations  qu'il  n'a  pu  mettre 
lui-même  dans  l'ordre  désiré.  U  serait  parfois  im- 
prudent de  considérer  comme  son  opinion  défini- 
tive ou  personnelle  ce  qui  n'était  peut-être  qu  un 
premier   jet  d'idées  sur  lesquelles  il  se  proposait 
de  revenir,  ou  qu'une  note  formulant  telle  objec- 
tion, qu'il  se  réservait  de  réfuter,  ou  même  qu  une 
boutade  momentanée  de  son  humeur  mélancolique 
et  bizarre.  Mais,  nous  le  répétons,  à  de  nombreux 
«  coups  de   griffe  »  on  reconnaît  le  lion,  et  îi  bien 
des  sillons  creusés  par  son  bnrin  se  revoie  1  incom 
parable  artiste.  De  plus  il  faut  noter,  en  dehors 
de  toute    conclusion,  ce  qu'il  y  a  de  nouveau  et 
de  fécond  dans  son   apologie  de  la  religion  chré- 
tienne,   c'est-i-dire  la   concordance    mystérieuse  ^ 
qu'il  relève  entre  les  besoins,  les  aspirations,  les 
misères  de  l'âme  humaine  et  les  enseignements 
correspondants,  en  quehiue  sorte  coïncidants,  de 
cette  religion.  C'est  par  là  surtout,  bien  plutôt  que 
par  ses  raisonnements  souvent  très  faibles  sur  les 
prophéties  et  les  miracles,  que  Pascal  a  éié  nova- 
teur et  qu'il  a  montré  le  chemin   aux  apologistes 
de  la  folles  plus  éminents  qui  lui  ont  succédé,  en 
même  temps  qu'il  jetait  les  germes  d'une  manière 
nouvelle  de  comprendre  la  religion  en  général  au 
point  de  vue  philosoplii(|ue  et  moral. 

Mais  c'esi  surtout  comme  écrivain,  comme  1  un 
de  nos  plus  grands  nialires  en  l'art  de  se  servir  de 
notre  langue  nationale,  que  nous  avons  ici  Ji  faire 
son  éloge.  Peu  désireux  pour  lui-même  de  la  gloire 
littéraire,  il  l'a  conquise  sans    la   chercher,  parce 
qu'il  s'efforçait  toujours   de   réaliser  la  perfection 
dans  tout  ce  qu'il  faisait,   dans  la  forme  comme 
dans  le  fond.  Les  Provinciales  restent  un  incom- 
parable  modèle  de  controverse   et  de  discussion 
où  la  finesse  de  la  pensée,  parfois  môme  sa  subti- 
lité, ne  font  aucun  tort  à  la  vigueur  du  raisonne- 
ment, où  l'ironie,  toujours  de  bon  goût  et  contenue. 
ne  cesse  que  pour  faire  place  aux  accents  de  l'in- 
dignatiun  et  de  la  passion  légitime  qui  fait  enfin 
explosion.  Si  l'on  y  pense  bien,  on  verra  que  Pas- 
cal, dans  son  ardente  éloquence  de  controversiste, 
malgré  les  différences  des  temps,   des  caractères, 
des   sujets,  des  idées,  annonce  Bousseau  et  plus 
d'un  des  grands  orateurs  de  la  tribune   française. 
C'est  bien  la  même  verve  tempérée  par  le  sen- 
timent des  proportions,  la  môme  méthode  de  dis- 
cussion harcelant  l'adversaire   avant  de  l'écraser 
d'un  coup  final,  la  même  clarté  d'exposition  jointe 
à  une  dialectique  acérée  marchant  droit  à  son  but, 
qualités  éminemment  françaises  et  qui  ont  fait  h 
juste  titre  de  Pascal  un  de  nos  premiers  classiques. 
La  phrase   est  limpide,  simple,   sans  recherche 
apparente,  disant  nettement  ce  qu'elle  veut  dire, 
Bans  aucune  fioriture  ni  surcharge,  sans  affectation 


d'élégance  ou  de  rudesse  ;  c'est  un  style  honnête  et 
loyal  comme  la  pensée  dont  il  est  1  expression, 
robuste  et  de  mouvement  aisé  comme  le  raison- 
nement qui  se  dépluie  sous  ses  formes  magistrales. 
11  rappelle  h  la  fois  les  coups  de  crayon  si  forte- 
menV  dessinés  d'un  Callot  et  l'effet  magique  des 
tableaux  si  magnifiquement  colores  d  un  Kem- 
brandt. 

Dans  ses  Pensées,  écrites,  nous  l'avons  vu,  sous 
l'inspiration  du  moment,  parfois  retouchées,  mais 
dont  aucune  n'a  reçu  de  son  aveu  sa  forme  dotim- 
tive  il  y  a  de  temps  à  autre  de  l'obscurité  et  Oe 
la  rudesse.  Mais  que  d'admirables  sentences  admi- 
rablement exprimées!  On  dirait  de  médailles  frap- 
pées de  manière  à  défier  les  siècles.  (.  est  au 
point  que  Sainte-Beuve  a  pu  dire  :  «  Pascal,  admi- 
rable quand  il  achève,  est,  peut-être  supérieur  là 
où  il  est  interrompu.  »  Tantôt  c'est  un  tableau 
condensé,  mais  d'autant  plus  tragique,  des  con- 
tradictions et  des  déchirements  du  cœijr  humain, 
tantôt  un  résumé  amer  et  piquant  d  observations 
faites  sur  le  vif,  par  exemple  :  «  Lhamme  nest 
ni  anqe  ni  léte,  et  le  malheur  est  que  qui  veut 
faire  tanje  fait  lu  bêle.  »  Ici  c'est  un  aveu  mélan- 
colique de  notre  faiblesse  quand  il  s  agit  de  con- 
quéi'ir  une  vérité  qui  se  dérobe  à  nos  efforts 
pour  l'atteindre  ;  là  c'est  un  appel  émouvant  h.  ces 
.  raisons  du  cœur  que  la  raison  ne  connaît  pas;-.. 
ailleurs  c'est  le  sentiment  de  l'infini  ou  celiii  de 
la  grandeur  du  roseau  pensant,  supérieur  à  1  un.- 
vers  lui-même  qui  l'écrase,  puisque  «  ;  avantage 
nue  Vuaivcrs  a  sur  lui,  l'univers  il  en  sait  rien.  » 
En  un  mot,  les  Pensées  sont  un  riche  écrin  où,  à 
côté  do  quelques  pierres  d'un  éclat  dou,teux  ou 
même  encore  enveloppées  dans  leur  gf' iS>ie,  on 
découvre  des  diamants  et  des  perles  de  la  plus 
belle  eau.  C'est  une  lecture  de  1  âge  mur  plutôt 
nue  de  la  jeunesse,  mais  il  est  certain  qu  on  y  re- 
vient avec  d'autant  plus  de  plaisir  qu  on  avance 
dans  la  vie  et  qu'on  est  mieux  i  même  de  goûter 
à  la  lumière  de  ses  expériences  personnelles  le 
charme  particulier  de  cette  œuvre  i»^'^l><=voe  "ù 
se  sont  déposées  celles  de  l'un  des  plus  étonnants, 
génies  qui  aient  marqué  dans  not-;«J;f^°^;:iii,.j 

PASSEIIEAUX.  -  ZtJologie,  XVi.  -   »«  J""^ 
les    groupes    qui    constituaient,  poiar   Ciiuer,    a 
classe   des   Oiseaux,  celui  qui  a   subi,  S''-'^';^"^ 
travaux  des  naturalistes  modernes,   le  P'f  .g''''?.^ 
nombre  de  remaniements  est  assurément  1  ordre 
des  Pa,sereaux.  A  l'heure  actuelle  .1  b«  '•^■«'"e 
subdivisé,  non  plus  en  cinq  sous-ordres  ''èulement 
mais  en  une  série  de  familles  dont    es  ""es  sont 
bien  caractérisées,  tandis  que  les  autres  se  ratta- 
chent  intimement    les   unes   aux   autres  par  des 
types   de  transition.  Au   milieu   de   ctjs  formes  si 
diverses,   il   est  bien  difficile   de  saisir   quelques 
Traits  qui  soient  communs  à  tous. les  l'assereaux 
On  peut  dire  cependant  que  ces  oiseaux  sont  tous 
de   petite  ou  de  moyenne  taille,  qu  ils  ont   pour 
la  pU.part,  une  charpente  légère,  un  corps  svelte 
un^ec  faible,  des  pattes  médiocres,  emplumées 
dans  la  portion  correspondant  à  la  jatibe    et  ter- 
minées par  quatre  doigts,  dont  un  seul  es    dirigé 
en  arrière,  les  trois  autres  étant  tournes  on  avant 
Ces  doigts  sont  le  plus  souvent  independ.nts  les 
utis  des  autres,  ou  tout  au  plus  reunis  à  la  base 
par  une  toute  petite  membrane   située  entre  le 
dol-t  cxte.iie  et  le  doigt  médian.  Il  est  impossi- 
ble de  caractériser  l'ordre  des  Passereaux  d  une 
ma  ■.ère   plus   précise.    C'est   dire  que  ce    groupe 
n'est  pas  bien  naturel  et  qu'il  comprend  en   réa- 
lité  tons   los  oiseaux  qu'on  n'a  pu  faire  rentrer 
dans  les  cinq  autres  divisions  :    F.apacrs,   Or  m- 
neùrs   Gallinacés,  Echassiers  et  Palmipèdes.  Ainsi 
les  Pa'ss.reaux,  comparés  aux  Rapaces,  n  ont  pas, 
comme  ces  de-niers,  le  bec  crochu  et  les  ongles 
a°é^é^,  ils  diffèrent  également  des  Grimpeurs  par 


PASSEREAUX 


—  1528  — 


PASSEREAUX 


leur  doigt  externe  toujours  dirigé  en  avant  ;  ils 
n'ont  pas  la  mandibule  supérieure  voûtée,  le  corps 
massif,  les  ailes  arrondies  comme  les  Gallinacés  ; 
leurs  tarses  ne  sont  pas  en  général  aussi  grêles, 
aussi  allongés  que  ceux  des  Ecliassiers,  et  leurs 
doigts  ne  sont  pas  reliés  par  dos  membranes  na- 
tatoires comme  chez  les  Palmipèdes.  Mais  on 
rencontre  d'ailleurs  parmi  les  Passereaux  des  dif- 
férences considérables  dans  la  structure  et  les 
proportions  relatives  du  bec,  des  membres  anté- 
rieurs et  des  membres  postérieurs,  aussi  bien 
que  dans  la  nature  et  la  coloration  du  plumage. 
Lebocen  alêne  d'un  Oiseau-Moucbe  ne  ressemble 
guère  au  bec  aplati  et  fendu  jusqu'aux  oreilles 
d'un  Engoulevent  ;  l'aile  aiguë  d'un  Martinet  n'est 
pas  taillée  sur  le  même  patron  que  l'aile  obtuse 
d'une  Mésange  ou  d'un  Pinson  ;  les  pattes  robus- 
tes d'un  Corbeau  diffèrent  beaucoup  des  tarses 
minces  et  élancés  d'une  Bergeronnette  ;  et  la  livrée 
verdâtre  d'une  Fauvette  semble  bien  pâle  à  côté 
des  teintes  métalliques  et  chatoyantes  d'un  Coli- 
bri ou  d'un  Soui-Manga. 

Les  Passereaux  ont  en  général  le  gésier  mus- 
culeux,  l'intestin  muni  de  deux  appendices  cœ- 
caux,  le  larynx  inférieur  compliqué.  Leur  sternum 
n'offre  ordinairement  qu'une  seule  écliancrure  de 
chaque  côté  ;  parfois  cependant  il  est  doublement 
entaillé,  comme  chez  les  Guêpiers  et  les  Martins- 
Pècheurs,  ou  bien  au  contraire  n'est  pas  découpé 
sur  le  bord  postérieur,  comme  chez  les  Martinets 
et  les  Oiseaux-Mouches. 

Sous  le  rapport  du  régime  et  des  mœurs,  on 
constate  également  parmi  les  Passereaux  de  nota- 
bles différences  :  les  Gobe-Mouches,  les  Hiron- 
delles et  les  Fauvettes  sont  insectivores,  les  Moi- 
neaux et  les  Chardonnerets  recherchent  surtout 
les  graines  et  les  semences,  les  Loriots  aiment 
les  fruits  et  particulièrement  les  cerises  ;  les 
Martins- Pêcheurs    saisissent   les    poissons    avec 


ordres,  que  nous  allons  énuraérer  successivement 
en  indiquant  leurs  principaux  types  : 

1°  DENTinosTBES,  ayant  la  mandibule  supérieure 
écliancrée  de  chaque  côté,  près  de  la  pointe  : 
Pies-f/riè'  lies,  Ca^^icanx,  Gobe-Mouches,  Tyrans, 
Mouchenâles,  Cotingns,  Jaseurs,  D7-o7igos,  ti:nga- 
ras.  Merles,  Fourmiliers,  Bréve\,  Cincles.  Philé- 
clons.  Mainates,  Martins,  Choqtiards,  Loiiots, 
Gou/ins,  Becs-fins  (c'est-à-dire  Traquets,  Itubiet- 
tes.  Fauvettes,  Accenteurs,  Roitelets,  Trogh  dytes, 
Hocliequeves  ou  Lavandières,  Bergeronnettes  et 
Farlouses),  Manakins,  Coqs  de  Roche,  Eurylai- 
mes,  etc.  ; 

2°  FissinosTnES,  reconnaissables  à  leur  bec  court, 
large ,  aplati  horizontalement  et  profondément 
fendu,  et  subdivisés  eux-mêmes  en  deux  sections, 
las  Diurnes  (Hirondelles  et  Martinets)  et  les  Noc- 
turne'^ [Engoulevents  et  Podnrges)  ; 

3°  CoNiRosTRES,  au  bec  fort,  plus  ou  moins  coni- 
que, et  dépourvu  d'cchancrure  près  de  la  pointe  : 
Alouettes,  Mésanges,  Bruants,  Moineaux,  Char- 
domierets.  Tarins,  Serins,  Limettes,  lioinreuils, 
Bec'^-croisés,  furbecs,  Colinus,  Pique-CEufs,  Cassi- 
qiies,  Etournenux,  Boîtiers,  Oiseaux  de  Para- 
dis, etc.  ; 

4"  Tencirostres,  au  bec  grêle,  allongé,  droit, 
ou  plus  ou  moins  arqué,  sans  échancrures  laté- 
rales :  Sittelles  ou  Torcltepots,  Anabates  et  Synal- 
laxes,  Grimpereaux,  Eckeletles,  Picucules,  Dicées, 
Hcorotaires,  Soui-Maiigas,  Arachnothères,  Coli- 
bris, Huppes,  Promérops,  Epiniaqnes,  Cravis,  etc.; 
'o°  Syndactyles,  différant  des  quatre  groupes 
précédents  par  leur  doigt  externe  réuni  au  doigt 
médian  dans  la  plus  grande  partie  de  sa  largeur: 
Guéiàers,  Murnots-,  Martins- Pécheurs,  'lodieis. 
Calaos,  etc. 

A  beaucoup  d'égards  cette  classification  laissait 
à  désirer,  car  elle  était  fondée  principalement  non 
sur  des   différences  dans  la   structure  intime  de 


beaucoup  d'adresse,  et  les  Corbeaux  mangent  in-  '  l'oiseau,  mais  sur  des  variations  dans  la  forme  du 


différemment  de  la  chair  ou  des  substances  végé 
taies.  De  même  il  y  a  des  Passereaux  qui  vivent 
isolés  comme  les  Huppes,  et  d'autres  qui  se  réu- 
nissent, au  moins  à  certaines  saisons,  en  troupes 
nombreuses,  comme  les  Etonrneaux.  Certains 
Passereaux,  tels  (|ue  les  Brèves  et  les  Lavandières, 
courent  sur  le  sol  avec  rapidilo;  d  autres,  comme 
les  Toucans,  restent  ordinairement  perches;  d'au- 
tres enfin,  les  Martinets  par  exemple,  ne  font  pres- 
que point  usage  de  leurs  pattes,  et  portés  sur 
leurs  ailes  puissantes,  fendent  l'air  qui  est  leur 
véritable  élément. 

La  plupart  des  Passereaux  sot)t  doués  d'une  voix 
très  forte  relativement  à  leur  taille,  mais  cette 
voix  est  rude  et  désagréable  chez  les  Geais,  les 
Pics  et  les  Corbeaux,  tandis  qu'elle  est  singuliè- 
rement harmonieuse  chez  1rs  Rossignols  et  les 
Fauvettes.  Aussi,  depuis  les  temps  les  plus  recu- 
lés, un  grand  nombre  de  Passereaux  ont-ils  été 
gardés  en  captivité,  à  cause  de  la  douceur  et  de  la 
variété  de  leurs  chants  ;  mais  c'est  à  poine  si  l'on 
peut  citer  dans  cet  ordre  un  ou  deux  oiseaux  qui 
soient  devenus  pour  l'homme  de  véritables  auxi- 
liaires, des  animaux  domestiques. 

Dans   la    dernière    édition    du    Régne    animal 


bec.  Or  cet  organe  peut  subir  des  modifications 
profondes,  pour  satisfaire  à  certains  besoins  de 
l'animal,  sans  que  les  os  du  corps  et  des  mem- 
bres éprouvent  de  notables  changements,  et  d'au- 
tre part  le  bec  présente  souvent  une  forme  iden- 
tique chez  des  passereaux  dont  la  charpente  os- 
seuse n'est  pas  du  tout  constituée  sur  le  même 
type.  En  d'autres  termes,  en  s'attachant  exclusive- 
ment à  des  caractères  tirés  de  l'aspect  extérieur, 
on  s'expose  à  placer  dans  un  même  groupe  des 
oiseaux  qui  n'ont  pas  les  uns  avec  les  autres  des 
ressemblances  fondamentales,  et  vice  ver^â  à  sé- 
parer d'autres  oiseaux  qui,  en  dépit  de  différences 
apparentes,  sont  en  réalité  con.struits  sur  le  même 
plan.  C'est  même  ce  qui  est  arrivé  à  Cuvier,  qui  a 
rapproché  les  Martinets  des  Hirondelles,  et  qui 
d'un  autre  côté  a  cru  devoir  éloigner  les  Graves 
et  les  Choquards  des  Corbeaux  proprement  dits. 
Ainsi,  comme  nous  le  disions  plus  haut,  la  clas- 
sification proposée  par  ce  grand  naturaliste  a  été 
profondément  modifiée  et  certains  genres  ont  été 
dédoublés,  ou  même  élevés  au  rang  de  familles. 
Mais,  comme  cela  arrive  souvent,  on  est  probable- 
ment allé  trop  loin  dans  cette  voie,  et  l'on  a  sans 
doute  exagéré  le  nombre  des  subdivisions  de  l'or- 


(1859)  l'ordre  des  Passereaux  a  été  subdivisé  par  !  dre  des  Passereaux.  Quoi  qu'il  en  soit  à  cet  égard, 


Cuvier  en  deux  grandes  catégories  :  les  Passereau;^ 
ordinaires,  chez  lesquels  le  doigt  externe  est  libre 
ou  n'est  réuni  au  doigt  médian  que  par  une  ou 
deux  phalanges,  et  les  Passereaux  syndacti//es, 
chez  lesquels  le  doigt  externe,  presque  aussi  long 
que  le  doigt  médian,  est  soudé  h  ce  dernier  jus- 
qu'à la  pénultième  phalange.  Les  Passereaux  syn- 
dactyles ne  renferment  qu'un  seul  groupe,  tandis 
que  les  autres  se  partagent  de  nouveau  en  quatre 
groupes  secondaires,  d'après  des  caractères  tires 
exclusivement  de  la  forme  du  bec.  Ainsi,  pour 
Cuvier,  les    Passereaux  comprennent  cinq  sous- 


voici   quelles   sont   les  familles  généralement  ad- 
mises, à  l'heure  actuelle,  parmi  les  Passereaux  : 

1.  *  Bucconidés  ou  Barbus. 

2.  Mcédinidés  ou  Martins-Pècheurs. 

3.  Mcropidéi  ou   Guêpiers. 

4.  "  Galbiilidés  ou  Jacamars. 

5.  *  Momotitlés  ou  Mutinots. 
G.  *  Todidés  ou  Todiers. 

7.  *  Trogonidés  ou  Couroucous. 

8.  *  Bucerotidés  ou  Calaos. 

9.  *  Musophagidcs  ou  Touracos. 
10.  *  Coliidés  ou  Colious. 


PASSIONS 


—  1529 


PASSIONS 


11.  *  CotinrjidèK  ou  Cotingas. 

12.  *  Piprii/cs  ou  Manakins. 

13.  •  liurylainiirlc'  ou  Eurylaimes. 
li.  ('o7-'iciadés  ou  Iîollier3. 

15.  l'anrlés  ou  Mosanscs. 

16.  Cerlhii'/és  ou  GrimpcrPaux. 
n.  Tiofjlodyliilés  ou  Troglodytes. 

IS.  Anabatiiiés  ou  Founiiers  et  Sittelles. 

19.  *  Ménuridés  ou  Lyres. 

20.  Upupipidés  ou  Huppes. 

21.  *  Pioméiopidés  ou  Pi-omérops. 
l'2.  *  Méliphagidés  ou  Soiii-Mangas. 

23.  *  Cœréhidés  ou  Guitguits. 

24.  '  Trochilidés  ou  Oiseaux-Mouches. 
2.S.  CypsHidés  ou  Martinets. 

26.  Cajirimulqidés  ou  Engoulevents. 
2).  '  TyrammUs  ou  Tyrans. 

28.  Muscieapidés  ou  Gobe-Mouches. 

29.  *  Uicruridifs  ou  Drongos. 

30.  Hinindinidés  ou  Hirondrlles. 

31.  *  Arlnmidc^  ou  Langraycns. 

32.  Oriolidés  ou  Loriots. 

33.  *  Pycnonoiidcs  ou  Ixos. 
:!4.  *  l'illidés  ou  Brèves. 

35.  Hydroliatidés  ou  Cincles. 

36.  Turdidés  OH  Merles. 

37.  Liiscniidés  ou  Becs-fins. 

38.  Mdtaci/lidés  ou  Lavandières. 

39.  *  Mniotil  idés. 

40.  *  K/i-eowi /es. 

41.  Laniidés  ou  Pies-grièches. 

42.  Almidiâés  ou  Alouettes. 

43.  Embérzidés  ou  Bruants. 
■'i4.  Fringillidés  ou  Gros-Bocs. 

45.  *  Tanagri'lés  ou  Tangaras. 

46.  *  Plocéidén  ou  Tiss^  rins. 

47.  *  l' léridés  ou  Troupiales. 

48.  Sturnidés  ou  Etourneaux, 

49.  *  Purai'ésidén  ou  Paradisiers. 

50.  Corvidés  ou  Corbeaux. 

Dans  cette  liste,  toutes  les  familles  dont  le  nom 
est  précédé  d'un  astérisque  ne  comptent  pas  de  re- 
prosFntants  dans  notre  pays.  [E.  Oustalet.] 

P.iSSIONS.  —  Psychologie,  IV.  —  Pour  bien 
comprnndre  la  nature  des  passions,  il  faut  consi- 
dérer d'abord  que  les  phénomènes  psychologiques 
qu'on  appelle  ainsi  se  rattachent  à  la  sensibilité, 
c'est-.'i-dire  à  la  faculté  d'aimer  ou  de  haïr  et  par 
suite  d'éprouver  du  plaisir  ou  de  la  peine,  comme 
les  pensées,  les  raisonnements  se  rattachent  à  l'in- 
telligencG,  les  résolutions  libres  à  la  volonté.  Les 
passions  appartiennent  à  cette  moitié  inférieure  de 
l'âme,  que  les  anci  ns  philosophes  appelaient 
l'âme  irrationnelle,  celle  que  l'instinct  gouverne,  où 
la  nature  agit  seule,  et  qui  constitue  dans  l'homme 
un  monde  à,  part,  distinct,  de  celui  où  régnent  la 
raison  et  la  volonté  réfléchie. 

Comme  tous  les  phénomènes  de  la  sensibilité, 
les  passions,  quelle  que  soit  leur  forme,  ont  pour 
caractère  essentiel  qu'elles  consistent  en  mouve- 
ments d'amour  ou  d'aversion  pour  toi  ou  tel  objet, 
et  qu'elles  sont  la  source  de  toute  sorte  de  jouis- 
sances et  de  souffrances. 

Mais  le  langage  philosophique  est  si  mal  établi 
que  le  mot  passion  a  désigné,  dans  l'histoire  de  la 
philosophie,  et  désigne  encore  des  faits  très  diffé- 
rents. Passion,  pour  le  vulgaire,  est  synonyme  de 
trouble,  de  désordre  violent  de  l'âme;  et  cepen- 
dant pour  DescartPS,  pour  Bossuet,  l'espérance,  l'ad- 
mii-ation,  ces  états  calmes  et  doux  de  la  sensibilité, 
étaient  des  passions.  La  passion  a  été  tantôt  déli- 
nie  l'état  extrême,  désordonné  de  chacune  de  nos 
inclinations,  toute  affection  poussée  à  l'excès;  tan- 
tôt elle  a  représenté  les  diverses  modifications 
que  traverse,  dans  son  évolution,  chacun  de  nos 
sentiments. 

C'est  dans  ce  sens  que  Bossuet  et  l'école  carté- 
sienne entendaient  surtout  la  passion.  Ainsi,   le 


traité  de  In  Connaissa?ice  de  Dieu  et  de  soi-même 
distingue  onze  passions  :  l'amour  et  la  haine,  le 
désir  et  l'aversion,  la  joie  et  la  tristesse,  l'audace 
et  la  crainte,  l'espérance  et  le  désespoir,  ot  enfin 
la  colère.  C'est  là  une  énumération  des  diver- 
ses crises  par  lesquelles  passent,  dans  leur  histoire 
toujours  semblable  à  elle-môme,  les  sentiments 
du  cœur  humain.  Le  père  qui  aime  ses  enfants 
tantôt  se  réjouit  de  leur  succès,  tantôt  se  sent 
attristé  par  leurs  malheurs  :  il  désire  tout  ce  qui 
les  rend  heureux,  il  a  de  l'aversion  pour  tout  ce 
qui  leur  nuit,  et  ainsi  de  suite.  Le  patriote  espère 
la  victoire,  désespère  après  la  défaite;  dans  la 
lutte  il  passe  de  l'audace  il  la  crainte  ;  il  est  plein 
de  colère  contre  les  ennemis  de  sa  patrie,  enfin 
il  éprouve  tour  à  tour  les  émotions  contraires  ana- 
lysées par  Bossuet  sous  le  nom  de  passions.  Bos- 
suet ajoutait  que  le  principe  unique  de  toutes  les 
passions  est  l'amour  :  la  joie  en  effet  est  un  amour 
satisfait,  la  tristesse  un  amour  contrarié  ;  l'espé- 
rance u»  amour  qui  se  représente  complaisamment 
les  motifs  qui  lui  promettent  la  satisfaction  de  son 
désir  ;  la  colère,  un  amour  qui  s'emporte  contre 
les  obstacles  semés  sur  sa  route. 

Spinoza,  dans  sa  belle  étude  sur  les  passions, 
véritable  anatomie  de  la  partie  automatique  de 
l'âme  humaine,  attachait  au  mot  passion  la  même 
signification  que  Bossuet.  La  joie,  disait-il,  est  la 
passion  par  laquelle  l'âme  passe  à  une  perfection 
plus  grande  ;  la  tristesse,  une  passion  par  laquelle 
l'âme  passe  à  une  moindre  perfection.  A  la  joie 
et  h  la  tristesse  il  ajoutait  le  désir,  et  s'efforçait 
de  prouver  que  toutes  les  passions  naissent  de  ces 
passions  élémentaires. 

Aujourd'hui  il  y  a  une  tendance  marquée  chez 
les  philosophes  à  donner  au  terme  passion  une 
interprétation  ditférenic.  Le  sens  philosophique  du 
mot  se  rapproche  de  son  sens  vulgaire.  Les  pas- 
sions ne  sont  plus  les  éléments  de  la  sensibilité  : 
elles  sont  au  contraire  des  états  éminemment 
complexes  et  compliqués,  où  toutes  les  forces  de 
la  sensibilité  s'unissent  et  s'exaltent;  elles  sont 
les  inclinations  elles-mêmes  arrivées  à  leur  pa- 
roxysme, affranchies  de  tout  frein,  maîtresses  et 
souveraines  de  l'âme. 

A  ce  point  de  vue,  il  y  a  autant  de  passions  que 
d'inclinations  naturelles.  Toute  afl'cction  peut  sa 
présenter  tantôt  sous  une  forme  modérée  et  rela- 
tivement calme,  tantôt  sous  une  forme  passionnée. 
Les  inclinations  personnelles  et  égoïstes,  qui  ont 
pour  principe  l'amour-propre,  les  inclinations 
affectueuses  et  sociales,  qui  dérivent  de  l'amour 
d'autrui,  peuvent  toutes  donner  naissance  à  des 
passions,  les  unes  radicalement  mauvaises,  comme 
l'avarice,  l'orgueil,  l'égoisme  ;  les  autres  mêlées 
de  bien  et  de  mal,  comme  l'ambition,  l'amour  ;  les 
autres  presque  absolument  bonnes,  comme  le  pa- 
triotisme. Les  affections  désintéressées  et  ab- 
straites par  lesquelles  notre  cœur  s'attache  à  la 
science,  à  la  vertu,  peuvent  elles-mêmes  dégé- 
nérer en  passions  mauvaises  ou  s'exalter  jusqu'à 
des  passions  sublimes.  L'ascétisme  est  la  passion 
de  la  vertu  ;  le  fanatisme,  la  passion  de  la  reli- 
gion. En  un  mot  il  n'y  a  pas,  dans  l'homme,  de 
goût,  quel  qu'il  soit,  d'appétit,  de  tendance,  qui  ne 
puisse  en  s'avivant,  en  s'enflammant,  arriver  à  cet 
état  particulier  et  caractéristique  qui  s'appelle  la 
passion. 

On  a  proposé  un  grand  nombre  do  classifications 
des  passions.  Les  uns,  préoccupes  du  point  de  vue 
physiologique  et  de  la  part  que  les  organes  du 
corps  prennent  au  développement  des  passions, 
ont  distingué  les  passions  organiques,  —  celles  (|ui, 
comme  la  gourmandise,  dérivent  d'appétits  phy- 
siques :  les  passions  sensurirllet,  —  celles  qui  se 
rattachent  .lUx  sens;  enfin  les  passions  ce/c/;c"/?s, 
—  celles  où  le  cerveau  joue  le  principal  rôle.  Sans 
nier  les  rapports  étroits  qui  unissent  le  pliysique 


PASSIONS 


1530  — 


PAYSANS 


au  moral,  surtout  quand  il  s'agit  delà  passion,  il 
nous  semble  qu'en  acceptant  une  semblable  clas- 
sification on  méconnaîtrait  le  caractère  psychologi- 
que des  phénomènes  qui  nous  occupent.  Ces  phé- 
nomènes doivent  être  étudiés  en  eux-mêmes  et 
classés  d'après  un  principe  psychologique. 

C'est  un  principe  de  ce  genre  que  proposait  un 
éminent  physiologiste,  Gratiolet,  quand  il  distin- 
guaii  les  passions  en  deux  classes  :  les  passions 
honv/jcnes,  c'esl-à  dire  simples,  ou  composées  d'élé- 
ments de  même  nature;  et  les  passions  hétéro- 
gènes, c'est  à-dire  formées  d'éléments  différents. 
A  vrai  dire  toutes  les  passions  appartiennent  à  la 
seconde  classe,  et  les  prétendues  passions  homo- 
gènes de  Gratiolet  ne  sont  pas  des  passions,  dans 
le  sens  actuel  du  mot. 

La  meilleure  classification  des  passions  est  en- 
core celle  <iui  les  distingue  d'après  la  nature  de 
l'objet  qu'elles  poursuivent.  Tout  pliénomène  psy- 
chologique a  essentiellement  pour  caractère  de 
tendre  à  une  fin,  tantôt  clairement  conçue  et  vo- 
lontairement recherchée,  comme  dans  les  actes  de 
la  volonté,  tantôt  obscurément  entrevue  et  instinc- 
tivement poursuivie,  comme  dans  les  mouvements 
de  la  passion.  Il  y  aura  donc  autant  de  classes  dis- 
tinctes de  passions  qu'il  y  a  de  catégories  de  choses 
agréables,  sollicitant  le  désir. 

Ce  qui  importe  d'ailleurs,  c'est  moins  de 
dresser  le  tableau  des  passions,  que  de  compren- 
dre leur  nature,  de  défin.r  les  caractères  qui 
leur  sont  communs  h  toutes,  du  se  rendre  compte 
de  leur  puissance,  de  leurs  effets  sur  l'âme,  et 
aussi  des  moyens  qu'il  faut  employer  pour  les 
combattre. 

La  passion  peut  être  définie  la  recherche  irré- 
fléchie du  plaisir.  C'est  par  là  précisément  qu'elle 
s'oppose  à  la  raison.  La  raison  tend  volontairement 
au  bien  :  la  passion  tend  aveuglément  au  plaisir. 
Une  fois  établie  dans  l'âme,  la  passion  y  agit  à 
la  façon  d'une  idée  fixe.  Le  plaisir  particulier 
qu'elle  aime,  se  représente  sans  cesse  à  l'intelli- 
gence. L'esprit  n'est  plein  que  d'une  seule  pensée. 
Le  désir  sollicité  par  cette  image  incessammont 
renouvelée  s'accroît  et  s'exaspère.  Il  n'y  a  plus  de 
place  pour  les  autres  affections.  Toute  réflexion 
est  impossible.  L'âme  entière  est  esclave  d'un 
désir  uniijue.  Les  autres  facultés  sont  abolies  ou 
tout  au  moins  n'entrent  en  exercice  que  pour 
aider  la  passion  à  atteindre  son  objet. 

H  est  facile  de  comprendre  d'après  cela  les  effets 
désastreux  qu'engendre  la  passion.  Aussi  certains 
philosophes,  les  stoïciens,  par  exemple,  ont-ils  cru 
devoir  la  condamner  et  la  proscrire  absolument. 
L'idéal  de  la  sagesse  consistait  pour  eux  dans 
l'impassibilité,  c'est-à-dire  dans  un  état  de  calme 
parfait,  que  ne  trouble  aucune  émotion.  Sans 
aller  jusqu'aux  paradoxes  et  aux  exagérations  des 
stoïciens,  il  est  impossible  de  ne  pas  reconnaître 
combien  la  nature  humaine  s'abaisse  et  se  dégrade 
en  général,  quand  elle  abdique  sa  raison  et  sa 
liberté,  pour  s'asservir  à  la  passion.  On  ne  saurait 
trop  s'étonner  que  des  philosophes  modernes, 
comme  Helvétius  au  dix-huitième  siècle,  comme 
Fourier  dans  le  nôtre,  aient  voulu  réhabiliter  l'in- 
stinct irréfléchi,  et  par  un  excès  contraire  à  celui 
des  stoïciens,  proposé  à  l'homme  comme  idéal 
l'émancipation  des  passions. 

La  vérité  ne  se  trouve  dans  aucune  de  ces  opi- 
nions extrêmes.  Il  y  a,  quoi  qu'en  pensent  les  stoï- 
ciens, des  passions  nobles,  généreuses.  Lorsque 
l'objet  de  notre  amour  est  louable, vraiment  digne 
d'être  aimé,  la  passion,  dans  son  ardeur  irréfléchie, 
dans  son  impétuosité  violente,  peut  enfanter  des 
prodiges  de  vertu.  D'autre  part,  quoiqu'on  disent 


moins  doit  il  se  proposer  de  n'être  que  passion. 
Aussi  est-il  légitime  de  rechercher  avec  tous  les 
moralistes  les  moyens  de  prévenir  les  passions 
avant  qu'elles  naissent,  de  les  extirper  quand  elles 
ont  pris  possession  de  l'âme.  Mais  autant  il  est 
nécessaire  d'engager  la  lutte  contre  elles,  autant 
il  est  difficile  d'y  réussir. 

Voici  commint  Montaigne  nous  conseille  d'a- 
gir avec  les  passions  que  nous  désirons  surmonter. 
Il  C'e.st  une  doulce  passion  que  la  vengeance. 
Pour  en  distraire  dernièrement  un  jeune  prince, 
je  ne  luy  allois  pas  disant  qu'il  falloit  pre»t5r  la 
joue  à  celuy  qui  vous  avoit  frappé  l'aultre,  pour 
le  debvoir  de  cliarité  ;  ny  no  lui  allois  représenter 
les  tragiques  événements  que  la  poésie  attribue 
à  cette  passion  :  je  la  laissay  là,  et  mamusay  à  luy 
faire  gouster  la  beauté  d'une  image  contraire  ; 
l'honneur,  la  faveur, la  bienvueillance  qu'il  acquer- 
roit  par  clémence  et  bonté  :  je  le  destournay  à 
l'ambition...  Partout  ailleurs  de  mesme  :  une  aigre 
imagination  me  tient;  je  treuvepluscourt,quede  la 
dompter,  la  changer  :  je  luy  en  substitue,  si  je  ne 
puis  une  contraire,  au  moins  une  aultre  :  tou- 
jours la  variation  soulage,  dissoult  et  dissipe.  Si 
je  ne  puis  la  combattre,  je  luy  eschappe  ;  et  en  la 
fuyant,  je  ruse  :  muant  de  lieu,  d'occupation,  de 
compaignie,  je  me  sauve  dans  la  presse  d'aultres 
amusements  et  pensées,  où  elle  perd  ma  trace  et 
m'esgare.  » 

C'est  le  même  conseil  que  donne  Bossuet, 
quand  il  nous  recommande  de  no  pas  combattre 
les  passions  «  de  droit  fil  »,  c'est-à-dire  de  ruser, 
de  biaiser  avec  elles,  comme  on  arrête  les  ravages 
d'un  torrent,  non  en  lui  opposant  des  digues  qu'il 
briserait,  mais  en  détournant  son  cours  dans  une 
autre  direction.  Le  mieux  est  cependant  d'empê- 
cher la  passion  de  naître, plutôt  que  d'avoir  à  la  com- 
battre. Pour  l'âme  comme  pour  le  corps  l'hygiène 
vaut  mieux  que  la  médecine.  Au  début,  quand  la 
passion  éclate  pour  la  première  fois,  il  est  aisé  de 
s'en  débarrasser.  Plu^  tard  la  guérison  devient 
difficile,  parce  que  la  passion  a  pris  racine  dans  le 
cœur;  mais  elle  n'est  jamais  impossible,  puisque 
nous  gardons  toujours  à  notre  portée  ces  deux 
instruments  de  relèvement  et  de  délivrance,  la  rai- 
son et  la  liberté.  [G.  Compayré.] 

PAYSAJiS.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL.  — 
L'histoire  des  classes  agricoles  formerait  l'un  des 
chapitres  les  plus  intéressants  de  l'histoire  générale 
de  l'humanité.  On  ne  la  pas  encore  écrite;  à 
peine  trouve- t-on  chez  les  auteurs  anciens,  dans 
les  chroniques  du  moyen  âge,  et  même  dans  les 
livres  de  la  plupart  des  historiens  modernes,  quel- 
ques rares  indications  sur  la  condition  des  paysans 
à  chaque  époque. 

Dans  les  monarchies  barbares  de  l'antique 
Orient,  Egypte,  Assyrie,  Perse,  Inde,  l'agriculteur 
se  trouvait  réduit  à  la  servitude  ;  il  cultivait  pour 
autrui  une  terre  qui  ne  lui  appartenait  pas.  Il  en 
est  à  peu  près  de  même  dans  la  Grèce  homérique  : 
le  sol  appartient  aux  princes  ou  à  leurs  compa- 
gnons; les  fermiers  d'Ulysse,  Eumée,  Philétios, 
sont  esclaves.  Dans  la  Grèce  historique,  du  vi'  au 
II»  siècle  avant  notre  ère,  il  est  difficile  de  se  ren- 
dre exactement  compte  de  ce  qu'était  la  condition 
de  la  classe  vouée  à  la  culture  de  la  terre;  il  sem- 
ble qu'il  y  eut,  à  côté  des  esclaves  ruraux  em- 
ployés sur  les  grands  domaines  de  l'aristocratie, 
un  certain  nombre  de  peiits  propriétaires  libres; 
mais  la  population  des  campagnes  était  politique- 
ment subordonnée  à  celle  des  cités  :  les  citoyens 
commandaient,  les  paysans  n'avaient  pas  de  part 
au  gouvernement.  Athènes  seule  faisait  exception: 
les  communes  rurales  avaient  été  fondues  dans  la 


les  fouriéristes,  la  raison  est  supérieure  à  la  pas-  grande  communauté  urbaine  ;  toute  l'Attiqtie  ne 
sion  :  c'est  à  elle  qu'appartient  le  gouvernement  formait  qu'une  seule  cité,  et  l'habitant  de  Mar^a- 
de  la  vie  humaine,  et  si  l'homme  ne  doit  pas  être  thon,  d'Eleusis  ou  de  Colone  avait  les  mêmes  droits 
exclusivement  une  raison  sèche  et  froide,  encore  |  que  celui  de  la  métropole.  Mais,  là  même,  à  cota 


PAYSANS 


—  1531  — 


PAYSANS 


(les  agriculteurs  libres  et  citoyens,  il  y  avait  uni3 
liopuluilou  scrvile,  et  le  petit  propriétaire  qui  cul- 
liv.iit  lui- môme  ses  quelques  arpents  de  terrain 
M\  faisait  aider  par  des  esclaves. 

Aux  premiers  temps  de  Borne,  la  culture  des 
I  hanips  était  le  travail  le  plus  honoré  ;  le  patricien 
vivait  volontiers  sur  ses  terres,  et  tenait  lui- 
nifime  le  manclie  do  la  charrue.  Cependant  il  ne 
faudrait  pas  se  représenter  le  peuple  romain, 
mCime  dans  son  âge  héroïque,  comme  une  commu- 
nauté de  travailleurs  libres  et  égaux;  le  vertueux 
Cincinnatus  avait  des  esclaves  ;  en  outre,  si  la 
simplicité  de  ses  mœurs  passa  en  exemple  h  la 
postérité,  c'est  quelle  n'était  pas  commune;  il  y 
avait,  dès  celte  époque,  des  Romains  riches  qui 
vivaient  à  la  ville  du  revenu  de  leurs  domaines  ;  il 
y  avait  aussi  une  population  d'hommes  libres,  mais 
non  propriétaires  (les  prolétaires),  qui  louait  ses 
bras  aux  détenteurs  du  sol  ,  patriciens  ou 
plébéiens  enrichis.  Il  vint  un  temps  où,  le  nom- 
bre des  esclaves  s'étant  immensément  accru,  les 
prolétaires,  qui  ne  trouvaient  plus  h  s'employer  et 
qui  demandaient  à  la  République  de  lis  nourrir, 
constituèrent  pour  l'Etat  une  charge  et  un  danger  : 
c'est  alors  qu'à  plusieurs  reprises,  les  tribuns 
proposèrent  que  les  terres  publiques,  conquises 
sur  les  peuples  italiens  et  dont  les  patriciens  s  é- 
talent  illégalement  a|iproprié  la  jouissance,  fussent 
distribuées  aux  citoyens  pauvres  ;  ils  voulaient, 
par  la  loi  agraire,  constituer  une  classe  nom- 
breuse de  petits  propriétaires.  Cette  tentative 
échoua  ;  tout  le  sol  italien  fut  bientôt  la  proie 
d'un  petit  nombre  de  maîtres,  qui  faisaient  cul- 
tiver leurs  immenses  domaines  par  des  troupeaux 
d'esclaves;  le  même  système  d'exploitation  fut 
introduit  dans  les  provinces,  Sicile,  Gaule,  Espa- 
gne, Afrique  ;  l'agriculture  déclina,  et  le  vaste  ter- 
ritoire de  l'empire  romain  aurait  eu  peine  à  nour- 
rir ses  habitants,  sans  la  fertilité  exceptionnelle 
de  quelques  districts,  les  greniers  de  Rome.  Le 
travail  de  la  terre  ne  fut  plus  considéré  que 
comme  une  occupation  servile.  Les  esclaves  ru- 
raux, ou  colons,  formaient  les  neuf  dixièmes  de  la 
population  totale;  moins  durement  traités  que  les 
esclaves  domestiques,  ils  avaient  le  droit  de  pos- 
séder, de  contiacter  mariage  légalement;  ils 
payaient  à  leurs  propriétaires  une  redevance  ;  enfin, 
ils  ne  pouvaient  être  vendus  sans  la  terre  à  laquelle 
ils  étaient  attachés,  ni  celle-ci  sans  eux. 

Lorsque  le  christianisme  eut  Templacé  les 
vieux  cultes  païens,  et  la  domination  des  barbares 
celle  des  empereurs,  rien  ne  fut  changé  dans  la 
condition  de  la  classe  agricole  ;  elle  demeura  es- 
clave. Nous  n'entrerons  pas  ici  dans  le  détail  de 
ce  que  fut  la  servitude  à  l'époque  barbare  et  féo- 
dale ;  nous  ne  rappellerons  pas  les  misères  du 
malheureux  paysan,  les  dures  exactions  dont  on 
l'accablait,  les  horribles  cruautés  auxquelles  il 
était  en  butte  ;  nous  renvoyons  à  l'article  Scr-vnge. 
Il  ne  faudrait  pas  croire,  cependant,  que  l'escla- 
vage du  paysan  fût  universel  en  Occident,  et  que 
la  main  de  fer  des  barons  féodaux  eiit  réussi  à 
imposer  partout  un  joug  uniforme.  Des  circon- 
stances locales,  géographiques  ou  historiques, 
avaient  pu  préserver  de  la  servitude  un  district, 
une  province,  toute  une  région  ;  les  paysans  y 
étaient  restés  ou  devenus  maîtres  du  sol  qu'ils 
cultivaient,  et  avaient  réussi  à  maintenir  leur  in- 
dépendance. C'est  ainsi  qu'en  Gaule,  les  popula- 
tions agricoles  de  la  Bretagne,  de  certains  districts 
T  des  Cévennes,  des  Alpes,  des  Pyrénées,  avaient 
■  échappé  longtemps  à  l'asservissement  général.  En 
Espagne,  après  l'invasion  arabe,  les  chrétiens  ré- 
fugiés dans  les  Asturies  y  avaient  constiiué  une 
nation  égalitaire,  où  tout  paysan  était  libre  et 
gentilhomme.  En  Grande-Bretagne,  beaucoup  de 
vaillants  Saxons  avaient  refusé  d'accepter  la  domi- 
nation  des  seigneurs  normands,  et  maintenaient 


par  les  armes  leur  flère  indépendance;  les  com- 
munautés des  montagnards  gallois  et  écossais 
n'avaient  jamais  connu  de  maître.  Enfin,  dans 
l'Europe  du  centre,  du  Nord  et  de  l'Est,  parmi  les 
populations  germaniques  et  slaves,  la  féodalité 
n'avait  pris  pied  que  lentement  ;  les  paysans 
avaient  conservé,  partout  où  ils  l'avaient  pu,  leur 
organisation  primitive  on  communautés  possédant 
collectivement  le  sol,  et  plus  d'un  petit  peuple 
avait  su  garder  ses  franchises,  les  Suisses  grâce  à 
leurs  montagnes,  les  Frisons  grâce  à  leurs  marais. 
On  sait  combien  de  fois,  durant  le  cours  du 
moyen  âge,  les  malheureux  serfs  des  campagnes 
réduits  au  désespoir  protestèrent  par  des  révol- 
tes, toujours  étouffées  dans  le  sang,  contre  la  bru- 
talité de  leurs  seigneurs.  Ces  rébellions  sans  cesse 
renouvelées  n'aboutissaient  qu'à  des  massacres 
périodiques  ;  il  semblait  que  le  paysan  fût  à  per- 
pétuité condamné  à  vivre  dans  la  condition  d'une 
bote  de  somme.  Cependant,  au  xiv"^  siècle,  on  peut 
croire  un  moment  que  les  choses  vont  changer.  Un 
roi  de  France,  Louis  le  Hutin,  a  solennellement 
reconnu  que  «  selon  le  droit  de  nature,  chacun 
doit  naître  franc,  «  et  a  offert  la  liberté  aux  serfs 
qui  voudront  l'acheter;  la  puissance  des  seigneurs 
décline  devant  l'autorité  royale;  les  villes  s'éman- 
cipent en  Flandre,  elles  obtiennent,  en  Angleterre 
et  en  France,  d'avoir  des  représentants  au  Parle- 
ment et  aux  Etats  généraux.  Après  le  désastre  de 
Poitieis,  la  bourgeoisie  parisienne,  sous  la  con- 
duite d'Etienne  Marcel,  tente  une  révolution  poli- 
tique et  veut  mettre  l'autorité  royale  en  tutelle. 
L'esprit  de  révolte  gagne  alors  les  campagnes  ;  les 
serfs  de  l'Ile-de-France,  de  la  Champagne,  de  la 
Picardie,  se  soulèvent  (1368),  massacrent  les  sei- 
gneurs, brûlent  les  châteaux,  et,  s'organisant  en 
armée,  annoncent  l'intention  de  détruire  la  no- 
blesse dans  tout  le  royaume.  La  Jacquerie  appor- 
tait à  Marcel  un  renfort  inespéré  :  les  bourgeois  de 
Paris,  après  quelque  hésitation,  s'allièrent  avec 
les  paysans  insurgés.  De  leur  côté,  les  princes 
(Charles  de  Valois  et  Charles  de  Navarre,  devant  le 
péril  commun,  firent  trêve  à  leur  querelle;  toutce 
que  la  noblesse  put  réunir  de  furces  fut  envoyé 
contre  les  Jacques.  Ceux-ci  furent  défaits  devant 
la  citadelle  de  Meaux,  puis  vaincus  encore  en  plu- 
sieurs rencontres  par  le  roi  de  Navarre  et  le  cap- 
tai de  Buch.  Bientôt,  privés  de  chefs,  et  incapables 
de  tenir  tête  à  des  adversaires  bien  armés,  les 
paysans  virent  leur  cause  perdue.  Les  seigneurs 
se  vengèrent,  par  des  supplices  affreux  et  une 
extermination  générale,  de  la  rébellion  qui  avait 
failli  détruire  leur  pouvoir;  au  bout  de  quelques 
semaines,  la  Jacquerie  n'était  plus  qu'un  sanglant 
souvenir.  La  défaite  des  paysans  entraîna  la  sou- 
mission des  Parisiens,  qui,  après  l'assassinat  de 
.Marcel,  durent  ouvrir  leurs  portes  au  dauphin 
Charles. 

Vingt-cinq  ans  plus  tard,  une  autre  Jacquerie 
éclatait  en  Angleterre.  Les  paysans  révoltés,  sous 
le  commandement  de  Wat-Tyler,  s'emparèrent  do 
Londres  ;  mais,  trompés  par  de  fausses  promesses, 
ils  se  dispersèrent,  et  furent  ensuite  massacrés 
par  les  troupes  royales.  La  même  année  précisé- 
ment (1382),  les  communes  flamandes  étaient 
écrasées  à  Rosebeke,  et  Paris  perdait  de  ses  der- 
nières libertés.  Le  xiv^  siècle  s'achevait  dans  l'Eu- 
rope occidentale  par  le  triomphe  des  nobles  et  de 
la  royauté  sur  la  bourgeoisie  et  les  paysans.  Pas 
partout,  cependant.  Les  paysans  des  montagnes 
suisses  avaient  fait  leur  jacquerie  aussi,  et  ils 
étaient  demeurés  victorieux  des  seigneurs  féo- 
daux; les  batailles  de  Morgarten,  de  Laupen,  de 
Sempach,  de  Na;fels,  avaient  consacré  leur  affran- 
chissement. 

L'émancipation  des  serfs  n'avait  pu  s'accom- 
plir d'un  seul  coup,  par  une  révolution  ;  elle  se  fit 
graduellement.  Durant  les  xv«  et  xvi"  siècles,  en 


PAYSANS 


—  1532  — 


PAYSANS 


France,  la  condition  des  paysans  s'améliora  peu  à 
peu  :  un  nombre  toujours  croissant  d'entre  eux 
achetèrent  leur  liberté;  mais,  quoique  devenu 
libre  de  sa  personne,  le  paysan  n'en  demeurait  pas 
moins  soumis  aux  innombrables  droits  féodaux, 
corvées  et  redevances. 

Le  commencement  du  xvi'  siècle  fut  signalé,  en 
Allemagne,  par  une  révolte  générale  des  paysans 
de  la  Souabe,  de  la  Franconie  et  de  l'Alsace,  qui 
demandaient,  au  nom  des  préceptes  de  l'Evangile, 
un  allégement  des  charges  qui  pesaient  sur  eux 
(lôvâ).  (je  soulèvement  fut  étouffé  dans  des  flots 
de  sang. 

A  la  lin  du  même  siècle,  les  paysans  russes,  qui 
jusqu'alors  avaient  été  des  hommes  libres,  furent 
réduits  à  la  condition  de  serfs  par  un  édit  du  tsar 
Boris  Godnunoir. 

Au  XVII'  siècle,  l'histoire  s'occupe  rarement  des 
paysans  ;  ils  ont  renoncé  presque  partout  aux  re- 
vendications violentes,  et  semblent  résignés  à  leur 
sort,  qui,  pour  être  moins  horrible  qu'au  moyen 
âge,  est  encore  bien  digne  de  pitié.  On  connaît  la 
page  que  La  Bruyère  a  consacrée  aux  paysans 
français  :  «  L'on  voit  certains  animaux  farouches, 
des  mâles  et  des  femelles,  répandus  par  la  cam- 
pagne, noirs,  livides  et  tout  brûlés  du  soleil,  atta- 
chés à  la  terre  qu'ils  fouillent  et  qu'ils  remuent 
avec  une  opiniâtreté  invincible  ;  ils  ont  comme  une 
voix  ariiculée,  et,  quand  ils  se  lèvent  sur  leurs 
pieds,  ils  montrent  une  face  humaine,  et  en  effet 
ils  sont  des  hommes.  Ils  se  retirent  la  nuit  dan"!  des 
tanières  où  ils  vivent  de  pain  noir,  d'eau  et  de  ra- 
cines; ils  épargnent  aux  autres  hommes  la  peine 
de  semer,  de  labourer  et  de  recueillir  pour  vivre, 
et  méritent  ainsi  de  ne  pas  manquer  de  ce  pain 
qu'ils  ont  semé.  »  On  sait  aussi  avec  quelle  légè- 
reté M"'  de  Sévigné  raconte  les  penderies  qui  eu- 
rent lieu  en  Bretagne  à  la  suite  de  l'émeute  de 
IG7Ô,  provoquée  par  le  manqut  de  loi  de  Louis  XIV 
qui  avait  violé  les  droits  reconnus  de  la  province  ; 
••  On  dit  qu'il  y  a  cinq  ou  six  cents  bonnets  bleus 
en  lîasse-Bretagne  qui  auraient  grand  besoin  d'être 
pendus  pour  leur  apprendre  à  parler...  Nos  pau- 
vres Bas-Bretons  s'attroupent  quarante,  cinquante 
par  les  champs  ;  et  dès  qu'ils  voient  les  soldats,  ils 
se  jettent  à  genoux,  et  disent  rj.eà  culpâ  :  c'est  le 
seul  mot  de  français  qu'ils  sachent. . .  On  ne 
laisse  pas  de  pendre  ces  pauvres  Has-Breton*; 
ils  demandent  à  boire  et  du  tabac,  et  qu'on  les  dé- 
pêche. »  Veut-on  enfin  un  tableau  de  la  situation 
ilu  peuple  des  campagnes  vers  la  fin  du  règne  de 
Louis  .MV  ?  voici  comment  s'exprime  Vauban  dans 
la  préface  de  la  Dixtne  royale,  en  dépeignant  les 
ahus  exercés  dans  la  levée  des  impôts  :  «  Il  est  cer- 
t.iin  que  ce  mal  est  poussé  à  l'excès,  et  que  si  l'on 
n'y  remédie,  le  menu  peuple  tombera  dans  une  ex- 
Mémité  dont  il  ne  se  relèvera  jamais;  les  grands 
<liemins  de  la  campagne  et  les  rues  des  villes  et 
<1"S  bourgs  sont  pleins  de  mendiants,  que  la  faim  et 
l'i  nudité  cliassent  de  chez  eux...  Par  toutes  les 
r.-'cherclies  que  j'ai  pu  faire,  depuis  plusieurs  an- 
liéesque  je  m'y  applique, j'ai  fort  bien  remarqué  que 
<l.ms  ces  derniers  temps,  près  de  la  dixième  partie 
ilii  peuple  est  réduite  à  la  mendicité,  et  mendie  ef- 
fectivement ;  et  que  des  neuf  autres  parties,  il  y  en 
a  cinq  qui  ne  sont  pas  en  état  de  faire  l'aumône  k 
celle-là,  parce  qu'eux-mêmes  sont  réduits,  à  très 
pende  chose  près, à  cette  malheureuse  condition... 
n  Je  me  sens  encore  obligé  d'honneur  et  de  con- 
science de  représenter  à  Sa  Majesté  qu'il  m'a  paru 
que,  de  tout  temps,  on  n'avait  pas  eu  assez  d'égard 
en  France  pour  le  menu  peuple,  et  qu'on  en  avait 
fait  trop  pou  de  cas  ;  aussi  c'est  la  partie  la  plus 
ruinée  et  la  plus  misérable  du  royaume  ;  c'est  elle 
cependant  qui  est  la  plus  considérable  par  son 
nombre,  et  parles  services  réels  et  effectifs  qu'elle 
lui  rend.  Car  c'est  elle  qui  porte  toutes  les  char- 
ges, qui  a  toujours  le  plus  souffert   et  qui  souffre 


encore  le  plus  ;  et  c'est  sur  elle  aussi  que  tombe 
toute  la  diminution  des  hommes  qui  arrive  dans 
le  royaume.  »  Ces  paroles  courageuses  valurent  à 
Vauban  la  disgrâce  royale. 

Sous  l'influence  des  idées  propagées  par  les 
philosophes  et  les  économistes  du  xviii'  siècle, 
l'opinion  publique  commença  enfin  à  se  préoc- 
cuper du  sort  des  paysans.  Voltaire  plaida  en  fa- 
veur des  serfs  ecclésiastiques  de  Saint-Claude; 
Louis  XVI  émancipa  les  derniers  serfs  de  la  cou- 
ronne. En  Suisse,  les  populations  rurales,  oppri- 
mées par  les  gouvernements  oligarchiques,  com- 
mencent à  réclamer  l'égalité  politique.  L'Europe 
s'était  enthousiasmée  pour  les  vxsurgents  améri- 
cains, qui  avaient  proclamé  les  premiers  les  droits 
de  l'homme.  Plusieurs  souverains  philanthropes 
essayèrent  des  reformes  dont  les  agriculteurs,  dé- 
sormais respectés,  devaient  bénéficier.  Mais  !e 
lourd  édifice  de  la  féodalité  subsistait  toujours  ; 
une  révolution  seule  pouvait  le  détruire.  Ce  fut  la 
France  qui  en  prit  l'initiative.  La  nuit  du  4  août 
1189  emporta  le  régime  féodal,  et  bientôt  après, 
par  la  vente  des  biens  du  clergé  et  de  la  noblesse, 
la  terre  passa  aux  mains  des  paysans,  devenus  en 
même  temps  citoyens  et  propriétaires. 

Le  contre-coup  de  la  Révolution  française  se  fit 
sentir  plus  ou  moins  promptement  dans  l'Europe 
entière.  Certains  pays  conservèrent  les  vieux  abus 
féodaux  pendant  un  demi-siècle  encore;  ainsi 
l'Autriche,  où  le  paysan  ne  fut  émancipé  définiti- 
vement qu'en  1848.  Dans  beaucoup  de  monarchies, 
l'aristocratie,  en  perdant  ses  droits  sur  le  paysan, 
conserva  la  propriéié  de  la  terre,  en  sorte  que  les 
populations  agricoles  n'ont  pu  y  arriver  à  la  pos- 
session du  champ  qu'elles  cultivent  ;  on  sait  i|uclle 
misère  et  quelle  agitation  a  produites  en  Irlande 
une  situation  semblable,  qui  s'y  perpétue  depuis 
des  siècles  et  s'aggrave  de  la  haine  de  races.  La 
Russie  n'a  aboli  le  servage  qu'en  1861. 

A  l'heure  qu'il  est,  on  peut  dire  que  les  pays 
civilisés  se  répartissent,  au  point  de  vue  de  l'agri- 
culture et  de  la  condition  économique  du  paysan, 
en  deux  catégories  :  les  pays  de  petite  et  ceux 
de  grande  propriété.  La  France  est  le  type  des 
premiers,  l'Angleterre  celui  des  seconds.  La 
petite  culiure  favorise  l'effort  individuel  ;  elle 
offre  l'avantage  de  faire  participer  à  la  propriété 
une  proportion  très  considérable  des  travailleurs 
agricoles;  mais  elle  est  restée,  jusqu'ici,  un  obs- 
tacle à  l'application  des  perfectionnements  que 
la  science  moderne  a  apportés  aux  procédés  d'ex- 
ploitation du  sol  ;  la  grande  culture,  au  contraire, 
permet  d'utiliser  facilement  ces  procédés  pour 
obtenir  à  moins  de  frais  une  production  plus 
abondante  ;  mais  les  inconvénients  d'un  système 
qui  monopolise  entre  les  mains  d'un  petit  nombre 
de  privilégiés  le  territoire  entier  d'un  Etat  sont 
tels,  qu'ils  ont  fait  naître,  chez  dos  économistes 
comire  Stuart  Mill,  l'idée  de  la.  nattû/ialisatio?i  du 
sol.  Nous  n'aborderons  pas  ces  questions,  qui  ne 
rentrent  pas  directement  dans  notre  sujet,  et  nous 
arrêtons  ici  ce  rapide  aperçu,  en  renvoyant,  pour 
d'autres  détails,  aux  articles  spéciaux  que  ce  Dic- 
tionnaire contient  sur  divers  sujets  touchant  à 
l'agriculture  ou  à  l'histoire  des  paysans. 

Lectures  et  dictées.  —  Le  paysan  français  et  la 
liéoolu'ion.  —  Qu'est  devenue  maintenant  la  race 
timide  et  servile  qui  portait  la  tête  si  bas,  la  bête 
encore  à  quatre  pattes  '?  Je  ne  peux  plus  la  trouver. 
Aujourd'hui  ce  sont  des  hommes. 

Il  n'y  eut  jamais  un  labour  d'octobre  comme 
celui  de  01,  celui  où  le  laboureur,  sérieusement 
averti  par  Varennes  et  par  Pilnitz,  songea  pour 
la  première  fois,  roula  en  esprit  ses  périls,  et 
toutes  les  conquêtes  de  la  Révolution  qu'on  vou- 
lait lui  arracher.  Son  travail,  animé  d'une  indigna- 
tion guerrière,  était  déjà  pour  lui  une  campagne 
en  esprit.  11  labourait  en  soldat,  imprimait  à  la 


PAYS-BAS 


—  1533  — 


PAYS-BAS 


charrue  le  pas  militaire,  et,  louchant  ses  botes 
d'un  plus  sévère  aiguillon,  criait  à  lune:  <<  H u  1 
la  Prusse!  ",  à  l'autre:  «  Va  donc  Autriche  - 
Le  bœuf  marchait  comme  un  clieval,  le  soc  allait 
âpre  fit  rapide,  le  noir  sillon  fumait,  plein  de 
souffle  et  plein  de  vie. 

C'est  que  cet  homme  ne  supportait  pas  patiem- 
ment de  se  voir  ainsi  trouble  dans  sa  possession 
récente,  dans  ce  premier  moment  où  la  dignité 
humaine  s'était  éveillée  en  lui.  Libre  et  foulant 
un  champ  libre,  s'il  frappait  du  pied,  il  s.ntait 
dessous  une  terre  sans  droit  ni  dîme,  qui  déjà 
était  à  lui,  ou  serait  à  lui  demain...  Plus  de  sei- 
gneurs !  tous  seigneurs!  tous  rois,  chacun  sur  sa 
terre,  le  vieux  dicton  réalisé:  «  Pauvre  homme, 
en  sa  maison,  Roi  est.  » 

Et  en  sa  maison,  et  dehors.  Est-ce  que  la  France 
entière  n'est  pas  sa  maison,  maintenant?  Hier,  il 
venait,  tremblant,  mendier  la  justice  par  devant 
I^esswurs,  comme  si  c'était  une  grâce;  il  fallait 
payer  d'abord,  puis  l'on  se  moquait  de  lui.  Lui- 
mcme  aujourd'hui  est  juge,  et  il  rend  gratis  la 
justice  aux  autres.  Le  voilà,  ce  paysan,  assesseur 
du  juge  de  paix,  membre  du  conseil  municipal, 
l'un  des  treize  cent  mille  nouveaux  magistrats, 
électeur  (il  y  en  avait  entre  trois  et  quatre  mil- 
lions] s'il  paie  l'impôt  de  trois  journées  de  travail 
par  an.  Et  qui  ne  le  paiera  pas,  qui  ne  sera  pro- 
priétaire, au  prix  où  la  terre  se  donne,  s'ofiiant 
avec  de»  délais  si  faciles,  venant  dire  en  quelque 
sorte  :  «  Prends-moi  ;  lu  paieras  quand  tu  pourras.  » 
La  première  récolte  sulfisait  souvent  pour  payer, 
ou  la  première  coupe,  ou  (luelques  terres  qu'on 
revendait,  ou  quelque  plomb  pris  d'un  toit. 

Mais  ce  n'est  pas  tout,  mon  ami,  te  voilà  un 
homme  public,  un  citoyen,  un  soldat,  un  électeur; 
te  voilà  bien  respunsable.  Sais-tu  que  lu  as  une 
conscience  qu'il  te  faut  interroger?  Sais-tu  <iue  ce 
grand  nombre  de  magistrats,  incessamment  re- 
nouvelés, oblige  tout  le  monde  à  son  tour  à  de- 
venir magistrat?  C'est  là  en  effet  la  grandeur  de 
la  constitution  de  91;  laissant  la  puissance  pu- 
blique très  faible,  il  est  vrai,  serrant  très  peu  le 
lien  politique,  restreignant  peu,  contraignant  peu, 
elle  fait  par  cela  même  un  appel  immense  à  la 
moralité  individuelle.  Loi  aimable  et  confiante, 
elle  somme  tous  les  hommes  d'être  bons  el  sages, 
elle  compte  sur  eux.  Par  son  imperfection  même 
et  son  silence,  la  loi  dit  à  l'homme  :  «  N'astu  pas, 
dans  ta  raison,  déjà  une  loi  intérieure?  Sers  t'en 
pour  me  suppléer  au  besoin,  et  deviens  ta  loi!... 
Tu  n'es  plus  un  mallieureux  serf,  qui  peut  ren- 
voyer à  son  maître  le  soin  de  la  chose  publique  ; 
elle  est  tienne,  c'est  ton  affaire.  A  toi  de  la  dé- 
fendre et  de  la  gouverner,  à  toi  d'être,  selon  ta 
force,  la  providence  de  l'Etat.  » 

Cet  appel  muet  fut  bien  entendu.  Ce  ne  fut  pas 
moins  que  l'éveil  de  la  conscience  publique  dans 
l'âme  de  l'individu.  Une  inquiète  sollicitude  de 
l'intérêt  de  la  patrie,  de  celui  du  genre  humain, 
remplit  tous  les  cœurs.  Tous  se  sentirent  respon- 
«ables  pour  la  France,  et  elle-même  pour  le  moiide. 
Tous  furent  prêts  à  défendre,  en  la  Révolution, 
au  prix  de  leurs  vies,  le  trésor  commun  do  l'hu- 
manité. (Micbelet,  Histoire  de  la  Révolution  fran- 
çaise, tome  IV). 

PAVS-BAS  (GÉouBAPHiE).  —  Géographie  géné- 
rale, \V.—  I.  Géographie  physique.  —  Si7uaiî0H, 
aspect  général.  —  Le  royaume  des  Pays  Ras  est 
un  Etat  de  1  Europe  centrale,  limité  à  l'est  par 
l'empire  d'Allemagne,  au  sud  par  le  royaume  de 
Belgique,  et  enveloppé  par  la  mer  du  .Xord  du 
côte  de  l'ouest  et  du  nord. 

Il  tire  son  nom  de  sa  situation  topngraphique  par 
rapport  aux  pays  voisins.  C'est  là  que  les  trois 
princi|iaux  fleuves  de  la  réginn  avoisinante,  le 
Rhin,  la  Meuse  et  l'Escaut,  vont  finir  dans  la  mer 
par   un  grand    nombre  de   bouches.  Une   bonne 


partie  du  sol  des  Pays-Ras  a  été  formée  de  leurs 
alluvions,  et  l'ensemble  du  royaume  forme  une 
vaste  plaine  qui  émerge  à  peine  au-dessus  des 
Ilots.  Si,  aux  confins  de  la  Prusse  rhénane,  du  côté 
d'Aix-la-Chapelle,  on  trouve  quelques  points  du 
territoire  néerlandais  atteignantjusqu'à  "iOll  mètres 
d'altitude,  partout  ailleurs  les  rares  collines  de 
50  mètres  d'élévation  forment  des  îlots  distincts, 
entourés  de  terres  dont  l'altitude  dépasse  de 
quelques  mètres  seulement  le  niveau  de  la  mer,  et 
descend  même  souvent  au-dessous  de  ce  niveau. 
De  fortes  digues,  construites  à  grand'peine,  en- 
tretenues avec  grand  soin,  défendent  ces  terres 
basses  contre  l'irruption  des  flots  marins,  et  se 
continuent  le  long  des  fleuves  pour  les  empêcher 
de  promener  leurs  eaux  de  crue  à  travers  les 
champs  cultivés. 

Limites  et  contours.  —  Bien  que  la  frontière  qui 
sépare  les  Pays-Bas  du  Hanovre  allemand  semble 
conventionnelle  sur  la  carte,  les  deux  contrées 
n'en  sont  pas  moins  naturellement  séparées  par 
les  marais  et  les  tourbières  qui  s'étendent  d'une 
manière  presque  continue  sur  leur  limite  commune, 
et  que  les  armées  romaines  ne  pouvaient  déjà 
franchir,  à  l'époque  de  leurs  expéditions,  que  sur 
de  longues  chaussées  formées  d'arbres  abattus. 
Du  côté  de  la  Belgique,  la  transition  n'est  pas 
aussi  marquée.  On  sait  du  reste  que  les  deux  États 
n'ont  été  séparés  l'un  de  l'autre  qu'il  y  a  une  cin- 
(luanlaine  d'années. 

Viiriatiom  du  littoral.  — Quant  à  ses  frontières 
maritimes,  qui  sembleraient  devoir  être  les  plus 
immuables,  elles  ont  constamment  changé,  môme 
depuis  les  temps  liistoriques,  sous  l'influence  des 
tempêtes,  des  iléplacements  des  courants  fluviaux 
et  maritimes,  de  l'affaissement  du  sol,  comme  on 
l'a  reconnu  par  plusieurs  preuves  irrécusables, 
enfin  par  le  travail  de  l'homme.  Le  plus  souvent 
les  côtes  de  la  Hollande  sont  bordées  de  dunes 
sablonneuses,  où  l'humidité  de  la  mer  entretient 
une  végétation  suffisante  pour  que  les  grains  de 
sable  n'en  soient  pas  emportés  vers  l'intérieur. 
Ces  dunes  forment  sur  bien  des  points  un  rideau 
protecteur  contre  l'invasion  de  l'Océan,  mais  quel- 
quefois elles  sont  emportées  parles  flots. 

Le  Zuiderzée,  sa  formation.  —  Le  Zuiderzée, 
qui  entaille  profondément  le  territoire  néerlandais, 
n'était  au  moyen  âge  qu'un  lac,  l'ancien  lac  Flevo 
des  Romains,  qu'une  langue  de  terre,  réunissant 
la  Hollande  avec  la  Frise,  séparait  de  l'Océan. 
Depuis  cinq  cents  ans,  la  mer,  rompant  cette  faible 
digue,  en  a  fait  un  golfe.  De  même  le  Biesbosch, 
archipel  de  canaux  «t  de  terres  marécageuses,  qui 
s'étend  au  sud  de  Dordreclit,  était  couvert  de  vil- 
lages florissants,  jusqu'à  la  nuit  de  la  Sainte-Eli- 
sabeth 1421,  pendant  laquelle  il  fut  envahi  par 
les  eaux  et  transformé  en  solitude  désolée. 

Les  îles  qui  s'étendent  au  devant  du  Zuiderzée, 
depuis  le  Helder  jusqu'au  golfe  du  Uollart  où 
déliouchc  l  Ems,  et  dont  la  côte  extérieure  continue 
celle  de  Hollande,  ont  sans  doute  été  rattachées 
autrefois  au  continent. 

On  estiiue  à  G,OJn  kilomètres  carrés  l'étendue 
des  terrains  de  la  Ncerlande  détruits  par  les  inon- 
dations ou  les  érosions  de  la  côte,  depuis  le  trei- 
zième siècle.  Les  terrains  reconquis  par  l'iioinine 
n'atteignent  pas  une  superficie  aussi  considérable, 
38UU  kilomètres  carrés  seulement,  mais  la  valeur 
en  est  bien  supérieure  à  celle  des  terrains  perdus. 
Polders.  —  On  donne  le  nom  de  polders  à  ces 
terrains  bas  débarrassés  des  eaux  qui  les  recou- 
vraient, et  mis  en  culture.  Après  la  construction 
des  digues  qui  les  entourent,  les  eaux  en  sont 
épuisées  par  des  moulins  à  vent  (très  nombreux 
dans  les  Pavs-bas  pour  les  difl'érents  travaux  de- 
luandant  de  la  furce  motrice)  et  déversées  dans  des 
canaux  d'écoulement. 
C'est  ainsi  qu'on  a  transformé  en  terres  fertiles 


PAYS-BAS 


—  1534 


PAYS-BAS 


l'ancien  lac  ou  mer  de  Har/em,  vaste  de  180  kilo- 
mètres carrés.  L'arcliipel  de  Biesboscli,  presque 
aussi  vaste,  sera  reconquis  à  son  tour.  Ailleurs  on 
profile  des  apports  de  la  mer  pour  constituer  un 
nouveau  terrain  solide.  Ainsi  une  digue  construite 
entre  la  Frise  et  l'ile  voisine  d'Ameland  arrête  les 
sables  qu'y  charrie  l'Océan  et  ne  tardera  pas  à 
remblayer  le  détroit  qui  sépare  actuellement  l'ile 
du  continent. 

Le  projet  le  plus  important  dans  ce  genre  do 
travaux  doit  séparer  de  l'Océan  toute  la  partie 
méridionale  du  Zuiderzée  et  y  créer  près  de 
200000  hectares  de  terrain  cultivable. 

Pour  fertiliser  toutes  ces  terres,  les  Hollandais 
ont  à  leur  disposition  les  18  millions  de  mètres 
cubes  d'alluvions  fertilisantes  que  le  Rhin,  la 
Meuse  et  l'Escaut  vontcncore  perdre  chaque  année 
à  la  mer. 

Climat.  —  Traversés  par  le  3' degré  de  longitude 
E.  de  Paiis  et  le  5'2'  de  latitude  N.,  les  Pays-Bas 
appartiennent  par  leur  situation  géographique  h  la 
zone  tempérée.  Le  voisinage  de  lOccaii  y  modère 
les  variations  de  température  ;  il  ne  fait  jamais  ni 
trop  chaud,  ni  trop  Iroid  en  Hollande.  La  tempé- 
rature moyenne  de  La  Haye  est  de  18  à  19"  cen- 
tigrades pendant  l'été,  et  de  3  à  'i"  au-dessus  de 
zéro  prndant  l'hiver.  La  pluie  n')  tombe  pas  en 
grande  abondance,  GS  centimètres  d'eau  seulement 
dans  toute  l'année.  Cela  n'empêche  pas  le  climat 
d'être  excessivement  humide,  à  cause  des  brumes 
de  la  mer,  et  de  la  grande  étendue  des  tourbières, 
lacs  et  canaux  couverts  d'eau.  Aussi  est-il  loin 
d'Être  sain,  l.a  vie  moyenne  est  assez  courte  en 
Hollande  (en  dessous  de  40  ans),  et  la  uionalité 
par  les  fièvres  très  fréquente. 

C'est  par  une  propreté  excessive  que  les  Hollan- 
dais luttent  contre  ces  conditions  défavorables. 
Partout  les  maisons,  les  étables  même,  sont  entre- 
tenues et  nettoyées  avec  des  soins  minutieux,  qui 
paraissent  quelquefois  ridicules  aux  étrangers. 

Fleuves.  —  Les  fleuves  qui  traversent  les  Pays- 
Bas  ont  bien  des  fois  déplacé  leur  cours  au  travers 
des  campagnes  basses  qu'ils  arrosent.  Tandis  que 
<lans  notre  hémisphère  les  fleuves  tendent  en  gé- 
néral, à  cause  du  niouvemetit  de  rotation  du  globe, 
à  se  détourner  vers  leur  droite,  c'est  au  contraire 
vers  leur  gauche  que  se  déplacent  les  cours  d'oau 
de  Hollande.  Gt-la  tient  à  ce  que  les  marées  sont 
beaucoup  plus  fortes  au  sud  de  la  Hollande,  vers 
l'embouchure  de  l'Escaut,  qu'à  la  latitude  du  Zui- 
derzée. Il  en  résulte  qu'au  moment  du  jusant,  les 
fleuves  descendent  vers  le  point  de  lOccan  où  la 
mer  est  au  niveau  le  plus  bas,  c'est-i-dire  au  sud  ; 
et,  au  moment  du  flot,  c'est  encore  du  môme  cùté 
que  se  font  sentir  le  plus  fortement  les  courants 
de  marée  et  que  se  creusent  davantage  les  chenaux. 
Tandis  que  la  direction  générale  suivie  par  le 
Rhin  à  travers  la  Prusse  rhénane  le  conduirait  au 
N.-O.  dans  le  Zuiderzée,  c'est  la  branche  la  plus 
faible  du  fleuve,  VYssel,  qui  suit  cette  voie  en  tra- 
versant la  Gueldre,  où  elle  rencontre  successive- 
ment les  villes  de  Deventer  et  de  Zwolle. 

L'Yssel  n'est  considérable  qu'en  temps  du  crue. 
La  plus  grande  masse  des  eaux  du  fleuve  s'infléchit 
i  l'ouest:  l'une  de  ses  branches,  le  Waluil,  passe  à 
Mmègue,  célèbre  par  le  traité  de  la  fin  du 
xvii'  siècle,  et  va  se  mêler  à  la  Meuse  un  peu  en 
amont  de  Gorcuui;  la  seconde,  le  Leic,  après  avoir 
arrosé  Arnheim.  se  partage  encore  en  deux  nou- 
veaux canaux,  i.e.  plus  faible  se  dirige  au  N.-O., 
passe  h  Utrecht  tt  à  Lcyile  et  va  finir  dans  la  mer 
du  Nord,  non  loin  de  cette  dernière  ville.  C'est  le 
seul  qui,  jusqu'à  son  enibouihure,  garde  le  nom 
de  Rhin.  La  grande  masse  du  Lek  se  mêle  ù,  la 
Meuse  en  amont  de  Rotterdam  et  va  tomber  dans 
la  mer  du  Nord  à  l'ouest  de  cette  ville.  Elle  ali- 
mente les  canaux  qui  divisent  la  Hollande  méri- 
dionale en  un  grand  nombre  d'îles. 


La  Meuse,  partageant  le  Limbourg  entre  la  Bel- 
gique et  les  Pays-Bas,  passe  au  pied  des  remparts 
de  Maestricht,  la  capitale  du  Limbourg  hollandais, 
puis  elle  coule  au  N.-E.  par  Rurenumde  i-t  Venlo, 
comme  si  elle  allait  se  joindre  au  Rhin  vers  Wé- 
sel,  mais,  à  Venlo,  elle  se  recourbe  au  N.-O.,  puis 
à  l'O.,  pour  mêler  ses  eaux  Scelles  du  Rhin,  ainsi 
que  nous  l'avons  vu  plus  haut. 

Quant  kVEscuut.  il  enveloppe  de  ses  eaux,  cou- 
lant dans  de  véritables  bras  de  mer,  les  îles  de  la 
Zélande,  la  plus  méridionale  des  provinces  qui  se 
sont  unies  pour  former  le  royaume  des  Pays-Bas. 
A  gauche  de  l'Escaut  occidental  s'ouvre  le  port  da 
Terneuze,  où  aboutit  le  canal  du  sas  de  Gand  ;  à 
droite  de  la  même  branche,  Flessingue  i  êve  d'en- 
lever à  Anvers  son  giand  rôle  maritime.  Le  che- 
min de  fer  qui  relie  Flessingue  au  continent  tra- 
verse l'Escaut  oriental,  que  des  bancs  de  sable 
envahissent  et  ferment  à  la  navigation  devant  la 
fameuse  citadelle  de  Berg-Op-Zoom. 

II.  Géographie  oomineroiale.  —  Canaux  de 
navirjalion.  —  Ces  rivières  navigables,  dont  on 
évalue  à  1  850  kilomètres  la  longueur  totale,  sont 
complétées  par  un  vaste  système  de  canaux,  dont 
le  développement  atteint  près  de  2  500  kilomètres. 
Ce  sont  les  vraies  artères  de  la  vie  en  Hollande. 
Elles  s'étendent  de  tous  les  cotés,  reliant  entre 
elles  toutes  les  villes  importantes,  traversant  les 
campagnes,  où  elles  permsttent  d'apporter  écono- 
miquement les  engrais  et  les  ainendements_  de 
toute  nature.  Quelques  familles  de  petits  négo- 
ciants ambulants,  en  Hollande  comme  en  Chine, 
n'ont  d'autre  demeure  que  leurs  bateaux.  Dans 
ce  pays,  tout  coupé  de  rivières,  de  canaux  d.e 
navigation  et  d'écoulement,  presque  partout  formé 
de  terres  molles  sans  consistance,  les  routes  sont 
coûteuses  à  construire.  Au  commencement  du  siè- 
cle, les  villes  les  plus  importantes  n'étaient  reliées 
entre  elles  par  aucune  route  de  terre  et  ne  co.ii- 
muniquaient  que  par  eau.  Aujourd'hui  les  routes 
suivent  surtout  le  haut  des  digues,  qui  fournissent 
aux  chaussées  une  base  solide  et  sont  garnies  de 
briques,  faute  d'autre  moyen  économique  d'em- 
pierrement. Quant  aux  chemins  de  fer,  ce  n'est 
que  tardivement  que  les  Hollandais  se  sont  mis  à 
l'œuvre  pour  constituer  leur  réseau,  persuadés 
qu'ds  étaient  que  les  routes  d'eau  étaient  pour 
eux  les  meilleures.  Maison  trouveraitdifiicilement 
ailleurs  que  sur  les  chemins  de  fer  hollandais 
des  travaux  d'art  où  l'on  ait  rencontré  plus  da 
difficultés  h.  vaincre,  et  dont  l'exécution  fasse  plus 
d'honneurauxiuïéniours.  Leponlde  Muei-dijk,s\a 
le  Hollandsche-Diep,  entre  Bréda  et  Dordrechl,  est 
une  merveille  de  hardiesse. 

Parmi  les  canaux  de  la  Hollande,  les  plus  impor- 
tants sont  ceux  qui  donnent  accès  à  la  navigation 
maritime. 

Depuis  une  soixantaine  d'années,  le  port  d  Am- 
sterdam, inaccessible  aux  grands  navires  par  la 
voie  du  Zuiderzée,  était  relié  à  la  mer  du  Nord, 
au  Helder,  par  le  canal  du  Nord,  profond  de  plu- 
sieurs mètres etqui  traverse  dans  toute salongucur 
iplus  de  80  kilomètres)  la  péninsule  de  Hollande. 
Mais,  ce  canal  devenant  à  son  tour  insuffisant, 
on  l'a  remplacé  par  un  canal  qui  se  dirige  tout 
droit  vers  l'Océan,  à  l'ouest  d'.\msterdam,  et  que 
peuvent  suivre  les  plus  forts  navires  actuellement 
en  usage.  La  Meuse,  à  l'ouest  de  Rotterdam,  e^t 
en  train  d'être  aussi  aniiiliorée  à  son  tour. 

Commerce  maritime.  —  C'est  par  la  marine  que 
les  Hollandais  ont  fondé  leur  puissance  et  acqtiis 
leurs  richesses.  Il  y  a  deux  ou  trois  siècles,  ils 
étaient  les  convoyours  des  nations  étrangères  sur 
toutes  les  mers  et  jouaient  le  rôle  dont  se  sont 
depuis  emparés  les  .\iiglais.  Leur  talent  pour  pê- 
cher et  pour  préparer  les  poissons,  tels  que  les 
harengs,  fournissait  à,  la  population  une  nourri- 
ture économique.  De  plus,  ils  avaient  suc:édo  aux 


PAYS-BAS 


—  1535 


PAYS-BAS 


Portugais  dans  le  rûle  de  grands  fondateurs  de 
colonies,  et,  actuellement  encore,  ils  possèdent 
dans  l'archipel  asiatique  un  empire  colonial  beau- 
coup plus  vaste,  plus  peuplé  et  plus  productif  que 
la  mère  patrie.  (V.  Colonies.) 

C'est  de  Java  que  l'on  tirait  naguère  encore 
tontes  les  ressources  nécessaires  pour  soulenir 
rc(iuilibre  du  budget  de  la  métropole,  sans  con- 
tracter des  emprunts  comme  tous  les  autres  États 
européens. 

Actuellement  lo  rôle  maritime  des  Pays-Bas  a 
beaucoup  perdu  de  son  importance  relativement  Ji 
celui  dos  autres  États,  tant  sous  le  rapport  du 
tonnage  de  la  flotte  commerciale  que  sous  celui 
du  trafic  effectué  par  cette  flotte.  Mais  d'une  ma- 
nière absolue,  il  n'a  pas  décru.  Les  relations  sont 
très  actives  entre  les  Pays-Bas  et  les  colonies  de 
la  Malaisie,  et  entre  l"s  P.iys-Bas  et  les  contrées 
maritimes  voisines  :  la  Belgique,  l'Allemagne, 
la  Piussie,  et  la  Grande-Bretagne.  Les  Anglais 
viennent  clierclier  li  beaucoup  d'approvisionne- 
ments :  beurre,  fromage,  bétail,  œufs,  volailles, 
dont  ils  manquent  cliez  eux.  L'Allemagne  expédie 
aussi  par  les  Pays-Bas  une  partie  de  ses  mar- 
chandises lourdes.  Les  radeaux  de  bois  qui  des- 
cendent le  Rhin  s'arrêtent  à  Dordrecht,  où  ils  sont 
dépecés,  et  leurs  billes  de  bois  livrées  aux  mou- 
lins à  vontdu  voisinage  y  sont  débitées  sous  toutes 
les  formes.  Les  navii-es  de  mer  se  chargent  a  Rd- 
lerdam,  le  plus  actif  des  ports  de  commerce  delà 
Hollande,  qui  entretient  des  relations  avec  le  Congo 
et  autres  pays  ;  les  bateaux  qui  remontent  vers 
l'Allemagne,  y  reportent,  entre  autres  matières 
de  chargement,  des  minerais  importés  d'outre- 
mer pour  les  usines  de  la  Prusse  rîiénano. 

Après  Rotterdam,  ville  de  près  de  l.joouO  habi- 
tants, le  plus  imporlant  des  ports  est  celui  d'.'li«- 
stefdam  ;  cette  ville,  qui  est  la  plus  peuplée  du 
royaume  (.'ÎOO  000  hab.),  en  est  véritablement  la 
capitale,  bien  qu'elle  ne  soit  la  résidence  ni  du 
souverain,  ni  des  chambres,  ni  du  corps  diploma- 
tique, qui  résident   et    siègent    k    La  Haye. 

Bien  placée  à  l'angle  S.-O.  du  Zuiderzée,  au 
point  où  les  bouches  du  Rhin  et  de  la  Meuse  sont 
les  plus  voisines  de  ce  golfe,  Amsterdam  tire  son 
nom  de  la  rivière  d'Amstel,  qui  débouche  dans  le 
golfe  de  l'Y,  baie  secondaire  du  Zuiderzée. 

Ce  n'est  pas  une  ville  remontant  au  temps  des 
Romains,  comme  Nimègue  ou  Leyde  ;  ses  dé- 
buts no  datent  que  de  cinq  cents  ans  environ; 
mais  elle  a  déjà  occupé  et  occupe  encore  une 
grande  place  dans  le  monde  commercial  pour  les 
atTaires  de  banque  ;  aujourd'hui  on  y  fabrique  des 
machines  hydrauliques ei  autres;  les  constructions 
navales,  les  rafflneries  de  sucre,  les  distilleries 
et  fabriques  de  liqueurs  y  sont  considérables. 
Centre  dos  beaux-arts  en  Hollande,  Amsterdam 
possède  des  collections  admirables  de  tableaux; 
pendant  lon;;temps  c'est  à  Amsterdam  qu'on  pu- 
bliait les  belles  éditions,  ou  les  livres  que  la  cen- 
sure eût  interdits  dans  les  pays  voisins  soumis  à 
un  régime  moins  libéral.  On  fabrique  encore  dans 
les  environs  de  beau  papier,  qui  est  recherché  par 
les  libraires  étrangers.  Enfin  cette  ville  a  eu  long- 
temps le  monopole  de  la  taille  des  diamants. 

Il  a  fallu  bien  des  efforts  pour  élever  une  ville 
aussi  considérable  etaussi  importante  sur  nn  vérita 
ble  marécage,  où  les  maisons,  i  eposant  toutes  sur 
des  masses  de  pilotis,  ont  fait  comparer  la  ville  h 
une  forêt  sans  branchage  i  eiournée  sens  dessus  des- 
sous. Erasme  disait  connaître  une  ville  »  dont  les 
habitants  vivaient  comme  des  corbeaux  perchés 
sur  des  arbres.  » 

Coupée  de  nombreux  canaux,  Amsterdam  a  été 
comparée  i  Venise  ;  très  juste  sur  un  plan,  cette 
comparaison  cesse  d'être  vraie  quand  on  passe  du 
beau  ciel  et  de  l'atmosphère  limpide  de  l'Adria- 
tique aux  brunies  de  la  mer  du  Nord.  La  capitale 


de  la  Il(dlande  est  une  des  villes  les  plus  malsaines 
et  les  plus  atteintes  par  ks  épidémies  qu'on 
puisse  rencontrer  en  Europe. 

Avec  le  liekler,  qui  offre  une  bonne  radeàl'en- 
trée  du  Zuiderzée,  et  Fli'xsiîigue,  dont  nous  avons 
dit  les  prétentions,  voilà  les  principaux  ports  de 
commerce  de  la  Hollande. 

Ses  ports  de  rivière  sont  beaucoup  plus  nom- 
breux; il  faudrait  énumorer  presque  toutes  les 
villes  de  l'intérieur  :  Maesti'icld,  sur  la  Meuse, 
charge  de  nombreux  bateaux  de  la  craie  marneuse 
qui  forme  la  montagne  de  Saint-Pierre,  pour  aller 
combler  et  amender  les  polders  des  Pays-Bas; 
BoU-le-l.'uc,  la  capitale  du  Brabant  hollandais, 
importe  aussi  tant  de  matières  premières  pour  ses 
fabriques  diverses  de  toiles  et  de  draps,  que  l'ac- 
tivité de  son  port  peut  être  comparée  à  celle  des 
grands  ports  de  mers. 

III.  Géographie  industrielle  et  commerciale. 
—  Industrie.  —  Les  Pays-Bas  ne  sont  pas  un 
pays  de  grande  industrie,  comme  la  Belgique 
ou  l'Angleterre.  On  n'y  trouve  un  peu  de  houille 
que  dans  le  Limbonrg;  le  coiubustible  minéral  est 
fourni  par  les  tourbières  qui  occupent  encore  une 
vaste  superficie  ^des  milliers  d'hectares  dans  les 
provinces  orientales,  le  long  de  la  frontière  d'Al- 
lemagne, et  dans  la  Hollande  proprement  dite, 
entre  le  Rhin  et  le  Helder).  Attaquées  sur  une 
foule  de  points  par  les  agriculteurs,  qui  y  étendent 
leurs  domaines,  les  tourbières  diminuent  sans 
cesse  d'étendue.  Ce  sont  les  moulins  à  vont  qui, 
en  Hollande,  remplacent  les  moteurs  à  vapeur  et 
les  chutes  d'eau  usitées  dans  les  autres  pays. 

Nous  avons  déjà  parlé  de  l'industrie  d'Amster- 
dam ;  Rotterdam  a  aussi  dans  ses  environs,  notam- 
ment à' Sc/aeJam,  de  ti-ès  nombreuses  distilleries. 
On  fabri(|ue  en  Hollande  beaucoup  de  briques  qui 
servent  au  pavage  des  routes  et  à  la  construction, 
et  des  poteries  \Delft,  entre  Rotterdam  etLa  Haye, 
a  eu  longtemps  une  grande  réputation  sous  ce 
dernier  rapport  ;  Maestricld  a  d'importantes  ver- 
reries. 

Les  toiles  de  Hollande  jouissaient  aussi  d'une 
grande  réputation.  Elles  venaient  en  partie  de 
Saxe  pour  être  blanchies  sur  les  prés  de  Ilaticm. 
La  mode  est  passée  des  velours  d'Utrec/it,  mais 
Leyde  fabrique  des  couvertures  de  laine  et  TU- 
bourg,  dans  le  Brabant,  des  draps. 

Agriculture.  —  C'est  l'^igriculture  qui  occupe 
le  plus  de  bras  et  fait  actuellement  la  prospéi'ité 
des  Pays-Bas.  Bien  que  la  sixième  partie  du  sol 
soit  recouverte  par  les  eaux  et  que  les  tourbières 
et  autres  terres  incultes  occupent  encore  une  plus 
vaste  étendue,  les  Pays-Bas  nourrissent  une  popu- 
lation de  près  de  4  millions  d'hommes  sur  un  ter- 
ritoire de  32  310  kilomètres  carres.  C'est  une 
population  spocilique  de  128  habitants  par  kilo- 
mètre, qui  n'est  dépassée  qu'en  Uelgique  et  dans 
le  royaume  de  Saxe. 

Les  prairies  occupent  on  Hollande  la  plus  grande 
partie  du  sol  cultivable  et  nourrissent  une  belle 
race  de  vaches  qui  sont  les  meilleures  laitières  du 
monde.  Le  fromage  et  le  beurre  qu'elles  fournis- 
sent sont  une  des  grandes  richesses  du  pays.  Les 
chevaux  de  la  Frise  sont  recherchés  pour  leur  légè- 
reté 01  leur  cléganre,  ceux  de  la  Zolande  pour  leur 
grande  taille  et   leur   force. 

On  cultive  aussi  en  Hollande  beaucoup  de  lin, 
du  tabac,  et  on  y  fait  beaucoup  de  jardinage.  Lus 
Holland;iis  recherchent  les  plantes  de  luxe  et 
sont  grands  amateurs  de  fleurs.  Harlem  était  le 
pays  de  proJnct  on  de  ces  fameuses  tulipes  qui 
atteignaient  di'S  prix  fabuleux.  Les  pommes  de 
terre  réussissent  bien  dans  les  terres  sablon- 
neuses, et  l'espèce  en  est  fort  recherchée  dans 
les   pays  étrangers. 

Malheureusement  les  forêts  sont  peu  étendues 
dans  cepiys;  elles  ont  disparu  du  littoral  qu'elles 


PAYS-BAS 


—  1336  — 


PAYS-BAS 


recouvraient  presque  entièrement  autrefois  et  oi 
elles  pouvaient  avantageusement  garnir  les  dune 
sablonneuses  et  autres  landes  incultes.  La  H'ii/e 
la  capitale,  a  été  bâtie  au  milieu  d'une  des  rare- 
forêts  conservées,  qui  fait  précisément  le  charme 
de  cette  résidence. 

IV.  Géographie  politique.  —  Divisions.  —  Le 
royaume  des  Pays-Bas  est  formé  de  la  réunion 
de  onze  provinces  : 

A  l'ouest  du  Zuiderzce  :  la  Hollande  septentrio- 
nale, chef-lieu  Harlem,  et  la  Hollande  méridio- 
nale, chef-lieu  La  Haye. 

A  l'est  du  Zuiderzce  :  Groningue,  chef-lieu  Gro- 
ningue  ;  la  Frise,  chef-lieu  Leeuvvarden  ;  Drenthe, 
chef-lieu  Assen  ;  Over-Yssel,  chef-lieu  Zwolle  ; 
Giielilre,  chef-lieu  Arnheim. 

Au  sud  du  Zuiderzée  :  Wrec/if,  chef-lieu  Utrecht. 

Au  sud  du  royaume,  le  long  de  la  Belgique,  lu 
Zélande,  chef-lieu  Middelbourg,  presque  entière- 
ment formée  des  îles  entourées  par  les  bouches 
de  l'Escaut  ;  le  Bruljunl  hollandais  ou  septentrio- 
nal, chef-lieu  Bois-le-Duc,  et  le  Limbuurg  hullan- 
duis,  chef-lieu  Maestricht. 

De  toutes  ces  provinces,  la  Hollande  est  la  plus 
riche,  la  plus  peuplée  et  a  joué  historiquement  le 
plus  grand  rôle.  C'est  pourquoi  ou  dit  très  sou- 
vent la  Hollande  en  parlant  du  royaume  toutentier. 

Population.  —  La  population  est  très  inégale- 
ment répartie  entre  ces  diverses  provinces  :  de 
250  habitants  en  moyenne  par  kilomètre  carré 
dans  les  deux  provinces  de  Hollande,  de  plus  de 
lOi)  dans  Ltrecht,  la  Zélande,  le  Limbourg  et  Gro- 
ningue, elle  descend  jusqu'à  44  habitants  seule- 
ment au  milieu  des  tourbières  de  la  Drenthe. 

Celte  population,  d'origine  frisonne,  franqne  et 
saxonne  (c'est  sur  son  territoire  qu'habiiaient 
les  Francs  Salions,  auteurs  de  la  loi  saliquc^,  s'est 
mélangée  dans  les  temps  modernes  d'émigrés 
fuyant  la  persécution  politique  ou  religieuse,  pro- 
testants français  émigrés  à  la  suite  de  la  révocation 
de  l'édit  de  Nantes,  Juifs  portugais,  etc.  Dans  la 
ville  de  Maestricht,  le  français  est  parlé  par  la 
moiiié  des  habitants. 

La  religion  protestante  domine  actuellement 
dans  les  Pays-Bas.  On  y  compte  2  2(J0  nOU  protes- 
tanis,  1  3U0  ÛOU  catholiques,  70  000  Israélites.  C'est 
en  Hollande  qu'a  pris  naissance  la  secte  des  frères 
Muraves. 

Gra?ides  villes.  —  Trois  villes  seulement  ont 
une  population  supérieure  à  100  000  habitants  : 
Amsterdam,  300  000;  Rotterdam,  HO  000;  Lh 
Haye,  UOUOO. 

Uliecht,  célèbre  dans  l'histoire  par  l'union  qui 
y  fut  conclue  en  l5T.i,  entre  les  diverses  provinces 
néerlandaises,  pour  former  une  république  fédé- 
rale, puis  par  le  traiié  de  1713,  qui  mit  fin  à  la 
guerre  de  la  succession  d'Kspagne;  Utrecht,  où 
les  Etats-Généraux  de  la  Hollande  se  réuniront 
jusqu'à  ce  qu'ils  fussent  transférés  à  La  Haye,  est 
une  ville  de  70  000  âmes.  C'est  le  siège  de  l'ar- 
chevêché catholique  de  la  Hollande  et  celui  de 
l'archevêque  des  vieux  catholiques.  C'est  en  même 
temps  le  »iège  de  l'une  des  quatre  universités  du 
royaume.  Les  trois  autres  sont  h  Amsterdam,  Lei/de 
et  GiO/.iHjue.  (Ces  deux  dernières  villes  renferment 
chacune  une  quarantaine  de  mille  ànies.) 

Gniivemement.  —  Le  royaume  des  Pays-Bas 
forme  une  monarchie  constitutionnelle  héréditaire. 
Le  roi  nomme  le  bourgmestre  de  chaque  com- 
mune, dont  le  co/iseil  municipal  est  élu  par  les 
électeurs  payant  un  certain  cens.  Le  suffrage  n'est 
donc  pas  universel. 

Le  roi  nomme  aussi  les  commissaires  présidant 
les  conseils  de  chaque  province  ou  Etats  provin- 
ciaux, dont  les  membres  sont  choisis  par  des  élec- 
teurs astreints  à  payer  un  cens  plus  élevé  et  à 
avoir  atteint  un  âge  plus  avancé  que  les  simples 
cliicteurs  municipaux. 


Les  mêmes  électeurs  nomment  la  deuxième 
5  Charnière  législative  Avi  royaume.  Mais,  au  lieu  de 
coïncider  avec  les  limites  des  provinces,  les  dis- 
tricts électoraux  sont  découpés  dans  la  surface  de 
tout  le  royaume,  de  façon  que  chaque  député  re- 
présente un  même  nombre  d'habitants. 

La  première  chambre,  qui  forme  avec  les  députes 
Vasseuiblée  des  Etat^-Généraui,  Cat  nommée  par 
les  Etats  provinciaux  et  choisie  parmi  les  plus  fort 
imposés  du  royaume.  Elle  accepte  ou  rejette  en 
bloc  les  lois  votées  par  les  députés. 

La  Hollande  a  rayé  la  peine  de  mort  de  son 
code  criminel.  Elle  n'est  pas  soumise  au  service 
militaire  universel.  L'armée  est  alimentée  par  je 
recrutement  volontaire  et  la  conscription.  L'armée 
coloniale,  composée  de  volontaires  et  de  merce- 
naires étrangers,  est  distincte  de  l'armée  euro- 
péenne, j     ,     D  I 

Puissance  coloniale.  —  Les  colonies  de  la  Hol- 
lande dépassent  cinquante  fois  l'étendue  de  la 
métropole,  et  la  population  en  est  sept  fois  aussi 
considérable  que  celle  de  la  Hollande.  Comme 
puissance  coloniale,  la  Hollande  n'est  surpassée 
que  par  la  Grande-Bretagne.  . 

Grand-duché  de  Luxembourg.  —  Cet  Etat,  situé 
entre  la  Belgique,  la  France  et  l'empire  d'Alle- 
magne, a  pour  souverain  le  roi  des  Pays-Bas,  mais 
il  ne  fait  pas  partie  de  ce  ro\  aume.  Il  a  une  con- 
stitution et  une  administration  distinctes.  Il  est 
gouverné  par  un  lieutenant  représentant  le  roi 
grand-duc  et  par  une  chambre  des  députés  élective. 

De  ISIô  jusqu'en  ItiHè,  le  Luxembourg  a  fait 
partie  de  la  confédération  germanique  ;  sa  capi- 
tale, Luxembourg,  était  une  forteresse  fédérale, 
où  la  Prusse  tenait  garnison.  Depuis  1867,  ce  droit 
a  été  aboli,  le  grand-duché  a  été  neutralise  et  les 
fortifications  du  Luxembourg  rasées.  Mais  1  Etat 
est  encore  uni  à  l'Allemagne  sous  le  rapport  doua- 
nier il  fait  panie  du  Zollve-ein.  Sa  superficie  est 
de  2587  kilomètres  carrés,  et  sa  population  de 
205000  habitants.  La  densité  en  est  donc  à  peu 
près  la  même  que  celle  de  la  France. 

Les  Luxembourgeois  sont  presque  exclusivement 
catholiques.  Sous  le  rapport  de  la  langue,  ils  i>ont 
partagés  entre  l'allemand  et  le  français. 

Luxembourg, \<>.  seule  ville  importante  du  grand- 
duché,  a  une  quinzaine  de  mille  âmes.  Elle  est 
pittoresquement  située  sur  l'AIzette,  qui,  par  la 
Saueret  l'Our,  va  rejoindre  la  Moselle.  Ces  rivières 
découpent  profondément  les  plateaux  élevés  et 
boisés  des  Ardennes,  dont  fait  partie  le  grand- 
duché.  Sur  une  partie  de  leur  cours,  la  Moselle  et 
l'Our  le  séparent  de  la  Prusse  rhénane. 

"^  [G.   Meissas.] 

PAYS-BAS  (HisTOiiiE,  Lettres  et  Arts).  --His- 
toire générale,  XXXI;  Littér  étrangère,  XlX.  - 
Parmi  les  petits  Etals  que  l'cquihbro  européen  a 
laissés  subsister  jusqu'ici  au  milieu  des  grandes 
puissances,  il  y  en  a  peu  dont  l'histoire  soit  plus 
intéressante  que  celle  des  33  000  kilomètres  car 
rés  avec  leur  population  d  environ  4  millions 
d'hkbitants,  qui  forment  depuis  1813,  ou  pour 
mieux  dire  depuis  la  cession  ^e  la  Belgique  en 
18.30,1e  royaume  des  Pags-Ba-:  (Nederland..  Les 
Néerlandais  aiment  à  faire  remonter  les  origines 
de  leur  nation  à  ces  peuplades  g<''''"^"''l»f  '  ^l";- 
sous  le  nom  de  Bataves,  de  Frisons,  de  Kanme- 
phates,  de  Nerviens  et  sous  d'autres  encore  des- 
cendirent les  grands  fleuves  de  1  Allemagne,  à  | 
une  époque  impossible  à.P™"^*^-- «'P^^A" '^'' 
sons  inconnues,  pour  s'établir  sur  les  bo^ds  sa- 
blonneux de  la  mer  du  Nord  et  sur  les  a  temsse- 
ments  du  Rhin,  du  Wahal  et  de  la  Meuse  Les 
noms  de  Friso  et  de  Bato  se  sont  conserves  sinon 
dans  les  légendes  populaires,  du  moins  dans  le 
langage  des  poètes,  comme  ceux  des  Pal"»'<^ocs 
mythiques  de  ce  peuple  vaillant,  actif,  tenace  qu 
n'a  jamais  cessé  de  disputer  son  sol  aux  vagues  et 


PAYS-BAS 


1537  — 


PAYS-BAS 


sa  liberté  aux  tyrans.  Les  légions  romaines,  que 
l'irrésistible  César  avait  fait  pénétrer  jusque  dans 
ces  marécages  boisés  et  jusque  sous  ce  ciel  bru- 
meux, eurent  à  enregistrer  parmi  leurs  défaites 
celles  que  leur  infligèrent  les  Frisons,  l'an  28,  et 
les  Bataves,  l'an  (iO  après  J.-C. 

La  conquête  romaine  laissa  peu  de  traces  dans 
cette  plaine  détrempée.  Par  contre,  la  grande  inva- 
sion des  Barbares,  au  iv  et  au  V  siècle,  germa- 
nisa complètement  ces  contrées.  Les  Francs,  au 
midi,  et,  plus  tard,  les  Saxons,  à  l'est,  ne  tardè- 
rent pas  à  englober  les  anciens  liabitants,  au  point 
de  faire  disparaître  les  anciens  noms  de  Bataves, 
de  Nerviens,  etc.  Les  Frisons  seuls  réussirent  h  se 
maintenir  au  Nord.  Cependant  eux  aussi  durent 
se  courber  sous  le  sceptre  de  Cliarlemagne  ("85). 
Et  lorsque  les  Saxons  se  furent  soumis  à  leur 
tour  en  804,  les  Pays-Bas  n'étaient  plus  qu'une 
province  du  grand  empire  des  Francs.  Le  traité  de 
Verdun,  en  84.'!,  partagea  le  pays  entre  Lotbaire 
et  Charles  le  Chauve.  Plus  tard  la  portion  de  Lo- 
tbaire, la  plus  grande  des  doux,  passa  à  l'Allema- 
gne, et  l'empereur  d'Allemagne  resta,  pendant  preS' 
que  tout  le  moyen  âge,  le  principal  suzerain  des 
fiefs  nombreux  que  le  système  féodal  avait  créés 
sur  tous  les  points  du  pays.  Des  traités  de  cession 
et  des  héritages  limitèrent  assez  vite  le  nombre 
de  ces  principautés,  au  point  que  déjà  au  xii'  siè- 
cle la  presque  totalité  du  pays  se  trouva  répartie 
entre  trois  chefs  :  le  comte  de  Gueidre,  le  comte 
de  Hollande  et  l'évoque  d'Utrecht. 

La  Hollande  proprement  dite,  à  laquelle  se  joi- 
gnit en  13;.'3  la  Zélande,  cojistituait  depuis  1018  un 
fief  héréditaire  dont  la  puissance  et  la  prospérité 
ne  firent  que  s'accroître  et  dont  les  seigneurs  ne 
redoutèrent  pas  de  se  mettre,  à  plusieurs  repri- 
ses, en  guerre  ouverte  avec  leur  suzerain.  Tempe- 


parable  entre  les  deux  groupes  de  provinces  ot 
enlever  pour  toujours  sept  d'entre  elles  à  la  cou- 
ronne de  Habsbourg.  Ce  fut  la  réforme  religieuse 
dont  Luther  venait  de  donner  le  signal  ot  qui  ne 
tarda  pas  à  gagner  les  Pays-Bas,  d'abord  du  côté 
de  l'Allemagne,  mais  bienlùt  aussi,  et  avec  plus  de 
succès,  du  côté  de  la  France  et  de  Genève.  Charles 
combattit  de  toutes  ses  forces  un  mouvement  qui 
venait  à  rencontre  de  ses  projets  d'unification  ; 
l'histoire  prétend  même  que  le  nombre  des  mar- 
tyrs du  protestantisme  s  éleva  sous  son  règne  à 
50,000.  L'esprit  de  centralisation  l'amena  en  outre 
à  élaborer  une  codification  des  droits  et  des  privi- 
lèges que  possédaient  les  Etats  particuliers  et  le» 
villes,  qui  équivalait  pour  plusieurs  d'entre  eux  à 
la  suppression  de  ces  privilèges.  Des  demandes 
fréquentes  d'argent  et  des  contributions  fort  oné- 
reuses achevèrent  de  réveiller  partout  un  esprit  de 
mécontentement,  que  la  popularité  de  Charles  et  le 
prestige  de  son  règne  empêchèrent  pour  le  mo- 
ment de  se  changer  en  esprit  de  révolte,  mais  qui 
ne  tarda  pas  i  engendrer  des  haines  implacables 
lorsque  le  vieillard  fatigué  eut  abdiqué,  en  1555, 
en  faveur  de  son  fils. 

Celui-ci,  Philippe  II,  roi  d'Espagne,  se  fit  repré- 
senter dans  les  Pays-Bas  par  sa  sœur  Marguerite 
de  Parme,  qui  résidait  à  Bruxelles.  Il  eut  le  bon 
esprit  de  nommer  en  outre  quelques  lieutenants 
(stadhouders)  connus  et  aimés  de  la  population, 
entre  autres  Guillaume  d'Orange  pour  la  Hollande, 
la  Zélande  et  Utrecht.  Il  alla  même  jusqu'A  ratifier 
solennellement  tous  les  privilèges  de  ses  nouveaux 
sujets.  Mais  bientôt  des  actes  arbitraires,  tels  que 
la  division  des  Pays-Bas  en  dix-huit  évêchés,  l'éta- 
blissement du  terrible  tribunal  de  l'inquisition  et 
l'interdiction  de  la  liberté  de  culte  et  de  conscience 
aux  réformés,  rendirent  ce  serment  illusoire.   En 


reur    d'Allemagne.   Elle  eut   successivement    des  I  vain   trois  ou  quatre  cents  nobles,  unis  par  une 


comtes  de  la  maison  de  Hollande  (1018-1299),  des 
maisons  de  Hainaut,  de  Bavière,  de  Bourgogne,  et, 
|i  ir  suite  du  mariage  de  Marie,  fille  de  Charles  le 
Téméraire,  avec  l'empereur  Maximilien,  de  la  mai- 
son d'Autriche  (I46'M581j.  Plusieurs  des  comtes 
de  la  maison  de  Hollande,  parmi  lesquels  nous 
citerons  Floris  V,  accordèrent  aux  villes  de  pré- 
cieux privilèges  afin  d'opposer  un  contrepoids  aux 
prétentions  des  nobles  ;  quelques-uns  d'entre  eux 
se  distinguèrent  dans  les  croisades.  Le  règne  des 
maisons  de  Hainaut  et  de  Bavière  coïncida  avec  une 
déplorable  guerre  civile  de  longue  haleine,  connue 
sous  le  nom  de  troubles  des  Hoeks  (hameçons)  et 
des  Cabillauds.  Le  règne  des  riches  et  puissants 
ducs  de  Bourgogne  jeta  les  bases  de  cette  prospé- 
rité fabuleuse  et  de  cette  puissante  organisation 
qui  furent  plus  tard  la  gloire  et  la  force  des  Pays- 
Bas.  Enfin,  le  plus  glorieux  rejeton  de  la  maison 
d'Autriche,  Charles-Quint,  réussit  à  conclure  des 
traités  de  cession  qui  firent  passer  successivement 
en  son  pouvoir  la  Frise,  Groningue,  la  Gueidre, 
Drenthe,  l'Overyssel  et  Utrecht.  En  154:),  ce  grand 
empereur  possédait  la  seigneurie  des  dix-sept  pro- 
vinces néerlandaises  qui  forment  actuellement  les 
Pays-Bas  et  la  Belgique. 

Cette  union  personnelle  se  changea  en  unité 
politique  par  suite  du  traité  d'Augsbourg  en  1548; 
et  Charles  n'eut  qu'un  rêve,  celui  d'assurer  à  sa 
dynastie  la  possession  de  ces  belles  provinces,  que 
les  flots  des  événements  politiques,  partis  de  pla- 
ges diverses,  venaient  de  dépo-er  à  ses  pieds.  11  y 
?ii?i'  A*^  ''•"'*'  '^"t®""  ""  prince.  L'agricultuie  et 
l'élève  du  bétail  enrichissaient  la  campagne  autant 
fl?{f 'e  commerce  et  l'hidustrie  enrichissaient  les 
Tilles.  Dans  un  espace  de  neuf  ans,  Charles  re'ira 
un  bénéfice  net  de  40  millions  de  florins  de  ses 
nouveaux  Etats 


alliance  qui  portait  le  nom  de  o  compromis  »,  pre- 
sentèrent-ils  une  requête  k  la  gouvernante.  L'Es- 
pagne n'avait  que  du  dédain  pour  ces  o  gueux  », 
et  bientôt  les  excès  d'une  populace  iconoclaste  lui 
fournirent  un  prétexte  pour  redoubler  de  sévérité. 
L'arrivée  du  duc  d'Albe,  le  digne  serviteur  d'un 
maître  soupçonneux,  fanatique  et  cruel,  en  1567, 
déchaîna  sur  le  pays  cette  terrible  guerre  d'indé- 
pendance qui  dura  quatre-vingts  ans  et  d'où  l'Es- 
pagne sortit  affaiblie  et  humiliée,  tandis  que  les 
Pays-Bas  y  déployèrent  une  énergie  indomptable 
et  y  montrèrent  cet  amour  invincible  de  la  liberté 
qui  a  élevé  ce  petit  peuple  au  rang  de  nation  mo- 
dèle. L'exécution  des  comtes  d'Egmont  et  de 
Horn  h  Bruxelles,  en  1588,  équivalait  à  une  décla- 
ration do  guerre.  Guillaume  d'Orange,  qui  s'était 
réfugié  en  Allemagne,  y  rassembla  bientôt^  une 
armée,  à  laquelle  ses  vaillants  frères,  Louis  et 
Adolphe  de  Nassau,  firent  passer  la  frontière. 

Nous  ne  pouvons  songer  à  raconter  ici  toutes 
les  péripéties  de  cette  guerre,  qui  vit  tomber 
tant  de  nobles  héros,  mais  qu  cimenta  cette 
union  étroite  entre  les  Pays-Bas  et  la  maison 
d'Oiange  que  les  Hollandais  considèrent  aujour- 
d'hui encore  comme  un  des  gages  les  plus  sûrs 
de  leur  indépendance.  Au  début,  les  chefs  de 
l'opposition,  tout  en  accentuant  fortement  leur 
haine  contre  le  duc  d'Albe,  essayèrent  de  se 
persuader  à  eux-mêmes  et  aux  autres  qu'ils  combat- 
taient pour  le  roi  d'Espagne,  leur  seigneur  légi- 
time. Mais  les  événements  ne  tardèrent  pas  k 
dissiper  ces  illusions  et  ces  scrupules.  La  révoca- 
tion du  duc  d'Albe,  qui  se  vantait  d'avoir  livré 
16,000  hommes  au  bourreau,  en  1573,  ne  changea 
rien  à  la  situation.  Son  départ  la  compliqua 
même  en  ce  sons  que  les  sympathies  espagnoles 
I  gagnaient  du  terrain  dans  les  provinces  du  sud. 
Mais  l'histoire  avait  déjà  vu  se  produire  un  évé-  tandis  que  celles  du  nord,  bien  plus  protestantes, 
nement  qui,  joint  à  d'autres  circonstances,  devait  I  sentaient  leur  antipathie  pour  l'oppression  se 
amener,  quarante  ans  plus  tard,  un  schisme  irré-  doubler  d'un  peu  de  méfiance  vis-à-vis  di:  leur.* 
2*  Partie.  97 


PAYS-BAS 


1538  — 


PAYS-BAS 


alliés.  Guillaume  d'Orange  et  ses  amis  essayèrent  l 
de  provenir  un  schisme  en  amenant  la  pacification 
de  Gand  en  15'5.  Mais  les  effets  de  celte  alliance 
ne  furent  pas  durables.  En  lb'9,  les  délégués  des 
sept  provinces  du  nord  conclurent  la  célèbre 
Union  d'Ulreclit,  qui  fut  le  point  de  départ  de 
l'existence  indépendante  de  la  République  des 
Pays-Bas  unis.  En  15S1,  une  abjuration  solennelle 
mit  fin  à  la  souveraineté  du  roi  d'Espagne  sur  ces 
contrées,  et  en  15S8  la  République  fut  définilive- 
ment  fondée  et  organisée.  Mais  déjà  celui  qui  avait 
été  le  principal  promoteur  de  cette  œuvre,  Guil- 
laume d'Orange,  avait  succombé  en  1584,  sous  la 
main  d'un  sicaire  fanatique. 

Plusieurs  provinces  élevèrent  aussitùt  au  rang 
de  stadliouder  son  fils,  le  prince  Maurice,  qui  se 
signala  surtout  comme  soldat  et  qui  enleva  plu- 
sieurs villes  à  l'ennemi.  Ce  fut  sous  son  stadhou- 
dérat  que  les  Pays-Bas  conclurent  avec  l'Espagne 
cette  trêve  do  douze  ans  (n;0'.M621),  qui  livra  la 
jeune  République  à  des  luttes  intérieures,  mi- 
poliiiques,  mi-religieuses,  connues  sous  le  nom 
de  querelles  des  Remonstrants  et  des  Contre- 
Reiuonstrants,  dont  le  vieux  «  pensionnaire  »  (c'est- 
à-dire  premier  magistrat)  des  États  de  Hollande, 
Oldenbarneveld.  fut  la  plus  illustre  victime.  Mais 
ces  troubles  n'empêchèrent  pas  les  Pays-Bas  de 
s'élever  pendant  ce  temps-là  à  un  degré  de  bien- 
être,  de  gloire  et  de  richesse,  qui  ne  fut  jamais 
dépassé.  Ce  fut  alors  que  la  fameuse  compagnie 
des  Grandes-Indes  fonda,  dans  l'Archipel  indien, 
le  pouvoir  colonial  des  Hollandais. 

Enfin,  sous  le  stadlioudérat  de  Frédéric-Henri, 
frère  et  successeur  de  Maurice,  la  paix  de  VVest- 
phalie,  conclue  en  1G48,  proclama  l'indépendance 
de  la  République  des  Pays-Bas,  et  lui  garantit  la 
libre  possession  de  toutes  ses  conquêtes.  Dès  lors 
l'Union  des  sept  provinces  se  sentait  assez  forte 
pour  s'engager  contre  l'Angleterre  dans  deux 
guerres  navales  (I(;51-1C54  et'l6ii5-lG6"),  qui  ont 
rendu  célèbres  les  noms  des  amiraux  Tromp,  de 
Ruyter,  van  Galen  et  Evertsen,  et  pour  tenir  tête 
au  puissant  roi  de  France,  Louis  XIV.  Celui-ci 
trouva  un  adversaire  redoutable  dans  la  personne 
de  Jean  de  Witt,  pensionnaire  des  Etats  de  Hol- 
lande, auteur  de  la  tiiple  alliance  entre  les  Pays- 
Bas,  l'Angleterre  et  la  Suéde,  en  1668,  le  véri- 
table chef  de  la  République  pendant  les  années 
qui  séparèrent  la  mort  de  Guillaume  II,  fils  de 
Frédéric-Henri,  de  l'élévation  de  son  fils  Guil- 
laume III  à  la  dignité  de  stadhouder  (16,=>0-1672). 
Jalousé  et  poursuivi  par  ses  adversaires  politiques, 
Jean  de  Witt,  de  même  que  son  frère  Cornélis, 
succomba  tristement  dans  une  émeute  de  la  popu- 
lace de  La  Haye.  Le  jeune  stadhouder,  le  même 
qui,  en  IC88,  monta  sur  le  trône  d'Angleterre, 
d'où  il  avait  chassé  son  beau-père  Jacques  II,  com- 
battit les  armées  de  Louis  XIV  avec  plus  de 
gloire  que  de  succès.  Comme  il  mourut  sans  lais- 
ser d'enfants,  sa  mort  amena  pour  la  seconde 
fois  une  de  ces  périodes  qu'on  pourrait  appeler 
des  interrègnes,  si  le  stadhouder  avait  été  un 
souverain.  Mais  il  n'était  que  le  gfiuverneur  de 
chacune  des  provinces  qui  l'avaient  investi  de  ces 
fonctions,  et  comme  tel,  le  serviteur  des  Etats. 
Il  tenait,  en  outre,  des  Etats-généraux,  espèce 
de  délégation  collective  des  provinces  dont  se 
composait  la  République,  le  titre  de  «  capitaine 
général  et  amiral  de  l'Union.  »  Jusqu'à  la  mort 
de  Guillaume  III,  la  Hollande,  la  Zélande,  Utrecht, 
la  Gueidre,  et  l'Overyssel  avaient  eu  pour  stad- 
houder un  descendant  de  Guillaume  d'Orange , 
tandis  que  la  Frise,  Gronii'gue  et  Drenlhe  avaient 
pris  leur  gouverneur  dans  une  ligne  de  la  maison 
de  Nassau  qui  remontait  à  Jean,  frère  puîné  du 
Taciturne.  Mais  en  1747  le  gouverneur  de  Frise, 
qui  s'appela  désormais  Guillaume  IV,  fut  investi 
par  les  autres  provinces  des  fonctions  que  la  mon 


de  Guillaume  III  avait  laissées  vacantes  dès  1702. 
Ses  dignités  furent  déclarées  héréditaires  dans  sa 
famille. 

Le  XVIII»  siècle  vit  décroître  peu  à  peu  la 
gloire  et  la  puissance  de  la  République  des  Pays- 
Bas.  La  guerre  de  la  succession  d'Espagne  ne 
lui  apporta  que  des  déboires.  Ses  dettes  s'ac- 
crurent d'une  façon  inquiétante.  La  mort  préma- 
turée de  Guillaume  IV  laissa  à  la  tête  des  afl'aires 
un  enfant  de  trois  ans,  dont  la  tutelle  fut  confiée 
d'abord  à  sa  mère,  ensuite,  après  la  mort  de 
celle-ci,  au  duc  de  Brunswick.  Cette  infiuence 
allemande  d'un  côté,  et  de  l'autre,  h's  troubles 
politiques  qui  présageaient  en  Hollande,  comme 
partout,  l'orage  de  la  révolution,  créèrent  bientôt 
une  situation  contre  laquelle  Guillaume  V  n'était 
pas  de  force  à  réagir.  Follement  entraînée  dans 
la  guerre  d'indépendance  des  États-Unis  d'Amé- 
rique, la  République  des  Pays-Bas  dut  conclure 
une  paix  honteuse  avec  l'Angleterre.  Le  pays  se 
divisa  de  plus  en  plus  entre  les  a  patriotes  »,  qui 
avaient  de  fortes  sympathies  pour  la  France,  et 
les  Orangistes,  qui  s'appuyaient  sur  rAUemagric. 
En  1787  une  armée  prussienne  fit  pencher  la 
balance  du  côté  des  Orangistes.  Mais  lorsque, 
dans  l'hiver  de  1794  à  171)5,  le  général  français 
Pichegru  fit  son  entrée  en  Hollande,  le  stadhou- 
der et  sa  famille  se  réfugièrent  en  Angleterre. 

Le  16  mai  ll'->b,  le  stadhoudérat  fut  supprimé, 
et  la  0  République  batave  «  remplaça  l'ancienne 
République  des  Provinces  unies.  Les  contre-coups 
de  la  révolution  française  amenèrent  dans  les 
Pays-Bas  de  nombreux  changements,  parmi  les- 
quels plusieurs  dont  les  heureux  effets  durent 
encore.  Cependant  le  grand  dictateur  qui  avait 
exploité  la  révolution  française  à  son  profit,  chan- 
gea en  1806  la  République  batave  en  un  «royaume 
de  Hollande  »,  dont  son  frère  Louis  Bonaparte  Itit 
le  titulaire.  Mais  déjà  en  1810  ce  roi,  qui  avait 
réussi  à  gagner  quelques  sympathies  parmi  ses 
nouveaux  sujets,  fut  forcé  de  déposer  la  couronne, 
et  les  Pays-Bas  ne  furent  plus  qu'un  département 
de  l'empire  français. 

Cependant  le  canon  de  Leipzig  annonça  1  ebou- 
lement  de  cette  construction  gigantesque  dans 
laquelle  la  Hollande  se  trouvait  enclavée.  Après 
bien  des  hésitiitions,  elle  osa  secouer  le  joug  étran- 
ger- quelques  hommes  de  courage  et  d  initiative, 
parmi  lesquels  il  convient  de  citer  Gysbert  Karel 
lan  Hogendorp,  rappelèrent  d'Angleterre  le  fils  de 
l'ancien  stadhouder.  Celui-ci  débarqua  à  Sdieve- 
ningue  en  1813,  et  fut  reconnu,  l'année  d  après, 
pour  chef  de  l'État  sous  le  titre  de  «  prince  sou- 
verain ».  Le  congrès  de  Vienne  1  éleva  au  rang  de 
roi  et,  pour  le  dédommager  de  la  perte  de  quel- 
nues-unes  des  colonies,  telles  que  Ceyian  et  le 
cap  de  Bonne-Espérance,  dont  l'Angleterre  s  é  ait 
eniparée,  joignit  à  son  territoire  ce  qu  on  appelait 
les  Pays-Bas  autrichiens,  cestà-dire  les  ancien- 
nes provinces  du  sud.  Mais,  séparées  depuis  1  Union 
d'Utrccht,  les  provinces  du  Nord  et  celles  du  Sud 
ne  purent  se  résigner  à  cette  union  artificie  le, 
qui  ne  s'était  faite  que  par  ordre  de  la  diplomatie. 
La  Belgique  se  révolta  en  1830,  et,  ma  gré  «la 
campalne  de  dix  jours,  »  qui  enllamma  la  popu- 
[atimi  néerlandaise  d'un  enthousiasme  vraiment 
remarquable,  et  qui  vit  s'enrôler  ^ous  les  dra- 
peaux jusqu'aux  étudiants  des  universités,  le  roi 
Êuillaume^I"  dut  céder.  Après  bien  des  hesiU- 
tions  et  bien  des  embarras  diplomatiques  il  re^ 
nonça  enfin,  en  m:>,  à  la  Belgique,  ^t,' année 
suivante,  remit  la  couronne  des  ^aj-s-Bas  à  son 
fils,  Guillaume  II.  Celui-ci,  le  héros  desQuatie-Bras, 
jouit  jusqu'à  sa  mort,  en  1841),  d  une  popula- 
ire très  méritée.  Ce  fut  snus  son  «rgnc  «n  18^8, 
que  le  royaume  des  Pays-Kas  fut  dote  définitive- 
ment de  la  constitution  l'I^e™'»/!"'  '"1,^^'^^''; 
encore.  A  la  tête  du  pouvoir  se  trouve  un  roi 


PAYS-BAS 


—  1539  — 


PAYS-BAS 


constitutionnel  entouré  de  ministres  responsables, 
qui  forment  avec  deux  chambres  le  pouvoir  légis- 
latif. Un  des  principaux  auteurs  de  celte  consti- 
tution était  M.  Tliorbecke,  liomnu^  d'Etat  de  pre- 
mier ordre,  qui  a  été  jusqu'à  trois  fois  le  chef 
d'un  cabinet  libéral  sous  le  règne  pacifique  du 
roi  actuel  Guillaume  III.  Depuis  [8T-i,  une  guerre 
longue  et  pénible  contre  les  Atcliinois,  dans  l'île 
de  Sumatra,  entame  fortement  le  budget.  Au 
reste,  sans  être  brillant,  l'état  du  pays  est  pros- 
père ;  plusieurs  réformes  salutaires,  parmi  les- 
quelles la  laïcité  de  l'enseignement  public,  ont  été 
introduites  depuis  longtemps,  et  ni  les  luttes  poli- 
tiques, qui  ne  manquent  pourtant  pas  d'âpreté, 
ni  le  voisinage  d'Etats  puissants  n'empêchent  les 
Hollandais  d'espérer  que  leur  petit  pays  ne  ces- 
sera jamais  d'aljriter  la  liberté  et  le  progrès. 

Beaux-art3  et  littérature.  —  La  conquête  ro- 
maine a  laissé  en  Hollande  quelques  débris  d'an- 
cienne architecture,  tels  que  la  Burg  de  Leyde. 
Le  style  gothique  s'est  distingué  dans  ce  pays  plu- 
tôt par  la  largeur  que  par  la  hauteur  de  ses  églises. 
L'éclosion  de  la  vie  bourgeoise  au  xvi*  et  au 
xvn'  siècle  entraîna  un  assez  grand  nombre  de 
constructions  laïques,  parmi  lesquelles  il  faut 
signaler  l'ancien  hôtel  de  ville  d'Amsterdam,  con- 
■struit  par  Jacob  van  Campen,  en  1U.S8. 

Quelques  mausolées  remarquables  et  surtout 
les  intérieurs  des  maisons  et  des  palais  prouvent 
■que  la  sculpture  a  su  s'élever  dans  les  Pays-Bas 
au-dessus  du  médiocre.  Mais  c'est  surtout  par  ses 
grands  peintres  que  ce  pays  s'est  conquis  une 
place  importante  dans  le  monde  de  l'art.  Au 
XV'  et  pendant  la  première  moitié  du  xvi'  siècle, 
■c'est-à-dire  pendant  la  première  période  de  l'art 
néerlandais,  il  n'y  avait  pas  encore  d'école  hol- 
landaise proprement  dite.  Ce  ne  fut  que  vers 
le  XVI'  siècle  que  les  peintres  des  provinces 
du  Nord  80  mirent  à  marclier  d'un  pas  égal  à 
■celui  de  leurs  confrères  du  Midi.  Hubertus 
Van  Eyck  trouva  des  disciples  dignes  de  lui  dans 
Van  Ouwater,  Gérard  de  Harlem,  et  surtout  dans 
Lucas  de  Leyde  (1494-1333).  Ce  dernier  commença 
à  représenter  dans  la  peinture  la  tendance  laïque 
qui  pénétrait  partout.  Dans  ses  tableaux,  le  ca- 
ractère biblique  des  persoruiages  s'efface  devant 
l'importance  que  le  peintre  accorde  aux  acces- 
soires. Cependant,  on  trouve  encore  chez  lui, 
comme  dans  toute  l'école  de  "Van  Eyck,  jusqu'à 
Quentin  Mâtsys,  cette  immobilité  des-flgures,  cette 
attitude  raide  des  personnages  qui  rappellent  l'an- 
cien art  hiératique. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  xvi"  siècle,  on 
revient  au  genre  du  xiv«,  c'est-à-dire  à  l'imi- 
tation des  Italiens.  Jean  de  Mabuse,  revenu  d'I- 
talie en  1513,  en  donna  l'exemple  et  trouva  de 
nombreux-  imitateurs.  Mais,  malgré  le  talent  de 
plusieursd'entre  eux,  notamment  de  Frans  Floris, 
surnommé  le  Raphaël  flamand,  ce  genre  ne  pou- 
vait réussir.  Le  nu  des  écoles  italiennes  ne  conve- 
nait pas  au  climat  humide  des  Pays-Bas,  et  le 
réalisme  des  gens  du  Nord,  qui  aimaient  à  cher- 
cher le  détail,  s'arrangeait  dilHcilcment  de  la  sim- 
^jhcité  classique  et  idéale  de  l'école  italienne.  Le 
portrait  seul  perpétuait  l'art  national. 

Le  xvii"  siècle  amena  une  réaction  qui  fut 
d  autant  plus  forte  dans  les  provinces  du  Nord 
que,  délivrées  tout  à  coup  du  conlre-poids  des 
.provinces  du  Midi,  elles  penclièrent  du  coté  où  leur 
naturel  les  entraînait.  La  guerre  d'indépendance  ne 
■auscita  pas  seulement  des  héros,  elle  vit  naître  aussi 
une  brillante  génération  d  artistes;  tous  les  grands 
peintres  originaux  de  la  Hollande  ont  été  jeunes 
pendant  le  premier  quart  du  xvii»  siècle.  En  même 
temps  1  art  hollandais  se  sépare  définitivement  de 
lart  belge.  Pendant  que,  dans  les  Flandres,  le 
puissant  pinceau  de  Rubens  se  plaisait  à  cette 
ncliesse   de   tons  vers  laquelle  l'atmosulière  du 


pays,  en  effaçant  les  contours  des  objets,  appelait 
surtout  l'oîil  du  peintre,  le  Hollandais  Rembrandt 
(1G08-166'J)  trouvait  dans  ce  même  air  brumeux  le 
secret  du  clair-obscur  et  les  effets  de  lumière  que 
le  ciel  hollandais  n'a  entièrement  révélés  qu'à  lui. 
Ce  qui  le  distinguo  en  outre  de  son  rival  fla- 
mand, c'est  un  caractère  protestant  et  démocra- 
tique, qui  fit  de  lui  le  peintre  du  peuple.  Parmi 
ses  disciples  les  plus  célèbres,  on  doit  citer  Ferdi- 
nand Bol  et  Govert  Flinck. 

Le  portrait  continua  à  être  le  genre  préféré  ;  le 
mâle  pinceau  de  Frans  Hais  lui  donna  un  éclat  qui 
n'a  jamais  été  égalé,  bien  que  ce  peintre  trouvât  des 
rivaux  dignes  de  lui  dans  Micliel  Mierevelt  et  Paul 
Moreelse.  Au  portrait  se  rattacha  en  outre  un 
genre  nouveau,  qui  consistait  à  réunir  plusieurs 
portraits  sur  une  même  toile,  et  que  Rembrandt  a 
immortalisé  par  des  chefs-d'œuvre  tels  que  la  Le- 
çon ri'analomie,  la  Ronde  de  ndl,  les  Quatre 
échevins.  Les  nombreuses  corporations,  qui  ai- 
maient à  garnir  leurs  salles  de  réunion  d'un 
grand  tableau  représentant  tous  les  membres  en 
costume  de  fête,  contribuaient  beaucou|)  à  favoriser 
ce  genre  de  peinture,  dont,  après  les  œuvres  de 
Rembrandt  ,  le  Banquet  des  arqiieOusiers  de 
Van  der  Helst  est  un  des  échantillons  les  mieux 
réussis. 

D'ailleurs,  dans  cet  âge  d'or  de  la  peinture  hol- 
landaise, tous  les  genres  étaient  cultivés  par  des 
maîtres.  La  vie  du  peuple  était  traiice  avec  une 
verve  et  un  réalisme  inimitables  par  les  deux 
VanOstade,  par  JanSteen  et  Adrien  Brouvver.  La  vie 
des  salons  se  retrouvait  dans  les  tableaux  de  Phi- 
lippe Wouwermans,  qui  représente,  avec  Berchem 
et  Karel  Dujardin,  un  mélange  spontané,  naturel 
et  réussi  d'école  hollandaise  et  d'école  italienne. 
La  bourgeoisie  voyait  peindre  ses  mœurs  et  ses 
habitudes  par  Gérard  Dow,  par  Terburg,  Metsu, 
Frans  Van  Mieris,  appelés  d'ordinaire  n  peintres 
do  conversation  »  pour  les  distinguer  des  autres 
peintres  de  genre.  Philippe  do  Koniiick  et  Aert 
Van  der  Neer  reproduisaient  la  nature  de  leur  pays 
avec  un  art  merveilleux  ;  tandis  que  d'autres,  tels 
que  Jean-Baptiste  VVeeninx  et  Asselyn,  idéalisaient 
le  paysage  hollandais  ou  imitaient  Poussin  et 
Claude  Lorrain,  Adrien  Van  den  Veldc  et  .\lbert 
Cuyp  faisaient  des  bergeries,  Paul  Potter  peignait 
son  magiiitique  taureau,  Hondekoeter  ses  oiseaux 
à  riche  plumage.  Jacob  Ruysdael  et  Hobbcma  fai- 
saient revivre  sur  la  toile  toute  la  poésie  capri- 
cieuse et  puissante  d'une  végétation  opulente  ;  la 
mer  inspirait  Willem  Van  den  Vclde,  Bakhuysen  et 
bien  d'autres.  Il  n'y  avait  pas  jusqu'aux  natures 
mortes  qui,  dans  «  ce  pays  de  la  bombance  et  de 
la  .iiangeaille  »,  comme  l'appelle  M.  Taine,  ne  fus- 
sent traitées  par  des  peintres  de  génie. 

L'invention  artistique  finit  avec  l'énergie  pra- 
tique. Le  xviii'  siècle  se  borna  à  essayer  d'imi- 
ter le  XVII'  ou  imita  l'étranger.  Cornélis  Troost 
est  le  seul  peintre  original  de  cette  époque 
qui  mérite  une  mention  spéciale.  Au  commen- 
cement du  xi.\'  siècle,  le  classicisme  français 
trouva  des  imitateurs  habiles  dans  quelques  pein- 
tres d'histoire.  Aujourd'hui  il  convient  de  si- 
gnaler Louis  Meyer  et  Mesdag  parmi  les  peintres 
de  marines,  Israéls  et  Vervier  parmi  les  peintres 
de  genre,  Kockoeck.  Schelfliout  et  Scliotel  parmi 
les  paysagistes,  Bo-.boom  parmi  les  peintres  d'é- 
glise, Rocliusses  parmi  les  peintres  d'histoire. 

Les  Pays-Bas  peuvent  se  vanter  d'une  histoire 
littéraire  qui,  sans  atteindre  à  la  hauteur  de  leur 
histoire  politique  et  de  celle  de  leur  art,  tient  ce- 
pendant un  rang  honorable  dans  l'histoire  géné- 
rale des  littératures  européennes. 

Au  moyen  âge,  los  chansons  de  geste,  les  romans 
de  la  table  ronde,  et  un  grand  nombre  d'aulrcs 
poésies  d'origine  française  furent  reproduits  dans 
les  Pays-Bas  par  des  écrivains  et  des  poètes  qui, 


PAYS-BAS 


—  1540  — 


PEAU 


le  plus  souvent,  mêlaient  une  note  originale  à 
leur  traduction.  La  rédaction  néerlandaise  du  Ro- 
man du  Renard  est  un  chef-d'œuvre.  Mais  le  vrai 
caractère  néerlandais,  l'énergie,  le  bon  sens,  la 
simplicité,  l'esprit  démocratique  ne  se  révéla  dans 
la  littérature  qu'à  l'époque  où  la  bourgeoisie  com- 
mençait à  rivaliser  avec  la  noblesse  et  même  à  lui 
tenir  tête.  Le  premier  représentant  de  ce  carac- 
tère est  Jacob  Van  Maerlant,  le  père  de  la  poésie 
didactique  des  Pays-Bas,  contemporain  du  comte 
Floris  V,  le  héros  populaire  du  .xm*  siècle.  A 
la  même  époque ,  un  moine  de  l'abbaye  d'Eg- 
mont,  Melis-Stokf,  moins  démocratique  que  Maer- 
lant, composa  une  u  chronique  rimée  »  qui  n'a 
jamais  cessé  d'être  appréciée  par  les  amis  des 
lettres.  Le  règne  de  la  maison  de  Bavière  amena 
une  certaine  réaction  contre  le  genre  exclusive- 
ment didactique  dont  Maerlant  était  le  créateur  ; 
la  fantaisie  se  vengea  du  dédain  avec  lequel  le  bon 
sens  et  le  goût  de  l'utilité  pratique  l'avaient 
traitée.  . 

Cependant,  elle  ne  parvint  pas  à  supplanter  ses 
rivaux.  Ce  fut  surtout  dans  les  o  chambres  de  rhé- 
torique» qui,  dès  le  commencement  du  xv=  siècle, 
avaient  enlevé  à  l'Eglise  le  monopole  des  représen- 
Utioiis  dramatiques,  et  qui  ont  régné  pendant  deux 
siècles  dans  le  monde  littéraire  néerlandais,  qu'on 
retrouve  ce  goût  de  l'utile,  cette  gravité  raide,  ce 
manque  d'essor,  qui  engendrent  facilement  la  ba- 
nalité. Le  règne  brillant  des  ducs  de  Bourgogne 
amena  en  outre  une  influence  française  qui  ne 
fut  pas  favorable  au  développement  de  la  langue 
nationale.  Pendant  toute  cette  période  et  jusqu'aux 
efforts  sérieux  d'épuration  faits  au  commence- 
ment du  xvii*  siècle  par  Spieghel,  Coornhert  et 
leurs  amis,  l'idiome  néerlandais  présenta  un  ca- 
ractère bâtard  déplorable.  Les  chambres  de  rhé- 
torique, bien  que,  par  leur  esprit  d'indépendance, 
elles  aient  exercé  une  action  heureuse  sur  la  vie 
sociale,  n'ont  fait  que  du  mal  à  la  littérature. 

Il  convient  cependantde  faire  une  exception  pour 
la  célèbre  chambre  d'Amsterdam,  «  l'Eglantier  », 
fondée  en  1496,  qui  publia  la  première  grammaire 
hollandaise  en  1584,  et  d'où  sortirent,  de  1578  h 
ICOO,  les  initiateurs  de  l'œuvre  d'épuration  et  de 
relèvement  que  nous  venons  de  citer.  Mais  ce  fu- 
rent surtout  la  Réforme  et  la  Renaissance  qui 
ouvrirent  une  période  de  vie  nouvelle  à  la  litté- 
rature néerlandaise.  L'influence  de  la  Réforme  se 
retrouve  entre  autres  dans  les  traductions  des  psau- 
mes de  Clément  Marot  parDathenusetpar  Philippe 
Miu-nix,  seigneur  de  Sainte-Aldegonde,  l'ami  de 
Guillaume  d'Orange,  l'auteur  justement  célèbre 
du  u  cluDit  de  Guillaume  »,  le  cliant  dynastique, 
presque  le  chant  national  des  Hollandais.  L'hu- 
manisme, auquel  l'Euroiie  entière  rattache  le  nom 
du  Rotterdamois  Erasme,  trouva  un  représentant 
distingué  dans  le  graveur  Coornhert. 

Mais  l'action  de  la  Renaissance  ne  devint  puis- 
sante et  féconde  que  dans  la  première  moitié  du 
xvii=  siècle,  l'âge  d'nr  de  la  littérature  néerlan- 
daise. Ce  fut  alors  que,  dans  la  maison  hospita- 
lière de  Roemer  Visscher,  et  de  ses  filles,  Anna 
et  Maria  Tesseischade,  auteurs  et  poètes  elles- 
mêmes  îi  Amsterdam,  se  réunissaient  1  historien 
Hooft,  'le  grand  poète  lyrique  et  dramatique 
Joost  Van  den  Vondel,  le  noble  et  savant  Huygliens, 
père  de  l'astronome,  le  poète  comique  Brederoù, 
le  Jan  Steen  de  la  scène,  le  docteur  Coster,  qui 
fonda  une  «  Académie  néerlandaise  »  d'où  sortit  je 
premier  théâtre  hollandais.  Hooft,  qui  avait  voyagé 
en  Italie  et  en  France,  organisa  plus  tard,  notam- 
ment de  lU-J'î  à  U;4'],  un  foyer  littéraire  plus  re- 
marquable encore,  lorsqu'il  fit  de  son  château  de 
Muydcn,  près  Amsterdam,  une  espèce  d'hôtel  de 
Rambouillet.  Vondel,  qui  atteignit  l'âge  de  93  ans, 
passe  pour  le  plus  grand  des  poètes  hollan- 
dais. Quelques-uns   de  ses  drames,  entre  autres 


le  «  Gysbrecht  d'Aemstel  »,  qui  inaugura  le  théâ- 
tre d'Amsterdam  en  1()38,  et  surtout  les  belles 
poésies  lyriques  dont,  à  l'exemple  des  Grecs,  il 
aimait  h  orner  ses  drames,  lui  ont  valu  cette  ré- 
putation. Mais  il  n'est  jamais  arrivé  à  la  popula- 
rité dont  les  Hollandais  du  .wii»  et  du  xviii^  siècle 
ont  entouré  Jacob  Cats  (ISII-ICBO),  le  chef  de 
l'école  de  Dordrecht,  rimeur  infatigable,  moraliste 
ennuyeux  mais  pratique,  dont  les  œuvres  ont  été 
appelées  «  la  Bible  des  paysans  ».  L'un  et  l'autre 
ont  trouvé  de  nombreux  imitateurs. 

Le  goût  des  classiques  français  a  malheureuse- 
ment contrarié  le  développement  de  la  littérature 
nationale  à  la  fin  du  xvii«  et  au  commencement 
du  xviii'  siècle.  Un  poète  comique  original,  Pierre 
Langendyck,  n'a  pas  vécu  assez  longtemps  pour 
tenir  tout  ce  que  promettait  son  talent.  Mais  la 
seconde  moitié  du  xviii"  siècle  a  vu  se  produire 
quelques  œuvres  éminemment  hollandaises,  le 
Sfiectateur  Iwllandais  de  Justus  van  Efi'en,  revue 
hebdomadaire  humoristique  dans  le  genre  du 
Spedator  de  l'.inglais  Addison ,  et  les  romans 
bourgeois  de  deux  amies,  Elisabeth  Bekker  (ou 
WollV,  d'après  le  nom  de  son  mari)  et  Agatha 
Deken.qui  rappellent  Richardson  et  Rousseau. 

Le  commencement  de  ce  siècle  vit  se  produire 
des  influences  littéraires  très  variées,  auxquelles- 
les  événements  politiques  n'étaient  pas  étrangers. 
L'école  sentimentale  de  l'Allemagne  trouva  un- 
écho  dans  les  drames  de  Feith.  Le  fameux  Oran- 
giste  Bilderdyk,  savant  hors  ligne  et  poète  de 
génie,  mais  caractère  intraitable,  fonda  une  bril- 
lante école  nationale.  Helmers  fut  un  poète  patrio- 
tique trop  déclamai  oire.  Parmi  les  écrivains  de  la 
période  littéraire  qui  s'ouvre  par  l'année  18.30,  \l 
convient  de  citer  les  poètes  ToUens,  Potgieter, 
Da  Costa,  de  Gcnestet,  tous  morts,  Ten  Kate  et 
Schaepman,  les  romanciers  Van  Lennep,  madame 
Bosboom-Toussaint,  Multatuli,  le  nouvelliste  Cre- 
mer,  le  poète  dramatique  Schimmel,  le  critique 
littéraire  Busken  Huet.  Le  poète  Beets  a  écrit, 
comme  étudiant,  sous  le  nom  de  Hildebrand,  une 
série  d'esquisses  humoristiques  qui  resteront 
toujours  un  des  produits  classiques  de  la  littéra- 
ture hollandaise.  L'étude  de  la  langue  et  de  lar 
littérature  nationale,  sérieusement  cultivée  depuis 
que  Sigenbeok  occupa  le  premier  une  chaire  de 
langue  néerlandaise  à  l'université  de  Leyde,  en 
1795,  est  brillamment  représentée  par  les  profes- 
seurs Jonckbloet  et  de  Vrics.  Le  dernier  s'occupe 
de  publier  le  premier  dictionnaire  historique  du 
hollandais. 

Un  grand  nombre  de  journaux  et  de  revues  ap- 
portent au  public  des  échantillons  de  prose  parmi 
lesquels  il  y  en  a  de  fort  remarquables.  Le  théâ- 
tre national  a  de  l'avenir.  Seuls  les  jeunes  poètes 
se  font  attendre.  [A.-G.  Van  Hamel.j 

PEAU.  —  Zoologie  et  Physiologie,  XXXVIll  ; 
Hygiène,  VIII.  —  La  peau  constitue  une  enve- 
loppe membraneuse  qui  se  moule  sur  les  parties 
externes  du  corps  et  lui  donne  sa  forme.  Cette  en- 
veloppe protège  l'ensemble  de  l'organisme  et  le 
met  en  rapport  avec  le  monde  extérieur  par  le 
réseau  nerveux  qui  forme  l'organe  du  tact.  Elle 
remplit  des  fonctions  très  importantes  comme  or- 
gane de  sécrétion.  De  plus,  elle  est  le  siège  d  une 
respiration  plus  ou  moins  rudimentalre  qui  com- 
plète celle  des  poumons. 

Si  l'on  examine  au  microscope  un  fragment  de 
peau  humaine,  on  est  surpris  de  voir  combien 
cette  enveloppe,  si  simple  en  apparence,  est  com- 
pliquée dans  sa  texture  et  dans  son  organisation. 
A  la  surface,  on  voit  une  sorte  de  vernis  imper- 
méable, W-piilerme;  au-dessous  le  derme,  ou  peau- 
proprement  dite,  qui  repose  sur  le  peaucter  ou 
couche  musculaire.  Toute  l'épaisseur,  sauf  1  epi- 
derme,  est  traversée  de  nerfs  et  de  vaisseaux  san- 
guins. 


PEAU 


—  1541 


PEAU 


L'ëpiderme,  dépourvu  de  vaisseaux  et  de  nerfs,  |  y  déverse  le  liquide  sécrété  parla  glande  aux  di^pens 
•est  formé  de  cellules  aplaties,  la  plupart  à  demi  du  sang.  La  sécrétion  de  la  sueur  a  surtout  pour 
dessccliées,  qui  ressemblent  assez  à  la  corne.  La    objet  do  régulariser  la  température  du  corps.  Aus- 


Fig.  1.  —  SectioD  de  peau  vue  au  microscope. 
6,  couches  superficielles  et  profondes  de  Tépiderme;  — 
c,  derme;  —  c',  aréoles  ou  cavités  remplies  de  graisse; 
—  rf,  couche  musculaire  ;  —  e,  e',  glandes  sudoripares  et 
conduits  sudorifères;  —  /,  follicule  pileux  et  glandes  sé- 
bacées.. 

couche  profonde  de  l'ëpiderme  produit  sans  cesse 
<ie  nouvelles  cellules:  celles-ci  repoussent  celles 
qui  les  recouvrent  et  remplacent  successivement 
les  lamelles  superficielles  qui  tombent  lorsqu'elles 
sont  complètement  sèches.  Chez  les  serpents, 
<;ette  espèce  de  mue  de  l'ëpiderme  est  périodique, 
■elle  se  fait  en  même  temps  sur  tout  le  corps,  de 
sorte  que  l'animal  semble  changer  complètement 
de  peau,  tandis  qu'il  n'abandonne  qu'un  mince 
fourreau  épidermiquo  recouvert  d'écaillés. 

Dans  la  partie  profonde  de  l'ëpiderme  se  trouve 
lepifjmeyit  ou  matière  colorante  delà  peau.  Cette 
matière,  assez  variable  dans  ses  teintes,  produit 
les  différentes  colorations  de  la  peau  chez  l'homme 
et  les  animaux.  Certains  reptiles,  et  surtout  le 
caméléon,  peuvent  à  leur  gré  faire  affluer  le  pi,;- 
ment  à  la  surface  ou  le  concentrer  dans  les  parties 
profondes,  ce  qui  produit  de  curieux  changements 
■de  couleur.  Quelques  poissons  possèdent  la  môme 
faculté. 

Le  derme  consiste  en  une  sorte  de  feutrage  de 
tissu  fibreux.  A  sa  surface  on  voit  des  rangées  ré- 
gulières de  petites  éminences  ou  papilles  aux- 
quelles aboutissent  les  nerfs  du  tw-t  .  Le  tissu  du 
derme  est  assez  lâche  dans  les  parties  profondes  ; 
on  y  trouve  un  grand  nombre  de  vides  qui  se  rem- 
plissent plus  ou  moins  de  graisse.  Chez  quelques 
animaux  comme  le  porc,  les  cétacés,  cette  couche 
graisseuse  prend  un  développement  extraordinaire. 

Le  peaucier  ou  partie  musculaire  de  la  peau  varie 
beaucoup  d'épaisseur  sur  les  différents  points  du 
■corps  et  dans  les  diverses  espèces  d'animaux;  c'est 
lui  qui  permet  de  remuer,  de  froncer,  de  secouer 
pour  ainsi  dire  la  peau,  comme  le  fait,  par  exem- 
ple, le  cheval,  pour  se  débarrasser  des  mouches. 
Quelquefois,  comme  chez  le  hérisson,  le  peaucier 
sert  à  mettre  en  mouvement  et  à  redresser  une 
série  de  poils  ou  de  piquants  destinés  à  protéger 
l'animal . 

Dans  l'épaisseur  moyenne  de  la  peau  se  trouvent 
logées  des  glandes  fort  compliquées,  dites  sudoripa- 
res oiigiaLtide^  de  \di  sueur  itig.i),  quiconsistent  en 
tubes  très  déliés,  pelotonnes  sur  (nix-mcmes.  Au- 
tour des  tubes  se  trouve  un  double  réseau  do  vais- 
seaux sanguins  (fig.  3).  Le  tube  de  chaque  glande 
aboutit  à  l'extérieur  entre  des  cellules  d'épidcrme  et 


Fîg.  2.  —  Glande  sudoripare  de  la  peau  de  l'horame- 

rt,  tuhe  excréteur  de  la  glande;  —  6,  partie  contournée  de 

ce  tube;  —  c,  tissu  lihreui  dans  lequel  il  est  situé. 

sitôt  que  le  mouvement  ou  toute  autre  cause  tond  à 
augmenter  cette  température,  la  sueur  se  répand  à 
la  surface  de  la  peau  et  son  évaporation,  absorbant 
du  calorique,  produit  un  notable  refroidissement. 
Lorsque  la  sueur  est  peu  abondante,  elle  ne  forme 
pas  dos  gouttelettes  sur  l'ëpiderme  ;  cette  sécrétion 
lente  s'appelle  transpiration  insensible. 


Fig.  3.  —  Réseau  capillaire  entourant  une  glande 
su'loripare. 

A  côté  des  glandes  sudoripares  se  trouvent  les 
glandes >-(Jéac(!e'  {dese/mm.  suif),  qui  sécrètent  une 
matière  grasse  destinée  à  lubréfier  l'épiderme.  Elles 
sont  ordinairement  disposées  autour  des  follicules, 
sortes  de  sacs  d'où  sortent  les  poils,  les  che- 
veux, issus  d'un  buU/e  dont  les  cellules  se  repro- 
duisent sans  cesse  et,  en  repoussant  celles  qui  se 
trouvent  au-dessus,  causent  l'allongement  du  poil. 

Certainsanimaux  présententdes  glandes  sébacées 
d'un  volume  considérable,  d'où  suintent  des  ma- 
tières odorantes.  Les  oiseaux  portent  au-dessus  du 
coccyx  un  amas  de  glandes  dont  le  produit  grais- 
seux sert  à  enduire  et  lustrer  leurs  plumes;  ces 
glandes  sont  particulièrement  développées  chez  les 
oiseaux  aquatiques. 

Los  plumes  ont  une  structure  plus  compliquée 
que  les  poils,  mais  constituent  aussi  des  appendi- 
ces de  l'ëpiderme.  On  peut,  h  la  rigueur,  en  rap- 
procher d'autres  productions  cornées,  ongles,  sa- 
bots ou  cornes  proprement  dites. 

Chez  les  poissons,  la  peau  est  couverte  d'ëcaiUes 


PECHE 


1542  — 


PECHE 


qui  se  rapprochent  des  ongles  et  des  poils  ;  mais 
dans  beaucoup  d'espèces  ces  appendices  ont  une 
composition  analogue  à  celle  des  os  et  de  l'ivoire. 
Quelquefois,  comme  chez  le  crocodile,  la  peau 
s'encroiite  de  plaques  osseuses,  ou  se  recouvre, 
comme  chez  le  tatou  et  la  tortue,  d'une  carapace 
dure  de  matière  osseuse  ou  cornée. 

Ces  notions  sommaires  sur  la  structure  de  la 
peau  suffisent  pour  faire  comprendre  combien  il 
importe  de  veiller  à  l'intégrité  de  cet  organe  si 
étendu,  si  compliqué,  appelé  à  rendre  tant  de  ser- 
vices, à  exercer  tant  de  fonctieiis  Pour  cela,  il  faut, 
avant  tout,  une  parfaite  propreté*.  Les  frictions,  le 
massage,  contribuent  puissamment  h  donner  à  la 
peau  la  souplesse  et  l'activité  désirables. 

La  peau,  étant  riche  en  vaisseaux  et  en  nerfs, 
constitue  un  ensemble  très  délicat.  Les  impres- 
sions morbides  l'affectent  d'une  façon  toute  spé- 
ciale. Non  seulement  ces  impressions,  —  celle  du 
froid  surtout,  —  reçues  par  la  peau,  retentissent 
dans  toute  l'économie  et  causent  des  maladies  sou- 
vent fort  graves;  mais  elle  est  le  siège  d'altérations 
spéciales  qui  constituent  les  malaiiiet  de  la  peau. 

Dans  la  très  grande  majorité  des  cas,  il  faut  l'œil 
exercé  du  médecin  pour  établir  le  diagnostic  de 
ces  maladies.  Son  intervention  est  d'autant  plus 
indispensable  que  la  même  altération  apparente 
peut  être  tout  à  fait  insignifiante  ou  révéler  l'exis- 
tence d'un  désordre  constitutionnel  grave,  qui 
exige  un  traitement  actif  et  énergique.  Entre  la 
forme  anodine  et  la  forme  suspecte,  le  médecin 
seul  est  capable  de  décider.  [D'  SafTray.] 

PÈCHE.  —  Connaissances  usuelles,  II-V.  — 
Dans  presque  tous  les  pays  le  poisson  fait  con- 
currence i  la  viande  pour  l'alimentation.  Mais  il 
existe  encore  beaucoup  de  préjugés  au  sujet  de 
sa  valeur  nutritive.  On  répète  des  banalités  plus 
ou  moins  fondées,  et  en  somme  on  ne  rend  pas 
assez  justice  au  poisson. 

Pour  apprécier  la  valeur  réelle  de  cet  aliment, 
il  faut  recourir  à  l'analyse  chimique.  Or  l'analyse 
fournit  des  chiffres  indiscutables  qui  placent  le 
poisson  presque  au  même  rang  que  la  viande  : 
quelques  poissons  même  ont  un  pouvoir  nutritif 
supérieur,  an  point  de  vue  de  l'azote,  qui  est  l'élé- 
ment le  plus  important. 

Ainsi  la  viande  de  bœuf  sans  os  contient  78  par- 
ties d'eau,  3  d'azote  et  11  de  carbone.  La  raie  con- 
tient 75  parties  d'eau,  3,8  d'azote  et  1?  de  caboner. 
Le  congre  ou  anguille  de  mer  contient  79  parties 
d'eau  et  4  d'azote.  Le  maquereau  contient  83  par- 
ties d'eau,  19  de  carbone  et  3,7  d'azote.  La  solo, 
au  contraire,  renferme  plus  d'eau  et  moins  de 
matières  nutritives  que  la  viande  de  bœuf:  86  par- 
ties d'eau,  13  de  carbone  et  1  d'azote. 

Parmi  les  poissons  d'eau  douce,  le  brochet,  la 
carpe  sont  plus  riches  en  azote  que  la  viande  de 
bœuf;  l'anLuille  n'en  contient  pas  plus  que  la  sole, 
mais  elle  renferme  30  p.  lOli  de  carbone. 

Le  carbone  des  poissons  provient  principalement 
de  leur  huile  ou  graisse  liquide.  Pour  ceux  que 
nous  venons  de  citer,  la  proportion  pour  100  par- 
ties est  la  suivante  :  raie,  0,5  ;  congre,  5  ;  maque- 
reau, 7;  sole,  0,3;  brochet,  0,6;  carpe,  1;  an- 
guille, 24. 

L'expérience  prouve  que  des  populations  ichthyo- 
phages  peuvent  se  renouveler  pendant  une  loiigue 
série  de  siècles  sans  aucune  marque  de  dégénéres- 
cence. Des  essais  faits  sur  les  animaux  ont  fourni 
les  mêmes  résultats. 

Il  importe  de  vulgariser  ces  données  positives 
pour  encourager  la  consommation  d'une  denrée 
que  les  clumins  de  fer  peuvent  mettre  à  la  portée 
des  habitants  de  tout  notre  pays.  En  moyenne,  les 
poissons  communs  coiitent  beaucoup  moins  que  la 
viande.  Ainsi,  i  Paris,  le  congre  se  vend  communé- 
ment O'.CO  à  li'.fiâ  la  livre  en  détail,  c'est-à-dire 
80  p.  100  moins  cher  que  de  la  viande  de  bœul 


contenant  la  même  proportion  de  déchet,  et  si  l'on 
tient  compte  du  surplus  d'azote  qui  compense  et 
au  delà  le  surplus  d'eau,  on  voit  que  sa  valeur 
nutritive  est  au  moins  égale. 

Les  lacs,  les  étangs,  les  rivières  fournissent  à  la 
consommation  un  contingent  considérable,  maia 
qui  pourrait  être  triplé  et  quadruplé  si  l'on  prenait 
à  cœur  de  multiplier,  d'élever,  de  protéger  les 
poissons  comme  les  autres  animaux  destinés  à  l'ali- 
mentation. 

Il  y  a  longtemps  que  l'on  a  constaté  l'appau- 
vrissement de  nos  eaux  douces  et  même  de  celles 
qui  baignent  nos  côtes.  Il  faut  aller  chercher  le 
poisson  au  delà  du  domnine  maritime,  c'est-à-dire 
à  plus  de  trois  milles  en  mer,  pour  que  la  pêche 
soit  rémunératrice.  Annuellement,  cette  industrie 
fournit  à  l'alimentation  environ  47  000  000  de  ki- 
logrammes de  poisson. 

Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  la  pêche  régulière,  telle 
que  l'autorisent  les  règlements,  qui  a  causé  le  dé- 
peuplement des  eaux  au  point  alarmant  que  l'on 
constate.  La  pêche  honnête,  strictement  réglemen- 
tée, n'enlèverait  chaque  année  qu'une  quantité  peu 
supérieure  à  la  production  :  ce  qui  épuise  et  sté- 
rilise rapidement,  c'est  la  pêche  frauduleuse,  la 
souillure  et  l'empoisonnement  des  eaux  et  les  mo- 
difications apportées  à  leur  régime  par  l'industrie 
sous  toutes  ses  formes. 

Il  est  certainement  plus  facile  et  plus  lucratif  de 
faire  produire  à  l'eau  des  poissons  que  du  blé  à  la 
terre,  mais  comme  on  a  laissé  les  étangs  devenir 
improductifs,  il  y  a  partout  une  tendance  générale 
à  les  dessécher  pour  les  mettre  en  culture. 

Il  faut  qu'une  science  nouvelle,  \' aquiculture,. 
répare  les  dommages  causés  par  le  bracoimage  et 
l'incurie.  Aujourd'hui  l'aquiculture  ressortit  à  trois- 
ministères  :  les  travaux  publics,  la  marine  et  l'a- 
griculture. La  loi  de  1873, en  confiant  aux  fermes- 
écoles  l'organisation  de  la  pisciculture,  semble 
avoir  reconnu  que  cette  science  pratique  appar- 
tient, de  droit,  à  l'agriculture.  Quand  les  cultiva- 
teurs comprendront  que  l'eau  peut,  comme  la. 
terre,  devenir  une  source  régulière  de  revenu,  ils 
ne  demanderont  pas  mieux  que  de  devenir  aqui- 
culleurs.  . 

Les  essais  faits  sur  nos  côtes  et  dans  l'intérieur 
sont  fort  encourageants,  et  sans  doute  le  gouver- 
nement, s'inspirant  de  ce  qui  s'est  fait  à  l'étranger, 
établira  au  ministère  de  l'agriculture  un  service 
spécial  d'aquiculture,  qui  possédera  des  établisse- 
ments dans  nos  régions  les  plus  importantes  de 
l'intérieur  et  du  littoral. 

Nous  n'avons  point  à  faire  ici  une  monographie 
de  la  pêche  comprenant,  outre  celle  des  pêcheurs 
de  profession  ou  de  vocation,  la  description  des 
engins,  les  règlements,  etc.  Nous  nous  bornerons 
à  traiter  de  la  grande  pêche,  qui  est  encore  pour 
notre  pays  une  industrii>  prospère  et  contribue  à 
l'alimentation  publique  dans  une  notable  propor- 
tion. 

Nos  armateurs  ont  à  peu  près  abandonné  la  pêche 
de  la  baleine  aux  Anglais  et  aux  Américains.  Ces 
grands  cétacés  deviennent  rares,  il  faut  les  pour- 
suivre dans  des  régions  de  plus  en  plus  inaccessi- 
bles, et  ces  campagnes  exigent  une  organisation 
pour  laquelle  noire  commerce  ne  s'est  pas  pré- 
paré. 

La  pêche  du  hareng  est  une  des  plus  importan- 
tes. Les  Hollandais,  les  .Morwégiens,  les  Ecossais, 
les  Américains  s'y  livrent  comme  nous  :  elle 
occupe  de  véritables  flottes.  L'industrie  de  la 
pêche,  de  la  préparation  et  de  la  vente  du  hareng 
fait  vivre  plusieurs  millions  d'hommes.  Dans  les 
ports  situés  entre  Dunkerque  et  l'embouchure  de 
la  Seine,  on  arme  chaque  année  3ii0  à  'iiO  bâti- 
ments pour  la  pêche  du  hareng  :  le  produit  moyen 
de  chaque  campagne  est  d'environ  4  0U0  00U  de 
francs. 


PECHE 


—  1543 


PEINTURE 


On  pOicho  d'ordinaire  lo  liaroiig  avec  de  grands  i 
filets  dont  le  bord  inférieur  est  tendu  par  des  pier- 
res, tandis  (lue  le  bord  supérieur  est  maintenu  i 
fleur  d'eau  par  des  bouées  formées  avec  des  barils 
vidi'S.  Los  mailles  des  filets  sont  juste  assez  Rran- 
dos  pour  permettre  au  liareng  d'y  enfoncer  la  tête 
jusqu'aux  ouies.  Une  fois  que  celles-ci  ont  passé,  il 
ne  peut  ni  avancer  ni  reculer,  on  dit  qu'il  est 
mniUé.  Il  arrive  souvent  qu'en  quelques  minutes 
chaque  maille  retient  un  poisson. 

Les  liarengs  destinés  à  être  mangés  frais  sont 
lavés  et  arrangés  dans  des  paniers.  Los  autres 
subissent  une  série  de  préparations.  Par  une  in- 
cision pratiquée  Ji  la  gorge,  on  enlevé  l'estomac 
et  les  intestins,  puis  on  sale  les  poissons  dans  des 
barils  ;  au  bout  d  î  quinze  jours  on  les  retire  de  la 
saumure  et  on  les  range  dans  des  barils  neufs  poiir 
l'expédition.  Les  liarengs  saurs  sont  embrochés 
par  les  joues  sur  des  baguettes  de  bois  et  suspen- 
dus au-dessus  d'un  feu  doux. 

Le  hareng  habite  les  mers  de  l'hémisphère  bo- 
réal jusqu'au  4â'  degré  de  latitude.  En  certaines 
saisons,  il  forme  des  bnncs  longs  et  larges  de 
plusieurs  lieues,  d'une  épaisseur  énorme.  En  un 
seul  point  de  la  Suède  on  en  pêche  chaque  année 
700  millions  I  Les  femelles  sont  plus  nombreuses 
que  les  mâles,  dans  le  rapport  de  7  5,2,  et  chacune 
porte  près  de  70  000  œufs.  Autrefois  on  classait  le 
hareng  parmi  les  poissons  migrateurs, et  l'on  croyait 
connaître  exactement  la  route  qu'il  suivait  chaque 
année.  Mais  on  a  reconnu  qu'il  est  stationnaire 
et  que  son  apparition  soudaine  dans  certains  pa- 
rages vient  simplement  de  ce  qu'il  quitte  les  par- 
ties profondes  de  la  mer  pour  vivre  près  de  la  sur- 
face. 

Environ  12000  marins  sont  employés  chaque 
année  i  la  poche  de  la  morue.  Ils  recueillent  en 
moyenne  sênOOdOO  de  poissons,  et  cependant  le 
nombre  de  ceux-ci  ne  semble  pas  diminuer. 
Il  est  vrai  que  leur  fécondité  est  extraordinaire  ; 
on  a  compté  dans  une  seulo  femelle  plus  de 
9  000  000  d'œufs,  en  sorte  que  la  progéniture  de 
quatre  d'entre  elles,  si  elle  prospérait,  suflirait 
aux  besoins  du  monde  entier. 

On  rencontre  la  morue  dans  toutes  les  mers 
de  l'hémisphère  boréal  entre  le  4u"  et  le  60"  degré 
de  latitude.  Leur  station  favorite  semble  être  le 
grand  banc  de  inorui',  nom  àonnè  parles  pêcheurs 
h.  un  plateau  sous-marin  long  de  cent  lieues  et 
large  do  soixante,  qui  s'étend  devaiit  l'Ile  de  Terre- 
Neuve.  Là,  elles  s'accumulent,  à  certaines  époques, 
en  si  grandes  quantités,  qu'un  homme  les  pochant 
à  la  ligne  en  peut  prendre  de  trois  à  quatre  cents 
par  jour. 

Leur  voracité  facilite  singulièrement  la  pêche. 
Elles  se  jettent  sur  tous  les  appâts,  même  sur  un 
morceau  de  bois  ou  de  plomb.  Tout  leur  est  bon, 
et  quand  elles  ont  avalé  une  substance  absolu- 
ment réfractaire,  elles  rejettent  par  la  bouche  leur 
estomac,  le  vident,  le  lavent  et  le  remettent  en 
place  en  l'avalant. 

On  expédie,  sous  lo  nom  de  cabillaud,  une  cer- 
taine quantité  de  morues  fraîches  ;  mais  la  grande 
masse  des  poissons  capturés  est  préparée  de  ma- 
nière à  assurer  sa  conservation.  On  coupe  la  tète, 
on  fend  le  ventre,  et  l'on  extrait,  avec  l'estomac  et 
les  intestins,  une  partie  de  la  colonne  vertébrale  ; 
alors  on  étend  le  poisson  entre  doux  couihesdesel. 
Plus  tard  on  le  ran  go  dans  des  barils  avec  du  sel  frais. 
Le  foie  de  la  morue  fournit  une  huile  employée 
en  médecine,  principalement  dans  les  cas  de  scro- 
fules et  de  rachitisme.  Elle  agit  surtout  comme 
aliment  gras  ;  on  pourrait  donc  la  remplacer  écono- 
miquemeni  par  d'autres  substances  de  même 
nature,  sauf  â  y  ajouter  quelques  milligrammes 
d'iode  par  litre. 

Le  thon,  au  corps  massif,  fusiforme,  atteint 
deux  mètres  et  plus  de  longueur.  Sa  pêche  con- 


stitue une  des  principales  richesses  des  peuples 
riverains  de  la  Méditerranée.  On  sait  aujourd'hui 
que  les  thons  ne  quittent  jamais  cette  mer,  et  se 
contentent  do  changer  d'altitude  selon  les  saisons. 

On  pèche  le  thon  â  la  ligne  et  au  filet,.  Pour  la 
pêche  au  filet,  il  faut  le  concours  d'un  grand  nom- 
bre de  barques.  Les  filets,  soutenus  en  haut  par 
des  flottes  de  lièges,  tendus  en  bas  par  des  pier- 
res, sont  disposés  de  façon  à  former  des  couloirs 
et  des  chambres.  Au-dessous  de  la  dernière  cham- 
bre on  tend  un  grand  filet.  Le  talent  des  pêcheurs 
consiste  à  obliger  les  poissons  à  entrer  dans  le 
dédale  et  à  se  réunir  dans  la  chambre  de  mort. 
Quand  celle-ci  est  pleine,  on  soulève  le  filet  du 
fond  et  l'on  massacre  les  captifs. 

On  expédie  à  l'état  frais  une  faible  partie  de  la 
pêche;  le  reste  est  frit  dans  l'huile  et  conservé 
dans  des  boites  en  fer-blanc  soudées. 

Malgré  sa  petite  taille,  la  sardine  est  un  rival 
du  hareng  qu'elle  surpasse  de  beaucoup  en  déli- 
catesse. Elle  se  trouve  en  abondance  sur  nos  côtes, 
et  malgré  les  causes  de  destruction  auxquelles 
elle  est  exposée,  sa  prodigieuse  fécondité  main- 
tient l'espèce  â  peu  près  aussi  abondante  qu'au- 
trefois. Elle  habite  d'ordinaire  les  eaux  profondes; 
mais  en  automne,  i  l'époque  du  frai,  elle  se  rap- 
proche de  la  surface  et  se  réunit  en  grandes  trou- 
pes près  des  cotes,  principalement  il  l'embouchure 
des  fleuves. 

La  pèche  de  la  sardine  constitue  en  divers  pays, 
et  notamment  en  Bretagne,  une  industrie  impor- 
tante. On  emploie  des  filets  analogues  à  ceux 
usités  pour  la  pêche  du  hareng,  mais  i  mailles 
plus  petites.  Quelques-uns  ont  mille  mètres  de 
long. 

Une  couche  d'huile  qui  surnage  indique  aux 
pécheurs  l'endroit  où  se  trouvent  les  sardines.  On 
dirige  les  barques  de  manière  â  encercler  une 
partie  de  la  troupe,  et  au  bout  de  quelque  temps 
les  mailles  sont  presque  toutes  garnies  d'un  pois- 
son. 

La  sardine  se  corrompt  très  vite,  aussi  est-on 
obligé  de  la  saler  immédiatement.  Les  plus  gros- 
ses se  préparent  à  la  manière  des  harengs.  Les 
petites  et  les  moyennes  sont  frites  dans  l'huile 
et  rangées  dans  des  boîtes  de  fer-blanc  qui  sont 
soudées,  puis  chauffées  au  bain-marie  à  un  peu 
plus  de  100  degrés.  Ainsi  préparées,  elles  se  con- 
servent indéfiniment. 

Lorsque  l'on  aura  généralisé  les  essais  d'élevage 
de  poissons  dans  de  grands  viviers  marins,  nos 
côtes  repeuplées  fourniront  à  l'alimentation  des 
quantités  énormes  de  poissons  qui  feront  une 
heureuse  concurrence  i  ceux  de  la  grande  pêche  ; 
car  il  faut  reconnaître  que  le  poisson  salé  ou 
fumé  perd  non  seulement  la  plupart  de  ses  qua- 
lités agréables,  mais  aussi  une  notable  proportion 
de  sa  valeur  nutritive.  ÎD'  Safl'ray.] 

PEINTURIÎ.  —  La  peinture  dans  l'antiquité. 
—  La  peinture  ne  fut  d'abord  qu'une  simple  colo- 
ration des  matériaux  employés  par  l'architecture, 
appliquée  soit  h  l'ensemble,  soit  aux  détails  sculp- 
tés en  creux  ou  en  relief,  puis  h,  certaines  parties 
des  œuvres  de  la  statuaire,  aux  vêtements  des 
statues  par  exemple.  Il  faut  traverser  bien  des 
siècles  avant  do  voir  la  peinture  produire  ce  que 
nous  appelons  aujourd'hui  un  tableau.  Elle  com- 
mença par  s'essayer  sur  les  grandes  murailles  des 
édifices  publics  à  représenter  des  scènes  histori- 
ques ou  familières.  Telle  fut  la  peinture  en 
Egypte  à  l'époque  des  Osourtasen  et  des  Uamsès. 
Le  Musée  égyptien  du  Louvre  nous  offre  des. 
spécimens  remarquables  et  fort  intéressants  de- 
cette  peinture  à  l'état  d'adolescence  :  cercueils  de- 
momies,  ornés  de  figures  et  d'inscriptions  en  cou- 
leur, manuscrits  hiéroglyphiques,  tableaux  funé- 
raires. Une  grande  pureté  de  dessin,  une  grande 
vivacité  de   coloris   distingue   la   peinture  égyp- 


PEINTURE 


1344  — 


PEINTURE 


tienne;  mais  comme  les  autres  arts  elle  reste  ira-  ]  de  tout  modèle  conduit  lart  à  un  état  de  barbarie 
ditionnelle,  immuable.  extrême.  «  On  ne  sait  plus  représenter  l'homme 

C'est  en   Grèce  seulement  que  l'art  devint  ha-    qu'assis  ou  debout.  Les  autres  attitudes  sont  trop 


main  et  sembla  prendre  vie.  Selon  les  Grecs,  qui 
ont  une  légende  gracieuse  à  l'origine  de  tous  les 
arts,  une  jeune  fille  de  Sicyone,  voyant  sur  le  mur 
'l'ombre  de  son  fiancé  prêt  à  la  quitter  pour  un 
long  voyage,  prit  un  charbon,  suivit  les  contours 
delà  silhouette,  et  traça  ainsi  le  profil.  Le  dessin 
était  trouvé.  Chacun  des  progrès  de  l'art  était 
ainsi  personnifié  :  c'était  Cléophas  qui  avait  le 
premier  appliqué  la  couleur  au  dessin,  ,\pollo- 
dore  qui  avait  trouvé  la  perspective.  Cette  mytho- 
logie artistique  est  fort  longuement  racontée  par 
Pline  l'Ancien  :  mais  ce  n'est  qu'à  partir  du 
T'  siècle  avant  notre  ère  qu'on  trouve  quelques 
renseignements  authentiques  et  des  noms  dignes 
d'être  cités.  Polygnote  de  Tliasos,  bien  que  réduit 


difficiles.  Les  mains,  les  pieds  sont  raides  et  ont 
l'air  cassé;  les  plis  du  vêlement  sont  de  bois,  les 
personnages  seniblcnldes  mannequins, les  yeux  ont 
envahi  toute  la  tête.  »  Mais  qu'importe  '?  sur  des 
âmes  incultes  une  figure  grossièrement  façonnée 
aura  plus  de  prise  justement  parce  qu'elle  est 
symbolique. 

«  L'art  du  moyen  âge  parlait  à  ces  populations 
à  demi  sauvages  la  seule  langue  qu'elles  pussent 
comprendre,  la  terreur»  (Ménard).  Le  jugement 
dernier  avec  ses  diables,  ses  flammes,  ses  sup- 
plices, tel  est  le  thème  favori  des  peintres  comme 
des  sculpteurs. 

La  peinture  en  Italie,  du  xi^  siècle  aux  temps 
modernes.  —  Il  s'opéra  au  xi*  siècle   une  vérita- 


à  l'emploi  de  trois  ou  quatre  couleurs  seulement,  '  ble  renaissance  sous  l'influence  de  l'art  byzantin, 
donne   à   ses  figures   un   véritable   caractère   de  ,  Une  école  grecque  s'établit  à  Rome,  une  autre  à 


grandeur  et  exécute  des  fresques  monumentales, 
vastes  compositions  qui  réunissent  jusqu'à  deux 
cents  personnages.  Ce  fut  lui  qui  décora  le  porti- 
que du  l'œcile,  à  Athènes. 

he  siècle  de  Périclès  compte  deux  grands  pein- 
tres :  Parrhasius  et  Zeuxis.  Parrhasius  peint  sur 
des  tablettes  mobiles,  portatives  :  il  crée  le  ta- 
bleau ;  de  plus,  il  donne  à  ses  figures  l'expres- 
sion, la  passion,  la  vie.  Zeuxis,  son  rival,  l'em- 
porte par  le  coloris  :  il  invente  la  manière  de 
ménager  la  lumière  et  les  ombres. 

Mais  le  grand  peintre  de  la  Grèce,  son  Raphaël 
pour  ainsi    dire,   c'est  Apelles.  En  lui  tout  était 


Pise.  Les  œuvres  des  mosaïstes  grecs  donnent 
l'éveil  au  génie  italien.  Les  cités  italiennes  se  pi- 
quent d'émulation,  architectes  et  sculpteurs  se 
mettent  à  l'œuvre  ;  la  peinture  suit  de  près  ce 
mouvement.  Au  début  du  xiii«  siècle,  les  peintres 
italiens  se  montraient  déjà  supérieurs  aux  Grecs 
contemporains. 

Cimabuë,  né  à  Florence  en  1240,  ouvre  la  liste 
des  peintres  italiens.  Ce  n'es'  pas  un  novateur 
bien  audacieux,  mais  ses  œuvres  dénotent  un  pro- 
grès (Louvre  :  Vieif^n  aux  anges). 

Le  fondateur  de  l'école  italienne  est  Giotto.  Ce 
petit  pâtre,  que  Cimabue  rencontra  dessinant  ses 


réuni,  sentiment,  exécution,  ordonnance.  11  fut  le  !  chèvres  sur  le  sable  avec  une  pierre  pointue,  et 
favori  d'Alexandre,  qui  ne  voulut  pas  avoir  d'autre  .  dont  il  fil  son  disciple,  est  le  premier  peintre  qui 
peintre  que  lui.  s'inspira  directement  de  la  nature.  Il  ne  se  con- 

Aucune  œuvre  des  peintres  grecs  n'est  venue  tente  pas  de  juxtaposer  ses  personnages  :  il  com- 
jusqu'à  nous.  ÎNous  pouvons  cependant  nous  faire  pose  un  ensemble.  Il  donne  de  l'expression  k 
une  idée  de  cette  peinture  et  de  ses  mérites.  ses    figures,   et  à  ses    personnages  la   vie  et  le 

Les  monuments  de  l'architecture  et  de  la  sta-  mouvement  (Louvre  :  trois  tableaux  sur  Saint 
tuaire  disent  assez  si  ce  peuple  était  compétent  François  d'Assise).  Giotto  était  à  la  fois  peintre, 
en  matière  d'art,  et  nous  voyons  chez  lui  les  pein-  sculpteur,  ingénieur,  architecte,  poète.  Cimabuê 
très  estimés  à  l'égal  des  sculpteurs.  Les  descrip-  avait  été  architecte  et  peintre  ;  Nicolas  de  Pise, 
lions  de  tableaux  que  nous  trouvons  dans  les  sculpteur  et  architecte.  Ainsi  dès  les  premiers 
écrivains  témoignent  au  moins  de  l'invention  et  noms  qu'on  rencontre  se  présente  ce  fait  si  remar- 
de  la  richesse  d'ordonnance  des  artistes.  Nous  '  qnable  dans  l'histoire  de  la  Renaissance  :  la  mer- 
savons  par  eux  que  tous  les  genres  cultivés  de  veilleuse  aptitude  des  artistes  à  pratiquer  toutes 
nos  jours  étaient  cultivés  chez  les  Grecs  :  pein-  les  branches  des  beau.x-arls  avec  un  égal  succès, 
ture  religieuse,  histoire,  batailles,  portrait,  nature  Giotto  était  devenu  un  illustre  personnage  :  les 
morte,  scènes  d'intérieur,  et  jusqu'à  la  caricature,  princes  et  les  papes  se  disputaient  la  faveur  de  le 
Les  fresques  découvertes  dans  les  catacombes  et  posséder.  La  place  honorable  que  l'artiste  prend 
plus  récemment  à  Herculanum  et  à  Pompéi,  [  alors  dans  la  société  italienne  est  encore  un  trait 
montrent  assez  que  les  peintres  de  l'antiquité  sa-  particulier  de  l'époque, 
valent  traiter  tous  les  sujets.  Jean  de  Fiesole  (Fra  Angelico)  ne  connut  pas  cette 

Les  Romains,  grands  architectes  et  grands  ingé- 1  gloire  mondaine  ;  jeune,  riche,  doué  d'un  talent 
nieurs,  demeurèrent  toujours  étrangers  à  l'art  de  extraordinaire,  il  revêtit  la  robe  des  dominicains  : 
sculpter  et  à  l'art  de  peindre.  Ils  n'eurent  guère  il  consacra  son  pinceau  à  la  peinture  religieuse, 
d'autres  artistes  que  les  artistes  grecs  venus  à  Ses  œuvres  reflètent  la  sérénité  angélique  de  son 
Rome  après  la  conquête  de  la  Grèce.  Le  faux  goût  âme.  Un  certain  caractère  hiératique  emprunté 
des  vainqueurs  eut  la  plus  déplorable  influence  aux  traditions  byzantines  est  en  parfaite  harmo- 
sur  les  artistes  grecs  eux-mêmes  ;  la  peinture  fut  '  nie  avec  l'exquise  naïveté,  la  suave  délicatesse 
bientôt  réduite  au  rôle  de  décoration  d'intérieurs,  de  ces  figures,  expression  idéale  du  paradis  rêvé 
Au  siècle  des  Antonins,  elle  était  déjà  tombée  '  par  le  moyen  âge  (Louvre  :  Couronnement  de  la 
très  bas.  1  Vierge). 

La  dévastation  de  l'empire  par  les  barbares,  les  Le  commencement  du  xV  siècle  est  marqué 
ravages  des  iconoclnstes,  accélérèrent  la  déca- '  par  des  progrès  importants  :  Ucello  fixe  les  lois  de  la 
dence  des  arts.  Il  n'y  avait  plus  de  modèles  à  élu-  !  perspective,  Finiguerra  invente  la  gravure  en  taille- 
dier,  la  tradition  se  trouva  rompue.  Un  mouve-  i  douce,  Antonello  de  Messine  rapporte  de  Flandre 
ment  de  réaction  contre  les  briseurs  d images  fit  le  secret  de  la  peinture  à  l'huile,  plusieurs  artistes 
multiplier  les  tableaux  d'église.  Mais  jamais  on  ne  '  s'adonnent  à  l'étude  de  l'anatomie  qui  achève  de 
fil  de  plus  mauvaise  peinture.  Les  peintres  ne  \  fixer  les  principes  du  dessin, 
sont  que  des  fabricants  d'images  du  culte,  et  obligés  i  Ecnle  florentine.  —  A  cette  époque  une  éclosion 
de  se  conformer  à  un  type  traditionnel  et  ortho-  merveilleuse  d'artistes  eut  lieu  en  Toscane  ;  tout 
doïe  :  type  barbare,  informe,  sans  expression  et  un  groupe  de  peintres  animés  d'un  même  senti- 
sans  vie,  qui  n'avait  d'ailleurs  qu'une  valeur  sym-  '  ment  de  rénovation  fonda  cette  admirable  école 
bolique.  |  florentine  qui  a   eu  des  rivales,  mais  n'a  jamais 

La  beauté  est  proscrite  comme  païenne;  on  été  surpassée.  Masaccio  (1401-1413)  ouvre  la  mar- 
craindrait  d'étudier  la  nature  :  l'absence  prolongée    che.  Il  se  distingue  surtout  par  l'expression  des 


PEINTURE 


1543 


PEINTURE 


figuri's;  et  l'expression  sera  le  trait  dominant  des 
artistes  de  la  Renaissance  et  surtout  des  artistes 
florentins.  Ce  trait,  on  le  saisit  déji  dans  Filippo 
Lippi  et  dans  Gliirlandajo. 

Gliirlandajo  eut  pour  élève  Michel-Ange  Buona- 
rotti  (1475-l.'>t)4),  un  de  ces  génies  exceptionnels, 
qui,  doués  d'une  intelligence  puissante  et  d'une 
sensibilité  extraordinaire,  réalisent  les  conceptions 
les  plus  grandioses  et  atteignent  au  sublime. 

Michel-Ange  est  surtout  sculpteur.  Mais  il  a 
peint  de  grandes  compositions  où  se  retrouvent 
tous  les  caractères  de  son  talent,  et  ses  peintures 
ne  sont  pas  moins  célèbres  que  ses  statues. 

Michel-Ange  peintre  est  tout  entier  h  la  cha- 
pelle Sixtine.  Cette  chapelle  est  une  grande  salle 
longue  de  deux  cents  pieds.  Le  plafond  est  plat  : 
Michel-Ange  l'a  divisé  en  huit  compartimenis  de 
toutes  formes  où  il  a  peint  divers  sujets  pris  dans 
l'Ancien  Testament,  telsquela Création  de  l'homme 
et  de  la  femme,  le  Déluge,  le  Serpent  d'airain, 
Judith.  Dans  la  naissance  des  voûtes  qui  raccor- 
dent le  plafond  aux  parois  latérales,  il  a  peint  les 
figures  isolées  des  prophètes  et  des  sibylles.  Tous 
ces  personnages  sont  surhumains  non  seulement 
par  leur  taille  gigantesque,  mais  par  l'accent  tra- 
gique,et  l'héroique  passion  qu'expriment  ces  corps 
d'une  étrange  beauté.  Michel -Ange  a  passé  sa  vie 
à  étudier  le  corps  humain.  Il  place  l'expression 
non  dans  le  visage,  mais  dans  le  corps  tout  entier. 
Membres,  muscles,  charpente,  attitudes,  concou- 
rent autant  que  les  traits  de  la  face  k  exprimer 
les  sentiments  violents  et  les  passions  effrénées.  Ce 
langage,  qui  fut  celui  des  sculpteurs  grecs,  a 
été  retrouvé  par  Michel-Ange.  Son  génie  a  peu- 
plé ces  voûtes  d'une  race  unique  de  créatures 
splendides,  de  demi-dieux  h  qui  manque  la  séré- 
nité des  habitants  de  l'Olympe  grec,  mais  en  qui 
vivent  toutes  les  douleurs  et  toutes  les  audaces  de 
l'humanité  consciente  d'elle-même. 

Le  fond  de  la  chapelle  est  occupé  parla  grande 
fresque  du  Jugement  dernier.  Cette  composition 
grandiose  est  un  clief-d'œuvre  de  disposition  sa- 
vante, et  en  même  temps  tout  y  est  violent,  pas- 
sionné, excessif  à  ce  point  que  nos  âmes  timorées 
et  routinières  se  sentent  déconcertées  devant  cette 
manifestation  d'un  génie  surhumain.  One  bonne 
copie  du  jugement  dernier  peut  se  voir  à  Paris 
à  l'Ecole  des  Beaux-Arts. 

Une  gravité  noble,  une  énergie  robuste  et  sim- 
ple caractérisent  l'art  florentin.  Cette  génération 
ardente  déploie  son  activité  dans  tous  les  sens. 
Chacun  est  à  la  fois  sculpteur,  peintre,  fondeur, 
orfèvre,  ciseleur,  architecte.  Cette  universalité  de 
talents  éclate  surtout  chez  Léonard  de  Vinci  (U!)2- 
1519).  Il  débute  par  la  peinture,  mais  il  est  éga- 
lement poète  et  musicien,  et  à  un  degré  qui  lui 
vaut  les  plus  brillants  succès  dans  la  noble  so- 
ciété florentine.  En  IiS3,  il  offre  ses  services  à 
Ludovic  le  More,  comme  ingénieur  militaire  et 
ingénieur  civil,  affirmant  sans  hésitation  sa  supé- 
riorité dans  tous  les  arts  libéraux  comme  dans  les 
arts  mécaniques.  Il  fait  une  statue  équestre  de 
François  Sforza,  creuse  un  canal,  et  continue  i 
peindre  dans  une  manière  nouvelle.  La  plus  célè- 
bre do  ses  œuvres  est  la  fresque  de  la  Cène,  au 
couvent  de  Sainte-Marie-des-Gràces  à  Milan.  Cette 
œuvre,  aujourd'hui  mutilée,  dégradée,  eu  ruines, 
produit  encore  une  impression  extraordinaire. 
Toutes  ces  figures  placées  sur  un  même  plan, 
expriment  avec  la  plus  grande  netteté  les  senti- 
ments les  plus  forts  et  les  plus  variés.  Le  Christ 
a  un  caractère  idéal  :  c'est  la  première  fois  que 
la  peinture  lui  donne  ce  caractère,  et  aujourd'hui 
encore  cette  tête  de  Christ  est  la  plus  belle  qui 
soit  sortie  de  la  main  de  l'homme. 

Le  Louvre  possède  de  Vinci,  outre  plusieurs 
Yiergef,  deux  portraits  de  femme,  dont  l'un  est 
peut-être  le  chef-d'œuvre  de   Léonard.   C'est  le 


portrait  d'une  dame  du  temps,  Monna  Lisa, 
femme  do  François  dcl  Giocondo  :  de  là  le  nom  de 
la  Joconde  sous  lequel  est  connue  cette  toile.  Un 
regard  pénétrant,  un  sourire  mystérieux  donnent 
à  cette  figure  un  caractère  difficile  à.  déterminer, 
mais  en  môme  temps  un  charme  étrange.  C'est 
un  sourire  de  sphinx  qui  à  la  fois  inquiète  et  fas- 
cine. Cette  expression  de  sentiments  raffinés  et 
complexes  est  le  propre  de  Léonard  de  Vinci. 

Léonard  fonda  une  nombreuse  école  d'où  sont 
sortis  Bernard  Luini  et  Lorenzo  di  Credi.  Deux 
grands  artistes,  qui  ne  furent  pas  ses  disciples 
directs,  ont  dû  une  partie  de  leur  talent  i  l'étude 
de  ses  œuvres  :  Fra  Bartolomineo,  ami  do  Savo- 
narole  (Louvre  :  Sainte  Ciitherine  de  Sienne  avec 
plusieurs  saints)  ;  André  del  Sarto,  peintre  d'une 
élégance  naturelle  et  exquise,  qui  répand  sur  ses 
têtes  de  Vierge  une  grâce  attendrie  pleine  de  sé- 
duction. 

Après  lui,  l'école  florentine  tombe  rapidement, 
et  présente  à  peine  encore  quelques  maîtres  sé- 
rieux. Il  faut  citer  le  Rosso,  qu'on  nomma  en  France 
maiire  Roux.  Appelé  en  1530  p;ir  François  I",  il 
exécuta  à  Fontainebleau  des  travaux  immenses. 
Son  influence  sur  la  peinture  française  a  été  des 
plus  funestes. 

Ecole  lombarde.  —  On  désigne  sous  ce  nom  un 
certain  nombre  d'artistes  qui  se  sont  illustrés  dans 
différentes  viiles  du  nord  de  l'Italie,  et  dont  les  plus 
célèbres  sont  Mantegna,  de  Padoue  (Louvre:  la 
Vierge  (le  la  victoire,  le  Parnasse);  Francia,  de 
Bologne  (Louvre  :  un  magnifique  Portrait  'l'homme); 
Vanucci,  de  Pérouse,  connu  sous  le  noin  du  Pé- 
rugin  (1446-1.S'24).  Le  grand  titre  de  gloire  du 
Pérugin,  c'est  qu'il  fut  la  raaitre  de  Raphaël  :  lui- 
même  fut  un  très  grand  artiste.  Sans  s'élever  à 
l'idéal  mystique  de  Fra  Angelico,  il  exprime  le 
sentim.ent  religieux  avec  une  pureté  et  une  grâce 
austère  qui  font  de  lui  un  peintre  chrétien  par 
excellence.  Sa  couleur  est  d'un  grand  cliarme. 
Sur  un  fond  d'une  teinte  blonde  et  dorée,  il  dé- 
tacha des  tons  vifs  et  brillants  du  plus  bel  effet. 
Ses  madones  sont  charmantes,  ainsi  que  ses 
anges.  Raphaël  n'aura  qu'à  donner  à  ces  types  un 
peu  plus  d'ampleur  et  de  noblesse  pour  arriver  à 
la  beauté. 

Le  véritable  chef  de  l'école  lombarde,  c'est  le 
Corrège  (Antonio  Allegri,  140i-1643).  Il  est  le 
peintre  de  la  grâce,  de  la  grâce  saine  et  vivante. 
Son  originalité  consiste  dans  l'importance  donnée 
au  jeu  de  la  lumière,  l'emploi  merveilleusement 
habile  du  clair-obscur.  Son  clief-d'œuvre  est  une 
Nativité  connue  sous  le  nom  de  la  Nuit  (Louvre  : 
Mariage  rie  sainte  Catherine,  Sommeil  il'A'itiope). 

Eciile  romaine.  —  Cette  école  commence  avec 
le  Pérugin,  car  il  est  le  maître  et  l'instituteur  de 
Raphaël. 

Raphaël  Sanzio  (I483-15ÎO)  était  originaire  d'Ur- 
bino,dans  les  Etats  de  l'Eglise.  Orphelin  à  dix  ans, 
il  fut  confié  au  Pérugin  qui  le  garda  dix  années. 
Ce  qu'on  appelle  la  première  manière  de  Rapliaël 
comprend  les  peintures  qu'il  a  exécutées  sous  l'in- 
fluence du  Pérugin,  dont  il  s'assimile  l'ingénuité  et 
la  délicatesse.  Le  plus  célèbre  de  ces  tableaux  est 
laMariagedela  Vierge,  dontla composition estem- 
pruntée  textuellement  au  Pérugin  ;  mais  le  mouve- 
ment et  la  vie  font  de  cette  copie  une  œuvre  originale. 

Raphaël  va  étudier  ensuite  i  Florence  les  fres- 
ques do  Miisaccio,  et  y  apprend  à  imiter  fidèlement 
la  nature.  En  même  temps  il  étudie  les  antiques: 
Fia  Bartolommeo  lui  enseigne  la  perspective.  Les 
cartons  de  Léonard  de  Vinci  et  de  Michel-Ange 
lui  révèlent  les  ressources  de  1  anatomio  et  une 
puissance  d'expression  qui  ne  se  trouve  point 
ailleurs.  Sous  toutes  ces  influences,  il  entre  dans 
sa  seconde  manière.  L'œuvre  capitale  do  cotte 
période  est  la  Madone  du  Louvre,  connao  sous  le 
nom  de  la  Belle  Jardinière. 


PEINTURE 


1546  — 


PEINTURE 


Raphaël  fut  cliargé  de  décorer  au  Vatican 
quatre  grandes  pièces  qui  composaient  l'apparte- 
ment officiel  de  Jules  11,  et  qu'oTi  appelle  encore 
les  Chumhrei  (Stanze).  Dans  la  cliambre  de  la  Si- 
;)nature,\\  peignit  la  Despu/e  duSnint-Sacrenvml, 
l'Ec'le  il'Atlién-s.  la  Jurisprudence,  le  Parnusse. 
La  deuxième  et  la  troisième  salles  renferment 
également  chacune  quatre  fresques. 

Au  Vatican  il  décora  aussi  une  de  ces  galeries 
ouvertes  que  les  Italiens  appellent  Logqie.  Cette 
galerie  (les  Loges  de  Raphaël)  se  compose  de 
treize  arcades  se  terminant  par  de  petites  coupoles 
dont  chacune  est  ornée  de  quatre  petites  fres- 
ques (six  pieds  sur  quatre)  ;  les  sujets,  tirés  de 
l'Histoire  Sainte,  ont  été  dessinés  par  Raphaël,  mais 
exécutés  par  ses  élèves.  Les  murs  et  les  piliers 
sont  ornés  d'arabesques  d'une  grande  variété  et 
du  style  le  plus  pur. 

Au  nombre  des  œuvres  célèbres  de  Raphaël,  il 
faut  encore  citer  les  portraits  6a  Joueur  de  violon 
et  de  la  Fornarinn,  une  belle  boulangère  qui  lui 
servit  de  modèle  pour  ses  madones;  la  Sainte- 
Cécde,  le  Spasîtno  (Eranonisscmenl  du  Christ,  à 
Madrid),  la  Tra»sfi(juration,\dL  Vierge  à  la  chaise, 
la  Madone  Sixtine  [b.  Dresde). 

Raphaël  est  inspiré  par  le  génie  païen  de  la  Re- 
naissance. Plus  qu'aucun  de  ses  contemporains, 
il  aime  l'antiquité  et  recherche  la  beauté  des  for- 
mes. Ses  tableaux  chrétiens  n'ont  rien  d'ascétique. 
Ses  madones  sont  l'idéal  de  la  jeune  et  glorieuse 
mère  de  famillp. 

Le  meilleur  élève  de  Raphaël  fut  Jules  Romain, 
grand  peintre  encore,  mais  qui  ouvre  l'ère  de  la 
décadence. 

Ecole  vénitienne.  —  Les  maîtres  florentins  se 
préoccupent  avant  tout  de  la  forme  et  sont  d'ad- 
mirables dessinateurs.  L'école  vénitienne  demande 
les  moyens  d'expression  i  la  couleur.  Sous  un 
climat  brumeux  qui  rend  les  formes  indécises, 
c'est  à  la  couleur  que  l'œil  s'intéresse.  Les  Véni- 
tiens adoptent  la  peinture  à  l'huile,  plus  brillante 
que  la  fresque:  ils  n'aiment  pas  les  tons  crus  qui 
réjouissent  les  habitants  do  l'Italie  méridionale: 
il  leur  faut  des  couleurs  rompues;  ils  sont  sensi- 
bles i  l'harmonie  des  nuances.  Ils  tiennent  de 
l'Orient  l'amour  du  faste.  Chez  eux  l'imagination 
est  souveraine  maîtresse.  L'art  vénitien  procède 
de  la  fantaisie;  l'histoire,  l'Ecriture  même  sera 
traitée  en  roman;  le  sujet  ne  sera  jamais  qu'un 
prétexte. 

La  peinture  vénitienne  commence  au  xv'  siècle. 
Avant  cette  époque  on  ne  voit  à  Venise  que  des 
artistes  étrangers.  Le  fondateur  de  l'école  est 
Jean  Bellini  (U2G-lil6),  qui  eut  pour  élève  le 
Titien  (Tiziano  Vecelli,  1477-l.=)*ti),  peintre  sans  ri- 
val pour  la  largeur  et  la  beauté  de  l'exécution,  la 
puissance  et  l'harmonieuse  richesse  du  coloris. 
Il  est  admirable  dans  l'art  de  peindre  les  femmes 
et  les  enfants.  S'il  a  moins  de  style  que  Raphaël, 
il  a  plus  de  naturel  et  de  charme.  Il  a  laissé  des 
portraits  de  tousles  hommes  marquants  de  l'Italie: 
portraits  pleins  de  vie  qui  sont  en  même  temps 
des  types  de  caractère  et  des  documents  histuri- 
ques  (Louvre:  les  Pèlerins d'Emmaiis,  le  Couron- 
7iement  d'épines,  le  Christ  au  tombeau,  Jeune 
femme  à  sa  toilette,  l'Homme  au  gant]. 

Paul  Véronèse  (Paolo  Caliari,  de  Vérone,  1528- 
1583)  est  le  représentant  le  plus  complet  de  l'é- 
cole vénitienne.  11  s'occupa  avant  tout  de  réjouir 
les  yeux.  Il  choisit  dans  l'Evangile  les  épisodes 
qui  prêtent  au  décor  et  ."i  la  magnificence  :  les 
repas.  Sous  le  titre  de  .Vocet  de  Vunu,  il  repré- 
sente une  fête  idéale,  comme  la  pouvaient  rêver 
les  riches  patriciens  de  Venise.  Un  ciel  bleu 
tendre,  une  architecture  élégante  encadrent  une 
scène  de  festin  où  les  nobles  figures,  les  riches 
étofl'es,  les  vases  d'or,  les  instruments  de  musi- 
que, composent  un  ensemble  de  l'aspect  le  plus 


magnifique  et  le  plus  séduisant.  Une  lumière  lim- 
pide et  argentée  égaie  le  plus  riche  concert  de 
couleurs  qui  se  puisse  imaginer.  Tout  chez  Vé- 
ronèse est  sacrifié  au  plaisir  des  yeux;  mais  il  voit 
noblement.  Sa  peinture  est  comme  la  belle  musi- 
que italienne  qui,  en  enchantant  les  oreilles,  ar- 
rive i  remuer  le  cœur  (Louvre  :  Nocei  de  Cana, 
Repas  chez  Simon,  Jésus  au  Calvaire,  Portrait  de 
femme). 

Le  Tintoret  (Jacques  Robusti,  1.Î12-1595)  essaya 
de  combiner  le  coloris  du  Titien,  son  maître, 
avec  le  dessin  de  Michel-Ange.  Il  est  arrivé  du 
moins  à  se  faire  compter  parmi  les  grands  maî- 
tres. Ce  qui  est  remarquable  chez  lui,  c'est  le 
mouvement.  Les  personnages  ne  posent  pas;  ils 
se  meuvent,  et  violemment.  Sa  fille  Marietta  eut 
un  sérieux  talent  et  fit  de  bons  portraits  :  elle 
mourut  jeune.  Un  tableau  de  Léon  Cogniet  (Mu- 
sée de  Bordeaux)  représente  le  Tintoret  peignant 
sa  fille  morte. 

Après  le  Tintoret,  les  peintres  vénitiens  ne  se 
distinguent  plus  de  ceux  du  reste  de  l'Italie. 

La  déc'idence.  —  Elle  commença  à  la  mort  de 
Raphaël.  Ses  successeurs  se  mirent  à  imiter  Mi- 
chel-Ange et  tournèrent  en  défauts  toutes  les 
qualités  du  grand  artiste.  Chez  ceux  qui  imitè- 
rent le  Corrège,  la  grâce  dégénéra  en  fadeur. 
Une  famille  de  peintres  de  Bologne,  les  Carrache, 
fondèrent  une  académie  où  ils  enseignèrent  à 
combiner  habilement  les  différentes  qualités  de 
chacun  des  grands  maîtres.  Cette  école  éclec- 
tique produisit  quelques  peintres  à  qui  manque 
le  génie  de  l'invention,  mais  remarquables  par 
l'habileté  du  pinceau  :  le  Guide  (le  Char  de  l'au- 
rore), le  Domiiiiquin  (Communion  de  saint  Jérôme; 
Louvre  :  Sainte  Cécile),    l'Albane,   le  Guerchin. 

On  désigne  sous  le  nom  d'école  napolitaine 
une  coterie  d'artistes  qui,  vers  la  fin  du  xvi"  siè- 
cle, vinrent  de  différents  pays  s'établir  à  Jfa- 
ples,  et  se  rendirent  fameux  par  leurs  crimes  et 
leurs  cabales  autant  que  par  leur  talent.  Ce  sont 
des  peintres  réalistes;  les  plus  célèbres  sont  :  le 
Caravage  (Louvre  :  un  Grand  .Maître  de  Malte) 
et  Salv.ator  Rosa  (Louvre  :  une  Bataille,  un 
Pai/soge). 

Au  XVII'  siècle  l'Italie  ne  produit  plus  que 
d'habiles  décorateurs,  comme  Pierre  de  Cortone. 
Au  xvip  siècle,  on  ne  trouve  guère  à  citer  que 
Canaletto,  auteur  de  très  remarquables  Vues  i/e 
Ve?iisf. 

L'école  espagnole.  —  C'est  un  curieux  phéno- 
mène que  Cfiie  école  qui  apparaît  sans  que  rien 
la  fasse  pressentir,  illumine  tout  un  siècle  du 
plus  vif  éclat,  et  disparaît  soudain  et  complète- 
ment. Elle  est  une  manifestation  éloquente  du 
génie  national. 

Vélasquez  (1599-1600)  est  le  peintre  de  la  cour 
et  de  la  noblesse.  Nul  historien  ne  présentera 
d'une  manière  aussi  saisissante  la  tristesse  incu- 
rable d'une  race  royale  qui  dépérit  et  la  froide 
hauteur  qui  tient  lieu  de  majesté.  Ces  grands 
d'Espagne  tout  empesés  et  dont  la  dignité  se 
soutient  par  l'étiquette,  ces  petites  infantes  paies 
et  souffreteuses,  empaquetées  dans  de  lourdes 
jupes,  en  disent  plus  que  tous  les  .Mémoires  sur 
l'Espagne  au  xvii=  siècle.  Vélasquez  est  un  ti'ès 
graud  peintre  :  il  a  excellé  dans  tous  les  genres 
(Madrid  :  les  Pileuses,  le  Tableau  des  lances;  Lou- 
vre :  Vlnfante  Marguerit-). 

Zuibaran  est  le  peintre  de  cette populationhàve, 
misérable,  décharnée,  de  moines  de  toute  robe 
qui  pullulait  en  Espagne.  La  flagellation,  la  médi- 
tation funèbre,  l'extase,  tous  les  tristes  épisodes 
de  la  vie  claustrale,  tels  sont  les  thèmes  qu'il 
traite  d'un  pinceau  énergique,  mais  dont  la  bru- 
talité même  a  sa  poésie. 

Murillo  (IGl8-l(iS2!  peint  des  sujets  religieux, 
mais  dans  un  sentiment  qui  n'a  rien  d'ascétique. 


PEINTURE 


—  1547  — 


PEINTURE 


Sos  jolies  madones  au  regard  noyé  sont  des  An- 
(lalouscs  de  race  qui  ont  oul)lié  leur  éventail  ;  ses 
moines  sont  de  bons  gras  jésuites.  En  mémo 
temps  il  peint  les  gamins,  les  mendiants,  les 
marchandes  de  fleurs  dans  toute  leur  réalité  vi- 
vante. Murillo  est  un  génie  suave  qui  éclaire  tout 
ce  qu'il  touche  d'une  clarté  sereine  et  aimable. 
(Louvre  :  la  Conception,  le  Jeune  mendiant,  Sainte 
Famille.) 

Léoole  allemande.  —Il  n'y  a  pas  à  proprement 
parler  d'école  allemande.  L'Allemagne  peut  seu- 
lement citer  quelques  artistes  d'un  génie  original 
et  puissant,  mais  que  ne  relie  aucun  ensemble 
de  traditions  ou  de  tendances  :  Albert  Durer 
(m  I-15VS),  célèbre  surtout  par  ses  gravures  sur 
cuivre;  Hans  Holbein  (U'JS-liSi),  grand  peintre 
d'histoire,  et  le  premier  peut-être  des  portrai- 
tistes. La  décadence  se  produit  immédiatement 
après  la  disparition  de  ces  grands  maîtres.  Au 
commencement  du  xix'  siècle,  Cornélius,  Over- 
beck  et  Kaulbach  ont  inauguré  le  t-omantisme 
allemand,  par  réaction  contre  l'influence  française. 
Cette  influence  est  toute-puissante  aujourd'hui  et 
n'est  tempérée  que  par  celle  des  artistes  belges. 

L'école  flamande.  —  C'est  h  Cologne  qu'on  ren- 
contre la  plus  ancienne  école  de  peinture  dans 
les  pays  du  Nord.  Cette  école  existe  déjà  au 
XIII'  siècle,  et  suit  alors  les  principes  de  l'art 
byzantin.  C'est  li  que  durent  étudier  les  frères 
Van  Eyck,  fondateurs  de  l'école  de  Bruges,  d'où 
est  sortie  toute  l'école  flamande,  et  aussi  l'école 
hollandaise.  Jean  Van  Eyck  if  1441)  n'a  pas  inventé 
la  peinture  à  l'huile;  mais  il  a  perfectionné  le 
procédé  et  l'a  rendu  praticable.  Il  est  le  Giotto 
du  Nord,  l'initiateur.  Ses  tableaux  sont  de  petite 
dimension  et  traités  avec  le  fini  de  la  miniature 
(Louvre  :  Vierge  au  donateur).  Son  élève  Memling 
(■{•  1484), avec  la  mèmeflnesse  dedétail,  idéalise  ses 
modèles.  Il  est,  avec  Fra  Angelico,  le  plus  illustre 
représentant  des  tendances  mystiques  du  moyen 
âge.  Les  figures  de  Van  Eyck  et  de  Memling  sont 
laides  :  mais  cette  laideur  pliysique  rend  plus  tou- 
chante l'expression  morale  de  ces  physionomies 
sérieuses,  d'où  émane  une  grâce  incomparable,  la 
grâce  de  la  vertu  naïve.  Ces  peintres  mystiques 
sont  pourtant  naturalistes:  les  accessoires,  étoffes, 
joyaux,  fleurs,  sont  rendus  avec  une  exactitude 
minutieuse.  La  Châsse  de  Sainte  Ursule,  par 
Memling  (à  Eruges),  est  un  chef-d'œuvre  d'inven- 
tion épique  et  d'exécution  précise  :  c'est  la  mer- 
veille de  la  peinture  microscopique.  Quentin 
Matzys  (14GO-15.30)  poursuit  cette  voie  réaliste, 
mais  il  opère  une  large  coupe  dans  cette  exubé- 
rance de  détails,  et  sauve  l'art  flamand  de  l'écuoil 
où  doit  périr  la  peinture  hollandaise.  Il  introduit 
dans  ses  tableaux  l'élément  pathétique,  qui  sera  le 
propre  de  l'école  flamande.  Le  premier  il  met  en 
pratique  la  grande  loi  de  l'unité  ;  il  a  le  sentiment 
de  la  beauté,  il  peint  des  types  bourgeois,  mais 
anoblis  par  le  caractère  et  la  distinction  (Louvre  : 
Banquier  et  sa  femme). 

Pierre-Paul  Rubens  (1577-16(0),  le  plus  grand 
des  peintres  flamands,  est  un  des  quatre  ou  cinq 
plus  grands  peintres  qui  aient  existé.  Fils  d'un 
échevin  de  la  ville  d'Anvers,  il  reçoit  d'abord  les 
leçons  d'Otto  Venius,  puis  va  étudier  en  Italie  de 
vingt-trois  à  trente  et  un  ans.  Doué  d'une  activité 
prodigieuse,  menant  de  front  l'art  et  la  diplomatie, 
les  sciences,  l'archéologie  et  les  lettres,  fôté,  ho- 
noré partout  comme  peintre  et  comme  ambassa- 
deur, toute  sa  vie  n'est  qu'une  suite  de  triomphes. 
Avec  une  fécondité  prodigieuse,  il  peint  des  sujets 
de  sainteté,  des  sujets  d'histoire,  des  portraits,  des 
chasses.  Depuis  plus  de  deux  siècles  on  vante  sa 
fertile  imagination  et  la  richesse  do  sa  palette. 
Mais  le  trait  original  et  supérieur  de  son  talent, 
C  est  la  puissance  d'expression  qu'il  tire  de  certains 
effets  de  couleur.  Il  est  l'égal  des  Vénitiens  comme 


coloriste  :  nul  Vénitien  n'égala  jamais  sa  puissance 
dramatique.  C'est  à  liruxelles  et  surtout  à  Anvers 
qu'il  faut  voir  liubens  (Descente  de  croi.r,  Assomp- 
tiO'i ,  Clirisl  à  la  pailie).  Au  Louvre,  la  Galerie 
Médicis  et  la  Kermesse  ne  peuvent  donner  une 
idée  exacte  de  ce  puissant  génie. 

En  Flandre,  comme  à  Venise,  les  peintres  cher- 
chent leur  idéal  dans  la  couleur  ;  mais  l'influence 
de  Florence  et  de  Rome  et  la  beauté  des  modèles 
qu'ils  avaient  sous  les  yeux  préserve  les  Vénitiens 
de  la  laideur  et  des  formes  vulgaires.  Privés  des 
monuments  de  l'art  grec,  en  présence  de  types 
moins  purs,  les  Flamands  se  sont  attachés  à  rendre 
la  fraîclieur  et  aussi  l'exubérance  des  carnations. 
Les  cascades  de  chair  que  l'on  reproche  h.  Rubens 
lui-mèmo    sont  un  trait  caractéristique  do  l'école. 

Van  Dyck  (15!)9-I611),  élève  de  Rubens,  a  plus 
d'élégance  et  do  dignité  dans  les  formes  et  par  là 
se  rapproche  des  maîtres  italiens.  Il  traduit  la 
pensée  religieuse  avec  une  poésie  élevée  :  ses 
portraits  sont  admirables  et  du  plus  haut  style 
(Louvre  :  Vierge  aux  donateurs,  Charles  I"). 

Jordaëns  (1683-1678)  exagère  les  défauts  de  Ru- 
bens, il  abuse  des  modelés  charnus  et  tombe  dans 
les  formes  triviales. 

Téniers  (lGln-1694),  peintre  de  genre,  se  rap- 
procha' de  l'école  hollandaise. 

L'école  hollandaise.  —  Cette  école  se  distingue 
de  l'école  flamande  par  des  caractères  bien  tran- 
chés qu'elle  a  reçus  de  la  Réforme  et  de  la  liberté 
nationale.  Les  peintres  hollandais  traitent  les  sujets 
chrétiens  d'après  l'Évangile  et  non  d'après  les 
idées  païennes.  Chez  eux  le  Christ  a  un  corps 
flétri  par  les  austérités,  mais  illuminé  d'une  lu- 
mière intérieure  ;  les  apôtres,  les  disciples,  sont 
représentés  comme  il  convient  à  des  hommes  du 
peuple.  S'il  représente  une  scène  biblique,  le 
peintre  prendra  également  ses  modèles  dans  la 
rue  ou  dans  la  boutique.  La  lumière  fait  resplen- 
dir d'un  éclat  glorieux  ces  humbles  scènes,  trans- 
figure ces  faces  vulgaires  et  revêt  l'ensemble  d'une 
haute  poésie. 

Rembrandt  (1608-lCCO)  est  le  grand  maître  de 
l'école  hollandaise.  Nul  n'a  su  tirer  un  parti  plus 
merveilleux  du  clair-obscur.  Il  aime  à  faire  jaillir 
une  vive  lumière  du  sein  d'une  masse  d'ombre. 
Là  est  son  puissant  moyen  d'expression.  Ses 
œuvres  les  plus  célèbres  sont  :  à  Amsterdam,  la 
Honde  de  nuit,  la  Confrérie  des  drapiers  ;  à  La 
Haye,  la  Leçon  d'Anatomie  ;  au  Louvre,  les  Pèle- 
rins d'Emmaiis,  le  Philosophe.  Ce  grand  peintre  a 
été  un  graveur  admirable.  Ses  eaux-fortes  ne  sont 
pas  moins  célèbres  que  ses  tableaux. 

Au-dessous  de  Rembrandt  se  place  toute  une 
famille  de  peintres  qui,  dans  de  petits  tableaux, 
traitent  des  sujets  familiers,  des  scènes  d'inté- 
rieur, et  s'intéressent  aux  petits  incidents  de  la 
vie  familière.  Une  bourgeoise  recevant  une  visite, 
un  jeune  homme  écrivant  une  lettre,  une  vieille 
femme  dévidant  du  fil,  une  ménagère  qui  récure 
ses  chaudrons,  tels  sont  les  motifs  où  se  plaît  leur 
pinceau  délicat,  et  où  le  costume,  l'ameublement, 
les  tentures,  les  ustensiles,  grâce  au  jeu  de  la 
lumière  et  au  fini  de  l'exécution,  intéressent  les 
yeux  et  quelquefois  l'esprit.  Parmi  ces  peintres  de 
la  bourgeoisie,  on  distingue  Terburg,  Metzu,  Gé- 
rard Dow,  le  plus  célèbre  de  tous,  auteur  de  la 
Femme  niidropiquc. 

Un  autre  groupe  de  peintres  hollandais  s'est 
appliqué  à  reproduire  les  scènes  de  la  vie  popu- 
laire prises  surtout  au  cabaret  ou  dans  les  fêtes 
villageoises.  Les  principaux  sont  Adrien  Brauwer 
et  Adrien  van  Ostade. 

D'autres  ont  su  comprendre  la  poésie  familière 
de  la  nature  et  se  sont  épris  de  l'Iiumble  paysage 
de  Hollande.  Un  bouquet  de  hêtres,  un  buisson, 
une  barrière,  un  tronc  d'arbre  renversé  sur  la  li- 
sière  d'une   forêt,   tout   émeut   leur  sympathie. 


PEINTURE 


—  io48  — 


PEINTURE 


Albert  Cuyp  peint  la  nature  florissante  et  en  plein 
midi.  Paul  Potter,  contemporain  de  La  Fontaine, 
«st  un  peintre  d'animaux;  il  prend  pour  héros  les 
bœufs  et  les  clievaux  de  labour  (Louvre  :  la 
Prairie).  Le  grand  poète  du  paysage  hollandais 
est  Ruysdaijl  :  il  a  traduit  la  mâle  et  saine  tris- 
tesse de  cette  simple  nature.  Un  pauvre  buisson 
qui  résiste  vaillamment  à  la  tempête,  voilà  un 
tableau  de  Ruysdaiil,  c'est-à-dire  un  drame  émou- 
vant et  un  chef-d'œuvre.  Ses  Marines  sont  admi- 
rables de  poésie  navrante  (Louvre  :  le  Buisson,  la 
Tempête).  Hobbema  peint  la  nature  brillante,  en- 
soleillée, heureuse.  Karel  Dujardin  découvre  l'effet 
pittoresque  des  vieux  murs  décrépits  et  des  toits 
délabrés. 

Il  est  inutile  d'énumérer  les  peintres  de  natwe 
morte  :  leurs  œuvres  n'ont  qu'un  mérite  d'exécu- 
tion et  un  intérêt  de  curiosité.  Il  suffira  de  citer 
■Van  Huysura,  dont  les  bouquets  de  fleurs  sont 
justement  célèbres. 

L'école  française.  —  La  peinture,  en  France, 
resta  longtemps  bornée  aux  miniatures  des  mis- 
sels et  aux  vitraux  des  églises.  Les  portraits  de 
Clouet  (xvi'  siècle)  et  deux  tableaux  du  sculpteur 
Jean  Cousin,  son  contemporain,  sont  les  plus  an- 
ciens monuments  connus  de  la  peinture  française. 
L'influence  des  artistes  italiens  de  Fontainebleau 
a  été  déplorable.  Mais  le  xvii'  siècle  vit  fleurir  une 
école  de  grande  peinture.  Cette  école,  un  peu  trop 
négligée,  exprime  le  génie  propre  de  tiotre  nation, 
la  grandeur  unie  au  bon  sens  et  i  la  raison,  la 
simplicité  et  la  force,  le  génie  de  la  composition 
et  celui  de  l'expression. 

Le  représentant  le  plus  complet  de  cette  école 
est  Nicolas  Poussin  (1594-I06d).  Il  passa  la  plus 
grande  partie  de  sa  vie  à  Rome;  mais,  malgré  son 
culte  pour  l'antiquité  et  pour  les  maîtres  italiens, 
il  est  tout  français  par  la  clarté  de  ses  concep- 
tions, par  le  tour  élevé  et  ingénieux  qu'il  donne  à 
l'expression  de  son  idée,  par  la  logique  de  ses  ta- 
bleaux où  les  qualités  pittoresques  sont  toujours 
employées  pour  expliquer  et  dramatiser  le  sujet. 
Dans  la  peinture  historique  comme  dans  le 
paysage,  il  est  au  premier  rang  :  partout,  il  est 
philosophe  et  littérateur  autant  que  peintre.  Le 
sujet  n'est  pas  pour  lui  un  prétexte  à  peinture  : 
c'est  une  leçon  morale  qu'il  veut  imprimer  dans 
notre  esprit,  et  il  ne  la  sacrifie  jamais  à  l'intérêt 
optique.  Ses  paysages  sont  toujours  composés  en 
vue  de  la  scène,  si  peu  de  place  que  cette  scène 
occupe  sur  la  toile  (Louvre  :  Eliézer  et  Réttecca, 
Moïie  sauvé,  les  Bergers  d'.ircadie,  le  Déluge). 

Lesueur  aussi  ('.Bi"-1G.'>5)  est  un  artiste  émi- 
nemment français,  soucieux  de  la  vérité  et  de  la 
logique  :  c'est  en  même  temps  un  artiste  chrétien. 
L'Histoire  de  saint  Bruno  est  un  grand  poème  en 
vingt-six  tableaux  où  sont  représentées  les  diverses 
scènes  de  la  vie  monastique.  Quelques-uns  de 
ces  tableaux  sont  drs  chefs-d'œuvre  de  poésie 
ascétique.  L'œuvre  capitale  de  Lesueur  est  peut- 
être  V Ensevelissement  du  Christ.  La  douleur  im- 
mense, recueillie,  de  la  mère  de  Jésus  est  admira- 
blement exprimée.Quantaux  sujets  mythologiques, 
Lesueur  les  a  traités  avec  une  naïveté  chaste  qui 
y  répand  un  sentiment  chrétien. 

Claude  Gellée,  dit  le  Lorrain  (1600-1682),  est 
peut-être  le  plus  grand  des  paysagistes.  Il  repré- 
sente une  nature  idéalisée,  mais  observée  et  prise 
dans  la  réalité.  Il  est  le  peintre  du  soleil.  Per- 
sonne ne  l'a  égalé  dans  la  reproduction  des  effets 
de  la  lumière  du  jour,  n'a  rendu  avec  autant  de 
puissance  et  de  charme  les  rayons  dorés  s'épan- 
dant  sur  de  larges  plaines,  miroitant  dans  les 
eaux,  illuminant  la  cime  des  arbres.  La  magie  de 
son  pinceau  est  inimitable.  (Louvre  :  Vue  du  Cam/io- 
Vaccmo,  Port  de  mer  uu  soleil  levant.  Port  au 
soleil  conchant,  Ln  fête  vilUige^ise). 
Philippe    de   Champaigne    (I6U2-1672),    né    à 


Bruxelles,  est  Flamand  de  naissance,  mais  il  vint 
en  France  avant  l'âge  do  vingt  ans,  étudia  sous 
des  maîtres  français,  et  appartient  à  l'école  fran- 
çaise par  la  clarté  de  la  pensée,  et  l'expression 
précise  de  l'âme  humaine,  (l'est  un  génie  essen- 
tiellement chrétien.  Il  est  comme  le  peintre 
attitré  de  Port-Royal.  Le  tableau  où  il  a  peint 
sa  fille,  sœur  Sainte-Suzanne,  malade,  assistée 
de  la  mère  Agnès  Arnauld,  est  admirable  de  fer- 
veur et  de  foi. 

Lebrun  (IC.19-1C00)  fut  le  premier  directeur  de 
l'Académie  de  peinture  fondée  par  Mazarin.  Il 
devint,  sous  Colbert,  le  peintre  officiel  de 
Louis  XIV,  C'est  un  grand  artiste.  Il  manque 
d'inspiration;  mais  ses  inventions  sont  nobles,  et 
il  a  le  sentiment  des  grandes  ordonnances.  On  lui 
doit  la  décoration  de  la  Galerie  d'.\pollon,  au 
Louvre,  et  de  la  Galerie  des  glaces  à  Versailles. 
Ses  qualités  se  révèlent  surtout  dans  une  série 
de  tableaux  sur  la  vie  d'.\lexandre  :  la  Tente  de 
Darius  est  son  chef-d'œuvre.  Parmi  les  toiles  de 
Lebrun  que  possède  le  Louvre,  il  en  est  une  du 
plus  grand  mérite,  la  Sainte  Famille, 

Jouvenet  (1614-1717)  est  encore  un  peintre  dé- 
coratif, mais  remarquable  par  l'expression  drama- 
tique. 

L'école  française  s'est  signalée  dans  le  por- 
trait par  ses  qualités  naturelles  de  vérité  et  d'ex- 
pression juste.  Mignard  et  Rigaud  ont  peint  tous 
les  princes,  princesses,  seigneurs  et  dames  de  la 
cour  au  temps  de  Louis  XIV  et  jusque  vers  le 
milieu  du  xviii''  siècle.  Largillière  ,  s'il  a  peint 
quelques  princes,  a  mis  le  plus  souvent  son  pin- 
ceau au  service  des  particuliers.  Au  xviii'  siè- 
cles, Latour  mit  h  la  mode  les  portraits  au  pastel  ; 
son  portrait  en  pied  de  M'°'  de  Pompadour  est 
un  chef-d'œuvre. 

Les  peintres  d'histoire,  contemporains  et  suc- 
cesseurs de  Lebrun,  sont  d'habiles  décorateurs, 
dont  les  compositions  pompeuses  et  pittoresques 
intéressent  un  moment  les  yeux  sans  rien  dire  h 
l'esprit.  Les  Coypel,  les  Vanloo,  Lemoyne  sont 
les  coryphées  de  cette  peinture  théâtrale  et  sou- 
vent maniérée. 

Le  peintre  de  la  Régence  est  Antoine  Watteau 
(16S4-1721),  excellent  peintre  qui  a  inventé  un 
genre  et  l'a  porto  à  la  perfection.  C'est  un  artiste 
de  génie,  car  il  a  créé  tout  un  monde,  petit  monde, 
monde  de  fantaisie,  mais  qui  fait  illusion.  Person- 
nages de  la  comédie  italienne  dans  leur  costume 
traditionnel,  bergers  en  satin  bleu,  bergères  en 
satin  rose,  folâtrant  sous  des  bosquets  d'opéra; 
monde  factice  et  charmant,  idéal  de  cette  société 
qui  s'étourdit  en  criant  :  Après  moi  le  déluge  ! 
(Louvre  :  VEmbarquem-nt  pour  Ci/thére;  Gille).  _ 
Jouvenet  et  Pater,  imitateurs  de  Watteau,  lui 
sont  bien  inférieurs.  _  _ 

Le  genre  des  pnstorales  a  été  créé  par  Bou- 
cher(n04-n"0),  premier  peintre  duroi  Louis  XV, 
et  peintre  particulier  de  -M"'=  de  Pompadour.  La 
société  qui  le  patronnait  fit  de  lui  un  peintre  de 
boudoir.  Depuis  vingt  b.  trente  ans  on  s'est  fort 
engoué  des  peintres  du  xviii'  siècle,  et  les 
toiles  de  Boucher  se  vendent  aujourd'hui  encore 
à  des  prix  bien  supérieurs  h  leur  valeur  réelle. 
Boucher  n'en  fut  pas  moins  un  décorateur  spiri- 
tuel, un  compositeur  plein  de  charme. 

Fragonard  fit  des  tableaux  rustiques,  M  époque 
où  Marie-Antoinette  jouait  h  la  laitière  à  Trianon. 
Dans  la  seconde  partie  du  xviii»  siècle,  deux 
peintres  célèbrent  à  leur  manière  l'avènement  delà 
bourgeoisie.  Les  fadeurs  mythologiques  font  place 
k  la  sentimentalité  déclamatoire,  et  h  l'observa- 
tion des  petits  faits  de  la  vie  familière.  Chardin 
(1699-1779),  reprenant  à  sa  manière  les  traditions 
de  l'école  hollandaise,  peint  les  intérieurs  bour- 
geois, la  mère  de  famille  servant  le  repas  à  ses 
enfants,  les  servantes  puisant  de  l'eau.  (Louvre  : 


PEINTURE 


—  1549  — 


PEROU 


Intérieur  de  cuisine,  \c  Bénédicité.)  Greuze  traduit 
sur  la  toile  le  roman  et  le  drame,  tels  que  les 
compronneiit  Jean-Jacques  et  Diderot.  Il  est  trop 
souvent  mélodramatique,  mais  son  accent  est 
passionné  et  sincère.  (Louvre  ; /Mceon/t'e  de  vil- 
loge,  la  Mdléiliction  paternelle,  la  Cruche  cassée.) 

Loutherbourg,  le  paysagiste,  Oudry  le  peintre 
d'animaux,  sont  des  artistes  estimables.  Les  mari- 
nes de  Josepli  Vernct  sont  d'un  grand  peintre. 

Un  petit-neveu  de  Bouclier,  Louis  David  (1748- 
1725),  pendant  un  séjour  de  cinq  années  à  Rome, 
étudia  à  fond  l'antiquité  et,  à  son  retour,  traita 
exclusivement  des  sujets  antiques  :  Bétisaire,  le 
Serment  des  Horaces,  la  Mort  de  Socratc  Son 
style  est  un  compromis  entre  la  nature  vivante  et 
la  statuaire  grecque.  Il  se  préoccupe  avjnt  tout 
de  la  correction  du  dessin,  et  néglige  le  clair-obs- 
cur au  détriment  de  l'eflet  pittoresque.  C'est  un 
art  de  convention  qui  laisse  froid  et  paraît  banal. 
David  est  pourtant  un  grand  ariiste;  son  influence 
a  été  considérable,  et  il  a  formé  tout  un  groupe 
de  peintres  éminents  :  Gros,  Girodet,  Isabey, 
Léopold  Robert,  Ingres.  Ce  chef  de  l'école  classi- 
que, avec  des  idées  très  arrêtées,  donnait  un  en- 
seignement très  large  :  ce  sont  ses  disciples  qui 
ont  inauguré  le  mouvement  romantique. 

Gros  et  Girodet  introduisirent  dans  la  peinture 
française  quelques  éléments  nouveau.x  :  Gros  re- 
produit les  costumes  militaires  modernes,  le  pay- 
sage et  l'arcliitecture  orientale  (Louvre  :  Pestiférés 
de  Jaffa,  Bataille  d'Eylini)  ;  Girodet  rend  des  effets 
de  lune  et  de  brouillard. 

C'est  au  Salon  de  1819  qu'éclata  la  révolution 
romantique.  Trois  tableaux  émurent  tous  les  es- 
prits :  le  Naufrage  de  lu  Méduse,  par  Géricault;  les 
Bourgeois  de  Calais,  par  Ary  Sclieffer;  la  Barque 
de  Dante,  par  Eugène  Delacroix.  L'art  classique 
trouva  pour  soutien  un  peintre  de  premier  ordre, 
Ingres,  qui  a  exercé  sur  l'art  contemporain  une 
influence  considérable.  11  s'inspira  surtout  de  Ra- 
phaël. Il  lui  empruntait  la  pureté  des  lignes,  la 
noble  expression  des  figures,  et,  par  le  simple  carac- 
tère donné  à  des  contours  ou  à  des  détails  de  mo- 
delé, sut  intéresser  l'esprit  aussi  vivement  que  par 
les  scènes  les  plus  dramatiques.  Les  tableaux  qui 
donnent  le  mieux  la  mesure  de  son  talent  sont 
V Apothéose  d'Homère,  YOdalisque,  la  Source. 

Le  chef  de  l'école  romantique  fut  Delacroix.  Co- 
loriste incomparable,  il  n'a  aucun  souci  de  la 
forme  et  du  dessin.  Il  cherche  l'expression,  le 
caractère,  fût-ce  au  prix  de  la  "laideur.  Mais  il 
tire  de  la  couleur  des  effets  magiques,  et  il  reste 
dans  la  tradition  française  par  les  qualités  pitto- 
resques et  dramatiques  [Massacre  de  Scio,  Fem- 
mes d'Alger,  Nace  Juive).  Entre  ces  deux  écoles, 
plusieurs  artistes  de  grand  mérite  suivaient  des 
voies  diverses,  mais  originales  et  glorieuses  :  Léo- 
pold Robert,  qui  traitait  en  haut  style  les  épisodes 
de  la  vie  populaire  en  Italie  (le  Ketour  de  la  fête 
de  la  Madone  de  l'Arc,  les  Moissonneurs,  les  Pé- 
cheurs) ;  Ary  Scheffer,  le  peintre  des  Mignons  et  des 
Jtfo7'(/iier!7e.s ;  Paul  Delaroche,  qui  conquit  une  célé- 
brité brillante  par  la  peinture  d'histoire  anecdotique 
(les  Enfants  d'Edouard,  la  Mort  du  'lue  de  Gui^ei, 
et  qui  a  laissé  une  grande  page  :  X'Hémiryele  du 
Palais  des  Beaux-Arts;  Horace  Vernet,le  plus  po- 
pulaire de  tous,  le  peintre  de  l'histoire  militaire 
contemporaine  (Versailles  :  la  Smala;  Louvre  : 
Bataille  de  Clichg). 

A  l'époque  où  le  paysage  prenait  dans  la  littéra- 
ture une  importance  toute  nouvelle,  il  se  formait 
une  école  de  paysagistes  français  qui  étudiait  la 
nature  dans  ses  aspects  les  plus  intimes  et  les 
plus  varies  :  (  orot  était  le  chef  de  cette  |)halange. 
Brascassat  et  Rosa  Bonheur  se  sont  illustrés 
comme  peintres  d'ariimaux.  La  peinture  de  fleurs 
n  a  eu  de  noire  temps  qu'un  représentant  distin- 
gue :  Saint-Jean,  de  Lyon.  [P.  Ftuilleret.J 


PEROU.  —  Histoire  générale,  XXXVI.  —  I.  Temps 
primiti/s. —  Les  plus  anciennes  traditions  rattachent 
les  Péruviens  aux  Aymaras,  (]ue  le  dieu  Viracocha 
ou  Pachacamac,  créateur  du  monde,  aurait  fait  naî- 
tre des  pierres  et  des  fontaines  et  répandus  sur  les 
deux  versants  des  Andes.  Ce  peuple,  après  avoir 
atteint  une  certaine  civilisation,  dontténioignent  les 
ruines  de  Tiahuanaco,  serait  retombé  peu  k  peu 
dans  la  barbarie,  au  point  de  n'avoir  plus  pour  ha- 
bitalions  que  des  cavernes,  de  ne  plus  cultiver  la 
terre,  d'adorer  les  plantes,  les  animaux,  et  d'immo- 
ler à  ses  divinités  des  victimes  humaines.  Il  fut  ré- 
généré, au  XI"  siècle,  par  la  race  voisine  des  Qui- 
cliuas,  qui  avait  à  peu  près  la  même  origine,  mais 
ne  parlait  pas  la  même  langue.  Ces  derniers 
attribuent  la  création  de  leur  empire  à  Manco- 
Capac,  chef  de  la  puissante  famille  des  Incas,  qui, 
parti  du  lac  de  Titicaca,  vint  fonder,  sur  un  haut 
plateau  des  Andes,  la  ville  de  Cuzco,  fit  renaître 
l'agriculture  et  apprit  aux  habitants  du  pays  h  fa- 
briquer des  instruments  de  travail,  des  armes, 
des  tissus.  La  monarchie  qu'il  institua  et  qui  s'é- 
tendit sous  ses  successeurs  (Sinchi-Roca,  Tupac- 
Yupanqui,  etc.)  jusqu'à  l'équaleur  d'un  côté,  jus- 
qu'au M°  lat.  S.  de  l'autre,  était  une  théocratie 
absolue,  sous  laquelle  les  populations,  mainte- 
nues dans  un  ordre  parfait,  jouirent  d'un  certain 
bien-être  matériel,  mais  perdirent  toute  initiative 
et  toute  habitude  de  la  liberté.  Pachacamac,  Tiime 
(/!(  ?«o«de,  était  représenté,  dans  la  religion  péru- 
vienne, par  le  soleil,  dont  le  culte  était  entretenu 
dans  des  temples  magnifiques  par  des  prêtres 
nombreux  et  dans  des  couvents  par  des  vierges 
sacrées.  Le  roi,  regardé  comme  le  fils  du  soleil, 
ne  formait  d'unions  légitimes  qu'avec  ses  sœurs, 
pour  conserver  la  pureté  de  sa  race.  Ses  parents^ 
les  Incas,  ne  se  mariaient  point  en  dehors  de  leur 
caste.  Parmi  eux  étaient  pris  les  vice-rois  qui 
gouvernaient  les  quatre  grandes  divisions  do  l'em- 
pire. Les  provinces  étaient  administrées  par  des 
curacas  héréditaires.  Chaque  groupe  de  lOOo,  de 
500,  de  50  et  de  10  familles  avait  un  chef  particu- 
lier chargé  d'appliquer  les  lois  (qui  frappaient  de 
mort  les  moindres  délits),  de  surveiller  les  sujets 
jusque  dans  leur  vie  privée,  de  distribuer  les  pro- 
duits du  sol,  les  vêtements,  etc.  Point  de  propriété 
individuelle:  les  terres  appartenaient  au  soleil  ou 
au  roi.  Les  habitants  étaient  soumis  au  service 
militaire  et  corvéables  i  merci.  Us  ne  pouvaient 
se  marier  que  dans  leur  tribu  et  dans  leur  caste. 
Armés  d'un  pouvoir  sans  limites,  les  souverains 
péruviens  purent  faire  construire  des  palais,  des 
temples,  des  routes  (comme  celle  de  Cuzco  à 
Quito)  pourvues  de  tampus  ou  relais  de  poste. 
Mais  leur  despotisme  stérilisa  dans  l'empire  tous 
les  arts  naissants.  L'architecture  resta  basse, 
lourde  et  sans  grâce.  La  médecine  et  l'astronomie 
firent  peu  de  progrès.  L'or  et  l'argent,  dont  on  se 
servaitpour  les  usages  les  plus  vulgaires,  ne  furent 
même  pas  utilisés  pour  les  échanges  commerciaux. 
Enfin  les  Quichuas,  en  guise  d'écriture,  n'em- 
ployaient que  les  quipus,  cordeleites  dont  les 
nœuds  et  les  couleurs  formaient  de  véritables  hié- 
roglyphes. 

II.  Conrjuéte  du  Pérou  par  Ir's  Espagnols.  — 
L'Inca  Huayna-Capac,  conquérant  de  Quito,  était 
mort  en  1526.  Deux  de  ses  fils,  Atahualpa  et 
Huascar,  se  disputèrent  sa  succession.  Ce  dernier 
eut  l'idée  d'appeler  à  son  secours  trois  aventu- 
riers espagnols,  qui,  après  une  première  recon- 
naissance du  pays  (1524-1527),  avaient  reparu  sur 
la  côte  du  Pérou,  au  nom  de  Charles-Quint,  avec 
180  soldats.  Cotaient  Pizarre,  Almagro  et  de 
Luque.  Ils  accoururent.  Huascar  fut,  il  est  vrai, 
vaincu,  pris  et  peu  après  mis  à  mort.  Mais  Ata- 
hualpa, qui  redoutait  fort  ces  étrangers  à  cause 
de  leurs  armes  à  feu  et  de  leurs  chevaux,  leu)- 
envoya  do  riches  présents  qui  ne  firent  qu'exciter 


PEROU 


—  1550  — 


PERSE 


leur  cupidité.  Il  alla  même  au  devant  d'eux  et  les 

rencontra  h  Cajamarca  (novembre  1532).  Là,  sans 
préambule,  Valverde,  chapelain  des  Esp.agnols, 
somme  1  Inca  de  reconnaître  Cliarles-Quint  pour 
suzerain  et  de  se  faire  clirétien.  Atahualpa  refuse. 
Aussitôt,  Pizarre  se  saisit  de  lui  et  massacre  son 
escorte.  Le  malheureux  roi  livre,  pour  se  rache- 
ter, assez  d'or  et  d'argent  pour  remplir  une  vaste 
chambre.  Il  n'en  est  pas  moins  étranglé  par  ordre 
du  conguiytador,  qui,  peu  après,  au  milieu  de  la 
stupeur  générale,  s'empare  de  Cuzco,  dont  son 
compagnon  de  Luque  devient  évoque.  Les  Espa- 
gnols, entraînant  avec  eux  des  bandes  résignées 
de  Quichuas,  qui  leur  servent  d'auxiliaires,  se 
portent  dès  lors  dans  toutes  les  directions.  Benal- 
cazar,  envoyé  vers  le  nord,  occupe  Quito,  fonde 
Guayaquil,  traverse  toute  la  Nouvelle-Grenade. 
Almagro,  se  dirigeant  vers  le  sud,  atteint  les 
plaines  de  Copiapo  et  signifie  aux  indigènes  les 
volontés  de  Charbs-Quint  et  celles  du  pape.  Pen- 
dant ce  temps,  Pizarre  construit  Lima,  future  ca- 
pitale du  Pérou  (15.35).  Le  soulèvement  de  Cuzco, 
fomenté  pur  Manco-Capac,  frère  d'Atahualpa,  com-  , 
promet  un  instant  l'œuvre  commencée.  Mais 
Ahuagro  accourt  et  reprend  la  ville.  Il  est  vrai  que 
les  conquérants  ne  tardent  pas  à  s'enlre-déchirer. 
Pizarre,  qui  a  fait  mettre  à  mort  Almagro  (1538), 
est  lui-même  assassiné  (1541).  Son  frère  Gonza- 
lez, après  plusieurs  victoires  et  bien  des  cruautés,  ; 
périt  à  son  tour  sur  lécliafaud  (1516).  Mais  l'au- 
torité du  roi  d'Espagne  sur  le  pays  est  maintenue 
grâce  au  vice-roi  La  Gasca.  Elle  s'étend  môme  à 
l'est  des  Andes,  jusque  dans  le  bassin  de  la  Plata; 
dans  le  sud  jusqu'au  Chili,  où  Valdivia  fonde  San- 
tiago; dans  le  nord  jusqu'à  l'Amazone  (voyages 
d'Orellana  en  1541,  d'Aguirre  en  l.OGJ,  etc.).  Quant 
aux  Incas,  après  Sairi-Tupac,  qui  meurt  prison- 
nier, et  Amaru-Tupac,  qui  est  décapité  par  les 
vainqueurs  (1562),  ils  sont  dépouillés  de  tout 
pouvoir,  rentrent  dans  l'obscurité  et  partagent  la 
servitude  de  la  nation  péruvienne. 

m.  Le  Pérou  sous  la  domination  espagnole.  — 
Pendant  près  de  trois  siècles  qu'elle  a  possédé  ce 
pays.  l'Espagne  n'a  guère  cherché  à  faire  oublier 
la  barbarie  des  premiers  conquérants.  Sans  souci 
des  ressources  agricoles  de  cette  belle  contrée, 
elle  n'a  jamais  paru  préoccupée  que  de  l'extrac- 
tion des  métaux  précieux,  qui  abondent  dans  les 
Andes.  La  population,  mise  en  coupe  réglée  par 
les  chercheurs  d'or,  décimée  par  le  fanatisme  de 
l'Inquisition,  tomba  en  quelques  années  de  huit 
à  six  millions  d'habitants.  Vainement  les  lois 
royales  reconnurent-elles  la  liberté  personnelle 
aux  Indiens.  Le  Conseil  des  Indes,  chargé  de  les 
protéger,  était  trop  loin.  Le  vice-roi  et  Vaudien- 
cia  ou  haut  tribunal  étendaient  sur  toutes  les  pos- 
sessions espagnoles  de  l'Amérique  du  Sud  une 
autorité  arbitraire  et  de  fait  presque  exempte  de 
contrôle.  (La  vice-royauté  de  Bogota  ne  fut  créée 
qu'en  1718,  et  celle  de  Buenos-Ayres  qu'en  me.) 
Les  capitaines-généraux  placés  à  la  tête  des 
grandes  provinces  étaient  eux-mêmes  si  éloignés 
de  toute  surveillance  qu'ils  pouvaient  impuné- 
ment commettre  les  abus  de  pouvoir  les  plus  ré- 
voltants. Les  fonctionnaires  ne  songeaient  qu'à 
piller  le  pays.  Les  colons  et  créoles  étaient  exclus 
des  charges  publiques.  Quant  aux  Indiens,  par- 
qués dans  leurs  villages,  réduits  à  la  misère  la 
plus  abjecte,  ils  étaient  également  soumis  à  la 
mita,  c'est-à  dire  réquisitionnés  pour  les  trans- 
ports ou  pour  les  travaux  des  raines,  devaient 
payer  des  tributs  exorbitants  et  étaient  contraints, 
grâce  au  repartimiento,  d'acheter  aux  agents  de 
l'État  (qui  exerçait  dans  le  pays  tous  les  mono- 
poles) les  produits  inutiles  —  et  avaries  —  de  l'in- 
dustrie européenne  ,on  leur  vendait,  par  exemple, 
d'autorité,  des  lunettes  ou  des  bas  de  soie,  dont 
ils  n'avalent  que  faire).   Il   faut  ajouter  que  l'Es- 


pagne leur  interdisait,  par  crainte  de  la  concur- 
rence, les  cultures  et  les  industries  auxquelles 
elle  se  livrait  elle-même  et  qui  eussent  pu  les 
enrichir. 

IV.  Le  Pérou  indé  pendant.  —  Cette  politique 
barbare  et  inintelligente  porta  ses  fruits.  La  doci- 
lité proverbiale  des  Péruviens  fit  place  peu  à  peu 
à  une  tendance  toute  différente,  qui  se  manifesta, 
dès  le  milieu  du  xviii»  siècle,  par  de  violentes 
insurrections.  En  174'?,  un  Inca  fut  proclamé 
souverain  par  les  indigènes.  En  1780,  un  des- 
cendant de  Tupac-Amaru,  Condorcanqui,  groupa 
autour  de  lui  une  grande  partie  de  la  nation. 
Fait  prisonnier,  il  périt  dans  d'affreux  suppli- 
ces. Mais  ses  neveux,  Catari  et  Andrès,  le  ven- 
gèrent par  de  sanglantes  représailles.  A  partir  de 
cette  époque,  le  Pérou  ne  cessa  de  revendiquer 
son  autonomie.  Au  commencement  du  xix'  siè- 
cle, lorsque  l'usurpation  de  Joseph  Bonaparte 
donna  aux  colonies  espagnoles  un  prétexte  pour 
se  soulever,  Pumacagua  se  mit  à  la  tête  des  Qui- 
chuas, et,  cette  fois,  les  créoles  confondirent 
leur  cause  avec  celle  des  Indiens.  Le  parti  na- 
tional, tenu  en  échec  pendant  plus  de  dix  ans  par 
les  Espagnols,  reçut  enfin  en  IS.'O  le  puissant 
concours  de  lord  Cochrane  et  du  général  Saint- 
Martin,  que  le  Chili  émancipé  envoyait  à  son  se- 
cours avec  une  armée.  L'n  peu  plus  tard,  Bolivar, 
libérateur  de  la  Colombie,  arrivait  à  son  tour  au 
Pérou,  dont  la  victoire  d'Ayacucho  (I82i)  com- 
pléta l'affrancliissement.  Malheureusement  la  par- 
tie méridionale  et  orientale  de  ce  pays  forma 
dès  cette  époque,  sous  le  nom  de  Bolivie,  une 
république  indépendante.  Le  Pérou  proprement 
dit,  après  avoir  rejeté  la  constitution  semi-mo- 
narchique que  Bolivar  lui  avait  donnée  en  1826, 
adopta  une  organisation  démocratique  qui,  vu 
le  peu  d'habitude  qu'il  avait  de  la  liberté,  ne 
tarda  pas  à  produire  l'anarchie  (1827-18;'9).  Des 
généraux  improvisés,  tels  que  Gamarra,  Orbegoso, 
Lafuente,  Salaberry,  se  disputèrent  le  pouvoir  les 
armes  à  la  main.  En  1836,  le  Pérou,  divisé  en 
deux  républiques,  fut  contraint  par  Santa-Cruz, 
président  de  la  Bolivie,  de  former  avec  cet  Etat 
une  confédération  que  la  jalousie  du  Chili  ne  tarda 
pas  à  dissoudre  (bataille  de  Jungay,  18:t9).  S'il  a, 
depuis,  recouvré  son  unité  et  son  indépendance, 
il  a  vu  s'ouvrir  une  interminable  série  de  coups 
d'Etat  militaires,  dont  le  détail  serait  fastidieux. 
Si  l'administration  ferme  et  intelligente  du  prési- 
dent Castilla,  qui  a  exercé  le  pouvoir,  à  plusieurs 
reprises,  de  1845  à  1861,  lui  a  permis  de  faire 
quelques  progrès  (développement  du  commerce, 
de  l'industrie,  exploitation  du  salpêtre,  du  guano, 
etc.);  —  si,  sous  Pezet,  Causeco  et  Prado,  lia  pu 
se  mesurer  honorablement  avec  l'Espagne  (1864- 
1866);  s'il  s'est  enrichi  sous  Balta  (1868-72)  et 
Pardo  (1872-76)  d'un  important  réseau  de  chemins 
de  fer  et  de  grands  établissements  d'instruction 
publique,  il  n'a  pas  cessé  d'être  la  terre  classique 
àe%  pronun(^iamiento<:,  àes,  dictateurs  et  des  guerres 
civiles.  En  1872,  les  frères  Gutti^rez,  après  s'être 
emparés  violemment  du  pouvoir,  étaient  massacrés 
par  le  peuple  de  Lima.  En  1876.  Pardu  était  assas- 
siné dans  l'enceinte  même  du  sénat.  Enfin  tout 
récemment  Prado,  redevenu  président  en  1876, 
était,  au  milieu  d'une  guerre  malheureuse  (qui 
dure  encore)  contre  le  Chili,  renversé  par  le  gé- 
néral Pierola  (lR7ii)  Le  Pérou,  qui  pourrait  être 
un  des  Etats  les  plus  r.clies  du  Nouveau-Monde, 
doit  à  ces  agitations  la  ruine  de  son  crédit  et 
l'arrêt  momentané  de  son  industrie  et  de  son 
commerce.  [A.  Debidour.J 

IM'Rl'EPiiDICULAlRE.  —  V.  Lignes,  Droites  et 
Plans. 

rBItSE  ET  MF.DIE.  —  Histoire  générale,  V.  — 
Médie  est  la  forme  grecque  du  mot  Mada,  signi- 
1  tiant  pai/s,  terre,  et  Perse  vient  du  nom  Parçâ. 


PERSE 


—  1551  — 


PERSE 


Géoqraphin.  —  La  M(idie  et  la  Perse  occupent 
la  paiaie  occidentale  du  vaste  plateau  situé  entre 
la  mer  Caspienne  et  la  mer  Erytlirée,  le  bassin  du 
Tigre  et  le  bassin  do  l'Indos.  Ce  plateau  a  reçu  le 
nom  de  Krân  (Iran),  pays  des  Aryens.  Toute  la 
partie  centrale  en  est  occupée  par  un  vaste  désort 
sablonneux.  La  Médie  proprement  dite  était  à 
l'angle  nord-ouest  du  plateau,  la  Perse  à  l'angle 
sud-ouest.  La  principale  ville  de  la  Médie  était 
Ecbatane  (Hamadan),  qui  fut  la  capitale  de  l'em- 
pire mède  ;  la  Perse  avait  pour  capitale  Pasagardes 
et  Persépolis.  Les  deux  pays  sont  froids  dans  la 
partie  montagneuse,  très  chauds  sur  les  parties 
qui  conlinent  au  désert  central.  Le  sol  y  est  fertile 
et  riche  en  pâturages. 

Histoire.  —  Les  plus  anciens  renseignements 
que  nous  ayons  sur  les  peuples  du  plateau  crânien 
nous  sont  parvenus  par  l'intermédiaire  des  monu- 
ments cunéiformes.  Dès  le  xiii"  siècle  avant  notre 
ère,  les  conquérants  assyriens  soumirent  les  tribus 
qui  occupaient  les  abord.s  du  Haut-Tigre,  et  péné- 
trèrent sur  le  plateau  même.  Vers  lo  milieu  du 
VIII'  siècle,  Toukiat-liabal-asar  II  (V.  Assyrie), 
après  une  pointe  hardie  poussée  à  travers  le  con- 
tinent jusqu'au  bord  do  l'Indus,  commença  la  con- 
quête des  régions  situées  au  nord-est  et  à  l'est  de 
Ninive,  entre  la  chaîne  du  Khoatras  et  la  Cas- 
pienne. La  colonisation  assyrienne  continua  sous 
Sargon  et  sous  ses  successeurs,  Sinakhô-irib, 
Assour-akhé-idin,  Assourban-habal  :  pendant  un 
siècle,  la  Médie  proprement  dite  fut  une  véritable 
province  assyrienne,  souvent  révoltée  contre  ses 
maîtres,  mais  toujours  réduite  à  obéir.  Les  noms 
de  peuples,  de  villes  et  d'individus  que  nous  y 
font  connaître  les  monuments,  sont  fort  différents 
par  la  forme  de  ceux  que  nous  rencontrons  dans 
les  documents  de  l'époque  classique.  Le  pays 
était  habité  en  effet  par  une  race  distincte  des 
races  aryenne  et  sémitique,  et  dont  la  langue  se 
rattache  d'un  côté  à  l'idiome  parlé  dans  la  Su- 
siane  (V.  lilam),  de  l'autre  aux  idiomes  altaiques. 
C'est  cette  race  qui  paraît  avoir  donné  à  la  con- 
trée qu'elle  peuple  le  nom  national  de  Mada,  lit- 
téralement (1  le  sol,  la  terre.  »  Vers  le  milieu  du 
VIII'  siècle,  des  noms  d'hommes  et  de  tribus  aryens 
commencent  à  paraître,  puis  se  multiplient  :  h  la 
fin  du  vil',  les  Aryens  étaient  maîtres  de  toute  la 
région  et  avaient  réduit  les  anciens  habitants  à  la 
condition  d'esclaves  ou  de  tributaires. 

La  tradition  éranienne,  conservée.dans  les  débris 
de  l'Avesta,  plaçait  au  centre  de  l'Asie  l'origine 
de  la  race  des  Mèdes  et  des  Perses  aryens.  Là,  sur 
la  lisière  du  Pamir,  s'était  étendu  l'Airyanèm- 
Vâedjô,  0  l'Habitation  des  Aryas.  »  Le  froid  en 
chassa  les  Éraniens  et  les  força  i  chercher  une 
nouvelle  patrie  ;  sans  cesse  chassés  de  contrée  en 
centrée  par  la  mauvaise  volonté  d'Angro-mainyous, 
l'esprit  du  mal,  ils  avaient  parcouru  successive- 
ment Çoughdliâ  (la  Sogdiane),  Bakhdhî  (la  Bac- 
triane)  ou  le  «  pays  des  hautes  bannières,))  Niçâyà, 
puis  s'étaient  séparés  en  plusieurs  rameaux  dont 
l'un  avait  fini  par  s'établir  dans  le  bassin  moyen 
de  l'Indus  (Heptahendou),  tandis  que  les  autres, 
s'étendant  vers  l'ouest  et  le  sud-ouest,  conqué- 
raient la  partie  du  plateau  qui  borde  le  cours  du 
Tigre.  Rien  dans  les  monuments  n'est  venu,  jus- 
qu'à présent,  confirmer  les  données  de  cette  géo- 
graphie mystique.  On  voit  seulement  que  la  race 
éranienne  se  sépara  en  deux  brajiclies  principales, 
dont  l'une  emprunta  aux  populations  qu'elle  vain- 
quit le  nomdeMadaï,  les  Mèdes,  tandis  que  l'autre 
s'appelait  Parçâ,  les  Perses.  L'histoire  de  leur 
établissement  fut  altérée  de  bonne  heure  par  la 
légende  populaire  et  par  l'orgueil  national.  On 
prétendit  que  les  Mèdes,  soumis  aux  Assyriens  par 
Sémiramis,  s'étaient  soulevés  vers  78S  contre  les 
descendants  dégénérés  de  la  grande  reine,  avaient 
pris  Ninive  et  fondé  un  grand  empire  indépendant 


Le  premier  roi  avait  été  Arbakès,  à  qui,  après  un 
interrègne,  avait  succédé  toute  une  lignée  de  rois, 
quatre  selon  Hérodote,  huit  selon  Clésias,  de 
Uéiôkès  à  Astyagès.  Le  fondateur  réel  de  la  puis- 
sance éranienne  fut  Ouwakhshatrâ  (Vakistarra), 
que  les  Grecs  connurent  sous  le  nom  de  Kyaxarès. 
D'après  Hérodote,  il  aurait  été  fils  de  Phraonès 
et  aurait  hérité  de  son  père  un  empire  déjà  foriné. 
On  croit  aujourd'hui  qu'il  était  né  sur  les  rives 
de  laCaspienne,  entre  l'Atrek  et  l'Oxus,  et  qu'il  fut 
avec  son  père  le  chef  d'une  migration  éranienne 
qui,  après  avoir  arraché  aux  Assyriens  la  posses- 
sion du  plateau  mède,  serait  descendue  dans  le 
bassin  du  Tigre  et  y  aurait  été  vaincue  par  le  vieil 
Assour-ban-habal  ou  par  son  successeur.  Phraortès 
aurait  été  tué  dans  la  bataille  et  son  fils  Kya- 
xarès se  serait  retiré  dans  les  montagnes  pour  y 
former  une  armée  régulière.  Surpris  par  l'invasion 
des  Cimmériens  (634),  il  se  délivra  d'eux  au  bout 
de  six  ans  (027),  et  profita  du  coup  terrible  qu'ils 
avaient  porté  à  la  puissance  assyrienne  pour  re- 
prendre contre  elle  ses  projets  ambitieux.  Allié 
au  Chaldéen  Nabou-bal-oussour,  il  assiégea  Ninive, 
la  prit  après  un  long  siège  (625),  et  partagea  avec 
Babylone  l'empire  du  vaincu.  Il  eut  pour  sa  part 
l'Assyrie  propre  et  tout  ce  qui  en  dépendait  au 
nord  et  au  nord-est,  c'est-à-dire  l'Arménie  et  le 
bassin  du  Haut-Euphrate,  auquel  il  joignit  bientôt 
la  Cappadoce  et  le  Pont  à  l'ouest.  Une  guerre 
indécise  avec  Alyattès,  roi  de  Lydie,  terminée  par 
l'entremise  des  Chaldéens,  donna  de  ce  côté 
l'Halys  pour  limite  à  son  empire  (610).  Une  longue 
paix  suivit,  qui  dura  le  reste  de  la  vie  de  Kyaxarès 
et  la  plus  grande  partie  du  règne  de  son  fils  Astya- 
gès. Mais  ce  dernier  prince  ;i'avait  pas  d'enfant 
mâle,  et  sa  couronne  devait  passer  aux  fils  de  sa  fille 
Mandane,  mariée  à  un  souverain  vassal,  Kambou- 
zia  1",  roi  de  Perse.  Il  descendait  d'un  certain 
Akliamanish  ^Achéménès),  et  était  le  troisième  de 
la  lignée  Le  passage  de  la  domination  des  Mèdes 
aryens  aux  Aryens  persans  ne  se  fit  pas  sans  luttes. 
La  légende  veut  qu'Astyagès,  se  sentant  menacé 
par  Kouroush  (Kyros  ou  Cyrus),  fils  de  Mandane, 
ait  essayé  de  le  faire  périr  une  première  fois,  dès 
sa  naissance,  puis  vers  l'âge  d'homme.  Quoi  qu'il 
en  soit  de  ces  récits,  Kyros  se  souleva  contre  son 
grand'père.  le  battit  après  une  longue  résistance 
et  le  prit.  Ce  fut  plutôt  un  changement  de  dynastie 
qu'une  véritable  conquête  :  Astyagès  et  ses  pré- 
décesseurs avaient  été  rois  des  Mèdes  et  des  Perses, 
Kyros  et  ses  successeurs  furent  rois  des  Perses  et 
des  Mèdes. 

Kyros  tourna  contre  les  anciens  alliés  des  Mèdes 
la  puissance  qu'il  venait  d'acquérir,  et  ce  fut  d'a- 
bord aux  Lydiens  qu'il  s'attaqua  (554).  Après  une 
première  bataille  indécise,  Kroisos  (Crésus),  roi  des 
Lydiens,  surpris  en  plein  hiver,  fut  vaincu,  et  sa 
capitale.  Sardes,  enlevée  d'assaut.  La  conquête  . 
de  l'Asie  Mineure  fut  achevée  par  Mazarès  et  par 
Harpagos,  qui  soumirent  les  Grecs  de  la  côte, 
tandis  que  Kyros  s'enfonçait  vers  l'est  et  réduisait 
les  provinces  de  l'Asie  supérieure,  la  Bactriane, 
le  pays  des  Saces,  l'Arie,  l'Arachosie  et  tout  le 
pays  situé  entre  le  fieuve  de  Caboul  et  l'Indus 
(554-539  .  Il  s'assurait  ainsi  les  forces  suffisantes 
pour  abattre  la  Chaldée.  La  résistance  ne  fut  ni 
aussi  forte  ni  aussi  longue  qu'on  aurait  dû  s'y 
attendre  :  le  roi  JNabounahid  fut  vaincu,  Babylone 
fut  prise  et  toute  la  domination  chaldéennc,  du 
golfe  Persique  à  la  frontière  égyptienne,  passaaux 
mains  des  Perses  (538).  Une  guerre  contrel  Egypte 
devenaitinévitable.  Avant  de  l'entreprendre,  Kyros 
se  tourna  encore  une  fois  vers  la  Haute-Asie,  oit 
il  disparut  d'une  façon  mystérieuse  (529).  On  ra- 
conta depuis  qu'il  avait  été  b..tiu  et  tué  par  Tho- 
myris,  reine  des  Massagètes.  Avantde partir  en  ex- 
pédition il  avait  reconnu  son  fils  aîné,Kambou/.ia  II 
I  (Kanibysès  ouCamhysej,  pour  successeur  et  assure 


PERSE 


—  1552  — 


PERSE 


à  son  second  fils  Bardiya(SmerdisUe  gouvernement 
de  plusieurs  provinces.  Cambyse,  pour  écarter  un 
compétiteur  possible,  lit  tuer  son  frère  secrètement, 
de  manière  que  le  meurtre  restât  ignoré  de  la  foule, 
puis  partit  pour  l'Egypte.  Le  Pharaon  Psamétik  111, 
fils  d'Amasis,  venait  de  monter  sur  le  trône  :  il  fut 
battu  à  Péluse  et  pris  dans  Memphis  (525;.  Sa  dé- 
faite entraîna  la  soumission  immédiate  de  tout  le 
pays,  et  Cambyse  voulut  porter  plus  loin  ses  armes. 
Mais  les  deux  expéditions  qu'il  entreprit  contre  l'oa- 
sisd'Ammon  et  contre  le  royaume  éthiopien  de  Na- 
pata  échouèrent  misérablement.  La  tradition  rap- 
porte que  l'insuccès  le  rendit  furieux  :  il  maltraita 
les  Égyptiens  et  les  Perses.  Le  mécontentement 
se  mit  dans  son  empire,  et  le  mage  Gaumàta  en 
profita  pour  usurper  la  couronne  sous  le  nom  de 
Bardiya.  Cambyse  partit  pour  le  combattre,  mais 
se  tua  en  route,  les  uns  disent  volontairement, 
les  autres  par  accident  (520-  Gaumàta  ne  lui  sur- 
vécut pas  longtemps  :  sa  fraude  fut  découverte  et 
lui-même  massacré,  au  bout  de  six  mois  de  règne, 
par  sept  nobles  Perses.  Les  conjurés  élurent  roi 
l'un  d'entre  eux,  Dariavoush  (Darios),  fils  de  Vis- 
taçpa  (Hystaspès),  qui  appartenait  à  la  race  des 
Achéménides.  Le  nouveau  monarque  dut  conquérir 
son  royaume.  Babylone  se  souleva  deux  fois  sous 
des  imposteurs  qui  se  firent  passer  pour  les  fils 
de  Nabounahid  ;  la  Médie,  l'Arménie  et  l'Assyrie 
reconnurent  pour  roi  Khshàtritâ,  descendant  de 
Kyaxarès;  l'Elam  et  la  Perse  suivirent  cet  exemple 
et  se  donnèrent  à  plusieurs  reprises  des  souve- 
rains indépendants.  Six  années  entières  (521-516) 
furent  employées  à  étouffer  la  rébellion  et  à  réta- 
blir la  suzeraineté  de  Darios  sur  toute  l'Asie. 

Kyros  et  Kambysès  avaient  fondé  l'empire  ; 
Darios,  éclairé  par  l'expérience  de  ses  débuts, 
sentit  le  besoin  de  l'organiser.  Il  rompit  avec  les 
traditions  administratives  des  empires  précédents, 
et  créa  une  tradition  nouvelle.  Il  n'enleva  pas 
aux  différentes  races  sur  lesquelles  il  régnait  leur 
religion,  leurs  mœurs,  leur  langue,  leur  constitu- 
tion :  loin  de  là,  il  rendit  aux  Juifs,  i  qui  Cyrus 
avait  déjà  rouvert  la  Palestine,  le  droit  d'achever 
la  construction  de  leur  temple,  laissa  leurs  suffèies 
et  leurs  rois  aux  Phéniciens,  ses  monarques  héré- 
ditaires à  l'Egypte.  Mais  au-dessus  de  ces  auto- 
rités locales,  il  établit  un  pouvoir  unique.  Il 
divisa  le  territoire  en  grandes  provinces  dont  le 
nombre  varia  selon  les  époques.  Au  début,  il  était 
de  vingt-trois  :  la  Perse  (Parçà),  l'Elam  ou  Susiane 
(Ouvajâ),  la  Chaldée  (Babirous),  l'Assyrie  (Athou- 
râ),  la  Mésopotamie,  avec  la  Syrie,  la  Phénicie  et 
la  Palestine  (Arabayâ),  l'Egypte  (Moudrayàj.  les 
peuples  de  la  mer  avec  Chypre  et  la  Cilicie  (Tyiya 
darayahyà),  la  côte  grecque  de  l'Asie  Mineure 
(Yaounà),  la  Lydie  et  la  Mysie  (Çpardâ),  la  Médie, 
l'Arménie,  la  Cappadoce  (Katpatoukai,  la  Par- 
thyène  et  l'Hyrcanie  (Parthavà),  la  Zarangiène 
(Zarânka),  l'Arie  (Haraîva),  la  Chorasmie  (Ouvâ- 
razmiya),  la  Bactriane  (Bakhtris:,  la  Sogdiane 
(Çoughdà),la  Gandarie  (Gandaral.les  SaceSiÇaka), 
les  Sattagydes  (Thatagous .■,  l'Arachosie  (Haraouva- 
tis),  les  Maka,  sur  la  mer  Caspienne,  etc.  Ce  nombre 
augmenta  par  la  conquête  ;  sur  la  fin  du  règne,  il 
âtait  de  trente  et  un.  Pour  éviter  que  ces  pro- 
vinces devinssent  autant  de  principautés  indépen- 
dantes, Darios  mit  dans  chacune  d'elles  trois 
officiers  de  rang  égal  et  qui  ne  relevaient  que  du 
roi  :  le  satrape,  le  scribe  royal,  et  le  commandant 
militaire.  Le  satrape,  qui  pouvait  être  choisi  |iarmi 
les  gens  de  race  étrangère  aussi  bien  que  parmi 
les  Perses,  avait  un  pouvoir  illimité  sur  toutes 
les  affaires  civiles  et  criminelles,  réglait  la  répar- 
tition des  imi  ùts  et  rendait  la  justice.  Le  scribe, 
chargé  ostensiblement  de  la  chancellerie,  était  en 
réalité  un  espion  officiel  attaché  à  la  personne  du  sa- 
trape et  occupé  à  rendre  compte  en  haut  lieu  de  tou- 
tes les  actions  de  celui-ci.  Le  commandant  mili- 


taire avait  en  main  tous  les  soldats  perses  ou 
étrangers  campés  sur  le  territoire  de  la  satrapie. 
Ces  trois  officiers  étaient  en  hostilité  constante, 
et  l'influence  de  chacun  contrebalançait  1  influence 
des  deux  autres  assez  également  pour  les  mainte- 
nir tous  dans  le  devoir.  Ils  étaient  en  relations 
perpétuelles  avec  la  cour  par  le  moyen  de  cour- 
riers qui  allaient  régulièrement  en  quelques 
semaines  du  centre  de  l'empire  jusqu'aux  extré- 
mités les  plus  reculées.  Enfin,  chaque  année,  des 
inspecteurs  nommés  les  Yevx  et  les  Oreilles  du 
Itoi,  arrivaient  à  l'improviste  dans  chaque  pro- 
vince, escortés  d'une  petite  armée,  examinaient 
l'état  des  affaires,  recevaient  les  plaintes,  et  au 
besoin  déposaient  le  satrape.  Leurs  rapports  déci- 
daient le  plus  souvent  du  sort  des  employés 
royaux  :  au  moment  où  le  satrape  .s'y  attendait  le 
moins,  un  envoyé  muni  de  pleins  pouvoirs  arri- 
vait, s'emparait  de  son  palais  et  de  sa  personne 
et  le  mettait  à  mort.  Ce  système  ne  plut  pas 
d'abord  aux  Perses  ;  ils  s'en  allaient  répétant  que 
Kyros  avait  été  un  père,  Kambysès  un  maître,  et 
que  Darios  était  un  cabaretier.  Ils  étaient  pour- 
tant exempts  d'impôts,  tandis  que  les  autres 
provinces  payaient  un  revenu  en  argent  ou  en 
nature  proportionné  à  leur  richesse  ou  à  leur 
étendue.  Pour  simplifier  les  comptes,  Darios  créa 
une  monnaie  nouvelle,  qui  prit  le  nom  de  dari- 
qtie.  L'or  qu'il  recevait  annuellement  montait  à 
82  799  •'■6G  francs  en  poids,  ou,  en  tenant  compte 
de  la  différence  entre  la  valeur  actuelle  et  la 
valeur  ancienne  des  métaux  précieux,  063  000  000 
de  francs.  Le  tribut  en  nature  n'était  pas  moins, 
considérable  :  l'Egypte  fournissait  du  blé  pour 
une  armée  de  120  000  hommes,  la  Médie  100  000 
moutons,  4  000  mulets,  3  000  chevaux,  etc.  Ce  n'é- 
tait que  l'impôt  officiel  :  les  employés  du  gouver- 
nement vivaient  sur  la  province,  et  leur  entre- 
tien devait  coûter  au  moins  autant  que  l'impôt. 
Ce  système,  pour  imparfait  qu'il  fût,  était  cepen- 
dant supérieur  à  tout  ce  qu'on  avait  connu  jus- 
qu'alors. Darios,  en  le  créant,  créa  une  forme  de 
gouvernement  qui  resta  le  type  de  toutes  les 
grandes  monarchies  orientales. 

La  conquête  ne  s'arrêtait  pas  cependant.  Vers 
512,  Darios  envahit  l'Inde,  y  fonda  dans  le  bassin 
de  l'Indus  une  satrapie  nouvelle,  et  fit  explorer 
les  côtes  de  la  mer  Erythrée,  entre  l'embouchure 
de  l'Indus  et  le  fond  de  la  mer  Rouge,  par  l'amiral 
grec  Skylax  de  Karyanda.  Il  se  reporta  ensuite 
vers  l'Occident,  où  la  Grèce  tentait  son  ambition. 
Une  grande  expédition  contre  les  Scythes,  entre- 
prise afin  d'empêcher  ces  tribus  nomades  de  l'at- 
taquer en  flanc  ou  sur  ses  derrières,  tandis  qu'il 
serait  occupé  en  Grèce,  l'entraîna  presque  jus- 
qu'au cœur  de  la  Russie  actuelle  ;  il  en  ramena 
une  armée  exténuée,  mais  inspira  aux  Scythes 
une  terreur  telle  qu'ils  respectèrent  désormais 
]  son  empire.  La  conquête  de  la  Thrace  et  la  sou- 
mission de  la  Macédoine  (506)  d'un  côté,  l'asser- 
j  vissement  des  Grecs  de  Cyrène  i50s),  le  mirent 
;  en  contact  direct  avec  les  peuples  de  la  Grèce 
propre.  Arrêté  un  moment  par  la  révolte  de  l'Io- 
nie,  il  reprit  l'attaque  en  4y2  avec  Mardonios,  en 
490  avec  Datis  et  Anaphcrnès  ;  la  victoire  des 
;  Athéniens  à  Marathon  ouvrit  l'ère  des  guerres 
médiques  et  fut  le  premier  échec  sérieux  que 
subit  la  domination  perse.  On  a  vu  ailleurs  ce 
que  furent  ces  guerres  (V.  Grèce).  Elles  rem- 
plirent ce  qui  restait  du  règne  de  Darios  1" 
(4'.)0-4.s7)  et  tout  le  règne  de  Khshayarsha  (Xer- 
xès)  I"  (487-465);  elles  se  terminèrent  sous  Arta- 
xerxès  (4G5-425)  par  un  traité  (419)  qui  consacrait 
l'affranchissement  des  Grecs  d'Asie  et  défendait  à 
tout  vaisseau  de  guerre  perse  de  se  montrer  dans 
les  eaux  grecques.  Ce  fui  le  commencement  de 
la  décadence.  Tandis  que  les  armées  et  les  flottes 
,  du  grand  roi  étaient  battues  par  les  ennemis  du 


PERSE 


—  1353  — 


PERSE 


-dehors,  au  dedans  les  révoltes  de  satrapes,  les 
intrigues  de  harem  et  les  conjurations  do  palais 
alTaiblissai(tnt  lo  pouvoir  central.  Xorxès  l"'  avait 
été  assassiné;  lo  successeur  d'Artaxerxès  I"', 
Xorxès  II,  fut  tué  après  vingt-cinq  jours  do  règne 
par  son  l'rèro  Sogdianos,  qui  subit  le  môme  sort 
après  être  resté  sept  mois  et  demi  sur  le  trône 
(i25-12i).  Ce  fut  un  fils  illégitime,  Ochos,  qui  tinit 
par  remporter  et  se  lit  couronner  roi  sous  lo 
nom  de  Darios  II  H'H-iOb).  Son  règne  ne  fut 
qu'une  longue  suite  de  malheurs  ot  de  crimes  : 
l'Asie  Mineure,  la  Bactriane,  se  révoltèrent,  l'E- 
gypte se  rendit  indépendante  sous  Amyrtée  HOb). 
Après  la  mort  de  Darios  II,  la  révolte  de  Kyros 
lo  jeune  contre  son  frère  Artaxerxès  II  Mné- 
mon  (4U1-40U)  et  la  retraite  des  Dix  Mille  mon- 
trèrent aux  Grecs  quelle  était  la  faiblesse  de 
l'empire  perse.  Si,  grâce  aux  luttes  perpétuelles 
des  cités  helléniques,  Artaxerxès  put  interve- 
nir avec  honneur  dans  les  affaires  de  la  Grèce 
et  inaposer  la  paix  d'Antalkidas  (387),  partout 
ailleurs  il  éprouva  des  revers.  Lorsqu'il  mourut 
en  362,  ses  armées  venaient  d'être  repoussées 
de  l'Egypte.  Son  fils  Ochos,  qui  prit  en  montant 
suf  le  trône  le  nom  d'Artaxerxès  III,  releva  un 
peu  la  puissance  perse  ;  il  réprima  les  révoltes 
de  Chypre,  de  l'Asie  Mineure,  de  la  Haute-Asie,  et 
finit,  après  des  défaites  répétées,  par  triompher 
de  la  résistance  do  l'Egypte  (345).  Il  mourut 
en  340  empoisonné.  Son  fils  Arsès  ne  fit  que 
passer  (340-337),  et  Darios  III  Codoman  avait  à 
peine  eu  le  temps  de  s'établir  solidement  sur  le 
trône  quand  Alexandre  de  Macédoine  envahit  l'A- 
sie. Les  victoires  du  Granique  (334),  d'issos  (333), 
d'Arbèles  (330),  le  meurtre  de  Darios  (330)  livrèrent 
l'empire  perse  aux  Macédoniens. 

Mœurs  el  religion.  —  Les  Perses  avaient  dans 
l'antiquité  un  grand  renom  de  bravoure  et  d'hon- 
nêteté :  la  première  chose  qu'ils  enseignaient  à 
leurs  enfants  était  o  tirer  de  l'arc  et  dire  la  vérité  » 
(Hérodote,  I,  138).  Pour  le  reste,  l'éducation  se  ré- 
duisait à  quelques  notions  sur  la  religion  et  l'his- 
toire. Le  peuple  conserva  toujours  ses  vertus  pro- 
pres et  son  courage  ;  les  grandes  familles  et  la  cour 
se  corrompirent  rapidement  au  contact  des  autres 
nations  de  l'Orient.  C'est  surtout  en  Médie  que  le 
luxe  et  la   mollesse  firent  des   progrès  considé- 


La  religion  des  Mèdes  et  des  Perses  était  le  maz- 
déisme appliqué  d'abord  dans  toute  sa  pureté,  puis 
gâté  plus  tard  par  l'ijitroduction  d'éléments  étran- 
gers. Sous  la  seule  forme  ancienne  que  nous  en 
connaissions,  elle  proclame  l'existence  d'un  seul 
dipu,  Ahoura-Mazda,  dont  le  nom  s'est  altéré  en 
Ormuzd.  Comme  l'indique  son  nom,  il  est  souverain 
de  tout  ce  qui  existe  et  sait  tout.  Il  a  tout  créé, 
ni,ajs  sa  création  a  soulevé  contre  lui  des  forces  mal- 
faisantes, qui  sont  représentées  par  l'esprit  du  mal, 
Angrô-maïiiyous  ou  Ahriman.  La  religion  constate 
donc  l'existence  de  deux  principfs  ennemis,  le  bien 
et  lalumière,  Ormuzd,  le  mal  et  les  ténèbres,  Ahri- 
man, sans  cesse  en  lutte  l'un  contre  l'autre.  Pour 
créer  et  pour  maintenir  la  création, Ormuzd  a  six  gé- 
nies bienfaisants,  Amesha-çpentas  (Amshaspands); 
pour  détruire  la  création  d'Ormuzd,  Aliriman  a  six 
génies  malfaisants  ou  Dervends.  Sous  les  six  chefs 
principaux  agissent  des  multitudes  de  Yazatas  ou 
bons  esprits  et  de  Dèvas  ou  mauvais  esprits.  De 
même  que  le  monde,  l'homme  est  soumis  à  la  ri- 
valité du  bien  et  du  mal  :  il  a  une  sorte  d'ange  gar- 
dien. Kra-Arshi  (Férouër),  attaché  à  sa  personne  et 
destiné  è.  fe  garder  contie  l'attaque  des  démons. 
La  religion  lui  recommande  de  prier,  de  travailler, 
surtout  de  cultiver  la  terre.  «  Celui  qui  fait  pro- 
duire du  blé  à  la  terre,  <  elui  qui  fait  pousser  les 
fruits  des  champs,  celui-là  cultive  la  pureté  :  il 
est  plus  pur  en  Ahoura-Mazda  que  s'il  offre  cent 
sacrifices.  »  Le  culte  n'admettait  ni  temples  ni 
2»  Partie. 


statues  :  rien  que  des  hymnes,  quelques  sacrifices, 
et  l'entretien  du  feu  sacré  qui  jamais  ne  doit  s'étein- 
dre. Après  la  mort,  tandis  que  le  corps  était  exposé 
aux  oiseaux  et  aux  bètos,  l'âme  passait  en  jugement 
devant  un  génie,  Kashnou.  Au  sortir  du  tribunal 
elle  s'engageait  sur  le  pont  Shinvat,  qui  mène  au- 
dessus  de  l'enfer  jusqu'au  paradis  :  l'âme  coupable 
tombait  aux  mains  dos  démons,  l'âme  pure  allait  se 
rejoindre  à  Ahoura-Mazda.  Ajoutons  que  le  jour  de- 
vait venir  où  le  mal  cesserait  d'exister  et  où  tous  les 
êtres,  y  compris  Ahriman,  reviendraient  à  la  vertu. 
La  religion  d'Ahoura-Mazda  avait  été  prèchée  par 
Zarathoustra  (Zoroastre),  qu'on  croyait  avoir  vécu 
en  Bactriane  longtemps  avant  la  fondation  de  l'em- 
pire achéménide.  Elle  se  conserva  assez  pure  dans 
la  Perse  propre.  En  Médie,  elle  fut  altérée  par  la 
mélange  de  superstitions  empruntées  aux  peuples 
autochthones  d'origine  non  aryenne: les  mages,  qui 
formaient  la  classe  sacerdotale,  en  firent  un  instru- 
ment de  domination.  Elle  survécut  longtemps  à  la 
conquête  grecque,  et  subsiste  encore  aujourd'hui 
chez  les  Parsii  de  l'Eran  et  de  l'Inde.  Les  livres 
sacrés  renferment  des  fragments  dont  les  plus  an- 
ciens forment  l'Avesta  et  sont  écrits  dans  le  dia- 
lecte zend,  langue  fort  rapprochée  de  celle  desins^ 
criptions  achéménides. 

Les  Perses  avaient  emprunté  à  l'Assyrie  son  sys- 
tème d'écriture  cunéiforme;  ils  le  modifièrent  pro- 
fondément pour  l'adapter  i  leur  langue,  et  en  firent 
un  véritable  alphabet  irès  difl'érent  des  syllabai- 
res assyriens  et  chaldéens.  Les  Mèdes  non  aryeris 
s'étaient  bornés  i  prendre  le  syllabaire  ninivite  et 
â  l'appliquer  presque  sans  modifications  à  leur 
idiome.  Onn'a  d'autres  monumentsde  lalitlérature 
de  ces  deux  langues  que  quelques  inscriptions  dont 
la  plus  longue,  celle  de  Bisoutoun,  raconte  les 
débuts  du  règne  de  Darios.  La  sculpture  et  l'ar- 
chitecture perse  dérivent  directement  de  la  sculp- 
ture et  de  l'architecture  assyrienne.  Les  monu- 
ments de  Persépolis  en  offrent  de  fort  beaux  spéci- 
mens. 

La  Perse  apr'ès  la  conquête  d'Alexandre.  — 
La  conquête  d'Alexandre  mit  pour  près  de  deux 
siècles  la  Perse  sous  la  domination  des  Grecs.  Sa- 
trapie plus  ou  moins  indépendante  de  l'empire  des 
Séleucides,  elle  passa  vers  le  milieu  du  second 
siècle  avant  notre  ère  entre  les  mains  des  Parthes; 
elle  leur  échappa  vers  le  commencement  du  troi- 
sième siècle  après  Jésus-Christ.  Les  légendes  na- 
tionales racontent  qu'un  descendant  d'une  an- 
cienne famille  royale,  Ardecliâ  (Artaxerxès),  fils 
de  Pàpek,  après  avoir  vécu  obscurément  du  tra- 
vail de  ses  mains,  se  souleva  contre  les  Parthes, 
détrôna  leur  roi  Artaban  IV,  et  rétablit  en  partie 
au  moins  l'ancien  royaume  des  Achéménides  (2.'6). 
Victorieux  du  côté  de  l'Orient,  il  rencontra  du 
côté  de  l'Euphrate  les  lésions  romaines,  et,  malgré 
quelques  succès  remportés  sur  Alexandre  Sévère, 
dut  faire  sa  paix  avec  Rome.  Rome  et  plus  tard 
Byzance  devinrent  dès  lors  l'ennemi  héréditaire 
de  la  dynastie  nouvelle  des  Sassanides,  comme  la 
Grèce  l'avait  été  de  l'empire  des  Achéménides. 
Pendant  quatre  siècles,  l'Arménie,  la  Mésopotamie 
et  l'Assyrie  passèrejit,  selon  les  circonstances,  des 
Romains  aux  Perses  et  des  Perses  aux  Romains, 
sans  qu'aucune  des  deux  puissances  réussit  \ 
gagner  sur  l'autre  un  avantage  décisif.  Aux  que- 
relles politiques  se  joignirent  bientôt  des  haines 
religieuses  :  les  Perses,  observateurs  zélés  de  la 
loi  de  Zoroastre,  ne  voulurent  jamais  permettre  au 
christianisme  de  s'implaniercliez  eux.  Un  moment, 
on  put  croire  qu'ils  l'emporteraient  :  Khosrou  II 
iChosroès)  Parvis  (.-.OO-a-M),  d'abord  battu  par  l'em- 
pereur Maurice,  profita  de  la  lâcheté  de  Pliocas 
pour  conquérir  successivement  l'Arménie  et  la  Mé- 
sopotamie (00 i -600,  la-  Syrie  du  Nord  (C07-(i08),  la 
Gappadoce  (610),  L'avènement  d'Héraclius  i(ilO)  ne 
changea  rien  d  abord  à  la  marche  des  événements: 


PERSONNALITE 


—  1534  — 


PERSONNALITE 


I 


en  614  Damas,  en  615  Jérusalem,  en  CIG  Alexan- 
drie et  l'Egypte,  en  61"  Chalcédoine  et  la  moitié 
de  l'Asie  Mineure,  furent  perdues  pour  les  Romains, 
et  Constantinople  assiégée  du  côté  de  l'Europe 
par  les  Avares,  du  côté  do  l'Asie  par  les  Perses 
(620).  L'année  6'21  amena  un  brusque  revirement 
de  fortune  :  dans  une  série  de  campagnes  lieu- 
reuses,  Héraclius  non  seulement  reconquit  les 
provinces  perdues,  mais  porta  la  guerre  au  cœur 
même  du  pays  ennemi,  et  par  la  victoire  de  Ninive 
(627)  décida  du  sort  de  la  guerre.  Les  querelles 
de  palais  complétèrent  le  désastre  :  Chosroès  fut 
assassiné  par  son  fils  Siroès  (628),  et  la  paix  rétablie 
bientôt  après.  11  semble  que  cette  lutte  i  puisa  les 
forces  des  Byzantins  et  des  Perses.  Elle  était  h. 
peine  terminée  que  les  Arabes  entrèrent  en  lice. 
Le  dernier  Sassanide.Yezdegerd  III  (G.'!'2-(i52),  battu 
i  Kâdésiab  (636),  puis  à  Néliârend  (641),  lutta  en- 
core quelques  années  et  finit  par  être  assassiné 
dans  le  Kliorassan  où  il  s'était  réfugié.  La  Perse, 
convertie  îi  l'islamisme,  perdit  son  indépendance 
et  ne  fut  plus  qu'une  province  importante  de  l'em- 
pire des  Khalifes. 

La  civilisation  du  second  empire  perse  nous  est 
assez  peu  conjiue.  Quelques  débris  do  palais,  quel- 
ques inscriptions,  quelques  bas-reliefs  ne  sulfisent 
pas  à  nous  donner  une  idée  complète  de  ce 
qu'étaient  l'architecture  et  les  arts  du  dessin  à  la 
cour  des  Sassanides.  Depuis  le  temps  des  Séleu- 
cides,  les  Perses  avaient  renoncé  .'i  leur  écriture 
cunéiforme  ;  ils  avaient  adapté  à  leur  langue  l'al- 
pliabet  hébraïque  et  créé  ainsi  ce  qu'on  appelle 
l'écriture  ptf/;/i'ie.  Un  certain  nombre  d'inscriptions 
et  de  morceaux  des  livres  sacrés  sont  rédigés  dans 
ce  système  assez  compliqué.  Ce  ne  sont  que  les 
fragments  d'une  littérature  qui  parait  avoir  été 
assez  considérable.  Chosroès  iNnurshirvân  et  son 
ministre  Bourzougmôs,Cliosroès  Parvis,  et  son  mi- 
nistre Bouzourgoumid,  recueillirent  les  traditions 
antiques,  et  firent  traduire  les  livresde  l'Inde  et  sur- 
tout le  recueil  d'apologues  connu  sous  le  nom  de 
Kalilah  et  Dimnah.  La  plupart  des  documents 
recueillis  alors  restèrent  ignorés  pendant  les  pre- 
miers temps  de  la  conquête  musulmane  :  ce  n'est 


c'est  donc  faire  connaître   ce  qu'il  y  a  de  pluî 
essentiel  dans  la  nature  humaine. 

Comment  la  notion  de  la  personnalité  se  déve- 
loppe-t-elle  en  chacun  de  nous,  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  comment  l'enfant  apprend-il  à  se  dis- 
tinguer peu  à  peu  de  tout  ce  qui  l'entoure?  C'est 
ce  qu'il  importe  de  rechercher  tout  d'abord. 

Tout  en  admettant  que  la  notion  de  la  person- 
nalité est  vague  et  indécise  dans  les  premier» 
temps  de  la  vie,  nous  croyons  qu'elle  s'éveille 
d'assez  bonne  heure.  L'enfant  se  distingue  bien 
vite  de  ses  frères,  de  ses  camarades.  Il  répond  à 
l'appel  de  son  nom.  11  sait  démêler  ce  qui  lui  ap- 
partient de  ce  qui  appartient  aux  autres.  Le  senti- 
ment do  la  propriété,  cette  extension  de  la  per- 
sonnalité, est  précoce  chez  lui.  Le  baby  de  deux 
ans  auquel  on  demande  :  «  A  qui  est  ce  chapeau? 
A  qui  sont  ces  joujoux?  "  répond  déjà  et  sans 
hésiter  :  ce  A  moi.  u  On  ne  saurait  d'ailleurs  s'é- 
tonner de  rencontrer  chez  l'enfant  un  sentiment  de 
l'individualité  qui  existe  même  chez  l'animal.  Le 
chien,  par  exemple,  a  assez  de  mémoire  pour  com- 
prendre qu'un  nom  propre  le  distingue  et  le  désigne 
à  l'exclusion  de  tout  autre  animal  de  son  espèce. 

Il  semble  que  l'enfant,  dès  qu'il  a  conscience 
de  ses  sensations  et  de  ses  perception»,  doive  né- 
cessairement se  les  attribuer  à  lui-même  ;  que  la 
conscience  du  moi  soit  enveloppée  dans  toute 
impression  consciente.  Une  perception  en  effet, 
une  sensation,  quelque  obscure  qu'elle  soit,  n'est 
pas  quelque  chose  d'impersonnel  :  elle  est  mienne, 
elle  apporte  avec  elle  l'idée  du  moi  auquel  elle 
appartient. 

Telle  n'est  pas  cependant  l'opinion  de  certains 
philosophes.  Dans  ses  études  sur  la  genèse  de  la 
personiialiié  (voyez  le  Cerveau,  un  volume  de  la 
Bibliothèque  scientifique  intei-nationale),  M.  Luys 
prétend  que  l'enfant  considère  l'ensemble  de  ses 
sensations,  de  ses  souvenirs,  comme  quelque 
chose  qui  lui  serait  étranaer.  La  preuve,  ajoute 
M.  Luys,  c'est  que  l'enfant  a  pour  habitude  de 
parler  de  lui-même  à  la  troisième  personne  r 
Il  Paul  veut  ceci,  l'aul  sera  sage.  »  Le  fait  est  in- 
contestable, mais   l'interprétation  que  lui   doiine 


que  vers  le  cinquième  siècle  de  l'hégire,  sous  la  :  M.  Luys  est  absolument  erronée.  Il  n'y  a  là  évi- 
protection  des  Safïarides,  qui  régnaient  en  Perse,  |  demment  qu'une  insuffisance  de  langage.  L'enfant 
et  des  Samanides,  maîtres  de  la  Transoxiane,  qu'ils  a  de  la  peine  à  apprendre  le  pronom  je,  mais 
furent  mis  en  œuvre.  Le  plus  célèbre  des  grands  \  quand  il  dit  de  lui-même  :  «  Paul  est  bien  content,  » 
poètes  persans  de  l'époque  musulmane,  Firdaouçi,  ilentejid  la  même  chose  que  s'il  disait:  «Je  suis  bien 
a  résumé  dans  le  Skah-^^ù'uéh  ou  Livre  des  Rois,  content.  "  Ayant  toujours  entendu  ses  parents 
toutce  qu'on  savaitde  son  tempssur  les  originesde  :  prononcer  le  mot"  Paul  >>  quand  ils  parlaient  de 
la  monarchie  éranienne.  Son  œuvie,  traduite  par  \  lui,  il  est  tout  naturel  qu'il  l'emploie  à  son  tour 
M.  Mohl,  lui  a  valu  le  titre  glorieux  de  chantre  na-  j  pour  désigner  sa  petite  personnalité  naissante, 
tional,  et  servit  de  modèle  à  tout  un  cycle  épique,  le  D'ailleurs  affirmer  que  l'enfant  considère  comme 
Goushtap-Naméh,  le  Sam-!\'<iniéti,  le  Barzou-Na-  étrangères  à  lui-même,  comme  quelque  chose 
méh,  puisé  comme  elle  aux  sources  originales.  I  d'objectif,  ses  premières  impressions,  c'est  se 
[G.  Maspero.]      |  mettre  dans   1  impossibilité  d'expliquer  la  forma- 

PERS0>.\'.4L1TE. —Psychologie,  XVllI. —  Tout  |  tien  ultérieure  de  l'idée  de  personnalité.  Si  l'en- 
être  humain  ressemble  aux  autres  membres  de  la  |  faut  commence  par  considérer  ses  sensations 
grande  famille  humaine,  et  il  a  des  ressemblances  \  comme  quoique  chose  qui  ne  lui  appartient  pas, 
plus  étroites  encore  avec  les  membres  de  sa  on  se  demande  comment  il  apprendra  à  les  envi- 
propre  famille.  L'hérédité  transmet  avec  la  vie  à  sager  autrement.  Si  les  premières  impressions  de 
chaque  homme  nouveau  des  caractères  déterminés  ,  la  conscience  ne  renferment  pas  l'idée  du  inoi, 
qui  donnent  aux  individus  d'une  même  race  un  \  comment  les  impressions  postérieures  la  coiitien- 
même  air  de  famille.  Mais  en  même  temps  chaque  ;  draient-elles  ?  A  mesure  que  l'enfant  grandit,  sa 
homme  a  son  caractère  propre,  sa  physionomie  ]  conscience  devient  sans  doute  plus  claire,  plus 
originale,  ce  qu'on  appelle  quelquefois  d'un  nom  !  nette  :  mais  elle  ne  change  pas  dans  ses  caractères 
bizarre  son  idiosyncrusie.  Les  attributs  essentiels  |  essentiels.  Si  elle  était  constituée  à  l'origine  par 
du  type  humain  se  retrouvent  en  lui,  mais  ils  y  une  tendance  naturelle  à  objectiver  toutes  choses, 
prennent  un  tour  particulier,  une  expression  spé-  |  elle  ne  saurait  cesser  d'ob(5ir  à  cette  Jendance, 
ciale.  En  un  mot  chaque  homme  est  une  personne  j  et  la  distinction  du  sujet  et  de  l'objet,  c,ii  moi  et 
et  une  certaine  personne.  |  de  nvn-moi,  deviendrait  impossible.  Nous  accor- 

Les  minéraux  et  les  plantes  sont  des  choses  ;  ,  dons  volontiers  que  cette  distinction  est  encore 
les  animaux  sont  à  peine  des  individus;  les  i  obscure  dans  l'esprit  de  l'enfant;  mais  nous 
hommes  sont  des  personnes.  La  personnalité  est  croyons,  à  l'inverse  de  M.  Luys,  que  la  disposi- 
donc  comme  la  forme  suprême  de  la  vie,  cojnmo  lion  enfantine  serait  plutôt  de  tout  subjectiver. 
l'expression  parfaite  de  l'être  individuel.  Définir  la  L'enfant  a  si  bien  la  notion  de  la  personnalité 
personne,  analyser  les  élém  ents  qui  la  constituent,  !  que  cette  notion  ne  tarde  pas  à  s'exagérer  en  lui. 


PERSONNALITE 


—  1555 


PERSPECTIVE 


Il  a  uno  propension  marquée  à  prendre  de  son 
importance  une  liaute  idée,  à  tout  rapporter  à 
lui-mômo  dans  rirréflesion  de  son  égoismo  inno- 
cent. C'est  seulement  en  se  comparant  avec  les 
autres  personnes  d  'Ht  il  est  d'abord  disposé  i  igno- 
rer ou  h  oublier  l'existence,  qu'il  apprendra  pou  à 
peu  il  enfermer  dans  de  plus  justes  limites  sa 
personnalité  envahissante. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  notion  de  la  personnalité  se 
fonde  sur  la  conscience,  c'cst-i-dire  sur  ce  fait 
que  nous  percevons  comme  nôtres  les  pensées, 
les  sentiments,  les  actes  de  volonté  qui  se  succè- 
dent en  nous.  Chaque  nouveau  fait  de  conscience 
est  un  élément  nouveau  de  l'idée  du  moi.  Par 
conséquent  la  mémoire  qui  est  comme  la  con- 
science prolongée,  qui  représente  et  replace  devant 
notre  esprit  les  impressions  passées  de  la  con- 
science, la  mémoire  contribue  à  former  l'idée  de 
la  personnalité.  Par  la  conscience  seule  nous  avons 
déjà  la  notion  d'un  être  un  et  simple,  distinct  de 
tous  les  autres,  que  nous  appelons  moi  :  par  la 
mémoire,  nous  y  ajoutons  l'idée  d'un  être  identi- 
que, c'est-à-dire  qui  reste  le  même  à  travers  tous 
les  changements  de  la  vis. 

Après  s'être  organisé  assez  rapidement  chez 
l'enfant,  le  sentiment  de  la  personnalité  n'aban- 
donne plus  l'homme.  La  notion  du  moi  est  cepen- 
dant sujette,  dans  des  cas  exceptionnels  et  assez 
rares,  soit  à  des  obscurcissements  passagers,  soit 
à  des  exaltations  sinfîulières,  à  des  exagérations 
maladives.  Il  y  a  des  fous  qui  croient  qu'ils  n'exis- 
tent plus,  qu  ils  ont  été  changés  en  verre,  qu'ils 
sont  devenus  une  masse  inerte.  Dans  d'autres  cas 
le  malade  se  croit  roi,  empereur.  Dieu  ;  il  s'ima- 
gine chaque  matin  avoir  grandi  d'un  pied.  Ce  sont 
les  défaillances  de  la  mémoire  qui  expliquent  ces 
anomalies.  De  même  pour  les  cas  de  double  per- 
sonnalité comme  celui  de  Félida  X.,  où  le  même 
individu  vit  on  quelque  sorte  deux  vies,  tout  à  fait 
indépendantes  l'une  do  l'autre,  oubliant  dans  la 
seconde  ce  qu'il  a  été,  ce  qu'il  a  fait  dans  la  pre- 
mière. La  mémoire  est  alors  dédoublée,  et  par  suite 
avec  elle  la  notion  de  la  personnalité. 

A  la  conscience,  à  la  mémoire,   ces  deux   élé - 
ments  essentiels  de  l'idée  du  moi,  nous  joindrons 
la  volonté.  Si  cette  idée  est  encore  faible  et  vague 
chez  l'enfant,  c'est  que  l'enfant  n'est  pas  capable 
de  vouloir.  Ses  facultés  agissent  automatiquement, 
sans  réflexion.  Il  ne  se  possède  pas,  il  ne  se  gou- 
verne pas  lui-même.  Ses  geste's  désordonnés,  son 
bavardage  incessant,  sa  mobilité  perpétuelle  tra- 
hissent un  être  peu  maître  de  lui.  Il  faut  un  long 
temps  avant  que  les  yeux  et  les  mains  de  l'enfant 
deviennent  les  instruments  dociles  de  la  volonté. 
La  notion  de  la  personnalité  n'est  complète  que  le 
jour  où  l'individu,  usant  de   sa  volonté,  dirige  et 
maîtrise,  comme  il  l'entend,  soit  ses  organes  phy- 
siques,   soit  ses    facultés  morales.  Ce  jour-là  en 
effet  l'individu  se  saisit  non  plus  seulement  comme 
une   intelligence   consciente    d'elle-même,    mais 
comme  une  force,  comme  une  puissance  active,  qui 
s'oppose  à  tout  ce  qui  n'est  pas  elle,  qui  entre  en 
lutte  avec  les  fatalités  intérieures  ou  extérieures. 
Nous  avons  raconté  succinctement  l'histoire,  ce 
que  M.  Luys  appelle  la  g'Hése,  de  la  notion  de  la 
personnalité  :  par  là  même  nous  avons   défini  la 
personnalité,  et  analysé  ses  éléments.  Si  la  notion 
de  la  personne  est  encore  vague  chez  le  tout  petit 
enfant,  c'est  que  la  personne  elle-même  n'est  pas 
enij^ore  tout  à  fait  constituée  en  lui.  A  mesure  que 
la  inersoQHalité  s'organise,  la  notion  de  la  person- 
nalité se^  développe  et  s'éclaircit.  Être  une  per- 
sonne, c'est  avoir  la  conscience  do  soi,  c'est  aussi 
être  capable  de  se  gouverner  soi-même.  Quand  les 
déistes,  à   rencontre   des    panthéistes,   affirment 
l'existence  de  la  personnalité  divine,  ils  entendent 
que  Dieu  est  un  être  conscient,  distinct  de  l'uni- 
vers par  la  conscience  qu'il  a  de  lui-iuêmo,  et  ca- 


pable par  sa  toute-puissante  volonté  d'agir  sur  ce 
même  univers. 

Certains  philosophes  de  notre  temps  seraient 
disposés  à  croire  que  la  personnalité  humaine  n'est 
qu'une  apparence  etune  illusion.  D'après  M.  Taine, 
le  moi  n'est  qu'une  collection  de  sensations,  c'est- 
à-dire  d'impressions  conscientes,  une  série  de  sou- 
venirs pour  ainsi  dire  emboîtés  les  uns  dans  les 
autres.  La  personnalité  en  définitive  ne  serait  pas 
autre  chose  que  la  conscience  que  nous  en  avons. 
Il  est  difficile  d'admettre  une  pareille  conclusion. 
D'abord  la  conscience  elle-iuême  n'est  pas  intelli- 
gible s'il  n'y  a  pas  derrière  elle  quelque  chose  de 
réel,  un  principe  simple  et  identique,  simple, 
c'est-à-dire  capable  de  ramener  à  l'unité  des  élé- 
ments multiples  dans  une  perception  consciente, 
identique,  c'est-à-dire  se  perpétuant  dans  l'exis- 
tence et  se  manifestant  par  le  souvenir.  En  second 
lieu,  les  philosophes  dont  nous  parlons  oublient 
trop  que  la  notion  de  la  personnalité  n'est  pas  seu- 
lement une  représentation  :  elle  comprend  un  au- 
tre élément,  le  sentiment  vivace  et  persistant  de 
notre  activité,  de  ce  qui  est  le  fond  de  notre  être, 
la  force. 

Par  cela  seul  que  nous  faisons  partie  de  la  fa- 
mille humaine,  nous  sommes  tous  des  personnes  ; 
mai»  il  dépend  de  nous  de  l'être  plus  ou  moins. 
La  personnalité  n'est  pas  une  chose  absolue  et  qui 
ne  comporte  pas  de  degrés.  Elle  n'est  pas  entiè- 
rement donnée  par  la  nature  :  elle  est  en  partie 
l'œuvre  de  l'éducation  et  de  l'effort.  Il  y  a  des 
hommes  si  irréfléchis,  si  inconsistants  dans  leurs 
jugements,  si  légers  dans  leurs  actes  plus  instinc- 
tifs que  volontaires,  des  hommes  qui  s'abandon- 
nent si  mollement  au  courant  des  passions,  qui 
adhèrent  si  servilement  aux  opinions  d'autrui, 
qu'on  ose  à  peine  dire  d'eux  qu'ils  sont  des  per- 
sonnes. Ceux-là  seuls  le  sont  véritablement  qui 
réfléchissent  à  tout  ce  qu'ils  font,  qui  agissent  avec 
un  sentiment  continu  de  leur  responsabilité,  qui 
par  l'énergie  de  la  volonté  et  la  fermeté  du  carac- 
tère, par  la  solidité  des  convictions,  établissent 
vigoureusement  au  milieu  de  la  foule  humaine  leur 
individualité  propre.  Cet  idéal,  il  appartient  à 
chacun  de  nous  de  le  poursuivre  et  de  l'atteindre 
par  la  réflexion,  par  l'effort,  et  de  créer  ainsi  de 
plus  en  plus  ce  qui  est  le  but  de  la  vie  et  le  mot 
de  la  destinée,  une  personnalité  consciente  et  li- 
bre. [Gabriel  Compayré.] 

PERSPECTIVE  PRATIQUE.  —  La  persfjedire 
est  l'art  de  reproduire  sur  une  surface  plane  l'as- 
pect des  objets  tels  qu'ils  se  présentent  à  nous 
dans  l'espace. 

La  perspective  linéaire  étudie  la  reproduction 
des  contours  des  objets;  la  perspective  aérienne 
s'occupe  plus  spécialement  des  modifications 
qu'apporte  aux  ombres  et  aux  teintes  la  couche 
d'air  interposée  entre  les  objets  et  l'œil  du  specta- 
teur. 

Nous  n'exposerons  ici  que  quelques  procédés  élé- 
mentaires permettant  à  des  élèves  d'apprendre  à 
dessiner  rapidement  à  simple  vue  des  objets  de 
forme  géométrique.  La  méthode  que  nous  em- 
ployons a  fait  ses  preuves  depuis  longtemps 
dans  l'enseignement  donné  à  l'école  La  Mariinière 
à  Lyon.  A  des  élèves  d'une  intelligence  ordinaire, 
elle  donne  en  quelques  semaines  une  sûreté 
de  coup  d'œil  et  de  main  fort  remarquable. 

Elle  consiste  à  faire  dessiner  les  élèves,  à 
distance  et  à  main  levée,  d'après  des  modèles  de 
formes  simples.  Ces  exercices  sont  gradués  de 
manière  à  parcourir  successivement  les  iH'incipales 
difficultés  que  présente  le  dessin  des  objets  géo- 
métriques. L'expérience  a  prouvé  que  ces  exerci- 
ces constituent  la  base  la  plus  rationnelle  et  la 
préparation  la  plus  efficace  à  l'enseignement  du 
dessin  d'imitation. 
l     Les  procédés  que   nous  allons  décrire    n'ont    '■ 


PERSPECTIVE 


—  1S56  — 


PERSPECTIVE 


aucun  degré  le  caractère  de  méthodes  géométri- 
ques rigoureuses;  et  l'instituteur  aura  soin  de  le 
faire  remarquer  dans  tout  le  cours  de  l'enseigne- 
ment ;  ce  sont  do  simples  approximations  ;  mais 
leur  exactitude  est  en  rapport  avec  celle  des  tra- 
cés à  établir  et  largement  suftisante  dans  tous 
les  cas  de  la  pratique  du  dessin  à  main  levée. 

Le  matériel  nécessaire  se  compose  d'un  tableau 
noir  et  de  quelques  modèles  en  fil  de  fer,  en  bois 
ou  en  zinc.  Les  élèves  dessinent  sur  des  tablettes 
d'ardoise,  ou  h  défaut,  sur  papier  au  crayon  ten- 
dre ;  ils  sont  groupes  autour  du  modèle  à  une  dis- 
tance de  deux  ou  trois  mètres. 

Le  principe  do  la  méthode  consiste  à  ramener 
tous  les  tracés  à  des  lignes  droites  horizontales  et 
verticales,  dont  on  compare  les  grandeurs.  Tour 
faire  cette  comparaison,  l'élève  lient  à  bras  tendu 
son  crayon,  et  s'en  sert  comme  d'une  mire  ;  il  le 
projette  d'abord  sur  la  ligne  la  plus  courte, 
l'extrémité  du  crayon  correspondant  à  l'une  des 
extrcmités  de  la  ligne,  et  il  marque  sur  le  crayon 
avec  l'ongle  de  son  pouce  le  point  correspondant  à 
l'autre  extrémité  de  la  ligne  à  mesurer;  cette 
mesure  ainsi  prise  est  reportée  sur  la  ligne  la  plus 
longue  de  manière  à  apprécier  le  rapport  des  lon- 
gueurs des  deux  lignes.  L'habitude  de  faire  ces 
comparaisons  est  promptement  acquise. 

Les  rapports  ou  proportions  ainsi  trouvés  sont 
reproduits  sur  le  dessin  à  exécuter.  Pour  la  prati- 
que de  l'enseignement,  une  fois  les  modèles  mis 
en  place,  le  professeur  donne  aux  élèves  la  dimen- 
sion principale  de  leur  dessin  ;  il  leur  explique, 
au  tableau,  les  lignes  qu'ils  devront  considérer, 
et  les  proportions  qu'ils  devront  mesurer,  pour 
arriver  à  compléter  leur  tracé. 

Il  est  indispensable,  pour  obtenir  des  résultats 
prompts  et  certains,  de  prncéder  toujours  du  .:im- 
ple  au  composé,  et  de  ne  passer  à  un  nouvel  exer- 
cice que  lorsque  l'exercice  précédent  est  exécuté 
avec  une  promptitude  et  une  précision  irrépro- 
chables. 

Nous  ne  donnons  ici  que  les  exercices  les  plus 
élémentaires.  Il  va  de  soi  que  ces  exercices  seront 
plus  ou  moins  étendus  suivant  le  temps  et  les 
ressources  dont  on  disposera  et  suivant  la  nature 
de  l'enseignement  à  donner. 

Premier  exercice.  —  lieprodiiire  une    ligne  in 


Fig.  ). 

clinée  AC,   tracée  par  le  maître    sur  le   tableau 
(fis-  1).  ,      , 

Tracer  une  horizontale  AB;  chercher  sur  le 
modèle  combien  de  fois  BC  est 
coiitenu  dans  AB. 

Répéter  cette  même  opération 
sur  le  dessin,  c'est-à-dire  diviser 
AB  en  autant  de  parties  que  l'on 
en  a  trouvé. 

Reporter  une   de  ces   divisions 
au-dessus  de  B  en  BC. 
Joindre  le  point  C  au  point  A. 
Même  opération  pour  la  seconde 
figure  en  prenant  pour  base  une 
Verticale  ;fig.  ?). 

Pendant  cette  preTière  leçon,  le 
professeur  fera  répéter  cet   exer- 
cice en  changeant  l'inclinaison  de 
"S-  -•  la  ligne  tracée  sur  le  tableau,  jus- 

qu'à ce  que  les  élèves  fissent  ra- 
pidement les  comparaisons  à  bout  de  bras. 
Second  exercice.  —  Parallèles  /loriznnlales. 


Le  professeur  trace  d'abord  la  figure  3  (dessin 
géométral)  et  la  fait  ensuite  copier  à  mairi  levée 
[lar  les  élèves  à  une  dimension  donnée. 


Puis  d'après  un  modèle  en  fil  de  fer,  qui  repro- 
duit cette  même  figure,  le  professeur  la  fait  exé- 
cuter en  dessin  perspectif  (fig.  4),  chaque  élève 
voyant  le  modèle  sous  un  aspect  différent. 


Tracer  la  verticale  AG  sur  une  longueur  don- 
née ;  soit,  15  centimètres. 

Comparer  la  largeur  EC  avec  AG  et  tracer  BD 
indéfinie.  Diviser  AG  en  quatre  parties  égales, 
chercher  le  point  où  viendrait  aboutir  sur  AG  la 
ligne  horizontale  \in;  déterminer  ai  isi  n,  qui  dans 
notre  tracé  se  trouve  au  tiers  de  AH. 

Jlême  opération  pour  déterminer  le  point  0. 

Par  deux  horizontales  ponctuées  partant  de  N  et 
de  0,  on  aura  les  points  B  et  D  et  l'on  achèvera 
de  tracer  le  carré  en  perspective. 

Diviser  BD  en  4  parties  égales  et  joindre  ICL 
avec  HEK. 


I 


PERSPECTIVE 


—  1557 


PERSPECTIVE 


On  arriverait  au  môme  résultat  en  prolongeant 
AB  et  GD,  jusqu'à  leur  rencontre;  les  lignes  par- 
tant de  ce  point  do  rencontre  se  dirigeant  sur 
U,E,K  passeraient  par  1,G,L. 

Remarquer  :  1°  Que  les  lignes  horizontales  tra- 
cées sur  un  plan  vertical  ne  restent  pas  parallèles 
en  perspective;  ces  lignes  horizontales  parallèles 
tendent  à  se  réunir  en  un  même  point,  appelé 
point  de  concours  ; 

2°  Que  la  largeur  apparente  d'un  carré  en  pers- 
pective est  plus  petite  que  la  largeur  réelle. 

Un  carré  en  verre  divisé  en  seize  carrés  par  des 
horizontales  et  des  verticales  (fig.  5)  pourrait  être 
utilisé  dans  le  cas  où  quelques  élèves  ne  parvien- 
draient pas  à  apprécier  les  proportions  ou  incli- 
naisons. 

Troisième  exercice.  —  Parallèles  verticales. 

Le  professeur  trace  au  tableau  la  figure  6  (dessin 


A 

B 

■''\ 

' 

c 

i» 

géoraétral),  en  procédant  par  les  diagonales  pour 
obtenir  les  divisions  du  carré.  Cette  figure  est  en- 
suite copiée  i  m  lin  levée  par  les  élèves  sur  une 
dimension  dounée. 

Les  élèves  doivent  ensuite  reproduire  la  même 
figure  en  dessin  perspectif,  d'après  un  modèle  en 
fil  de  fer  (fig.  7). 


A      C 

'' l 

^ 

B 

V  - 

i) 

V. 

H 

i^ 

, 

i    ' 

Établir  le  carré  en  perspective,  ainsi  qu'il  a  été 
fait  précédemment.  Puis,  par  les  diagonales  ponc- 
tuées BC  et  AD,  déterminer  le  centre  O,  don- 
nant EK;  continuer  la  même  opération  dans  cha- 
que compartiment  GH  et  IK. 

Le  professeur  fera  remarquer  : 

1°  Que,  les  parallèles  verticales  restent  parallèles 
en  perspective  ; 

2"  Que  ces  lignes  diminuent  de  longueur  et  d'é- 
cartement  au  fur  et  à.  mesure  de  leur  éloigne- 
ment. 

Quatrième  exercice.  —  Carré  hurizonlal  à  mettre 
en  perspective.  (Celte  leçon,  d'une  grande  impor- 
tance, sera  faite  au  tableau  et  reproduite  par  les 
élèves.) 


Déterminer  l'axe  XE,  au  milieu  de  AB,  largeur 
totale  donnée  (fig.  8). 


IFig.  8. 

Trouver  le  point  C  en  comparant  CA  à  CB  ou 
CE  à,  CA  (il  est  ici  au  1/:!  de  AB). 

Déterminer  la  pente  de  SC  en  comparant  SA  à 
AB. 

Le  rapport  de  AC  h  CB  étant  supposé  comme 
1  :  2;  par  le  milieu  de  SA  menons  une  horizon- 
tale qui  donnera  le  point  H,  d'où  CH  deuxième 
côté  du  carré. 

Cette  construction  est  également  démontrée 
dans  les  figures  9,  10  et  II. 


Fig.   11.  —  r.ôl65  en  ponte  comme  1   :  7. 

Pour  compléter  le  carré  (fig.  8),  joindre  S  à  H,  par 
une  diagonale  qui  déterminera  le  centre  0  sur 
l'axe. 

Tracer  de  C  en  O,  en  la  prolongeant,  la  2'  dia- 
gonale; sur  ce  prolongement,  reporter  du  centrée 
la  longueur  CO  en  la  diminuant  d'un  dixième  en- 
viron (la  diminulion  variera  suivant  la  distance  de 
l'élève  au  modèle),  pour  obtenir  le  quatrième 
angle  D  du  carré. 

Remarque.  —  On  aura  soin  de  faire  remarquer 
aux  élèves  que  ces  procédés  ne  sont  pas  géomé- 
triquement exacts  et  qu'ils  doivent  être  consi- 
dérés comme  des  règles  purement  pratiques. 

Cinquième  exercice.  —  Pyramide  droite  à  base 
carré'' {fig.  12). 

Tracer  l'axe  Ex;  comparer  aa  à  Ee  (hauteur  don- 
née du  dessin);  chercher  le  point  A  sur  aa  et 
construire  le  carré  ABCD  en  perspective  ;  en  joi- 
gnant ABCD  au  sommet  E  on  terixànera  le  tracé  de 
la  pyramide. 

Sixième  exercice.  —  Cube  vre'.ical.  (Démon- 
stration au  tableau;  modèle  en  filde  fer  copié  par 
les  élèves.) 


PERSPECTIVE 


—  1558  — 


PERSPECTIVE 


\ 

£ 

X 

C 

AV 

P 

^ 

H 
K 

Yi. 

b 

^^^^ 

y 

Ë:^^^^ 

0 

(Modèle  en  fil  de  fer;  démonstration  au  tableau.) 
On  donne  la  hauteur  Ee  de  l'un  des  triangles  de 
base  (fig.  14). 


On  en  déduit  par  comparaison  la  longueur  ai; 
sur  cette  droite  ab,  chercher  le  point  A  et  cons- 
truire le  rectangle  en  perspective  ABDC. 

Par  le  centre  O,  faire  passer  la  médiane  ef  (elle 
cnupe  les  deux  arêtes  BA  etDC  un  peu  au  delà  de 
leur  milieu). 

Islever  la  verticale  cE  (hauteur  donnée),  joindre 
E/et  par  le  centre  0  élever  la  verticale  Oo;  en 
prolongeant  eo  on  obtiendra  le  point  F  et  l'on  achè- 
vera facilement  le  tracé. 

Huitième  exercice.  —  Cercle  vertical  inscrit  dans 
un  carré. 

Le  tracé  géométral  est  d'abord  reproduit  par 
les  élèves  sur  une  dimension  donnée  (fig.  15). 


Fig.  13. 

Tracer  l'axe  vertical  X  (fig.  13)  sur  lequel  on  in- 
diquera la  hauteur  du  cube,  soit  :  15  centimè- 
tres. 

Comparer  la  largeur  M\  avec  la  hauteur  donnée. 

Reporter  la  moitié  de  cette  largeur  à  droite  et  i 
gauche  de  l'axe  ;  tracer  deux  verticales  indéfinies, 
AB  et  CD. 

En  comparant  MP  à  PN,  déterminer  la  troi- 
sième verticale  EG  indéfinie. 

Reporter  sur  cette  verticale  la  hauteur  donnée 
(0»,15  par  ex.)  de  la  figure. 

Chercher  la  pente  BG  et  construire  le  carré 
inférieur. 

Avec  la  pente  AE  construire  le  carré  supérieur. 

Observation'.  —  Ces  deux  opérations  étant  exac- 
tement faites,  K  se  trouvera  sur  la  verticale  de  H. 

Recherche  de  la  ligne  d'horizon.  —  Dans  l'exem- 
ple choisi,  le  carré  supérieur  est  un  peu  plus 
fuyant  en  perspective  que  celui  du  bas;  le  rap- 
port des  hauteurs  des  deux  bases  du  cube  est  en 
perspective  de  2  à  3.  Divisant  la  hauteur  en  :î  par- 
ties, MN,  ligne  d'horizon,  se  trouvera  k  la  deuxième 
de  ces  parties. 

Le  professeur  fera  en  outre   remarquer  que  : 

1°  EC,  AH,  BK,  GD,  prolongées,  se  rencontre- 
raient en  un  même  point  sur  la  ligne  d'horizon. 

Il  en  serait  de  même  pour  EA,  GB,  Cil,  DK. 

2»  Que  le  point  de  vue  est  au  milieu  de  la  lar- 
geur du  modèle  sur  la  ligne  d'horizon. 

3'  Connaissant  simplement  les  penies  AE  et  CB 
on  pourrait  déterminer  la  ligne  d'horizon. 

Septième  exercici:.  —  Prisme  triangulaire  droit 
à  base   isoscèle  couché  sur  un  plan   horizontal. 


Tracer  un  carré  parfait,  les  deux  diagonales  et 
les  deux  médianes  EG  et  HK  se  coupent  au  centre 
du  carré. 

E,H,K.G,  détermineront  quatre  points  de  con- 
tact du  cercle. 

Divisez  OA  en  7  parties  égales,  au  delà  du  cin- 
quième point  de  division  portez  1/8  d'une  division, 
vous  obtiendrez  un  point  du  cercle.  On  opère  de 
même  sur  chaque  demi-diagonale,  ce  qui  donne 
3  autres  points. 

Par  ces  huit  points  tracer  le  cercle  en  le  recti- 
fiant jusqu'à  ce  qu'il  paraisse  parfait  à  l'œil. 

Tracé  perspectif .  —  On  demande  ensuite  aux 
élèves  de  mettre  en  perspective  le  modèle  en  fil 
de  fer  (fig.  16),  ce  modèle  étant  verti^'al. 

Mettre  premièrement  en  perspective  le  carré 
ABCD.  Tracer  les  deux  diagonales,  élever  en  0  la 
verticale  EG;  tracer  MN  en  divisant  en  deux  par- 
ties égales  AD  et  BC.  (MN  devra  passer  par  le 
point  O.) 


PERSPECTIVE 


1559 


Diviser  chaque  portion  de  diagonale  en  7  par- 
ties. Par  les  2/7  et  les  points  dtt  contact  M,E  N,G, 
déji  connus,  faire  passer  le  cercle. 


Neuvième  exercice.  —  Cercle  horizontal  inscrit 
dans  un  carré,  h  reproduire  d'après  un  modèle  en 
fil  de  fer(fig.  U). 


O.ÎO 

A   ; I                                           : 

^ 

P 

^^ 

/ 

1 

'^v 

V2 

E 

A. 

o 

^ 

/ 

Fie-  "• 

PERSPECTIVE 


Fig.  18. 

Onzième  exercice.  —  Cylindre  droit  à  bases 
circulaires  placé  verticalement,  d'après  un  modèle 
en  fil  de  fer  (flg.  10). 


On  donne  la  plus  grande  dimension  du  cercle 
dessiné  en  perspective  fAB  =  0",20).     •-     - '.;. 

Chercher  par  comparaison  le  rapport  de  CD, 
diagonale  du  carré,  h  AB.  Reporter  G  et  D  à  égale 
distance  de  l'axe  O.  Déterminer  le  point  E,  et 
construire  le  carré  comme  précéd-mment,  en 
donnant  k  OF  une  grandeur  égale  aux  y/lO  envi- 
ron dp  OE. 

Par  O,  tracer  une  horizontale,  et  sur  cette  droite, 
de  part  et  d'autre  de  O,  indiquer  AB,  diamètre  du 
cercle. 

Prendre  les  milieux  m,n,o,p,  des  côtés  du  carré 
en  perspective. 

Partager  les  demi-diagonales  en  7  parties,  faire 
une  marque  aux  2/7  en  partant  de  l'angle  exté- 
rieur. 

Par  ces  huit  points  faire  passer  une  ellipse  qui 
représentera  le  cercle  en  perspective. 

Dixième  exercice.  —  Cône,  à  reproduire  d'après 
un  modèle  en  zinc  (fig.  18). 

Sur  l'axe  vertical  indiquer  EA,  hauteur  donnée, 
s'assurer  de  la  largeur  de  la  base  BC  comparée  à 
AE,  de  la  hauteur  Ao,  ou  AD  comparée  à  BC.  Tra- 
cer l'ellipse  inférieure.  Terminer  le  tracé  du  cône 
en  menant  par  le  sommet  les  arêtes  EB  p,t  EC 
tangentes  à  l'ellipse  de  base. 


Tracer  l'axe  GF,  reporter  à  droite  et  à  gauche 
la  moitié  du  diamètre  des  cercles  qui  est  donné. 
Établir  la  distance  CA  par  rapport  à  CD,  pour  ob- 
tenir le  rectangle  C,D,A,B. 

Tricer  l'ellipse  passant  par  CGD,  puis  celle 
passant  par  AB  par  rapport  à  la  première. 

Faire  remarquer  que  les  perspectives  des  cer- 
cles horizontaux  sont  d'autant  plus  déprimées 
qu'elles  se  rapprochent  davantage  de  la  ligne  d'ho- 
rizon. 

Doi'ziÈME  EXERCICE.  —  Ccrcles  concentriques, 
d'après  un  modèle  en  fil  de  fer  (fig.  20). 


Chercher  le  rapport  de  CD  à  AB,  longueur  du 
diamètre  donnée. 

Tracer  l'ellipse  ABCD. 

Trouver  par  comparaison  la  distance  Aa  par 
rapport  il   «O. 

Trouver  c  et  d  en  divisant  OC  et  OD  dans  la 
même  proportion  que  AO  et  OB. 


PERSPECTIVE 


i560  — 


PESANTEUR 


Remarque.  —  Ce  procédé  n'est  qu'approximatif. 

TnKizitiME  EXERCICE.  —  Ccrcles  verticaux  paral- 
lèles, ryliiidre  druit  horizontal,  d'après  un  modèle 
en  fil  de  fer  (fig.  21). 


Fig.  21. 

Le  diamètre  AB  étant  donné,  on  déterminera  le 
rectangle  ABCD,  en  perspective,  en  comparant  l'é- 
cartement  EF  des  verticales  AB  et  CD  à  leur  lon- 
gueur, traçant.  CD  indéfinie  en  cherchant  les  in- 
clinaisons BD  et  AC.  Prenant  les  milieux  E  et  F 
des  deux  axes  verticaux,  on  obtiendra  l'axe  central 
EF  de  la  figurp. 

Sur  deux  horizontales  wn  et  op  on  indiquera 
la  largeur  apparente  de  chaque  cercle  comparée  à 
sa  hauteur. 

Ayant  dans  chaque  cercle  quatre  points  connus, 
on  figurera  ces  cercles  par  des  ellipses  en  les  rec- 
tifiant jusqu'à  complète  satisfaction  de  l'œil. 

Observation.  —  Pour  les  cercles  en  perspecti- 
ve :  tracer  le  diamètre  géométral,  qu'il  soit  ver- 
tical, incliné  ou  horizontal,  sur  une  perpendicu- 
laire passant  par  le  milieu  de  ce  premier  diamètre  ; 
marquer  la  largeur  apparente  de  l'ellipse. 

Tracer  le  cercle  en  perspective  par  ces  quatre 
points  connus. 

QuAToiiziÉME  EXERCICE.  —  Table  à  mettre  en 
perpcctivc  d'après  nature  (fig.  22). 


ta  distance  SS  donnée  marque  le  point  A  sur 
lequel  on  élèvera  une  verticale  indéfinie.  Sur  cette 
verticale   indiquer  la  hauteur  Ka  des  pieds  en  la 


comparant  à  SS,  construire  le  rectangle  ABCD. 
Chercher  la  position  de  a  par  rapport  à  Az,  la  saillie 
des  points  cl  et  b.  Construire  le  carré  abcd.  Par 
les  points  ABCD  établir  la  base  de  chacun  des 
pieds.  En  compléter  le  tracé  et  terminer  par  l'in- 
dication de  l'épaisseur  0. 

QuiiNziÈME  EXERCICE.  —  Chandelier,  à  mettre  en 
perspective  d'après  nature  (fig.  Ti). 


Fig.  23. 

Sur  l'axe  indiqué  XX  (hauteur  donn'^e)  chercher 
la  dimension  CC  comparée  à  XX.  Indiquer  les 
hauteurs  de  B  et  A.  Tracer  la  courbe  inférieure, 
les  épaisseurs  Ku  et  B4.  Terminer  par  le  tracé  des 
moulures. 

Par  la  disposition  des  cercles  il  est  facile,  dans 
cet  exemple,  de  déterminer  la  hauteur  MN  de  la 
ligne  d'horizon.        [Alexandre-Auguste  Hirsch.] 

PESANTEUR.  —  Physique,  III.  —  Tous  les  corps, 
abandonnés  à  eux-mêmes,  tombent  vers  la  terre, 
sans  avoir  reçu  aucune  impulsion  primitive.  C'est 
un  fait  connu  de  tout  le  monde  pour  les  solides 
et  les  liquides,  et  s'il  est  moins  facile  à  constater 
pour  l'air  et  les  vapeurs,  il  ne  s'applique  pas  moins 
à  tous  les  corps  gazeux  sans  exception.  Comme 
tout  mouvement  suppose  une  force  capable  de  le 
produire,  on  a  donné  le  nom  de  pesanteur  i  la 
force  qui  fait  tomber  les  corps. 

Envisagée  comme  résultant  de  l'action  du  globe 
terrestre  sur  les  corps  que  l'on  éloigne  de  sa  sur- 
face, la  pesanteur  n'est  qu'un  cas  particulier  du 
phénomène  général  de  Vuttruction  '. 

Considérée  comme  une  force,  elle  doit  avoir  les 
trois  caractères  essentiels  de  toute  force  :  la  di- 
rection, l'intensité  et  le  point  d'application. 

La  pesanteur  ne  peut  pas  être  assimilée  à  une 
'mpulsion  unique,  car  les  plus  simples  observa- 
tions prouvent  que  le  mouvement  de  chute  s'ac- 
célère graduellement  ;  elle  agit  donc  d'une  ma- 
nière continue  sur  les  corps  ;  et  de  plus,  si  rien 
ne  contrarie  son  action,  elle  les  fait  tous  tomber 
également  vile,  quelles  que  soient  leurs  dimen- 
sions ou  leur  nature. 

Cette  dernière  proposition  fut  longtemps  mécon- 
nue ;  l'observation  ordinaire  indiquerait  en  effet 
que  tous  les  corps  tombant  d'une  même  hauteur 
n'arrivent  pas  à  terre  en  môme  temps  ;  les  plus 
lourds  arrivent  les  premiers;  la  balle  de  plomb 
met  beaucoup  moins  de  temps  que  le  flocon  de 
neige  pour  parcourir  la  môme  distance.  Mais  ces 
différences  de  vitesse  sont  duos  exclusivement  à 
la  présence  de  l'air.  On  le  démontre  très  simple- 
ment à  l'aide  d'une  expérience  imaginée  par  New- 
ton. Dans  un  tulie  de  2  ou  3  mètres  de  long  on 
met  de  petits  morceaux  de  plomb,  de  bois,  de 
liège,  do  papier,  de  barbe  de  plume  et  on 
extrait  l'air  dntube-  Si,  quand  il  est  vide  d'air,  on 
le  retourne  brusquement,  on  voit  tous  les,  corps 


PESANTEUR 


1561 


PESANTEUR 


qu'il  contiont  tomber  en  même  temps  ;  mais  si  on 
laisse  renirer  de  l'air  dans  le  tube,  on  voit  repa- 
ralii'e  les  différences  de  chute  qui  existaient  entre 
les  corps. 

L'influence  de  l'air  se  fait  sentir  également  sur 
les  liquides.  Les  différentes  parties  d'un  jet  liquide 
se  divisent  sous  l'action  de  l'air,  en  tombant.  Mais 
qu'on  renferme  de  l'eau  dans  un  tube  dont  on 
extrait  l'air  avant  de  fermer  le  tube,  et  que  l'on 
retourne  brusquement  celui-ci,  toutes  les  parties 
du  liquide  frapperont  en  même  temps  le  fond,  en 
produisant  un  bruit  semblable  au  clioc  d'un  corps 
solide  :  c'est  l'expérience  d'un  marteau  d'eau. 

1.  Direction  de  la  pesanteur.  —  La  rapidité  de 
la  cliute  pour  les  uns,  la  résistance  de  l'air  pour 
les  autres,  empêchent  de  pouvoir  déterminer  la 
direction  de  la  pesanteur  d'après  la  chute  libre  des 
corps.  Mais  on  l'obtient  par  l'appareil  très  simple 
connu  de  tout  le  monde  sous  le  nom  de  fil  h 
plomb.  Que  l'on  suspende  à  l'extrémité  d'un  fil 
très  flexible  un  petit  corps  comme  un  morceau  de 
plomb  :  après  un  certain  nombre  d'oscillations, 
l'appareil  sera  en  repos,  le  fil  tendu  par  le  corps. 
Il  est  bien  évident  que  ce  fil  ne  peut  empêcher  le 
mouvement  de  la  balle  de  plomb  h  moins  d'être 
dirigé  suivant  la  ligne  même  que  celle-ci  tend  à 
parcourir.  Donc  la  direction  de  la  chute  du  corps 
est  donnée  par  le  fil  à  plomb  au  repos. 

Celte  direction  se  nomme  la  verticale  ;  elle  est 
constante  en  chaque  lieu  et  perpendiculaire  à  la 
surface  des  eaux  tranquilles.  Comme  la  surface  du 
globe  terrestre  est  sensiblement  sphérique,  les 
verticales  vont  passer  par  le  centre  et  sont  en 
chaque  point  le  prolongement  du  rayon  terrestre. 
A  cause  de  la  grandeur  relativement  considérable 
de  celui-ci,  les  verticales  de  deux  endroits  rap- 
prochés sont  très  sensiblement  parallèles.  C'est 
sur  cette  remarque  qu'est  fondé  l'emploi  fréquent 
du  fil  h  plomb  et  du  niveau  triangulaire  des  ma- 
çons pour  établir  la  verticalité  d'une  arête  ou  d'un 
mur  et  l'horizontalité  d'une  surface. 

2.  Point  d'application  de  la  pesanteur.  — 
Poids.  —  Centre  de  gravité.  —  La  pesanteur  agit 
sur  tous  les  éléments  matériels  des  corps  :  que 
l'on  brise  une  pierre,  chaque  partie,  si  petite 
qu'elle  soit,  tombera  comme  le  corps  entier.  On 
peut  donc  regarder  chaque  corps  comme  sollicité 
par  autant  de  forces  verticales  qu'il  contient  de 
molécules  matérielles.  Toutes  ces  forces  parallèles 
ont  une  résultante  unique,  appliquée  en  un  point 
invariable  de  la  position  du  corps.  Cette  force 
unique,  résultante  de  toutes  les  actions  de  la  pe- 
santeur surun  corps,  se  nomme  le //oirfs  de  celui-ci, 
et  le  point  d'application  de  cette  résultante  est  le 
centre  de  gravité. 

Dis  lors,  pour  contrebalancer  l'effet  de  la  pesan- 
teur sur  un  corps,  il  faut  opposer  à  la  résultante 
de  ses  effets  sur  chaque  point  matériel  une  force 
égale  et  opposée  à  cette  résultante,  verticale 
comme  elle.  C'est  de  là  qu'on  peut  dire,  au  point 
de  vue  purement  physique,  que  le  poids  d'un 
corps  c'est  l'effort  qu'il  faut  faire  pour  l'empêcher 
de  tomber.  Mais  la  pesanteur  et  le  poids  ne  peuvent 
pas  être  confondus  ;  l'une  est  la  cause,  l'autre  est 
l'effet. 

La  détermination  du  centre  de  gravité  et  la  né- 
cessité dy  appliquer  une  force  égale  et  opposée  à 
la  résultante  des  actions  de  la  pesanteur,  pour 
arrêter  la  chute  d'un  corps,  ont  été  examinés  à 
l'article  .Equilibre'. 

3.  Intensité  de  la  pesanteur.  —  L'expérience 
journalière  prouve  que  la  pesanteur  est  une  force 
continue  qui  imprime  aux  corps  un  mouvement 
yarié.  Mais  pourconnaitre  l'intensité  de  cette  force, 
il  faut  étudier  de  très  près  le  mouvement  qu'elle 
provoqiifi  sur  les  corps  soumis  à  son  action  ;  il  faut 
donc  d'abord  déterminer  expérimentalement  les 
lois  de  la  chute  des  corps. 


A.  Lois  de  la  clnite  des  corps.  —  La  rapidité  de 
la  chute  crée  une  première  difficulté,  parce  qu'elle 
rend  pénible  l'évaluation  des  espaces  parcourus; 
la  variation  de  la  vitesse  en  crée  une  seconde, 
puisque  pour  la  bien  constater  il  faudrait  pouvoir, 
h  un  instant  donné,  supprimer  la  force  qui  produit 
le  mouvement. 

On  n'expérimente  donc  pas  sur  la  chute  libre, 
h  moins  qu'on  n'emploie  l'appareil  du  général 
Morin,  où  un  corps,  guidé  dans  sa  chute,  trace  sa 
marche  sur  un  cylindre  mobile  animé  d'un  mou- 
vement de  vitesse  connue.  On  déduit  en  effet  les 
lois  de  la  chute  du  corps  de  la  comparaison  de  la 
marche  qu'il  a  tracée,  avec  le  temps  pendant  le- 
quel il  est  tombé. 

On  préfère  les  appareils  où  le  mouvement  est 
rendu  assez  lent  pour  que  les  observations  soient 
faciles  et  la  résistance  de  l'air  négligeable.  Le 
plus  ancien  est  le  plan  incliné  de  Galilée  ;  le  plus 
employé  est  la  machine  d'Attwood. 

1"  Le  pliiyi  inc'iné  de  Gnlilée  était  une  sorte 
de  gouttière  demi-cylindrique  creusée  dans  une 
pièce  de  boisquel'onpouvait  incliner  plus  ou  moins 
à  l'horizon;  le  mobile  était  une  balle  de  cuivre. 
Il  parait  que  Galilée  employa  pour  le  même  objet 
une  longue  corde  bien  tendue  sur  laquelle  glissait 
un  petit  chariot  à  roulettes  très  mobiles.  Dans 
cet  appareil,  à  la  chute  directe  était  substituée  la 
descente  très  ralentie  le  long  du  plan;  les  vitesses 
possédées  par  le  mobile  aux  différentes  époques 
de  son  mouvement  croissaient  exactement  comme 
en  chute  libre,  seulemenileurs  grandeurs  absolues 
étaient  d'autant  moindres  que  l'inclinaison  du 
plan  sur  l'horizon  était  plus  faible. 

Dans  tous  les  cas,  les  espaces  parcourus  dans 
le  mouvement  de  descente  furent  trouvés  propor- 
tionnels aux  carrés  des  temps  comptés  depuis  l'o- 
rigine ;  le  mouvement  était  donc  uniformément 
accéléré  et  la  pesanteur  une  force  constante. 

2°  Machine  d'Attwood.  —  Voici  le  principe  de 
cet  appareil.  Si  aux  deux  extrémités  d'un  fil  très 
fin,  enroulé  sur  une  poulie  très  mobile,  on  attache 
des  poids  égaux,  l'équilibre  subsistera  dans  toutes 
les  positions  possibles.  Mais  si  l'on  pose  sur  l'un 
d'eux  P'  un  petit  poids  additionnel  p,  tout  le 
système  se  trouvera  mis  en  mouvement  ;  le  poids 
\"+p  descendra  tandis  que  P  s'élèvera;  seule- 
ment, à  chaque  époque  du  mouvement,  la  vitesse 
sera  beaucoup  plus  petite  que  celle  dont,  au  même 
instant,  la  masse  additionnelle  p  eût  été  animée. 
Dans  les  deux  cas,  en  effet,  la  force  motrice  effi- 
cace est  toujours  l'action  de  la  pesanteur;  mais 
dans  le  premier,  la  masse  à  faire  mouvoir  est  égale 
à  2P -(-/).  Si  on  suppose  que  les  deux  poids  égaux, 
soient  chacun  de  4U«',5  et  le  poids  additionnel  de 
1  gramme,  la  masse  à  mouvoir  sera  de  100  ;  par 
conséquent,  la  vitesse  acquise  au  bout  du  même 
temps  sera  100  fuis  moindre.  On  comprend  ainsi 
qu'on  peut  ralentir  le  mouvement  des  corps  qui 
tombent  sans  altérer  les  lois  de  ce  mouvement; 
tout  dépenii  du  rapport  qu'on  établit  entre  les 
poids  égaux  P  et  le  poids  additionnel  /;,  ou  plutôt 


de  la  valeur  du  rapport 


ïP-fp 


L'appareil  est  fait  d'une  forte  colonne  de  bois 
haute  de  2  mètres  et  demi  environ  et  terminée  à 
sa  partie  supérieure  par  une  plate-forme  qui  sup- 
porte la  pièce  principale,  c'est-à-dire  la  poulie. 
Et  pour  obtenir  la  plus  grande  mobilité  possible, 
on  fait  reposer  chacun  dos  bouts  de  l'axe  de  cette 
poulie,  non  pas  dans  un  coussinet  fixe,  mais  sur 
les  circonférences  croisées  de  deux  roulettes  très 
légères.  Le  fil  qui  porte  les  poids  passe  à  travers 
la  plate- forme  et  descend  parallèlement  à  une 
règle  divisée  le  long  de  laquelle  se  meuvent  dos 
curseurs  pleins  et  évidés,  que  l'on  peut  arrêter  en 
un  point  quelconque  à  l'aide  d'une  vis  de  pres- 
sion. 


PESANTEUR 


—  1562  — 


PESANTEUR 


Pour  compléter  l'appareil ,  un  compteur  à 
secondes  est  atlaclié  à  la  colonne  ;  il  donne  la 
mesure  du  temps  dans  les  expériences  et  il  règle 
le  départ  du  mobile  dont  on  observe  la  chute. 

On  commence  par  déterminer,  à  l'aide  de  tâton- 
nements, l'espace  exact  parcouru  par  le  mobile 
en  une  seconde.  Soit  par  exemple  8  centimètres. 
On  porte  le  curseur  plein  d'abord  à  quatre  fois 
8  centimètres,  soit  32,  ensuite  à  neuf  fois  8  cen- 
timètres, soit  "2,  et  dans  cliacun  de  ces  cas  on 
constate  que  le  mobile  met  deux  secondes  d'a- 
bord, trois  secondes  ensuite  pour  venir  frapper 
sur  le  curseur.  On  en  conclut  que  les  espaces 
parcourus  par  un  corps  qui  tombe  sont  propor- 
tionnels aux  carrés  des  temps  employés  à  les  par- 
courir. La  conséquence  à  tirer  tout  d'abord,  c'est 
que  le  mouvement  imprimé  par  la  pesanteur  est 
un  mouvement  uniformément  accéléré. 

Reste  à  vérifier  la  variation  de  la  vitesse.  Pour 
cela,  on  ujet  sur  la  masse  qui  doit  descendre  un 
poids  additionnel  de  forme  allongée  ;  et  l'on  place 
un  curseur  évido  au  point  où  il  arrive  après  la 
première  seconde.  L'ouverture  annulaire  du  cur- 
seur laisse  passer  la  masse  principale,  mais  arrête 
le  poids  additionnel,  en  sorte  que  1  action  de  la 
force  accélératrice  se  trouve  instantanément  sup- 
primée. Alors  le  mouvement  devient  uniforme  et 
l'espace  parcouru  uniformément  dans  la  deuxième 
seconde  est  double  de  celui  qui  l'a  été  pendant 
la  première,  d'un  mouvement  accéléré. 

On  recommence  l'expérience  en  n'enlevant  la 
masse  accélératrice  qu'après  deux  secondes  de 
chute,  et  on  constate  que  la  vitesse  acquise  est 
double  de  ce  qu'elle  était  à  la  fin  de  la  première 
seconde. 

La  vitesse  croit  donc  proportiounellement  au 
temps. 

La  machine  d'Atwood  permet  de  constater  tou- 
tes les  conditions  du  mouvement  varié,  d'établir 
que  la  pesanteur  est  une  force  constante,  et  que 
l'accélération,  ou  la  vitesse  acquise  i  la  fin  de  la 
première  seconde,  est  double  de  l'espace  parcouru 
pendant  cette  première  seconde. 

Cette  accélération  due  à  la  pesanteur  lui  sert 
de  mesure,  et  on  lui  donne  le  nom  d'inleuxité  de 
la  pesanteur.  On  la  représenie  liabituellement 
par  çi,  et  si  l'on  appelle  i'  et  e  la  vitesse  et  l'e-space 
après  un  nombre  de  secondes  égal  à  t,  les  for- 
mules de  la  chute  des  corps  ou  du  mouvement 
varié  sans  vitesse  initiale  sont  : 


gt 


e  =  9  - 


et  en  éliminant  t: 


V  —  V  2  se 


La  machine  d'Atwood  ne  donnerait  g  qu'avec 
une  valeur  approximative.  Les  lois  du  pendule 
permettent  d'en  trouver  une  valeur  plus  exacte. 

B.  Pendule.  —  Un  fil  à  plomb  suspendu  à  un 
point  fixe  revient  dans  la  verli'  aie  après  une  série 
d'oscillations  qui  peuvent  se  continuer  longtemps 
quand  lasuspension  estsuffisammentparfaice  ;c'e.st 
le  pendule  ordinaire.  On  le  forme  aussi  d'une  masse 
pesante  supportée  par  une  tige  dont  l'exirémité 
supérieure  est  traversée  d'un  petit  prisme  d'acier 
reposant  par  son  arête  sur  un  plan  fixe.  La  posi- 
tion d'équilibre  correspond  au  cas  où  la  verticale 
du  centre  de  gravité  passe  par  le  point  ou  l'axe 
fixe.  Comme  le  mouvement  oscillatoire  dont  l'ap- 
pareil est  animé  quand  il  a  été  écarté  de  cetie 
position  est  évidemment  dû  à  l'action  de  la 
pesanteur,  on  conçoit  que  son  étude  puisse 
conduire  à  l'appréciation  de  l'intensité  avec 
laquelle  la  pesanteur  agit.  C'est  à  Galilée  qu'est 
ciue  la  première  étude  du  mouvement  pendulaire; 
son  attention  avait  été  attirée  sur  ce  sujet  par 
l'observation  du  mouvement  d'une  lampe  sus- 
pendue à  la  voùle  d'une  église  ;  il  soumit  le  phé- 


nomène à  une  étude  attentive  et  vérifia  par  de 
nombreuses  expériences  les  lois  que  sa  première 
observation  lui  avait  fait  pressentir. 

Pour  établir  ces  lois,  on  applique  les  principes 
de  la  mécanique  au  mouvement  du  pendule 
simple,  que  l'on  suppose  formé  d'un  point  maté- 
riel suspendu  à  l'extrémité  d'un  fil  inextensible 
et  sans  pesanteur.  L'oscillation  simple  est  le  mou- 
vement d'une  position  extrême  à  l'autre,  l'ampli 
tude  est  l'angle  compris  entre  les  deux  positions 
extrêmes. 

Si  alors  on  désigne  par  l  la  longueur  du  pen- 
dule rapportée  au  mètre,  par  t  la  durée  d'une 
oscillation  rapportée  à  la  seconde,  et  par  g  l'in- 
tensité de  la  force  accélératrice,  ces  trois  quan- 
tités sont  liées  entre  elles  par  la  relation  /  =  n  y  _. 

g 

Cette  formule,  qui  convient  aux  petites  oscilla- 
tions, à  celles  qui  ne  dépassent  pas  lO  degrés, 
montre  que  la  durée  d'une  oscillation  ne  dépend 
pas  de  son  amplitude  ;  on  exprime  ce  résultat  en 
disant  que  les  petites  oscillations  sont  isochrones; 
c'est  la  loi  fondamentale  que  Galilée  avait  d'abord 
découverte. 

Ajoutons  que  c'est  cette  propriété  de  l'isochro- 
nisme  des  petites  oscillations  que  Hiiyghens  a 
utilisée  en  adaptant  le  pendule  aux  horloges  pour 
en  régulariser  la  marche. 

L'emploi  du  pendule  à  la  détermination  de  l'in- 
tensité absolue  de  la  pesanteur  se  présente  de  lui- 
même.  En  effet,  de  la  formule  qui  donne  la  durée 

d'une    oscillation,   on   tire  g  =  -j^-  Ainsi,pour 

avoir  g,  la  vitesse  acquise  au  bout  d'une  seconde 
par  les  corps  qui  tombent  librement,  il  faudrait, 
s'il  était  possible,  mesurer  avec  soin  la  longueur 
l  d'un  pendule  simple,  déterminer  le  temps  /  de 
son  oscillation,  et  substituer  ces  valeurs  dans  la 
formule  précédente. 

En  réalité,  on  opère  toujours  avec  des  pendules 
composés,  formes  d'un  grand  nombre  de  points, 
dont  l'oscillation  est  plus  rapide  que  celle  des 
pendules  simples  de  même  longueur,  puisque 
les  points  les  plus  rapprochés  de  l'axe  tendent  à 
osciller  plus  vite  que  les  points  inférieurs  et 
accélèrent  le  mouvement  de  l'ensemble.  Mais  les 
géomètres  ont  donné  des  règles  pour  calculer  la 
longueur  du  pendule  synchrone  au  pendule  com- 
posé, c'est-à-dire  la  longueur  d'un  pendule  sim- 
ple qui  fait  son  oscillatioji  dans  le  même  temps 
que  le  pendule  composé  donné,  et  c'est  la  lon- 
gueur de  ce  pendule  simple  qui  entre  dans  le 
calcul. 

Des  nombreuses  expériences  faites  à  Paris,  on 
a  trouvé  pour  j  la  valeur  9"°, 808,  d'où  l'on  déduit 
t)",!)'.i3  pour  la  longueur  du  pendule  simple  qui 
battrait  la  seconde. 

C.  Variations  de  l'intensité  de  la  pesanteur.  — 
Si  l'intensité  de  la  pesanteur  était  la  même  pour 
tous  les  points  de  la  surface  du  globe,  un  même 
pendule  qu'on  transporterait  en  différents  lieux 
oscillerait  toujours  de  la  même  manière.  L'expé- 
rience démontre  que  la  durée  de  l'oscillation 
change  avec  la  latitude  ;  elle  au^tmcale' ^  mesure 
que  la  latitude  augmente,  tout  en  restant  sensi- 
blement la  même  pour  les  points  d'un  même 
parallèle.  D'une  manière  générale,  l'intensité  de 
la  pesanteur  est  plus  faible  sur  une  montagne  que 
dans  la  vallée  ;  elle  est  surtout  sensiblement  plus 
faible  à  l'équateur  que  dans  la  région  des  pôles. 

Cette  variation  s'explique  facilement  lorsqu'on 
regarde  la  pesanteur  comme  un  cas  particulier  de 
l'attraction  universelle.  Les  corps  les  plus  près 
du  centre  de  la  sphère  sont  le  plus  attirés.  Et  les 
lois  du  pendule  viennent  fournir  une  preuve  de 
l'aplatissement  de  la  terre  .tu  pôle. 

[Haraucourt.] 


es 


ivv' 


PÉTROLE 


—  1563 


PHANEROGAMES 


PETHOLE.  —  Chimie,  IV.  —  Littéralement, 
huile  de  pierre.  Le  pélrole  est  une  substance 
liquide,  de  la  famille  des  bitumes,  d'une  consis- 
tance plus  ou  moins  épaisse  ;  sa  couleur  varie 
selon  son  depré  de  pureté  ;  le  pétrole  brut,  c'est- 
à-dire  tel  qu'il  sort  de  la  terre,  est  d'une  couleur 
brune  rougeâtre.  Rectifié  par  la  distillation,  il  est 
incolore  et  parfaitement  liquide;  on  l'appelle  alors 
quelquefois  naplue  on  huile  de  naphle,  ou  encore 
essence  minérale,  essence  de  )iilrote.  Comme  l'as- 
phalte, le  malihe,  et  tous  les  bitumes,  le  pétrole 
est  un  mélange  naturel,  plus  ou  moins  intime,  et 
en  proportions  variables,  d'Iiydi-ocarbures  qui  dif- 
fèrent surtout  entre  eux  par  leur  point  de  fusion 
ou  par  leur  point  d'ébullition. 

Le  pétrole  possède  une  odeur  empyreumatique 
caractéristique  qui  est  fortement  développée  dans 
l'essence  de  pétrole. 

Il  est  très  combustible  ;  son  inflammabilité  dé- 
pend de  sa  volatilité.  Le  pélrole  brut  ne  s'enflamme 
que  très  difficilement  au  contact  d'une  allumette 
lorsqu'il  est  à  une  température  inférieure  à  'Ah' 
centigrades  ;  l'essence  de  pétrole,  au  contraire,  peut 
prendre  feu  à  l'approche  d'une  allumette  h  la  tem- 
pérature ordinaire.  Cette  propriété  la  rend  dange- 
reuse, aujourd'hui  qu'on  en  fait  un  si  grand  usage 
pour  l'éclairage. 

Distillé  jusqu'à  épuisement,  le  pétrole  laisse  un 
résidu  charbonneux  tout  semblable  au  coke.  Le 
poids  spécifique  du  pétrole  varie  un  peu  avec  son 
origine  et  son  degré  de  pureté,  mais  il  est  toujours 
inférieur  à  !.  Celui  de  l'essence  est  à  peu  près 
0,83.  Un  litre  d'essence  pèse  donc  environ  830 
grammes. 

Origine  du  pétrole.  —  La  plus  grande  partie  de 
l'énorme  quantité  de  pétrole  consommée  actuelle- 
ment en  Europe  provient  de  sources  naturelles 
extrêmement  abondantes  (|U'on  a  trouvées  depuis 
trente  ans  dans  l'Amérique  du  nord,  principale- 
ment en  Pensylvanie  et  dans  le  Devonsliire.  On 
connaît  aussi  des  sources  de  pétrole  en  France, 
en  Italie,  en  Russie.  A  la  Condemine,  et  h  la  Sar- 
celière  dans  le  département  de  l'Allier,  on  obtient 
le  pétrole  par  la  distillation  de  schistes  bitumi- 
neux plus  ou  moins  compactes.  Avant  la  décou- 
verte des  nombreuses  sources  de  l'Amérique  du 
nord,  le  pétrole  provenait  presque  exclusivement 
des  bords  de  la  mer  Caspienne,  des  environs  de 
Bakou  principalement.  L'origine  du  pétrole  est 
fort  probablement  la  même  que  celle  de  tous  les 
bitumes  naturels.  Comme  ces  diverses  substances 
ressemblent  beaucoup,  par  leur  composition, 
aussi  bien  que  par  leurs  propriétés,  aux  produits 
bitumineux  exlrails  de  la  houille  par  distillation, 
on  a  été  porté  à  croire  que  le  pélrole  et  les  bitu- 
mes provenaient  d'une  distillation  naturelle,  ac- 
complie dans  le  sein  de  la  terre,  des  dépôts  houil- 
1ers,  ou  des  masses  végétales  qui  en  se  transfor- 
mant ont  formé  ces  dépôts.  De  fortes  objections  se 
présenient  contre  cette  manière  de  voir  ;  la  prin- 
cipale, c'est  qu'on  rencontre  ces  substances  dans 
les  terrains  dont  la  formation  est  antérieure  à  celle 
du  terrain  liouiller;  on  les  rencontre  jusque  dans 
les  roches  ignées.  De  plus  on  constate  leur  pré- 
sence dans  le  voisinage  des  salses,  des  sources 
thermales,  des  volcans,  des  fO"lai?ifs  anlentes 
produites  par  des  combustions  de  gris'iu  sortant 
de  terre  et  enflammé  accidentellement.  En  résumé, 
on  peut  dire  que  la  manière  dont  s'est  produit  le 
pélrole  est  encore  à  l'état  de  problème;  nous 
ajouterons  seulrment  que  l'illustre  géolo,.'ue  Oma- 
lius  d'Halh.y  ramène  son  origine  à  la  cause  des 
phénomènes  ignés. 

Usages  du  pétrole.  —  De  temps  immémorial,  le 
peup  e,  en  Perse,  se  chaufl'e  et  s'éclaire  avec  le 
pétrole  qui  abonde,  comme  nous  l'avons  dit  plus 
haut,  sur  les  bords  de  la  Caspienne.  Dans  tout 
1  Uriciit  on  l'emploie  aussi  depuis  fort  longtemps 


comme  spécifique  contre  les  rhumatismes  ;  on 
l'appelle  alors  Moum.  Le  moum  est  aussi  em- 
ployé comme  vermifuge,  puis  extérieurement  il 
sert  au  pansage  des  blessures  graves.  La  substance 
médicinale,  encore  si  employée  aujourd'hui  dans 
le  midi  de  la  France,  sous  le  nom  d'huile  d^  Ga- 
bian,  n'est  autre  chose  que  du  pétrole  provenant 
des  mines  du  village  de  Gabian  (Hérault).  Depuis 
longtemps  le  pétrole  est  aussi  employé  à  la  con- 
fection de  certains  vernis.  On  peut  dire,  malgré 
tous  ces  usages  déjîi  anciens,  que  la  consommation 
du  pétrole  a  été  plus  que  centuplée,  depuis  un 
quart  de  siècle,  grâce  à  la  découverte  des  nom- 
breuses mines  américaines,  qui  en  fournissent 
une  si  gr,Tnde  quantité,  que  malgré  cette  consom- 
mation véritablement  prodigieuse,  le  prix  du  pé- 
trole reste  extrêmement  bas,  dans  tous  les  pays 
où  il  entre  en  franchise.  Il  est  surtout  employé  à 
l'éclairage;  l'usage  des  bidons  et  des  lampes  fabri- 
qués exprès  pour  son  transport  et  sa  consommation 
a  diminué  considérablement  le  nombre  des  ac- 
cidents qu'on  enregistrait  chaque  année  depuis 
que  ses  usages  sont  devenus  si  nombreux. 

L'Angleterre,  la  Relgique  et  la  Hollande  en  font 
une  immense  consommation.  Dans  certains  ports 
comme  Rotterdam  on  sent  le  pétrole  partout.  En 
Amérique,  il  sert  aussi  au  cliaulïago  des  locomo- 
tives et  des  autres  machines  à  vapeur.  En  France, 
des  essais  ont  été  faits  depuis  quelques  années 
pour  cet  usage,  mais  jusqu'à  présent,  le  nombre 
des  machines  chaulîées  au  pétrole  est  extrême- 
ment restreint.  On  commence  à  fabriquer  et  à 
vendre  des  foyers  de  cuisine  se  chaufl'ant  au  pétrole 
et  ne  donnant  presque  i;oint  d'odeur;  néanmoins 
la  plus  grande  partie  du  pétrole  consom.mée  en 
France  sert  à  l'éclairage;  une  seule  compagnie 
française  éclaire  au  pétrole  plus  de  2o()  villes.  On 
introduit  en  France,  chaque  année  et  venant  prin- 
cipalement d'Amérique,  par  Bordeaux,  le  Havre, 
Dunkerque,  près  d'un  million  de  fûts  de  ISO  kilo- 
grammes chacun  de  pétrole  brut,  sans  compter 
lUOOOO  i'ùis  d'essence  de  pétrole.  Les  droits  d'en- 
trée en  France  s'élèvent  à  25  francs  les  lOii  kilog., 
et  le  pétrole  se  vend  en  détail  ll',SO  le  litre.  A 
Anvers,  où  il  n'y  a  pas  de  droit  d'entrée,  il  se  vend 
2"  francs  les  UiO  kilog.,  et  dans  toute  la  Belgique 
il  est  à  U',oO  le  litre  raffiné,  l.ette  di'iérence  énorme 
du  prix  de  vente  entre  la  Belgique  et  la  France 
n'est  peut-être  point  l'unique  cause  qui  fait  qu'on 
en  con^omnle  proportionnellement  beaucoup  plus 
dans  le  premier  de  ces  pays  que  dans  le  second. 
En  France  le  pétrole  a,  plus  qu'ailleurs,  conservé 
la  réputation  exagérée  d'une  fort  dangereuse  sub- 
stance lorsqu'il  doit  être  employé  aux  usages  jour- 
naliers. [.\lfred  Jacquemart.] 

PHANÉUOGAMIîS.—  Botanique,  XV.—  Etym.: 
de  deux  mois  grecs,  signifiant  mariage  apparent. 
—  Ce  mot  a  été  formé  par  opposition  au  mot 
Cryptogames,  à  une  époque  où  la  reproduction  des 
végétaux  de  l'enibrancliement  des  Cryptogames 
était  encore  fort  mal  connue. 

On  désigne  sous  le  nom  de  Phanérogames,  tous 
les  végétaux  dont  la  reproduclion  est  assurée  par 
le  concours  d'étamines  et  de  pistils. 

Les  caractères  généraux  des  Phanérogames  sont 
les  suivants  :  1°  Tous  les  phanérogames  ont  une 
tige  *  caractérisée  par  des  faisceaux  qui  ne  pré- 
sentent qu'un  seul  centre  de  développement  ou 
de  formation  trachéenne;  la  terminaison  inférieure 
de  cette  tige  a  reçu  le  nom  d'axe  hypocotylô.  Les 
faisceaux  de  la  tige  sont  peu  nombreux  en  général 
dans  les  phanérugames  dicotylédones  ;  ils  sont  au 
contraire  très  nombreux  dans  les  phanérogames 
monocotylédonés  ;  2°  Tous  les  phanérogames  pré- 
sentent des  feuilles  *  ou  appendices  symétri- 
ques par  rapport  à  un  plan  qui  passe  toujours  par 
l'axe  de  la  tige.  Ces  feuilles  ne  reçoivent  qu'un 
petit  nombre  de  faisceaux  dans  les  dicotylédones  ; 


PHÉNICIE 


—  156 i  — 


PHENICIE 


elles  en  reçoivent  au  contraire  un  nombre  consi- 
dérable chez  les  monocotylédones  ;  3»  Presque  tous 
les  pbanérogames  présentent  des  racines  *.  Le 
premier  de  ces  organes  qui  apparaît  sur  l'embryon 
en  voie  de  développement  se  place  souvent  h 
l'extrémité  inférieure  de  l'axe  liypocotylé,  dont  il 
semble  alors  être  le  prolongement  (dicotylédones)  ; 
4°  La  dispersion  des  grains  de  pollen  et  leur  dis- 
tribution sur  le  stigmate  se  fait  toujours  dans 
l'air;  5»  Tous  les  phanérogames  produisent  des 
graines  *,  c'est-à-dire  des  appareils  chargés  d'as- 
surer la  dispersion  des  jeunes  plantes. 

[C.-E.  Bertrand.! 
PHÉNICIK.  —  Histoire  générale,  IV.  —  D'a- 
près la  tradition  grecque,  le  nom  de  Pliénicie  vien- 
drait de  phoinix.  patminr,  et  signifierait  le  pays 
des  palmes;  d'après  les  conjectures  de  plusieurs 
savants  modernes,  il  dériverait  d'un  vieux  nom  na- 
tional, Pœni,  Puni,  conservé  plus  tard  par  les 
Carthaginois,  et  dont  la  forme  originale  Pyjm, 
Pounit,  se  trouve  sur  les  monuments  égyptiens, 
appliquée  à  des  pays  de  l'Arabie  et  de  l'Afrique 
orientale. 

Géoqraphie.  —  LaPhénicie  proprement  dite  s  e- 
tendait  le  long  de  la  côte  syrienne,  de  la  pointe  du 
Carmel  au  sud  jusqu'en  face  de  l'Ile  de  Cliypre, 
sur  une  hauteur  de  cinquante  lieues  environ.  Plus 
tard  on  appliqua  ce  nom  à  toute  la  partie  du  lit- 
toral située  entre  Juppé  et  l'embouchure  de  l'O- 
ronte.  La  Pliénicie  n'est  à  proprement  parler  que 
la  bande  de  terre  resserrée  entre  le  Liban  et  la 
mer,  et  dont  la  largeur  moyenne  varie  entre  huit 
et  dix  lieues.  Elle  est  coupée  de  ravins  et  de  val- 
lées profondes  qui  servent  de  lits  à  des  torrents 
dangereux  au  moment  de  la  fonte  des  neiges,  le 
Nahr-el-Kebir,  le  Nahr-el-Kelb  (Lykos),  l'Adonis  ; 
la  partie  sud  du  pays  possède  une  véritable  rivière, 
le  Litany  (Léontès),  dont  le  cours  inférieur  seul  et 
l'emboucliure  se  trouvent  sur  territoire  phénicien. 
Des  forêts  couvraient  le  flanc  des  montagnes,  pins, 
cyprès,  cèdres  d'une  espèce  particulière  :  le  fond 
des  vallées  et  le  penchant  des  cùteaux  portaient  le 
palmier,  l'olivier,  le  figuier,  la  vigne,  le  grenadier, 
plusieurs  espèces  de  céréales.  Si  petit  qu'il  fût,  le 
pays  pouvait  nourrir  une  population  nombreuse. 
Les  villes,  presque  toutes  situées  au  bord  de  la 
mer,  étaient,  en  partant  du  nord,  Warath,  Arad  et 
Simyra,Gebel(Byblos),Bérythe  et  Sid»n,<a/?e!<Wc, 
Tyr  et  Ako  (Saint  Jean  d'Acre).  Tyr  et  Arad  étaient 
bâties  sur  des  îlots  fort  étroits  :  Tyr  avait  en  face 
d'elle  sur  le  continent  un  faubourg  qu'on  appelait 
Palœo-Tyr,  Tyr  la  Vieille . 

Histoire.  —  Les  traditions  nationales  plaçaient 
l'origine  des  Phéniciens  sur  les  bords  de  la  mer 
Erythrée  et  dans  les  îles  du  golfe  Persique  :  deux 
des  Bahreîn  portaient  encore  à  l'époque  gréco-ro- 
maine le  nom  de  Tyros  et  d'Arados.  Ils  en  vinrent 
avec  le  reste  des  tribus  chananéennes,  probable- 
ment à  la  suite  du  grand  mouvement  de  migration 
qui  produisit  l'invasion  des  pasteurs  en  Egypte 
(V.  Egijpxe),  peut-être  vers  le  vingt-cinquième 
siècle  avant  notre  ère.  Tandis  qu'une  partie  des 
tribus  occupaient  la  vallée  du  Jourdain  et  celle 
de  rOronte,  la  partie  qui  devint  plus  tard  la  na- 
tion phénicienne  s'empara  de  la  côte  et  y  fonda  ou 
y  agrandit  les  villes  que  nous  venons  d'onumérer. 
Resserrés  entre  le  Liban  et  la  mer,  les  Phéniciens 
se  jetèrent  bravement  à  la  mer  et  devinrent  bien- 
tôt les  marins  les  plus  expérimentés  de  la  première 
antiquité.  Le  Liban  leur  fournit  des  bois  de  con- 
struction en  .abondance  :  ils  chargèrent  sur  leurs 
navires  les  produits  de  leur  sol  et  surtout  les  pro- 
duits de  l'industrie  des  nations  voisines,  et  allèrent 
les  porter  aux  peuples  encore  à  moitié  barbares 
qui  v.vaient  sur  les  côtes  de  la  Méditerranée. 

Gebel  parait  avoir  été  celle  de  leurs  villes  qui 
se  développa  le  plusanciennement.  Située  presque 
en  face  de  l'île  de  Chypre,  ses  marins  y  passèrent 


attirés  par  les  richesses  forestières  et  par  les  mi- 
nes de  cuivre  :  ils  commencèrent  à  y  fonder  des 
comptoirs  et  inaugurèrent  le  régime  de  colonisa- 
tion qui  réussit  plus  tard  aux  autres  villes  du  pays. 
Mais  Gebel  fut  bientôt  effacée  par  Sidon,  «  le  pre- 
mier-né de  Canaan.  »  Sidon  ne  songea  jamais  à 
devenir  puissance  continentale.  Elle  se  contenta 
d'exercer  une  sorte  d'hégémonie  sur  le  reste  de  la 
nation,  sauf  Arad  et  Simyra,  et  n'essaya  même 
pas  de  résister  aux  Egyptiens  quand  ceux-ci 
conquirent  la  Syrie.  Elle  pensa  qu'il  valait  mieux 
faire  le  commerce  avec  elle  que  do  se  rui- 
ner à  soutenir  contre  elle  une  lutte  par 
trop  inégale.  Depuis  Thoutmôs  I"  jusqu'à  la  fin 
de  la  xx=  dynastie  (V.  Egypte),  pendant  six 
siècles,  elle  resta  soumise  aux  Pharaons  et  profita 
de  la  sécurité  que  leur  assurait  leur  protection 
sur  terre  pour  reporter  sur  mer  tout  ce  qu'elle 
avait  de  forces.  Elle  explora  et  colonisa  toute  la 
partie  orientale  de  la  Méditerranée.  Chypre  fut  oc- 
cupée tout  entière,  puis  la  Crète,  puis  Rhodes  et 
les  Cyclades.  Tout  au  long  des  côtes  de  l'Asie  Mi- 
neure, en  Cilicie,  en  Pamphylie,  en  Lycie,  des  cen- 
taines de  comptoirs  dont  beaucoup  devinrent  des 
villes  importantes,  des  pêcheries,  des  exploitations 
de  mines  s'élevèrent  :  les  flottes  des  Sidoniens, 
franchissant  les  détroits  de  l'Hellespont  et  dii  Bos- 
phore, s'engagèrent  dans  l'orageuse  mer  Noire  et 
atteignirent  la  Colchide,  même  l'embouchure  des 
grands  fleuves  de  la  Russie  actuelle.  D'autre  part, 
la  Grèce  n'échappa  point  à  leur  influence,  et  tandis 
que  le  Péloponèse  les  voyait  s'établir  à  Cythère, 
à  Corinthe,  sur  les  côtes  de  ce  qui  fut  plus  tard  la 
Laconie,  l'Elie  et  l'Achaîe,  une  véritable  colonie 
pénétrait  dans  le  bassin  du  Céphise  avec  Cadmos 
et  y  fondait  Thèbes.  En  même  temps,  la  côte  afri- 
caine recevait  la  visite  de  leurs  vaisseaux;  Leptis, 
Thapsus,  Clique,  devenaient  le  centre  d'un  véritable 
empire  dont  la  population  mêlée  d'indigènes  et  de 
Chananéensportachezlesauteursclassiqueslenom 
deLibypIiéniciens.On  croit  qu'ils  pénétrèrent  plus 
loin,  que  la  Sicile  et  l'Italie  méridionale  subirent 
leur  influence  :  mais  le  souvenir  de  leurs  expédi- 
tions s'effaça  de  bonne  heure  dans  ces  régions  de- 
vant la  suprématie  de  Tyr. 

Tyr  avait  été  d  abord  la  vassale  de  Sidon,  et 
peut-être  n'aurait  elle  jamais  réussi  à  se  rendre 
indépendante,  si  les  Sidoniens  n'avaient  pas  été 
épuisés  par  la  grandeur  même  de  leur  colonisa- 
lion.  Un  peuple,  d'abord  soumis  à  l'Egypte,  celui 
des  Philistins,  profita  de  la  faiblesse  des  grands 
prêtres  d'Ammon  (V.  Egypte)  pour  se  livrer  à 
la  piraterie,  et  se  mit  en  rivalité  avec  les  Sido- 
niens: une  de  ses  flottes  battit  la  flotte  phéni- 
cienne et  s'empara  de  Sidon  vers  1200.  Tyr  suc- 
céda presque  aussitôt  b.  Sidon  dans  le  rôle  de  mé- 
tropole. Le  développement  des  tribus  helléniques 
la  força  à  renoncer  en  partie  aux  conquêtes  que 
Sidon  avait  faites  de  ce  côté  :  elle  ne  conserva 
guère  dans  la  mer  Egée  que  Thasos,  Rhodes  et 
Mélos.  Elle  reporta  toute  son  énergie  sur  les  pays 
occidentaux  encore  mal  connus  :  la  Sicile  et  Malle, 
la  Sardaigne,  la  côle  septentrionale  de  l'Afrique, 
les  Baléares,  la  côle  orientale  de  l'Espagne  furent 
explorées  et  colonisées  tour  à  lour  ;  enfin  le  détroit 
fut  franchi  et  les  flottes  tyrienncs  débouchèrent 
dans  l'Océan  Atlantique.  Elles  trouvèrent  là,  entre 
le  Xucar  et  le  Guadiana,  un  pays  d'une  richesse  et 
d'une  fertilité  merveilleuses,  dont  les  mines  d'or, 
d'argent  et  de  plomb  attirèrent  bientôt  une  popula- 
tion" ombreuse.  Malacca  :Mulaga),Tartessos,  Gadès 
(Cadix^  devinrent  le  centre  de  la  domination  tyrienne 
aux  régions  de  Tarshish  et  servirent  de  point  de 
départ  à  de  nouvelles  explorations.  On  ne  sait 
jusqu'où  les  Phéniciens  s'avancèrent  le  long  des 
côtes  d'Afrique  ;  mais  au  Nord,  ils  allèrent  cher- 
cher l'étain  jusque  sur  les  côtes  de  la  Cornouaille, 
aux  îles  Cassitérldes  (Scilly).  Quand  on  songe  que 


PHENIGIE 


—  1565 


PHENIGIE 


tous  ces  voyages  ont  été  entrepris  et  exécutés 
sans  boussole  par  des  navires  dont  les  plus  con- 
sidérables avaient  à  peine  la  force  de  nos  gros  ba- 
teaux de  piclie,  on  ne  peut  s'empêcher  d'admirer 
l'énergie  et  l'iialjileté  des  pilotes  tyriens  :  les 
grands  peuples  maritimes  îles  temps  modernes 
nom  rien  fait  de  plus  audacieux  et  do  plus  grand. 
Tyr,  ariivée  à  l'apogée  de  la  puissance,  se  donna 
des  rois,  dont  le  premier  fut  Abibal,  contempo- 
rain de  David,  lliram  I  "■,  qui  succéda  à  Abibal,  fut 
l'ami  constant  de  Salomon  (98(1-947)  :  il  agrandit 
Tyr,  fournit  au  souverain  israélite  des  architectes 
et  des  sculpteurs  qui  bâtirent  et  ornèrent  le  tem- 
ple de  Jérusalem.  En  échange  de  ces  services,  il 
obtint  la  permission  d'équiper  h  Esiongéber,  sur  la 
mer  Rouge,  une  flotte  qui  alla  au  pays  d'Ophir 
(probablement  l'Afrique  tropicale)  clierclier  l'or, 
l'ivoire  et  l'ébène.  La  bonne  harmonie  continua  de 
régner  entre  les  successeurs  d  Hiram  et  ceux  de 
Salomon,  même  après  que  le  schisme  des  dix  tribus 
eut  amené  la  ruine  de  la  puissance  israélite. 
Ithobaal  (807-866)  maria  sa  fille  Izebel  au  roi 
d'Israël  Akab,  et  la  fille  d'Izebel,  Atlialiah,  fut  plus 
tard  reine  de  Juda  (V.  Juifs);  on  put  croire 
un  moment  que  le  culte  de  Jéhovah  serait  rem- 
placé chez  les  Hébreux  par  celui  du  Baal  et  de 
l'Astarté  phénicienne.  Mais  des  luttes  sanglantes 
entre  les  nobles  et  le  peuple  alTaiblirent  Tyr  au 
dedans  et  au  dehors.  Sous  le  règne  de  Pygmalion, 
Cartilage  fut  fondée  par  un  personnage  mysté- 
rieux auquel  la  tradition  a  doiiné  un  nom  de  déesse, 
Dido,  et  bientôt  la  Ville-Nouvelle  (Kart-Hadshat, 
dont  les  Romains  ont  fait  Carthage)  enleva  à  sa 
métropole  la  possession  de  l'Afrique,  de  l'Espagne, 
de  la  Sicile  (entre  8iO  et  820).  Vers  le  même  temps, 
les  Assyriens  commençaient  à  paraître  en  Syrie. 
Assour-nazir-habal  (8S5-8G0)  imposa  le  tribut  à 
Tyr,  à  Sidon,  k  Gebel,  à  Arad.  Tyr  et  Sidon  ré- 
sistèrent à  ses  successeurs,  souvent  avec  bonheur. 
Tyr  fut  assiégée  dix  ans  sans  succès  par  Sal- 
manasar  V  et  par  Sargon  II  (V.  Assyrie),  et  ne 
fut  réduite  qu'en  7(io  par  Sinakhéirib.  Mais  ces 
luttes,  pour  glorieuses  qu'elles  furent,  achevèrent 
de  ruiner  l'empire  colonial  des  Phéniciens  :  Rhodes, 
Thasos  furent  conquises,  et  Chypre  à  moitié  colo- 
nisée par  les  Grecs. 

Désormais  la  Pliénicie  se  borna  à  faire  le  com- 
merce de  commission,  ou,  comme  on  a  dit,  le  TOM- 
lage  des  mers,  pour  le  compte  des  difl'ércnts  peu- 
ples qui  se  partagèrent  l'Orient.  Alliée  de  l'Egypte, 
elle  repoussa  Nabou-Koudour  Oussour  (V.  Vhal- 
dée)  vers  574,  et  fournit  au  Pharaon  Néko  la 
flotte  qui  fit  le  tour  de  l'Afrique  pour  le  compte  de 
ce  prince.  Conquise  par  Apriès,  elle  passa  sous  la 
domination  d'Amasis,  puis  snus  celle  de  Kyros,et 
fut  à  partir  de  ce  monn-nt  une  province  de  l'em- 
pire perse.  Elle  fournit  i  Darios  et  àXerxès  la  plus 
grande  partie  des  flottes  ([ui  soutinrent  contre  les 
Grecs  les  batailles  des  guerres  médiques.  Elle  fai- 
sait alors  partie  de  la  satrapie  d'Arabie,  mais  ses 
villes  avaient  chacune  leur  roi  indépendant  :  c'est 
ainsi  que  nous  connaissons  à  Sidon  Eshmounasar, 
dorit  le  sarcophage  est  au  musée  du  Louvre,  et  à 
Gebcl  Schavmelek.  Une  seule  tentative  de  révolte 
contre  Artaxerxès  Ochos  aboutit  à  la  desti-uction  de 
bidon.  Tyr,  demeurée  fidèle  au  grand  roi,  arrêta 
pendant  sept  mois  Alexandre  :  il  fallut,  pour  la 
prendre,  joindre  au  continent,  par  une  digue,  l'Ilot 
qm  la  portait  (332).  Désormais  enclavée  dans  l'em- 
pire macédonien,  la  Phénicie,  après  avoir  été  dis- 
putée pendant  deux  cents  ans  entre  les  Ptoléraées 
û  fcgypte  et  les  Séleucides  de  Syrie,  tomba  définiti- 
vement, à  la  mort  de  Cléopàtre  129),  aux  mains  des 
Romains. 

lieligion.  —  La  religion  phénicienne  était  appa- 
rentée de  très  près  aux  cultes  babyloniens  et 
assyriens  (V.  Assyrie  et  Clmldée)  ;  mais  pen- 
aant    la    durée    do    la    domination    pharaonique 


elle  parait  s'être  imprégnée  fortement  de  mythes 
égyptiens.  Le  dieu  suprême,  le  dieu-soleil  qui 
conserve  et  détruit  tout  à  la  fois,  prenait  comme 
à  Babylone  le  nom  de  maître,  Baal  [Bélos  des 
Grecs)  :  ses  formes  locales  joignaient  à  ce  titre 
tantôt  le  nom  de  la  ville  où  elles  étaient  adorées, 
liual-Tsour  ix  Tyr  [Tsour),  Bnal-Sidm  à,  Sidon, 
tantôt  des  épithètes,  Meikirth  (le  rui  de  la  ville,  à 
Tyr),  Adonis,  etc.  Melkarth,  introduit  en  Grèce 
comme  Mélicerte,  fut  de  plus  identifié  avec  l'Hercule 
hellénique,  et  devint  comme  une  personnification 
de  la  colonisation  tyrieime:  son  culte  se  retrouve 
sur  tous  les  points  de  la  Méditerranée  où  les 
Tyriens  s'établirent.  Les  déesses  qui  accompa- 
gnaient ces  dieux  n'en  étaient  le  plus  souvent  que 
la  contre-partie  féminine,  et  n'avaient  pas  toujours 
une  forte  personnalité  :  c'étaient  Baaiit  (Beltis) 
à  Gebel.  et  surtout  Astarté  à  Sidon.  Le  culte  de 
ces  divinités,  que  l'on  désignait  d'une  manière 
générale  sous  le  nom  de  Baalim,  les  maîtres,  était 
parfois  voluptueux  et  sanguinaire  :  certaines  d'en- 
tre elles  exigeaient  le  sacrifice  humain  par  le  feu, 
et  demandaient  dans  des  circonstances  solennelles 
l'olTrande  des  premiers-nés  ;  la  loi  religieuse  des 
Phéniciens  se  trouvait  consignée  dans  dos  livres 
dont  une  rédaction,  attribuée  à  un  certain  Sancho- 
niathon,  nous  est  connue  par  quelques  fragments 
en  langue  gi-ecque.  Les  Phéniciens  pensaient  qu'il 
y  avait  eu  au  commencement  un  air  trouble  et 
venteux,  un  soiiflle  (roudh)  et  un  chaos  confus  et 
sombre  :  le  souffle  devint  amoureux  de  ses  propres 
éléments,  les  mêla  par  le  désir,  et  de  ce  mélange 
naquit  la  boue  {mâthj  ;  de  cette  boue  sortit  la  se- 
mence et  la  génération  de  toutes  choses. 

Industrii-,  commerce,  littérature.  —  Les  peuples 
de  l'antiquité  classique  attribuent  la  plupart  des 
grandes  inventions  aux  Phéniciens  :  c'est  une  exa- 
gération qui  s'explique  aisément,  si  l'on  songe  que 
les  Grecs,  ayant  connu  ces  inventions  par  les  Phé- 
niciens, furent  tout  naturellement  portés  à  leur  en 
donner  le  mérite.  En  fait,  les  Phéniciens,  placés 
entre  les  grandes  nations  civilisées  du  vieux 
monde,  l'Egypte  et  la  Chaldée,  ne  firent  guère  que 
répandre  et  perfectionner  ce  qu'elles  avaient 
trouvé.  Ils  emiiruntorent  l'art  de  fabriquer  le  verre 
à  l'Egypte,  dérivèrent  leur  alphabet  des  hiérogly- 
phes égypiiens,  et  apportèrent  probablement  avec 
eux  du  voisinage  de  la  Chaldée  la  science  astrono- 
mique et  mathématique,  qui  fit  d'eux  les  premiers 
marins  de  l'antiquité.  Tout  ce  que  nous  connais- 
sons de  leur  architecture  et  de  leur  industrie 
porte  le  sceau  de  l'imitation  :  leurs  tombeaux,  les 
débris  de  leurs  temples,  la  figure  de  leurs  divinités 
est  surtout  égyptienne,  avec  un  mélange  d'assyrien 
ou  de  perse  selon  les  époques.  C'est  justement  ce 
manque  d'originalité  qui  explique  la  grandeur  du 
rôle  qu'ils  ont  joué  dans  le  développement  de  la  civi- 
lisation antique.  Ils  ont  servi  de  lien  entre  le  monde 
oriental  déjà  en  décadence  et  le  monde  occidental 
encore  barbare,  et  ont  transporté  pêle-mêle  et  sans 
choix  tout  ce  qui  pouvait  développer  chez  les  peu- 
ples méditerranéens  le  sentiment  des  arts  et  le 
goût  des  sciences.  Par  l'échange,  ils  leur  donnèrent 
les  modèles  égyptiens  et  chaldéens,  auxquels  les 
Grecs  et  les  Italiens  empruntèrent  certaines  formes 
de  leur  architecture,  de  leur  céramique,  do  leur 
orfèvrerie.  Les  comptoirs  furent  non  seulement 
des  marchés  où  l'on  faisait  le  commerce,  mais  des 
écoles  où  les  tribus  barbares  du  voisinage  appri- 
rent peu  à  peu  la  navigation,  l'industrie,  et  con- 
nurent certaines  idées  religieuses,  qui  influèrent 
sur  la  direction  de  leur  développement  moral 
ou  philosophique.  Les  Grecs  reçurent  leur  écri- 
ture de  la  Phénicie,  et  par  les  Grecs  le  monde 
entier. 

Les  principales  industries  purement  phénicien- 
nes étaient  la  fabrication  de  la  poui-prc,  la  cons- 
truction des  navires  et  l'exploitation  des  mines.  La 


PHÉNOMÈNES  OPTIQUES    -1566—     PHÉNOMÈNES  OPTIQUES 

pourpre,  dont  les  nuances  variaient  du  carmin  le 
nlus  éclatant  au  noir  le  plus  sombre,  était  extraite 


plu; 


de  plusieurs  espèces  de  coquillages,  dont  le  plus 
précieux  était  le  Murer  brayidai-is.  Partout  ou  se 
trouvèrent  des  bancs  de  ce  mollusque,  les  Phéni- 
ciens établirent  des  pêcheries  et  des  teintureries, 
sur  les  côtes  de  l'Asie  Mineure,  de  la  Crète,  du 
Péloponèse.  Ces  établissements  étaient  presque 
toujours  dans  le  voisinage  de  forêts  qui  fournis- 
saient des  matériaux  abondants  à  la  marine.  Les 
Phéniciens  perfectionnèrent  la  construction  des 
navires  à  tel  point  que,  même  au  temps  de  la  ré- 
publique athénienne,  les  vaisseaux  sidoniens 
étaient  cités  comme  des  modèles  d'arrimage  et  de 
solidité.  Dans  le  bassin  occidental  de  la  Méditer- 
ranée, dans  le  nord  de  la  mer  Enée,  sur  les  côtes 
du  Poiit-Euxin  où  la  pourpre  n'abondait  pas,  ils 
eurent  des  pêcheries,  et  des  fabriques  de  salai- 
sons, ou  exploitèrent  les  mines,  mines  d'or  i 
Thasos  et  en  Espagne,  d'argent  et  de  plomb,  en 
Espagne,  d'étain  dans  la  Colchide  et  les  Cassité- 
rides.  Aujourd'hui  encore,  on  trouve  en  Espagne 
les  débris  de  leurs  galeries  de  mines. 

Ils  avaient  une  littérature  assez  complète,  livres 
historiques,  livres  religieux,  traités  d'agriculture  : 
quelques-uns  de  ces  ouvrages,  traduits  en  grec  ou 
même  en  latin  (le  traité  du  Carthaginois  Magon 
sur  l'agriculture)  nous  sont  connus  par  des  frag- 
ments malheureusement  peu  nombreux.  Dans 
la  langue  originale,  un  dialecte  apparenté  de  très 
près  à  l'hébreu  classique,  nous  n'avons  que  quel- 
ques inscriptions  dont  les  plus  longues  sont  celles 
du  sarcophage  d'Eshmounasar  au  Louvre,  un  rè- 
glement sur  les  sacrifices,  découvert  i  Marseille,  et 
une  stèle  où  est  décrit  le  grand  temple  de  Byblos. 
[G.  Maspero.l 
l>IIÉ^OMÈ.\ES  OPTIQUES  DE  L'ATMO- 
SPIIÈIIE.  — Météorologie, XUI.  — On  désigne  sous 
ce  nom  l'ensemble  des  effets  de  lumière  et  de 
coloration  auxquels  donnent  lieu  dans  l'atmo- 
sphère le  soleil,  d'abord,  puis  l'électricité  atmo- 
sphérique, les  astéroïdes  errants  qui  pénètrent 
dans  notre  atmosphère,  etc.  Nous  décrirons  les 
principaux  d'entre  eux  en  les  rangeant  dans  l'or- 
dre alphabétique. 

Anthclies.  —  Sorte  d'auréole  lumineuse  qui  en- 
toure l'ombre  d'une  personne  projetée  soit  sur 
une  surface  gazonnée  et  couverte  de  rosée,  soit 
même  sur  un  nuage.  L'anlhélie  n'est  guère  visible 
que  par  la  personne  même  qui  projette  son 
ombre,  et  elle  lui  apparaît  surtout  autour  de  la 
tête.  Elle  est  due  h  la  réOexion  de  la  lumière  par 
les  gouttes  de  rosée  ou  par  les  globules  des  nua- 
ges placés  en  dehors  de  l'ombre  portée,  mais  le 
plus  près  possible  de  la  ligne  qui  irait  des  yeux 
au  soleil  et  se  prolongerait  en  avant  de  l'observa- 
teur. A  mesure  qu'on's'éloigne  de  cette  ligne,  l'in- 
tensité de  la  lumière  réfléchie  diminue  assez  ra- 
pidement, en  sorte  que  l'ombre  de  la  tête  paraît 
seule  enveloppée  d'une  auréole  analogue  à  celle 
dont  on  entoure  la  tête  des  saints,  sauf  qu'elle  est 
blanche  et  non  colorée. 

Aic-enciet.  —  11  se  voit,  comme  l'anthélie,  dans 
une  direction  opposée  au  soleil,  e1  son  centre  se 
trouve  encore  sur  le  prolongement  de  la  ligne  qui 
irait  de  l'œil  au  soleil.  Mais  il  a  une  autre  cause 
que  l'anthélie,  et  ne  se  produit  que  quand  il  pleut 
quelque  part. 

L'arc-en-ciel  est  dû  à  des  rayons  solaires  qui 
tombent  sur  les  gouttes  de  pluie,  pénètrent  dans 
leur  intérieur  en  s'y  réfractant,  se  réilocliissent 
une  fois  ou  deux  sur  leur  surface  interne,  et  s'en 
échappent  en  subissant  à  leur  sortie  une  nouvelle 
réfraction.  Les  rayons  solaires  qui  tombent  sur 
chaque  goutte  d'eau  et  couvrent  leur  hémisphère 
éclairé  peuvent  ainsi  être  réfractés  dans  tomes  les 
directions,  et  sont  rendus  invisibles  par  leur  dis- 
persion. Mais  il  existe  pour  chaque  goutte  deau 


une  direction  dans  laquelle  la  dispersion  est  mi- 
nimum ;  l'œil  reçoit  dans  cette  direciinn  un  sup- 
plément de  lumière  qui  devient  très  sensible  si  le 
nombre  des  gouttes  d'eau  qui  l'envoient  est  suffi- 
sant. La  direction  de  la  dispersion  minimum  n'est 
pas  fixe  dans  l'espace  ;  c'est  son  inclinaison  sur  les 
rayons  solaires  qui  l'est  seule,  en  sorte  que  le 
supplément  de  lumière  peut  se  produire  sur  une 
surface  conique  ayant  l'œil  pour  sommet  et  pour 
axe  le  prolongement  de  la  ligne  qui  va  du  soleil 
à  l'œil  de  l'observateur.  L'impression  est  donc  celle 
d'un  cercle  lumineux  entourant  cette  surface  co- 
nique partout  où  il  s'y  trouve  des  gouttes  d'eau. 

Si  la  lumière  était  simple,  on  apercevrait  en  effet 
un  cercle  lumineux  unicolore,  assez  nettement 
limité;  mais  la  lumière  solaire  est  composée  d'une 
somme  de  rayons  de  couleurs  diverses  se  réfractant 
de  quantités  inégales  (V.  Kéfrnction).  A  chacun 
d'eux  correspond  un  angle  différent  de  déviation 
minimum.  Il  en  résulte  que  chaque  arc-en-ciel  se 
compose  en  réalité  de  la  juxtaposition  d'arcs  de 
rayons  inégaux  et  teints  chacun  de  sa  couleur  pro- 
pre. Ils  empiètent  les  uns  sur  les  autres  et  for- 
ment une  bande  circulaire  dans  laquelle  les  cou- 
leurs du  spectre  sont  fondues  et  ne  laissent  voir 
que  les  teintes  principales  :  le  violet  du  côté  du 
centre,  puis  le  bleu,  puis  le  vert  lavé,  le  blanc 
jaunâtre.  Le  rouge  est  à  l'extérieur.  Cet  arc,  sou- 
vent très  brillant,  est  dû  à  une  seule  réflexion  des 
rayons  qui  ont  pénétré  dans  l'intérieur  de  chaque 
goutte  d'eau.  On  l'appelle  arc  intérieur. 

Assez  fréquemment,  l'arc  intérieur  est  entouré, 
à  distance,  d'un  second  arc  plus  pâle,  appelé  arc 
extérieur,  qui  est  du  \  des  rayons  ayant  subi  deux 
réflexions  à  l'intérieur  de  chaque  goutte  d'eau. 
Dans  l'arc  extérieur,  la  série  des  couleurs  est  ren- 
versée ;  c'est  le  rouge  qui  est  en  dedans  et  le 
violet  en  dehors. 

Nous  n'avons  parlé  que  de  l'arc-en-ciel  solaire 
produit  par  une  chute  de  pluie  convenablement 
placée.  Il  existe  aussi  des  arcs  en-cicl  lunaires  ; 
mais  ils  sont  rares  et  toujours  très  faibles.  Les 
uns  et  les  autres  n'ont  qu'une  seule  et  unique  si- 
gnification :  c'est  qu'il  pleut  là  où  on  les  voit; 
ils  ne  nous  promettent  absolument  rien  pour  l'a- 
venir. ,  .  ,,  -, 
Une  pluie  artificielle  peut  produire  1  arc-en-ciel 
comme  une  pluie  naturelle,  car  celle-ci  n'agit 
que  par  ses  gouttes  d'eau.  Les  jets  d'eau,  les  cata- 
ractes peuvent  donc  en  produire  à  toute  heure  du 
jour  si  on  peut  choisir  un  emplacement  favorable 
pour  les  observer.  Généralement  alors  on  ne  voit 
que  des  tronçons  d'arc  plus  ou  moins  longs. 

Aurore.  —  Parmi  les  rayons  diversement  colo- 
rés qui  composent  la  lumière  du  soleil,  les  rayons 
bleus  sont  le  plus  fortement  réfléchis  par  l'atmo- 
sphère. La  portion  du  ciel  qui  n'est  éclairée  pour 
nous  que  par  cette  réflexion  nous  paraît  donc 
bleue.  Mais  les  autres  rayons  continuent  leur 
route  ;  et  comme,  si  on  enlève  du  bleu  à  la  lumière 
blanche,  on  a  une  couleur  orange,  l'ensemble  de 
ces  autres  rayons  paraîtra  plus  ou  moins  colore  de 
cette  teinte,  et  d'autant  plus  que  le  soleil,  étant 
plus  bas,  ses  rayons,  transmis  directement,  auront 
à  traverser,  pour  venir  jusqu'à,  nous,  une  plus 
irande  épaisseur  d'air  atmosphérique.  Tandis 
qu'au  lever  du  soleil  le  ciel  est  teinté  de  bleu  vers 
loccident,  il  est  teinté  de  la  couleur  orangée  vers 
l'orient.  L'inverse  a  lieu  au  coucher  du  soleil. 

La  vapeur  d'eau  condensée  dans  l'air  agit  indis- 
tinctement sur  tous  les  rayons  colorés  quelle  re- 
çoit. Elle  a  donc  pour  unique  efl'et  de  laver  M 
blanc  la  couleur  propre  du  ciel;  mais  la  vapeur 
d'eau,  conseivant  l'état  gazeux,  agit  par  sélectioû:! 
sur  la  lumière  bien  plus  énergiquement  que  1  air 
pur  ;  et  comme  la  vapeur  gaze.ise  abonde  dans 
l'air,  surtout  dans  la  saison  chaude  ou  les  pays 
chauds,  c'est  là  surtout  que  l'aurore  pj-end  ses 


PHÉNOMÈNES  OPTIQUES     —  1367  —    PHÉNOMÈNES  OPTIQUES 


teintes  les  plus  éclatantes.  Les  nuages  sont  alors 
colorés  comme  la  lumière  qui  les  frapp».  Quant 
au  ciel  lui-même,  la  teinte  orange  est  d'autant  plus 
pure  qu'on  la  regarde  plus  près  du  soleil,  et  la 
teinte  bleue  d'aulant  plus  pure  aussi  qu'on  la  re- 
garde dans  une  direction  plus  éloignée.  Le  pas- 
sage de  l'une  à  l'autre  a  lieu  par  teintes  mélan- 
gées verdâlres  inclinant  soit  à  l'orange,  soit  au 
bleu,  soit  qu'on  s'approche,  soit  qu'on  s'éloigne 
du  levant. 

Dès  que  le  soleil  conii  z/nce  à  s'élever  au-dessus 
do  l'horizon,  l'épaisseur  de  la  couclie  obliquement 
traversée  par  ses  rayons  diminue  rapidement, 
ainsi  que  la  prédominance  de  la  teinte  orangée 
qu'on  y  remarque. 

Les  faits  sont  exactement  du  même  ordre  au 
coucher  du  soleil. 

Aurore  boréale.  —  Elle  n'a  rien  de  commun  avec 
l'aurore.  Elle  est  exclusivement  d'origine  élec- 
trique. 

L'aurore  boréale  est  un  phénomène  essentielle- 
ment mobile  et  variable,  suivant  les  climats.  A 
Paris,  les  aurores  boréales  sont  très  rares,  et 
quand  elles  s'y  montrent,  ce  ne  sont  le  plus  sou- 
vent que  de  vastes  lueurs  rongeâtres  simulant  des 
incendies.  Quelquefois,  cependant,  on  y  distingue 
nettement  des  rayons  brillants  qui  dardent  vive- 
ment dans  le  ciel  en  changeant  de  place  et  de 
couleur.  L'aurore  du  '-H  octobre  187(1  est  une  des 
plus  remarquables  qu'on  ait  observées  à  Paris, 
surtout  par  la  forme  de  draperie  qu'elle  déploya 
dans  le  ciel  et  par  la  vague  lumière  qu'elle  laissa 
dans  les  hauteurs.  A  Tours,  cette  aurore  boréale 
fut  également  très  intense,  mais  elle  ne  s'y  mani- 
festa que  par  des  jets  de  lumière  ondoyante  lancés 
dans  des  directions  diverses  et  émanant  d'un  cen- 
tre assez  étendu  de  lumière  jaune  orangée  à  reflets 
rouges. 

Les  aurores  boréales  sont  surtout  complètes  et 
très  fréc|uentes  dans  les  régions  septentrionales 
voisines  des  régions  polaires. 

Un  aspect  pâle  du  ciel,  dans  le  voisinage  de 
l'horizon  et  dans  la  direction  du  nord,  précède 
l'apparition  de  l'aurore.  Bientôt  la  couleur  devient 
plus  sombre,  et  l'on  voit  un  segment  circulaire 
plus  ou  moins  grand  entouré  d'un  arc  lumineui 
d'un  blanc  brillant  passant  au  bleu  pâle. 

Quand  l'arc  lumineux  s'est  formé,  il  reste  sou- 
vent visible  pendant  plusieurs  heures.  Toutefois, 
11  n'est  pas  immobile  :  dans  un -mouvement  per- 
pétuel, l'arc  s'élève  et  s'abaisse,  s'étend  vers 
l'est  ou  l'ouest  et  se  rompt  çà  et  là.  Ces  mouve- 
ments sont  surtout  remarquables  quand  l'aurore 
boréale  s'étend  et  commeno^  à  lancer  des  rayons. 
Alors  l'arc  lumineux  devient  plus  brillant  sur  un 
point  ;  il  mord  sur  le  segment  obscur  et  une  lueur 
brillante,  semblable  à  celle  de  l'arc,  monte  vers  le 
zénith.  Cette  lueur  s'élance  avec  la  rapidité  de 
l'éclair  jusqu'au  milieu  de  la  voûte  du  ciel.  Tantôt 
l'arcs'allonge,  tantôt  il  se  raccourcit,  et  ne  conserve 
presque  jamais  la  même  forme  pendant  plusieurs 
minutes,  mais  se  meut  vers  l'est  ou  vers  l'ouest  et 
se  courbe  comme  une  draperie  agitée  par  le  vent. 
Il  pâlit  ensuite  peu  à  peu  et  disparaît  enfin  pour 
faire  place  à  d'autres  rayons.  Si  ces  rayons  sont 
très  éclalants,  ils  présentent  quelquefois  des  teintes 
vertes  ou  d'un  rouge  foncé. 

Le  centre  de  chaque  aurore  boréale  paraît  placé, 
non  dans  la  direction  du  nord  vrai,  mais  dans  la 
direction  du  nord  magnétique.  Pendant  toute  sa 
durée  et  même  quand  l'aurore  n'est  pas  visible  en 
France,  l'aiguille  aimantée  est  fortement  agitée. 
Les  lignes  télégraphiques,  suriout  celles  qui  sont 
orientées  au  nord-sud,  sont  traversées  par  de  forts 
courants  électriques  continus  ou  intermittents  qui 
enipixhent  les  transmissions  télégraphiques  ou 
y  apportent  une  grande  gêne. 

Les  relations  qui  existent  entre  l'opparition  des 


aurores  boréales  et  l'état  général  du  temps  sont 
très  obscures.  Il  semble  cependant  que  le  phé- 
nomène coïncide  généralement  avec  la  présence 
ou  avec  le  retour  du  courant  équatorial  vers  les 
régions  polaires.  Survenant  à  la  fin  d'une  période 
sèche,  elles  annonceraient  le  retour  dos  vents  hu- 
mides et  pluvieux.  Il  faut  se  rappeler  toutefois 
que  les  aurores  boréales  retentissent  simultané- 
ment sur  tout  le  pourtour  du  pôle,  s'étondant  à 
l'Europe,  h  l'Asie  et  à  l'Amérique  du  Nord,  tandis 
que  les  vents  pluvieux  ont  une  marche  plus  lente 
et  plus  circonscrite. 

Des  phénomènes  semblables  aux  aurores  bo- 
réales s'observent  au  pôle  austral,  comme  au  pôle 
boréal.  On  les  appelle  (lumres  australes. 

Couronnes.  —  Ce  sont  des  cercles  lumineux 
colorés  qui  entourent  le  disque  du  soleil  et  de  la 
lune  quand  des  nuages  légers  ou  des  brumes 
passent  entre  ce  disque  et  notre  œil.  Les  cou- 
ronnes solaires  sont  assez  difficiles  à  observer,  à 
cause  de  l'éclat  de  l'astre  difficile  à  supporter 
directement;  il  vaut  mieux  en  voir  limage  réflé- 
chie par  la  surface  d'une  eau  tranquille.  Les  cou- 
ronnes lunaires  sont  au  contraire  très  communé- 
ment observées.  Elles  sont  d'autant  plus  larges 
que  les  globules  de  vapeur  condensée  sont  plus 
fins  et  plus  serrés.  On  peut  du  reste  les  repro- 
duire artificiellement  en  interceptant  la  vue  de 
l'astre  par  une  lame  de  verre  recouverte  d'une 
poudre  très  fine  et  très  régulièrement  étalée  en 
couche  mince  et  transparente.  La  fine  buée  qui 
se  dépose  sur  les  vitres  produit  un  eflet  sem- 
blable. 

Les  couronnes  sont  dues  à  des  modifications  de 
la  lumière  transmise  par  les  intervalles  des  grains 
de  poussière  ou  de  vapeur  condensée,  modifica- 
tions que  l'on  nomme  diffraction. 

Crépuscule.  —  Lumière  qui  continue  à  éclairer 
le  ciel  après  le  coucher  du  soleil,  ou  qui  l'éclairé 
déjà  avant  son  lever. 

Les  rayons  solaires  tangents  à  la  surface  de  la 
terre  cessent  d'arriver  directement  aux  points  de 
la  surface  terrestre  placés  au  delà  du  cercle  de 
contact;  mais  ces  rayons  n'en  continuent  pas 
moins  à  éclairer  les  couches  de  l'atmosphère 
qu'ils  traversent,  et  à  nous  éclairer  nous-mêmes 
par  réverbération. 

On  distingue  deux  crépuscules.  Le  crépuscule 
ciiit  finit  quand  la  ligne  qui  sépare  la  portion  de 
l'atinospliore  directement  éclairée  de  celle  qui  ne 
l'est  pas,  s'est  élevée  jusqu'au  zénith.  L'obscurité 
du  ciel  est  alors  à  peu  près  complète  pour  un 
appartement  ayant  ses  fenêtres  à  l'orient.  C'est  le 
moment  où  les  planètes  et  les  étoiles  les  plus 
brillantes  commencent  à  paraître.  Ce  moment 
arrive  quand  le  soleil  est  descendu  de  6  degrés 
au-dessous  de  1  horizon.  La  durée  de  ce  crépus- 
cule par  un  ciel  pur  varie  en  France  de  30  à 
47  minutes,  selon  la  localité  et  la  saison.  La  durée 
du  jour,  mesurée  par  l'intervalle  qui  sépare  le 
lever  du  coucher  du  soleil,  doit  donc  être  aug- 
mentée de  30  à  47  minutes  le  soir  et  d'autant  le 
matin. 

Le  crépuscule  astronomique  prend  fin  quand  la 
totalité  de  l'atmosphère  visible  cesse  d'être  direc- 
tement éclairée.  Il  est  alors  nuit  close. 

La  durée  du  crépuscule  est  bien  courte  dans  les 
régions  équatoriales,  où  le  soleil,  après  avoir  passé 
au  zénith,  descend  presque  verticalement  au-des- 
sous de  l'horizon.  Elle  s'allonge  à  mesure  qu'on 
s'avance  vers  le  nord,  parce  que  le  soleil  suit  une 
ligne  qui  s'y  rapproclie  davantage  de  l'horizon  ;  il 
lui  faut  alors  plus  de  temps  pour  s'abaisser  d'un 
même  angle  au-dessous  de  cet  horizon.  Il  est  même 
des  régions  situées  au  delà  des  cercles  polaires, 
où  le  soleil  ne  se  couche  jamais  en  été  et  ne  se 
lève  jamais  en  hiver.  Au  printemps  et  à  l'automne, 
le  soleil  ne  descend  que  très  peu  au-dessous  de 


PHÉNOMÈNES  OPTIQUES     -  1568  — 


PHILIPPE 


l'horizon,  et  la  nuit  entière  n'y  est  qu'un  long  cré- 
puscule, comme  les  jours  d'iiiver. 

Halos.  —  Ce  sont  des  cercles  et  des  lignes  bril- 
lantes qui,  dans  des  circonstances  exceptionnelle- 
ment favorables,  peuvent  atteindre  un  degré  de 
complication  difficile  h  décrire.  Us  se  disiniguent 
de  l'arc-en-ciel  en  ce  qu'ils  apparaissent  entre 
l'observateur  et  le  soleil.  Ils  sont  colorés  comme 
les  couronnes,  mais  mieux  limites,  plus  complexes, 
souvent  accompagnés  de  cercles  blancs  plus  ou 
moins  pâles  qui  se  coupent  et  donnent  h  leurs 
points  de  rencontre  des  images  brillantes  qu  on 
prendrait  pour  des  images  du  soleil,  et  qu'on 
nomme  parlièlies.  . 

Il  existe  des  lialos  lunaires  comme  il  existe  des 
couronnes  lunaires;  mais,  tandis  que  ceux-ci  se 
montrent  dans  les  cumulus,  nuages  formés  de 
"lobules  de  vapeur  condensée  en  eau,  les  premiers 
se  montrent  dans  les  cirrus,  beaucoup  plus  élevés 
que  les  cumulus  et  composés  de  fines  aiguilles  de 
glace  II  n'est  aucun  de  ces  nuages  qui  n'en  oflre 
des  traces;  mais  les  halos  complets  sont  très 
rares.  ,        ,        ,   ., 

Les  cercles  colorés  des  halos  dont  le  soleil  ou 
la  lune  occupe  le  centre  sont  dus  à  des  phéno- 
mènes de  rétraction  de  la  lumière  passant  au  tra- 
vers des  prismes  formés  par  les  aiguilles  de  glace  ; 
les  cercles  blancs  qui  passent  par  le  soleil  ou  par 
la  lune  sont  dus  à  des  réflexions  sur  les  faces  an- 
térieures de  ces  cristaux  orientés  par  leur  chute. 

Mirage.  —  Le  mirage  est  un  phénomène  de  tout 
autre  ordre,  qui  n'est  pas  rare  dans  nos  climats 
et  qui  est  très  fréquent  dans  les  pays  chauds. 

La  lumière  ne  se  propage  en  ligne  droite  que 
dans  un  milieu  bien  homogène.  Dans  de  l'air  dont 
la  température  changerait  rapidement  de  la  sur- 
face du  sol  jusqu'à,  une  certame  hauteur,  les 
rayons  qui  rasent  obliquement  la  surface  du  sol 
se  relèvent  ou  s'abaissent  suivant  le  sens  de  la 
variation  de  la  température.  Si  le  sol  est  plus 
chaud  que  l'air  à  une  certaine  hauteur,  ce  qui  est 
le  cas  pendant  le  jour,  dans  les  pays  chauds  et 
secs,  les  rayons  tendent  à  se  relever,  h  s  éloigner 
du  sol.  parce  que  l'air  est  plus  réfringent  là  où 
il  est  le  moins  chaud  que  là  où  il  l'est  le  plus.  Si 
donc  un  rayon  de  lumière  parti  d'un  objet  lointain 
situé  près  de  l'horizon  est  lancé  vers  nous  dans 
une  direction  à  peu  près  horizontale,  en  parcou- 
rant une  couche  d'air  de  même  température  en 
ses  divers  points,  ce  rayon  r.ous  parviendra  à  peu 
près  sans  déviation  et  nous  donnera  la  vue  directe 
de  l'objet.  Si  en  même  temps  un  autre  rayon  parti 
du  même  objet,  mais  plongeant  un  peu  vers  le  sol, 
rencontra  sur  son  chemin  des  couches  d'air  de 
plus  en  plus  chaudes  et  moins  réfringentes,  chaque 
couche  le  redressera  un  peu.  Ce  second  rayon 
parcourra  donc  une  sorte  d'arc  de  cercle  dont  la 
concaviio  sera  dirigée  vers  le  haut,  et  il  pourra 
venir  jusqu'à  l'œil  en  paraissant  venir  d'en  bas; 
il  donnera  une  seconde  vue  de  l'objet  analogue 
à  celle  qui  serait  produite  par  la  réflexion  d  une 
glace  couchée  sur  le  sol.  C'est  cette  réflexion  par- 
ticulière, donnant  une  image  renversée  des  objets 
placés  près  de  l'horizon,  qui  constitue  le  mirage. 

Le  plus  ordinaire  est  celui  que  nous  venons 
d'esquisser;  il  produit  l'efl'et  d'une  nappe  d'eau 
sur  laquelle  se  réfléchissent  les  nuages,  les  arbres, 
les  objets  terrestres  faisant  peu  de  saillie  sur  le 
sol.  Mais  le  phénomène  peut  être  renversé  quand 
c'est  ad  contraire  le  sol  ou  la  mer  qui  est  plus 
froid  que  l'air.  On  voit  alors  les  objets  éloignés 
donner  une  image  renversée,  placée  au-dessus 
d'eux  au  lieu  d'être  au-dessous,  comme  si  le  mi- 
roir était  dans  le  ciel  et  non  sur  le  sol.  Il  est  enfin 
des  cas,  sur  le  bord  de  la  mer,  où  le  mirage  se 
produit  latéralement  comme  si  le  miroir  était  ver- 
ticalement placé  près  de  la  mer. 

A  l'époque  où  le  mirage  et  sa  cause  étaient  peu 


connus,  ce  phénomène  a  été  rendu  célèbre  parles 
snufl'rances  qu'il  a  fait  endurer  aux  soldats  pendant 
la  campagne  d'Egypte.  Il  est  cependant  presque 
quotidien  on  France,  notamment  dans  la  plaine  de 
la  Crau.  [Marié-Davy.] 

PHILIPPE.  —  Nom  de  six  rois  de  France,  et  de 
divers  souverains  étrangers. 
1°  France. 

'  Philippe  I",  —  Histoire  de  France,  VIII,  —  le 
quatrième  des  rois  capétiens,  successeurd'HenriP', 
régna  pendant  près  d'un  demi-siècle  (1060-1108), 
mais  ne  prit  aucune  part  aux  grands  événements 
qui  agitèrent  la  Franco  durant  cette  période.  Il 
avait  treize  ans,  lorsque  son  vassal,  le  duc  Guil- 
laume de  Normandie,  conquit  l'Angleterre  (10B6). 
Pendant  les  trente  années  qui  suivent,  on  voit 
Philippe  engagé  à  diverses  reprises  dans  d'obscures 
guerres  féodales  contre  les  seigneurs  ses  voisins, 
guerres  où  souvent  il  avait  le  dessous.  Son  union 
illégitime  avec  Benrade,  femme  du  comte  d'Anjou, 
attira  sur  lui  les  anathèmes  de  l'Eglise;  il  était 
excommunié  lorsque  le  pape  Urbain  II  vint  en  Au 
vergne  prêcher  la  première  croisade,  à  laquelle  le 
roi  de  France  resta  étranger.  Vers  la  hn  de  son 
règne,  il  associa  à  sa  couronne  son  hls  Louis, 
dont  l'activité  et  Ihabileté  allaient  donner  à  la 
royauté  une  importance  qu'elle  n'avait  pas  eue 
jusqu'alors.  Philippe  l"  ajouta  au  domaine  royal 
le  Gàtinais,  le  Vexin,  et  la  vicomte  de  Bourges. 

Philippe  II  Auguste,  —  Histoire  de  France,  IX, 
-  fils  et  successeur  de  Louis  VII,  monta  sur  le 
tiône  en  IlSO.  Ce  monarque,  politique  astucieux 
et  négociateur  habile  bien  plus  qu  homme  de 
guerre,  visa  constamment  à  étendre  1  autorité 
royale,  et  à  s'emparer  des  possessions  des  Planta- 
geiiets  en  France.  Pendant  les  dernières  années 
du  règne  d'Henri  II  d'Angleterre,  il  lutta  contre 
ce  prfnce  en  s'associant  à  ses  fais  révoltes.  Après 
la  .nort  d'Henri  H,  le  pape  Clément  III  ayant  prê- 
ché une  croisade,  il  dut  conclure  la  paix,  et  se 
rendit  en  Orient  avec  Richard  Cœur-de-Lion, 
successeur  d'Henri.  Il  en  revint  bientôt,  ma  gre 
le  blâme  que  sa  défection  lui  attira.  Prolitant  de 
l'absence  et  de  la  captivité  de  Richard,  i  essaya 
de  lui  enlever  la  Normandie  ;  mais  Richard  revint 
à  son  tour  (U91),  et  une  trêve  fut  conclue  En 
non  Philippe,  ayant  répudié  sa  fenime  Ingel- 
burge  de  Danemark  pour  épouser  Agnès  de  Mera- 
nie,  vit  son  royaume  mis  en  interdit  par  Inno- 
cent  ni;  trop  faible  pour  lutter  contre  le  P^Pe. Jj 
céda,  reprit  Ingelburge,  et  obtint  son  P^'^Jon-  En 
même  temps,  il  citait  à  comparaître  devint  u 
pour  être  jugé  par  la  cour  des  pairs,  qui  se  réunit 
alors  pour  la  première  fois,  le  nouveau  loi  d  An- 
gleterre, Jean  sans  Terre,  accuse  d  avoir  assassiné 
fon  neveu  Arthur  de  Bretagne-  sur  son  refus  de 
se  présenter,  Phili,.pe  s'empara  de  la  Pl"P"^  1e= 
liefs  que  les  Plantagenets  possédaient  en  I  ance, 
Normandie,  Maine,  Tourame,  .A"J""  "/"''""• 
Cestà  cette  époque  qu'un  certain  nombre  do  se - 
gneurs  français  s'embarquaieut  pour  la  ;  "oi 
Lde  (\.  Cro.sa,les).  Philippe  les  1^'*^^  Pf  "'.  ^''"^ 
se  joindre  à  eux;  il  était  trop  occupe  du  soin  de 
ses  propres  intérêts.  Tout  en  agrandissant^  e  do- 
maine royal,  il  créait  une  milice  (es  ribaud,), 
Srçait  de  se  concilier  la  bourgeoisie  en  fayo- 
i  ant'îe  développement  des  institutions  mumc  - 
pales,  protégeait  'U'uversue  de  Paris  et  y  faisa 
enseigner  le  droit  romain.  En  U08,  Innucei.t  i  i 
prêcha  la  croisade  contre  les  Albigeois  (V.  AJOi- 
leois)  :  Philippe-Auguste  laissa  les  ^<='S"f""  f"» 
Nord  marcher  contre  les  hérétiques  du  Midi  naa.s 
malgré  les  avantages  qui  devaient  ,'''îf"'^^«„^^  P»^'^ 
la  royauté  française  de  la  conquête  f  '^  P/-^^^'^^^ 
il  ne  se  joignit  pa.s  aux  croises.  S'^s  d^.'"'^'"",,^^';? 
Jean  san's  Terre  n'étaient  l»^,^"'"'"^*(i„f, '"'.y 
avait  pour  alliés  l'empereur  d'Allemagne  Ollion  IV, 


PHILIPPE 


—  1569  — 


PHILIPPE 


et  plusieurs  seigneurs  vassaux  du  roi  do  Franco, 
entre  autres  le  comte  de  Flandre.  «  J'ai  aux  nancs, 
écrivait  Philippe  au  pape,  doux  lions  grands  et 
terribles,  Otiion  l'empereur  et  Jean  d'Ansleterro; 
aiusi  je  ne  puis  sortir  de  France.  »  Bientôt  la 
guerre  éclata  entre  le  roi  de  France  et  ses  adver- 
saires. Otiion,  aidé  des  Flamajids,  avait  réuni  une 
puissante  armée  :  riiilippe  le  battit  à  Bouvines 
(l'.'U);  en  môme  temps  Jean  sans  Terre,  défait 
près  de  Nantes,  fut  contraint  à  la  paix.  L'année 
suivante,  les  barons  anglais,  lévoltes  contre  leur 
roi,  offrirent  la  couronne  au  fils  du  roi  de  Fiance, 
Loms.  Celui-ci  passa  en  Angleterre;  mais  Jean 
étant  mort,  les  barons  préférèrent  son  fils  à  un 
souverain  étranger,  et  l'expédition  française 
échoua.  Philippe-Auguste  d'ailleurs  avait  désap- 
prouve cette  tentative;  il  aimait  mieux  consolider 
ses  premières  conquêtes,  se  fortifier  dans  son 
propre  royaume,  que  d'aller  chercher  au  dehors 
(les  possessions  nouvelles  ou  une  gloire  stérile, 
t.  est  ainsi  qu'il  refusa  de  participer  à' la  cin- 
quième croisade  (|-J17),  et  qu'il  refusa  également 
a  accepter  le  don  que  voulait  lui  faire  de  la  Pro- 
vence Amaury,  fils  de  Simon  de  Montfort  :  c'est 
A  Louis  yiH  qu'il  était  réservé  de  prendre  pos- 
session de  la  France  méridionale.  Philippe-Au- 
guste mourut  en  122:!,  âgé  de  cinquante-huit  ans; 
sa  prudence,  son  habileté,  sa  sage  administration, 
■ont  lait  de  lui  l'un  des  principaux  fondateurs  de  la 
■a-oyauté  française. 

P^jllPPe  III  le  Hardi,  —  Histoire  de  France,  X, 
—  his  de  saint  Louis,  prit  la  couronne  en  Afrique, 
à  la  mort  de  son  père  qu'il  avait  accompagné  i  la 
8'croisade(1270)  ;  il  se  hâta  de  conclure  la  paix  avec 
le  bey  de  Tunis,  et  de  revenir  en  France.  Il  réunit 
i  la  couronne  I  héritage  de  son  oncle,  le  comte  de 
Toulouse  ;  puis,  à  la  mort  de  Henri  le  Gros,  comte 
de  Champagne  et  roi  de  Navarre,  qui  ne  laissait 
j';'"'_'"'S"C':e'ier  qu'une  fille,  il  fiança  celle-cii  son 
nis  Philippe  ;  la  Champagne  se  trouva  ainsi  réunie 
,iu  domaine  royal,  et  une  expédition  au  delà  des 
Pyrénées  assura  au  roi  de  France  l'obéissance 
des  Navarrais  (127C).  A  la  fin  de  son  règne,  Phi- 
qjpe  111  porta  de  nouveau  ses  armes  en  Espagne: 
e  roi  Pierre  III  d'Aragon  était  en  guerre  Ivec 
Charles  d  Anjou,  roi  deNaples  et  oncle  de  Philippe: 
celui-ci  envahit  TAragon  avec  vingt  mille  chevaliers  : 
Il  prit  Girone  après  un  siège  difficile.  Mais  la 
lotte  française  fut  battue  par  les  marins  catalans  ; 
1  armée  de  terre  était  épuisée  par  "les  maladies. 
Phiippe  dut  battre  en  retraite,  et  mourut  en  arri- 
vant à  Perpignan  (1285). 

Ce  fut  sous  le  règne  de  Philippe  III  qu'eut 
leu  le  premier  anoblissement  ;  en  même  temps 
les  rotuneis  obtinrentle  droit  d'acquérir  des  fiefs. 
Philippe  IV  le  Bel.  —  Histoire  de  France,  XI  — 
Le  roi  etjes  conseillers.  —  La  personne  de  Phi- 
lippe le  Bel  est  peu  connue;  il  n'y  a  pas  eu  auprès 
de  lui  un  Joinville  pour  noter  les  détails  de  sa  vie 


royauté  prit  de  plus  eu  plus  le  caractère  juridique 
l^nt  I /°'"  w''".'^'^  ^  '"'  ''»"'""•  saint  Louis.  Mais 
suHnm  ,r  '  T'f  '^''"  '*''  'a  J^^t'-^e  ;  Philippe  fit 
re,  n"^M  »f  "^^  'ï  ''^''"'^"^-  S«s  principaux  niinis- 
sei^neurs  •  ""'  ^''  '"""""'^^  '^'«P'^"  "'  de  grands 
de  fa  hn,,.,;  '  .^""^'ent  de  la  petite  noblesse  ou 
cilmhpM  f  °;T-/"S"«™'«i  de  Marigny,  qui  fut 
^areT  n  ,i  f  •"  '■'é^°"<^'^  du  roi,  Pierre  Flotte,  No- 
?]an  .rii  "'"  successivement  chanceliers,  Pla- 
voln'ntfpp.  !.,'":"''  '!"''  Philippe  employait  le  plus 
mêmei  fl'.f'';""'',-'^'""'"''  ''«  s'inlitulaient  c-ux- 
rite" Ttaiem  ,fT^'"-'  ''  '"''■  ^"''^'^  ''""««  favo- 
uient  to,^  n, '?  '"'«s  embrouillés  qu'ils  commeu- 
de  nrocS."'  ^T  •''=,  ""^'"6  ««"»  et  les  ruses 
de  procédure  que  la  violence  venait  au  besoin  sou- 


2'^  Partie. 


Organisation  administrative.  —  L'organisation 
administrative  ébauchée  sous  les  règnes  précé- 
dents se  continue  et  se  complète  sous  Philippe- 
le-Bel.  Cotte  organisation  est  surtout  judiciaire  ; 
elle  a  son  centre  dans  le  parlement.  Le  parle- 
ment est  divisé  en  trois  parties  :  1°  le  grand 
conseil,  corps  politique  où  siègent  les  principaux 
officiers  de  la  couronne;  "2»  la  cour  des  comptes, 
qui  surveille  déjà  la  gestion  financière;  3°  le  par- 
lement proprement  dit,  comprenant  une  grand' 
chambre  qui  juge  sur  plaidoiries,  une  chambre 
des  enquêtes  et  une  chambre  des  requêtes.  Dans 
les  provinces,  aux  baillis  et  sénéchaux,  prévêts  et 
viguiers  établis  précédemment,  s'ajoutèrent  une 
foule  de  fonctionnaires  nouveaux  :  procureurs  du 
roi,  notaires,  avocats,  maîtres  et  peseurs  des  mon- 
naies. Avec  les  sergents,  sorte  de  milice  qui  assis- 
tait les  prévôts,  cette  administration  devenait 
nombreuse  et  compliquée. 

Nouunau.x  besoins  de  la  royauté.  Caractère 
général  de  ta  politique  de  Philippe  le  Bel.  —  Elle 
était  surtout  coûteuse.  Jusqu'alors  le  roi  n'avait  eu 
d'autre  charge  que  l'entretien  de  sa  maison,  le 
revenu  du  domaine  y  suffisait  amplement.  Mais 
alors  se  produisirent  des  besoins  nouveaux  ;  Phi- 
lippe le  Bel  chercha  donc  à  se  procurer  des  res- 
sources nouvelles.  C'est  là  le  véritable  mobile  de 
sa  politique,  le  secret  de  son  activité  inquiète,  de 
ses  ruses,  de  ses  intrigues,  de  ses  violences.  II 
avait  besoin  d'argent,  et  pour  s'en  procurer  tout 
moyen  lui  était  bon.  La  question  d'argent  domina 
sa  politique  intérieure,  sa  politique  étrangère,  sa 
politique  ecclésiastique. 

Pulitir/iie  Ultérieure.  Les  Elats-généraux.  —  Sous 
le  règne  de  Philippe  le  Bel  se  produit  un  événe- 
ment considérable  dans  l'histoire  politique  de  la 
France.  Le  premier,  il  convoque  des  i  tats-géné- 
raux,  c'est-à-dire  des  assemblées  où  figurent,  à 
côté  des  nobles  et  du  clergé,  des  députés  des 
villes  représentant  le  Tiers-Etat.  Ce  ne  fut  point 
pour  accomplir  une  réforme  libérale  ni  pour  asso- 
cier la  nation  aux  affaires  que  Philippe  le  Bel  se 
décida  à  cette  innovation.  Il  convoqua  les  Etats 
quatre  fois  en  1-302,  en  V.iU'S,  en  I3US  et  en  1314. 
c'est-à-dire  pondant  sa  lutte  avec  Boniface  VIII, 
pendant  le  procès  des  Templiers  et  au  plus  fort 
de  la  guerre  de  Flandre.  Il  était  sûr  de  trouver 
dans  ces  assemblées  une  adhésion  à  ses  actes  et 
un  point  d'appui  pour  sa  politique.  Il  comptait 
surtout  sur  elles  pour  se  procurer  des  ressources. 
A  chaque  fois  il  arracha  aux  Etats  des  votes  de 
subsides,  Aussi  était-ce  un  honneur  peu  recher- 
ché que  de  venir  siéger  aux  Etats-généraux.  Les 
députes  des  villes  savaient  bien  qu'ils  seraient 
obligés  de  se  taxer  eux-mêmes,  eux  et  les  leurs, 
et  ils  ne  vouaient  qu'à  regret. 

Itapports-  avec  la  noljlesse.  —  A  l'égard  de  la 
noblesse,  Philippe  le  Bel  poursuivit  la  politique  de 
saint  Louis,  s'efforçant  d'étendre  la  Quurantaine- 
le-Roi/,  les  cas  royaux;  mais  là  aussi  sa  politique 
eut  surtout  un  caractère  fiscal.  A  tout  propos  il 
prononçait  des  confiscations.  Il  exigea  pour  les 
flefs  qui  passaient  des  mains  de  la  noblesse  dans 
celles  de  la  bourgeoisie  le  paiement  d'un  droit  de 
franc  fief.  Mais  les  propriétés  qu'on  mettait  en 
vente  perlaient  ainsi  de  leur  valeur,  et  c'était 
sur  la  noblesse  que  pesait  en  définitive  le  nouvel 
impôt.  La  noblesse  manifesta  à  plusieurs  reprises 
son  mécontentement.  Vers  la  fin  du  règne  elle 
formait  des  ligues  contre  le  roi. 

Persécutions  contre  les  Lombards  et  les  Juifs,  — 
Il  y  avait  des  classes  de  la  population  plus  faciles 
à  rançonner.  Le  commerce  de  l'argent  était  alors 
tout  entier  dans  les  mains  des  Lombards  et  dos 
Juifs.  Plus  d'une  fois  on  arrêta  en  masse  tous  les 
Lombards  et  on  les  obligea  à  acheter  leur  liberté. 
Quant  aux  Juifs,  tantôt  on  leur  faisait  payer  des 
tailles  spéciales,  tantôt  on  les  emprisonnait  pour 
99 


PHILIPPE 


—  1570 


PHILIPPE 


les  mettre  à  rançon.  De  temps  en  temps  le  roi 
simulait  une  vertueuse  indignation,  leur  repro- 
chait de  maltraiter  les  chrétiens  par  l'usure,  et  les 
chassait  du  royaume.  Alors  il  s'emparait  da  leurs 
biens,  prenait"  en  main  leurs  créances  et  les  fai- 
sait valoir  pour  son  compte,  se  gardant  de  rien 
rabattre  des  intérêts.  On  pardonne  h  saint  Louis 
son  intolérance  en  faveur  de  sa  sincérité.  Philippe 
le  Bel  mérite  d'être  jugé  plus  sévèrement. 

Aliéialion  dus  monnuies.  —  Dans  sa  Divine  Co- 
médie, Dante  a  dépeint  le  supplice  du  roi  faux- 
monnaycvr.  C'est  de  ce  nom  que  les  contempo- 
rains appelaient  le  roi  Philippe,  et  ce  nom  était 
mérité.  Quand  il  avait  à  payer,  il  augmentait  la 
valeur  des  monnaies;  quand  il  avait  à  recevoir,  il 
la  diminuait.  Des  perturbations  désastreuses  ré- 
sultaient de  ces  brusques  changements.  Il  n'y 
avait  plus  de  sécurité  dans  les  transactions.  A 
plusieurs  fois  le  peuple  exaspéré  fit  des  émeutes. 
En  130G  la  maison  de  l'argentier  Etienne  Barbette 
fut  brûlée,  et  le  roi,  vivement  poursuivi,  n'échappa 
qu'en  se  réfugiant  dans  la  forteresse  du  Temple. 
Poliliiiuf:  étrangère.  Traité  de  ïarasœn.  —  En 
r28.j,  quand  Philippe  le  Bel  devint  roi,  il  trouva  la 
France  engagée  dans  une  lutte  contre  l'Aragon. 
Cette  guerre  avait  été  entreprise  par  Philippe  III 
dans  l'intérêt  de  la  maison  d'Anjou  ;  on  y  gagnait 
plus  de  coups  que  de  profits.  Philippe  le  Bel  se 
hâta  d'y  mettre  fin.  Dès  1291  il  signait  le  traité  de 
Tarascon.  Le  roi  de  Naples  Charles  le  Boiteux, 
prisonnier  de  l'Aragon,  était  remis  en  liberté.  Il 
abandonnait  la  Sicile  à  une  branche  cadette  de  la 
maison  d'Aragon.  D'autre  part,  Charles  de  Valois, 
flore  du  roi  de  France,  renonçait  à  la  couronne 
d'Aragon  que  lui  avait  attribuée  le  pape  et,  en 
compensation,  recevait  du  roi  de  Saples  l'Anjou 
et  le  Maine. 

Affaires  i:'e  Guyenne.  — VhiMpps  le  Bel  avait  fait 
la  paix  avec  l'Aragon  pour  avoir  les  mains  libres. 
Il  convoitait  la  riche  province  de  Guyenne,  déjà 
florissante  par  la  culture  de  la  vigne  et  le  com- 
merce des  vins.  Il  aggrava  à  dessein  une  querelle 
insignifiante  survenue  entre  des  matelots  français 
et  des  matelots  gascons,  sujets  du  roi  d'Angle- 
terre. Il  exigea  que  celui-ci  vint  en  personne  lui 
donner  satisfaction.  Edouard  1"  fut  très  embar- 
rassé- Il  était  pour  la  Guyenne  le  vassal  lie  Phi- 
lippe, et  n'osait  se  mettre  en  rébellion  ouverte 
contre  son  suzerain.  H  avait  assez  à  faire  de  sou- 
mettre dans  son  ile  les  Gallois  et  les  Ecossais. 
Philippe  lui  proposa  un  accommodement  :  il  se 
contenterait  d'une  simple  formalité  ;  son  chancelier 
Pierre  Flotte  irait  occuper  en  son  nom  quelques 
places  de  la  Guyenne,  les  quitterait  aussitôt  et 
tout  serait  dit.  Edouard  accepta.  Pierre  Flotte 
alla  en  Guyenne,  mais  avec  des  troupes,  et  quand 
il  eut  les  villes  il  les  garda.  Edouard  indigné  com- 
mença la  guerre.  Mais  les  hostilités  ne  furent 
jamais  poussées  très  vivement;  en  1 303,  après  un 
arbitrage  du  pape,  Philippe  le  Bel  rendit  la 
Guyenne. 

Affaires  de  Flandre.  —  Au  nord  de  la  France 
était  un  pays  plus  riche  encore  que  la  Guyenne. 
La  Flandre  était  alors  la  première  contrée  manu- 
facturière de  l'Europe  :  on  y  fabriquait  des  draps, 
des  étoffes,  des  dentelles,  les  villes  étaient  gran- 
des, florissantes;  la  population  nombreuse,  active, 
avait  conscience  de  sa  richesse  et  de  sa  force.  La 
féodalité  pesait  bien  peu  à  côté  de  villes  comme 
Bruges  ou  Gand.  Les  nécessités  du  commerce 
avaient  établi  des  rapports  intimes  entre  les  Fla- 
mands et  les  Anglais.  L'Angleterre,  qui  n'était 
alors  qu'un  pays  de  pâturages,  fournissait  les  lai- 
nes, matière  première  de  l'industrie  flamande. 

Pour  donner  satisfaction  à  ses  sujets,  le  comte  de 
Flandre,  Guy  de  Dampierre,  négocia  un  mariage 
entre  le  roi  Edouard  et  sa  fille  Philippa;  le  roi  de 
France,  parrain  de  la  jeune  princesse,  manifesta  le 


désir  de  la  voir  avant  son  départ.  On  la  lui  amena,  et 
quand  elle  fut  près  de  lui  il  refusa  de  la  laisser  par- 
tir (1300  .  Aux  réclamations  du  comte  il  répondit 
pardesmenaces,  et  une  armée  entra  en  Flandre.  Mal 
secondé  par  ses  sujets,  négligé  par  EdouardI",Guy 
de  Dampierre  fut  battu  et  pris.  On  l'enferma  au  Lou- 
vre, et  Philippe  le  Bel  prit  possession  de  la  Flandre. 
C'était  une  belle  conquête,  mais  il  fallait  savoir 
la  garder.  Philippe  gâta  ses  affaires  par  trop  de 
précipitation  et  d'avidilé.  Dans  un  voyage  qu'il  fit 
en  Flandre,  les  femmes  flamandes  étalèrent  un 
luxe  écrasant  qui  fut  remarqué  par  la  reine  avec 
dépit,  mais  dont  le  roi  prit  bonne  note.  Jacques 
de  Châtillon,  envoyé  comme  gouverneur,  montra 
k  la  fois  l'insolence  d'un  baron  féodal  et  la  cupi- 
dité d'un  chevalier  es  lois.  Les  Flamands,  si  jaloux 
de  leur  indépendance,  furent  soumis  à  la  tyrannie 
la  plus  violente  et  la  plus  maladroite.  On  éta- 
blissait des  impôts  sur  tout,  on  frappait  d'une 
taxe  proportionnelle  le  salaire  des  ouvriers.  On 
employait,  pour  des  travaux  faits  au  compte  du 
roi,  des  hommes  qu'on  refusait  ensuiie  de  payer. 
Les  réclamations  des  notables  et  des  chefs  de 
métiers  furent  brutalement  repoussées  par  le  gou- 
verneur. Pour  montrer  aux  plaignants  qu'ils 
avaient  tort  on  les  emprisonnait.  Le  parlement  de 
Paris,  devant  qui  avait  été  portée  l'affaire,  donna 
raison  aux  gens  du  roi.  Les  Flamands  n'étaient 
pas  habitués  à  la  patience  :  ils  se  firent  justice 
eux-mêmes.  Un  soulèvement  éclata  i  Bruges  : 
4  0U0  Français  périrent  dans  les  \'épres  flaman- 
des. Une  armée  entra  en  Flandre  pour  les  venger. 
Elle  rencontra  les  luilices  flamandes  près  de  Cour- 
trai.  Les  Flamands  n'avaient  que  de  l'infanterie, 
ils  la  rangèrent  en  bon  ordre  le  long  d'un  canal. 
Une  attaque  de  front  était  dangereuse.  Le  conné- 
table de  Xesie  et  les  chefs  les  plus  expérimentés 
parlaient  de  tourner  la  position  ;  mais  l'impru- 
dente ardeur  de  Bobert  d'Artois  entraîna  toute 
l'armée  à  un  désastre.  La  lourde  cavalerie  féodale 
s'embourba  dans  le  fossé  qu'elle  voulait  franchir, 
et  les  Flamands  n'eurent  que  la  peine  d'achever 
leurs  ennemis  (1302).  L'année  suivante  ils  osèrent 
pénétrer  en  France,  et  brûlèrent  Thérouanne. 
Philippe  le  Bel  en  personne  dirigea  la  campagne 
de  13ii4.  Il  trouva  les  Flamands  fortement  retran- 
chés dans  leur  camp  de  Mons-en-Puelle,  et  se 
garda  bien  de  les  attaquer.  11  resta  en  observa- 
tion avec  le  gros  de  ses  forces,  tandis  que  ses  trou- 
pes légères  couraient  la  campagne  et  promenaient 
partout  l'incendie.  Les  Flamands  firent  alors  une 
brusque  sortie  et  faillirent  enlever  l'armée  fran- 
çaise.Le  roi  montra  beaucoup  de  sang-froid, rétablit 
le  combat  et  remporta  la  victoire.  Mais  quelques 
jours  après,  une  nouvelle  armée  de  60  000  hommes 
venait  lui  présenter  la  bataille.  Philippe  comprit 
qu'il  lui  serait  difficile  de  venir  à  bout  d'une 
telle  résistance.  Il  fit  la  paix  avec  les  Flamands, 
remit  en  liberté  leur  jeune  comte,  fils  de  Guy  d& 
Dampierre,  et  ne  garda  que  la  Flandre  française  i 
avec  la  ville  de  Lille,  plus  une  indemnité  de- j 
20n  000  livres. 

Luile  de  Philippe  le  Bel  et  de  Boni/ace  VlII.  — jl 
La  lutte  de  Philippe  le  Bel  et  du   pape  BonifaceJJ 
VIII,  qu'on  a  regardée  quelquefois  comme  la  suite» 
de  la  querelle  des   investitures,  a  eu  en    fait  soj>l 
origine  dans  une  question  d'argent.   Il   s'agissait - 
de  savoir  si  les  papes  pourraient  se  faire  payer  les- 
expectatives,  les  annales,  les  grâces  conciliatoires, 
s'ils  pourraient   vendre  des  dispenses  et  des  in- 
dulgences, lever  des  dîmes,  ou  si  les  rois  avaient 
le  droit,  comme  fondateurs  ou  collateurs  de  béné- 
fices, d'en  prendre  leur  part  et  d'établir  des  impôts. 
Le  roi  et  le  pape  se  montraient  pleins  de  sollici- 
tude pour  défendre,  chacun  contre  son  rival,   les 
intérêts    du  clergé    et  ceux   des    fidèles  français. 
Boniface  VIII  apporta  dans  la  lutte  toute  la  fougue 
d'un  caractère  violent  et  absolu.  Philippe  le  Bel 


PHILIPPE 


—  1371 


PHILIPPE 


fit  prumn  d'opiiiiàtrolù  et  de  l'absenco  do  scrupu- 
les qui  lui  était  lialiituclle. 

Lp.  roi  avait  (Staljli  dans  ses  Etats  un  impôt  nou- 
veau, la  nialtote.dont  il  exigeait  le  paiement  même 
du  chTgiS.  Boniface  publia  la  bulle  Clericis  laïcos, 
par  lai|uelle  il  défendait  sous  peine  d'interdit  Ji  tout 
cIci'C  de  payer,  à  tout  laïque  de  faire  payer.  Philippe 
riposta  en  interdisant  tout  envoi  d'or  ou  d'argent  à 
Rome.  Cette  fois  le  pape  se  montra  conciliant.  Il  était 
engagé  dans  de  violentes  querelles  avec  la  famille 
romaine  des  Colonna,  et  ne  voulait  pas  se  faire  du 
roi  de  Trance  un  ennemi  qu'il  savait  devoir  être 
redoutable.  Il  autorisa  la  levée  d'un  décime  et 
d'une  année  des  revenus  et  bénéfices  qui  devien- 
draient vacants.  Les  deux  cours  parurent  réconci- 
liées. 

En  l'an  130rt,Boniface  VIH  tint  à  Rome  un  jubilé  : 
300,000  pèlerins  y  affluèrent.  Le  pape  fut  trans- 
porté de  joie  et  d'orgueil.  Il  se  déclara  lui-même  le 
roi  des  rois  et  le  chef  de  tous  les  fidèles.  En  même 
temps  il  traitait  rudement  Pliilippe,  lui  envoyant, 
pour  le  sommer  d'aller  en  croisade,  son  ennemi 
personnel  Bernard  Saissct,  évoque  de  Pamiers.  On 
prétendait  en  France  que  Saisset  intriguait  pour 
déterminer  dans  le  sud-ouest  une  révolte  contre 
le  roi  et  la  formation  d'un  royaume  du  Languedoc. 
Philippe  le  fit  arrêter  et  demanda  qu'il  fût  dégradé. 
Le  pape  lança  la  bulle  Ausculta  fiii,  dans  laquelle 
il  tenait  le  langage  le  plus  hautain  :  «  Dieu  nous 
a  constitué,  quoique  indigne,  au-dessus  des  rois  et 
des  royaumes.  »  11  réclamait  la  mise  en  liberté  de 
l'évêque.  Pierre  Flotte  alla  lui  déclarer  que  Saisset 
resterait  prisonnier  et  que  l'or  et  l'argent  ne  sorti- 
raient plus  de  France  à  destination  do  Rome.  La 
bulle  était  déjà  très  vive,  Philippe  la  falsifia  et 
publia  une  contrefaçon  conçue  dans  des  termes 
d'une  violence  odieuse.  Il  fit  paraître  une  réponse 
du  même  style  et  brûla  la  bulle.  Le  pape  convo- 
qua un  concilCj  le  roi  réunit  les  Etats-généraux 


papauté  h  Avignon,  inaugurant  ainsi  ce  qu'on  de- 
vait appeler  plus  tard  la  captivité  de  liabi/lo7ic. 

Destruction  des  Templiers.  —  Cependant  le  pro- 
cès intenté  i  la  mémoire  de  Boniface  VIII  durait 
toujours.  Nogaret  faisait  venir  d'Italie  tout  un  cor- 
tège de  faux  lémoins.  Le  pape  n'obtint  qu'en  131 1 
de  faire  cesser  cette  scandaleuse  affaire  ;  mais  pour 
obtenir  l'assentiment  du  roi,  il  dut  sacrifier  les  "Tem- 
pliers. L'ordre  des  Templiers,  après  la  chute  des 
ICtats  chrétiens  d'Orient,  s'était  fixé  tout  entier  en 
Europe.  L!i,  les  chevaliers  vivaient  paisiblement 
des  donations  qui  leur  avaient  été  faites  autrefois. 
D'assezmecliants  bruits  couraient  sur  leur  compte; 
on  les  accusait  de  mener  une  vie  scandaleuse,  de 
se  livrer  à  la  débauche,  et  de  commettre  des  pro- 
fanations dans  leurs  cérémonies  secrètes.  Il  esC 
difficile  de  savoir  ce  qu'il  y  avait  de  fondé  dans  ces 
imputations.  Philippe  le  Bol  s'in<iuiéta  peu  de  re- 
chercher la  vérité.  Il  avait  vu  un  jour  les  riches- 
ses entassées  dans  la  forteresse  du  Temple,  et  ce 
jour-là  il  avait  songé  às'en  rendre  maître.  Il  essaya 
d'abord  de  se  faire  recevoir  parmi  les  Templiers, 
qui  déclinèrent  cet  honneur.  Il  chercha  un  au- 
tre moyen.  Le  1-3  octobre  i:iu7,  dans  toute  l'éten- 
due du  royaume  les  Templiers  furent  saisis  et  em- 
prisonnés. Alors  commença  un  prucèsqui  est  resté 
célèbre  dans  l'histoire  d(!s  grandes  iniquités.  En 
i:ill  le  pape  prononça  la  suppression  de  l'ordre. 
En  1.313  eut  lieu  le  supplice  du  grand-maître  Jac- 
ques de  Molay  et  de  plusieurs  chevaliers.  Mais  les 
dépouilles  du  Temple  furent  adjugées  aux  Hospita- 
liers ;  Philippe  le  Bol  n'en  put  arracher  que  quel- 
ques lambeaux. 

Il  mourut  peu  après  (1314).  Par  ses  rapines,  ses 
extorsions  et  ses  violences  il  s'était  rendu  odieux 
à  toutes  les  classes  de  la  nation.  Le  peuple  le 
comparait  h  l'Ante-Christ.  Cependant  son  règne 
n'avait  pas  été  inutile.  Il  avait  complété  l'œuvre 
administrative  de  ses    prédécesseurs.  Au  dehors. 


Mais  le  concile  se  montrait  favorable  à  Boniface,  l'influence  de  la  France  s'étendait  sur  tous  les  pays 
qui  préparait  une  bulle  d'excommunication.  Le  environnants  :  l'Angleterre,  l'Allemagne,  l'Italie, 
roi  le  prévint.  Nogaret  partit  pour  l'Italie  avec  la  Un  contemporain  dressait  déjà  le  plan  d'une  mo- 
raission  d'enlever  le  pape;  ou  devait  l'amener  à  narchie  universelle  qui  aurait  eu  pour  chef  le  roi 
Lyon,  le  faire  comparaître  devant  un  concile  corn- ,  de  France.  jMaurice  Wahl.] 

posé  avec  soin,  et  provoquer  sa  déposition.  No-  Philippe 'V  le  Long,  —  Histoire  de  France,  XI, — 
garet  s'adjoignit  Colonna,  l'ennemi  mortel  du  pape;  ,  second  fils  de  Philipppe  le  Bel,  devint  régent  du 
tous  deux  levèrent  une  petite  armée  et  surprirent  royaume  à  la  mort  de  son  frère  Louis  le  Hutin, 
Boniface  dans  la  ville  d'Anagni.  Le  vieux  pontife  i  qui  laissait  une  fille  et  sa  femme  enceinte  (1316). 
plus  qu'octogénaire  monti  a  une  fermeté  invincible.  La  veuve  de  Louis  accoucha  quelque  temps  après 
Il  s'attendait  à  tout  et  il  était  décid'é  à  tout  sup-  d'un  fils;  mais  cet  enfant,  proclamé  roi  sous  le  nom 
porter.  Ses  ennemis  le  trouvèrent  assis,  la  tiare  de  Jean  I",  ne  vécut  que  cinq  jours.  Philippe 
en  tête,  revêtu  de  tous  ses  ornements  pontificaux,  alurs  invoqua  la  loi  salique  pour  écarter  du 
On  lui  demandait  d'abdiquer.  Il  s'y  refusa  énergi-  trône  sa  nièce  Jeanne,  et  se  fit  donner  la  cou- 
quement  malgré  les  injures,  les  menaces  et  les  roime  par  l'assemblée  dos  barons  (V.  Guerre  de 
mauvais  traitements.  A  la  fin  le  peuple  d'Anagni  ,  Cent  aux).  Jeanne  reçut  toutefois  plus  tard  le 
indigné  chassa  Nogaret  et   Colonna.    Mais  la  se-    royaume  de  Navarre. 

cousse  avait  été  trop  violente  pour  ce  vieillard  de  Les  six  années  du  règne  de  Philippe  V  furent 
86  ans.  Il  mourut  un  mois  après  (octobre  1303).  |  utilement  remplies  par  des  mesures  d'adminis- 
Benoil  XI.  Election  de  Clément  V.  —  Son  suc-  i  tration  :  organisation  du  conseil  d'État,  du  par- 
cesseur  BenuH  XI,  homme  doux  et  pieux,  prononça  ,  lement  et  de  la  cour  des  comptes,  chartes  données 
une  absolution  générale  dont  il  excepta  le  seul  aux  municipalités  de  l'Auvergne  et  du  Périgord, 
Nogaret.  Celui  ci,  furieux,  affirma  n'avoir  agi  que  ordonnances  pour  la  gestion  des  forêts,  pour  l'éta- 
pour  le  bien  de  l'Eglise,  et  produisit  contre  le  pape  i  blissement  d'un  système  de  mesures  uniques  pour 
défiinl des  accusations  infâmes.  Benoit  XI  mourut  les  denrées,  etc.  La  paix  fut  définitivement  con- 
en  juillet   130i.    Le  saint-siège    demeura    vacant    due   avec  les    Flamands.  Mais  de  cruelles  persé- 


pendant  toute  uni;  année.  Le  parti  français  et  le 
parti  italien,  égaux  en  force  dans  le  conclave,  ne 
pouvaient  parvenir  à  s'entendre.  On  arriva  enfin 
à  une  transaction.  Les  cardinaux  italien.-;  désignè- 
rent trois  candidats,  parmi  lesquels  les  cardinaux 
français  devaient  faire  le  choix  définitif.  Les  Italiens 
ne  désignèrent  que  des  ennemis  de  Philippe  le 
Bel;  mais  l'un  de  ceux  qui  montraient  le  plus  d'a- 
nimation, Bertrand  de  Goth,  archevêque  de  Bor- 
deaux, avait  été  gagné  secrètement.  Il  lut  élu  sous 
le  nom  de  Clément  V,  et  se  mit  à  la  discrétion  du 
roi  de  France.  Il  créa  douze  cardinaux  nouveaux. 


tuus  du  parti  français,  et  transporta  le  siège  do  la  |  de  Garcassonne 


cutions  furent  exercées  contre  les  franciscains,  qui 
attaquaient  le  luxe  du  haut  clergé,  contre  les  juifs 
et  les  lépreux  accusés  d'empoisonner  les  fontaines. 
En  13.0,  on  vit  se  produire  dans  une  partie  de  la 
France  un  mouvement  analogue  à  celui  des  pas- 
toureaux sous  Louis  IX  ;  le  peaple  des  campagnes 
se  leva,  disant  qu'il  voulait  aller  reconquérir  la 
Terre  Sainte,  abandonnée  par  les  rois  chrétiens. 
Rassemblés  en  une  armée,  les  pastoureaux  entrè- 
rent dans  Paris,  puis  se  dirigèrent  vers  le  sud, 
ravageant  le  pays  sur  leur  passage  ;  mais  ils 
furent  exterminés   en   Provence  par  le   sénéchal 


PHILIPPE 


—  137: 


PHILOSOPHIE 


Philippe  V  mourut  en  1323,  et  eut  pour  succes- 
seur son  frère  Charles  IV  le  Bel. 

Philippe  VI  de  Valois.—Hisloire  de  France, XII,— 
fils  de  Charles  de  Valois  et  neveu  de  Philippe  IV,  prit 
la  couronne  du  consentement  des  pairs  et  d'-s  barons, 
à  la  mort  de  Charles  IV  (13-28)  ;  nous  avons  expli- 
qué à  l'article  Guerre  de  Cent  ans  comment  se  fît 
ce  transfert  de  la  royauté  à  la  branche  des  Valois 
par  l'extinction  de  la  ligne  directe  des  Capétiens. 

Une  courte  guerre  contre  les  Flamands  (victoire 
de  Cassel,  1328)  inaugura  ce  règne.  Quek|Uos  an- 
nées après  éclata  entre  Edouard  III  d'Angleterre 
et  le  roi  de  France  cette  querelle  qui  devait  en- 
fanter cent  années  de  luttes  sanglantes.  Les 
épisodes  de  la  première  période  de  la  guerre,  ba- 
taille de  l'Ecluse,  bataille  de  Crécy,  prise  de  Calais, 
ont  été  racontés  ailleurs  (V.  Guerre  de  l'eut  ans, 
p.  920).  Nous  n'avons  donc  pas  h  insister  sur  la  fin 
du  règne  de  Philippe  VI,  qui  mourut  en  1350. 

2°  Allemagne. 

Philippe  de  Souabe,  —  Histoire  générale,  XIX, 
XXVIl,  —  fils  de  Frédéric  Barberousse  et  oncle  de 
Frédéric  11,  fut  élu  empereur  par  le  parti  gibelin 
à  la  mort  de  son  frère  Henri  VI  (1 197).  Les  guelfes, 
appuyés  par  le  pape,  lui  opposèrent  d'abord  Ber- 
thold  de  Za?hringen,puis  Othon  de  Brunswick,  fils 
de  Henri  le  Lion,  duc  de  Bavière.  11  finit  par 
triompher,  après  une  lutte  do  plusieurs  années, 
des  prétentions  d'Othon,  qui  dut  se  réfugier  en 
Angleterre  (l'206).  Mais  bientôt  après  (I20s),  Phi- 
lippe de  Souabe  fut  assassiné  par  un  seigneur 
de  son  propre  parti,  Othon  de  Wittelsbach.  Othon 
de  Brunswick  revint  alors  en  Allemagne  et  régna 
sous  le  nom  d'Othon  IV. 

3°  Espagne. 

Philippe  I«'  le  Beau,  —Histoire  générale,  XXII, 
XXIX,  —  fils  de  Maximilien  I",  empereur  d'Alle- 
magne, hérita  de  sa  mère  Marie  de  Bourgogne,  en 
1482,  la  souveraineté  des  Pays-lias  ;  épousa  en 
1496  Jeanne  (surnommée  plus  tard  la  Folle),  fille 
de  Ferdinand  V  et  d'Isabelle  la  Catholique  ;  et  à  la 
mort  d'Isabelle  en  1304,  fut  proclamé  roi  de  Cas- 
tille  par  les  Cortès.  Il  mourut  jeune,  en  150(1,  usé 
par  la  débauche.  Son  beau-père  Ferdinand  prit  alors 
la  régence  du  royaume  de  Castille,  dont  l'infant 
Charles  (Charles-Quint),  fils  de  Philippe,  restait 
l'héritier  présomptif. 

Philippe  II,  —  Histoire  générale,  XXII,  XXIX, — 
fils  de  Charles-Quint,  roi  d'Espagne  de  1556  à 
1593  jo"^  ^^  grand  rôle  dans  les  afïaires  géné- 
rales de  l'Europe.  Les  événements  principaux  de 
son  règne  ont  été  mentionnés  à  l'article  Espagne 
et  dans  plusieurs  articles  spéciaux  (Guerres  de 
religion  Angleterre,  Pays-Bai,  Italie,  etc.,);  nous 
n'aurons  pas  h  y  revenir  ici.  Nous  rappellerons 
seulement  que,  dès  1540,  Philippe  était  devenu 
duc  de  Milan;  qu'en  1544  il  avait  reçu  la  couronne 
de  Naples  et  de  Sicile,  et  en  1545  la  souveraineté 
des  Pays-bas.  H  avait  en  15H  épousé  la  reine  Ma- 
rie d'An°-leterre  (qui  mourut  en  1558  et  après  la 
mort  de"  laquelle  Philippe  épousa  Elisabeth  de 
Valois  en  1559).  Philippe  II  se  trouva  ainsi  le 
prince  le  plus  puissant  de  son  temps,  et  se  cons- 
titua le  défenseur  de  la  foi  catholique  dans  toute 
l'Europe.  Mais  toutes  ses  entreprises  échouèrent  : 
il  perdit  les  Pays-Bas,  vit  sa  puissance  maritime 
détruite  par  les  Anglais,  fut  contraint  de  recon- 
naître Henri  IV  comme  roi  de  France,  et  maigre 
la  conquête  du  Portugal  en  1580,  laissa  h  sa  mort 
l'Espagne  amoindrie  et  déchue  ^.^■,„  ^,.,.. 

Philippe  III,  —  Histoire  générale,  XXllI,  XX1.\. 
—  fils  et  successeur  de  Philippe  II,  fut  gouverné 
pendant  presque  tout  son  règne  (I558-1U21)  par 
son  premier  ministre  le  duc  de  Lerme,  qui  conclut 


la  paix  avec  l'Angleterre  et  les  Pays-Bas,  expulsa 
les  Maures  (1609),  faisant  perdre  ainsi  h  l'Espagne 
ses  sujets  les  plus  industrieux,  et  maria  la  fille  de 
Philippe  111,  Anne  d'Autriche,  au  roi  do  France 
Louis  XIII  (1G151.  Philippe  III,  sous  le  gouverne- 
ment duquel  l'Espagne  continua  à  décliner,  prit 
part  à  la  guerre  de  Trente  ans,  comme  allié  de 
l'empereur  Fcrdinandll  (V.  Guerre  de  Trente  ans). 
Philippe  IV,  —  Histoire  générale,  XXIII-XXIV, 
XXL\,  —  fils  et  successeur  de  Philippe  III,  eut 
pour  ministre  de  1621  à  I(;42  le  comte  d'Olivarès, 
qui  recommença  sans  succès  la  guerre  contre  les 
Pays-Bas,  et  se  joignit  à  l'empereur  dans  la  lutte 
contre  Richelieu  (V.  Guerre  de  Trente  ans).  Le 
Portugal  se  souleva  en  1610,  et  recouvra  son  in- 
dépendance. .\près  la  disgrâce  du  comte  d'Oliva- 
rès, Philippe  IV  n'en  continua  pas  moins  la  guerre 
contre  la  France  ;  les  armées  espagnoles  furent 
battues  à  Rocroi(1643)  et  à  Lens  (1618),  et,  malgré 
le  secours  que  leur  apporta  Condé,  elles  essuyèrent 
encore  de  nouvelles  défaites  h  Arras  (1654)  et  aux 
Dunes  (1658).  Naples.  révoltée  sous  Masanieilo 
(1647\  avait  failli  échapper  à  l'Espagne.  Enfin 
Philippe  conclut  avec  Mazarin  la  paix  des  Pyrénées 
fl659),  cimentée  par  le  mariage  de  l'infante  Marie- 
Tliérèse  avec  Louis  XIV.  11  mourut  en  1665,  lais- 
sant l'Espagne,  toujours  plus  affaiblie,  il  un  enfant 
débile  et  sans  intelligence  qui  fut  Charles  II. 

PhUlppe  V,  —  Histoire  générale,  XXV,  XXIX, 
—  duc  d'Anjou,  pelit-fils  de  Louis  -XIV  et  second 
fils  du  dauphin  Louis,  lut  appelé  au  trône  d'Es- 
pasne  par  le  testament  du  roi  Charles  II  (1700). 
Cefut  en  acceptant  cet  héritage  pour  son  petit-fils 
que  Louis  XIV  prononça  le  mot  célèbre  :  //  n'y  a 
plus  de  Pyrénies.  Mais  l'avènement  de  Philippe  V 
fut  le  signal  d'une  guerre  européenne  qui  dura 
treize  ans  (V.  Guerre  de  la  succesUon  d'Espagne), 
et  qui  aboutit  à  la  reconnaissance  du  préten- 
dant français  par  l'iîurope  moyennant  la  cession 
de  Naples,  du  Milanais,  de  la  Sardaigne  et  de 
la  Belgique  à  l'Autriche,  de  la  Sicile  au  duc 
de  Savoie,  et  de  Gibraltar  h  l'Angleterre.  Phi- 
lippe V  fut,  comme  ses  prédécesseurs,  constam- 
'  ment  gouverné  par  des  favoris  :  d'abord  par  la 
princesse  des  Ursins,  puis  par  le  cardinal  Albe- 
I  roni,  devenu  premier  ministre  en  1715.  Celui-ci 
I  forma  le  projet  de  rendre  h  son  maître  les  provin- 
'  ces  que  lui  avait  enlevées  le  traité  d'Utrecht,  et 
'  de  lui  donner  en  outre  la  couronne  de  France  ; 
mais  après  une  courte  guerre,  ses  projets  échouè- 
rent, et  il  fut  disgracié  (V.  Guerre  de  ta  qua- 
druple alliance).  Philippe  V  fut  encore  mêlé 
à  la  guerre  de  la  succession  de  Pologne,  qui 
donna  ;t  son  second  fils  don  Carlos  les  couronnes 
de  Naples  et  de  Sicile,  et  à  celle  de  la  succession 
d'Autriche,  dont  il  ne  vit  pas  la  fin.  Il  mourut  en 
1746,  et  eut  pour  successeur  son  fils  Ferdinand  VI. 
Il  avait,  dans  la  seconde  partie  de  son  règne, 
encouragé  les  sciences,  le  commerce  et  l'industrie, 
et  fait  quelques  efl'orls  pour  régénérer  l'Espagne. 
PHILOSOPHIE  (Histoire  de  la).  —  Psycholo- 
gie, Logique,  Morale,  XXI.  —  Toute  science 
a  son  histoire  qui  raconte  les  efforts  de  ses  fonda- 
teurs, les  travaux  de  tous  ceux  qui  ont  contribué  à 
l'organiser.  Mais  il  s'en  faut  que  l'histoire  du  passé 
offre  le  même  intérêt  pour  tous  les  ordres  de  re- 
cherche scientifique.  Certaines  sciences,  en  effet, 
comme  les  sciences  exactes,  ont  eu  la  bonne  for- 
tune de  trouver  tout  de  suite  leur  méthode  défini- 
tive et  d'entrer  dès  leur  premier  pas  dans  la  voie 
des  découvertes  incontestables  et  incontestées. 
D'autres,  comme  la  physique  ou  la  chimie,  n  ont 
été  à  l'origine  iiu'un  tas  de  rêveries  ridicules,  de 
préjugés  absurdes  dont  l'expérience  des  siècles 
suivants  a  fait  justice.  Dans  le  premier  cas,  l'his- 
toire de  la  science  se  confond  avec  la  science  elle- 
même  :  dans  le  second,  n'ayant  guère  à  raconter 
que  des  erreurs,  elle  est  nécessairement  peu  inte- 


i 


PHILOSOPHIE 


—  1573  — 


PHILOSOPHIE 


ressnnle  et  jicu  instructive.  L'iiistoire  de  la  pliilo- 
sophii^  a  un  caractère  tout  autre  :  car  d'une  part  la 
pliilosopliie  a  passé  par  une  série  de  tâtonne- 
ments et  do  vicissitudes  qui  semble  n'être  pas 
close  encore  ;  tandis  que  les  axiomes  de  la  géomé- 
trie demeuraient  immuables  depuis  Euclide,  la 
plupart  des  théories  de  Platon  et  d'Aristote  vieil- 
lissaient et  passaient  de  mode  ;  d'autre  part  la 
nature  des  conceptions  pliilosophiq\ies  est  telle 
que,  même  fausses  et  destinées  îi  faire  place  h 
d'autres,  elles  contiennent  toujours  une  part  de 
vérité  et  constituent  un  fragment  important  de  la 
pensée  humaine. 

Ainsi,  à  part  quelques  novateurs  qui,  comme 
Descartes,  pour  réagir  plus  violemment  contre  les 
préjugés  du  passé,  feignaient  de  l'ignorer  —  Des- 
cartes disait  :  «  Je  ne  veux  même  pas  savoir  s'il  y  a 
eu  des  hommes  avant  moi,  »  —  les  philosophes  se 
sont  toujours  complu  à  étudier  de  près  les  doctrines 
de  leurs  devanciers,  à  suivre  dans  les. écoles  de 
tous  les  temps  et  de  tous  les  pays  la  marche  et  le 
progrès  des  idées  vers  la  vérité.  Outre  le  plaisir 
que  trouve  l'esprit  à  entrer  en  commerce  intime 
avec  les  grands  penseurs,  avec  ceux  qui  ont  mé- 
dité sincèrement,  sinon  résolu  à  fond,  les  grands 
problèmes  philosophiques,  il  est  évident  que  la 
philosophie  elle-même  a  beaucoup  de  vérités  par- 
tielles î  recueillir  éparses  dans  les  systèmes,  dont 
Leibnitz  disait:  «  Les  systèmes  sont  généralement 
vrais  dans  ce  qu'ils  affirment  et  faux  dans  ce  qu'ils 
nient.  » 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  forcer  les  choses  qu'at- 
tribuer à  la  philosophie  un  rôle  considérable  dans 
les  affaires  humaines,  et  par  suite  accorder  une 
extrême  importance  à  son  histoire.  La  place  des 
philosophes  a  été  grande  dans  le  monde.  Ce  sont 
des  noms  de  philosophes  que  l'on  retrouve  k  l'o- 
rigine des  lois  sociales,  des  constitutions  politiques, 
des  grandes  fondations  morales.  Ce  sont  des  philo- 
sophes encore  qui  ont  combattu  au  premier  rang 
pour  la  tolérance  et  la  liberté.  Ce  sont  aussi  des 
doctrines  philosophiques  qui  ont  présidé  aux  plus 
mémorables  entreprises  de  l'esprit  scientifique. 
Sans  doute  nous  n'irons  pas  jusqu'à  cette  exagération 
d'un  philosophe  contemporain  (Alfred  Fouillée)  : 
a  La  Grèce  du  V  siècle  et  du  iv»  siècle  avant  J.-C. 
est  tout  entière  dans  Socrate,  Platon  et  Aristote.  » 
Ce  serait  faire  tort  aux  arts,  à  l'industrie,  aux 
événements  militaires,  à  l'histoire  elle-même,  à 
l'histoire  publique  ou  privée  qui  n'a  aucun  rapport 
avec  la  philosophie  ;  ce  serait  supprimer  presque 
la  réalité,  dont  la  philosophie,  cet  idéal,  n'est  pas, 
tant  s]en  faut,  la  fidèle  image.  Les  philosophes  et 
la  philosophie  ne  gouvernent  pas  le  monde,  si  ce 
n'est  dans  la  République  de  Platon  :  mais  ils  y  ont 
leur  part  d'influence  par  l'éducation  qu'ils  ins- 
pirent, par  les  mœurs  qu'ils  s'efforcent  de  ré- 
gler, par  les  sciences  dont  ils  déterminent  les  mé- 
thodes: de  sorte  que  l'histoire  de  la  philosophie  est 
bien  véritablement  l'histoire  d'une  des  parties  les 
plus  essentielles  et  les  plus  intimes  de  l'évolu- 
tion humaine. 

Les  opinions  philosophique.s,  même  prises  dans 
leurs  généralités  et  sans  entrer  dans  les  nuances 
infiniment  variées  des  doctrines,  sont  si  nombreu- 
ses et  si  différentes  les  unes  des  autres,  qu'il  était 
naturel  que  l'on  s'efforçât  d'établir  quelque  ordre 
dans  cette  diversité,  et  de  ramener  à  l'unité  l'épar- 
pillcment  confus  de  la  pensée  libre. 

Sans  parler  d'autres  tentatives  du  même  genre, 
nous  citerons  seulement  deux  essais  .systémati- 
ques qui  appartiennent  l'un  et  l'autre  à,  la  philoso- 
phie française  et  à  notre  siècle,  l'un  à  l'école  spiri- 
tuahste,  l'autre  à  l'école  positiviste. D'après  Victor 
Cousin,  l'histoire  de  la  philosophie  serait  une  per- 
pétuelle oscillation  entre  quatre  systèmes  qui  se 
succéderaient  selon  une  loi  régulière  et  un  rythme 
fatal,  le    sensualisme  matérialiste,   l'idéalisme,  le 


scepticisme  et  le  mysticisme.  La  pensée  humaine, 
sollicitée  par  les  sens  extérieurs  et  séduite  par  le 
spectacle  du  monde  matériel, aurait  d'abord  incliné 
vers  le  matérialisme  absolu.  Puis,  par  une  tendance 
inverse,  se  repliant  sur  elle-même  et  scrutant  la 
conscience,  elle  se  serait  éprise  de  l'idéalisme, 
c'est-à-dire  de  la  doctrine  qui  n'admet  d'autre  réa- 
lité que  les  idées  immatérielles.  De  la  contradic- 
tion de  ces  deux  systèmes,  impuissants  à  s'accor- 
der, serait  né  le  scepticisme,  c'est-à-dire  l'état  de 
doute  permanent  qu'engendre  la  lassitude  de  l'es- 
prit. Mais,  comme  la  pensée  ne  peut  se  résigner  à 
douter  toujours,  et  qu'elle  a  besoin  de  croyance, 
n'importe  à  quel  prix, le  mysticisme,  c'est-à-dire 
le  renoncement  à  toute  reclicrche  scientifique  et 
l'adhésion  aveugle,  la  foi  non  raisonnée  aux  sug- 
gestions du  sentiment,  viendraità  son  tour  clore  le 
cycle  où  évolue  la  pliilosopliie. 

Pour  écarter  ce  système  plus  ingénieux  que 
juste, il  suffit  de  consulter  l'histoire:  les  faits  dé- 
mentent absolument  la  loi  de  succession  que 
Cousin  prétendait  imposer  aux  doctrines  philoso- 
phiques; le  mysticisme  ne  parait  nullement  des- 
tiné à  devenir  la  formule  définitive  de  la  pensée 
humaine  :  à  mesure  qu'il  progresse,  l'esprit  aspire 
au  contraire  de  plus  en  plus  à  des  soluiions  posi- 
tives et  à  des  croyances  raisonnées.  Ajoutons  que 
la  multiplicité  des  conceptions,  la  variété  des 
formes  de  la  philosophie  n'autorise  pas  la  classi- 
fication arbitraire  qui  les  ramène  de  force  h  quatre 
types  exclusifs. 

Sans  être  entièrement  vraie,  la  théorie  d'Auguste 
Comte  et  de  l'école  positiviste  est  cependant  plus 
satisfaisante.  Elle  distingue  dans  le  développement 
intellectuel  de  l'humanité  trois  états  successifs  : 
l'âge  théologique,  l'âge  métaphysique,  enftn  l'âge 
positiviste.  La  première  tendance  des  peuples  a 
été  mythologique  :  avec  plus  d'imagination  que  de 
raison,  ils  voyaient  partout,  derrière  les  phéno- 
mènes physiques  ou  moraux,  des  êtres  personnels, 
des  dieux.  Plus  tard  la  réflexion  a  écarté  les 
mythes,  et  dépeuplé  la  nature  des  mille  divinités 
qu'une  fantaisie  naïve  y  avait  installées;  mais  à  la 
place  des  dieux  détrônés,  elle  a  admis  des  êtres 
métaphysiques,  des  substances,  des  âmes.  C'est 
à  l'ère  du  positivisme  qu'il  appartenait  de  congé- 
dier sans  retour  ces  entités  abstraites,  ces  êtres  de 
raison,  pour  ne  voir  dans  les  choses  que  ce  qui  est 
immédiatement  saisi  par  les  sens  ou  par  la  cons- 
cience, le  fait  positif,  le  phénomène. 

Telle  est  la  n  loi  des  trois  états  »  :  telle  est  la 
théorie  que  le  positivisme  cherche  à  accréditer 
avec  d'autant  plus  de  zèle  qu'elle  serait,  si  elle 
exprimait  la  vérité  absolue,  la  consécration  de 
son  triomphe  et  le  gage  de  son  avènement  défi- 
nitif dans  la  pensée  moderne.  Mais  tout  en 
reconnaissant  que  les  positivistes  ont  raison  de 
distinguer  et  de  démêler  avec  finesse  trois  ten- 
dances opposées  de  la  pensée  humaine,  il  est 
permis  de  contester  la  prééminence  qu'ils  récla- 
ment pour  l'une  d'elles.  La  négation  de  toute 
existence  substantielle  n'est  peut-être  pas  aussi 
nouvelle  qu'ils  le  croient  ;  et  d'autre  part  ni  la 
religion,  ni  la  métaphysique  ne  semblent  dispo- 
sées à  abdiquer  devant  un  système  qui  interdit  à 
l'homme  toute  recherche  sur  son  origine  et  sur 
sa  fin,  toute  croyance  qui  dépasse  l'observation 
et  l'expérience. 

Les  vues  générales,  les  classifications  esquissées 
à  grandes  lignes,  fussent-elles  de  beaucoup  su- 
périeures en  exactitude  à  celles  de  Cousin  et  d'Au- 
guste Comte,  ne  dispenseraient  pas  d'ailleurs 
d'étudier  dans  leur  ordre  chronologique  les 
faits  particuliers  de  l'histoire  philosophique.  Il  ne 
saurait  être  question  ici  d'entrer  dans  le  détail  et 
d'exposer,  même  succinctement,  les  opinions,  le 
rôle  historique  des  différentes  écoles;  nous  nous 
contenterons   d'indiquer   les   divisions  du   sujet. 


PHILOSOPHIE 


1374  — 


PHILOSOPHIE 


d'examiner  les  périodes  principales  avec  leurs  ca- 
ractères les  plus  saillants. 

C'est    d'abord  une   question    de    savoir  quelles 
sont  les  limites  vraies  de  l'histoire  de  la  philoso- 
phie.   Faut-il,    comme    un    historien     allemand, 
Brucker,  remonter  par  deli  le  déluge,  et  se  de- 
mander  sérieusement  si  Adam  a  été  philosophe  ? 
Faut-il    au  contraire    restreindre  ses    recherches  : 
dans  la  période  classique  de  l'histoire  de  l'huma- 
nité et  fixer,  comme  point  de  départ  de  la  philo- 
sophie, les  premières  spéculations  de  la  Grèce,  le 
sixième  ou  le  cinquième  siècle  avant  Jésus-Christ? 
A   vrai  dire,  la  philosophie  étant   l'usage  de  la 
raison  réfléchie,  il  ne  convient  pas  de  compren- 
dre dans  son  histoire  les  fables  et  les  légendes  de 
l'antiquité,   les   religions   primitives,   en    un  mot  ] 
tout  ce  que  l'école  positiviste  appelle  l'âge  my- 
thologique. Néanmoins,  jusque  dans   les   concep- 
tions les  plus  grossières  de  l'Inde,  de  la  Perse,  de  ' 
la  Chine  et  de  l'Egypte,  il  y  a  déjà  des   germes  de  | 
vérités   philosophiques,  et   l'histoire   de  la  philo- 
sophie a  le  devoir  d'étudier  soii  la  métaphysique 
panthéiste    et  la  belle   morale,  par  tant  de  côtés 
analogue  à  la  morale  chrétienne,  du  brahmanisme 
et   du  boudhisme  indien,   soit   les   doctrines  de 
Zoroastre,  le  législateur  de  la  Perse,  soit  la  mo-  ' 
raie    indépendante    et   exclusivement  rationnelle 
de  Confuciuset  de  Mencius  (600  et  400  avant  J.-C), 
soit  enfin  les  idées  religieuses  enveloppées  dans 
les    fables  du    polythéisme    égyptien.    De    leur 
côté  les    Hébreux,  avec  leur  déisme  sévère,  avec  ] 
leurs  doctrines  individualistes,  les  Celtes  et   les 
Gaulois  avec  leur  amour   de    la  liberté   person- 
nelle, avec  leur  mépris  de  la  mort  et  leur  foi  pro-  ' 
fonde   à  l'immortalité,   réclament   aussi  quelques  ' 
pages  dans  une  histoire  complole  de  la  philoso- 
phie. 

Avec  la  Grèce  seulement  commence  la  véritable 
philosophie,  émancipée  de  toute  théologie  et 
exclusivement  fondée  sur  les  libres  efforts  de  la 
raison.  Désormais  il  y  aura  une  tradition  philoso- 
phique, une  succession  non  interrompue  d'écoles 
qui  essaieront,  chacune  avec  ses  tendances  propres, 
mais  avec  des  méthodes  communes,  de  déchiffrer 
l'énigme  de  la  nature  humaine. 

La  division  adoptée  pour  l'histoire  en  général 
peut  être  appliquée  également  à  l'iiisloire  parti- 
culière de  la  philosophie.  On  aura  donc  à  étudier 
tour  à  tour  la  philosophie  ancienne,  la  philosophie 
du  moyen  âge,  enfin  la  philosophie  moderne. 

La  PHILOSOPHIE  ANCIENNE  Se  subdivise  elle-même 
en  diverses  périodes,  à  raison  des  contrées  où  elle 
s'est  développée,  ou  des  caractères  communs  qui 
relient  entre  elles  plusieurs  écoles. 

Pi  eniière  péi'iode.  —  Elle  comprend  tous  les 
philosophes  antérieurs  à  Socrate,  qui  ont  vécu  et 
enseigné  soit  sur  les  côtes  de  l'ionie,  soit  dans  la 
Grande-Grèce,  soit  dans  la  Grèce  elle-même.  Les 
penseurs  de  ce  temps  ont  cette  ressemblance  en- 
tre eux,  que,  dans  leurs  spéculations  un  peu  am- 
bitieuses, ils  prétendent  expliquer  la  nature  en- 
tière et  découvrir  le  principe  des  choses  ;  mais  ils 
se  divisent  sur  la  nature  de  ce  principe.  Les  uns 
sont  dt's  physiciens  ;  leur  doctrine  est  matéria- 
liste :  ils  voient  la  cause  et  la  substance  du 
monde,  ou  bien  dans  un  élément  matériel  unique, 
l'eau,  l'air,  le  feu  (Thaïes,  vers  60n  ;  Anaximène, 
557  ;  Heraclite,  500),  ou  bien  dans  une  multitude 
d'atomes  corporels  (les  atomistes,  Lcucippe  et  Dé- 
mocrite).  Les  autres  sont  dos  mathématiciens  ;  leur 
doctrine  est  idéaliste  :  ou  bien  ils  considèrent  les 
nombres  comme  les  principes  de  toutes  choses 
(école  itiiUi/iie  ou  pythagoricienne,  Pythagore,  5S4, 
Philolaiis,  Archytas),  ou  bien  ils  n'adiueitent  d'au- 
tre existence  que  celle  de  l'être  abstrait,  absolu, 
éternel  (école  éléote,  Xénophane,  550  ;  Parmé- 
nide,  500;  Zenon  d'Eléc,  400).  Enfin,  entre  ces 
deux  systèmes  également  al'firmatifs,  quoique  leurs 


affirmations  diffèrent,  se  place  une  école  de  scep- 
ticisme dont  la  vogue  fut  grande  au  temps  de 
Périclès  (les  so/ihistes,  Protagoras,  Gorgias,  etc.). 
Deuxième  pé7-iode.  —  C'est  l'âge  d'or  de  la  phi- 
losophie grecque.  Trois  noms  y  figurent,  les  plus 
grands  que  la  philosophie  puisse  citer,  Socrate, 
Platon,  Aristote.  Socrate  (470-400)  fut  avant  tout 
un  moraliste,  préoccupé  de  rendre  l'homme  bon 
et  heureux.  Délaissant  les  recherches  de  ses  pré- 
décesseurs sur  ia  nature  de  l'univers,  il  rappela 
l'esprit  humain  à  l'étude  de  lui-mêiue.  11  avait 
appris  d'ailleurs,  de  son  maître  Anaxagore,  que  le 
monde  est  gouverné  par  une  intelligence  divine,  et 
quoique  condamné  pour  crime  d'impiété  par  les 
fanatiques  de  son  temps,  il  fut  le  plus  sage,  le 
plus  religieux  des  hommes. 

Disciple  de  Socrate,  Platon  agrandit  encore  le 
spiritualisme  de  celui-ci,  et  développa,  quel- 
quefois jusqu'il  la  chimère,  la  théorie  des  idées, 
essences  et  types  éternels  des  choses,  dont  le 
monde  matériel  ne  serait  que  l'image  périssable. 
Après  lui  Aristote,  son  élève,  dirigea  dans  un  autre 
sens  la  pensée  philosophique  :  à  l'intuition  en- 
tliousiaste  et  un  peu  arbitraire,  il  substitua  l'ex- 
périence et  l'observation,  il  s'astreignit  aux  lois 
d'une  logique  sévère  qu'il  a  transmise  à  ses  suc- 
cesseurs; enfin,  génie  universel  et  véritable  ency- 
clopédie vivante,  il  a  légué  à  presque  toutes  les 
sciences  des  principes  féconds  et  durables. 

Troisième  période  :  écoles  socratiques.  —  C'est 
une  époque  de  décadence  philosophique  comme 
d'abaissement  politique.  La  spéculation  déserte 
les  hautes  questions  de  la  métaphysique  pour  se 
rattacher  h  la  morale.  Un  grand  nombre  d'écoles 
se  produisent  et  définissent,  chacune  â  sa  manière, 
le  souverain  bien.  Les  principales  sont  l'école 
stoïcienne  et  l'école  épicurienne.  La  première, 
fondée  par  Zénnn  de  Cittium  (né  vers  l'an  .36Î 
avant  J.-C),  qui  n'admet  d'autre  bien  que  l'honnête, 
et  qui,  par  le  mépris  des  passions,  par  le  dédain 
des  caprices  de  la  fortune,  par  une  haute  idée  des 
devoirs,  s'élève  jusqu'au  plus  noble  idéal  de  la 
vertu;  la  seconde,  qui  placelebien  dans  le  plaisir, 
dans  le  plaisir  délicat  et  raffiné  d'abord,  puis, 
avec  les  disciples  dégénérés  d'Épicure  (34t-270), 
dans  le  plaisir  quel  qu'il  soit,  de  sorte  que  l'épi- 
[  curisme,  après  avoir  à  ses  débuts  rivalisé  avec  le 
1  stoïcisme  en  fait  de  sagesse  et  de  vertu,  est 
tombé  vers  la  fin  dans  tous  les  excès  de  l'immo- 
ralité voluptueuse. 

Quatrième  période  :  philosophie  latine.  —  Les 
Romains  n'ont  été  en  philosophie  que  les  imita- 
teurs et  les  copistes  des  Grecs.  Ils  ont  emprunté 
à  la  Grèce,  avec  Lucrèce,  la  doctrine  matérialiste 
et  athée  d'Épicure,  avec  Cicéron  et  Sénèque  les 
belles  maximes  morales  de  Zenon  et  des  stoï- 
ciens. 

Cinquième  période  :  philosophie  ah'xandrine. 
—  Née  dans  les  premiers  siècles  de  l'ère  cliré- 
tienne,  du  mélange  des  traditions  orientales  avec 
les  idées  platoniciennes,  l'école  d'Alexandrie 
(Plotin,  205-'270  ap.  J.-C,  Porphyre,  Jambliquc, 
Proclus,  412-485)  est  la  dernière  manifestation  de 
la  philosophie  ancienne  :  elle  lutte  contre  le  chris- 
tianisme, quoique  profondément  religieuse  à  sa 
façon  ;  elle  confond  le  monde  avec  Dieu  et  aboutit 
au  panthéisme  ;  elle  se  perd  dans  l'extase  et  sacri- 
fie la  raison  à  je  ne  sais  quelle  contemplation 
mystique. 

La  PHILOSOPHIE  DC  MOYEN  AGE  est  de  toutes  les 
périodes  de  l'histoire  de  la  pensée  humaine  la 
plus  stérile,  la  moins  originale.  Asservis  soit  â  la 
théologie  chrétienne,  soit  à,  l'autorité  d'Aristote, 
dont  le  nom  est  entouré  d'un  respect  superstitieux, 
les  philosophes  de  ce  teiups  ne  songent  guère 
qu'à  commenter  les  dogmes  religieux,  à  appliquer  le 
syllogisme  à  la  foi.  Des  disputes  verbales,  des  ar- 
gumentations pédantesques   remplacent  les  oxpé. 


PHILOSOPHIE 


—  1573  — 


PHILOSOPHIE 


ricnfHs  fécondes  et  les  raisonnements  inventifs. 
Quel(|ues  esprits  originaux,  comme  saint  Anselme 
(xi'  siùcle),  ou  indépendants  comme  Abélard 
(xii"  siècle)  viennent  pourtant  attester  l'énergie 
vivace  do  l'esprit  liumain  et  rompre  la  froide  mo- 
notonie de  la  scolastiqne. 

La  PHILOSOPHIE  MoDEnNE  s'ouvre  avec  la  philoso- 
phie de  lu  liennissanci:,  que  certains  historiens 
rattachent  k  tort  au  moyen  âge,  tandis  qu'elle  est 
incontestablemrnt,  par  la  liberté  de  ses  allures  et 
do  ses  opinions  (Rabelais,  Montaigne,  Giordano 
Bruno),  par  ses  recherches  et  ses  découvertes 
scientifiques  (Copernic,  Galilée),  lo  vrai  commen- 
cement et  comme  la  préface  hardie  de  la  pensée 
nouvelle. 

A  partir  de  cette  époque,  l'iiistoire  de  la  philo- 
sophie exige  de  longs  développements  et  com- 
porte une  multitude  de  détails.  Les  documeuts  ne 
manquent  plus,  comme  pour  certaines  écoles  de  la 
philosophie  ancienne,  et  la  fécondité  de,  la  pensée 
moderne  contraste  avec  la  slériUté  de  la  pensée 
scolastique. 

Pour  mettre  quelque  ordre  dans  cette  partie  de 
son  sujet,  l'historien  de  la  philosophie  étudiera 
tour  à  tour  et  séparément  le  xvii',  le  xviii",  le 
XIX'  siècle,  dans  chacun  des  trois  grands  pays 
qui  semblent  être  la  patrie  privilégiée  de  la  phi- 
losophie, l'Angleterre,  l'Allemagne,  la  France. 

xvii'  siècle.  —  La  philosophie  française  a  son 
point  de  départ  au  xvii"  siècle  dans  les  travaux  de 
Descartes  (i59G-16r>0),  Le  cartésianisme  a  pour 
principe  la  distinction  absolue  de  l'âme  et  du 
corps,  l'âme  étant  ramenée  à  la  pensée,  le  corps  à 
l'étendue;  la  croyance  rationnelle  à,  un  Dieu  par- 
fait et  infini,  distinct  de  l'univers  qu'il  a  créé; 
■enfin  l'idée  d'un  mécanisme  universel,  dont  les 
lois  gouvernent  le  monde,  après  l'impulsion  pre- 
mière donnée  par  Dieu.  La  plupart  des  philoso- 
phes français  du  siècle  de  Louis  XIV  subirent 
l'influence  de  Descartes  :  Bossuet,  Fonelon,  les 
solitaires  de  Port-Uoyal  allient  à  la  philosophie 
chrétienne  la  méthode  cartésienne.  Malebranche 
(1638-1715)  mêle  ses  rêveries  mystiques  à  la  mé- 
taphysique de  Descartes. 

En  Angleterre,  c'est  l'influence  de  Bacon  qui 
domine  Bacon  (1561-lfi'JC)  a  surtout  le  mérite 
d'avoir  le  premier  codifié  les  lois  de  la  méthode 
expérimentale  et  inductive.  Il  suit  en  cela  une 
voie  tout  opposée  i  celle  de  Descartes,  qui  pra- 
tique la  méthode  déductive.  Ses  successeurs  Hob- 
bcs  (1588-11.79)  et  Locke  (1072-1704)  aboutissent 
le  premier  à  un  matérialisme  décidé,  le  second  â 
un  sensualisme  empirique. 

En  Allemagne,  la  philosophie  du  xvii'  siècle 
n'a  guère  à  revendiquer  qu'un  grand  nom,  celui 
de  Leibnitz  (leifi-niB;,  d'abord  disciple  de  Des- 
cartes dont  il  se  sépara  plus  tard.  Aux  substances 
passives  du  mécanisme  cartésien,  Leibnitz  sub- 
stitue, dans  son  système,  des  causes,  des  substan- 
ces actives,  qu'il  appelle  des  monades.  La  ma- 
tière elle-même  est  composée,  d'après  lui,  de 
forces  simples  dont  la  nature  est  analogue  à  celle 
de  nos  âmes.  L'univers  n'est  plus  une  machine, 
dont  les  ressorts  inertes  sont  mis  en  mouvement 
par  Dieu  :  c'est  un  vaste  ensemble  de  forces 
agissantes,  dont  les  rapports  harmonieux  ont  été 
réglés  par  le  Créateur. 

A  côté  des  trois  pays  classiques  de  la  philoso- 
phie, la  Hollande  seule  a  le  droit  de  figurer, 
avec  Spinoza  (lG;l2-lG-7)  ;  ce  philosophe  part  de 
quelques  principes  cartésiens  et  construit  un  sys- 
tème panthéiste  qui  confond  Dieu  avec  le  monde, 
qui  nie  la  volonté  libre  et  qui  soumet  toutes  cho- 
ses aux  lois  d'une  nécessité  absolue. 

xviii«  iiécle.  —  L'influence  de  Descartes,  toute- 
puissante  jusque-là  en  France,  disparaît  ou  s'éteint 
dès  les  premières  années  du  xviii'  siècle  :  les  doc- 
•trines.  sensualistes  et  empiriques  de  Locke,  qui 


au  siècle  de  Louis  XIV  n'étaient  représentées  que 
par  Gassendi  et  quelques  beaux-esprits,  acquiè- 
rent une  influence  prépondérante.  En  outre,  la 
philosophie  politique  et  sociale,  négligée  de  parti 
pris  par  Descartes,  remplace  dans  les  préoccu- 
pations des  penseurs  la  philosophie  spéculative. 
Enfin,  tandis  que  le  cartésianisme  ne  se  servait 
du  libre  examen  que  pour  mieux  s'assurer  la  po.s- 
session  de  certaines  croyances  essentielles,  la 
philosophie  du  sensualiste  CondiUac  (17l.')-1780), 
des  matérialistes  d'Holbach  et  Helvétius,  du  natu- 
raliste Diderot,  du  déiste  Voltaire,  est  avant  tout 
critique  et  négative.  Rousseau  seul,  avec  ses  effu- 
sions sentimentales  et  son  déisme  oratoire,  repré- 
sente avec  quelque  éclat  la  tradition  spiritua- 
liste. 

Par  un  mouvement  inverse  h  celui  qui  entraîne 
vers  l'empirisme  la  philosophie  française  du  dix- 
huitième  siècle,  la  philosophie  anglaise  du  même 
temps  échappe  à  l'influence  de  Bacon  pour  devenir 
métaphysique  et  morale.  Dès  le  début  du  siècle, 
Berkeley  (1085-1753)  professe  dans  ses  ouvrages 
un  idéalisme  absolu  :  il  nie  l'existence  de  la  ma- 
tière et  n'admet  que  l'âme  et  Dieu.  Hume,  il  est 
vrai  (1711-1776),  s'inspire  de  Locke  et  reprend  en 
les  exagérant  encore  les  traditions  empiriques. 
Mais  son  scepticisme  positiviste  n'éveille  pas  d'é- 
cho en  Angleterre,  et  la  fin  du  siècle  voit  se  dé- 
velopper l'école  écossaise,  dont  les  chefs,  Reid 
(1710-1796),  Dugald-Stewart  (1753-18-^8),  sans  être 
des  métaphysiciens,  soutiennent  avec  énergie  les 
croyances  spiritualistes  en  se  fondant  sur  le  sens 
commun  et  les  vérités  premières  de  la  raison. 

Le  plus  grand  événement  philosophique  du  dix- 
huitième  siècle  s'est  accompli  en  Allemagne,  par 
l'apparition  de  la  philosophie  de  Kaiit  (1724-1804). 
L'auteur  de  la  Critique  de  la  liaison  pure  et  delà 
Critique  de  la  Raison  pratique  a  ouvert  une  voie 
nouvelle  à  la  pensée  humaine,  en  associant  i,  la 
critique  spéculative  la  plus  impitoyable  le  dogma- 
tisme moral  le  plus  sincère.  Pour  lui,  l'esprit  est 
incapable  de  connaître  les  choses  en  elles-mêmes  ; 
enveloppé  dans  ses  conceptions  subjectives,  il  ne 
peut  saisir  autre  chose  que  les  phénomènes,  c'est- 
à-dire  les  choses  telles  qu'elles  apparaissent  à  nos 
facultés  ;  la  métaphysique  ordinaire  se  trompe 
quand  elle  prétend  avoir  l'intuition  immédiate  et 
certaine  de  l'âme,  do  la  liberté,  de  Dieu.  Mais  en 
revanche  toutes  ces  vérités,  qui  ne  sont  compro- 
mises et  rejetées  que  comme  affirmations  ration- 
nelles, redeviennent  certaines  comme  conditions 
de  la  morale.  La  morale  exige  en  effet  que  l'âme 
soit  libre,  qu'elle  soit  immortelle,  que  Dieu  existe. 
De  sorte  que  si  la  philosophie  est  impuissante  à 
établir  une  science  raétapliysiquo,  du  moins  elle 
détermine  des  croyances  métaphysiques  fondées 
sur  la  morale. 

xix"  siècle.  —  Il  ne  saurait  être  question  ici  de 
tracer  même  une  esquisse  rapide  des  diverses 
opinions  philosophiques  qui  se  sont  succédé  dans 
notre  siècle  et  se  partagent  encore  les  esprits.  In- 
diquons seulement  d'un  mot  les  principales  éco- 
les, ou  tout  à  fait  nouvelles  ou  renouvelées  du 
passé,  que  notre  siècle  a  vues  paraître. 

En  France,  le  cartésianisme  a  repris  crédit, 
avec  des  modifications  importantes,  soit  dans  le 
spiritualisme  profond  et  religieux  de  Maine  de  Bi- 
ran  (n70-l«2i),  soit  dans  le  spiritualisme  éclecti- 
que de  Cousin  (179'2-18()M)  et  de  ses  disciples.  En 
même  temps,  la  philosophi'  politiqu'  et  sociale 
du  dix-huitième  siôcl-,  se  développe  sous  des  for- 
mes nouvelles  dans  les  utopies  de  Saint-Si- 
mon (17«;j-1825)  et  de  Fourier  (1772-1837).  Avec 
Auguste  Comte  (1798-I857J  se  fonde  le  positi- 
visme, c'est-à-dire  une  doctrine  scientifique  qui, 
réduisant  la  connaissance  à  l'étude  des  faits  et  de 
leurs  rapports,  exclut  toute  spéculation  métaphy- 
sique et  transcendante.  Enfin  et   sans  que  nous 


PHONETIQUE 


—  1376  — 


PHONETIQUE 


prétendions  tout  embrasser  dans  ce  court  résumé, 
l'école  critique,  avec  M.  Ronouvier,  importe  en 
France,  a\ec  quelques  changements,  les  doctrines 
morales  de  Kant. 

L'Angleterre  continue  soit  l'école  écossaise,  avec 
Hamilton  (IT-S-ISÛG),  soit  la  tradition  de  Hume, 
avec  Stuart  Mill  et  les  autres  positivistes  contem- 
porains. D'autre  part,  en  soutenant  l'iiypothèse 
de  la  transformation  des  espèces,  M.  Darwin  ins- 
pire une  philosophie  nouvelle  dont  M.  Herbert 
Spencer  est  le  plus  illustre  représentant,  et  qui 
explique  la  nature  humaine,  comme  l'ensemble 
du  monde,  par  une  évolution  universelle. 

En  Allemagne,  avec  Fichte  (n63-18l4),  Hegel 
(mO-1831),  et  Schelling  (1175-1854)  la  spéculation, 
que  la  critique  de  Kant  n'a  pas  découragée,  se  re- 
met à  l'œuvre  et  se  perd  dans  les  nuages  d'un  pan- 
théisme optimiste  ;  tandis  que  sous  l'influence 
des  études  physiologiques  le  matérialisme  s'af- 
tirme  dans  les  écrits  de  Feuerbach  et  de  Bùchner, 
et  que  le  pessimisme  le  plus  bizarre  fait  un  nom  à 
Schopenhauer  (nsS-lSGOj. 

Arrivé  au  terme  de  ses  études,  l'historien  de  la 
philosophie  n'a  pas  à  se  prononcer  sur  l'avenir  ré- 
servé aux  efforts  de  plus  en  plus  opiniâtres  de  la 
raison  humaine  poursuivant  la  vérité.  Seulement, 
éclairée  par  le  spectacle  que  lui  offre  le  perpétuel 
renouvellement  des  systèmes,  toujours  les  mêmes 
au  fond,  malgré  les  physionomies  diverses  qu'ils 
prennent  à  travers  les  siècles  et  où  se  reflètent  les 
théories  scientifiques  des  différents  âges,  il  a  le 
droit  d'augurer  que  la  lutte  des  opinions  ne  finira 
pas;  que  les  grandes  tendances  de  l'esprit  hu- 
main, tendance  matérialiste  et  tendance  spiritua- 
lisle,  n'abdiqueront  jamais  définitivement  l'une 
vis-h-vis  de  l'autre  ;  qu'elles  continueront  à  inspi- 
pirer  des  systèmes  exclusifs  ;  qu'enfin  la  philoso- 
phie, tout  en  se  transformant  et  en  se  rapprochant 
de  plus  en  plus  des  méthodes  rigoureuses  de  la 
science,  ne  cessera  pas,  malgré  les  objurgations 
du  positivisme  qui  la  condamne  au  silence,  de 
proposer  en  sens  divers  des  conjectures  raisonnées 
sur  la  nature  de  l'homme,  sur  l'origine  et  la  fin 
des  choses.  [Gabriel  Compayré.] 

PHONÉTIQUE.  —  Grammaire  française,  111. 
—  La  phonéiique  ou  mieux  la  -phonologie  est  cette 
partie  de  la  grammaire  qui  traite  des  sens  et  de 
leur  représentation  par  des  lettres.  H  y  a  cette 
difl'érence  entre  les  sons  et  les  lettres,  que  les  sons 
appartiennent  au  langage  parlé  et  les  lettres  au 
langage  écrit:  dans  le  mot  chapeau,  par  exemple, 
il  y  a  sept  lettres  et  seulement  quatre  sons:  ch-a- 
p-eau. 

I.  Les  soxs.  —  Les  mots  sont  formés  de  sons  arti- 
culés que  l'on  divise  ordinairement  en  voyelles  et 
en  consoimes ;  mais  la  véritable  unité  phonétique, 
ce  que  l'on  pourrait  appeler  l'élément  primordial 
ou  la  molécule  du  mot,  c'est  la  syllabe.  «  La  syl- 
labe, a  dit  un  profond  linguiste,  G.  de  Humbnldt, 
ne  se  compose  pas,  comme  nous  semblons  l'indi- 
quer par  notre  manière  d'écrire,  de  la  réunion  de 
plusieurs  sons  divers:  c'est  un  son  simple,  instan- 
tané. La  séparation  en  consonnes  et  voyelles  est 
purement  artificielle.  En  fait,  la  consonne  et  la 
voyelle  forment  une  unité  inséparable  pour  l'o- 
reille, unité  que  notre  écriture  brise.  La  voyelle  ne 
peut  pas  plus  être  prononcée  seule,  comme  on  a 
coutume  de  l'enseigner,  que  la  consonne.  Son 
émission  est  toujours  nécessairement  précédée, 
sinon  d'une  consonne  bien  déterminée,  au  moins 
d'une_  aspiration,  quelque  légère  qu'elle  soit,  et 
qui  n'est  qu'une  consonne  affaiblie.  Ainsi  la  con- 
sonne et  la  voyelle  ne  sont  que  des  conceptions 
Idéales,  qui  n'ont  aucune  existence  dans  la  réalité.» 
En  d'autres  ternies,  la  syllabe  est  essentiellement 
formée  par  la  voyelle,  et  la  voyelle  dans  la  syllabe 
a  toujours  la  consonne  pour  appui  ou  soutien. 
Or  on  distingue  dans  la  syllabe  trois  propriétés 


phonétiques  ;  la  nature  des  sons  qui  la  composent,. 
sa7i(anh'W,  et  son  ac<.'p«(;  et  l'on  divise  les  voyelles, 
d'après  leur  nature,  en  voyelles  pures,  voyelles 
nasales  et  diphtongues;  d'après  leur  quantité,  en 
voyelles  longues  et  voyelles  brèves  ;  et  d'après  la 
place  de  l'accent,  en  voyelles  accentuées  ou  toni- 
ques et  voyelles  inaccentuées  ou  atones.  Quant  aux 
consonnes,  on  les  classe,  d'après  les  organes  arti- 
culateurs  et  d'après  l'intensité  ou  le  plus  ou  moins 
de  force  de  l'articulation,  en  ordres  (gutturales, 
linguales  ou  dentales,  et  labiales),  en  degrés  (muet- 
tes ou  explosives,  spirantes,  et  liquidas),  et  en  fa- 
milles (fortes  et  faibles).  En  outre  les  consonnes 
peuvent  être  simples  ou  combinées  entre  elles 
(consonnes  consécutives);  ces  dernières  sont  aux 
premières  comme  les  diphtongues  sont  aux 
voyelles  simples  (pures  ou  nasales).  —  'V.  Lettres 
et  Accentuatioji. 

II.  Les  LETTBES.  —  Les  sons  de  notre  langue  se 
représentent  dans  l'écriture  par  les  lettres  de  l'al- 
phabet latin.  On  appelle  orthographe  la  manière 
reçue  par  l'usage  de  transcrire  les  sons  au  moyen 
des  lettres,  %t  prononciation  la  manière  dont  ces 
lettres  doivent  se  faire  entendre  dans  le  langage 
parlé.  En  français  l'orthographe  et  la  prononciation 
ont  réagi  continuellement  l'une  sur  l'autre.  Si 
l'orthographe  a  subi  d'un  siècle  à  l'autre  de  très 
grands  changements,  la  prononciation  a  varie 
aussi, comme  toutes  les  choses  de  la  langue.  Quoi- 
qu'on puisse  soutenir  avec  Génin  qu'en  gros  cette 
prononciation  nous  a  été  transmise  traditionnelle- 
ment et  que  les  sons  fondamentaux  du  français 
ancien  existent  dans  le  français  moderne,  il  est 
certain  aussi  que  la  façon  de  prononcer  les  lettres 
s'est  modifiée  de  diverses  manières,  principale- 
ment sous  l'influence  de  l'orthographe,  et  il  faut 
ici  tenir  compte  de  la  tendance  générale  qu'on  a, 
de  nos  jours,  à  conformer  la  prononciation  h  l'é- 
criture. Or,  comme  Littré  l'a  fait  remarquer,  dans 
une  langue  comme  la  nôtre,  il  ne  peut  rien  y  avoir 
de  plus  défectueux  et  de  plus  corrupteur  qu'une 
pareille  tendance.  —  V.  Orthograplte  et  Pronon- 
ciation. 

Mais,  pour  bien  connaître  la  valeur  des  lettres 
en  français,  il  faut  remonter  à  leur  origine.  Or  le 
français  est,  malgré  l'influence  que  les  idiomes 
germaniques  ont  exercée  sur  sa  formation,  une 
langue  essentielleiuent  latine.  H  s'agit  donc  de 
montrer  commetit  les  mots  ont  passé  du  latin  au 
français,  ou  suivant  quelles  lois  se  sont  modifiés  et 
transformés  les  sons  de  la  langue  populaire  [lin- 
gua  romima  7'îtstica)  apportée  en  Gaule  par  les 
colons  et  les  légionnaires  romains;  on  d'autres 
termes,  il  faut  faire  l'histoire  des  lettres  latines. 
Voici  les  traits  essentiels  de  cette  histoire,  qui  a 
été  écrite  pour  la  première  fois  par  le  célèbre  Diez, 
le  maître  de  la  philologie  romane. 

Les  sons  de  la  langue  ne  se  ir/odifient  jamais  au 
hasard,  et  l'on  peut  ramener  à  un  certain  nombre 
de  lois  les  changements  qu'ils  subissent.  Ainsi, 
dans  le  passage  du  latin  aux  langues  romanes  mo- 
dernes et  en  particulier  au  français,  on  constate 
leur  tendance  générale  à  la  simplification  et  une 
disposition  naturelle  à  éviter  l'efl'ort  que  nécessite 
l'émission  de  certains  sons  ;  c'est  ce  qu'on  a  ap- 
pelé le  principe  de  la  moindre  action.  Ce  besoin 
d'une  plus  grande  commodité  dans  la  prononcia- 
tion a  produit  l'affaiblissement  général  des  lettres 
latines;  par  exemple  le  p  latin  s'adoucit  en  i'.- 
sapn,  sèi'e  ;  l'affaiblissement  devient  tel,  en  certains 
cas,  que  la  lettre  latine  disparaît  entièrement  : 
aujustus,  août. 

Comme  la  langue  française  est,  entre  les  idiomes 
romans,  celui  qui  est  à  la  plus  grande  distance 
géographique  du  latin,  c'est  aussi  celui  qui,  dans 
la  façon  des  mots,  s'éloigne  le  plus  de  la  forme 
latine.  Mais,  quelles  que  soient  les  modifications 
qui  atteignent  le  mot  latin  dans  son  passage  au 


PHONÉTIQUE 


—  1577  — 


PHONETIQUE 


français,  il  conserve  ses  parties  essentielles,  qui 
sont  la  syllabe  accentuée  ou  tonique  et  la  lettre 
initiale  du  mot. 

1 .  La  srjllahe  acce7ituée  en  latin  subsiste  donc  en 
français,  et  de  plus  elle  conserve  l'accent  toniqne 
originel  ;  mais  comme  cet  accent  frappe  la  voyelle 
et  non  pas  la  consonne,  c'est  la  voyelle  qui  persiste 
et  se  développe  même  en  un  son  plus  plein,  tandis 
que  la  consonne  médiale,  c'est-à-dire  placée  entre 
deux  voyelles,  si  c'est  une  muette  ou  la  spirante 
V,  se  déi/rai/e,  c'est-à-dire  descend  d'un  degré  l'é- 
chelle des  articulations  (la  foite  passe  à  la  faible, 
et  la  muette  à  la  spirante),  ou  tombe  complètement  : 
aeutus,  aiju;  capillus,  clieweu  ;  doiare,  douer. 

S.  La  partie  essentielle  de  la  syllabe  initiale  est 
la  coiiso?me  et  non  pas  la  voyelle;  mais  on  ne  peut 
appuyer  sur  la  consonne  sans  appuyer  sur  la 
voyelle  ;  c'est  pourquoi  la  syllabe  initiale  se  main- 
tient en  général  très  ferme,  mais  souvent  avec 
une  modification  de  la  voyelle  :  captiviis,  chétif. 

Il  s'établit  ainsi  dans  les  mots  polysyllabes  une 
espèce  d'équilibre  entre  la  sijUabe  accentuée,  où 
la  voix  appuie  sur  la  voyelle,  et  la  syllabe  initiale, 
où  domine  la  consonne.  Cette  loi  i'équilibre  entre 
les  éléments  phonétiques  du  mot  est  la  cause  prin- 
cipale de  la  syncope  ou  chute  des  voyelles  et  des 
consonnes  à  la  médiale. 

De  là  il  résulte  que  les  mots  français  (simples) 
formés  d'une  manière  organique  ne  sauraient  dans 
la  règle  renfermer  plus  do  deux  syllabes;  les  mots 
à  terminaison  féminine  peuvent  avoir  une  syl- 
labe de  plus,  mais  cette  syllabe,  étant  formée  par 
l'e  muet,  compte  à  peine.  Ainsi  les  mots  latins 
blasp/icmare,  ministeriio»,  tesrtmonîam,  nau!- 
cella,  etc.,  deviennent  en  français  blûrner,  métier, 
témoin,  nacelle. 

Quelle  que  soit  la  transformation  que  subisse 
une  lettre,  cette  transformation  ne  s'opère  que  len- 
tement et  ne  fait  jamais  qu'un  pas  à  la  fois.  Une 
lettre  ne  change  pas  d'un  seul  coup  d'ordre,  de  de- 
gré ou  de  famille  ;  elle  ne  peut  réaliser  en  une  fois 
qu'un  seul  de  ces  changements  :  c'est  cette  règle 
qu'on  a  appelée  principe  de  transition.  Ainsi  le 
latin  anima  n'est  point  venu  brusquement  au  fran- 
çais moderne  dnie:  il  a  passé  par  les  formes  suc- 
cessives anime  au  dixième  siècle,  aneme  au 
onzième,  anmc  au  treizième. 

C'est  au  moyen  de  ces  intermédiaires  qu'on 
peut  faire  l'histoire  d'un  mot  et  remonter  à  sa  vé- 
ritable origine,  ainsi  qu'au  sens  primitif:  on  ne 
doute  plus  que  déluré  indique  celui  qui  ne  se 
laisse  plus  tromper,  quand  on  a  sous  les  yeux  l'an- 
cienne forme  deleurré. 

Dans  le  passage  du  latin  au  français,  le  son  des 
lettres  dépend,  soit  de  leur  nature  même,  soit  du 
contact  de  certains  sons,  lorsque  ce  contact  produit 
un  hiatus  (de  voyelles)  ou  une  dissonance  (de  con- 
sonnes). 

Si  les  lettres  latines  ne  se  conservent  pas  intac- 
tes, elles  peuvent  subir  trois  sortes  de  modifica- 
tions : 

^  1°  Tantôt  la  lettre  latine  se  maintient,  mais  en 
s'altérant  en  un  son  d'une  autre  nature  {permuta- 
tion), ou  en  se  déplaçant  pour  s'associer  à  une 
autre  lettre  dont  le  son  l'attire  et  s'harmonise 
mieux  avec  le  sien  [trunsposilion). 

2°  Tantôt  la  lettre  latine  disparaît  entièrement, 
soit  qu'elle  manque  d'appui  ou  qu'elle  soit  incom- 
patible avec  une  autre  lettre  (éliswn). 

3°  Tantôt  les  deux  lettres  voisines  se  maintien- 
nent 1  une  et  l'autre,  mais  en  appelant  au  milieu 
Q  elles  un  son  étranger,  destiné  à  rendre  leur  choc 
impossible,  savoir  une  spirante  {h,  y  et  v)  pour  sé- 
P^fP""  'es  voyelles,  et  une  muette  ('linguale  d  et  t) 
ou  labiale  i  et  p)  pour  séparer  les  consonnes  iad- 
dition  de  lettres  euphoniques). 

Ainsi  le  latin  crescere  a  donné  régulièrement 
I  ancien  français  croistre  :  1»  par  la  permutation  du 


e  en  oi  ;  2"  par  l'élision  du  e  pénultième  ;  Z"  par 
l'addition  do  la  linguale  t  entre  .s  et  »■  :  crois-i-re  , 
enfin  croistre  a  perdu  le  s,  qui  a  été  remplacé  par 
l'accent  circonflexe,  d'où  la  forme  moderne  croître. 
Gloria  a  donné  gloire  par  la  transposition  du  i  fît 
la  permutation  du  a  en  e  muet.  Scribere  est  de- 
venu écrire  par  l'élision  de  la  syllabe  médiale  he 
et  par  l'addition  d'un  e  initial,  addition  qui  est  de 
règle  devant  se,  si,  sp,  d'où  esc,  est,  esp,  dans  le 
vieux  français,  et  éc,  et,  ép,  dans  le  français  mo- 
derne, par  l'élision  de  l's:  escrire,  écrire. 

A.  Histoire  des  voyelles  latines.  —  La  langue; 
latine  n'avait  que  les  voyelles  a,  e,  i,  o,  u,  que  l'on 
peut  grouper  ainsi  : 


Les  voyelles  a,  i,  n  (ou  français)  sont  les 
voix  primitives  qui  sont  communes  à  toutes  les 
langues;  les  autres,  eet  o,  sont  les  voyelles  acces- 
soires, qui  sont  intermédiaires  entre  les  voix  pri- 
mitives et  en  dérivent  de  diverses  manières  :  e  est 
intermédiaire  entre  a  et  i,  o  entre  a  et  u. 

Ces  cinq  voyelles  ont  subi  en  passant  en  français 
un  sort  bien  différent,  selon  qu'elles  étaient  ac- 
centuées ou  non  accentuées  (atones). 

I.  Voyelles  toniques.  —  Les  voyelles  latines 
accentuées  ou  toniques  persistent  toujours  en  fran- 
çais, mais  en  se  modifiant  de  la  manière  suivante  : 

1.  Les  voyelles  brèves  &e  diphtonguent  toujours 
et  prennent  ainsi  un  son  plus  ferme  et  plus  plein  : 
e  cto  brefs  se  diplitonguent  avec  les  voyelles  infé- 
rieures correspondantes  i  et  u,  comme  préposi- 
tives, d'où  ie  :  fèbris,  fièvre,  et  uo  qui  est  devenu 
eu,  son  intermédiaire  entre  e  et  o  :  fôcus,  feu:  — 
i  et  u  brefs  se  transforment  d'abord  en  e  et  o 
longs,  puis  se  diphtonguent  avec  les  voyelles  infé- 
rieures correspondantes  i  et  m,  comme  postposi- 
tives, d'où  ei,  qui  est  devenu  ot  :  smus,  sein  ;  hi- 
be.TP,  boire,  et  on:  h'^pus,  loup;  —  quant  à  l'a,  il 
se  diphtongue  exceptionnellement  devant  les  li- 
quides :  manus,  main. 

2.  Les  voyelles  longues  par  nature  ne  se  traitent 
pas  de  la  môme  manière.  Les  voyelles  inférieures 
i  et  u  se  maintiennent  intactes,  bien  que  ti  ait 
perdu  son  ancienne  prononciation  pour  prendre  le 
son  qu'il  a  actuellement  et  qui  est  intermédiaire 
entre  le  son  i  et  le  son  ou  {u  latin)  :  amfcus, 
ami  ;  acHtus,  aigu.  Mais  les  voyelles  longues  su- 
périeures a,  e,o  se  comportent  comme  les  brèves, 
et  u  long  se  confond  presque  avec  a  bref,  e  long 
avec  i  bref  et  o  long  avec  o  bref,  de  manière  que 
a  long  devient  e  ou  ai:  clavis,  clé;  panis,  pain; 
—  e  long  devient  ei,  d'où  oi:  vena,  veine;  sérum, 
soir  ;  —  et  0  long  devient  eu  (uo  italien)  :  solus, 
seul. 

.3.  Les  voyelles  longues  par  position,  c'est-à-dire 
suivies  de  deux  consonnes  dont  la  seconde  com- 
mence une  nouvelle  syllabe,  persistent  en  général, 
excepté  les  deux  voyelles  inférieures  i,  qui  se 
change  en  e,  fi'rmus,  ferme,  et  m,  qui  devient  o  et 
plus  souvent  ou  (u  latin)  :  ce/lmen,  comble;  gîftta, 
goutte. 

Voici  le  tableau  général  des  permutations  des 
voyelles  accentuées  : 


Les  diphtongues,  qui  étaient  peu  nombreuses 
en  latin,  sont  devenues  en  français  des  voyelles 
simples  ou  combinées  :  chose  de  e«Msa,  proie  de 
prfleda. 

II.   Voyelles   atones.    —    Les   voyelles    latines 


PHONÉTIQUE 


—  1578  — 


PHONETIQUE 


atones  ou  non  accentuées  offrent  beaucoup  moins 
de  résistance  que  les  vnjelles  toniques.  Lors- 
qu'elles suivent  la  syllabe  frappée  de  l'accent,  ellps 
s'assourdissent  en  e  muet  ou  disparaissent  :  «nne 
de  arma,  vil  de  \Uis,  table  de  tabida.  Lorsqu'elles 
ia  précèdent,  elles  se  maintiennent,  s'assourdis- 
sent ou  disparaissent  en  vertu  d'une  véritable  loi 
d'équilibre,  les  voyelles  étant  plus  ou  moins  gra- 
vement atteintes,  suivant  qu'elles  sont  plus  ou 
moins  voisines  de  la  syllabe  accentuée  :  rglise 
d'ecclesia,  cheval  de  caballus,  satité  de  sanùa'tem, 
s.chete>-  de  ad-captare,  bas-latin  accoptare. 

Dans  le  traitement  des  voyelles  atones,  il  faut 
tenir  compte  de  Vliiuttis,  c'est-à-dire  de  la  ren- 
contre de  deux  voyelles  dans  deux  syllabes  diffé- 
renics  d'un  même  mot.  Les  deux  cas  d'hiatus  les 
plus  importants  sont  les  suivants  :  ou  bien  l'hiatus 
existait  déjà,  dans  les  mots  simples  latins  :  p/uere, 
duo.-',  tt/jia,  païen,  ecclesia,  gtorin;  ou  bien  il  a 
été  produit,  dans  le  passage  du  latin  au  français, 
par  la  suppression  d'une  consonne  médiale  qui  a 
mis  en  présence  les  deux  voyelles  jusque-li  sé- 
parées :  se{c)urus,  gto(à)iiis,  pa{g)a7ius,  inva[d)e- 
re,  etc. 

Voici  les  moyens  qui  ont  été  employés  pour 
éviter  l'hiatus  : 

1°  L'élision  de  la  première  voyelle  ;  duos,  deux; 
ecclesî'a,  église  ; 

2°  La  consonnification  de  la  voyelle  atone  (i  ou 
li)  :  tibî'a,  libya,  tige;  palfa,  palj'a,  paille; 

3"  La  contraction,  au  moyen  de  laquelle  l'atone 
se  fond  dans  la  tonique,  eu,  par  exemple,  deve- 
nant u  :  sevwus,  seiir,  sûr  ; 

4°  La  transposition,  en  vertu  de  laquelle  la 
première  voyelle  est  attirée  par  la  tonique  et 
forme  avec  elle  une  diphtongue  :  glori'a,  gloire; 

5°  L'iiitercalation  d'une  consonne  {y,  v,  h)  entre 
les  deux  voyelles  qui  forment  l'hiatus  :  pluere, 
pleui'oir;  gladius,  glaii'e;  payoraw,  païen  =  payen; 
ùivadere,  enva/àr. 

B.  Histoire  des  co?iso?mes  latinei.  —  Le  sys- 
tème des  consonnes  latines  se  composait  des  let- 
tres suivantes  : 


Muettes  fortes  et  p 

—      faibles  g  d  b 

Spirantes  h  s  f,  T 

Liquides  r  1  n  m 

Ces  consonnes  peuvent  être  simples  ou  consé- 
cutives. 

ï.  Consonnes  simples.  —  Il  faut  distinguer  deux 
groupes  de  consonnes  simples,  selon  les  degrés 
de  l'articulation  :  le  premier  groupe  comprend 
les  liquides  ;  toutes  les  autres  consonnes,  spi- 
rantes ou  muettes,  forment  le  second  groupe. 

1.  Les  liquides,  étant  les  consonnes  les  moins 
articulées,  peuvent  passer  d'un  ordre  à  l'autre  et 
se  permuter  entre  elles  ;  mais  dans  la  série  r,  I , 
n,  m,  les  mutations  ne  peuventgénéralement  avoir 
lieu  qu'entre  les  sons  les  plus  rapprochés,  c'est- 
à-dire  entre  r  et  /,  /  et  n,  n  et  m,  comme  pei'e- 
grinus,  pè/erin  ;  titu/us,  titre  ;  /ibella,  niveau  ; 
mappa,  ?!appe. 

2.  A  l'inverse  des  liquides,  les  spirantes  ne  s'é- 
changent point  entre  elles  ;  la  sifflante  s  se  per- 
mute peu  ;  h  disparaît  partout  comme  son  ;  f  per- 
siste presque  toujours  ;  enfin  les  semi-voyelles  j 
et  D  s'élident  quelquefois  au  milieu  des  mots: 
jejunus,  jeun  (à);  pai'onem.  paon. 

Pour  ce  qui  est  dos  mtietles,  il  faut  tenir  compte 
de  la  place  qu'elles  occupent.  A  l'initiale,  elles 
persistent  chacune  à  son  degré  d'articulation  ;  les 
exceptions  sont  rares  et  disparaissent  dans  le 
grand  nombre  d'exemples  qui  confirment  la  règle  ; 
en  revanclie,  la  permutation  des  gutturales  en 
chuintantes  a  lieu  même  à  l'initiale,  comme  capra, 


chèvre  ;  çalbinus,  /aune.  Au  milieu  du  mot,  ces 
consonnes  montrent  bien  moins  de  consistance,  et 
l'on  remarque  ici  un  affaiblissement  graduel,  une 
dégradation  des  muettes  :  les  labiales  et  les  gut- 
turales passent  de  la  forte  b.  la  douce  et  même  à 
la  spirante  (p  descend  k  b  on  k  v,  ch  g  :  ap'icnla., 
aAeille  ;  sapere,  sai-oir;  ciconia,  cigogne),  et  de  la 
douce  à  la  semi-voyelle  (6  devient  v  :  ca'/allus, 
chei'al)  et  plus  souvent  à  la  syncope  (biéere,  boire  ; 
auyustus,  aoijt),  qui  est  de  règle  pour  les  linguales 
(ca/ena,  chaîne  ;  aurfire,  ouïr). 

n.  Consonnes  consécutives,  —  Une  consonne 
peut  se  joindre  à  elle-mêms  {terra)  ou  à  une  autre 
consonne  Ispi'a)  :  dans  le  premier  cas,  il  y  a  re- 
doublement, et  dans  le  second  combinaison. 

1 .  Les  consonnes  redoublées  se  conservent  mieux 
que  les  simples  et  ne  subissent  pas  l'affaiblisse- 
ment graduel  qui  atteint  ces  dernières  h  la  mé- 
diale :  sa;j;.;inus,  sa/jin  ;  saceus,  sac;  guHur, 
goitre. 

2.  Combinaison  de  consonnes.  —  Nous  enten- 
dons par  \k  tous  les  groupes  de  consonnes  diffé- 
rentes qui  se  suivent  dans  le  même  mot.  Il  faut 
ranger  dans  cette  catégorie,  non  seulement  les 
combinaisons  de  deux  articulations  différentes  qui 
existaient  en  latin  conformément  aux  lois  phoné- 
tiques propres  à  cette  langue  (s;j!C  >, /'«•-/i/s),  mais 
encore  les  réunions  de  deux  ou  de  ty'ois  consonnes 
qui  ont  été  amenées  en  français  par  l'élision  d'une 
voyelle  {jwl'care  de  judicare,  solu're  de  solvere). 
Or,  ce  choc  d'articulations  différentes  a  le  même 
sort  que  l'hiatus  ou  rencontre  de  deux  voyelles  ; 
dans  l'un  et  l'autre  cas,  la  langue  tend  à  simpli- 
fier les  éléments  phonétiques  par  des  moyens  di- 
vers (l'élision,  la  permutation,  la  transposition  et 
l'intercalaiion),  et  si,  pour  détruire  l'hiatus,  elle 
change  des  voyelles  en  consonnes,  par  un  pro- 
cédé semblable  elle  évite  le  choc  des  articulations 
en  transformant  les  consonnes  en  voyelles  ;  c'est 
ainsi  que  rage  a  été  formé  de  raines  par  le  chan- 
gement d'une  voyelle  (ï)  en  consonne  {j),  et  fait 
de  factus  par  le  changement  inverse  d'une  con- 
sonne (<:)  en  voyelle  ((). 

Il  faut  distinguer  ici  deux  cas,  selon  qu'il  y  a 
rencontre  de  deux  ou  de  trois  consonnes. 

a]  Lorsqu'il  y  a  rencontre  de  deux  consonnes 
semblables,  la  seconde  subsiste  en  général;  la  pre- 
mière peut  se  conserver  :  porta,  po'te;  —  ou  s'é- 
lider  :  spica,  épi  ;  sub/ectus,  sujet  ;  —  ou  s'assi- 
miler à  la  seconde  consonne  :  luc^are,  luWer  ;  ga- 
bata,  gai'ia,  jafie;  —  ou  se  résomire  en  une 
voyelle  [i  ou  u)  :  factus,  fait  ;  cubitus,  cu/i'lus, 
coude  ;  —  ou  se  transposer  :  auricula,  auric'la, 
oreille  (c  est  d'abord  devenu  i  :  oreile,  puis,  par 
transposition  du  i  ou  y,  orelie  ou  orel;/e,  qu'on 
écrit  oreille)  ;  —  ou  bien  enfin  une  troisième  con- 
sonne est  intercalée  entre  les  deux  :  cingere, 
cin're,  ceinrfi-e  ;  caméra,  cam'ra,  chamére;  cres- 
cere,  cres're,  croître  pour  crois^re. 

Une  permutation  remarquable  est  celle  du /en  u 
devant  une  seconde  consonne  :  ta/pa,  taupe; 
be/lum,  bea;;,-  si/vaticus,  sauvage;  co/lura,  cou; 
auscu/tare,  écoîiter. 

b)  Dans  la  rencontre  de  trois  consonnes,  qui 
est  surtout  amenée  par  l'élision  d'une  voyelle,  il 
faut  considérer  le  sort  de  chacune  d'elles. 

1°  La  troisième  consonne  persiste  toujours. 

2°  Lasecoîîrfene  se  maintient  que  lorsque  cette 
médiale  est  r  ou  s  (s  n'existe  plus  dans  l'ortho- 
graphe moderne)  :  lacrimn.  lacr'ma,  larme,  "iî- 
msterium,  min'sterium,  mestier,  aujourd'hui  mé- 
tier; ou  une  muette  suivie  de  r  ou  /,  dans  quel 
cas  la  première  consonne  ne  peut  être  que  r,  n, 
m,  s  :  perdere,  pen/'re.  peniro  ;  avunciilus,  avun- 
c'ius,  oncle;  umîra,  omiie;  s'rictus,  csïroii, étroit; 
spirilus,  s/)'ritus,  esprit. 

'i"  La  première  consonne  tombe  toujours  ou 
s'adoucit  en  i  ou  u  :  lacrima,  lacr'ma,    larme  ; 


PHOSPHORE 


1579  — 


PHOTOGRAPHIE 


peciinare,  pecl'nare,  peigner;  elle  ne  se  maintient 
(|U0  si  c'est  une  dos  liquides  l,r,7i,  m,  mais  alors 
il  n'y  a  pas,  à  proprement  parler,  de  combinaison 
ternaire,  parce  que  la  liquide  appartient  h  la  syl- 
labe pr('cédente  et  se  fond  même  avec  elle  :  cii-- 
culus,  cir-c'his,  cercle;  soivere,  so/-v're,  soudre. 
Exercices.  —  Les  explications  qui  précèdent 
sont  destinées  au  maître,  qui  doit  savoir  le  plus 
pour  enseigner  le  moins,  et  ce  moins  doit  consis- 
ter ici  à  donner  à  l'élève  les  lois  phonétiques  les 
plus  simples,  surtout  celles  qni  rendent  compte 
des  flexions  et  des  dérivations,  comme,  par  exem- 
ple, la  permutation  de  /  en  u  dans  les  noms  (clie- 
va/,  chevawx  ;  loya',  loya»té)  et  les  verbes  (va/-oir, 
je  va!<x),  de /"en  o  dans  les  adjectifs  {vif,  vive, 
vivacité),  de  ou  en  eu  et  de  e  en  oi  et  ie  dans  les 
verbes  (mourir,  je  m^îMrs  ;  devoir,  je  doi'a  ;  acqué- 
rir, j'acquiTs),  etc.  [C.  Ayer.] 

Ouvrages  à  consulter.  —  Dîez,  Grammaire  des  înn- 
ffucs  romanes,  tr.itim'lioii  fr.inçaisc,  tome  prtmier  ;  Ayer, 
Phonologie  de  la  langue  française. 
PnOQL'KS.  —  V.  Amphibies. 
vnOSl'IlORE.  —  Cliimie,  VII.  —  Ce  métal- 
loïde doit  son  nom  à  la  propriété  qu'il  a  de  luire 
dans  l'obscurité  (l'adjectif  grec  pho^ihoros  signi- 
fie lumineux).  C'est  un  corps  solide  h.  la  tempéra- 
ture ordinaire,  incolore  ou  jaunâtre,  translucide  ; 
sa  densité,  à  10°,  est  1,83;  il  fond  à  ■44";  son 
odeur  rappelle  un  peu  celle  do  l'ail.  Insoluble  dans 
l'eau,  il  se  dissout  facilement  dans  le  sulfure  de 
carbone. 

Le  phosphore  a  été  découvert  dans  les  résidus 
de  l'urine,  en  1069,  par  l'alchimiste  Brandt,  de 
Hambourg.  Un  siècle  plus  tard,  Gahn  constata 
dans  les  os  la  présence  d'un  composé  phosphaté; 
et  bientôt  un  pharmacien  suédois,  le  savant  chi- 
miste Scheele,  trouva  le  moyen  d'extraire  le  phos- 
phore de  la  cendre  provenant  des  os  calcinés. 
Son  procédé  est  encore  en  usage  aujourd'hui  ;  il 
consiste  il  tra-ter  successivement  la  cendre  d'os, 
mélange  de  phosphate  et  de  carbonate  de  chaux, 
par  l'acide  sulfuriquo  étendu  et  par  le  charbon  : 
ion  kilogrammes  d'os  calcinés  contiennent  de  I(î  à 
n  kilog.  de  phosphore,  mais  on  n'en  retire  guère 
que  8  ou  9  par  le  traitement  indiqué. 

On  sait  aujourd'hui  que  le  phosphore  joue  un 
rôle  très  important  dans  l'organisation  des  ani- 
maux et  des  végétaux.  Entrant  pour  une  assez 
forte  proportion  dans  la  composition  des  os,  on  le 
trouve  encore  dans  la  substance  cérébrale,  dans 
les  nerfs,  etc.  Presque  tous  les  végétaux  en  con- 
tiennent, à  l'état  de  sels;  et  il  esta  remarquer  que 
nombre  de  plantes,  les  céréales  en  particulier,  ne 
pourraient  croître  dans  un  terrain  qui  ne  renfer- 
tnerait  pas  en  quantité  suffisante  des  sels  phos- 
phatés. Tous  les  agronomes  connaissent  l'efficacité 
des  phosphates  employés  comme  engrais.  Et  pour- 
tant, cette  substance  si  utile  est  un  violent  poison, 
auquel  malheureusement  on  ne  connaît  pas  d'an- 
tidote. 

Sous  l'action  de  la  chaleur,  le  phosphore  subit 
■une  modification  moléculaire  très  curieuse  :  il 
devient  rouge,  perd  sa  solubilité  dans  le  sulfure 
de  carbone,  sa  phosphorescence  et  d'autres  pro- 
priétés encore  ;  il  n'est  plus  vénéneux.  L'influence 
directe  do  la  lumière  solaire  produit  aussi  cette 
modification  sur  le  phosphore. 

Chaufl'é  à  "0°,  et  refroidi  brusquement  dans  l'eau, 
à  0°,  il  devient  noir. 

L'affinité  du  phosphore  pour  l'oxygène  est  très 
énergique.  A  (iO°,  il  s'enflamme,  à  l'air,  et  brûle 
en  donnant  une  vivo  lumière.  Il  ne  faut  le  tenir 
à  la  main  que  pendant  un  temps  très  court;  un 
contact  plus  prolongé  suffirait  pour  cnnammor  le 
phosphore,  et  il  en  résulterait  des  brûlures  dan- 
gereuses. En  cas  d'accident,  il  faut  laver  la  plaie 
avec  de  l'eau  dans  laquelle  on  a  délayé  de  la  ma- 
gnésie.  Si    l'on  veut  couper  du  phosphore,  c'est 


toujours  sous  l'eau  que  l'opération  doit  être  faiteS 
C'est  d'ailleurs  dans  l'eau  que  l'on  conserve  lo 
phosphore. 

On  connaît  trois  composés  oxygénés  du  phos- 
phore: l'acide  hypophosphorcuxPhO,  l'acide  phos- 
phoreux PhO^,  et  l'acide  phosphorique  PhO'.  Les 
deux  premiers,  très  avides  d'oxygène,  décom- 
posent les  sels  d'argent  et  de  mercure,  et  passent 
à  l'état  d'acide  phosphorique. 

L'acide  phosphorique  s'obtient  en  brûlant  du 
phosphore  dans  un  ballon  dont  l'atmosphère  est 
bien  desséchée.  L'acide  se  dépose  sous  forme  de 
flocons  neigeux;  il  est  anhydre,  et  se  montre  très 
avide  d'eau;  aussi  l'emploie-t-on  pour  dessécher 
les  gaz.  Projeté  dans  l'eau,  il  y  produit  un  siffle- 
ment aicu. 

Cet  acide  présente  trois  degrés  d'hydratation  : 
PhOs.HO;  Ph05,2HO;Ph05,3HO;  et,  chose  re- 
marquable, les  propriétés  de  ces  trois  composés 
sont  tellement  difl'érentes,  que  chacun  d'eux  doit 
Être  regardé  comme  un  acide  distinct.  Le  premier 
est  monobasiquo,  le  deuxième  bibasique,  le  troi- 
sième tribasique.  Celui-ci,  qui  est  précisément 
l'acide  phosphorique  ordinaire,  s'obtient  en  chauf- 
fant, dans  une  cornue  de  verre,  une  partie  de 
phosphore  avec  15  parties  d'acide  azotique  à  20" 
Baume.  L'acide  phosphorique  ordinaire  est  l'un 
des  éléments  constituants  des  phosphates  na- 
turels. 

Avec  l'hydrogène,  le  phosphore  donne  aussi  trois 
combinaisons:  un  phosphure  gazeux  PhfP,  un 
phosphure  liquide,  PhH'^,  et  un  phosphure  solide 
Ph^H.  Le  premier,  que  l'on  peut  obtenir  en  chauf- 
fant doucement,  dans  un  ballon,  une  dissolution 
de  potasse  caustique  avec  du  phosphore,  s'en- 
flamme spontanément  au  contact  do  l'air,  mais 
cette  inflammation  est  due  à  la  présence  d'une 
certaine  quantité  de  vapeur  de  phosphure  liquide 
produit  par  la  réaction  ;  pur,  il  ne  s'enflammerait 
qu'à  1110°.  On  explique  les  feu.r  follets  que  l'on 
observe  parfois  dans  les  cimetières  humides  par 
la  combustion  de  ce  gaz,  dont  la  formation  serait 
due  à  la  décomposition  des  matières  animales  en- 
fouies dans  le  sol. 

Les  affinités  du  phosphore  pour  le  chlore,  le 
brome  et  l'iode  sont  très  puissantes. 

M.  Dumas  a  fait,  du  phosphore,  de  l'azote  et  de 
l'arsenic,  une  famille  naturelle  de  métalloïdes, 
caractérisée  par  la  propriété  qu'ont  ces  corps  de 
former  avec  l'hydrogène  des  composés  gazeux  qui 
jouent  le  rôle  de  bases  ou  de  corps  neutres. 

La  plus  grande  partie  du  phosphore  ordinaire 
extrait  par  l'industrie  est  employée  h.  la  fabrication 
des  allumettes.  En  substituant  le  pho.sphore  rouge 
au  phosphore  ordinaire,  on  obtient  des  allumettes 
qui  ne  présentent  aucun  danger,  car  pour  les  en- 
flammer, il  faut  faire  usage  d'un  frottoir  spécial, 
et,  comme  nous  l'avons  dit,  le  phosphore  ronge 
n'est  pas  vénéneux.  [H.  Clerc] 

l'IlOTOGRAPlUE.  —  Connaissances  usuelles, 
II-V.  —  Etym.  :  dos  deux  mots  grecs  phàs,  lu- 
mière, et  rjraphein,  écrire,  tracer.  —  On  raconte 
qu'un  jour  de  la  fin  du  xvii=  siècle  (lfi9l)),  un  phy- 
sicien napolitain,  J.-B.  Porta,  resté  d'ailleurs  célè- 
bre pour  la  part  très  grande  qu'il  prit  au  mouve- 
ment scientifique  de  son  époque,  étant  enfermé 
dans  sa  maison,  dont  tous  les  volets  étaient  fermés, 
remarqua  que,  par  un  trou  de  volet,  pénétrait  un 
rayon  de  lumière  qui  semblait  peindre  sur  le  mur 
blanc  de  la  chambre  plongée  dans  l'obscurité  l'i- 
mage d'une  troupe  d'enfants  jouant  au  dehors. 
Porta  fit  mieux  que  remarquer  la  chose,  il  l'étudia  ; 
et  après  avoir  reproduit  ce  singulier  effet  par  des 
ouvertures  nues,  il  reconnut  que  si  l'ouverture  était 
garnie  d'une  lentille  convexe,  qui  concentrait  les 
rayons  lumineux,  le  phénomène,  embrassant  alors 
un  champ  plus  vaste,  se  produisait  avec  une  netteté 
parfaite.  Et  ainsi  se  trouva  inventée  la  chamtire 


PHOTOGRAPHIE 


—  1580 


PHOTOGRAPHIE 


obscure  ou  chambi-e  noire,  qui  pendant  un  siècle 
'et  demi  eut  sa  place  non  seulement  dans  tous  les 
cabinets  de  physique  comme  un  des  plus  curieux 
appareils  de  démonstration  des  phénomènes  opti- 
ques, mais  encore  en  beaucoup  de  mains  comme 
un  jouet  scientifique  très  amusant,  de  telle  sorte 
que  la  chambre  noire  et  ses  efl'ets  étaient  à  peu  près 
de  notoriété  générale.— V.Ojo<iÇî(e  (/?)«</ !imfn/sd'). 
Or  pendant  que  les  gens  du  monde  se  bornaient 
à  trouver  singulières  les  images  produites  par  la 
chambre  noire,  le  nombre  fut  presque  toujours 
grand  des  savants,  des  observateurs,  des  cher- 
cheurs qui  se  demandaient  s'il  ne  serait  pas  pos- 
sible d'arriver  un  jour  à  la  fixation  de  ces  images. 
En  fouillant  même  attentivement  les  vieux  docu- 
ments, on  pourrait  signaler  plus  d'un  essai,  plus 
d'une  tentative  avortés;  mais  nous  ne  saurions  ici 
nous  livrer  à  ce  travail.  Toujours  est-il  que  paral- 
lèlement, si  nous  pouvons  ainsi  dire,  aux  recher- 
ches qui  étaient  faites  dans  ce  sens,  d'autres  ob- 
servations ou  expériences  avaient  lieu  qui,  sans 
qu'on  s'en  doutât,  préparaient  indirectement  l'une 
des  plus  grandes  et  desplus  merveilleuses  décou- 
vertes de  l'époque  moderne.  Ces  observations,  qui 
d'ailleurs  remontaient  en  principe  i  des  temps  an- 
térieurs à  l'invention  de  Porta,  furent  notamment 
celle  de  Fabricius  et  de  plusieurs  autres  chimistes 
constatant  que  les  principaux  sols  ayant  l'argent 
pour  base  avaient  la  propriété  de  noircir  à  la  lu- 
mière. Ces  expériences  furent  notamment  celle  du 
physicien  Charles  qui,  dès  IT.SO,  ayant  imprégné 
de  chlorure  d'argent  une  feuille  de  papier  sur  la- 
quelle il  dirigeait  un  rayon  solaire,  en  interposant 
la  silhouette  d'une  personne  qui  faisait  écran  aux 
faisceaux  lumineux,  obtenait  sur  la  feuille  de  pa- 
pier le  profil  de  cette  personne  marqué  en  blanc 
sur  un  fond  noir  ;  ou  encore  l'essai  de  Wedgwood 
qui  obtenait  une  empreinte  visible,  mais  fort  im- 
parfaite, de  l'image  que  la  chambre  noire  avait 
projetée  sur  un  papier  enduit  d'une  solution  de 
nitrate  d'argent,  etc.  En  .somme  de  très  menus 
faits,  qui  doivent  aujourd'hui  un  certain  intérêt  au 
fait  notable  dont  ils  ont  été  suivis,  mais  qui  se- 
raient absolument  oubliés  sans  l'événementraajeur 
dont  ils  semblent  être  le  prélude  inconscient. 
■  Donc,  comme  on  était  venu  jusqu'au  premier  tiers 
de  notre  siècle,  sans  qu'aucune  apparence  de  so- 
lution eût  été  apportée  à  l'important  problème,  il 
se  trouva  que  trois  chercheurs  aussi  ingénieux 
qu'opiniâtres,  deux  Français,  Nicéphore  Niepce  à 
Chàlons,  Daguerre  à  Paris,  un  Anglais,  Talbot,  Ji 
Londres,  consacraient  simultanément  leurs  veilles 
h  le  résoudre,  mais  chacun  par  une  voie  différente. 
Le  premier,  Niepce  (ce  n'est  pas  sans  raison  que 
nous  entrons  ici  dans  quelque  détail)  prenait  pour 
point  de  départ  de  ses  recherches  cette  remarque 
aussi  neuve  que  singulière,  bien  digne  d'un  subtil 
observateur,  qu'en  exposant  une  plaque  métalli- 
que recouverte  de  bitume  de  Judée  aux  influences 
de  la  chambre  noire,  il  arrivait  que  partout  où 
avaient  frappé  les  rayons  lumineux  recueillis  et 
projetés  par  la  lentille,  le  bitume  se  modifiait  de 
telle  sorte  qu'il  cessait  d'être,  comme  en  son  état 
primitif,  soluble  dans  l'essence  de  lavande.  De 
telle  sorte  que  si,  après  avoir  exposé  une  plaque 
ainsi  préparée  aux  rayons  de  la  chambre  noire,  on 
la  couvrait  d'essence,  le  bitume  se  dissolvant  dans 
les  points  correspondant  aux  ombres,  tandis  qu'il 
restait  insoluble  dans  les  points  correspondant  aux 
lumières,  on  obtenait  une  planche  qui  était  ana- 
logue à  celle  du  graveur  à  l'eau-forte,  et  qui,  après 
la  morsure  aux  acides,  devait  donner  des  épreuves 
du  même  genre  que  la  taille-douce. 

Le  second  chercheur,  Daguerre,  —  qui  n'a  ja- 
maisnipublié,  ni  fait  connaître  l'historique  détaillé 
de  ses  longs  et  multiples  essais,  —  était  destiné 
à  l'honneur  bien  mérité  de  donner  son  nom  à  une 
magnifique  découverte,  sur  laquelle  nous  allons 


bienlôt  revenir,  et  qui  était  aussi  absolument  la 
sienne,  qu'elle  est,  en  réalité,  étrangère  à  ce  quo 
nous  appelons  aujourd'hui  du  nom  de  photogra- 
phie. 

Le  troisième,  Talbot,  partait  pour  ses  travaux  du 
principe  depuis  longtemps  avéré  que  les  sels  d'ar- 
gent noircissent  à  la  lumière  ;  mais,  étant  donnée 
la  lenteur  de  l'impression  lumineuse,  il  s'était  atta- 
ché à  découvrir  ce  que  nous  pourrions  appeler  Y  ad  ■ 
juvant  de  cet  effet  ;  et  il  avait  reconnu  que  si,  après 
avoir  soumis  pendant  untemps  relativement  court 
aux  rayons  de  la  chambre  noire  un  papier  imbibé 
d'iodure  d'argent,  on  le  baignait  dans  une  solution 
d'acide  gallique  (extrait  de  la  noix  de  galle),  l'i- 
mage jusqu'alors  demeurée  latente,  si  nous  pou- 
vons ainsi  dire,  appparaissait  et  devenait  distincte 
—  bien  entendu  en  sens  inverse  de  la  nature,  puis- 
que le  noircissement  du  papier  n'avait  lieu  que 
sur  les  points  correspondant  aux  parties  lumineu- 
ses de  limage. 

Mis  en  rapport  par  l'opticien  Chevalier,  Niepce  et 
Daguerre,  qui  s'étaient  communiqué  leurs  procé- 
dés, avaient  formé  une  association  ;  mais  le  premier 
étant  mort  peu  de  temps  après,  Daguerre  dut  seul 
continuer  les  recherches,  et  au  cours  de  l'année 
1839  grand  bruit  fut  fait  tout  à  coup  des  résultats 
qu'il  avait  obtenus.  Bientôt  l'Etat  se  fit  acquéreur 
du  procédé,  qui  fut  rendu  public  en  une  mémorable 
séancede  l'Académie  des  sciences(10  aotit  1839),et 
le  daquerreotype,  première  méthode  pratique  de 
fixation  des  images  de  la  chambre  noire,  était  à  bon 
droit  proclamé  par  l'enthousiasme  général  l'une 
des  inventions  les  plus  merveilleuses  des  temps 
modernes. 

Une  plaque  d'argent,  bien  nettoyée,  bien  brunie, 
et  donnant  par  ce  bruni  même  une  surface  noire, 
était  l'élément  premier  de  l'opération  ;  après  avoir 
été  soumise  aux  vapeurs  d'iode,  qui  formaient  à  sa 
surface  une  mince  couche  d'iodure  d'argent,  la 
plaque,  maintenue  à  l'obscurité,  était  portée  dans 
la  chambre  noire,  dont  on  laissait  l'image  agir  sur 
elle  pendant  un  temps  plus  ou  moins  long,  selon 
le  plus  ou  moins  de  vivacité  d'éclairage  des  objets 
à  reproduire.  Au  sortir  de  la  chambre  noire,  la 
plaque,  encore  soigneusement  garantie  de  la  lu- 
mière extérieure,  n'offrait  aucune  empreinte,  au- 
cune image;  mais  si,  agissant  à  la  faible  lueur 
d'une  bougie  ou  d'une  veilleuse,  on  posait  cette 
plaque  au-dessus  d'une  cuvette  contenant  du  mer- 
cure, et  que  l'on  chauffât  un  peu  ce  métal  liquide, 
pour  en  provoquer  légèrement  la  volatilisation,  il 
arrivait  que  les  blanches  gouttelettes  constituant 
la  vapeur  mercurielle  allaient  se  fixer  sur  la  pla- 
que d'argent  iodurée,  mais  seulement  aux  points 
correspondant  aux  parties  lumineuses  de  l'image 
produite  dans  la  chambre  obscure  ;  tandis  que  les 
autres  points  n'en  retenaient  aucune,  et  restaient 
nus.  De  là  un  dessin  en  blanc  mat  sur  fond  noir 
brillant.  L'image,  avant  de  pouvoir  être  apportée  au 
jour  ordinaire,  avait  besoin  d'être  débarrassée  de 
l'iodure,  resté  sensible  aux  rayons  lumineux.  On 
la  plongeait  donc  dans  une  solution  d'hyposulfite 
de  sonde,  qui  détruisait  cet  iodure.  On  la  lavait  à 
grande  eau,  on  la  séchait  sur  une  flamme  d'esprit 
devin,  et  l'on  avait  enfin  Vêijreuve  daguerrieiine, 
qui  bien  que  n'offrant,  au  moins  en  principe,  qu'une 
image  assez  terne,  afl'ectée  en  outre  d'un  miroite- 
ment assez  désagréable,  ne  laissait  pas  cependaiit 
de  constituer  une  des  plus  remarquables  conquê- 
tes inscrites  jusqu'alors  dans  l'histoire  des  scien- 
ces physiques  ;  un  premier  pas  était  fait  vers  l'éton- 
nante solution  du  problème,  qui  consistait  à 
transformer  le  soleil  lui-même  en  reproducteur 
des  tableaux  d<mt  il  peignait  les  originaux. 

Ajoutons  que  maints  chercheurs  ingénieux  et  sa- 
vants, Claudet,  Reiser,  Thierry, Fizeau.s'étant  lan- 
cés sur  la  voie  indiquée  par  Daguerre,  de  notables 
et  rapides  progrès  s'accomplirent,  dont  les  plus 


PHOTOGRAPHIE 


—  1581  — 


PHOTOGRAPHIE 


importants  furent  l'adjonction  des  vapeurs  du 
brome  à  celles  de  l'iode,  qui,  centuplant  \asensi/ji- 
lUé  de  la  plaque  d'argent,  diminuait  d'autant  la 
durée  do  l'exposition  à  la  chambre  noire;  et  l'em- 
ploi d'un  précipité  d'or  pour  aviver  et  fixer  l'i- 
mage, En  quelques  années  le  daguerréotype,  dont 
on  ne  saurait  redire  aujourd'hui  la  vogue,  eut  at- 
teint son  apogée  ;  mais,  subissant  la  loi  commune, 
il  ne  se  trouva  guère  consacré  que  pour  se  voir 
presque  aussitôt  monacô  de  déchéance  par  la  plio- 
tographie  sur  papier,  qui  aujourd'hui  l'a  complète- 
ment fait  onblier,  sans  lui  laisser,  somble-t-il(mais 
qui  peut  répondre  des  destinées  ?)  aucun  espoir 
de  renaissance. 

Depuis  longtemps  Talbot,  avons-nous  dit,  pour- 
suivait ses  essais  d'obtention  de  l'image  photo- 
graphique sur  papier.  Quand,  au  milieu  de  l'ad- 
miration universelle,  fut  publié  le  procédé  de 
Daguerre,  le  chercheur  anglais  crut  devoir  faire 
connaître  le  sien,  mais  malheureusement  sans 
pouvoir  produire  à  l'appui  autre  chose  que  d'assez 
informes  résultats.  C'en  fut  assez  cependant  pour 
donner  l'éveil,  et  provoquer  les  recherches  en  cette 
nouvelle  voie.  Le  progrès  fut  en  réalité  assez  lent, 
mais  seulement  au  point  de  vue  pratique,  car 
presque  dès  l'abord,  la  théorie  expérimentale  se 
trouva  nettement  indiquée  par  MM.  Blanquart- 
Evrard  de  Lille,  et  Legray  de  Paris,  qui  tous  deux 
ne  tardèrent  pas  à  montrer  des  épreuves  photo- 
graphiques sur  papier  relativement  fort  satisfai- 
santes. En  principe,  donc,  le  procédé  était  fixé, 
mais,  —  curieux  enchaînement  des  conquêtes  du 
génie  humain  —  pour  qu'elle  pût  prendre  définiti- 
vement rang  parmi  les  arts  usuels,  cette  décou- 
verte attendait  qu'une  autre  découverte  fût  faite, 
qui,  pour  sembler  appartenir  à  un  ordre  de  choses 
complètement  étranger,  n'allait  pas  moins  devoir 
sa  seule  et  réelle  importance  à  son  application  aux 
expériences  photographiques. 

Le  procédé  photographique  d'alors,  —  qui  d'ail- 
leurs est  resté  théoriquement  le  môme,  —  con- 
sistait à  baigner  une  feuille  de  papier  léger  et 
d'un  grain  bien  uni  dans  un  bain  d'iodure  de  po- 
tassium, à  le  poser,  après  qu'il  avait  été  séché, 
sur  une  solution  d',azot,ate  d'argent,  afin  de  former 
un  iodure  d'argent  (cette  opération  faite  en  lieu 
obscur),  à  porter  cette  feuille,  en  la  préservant 
soigneusement  de  la  lumière  extérieure,  dans  la 
chambre  noire,,  où  elle  restait  soumise  à.  l'in- 
fluence des  rayons  lumineux  pendant  quelques 
instants;  puis  à  la  rapporter  dans  le  laboratoire 
obscur,  où  son  immersion  dans  une  solution  d'a- 
cide gallique  faisait  se  développer  une  image  in- 
verse de  la  nature,  ou  néyatiue.  Cette  feuille,  dé- 
barrassée de  son  iodure  parl'hyposulfite  do  soude, 
lavée  à  grande  eau  et  séchée,  donnait  un  lijpe  ou, 
comme  nous  disons  aujourd'hui,  un  cliché,  à  l'aide 
duquel  il  s'agissait  de  produire  l'épreuve  positive, 
ramenant  l'image  à  son  état  naturel.  A  cet  effet, 
l'épreuve  négative  ayant  été  au  préalable  cirée  h 
chaud,  pour  donner  plus  de  transparence  aux  par- 
ties restées  blanches  du  papier,  on  l'appliquait  sur 
une  autre  feuille  qui,  dans  l'obscurité,  avait  été 
imprégnée  de  chlorure  d'argent  par  son  séjour 
successif  sur  un  bain  de  sel  de  cuisine  (ou  chlo- 
rure de  sodium),  puis  sur  un  bain  d'azotate  d'ai'- 
gent.  Le  tout  était  exposé  aux  rayons  du  soleil. 
La  lumière,  traversant  les  parties  transparentes  du 
papier,  noircissait  sur  ces  points  le  papier  chlo- 
ruré, qui  restait  blanc  partout  où  les  noirs  de  l'é- 
preuve négative  formaient  écran.  L'effet  d'impres- 
sion solaire  étant  arrivé  h  l'intensité  voulue,  on 
détruisait  la  smsihiiité  du  papier  chloruré  par 
!  immersion  dans  l'hyposulfite  de  soude  ;  puis  on 
l.ivait  et  séchait  l'épreuve  positive  qui  était  ache- 

.  p"  réalité,  quand  ces  diverses  opérations  avaient 
ete  bien  conduites,  les  épreuves  obtenues  par  ce 


procédé  ne  laissaient  pas  d'offrir  un  certain  inté- 
rêt qui  les  faisait  apprécier  dos  amateurs,  surtout 
quand  elles  étaient  consacrées  à  la  copie  de  mo- 
numents ou  de  sites  qui  n'exigeaient  pas  trop  de 
finesse.  Pour  les  portraits,  que  le  daguerréotype 
était  arrivé  h  produire  avec  une  délicatesse  et  une 
douceur  de  modelé  vraiment  remarquables,  et 
moyennant  une  très  courte  exposition  h  la  cham- 
bre noiro,  l'application  était  impossible.  Le  négatif- 
papier,  outre  qu'il  exigeait  un  temps  de  pose 
beaucoup  trop  long,  ne  pouvait  transmettre  à  l'é- 
preuve positive,  par  suite  de  sa  translucidité  im- 
parfaite, que  des  détails  dont  la  netteté  était  de 
plus  atténuée  par  le  grain  du  papier. 

Ce  qu'attendait  la  photographie  pour  prendre 
son  véritable  essor,  n'était  donc  autre  chose  que 
la  création  de  l'épreuve  négative  à  l'aide  d'un  in- 
termédiaire possédant  les  qualités  de  transparence 
et  de  finesse  qui  manquaient  au  papier. 

Ce  fut  un  neveu  de  l'associé  de  Daguerre, 
M.  Niepce  de  Saint-Victor,  qui,  le  premier,  indiqua 
la  nouvelle  marche  à  suivre,  en  substituant  de  la 
façon  la  plus  heureuse  le  cliché-verre  au  cliché- 
papier.  Etant  donnée  une  feuille  de  verre,  une 
glace  sans  tain,  M.  Niepce  la  couvrait  d'une  couche 
d'albumine  (blancd'œuf)  mélangéed'un  iodure  qu'il 
faisait  sécher,  etqui,  plongée,  en  lieu  obscur,  dans 
un  bain  acide  de  nitrate  d'argent,  se  coagulait  et 
constituait  à  la  surface  du  verre  une  pellicule  in- 
soluble contenant  l'iodure  d'argent  sensible  à  la 
lumière.  Et,  traitant  absolument  le  verre  albuminé 
comme  on  traitait  l'épreuve  sur  papier,  il  obtenait 
un  négatif  où  l'image  était  d'une  extrême  délica- 
tesse de  détails,  puisqu'elle  se  trouvait  formée  sur 
une  pellicule  aussi  mince  qu'unie  ;  et  qui  avait 
une  transparence  parfaite,  puisqu'elle  reposait  sur 
une  feuille  de  verre. 

Les  épreuves  positives  que  donnaient  les  néga- 
tifs obtenus  par  le  verre  albuminé  étaient  d'une 
finesse  merveilleuse,  mais  le  procédé,  qui  deman- 
dait un  temps  de  pose  relativement  assez  pro- 
longé, ne  pouvait  encore  s'appliquer  qu'aux  vues, 
paysages,  objets  d'art,  sans  qu'il  fût  possible  de 
songer  au  portrait  et  autres  reproductions  exi- 
geant une  opération  plus  rapide.  Toujours  est-il 
qu'un  pas  immense  était  fait,  et  que  la  voie  fé- 
conde se  trouvait  indiquée. 

Sur  ces  entrefaites,  il  arriva  qu'un  chimiste 
découvrit  le  fulmi-coton  ou  coton-poudre,  un 
autre  expérimentateur  et  observa  que  ce  pro- 
duit, déposé  dans  l'éther,  s'y  dissolvait  et  donnait 
une  sorte  de  liquide  visqueux  qui,  répandu  à  l'air, 
laissait  évaporer  son  éther  et  se  prenait  en  pelli- 
cules transparentes  qui,  comme  l'albumine,  se 
coagulaient  et  devenaient  insolubles  par  l'immer- 
sion dans  une  solution  acide. 

Ce  composé  sijigulier,  fort  préconisé, tout  d'abord 
pour  le  pansement  dos  plaies  à  soustraire  au  con- 
tact de  l'air,  reçut  le  nom  de  coUodion.  Bientôt, 
presque  simultanément,  en  France  et  en  Angle- 
terre, on  eut  l'idée  de  le  substituer  à  l'albumine, 
pour  obtenir  des  épreuves  négatives  sur  verre  ; 
et  de  cette  substitution,  qui  eut  pour  effet  de 
donner  i  la  couche  ioduréc  une  sensibilité,  une 
subtilité  d'impression  aussi  grandes  que  celle  de 
la  plaque  daguerrienne,  date,  en  môme  temps  que 
la  déchéance  du  daguerréotype,  ce  que  nous  pour- 
rions appeler  l'ère  de  la  photographie  véritable, 
qui,  loin  d'éluder  aucune  difficulté,  semble  au 
contraire  les  rechercher  pour  les  résoudre  d'une 
façon  toujours  plus  triomphante,  et  nous  montre 
chaque  jour  quelque  résultat  plus  étonnant,  plus 
merveilleux. 

I!  va  de  soi  que  nous  ne  saurions  décrire  en 
détail  ici  les  divers  procédés  particuliers  qui  ont 
été  ou  qui  sont  encore  en  usage  dans  les  ateliers 
photographiques.  Nous  croyons  avoirnctteraentin- 
diqué  les  principes  théoriques  sur  lesquels  repose 


PHOTOGRAPHIE 


—  1382  — 


PHOTOGRAPHIE 


la  photographie  :  ils  n'ont  pas  varié  ;  nous  les  ré-  ; 
sumons  :  1°  seusiljilisatio?i  d'une    feuille  ou  pelli- 
cule par   l'iodure  d'argent  ;  2°  exposition  dans  la 
chambre   noire,   dont  l'objectif  a    été  braqué  sur  ^ 
l'objet  i  reproduire  ;  3°  développement  de  l'image 
négative  par  des  solutions  qui,  après  avoir  eu  tout 
d'abord  pour  base  exclusive  les  sels  extraits  de  la  , 
noix   de  galle,  ont  maintenant  pour  succédanées  , 
des  solutions  ferrugineuses  (sulfate  de  fer  ou  cou- 
perose verte)  ;  4°  destruction  de  la  sensibilité  par 
des  bains  qui  dissolvent  l'iodure  (hyposulfite  de  [ 
soude,  cyanure  de   potassium)  ;  5°   lavage   et   sé- 
chage de  l'épreuve   négative  ou  cliché  ;  C"  tirage 
de  l'épreuve  positive  ;  (•pération  qui  se  subdivise  i 
en  :  sensibilisation  d'un  papier  par   un   sol  d'ar-  ' 
gent  ;  séchage  de  ce  papier  ;  application  de  ce  pa-  j 
pier  sous  l'épreuve  négative;  exposition  aux  rayons  i 
de  la   lumière   diffuse  qui,  agissant    par  transpa-  \ 
rence.  noircit  le  papier  positif  partout  où  les  noirs 
ou  demi-noir^  du   négatif  ne  forment   pas  écran  ; 
fixage  de  l'épreuve  par  la  destruction  d\i  sel  d'ar- 
gent resté  libre;  enfin,  lavage  et  séchage.  Telles 
sont,  —  avec  quelques  variantes   pour  des  appli- 
cations particulières,  —  les   pratiques  qui  consti-  i 
tuent  l'ensemble  des  opérations  par  lesquelles  au-  i 
jourd  hui    on    obtient,  sous    les   formes   les  plus  | 
multiples  et  les   plus   imprévues,  la   solution  du  , 
grand  problème  qui,  si  longtemps,  mit  tant  d'es-  | 
prits  en  travail,  à  savoir,  la  fixation  des  images  , 
de  la  chanibi-''  noire. 

Formes  multiples  et  imprévues,  avons-nous  | 
dit  ;  à  quelles  applications,  en  effet,  ne  se  prête  pas  ^ 
cet  art,  dont  la  première  manifestation  date  à  , 
peine  de  quarante  années,  et  qui,  depuis  vingt  i 
ou  vingt-cinq  ans  seulement,  est  entré  dans  la  i 
période  vraiment  féconde  de  son  histoire.  j 

Et  d'abord,  voici  ces  portraits,  ces  images  qu'on  i 
pourrait  appeler  instantanées,  où,  grâce  à  la  sub-  ! 
tilité  des  procédés,  des  tours  de  mains  propres  aux  J 
opérateurs  habiles,  semble  s'être  immobilisée  la  vie  \ 
du  modèle.  Puis  ces  vues,  qui  font  que  maintenant 
nulle  physionomie  vraie  des  diverses   régions  du 
globe  ne  reste  incertaine  devant  le  contrôle  plioto- 
graphiquo.    Substitués   aux  infidèles  tableaux  que 
rapportaient  les  voyageurs,  et  qui,  presque  toujours,  , 
n.'attestaient  que   l'inhabileté  ou  la  vision   fantai- 
siste de  l'auteur,  nous   avons   maintenant    l'em-  , 
preinte  exacte  de  tout  ce  qui  peut  intéresser,  in-  ' 
slruiie,  amuser.  Voulons-nous  mêine   ajouter  à  la  | 
vérité,  à  l'illusion,   alors    la    photographie     nous 
donnera  les  sites  vus  sous  deux  angles,  répétant 
la    convergence   de  nos  deux  yeux,  et,  à  1  aide 
du    stéréoscope,  nous  nous  croirions    transportés 
dans   les    lieux   mêmes  que  représente    la   dou-  , 
ble    épreuve    photographique,    et   qui    retrouve-  i 
ront  ainsi  leur  relief  et  leur  étendue.  S'agit-il,  | 
pour  un   conteur  de  voyage,   pour  un  démonstra- 
teur scientifique,  de  mettre  sous  les  yeux  d'un  au- 
ditoire   nombreux    les   pays,   les   choses   dont   il 
parle,  alors   la  photographie,  au  lieu  de  tirer  du 
cliché  négatif  une  épreuve  positive  opaque,  tirera 
sur  verre  albuminé  ou  coUodionné  cette  épreuve 
qui.  placée  au   foyer  d'une   lentille  de  lanterne  i 
magique,  donnera,  par  le  grandissemcnt  optique, 
ces  magnifiques  projections  qui  presque  toujours 
maintenant  accompagnent  les  couis  ou  conféren-  [ 
ces  du  genre  de  celles  que  nous  venons  d'indi- 1 
quer.  Et  quels  sujets,  d'ailleurs,  ne  seront  pas  mis  i 
au  nombre  de  ces  projections,    alors  que  la  pho-  i 
togra|jhie,  toujours  prête  aux  œuvres  subtiles,  aura 
fixé   les  images  qui,   fournies   par   le  microscope.  ] 
nous  initient  aux  existejices,  aux  organisations  in- 
fimes, aussi   bien  que  les  tableaux  télescopiques  i 
qui  enregistrent  les  phénomènes  célestes  ou  nous 
révèlent  la  con-,titution  des  astres?  1 

Vous  souvient-il  du  merveilleux  concours  que  la 
photographie  dite  microscopique  nous  prêta  au 
temps  du   siège  de  Paris,  pour  le  transport  dos  I 


dépêches,  qui  voyageaient  au  nomhrede  plusieurs 
milliers  fixées  sur  une  pellicule  presque  impercep- 
tible, attachée  h.  la  plume  d'un  pigeon  messager? 
A  l'arrivée,  on  déroulait  le  mince  tissu,  on  le  pla- 
çait au  foyer  d'an  projecteur  lumineux,  et  sur  une 
vaste  paroi  blanche  se  lisaient  les  nombreuses 
correspondances  (certains  pigeons  apportèrent 
parfois  sur  des  pellicules  de  collodion  qui  ne  pe- 
saient guère  plus  d'un  gramme,  un  ensemble  d'un 
million  de  caractères,  équivalant  au  contenu  d'un 
volume  ordinaire).  Et  d'ailleurs  n'avez-vous  jamais 
admiré  les  larges  tableaux  qui,  gros  en  réalité 
comn.e  une  pointe  d'épingle,  sont  insérés  dans 
une  breloque,  dans  un  œillet  de  porte-plume?... 
Au  point  de  vue  de  la  sûreté  publique,  ne  savons- 
nous  pas  les  services  que  rend  le  portrait  photo- 
graphique pour  l'établissement  d'identité  des  gens 
dont  il  est  bon  que  la  police  garde  le  signalement? 
Et  n'est-il  pas  de  notoriété  générale  que  pour 
mainte  observation, mainte  expérience  scientifique, 
la  photographie  est  encore  lijouant,  aussitôt  qu'on 
l'y  convie,  le  rôle  d'enregistreur,  de  témoin  irré- 
cusable? etc.,  etc. 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs,  et  aussi  nombreux  ou 
importants  qu'ils  puissent  être,  à  ces  services  eu 
quelque  sorte  immédiats,  que  se  borne  l'interven- 
tion de  la  photographie;  car  chaque  jour  nous  la 
trouvons  participant  d'une  manière  toute  spéciale 
h  des  travaux  d'un  autre  genre.  Sous  le  titre 
à' héliogravure  ou  de  photogravure,  elle  crée  soit 
des  plajiches  gravées  en  creux,  dont  on  tire  des 
épreuves  à  la  presse  de  taille-douce,  soit  des  cli- 
chés en  relief  qui  peuvent  prendre  place  dans  les 
formes  typographiques,  et  servir  à  l'illustration 
des  livres,  des  journaux,  en  suppléant  très 
économiquement  aux  dessins  gravés  sur  bois. 
Sous  le  titre  de  photoglyptie,  autre  procédé  de 
gravure  en  creux,  elle  permet  d'obtenir  des  épreu- 
ves absolument  semblables  aux  positifs  photogra- 
phiques, sur  lesquels  elles  ont  le  grand  avantage 
d'un  tirage  beaucoup  plus  rapide,  beaucoup  moins 
coûteux  et  d'une  parfaite  inaltérabilité. 

Or  il  y  a  cela  de  remarquable  que  pour  arriver 
à  la  production  de  ces  divers  types  de  gravure, 
les  chercheurs  ont  remonté  au  delà  des  principes 
originaux  de  Talbot  et  Daguerre  pour  aller  retrou- 
ver le  procédé  du  premier  Niepce,  qui,  n'ayant  été 
l'inventeur  ni  de  la  photographie  sur  plaque,  ni 
de  la  photographie  sur  papier,  se  trouve  long- 
temps après  sa  mort  devenu  l'initiateur  aux  divers 
systèmes  de  photogravure.  Là,  en  effet,  reparait  le 
principe  d'une  substance  dont  le  contact  des 
rayons  lumineux  modifie  la  manière  d'être,  et  tout 
d'abord  même  c'est  ce  bitume  de  Judée  dont  se 
servait  Niepce  qui  est  mis  eji  cause.  Seulement, 
au  lieu  de  soumettre  cette  substance  au  faible  et 
lent  effet  des  rayons  dont  la  vigueur  s'atténue 
dans  la  chambre  noire,  c'est  en  plaçant  sous  un 
cliché  photographique  transparent  la  plaque  en- 
duite et  en  l'exposant  aux  rayojis  directs  de  la 
lumière  céleste,  comme  pour  le  tirage  des  épreu- 
ves positives  ordinaires,  qu'on  détermine  la  modi- 
ficatioii  de  la  surface  sensible.  Cela  fait,  on  dissout 
les  parties  qui  sont  restées  solubles,  en  conser- 
vant celles  que  la  lumière  a  rendues  insolu- 
bles :  puis  tantôt  (héliogravure)  on  fait  mordre 
par  des  acides  pour  creuser  le  métal,  qui  porte  la 
couche  impressionnée;  tantôt  i photoglyptie) cette 
couche  étant  faite  de  gélatine  devenue  d'une  den- 
sité, d'une  résistance  extraordinaire,  on  en  obtient 
par  une  très  forte  pression  l'empreinte  en  creux 
sur  une  planche  de  plomb,  qui  sert  au  tirage  des 
épreuves  :  tout  cela  bien  entendu  par  des  procé- 
dés particuliers,  spéciaux,  que  nous  ne  pouvons 
ici  que  constater  sans  prétendre  à  les  décrj-e. 

U/i  mot  nous  reste  à  dire  des  essais  réels  ou 
prétendus  de  photi.chromie,  c'est-à-dire  de  l'ob- 
,  tontion  d'images  photograpliiques  avec  leurs  cou- 


PHYLLOXERA 


—  Vi8i  — 


PHYLLOXERA 


leurs  naturelles  :  problème  considérable  qui,  mal- 
gré (les  recherches  très  actives,  et  quelques  résul- 
tats partiels,  peut-être  même  plus  illusoires  que 
positifs,  nous  semble  pouvoir  être  encore  consi- 
déré comme  restant  tout  entier  h  résoudre.  Jus- 
qu'i\  présent,  à  part  quelques  épreuves,  d'ailleurs 
très  fugaces,  où  des  chercheurs  sérieux  comme 
MM.  Poitevin,  Niepce  de  Saint- Victor,  Becquerel 
ont  obtenu  quelques  apparences  d'empreintes 
polychromes,  l'on  n'a  guère  vu  que  des  imafies 
à  la  coloration  desquelles  l'actisn  photogénique 
est  complètement  étrangère.  Ces  productions, 
très  agréables,  très  intéressantes  à  vrai  dire,  ne 
sont  rien  de  plus  que  des  épreuves  photoglyptiques, 
où  par  des  manipulations  successives  les  couleurs, 
juxtaposées  comme  dans  la  chromo-lithographie, 
enluminent  le  dessin  photographique  proprement 
(lit.  Tout  est  donc  encore  h,  trouver  en  ce  sens.  — 
Trouvera-t-on  ?  Bien  que  reconnaissant  l'espèce  de 
Caractère  suprême  de  la  difficulté  à  vaincre,  nous 
nous  garderions  bien  de  répondre  né;;a.tiveraent  ; 
rar  il  est  permis  de  tout  attendre  do  l'ingéniosité 
humaine.  [Eugène  Muller.] 

PHYLLOXÉRA.  —  Zoologie,  XXIV.  —  Ce  nom 
a  deux  significations.  Il  appartient  d'une  part  à 
un  genre  d'insectes,  devenu  le  type  d'une  tribu, 
les  Phylloxériens,  intermédiaire  entre  les  Aphi- 
diens  ou  Pucerons  et  les  Cocciens  ou  Cochenilles, 
dans  les  Hémiptères-homoptères  (V.  Insectes, 
p.  1032).  Ce  genre  fut  établi  d'abord  pour  un  très 
petit  insecte,  découvert  dans  le  midi  de  la  France, 
dessdchaitt  let  feuilles  de  chêne  par  ses  succions, 
et  de  là  vient  le  nom  de  Phylloxéra  qui  lui  fut 
donné.  Une  autre  espèce,  plus  voisine  de  celle 
do  la  vigne,  existe  aux  environs  de  Paris,  dans  le 
centre  et  le  nord  de  la  France,  et  se  voit  sous  les 
feuilles  du  chêne  blanc  ou  pédoncule  ;  il  y  en  a 
encore  d'autres  sur  les  diverses  espèces  du  genre 
chêne  ou  Quercus;  ces  insectes  sont  sans  impor- 
tance. 

Dans  sa  signification  habituelle,  le  nom  de  Phyl- 
loxéra s'applique  à  une  seule  espèce,  vivant 
exclusivement  sur  les  vignes  d'Europe  ou  d'.4mé- 
lique,  notamment  sur  la  vigne  cultivée  en  France 
(Vitis  vinifera,  Linn.),  et  dont  les  ravages  sont 
devenus  une  calamité  nationale,  qui  a  nécessité 
l'intervention  des  pouvoirs  publics.  La  maladie  de 
la  vigne,  ou,  plus  exactement,  la  maladie  phyl- 
loxérienne,  se  reconnaît  dans  les  vignobles  à  un 
ensemble  de  caractères.  Les  points  d'attaque  ou 
taches  sont  visibles  à  distance  par  l'aspect  des 
feuilles  flétries,  jaunies  ou  rouges,  contournées 
sur  les  bords,  tombant  en  automne  avant  les 
feuilles  des  vignes  saines,  et  des  raisins  arrêtés 
dans  leur  croissance  et  ridés,  si  le  mal  est  invé- 
téré. On  est  en  outre  frappé  du  rabougrissement 
des  ceps  comparés  aux  ceps  voisins,  du  faible  nom- 
bre de  leurs  feuilles,  de  la  petitesse  de  celles-ci. 
Quand  l'attaque  date  de  deux  ou  trois  ans,  on 
aperçoit,  au  centre,  quelques  ceps  morts  et  sans 
feuilles,  tout  autour  des  ceps  chétifs,  n'ayant  que 
quelques  feuilles  et  pas  de  fruits,  puis  une  cein- 
ture de  ceps  à  feuilles  flétries  et  tachées,  enfin 
une  ceinture  dernière  de  ceps  verts  et  luxuriants 
et  cependant  déji  atteints  par  l'insecte  sur  leurs 
racines.  C'est  là  l'apparence  si  justement  appelée 
la  tache  d'/mi'e.  Si  on  veut  essayer  d'arrêter  le 
mal  à  ses  débuts  par  un  arrachage,  il  faut  aller 
au  delà  de  cette  ceinture  de  ceps  verts,  et  arra- 
cher la  bordure  externe  de  ceps  parfaitemi;nt  in- 
tacts sur  les  racines  ;  sans  cela  on  risque  de  faire 
une  opération  illusoire.  La  marche  du  mal  est 
quelquefois  très  rapide;  par  les  temps  de  chaleur 
et  de  grande  sécheresse,  favorisant  la  croissance 
et  la  propagation  de  l'insecte,  des  ceps,  isoles  et 
superbes,  présentent,  tout  d'un  coup,  l'alioration 
des  feuilles  et  ont  le  lual  sur  leurs  racines.  Les 
caractères  qui  précèdent  peuvent  tromper  et  être 


dus  à  d'autres  causes.  11  est  absolument  nécessaire 
d'examiner  les  racines;  un  indice  presque  absolu 
de  la  maladie  est  fourni  par  les  radicelles,  sur 
lesquelles  le  phylloxéra  se  porte  tout  d'abord  au 
début  de  son  attaque,  car  elles  sont  les  parties 
les  plus  tendres  et  les  plus  succulentes  des  raci- 
nes de  la  vigne.  Sous  ses  succions  elles  se  gon- 
flent sans  cesser  de  s'allonger,  et  prennent  l'aspect 
de  renflements  fusiformes  (Hg.  1),  d'abord  d'un 
jaune  blanchâtre,  puis  jaunissant,  enfin  devenant 
bruns.  Sur  leurs  dépressions,  dans  les  plis  fré- 
quents do  leurs  courbures,  on  voit,  attachés  et 
suçant,  des  phylloxéras,  principalement  jeunes 
ou  à  l'état  de  larves  (fig.  2).  Puis  les  renflements 


Renflements  avec  phyllû- 
(figure  très  grossie). 


tombent  en  pourriture,  et  l'insecte,  pour  se  nour- 
rir, gagne  la  surface  des  petites  racines,  puis  des 
grosses.  Cette  surface,  au  lieu  de  rester  lisse, 
comme  dans  les  racines  saines,  devient  raboteuse 
et  noueuse  (flg.  3)  ;  le  bois  n'est  plus  blanc,  mai» 
prend  une  teinte  d'un  rougejviolacé. 

Tout  cela  ne  permet  pas  d'affirmer  le  mal  ;  les 
renflements  même,  sans  les  insectes,  n'apportent 
pas  une  certitude  complète.  11  faut  v/ir  l'insecte 
sur  les  racines,  de  sorte  que  sa  description  en- 
tomologique  se  trouve  naturellement  amenée.  Cet 
examen  est  très  facile  ;  une  loupe  ordinaire  suffit, 
non  seulement  pour  l'adulte,  mais  môme  pour  les 
larves  et  los  œufs.  Il  est  inutile  d'ai'racher  le  cep. 
Il  faut  simplement  faire  sortir  une  racine  d'un 
coup  de  pioche  et  la  couper.  Avec  la  moindre  habi- 


PHYLLOXERA 


1384  — 


PHYLLOXERA 


tude,  on  observe  très  bien  le  phylloxéra  à  l'œil 
nu.  Nous  avons  même  reconnu,  lors  de  notre  mis- 
sion dans  les  Cliarentes  comme  délégué  de  l'Aca- 
démie des  sciences,  que   les  paysans   préfèrent 


^1!j4 


lpl?l)p/  f\  I 


pondent  aussi  des  œufs,  mais  après  leur  accouple- 
ment avec  des  mâles  également  privés  d'ailes, 
ce  qui  les  sépare  bien  des  mâles  des  Cochenilles 
qui  sont  ailés. 

1°  Femelles  sédentairps  rosti'ées,  sans  ailes,  et 
larves.  —  C'est  presque  exclusivement  sur  les  ra- 
cines des  vignes  qu'on  trouve,  pendant  toute  la 
belle  saison,  des  phylloxéras  privés  d'ailes,  du 
sexe  femelle,  donnant,  .sans  le  concours  de  màlos, 
une  série  de  générations  successives,  d'autant 
plus  nombreuses,  que  la  chaleur  est  plus  intense. 
A  l'état  adulte,  c'est-à-dire  quand  ils  sont  capables 
de  reproduire  leur  funeste  postérité,  ce  sont  des 
insectes  dodus  et  renflés,  ayant  un  peu  l'apparence 
de  petits  poux,  de  couleur  jaune  rembrunie,  ayant 

.3  1 

environ  -  de  millimètre  de  long  sur  -  de  large. 

Le  corps  est  arrondi  en  avant,  atténué  en  arrière, 
partagé  en  segments  par  des  sillons  transversaux, 
qui  portent  des  rangées  de  petits  tubercules 
iig.  4  et  5).  La  tète  se  replie  un  peu  au-dessous 


Fig.  3.  —  Grosses  racines  chargées  de  phylloxéras  (mal 
déjà  avancé). 

abandonner  les  loupes  et  se  fier  à  l'œil  seul.  Cela 
provient  de  ce  que  ces  hommes,  habitués  à  se  I 
coucher  à  la  fin  du  jour,  n'ont  pas,  comme  les  ci-  1 
tadins,  la  sensibilité  de  la  rétine  de  l'œil  émoussée 
par  l'action  prolongée  de  la  lumière  jaune  des  i 
lampes  et  surtout  du  gaz  à  éclairage.  Quand  les 
vignes  ne  sont  pas  encore  très  gravement  malades, 
auquel  cas  le  phylloxéra  les  quitte,  comme  un 
convive  qui  se  lève  de  la  table  dégarnie,  les  raci- 
nes sont  parfois  tellement  chargées  d'insectes 
qu'elles  paraissent  couvertes  d'une  poussière 
jaune,  et  tachent  en  jaune  les  doigts  qui  les  pres- 
sent. 

C'est  en  1868,  dans  le  Vaucluse,  après  plusieurs 
années  d'une  maladie  des  vignes  sans  cause  con- 
nue, que  M.  Planchon  découvrit  sur  leurs  racines 
un  insecte,  appartenant  au  genre  Phylloxéra  déjà 
établi,  et  qui  reçut  de  ce  savant  le  nom  de  Phtjl- 
loxera  vastatrix  (dévastateur).  A  peu  près  en 
même  temps,  l'insecte  fut  reconnu  et  étudié  en 
Amérique,  sur  les  vignes  de  ce  pays,  par  des  ento- 
mologistes américains,  et  en  Angleterre,  par 
M.  Westwood,  sur  des  vignes  américaines,  impor- 
tées dans  les  serres  à  raisins,  ou  graphei-ies.  L'é- 
tude complète  de  l'espèce  est  due  à  .\I  Balbiani, 
professeur  au  Collège  de  France.  L'évolution  de 
l'insecte,  qui  est  au  reste  celle  de  tous  les  Phyl- 
loxériens,  est  compliquée,  car  on  y  trouve  trois 
formes  distinctes,  offrant  toutes  des  femelles  qui 
pondent  des  œufs  et  jamais  des  petits  vivants, 
distinction  importante  d'avec  le  cas  des  Pucerons. 
Jl  y  a  des  femelles  pondant  des  œufs  sans  le  con- 
cours des  mâles,  les  unes  sans  ailes,  les  autres 
ailées,  et  une  troisième  phase,  renouvelant  la 
fécondité  de  l'espèce  pour  un  grand  nombre  de 
générations,  dans  laquelle  on  trouve,  suivant 
les  lois  ordinaires,  des   femelles  sans  ailes,  qui 


Fiir.  -k  —  Femelle  sans  ailes,  vue  en  dessus. 


Fig.  5,  —  Femelle  sans  ailes,  vue  en  dessous,  et  ses  œuf^. 

du  corps  ;  elle  porte  sur  les  côtés  deux  yeux  bnàns, 
formés  chacun  de  trois  facettes.  C'est  que  ces  In- 
sectes, souterrains  d'habitude,  ont  besoin  de  per- 
cevoir la  lumière  en  certains  cas  ;  ils  peuvent  en 
effet  passer  sous  le  sol  des  racines  d'un  cep  ;1 
celles  d'un  autre,  et  même  sortent  de  terre,  se 
promenant  à  la  surface.  On  en  voit  par  les  jours 


PHYLLOXERA 


—  1385 


PHYLLOXERA 


<le  chaleur,  en  so  couchant  à  plat  sur  la  terre  ou 
en  examinant  les  mottes  entourant  les  ceps  ;  les 
phylloxéras  se.  rendent  ainsi  d'un  cep  à,  un  autre,  par 
les  fontes  de  la  terre  desséchée,  et  ceci  explic|uo 
l'agrandissement  graduel  des  taches.  D'autre  part 
l'insecte  porte,  eu  avant  de  la  tête,  deux  furies 
antennes,  organes  de  l'odorat  et  de  l'ouio.  Elles 
ont  trois  articles,  les  deux  premiers  gros  et  courts, 
le  troisième  en  massue  allongée  et  dont  l'extré- 
mité est  taillée  en  biseau  obli(|ue.  Enfin  un  bec 
•ou  rostre  grêle  se  recourbe  sous  la  tête,  articulé, 
analogue  au  suçoir  avec  lequel  la  punaise  des  lits 
perce  notre  peau.  Deux  pièces  internes  accolées 
forment  une  soie  centrale,  deux  autres  extérieures 
constituent  une  gaine,  et  la  sève  de  la  racine 
monte  par  capillarité  dans  l'e-space  intermédiaire. 
Les  phylloxéras  des  racines  demeurent  continuel- 
lement fixés  en  place  par  ce  suçoir,  dont  le  pre- 
mier tiers  s'enfonce  dans  la  racine  (fig.  G).  Sou- 


Fig.  6.  —  Phylloxéra  de  pi-ufil,  suçant  une  racine. 

■vent,  au  microscope,  on  voit  trois  soies  grêles 
divergentes  sous  la  tôte  du  phylloîséra;  c'est  la 
soie  centrale  et  ses  deux  valves  qui  se  sont  dis- 
jointes. Les  pattes  sont  courtes  et  grêles. 

La  mère  pondeuse,  ainsi  fixée,   pond   en   petits 
tas,  autour   d'elle,  des  œufs  ellipsoïdes,  d'abord 
•d'une  couleur  d'un   beau  jaune  soufre,   puis  pre- 
nant peu  à,  peu  une  teinte   grisâtre  et  enfumée, 
ayant  0'"",ï4  de  long   sur   0""", l'i  de   large,  avec 
deux  points  rouges  à  un  bout,  visibles  au  micros- 
cope ;  ce  sont  les  yeux  de  l'embryon  qui  s'est  for- 
mé à  l'intérieur.  Au  bout   de   huit   jours  environ 
sort  de  cet  oeuf  une   larve   ressemblant,    sauf  la 
taille,  b    la   mère  pondeuse;    car  le    phylloxéra 
appartient  aux  insectes  à  métamorphoses  incom- 
iplètes.  Les  petites  larves  sont  d'un  jaune  un  peu 
verdàtre.  Elles  sont  d'abord  errantes  et  agiles;  on 
les  voit  se  promenant  sur  les  radicelles,  remuant 
vivement   les    pattes,    et   surtout   les    antennes, 
qu'elles  élèvent  et  abaissent  akernativeraent  l'une 
après  l'autre  ;  on  dirait  que  ce  sont  des  béquilles 
dont  elles  s'aideraient  pour  marcher.  Au  bout  de 
trois  ou  quatre  jours,   la  petite  larve  a   choisi  sa 
place,  enfonce  son  rostre  dans  la  racine,  et,  dos 
lors,  demeure  stationnaire.    Les    larves  subissent 
trois  changements  de  peau,  distants  entre  eux  de 
trois  à  cinq  jours;  tant  qu'elles  restent  larves  et  in- 
fécondes elles  demeurent  plus  étroites  que  les  mères 
pondeuses  et  dépourvues  de  tubercules  saillants 
sur  la  face  dorsale.  Au  bout  de  vingt  jours  environ 
chaque    larve    est  devenue    une    mère    pondeuse 
adulte,  donnant  à  peu  près  une  trentaine  d'œufs.  Les 
pontes  se  succèdent  pendant  toute  la  belle  saison, 
2*  Partie. 


et  i  dos  intervalles  assez  variables,  courts  si  la 
saison  est  sèche  et  chaude,  plus  éloignés  quand  le 
temps  devient  froid  ou  pluvieux.  On  évalue  à  huit 
en  moyenne  le  nombre  des  générations  de  l'année  ; 
ce  qui,  h  trente  teufs  par  mère  pondeuse,  produit 
en  octobre  une  postérité  do  vingt-cinq  à  trenta 
millions  de  sujets  (le  calcul  ne  peut  avoir  une 
rigueur  mathématique,  car  il  y  a  des  morts 
accidentelles)  pour  un  seul  sujet  de  printemps. 
Ainsi  s'explique  la  progression  effrayante  de  la 
maladie  phylloxérieniie. 

A  la  fin  de  l'automne,  plus  tôt,  plus  tard,  sui- 
vant l'année,  aux  premières  gelées  blanches  in- 
tenses, les  femelles  cessent  de  pondre  des  œufs  et 
meurent.  Un  grand  nombre  de  petites  larves, 
fixées  aux  racines  par  leur  rostre,  demeurent  en- 
gourdies pendant  tout  l'hiver.  Elles  sont  difficiles 
à  voir,  aplaties,  ridées  et  brunâtres,  se  confon- 
dant par  la  couleur  avec  celle  de  l'écorce  de  la 
racine,  entre  les  fentes  de  laquelle  elles  adhèrent, 
ne  prenant  pas  de  nourriture.  Si  on  porte  ces 
racines  dans  une  chambre  chaude,  on  s'aperçoit 
que  ces  petits  phylloxéras  font  de  légers  mouve- 
ments, preuve  qu'ils  étaient  seulement  on  tor- 
peur. Au  printemps,  h  une  époque  variable  sui- 
vant le  climat,  ils  se  renflent  d'abord,  signe  qu'ils 
ont  aspiré  de  nouveaux  sucs;  puis,  de  leur  peau 
fendue  le  long  du  dos,  sortent  des  larves  jaunes 
et  dodues,  dont  la  nouvelle  peau  molle  est  très 
absorbante;  c'est  par  conséquent  une  époque  très 
j  favorable  pour  employer  les  agents  insecticides  et 
j  tenter,  sinon  de  détruire,  au  moins  de  diminuer 
j  très  fortement  la  désastreuse  engeance.  L'exis- 
tence de  ces  larves  d'hiver,  à  peau  en  quelque 
sorte  durcie  et  cuirassée  contre  le  froid,  nous  fait 
comprendre  qu'il  n'y  a  aucune  chance  de  des- 
truction du  phylloxéra  par  le  froid  de  nos  hivers, 
même  les  plus  rigoureux,  et,  sous  ce  rapport,  on 
peut  dire  que  l'expérience  de  l'hiver  I.s7y-I880  a 
été  concluante.  Nous  avons  du  reste  établi,  par 
des  expériences  directes,  au  moyen  de  mélanges 
réfrigérants,  que  les  larves  d'hiver  du  phylloxéra 
supportent  sans  périr  des  abaissements  de  tem- 
pérature de  —  8°  à  —  10°  centigr.  Or,  e'i  raison 
de  sa  très  mauvaise  conductibilité,  le  sol  demeure 
toujours  à.  une  température  supérieure  h  zéro,  à. 
une  profondeur  moindre  que  celle  où  végètent  les 
racines  des  vignes  chargées  de  phylloxéras.  En 
thèse  générale,  il  règne  une  erreur  répétée  par- 
tout, et  que  les  instituteurs  doivent  chercher  à 
détruire,  c'est  que  les  hivers  froids  tuent  les  in- 
sectes nuisibles  et  nous  en  débarrassent.  Le  froid 
tue  très  bien  les  plantes,  immobiles  par  nature  ; 
mais  les  insectes  savent  s'abriter  par  instinct  pour 
échapper  à  ses  rigueurs,  et  nous  ne  craignons  pas 
d'affirmer  que  les  hivers  froids,  loin  de  faire 
périr  les  insectes,  fortifient  leur  race. 

2°  FemHtes  de  tni'/ralion,  ailées  et  roslrées.  — 
Si  le  phylloxéra  ne  possédait  que  la  forme  privée 
d'ailes  que  nous  venons  de  décrire,  il  aurait  cessé 
de  ravager  nos  vignobles  depuis  longtemps.  On 
aurait  en  effet  circonscrit  les  taches  par  des  tran- 
chées remplies  de  coaltar,  et  on  aurait,  à  l'inté- 
rieur, arraché  les  vigLies  et  empoisonné  le  sol. 
Malheureusement  pour  nous,  la  nature,  ainsi 
qu'elle  le  fait  po\ir  beaucoup  d'espèces  de  puce- 
rons, semble  avoir  prévu  le  cas  où  le  phylloxéra 
des  racines,  ne  pouvant  se  propager  sur  la  terre 
à,  de  grandes  distances,  eut  été  exposé  à  périr  par 
majique  de  nourriture,  après  avoir  épuisé  et  dé- 
truit un  vignoble.  A  mesure  que,  la  chaleur  aug- 
mentant, les  sujets  sans  ailes  des  racines  se  mul- 
tiplient en  conséquence,  quelques  ind  vidus  ont 
comme  un  instinct  que  la  nourriture  pourrait  faire 
défaut  aux  colonies  souterraines.  En  effet,  certai- 
nes femelles  pondeuses  s'allongent  et  laissent 
apercevoir  sous  la  peau  des  rudiments  de  four- 
reaux d'ailes.  Une  quatrième  mue  s'opère  et  donne 
109 


PHYLLOXERA 


1386 


PHYLLOXERA 


igsue  ù  une  iijraplie,  tuberculée  comme  la  mère 
pondeuse,  plus  allongée  et  môme  un  peu  étran- 
glée en  son  milieu,  pourvue  aussi  d'un  long  ros- 
tre, portant  sur  les  côtés  du  corps  deux  moignons 
noirs,  fourreaux  des  ailes  supérieures,  et  deux 
plus  petits  en  dessous  pour  les  ailes  inférieures, 
lisibles  si  on    écarte  les  premiers   Ifig.   7).   Ces 


-  NjmpI 


nymphes,  d'où  naîtront  les  pliylloxcras  ailés,  se 
montrent  surtout  sur  les  renflements  des  radi- 
celles, montent  peu  à  peu  au  pied  du  cep,  près  de 
la  surface  du  sol  et  sortent  même  au  dehors.  Alors 
le  cinquième  changement  de  peau  s'opère,  et  les 
femelles  migratrices  apparaissent,  fécondes  sans  le 
concours  de  mâles,  comme  les  femelles  sé'len- 
taires  des  racines.  Elles  ressemblent  un  peu  à  de 
microscopiques  cigales,  avec  quatre  grandes  ailes, 
claires  et  irisées,  les  antérieures  bien  plus  lon- 
gues que  le  corps,  un  peu  enfumées  au  bout,  où 
oUes  sont  larges  et  arrondies,  les  postérieures 
plus  étroites  et  plus  courtes.  Les  fortes  nervures 
de  ces  ailes  montrent  que  ces  femelles  sont  de 
bons  voiliers,  malgré  leur  petite  taille,  environ 
un  millimètre,  un  peu  plus  grande  par  conséquent 
que  celle  des  femelles  sans  ailes  des  racines 
(fig.  8).  Si,  dans  un  grand  bocal  de  verre,  on  met 
des  racines  de  vigne  ponant  des  nymphes,  on  ne 
tarde  pas  i  voir  éclore  des  femelles  ailées,  volant 
comme  une  flèche  d'une  paroi  à  l'autre  du  bocal. 
On  comprend  tout  de  suite  que  ces  femelles  peu- 
vent soutenir  à  l'air  libre  un  vol  de  grande  éten- 
due, et  que  cette  forme  est  celle  de  la  propagation 
du  phylloxéra  à  grande  distance.  Avec  l'aide  des 
vents,  elles  vont  tomber  à  8  ou  10  kilomètres  de 
leur  point  de  départ,  et  c'est  là  l'extension  nor- 
male annuelle  de  la  maladie  phylloxérienne;  mais 
le  transport  peut  être  par  accident  bien  plus  ra- 
pide, au  njuyen  des  vents  violents,  à  l'aide  des 
véhicules  de  toute  sorte,  pampres  d'enveloppe, 
raisins,  voilures  et  wagons,  l'homme  même,  tous 
les  objets  sur  lesquels  ces  femelles  seront  posées. 
Ainsi  s'expliquent  ces  foyers  phylloxériques  d'a- 
vant-garde, à  distances  considérables  des  vigno- 
bles d'invasion  générale. 

Il  était  nécessaire  «lue  ces  femelles  de  migra- 
tion fussent  capables  de  voir  les  vignes  au  loin  et 
tout  autour  d'elles,  afin  de  se  diriger  vers  les  lieux 
propices.  Klles  sont  luunies  d'yeus  de  trois  espè- 
ces :  latéralement  leur  large  tête  porte  deux  gros 
yeux  noirs,  k  nombreuses  facettes,  appareil  de 
vision  panoramique,  télescopes  en  tous  sens  pour 
les  distances  éloignées  ;  puis,  pour  les  visions  rap- 
prochées, les  mêmes  yeux  à  trois  facettes  que  les 
insectes  des  r.icines,  et  en  outre,  au-dessus  de  la 
tête,  trois  yeux  simples  ou  stcmraates.  Le  corps 


Fig.  s.  —  Femelle  ailée,  vue  en  dessus. 

de  ces  femelles  ailées  est  plus  grêle  que  celui  des 
femelles  des  racines,  les  pattes  et  les  antennes 
plus  longues  ;  leur  couleur  est  d'un  jaune  terne, 
avec  une  bande  brune  sur  le  dos. 

C'est  de  juillet  en  septembre  que  ces  femelles 
ailées,  par  les  jours  de  beau  temps  et  de  chaleur, 
s'abattent  sur  les  pampres,  toujours  par  essaims 
très  nombreux  en  individus,  fait  important  dont 
nous  verrons  la  signification.  Elles  sont  munies 
d'un  rostre,  plus  court  que  celui  du  phylloxéra 
des  racines,  au  moyen  duquel  elles  sucent  les 
organes  aériens  des  vignes,  jeunes  feuilles  et 
boiirgeons.  C'est  dans  leur  duvet  que,  le  plus 
souvent,  elles  pondent,  sans  concours  de  mâles, 
un  petit  nombre  d'œufs,  ceux-ci  de  deux  gran- 
deurs, d'abord  d'un  blanc  jaunâtre  translucide, 
puis  plus  jaunes  ;  les  gros  œufs  ont  (i»",4Û  de 
long  sur  ti'"",20  de  large,  les  petils  0"",2e  sur 
0"'",I3.  Si  la  saison  est  plus  avancée,  c'est  sous  les 
écorces  exfoliées  des  ceps  que  ces  femelles  ailées 
font  leur  ponte,  et  sur  le  sol  même  par  les  temps 
humides  et  froids. 

3»  Sexués,  mule  et  femelle,  sans  ailes  et  sans 
rostre.  —  Des  petits  œufs  précédents  naissent 
des  mâles  sans  ailes,  difiérence  complète  entre  les 
Phylloxériens  d'une  part,  les  Pucerons  et  les  Coche- 
nilles de  l'autre  ;  des  gros  œufs  naissent  des  femel- 
les, aussi  sans  ailes.  Ces  phylloxéras  sexués  des  deux 
sortes,  éclosant  en  général  au  commencement  de 
septembre,  n'ont  pas  de  rostre,  qui  est  remplacé 
par  un  court  tubercule,  ni  de  tube  digestif  (fig.  9 
et  10);  aussi,  de  même  qu'un  assez  grand  nombre 
d'insectes,  tels  que  les  papillons  du  ver  à  soie, 
les  éphémères  adultes,  etc.,  ces  sexués  ne  pren- 
nent aucune  nourriture  et  ne  vivent  que  quelques 
jours,  uniquement  consacrés  à  la  reproduction. 
Toujours  errants,  ces  miles  et  ces  femelles,  très 
petits,  comparables  à  des  avortons,  courent  çà  et 
là  sur  les  ceps,  se  recherchent  et  s'accouplent. 


PHYLLOXÉRA     —  1387  — 


PHYLLOXERA 


iifs  mâle  et  femelle  (le  lii  fe- 


Fig.  10.  —  Sejiué  femell 


On  comprend  pourquoi  la  migration  des  femelles 
ailées  a  eu  lieu  par  essaims  considérables.  Il  était 
nécessaire  rjue  les  sexués  sans  ailes,  ne  pouvant 
par  conséquent  se  transporter  qu'à  faible  dislance, 
se  trouvassent  h  la  fois,  en  grand  nombre,  sur  les 
mêmes  ceps,  pour  qu'il  y  eut  chance  de  reproduc- 
tion. La  femelle  sexuée  n'a  qu'un  seul  œuf,  mais 
énorme  par  rapport  à  son  corps  et  dont  elle  est 
toute  gonflée  peu  de  jours  après  l'accouple- 
ment. Elle  pond  cet  œuf  d'hiver  entre  les  exfo- 
liations  de  l'écorce,  où  il  est  maintenu  par  un 
petit  crochet  situé  à  un  de  ses  bouts,  toujours  i 
l'air  et  sur  le  cep  seul,  point  capital.  En  eff'et 
l  existence  de  cet  œuf,  desUnc  à  passer  l'hiver, 
eût  été  fort  compromise  s'il  eût  été  pondu  sur  les 
feuilles,  qui  tombent  à  l'arrière-saison  et  que  le 
vent  disperse.  Il  est  cylindroide,  arrondi  aux  deux 
bouts,  plus  allongé  que  les  trois  formes  d'œufs  des 
femelles  vierges,  non  plus  jaune,  mais  d'un  vert- 
olive,  tout  piqueté  de  noirâtre,  de  sorte  qu'il  est 
fort  difticUe  à  apercevoir  entre  les  fentes  de  l'é- 
corce. La  mère  meurt  bientôt  après  sa  ponte  et 
devient  d'un  brun-rougeâtro,  toute  ridée  et  rata- 
tinée (lig.  1 1).  De  l'œuf  unique  de  la  femelle  sexuée 
naît  au  printemps,  vers  le  mois  d'avril  ordinaire- 
ment, un  phylloxéra  sans  ailes,  h.  très  long  suçoir, 
ayant  àl'ifltérieur  beaucoup  d'œufs.  Le  cycle  phyl- 


-  oEuf  ail. 


la  poQte. 


loxérien  se  trouve  renouvelé  pour  un  grand  nom- 
bre de  générations  par  l'éclosion  de  ce  sujet  prin- 
tanier,  né  selon  les  lois  animales  ordinaires.  Une 
partie  de  sa  descendance  gagne  immédiatement  les 
racines  et  donne  les  mères  pondeuses,  souter- 
raines et  sans  ailes  de  la  première  phase.  D'autres 
rejetons  do  l'œuf  d'hiver  se  portent  sur  les  feuilles 
de  la  vigne,  et  leurs  succions  font  naître  à  la  face 
inférieure  des  feuilles  des  galles  en  forme  de 
cupules,  profondes  de  2  à  3  millimètres,  et  dans 
chacune  desquelles  se  loge  une  mère  pondeuse 
sans  ailes  entourée  de  ses  œufs.  On  a  môme  vu 
en  provenir  des  nymphes  et  des  femelles  ailées 
de  migration.  Remarquons  que  ces  phylloxéras 
des  galles  sont  tout  à  fait  pareils  à  ceux  des  raci- 
nes, et  qu'on  a  pu,  par  expérience,  les  faire  passer 
sur  les  racines  et  réciproquement.  Ces  galles  à 
phylloxéras,  analogues  aux  galles  où  so  logent 
diverses  espèces  de  pucerons,  sont  très  nom- 
breuses sur  les  feuilles  des  vignes  américaines, 
mais  rares  sur  nos  vignes,  où  elles  disparaissent 
peu  à  peu  c|uand  la  chaleur  devient  intense,  soit 
que  leurs  phylloxéras  passent  sur  les  racines,  soit 
qu'ils  meurent  par  la  dessiccation  des  galles. 

Pour  terminer  cette  longue  et  difficile  entomo- 
logie du  phylloxéra,  nous  devons  dire  un  mot  de 
la  réapparition  d'été,  phénomène  où  quelques  per- 
sonnes avaient  cru  voir  une  nouvelle  phase  de 
cette  espèce  multiforme.  On  observe  subitement, 
lors  des  grandes  chaleurs  de  juillet,  des  phyllo- 
xéras dans  les  vignobles  soumis  aux  traitements 
insecticides  dont  nous  parlerons  et  qu'on  pouvait 
croire  à  l'abri  du  mal,  au  moins  pour  plusieurs 
années.  Leur  origine  tient  i  diverses  causes  :  il  y 
a  des  phylloxéras  sans  ailes,  des  vignobles  voi- 
sins non  traités,  sortis  de  terre  par  les  chaleurs 
et  que  le  vent  qui  les  balaie  pousse  sur  les  vigno- 
bles soumis  aux  opérations;  d'autres  proviennent 
de  quelques  sujets  isolés  qui  échappent  toujours 
aux  traitements  insecticides,  môme  à  une  sub- 
mersion de  cinquante  jours,  et  à  qui  la  chaleur 
donne  une  fécondité  extrême  ;  enfin  un  certain 
nombre  de  ces  nouveaux  insectes  des  racines  pro- 
viennent des  œufs  d'hiver  pondus  sur  les  ceps, 
parties  dos  vignes  qui  ne  reçoivent  pas  les  iasoc- 
ticides  réservés  d'ordinaire  aux  racines  et  qui  sont 
au-dessus  de  l'eau  dans  les  traitements  par  sub- 
mersion. 

Orif/iiie  du  PliylloxJra.  —  11  importe  beaucoup 
que  les  instituteurs  aient  soin  de  détruire  cette 
opinion  erronée  que  le  phylloxéra  s'est  montré 


PHYLLOXERA 


—  1588  — 


PHYLLOXERA 


plus  d'une  fois  sur  les  vignes  k  d'anciennes  épo- 
ques, et  qu'il  a  ensuite,  disparu  de  lui-même, 
confiant  optimisme  eu  rapport  avec  U  par.-sse  et 
l'avarice  et  qui  dispense  de  rien  faire.  Le  pliyl- 
loxéra  est  un  insecte  américain;  il  parait  provenir, 
comme  lieu  de  sa  première  origine  aux  Etats-Unis, 
des  vignes  sauvages  naturelles  de  l'ouest,  dans  la 
région  du  Colorado,  et  s'est  propagé  sur  les  vignes 
américaines  cultivées  en  vignobles  et  qui  sont 
d'autres  espèces  que  notre  vigne;  deiiuis  une 
vingtaine  d'années  il  a  fait  périr  en  Amérique  un 
grand  nombre  de  cépages,  ne  respectant  que 
quelques  espèces  dites  résistantes,  h  ',bois  des 
racines  plus  dur  que  dans  la  vigne  d'Europe  et 
dont  le  chevelu  des  racines  se  régénère  en  bien 
plus  grande  abondance.  On  a  prétendu  que  ce 
sont  des  vignes  d'Europe  qui  ont  donné  le  phyl- 
loxéra h  l'Amérique,  d'où  il  nous  serait  revenu  ; 
une  récente  observation  réduit  à  néant  cette 
hypothèse.  A  l'isthme  de  Panama,  dans  des  forêts 
sauvages,  très  loin  de  tout  vignoble,  sans  commu- 
nication avec  l'Europe,  on  a  trouvé  sur  une  vigne 
spontanée,  en  liane  grimpante,  le  pliylloxéra, 
identique  à  celui  des  vignes  cultivées  dans  les 
deux  mondes.  Le  phylloxéra  a  été  importé  dans 
les  serres  d'Angleterre  et  en  divers  points  de  la 
France,  dès  que  la  facilité  des  transports  a  per- 
mis aux  pépiniéristes  de  faire  venir  des  vignes 
américaines,  enracinées  et  en  caisses,  au  lieu  des 
boutures  d'autrefois,  qui  arrivaient  souvent  mortes 
et  desséchées. 

Les  vignes  importées  d'Amérique  ont  amené 
en  France  la  maladie  phylloxérienne,  en  deux 
centres  originaires  d'infection  bien  distincts,  l'un 
dans  le  S.-E. ,  l'autre  dans  le  S.-O.  Le  premier,  qui 
remonte  environ  à  ISà'i  comme  première  consta- 
tation du  mal,  se  trouve  non  loin  de  Tarascon,  au 
plateau  de  Fujaut,  près  Roquemaure,  dans  le 
Gard  ;  un  autre  point  de  départ  du  mai  apparaît 
en  18C6,  dans  la  Gironde,  tout  près  de  Bordeaux, 
dans  les  vignes  des  palus  de  Floirac  ;  depuis  ces 
époques  le  mal  a  été  en  progression  continuelle. 
Aujourd'hui  plus  de  quarante  départements  sont 
atteints,  à  divers  degrés,  y  compris  la  Corse;  dans 
les  pays  voisins  le  mal  a  gagné  les  provinces  rhé- 
nanes, la  Suisse,  l'Italie,  l'Espagne  et  le  Portugal. 
Les  causes  sont  variables,  soit  le  transport,  par 
les  moyens  que  nous  avons  indiqués,  des  femelles 
ailées,  soit  l'introduction  imprudente  de  vignes 
américaines  infectées  chez  des  pépiniéristes,  soit 
celle  de  plants  de  la  vigne  ordinaire  provenant  de 
pays  contagionnés. 

Le  Phi/tloxéia  cause  directe  et  unique  de  la  ma- 
ladie des  viijnes.  —  Beaucoup  de  [lersonnes,  ne 
comprenant  pas  les  immenseu  effets  que  peuvent 
produire  les  petites  forces  agissant  simultané- 
ment, se  refusent  à  admettre  les  désastres  produits 
par  les  insectes,  qui  sont  les  véritables  fléaux  du 
règne  animal.  Au  lieu  d'une  cause  simple,  directe, 
unique,  bien  des  gens,  surtout  ces  prétendus  ;»n- 
ticieiis  qui  ont  fait  et  font  encore  tant  de  mal  dans 
la  question  du  phylloxéra,  mettent  une  étrange 
obstination  à  chercher  le  complexe,  l'obscur,  le 
mystérieux.  On  prétend  que  le  phylloxéra,  au  lieu 
d'être  l'agent  direct  et  primordial  de  la  maladie, 
n'en  est  au  contraire  que  V effet,  ou,  tout  au  plus, 
un  symptôme,  une  cause  accessoire  peut-être  ve- 
nant ajouter  son  action  à  d'autres  causes,  les 
seules  importantes  et  dont  elle  dérive.  Sf  ulement 
on  s'entend  peu  sur  ces  causes  premières  et  réel- 
les. Pour  les  uns  c'est  l'humidité,  pour  les  autres 
la  sécheresse  ;  le  sol  est  épuisé  par  une  culture  sé- 
culaire do  la  vigne  k  la  même  place  ;  le  précieux 
arbuste,  toujours  reproduit  par  bouture  ou  par 
marcotte  et  non  par  semis,  a  dégénéré,  comme  si 
les  lois  de  reproduction  des  êtres  supérieurs  s'ap- 
pliquaient nécessairement  aux  végétaux  On  a 
invoqué  la  pratique,   se  généralisant  de  plus  en 


'  plus,  de  la  taille  courte,  etc.  Pour  tout  esprit  qui 
consent  à  raisonner  de  bonne  foi,  rien  de  sérieux 
dans  ces  préjugés.  Depuis  plus  de  vingt  ans  que  la 

'  maladie   phylloxérienne  existe    en    France,   on   a 

!  passé  par  toutes  les  alternatives  météorologiques. 

i  L'expérience  a  fait  voir  que  l'insecte  attaque  les 

1  vignes  de  tous  les  cépages,  jeunes  ou  vieilles,  dans 
tous  les  sols,  argileux,  siliceux  ou  calcaires,  qu'il 
se  porte  sur  les  lambrnsques,  ou  vignes  de  semis 

!  accidentel,  comme  sur  les  vignes  cultivées,  qu'il 
atteint  également  la  vigne  plantée  en  terre  d'ancien 
vignoble  ou  en  terre  vierge,  les  vignes  de  bouture, 
comme  celles  de  couchage,  de  taille  longue  ou 
courte,  etc.  On  n'a  pas  réfléchi  que  les  vignes  de 
Bourgogne,  par  exemple,  restaient  parfaitement 
saines,  alors  que  celles  du  Vaucluse   et  du  Gard 

I  étaientdélruites,  et  cependant  toutes  les  influences 
étaient  les  mêmes  de  part  et  d'autre  ;  seulement 
le  pliylloxéra  n'existait  pas  sur  les  premières,  tan- 
dis que  ses  légions  couvraient  les  racines  des  se- 
condes. Dans  tous  les  laboratoires  d'expérience,  on 
a  pris  des  vignes  en  pots,  et  contre  leurs  racines, 
on  a  placé  des  fragments  de  racines  portant  des 
phylloxéras.  Au  bout  de  peu  de  jours,  les  insectes 
ayant  passé  sur  le  nouveau  sujet,  on  a  toujours 
vu  paraître  les  renflements  des  radicelles;  puis  la 
racine  pourrit,  les  feuilles  se  flétrissent  et  se  sè- 
chent, la  vigne  d'essai  meurt;  il  y  a  Hi  inoculation 
du  mal,  à  la  façon  d'une  personne  à  la  peau  saine 
qui  se  coucherait  contre  un  varioleux.  L'inverse 

j  s'est  également  produit;  dans  les  serres  à  raisin 
d'Angleterre,  on  a  déplanté  dos  vignes  souffrant 
du  phylloxéra,  on  a  brossé  et  lavé  les  racines  avec 
un  soin  minutieux,  de  façon  à  enlever  tous  les 
insectes,  et  les  vignes,  remises  en  terre,  ont  re- 
pris leur  vigueur  et  leur  santé.  Il  y  a  là  une  dé- 

1  monstration  par  directe  et  par  réciproque,  comme 
en  géométrie.  Nous  ne  craignons  pas  de  dire  que 
les  instituteurs  qui  chercheront  à  détruire  la  fu- 
neste doctrine  du  Phyllo.rira-effet  rendront  un 
véritable  service  au  pay-.  Elle  encourage  toutes 
les  sourdes  résistances  aux  prescriptions  légales, 
elle  confirme  les  vignerons  dans  leur  apathie,  en 
attendant  nous  ne  savons  quel  secours  naturel  ou 
surnaturel. 

Destruction  du  Phylloxéra.  —  Le  détestable 
préjugé  que  nous  venons  de  flétrir  a  empêché 
d'arrêter  la  maladie  de  la  vigne  à  son  début,  iiar 
un  arrachage  énergique  et  forcé,  comme  on  .igit 
contre  la  peste  bovine.  U  n'était  possible  qu'avec 
des  foyers  très  restreints  ;  actuellement  le  mal  est 
fait  et'on  ne  détruira  jamais  complètement  le  Phyl- 
loxéra. Nous  devons  seulement  chercher  à  vivre 
avec  lui,  à  le  limiter  dans  sa  propagation,  de 
sorte  qu'il  permette  la  vie  et  la  récolte  du  vigno- 
ble. Cet  état  de  tolérance  ne  sera  obtenu  que  par 
une  intervention  énergique  et  continue  de  l'homme, 
comme  il  le  fait  depuis  longtemps  contre  d'autres 
insectes  importés  malgré  lui,  tels  que  la  punaise 
des  lits,  la  blatte  des  cuisines,  le  puceron  lanigère 
du  pommier,  etc.  Ce  sont  les  insecticides  seuls, 
bien  appliqués,  qui  peuvent  nous  permettre  d'é- 
quilibrer les  ravages  du  phylloxéra  avec  l'existence 
de  la  vigne,  puisqu'il  est  parfaitement  établi  que 
le  phylloxéra  cause  seul  sa  maladie. 

Le  procédé  le  plus  efficace,  selon  la  découverte 
de  M.  Faucon,  est  la  submersion  complète  du  vi- 
gnoble phylloxéré,  pendant  au  moins  quarante 
jours,  l'eau  dépassant  d'environ  un  décimètre  le 
collet  des  ceps.  Cette  submersion  s'obtient  par 
dérivation  des  cours  d'eau  naturels  ou  des  canaux, 
ou  par  des  machines  élévatoires;  malheureusement 
elle  est  impossible  pour  la  plupart  des  vignobles, 
et  des  meilleurs,  c|ui  sont  si  tués  sur  les  coteaux,  loin 
des  rivières  et  ruisseaux,  des  étangs  et  des  sources. 
Le  meilleur  agent  chimique  contre  le  phylloxéra 
des  racines  est  le  sulfure  de  carbone,  liquide  très 
inflammable,  dont  l'emploi  exige  certaines  précau- 


PHYLLOXERA 


—  1589  — 


PHYLLOXERA 


lions.  La  méthode  la  plus  générale  de  s'en  servir 
est  l'usage  direct,  comme  le  fait  la  Compagnie 
Paris-Lyon-Méditerranoc,  sons  la  direction  de 
MM.  les  professeurs  Marion  et  Catta,  (jui  ont 
formé  des  moniteurs  que  la  Compagnie  met  à  la 
disposition  des  propriétaires.  Le  sulfure  de  car- 
bone est  contenu  et  dosé  à  l'intérieur  d'un  pal  en 
fer,  qu'on  enfonce  dans  le  sol  autour  des  ceps  (pal 
injecteur  Gastine).  On  fait  ordinairement  quatre 
trous  de  pal  par  mètre  carré,  avec  G  il  10  grammes 
de  sulfure  de  carbone  par  trou,  de  façon  à  donner, 
en  deux  fois,  à  huit  jours  de  distance,  35  à  40  gram- 
mes de  vapeurs  toxiques,  diffusibles  dans  le  sol, 
par  mètre  carré.  La  seconde  application,  huit  jours 
après  la  première,  est  destinée  à  tuer  les  insectes 
ccliappés  à  la  première.  Le  mois  de  mars  est  une 
e.'ccellente  époque  pour  ce  traitement,  alors  que 
les  phylloxéras  d'hiver  vont  se  réveiller;  parfois, 
dans  les  vignobles  très  attaqués,  il  est  bon  d'opé- 
rer un  second  traitement  en  juin.  Chaque  traite- 
mpiit  doit  être  suivi  d'une  riche  fumure  avec  chlo- 
rure de  potassium,  pour  fortifier  la  vigne.  Les 
engrais  sont  absolument  sans  effet  sur  le  phyl- 
loxéra ;  mais  il  est  certain  par  les  faits  et  conforme 
aux  prévisions  rationnelles,  qu'une  vigne  bien 
fumée,  reproduisant  aisément  une  foule  de  radi- 
celles, résiste  plus  longtemps  qu'une  vigne  en  sol 
maigre  et  pierreux,  aux  succions  mortelles  du 
phylloxéra,  destructeur  du  système  souterrain, 
qui  est  comme  l'estomac  de  la  plante.  Les  traite- 
ments au  sulfure  de  carbone  ont  déjà  permis  de 
mninteiiif  en  récolte  suffisante  beaucoup  de  vi- 
gnobles. 

Un  de  nos  plus  iflustres savants,  M.  J.-B.  Dumas, 
s'est  occupé  de  la  destruction  du  phylloxéra  avec 
une  sollicitude  patriotique.  11  a  cherché  un  com- 
posé chimique,  permettant  au  sulfure  de  carbone 
de  se  dégager  lentement  dans  la  terre  arable,  sous 
l'action  de  l'acide  carbonique,  qui  y  circule  d'une 
manière  incessante,  et  à  laisser  en  même  temps 
dans  le  sol  un  engrais  potassique,  si  utile  à  la 
vigne  pour  former  le  tarirate  de  potasse  ou  crème 
de  tartre  du  vin.  Cette  substance  est  le  sulfo- 
carbonate  de  potasse  ;  c'est  du  carbonate  de  po- 
tasse où  le  soufre  remplace  l'oxygène,  et  qui,  en 
redevenant  carbonate  de  potasse,  met.  en  liberté 
peu  il  peu  le  sulfure  de  carbone.  Les  traitements 
au  sulfo-carbonatede  potasse  s'opèrent  maintenant 
dans  les  Charentes,  la  Dordogne,  la  Gironde, 
l'Hérault,  sous  la  direction  de  M.Mouillefert.  avec 
l'aide  des  appareils  hydrauliques  de  M.  Hembert, 
destinés  à  amener  l'eau  nécessaire.  Le  sol  du  vi- 
gnoble est  partagé  par  des  bourrelets  de  terre  en 
cuvettes  d'un  mètre  carré,  et  on  verse  dans  cha- 
cune de  40  à  50  grammes  de  sulfo-carbonate  de 
potasse,  mélangé  à  la  quantité  d'eau  nécessaire 
(variable  selon  le  sol  et  la  sécheresse)  pour  imbiber 
complètement,  à  la  profondeur  des  racines,  le  vo- 
lume de  terre  infesté  ;  cette  quantité  peut  varier 
de  8  à  15  litres  par  mètre  carré;  ensuite,  pour 
pousser  ii  fond  la  solution  toxique,  on  verse  10  li- 
tres d'eau  pure.  L'inconvénient  capital  du  traite- 
ment au  sulfo-carbonate  de  potasse  est  d'exiger 
l'emploi  de  l'eau. 

Une  méthode  de  destruction  toute  différente  des 
précédentes  est  de  s'attaquer  à  l'œuf  d'hiver,  qui 
est  toujours  sur  les  ceps  et  qui  est  l'origine  pre- 
mière des  colonies  souterraines.  Si  on  parvient  à 
le  détruire  on  préviendra  le  mal,  ou  du  moins  on 
en  retardera  longtemps  l'invasion.  C'est  donc  sur- 
tout aux  vignobles  non  encore  atteints  sur  les  ra- 
cines que  s'appliquent  les  procédés  de  destruction 
aérienne  de  l'œuf  d'hiver.  On  peut  opérer  mécani- 
quement par  un  décortiquage  des  ceps  frottés  avec 
un  gant  à  mailles  d'acier  (gant  Sabalé),  en  ayant 
grand  soin  d'enlever  toutes  les  raclures  d'écorce 
et  de  les  brûler.  Il  est  préférable,  comme  le  font 
M.  Boiteau   près  de   Libourne  et  M.  Prosper  de 


Lalitte,  près  d'Agon,  de  tuer  l'œuf  d'hiver  sur  les 
ceps  un  peu  avant  son  éclosion,  c'est-à-dire  en 
février,  mars  ou  avril,  selon  les  climats,  au  moyen 
du  badigeon  suivant  :  huile  lourde  de  houille 
2  parties,  carbonate  de  soude  1,  eau  pure  2:  on 
fait  bouillir  pendant  une  heure  à  un  feu  doux,  en 
remuant  le  mélange.  On  obtient  ainsi  les  eaux 
mèi-rs  qu'on  conserve  et  (|u'on  transporte  dans  des 
barriques  usuelles.  On  mélange  ultérieurement  un 
litre  de  ces  eaux  mères  avec  neuf  litres  d'eau,  et 
c'est  ce  dernier  liquide  qui  sert  à  opérer  le  badi- 
geonnage  des  ceps  au  pinceau.  Il  contient,  sur 
100  parties  :  huile  lourde  4,  carbonate  de  soude  2, 
eau  pure  94.  L'élément  toxique  est  l'huile  lourde, 
qui  entre  profondément  dans  l'écorce  et  qui,  em- 
ployée seule,  tuerait  la  vigne.  Comme  ce  mélange 
est  instable  et  peu  soluble,  il  doit  être  remué  avec 
soin  et  longtemps  dans  la  barrique  à  eaux-mères, 
toutes  les  fois  qu'on  y  puise  avec  les  bidons  qui 
sont  remis  à  chaque  ouvrier. 

Nous  ne  ferons  que  citer,  pour  mémoire,  deux 
procédés  mécaniques  qui  ont  produit  de  bons 
efl'ets,  mais  qui  ne  sont  applicables  que  dans  des 
cas  très  particuliers.  L'un  est  l'ensablement  des 
ceps,  l'insecte  ne  pouvant  pénétrer  entre  1  s  grains 
de  sable  trop  mobiles;  l'autre  est  un  tassement 
énergique  du  sol  qui  maintient  l'insecte  comme 
enfermé  et  sans  pouvoir  passer  d'un  cep  à  l'autre 
ou  envoyer  au  dehors  les  essains  de  femelles  ai- 
lées. 

Beaucoup  de  viticulteurs  ont  placé  leurs  espéran- 
ces sur  des  auxiliaires  végétaux  ou  animaux.  On  a 
annoncé  nombre  de  fois  que  des  plantes  cultivées 
intercalairement  dans  les  vignes,  plantes  très  va- 
riées du  reste,  attirent  le  phylloxéra  sur  leurs 
racines,  en  le  détournant  des  racines  do  la  vigne. 
On  montrera  souvent  aux  instituteurs  des  racines 
de  graminées,  ou  de  diverses  plantes  potagères, 
chargées  de  pucerons  qui  sont  confondus  avec  le 
phylloxéra.  Lesinstituteurs  n'auront  aucune  peine 
à  reconnaître  l'erreur,  avec  les  caractères  détail- 
lés que  nous  avons  donnés,  principalement  ceux 
des  antennes,  et  les  figures  qui  accompagnent  cet 
article.  Le  phylloxéra  attaque  exclusivement  la 
famille  végétale  des  Arnpélidées,  représentée  chez 
nous  par  une  seule  espèce,  la  vigne  ou  Vîtisvini- 
fera.  La  circonstance  la  plus  fâcheuse  pour  nous 
est  l'existence  de  l'insecte  sur  les  racines,  à  une 
profondeur  souvent  très  grande.  Il  est  soustrait 
par  là  aux  influences  atmosphériques,  gelées, 
pluies  d'orage,  vents  froids,  etc.,  funestes  àbeau- 
coup  d'insectes  aériens.  Les  entomophages  inter- 
nes (Iclineumons,  Bracons,  Chalcidiens),  qui  font 
périr  beaucoup  de  pucerons  ou  de  cochenilles, 
fixés  aux  tiges  ou  aux  feuilles,  ne  pénètrent  pas 
dans  le  sol  et  ne  peuvent  atteindre  le  phylloxéra 
des  racines,  tandis  qu'ils  sont  nos  meilleurs 
auxiliaires  contre  la  pyrale  de  la  vigne,  dont  la 
chenille,  à  l'air  sur  les  feuilles,  ne  peut  échapper 
à  leurs  recherches.  Les  carnassiers  des  profon- 
deurs du  sol  sont  des  insectes  rares;  on  a  bien 
cité  un  myriapode,  le  Polyxène  à  queue  en  pin- 
ceau, comme  destructeur  du  phylloxéra  souter- 
rain ;  un  acarieo,  le  Trombidion  ou  Araignée 
rouge  des  jardins,  a  été  observé  détruisant  sur  les 
bourgeons  les  femelles  ailées;  mais  ces  articulés 
sont  bien  peu  nombreux.  De  plus,  comment  s'y 
prendre  pour  les  multiplier  à  volonté  et  les  répan- 
dre par  légions  sur  chaque  cep?  La  femelle  ailée, 
qui  vole  rapidement  et  ne  reste  pas  en  place, 
comme  un  puceron  sans  ailes  ou  une  chenille,  se 
trouve  hors  de  l'atteinte  des  entomophages,  qui 
ont  besoin  d'un  certain  temps  pour  pondre  à  l'in- 
térieur du  corps  d'un  insecte,  en  perçant  sa  peau. 
Il  ne  reste  contre  elle  que  quelques  insectes  car- 
nassiers de  proie  vivante  et  des  oiseaux  insecti- 
vores, dédaignant  en  général  une  aussi  chétive 
proie.  Tous  ceux  qui  habitent  la  campagne  savent 


PHYSIOLOGIE 


—  1390  — 


PHYSIOLOGIE 


combien  peu  on  doit  attendre  d'auxiliaires  aussi  [  Il  est  bon  de  rappeler  ces  principes  en  parlant 
incertains  et  qu'il  est  impossible  d'enrégimenter  d'une  science  où  ils  ont  été  trop  longtemps  on- 
contre  l'ennemi.  bliés.  Nous  ne  devons  pas  plus  chercher  l'essence 

Tout  récemment  r|uelques  personnes  ont  fondé  de  la  vie  que  le  physicien  ne  cherche  celle  de  la 
de  grandes  espérances  sur  les  cryptogames  in- [  gravitation,  le  chimiste  celle  de  l'affinité.  Nous 
secticides.  Nous  connaissons  tous  cette  épidémie  devons  seulement  étudier  ses  manifestations  et 
qui  fait  périr  la  mouche  des  maisons  sur  les  murs  chercher  ses  lois.  Sa  définition,  nous  la  trouve- 
et  sur  les  vitres  ;  de  son  ven're  gonflé  sortent,  en  ronsdans  ses  phénomènes,  sans  la  demandera  son 
s'irradiant,  des  filaments  blancs,  répandant  par-  [  essence,  nécessairement  inconnue. 
tout  des  spores  qui  contagionnent  d  autres  mou-  Physiologie  générale.  —  Les  corps  qui  nous 
elles;  un  assez  grand  nombre  d'insectes  sont  atta-  entourent  se  groupent  en  deux  catégories.  Les 
quéspardesparasitescryptogamiques.D'aprèscela,  '  uns  sont  immobiles,  sans  cesse  semblables  à  eux- 
on  a  pensé  i  un  moyen  de  destruction  du  phyl-  1  mêmes,  inertes,  éternels  si  rien  d'extérieur  ne 
loxéra,  en  lui  communiquant  une  aflection  de  ce  vient  les  détruire,  identiques  chimiquement  et 
genre,  et  on  a  prétendu,  d'après  des  expériences  ]  physiquement  dans  leur  masse  entière.  Ce  sont 
révoquées  en  doute  depuis,  qu'en  répandant  sur  ,  les  corps  bruts  ou  inorganiques. 
le   sol  des  vignobles    phylloxérés  des   infusions       Les  autres  ont  une  forme  déterminée,  constant 


contenant  de  la  levure  de  bière,  pareille,  a-t-on 
dit,  au  cryptogame  des  mouches,  on  ferait  périr 
de  proche  en  proche  les  phylloxéras  souterrains. 
Nous  regrettons  de  combattre  des  illusions.  Quelle 
quantité  de  levure  de  bière,  en  la  supposant  effi- 
cace, ne  faudrait-il  pas  ?  En  outre  les  épidémies, 
soit  animales,  soit  végétales,  sont  un  des  moyens 
de  la  nature  pour  limiter  le  nombre  des  indivi- 
dus d'une  espèce;  mais  il  estsans  exemple  qu'une 
épidémie  ait  fait  disparaître  une  espèce  enentier. 
Enfin  les  sporules  de  la  levure  ou  d'autres  crypto 


ou  évoluant  suivant  une  loi  constante;  ils  appa- 
raissent, ils  meurent;  ils  sont  dans  un  état  continu 
de  renouvellement  moléculaire.  Enfin  ils  possè- 
dent une  faculté  qui  les  fait,  en  quelque  sorte, 
participer  à  la  puissance  ciéalrice,  celle  de  pro- 
duire des  êtres  semblables  à  eux.  Ce  sont  les  corps 
organisés,  les  élres  vivanla. 

Parmi  eux,  maintenant,  une  division  naturelle 
se  présente  k  l'esprit.  Les  uns,  en  effet,  fixés  au 
sol,  reçoivent  par  des  racines  une  nourriture 
qu'ils  ne  vont  pas  chercher  ;  ce  sont  les  végétaux. 


games  sont  des  corps  solides  et  non  des  gaz  dif-  Les  autres,  au  contraire,  se  meuvent  plus  ou 
fusibles.  Ils  seront  arrêtés  par  la  terre,  agissant  moins  librement  dans  l'espace,  cherchent  et  sai- 
comme  un  filtre,  et  n'arriveront  pas  aux  insectes  ;  sissent  leur  proie,  et  sont  doues  d'une  sensibilité 
souterrains.  Notre  conviction  est  qu'il  n'y  a  ^  que  démontrent  leurs  mouvements  volontaires  :  ce 
d'efficace  que  les   insecticides  gazeux,   les  seuls    sont  les  anî»m"X.  •     j-    .  j-o- 

qui  puissent  traverser  le  sol  en  tous  sens.  Ces  êtres  vivants  peuvent  être  étudies  à  diue- 

Biblior/raphi".  —  En  présence  du  nombre  con-  rents  points  de  vue.  Le  classificateur,  botaniste  ou 
sidérable  de  travaux  publiés  sur  le  phylloxéra,  !  zoologiste,  étudiant  leurs  caractères  extérieurs, 
nous  ne  pouvons  que  renvoyer  les  instituteurs  à  cherche  à  les  grouper  en  un  ordre  méthodique 
notre  peiit  livre  populaire  :  le  Pla/lloxéra  de  la  '  qui  soulage  la  mémoire  et  présente  comme  un  rac- 
vigne,  3'  édit.,  Paris,  Hachette  et  O',  1880.  Ils  y  courci  de  la  nature.  L'anatomiste  scrute  leurs  par- 
trouveront  la  liste  des  meilleurs  mémoires  à  con-  lies  profondes,  découvre  le  plan  gênerai  qui  a  pre- 
sulter,  et  le  texte  des  lois,  décrets  et  circulaires  ]  sidé  à  leur  organisation,  et  les  modifications  mille 
les  plus  récents  relatifs  au  phylloxéra;  ils  pour-  I  fois  variées  de  son  exécution.  Le  physiologiste  va 
ront  rendre  de  grands  services  en  ce  genre  par  plus  loin;  il  recherche  le  rôle  des  parties  quadis; 
leurs  conseils  et  empêcher  des  résistances  absur-  tinguées  l'anatomiste,  il  exarahie  le  corps  vivante 
des,  car,  si  chaque  citoyen  est  supposé  connaître  l'étudié  dans  ses  actes  extérieurs  comme  dans  ses 
la  loi,  en  réalité  presque  tout  le  monde  l'ignore,  modifications  intérieures  :  ce  qui  1  interesse,  ce 
[Maurice  Girard. 1        n'est  plus  la  structure,  mais  le  rôle;  ce  n  est  plus 


[Maurice 

PHYSIOLOGIE.  —  La  physiologie  a  pour  objet 
l'élude  des  êtres  vivants  en  action,  et  pour  but  la 
connaissance  des  lois  qui  régissent  la  vie. 

Nous  étudierons  rapidement,  d'abord,  la  phy- 
siologie générale,  qui  s'applique  à  tous  les  êtres 
vivants,  puis  nous  résumerons  i  grands  traits  la 
physiologie  spéciale  des  animaux  voisins  de 
l'homme. 

Il  semble  que  la  physiologie  ne  parle  pas  à 
l'imagination.  Elle  ne  dispose  pas  de  l'infini  dans 
le  temps,  comme  la  géologie,  dans  l'espace, 
comme  l'astronomie.  Sa  grandeur  réside  dans  la 
difficulté  des  problèmes  qu'elle  se  pose,  non  dans 
les  dimensions  matérielles  des  choses.  La  vie  est 
aussi  difficile  à  expliquer  dans  les  êtres  microsco- 
piques que  dans  les  êtres  gigantesques.  Ses  pro- 
blèmes sont  profonds  :  nutrition,  sensibilité,  mou- 
vement, volonté.  Ils  conduisent  l'homme  aux  plus 
hautes  questions,  jusqu'au  seuil  des  causes  pre- 
mières. 

Aussi,  le  physiologiste  arrivé  îi  ces  hauteurs 
doit  se  défier  de  son  imagination.  Il  doit  se  con- 
tenter du  comment  et  ne  pas  se  demander  pour- 
quoi. Il  doit  se  garder  des  idées  théoriques  pré- 
conçues. 11  doit  marcher  d  un  pas  lent,  mais  sûr, 
et  ne  pas  se  lancer  de  prime-saut  à  la  recherche 
des  causes  premières.  Celles-ci  nous  sont  inter- 
dites. Nous  ne  savons,  a  dit  Pascal,  que  le  milieu 
des  choses:  le  commencement  et  la  fin  nous  se- 
ront éternellement  inconnus.  Le  physiologiste  ne 


plu.  - 

le  plan,  c'est  la  vie.  Nous  ne  ferons  ici  que  de  la 
physiologie. 

Et  tout  d'abord,  cherchant,  parmi  tous  ces  phé- 
nomènes qui  caractérisent  les  êtres  vivants,  celui 
qui  est  le  plus  général,  celui  qui  appartient  à 
tous,  nous  nous  apercevons  bien  vite  que  ce 
n'est  pas  la  sensibilité,  que  ce  n'est  pas  le  mouve- 
ment, puisqu'ils  manquent  chez  les  végétaux,  que 
ce  n'est  même  pas  la  faculté  reproductive,  puisque 
l'être  organisé  peut  être  considéré  en  dehors 
d'elle;  mais  que  c'est  cette  nutrition,  ce  mouve- 
ment incessant,  ce  tourbillon  qui  sans  cesse  re- 
nouvelle chacune  des  parties  du  corps  vivant,  et 
nous  serons  amenés  à  prendre  cette  faculté  pour 
base  do  la  définition  de  la  vie, 

La  vie,  dirons-nous  avec  de  Blainvilie,  se  caracté- 
rise par  un  double  mouvement  intestin  de  compo- 
sition et  de  décomposition,  que  présente  d'une 
manière  continue  sans  se  détruire,  toute  matière 
organisée,  placée  dans  des  conditions  convena- 
bles. .  . 

Cette  composition,  cette  décomposition,  com- 
ment s'opèrent-elles?  Sans  aucun  doute,  suivant 
les  lois  de  la  physique  et  de  la  chimie  générale. 
C'est  une  grande  erreur,  et  mallieureusement  en- 
core enracinée  aujourd'hui  dans  beaucoup  d'esprits, 
que  de  considérer  les  corps  vivants  comme  le 
siège  de  réactions  spéciales  et  d'une  chimie  dite 
vivante.  D'une  manière  plus  générale,  c'est  une 
erreur  de  considérer  la  vie  comme  un  agent  mys- 


doit  S'occuper  ni  des  origines^ni  des  destinées.      1  térioux,   capricieux,   défiant  les  règles  et  1  expé- 


I 


PHYSIOLOGIE 


—  iriOl  — 


PHYSIOLOGIE 


rieiice.  Les  phénomènes  vitaux  sont  aussi  nette- 
ment déterminés  que  ceu\  do  la  matière  brute, 
accessibles,  comme  eux,  àl'exporionce,  réductibles 
comme  eux  en  formules,  on  lois.  Dans  les  corps 
vivants  se  passent  des  actes  qni  dépendent  d'abord 
des  lois  générales  de  la  matière,  et  le  pliysiolo- 
giste  doit  tenir  de  celles-ci  le  plus  grand  compte. 
Un  être  vivant  qui  tombe  obéit  à  la  pe.santeur 
comme  tous  les  corps  bruts,  et  il  est  évident  que 
le  sang  qui  revient  des  pieds  vers  le  cœur  doit 
vaincre,  entre  autres  obstacles,  la  gravitation  qui 
tend  il  l'entraîner  en  bas.  Lorsque  nous  dilatons 
notre  poitrine  p.ir  une  inspiration,  l'air  s'y  préci- 
pite absolument  comme  dans  un  soufflet,  suivant 
une  loi  physique  bien  connue.  Les  réactions  clii- 
miquos  se  passent  dans  le  corps  comme  liors  du 
corps  ;  si  l'on  injecte  dans  une  veine  de  l'amygda- 
line,  dans  une  autre  de  l'émulsine,  ces  deux  prin- 
cipes se  rencontrant  dans  le  sang,  il  se  forme  de 
l'acide  prussique  qui  foudroie  l'animal  :  la  chose 
se  passe  dans  l'organisme  comme  dans  le  verre 
d'un  chipiiste.  Toutes  les  manifestations  de  la 
vie,  en  un  mot,  s'opèrent  suivant  les  lois  physico- 
chimiques de  la  matière.  Mais  ce  qui  caractérise 
la  vie,  c'est  d'être  l'excitant  de  ces  phénomènes 
physico-chimiques.  Le  corps  est  le  verre  du  chi- 
miste, mais  la  vie  est  le  chimiste  même,  qui  pré- 
pare les  conditions  des  phénomènes  et  les  force 
ainsi  à  s'exécuter.  Nous  devons  donc,  dans  l'ana- 
lyse des  propriétés  de  la  matière  organisée,  distin- 
guer des  propriétés  qui  lui  sont  communes  avec 
la  matière  brute,  et  des  propriétés  qui  lui  sont  par- 
ticulières et  dont  les  premières  sont,  pour  ainsi 
dire,  les  ministres,  des  propriétés  vitales. 

Revenons  maintenant  à  notre  caractéristique  de 
la  vie.  Elle  suppose  pour  l'existence  et  pour  l'en- 
tretien de  la  vie  deux  éléments  :  1°  la  matière 
sous  forme  organisée  ;  '2°  des  conditions  extérieu- 
res et  des  milieux  convenables. 

Ceux-ci  sont  l'air,  l'eau,  des  matières  nutritives, 
un  certain  degré  de  chaleur  et  peut-être  aussi 
d'électricité.  Tout  être  vivant  a  besoin  d'air,  car  il 
est  manifeste  que  dans  le  vide  les  liquides  qu'il 
contient  disparaîtraient  par  évaporation  ;  de  plus, 
le  gaz  oxygène  que  l'air  contient  est  le  premier 
moteur  de  toutes  les  moditications  chimi"ques  qui 
se  prissent  dans  les  êtres  vivants.  L'eau  ou  l'hu- 
midité est  de  même  indispensable  pour  éviter  la 
dessiccation.  Les  matières  alimentaires  intervien- 
nent nécessairement  pour  réparer  les  pertes  inces- 
santes des  organismes,  sans  elles  bientôt  épuisés. 
Quant  à  la  chaleur  enfin,  les  limites  dans  les- 
quelles elle  est  compatible  avec  la  vie  sont  fort 
étendues,  et  occupentplus  de  120° de  l'échelle  cen- 
tigrade. 

Arrivons  à  la  matière  organisée.  Sa  composition 
chimique  est  des  plus  simples  quant  au  nombre 
des  éléments  constituants,  des  plus  complexes 
quant  à  leur  arrangement.  Parmi  les  soixante-cinq 
ou  soixante-dix  corps  simples  connus,  quatorze  ou 
quinze  seulement  entrent  dans  sa  constitution, 
et  quatre  surtout  :  oxygène,  hydrogène,  carbone, 
azote,  en  forment  la  plus  grande  partie.  Rare  chez 
les  végétaux,  l'azote  prédomine,  au  contraire,  chez 
les  animaux  ;  il  entre  dans  la  composition  de  la 
chair,  du  blanc  d'œuf,  de  la  gélatine,  de  tous  les 
tissus.  Les  autres  corps  simples,  soufre,  phosphore, 
chlore,  fluor,  sodium,  potassium,  calcium,  silicium, 
fer,  manganèse,  entrent  pour  une  bien  moindre 
part  dans  la  constitution  des  corps  organisés.  Les 
matériaux  qui  forment  ces  corps  par  leur  groupe- 
ment peuvent  être  rapportés  à  quatre  types: 

1°  Sels,  eau  ;  2»  matières  féculentes  et  sucrées; 
3«  matières  huileuses  et  grasses  ;  'i°  matières  albu- 
minoïdes  (chair,  blanc  d'œuf,  gluten). 

Mais  laissons  ces  questions  anatomiques,  et  ti- 
rons-en seulemeiit  cette  conséquence  physiolo- 
.gique  q  ue  les  éléments,  pour  être  complets,  doi- 


vent contenir  tous  ces  matériaux  en  quantité  suf- 
fisante. 

Au  point  de  vue  physique,  la  matière  organisée 
est  demi-solide  ou  liquide.  Quelquefois  elle  s'in- 
cruste de  matière  calcaire  et  devient  complète- 
ment solide.  La  matière  demi-solide  se  présente 
sous  des  apparences  de  figure  déterminée,  les  par- 
ties liquides  sont  répandues  dans  les  cavités  qu'elle 
forme  ou  dans  leurs  intervalles.  C'est  cet  agence- 
ment des  particules  qui  constitue  l'organisation,  et 
l'on  comprend  aisément  que  la  vie  n'aurait  pu 
exister  ni  dans  une  matière  entièrement  liquide 
qui  se  répandrait  aussitôt,  ni  dans  une  matière 
entièrement  solide,  où  les  changements  molécu- 
laires n'auraient  pu  s'opérer. 

La  matière  organisée  est  donc,  en  somme,  com- 
posée de  particules  figurées  dans  lesquelles  ou 
entre  lesquelles  se  trouvent  des  liquides.  Ce  sont 
ces  particules,  de  forme  déterminée  et  qu'on  ne 
peut  diviser  sans  leur  faire  perdre  leurs  proprié- 
tés, qu'on  appelle  les  éléments  anatomiques.,  c'est- 
à-dire  les  deriiières  parties  dans  lesquelles  l'ana- 
lyse anatonio-physiologique  puisse  réduire  lus 
corps  vivants. 

Ces  particules,  ces  éléments  se  présentent  ii 
nous  tantôt  sous  la  forme  de  cellules,  tantôt  sous 
celle  de  fibres,  tantôt  sous  celle  de  tuhes.  Leur 
juxUposition  constitue  les  tissu--,  leur  groupement 
sous  des  formes  à  fonctions  déterminées  consti- 
tue les  .ji-ijanes. 

Le  corps  vivant  peut  être  comparé  i  une  répu- 
blique dont  les  éléments  anatomiques  seraient  les 
citoyens.  Ei  Je  même  que  les  citoyens  remplissent 
tous  une  fonction  déterminée,  de  môme  les  clé 
ments  ont  chacun  leur  rôle  ;  de  même  aussi  qut, 
tous  les  citoyens,  quels  qu'ils  soient,  présentent 
ceci  de  commun  qu'ils  naissent,  vivent,  se  nour- 
rissent et  meurent,  de  môme  tous  les  éléments  ont 
ce  caractère  commun  de  naître,  de  vivre,  de  se 
nourrir,  de  mourir. 

Il  est  des  êtres  inférieurs  qui  ne  paraissent  com- 
posés que  d'un  seul  élément  anatomique  fsphœro- 
coccus,  amibe).  Ces  êtres  sont  tous  aquatiques,  et 
cet  élément,  baignant  dans  un  liquide  chargé  de 
particules  élémentaires,  les  absorbe  directement. 
Mais  chez  presque  tous  les  êtres  vivants,  le 
nombre  des  éléments  anatomiques  est  immense  ; 
aussi  ne  peuvent-ils  entrer  tous  directement  eu 
rapport  avec  les  milieux  extérieurs  ;  alors  c'o'ît 
dans  le  liquide  qui  les  baigne,  sève  chez  les  végé- 
taux, siing  chez  les  animaux,  qu'ils  puisent  tout 
ce  qui  est  nécessaire  à  leur  nutrition  ;  ces  liquides 
ont  donc  mérité  le  nom  de  milien  intérieur  que 
leur  a  assigné  Claude  Bernard,  par  comparaison  et 
par  opposition  avec  les  milieux  extérieurs.  Gom- 
ment s'entretiennent  ces  liquides  eux-mêmes, 
c'est  ce  que  nous  verrons  plus  tard. 

L'absorption  constitue  le  premier  temps  de  la 
nutrition.  Les  matières  absorbées  subissent  dans 
l'intérieur  de  l'élément  des  modifications  chimiques 
qui  varient  avec  la  nature  de  celui-ci  ;  une  partie 
y  est  conservée,  emmagasinée,  c'est  là  ce  qu'on 
appelle  l'assimilation  ;  l'autre  est  rejetée  au  de- 
hors {c'cs\,\\  l'excrétion],  et  tombe  dans  le  liquide 
ambiant,  milieu  intérieur  ou  milieu  extérieur. 
Enfin,  après  un  certain  temps,  'es  matériaux  assi- 
milés subissent  une  série  de  modifications  chi- 
miqups  (désassimilalion),  s'épuisent,  deviennent 
inutiles  et  même  dangereux  à  l'élément  dont  ils 
faisaient  partie,  et  sont  ii  leur  tour  rejetés,  eux 
aussi,  au  dehors.  Absorption,  assimilation,  désas- 
similation,  excrétion,  tel  est  le  cercle  que  par- 
courent les  matériaux  de  l'organisation,  tel  est 
l'ensemble  des  phénomènes  de  la  nutrition.  An 
milieu  de  ces  changements  dans  ses  molécules 
constituantes,  l'élément  reste  le  môme  dans  sa 
forme  et  dans  ses  propriétés;  il  constitue  comme 
une  espèce   immuable;  il  est  comparable   an    lit 


PHYSIOLOGIE 


—  1592  — 


PHYSIOLOGIE 


d'nn  fleuve  dans  lequel  s'écoulent  sans  cesse  des 
eaux  toujours  renouvelées,  et  qui  ne  change  pas 
cependant. 

La  propriété  àemitrition  appartient,  avons-nous 
dit,  à  tous  les  éléments;  mais  cliez  tous  elle  ne 
se  fait  pas  avec  la  même  activité;  chez  tous  le  cercle 
n'est  pas  parcouru  avec  une  rapidité  égale.  Bien 
mieux,  dans  le  même  élément  cette  rapidité  varie 
aux  différents  moments  de  son  existence.  On  peut 
enfin  la  ralentir  expérimentalement,  ou  même 
supprimer  complètement  le  mouvement  nutritif. 
Si  l'on  fait  en  sorte  que  l'élément  use  peu,  il 
n'aura  besoin  que  d'une  faible  réparation;  c'est 
comme  une  sorte  do  budget  dont  l'équilibre  peut 
.  être  obtenu  à  tous  les  degrés  de  la  recelte  et  de  la 
dépense,  et  ce  budget,  si  la  dépense  est  nulle,  peut 
être  amené  à  zéro. 

Voici  la  preuve  expérimentale  de  cette  proposi- 
tion étrange.  11  existe  dans  la  mousse  des  toits  un 
animal  fort  petit,  mais  d'organisation  fort  com- 
plexe ,  qu'on  nomme  rotifère.  Spallanzani  a  le 
premier  constaté  que  ce  petit  animal  peut  être 
impunément  desséché,  et  qu'une  fois  desséché,  il 
peut  être  conservé  pendant  un  temps  indéfini, 
immobile,  semblable  à  un  grain  de  sable.  Si  en- 
suite on  lui  rend  de  l'eau,  on  le  voit  s'agiter,  et 
revenir  à  la  vie.  11  est  évident  que  par  la  dessicca- 
tion ménagée,  tout  échange  chimique,  toute  usure 
do  matériaux  a  été  supprimée  dans  ses  éléments, 
et  qu'il  a  pu  vivre  ainsi  sans  aliments,  d'une  vie 
sans  manifestation. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  ce  phénomène  de  la 
vie  élémentaire  indépendante  est  propre  aux  ani- 
malcules dits  inférieurs.  Les  éléments  anatomi- 
ques  des  êtres  les  plus  rapprochés  de  nous  pré- 
sentent les  mêmes  phénomènes.  Prenez  un  organe 
d'un  mammifère,  coupez  la  queue  d'un  rat,  par 
exemple,  où  se  trouvent  des  éléments  nombreux 
osseux,  cartilagineux,  tendineux,  nerveux, et  laissez- 
la  dans  un  tube  pendant  cinq  ou  six  jours  d'hiver. 
Elle  ne  mourra  pas  pour  cela,  car  si  vous  l'in- 
troduisez par  un  petit  trou  sous  la  peau  d'un  autre 
rat,  vous  la  verrez^revivre,  et  même  grandir,  si  elle 
n'a  pasencoie  acquis  son  développement. 

J'insiste  sur  cette  dernière  expérience,  parce 
qu'elle  va  nous  permettre  de  proclamer  une 
grande  vérité,  à  savoir  l'unité  physiologique. 

Les  manifestations  de  la  vie  sont  infiniment  va- 
riées, quand  on  les  examine  dans  les  expressions 
fonctionnelles;  je  m'explique.  Une  plante  est  fort 
différente  d'un  animal;  un  insecte  est  fort  diffé- 
rent d'un  poisson  ;  un  ver  de  terre  fort  difiérent 
d'un  homme,  et  cependant,  entre  les  propriétés 
des  éléments  anatomiques  de  ces  êtres  si  divers,  il 
y  a  identité  complète,  sauf  de  simples  variations 
en  plus  ou  en  moins.  C'est  dans  la  façon  dont 
sont  mises  en  œuvre  ces  propriétés,  c'est  dans  le 
nombre  proportionnel  de  certains  éléments,  dans 
leur  mode  d'agencement,  soit  entre  eux,  soit  avec 
d'autres  éléments,  c'est  en  un  mot  dans  la  consti- 
tution et  les  fonctions  des  organes  que  gisent 
toutes  les  différences.  Ceci  nous  montre  qu'."!  côté 
ou  plutôt  au-dessus  de  la  physiologie  spéciale  à 
chaque  être  vivant,  existe  une  physiologie  géné- 
rale qui  embrasse  les  vérités  vraies  partout  et  qui 
domine  l'autre,  laquelle  ne  révèle  que  des  vérités 
relatives  à  l'être  qu'elle  étudie.  Cette  physiologie 
générale  est  une  conquête  toute  moderne.  Entre- 
vue par  Haller  au  siècle  dernier,  oubliée  depuis 
par  les  physiologistes  classiques,  elle  n'a  pas  eu 
dans  ce  siècle  d'adepte  plus  fervent  et  plus  fécond 
en  découvertes  que  mon'  illustre  maître,  Claude 
Bernard. 

C'est  de  cette  physiologie  générale  que  nous 
nous  occupons  ici,  et  c'est  à  elle  encore  qu'appar- 
tient ce  que  nous  allons  ajouter,  touchant  les  pro- 
priétés des  éléments  anatomiques.  La  nutrition 
est,  à  proprement  parler,  la  seule   qui  leur  soit 


commune  à  tous;  sans  elle  ils  ne  seraient  pa» 
vivants.  Mais  un  grand  nombre  possèdent  encore 
la  propriété  vraiment  merveilleuse  de  donner  nais- 
sance à  des  éléments  semblables  à  eux.  Cette  nais- 
sance se  produit  de  trois  manières  différentes  : 

1°  Cloisonnement  d'un  élément  anatomique, 
segmentation  :  l'oeuf  des  animaux  nous  en  présente 
le  plus  complet  exemple; 

2°  Gemmation,  formation  à  la  surface  de  l'élé- 
ment d'une  saillie  qui  bientôt  s'individualise  par 
une  cloison,  et  reste  adhérente  à  l'élément  pri- 
mitif; 

3°  Bourgeonnement,  formation  d'une  saillie  qui 
se  sépare  de  l'élément  primitif  pour  vivre  d'une 
vie  indépendante. 

Plusieurs  anatomistes  pensent  que  ce  ne  sont 
pas  là  les  seules  manières  de  naître  des  éléments 
anatomiques.  On  les  voit  encore,  affirment-ils, 
apparaître  de  toutes  pièces,  au  soin  des  liquides  vi- 
vants, dans  le  voisinage  des  autres  éléments;  ce 
sont  alors  des  granulations  qui  se  groupent,  et 
qui  s'entourent  ensuite  d'une  membrane  enve- 
loppante, laquelle  délimite  l'élément. 

Ces  détails  sont  arides  et  semblent  oiseux  ;  mais 
à  ces  différents  modes  de  la  génération  des  élé- 
ments correspondent  autant  de  modes  de  la  pro- 
duction des  êtres  complets  ;  en  outre,  cette  étude 
est  indispensable  pour  bien  comprendre  la  façon 
dont  doit  être  posée  la  question  de  la  génération, 
si  malheureusement  nommée  spontanée.  Si  celle- 
ci  existe,  elle  correspond  à  la  naissance  de  toutes 
pièces,  au  sein  d'un  liquide  qu'on  croyait  mort, 
et  qui  serait  en  réalité  vivant. 

Enfin  si  l'on  songe  que  c'est  par  cette  génération 
des  éléments  que  s'accroît  l'être  vivant,  si  l'on 
songe  que  c'est  cette  génération  exagérée  qui 
donne  naissance  à  l'horrible  cancer,  on  ne  re- 
grettera sans  doute  pas  le  temps  consacré  à  son 
étude. 

Ce  que  nous  avons  dit  jusqu'à  présent  s'appli- 
que à  tous  les  éléments  anatomiques,  qu'ils  appar- 
tiennent à  des  végétaux  ou  à  des  animaux.  Comme 
les  éléments  végétaux  ne  possèdent  guère  que 
ces  propriétés  de  nutrition,  de  reproduction,  on 
a  donné  à  celles-ci  le  nom  de  propriétés  végéta- 
tives ;  celles  dont  il  nous  reste  à  nous  occuper 
sont  désignées  sous  le  nom  de  propriétés  ani- 
males, parce  que  les  animaux  seuls  les  possèdent 
à  un  degré  marqué. 

Mais  avant  d'en  arriver  à  ce  qui  est  spécial  aux 
animaux,  il  est  nécessaire  de  dire  quelques  mots 
d'un  antagonisme  qui  existe  en  apparence  entre 
les  cellules  animales  et  les  cellules  végétales.  On 
sait,  depuis  Priestley,  que  les  végétaux  exposés 
au  soleil  décomposent  l'acide  carbonique  de  l'air,- 
fixent  le  carbone  et  exhalent  l'oxygène,  tandis  que 
Lavoisiera  montré  que  tous  les  animaux  absorbent 
l'oxygène  et  forment  l'acide  carbonique. 

Cet  antagonisme  tient  exclusivement  .^  la  pré- 
sence de  la  matière  verte,  de  \aclilorophglli'.  Les- 
végétaux  sans  matière  verte,  comme  les  champi- 
gnons, les  parties  de  végétaux  dépourvues  de 
celte  matière,  comme  les  bois,  les  fleurs,  les 
fruits,  se  comportent  comme  les  animaux.  Inver- 
sement, certains  animaux  microscopiques,  qui  con- 
tiennent de  la  chlorophylle,  décomposent  l'acida 
carbonique.  Enfin,  les  parties  vertes  elles-mêmes 
absorbent  de  l'oxygène  à  l'obscurité. 

L'antagonisme  n'existe  donc  pas  entre  les  ani- 
maux et  les  végétaux,  mais  bien  entre  les  cellules 
à  chlorophylle  et  celles  qui  n'en  contiennent  pas. 

Arrivons  maintenant  à  des  propriétés  spéciales 
aux  cellules  animales. 

Les  animaux  nous  présentent,  en  effet,  un  phé- 
nomène remarquable  et  à  eux  spécial  ;  ils  se  meu- 
vent, et  ce  mouvement,  dont  à  peine  quelques 
traces  se  voient  chez  les  végétaux,  leur  permet 
de  lutter  contre  les  influences  extérieures  cnne. 


à 


PHYSIOLOGIE 


1593  — 


PHYSIOLOGIE 


mies,  de  se  diriger  au  gré  d'une  faculté  supérieure 
qui  leur  est  propre,  do  la  volonté.  Or,  ce  mouve- 
niont  résulte  de  changements  dans  la  dimension 
des  parties  de  leur  corps,  et  en  dernière  analyse 
d'une  propriété  élémentaire  qu'on  nomme  la  con- 
tractilité. 

Aux  plus  bas  degrés  de  l'échelle  zoologique, 
chez  ces  animaux  gélatineux,  homogènes,  qui  ne 
semblent  composés  que  d'un  seul  élément,  cet 
élément  possède,  avec  les  propriétés  végétatives, 
les  propriétés  animales.  La  matière  glutineuse 
qui  les  constitue  est  en  effet  douée  de  contractilité, 
et  sans  cesse  change  de  forme  sous  les  yeux  de 
l'observateur.  Chez  certains  animaux  plus  élevés, 
on  signale  encore  plusieurs  éléments  anatomiqnes 
doués  d'une  contractilité  obscure.  Mais  chez  eux 
déjà  la  contractilité  vraie,  si  j'ose  dire,  est  l'apa- 
nage d'un  seul  élément,  de  Vêlement  musculaire; 
celui-ci  possède  par  lui-même  la  propriété  contrac- 
tile, il  la  manifeste  sous  toutes  les  excitations 
et   ne  l'emprunte  à  aucun  autre  élément. 

La  question  que  je  tranche  ici  d'une  manière 
aussi  nette  a  été  bien  souvent  un  sujet  de  con- 
troverse. On  s'est  longtemps  demandé  si  la  con- 
traction du  muscle  n'était  pas  due  h  l'action  du 
système  nerveux  dont  nous  verrons  les  éléments 
entrer  en  contact  avec  lui.  Déjà  l'observation  des 
animaux  inférieurs  était  contraire  h  cette  idée.  Une 
expérience  do  Cl.  Bernard  dont  je  parlerai  dans 
un  moment  la  détruit  complètement. 

Mais  si  le  muscle  se  contracte  en  vertu  d'une 
propriété  qui  lui  est  spéciale,  il  ne  saurait  par 
lui-même  et  spontanément  mettre  cette  propriété 
en  jeu.  Il  ne  la  manifeste  que  sous  l'influence 
d'un  excitant.  Cet  excitant,  il  le  reçoit  dans  l'état 
de  vie  par  l'intermédiaire  d'un  élément  spécial, 
de  l'élément  nerveux.  Mais  cet  élément  nerveux 
n'a  pas  non  plus  la  spontanéité.  L'excitant  qu'il 
apporte  au  muscle,  il  le  reçoit  lui-même,  et  il  le 
tient  soit  de  la  sensibilité,  soit  de  la  volonté. 

Revenons  encore  une  fois  à  ces  êtres  homogènes 
dont  nous  avons  déjà  parlé.  Chez  eux  la  sensibi- 
lité, la  volonté,  l'incitation  motrice  résident  dans 
cet  unique  élément  qui  les  constitue.  Tout  est 
confondu  dans  ces  êtres  rudimentaires  ;  aussi 
ne  nous  étonnerons-nous  pas  de  voir  qu'ils  peu- 
vent être  divisés  en  une  multitude  de  fragments 
dont  chacun  constitue  une  individualité  et  em- 
porte une  volonté. 

Mais  chez  les  autres  animaux  le  système  ner- 
veux se  compose  de  deux  ordres  d'éléments.  Les 
uns,  tubulaires,  forment  les  nerfs  proprement 
dits,  qui  s'irradient  des  centres  dans  toute  la 
périphérie  du  corps.  Les  autres ,  cellulaires, 
constituent  les  centres  nerveux  d'où  partent  les 
filets. 

Ceux-ci  possèdent  la  propriété  de  transmettre 
les  impressions  qu'ils  reçoivent,  de  les  propager 
dans  toute  leur  étendue  et  dans  les  deux  sens, 
à  la  manière  d'un  fil  électrique.  L'une  de  leurs 
extrémités  aboutit  à  un  centre  nerveux,  l'autre 
se  rend  à  la  périphérie  du  corps,  et  ici,  de  deux 
choses  l'une  :  ou  bien  elle  se  termine  dans  un 
élément  musculaire,  ou  bien  elle  se  termine  dans 
la  peau,  ou  plus  généralement  dans  quelque  ap- 
pareil de  sensation,  appareil  incapable  de  se 
mouvoir.  Dans  le  premier  cas,  si  on  l'excite,  le 
muscle  se  contractera  ;  il  y  aura  mouvement,  mais 
non  pas  sensation.  Dans  le  second  cas,  si  on  l'excite, 
il  n'y  aura  aucune  contraction  locale,  mais  l'irrita- 
tion se  propageant  vers  le  centre  y  ébranlera  d'au- 
tres éléments,  y  mettra  enjeu  d'autres  propriétés, 
et  l'animal  sur  lequel  on  expérimente  manifestera, 
comme  on  dit,  la  sensibilité. 

On  a  cru  pendant  longtemps  que  ces  ébranle- 
ments nerveux  avaient  un  sens  déterminé,  que 
les  nerfs  de  mouvement  étaient  toujours  centri- 
fuges,   et  les  nerfs  de  sensibilité  toujours  centri- 


pètes. Voici  une  expérience  très  simple  qui  dé- 
montre le  contraire. 

J'écorclie  l'extrémité  de  la  queue  d'un  rat,  et,  la 
recourbant  en  anse,  j'insinue  la  partie  dépouillée 
dans  un  trou  fuit  à  la  peau  du  dos.  Les  choses 
étant  ainsi  fixées  en  place,  il  est  possible,  après 
quelques  jours,  de  séparer  complètement  la  queue 
de  ses  connexions  premières.  Elle  pend  alors  le 
long  du  dos  de  l'animal,  et  toute  sensibilité  y  a 
disparu.  Mais  voici  qu'après  plusieurs  mois,  cette 
sensibilité  reparaît,  si  bien  que  l'animal  crie  quand 
on  pince  la  queue  parasitaire.  Or  il  est  facile  de 
voir  que  la  sensibilité  se  propage  maintenant  dans 
les  nerfs  en  sens  inversn  de  son  cours  primitif, 
qu'elle  se  meut  du  gros  bout  vers  le  petit  bout, 
et  non  comme  auparavant  du  petit  vers  le  gros. 
La  proposition  que  j'ai  avancée  plus  haut  est  donc 
démontrée. 

J'ai  dit  que  le  muscle  ne  doit  pas  au  nerf  sa 
contractilité  ;  que  le  nerf  suscite  sa  propriété 
contractile,  mais  ne  la  lui  donne  pas.  Pour  arri- 
ver à  démontrer  ce  fait,  il  fallait  pouvoir  dé- 
truire complètement  le  nerf  sans  toucher  au  mus- 
cle :  œuvre  impossible  au  scalpel,  comme  chacun 
le  comprend.  Cl,  Bernard  a  découvert  dans  un 
poison  avec  lequel  les  Lidiens  de  l'Amérique  du 
Sud  empoisonnent  leurs  flèches,  le  curare,  cette 
propriété  merveilleuse  d'empêcher  l'action  du  nerf 
moteur  sur  le  muscle,  sans  altérer  la  contracti- 
lité du  muscle.  Chez  une  grenouille  ainsi  empoi- 
sonnée, le  muscle  se  contracte  sous  une  incitation 
directe,  mais  non  plus  sous  l'incitation  par  la  voie 
nerveuse.  C'est  donc  là  encore  une  question  ré- 
solue. 

Arrivons  maintenant  à  l'élément  nerveux  des 
centres,  à  l'élément  celluleux.  Cet  élément  est 
toujours  en  rapport  d'une  part  avec  un  ou  plu- 
sieurs éléments  semblables  à  lui,  d'autre  part  avec 
des  tubes  nerveux,  soit  sensitifs,  soit  moteurs. 
Or,  voici  les  propriétésvraiment  admirables  dont  il 
jouit.  Lorsqu'une  impression  lui  est  transmise  par 
le  nerf  centripète  qui  vient  d'un  appareil  de  sensa- 
tion,l'élément  celluleux  transforme  cette  impression 
sensitive  en  une  impulsion  motrice  ;  ce  qui  était 
venu  en  sensibilité  s'en  retourne  en  mouvement, 
si  bien  qu'une  contraction  musculaire,  excitée  par 
cette  incitation  centrifuge,  vient  traduire  aux 
yeux  cette  incompréhensible  transformation.  Il  y 
a,  comme  on  dit  dans  le  langage  physiologique, 
réflexion  de  l'incitation  apportée  par  le  nerf  sen- 
sitif,  et  le  mouvement  ainsi  déterminé  est  dit 
mouvement  réfle.xe.  On  peut,  dans  des  expériences 
délicates,  sur  certains  animaux,  isoler  soit  des 
portions  de  centres  nerveux,  soit  des  centres  très 
petits  et  ne  contenant  que  quelques  cellules  ; 
l'excitation  des  nerfs  sensitifs  produit  toujours  le 
mouvement  dans  les  parties  où  se  rendent  les  filets 
moteurs  qui  naissent  do  ces  cellules. 

Certains  centres  nerveux  (un  seul  chez  les  ani- 
maux élevés)  sont,  comme  nous  le  venons  bientôt, 
le  siège  des  instincts  et  de  l'intelligence.  Ces 
centres  sont  composés  de  cellules  semblables  à 
celles  des  autres  centres,  auxquels  aboutissent 
des  tubes  nerveux  semblables  aux  autres  tubos. 
Il  est  hors  do  doute  que  les  incitations  sensitives 
qui  déterminent  les  mouvements  volontaires  sont 
transmises  à  ces  cellules  de  la  même  manière,  et 
que  le  mécanisme  de  la  transformation  de  la  sen- 
sibilité en  mouvement  est  le  même.  Mais  ces 
cellules  se  caractérisent  par  ce  fait  qui  dépasse, 
et  de  beaucoup,  en  merveilleux,  tout  ce  que  nous 
avons  dit  Jusqu'ici,  à  savoir  que  la  sensibilité  n'y 
excite  pas  seulement  des  mouvements,  mais  y 
éveille  des  idées,  et  encore  que,  sans  excitation 
extérieure,  elles  entrent  en  activité  sous  l'in- 
fluence do  la  volonté,  et  témoignent  cette  activité 
par  le  mouvement  volontaire.  Ce  sont  là  les  ins- 
truments   directs    de    la    volonté  ;    cet    incitant 


PHYSIOLOGIE 


—  1594  — 


PHYSIOLOGIE 


mystérieux  et  sublime  peut  remplacer  l'incitant 
ordinaire,  la  sensibilité,  qui  seule  agit  sur  les 
cellules  des  autres  centres.  Bien  plus,  rinlcKrité 
de  ces  cellules  est  indispensable  pour  le  libre 
exercice  de  celte  volonté  :  viennent-elles  à  être 
lésées,  les  rapports  anatomiques  qu'elles  ont 
entre  elles  viennent-ils  à  être  altérés,  détruits,  la 
mémoire  s'enfuit,  la  volonté  se  pervertit,  la  con- 
science même,  la  notion  du  moi  disparait.  Mais 
n'anticipons  pas,  nous  allons  bientôt  nous  retrou- 
ver en  face  de  ces  importants  problèmes. 

Nous  avons  terminé  la  première  partie  de  notre 
étude,  la  pliysiologie  générale,  l'étude  des  pro- 
priétés vitales  des  éléments  anatomiques.  Je 
n'ai  point  parlé  de  leurs  propriétés  physico- 
chimiques,  parce  qu'elles  sont  peu  intéressantes; 
je  fais  exception  pour  l'élasticité  extraordinaire  que 
présentent  certains  d'entre  eux,  nommés  par  celte 
raison  fibres  élastiques  (ce  qu'on  appelle  nerf  de 
bœuf  en  est  exclusivement  composé],  et  aussi  pour 
la  Iranslucidilé  remarquable  de  ceux  de  ces  élé- 
ments qui  entrent  dans  la  conslilulion  des  appa- 
reils de  la  vision. 

Arrivons  maintenant  à  la  seconde  partie,  à  la 
physiologie  des  organes,  des  appareils,  des  Êtres 
entiers,  à  la  physiologie  spéciale  ;  et,  pour  le  dire 
avant  toutes  clioses,  ce  que  nous  dirons  s'appli- 
quera surtout  à  ce  groupe  des  animaux  vertébrés 
auquel  l'homme  appartient  par  sa  constitution 
anatomique. 

Physiologie  spéciale.  —  On  peut  considérer 
chaque  élément  comme  un  être  distinct,  vivant, 
possédant  des  propriétés  spéciales.  C'est  l'agglo- 
mération de  tous  ces  éléments  qui  constitue  les 
organes,  comme  le  cœur,  l'estomac,  le  cerveau, 
organes  qui  ont  chacun  un  rôle  spécial,  ou,  comme 
on  dit,  une  fonction. 

Parallèlement  à  la  nutrition  de  iclémnit,  nous 
trouverons,  dans  l'étude  des  actes  généraux  de 
l'être  vivant,  la  jmtrition  de  cel  être  ;  parallèle- 
ment à  leur  propriété  de  reproduction,  id.  faculté 
yénératrice  ;  parallèlement  à  leur  coniraclilité, 
son  mouvement  ;  à  leurs  propriétés  nerveuses,  sa 
sensibilité,  sa  volonté,  ses  instincts  et  son  inltlti- 
ijence. 

Les  éléments,  avons-nous  dit,  se  nourrissent 
aux  dépens  d'un  milieu  intérieur,  du  sa>iij.  Ce 
sang  oscille  et  circule  dans  des  canaux,  et  chez 
nous,  son  mouvement  est  déterminé  par  Ib  jeu 
d'une  double  pompe  foulante  qu'on  appelle  le 
cœur.  C'est  là  la  fonction  de  la  circulation. 

Mais  le  sang  s'épuise  lui-même  à  fournir  ainsi  la 
nourriture  à  chaque  élément.  Aussi,  pour  le  réparer, 
une  série  d'organes  entrent  en  action,  qui  préparent 
des  matériaux  aptes  à  la  réparation  du  sang. 
C'est  là  la  digestion.  \ous  avons  vu  qu'il  y  a  dans 
le  corps  vivant  quatre  sortes  principales  de  maté- 
riaux :  des  sels  métalliques,  des  matières  fécu- 
lentes et  sucrées,  des  matières  grasses,  des  ma- 
tières^albuminoîdes;  les  aliments  devront  évidem- 
ment contenir  ces  quatre  ordres  de  matériaux. 

Le  mouvement  incessant  de  nutrition  qui  cons- 
titue la  vie  a  pour  cause  et  pour  résuliat  des 
modifications  chimiques  qui  ne  peuvent  s'opérer 
que  sous  l'influence  de  l'air.  Sans  l'air  ou  plutôt 
sans  l'oxygène  qu'il  contient,  la  vie  serait  impos- 
sible. Le  sang  doit  donc  apporter  de  l'air  aux 
éléments,  pour  les  déterminer  à  se  nourrir. 
Aussi  va-t-il  en  chercher  aux  poumons,  et,  se  char- 
geant ainsi  de  cet  élément  gazeux,  il  opère  la 
respiration. 

Enfin  les  matériaux  devenus  impropres  à  la  vie 
de  l'élément  sont,  comme  nous  l'avons  vu,  rejetés, 
excrétés  par  lui.  ils  tombent  dans  le  sang;  mais 
celui-ci  ne  pourrait,  sans  danger,  les  conserver; 
il  les  rejette  à  son  tour  au  dehors,  à  l'aide  d'or- 
ganes nommés  glv7>des,  qui  les  séparent  et  les 
excrètent.   Les  matières  albumineuses  s'en  vont 


par  les  reins,  sous  forme  A' urée;  les  matières 
grasses  parle  foie,  dans  la  bile;  les  matières  fé- 
culentes et  sucrées  par  le  poumon,  sous  forme  de 
gaz  acide  carbonique. 

Telle  est  à  grands  traits  l'histoire  de  la  nutri- 
tion. Elle  estj  on  le  voit,  la  même  au  fond  pour 
l'être  tout  entier  que  pour  chaque  élément;  c'est 
un  circulus,  un  budget  réglé,  où  la  recette  doit 
équilibrer  la  dépense,  et,  là  comme  ailleurs,  plus 
on  dépense,  plus  il  faut  recevoir,  à  peine  de  mou- 
rir de  misère,  de  faim. 

Ajoutons  que  toutes  ces  modifications  chimiques 
donnent  naissance  à  de  la  chaleur,  d'où  résulte  la 
culorification. 

Je  me  contente  de  cette  esquisse  à  larges  traits, 
ne  pouvant  ici  entrer  dans  le  détail  des  fonctions, 
et  je  me  hâie  d'arriver  à  ce  qu'il  y  a  de  plus  inté- 
ressant, et  si  l'on  peut  dire,  de  plus  vivant  chez 
l'animal,  aux  fonctions  de  ses  organes  nerveux,  à 
sa  sensibilité,  à  ses  excitations  motrices. 

Reprenons  une  comparaison  dont  nous  nous 
sommes  déjà  servi  :  les  éléments  sont  les  citoyens 
du  corps,  de  la  république  organisée,  vivante.  Ces 
citoyens  ont  des  propriétés,  des  droits  ;  des  pro- 
priétés qui  leur  sont  communes  à  tous,  et  certai- 
nes qui  sont  spéciales  à  quelques-uns  d'entre  eux. 
Ils  ne  vivent  pas  isolés,  mais  réunis  les  uns  aux 
autres  en  sociétés.  Tantôt  ces  sociétés  ne  compren- 
nent que  des  citoyens  tous  semblables;  ce  sont 
des  corporations,  des  systèmes,  comme  le  système 
musculaire,  le  système  nerveux.  Tantôt  elles  com- 
prennent des  citoyens  différents  les  uns  des  autres, 
et  concouranttous  à  un  but,  à  une  œuvre  détermi- 
née ;  tels  sont  les  orgnnes,  comparables  aux  villes. 

Enfin,  le  sang,  comparable  aux  ressources  de 
l'agriculture  et  de  l'industrie,  nourrit  les  éléments 
comme  celles-ci  nourrissent  les  citoyens;  et  il  cir- 
cule dans  ses  canaux,  sous  la  force  impulsive  du 
cœur,  comme  elles  circulent  sur  les  grandes  rou- 
tes, poussées  par  le  commerce. 

Ainsi  sont  établies  les  conditions  de  la  vie  pour 
les  organes  comme  pour  les  sociétés. 

Mais  ce  n'est  pas  tout;  ces  sociétés  organiques 
ne  sont  pas  isolées  les  unes  dos  autres  ;  elles  ne 
concentrent  pas  leur  activité  en  elles-mêmes,  elles 
la  manifestent  au-dessus.  De  plus,  elles  obéissent 
(lux  lois  de  l'Etat  dont  elles  font  partie  ;  elles  sont 
dirigées,  surveillées,  protégées  par  un  gouverne- 
ment. Ce  gouvernement,  c'est  le  système  nerveux. 

Elles  ne  pourraient,  sans  lui,  constituer  un  tout 
harmonique  ;  sans  elles  il  ne  pourrait  exister.  Ce 
sont  elles,  ce  sont  les  citoyens,  les  éléments  qui 
le  nourrissent.  Chacun  d'eux,  agissant  dans  sa 
sphère,  prépare  des  matériaux  que  le  sang  em- 
porte, et  avec  lesquels  il  nourrit  le  système  ner- 
veux. S'ils  cess;iient  tous  de  travailler,  le  gouver- 
nement mourrait  bientôt  d'inanition,  et  eux  aussi. 
C'est  ce  qui  arrive  à  la  fin,  quand  l'organisme  vi- 
vant meurt. 

Qu'on  me  permette  de  poursuivre  jusqu'au  bout 
cette  comparaison  ;  elle  nous  servira  à  éclairer 
bien  des  points  obscurs,  à  exposition  difficile. 

Il  y  a  des  gouvernements  locaux,  agissant  dans 
une  circonscription  déterminée.  On  les  appelle, 
dans  l'organisme,  ijanqlions,  moelle  épinière.  Ils 
sont  en  rapport  avec  les  villes  et  les  citoyens,  les 
organes  et  les  éléments,  par  des  fils  télégraphi- 
ques, des  nerfs,  qui  les  avertissent  de  ce  qui  se 
passe  et  qui  transmettent  leurs  ordres.  Pour  toutes 
les  questions  dont  l'intérêt  ne  dépasse  pas  les  bor- 
nes do  leur  circonscription,  ils  jugent  en  dernier 
ressort.  Pour  les  autres,  ils  entrent  en  communi- 
cation les  uns  avec  les  autres,  se  consultent,  agis- 
sent en  commun.  Pour  les  plus  grandes,  enfin, 
celles  dont  l'intérêt  einbrasse  le  pays  tout  entier, 
ils  ont  recours  au  gouvernement  central.  Celui-ci 
réside  dans  la  tête  ;  c'est  une  partie  de  ce  qu'on 
appelle  Vencéphale, 


PHYSIOLOGIE 


—  1595  — 


PHYSIOLOGIE 


Là  sont  les  ministères,  les  organes  centralisa- 
teurs, régulateurs,  qui  envoient  les  ordres  à  l'em- 
pire tout  entier,  à  toute  la  macliine  vivante;  nous 
verrons  tout  à  l'heure  quels  ils  sont. 

Au-dessus  d'eux  plane  la  volonté,  l'intelligence, 
le  chef  de  l'Etat.  Quand  il  commande,  tout  obéit. 
C'est  lui  surtout  qui  veille  aux  relations  extérieu- 
res. S'il  est  intelligent,  énergique,  s'il  utilise  bien 
les  forces  du  puye,  le  pays  est  glorieux;  et  de 
môme  si  l'intelligence  emploie  heureusement  les 
forces  vives  de  l'organisme,  non  seulement  l'être 
vivant  exécute  ses  fonctions,  mais  il  est  applaudi 
dans  ses  actes. 

Mais  il  n'a  pas  besoin  de  s'occuper  du  détail  des 
questions  intérieures.  Que  deviendrait  un  chef 
d'Etat  s'il  lui  fallait  s'occuper  de  la  charrue  de 
chaque  citoyen  ?  Que  deviendrait  l'inlelligcnce 
s'il  lui  fallait  s'occuper  de  la  digestion,  de  la  nu- 
trition, de  l'excrétion,  etc.'?  Tout  cela  se  fait  sans 
elle.  Les  ministères,  les  gouvernements  locaux 
s'en  chargent;  le  mécanisme,  l'automate  est  si 
bien  monté  que  ces  détails  de  pot-au-feu  s'exé- 
cutent sans  qu'elle  s'en  occupe  et  lui  laissent 
sa  liberié.  Ce  chef  de  l'Etal  réside  dans  la  tête, 
dans  un  organe  spécial,  le  cerveau  proprement 
dit. 

A  ses  ordres  ou  à  ceux  de  ses  ministres,  tout 
obéit,  avons-nous  dit.  Les  lois  commandent  au 
commerce  :  c'est  le  système  nerveux,  en  effet,  qui 
règle  les  battements  du  cœur,  les  accélère  ou  les 
arrête  ;  c'est  lui  qui  dilate  les  vaisseaux  où  circule 
le  sang,  ou  qui  les  rétrécit.  C'est  lui  qui  anime 
les  organes  digestifs,  qui  veille  aux  mouvemejits 
de  la  respiration,  qui  est  l'incitant  des  sécrétions, 
le  régulateur  de  la  chaleur  animale. 

Les  gouvernements  locaux  de  l'organisme  reçoi- 
vent leurs  avis  tous  par  la  môme  voie  :  c'est  le 
toucher  général,  le  toucher  do  la  peau,  qui  les 
avertit.  Mais  le  gouvernement  général  a  d'autres 
ressources  :  il  a,  si  je  puis  ainsi  dire,  une  police 
spéciale,  supérieure,  admirablement  organisée  : 
cette  police,  ce  sont  les  se/is,  la  vue,  l'ouïe,  1  o- 
dorat,  le  goût,  qui  l'avertissent  de  tout  ce  qui  se 
passe  de  près  ou  de  loin,  et  qui  lui  permettent  de 
veiller  au  salut  du  pays  tout  entier: 

J'ai  poussé  bien  loin  cette  comparaison  :  nous 
allons  voir  combien  cela  va  nous  être  utile.  Je  n'ai 
pas  tout  dit,  tant  s'en  faut.  Ainsi,  dans  l'état  ordi- 
naire des  choses,  l'intelligence  ne  sent  pas  les 
mouvements  intimes  de  la  nutrition  ;  mais  qu'un 
phénomène  anormal  se  présente,  la  douleur  l'a- 
vertit, le  chef  de  l'État  s'occupe  de  cette  rébel- 
lion ;  il  commande,  et  tout  s'ébranle  pour  conjurer 
le  mal  ou  pour  l'éloufTer  et  rejeter  la  partie  ma- 
lade, le  citoyen  rebelle. 

Et  maintenant,  quittons  le  langage  figuré  et 
faisons  de  la  physiologie  pure. 

Les  centres  nerveux  principaux  de  l'homme,  les 
seuls  dont  nous  nous  occuperons  ici.  sont  consti- 
tués par  une  moelle  épinière  que  protège  la  co- 
lonnei!erlé//rale,etqmpénblTeeniieTenllnrn{mne/le 
allongée)  dans  le  crclne.  Là,  deux  organes  princi- 
paux se  trouvent  surajoutés  à  son  épanouissement 
général,  le  cervelet  e\,  le  cerveau. 

Les  nerfs  qui  viennent  de  toutes  les  parties  du 
corps  se  rendent  à  la  moelle  et  y  pénètrent  par 
deux  racines  :  la  postérieure  (supérieure  chez  le 
quadrupède),  munie  d'un  ganglion,  est  exclusive- 
nient  sensible  ;  l'antérieure,  exclusivement  motrice. 
Si  l'on  pince  la  première  sur  l'animal  vivant,  il 
s'agite  et  donne  des  signes  de  douleur;  si  l'on 
pince  l'autre  au  contraire,  il  n'y  a  aucune  mani- 
festation de  sensibilité,  mais  bien  des  contractions 
dans  les  muscles  où  se  rend  le  nerf. 

Cette  moelle  est  composée  de  deux  parties  : 
I  une,  centrale,  grise,  contient  beaucoup  de  cellules 
nerveuses;  l'autre,  enveloppante,  blanche,  est 
«xclusivement  constituée  par  des  tubes  en  conti- 


nuation   d'une  part   avec  les  nerfs,  d'autre  part 
avec  les  cellules. 

La  moelle  est  un  centre,  un  gouvernement  local, 
ou  plutùt  une  série  de  gouvernements  locaux. 
Séparons  un  fragment  de  la  moelle,  en  coupant 
une  grenouille  par  le  milieu  du  corps;  si  alors 
nous  excitons  un  nerf  sensible  de  la  purtie  pos- 
térieure, si  nous  pinçons  une  patte,  nous  voyons 
cette  patte  se  remuer;  il  y  a  donc  eu  dans  la 
moelle  réflexion  de  l'incitant  sensitif  et  transfor- 
mation en  incitant  moteur.  Ces  mouvements  sont 
nommés  mouvements  réflexes  :  ils  sont  purement 
automatiques  ;  ce  sont  eux  que  nous  comparions 
tout  à  l'heure  aux  actions  des  gouvernements 
locaux.  Un  exemple  familier  de  cette  sorte  de  mou- 
vements est  le  mouvement  de  déglutition,  complè- 
tement involontaire  quand  l'aliment  a  dépassé  l'ar- 
rière-gorgo. 

Les  cellules  nerveuses,  les  tubes  nerveux,  sont 
en  commuiiication  les  uns  avec  les  autres,  d'un 
bout  de  la  moelle  à  l'autre;  aussi  les  impressions 
reçues  par  la  moelle  se  généralisent.  Voici  une 
grenouille,  à  laquelle  la  tête  seulement  est  coupée  ; 
si  nous  pinçons  une  patte,  elle  agite  toutes  les 
autres. 

Il  est  un  point  de  la  moelle  fort  curieux  à  étu- 
dier :  c'est  dans  la  moelle  allongée,  vers  l'en- 
droit où  elle  entre  dans  le  crâne.  De  là  partent 
les  incitations  qui  déterminent  les  mouvements 
respiratoires  ;  si  on  blesse  ce  point,  ces  mouve- 
ments cessent  tout  à  fait.  C'est  là  que  les  torréa- 
dors  frappent  les  taureaux  :  c'est  le  nœud  vital  de 
M.  Flonrens. 

A  côté  se  trouvent  les  origines  des  nerfs  jmeu- 
mo-i/'istrigues,  qui,  entre  autres  destinations,  se 
rendent  au  foie.  Or,  si  l'on  pique  cette  origine,  il 
apparaît  du  sucre  dans  l'urine,  l'animal  devient 
diabétique.  Ce  résultat  extraordinaire,  constaté 
par  Cl.  Bernard,  est  en  rapport  avec  la  fonction 
du  foie,  par  lui  découverte,  de  former  du  sucre. 
Dans  l'état  ordinaire  ce  sucre  se  détruit  dans 
l'organisme  au  fur  et  à  mesure  de  sa  formation. 
Quand  celle-ci  s'exagère,  il  apparaît  dans  l'urine. 

Le  cervelet  est  l'organe  coordinateur  des  naou- 
vements.  Si  on  le  blesse,  si  on  l'enlève,  l'animal 
devient  incapable  d'exercer  harmoniquement  les 
mouvements  de  la  marche,  du  vol,  etc.  Il  tourne, 
recule,  avance,  culbute,  mais  ne  peut  conserver  ni 
son  équilibre  statique,  ni  son  équilibre  dynamique. 

Lu  cerveau  n'a  aucune  part  à  ces  mouvements, 
ou  plutôt  ils  peuvent  s'exécuter,  et  harmonieuse- 
ment, sans  lui.  Si  on  l'enlève,  l'animal  peut  comme 
auparavant  marcher,  voler,  nager  ;  son  cœur  con- 
tinue abattre,  son  intestin  à  digérer.  11^  vit,  mais 
il  est  réduit  au  rôle  d'automate  ;  il  n'a  plus  ni 
intelligence  ni  instinct.  Il  n'a  plus  de  volonté. 
C'est  donc  dans  le  cerveau  que  résident  ces  fa- 
cultés sublimes  qui  constituent  l'individualité; 
c'est  là  qu'est  le  moi  :  mémoire,  imagination,  ju- 
gement, habitent  le  cerveau. 

Et  non  pas  tel  ou  tel  point  du  cerveau;  il  ne 
paraît  pas  y  avoir  localisation  cérébrale,  et  ces 
facultés  semblent  se  présenter  partout  où  apparaît 
la  cellule  nerveuse  cérébrale.  M.  Vulpian  ayant 
enlevé  le  cerveau  d'une  grenouille  s'aperçut 
qu'elle  avait  conservé  une  partie  de  son  intelli- 
gence ;  elle  cherchait  et  attrapait  des  mouches. 
Or,  l'autopsie  lui  montra  qu'il  avait  involontaire- 
mont  laissé  intacte  la  région  postérieure  du  cer- 
veau. 

La  phrénologie  do  Gall  n'est  qu'une  suite  d'er- 
reurs que  rien  ne  justifie.  Le  développement  de 
telle  ou  telle  partie  du  cerveau  n'est  aucunement 
en  rapport  avec  telle  ou  telle  faculté,  et  récipro- 
quement la  destruction  de  telle  ou  telle  partit! 
par  une  maladie  quelconque  n'entraîne  pas  la 
disparition  d'une  faculté  qui  lui  correspondrait. 
On  a  bien  constaté  des  rapports  constants  entre 


PHYSIOLOGIE 


—  1596 


PHYSIQUE 


Vincitation  de  telle  ou  telle  circonvolution  céré- 
brale et  les  mouvements  des  membres.  Mais  ce 
n'est  pas  là  de  la  localisation  à  la  façon  dont  l'en- 
tendent les  phrénologues.  La  découverte  de  Broca, 
qui  a  montré  que  la  destruction  d'une  partie  très 
limitée  du  lobe  antérieur  gauche  du  cerveau  sup- 
prime la  faculté  de  parler,  est  bien  plus  intéressante. 

La  puissance  intellectuelle  est-elle  en  rapport 
avec  le  volume  du  cerveau  ?  D'une  manière  géné- 
rale, les  animaux  les  plus  intelligents  ont  le  cer- 
veau le  plus  volumineux.  Il  en  est  de  même  si  l'on 
compare  entre  elles  les  races  humaines.  Il  en  est 
encore  de  même  dans  notre  race  quand  on  compare 
en  moyenne  un  certain  nombre  d'hommes  intelli- 
gents el  un  certain  nombre  d'hommes  au-dessous 
du  médiocre.  Nombre  de  grands  hommes  ont  eu 
un  énorme  cerveau  :  celui  de  Cuvicr  pesait 
1840gr.;  d'autrn  part,  au-dessous  de  1000  grammes, 
un  cerveau  appartient  toujours  à  un  idiot.  Mais  il 
ne  faudrait  pas  croire  qu'on  peut  juger  de  l'intel- 
ligence par  la  balance  et  le  ruban  métrique.  Sans 
parler  des  objections  et  des  difficultés  purement 
philosophiques,  il  faudrait,  cela  est  évident,  ne 
tenir  compte  dans  la  comparaison  que  des  parties 
vraiment  actives  du  cerveau,  à  savoir  des  cellules 
et  des  tubes  qui  les  relient,  non  de  la  gangue  qui 
les  unit.  Or,  c'est  ce  qu'il  est  aujourd'hui  impos- 
sible de  faire. 

Les  instincts  et  l'intelligence  sont  donc  des 
fonctions  du  cerveau,  et  leur  exercice  est  entière- 
ment lié  à  son  intégrité. 

Qu'est-ce  que  V instinct?  C'est  une  faculté  en 
vertu  de  laquelle  l'animal  exécute  un  acte  qu'il 
n'a  pas  appris  et  dont  souvent  il  no  connaît  pas 
l'importance.  Ainsi  les  femelles  de  beaucoup  d'in- 
sectes prennent  pour  enfouir  leurs  œufs  des  pré- 
cautions de  l'utilité  desquelles  elles  ne  peuvent 
se  rendre  compte,  car  elles  sont  nées  avec  le  prin- 
temps et  ne  passeront  pas  l'hiver.  Ces  actes 
sont  souvent  merveilleux  de  complexité  :  il  suffit 
de  mentionner  les  fourmis  et  les  abeilles.  Mais 
ces  actes  sont  reproduits  par  tous  les  animaux  de  la 
même  espèce,  fatalement,  d'une  manière  toujours 
identique,  sans  perfectionnement,  parce  qu'ils  sont 
exécutés  sans  calcul.  Si,  en  effet,  c'était  par  cal- 
cul que  l'abeille  mesure  la  forme  de  ses  cellules, 
il  y  a  longtemps  qu'elle  aurait  inventé  la  géométrie. 

h'intelligeme,  au  contraire,  a  conscience  de  ses 
actes,  les  mesure,  les  varie,  les  perfectionne  ;  elle 
observe,  pèse,  juge,  choisit,  se  souvient,  imagine. 

Exemple  :  les  araignées  de  même  espèce  tissent 
toutes  une  toile  construite  sur  le  même  plan  : 
instinct;  mais  chacune  d'elles  choisit  le  lieu  et 
varie  les  circonstances  secondaires,  la  pose  des 
premiers  fils  :  inlelligence. 

Les  animaux  ne  sont  pas  des  machines,  comme 
le  disait  Descartes;  ils  ont,  avec  les  facultés  ins- 
tinctives, les  facultés  affectives,  les  facultés  intel- 
lectuelles. Mais,  chez  eux,  l'intelligence  est  pres- 
que exclusivement  au  service  de  l'instinct;  chez 
l'homme,  au  contraire,  l'intelligence  commando  à 
l'instinct,  et  la  domine  tellement  qu'elle  l'annihile 
presque. 

L'intelligence  des  animaux,  à  peiue  libre,  reste 
stationnaire,  presque  incapable  de  perfectionne- 
ment. Le  perfectionnement  de  l'animal  est  propre 
à  l'individu,  mais  ne  se  transmet  pas  h  l'espèce, 
hormis  certains  perfectionnements  instinctifs. 

L'intelligence  animale  conlient  bien  en  germe, 
en  rudiment,  toutes  les  facultés  de  l'intelligence 
humaine,  mais  quelle  différence  dans  le  degré  de 
développement! 

L'homme  seul,  observant  les  faits  naturels,  en 
cherche  et  trouve  les  lois.  Seul  il  a  l'idée  du  pro- 
grès et  se  perfectionne  indéfiniment  dans  la  triple 
voie  du  vrai,  du  beau,  du  bien  ;  seul,  il  a  le  senti- 
ment du  bien  et  du  mal  moral.  Seul  il  a  la  faculté 
d'abstraction  assez  développée  pour  attacher  à  sa 


pensée  des  signes  particuliers  qui  constituent  un 
langage.  Seul  il  s'imagine  qu'il  peut  y  avoir  en  lui 
quelque  chose  d'immortel,  et  s'élève  dans  la  série 
des    causes  jusqu'à  l'idée   d'une  cause  première. 

Cette  rapiiîe  esquisse  des  fonctions  cérébrales 
termine  la  physiologie  de  l'individu.  La  physiolo- 
gie de  l'espèce  reste  à  faire  tout  entière  :  la  gé- 
nération, l'hérédité,  la  transformation  des  espèces 
sont  de  son  domaine. 

Nous  avons  étudié  successivement  la  vie  dans 
les  éléments,  dans  les  organes,  dans  l'organe  cé- 
rébral, dans  l'individu.  La  mort  doit  être  de  même 
envisagée  dans  l'individu,  dans  les  organes,  dans 
les  éléments.  Si  l'on  enlève  le  cerveau,  l'individu 
est  mort;  les  organes  vivent  encore,  mais  la  des- 
truction d'un  élément  important  (musculaire,  ner- 
veux) tue  l'organisme  entier,  et  c'est  ainsi  que  la 
physiologie  comparée  enseigne  à  considérer  la  mort. 

La  mort  est  la  condition  de  la  vie  ;  tout  être  vi- 
vant ne  vit  qu'à  la  condition  qu'un  autre  être  vi- 
vant meure  ;  d'où  la  nécessité  de  la  reproduction. 
La  vie  a  commencé  sur  notre  terre,  probablement 
donc  elle  finira.  Mais  quand,  comment?  Questions 
aussi  insolubles  que  celle  de  savoir  comment  elle  a 
apparu.  A  la  fin  comme  au  début  de  cette  rapide 
étude,  nous  retrouvons  cette  grande  vérité  que 
l'homme  de  science  ne  doit  s'occuper  ni  des  ori- 
gines, ni  des  destinées.  [Paul  Bert.] 

On  trouvera  à  l'article  Zoologiele  détail  du  pro- 
gramme des  leçons  de  physiologie,  et  l'indication 
des  articles  spéciaux  auxquels  il  renvoie.  L'article 
Végétal  contient  en  outre  des  notions  générales 
de  physiologie  végétale. 

PHYSIQUE.  —  La  physique  était  autrefois  la 
science  de  la  nature,  c'est-à-dire  de  ce  grand 
nombre  d'objets  divers  que  l'homme  reconnaît  au- 
tour de  lui  par  l'intermédiaire  des  sens.  Son  do- 
maine allait  s'étendant  à  mesure  que  les  obser- 
vations se  multipliaient;  il  a  fallu  le  diviser  en 
plusieurs  branches  formant  chacune  une  science 
distincte,  mais  rattachées  les  unes  aux  autres  par 
des  points  nombreux  et  s'empruntant  des  vérités 
nécessaires  à  leur  développement.  On  en  a  séparé 
l'astronomie  qui  étudie  les  mouvements  des  corps 
célestes,  l'histoire  nalurel/e,  qui  s'occupe  tout  spé- 
cialement des  êtres  organisés,  animaux  et  végé- 
taux. Il  restait  encore  à  étudier  les  caractères  na- 
turels des  corps,  c'est-à-dire  leurs  propriétés,  les 
forces  qui  agissent  sur  eux,  les  phénomènes  ou 
les  changements  de  toute  nature  qui  s'y  produisent 
par  leur  action  réciproque  et  ceux  qu'y  font  naître 
ces  causes  encore  inconnues  dans  leur  nature  in- 
time, la  chaleur,  l'électricité,  la  lumière,  que  nous 
appelons  des  agents  physiques  et  dont  les  effets 
frappent  tout  observateur  attentif.  On  a  réservé  à 
la  chimie  les  propriétés  particulières  à  chaque 
espèce  de  corps  et  les  changements  qui  en  altèrent 
la  nature.  Il  reste  à  la  physique  l'étude  des  pro- 
priétés généralei  de  la  mntière  et  des  phénomènes 
qui  n'y  apportent  pas  de  chnugemenls  permanents. 

La  physique  appelle  à  son  aide  l'observation  et 
l'expérience  ;  l'observation,  c'est-à-dire  l'étude 
attentive  des  objets  qui  se  trouvent  sous  nos  yeux, 
l'examen  scrupuleux  des  faits  dont  nous  sommes 
témoins  dans  la  nature  et  qui  se  produisent  sans 
notre  participation;  l'expérience,  qui  consiste,  au 
contraire,  à  faire  naître  nous-mêmes,  quand  nous 
le  voulons,  quand  nous  en  avons  le  loisir,  les  phé- 
nomènes que  nous  désirons  étudier.  Lorsqu'on 
hiver,  par  un  froid  rigoureux,  on  suit  attentive- 
ment la  formation  de  la  glace  dans  un  bassin,  on 
fait  une  observation;  quand,  au  contraire,  on  dé- 
termine, en  été,  la  congélation  de  l'eau,  par  un 
mélange  réfrigérant  ou  par  le  vide,  on  fait  une 
expérience. 

Ainsi,  constater  les  phénomènes,  décrire  avec 
soin  les  circonstances  qui  les  accompagnent  et  les 
1  conditions   nécessaires  à  leur  apparition,  puis  rc- 


PHYSIQUE 


1397  — 


PHYSIQUE 


clierclier  la  relation,  la  loi  qui  les  unit,  remonter 
à  la  cause  qui  les  produit,  tel  est  le  double  rôle 
de  la  physique. 

Il  n'est  pas  toujours  possible  de  rattacher  un 
fait  à  d'autres  faits  connus  par  l'expérience,  à  des 
propriétés  dont  l'existence  matérielle  est  incontes- 
table. Alors,  le  physicien  supplée  à,  l'explication 
vraie  qu'il  ne  trouve  pas,  par  une  hypothèse  qui  rend 
compte  avec  vraisemblance  des  phénomènes  ilans 
tous  leurs  détails,  dans  tontes  leurs  particularités. 
Les  hypothèses  servent  encore  la  science,  bien 
qu'elles  se  modifient  parfois  avec  les  progrès; 
elles  permettent  d'établir  une  sorte  d'unité  dans 
la  multiplicité  des  phénomènes  naturels;  et  elles 
ont  l'avantage  de  susciter  des  contradicteurs  dont 
les  recherches  agrandissent  le  champ  de  nos  con- 
naissances et  nous  dotent  d'appareils  nouveaux  : 
l'admirable  découverte  de  la  pile,  i  laquelle  Volta 
a  été  conduit  en  cherchant  à  renverser  les  opinions 
que  Galvani  s'efforçait  de  faire  prévaloir,  en  est 
un  des  plus  mémorables  exemples. 

Histoi  ique.  —  La  science  de  la  nature  tenait  bien 
peu  de  place  dans  l'ensemble  des  connaissances  que 
possédaient  les  anciens.  Qu'on  lise  ce  qui  a  rapport 
à  la  physique  et  à  l'histoire  naturelle  dans  les  écrits 
d'Aristote,  de  Lucrèce,  de  Pline  et  de  Sénôque,  et 
on  constatera  que  tout  se  réduit  à  l'indication  le 
plus  souvent  incomplète  ou  inexacte  des  phéno- 
mènes qui  se  produisent  habituellement  dans  l'at- 
mosphère ou  dans  le  sol,  et  à  des  tentatives  d'ex- 
plications sans  valeur. 

Les  faits,  à  de  rares  exceptions  près,  étaient 
mal  obseï  vés,  quelquefois  même  on  les  dénaturait 
à  plaisir  pour  qu'ils  pussent  servir  de  base  ou 
de  démonstration  à  telle  ou  telle  théorie  plus  ou 
moins  singulière  sur  la  constitution  de  la  matière 
et  des  corps. 

Ce  qui  a  manqué  aux  philosophes  anciens  pour 
arrivera  pénétrer  les  secrets  de  la  nature  physique, 
c'est  la  connaissance  de  l'instrument  essentiel, 
indispensable  de  toute  recherche  scientifique,  de 
cet  instrument  qu'ont  utilisé  avec  tant  de  succès 
les  modernes  :  la  méthode  expérimentale.  Ils 
observaient  tant  bien  que  mal,  mais  ils  n'expéri- 
mentaient pas;  ils  voulaient  plier  la  nature  aux 
exigences  de  conceptions  purement  idéales,  au  lieu 
de  tendre  par  de  patients  efforts  à  découvrir  les 
lois,  lois  immuables,  qui  régissent  le  monde  ma- 
tériel. Ils  aimaient  mieux  tout  rapporter  à  des 
causes  occultes  que  d'établir  par  des  séries  de 
bonnes  observations,  par  des  expériences  bien  con-' 
duites,  la  dépendance  mutuelle  des  phénomènes, 
leurs  relations  avec  les  agents  physiques. 

Le  moyen  âge  n'a  pas  été  plus  heureux.  Ce  ne 
«ont  pas  pourtant  les  expériences  de  laboratoire 
qui  cette  fois  ont  fait  défaut.  Les  alchimistes, 
préoccupés  do  l'idée  de  la  transmutation  des 
métaux,  se  sont  épuisés  en  stériles  efforts  pour 
réaliser  leurs  chimériques  conceptions,  (che- 
min faisant  ils  ont  sans  doute,  de  temps  k  autre, 
opéré  quelque  trouvaille  ;  on  leur  doit  la  prépa- 
ration de  ceriains  composés  d'antimoine  que  la 
médecine  emploie  encore  aujourd'hui  ;  on  leur  doit 
la  découverte  du  phosphore,  que  l'alchimiste  Brandt 
isola  sans  le  vouloir,  en  cherchant  la  pierre  philo- 
sophale.  N'ous  trouverons  encore  un  assez  grand 
nombre  de  préparations  curieuses  dont  les  ans  et 
l'industrie  sont  redevables  aux  alchimistes;  mais 
leurs  découvertes,  en  somme,  ne  peuvcntêtre  attri- 
buées qu'à  des  hasards  heureux.  Les  chercheurs  du 
moyen  âge  cheminaient  en  aveugles  dans  les  sen- 
tiers de  la  science,  aucun  flambeau  n'éclairait  leur 
marche.  Tout  progrès  sérieux  était  impossible  dans 
de  pareilles  conditions. 

C'est  au  commencement  du  xvii'  siècle  (1G'20) 
lue  François  Bacon,  dans  un  ouvrage  demeuré 
célèbre,  le  Novum  oi-ganum,  démontra  la  néces- 
sité de  recourir  toujours  à  l'expérience  pour  l'é- 


tude des  phénomènes  naturels.  Bacon  jeta  le  pre- 
mier dans  ce  livre  la  base  véritable  de  la  méthode 
expérimentale;  et  quoique  ses  travaux  sur  les 
sciences  physiques  n'aient  pas  une  grande  valeur, 
il  ne  faut  pas  moins  le  considérer  comme  le  pro- 
moteur de  cette  doctrine  féconde  à  laquelle  la 
science  moderne  doit  ses  rapides  progrès. 

Après  Bacon  et  pendant  toute  la  durée  du 
xv!!"  siècle,  cette  branche  de  connaissance  humaine 
que  nous  nommons  aujourd'hui  la  p/u/sk/iie,  avec 
les  limites  que  nous  lui  assignons,  n'existait  pas, 
à  vrai  dire,  chaque  savant  travaillant  à  sa  guise, 
en  obéissant  à  ses  goûts  et  à  ses  tendances.  C'était 
un  astronome,  Galilée,  qui,  trenie  ans  avant  la 
publication  du  Novum  oryimum,  s'étaitoccupé  tout 
spécialement  de  la  pesanteur  et  de  ses  lois  et  avait 
formulé  notamment  les  lois  du  pendule.  C'était 
un  philosophe.  Descartes  qui,  en  1637,  faisait 
paraître  sa  Dioptrique,  qui  est  devenue  l'un  des 
chapitres  les  plus  intéressants  de  la  physique  mo- 
derne. En  lUiS,  Pascal,  à  la  fois  philosophe,  lit- 
térateur et  mathématicien,  posait  les  bases  do 
l'hydrostatique  dans  son  livre  sur  VÈquitibre  dei 
liqueurs.  Newton  (1704)  publiait  son  Traité  d'Ofi- 
tique,  œuvre  étonnante  pour  l'époque  et  qui,  à  elle 
seule,  eût  suffi  pour  illustrer  son  auteur. 

Pendant  le  xviii'  siècle,  les  découvertes  des 
hommes  de  science  portèrent  surtout  sur  l'élec- 
tricité; les  mémoires,  les  opuscules  sur  cette 
branche  nouvelle  de  la  science  se  multiplièrent 
d'année  en  année;  et  c'est  seulement  en  1743 
qu'un  savant  français,  l'abbé  NoUet,  put  réunir  et 
grouper  en  un  traité  spécial,  sous  le  titre  do  Leçons 
de  plii/sique  expérimentale,  les  divers  travaux 
relatifs  à  la  pesanteur,  à  la  chaleur,  à  l'électricité 
et  à  la  lumière.  Le  domaine  de  la  physique  était 
dès  lors  délimité.  Quant  à  la  chimie,  la  chimie 
véritable,  elle  n'exisiait  pas  encore  à  l'état  de 
science  distincte. 

Il  faut  arriver  ensuite  à  l'année  1816  pour  trou- 
ver un  livre  de  physique  véritablement  complet; 
c'est  celui  de  Biot,  qui  porte  ce  titre  :  Traité  de 
plii/sique  expérimentale  et  théorique.  Cet  ouvrage 
a  rendu  à  la  science  de  très  grands  services.  Ré- 
digé avec  clarté  et  méthode,  il  a  signalé  aux  physi- 
ciens du  commencement  du  siècle  les  lacunes 
qu'il  fallait  se  hâter  de  combler,  et  indiqué  la 
meilleure  voie  i  suivre  pour  enrichir  la  physique 
de  nouvelles  découvertes. 

En  tout  cas,  dès  cette  époque  la  physique  était 
nettement  séparée  des  sciences  voisines,  la  méca- 
nique, la  chimie,  l'histoire  naturelle.  Mais,  il  faut 
bien  le  reconnaître,  ces  distinctions,  ces  sépara- 
tions, ces  classifications  que  nous  sommes  obligés 
d'introduire  dans  les  objets  de  notre  étude,  n'ont 
rien  d'absolu.  Nous  avons  beau  faire,  la  nature  nous 
déborde,  elle  s'impose  à.  nous  avec  la  complexité 
de  ses  manifestations;  la  physique  et  les  sciences 
voisines  ont  toujours  eu  des  points  de  contact 
nécessaires,  et  leur  nombre  ne  fait  que  s'accroî- 
tre tous  les  jours.  Le  courant  électrique  est  un 
agent  puissant  de  décomposition  chimique,  que 
nous  utilisons  sur  une  grande  échelle  pour  la 
galvanoplastie  et  la  dorure  ;  où  placera-t-on 
l'électro-chimie  :  en  chimie  ou  en  physique  '? 
D'autre  part,  la  thermo-chimie,  dont  un  savant 
français,  M.  Berthelot,  a  récemment  posé  les  bases 
d'une  façon  si  majestueuse,  doit-elle  former  un 
chapitre  de  la  physique  ou  bien  une  annexe  do 
la  chimie'?  La  force  vitale,  que  devint-elle  après 
les  découvertes  de  Claude  Bernard?  Notre  manière 
de  classer  les  phénomènes  est  évidemment  tout  à 
fait  artificielle.  Il  y  a  mieux  :  les  agents  physi- 
ques eux-mêmes,  pesanteur,  chaleur,  électricité, 
lumière,  représentent-ils  des  forces  absolu  ment  dis- 
tinctes, comme  les  physiciefis  du  dernier  siècle  et 
du  ccnnmencenient  de  celui-ci  se  sont  acharnés  i 
le    démontrer  '?  Non,    il   faut  encore  revenir  de 


PHYSIQUE 


—  1598  — 


PHYSIQUE 


cette  idée.  La  science  actuelle  emprunte  le  se- 
cours ;\  la  fois  de  l'expérience  et  du  calcul  pour 
montrer  partout  l'unité.  La  force  se  transforme, 
elle  no  s'augmente  jamais.  Ses  manifestations 
sont  diverses,  mais  elle  reparaît  le  cas  éclicant 
avec  son  énergie  première.  Avec  do  la  chaleur 
nous  produisons  du  travail  mécanique,  de  l'élec- 
tricité, de  la  lumière,  suivant  les  cas  ;  le  travail 
mécanique  à  son  tour  peut  être  transformé  en 
chaleur,  en  électricité,  etc.,  et  l'énergie  se  trouve 
toujours  intacte.  Ce  ([ui  s'applique  au  monde  des 
minéraux  est  tout  aussi  vrai  pour  les  êtres  vivants, 
pour  les  végétaux  et  les  animaux  dont  les  phy- 
siologistes se  chargent  d'étudier  les  fonctions. 
Il  n'est  pas  jusqu'aux  mondes  planétaires  pour 
lesquels  cette  unité  de  plan  et  de  composition  ne 
se  trouve  parfaitement  établie. 

Les  conséquences  de  ce  qui  précède,  c'est  qu'il 
n'est  plus  possible  de  délimiter  avec  précision  le 
champ  do  la  physique  ;  elle  pénètre,  quoi  qu'on 
fasse,  dans  le  domaine  des  autres  sciences.  Ces 
distinctions  pendant  longtemps  admises  des  phé- 
nomènes physiques,  chimiques  et  vitaux  n'ont 
rien  de  réel  ;  elles  tendent  à  s'effacer  de  plus  en 
plus.  On  les  conservera  néanmoins  pour  rendre 
possible  le  travail  d'analyse  de  l'esprit  humain  à 
la  recherche  de  la  vérité  scientifique. 

Méthodes  d'enseiynement.  —L'enseignement  do 
la  physique  peut  être  fait  par  deux  méthodes  : 

On  peut  prendre  pour  base  les  propriétés  de  la 
matière,  considérées  d'une  manière  abstraite, 
grouper  en  formules  algébriques  les  phénomènes 
connus  et  les  lois  auxquelles  ils  sont  soumis,  s]a- 
dresser  à  l'analyse  mathématique  pour  déduire 
les  conséquences  des  lois  élablies  et  prévoir  les 
résultats  nouveaux  ;  c'est  la  méthode  mathémati- 
que, hardie  dans  ses  déductions,  mais  à  la  portée 
seulement  de  ceux  qui  ont  une  culture  scientifique 
suffisante. 

Ou  bien  on  peut  prendre  comme  point  de  dé- 
part la  description  des  phénomènes  saillants  dont 
nous  sommes  tous  les  jours  les  témoins  plus  ou 
moins  inconscients,  et  demander  leur  explication 
à  l'expérience  et  à  l'observation  ;  c'est  la  méthode 
expérimentale,  sans  contredit  la  plus  commode  et 
la  plus  convenable  pour  l'enseignement  élémen- 
taire. Elle  conduit  comme  la  première  à  une  no- 
tion exacte  de  la  nature  ;  l'expérience  y  précède  et 
y  prépare  la  généralisation  et  la  théorie,  au  lieu 
d'en  être  le  complément  et  la  preuve.  Les  princi- 
pes y  sont  rendus  sensibles  plutôt  que  démontrés 
par  des  considérations  théoriques  ;  des  exemples 
numériques  nombreux  et  convenablement  choisis 
remplacent  les  formules  algébriques  trop  abstrai- 
tes et  servent  à  fixer  dans  l'esprit  les  principales 
lois  physiques  ;  la  description  et  les  usages  des 
principaux  appareils  y  occupent  la  première  place. 

On  n'y  présente  pas  d'abord  le  principe  d'Ar- 
chimède  comme  une  conséquence  des  pressions 
des  liquides  ;  on  le  démontre  expérimentalement  ; 
on  l'applique  à  dos  exemples  divers  ;  le  problème 
posé  i  Archimède  par  Hiéron,  ceux  qu'on  em- 
prunte à  la  charge  des  navires  dont  on  connaît  le 
volume  et  le  poids,  M'effort  nécessaire  pour  tirer 
de  l'eau  un  corps  lourd,  permettent  d'établir  la 
théorie  des  corps  flottants  et  les  conditions  d'équi- 
libre lies  corps  plongés. 

La  première  partie  de  la  physique  est  consacrée 
à  l'étude  des  propriétés  générales  de  la  matière 
et  aux  propriétés  particulières  des  solides,  des 
liquides  et  des  gaz. 

la  deuxième  partie  passe  en  revue  les  phéno- 
mènes dépendant  des  agents  physiques,  la  cha- 
leur, l'cleciricité  et  la  lumière. 

Et  dans  chaque  chapitre,  on  groupe  un  choix 
d'applications  graduées,  prises  parmi  les  plus 
usuelles  et  notamment  parmi  celles  qui  peu- 
vent  développer   les   connaissances   météorologi- 


ques, si  importantes  et  encore  si  peu  répandues. 

La  physique,  ainsi  envisagée,  est  accessible  i 
tous;  à  tous  elle  est  utile.  Outre  qu'elle  répond, 
comme  toutes  les  autres  sciences,  au  désir  de 
nous  rendre  compte  de  tout  ce  qui  se  passe  autour 
de  nous,  elle  détruit  des  préjugés  vulgaires  en 
nous  faisant  voir  comme  tout  à  fait  naturels  une 
multitude  de  phénomènes  qui  ont  longtemps  paru 
surprenants  et  dont  les  esprits  ignorants  se  font 
encore  une  terreur  chimérique  ;  de  plus,  elle  est 
d'une  incontestable  nécessité  pour  les  arts  et  l'in- 
dustrie, qui  lui  empruntent  leurs  procédés  et  leurs 
appareils. 

Voici  le  programme  que  nous  avons  suivi  dans  ce 
Dictionnaire  pour  la  distribution  des  articles  de 
physique  : 

PROGRAMME  DE  PHYSIQUE 

PREMIÈRE    SECTION. 

I.  —  Trois  états  des  corps  :  solides,  liquides  et  gaz. 

—  Propriétés  générales  de  la  matière  :  impéné- 
trabilité, compressibilité,  exemples  de  péné- 
trations apparentes,  —  porosité,  —  divisibilité, 
exemples  et  applications.  —  Idée  de  la  constitu- 
tion hypothétique  de  la  matière.  —  Mouvement, 

—  uniforme,  varié.  —  Définition  de  la  vitesse. 

—  Mouvement  rectiligne  et  circulaire.  —  Inertie. 

—  V.  Propi  iétés  des  corps.  Mouvement. 

II. —  Forces  considérées  comme  causes  du  mou- 
vement. —  Leur  comparaison  aux  poids.  — 
Trois  éléments  d'une  force  :  direction,  intensité, 
point  d'application.  —  Force  résultante.  —  Pre- 
mière notion  de  l'équilibre.  —  Forces  parallèles, 

—  application  aux  leviers,  —  différents  genres 
de  leviers  avec  exemple.  —  Notion  simple  du  tra- 
vail. —  V.  Force. 

III.  —  Tous  les  corps  tombent.—  Pesanteur,  —  c'est 
une  force:  direction  {verticale,  fil  à  plomb);  in- 
tensité fpoids)  ;  point  d'application  (centre  de 
gravité).  —  Exemples  de  l'équilibre  des  corps 
pesants  suspendus  ou  reposant  sur  un  plan.  — 
Chute  des  corps  dans  le  vide,  dans  l'air.  —Pen- 
dule, application  à  la  mesure  du  temps,  horloges. 

—  \.  Pesanteur,  Attraction. 

IV.  —  Mesure  des  poids.  —  Balance.  —  Conditions 
de  justesse  et  de  sensibilité.  —  Méthode  des 
doubles  pesées.  —  Romaine.  —  Bascule.  —  V. 
Eijuililjre. 

V.  —  Propriétés  particulières  des  solides.  —  Elasti- 
cité. —  Ténacité,  résistance  à  la  rupture  :  ponts 
suspendus.  —  Dureté  :  modification  par  la 
trempe,  le  recuit.  —  Ductilité  :  fils  fins.  —  Mal- 
léabilité :  feuilles  d'or.  —  V.  Solides  [Propriétés 
des).  E/asticiti'. 

VI.  —  Liquides,  leurs  caractères.  —  Ils  transmettent 
les  pressions;  presse  hydraulique  de  Pascal  et 
ses  applications.  —  Leur  surface  libre  est  hori- 
zontale :  niveau  des  mers.  —  Pressions  exer- 
cées par  l'eau,  en  vertu  de  son  poids,  sur  le  fond 
des  vases,  sur  leurs  parois  latérales.  —  Calcul 
de  ces  pressions.  —  Applications  aux  roues  à 
action  directe  et  à  réaction.  —  Cas  de  plusieurs 
liquides  dans  un  même  vase.  —  Niveau  à  bulle 
d'air.  —  Cas  d'un  liquide  dans  des  vases  com- 
municants :  applications  aux  eaux  naturelles,  aux 
conduites,  au  niveau  d'eau,  aux  jets  d'eau.  — 
V.  Liquide,  Ht/drostatique,  Capillarité. 

VII.  —  Principe  d'Archimède.  —  Sa  démonstration 
expérimentale. —  Corps  plongés,  corps  flottants. 

—  Notions  sur  leur  équilibre.  —  Lest.  —  Ap- 
plications. —  V.  Archimède  [Principe  d'),  Absorp- 
tion, Equilibre. 

VIII.  —Poids  du  décimètre  cube  des  divers  corps. 

—  Notion  de  la  densité.  —  Recherche  de  la  den- 
sité des  solides  et  des  liquides.  —  Principe  des 
méthodes:  1°  par  la  balance,  T  par  le  flacon, 
o°  par  les  aréomètres.  —  Pèse-acide ,  —  Pèse- 


PHYSIQUE 


—  1599  — 


PIERRES 


I 


I 


liqueurs,  —  Alcoomètre  centésimal.  —  Leurs 
graduations.  —  Leurs  emplois.  —  V.  Densité, 
Àréoméire. 

I  \ .  —  Propriétés  des  gaz,  surtout  de  l'air.  —  Prouve 
que  l'air  est  pesant  ;  —  détermination  approxima- 
tive du  poids  d'un  litre.  —  L'atmosphère  presse 
sur  tous  les  corps.  Expérience  de  Torricelli.  — 
Valeur  de  la  pression  atmosphérique  sur  1  cen- 
timètre carré.  —  Baromètre,  sa  construction, 
ses  usages.  —  V.  Gaz,  Air,  Atmosphère,  Baro- 
mètre. 

\.  —  Force  élastique  de  l'air.  —  Ascension  de  l'eau 
dans  les  tubes  dont  l'air  est  aspiré.  —  Loi  de 
Mariette,  démonstration.  —  Mesure  de  la  pres- 
sion  d'un   gaz.  —  Manomètre.  —  V.  Elasticité. 

XL  —  Machine  pneumatique.  —  Sa  description.  — 
Son  emploi.  —  Expériences  du  crève-vessie,  des 
hémisphères  de  Magdebourg.  —  V.  Pneumati- 
que {Miicliinf). 

XII.  —  Appareils  fondés  sur  la  pression  atmosphéri- 
que. —  Pompes  (aspirante,  foulante,  aspirante 
et  foulante.)  ~  Effort  à  y  développer.  — Pompe 
de  compression.  —  V.  Fumpe. 

XUL  —  Siphon,  sa  forme,  ses  emplois.  —  Principe 
d'Archimède  appliqué  aux  gaz.  —  Aérostats.  — 
Calcul  de  leur  force  ascensionnelle.  —  V.  Siphon, 
Aérostats. 

DEUXIÈME  SECTION. 

XIV.  —  Chaleur.  — Ses  effets  sur  les  corps.  —  Ce 
qu'on  entend  par  température.  —  Thermomètre, 
sa  construction,  —  ses  graduations.  —  Sources 
naturelles  et  artificielles  de  chaleur.  —  V.  Cha- 
leur, Thermomètre. 

XV.  —  Preuves  de  la  dilatation  des  solides,  des  li- 
quides et  des  gaz.  — Nombres  comparatifs  pour 
ces  trois  sortes  de  corps.  —  Applications.  — 
Maximum  de  densité  de  l'eau.  —  Ses  effets  dans 
la  nature.  —  V.  Dilatation. 

XVI.  —  Changements  d'état.  —Passage  de  l'état  so- 
lide à  l'état  liquide.  — Fusion  et  dissolution. — 
Lois  de  la  fusion,  —  exemples.  —  Chaleur  la- 
tente, fonte  des  glaces.—  Mélanges  réfrigérants. 

—  Solidification.  —  Ses  effets  divers.  —  V.  Fu- 
sion. 

XVII.  —  Passage  d'un  liquide  en  vapeur  :  1»  dans  le 
vide,  —  force  élastique  des  vapeurs,  ses  varia- 
tions, —  état  de  saturation; — vapeurs  dans  l'at- 
mosphère; —  ".;"  dans  l'air:  —  évaporation,  —  cir- 
constances qui  la  favorisent,  —  froid  qu'elle 
produit,  — formation  de  la  glace  ;  — applications. 

—  V.   Vapeur. 

XVIII.  —  Ebullition.  —  Ses  lois.  —  Influence  de  la 
pression.  —  Distillation.  —  Chaleur  latente.  — 
Chauffage  au  bain-marie,  à  la  vapeur.  —  Appli- 
cations.—V.  E/jullition. 

XIX.  —Conductibilité  des  solides;  —  applications 
des  liquides  et  des  gaz.  — Chauffage  de  l'air,  des 
appartements  :  cheminées,   poêles,  calorifères. 

—  V.  Conductibilité,  Chauffage. 

XX.-— Propagationdelachaleuràdistance.  —  Corps 
qui  émettent  le  mieux,  qui  réfléchissent,  qui 
diffusent,  qui  absorbent  la  chaleur.  —  Applica- 
tions à  réchauffement  rapide  d'un  corps,  à  la 
conservation  de  la  chaleur,  au  rayonnement 
nocturne.  —  V.   Hayo7inement. 

^XI.  —  Température  de  l'air  i  la  surface  du  sol,  va- 
riations qu'elle  subit.  —Climats.  —  Vents,  leur 
production,  leur  vitesse.  —  Vapeur  d'eau.  — 
Phénomènes  qui  en  dépendent,  —  hygrométrie. 

—  Brouillards  et  rosée,  —  nuages,  —  pluie, 
neige,  grôle,  etc.  —  V.  Almosplière,  Climats, 
Hygromètre,  et  les  divers  articles  du  pro- 
gramme  de  Météorologie. 

.\XII.  —  Electricité.  —  Production  de  l'électricité 
liar  le  frottement.  —  Corps  conducteurs  et  iso- 
lants. —  Attractions  et  ré|)ulsions,  électrosco- 
pes.  —  L'électricité  se  porte  h  la   surface   des 


corps  ;  —  pouvoir  des  pointes.  —  Electrisation 
par  influence.  —  Expérience  fondamentale.  — 
Appareils  électriques.  —  Electrophore.  —  Ma- 
chine à  plateau  de  verre.  —  Expériences  diver- 
ses. —  Bouteille  de  Leyde.  —  Ses  effets.  —  V. 
Eie-tricilé. 

XXIII.  —  Electricité  atmosphérique.  —  Eclairs. — 
Foudre.  —  Paratonnerres;  —  notions  sur  leur 
construction.  —  Dangers  de  se  réfugier  sous  les 
arbres  pondant  les  orages.  —  Choc  en  retour.  — 
V.  Elect'icité,  Foud'  e.  Orage,  Paratonnerre. 

XXIV.  — Electricité  desactions  chimiques.  —  Piles 
les  plus  employées.  —  Effets  chimiques  de  l'é- 
lectricité ;  décomposition  de  l'eau,  des  sels  ;  gal- 
vanoplastie, argenture  et  dorure.  —  Lumière 
électrique.  —  V.  Electricité,  Galvanoplastie, 
Eclairage. 

XXV.  —  Aimantsnaturelsetartiflciels.  — Leurs  pro- 
priétés. —  Procédés  d'aimantation.  —  Boussole, 
ses  emplois.  —  V.  Aimants,  Magnétisme,  Bous- 
sole . 

XXVI.  —Aimants  produits  par  l'action  de  l'électri- 
cité, C  sur  l'acier,  S"  sur  le  fer  doux.  —  Electro-ai- 
mants, leurs  formes,  leurs  usages.  —  Principe  du 
télégraphe.  —  V.  Aimants,  Magnétisme,  Télé- 
graphe. 

XXVII.  —  Induction  électrique.  —  Notions  élémen- 
taires sur  son  principe  et  les  appareils  qui  l'u- 
tilisent. —  V.  Electricité. 

XXVIII-XXIX.  —  AcouSTiQLE.  —  Production  du  son. 

—  Propagation  dans  l'air,  vitesse.  —  Réflexion, 
échos  et  résonnances.  —  Qualité  du  son.  —  Vi- 
brations des  cordes  et  des  tuyaux.  —  V.  Acoui- 
tique. 

XXX.  —  Optique.  —  Propagation  de  la  lumière.  — 
Lumière  tombant  sur  un  corps  opaque:  ombre, 
pénombre  ;  comparaison  des  intensités  lumi- 
neuses. —  Réflexion,  —  Miroirs  plans  et  cour- 
bes. —  V.  Lumière,  Réflexion. 

XXXI.  —  Lumière  traversant  les  corps  transparents. 

—  Réfraction,  —  mirage.  —  Dispersion,  —  cou- 
leurs du  spectre,  —  arc-en-ciel.  —  Actions  chi- 
miques des  rayons  solaires.  —  Lumière,  Ré- 
frnrtion.  Phénomènes  optiques  de  l'atmisphère. 

XXXII.  —  Chambre  noire  et  œil. —  Images  des  objets. 

—  Distance  et  grandeur.  —  Instruments  grossis- 
sants :  —  loupe,  —  microscope.  —  Instruments 
à  projections  :  —  lanterne  magique.  —  Instru- 
meiUs  à  rapprocher  :  —  lunette,  —  longue-vue. 

—  \.  Optique  (Instruments  d').    [Haraucourt.J 
PIEItltKS  (V.  Minéralogie).   —  On  a  divisé  les 

substances  minérales,  bien  avant  d'en  connaître 
la  composition,  d'une  part  en  pierres,  d'autre 
part  eu  métaux,  ou  matières  indiquant  par  leur 
éclat  métallique  une  certaine  teneur  en  métaux 
plus  ou  moins  faciles  à  extraire.  Les  pierres, 
il  est  vrai,  renferment  souvent  aussi  des  élé- 
ments que  les  chimistes  modernes  appellent  métaux, 
tels  que  le  potassium,  le  sodium,  le  magnésium,  le 
calcium,  le  baryum,  le  strontium,  etc.  ;  mais  ce  sont 
des  métaux  légers  qui  ne  colorent  pas  les  combi- 
naisons dont  ils  font  partie,  et  que  leur  prompte 
altération  à  l'air,  leur  peu  de  ténacité  empochent 
d'employer  h  l'état  métallique  proprement  dit. 
M.  Henri  Sainte-Claire  Ueville  a  cependant  montré 
que  l'aluminium  pouvait  rendre  un  grand  nombre 
des  services  qu'on  est  habitué  à  demander  aux 
métaux  proprement  dits.  Comme,  en  outre,  plu- 
sieurs substances  minérales  contenant  du  zinc,  de 
l'étaln,  ressemblent  plutôt  à  des  pierres  qu'à  dos 
minerais,  on  voit  que  la  distinction  des  minéraux 
en  métaux  et  en  pierres  est  purement  artificielle. 
Elle  offre  ce  seul  avantage  de  réunir  les  matières 
qui  ont  des  applications  analogues.  C'est  encore 
i  ce  point  de  vue  des  applications  qu'il  faut  se 
placer  pour  accepier  la  division  dos  pierres  en 
pii'i-)-es  précieuses  et  en  pierres  proprrment  dites. 
I.  Pierres  précieuses.  —  La  première   qualité 


PIERRES 


—  1600  — 


PIERRES 


'une  pierre,  dite  précieuse,  est  la  dureté,  qui  pro-  I  on  creuse  des  excavations  dans  le  sol,  et  on  lave 
èire  le  poli  naturel  ou  artificiel  de  ses  faces  contre  les  masses  de  terre  qu'on  en  retire.  On  exploite  de 
"  -  ■  ■••  .  ■■.!  .^:    même  le  lit  des  rivières,  après  en  avoir  détourné 


d' 

tèee  le  poL  ... 

le  frottement.  La  seconde  est  l'éclat,  propriété  qui 
est  difficile  à  définir,  mais  qui  est  en  rapport  avec 
l'indice  de  réfraction,  et  par  conséquent  avec  le 
pouvoir  réflecteur,  comme  la  physique  le  démon- 
tre. Enfin,  les  pierres  précieuses  doivent  posséder 
des  couleurs  franches,  vives,  et,  surtout  lorsqu'elles 
sont  incolores,  une  limpidité  parfaite.  Les  pierres 
tout  à  fait  transparentes  sont  dites  d'une  telle  eau. 
Plusieurs  des  groupes  dans  lesquels  nous  avons 
divisé  les  espèces  minérales  (V.  Minéralo(jie)  four- 
nissent des  pierres  précieuses. 

1"  groupe.  Corps  simples  non  métalliques.  — 
Le  carbone  à  l'état  de  dinmanl.  Il  est  cristallisé 
en  octaèdres  réguliers,  simples,  ou  portant  sur 
toutes  leurs  faces  des  pyramides  triangulaires,  et 
souvent  aussi  en  solides  à  48  faces,  dont  les  con- 
tours sont  arrondis.  Il  brûle  dans  l'oxygène  ou 
même  dans  l'air,  à  une  liante  température,  mais 
lentement,  et  le  résultat  de  la  combustion  est  de 
l'acide  caj-bonique.  C'est  la  plus  dure  de  toutes  les 
substances  minérales.  Il  n'est  usé  que  par  sa  pro- 
pre poussière.  Il  a  pour  densité  a..T>.  Il  a  un 
éclat  gras,  particulier,  surtout  avant  la  taille,  lors- 
qu'on en  a  nettoyé  la  surface.  Les  octaèdres  bien 
réguliers  sont  taillés  en  hrillunts.  Pour  cela,  on 
scie  le  cristal  suivant  un  plan  parallèle  à  sa  base, 
de  façon  à  enlever  une  petite  pyramide  quadran- 
gulaire,  dont  la  hauteur  doit  êlre  les  ïj'i  de  celle 
du  cristal  entier  ;  la  face  ainsi  produite  est  appelée 
table;  32  facettes  disposées  symétriquement  autour 
de  la  table  forment  avec  elle  le  dessus.  La  moitié 
inférieure  de  l'octaèdre  fournit  le  i/ess-ous.  Ses 
quatre  faces  appelées  pavillons  alternent  avec 
d'autres  plus  étroites  taillées  sur  leurs  arêtes  et 
se  raccordent  par  l'intermédiaire  de  facettes  plus 
petites  avec  celles  du  dessus. 

Lorsque  les  cristaux  naturels  sont  plats,  on  leur 
donne  la  forme  appelée  taille  à  roses.  Cette  taille 
se  compose  d'une  face  large  appelée  culasse,  sur- 
montée d'une  couronne  composée  de  6  Ji  32  fa- 
cettes triangulaires. 

En  général ,  le  diamant  n'est  pas  taille  sans  avoir 
passé  par  les  mains  du  clieeur,  qui  le  fixe  au  bout 
d'un  bâton  au  moyen  d'un  mastic  fusible  à  une 
chaleur  douce,  y  grave,  dans  une  direction  déter- 
minée, une  entaille  assez  profonde  au  moyen  d'un 
autre  diamant  à  arête  tranchante,  et,  plaçant  en- 
suite une  lame  affilée  d'acier  dans  l'entaille,  donne 
avec  une  baguette  de  fer  un  coup  sec  sur  le  dos 
de  cette  lame;  la  pierre  se  fend. 

Quelquefois  le  clivage  n'est  pas  nécessaire; 
alors  le  diamant  naturel  est  remis  à  Vébruleur, 
qui  l'use  en  le  frottant  contre  un  autre,  de  ma- 
nière à  ébaucher  la  forme  qu'on  désire  lui  donner. 
Quant  au  poUssaoe ,  la  dernière  opération  ,  il 
s'exécute  sur  des  disques  de  fer  qui  tournent  sous 
l'action  de  machines  à  vapeur  avec  une  vitesse  de 
2000  tours  par  minute,  et  qui  sont  enduits  à'égri- 
sée  délayée  dans  de  l'huile  d'olive.  L'égrisée  est 
obtenue  d'habitude  par  la  pulvérisation  de  cristaux 
de  diamants  tellement  enchevêtrés  que  la  masse, 
appelée  boorl,  ne  peut  plus  se  prêter  au  clivage 
ni  à  la  taille,  ou  au  moyen  des  éclats  donnes  par 
l'opération  du  clivage,  lorsqu'ils  sont  trop  petits 
pour  être  taillés  utilement. 

Le  diamant  se  rencontre  en  cristaux  disséminés 
dans  des  sablns  formés  principalement  de  quartz. 
Les  mines  de  l'Inde  forment  des  bandes  isolées 
sur  la  pente  orientale  du  Dekhan  et  du  plateau 
d'Amarakantaka,  au  bord  du  pays  élevé.  Elles 
sont  h  peu  près  épuisées.  Celles  du  Brésil  s'éten- 
dent depuis  la  ville  de  Conceicio  jusque  bien  au- 
delà  de  Diamantina.  La  terre  appelée  cascalho 
est  une  sorte  de  vase  grise  ou  rougeàtre,  empâtant 
des  galets  de  quariz,  d'oligiste  et  d'une  tourma- 
line noire  appelée  Feijlto.  Dans  toutes  ces  mines 


le  cours. 

Les  mines  du  cap  de  Bonne-Espérance,  décou- 
vertes en  18(i7,  ."i  1200  kilomètres  du  Cap,  sur  la 
limite  de  la  colonie  de  ce  nom  et  des  Etats  libres 
du  fleuve  Orange,  consistent  en  une  terre  onc- 
tueuse un  peu  bleuJtre,  mêlée  de  fragments  de 
roches  dures,  et  d'un  grand  nombre  d'espèces 
minérales,  calcédoines,  grenats,  pyroxène,  etc.  La 
lerre  diamantifère  remplit  de  grands  trous,  qui 
sont  comme  percés  dans  des  roches  schisteuses. 
L'unité  de  poids  du  diamant  est  le  rarat,  qui 
équivaut  à  205  milligrammes.  Un  brillant  de  I  ca- 
rat vaut  de  120  à  220  fr.,  suivant  ses  qualités  ; 
un  de  2  carats  de  400  à  700  fr.,  un  de  3  carats 
de  GOO  à  l'.'OO  fr.,  etc.  Lonetemps  la  règle  de 
Tavernier,  célèbre  voyageur  qui  fit  une  lortune 
immense  dans  le  commerce  des  pierreries,  vers 
la  fin  du  xvii"  siècle,  a  passé  pour  une  loi  accep- 
tée par  le  commerce.  Elle  disait  que  pour  évaluer 
le  prix  d'un  brillant,  il  fallait  élever  au  carré  le 
nombre  de  carats  que  pèse  la  pierre,  et  multiplier 
ce  produit  par  le  prix  du  premier  carat.  Aujour- 
d'hui, les  mines  du  Cap  fournissent  un  si  grand 
nombre  de  grosses  pierres,  que  le  prix  de  celles-ci 
est  devenu  très  inférieur  à  celui  que  donnerait  le 
calcul  précédent.  Parmi  les  plus  gros  diamants  se 
distinguent:  le  Régent,  qui  pèse  136  carats  V*i  Q"' 
est  d'une  taille  parfaite,  d'une  limpidité  admirable, 
qui  a  été  acheté  dans  l'Inde  pour  Louis  XV,  par  le 
Régent,  moyennant  une  somme  de  3, 1 25,000  fr.,  et 
auquel  l'inventaire  des  pierreries  de  la  Couronne 
attribuait  en  1791  une  valeur  de  12,ii00.000  fr.  ; 
leKohi-Noor,  la  plus  belle  des  pierres  de  la  cou- 
ronne d'Angleterre,  qui  pèse  103  carats  3/4  ; 
l'Étoile  du  sud,  qui  pèse  134  carats  7/16. 

4"  groupe.  Oxydes.  —  Ce  groupe  donne  les 
plus  belles  pierres  de  couleurs.  L'alumine,  l'oxyde 
d'aluminium,  Al'-O^,  corindon  des  minéralogistes, 
cristallise  en  rhomboèdres,  en  prismes  hexago- 
naux, en  doubles  pyramides  à  G  faces.  Le  corin- 
don a  un  éclat  qui  le  rapproche  du  diamant, 
à  la  suite  duquel  il  se  place  immédiatement  au 
point  de  vue  de  la  dureté.  Coloré  en  rouge  car- 
min par  un  oxyde  de  chrome,  il  poi  te  le  nom  de 
rubis  oriental  et  atteint  dans  le  commerce  des 
prix  fort  élevés.  Coloré  en  bleu,  il  est  appelé  sa- 
phir oriental  ;  c'est  encore  une  pierre  de  grand 
prix.  Coloré  en  jaune,  il  devient  la  topaze  orien- 
tale, en  violet,  ['améthijste  orientale.  La  densité 
du  corindon  est  de  4.1.  L'alumine  combinée  à 
de  la  magnésie  forme  un  aluminate,  appelé  spi- 
nelle,  d'une  manière  générale,  quelle  que  soit  la 
matière  colorante  qu'il  renferme  :  on  le  nomme 
ru'4s  spinelle,  lorsqu'il  est  coloré  en  rouge  de 
feu,  comme  le  rubis  oriental  ou  proprement  dit, 
par  le  même  oxyde  de  chrome  ;  rubi<  h'dais,  lors- 
qu'il est  d'un  rouge  rose  tirant  sur  le  bleuâtre. 
Le  spinelle  cristallise  en  octaèdres  réguliers  ;  il 
a  pour  densité  3.57,  et  pour  dureté  8. 

G"  groupe.  Silicates.  —  L'émeraude  est  la  p^Ius 
belle  pierre  qui  appartienne  à  ce  groupe.  C'est 
un  silicate  d'alumine  et  de  glucine,  cristallisé  en 
prismes  hexagonaux,  d'un  beau  vert  d'herbe, 
quelquefois  d'une  transparence  parfaite,  ayant 
une  densité  égale  à  2.07,  une  dureté  intermé- 
diaire enire  celle  de  la  topaze,  qui  est  8.  et  celle 
du  quartz  qui  n'est  que  de  7.  La  coloration  verte 
est  communiquée  au  silicate  par  quelques  milliè- 
mes d'oxyde  de  chrome.  Par  lui-même,  ce  silicate 
est  incolore,  quelquefois  verdàtre,  ressemblant  à 
l'eau  vue  par  transparence  sous  une  certaine 
épaisseur.  Cette  dernière  variété  est  appelée  ai^we- 
mnrine.  Les  variétés  rousses  ou  tirant  sur  le  jaune 
sont  confondues  sous  le  nom  de  béryls. 

Un  silicate   d'alumine  et   de   chaux,  contenant 


PIERRES 


1601  — 


PIERRES 


:!  équivalents  de  chaux,  1  d'alumine,  et  3  de  silice, 
dans  lequel  cependant  une  petite  quantité  de 
cliaux  est  remplacée  par  du  protoxyde  de  for,  a 
une  belle  couleur  orangée,  tirant  sur  le  jaune 
par  transparence  ;  c'est  V hyacinthe  [Jncinla  la- 
hetla  des  Italiens).  La  densité  en  est  d'environ 
3. G,  la   dureté  d'environ  7.  L'hyacinthe   fait  par 


sous  le  nom  d'agalc,  et  plus  spécialement  sous 
ceux  de  cornalines  (agates  rouges),  sardoines  (d'un 
jaune  orangé),  chfi/soprases  (d'un  vert  pomme), 
agates  oai/x  (agates  offrant  des  anneaux  concen- 
triques de  couleurs  variées).  Les  onyx  i  plusieurs 
couleurs  sont  recherchées  pour  le  travail  des 
amée.i.   Les  silex  sont  des  agates  à  pâte  encore 


tio  du  groupe  des  grenats,  dont  le  nom  rappelle  moins  cristalline,  plus  compacte  ;  ils  forment  des 
la  couleur  de  plusieurs  d'entre  eux,  celle  du  gre-  nodules,  des  bancs,  dans  les  couches  do  plusieurs 
nadier;  mais  il  y  a  des  grenats  verts.  Les  plus  terrains  ;  lorsqu'ils  ont  été  longtemps  charriés  par 
employés  sont  d'un  rouge  violet,  velouté,  ou  cra-  les  eaux,  ils  s'arrondissent  et  prennent  la  forme  de 
moisi  foncé  :  ce  sont  les  grenats  orientaux,  ou  {/alels.  Imprégné  d'oxydes  métalliques  qui  le  ren- 
si/rians,  et  non  syriens,  comme  on   dit  quelque-  |  dent  tout  à  fait  opaque,  le  quartz  est  appcAéjnspe, 


fois  i  tort.  Leur  composition  se  rattache  au  même 
type  chimique  que  celle  de  l'hyacinthe  ;  mais  la 
chaux  est,  dans  une  espèce,  à  peu  près  complète- 
ment remplacée  par  du  protoxyde  de  fer.  Les 
grenats  syrians  font  partie  des  escarbouclfs  des 
anciens.  Ils  sont  réunis  par  les  minéralogistes 
aux  grenats  vermeilles  du  commerce,  pierres  d'un 
rouge  un  peu  orangé,  sous  les  noms  <!ïulman- 
dins  ou  à'almandin''s. 

La  silice  combinée  à  l'alumine  et  à  la  magnésie, 
mêlée  d'un  peu  d'oxyde  de  fer,  produit  le  saphir 
iFeau,  qui  est  d'un  beau  bleu  comme  le  saphir, 
mais  dans  une  seule  direction,  et  qui  devient  gris 
ou  presque  incolore  dans  les  autres.  Deux  équiva- 
lents de  magnésie,  remplacée  en  partie  par  du 
protoxyde  de  fer,  un  seul  équivalent  de  silice, 
telle  est  la  composition  du  périilot  ou  olivine, 
pierre  d'un  vert  olive  clair,  et  de  peu  de  valeur. 
Une  combinaison  de  silice,  d'aluuiine  et  de  fluor, 
où  le  fluor  est  regardé  par  la  plupart  des  auteurs 
comme  uni  b  du  silicium,  cunstitue  la  topaze, 
matière  qui  cristallise  en  prismes  droits  h  base 
rhombe  surmontés  d'octaèdres  de  même  section. 
C'est  une  pierre  d'un  jaune  d'or,  passant  à,  l'o- 
rangé, dont  la  densité  est  5.62,  la  dureté  8  :  elle  a 
un  clivage  très  net.  Quelques  variétés  sont  d'un 
beau  rose,  ou  rouges,  et  fournissent  des  rubis.  On 
appelle  é/«/ee5  destopazes  qu'on  chauffe  au  moyen 
d'amadou  dont  on  les  enveloppe;  cette  opération 
les  fait  passer  du  jaune  au  rose. 

Des  silicoborates  d'alumine,  de  fei>,  de  chaux, 
de  potasse,  de  soude,  de  lithine,  renfermant  en 
outre  du  fluor,  cristallisés  en  prismes  hexagonaux, 
quelquefois  en  prismes  5.  neuf  pans,  à  extrémités 
dissymétriques,  forment  les  tourmaltn'S,  dont 
certaines  colorées  en  rouge  sont  taillées  et  vendues 
comme  rubis,  sous  le  nom  de  ruhellites.  Les  tour- 
malines sont  généralement  très  allongées  suivant 
l'axe  de  leurs  prismes  ;  lorsqu'elles  ont  été  chauf- 
fées, elles  présentent  des  pôles  électriques  con- 
traires aux  extrémités  opposées  de  cet  axe  pendant 
leur  refroidissement.  On  les  appelait  autrefois 
tire-cejtdres,  à  cause  de  leurs  propriétés  élec- 
triques. 

La  silice  libre  de  toute  combinaison,  acide  sili- 
cique  des  chimistes,  se  rencontre  dans  la  nature 
sous  deux  états  différents.  Cristallisée  en  prismes 
hexagonaux  terminés  par  des  pyramides  à  six  faces, 
elle  porto  le  nom  de  quartz  ou  cristal  de  roche. 
Les  cristaux  de  quartz  ont  quelquefois  des  dimen 
sions  énormes;  on  en  peut  juger  par  celui  qui  est 
exposé  à  l'entrée  de  la  galerie  du  Muséum  d'his- 
toire naturelle.  Pline  citait  déjà,  ces  grandes  cavi- 
tés appelées  poches  à  cristaux,  que  des  hommes 
attachés  k  des  cordes  solides  vont  fonillerdansdes 
fentes  de  rochers,  sur  les  parois  d'horriblesabîmes, 
pour  en  extraire  des  morceaux  d'un  volume  et  d'un 
poids  souvent  considérables.  La  vallée  de  Viesch 
(Valais)  est  sous  ce  rapport  une  localité  encore  célè- 
bre actuellement.  Le  quartz  y  est  un  peu  enfumé, 
colore  en  brun  par  des  matières  charbonneuses.  Le 
quartz  coloré  en  violet  a  reçu  le  nom  A'nmcthyste. 
Cette  matière  n'est  pas  toujours  cristallisée,  ou 
no  I  est  qu  imparfaitement.  Elle  forme  quelquefois 
une  pâte  à  demi  cristalline,  translucide,  connue 
2'  Partie. 


et  donne  des  matières  de  couleurs  agréables,  et 
capables  de  recevoir  un  beau  poli.  Enfin,  des  grains 
de  quartz,  quelquefois  extrêmement  petits,  sont 
d'ordinaire  l'unique  élément  des  sahles.  Reliés 
entre  eux,  cimentés  par  des  dissolutions  calcaires 
ou  siliceuses,  ils  constituent  les  grès,  souvent 
disséminés  au  milieu  des  sables  qui  leur  ont  donné 
naissance,  mais  souvent  aussi  restés  seuls  debout, 
semblables  à  des  ruines  gigantesques,  après  l'a- 
blation des  sables  emportés  par  dos  cours  d'eau. 
Le  cristal  de  roche,  les  agates,  les  silex,  les  jas- 
pes, les  sables,  toutes  ces  matières  sont  formées 
de  la  même  silice  insoluble  dans  les  acides,  ex- 
cepté dans  l'acido  fluorhydrique  Ht  dans  les  solu- 
tions bouillantes  des  carbonates  alcalins;  elles  ont 
pour  dureté  1,  pour  densité  2.()5,  i  moins  qu'elles 
ne  contiennent  beaucoup  de  matières  étrangères. 
Elles  sont  attaquables  par  la  potasse  en  fusion. 
Sous  un  second  état,  la  silice  a  une  dureté  moin- 
dre ;  sa  densité  ne  dépasse  pas  2.2  ;  elle  devient 
soluble  non  seulement  dans  la  potasse  en  fusion, 
mais  dans  les  dissolutions  bouillantes  de  potasse 
ou  des  carbonates  alcalins.  Elle  porte  le  nom  d'o- 
pale.  Certaines  opales  fissurées  d'une  manière  par- 
ticulière montrent,  sous  l'influence  de  la  lumière, 
ces  jolis  phénomènes  optiques  dits  phénomènes 
des  réseaux  ;  elles  fournissent  les  jolies  pierres  à 
reflets  irisés,  appelées  op'iles  nobles. 

On  trouve  encore  dans  les  silicates  quelques  au- 
tres pierres  qu'on  peut  appeler /«er/rs  d'ornemen- 
tation,ne  servant  plus,  en  général,  que  dans  Vor- 
nementation  de  luxe.  Telles  sont  la  serpentine, 
hydrosilicate  de  magnésie,  dont  les  nuances  rouges 
ou  d'un  vert  tantôt  clair,  tantôt  foncé,  s'entremê- 
lent agréablement  ;  le  lapis-lazuli,  saphir  des  an- 
ciens, silicate  dalumine,  de  chaux,  de  soude,  avec 
soufre  et  fer,  d'une  dureté  médiocre,  dont  le  fond, 
d'un  beau  bleu  d'azur,  est  souvent  semé  de  cristaux 
de  pyrite  d'un  jaune  d'or;  les  pagodites  ou  agat- 
malolilhes,  dont  les  Chinois  fabriquent  des  sta- 
tuettes ou  des  figurines  grotes(iues, 

T  groupe.  Les  carbonates.  —  Solubles  avec 
effervescence  dans  les  acides.  Le  calcaire  ou  car- 
bonate do  chaux  (CaOCO-)  cristallise  en  rhomboè- 
dres, en  prismes  hexagonaux,  en  scalénoèdres  et 
sous  des  formes  prodigieusement  variées,  que  les 
cristallographes  savent  tirer  suivant  des  lois  très 
simples  d'un  rhomboèdre  de  I0j°,5',  celui  qu'on 
obtient,  du  reste,  en  cassant  les  cristaux  de  cette 
substance,  quels  qu'ils  soient.  Il  a  pour  dureté  i, 
pour  densité  2.7.  Il  forme  des  masses  considéra- 
bles, de  véritables  couches.  Les  marbres  propre- 
mont  dits  ne  sont  autre  chose  que  des  masses  de 
calcaire  en  cristaux  très  petits,  mais  où  l'on  aper- 
çoit, quand  ils  sont  fraîchement  cassés,  des  petites 
facettes  de  clivage.  Les  beaux  marbres  blancs  de 
Paros  ressemblent  souvent  h  des  morceaux  de 
sucre.  Il  en  est  qui  sont  encore  plus  compacts. 
Les  cuuleurs  que  leur  communiquent  certains  oxy 
des  métalliques  ou  d'autres  matières  étrangères, 
les  divers  mélanges  de  ces  couleurs,  y  ont  fait  dis 
tinguer  un  grand  nombre  de  variétés  qui  portent 
des  noms  célèbres  :  le  vert  antiqw  ou  vert  de  Flo- 
rence (calcaire  mêlé  do  serpentine);  lo  marbre 
Sainte-Anne,  d'un  gris  bleu;  le  griotte,A'm\  rouge 
101 


PIERRES 


—  1602  — 


PIERRES 


brun  parsemé  de  taches  d'un  rouge  de  sang  ;  les 
campons,  à  texture  schistoide,  etc. 

On  ne  peut  oublier  de  mentionner,  k  la  suite 
des  marbres,  ces  belles  variétés  de  calcaire  trans- 
lucide, à  texture  fibreuse,  qu'on  appelle  albâties 
ou  onyx  (onyx  calcaire). 

8'  groupe.  Phosphates,  —  Une  seule  pierre  mérite 


modifiés  par  des  plans  latéraux,  se  divisent  en 
lamelles  hexagonales,  en  simples  paillettes  même, 
répandues  au  milieu  des  argiles  et  des  sables  qui 
proviennent  de  la  démolition  des  roches  cristal- 
lines. Le  mica  se  reconnaît  dans  le  granité,  dont  il 
est  un  élément  essentiel,  à  son  éclat  brillant,  vif, 
h  ce  qu'on  peut  l'enlever  aisément,  au  moins  en 


d'j  être  signalée  :  la  turquoise  orientale,  d'un  bleu  :  partie,  à   l'aide   d'un  canif,  en   lamelles   minces, 
céleste  passant  au  vert-pomme.  C'est  un  phosphate    flexibles,    élastiques,  tandis  que  l'orthose   forme 


d'alumine  hydraté,  qui  ne  se  présente  jamais  que 
sous  la  forme  de  rognons  ou  d'incrustations. 

II.  Pierres  proprement  dites.  —  Un  certain 
nombre  ont  une  importance  considérable,  en  ce 
qu'elles  sont  les  éléments  essentiels  des  roches, 
c'est-à-dire  de  ces  masses  dont  se  compose  l'écorce 
solide  du  globe;  plusieurs  sont  employées  dans 
l'agriculture. 

6*  groupe.  Si'icates.  —  Ceux  dont  la  com- 
position est  la  plus  simple  sont  des  silicates  de 
magnésie  et  de  fer.  Dans  la  section  précédente, 
nous  avons  défini  le  péridot.  C'est  un  élément 
des  roches,  ainsi  que  d'autres  silicates  où  la  silice, 
unie  aux  mêmes  bases,  ne  se  trouve  plus,  à  leur 
égard,  dans  les  mêmes  proportions.  Les  pyroiènes 


des  lamelles  brillantes  aussi,  mais  résistantes,  à 
contours  différents.  Quant  au  quartz,  il  se  pré- 
sente en  grains  d'aspect  vitreux,  semblables  à  des 
fragments  de  sel  gris. 

Le  dernier  groupe  de  silicates  important  à  con- 
naître est  celui  du  talc;  c'est  un  silicate  de  ma- 
gnésie hydraté,  qui  a  de  l'analogie  avec  les  micas, 
lorsqu'il  est  cristallisé",  mais  il  est  flexible,  sans 
être  élastique;  il  est  beaucoup  plus  tendre;  il  se 
raye  avec  l'ongle  ;  il  est  très  onctueux  au  toucher  : 
ses  variétés  compactes  sont  appelées  stéatites  et 
fournissent  la  craie  de  Uriançnn,  dont  se  servent 
les  tailleurs  pour  écrire  sur  le  drap;  pulvérisées, 
elles  donnent  la  poudre  de  gants . 

''   groupe.  Carbonates.  —  Le  calcaire   en   est 


sont  des  silicates  de  magnésie  et  de  fer  contenant    l'espèce  la  plus  importante.  C'est  un  des  éléments 
2     équivalents     de    silice     pour     1     des    bases    principaux  des  terrains  stratifiés,  qui  sont  formés 


réunies.  Les  formes  cristallines  des  pyroxènes  dé- 
rivent d'un  prisme  oblique  à  base  rliombe.  L'es- 
pèce la  plus  importante  de  ce  groupe  est  le  py- 
roxène  ougile,  qui  est  noir  en  masse,  d'un  vert 
foncé  lorsqu'on  le  regarde  en  lames  très  minces. 


surtout  de  calcaires,  d'argiles,  de  marnes,  mélange 
d'argile  et  de  calcaire;  toutes  ces  roches  alternent  en- 
tre elles  et  avec  des  sables  et  des  grès.  11  forme  aussi 
les  stalactites,  ces  pyramides  renversées  qui  pen- 
dent du  sommet  d'un  grand  nombre  de  grottes,  les 


L'augite  fond  au  chalumeau,  mais  elle  est  insulu-  stalagmites  où  se  dépose  le  carbonate  de  chaux 
ble  dans  les  acides,  tandis  que  le  contraire  a  lieu  que  les  stalactites  n'ont  pas  retenu,  les  pisolithes, 
pour  le  péridot.  L'augite  et  le  péridot  entrent  sortes  de  dragées  i  couches  concentriques,  aban- 
dans  la  composition  d'un  grand  nombre  de  laves  ,  données  par  des  eaux  chargées  de  calcaire,  lors- 
et  de  roches  volcaniques.  Près  de  l'augite  se  place  qu'elles  sourdent  tumultueuses  d'ouvertures  pra- 
la  hornblende,  matière  également  noire  contenant  l  tiquées  dans  les  roches  qu'elles  ont  traversées; 
aussi  un  peu  d'alumine,  mais  un  peu  plus  riche  ]  enfin  les  dépôts  de  la  plupart  des  eaux  incon- 
en  silice,  cristallisant  comme  les  pyroxènes  en  j  stantes,  qui,  après  avoir  parcouru  des  couches  de 
prismes  obliques  à  base  rhorabe,  mais  d'angle  dif-  carbonate  de  chaux,  viennent  couler  au  grand  air 
feront.  La  hornblende  concourt  à  la  composition  sur  un  sol  moins  perméable, 
de  beaucoup  de  roches  éruptivcs  appartenant  soit  |  Quelquefois  le  carbonate  de  chaux  est  associé  à 
au  groupe  des  granités,  soit  à  celui  des  porphyres  i  du  carbonate  de  magnésie.  Les  deux  carbonates 
noirs  ou  mélaphyres.  composent  ensemble  la  dolomie,  dont  les  bancs 

Les  silicates  d'alumine  simple  comprennent  le  tiennent  aussi  une  assez  large  place  dans  la  char- 
disthène,  souvent  bleu,  cristallisé  en  prismes  dou-  i  pente  du  globe. 

blement  obliques,  et  l'andalousite,  dont  les  prismes  8'  groupe.  Phosphates.  —  Le  plus  important 
droits  à  section  de  losange  empâtent  fréquemment,  1  est  le  phosphate  de  chaux.  Cristallisé,  il  prend  le 
sous  le  nom  de  ncacles,  les  schistes  où  ils  sont  dis-  [  nom  û'apatite,  et  se  rencontre  en  prismes  liexa- 
séminés.  I  gonaux.  ayant  une  dureté  à  peu  près  égale  k  celle 

Plus  complexes  sont  les  silicates  appelés  i  de  l'acier.  Il  contient  du  fluorure  ou  du  chlorure 
fddspaths.  Ils  sont  composés  de  1  équivalent  de  calcium.  Terreux,  il  imprègne  des  coquilles,  ou 
d'alumine,  de  1  équivalent  de  potasse  ou  de  soude,  constitue  des  amas  quelquefois  assez  volumineux, 
et  de  chaux,  quelquefois  mélangés  d'une  petite  |  et  remplit  des  poches,  où  il  se  mêle  souvent  à  des 
quantité  de  fer,  raren^ent  de  magnésie,  le  tout  argiles  et  à  des  débris  d'ossements.  En  masse,  il 
associé  à  G  équivalents  de  silice  dans  Vorlhose  et  j  est  quelquefois  cristallin,  plus  souvent  compact 
Valbitc,  à  4  1/2  ou  à  5  dans  ïongoclase,  à  3  dans  i  ou  terreux,  et  ne  peut  se  reconnaître  que  par  1  a- 
le  labrailor.  |  nalyse.  Il  joue  un  grand  rôle  dans  la  préparation 

Ils  se  clivent  tous  suivant  deux  directions  planes  1  des  engrais. 
qui  font  entre  elles  un  angle  do  Ou»  (orthose)  et  9"  groupe.  Sulfa'es.  —  Le  seul  vraiment  abon- 
d'environ  87°  (les  autres  feldspaths).  L'orthose  dant  est  le  sulfate  de  chaux  hydrate  (CaOSO  ,2H0 
cristallise  en  effet  en  prismes  obliques  k  base  appelé  yi/pse.  Le  gypse  cristallise  en  prismes  obli- 
rhombe;  les  autres  feldspaths  en  prismes  dou-  ,  ques  à  base  rhombe  qui  se  clivent  avec  la  plus 
blement  obliques.  La  dureté  de  tous  est  d'envi-  grande  facilité  parallèlement  au  plan  de  syrnétrie; 
ron  6;  ils  sont  fusibles,  quoique  difficilement  au  il  suffit  d'appuyer  un  peu  dans  cette  direction  sur 
chalumeau.  Les  feldspaths  sont  des  éléments  es-  un  cristal  une  lame  tranchante  pour  obtenir  dos 
sentiels  des  granités,  des  gneiss;  ils  constituent  feuillets  aussi  minces  qu'on  le  veut.  Dans  les  carne- 
le  fond  de  la  pâte  des  porphyres,  des  roclies  vol-  res  de  gypse  des  environs  do  Paris,  on  trouve  de 
caniqucs.  Ceux  du  dernier  système  s'y  reconnais-  i  nombreux  cristaux  souvent  volumineux,  qui  ont  la 
sent  aux  stries  dont  sont  couvertes  leurs  faces.  |  forme  de  deux  lentilles  accolées  dans  une  grande 
Deux  autres  grands  groupes  de  silicates  entrent  i  partie  de  leur  étendue^  laissant  entre  leurs  parties 
encore  dans  la  composition  des  roches.  L'un  est    libres  un  angle  rentrant;  elles  se  clivent  perpen- 


celui  des  micas,  silicates  d'alumine  et  de  potasse, 
renfermant  les  uns  peu  ou  point,  les  autres  une 
grande  quantité  de  magnésie,  et  généralement  du 
fluor,  quelquefois  de  la  lithine,  etc.  Ils  sont  ca- 
ractérisés par  la  facilité  avec  laquelle  leurs  cris- 
taux, qui  sont  des  prismes  droits  k  base  rhombe 


diculairement  à  leurs  surfaces  convexes  ;  les  feuillets 
obtenus  par  ces  clivages  ressemblent  à  des  fers  de 
lance.  Le  gypse  présente  dos  bancs  quelquefois 
d'une  grande  épaisseur  et  d'une  grande  étendue; 
lorsqu'on  en  casse  un  morceau,  on  voit  briller  les 
clivages  des  petits   cristaux  qui  le  composent  et 


PIPERAGEES 


-   1603  — 


PIPERAGEES 


<\m  le  font  ressembler  au  sucre  candi.  On  recon- 
naît facilement  ces  masses  à  leur  peu  de  dureté; 
elles  se  rayent  avec  l'ongle. 

Cette  matiùre  porte  vulgairement  le  nom  de 
pierre  à  plâtre.  Chauffée,  elle  perd  son  eau  ;  si  la 
température  à  laquelle  on  l'a  soumise  ne  dépasse 
pas  100°,  elle  peut,  après  avoir  été  réduite  en 
poudre  et  gâchée  avec  une  quantité  d'eau  con- 
venable, reprendre  l'eau  qu'elle  avait  perdue  par 
calcination,  et,  une  fois  remise  dans  l'air  sec,  durcir 
et  se  consolider  de  nouveau.  C'est  à  cause  de  cette 
propriété  qu'on  l'utilise  comme  ciment  destiné  à  re- 
lier les  matériaux  des  maisons  et  des  édifices  ;  prépa- 
rée pour  cet  usage,  c'est-à-dire  chauffée,  puis  broyée 
à  l'aide  de  meules,  elle  porte  le  nom  de  plâtre  *. 

Parmi  les  autres  sulfates  naturels,  on  peut  men- 
tionner celui  de  baryte,  la  barytine  ou  spath 
pesant,  dont  les  cristaux  se  clivent  par  le  choc 
suivant  les  faces  d'un  prisme  droit  à,  base  rhombe, 
ce  qui  les  fait  placer  parmi  les  spaths  ;  leur  poids, 
considérable  pour  une  pierre,  puisque  leur  densité 


Toutes  ces  parties  de  la  plante:  racine,  tige, 
feuilles,  renferment  de  nombreuses  glandes  i 
huiles  essentielles,  et  une  quantité  prodigieuse 
d'oxalate  de  chaux  cristallisé  en  aiguilles  ou  en 
prismes  obliques,  courts. 

Les  fleurs  des  Pipéracées  sont  groupées  en  cha- 
tons grêles,  cylindriques,  presque  toujours  oppo- 
sés aux  feuilles.  Tantôt  les  fleurs  sont  hermaphro- 
dites, c'est-à-dire  qu'elles  présentent  des  étamines 
et  un  pistil  ;  tantôt  elles  sont  unisexuées,  c'est-à- 
dire  qu'elles  ne  présentent  que  des  étamines  ou 
qu'un  pistil.  A  la  base  de  chaque  fleur,  ou  trouve 
une  bractée  écailleuse;  celle-ci  peut  être  plus  ou 
moins  éloigiice  delà  fleur;  la  fleur  elle-même  est 
tantôt  sessile,  tantôt  plus  ou  moins  longuement 
pédicellée.  Dans  une  fleurhermaphrodite,  on  trouve 
ordinairement  deux,  trois  ou  six  étamines  {deux 
dans  les  Poivriers,  Irois  dans  les  Peperomia  et  six 
dans  les  Zipi>elia),  et  au  centre  de  ces  étamines 
un  seul  pistil  composé  d'un  ovaire  uuiloculaire 
surmonté  d'un  stigmate  sessile  généralement  lobé. 


est  d'environ  4.5,  légitime  l'épithète  de  pesant.  \  Lorsque  les  fleurs  sont  unisexuées,  on  observe,  à 
Cette  substance  est  intéressante,  parce  qu'elle  '  la  surface  des  chatons,  des  étamines  en  nombre 
accompagne  beaucoup  de  minerais  et  surtout  les  variable,  entremêlées  de  pistils.  Chaque  pistil  ne 
sulfures  de  plomb  et  de  zinc,  dont  elle  forme  j  contient  qu'un  ovule  dressé,  orthotrope,  bitégu- 
souvent  ce  qu'on  appelle  la  gangue  dans  les  filons.  ;  mente. 

'  '  En  mûrissant,  le  pistil  devient  une  baie  presque 

j  sèche  :  chaque  fruit  ne  renferme  qu'une  graine. 

Usages  des  Pipéracées.  —  Les  Pipéracées  sont 

Etym  :    originaires  des  régions  chaudes  de  l'Amérique,  des 

lies  de  la  Sonde  et  de  l'Inde;  elles  sont  peu  nora- 


[Ed.  Jannettaz 
PIGEONS.  —  V.  Gallinacés. 
PILES.  —  V,  Électricité. 
PIPÉRACÉES.  —  Botanique,  XXIV 
de  piper,  nom  latin  du  poivrier. 


Définition.  —  Les  Pipéracées  sont  des  végétaux  ,  breuses  en  Afrique.  Les  espèces  ligneuses  vivent 
dicotylédones  à  fleurs  incomplètes  sans  calice  ni  :  en  Asie  et  les  herbacées  en  .Amérique, 
corolle,  à  étamines  hypogynes,  à  ovules  ortliotro-  Le  genre  qui  fournit  le  plus  d'espèces  utiles  à 
pcs,  bitégumentés.  Les  Pipéracées  unies  aux  Sau-  l'homme  est  le  genre  Piper  ou  Poivrier. 
rurées  forment  un  groupe  très  particulier  de  végé-  Chacun  connaît  le  poivre  noir  et  le  poivre  blanc, 
taux  que  beaucoup  d'auteurs  rapprochent  des  usités  comme  condiments  sur  toutes  les  tables;  tels 
Gymnospermes.  j  qu'ils    sont   vendus   dans  le  commerce,  le  poivre 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  Pipé-  noir  est  le  fruit  tout  entier  du  poivrier  noir  (Piper 
racées  demeure  toujours  enfermée  dans  le  l'ri;\i,  '  nigriim),  et  le  poivre  blanc  est  ce  même  fruit  par- 
<iuelles  que  soient  les  préparations  que  l'on  fasse  [  tiéllement  décortiqué.  Pour  obtenir  le  poivre  noir, 
subir  au  péricarpe.  Le  tégument  séminal  est  tou-  '  on  cueille  les  baies  du  Piper  nigrum  un  peu  avant 
jours  réduit  aune  mince  lame  de  "parenchyme  1  leur  maturité;  on  les  fait  ensuite  sécher  au  soleil, 
conié;  il  protège  un  embryon  très  petit,  dicotylé-  en  les  étendant  sur  des  toiles.  Pour  obtenir  le 
doné,  à  suspenseur  presque  nul,  qui  plonge  tout  [  puivre  blanc,  il  suffit  de  cueillir  ces  mômes  baies 
entier  au  sein  d'une  masse  albumineuse  lenticu-  après  leur  complète  maturité,  de  les  laisser  rna- 
laire.  L'embryon  et  l'albumen  qui  l'entoure  sont  !  cérer  dans  l'eau,  puis  alors  seulement  de  les  faire 
enchâssés  dans  la  région  supérieure  d'un  nucelle  ■  sécher  au  soleil  ;  la  partie  charnue  du  péricarpe 
volumineux,  hypertrophié  pendant  la  maturation,  |  s'exfolie  alors  sous  le  simple  frottement,  en  rou- 
et transformé,  lui  aussi,  en  une  masse  albumineuse.  lant  les  fruits  entre  les  mains.  Le  poivrier  noir 
De  là  vient  que  le  poivre  est  cité  comme  présen-  j  croit  spontanément  dans  les  Indes  orientales  ;  on 
tant  deux  albumens.  Dans  le  périsperme  ou  albu-  le  cultive  au  Malabar,  à  Java  et  à  Sumatra.  Lors- 
men  nucellaire,  on  trouve,  outre  les  matières  qu'il  s'agit  d'clablir  une  plantation  de  poivrier  noir, 
grasses  et  les  essences  volatiles,  une  quantité  1  on  plante  d'abord  dans  le  terrain  préparé,  et  à  des 
considérable  de  cristaux  d'oxalate  de  chaux.  distances  convenables,  des  boutures  d'un  arbuste 

On  ne  connaît  guère  que  les  racines  adventives  !  destine  à  protéger  les  jeunes  pieds  de  poivriers; 
des  Pipéracées  ;  leur  forme  extérieure  rappelle  quand  les  boutures  sont  reprises  et  ont  poussé 
celledes  racines  de  certaines  orchidées.  One  section  quelques  branches,  on  plante  deux  pieds  de  poi- 
transversale,  pratiquée  au  travers  d'une  do  ces  ra- I  vrier  auprès  de  chacune  d'elles;  on  laisse  les 
cines,  montre  que  leur  faisceau  est  complètement  ^  plants  en  cet  état  pvndant  trois  ans  ;  au  bout  de 
dépourvu  de  productions  ligneuses  secondaires.  '  ce  lemps,  on  les  taille  et  on  les  étale  horizontale- 
C'est  là  un  des  nombreux  points  d'analogie  invo-  ment;  c'est  alors  seulement  que  le  poivrier  coni- 
ques par  les  auteurs,  pour  montrer  les  rapports    mence  à  fleurir  et  à  donner  des  fruits;  le  môme 


des  Pipéracées  avec  les  Aracées. 

La  tige  est  grêle  et  sarmenteusc  ;  elle  se  com- 
pose de  nombreux  faisceaux  monocentres  qui  sem- 
blent, au  premier  abord,  dispersés  sans  ordre  et 
que  1  on  a  comparés  à  ceux  des  Monocotylédones  : 
en  général,  tout  autour  de  cette  tige,  on  trouve  un 
cercle  plus  on  moins  épais  de  faisceaux  secon- 
daires. Les  faisceaux  centraux  seuls  se  rendent 
dans  les  feuilles.  La  surface  de  la  tige  est  fréquem- 
ment revêtue  d'une  mince  couche  de  liège  à  cel- 
lules très  aplaties. 

Les  feuilles  sont  opposées  ou  verticillées,  sim- 


plant  fleurit  plusieurs  années  consécutives. 

Los  fruits  du  Piper  trioinim,  originaire  de 
l'Aiie,  et  ceux  des  Piper  cilrifulium,  cr.icitum, 
amulagn,  originaires  d'Amérique,  sont  employés 
aux  mêmes  usages  que  ceux  du  Piper  nigrum. 

Le  poive  lun'i  est  l'épi  entier,  cueilli  bien  avant 
la  maturité,  du  Piper  longum,  arbrisseau  des  mon- 
tagnes de  l'Inde.  La  saveur  de  ses  fruits  est  en- 
core plus  brûlante  que  celle  du  poivre  noir. 

Les  feuilles  du  Piper  tietel  sont  aromatiques  et 
amères  ;  les  habitants  de  l'Asie  équatoriale  les 
mêlent  avec  de  la  noix  d'arec  et  de  la  chaux  pour 


A^^  ^' /^""'^''es,  épaisses,  à  nervures  faiblement  composer  un  masticatoire  dont  ils  font  un  usage 
réticulées  rappelant  la  nervation  des  Tamus  et  continuel.  Ce  mélange  est  utile  pour  exciter  les 
celle  des  Aroidées.  facultés   digestives  dans    ces  pays  chauds   et  liu 


PLANETES 


—  1604  — 


PLANETES 


mides  ;  mais  l'abus  du  bétel  devient  pernicieux  à  la 
longue  ;  il  donne  aux  dents  la  couleur  noire  de 
l'ébène  et  rend  les  gencives  sanguinolentes. 

La  racine  de  Vnva  (Piper  methijstticum),  broyée 
et  mâchée,  puis  mêlée  avec  du  suc  de  coco,  sert  i 
préparer  une  liqueur  très  enivrante  et  narcoti- 
que; cette  racine  est  employée  en  Angleterre 
comme  sudoritlque.  L'ava  est  cultivé  dans  les  îles 
tropicales  de  l'océan  Pacifique. 

Le  i"ruitdu  cuhébe  (Cubeba  officmalis),  nommé 
poii:ye  à  queue  ou  cuhébe,  est  fort  usité  en  phar- 
macie ;  on  l'emploie  en  poudre,  ou  bien  on  en 
extrait  une  huile  volatile  des  plus  actives.  Il  est 
originaire  de  Java. 

Lesfeuillesdu  m'it>co{Arthfmteelonffata),pHnte 
originaire  du  Pérou,  servent  aux  mêmes  usages  que 
le  cubèbe.  [C.-E.  Bertrand.] 

PISCICULTURE.  —  V.  Pèche. 

PLAIES.  —  V.  Accide/its. 

PLANÈTES.  —  Cosmographie,  Vil.  —  On 
donne  le  nom  de  planètes  aux  corps  célestes  qui 
circulent  périodiquement  autour  du  soleil,  en  dé- 
crivant des  orbites  dont  nous  donnerons  plus  loin 
la  définition  géométrique. 

Vues  de  la  terre,  qui  en  est  une  elle-même, 
les  planètes  ont  l'aspect  des  étoiles  ;  mais  elles 
s'en  distinsiuent  par  un  caractère  qui  a  été  remar- 
qué par  les  plus  anciens  observateurs  :  tandis  que 
la  multitude  des  étoiles  n'ont  d'autre  mouvement 
sensible  que  celui  qui  entraîne  toute  la  voûte 
céleste  d'orient  en  occident,  et  leur  fait  décrire 
une  révolution  en  un  jour  sidéral  (•,':!  heures  5G  mi- 
nutesl,  les  planètes  sont  douées  de  mouvements 
propres  et  indépendants  du  mouvement  diurne, 
auquel  elles  participent  d'ailleurs.  Le  sens  des 
mouveipents  propres  apparents  des  planètes  est, 
en  général,  contraire  à  celui  de  l'ensemble  du 
ciel  :  il  a  donc  lieu  d'occident  en  orient. 

De  là,  dès  la  plus  haute  antiquité,  la  distinc- 
tion des  étoiles  en  étoiles  fixes  et  étoiles  errantes 
ou  planètes  (ce  mot  vient  en  effet  du  grec  planéit's, 
de  pianos,  errimt).  Mais  les  astronomes  anciens, 
qui  ignoraient  le  vrai  système  du  monde,  appli- 
quaient le  nom  de  planètes  à  tous  les  astres 
doués  d'un  mouvement  propre  :  le  Soleil,  la 
Lune  étaient  pour  eux  des  planètes,  tandis  que 
la  terre,  qu'ils  considéraient  comme  immobile 
au  centre  du  monde,  n'en  était  pas  une.  Ils  en 
comptaient  sept  en  tout,  et  par  conséquent  ne 
connaissaient  que  cinq  véritables  planètes  :  Mer- 
cure, Vénu«,  Mars,  Jupiter  et  Saturne.  Le  nombre 
des  planètes  connues  dépasse  aujourd'hui  deux 
cents,  ainsi  qu'on  le  verra  plus  loin. 

A  l'œil  nu,  il  n'y  a  d'autre  moyen  assuré  de 
distinguer  les  planètes  des  étoiles  fixes,  en  dehors 
de  la  constatation  du  mouvement  propre,  que  de 
bien  connaître  les  configurations  ou  constellations 
formées  par  les  principales  étoiles  :  la  présence 
d'une  étoile  de  première  ou  de  seconde  grandeur 
en  une  région  où  n'existe  point  habituellement 
d'astres  de  cet  éclat,  indique  à  peu  près  certaine- 
ment une  planèie.  On  peut  ajouter,  maïs  ce  n'est 
point  un  caractère  absolu,  que  les  étoiles  fixes 
scintillent  fortement,  tandis  que  les  planètes  ont 
une  lumière  tranquille  presque  entièrement  dé- 
pourvue de  cette  sorte-  de  mouvement  vibratoire. 

Vues  au  télescope,  les  planètes  (au  moins  les 
plus  considérables)  paraissent  sous  la  forme  de 
disques  lumineux  de  dirimètres  sensibles;  quel- 
ques-unes présentent  des  phases  comme  la  lune. 
Les  étoiles  fixes,  au  contraire,  ne  se  montrent  ja- 
mais dans  les  lunettes  que  comme  de  simples 
points  lumineux.  L'immensité  de  leurs  distances, 
comparées  k  celles  des  planètes  et  du  soleil,  est 
la  raison_  de  cette  différence  d'aspect,  comme 
c'est  aussi  la  raison  de  leur  apparente  fixité. 

Enfin,  un  dernier  caractère  qui  distingue  les 
étoiles    des   planètes,    c'est    que    les   premières 


brillent,  comme  le  soleil,  d'une  lumière  qui  leur 
est  propre.  L'éclat  des  planètes  est  emprunté  à 
la  lumière  que  le  soleil  leur  envoie,  et  qu'elles 
rolléchissent  vers  nous.  D'où  il  résulte  que  la 
terre,  vue  des  planètes,  doit  se  présenter  égale- 
ment sous  l'aspect  d'une  étoile. 

Voyons  maintenant  quels  sont  le  nombre,  l'ordre 
et  les  mouvements  réels  des  planètes,  et  com- 
ment ces  mouvements  rendent  compte  de  leur» 
mouvements  apparents. 

Le  Soleil  est  le  centre  commun  autour  duquel 
circulent  toutes  les  planètes.  Dans  l'état  actuel  de 
la  science,  voici  l'énumération  de  ces  corps,  dans 
l'ordre  de  leurs  distances  croissantes  à  l'astre  cen- 
tral : 

Mercure, 

Vénus, 

La  Terre, 

Mars, 

20G  petites   planètes    ou  planètes  télesco- 
piques, 

Jupiter, 

Saturne, 

Uranus, 

Neptune. 

Ainsi,  le  système  planétaire  se  compose  de 
214  planètes  principales,  divisées  en  trois  groupes  : 
le  premier  groupe  comprend  les  quatre  planètes 
les  plus  voisines  du  soleil,  qu'on  désigne  aussi 
par  le  nom  de  planètes  moyennes  à  cause  de  leurs 
dimensions;  le  troisième  groupe  est  formé  des 
quatre  plus  grosses  qui  sont  aussi  les  plus  éloi- 
gnées :  ce  sont  les  gmsses  planètes  ;  enfin,  les 
2u6  planètes  télescopiques  forment  le  second 
groupe  qui  sépare  nettement  les  deux  premiers, 
puisque  sans  exception  toutes  circulent  dans  l'in- 
tervalle compris  entre  Mars  et  Jupiter. 

Dans  ce  qui  précède,  il  n'est  question  que  des 
planètes  proprement  dites,  de  celles  qu'on  appe- 
lait autrefois  planètes  principales.  Mais  plusieurs 
d'entre  elles  sont  accompagnées  de  corps  célestes 
plus  petits,  qui  circulent  autour  d'elles,  comme 
elles  le  font  elles-mêmes  autour  du  Soleil.  On  les 
appelait  autrefois  plnnète  serotidairfs.  mais  on 
leur  donne  plus  communément  aujourd'hui  le  nom 
de  sate/litfs. 

La  Terre  a  un  satellite  qui  est  la  Lune. 

Mars  a  deux  satellites. 

Jupiter  en  a  quatre,  Saturne  huit,  Uranus  qua- 
tre et  Neptune  un. 

Il  y  a  donc  vingt  satellites  connus  dans  le  sys- 
tème, de  sorte  que  le  monde  planétaire  se  com- 
pose en  réalité,  sans  compter  le  Soleil,  de  ".'34  corps- 
célestes.  Nous  n  y  comprenons  pas,  bien  entendu, 
les  comètes  qui  forment  une  famille  à  part. 

Orbites-  des  planètes.  Lois-  de  Képln-.  —  C'est 
à  Copernic  (1543)  qu'est  due  la  découverte  du 
double  mouvement  de  la  Terre  :  mouvement  uni- 
forme de  rotation  autour  d'un  axe  invariable  ; 
mouvement  de  circulation  ou  de  translation  au- 
tour du  soleil.  Ce  grand  homme  étendit  aux  pla- 
nètes la  loi  du  mouvement  de  circulation  reconnu 
pour  la  terre  même,  et  il  put  ainsi  rendre  compte 
de  toutes  les  circonstances  de  leurs  mouvements 
apparents,  en  bannissant  de  la  science  les  hypo- 
thèses compliquées  de  l'ancienne  astronomie.  Tou- 
tefois, il  conserva  celle  qui  attribuait  aux  orbites 
des  planètes  la  forme  circulaire  (le  cercle  étant 
pour  les  anciens  la  courbe  parfaite,  l'orbite  par  ex- 
cellence) et  qui  supposait  que  les  astres  se  meu- 
vent  avec  une  vitesse   rigoureusement  uniforme. 

Ce  reste  des  anciennes  erreurs  astronomiques 
fut  détruit  par  Kepler,  qui  donna  les  lois  des 
mouvements  planétaires,  formulées  dans  trois 
énoncés  célèbres,  que  nous  allons  reproduire  ici. 

La  première  loi  de  Kéj.ler  est  relative  à  la. 
forme  des  orbites.  Elle  établit  que  • 


PLANETES 


—  1605  — 


PLANETES 


L'orbite  décrite  par  chaqut  planète  est  vne 
courbe  plane,  une  ellipse  dont  le  centre  du  So- 
leil occupe  un  des  foyers. 

Il  résulte  de  1;\  que  la  distance  d'une  planète  au 
foyer  commun,  au  Soleil,  ne  reste  pas  constante 
dans  le  cours  de  chacune  de  ses  révolutions.  Cette 
distance  est  minimum,  quand  la  planète  se  trouve 
à  l'une  des  extrémités  du  grand  axe  de  l'ellipse  : 
c'est  la  distance  pèriliélie.  Elle  est  maximum, 
quand  la  planète  occupe  l'autre  extrémité  du 
grand  axe  :  c'est  alors  la  distance  ap/iélie.  C'est 
enfin  la  distance  moyenne,  si  la  planète  est  à  l'une 
ou  à  l'autre  des  extrémités  du  petit  axe  de  l'orbite. 

Toutes  les  orbites  planétaires  sont  des  ellipses. 
Mais  ces  ellipses,  outre  qu'elles  n'ont  pas  les 
mêmes  dimensions,  ne  sont  pas  semblables. 

Elles  se  rapprochent  ou  s'éloignent  plus  ou 
moins  de  la  forme  circulaire,  c'est-à-dire  sont  plus 
ou  moins  allongées,  plus  ou  moins  excentriques. 
L'élément  qui  les  différencie  de  la  sorte  est  ce 
qu'on  nomme  en  géométrie  l'excentricité,  c'est-à- 
■dire  le  rapport  entre  la  distance  du  foyer  au  cen- 
tre de  l'ellipse  et  le  demi-grand  axe.  Plus  est  petit 
le  nombre  qui  mesure  l'excentricité,  plus  l'orbite 
approche  du  cercle  ;  plus  il  est  grand,  plus  la 
courbe  s'éloigne  de  la  forme  circulaire.  Parmi  les 
huit  planètes  des  groupes  extrêmes,  c'est  Vénus 
et  Neptune  qui  ont  l'excentricité  la  plus  faible. 
Mars  et  Mercure  qui  ont  la  plus  forte.  Un  grand 
nombre,  parmi  les  petites  planètes,  ont  des  orbites 
très  excentriques. 

La  seconde  lot  de  Kepler  est  relative  à  la  vitesse 
de  chaque  planète  sur  son  orbite,  pendant  le  cours 
d'une  de  ses  révolutions.  Cette  vitesse  n'est  pas 
constante  ;  elle  varie  avec  la  distance  au  Soleil,  de 
plus  en  plus  grande  quand  cette  distance  diminue, 


Seconde  loi  de  iCùpler  :  éy;ilité  des  .-tires  décrites 
eii  temps  égaux. 

de  l'aphélie  au  périhélie;  de  plus  en  plus  petite, 
quand  la  distance  va  en  croissant,  du  périhélie  h 
l'aphélie.  Imaginons  que  l'orbite  soit  partagée  en 
un  certain  nombre  de  parties  dont  chacune  soit 
parcourue  par  la  planète  dans  un  même  intervalle 
de  temps;  et  qu'on  joigne  le  foyer  ou  le  Soleil  aux 
points  de  division  par  autant  de  lignes  droites  ou 
de  rayons  vecteurs.  On  aura  ainsi  autant  de  trian- 
gles à  bases  curvilignes  (tels  que  PP,S,  PjPjS, 
P»PsS,  fig.  1)  qu'il  y  a  de  divisions  dans  l'or- 
bite. Or,  Kepler  a  démontré  que  les  surfaces  ou 
aires  de  tous  ces  triangles  sont  égales.  La  seconde 
loi  doit  donc  s'énoncer  en  ces  termes  : 

Les  aires  décrites  ou  balayées  par  les  rayons 
vecteurs  d'une  planète  autour  du  foyer  solaire, 
sont  égales  en  temps  égaux,  ou  sont  proportion- 
nelles aux  temps  employés  à  les  décrire. 

Les  deux  premières  lois  de  Kepler  régissent  les 
mouvements  de  chaque  planète  isolée  sur  son  or- 
bite respective;  elles  ne  disent  rien   sur  les  rap- 


ports que  peuvent  avoir  ces  orbites,  de  sorte  qu'el- 
les subsisteraient  alors  même  qu'une  seule  planète 
circulerait  autour  du  Soleil-  Il  en  est  autrement 
de  la  troisième  loi,  qui  exprime  les  rapports 
existant  entre  les  dimensions  dos  grands  axes  et 
les  durées  des  révolutions  de  toutes  les  planètes 
du  système. 

Supposons  qu'on  prenne  pour  unité  des  distan- 
ces célestes  la  moyenne  distance  de  la  terre  au 
Soleil,  c'est-à-dire  le  demi-grand  axe  de  l'orbite 
de  notre  planète,  et  qu'on  exprime  à  l'aide  de  celte 
unité  les  moyennes  distances  des  autres  planètes, 
voici  les  nombres  qu'on  trouvera  pour  les  huit 
planètes  principales: 

Mercure 0.387 

Vénus 0.723 

La  Terre 1 .1100 

Mais 1.524 

Ju|Ht.T 5.203   , 

S:.tiMiif 9.539 

Iraii.n 10.183 

NeptuiP' 30.037 

Comparons  à  ces  nombres  ceux  qui  expriment, 
en  jours  moyens,  les  durées  des  révolutions  des 
mêmes  planètes.  Nous  trouverons  la  série  suivante  : 


Neptu 


S7.0C6 

224.701 

305.256 

686.980 

4,332.583 

10,759.220 

30,686.821 

60,126.720 


Cela  posé,  élevons  au  carré  tous  les  nombres  de 
la  seconde  série  ;  élevons  pareillement  au  cube 
tous  les  nombres  de  la  première.  Puis  cherchons 
le  rapport  entre  un  cube  quelconque  et  le  carré 
correspondant,  c'est-à-dire  divisons  le  premier 
par  le  second.  Nous  trouverons  le  même  quotient 
pour  toutes  les  planètes.  C'est  ce  rapport  con- 
stant qui  donne  lieu  à  l'énoncé  suivant  de  la  troi- 
sième loi  de  Kepler  : 

Les  carrés  des  temps  des  révolutions  sidérales 
des  planètes  autour  du  Soleil  sont  proportionnels 
aux  cubes  de  leurs  moyennes  distances,  ou,  ce  qui 
revient  au  môme,  aux  cubes  des  grands  axes  de 
leurs  orbites. 

De  cette  formule  découle  immédiatement  une 
importante  conséquence  :  c'est  qu'il  suffit  de  con- 
naître les  durées  des  révolutions  des  planètes 
pour  en  déduire  leurs  moyennes  distances  au  So- 
leil, ou  les  dimensions  des  grands  axes.  Dès  lors, 
qu'une  seule  de  ces  distances  soit  mesurée  en  va- 
leur absolue,  et  aussitét  toutes  les  autres  s'en  dé- 
duisent par  un  calcul  facile.  C'est  ce  résultat  que 
les  astronomes  du  dernier  siècle  sont  parvenus  à 
obtenir  en  calculant  la  distance  du  Soleil  à  la 
Terre,  par  l'observation  des  passages  de  Vénus  sur 
le  disque  de  l'astre.  Depuis,  on  a  pu  perfectionner 
la  méthode,  trouver  la  distance  du  Soleil  avec  plus 
d'exactitude,  et  enfin  calculer  ainsi  les  dimensions 
réelles  de  toutes  les  orbites  planétaires,  celles  de 
tout  le  système. 

Telle  est  la  grande  découverte  due  an  génie  de 
Kepler.  Ses  conséquences  ont  été  immenses.  Après 
Kepler,  en  effet,  Newton  est  venu  qui  a  fait  voir 
que  les  trois  grandes  lois  dont  on  vient  de  lire  l'énon- 
cé ne  sont  que  les  corollaires  d'une  loi  plus  géné- 
rale, de  la  loi  de  gravitation  qui  préside  aux  mou- 
vements de  tous  les  corps  célestes.  La  gravitation 
est  la  force  qui  maintient  les  planètes  dans  leurs 
orbites  autour  du  Soleil,  qui  fait  mouvoir  les  satel- 
lites autour  des  planètes,  et  la  pesanteur  n'est 
autre  chose  que  l'une  des  manifestations  de  cette 
force  universelle. 

Pour  achever  ce  qui  concerne  les  mouvements 
réels  des  planètes  autour  du  Soleil,  nous  dirons 
que  les  plans  des  orbites  planétaires  sont  peu  in- 


PLANETES 


—  1606  — 


PLANÈTES 


clinés  les  uns  sur  les  autres.  En  rapportant  ces 
inclinaisons  au  plan  de  l'orbite  de  la  Terre,  c'ejt- 
à-dire  à  l'écliptique,  on  trouve  les  angles  suivants 
pour  les  huit  planètes  principales.  Nous  y  jo- 
gnons  les  nombres  qui  mesurent  les  excentricités  : 


Inclinaison. 

Exccntricit 

30  24' 

Jupiter 

Saturne 

tM9' 

0.114825 

1°  47' 

0.008% 

qi'on  admet  le  double  mouvement  de  translation 
de  cette  planète  d'une  part  et  de  la  Terre  de 
l'autre,  ces  deux  mouvements  s'eJfectuant  dans  le 
même  sens,  c'est-à-dire  d'occident  en  orient.  Un 
coup  d'œil  jeté  sur  la  figure  2  suffira  pour  faire  saisir 
la  raison  des  conjonctions,  des  stations  et  rétro- 
gr'Jations  apparentes  qu'on  vient  de  décrire. 
Vénus  (ou  Mercure)  étant  en  V  quand  la  Terre  est 
en  T,  toutes  deux  en  ligne  droite  avec  le  Soleil  S, 
il  y  a  conjonction  inférieure.  Le  mouvement  de  la 
planète  sur  son   orbite  est  plus  rapide  que  celui 


Les  faibles  inclinaisons  des  orbites  font  que  les 
mouvements  des  planètes,  sur  la  vovite  céleste, 
tels  que  nous  les  observons  de  la  Terre,  s'effec- 
tuent dans  une  région  très  limitée  du  ciel.  Ils 
s'écartent  peu  de  part  et  d'autre  de  l'écliptique, 
et  la  zone  où  les  planètes  se  trouvent  ainsi  renfer- 
mées est  celle  qui  est  connue  depuis  l'antiquité 
sous  le  nom  de  zodiaque  et  dont  la  largeur  est  d'en- 
viron 18  degrés.  Il  faut  dire  toutefois  que  quelques- 
unes  des  petites  planètes  ont  des  inclinaisons  no- 
tablement plus  fortes,  de  sorte  que,  dans  leurs 
mouvements,  elles  s'écartent  de  l'ancien  zodiaque. 

Stations  et  rétrogradations  des  mouvements  pla- 
nétaires. Revenons  maintenant  aux  mouvements 
apparents  des  planètes,  et  voyons  comment  les 
circonstances  qu'ils  présentent  reçoivent  leur  ex- 
plication de  leurs  mouvements  réels  combinés  avec 
celui  de  la  Terre  même. 

Considérons  d'abord  les  deux  planètes  les  plus 
voisines  du  Soleil,  Mercure  et  Vénus,  dont  les  or- 
bites sont  enveloppées  par  l'orbite  de  la  Terre.  On 
les  nomme  pour  cette  raison  ilanèt'S  inférieures. 

Deux  fois  par  révolution,  Vénus  se  trouve  avoir 
même  longitude  que  le  Soleil,  et  comme  le  plan 
de  son  orbite  est  très  peu  incliné  sur  l'écliptique, 
la  planète  devient  invisible  à  ces  deux  époques, 
parce  que  sa  lumière  se  confond  dans  les  rayons 
du  Soleil.  Le  même  phénomène  s'observe  pour 
Mercure.  On  nomme  conjonctions  ces  deux  posi- 
tions particulières  :  conjonction  supérieure  celle 
qui  a  lieu  quand  les  planètes  se  trouvent  au  delà  du 
Soleil,  conjonction  inférieure  quand  elles  passent 
en  deçà.  Dans  ce  dernier  cas,  il  arrivera  que  la 
planète  traverse  en  apparence  le  disque  du  Soleil, 
et  peut  y  être  observée  sous  l'aspect  d'un  petit  dis- 
que noir.  Ces  derniers  phénomènes  ont  lii-u,  pour 
Vénus,  environ  deux  fois  par  siècle,  à  huit  ans 
d'intervalle  ,  en  juin  et  décembre  ;  pour  Mercure, 
les  passages  sont  plus  fréquents  et  se  reprodui- 
sent deux  fois  environ  tous  les  treize  ans,  dans  les 
mois  de  mai  et  de  novembre. 

A  partir  de  la  conjonction  supérieure,  la  planète 
s'éloigne  progressivement  du  Soleil  vers  l'orient  ; 
son  mouvement  est  alors  direct;  puis  il  se  ralentit 
peu  à  peu  et  la  planète  Aeyïenistatioyinmre.  Sa  dis- 
tance apparente  à  l'orient  du  Soleil  atteint  un 
maximum  qui  est  d'environ  48"  pour  Vénus,  29° 
pour  Mercure.  Puis  elle  rétrograde,  c'est  à-dire 
se  rapproche  peu  à  peu  du  Soleil,  jusqu'au  moment 
do  la  conjonction  inférieure. 

Dans  toute  cette  partie  de  son  mouvement,  la 
pl.inète  reste  à  l'orient  du  Soleil,  et  dès  lors  n'est 
visible  qu'après  son  coucher.  Elle  passe  ensuitr, 
en  conservant  son  mouvement  rétrograde,  à  l'ocri- 
dent  de  l'astre,  et  redevient  visible  le  matiji  avant 
son  lever.  Lorsqu'elle  a  atteint  un  point  où  son 
mouveinent  apparent  s'est  ralenti  au  point  de  de- 
venir nul,  la  planète,  de  nouveau  ste/!o«fiaire,  est 
à  son  maximum  à'élomjation  occidentale.  A  partir 
de  là,  elle  se  rapproche  du  Soleil  par  un  mouve- 
ment direct,  jusqu'à  ce  qu'elle  parvienne  à  unn 
nouvelle  conjonction  supérieure. 

Rien  de  plus  aisé  à  comprendre  que  ces  oscil- 
lations périodiques  d'une  planète  inférieure,  dès 


'  Eiplicati 


I  des  movivements  apparents  d'une  pla- 
nète inférieure. 


de  la  Terre  sur  la  sienne  ;  les  rayons  visuels  me- 
nés à  Vénus  s'écarteront  donc  de  plus  en  plus  du 
Soleil,  jusqu'à  la  position  Vj,  où  ils  resteront  sen- 
sibl^ement  parallèles;  peu  après,  Vénus  paraîtra 
s'arrêter  pour  reprendre  ensuite  un  mouvement 
apparent  de  sens  contraire.  L'inverse  aurait  lieu 
si  l'on  partait  des  positions  T  et  V,  où  la  terre  et 
Vénus  sont  en  ligne  droite  avec  le  Soleil,  mais  de 
chaque  côté  de  l'astre,  c'est-à-dire  d'une  conjonc- 
tion supérieure. 

Les  mêmes  mouvements  et  les  mêmes  positions 
relatives  des  planètes  inférieures  rendent  compte 
de    l'apparence    qu'elles    ofTrent  à    l'observateur. 


et  (basesd'une  plauctc  luféricure. 


PLANETES 


—  1607 


PLANETES 


lorsqu'on  les  examine  au  tcloscopc.  On  les  volt  alors, 
tantôt  sous  forme  de  croissant  délié,  tantôt  sous 
colle  d'un  disque,  plus  ou  moins  complètement 
éclairé  ;  elles  présentent  en  un  motdes  phases  sem- 
blables aux  phases  de  la  Lune  (flg.  3). 

Les  mouvements  apparents  des  autres  planètes 
telles  que  Mars,  Jupiter,  Saturne,  etc.,  c'cst-ii-dire 
des  planètes  plus  éloignées  du  Soleil  que  ne  l'est 
la  Terre,  en  un  mot  des  planâtes  supérieures, 
s'expliquent  avec  la  môme  facilité. 

Deux  fois  par  révolution.  Mars  (que  nous  pren- 
drons pour  exemple)  se  trouve  en  ligne  droite  avec 
le  Soleil  et  la  Terre.  Si  la  planète  est  au  dcMi  du 
Soleil  par  rapport  i  nous,  sa  longitude  est  la  même 
que  celle  du  Soleil,  et  l'on  dit  qu'elle  est  en  con- 
jonction.  Si  c'est  la  Terre  qui  est  entre  le  Soleil 
et  Mars,  la  longitude  de  celle-ci  diffère  de  celle 
du  Soleil  de  180°;  on  dit  alors  qu'elle  est  en  o/)|)osi- 
tion. 

Soit  alors  M  (flg. -i)  la  position  de  Mars,  etT  celle 
de  la  terre.  Pendant  que  Mars,  se  mouvant  d'occi- 
dent en  orient,  parcourra  les  arcs  Mïn,  mm',  mm" 
de  son  orbite,  la  Terre  ira  dans  le  mémo  sens  en 
i,  t,  t"...;  mais  le  mouvement  de  la  Terre  étant 


.  4.  —  ExplicutioQ  des  mouvements  apparents  d'u 
nète  supérieure. 


:  pla- 


plus  rapide  que  celui  de  Mars,  les  rayons  visuels 
Im,  t'm',  etc.,  iront  aboutir  sur  la  voûte  céleste  en 
des  points  situés  à  droite  de  la  position  primitive 
de  la  planète  :  celle-ci  paraîtra  donc  rétrograder 
dans  le  ciel.  .Mais  ce  mouvement  do  rétrogradation 
apparente  ira  en  diminuant  de  vitesse  ;  un  moment 
arrivera  où  les  rayons  visuels  t"m",  t"'m"'  conser- 
veront leur  parallélisme.  Alors  Mars  semblera  sta- 
tionnaire.  Une  semblable  station  avait  eu  lieu  avant 
l'opposition,  comme  on  peut  s'en  rendrecompte  par 
la  similitude  des  positions  des  deux  planètes.  Après 
la  station  qui  suit  l'opposition,  les  rayons  visuels 
divergent  de  nouveau,  mais  en  sens  contraire  :  le 
mouvement  de  Mars  devient  direct  et  sa  vitesse 
croit  jusqu'à  l'époque  de  la  conjonction,  où  cette 
vitesse  est  maximum.  Puis  il  continue  d'être  direct, 
tnais  avec  une  vitesse  décroissante  jusqu'à  la  sta- 
tion qui  précède  l'opposition  suivante. 

L  intervalle  de  temps  qui  s'écoule  entre  deux 
conjonctions  ou  deux  oppositions  pour  les  planètes 
sui)érieures,  ou  entre  deux  conjonctions  do  même 
nom  pour  les  planètes  inférieures,  ist  ce  qu'on 
nomme  la  révolution  tsyno(Hqiie  de  la  planète,  qu'il 
ne  faut  pas  confondre  avec  la  révolution  sidérale. 
Celle-ci  s'entend  du  temps  que  met  la  planète  à 
accomplir  une  révolution  entière  au  même  point 
de  son  orbite.   Nous  avons  donné  les  révolutions 


sidérales  des  huit  planètes  principales,  lesquelles 
vontde  87  jours  environ  pourMercureà  165  années 
pour  Neptune.  Les  valeurs  des  révolutions  syno- 
diques  sont  entièrement  différentes,  parce  qu'elles 
s'entendent  des  mouvements  apparents  vus  de  la 
Terre  :  voici  en  effet  leurs  valeurs  moyennes  pour 
les  mêmes  planètes  : 


direct.        rétrograde. 
93  jours    23  jours 


Durée 
de  ta  révolution 

.Mercure 1 16  jours 

Vénus 584  — 

Mars 780  — 

Jupiter 3S9  — 

Saturne .'JTS  — 

i;ranus 369  — 

Neptune 367  — 


Monographie  des  planètes  principales.  —  Entrons 
maintenant  dans  quelques  détails  sur  les  diverses 
planètes  du  système,  sur  ce  qu'on  sait  de  leur 
constitution  physique,  de  leurs  dimensions,  de 
leurs  masses,  de  leurs  mouvements  de    rotation. 

Meucuke.  —  Cette  planète,  avons-nous  dit,  obser- 
vée au  télescope,  présente  des  phases.  En  étudiant 
les  irrégularités  présentées  par  les  cornes  du 
croissant,  on  a  constaté  qu'elle  tourne  sur  elle- 
même,  et  que  la  durée  de  cette  rotation  est  de 
i'\  heures  5  minutes.  Son  diamètre  est  environ 
les  38  centièmes  du  diamètre  do  la  Terre,  ce  qui 
donne  à  Mercure  un   volume    de  18  :i  19  fois  plus 


petit  que  celui  de  notre  globe  :  c'est  la  moins 
volumineuse  des  huit  planètes  principales. 

Mercure  parait  doué  d'une  atmosphère  très 
donse.  Son  disque,  très  lumineux,  mais  d'une 
observation  difficile,  a  paru  traversé  par  une  bande 
grisâtre,  qu'on  croit  coïncider  avec  la  zone  équa- 
toriale.  Sa  masse  n'est  pas  la  quatre-millionième 
partie  de  la  niasse  du  Soleil,  un  peu  moins  de  la 
treizième  partie  de  celle  de  la  terre.  Mais  sa  den- 
sité dépasse  celle  de  notre  globe  (l.3"6). 

Les  échancrures  du  croissant  de  Mercure  ont 
fait  supposer  qu'il  existe  à  sa  surface  de  très 
hautes  montagnes. 

VÉNUS.  —  Mêmes  apparences  de  phases  que  Mer- 
cure. En  étudiant  les  irrégularités  de  son  croissant 
et  les  tacites  que  le  télescope  a  periuis  d'observer 
à  la  surface  du  disque,  on  a  conclu  que  Vénus 
tourne  sur  elle-même  en  23  heures  21  minutes. 
Son  diamètre  apparent  est  de  dimensions  très 
variables,  en  raison  des  irrégularités  considérables 
que  présentent  ses  distances  à  la  Terre,  lesquelles 
varient  entre  10  millions  et  64  millions  de  lieues. 

Elle  a  presque  les  mômes  dimensions  que  la 
terre.  Son  diamètre  est  0.954  ;  son  volume  0.868. 
On  a  cru  remarquer,  comme  pour  Mercure,  un 
aplatissement  aux  pôles  de  rotation  ;  nuis  la  me- 
sure en  est  incertaine.  La  masse  de  Vénus  est  un 
peu  plus  des  trois  quarts  de  la  masse  terrestre  ; 
sa  densité  est  0.905,  celle  de  la  Terre  étant  1. 


PLANETES 


—  1608  — 


PLANETES 


On  a  la  preuve  que  Vénus  est  entourée  d'une  |  difficiles.  On  a  constaté  néanmoins  l'existence  k 
atmosphère  assez  élevée  et  assez  dense.  La  vivacité  la  surface  de  taclies  obscures  qui  paraissent  per- 
de sa  lumière  rend  les  observations  de  son  disque  |  niaTientes. 


Mabs.  —  Les  distances  de  Mars  à  la  Terre  va- 
rient dans  des  limites  très  étendues,  qui  donnent 
lieu  à  des'variations  inverses  dans  les  dimensions 
apparentes  de  son  disque.  Dans  certaines  opposi- 
tions, Mars  n'est  plus  éloigné  de  nous  que  de 
14  000  000  lieues,  tandis  qu'à  l'époque  des  conjonc- 
tions cette  distance  atteint  près  de  lUOOOOOOOde 
lieues. 

Vu  au  télescope,  le  disque  de  Mars  présente  des 
phases  :  à  l'époque  des  quadratures  son  disque 
ressemble  au  disque  lunaire  deux  ou  trois  jours 
avant  ou  après  son  plein. 

Son  diamètre  n'est  que  les  54  centièmes  de  ce- 
lui de  la  Terre  ;  son  volume  est  0.157,  un  peu 
moins  du  sixième  du  volume  de  notre  globe. 
Mars  tourne  sur  lui-même  en  ii  heures  37  mi- 
nutes ;  ce  mouvement  de  rotation  a  pu  être  me- 
suré avec  une  grande  précision,  grâce  aux  taches 
permanentes  qui  parsèment  son  disque.  Ces  ta- 
ches ont  d'ailleurs  fourni  les  données  les  plus  in- 
téressantes sur  sa  constitution  physique, qui  aune 
grande  analogie  avec  celle  de  la  Terre.  Elles  se 
distinguent  en  taches  lumineuses,  de  teinte  légè- 
rement rougcâtre,  qui  sont  sans  doute  les  terres 
ou  les  continents  de  la  planète,  et  en  taches 
sombres  d'un  gris  bleuâtre  qui  en  sont  les  mers. 
En  outre,  on  observe  aux  deux  pôles   de  rotation 


des  taches  blanches  très  lumineuses,  dont  l'éten- 
due varie  avec  les  époques  ou  saisons  de  chaque 


hémisphère  de  Mars.  Elles  s'étendent  en  hiver  et 
diminuent  en  été  :  on  croit  donc  que  ce  sont  des 
accumulations  de  neige  ou  de  glaces,  comme  en 
présente  notre  globe  dans  les  deux  zones  polaires 
boréale  et  australe. 

Le  globe  de  Mars  est  sensiblement  aplati  aux 
pôles  de  rotation. 

La  présence  d'une  atmosphère  vaporeuse  a  été 
constatée  par  l'étude  de  taches  mobiles  qui  se 
promènent  au-devant  des  taches  permanentes. 

La  masse  de  Mars  est  la  deux-millionième  partie 
de  la  masse  du  Soleil,  la  neuvième  partie  environ 
de  la  masse  de  la  Terre.  Sa  densité  no  dépasse 
guère  les  sept  dixièmes  de  la  densité  terrestre. 

Mars  a  deux  satellites  qui  circulent,  le  plus 
voisin  en  7  heures  et  demie,  le  plus  éloigné  en 
30  heures  un  quart  autour  de  la  planète.  Leur 
découverte,  toute  récente,  est  due  à  l'astronome 
américain  Asaph  Hall  (août  1877). 

Les  petites  planètes.  —  Les  anciens  ne  connais- 
saient, la  Terre  comprise,  que  six  planètes.  La 
septième  fut  découverte  en  1781  par  Herschel  ;  c'est 
la  planète  Uranus  ;  et  ce  n'est  qu'en  1846  que  Le 
Verrier  calcula,  avant  l'observation,  les  éléments 
d'une  huitième  planète  principale,  qui  fut  Neptune. 

Mais,  dès  le  1"  janvier  1801,  la  première  des 
206  petites  planètes  aujourd'hui  connues,  Cérès, 
fut  découverte  par  Piazzi,  et  bientôt  Pallas,  Ju- 
non  etVesta  vinrent  augmenter  le  nombre  de  ces 
petits  astres,  qui  tous  circulent  dans  l'intervalle 
des  orbites  de  Jupiter  et  de  Mars.  Presque  tous 
les  ans,  leur  nombre  s'accroît  par  des  découvertes 
nouvelles. 

11  y  a  donc,  entre  les  deux  groupes  des  planètes 
moyennes,  que  nous  venons  de  décrire,  et  des 
^'rosses  planètes,  une  sorte  d'anneau  formé  de 
cette  multitude  de  planètes,  la  plupart  si  petites 
qu'elles  sont  tout  à  fait  invisibles  i  l'œil  nu.  Au 
télescope  même,  à  part  celles  que  nous  venons 
de  nommer,  elles  paraissent  comme  de  simples 
points  lumineux;  aussi  ne  sait-on  rien  de  leur 
I  constitution  physique. 

Leurs  orbites  sont  renfermées  dans  une  zone 
dont  la  largeur  est  d'environ  4f)  millionsde  lieues, 
et  les  durées  de  leurs  révolutions  sont  comprises 
entre  3  ans  et  6  ans  et  demi  environ. 

Un  astronome  du  xviii"  siècle,  Titius,  trouva  entre 
lesdistances  desplanètes  au  Soleil  une  relation  em- 
pirique, qui  parut  assez  remarquable  pour  qu'on 
lui  donnât  le  nom  de  loi.  Voici  en  quoi  elle  con- 
siste. On  écrit  la  série  des  nombres  suivants  : 


0    3    C     12    34 


96     192    .384... 


PLANETES 


—  1009  — 


PLANETES 


dont  chaque  terme  (le  second  excepté)  so  forme 
en  doublant  le  précédent.  A  cliaque  terme,  on 
ajoute  le  nombre  4,  et  alors  on  a  la  suite  : 

4     7     10     16    28     52     100     196    388... 

Les  planètes  connues  du  temps  de  Titius  étaient 
Mercure,  Vénus,  la  Terre,  Mars,  Jupiter,  Saturne, 
dont  les  distances  au  Soleil  sont  assez  exactement 
représentées  par  les  nombres  4,  7,  10,  IG,  52  et 
100.  La  découverte  d'Uranus,  dont  la  distance 
serait  exprimée  avec 
la  même  unité  par 
le  nombre  rj2,  pa- 
rut confirmer  encore 
l'existence  de  la  loi 
en  question. 

Seulement,  il  y 
avait  une  lacune  ;  le 
nombre  2tl  ne  corres- 
pondait alors  h  au- 
cune planète  connue. 
On  supposa  qu'il  de- 
vait y  avoir,  entre 
Mars  et  Jupiter,  une 
planète  qui  avait  jus- 
qu'alors échappé  aux 
observations.  Et,  en 
effet,  les  découvertes 
successives  de  Gé- 
rés, puis  de  Pallas 
et  de  Junon, répon- 
dirent à  l'hypothèse, 
car  leurs  distances 
moyennes  au  soleil 
pouvaient  se  repré- 
senter approximati- 
vement par  le  nom- 
bre   28.      On      crut 

(lu'elles  provenaient  d'une  planète  unique  dont 
elles  étaient  des  fragments.  Toutefois  la  découverte 
de  Vesta,  puis  celles  des  nombreuses  planètes  té- 
lescopiques,  qui  vinrent  successivement  prendre 
la  place  do  la  lacune  primitive,  ne  permirent  point 
de  considérer  la  loi  formulée  comme  rigoureuse. 

En  outre,  Neptune,  dont  la  distance  réelle  est  ex- 
primée par  le  nombre  308,  est  bien  éloigné  d'occu- 
per la  position  marquée  par  le  terme  388,  qui  de- 
vrait caractériser  la  planète  située  au  delà  d'Uranus. 
La  loi  de  Titius  n'est  donc  qu'une  relation  appro- 


m 

Sb^ 

r 

1 

■*,...,,:J 

% 

^^^^^Ê. 

1 

^,igrr>|iulfii|i;i?SgB^X 

L. 

A 

N'       ■    ■ 

■  Jupiter  ■ 


chée,  empirique;  mais  elle  est  bonne  h  retenir,  et, 
comme  moyen  mnémonique,  elle  permet  de  re- 
trouver aisément  les  distances  relatives  des  pla- 
nètes principales  au  Soleil.  On  l'appelle  aussi  loi 
de  Hoite,  du  nom  d'un  astronome  allemand  qui  l'a 
exposée  après  Tiiius. 

Jui'iTEB.  —  C'est  la  plus  grosse  de  toutes  les 
planètes.  Son  diamètre  on  effet  dépasse  onze  fois 
le  diamètre  de  la  Terre,  et  son  volume  est  près 
de  1  400  fois(l  31)0)  aussi  considérable  que  le  vo- 
lume de  notre  globe. 
Sa  niasse,  mille  fois 
moindre  que  la  mas- 
se solaire,  est  égale  à 
309  fois  la  masse  ter- 
restre, ce  qui  don- 
ne pour  sa  densité 
moyenne  un  peu 
moins  du  quart  de 
ladensitédela  Terre. 
En  observant  Jupi- 
ter au  télescope  (fig. 
8),  on  aperçoit  sur 
son  disque  des  ban- 
des alternativement 
sombres  et  lumineu- 
ses, disposées  paral- 
lèlement et  dont  la 
forme  et  l'aspect  sont 
continuellement  va- 
riables. Les  bandes 
brillantes  sont  con- 
sidérées comme  des 
accumulations  de 
niasses  vaporeuses, 
de  nuages  qui  ré- 
fléchissent fortement 
la  lumière  solaire, 
et  les  intervalles  obscurs  qui  les  séparent  comme 
des  parties  plue  transparentes  de  l'atmosphère 
laissant  voir  le  sol  de  la  planète.  Elles  sont  fré- 
quemment parsemées  les  unes  et  les  autres  de 
taches  plus  sombres,  dont  on  peut  suivre  le  mou- 
vement sur  le  disque  et  qui  ont  permis  de  cons- 
tater et  de  mesurer  la  rotation  de  Jupiter.  On  a 
trouvé  ainsi  que  son  globe  tourne  en  a  heures 
65  minutes  autour  d'un  axe  à  peu  près  perpen- 
diculaire à  la  direction  des  bandes.  La  rapidité 
de  ce   mouvement  de  rotation   explique  parfaite- 


upe  ;  tes  baades  de  son  disque. 


ment  la  disposition  des  zones  nuageuses  dans 
une  direction  parallèle  à  l'équateur  de  Jupiter.  Elle 
rend  compte  aussi  de  l'aplatissement  du  globe ,  apla- 
tissement qui  est  assez  considérable  pour  qu'on  le 
î"°"^'^'^  d'un  premier  coup  d'œil;  en  mesurant 
le  diamètre  équatorial  et  le  diamètre  polaire,  on 
trouve  que  leur  rapport  est  celui  des  nombres 
I"etl6;  cet  aplatissement  de  jL.  est  ainsi  près 
de  n  fois  aussi  considérable  que  l'aplatissement 
terrestre. 

L'année  de  Jupiter,  on  l'a  vu  plus  haut,  est 
■égale  à  environ  12  années  terrestres.  Elle  ne  com- 
prend pas  moins  de  10,477  jours  solaires  de   la 


planète.  La  faible  inclinaison  do  l'équateur  sur  le 
plan  de  l'orbite  doit  produire  des  variations  très 
petites  et  très  lentes  dans  la  durée  relative  des 
jours  et  des  nuits,  comme  aussi  dans  les  climats 
et  dans  les  saisons. 

Jupiter  est  entouré  de  quatre  satellites  :  on  les 
voit,  dans  les  lunettes,  comme  de  petites  étoiles 
qui  oscillent  de  part  et  d'autre  du  disque  de  la 
planète,  et  qui  subissent  de  fréquentes  éclipses, 
soit  en  passant  derrière  le  globe  de  Jupiter,  soit 
en  pénétrant  dans  le  cône  d'ombre  que  ce  globe 
projette  dans  l'espace  h  l'opposé  du  Soleil.  Ces 
quatre  satellites  circulent  à  des  distances  du  cen- 


PLANETES 


1610  — 


PLANETES 


tre  de  Jupiter  équivalentes  à  6,  9,  15  et  27  de  ses 
rayon?  équatoriaux.  Les  durées  de  leurs  révolu- 
tions sont  les  suivantes  : 

I"  satellite,  lo I  j.  18  h.  27  m. 

2"        —        Europa 3  13  H 

3"        —        Ganymède 7  3  43 

i"        —        Callisto 16  16  3» 

Le  plus  petit,  qui  est  le  second,  est  seul  moins 
gros  que  la  Lune.  Le  plus  gros,  Ganymède,  dé- 
passe des  deux  tiers  le  volume  de  la  planète  Mer- 
cure. 

Sati'rne.  —  Après  Jupiter,  dans  l'ordre  des  dis- 
tances au  Soleil,  nous  rencontrons  Saturne,  qui 
met  SlV^innées  1/2  environ  à  accomplir  sa  révolu- 
tion sidérale.  Pour  les  dimensions,  c'est  la  seconde 
des  planètes  ;  son  diamètre,  en  effet,  n'est  pas  in- 
férieur à  9  fois  1/2    le  diamètre  terrestre,  et  son 


volume  vaut  700  fois  le  volume  de  la  Terre.  Enfin, 
sa  masse,  égale  à  la  3  500*  partie  de  la  masse  so- 
laire, un  peu  moindre  que  le  tiers  de  celle  de  Ju- 
piter, est  environ  92  fois  plus  forte  que  celle  d» 
notre  globe. 

C'est  certainement  la  plus  curieuse  des  planètes  : 
non  seulement,  avec  ses  huit  satellites,  Saturne 
forme  un  sj'stème  planétaire  en  miniature  ;  mais 
il  est  environné  à  distance  par  un  étrange  ap- 
pendice, unique  dans  le  monde  solaire.  C'est  un 
anneau,  ou  mieux  un  assemblage  d'anneaux  con- 
centriques entièrement  indépendants  du  globe  de 
la  planète  et  tournant  autour  de  lui,  à  peu  près 
dans  le  plan  de  son  équateur. 

Vu  au  télescope,  l'anneau  de  Saturne  se  présente 
sous  des  aspects  différents,  suivant  l'époque  et  la 
position  relative  que  la  planète  occupe  par  rapport 
à  la  Terre.  Tantôt  il  apparaît  comme  une  double 


Saturne  et  ses  anneaux 


anse  lumineuse  débordant  le  disque  de  Saturne, 
tantôt  son  ellipse  se  rétrécit  dans  le  sens  de  rota- 
tion, tantôt  il  devient  invisible  ou  à  peine  percep- 
tible comme  une  ligne  lumineuse  très  étroite  :  il 
est  aisé  de  se  rendre  compte  de  ces  apparences 
par  les  effets  de  la  perspective. 

Le  globe  de  Saturne  est  fortement  elliptique  : 
son  aplatissement  aux  pôles  n'est  pas  moindre  de  j^. 
Sa  surface,  examinée  au  télescope,  laisse  voir  des 
bandes  grisâtres  parallèles  à  l'anneau,  et  certaines 
taches  qui  ont  permis,  par  leur  mouvement  de 
progression,  de  mesurer  la  durée  de  la  rotation  de 
la  planète,  qui  est  d'environ  10  heures  1/2.  C'est 
à  peu  près  aussi  la  durée  de  la  rotation  du  sys- 
tème des  anneaux. 


L'appendice  singulier  qui  constitue  ce  système 
est  formé  de  deux  anneaux  principaux  séparés  par 


un  intervalle  vide.  L'anneau  extérieur,  plus  étroit 
que  l'autre,  est  légèrement  grisâtre  ;  l'intérieur  est 
plus  blanc  ou  plus  lumineux;  il  est  accompagné, 
sur  le  bord  interne,  d'un  troisième  anneau  sombre 
et  comme  transparent.  Ces  anneaux  sont-ils  formés 
de  matière  solide,  liquide  ou  gazeuse  ?  Quelques 
savants  les  considèrent  comme  composés  par  l'ag- 
glomération d'une  multitude  de  corps  qui  seraient 
autant  de  satellites  de  la  planète. 

Quant  aux  huit  satellites  de  Saturne,  ils  font 
leur  révolution  en  des  temps  qui  vont  de  22  heures 
.37  minutes  pour  le  plus  voisin  de  Saturne  jusqu'à 
"9  jours  8  heures  53  minutes  pour  le  plus  éloigne. 
Ce  dernier  est  à  une  distance  de  G4  rayons  de  Sa- 
turne du  centre  du  globe  central,  c'est-à-dire  h 
près  d'un  million  de  lieues. 

UnANi'S.  —  A  une  distance  moyenne  de  19  fois 
la  distance  du  Soleil  à  la  Terre,  circule  Uranus, 
qui  accomplit  sa  révolution  en  84  ans.  Le  globe  de 
cette  planète  a  un  diamètre  égal  à  4.2,  celui  de  la 
Terre  étant  pris  pour  unité  ;  son  volume  est  75  fois 
plus  gros  que  le  volume  terrestre.  On  a  récemment 
observé  des  taches  qui  donneraient  une  durée 
d'environ  12  heures  h  la  rotation  d'Uranus.  Quatre 
satellites  circulent  autour  de  lui  en  des  périodes 
qui  vont  de  ".!  jours  12  heures  à  13 jours  11  heures. 
La  masse  d'Uranus  est  près  de  16  fois  celle  de  la 
Terre,  ou  environ  la  20  OOo"  partie  de  la  masse  du 
Soleil.  Sa  densité  est  0.20'J  ou  un  peu  plus  du 
cinquième  de  celle  de  notre  globe. 

Neptune.  —  C'est  la  dernière  des  planètes  connues 
dans  l'ordre  des  distances  au  Soleil.  Klle  circule 
en  165  années  dans  une  orbite  dont  le  rayon  moyen 
mesure  30  fois  le  rayon  de  l'orbite  terrestre,  c'est- 


PLANS  COTES 


—  1611  — 


PLANS  COTES 


à-dire  1  100  millions  de  lieues.  Neptune  est  invi- 
sible à  l'ouil  nu,  mais  on  a  pu,  au  télescope,  me- 
surer son  diamètre  apparent  et  calculer  son  diamètre 
réel,  qui  équivaut  à  4  407  rayons  équatoriaux  de 
la  Terre.  Son  volume  est  donc  environ  85  fois  1/2 
le  volume  de  notre  globe  ;  sa  masse,  17,500  fois 
plus  petite  que  celle  du  Soleil,  est  18  fois  1/2  aussi 
grande  que  la  masse  terrestre.  Enfin,  sa  densité 
est  0.21(i. 

On  ne  sait  rien  de  plus  sur  la  constitution  phy- 
sique de  cette  planète.  Elle  a  un  satellite  dont  la 
période  de  révolution  est  de  5  jours  21  heures. 

La  découverte  de  Neptune,  faite  en  septembre 
18'i(i  par  un  astronome  de  Berlin,  M.  Galle,  mérite 
une  mention  toute  spéciale.  En  efTot,  son  exis- 
tence avait  été  prédite,  et  les  éléments  de  son  or- 
bite approximativement  calculés,  d'après  les  seules 
indications  de  la  théorie  de  la  gravitation  univer- 
selle. M.  Le  Verrier  {et  en  même  temps  que  lui, 
un  géomètre  anglais,  M.  Adams),se  fondant  sur  les 
perturbations  que  subissait  la  planète  Uranus, 
en  conclut  à  l'existence  d'une  planète  jusque-là 
inobservée,  calcula  les  éléments  de  son  orbite,  et 
détermina  sa  position  pour  l'automne  de  1846  ; 
c'est  sur  ces  indications  de  M.  Le  Verrier  que  la 
planète  fut  en  effet  trouvée. 

En  terminant  cette  description  des  planètes 
principales,  nous  devons  ajouter  qu'on  a  observé, 
pendant  l'éclipsé  totale  de  Soleil  du  2:i  juillet  1878, 
deux  points  lumineux  que  les  astronomes  consi- 
dèrent comme  deux  planètes  plus  rapprochées  du 
Soleil  que  Mercure.  On  soupçonnait  l'existence  de 
ces  corps,  qui  ont  reçu  la  dénomination  commune 
de   Vu  trains. 

Si  l'on  rapproche  les  uns  des  autres  tous  les  élé- 
ments qui  précèdent  sur  les  planètes,  on  ne  peut 
manquer  d'être  frappé  de  la  similitude  de  ceux 
qui  concernent  le  groupe  des  planètes  moyennes, 
et  pareillement  de  ceux  relatifs  aux  grosses  pla- 
nètes. 

Mercure,  Vénus,  Mars  et  la  Terre  ont  des  di- 
mensions comparables,  des  volumes,  des  masses 
et  des  densités  peu  différentes.  Leurs  mouvements 
de  rotation  ont  des  durées  presque  égales. 

Jupiter,  Saturne,  Neptune  et  Uranus  sont  con- 
sidérablement plus  volumineux  :  réunis,  leurs 
volumes  valent  1  08(i  fois  les  volumes  des  quatre 
planètes  moyennes;  leurs  masses  valent  encore 
220  fois  les  niasses  de  celles-ci.  Leurs  densités 
sont,  au  contraire,  notablement  plus  petites,  leurs 
mouvements  de  rotation  plus  rapides,  et  laplatis- 
sement  de  leurs  globes  plus  fort.  Toutes  sont 
accompagnées  de  satellites,  tandis  que  Mars  et 
la  Terre  sont  les  seuls  qui  en  aient  parmi  les  pla- 
nètes du  premier  groupe. 

Toutes  ces  circonstances,  jointes  à  celle  de  la 
séparation  des  deux  groupes  par  l'anneau  des  nom- 
breuses planètes  télescopiqucs,  ont  suggéré  la 
pensée  que  les  différences  signalées  proviennent 
d'une  différence  d'origine,  et  que  les  grosses  pla- 
nètes sont  formées  d'autres  matériaux  que  les 
moyennes  ;  les  époques  de  leur  formation  sont 
aussi  probablement  différentes.  Quant  aux  petites 
planètes,  la  communauté  de  leur  origine  ne  sem- 
ble pas  douteuse.  [Amédée  Guilleniin.] 

PLANS  COTÉS  (V.  Géométrie  descriptive).  — 
Nous  avons  vu  comment  on  pouvait  représenter 
les  figures  géométriques,  point,  lignes  et  surfaces, 
sujnoyeii  de  deux  plans  de  projection.  Mais  lors- 
qu'il s'agit  de  figures  non  géométriques,  tout  à  fait 
irréguHères,  dans  lesquelles  les  divers  points  ne 
sont  pas  rattachés  entre  eux  par  des  relations  con- 
nues, les  projections  ordinaires  sont  insuffisantes, 
la  notion  du  contour  apparent  est  incompréhensi- 
ble. Ainsi,  il  est  impossible  de  mettre  en  projec- 
tion ordinaire  une  portion  du  sol. 

On  a  recours  à  un  système  particulier,  appelé 
les  projections  cotées,  qui  ne  donne  que  la  projec- 


tion horizontale  des  figures  et  où  l'on  remplace  la 
projection  verticale  par  des  cotes. 

Les  projections  cotées  sont  constamment  em- 
ployées dans  l'étude  des  tracés  de  chemins  de  fer, 
de  canaux,  de  routes,  dans  les  plans  topographi- 
ques  sur  la  carte  de  France  dite  de  l'état-major,  etc. 

r  Le  point.  —  Dans  ce  nouveau  système,  un 
point  sera  représenté  à  la  manière  ordinaire  sur 
u.i  plan  horizontal,  et  cette  projection  sera  accompa- 
gnée d'une  cote  ou  nombre  indiquant  la  hauteur  du 
point  au-dessus  de  ce  plan  horizontal. 

Ainsi,  flg.  I,  le  point  a,  qui  a  la  cote  3"",4,  est 
parfaitement  déterminé  puisqu'il  se  trouve  sur  une 
verticale  appuyée  au  point  a  et  ayant  3",4  de  hau- 
teur. 

2»  La  droite.  —  Une  ligne  droite  sera  reproae  i- 


tée  par  sa  projection  horizontale  ordinaire  avec 
deux  points  cotés. 

Ainsi,  fig.  1,  la  droite  bc  représente  une  droite 
BG  de  l'espace,  telle  que  le  point  B  se  trouve  sur 
une  verticale  placée  en  i  ayant  1",8  de  hauteur,  et 
le  point  G,  sur  une  verticale  placée  en  c  ayant 
4", 5  de  hauteur. 

3°  Ligne  quelconque.  —  On  voit  que,  pour  re- 
présenter une  ligne  brisée  ou  une  courbe  quel- 
conque, il  suffira  de  mener,  par  les  divers  peints, 
des  verticales  sur  un  plan  horizontal  convenable- 
ment choisi,  de  joindre  les  pieds  de  ces  verticales 
et  d'inscrire,  à  côté  de  chacun  d'eux,  la  hauteur 
correspondante. 

Exemple,  la  ligne  brisée  defyh,  fig.  1. 

Le  plan  horizontal  ainsi  adopté  s'appelle  plan 
rie  comparaison.  Il  est  généralement  situé  au-des- 
sous de  tous  les  points  qui  sont  dits  à  cotcpositi- 
ves.  Dans  le  cas  où  le  plan  de  comparaison  serait 
situé  au-dessus  de  certains  points,  ceux-ci  seraient 
à  cotes  négalires.  Les  cotes  exprimées  en  nombres 
entiers  s'appellent  des  cotes  rondes. 

Dans  le  cas  particulier  où  le  plan  de  comparai- 
son se  trouve  être  le  niveau  des  eaux  de  la  mer, 
les  cotes  représentent  l'altitude  des  divers  points. 

Puisque  l'une  des  projections  est  graphique  et 
1  autre  numérique,  il  faut  nécessairement  que  tout 
dessin  coté  soit  accompagné  d'une  échelle  qui  per- 
mette de  passer  de  l'une  à  l'autre. 

Ainsi,  toutes  les  parties  do  la  figure  I  sont  i 
l'échelle  de  0°>,005  par  mètre,  de  sorte  que  la 
longueur  de  la  ligne  4c,  qui  est  représentée 
par  0,0311,  est  en  réalité  de  6  mètres. 

4°  Droites  particulières.  —  Une  droite  horizon- 
tale s'indique  par  deux  cotes  égales;  une  droite 
verticale,  par  un  point  sans  cote  si  elle  est  indéfinie, 
et  par  un  point  avec  les  cotes  des  extrémités  si 
elle  est  limitée. 


PLANS  COTES 


—  161-2  — 


PLANS  COTES 


Exemple,  fig.  1,  l'horizontale  Itl  et  la  verticale 
limitée  m. 

Problème  I.  —  Trouver  la  vraie  grandeur  d'une 
droite  cotée. 

Soit  proposé  de  trouver  la  vraie  grandeur  de  la 
droite  éc,  (fig.   1). 

On  peut  résoudre  le  problème  graphiquement 
et  numériquement. 

Dans  le  premier  cas,  on  fait  un  rabattement  du 
plan  déterminé  par  la  droite  BC  de  l'espace  et  par 
sa  projection  bc  sur  le  plan  horizontal.  Le  point  B 
s'obtient  en  élevant  une  perpendiculaire  iB  = 
l^jS  à  la  ligne  bc,  et  le  point  C,  en  élevant  une 
perpendiculaire  cC  =4'°, 5  à  la  même  ligne.  Il  ne 
reste  plus  qu'à  tracer  la  ligne  BC,  qui  est  le  qua- 
trième côté  d'un  trapèze  rectangle,  dont  les  deux 
bases  sont  verticales. 

Dans  le  second  cas,  on  remarque  que  la  ligne 
BC  est  l'hypoténuse  d'un  triangle  BDG  dont  on 
connaît  les  deux  côtés  de  l'angle  droit. 

En  effet,  le  côté  DC  est  égal  à  la  différence  des 
cotes  données, 

DC=4,5— 1,8  =  2">,7 

et  le  côté  BD  =  bc,  mesuré  au  moyen  de  l'échelle, 
a  pour  longueur  6  mètres.  On  a  donc,  en  vertu  du 
lliéorème  du  carré  de  l'hypoténuse, 

BCs  =  BD»  -+-  DÇi 

BC  =v'')*  +  2,7«  =  6"',58 

On  appelle  pente  d'une  droite  le  rapport  entre 
la  distance  verticale  de  deux  points  quelconques  de 
cette  droite  et  leur  distance  horizontale  ;  c'est  aussi 
la  hauteur  à  laquelle  on  s'élève,  quand  on  parcourt 
sur  la  ligne  une  longueur  représentée  par  un 
mètre  mesuré  sur  la  projection  horizontale.  Le 
tiiodule  d'une  droite  est  l'inverse  de  la  pente, 
c'est-à-dire  qu'il  est  exprimé  par  le  rapport  de  la 
distance  horizontale  de  deux  points  quelconques 
à  leur  distance  verticale.  Ainsi  la  pente  et  le  mo- 
dule de  la  droite  BC  sont: 

DC      2,7      „  , 
^  =  BD=-5-='''^* 
BD         G        .  „. 
"'  =  DC=ÏÏ77  =  ''2^ 

La  droite  BC   a   une  pente  de  0'°,45  par  mètre. 

On  dit  de  la  même  manière  que  la  pente  d'une 
ligne  de  chemin  de  fer,  par  exemple,  est  de  (r,25 
par  kilomètre  pour  indiquer  que,  chaque  fois  que 
l'on  parcourt  une  distance  horizontale  égale  à  un 
kilomètre,  on  s'élève  ou  on  s'abaisse  d'une  hau- 
teur égale  à  0",25. 

Le  produit  de  la  pente  d'une  droite  par  le  mo- 
dule est  toujours  égal  à  l'unité  : 


|DC      BD 
"BD+DC" 


PX'"=\rr:  +  Kr^  =  i- 


Problème  II.  —  Etant  données  les  projections 
d'une  droite  cotée  en  deux  points,  trouver  la  cote 
d'un  point  quelconque  ;  trouver  les  points  à  cote 
ronde. 

Soient  la  droite  ai,  (fig.  2),  représentée  à  l'échelle 
de  I  à  200  ou  de  5""  par  mètre,  et  le  point  c 
dont  on  veut  connaître  la  cote. 

On  fait  le  rabattement  de  la  droite  AB,  comme 
il  vient  d'être  dit;  on  élève  la  perpendiculaire 
cC  sur  ah  et  l'on  évalue  la  longueur  de  cette  ligne 
à  laide  de  l'échelle;.  On  trouve  3">,0. 

C'est  au  moyen  de  deux  constructions  analogues 
que  1  on  reconnaît  si  deux  lignes,  qui  se  coupent 
en  projection,  se  coupent  réellement  dans  l'espace. 
Il  suffit,  en  effet,  de  rabattre  ces  deux  lignes  et  de 
déterminer,  sur  chacune  d'elles,  la  cote  du  point 
de  rencontre  des  projections.  Quand  les  deux  ré- 


sultats sont  identiques,  c'est  une  preuve  que  les 
lignes  se  coupent. 


y  6S.3 


Il  y  a  trois  points  à  cote  ronde  sur  la  ligne  ab. 
Pour  les  obtenir,  il  suffit  de  porter  sur  une  per- 
pendiculaire à  cette  ligne,  à  partir  du  pied,  trois 
longueurs  égales  à  3",  4"  et  5",  puis  de  mener  des 
horizontales  jusqu'à  la  rencontre  de  AB  et  d'a- 
baisser des  verticales  sur  ab.  Les  points  obtenus 
d,e,f,  sont  équidistants. 

Cette  dernière  construction  nous  indique  le  pro- 
cédé général  pour  trouver  la  projection  d'un  point 
dont  la  cote  est  donnée. 

Problème  111.  —  Déterminer  les  cotes  rondes 
d'une  droite,  connaissant  sa  pente,  sa  direction  et 
la  cote  d'un  point. 

Soit  proposé  de  coter  une  droite  ab  ayant  une 
pente  de  |,  sachant  que  la  cote  du  pointa  est  8",5. 
(Le  lecteur  est  prié  de  faire  la  figure.) 

On  porte  une  longueur  égale  à  9  mètres  à  partir 
du  pointa;  la  cote  du  point  obtenu  est  égale  à 
K",5 -j- 4  =  12™,5  ou  4,5  selon  que  la  droite  s'é- 
lève ou  s'abaisse.  Les  cotes  rondes  se  déterminent 
ensuite  comme  dans  le  problème  précédent. 

Ce  problème  apprend  à  mener  par  un  point  une 
parallèle  à  une  droite  donnée,  il  suffit,  en  effet, 
de  mener  une  parallèle  à  la  droite  sur  le  plan  ho- 
rizontal et  de  lui  donner  la  même  pente  et  dans 
le  même  sens. 

5°  Le  plan.  —  Si  l'on  coupe  un  plan  quelconque 
par  des  plans  horizontaux  parallèles  au  plan  de 
comparaison,  les  horizontales  du  plan  se  projet- 
tent parallèlement.  Le  plan  peut  être  représenté 
par  deux  horizontales  ;  mais  il  est  également  dé- 
terminé par  une  seule  ligne  perpendiculaire  à  ces 
horizontales,  et  c'est  ce  dernier  moyen  que  l'on 
emploie  généralement. 

Cette  perpendiculaire  aux  horizontales  d'un 
plan  s'indique  par  un  double  trait  et  se  cote 
comme  une  droite  ordinaire  ;  c'est  la  ligne  de  plus 
grande  pente  du  plan  ou  encore  l'échelle  de  pente 
du  plan. 

Les  problèmes  relatifs  à  la  droite  s'appliquent 
à  l'échelle  de  pente  d'un  plan. 

Soit  un  plan  horizontal  P,  coupé  par  un  plan 
quelconque  Q,  (fig.  3). 


Fig.  3. 


PLANS  COTES 


—  1613 


PLANS  COTÉS 


Si  d'un  point  C,  pris  dans  le  plan  Q,  on  mène 
une  perpendiculaire  CD  et  une  droite  quelconque 
CE  sur  l'horizontale  AB,  la  pente  de  la  première 
ligne  est  plus  grande  que  celle  de  la  seconde. 

En  eflct,  abaissons  une  perpendiculaire  Ce  sur 
le  plan  P  et  menons  cU  et  cE  ;  nous  avons  : 


Ce 

pente  de  CD  =  ^=; 
cl) 

Ce 

'cE 


pente  de  CE  =  - 


mais  cD  est  perpendiculaire  à  AU,  parce  que  le 
plan  CcD  est  lui-même  perpendiculaire  à  AB, 
tandis  que  tE  est  une  oblique  à  cette  ligne.  Donc 
on  a  : 

cD  <  cE, 

ce  qui  prouve  que  la  première  fraction  est  plus 
grande  que  la  seconde. 

Problème  IV.  —  Un  plan  est  déterminé  par 
trois  points  cotés,  trouver  son  échelle  de  pente 
et  la  cote  d'un  point  quelconque. 

Soient  les  trois  points  cotés  a,b,c,  et  le  point 
non  coté  (/,  (fig.  4). 


On  joint  ab  et  bc  ;  on  détermine,  sur  ces  deux 
lignes,  deux  points  ayant  la  même  cote,  par  exem- 
ple, 4  mètres,  par  le  procédé  connu  (prob.  Il)  ;  on 
joint  ces  points,  ce  qui  donne  une  horizontale  du 
plan,  et  l'on  mène  une  perpendiculaire  en  un 
point  quelconque  de  cette  horizontale:  c'est  l'é- 
chelle de  pente  du  plan,  qu'il  est  facile  de  graduer 
en  cotes  rondes. 

Pour  trouver  la  cote  du  point  d,  on  fait  passer, 
parce  point,  une  horizontale  du  plan,  qui  rencon- 
tre l'échelle  en  un  point  dont  on  détermine  la 
cote  (prob.  II). 

On  résoudrait  facilement  d'autres  problèmes 
analogues  au  précédent  :  trouver  l'échelle  de 
pente  d'un  plan  déterminé  par  une  droite  et  un 
point,  par  deux  droites  qui  se  coupent,  par  deux 
droites  parallèles. 

6"  Surface  quelconque.  —  La  méthode  des  pro- 
jections ciitces  est  exclusivement  employée  pour 
indiquer  le  relief  du  sol  et  pour  représenter  des 
surfaces  tout  à  fait  irrégulières. 

U  faut,  au  préalable,  faire  deux  opérations  bien 
distinctes,  le  levé  du  plan  pour  la  projection  ho- 
rizontale, et  le  nivellement  pour  les  cotes  (V.  ces 
deux  mots). 

A  l'aide  du  levé  de  plan,  on  représente  les  limi- 
tes de  la  surface  ;  au  moyen  du  nivellement,  on 
trace  des  lignes  courbes  horizontales  ayant  la 
même  cote  en  lous  leurs  points  et  représentant 
des  sections  faites  dans  les  surfaces  par  des  plans 
horizontaux.  Ces  courbes  planes  s'appellent  cmir- 
bes  fie  niveiiu.  Elles  sont  généralement  à  cotes 
rondes.  Elles  sont  d'autant  plus  serrées  quo  la 
pente  est  plus  rapide  (V.  Nioellemenl). 

Problème  V.  —  Etant  donnée  une  surface  to- 
pographi(|uo,  représentée  par  des  courbes  de  ni- 
veau, on  veut  y  tracer  :  l"  un  talus  de  pente  ré- 
gulière, ce  qui  revient  îi  trouver  l'intersection  de 


cette  surface  avec  un  plan  dont  l'échelle  de  pento 
est  donnée;  3»  l'axe  d'un  chemin  ayant  une  pente 
uniforme  imposée  d'avance.  -".1 

Soient  la  surface  et  l'échelle  de  pente  données 
en  cotes  rondos,  et  le  point  a,  origine  du  chemin 
à  tracer  (lig.  b). 


Par  les  points  de  division  de  l'échelle,  on  mène 
des  horizontales  du  plan,  c'est-à-dire  des  per- 
pendiculaires à  cette  échelle;  on  détermine  les 
inter.sections  de  ces  horizontales  avec  les  courbes 
de  mêmes  cotes  et  l'on  joint  les  points  obtenus. 

Pour  tracer  le  chemin,  dont  la  pente  devra 
être,  par  exemple,  égale,  à  ~,  il  faut  d'abord 
chercher  la  distance  horizontale  qui  devra  exister 
entre  deux  courbes  de  niveau,  c'est-à-dire  la  dis- 
tance qu'il  est  nécessaire  de  parcourir  horizonta- 
lement pour  s'élever  d'un  mètre. 

Il  suftit  évidemment  de  résoudre  la  proportion 
suivante  : 

1  =  1. 
15      X 


A  partir  du  point  a,  avec  une  ouverture  de 
compas,  mesurée  sur  l'échelle  et  égale  à  7",.'),  on 
décrit  un  arc  de  cercle  qui  coupe  la  deuxième 
courbe  au  point  b  ;  on  joint  nb  :  c'est  la  pre- 
mière partie  du  tracé  demandé.  Au  point  b,  on 
opère  de  la  même  manière  pour  avoir  le  point  c, 
et  ainsi  de  suite,  pour  toutes  les  courbes  de  ni- 
veau. 

Il  est  évident  que  l'on  peut  obtenir  plusieurs 
tracés  issus  du  point  a  avec  la  même  pente,  puis- 
que le  premier  arc  de  cercle  courbe  la  deuxième 
horizontale  en  deux  points  b  et  éj,  et  que  ceux-ci 
peuvent  donner  à  leur  tour  quatre  points  c,  Ci, 
Cj.  Cj.  On  prendra  le  contour  le  plus  agréable  à 
l'œil  et  le  plus  facile  à  effectuer  sur  le  terrain. 

Application.  —  La  plus  utile  application  de  la 
méthode  des  plans  cotés  se  trouve  dans  le  tracé 
d'une  voie  de  communication. 

Nous  allons  indiquer  sommairement  la  suite 
des  opérations  à  faire  pour  le  tracé  d'une  portion 
de  chemin  de  fer,  entre  deux  points  A  et  B  im- 
posés d'avance.  1°  Examen  de  la  carte  de  l'étal- 
major,  qui  donne  l'altitude  des  points  A  et  B  et, 
par  suite,  une  indication  importante  sur  la  pente 
générale  à  adopter  pour  la  ligne  ;  2°  tracé,  sur  la 
carte,  d'un  premier  parcours  polygonal;  :)"  recon- 
naissance du  terrain  et  jalonnement  do  cette  li- 
gne polygonale  (de  grandes  perches  ou  balises 
sont  plantées  aux  sommets  des  angles);  4'"  modi- 
fications successives  du  tracé,  imposées  par  dos 
difflcultés  particulières  d'exécution  ou  pour  mé- 
nager certains  intérêts,  et  adoption  définitive  de 
la  ligne  qui  parait  le  mieux  répondre  à  tous  les 
besoins  ;  5°  tracé  des  courbes  à  tous  les  angles. 


PLANTAGENET 


—  1614 


PLANTAGENET 


généralement  des  arcs  de  cercle,  dont  les  rayons 
ne  peuvent  être  inférieurs  à  un  minimum  donné, 
(500  mètres  pour  les  grandes  lignes,  ïOOà  250  mè- 
tres pour  les  lignes  secondaires)  ;  pour  cette  opé- 
ration intéressante,  on  mesure  exactement  les 
angles  avec  des  instruments  de  précision  ;  on  cal- 
cule la  longueur  des  tangentes,  et  le  développe- 
ment des  arcs,  étant  donnés  les  rayons  :  on  me- 
sure ces  tangentes,  à  partir  des  sommets,  pour 
avoir  les  points  de  raccord  ;  on  élève,  de  distance 
en  distance,  des  perpendiculaires  sur  ces  tan- 
gentes, sur  lesquelles  on  porte  des  longueurs 
calculées  d'avance,  et  l'on  obtient  des  points  de  la 
courbe,  que  l'on  indique  par  des  piquets  ; 
6°  chaînage  et  piquetage  de  la  ligne  (tous  les 
accidents  du  terrain  sont  indiqués  par  un  piquet 
ordinaire,  les  hectomètres  sont  indiqués  par  un 
piquet  plus  fort,  portant  un  numéro  d'ordre  : 
exemple,  1  H,  2  H,  et  les  kilomètres  par  un  pi- 
quet encore  plus  fort  avec  un  numéro  d'ordre, 
portant  la  distance  à  partir  de  l'origine  de  la  ligne  : 
exemple,  iKm,  2Km)  ;  1°  construction  du  plan  de 
la  ligne  et  de  toutes  les  propriétés  parcellaires 
traversées,  à  40  mètres  environ  de  chaque  côté 
de  l'axe  (ce  plan  est  généralement  à  l'échelle  de 
1  à  1000)  ;  8°  nivellement  de  l'ave  et  tracé  du 
profil  en  long,  en  prenant  un  plan  de  comparaison 
inférieur  à  tous  les  points  relevés,  souvent  le  ni- 
veau de  la  mer,  et  en  prenant  1  échelle  des  ordon- 
nées double  de  celle  des  abscisses,  afin  de  mieux 
indiquer  les  accidents  du  terrain  (les  ordonnées 
ordinaires  sont  en  trait  rouge,  celles  des  hecto- 
mètres et  des  kilomètres  sont  en  noir,  le  profil 
du  terrain  est  en  noir  et  la  ligne  elle-même  en 
rouge);  9°  nivellement  et  tracé  des  profils  en 
travers,  c'est-à-dire  de  profils  perpendiculaires  à 
l'axe  passant  par  tous  les  piquets  (sur  chaque  pro- 
fil en  travers,  une  horizontale  en  trait  rouge  in- 
dique le  niveau  du  point  correspondant  de  l'axe 
de  la  ligne  ;  les  déblais,  qui  sont  au-dessus,  sont 
marqués  en  teinte  rouge,  et  les  remblais,  qui  sont 
au-dessous,  sont  marqués  par  une  teinte  jaune)  ; 
10°  calcul  des  déblais  et  des  remblais  en  interca- 
lant dt'S  plans  verticaux  à  égale  distance  des  pro- 
fils en  travers,  de  manière  à  déterminer  des  pris- 
mes formés  par  ces  sections,  par  les  faces  en  talus 
et  par  les  plans  horizontaux  supérieurs  et  infé- 
rieurs; 11°  évaluation  du  coât  total  et  du  cou/ 
kilométrique,  en  tenant  compte  des  difficultés  de 
transport,  de  la  dureté  des  roches  et  des  volumes  i 
déplacer  respectivement  à  la  pelle,  i  la  brouette, 
au  tombereau  et  au  wagon.       [A.  Gougaeret.J 

PLANTAGE.NET.  — Histoire  générale.  XVIII-XX, 
XXVIII.  —  Nom  d'une  famille  royale,  d'origine  fran- 
çaise, qui  a  donné  h  l'Angleterre  treize  souverains. 
Les  notices  ci-dessous,  consacrées  à  ces  princes, 
compléteront  les  indications  générales  données  à 
l'article  Angleterre. 

Henri  U  (11541 189)  était  le  fils  de  Geoffroy, 
comte  d'Anjou,  du  Maine  et  de  Touraine,  sur- 
nommé Plantagenet  à  cause  de  la  branche  de 
genêt  qu'il  avait  l'habitude  de  porter  à  son  cas- 
que. Geoffroy  d'Anjou  avait  épousé  en  1127  la 
princesse  Mathilde,  fille  du  roi  d'Angleterre 
Henri  I"  et  veuve  de  l'empereur  Henri  V.  Ma- 
thilde était  l'héritière  de  la  couronne  d'Angleterre; 
mais,  à  la  mort  d'Henri  I",  les  barons  normands 
refusèrent  de  la  reconnaître,  et  prirent  pour  roi 
un  petit-fils  de  Guillaume  le  Conquérant  par  les 
femmes,  Etienne  de  Blois  (1135).  CeUii-ci,  après 
avoir  eu  à  lutter  pendant  tout  son  rogne  contre 
les  entreprises  des  partisans  de  Mathilde,  finit  par 
reconnaître  pour  son  héritier  le  fils  de  sa  rivale. 
Henri  d'Anjou  venait  de  s'unir  k  l'épouse  divorcée 
du  roi  de  France  Louis  VI(,  Eléonore  d'Aquitaine, 
qui  lui  avait  apporté  en  dot  ses  vastes  domaines,  le 
Poitou,  l'Aunis  et  la  Saintonge,  l'Angoumois,  la 
Marche,  le  Périgord  et  la  Gascogne,  lorsqu'il  suc- 


céda en  U5i  h.  Etienne,  sous  le  nom  d'Henri  II;  il 
se  trouva  donc  posséder,  outre  ses  Etats  anglais,  un 
tiers  de  la  France,  toutes  les  provinces  occiden- 
tales, de  la  Normandie  à  l'embouchure  de  l'Adour, 
moins  la  Bretagne,  qu'il  acquit  plus  tard  par  le 
mariage  d'un  de  ses  fils  avec  Constance,  fille  du 
duc  Conan  IV. 

Henri  Plantagenet,  malgré  sa  puissance,  n'en 
était  pas  moins  le  vassal  du  roi  de  France;  mais  il 
nourrissait  l'espoir  de  substituer  sa  famille  à  la 
dynastie  capétienne,  et  de  réunir  ainsi  les  deux 
couronnes  de  France  et  d'Angleterre  :  à  cet  effet, 
il  négocia  un  mariage  entre  son  fils  aîné,  Henri, 
duc  de  Normandie,  et  une  fille  de  Louis  VII.  Ce 
projet  échoua,  le  duc  de  Normandie  étant  mort 
avant  son  père,  et  Louis  Vil  ayant  eu  de  sa  troi- 
sième femme  un  fils  qui  lui  succéda. 

Les  démêlés  d'Henri  II  avec  l'Eglise  forment 
l'événement  le  plus  important  de  son  règne.  Il 
voulut,  par  les  constitutions  de  Clarendon,  sou- 
mettre les  ecclésiastiques  à  la  juridiction  royale; 
l'archevêque  de  Cantorbéry,  Thomas  Becket,  fit 
l'opposition  la  plus  vive  k  cette  mesure,  et,  après 
une  querelle  qui  dura  des  années,  le  roi  fit  tuer 
l'archevêque  au  pied  môme  de  l'autel  (1170).  Me- 
nacé d'excommunication,  le  roi  abolit  les  constitu- 
tions de  Clarendon,  fit  hommage  au  pape  de  son 
royaume  qu'il  transforma  en  fief  du  Saint-Siège, 
et,  moyennant  ces  actes  de  soumission,  obtint  son 
pardon  ;  le  pape  lui  accorda  môme  l'investiture  de 
l'Irlande,  dont  Henri  fit  aussitôt  la  conquête. 

Cependant  sa  tyrannie  et  ses  débauches  avaient 
excité  contre  lui  son  peuple  et  sa  propre  famille  : 
une  révolte  générale  éclata,  fomentée  par  sa  femme 
Eléonore  ;  ses  trois  fils  aînés,  auxquels  il  avait 
donné  ses  provinces  françaises,  prirent  les  armes 
contre  lui,  soutenus  par  le  roi  de  France.  Henri 
calma  les  haines  de  ses  sujets  anglais  par  une 
pénitence  publique  au  tombeau  de  Thomas  Bec- 
ket ;  il  fit  enfermer  sa  femme  dans  un  couvent, 
battit  le  roi  de  France,  et  parvint  à  ramener  ses 
fils  à  l'obéissance.  .Mais  la  révolte  de  ces  jeunes 
princes,  pleins  d'orgueil  et  de  turbulence,  se 
renouvela  peu  de  temps  après.  Henri,  l'aîné,  et 
:  Geoffroy  de  Bretagne,  le  troisième,  moururent;  il 
ne  resta  que  Richard  Cœur  de  Lion.  Celui-ci,  allié, 
b,  Philippe  Auguste,  le  nouveau  roi  de  France, 
prit  pour  la  troisième  fois  les  armes  contre  sonj 
père;  le  vieil  Henri  H,  contraint  à  une  paix, 
humiliante,  mourut  de  cliagrin  (1189). 

Richard  Cœur  de  Lion  (1189-1199),  devenu  roi! 
à  la  mort  d'Henri  II,  s'embarqua  l'année  suivante 
pour  la  troisième  croisade, qu'il  entreprit  de  concert 
avec  Philippe-Auguste  et  Frédéric  Barberousse 
(V.  C/-oisade.). Pendant  les  quatre  années  que  dura 
son  absence  et  sa  captivité  en  Autriche,  son  frère 
Jean  sans  Terre,  dernier  fils  d'Henri  H,  essaya 
1  de  s'emparer  du  pouvoir;  il  était  appuyé  par  k 
1  roi  de  France,  qui,  pour  prix  de  son  alliance,  vou 
j  lait  se  faire  céder  la  Normandie.  Le  retour  d( 
Richard  (1194)  déjoua  ces  projets  :  Jean  sani 
Terre  fit  sa  soumission;  Pliilippe  Auguste,  ayan 
accepté  la  guerre,  fut  battu  ;  mais  le  pape  s'in 
terposa  et  une  trêve  fut  signée  (1199).  La  mêm 
'  année,  Richard  fut  tué  au  siège  du  château  d 
Chalus  en  Limousin. 

Jean  sans  Terre  (1199-1216)  succéda  à  son  frer 
Richard,  qui  était  mort  sans  enfants.  Son  neve 
!  Arthur,  fils  de  Geoffroy  de  Bretagne,  lui  disput 
I  la  couronne  et  fut  soutenu  par  le  roi  de  Franct 
Vaincu  et  fait  prisonnier,  Arthur  fut  égorgé 
Rouen  (1203).  Philippe  Auguste,  se  posant  e 
vengeur  du  jeune  prince,  s'empara  de  la  No 
mandie,  de  l'Anjou,  de  la  Touraine  et  du  Poitoi 
1  Pour  reprendre  ces  provinces,  Jean  forma  pli. 
tard  une  coalition  contre  la  France  :  mais  si 
I  allié  l'empereur  Otlioii  IV  fut  vaincu  à  Bouvin  -, 
(1214),  et  lui-môrae,  battu  en  Poitou,  trouva  à  sti 


PLANTAGENET 


—  1615  — 


PLANTAGENET 


retour  les  barons  anglais  soulevés.  Ils  obligèrent 
le  roi  à  signer  en  1215  la  Grande  Charte  et  'd  en 
jurer  l'observation;  mais  aussitôt  après,  Jean,  qui 
avait  obtenu  l'appui  du  Saint-Siège  sous  la  pro- 
messe d'un  tribut  annuel,  se  fit  relever  de  son 
serment  par  le  pape  Innocent  III  et  recommença 
la  guerre  contre  ses  barons.  Ceux-ci  appelèrent 
le  fils  du  roi  de  France,  Louis  (depuis  Louis  VIII), 
et  lui  offrirent  la  couronne  (l'ilG);  ce  prince  dé- 
barqua en  Angleterre,  mais  sur  ces  entrefaites 
Jean  sans  Terre  mourut,  laissant  un  fils  en  bas  âge- 
Henri  III  (ISie-l'il'i),  fils  de  Jean  sans  Terre, 
fut  reconnu  pour  roi  par  la  majorité  des  barons 
anglais,  qui  abandonnèrent  le  parti  du  prétendant 
français,  préférant  un  souverain  enfant  qui  serait 
plus  facile  à  gouverner.  Louis  dut  retourner  en 
France  (1217),  et  Henri  III  régna  sans  conteste, 
après  avoir  juré  d'observer  la  Grande  Charte.  Il 
perdit,  dans  deux  guerres  contre  Louis  VIII  et 
Louis  IX,  la  plupart  des  provinces  que  l'Angle- 
terre avait  conservées  en  France;  mais  plus  tard, 
saint  Louis,  par  un  traité  qui  fait  plus  d'iionneur 
à  sa  générosité  chevaleresque  qu'à  son  esprit  poli- 
tique, lui  rendit  ou  lui  laissa  le  Limousin,  le  Pé- 
rigord,  le  Quercy,  l'Agénois,  une  partie  de  la 
Saintonge,  et  le  duché  de  Guyenne  (1259).  A  l'in- 
térieur, ce  règne  fut  signalé  par  un  grand  événe- 
ment, l'organisation  du  Parlement  anglais;  le  roi 
ayant  à  plusieurs  reprises  violé  la  Grande  Charte, 
les  barons,  réunis  en  parlement,  proclamèrent  le 
statut  d'Oxford  (1258),  qui  plaçait  la  royauté  sous 
le  contrôle  d'un  conseil  de  vingt-quatre  barons. 
Le  roi,  feignant  d'abord  de   céder,  se   fit  relever 


Spenser.  Le  Parlement  profita  de  ces  circonstances, 
favorables  à  l'extension  des  libertés  nationales, 
pour  conquérir  do  nouveaux  droits  :  dès  1.30"J,  il 
met  des  conditions  au  vote  de  l'impôt;  en  1:512,  il 
nomme  une  commission  de  lords  ordonnateurs, 
et  le  consentement  des  Communes  est  expressé- 
ment spécifié.  La  guerre  contre  les  Ecossais  avait 
continué;  la  mémorable  défaite  des  Anglais  h 
Bannock-Burn  (1314)  assura  définitivement  l'indé- 
pendance de  l'Ecosse.  En  1325,  une  nouvelle  ré- 
volte des  barons  éclata  ;  ils  voulaient  se  débarrasser 
de  la  domination  des  Spenser.  L'épouse  même 
d'Edouard,  Isabelle,  fille  do  Philippe  le  Bel,  se 
mit  à  la  tète  des  révoltés  :  les  frères  Spenser  fu- 
rent pris  et  exécutés,  le  roi  dut  abdiquer  en  faveur 
de  son  fils,  et  fut  jeté  dans  une  prison  où  Isabelle 
le  fit  périr  (1327). 

Edouard  III  (1327-1377)  régna  d'abord  sous  la 
tutelle  de  sa  mère  ;  mais,  dès  qu'il  fut  majeur,  la 
soupçonnant  d'avoir  été  l'auteur  du  meurtre 
d'Edouard  II,  il  la  fit  enfermer  dans  une  forte- 
resse. La  couronne  de  France  venait  de  passer 
dans  la  famille  de  Valois  à  l'extinction  des  Capé- 
tiens directs  ;  Edouard  résolut  de  faire  valoir  les 
droits  qu'il  pensait  posséder  comme  petit-fils  de 
Philippe  le  Bol  du  côté  maternel  :  ce  fut  l'origine 
de  la  guerre  de  Cent  ans.  Le  roi  de  France  avait 
pour  allié  le  roi  d'Ecosse,  David  Bruce  :  Edouard 
tourna  d'abord  ses  efforts  de  ce  côté  ;  il  accorda  des 
secours  au  prétendant  Edouard  Baliol,  fils  du 
Baliol  détrôné  en  1297  ;  celui-ci  vainquit  David 
Bruce  et  occupa  le  trône  à  sa  place.  Ensuite  il  at- 
taqua directement  le  roi  de  Fram-e.  Ses  victoires 


ensuite  de  son  serment  par  le  pape,  puis  invoqua  •  et  celles  de  son  fils  le  Prince  Noir,  puis  le  traité 


l'arbitrage  de  saint  Louis  ;  les  barons  alors,  sous 
la  conduite  do  Simon  de  Montfort,  comte  de  Lei- 
cester,  prirent  les  armes  :  Henri  111  fut  vaincu  et 
fait  prisonnier  (13Gi),  et  Leicester,  devenu  le 
maître,  compléta  le  Parlement  en  créani  la  Cham- 
bre des  Communes  par  une  ordonnance  qui  pres- 
crivait l'élection  de  deux  chevaliers  par  comté  et 
de  deux  citoyens  par  bourg.  L'année  suivante,  le 
pouvoir  de  Leicester  fut  renversé,  et  lui-même  pé- 
rit à  la  bataille  d'Evesham;  mais  Henri  III,  re- 
monté sur  le  trône,  n'osa  pas  révoquer  l'ordon- 
nance de  12GI.  Il  mourut  en  1272. 

Edouard  I"  (1272-1307),  fils  et  successeur 
d'Henri  111,  eut  un  règne  glorieux.  Renonçant  à 
cherclier  des  agrandissements  en  France,  il  visa  à 
mettre  sous  sa  domination  la  Grande-Bretagne 
tout  entière  ;  en  même  temps  il  accepta  franche- 
ment l'existence  du  Parlement,  qui,  à  partir  de  ce 
règne,  siège  d'une  manière  régulière.  Une  guerre 
longue  et  acharnée  lui  donna  le  pays  de  Galles, 
dont  le  dernier  chef  national,  David,  fut  pris  et 
mis  à  mort  (1283);  l'héritier  présomptif  de  la  cou- 
ronne d'Angleterre  porta  désormais  le  titre  de 
prince  de  Galles.  L'ancienne  dynastie  des  rois 
d'Ecosse  s'étant  éteinte  à  la  mort  d'Alexandre  III 
(1286),  Edouard  fut  appelé  par  les  Ecossais  à  pro- 
noncer entre  deux  prétendants  rivaux,  Jean  Baliol 
et  Robert  Bruce  ;  il  désigna  Baliol,  mais  en  lui 
imposant  la  condition  de  l'hommage  féodal.  Le 
nouveau  roi  d'Ecosse  essaya  bientôt  de  s'afl'ranchir 
des  liens  de  cette  vassalité;  mais  il  fut  vaincu  et 
pris  Ji  Dunbar  (1207).  Un  noble  écossais,  VVallace, 
continua  la  résistance;  il  fut  livré  par  un  traî- 
tre, et  l'Ecosse  dut  se  soumettre  aux  Anglais. 
Mais  bientôt  le  fils  de  l'ancien  rival  de  Baliol, 
Bruce,  se  mit  à  la  tète  du  parti  national,  se  fit 
couronner  roi,  et  recommença  la  lutte  (130C). 
Edouard  mourut  avant  d'avoir  pu  triompher  de  ce 
nouvel  adversaire  (13117). 

.Edouard  II  (1307-1327;,  fils  du  précédent, prince 
faible  et  débauché,  fut  gouverné  par  des  favoris 
qui  causèrent  sa  ruine  :  Gaveston,  dont  l'orgueil 
amena  une  révolte  des  barons,  qui  le  firent  pri- 
sonnier et  le  tuèrent  (1312),  et  ensuite  les  frères 


de  Brétigny,  firent  de  lui  le  maître  d'un  tiers  de 
la  Fiance  ;  mais  en  même  temps  il  dut  renoncer  à 
à  ses  prétentions  à  la  couronne.  Toutefois  il  re- 
perdit la  plus  grande  partie  de  ses  conquêtes  sous 
Charles  V.  (V.  Guerre  de  Cent  ans.)  Il  mourut 
en  1377. 

De  ce  règne  datent  les  premiers  progrès  de  l'in- 
dustrie anglaise;  la  bourgeoisie,  qui  s'enrichit  et 
qui  fournità  l'armée  royale  sa  redoutable  infante- 
rie, prend  une  importance  politique  toujours  plus 
considérable.  L'Angleterre  s'affrancliit  du  ti'ibut 
qu'elle  payait  au  Saint-Siège  depuis  Jean  sans 
"Terre  :  le  Parlement  déclare  que  nul  n'a  pu  assu- 
jettir le  pays  à,  un  pouvoir  étranger.  VViclef  com- 
mence ses  prédications  hardies,  s'attaquant  d'abord 
à  l'autorité  du  pape,  puis  au  clergé  en  général  : 
Edouard  III  le  protège.  Les  idées  de  liberté  et  de 
réforme  sociale,  qui  avaient  produit  en  France  la 
tentative  d'Etienne  Marcel  et  la  Jacquerie,  fermen- 
taient aussi  dans  le  peuple  anglais  ;  elles  allaient 
faire  explosion  sous  le  règne  suivant. 

Richard  II  (1377-1399)  était  le  petit-fils  d'E- 
douard III,  auquel  il  succéda,  son  père  Edouard, 
prince  de  Galles  (le  Prince  Noir)  étant  mort 
en  1376.  Il  n'avait  que  onze  ans  lorsqu'il  monta 
sur  le  trône.  La  guerre  contre  la  France  était  sus- 
pendue ;  mais  l'Angleterre  allait  avoir  k  traverser 
une  crise  intérieure.  En  1381,  les  paysans  de  plu- 
sieurs comtés,  écrasés  d'impôts,  se  révoltèrent 
sous  la  conduite  d'un  ouvrier,  VVat  Tyler,  et  d'un 
prêtre  disciple  de  VViclef,  John  Bail.  Ils  marchè- 
rent sur  Londres,  s'en  emparèrent,  et  forcèrent 
le  jeune  roi  à  leur  livrer  l'archevêque  de  Cantor- 
bury  et  d'autres  hauts  personnages,  qui  furent  mis 
h  mort.  Mais  le  chef  des  révoltés,  ayant  été  per- 
fidement attiré  à  une  entrevue  avec  le  roi,  fut  tué 
en  trahison  ;  ses  partisans,  dispersés,  furent  en- 
suite massacrés  par  petites  troupes.  C'est  aux 
doctrines  de  VViclef  que  la  cour  fit  remonter  l'ori- 
gine de  l'insurrection;  aussi  les  adliéronts  du  ré- 
formateur furent-ils  proscrits  et  persécutés. 
Itichard  gouverna  ensuite  despotiquement,  bravant 
le  mécontentement  duParlementet  des  seigneui-s  ; 
mais  en  1399,  tandis  qu'il  était  en  Irlande  poui  y 


PLANTES 


—  1616  — 


PLANTES 


comprimer  une  révolte,  son  cousin  le  duc  Henri 
de  Lancasire,  qu'il  .tvait  dépouillé  de  ses  biens  et 
exilé,  rentra  en  Angleterre,  appela  aux  armes  ses 
partisans,  et  s'empara  de  Londres.  Richard,  aban- 
donné de  tous,  dut  signer  son  abdication,  et  le 
Parlement  donna  la  couronne  à  Henri  de  Lancas- 
ire; l'année  suivante,  le  roi  déposé  fut  assassiné 
dans  la  prison  où  il  avait  été  enfermé. 
HemilV  (ia9i)-1413).  —V.  Lancastre. 
Henri  V  (1413-1422).  —  V.  Lancustre  et  Guerre 
de  Cent  ans. 

Henri  VI  (1422-1471),  —  V.  Lancastre,  Guerre 
de  Cent  ans  et  Guerre  des  Deux-Roses. 

Edouard  IV  (H(>1-148:J),  fils  du  duc  Ricliard 
d'Yorlw  (V.  Guerre  des  Deux-Roses),  était  devenu  le 
clief  du  parti  de  la  Rose  blanche  après  la  bataille 
de  Wakefield  (14(!f)),  où  son  père  avait  été  tué. 
Aidé  du  puissant  Warwick,  il  vainquit  Henri  VI  h 
Towton  et  à  Exliam,  et  devint  roi  sons  le  nom 
d'Edouard  IV.  Mais  il  se  brouilla  bientôt  avec 
Warwick  ;  et  celui-ci,  passant  dans  le  parti  de  la 
Rose  rouge,  lattit  le  nouveau  roi  à  Nottingliam 
(1470)  et  rétablit  Henri  VI  sur  le  trône.  Edouard  IV 
se  réfugia  auprès  de  Charles  le  Téméraire, duc  de 
Bourgogne,  qui  avait  épousé  sa  sœur.  L'année 
suivante,  il  rentra  en  Angleterre,  et  recouvra  sa 
couronne  par  les  victoires  de  liarnet  et  de  Tew- 
kesbury.  Désormais  maître  incontesté  de  l'Angle- 
terre, il  devint  l'allié  de  son  beau-frère  Charles 
le  Téméraire  dans  sa  lutte  contre  Louis  XI; 
en  1476,  il  débarqua  à  Calais;  mais,  ne  trouvant 
pas  l'appui  sur  lequel  il  avait  compté,  il  conclut 
avec  le  roi  de  France  le  traité  de  Pecquigny.  Il 
mourut  en  H.S3,  laissant  deux  lils  encore  enfants. 

Edouard  V  (1483),  l'ainé  des  fils  d'Edouard  IV,  lut 
succéda  sons  la  tutelle  de  son  oncle  le  duc  de 
Glocester.  Mais,  au  bout  de  deux  mots,  il  pont  as- 
sassiné a  la  Tour  de  Londres,  avec  son  jeune 
frère,  par  les  ordres  de  son  tuteur.  La  fin  tragique 
des  enfants  d'Edouard  a  inspiré  plus  d'une  fois 
les  peintres  et  les  poètes.  (V.  le  Richard  lH  de 
Shakespeare,  les  Enfants  d'Edouard  de  Casimir 
Delavigne,  et  le  tableau  de  Paul  Delaroche  au 
Louvre.)  ,        ,    „,  r  , 

Ricliard  in(i48'3-l485),  duc  de  Gloce«ter,  frère 
d'Edouard  IV  et  oncle  d'Edouard  V,  obtint  la  cou- 
ronne en  faisant  périr  son  neveu.  Mais  son  règne 
fut  de  courte  durée.  En  1485,  Henri  Tudor, 
comte  de  Richmond,  prit  les  armes  contre  lui, 
et  le  vainquit  à  liosworth.  Richard  fut  tué  dans  la 
bataille.  Avec  lui  s'éteignit  la  maison  des  Planta- 
genets,  à  laquelle  succéda  celle  des  Tudors. 
IV.  Tudor.)  ....  ,v 

PLANTES  ARBUSTIVES.  —  Agriculture,  IX. 
—  En  dehors  de  l'arboriculture  et  de  l'exploitation 
des  forêts,  l'agriculteur  cultive  d'une  manière 
spéciale  un  certain  nombre  d'arbres  pour  leurs 
fruits  ou  les  autres  produits  qu'il  en  peut  tirer. 
C'est  surtout  dans  la  région  méridionale  de  la 
France  que  les  cultures  arbustives  trouvent  leur 
place  Là,  en  efi'et,  les  cultures  annuelles  courent 
le  risque  d'être  à.  peu  près  complètement  (Je- 
truites  par  la  sécheresse,  et  ne  donnent,  la  plu- 
part du  temps,  que  des  récoltes  chétives,  tandis 
que  les  racines  des  arbres  et  des  arbustes  vont 
chercher  dans  les  couches  profondes  du  sol  l'hu- 
midité dont  elles  ont  besoin.  C'est  donc  utie  des 
faces  principales  de  l'économie  rurale  du  Midi  que 
CKtte  prédominance  des  cultures  arbustives.  Quand 
on  remonte  vers  le  nord,  ce  caractère  disparaît  : 
ce  sont,  au  contraire,  les  arbres  qui  deviennent 
de  plus  en  plus  rares. 

Les  arbres  principalement  cultivés  dans  les 
champs  sont:  1°  l'olivier;  T  l'amandier;  3»  le 
mûrier  ;  1°  la  vigne  ;  h°  le  châtaignier  ;  G"  le  noyer. 
.Nous  allons  domier  quelques  détails  sur  chacun 
d'eux,  en  reportant  :"i  un  article  spécial,  que  justifie 
son  importance,  ce  qui  doit  être  dit  de  la  vigne. 


1°  Volivier  est  en  France  l'arbre  caractéristi- 
que de  l'extrême  région  méridionale  au  sud-est, 
dans  la  basse  vallée  du  Rhône,  depuis  l'Ardèche 
et  la  Drôme  jusqu'à  la  mer,  et  sur  tout  notre  lit- 
toral méditerranéen.  On  le  cultive,  de  temps  im- 
mémorial, pour  ses  fruits  qui  entrent  dans  l'ali- 
mentation et  dont  on  extrait  une  huile  excellente. 
La  statistique  évalue  à  147  600  hectares  environ 
la  surface  qu'il  occupe,  et  à  5  400  000  hectolitres 
la  production  moyenne  d'huile  qu'on  en  retire. 
L'huile  d'olive,  outre  qu'elle  est  employée  comme 
comestible,  forme  la  base  du  savon  dont  d'impor- 
tantes fabriques  se  sont  créées  depuis  longtemps 
dans  le  Midi. 

L'olivier  vient  dans  la  plupart  des  terres.  Il 
pousse  très  bien  dans  les  terres  fortes  et  profon- 
des, mais  il  se  contente  aussi  des  terrains  secs, 
arides,  sans  profondeur.  Il  fait  la  richesse  des 
terres  rocailleuses  de  certaines  parties  de  la 
Provence  qui  ne  peuvent  porter  d'autre  culture; 
toutefois  ses  produits  y  snnt  moins  abondants. 
Deux  méthodes  sont  employées  pour  les  planta- 
tions :  tantôt  les  oliviers  couvrent  toute  la  surface 
du  sol,  en  formant  des  massifs,  tantôt  ils  sont  placés 
en  cordons  espacés  de  manière  que  l'on  puisse 
établir  entre  les  lignes  des  cultures  intercalaires  : 
c'est  ce  que,  dans  le  midi,  on  appelle  planter  en 
cuillères.  C'est  l'automne  qui  est  la  saison  la  plus 
favorable  pour  planter,  dans  les  terres  sèches;  le 
printemps,  pour  les  terres  humides. 

L'olivier  doit  être  taillé  avec  soin.  La  taille  re- 
pose sur  ce  fait  que  l'arbre  ne  fleurit  que  sur  le 
bois  de  deux  ans,  et  sur  la  nécessité  de  mettre  les 
fleurs  et  les  fruits  à  une  bonne  exposition  au  so- 
leil. La  taille  consiste  à  supprimer  tous  les  ra- 
meaux qui  s'élèvent  verticalement,  à  couper  les 
branches  mortes,  et  les  rameaux  latéraux  qui  de- 
viennent trop  longs,  à  supprimer  les  rameaux  qui 
sont  le  plus  intérieurs,  de  manière  à  donner  i 
l'arbre  une  forme  sphérique.  Sur  les  rameaux 
conservés,  on  garde  le  bouquet  terminal  et  seu- 
lement qutiques-uns  de  ceux  qui  en  sont  le  plus 
rapprochés.  Pour  former  la  tête  des  jeunes  arbres, 
le  tronc  est  ébourgeonné  avec  soin. 

Pendant  l'hiver,  on  butte  le  pied  des  arbres, 
pour  les  soustraire  à  l'action  des  gelées.  Ori  pro- 
fite do  ce  travail,  pour  leur  donner  l'engiais  qui 
leur  est  nécessaire;  celui  qui  est  le  plus  générale- 
ment employé  est  le  tourteau.  Quand  on  fait  des 
cultures  annuelles  intercalaires,  les  engrais  em- 
ployés pour  les  cultures  suffisent  souvent  peup- 
les oliviers.  Quand  on  a  de  l'eau  à  sa  disposition, 
il  est  bon  de  donner  aux  arbres  deux  ou  trois  ou-: 
vragesau  printemps  et  au  commencement  del'été.i 
La  cueillette  des  olives  se  fait  un  peu  avant; 
qu'elles  soient  complètement  mûres.  Cette  opéra-* 
tion,  commencée  au  mois  de  novembre,  est  conti-l 
nuée  jusqu'à  la  deuxième  quinzaine  de  décembre. 
Le  produit  en  fruits  varie  beaucoup  suivant  les 
années,  ainsi  que  suivant  l'âge  des  arbres.  Quand 
l'arbre  est  en  plein  rapport,  ce  qui  arrive  au  bout 
de  vingt  ans  à  peu  près,  il  donne  7  à  10  litres 
d'olives  suivant  les  espèces.  Comme  il  faut  géné- 
ralement 750  litres  d'olives  pour  fabriquer  100  li- 
tres d'huile,  on  estime  que  le  produit  moyen  d'un 
arbre  est  de  1  litre  d'huile.  La  quantité  produite 
par  hectare  dépend  naturellement  du  nombre  des 
arbres.  Dans  le  déparlement  de  Vaucluse,  on  es- 
lime  qu'un  hectare  produit  annuellement  30  hec- 
tolitres d'olives.  La  production  de  l'olivier  sefl 
maintient,  en  Provence,  jusqu'à  45  à  50  ans  ;  en 
Italie  et  en  Corse,  elle  dure  pendant  beaucoup 
plus  longtemps.  .     . 

Le  froid,  suivi  d'un  dégel  rapide,  est  le  princi; 
pal  ennemi  de  l'olivier.  Cet  arbre  est  aussi  attaqtii 
par  divers  insectes;  les  principaux  sentie  kerme; 
rouge,  qui  se  multiplie  sur  les  branches,  et  la  mou 
che  de  l'olivier,  qui  s'attaque  aux  fruits. 


PLANTES 


—  1617  — 


PLANTES 


2°  V Amandier  se  rencontre  presque  partout  en 
concomitance  avec  l'olivier  ;  mais  il  est  moins  dé- 
licat, et  on  le  retrouve  dans  la  région  plus  septen- 
trionale, avec  la  vigne.  On  en  cultive  plusieurs 
espèces,  qui|  peuvent  se  partager  en  deux  catégo- 
ries :  les  amandiers  à  fruits  doux,  et  les  aman- 
diers à  fruits  amers.  Dans  la  première  catégorie, 
l'amandier  princesse  et  celui  dit  i  la  dame  sont  les 
variétés  qui  produisent  les  fruits  les  plus  estimés  ; 
elles  conviennent  davantage  aux  pays  méridio- 
naux; elles  fructifient  mal  en  dehors  de  la  région 
de  l'olivier. 

L'amandier  se  propage  par  semis;  le  plus  sou- 
vent on  sème  en  pépinière,  et  on  met  en  place  le 
jeune  arbre  de  cinq  ou  six  ans.  On  peut  gieffer 
en  pépinière  amandier  sur  amandier,  quand  le 
sujet  a  deux  ans  ;  mais  beaucoup  de  cultivateurs 
ne  greft'ent  qu'après  plantation  définitive,  ce  qui 
retarde  notablement  la  mise  h.  fruit  de  l'arbre.  La 
plantation  se  fait  on  lignes  espacées  d'une  dizaine 
de  mètres  quand  le  terrain  est  profond  :  l'écarte- 
ment  peut  aller  jusqu'à  25  mètres,  lorsque  le 
terrain  n'offre  qu'une  faible  profondeur.  Cet 
arbre  est  délicat  et  redoute  les  gelées  blanclies; 
c'est  pourquoi  on  élève  jusqu'à  1"',.50  et  au  delà 
l'origine  de  la  bifurcation  des  branches. 

Comme  pour  l'olivier,  et  beaucoup  d'autres  arbres, 
les  fleurs  et  les  fruits  ne  se  développent  que  sur 
le  bois  de  deux  ans.  C'est  d'après  ce  principe  que 
la  taille  doit  être  faite.  On  a  surtout  soin  d'enlever 
les  branches  gourmandes.  Rarement  on  donne  des 
engrais  aux  amandiers;  mais  c'est  à  tort,  car  on 
a  constaté  que  ceux  qui  sont  cultivés  on  ouillères 
profitent  des  engrais  donnés  auo!  cultures  inter- 
calaires. 

On  estime  à  6  kilog.  d'amandes  cassées,  c'est- 
à-dire  dépourvues  de  leur  péricarpe,  le  produit 
moyen  d'un  amandier  en  bon  état  d'entretien. 
La  récolte  se  fait  le  plus  souvent  en  battant  les 
arbres  avec  des  gaules  faites  en  canne  de  Pro- 
vence, qui  n'endommagent  pas  les  branches. 

La  gourme  est  la  maladie  qui  attaque  le  plus 
souvent  l'amandier.  Il  a  pour  principaux  ennemis  : 
parmi  les  insectes,  un  puceron  et  un  kermès  qui 
lui  sont  spéciaux,  ainsi  que  la  piéride  de  l'olivier  ; 
parmi  les  végétaux,  le  gui  qui  se  développe  sur  les 
branches,  et  dont  on  débarrasse  l'arbre  par  extir- 
pation. 

3°  Le  Mûrier  est,  comme  les  précédents,  un 
^rbre  du  midi.  On  le  cultive  pour  la  nourriture 
que  ses  feuilles  fournissent  aux  vers  à  soie.  Parmi 
les  diverses  espèces  de  mûrier,  le  mûrier  blanc 
est  celui  que  l'on  rencontre  presque  exclusive- 
ment dans  les  cultures  méridionales,  principale- 
naent  dans  les  Cévennes,  nù  il  avait  pris  une  très 
grande  extension  avant  les  épidémies  qui  ont  sévi 
«ur  les  vers  à  soie,  et  qui  en  ont  fait  diminuer  la 
culture;  mais  on  a  fait,  depuis  quelques  années, 
des  replantatioas  sur  une  assez  grande  échelle. 
Cet  arbre  paraît  originaire  de  la  Chine  et  de  la 
Perse  :  il  a  été  importé  en  Europe,  avec  la  pro- 
duction des  vers  à  soie,  par  la  Grèce  et  l'Italie. 

^  Ce  que  l'on  cherche  dans  la  culture  du  miirier, 
cest  k  la  fois  une  grande  quantité  de  feuilles,  et 
une  valeurnutritive  considérable  dans  ces  feuilles. 
La  culture  a  amené  la  formation  d'un  certain 
nombre  de  variétés  qui  ont  des  propriétés  diver- 
ses, à  ce  double  point  de  vue.  Los  variétés  le  plus 
estimées  sont  le  miirier  moretti,  le  mûrier  multi- 
caule,  le  mûrier  rose,  ainsi  appelé  de  la  couleur 
de  ses  fleurs. 

Le  mûrier  est  cultivé  tantôt  à  haute  tige  ou  à 
mi-tige,tantùt  en  arbuste.  Dans  les  premiers  cas, 
les  plantations  sont  faites  en  quinconces  ou  on 
bordures  ;  les  pieds  sont  espacés  de  7  mètres  dans 
•les  quinconces,  et  do  10  à  12  mètres  dans  les  bor- 
dures. Les  mûriers  en  arbuste  ou  nains  sont  plan- 
tes en  haies  ou  en  taillis;  les  pieds  sont  espacés 
1'  Partie. 


plus  ou  moins  suivant  la  nature  du  sol;  leur 
écartement  se  restreint  parfois  jusqu'à  50  centi- 
mètres. 

La  multiplication  s'opère  par  graines,  par  bou- 
tures, par  marcottes  ou  par  greffes.  La  greffe  se 
fait  le  plus  souvent  en  écusson  ou  en  flûte  sur 
sauvageon  obtenu  par  semis.  D'après  des  obser- 
vations faites  avec  soin,  la  production  d'un  mûrier 
bien  conduit  va  généralement  en  augmentant  pen- 
dant SCS  vingt  premières  années  ;  elle  reste  sta- 
tionnaire  pendant  vingt  autres  années,  et  elle  va 
en  déclinant,  lors(|ue  l'arbre  a  atteint  l'âge  de 
quarante  à  quarante-cinq  ans;  à  partir  de  ce  mo- 
ment, le  bois  a  pris  trop  de  volume. 

La  taille  du  mûrier  a  un  but  absolument  opposé 
à  celui  de  la  taille  des  arbres  cultivés  pour  leurs 
fruits  :  il  s'agit  de  lui  faire  produire  la  plus 
grande  quantité  de  feuilles,  et  aussi  peu  de  fleurs 
que  possible.  Pendant  les  premières  années,  la 
taille  forme  la  charpente  de  l'arbre,  qui  doit  avoir 
l'aspect  d'un  vase,  afin  que  les  jeunes  branches 
puissent  se  développer  sans  obstacles.  Ensuite,  on 
taille  de  manière  à  ne  laisser  qu'un  certain  nom- 
bre de  bourgeons  qui  développent  des  rameaux 
vigoureux,  avec  des  feuilles  grandes  et  abondan- 
tes. Suivant  la  nature  des  sols,  on  taille  l'arbre 
annuellement  ou  tous  les  deux  ans.  La  taille  an- 
nuelle se  fait  en  été  ;  on  la  pratique  après  la 
cueillette  des  feuilles,  lorsque  l'arbre  est  planté 
en  terrain  assez  frais  pour  pouvoir  fournir  de 
nouveaux  bourgeons  qui  se  développent  librement. 
La  taille  bisannuelle  est  pratiquée  au  printemps 
après  la  première  récolte  de  feuilles;  elle  est 
adoptée  lorsque  les  arbres  sont  en  terrain  trop 
soc  ou  sous  un  climat  trop  froid  pour  permettre 
aux  nouveaux  bourgeons  de  se  développer  vigou- 
reusement. Dans  ce  dernier  cas,  on  partage  les 
mûriers  d'un  domaine  en  deux  séries  que  l'on 
taille  alternativement,  de  manière  à  avoir,  chaque 
année,  de  la  feuille  en  quantité  suffisante  pour 
les  vers  à  soie. 

La  feuille  du  miirier  se  développe  très  hâtive- 
ment au  printemps  ;  elle  est  quelquefois  détruite 
par  les  gelées  blanches.  La  seconde  pousse,  tou- 
jours plus  faible  et  moins  bonne,  est  alors  la  res- 
source du  cultivateur.  La  cueillette  commence  dès 
que  les  bourgeons  ont  donné  un  nombre  suffisant 
de  feuilles  complètement  développées  ;  on  com- 
mence par  les  haies  et  les  taillis,  où  les  feuilles 
se.développent  plus  tôt  que  sur  les  arbres  à  haute 
tige.  La  cueillette  dure  trente  à  quarante  jours  ; 
il  ne  faut  la  commencer  que  lorsque  la  rosée  du 
matin  est  évaporée  ;  on  l'arrête  avant  la  fraîcheur 
du  soir  :  il  faut  surtout  se  garder  de  cueillir  pen- 
dant la  pluie  ;  la  feuille  mouillée  est  toujours  pré- 
judiciable aux  vers  à  soie. 

Les  travaux  d'entretien  du  mûrier,  en  dehors 
de  la  taille,  consistent  en  deux  labours  qu'il  con- 
vient de  donner,  l'un  à  la  fin  de  l'hiver,  l'autre  au 
commencement  de  l'été.  Ces  labours  maintiennent 
la  surface  du  sol  ameubli  et  s'opposent  à  l'action 
de  la  sécheresse;  en  outre,  ils  détruisent  les 
plantes  parasites.  L'arbre  se  trouve  très  bien  de 
l'emploi  des  engrais,  qui  en  augmentent  la  produc- 
tion dans  des  proportions  1res  notables.  Le  fumier 
est  l'engrais  le  plus  généralement  adopté  ;  les 
tourteaux  peuvent  aussi  servir  avec  avantage,  de 
même  que  les  détritus  des  magnaneries. 

La  production  de  la  fouille  de  mûrier  n'est  pas 
toujours  unie  à  l'éducation  des  vers  à  soie.  Les 
éducateurs  achètent  le  plus  souvent  la  feuille  qui 
leur  est  nécessaire  à  des  agriculteurs  qui  n'élè- 
vent pas  de  vers  à  soie  ou  qui  ont  une  production 
de  feuilles  sensiblement  supérieure  à  leurs  be- 
soins. 

4"  Le  Châtaignier  est  cultivé  dans  un  double 
but  :  comme  arbre  donnant  des  fruits,  et  comme 
arbre  forestier  dont  les  taillis  donnent  d'excel- 
102 


PLANTES 


1618  — 


PLANTES 


lent  bois  pour  faire  les  futailles.  Le  châtaignier 
est  un  arbre  de  la  région  de  la  vigne  et  il  mûrit  i 
ses  fruits  un  peu  au  delii  jusqu'en  Bretagne,  et  | 
sur  des  hauteurs  où  la  vigne  ne  vient  pas,  comme 
dans  le  Limousin.  Pour  miirir,  la  châtaigne  a 
besoin  d'une  chaleur  soutenue  et  prolongée  plu- 
tôt que  forte.  L'arbre  est  assez  sensible  aux  froids 
du  printemps  ;  s'il  résiste  généralement  bien  à 
ceux  de  l'hiver,  les  gelées  printanières  lui  sont 
souvent  nuisibles. 

On  cultive  plusieurs  espèces  de  châtaignes  ;  les 
principales  sont  :  le  marron,  qui  se  distingue  par 
sa  forme  presque  sphérique  et  son  fruit  savou- 
reu.x  ;  l'exalade  ;  la  châtaigne  verte.  Le  châtaignier 
demande  des  terres  meubles  et  profondes  ;  les  sols 
schisteux  lui  conviennent  bien,  et  il  y  prend  des 
proportions  considérables,  de  môme  que  dans  les 
alluvions  siliceuses.  On  sème  sur  place  les  châ- 
taigniers qui  doivent  être  cultives  comme  arbres 
forestiers,  mais  on  plante  ceux  qui  sont  élevés  pour 
les  fruits.  On  grelTe  les  bonnes  variétés,  afin  de 
les  maintenir:  quant  au  plant  nécessaire  à  la  plan- 
tation, on  peut  soit  l'acheter,  soit  le  préparer  en 
pépinière.  Les  soins  de  culture  sont  peu  impor- 
tants :  la  taille  consiste  en  un  simple  émoudage 
pour  enlever  le  bois  mort,  et  les  drageons  qui 
poussent  au  pied. 

Un  beau  châtaignier  porte  50  à  60  kilogrammes 
de  châtaignes  chaque  année.  Les  fruits  sont  ven- 
dus soit  dans  leur  état  naturel,  soit  après  avoir 
été  desséchés  dans  des  séchoirs,  pendant  une 
dizaine  de  jours,  sous  l'action  du  feu;  les  châtai- 
gnes desséchées  se  réduisent  :\  peu  près  au  tiers 
de  leur  volume  primitif. 

5°  Le  Noyer  est  cultivé  dans  les  mêmes  régions 
que  le  châtaignier,  à  la  fois  pour  la  vente  de  ses 
fruits  et  pour  la  préparation  de  l'huile  qu'on  en 
extrait.  A  côté  du  noyer  commun,  on  cultive  plu- 
sieurs autres  variétés  ;  les  principales  sont  :  le 
noyer  à  coque  tendre,  et  le  noyer  tardif.  Ce  der- 
nier est  surtout  précieux  dans  les  contrées  su- 
jettes aux  gelées  printanières.  La  culture  de  cet 
arbre  est  facile;  elle  ne  demande,  quand  l'opéra- 
tion de  la  greffe  est  faite,  que  quelques  binages 
annuels,  et  une  taille  assez  simple  qui  consiste  à 
retrancher  les  branches  les  plus  basses  et  qui 
pencheraient  trop  vers  le  sol. 

Pour  faire  ce  qu'on  appelle  les  cerneaux,  on 
cueille  les  noix  avant  leur  maturité.  C'est  en  août 
que  cette  cueillette  se  fait,  car  celle  des  fruits 
mûrs  commence  en  septembre  et  se  prolonge  jus- 
qu'à la  fin  d'octobre,  suivant  les  climats.  Après  la 
cueillette,  les  noix  destinées  à  la  fabrication  de 
l'huile  sont  mises  en  tas  ;  on  laisse  un  certain 
intervalle  entre  les  deux  opérations  pour  que 
l'huile  se  développe  dans  le  fruit. 

Le  produit  des  arbres  varie  dans  de  très  fortes 
proportions  suivant  les  sols  dans  lesquels  ils  sont 
plantés.  On  l'estime,  en  général,  pour  un  arbre 
de  trente  à  quarante  ans  en  pleine  production, 
de  GO  à  80  litres  de  noix.  11  faut  ajouter  que  le 
bois  do  noyer  est  très  recherché  par  l'ébénisterie. 
I  Henry  Sagnier.] 

PLANTES  INDUSTIVIELLF.S.  —  Agriculture, 
VIU.  —  Les  plantes  industrielles  sont  celles  dont 
les  produits  sont  transformés  par  les  industries 
agricoles,  avant  d'être  livrés  à  la  consommation. 
Suivant  la  nature  de  ces  produits  et  de  leurs 
transformations,  on  divise  les  plantes  industrielles 
en  plantes  sucrières,  plantes  oléagineuses,  plantes 
textiles,  etc.  Nous  allons  passer  rapidement  en  re- 
vue chacune  de  ces  catégories. 

Plantes  sijcrières.  —  Betterave.  —  La  betterave 
est  la  seule  plante  sucrière  cultivée  en  Europe. 
Assez  recherchée  comme  plante  alimentaire  dès 
le  XVI'  siècle,  la  betterave  entrait  dans  l'alimen- 
tation des  hommes  et  du  bétail,  lorsque  la  disette 
du  sucre  colonial,  effet  du  blocus  continental  sous 


le  premier  empire,  fixa  l'attention  sur  ses  pro- 
priétés saccharifères  signalées  pour  la  première 
fois,  au  milieu  du  xvm'  siècle,  par  un  chimiste 
allemand.  Depuis  cinquante  ans,  la  culture  de  la 
betterave  à  sucre  a  pris  une  extension  considé- 
rable en  France,  en  Belgique,  en  Allemagne,  en 
Autriche,  en  Russie.  Tous  les  pays  rivalisent  d'ar- 
deur dans  la  fabrication  du  sucre.  L'honneur  de 
l'initiative  de  cette  industrie  revient  tout  entier  à 
la  France. 

On  cultive  plusieurs  variétés  de  betteraves.  Les 
soins  de  culture  sont  les  mêmes,  qu'il  s'agisse  de 
betteraves  à  sucre  ou  de  betteraves  fourragères. 
La  betterave  blanche  de  Silésie,  la  betterave  franco- 
allemande  de  Simon-Legrand,  la  betterave  dite 
améliorée  de  Vilmorin,  sont  les  variétés  sucrières 
qui  donnent  les  meilleurs  résultats  en  France. 
Parmi  les  variétés  de  betteraves  fourragères  le  plus 
estimées,  il  faut  particulièrement  citer  la  jaune 
globe  et  la  jaune  ovoïde  des  Barres. 

La  betterave  est  le  plus  souvent  précédée  par 
une  céréale  dans  l'assolement.  La  préparation  da 
sol,  pendant  l'hiver  qui  suit  la  somaillo,  doit  être 
faite  avec  beaucoup  de  soin.  Il  faut  surtout  faire 
des  labours  profonds,  car  la  racine  pivotante  de 
la  betterave  demande,  pour  se  bien  développer, 
un  sol  ameubli.  En  même  temps  qu'on  procède  i 
ces  travaux,  on  fume  abondamment,  d'abord  avec 
du  fumier  de  ferme,  puis  avec  des  engrais  du 
commerce  comme  compléments. 

Les  semailles  se  font  au  mois  de  mars  ou  an 
commencement  d'avril  ;  elles  doivent  être  prati- 
quées en  lignes.  Lorsque  les  plants  sont  levés, 
on  procède  â  plusieurs  binages  successifs  dont  le 
but  est  d'ameublir  la  surface  du  sol  et  de  la  dé- 
barrasser des  mauvaises  herbes.  L'espacement 
entre  les  lignes  de  betteraves  doit  être  de  40  cen- 
timètres environ  ;  quant  aux  racines,  elles  sont  es- 
pacées de  30  centimètres  dans  la  ligne. 

La  récolte  des  betteraves  se  fait  en  octobre,  et 
même  en  novembre  ;  l'époque  précise  varie  sui- 
vant les  terres  et  les  années.  Dans  la  plupart  des 
exploitations,  l'arrachage  des  racines  se  fait  en- 
core à  bras;  mais  on  commence  i  utiliser  plu- 
sieurs instruments  spéciaux  soit  pour  enlever 
les  feuilles  avant  l'arrachage,  soit  pour  sortir  les 
racines  de  terre.  Le  rendement  moyen  d'un  hec- 
tare de  terre,  dans  les  conditions  ordinaires,  est 
de  40,000  kilog.  de  racines.  Les  cultivateurs,  ven- 
dant la  betterave  au  poids  aux  fabricants  do 
sucre,  ont  intérêt  h  obtenir  le  poids  le  plus  élevé. 
Ce  résultat  est  souvent  obtenu  au  détriment  de 
la  richesse  en  sucre  de  la  racine.  Il  en  résulte 
parfois  des  conflits  entre  les  uns  et  les  autres.  Il 
est  aujourd'hui  démontré  que  l'on  peut,  avec  des 
variétés  de  betteraves  bien  choisies,  et  par  la 
culture  serrée,  obtenir  à  la  fois  rendement  en 
poids  et  rendement  en  sucre. 

Aujourd'hui,  les  fabriques  de  sucre  extraient, 
en  France,  chaque  aimée,  'ibO  à  400  millions  de 
kilogrammes  de  sucre  brut  des  betteraves  qu'elles 
travaillent.  Les  résidus  des  racines,  connus  sous 
le  nom  de  pulpes,  reviennent  .\  la  ferme,  et  for- 
ment une  excellente  nourriture  pour  le  bétail. 

Dans  un  certain  nombre  d'exploitations,  des 
distilleries  ont  été  créées  pour  l'alcool  de  la  bette- 
rave. Les  pulpes  provenant  des  distilleries  sont 
également  recherchées  pour  le  bétail. 

La  culture  de  la  betterave,  en  même  temps 
quelle  donne  un  produit  industriel  d'une  grande 
valeur,  est  une  cause  générale  d'amélioration  des. 
champs  et  d'une  plus  grande  production  en  cé- 
réales et  en  viande.  Elle  a  enrichi  tous  les  dépar- 
tements où  elle  a  été  adoptée;  elle  continue 
d'ailleurs  à  se  développer. 

Quant  aux  betteraves  fourragères,  elles  sont, 
après  l'arrachage,  conservées  dans  des  caves  ou 
des  silos;  elles  servent  à  l'alimentation  du  bétai; 


I 


PLANTES 


iGiy 


PLANTES 


pendant  l'hiver.  On  lc3  coupe  en  tranches  minces 
après  les  avoir  lavées,  et  on  les  mélangi;  Ji  du  son, 
des  balles,  dos  tourteaux  ou  des  fourrages  hachés. 
l'i.ANiES  oLÉAfiiNEUSEs.  —  Les  plantes  oléagi- 
neuses sont  cultivées  pour  l'huile  qu'on  extrait  de 
leurs  graines.  Les  résidus  de  la  fabrication  do 
l'huile  forment  les  tourteaux,  dont  on  se  sert  soit 
comme  engrais,  soit  pour  la  nourriture  du  bétail. 
Les  principales  plantes  oléagineuses  sont  le  colza, 
le  pavot,  la  navette,  la  cameline,  la  moutarde. 

Le  cuiza  est  la  plus  importante  dos  plantes  oléa- 
gineuses cultivées  en  France.  Il  y  en  a  deux  va- 
riétés :  le  colza  d'hiver  et  le  colza  de  printemps. 
La  première  est  la  plus  productive  ;  son  rende- 
ment est  de  35  ;\  40  heclolitres  do  graine  à  l'hec- 
tare. Le  colza  demande  un  sol  bien  préparé, 
assez  bien  fumé.  Les  semailles  se  font  soit  ii  la 
volée,  soit  en  lignes,  h  l'automne,  pour  lo  colza 
d'hiver,  et  au  mois  de  mars  pour  celui  de  prin- 
temps. Le  colza  est  coupé  i  la  faucille  un  peu 
«vant  la  maturité  complote  des  graines;  la  mé- 
thode généralement  adoptée  pour  séparer  les 
graines  des  tiges  est  do  battre  celles-ci  sur  des 
bâches  dans  le  champ  mémo,  lorsque  les  plantes 
coupées  sont  devenues  suffisamment  sèches.  La 
graine  de  colza  étant  sujette  à  s'échauffer,  il  ne 
faut  la  mettre  qu'en  tas  peu  épais  dans  les  gre- 
niers. Quand  le  colza  d'hiver  a  eu  \  souffrir  de 
froids  trop  rigoureux,  pendant  l'hiver,  on  regarnit 
les  champs,  dans  les  places  où  il  y  a  des  vides, 
par  de  la  graine  de  colza  de  printemps. 

La  tuiiic'tte,  comme  le  colza,  comprend  deux 
sortes,  lune  d'hiver  qui  est  semée  à  l'automne, 
l'autre  de  prijitemps  qu'on  peut  semer  en  avril 
ou  en  mai.  La  méthode  i  suivre  pour  la  culture 
de  la  navette  est  analogue  i  celle  qui  est  adoptée 
pour  le  colza.  Le  rendement  est  moins  élevé,  et  la 
graine,  ii  volume  égal,  donne  moins  d'huile  que 
celle  de  colza;  mais  la  navette  peut  venir"  avanta- 
geusement dans  des  sols  secs  et  calcaires.  Quand 
la  navette  d  liiver  est  bien  cultivée,  son  rende- 
ment atteint  25  hectolitres  par  hectare;  celui  de 
la  navette  de  printemps  ne  dépasse  pas  20  hec- 
tolitres. 

Le  pavot  ou  œillette  est  cultivé  sur  une  assez 
grande  échelle  dans  le  nord  de  la  France;  sa 
graine  donne  presque  le  tiers  de  son  poids  en 
huile  d'excellente  qualité.  De  même  que  la  plu- 
part des  plantes  oléagineuses,  il  demande  un  bon 
sol,  fumé  avec  soin,  et  quelques  binages.  Les 
semailles  se  font  dès  le  commencement  du  prin- 
temps, au  mois  de  février,  aussitôt  que  l'état  du  sol 
le  permet.  Son  rendement  est  do  20  i  2.'>  hecto- 
litres par  heciare.  Dès  que  les  têtes  de  pavot 
commencent  à  devenir  grises,  on  les  coupe,  puis 
on  les  fait  sécher;  le  battage  se  fait  au  fléau.  On 
dislingue  trois  espèces  de  pavot  :  le  pavot  com- 
mun à  graines  grises,  le  pavot  noir  ou  aveugle,  et 
le  pavot  blanc. 

La  cumeline  croit  dans  presque  toutes  les  par- 
ties de  l'Europe,  mais  elle  préfère  les  climats  hu- 
mides et  brumeux.  Les  soins  de  culture  sont  les 
mûmes  (|ue  ceux  qui  viennent  d'être  résumés. 
Son  rendement  est  d'environ  22  hectolitres  de 
grame  h  l'hectare. 

La  moutanle  blcmche  est  plus  rarement  cultivée, 
ba  granie  renferme  beaucoup  d'huile  ;  mais  cette 
plante  demande  une  terre  très  bien  préparée  et 
richement  fumée.  En  outre,  son  rendement  est 
peu  élevé  :  il  ne  dépasse  pas  15  hectolitres  par 
hectare. 

Pla.ntes  textiles.  —  Les  deux  principales 
plantes  textiles  cultivées  en  France  sont  le  chan- 
vre et  le  lin.  Elles  ont  perdu  une  partie  de  leur 
ancienne  imporiance,  à  cause  de  l'extension  qu'a 
prise  1  usage  des  étoffes  de  coton. 

Le  chanvre  donna  une  filasse  grossière,  mais 
d  une  grande  solidité.    On  en  distingue  deux  va- 


riétés :  le  chanvre  ordinaire  et  le  chanvre  de 
Piémont  ou  gigantesque,  qui  ne  diffèrent  que  par 
la  taille.  Le  chanvre  est  une  des  plantes  dont  la 
croissance  est  le  plus  rapide.  Il  peut  venir  dans 
un  grand  nombre  de  sols,  mais  il  préfère  les  terres 
profondes  des  vallées.  Il  faut  qne  la  tirre  soit 
profondément  ameublie  et  bien  fumée.  Les  se- 
mailles se  font  i  la  fin  du  mois  d'avril.  Quand  la 
plante  est  levée,  on  procède  à  un  sarclage,  puis 
i  des  binages.  La  récolte  se  fait  do  juillet  en  août. 
Suivant  l'usage  auquel  est  destinée  la  filasse,  les 
liges  sont  coupées  ou  arrachées.  Afin  de  faire 
disparaître  la  substance  gominenso  qui  imprègne 
les  filaments  du  chanvre,  on  procède  au  rouissage  ; 
cette  opération  consiste  ^  faire  séjourner  les 
gerbes  de  chanvre  pendant  quelque  temps  dans 
l'eau.  On  les  égoutti^  ensuite,  et  on  procède  au 
toillage,  c'est-à-dire  h  la  séparation  de  la  filasse  de 
la  partie  ligneuse  de  la  tige  ;  le  teillage  est  pra- 
tiqué, soit  avec  des  appareils  très  simples  appelés 
broyés,  soit,  depuis  quelque  temps,  avec  des 
machines  perfectionnées.  Le  rendement  moyen 
du  chanvre  peut  être  estimé  i.  lUOO  kilogrammes 
de  filasse  par  heciare. 

h&tin  est  cultivé  suivantdosprocédés  analogues 
à  ceux  adoptés  pour  le  chanvre.  C'est  une  plante 
encore  plus  délicate  et  qui  demande  plus  de  soin. 
Les  semailles  se  font  au  mois  de  mars.  Les  tiges 
sont  arrachées  quand  les  capsules  des  fruits 
commencent  à  se  former.  Le  lin  doit  être  soumis 
au  rouissage  et  au  teillage,  comme  le  chanvre.  Il 
fournit  la  filasse  la  plus  fine  et  la  plus  estimée. 
Son  rendement  moyen  est  d'environ  5U0  kilo- 
grammes de  filasse  par  hectare. 

Le  chanvre  et  le  lin  peuvent  aussi  être  cultivés 
comme  plantes  oléagineuses  ;  leurs  graines  don- 
nent une  huile  d'excellente  qualité. 

Plantes  tinctoriales.  — Les  plantes  tinctoriales 
sont  celles  dont  ou  extrait  des  matières  propres  h 
la  teinture. 

Kaguoro  la  (jai-ance,  qui  donne  une  très  belle 
couleur  rouge,  était  très  cultivée  dans  le  Midi. 
Sa  culture  a  été  abandonnée,  parce  que  l'alizarine 
artificielle,  créée  par  l'industrie  à  meilleur  mar- 
ché, est  venue  détrôner  ses  produits. 

Le  safran  est  surtout  cultivé  dans  le  Gâtinais. 
Le  stigmate  de  sa  fleur  donne  une  couleur  d'un 
beau  jaune  doré.  Sa  culture  demande  des  soins 
spéciaux  sur  lesquels  il  n'y  a  pas  lieu  d'insister 
ici. 

La  gaude  renferme,  dans  la  partie  supérieure 
de  ses  tiges  et  dans  ses  feuilles,  un  principe  colo- 
rant jaune  qui  est  très  estimé.  C'est  aussi  une 
plante  oléagineuse.  Elle  est  principalomentcultivée 
dans  quelques  parties  de  la  Normandie,  ainsi  que 
dans  le  Languedoc. 

Le  piislel  fournit  une  couleur  bleue  se  rappro- 
chant de  celle  de  l'indigo.  C'est  dans  ses  feuilles 
que  réside  ce  principe  colorant.  On  les  récolte 
lorsqu'elles  commencent  à  se  violacer  sur  les  bords, 
puis  on  les  broie  sous  une  meule  pour  en  faire 
une  pâte. 

Plantes  inol-strielles  diveuses.  —  Parmi  les 
autres  cultures  industrielles,  il  en  est  deux  sur 
lesquelles  nous  devons  encore  insister  :  le  tabac 
et  le  houblon. 

Originaire  de  l'Amérique,  le  tabac  s'est  très 
bien  acclimaté  en  Europe.  Il  appartient  }\  la  fa- 
mille botanique  des  solanées,  féconde  en  poisons. 
Ses  tiges  s'élèvent  souvent  à  uno  hauteur  de  plus 
de  'l  mètres  ;  elles  portent  de  grandes  et  larges 
feuilles  ;  les  fleurs  sont  roses  ou  d'un  vert  bleuâtre. 
Les  semailles  se  font  en  février.  Quand  les  pre- 
mières feuilles  ont  poussé,  le  plant  est  j'epiqué. 
Il  est  important  que  le  sol  soit  profondément  la- 
bouré et  largement  fumé.  La  première  récolte  dos 
feuilles  se  fait  en  juillet  ;  elle  est  achevée  à  la  lin 
du  mois  d'août  ou  de  septembre.  Ou  donne  le  nom 


PLANTES 


—  1620 


PLANTES 


de  nianoques  à  la  réunion  d'un  certain  nombre  de 
feuilles  liées  ensemble  par  la  queue.  On  les  fait 
sécber  dans  des  locaux  spéciaux  avant  de  les  li- 
vrer. En  France,  où  le  gouvernement  se  réserve  le 
monopole  de  la  fabrication  ot  de  la  vente  des  tabacs, 
la  culture  de  cette  plante  ne  peut  être  faite  que 
dans  un  certain  nombre  de  départements  où  elle 
est  autorisée,  et  les  cultivateurs  qui  s'y  livrent 
doivent  se  soumettre  aux  prescriptions  des  règle- 
ments administratifs  sur  cette  matière. 

Le  houblon  croit  spontanément  dans  toutes  les 
parties  septentrionales  do  l'Europe.  La  Lorraine, 
les  Vosges,  le  Nord  et  une  partie  de  la  Bour- 
gogne sont  les  régions  de  la  France  où  il  est  prin- 
cipalement cultivé.  Il  lui  faut  une  terre  profonde, 
fraiclie,  mais  où  l'argile  ne  domine  pas.  Avant  les 
semailles,  on  fait  un  labour  de  défoncement  et  on 
fume  abondamment.  La  plantation  s'effectue  de  la 
mi-février  à  la  mi-avril.  Les  jeunes  sujets  sont 
généralement  placés  à  2  mètres  de  distance  les 
uns  des  autres;  la  moyenne  du  nombre  des  plants 
doit  être  de  7000  à  SÙOO  par  hectare.  Les  soins  de 
culture  consistent  dans  l'échalassement  qui  a  lieu 
en  mai,  dans  deux  binages  que  l'on  exécute  en  été 
aux  époques  les  plus  favorables  pour  maintenir 
la  fraîcheur  du  sol.  La  récolte  se  fait  à  l'automne; 
puis  on  enterre  le  bas  des  tiges  conservé  pour 
repousser  l'année  suivante.  Une  houblonniôre  en 
bon  sol  et  bien  cultivée  peut  durer  de  quinze  h 
vingt  ans.  Les  récoltes  commencent  la  troisième 
année.  La  récolte  est,  en  moyenne,  de  1500  à 
2000  kilogrammes  de  cônes  par  hectare,  plus  500 
à  ItiOO  kilogrammes  de  feuilles  et  de  tiges  sèches 
servant  comme  fourrage.  On  sait  que  les  cônes  de 
houblon  sont  employés  par  les  brasseurs  pour 
donner  à  la  bière  son  goût  particulier  et  pour  la 
préserver  des  altérations  auxquelles  les  boissons 
fermentées  sont  exposées.         [Henry  Sagnier.] 

PLANTES  LÉGUMINEUSES.  —  Agriculture, 
Vn.  —  Les  légumineuses  sont  des  plantes  dont 
les  graines,  comme  celles  des  céréales,  servent  à 
la  nourriture  de  l'homme  et  des  animaux.  Elles 
sont  caractérisées  par  la  forme  de  leurs  fruits  qui 
sont  renfermés  dans  une  gousse. 

Les  principales  plantes  légumineuses  cultivées 
sont  les  fèves,  les  haricots,  les  pois  et  les  len- 
tilles. Leurs  graines  contiennent  une  proportion 
notable  d'azote  qui  leur  donne  une  grande  va- 
leur nutritive. 

La  fève  est  la  plus  importante  des  légumineu- 
ses. Plusieurs  variétés  sont  cultivées  ;  colle  que 
l'on  rencontre  le  plus  souvent  est  la  fève  gour- 
£;ane,  plus  connue  sous  le  nom  de  féverole. 

La  féverole  préfère  les  terres  compactes,  un  peu 
humides  ;  elle  entre  dans  l'assolement  comme 
plante  sarclée  ;  elle  peut  se  succéder  plusieurs 
fois  à  elle-même  sans  que  le  produit  en  souffre. 
La  terre  doit  être  préparée  par  de  nombreux  la- 
bours, pour  les  semailles  qui  peuvent  se  faire  en 
hiver,  mais  pour  lesquelles  il  est  préférable  d'at- 
tendre le  mois  de  mars.  La  quantité  de  semence  à 
employer  varie  de  100  Ji  3i.O  litres  par  hectare, 
suivant  qu'on  sème  au  semoir  ou  à  la  volée. 

Un  hersage  après  la  semaille,  deux  binages  à  la 
houe,  et  enfin  un  buttage,  tels  sont  les  soins 
d'entretien  nécessaires  pendant  la  ■  végétation. 
Lorsque  les  cosses  inférieures  commencent  à  se 
développer,  on  procède  à  l'écimage  des  tiges,  opé- 
ration qui  assure  un  rendement  plus  élevé.  La 
récolte  se  fait  dans  le  courant  de  l'été,  lorsque 
les  cosses  commencent  i  noircir. 

Le  rendement  moyen  par  hectare  est  de  20  à 
25  hectolitres  de  féveroles,  plus  ;;0U0  il  2500  kilo- 
grammes de  fanes  sèches  qui  peuvent  être  con- 
sommées en  fourrage. 

La  culture  des  haricots  est  très  répaudue  dans 
une  partie  du  nord  et  de  l'est  de  la  France.  On  en 
cultive  doux  groupes  :  les  haricots  à  rames,  dont 


les  tiges  ont  besoin  de  tuteurs,  et  les  haricots 
nains  qui  se  soutiennent  par  eux-mêmes.  Les  va- 
riétés de  haricots  à  rames  et  nains  dits  de  Soissons 
sont  les  plus  estimées  pour  l'alimentation. 

Les  haricots  redoutent  l'humidité,  et  deman- 
dent une  terre  assez  sèche.  Ils  entrent  dans  les 
assolements  comme  plantes  sarclées.  La  terre  étant 
bien  préparée  par  plusieurs  labours,  on  sème  à  la 
lin  d'avril  ou  au  commencement  de  mai.  Les  se- 
mailles doivent  être  faites  en  lignes  espacées  de 
M)  à  40  centimètres,  et  les  semences  doivent  être 
placées  dans  des  poquets  distants  de  15  à  20  cen- 
timètres. Après  les  semailles,  avant  la  levée  des 
graines,  on  pratique  un  hersage  en  travers.  Après 
la  levée,  on  fait  deux  binages,  puis  un  buttage 
complet.  Enfin,  lorsque  les  tiges  sont  assez  éle- 
vées, on  les  rame,  c'est-à-dire  qu'on  les  soutient 
avec  des  gaulettes  piquées  obliquement  en  terre 
et  entre-croisées  Ji  leur  sommet.  Après  la  récolte, 
on  laisse  les  plantes  achever  de  mûrir  en  javelles, 
puis  on  les  rentre  pour  procéder  au  battage.  La 
quantité  de  semence  à  employer  par  hectare  est 
de  150  litres  environ.  Le  produit  moyen  varie  de 
25  à  35  hectolitres  de  graines,  plus  2000  à  25DO 
kilog.  de  fanes  sèches. 

Les  pois  comprennent  un  grand  nombre  de 
variétés,  pour  lesquelles  la  culture  est  la  même. 
Les  travaux  ii  faire  sont  d'ailleurs  à.  pou  près  les 
mêmes  que  pour  les  haricots.  Mais  il  ne  faut  pas 
faire  revenir  cette  plante  avant  cinq  ou  six  ans 
sur  le  même  champ.  La  quantité  de  semence  à 
employer  varie  un  peu  suivant  les  variétés.  Elle 
est  de  125  litres  environ  pour  les  pois  dits  culti- 
vés, et  200  litres  pour  les  pois  gris,  le  tout  par 
hectare.  Quant  au  rendement,  il  est,  pour  les  pre- 
miers, de  12  à  15  hectolitres  de  graine  et  2300  à 
3000  kilog.  de  fourrage  par  hectare;  pour  les 
seconds,  de  18  à  20  hectolitres  de  graines  et  4000 
à  4500  kilogrammes  de  fourrage.  Les  pois  gris 
sont  donc  la  variété  qui  donne  le  rendement  le 
plus  élevé. 

Les  lentilles  fournissent  pour  l'alimentation 
humaine  des  graines  très  nourrissantes,  et  pour 
l'alimentation  du  bétail  un  excellent  fourrage.  La 
lentille  peut  prospérer  dans  presque  toutes  les 
parties  de  la  France,  mais  elle  préfère  les  sols 
sableux  ou  calcaires  aux  terres  argileuses.  Les 
travaux  préparatoires  pour  cette  culture  consis- 
tent en  un  labour  et  un  hersage  qui  doivent  être 
faits  pendant  l'hiver.  Les  semailles  doivent  être 
terminées  au  printemps  ;  elles  se  pratiquent  en 
lignes  espacées  de  40  à  50  centimètres.  La  quan- 
tité de  semence  à  employer  par  hectare  est  de 
1  hectolitre  environ.  Pendant  la  végétation,  on  pro- 
cède d'abord  h  un  binage  pour  nettoyer  la  surface 
du  champ,  puis  à,  un  buttage  énergique.  On  ré- 
colte un  peu  avant  la  maturité  complète  de  la 
graine.  Le  rendement  est  de  15  à  20  hectolitres 
de  graines  en  moyenne,  et  de  ISoO  à  2OU0  kilo- 
grammes de  fourrage  par  hectare. 

On  cultive  deux  variétés  do  lentille  commune  : 
la  grande  lentille,  dont  le  grain  est  blond  et  aplati; 
la  petite  lentille,  appelée  aussi  lentille  à  la  reino 
OH  lentillon,  dont  le  grain  est  moitié  plus  petit 
que  le  précédent,  plus  coloré  et  bombé. 

Los  t'cjces  sont  surtout  cultivées  comme  plante 
fourragère.  Toutefois  la  consommation  qui  se  fait 
de  leurs  graines  pour  la  nourriture  du  bétail  leur 
donne  une  place  parmi  les  plantes  légumineuses. 
C'est  dans  les  terres  argileuses  que  la  vesce 
réussit  le  mieux.  Pour  préparer  le  sol,  il  suffît 
d'un  seul  labour,  suivi  d'un  hersage  qui  est  pra- 
tiqué immédiatement  avant  la  semaille.  Colle-ci 
peut  se  faire  dès  le  mois  de  mars  ;  elle  se  fait  géné- 
ralement à  la  fin  de  ce  mois  ou  dans  le  courant 
de  celui  d'avril.  La  quantité  de  semence  à  em- 
ployer est  de  1  hectolitre  1/2  par  hectare  pour  la 
vesce  de  printemps  et  de  2  hectolitres  pour  celle  t 


i 


PLATINE 


1C21  — 


PLATINE 


d'hiver.  Quant  aux  travaux  do  nettoyage  du  sol 
pendant  la  végétation,  ils  se  réduisent  à  un  her- 
sage (|ui  suit  la  semaille  cl  qui  est  destiné  h  en- 
terrer les  semences.  La  récolte  se  fait  aussitôt 
que  !c  champ  présente  un  certain  nombre  de 
gousses  niiircs.  Lo  rendement  est  d'environ  15 
hectolitres  de  graines,  et  ;J000  kilog.  de  paille 
qui  donne  un  excellent  fourrage. 

[Henry  Sagnier.] 
PLATINlî.  —  Chimie,  XX.   —  Etyra.    :  de  pla- 
ttna,  en  espagnol  diminutif  de  plate,  mgent. 

Le  platine  a  été  découvert  vers  173(1  dans  les 
sables  aurifères  du  Pinio,  Amérique  du  Sud  ;  il 
fut  importé  en  Europe  sous  le  nom  de  Platina  dcl 
Pinto  on  1740,  et  en  tH22,  on  le  rencontra  dans 
l'Oural  sous  forme  de  pépites  de  4,  'a,  B  et  même 
12  kilogrammes.  Aujourd'hui  ses  principaux  gise- 
ments sont  dans  les  monts  Ourals,  au  Brésil,  dans 
la  Nouvelle-Grenade;  on  lo  trouve  aussi  à  Haïti. 
On  le  rencontre  à  l'état  natif,  dans  des  sables 
d'alluvion,  mélangé  ii  des  métaux  rares,  tels  que 
l'osmium,  le  palladium,  l'iridium,  l'or,  et  sou- 
vent aussi  au  fer,  au  cuivre,  h  l'argent,  au  plomb, 
à  des  pyrites. 

Propriétés.  —  Le  platine  est  d'un  blanc  gris- 
bleu,  se  rapprochant  fortement  de  la  couleur  du 
plomb;  il  est  brillant  comme  l'argent.  Sa  densité 
est  21,1.').  C'est,  le.  plus  lourd  de  tous  les  métaux. 
11  fond  vers  2000°  centigrades  seulement.  Pen- 
dant longtemps  on  ne  pouvait  le  fondre  que  très 
difficilement  et  en  petites  masses;  tous  les  objets 
de  platine  se  faisaient  par  le  martelage.  Il  y  a 
une  vingtaine  d'années,  M.  Deville  est  parvenu  ;\ 
le  fondre  facilement  et  en  masses  considéra- 
bles, au  moyen  de  la  flamme  oxhydrique  ;  on 
fabrique  maintenant  aisément  toutes  sortes  d'ob- 
jets de  toutes  dimensions  en  platina.  Le  pla- 
tine peut  prendre  un  grand  éclat;  il  est  d'une 
telle  ductilité  qu'on  a  pu  faire  des  fils  de  platine 
si  fins  qu'ils  étaient  difficilement  visibles.  Il  est 
aussi  très  malléable  et  très  tenace  quand  il  est 
parfaitement  pur,  mais  ces  qualités  sont  très  con- 
sidérablement diminuées  par  les  moindres  traces 
de  substances  étrangères,  telles  que  le  soufre,  le 
phosphore,  l'arsenic,  qui  le  rendent  cassant. 

Le  platine  est  inaltérable  à  l'air;  aucun  acide, 
même  bouillant,  ne  l'attaque,  mais  l'eau  rérjnle 
(mélange  d'acide  azotique  et  d'acide  clilorhy'dri- 
que'i  le  dissout  rapidement  en  le  transformant  en 
chlorure  de  platine;  à  chaud  il  est  également  atta- 
qué par  le  nitre  et  par  la  potasse  ;  il  faut  donc 
se  garder  de  cliauffer  quoi  que  ce  soit  renfermant 
de  ces  substances,  dans  des  creusets  ou  des  cap- 
sules de  platine  qui  coîitcnt  fort  cher  et  seraient 
détériorés.  Tous  ceux  qui  travaillent  dans  les 
laboratoires  savent  qu'un  creuset  de  platine  se 
détériore  rapidement  au  feu  de  charbon;  cela 
tient  il  la  présence  dans  le  charbon  d'une  certaine 
quantité  de  sable  ou  de  silice. 

Chauffé  h  blanc,  le  platine  se  ramollit  et  se  soude 
à  lui-même.  Quand  il  est  fondu,  il  absorbe  l'oxy- 
gène et  l'abandonne  en  rochajit  pendant  lo  re- 
froidissement. 

Lampe  sans  flamme;  spirale  de  platine  incandes- 
cente.  —  Le  platine  a  la  propriété,  dans  certaines 
conditions,  de  condenser  les  gaz  à  sa  surface  ;  c'est 
ce  qui  permet  d'expliquer  la  curieuse  expérience 
dite  de  la  lampe  sajis  flamme.  Une  spirale  en  fil 
de  platine  est  suspendue  dans  la  flamme  d'une 
lampe  ù  esprit  de  vin,  on  éteint  la  flamme,  aussitôt 
le  fil  de  platine  rougit;  ce  qui  est  produit  par  la 
chaleur  dégagée  par  la  combustion  lente  des  va- 
peurs d'alcool  au  contact  de  l'oxygène  condensé  h 
la  surface  de  la  spirale  métallique. 

Eponije  ou  mousse  de  platine.  Noir  de  platine. 
—  En  calcinant  le  chlorure  ammoniacal  de  platine, 
on  obtient  pour  résidu  une  masse  spongieuse,  terne, 
d'aspect  terreux;  c'est  du  platine  pur,  léger,  très 


poreux,  et  qu'on  a  appelé  éponr/e  ou  mousse  de 
platine.  On  appelle,  au  contraire,  7ioir  de  platine, 
le  métal  obtenu  en  poudre  noire  par  la  réduction 
de  son  bichlorure  par  lo  zinc.  L'éponge,  et  plus 
encore  le  noir  de  platine,  peuvent  condenser  dans 
leurs  pores  des  quantités  considérables  do  gaz,  et 
donnent  ainsi  naissance  ^  dos  phénomènes  cu- 
rieux. D'après  Mitscherlich,  une  masse  de  noir 
de  platine  peut  condenser  jusqu'à  745  fois  son 
volume  d'hydrogène  et  phisieurs  centaines  do  fois 
son  volume  d'oxygène.  On  provoque  la  combinai- 
son instantanée  d'un  mélange  d'hydrogène  et 
d'oxygène  en  y  mettant  du  noir  de  platine;  si  on 
le  projette  dans  de  l'alcool  anhydre,  celui-ci  s'en- 
flamme et  brûle  au  moyen  de  l'oxygène  antérieure- 
ment condensé  dans  le  noir  et  qui  devient  in- 
candescent. En  laissant  tomber  goutte  i  goutte  do 
l'alcool  sur  du  noir  ou  sur  de  l'cponge  de  platine, 
on  ne  tarde  pas  il  sentir  l'odeur  do  l'aldéhyde, 
puis  ensuite  celle  du  vinaigre  (acide  acétique), 
produits  résultant  de  l'oxydation  de  l'alcool.  En 
dirigeant  un  jet  d'acide  sulfureux  sur  du  noir  de 
platine,  on  obtient  immédiatement  de  l'acide  sul- 
furique  (V.  Soufre). 

Lampe  à  hydror/ène  ozi  briquet  à  hi/drofjèjie.  — 
On  doit  à  Dœbereiner  ou  à  Gay-Lussac  une  lampe 
alimentée  par  l'hydrogène  et  qui  s'allume  à  vo- 
lonté par  le  contact  de  ce  gaz  avec  une  petite 
massodenoir  de  platine.  Elle  a  été  perfectionnée  et 
est  assez  en  usage  aujourd'hui  sous  le  nom  de  bri- 
quet ;i  hydrogène.  La  description  en  est  facile  à 
comprendre  ;  le  briquet  ii  hydrogène  se  compose 
d'un  réservoir  contenant  de  l'eau  acidulée  par  de 
l'acide  sulfurique;  dans  ce  liquide  plonge  une  cloche 
fermée  par  en  haut  au  moyen  dune  garniture  mé- 
tallique à  robinet;  dans  l'intérieur  de  la  cloche 
est  suspendu  un  morceau  de  zinc  ;  ce  métal,  au 
contact  de  l'eau,  donnera  de  l'hydrogène  qui  va 
remplir  la  cloche  en  refoulant  le  liquide  dans  le 
vase  extérieur,  et  quand  la  cloche  sera  pleine,  le 
dégagement  gazeux  cessera,  puisque  le  zinc  ne 
sera  plus  en  contact  avec  l'eau  acidulée.  Si  alors 
on  ouvre  le  robinet,  le  gaz  sortira  par  un  tube 
elfilé  et  viendra  s'enflammer  sur  une  masse  de 
noir  de  platine  convenablement  placée  an  bout 
d'un  fil  métallique.  Au  commencement,  le  gaz  qui 
sort  de  la  lampe  est  un  mélange  d'hydrogène 
et  d'air,  mélange  explosible  :  aussi  doit-on  le 
préserver  du  contact  du  noir  de  plalinc  ;  pour  cela 
celui-ci  est  recouvert  d'un  chapeau  qui  ne  s'en- 
lève qu'après  l'épuisement  du  mélange  déton- 
nant. 

Extraction  du  platine.  —  Avant  les  travaux  de 
M.  Deville  sur  la  fusion  du  platine,  on  l'obtenait 
assez  difficilement  en  lingot.  Après  plusieurs  pré- 
parations mécaniques,  on  traitait  le  minerai  par  le 
mercurcpouren  retirer  l'orpar  l'amalgamation, puis 
on  le  chauffait  avec  de  Veau  réijale  ;  on  évaporait 
jusqu'il  siccité,  et  le  résidu  était  ensuite  traité  par 
une  dissolution  concentrée  de  sol  ammoniaque,  co 
qui  donnait  un  précipité  de  chloro-platinatc  d'am 
moniaque  laissant  par  la  calcination  un  résidu 
d'épongé  de  platine  ;  celui-ci,  comprimé  fortement 
h  plusieurs  reprises,  puis  chauffé  au  blanc  et  mar- 
telé, se  transformait  en  un  petit  lingot  que  l'on 
pouvait  ensuite  laminer. 

Aujourd'hui,  avec  la  flamme  du  gaz  oxhydrique, 
on  opère  la  fusion  du  platine  aussi  facilement  que 
celle  de  l'or;  l'opération,  qui  se  fait  dans  des  creu- 
sets en  chaux  puiA3,  peut  donner  d'une  coulée  des 
blocs  de  25,  30  et  même  1)0  kilogrammes,  comme 
tout  lo  momie  a  pu  en  admirer  ii  l'exposition  do 
1878. 

Sels  de  platine.   —  Les   sels  do    platine  n'ont 

point  assez  d'importance  pratique  pour  que  nous 

en  parlions  ici  avec  détail.  Tous  se  réduisent  par 

la  chaleur    en    donnant   de  l'éponge    de    platine. 

.  Traités  par  les  alcalis,  les  sels  de  platine  donnent 


PLATRE 


—  1622  — 


PLATRE 


des  sels  doubles  dans  lesquels  le  composé  binaire 
qui  contient  le  platine  joue  le  rôle  d'acide  ;  en  un 
mot  il  se  forme  des  plalinntes  et  non  des  sels  à 
base  (le  platine.  Les  chlorures  de  platine  s'ob- 
tiennent facilement  par  l'action  de  l'eau  régale 
sur  le  platine  et  servent  h.  préparer  les  autres  sels 
de  platine;  avec  les  clilorures alcalins  ils  forment 
des  chlorures  doubles  (V.  Nomenclature),  tels  que 
le  chlorure  double  do  platine  et  de  potassium, 
PtC12,KCl;  le  chlorure  double  de  platine  et  d'am- 
monium, PtCls.AzIl'Cl. 

Alliages  du  platine.  —  Le  platine  du  commerce 
n'est  presque  jamais  complètement  débarrassé  de 
l'iridium  et  du  palladium,  avec  lesquels  il  se 
trouve  dans  la  nature  ;  ces  métaux  en  augmentent  la 
dureté  sans  en  diminuer  la  ductilité.  Le  platine 
forme  avec  le  cuivre,  lorsqu'il  y  entre  seulement 
pour  i/jc,  un  alliage  rose  assez  joli;  16  de  cuivre, 
1  de  zinc,  '  de  platine  donnent  un  alliage  couleur 
d'or,  très  ductile  et  inaltérable  à  l'air. 

Usages  du  platine.  —  Le  platine  métallique  est 
emplojé  fréquemment  dans  les  arts  et  dans  l'in- 
dustrie. Les  bijoutiers,  les  opticiens,  Us  orfèvres 
en  font  des  télescopes,  des  miroirs,  etc.  11  en- 
tre dans  la  fabrication  des  instruments  de  chi- 
rurgie ;  mais  c'est  surtout  dans  les  laboratoires  et 
dans  l'industrie  des  produits  chimiques  que  ce 
métal  a  rendu  et  rend  les  plus  grands  services. 
On  l'emploie  pour  faire  des  creusets,  des  capsules, 
des  spatules,  et  surtout  des  cornues  pour  la  con- 
densation de  l'acide  sulfurique.  A  l'Exposition 
universelle  de  1S78,  nous  avons  vu  de  inagnifiques 
cornues  de  platine  dont  la  valeur  dépassait  cer- 
tainement plusieurs  milliersdo  francs ;rune d'elles 
valait  môme  ;J0  000  francs. 

Le  platine,  à  cause  de  sa  haute  température  de 
fusion  et  de  sa  conductibilité  élecirique,  sert  aussi 
i  faire  des  pointes  de  paratonnerres.  A  l'état  de 
lingot,  le  platine  se  vend  aujourd'hui  de  r2uO  à 
i;)|'0  francs  le  kilogramme. 

[Alfred  .lacquemart.] 

PLATRE.  —  Chimie,  XV.  —  La  poudre  blan- 
che que  tout  le  monde  connaît  sous  le  nom  de 
plâtre  est  du  sulfate  de  chaux  anhydre,  SO-'.CaO. 

Origine  et  préparation.  —  Le  plâtre  s'obtient 
par  la  cuisson  du  sulfate  de  chaux  naturel,  cristal- 
lisé, qu'on  appelle  \eggpye;  celiii-cia  pour  formule 
SO^,CaO,'2IIO  ;  il  porte  aussi  le  nom  de  pierre  à 
plâtre  on  plâtre  cric.  Le  gypse  se  rencontre,  en 
assez  grandes  masses,  dans  les  terrains  Sfcondai- 
res,  situé  tantôt  au-dessus,  tantôt  au-dessous,  du 
sel  gemme,  qu'il  accompagne  souvent.  La  plupart 
du  temps  le  gypse,  ainsi  que  les  marnes  et  les  ar- 
giles qui  l'accompagnent,  au-dessus  ou  au-dessous 
du  sel  gemme,  est  dépourvu  de  traces  d'êtres  or- 
ganisés marins.  On  le  rencontre  en  Autriche  dans 
les  environs  de  Salzbourg,  dans  le  Tyrol  et  le 
Vorarlberg;  dans  le  nord  de  la  Suisse  et  du 
Wurtemberg;  dans  la  Saxe,  laThuringe:  dans 
l'ouest  de  l'Angleterre,  en  Espagne,  dans  l'Amé- 
rique du  Nord  et  enfin  en  France,  principalement 
dans  les  alentours  do  Paris,  où  il  est  l'objet  d'une 
industrie  fructueuse  et  fort  importante;  Montmar- 
tre, Gagny,  Argentouil,  Montreuil,  Franconville, 
Herblay,  Croil,  Vaux,  sont  des  centres  d'extraction 
qui  desservent  Paris  et  le  nord  de  la  France. 
Le  département  de  Saône- et -Loire,  le  Puy-de- 
Dôme,  la  Côte-d'Or,  approvisionnent  le  centre  et 
le  midi  de  la  France.  Dans  les  alentours  de  Paris, 
le  gypse  forme  des  collines,  comme  à  Montmartre 
et  à  Montreuil,  où  l'extraction  se  fait  à  ciel  ou- 
vert. Il  est  souvent  en  masse  cristallisée,  à  texture 
saccharoïde,  compacte,  grenue  ;  il  est  rayé  par  l'on- 
gle; quelquefois  il  est  limpide,  d'autres  fois  blanc 
opaque,  jaune,  grisâtre.  On  le  rencontre  aussi 
sous  forme  de  cristaux  en  f'i-r  df  lance,  dérivant 
d'un  prisme  oblique;  on  peut  alors  le  diviser  avec 
un  couteau  en    lames    extrêmement    minces    et 


transparentes,  qui  souvent  reproduisent  merveil- 
leusement les  phénomènes  de  coloration  des  la- 
mes viijices,  connus  dos  physiciens  sous  le  nom 
d'anneulix  de  Newton,  parce  que  l'illustre  savant 
anglais  en  a  le  premier  donné  une  explication. 
Ce  gypse  laminaire  a  quelquefois  remplacé  le 
verre  pour  couvrir  de  petites  images;  de  là  les 
noms  anciens  àc  pierre  à  Jésus,  glace  di  Marie, 
miroir  d'âne.  Si  on  chauffe  l'une  de  ces  lames 
transparentes,  simplement  à  la  flamme  d'une 
bougie,  elle  devient  immédiatement  opaque,  blan- 
che et  amorphe;  c'est  le  résultat  d'un  commence- 
ment do  cuisson,  autrement  dit  de  déshydrata- 
tions. 

AibAtre  gi/pseur.  —  Certains  gypses,  i  grains 
fins,  durs,  en  masses  demi-translucides,  blanches 
ou  colorées,  se  travaillent  facilement  et  sont  em- 
ployés, sous  le  nom  d'albâtre  gypscux,  Ji  faire  des 
vases,  des  socles  de  pendule,  des  lambris,  divers 
objets  d'ornement.  La  Sardaigne,  la  Tosc.me  don- 
nent un  très  bel  albâtre;  on  en  trouve  aussi  à 
Montmartre.  L'albâire  calcaire,  qui  est  un  carbo- 
nate de  chaux,  est  plus  beau  que  l'albâtre  gypseux 
et  coûte  beaucoup  plus  cher. 

Cuisson  du  plaire. — Lorsque  le  gypse  a  été  chauffé 
pendant  trois  ou  quatre  heures,  au-dessus  de  100", 
il  perd  ses  2  équivalents  d'eau,  son  aspect  cristal- 
lin disparaît,  il  est  devenu  du  plâtre.  Pulvérisé,  il 
possède  alors  la  propriété,  en  présence  de  l'eau, 
de  s'hydrater  de  nouveau  en  formant  une  bouillie 
qui.  au  bout  de  quoique  temps,  se  transforme  en 
une  masse  solide,  compacte. 

Cela  tient  h.  ce  que  les  particules  de  plâtre,  au 
contact  de  l'eau,  reprennent  la  forme  cristalline, 
augmentent  de  volume,  se  rapprochent,  et  se  feu- 
trent, pour  ainsi  dire,  en  s'enchevètrant.  La  cuisson 
du  plâtre  se  fait  rapidement  de  12ii°  à  l.'SO".  Si  on 
chauffe  au  delà  de  i50°,  le  plâtre  ne  se  prend  plus 
au  contact  de  l'eau  que  fort  lentement;  enfin  si 
la  température  a  atteint  le  rouge,  il  ne  se  prend 
plus  du  tout,  parce  qu'il  n'est  plus  susceptible  de 
recristalliser  en  absorbant  de  l'eau.  Il  résulte  de 
cette  influence  de  la  température  de  cuisson  sur 
les  propriétés  du  plâtre,  que  le  fabricant  doit  la 
modérer  et  la  régulariser  dans  les  fours,  d'après 
les  usages  auxquels  il  le  destine.  Le  plâtre  qui  sert 
au  moulage  doit  se  prendre  dans  un  tonips  qui 
varie  de  6  à  8  minutes.  Pour  l'ess.iyer,  on  en 
gnclœ  une  poignée  dans  une  soucoupe  de  ma- 
nière â  obtenir  une  bouillie  assez  claire,  puis  on 
attend,  la  montre  à.  la  main,  que  les  rides  obte- 
nues à  la  surface  de  la  matière,  par  une  légère 
agitation,  ne  s'effacent  plus  ;  le  plâtre  est  pris. 

La  cuisson  du  plâtre  se  fait  dans  des  fours  an 
maçonnerie,  surmontés  d'une  couverture  en  tuile 
à  claire-voie,  soutenue  i  quelque  distance,  au- 
dessus  du  four,  par  une  charpenti'  en  bois.  Dans 
ces  fours,  on  forme  une  série  de  voûtes  à  sec,  avec 
les  plus  gros  moellons  de  plâtre  cru,  et  on  sur- 
charge les  voûtes  avec  les  morceaux  plus  menus. 
Le  chauffage  se  fait  avec  des  branchages  de  bois 
sec  introduits  dans  les  voûtes.  La  cuisson  peut 
durer  10  heures  pour  les  plâtres  ordinaires;  elle 
ne  dure  pas  plus  de  5  à  7  heures  pour  1rs  plâtres 
h.  mouler,  qui  doivent  se  prendre  beaucoup  plus 
vite  que  les  autres;  dans  ce  cas  là,  elle  se  fait 
dans  des  fours  ressemblant  à  de  grands  fours  de 
boulanger.  Dans  aucun  cas,  la  température  ne 
doit  atteindre  200°;  on  la  mesure  avec  des  ther- 
momètres placés  dans  des  étuis  en  fer  qu'on  plonge 
dans  la  masse  de  gypse  en  cuisson. 

Au  sortir  du  four  le  plâtre  est  pulvérisé  par  des 
meules,  puis  tamisé  et  conservé  à  l'abri  de  l'hu- 
midité ;  sans  cela  il  &'cvejUerait,  c'est-à-dire  qu'il 
perdrait  ses  qualités.  Le  plâtre  bien  préparé  doit 
s'écliauffer  un  peu,  lorsqu'on  le  met  on  présence 
de  l'eau. 

On  appelle  plâtre  au  panier  le  plâtre  grossier 


PLATRE 


—  1023  — 


PLOMB 


qui  a  été  tout  simplfiment  tamisé  avec  un  panier, 
et  pliiti-e  au  tas  celui  qui  a  été  passé  au  tamis. 
Usai/es  ilu  plâtre.  —  Les  usages  du  plâtre  sont 
nombreux.  Sa  fabrication  et  son  commerce  sont 
fort  importants.  Les  murailles  des  habitations, 
dans  les  villes  surtout,  sont  enduites  de  plâtre. 
Pour  cet  objet  Paris  en  fait  une  consommation  pro- 
digieuse. Les  mouleurs  en  fabriquent  des  sta- 
tuettes, des  médailles,  des  ornements  de  toute 
sorte.  Grâce  au  plâtre,  on  peut  orner  le  plus  mo- 
deste logis  des  reproductions  des  chefs-d'œuvre 
de  la  sculpture.  Pour  obtenir  ces  reproductions, 
l'ouvrier  verse,  dans  le  moule  en  creux  de  l'objet  i 
reproduire,  la  bouillie  claire  obtenue  en  gâchant 
le  plâtre  avec  de  l'eau.  Celui-ci  pénètre  en  se  gon- 
flant dans  les  plus  petits  interstices  du  moule,  qu  il 
reproduit  en  relief. 

Siuc.  —  En  gâchant  le  plâtre  à.  mouler  dans 
une  dissolution  d'alun  et  de  gélatine  on  obtient  le 
stuc,  qui  a  une  dureté  beaucoup  plus  grande  que 
le  plâtre.  Le  stuc  se  travaille  comme  le  marbre 
qu'il  imite  ;  en  introduisant  dans  la  bouillie  des 
matières  colorantes,  on  obtient,  après  la  solidifica- 
tion, un  stuc  veiné  comme  le  marbre.  Le  stuc  est 
employé  dans  la  décoration  intérieure  des  mai- 
sons de  luxe,  et  dos  monuments;  les  murs  de  Saint- 
Pierre  de  Rome  sont  entièrement  revêtus  do  stuc. 
PhUriige  des  vhis.  —  Depuis  longtemps  on  a 
l'habitude  d'ajouter  du  plâtre  en  poussière  aux 
vins  do  médiocre  qualité  ;  cela  les  empêche  de 
s'acidifier  et  leur  donne  une  plus  belle  couleur. 
Le  plâtre  n'est  pas  véritablement  un  poison  ;  du 
reste,  il  est  très  peu  soluble  dans  l'eau  et  princi- 
palement dans  le  vin  ;  mais  en  présence  du  tartre 
(bitartrate  rie  potasse),  qui  existe  toujours  natu- 
rellement dans  le  vin,  il  se  forme  du  sullate  do 
potasse  qui  peut  être  toxique  à  une  asSez  faible 
dose  ;  l'administration,  après  avoir  pris  l'avis  du 
conseil  supérieur  d'hygiène,  a  ordonné  des  pour- 
suites, par  une  circulaire  ministérielle  du  garde 
dos  sceaux,  en  date  du  lU  août  188»,  contre  les 
commerçants  ou  les  propriétaires  qui  livreraient 
des  vins  contenant  plus  de  1  grammes  de  sulfate 
par  litre.  Devant  les  protestations  du  commerce, 
appuyées  d'avis  favorables  émanant  de  chimistes 
et  hygiénisles  compétents,  les  effets  de  la  circu- 
laire ministérielle  ont  été  provisoirement  suspen- 
dus, jusqu'à  ce  que  de  nouvelles  éludes  aient  été 
faites  sur  cet  important  sujet. 

Le  plâtre  en  agriculture.  —  Nous  ne  pouvons 
renoncer  à  rappeler  ici  la  magnifique  expérience 
que  fit  Franklin,  pour  démontrer,  de  visu,  â  ses 
voisins  et  connaissances,  qui  en  doutaient,  l'effi- 
cacité de  la  poussière  de  plâtre  répandue  sur  une 
prairie  artificielle.  L'illustre  Américain  imagina  de 
semer  du  plâtre  sur  un  champ  de  trèfle,  suivant 
de  grandes  lettres  formant  les  mots  :  effet  du  plâ- 
tre. Le  trèfle  poussa  sur  cet  endroit  plus  vite  et 
plus  abondamment  qu'à  côté,  et  au  bout  de  peu  de 
lcmps,on  pouvait  lire  en  immenses  lettres  d'herbe  : 
effet  du  plâtre.  Tout  le  monde  fut  convaincu,  et 
depuis  cette  époque  le  plâtre  est  employé  dans 
l'amendement  des  prairies  artificielles  :  trèfle, 
luzerne,  sainfoin,  etc.,  aussi  bien  en  Europe 
qu'en  Amérique.  On  emploie  de  'J  à  3  hectolitres 
par  hectare.  Beaucoup  de  cultivateurs  pensent 
que  son  efficacité  est  nulle  lorsqu'on  le  répand 
liur  le  sol  nu,  et  qu'il  faut  le  jeter  à  la  volée  sur  la 
récolte  lorsqu'elle  a  déjà  plusieurs  centimètres  de 
hauteur;  il  est  avantageux  de  choisir  un  temps 
humide.  D'après  Mathieu  Dombasle.  le  plâtre  pro- 
duit les  meilleurs  eft'ets,  quand  sec  il  est  mélangé 
à  la  semence  et  répandu  sur  le  sol  avec  elle. 

Riile  chimiijue  du  plâtre  dans  lu  végétation.  — 
D'après  le  célèbre  cliimiste  allemand  Liebig,  le 
plâtre  maintiendrait  sur  le  sol  en  le  condensant  à 
sa  surface  le  carbonate  d'ammoniaque  gazeux  pro- 
venant de  la  décomposition  des  engrais  azotés;  il 


se  formerait  une  double  décomposition,  entre  le 
sulfate  do  chaux  et  le  carbonate  d'ammoniaque, 
qui  donnerait  naissance  à  du  sulfate  d'ammonia- 
que, sel  à  peu  près  fixe  ;  ce  sulfate  resterait  sur  le 
sol  à  la  disposition  de  la  plante.  M.  Adrien  do  Gas- 
parin,  agronome  distingué,  prétend  que  le  plâtre 
a^it  directement  sur  les  plantes  et  qu'il  est  absorbé 
par  elles  ;  il  soutient  que  précisément  les  plantes 
qui  prospèrent  le  mieux,  sous  l'influence  de  cet 
amendement,  telles  que  les  légumineuses  et  les 
crucifères,  sont  aussi  celles  qui  contiennent  lo 
plus  de  sulfates.  [Alfred  Jacquemart.! 

PLOMB.  —  Cliimie,  XIX.  —  Propriétés  du 
plomb.  —  Le  plomb  est  un  métal  d'un  gris  bleuâ- 
tre, brillant  quand  il  est  fraîchement  coupé  ;  le 
plus  mou  des  métaux,  il  est  rayé  par  l'ongle  et 
laisse  une  trace  sur  le  papier  ;  on  peut  en  faire 
des  crayons.  11  faut  bien  se  garder  de  confondre 
les  crayons  de  plomb,  peu  en  usage  aujourd'hui, 
avec  les  crayons  ordinaires,  dits  de  mine  de  plomb, 
qui  ne  contiennent  pas  un  atome  du  métal  dont  ils 
portent  le  nom  {V.  Charbon,  p.  308).  Le  plomb  est 
très  malléable;  on  en  fait  des  feuilles  qui  peuvent 
être  très  minces,  soit  au  martelage,  soit  au  lami- 
nage ;  sa  ductilité  est  limitée,  car  il  est  peu  tenace  : 
un  fil  de  0"',002  de  diamètre  se  rompt  sous  une 
charge  de  9  kilogrammes;  or  on  sait  que  pour  ré- 
duire un  métal  par  la  filière,  il  faut  (|u'il  puisse 
résister  à  une  traction  assez  forte  relativement  a 
son  diamètre.  La  densité  du  plomb  est  1 1 ,35,  c'est- 
à-dire  qu'un  décimètre  cube  de  ce  métal  pèse  i 
la  température  ordinaire  I  l's,3ôO  grammes.  C'est 
le  plus  lourd  des  métaux  communs:  c'est  pour  cela 
qu'on  dit  :  lourd  comme  du  plomb;  mais  le  mer- 
cure, lor,  le  platine,  sont  plus  lourds  que  lui  ;  le 
plaiine  à  volume  égal  pèse  à  peu  près  deux  fois 
autant.  ,      ,  ,        ,      i. 

Action  de  la  chaleur  sur  le  plomb.  —  Le  plomb 
fond  à33'i°;  à  une  température  très  élevée,  il 
donne  des  vapeurs,  sans  pouvoir  pour  cela  se  dis- 
tiller. 

Si  on  le  laisse  refroidir  lentement,  puis  qu  on 
le  décante  avant  que  toute  la  masse  ne  soit  soli- 
difiée, on  obtient  une  belle  cristallisation  de  plomb 
sous  forme  de  double  pyramide  à  quatre  faces  ou 
octaèdre  régulier.  Chaufl-é  à  l'air,  le  plomb  se 
recouvre  d'une  pellicule  irisée  appelée  cendre  de 
plomb  ;  cette  pellicule  se  transforme  rapidement 
en  une  substance  jaune  appelée  massicot;  c'est  de 
l'oxyde  de  plomb.  Cette  couche  protège  le  plomb 
contre  une  oxydation  plus  complète,  mais,  si  on 
l'enlève  au  fur  et  à  mesure  qu'elle  se  forme,  on 
pourra  transformer  toute  la  masse  do  plomb  en 
massicot.  ,      ,   ,■       j 

Propriétés  chimiriues  du  plomb.  Action  ries  aci- 
des. —  Le  plomb  est  moins  oxydable  que  le  fer, 
le  zinc,  le  bismuth,  l'antimoine;  il  l'est  plus  que 
l'argent,  le  mercure,  l'or  et  le  platine.  Il  l  est  plus 
ou  moins  que  le  cuivre,  selon  les  conditions. 

Les  acides  chlorhydrique  et  sulfurique  n  atta- 
quent pas  le  plomb  à  froid;  mais,  concentrés  et 
bouillants,  ils  le  transforment,  le  premier  en  chlo- 
rure le  deuxième  en  sulfate  ;  on  peut  néanmoins 
employer  le  plomb  dans  les  chambres  où  se  pré- 
pare l'acide  sulfurique  et  qu'on  appelle  chambres 
de  plomb.  C'est  également  dans  des  vases  de  plomb 
que  se  fait  la  première  concentration  de  cet  acide; 
aussi  contient-il  toujours  des  traces  de  sulfate  de 
plomb,  dont  on  peut  du  reste  le  débarrasser  faci- 
lemenl,  si  cela  est  nécessaire  pour  les  usages  aux- 
quels il  sera  destiné.  L'acide  azotique  attaque  le 
plomb  à  froid,  ce  qui  fait  que  les  chambres  de 
plomb  sont  vite  détériorées,  quand,  dans  la  pré- 
paration de  l'acide  sulfurique,  on  n'a  pas  soin  d  em- 
pêcher l'excès  d'acide  azotique.  La  plupart  dos 
acides  organiques,  acétique,  tartrique,  citrique, 
etc.,  attaquent  le  plomb  en  présence  do  l'air  at- 
mospliérique. 


PLOMB 


—  1624  — 


PLOMB 


Action  de  l'air  à  froid  en  présence  de  l'eau.  — 
Au  contact  de  l'eau  distillée  ou  des  eaux  pluviales, 
et  en  présence  de  l'air,  le  plomb  [s'oxyde  rapide- 
ment, et  il  se  forme  à  la  surface  un  liydrocarbo- 
nate  de  plomb,  vénéneux  comme  tous  les  sels  de 
plomb,  et  soluble  dans  l'eau  ;  il  en  résulte  qu'on 
doit  éviter  d'employer  des  tuyaux  de  plomb  pour 
recueillir  les  eaux  de  pluie,  lorsqu'elles  doivent 
être  utilisées  pour  la  préparation  d'aliments  quel- 
conques. Au  contraire,  on  peut  employer  les  tuyaux 
de  plomb  avec  les  eaux  ordinaires  de  puiis,  de 
fontaine,  sans  qu'ils  présentent  de  danger  ;  ces  eaux 
contiennent  des  sels  calcaires  qui  empêchent  la 
solubilité  des  composés  plombiques. 

Principnvx  comprises  du  plomb.  O.cijaes.  —  La 
substance  jaune,  pulvérulente,  qui  se  forme  à  la 
surface  du  plomb  cliauffé  à  l'air,  et  qu'on  appelle 
massicot,  est  un  protoxyde  de  plomb,  PbO  ;  on 
peut  encore  l'obtenir  en  calcinant  le  blanc  de  ce- , 
j'Mse  du  commerce. 

Si  on  chauffe  le  massicot  jusqu'à  fusion,  on  ob- 
tient par  le  refroidissement  des  paillettes  cristal- 
lines, jaunes,  vertes  ou  rouges,  selon  la  rapidité 
du  refroidissement  :  c'est  la  l'itharye,  qui  a  la 
même  composition  chimique  que  le  massicot.  Ces 
oxydes  se  combinent  facilement,  ;\  chaud,  à  1  acide  | 
silicique  (silice,  sable)  pour  former  un  silicate,; 
fort  fusible;  c'est  ce  qui  fait  que  les  creusets  d  ar-  ] 
elle  se  détériorent  et  sont  perforés  rapidement 
quand  on  y  chauffe  des  sels  ou  des  oxydes  de 
plomb.  Le  cristal  est  un  silicate  de  plomb.  La  h- 
tharge  se  transforme  à  l'air  en  carbonate  de  plomb. 
Lo  massicot  chauffé  à  l'air  sans  qu'il  y  ait  fusion 
se  suroxyde  en  donnant  le  mnnum,  belle  poudre 
rouge  qui  a  de  nombreux  usages,  et  dont  la  com- 
position est  représentée  par  la  formule  PbO^.'.'PbO. 
On  distingue  dans  les  arts  les  mmitims  b.  tm 
feu  et  à  deux  feux,  selon  qu'ils  ont  été  obtenus 
après  une  ou  deux  chauffes  ;  les  derniers  sont  plus 
riches  que  les  autres.  Si  on  chauffe  jusqu'à  fusion, 
le  minium  est  décomposé  et  on  a  de  la  litharge. 
Tous  ces  oxydes,  comme  du  reste  presque  tous  les 
sels  de  plomb,  sont  réduits  par  le  charbon  h  chaud 
et  donnent  un  culot  de  plomb  (caractère  analy- 
ti(|ue).  .  . 

Il  est  important  de  signaler  ici  une  curieuse 
propriété  que  la  litharge  on  fusion  au  contact  de 
l'oxygène  partage  avec  l'argent  fondu  :  elle  absorbe 
une  certaine  quantité  de  ce  gaz,  qui  se  dégage 
complètement  pendant  le  refroidissement  et  peut 
même,  lorsque  la  masse  est  considérable  et  le 
refroidissement  brusque,  produire  une  explosion 
et  une  projection  de  matière.  ^ 

Carbonate  de  plomb  ou  blanc  de  ceruse.  —  Le 
blanc  de  céruse,  appelé  encore  blanc  de  plomb, 
est  un  produit  extrêmement  employé  a;;" s  la 
peinture  ;  c'est  un  carbonate  de  plomb  l.O-PbO. 
Cette  substance  est  complètement  insoluble  dans 
l'eau  ;  elle  noircit  au  contact  des  emanaiion s  sul- 
fureuses par  suite  de  la  formation  du  sulfure 
noir  de  plomb  ;  c'est  même  pour  cela  qu  on  tend  do 
plus  en  plus  à  la  remplacer  par  le  blanc  de  zinc 
(oxyde  de  zinc),  puis  aussi  parce  que  sa  fabrication 
et  son  usage  sont  fortement  nuisibles  aux  ouvriers. 
La  céruse  se  prépare  en  grand  par  deux  procé- 
dés :  le  procédé  de  dichy,  dû  à  Thenard  et  le 
procédé  hollandais.  Le  premier  consiste  à  faire 
passer  un  courant  d'acide  carbonique  dans  de  1  a- 
cétate  de  plomb  auquel  on  a  môle  de  la  litharge. 
Le  second  est  fort  ancien,  et  s  emploie  eu  Hol- 
lande et  dans  les  Flandres  :  on  recouvre  de  lumier 
des  pots  de  terre  contenant  un  peu  de  vinaigre  et 
des  feuilles  de  plomb  enroulées  cylindriquement  ; 
la  chaleur  produite  par  la  fermentation  du  fumier 
évapore  le  vinaigre  (acide  acétique)  ;  il  se  forme  de 
l'acétate  de  plomb,  que  l'acide  carbonique  prove- 
nant du  fumier  en  décomposition  transforme  en 
carbonate  de  plomb. 


Le  blanc  de  Venise,  le  blanc  de  Hambourg  sont 
formés  par  des  mélanges  de  céruse  et  de  sulfate 
de  baryte. 

Sel  de  Saturne  ou  acétate  de  plomb.  —  En  trai- 
tant la  litharge  par  le  vinaigre,  on  obtient  des 
cristaux  blancs  d'acétate  de  plomb;  ce  sel,  qui  a 
pour  formule  PbO,C»H30',3HO,  s'efneurit  à  l'air. 
On  l'appelait  aussi  autrefois  sucre  de  Saturne, 
parce  qu'il  aune  saveurlégèrement  sucrée.  Quand 
on  le  met  dans  l'eau  ordinaire,  il  donne  un  liquide 
blanc  laiteux  qu'on  emploie  en  médecine  sous  le 
nom  d'eau  blanche  ou  eau  de   Goulard. 

On  rencontre  aussi  dans  les  arts  le  chromale  de 
plomb,  sous  le  nom  àe  jaune  de  chrome  ;  des  chlo- 
rures de  plomb  sous  les  noms  de  jaune  de  Cassel, 
jaune  minéral,  jaune  de  Turner. 

Caractères  généraux  des  sels  de  plomb.  —  Tous, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  sont  réduits 
par  le  charbon  ;  tous  noircissent  par  l'hydrogène 
sulfuré  (gaz  des  lieux  d'aisance  et  des  œufs  pourris 
ou  encore  gaz  de  plomb)  ;  tous  sont  vénéneux  et 
donnent  à  la  longue,  quand  ils  sont  absorbés  en 
petite  quantité,  ce  qui  est  le  cas  le  plus  commun, 
les  maladies  dites  saturnines,  auxquelles  les 
peintres  en  bâtiment  sont  surtout  exposés.  Comme 
préservatif,  il  est  bon  de  prendre  des  boissons 
!  très  légèrement  acidulées  par  de  l'acide  sulfu- 
i  rique  (D'  Gendrin).  ,, 

Alliages  du  plomb.  —  5  parties  de  plomb,  3  d  e- 
tain,  8  de  bismuth  fondues  ensemble  forment 
l'alliage  fusible  de  Uarcet  qui  fond  dans  l'eau 
bouillante  ;  en  variant  les  proportions  de  ces  mé- 
taux, on  obtient  des  alliages  qui  diffèrent  surtout 
par  leurs  points  de  fusion  ;  celui  de  Darcet,  qui 
fond  à  98",  est  le  plus  fusible.  Les  caractères 
d'imprimerie  contiennent  "8  à  80  de  plomb  pour 
20  à  Tï  d'antimoine.  La  potée  d'étain,  employée 
par  les  potiers,  contient  Vï  à  18  p.  100  de  plomb. 
Le  plomb  de  chasse  renferme  quelques  millièmes 
d'arsenic  ;  cela  lui  donne  la  propriété  de  former 
des  grains  de  diverses  grosseurs  en  tombant  en 
fusion  et  d  une  très  grande  hauteur  sur  des  cribles 
convenables.  On  en  a  fabriqué  longtemps  dans  la 
tour  Saint-Jacques  la  Boucherie. 

Vsages  du  plomb  et  de  ses p7-incipaux  coynposés. 
—  Le  plomb  est  connu  depuis  la  plus  haute  anti- 
quité. Autrefois  on  l'appelait  plomb  noir,  tandis 
que  l'étain  était  appelé plo»ib  blanc  et  le  bismuth 
plotnb  gris.  Les  alchimistes  l'appelaient  Saturne, 
parce  qu'il  dissout  (dévore)  plusieurs  métaux 
quand  il  est  fondu. 

Le  plomb  est  extrêmement  employé  dans  des 
constructions  diverses  :  à  la  couverture  des  édi- 
fices, à  la  fabrication  des  tuyaux  de  conduite 
d'eau  ;  il  recouvre  les  parois  des  chambres  dites 
de  plomb  où  se  fabrique  l'acide  sulfurique.  On  en 
fait  de  la  grenaille,  du  plomb  de  chasse,  des  balles 
de  fusil,  des  alliages,  du  massicot,  de  la  litharge, 
du  sel  de  Saturne,  etc. 

Le  massicot  est  employé  à  la  fabrication  du 
minium.  La  litharge  entre  dans  un  grand  nombre 
de  vernis  (toiles  cirées),  dans  l'émail  des  vernis, 
dans  l'émail  des  poteries,  la  fabrication  des  cris- 
taux, la  confection  des  emplâtres  qui  ne  sont 
qu'un  mélange  d'axonge  et  de  litharge.  Le  minium 
'  sert  à  colorer  en  rouge  la  cire  à  cacheter  ;  il  entre 
dans  la  fabrication  du  lut  des  chaudières,  dans  la 
peinture  du  fer,  dans  la  fabrication  du  fliiit-glass. 
La  céruse  sert  à  fabriquer  le  mastic  des  vitriers  ; 
on  en  fait  une  consommation  considérable  dans  la 
peinture  en  blanc  des  boiseries  et  des  apparte- 
ments; mélangée  îi  des  traces  d'indigo,  la  céruse 
acquiert  un  beau  reffet  bleu.  Dans  l'antiquité  les 
dames  s'en  servaient  comme  fard.  Enfin  l'acétate 
de  plomb  est  très  employé  en  médecine,  principa- 
lement contre  les  entorses,  les  foulures  ;  la  tein- 
turerie en  fait  aussi  une  grande  consommation. 
Tous  les  sels  de  plomb  étant  vénéneux,  la  théra- 


PLUIE 


—  1625 


PLUIE 


peutiquo  no  les  emploie  giitro  que  pour  des  usa- 
ges externes. 

MinéraliH/ie  et  métallurgie  clic  plomh.  —  On 
compte  plus  de  trente  espèces  minérales  natu- 
relles contenant  du  plomb  ;  c'est  donc  un  métal 
très  répandu;  néanmoins  on  ne  l'a  rencontré  h 
l'état  métallique  que  ,dans  de  rares  produits  volca- 
niques. 

Le  plus  important  de  tous  les  minerais  du 
plomb,  c'est  la  galène  ou  sulfure  do  plomb.  La 
galène  rossonible  h  la  plombagine  et  à  la  blende 
(sulfure  de  zinc),  mais  elle  s'en  distingue  par  sa 
grande  densité,  qui  est  7,5.  La  galène  est  souvent 
argentifère;  on  la  rencontre  dans  les  terrains  de 
sédiment  aussi  bien  que  dans  ceux  de  cristallisa- 
tion ;  elle  est  cristallisée  en  cubes  et  en  octaèdres. 
Elle  se  trouve  en  filons  réguliers,  en  amas,  en 
veines  irrégulières  et  en  nodules  disséminés. 
«  La  plupart  de  ces  filons,  dit  Delafosse,  sont  ou- 
verts dans  les  terrains  de  transition  :  à  Sainte- 
Marie-aux-Mines  (Vosges),  h  Pontgibaud  (Puy-de- 
Dôme),  puis  dans  la  Lozère,  dans  le  Cumberland 
(Angleterre)  ;  là  ils  sont  dans  le  calcaire  carboni- 
fère. Dans  la  Charente,  on  les  trouve  dans  le  cal- 
caire jurassique.  A  Eiffel  (Prusse  liliénanej,  la  ga- 
lène se  rencontre  en  nodules  et  en  grains  dissé- 
minés. »  Le  minerai  le  plus  important  après  la 
galène,  c'est  le  carbonate  ou  ccruse  naturelle  ;  ce 
sont  les  deux  seuls  exploités.  En  France  les  mines 
de  plomb  sont  nombreuses,  mais  on  en  exploite 
un  nombre  restreint,  6  ou  7  au  plus.  Ce  sont  celles 
de  Pontgibaud  (Puy-de-Dôme),  de  PouUaouen 
et  Huelgoat  (Finistère),  Vialas  (Lozère),  Lacoste 
(Gard),Pontpéan  (llle-et-Vilaine),  Bagnèrcs-de-Lu- 
clion  (Haute-Garonne).  D'après  Artliur  Mangin, 
les  mines  de  plomb  de  France  produisent  annuelle- 
ment 220  000  kilogr.  de  plomb,  155  000  de  litliarge, 
250  000  kilogr.  de  minerais  triés  vendus  aux  potiers, 
et  3000  kilogr.  d'argent. 

La  consommation  annuelle  du  plomb  en  France 
dépasse  20  OUO  UOO  de  kilogr.  ;  c'est  assez  dire  que 
la  plus  grande  partie  nous  vient  de  l'étranger, 

Pour  extraire  le  plomb  de  ses  minerais  on  em- 
ploie deux  procédés  :  le  procédé  par  réduction  et 
le  procédé  par  réaction.  Dans  le  premier,  on  ré- 
duit le  minerai  par  le  fer  ;  celui-ci  s'applique  aux 
minerais  riches  en  gangue  siliceuse  ;  le  deuxième 
consiste  h  faire  réagir  i  chaud  le  sulfate  et  l'oxyde 
sur  la  galène.  Pour  cela  on  la  grille  dans  un 
fourneau  à  réverbère,  où  elle  se  convertit  en  partie 
en  oxyde  et  en  sulfate  ;  puis,  pendant  un  second 
coup  de  feu,  on  obtient  du  plomb  par  la  réaction 
de  ce  qui  reste  de  sulfure  sur  le  mélange  d'oxyde 
et  de  sulfate.  Ce  procédé  s'applique  surtout  aux 
minerais  riches  contenant  an  moins  50  pour  100 
de  plomb.  On  l'emploie  on  Angleterre,  puis,  en 
France,  en  Bretagne  et  en  Auvergne.  On  peut  ré- 
sunier  comme  suit  les  diverses  opérations  de  cette 
métallurgie  :  on  débarrasse  la  galène  de  sa  gan- 
gue par  le  bkardugc  et  le  lavage,  puis  on  l'intro- 
duit dans  le  four  à  réverbère,  là  elle  subit  les  opé- 
rations suivantes  :  1°  le  grillage,  qui  transforme 
une  partie  de  la  galène  en  oxyde  et  en  sulfate  ; 
2°  le  brassage,  qui  consiste  à  brasser  le  mélange 
sur  le  sol  d'un  four  à  réverbère  :  on  obtient  du 
plomb  ;  3°  le  resuage,  qui  a  pour  but  de  retirer 
le  plomb  resté  dans  le  minerai  en  réduisant 
celui-ci  par  le  charbon.  Quelquefois  les  sous- 
sulfures  ou  riiattes  sont  traités  jiar  le  fer. 

[Alfred  Jacquemart.] 
PLUIE.  — Météorologie,  VI1-X,XIV-X1X.  — C'est 
un  des  trois  éléments  essentiels  de  la  diversité  des 
climats  terrestres  :  lumière,  chaleur,  humidité. 
La  pluie  est  le  résultat  de  la  condensation  de  la 
vapeur  d'eau  contenue  dans  l'air  ;  elle  s'échappe 
généralement  des  amas  de  cette  vapeur  condensée 
qui_  constitue  les  nuages;  mais  des  gouttes  de 
pluie  peuvent  aussi  tomber  d'un  ciel  en  apparence 


sans  nuages.  La  vapeur  condensée  est  alors  très 
disséminée  dans  les  hautes  et  basses  régions  de 
l'air;  elle  donne  au  ciel  une  teinte  bleue  plus  paie 
sans  y  former  de  masses  nuageuses  très  distinctes. 
Ces  gouttes  de  pluie  sont  quelquefois  très  volu- 
mineuses; elles  grossissent,  en  tombant,  de  tous 
les  globules  qu'elles  rencontrent,  ainsi  que  do  la 
vapeur  quelles  peuvent  condenser  dans  leur  chute. 
D'autres  fois,  au  contraire,  on  voit  de  loin  un 
nuage  se  résoudre  en  pluie,  sans  que  les  traînées 
visibles  qui  en  descendent  s'étendent  jusqu'au 
sol.  Les  couches  inférieures  de  l'air  sont  alors 
chaudes  et  sèches  et  les  gouttes  de  pluie  s'éva- 
porent avant  de  toucher  le  sol. 

La  distribution  générale  des  pluies  à  la  surface 
du  globe  est  la  conséquence  du  mode  de  circula- 
tion de  l'atmosphère  (V.  Courants).  Les  particu- 
larités de  cette  distribution  sont  le  résultat  du  re- 
lief de  la  surface  terrestre  et  de  la  répartition  des 
continents  et  des  mers. 

Pluies  entre  les  tropiques.  —  Da»s  les  zones 
occupées  par  les  vents  alizés,  les  pluies  sont  très 
rares;  elles  n'y  surviennent  guère  que  dans  cer- 
taines régions  marquées  par  le  passage  des  oura- 
gans ou  cyclones.  On  conçoit  qu'il  en  soit  ainsi. 
L'air  y  progresse  régulièrement  des  régions  tro- 
picales vers  la  zone  du  globe  où  la  température 
est  le  plus  élevée  ;  sa  capacité  de  saturation  va 
donc  en  croissant  en  même  temps  que  sa  vapeur 
augmente.  Tout  s'y  réduit  à  des  rosées  nocturnes- 
généralement  très  abondantes. 

L'aspect  du  ciel  change  complètement  quand  on 
approche  de  la  zone  des  calmes  équatoriaux  qui 
sépare  les  deux  alizés.  Là  viennent  s'accumuler- 
toutes  les  vapeurs  amassées  par  les  alizés  dans 
leur  long  parcours  à  la  surface  de  l'Océan.  Ces 
vapeurs  sont  entraînées  par  la  nappe  équatoriale 
ascendante  vers  les  hautes  régions  de  l'atmosphère. 
Dans  ce  mouvement  ascensionnel,  la  masse  d'air  . 
se  refroidit  graduellement  par  le  fait  même  de  sa 
montée  et  par  suite  de  l'expansion  que  produit  en 
elle  la  diminution  progressive  de  sa  pression  ba- 
rométrique. Elle  atteint  bientôt  son  degré  de 
saturation,  puis  apparaissent  les  nuages.  Dans 
cette  région,  les  pluies  sont  fréquentes  et  torren- 
tielles, la  chaleur  molle  et  accablante,  les  orages 
nombreux  et  violents.  Le  bruit  du  tonnerre  y  est 
presque  incessant  à  la  surface  des  grands  océans. 

'L'anneau  de  nuages  se  déplace  annuellement  à 
la  surface  du  globe,  en  suivant  d'un  peu  loin  la 
marche  du  soleil,  comme  si  ce  dernier  le  traînait 
après  lui.  En  été,  l'anneau  de  nuages  et  ses  pluies 
se  sont  rapprochés  du  tropique  nord  :  c'est,  pour 
cette  partie  du  globe,  la  saison  pluvieuse  alternant 
avec  une  longue  saison  sèche  qui  correspond  à 
notre  hiver.  Durant  l'hiver,  au  contraire,  l'anneau 
de  nuages  et  ses  pluies  se  rapprochent  du  tro- 
pique austral,  et  la  saison  sèche  y  correspond  \ 
notre  été.  Entre  ces  limites,  la  zone  des  nuages, 
dans  son  oscillation  périodique,  passe  deux  fois 
par  an  au-dessus  des  régions  équatorialesqui  ont 
alors  deux  saisons  pluvieuses  annuelles  séparées 
par  deux  saisons  sèches.  Les  deux  saisons  plu- 
vieuses sont  à  peu  prèséquidistantes  au  milieu  de 
l'intervalle  parcouru  par  l'anneau  de  nuages;  elles 
se  rapprochent  progressivement  vers  les  limites 
de  ce  parcours  pour  se  fondre  en  une  seule  saison 
qui  correspond  à  nos  mois  d'été  près  du  tropique 
nord,  et  à  nos  mois  d'hiver  près  du  tropique  aus- 
tral. 

Pluies  en  dehors  des  tropiques.  —  Au  delà  des 
zones  des  alizés  et  des  tropiques,  nous  retrouvons 
dans  chaque  hémisphère  le  courant  équatorial,  qui 
doit  son  nom  à  son  origine  (V.  Courants).  Ce  cou- 
rant sème  les  pluies  sur  son  parcours  comme  l'an- 
neau d(!  nuages  équatoriaux;  seulement,  il  est 
plus  diffus,  plus  variable  dans  ses  allures  d'une 
année  à  l'autre  ;  ses  pluies  sont  moins  constantes 


PLUIE 


1626 


PLUIE 


et  régulières.  Comme  l'anneau  de  nuages,  le  cou- 
rant équatorial  suit  aussi  la  marche  du  soleil  sur 
la  terre.  Il  se  rapproche  des  ironiques  en  liivcr  et 
s'en  éloigne  en  etc.  Il  en  résulte  que  dans  le 
voisinage  du  tropique  nord,  au-dessous  du  tropi- 
que, il  pleut  en  été,  comme  au  Sénégal  ;  au-des- 
sus du  tropique,  il  pleut  en  hiver,  comme  en 
Algérie. 

Zotie  des  déserts.  —  Entre  ces  deux  zones  de 
pluies  de  saisons  opposées,  se  trouve  une  longue 
bande  où  il  pleut  rarement  :  c'est  la  bande  des 
déserts  qui  traversent  l'Afrique  septentrionale  de 
l'Atlantique  ;i  l'Asie,  et  s'étend  sur  ce  dernier 
continent  jusqu'en  Chine,  en  remontant  vers  le 
nord  sous  l'iiiriuence  de  la  mer  des  Indes.  Ces  dé- 
serts se  retrouvent  aussi  dans  l'Aniorique  du 
nord,  mais  beaucoup  moins  accusés  parce  que  le 
continent  y  est  plus  étroit.  Nous  les  voyons  encore, 
mais  également  moins  marqués,  et  pour  la  même 
raison,  sur  l'.^frique  et  l'Amérique  méridionales 
et  sur  l'Austfalie. 

Pluirs  en  Europe.  —  L'Europe  méridionale  est 
soumise  au  régime  des  pluies  d'hiver.  A  mesure 
qu'on  s'y  élève  vers  le  nord,  cette  saison  se  dé- 
double en  une  saison  pluvieuse  d'automne  et  une 
saison  pluvieuse  du  printemps;  mais,  en  même 
temps,  l'une  et  l'autre  saison  deviennent  de  plus 
en  plus  diffuses  et  s'étendent  à  presque  toute 
l'année.  Le  relief  du  sol  et  le  voisinage  des  océans 
prennent  alors  une  influence  prépondérante.  Dans 
le  nord  de  l'Europe,  et  môme  dans  le  nord  de  la 
France,  le  maximum  des  pluies  tombe  en  automne 
sur  les  eûtes  occidentales  ou  sur  les  versants  des 
chaînes  de  montagnes  exposés  aux  vents  du  sud- 
ouest:  il  tombe  en  été  dans  l'intérieur  du  conti- 
nent et  surtout  à  l'est  des  massifs  montagneux. 
Abondance  des  pluies.  —  Sous  le  rapport  des 
quantités,  les  pluies  donnent  une  hauteur  d'eau 
annuelle  d'autant  plus  grande,  en  général,  qu'on 
est  plus  près  de  l'équateur  dans  la  région  inter- 
tropicale, ou  qu'on  y  est  plus  éloigné  de  la  zone 
des  déserts.  En  dehors  des  tropiques,  cette  hau- 
teur d'eau  annuelle  est  aussi  d'autant  ])lus  grande 
qu'on  est  plus  rapproché  de  ces  lignes,  sans  ce- 
pendant s'approclier  trop  près  des  déserts.  Toute- 
fois, la  position  des  lieux  par  rapport  :\  la  mer,  et 
la  direction  des  vents  dominants,  produisent  des 
diflérences  considérables.  Dans  les  régions  inter- 
tropicales, en  Amérique,  en  Asie,  en  Afrique  et 
dans  les  grandes  îles  de  l'Océanie,  les  côtes 
orientales  placées  sous  le  vent  des  alizés  sont 
copieusement  arrosées.  Il  en  est  ainsi,  en  parti- 
culier, du  Brésil  et  du  Venezuela,  en  Amérique  ; 
des  royaumes  de  Siam,  d'Annam  et  de  la  Cliine 
méridionale,  en  Asie  ;  des  côtes  d'.Vjan,  de  Zan^ue- 
bar,  de  Mozambique,  en  Afrique  ;  des  côtes  orien- 
tales de  l'Inde  pendant  la  mousson  d'hiver  et 
surtout  de  leurs  côtes  occidentales  pendant  la 
mousson  d'été.  Tandis  que  la  moyenne  des  eaux 
pluviales  qui  tombent  i  Paris  est  annuellement 
de  Om,30  environ,  à  Saint-Benoist,  dans  l'île  de  la 
Réunion,  M.  Maillard  a  recueilli  lG"',iO  d'eau  de 
pluie  en  quatre  ans,  ce  qui  donne  pour  moyenne 
annuelle  4", 12  par  an.  Dans  l'Inde,  la  hauteur 
totale  de  pluie  annuelle  varie  de  2  à  3  mètres  sui- 
vant les  localités;  il  en  est  à  peu  près  de  même 
dans  l'Amérique  centrale  et  dans  la  Sénéganibie. 
Si  on  considère  que,  dans  toutes  ces  régions,  les 
chutes  de  pluie  sont  peu  nombreuses,  et  souvent 
de  courte  durée,  on  comprend  que  les  averses 
doivent  avoir  une  intensité  énorme;  il  en  est  qui 
donnent  en  quelques  heures  40  millimètres  d'eau. 
Dans  l'intérieur  des  terres,  cependant,  l'abondance 
des  pluies  diminue  d'une  manière  notable.  A 
Seringapatam,  dans  l'Inde,  et  h  Bogota,  en  Améri- 
que, elle  est  à  peine  supérieure  à  celle  d'Eu- 
rope. 

Les  mêmes    différences  existent  en    Europe   : 


plus  de  pluie  au  midi  qu'au  nord,  bien  que  le 
nombre  des  jours  pluvieux  marche  en  sens  con- 
traire; plus  de  pluie  sur  les  côtes  ouest  et  sur 
les  versants  occidentaux  des  chaînes  de  monta- 
gne que  dans  l'intérieur  des  continents  et  sur 
l'est  des  massifs  montagneux. 

Voici  un  tableau  approximatif  des  hauteurs 
moyennes  de  pluies  annuelles  qui  tombent  sur  les 
principales  régions  de  l'Europe  : 

miUîm.  d'eau. 

Russie 3G0 

Scandinavie 480 

France  septentrionale,  Allema- 
gne   G80 

Angleterre,  régions  de  l'est...  090 

Côtes  occidentales  de  l'Europe.  740 
Italie,    au  sud   des  Apennins, 

France  méridionale 810 

Angleterre,  régions  de  l'ouest.  9'30 

Italie  au  nord  des  Apennins.. . .  12'J0 

Sur  certaines  parties  des  côtes  de  Norvège,  cette 
hauteur  peut  dépasser  2  mètres. 

Pluies  '■n  France.  — La  région  méditerranéenne, 
de  Perpignan  ,'i  Nice,  reçoit  annuellement  une 
quantité  de  pluie  supérieure  à  celle  qui  mouille 
le  bassin  parisien;  mais,  surtout  en  Provence,  les 
pluies  ne  tombent  guère  que  dans  l'automne  ou 
dans  le  premier  printemps;  elles  y  sont  très  rares 
en  été,  et  cette  circonstance,  jointe  il  l'ardeur  du 
soleil,  y  fait  donner  la  préférence  aux  cultures  ar- 
bustives  quand  on  n'y  dispose  pas  d'eaux  d'irriga- 
tion suffisantes.  Cette  rareté  des  pluies  d'été  dans 
la  Provence  s'étend  au  nord  sur  le  versant  méri- 
dional du  Plateau  central,  et  assez  haut  dans  la 
vallée  du  Rhône,  tout  en  s'y  affaiblissant  graduel- 
lement. Sur  le  reste  de  la  France,  les  pluies  d'été 
augmentent  progressivement  h  mesure  qu'on  re- 
monte vers  le  nord  et  vers  l'ouest.  La  quantité  de 
pluie  qui  tombe  sur  le  bassin  de  la  Seine  dépend 
avant  tout  de  l'altitude  des  lieux,  de  leur  orienta- 
tion et  de  leur  distance  :\  la  mer.  Le  Morvan,  qui 
0)1  forme  la  partie  la  plus  élevée,  peut  recevoir 
suivant  les  années  de  1  h  2  mètres  de  hauteur 
d'eau  pluvi.ile  annuelle.  Quand  des  lignes  de  par- 
tage des  bassins  divers,  on  descend  vers  la  partie 
inférieure  du  bassin  de  la  Seine,  on  trouve  du  côté 
de  Paris  une  région  de  pluies  minima,  comprenant 
une  grande  partie  de  la  Champagne  sèche,  de  la 
Beauce  et  de  la  vallée  de  l'Oise.  Enfin,  quand  on  se 
rapproche  de  la  mer,  la  quantité  de  pluie  augmente 
de  nouveau,  môme  pour  les  plaines  basses.  On  y 
retrouve  à  peu  près  les  nombres  obtenus  dans  les 
parties  montagneuses  vers  400  mètres  d'élévation 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer. 

A  Paris  et  dans  toute  la  région  environnante,  la 
quantité  de  pluie  tombée  dans  les  six  mois  de  la 
saison  chaude  est  beaucoup  plus  forte  que  la  quan- 
tité tonil)ée  dans  les  six  mois  de  la  saison  froide; 
de  1859  il  1875  le  rapport  est  de  00  ii  40.  On  sait 
que  les  pluies  estivales  sont  sans  profit  pour  les 
sources,  sinon  pour  les  récoltes.  A  mesure  qii'on 
s'approche  du  périmètre  du  bassin,  dans  ses  points 
élevés,  l'accroissement  des  pluies  porte  plus  sur 
les  pluies  d'hiver  que  sur  les  pluies  dété,  en  sorte 
que  la  proportion  de  ces  deux  saisons  se  trouve 
renversée,  47  à  53.  Ce  fait  a  une  grande  impor- 
tance au  point  de  vue  des  cours  d'eau.  Les  pluies 
d'hiver  comme  les  pluies  d'été  ne  donnent  presque 
rien  aux  sources  dans  la  partie  moyenne  du  bassin, 
et  elles  donneront  de  moins  en  moins  à  mesure 
que  la  culture  fera  des  progrès,  jusqu'au  moment 
où  cette  région  pourradisposer  d'eaux  d'irrigations 
suffisantes.  C'est  donc  particulièrement  sur  les 
bords  du  bassin  que  les  nappes  souterraines  peu- 
vent s'alimenter.  Là,  même,  les  pluies  d'été  n'ont 
qu'une  médiocre   importance  à   ce  point  de  vue 


PLUTONIENS  (TERRAINS)    —  1627  —    PLUTONIENS  (TERRAINS) 


spécial  de  l'alimentation  des  sources  :  ces  eaux 
phivi:iles,  quand  leur  extrcnic  abondance  ne  les 
fait  pas  en  partie  ruisseler  sur  le  sol  vers  les  cours 
d'eau,  sont  presque  complètement  dépensées  sur 
place  par  la  végétation.  C'est  donc  sur  les  pluies 
d'iiiver  qu'il  fout  papticnlièrement  compter.  Or 
une  partie  de  ces  dernières  se  perd  encore  par 
ruissellement  ila  surface  du  sol  qu'elle  enlève  ou 
appauvrit  quand  il  est  insuflisanimcnt  protégé  par 
la  végétation  ;  une  antre  partie  s'écoule  trop  rapi- 
dement par  les  conduits  souterrains  insulfisants 
pour  les  emmagasiner.  Les  cours  d'eau  roulent 
alors  vers  l'Océan,  sans  utilité  quand  c'est  sans 
dommages,  des  limons  et  des  eaux  qui  seraient 
d'un  prix  inestimable  en  été  pour  l'agriculture, 
l'industrie  et  la  navigation. 

On  répète  souvent  que  le  degré  de  civilisation 
d'un  pays  se  mesure  par  les  quantités  de  fer  et 
de  soufre  qu'on  y  consomme  annuellement.  Il  se- 
rait bien  plus  juste  do  dire  que  le  degré  do  civili- 
sation dans  un  grand  pays  comme  la  France  se 
mesure  par  le  degré  de  soin  qu'on  y  apporte  à  l'a- 
ménagement de  ses  eaux.  Ce  sont  là  en  réalité  des 
formules  inexactes  parce  qu'elles  sont  incom- 
plètes. La  civilisation  a  un  caractère  plus  général 
que  le  cercla  des  intérêts  matériels  ;  il  faut  y  join- 
dre les  intérêts  intellectuels  et  moraux:  mais  les 
uns  et  les  autres  se  donnent  un  mutuel  appui. 

liùle  agricole  des  pluies.  —  Il  n'est  personne 
dans  les  campagnes  qui  ne  connaisse,  au  moins 
vaguement,  le  rôle  de  l'eau  pluviale  en  agriculture. 
Pas  d'eau,  pas  de  végétation  possible;  mais  on  erre 
souvent  dans  l'appréciation  exacte  de  la  quantité 
d'eau  nécessaire  à  chaque  espèce  de  culture.  C'est 
que  l'agriculteur  n'a  guère  que  les  eaux  des  pluies 
sur  lesquelles  il  puisse  compter,  et  que  celles-là 
lui  font  souvent  défaut  au  moment  le  plus  oppor- 
tun ;  et  que,  quand  elles  surviennent  dans  la  saison 
chaude,  elles  sont  accompagnées  d'autres  effets 
qui  nuisent  à  leur  utilisation.  On  entend  répéter 
dans  certaines  contrées  agricoles  de  France  des 
dictons  populaires  qui  expriment  une  opinion  gé- 
nérale fruit  d'une  longue  expérience:  u  Année  de 
foin,  année  de  rien;  Année  pluvieuse,  année  de 
mauvais  grain...  »  C'est  que  les  pluies  supposent 
les  nuages,  et  que  les  nuages  interceptant  les 
rayons  solaires  privent  les  récoltes  de  la  lumière 
qui  leur  est  aussi  nécessaire  que  la  chaleur  et 
l'eau.  En  réalité,  dans  les  régions  à  céréales,  la 
plante  manque  très  souvent  de  l'eau  qui  assure- 
rait les  récoltes  maxima  si  la  lumière  ne  faisait  pas 
défaut  dans  les  temps  pluvieux  ;  qu'elle  en  manque 
presque  toujours  dans  les  régions  à  ciel  pur  quand 
l'irrigation  ne  vient  pas  suppléer  à  l'absence  des 
pluies.  (V.  Irrigalion.)  La  richesse  territoriale  de 
la  France  doublerait  aisément  si,  par  un  aména- 
gement sagement  conduit  des  eaux  qui  nous  sont 
versées  par  les  pluies,  on  reportait  sur  la  saison 
d'été  les  eaux  surabondantes  de   la  saison  froide. 

liôle  hycjiénique  d'-s  pluies.  —  Les  pluies  ont 
encore  une  autre  influence  en  ce  qui  concerne 
l'hygiène.  Elles  nettoient  l'atmosphère  des  pous- 
sières vivantes  qu'elle  contient  toujours  en  grand 
nombre,  et  dont  quelques-unes  peuvent  exercer 
sur  la  santé  publique  une  influence  des  plus  fâ- 
cheuses en  propageant  les  épidémies  qui,  à  cer- 
tames  époques,  frappent  l'homme  ou  les  animaux. 
(V.  Poussières.)  [Marié-Davy.] 

l'LUTOINllîNS  (Terrains).  —  Géologie,  V.  — 
Elym.  :  de  Pluton,  dieu  des  enfers,  du  feu.  — 
Les_  phénomènes  ignés  qui  se  passent  pondant  la 
période  actuelle  ont  eu  lieu  pendant  les  périodes 
antérieures.^  Alais  si  certains  volcans,  comme  le 
Vésuve  et  l'Etna  actuels,  ne  sont  qu'une  conti- 
nuation de  phénomènes  qui  ont  pris  naissance 
pendant  les  périodes  antérieures,  il  est  d'autres 
massifs,  comme  le  Cantal  et  le  mont  Dore,  qui 
ont  une  forme,  une  structure  et  une  composition 


analogues,  mais  qui  ne  sont  plus  le  siège  d'érup- 
tions. Ce  sont  d'anciens  volcans  éteints  qui  ont  été 
dégradés,  démantelés  plus  ou  moins  foriement 
par  les  agents  atmosi)hériques  et  neptuniens  qui 
agissaient  comme  aujourd'hui,  mais  avec  beaucoup 
plus  d'intensité. 

A  diverses  époques  plus  anciennes  correspon- 
dent d'autres  matières  qui  affectent  la  forme  de 
simples épanchements  produits  vraisemblablement 
chacun  pendant  un  temps  relativement  court.  Ils 
sont  formés  par  des  roches  massives  non  scoria- 
cées, dont  les  formes  extérieures,  profondément 
modifiées  par  les  agents  atmosphériques,  n'olfrent 
rien  de  commun  avec  celles  des  volcans  propre- 
ment dits.  Telles  •  sont  les  roches  ignées  secon- 
daires, les  serpentines,  diorites,  etc.  ;  celles  des 
terrains  primaires,  les  porphyres  divers,  et  celles 
qui  sont  sorties  avant  l'établissement  des  mers  à 
la  surface  du  globe,  c'est-à-dire  pendant  la  forma- 
tion des  parties  stratifiées  les  plus  inférieures  qui 
nous  sont  accessibles,  celles  des  terrains  primitifs, 
en  un  mot,  les  granits  et  autres  roches  massives 
analogues. 

L'étude  des  volcans  actuels  et  éteints,  des 
roches  massives  d'éruption  antérieures  et  aussi 
des  roches  stratifiées  cristallines  les  plus  infé- 
rieures, permet  de  regarder  comme  très  probable, 
on  peut  dire  certain,  l'état  fluide,  par  fusion  ignée, 
du  globe  à  l'état  primitif. 

Le  gisement  ou  la  manière  d'être  de  ces  roches, 
les  unes  par  rapport  aux  autres  et  aussi  par  rapport 
aux  roches  stratifiées,  fournit  les  indications  les  plus 
certaines  sur  leur  âge  relatif.  En  effet,  il  est  i  n  cnn  tes- 
tahle  que  les  roches  massives  qui  en  traversent  d'au- 
tre?, soit  massives,  soit  stratifiées  et  renfermant  des 
fragments  ou  des  cailloux  d'autres  roches  massives, 
sont  plus  récentes  que  ces  dernières. L'examen,  dans 
diverses  contrées,  des  relations  des  roclies  massives 
ignées  entre  elles  ou  avec  les  roches  stratifiées, 
détermine  d'une  manièro  suffisamment  approxima- 
tive et  rigoureuse  leur  âge  relatif  ou  géologique. 

Les  époques  auxquelles  les  différentes  roches 
ignées  sont  sorties  do  l'intérieur  de  la  terre  sont 
très  diverses,  et  il  s'est  produit  une  succession 
normale  de  roches  qui  a  éprouvé  peu  d'interver- 
sions. Les  matériaux,  d'abord  très  siliceux  et  sur- 
chargés de  quartz  libre,  ont  fini  par  être  moins 
siliceux  et  ne  plus  renfermer  de  silice  à  l'état 
d'isolement. 

Toutes  ces  roches,  on  raison  de  leur  origine 
ignée,  sont  dépourvues  de  fossiles  (à  l'exception 
de  celles  qui  postérieurement  à  leur  sortie  ont  pu 
être  remaniées  et  déposées  dans  le  sein  des  eaux). 
Mais  elles  sont  souvent  riches  en  minéraux  plus  ou 
moins  variés  et  remarquables  :  ceux-ci  se  trouvent 
parfois  disséminés  dans  les  roches  elles-mêmes, 
soit  qu'ils  s'y  soient  formés  au  moment  du  rofroi- 
dissoment  et  do  la  consolidation  de  celles-ci,  soit 
qu'ils  aient  été  produits  postérieurement  dans  leurs 
cellulositos,  à  la  suite  de  la  décomposition  occa- 
sionnée par  les  agents  atmosphériques  ou  de  réac- 
tions chimiques  changeant  plus  ou  moins  profon- 
dément la  nature  des  roches  et  produisant  ce  qu'on 
appelle  le  métamorphisme.  Certaines  espèces  mi- 
nérales associées  à  un  très  petit  nombre  d'autres 
forment  aussi  des  gîtes  spéciaux,  comme  certains 
minerais  de  fer,  de  zinc,  etc. 

D'autres  fois  les  minéraux  étrangers  aux  grandes 
masses  de  terrain  se  trouvent  dans  des  filons  d'âge 
plus  ou  moins  dift'ércnt  qui  traversent,  soit  les 
roches  ignées,  soit  les  roches  stratifiées  moins 
anciennes.  Ces  filons  ne  sont  autre  chose  que  des 
crevasses  ou  fentes  qui  ont  été  remplies  posté- 
rieurement à  leur  formation  par  des  matières, 
soit  en  fusion,  qui  se  sont  refroidies,  soit  réduites 
en  vapeur,  qui  se  sont  condensées,  soit  en  disso- 
lution dans  des  eaux  thermales  et  minérales  qui 
les  ont  déposées. 


PLUTONIENS  (TERRAINS)    —  1628  —    PLUTONIENS  (TERRAINS) 

«  A  toutes  les  époques  de  l'histoire  du  globe,  |  gneiss  altéré,  ainsi  que  les  diorites  qui  l'accorapa- 
dit  Elle  de  Beaumont,   les   phénomènes    éruptifs    gnent. 


ont  donné  des  produits  appartenantà  deux  classes  : 
ceux  qui  sont  volcanigues  à  ta  manière  des  laves 
arrivées  à  l'état  de  fusion,  et  ceux  qui  sont  volca- 
niques à  la  manière  du  soufre,  du  sel  ammo- 
niac, etc.,  déposés  par  volatilisation  ou  enlrainos 
à  l'étal  moléculaire.   Si  on  remonte  le  cours  d 


Les  roches  granitiques  forment  presque  toujours 
des  montagnes  à  contours  arrondis,  à  pentes 
douces  et  U  sommités  plates  et  allongées;  elles  se 
désagrègent  facilement  à  la  surface  en  donnant 
des  blocs  arrondis  parfois  tremblants  et  des  sables 
juartzo-feldspathiques   (arène)   employés  comme 


périodes  géologiques,  on  voit  les  premiers  devenir    pouzzolanes   dans    les    constructions  ;    dans   les 


de  plus  en  plus  riches  en  silice.  On  voit  en  même 
temps  les  seconds  devenir  de  plus  en  plus  variés. 
Dans  l'état  actuel  de  la  nature,  les  deux  classes 
de  produits  sont  presque  complètement  distinctes  ; 
mais  h  l'origine  des  choses,  elles  l'étaient  beau- 
coup moins.  On  est  conduit  à  concevoir  qu'au 
moment  où  la  surface  du  globe  terrestre  en  fusion 
a  commencé  à  se  refroidir,  les  différents  corps 
simples  s'y  trouvaient  répandus  sans  aucun  ordre 
déterminé.  Tout  semble  avoir  été  confondu  dans 
ce  chaos  primitif  où  les  premières  masses  grani 


montagnes  cependant,  elles  présentent  souvent 
aussi  de  grands  escarpements,  des  pics,  des  ai- 
guilles et  des  crêtes  tranchantes  et  dentelées. 

Pendant  les  diverses  périodes  primaires  et  se- 
condaires il  est  arrivé  au  jour  des  roclies  de 
nature  fort  variée  :  porphyres  divers,  serpentines, 
diorites,  etc.,  dont  l'ordre  relatif  n'est  pas  toujours 
rigoureusement  établi.  Ces  roches,  qui  paraissent 
avoir  été  peu  celluleuses,  semblent  s'être  épan- 
chées en  manière  de  laves  plus  ou  moins  pâteuses 
et  no  pas  émaner  le  plus  souvent  de  centres  d'é- 


tiques    ont   pris    naissance  ;  mais  peu   à  peu  les  {  ruptions  analogues  aux  volcans  actuels  ou  anciens 
■  ■        ■..  j^pg   formes  extérieures  des  massifs  qu'elles  con- 
stituent n'ont  rien  non  plus  qui  rappelle  ces  der- 
niers, ce  qui  au  reste  n'a  rien   qui  doive  étonner, 
car  lors   même   eue    ces  roches  auraient  affecté 
primitivement  cette  forme,  elle  aurait  été  effacée 
par  les  agents  atmosphériques  et  les  nombreuses 
révolutions  du  globe  qui  se  sont  succédé  depuis 
leur  sortie. 
Les  principales  roches  porphyriqucs  sont  : 
Le  porphyre,  orthose   ou  albite  compacte  avec 
cristaux  d'orthose  ou  d'albite  et  aussi  de  quartz  et 
de  mica;  massif,   rouge,  vert,  gris  ou  noirâtre; 


matières  cruplives  sont  devenues  moins  siliceuses 
et  les  émanatio7is  volatiles,  qui  à  l'origine  renfer- 
maient presque  tous  les  corps  simples,  sont  deve- 
nues de  plus  en  plus  pauvres.  » 

Les  roches  massives  d'éruption  les  plus  an- 
ciennes ou  gra?iiti(jues  sont  toujours  cristallines, 
sans  trace  de  cellulosité  ou  de  boursouflement  ; 
elles  semblent  être  arrivées  de  l'intérieur  à  l'état 
pâteux  et  avoir  formé  des  masses  plus  ou  moins 
étendues  qni  ne  se  sont  guère  déversées  sur  les 
roches  environnantes.  Leurs  formes  extérieures 
ont  été  si  profondément  modifiées  par  les  agents 
atmosphériiiues  et  les  nombreuses  révolutions  du 
globe  qu'elles  ont  essuyées,  qu'il  ne  reste  plus 
rien  des  formes  primitives.  Les  formes  actuelles 
sont  seulement  en  rapport  avec  le  mode  de  désa- 
grégation et  de  décomposition  des  roches. 

Les  principales  roches  granitiques  sont  les  sui- 
vantes : 

Le  granité,  mélange  d'orthose,  de  quartz  et  de 
mica:  laminaire  ou  grenu;  parfois  porphyroïtle 
parla  présence  de  gros  cristaux  d'orthose;  massif, 
rougcitre,  grisou  noirâtre;  il  renferme  aussi  des 
minéraux  disséminés  :  albite,  pinite.  Il  forme  sou- 
vent des  amas  considérables;  Limousin,  Pyrénées, 
Bretagne,  Vosges,  Saxe,  Finlande,  etc.  On  l'emploie 
surtout  pour  les  bordures  et  le  dallage  des  trot- 
toirs dans  les  grandes  villes;  celui  de  Laber  en 
Bretagne  a  fourni  le  soubassement  de  l'obélisque 
de  Louqsor  à  Paris  ; 

La  syénite,  mélange  d'orthose  rougeâtre  et  d'am- 
phibole noire  ;  laminaire  ou  grenue  ;  parfois  rendue 
porphyroide  par  de  grands  cristaux  d'orthose  ;  mas- 
sive, rouge  ou  brun-rouge;  quartz  ou  zircon  dissé- 
minés ;  elle  se  montre  dans  les  'Vosges,  le  Tyrol,  la 
Saxe,  la  Norvège;  c'est  dans  cette  roche  que  près 
de  Syène  les  anciens  Égyptiens  ont  taillé  leurs 
grands  obélisques,  aujourd'hui  en  partie  trans- 
portés dans  les  diverses  capitales  de  l'Europe; 

ha  pegmatite,  mélange  d'orthose  et  de  quartz; 
laminaire  ou  grenue  ;  massive,  jaunâtre  ou  rou- 
geâtre ;  elle  renferme  souvent  des  minéraux  dis- 
séminés, mica,  talc,  tourmaline  ;  en  amas  et  filons 
accompagnant  le  granité  dans  le  Limousin,  la 
Saxe,  l'Oural. 

Le  kaolin  est  le  résultat  de  la  décomposition 
des  roches  précédentes,  qui  perdent  leur  potasse 
et  une  partie  de  leur  silice;  il  est  pur  ou  impur 
suivant  la  nature  de  la  roche  feldspathique  grenue 
qui  lui  a  donné  naissance,  et  souvent  accompagné 
de  parties  ferrugineuses.  A  Saint-Yrieix,  près  de 
Limoges,  où  seulement  le  kaolin  est  très  pur,  on 
l'exploite  activement  pour  la  manufacture  de  por- 
celaine de  Sèvres  et  celles  de  Limoges,  et  on 
l'exporte  même  jusque  en  Russie  et  dans  les 
États-Unis  ;  il  forme  là  une  série  d'amas,  souvent 
de  20  mètres   d'épaisseur,   disséminés   dans  le 


pyrite  en  cristaux  disséminés  ;  il  forme  surtout 
les  roches  ignées  des  terrains  primaires;  Vosges, 
Roanne,  Maures,  Cornouailles,  Saxo; 

h'eurile  ou  pétrosittx,  orthose  ou  albite  com- 
pacte sans  cristaux;  massif;  rouge,  vert,  gris  ou 
noirâtre  ;  elle  accompagne  ou  remplace  le  por- 
phyre ; 

Le  porphyre  argilitigue,  résultant  de  la  décompo- 
sition des  porphyres  et  les  accompagnant  partout; 
h'ophite  ou  porpliyre  verl,  feldspath  et  pyro- 
xène  formant  une  pâte  compacte  d'un  vert  plus 
ou  moins  foncé  avec  cristaux  verdâtres  de  feld- 
spath ou  vert  foncé  de  pyroxène  ;  il  renferme 
parfois  des  amandes  de  <|uartz,  agate,  calcaire, 
chlorite.  C'est  une  des  roches  ignées  di  s  terrains 
primaires  ;  Vosges,  Tyrol,  Saxe,  Hongrie,  Grèce  ; 
Le  mélapliyrc  ou  por/'liyre  noir,  labradoriteet 
pyroxène  noir,  formant  une  pâte  compacte,  noir- 
verdàtre,  avec  cristaux  de  ces  mêmes  minéraux  et 
cavités  renfermant  souvent  du  quartz,  du  calcaire 
et  des  zéolithes  cristallisées;  la  nigrine  y  est  rare. 
Une  des  roches  ignées  des  terrains  secondaires  ; 
Palatinat,  Tyrol,  lac  Supérieur; 

L'amphibolite,  amphibole  laminaire  ou  grenue; 
cristaux  disséminés  de  labradorite,  épidote,  gre-' 
nat,  pyrite;  massive,  formant  une  des  principales 
roches  ignées  des  terrains  secondaires  ;  Limousin, 
Pyrénées.  Piémont,  Chili; 

Le  diorite,  mélange  d'amphibole  et  de  labrado- 
rite, laminaire  ou  grenu  ;  massif  comme  l'amplii- 
boli'te  qu'il  accompagne  ou  remplace; 

L'euphotide,  mélange  de  diallage,  soit  verte,  soi 
bronzée,  et  de  saussurite  laminaire  ou  à  gro: 
grains,  verte  ou  brune  ;  massive,  elle  est  avec  h 
suivante  une  des  roches  ignées  des  terrains  se 
condaires;  Corse,  Apennins; 

La  variante,  mélange  de  diallage  et  de  saussv 
rite  compacte  ;  vert  foncé  avec  globules  plus  pâle 
et  plus  durs  de  saussurite;  massive;  Hautes-Alpe 
dans  la  vallée  de  la  Durance,  Toscane.  Dans  1« 
Alpes,  les  diverses  roches  connues  sous  le  nom  c 
spilites  sont  tantôt  des  variolites  vertes  et  tant' 
des  wackes  brunâtres  b.  amandes  de  calcaire 
d'épidote,  avec  pyrite,  fer  oligiste,  fer  carbonat 
etc.,  disséminés.  Los  calcaires  au  milieu  desque 


PLUTONIENS  (TERRAINS)    —  1629  —    PNEUMATIQUE  (MACHINE) 


ces  roches  sont  sorties  sont  tantôt  magnésiens, 
cellulaires,  h  l'état  do  cargneute,  et  tantôt  ils  sont 
transformés  en  gypse,  deux  faits  qu'on  est  assez 
disposé  i  attribuer  à  l'inllnence  des  spilites  et  des 
gaz  qui  ont  dû  accompagner  leur  sortie  ; 

La  serpentine,  compacie  avec  cristaux  dissémi- 
nés do  grenat,  aimant,  eisenclirome,  pyrite  ;  vei- 
nules d'amiante  ;  massive;  formant  une  des  roches 
ignées  secondaires  ;  Limousin,  Corse,  Piémont, 
Toscane,  Saxe,  Etats-Unis.  Dans  le  Plateau  central, 
elle  forme  de  Limoges  à  Itodez  dos  amas  diriges 
du  N.-O.  au  S.-li.  ;  ello  est  d'un  vert  foncé  avec 
diallage,  feldspath,  grenat,  pyrite,  fer  oligiste  et 
veinules  d'asbeste.  Des  liions  de  quartz  et  de 
baryte  sulfatée  paraissent  se  lier  à  des  serpen- 
tines ;  ils  sont  accompagnés  de  cuivre  gris  argen- 
tifère et  de  bournonite.La  serpentine  forme  géné- 
ralement des  buttes  aplaties  très  arides,  couvertes 
de  roches  noires. 

Pendant  la  période  tertiaire  les  terrains  pluto- 
niens  sont  des  terrains  volcaniques  éteints.  Tantôt 
Us  sont  peu  dérangés  et  affectent  encore  la  forme 
de  grandes  montagnes  coniques,  comme  le  mont 
Dore,  le  Cantal,  en  France,  les  massifs  anciens  du 
■Vésuve  et  de  l'Etna,  les  îles  Canaries,  etc.  ;  tantôt 
ils  ont  été  extrêmement  démantelés  et  morcelés; 
des  parties  considérables  ont  été  enlevées  par  les 
actions  dites  diluviennes,  et  il  ne  reste  que  des 
massifs  dont  les  formes  ne  rappellent  plus  ou  ne 
rappellent  que  peu  les  volcans,  les  cratères  ayant 
disparu. 

Les  produits  des  volcans  anciens  se  divisent  en 
deux  groupes  souvent  associés  dans  le  mèn\e  mas- 
sif :  ceux  qui  sont  dits  trachytiques  et  ceux  qui 
sont  dits  basaltiques. 

Les  roches  tracliytiques,  qui  forment  assez  rare- 
ment les  déjections  des  volcans  actuels,  présentent 
les  différentes  sortes  de  roches  suivantes  :  la  pho- 
nolite;  ryacolitho  compacte,  massif,  gris  verditre 
ou  noirâtre,  en  amas  ou  filons;  —  le  trachyte;  rya- 
colithe  compacte  ou  légèrement  grenu,  poreux, 
rude  au  toucher,  renfermant  assez  souvent  des 
cristauxqui  lui  donnent  la  contexture  porphyroïde  ; 
massif  en  coulées;  blanchâtre,  gris  ou  rougeitre; 
cristaux  disséminés  d'amphibole  noire  et  de  mica  ; 
il  forme  un  des  éléments  principaux  des  roches 
volcaniques  tertiaires  :  Auvergne,  environs  de 
Bonn,  Iles  Canaries,  Guadeloupe,  Martinique;  — 
les  obsidienne,  rétinite,  poncif  ;  roches  à.  l'état 
vitreux  qui  se  trouvent  habituellement  à  la  base 
des  coulées  de  trachytos  et  de  phonolites  :  la 
ponce  du  commerce  vient  prnicipalement  des  îles 
Ponce  et  Lipari.  —  Il  y  a  également  des  scories, 
<les  cendres  irachytiques  qui  peuvent  aussi  être 
décomposées.  L'alunite  est  une  roche  épigone, 
€n  amas  dans  les  trachytes,  résultant  de  l'altéra- 
tion de  ceux-ci  par  les  vapeurs  sulfureuses  ;  mont 
Dore,  la  Tolfa  près  Civila-Vecchia,  Ischia,  Milo, 
Hongrie,  Guadeloupe;  exploitée  pour  la  produc- 
tion de  l'alun. 

Les  roches  basaltiques  comprennent  d'abord 
les  mêmes  roches  que  celles  des  volcans  actuels, 
le  basalte  et  les  scories,  et  ensuite  un  certain 
nombre  d'autres  qui  proviennent  souvent  de  leur 
altération  et  qui  sont  les  suivantes  :  la  dul&riti; 
mélange  de  labradorite  et  depyroxène  noir;  lami- 
naire ou  grenue,  massive  en  coulées,  grise  ou 
noire,  renfermant  très  souvent  de  petits  grains  de 
nigrine  plus  ou  moins  magnétique  :  Auvergne, 
Hesse,  Vésuve,  Islande,  Mexique;  —  la  wacke,  ré- 
sultant de  la  décomposition  des  roches  pyroxéni- 
quos;  gris-verdàtre  ou  brun-rouge.  Les  cavités 
renferment  souvent  un  grand  nombre  de  miné- 
raux cristallisés,  notamment  les  zéolithes,  le  cal- 
caire et  le  quartz.  C'est  le  gîte  des  belles  agates 
dOberstem  dans  le  l'alatinat  ;  —  la  pouzzolane 
ou  scorie  décomposée  rougeàtre  ou  brune  :  les 
catacombes  de  Rome  résultent  de  l'exploitation  de 


cette  roche  :  à  Pouzzoles  elle  est  exploitée  pour 
la  fabrication  de  la  chaux  hydraulique;  —  le  pépé- 
rinri,  conglomérat  de  cendres  et  de  scories  décom- 
posées :  giis  ou  brunâtre;  —  le  tu/'a,  cendre 
basaltique  décomposée,  gris  ou  brun.  Les  pépérino 
et  tufa  dont  les  matériaux  sont  primitivement 
tombés  dans  les  eaux,  renferment  des  restes 
d'animaux  et  de  végétaux  comme  à  Ronca  dans  le 
Vicentin,  et  en  Islande.  [V.  Ilaulin.] 

PNliUMATIQlîE  (Machine).  —  Physique,  XI.  — 
Etym.  :  de  pnmma,  souffle,  air. 

La  machine  pneumatique  est  destinée  i  raréfier 
et  môme  à  enlever  presque  totalement  l'air  ou 
les  gaz  renfermés  dans  des  espaces  limités. 

La  première  a  été  construite  par  Otto  de  Gué- 
ricko,  bourgmestre  de  Magdebourg,  en  IC'Ji, 
époque  où  l'on  ne  savait  encore  produire  le  vide 
que  dans  le  tube  do  Torricelli.  Cette  machine, 
d'une  extrême  simplicité,  était  formée  de  deux 
pièces  principales  :  un  corps  de  pompe  dans  le- 
quel se  mouvait  un  piston  solide,  et  un  récipient 
qui  pouvait  être  mis  en  communication  avec 
lui;  deux  robinets  existaient  entre  le  récipient  et 
le  corps  de  pompe,  l'un  (r)  établissant  la  commu- 
nication d'une  de  ces  deux  parties  à  l'autre,  le  se- 
cond ()■')  débouchant  à  l'extérieur.  Le  robinet  (»■) 
étant  ouvert  et  l'autre  fermé,  on  tirait  le  pistou; 
l'air  du  récipient,  en  vertu  de  son  élasticité, 
passait  alors  en  partie  dans  le  corps  de  pompe. 
On  fermait  )■,  on  ouvrait  r',  et  en  refoulant  le  piston 
vers  sa  position  première,  on  chassait  à  l'exté- 
rieur l'air  venu  du  récipient  dans  le  corps  de 
pompe.  Cette  manœuvre  était  assez  pénible;  mais 
au  bout  d'un  temps  plus  ou  moins  long  on  arrivait 
i  raréfier  beaucoup  l'air  du  récipient. 

C'est  avec  cette  machine  imparfaite  qu'Otto 
de  Guéricke  put  vérifier  l'exactitude  des  idées  do 
Torricelli  et  de  Pascal  touchant  la  pesanteur  de 
l'air  et  imaginer  diverses  expériences  prouvant 
la  pression  de  l'atmosphère. 

Boyle  d'abord,  Denis  Papin  ensuite  perfection- 
nèrent ce  premier  appareil,  en  y  mettant  deux 
corps  de  pompe,  en  faisant  mouvoir  à  l'aide  d'une 
manivelle  et  d'une  roue  dentée  les  deux  pistons 
munis  de  crémaillères,  et  en  substituant  aux  robi- 
nets des  soupapes  s'ouvrant  et  se  formant  par  le 
jeu  même  de  l'appareil. 

La  machine  moderne  comprend  donc  doux  corps 
de  pompe  dans  chacun  desquels  se  meut  un  pis- 
ton, dont  l'un  s'élève  pendant  que  l'autre  s'abaisse; 
un  conduit  cylindrique  allant  so  terminer  au 
centre  d'un  plateau  de  verre  bien  dressé  qu'on 
nomme  la  platine  et  sur  laquelle  on  pose  les 
cloches  dont  on  veut  extraire  l'air  ;  une  soupape 
ordinaire  à  chaque  piston,  une  soupape  conique 
au  fond  de  chaque  corps  de  pompe.  Celle-ci  porte 
une  tige  qui  passe  à  frottement  dur  dans  le  piston 
et  vient  buter  contre  le  dessus  du  corps  de 
pompe.  Un  robinet  il  trois  voies  pour  ouvrir  ou 
fermer  la  communication  entre  les  corps  de 
pompe  et  le  récipient  ou  bien  laisser  rentrer  l'air 
dans  celui-ci  ;  une  éprouvette  avec  baromètre  in- 
complet pour  indiquer  à  chaque  instant  la  pres- 
sion de  l'air  viennent  compléter  l'appareil. 

Le  jeu  do  la  machine  est  facile  à  suivre.  Quand 
le  piston  est  au  bas  do  sa  course,  les  deux  soupa- 
pes sont  fermées.  Si  on  soulève  le  piston,  il  com- 
mence par  ouvrir  la  soupape  conique,  l'autre  sou- 
pape restant  fermée,  et  l'air  du  récipient  vient 
en  partie  dans  le  corps  de  pompe.  Sitôt  que  l'on 
redescend  le  piston,  il  ferme  la  soupape  conique, 
comprime  l'air  attiré  dans  lo  corps  de  pompe  ;  ot 
quand  cet  air  a  acquis  par  la  réduction  successive 
de  son  volume  une  force  élastique  suffisante,  plus 
grande  que  la  pression  de  l'atmosphère,  il  soulève 
la  soupape  du  piston  et  s'en  va.  Ainsi  l'ascension 
du  piston  dans  son  corps  de  pompe  y  attire  une 
fraction  de  l'air  du  récipient;  la  descente  envoie 


PNEUMATIQUE  (MACHINE)    —  1630 

cet  air  dans  l'atmosphère.  Il  en  résulte  évidem- 
ment qu'après  un  certain  nombre  de  coups  de 
piston  on  aura  beaucoup  raréfié  l'air  du  réci- 
pient. 

On  comprend  h  priori  qu'on  ne  puisse  pas  ar- 
river i  l'épuisement  absolu  puisqu'on  n'enlève 
jamais  qu'une  fraction  de  ce  qui  reste  dans  le  ré- 
cipient. Mais  la  loi  de  la  raréfaction  de  l'air  met 
ce  fait  absolument  hors  de  doute.  Si  on  appelle  V 
le  volume  du  récipient  jusqu'à  la  soupape  coni- 
que, V  le  volume  du  corjis  de  pompe  jusqu'à  la 
position  supérieure  du  piston,  H  la  pression  ini- 
tialedel'air;  quand  le  piston  est  au  bas  de  sacourse, 
le  volume  d'air  est  V,  la  pression  H;  quand  il  est 
en  liant,  le  volume  est  V  +  u,  et  la  pression  de- 
vient, d'après  la  loi  de  Mariette  : 


POESIE 


V  +  i; 


Donc,  pour  avoir  la  pression  de  l'air  après  un 
coup  de  piston,  il  faut  multiplier  la  pression  du 
coup  précédent  par  la  fraction  constante  : 


\  +  u 

On  en  conclut  que  les  pressions  successives  de 
l'air  dans  le  récipient  sont  exprimées  par  les  ter- 
mes d'une  progression  géométrique  décroissante 
dont  la  raison  est  : 

V 


Après  ;;  coups  de  piston,  la  pression  finale  est  : 

La  pression  tend  vers  zéro  à  mesure  que  n  tend 
vers  linfini.  Si  donc,  comme  la  théorie  l'indique, 
la  pression  peut  devenir  aussi  petite  que  possible, 
on  voit  en  même  temps  quelle  ne  peut  jamais  de- 
venir nulle. 

Ajoutons  que  les  imperfections  du  mécanisme 
ne  permettent  pas  do  pousser  la  raréfaction  aussi 
loin  que  l'indique  la  théorie.  L'une  des  plus  im- 
portantes est  l'espace,  si  faible  il  soit,  qui  reste 
entre  la  base  du  piston  parvenu  au  bas  de  sa 
course  et  le  fond  du  corps  de  pompe  ;  on  l'appelle 
l'espace  nuisible.  Voici  comment  il  limite  le  vide. 
Quand  la  pression  de  l'air  sous  le  récipient  est 
devenue  très  faible,  l'ascension  du  piston  n'attire 
plus  dans  le  corps  de  pompe  qu'une  faible  masse 
de  cet  air.  Si  alors  tout  cet  air  ainsi  attii  é  dans  le 
corps  de  pompe  et  refoulé  par  le  piston  descen- 
dant peut  tenir  entièrement  dans  l'espace  nuisible 
sans  y  avoir  une  pression  supérieure  à  celle  de 
l'atmosphère,  il  ne  peut  plus  soulever  la  soupape 
du  piston;  il  reste  là,  et  le  coup  suivant  on  n'extrait 
plus  d'air  du  récipient. 

Quelque  soin  que  prennent  les  constructeurs 
pour  diminuer  cet  espace  nuisible,  les  meilleures 
machines  ordinaires  ne  font  le  vide  qu'à  2  ou  3  mil- 
limètres :  autrement  dit,  l'air  reste  dans  le  réci 
pient  a  encore  une  pression  de  2  à  3  millimètres 
de  mercure. 

Babinet  a  imaginé  une  disposition  qui  permet 
de  reculer  encore  la  limite  du  vide.  Elle  consiste 
à  intercepter  la  communication  entre  le  récipient 
et  l'un  des  corps  de  pompe,  quand  la  machine  a 
atteint  sa  première  limite,  et  à  employer  exclusive- 
ment ce  corps  de  pompe  à  extraire  du  deuxième 
l'air  qui  sous  le  piston  descendant  tend  à  y  acqué- 
rir une  force  élastique  csale  à  celle  de  l'atmo- 
sphère. C'est  par  une  modification  dans  la  forme  ci 
dans  la  disposition  du  robinet  placé  sur  le  conduit 
du  corps  de  pompe  à  la  platine  que  l'on  obtient 


ce  résultat.  On  arrive  alors  à  ne  laisser  dans  le 
récipient  qu'une  pression  d'un  demi-millimètre  de 
mercure. 

Macinne  à  mercure  dite  barométrique .  —  Le 
vide  obtenu  par  une  machine  pneumatique  à  corps 
de  pompe  et  munie  du  robinet  de  Babinet  est 
encore  loin  du  vide  barométrique.  On  a  eu  l'idée 
do  mettre  le  récipient  dont  on  veut  extraire  l'air 
en  communication  avec  la  chambre  d'un  baromè- 
tre, et  de  cette  manière  on  a  pu  obtenir  un  vide 
bien  plus  avancé. 

L'appareil  se  compose  d'un  long  tube  terminé  à 
la  parue  supérieure  par  un  robinet  à  trois  voies 
qui  peut  le  fermer,  ou  le  mettre  en  communica- 
tion par  un  tube  coudé  avec  le  récipient,  ou 
enfin  l'ouvrir  à  l'air.  Ce  tube  principal  communi- 
que par  sa  partie  inférieure. à  l'aide  d'un  long  tube 
de  caoutchouc  solidement  fixé,  avec  un  ballon  ou 
une  cuvette  remplie  de  mercure  que  l'on  peut  à  vo- 
lonté élever  ou  abaisser.  Quand  on  soulevé  cette 
cuvette,  le  mercure  monte  dans  le  tube  principal 
jusqu'à  la  base  du  robinet. 

Si  donc  on  tourne  le  robinet  pour  mettre  le 
grand  tube  en  communication  avec  l'atmosphère 
et  que  l'on  monte  la  cuvette,  le  grand  tube  se  rem- 
plit de  mercure  et  l'air  qu'il  contenait  s'en  va. 
On  tourne  le  robinet  pour  mettre  le  tube  en  rap- 
port avec  le  récipient  et  on  descend  la  cuvette,  le 
mercure  descend  dans  le  tube  que  vient  remplir 
à  sa  suite  l'air  du  récipient  ;  cet  air  est  donc  ra- 
réfié par  cette  manœuvre.  On  ferme  le  récipient, 
ou  ouvre  la  communication  avec  l'atmosphère  ;  on 
remonte  la  cuvette;  le  mercure  remonte  dans  le 
tube  et  chasse  devant  lui  l'air  qui  y  avait  été  at- 
tiré. 

On  comprend  qu'il  suffise  de  répéter  la  même 
manœuvre  un  certain  nombre  de  fois  pour  faire 
dans  le  récipient  un  vide  très  avancé.  En  em- 
ployant du  mercure  très  sec,  on  arrive  à  ne  laisser 
dans  le  récipient  qu'un  gaz  n'ayant  plus  poiir  force 
élastique  que  quelques  centièmes  de  millimètre, 
et  même  quelques  millièmes  »vec  les  appareils 
bien  agencés. 

Voilà  les  deux  machines  que  l'on  emploie  dans 
les  laboratoires  pour  faire  le  vide,  la  dernière  de 
préférence  à  l'autre  quand  il  s'agit  de  vider  de  pe- 
titstubesle  pluscomplètement  possible.  Lorsqu'on 
veut  dans  l'industrie  extraire  des  gaz  de  grands 
récipients,  on  emploie  des  pompes. 

[Haraucourt.J 

POÉSIE.  —  Littérature  et  style,  IIL  —  Ou- 
vrons nos  meilleurs  dictionnaires,  nous  y  trou- 
verons toujours,  à  peu  près  dans  les  mêmes  ter- 
mes, la  définition  adoptée  par  l'Acamédie  fran- 
çaise :  «  La  poésie  est  l'art  de  faire  des  ou- 
vrages en  vers.  »  Mais  tous  les  dictionnaires 
reconnaissent  aussi  que  ce  mot  peut  recevoir 
une  acception  plus  générale,  et  qu'il  signifie 
tantôt  l'œuvre  poétique  elle-même,  tantôt  les  qua- 
lités spéciales  qu'on  lui  demande,  tantôt  l'inspi- 
ration d'où  elle  est  sortie.  Néanmoins,  pour  la 
grande  majorité  des  lecteurs,  qui  ont  l'esprit  peu 
cultivé  et  ne  diffèrent  guère,  en  un  pareil  sujet, 
des  écoUers  et  des  enfants,  le  vers  même,  le  vers 
seul  est  le  signe  visible,  la  marque  de  la  poésie. 
Il  en  faut  toujours  revenir  à  la  leçon  que  le  pro- 
fesseur de  philosophie  fait  à  M.  Jourdain  :  «  Tout 
ce  qui  n'est  point  prose  est  vers,  et  ce  qui  n'est 
point  vers  est  prose.  »  Voilà  la  notion  première, 
dans  sa  naïve  simplicité.  C'est  par  là  qu'il  faut 
débuter.  Mais  si  nous  avions  à  donner  aux  enfants 
et  aux  illettrés  une  idée  de  cette  langue  qu'on  ne 
parle  pas  couramment,  comme  dit  Molière,  com- 
ment faudrait-il  nous  y  prendre.»  Il  faudrait  partir 
des  idées  générales  de  rythme  et  de  cadencej  ap- 
peler à  notre  aide  le  pas  militaire  ou  gymnastique, 
le  tic  tac  du  moulin,  les  sons  de  la  cloche,  tous  les 
bruits  réguliers  des  machines  en  mouvement,  des 


POESIE 


1631   — 


POESIE 


outils  qui  travaill(eiit,  tout  co  qui  marque  la  me- 
sure, tout  ce  qui  donne  la  sensation  d'un  arrange- 
ment ou  d'une  rencontre  symétriques,  tout  ce  qui 
constitue  une  alternance  et  une  assonance,  tout 
ce  qui,  dans  la  danse  et  dans  la  musique,  est  né- 
cessaire il  toutes  doux  sans  être  ni  l'une  ni  l'au- 
tre. On  arriverait  ainsi,  par  analogie,  h  faire  voir 
que  les  sons  de  la  voix,  non  pas  seulement  quand 
elle  clianto,  mais  simplement  quand  elle  parle, 
peuvent  être  mesurés,  ryllimcs,  groupes  selon  des 
intervalles  égaux  et  différents  ^  qu'il  y  a  comme 
une  marche  syllabique  des  mots  et  des  phrases, 
que  l'on  peut  battre  la  mesure  de  la  parole,  comme 
on  fej'ait  celle  du  chant;  et  do  même  qu'avec  les 
lignes  on  peut  tracer  des  ligures  régulières,  des 
ornements,  juxtaposés,  alternés,  accouplés,  pareils 
ou  divers,  on  peut,  avec  les  mots,  avec  les  sylla- 
bes, imaginer  des  combinaisons  de  rytlimes,  des 
figures  sonores,  sur  lesquelles  on  appliquera  ou 
non  la  musique  ou  la  danse,  qui  ont,  une  exis- 
tence propre  et  produisent  sur  l'oreille  une  im- 
pression déterminée,  plus  précise,  plus  appré- 
ciable, plus  intense  ou  plus  délicate,  il  mesure 
que  l'on  s'est  accoutumé  davantage  à  la  percevoir. 

Ce  premier  point  établi,  on  prendrait  successi- 
vement des  vers  bien  frappés,  d'un  rythme  bien 
franc,  d'abord  des  vers  isolés,  puis  des  vers  ac- 
couplés, puis  des  stances,  des  strophes,  avec 
leurs  combinaisons  variées  do  syllabes  et  de 
rimes,  semblables  à  autant  de  figures  géométri- 
ques distinctes;  on  ferait  compter  les  pieds,  mar- 
quer les  repos,  accentuer  les  rimes;  ou  désarti- 
culerait le  vers,  la  phrase  mesurée  ;  on  grossirait, 
on  simplifierait  il  dessein  tous  les  effets  pour  les 
rendre  plus  sensibles;  on  ferait  l'éducation  de  l'o- 
reille, au  point  qu'un  vers  défectueux  blesseraii. 
comme  un  accord  incorrect,  et  une  mauvaise  i-ime 
comme  une  fausse  note.  Puis,  poussant  plus  loin 
ces  notions  et  ces  exercices,  expliquant  que  les 
différentes  langues  peuvent  avoir  des  procédés 
différents,  on  ferait  voir  que  dans  celles  do  ces 
langues  où  la  quantité,  c'est-à-dire  la  durée  des 
syllabes  pendant  leur  énonciation,  est  très  sensi- 
ble à  l'oreille,  elle  fournit,  avec  le  nombre,  un 
nouvel  élément  de  combinaisons  rythmiques; 
qu'il  est  d'autres  sonorités  finales  que  celles  de  la 
rime,  d'autres  valeurs  prosodiques  que  celles  de 
la  syllabe  ;  qu'enfin  les  règles  mêmes  peuvent  être 
plus  ou  moins  sévères  et  les  artifices  de  la  parole 
mesurée  plus  ou  moins  perfectionnés.  Voilà  l'ins- 
trument (le  la  poésie,  voilà  sa  gamme  et  son  anno- 
tation, son  solfège  et  sa  grammaire;  voilà  cet  art 
de  poésie,  qui  est  d'abord  et  avant  tout  l'art,  plus 
ou  moins  grossier,  de  fabriquer  des  vers.  Mais 
quand  on  sait  bien  ce  métier,  quand  on  est  devenu 
expert  à  compter  les  pieds,  à  fixer  les  rimes,  à  ali- 
gner les  vers,  à  les  entre-croiser,  à  les  diversifier, 
quel  nom  mérite-t-on  '?  Est-ce  là  le  poète  ?  Non,  c'est 
là  le  versificateur,  et  chacun  peut  le  devenir. 

N'aurions-nous  donc  point  encore  fait  un  pas  dans 
la  question,  et  ne  savons-nous  pas  ce  que  c'est  que 
la  poésie?  Est-ce  à  un  autre  point  de  vue  qu'il 
faut  nous  placer?  L'histoire  do  la  littérature  chez 
les  peuples  civilisés  nous  fait  voir  qu'on  a  géné- 
ralement admis  différents  genres  de  poésie, 
comme  on  a  distingué  différents  genres  de  pein- 
ture. On  a  dit  que  la  poésie  était  épique  ou  drama- 
tique, lyrique  ou  élégiaque,  satirique  ou  didacti- 
que, etc.  Faut-il,  pour  trouver  la  poésie,  étudier 
chacun  de  ces  genres,  et  serait-ce  dajis  le  carac- 
tère propre  à  chacun  d'eux  que  résiderait  la  poésie 
véritable  ?  Y  aurait-il  autant  de  poésies  difi'érentes 
que  de  genres,  et  n'auraient-ils  de  commun  que  le 
vers  Entin,  ne  pourrait-on  définir  la  poésie  avec 
quelques  développements  qu'en  la  prenant  dans 
une  des  lormes  distinctes  qu'elle  clioisit,  de  sorte 
qu  U  nous  suffirait,  dès  à  présent,  et  sans  pousser 
plus  loin  notre  tâche,  de  renvoyer  aux  articles  où 


l'on  traite  do  ces  genres?  Mais  cette  distinction 
des  genres,  pour  être  généralement  admise,  est- 
elle  légitime?  est-elle  absolue?  a-t-elle  été  recon- 
nue de  tout  temps?  a-t-elle  été  maintenue  par  la 
critique  moderne?  Ces  divisions,  ces  distinctions, 
commodes  comme  tout  classement,  ne  sont-elles 
pas  un  nouvel  embarras,  dès  qu'on  veut  appro- 
fondir cette  étude?  La  difficulté  ne  se  présente- 
t-elle  pas  sous  une  autre  forme,  dès  qu'on  veut 
définir  chacun  de  ces  genres  et  pour  chacun  d'eux? 
Ne  se  touchent-ils  pas  en  plus  d'un  point?  Et 
pour  no  prendre  qu'un  exemple,  a-ton  pu  donner 
seulement  une  bonne  définition  de  l'épopée?  Rap- 
pelons-nous co  mot  de  Voltaire,  si  profond  et  si 
vrai  :  u  II  faut,  dans  tous  les  arts,  se  donner 
bien  de  garde  de  ces  définitions  trompeuses  par 
lesquelles  nous  osons  exclure  toutes  les  beautés 
qui  nous  sont  inconnues  ou  que  la  coutume  ne 
nous  a  point  encore  rendues  familières.  »  Cette 
distinction  des  genres,  elle  n'a  été  acceptée  ni 
dans  tous  les  temps,  ni  chez  tous  les  peuples;  des 
littératures  entières  ne  pourraient  s'y  astreindre 
et  se  les  appliquer.  En  ces  matières,  tout  est  fac- 
tice et  de  convention.  Si  tous  les  genres  ne  sont 
pas  arbitraires,  tous,  même  le  iliéàlre,  se  font  des 
emprunts  mutuels;  ils  empiètent,  quand  ils  ne  se 
confondent  pas.  On  a  essayé  de  simplifier,  en  ne 
reconnaissant  que  trois  genres  véritables,  le  lyri- 
que, l'épique  et  le  dramatique.  Mais  qu'on  res- 
treigne ou  qu'on  multiplie  les  cadres  de  la  poé- 
sie, on  n'a  pas  résolu  le  problème.  Combien  se 
complique-t-il  davantage  quand  on  remarque  que 
la  prose  aussi,  enrichissant  sa  palette,  a  fait  à  la 
poésie  l'emprunt  de  bien  des  couleurs  :  de  sorte 
qu'on  a  pu  refuser  à  des  versificateurs  le  don  de 
la  poésie,  et  qu'on  accordait  ce  don,  sans  con- 
teste, à  des  écrivains  qui  n'avaient  jamais  manié 
le  vers,  ou  qui  n'y  faisaient  preuve  que  de  mala- 
dresse et  d'insuffisance  ! 

Serait-ce  donc  que  la  poésie  ne  réside  ni  dans 
le  vers,  ni  dans  la  forme  consacrée  à  chaque 
genre?  Et  pour  arriver  à  connaître  enfin  ce  qu'elle 
est,  dans  son  essence,  ne  faudrait-il  pas  laisser  un 
instant  les  œuvres  mêmes,  et  observer  celui  qui 
les  produit,  le  poète.'  «  L'élément  humain,  a  dit 
Schiller  dans  sa  correspondance  avec  Gœthe,  est 
toujours  le  commencement  de  la  poésie,  qui  n'en 
est  ([ue  la  plus  haute  expression.  »  C'est  dans 
l'homme,  en  effet,  dans  ses  facultés,  dans  quel- 
ques-unes de  ses  dispositions  les  plus  intimes 
qu'est  la  solution  cherchée.  C'est  à  la  psychologie 
qu'il  faut  s'adresser;  c'est  à  la  source  des  lois  es- 
tliétiques  qu'il  faut  remonter;  c'est  à  tous  les  arts, 
et  non  pas  h  un  seul,  qu'il  convient  de  demander 
d'abord  le  secret  des  belles  oeuvres  de  poésie, 
comme  de  toutes  les  belles  œuvres.  Le  langage 
des  esprits  cultivés  ne  s'y  trompe  pas.  Ils  n'ont 
point  réservé  exclusivement  à  l'art  des  vers  ce 
mot  de  poésie,  qui  veut  dire  création;  ils  ont  re- 
connu que  dans  chaque  art  il  y  avait,  au-dessus 
des  procédés  particuliers  qu'il  emploie,  un  élé- 
ment commun,  l'inspiration,  un  langage  commun 
aux  poètes,  aux  peintres,  aux  sculpteurs,  aux  mu- 
siciens, s'adressant,  par  des  moyens  différents,  à 
la  sensibilité  humaine,  communiquant  la  notion 
du  beau  sous  des  formes  variées,  mais  à  des  con- 
ditions identiques.  Il  en  est  de  l'idée  de  la  poésie 
comme  do  l'idée  de  la  science,  comme  de  l'idée 
du  droit,  comme  de  toutes  les  idées  générales  : 
elles  s'élèveni  avec  le  progrès  des  lumières,  avec 
l'éducation,  avec  la  comparaison  ;  elles  sortent  de 
l'inconscient;  chacune  de  ces  idées  s'enrichit,  se 
complète,  s'éclaire.  La  pratique  des  arts  est  an- 
cienne; la  théorie  qui  les  explique  est  récente. 
Laissons  donc  un  instant  de  côté  les  procédés 
mêmes,  les  lignes  et  les  couleurs,  les  sons  et  les 
mots.  L'objet  de  tous  les  arts  étant  l'expression 
des  sensations  et  des  sentiments,  la  traduction  par 


POÉSIE 


1632  — 


POESIE 


l'homme  et  pour  l'homme  des  choses  du  deliors 
et  de  celles  du  dedans,  depuis  la  représentation 
matérielle  dos  aspects  ou  des  phénomènes  de  la 
nature  jusqu'à  l'analyse  des  mouvements  les  plus 
secrets  de  l'àme,  voyons  ce  qui  se  passe  chez  ceux 


tallisées  pour  toute  la  suite  des  générations: il  est 
la  poésie,  dans  son  acception  la  plus  générale. 
Mais  si,  parmi  ces  instruments  dont  l'art  fait 
usage,  il  en  est  un  plus  riche,  plus  soupic,  plus 
approprié  à  toutes  les  nuances  de  la  pensée,  qui 


qu'on  appelle  artistes,  et  parmi  lesquels  il  faut  j  peigne  sans  couleurs,  chante  sans  musique,  pé- 
ran^er  les  poètes.  Il  n'est  pas  contestable  que  nètre  au  delà  des  surfaces  apparentes,  précise  les 
certains  hommes,  doues  de  facultés  mystérieuses  idées,  approfondisse  les  sentiments,  voyage  dans 
et  spéciales,  aperçoivent  mieux  les  formes  et  les  le  passe,  devance  l'avenir,  exprime  le  visible  et 
contours  des  choses,  en  sont  plus  vivement  affec-  I  l'invisible,  le  fini  et  l'infini;  qui  puisse  s'étendre 
tés  saisissent  plus  exactement  les  attitudes,  les  .  et  se  restreindre,  se  proportionner  à  tous  les 
gestes,  l'expression  des  visages,  sont  plus  frap-  I  objets,  traduire  tous  les  pliénomènes,  parcourir  le 
pés  de  l'ensemble  ou  des  détails  d'un  site  et  ciel  et  la  terre,  refléter  l'àrae  et  deviner  Dieu  : 
d'un  aspect  de  la  nature,  plus  profondément  tou-  cet  art-là  ne  sera-t-il  pas  le  premier  de  tous,  l'art 
chés  d'un  son  de  voix,  plus  émus  d'une  façon  vraiment  créateur,  et  ne  méritera-t-il  pas  plus  que 
d'agir  ou  de  parler,  plus  sensibles  à  la  joie  ou  à  les  autres  de  s'appeler  la  poésie,  et  ceux  qui  le 
la   douleur   d'autrui,  plus  attentifs  aux  rapports    cultivent  les  poètes  ? 

des  choses  entre  elles,  plus  ardents  à  l'amour  htfe  poète,  ce  n'est  donc  pas  seulement  faire 
fit  à  la  haine,  ou  plus  aptes  à  en  surpremire  chez  des  vers,  c'est  avoir,  avant  tout,  une  sensibilité 
d'autres  les  traits  distinctifs  et  les  manifestations  ,  plus  exquise  et  plus  affinée,  ou  une  imagination 
multiples.  L'homme  ainsi  doué  voit  vite  et  juste  ;  I  plus  abondante,  ou  des  impressions  qui  se  pro- 
il  conserve,  il  reproduit,  il  transforme.  Si  les  cir-  i  longent  et  s'engendrent  les  unes  les  autres,  ou 
constances  l'ont  favorisé,  et  qu'il  ait  à  sa  disposi-  tous  ces  dons  ensemble,  et,  avec  eux,  un  goût 
tion  l'instrument  nécessaire  dont  on  lui  a  appris  ou  '  particulier  de  l'harmonie,  un  besoin  de  moduler 
■dont  il  a  reconnu  l'usage,  crayon,  pinceau,  ébau-  '  les  pensées  ou  les  images  et  de  les  soumettre  aux 
choir  clavier,  parole,  il  fait  passer  dans  une  I  lois  d'une  musique  spéciale, 
œuvre  tout  ce  qu'il  ressent,  tout  ce  qu'il  aperçoit,  |  La  poésie  a  pu,  dans  le  principe,  et  depuis  en- 
tout  ce  qu'il  pénètre;  il  crée,  il  est  poète,  qu'il  soit  1  core,  s'associer  à  la  musique  et  à  la  danse.  Mais 
Dante    Puget    Raphaël  ou   Mozart.  Création,   ex-  '  elle  est   un  tout,   elle   se  suffit  à  elle-même,  et, 


pression  :  c'est  ce  qui  constitue  son  génie;  c  est 
par  là  qu'il  sera  dans  le  groupe  d'élite,  tandis 
<jue  d'autres  manieront  toute  leur  vie  le  pinceau, 
tiendront  la  plume,  frapperont  le  clavier,  modèle- 
ront l'argile,  pour  ne  faire  que  des  œuvres  sans 
valeur,  sans  originalité,  sans  poésie;  car  l'instru- 


selon  les  temps  et  les  lieux,  elle  traduit  à  sa  façon 
ce  que  l'humanité  lui  offre  de  plus  expressif.  On  ne 
circonscrit  pas  le  champ  de  la  poésie  :  elle  raconte, 
et  nous  avons  l'épopée  ;  elle  agit  par  des  personna- 
ges, et  nous  sommes  au  théâtre  ;  elle  invective,  et 
l'ïambe  apparaît;  elle  aime,  elle  chante,  elle  rit  ou 


ment  ne  vaut  que  par  celui  qui  l'emploie  ;  le  pro-  i  pleure,  s'exalte  ou  so  décourage,  et  voilà  1  elegie 
cédé  le  métier  est,  sans  doute,  la  condition  de  1  ou  l'ode;  elle  se  joue  en  pièces  gracieuses,  et  la 
l'œuvre  mais  il  n'est  pas  plus  l'œuvre  même  que  |  poésie  légère  voltige  au  front  des  littératures; 
la  navette  et  les  fils  ne  sont  le  tissu  brodé,  que  les  l  elle  s'impose  des  règles  et  les  transgresse;  elle 
sept  notes  de  la  gamme,  dans  leurs  raille  combi-  j  imagine  des  genres  et  s'en  afl'ranchit  ;  elle  peut 
naisons,  ne  sont  la  musique.  être  abondante  ou  laconique,  attendrie  ou  cruelle. 

Ainsi  pour  mériter  ce  nom  d'artiste,  il  faut  être  [  souriante  ou  irritée,  hautaine  ou  familière,  flot- 
doué  d'abord,  d'une  façon  générale,  des  facultés  tante  et  vague  ou  précise  et  à  contours  rigoureux; 
dont  tous  les  arts  ont  un  égal  besoin,  et  par  des-  elle  sera  puissante  et  impétueuse  ou  calme  et 
sus  tout  de  la  faculté  mère,  l'imagination  inspi-  sereine;  religieuse  ou  sceptique;  pacifique  on 
ratrice- 'puis,  posséder,  grâce  à  un  autre  don  '  guerrière  :  et  ce  sera  toujours  la  poésie.  Elle  pourra 
spécial,  le  maniement  plus  sur  et  plus  parfait  de  vibrer  comme  une  cloche,  sonner  comme  une 
tel  ou  tel  outil  particulier  ;  mais  ce  maniement,  i  fanfare,  soupirer  comme  uno  plainte,  éclater 
qui  est  un  art  aussi,  est  peu  de  chose,  si  la  faculté  !  comme  un  sanglot;  caresser,  crier,  maudire; 
nremiùre  manque.  Il  faut  voir  et  sentir  d'une  cer-  '  chanter  la  joie,  le  deuil,  l'ivresse,  la  gloire  :  et  ce 
îaine  manière;  faire  vivre  en  soi,  pour  y  mettre  I  sera  toujours  la  poésie.  Rien  de  plus  capricieux 
sa  marque,  le  monde  extérieur  et  le  monde  inté-  I  qu'elle  :  tantôt  elle  fuira  l'histoire,  tantôt  elle  y 
rieur-  il  faut,  par  un  phénomène  unique,  être  à  deviendra;  elle  dédaignera  pendant  des  siècles  la 
la  fois  eu  soi  et  hors  de  soi,  sentir  d'une  façon  nature  extérieure,  et,  tout  à  coup,  ne  verra  plus 
personnelle  et  impersonnelle  afin  d'être  à  la  fois  qu'elle,  s'absorbera  en  elle  ;  elle  sera  générale, 
fidèle  à  soi-même  et  intelligible  aux  autres,  .\insi  abstraite,  idéale,  créant  des  types,  planant  au- 
s'explique  cet  emploi  que  l'on  fait  si  justement  du  dessus  de  la  réalité,  ou  bien  elle  s  enfoncera  dans 
mot  poésie,  pour  l'appliquer  aux  œuvres  d'art  les  le  réel,  se  nourrira  des  menus  détails  de  la  vje, 
dus  diverses,  aux  objets  naturels  les  plus  dis- 1  sera  exacte  jusqu'à  la  brutalité,  et,  dans  ses  pein- 
semblables  1  tures,  marquera  fortement,  uniquement,   la  per- 

Le  point  de  rencontre  de  tant  de  sensations  qui  sonnalité  restreinte  du  poète  ;  elle  dessinera  de 
diffèrent  est  dans  l'àme  humaine  qui  les  éprouve  '  grandes  figures  historiques,  ou  de  petites  figures 
fortement,  qui  les  épure,  qui  les  fixe  et  qui  les  '  contemporaines;  elle  peindra  au  naturel Lesar,  «e- 
restitue  La  foule,  plus  ou  moins  apte  à  rece- 1  ron,  Richard  III,  ou  imaginera  un  Achille,  une  Ui- 
voir  ces  sensations  répercutées,  ne  comprend  rien  don,  une  Boatri.x,  un  Hamlet  ;  elle  sera  toute  no- 
au  phénomène  qui  les  produit  chez  celui  dont  elle  blesse  et  toute  harmonie  avec  Lamartine,  mais  peu 
salue  le  "énie.  Elle  voit,  elle  admire  la  nature,  !  accessible  au  vulgaire,  ou  franchement  populairo 
mais  sans  y  découvrir  elle-même  ce  que  l'artiste  1  et  intelligible  pour  tous  avec  Beranger;  elle  s  C  e- 
lui  en  montre;  elle  connaît,  pour  les  avoir  cprou-  ]  vera,  s'abaissera,  se  dissipera,  se  concentrera ,  eue 
vés,  les  mouvements  de  l'amour,  mais  sans  l'ar-  ,  sera  pour  les  passions  un  stimulant  ou  un  correc- 
tiste,  elle  n'en  pénétrerait  souvent  ni  les  agitations  tif;  elle  inspirera  un  poème  de  vingt  mille  vers 
passionnées,  ni  les  émotions  délicates,  ni  les  dou-  '  ou  un  sonnet  de  quatorze  vers,  un  long  .irame  ou 
cours  infinies;  elle  a  les  élans  du  patriotisme  ou  '  une  courte  chanson:  et  ce  sera  toujours  la  poosie, 
de  la  foi,  mais  elle  en  trouve  la  plus  haute  exprès-  i  c'est-à-dire  un  instrument  à  nulle  cordes,  toujours 
sion  dans  les  conceptions  de  l'art.  Ainsi  l'art  est  '  accordé  dans  toutes  les  langues,  et  dont  le  S'-""' 
l'interprète  supérieur  de  toutes  les  émotions  dont  ou  le  talent  se  plaît  à  jouer  de  miut,  manières 
l'homme  est  susceptible;  l'art  est  la  pensée, la  sen-  selon  la  disposition  et  le  caprice  du  moment,  yui 
sibilité,  l'imagination  de  l'humanité,  fixées  et  cris-  1  ressemble  moins  à  Homère  qu  Anacreon,  a  virgue 


POESIE 


—  1633  — 


POESIE 


qu'Horace,  à  Dante  que  l'Arioste,  h  Ronsard  que 
Boileau,  h  Pope  que  Byron,  à  la  Fontaine  que  La- 
martine, h  Voltaire  que  Victor  Hugo?  Et  tous  sont 
poètes,  la  Palestine  et  l'Inde,  la  Grèce  et  Rome, 
le  nord  et  1«  midi,  le  dix-septième  et  le  dix-neu- 
vième siècle  ont  conçu  la  poésie  de  bien  des  fa- 
çons dift'érentes  :  mais  c'est  toujours  la  poésie,  lit 
ces  formes  dont  nous  avons  parlé,  qu'elles  sont 
diverses,  pour  ne  prendre  que  celles  dont  notre 
littérature  nous  offre  des  spécimens  :  épopées, 
tragédies,  comédies,  drames,  mystères,  odes, 
stances,  chansons,  ballades,  idylles,  élégies,  allé- 
gories, cantates,  héroides,  dithyrambes,  épitha- 
lames,  fables,  madrigaux,  rondeaux,  épitres, 
poèmos  de  tout  genre,  didactiques,  satiriques, 
erotiques,  bachiques  !  Toutes  ces  formes  peuvent 
contenir  la  poésie  et  la  répandre,  comme  toutes 
aussi  peuvent  n'en  offrir  que  l'image  trompeuse, 
le  moule  vide,  le  flacon  sans  la  liqueur,  le  foyer 
sans  la  flamme  intérieure,  sans  l'âme  et  la  vie. 

Pourtant,  comme  tous  les  arts,  la  poésie  a  ses 
degrés,  et  ceux  qui  la  cultivent  sont  placés  i  des 
niveaux  différents.  Ce  n'est  ni  l'étendue  d'une 
oeuvre  ni  la  nature  du  sujet  qui  y  est  traité  qui 
font  la  renommée  du  poète  :  un  long  poème  n'est 
même  pas  une  présomption  favorable,  car  il  n'y  a 
rien  au-dessous  de  certains  poèmes  épiques  du  dix- 
septième  siècle;  mais  on  est  poète  avec  une  ode, 
avec  une  élégie,  avec  un  sonnet,  avec  quelques 
strophes  heureuses.  Quant  aux  grands  poètes,  on 
les  reconnaît  à  la  puissance  d'une  imagijiatron  ex- 
traordinaire qui  se  répand  dans  tous  les  genres,  h 
ce  don  d'assimilation  ou  de  propagatioji  qui  leur 
permet  d'embrasser  leur  temps  et  tous  les  temps 
avec  une  même  intelligence,  et  de  mettre  en 
circulation  des  vérités  générales,  de  créer  des 
types  éternels,  de  sorte  que  dans  leurs  vers  se  re- 
flète quelque  chose  de  l'humanité  tout  entière. 
Ce  sont  là  les  vrais  génies,  qui  dominent  les  litté- 
rattires. 

Quand  l'inspiration  atteint  son  degré  le  plus 
intense,  que  l'émotion  est  suraigne,  elle  s'appelle 
le  lyrisme;  il  apparaît  parfois  dans  des  œuvres 
étrangères  à  la  poésie  pour  les  illuminer  tout  à 
coup  dune  beauté  supérieure  ;  mais  il  est  presque 
inséparable  de  la  grande  poésie.  On  trouve  des 
élans  lyriques  dans  tous  les  genres  de  composi- 
tions :  il  y  en  a  dans  un  mouvement  oratoire,  dans 
le  dé\eloppement  religieux  et  moral  d'un  sermon, 
dans  l'invective  d'un  pamphlet,  dans  une  démons- 
tration philosophique,  dans  les  peintures  émou- 
vantes d'un  roman,  dans  la  chaleur  même  d'un 
développement  scientifique.  Mais,  de  plus  en  plus, 
c  est  la  poésie  lyrique  qui,  dans  son  acception  la 
plus  générale,  embrassant,  absorbant  tous  les 
genres,  est  devenue  le  fond  même  de  toute  poésie. 
Le  poète  dramatique  est  à  part  :  un  Sophocle,  un 
Shakespeare,  un  Corneille,  un  Molière  ont  eu  un 
don  spécial;  ils  sont  doublement  poètes.  C'est 
pat  l'élément  lyrique  que  la  poésie  marque  le 
mieux  .ïa  parenté  avec  la  musique;  c'est  par  là 
quelle  pi^nd  un  accent  plus  personnel  et  plus 
sincère,  et  qu  evu  échappe  aux  froides  inventions 
■  ^li.I  H™'''  "'"'"'.  '""■'=■'■  Pour  avoir  une  idée  com- 
plète de  cette  poésie,  dont  il  faudrait  chercher  les 
inspirations  similaires  dans  les  psaumes  de  David 
ou  les  extases  douloureuses  de  VhniUition,  plu- 
tôt encore  que  chez  Pindare  ou  Horace,  on  peut 
se  représenter  un  Schiller  écrivant  le  Chant  de 
,,,„f  „  ;  "?  Lamartine  composant  les  llarmo- 
ITiiV  '','?"'î'"'  "»  Victor  Hugo  détachant  ses 
rnl,J:t  A  '^^"^''"^ne,  un  Musset  s'enfiévrant  lui- 
^rZjj"  ''■°^''''  '"''  '«'  ^'"■'^•-  Le  vers  alors, 
Slus  nréri""''/  ''"'?»''nieux  que  la  musique,  et 
nemïïro  '.P'""''^'""'  P'"«  substantiel  qu'elle  ne 
fois  sPn.Lo'I""'  '^  '■■'"g"«  P"  ""cellence,  à  la 
se  nrnH  ?  "  et  sensation,  esprit  et  matière.  Alors 
se  produit  un  phénomène  extraordinaire  comme 
2'  Partie. 


toutes  les  manifestations  du  génie  :  il  crée,  il  sait 
ce  qu'il  fait  et  ce  qu'il  veut  faire,  et  pourtant  il 
n'est  qu'il  moitié  dans  le  secret  de  son  inspiration. 
Il  y  a  une  part  d'eft'ort  et  de  travail  que  la  matière 
tyrannique  impose  au  mieux  doué,  que  le  vers  ré- 
clame, comme  ailleurs  le  marbre  qui  résiste  ou 
le  pinceau  qui  tâtonne;  mais  il  y  a  surtout  une 
force  interne,  un  élan  spontané,  une  flamme 
jaillissante  qui  est  le  don  même  et  l'impénétrable 
mystère.  Platon  déjà  comparait  le  poète  à  un  ins- 
trument sonore,  vibrant  sous  la  main  de  Dieu. 
Shakespeare  disait  que  la  poésie  doit  couler  du 
cœur  de  l'homme  aussi  naturellement  que  la 
gomme  de  l'arbre.  Corneille  écrivait  ces  deux  beaux 
vers  : 

■Je  me  sens  tout  le  cisiir  plein  de  fjranfjes  idées  ; 
Je  les  sens  à  l'envi  s'en  éehapper  sans  niei. 

Lamartine  montre  le  poète  ravi  comme  Ganymède 
par  l'aigle  de  Jupiter  ;  Hugo  le  compare  à  Mazeppa 
emporté  sur  un  cheval  indompté  et  tombant  roi 
au  bout  de  sa  course  furieuse.  Tous  les  poètes, 
d'ailleurs,  anciens  et  modernes,  ont  admis  et  con- 
sacré l'enthousiasme  poétique;  les  plus  froids  ont 
parlé  de  ce  délire  qu'ils  n'ont  pas  connu.  Mais  les 
modernes  surtout  ont,  depuis  un  siècle,  en  éten- 
dant le  champ  de  la  poésie,  marqué  le  réie  du 
poète.  Il  semble  qu'il  redevienne,  comme  à  l'ori- 
gine obscure  des  sociétés,  un  chantre,  un  pro- 
phète, un  voyant  ;  il  faut  lire  tout  ce  que  Schiller 
a  écrit,  à  ce  sujet,  en  prose  et  en  vers  ;  le  prologue 
du  premier  Faust  de  Goethe  est  justement  célè- 
bre ;  il  n'y  a  point  de  plus  admirable  profession  de 
foi  pour  les  poètes  que  le  fameux  morceau  de 
Lamartine  sur  les  Destinées  de  la  poésie. 

Il  serait  pourtant  juste  de  dire  que  de  tout 
temps  les  grands  poètes  ont  personnifié,  idéa- 
lisé les  vérités  ambiantes,  et  marqué  dans  leurs 
œuvres  une  des  étapes  de  l'humanité.  Ils  n'ont 
pas  attendu  le  xvin"  et  le  xix°  siècle  pour  être 
les  échos  des  émotions  ou  des  aspirations  con- 
temporaines :  ils  l'ont  fait  dans  des  propor- 
tions, dans  des  conditions  différentes;  mais  ils 
n'auraient  pas  survécu,  s'ils  n'avaient  fait  aux 
idées  générales  la  part  nécessaire.  Aristote, 
comparant,  dans  sa  Puêlique,  la  poésie  et  l'his- 
toire, a  dit  :  K  La  poésie  a  pour  objet  le  général, 
et  l'histoire  le  particulier.  »  Qu'il  ait  eu  surtout 
en  vue  le  théâtre,  peu  importe  :  il  a  reconnu  la 
portée  de  la  poésie  et  son  caractère  d'universa- 
lité. C'est  dire  qu'elle  peut  s'adapter  à  toutes  les 
opinions,  à  toutes  les  doctrines,  à  toutes  les  con- 
ditions sociales,  comme  à  tous  les  sentiments  et  à 
toutes  les  passions.  On  a  dit  que  le  matérialisme 
tuait  la  poésie  :  Lucrèce  est  là  pour  répondre  ; 
que  la  science  et  le  sens  critique  s'accordaient 
mal  avec  elle  :  Gœthe  est  la  preuve  du  contraire. 
Pourtant,  l'expression  de  la  foi  passionnée  est  son 
triomphe,  et  ses  plus  délicieux  accents  sont  ceux 
de  l'amour.  Quelles  conceptions  que  Didon,  Laure, 
Francesca,  Juliette,  Othello,  Desdémone,  lÛargue- 
rile!  La  poésie  no  peut  aller  au  delà;  qui  a  mis 
en  vers  un  vrai  cri  de  la  passion  est  sir  d'être 
immortel. 

Voilà  le  fonds  de  la  poésie  :  son  caractère  o.s- 
sentiel  est  d'être  indépendant  de  la  versification, 
puisque  le  phénomène  de  l'inspiration  poétique 
est  d'abord  tout  entier  dans  l'àme,  et  qu'il  y  a  par- 
fois disjonction  entre  cette  richesse  de  l'imagina- 
tion créatrice  et  le  don  des  vers,  comme  on  en 
voit  des  exemples  chez  Fénelon,  chez  Rousseau, 
chez  Chateaubriand,  chez  Michelet  ou  Quinet,  chez 
Georges  Sand.  Certains  poètes,  qui  ont  aussi  écrit 
en  prose,  continuent  à  être  poètes,  là  comme  dans 
leurs  vers  ;  d'autres,  par  une  bizarrerie  de  nature, 
sont  plus  poètes  dans  la  prose  que  dans  le  vers 
même  ;  mais,  en  tout  cas,  il  faut  que  le  vers  ait  en 
soi,  quand  on  le  désarticule  et  qu'on  le  détruit,  l'c- 


POESIE 


1634  — 


POISONS 


lément  poétique  qui  surnage,  le  disjecti  membra 
po'.tie.  tt  combien  de  poètes  ont  laissé  des  volu- 
mes entiers,  qui  n'ont  été  vraiment  et  absolu- 
ment poètes  qu'une  fois  ou  deux,  par  rencontre, 
en  quelques  vers,  heureuse  inspiration  d'un  jour, 
d'une  heure,  d'une  minute,  qui  démontre  assez 
que  la  poésie  est  chose  à  part,  étrangère  et  supé- 
rieuro  au  procédé,  comme  un  jet  de  lumière, 
éclipsant  tout  le  reste. 

Et,  puisqu'il  s'agit  ici  d'enseignement,  un  bon 
maître  donnera  sans  peine  la  preuve  à  ses  élèves 
de  cette  présence  de  la  poésie  dans  la  prose,  de 
cette  absence  de  la  poésie  dans  les  vers,  et  enfin 
de  cette  véritable  inspiration  dont  les  beaux  vers 
s'illuminent.  Une  gradation  ingénieuse,  partant 
des  morceaux  les  plus  simples,  des  beautés  poéti- 
ques les  plus  accessibles  aux  débutants,  conduira 
jusqu'aux  cimes  de  la  grande  poésie  lyrique,  et 
comme  aux  sources  d'où  elle  jaillit. 

Le  maître  devra  faire  voir,  en  même  temps,  que, 
pour  être  parfois  inconsciente  dans  ses  profon- 
deurs, la  grande  poésie  n'a  rien  de  commun  avec 
le  désordre  ;  que  cotte  ivresse  et  ce  délire,  dont 
on  parle  pour  expliquer  un  mystère,  n'existent 
nulle  part  ;  que  ni  un  Eschyle,  ni  un  Dante  ni 
un  Sliakespeare  n'ont  perdu  un  instant  la  posses- 
sion d'eux-mêmes  ;  que  Corneille  sait  ce  qu'il 
fait  autant  que  Molière  ;  que  le  génie  de  Gœthe 
plane  sur  son  œuvre  entière  et  semble  la  surveil- 
ler; que  Lamartine  se  néglige,  mais  ne  s'égare 
pas  ;  que,  chez  d'autres,  l'apparence  da  désordre 
et  de  la  confusion  n'est  que  l'incapacité  d'ordonner 
un  ouvrage  et  d'y  porter  assez  d'unité.  Quand  le 
vertige  commence  et  que  le  jugement  faiblit  dans 
une  imagination  surexcitée,  la  poésie  s'obscurcit 
en  même  temps.  La  folie  créatrice  du  Tasse  est 
une  pure  légende.  En  prose  comme  en  vers,  la 
plénitude  du  génie  est  la  plénitude  même  de  la 
raison. 

Et  maintenant  nous  pouvons  revenir  à  notre 
point  de  départ,  et  reparler  des  vers.  Toute  œuvre 
d'art  n'arrive  à  la  perfection  ou  ne  s'en  rapproche 
que  par  la  forme,  par  l'exécution,  par  le  style. 
Pourquoi  les  vrais  musiciens  trouvent-ils  que  l'en- 
chaînement  seul  des  mélodies  les  plus  heureuses 
ne  saurait  faire  un  musicien  digne  de  ce  nom  .' 
Pourquoi  les  peintres  n'ont-ils  aucune  estime 
pour  des  tableaux  dont  l'idée  première  peut  être 
forte  ou  agréable,  dont  la  conception  peut  avoir  sa 
poésie  et  sa  grandeur  même  '?  Sinon  parce  que, 
dans  l'un  et  l'autre  cas,  la  science  propre  à  cha- 
que art  a  fait  défaut,  parce  que  ce  musicien  man- 
que d'étude  et  de  style,  parce  que  ce  peintre  sait 
rêver  une  œuvre,  mais  ne  sait  point  la  peindre; 
et  que  rien  ne  peut  dispenser  l'un  de  connaître 
les  secrets  de  l'harmonie,  l'autre  de  pratiquer  l'art 
des  lignes  et  des  couleurs.  En  un  mot,  le  génie 
ne  supprime  pas  le  métier;  au  contraire,  il  s'iden- 
tifie avec  lui,  il  en  fait  sa  chose,  il  est  maître  des 
procédés  et  les  tourne  à  sa  guise.  Il  est  permis  aux 
versificateurs  de  n'être  point  poètes;  il  n'est  pas 
permis  aux  poètes  de  mal  faire  les  vers.  Chaque 
art  peut  s'inspirer  aux  mêmes  sources  que  tous 
les  autres,  mais  chaque  art  aussi,  ayant  sa  lan- 
gue propre,  doit  savoir  la  parler.  La  langue  de  la 
poésie,  ce  sont  les  vers;  il  y  a  là  plus  qu'une 
convention  arbitraire  :  cette  symétrie,  ce  nombre, 
cette  cadence,  ce  rythme,  ces  rimes,  tout  ce  mé- 
canisme harmonieux,  complète  la  poésie,  lui  fait 
un  domaine  à  part,  lui  permet  de  dire  plus  que  la 
prose  et  souvent  en  moins  de  paroles,  ajoute  à  la 
puissance  de  l'inspiration  ce  quelque  chose  de  pré- 
cis et  de  définitif  que  la  plus  belle  prose  ne  peut 
donner.  Quand  on  a  bien  discuté  sur  l'essence  de 
la  poési(^,  il  faut  toujours  en  revenir  au  vers,  au 
vers  bien  fait,  correct  et  libre,  souple  et  ferme  i. 
la  fois;  aux  règles  savamment  observées,  à  la  rime 
bien  choisie  ;  au  tour  heureux,  b.  l'image  frappante, 


k  la  cadence,  à  la  coupe,  au  rejet,  à  la  suspension, 
;\  tous  les  effets,  à  tous  les  détails,  à  toutes  les 
grâces  et  à  toutes  les  finesses  de  la  facture.  Il  faut 
qu'après  avoir  admiré  l'œuvre  poétique  dans  sa 
conception  première  et  dans  ses  développements, 
on  puisse  l'admirer  encore  dans  sa  forme,  l'étu- 
dier et  la  commenter  dans  les  ornements  qu'elle 
comporte,  dans  les  nuances  infinies  de  style 
qu'elle  présente.  Après  avoir  bien  généralisé,  il 
faut  en  arriver  toujours  .\  prendre  un  poète,  à  le 
lire,  surtout  à.  haute  voix,  pour  affirmer,  avec 
preuve,  que  les  vers  sont  beaux  et  bons,  faits  de 
main  d'ouvrier,  dignes  du  sentiment  qui  les  ins- 
pire. Nous  ne  dirons  pas  avec  J.-B.  Rousseau,  qui 
ne  fut  guère  qu'un  habile  versificateur,  que  n  c'est 
l'expression  qui  fait  le  poète  et  non  la  pensée,  » 
erreur  que  toute  son  école  poétique  a  partagée; 
mais  nous  dirons  que  la  langue,  l'expression,  le 
style,  toutes  les  qualités  de  la  belle  prose  rele- 
vées encore  par  toutes  les  qualités  des  bons  vers, 
sont  la  marque  même  du  talent  et  du  génie.  Le 
reste  n'est  (lue  la  copie  et  la  parodie  de  l'art,  ce 
n'est  point  l'art  même.  Quant  i  la  prose  poétique, 
qui  n'est  pas  sans  charme,  elle  n'est  pas  plus 
la  poésie,  qu'une  mélopée  sans  contour  n'est  un 
chant,  qu'un  récitatif  n'est  un  grand  air.  La  prose 
peut  être  harmonie;  la  poésie  seule  est  harmonie 
et  mélodie  à  la  fois. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  traiter  des  règles 
de  la  versification  en  français  et  dans  les  diver- 
ses langues.  On  en  parlera  ailleurs  (V.  Proso- 
die). Ce  n'est  pas  non  plus  la  place  d'une  étude 
sur  les  divers  genres  de  poésie,  qui  sont  l'objet 
d'autant  d'articles;  ni  d'une  histoire  de  la  poé- 
sie, qui  est  une  partie  de  l'histoire  des  littéra- 
tures. Ajoutons  seulement  que  l'histoire  de  la 
poésie  est  celle  même  des  grands  courants  d'idées 
et  de  sentiments,  de  croyances  et  d'espérances, 
qui  traversent  chaque  siècle  ;  c'est  aussi  l'histoire 
du  goût  dans  ses  altérations  et  ses  transformations  ; 
c'est  surtout  l'histoire  des  plus  nobles  émotions 
que  l'homme  connaisse  :  car  c'est  la  poésie  qui  les 
recueille,  et  c'est  elle  qui  les  transmet  d  âge  en 
âge.  Dans  quelle  direction  va-t-elle  marcher, 
après  avoir  pris  tant  de  formes  et  chante  tant 
d'objets  différents  '?  Il  semble  qu'elle  aille  vers 
la  science.  Elle  commence  à  en  comprendre  la 
grandeur  et  la  fécondité,  et  c'est  h  ce  contact 
qu'elle  parait  appelée  à  subir  une  nouvelle  et  der- 
nière transformation.  [Eugène  Manuel.] 

POISO.XS.  —  Chimie,  I-XXVII.  —  On  appelle 
communément  poisons  toute  substance  solide, 
liquide  ou  gazeuse,  d'origine  animale,  végétale 
ou  minérale,  qui,  introduite  dans  un  organisme 
vivant,  peut  donner  plus  ou  moins  rapidement  la 
mort,  ou  tout  au  moins  produire  des  désordres 
graves. 

La  toxicologie  est  la  science  qui  étudie  1  action 
des  poisons  sur  l'organisme,  les  remèdes  appro- 
priés h  chacun  d'eux,  et  aussi  la  recherche  scien- 
tifique des  poisons  lorsqu'il  y  a  eu  crime 

Le  Code  pénal  (art.  301)  définit  nmsi  l  empoi- 
sonnement :«  Est  qualifié  ri'empoisonnemen 
tout  attentat  à  la  vie  d'«.ie  personne  par  l  effet- 
de  substances  qui  peuvent  donner  la  mort  plus 
ou  moins  promptement,  de  quelque  manière  que 
ces  substances  aient  été  employées  ou  adminis- 
trées, et  quelles  qu'en  aient  été  les  suites.  » 

Scientifiquement  nous  dirons  que  l'empoison- 
nement est  l'état  général  physiologique  qui  rt- 
sulte  de  l'absorption  d'une  substance  toxique. 

Un  poison  ne  peut  agir  que  lorsqu'il  est  dissous,  ou 
au  moins  soluble  ou  gazeux,  c'est-i-dire  qu  il  doit 
toujours  entrer  en  contact  soit  avec  les  humeurs, 
soit  avec  les  éléments  anatomiques  les  plus  proloti- 
dément  situés.  L'absorption  peut  se  faire  de  ditie- 
rentes  manières  :  1°  par  les  voies  respiratoires  : 
respiration  des  vapeurs  d'oxyde  de  carbone,  dhy- 


POISONS 


—  1635  — 


POISSONS 


drogèno  sulfuré,  d"acide  cyanliydrique,  etc.,  et  en 
général  de  tous  les  gaz  délétères;  2»  par  l'absor- 
ption gastro-intestinale,  c'est-i-dire  par  les  parois 
de  l'estomac  ou  celles  de  l'intestin  ;  3°  par  l'ab- 
eorption  cutanée,  c'est-à-dire  à  travers  la  peau  ; 
■i"  par  l'injection  dans  le  tissu  cellulaire  sous- 
cutané,  c'est-i-dire  à  travers  une  blessure  ou  une 
écorcliure  de  la  peau  ;  et  enlin  5"  par  l'injection 
directe  dans  le  système  circulatoire;  ce  dernier 
mode  est  le  plus  employé  dans  les  expériences 
physiologiques. 

Nous  n'avons  pas  l'intention  de  donner  ici  des 
détails  sur  les  principaux  poisons,  puisque  la  plu- 
part d'entre  eux  ont  trouvé  leur  place  dans  ce 
Dictionnaire  ;  nous  indiquerons  seulement  les  di- 
verses classifications  des  poisons. 

Aujourd'hui,  on  ne  peut  plus,  comme  autrefois, 
considérer  un  poison  comme  une  substance  ayant 
la  propriété  spécifique  de  donner  la  mort.  Scien- 
tifiquement, il  n'y  a  pas  de  poisons,  il  n'y  a  que 
des  corps  produisant  des  actions  chimiques  mo- 
difiant ou  pouvant  modifier  les  éléments  consti- 
tuants des  tissus  organiques.  Telle  substance 
qui,  à  une  certaine  dose,  est  un  poison,  devient 
un  remède  h  une  autre  dose.  Un  poison  devient 
l'antidote  d'un  autre  poison  ;  c'est  ainsi  que  les 
acides  sont  employés  comme  contre-poisons 
dans  l'empoisonnement  par  les  alcalis. 

Au  point  de  vue  de  la  rapidité  de  l'action,  les  poi- 
sons peuvent  être  divisés  en  poisons  aigus  et  poi- 
s  us  lents.  L'acide  prussique  est  un  poison  aigu; 
l'alcool  ordinaire  est  un  poison  lent.  Considérés 
sous  le  rapport  des  symptômes  qu'ils  provoquent, 
les  poisons  se  distinguent  en  :  irritmits,  convul- 
sifs,  paralysants,  narcotiques,  suffocants,  dessé- 
chants, septiques. 

On  divise  aussi  les  poisons,  d'après  leur  origine, 
en  poisons  aitimaux,  végiituur,  et  minéraux. 

Le  célèbre  Orfila  donnait  des  poisons  la  classi- 
fication suivante  : 

/  Phospliore,  iode,  brome  ,cIiIore, 

Minéraux  '"='^'^^'  ^f""'  ^"'="''=-  »°",- 

moine,   et    compusés  métal- 
liques divers. 


Vrortauc  \  ïî^'yone,    coloquiiitc, 
■^        '     (      staphisaigre,  etc. 


Poisons  naucotiqces  . . 


Alcaloïdes  de  l'opium,  acide 
cyanhydrique. 

Scille  et  scillitine,  aconitinc, 
vèratrine,  atropine,  nicotine, 
dit^italine,  strychnine,  cam- 
phre, alcool,  élher,  chloro- 
forme, ergot  de  seigle,  hy- 
drogène phosphore,  oxyde 
de  carbone,  gaz  de  l'éclai- 
rage. 

/  Acide    sulfhydrique ,   gaz    des 
Poisoss  SEPTiQuK^  )       fosses   d'aisances,  venin  des 

i      serpents,  scorpions,  abeilles, 

\       guêpes,  etc. 

Le  docteur  Rabuteau,  fort  compétent  en  ces 
matières,  donne  dans  son  excellent  Traité  de  toxi- 
cologie une  nouvelle  classification  des  poisons, 
plus  scientifique  que  les  précédentes,  en  ce 
qu'elle  repose  sur  les  efi'ets  que  produisent  les 
substances  toxiques  dans  les  tissus  organiques. 

Il  distingue  :  les  poisons  Itémaliques,  qui  agis- 
sent sur  les  globules  du  sang  :  tels  sont  l'oxyde 
de  carbone,  l'acide  prussique,  le  phosphore,  l'ar- 
senic, les  vapeurs  nitreuses  et  les  sels  métalli- 
ques en  général. 

Les  neui'otiques,  qui  agissent  sur  le  système 
nerveux  :  le  curare,  la  strychnine,  l'oxygène  com- 


primé,   les   cantharides,   le  chloroforme,  l'éther, 
l'opium. 

Les  névro-musculaires  :  la  digitale,  le  tabac. 

Les  musculaires  :  l'acide  carbonique,  la  vèra- 
trine, les  sols  de  cuivre,  de  zinc,  d'étain,  de 
plomb,  de  mercure. 

Les  irrilaiits  corrosifs  :  les  acides  Gulfurique, 
azotique,  chlorliydrique,  oxalique  ;  la  potasse,  la 
soude,  l'iode,  le  chlore.        [Alfred  Jacquemart.] 

l'OlSSONS.—  Zoologie,  \XI,  XXII.  —  Dans  l'em- 
branchement des  Vertébrés,  les  Poissons  occupent 
Ji  juste  titre  un  rang  tout  à  fait  inférieur.  Par 
certains  traits  de  leur  organisation  et  de  leur  dé- 
veloppement, ils  se  rattachent  aux  Batraciens, 
avec  lesquels  ils  sont  généralement  réunis  dans 
les  classifications  récentes  sous  le  nom  d'Anallan- 
toidiens,  par  opposition  aux  vertébrés  supérieurs, 
les  Mammifères,  les  Oiseaux,  les  Reptiles,  qui 
sont  des  Allantoidiens.  Il  existe  toutefois  entre  les 
Batraciens  et  les  Poissons  de  notables  dift'érences, 
non  seulement  au  point  de  vue  de  la  structure 
intime,  mais  encore  du  régime  et  des  mœurs.  Les 
Batraciens  en  effet  sont,  pour  la  plupart,  organisés 
en  vue  d'une  existence  amphibie  ;  les  Poissons,  au 
contraire,  sont  des  animaux  essentiellement  aqua- 
tiques h  toutes  les  périodes  de  leur  existence. 

Caractères  généraux.  —  Le  milieu  pour  lequel 
ils  sont  faits  a  imprimé  chez  les  poissons  un  ca- 
ractère tout  particulier  à  l'organisme;  chez  eux  les 
appareils  de  la  circulation,  de  la  respiration  et  de 
la  locomotion  sont  profondément  modifiés. 

Tandis  que  chez  les  vertébrés  supérieurs  il 
existe  en  réalité  deux  cœurs  accolés  l'un  à  l'autre, 
l'un  droit,  ou  veineux,  l'autre  gauche,  ou  arté- 
riel, cœurs  qui,  du  reste,  au  point  de  vue  physio- 
logique, se  fusionnent  plus  ou  moins  chez  les 
reptiles;  chez  les  poissons,  au  contraire,  le  cœur 
droit,  c'est-à-dire  la  partie  du  cœur  qui  reçoit  le 
sang  venant  des  veines,  est  seul  développé  ;  le 
sang  se  rend,  en  effet,  directement  dans  l'organe 
central  de  la  circulation  avant  d'avoir  subi  l'in- 
fluence vivifiante  de  l'air  ;  en  parcourant  le  cercle 
circulatoire,  il  ne  traverse  qu'une  seule  fois  le 
cœur,  et  cela  à  l'état  de  sang  veineux. 

De  ce  que  nous  venons  de  dire,  il  résulte  que 
le  cœur  des  poissons  ne  présente  que  deux  cavi- 
tés, une  oreillette  dans  laquelle  se  déverso  le 
sang  revenu  de  toutes  les  parties  du  corps  dans 
un  vaisseau  connu  sous  le  nom  de  sinus  de  Cu- 
vier,  et  un  ventricule  placé  derrière  l'oreillette 
et  donnant  naissance  à  une  artère  dont  la  base  est 
renflée  et  contractile,  parfois  même  garnie  de 
valvules  ou  replis  membraneux  empêchant  le  re- 
tour du  liquide  sanguin.  Cette  artère  se  divise 
tout  de  suite  en  branches  latérales  qui  se  rendent 
dans  les  branchies  ou  organes  de  la  respiration, 
et  se  réunissent  ensuite  pour  former  une  grande 
artère  ;  véritable  aorte  au  point  de  vue  physiolo- 
gique, cette  artère,  qui  est  située  le  long  de  la 
colonne  vertébrale,  donne  naissance  aux  divers 
vaisseaux  du  corps.  Il  faut,  du  reste,  faire  remar- 
quer que  tout  le  sang  veineux  ne  se  jette  pas  direc- 
tement dans  le  sinus  de  Cuvier  ;  le  sang  qui  vient 
des  intestins  et  de  quelques  viscères  passe  par 
les  reins  et  le  foie  ;  les  veines  qui  le  contiennent 
forment  dans  ces  organes  des  réseaux  d'épuration 
très  compliqués  connus  sous  le  nom  de  systèmes 
portes.  Quant  au  cœur  lui-môme,  il  est  placé  sous 
la  gorge,  un  peu  plus  reculé  cependant  chez  les 
Apodes  ou  Anguilles.  Les  globules  du  sang  ont 
une  forme  elliptique. 

Chez  les  animaux  qui  vivent  dans  l'air,  le  gaz 
vivifiant  se  rend  au-devant  du  sang,  et  la  respiration 
se  fait  dans  des  cavités  connues  sous  le  nom  de 
poumons;  chez  les  êtres  dont  la  vie  est  exclusive- 
ment aquatique,  le  sang  va  au-devant  do  l'air  et 
la  respiration  a  lieu  à  la  surface  de  petites  lamelles 
que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  branchies.  Chez 


POISSONS 


—  1636 


POISSONS 


les  poissons,  l'eau  nécessaire  à  la  respiration  entre 
dans  la  bouclie  et,  par  un  mouvement  de  dégluti- 
tion, passant  par  les  fentes  que  les  arcs  des  bran- 
chies laissent  entre  eux,  s'échappe  en  dehors  par 
les  ouvertures  des  ouïes. 

Chez  les  poissons  osseux,  ou  poissons  propre- 
ment dits,  l'eau  qui  a  servi  i  la  respiration  se 
rend  dans  une  cavité  commune  et  sort  de  là  par 
une  large  fente  ou  ouïe,  parfois  cependant  par  un 
trou  plus  ou  moins  large.  Chez  les  poissons  car- 
tilagineux (raies,  requins),  l'appareil  respiratoire 
présente  un  caractère  fort  remarquable  :  les  bran- 
chies, au  lieu  d'être  libres  par  leur  bord  externe 
et  comme  suspendues  dans  une  cavité  unique, 
Bont  adhérentes  par  leurs  deux  bords,  de  telle 
soite  qu'il  faut  autant  d'ouvertures  extérieures 
qu'il  y  a  d'intervalles  entre  les  branchies.  11  est 
vrai  que  la  cliimère  ou  roi  des  harengs,  qui  fait 
partie  du  même  groupe,  n'a  qu'une  seule  ouver- 
ture pour  la  sortie  de  l'eau,  mais  cette  disposition, 
qui  rappelle  ce  que  l'on  voit  chez  les  poissons 
osseux,  n'est  qu'apparente;  la  peau  passe  au-de- 
vant des  cinq  fentes  des  branchies,  de  telle  sorte 
qu'au-dessous  d'elle  il  y  a  en  réalité  autant  d'ou- 
vertures qu'il  existe  de  lamelles  respiratoires.  Les 
poissons  tout  à  fait  inférieurs,  ou  lamproies,  ont 
les  organes  de  la  respiration  disposés  en  forme  de 
petits  sacs  ou  bourses,  s'ouvraut  chacun  à  l'exté- 
rieur par  des  ouvertures  distinctes  dont  le  nombre 
peut  être  de  sept. 

La  respiration,  avons-nous  dit,  est  essentielle- 
ment branchiale  chez  tous  les  poissons  ;  aussi 
voit-on  ces  animaux  périr  en  général  rapidement 
lorsqu'ils  sont  retirés  de  l'eau  :  les  feuillets  des 
branchies  s'alîaissant  et  se  desséchant  ne  se  lais- 
sent plus  traverser  par  le  sang,  et  l'asphyxie  arrive 
très  vite.  Chez  quelques  poissons  toutefois  que 
l'on  désigne  sous  le  nom  de  l'haryngiens  labyrin- 
thiformes,  il  existe  une  disposition  très  remar- 
quable qui  permet  à  ces  animaux,  vivant  dans  des 
marais  qui  assèchent  souvent,  de  rester  assez 
longtemps  hors  de  l'eau:  au-dessus  des  branchies 
sont  de  vastes  cellules  dans  lesquelles  l'eau  s'a- 
masse dans  des  organes  spongieux,  pour  de  là 
tomber  goutte  à  goutte  sur  les  lamelles  branchiales 
et  les  maintenir  humides.  Quelques  poissons 
aussi,  et  la  Carpe  en  est  un  exemple,  ne  se  con- 
tentent pas  de  l'oxygène  dissous  dans  l'eau;  ils 
viennent  à  la  surface  prendre  l'air  en  nature  ; 
il  en  est  même,  comme  la  loche  des  étangs,  qui 
convertissent  l'oxygène  de  l'air  en  acide  carbo- 
nique en  le  faisant  passer  au  travers  de  leur  intes- 
tin, de  telle  sorte  que  chez  eux  cet  appareil  sert 
à  une  respiration  supplémentaire. 

Les  organes  de  la  digestion  ne  présentent  rien 
de  bien  remarquable  5i  signaler.  L'estomac  est 
généralement  vaste,  le  foie  grand;  la  longueur  de 
l'intestin  diffère  selon  le  régime,  do  telle  sorte 
que  la  position  de  l'anus  est  très  variable,  cet  ori- 
fice se  trouvant  parfois  sous  la  gorge,  d'autres  fois 
à  la  base  de  la  queue.  Presque  tous  les  poissons 
se  nourrissent  de  proie  vivante  ;  il  n'en  est  que  peu 
qui  vivent  de  matières  végétales.  La  forme,  la 
disposition,  le  nombre  des  dents  varient  beaucoup  ; 
elles  sont  tantôt  comprimées,  tranchantes  et  den- 
telées sur  les  bords,  comme  chez  certains  requins, 
tantôt  longues,  aiguës  et  pointues,  comme  chez  les 
Sphyrénos,  tantôt  en  pavés,  ainsi  qu'on  le  remarque 
chez  les  Daurades,  tantôt  en  soies  fines  et  flexibles, 
comme  chez  certains  Squammipennes.  Les  dents 
peuvent  se  trouver  sur  toutes  les  pièces  qui  com- 
posent le  palais  et  l'arrière-bouche  ;  elles  existent 
souvent  sur  les  os  pharyngiens  qui  entourent  l'en- 
trée de  l'œsophage.  Une  disposition  toute  parti- 
culière de  l'ouverture  buccale  existe  chez  des 
poissons  inférieurs,  les  Lamproies;  la  bouche  est 
entourée  d'un  disque  charnu  soutenu  par  des  an- 
neaux cartilagineux  et  armé  de  dents  ;  la  langue, 


également  garnie  de  dents,  peut  se  mouvoir  à  U 
manière  d'un  piston,  de  telle  sorte  que  cet  appa- 
reil sert  de  ventouse. 

La  cavité  du  crâne,  bien  que  petite,  n'est  cepen- 
dant pas  remplie  en  entier  par  la  masse  cérébrale  ; 
entre  elle  et  les  os  existe  un  amas  de  matière 
grasse  et  spongieuse.  Les  lobes  qui  forment  l'en- 
céphale sont  disposés  en  double  chapelet  les  uns 
derrière  les  autres;  on  y  distingue  d'avant  en 
arrière  des  lobes  olfactifs,  souvent  très  développés, 
des  hémisphères  cérébraux,  des  lobes  optiques, 
un  cervelet  et  une  série  de  petits  tubercules 
appartenant  à  l'origine  de  la  moelle  allongée. 
Celle-ci  ne  présente  rien  de  particulier  à  signaler; 
sa  structure  et  sa  disposition  générale  sont  ce  que 
l'on  voit  chez  tous  les  Vertébrés. 

Par  suite  du  milieu  dans  leijuel  ils  vivent,  les 
poissons  ont  le  cristallin  volumineux  et  sphérique; 
la  cornée  est  presque  plane,  la  pupille  très  large 
et  peu  contractile  ;  les  yeux  sont,  en  général, 
grands  et  peu  mobiles;  il  n'existe  ni  paupières,  ni 
appareil  lacrymal.  Chez  quelques  poissons  que  l'on 
connaît  sous  le  nom  de  Pleuronectes  (soles,  plies, 
turbots),  les  yeux  ne  sont  pas  placés,  comme  d'or- 
dinaire, des  deux  côtés  de  la  tête;  ils  sont  situés 
tous  deux  du  même  côté,  et  cette  disposition  coïn- 
cide avec  un  défaut  de  symétrie  dans  d'autres  par- 
ties du  corps;  il  est,  du  reste,  à  remarquer  que 
chez  les  très  jeunes  Pleuronectes  les  yeux  sont 
symétriques. 

L'oreille  externe  et  l'oreille  moyenne  font  dé- 
faut, l'oreille  étant  tout  entière  logée  dans  la 
cavité  du  crâne,  directement  sur  les  côtés  du 
cerveau;  elle  se  compose  d'un  vestibule  surmonté 
de  trois  canaux  semi-circulaires;  l'on  y  trouve  des 
concrétions  parfois  volumineuses,  nommées  oto- 
lithes,  sur  lesquelles  se  terminent  des  filets  du 
nerf  auditif,  concrétions  qui  servent  à  renforcer 
les  sons.  Le  goût  est  presque  nul,  l'odorat  étant, 
au  contraire,  le  plus  souvent  développé.  L'appa- 
reil de  l'odorat  n'est  pas  disposé,  en  général,  de 
façon  h  ce  que  l'eau  servant  h  la  respiration  puisse 
le  traverser;  les  fosses  nasales  consistent,  en  effet, 
en  deux  cavités  se  terminant  en  cul-de-sac. 

Par  la  nature  môme  des  téguments,  le  tact  est 
très  obtus;  la  peau  est,  en  effet,  presque  toujours 
protégée  par  des  écailles;  chez  les  raies  ei  les 
squales,  les  scutelles  ou  les  boucles  qui  garnissent 
la  peau  ont  la  structure  des  dents.  Ce  n'est  guère 
qu'au  moyen  des  lèvres  que  les  poissons  peuvent 
exercer  le  sens  du  toucher  ;  chez  certains  d'entre 
eux  existent  autour  de  la  bouche  ou  sur  différents 
points  du  corps  des  appendices  qui  servent  au 
tact;  tels  sont  les  barbillons  de  la  loche,  du 
rouget,  des  silures,  du  barbeau,  les  filaments 
pêcheurs  de  la  baudroie,  les  lambeaux  charnus  des 
rascasses,  les  doigts  des  trigles  ou  grondins.  Les 
écailles  spéciales  qui  garnissent  une  partie  des 
flancs  et  que  l'on  connaît  sous  le  nom  de  ligne  la- 
térale sont  en  rapport  avec  le  sens  du  toucher 

C'est  sous  l'influence  directe  du  systèn»:  ner- 
veux que  se  trouvent  ces  curieux  apr^iceils  élec- 
triques qui  existent  chez  quelques  espèces.  Le 
mieux  connu  de  ces  apr^'e'ls  est  celui  do  la  tor- 
pille, poisson  qui  ressemble  beaucoup  aux  raies, 
à  cela  près  que  son  corps,  de  forme  sensiblement 
circulaire,  est  absolument  lisse.  L'appareil,  logé  h 
la  partie  antérieure  du  corps,  de  cliaque  côté  du 
cerveau,  consiste  en  une  multitude  de  tubes  ver- 
ticaux, disposés  comme  des  rayons  d'abeilles  et 
cloisonnés  en  une  série  de  petites  cellules  rem- 
plies d'un  liquide  gélatineux;  cet  appareil  reçoit 
quelques  branches  très  grosses  d'un  nerf  partant 
de  l'origine  de  la  moelle  allongée  et  connu  sous  le 
nom  de  pneumogastrique,  ce  nerf  se  rendant  au 
cœur,  aux  poumons  et  à  une  partie  de  l'appareil 
digestif.  L'électricité  développée  dans  ces  appareils 
occasionne  non  seulement  de  violentes  secousses- 


POISSONS 


—  1637  — 


POISSONS 


;i  ceux  qui  saisissent,  l'animal,  mais  produit  encore 
tous  les  olTc  is  résultant  du  dégagement  de  l'élec- 
tricité dans  nos  appareils  de  physique.  Gliez  nos 
i-aios  communes  un  appareil  électrique,  mais  de 
faible  puissance,  existe  de  chaque  côté  de  la 
queue.  Entre  la  peau  des  flancs  et  les  muscles 
sous-jaconts  se  trouve,  cliez  un  poisson  du  Nil  et 
du  Sénégal,  le  malaptérure,  un  tissu  particulier 
qui  a  la  propriété  de  donner  des  commotions  d'une 
grande  énergie.  L'anguille  électrique  ou  gymnote, 
qui  habite  l'Amérique  du  Sud,  et  principalement 
les  mares  que  l'on  rencontre  dans  les  plaines  qui 
sont  situées  entre  la  Cordillère  et  l'Orénoque, 
possède  au  plus  haut  degré  la  propriété  de  pro- 
duire de  l'électricité,  les  commotions  suffisant  à 
abattre  un  homme  et  même  un  cheval;  l'appareil 
règne  tout  le  long  du  dos  et  de  la  queue;  il  con- 
siste en  quatre  faisceaux  composés  d'un  grand 
nombre  de  lames  membraneuses  très  rapprochées 
et  unies  par  une  multitude  de  petites  lamelles  pla- 
cées de  champ;  ces  petites  cellules  sont  remplies 
d'une  matière  gélatineuse;  tout  l'appareil  reçoit  de 
gros  filets  nerveux. 

Chez  les  poissons,  les  appareils  de  la  locomotion 
sont  profondément  modifiés  et  transformés  en 
nageoires,  situées  les  unes  sur  la  ligne  médiane 
du  dos  et  du  ventre,  et  par  conséquent  impaires, 
les  autres,  paires,  placées  sur  le  côté;  ces  der- 
nières, qtii  représentent  les  membres  des  verté- 
brés supérieurs,  sont  les  unes  insérées  latéralement 
derrière  la  tête  (nageoires  pectorales),  les  autres 
attachées  sur  la  ligne  du  ventre  (nageoires  ven- 
trales). Ces  dernières  nageoires,  qui  manquent 
chez  les  anguilles  et  chez  quelques  autres  pois- 
sons, peuvent  s'insérer  plus  ou  moins  en  avant  et 
en  arrière,  depuis  le  dessous  de  la  gorge  jusqu'à 
l'origine  de  la  queue.  Les  nageoires  impaires  oc- 
cupent, ainsi  que  nous  l'avons  dit,  la  ligne  mé- 
diane du  corps;  on  les  désigne  sous  le  nom  de 
nageoire  caudale,  de  nageoire  anale,  de  nageoires 
dorsales,  suivant  qu'elles  se  trouvent  à  l'extré- 
mité du  corps,  sous  la  queue  ou  sur  le  dos.  La  na- 
geoire caudale,  qui  agit  ii  la  manière  d'une  hélice, 
est  le  principal  agent  de  la  locomotion;  c'est,  en 
effet,  en  frappant  latéralement  l'eau  par  des  mou- 
vements alternatifs  de  la  queue  et  du  tronc  que  se 
meuvent  les  poissons  ;  aussi  les  muscles  destinés  à 
flécliir  la  colonne  vertébrale  sont-ils  très  dévelop- 
pés. Les  nageoires  latérales  (pectorales  et  ventrales) 
servent  surtout  à  maintenir  l'animal  en  équilibre; 
les  autres  nageoires  remplissent  le  rôle  de  gou- 
vernail, en  dirigeant  le  poisson  dans  sa  course.  Il 
existe,  du  reste,  le  long  et  en  dessous  de  l'épine 
dorsale,  une  sorte  de  poche  membraneuse  remplie 
de  gaz  et  connue  sous  le  nom  de  vessie  natatoire  ; 
cette  vessie  communique  souvent,  soit  avec  l'ar- 
rière-bouche,  soit  avec  l'estomac  au  moyen  d'un 
canal  par  lequel,  lors  de  la  compression  de  la 
poche,  le  gaz  en  excès  peut  s'échapper,  de  telle 
sorte  que,  suivant  le  volume  qu'elle  occupe,  le 
poids  spécifique  du  poisson  est  égal,  supérieur  ou 
inférieur  à  la  densité  du  liquide  ambiant,  et 
lait  qu'ainsi  l'animal  reste  en  équilibre,  descend 
ou  monte.  Cette  vessie  manque  presque  toujours 
chez  les  animaux  qui  vivent  au  fond  de  l'eau,  en- 
fouis dans  la  vase,  tels  que  les  anguilles,  les  soles, 
les  raies.  Chez  certains  poissons  qui  ont  été  au- 
trefois rangés  parmi  les  Batraciens  et  que  l'on 
désigne  dans  les  classifications  actuelles  sous  le 
nom  de  Dipnés,  ce  qui  veut  dire  deux  respirations, 
la  vessie  natatoire,  très  développée,  est  parcourue 
par  de  nombreuses  brides,  formant  des  cellules 
sur  les  parois  desquelles  se  rendent  des  vaisseaux 
sanguins,  de  telle  sorte  que  le  rôle  physiologique 
do  cette  vessie  est  celui  d'un  véritable  poumon. 

Certaines  nageoires  sont  modifiées  au  point  de 
vue  de  la  forme  et  de  la  fonction.  Chez  quelques 
■espèces,  et  le  poisson  volant  en  est  un  exemple, 


les  pectorales  atteignent  un  développement  tel 
que  l'animal  peut  s'en  servir  comme  d'une  ailo 
lorsqu'il  s'élance  hors  de  l'eau;  chez  ceux  qui  habi- 
tent les  eaux  torrentueuses,  les  nageoires  du  ven- 
tre se  réunissent  pour  former  un  organe  d'adhé- 
rence; chez  d'autres,  à  certains  moments  de  l'an- 
née, la  nageoire  anale  ou  les  ventrales  forment  une 
sorte  de  poche  dans  laquelle  sont  déposés  les  œufs. 
La  modification  la  plus  curieuse  est  celle  que  pré- 
sente la  première  dorsale  chez  certains  pois- 
sons du  groupe  des  Scombéroïdes,  que  l'on  con- 
naît sous  le  nom  d'échéneis  ou  rémoras;  l'on 
remarque  chez  eux  un  disque  aplati  composé  de 
lames  cartilagineuses  mobiles  et  situé  sur  le 
dessus  de  la  tête  ;  grâce  à  ce  disque,  les  rémoras 
ont  la  faculté  d'adhérer  fortement  aux  corps 
étrangers. 

Le  squelette  des  poissons  diffère  essentiellement 
de  celui  des  Vertébrés  supérieurs  en  ce  qu'il  con- 
tient rarement  l'élément  fondamental  du  tissu  os- 
seux ou  osiéoplaste;  il  est  formé  plutôt  de  carti- 
lage endurci  par  des  sels  calcaires  que  par  de  l'os 
véritable,  bien  qu'il  puisse  acquérir  une  grande 
dureté;  beaucoup  d'os,  ceux  de  la  tête  surtout, 
sont  du  reste  bien  manifestement  des  endurcis- 
sements de  certaines  parties  de  la  peau.  Chez  les 
poissons  dits  à  cause  de  ce  fait  poissons  cartila- 
gineux, le  squelette  reste  à  l'état  fibro-cartilagi- 
neux  ou  cartilagineux,  la  matière  calcaire  ne  se 
déposant  que  par  petits  grains  isolés.  Chez  cer- 
taines lamproies,  le  squelette  demeure  complète- 
ment membraneux.  Quant  aux  os  des  membres, 
ils  ne  présentent  pas  de  cavité  intérieure  ou  canal 
de  la  moelle,  même  chez  les  poissons  dits  osseux. 

Dans  le  squelette  nous  avons  à  considérer  la 
colonne  vertébrale,  la  tête  à  laquelle  est  joint  un 
appareil  fort  compliqué  servant  i  la  respiration 
[appareil  hyoïdien),  et  les  membres. 

La  colonne  vertébrale  ne  comprend  que  deux 
parties  distinctes,  le  tronc  et  la  queue.  Les  vertè- 
bres elles-mêmes  sontplus  ou  moins  aplaties  dansle 
sens  longitudinal  et  creusées  en  arrière  et  en  avant 
d'une  cavité  conique,  de  telle  sorte  qu'elles  sont 
biconcaves  ;  le  double  cône  qui  résulte  de  la  juxta- 
position de  deux  vertèbres  est  rempli  par  une 
matière  semi-gélatineuse  renfermant  les  éléments 
essentiels  du  cartilage.  La  moelle  épinière  est 
protégée  par  des  séries  d'apophyses  épineuses  ; 
dans  la  région  caudale  l'on  voit  à  la  face  inférieure 
des  vertèbres  une  série  d'apophyses  semblables 
aux  apophyses  supérieures  et  renfermant  les  gros 
vaisseaux.  Les  côtes  existent  en  général  et  encei- 
gnent  souvent  tout  l'abdomen.  L'on  trouve,  enfin, 
sur  la  ligne  médiane  du  corps,  un  certain  nombre 
d'osselets  dits  inter-épineux  qui  supportent  les 
nageoires  impaires. 

La  structure  de  la  tète  est  fort  compliquée  et 
comporte  un  grand  nombre  d'os.  La  portion  fon- 
damentale est  constituée  par  une  sorte  de  pyra- 
mide à  trois  pans  dont  le  sommet  est  dirigé  en 
avant  ;  la  partie  postérieure  de  cette  boîte  osseuse 
protège  le  cerveau  et  l'organe  de  l'audition,  la 
partie  moyenne  est  évidée  pour  contenir  les  yeux; 
l'on  remarque  en  avant  les  fossettes  appartenant 
à  l'appareil  de  l'olfaction  et  une  sorte  de  renfle- 
ment servant  i  la  suspension  de  la  mâchoire  su- 
périeure ;  cette  pyramide  est  formée  par  les  occi- 
pitaux, les  temporaux,  le  sphénoïde,  les  pariétavix, 
les  frontaux,  l'ethmoide  et  le  vomer.  La  mâchoire 
supérieure  elle-même  se  compose,  de  chaque 
côté,  d'un  os  intermaxillaire  placé  sur  la  ligne 
médiane  et  d'un  maxillaire  ;  ces  os  sont  plus  ou 
moins  développés  ;  chez  certains  poissons  ils  sont 
fixés  de  manière  Ji  rester  immobiles.  Une  série  do 
pièces  osseuses  forme  une  chaîne  qui  complète 
en  bas  le  cadre  de  l'orbite;  l'appareil  des  pièces 
de  l'opercule  protège  les  ouïes  et  s'ouvre  ou  se 
ferme,  selon  que  l'exige  le  mouvement  de  l'eau 


.POISSONS 


—  1638 


POLARISATION 


qui  sert  à  la  respiration;  cet  appareil  se  réunit  en 
arrière  à  une  sorte  de  cloison  verticale  séparant 
les  orbites  et  les  joues  de  la  bouche.  Enfin,  en 
dedans  de  ces  cloisons  et  tout  au  fond  de  la  bou- 
che, existe  un  appareil  servant  à  l'insertion  des 
ouïes  ;  à  cet  appareil  sont  annexés  des  os  dits  pha- 
ryngiens, portant  le  plus  souvent  des  dents  qui 
exercent  une  seconde  mastication,  parfois  plus 
puissante  que  celle  qui  s'est  opérée  dans  la  bouche. 
Le  membre  antéi'ieur,  ou  pectoral,  se  compose 
de  petits  osselels  aplatis  qui  portent  les  rayons 
et  qui  continuent  deux  os  aplatis  regardés  comme 
les  analogues  de  l'avant-bras  ;  ces  deux  os  sont 
eux-mêmes  portés  par  une  ceinture  osseuse,  pla- 
cée derrière  les  ouïes  et  sur  laquelle  l'appareil  de 
l'opercule  s'applique  comme  sur  un  chambranle. 
Le  membre  postérieur,  moins  compliqué,  ne  se 
compose  que  d'uu  seul  os  qui  supporte  les  rayons. 
Les  poissons  se  reproduisent  presque  tous  au 
moyen  d'œufs  ;  certains  d'entre  eux  toutefois  font 
leurs  petits  vivants.  Loin  d'abandonner  les  œufs 
au  hasard,  ainsi  qu'on  le  croyait  jusqu'en  ces  der- 
niers temps,  beaucoup  d'espèces  construisent  des 
nids  et  prodiguent  les  soins  les  plus  assidus  à 
leur  progéniture. 

L'on  sait  que  certains  poissons  passent  une 
partie  de  leur  existence  dans  la  mer  et  se  réu- 
nissent en  troupes  nombreuses  pour,  à  une  épo- 
que donnée,  remonter  les  rivières  ;  tels  sont  les 
saumons. 

D'antres,  comme  les  harengs,  émigrent  et  re- 
viennent i  époque  fixe  en  bandes  pressées.  Les 
sardines,  les  maquereaux,  les  thons,  les  anchois 
sont  aussi  des  poissons  de  passage  qui  visitent 
périodiquement  nos  côtes  et  y  donnent  lieu  il  des 
pêches  fort  importantes. 

ClassiJioation.  —  Les  Poissons  forment  une  des 
classes  les  plus  nombreuses  parmi  les  Vertébrés 
(on  en  connaît  actuellement  près  de  10  000  es- 
pèces). Ils  se  divisent  en  six  sous-classes  :  les 
Cartilagineux,  les  Ganoïdes,  les  Dipnés,  les  Té- 
léostéens,  les  Marsipobranches  et  les  Leptocardes. 

Les  CartilafiineiLc  sont  les  plus  élevés  des 
poissons  en  organisation;  chez  eux  les  branchies 
sont  fixes,  les  mâchoires  mobiles  et  disposées  pour 
la  mastication.  On  y  range  les  Squales  (requins, 
squales  proprement  dits,  marteaux,  etc.),  les 
Raies  (raies  proprement  dites,  torpilles,  anges, 
raies  armées),  les  Cliimères  (roi  des  harengs). 

Les  Ganoïdes,  qui  aux  époques  anciennes  ont 
régné  en  maîtres,  ne  sont  plus  représentés  que 
par  les  Esturgeons  et  par  quelques  poissons  des 
eaux  douces  d'Afrique  jpolyptère;  et  de  l'Amérique 
du  i\ord  l'Iepisostée,  amia)  ;  le  Polyodon,  ou 
Poisson  spatule  ,  prend  également  place  dans 
cette  sous-classe.  La  disposition  de  diverses  parties 
de  leur  cerveau  et  du  coeur  les  distingue  des 
Poissons  cartilagineux,  avec  lesquels  ils  ont  été 
d'abord  confondus. 

Placés  jusque  dans  ces  derniers  temps  avec 
certains  Batraciens,  les  Dipnés  sont  aujourd'hui 
universellement  rangés  parmi  les  Poissons.  Le 
nom  de  Dipnés,  qui  veut  dire  deux  souffles,  vient 
de  ce  que  ces  poi--son3  sont  organisés  pour  vivre 
dans  l'eau  et  dans  l'air,  ainsi  que  nous  l'avons 
déjà  dit  ;  en  effet,  leur  vessie  natatoire  peut  rem- 
plir le  rôle  de  poumon.  Lorsque  les  marécages 
dans  lesquels  ils  vivent  viennent  à  se  dessécher, 
ils  s'enterrent  dans  un  cocon.  Leur  squelette  est 
en  partie  cartilagineux  et  en  partie  osseux.  Trois 
poissons  seulement  rentrent  dans  ce  sous-ordre, 
le  lépidosiren,  qui  vit  au  Brésil,  le  protoptère  de 
la  Cote  ouest  d'Afrique,  et  le  cératodus  d'Austra- 
lie. 

La  sous-classe  des  Téléostéens  ou  Poissons 
osseux  est  de  beaucoup  la  plus  importante,  tant 
par  le  nombre  des  espèces  qu'elle  renferme  que 
par  l'utilité  des  produit:-,  qu'elle  fournit.  Ou  peut 


la  diviser  en  six  ordres  :  1"  les  Acanihopiérygiens, 
chez  lesquels  la  première  nageoire  du  dos  est 
soutenue  par  des  rayons  osseux  (perche,  maque- 
reau, sole);  2°  les  Malacoptérygiens  ahclominaux, 
qui  n'ont  pas  de  première  dorsale  épineuse  et  chez 
lesquels  les  nageoires  du  ventre  sont  situées  en 
arrière  des  nageoires  pectorales  et  non  attachées 
aux  os  de  l'épaule  (carpe,  brochet,  hareng, 
truite)  ;  3°  les  Malncoplén/ijiens  sublrackiens, 
qui  ont  les  nageoires  ventrales  placées  sous  les 
pectorales  et  suspendues  aux  os  de  l'épaule  (mo- 
rue, merlan);  4°  les  Mnlacnpth-ygiens  apodes, 
caractcrir.és  par  leur  forme  allongée  et  le  manque 
de  nageoire  ventrale  (anguille,  congre,  gymnote 
électrique)  ;  5"  les  Lophohranches,  qui  ont  les 
branchies  divisées  en  petites  houppes  rangées  par 
paires  le  long  des  arcs  branchiaux  (chevaux  ma- 
rins, syngnathes)  ;  6°  les  Plectoç/nutlies,  qui  se 
reconnaissent  à  la  conformation  dé  leur  bouche, 
la  mâchoire  supérieure,  au  lieu  d'être  mobile,  étant 
soudée  au  crâne  (coffres,  orbes  épineux.) 

La  sous-classe  dos  Cyclostomes  ou  Marsipo- 
hranclii's  est  caractérisée  par  la  conformation  toute 
particulière  de  la  bouche,  disposée  pour  la  succion. 
Le  squelette,  fort  imparfait,  est  souvent  membra- 
neux: le  système  nerveux  est  très  dégradé;  les 
branchies  ont  la  forme  de  petites  bourses.  Les 
lamproies  appartiennent  à  ce  groupe. 

L'on  a  récemment  formé  la  sous-classe  des 
Leptocardes  pour  un  très  petit  poisson,  l'amphio- 
xus,  qui  appartient  certainement  h  l'embranche- 
ment des  Vertébrés,  mais  qui  manque  des  carac- 
tères les  plus  remarquables  de  cet  embranchement. 
Le  squelette  n'est  composé  que  d'une  tige  carti- 
lagineuse, sans  qu'il  y  ait  de  crâne  proprement 
dit;  le  cerveau  n'est  représenté  que  par  un  léger 
renflement  de  la  moelle  épinière  ;  il  n'existe  pas 
de  coeur.  L'amphioxus  vit  le  long  des  côtes  ouest 
de  l'Europe.  [E.  Sauvage.] 

POLARISATION.  —  Physique,  XXXIL  —  Quand 
un  rayon  de  lumière  rencontre  un  corps  transpa- 
rent à  surface  polie,  il  est  en  partie  réfléchi  et  en 
partie  réfracté.  Si  le  corps  transparent  est  urt 
cristal  de  spath  d'Islande,  jouissant  de  la  propriété 
de  la  double  réfraction,  le  rayon  primitif  se  par- 
tage en  deux  rayons  qui  diffèrent  l'un  de  l'autre 
comme  aussi  du  rayon  primitif.  Voili  les  phéno- 
mènes qne  l'on  constate  habituellement.  Mais  dans 
certaines  circonstances,  sous  des  inclinaisons  di- 
verses, la  lumière  la  plus  vive  devient  incapable  de 
traverser  le  milieu  le  plus  transparent  ou  de  se 
refléchir  sur  la  surface  la  mieux  polie  :  elle  est 
difi'érente  de  la  lumière  naturelle,  puisqu'elle  pa- 
rait ne  plus  obéir  dans  sa  marche  aux  lois  simples 
de  la  réflexion  et  de  la  réfraction  ;  elle  a  acquis  des 
propriétés  nouvelles:  on  dit  qu'elle  m  polarisée. 
C'est  sur  les  rayons  lumineux  ayant  traversé  un 
milieu  biréfringent  qu'il  est  le  plus  facile  de  con- 
stater la  transformation  do  la  lumière  sous  l'effet 
de  la  polarisation.  Que  l'on  prenne  un  premier 
cristal  de  spati]  placé  sur  le  trajet  d'un  rayon  so- 
laire, on  obtient  sur  un  écran  h  distance  dcus 
images  distinctes.  Si  l'on  place  sur  le  trajet  de 
ces  deux  rayons  un  second  cristal  de  epath  seni- 
blable  au  premier,  chacun  des  deux  rayons  se  dé- 
doublera à  son  tour  et  il  y  aura  quatre  images  au 
lieu  de  deux.  Jusque-là,  il  n'y  a  rien  d'imprévu  dans 
l'expérience.  Mais  si,  laissant  au  repos  un  des  deux 
cristaux,  on  fait  tourner  l'autre  sur  lui-même,  on 
voit  aussitôt  deux  des  images  s'affaiblir  graduel- 
lement, puis  s'éteindre  et  disparaître  entière- 
ment. On  en  conclut  que  les  deux  rayons  lumineux 
sortis  d'un  premier  spath  ne  se  comportent  plus, 
par  rapport  à  un  second,  comme  la  lumière  natu- 
relle, puisque  tantôt  ils  traversent  libi-ement  ce 
dernier,  tantôt  ils  refusent  de  se  transmettre  et 
cela  suivant  l'orientation  des  deux  cristaux. 
On  peut  tailler  un  morceau  de  spath    en  forme 


POLARISATION 


—  1639 


POLOGNE 


do  piisme  de  manière  qu'une  dos  deux  imagos  I  Polaris/.Uon  rotaloire.  —Vn  certain  nombre  de 
auxquelles  il  donne  naissance  puisse  seule  le  tra-  substances  jouissent  de  la  propriété  de  faire  tour- 
verser,  la  seconde   étant  éliminée  du  cliamp  de  la    ner  le  plan  de  polarisation.  Le  quartz  est  la  pré; 

•- .    .     -  1  „^ii\[.g   guf   laquelle  on  ait  constate  le  fait.  Voici 

l'expérience  qui  donne  une  idée  simple  de  ce  phé- 
nomène. On  reçoit  sur  un  prisme  de  Nicol  un 
rayon  de  lumière  monochromatique  et  polarisée, 
on  fait  tourner  le  prisme  analyseur  jusqu'à  l'ex- 
tinction complète  du  rayon  ;  on  sait  alors  que  la 
section  principale  du  prisme  est  parallèle  au  plan 
de  polarisation  de  la  lumière.  Si  alors  on  interpose 
sur  le  trajet  du  rayon  polarisé  une  lame  de  quartz 
taillée  perpendiculairement  à  l'axe  et  épaisse  seu- 
lement d'un  millimètre  ou  deux,  on  reconnaît 
que  le  nicol  n'éteint  plus  le  rayon.  Et,  pour  obtenir 
;\  nouveau  l'extinction,  il  faut  faire  tourner  d'un 
certain  angle  l'analyseur  h  droite  ou  à  gauche  de 
sa  première  position. 

On  admet  alors  que  le  plan  primitif  de  polarisa- 
tion du  rayon  lumineux,  qui  était  parfaitement 
déterminé  par  la  section  du  prisme  analyseur,  a 
tourné,  sous  l'inlluence  du  quartz,  de  l'angle  dont 
on  a  dû  déplacer  1  analyseur  pour  éteindre  de 
nouveau  le  faisceau  transmis. 

Parmi  les  corps,  et  môme  seulement  parmi  les 
divers  échantillons  du  quartz,  les  uns  font  tourner 
adroite  le  plan  de  polarisation;  on  les  nomme  dex- 
trof/!j7-es;\es.  aulres  le  font  tourner  h  gauche,  on 
les  appelle  /;evogyre<. 

L'étude  de  celte  importante  propriété  a  conduit 
Biot  à  une  remarque  intéressante  :  c'est  que  la 
rotation  produite  par  la  même  lame  dépend  de  la 
réfrangibilitô  do  la  source  lumineuse.  Il  s'ensuit 
que, si  l'on  prend  la  lumière  blanche  comme  source, 
et,  comme  analyseur,  un  prisme  de  spath  biréfrin- 
gent, on  obtiendra  deux  images  colorées  complé- 
mentaires, et,  dans  la  rotation  de  l'analyseur, 
aucune  des  deux  ne  s'éteindra  complètement;  mais 
pour  la  position  correspondante  i  l'extinction  que 
produirait  un  nicol,  l'image  aura  une  teinte  gris 
de  lin  facile  h  reconnaître  et  que  l'on  a  appelée 
teinte  sensible,  parce  qu'elle  vire  imiiiédiatement 
au  rouge  ou  au  bleu  pour  la  moindre  rotation  de 
l'analyseur. 

La  plupart  ces  substances  organiques  manifes- 
tent le  pouvoir  rotatolre  :  tels  sont  les  acides,  les 
essences,  l'amidon  et  les  sucres. 
La  détermination  du   pouvoir  rotatoire  des  su- 


vision  par  une  réflexion  totale  ;  le  prisme  est  alors 
en  apparence  dépourvu  de  la  double  réfraction,  et 
seul,  il  semble  se  comporter  comme  un  morceau 
de  verre  ordinaire.  Mais  si  l'on  met  l'un  h  la  suite 
de  l'autre  deux  de  ces  prismes  sur  le  trajet  d'un 
rayon,  la  lumière  transmise  par  le  premier  pourra 
traverser  intégralement  le  second,  comme  aussi 
elle  pourra  être  complètement  éteinte  par  ce  se- 
cond prisme,  qui  deviendra  ainsi,  pour  les  rayons 
qui  le  frappent,  malgré  sa  transparence  apparente, 
aussi  npa(|ue  qu'un  morceau  do  métal  ou  de  bois. 
Dans  ce  cas,  la  lumière  naturelle  a  manifestement 
acquis  par  son  passage  au  travers  du  spath  biré- 
fringent des  propriétés  nouvelles  et  spéciales. 

La  réflexion  et  la  réfraction  simples  peuvent 
aussi  opérer  la  conversion  de  la  lumière  naturelle 
en  lumière  polarisée.  Mais  la  quantité  de  lumière 
ainsi  transformée  dépend  de  la  natur'e  de  la  sur- 
lace réfléchissante  et  de  l'inclinaison  du  rayon  lu- 
mineux. 

Dans  le  cas  d'un  miroir  de  verre  noir  non  étamé, 
on  obtient  le  maximum  d'efi'et  quand  le  rayon  in- 
cident fait  avec  la  surface  un  angle  d'environ  35", 
que  l'on  appelle  angle  do  polarisation  de  la  subs- 
tance. 

Des  rayons  lumineux  qui  nous  arrivent,  il  en  est 
peu  qui  n'aient  subi  une  réflexion  ou  une  réfrac- 
tion simple  ou  double.  Il  faut  donc  s'attendre  à 
retrouver  partout  des  phénomènes  de  polarisation. 
Et  si  l'on  a  été  longtemps  h  les  découvrir,  c'est 
que  l'œil  est  incapable  de  distinguer  directement 
un  rayon  de  lumière  naturelle  d'un  rayon  polarisé. 
Il  lui  faut  pour  cela  des  instruments  spéciaux. 

On  donne  le  nom  de  po/ariseur  à  tout  appareil 
destiné  à  convertir  la  lumière  naturelle  en  lumière 
polarisée.  On  appelle  analyseurs  les  instruments 
servant  à  reconnaître  la  polarisation  soit  partielle, 
soit  totale,  d'un  faisceau  lumineux  et  i  assignr-r  le 
plan  de  polarisation  de  ce  faisceau.  Le  même  ap- 
pareil peut  servir  en  général,  suivant  les  rircons- 
tancesdans  lesquclleson  l'emploie,  ou  de  polariseur 
ou  d'analyseur.  Le  plus  employé  est  le  pfixme  de 
Nicol;  le  plus  simple  est  la  piyice  à  loxinn alinéa. 

La  tourmaline  est  une  substance  naturelle  que 
l'on  trouve  sous  la  forme  de  prismes  à  six  pans 
très  réguliers.  Taillée  en  lame  mince,  elle  est  bi- 
réfringente et  donne  deux  images  des  objets.  Mais 
sous  une  épaisseur  do  quelques  millimètres,  elle 
éteint  l'une  des  deux  images   et  transmet  seule 


une  grande   utilité  au  point  do  vue  indus- 
on  le  trouve   facilement   au  saccliarimètre, 


cres  a 

triel  :  on  _.    -. 

qui  est  fondé  sur  la  polaiisation  ci  i  l'aide  duquel 

on  estime  dans  un  sucre  du  commerce  la  quantité 


ment  l'autre.  Alors  elle  peut  servir  indistinctement    de    sucre  cri^tallisable  qui  y  est  contenue  et  qui 
d'analyseur  ou  de  polariseur,  et  deux  tourmalines    fait  la  valeur  commerciale  du  produit  examine, 
superposées  constituent  un  appareil  complet  de  po-       La  lumière  polarisée  sert  également  au  chimiste 


jperposees  constituent  un  appareil  complet  de  po 
larisation.  On  les  dispose  sur  les  branches  d'une 
pince  à  ressort  dans  des  anneaux  qui  permettent 
de  les  faire  tourner  sur  elles-mêmes.  Lorsque  les 
deux  cristaux  ont  leurs  axes  parallèles,  ils  se  lais- 
sent traverser  par  la  lumière  incidente  comme 
tout  corps  transparent.  Mais  si  l'on  fait  tourner 
l'un  de  manière  il  croiser  leur  section  principale, 
on  produit  une  extinction  complète  du  faisceau 
lumineux.  Le  rayon  qui  a  traversé  la  première 
tourmaline  en  sort  polarisé  dans  un  plan  perpendi- 
culaire i  l'axe  ;  il  ne  peut  traverser  la  seconde  sous 
la  forme  do  rayon  extraordinaire,  le  seul  qu'elle 
puisse  transmettre. 

Une  des  apparences  les  plus  remarquables  dues 
à  la  polarisation  est  celle  que  présentent  les 
lames  très  minces  de  quelques  cristaux,  comme  le 
mica  et  le  gypse.  Si  l'on  place  une  de  ces  lames 
dans  la  pince  à  tourmaline,  elle  y  prend  une  très 
vive  coloration.  Si  à  la  pince  on  substitue  tout 
autre  appareil  de  polarisation  où  l'analyseur  est 
un  prisme  biréfringent,  les  doux  images  obtenues 
possèdent  des  couleurs  complémentaires  dont  on 
fait  varier  l'éclat  on  tournant  le  prisme. 


pour  distinguer  les  modifications  particulières 
d'un  même  corps,  comme  c'est  le  cas  pour  l'acide 
tanrique  ;  elle  est  venue  en  aide  au  minéralogiste 
en  plus  d'un  cas,  non  seulement  pour  lui  fournir 
l'objet  d'observations  intéressantes,  mais  aussi 
pour  lui  permettre  de  sonder  les  mystères  de  la 
constitution  de  la  matière.  [Haraucourt.] 

POLOGNE.  —  Histoire  générale,  XXXIII.  —  On 
désigne  généralement  sous  le  nom  de  Pologne,  bien 
que  l'Etat  qui  porta  ce  nom  depuis  8B0  jusqu'à 
ni)5  n'ait  jamais  possédé  à  la  fois  tout  ce  vaste 
territoire,  le  pays  limité  :  1»  au  nord  par  la  Duna 
du  sud  (Dzwina)  et  la  Baltique  jusqu'à  l'Oder; 
2°  à  l'ouest  par  l'Oder,  une  ligne  de  partage  entre 
les  eaux  de  la  Baltique  et  celles  de  la  mer  du  Nord, 
les  Carpalhes  centrales  et  le  bas  Dniestr  ;  3°  au 
sud  par  la  mer  Noire  jusqu'à  l'embouchure  du 
Dniepr;  4°  à  l'est  par  le  Dniepr  et  une  ligne  de 
partage  entre  les  eaux  de  la  mer  Noire  et  celles  de 
la  mer  Caspienne  et  de  la  mer  d'Azov.  Ce  pays 
était  habité,  depuis  la  dernière  invasion  en  Eu- 
rope de  la  grande  famille  indo-européenne,  c'est- 
à-dire  depuis  une  époque  antéliistorique,  par  des 


POLOGNE 


1640 


POLOGNE 


peuples  de  la  race  vende,  divisés  en  deux  ra- 
meaux, les  Slaves,  et  les  Lettons  ou  Litliuaniens  ; 
les  invasions  des  Sarmates  dans  rantiquité,  des 
Huns  et  des  Avares  au  v'  siècle  de  noire  ère,  n'a- 
vaient fait  que  traverser  ces  régions  sans  y  lais- 
ser de  trace.  Les  Lettons  occupaient  le  littoral  de 
la  Baltique  depuis  l'eraboucliure  de  la  Vistule  jus- 
qu'i  celle  de  la  Duna,  et  habitaient  les  rives  boi- 
sées du  iXiémen  et  de  son  affluent  la  Wilia,  dans 
les  trois  contrées  qui  portent  le  nom  de  Prusse 
proprement  dite,  de  Samogitie  et  de  Litliuanie; 
les  Slaves  vivaient  dans  les  plaines  occidentales 
et  les  steppes  méridionaux  du  reste  du  pays,  et 
formaient,  à  l'époque  où  commence  l'histoire  po- 
sitive de  ces  régions,  deux  nations  de  même  race 
et  presque  de  même  langue  :  les  Polaniens  ou 
Polonais  (pôle,  champ,  plaine)  de  l'ouest,  riverains 
de  la  Vistule  et  de  l'Oder,  et  les  Polaniens  ou 
Polonais  de  l'est,  riverains  du  Dniestr,  du  Bug 
et  du  Dniepr.  C'est  au  milieu  du  ix"  siècle  que 
chacune  de  ces  deux  nations  fut  constituée  poli- 
tiquement et  acquit  droit  de  cité  dans  la  famille 
européenne,  les  Bolonais  de  l'ouest  par  l'avène- 
ment de  la  dynastie  des  Piasts  et  un  siècle  plus 
tard  par  la  conversion  au  christianisme  latin  sous 
Miecislas  I"  (9(i5)  ;  les  Polonais  de  l'est  par  l'inva- 
sion des  Varègues-Normands  (Rouss)  qui  donnè- 
rent au  pays  conquis  par  eux  le  nom  de  Rus  (Ru- 
thénie)  et  furent  convertis  au  christianisme  par 
des  missionnaires  grecs.  La  Litliuanie  ne  devait 
jouer  un  rùle  historique  que  vers  le  xiii''  siècle, 
et  sa  conversion  au  christianisme  ne  remonte 
qu'à  la  fin  du  xiV,  lors  de  sa  réunion  pacifique  avec 
la  Pologne  (1380). 

L'histoire  de  la  Pologne  est  proprement  l'his- 
toire de  la  réunion  en  un  seul  corps  de  nations 
des  trois  peuples  polonais,  russien  et  litliuanien, 
et  de  la  lutte  que  l'élément  slave  et  letton  eut  i 
soutenir,  pendant  neuf  siècles,  d'une  part  contre  le 
germanisme  à  l'ouest,  d'autre  part  contre  les  Tar- 
tares  et  les  Moscovites  à  l'est,  les  autres  luttes 
(contre  les  Turcs  et  les  Suédois)  n'étant  que  des 
épisodes  de  ce  grand  drame,  dont  le  dénoùment 
a  été,  au  moins  provisoirement,  le  triomphe  du 
germanisme  et  de  la  Russie  moscovite  par  les  par- 
tages de  la  Pologne  (1772,  17'J3,  1795). 

Les  Piasts.  La  Pol-gw  conquéi-nnle m(S  kl  139). 
—  Nous  laissons  de  côté  les  légendes  fabuleuses  sur 
les  premiers  temps  de  l'histoire  de  Pologne  et  les 
suppositions  des  historiens  sur  l'origine  de  la  no- 
blesse polonaise  (szlachta,,que  les  uns  font  venir  de 
l'ancienne  Dacie,  les  autres  de  la  Scandinavie,  les 
autres  de  l'Illyrie  et  de  la  Croatie,  sans  que  ce  pro- 
blème ait  pu  encore  £lre  définitivement  résolu. 
Le  premier  chef  dont  l'existence  soit  certaine, 
Ziemowit,  fils  de  Piast,  s'empare  du  pouvoir  vers 
8U(I,  et  ses  deux  successeurs  Leszek  et  Ziemomysl, 
païens  comme  lui,  ajoutent  à  ses  domaines,  com- 
pris entre  la  VVartlia  et  la  Vistule,  le  pays  des 
Mazoviens  et  des  Lentcliitzaniens.  Le  christia- 
nisme s'introduit  secrètement  dès  8G0;  mais  ce 
n'est  qu'en  95S  qu'est  fondé  le  premier  évêché, 
celui  de  Posen  (sur  la  Wartha).  et  ce  n'est  qu'en 
905  que  Miecislas,  fils  de  Ziemomysl,  accepte  avec 
toute  la  nation  le  christianisme  romain,  à  l'insti- 
gation de  sa  femme  Dombrôwka,  princesse  tchè- 
que. Tous  ces  princes  exerçaient  sur  leurs  sujets 
un  pouvoir  absolu  et  luttaient  à  l'extérieur  avec 
des  succès  divers  contre  l'empire  germanique, 
qui,  après  avoir  subjugué  les  Slaves  de  l'Elbe, 
tentait  de  soumettre  à  son  joug  ceux  de  l'Oder 
et  de  la  Vistule. 

Le  fils  de  Miecislas,  Boleslas  surnommé  le  Grand 
ou  le  Vaillant  (992-1025),  est  une  des  figures  les 
plus  curieuses  de  ce  moyen  âge  reculé.  Ce  con- 
temporain de  Hugues  Capet  et  du  roi  Robert,  loin 
de  croire  à  la  fin  du  monde,  semble  vouloir  fonder 
dans  le  Nord  un  monde  nouveau,  un  monde  slave. 


Il  réunit  ïi  ses  domaines  la  Silésie  avec  Breslau 
(Wroclaw) ,  la  Chrobatie  avec  Cracovie  (Krakôw), 
une  partie  de  la  Moravie  et  la  Poméranie  ;  il  pro- 
page dans  ses  Etats  le  christianisme  encore  con- 
testé, fonde  l'archevêché  de  Gnesne  ;iOOO)  et  trois 
autres  évêchés  ;  lutte  contre  tous  ses  voisins,  con- 
quiert la  Bohême  sans  pouvoir  la  garder,  bat  les 
Allemands,  qui  dans  leurs  chroniques  l'appellent  »  le 
Uon  dévorant  »  (Dietmar  de  Merseburg),  s'empare 
de  la  Lusace,  plante  les  poteaux-frontières  de  la 
Pologne  dans  l'Elbe  et  la  Saale;  puis,  assuré  à 
l'ouest,  va  faire  sentir  aux  Russiens  de  Kiev  le 
poids  de  son  glaive  (1018),  et  mérite  par  ses  ex- 
ploits le  titre  de  roi,  que  lui  avait  reconnu  l'empe- 
reur Othon  III  en  l'an  1000  et  qu'il  prit  solennelle- 
ment en  se  couronnant  lui-même  en  i024. 

Mais  l'œuvre  de  ce  véritable  fondateur  de  la 
monarchie  polonaise  est  compromise  par  le  règne 
de  dix  ans  de  son  indolent  successeur  Miecislas  II, 
(1025-1035),  qui  se  laisse  enlever  la  Moravie,  la 
Chrobatie  hongroise,  la  Poméranie,  la  Kiiovie  (pays 
de  Kiev)  et  la  Silésie.  Après  sa  mort  (1035)  sa 
femme  l'Allemande  Ryxa  s'enfuit  avec  son  jeune 
fils  Casimir  I",  et  la  plus  effroyable  anarchie  dé- 
sole le  pays.  Les  paysans  se  soulèvent  contre  les 
nobles  et  les  prêtres,  et  retournent  au  paganisme; 
le  principal  chef  de  la  révolte,  Maslaw,  se  déclara 
indépendant  en  Mazovie  :  et  ce  n'est  qu'après  cinq 
ans  de  désordre  que  le  retour.de  Casimir,  qui  a 
étudié  en  France  à  Cluny ,  met  fin  à  l'anarchie  (lOiO). 
Il  reconquiert  successivement  tous  les  lambeaux 
de  la  monarchie  de  Boleslas,  y  compris  la  Silésie 
et  la  Mazovie;  il  répand  l'instruction  en  Pologne 
et  y  fonde  des  écoles  où  enseignent  les  bénédic- 
tins et  le  clergé  séculier,  et  il  mérite  le  surnom 
de  Rénovateur.  Son  mariage  avec  une  fille  de  Ja- 
roslav, duc  de  Kiev,  le  mémo  à  qui  le  roi  de 
France  Henri  I"  demanda  aussi  une  de  ses  filles, 
permettra  à  son  successeur  d'intervenir  dans  les 
troubles  et  les  divisions  qui  décliirent  la  Ruthénie. 
Le  fils  do  Casimir,  Boleslas  II  le  Hardi,  appelé 
tour  h  tour  en  Hongrie  et  en  Ruthénie  pour  ré- 
gler on  arbitre  les  différends  entre  les  préten- 
dants, se  couvre  de  gloire  dans  ces  expéditions; 
mais  son  absence  trop  prolongée  estla  cause  de  nou- 
veaux désordres  et  de  nouveaux  soulèvements, 
qu'il  n'apaise  à  son  retour  qu'en  excitant  de  vio- 
lentes haines  contre  sa  personne.  Vivement 
réprimandé  par  l'évêque  de  Cracovie  Stanislas 
Szczepanowski,  plus  tard  canonisé,  il  le  tue  de  sa 
main  (I079,i;  et,  excommunie  par  Grégoire  VII, 
alors  occupé  à  faire  partout  triompher  le  pouvoir 
spirituel  sur  le  pouvoir  temporel,  il  est  obligé  de 
quitter  le  pays  et  va  mourir  en  Hongrie. 

On  peut  considérer  sa  chute  comme  celle  du 
pouvoir  absolu  en  Pologne.  Son  frère  Ladislas 
Hermann,  appelé  à  lui  succéder,  perd  laRuthénie, 
confie  le  pouvoir  h  un  favori  nommé  Sieciech,  qui 
se  fait  détester  des  grands  seigneurs,  lesquels 
s'affranchissent  de  plus  en  plus  de  l'autorité 
royale.  Cependant  le  fils  de  ce  roi  indolent,  Bo- 
leslas III  Buu'-he-torse  (1102-1139),  illustre  en- 
core ce  nom  glorieusement  porté  par  deux  de  ses 
prédécesseurs  :  il  repousse  victorieusement  en 
1114  près  de  Breslau.  l'invasion  allemande  provo- 
quée par  son  frère  révolté  Zbigniew;  il  conquiert 
définitivement  la  Poméranie,  qu'il  convertit  au 
cliristianisme,  et,  partout  vainqueur,  il  meurt  en 
1131),  mais  en  compromettant  son  œuvre  par  le 
partage  qu'il  effectue  entre  ses  fils.  C'est  de  ce 
partage,  plus  fatal  encore  que  celui  que  firent  en 
France  Clovis  et  Clotaire  I",  que  va  dater  la  pré- 
pondérance de  l'aristocratie  et  en  même  temps 
l'affaiblissement  de  la  Pologne  et  l'intervention  de 
l'étranger. 

La  Pologne  divisée  (1139  il  1305).  —  Les  quatre 
domaines  créés  par  le  partage  étaient  :  1°  le  terri- 
toire de  Cracovie  ou  Chrobatie  occidentale  avec  la 


POLOGNE 


—  1G41  — 


POLOGNE 


Silésio,  auquel  était  attacliën  la  suprématie  ;  2°  la 
Pologne  de  laWartlia  ou  Grande-Pologne,  avec  la 
Poméranie;  3°  la  Mazovie  et  les  terre*  environ- 
nantes conquises  en  partie  sur  les  Prussiens  (Let- 
tons) encore  païens  ;  4"  la  Chrobatie  orientale  ou 
duclié  de  Sandomir.  L'alné  des  fils  de  Boleslas, 
Ladislas,  duc  de  Cracovic,  voulut  dépouiller  ses 
frères  et  rétablir  l'unilé  du  royaume  ;  mais  il 
cclioua  dans  son  entreprise  et  mourut  en  exil 
(1142)  :  SCS  fils  n'obtinrent  de  leurs  oncles  qu'une 
partie  de  l'héritage  paternel,  c'est-à-dire  la  Silé- 
sie,  désormais  perdue  politiquement  pour  la  Polo- 
gne, mais  qui  a  jusqu'il  présent  conservé  la  lan- 
gue et  les  usages  polonais,  au  moins  parmi  le 
peuple  des  campagnes. 

D'autres  désastres  frappent  le  pays.  Pendant 
que  les  princes  rnssiens  portent  au  delà  du  Dniepr 
dans  la  Zalésie  (plus  tard  surnommée  Grande- 
Russie)  la  langue  slave  et  la  religion  grecque,  los 
Polonais  échouent  dans  une  expédition  contre  les 
Prussiens  païens  (IICI)  ;  d'autre  part,  là  F'onicra- 
nic  se  sépare  de  la  Pologne  par  la  fondation  d'un 
duché  vassal  de  Stettin,  qui  sera  de  plus  en  plus 
soumis  à  l'influence  allemande  et  surtout  brande- 
bourgeoise.  Les  Allemands,  outre  les  colonies  paci- 
fiques dont  ils  peuplent  les  villes  de  la  Grande- 
Pologne,  introduisant  leurs  lois  et  leurs  usages 
municipaux,  envoient  des  colons  armés  (Cheva- 
liers porte-glaive)  convertir  et  conquérir  laLivonie. 
En  vain,  en  I  iH,  le  dernier  des  fils  de  Boleslas  III, 
Casimir  le  Juste,  réunit  sous  son  sceptre  toutes 
les  parties  du  royaume  paternel  à  l'exception  de 
la  Grande-Pologne  ;  en  vain  il  clierche  à  établir 
l'unité  dans  la  législation  par  le  synode  de  Len- 
czyca  (11x0);  ni  l'institution  d'un  sénat,  ni  les 
efl;orts  de  Miecislas  III  dit  le  Vieux  pour  réprimer 
l'aristocratie,  no  peuvent  empêcher  l'affaiblisse- 
ment progressif  et  le  désordre  croissant.  La  Polo- 
gne est  divisée  en  six  parties  entièrement  indé- 
pendantes les  unes  des  autres  :  la  Poméranie,  la 
Silésie,  la  Grande-Pologne,  la  Kiiavie,  la  Mazovie 
et  la  Petite-Pologne.  Un  morcellement  semblable 
a  d'ailleurs  eu  lieu  simultanément  dans  la  Ruthé- 
nie  après  la  mort  de  Jaroslav  :  on  y  compte  autant 
de  princes  indépendants  que  de  villes  ;  Kiev 
comme  Cracovie  a  perdu  sa  suprématie.  Leszek  le 
Blanc,  duc  de  Cracovie,  essaye  cependant  de  pro- 
fiter de  l'anarchie  russienne  et  occupe  Przemysl, 
mais  ses  successeurs  ne  gardèrent  pas  longtemps 
cette  conquête. 

Alors,  coup  sur  coup,  deux  fléaux  s'abattent  sur 
la  Pologne.  Le  premier,  plus  funeste  par  la  suite, 
semble  d'abord  un  bienfait  :  c'est  l'introduction 
par  Conrad  de  Mazovie  (122.5-1228)  des  chevaliers 
ïeutoniques,  revenus  de  la  Terre-Sainlo,  qu'il 
charge  de  convertir  par  les  armes  les  Prussiens 
de  la  Baltique,  et  qui  vont  être  l'avant-garde  de 
la  conquête  allemande  en  Pologne;  c'est  le  germe 
des  partages  que  vient  de  semer  ce  prince  impru- 
dent. L'autre  fléau,  plus  violent,  c'est  l'invasion 
des  Tartares  (UiO)  :  le  flot  venu  d'Asie  inonde 
les  steppes  de  Zalésie,  toute  la  Rutlionio,  toute 
la  Petite-Pologne,  et  va  s'abattre  en  Silésie  contre 
la  poitrine  des  chevaUers  de  Henri  le  Barbu  à  Lieg- 
nitz  (1240)  et  dans  les  plaines  de  la  Hongrie. 

La  Pologne,  qui  n'a  point  pris  part  aux  croisades 
asiatiques,  maugure  ainsi  sa  croisade  européenne 
contre  les  Tartares  d'abord,  et  ensuite  contre  les 
Turcs.  En  effet,  la  horde  établie  entre  la  mer 
d'Azov  et  la  Caspienne  va  sans  cesse  renouveler 
ses  invasions  et  sera  toujours  arrêtée  par  la  Po- 
logne, qui  en  préservera  l'Europe.  Jlais,  dominant 
sur  tous  les  princes  russiens  au  delà  du  Dniepr, 
la  horde  tartare  va  modifier  le  caractère  de  la 
nationalité  russienne  et  en  déplacer  le  centre. 
Moscou  succédant  à  Kiev,  c'est  l'élément  finnois 
et  mongol  substitué  à  l'élément  slave  dans  l'hé- 
gémonie russienne  ;  et  quand  les  Tartares  propre- 


ment dits  auront  été  vaincus  par  les  tzars  de 
Moscou,  ce  sont  en  quelque  sorte  leurs  succes- 
seurs légitimes  qui  les  remplaceront  et  continue- 
ront leur  œuvre  avec  plus  de  succès. 

Le  duc  de  Cracovie,  sous  le  règne  duquel  s'ac- 
complirent ces  grands  événements,  Boleslas  V, 
prince  vertueux,  mais  incapable,  voit  aussi  grandir 
à  ses  côtés  deux  puissances  nouvelles  :  la  Lithuanie, 
et  la  principauté  de  llalicz  et  bientôt  de  L\v6\v 
iLemberg).  Kn  Lithuanie,  c'est  le  grand-duc  païen 
Mendog,  qui,  obligé  de  lutter  contre  les  chevaliers 
Teutoniques,  maîtres  de  la  Prusse  et  menaçant 
déjà  la  Lithuanie,  accepte  un  instant  le  christia- 
nisme et  la  couronne  ;  à  Halicz,  Daniel,  prince 
russien,  fait  de  même,  et,  pour  devenir  roi,  renonce 
à  la  religion  grecque  ;  mais,  déçus  l'un  et  l'autre 
dans  leurs  espérances  d'indépendance,  ils  rejet- 
tent tous  les  doux  la  religion  romaine,  et  les  suc- 
cesseurs de  Mendog,  tout  en  continuant  la  lutte 
contre  les  Teutoniques,  vont  bientôt  conquérir  les 
possessions  russiennes  des  successeurs  de  Daniel 
et  de  son  fils  Lew  (Lion  oti  Léon). 

Eu  Pologne,  cependant,  les  successeurs  de  Bo- 
leslas V  retrouvent  quelque  énergie  :  Leszek  le 
Noii-  (1282)  repousse  les  Lithuaniens,  qui,  ré- 
veillés par  l'invasion  teutonique,  font  sentir  leur 
force  à  tous  leurs  voisins;  Przemyslas  (129.5)  re- 
prend le  titre  de  roi,  abandonné  par  ses  prédéces- 
seurs depuis  1130,  et  se  fait  couronner. 

En  revanche,  la  Petite-Pologne  passe  sous  la  domi- 
nation des  Tchèques,  dont  le  roi  Venceslas,  devenu 
également  maître  de  la  Grande-Pologne,  prend  la 
couronne  de  Boleslas  le  Grand  et  fait  de  la  Pologne 
une  province  de  la  Bohême  et  un  fief  de  l'empire 
allemand  (i:îOO). 

La  Poloipie  renaissante  (1305  à  1386).  —  Mais 
alors  que  tout  semblait  perdu,  le  désordre  touchait, 
à  sa  fin.  Chassé  du  trône  de  ses  pères  par  Ven- 
ceslas de  Bohême,  le  prince  piast  Ladislas  le  Bref 
(Lokietek)  ne  perd  point  courage  ;  il  se  rend  à 
Rome,  assiste  au  fameux  jubilé  de  I3li0  institué 
par  Boniface  VIII,  fait  reconnaître  par  le  pape  ses 
droits  à  la  couronne,  et,  fort  de  cette  investiture 
morale,  revient  conquérir  le  trône  laissé  vide  par 
la  mort  de  Venceslas  (1305).  Comme  autrefois  Ca- 
simir I"'  le  Rénovateur,  il  reprend  successivement 
toutes  ses  provinces,  à  l'exception  de  la  Silésie, 
qui  se  donne  aux  Tchèques,  et  de  la  Mazovie  tou- 
jours rebelle.  Enfin  en  1319,  le  20  juin,  il  mettait 
la  couronne  sur  sa  tête,  et  la  Pologne  était  sauvée. 
Restait  à  punir  les  chevaliers  Teutoniques,  qui 
avaient  prêté  leur  appui  aux  rebelles.  Ladislas 
comprit  que,  pour  écraser  cet  ennemi,  l'allié  na- 
turel de  la  Pologne  était  la  Lithuanie,  et  il  fit 
alliance  avec  l'un  des  successeurs  de  Mendog,  le 
grand-duc  Giedymin,  dont  son  fils  Casimir  épousa 
la  fille  Aldona.  Et  tandis  que  Giedymin  étendait 
du  côté  de  la  Ruthénie  la  puissance  toujours 
croissante  de  la  Lithuanie,  Ladislas  le  Bref,  après 
avoir  tenu  à  Chenciny,  vingt-neuf  atis  après  Phi- 
lippe le  Bol  en  Erance,  la  preiuière  diète  nationale, 
les  premiers  états  généraux  (1:131),  s'en  allait,  âgé 
de  soixante-dix  ans,  écraser  à  Plowce  les  Teuto- 
niques, conduits  par  un  traître,  et  leur  tuait 
20  000  hommes.  Son  œuvre  était  achevée,  et  il 
laissait  en  mourant  (1333)  à  son  fils  Casimir  un 
royaume  uni  et  fort,  qu'il  s'agissait  d'enrichir  et 
de  rendre  florissant. 

Ce  fut  l'œuvre  à  laquelle  se  consacra  Casimir 
surnommé  le  Grand  (1333-1310).  Il  sut  sacrifier 
beaucoup  au  besoin  le  plus  urgent,  à  savoir  le 
maintien  de  la  paix.  Le  successeur  de  Venceslas, 
Jean  de  Bohême,  celui  qui  devait  mourir  aveugle 
en  combattant  bravement  à  Crécy  (1346),  conser- 
vait le  titre  do  roi  de  Pologne;  il  y  renonça  à 
condition  que  Casimir  lui  céderait  la  Silésie,  qili 
depuis  longtemps  avait  en  fait  cessé  d'appartenir 
aux  rois  de  Pologne.  Les  Teutoniques  détenaient 


POLOGNE 


—  1642  — 


POLOGNE 


la  terre  de  Dobrzyn  et  la  Kiiavie,  ils  les  rendirent  ,  celle  des   autres  nations    civilisées.  Nous  avons 
à  Casimir  en  échange  de  la  Poméranie,  dont  la    vu  que  les  écoles  monastiques  et  ecclésiastiques 


possession  était  aussi  purement  nominale.  Casimir 
réunit  d'ailleurs  à  la  couronne  la  terre  de  Wielun 
et  la  Mazovie,  et,  après  la  mort  de  Boleslas  de 
Halicz,  il  réunit  aussi  la  partie  de  la  Rutliénic 
appelée  la  Russie  Rouge,  non  sans  résistance  de  la 
part  des  Roumains  de  Valacliie  et  du  grand-duc 
litlmanien  Olgiord,  successeur  de  Giedymin,  qui 
continuait  les  conquêtes  do  son  père  en  Moscovie, 
et  battait  les  Tartares  et  les  Teutoniques  avec 
l'aide  de  son  frère  Kiejstut.  et  plus  tard  de  son  lils 
Jagellon  et  do  son  neveu  Vitold. 

La  richesse  de  la  Pologne,  sous  Casimir,  estdéji 
considérable.  On  cite  comme  exemple  les  fêtes 
données  à  Cracovie  par  le  bourgeois  Wierzynek, 
lors  du  mariage  delà  petite-fille  du  roi  de  Pologne 
avec  l'empereur  Charles  IV  de  Luxembnurg,  fils 
de  Jean,  et  les  cadeaux  princiers  que  Wierzynek 
fit  aux  souverains  ses  hôtes.  C'est  de  ce  r^gne  aussi 
que  date  la  fondation  de  l'Université  de  Cracovie 
{13C4).  De  plus,  continuant  les  traditions  pater- 
nelles, Casimir  convoqua  souvent  des  assemblées 
provinciales  et  des  congrès  et  diètes,  dont  la  plus 
célèbre  est  celle  de  WJslica  (ISi"!),  où  il  publia 
le  fameux  statut  de  ce  nom,  qui  codifiait  toutes  les 
lois  antérieures.  Enfin,  par  la  protection  qu'il 
accorda  aux  faibles,  notamment  aux  villageois,  il 
mérita  le  nom  glorieux  de  Roi  des  paysans.  Disons 
en  passant  que  les  paysans,  bien  que  privés  de 
droits  politiques,  n'étaient  pas  serfs  en  Pologne, 
et  que  les  nobles,  seuls  citoyens,  étaient  égaux 
entre  eux  :  la  féodalité  allemande  n'avait  point 
franchi  la  Vistule.  Il  fut  aussi  le  protecteur  des 
juifs,  persécutés  alors  dans  toute  l'Europe.  Il  ne 
manqua  au  bonheur  de  Casimir  le  Grand  et  i  celui 
de  ses  sujets  qu'un  fils  qui  pût  succéder  i  ce 
grand  roi.  Avec  lui  s'éteint  la  dynastie  des  Piasts, 
qui  avait  régné  sur  la  Pologne  de  SUO  à  1370,  c'est- 
à-dire  un  peu  plus  de  500  ans. 

l'asimir  avait  fait  agréer  des  nobles,  comme  de- 
vant lui  succéder,  un  descendant  du  frère  de 
saint  Louis,  le  roi  de  Hongrie  Louis  d'.\njou,  fils 
de  sa  sœur,  qui  renonça,  en  faveur  de  la  Pologne, 
à  ses  prétentions  sur  la  Russie  Rouge  (Halicz  et 
Lemberg).  Devenu  roi,  bien  que  par  l'acte  solen- 
nel de  Koszyce  il  eût  renouvelé  ses  engagements, 
il  se  garda  bien  de  les  tenir,  et  par  son  mauvais 
gouvernement  se  rendit  très  impopulaire  en  Po- 
logne. Cela  n'empêcha  pas  la  noblesse  polonaise 
de  repousser  tous  les  autres  compétiteurs  qui  se 
présentèrent  h  sa  mort  (l^S'.'!,  etd'appcb'r  au  trône 
sa  fille  cadette  Hcdwige  d'Anjou,  qui  bientôt  (1386) 
accepta  pour  époux,  de  la  main  de  la  nation,  et 
malgré  ses  répugnances,  le  grand-duc  de  Lithuanio 
Jagellon,  réunissant  ainsi  à  son  royaume  et  con- 
quérant à  la  foi  chrétienne  et  i  la  civilisation 
toute  une  nation  pleine  de  vitalité  et  déji  puis- 
sante, dont  les  destinées  seront  désormais  insé- 
parables de  celles  de  la  Pologne. 

On  voit  qu'à  la  fin  de  cette  période,  la  Pologne 
avait  rempli  sa  mission  historique  :  sauf  quelques 
exceptions,  toutes  les  provinces  comprises  dans 
ses  frontières  naturelles  étaient  réunies  sous  un 
même  sceptre,  la  plupart  volontairement  ;  le  ger- 
manisme, représenté  par  l'ordre  Teutonique  et  la 
maison  de  Luxembourg,  était  tenu  en  respect  à 
l'ouest,  et  l'élément  tartarc  et  moscovite  était 
refoulé  par  les  grands-ducs  lithuaniens,  qui  avaient 
enlevé  à  la  fois  aux  Tartares  de  Pérécop  et  aux 
tzars  de  Moscou  la  domination  sur  les  Slaves 
Tussiens.  La  Pologne  n'avait  pas  non  plus  entiè- 
rement délaissé,  dans  le  tumulte  des  armes,  toute 
culture  intellectuelle.  Si  la  langue  nationale  avait 
été  négligée,  comme  dans  presque  tous  les  pays 
de  l'Europe  il  cette  époque,  la  littérature  latino- 
polonaise  du  moyen  âge  présente  une  suite  de 
chroni(|ueurs  aussi  Ionique  et  aussi   brillante  que 


y  tlorissaient  dès    l'an  mil,    et  enfin  le  règne   de 
Casimir  l'avait  dotée  d'une  université  qui,  illustrée 


d'abord  par  le  créateur  de  l'optique,  Vilellin  (en 
polonais  Erasme  Ciolek],  devait  cent  ans  plus  tard 
donner  à  la  science  l'immortel  Kopentik. 

Les  Jaijel/ons.  La  Pologne  florissante  (1386-I5T2). 
—  A  la  mort  de  Casimir  le  Grand,  l'éligibilité  des 
rois  avait  succédé  en  principe  i  l'hérédité.  Mais, 
heureusement  pour  la  Pologne,  en  fait  la  cou- 
ronne resta  héréditaire  dans  la  famille  qui  était 
montée  sur  le  trône  à  la  suite  du  mariage  d'Hed- 
wige  d'Anjou  et  de  Jagellon  ;  et  ainsi  furiMit  retar- 
dés de  deux  siècles  les  malheurs  que  l'éligibilité 
des  rois  devait  attirer  sur  la  nation  ;  ainsi  fut  as- 
surée à  la  Pologne  une  ère  de  prospérité  et  de 
gloire  sous  cette  nouvelle  dynastie. 

Le  premier  soin  de  Jagellon  fut  de  recevoir  le 
baptême  ;  devenu  ainsi  Ladislas  II,  il  baptisa  son 
peuple,  et,  renonçant  au  pouvoir  absolu  des  grands- 
ducs  ses  prédécesseurs,  donna  aux  boiards  lithua- 
niens et  ruthènes  de  ses  Etats,  convertis  à  la  reli- 
gion romaine,  des  privilèges  analogues  îi  ceux  de 
la   noblesse   polonaise.  Il  fonda  l'évôché  de  'Vilna 
en  1387.  Hedvvige  sa  femme  reconquit  elle-même 
la  Russie  Rouge    sur  les  Hongrois,  que   Louis  y 
avait  installés,  et  poussa  son  mari  à  renouveler  et 
à  compléter  l'université  de  Cracovie,  qu'elle  dota 
richement  (UOn).  Hedwige  mourut  en   1399,  trop 
vite  pour  la  Pologne,  qui  a  pieusement  conservé 
sa  mémoire.  Jagellon  continua  seul  l'œuvre  com- 
mencée. Confiant  le  gouvernement  delà  Lithuanio 
i  son  frère  Skirgiello,  puis  :\  son  cousin  Vitold, 
il  porta  tous  ses  efforts  contre  l'ordre  Teutonique, 
excité  contre  la  Pologne  et  soutenu  en  dessous  par 
l'empereur  Sigismond  de  Luxembourg,  candidat 
évince  en  1383  au  trône  de  Pologne.  Alors  (1410) 
eut  lieu  la  mémorable  bataille  de  Grunwald,    ou 
Jagellon  et  son  frère  Vitold  taillèrent   en  pièces 
les  Teutoniques,  désormais  réduits  à  l'impuissance 
et  qui,  par  le  traité  du  lac  Mielno  (U'2'J),  renon- 
cèrent h.  leurs  prétention^  sur  la  Samogitie.  Pour 
régler  les  rapports  de    la  Lithuanie  et   de   la  Po- 
logne, Jagellon  convoqua  l'assemblée  de  Horodlo 
(l-il3),  où   il  confirma  les  privilèges  donnés  à  la 
noblesse   lithuanienne,  qui    adopta  les  armoiries 
des  familles  nobles   polonaises.  Malheureusement 
le  sort  des  paysans  lithuaniens  resta  aussi  misé- 
rable que  par  le  passe,  et  celui  des  paysans  polo- 
nais   empira   peu   à  peu    à  partir  de    cette  épo- 
que. Cette    liberté  de    la   noblesse   lithuanienne 
ne  fut    pas   une   réalité,    tant    que  Vitold  vécut. 
Jaloux  de  son  cousin,  rêvant  de  se  rendre   indé- 
pendant, fier  des  victoires  qu'il  avait  remportées 
sur  les  Tartares   et  les  Moscovites,   il  exerça  en 
Lithuanie  un  despotisme  de  fer,  et  se  laissa  séduire 
par  les  propositions  de  l'empereur  Sigismond,  qui 
lui  offrait  la  couronne  de  Lithuanie.  Mais  ces  in- 
trigues  furent  découvertes,  et  Vitold,  déçu  dans 
ses   espérances,   mourut  en  U30.  Swidrygajlo  le 
remplaça    comme    gouverneur    de    la   Lithuanie; 
s'étant  révolté  à  son  tour,   il   fut  destitue  ;  enfin 
son    successeur  ne   sut  pas  calmer  les    mécon- 
tents  et  eut  h  lutter  contre  une  guerre  civile, 
dont  Jagellou  ne  vit  pas  la  fin,  car  il  .mourut  en 
143i. 

Son  fils  Ladislas  Hl  hérita  de  sa  couronne,  grâce 
aux  efforts  de  l'évêquo  de  Cracovie.  Zbigniew  Oles- 
nicki, 'l'homme  d'Etat  le  plus  habile  de  la  Polo- 
gne il  cette  époque  et  ami  dévoué  du  dernier  roi. 
Le  frère  cadet  de  Ladislas  III,  Casimir,  devint 
crouverneur  do  Lithuanie.  C'est  sous  ce  règne 
ÎUZ9)  qu'eut  lieu  au  concile  de  Florence  la  fa- 
meuse union  de  l'Eglise  grecque  et  (le  1  Eglise 
latine.  On  se  rappelle  que  la  Ruthénie  avait  été 
convertie  au  christianisme  par  des  missionnaires 
du  rite  grec  ;  depuis  l'union  de  la  Lithuanie  avec 


POLOGNE 


—  1C43 


POLOGNE 


la  PolopiiB,  il  importait  d'établir  l'unité  religieuse  : 
on  laissa  au  clergé  grec-uni  le  mariage  et  certains 
rites,  à  condition  qu'il  reconnût  la  suprématie  du 
pape.  Alors  la  noblesse  de  religion  grecque  fut 
admise  aux  mêmes  privilèges  que  la  noblesse  po- 
lonaise et  lithuanienne  du  rite  latin.  Le  prestige 
des  Jagellons  était  alors  si  grand  dans  l'est  de 
l'Europe,  que  les  Hongrois  offrirent  la  couronne 
au  jeune  roi  de  Pologne,  espérant  trouver  en  lui 
un  chef  capable  do  résister  aux  Turcs  qui.  dès  le 
milieu  du  siècle  précédent,  avaient  pénétré  en 
Europe,  et  qui ,  entourant  déjà  de  leurs  con- 
quêtes Conslaniinople  aux  abois,  vainqueurs  de 
Jean  sans  deur  et  dos  chevaliers  français  h  Nico- 
polis  (I39C),  Poussaient  leurs  incursions  jusqu'au 
coeur  de  la  Hongrie.  Ce  fut  le  premier  acte  de  la 
longue  lutte  des  Polonais  contre  les  Turcs  :  il 
eut  un  fâcheux  dénoùuient.  Ladislas  III  fut  tué 
en  l'i'H  :\  la  bataille  de  Varna,  et  neuf  ans  plus 
tard,  malgré  les  efforts  d'Hunyade  et  de.  Matliias 
Corvin,  Constantinople  tombait  au  pouvoir  des 
Turcs  (lii3). 

Le  frère  de  Ladislas,  Casimir  Jagellon  (1454- 
1492),  qui  lui  succéda,  fut  un  politique  comme 
Louis  XI,  son  contemporain.  Le  double  but  qu'il 
poursuivit  fut  d'abord  d'apaiser,  par  une  sage 
temporisation,  les  différends  prêts  à  éclater  entre 
la  Pologne  et  la  Lilhuanie  au  sujet  des  provinces 
russiennes  de  Volhynie,  de  Podolie  et  d'Ukraine, 
et  ensuite  de  profiter  de  l'affaiblissement  de  l'ordre 
Teutonique,  et  du  mécontentement  des  habitants 
de  la  Prusse  occidentale  soumis  h  sa  domination, 
pour  reprendre  celte  province  et  la  réunir  à  la 
Pologne  (1 154)  ;  cette  réunion  devint  définitive  par 
le  traité  de  Thorn  avec  l'ordre  (lltJO).  Pendant 
que  la  Pologne  s'affermissait  au  dedans  et  l'em- 
portait sur  les  Allemands  au  nord-ouest,  la  puis- 
sance lithuanienne  s'affaiblissait  à  l'orient.  Novgo- 
rod la  Grande  et  Novgorod-Sievierski  se  séparaient 
délie  (14TJ-1490),  et  les  tzars  de  Moscou,  vain- 
queurs des  Tartares  du  Don  (1411),  jetaient  les 
fondements  de  leur  future  grandeur,  pendant  que 
les  Turcs,  maîtres  de  la  mer  Noire,  s'emparaient 
de  la  Crimée  et  soumettaient  les  Tartares  de 
Pérékop.  C'est  sous  ce  règne,  c'est-à-dire  en 
même  temps  qu'en  France,  que  les  premières 
imprimeries  font  leurapparitlon  en  Pologne  (1465  à 
Cracovie). 

Des  cinq  fils  de  Casimir  Jagellon,  l'un,  Ladislas, 
fut  élu  roi  de  Bohême  (l4"l),  et,  plus  tard,  roi  de 
Hongrie  (1490),  et  trois  autres  lui  succédèrent  tour 
à  tour  en  Pologne:  ce  sont  Jean-Albert(  1492-l.iUl), 
vainqueur  au  nord  dans  une  expédition  contre 
Pskow,  vaincu  au  sud  par  les  Valaques  en  Bukovine; 
Alexandre  (1601-1;,06),  sous  le  règne  duquel  les 
lois  polonaises  furent  de  nouveau  réunies  et  pu- 
bliées, après  l'assemblée  de  Radnm,  par  le  chan- 
celier Jean  Laski  ;  et  enfin  Sigismond  le'  dit  /e 
Vieux  (1506-1548',  contemporain  de  François  I" 
et  de  Charles-Quint,  et  dont  le  règne  fut  un  des 
plus  glorieux  de  l'histoire  de  Pologne. 

Sigismond  sut  d'abord  réprimer  la  révolte  de 
l'ambitieux  Glins'ki,  qui,  voulant  relever  à  son 
profit  l'antique  puissance  russienne,  amena  les 
Moscovites  dans  le  pays  et  leur  facilita  la  prise  de 
Smolensk.  Cette  première  lutte  de  la  Pologne  con- 
ti'e  les  tzars  fut  illustrée  par  la  victoire  du  prince 
Constantin  Ostrogski  à  Orsza  (I514\un  an  avant 
Marignan  ;  toutefois  Smolensk  resta  au  tzar.  L'em- 
pereur Maximilien,  appliquant  la  politique  matri- 
moniale autrichienne,  obtint  de  Sigismond  son 
consentement  au  mariage  de  son  neveu  Louis  Ja- 
gellon, fils  de  Ladislas,  roi  de  Bohème  et  de  Hon- 
grie, avec  Marie,  petite-fille  de  l'empereur,  et  à 
celui  d  Anna,  sœur  de  Louis,  avec  Ferdinand,  le 
frère  cadet  de  Charles-Quint,  afin  que  l'Autriche 
put  hériter  un  jour  de  ces  deux  royaumes;  ce  qui 
arriva  en  efl'et.  Cependant  Maximilien  meurt  et 


l'avènement  do  Charles-Quint  coïncide  avec  la  ré- 
forme do  Luther.  La  fiéforme  pénétra  de  bonne 
heure  en  Pologne,  mais  sans  y  exciter  d'autres 
guerres  qu'une  guerre  de  plume,  d'autre  persécu- 
tion que  la  répression  de  quelques  troubles  sans 
importance  :  le  plus  grave  événement  auquel  elle 
donna  lieu  fut  la  sécularisation  de  l'ordre  Teuto- 
nique, et  l'investiture  du  duché  de  Prusse  accor- 
dée au  dernier  grand-maître  Albert,  de  Brande- 
bourg, devenu  le  vassal  du  roi  de  Pologne  pour  la 
Prusse  orientale  (1525).  Il  eût  mieux  valu  pour  la 
Pologne  que  Sigismond,  profitant  des  circonstan- 
ces, réunît  simplement  à  ses  Etats  la  Prusse  orien- 
tale comme  la  Prusse  occidentale,  et  la  tolérance 
religieuse  fut  ici  en  contradiction  avec  la  politique 
d'intérêt  :  nous  verrons  bientôt  les  Brandebour- 
geois,  devenus  ducs  de  Prusse  par  héritage,  refuser 
d'abord  l'hommage  et  ensuite  se  transformer  de 
ducs  en  rois,  de  vassaux  en  ennemis,  puis  en  maî- 
tres. 

Parmi  les  autres  événements  de  ce  règne,  nous 
citerons  encore  la  réunion  définitive  de  la  Mazo- 
vie  par  l'extinction  de  ses  ducs  (15'2t'i),  les  nou- 
veaux essais  de  codification  des  lois  polonaises,  la 
publication  du  premier  statut  lirhuanien  (1529),  la 
victoire  d'Oberiyn,  remportée  par  l'hetman  (con- 
nétable) Jean  Tarnowski  sur  les  Valaques  enva- 
hisseurs ;  puis  la  très  politique  alliance  de  Sigis- 
mond avec  le  sultan  Soliman,  également  allié  d& 
François  1?'  ;  enfin  les  intrigues  de  la  reine,  l'Ita- 
lienne Bona  Sforza,  qui  furent  en  partie  cause  de 
la  ridicule  révolte  de  la  noblesse  convoquée  à 
Lemberg.  connue  sous  le  nom  àe  guerre  des  poules 
(1537).  C'est  aussi  sons  ce  règne  que  parut  l'ou- 
vrage du  Polonais  Koperiiik,  De  revoluttonitnis  or- 
biuiii  cœlesliutn  (1513),  qui  devait  renouveler  la 
science  de  l'univers. 

Avant  de  mourir,  Sigismond  I"  avait  fait  nom- 
mer grand-duc  de  Lithuanie,  puis  roi  de  Pologne, 
son  fils  Sigismond  II,  plus  connu  sous  le  nom  de 
Sigismond-Auguste  (1548-1572).  Le  nouveau  règne 
commença  par  une  tragédie  de  famille.  Du  vivant 
de  son  père,  Sigismond-Auguste  avait  épousé  Barbe 
Radziwill.  veuve  du  palatin  de  Troki,  Gasztold  :  la 
noblesse  protesta  contre  ce  qu'elle  appelait  une 
mésalliance  ;  le  roi  resta  ^ourd  à  ces  protestations, 
mais  sa  mère  Bona  Ht,  dit-on,  empoisonajer  la 
jeune  reine,  qui  mourut  quelques  mois  après  son 
couronnement.  D'autres  difficultés  naquirent  de 
la  question  religieuse  ;  les  évêques  d'une  part,  la 
noblesse  de  l'autre,  s'etTorçaient,  les  uns,  d'en-- 
traînerleroi  à  extirper  l'hérésie,  les  autres  do  lui 
faire  proclamer,  à  l'exemple  de  Henri  VlU,  une 
Eglise  nationale  dont  il  eiit  étôleclicf.  Le  roi  ré- 
sista à  ces  deux  pressions  en  sens  contraire;  et, 
sans  rompre  le  lien  qui  l'unissait  i  Rome,  il  con- 
tinua la  tradition  de  tolérance  inaugurée  par  son- 
père  :  aussi,  tandis  que  les  guerres  de  religion 
mettaient  l'Europe  en  feu,  en  Angleterre,  en 
France,  en  Hollande,  en  Allemagne,  la  Pologne 
devenait  l'asile  de  tous  les  persécutés,  calvinistes, 
luthériens,  sociniens,  etc.  ;  et  leurs  controverse* 
religieuses  ne  contribuaient  pas  peu  h.  développer 
le  mouvement  intellectuel  et  à  donner  l'essor  i 
une  littérature  nationale. 

Cependant  la  guerre  allait  recommencer  avec  la 
Moscovie,  à  l'occasion  de  la  Livonie,  qui  venait  de  se 
soumettre  à  la  Pologne  et  de  recevoir  pour  duc  l'ex- 
grand  maître  des  clievaliers  Porte-glaive,  Gottard 
Ketler,  devenu  le  vassal  de  Sigismond-Auguste.  Le 
tzar,  irrité  des  progrès  de  la  Pologne,  s'empare 
de  Polock  et  envahit  la  Livonie.  Le  roi,  pour  re- 
pousser cette  invasion,  fait  appel  à  la  noblesse  li- 
thuanienne et  lui  octroie  do  nouveaux  privilèges 
politiques,  entre  autres  l'élection  de  députés 
aux  diètes.  La  diète  de  Piotrkow  (I.SC2)  réprima 
les  abus,  organisa  les  finances,  fortifia  l'armée, 
malheureusement   encore  insuffisante,  et  favorisa 


POLOGNE 


1644  — 


POLOGNE 


le  commerce  qui,  laissé  aux  mains  des  Allemands 
et  des  Juifs,  ne  fut  jamais  assez  florissant  en  Polo- 
gne. Le  statut  lithuanien  fut  aussi  refondu  et  pu- 
blié en  15G4.  Enfin  Sigismond,  voulant  consommer 
définitivement  l'union  de  la  Litliuanie  et  de  la  Po- 
logne, renonça  volontairement  à  ses  droits  héré- 
ditaires sur  le  grand-duché  et  put  ainsi  faire  si- 
gner la  mémorable  Union  de  iuhlin  (I5C9),  qui  est 
un  des  rares  exemples  qu'offre  l'histoire  de  la  réu- 
nion volontaire  de  deux  peuples  sur  les  bases  de 
la  liberté  et  de  l'égalité  :  liheri  cum  liberis,  iequa- 
les  cum  s:(]i/aliùus.  A  la  même  diète  de  Lublin,  le 
duc  de  Prusse,  Albert  II,  prêta  l'hommage  au  roi 
pour  son  duché.  Jamais  la  Pologne  n'avait  été  si 
prospère  et  si  puissante.  Mais  Sigismond-Auguste 
mourait  en  157"2  sans  enfants,  et  avec  l'extinction 
des  Jagellons  allait  commencer  la  période  des  rois 
■électifs  et  bientôt  la  décadence. 

Les  premiers  rois  électifs.  Grandeur  et  dccn- 
dence  (1576  à  IC?8).  —  Au  moment  où  va  s'établir 
en  France,  au  sortir  des  guerres  de  religion,  la 
monarchie  absolue  des  Bourbons,  le  pouvoir  royal 
en  Pologne  perd  toute  force  et  tout  prestige,  et 
la  constitution  polonaise,  poussant  à  l'excès  toutes 
les  garanties  de  liberté  conquises  par  la  noblesse, 
va  laisser  la  nation  sans  défense  contre  les  atta- 
ques de  voisins  de  plus  en  plus  puissants.  L'in- 
terrègne de  1d"2-1573  va  décider  de  l'avenir  de  la 
Pologne.  La  noblesse  se  forme  en  confédération 
générale,  sorte  de  ligue  universelle  de  tous  les  ci- 
toyens, salutaire  alors,  mais  qui  dans  l'avenir  ser- 
vira de  modèle  et  do  précédent  à  d'autres  confédé 


jorité  proclamèrent  reine  la  sœur  de  Sigismond- 
Auguste,  Anne  Jagellon,  en  lui  donnant  pour  époux 
Etienne  Batory,  converti  au  catholicisme  et  devenu 
ainsi  roi  de  Pologne. 

Etienne  Batory  (157.i-1586),  pour  mieux  combat- 
tre les  Tartares  et  les  Turcs,  fit  aux  Allemands  des 
concessions  dont  il  ne  soupçonnait  pas  les  consé- 
quences ;  il  vendit  aux  margraves  d'.Anspach,  de  la 
maison  de  Brandebourg,  le  droit  de  succession  au 
duclié  de  Prusse.  C'est  la  seule  faute  qu'on  puisse 
lui  reprocher.  Contre  les  Tartares  il  organisa  la 
milice  des  Cosaques  Zaporogues.  composée  d'aven- 
turiers russiens  et  polonais  établis  dans  les  îles 
du  Dniepr,  en  leur  octroyant  le  droit  d'élire  leurs 
hetmans  ^généraux).  Puis,  de  concert  avec  Jean 
Zamojski  devenu  chancelier,  il  exerça  l'armée 
formée  de  la  noblesse,  et  la  conduisit  à  la  lutte 
contre  les  Moscovites.  Le  izar  Ivan  IV  le  Cruel 
avait  pris  toute  la  Livonie  ;  Batory  et  Zamojski 
lui  enlèvent  Polock  en  1579,  puis  nombre  d'autres 
villes,  et  en  1581  mettent  le  siège  devant  Pskow. 
Ivan,  réduit  h.  l'extrémité,  a  recours  à  la  ruse  pour 
obtenir  la  paix.  11  feint  de  vouloir  unir  l'Eglise 
grecque  à  l'Eglise  catholique,  et  le  jésuite  Posse- 
vin,  trompé  par  ses  promesses,  décide  Batory  à  liti 
accorder  la  paix  de  Kiwerowa  Horka(1582).  Polock 
est  rendu  à  la  Pologne,  Ivan  abandonne  la  Livonie 
qui  devient  entièrement  polonaise.  Mais  l'occasion 
perdue  d'écraser  la  puissance  moscovite  ne  se  re- 
trouvera plus,  et  Ivan  est  justement  le  tzar  mosco- 
vite qui  prend  le  titre  d'empereur,  et,  adoptant  pour 

moirie  l'aigle  à  deux  têtes,  se  donne  pour  le  suc- 


vira  ae  moueie  ei  ue  piucuuBiu  a  u  auiic.i  •,«"/«<..>-»■"•""•■-■ ---D ■      „    ,„t,„,;nnr^io    T  o 

ra<,o«..  partielles  et  ennemies,  la  plup-irt  du  temps  Icesseur    des    empereurs    de    Constantinople.  Le 
aussi   funestes  que  le  fut  la  ligue  catholique  en  '  tzarat  de  Moscovie  a  fait  le  Vr^ff-JV^^H^^^  ^» 
France  au  seizième  siècle.  Sur  l'avis  de  Jean  Za-  i  transformation  en  empire  de  ioutcs  l'^^  ^^"^5163. 
mojski,  le  véritable  promoteur  de  tout  ce  mouve-  1  _  A  l'ipten-r,  Batory  n^nde  1  univer  .^^^^       V.lna 


ment  quasi-républicain,  l'Etat  polonais  prend  le  en  1579  et  un  très  grand  "«"î^re  d  écoles  que, 
nom  de  République  de  Pologne,  dans  I..  sens  anti-  dans  sa  fervetir  de  néophyte,  >'«?■;««„■?!'"  ?"f"- 
que  du  mot  respublica  ;  tous  les  nobles  ont  droit    sèment  à  l'ordre  des  jésuites ,   d  ad  eurs   aide  de 


i-  son  successeur  ae  son  v.vani,  ne  peut  ni  |  table  et  staroste  de  Cracovie    il  ff.'  Plj^''jl^«^'''"f 
er,  ni  divorcer  sans  le   consentement   du  '  lui    l'aristocratie  rebelle;    et  '\ tête  de  Samuel 

'  .      _._  _  „,■  : _•-  i„  j.„:.    zborowski,  lassassin  de  Wapowski,  tombe  sons  la 

hache  du  bourreau.  Etienne  Batory  avait  d  autres 


de  prendre  part  à  l'élection  du  roi  :  le  roi  ne  peut 
désigner  son  successeur  de  son  vivant,  ne  peut  ni 
se  marier,  ni  divorcer  sans  le  consentement  du 
sénat,  doit  conserver  la  paix  religieuse,  n'a  le  droit 

ni  de  déclarer  la  guerre,  ni  d'envoyer  des  ambas- .  yi<-„,;„„  a„^  „„;, 

sadeurs  aux  puissances  étrangères  sans  le  consen-  projets  ;  il  voulait  supprimer  1  eleç'on  des  rois, 
tement  des  Etats;  il  est  assisté  d'un  conseil  com-  ,  rétablir  l'ordre  eji  réduisant  les  grands  1  obéis 
posé  de  sénateurs  et  de  députés  ;  il  doit  convoquer  '  sance,  et  d'abord  écraser  définitivement  la  Mos 
une  diète  tous  les  deux  ans;  et,  s'il  viole  les  lois  covie,  lorsque  la  mort  vint  '«"'  ^."^""P  <\^*:';'  '" 
et  les  privilèges  des  citoyens,  la  nation  est  relevée  ;  terrompre  tous  ses  projets:  ""'^^f  "'^?,f' ^„7,^°^^. 
de  son  serment  de  fidélité  et  d'obéissance.  De  plus  entre  Batory  et  Henri  IV,  auquel  »»  '  ^f  "^^f.J 
tout  roi  élu  accepte  et  jure  de  remplir  certaines  comparé,  et  qui,  grand  Ç?P''^'"«=°f  ™,f '"'•  fuY'' 
conditions  spéciales  appelées  pacla  couventa.  !  comme  lui  trouver  bientôt  que  c>  le  trône  vaut  bien 

Le  premier  roi  élu  daprès  la   nouvelle  charte  'une  messe.  »  .  ■  •.     i,  ^^„,^„nro   Pas 

fut  un  prince  français,  le  dernier  représentant  de  La  mort  de  Batory  précipite  la  acÇatlonce  Pas 
la  race  des  Valois,  le  triste  Henri  III.  L'ambassa-  de  Richelieu  sous  le  règne  suivant,  pour  reprendre 
deur  français,  de  Montluc,  jura  qu'Henri  n'avait  '  son  œuvre.  Les  deux  principaux  conçu. ren  s  au 
pris  aucune  part  à  la  Saint-Barthélémy,  promit  ,  trùne  étaient  Maximilien  appuyé  par  ^  Par'i  des 
qu'il  tiendrait  la  balance  égale  entre  catholiques  et  Zborowski,  et  Sigismond  ^^asa,  hls  de  Jean,  roi  de 
protestants,  et  Henri  de  Valois  fut  nommé,  Tem-  I  Suède,  et  neveu  de.S.g.smond-Augus  e  appuyô 
portant  sur  l'archiduc  Ernest  et  Jean  Wasa,  roi  de    par  Zamojski.  Ce  dernier  I  emporta,  et  JlaumiUen, 

battu  et  fait  prisonnier  i  Byczyna  (I388),  QUt 
renoncera  ses  prétentions.  Le  règne  de  Sigis- 
mond III  Wasa  (1587-16y2)  vit  éclater  à  la  fois 
toutes  les  causes  de  la  ruine  prochaine  de  la  Po- 
logne En  1591,  la  mort  de  son  père  Jean  lui  donne 
dant  les  fêtes  du  couronnement  par  le  grand  sei-  la^couronne  de  Suède  ;  mais,  ,"<=,P0"\^"'  f  ^^.fg 
gneur  Samuel  Zborowski,  condamné  seulement  au  ,  à  Stockholm  il  confie  la  rogni  ce  à  son  onc^ 
bannissement.  Bientôt  Henri  apprend  la  mort  de  ,  Charles,  qui  bientôt  lo99)  le  détrône  «'  ^e  ta' 
son  frère  Charles  IX.  et  s'enfuit  en  toute  hâte  pour    proclamer  roi  de  Suéde  a  sa  P'^Ç«  sous  le  nom  de 


portant 

Suède,  beau-frère  de  Sigismond-.Auguste.  Des  am 
bassadeurs  vinrent  à  Paris  lui  ofïrir  la  couronne. 
Henri  arrive  h  Cracovie;  son  règne  d'un  an  ne  pré- 
sente qu'un  seul  événement  digneîd'ètre  mentionné, 
le  meurtre  du  castellan  Wapowski,  assassiné  pcn 


revenir  en  France.  Ce  premier  essai  de  roi  étran 


-    Charles  IX  :  de  là,,  en  liiOO,  guerre  en  Livonie  entre 
l'oncle   et  le  neveu;   l'hetinan  Chodkiewicz   rem- 


ger  et  élu  n'était  pas  heureux.  1  '  um-io   cl  .0  ..»■„-,   . — ;•■—.-.     ;i,Vtir<-hhnIm 

Le  second  le  fut  davantage.  Henri  n'ayant  pas    porte,  il  est  vrai,  '^  brillante  victoire  de  k.rchb^^^^^ 

■  -  ■  ,n  pro-    sur    les  Suédois  (IGOo),  mais  .es  discordes  Çivues 

céda  à  une  nouvelle  élection  {)575).  Les  candidats    et  d'autres   guerres  étrangères  empechmnla  Fo- 


tenu  sa  promesse  de  reveniî  en  Pologne,  on  pro-  '  sur   les  Suédois  (IGOo),  mais  .es  discordes  çiv^es 

■  -    ■  ■ .  Les  candidats    et  d'autres   guerres  étrangères  empêchent  la  PO 

étaient  Maximilien  d'Autriche,  Jean  Wasa,   roi  de  '  logne  de   Profiter  de  ce  succès.  La  noblesse,  me- 


Suède,  et  le  palatin  de  Transylvanie,  Etienne  Ba-    contente  du  roi,   à  cause  de  son  a"a"ce  avec 
tory.  L'archevêque  primat  de  Gnesne  et  son  parti    maison  de  Habsbourg  et  de  son  pariage  avec  une 
nommèrent  Maximilien  ;  mais  Zamojski  et  la  ma- ,  princesse   autrichienne,    se   desinteiessait  Qe 


POLOGNE 


—  1645 


POLOGNE 


guerre  de  Suède  et  des  affaires  publiques,  et  la 
mort  de  Zaniojski  priva  le  roi  de  son  plus  ferme 
appui  (1G05).  Aussi,  dès  10(17,  une  partie  de,  la  no- 
blesse proclame  l'insurrection  contre  le  roi,  puis 
l'interrègne,  et  c'est  Ji  grand  peine  que  Sigismond, 
appuyé  par  la  diète  do  Varsovie,  parvient  S  vaincre 
les  révoltés,  auxquels  il  se  pressa  trop  d'accorder 
l'amnistie  (IG08).  Les  diètes  se  tenaient  mainte- 
nant i  Varsovie  (capitale  de  la  Mazovie),  point  plus 
central  que  Cracovie,  et  que  pour  cette  raison 
Sigismond  choisit  comme  capitale  du  royaume.  Le 
mécontentement  contre  le  roi  ne  faisait  qu'aug- 
mcnlor,  h  cause  de  sa  politique  autrichienne  et  de 
sa  docilité  pour  les  jésuites,  dont  rinfluenco  deve- 
nait prépondérante. 

Une  nouvelle  guerre  avec  la  Moscovie  apporta 
avec  de  nouvelles  victoires  de  nouveaux  embarras. 
Une  partie  de  la  noblesse  polonaise,  à  la  tète  de 
laquelle  étaient  les  Mniszech  et  les  Wisniowiecki, 
avait  en  ItOi  rétabli  sur  le  trône  de  Moscou  un 
des  Dmitri  connus  sous  le  nom  de  fauxDémétrius; 
Vasili  Chouiski  l'ayant  fait  périr  en  1600,  Sigis- 
mond crut  le  moment  propice  pour  attaquer  la 
Moscovie;  il  assiégea  Smolensk;  l'hetman  Zol- 
kiewski,  vainqueur  de  Chouiski  à  Kluzyn  (IClOl, 
marche  sur  Moscou  et  fait  élire  tzar  de  Moscou  le 
fils  de  Sigismond,  Ladislas.  Mais  le  roi,  au  lieu  de 
profiter  de  ces  succès,  laisse  aux  Moscovites  le 
temps  do  chasser  son  fils,  et,  satisfait  d'avoir  pris 
Smolensk  (lOl'i),  revient  triomphera  Varsovie. -La 
guerre  avec  les  Moscovites  recommence  en  10 10 
et  se  termine  en  1019  par  une  paix  qui  laisse  à  la 
Pologne  Smolensk  et  Novgorod-Sievierski,  alors 
que  Sigismond  III  eût  pu  facilement  anéantir  i 
jamais  la  puissance  moscovite. 

La  guerre  contre  les  Turcs  ne  fut  pas  plus  heu- 
reuse. Les  efforts  de  l'hetman  Zolkiewski  pour 
conserver  la  Moldavie,  depuis  150  ans  vassale  de 
la  Pologne,  furent  impuissants,  et,  après  avoir 
cédé  la  Moldavie  à  la  'Turquie  en  1019,  ce  grand 
homme  de  guerre  succomba  à  Cecora  en  1020, 
quand  il  recommença  la  guerre  contre  les  Turcs. 
Ses  forces  étaient  trop  peu  considérables,  et,  au 
lieu  de  lui  envoyer  du  renfort,  Sigismond  préférait 
lever  des  troupes  pour  défendre  son  allié  l'empe- 
reur d'Allemagne. 

En  effet,  la  guerre  de  Trente  ans  (lR18-16iS) 
venait  d'éclater  en  Bohême,  et  le  roi  de  Pologne, 
loin  de  suivre  la  tradition  des  Jagellons,  qui  avaient 
au  xv  siècle  protégé  les  Hussites  et  soutenu  le 
parti  national  tchèque  contre  les  Allemands,  faisait 
cause  commune  avec  Ferdinand  II  et  lui  envoyait 
la  cavalerie  polonaise  des  Lisowczyki.  Cependant 
le  fils  de  Charles  IX,  Gustave-Adolphe,  avait  suc- 
cédé h  son  père  sur  le  trône  de  Suède  ;  et  les  récla- 
mations de  Sigismond  avaient  amené  une  nouvelle 
guerre  do  Livonie  entre  les  deux  cousins.  Gustave- 
Adolphe,  presque  partout  vainqueur,  ne  cessa  la 
lutte  (1629)  que  lorsque  Richelieu  le  jeta  sur  l'Au- 
triche, et  que  commença  la  période  suédoise  de 
la  guerre  de  Trente  Ans.  A  tous  ces  malheurs 
il  faut  encore  ajouter  les  invasions  des  Tartares, 
les  émeutes  des  Cosaques,  les  réclamations  de  l'ar- 
mée mal  payée,  les  plaintes  de  la  noblesse  contre 
le  roi,^  l'intolérance  amenant  la  ruine  de  l'indus- 
trie. C  est  au  milieu  de  ces  désastres,  qui  en  présa- 
geaient de  plus  grands,  que  Sigismond  111  mourut 
a  Varsovie  (1632),  la  même  année  où  son  cousin 
Gustave-Adolphe  succombait  glorieusement  sur  le 
champ  de  bataille  de  Lùlzen. 

Sigismond  laissait  plusieurs  fils  :  l'aine,  Ladislas, 
fut  élu  sans  opposition  et  régna  sous  le  nom  de 
Ladislas  IV  (I0:I2-1B48).  Après  une  guerre  avanta- 
geuse contre  la  Moscovie,  terminée  par  la  paix  de 
Wiazma  (10:J4)  et  une  trêve  avec  la  Suède  (Stums- 
dorf,  10.3o),  Ladislas  a  à  combattre  une  révolte 
des  Cosaques  irrités  contre  les  jésuites  i|ui  les  con- 
vertissent  et  les    seigneurs  qui  les  oppriment 


vainqueur  à  Korsun,  il  diminue  jusqu'à  COCO  le 
nombre  des  Cosaques  armés,  et  rétluit  le  reste  à  la 
condition  de  paysans.  Ses  projets  de  guerre  avec 
la  Turquie,  ses  projets  de  réformes  intérieures  et 
d'agrandissement  des  prérogatives  royales  furent 
interrompus  par  la  mort  comme  ceux  de  Batory. 
Ladislas  IV  avait  épousé  en  secondes  noces  une 
Française,  Louise  de  Gonzague,  sœur  de  la  princesse 
palatine  Anne  :  et  les  mœurs  françaises  s'intro- 
duisirent alors  à  la  cour  de  Varsovie;  les  rapports 
avec  la  France  devinrent  de  plus  en  plus  fré- 
quents. 

Pendant  l'interrègne,  les  Cosaques  se  révoltent 
encore  :  leur  chef,  Cogdan  Chmielnicki,  est  vain- 
queur à  son  tour  à  Korsun  (1048)  ;  puis,  vaincu  k 
Zwiahel  par  Jérémie  Wisniowiecki,  il  prend  sa 
revanche  à  Pilawco  et  s'avance  menaçant  vers 
Lwôw  (Lemberg).  Alors  on  apprend  l'élection  du 
frère  du  précédent  roi,  Jean-Casimir  Wasa,  ex- 
jésuite, ex-cardinal,  relevé  de  ses  vœux  par  lo 
pape  et  qui  épousa  la  veuve  de  son  frère,  Louise 
de  Gonzague. 

La  révolte  des  Cosaques  continue  de  plus  etj- 
plus  terrible  :  les  paysans  russiens  de  l'Ukraine 
y  prennent  part;  c'est  une  guerre  à  la  fois  sociale 
et  religieuse.  Le  roi,  assiégé  à  Zborow,  fait  des 
concessions  i  Chmielnicki,  promet  dos  places  au 
sénat  pour  les  Grecs  non-unis,  et  s'engage  à  dé- 
barrasser l'Ukraine  des  jésuites  et  des  juifs.  Chmiel- 
nicki, battu  il  son  tour  à  Beresteczko,  se  contente 
de  conditions  moins  avantageuses.  Mais  bientôt 
il  reprend  l'offensive  ;  vainqueur  à  Batow,  il  force 
le  roi  à  signer  à  Zwaniec  une  convention  analogue 
a  celle  de  Zborow,  et,  voyant  que  la  diète  ne  veut 
pas  exécuter  la  convention,  il  se  soumet  (1054)  au 
tzar  de  Moscovie:  la  Pologne  perd  ainsi  l'Ukraine 
d'au  delà  du  Dniepr  et  l'antique  métropole  rus- 
sienne  de  Kiev. 

La  guerre  contre  les  Moscovites  commence  en 
même  temps.  Leurs  troupes  s'emparent  de  Smo- 
lensk. De  plus,  les  Suédois,  poussés  par  un  traître 
exilé,  envahissent  la  Pologne  sous  les  ordres  de 
leur  roi  Charles  X  Gustave,  neveu  de  Gustave- 
Adolphe,  que  l'abdication  de  sa  cousine,  la  reine 
Christine,  vient  d'appeler  au  tiône.  Charles-Gus- 
tave prend  Varsovie,  Jean-Casimir  s'enfuit  en  Si- 
lésie.  Cracovie  succombii  à  son  tour.  «  En  même 
temps,  comme  dit  Bossuet  dans  l'oraison  funèbre 
d'Anne  de  Gonzague,  la  Pologne  se  voit  ravagée 
par  le  rebelle  Cosaque,  par  le  Moscovite  infidèle  et 
plus  encore  par  le  Tartaie,  qu'elle  appelle  à  son 
secours  dans  son  désespoir.  «  Les  Moscovites 
unis  aux  Cosaques  s'avancent  vers  Lemberg, 
une  autre  armée  moscovite  occupe  Vilna,  capitale 
de  la  Lithuanie.  Cette  province  se  soumet  en 
partie  aux  Suédois.  Le  duc  de  Prusse,  électeur  de 
Brandebourg,  Frédéric-Guillaume  surnommé  lo 
Grand-Electeur,  qui  a  déjà  refusé  l'hommage  à 
Jean-Casimir,  fait  alliance  contre  la  Pologne  avec 
le  roi  de  Suède.  Tout  semble  perdu. 

Mais  la  résistance  s'organise.  La  noblesse  de  la 
province  de  Prusse  d'une  part,  d'autre  part  les 
paysans  polonais  résistent  aux  Suédois.  Le  monas- 
tère fortifié  de  Czenstochowa  les  arrête  ;  la  confé- 
dération de  Tyszowce  se  forme  sous  les  auspices 
d'Etienne  Czarniecki  (1055).  un  des  héros  les  plua 
populaires  de  la  Pologne.  Jean-Casimir  revient  à 
Lemberg,  ramène  la  noblesse  et  le  peuple  par  des 
promesses  de  tolérance,  et  Czarniecki,  libérateur 
du  pays,  chasse  les  Suédois  devant  lui  et  fait  ren- 
trer le  roi  à  Varsovie.  L'allié  de  Charles-Gustave,  le 
Grand-Electeur,  est  battu  à  Olesko  ;  le  prince  de 
Transylvanie  Rakoczy,  venu  au  partage  des  dé- 
pouilles, est  cerné  et  capitule.  En  même  temps, 
le  roi  obtient  une  trêve  do  la  Moscovie,  des  secours 
de  l'empereur,  fait  alliance  avec  le  Danemark,  traite 
avec  l'électeur  de  Brandebourg  qu'il  relève  du  vas- 
selage  ;  et  Czarniecki  poursuit  les  Suédois  en  Po- 


POLOGNE 


-   1646  — 


POLOGNE 


méranie,  en  Holsteiii  et  dans  les  îles  danoises 
(1608).  Charles-Gustave  meurt  sur  ces  entrefaites, 
et  le  traité  d'Oliva  (IGGO),  conclu  par  l'entremise 
de  la  France,  ramène  la  paix  entre  la  Suède  et  la 
Pologne,  moyennant  de  mutuelles  concessions. 

Mais  la  guerre  recommence  bientôt  avec  la  Mos- 
covie  ;  menée  mollement  par  une  armée  sans  solde, 
elle  se  termine  par  la  paix  d'Andruszow  (1667), 
qui  cède  au  tzar  Smolensk,  Novgorod-Siewierski, 
ïcliernigov,  l'Ukraine  d'au  delà  du  Dniepr  et  la 
ville  de  Kiev.  Quant  aux  Cosaques,  les  uns  restè- 
rent soumis  à  la  Moscovie,  les  autres  se  soumirent  i 
à  la  Turquie. 

Aux  guerres  étrangères  s'ajoutaient  des  discor-  1 
des  intestines  :  les  intrigues  de  la  reine,  qui  tra- 
vaillait à  faire  reconnaître  comme  successeur  pré- 
somptif de  Jean-Casimir  le  prince  de  Condé,  ame- 
nèrent des  mécontentements,  et  l'iielman  Lubo-  | 
mirski   ayant   été   injustement  dépouillé   de   ses 
biens  et  de  ses  dignités,  une  guerre  civile  éclata  i 
et  le  roi,  battu  à  Mouiwy,  fut  obligé  de  céder.      | 
Fatigué  de  tant  d'humiliations,  que  d'ailleurs  il  | 
devait  surtout  à  sa  faiblesse  et   à   son   manque 
d'initiative,    Jean-Casimir   prit   le   parti    d'imiter  [ 
sa  cousine  Christine  de  Suède,  et  il  abdiqua  en  ' 
1668.  î 

Il  laissait  la  Pologne  dans  une  situation  déplo- 1 
rablc  :  une   dette  publique   énorme,  des  ruines 
partout,  l'antique  tolérance  religieuse  foulée  aux  j 
pieds,  le  peuple  opprimé,  les  écoles  laïques  aban-  i 
données  et  supplantées  parles  collèges  des  jésui- 
tes, la  discorde  entre  les  grands,  l'anarchie  dans  la 
petite  noblesse,  qui,  en  1652,  a  commencé  à  rom- 
pre les  diètes  par  l'abus  de  la  loi  d'unanimité,  de  ce 
liherum  veto  en  vertu  duquel  l'opposition  d'un  seul 
député   peut  interrompre  toute  délibération ,  loi 
qui,  restée  jusque-là  purement  nominale,  va  de-  \ 
venir  le   véritable  fléau  de  la  constitution  polo-  : 
uaise. 

La  littérature  de  cette  période  est  aussi  en  dé- 
cadence :  si  l'éloquence  religieuse  a  eu  dans  Skarga  ' 
son  plus  fameux  représentant,  si  la  poésie  et  l'his-  \ 
toire  ont  été  encore  cultivées  avec  succès  sous 
Etienne  Batory  et  Sigismond  III,  à  partir  de  1632 
commence  ce  que  l'on  a  justement  appelé  la  pé- 
riode macaronique  ;  le  système  d'instruction  des 
collèges  de  jésuites  a  généralisé  l'emploi  d'un 
latin  souvent  douteux,  qui  fait  invasion  dans  les 
livres,  dans  la  chaire  et  jusqu'à  la  tribune  politi- 
que. C'est  à  peine  si  l'on  compte  quelques  bons 
poètes,  comme  Venceslas  Potocki,  l'auteur  de  la 
Guerre   de  Chocim,  et  le  satirique  Opalinski. 

Les  roU  électifs  indigènes  (1668  à  1696}.-^  La 
candidature  du  prince  de  Condé,  proposée  par 
Jean-Casimir  à  l'instigation  de  la  reine,  n'avait  pas 
été  abandonnée,  et  le  primat  Prazmowski  l'appuyait 
vivement,  ainsi  que  l'hetman  Jean  Sobieski.  Mais 
la  noblesse  y  était  opposée  :  les  rois  d'origine 
•étrangère  lui  déplaisaient,  et  elle  porta  son  choix 
sur  un  seigneur  polonais,  le  prince  Michel  Wis- 
niowiecki,  d'une  famille  ruinée  au  service  de  la  Ré- 
publique dans  les  guerres  des  Cosaques.  Le  choix 
n'était  pas  heureux.  Le  nouveau  roi  pleura  en 
apprenant  son  élection  ;  placé  entre  le  parti  autri- 
chien et  le  parti  français  comme  entre  l'enclume 
et  le  marteau,  menacé  par  lo  primat  et  l'hetman 
Sobieski,  défendu  par  la  petite  noblesse,  il  avait  à 
porter  un  fardeau  au-dessus  de  ses  forces.  Tout  à 
coup,  les  Turcs  entrent  en  Pologne  (1672)  et  s'em- 
parent de  Kamieniec,  capitale  de  la  Podolie.  Le 
roi  ne  songe  qu'à  traiter,  et  par  la  paix  de  Bud- 
czacz  il  cède  une  partie  de  l'Lkraine  et  de  la  Po- 
dolie avec  la  capitale  de  cette  province,  et  s'en- 
gage à  payer  tribut.  Mais  Sobieski  prend  les  armes, 
et,  pendant  que  le  roi  Michel  meurt  subitement, 
l'hetman  bat  les  Turcs  à  Chocim  et  revient  pren- 
dre part  à  l'élection.  Toutes  les  candidatures  étran- 
gères sont  encore  écartées,  et  d'un  commun  accord 


les  voix  se  portent  sur  le  libérateur  du  pays,  sur 
l'hetman  Jean  Sobieski. 

Jean  Sobieski  (1673-1096),  à  peine  élu,  sans 
attendre  son  couronnement,  court  encore  battre 
les  Turcs  en  Ukraine.  Après  le  couronnement,  il 
retourne  sur  le  champ  de  bataille  :  moins  heureux 
cette  fois,  entouré  à  Zurawno  par  les  Turcs  et  les 
Tartares,  il  conclut  un  traité  qui  laisse  Kamieniec 
aux  Turcs,  mais  leur  enlève  ce  qu'ils  avaient  pris 
en  Ukraine  et  annule  la  condition  relative  au  tri- 
but. La  victoire  de  Chocim  avait  rendu  le  nom  de 
Sobieski  illustre  dans  toute  l'Europe  ;  en  France, 
surtout,  on  ne  parlait  que  du  «  roi  polonais  i>  ;  et 
il  y  était  d'autant  plus  aimé  que,  marié  à  une 
Française,  Marie  d'Arquien,  il  avait  toujours  été  à 
la  tète  du  parti  français  en  Pologne.  Mais,  sa 
femme  ayant  été  humiliée  par  Loui-i  XIV  dans  son 
orgueil  de  reine  et  dans  ses  intérêts  de  famille, 
Sobieski,  toujours  docile  à  ses  inspirations,  devint 
l'allié  de  l'Autriche.  Quand  Vienne,  assiégée  par 
les  Turcs,  allait  tomber  entre  leurs  mains  (1683), 
on  sait  comment  l'arrivée  subite  de  Sobieski  et  de 
l'armée  polonaise  suffit  à  sauver  la  capitale  de 
l'Autriche,  et  comment  cette  victoire,  qui  sauva  en 
mémo  temps  la  chrétienté,  fut  mal  récompensée 
par  l'empereur  Léopold  ;  il  ne  voulut  pas  devoir 
de  reconnaissance  à  un  simple  roi  électif.  N'ayant 
pas  retiré  de  son  expédition,  sauf  la  gloire,  tous  les 
profits  qu'il  en  espérait  relativement  à  la  conquête 
do  la  Moldavie,  le  roi  de  Pologne  revint  traiter 
avec  la  Moscovie  et  acheter,  par  la  confirmation  du 
traité  d'Andruszow,  l'alliance  moscovite  contre  la 
Turquie .  Aussi  mauvais  politique  qu'excellent  capi- 
taine, Jean  Sobieski  sacrifiait  ainsi  les  intérêts  les 
plus  vitaux  de  la  l',épublique  :  à  l'intérieur,  il  ren- 
contra beaucoup  d'obstacles  dans  l'hostilité  de  la 
puissante  famille  lithuanienne  desPac;  il  ne  réus- 
sit pas  non  plus  dans  ses  projets  matrimoniaux 
pour  ses  fils,  et  les  reproches  qu'il  eut  à  essuyer 
dans  les  diètes,  dont  plusieurs  furent  encore  rom- 
pues par  le  iiùerion  veto,  empoisonnèrent  les  der- 
nières années  de  sa  vie.  11  mourut  en  16IJ6,  après 
avoir  donné  un  éclal  sans  pareil  aux  armes  polo- 
naises, mais  sans  avoir  rien  fait  pour  empêcher 
la  ruine  politique  de  la  Pologne. 

Les  rois  so,ro/(S  (I6!)6-1763).  —  La  diète  de  con- 
vocation se  constitua  en  confédération  pour  em- 
pêcher l'effet  du  liberum  veto,  et,  à  la  diète  d'é- 
lection, les  fils  de  Sobieski  ayant  été  écartés,  il  ne 
■resta  en  présence  que  deux  candidats  :  lo  candi- 
dat français  Louis  de  Conti,  et  l'électeur  de  Saxe 
Auguste.  Les  voix  se  partagèrent  entre  les  deux 
concurrents  :  mais  Conti  tarda  trop  à  venir  et 
Auguste,  arrivé  le  premier,  calma  les  mécontents 
et  força  son  rival  à  se  retirer. 

Le  règne  d'Auguste  II  s'annonçait  sous  d'heu- 
reux auspices.  Il  commença  par  obtenir  de  l'Au- 
triche la  rétrocession  des  mines  de  sel  de  Wie- 
liczka,  et  de  la  Turquie,  à  la  paix  de  Carlowitz  (1699), 
celle  de  Kamieniec  et  de  la  Podolie,  exécutant 
ainsi  les  pacla  conventa.  Mais  il  s'était  engagé 
aussi  à  reconquérir  la  Livonie  sur  la  Suède;  et, 
sous  ce  prétexte,  il  entra  dans  la  ligue  formée 
contre  le  nouveau  roi  de  Suède  Charles  .\II  par  le 
Danemark  et  le  tzar  Pierre  i".  Ce  fut  la  cause  de 
nouveaux  malheurs.  Charles  XII  ayant  imposé  aux 
Danois  le  traité  de  Travcntlial  (1700)  et  ayant  la 
même  année  battu  les  Russes  à  Narva,  attaque  les 
armées  saxonnes  qu'Auguste  II  a  fait  avancer  à  tra- 
vers la  Pologne  jusqu'en  Livonie.  Une  partie  des 
mécontents  lithuaniens,  ayant  à  leur  tête  la  famille 
des  Sapieha,  se  joint  aux  Suédois.  Charles  XII; 
chasse  devant  lui  les  Saxons  (1701),  entre  à  Var-;. 
sovie  (1702),  bat  Auguste  à  Kliszow  et  s'empare  de 
Cracovie.  A  Sandomir  une  confédération  se  forme 
en  faveur  d'Auguste  ;  mais  le  primat  Radziejowski 
avec  la  noblesse  de  la  Grande-Pologne  appuie  Char- 
les XII  et  proclame  l'interrègne.  Le  roi  de  Suède  se 


POLOGNE 


1G47 


POLOGNE 


liàto  de  faire  élire  le  palatin  de  Posen,  Stanislas 
Leszczyi'ski  (1103).  C'est  à  cette  époque  que  l'élec- 
teur de  Brandebourg,  Frédéric  III,  profitant  des 
guerres  qui  désolent  le  nord  et  l'ouest  de  l'Kurope 
isucccssion  d'Espagne),  obtient  de  Léopold  I"'  le 
droit  de  porter  la  couronne  royale  et  prend  le  nom 
<le  roi  (le  Prusse. 

Le  règne  de  Stanislas  no  fut  pas  de  longue 
<lurée.  Auguste  II  le  chassa  d'abord  de  Varsovie; 
mais  Auguste,  repoussé  lui-iiiûme,  se  réfugie  en 
Saxe,  où  Cliarles  XII  le  poursuit  et  le  force  à 
signer  son  abdication  et  à  reconnaître  son  rival  par 
le  traité  d'Alt-Ranstadt  (170G).  Cependant  la  guerre 
civile  continue  en  Pologne  ;  les  armées  russes  et 
les  armées  suédoises  ravagent  la  Litliuanie.  Enfin 
Charles  XII,  après  des  marches  et  des  contre-mar- 
ches dont  on  trouvera  le  détail  dans  l'excellente 
histoire  de  ce  prince  par  Voltaire,  finit  par  être 
vaincu  à  Pultava  (l7()l)),  sans  que  l'hetman  Ma- 
zeppa  ait  pu  réaliser  son  projet  de  relever  les 
Cosaques  et  d'arraclier  l'Ukraine  à  la  Russie,  avec 
l'aide  du  héros  qu'il  avait  appelé.  La  bataillo  de 
Pultava  renversa  Stanislas  et  rétablit  Auguste  II 
sur  le  trône. 

La  fin  de  son  règne  ne  fut  signalée  par  aucun 
événement  important,  si  ce  n'est  le  seul  acte  d'in- 
tolérance que  l'on  puisse  justement  reprocher  au 
gouvernement  de  la  République,  à  savoir  la  ré- 
pression sanglante  des  désordres  de  Thorn  où  les 
protestants  avaient  eu  un  différend  avec  les  jésuites. 
D'ailleurs  la  paix  régnait  en  Pologne  :  on  avait 
traité  avec  la  Suède  (1720),  les  armées  russes 
avaient  évacué  la  Pologne;  l'union  des  églises 
grecque  et  catholique  avait  été  renouvelée.  Mais 
le  désordre  intérieur  allait  croissant  ;  les  mœurs 
s'altéraient  de  plus  en  plus,  l'exemple  du  roi, 
qui  ne  songeait  qu'à  ses  plaisirs,  était  trop  do- 
cilement suivi  par  la  noblesse  :  u  Quand  Auguste 
avait  bu,  la  Pologne  était  ivre.  »  Les  querelles 
entre  les  grands  seigneurs  trouvaient  un  écho 
dans  les  diètes,  le  plus  souvent  rompues  par  le 
liberum  vélo.  Enfin,  plusieurs  seigneurs,  inquiets 
de  voir  le  roi  manquer  d'égards  pour  leurs  pri- 
vilèges, imploraient  la  protection  d'abord  de 
Pierre  I",  puis  de  Catherine  l'"  et  de  l'impératrice 
Anne,  et  les  armées  russes  se  préparaient  à  péné- 
trer en  Pologne,  ce  qu'elles  firent  aussitôt  après 
la  mort  d'Auguste  II  (1733). 

On  sait  que  cette  mort  fut  le  signal  d'une 
guerre  européenne,  connue  dans  l'histoire  sous  le 
nom  de  guerre  de  succession  de  Pologne  (1733-35). 
La  diète  s'était  partagée  ejicore  une  fois  entre  le 
candidat  français,  qui  était  maintenant  le  roi  détrô- 
né Stanislas  Leszczyiîski,  devenu  le  beau-père  de 
Louis  XV,  et  le  candidat  autrichien,  également 
appuyé  par  la  Russie,  et  qui  était  le  fils  du  roi 
précédent,  l'électeur  de  Saxe  Frédéric-Auguste. 
Nommés  chacun  par  leurs  partisans,  ils  arrivèrent 
tous  deux  en  Pologne  ;  mais  Stanislas  ne  put  se 
maintenir  à  "Varsovie  et  s'enferma  à  Dantzig,  où, 
assiégé  par  l'armée  russe,  il  attendit  des  secours 
1  n  ^^"''^"  ^^  cardinal  Fleury  n'envoya  que 
1  500  liommes,  à  la  tète  desquels  l'ambassadeur 
Irançais  à  Copenhague,  le  brave  comte  de  Plélo, 
vmt  se  faire  tuer  sous  les  murs  de  Dantzig,  pour 
sauver  au  moins  l'honneur  du  drapeau.  La  ville 
capitula,  et  le  roi  Stanislas  obtint,  à  la  fin  de  la 
guerre  qui  continua  sur  le  Rhin  et  en  Italie,  les 
r,"^il.°^  ^^  Lorraine  et  de  Bar,  qui,  après  sa  mort 
y  itG),  revmrent  à  la  France  aux  termes  du  traité 
de  Vienne  (1738).  Stanislas,  dans  ses  nouveaux 
Ctats,  so  ht  aimer  de  ses  sujets  et  n'oublia  pas  sa 
patrie  :  il  fonda  à  LunéviUe  une  école  pour  les 
jeunes  nobles  polonais,  qui  portèrent  ainsi  en 
i-oiogne  les  idées  de  réformes  alors  si  puissantes 
en  France. 

Son  rival  l'électeur  de  Saxe  monta  sur  le  trône 
ae  Pologne  sous  le  nom  d'Auguste  III.  Intronisé 


par  les  baïonnettes  étrangères,  il  fut  toujours  im- 
populaire. Pondant  et  après  l'interrègne,  les  diètes, 
tout  en  réclamant  l'éloignement  des  armées  russe 
et  autrichienne,  intordirent  aux  protestants  et  aux 
grecs,  qu'on  appelait  lesdissidents,  l'accès  à  tous  les 
emplois:  cette  mesure  malheureuse,  qui  avait  pour 
but  de  combattre  l'influence  étrangère,  fut  taxée 
d'intolérance  religieuse  et  devait  servir  de  pré- 
texte aux  réclamations  de  la  Prusse  et  de  la  Russie. 
La  succession  de  Courlande,  k  l'extinction  de  la 
famille  de  Gottard  Ketler  (1737),  donna  lieu  i  une 
nouvelle  ingérence  de  la  Russie  :  l'impératrice 
Anne  demanda  ce  duché  pour  son  favori  Biren, 
et  quand  une  révolution  de  palais  eut,  sous  la 
tzarine  Elisabeth,  envoyé  Biren  en  Sibérie,  il 
fallut  procéder  i  une  nouvelle  élection  ;  le  fils 
d'Auguste  III,  le  prince  Charles,  obtint  ce  duché, 
dont  Catherine  devait  le  dépouiller  à  son  tour  en 
17C3,  pour  y  replacer  Biren  rentré  en  grâce.  Outre 
les  affaires  de  Courlande,  les  guerres  contre  la 
Turquie  et  les  guerres  de  succession  d'Autriche 
et  de  Sept  Ans  fournissaient  de  continuels  pré- 
textes à  la  Russie  pour  demander  le  passage  de 
ses  troupes  ii  travers  la  Pologne,  qu'elles  traitaient 
en  pays  conquis,  tandis  que  le  roi,  môle  aux  événe- 
ments qui  se  déroulaient  on  Allemagne,  restait 
indifl'érent  aux  destinées  du  royaume. 

Cependant  les  idées  de  réforme  progressaient  en 
Pologne;  l'éducation,  jusque-là  abandonnée  aux 
jésuites,  redevenait,  grâce  surtout  à,  Konarski,  plus 
nationale.  Un  parti  de  politiques  se  formait  sous  les 
princes  Michel  et  Auguste  Czartoryski  pour  réfor- 
mer les  institutions  et  mettre  fin  h  l'anarchie.  On 
commençait  à  sentir  que  la  Pologne  était  sur  le 
bord  de  l'abîme,  mais  on  s'en  apercevait  trop  tard. 
Tous  les  efforts  qui  suivirent  la  mort  d'Auguste  III 
(1701)  ne  firent  que  précipiter  la  cliute. 

Stanislaf!-Aui/usle  l'oiiiatowski  et  lei  partages 
(  1763-1 71) j).  —  La  situation  était  elïrayante.  L'a- 
narchie qu'il  s'agissait  do  faire  disparaître  avait 
encore  dans  la  grande  et  la  petite  noblesse  des 
défenseurs  soit  aveugles,  soit  intéresses,  qui  lui 
donnaient  le  nom  de  liberté  et  prenaient  le  titre 
de  parti  républicain  ;  de  plus  elle  était  trop  utile 
aux  puissants  voisins  de  la  Pologne,  la  Russie, 
l'Autriche  et  la  Prusse,  pour  qu'ils  no  fissent  pas 
tous  leurs  efforts  afin  de  la  conserver.  La  Prusse  et 
la  Russie  commencèrent  par  exiger  de  la  diète  que 
la  République  reconnût  à  leurs  souverains,  ce 
qu'elle  n'avait  pas  fait  jusque-li,  les  titres  de  roi 
et  d'empereur;  puis  d'un  commun  accord  elles 
firent  tomber  les  voix  des  électeurs  sur  une  créa- 
ture de  l'impératrice  Catherine  H,  le  comte  Sta- 
nislas-Auguste Poniatowski  (1764). 

Le  nouveau  roi  no  manquait  pas  de  bonnes  in- 
tentions. Il  fit  beaucoup  pour  l'instruction,  pour  les 
arts  et  pourleshittres.  Une  nouvelle  renaissance  lit- 
téraire date  môme  de  son  règne  :  c'est  alors  que 
l'historien  Naruszevvicz,  les  poètes  Krasicki,Treni- 
becki,  Kniaznin,  etc.,  ressuscitèrent  la  littérature 
polonaise  si  négligée  pendant  lôO  ans.  Mais  l'am- 
bassadeur russe  Repnin  veillait  à  ce  que  ces  ré- 
formes ne  compromissent  point  les  intérôts  de  sa 
souveraine.  C'est  lui  qui,portantdevant  les  diètes  les 
réclamations  relatives  aux  dissidents,  fit  enlever  et. 
transporter  en  Russie  (1767)  quatre  sénateurs  qui 
avaient  osé  se  prononcer  dans  l'assemblée  contre 
ses  propositions.  L'alliance  avec  la  Russie  et  les 
lois  sur  les  dissidents  furent  acceptées  do  gré  oude 
force  en  1768.  Pour  conibattrel'influence  russe,  des 
confédérations  se  formèrent  :  la  plus  importante, 
à  laquelle  se  réunirent  bientôt  toutes  les  autres, 
fut  la  conlédération  de  Bar  (1768-1771).  L'évoque 
de  Kamieniec,  Adam  Krasinski,  en  avait  été  le  pro- 
moteur :  ses  principaux  chefs  furent  les  Pulawski, 
surtoutCasimir  quidevaitpérirplustarden  combat- 
tant pour  l'indépendance  des  Etats-Unis.  Pendant 
trois  ans  les  confédérés  firent  la  guerre  de  parti- 


POLOGNE 


—  1648 


POLOGNE 


sans.  On  trouvera'dans  YUistoire  de  V.tnnrc/ne  de 
Pologne  de  Rulhière  le  détail  des  actes  d'héroïsme 
des  confédérés  et  des  cruautés  des  officiers  rus- 
ses et  des  paysans  de  l'Ukraine,  soudoyés  d'a- 
bord et  massacrés  ensuite  par  les  troupes  do  Ca- 
therine II.  La  confédération  de  Bar  recevait  des 
subsides  de  Choiseul  :  celui-ci  lui  envoya  même 
quelques  officiers,  comme  le  comte  de  Choisy,  qui 
se  conduisit  bravement  h  Cracovie,  Dumouriez  qui 
ne  sut  qu'intriguer,  et  Vioménil  qui  arriva  trop 
tard.  Mais  ces  secours  insuffisants  et  l'asile  offert 
par  l'Autriche  à  la  généralité  qui  gouvernait  la 
confédération,  ne  l'empêchèrent  pas  de  succomber 
après  un  essai  avorté  d'enlèvement  du  roi  :  et  cette 
tentative  héroïque,  qu'on  peut  regarder  comme  la 
première  des  insurrections  nationales  polonaises, 
eut  pour  résultat  de  précipiter  le  premier  partage, 
déjà  arrêté  en  principe  ù.  Berlin  et  à  Pétersbourg 
et  accepté  avec  une  feinte  douleur  par  la  dévote 
impératrice  Marie-Thérèse. 

Chacune  des  trois  cours  fit  valoir  ses  prétendus 
droits:  l'Autriche  sur  la  principauté  de  Halicz  (Gali- 
cie),  qui  au  xiV  siècle  avait  un  instant  appartenu  à 
la  Hongrie  ;  le  roi  de  Prusse  Frédéric  II  sur  la  pro- 
vince de  Prusse  occidentale,  qui  avait  appartenu 
avant  14(10  à  1  ordre  Teutonique  dont  il  se  préten- 
dait héritier  ;  la  tzarine  enfin  sur  le^  provinces  rus- 
siennes  d'au  delà  du  Dniepr  et  do  laDuna,  qui  de- 
vaient revenir  b.  l'impératrice  de  toutes  les  Rus- 
sies.  Et  la  dicte  de  Varsovie,  sous  la  présidence 
d'Adam  Poninski,  et  malgré  l'opposition  des  pa- 
triotes Tliadée  Uetjan  et  Korsak,  dut  ratifier  le 
partage  (1-3  sept.  1773).  La  même  diète  introdui- 
sit dans  la  constitution  quelques  changements, 
dont  le  résultat  fut  d'enlever  au  roi  toute  autorité 
politique.  La  Russie  se  porta  garante  de  la  nou- 
velle constitution,  et  les  trois  cours  garantirent  en 
môme  temps  l'intégrité  des  nouvelles  frontières. 

Vingt  années  s'écoulent  entre  le  premier  et  le 
second  partage,  vingt  années  de  repos,  de  réfor- 
mes intérieures.  Les  universités  se  relèvent,  les 
écoles  laïques  se  multiplient  ;  le  mouvement  lit- 
téraire s'accentue.  Les  grands  propriétaires  com- 
mencent à  s'occuper  d'améliorer  le  sort  des  paysans. 
Mais  c'en  était  fait  do  toute  initiative  politique. 
L'ambassadeur  russe  Igaelstroni  faisait  la  loi  à  Var- 
sovie. Le  parti  national  voulut  faire  cesser  cet  état 
de  choses  ;  et,  ayant  la  majorité  dans  la  diète  de  11 87, 
il  se  mit  résolument  h  l'œuvre.  Il  fallait  d'abord 
rompre  avec  la  Russie  ;  mais  on  ne  pouvait  le  faire 
sans  s'appuyer  sur  une  autre  puissance.  La  Prusse 
offrit  son  aide;  le  roi  Frédéric-Guillaume  II  se 
porta  garant  de  la  future  constitution.  Stanislas- 
Auguste,  malgré  ses  répugnances.finit  par  se  rallier 
au  parti  national,  et  des  délibérations  de  cette  diète, 
surnommée  la  diète  de  quatre  ans  (178M7'.)I), 
sortit  la  constitution  de  i79l,  appelée  aussi,  de 
la  date  de  sa  promulgation,  la  constiiution 
du  3  tnai-  C'est  après  de  longues  études  prépa- 
ratoires, en  s'inspirant  des  ouvrages  des  plus 
grands  publicistes  de  l'époque,  Mably  et J. -J.Rous- 
seau, sur  le  gouvernement  de  Pologne,  en  consul- 
tant surtout  les  besoins  du  pays,  que  les  autours 
de  la  constitution,  parmi  lesquels  les  plus  célè- 
bres sont  I.  Potocki  et  H.  Kollontay,  rédigèrent 
cette  charte  nouvelle.  Laiiberian  veto  fut  supprimé, 
en  même  temps  que  les  confédérations,  i|ui  n  a- 
vaient  d'autre  but  que  d'en  rendre  l'application 
impossible  ;  le  trône,  d'électif,  devint  héréditaire 
dans  la  famille  de  l'électeur  de  Saxe  désigné  comme 
futur  successeur  de  Stanislas-Auguste.  La  religion 
catholique  resta  religion  dominante,  mais  la  li- 
berté de  conscience  était  assurée  aux  dissidents. 
Sans  diminuer  les  droits  de  la  noblesse,  on  aug- 
mentait ceux  des  bourgeois,  qui  devenaient  élec- 
teurs, et  on  garantissait  aux  paysans  la  liberté 
individuelle:  do  plus,  l'anoblissement  des  paysans 
et  des  bourgeois  était  facilité  par  des  dispositions 


spéciales  :  de  sorte  que  l'égalité  civile  et  politique 
n'était   plus  qu'une  question  de  temps. 

La  joie  de  la  nation  ainsi  régénérée  fut  aussi 
grande  qu'elle  devait  être  éphémère.  Le  parti  russe 
et  soi-disant  républicain,  il  la  tête  duquel  étaient 
Félix  Potocki  et  Fr.-X.  Branicki,  protesta  contre 
cette  atteinte  aux  antiques  libertés  et  réclama 
l'appui  de  l'impératrice  Catherine,  qui  s'empressa 
d'envoyer  ses  troupes  au  secours  de  la  confédéra- 
tion de  Targowica  (1702).  D'autre  part  le  roi  de 
Prusse  manqua  à  sa  parole,  et,  au  lieu  d'*ider  le 
roi  et  le  parti  national,  il  s'allia  avec  la  Russie  con- 
tre la  révolution  française  :  la  Pologne  fut  le  prix 
de  cette  alliance.  L'armée  polonaise,  commandée 
par  le  neveu  du  roi,  Joseph  Poniatowski,  et  par  Kos- 
ciuszko,  qui  s'était  illustré  en  Amérique  dans  la 
guerre  d'indépendance,  se  couvrit  de  gloire  dans  la 
brillante  mais  inutile  affaire  de  Dubienka.  Le  roi, 
hésitant  jusque-là,  céda  aux  exigences  de  Cathe- 
rine et  accéda  à  la  confédération  de  Targowica. 
Alors  eut  lieu  le  second  partage.  La  Prusse  s'ad- 
jugea Thorn  et  Dantzig,  que  le  premier  partage 
avait  laissées  à  la  Pologne;  la  Russie  prit  la  moi- 
tié de  la  Lithuanie  et  avança  sa  frontière  jusqu'au 
cœur  de  la  Volhynie;  et  la  diète  de  Grodno,  dé- 
libérant sous  la  pression  des  baïonnettes  russes, 
fut  contrainte  de  ratifier  le  traité  de  partage  et 
d'annuler  la  constitution  du  3  mai  (1793). 

C'était  trop  d'humiliation,  et  les  patriotes,  ne 
pouvant  plus  sauver  le  pays,  voulurent  du  moins 
sauver  l'honneur.  C'est  ce  qui  explique  l'insurrec- 
tion de  Kosciuszko  (1703).  La  victoire  de  Bacla- 
wice,  où  parurent  pour  la  première  fois  les  fameux 
faucheurs,  l'expulsion  des  Russes  de  Varsovie  et 
de  Vilna,  furent  bientôt  suivies,  faute  de  ressour- 
ces en  hommes  et  en  argent,  de  la  défaite  de  Szcze- 
kuciny,  où  les  Prussiens  vinrent  au  secours  des 
Russes,  et,  après  l'exécution  des  traîtres  par  le 
peuple  de  Varsovie,  de  la  défaite  de  Maciejowico,  où 
Kosciuszko,  luttant  contre  des  forces  dix  fois  su- 
périeures, fut  battu  par  Fersen,  blessé  et  emmené 
prisonnier  en  Russie  (1794).  Souvarov  prit  Var- 
sovie après  le  massacre  du  faubourg  de  Praga. 
Le  roi  fut  forcé  d'abdiquer  en  nOî,  et  la  même 
année  eut  lieu  le  troisième  et  dernier  partage.  La 
Pilica,  la  Vistule,  le  Bug  et  le  Niémen  devenaient 
les  frontières  de  la  Russie,  de  la  Prusse  et  de 
l'Autriche.  La  Pologne  était  effacée  de  la  carte 
de  l'Europe.  Le  germanisme  et  le  moscovitisme 
avaient  vaincu. 

Ln  Pologne  après  /es  partages.  Insurrections 
nationales  (1795  à  1864).  —  Toutefois,  parmi  les 
patriotes  polonais,  il  ne  s'en  trouva  pas  un  seul 
pour  répéter  le  fameux  Finis  f'olonis,  fausse- 
ment attribué  à  Kosciuszko  après  Maciojowice. 
La  chute  de  l'Etat  polonais  avait,  on  l'a  vu, 
coïncidé  avec  la  régénération  de  la  nation,  et 
cette  nation  ne  voulait  pas  et  ne  devait  pas  mou- 
rir. Elle  suivit  le  conseil  de  J.-J.  Rousseau  :  «  Les 
Russes  pourront  vous  engloutir,  faites  en  sorte 
qu'ils  ne  puissent  pas  vous  digérer.  >> 

Aussitôt  après  le  troisième  partage,  tandis  que 
Paul  l"  succède  à  sa  mère  Catherine  II  (1796), 
commence  l'épopée  des  légions  polonaises,  qui, 
formées  par  Dombrowski  et  Kniaziewicz,  luttèrent 
dans  les  armées  de  la  République  française  pour 
la  liberté  des  peuples  et  prirent  une  part  glorieuse 
dans  les  guerres  d'Italie  et  d'Allemagne  (notam- 
ment à  Holienlinden),  jusqu'au  jour  où  le  premier 
consul  en  envoya  la  plus  grande  partie  mourir  de 
la  fièvre  jaune  à  Saint-Domingue.  Cela  ne  décou- 
ragea pas  les  patriotes  polonais.  Tandis  que  quel- 
ques-uns de  leurs  compatriotes,  le  prince  Adam 
Czartoryski  par  exemple,  comptaient  sur  le  li- 
béralisme du  nouveau  tzar  Alexandre  I"  (1801), 
persuadée  que  la  France  continuerait  sous  Napo- 
léon son  œuvre  d'affranchissement  des  peuples, .la 
jeunesse   polonaise  vint  en  masse  s'enrôler  dans 


POLOGNE 


1649 


POLOGNE 


SCS  armées,  surtout  lorsqu'en  1S()7,  pondant  la 
guerre  do  Prusso,  il  sembla  vouloir  reconstituer 
la  Pologne  pour  triompher  plus  aisément  de  la 
Russie.  Mais  Kosciuszko,  qui  avait  refusé  en  180G 
de  signer  des  appels  aux  armes  en  faveur  de  celui 
qu'il  regardait  comme  un  tyran,  avait  bion  prévu 
que  Napoléon  ne  ferait  rien  pour  la  Pologne.  Le 
traité  de  Tilsitt  (l«07),  en  instituant  le  grand-du- 
ché de  Varsovie,  ne  fit  qu'entretenir  les  illusions 
des  patriotes;  plus  que  jamais  ils  se  dévouèrent  à 
la  fortune  du  conquérant  :  on  connaît  la  fameuse 
charge  de  Somo-Sierra  (1809).  où  les  cbevau-légers 
polonais  ouvrirent  h  l'armée  française  la  route  do 
Madrid;  on  sait  la  part  que  prirent  les  corps  de 
Dombrowski  et  de  Poniatowski  à  la  funeste  campagne 
de  181  ï,  qui  ruina  les  espérances  des  Polonais 
sans  affaiblir  leur  dévouement.  Ce  sont  eux  qui 
protègent  la  retraite  de  la  grande  armée  ;  ce  sont 
eux  qui  les  derniers  quittent  en  1813  le  champ  de 
bataille  de  Leipzig,  où  Joseph  Poniatowski, 
nommé  la  veille  maréchal  de  France,  périt  dans 
l'Elster.  Sous  les  murs  de  Paris  (1814)  et  enfin  h 
l'ile  d'Elbe,  on  retrouve  encore  des  Polonais  parmi 
les  plus  fidèles  et  les  derniers  amis  du  conqué- 
rant tombé. 

Les  traités  de  1815  modifient  quelque  peu  la  si- 
tuation de  la  Pologne.  A  la  place  du  grand-duché 
de  Varsovie,  qui  a  cessé  d'exister,  on  organise  un 
royaume  constitutionnel  de  Pologne  avec  Varsovie 
pour  capitale  sous  le  sceptre  de  l'empereur  de 
Russie,  et  l'on  rend  h  la  Prusse  le  duché  de  Posen  ; 
Cracovie  devient  ville  libre  sous  la  protection' dos 
trois  cours.  Mais  la  constitution  de  1815  ne  con- 
tente personne,  ni  le  gouvernement  russe  quiila 
viole  à  plusieurs  reprises,  ni  les  patriotes  polonais 
qui  veulent  profiter  des  forces  nouvelles  que  leur 
donnent  l'armée  et  les  finances  du  petit  royaume 
pour  reconquérir  l'indépendance  et  reconstituer 
l'ancienne  Pologne.  La  tyrannie  du  frère  d'Alexan- 
dre, le  grand-duc  Constantin,  lieutenant-général 
du  royaume,  l'avènement  do  Nicolas  1"  (18.'5), 
sont  l'occasion  de  complots,  qui  aboutissent,  en 
ISHO,  lorsque  le  tsar  se  prépare  à  marcher  sur 
Paris  pour  restaurer  Charles  X,  à  l'insurrection 
du  29  novembre,  qui  sauva  peut-être  la  monar- 
chie de  Louis  Philippe,  mais  qui,  tout  en  donnant 
un  nouvel  éclat  à  l'antique  renommée  de  la  va- 
leur polonaise,  porta  le  dernier  coup  à  ce  sem- 
blant d'autonomie  qu'avaient  créé  les  traités  de 
"Vienne. 

L'insurrection,  malgré  les  tergiversations  du 
dictateur  Chlopicki,  l'indécision  des  membres  du 
gouvernement  national  présidé  par  le  prince  Adam 
Czartoryski,  l'abandon  où  la  laissa  l'Europe,  l'aide 
indirecte  donnée  par  la  Prusse  à  la  Russie,  les 
fautes  des  généraux  en  chef  et  notamment  de 
Skrzynecki,  résista  victorieusement  à  toutes  les 
forces  de  l'empire  russe  pendant  neuf  mois  entiers. 
Les  batailles  de  Wavver  et  de  Giochovv  (19  et 
20  février  18.31),  de  Wawer  et  de  Dembe  (mars), 
les  prodiges  de  courage  des  insurgés  de  Volhynie, 
de  Lithuanie  et  de  Samogitie,  tout  est  inutile.  La 
bataille  sanglante  d'Ostrolenka,  l'expédition  de 
Gielgud  en  Lithuanie  ne  font  qu'accélérer  la 
chute  de  l'insurrection.  La  population  de  Varsovie 
renouvelle  le  15  août  la  faute  commise  en  l"9i, 
elle  massacre  les  suspects  :  enfin  Krukowiecki,  le 
président  du  gouvernement  national,  traite  avec 
le  feld-maréchal  russe  Paskievitch,  Praga  capitule 
et  les  Russes  entrent  à  Varsovie  (8  sept.   I8:j|). 

La  plus  grande  partie  de  l'armée  se  réfugie  on 
Prusse  et  de  là  en  France,  où  l'émigration  polo- 
naise est  accueillie  avec  une  sympathie  dont  on 
trouve  l'écho  dans  les  beaux  vers  de  Barthélémy, 
1  auteur  de  la  Némésis. 

En  Pologne  la  répression  fut  sanglante.  L'empe- 
reur Nicolas  fit  peser  un  joug  de  fer  sur  le  pays; 
non  seulement  la  constitution  fut  abolie  et  rem- 
2'  Pahtie, 


placée  par  le  régime  du  bon  plaisir  :  mais  la  lan- 
gue et  les  usages  polonais  furent  interdits,  la  reli- 
gion catholi(|ue  persécutée  ;  la  déportation  et  les 
confiscations  dévastèrent  le  pays  et  le  mirent  à  la 
merci  des  fonctionnaires  russes.  La  vie  nationale 
semblait  devoir  s'éteindre.  Le  sort  des  Polonais 
soumis  à  l'Autriche  n'était  pas  moins  déplorable. 
Par  des  moyens  moins  violents,  mais  plus  funestes, 
le  gouvernement  de  Vienne  étendait  partout  le  ré- 
seau de  sa  police  et  de  sa  bureaucratie  soupçon- 
neuse; il  excitait  les  haines  des  paysans  contre 
les  nobles,  des  Ruthènes  contre  les  Polonais,  et  pré- 
parait ainsi  les  massacres  de  Galicie  (18-i(i),  qui 
pèseront  toujours  sur  la  mémoire  du  prince  de 
Metternich.  En  1846,  la  république  de  Cracovie 
fut  envahie,  et,  au  mépris  des  traités  de  1815, 
incorporée  à  l'Autriche. 

La  germanisation  des  provinces  soumises  à  la 
Prusse  s'opérait  par  des  procédés  plus  pacifiques, 
surtout  par  une  invasion  économique.  La  situation 
des  habitants  était  infiniment  plus  heureuse  qu'en 
Autriche  et  en  Russie.  Aussi  est-ce  à  Posen,  en 
même  temps  que  dans  l'émigration,  que  se  con- 
centra, de  1830  i  1848,  la  vie  intellectuelle  et  poli- 
tique de  la  nation.  Les  tempêtes  politi(|oes,en  effet, 
n'avaient  pas  arrêté  la  renaissance  littéraire  com- 
mencée sous  Stanislas-Auguste.  Les  trente  pre 
mières  années  du  xix"  siècle  avaient  vu  naître  en 
Pologne,  comme  dans  le  reste  de  l'Europe,  une 
poésie  vraiment  nationale  qui,  sous  le  drapeau  du 
romantisme,  combattait  pour  la  liberté  et  pour 
l'indépendance.  A  la  suite  de  Mickiewicz,  de  B.  Za- 
leski  et  de  Goszczynski  étaient  venus  Jules  Slo- 
wacki,  le  Heine  et  le  Musset  de  la  Pologne,  et  Sig. 
Krasiîîski,  connu  longtemps  sous  lo  nom  du  poète 
anompiie  de  la  Pologne.  L'histoire  avait  eu  Le- 
lewel,  et  après  lui  Mochnacki,  Szajnocha,  Mora- 
czewski,  Bielowski,  etc.  Les  idées  de  progrès  et  de 
réformes  démocratiques  propagées  par  l'émigra- 
tion pénétraient  de  plus  en  plus  dans  le  pays. 
Mais  les  mouvements  prématurés  et  avortés  de 
184G  et  de  1848  à  Cracovie  et  dans  le  duché  de 
Posen,  la  défaite  du  général  Mieroslavvski  à 
Xionz  et  à  Miloslaw,  compromirent  le  succès  de 
cette  propagande,  et  1  émigration  perdit  son  in- 
fluence et  son  prestige. 

La  guerre  d'Orient,  la  mort  de  Nicolas  et 
l'avènement  d'Alexandre  II  au  trône  de  Russie 
avaient  d'ailleurs  réveillé  les  esprits  dans  la  Polo- 
gne russe.  Le  gouvernement  lui-même,  sans  en- 
courager ce  que  l'empereur  avait  appelé  des  «  rê- 
veries i>,  crut  qu'il  devait  faire  quelques  conces- 
sions à  l'esprit  public  et  chargea  le  marquis 
Wielopolski  de  préparer  des  réforme.^  dans  l'admi- 
nistration et  dans  l'instruction.  Mais  le  caractère 
hautain  du  marquis  lui  aliéna  les  sympathies  de  la 
nation  ;  le  mouvement  national,  surexcité  par  les 
manifestations  de  ISlil  et  leur  répression  san- 
glante, ne  pouvait  plus  être  enrayé  :  à  la  suite  du 
recrutement  forcé,  décrété  par  le  gouvernement 
russe,  l'insurrection  éclata  le  21  janvier  1863. 
Jusqu'à  la  fin  de  1S64  un  gouvernement  national 
et  secret  dirigea  la  lutte  contre  la  Russie;  la 
guerre  de  partisans  eut  lieu  sur  tout  le  territoire 
de  l'ancienne  Pologne  appartenant  à  la  Russie,  et 
la  Galicie  et  le  duché  de  Posen  fournirent  à  l'in- 
surroction  leur  contingent  de  combattants.  Le 
gouvernement  national  pi-oclama  les  droits  des 
paysans  à  l'égalité  civile  et  à  la  propriété.  Mais, 
en  dépit  des  victoires  du  dictateur  Langiewicz  et 
du  Français  Rochebrune,  des  exploits  de  Jojzio- 
raîîski,  de  Kruk,  de  Bosak-Hauke,  mort  plus  tard 
pour  la  France  à  la  bataille  de  Nuits  (1870),  de 
l'héroïsme  des  Sierakovvski,  des  Padlewski,  des 
Mackievvicz,  cette  lutte  inégale  ne  pouvait  durer 
bien  longtemps,  si  l'insurrection  était  laissée  à 
elle-même.  L'appel  de  la  France  aux  puissances 
européennes  étant  resté  sans  écho,  la  Pologne 
104 


POLOGNE 


—  1650  — 


POLYEDRES 


succomba  encore  une  fois;  et  la  répression  des 
M'>uravi(!v  et  autres  rappela  celle  qui  avait  suivi 
1830.  Le  royaume  de  Pologne  du  congrès  de 
Vienne  perdit  jusqu'à,  ce  nom  qui  lui  était  resté 
et  prit  celui  de  provinces  de  la  Vistule.  Il  ne  fut 
plus  question  de  réformes  ni  de  concessions. 

Etat  ucluel  d  ■  la  Pologne  (18(;4  à  188:»).  —  Il 
semble  que  les  malheurs  de  1863  aient  clos 
désormais  l'ère  des  insurrections,  sans  que  les 
Polonais  aient  renoncé  à  recouvrer  un  jour  leur 
indépendance  ;  ils  pensent  qu'une  nation  de 
17  millions  d'hommes,  ayant  un  passé  historique 
.aussi  long  et  aussi  brillant,  ne  peut  pas  mourir,  tant 
qu'elle  conserve  le  sentiment  d'elle-même,  et  ils  at- 
tendent leur  heure,  mais  en  la  préparant  exclusive- 
ment par  le  travail  intellectuel, par  le  développement 
économique,  et,  là  où  ils  le  peuvent,  par  l'usage 
de  leurs  droits  légaux,  en  continuant  ainsi  pacifi- 
quement la  lutte  historique  contre  le  panslavisme 
moscovite  et  le  pangermanisme  prussien. 

Le  foyer  principal  de  la  vie  politique  est  actuel- 
lement la  Galicie,  qui  jouit  en  Autriche  dune 
autonomie  presque  complète,  a  sa  dièie  provin- 
ciale, ses  universités  polonaises  'LwowetCracovie  , 
son  Académie  des  sciences  polonaise  fCracovie), 
une  armée  provinciale  composée  do  Polonais,  et  la 
plus  grande  liberté  pour  tout  ce  qui  concerne  le 
développement  de  la  nationalité.  La  seule  ombre 
au  tableau  est  dans  l'antagonisme,  d'ailleurs  bien 
affaibli  depuis  un  an,  des  Ruthèncs  de  la  Galicie 
orientale  avec  les  Pulonais,  et  la  situation  écono- 
mique, aussi  peu  florissante  en  Galicie  que  dans 
les  autres  provinces  de  l'empire  austro-hongrois. 
Néanmoins,  grâce  à  ses  ricliesses  naturelles  (sa- 
lines de  Wieliczka,  mines  Je  pétrole,  industries 
forestières),  grâce  aussi  à  son  réseau  de  chemir.s 
do  fer,  elle  améliorera  sans  doute  sa  situation 
môme  à  cet  égard.  La  population  de  la  Galicie  est 
do  ."iOOOOOO  d'habitants,  dont  4  1000(10  Slaves, 
c'est-à-dire  Polonais  et  liuthènes,  et  450  000  Juifs. 
La  Pologne  prussienne  est  encore  moins  heu- 
reuse au  point  de  vue  économique,  et  l'afflux  de 
la  population  allemande  y  menacerait  sérieuse- 
ment la  nationalité  polonaise,  sans  les  efforts  éner- 
giques des  députés  polonais  à  la  diète  de  Berlin, 
sans  le  patriotisme  des  populations  rurales  et 
l'initiative  féconde  des  grands  propriétaires.  Les 
Polonais  du  duché  de  Posen  et  de  la  Prusse 
royale  luttent  surtout  actuellement  pour  recon- 
quérir les  écoles  séparées,  afin  que  l'enseignement 
boil  donné  à  leurs  enfants  dans  la  langue  nationale, 
et  ils  combattent  aussi  les  lois  de  mai,  qui, dans  le 
duché  de  Posen,  ne  sont  pas  seulement  dirigées 
contre  l'Eglise  catholique,  mais  aussi  et  surtout 
contre  la  nationalité  polonaise.  La  population  du 
duché  de  Posen  est  d'environ  16000U0  habitants, 
dont  9IIUÛ0O  Polonais  et  7.^000  Juifs. 

La  Pologne  russe  (6  millions  de  Polonais,  G  rail- 
lions de  Ruthènes,  plus  d'un  million  de  Juifs),  se 
relève  et  s'enrichit  de  plus  en  plus  :  elle  prend 
actuellement  sur  la  Russie  une  sorte  de  revanche 
économique.  Le  travail  et  l'instruction  semblent 
là  plus  qu'ailleurs  le  mot  d'ordre  de  la  génération 
actuelle.  Les  progrès  de  l'industrie  (sucres,  ma- 
chines, draps,  cuirs,  etc.)  sont  véritablement  sur- 
prenants, surtout  dans  le  petit  royaume  du  Congrès, 
et  l'exposition  universelle  de  1878  en  a  été  une 
preuve  éclatante.  Le  mouvement  littéraire  dont 
Varsovie  est  le  centre,  et  qui,  en  dépit  des  entra- 
ves de  toute  sorte  qu'y  met  le  gouvernement  et  la 
censure,  augmente  de  jour  en  jour,  prouve  une 
ardeur  et  une  maturité  d'esprit  auxquelles  les 
Varsoviens  ne  nous  avaient  pas  accoutumés  jus- 
qu'à ce  jour.  Outre  les  sciences,  dans  lesquelles 
la  Pologne  peut  citer  des  noms  jouissant  d'une 
renommée  européenne,  comme  ceux  des  savants 
naturalistes  Kowalewski  et  Kopernicki,  les  arts 
sont  aussi  cultivés  avec  un  succès  attesté  pour  la 


peinture  par  les  expositions  de  l'Europe  entière. 
Les  deux  maîtres  de  l'école  de  peinture  polonaise, 
.Matejko  (de  Cracovie)  et  Siemiradzki,  ont  de  nom- 
breux imitateurs.  Pour  la  musique,  Chopin  et 
Moniuszko  ont  également  des  disciples  qui  sont 
déjà  des  maîtres.  Il  serait  trop  long  de  citer  ici 
tous  les  romanciers,  poètes,  historiens,  critiques 
dont  la  Pologne  peut  se  vanter  aujourd'hui  et  qui, 
l'année  dernière,  réunis  à  Cracovie,  récompen- 
saient dans  la  personne  du  plus  illustre  d'entre 
eux,  J.-I.  Kraszewski,  écrivain  d'une  inépuisable 
fécondité  dans  tous  les  genres  (roman,  poésie, 
archéologie,  histoire,  etc),  le  travail  et  la  persé- 
vérance, les  deux  vertus  dont  la  pratique  peut 
seule,  pensent-ils,  permettre  à  leur  patrie  de  se 
relever  un  jour.  [V.  Gasztowtt.j 

Pour  la  géographie  physique  et  administrative 
de  la  Pologne,  V.  Russie. 

l'OLYÈltUES.  —  Géométrie,  XXl-XMII,  — 
Etym.  :  Du  gvec  polyedros,  qui  a  plusieurs  faces. 
—  Il  ne  faut  pas  confondre  le  polyèdre  avec  l'mi- 
y/e  polyèdre. 

I.  —  Angles  polyèdres.  —  On  nomme  ainsi  la 
figure  formée  par  plusieurs  plans  qui  se  coupent 
deux  à  deux,  en  passant  par  uu  point  commun.  Ce 
point  est  le  somme'  de  l'angle  polyèdre;  les  droi- 
tes d'intersection  sont  les  arèies ;  les  plans  limités 
aux  arêtes  sont  des  angl-s  plans  qui  se  nomment 
faces  de  l'angle  polyèdre. 

Nous  n'avons  à  coiisidérer  que  les  angles  polyè 
dres  convrxes,  c'est-à-dire  ceux  qui  n'ont  pas 
d'angle  dièdre  rentrant  vers  l'intérieur  de  la  figure. 
Quand  un  angle  polyèdre  est  convexe,  il  reste  tout 
ent'er  du  môme  côté  du  plan  de  lune  quelconque 
de  ses  faces  prolongée. 

L'angle  polyèdre  qui  n'a  que  trois  faces  est 
nommé  angle  trièdre  ;  on  en  a  un  exemple  dans 
l'encoignure  formée  par  le  plancher  et  deux  murs 
consécutifs. 

Ici  les  trois  angles  plans  sont  généralement  des 
angles  droits  ;  mais  les  faces  d'un  angle  trièdre 
peuvent  être  des  angles  aigus  et  même  des  angles 
obtus.  Cependant  la  somme  des  angles  plans  d'un 
angle  polyèdre  a  une  limite. 

TuiioBÈME.  —  Dans  tout  angle  polyèdre  convexe 
ta  somme  des  faces,  c'est-à-dire  des  angles  plans, 
esl  moimtre  que  quatre  angles  droits. 

En  effet  supposons  qu'on  veuille  construire  un 
angle  polyèdre,  à  cinq  faces  par  exemple,  avec 
une  feuille  de  carton.  Après  l'avoir  découpée 
suivaiU  cinq  droites  OA,  OB,  etc.  (fig.  1)  partant 


d'un  même  point  0,  on  sera  obligé  de  retrancher 
un  espace  angulaire  plus  ou  moins  grand  COM, 
pour  qu'il  soit  possible  d'obtenir  un  angle  polyè- 
dre, en  amenant  le  coté  OM  à  coïncider  avec  le 
côté  OC.  Or  la  somme  de  tous  les  angles  qui 
étaient  formés  autour  du  point  O  sur  le  plan  vaut 
■4  angles  droits  ;  donc  la  somme  des  angles  qui  for- 
ment l'angle  polyèdre  est  moindre  que  4  angles 
droits.  .     ,      , 

Nota.  —  A  cette  démonstration  si  suiiple  qui 
suffit  dans  renseignement  primaire,  nous  devons 
ajouter  la  démonstration  théorique,  telle  qu'elle 
est  exposée  dans  tous  les  traités  classiques.  Elle 
repose  sur  le  théorème  suivant. 


POLYÈDRES 


—  1631 


POLYEDRES 


THiconiiME.  —  Dans  un  angle  trièdre  chaque  face 
eal  ji/ns  petite  r)!ie  la  somme  des  deux  autres. 
Soit  AOBC  (tig.  2)  un  angle  trièdre  dont  la  face 


AOB  est  sur  le  plan  du  papier,  l'arêto  OC  étant 
dirigée  en  avant. 

Sur  AOB,  la  plus  grande  des  trois  faces,  menons 
OD  de  manière  h  faire  l'angle  AOD  égal  à  l'angle 
AOC,  et  tirons  la  droite  AB  dans  une  direction 
quelconque  ;  prenons  ensuite  OC  =  OD  et  joi- 
gnons le  point  C  aux  points  A  et  B.  Les  deux  trian- 
gles AOU  et  AOC  sont  égaux,  comme  ayant  un 
angle  égal  compris  entre  deux  côtés  respective- 
ment égaux  (angle  AOD  =  angle  AOC)  ;  donc  le 
côté  AC  est  égal  au  coté  AD. 

Or  du  point  A  au  poijit  B  la  ligne  droite  AB 
étant  plus  courte  que  la  ligne  brisée,  on  a  : 

AD  +  DB<AC-f  CB. 

En  retranchant  aux  deux  membres  les  lignes 
égales  AD  et  AG,  on  obtient  cette  autre  inégalité  : 

DB<CB. 

Les  deux  triangles  ODB  et  OBC  ayant  deux 
côtés  respectivement  égaux  (OB  commun  et 
OD  =  OC)  et  le  S"  côté  inégal,'  l'angle  DOB,  op- 
posé au  plus  petit  côté  DB,  est  moindre  que  l'an- 
gle COB  opposé  au  plus  grand  côté  CB.  Par  consé- 
quent en  ajoutant  au  plus  petit  l'angle  AOD  et  au 
plus  grand  l'angle  égal  AOC,  on  a  l'inégalité  : 

DOB  +  DOA  <  COB  +  COA 
ou  : 

AOB  <  COA  +  COB, 

ce  qui  est  précisément  le  théorème  énoncé. 

Démontrons  niaintonaiit  que  la  somma  des  angles 
plans  d'un  anyU-  polyèdre  est  moindre  que  i  anales 
droits. 

Pour  cela  coupons  par  un  plan  MN  (fig.  3)  l'an- 


de  l'angle  polyèdre.  Mais  en  considérant  les 
angles  trièdros  qui  ont  leurs  sommets  aux  som- 
mets A,B,  du  pentagone,  on  a,  d'après  le  théorème 
précédent,  pour  les  angles  plans  qui  forment  leurs 
faces,  les  inégalités  suivantes  : 

PAE  +  PAB  <  OAE  -4-  OAB, 
PBA  -(-  PBC  <  OBA  +  OBC,  etc. 

On  voit  par  lîi  que  la  somme  des  angles  qui 
dans  les  triangles  du  pentagone  sont  adjacents  aux 
côtés  AB,  BC,  etc.,  est  monidi-e  que  la  somme  des 
angles  qui,  dans  les  cinq  triangles  de  l'angle  po- 
lyèdre, sont  adjacents  aux  mêmes  cotés;  par  con- 
séquent la  somme  des  cinq  angles  situés  autour 
du  point  P  doit  être  par  compensation  plus  grande 
que  la  sommo  des  cinq  angles  assemblés  autour 
du  point  0;  donc  la  somme  de»  angles  on  O  est 
moindre  que  i  angles  droits,  valeur  de  la  somme 
des  angles  en  P. 

Ani/les  Irièdres  symétriques.  —  Soit  un  angle 
trièdre  OACB  (fig.  4),  dont  l'arête  OC  est  dirigée  en 


glo  polyèdre  peniagonal  qui  a  son  sommet  en  0 
ce  qui  déierniinc  le  pentagme  ABCDE  ;  puis  joi- 
gnons un  point  quelconque  P  de  ce  polygone  aux 
cinq  sommets  par  les  droites  PA,  PB  etc.  La 
somme  des  angles  des  cinq  triangles  assemblés 
autour  du  point  P   et  formant  le  pentagone  est 

n^in  n.»-  ""'"'"''  '''"*  ''"«'«'  ''«^  ci"<l  triangles 
OAB,  OBC,  etc.,  assemblés  autour  du  sommet  O 


avant  du  plan  de  la  face  AOB.  Si  on  prolonge  les 
arêtes  au  delà  du  sommet  O,  on  obtient  un  autre 
angle  trièdre  OA'C'B',  ayant  ses  trois  faces  et  ses 
trois  angles  trièdres  égaux  aux  trois  faces  et  aux 
trois  angles  dièdres  du  premier. 

Cependant  ces  deux  angles  trièdres  ne  pour- 
raient coïncider;  car  si  on  rabat  do  haut  en  bas  le 
second  sur  le  premier,  en  appliquant  la  face  B'OA' 
sur  la  face  AOB  qui  lui  est  égale,  l'arùte  OC,  au 
lieu  de  tomber  sur  0(;,  se  placera  dans  la  posi- 
tion OC",  l'angle  C'OB  étant  égal  à  l'angle  COA. 

Les  deux  angles  trièdres  OACB  et  OA'C'B',  qui 
ont  leurs  six  éléments  respectivement  égaux, 
sans  pouvoir  coincider,  sont  nommés  angles  triè- 
dres symétriques. 

Observation.  —  Les  angles  trièdres  ont  une 
grande  analogie  avec  les  triangles  ;  les  côtés  de 
ceux-ci  correspondant  aux  faces  de  ceux-là,  et  les 
angles  plans  des  triangles  aux  angles  dièdres  des 
angles  trièdres.  De  li  des  propriétés  semblables, 
dont  nous  ne  citerons  que  les  deux  exemples  sui- 
vants : 

Si  deux  fares  d'un  auf/le  trièdre  sont  égales, 
les  angles  dièdres  opposés  sont  égaux,  et  récipro- 
quemfnt; 

Deux  angli'S  trièdres  sont  égaux  dans  toutes 
leurs  parties,  quand  ils  ont  leurs  trois  faces  res- 
pectiueme/it  égales,  et  réciproquement. 

II.  —  Polyèdres  ou  solides.  —  1.  On  donne  le 
nom  de  polgèilre  à  un  corps  qui  est  limité  par 
des  f'ici's  planes.  Ces  faces  sont  des  polygones; 
leurs  côtés  sont  les  arêtes,  et  les  extrémités  des 
côtés  ont  les  sommets  du  polyèdre. 

Parmi  les  polyèdres  il  faut  distinguer  les  pris- 
mes et  les  pi/nit/iides. 

2.  —  Pristr.es.  —  On  nomme  prisme  un  polyèdre 
dans  lequel  deux  faces  opposées  sont  des  polygo- 
nes égaux  et  parallèles,  et  dont  les  autres  sont  dos 
pariillélogramrni's.Les  deux  polygones  égaux  sont 
considi'i-és  comme  lesiascs;  les  autres  faces  sont 
les  faces  lalérules. 


POLYEDRES 


—  1652  — 


POLYEDRES 


Soit  par  exemple  le  pentagone  A'B'C'D'E'  (fig.  5). 
Si  des  sommets  A',  B'.,.,  etc.,  on  mène,  dans  une 


direction  quelconque,  des  droites  A'A,B'B,C'C,  etc. 
égales  et  parallèles  entre  elles,  et  qu'on  joigne 
deux  à  deux  leurs  extrémités,  on  forme  des  paral- 
lélogrammes A'ABB'  B'BCC,  etc.  Les  côtés  AB, 
BC,  etc.,  étant  parallèles  aux  côtés  A'B',  B'C'...du 
polygone  A'B'C'D'E',  sont  parallèles  au  plan  île  ce 
polygone  et  sont  par  conséquent  dans  un  même 
plan.  Le  polygone  AB(>DE,  ayant  ses  côtés  et  ses 
angles  égaux  h  ceux  du  polygone  A'B'C'D'E',  lui  est 
égal,  et  le  polyèdre  ainsi  construit  est  un  prisme. 

l.a  liautfur  d'un  prisme  est  la  perpendiculaire 
MM'  menée  d'un  point  de  la  base  supérieure  sur 
le  plan  de  la  base  inférieure. 

Quand  les  arêtes  latérales  A'A,  B'B...  etc.,  sont 
perpendiculaires  à  la  base,  elles  sont  elles-mêmes 
la  hauteur;  le  prisme  est  dit  prisme  droit.  Dans 
ce  cas,  les  faces  latérales  sont  des  rectangles. 

Lorsque  les  arêtes  latérales  ne  sont  pas  perpen- 
diculaires aux  bases,  on  dit  que  le  prisme  est 
oblique. 

Un  prisme  est  triangulaire,  quand  il  a  pour  base 
un  triangle;  quadra?igu/aiie,  ijuand  il  a  pour  base 
un  quadrilatère  quelconque  ;  ptnlagonal,  quand 
il  a  pour  base  un  pentagone,  etc. 

3.  —  Paral/clipipcde.  —  Vn  prisme  dont  la  base 
est  un  parallélogramme  est  appelé  parallélipipède 
(fig-  Uj. 


Les  six  faces  sont  toutes  des  parallélogrammes. 

Lorsque  le  parallélipipède  est  droit  et  que  ses 
bases  sont  des  rectangles,  toutes  ses  faces  sont  des 
rectangles  ;  il  est  dit  pm-atlélipipède  rectangle. 
Telle  est  la  forme  d'une  caisse  à  six  faces  planes 
d'une  brique,  d'un  bassin  à  quatre  côtés,  etc.       ' 

Si  la  base  est  carrée  et  la  hauteur  égale  au  côté 
de  la  base,  le  parallélipipède  s  appelle  cube.  Le 
cube  est  donc  un  corps  formé  par  six  carrés  égaux, 
l'ne  boite  dont  la  longueur,  la  largeur  et  la  hau- 
teur sont  égales  est  un  cube. 

4.  —  Propriétés  du  parallclipipède.  —  Le  parallé- 
lipipède est  parmi  les  polyèdres  ce  qtfe  le  parallélo- 
gramme est  parmi  les  polygones;  plusieurs  pro- 
priétés de  l'un  sont  analogues  aux  propriétés  de 
1  autre.  Nous  citerons  les  suivantes,  en  démontrant 
seulement  les  plus  importantes. 

Théorèmes.  —  j'  Dan^  zm  parallélipipède,  les 
deux  faees  Opposées  sont  égales  et  parallèles. 

Soit  le  parallélipipède  (fig.  C)  qui  a  pour  bases 
les  parallélogrammes   égaux    ^BCD  et  A'B'C'D'. 


Les  deux  parallélogrammes  A'ADD'et  B'BCC  ont 
leurs  côtés  respectivement  égaux  et  parallèles, 
A'A  et  B'B,  AD.  et  BC,  etc.  ;  leurs  angles  sont  aussi 
égaux;  par  conséquent,  ces  parallélogrammes  sont 
égaux  et  parallèles. 

De  là  il  résulte  qu'on  peut  prendre  pour  bases 
dans  un  parallélipipède  deux  faces  opposées  quel- 
conques. 

2"  Deux  angles  dièdres  opposés  d'un  parallélipi- 
pède sont  égaux. 

En  effet,  ils  ont  leurs  faces  parallèles  et  dirigées 
en  sens  inverse. 

3°  Deux  angles  irièdres  opposés  sont  symétri- 
ques, c'est-à-dire  qu'ils  ont  leurs  parties  respec- 
tivement égales,  mais  ne  peuvent  pas  être  su- 
perposés. 

4°  Les  quatre  diagonales  se  coupent  en  un  même 
point,  qui  est  le  milieu  de  chacune  d'elles. 

En  effnt,  dans  le  parallélipipède  ABGDHEFG 
(fig.  7),  tirons  les  droites  H.\  et  GB,  ce  qui  forme 


un  parallélogramme  HABG.  Les  diagonales  GA 
et  HB  du  parallélipipède  sont  en  même  temps  les 
diagonales  du  parallélogramme  HABG  ;  donc  elles 
se  coupent  et  le  point  d'intersection  0  est  le  mi- 
lieu de  chacune  d'elles. 

On  verrait  de  même  que  la  diagonale  EC  coupi' 
la  diagonale  GA  en  son  milieu  0,  parce  qu'elles 
sont  toutes  deux  les  diagonales  du  parallélogram- 
me EACG. 

5"  Dans  un  parallélipipède  rectangle  les  quatre 
diagonales  sont  égales. 

5.  —  Prisme  régulier.  —  Un  prisme  droit  qui  a 
pour  base  un  polygone  régulier  est  nommé  prisme 
régulier. 

Par  exemple,  une  règle  terminée  à  ses  deux  ex- 
trémités par  deux  carrés  égaux,  les  carreaux  do 
brique  à  six  côtés  employés  dans  le  dallage,  sou; 
des  prismes  réguliers. 

Dans  ce  prisme,  toutes  les  parties  de  même  es- 
pèce sont  égales.  Ainsi,  les  faces  latérales  soin 
des  rectangles  égaux  ;  les  angles  dièdres  formés 
par  deux  faces  latérales  sont  égaux  ;  les  angle-- 
trièdres  qui  ont  leurs  sommets  sur  les  somniei» 
des  bases  sont  tous  égaux,  etc. 

La  droite  qui  joint  les  centres  des  deux  bases 
est  l'axe  du  prisme  régulier. 

6.  —Cylindre.  —  Si  on  prondpnurbase  d'un  pris- 


l'-ig-  s. 

me  régulier  un  polygone  régulier  ABGDEF  inscrits 
dans  un  cercle,  (fig.  8),  et  qu'on  imagine  que  le' 


POLYEDRES 


—  1653  — 


POLYEDRES 


nombre  des  côtés  augmente  indi''finiment,  les  faces 
latérales  du  prisme  deviennent  de  plus  en  plus 
rii'oiles,  et  le  prisme  diffère  de  moins  on  moins 
il'iui  cylindre  ;  donc  le  cylindre  peut  élre  rejardé 
:  Dinme  un  prisme  régulier. 

7.  —  l'ijrnmi'lf.—  La  pyramide  est  un  polyèdre 
formé  par  des  triangles  c|ui  ont  un  sommet  com- 
nnin,  et  dont  les  bases  sont  les  côtés  d'un  poly- 
gone quelconque  (lig.  9).  Ce  polygone  est  la  base 


de  la  pyramide  ;  le  sommet  S  commun  aux  trian- 
gles est  le  sommet  de  la  pyramide.  La  hauteur  de 
la  pyramide  est  la  perpendiculaire  abaissée  du 
sommet  S  sur  le  plan  de  la  base  ABCDE. 

Une  pyramide  est  dite  triangulaire,  quadrangu- 
luire,  pentagonale,  etc.,  suivant  que  sa  base  est 
un  triangle,  un  quadrilatère,  un  pentagone,  •etc. 

La  pyramide  triangulaire  a  quatre  faces,  qui  sont 
toutes  des  triangles  ;  on  lui  donne  aussi  le  nom 
de  tétraèdre  (quatre  faces).  Le  tétraèdre  est  par- 
mi les  polyèdres  ce  que  le  triangle  est  parmi  les 
polygones. 

8.  — Théobème.  —  Ln  section  faite  dans  laie  pyra- 
mide par  un  planparidlèle  à  la  base  est  un  poly- 
gone xemfiiihle  à  la  bose. 

Soit  A'BT.'D'E'  (lig.  101  la  section  faite  dans  une 


pyramide  SABCDE  par  un  plan  parallèle  à  la  base. 
Les  intersections  de  deux  plans  parallèles  coupés 
par  un  troisième  étant  des  droites  parallèles,  les 
côtés  du  pentagone  de  la  section  sont  parallèles 
aux  côtés  de  sa  base  ;  donc  les  angles  A'B'C  et 
ABC  sont  égaux;  de  même  les  angles  B'C'D'  et 
BCD,  etc. 

En  outre,  les  triangles  SE' A'  et  SRA  sont  sem- 
blables ;  de  même,  les  triangles  SA'B'  et  SAB,  etc.  ; 
■donc,  si  SA'  est  par  exemple  les  l  de  SA,  SB'  sera 
les  I  de  SB,  E'A'  sera  les  |  de  EA,  et  enfin  chaque 
côté  du  pentagone  A'B'C'D'E'  sera  les  |  des  côtés 
homologues  du  pentagone  ABCDE  ;  donc  ces  deux 
polygones  sont  semblables. 

9.  —  Pyramide  «ro^K/Mce.  —  La  portion  de  pyra- 
mide comprise  entre  la  base  ABCDE  ;Hg.  Ki)  et 
une  section  A'B'C'D'E'  parallèle  à  la  base  est  ap- 
pelée/jî/ramo/e  tionqwe  uu  tronc  de  pyramide. 
Les  faces  latérales  sont  des  trapèzes. 

Dans  un  tronc  de  pyramide  les  arêtes  latérales 
prolongées  iraient  se  rencontrer  au  môme  point. 

11  est  bon  d'observer  qu'un  polyèdre  qui  aurait 
pour  base  inférieure  et  pour  base  supérieure  deux 


rectangles  parallèles  ABCDHEFG  (fig.  1 1)  n'est  pas 
toujours  un  tronc  do  pyramide.  Il  faut  encore  que 


l']g.  u. 

les  deux  rectangles  soient  semblables,  c'est-à-dire 
que  le  rapport  de  leurs  largeurs  soit  égal  au  rap- 
port de  leurs  longueurs. 

10.  —  Pyramide  régulière.—  On  nomme  pyramide 
régulière  une  pyramide  qui  a  pour  base  un  poly- 
gone régulier  et  son  sommet  sur  la  perpendiculaire 
élevée  au  centre  de  la  base. 

Dans  cette  pyramide  les  arêtes  latérales  sont 
des  obliques  égales;  les  faces  latérales  sont  des 
triangles  isoscèles  égaux  également  inclinés  sur 
la  base,  et  faisant  entre  eux  des  angles  dièdres 
égaux.  Les  angles  trièdres  qui  ont  leurs  sommets 
aux  sommets  de  la  base  sont  aussi  égaux. 

La  droite  menée  du  sommet  au  centre  de  la  base 
est  Vaxe  de  la  pyramide  régulière. 

La  droite  qui  joint  le  sommet  au  milieu  de  l'un 
des  côtés  de  la  base  est  la  hauteur  des  triangles 
isoscèles  qui  forment  la  surface  latérale  ;  on  l'ap- 
pelle aussi  apothème  de  la  pyramide. 

11.  —  Cône.  —  Si  on  prend  pour  base  d'une  pyra- 
mide régulière  ayant  son  sommet  en  S  (fig.  VI)  un 


polygone  régulier  inscrit  dans  un  cercle,  formant 
la  base  d'un  cône,  et  qu'on  double  indéfiniment  le 
nombre  des  côtés,  les  faces  latérales  de  la  pyra- 
mide sont  des  triangles  isoscèles  de  plus  en  plus 
étroits  et  la  pyramide  diffère  de  moins  en  moins 
du  cône  ;  donc  le  cône  jieut  être  regardé  comme 
une  pyramide  régulière. 

12.  —  Polt/édres  semblables. —  Les  caractères  de 
similitude  des  polyèdres  sont  analogues  à.  ceux 
qui  constituent  la  similitude  des  polygones. 

On  appeWe  polyèdres  semblables  deux  polyèdres 
qui  ont  leurs  angles  dièdres  respectivement  égaux 
et  dont  les  faces  homologues  sont  des  polygones 
respectivement  semblables  et  disposés  dans  le 
même  ordre. 

De  cotte  définition  résultent  les  propriétés  sui- 
vantes pour  deux  polyèdres  semblables  :  1"  les 
angles  polyèdres  homologues  sont  égaux;  2°  les 
arêtes  homologues  sont  proportionnelles^  c'est-à- 
dire  que  si  une  arête  du  pluspetitest  parexemple 
les  deux  tiers  de  l'arête  qui  lui  correspond  dans  le 
plus  grand,  toutes  les  arêtes  du  premier  sont  les 
deux  tiers  des  arêtes  homologues  du  second. 

Théorèmk.  —  Si  071  coupe  une  pyramide  par 
un  plan  parallèle  à  la  base,  la  pyramiil'i  partielle 
ainsi  déterminée  est  semblable  à  la  pyramide 
totale. 


POLYÈDRES 


—  1654 


POLYEDRES 


En  effet  la  section  A'D'  (fig.  10)  élant  faite  par 
un  plan  parallèle  à  la  base,  ce  polygone  est  sem- 
blable à  celui  de  la  base.  Les  triai)gles  SA'B'  et 
SAB  sont  aussi  semblables;  de  même  les  triangles 
SB'C  et  SBC,  etc.  Les  angles  dièdres  des  deux 
pyramides  sont  aussi  égaux.  Les  deux  pyramides 
sont  donc  semblables. 

On  peut  prouver  que  deux  polijèr/res  composés 
d'un  même  nombre  de  pyramides  respectivement 
semblables  et  semblahlement  placées  sont  aussi 
semblables.  A'ous  n'exposerons  pas  ici  la  démon- 
stration, qui  est  longue  plutôt  que  difficile  ;  nous 
nous  bornerons  aux  observations  suivantes,  qui 
présentent  plus  d'utilité. 

Sont  senihlables  : 

1°  Deux  cubes  ; 

2°  Deux  parallclipipèdesrectanglosdont  les  trois 
dimensions  sont  proportionnelles  ,  c'est-à-dire 
telles  que  le  rapport  des  longueurs  est  égal  au 
rapport  des  largeurs  et  au  rapport  des  hauteurs  ; 

."io  Deux  prismes  réguliers  dans  lesquels  le  rap- 
port des  côtés  des  bases  est  égal  à  celui  des  hau- 
teurs ; 

4°  Deux  cylindres  dans  lesquels  le  rapport  des 
payons  est  égal  au  rapport  des  hauteurs  ; 

5°  Deux  cônes  dans  lesquels  le  rapport  des 
rayons  des  bases  est  égal  au  rapport  des  apothèmes, 
ou  au  rapport  des  hauteurs. 

li.  —  l'olijèdres  réijulier^-.  —On  appelle  polyèdre 
régulier  un  polyèdre  dont  toutes  les  faces  sont 
des  polygones  réguliers  égaux  et  dont  tous  les 
angles  dièdres  sont  égaux. 

11  en  résulte  que  les  angles  polyèdres  formés 
aux  divers  sommets  sont  aussi  égaux. 

Le  polyèdre  régulier  le  plus  connu  est  le  cube. 

Le  second  est  le  tétraèdre  ou  pyramide  trian- 
gulaire régulière. 

Pour  le  construire,  on  forme  un  triangle  équila- 


téral  MNP  (fig.  1.3)  dontles  côtés  ont  une  longueur 
double  de  celle  de  l'arête  donnée  pour  le  tétraèdre  ; 
on  joint  ensuite  les  milieux  des  côtés,  ce  qui  le 
décompose  en  quatre  triangles  équilatéraux  égaux. 
Il  n'y  a  plus  qu'à  relover  les  trois  triangles  exté- 
rieurs autour  du  triangle  ABC,  pour  amener  leurs 
trois  sommets  M,  .>î,  P  au  même  point. 
Un   troisiè.nie   polyèdre  régulier  est  l'octaèdre 


(fig.  1-4),  composé  de  huit  triangles  équilatéraux. 
On  peut  le  regarder  comme  l'ensemble  de  deux 
pyramides  régulières    à   base   carrée  EABCD  et 


FABCD,  adossées  par  leur  base  commune  ABCD 
dont  les  côtés  sont  égaux  aux  arêtes  latérales. 

Le  développement  de  sa  surface  latérale  sur  un 
plan  est  représenté  par  la  figure  l.'i. 


I.e  quatrième  polyèdre  régulier  est  le  do  Ic- 
caèdre,  qui  est  composé  de  douze  pentagones  ré- 
guliers égaux. 

On  peut  le  regarder  comme  l'assemblage  do 
deux  corbeilles  égales  formées  d'un  pentagone 
régulier  qui  en  serait  le  fond  et  de  cinq  autres 
pentagones  égaux  au  premier,  qui  en  seraient  les 
faces  latérales.  Ces  deux  corbeilles  sont  unies  par 
leurs  bords,  de  manière  que  les  angles  suillants 
de  l'une  s'emboîtent  dans  les  angles  rentrants  de 
l'autre. 

La  figure  16  présente  le  développement  de  l'une 
des  deux  moitiés  du  dodécaèdre. 


Le  cinquième  polyèdre  régulier  est  Vicosaèdre, 
qui  est  composé  de  vingt  triangles  équilatéraux, 
assemblés   par    cinq     en    chaque    sommet ,    La 


Fig.  17. 

figure  n  présente  le  développement  de  sa  sur- 
face. 

Pour  former  le  polyèdre,  on  ramène  le  côté  A'B' 
sur  le  côté  AB  ;  les  cinq  triangles  situés  au-dessus 
de  AA'  prennent  alors  le  même  sommet  et  for- 
ment un  angle  polyèdre  à  cinq  faces  ;  il  en  est  de 
même  des  triangles  placés  au-dessus  de  BB'. 

Il  n'y  a  pas  d'autres  polyèdres  réguliers  que 
ceux-là,  quoiqu'il  y  ait  des  polygones  réguliers  d'un 
nombre  quelconque  de  côtés.  Cette  limitation  du 
nombre  des  polyèdres  réguliers  provient  de  ce  que 
la  somme  des  angles  plans  qui  composent  un  angle 
polyèdre  convexe  est  toujours  inférieure  .'i  quatre 


POLYGONEES 


—  1653  — 


POLYGONEES 


angles  droits.  Comme  l'angle  polyèdre  a  au  moins 
trois  faces,  il  n'est  pas  possible  d'en  former  un 
avec  des  hexagones  réguliers,  puisque  la  somme 
(les  trois  ani^les  est  égale  à  quatre  angles  droits, 
et  h  plus  forte  raison  avec  des  polygones  réguliers 
d'un  plus  grand  nombre  de  côtés. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

POLYOOMîlCS.  —  Botanique,  XXIV.  —  Etym.  : 
l'olygonées  vient  de  Polygonmn,  nom  latin  de  la 
lienouée. 

Oé/hnlio72.  —  Les  Polygonées  sont  des  plantes 
dicotylédones  dialypétales  liypogynes,  à  ovules  or- 
tliotropes,  à,  fleurs  incomplètes.  Elles  rattachent 
les  Pipéracées  aux  autres  Dicotylédonées  ;  à  ce 
titre,  elles  jouent  le  même  rôle  que  les  Aroidées 
par  rapport  aux  Monocotylodonées. 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  poly- 
gonées n'est  jamais  libre;  elle  demeure  enfermée 
dans  un  ovaire  indéhiscent  sec,  peu  adhérent  à 
la  graine,  et  que  l'on  nomme  caryops'e.  Le  tégu- 
ment séminal  de  cette  graine  est  fort  mince,  mem- 
braneux, f.iiblement  coloré;  il  recouvre  un  albu- 
men amylacé  abondant,  au  centre  duquel  est  placé 
un  embryon  anlitrope,  c'est-à-dire  dont  la  radi- 
cule est  opposée  au  bile.  Très  souvent,  comme 
dans  le  Fa  ,opijrum,  les  cotylédons  sont  foliacés 
et  leur  région  médiane  est  repliée  en  zigzag  au- 
tour d'une  ligne  qui  serait  le  prolongement  de 
l'axe  liypocotylé.  Les  cotylédons  foliacés  de  cet 
embryoti  .sont  d?s  organes  d'absorption  pour  la 
réserve  nutritive  enfermée  dans  l'albumeH,  lors 
do  la  germination. 

La  germination  des  graines  des  polygonées  est 
des  plus  rapides  ;  c'est  là  un  caractère  commun  à 
toutes  les  graines  pourvues  d'albumen  amylacé. 
Lors  de  la  germination,  on  voit  surgir  sur  le  côté 
de  l'axe  hypocotylé  de  l'embryon  une  racine  qui 
peut  se  renfler  beaucoup  et  donner  naissance  à 
un  pivot  d'un  volume  considérable.  Dans  quelques 
cas,  l'axe  hypocotylé  lui-même  participe  à  cette 
hypertrophie  ;  toutefois  ce  dernier  dispositif  est 
tout  à  fait  exceptionnel.  L'unique  faisceau  de  la 
racine  des  polygonées  ne  présente  que  deux  centres 
de  développement.  L'épaississement  de  cette 
racine  est  due  à  la  production  de  zones  concen- 
triques de  faisceaux  secondaires  qui  se  développent 
successivement  autour  du  faisceau  central.  Plus 
tard,  ces  faisceaux  secondaires  perdent  leur  acti- 
vité; on  voit  se  former  autour  d'eux  des  zones  de 
liège  et  de  tissu  fondamental  secondaire .  Le 
liège  se  comporte  comme  un  tissu  cicatriciel  qui 
isole  les  parties  mortes,  et  les  transforme  on  ré- 
servoirs de  substances  excrémentitielles.  Quant  au 
tissu  fondamental  secondaire,  il  s'hypertrophie, 
trouble,  par  son  gratid  développement,  l'arrange- 
ment primitif  des  tissus;  il  devient  même  le  siège 
de_  la  production  de  nouveaux  faisceaux  secon- 
daires orientés  d'une  façon  tout  à  fait  différente 
de  l'orientation  des  premiers  faisceaux  secondaires. 
Il  en  résulte  bientôt  pour  ce  tissu  une  apparence 
d'étoiles  enchevêtrées  les  unes  dans  les  autres  ; 
les  unes  grandes,  les  autres  petites,  mais  où  tout 
ordre  semble  avoir  disparu.  C'est  cet  arrangement 
qui  donne  à  la  racine  de  rhubarbe  son  aspect  par- 
ticulier. 

Le  plus  grand  nombre  des  polygonées  dos  pays 
tempérés  ont  une  tige  qui  atteint  à  peine  un  mètre 
de  hauteur.  Les  tiges  des  polygonées  de  l'Améri- 
que équatoriale  deviennent  arborescentes.  Quel- 
ques polygonées  ont  une  tige  volubile  fort  longue, 
mais  d'un  diamètre  assez  réduit.  Toutes  ces  tiges 
sont  fortement  cannelées. 

Les  feuilles  des  polygonées  sont  ordinairement 
alternes,  réunies  en  touffe  à  la  base  de  la  tige, 
plus  rarement  dispersées  sur  toute  la  surface  de 
celle-ci.  Elles  se  composent  d'un  limbe  entier,  à 
bords  crénelés,  roulés  en  dehors  dans  le  jeune 
âge,  et  d'un   pétiole  engainant   stipulé.  Les  sti- 


pules de  la  feuille  soudés  entre  eux  enveloppent 
complètement  la  base  de  chaque  enironœud.  0:i 
donne  à  cette  gaine  le  nom  d'ochréa.  La  présence 
de  cette  gaine  est  un  des  caractères  les  plus  sail- 
lants des  polygonées. 

Les  fleurs  des  polygonées  sont  hermaphrodites, 
rarement  unisexuées  par  avortement;  elles  ^oni 
pédiculées  et  groupées  en  inflorescences  fouillées. 
Les  principales  formes  de  ces  inflorescences  sont 
des  épis,  des  grappes,  dos  panicules,  dos  capitules 
à  involucre  tubuleux.  Chaque  fleur  se  compose  : 

1°  D'un  calice  accrescent.  c'est-à-dire  qu'il  croît 
pendant  toute  la  période  du  développement  du 
fruit  ;  le  nombre  des  sépales  de  ce  calice  est  un 
multiple  de  trois  ; 

2°  D'un  androcée  de  six  à  quinze  étamines.  Les 
filets  de  ces  étamines  sont  inséiés  sur  un  torus 
glanduleux;  les  étamines  groupées  par  deux  ou 
trois  alternent  régulièrement  avec  les  pièces  du 
calice.  Les  anthères  supportées  par  ces  filets  sont 
biloculaires;  elles  s'ouvrent  tantôt  vers  l'intérieur, 
tantôt  vers  l'extérieur  de  la  fleur  ; 

;i°  D'un  ovaire  à  trois  carpelles  soudés  par  leurs 

bords  et  ne  formant  qu'une  seule  loge  ;  cet  ov:iire 

est  surmonté  de  trois  styles  renflés  à  leur  extré- 

I  mité  supérieure  ;  il  ne  contient  qu'un  seul  ovule 

'  orihotrope  dressé. 

Le  fruit  que  donne  cet  ovaire  est  soc,  indéhis- 
cent; c'est  un  akène  ou  un  caryopse.  Il  est  presque 
toujours  enveloppé  par  le  calice  accrescent. 

Classification  des  Polygonées-  —  On  classe  les 
polvgonoes  de  la  manière  suivante  : 


'Involuc 


cliréa  nul Eriogow'cs. 

'  des  ochréa Pohjgonéss  vraies. 

)  pas     d'ochréa  ,  \ 

I     l'S''  Ki^impan-     Brunniomccs. 


FLBuns  uniscxutîcs,  pas  d'ochréa. 


S,jn. 


On  rapproche  généralement  des  polygonées  la 
famille  des  Chénopodées,  dont  le  nom  vient  de 
Chenopodium,  nom  latin  de  VAnsérine. 

Les  Chénniiodées  diffèrent  des  polygonées  : 

1°  Par  leurs  fleurs,  qui  sont  construites  sur  le 
type  cinq  ; 

2"  Par  leurs  ovules  courbés  ou  comjjylotropes  ; 

;i°  Par  l'absence  d'ochréa. 

On  divise  les  Chénopodées  en  deux  tribus.  Dans 
la  première,  celle  des  Cyclolobées,  l'eiubryon  est 
annulaire  ou  courbé  en  fer  à  cheval. 

Dans  la  seconde,  celle  des  Spirolobées,  l'em- 
bryon est  enroulé  en  spirale. 

Usages  des  Polygonêea  et  des  Chénopodées.  — 
Parmi  les  principales  polygonées  dont  l'homme 
tire  parti,  nous  citerons  : 

1°  La  Rhuharbe  ou  Rlieum.  La  rhubarbe  fut  in- 
troduite en  Europe,  au  dixième  siècle,  par  les 
Arabes;  ceux-ci  la  tenaient  eux-mômos  des  Chi- 
nois. Les  anciens  connaissaient  une  rhubarbe 
qu'ils  appelaient  Rhn.  Elle  venait  des  bords  du 
Pont-Euxin  ;  on  l'appela  plus  tard  Rha  poiiticum 
pour  la  distinguer  du  Rha  bai  bai-um  qui  venait 
de  Scythie.  C'est  de  RUa  barhavum  qu'on  a  fait 
>hu>,a>'he.  Les  rhubarbes  sont  si  nombreuses  et 
si  variées  que  pendant  longt'Mups  on  n'a  su  à 
quelle  espèce  rapporter  la  rhubarbe  des  pharma- 
ciens, laquelle  est  originaire  du  Thibet.  On  sait 
aujourd'hui  qu'elle  appartient  au  Rhi>u>noffii;innlc. 
Cette  racine  a  une  saveur  anière  très  prononcée  ; 
elle  est  purgative;  elle  agit  sans  provoquer  aucun 
malaise.  Les  rhubarbes  les  plus  estimées  sont  :  la 
rhubarbe  de  Chine  (originaire  du  Thibet),  et  la  rhu- 
barbe de  Moscovie  qui  est  originaire  de  la  Tartarie 
chinoise. 


POLYGONES 


—  1656 


POLYGONES 


Le  Rhnpnnlic  'Wiewn  Rhnponticum  ou  Rha  des 
anciens)  est  cultivé  en  Angleterre,  en  Allemagne 
et  dans  le  nord  de  la  France,  à  cause  de  ses 
feuilles  dont  on  emploie  les  pétioles  et  les  ner- 
vures pour  faire  des  tartes  et  des  confitures. 

T  Les  Rumex,  dont  les  uns  sont  alimentaires 
et  laxatifs  acides,  ce  sont  le^  oseilles,  et  les  antres 
ont  une  racine  jaune  employée  comme  dépuratif 
et  antiscorbutique  :  ce  sont  les  patiences  et  les 
varelles  ou  oseilles  douces. 

3°  Les  Remuées  (Pobjgonum).  Le  Pdyfjonum 
bistovta  ou  la  Bistorte  est  seul  employé  aujour- 
d'hui en  médecine;  les  autres  Pohjgonum  étaient 
jadis  employés  aux  mêmes  usages  que  la  bistorte. 
Les  Brésiliens  et  les  Cocliinchinois  emploient  les 
feuilles  de  quelques  Polygonum  contre  les  engor- 
gements du  genou.  Les  fouilles  du  rohjf/otium 
tinctorium  fournissent  aux  Chinois  une  matière 
colorante  bleue  analogue  à  l'indigo.  La  culture 
de  cette  plante  a  été  introduite  en  France  en  1834. 
4»  Les  Fnqopyrum  ou  sarrazins  ou  blés  noirs. 
Ces  dernières  espèces  sont  précieuses  parce 
qu'elles  fournissent  à  l'hommi;  une  farine  abon- 
dante, sapide.  Le  Faqoptpum  esculentnin  se  con- 
tente du  sol  le  plus  maigre;  il  fructifie  rapide- 
dement,  et  dans  les  contrées  très  pauvres  il 
remplace  les  céréales.  On  cultive  quelquefois 
le  Fagnpyrum  tartaricum  au  lieu  du  Fagop'/rum 
esculentùm.  Cette  espèce  plus  rustique  réussit 
même  sur  les  montagnes  élevées  ;  sa  farine  est  lé- 
gèrement amère. 

5°  Le  Coccoloba  uvifera.  Cet  arbrisseau,  'qui 
croit  aux  Antilles  et  sur  le  littoral  atlantique  de 
l'Amérique  tropicale,  donne  un  suc  astringent 
connu  dans  la  droguerie  sous  le  nom  de  kino  d'A- 
mérique ou  faux  ratanhia. 

6""  Le  Colligonuoi  Palla.ùa,  arbuste  aphylle  qui 
vit  dans  les  sables  de  la  Sibérie  méridionale.  Sa 
racine,  ses  jeunes  pousses  et  ses  fruits  sont  co- 
mestibles. 

Parmi  les  Chénopodées  les  plus  usitées,  nous 
citerons  : 

1°  LsL  Camphrée' de  Jlfo?!/pe//îer,  plante  basse, 
résineuse,  touffue,  qui  répand  une  forte  odeur 
aromatique  rappelant  celle  du  camphre  ;  on  l'em- 
ploie en  infusion  théiforme. 

2°  VAmbioi'ie  du  Mexique,  ou  thé  mexicain, 
qui  sert  aux  mêmes  usages  que  la  camphrée. 

3°  La  betterave  [Betn  vu/ga' i-),  dont  les  volu- 
mineuses racines,  hypertropliiées  par  la  ciilture, 
sont  gorgées  d'un  liquide  sucré  dont  on  relire  un 
sucre  cristallisé.  Ce  sucre,  connu  autrefois  sous 
le  nom  de  sucre  indigène,  est  presque  seul  em- 
ployé maintenant  en  Europe.  Les  pulpes  de  bette- 
rave, pressées,  sont  converties  en  tourteaux  et 
servent  encore  à  l'engraissement  du  bétail. 

4°  La  Bette  ou  p-  i'ée  (Bêla  cicuta)  fournit  des 
feuilles  charnues  qui  sont  comestibles  lorsqu'elles 
ont  subi  la  cuisson. 

5»  Les  feuilles  du  Spinacia  oleracea,  connues 
sous  le  nom  vulgaire  à'épinards,  et  celles  de  VAr- 
rocke  (les  jardins  (Atrip'ex  Iwrteiisis),  qui  sont 
employées  comme  celles  des  bettes. 

«°  Les  Saticnrnes,  chénopodées  i  feuilles  char- 
nues, grasses,  <|ui  croissent  dans  les  dunes  ma- 
ritimes. Les  habitants  des  côtes  de  la  Hollande 
s'en  servent  pour  remplacer  le  pourpier. 

[C.-E.  Bertrand.] 
POLYGONES.  —  Géométrie,  XI-XIV.  —  Etym.  : 
du  grec  polyijônns  (qui  a  plusieurs  angles). 

1.  — On  appelle  ;t(o/(/(;oHe  une  surface  plane  limi- 
tée par  dos  droites  qui  se  coupent  deux  h  deux 
(fig.  I).  Ces  droites,  terminées  il  leurs  points  de 
rencontre,  se  nomment  côtés  du  polygone;  ces 
points  A,  B,  C,  etc.,  sont  les  sommets  des  angles 
et  aussi  les  sommets  du  polygone.  Le  nombre  des 
angles  formés  par  les  côtés  est  égal  au  nombre 
des  côtés. 


La  somme  des  longueurs  des  côtés  est  appelée 
périmètre. 

Une  droite  qui  traverse  le  polygone  en  allant 
d'un  sommet  à  un  autre  est  nommée  diagonale, 
par  exemple  AC. 

Quand  un  polygone  reste  tout  entier  du  même 
côté  du  prolongement  de  l'un  quelconque  de  ses 
côtés,  il  est  dit  convexe;  tel  est  le  polygone  de 
la  figure  1.  Les  angles  sont  dirigésvers  l'extérieur; 
aucun  ne  rentre  vers  l'intérieur,  comme  cela  se 
voit  au  contraire  dans  le  polygone  ABCDEF  (fig.  2). 


Le  polygone  qui  a  le  moins  de  côtés  en  a  trois  : 
il  porte  le  nom  de  trian(,le.  Celui  de  quatre  côtés 
s'appelle  qwidrihdére  ;  celui  de  cinq  côtés,  pen- 
tagow;  celui  de  six  côtés,  hexagone;  celui  de 
huit  côtés,  octogone  ;  celui  de  dix  côtés,  décagone; 
celui  de  douze  côtés,  dodécagone  ;  celui  de  quinze 
côtés,  jienlédécagone. 

Les  autres  polygones  étant  peu  usités,  il  est 
tout  il  fait  inutile  de  leur  donner  des  noms  analo- 
gues à  ceux-ci,  comme  font  plusieurs  auteurs.  On 
dira  à  l'occasion  un  polygone  de  sept  côtés,  de 
neuf  côtés,  etc. 

2.  — Triangles.  —  Parmi  les  triangles,  il  faut  dis- 
tinguer: . 

Le  triangle  isoscèle  (fig.  3),  qui   a    deux  cotes 


Le  triangle  équilatéril  (fig.  4),  qui  a   ses  trois 
côtés  égaux  : 


Lp   ti'ianglo   redani/le  (fig 
droit  : 


POLYGONES 

qui 


—   1657  — 

un  angle 


POLYGONES 


Dans  le  triangle  rectangle  le  côté  opposé  k  l'an- 
gle droit  se  nomme  hypoténuse  :  c'est  le  plus  grand 
des  trois  côtés. 

Dans  presque  tous  les  traités  de  géométrie,  on 
donne  la  dénomination  de  scaléne  au  triangle  dont 
les  trois  côtés  sojit  inégaux  ;  cet  adjectif,  em- 
prunté au  grec  et  signifiant  boiteux,  devrait  être 
abandonné,  car  on  n'en  fait  jamais  usage. 

On  appelle  hauteur  d'un  triangle  la  perpendi- 
culaire abaissée  d'un  sommet  sur  le  côté  opposé  : 
ce  côté  est  alors  considéré  comme  la  base  du 
triangle.  Telles  sont  AD  perpendiculaire  sur  la  base 
BC  (rtg.  6),  et  CF  perpendiculaire  sur  la  base  AB. 


Dans  un  triangle  rectangle  les  côtés  de  l'angle 
droit  sont  l'un  la  base  et  l'autre  la  hauteur. 

Dans  un  triangle  isoscèle,  le  côté  inégal  est  ha- 
bituellement pris  pour  base. 

3.  —  Théobème.  —  La  somme  des  ongles  d'un 
triiin;/le  est  égale  à  deux  angles  droits. 

Prolongeons  le  côté  AC  (fig.  7)  et  du  point  C 
lirons  la  droite  CE  parallèle  au  côté  AB. 


L'angle  DCE  est  égal  i  l'ansle  A  ,  car  ils  sont 
correspondants  par  rapport  aux  parallèles  AB  et 
CE  ;  l'angle  BCE  est  égal  h  l'angle  B,  puisqu'ils 
sont  alternes-internes  par  rapport  aux  mêmes  pa- 
rallèles. Les  trois  angles  consécutifs  assemblés 
au  point  C  sont  donc  égaux  aux  trois  angles  du 
triangle;  or  leur  somme  vaut  deux  angles  droits; 
donc  celle  des  trois  angles  du  triangle  vaut  aussi 
deux  angles  droits. 

Corollaires. —  Dans  un  triangle,  il  ne  peut  y 
avoir  qu'un  angle  droit  ou  qu'un  angle  obtus. 

Dans  un  triangle  rectangle,  les  deux  angles  aigus 
sont  complémejitairos. 

L'angle  BCD,  formé  au  dehors  d'un  triangle  par 
un  côte,  et  le  prolongement  d'un  autre  côté,  se 
nomme  angle  extérieur  du  triangle;  il  est  égal  à 
la  somme  des  deux  angles  intérieurs  qui  n'ont  pas 
le  même  sommet  que  lui. 

■*•  ~  Thuorème.— Z)«ns  un  poli/gonela  somme  des 
amples  est  égale  à  autant  de  fois  deux  angles  droits 
qu  il  y  II  de  eûtes  moins  deux. 

Dans  l'hexagone  ABCDEF  ^fig.  8),  menons  du 
sommet  A  les  diagonales  AC,  AD,  AE.  Elles  divi- 
sent le  polygone  en  autant  de  triangles  qu'il  y  a 
de  côtes  moins  deux.  Or,  la  .somme  des  angles  du 
polygone  n'est  autre  que  la  somme  des  angles  de 


ces  triangles  ;  donc  elle  vaut,  comme  cette  der- 
nière, 2  angles  droits  multipliés  par  le  nombre 
des  triangles,  c'est-i-dire  2  angles  droits  multi- 
pliés par  le  nombre  des  côtés  diminué  de  2. 

5.  — Théoiième.  —  Daiu  tout  triangle.,  chaque  côté 
est  plus  petit  qne  la  somme  des  deux  autres. 

En  effet,  d'un  sommet  ;\  l'autre,  la  ligne  droite 
est  plus  courte  que  la  ligne  brisée  formée  par 
les  deux  antres  côtés  du  triangle. 

De  ce  principe  résulte  celui-ci  :  chaque  côté  est 
plus  grawl  que  la  différence  des  deux  autres.  En 
effet,  désignons  par  a,  b,  c  les  trois  côtés  d'un 
triangle  ;  nous  avons  d'abord  : 

a<h  +  c. 

Or  on  peut,  sans  altérer  l'inégalité,  retrancher 
aux  deux  membres  une  même  quantité,  c  par 
exemple  ;  on  a  alors  : 

a  — c<6  ou  b>a  —  c. 

G.  —  THÉonÈME.—  Dans  un  triangle  isoscèle  les 
angles  opposés  aux  côtés  égaux  sont  égaux. 
Soit  le  triangle  isoscèle  ÀBG  (fig.  9),  dans  lequel 


les  côtés  AB  et  AC  sont  égaux.  Imaginons  un 
deuxième  triangle,  A'B'C,  qui  serait  le  premier 
triangle  retourné,  comme  un  feuillet  rabattu  de 
gauche  à  droite.  Portons  ce  deuxième  triangle  sur 
ie  premier,  en  appliquant  le  côté  A'C  sur  le  coté 
AB  qui  lui  est  égal.  L'angle  A'  n'étant  autre  que 
l'angle  A,  le  côté  A'B'  doit  se  placer  sur  la  direc- 
tion du  côté  AC,  et  comme  ils  sont  égaux,  1  extré- 
mité B  tombe  au  point  C  ;  par  suite,  la  base  C  B 
se  confond  avec  la  baso  BC.  L'angle  C,  qui  n  est 
autre  que  l'angle  C,  coïncide  avec  l'angle  B  ;  donc 
l'angle  C  est  égal  à  l'angle  B. 

".—  Théorème.—  P.éciproquement,  .si  daiîs  un 
triangle  d-nx  angles  sont  égaux,  les  côtés  opposés 
à  ces  angles  sont  érjoux. 

En  effet,  supposons  qu'après  avoir  tiré  une 
base  BC  (fig.  91,  on  ait  construit  les  angles  B  et  C 
égaux.  Pour  faire  voir  que  le  côté  .^C  se  trouve 
égal  au  côté  AB,  on  peut  employer  la  même  dé- 
monstration que  dans  le  théorème  précédent  Seu- 
lement, on  portant  le  deuxième  triangle  sur  le 
premier,  on  applique  la  base  C/B'  sur  la  base  BC, 
le  point  C  en  B  et  le  point  B'  en  G.  L'angle  B', 
qui  n'est  autre  que  l'angle  B,  étant  égal  à  l'angle 
C,  le  côic  B'A'  se  place  sur  la  direction  du  côté 
CA  et  son  extrémité  A'  tombe  sur  cette  direction  ; 
de  même,  h.  cause  de  l'cgalité  des  angles  C  et  B, 
le  côté  C'A' se  place  sur  la  direction  du  côié  BA , 


POLYGONES 


1658  — 


POLYGONES 


et  son  extrémité  A'  tombe  sur  cette  direction  :  le  |      Son  centre  se  trouve  à  l'iniersection  des  perpen- 
point  A',  devant  être  ainsi  à  la  fois  sur  BA  et  sur    diculaires  élevées  par  le  milieu  dn  deux  côtés. 


CA,  se  trouve  au  point  A.  Ainsi,  les  deux  triangles 
coïncident,  et  par  conséquent  A'B'  est  égal  à  AC, 
ce  qui  revient  à  dire  que  AB  est  égal  à  AC. 

Corollaivf.  —  Dans  un  triangle  équiangle,  les 
trois  côtés  sont  égaux. 

S.  —  Théorème.  —  Daiis  un  triangle  hoscèle  la 
bissectrice  île  l'angle  du  sommet  tombe  au  milieu  de 
la  base  et  lui  est  perpendiculaire. 

En  effet,  soit  le  triangle  isoscèle  ABC  (fig.  10),  et 


La  perpendiculaire  élevée  au  milieu  du  troi- 
sième côté  paSîC  par  le  point  d'intersection  des 
deux  autres. 

•1°  On  peut  toujours  décrire  une  circonférence 
qui  soit  tangente  aux  trois  côtés  d'un  triangle  : 
le  cercle  ainsi  placé  est  dit  inscrit  au  triangle. 

Son  centre  se  trouve  h  l'intersection  des  bissec- 
trices de  deux  angles;  la  bissectrice  du  troisième 
anul"  passerait  par  le  point  d'intersection  des  deux 
autres.  Le  rayon  est  la  perpendiculaire  abaissée 
de  ce  point  sur  l'un  quelconque  des  trois  côtés. 

12.  —  Egalité  de  deux  TniA\GLEs.  —  Pour  recon- 
naître l'égalité  de  deux  triangles,  il  n'est  pas  né- 
cessaire de  comparer  les  trois  côtés  et  les  trois 
angles  de  l'un  avec  les  trois  côtés  et  les  trois  an- 
gles de  l'autre.  Il  suffit  de  s'assurer  que  trois  de 
leurs  six  parties  sont  égales,  l'une  des  trois  au 
moins  étant  un  côté.  De  là  les  trois  cas  d'égalité 
énonc^'S  dans  le  théorème  suivant. 

Théorème.  —  Deux  triangles  sont  égaux  : 

1"  Lorsqu'i's  ont  un  côté  l'gal  adjacent  à  deuv 
anglds  respectivemenl  éianx  ; 

2°    Lorsqu'ils   ont    drux    côtés    respectivement 
égaux  et  formant  entre  eux  un  angle  égal; 
'  3°  Lorsque  leurs  trois  côtés  sont  respectivement 
égnur. 

(Considérons  les  deux  triangles  .\BC  et  A'B'C 
(fig.  12). 


AD  bissectrice  de  l'angle  BAC.  Si  on  replie  le 
triangle  le  long  de  la  bissectrice  et  qu'on  rabatte 
la  partie  de  droite  sur  la  partie  de  gauche,  le  côte 
AC  prend  la  direction  du  côté  AB,  et  comme  il 
lui  est  égal  le  point  C  tombe  au  point  D  ;  par  suite 
DC  coïncide  avec  DB  ;  donc  le  point  D  est  le  mi- 
lieu de  BC.  De  plus,  on  voit  que  l'angle  ADt:  coïn- 
cide avec  son  adjacent  ADB  ;  ces  deux  angles  sont 
donc  égaux,  et,  puisque  BDC  est  une  ligne  droite, 
la  droite  AD,  formant  avec  elle  deux  angles  adja- 
cents égaux,  lui  est  perpendiculaire. 

Corollaires.  —  La  droite  menée  du  sommet  d'un 
triangle  isoscèle  ou  d'un  triangle  cquilatéral  au 
milieu  de  la  base  est  perpendiculaire  à  la  base  et 
est  bissectrice  de  l'angle  du  sommet. 

9.  —  Théobème.  —  Si  dans  un  triangle  deux  an- ■  n       n     t,       n' 

gles  sont  inéqaux,  le  côté  opposé  au  plus  grand  \      1°  Soit  CB  =  C'B';  C  =  C'  ;  B  =  B . 
anqle  est  plus  urand  que  le  côté  opposé  au  plus       Portons  le  deuxième  triangle  sur  le  premier,  en 
petit.         ''        ^  ''  .ippliquant  le  côté  C'B'  sur  le  côte  égal  (.B.  A  cause 

Soit  l'angle  ABC  >  G  (fig.  II).  Tirons  du  som-    de  l'égalité  des  angles  C  et  C,  le  côte  C'A'  se  place 

'  snr  la  direction  de  C  \  et  son  extrémité  A  se 
'  trouve  sur  celte  direction  ;  de  même  à  cause  de 
'  l'égalité  des  angles  B'  et  B,  le  côte  B'A'  se  place 
!  sur  la  direction  de  BA  et  son  extrémité  A'  se 
'  trouve  sur  cette  direction  :  le  point  A',  devant  être 
'  à  la  fois  sur  la  direction  de  CA  et  sur  celle  de  BA, 
!  tombe  au  point  A,  Ainsi  les  deux  triangles  coin- 
1  cident,  et  par  conséquent  ils  sont  égaux  dans  toutes 
I  leurs  parties. 

2°  Soit  CB  =  C'B' ;  CA  =  C'A' ;  C  =  C. 
Fig.  tl.  Si  l'on  porte  le  deuxième  triangle  sur  le  premier, 

en  appliquant  l'angle  C  sur  l'angle  C,  le  côte  CB 
met  B  la  droite  BD   de  manière  à  former  l'angle  1  coïncide  avec  le  côté  égal  CB.  et  le  côte  C  A  avec 

DEC  égal  à  l'angle  C.  Dans  le  triangle  BDC  le  côté "■  "-  '-  '—■'■•>■"-'•  '•■■>'»   *  R 

BD  se  trouve  égal  à  DG.  Or  la  droite  AB  est  moin- 
dre que  la  ligne  brisée  AD  -|-DB;  donc  elle  est 
moindre  aussi  que  AD  +  DC,  c'est-i-dire  que  AC. 

10.  — Théohème.  —  Réciproquement,  si  dans  un 
triangle  diux  côtés  sont  inégaux,  l'angle  opposé 
au  plus  grand  côté  es!  plus  grand  que  l'angle  op- 
posé nu  ptus  petit. 

En  effet  soit  AB  <  AC  (fig.  II).  Si  l'angle  C 
n'était  pas  plus  petit  que  l'angle  ABC,  il  lui  serait 
supérieur  ou  égal.  S'il  lui  était  supérieur,  le 
côté  AB  serait  plus  grand  que  le  côté  AC  ;  or,  il  a 
été  supposé  plus  petit.  Si  l'angle  C  était  égal  à. 
l'angle  ABC,  les  deux  côtés  AB  et  AC  seraient 
égaux;  or  on  les  a  supposés  inégaux.  L'angle  G 
ne  pouvant  être  ni  supérieur,  ni  égal  à  l'angle  ABC, 
est  donc  nécessairement  plus  petit  que  lui.  1  .  A.5r'n' 

11.  —  Ceucleciuconscritou  inscrit  a  un  triangle,  dessous  du  premier  ABC,  en  appliquant  le  cotéCB 
—  1"  On  peut  toujours  décrire  une  circonférence  ,  sur  son  égal  GB,  dans  la  position  Bt'.D,  et  tirons 
passant  par  les  trois  sommets  d'un  triangle;  le  i  la  droite  AD.  Le  côté  CD  qui  n'est  autre  que  C  A 
cercle  ainsi  formé  est  dit  circonscrit  au  triangle.  [  est  égal  il  CA;  par  suite  dans   le    triangle  iso- 


le côté  égal  CA;  par  suite  le  troisième  côte  A  B 
coïncide  avec  le  côté  AB.  Ainsi  les  deux  triangles 
se  confondant  sont  égaux. 

.30  Soit  AC  =  A'C'  ;  AB  =  A'B'  =  CB  =  C'B  . 

Plaçons  le  deuxième  triangle  ABC  (fig-  13)  au- 


Fig.  13. 


POLYGONES 


—  1659  — 


POLYGONES 


fcMo  ACD,  l'angle  A3  est  égal  à  l'angle  D,;  on  voit 
(in  la  même  maulère  que  l'angle  A,  est  égal  à  l'an- 
gle D,.  L'angle  CDB  et  par  suite  l'angle  A',  est 
égal  h  l'angle  CAB  ;  les  deux  triangles  ACB  et 
A'C'B',  ayant  ainsi  un  angle  égal  compris  entre 
deux  eûtes  respectivement  égaux,  sont  égaux. 

13.  —  Egalité  de  deux  triangles  bectangles. — 
Outre  ces  trois  cas  d'égalité  qui  s'appliquent  à 
deux  triangles  quelconques,  il  y  a  deux  autres 
cas  particuliers  aux  triangles  rectangles  :  ils  sont 
énoncés  dans  le  tliéorème  suivant. 

TiiÉonÈME.  —  Deux  triangles  rectangles  soiil 
l'gaux  : 

1°  Quand  ils  ont  l'hypoténuse  é'jale  et  un  autre 
côté  égal; 

2°  Quand  ils  ont  l'hypoténuse  égale  et  tm  angle 
aiqu  égal. 

■  Considérons  les  deux  triangles  rectangles  ABC, 
A'K'C  (fig.  U). 


1»  Soit  BC  =  B'C';  AB=  A'B'. 

Si  on  parle  le  deuxième  triangle  A'B'C  sur  le 
premier  ABC  en  appliquant  A'B'  sur  son  égal  AB, 
le  côté  A'C  se  place  sur  la  direction  de  AC  à  cause 
des  angles  droits  A  et  A'. 

Les  hypoténuses  sont  alors  deux  obliques  égales 
partant  du  même  point  B  de  la  perpendiculaire 
BA  ;  elles  doivent  donc  avoir  leurs  pieds  à  égale 
distance  de  la  perpendiculaire  et  par  conséquent 
se  confondre.  Donc  les  triangles  coïncident. 

-."Soit  BC  =  B'C';  C  =  C'. 

On  porte  le  deuxième  triangle  sur  le  premier 
en  appliquant  l'angle  C  sur  son  égal  C  ;  alors  C'A' 
se  trouve  sur  la  direction  CA  et  l'hypoténuse  C'B' 
coïncide  avec  son  égale  CB.  Les  deux  côtés  B'A'  et 
BA  sont  deux  perpendiculaires  menées  du  même 
point  B  à  la  même  droite  CA  ;  donc  elles  doivent 
avoir  la  même  direction;  par  suite  le  point  A', 
devant  être  Ji  la  fois  sur  CA  et  sur  BA,  tombe  au 
point  A.  Ainsi  les  deux  triangles  coïncident. 

14. —  Construction  d'i'n  triangle.  — Des  cas  d'é- 
galité exposés  dans  ce  qui  précède,  il  résulte  que 
pour  construire  un  triangle  il  faut  connaître  trois 
de  ses  six  parties,  l'une  au  moins  étant  un  côté. 

X"  On  connaît  un  colé  et  les  deux  unifies  {idja- 
ceiits.  —  Apres  avoir  tiré  une  droite  égale  au  côté 
donné,  on  mène  de  l'une  de  ses  extrémités  une 
droite  faisant  avec  elle  un  angle  égal  à  l'un  des 
deux  angles  donnés,  et  de  l'autre  extrémité  une 
droite  faisant  avec  elle  un  angle  égal  à  l'autre 
angle.  Ces  droites  limitées  à  leur  rencontre  dé- 
terminent le  triangle  demandé. 

2°  071  cannait  deux  côtés  et  l'angle  compris 
entre  eux.  —  Après  avoir  construit  un  angle  égal 
à  l'angle  donné,  on  prend  sur  les  côtés  de  cet 
angle,  à  partir  du  sommet,  des  longueurs  égales  aux 
côtés  donnés,  et  on  joint  les  extrémités  par  une 
droite. 

.30  On  cannait  les  trois  côtés.  —  Après  avoir  tiré 
une  droite  égale  à  l'un  des  trois  côtés,  on  décrit 
de  l'une  de  ses  extrémités  prise  pour  centre  un  arc, 
avec  un  rayon  égal  à  l'un  des  deux  autres  côtés; 
puis  de  l'autre  extrémité  prise  pour  centre,  avec 
un  rayon  égal  au  troisième  côté,  un  autre  arc  qui 
coupe  1h  premier.  Il  n'y  a  plus  qu'à  joindre  le 
point  d'intersection  des  deux  arcs  aux  extrémités 
du  premier  côté. 


H  faut  observer  que  le  triangle  n'est  possible 
qu'autant  que  le  plus  grand  des  trois  côtés  donnés 
est  plus  petit  que  la  somme  des  deux  autres.  Dans 
le  cas  contraire  les  deux  arcs  ne  se  couperaient 
pas. 

Cas  particulier.  —  On  connaît  deux  côtes  et 
l'angle  opposé  à  l'un  d'eux.  —  Soit  a  et  i  les  deux 
côtés  et  A  l'angle  opposé  au  côté  a  (fig.  15).  Après 


avoir  construit  l'angle  A,  on  prend  sur  un  de  ses 
côtés  une  longueur  AC^i  ;  puis  de  B  comme 
centre  on  décrit,  avec  un  rayon  égal  h  l'autre  côté 
a,  un  arc  qui  coupe  l'autre  côté  AE  de  l'angle  en 
B'  et  B.  En  tirant  les  droites  CB'  et  CB,  on  a  deux 
triangles  différents  ACB'  et  ACB,  qui  répondent  à 
la  question. 

Si  le  côté  a  qui  doit  être  oppose  à  l'angle  A 
était  moindre  que  la  perpendiculaire  CD,  le 
triangle  ne  serait  pas  possible;  si  ce  côté  a  était 
égal  S.  cette  perpendiculaire,  le  triangle  rectangle 
ACD  serait  le  triangle  demandé. 

On  verra  facilement  que  dans  le  cas  où  le  côté 
opposé  à  l'angle  A  est  plus  grand  que  l'autre  côté, 
le  triangle  est  toujours  possible  et  qu'il  n'y  en  a 
qu'un.  11  en  serait  de  même  si  l'angle  donné,  au 
lien  d'être  aigu,  comme  dans  la  construction  pré- 
cédente, était  droit  ou  obtus. 

15.  —  THÉ011È.ME.  —  Si  deux  triangles  ont  deux 
côtes  respectivement  égaux,  comprenant  entre  eux 
un  angle  inégal,  le  3'  côté  opposé  au  plus  petit 
angle  est  /ilns  petit  que  le  3'  côté  opposé  au  plus 
grand  angle. 

Soitdans  lesdeux  triangles  ABC  et  A'B'C'(fig,  IG), 

AB  =  A'B';  AC  =  A'C';BAC>B'A'C'. 


Pour  démontrer  que  B'C  est  moindre  que  BC, 
portons  le  2'  triangle  sur  le  1"  en  appliquant 
A'C  sur  son  égal  AC;  le  2*  triangle  prend  alors  la 
position  ACE  et  la  question  est  ramenée  à  démon- 
trer que  CE  est  moindre  que  CB. 

Tirons  la  droite  AD  bissectrice  de  l'angle  BAE, 
et  la  droite  DE.  Les  deux  triangles  ADB  et  ADE 
sont  égaux,  comme  ayant  un  angle  égal  compris 
entre  deux  côtés  respectivement  égaux  (AD  com- 
mun et  AB  =  AE)  ;  donc  DE  est  égala  DB.  Or  du 
point  E  au  point  C  on  a  : 

EC<ED-fDC. 

En  remplaçant  ED  par  son  égal  DB,  on  obtient  : 

EC<BD-|-DC 
ou: 

B'C'<BC, 

ce  qui  démontre  le  théorème. 


POLYGONES 


—  1660  — 


POLYGONES 


Réciproquement  Sî  deux  trianqle<:  ont  deux  côtés  j  coté  commun  AD;  les  angles  alternes-internes  Aj 
respectivement  égaux  et  le  3°  côté  inégal,  l'angle  \  et  D,  égaux  à  cause  du  parallélisme  des  côtés  AC 
opposé  au  plus  grand  côté  est  plus  grand  que  '  et  BD,  les  angles  alternes-internes  Aj  et  Dj  égaux 
l'angle  opposé  au  plus  petit.  I  pour  une  même  raison. 

On  le  démontre,  en  faisant  voir  que  d'après  les        L'égalité    des  deux  triangles  montre  donc  que 
théorèmes  précédents  l'angle  opposé  au  plus  grand    AB  est  égal  à  CD  et  que  AC  est  égal  à  BD. 
côté  ne  peut  être  ni  inférieur  ni  égal  à  l'angle  de       3°  Dans  le  parallélogramme  ABcD  (lig.  20)  con- 
l'autre  triangle. 

Ui.  —  Quadrilatères.  —  1°  On  nomme  parallélo- 
gramme un  quadrilalère  dont  les  quatre  côtés  sont 
parallèles  deux  à  deux    (fig.    17).  Deux  côtés  op- 


posés sont  regardés  comme  les  bases  du  parallé- 
logramme;  la   perpendiculaire  qui    mesure  leur  ! 
distance  est  appelée  Aa^^/eio'. 

On  donne  souvent  cette  figure  aux  planchettes 
qui  composent  les  parquets. 

2°  On  nomme  rectangle  un  quadrilatère  dont 
les  côtés  opposés  sont  égaux  et  dont  les  angles 
sont  droits.  Cette  figure  se  rencontre  partout: 
c'est  celle  d'une  porte,  d'une  table  à  quatre  côtés, 
d'un  carreau  de  vitre,  etc. 

3"  On  nomme  carré  un  quadrilatère  dont  les 
quatre  côtés  sont  égaux  et  perpendiculaires  entre 
eux.  Tels  sont  les  carreaux  de  vitre,  quand  leurs 
quatre  côtés  sont  égaux,  les  carreaux  en  terre  cuite 
à  quatre  côtés  qui  composent  un  dallage,  etc. 

Le  rectangle  et  le  carré,  ayant  leurs  côtés  op- 
posés parallèles,  sont  aussi  des  parallélogrammes. 

4°  On  nomme  losange  un  quadrilatère  dont 
les  quatre  côtés  sont  égaux,  mais  non  perpendicu- 
cnlaires  entre  eux  (fig.  is). 


On  trouve  souvent  cette  figure  sur  les  panneaux 
des  boiseries.  Certains  parquets  sont  composés 
aussi  de  losanges  égaux. 

n.  —  Théorème.  —  Dans  fout  parallélogramme 

1°  Les  angles  opposés  sont  égaux; 

2°  Les  côtés  opposéi  sont  égaux; 

S'Les  deux  diagonales  se  coupent  en  leur  milieu. 

Soit  le  parallélogramme  ABDC  (fig.  19). 


sidérons  les  deux  triangles  opposés  AOB  et  DOC. 
Le  côté  DC  est  égal  à  AB  ;  les  angles  alternes- 
internes  CDO  et  01!A  sont  égaux,  puisque  DC  et 
AB  sont  parallèles;  pour  une  raison  semblable  les 
angles  alternes-internes  DCO  et  OAB  sont  aussi 
égaux.  Les  deux  triangles  ayant  un  côté  égal  adja- 
cent à  deux  angles  respectivement  égaux  sont 
égaux;  par  conséquent  leurs  côtés  analogues  DO 
et  OB  sont  égaux,  ainsi  que  les  deux  autres  côtés 
analogues  AO  et  OC. 

18.  —  Théorème.  —  Réciproquement  sî  on  cons- 
truit un  quadrilatère  avec  des  côtéi  opposés  égaux, 
ces  côtés  se  trouvent  parallèles  et  le  gtcodrilatère 
est  un  piirollélogramme. 

Supposons  AB  =  DC  et  AG  =  BD  (fig.  19),  et  ti- 
rons la  diagonale  AD.  Les  deux  triangles  ADB  et 
ADC  sont  égaux,  comme  ayant  leurs  trois  côtés 
respectivement  égaux;  donc  les  angles  analogues 
A,  et  D,  sont  égaux  et  par  conséquent  les  droites 
AC  et  BD  qui  lés  forment  avec  la  sécante  AD  sont 
parallèles.  De  même  les  côtés  AB  et  DC  sont  pa- 
rallèles, à  cause  de  l'égalité  des  angles  Ao  et  D^. 

Remarque.  —  Il  résulte  do  ce  théorème  que  le 
losange  est  aussi  un  parallélogramme. 

19.  —  Théorème.  —  Si  onconslruit  un  quadrila- 
tère en  lui  donnant  deux  côtés  opposés  égaux  et  pa- 
rallèles, les  deux  autres  côtés  le  sont  aussi  et  le 
quailrilalére  est  un  parallélogramme. 

Supposons  AB  égal  et  parallèle  h  CD  dans  le 
quadrilatère  ABDC  (fig.  19).  Les  deux  triangles 
aDB  et  ADC  ont  un  angle  égal  (Aj  et  Da)  compris 
entre  deux  côtés  respectivement  égaux;  ils  se 
trouvent  par  conséquent  égaux  ;  donc  les  côtés 
AC  et  BD  sont  aussi  égaux  et  par  suite  parallèles. 

20.  —  Remarques  sur  les  diagonales.  —  Dans  le 
carré  les  deux  diagonales  sont  égales  et  perpen- 
diculaires entre  elles. 

Dans  le  rectangle  elles  sont  égales,  mais  obli- 
ques l'une  à  l'autre. 

Dans  le  losange  elles  sont  inégales,  mais  per- 
pendiculaires entre  elles. 

Ces  remarques  sont  utiles  pour  la  construction 
de  l'un  de  ces  quadrilatères,  îi  l'aide  des  deux  dia- 
gonales. 

21. —  Trapèze. —  On  nomme  trapèzenn  quadri- 
latère dans  lequel  deux  côtés  opposés  sont  paral- 
lèles (fig.  21). 


1°  Les  angles  opposés  B  et  C,  par  exemple,  sont 
égaux;  car  ils  ont  leurs  côtés  parallèles  et  dirigés 
en  sens  inverse. 

2°  Les  deux  triangles  ACD  et  ABD,  déterminés 
par  la  diagonale  AD,  sont  égaux;  car  ils  ont  un 


Les  deux  côtés  parallèles  BC  et  AD  sont  les 
bases;  on  appelle  hauteur  la  perpendiculaire  qui 
mesure  la  distance  des  deux  parallèles. 

22.  —  Théorème.  —  Dans  tout  trapèze  la  droite 
qui  joint  les  milieux  des  deux  côtés  non  parallè- 


POLYGONES 


—  1661  — 


POLYGONES 


les  est  puraUcle  aux 


s  et  est  éijate  à  leur  demi- 


somme. 
Soil  dans    le  trapèze  ABCD  (lîg.  2?)  la  droite 


joignant  les  milieux  M  et  G  des  côtes  AB  et  DC. 
Tirons  par  le  point  G  la  droite  FE  parallèle  à  BA, 
jusqu'à,  la  rencontre  de  la  base  BG  et  du  prolon- 
gement de  l'autre  base  AD,  ce  qui  forme  le  paral- 
lélogramme ABFE.  On  reconnaît  facilement  que 
les  deux  triangles  DGE  et  GFG  sont  ogauxj 
comme  ayant  un  côte  égal  (DG  et  QC)  adjacent  à 
deux  angles  respectivement  égaux;  et  par  suite 
EG  est  égal  à  GF  et  DE  égal  à  FC.  Les  côtés  AM 
et  EG,  moitiés  des  droites  égales  AB  et  EF,  sont 
donc  égaux,  et  comme  en  outre  ils  sont  parallèles, 
la  droite  MG  est  aussi  égale  et  parallèle  à  AE. 
On  a  alors  : 

MG  =AC  —  CF 
MG  =  AD  +  DE. 

On  en  tire  par  l'additiou  : 

2MG  =  AC  +  AD-f  DE  — CF,     • 


MG  = 


AG-l-AO 


Corollaire. —  Cette  démonstration  subsiste  quel- 
que petite  que  soit  la  base  supérieure  du  trapèze. 
Le  principe  est  donc  vrai  pour  le  cas  où  cette 
base  se  réduirait  à  un  point  ;  alors  le  trapèze  est 
un  triangle  :  donc  la  droite  qui  joint  les  milieux 
de  deux  côtés  d'un  triangle  est  parallèle  à  la  base 
et  en  est  la  moitiii. 

23.  —  Théorème  de  Pïtuagore.  —  A  cet  exposé 
des  principales  propriétés  du  triangle  et  du  qua- 
drilatère, nous  devons  joindre  la  relation  qui  existe 
entre  les  trois  côtés  d'un  triangle  rectangle,  et  qui 
est  connue  sous  le  nom  de  théorème  de  Pythagore. 

Nous  croyons  faire  plaisir  aux  maîtres  en  leur 
donnant  ici  de  ce  principe  si  important  une  dé- 
monstration moins  tliéorique  que  celle  qui  se 
trouve  déjà,  à  l'article  Aire,  et  assez  simple  pour 
être  à  la  portée  de  tous  les  élèves  de  l'école  pri- 
maire. 

Nous  l'empruntons  à  Sturm,  mathématicien 
allemand  du  dernier  siècle. 

Citons  d'abord  le  théorème  :  te  carré  fait  sur 
l'hypoténuse  d'un  triangle  rectangle  est  équivalent 
à  la  somme  des  carrés  faits  sur  les  deux  autres 
côtés. 

Pour  le  démontrer  plaçons  deux  carrés  ABCD 
et  AFGH  (fig.  23)  l'un  à  côté  de  l'autre,  de  ma- 


/         ' 

^ 

7 

"^^..^ 

/ 

nière  que  le  côté  AH  du  plus  petit  soit  sur  le  pro- 
longement du  côté  AB  du   plus  grand. 

Prenons  liK  =  AU  et  du  point  K  tirons  les  droi- 
tes KG  et  KG,  co  qui  détermine  doux  triangles 
rectangles  BGK  et  KGII,  dont  il  est  facile  do  re- 
connaître l'égalité.  Portons  le  triangle  BGK  au- 
dessous  de  la  figure  en  appliquant  le  côté  CB  sur 
son  égal  CD;  il  prend  alors  la  position  CDI,  le 
côté  DI  se  trouvant  sur  le  prolongement  de  AD. 
En  môme  temps  Fi  est  égal  à  AD.  Plaçons  ensuite 
l'autre  triangle  KGll  au-dessous  du  côté  FG,  en 
appliquant  le  côté  KH  sur  son  égal  FI;  il  prend 
la  position  FIG,  le  côté  GH  coïncidant  avec  FG. 
La  figure  formée  par  les  deux  carrés  est  ainsi 
changée  en  un  quadrilatère  KCIG,  dont  les  quatre 
côtés  sont  égaux  ;  en  outre  l'ajigle  Kj  est  droit, 
puisque  les  angles  Kg  et  K3  valent  ensemble  un 
angle  droit.  Le  quadrilatère  KCIG  est  donc  un 
carré,  et  comme  son  côté  est  l'hypoténuse  du  trian- 
gle rectangle  BKC,  le  théorème  est  démontré. 

24. —  De  la  symétrie  dans  les  figures  planes. — 
Soit  une  droite  indéfinie  MN  (fig.  24J  et  un  point 


A.  Abaissons  de  ce  point  sur  M\  la  perpen- 
diculaire AK  et  prolongeons-la  d'une  quantité 
KA'=KA;  les  deux  poinis  A  et  A'  occupent  des 
positions  pareilles  à  droite  et  à  gauche  de  MN  ; 
c'est  ce  qu'on  exprime  en  disant  qu'ils  sont  symé- 
triques par  rapport  à.  la  droite  M  Si. 

Ainsi  deux  points  sont  symétriques  l'un  de 
l'autre  par  rapport  h  une  droite,  lorsque,  situés 
des  deux  cotés  de  cette  droite,  ils  en  sont  k  la 
môme  distance  et  sur  une  môme  perpendiculaire 
à  cette  droite. 

Soit  de  môme  BH  et  CI  perpendiculaires  à  MN; 
HB'  égal  à  HB  et  IC'  é^al  à  IG.  Le  triangle  A'B'C 
est  symétrique  du  triangle  ABC  par  l'apport  à  MN; 
le  trapèze  B'G'KII  est  symétrique  du  trapèze 
BCKH,  etc.  La  droite  MN  est  \'axe  de  symétrie. 

On  voit  que  si  l'on  plie  le  plan  de  la  figure  le 
long  de  l'axe  de  symétrie,  la  partie  supérieure  de 
la  figure,  retombant  sur  l'autre,  coïncide  avec  elle. 

La  nature  nous  montre  cette  symétrie  dans  la 
structure  d'une  feuille,  dans  la  disposition  des 
organes  de  notre  corps;  nous  l'imitons  dans  l'as- 
pect que  nous  donnons  à  la  façade  d'un  édifice, 
dans  l'ornementation  des  panneaux  d'une  boise- 
rie, etc. 

Au  point  de  vue  purement  géométrique,  les 
deux  diagonales  sont  l'une  et  l'autre  des  axes  de 
symétrie  dans  le  carré  et  le  losange  ;  la  hauteur 
menée  entre  les  deux  côtés  égaux  dans  un  trian- 
gle isoscèle  et  la  droite  qui  joint  les  milieux  des 
deux  base.s  dans  un  trapèze  dont  les  côtés  non 
parallèles  sont  égaux,  sont  des  axes  de  symétrie. 

25.  —  Construction  d'un  polfigone  égal  à  un  pohj- 
gone  donné.  —  Le  moyen  le  plus  commode  et  le 
plus  exact  consiste  à  décomposer  le  polygone  donné 
en  triangles  par  des  diagonales,  et  à  construire  suc- 
cessivement des  triangles  égaux  à  ceux  du  poly- 
gone donné  et  dans  les  mômes  positions. 
20.  —  Polyuones  SEMBLABLES,— L'idée  do  la  simili- 


POLYGONES 


—  1662  — 


POLYGONES 


tude  géométrique  existe  avec  une  assez  grande 
netteté  dans  l'esprit  des  enfants.  Qu'un  d'entre 
eux  s'amuse  à  copier  en  petit  une  image  repré- 
sentant, par  exemple,  un  soldat  sous  les  armes  ; 
il  sait  très  bien  que  s'il  réduit  la  hauteur  à  la 
moitié,  toutes  les  lignes  de  son  dessin  doivent 
être  la  moitié  de  celles  auxquelles  elles  corres- 
pondent dans  l'image.  Ce  n'est  pas  tout  ;  il  a  soin 
de  conserver  aux  diverses  parties  de  la  plus  petite 
figure  les  mêmes  courbures,  les  mêmes  angles  que 
dans  l'autre.  Ce  sont  là  les  deux  conditions  néces- 
saires de  la  similitude.  De  là  résulte  la  définition 
suivante  :  on  appelle  polygones  semblables  deux 
polygones  qui  ont  leurs  angles  respectivement 
égaux  et  leurs  calés  ho'iiologues  pronortionnels. 

L'expression  c^tés  homologues  désigne  deux 
côtés  qui  se  correspondent  dans  les  deux  polygo- 
nes, en  d'autres  termes,  deux  côtés  qui  sont  ad- 
jacents à  deux  angles  respectivement  égaux. 

Le  rapport  constant  qui  existe  entre  deux  côtés 
homologues  est  souvent  désigné  par  le  nom  de 
rapport  de  similitude  des  deux  polygones.  Par 
exemple  si  tous  les  côtés  du  plus  petit  polygone 
étaient  les  |  des  côtés  homologues  du  plus  grand, 
le  rapport  de  similitude  serait  |. 

2".  —  Théorème.  —  Si  on  ■oupe  un  triangle  par 
ime  droit''  parallèle  à  un  côté,  le  triangle  partiel 
ainsi  fo.m'  est  semhlable  au  triangle  total. 

En  effet  soit  DE  parallèle  à  BC  (Hg.  25)  ;  les  trois 


angles  du  triangle  ADE  sont  égaux  aux  trois 
angles  du  triangle  ABC.  De  plus  il  a  été  démon- 
tré à  l'article  Lignes  proportionnelles  (p.  11C7)  que 
les  trois  côtés  du  triangle  partiel  sont  proportion- 
nels aux  trois  côtés  du  triangle  total  ;  par  exem- 
ple si  AD  est  les  |  de  AB,  AE  est  les  |  de  AC  et 
DE  les  I  de  BC.  Donc  les  deux  triangles  sont  sem- 
blables. ,  .       ,  ,,  .,   , 

28.  —  Comtruction  d  un  triangle  semblable  à  un 
trïa'igle  donné.  —  Soit  à  construire  un  triangle 


fait  par  exemple  A'B'=  |  AB  et  A'C  =  |  AC  ;  puis 
on  tire  la  droite  B'C  Le  triangle  A'B'C  est  sem- 
blable au  triangle  ABC. 

En  effet  prenons  AD  =  A'B'  =  |  AB  et  tirons 
DE  parallèle  à  BC  ;  le  triangle  ADE  est  semblable 
au  trianglf  ABC.  Par  suite  le  côté  AE  est  aussi 
les  I  de  AC  et  par  conséquent  égal  à  A'C.  Les 
deux  triangles  A'B'C  et  ADE  sont  donc  égaux, 
comme  ayant  un  angle  égal  (A  et  A'j  compris  entre 
deux  côtés  respectivement  égaux;  donc  A'B'C  est, 
comme  ADE,  semblable  à  ABC. 
3°  Avec  les  trois  côtés. 

On  construit  le  triangle  A'B'C  avec  trois  côtés 
qui  sont  par  exemple  les  l  des  trois  côtés  du  pre 
mier;  les  deux  triangles  sont  semblables. 

En  effet  prenons  AD  =  A'B'  =  l  AB  et  tirons 
DE  parallèle  à  BC  ;  le  triangle  ADE  est  semblable 
au  triangle  ABC.  Or  AD  étant  les  |  de  AB,  le 
côté  AE  est  aussi  les  |  de  AC  et  par  conséquent 
égal  à  A'C  ;  de  même  DE  est  les  |  do  BC  et  par 
conséquent  égal  à  B'C.  Les  deux  triangles  A'B'C 
et  ADE  ayant  ainsi  leurs  trois  côtés  respective- 
ment égaux  sont  égaux;  donc  le  triangle  A'B'C  est 
semblable,  comme  ADE,  au  triangle  ABC. 

De  ce  qui  précède  résultent  les  théorèmes  sui- 
vants, qui  constituent  trois  cas  de  similitude  de 
deux  triangles,  tout  à  fait  analogues  aux  trois  cas 
d'égalité. 
Deux  triangles  sont  semblables  : 
1»  Quand  ils  ont  deux  angles  respectivement 
égaux  ; 

2°  Qunnd  ils  ont  un  angle  égal  compris  entre 
deux  côtés  respectivement  proportiomiels  ; 

3°  Quand  les  trois  côtés  de  l'un  sont  proportion- 
nels aux  trois  côtés  de  l'autre. 

29.  _  Applicatio.x.  —  l"  Supposons  un  terrain  de 
forme  triangulaire  ABC  (fig.  27),  dont  on  voudrait 
connaître  la  surface. 


semblable  au  triangle  ABC  (fig.  2C).  Cette  coastruc 
tion  peut  être  efi'ectuée  de  trois  manières. 

1  Avec  un  côté  et  deux  angles. 

On  tire  .\'B'  égal  par  exemple  aux  |  du  côté 
AB  ;  aux  extrémités  on  forme  l'angle  A'  égal  à 
l'angle  A  et  l'angle  B'  égal  à  l'angle  B  ;  le  triangle 
A'BX'  ainsi  obtenu  est  semblable  au  triangle 
ABC. 

En  effet  prenons  AD  =  A'B'  =  |  AB  et  tirons 
DE  parallèle  à  BC  ;  le  triangle  ADE  est  semblable 
au  triangle  ABC,  d'après  le  théorème  précédent. 
Or  le  triangle  A'B'C  est  é^al  au  triangle  ADE; 
car  ils  ont  un  côté  égal  (A'B'  =  AD)  adjacent  à 
deux  angles  respectivement  égaux;  donc  A'B'C  est, 
comme  ADE,  semblable  à  ABC. 

2»  Avec  deux  côtés  et  l'angle  compris  entre  eux. 

On  construit  l'angle  A'  égal  à  l'angle  A  et  on 


Après  avoir  mesuré  à  la  cliaîne  les  trois  cotes, 
on  construit  un  triangle  A'B'C  semblable  à  celui 
du  terrain,  avec  des  côtés  contenant  par  exemple 
autant  de  millimètres  qu'il  y  a  de  mètres  dans  les 
côtés  mesurés  sur  le  terrain.  On  abaisse  ensuite 
la  hauteur  AD',  et  le  nombre  de  millimètres 
qu'elle  contient  indique  le  nombre  de  mètres  de  la 
hauteur  correspondante  AD  sur  le  terrain,  il  ne 
reste  plus  qu'à  multiplier  entre  elles  les  longueurs 
de  BC  et  de  AD  et  à  prendre  la  moine  du  pro- 
duit. 

Le  triangle  A'B'C  est  dit  le  plan  de  terrain. 

2»  C'est  par  une  opération  semblable  qu  on  peut 
trouver  la  longueur  d'une  distance  BA  qu  il_  ne 
serait  pas  possible  de  mesurer  à  la  chaîne, 
comme  dans  le  cas  où  les  points  A  et  B  seraient 
séparés  par  un  marais,  une  rivière,  etc. 

Sur  le  terrain  on  détermine  une  droite  BC  dont 
on  obtient  la  longueur  à  la  chaîne  ;  à  l'aide  du  gra- 
phomètre  on  mesure  les  angles  CBA  et  BCA.  Avec 
ce  côté  et  ces  deux  angles  on  construit  le  trian- 
gle A'B'C  semblable  au  triangle  ABC;  le  cuto  B  A 
mesuré  à  l'échelle  du  plan  fait  connaître  la  dis- 
tance BA.  ... 

30.  —  Similiturle  de  deux  polygones.  —  L  c  gante 
des  angles  di  deuï  triangles  est  une  conséquence  de 
la  proportionnalité  des  trois  côtés,  et  réciproque- 


POLYGONES 


—  16G3  —      POLYGONES   RÉGULIEIIS 


meut;  mais  il  n'oii  est  pas  de  même  pour  les  aii- 
ires  polygones.  Que  l'on  construise,  par  exompln, 
deux  poi]tagon(!S,  en  prenant  les  côtés  de  l'un 
l'gaux  à  la  moilio  des  cùti-s  de  l'autre,  et  ces  côtés 
(tant  formés  par  dos  tiges  articulées  autour  des 
points  où  elles  se  joignent.  On  pourra  allonger 
plus  ou  moins,  et  dans  un  sens  quelconque,  les 
cotés  do  l'un  de  ces  pentagones;  sa  forme  variera, 
sans  que  ses  côtés  cessent  d'être  proportionnels  h 
ceux  de  l'autre  pentagone  :  il  ne  sera  donc  pas 
semblable  an  premier. 

Constnictiiiii    d'un    polygone   semblable   à   un 
autre.  —  Soit  à  construire  un  polygone  sembla- 


qu'il  y  a  de  mètres  dans  CD  ;  du  point  D'  on  tiro 
la  droite  D'E'  faisant  avec  D'C  l'angle  C'D'E'  égal 
à  l'angle  CDE,  et  on  lui  donne  autant  de  centi- 
mètres qu'il  y  a  de  mètres  dans  DE.  11  ne  reste 
plus  qu'.'i  tirer  la  droite  A'E'. 

Si  les  constructions  faites  sur  le  papier  sont 
exactes,  on  doit  trouver  dans  le  côté  A'E'  autant 
de  centimètres  qu'il  y  a  de  mètres  dans  AE  ;  l'angle 
D'E' A'  doit  êtr.'  égal  à  l'angle  DEA  et  l'angle  B'A'E' 
égal  à  l'angle  BAE. 

32.  —  Remarque.  —  Les  quelques  exemples  que 
nous  avons  cités  suffisent  pour  montrer  toute 
l'importance  de  la  tliéoiie  des  polygones  sembla- 
bles. Le  lever  des  plans  n'en  est  que  l'application 
aux  polygones  figurés  par  les  terrains.  Quant 
aux  détails  des  opérations  pratiques  à  effectuer 
sur  le  terrain  lui-même,  nous  renvoyons  nos  lec- 
teurs à  l'article  Lever  des  plans. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

POLYGONICS  RÉGULIEUS.  —  Géométrie,  XV. 
—  1.  —  Divisons  une  circonférence  en  un  nombre 
quelconque  de  parties  égales,  en  six,  par  exemple, 


ble  au  polygone  ABCDE  (fig.  28),  les  côtés  du 
deuxième  devant  être  par  exemple  les  |  des  côtés 
du  polygone  donné. 

r  On  décompose  le  polygone  donné  en  triangles 
par  k'S  di.igonales  AC  et  AD.  On  construit  ensuite 
un  triangle  A'B'C  semblable  au  triangle  ABC,  en 
lui  donnant  des  côtés  égaux  aux  |  des  côtés  du 
triangle  ABC;  puis  sur  A'C  un  triangle  A'C'D' 
semblable  au  triangle  ACD  et  sur  A'D'  un  trian- 
gle A'D'E'  semblable  au  triangle  ADE. 

Le  polygone  ainsi  formé  A'B'C'iyE'  est  sembla- 
ble au  polygone  donné  ABCDE.  En  effet,  par  suite 
de  la  similiiude  des  triangles  AliC  et  A'B'C,  des 
triangles  ACD  et  A'C'D',  des  triangles  ADE  et 
A'D'E',  les  côtés  du  deuxième  polygone  sont  tous 
les  g  des  côtés  homologues  du  premier  ;  en  même 
temps  les  trois  angles  qui  ont  leur  sommet  en  A' 
sont  égaux  aux  trois  an^-les  qui  ont  leur  sommet 
en  A  ;  les  deux  angles  qui  ont  leur  sommet  en  C 
sont  égaux  aux  deux  angles  qui  ont  leur  sommet 
en  C,  etc.  Ainsi  les  angles  des  deux  pentagones 
sont  respectivement  égaux  et  leurs  côtés  homo- 
logues sont  proportionnels  ;  donc  les  deux  poly- 
gones sont  semblables. 

De  là  ce  théorème  :  deux  polygones  composés 
d'un  me'me  noiubre  de  tiiangles  respectivement 
stmlilables  et  seniblublejnent  placés,  sont  sem- 
blables. 

31 .  —  Application.  —  Supposons  que  le  polygone 
ABCDE  (fig  28)  soit  un  champ,  et  qu'on  ait  mesuré 
i  la  chaîne  les  côtés  et  les  diagonales.  Si  l'on  a  con- 
struit les  triangles  du  deuxième  polygone  en  rem- 
plaçant le  nièire  par  le  centimètre  par  exemple, 
le  deuxième  polygone  sera  le  plan  du  terrain.  En 
menant  la  hauteur  dans  chaque  triangle  du  plan, 
on  connaîtra  les  hauteurs  correspondantes  des 
triangles  du  terrain  ;  on  pourra  ainsi  calculer  la 
surface. 

2°  On  peut  construire  le  polygone  semblable  au 
pplygone  donné,  sans  recourir  aux  diagonales; 
c'est  ce  qu'il  faut  faire,  quand  le  polygone  donné 
est  un  terrain  dans  l'intérieur  duquel  il  ne  serait 
pas  facile  de  pénétrer. 

Pour  cela  on  mesure  les  côtés  à  la  chaîne  et  les 
angles  au  graphomètre.  Puis  on  construit  sur  le 
papier  un  angle  A'B'C  égal  à  l'angle  ABC,  en 
donnant  aux  deux  côtés  A'B'  et  B'C  autant  de  cen- 
timètres, par  exemple,  qu'il  y  a  de  mètres  dans 
les  côtés  AB  et  Bi;  du  terrain.  Du  point  C  on  tire 
la  droite  CD'  faisant  avec  C'B'  un  angle  égal  à 
l'angle  BCD  et  on  lui  donne  autant  de  centimètres 


(fig.  1),  et  tirons  les  cordes  AB,  BC,  etc.,  des  six 
ares. 

Tous  les  côtés  de  l'hexagone  ainsi  formé  sont 
égaux,  puisqu'ils  sous-tendent  des  arcs  égaux; 
tous  les  angles  Aût;,  BCD...,  etc.,  sont  aussi  égaux, 
comme  angles  inscrits  qui  interceptent  entre  leurs 
côtés  des  arcs  égaux  (4  fois  la  sixième  partie  de  la 
circonférence'. 

Un  polygone  qui  a  tous  ses  côtés  égaux  et  tous 
ses  angles  égaux  est  appelé  pnlygnne  régulier. 

On  peut  imaginer  la  circonférence  divisée  en  un 
nombre  quelconque  de  parties  égales  ;  il  y  a  donc 
des  polygones  réguliers  de  tout  nombre  de  côtés. 

2.  —  L'angle  d'un  polygone  régulier  est  égal  à  la 
somme  de  ses  angles  divisée  par  le  nombre  des 
angles,  c'est-i-dire  par  le  nombre  des  côtés. 

Voici  les  valeurs  de  ces  angles  pour  les  princi- 
paux polygones  : 


Triangle  équilatéral 

Carré 

Pentagone 

Hexagone 

Octogone 

Décagone 

Dodécagone ..,,.. 


a.dr.  ou 


C0°. 

90°. 
lOS». 
120». 
135°. 
\ik\ 
150». 


3.  —  La  construction  du  polygone  régulier  à  l'aide 
de  la  circonférence  met  en  évidence  les  propriétés 
suivantes. 

Le  Centre  de  la  circonférence  est  également 
distant  de  tous  les  sommets  du  polygone  régulier 
ainsi  que  de  tous  les  côtés  ;  pour  cette  raison  il 
est  aussi  appelé  centre  du  polygone  régulier. 

Les  droites  égales  menées  du  centre  d'un  ps- 
lygone  régulier  i  tous  les  sommets  sont  appelées 
rayons  du  polygone  ;  elles  le  divisent  en  triangles 
isoscèles  égaux  et  elles  sont  bissectrices  des  an- 
gles du  polygone. 

Los  angles  égaux  formés  au  centre  du  poly- 
gone régulier  par  deux  rayons  aboutissant  aux 
extrémités  d'un  même  côté,  sont  nommés  angles 


POLYGONES  RÉGULIERS     —  1664  —     POLYGONES  RÉGULIERS 


au  centre;  la  valeur  de  chacun  est  le  quotient  de 
4  angles  droits  divisés  par  le  nombre  des  côtés. 

Les  perpendiculaires  menées  du  centre  aux  cô- 
tés du  polygone  sont  égales  et  tombent  au  milieu 
des  côtés;  elles  se  nomment  npothètnes. 

Un  polygone  régulier  étant  donné,  pour  en  trou- 
ver le  centre,  il  faut  mener  les  bissectrices  de 
deux  angles  du  polygone,  ou  élever  des  perpen- 
diculaires aux  milieux  de  deux  côtés  ou  mener 
une  de  ces  perpendiculaires  et  la  bissectrice  d'un 
angle  :  le  point  d'intersection  de  ces  droites  est  le 
centre  cherché. 

On  peut  toujours  décrire  une  circonférence 
passant  par  tous  les  sommets  du  polygone;  elle 
a  pour  centre  le  centre  du  polygone  :  c'est 
la  circonférence  circouscnle,  ABCD  par  exemple 
(fig-  2). 


La  circonférence  qui  aurait  le  même  centre  et 
un  rayon  égal  à  l'apothème  est  tangente  à  tous 
les  côtés  du  polygone  et  en  leurs  milieux;  elle 
est  dite  circonférence  imcrtie, GHl...  par  exemple. 

Réciproquement  le  polygone  régulier  est  ins- 
crit à  la  circonférence  qui  a  pour  rayon  OA,  et 
circonscrit  à  la  circonférence  qui  a  pour  rayon  son 
apothème. 

4.  — hiscrire  et  circ07i'!crire  unpo't/gone  régulier 
i/ans  un  cercle.  —  1°  Pour  inscrire  un  polygone 
régulier  dont  le  nombre  des  colés  est  donné,  il 
suffit  do  diviser  la  circonférence  en  autant  de  par- 
ties égales  que  le  polygone  doit  avoir  de  côtés  et 
de  tirer  les  cordes  des  arcs. 

2°  Pour  circonscrire  un  polygone  régulier,  il 
suffit  de  mener  par  les  points  de  division  de  la 
circonférence  des  tangentes  (fig.  3).  En  se  coupant 


deux  à  deux,  elles  déterminent  un  polygone  régu- 
lier, dont  les  côtés  sont  tangents  à  la  circonfé- 
rence. 

En  effet  les  triangles  A'AB,  B'BC,  etc.,  sont 
isoscèles,  puisque  leurs  angles  à  la  base,  formés 
par  une  corde  et  une  tangente,  ont  tous  pour 
mesure  la  moitié  d'arcs  égaux,  et  que  leurs  bases 
AB,  BC,  etc.,  sont  toutes  égales. 

On  pourrait  aussi  mener  des  tangentes  par  les 
milieux  des  arcs  sous-tendus  par  les  côtés  du  po- 
lygone inscrit  ;  le  polygone  circonscrit  obtenu  par 
ce  moyen  aurait  ses  côtés  parallèles  à  ceux  du  po- 
lygone inscrit  C'est  un  exercice  que  nous  laissons 
au  lecteur. 

^.—Division  de  lu  circonférence  enparties  égales. 
—  1°  Pour  diviser  la  circonférence  en  4  parties 
égales,  il  suffit  de  mener  deux  diamètres  perpen- 


diculaires entre  eux.  Si  l'on  divise  ensuite  chacun 
des  quatre  arcs  en  deux  parties  égales,  on  a  la  circon- 
férence divisée  en  8  parties  égales,  puis  en  IG,  en 
32,  etc.  En  appliquant  le  théorème  de  Pythagore 
à  l'un  des  quatre  triangles  isoscèles  dont  le  carré 
inscrit  est  composé   (fig.  4),  on  trouve  facilement 


que  le  côté  du  carré  inscrit  est  égal  au  rayon  mul- 
tiplié par  y'j. 

2°  La  corde  qui  sous-tend  la  sixième  partie  de  la 
circonférence  est  égale  au  rayon. 

En  efl'et  soit  l'hexagone  régulier  inscrit  ABCDEF 
(fig.  I).  Dans  le  triangle  isoscèle  ABO  Tangle  au 
centre  AOB  est  égal  à  la  sixième  partie  de  quatre 
angles  droits,  c'est-à-dire  à  60°.  La  somme  des  an- 
gles à  la  base  GAB  et  DBA  est  égale  h  180»— 60', 
c'est-à-dire  à  120°,  et  comme  ils  sont  égaux,  cha- 
cun vaut  60°.  Ainsi  le  triangle  AOB  ayant  ses  trois 
angles  égaux,  ses  trois  côtés  sont  égaux. 

Le  côté  de  l'hexagone  régulier  inscrit  dans  un 
cercle  est  donc  égal  au  rayon. 

La  circonférence  divisée  en  6  parties  égales  se 
trouve  par  là  même  divisée  en  3  parties  égales, 
ce  qui  donne  le  moyen  d'inscrire  le  triangle  oqui- 
latéral.  Puis  en  divisant  les  six  arcs  en  deux  par- 
ties égales,  on  en  aura  12,  puis  24,  et  ainsi  de 
suite. 

3°  Pour  avoir  la  corde  qui  sous-tend  la  dixième 
partie  de  la  circonférence,  il  f.iut  diviser  le  rayon  en 
deux  parties  telles  que  la  plus  grande  soit  moyenne 
proportionnelle  entre  la  plus  petite  et  le  rayon 
entier,  ou,  comme  on  dit  ordinairement,;)a)-/a3ec  le 
rayon  en  moyenne  et  extrême  raison  :  la  corde 
est  égale  à  la  plus  grande  des  deux  parties. 

Pour  faire  ce  partage  on  construit  un  triangle 
rectangle  COA  (fig.  5),  dont  les  côtés  de  l'angle 


droit  sont  l'un  le  rayon  0,\  et  l'autre  OC  la  moitié 
du  rayon  ;  de  l'hypoténuse  AC  on  retranche  la 
moitié  du  rayon  (CI  =  CO)  ;  le  reste  AI  est  la 
corde  cherchée. 

Si  on  rabat  AI  sur  la  circonférence  à  droite  et 
à  gauche  du  point  A,  les  cordes  AF  et  AG  seront 
deux  côtés  du  décagone  régulier  inscrit;  la  corde 
FG  sera  le  côté  du  pentagone  régulier. 

Observation.  —  Nous  ne  jugeons  pas  à  propos 
d'exposer  ici  la  démonstration  de  cette  question 
qui  est  en  dehors  du  cadre  de  l'enseignement 
primaire  ;  nos  lecteurs  la  trouveront  dans  tous  les 
traités  de  géométrie  classique. 


POLYGONES   RÉGULIERS     —  1G65  —     POLYGONES    RÉGULIERS 


G.  —  Construction  d'un pnlygonc  régulier  dont  le  j 
coté  est  i/onné.  —  La  construction  du  triangle 
éqnilatéral  et  du  carré  est  déjà  connue. 

Pour  l'hexagone,  il  sufiit  do  décrire  une  cir- 
conférence avec  un  rayon  égal  au  côté  donné,  et 
de  porter  ensuite  ce  rayon  six  fois  sur  la  circon- 
férence. 

Quant  aux  autres  polygones  réguliers,  on  ne 
peut  pas  employer  la  circonférence,  comme  pour 
l'hexagone;  car  on  ne  connaît  pas  le  rayon  de  la 
circonférence  qu'il  faudrait  décrire. 

Voici  deux  procédés  h  suivre.  Soit  par  exemple 
h  construire  un  pentagone  régulier  dont  le  côté 
aura  î  ceniimèu-es. 

1°  Après  avoir  tiré  une  droite  égale  à  3<^°',  on 
mène  de  ses  deux  extrémités  deux  droites  de 
3*"  faisant  avec  elle,  l'une  à  droite,  l'autre  à, 
gauche  et  du  même  côté  de  cette  droit«,  des  angles 
de  108°.  On  répète  la  même  construction  aux 
extrémités  de  chacun  de  ces  cotés  et  oii  continue 
ainsi. 

Ce  procédé  est  un  peu  défectueux,  à  canse  des 
erreurs  inévitables  causées  par  l'emploi  du  rap- 
porteur dans  la  construction  des  angles. 

ï°  Ayant  décrit  une  circonférence  d'un  rayon 
quelconque  lA  (fig.  6)   on  la  divise  par  tâtonne- 


Fig.  6. 

ment  (ce  qui  est  plus  rapide)  en  cinq  parties 
égales;  soit  AK  une  de  ces  parties.  On  tire  la 
corde  AK  ;  on  la  prolonge  pour  lui  donner  une 
longueur  AB  égale  au  côté  du  polygone  demandé  ; 
du  point  B  on  tire  BO  parallèle  à.  Kl  jusqu'à  la 
rencontre  du  prolongement  du  rayon  Al,  et  du 
point  0  pris  pour  cejitre,  avec  OA  pour  rayon, 
on  décrit  une  circonférence  qui  passe  au  point 
B  :  l'arc  AB  est  la  5"  partie  de  la  circonférence. 
Il  ne  reste  plus  qu'à  porter  AB  cinq  fois  sur  la 
circonférence  pour  avoir  le  pentagone. 

La  démonstration  ne  présente  pas  la  moindre 
dilflculté  ;  il  suffit  de  remarquer  que  le  triangle 
isoscèle  KIA  est  l'un  des  cinq  triangles  isoscèles 
du  pentagone  régulier  qui  serait  inscrit  dans  le 
cercle  lA,  et  que  le  triangle  BOA  est  semblable 
au  triangle  KIA. 

I-  —  Construction  de  l'octogone  régulier,  —  La 
construction  précédente  s'applique  à  tous  les  po- 
lygones réguliers  ;  cependant  il  y  a  pour  l'octo- 
gone un  autre  procédé  d'une  grande  simplicité. 

Soit  AB  (fig.  1)  le   côte  de   l'octogone  à  con- 


struire. En  son  milieu  on  élève  une  perpendicu- 
laire sur  laquelle  on  porte  IG  =  I\,  et  à  la  suite 
une  longueur  CO  ^CA;  puis  du  point  G  pris  pour 
centre  on  décrit  une  circonférence  passant  par  les 
extrémités  de  AB.  L'arc  AB  est  précisément  la  hui- 
tième partie  de  la  circonférence;  il  ne  reste  plus  qu'à 
porter  8  fois  cotte  corde  AB  sur  la  circonférence. 
Nous  laissons  au  lecteur  le  soin  de  trouver  la 
démonstration  ;  elle  se  réduit  il  faire  voir  que 
l'angle  AOB  est  égal  k  un  demi-angle  droit. 

8.  —  Construction  du  ilécagnne  régulier.  —  On 
peut  employer  une  construction  analogue  pour  le 
décagone  régulier  (fig.  "). 

Sur  AB,  côté  du  décagone  à  construire,  on  forme 
un  triangle  éqnilatéral  .\i;B;  sur  le  prolongement 
de  la  hauteur  CI,  on  porte  CD  égal  à  CA,  et  le 
point  O  est  le  centre  de  la  circonférence  à  décrire 
par  les  extrémités  A  et  B  ;  l'arc  AB  sera  la  lO» 
partie  de  la  circonférence. 

9.  —  De  l'emploi  des  polggones  réguliers.  —  La 
forme  de  quelques  polygones  réguliers  est  fré- 
quemment employée  pour  certaines  constructions, 
comme  les  bassins  des  jardins  publics;  c'est  sur- 
tout dans  le  dallage  et  la  parquetage  qu'on  les  voit 
le  plus  souvent. 

Il  n'y  a  que  trois  espèces  de  polygones  régu- 
liers qui  puissent  servir  à  former  un  dallage 
composé  de  polygones  d'une  seule  espèce.  On 
peut  assembler  autour  d'un  point,  de  manière  à 
couvrir  exactement  tout  l'espace  :  1°  quatre  carrés  ; 
2°  six  triangles  équilatéraux  ;  3"  trois  hexagones.  Et 
en  effet  trois  angles  d'hexagones  réguliers  placés 
autour  d'un  point  font  3  fois  liO"  ou  3i;u''.  Les 
six  triangles  équilatéraux  forment  par  leur  ensem- 
ble un  hexagone  régulier. 

Des  octogones  réguliers  laisseraient  entre  eux 
quatre  un  vide  carré. 

On  utilise  dajis  le  parquetage  diverses  combi- 
naisons de  polygones  réguliers  et  même  de  losan- 
ges pour  produire  dos  figures  variées  :  c'est  dans 
les  traités  de  dessin  linéaire  que  nos  lecteurs  les 
trouveront. 

10.  —  Poli/gones  réguliers  étoiles.  —  Il  existe  une 
autre  espèce  de  polygones  ayant  leurs  angles 
égaux  et  leurs  côtés  égaux;  mais  ces  côtés  s'entre- 
croisent et  donnent  au  polygone  une  forme  parti- 
culière qui  les  a  fait  appeler  polygones  étoiles. 

Soit  une  circonférence  (fig.  8j  divisée  en  5  par- 


Fig.  8. 

ties  égales;  les  cordes  des  cinq  arcs  forment  le 
pentagone  régulier  convexe  ABCDF. 

Si  on  joint  les  points  de  division  de  deux  en 
deux,  c'est-à-dire  un  point  au  deuxième  après  lui, 
par  des  droites,  menées  par  exemple  de  A  en  G, 
de  C  en  F,  de  F  en  B,  de  B  en  D,  on  finit  par  ar- 
river au  point  de  départ  A,  après  avoir  fait  deui 
fois  le  tour  de  la  circonférence.  Le  pentagone 
ACFBD  \  ainsi  formé  est  un  pentagone  étoile. 

Par  leur  intersection  les  côtés  de  ce  pentagone 
forment  dans  son  intérieur  un  pentagone  régulier 
convexe  A'B'C'D'F'. 

Si  la  circonférence  est  divisée  en  8  parties  égales 
105 


POLYGONES  RÉGULIERS     —  ^666  —     POLYGONES  RÉGULIERS 


on  peut  former  un  octogone  régulier  étoile  en  joi- 
gnant les  points  de  division  de  3  en  3,  et  il  n'y  en 
a  pas  d'autre  ;  car  en  joignant  les  sommets  de 
2  en  2  on  obtiendrait  le  carré  inscrit. 

REMiiiQUE.  —  11  n'existe  pas  en  réalité  d'hexa- 
gone régulier  étoile  construit  par  le  procédé  (lui 
vient  d'être  indiqué.  Cependant  si,  après  avoir  di- 
visé la  circonférence  en  6  parties  égales,  on  y  in- 
scrit un  triangle  équilatéral,  puis  un  autre  trian- 
gle équilatéral  dont  les  sommets  soient  les  mi- 
lieux des  arcs  sous-tendus  par  les  côtés  du  premier, 
on  obtient  un  polygone  régulier  ayant  la  forme 
étoilée. 

II.  —  Analoyie  entre  le  cercle  et  le  polygone  ri-- 
(/ulier.  —  Qu'on  inscrive  dans  un  cercle  des  po- 
lygones réguliers  dont  le  nombre  des  côtés  va  e:i 
doublant  toujours  (fig.  9),  chaque  périmètre  est 


Fig.  9. 

plus  grand  que  le  précédent,  mais  il  reste  tou- 
jours moindre  que  la  circonférence.  La  différence 
entre  le  périmètre  du  polygone  inscrit  et  la  cir- 
conférence va  donc  en  diminuant  indéfiniment,  et 
on  comprend  qu'avec  un  nombre  de  côtés  exces- 
sivement grand,  cette  difl'érence  peut  devenir  plus 
petite  que  toute  quantité  donnée  ;  de  là  cette  con- 
séquence: 

On  peut  regarder  le  cercle  comme  un  poli/gone 
régulier  d'un  nombre  infiyii  de  côtés  infiniment 
petits. 

12.  —  Théorème.  —  Deux  circonférences  sont 
proportionnelles  à  leurs  rayons. 

Inscrivons  dans  les  deux  circonférences  O  et  0' 
(flg.  10),  deux  polygones  réguliers  d'un  même  nom- 


bre de  côtés,  cinq  par  exemple,  et  supposons  que 
le  rayon  O'A'  soit  les  ^  du  rayon  OA.  Les  trian- 
gles isoscèles  O'A'B'  et  OAB  sont  semblables, 
comme  ayant  leurs  angles  respectivement  égaux; 
par  conséquent  le  côté  A'B'  est  les  |  du  côté  AB, 
et  le  périmètre  du  petit  polygone  est  aussi  les  | 
du  périmètre  du  grand.  Ainsi  le  rapport  des  péri- 
mètres des  deux  polygones  réguliers  inscrits  d'un 
môme  nombre  de  côtés  est  égal  au  rapport  des 
rayons.  Il  en  est  de  même  quelque  grand  que  soit 
le  nombre  des  côtés  des  deux  polygones,  et  par 
conséquent  pour  un  nombre  infiniment  grand, 
c'est-à-dire  pour  deux  circonférences.  Le  théo- 
rème est  ainsi  démontré. 

13.  —  Rapport  entre  la  circonférence  et  son  dia- 
mètre. —  Le  rapport  de  deux  circonférences,  étant 
égal  à  celui  des  rayons,  est  aussi  égal  à  celui  de 
leurs  diamètres.  Soient  donc  c  et  e'  deux  circon- 


férences,  d  et  d'  leurs   diamètres  ;  on  aura   la 
proportion  : 

c       d 

?  =  rf" 

ou,  en  changeant  les  moyens  de  place  entre  eux  -. 

c c' 

d~T 

Cette  dernière  proportion  montre  que  le  rap- 
port entre  une  circonférence  et  son  diamètre  est  le 
même  pour  toutes  les  circonférences  ;  en  d'autres 
termes  ce  rapport  est  constant. 

Ce  rapport  est  incommensurable,  et  dans  les 
calculs  il  est  désigné  par  la  lettre  grecque  tc 
(■prononcez  pi),  qui  est  la  lettre  initiale  du  nom 
grec  yperiphereia)  de  la  circonférence. 

Voici  ce  rapport  avec  les  six  premières  déci- 
males : 

Tt  =  3,141592. 

Dans  les  problèmes  ordinaires  on  prend  3,1416 
ou  même  3,14. 

14.  —  Calcul  de  la  circonférence.  —  De  l'égalité 

c  .  , 

-,  =  -:t  on  tire  c^  a'X.n. 

d 

De  là  cette  règle  :  M  longueur  de  la  circonfé- 
rence fsl  égale  au  produit  du  diamètre  multiplié 
par  le  nomlire%. 

Si  on  désigne  le  rayon  par  r,  cette  règle  est 
ainsi  exprimée  : 

c  =  27ir. 

Uéciproquement  on  trouve  le  diamètre  en  divi- 
sant la  circonférence  par  le  nombre  w. 

15.  —  Mesure  d'un  arc.  —  1°  Pour  connaître  la 
longueur  d'un  arc  d'un  certain  nombre  de  degrés, 
on  calcule  d'abord  la  demi-circonférence  en  mul- 
tipliant le  rayon  par  tc  ;  on  divise  le  produit  par 
180,  ce  qui  donne  la  longueur  d'un  arc  de  1  degré, 
et  on  multiplie  le  quotient  par  le  nombre  de 
degrés. 

Si  l'arc  contient  des  degrés,  des  minutes  et  des 
secondes,  il  vaut  mieux,  au  lieu  de  tout  convertir 
en  secondes,  calculer  la  longueur  de  l'arc  de 
1  minute,  celle  de  l'arc  de  1  seconde,  les  multi- 
plier par  le  nombre  de  degrés,  par  le  nombre  de 
minutes,  par  le  nombre  de  secondes  et  addition- 
ner ensuite  les  produits. 

Exemple.  —  Calculer  la  longueur  d'un  arr  de 
bG'-jT  pris  sur  une  circonférenc  ;  dont  le  diamètre 
a  2°,i8. 

Longueur  de  la  demi-circonférence  : 

1,24x3, 14  =  3°',8U3G. 

Longueur  de  180° 3»,893G. 

3,893G      „„.,,,„, 
Longueur  de  1° '  ,^,.    =0,O21()3. 


Longueur  de  1'. 


180 

"■"•■""^^0,00036. 

(iU 

Arc  de  56- 0",0'31C3x5G  =  1,21128. 

Arc  de  3T 0'",000.3Gx37  =0,01832. 

Longueur  de  l'arc  de  àC'S'i',  1",224G0. 

1 6.  _  Vetermination  de  ti.  —  Considérons  un  cer- 
cle d'un  rayon  connu,  qui  aurait  par  exemple  1  unité 
de  longueur,  et  un  hexagone  régulier  inscrit.  Le 
périmèlre  de  cet  hexagone  étant  égal  à  6,  la  cir- 
conférence est  supérieure  à  G.  Inscrivons  ensuite 
des  polygones  réguliers  de  12,  2i,  48,  etc.,  côtés  ; 
le  périmètre,  toujours  inférieur  à  la  circonférence, 
en  dilTérera  de  moins  en  moins,  à  mesure  que  le 
nombre  des  côtés  devieridra  de.  plus  en  plus  grand- 

Pour  calculer  ces  périmètres,  il  faut  d  abord 
résoudre  le  problème  suivant  : 


polygonù;s  réguliers    —  ine? 


Etant  dniiiés  le  vaijO'i  d'un  rerch  et  le  côté  du 
polygone  n'mdier  inscrit,  trouver  Le  côté  du  po- 
lygone réij.Jier  inscrit  ayant  un  nombre  de  côtés 
doii/j/e. 

Pour  cela  tirons  le  diamètre  CE  perpendiculaire 
au  côté  AB  (fig.  11)  d'un  polygone  régulier  inacrit  ; 


Fig.  11. 

désignons  par  a  le  côté  AB,  par  ?•  le  rayon  et  par 
c  le  côté  AC  du  polygone  régulier  inscrit  ayant 
deux  fois  plus  de  côtes  que  le  premier. 

Dans  le  triangle  rectangle  CAE,  le  côté  AG  est 
moyen  proportiojinel  entre  sa  projection  CD  sur 
l'hypoténuse  et  l'hypoténuse;  on  a  donc  : 


ou  : 


AC2=CEXCD 

c2  =  2)-x(;'— OD). 
Le  triangle  rectangle  ODA  donne  ensuite  : 


ou 


od=Vao'-ad», 


OD 


.y/._ç=iVi;7Z^ 


En  substituant  cette  valeur  de  OD  dans  celle  de 
c*,  on  trouve  : 

) 

'2 
ou  : 


et  enfin  : 


C-^  =  irx{r  —  -\^iri  —  a'-), 
c«  =  2'-«-cV'i''--«-. 


c  =  Y  2;-a  —  rVï 


Application.  —  Prenons  le  rayon  égal  à  1 1  ;  la 
formule  devient: 


c  =  ^2-S/i-aK  1) 

Le  côté  f,  do  l'hexagone  étant  11,  on  a  pour  le 
côté  Cii  du  décagone  : 

c,j=V2-V'F. 

En  remplaçant   dans  la  formule  (I)   «a  par  le 
carré  de  Ca  on  trouve  pour  le  côté  r.^^  du  polygone 


•„=v/2-V/4-2+V3, 


Cj4=V2-V'2+V3. 
On  trouverait  de  même  : 


v/^ 


POMMES  DE  TERRE 

Vs  =  1,73205- 
2-tV3  =  3,7.3205. 
s/l  +V:i  =  1,93185. 
f+\/2+V3  =  3,93185. 
'2_±^2+Él=  1.98289. 
?  -V  2  +\^-2  +V'-i  =  0.01711. 

C48=V2-V2+v/2+V3  =  0,13085. 
;)48=  0, 13085  X  48  =  6,27864. 
En  effectuant  les  calculs  avec  une  plus  grande 
approximation,  on  trouve  pour  les  périmètres  les 
valeurs  suivantes  : 

Périm.  de  6  côtés G.OOflOO. 

—  12    —    6,21165. 

—  24     —    6,26525. 

—  48     —    6,2:870. 

—  96    —    6,2«20S. 

—  192    —    6,28290. 

La  partie  6,282  commune  à  ces  deux  derniers 
périmètres  se  reproduira  dans  tous  les  péri- 
mètres suivants;  elle  est  donc  une  valeur  de  la 
circonférence  approcliée  à  moins  de  1  millième 
près.  Il  ne  reste  plus  qu'à  la  diviser  par  2,  valeur 
du  diamètre,  pour  avoir  le  rapport  it;  on  obtient 
ainsi  : 

6,282 


=  3,141. 


<'48=V2-V2-|-V'2-+-V3, 
et  ainsi  de  suite. 

Voici,  comme  exemple,  le  tableau  du  calcul  de 
Cn  a  laide  des  logaritlimei  à  5  décimales. 


Archimède  avait  trouvé  3  |.  Adrien  Métius,  géo- 
mètre hollandais  du  xvii'  siècle,  a  donné  pour  ce 
rapport  le  nombre  îy|,qui  est  plus  approché  que 
celui  d'Arcliimède.  Il  est  facile  h  retenir,  si  l'on 
observe  qu'il  suffit  d'écrire  deux  fois  de  suite 
chacun  des  trois  premiers  nombres  impairs,  et  de 
prendre  les  trois  derniers  chiffres  pour  le  numé- 
rateur et  les  trois  premiers  pour  le  dénominateur. 
fG.  Bovier-Lapierre.] 

POLYPES.  —V.  Rnyonnés. 

PUMMIiS  DE  TEltRE.  —  Agriculture,  VIIL  — 
Originaire  de  l'Amérique  méridionale,  la  pomme 
de  lerre  fut  importée  en  Europe  au  xvi'  siècle  par 
les  Espagnols.  Elle  se  répandit  d'abord  dans  les 
Pays-Bas,  dans  les  Flandres  et  dans  une  partie  de 
la  Lorraine.  Mais  sa  culture  ne  devint  générale 
qu'après  les  efforts  faits  au  xviii"  siècle  par  Par- 
mentier  pour  la  propager  en  France.  On  compte 
aujourd'hui,  en  France,  chaque  année  environ 
1,200.000  hectares  cultivés  en  pommes  de  terre. 
Leurproduit,  en  année  moyenne,  est  de  130,600,000 
hectolitres  de  tubercules,  soit  à  pou  près  1 10  litres 
par  hectare.  Dans  d'autres  pays,  la  production  de 
la  pomme  de  terre  est  encore  plus  élevée  qu'en 
France  ;  en  première  ligne,  il  convient  de  citer 
l'Irlande  et  l'Allemagne. 

La  pomme  de  terre  est  cultivée,  comme  on  sait, 
pour  ses  racines  tuberculeuses.  Tantôt  on  les 
emploie  directement  à  la  nourriture  de  l'homme 
ou  à  celle  des  animaux,  tantôt  on  les  soumet  à  un 
travail  spécial,  pour  en  extraire  la  fécule  qu'elles 
renferment;  tel  est  le  but  des  féculeries,  qui  con- 
stituent une  importante  industrie  agricole. 

Sous  l'influence  de  la  culture,  il  s'est  produit 
un  grand  nombre  de  variétés  de  pommes  de  terre, 
reconimandables,  les  unes  par  leur  rendement, 
les  autres  par  leur  précocité,  d'autres  enfin  par 
la  finesse  de  leur  goût.  11  est  impossible  d'énu- 
mérer  ici  toutes  ces  variétés.  Les  plus  connues  et 
les  plus  répandues  sont  les  vitelottes,  les  jaunes 
rondes,  les  jaunes  longues,  les  pommes  do  terre 
de  Ilullande,  les  marjolins,  les  patraques,  etc. 
La  pomme  de  terre  a  une  végétation  très  rapide 


POMMES  DE  TERRE   —  1668  —   POMMES  DE  TERRE 


et  très  vigiureuse.  Plantée  au  printemps,  en 
mars  ou  avril,  elle  parcourt  dans  le  courant  de 
l'été  toutes  les  phases  de  sa  végétation,  et  elle 
arrive  i.  maturité  h  l'autonine.  C'est  par  la  plania- 
tion  des  tubercules  que  se  fait  sa  reproduction. 

Partout  où  les  céréales  sont  cultivées,  la 
pomme  de  terre  peut  venir  avec  avaiilagc.  C'est 
dire  que  l'aire  sur  laquelle  peut  se  faire  sa  cul- 
ture est  d'une  grande  étendue.  Les  terres  qui  lui 
conviennent  le  mieux  sont  les  sols  légers  ou  de 
consistance  et  d'humidité  moyennes,  les  terres 
d'alluvion.  et  celles  où  domine  le  calcaire.  Néan- 
moins elle  s'accommode  de  la  )ilus  grande  partie 
des  natures  de  sols,  quoique,  dans  les  terres  argi- 
leuses, elle  ne  donne  généralement  qu'un  assez 
maigre  produit.  Dans  tous  les  cas,  pour  que  la 
récolte  viei.ne  bien,  il  faut  que  le  sol  soit  profon- 
dément labouré  et  parfaitement  ameubli,  afin 
que  les  racines  puissent  y  prendre  tout  leur  dé- 
veloppement. La  pomme,  de  terre  viendra  bien 
après  des  labours  de  défoncemcnt,  après  des  dé- 
frichements de  luzernières  qui  exercrnt  sur  le  sol 
l'action  d'ameublissement  qui  est  nécessaire  pour 
sa  bonne  végétation.  Quant  aux  fumures,  elles 
sont  nécessaires  pour  avoir  une  abondante  récolte. 
Sans  insister  sur  les  nombreuses  expériences  qui 
en  ont  donné  la  preuve,  il  suffit  de  dire  que  jus- 
qu'ici le  fumier  est  l'engrais  qui  convient  le 
mieux  à  cette  culture  ;  une  fumure  copieuse  donne 
toujours  d'excellents  produits.  Toutefois,  il  parait 
résulter  d'essais  faits  avec  soin  que  la  fumure 
avec  le  purin  aurait  pour  résultat  de  diminuer  la 
richesse  des  tubercules  en  fécule. 

Le  plus  généralement,  on  prend  la  récolte  des 
pommes  de  terre  entre  deux  céréales.  Il  arrive, 
dans  les  petites  cultures,  que  l'on  fait  succéder 
la  pomme  de  terre  plusieurs  fois  à  elle  même  ; 
celte  pratique  est  surtout  usitée  en  Irlande  ; 
la  récolle  se  maintient,  à  la  condition  que  les 
soins  de  culture  soient  bien  donnés. 

On  a  vu  plus  haut  que  c'est  au  printemps 
qu'on  plante  les  tubercules  des  pommes  de  terre. 
Cette  opération  doit  être  faite  aussitôt  que  pos- 
sible, mais  il  faut  éviter  trop  de  précipitation  dans 
les  pays  sujets  aux  gelées  tardives  qui  frapperaient 
les  plantes  levées.  Quelques  agriculteurs  ont 
préconisé  la  plantation  automnale.  Dans  ce  cas, 
le  tubercule  mis  en  terre  profite  de  la  première 
chaleur  pour  germer.  Mais  cette  pratique  ne  s'est 
pas  généralisée.  On  plante  ordinairement  der- 
rière la  charrue  à  versoir  ou  derrière  un  araire. 
Une  deuxième  charrue  recouvre  les  tubercules 
déposés  dans  le  sillon.  Cette  pratique  présente 
deux  inconvénients  :  d'abord,  les  tubercules  sont 
souvent  plantés  trop  profondément;  ensuite,  la 
plantation  est  irrégulière,  d'où  il  résulte  que  le 
buttage  et  le  binage  présentent  des  difficultés. 
Le  mieux  est  de  tracer  les  lignes,  à  l'espace 
voulu,  avec  un  rayonneur,  et  de  placer  ensuite 
au  fond  de  la  raie  les  tubercules  que  l'on  re- 
couvre de  terre  par  un  coup  de  herse.  Par  ce 
ce  .système,  la  profondeur  de  la  plantation  est  tou- 
jours la  même,  et  il  y  a  une  grande  régularité 
dans  les  lignes. 

Les  tubercules  dos  pommes  de  terre  portent  à 
leur  surface  un  certain  nombre  de  boutons  ou 
yeux  qui  sont  autant  de  germes  d'où  sortiront 
des  plantes  nouvelles.  De  là  est  venue,  dans 
certaines  contrées,  l'habitude  de  couper  les  tuber- 
cules en  autant  de  morceaux  qu'ils  portent  d'j  eux, 
et  de  planter  chacun  de  ces  morceaux.  L'expé- 
rience a  démontré  que  le  produit  était,  dans  ce 
cas,  inférieur  à  celui  que  donnent  les  pommes  de 
terre  entières  ;  il  ne  faut  donc  avoir  recours  à 
cette  méthode  que  dans  le  cas  de  disette  ou  de 
cherté  excessive  des  pommes  de  terre  de  se- 
mence. 

La  planUtion  des  tubercules  doit  être  faite  à 


une  profondeur  de  15  à  20  centimètres.  Le 
meilleur  espacement  entre  les  plantes  parait  être 
de  30  centimètres,  et  entre  les  lignes  de  40  i 
50  centimètres. 

Les  soins  de  culture  à  donner  pendant  la  vé- 
gétation de  la  pomme  de  terre  sont  importants. 
Lorsque  le  plant  a  atteint  dix  à  quinze  centimè- 
tres de  hauteur,  on  pratique  un  premier  binage 
pour  détruire  les  mauvaises  herbes.  Un  peu  plus 
tard,  on  butte,  c'est-à-dire  on  ramène  une  cer- 
taine hauteur  de  tcne  autour  de  la  tige,  afin  que 
celle-ci  soit  enterrée  plus  profondément.  Les 
avantages  du  buttage  ont  été  mis  en  doute  à  di- 
verses reprises;  mais  il  est  certain  que  cette  opé- 
ration, si  elle  a  pour  effet  de  diminuer  un  peu  le 
rendement,  compense  largement  cet  inconvénient 
par  la  plus  grande  facilite  qu'elle  présente  pour 
faire  la  récolte.  Dans  tous  les  cas,  il  ne  faut  pas 
que  le  buttage  soit  trop  élevé;  il  ne  doit  pas  dé- 
passer environ  le  tiers  de  la  hauteur  que  les  tiges 
atteignent.  Le  buttage  se  fait  soit  à  la  houe,  soit, 
dans  les  grandes  cultures,  avec  une  charrue  spé- 
ciale dite  buttoir,  et  qui  porte  deux  versoirs  dis- 
posés dos  à  dos. 

On  a  quelquefois  conseillé  de  supprimer  les 
fleurs  et  même  une  partie  des  feuilles,  sous  pré- 
texte que  la  plante,  ne  produisant  pas  de  graines, 
donnerait  des  tubercules  plus  abondants.  Des 
expériences  bien  faites  ont  démontré  que  cette 
opinion  était  erronée. 

La  dessiccation  des  tiges  et  des  feuilles  indi- 
que le  moment  où  il  convient  de  procéder  à  la 
récolte.  L'arrachage  des  tubercules  est  fait  le  plus 
souvent  à  la  houe  fourchue;  des  femmes  suivent 
les  ouvriers  et  enlèvent  les  tubercules.  On  peut 
aussi  procéder  à  l'arrachage  avec  un  appareil 
spécial,  consistant  en  une  charrue  dont  le  soc  est 
surmonté  par  une  sorte  de  grille  inclinée  ou 
griffe  qui  pénètre  dans  le  sol,  et,  soulevant  les 
pieds  de  pommes  de  terre,  amène  les  tubercules 
à  la  surface,  où  ils  sont  enlevés  par  des  ouvrières. 
Il  convient  de  choisir  un  temps  sec  pour  procéder 
à  l'arrachage,  autrement  les  pommes  de  terre 
sont  terreuses,  humides  et  se  conservent  moins 
bien.  Les  tubercules  doivent  être  ramassés  dès 
qu'ils  sont  arraches  et  chargés  sur  des  tombe- 
reaux pour  être  portés  à  la  ferme. 

Le  rendement  des  pommes  de  terre  varie  beau- 
coup. Il  est  moindre,  quand  on  les  récolte  avant 
leur  maturité  complète;  mais  dans  le  Midi,  où 
l'on  fait  beaucoup  de  pommes  de  terre  de  pri- 
meurs, on  ne  lient  pas  compte  de  cette  infériorité 
qui  est  d'ailleurs  largement  compensée  par  le  pm 
élevé  auquel  on  vend  la  récolte.  Dans  les  condi- 
tions ordinaires,  on  estime  le  produit  moyen  d'un 
hectare  de  pommes  de  terre  bien  cultivé  de  350  a 
280  hectolitres;  le  poids  moyen  de  l'hectolitre 
étant  de  80  kilog.,  la  récolte  en  poids  est,  dans 
ces  conditions,  de  20,000  h  22,500  kilog. 

Les  tubercules  sont  conservés  dans  des  caves 
ou  dans  des  silos  creusés  dans  les  champs.  Il  est 
important  qu'ils  soient  à  l'abri  de  la  geloe.  Au 
printemps,  il  convient  de  les  retourner  et  de  les 
étendre  par  des  pellet..ges  ou  de  les  placer  dans 
un  lieu  sec  et  aéré,  afin  de  retarder  le  dévelop- 
pement des  germes. 

La  pomme  de  terre  est  sujette  à  diverses  mala- 
dies La  plus  importante,  celle  qui,  à  certains 
moments,  a  sévi  d'une  manière  désastreuse,  est 
la  pourriture  provoquée  par  un  champignon  au- 
quel on  a  donné  le  nom  de  Buhytts  mfeittms  ou 
de  Perenosrora  iiifeslans.  Ce  champignon  opère, 
pendant  la  végétatio»  de  la  plante,  une  véritable 
migration  du  tubercule  de  semence  à  la  lige  et 
aux  fiuilles,  cl  de  là  aux  racines  où  il  atteint  les 
tubercules  en  formation.  Sa  présence  se  manifeste 
par  des  taches  d'un  brun-violet  entourées  d  une 
ligne    blanchâtre,     que    l'on    remarque    sur    les 


POMPE 


—  1669  — 


POMPE 


feuilles.  On  n'a  pas  encore  trouvé  le  moyen  de 
détruire  ce  champignon  ;  mais  on  a  observé  que 
la  maladie  se  développe  surtout  h  la  fin  de  l'été, 
dans  les  années  pluvieuses  et  dans  les  cultures 
en  sol  argileux.  On  la  prévient,  autant  que  pos- 
sible, en  cultivant  des  variétés  précoces,  et  en  ne 
plantant  que  des  tubercules  absdlumcnt  sains.  On 
conseille  aussi  do  couper  les  feuille-;  atteintes,  et 
surtout  de  les  rejeter  loin  du  cliamp,  afin  d'em- 
pêclier  le  développement  de  la  maladie,  ou  mieux 
de  les  brûler. 

Aux  Étals-Unis  d'Amérique,  le  développement 
extraordinaire  d'un  coléoptère,  le  Do'-yphora  de- 
remlinea/a,  a  été  la  cause  de  la  disparition  presque 
complète  de  la  pomme  de  terre  dans  un  certain 
nombre  d'États.  Cet  insecte  n'existe  pas  en  Eu- 
rope; des  mesures  ont  été  prises  par  tous  les 
États  pour  en  prévenir  l'importation.  A  deux  re- 
prises il  a  été  importé  en  Allemagne  ;  mais  on 
s'en  est  débarrassé  par  des  mesures  très  énergiques, 
consistant  principalement  dans  la  destruction  de 
la  récolte  et  dans  la  désinfection  du  sol . 

[Henry   Sagnier.] 

POMPE.  —  Pliysiquo,  XII.  —  Les  pompes  sont 
les  appareils  le  plus  fréquemment  employés  pour 
élever  les  liquides.  Dans  toute  pompe  se  trouvent 
un  cylindre  creux  ou  corps  de  pompe  dans  lequel 
se  meut  un  piston,  et  des  pièces  mobiles  appelées 
soupapes  qui  établissent  ou  interceptent,  au  mo- 
ment voulu,  la  communication  entre  le  corps  de 
pompe  elles  tuyaux  qui  l'accompagnent 

Le  piston  est  ordinairement  un  cylindre  métal- 
lique, d'un  diamètre  moindre  que  celui  du  corps 
de  pompe,  et  sur  lequel  on  enroule  un  cuir  gras 
ou  des  éloupes  fortement  serrées,  de  manière  que 
le  piston  remplisse  exactement  le  corps  de  pompe 
tout  en  conservant  la  possibilité  d'y  glisser. 

Les  soupapes  sont  de  plusieurs  formes  :  c'est 
une  sphère  ou  une  portion  de  sphère,  guidée  par 
une  tige  et  posée  sur  l'orifice  qu'elle  doit  fermer  ; 
ou  bien  c'est  un  clapet,  c'est-i-dire  une  rondelle 
métallique  mobile  autour  d'une  charnière  fixée  sur 
le  bord  de  l'ouverture. 

Quelle  que  soit  la  disposition  particulière  adop- 
tée, les  pompes  peuvent  être  groupées  en  trois 
types  principaux  : 

Les  pompes  aspirantes,  les  pompes  foulantes, 
les  pompes  aspirantes  et  foulantes. 

t.  —  Pumpe  aspirante.  —  Dans  cet  appareil,  le 
corps  de  pompe  est  à  une  certaine  distance  du  ni- 
veau de  l'eau  et  il  est  prolongé  par  un  canal  étroit 
plongeant  dans  l'eau  et  qui  est  le  tuyau  d'aspira- 
tion. A  la  soudure  de  ce  tuyau  avec  le  corps  de 
pompe  est  une  soupape  s'ouvrant  de  bas  en  haut. 

Le  piston  est  percé  d'un  canal  qui  porte  égale- 
ment une  soupape  s'ouvrant  comme  la  première. 
Le  canal  de  déversement  esta  la  partie  supérieure 
du  corps  de  pompe. 

Le  jeu  de  1  aiipareil  est  simple.  Au  début,  l'eau 
est  au  même  niveau  dans  le  réservoir  et  dans  le 
tuyau  d'aspiration;  celui-ci  est  plein  d'air  d'une 
force  élastique  égale  à  celle  de  l'air  extérieur.  On 
soulève  le  piston,  le  vide  se  fait  en-dessous  de 
lui;  l'air  du  tuyau  d'aspiration  soulève  la  soupape 
inférieure  et  se  répand  dans  le  corps  de  pompe. 
L'eau  s'élève  au-dessus  de  son  niveau  jusqu'à  ce 
que  la  pression  due  à  la  colonne  d'eau  soulevée, 
ajoutée  à  celle  de  l'air  resté  dans  le  tuyau,  fasse 
équilibre  à  la  pression  extérieure.  Sitôt  que  le 
piouvement  ascendant  du  piston  cesse,  la  soupape 
inférieure  retombe  et  toute  communication  est 
fermée  entre  le  corps  de  pompe  et  le  tuyau  d'as- 
piration. Lorsque  l'on  redescend  le  piston,  il  com- 
prime l'air  renfermé  dans  le  corps  de  pompe  ;  et 
quand  cet  air  est  assez  réduit  de  volume  pour  ac- 
quérir une  pression  supérieure  à  celle  de  l'atmo- 
sphère,il  soulève  la  soupape  du  piston  et  s'échappe. 
Ainsi,  au  commencement,  toute   pompe  aspirante  \ 


fonctionne  comme  une  machine  pneumatique  :  elle 
extrait  l'air  contenu  dans  le  tuyau  d'aspiration. 
Mais  l'eau  s'élève  il  chaque  coup  de  piston  dans 
le  tuyau,  et  si  la  première  soupape  est  à  moins 
'  de  10  mètres  au-dessus  du  niveau  do  l'eau  dans 
I  le  puits,  l'eau  pénètre  dans  le  corps  de  pompe.  A 
partir  de  ce  moment,  l'eau  peut  passer  au-dessus 
du  piston  et  s'écouler  ensuite  par  l'ajutage  supé- 
rieur. 

'      L'eau  monte    par  l'effet  de  la   pression  atmo- 
I  sphérique  «'exerçant  sur  la  nappe  liquide  du  ré- 
servoir ;  or  cette  pression  ne  peut  tenir  en  équili- 
bre   qu'une   colonne    d'eau  de   \(i'".ii.  Si  donc  la 
première  soupape  se  trouvait,  au-dessus  du  niveau 
du  puits,  à  plus  de  10  mètres,  l'eau  ne  pourrait 
la   franchir,   et  la   pom|)e    ne  fonctionnerait  pas. 
C'est    le  cas   qui  se  présenta   aux   fontainiers  de 
I  Florence  qui  voulaient  établir  une  pompe  dont  le 
tuyau  d'aspiration  avait  'iO  mètres.  Dans  la  prati- 
que, on  ne  met  guère  que  S  à  9  mètres  entre  le 
]  niveau  inférieur  de  l'eau  et  la  position  supérieure 
du  piston,  à  cause  des  imperfections  inhérentes  à 
I  l'appareil  qui   font  que  le  piston  ne  peut  jamais 
faire  au-dessous  de  lui  un  vide  absolu.  Alors,  dès 
que  l'eau  a  atteint  le  corps  de  pompe,  elle  suit  le 
piston  dans  son  mouvement  et  remplit  le  cirps  de 
pompe.  L'appareil  est  amorcé,  et  chaque  fois  qu'on 
I  soulève  le  piston,  on  fait  sortir  par  le  canal  de  dé- 
versement un  volume  d'eau  égal  au  volume  que 
parcourt  le  piston  dans  le  corps  de  pompe. 

Habituellement  on  produit  le  mouvement  du 
piston  h  l'aide  d'un  levier.  Comme  la  plus  grande 
résistance  alleu  pendant  le  mouvement  ascendant 
du  piston,  le  levier  doit  être  disposé  pour  que  le 
poids  de  celui  qui  manœuvre  la  pompe  agisse  pré- 
cisément quajid  le  piston  monte,  que  celui-ci  soit 
mu  par  un  levier  ordinaire  ou  par  une  bielle  fixée 
à  un  volant  mobile  par  une  manivelle. 

L'effort  à  faire  pour  soulever  le  piston,  quand  la 
pompe  est  amorcée,  est  égal  au  poi  /s  d'une  co- 
lonne d'eau  ayant  pour  buse  la  section  du  piston 
et  pour  hauteur  la  ilistauce  à  loquclle  l'eau  est 
élevée.  On  s'en  rend  compte  en  cherchant  la 
pression  que  l'eau  exerce  sur  chaque  face  du 
piston,  et  en  retranchant,  de  celle  qui  s'exerce  en 
dessus,  celle  qui  agit  en  dessous.  Ainsi,  en  élevant 
l'eau  à  9  mètres  avec  un  piston  de  50  centi- 
mètres carrés  de  surface,  l'effort  à  faire  serait  de 
9uOx5U  =  4500l)  grammes  ou  4.S  kilogrammes, 

H.  — Pompe  fiiulante.  —  Dans  la  pompe  foulante, 
le  tuyau  d'aspiration  est  supprimé  et  le  piston  est 
plein.  Le  corps  de  pompe  plonge  directement  dans 
le  réservoir.  Il  porte  d'un  côté  une  soupape  qui 
s'ouvre  du  dehors  au  dedans,  de  l'autre  un  tuyau 
d'écoulement  ou  d'élévation  à  la  naissance  duquel 
est  une  soupape  s'ouvrant  du  corps  de  pompe  vers 
l'extérieur. 

Vient-on  à  soulever  le  piston,  il  fait  le  vide  au- 
dessous  de  lui,  l'eau  du  réservoir  ouvre  la  première 
soupape  et  vient  remplir  ce  vide.  Sitôt  que  le 
mouvement  ascendant  cesse,  la  soupape  se  ferme. 
Si  alors  on  redescend  le  piston,  il  comprime  l'eau  ; 
celle-ci  fait  ouviir  la  secondo  soupape  et  passe 
dans  le  canal  élévatoire. 

Dans  ces  sortes  d'appareils,  la  plus  grande  ré- 
sistance a  lieu  quand  le  piston  descend  ;  outre  le 
frottement,  l'effort  il  déployer  est  égal  au  poids 
d'une  colonne  d'eau  d'une  section  comme  celle  du 
piston  et  de  la  hauteur  comprise  entre  le  déversoir 
et  le  réservoir. 

3.  Pompe  aspirante  et  foulante.  —  En  réunis- 
sant les  eft'ets  des  deux  pompes  précédentes,  on 
obtient  un  appareil  appelé  pompe  aspirante  et 
foulante.  Cette  pompe  emprunte  il  la  pnmpe  aspi- 
rante son  tuyau  d'aspiration  avec  la  soupape  qui 
le  termine;  elle  emprunte  à  la  pompe  foulante  son 
piston  plein  et  son  canal  élévatoire.  Quand  le  pis- 
ton monte,  il  aspire  l'eau  dans  le  corps  de  pompe; 


POMPE 


1670 


PONCTUATION 


quand  il  descend,  il  comprime  l'eau  et  la  fait  pas- 
ser dans  le  canal  élévatoire.  L'effort  du  piston  est 
considérable  pendant  les  deux  moitiés  de  son  mou- 
vement alternatif,  aussi  a-t-on  ordinairement  re- 
cours à  un  Tolant  pour  le  faire  mouvoir.  Avec  cette 
pompe,  on  tire  l'eau  d'un  puits  qui  est  à  9  mètres 
au-dessous  de  la  soupape  d'aspiration,  et  à  partir 
de  li  on  peut  l'élever  i  une  hauteur  qui  n'a  de  li- 
mite que  l'effort  auquel  peuvent  résister  les  parois 
de  l'appareil. 

Emploi  d'un  piston  plongeur.  —  Lorsqu'on 
veut  élever  l'eau  à  une  grande  hauteur,  ou  la  lan- 
cer dans  une  enceinte  à  haute  pression  comme 
une  chaudière  de  machine  à  vapeur,  on  ne  peut 
employer  les  pistons  ordinaires  avec  leurs  lames 
de  cuir  ou  leurs  étoupcs  grasses;  on  les  remplace 
par  un  piston  plongeur.  C'est  un  cylindre  plein 
dont  le  diamètre  est  un  peu  plus  petit  que  celui 
du  corps  de  pompe  ;  il  glisse  à  frottement  dans 
une  boîte  il  étoupes  placée  à  la  partie  supérieure 
du  corps  de  pompe  ;  durant  le  reste  de  la  course, il  ne 
touclie  pas  les  parois.  Quand  ce  piston  est  sou- 
levé, il  fait  dans  le  corps  de  pompe  un  vide  que 
l'eau  vient  remplir  après  avoir  ouvert  les  soupa- 
pes. Quand  on  le  redescend,  il  comprime  l'eau  et 
en  chasse  hors  du  corps  de  pompe  un  volume 
égal  au  sien. 

Usage  des  pompes.  Pompes  à  incendies.  —  La 
pompe  aspirante  est  employée  pour  tirer  l'eau  des 
puits  ou  réservoirs  peu  profonds,  quand  il  ne 
faut  pas  élever  le  liquide  à  plus  de  8  à  9  mètres 
de  son  premier  niveau.  On  en  fait  au  besoin  une 
pompe  élévatoire. 

On  la  remplace  par  la  pompe  aspirante  et  fou- 
lante dans  le  cas  où  l'on  veut  conduire  l'eau  d  un 
puits  profond  dans  un  réservoir  élevé  d'où  on  la 
distribuera  ensuite  à  tous  les  étages  d'une  maison. 
La  pompe  foulante  sert  pour  arroser  les  jardins, 
pour  épuiser  une  pièce  d'eau  ou  tout  réservoir 
dans  lequel  la  pompe  elle-même  peut  être  mise  et 
manœuvrée.EUe  sert  à  prendre  l'eau  à  une  rivière 
pour  l'élever  jusqu'au  réservoir  qui  la  dispensera 
à  toutes  les  maisons  d'une  ville.  Enfin  c'est  elle 
qui  forme  l'organe  principal  des  pompes  i  incen- 
dies. 

La  pompe  à  incfndin  résulte  de  l'accouplement 
rie  deux  pompes  foulantes  montées  de  manière  à 
donner  un  jet  régulier  et  continu.  Les  tiges  des 
deux  pistons  sont  articulées  sur  un  même  balan- 
cier, de  sorte  que  l'un  des  pistons  monte  quand 
l'autre  descend.  L'eau  est  apportée  dans  un  ré- 
servoir attenant  à  l'appareil;  elle  est  puisée  là  par 
chaque  pompe  qui  l'envoie  dans  un  réservoir  à 
air.  C'est  cette  boîte  à  air  qui  assure  la  continuité 
du  jet  :  l'eau  en  y  arrivant  comprime  l'air  qui  se 
trouve  à  la  partie  supérieure,  et  le  gaz  réagissant 
par  sa  force  élastique  chasse  l'eau  dans  le  tuyau 
de  sortie.  Celui-ci  est  terminé  par  un  ajutage  co- 
nique nommé  lance  qui  sert  à  diriger  le  jet.  Et 
comme  l'orifice  de  sortie  ne  peut  débiter  tout  le 
liquide  que  le  jeu  un  peu  précipité  des  pistons 
amène  dans  la  boîte  i  air,  la  force  de  l'eau  k  la 
sortie  de  la  lance  acquiert  très  vite  une  très 
grande  puissance  de  projection  que  l'on  utilise  pour 
envoyer  l'eau  assez  loin  de  la  pompe. 

Cette  pompe  est  d'un  très  grand  secours  pour 
l'extinction  des  incendies.  On  en  fait  des  modèles 
d'un  transport  et  d'une  manoeuvre  très  faciles.  On 
l'alimente  par  un  puits,  par  une  borne-fontaine  ou 
par  une  prise  d'eau  sur  la  voie  publique,  et  h  dé- 
faut de  CCS  moyens,  en  apportant  de  l'eau,  à  l'aide 
de  seaux,  dans  son  réservoir.  S'il  faut  envoyer 
leau  de  la  pompe  à  une  certaine  distance,  aux 
points  où  elle  est  nécessaire,  on  prolonge  le  tuyau 
de  sortie  à  l'aide  de  boyaux  en  cuir  cousu  portant 
à  leurs  extiémités  des  douilles  à  vis  pour  raccor- 
dement ;  le  dernier  est  muni  de  l'ajutage  ou  lance 
qui  débite  l'eau.  Veut-on  une  grande  force  de  pro- 


jection pour  le  liquide,  on  prend  une  pompe  à 
grand  réservoir  d'air  :  une  manœuvre  rapide  amène 
dans  ce  réservoir  assez  d'eau  pour  comprimer 
l'air  à  plusieurs  atmosphères  et  le  liquide  est 
lancé  avec  cette  force  que  l'air  comprimé  lui  com- 
munique. [Haraucourt.] 

PO.XCTrATION.—  Grammaire,  XXV.  —  Etym.: 
du  latin  punctum,  point,  —  La  ponctuation  est  l'art 
de  distinguer  par  des  signes  conventionnels  les 
phrases  entre  elles,  les  diverses  parties  de  chaque 
phrase,  et  les  différents  degrés  de  subordination 
qui  conviennent  à  cliacune  de  ces  parties. 

Utilité  et  pbincipes  de  la  ponctuation-.  —  Une 
bonne  ponctuation  sort  à  donner  de  la  clarté  audis- 
cours  ;  elle  soulage  les  yeux  et  l'esprit  du  lecteur, 
en  lui  faisant  voir  et  sentir  l'ordre,  la  liaison  et  la 
distinction  des  éléments  qui  entrent  dans  la  com- 
position d'une  phrase.  «  Il  y  aurait,  dit  l'Encyclo- 
pédie, autant  d'inconvénient  à  supprimer  ou  à  mal 
placer  dans  l'écriture  les  signes  de  ponctuation 
qu'à  supprimer  ou  h  mal  placer  dans  la  parole  les 
repos  de  la  voix.  Les  uns  comme  les  autres  ser- 
vent à  déterminer  le  sens  ;  et  il  y  a  telle  suite  de 
mots  qui  n'aurait,  sans  le  secours  des  pauses  ou 
des  caractères  qui  les  indiquent,  qu'une  significa- 
tion incertaine  et  équivoque,  et  qui  pourrait 
même  présenter  des  sens  contradictoires,  selon 
la  manière  dont  on  y  grouperait  les  mots.  » 

Ces  saines  notions  sur  le  rôle  et  l'utilité  de  la 
ponctuation  remontent  à  une  assez  haute  anti- 
quité, el  cependant  encore  de  nos  jours  elles  sont 
peu  comprises  et  souvent  mal  appliquées.  La 
faute  en  est  aux  grammairiens,  qui  par  négli- 
gence, et  peut-être  bien  par  pure  ignorance,  se 
contentent  de  lui  consacrer  un  chapitre  tout  à  fait 
insuffisant,  où  il  n'est  pas  rare  de  rencontrer  des 
principes  erronés.  Ces  principes  sont  exposés 
avec  autant  de  clarté  que  de  simplicité  dans  une 
lettre  que  M.  Guizot  écrivait,  le  28  juin  1839,  à 
sa  fille,  alors  âgée  de  dix  ans, 

"  Ma  chère  Henriette,  je  te  ferai  encore  la 
guerre  sur  ta  ponctuation  ;  il  n'y  en  a  point  ou 
presque  point  dans  tes  lettres.  Les  phrases  se 
divisent  sans  aucune  distinction  ni  séparation, 
comme  les  mots  d'une  môme  plirase.  Quand  cela 
n'aurait  d'autre  inconvénient  que  de  causer  à  cha- 
que instant,  à  la  lecture  de  tes  lettres,  une  sorte 
d'embarras  et  de  surprise,  il  y  aurait  là  une  rai- 
son bien  suffisante  pour  te  corriger  et  pour  ponc- 
tuer comme  tout  le  mondo...  Toute  ponctuation, 
virgule  ou  autre,  marque  un  repos  de  l'esprit,  un 
temps  d'arrêt  plus  ou  moins  long,  une  idée  qui 
est  finie  ou  suspendue,  et  qu'on  sépare  par  un 
signe  de  celle  qui  suit.  Tu  supprimes  ces  repos, 
ces  intervalles;  tu  écris  comme  l'eau  coule, 
comme  la  flèche  vole.  Cela  ne  vaut  rien,  car  les 
idées  qu'on  exprime,  les  choses  dont  on  parle 
dans  une  lettre,  ne  sont  pas  toutes  absolument 
semblables  et  toutes  intimement  liées  les  unes 
aux  autres  comme  les  gouttes  d'eau.  11  y  a  entre 
les  idées  des  différences,  des  distances,  inégales 
mais  réelles,  et  ce  sont  précisément  ces  distances, 
ces  différences  entre  les  idées  que  la  ponctuation 
et  les  divers  signes  de  la  ponctuation  ont  pour 
objet  de  marquer.  Tu  fais  donc,  en  les  supprimant, 
une  chose  absurde;  tu  supprimes  la  difi'érence, 
la  distance  naturelle  qu'il  y  a  entre  les  idées_  et 
les  choses.  C'est  pourquoi  l'esprit  est  étonné  et 
choqué  en  lisant  tes  lettres  ;  le  défaut  de  ponc- 
tuation répand,  sur  tout  ce  que  tu  dis,  une  cer- 
taine uniformité  menteuse,  et  enlève  aux  choses 
dont  tu  parles  leur  vraie  physionomie,  leur  vraie 
place,  en  les  présentant  toutes  d'un  trait  et 
comme  parfaitement  pareilles  et  contigucs.  u 

Il  ne  suffit  pas  de  dire  à  un  enfant  de  mettre 
des  points  et  des  virgules  dans  ses  lettres  ou  dans 
ses  devoirs.  Si  l'on  n'y  joint  ni  les  règles  ni  les 
exemples,  la  recommandation  est  souvent  inutile. 


PONCTUATION 


—  1671  — 


PONCTUATION 


L'enfant  essaiera  sans  doute  de  ponctuer;  mais, 
faute  d'un  guide  sûr,  il  placera  les  signes  au 
hasard,  avec  plus  de  bonne  volonté  que  d'intelli- 
gence. C'est  ce  qui  ne  manqua  pas  d'arriver  à  la 
(ille  de  M.  Guizot.  lîn  effet,  quelques  jours  après, 
le  père  lui  adressait  ces  observations  : 

«  Ma  chère  enfant,  tu  me  trouveras  bien  con- 
trariant; mais,  je  t'en  prie,  ne  me  jette  pas  à  la 
tête  tant  de  virgules.  Tu  m'en  accables,  comme  les 
Romains  accablèrent  cette  pauvre  Tatia  de  leurs 
boucliers.  —  Bonne  maman  n'a  pas  viulu,  que 
nous  allassions  à  la  pépinière  parée  que,  il  faisait 
trop  ehaud.  Nout  avons  toutes  deux,  très  bienprls 
nos  leçi-ns  depiuno  ;  j'oi  pris  bien,  eelle  d'écriture. 
—  Quelle  raison  pourrais-tu  me  donner  de  celles 
que  j'ai  soulignées?  Il  n'y  a  évidemment  lii  aucune 
suspension,  aucun  intervalle  entre  les  choses  et 
les  idées  ;  elles  se  tiennent  au  contraire  très  étroi- 
tement, et  il  faut  passer  sans  s'arrêter  de  l'une  à 
l'autre.  Pense  à  ce  que  tu  fais  ;  penses-y  pour 
mettre  une  virgule  ou  ne  pas  la  mettre,  comme 
pour  prendre  un  chemin  au  lieu  d'un  autre  quand 
tu  veux  aller  quelque  part.  « 

Une  conséquence  de  la  définition  que  nous 
avons  donnée  plus  haut,  c'est  que  les  signes  de 
la  ponctuation  ne  doivent  servir  qu'à  indiquer  les 
coupures  logiques  du  discours,  c'est-i-dire  les 
divisions  qui  résultent  de  la  décomposition  d'une 
idée  ou  d'un  fait  en  parties  plus  ou  moins  indé- 
pendantes. Or,  une  phrase  n'étant  autre  chose 
que  la  forme  matérialisée  ou  le  vêtement  d'une 
idée  ou  d'un  fait,  il  est  évident  que  dans  l'écri- 
ture on  ne  doit  pas  réunir  des  mots  qui  sout  sé- 
parés dans  la  pensée,  ni  séparer  des  membres  de 
phrase  intimement  liés  dans  l'esprit.  C'est  donc 
avec  raison  que  M.  Legouvé,  l'habile  propagateur 
de  la  lecture  à  haute  voix,  pose  comme  première 
règle  de  l'art  de  lire  l'observation  des  pauses  indi- 
quées par  la  ponctuation. 

Cependant  il  y  a  une  différence  fondamentale 
entre  ce  que  nous  appellerons  la  pause  oratoire 
et  les  pauses  indiquées  par  la  ponctuation.  La 
première  est  laissée  jusqu'à  un  certain  point  à  la 
volonté  de  l'orateur,  tandis  que  la  seconde  est 
assujettie  aux  lois  de  la  logique  ;  l'une  est  per- 
sonnelle et  variable,  l'autre  est  générale  et  sou- 
mise à  des  règles  fixes. 

C'est  pour  avoir  méconnu  cette  distinction  que 
certains  auteurs  donnent  comme  première  règle 
de  ponctuation  le  besoin  de  respirer.  Un  peu  de 
pratique  et  de  réflexion  leur  auraient  fait  recon- 
naître que  la  respiration  est  un  acte  purement 
physiologique,  qui  varie  d'un  individu  à  l'autre, 
qui  dépend  de  l'état  de  santé  du  lecteur  ou  de 
l'orateur,  qui  s'affaiblit  par  la  fatigue  et  se  for- 
tifie par  l'exercice.  Comment  dès  lors  prendre 
pour  règle  et  pour  guide  des  mouvements  de  la 
pensée  humaine  un  besoin  physique  sujet  à  tant 
de  variations? 

Cette  distinction  n'a  pas  échappé  aux  anciens. 
Ckéron,  si  versé  dans  les  moindres  détails  de  l'art 
oratoire,  dit  dans  le  De  Oratore  :  «  Les  repos  de 
la  respiration  ne  doivent  pas  être  commandés  par 
la  fatigue  de  l'orateur  ou  par  les  signes  des  co- 
pistes, mais  bien  par  la  disposition  des  mots  et  des 
phrases.  »  De  ce  passage  de  l'orateur  romain  on 
peut  conclure  que,  si  la  fatigue  ne  doit  pas  être  la 
règle  de  la  respiration  oratoire,  elle  ne  doit  pas 
davantage  être  celle  de  la  ponctuation.  Les  mots 
«  par  les  signes  des  copistes  »  prouvent  que  les 
artistes  qu'on  appelait  à  cette  époque  li/jraires, 
■c'est-à-dire  confectionneurs  de  livres,  employaient 
certaines  marques  qui  n'étaient  autre  chose  que 
des  signes  de  ponctuation.  Mais  pourquoi  Cicéron 
permet-il  à  l'orateur  de  ne  tenir  aucun  compte 
des  pauses  indiquées  par  les  copistes?  C'est  qu'ap- 
paremment alors  comme  aujourd'hui  on  faisait 
parfois  de  ces  signes  un  emploi  peu  judicieux  ; 


I  c'est  que,  comme  la  plupart  des  écrivains  de  nos 
jours,  ils  n'avaient  d'autre  guide  que  la  routine 
du  métier,  d'autre  règle  que  le  caprice  du  moment. 
L'orateur  peut  donc  reprendre  haleine  avant 
que  sa  provision  d'air  soit  épuisée,  avant  que  les 
muscles  de  sa  poitrine  aient  perdu  leur  ressort: 
il  peut  arrêter,  ralentir  ou  précipiter  son  débit, 
suivant  l'action  qu'il  veut  exercer  sur  son  audi- 
toire. C'est  là  une  question  de  tempérament, 
d'habileté  et  de  passion.  Il  est  vrai  que  la  plupart 
du  temps  les  arrêts  ou  pauses  oratoires  coïnci- 
dent avec  les  coupures  logiques  du  discours; 
mais  il  ne  manque  pas  de  cas  où  cette  coïnci- 
dence n'a  pas  lieu  :  de  sorte  que  l'on  a  eu  raison 
d'établir  une  différence  entre  la  ponctuation  par- 
lée et  la  ponctuation  écrite.  En  d'autres  termes, 
le  lecteur  ou  l'orateur  peuvent  faire  une  pause 
partout  où  il  y  a  une  ponctuation  écrite  ou  impri- 
mée, mais  il  est  interdit  à  l'écrivain  de  figurer 
par  un  signe  tous  les  repos  du  débit  oratoire. 

On  trouve  cependant  dans  les  Plnideurs  de 
Racine  un  exemple  de  figuration  de  la  ponctua- 
tion parlée.  Mais  il  est  évident  que  le  poète  n'a 
eu  d'autre  intention  que  de  guider  le  débit  de 
l'acteur.  Voici  le  passage  tel  qu'il  est  ponctué 
dans  l'édition  de  l(j09: 

l'intimé,  d'un  ton  posant. 
Puis,  donc,  qu'on  nous,  permet,  de  prendre 
H  ileine,  et  que  l'on  nous,  défend,  de  nous,  étendre. 
Je  vais,  sans  rien  obmcttre,  et  sans  prévariquer, 
Cotnpendieusement  énoncer,  expliquer. 
Exposer,  â  vos  yeux,  l'idée  universelle 
De  ma  cause,  et  des  faits,  renfermés  en  icelle. 

On  reconnaîtra  sans  peine  que  cette  profu- 
sion de  virgules  n'a  rien  à  voir  avec  la  ponctuation 
grammaticale. 

C'est  donc  à  tort  qu'un  très  grand  nombre 
d'auteurs  ponctuent  comme  ils  parlent  :  ils  sépa- 
rent par  une  virgule  les  membres  de  phrase  les 
plus  étroitement  liés  entre  eux,  le  sujet  de  son 
verbe,  l'antécédent  de  son  conséquent,  les  com- 
pléments, les  modifications,  les  adverbes  les  plus 
inséparables.  De  là  des  phrases  coupées,  hachées, 
divisées  en  tronçons  dépourvus  de  tout  lien  lo- 
gique. 

Le  principal  rôle  de  la  ponctuation  est  de  ren- 
dre la  phrase  bien  claire.  Or  ce  qui  distingue  la 
langue  française  entre  toutes  les  langues,  soit 
anciennes,  soit  modernes,  c'est  son  admirable 
clarté.  Quand  une  phrase  n'est  rendue  claire  qu'à 
grand  renfort  de  ponctuations,  on  peut  affirmer 
qu'elle  n'est  pas  française. 

La  ponctuation  est  en  général  fort  négligée 
d.ins  li's  écoles  primaires  :  témoin  les  devoirs  et 
les  exercices  recueillis  par  M.  Buisson  à  l'Expo- 
sition universelle  do  1878.  La  même  insuffisance 
se  rencontre  dans  l'enseignement  des  lycées  et 
des  collèges.  C'est  dans  les  bonnes  imprimeries 
que  se  sont  conservées  les  saines  traditions  de 
l'art  de  ponctuer.  Ayant  constamment  affaire  à 
des  manuscrits  qui  présentent  les  ponctuations 
les  plu<  arbitraires  et  les  plus  contradictoires,  les 
correcteurs  d'imprimerie  ont  du  adopter  une  rè- 
gle commune,  fondée  sur  l'analyse  logique,  c'est- 
à-dire  sur  la  structure  même  de  la  phrase.  Dans 
l'application  de  cette  règle  il  y  a  sans  doute  par- 
fois certaines  divergences  :  cela  est  inévitable 
dans  une  matière  souvent  assez  délicate  ;  mais  ces 
divergences  ne  portent  que  sur  des  points  secon- 
daires, où  l'emploi  de  telle  ponctuation  plutôt 
que  de  telle  autre  n'affecte  en  rien  ni  le  sens  ni 
la  clarté  du  discours.  Il  suffit  que  l'on  soit  d'ac- 
cord sur  les  principes  généraux.  Ce  sont  ces  prin- 
cipes que  nous  nous  proposons  d'exposer  dans 
cette  étude,  en  les  justifiant  par  de  nombreux 
exemples,  tirés  pour  la  plupart  do  nos  auteurs 
classiques. 


PONCTUATION 


—  1672 


PONCTUATION 


Avant  d'aborder  l'étude  pratique  de  la  ponctua- 
tion, nous  croyons  devoir  en  faire  succinctement 
l'histoire  :  question  d'érudition  pleine  d  intérêt, 
qui  a  été  l'objet  des  recherches  de  nos  savants 
paléographes. 

HibTOBiQUE.  —  La  ponctuation  remonte  à  une 
haute  antiquité.  Dès  les  premiers  temps,  on  voit 
les  points  servir  à  distinguer  les  mots.  Dans  les 
fameuses  tables  Eugubines,  en  lettres  étrusques, 
chaque  mot  est  suivi  de  deux  points,  et  dans  celles 
qui  sont  en  caractères  latins,  un  seul  point  suit  cha- 
que mot.  Un  des  exemples  les  plus  anciens  de  l'em- 
ploi des  signes  de  ponctuation  est  une  inscription 
qui  fut  trouvée  h  Athènes  et  qui  date  de  l'année 
même  de  la  mort  de  Cimon,  450  ans  avant  l'ère 
chrétienne  :  les  mots  de  cette  inscription  sont 
séparés  par  trois  points  disposés  verticalement.  11 
est  cependant  vrai  de  dire  que  les  siècles  anciens 
fournissent  un  grand  nombre  de  manuscrits  gravés 
ou  écrits  dans  lesquels  les  signes  de  ponctuation 
n'ont  jamais  existé  ou  n'ont  été  ajoutés  qu'après 
coup. 

Ponctuation  dans  les  inscriptions.  —  L'emploi 
du  point  dans  les  inscriptions  n'avait  pas  pour  but 
en  général  de  distinguer  les  parties  d'une  phrase 
et  les  phrases  entre  elles,  mais  d'établir  la  sépa- 
ration des  mots,  abstraction  faite  des  divisions 
que  le  sens  aurait  pu  exiger.  Aussi  le  point,  qui 
est  le  signe  le  plus  simple  et  en  même  temps 
celui  dont  on  a  fait  le  plus  fréquent  usage,  a-t-il 
été  remplacé  par  des  figures  d'une  forme  complè- 
tement arbitraire.  Mais  d'abord  il  est  bon  de  faire 
observer  que  le  point  lui-même  a  été  employé  do 
bien  des  manières  différentes.  On  le  voit  placé 
soit  au  bas,  soit  au  milieu,  soit  au  haut  de  la 
lettre;  au  lieu  d'un  point,  on  en  trouve  deux, 
trois,  quatre  et  jusqu'à  neuf;  cependant,  sous  ces 
différentes  formes,  le  point  a  toujours  la  même 
valeur.  On  trouve  aussi  des  points  disposés  hori- 
zontalement, obliquement,  en  triangle,  en  losange, 
en  carré,  etc.  On  s'est  servi  de  lignes  droites  et 
de  lignes  courbes,  et  on  les  a  combinées  pour 
former  des  croix,  des  triangles,  des  carrés,  des  lo- 
sanges, des  trapèzes,  des  demi-cercles,  des  cercles, 
des  rosaces,  des  cœurs,  etc.  Ces  courtes  indica- 
tions suffisent  pour  donner  une  idée  de  la  variété 
des  signes  qui  tenaient  lieu  du  point  dans  un 
grand  nombre  d'inscriptions. 

De  la  ponclU'ition  dans  /es  manuscrits .  —  Les 
anciens  ne  mettaient  dans  leur  écriture  aucune 
séparation  entre  les  mots  :  ce  qui  eu  rendait  la 
lecture  très  pénible.  Il  en  serait  de  même  de  nos 
jours,  si  les  écrivains  et  les  imprimeurs  n'avaient 
soin  de  faire  cette  séparation.  On  en  jugera  par 
l'exemple  suivant  : 

LHOMMENESTQUCNROSEAliLEPLUSrAIBLEDELANATUBEMAIS 
CESTUNROSEAVPE.NSANTILNEFAUTPASQtiELCiNIVERSENTIE- 
RSARMEPOURLÉCRASERUNEVAPEURUHEGOUTTEDEAUSUFFI- 
TPOURLETUER (PaSCAl). 

Cet  usage  s'est  maintenu  jusqu'au  xi=  siècle  de 
notre  ère. 

Cependant  la  ponctuation  était  connue  depuis 
longteaips.  On  trouve  des  points  dans  plusieurs 
manuscrits  de  la  plus  haute  antiquité,  quoique  les 
mots  n'y  soient  point  séparés  :  tel  est  le  Virgile 
de  Médicis  et  quelques  autres.  Il  y  en  a  de  très 
anciens  où  l'on  n'aperçoit  ni  points,  ni  séparation 
de  mots,  pas  même  aux  endroits  qui  offrent  un 
sens  naturellement  suspendu.  Ce  n'est  pas  que 
les  points  ne  soient  beaucoup  plus  anciens  que  les 
manuscrits  ;  mais  les  copistes  se  déchargeaient  de 
la  ponctuation  sur  les  correcteurs,  et  ceux-ci  la 
négligeaient  ordinairement. 

La  manière  la  plus  connue  de  suppléer  îi  la 
ponctuation  dans  les  premiers  temps  fut  d'écrire 
par  versets,  et  de  distinguer  ainsi  les  membres  et 
sous-membres  du  discours.  A  l'exemple  de  Cicé- 


ron  et  de  Démosthènes,  saint  Jérôme  introduisit 
cette  distinction  par  versets  dans  l'Ecriture  Sainte. 
Souvent  on  mit  au  commencement  d'une  nou- 
velle phrase  ou  d'un  verset  une  lettre  un  peu  plu» 
grande  et  qui  débordait  sur  les  autres  lignes.  Les 
vides  en  blanc  suppléaient  encore  aux  interponc- 
tions ;  et  c'est  la  plus  ancienne  manière  de  ponc- 
tuer. Ces  espaces  vides,  servant  de  points  et  de 
virgules,  donnèrent  naissance  à  la  distinction  de 
chaque  mot  dans  l'écriture  des  manuscrits  et  des 
diplômes.  Dans  le  vii°  siècle,  les  séparations  de 
mots  commencent  à  se  montrer  plus  fréquemment, 
et  dans  le  viii°  elles  deviennent  plus  nombreuses. 

La  ponctuation  succéda  à  la  distinction  du  dis- 
cours par  versets  et  aux  intervalles  laissés  en  blanc 
pour  marquer  les  divers  membres  et  la  fin  de  la 
phrase.  Selon  Montfaucon,  la  ponctuation  des  ma- 
nuscrits ne  remonte  pas  au  delà  d  Aristophane  de 
Byzance,  qui  vivait  environ  deux  cents  ans  avant 
l'ère  chrétienne.  Ce  grammairien  inventa  les  signes 
des  différentes  distinctions  du  discours,  et  ces  si- 
gnes ne  consistaient  que  dans  un  seul  point,  mis 
tantôt  en  haut,  tantôt  en  bas,  et  tantôt  au  milieu 
de  la  dernière  lettre.  Le  point  placé  en  haut  de  la 
lettre  indiquait  le  sens  fini  ou  la  distinction  par- 
faite. Le  point  mis  au  bas  désignait  la  petite  pause 
ou  sous-disiinction.  Le  point  marqué  au  milieii 
était  le  signe  d'une  pause  plus  grande,  mais  qui 
laissait  encore  l'esprit  en  suspens.  On  remarque 
ces  différentes  positions  du  point  dans  le  Virgile 
de  Médicis,  corrigé  par  Apronien  en  l'an  41H. 

Quoique  la  virgule  ne  soit  pas  aussi  ancienne 
que  le  point,  on  la  rencontre  dans  des  maiiuscrits 
qui  remontent  au  commencement  du  vi=  siècle.  Sa 
forme  et  surtout  sa  position  ne  sont  pas  toujours 
les  mêmes.  Elle  ressemble  quelquefois  à  une  petite 
s,  h  un  accent  circonflexe,  h  un  v  diversement  in- 
cliné. Quand  elle  ne  s'éloigne  pas  de  la  forme  ac- 
tuelle, le  trait  courbe  qui  sert  i  la  représenter 
prenait  toutes  les  positions  intermédiaires.  Dans 
plusieurs  manuscrits  antérieurs  au  viii'  siècle,  le 
point  et  la  virgule  se  combinent  ensemble  potir 
former  notre  point-virgule  (;).  A  compter  du 
VIII"  siècle,  la  ponctuation  devint  plus  ordinaire, 
mais  sans  règle  certaine,  le  même  signe  servant  à 
la  fois  pour  séparer  les  mots  et  pour  indiquer  les 
divisions  du  sens,  ou  plusieurs  signes  de  forme 
différente  remplissant  les  mêmes  fonctions.  Après 
le  X'  siècle,  rien  de  plus  ordinaire  que  de  rencon- 
trer le  point  surmonté  d'une  ligne  ondulée,  ou 
d'une  courbe  semblable  à  celle  qui  indique  les 
syllabes  brèves  dans  les  livres  de  prosodie. 

Au  xvi«  siècle,  les  règles  de  la  ponctuation  n'é- 
taient pas  encore  universellement  observées.  Ce 
résultat  peut  s'expliquer  par  la  négligence  ou  l'i- 
gnorance des  copistes.  Denys  Sauvage,  historio- 
graphe du  roi  Henri  II,  avoue  qu'il  lui  a  falu  suu- 
ventes  fois  deviner  dans  la  lecture  des  manuscrits 
de  Froissart,  principalement  m  fnute  de  les  avoir 
trouvés  ponctués.  Les  règles  posées  par  les  anciens 
grammairiens  étaient  donc  inconnues  de  la  plupart 
des  copistes,  et  les  premiers  imprimeurs  ne  sui- 
virent pas  non  plus  un  système  uniforme.  Toute- 
fois les  bonnes  traditions  se  retrouvent  dans  un 
petit  nombre  d'éditions  du  xV  siècle;  quelques 
copistes  soigneux  y  étaient  d'ailleurs  restés  fidèles. 
La  typographie  n'eut,  à  vrai  dire,  qu'un  choix  \ 
faire  dans  les  anciens  manuscrits  pour  y  rassem- 
bler les  différents  signes  qu'elle  emploie  aujour- 
d'hui. Etienne  Dolet,  imprimeur  à  Lyon,  publia 
*  en  \hW  un  petit  traité  de  ponctuation  dans  lequel 
il  assigne  le  rôle  de  chaque  signe.  11  semble  n.^ 
pas  connaître  le  point-virgule,  qui  est  remplacé 
j  par  le  deux-points.  Son  système  est  assez  arbi 
'  traire  ;  mais  c'est  celui  de  son  temps,  si  l'on  en 
'juge  par  ces  paroles  :  «  Lisant  les  bons  authcurs, 
!  et  bien  imprimés  tu  pourras  congnoistre  ma  tra- 
!  dition  estre  vraie.  » 


PONCTUATION 


—  1673 


PONCTUATION 


A  partir  du  xviii'  siècle,  la  ponctuation  devientà 
peu  près  uiiironne  dans  les  langues  néo-latines  et 
dans  les  langues  germaniques.  Avec  le  xix'  siècle 
une  amélioration  importante  s'introduit  dans  les 
livres  :  la  différence  entre  la  fonction  du  point- 
virgule  et  celle  du  deux-points  se  précise.  Au  lieu 
de  les  confondre  et  de  les  cmpiojer  l'un  pour 
l'autre,  on  assigne  à  chacun  d'eux  son  véritable 
rôle,  en  se  fondant  uniquement  sur  la  structure  de 
la  phrase  et  sur  les  besoins  do  la  clarté. 

Analyse  logique.  —  La  ponctuation  ayant  pour 
base  les  rapports  logiques  des  différents  membres 
d'une  phrase,  nous  croyons  devoir  rappeler  suc- 
cinctement les  principaux  termes  employés  dans 
l'enseignement  de  l'analyse  logique. 

Toute  proposition  est  l'énoncé  d'un  jugement. 
Elle  se  compose  de  trois  termes  essentiels,  savoir  : 
le  sujet,  le  verbe  et  l'attritiut. 

Le  sujet  est  simple  quand  il  n'exprime  qu'une 
idée. 

L'attribut  est  simple  lorsqu'il  n'exprime  qu'une 
seule  qualité  du  sujet. 

La  réunion  de  ces  deux  conditions  constitue  une 
proposition  simple  : 

L'homme  est  mortel. 

Les  compléments  d'une  proposition  sont  des 
idées  secondaires  qui  s'ajoutent  aux  idées  princi- 
pales pour  les  compléter  ou  les  modifier. 
_  Un  complément  est  déterminatif,  quand  il  pré- 
cise la  signification  du  substantif  auquel  il  est 
joint  : 

Le  livre  de  Pierre. 

Le  complément  ou  régime  direct  est  celui  qui 
reçoit  l'action  exprimée  par  le  verbe  : 

J'aime  Dieu. 

Le  complément  indirect  est  celui  qui  s'unit  par 
le  moyen  d'une  préposition  au  mot  dont  il  dépend  : 

Le  juste  obéît  aux  lois. 

Une  phrase  se  compose  ordinairement  de  plu  - 
sieurs  propositions. 

On  appelle  proposition  principale  celle  à  la- 
quelle se  rattachent  une  ou  plusieurs  propositions 
secondaires  ou  subordonnées  : 

Je  crois  que  Dieu  est  juste. 

Craignez  Dieu  qui  puait  les  méchaats. 

La  proposition  participe  est  celle  dont  le  verbe 
est  un  participe  : 

Les  parts  étant  faites,  le  lion  parla  ainsi. 

Parmi  les  propositions  subordonnées,  les  plus 
importantes  à  reconnaître  au  point  de  vue  de  la 
ponctuation  sont  les  propositions  incidentes .  Ce 
sont  celles  qui  sont  ajoutées  à,  la  proposition  prin- 
cipale pour  en  déterminer  ou  en  expliquer  le  sens, 
ou  pour  y  ajouter  quelque  circonstance.  Il  y  a 
donc  deux  sortes  de  propositions  incidentes  :  les 
détermiaatives  et  les  explicatives. 

Les  incidentes  determinatives  restreignent  ou 
précisent  la  signification  de  la  proposition  prin- 
cipale :. 

Les  livres  que  vous  m'avez  prêtés  ne  me  plaisent  pas. 

Les  incidentes  explicatives  ajoutent  une  expli- 
cation, un  développement  à.  la  proposition  priaci- 
pale  : 

L'homme,  qui  est  un  être  raisonnable,  devrait  s'attacher 
à  régler  ses  passions. 

Le  caractère  fondamental  de  l'incidente  déter- 
minative  est  de  se  rattacher  à  la  proposition 
principale  d'une  manière  tellement  intime,  qu'on 
ne  saurait  l'en  séparer  sans  dénaturer  le  sens  de 
la  phrase.  Elle  doit  donc  rester  on  contact  avec  les 


mots  qu'elle  détermine.  C'est  pour  rendre  ce  con 
tact  visible  que  nous  avons  écrit  sans  aucune  in- 
terposition de  ponctuation  : 

Les  livres  que  vous  m'avez  prêtés  ne  me  plaisent  pas. 

Au  contraire,  l'incidente  explicative  devra  tou- 
jours être  isolée  pour  le  regard,  comme  elle  l'est 
pour  l'esprit  : 

L'homme,  qui  est  un  être  raisnimabla,  devrait  s'attacher 
à  régler  ses  passions. 

Enfin  nous  appellerons  incise  une  petite  phrase 
qui,  formant  un  sens  partiel,  entre  dans  le  sens 
total  de  la  proposition  : 


Signes  de  ponctuation.  —  Il  y  a  quatre  signes 
principaux,  qui  à  lii  rigueur  pourraient  suffire  à 
tous  les  cas  possibles.  Ce  sont  :  la  virgule  (,),  le 
point' virgule  (  ;  ),  le  deux-points  (  :  )  et  le  point  (.). 

Les  grammairiens  y  en  ont  ajouté  trois  autres  : 
le  point  d'interrogation  (?),  le  point  d'exclama- 
tion (  1  ),  les  points  suspensifs  (...). 

Enfin  les  imprimeurs  en  ont  introduit  quelques 
autres,  qui  sont  plutôt  des  signes  typographiques. 
Ce  sont  :  les  parenthèses  (  ),  les  guillemets  a  »,  et 
le  tiret  —  ,  que  les  typographes  appellent  mdns,  h. 
cause  de  sa  signification  en  arithmétique. 

\.  —  DE   LA  VjRSULE, 

La  virgule  (du  mot  latin  virguln,  qui  signifie 
petit  biUun,  petite  verge)  est  le  plus  faible  de 
tous  les  signes  de  ponctuation;  c'est  aussi  le  plus 
fréquemment  employé.  Il  faut  se  garder  d'en 
faire  un  usage  abusif  et  d'imiter  les  écrivains  et 
les  imprimeurs  qui,  sous  prétexte  de  faire  res- 
sortir les  moindres  circonstances  do  temps,  de 
lieu,  de  manière,  mettent  entre  deux  virgules  la 
plupart  des  incises.  Ici  comme  en  toute  chose, 
ce  qui  n'est  pas  utile  est  nuisible.  Nous  poserons 
donc  comme  règle  générale  :  Quand  toutes  les 
parties  d'une  phrase  sont  tellement  unies  entre 
elles  qu'elles  ne  présentent  aucune  séparation 
dans  la  pensée,  il  faut  s'abstenir  de  toute  ponc- 
tuation, quelque  longue  que  soit  la  phrase. 
Exemple  : 

La  tyrannie  d'un  prince  ne  met  pas  un  État  plus  |)rès  de 
sa  ruine  que  l'indifférence  pour  le  bien  commun  n'y  met 
une  république. 

Il  serait  difficile  de  lire  cette  phrase,  qui  con- 
tient vingt-quatre  mots,  sans  faire  au  moins  une 
pause.  La  place  naturelle  do  ce  repos  serait  après 
le  mot  rui7ie.  Mais  il  est  facile  de  voir  que,  les 
mots  plus  près...  que  étant  grammaticalement  et 
logiquement  inséparables,  il  n'y  a  pas  plus  de 
raison  pour  mettre  une  virgule  après  le  motruine 
qu'il  n'y  en  aurait  à  en  placer  une  dans  des 
phrases  de  construction  semblable,  mais  moins 
longues.  Exemple  : 

L'Étal  est  plus  près  de  sa  ruine  que  de  sa  prospérité. 

Cet  exemple  et  les  suivants  démontrent  claire- 
ment la  différence  que  nous  avons  établie  plus 
haut  entre  la  pause  oratoire  et  la  ponctuation 
écrite  : 

Une  autre  suite  du  principe  de  la  guerre  continuelle  fut 
que  les  Romains  ne  firent  jamais  la  paix  que  vainqueurs. 

La  dernière  chose  qu'on  trouve  en  faisant  un  ouvrage  est 
de  savoir  celle  qu'il  faut  mettre  la  première. 

Jamais  on  ne  fait  le  mal  si  pleinement  et  si  gaiement  que; 
quand  on  le  fait  par  conscience. 

Ce  principe  nous  conduit  à  cette  règle  fonda- 
mentale :  Quand  le  sujet  d'une  phrase  est  formé 
d'une  longue  suite  de  mots  inséparables,  il  est 


PONCTUATION 


1674  — 


PONCTUATION 


interdit  de    séparer  par  une  virgule  le  sujet  de 
son  verbe.  Exemple  : 

Vn  des  plus  beaux  artifices  des  Égyptiens  pour  conserver 
leurs  .tnciennes  maximes  était  de  les  revêtir  de  certaines 
cérémonies  qui  les  imprimaient  dans  les  esprits. 

Cela  posé,  nous  allons  étudier  l'emploi  de  la 
virgule  dans  les  nombreuses  formes  que  peut  af- 
fecter une  phrase  ;  et  pour  répandre  un  peu  de 
clarté  dans  une  matière  assez  étendue,  nous  sui- 
vrons l'ordre  des  parties  du  discours. 

SCnSTANTIFS. 

Sdjets.  —  Sujets  simples.  —  On  sépare  par  une 
virgule  tous  les  sujets  d'un  même  verbe  : 

Les  femmes,  les  enfants,  les  -vieillards,  furent  massacrés 
sans  pitié. 

La  virgule  placée  entre  le  dernier  substantif  et 
le  verbe  est  indispensable,  parce  que  le  verbe  ne 
se  rapporte  pas  seulement  au  mot  rieil/ards, 
mais  aussi  aux  deux  autres  sujets. 

Sujet  principal.  —  Quand  plusieurs  sujets 
d'un  verbe  forment  une  énumération  résumée 
par  un  des  mots  aucun,  chacun,  tout,  rien,  etc., 
on  ne  met  pas  de  virgule  après  le  mot  qui,  de- 
venu sujet  principal,  commande  le  verbe  : 

Femmes,  vieillards,  enfants,  tout  fut  massacré  sans  pitié. 
Ce  sacrifice,  votre  intérêt,  votre  honneur.  Dieu  vous  les 
commande. 

Sujets  réunis  pnr  et  ou  par  ou.  —  On  ne  met 
pas  de  virgule  entre  le  sujet  et  le  verbe  lorsque 
les  substantifs  sont  réunis  par  les  conjonctions  et 
et  ou  : 

Le  soleil  et  la  lune  éclairent  le  monde. 

Sa  perte  ou  son  salut  dépend  de  sa  réponse 

Sujets  suivis  d'un  complément.  —  Lorsque  les 
substantifs  ont  un  complément,  la  virgule  se  met 
après  chacun  de  ces  compléments  : 

La  sagesse  de  Nerva.  ia  cloire  de  Trajan,  la  valeur 
d'Adrien,  la  vertu  des  deux  Antonins,  se  firent  respecter 
des  soldats. 

Sujets  réunis  par  et.  —  Quand  le  sujet  de  la 
proposition  se  compose  de  plusieurs  termes  réunis 
deux  à  deux  par  et,  on  place  une  virgule  entre 
chaque  groupe  : 

Et  le  riche  et  le  pauvre,  et  le  faible  et  le  fort, 
Vont  tous  également  des  douleurs  à  la  mort. 

Inversion  du  sujet.  —  Précédé  de  sou  verbe,  le 
sujet  ne  prend  pas  de  virgule  : 

Périsse  le  Troyen,  auteur  de  nos  alarmes  I 

RÉGIMES.  —  Régimes  simples.  —  Les  régimes 
ou  compléments  sont  soumis  à  la  môme  règle  que 
les  sujets,  c'est-à-dire  qu'on  sépare  par  une  vir- 
gule tous  les  compléments  d'un  même  verbe,  soit 
■directs,  soit  indirects  : 

Chaque  âge  a  ses  plaisirs,  son  esprit  et  ses  mœurs. 
J'ai   fourni   mes  chariots,  mes  chevaux,  mes  bœufs,  mes 
<lomestiques,  mes  manœuvres,  ma  contribution. 

Régimes  suivis  d'un  complément.  —  La  virgule 
se  met  après  chaque  complément  : 


une  virgule  après  le  nom  s'il  se  trouve  au  com- 
mencement de  la  phrase,  et  entre  deux  virgules 
s'il  est  dans  le  corps  de  la  phrase  : 

Prêtres,  voilà  le  roi  que  je  vous  ai  promis. 

Avant  que  d'entendre  l'histoire  de  ma  vie,  écoute,  ami 
lecteur,  un  conte  que  je  vais  te  faire. 

Car  toi,  loup,  tu  te  plains  quoiqu'on  ne  t'ait  rien  pris, 

Et  toi,  renard,  as  pris  ce  que  l'on  te  demande. 

Noms  en  apposition.  —  L'apposition  est  l'état 
de  deux  substantifs  qui  se  rapportent  l'un  à 
l'autre  et  se  suivent  immédiatement  :  U?îe  table, 
meuble  utile.  Pierre  apôtre. 

Le  substantif  mis  en  apposition  est  tantôt  ex- 
plicatif, tantôt  déterminatif. 

Dans  le  premier  cas  on  le  place  entre  deux  vir- 
gules : 

Sylla,  homme  emporté,  mène  violemment  les  Romains  à 
liberté  ;   Auguste,  rusé  tyran,  les  conduit  doucement  à 


(itude 

Nos  bons  éeriva 

mployaicnt  toujo 


,  Fénelon,  Bossuet,  Ra 
;  le  mot  propre. 


e,  Despréa 


Bocehorii 
îité  pour  le; 


•  de  la  glo 


umanité  pour  les  étrangers,  ni  curio- 
i  estime  pour  les  hommes  vertueux. 


Inversion  du  régime  direct  ou  indirect.  —  Même 
«bservation  que  pour  l'inversion  du  sujet  : 

Quel  funeste  artifice  il  me  fallut  chercher  ! 
A  travers  les  soldats  il  court  d'un  pas  rapide. 
Néron  de  vos  discours  commence  ii  se  lasser. 

Noms  en  apostrophe.  —  Quand  on  adresse  la 
parole  à  une  personne   ou  à  une  chose,  on  met 


Dans  le  second  cas  la  virgule  doit  disparaître  : 
Après    le    18    bi 
Laplacc  fut  appelé  ; 

Si  dans  cet  exemple  on  mettait  M.  de  Laplace 
entre  deux  virgules,  on  semblerait  dire  qu'il  n'y 
avait  alors  qu'un  seul  mathématicien  illustre  :  ce 
qui  ne  serait  pas  exact.  Cette  faute  est  assez  fré- 
quente chez  les  écrivains  et  les  typographes. 

Noms  de  nombre.  —  Dans  l'enseignement  de  la 
numération  écrite,  on  prescrit  de  séparer  les 
nombres  en  tranches  de  trois  chiffres  à  partir  de 
la  droite.  Cette  séparation  est  marquée  tantôt 
par  des  points,  tantôt  par  des  virgules.  Cet 
usage,  très  utile  au  tableau,  ne  saurait  sans  in- 
convénient être  introduit  dan<  les  devoirs  des 
élèves.  En  arithmétique,  la  virgule  a  une  fonction 
bien  déterminée  :  elle  sert  à  séparer  la  partit 
entière  d'un  nombre  de  sa  partie  décimale.  Ainsi 
.32,457  représente  trente-deux  unités  quatre  cent 
cinquante-sept  millièmes ,  et  non  trente-deux 
mille  quatre  cent  cinquante-sept  unités.  Cepen- 
dant, dans  les  écrits  ou  imprimés  qui  traitent  de 
matières  financières,  on  ne  manque  presque  ja- 
mais de  séparer  par  une  virgule  les  tranches  des 
nombres  entiers.  Des  livres  de  banque  cet  abus 
a  passé  dans  d'autres  ouvrages.  Pour  éviter  la 
confusion  ou  l'erreur  qui  pourrait  résulter  de 
l'emploi  de  la  virgule  dans  la  transcription  des 
nombres  entiers,  il  existe  un  moyen  bien  simple  : 
c'est  de  mettre  un  certain  écartoment  entre  les 
tranches  des  nombres  qui  contiennent  plus  de 
quatre  chiffres.  Puisque  l'emploi  de  la  virgule  sé- 
parative  n'a  été  imaginé  que  pour  rendre  la  lecture 
des  nombres  plus  facile,  on  obtiendra  le  même 
résultat  par  l'espacement  des  tranches.  Ainsi,  au 
lieu  d'écrire  3'2,-iô7,C'.lO,  on  mettra  3--' 457  690.  Nous 
avons  dit  qu'il  ne  faut  étendre  cet  écartement 
qu'aux  nombres  de  plus  de  quatre  chiffres.  C'est 
qu'en  effet  la  lecture  des  nombres  qui  n'ont  pas 
plus  de  quatre  chiffres  n'offre  aucune  difficulté  : 
l'enfant  le  moins  exercé  les  embrasse  du  premier 
coup  d'œil.  D'ailleurs  il  n'est  jamais  venu  à  l'idée 
de  personne  d'introduire  une  virgule  dans  les  mil- 
lésimes :  par  exemple,  l'an  1880. 

La  même  règle  s'applique  à  la  numération 
écrite.  Ainsi  l'on  écrira  sans  virgules  : 

lille  cinq  cent  vingt- 
Trois  hectares  quatre  ares  cinquante-neuf  centiares. 

ADJECTIFS  ET  PARTICIPES, 

Au  point  de  vue  de  leur  position  et  de  leur 
rôle  dans  la  phrase,  les  adjectifs  et  les  participes 
offrent  certains  points   de   ressemblance.  C'est  à 


PONCTUATION 


—  1075  — 


PONCTUATION 


cause  de  ces  analogies  que  nous  les  réunissons 
ici,  sauf  à  rovenii'  plus  lard  sur  les  particularités 
que  présente  parfois  le  participe. 

Adjrctifs  et  participes  simples.  —  On  sépare 
par  une  virgule  plusiimrs  adjectifs  ou  participes 
qui  modifient  un  même  substantif  : 

Los  Etolicns  étaipnt  belliqueux,  hardis,  téméraires,  avides 
de  gain,  toujours  libres  de  leurs  serments,  enfin  Taisant  la 
guerre  sur  terre  comme  les  pir.ites  la  font  sur  la  mer. 

Adjectifs  ou  participes  suivis  d'un  complément. 
—  Si  l'adjectif  ou  le  participe  est  suivi  d'un 
complément,  la  virgule  se  met  après  ce  com- 
plément : 

Le  ton  de  la  bonne  conversation  est  savant  sans  pédante- 
rie, gai  sans  tumulte,  poli  sans  aifectation,  galant  sans  fa- 
deur, badin  sans  équivoque. 

Suite  d'adjectifs  modifinnt  un  même  substan- 
tif. —  Lorsque  deux  ou  plusieurs  adjectifs  con- 
courent à  déterminer  ou  h  modifier  la  significa- 
tion d'un  substantif,  on  ne  doit  pas  les  séparer  par 
une  virgule  : 

La  république  n'avait  pas  de  troupes  régulières  agucr- 

Une  école  communale  laïque. 

Superlatifs.  —  Ils  suivent  la  même  règle  que 
les  adjectifs  simples  : 

Athènes,  la  plus  potie  et  la  plus  savante  de  toutes  les 
villes  grecques,  prenait  pour  athées  ceux  qui  parlaient  des 
choses  intellectuelles,  et  c'est  une  des  raisons  qui  avaient 
fait  condamner  Soerate. 

S'il  y  avait  inversion  dans  les  termes,  on  ponc- 
tuerait de  même  : 

Athènes,  ilc  toutes  les  villes  grecques  la  plus  polie  et  lu 
plus  savayite.  prenait 

Cependant,  lorsque  le  complément  du  super- 
latif figure  au  commencement  de  la  phrase,  on 
doit  placer  une  virgule  après  ce  complément  : 

i  polie  et  la  plus  sa- 

Adje  tifs  ou  participes  employés  comme  dé- 
terminatifs.  —  En  règle  générale,  tous  les  dé- 
lerniinatifs,  qu'ils  soient  simples  ou  composés, 
sont  inséparables  du  mot  dont  ils  précisent  ou 
restreignent  la  signification  : 

Une  huître  bâillant  au  soleil  humait  l'air. 

Un  gouvernement  flattant  la  soldatesque  et  s'entourant 
du  militaire  donne  un  signe  certain  de  ruine  et  de  tyrannie. 

L'homme  abruti  par  la  superstition  est  la  plus  misérable 
des  créatures. 

Adj'ctifs  et  participes  employés  comme  expli- 
catifs. —  Ils  doivent  être  placés  entre  deux  vir- 
gules : 

;  pouvaient  exercer  au- 

Ou  m'élevait  alors,  solitaire  et  cachée, 

Sous  les  yeux  vigilants  du  sage  Mardochée. 

Carthage,  devenue  riche  plus  tôt  queBume,  avait  été  aussi 
plus  tôt  corrompue. 

Les  consuls,  ne  pouvant  obtenir  iftonnsur  du  triomphe 
que  par  une  conquête  ou  une  victoire,  faisaient  la  guerre 
avec  une  impétuosilé  extrême. 

Adjectifs  placés  en  apposition.  —  Ils  suivent  la 
même  règle  que  les  substantifs  analogues  : 

Le  libre  exercice  des  trois  cultes,  catholique,  protestant 
«t  Israélite,  est  reconnu  par  l'État. 

Remauques  sur  quelques  adjectifs.  —  Quand 
seul  signifie  isolé,  sans  concours,  sans  appui,  il 
doit  être  suivi  d'une  virgule  : 

Seuls,  les  Anglais  ne  disposaient  pas  d'une  armée  capa- 
ble de  lutter  cunlre  les  troupes  françaises. 

Seule,  l'Anglclerrt  ne  saurait  aujourd'hui  lutter  avec  la 
France. 


Mais  quand  seul  a  le  sens  de  unique,  de  le 
seul  qui ,  il  devient  déterminatif  et  par  suite 
inséparable  : 

Seule  jusqu'alors  l'Angleterre  avait  tramé  contre  nous 
dos  complots. 

C'est-à-dire  l'Angleterre  était  la  seule,  l'uni- 
que puissance  qui  eût  jusqu'alors  tramé  des 
complots. 

Eux  seuls  seront  exempts  de  la  commune  loi. 
Je  lui  demandai  pourquoi  il  avait  lui  seul  le  turban  de 
cette  couleur. 

Le  premier.  —  C'est  aussi  abuser  de  la  ponc- 
tuation que  de  mettre  cet  adjectif  entre  deux 
virgules  : 


Christophe  Colomb  travers 


Atlantique. 


Les  pronoms  sont  soumis  aux  r(>gles  générales 
énoncées  précédemment.  Il  nous  suffira  de  faire 
remarquer  ici  que,  lorsqu'ils  font  pléonasme,  on 
les  place  ordinairement  entre  deux  virgules  : 

I!  croyait,  lui,  qu'il  devait  faire  parler  tout  l'univers. 

Nous  autres,  nous  ne  nous  enflons  pas  d'une  vaine 
science. 

Et  que  m'a  fait,  à  moi,  cette  Troie  où  je  cours. 

Il  est  cependant  des  cas  où  la  suppression  de 
la  secon  de  virgule  n'offre  aucun  inconvénient  : 

On  cherche  les  rieurs,  et  moi  je  les  évite, 
h  ;  bacholier  du  dialilo,  un  peu  plus  d'indulgence  : 


I  de  toléiance. 


Verbes  consécutifs.  —  On  sépare  par  une  vir- 
gule tous  les  verbes  qui  ont  le  même  sujet  : 

L'attelage  suait,  soufflait,  était  rendu. 

Quand  le  verbe  est  suivi  d'un  complément,  on 
met  la  virgule  après  le  complément  : 

Colbert  créa  le  commerce,  /it  réparer  les  grands  chemins, 
ouvrit  de  nouvelles  routes,  construisit  le  canal  du  Langue- 
doc, établit  des  ports  francs,  fit  /leurir  les  colonies,  en 
forma  de  nouvelles,  et  s'occupa  principalement  de  la  ma- 
rine. 

Verbe  indiquant  une  citation.  —  Il  se  met 
entre  .deux  virgules  lorsqu'il  se  trouve  intercalé 
dans  la  phrase  : 

Il  m'est,  disait-elle,  facile 
D'élever  des  poulets  autour  do  ma  maison. 

Lorsque  les  verbes  dit-il,  répondit-il,  répli- 
quat-U,  sont  suivis  d'un  adverbe  ou  d'une  locu- 
tion qui  en  détermine  la  signification,  cette  lo- 
cution doit  être  rattachée  au  verbe  : 

Je  ne  crains,  me  dit-il  avec  émotion,  qu'un  homme,  dans 
lequel  je  crois  voir  plusieurs  Marius. 

Ellipse  du  verbe.  —  On  emploie  assez  fré- 
quemment la  virgule  pour  remplacer  un  verbe 
sous-entendu  : 

Carthage  employait  plus  de  force  pour  attaquer  ;  Rome, 
pour  se  défendre. 

D'argent,  point  de  caché. 

Sous-entendu    il    n'y    avait    point    d'argent   de 
caché. 

Toutefois  la  suppression  de  cette  virgulsans  en 
souvent  plus  de  mouvement  à  la  phrase, e  doime 
altérer  la  clarté  : 

La  moitié  de  tes  gens  doit  occuper  la  pfirtc. 
L'autre  moitié  le  suivre  et  te  prêter  m.iiu-forte. 


PONCTUATION 


—  1676  — 


PONCTUATION 


L*univers  est  une  sphère  infinie  dont  le  centre  est  par- 
tout, la  circonférence  nulle  part. 

PnOPOSITIONS   COORDONNÉES. 

Virgule  de  séprirniion.  —  On  sépare  par  une 
virgule  deux  propositions  coordonnées,  toutes  les 
fois  que  les  deux  verbes  ont  un  sujet  particulier  : 

Rien  n'est  beau  que  le  vrai,  le  vrai  seul  est  aimable. 
Nul  bien  sans  mal,  nul  plaisir  sans  mélange. 

Virgule  devant  ta  conjoyiction  et.  —  La  même 
règle  s'applique  aux  propositions  coordonnées, 
lorsque  la  seconde  est  précédée  de  la  conjonction 
et,  surtout  si  les  deux  propositions  otlrent  un 
sens  distinct  et  opposé  : 


Je  plie,  et  ne  romps  pas. 
Vous  riez,  et  je  pleure. 

PROPOSITIONS  SUBORDONNÉES. 

Virgule  rie  séparation.  —  Toute  proposition  su- 
bordonnée doit  le  plus  souvent  être  séparée  de  la 
proposition  principale  par  une  virgule  : 

J'embrasse  mon  rival,  mais  c'est  pour  l'étouffer. 

Tout  vous  est  pardonné,  puisque  je  vois  vos  pleurs. 

Seul  vous  vous  haïssez,  lorsque  chacun  vous  aime. 

Il  est  juste  que  nous  contribuions  à  l'entretien  du  chemin, 
puisque  nous  en  jouissons. 

Rome  n'avait  pas  même  de  rues,  si  l'on  n'appelle  de  ce 
nom  les  chemins  qui  y  aboutissaient. 

Ce  n'est  point  un  grand  avantage  d'avoir  l'esprit  vif,  si 
on  ne  l'a  juste. 

La  perfection  d'une  pendule  n'est  pas  d'aller  vite,  mais 
d'être  réglée. 

Inversion  de  la  proposition  subordonnée.  —  Il 
en  est  de  même  lorsque  la  proposition  subordon- 
née précède  la  proposition  principale  : 

Lorsque  l'âme  est  tranquille,  toutes  les  parties  du  corps 
sont  dans  un  état  de  repos. 

A  peine  une  résolution  était-elle  prise  dans  le  conseil, 
que  les  Dauniens  faisaient  précisément  ce  qui  était  néces- 
saire pour  en  assurer  le  succès. 

Si  je  faisais  ma  religion,  je  mettrais  l'intolérance  au 
nombre  des  sept  péchés  capitaux. 

Proposition  subordonnée  intercnlée.  —  Placée 
dans  le  corps  de  la  phrase,  la  proposition  subor- 
donnée se  met  entre  deux  virgules  : 

Une  femme,  quelque  grands  biens  qu'elle  apporte  dans 
une  maison,  la  ruine  bientôt  si  elle  y  introduit  le  luxe. 

Proposition  subordonnée  déli-rminalive.  —  Lors- 
que la  proposition  subordonnée  commençant  par 
une  conjonction  est  tellement  liée  à  la  principale, 
qu'on  ne  saurait  l'en  séparer  sans  en  dénaturer  le 
sens,  l'emploi  de  la  virgule  serait  fautif  :. 

Carthage  périt  joa?*ce  que,  lorsqu'il  fallut  retrancher  les 
abus,  elle  ne  put  souffrir  la  main  de  son  Annibal  même. 
Athènes  tomba  parce  que  ses  erreurs  lui  parurent  si  dou- 
ces, qu'elle  ne  voulut  pas  en  guérir. 

Ce  n'est  pas  la  fortune  qui  domine  le  monde  :  on  peut  le 
demander  aux  Romains,  qui  eurent  une  suite  continuelle 
de  prospérités  ÇHrtnd  ils  se  gouvernèrent  sur  un  certain  plan, 
et  une  suite  non  interrompue  de  revers  lorsqu'ils  se  condui- 
sirent sur  un  autre. 

Plus  d'Etats  ont  péri  parce  qu^on  a  violé  les  mœurs  que 
parce  qu'on  a  violé  les  lois. 

Quand  mes  bras  me  manqueront,  je  vivrai  si  l'on  me 
nourrit,  je  mourrai  si  l'on  m'abandonne. 

Aristide  avait  été  juste  avant  que  Socrate  eût  dit  ce  que 
c'était  que  la  justice. 

PROPOSITIONS  INCIDENTES. 

Proposition  incidente  déterinina'ive.  —  Les  pro- 
positions incidentes  dclenninitives  sont  générale- 
ment liées  à  la  proposition  principale  par  un  des 


pronoms  relatifs  qui,  que,  dont,  a-iqu^l,  ou  bien 
par  oii,  d'oii.  Leur  nom  et  leur  rôle  indiquent  suf- 
fisamment qu'elles  ne  doivent  être  ni  précédées  ni 
suivies  d'une  virgule  : 

Les  hommes  qui  ont  le  plus  de  saffesse  cl   de  talent  ne 

manquent  point  de  s'adonner  aux  arts  auxquels  les  grandes 

récompenses  sont  attachées. 

Le  cruel  repentir  est  le  premier  bourreau 

Qui  dans  son  sein  coupable  enfonce  le  couteau. 

Demeurons  dans  le  poste  où  le  ciel  nous  a  jnis. 

Parmi  les  personnages  illustres  combien  se  sont  glissés 

d'hommes  qui  n'avaient  de  grand  que  la  naissance,  la  ri- 

c/tessc  ou  la  vanité  I 

Proposition  incidente  erplicative.  —  Au  milieu 
de  la  phrase,  l'incidente  explicative  se  place  entre 
deux  virgules." 

Le  temps,  qui  cfiangc  tout,  change  aussi  nos  humeurs. 

Ni  Nestor,  que  je  vis  à  Pylos,  ni  Ménélas,  gui  me  reçut 
avec  amitié  dans  Lacédémone,  ne  purent  m' apprendre  si 
mon  père  était  encore  en  vie. 

L'homme,  qui  ne  peut  que  par  le  nombre,  qui  n'est  fort 
que  par  sa  réunion,  qui  n'est  tieureux  que  par  la  paix,  a 
la  fureur  de  s'armer  pour  son  malheur  et  de  combattre  pour 
sa  ruine. 

Hippocrate  fut  réellement  le  créateur  de  l'hygiène,  dont  il 
traça  le-i  règles. 

PARTICIPES. 

Proposition  participe.  —  Quand  un  participe 
modifie  un  substantif  qui  n'est  ni  le  sujet  ni  le 
régime  d'une  proposition,  le  membre  de  phrase 
ainsi  construit  s'appelle  proposition  participe. 
C'est  l'ablatif  absolu  des  Latins.  Au  commence- 
ment d'une  phrase,  la  proposition  participe  doit 
être  suivie  d'une  virgule;  au  milieu  de  la  phrase, 
on  la  met  entre  deux  virgules  : 

Charlemagne  disparu,  son  empire  s'écroula. 

Cela  dit,  maître  loup  s'enfuit  et  court  encore. 

L'onde  tiède,  on  lava  les  pieds  des  voyageurs. 

La  Fable  raconte  que,  Tarquin  le  superbe  ayant  voulu 
élever  un  temple  à  Jupiter  sur  le  Capitale,  tous  les  dieux 
cédèrent  la  place  qu'ils  y  occupaient,  a  l'exception  du  dieu 
Terme. 

Participes  présents  et  passés  employés  comme 
explicatifs.  —  Les  participes  employés  comme 
explicatifs  suivent  la  règle  donnée  précédemment 
pour  es  propositions  incidentes  explicatives  : 

Les  anciens,  n'ayan(  pas  de  boussole,  ne  pouvaient  guère 
naviguer  que  sur  les  côtes. 

Alexandre,  s'étant  emparé  de  BabyUme,  résolut  de  faire 
la  conquête  de  l'iude. 

ADVERBES. 

L'adverbe  étant,  comme  son  nom  l'indique,  un 
mot  qui  est  juxtaposé  au  verbe  pour  exprimer  les 
différentes  manières  dont  s'accomplit  l'action,  il 
va  sans  dire  qu'en  général  il  ne  doit  pas  être  sé- 
paré du  verbe.  Cela  est  non  seulement  vrai  pour 
les  adverbes  représentés  par  un  seul  mot,  mais 
aussi  pour  les  locutions  adverbiales.  Cependant 
on  remarque  aujourd'hui,  chez  un  assez  grand 
nombre  d'écrivains  et  d'imprimeurs,  une  fâcheuse 
tendance,  qui  consiste  à  isoler  au  moyen  de  deux 
virgules  des  locutions  adverbiales  de  temps,  de 
lieu,  de  manière, absolument  inséparables  des  mots 
qu'elles  modifient.  On  ne  saurait  trop  se  mettre 
en  garde  coiure  une  pratique  qui  viole  les  lois  du 
bon  sens,  aussi  bien  que  celles  de  la  grammaire. 

Adverbes  de  manière  ou  de  qualité. 

Cette  mode  est  généralement  suivie. 
Heureusement  'û  y  a  toujours  d'honnêtes  gens  parmi  li;s 
monstres,  et  des  gens  de  goût  parmi  les  sots. 

Adverbes  de  temps. 
Hier  j'étais  à  la  campagne. 
Aujourd'hui  nous  irons  à  Paris. 


PONCTUATION 


—  1677  — 


PONCTUATION 


iiit. 


;  vante. 


Alors  il 

Domain  nous 

Quelquefois  il  vous  plaint,  souvent  même  il 

Adverbes  </e  lieu. 

Là  je  le  punirai,  W  je  veux  le  surprendre. 

Là  l'on  cogne,  là  l'on  charpente, 

Là  l'on  raccommode  une  fente. 

Je  l'évite  partout,  partout  il  me  poursuit. 

Adverbes  numémux.  —  L'adverbe  premièrement 
employé  seul,  et  signifiant  en  premier  lieu,  d'a- 
bord, n'admet  pas  la  virgule  : 


<lc 


Ne  parlez  jamais  raison  aux  jeunes  gens,  même  en  a{ 
raison,  que  vous  ne  les  ayez  pretïiléi'emeni  mis  en  état  c 
tendre. 


Quand  les  mots  premièrement,  secondement,etc., 
annoncent  les  divisions  d'un  sujet  à  traiter,  on  les 
fait  suivre  ordinairement  d'une  virgule. 

Nous  nous  occuperons  aujourd'hui  :  premièrcincnl,  de  la 
prose;  secondement,  île  la  lecture  des  vers. 

Advfrbes  d'affirn.ation.  —  L'adverbe  oui,  em- 
ployé fréquemment  dans  le  dialogue,  est  d'ordi- 
naire précédé  ou  suivi  d'une  virt;ule  : 

Notre  sœur  est  folle,  oui. 

Oui,  j'aime  mieux  le  Tartufe  et  le  Misanthrope  que  les 
comédies  nouvelles. 

Oui,  oui,  je  le  ferai. 

Oui  joint  à,  un  autre  adverbe  ne  doit  pasen 
être  séparé  par  une  virgule  : 

Oui  vraiment. 
Vraiment  oui. 
Eh  mais  oui. 

Certes,  qui  signifie  certainement,  est  placé 
fréquemment  entre  deux  virgules  dans  les  livres 
imprimés.  C'est  un  abus  : 

Certes  l'exemple  est  rare  et  digne  de  mémoire. 

En  quoi  certes  personne  ne  le  surpassa  jamais. 

Assurément.  —  Même  règle  que  pour  certes: 
Assurément  il  s'est  mal  comporté. 

Adverbes  de  négation.  —  Les  adverbes  non, 
point,  mtU'ment,  aucunement,  sont  soumis  aux 
mêmes  règles  que  les  adverbes  d'affirmation. 

Locutions  fidverhi'iles.  —  Ces  assemblages  de 
mots,  qui  déterminent  ou  modifient  la  significa- 
tion du  verbe  ou  de  l'adjectif,  doivent  être  envi- 
sages comme  des  adverbes  simples  et  assujettis 
aux  mêmes  lois.  C'est  abuser  de  la  ponctuation  que 
d'y  annexer  des  virgules.  Cependant  cet  abus  est 
presque  universel  : 

Nous  ne  sommes  pas  comme  les  anciens  Romains,  qui 
étaient  à  la  fois  puerriers,  jurisconsultes  et  philosophes. 

Je  voulais  sur-le-cttamp  congédier  l'armée. 

Une  vie  plus  douce  et  plus  oiseuse  qu'on  ne  la  mène  d'or- 
dinaire dans  le  siècle. 

Tout  à  coup  elle  aperçut  les  débris  d'un  naviro. 

En  effet.  —  Dans  son  acception  primitive,  cette 
locution  signifie  duns  la  n'alité,  dans  l'acte  ;  dans 
ce  cas  elle  n'est  pas  à  proprement  parler  une  locu- 
tion adverbiale  ; 
Reine  longtemps  de  nom,  mais  en  effet  captive. 
Prise  adverbialement,  elle  a  le  sens  de  vérita- 
blement, assurément  '. 
Je  n'aspire  en  effet  qu'à  l'honneur  de  vous  suivre. 
Placée  au  commencement   d'une  phrase,  elle 
annonce   que  l'on   va  donner  une  preuve  de  ce 
qu'on  vient  de  dire.  Dans  ce  cas  on  la  fait  ordinai- 
rement suivre  d  une  virgule,  afin  de   mieux  déta- 
cher la  démonstration  : 


Tous  les    angles  inscrits  dans 
égaux,  lineffet,  ils  ont,  etc. 


même  segment  sont 


On  peut  user  de  la  même  tolérance  pour  les 
locutions  en  résumé,  eu  définitive,  et  autres  ana- 
logues. 

Cette  tolérance  a  engendré  des  abus  qu'il  est 
bon  de  signaler.  C'est  ainsi  que  l'on  a  multiplié 
les  virgules  autour  des  locutions  d'ailleurs,  peut- 
être,  sans  liante,  et  autres.  Quelques  exemples 
feront  voir  que  ces  ponctuations  sont  tout  à  fait 
inutiles  : 

Homme  d'ailleurs  plein  de  savoir. 

Nestor  et  Philoctète,  ces  deux  capitaines  d'ailleurs  si 
sa^es  et  si  expérimentés,  n'étaient  [)as  assez  secrets  dans 
leurs  entreprises. 

Peut-être  irons-nous. 

Mais  peut-être  les  qualités  de  l'esprit  pourront'nous  dis- 
tinguer du  reste  des  hommes. 

Pour  la  dernière  fois  je  vous  p^vXc  peut-être, 

La  locution  sans  doute,  prise  dans  son  acception 
littérale,  signifie  d'une  manière  certaine  : 

Viendrez-vous  demain  ?  —  Sans  doute. 

Cette  tâche  est  pénible,  sans  doute,  mais  elle  n'est  pas 
au-dessus  de  vos  forces. 

Mais  elle  a  dévié  de  cette  signification  première 
et  on  l'emploie  fréquemment  pour  dire  :  proba- 
blement, selon  t"Utes  les  apparences.  C'est  une 
raison  de  plus  pour  ne  pas  la  raettie  dans  ce  cas 
entre  d  ux  virgules  : 

Ce  malheur  n'arrivera  sans  doute  pas, 

Sam  doute  h.  nos  malheurs  ton  cœur  ji'a  pu  survivre. 

Quand  on  veut  restituer  au  mot  iloute  sa  véri- 
table signification,  il  est  d'usage  aujourd'hui  de 
renforcer  l'expression  par  ladjonction  du  mot 
aucun  et  de  dire  :  sans  aucun  duute.  Ainsi  modi- 
fiée, la  locution  ne  peut  que  gagner  en  force  par 
l'adjonction  de  la  ponctuation, 

PRÉPOSITIONS, 
PrépoAlion  suivie  de  son  coniplém'Ht  nu  com- 
mence'iient  de  la  phase.  —  Lors'iue,  par  suite 
d'inversion,  une  |)hrase  commence  par  une  prépo- 
sition suivie  de  son  complément,  on  met  une  vir- 
gule après  celui-ci  toutes  les  fois  qu'il  est  suivi 
d'un  substantif  qui  est  le  sujet  de  la  proposition  : 

Dam  tous  les  temps,  l'or  a  été  regardé  comme  le  métal 
le  plus  parfait  et  le  plus  précieux. 

Chez  les  anciens,  tout,  jusqu'à  la  danse,  faisait  partie  de 
l'art  militaire. 

Après  la  bataille  de  Cannes,  il  ne  tut  pas  permis  aux 
femmes  même  de  verser  des  larmes. 

La  virgule  serait  fautive,  si  le  complément  indi- 
rect était  déterminatif  : 

Eii(re  les  deux  partis  Calchas  s'est  avancé. 

Prép  silinns  placées  dans  le  corps  île  la  f diras'?. 
—  Les  deux  règles  précédentes  s'appliquent  aux 
prépositioiis  suivies  de  leur  complément  dans  le 
corps  de  la  phrase,  suivant  que  la  locution  est 
explicative  ou  déterminative.  Dans  le  premier  cas, 
on  la  met  entre  deux  virgules;  dans  le  second  cas, 
les  virgules  disparaissent  : 

Marins,  pour  battre  les  Cimbrcs  et  les  Teutons,  com- 
mence par  détourner  les  lleuves. 

Quelque  temps  après,  sous  le  régne  d'Alexis  Comnéne, 
les  Latins  attaquèrent  l'Orient. 

Pendant  que  sons  Sijlla  la  république  reprenait  des  for- 
ces, tout  le  monde  criait  à  la  tyrannie  ;  et  pendant  que 
sous  .'Auguste  la  tyrannie  se  fortiliait,  on  ne  parlait  que  de 
liberté. 

CONJONCTIONS. 

liépélition  ileET.  —  Quand  la  conjonction  et  n'est 
répétée  que  deux  fois,  on  n'emploie  paa  da  vir- 
gule : 

Aristole  met  au  rang  des  monarchies  et  l'empire  des 
Perses  et  le  royaume  de  Lacédémone. 


PONCTUATION 


—  1678  — 


PONCTUATION 


Sans  g:arder  dans  ses  vers  un  ordre  méthodique» 
Son  sujet  de  soi-même  et  s'arrange  et  s'explique. 

Répété  plus  de  deux  fois,  et  doit  être  précédé 
d'une  virgule  : 

Mais  tout  dort,  et  l'ai-mée,  et  les  vents,  et  Neptune. 

Et  là-dessus  madame  de  LongueviUe  tombe  sur  son  lit, 
et  tout  ce  que  la  plus  vive  douleur  peut  faire,  et  p:ir  des 
convulsions,  et  par  des  évanouissements,  et  par  un  silence 
mortel,  et  par  des  cris  étoufTés,  et  par  des  larmes  amères, 
et  par  des  élans  vers  le  ciel,  et  par  des  plaintes  tendres  et 
pitoyables,  elle  a  tout  éprouvé. 

liépétilion  de  ni.  —  Mêmes  règles  que  pour  la 
la  conjonction  et  : 

Ni  l'or  ni  la  grandeur  ne  nous  rendent  heureux. 

Lorsque  avec  mes  soldats  je  suis  entré  dans  Rome,  je  ne 
respirais  ni  la  fureur  ni  la  vengeance. 

Je  n'ai  jamais  vu  de  paysans,  ni  homme,  ni  femme,  ni 
enfant,  avoir  peur  des  araignées. 

On  pourra  appliquer  la  m£me  règle  à  la  con- 
jonction ou  :  ■ 


Mais.  —  La  conjonction  ynai^,  qui  implique  une 
idée  de  restriction,  appelle  naturellement  une  vir- 
gule. Toutefois,  lorsqu'elle  lie  deux  adjectifs 
suivis  d'un  substantif,  on  supprime  la  virgule  : 

Après  les  saoulantes  mais  glorieuses  victoires  de  la 
guerre  de  la  succession  d'.^utriche,  vinrent  les  désastres 
de  la  guerre  de  Sept  .Vns. 

L'art  d'enseigner  à  lire  est  encore  ce  qu'il  y  a  de  plus 
difficile  et  de  plus  compliqué  dans  la  modeste  mais  utile 
profession  d'iostituteur. 

Comme,  de  même  que,  ainsi  qiie.  —Lorsque  ces 
conjonctions  jouent  le  même  rôle  que  et,  on  sup- 
prime les  virgules  et  on  met  le  verbe  au  pluriel  : 

La  santé  comme  la  fortune  retirent  leurs  faveurs  à  ceux 
qui  en  abusent. 

Mais  il  faut  employer  deux  virgules  lorsqu'on 
veut  établir  une  comparaison  : 

Les  hypocrites,  comme  les  abeilles,  ont  le  miel  à  la  bou- 
che et  l'aiguillon  caché. 

Propositions  réunies  par  une  conjonction.  — 
Lorsqu'une  phrase  contient  deux  propositions,  il 
faut  placer  une  virgule  après  la  première  si  la  se- 
conde commence  par  une  conjonction  ou  une  lo- 
cution conjonctive  : 

On  ne  peut  acheter  trop  cher  sa  liberté,  car  ce  n'est  que 
par  la  liberté  que  l'homme  est  heureux. 

La  haine  et  la  vengeance  consentent  à  souifrir,  ^ouryu 
qu'elles  nuisent. 


IL 


POINT-VIRGULE, 


Le  point-virgule  sert  à  indiquer  une  coupure 
plus  forte  que  la  simple  virgule.  Quoiqu'il  fût 
connu  des  anciens  copistes,  il  n'a  pas  toujours  été 
employé  par  les  anciens  imprimeurs.  Etienne 
Dolet.  dans  son  court  Traité  de  la  ponclutdion, 
semble  ne  pas  le  connaître;  il  le  remplace  par  le 
deux-points,  qu'il  appelle  comma.  Aussi  voit-on 
les  typographes  des  xvi',  xvii'  et  xviii'  siècles  em- 
ployer souvent  l'un  pour  l'autre  et  mettre  un 
deux- points  là  où  l'on  met  aujourd'hui  un  point- 
virgule,  et  vice  lersa.  Cependant  le  rôle  de  ces 
deux  ponctuations  est  loin  d'être  le  même  ;  l'une 
et  l'autre  ont  leur  fonction  propre,  qui  est  aujour- 
d'hui définitivement  fixée,  grâce  aux  études  et  à 
la  sagacité  des  bons  correcteurs  du  xix*  siècle. 

Propositions  coordonnées.  —  On  doit  séparer  par 
un  point-virgule  deux  ou  plusieurs  propositions 
coordonnées  toutes  les  fois  que  chacune  d'elles, 
prise  isolément,  offre  un  sens  complet  : 

Sylla  mène  violemment  les  Romaios  à  la  liberté  ;  Auguste 
les  conduit  doucement  à  la  servitude. 


Elevé  dans  le  palais,  Narsès  avait  plus  la  conflance  de 
1  empereur;  car  les  princes  regardent  toujours  leurs  cour- 
tisans comme  leurs  plus  fldeles  sujets. 

La  nature  nous  a  fait  un  besoin  du  travail;  la  société 
nous  en  fait  un  devoir  ;  l'habitude  nous  en  fait  un  plaisir. 

Période  à  plusieurs  membres.  —  Quand  une  pé- 
riode est  composée  de  plusieurs  membres  subdi- 
vises eux-mêmes  par  des  virgules,  on  met  un  point- 
virgule  après  chaque  membre  : 

On  peut  (lire  que  le  chien  est  le  seul  animal  dont  la  Odé- 
hte  soit  a  1  épreuve  ;  le  seul  qui  connaisse  toujours  son 
maître  et  les  amis  de  la  maison;  le  seul  qui,  loi^squ'il  ar- 
rive un  inconnu,  s'en  aperçoive;  le  seul  qui  entende  son 
nom  et  qui  reconnaisse  la  voix  domestique  ;  le  seul  qui  ne 
se  conBe  pas  à  lui-même  ;  le  seul  qui,  lorsqu'il  a  perdu 
son  maître  et  qu  il  ne  peut  le  retrouver,  l'appelle  par  ses 
gémissements  ;  le  seul  qui,  dans  un  voyage  long  qu'il 
n  aura  fait  qu'une  fois,  se  souvienne  du  chemin  et  retrouve 
sa  route;  le  seul  enfin  dont  les  talents  naturels  soient  évi- 
dents  et  1  éducation  toujours  heureuse. 

Enumémtion.  —  Le  point-virgule  sert  aussi  à 
séparer,  dans  une  énumération,  les  parties  de 
diverse  nature: 

Cette  ville,  fondée  sous  les  meilleurs  auspices  ;  ce  Ro- 
"•■'■-,  leur  roi  et  leur  dieu;  ce  Capitole,  éternel 


ville  ;  et  la  ville,  éternelle  comme  son  fondateur,  avaient 
Lait  autrefois  sur  l'esprit  des  Romains  une  impression  qu'il 
eut  été  à  souhaiter  qu'ils  eussent  conservée. 

Voir  d'un  même  œil  la  couronne  et  les  fers,  la  santé  et  la 
maladie,  la  vie  et  la  mort;  faire  des  choses  admirables  et 
craindre  d'être  admiré;  n'avoir  dans  le  cœur  que  Dieu  et 
son  devoir  ;  n'être  touché  que  des  m,aux  de  ses  frères  ;  être 
toujours  en  présence  de  son  Dieu  ;  n'entreprendre,  ne  réus- 
sir, ne  mourir  que  pour  lui  :  voilà  saint  Louis,  voilà  le  hj- 
ros  chrétien. 

Lorsque  l'énumération  est  disposée  en  alinéas, 
on  met  un  point-virgule  à  la  fin  de  chaque  alinéa  : 

Sont  incapables  de  tenir  école  : 

i"  Les  condamnés  à  des  peines  afflictives  ou  infamantes; 

2°  Les  condamnés  pour  vol,  escroquerie,  banqueroute, 
abus  de  confiance  ou  attentat  aux  mœurs,  et  les  individus 
qui  auront  été  privés  par  jugement  de  tout  ou  partie  des 
droits  de  famille  mentionnes  aux  paragraphes  5  et  6  de  l'ar- 
ticle 42  du  Code  pénal; 

3»  Les  individus  interdits  en  exécution  de  l'article  7  de  la 
présente  loi.  ^Loi  du  18  juin  1833.) 

in.  -  DEUX-POINTS. 

Le  deux-points  est  un  signe  destiné  à  suppléer 
à  l'insuffisance  de  la  virgule  et  du  point-virgule 
dans  le  corps  de  la  phrase.  Il  annonce  un  complé- 
ment, un  développement,  une  explication  de  la 
proposition  qui  le  précède.  Tandis  qu'en  général  les 
propositions  terminées  par  un  point-virgule  offrent 
un  sens  complet  et  parfaitement  intelligible, 
celles  qui  sont  suivies  d'un  deux-points  seraient 
tronquées  et  pour  ainsi  dire  suspendues  sans 
appui,  si  l'on  n'avait  soin  d'y  ajouter  la  proposi- 
tion complémentaire  et  explicative. 

On  emploie  le  deux-points  :  1°  Pour  annoncer 
un  discours  direct  ou  les  paroles  d'une  autre  per- 
sonne : 

Le  chêne  un  jour  dit  au  roseau  ; 
"Vous  avez  bien  sujet  d'accuser  la  nature. 

2°  Pour  indiquer  la  cause,  le  résultat,  la  raison, 
la  conséquence,  l'explication  de  l'idée  ou  du  fait 
exprimé  par  la  proposition  qui  précède  : 

Un  peuple  peut  aisément  souffrir  qu'on  exige  de  lui  de 
nouveaux  tributs  :  il  ne  sait  pas  s'il  ne  retirera  pas  quelque 
utilité  de  l'emploi  de  l'argent  ([u'oo  lui  demande. 

Octave  se  conduisit  avec  Cicéron  en  homme  habile  :  il  le 
flatta,  le  loua,  le  consulta,  et  employa  tous  ces  artifices 
dont  la  vanité  ne  se  défie  jamais. 

Maîtres  de  l'univers,  les  Romains  s'en  attribuèrent  tous 
les  trésors  :  ravisseurs  moins  injustes  en  qualité  de  con- 
quérants qu'en  qualité  de  législateurs. 

Je  ne  connais  qu'une  manière  de  voyager  plus  agréable 
que  d'aller  à  cheval  :  c'est  d'aller  à  pied. 


PONCTUATION 


—  1679  — 


3°  Pour  opposer  successivement  l'une  h  l'autre 
deux  parties  d'un  membre  d'une  période  composée 
de  plusieurs  membres  séparés  par  un  point-vir- 
gule. 

L'acccssoii-p  chez  Cicéron,  c'était  la  vertu  ;  chez  Calon, 
c'était  la  ffloiro  ;  Cicérori  se  voyait  toujours  le  premier  : 
Caton  s'oubliait  toujours  ;  celui-ci  voulait  sauver  la  répu- 
blique pour  cHc-mènie  ;  celui-là  pour  s'en  vanter. 

Si  la  période  qui  précède  ne  renfermait  que  la 
première  antitlièse,  on  pourrait  l'écrire  ainsi,  en 
substituant  le  point-virgule  au  deux-points  : 

L'accessoire  chez  Cicéron,  c'était  la  vertu  ;  chez  Cafon, 
c'était  la  gloire. 

Mais  il  est  facile  de  voir  que  la  succession  des 
points-virgules  dajis  toute  l'étendue  de  la  période 
aurait  le  grave  inconvénient  de  mêler  des  mem- 
bres de  phrase  tout  h  fait  dissemblables  et  d'em- 
pêcher l'œil,  et  par  suite  l'esprit,  de  saisir  do 
prime  abord  le  caractère  des  idées  exprimées. 
L'emploi  judicieux  du  deux-points  vient  ici  au  se- 
cours de  la  clarté,  et  c'est  là  sa  fonction  la  plus 
utile. 

4°  Pour  annoncer  une  énumération,  ou  pour  la 
terminer. 

Il  y  a  trois  vertus  théologales  :  la  foi,  l'espérance  et  la 
charité. 

Monsieur,  du  pénic  pour  les  sciences,  du  goût  pour  la 
littérature,  du  talent  pour  écrire  ;  .de  l'ardeur  pour  entre- 
prendre, du  courage  pour  exécuter,  de  la  constance  pour 
achever  ;  de  l'amitié  pour  vos  rivaux,  du  zèle  poijr  vos 
amis,  de  l'entiiousiasme  pour  l'humanité  :  voilà  ce  que  vous 
connaît  un  ancien  ami,  un  confrère  de  trente  ans,  qui  se 
félicite  aujourd'hui  de  le  devenir  pour  la  seconde  fois. 


PONCTUATION 


POINT  D'INTERROGATION. 


IV. 


POINT. 


Le  point,  en  grec  colon,  en  latin  punctiim,  est 
le  signe  de  ponctuation  par  excellence.  11  est  fort 
probable  qu'il  a  été  inventé  avant  les  autres  signes. 
il  indique  un  setis  complet. 

L'exposition  et  le  développement  d'un  fait  ou 
d'une  idée  exigent  une  suite  de  propositions  et  de 
preuves  qui,  tout  en  étant  liées  dans  la  pensée  de 
l'écrivain,  ne  sont  en  définitive  que  les  anneaux 
d'une  même  chaîne.  De  même  que  chacun  des  an- 
neaux d'une  chaîne  constitue  un  tout  complet  et  dé- 
fini, de  même  aussi  les  plirases  sont  grammatica- 
lement et  logiquement  indépendantes  les  unes  des 
autres.  C'est  pour  cette  raison  qu'on  en  marque 
la  terminaison  par  une  ponctuation  connue  de 
tout  le  monde  et  sur  l'emploi  de  laquelle  il  n'y  a 
pas  d'hésitation  possible. 

Il  nous  parait  superflu  de  donner  ici  des  exem- 
ples de  l'application  du  point.  La  lecture  réflé- 
chie de  quelques  pages  d'un  auteur  classique  et 
quelques  exercices  de  composition  feront,  mieux 
que  tous  les  exemples  que  nous  pourrions  donner, 
comprendre  le  véritable  usage  du  point  dans  le 
discours. 

Il  y  a  cependant  des  écrivains  qui  promènent 
le  lecteur  i.  travers  des  pages  entières  sans  lui 
offrir  d'autre  repos  que  des  points-virgules.  Rien 
n'est  plus  fatigant  pour  l'œil  et  pour  l'esprit.  La 
grande  éloquence,  celle  de  la  tribune,  du  barreau 
et  de  la  chaire,  se  plait  aux  longues  et  pompeuses 
périodes.  Encore  nos  orateurs  politi'iuos  ou 
sacrés  savent-ils  mettre  des  bornes  b.  l'étendue  de 
leurs  phrases  cicéroniennes.  Aujourd'iiui,  dans 
notre  société  démocratique,  le  discours  public  et 
les  livres  écrits  prennent  des  allures  moins  solen- 
nelles qu'auirefuis.  On  vise  surtout  à  la  précision, 
à  la  simplicité,  en  un  mot  h  la  clarté,  qui  est  le 
vrai  fondement  de  l'art  de  parler  et  d'écrire. 
Voulez-vous  être  compris,  faites  vos  phrases  cour- 
tes, précises  et  claires  ;  en  d'autres  termes,  soit 
en  parlant,  soit  en  écrivant,  mettez  un  point  toutes 
les  fois  que  l'énoncé  de  la  pensée  ollrira  un  sens 
Completel  suffisamment  délimité. 


En  français,  les  phrases  interrogativcs  peuvent 
affecter  deux  formes  :  1°  la  forme  interrogative 
directe,  qui  est  la  plus  fréquente;  2'  la  forme 
affirmative,  beaucoup  moins  usitée. 

Dans  le  premier  cas,  la  construction  même  de 
la  phrase  indique  qu'il  y  a  interrogation,  et  lors 
même  que  l'on  supprimerait  le  signe,  l'interroga- 
tion n'en  subsisterait  pas  moins.  Si  l'on  écrivait 
Pourquoi  viens-tu  ici  (sans  mettre  le  point  d'in- 
terrogation), au  lieu  de  Pourquoi  viens-tu-ici?  il 
j  n'y  aurait  aucun  doute  possible,  parce  que  l'in- 
version du  pronom  est  la  marque  caractéristique 
des  phrases  interrogativcs.  En  outre,  la  personne 
qui  interroge  prend  un  ton  particulier,  commun  h 
toutes  les  langues,  ton  qui  empêche  de  confon- 
dre les  phrases  interrogativcs  avec  celles  qui  ne 
le  sont  pas  :  de  sorte  qu'il  est  vrai  de  dire  que  le 
point  d'interrogation  est  une  ponctuation  parlée. 

Dans  le  second  cas,  le  signe  est  absolument 
nécessaire  ;  sans  cette  indication,  rien  ne  distin- 
guerait l'interrogation  de  la  simple  affirmation. 
Les  mots  vous  voyez  peuvent,  suivant  la  manière 
dont  on  les  prononce,  représenter  soit  une  affir- 
mation :  vous  royez  ;  soit  une  interrogation  :  vous 
voyez?  soit  même  une  exclamation  :  vous  votiez! 
Dans  le  langage  parlé,  le  ton  traduit  l'intention  de 
la  personne  qui  parle  ';  dans  la  parole  écrite,  la 
ponctuation  vient  au  secours  de  la  pensée  de  l'é- 
crivain. 

Examinons  les  divers  cas  qui  peuvent  se  pré- 
senter. 

Forme  interrogative  directe.  —  On  met  un  point 
d'interrogation  à  la  fin  de  toute  phrase  interro- 
gative : 

Avez-vous  oublié  tout  ce  que  les  dieux  ont  fait  pour  vous 
ramener  dans  votre  patrie?  Comment  ètes-vous  sorti  de  la 
Sicile  ?  Les  malheuis  que  vous  avez  éprouvés  en  Egypte  ne 
se  sont-ils  pas  tournés  tout  à  coup  eu  prospérités  ?  Quelle 
main  inconnue  vous  a  enlevé  à  tous  les  dangers  qui  mena- 
çaient votre  tète  dans  la  ville  de  Tyr  ?  Après  tant  de  mer- 
veilles, ignorez-vous  ce  que  les  destinées  vous  ont  préparé? 

Lorsque  les  mots  quel,  comment,  combie»,  pour- 
quoi font  partie  d'une  proposition  subord  jnnée, 
on  ne  doit  pas  mettre  de  point  d'interrogation  à  la 
fin  de  la  phrase.  Dans  ce  cas  en  effet  il  n'y  a  point 
d'interrogation  réelle,  ni  dans  la  forme,  ni  dans  la 
pensée,  la  proposition  subordonnée  n'étant  autre 
chose  que  le  complément  direct  de  la  propositioa 
principale  : 

On  leur  a  demandé  quel  est  le  fleuve  qui  passe  à  Paris. 

Dites-moi  pourquoi  vous  ne  savez  pas  votre  leçon. 

Quand  on  rapporte  une  phrase  interrogative 
suivie  d'une  des  locutions  ilit-il,  reprit-il,  répon- 
dit-il, etc.,  le  point  d  interrogation  se  idace  tou- 
jours à  la  fin  de  la  partie  interrogative  de  la 
phrase  : 

De  quelle  ville  de  Phénicie  ètes-vous?  me  dit-il. 

Cependant,  lorsque  le  membre  de  phrase  final 
fait  partie  de  la  proposition  interrogative,  le  signe 
doit  être  placé  i  la  fin  : 

Vous  ne  sortirez  pas  d'ici,  dites-vous? 

Vous  n'allez  pas  vous  mettre  en  route  par  le  temps  qu'il 
fait,  je  pense  ? 

liiterrngalion  soui  forme  affirmative.  —  Comme 
nous  l'avons  dit  plus  haut,  une  phrase  peut  être 
affirmative  dans  la  forme,  tout  en  étant  ititerroga- 
tive  dans  la  pensée  de  la  personne  qui  parle  : 

C'est  là  ce  dont  vous  parlez  ? 
Vous  venez  avec  mji? 

Affirmation  sorts  forme  interrogntive  ou  fausse 
interroquiion.  —  Quelquefois,  pour  donner  plus 
de  vivacité  U  la  phrase,  on  remplace  la  forma  cou- 


PONCTUATION 


—  16S0  — 


PONCTUATION 


ditionnellfi  ou  subjonctive  par  une  tournure  inter- 
Togative  : 

Aimez-vous  la  muscade,  on  en  a  mis  partout. 
Avait-il  soupe,  il  s'en  allait. 

C'est  comme  si  l'on  disait  :  Si  vous  aimez  la 
muscade;  Inrsqu'il  avait  soupe.  Voici  des  exemples 
de  cette  tournure  : 

Aperçois-je  une  rivière,  je  la  côtoie  ;  un  bois  touffu,  je 
vais  sous  son  ombre  ;  une  grotte,  je  la  visite  ;  une  car- 
rière, j'examine  les  minéraux. 

Toutes  les  fois  que  les  Romains  se  crurent  en  danger  ou 
qu'ils  voulurent  réparer  quelque  perle,  ce  fut  une  pratique 
constante  chez  eux  d'affermir  la  discipline  militaire.  Ont- 
ils  à  faire  la  guerre  aus  Latins,  peuples  aussi  aguerris 
qu'eux-mêmes,  Manlius  songe  à  augmenter  le  commande- 
ment, et  fait  mourir  son  fils,  qui  avait  vaincu  sans  son  or- 
dre. Sont-ils  battus  à  Numance,  Scipion  Emilien  les  prive 
d'abord  de  tout  ce  qui  les  avait  amollis.  Les  légions  ro- 
maines ont-elles  passé  sous  le  joug  en  Numidie,  Metellus 
répare  cette  honte  dès  qu'il  leur  a  fait  reprendre  les  insti- 
tutions anciennes. 


son  effet,  il  faut  que  le  lecteur  ou  l'auditeur  puisse 
suppléer  sans  effort  à  ce  qui  n'est  pas  exprimé  : 


La  douceur  de 
Font  insensibl 
Succéder...  Je 


nfancc. 


VI.  —  POINT  D'EXCLAMATION. 

Le  point  d'exclamation  accompagne  toutes  les 
interjections  : 

Oh  !  Ah  !  Aïe  ! 

Courage  !  Patience  !  Paix  ! 

Allons  !  Soit  I  Suffit  ! 

L'interjection  ô  étant  toujours  suivie  d'un  sub- 
stantif ou  d'un  membre  de  phrase,  le  signe  d  ex- 
clamation se  place  après  le  substantif  : 

0  vanité  !  ù  néant  ! 

0  mortels  ignorants  de  leurs  deslinées  ! 

Lorsque  o  n'est  employé  que  pour  indiquer  un 
vocatif  ou  une  apostrophe,  le  point  d'exclaiiation 
est  ordinairement  remplacé  par  une  virgule  : 

0  mon  Dieu,  me  voici  seul  en  ta  présence. 

Lorsque  th  ou  oh  sont  suivis  d'un  mot  qui  fait 
partie  de  l'interjection,  le  signe  doit  être  placé 
après  ce  mot  : 

Eh  oui  ! 

Oh  non  ! 
Le  point  d'oxclamation  ne  se  met  pas  après  l'in- 
terjection eh  fjien  lorsque,  dans  une  conversation 
familière,  elle  ne  sert  qu'à  donner  un  peu  plus  de 
vivacité  au  dialogue  : 

Eh  bien,  nous  verrons. 

Eh  bien,  Antiochus,  vous  dois-jc  la  couronne? 

Le  point  d'exclamation  se  place  à  la  fin  de 
toutes  les  phrases  qui  expriment  l'etonnement, 
l'admiration,  l'indignation,  la  douleur,  l'ironie,  la 
fureur,  en  un  mot  tous  les  mouvements  vifs  de 
l'âme  ; 

Combien  de  vertus  obscures  et  négligées  !  combien  de 
services  oubliés  ou  dissimulés!  et  d'autre  part,  combien  de 
favoris  de  la  fortune,  sortis  tout  à  coup  du  néant  vont  de 
plain-picd  saisir  les  premiers  postes  !  et  de  la  quelle  source 
de  désagréments  et  de  dégoûts! 

Heureux  celui  qui,  au  lieu  de  parcourir  le  monde,  vit 
loin  des  hommes  !  Heureux  celui  qui  ne  connaît  rien  au 
delà  de  son  horizon,  et  pour  qui  le  vdlage  voisin  même  est 
une  terre  étrangère! 

Que  Dieu  est  grand!  Qu'il  est  digne  de  louanges!  Qu'il 
est  incompréhensible  !  Que  la  splendeur,  la  gloire  de  sa 
majesté  est  sainte  !  Que  sa  souveraineté  est  douce  et  ter- 
rible ! 

VIL  —  POINTS  DE  SUSPENSION. 

Les  points  de  suspension,  au  moins  au  nombre 
de  trois,  annoncent  que  l'expression  de  la  pensée 
estbru•^quemellt  interrompue.  C'est  ce  qu'en  rhé- 
torique on  appelle  une  réticence.  Mais,  pour  que 
l'emploi  de  cette  figure  soit  légitime  et  produise 


grâce, 
m  inimitié 
lible  à  la  pitié  ! 

D'autres  fois  les  points  suspensifs  sont  de  sim- 
ples signes  de  déclamation,  destinés  à.  détacher 
des  membres  de  phrase,  afin  de  produire  plus 
d'effets  sur  l'auditeur  : 

«  Je  ne  sais  si  j'ai  la  vue  meilleure  que  monsieur,  mais, 
pour  ma  part,  je  ne  vois  partout  que  gens  faisant  com- 
merce d'amitié. 

—  Commerce!...  Ah  !  parbleu  !...  commerce  ;  oui!...  On 
se  voit  une  fois  :  «  Monsieur!...  »  Deux  fois  ;  «  Mon 
cher!...  »  Trois  fois  :  «  Mon  vieux!...  >>  Un  Siamois  qui 
tomberait  sur  le  boulevard  et  qui  nous  prendrait  au  mot, 
se  dirait  :  «  Quelle  bénédiction  !  les  Parisiens  sont  tous 
unis  par  les  liens  d'une  affection  indissoluble  !...  {Faisant 
le  signe  de  distribuer  des  poignées  de  mains  autour  de  lut.) 
Mon  ami  !...  Bon  ami  !...  Cher  ami  !...  Tendre  ami  !...  Et  des 
poignées  de  mains!...  devant...  derrière...  et  je  le  se- 
coue!... et  je  te  démanche!...  et  je  te  serre  la  main  !... 
Comme  je  te  casserais  le  cou  !...  Il  csl  vrai  qu'elle  est  pleine 
de  boue  et  d'argent  volé  !...  liaison  de  plus  pour  la  se- 
couer !...  C'est  le  moyen  qu'il  en  tombe  quelque  chose!  » 

Il  ne  faut  pas,  comme  font  certains  romanciers, 
abuser  des  points  suspensifs.  A  force  de  vouloir 
exciter  l'attention  et  l'intérêt  du  lecteur,  on  le 
fatigue. 

Vin.  —  PARENTHESES. 

Les  parenthèses  servent  b.  isoler  un  ou  plusieurs 
mots,  parfois  même  une  proposition  complète. 

Autrefois  on  en  faisait  un  usage  assez  fréquent 
dans  le  discours  écrit;  mais,  comme  ce  signe  a  le 
grave  inconvénient  d  interrompre  le  mouvement 
de  la  pensée,  on  n'en  use  aujourd'hui  qu'avec  ré- 
serve: «Si^Jf.  •- 

Auguste  (c'est  le 
établit  l'ordre,  c'est-i 

Il  faut  se  garder  de  mettre  une  virgule  après  la 
seconde  parenthèse  lorsque  le  mot  qui  précède  la 
première  est  logiquement  lié  au  reste  de  la  phrase. 
Au  point  de  vue  de  la  ponctuation,  la  partie  du 
discours  renfermée  entre  les  parenthèses  ne  compte 
pas.  Si,  dans  l'exemple  ci-dessus,  on  plaçait  une 
virgule  après  la  seconde  parenthèse,  cela  équi- 
vaudrait à  écrire  :  Auguste,  é:ablit  l'ordre,  c'est- 
à-dire  à  mettre  une  virgule  entre  le  sujet  et  le 
verbe. 

Cependant,  quand  la  construction  de  la  phrase 
le  demande,  on  peut  placer  après  la  parenthèse  la 
ponctuation  exigée  par  la  règle  : 

Je  croyais,  moi  (jugez  de  ma  siniplicité). 
Que  l'on  devait  rougir  de  la  duplicité. 

IX.  —  GUILLEMET. 

Le  guillemet,  ainsi  appelé  du  nom  de  l'impri- 
meur qui  l'a  inventé,  est  une  sorte  de  double  vir- 
gule, que  l'on  place  au  commencement  et  à  la  fin 
l'une  citation  : 

«  L'Egypte,  dit  Bossuet,  élait  la  source  de  toute  bonne 
police.  » 

Quand  une  citation  comprend  plusieurs  alinéas, 
on  met  un  guillemet  au  commencement  de  chaque 
alinéa.  Arrivé  à  la  fin  du  dernier  alUiéa,  on  ferme 
le  guillemet  : 

En  parlant  ainsi,  Bossuet  pensait  aux  lois  suivantes,  que 
Diodore  île  Sicile  rapporte  : 

1.  Le  parjure  était  puni  de  mort,  parce  que  c'est  la  réu- 
nion des  deux  plus  grands  crimes  qu'on  puisse  commettre, 
l'un  contre  les  dieux,  l'autre  contre  les  hommes. 

ti  Ceux  qui  faisaient  des  accusations  mensongères  subis- 
saient, lorsqu'ils  étaient  découverts,  la  peine  infligée  aux 
calomniateurs. 

«  Les  juges  qui  faisaient  mourir  un  innocent  étaient  aussi 
coupables  que  s'ils  avaient  acquitté  un  meurtrier. 


PONCTUATION 


1681  — 


POPULATION 


iL'ospion  qui  avait  dénoncé  àl' 


ais  non  su  por, 
..  l;n  Kpyplioi 
momie  de  soi 


■  lu  langue  coupée 
i  du  débiteur  étaient  engagés  pour  ses  dette: 


des  plans  secrets  i  serves  bien  les  reigles  précédentes,  tu  ne  fauldra 


pouvait  emprunte: 
père.  » 


Lorsqu'une  citation  fait  grammaticalement  par- 


I  à  doctement  punctuer.  »  [Cit.  Polguère.] 

POrULATION.  —  Il  y  a  relativement  assez  peu 
de  temps  qu'on  s'occupe  de  savoir  si  les  mouve- 
ments de  population  sont  soumis  à  des  lois  régu- 
lières et  constantes  comme  les  autres  phénomènes 
de  la  nature.  On  appelle  démograpliie  la  science 


tie  do  la  phrase  et  n'est  précédée  d'aucune  ponc-  qQj  a  pour  objet  la   recherche'  de  ces   lois.  Déjà 

tuation,  le  guillemet  doit  précéder  la  ponctuation  „ous  avons  eu  occasion  d'en  faire  mention,  dans 

tinale  :  la  i"  Partie  de  ce  Dictionnaire  {\.  Démographie). 

A  Thel.es  on  adorait  celui  .  qui  n'avait  pas  eu  de  com-  H.  nous  reste  à  compléter  ici  ce  que  nous  en  avons 

menccracnt  et  qui  ne  devait  pas  avoir  de  fin  ».  dit. 

„         .       .,     .           ,                      .     .             ,.  Mariages.  —  Fréquence  des  mariages  (ou  nup- 

II  est  mutile  do  guiUemetcr  les  citations  souli-  tialité).  —    Cette   fréquence   est    en  France   de 

gnees  ou  imprimées  en  italique,  les  citations  en  g  mariages  annuels   par   1000   habitants   de    tout 


vers  intercalées  dans  de  la  prose,  car  dans  ces  cas 
la  difîérence  de  caractère  détache  suffisamment  la 
citation. 

Quand  une  citation  est  renfermée  dans  une  au- 
tre citation,  il  est  d'usage  de  mettre  un  guillemet 
au  commencement  de  chaque  ligne  : 

L'Éternel  apparut  une  seconde  fois  à  Salomon  et  lui  dit  : 
«  J'ai  sanctifié  cette  maison  que  tu  as  bâtie  pour  y  établir 
mon  nom  à  jamais  ;  si  tu  gardes  mes  commandements 
comme  David  ton  père,  je  conserverai  ta  race  pour  régner 
sur  Israël  ;  mais  si  toi  ou  tes  enfants  vous  adorez  des 
dieux  étrangers,  je  chasserai  Israël  de  cette  terre,  et  il 
deviendra  la  moquerie  des  nations.  Je  rejetterai  loin  de 
moi  ce  temple  élevé  en  mon  nom,  et  quiconque  passera 
devant  ses  ruines  s'arrêtera  étonné  et  dira  :  «  Pourquoi  le 
«  Seigneur  a-t-il  ainsi  frappé  ce  peuple  et  cette  maison? 
«  —  Parce  qu'ils  ont  abandonné  les  voies  de  leur  Dieu  pour 
"  celles  des  divinités  étrangères.  « 

Un  usage  excellent,  et  que  l'on  devrait  adopter 
dans  toutes  les  imprimeries,  consiste  à  commencer 
le  dialogue  par  un  guillemet  ouvert  («);  à  mettre 
ensuite  un  tiret  (— )  h  chaque  changement  d'inter- 
locuteur ;  enfin  à  marquer  la  fin  du  dialogue  par 
un  guillemet  fermé  (»): 

tt  Je  commence,  lui  dis-je,  à  comprendre  votre  double 
vie,  qui  jusqu'à  présent  me  paraissait  inconciliable. 

—  Rien  n'est  plus  simple  cependant,  etl'une  sert  l'autre. 
Quand  les  bras  travaillent,  la  tête  se  repose,  et,  quand  les 
bras  se  reposent,  la  tête  travaille. 

—  Mais...?  Pardon  de  mes  questions. 
■—  Faites. 

—  Étiei-vous  d'une  famille  élevée? 

—  Je  suis  Gis  d'ouvrier. 

—  Vous  avez  reçu  quelque  éducation  au  moins  ? 

—  Aucune. 

—  Qui  vous  a  fait  poète? 

—  Le  malheur.  » 

-^  —  TIRET- 


âge  (ou,  suivant  une  méthode  plus  exacte,  de  28 
mariages  pour  1000  habitants  non  mariés  et  en 
âge  de  l'être  :  de  li)  à  (iO  ans).  Cette  proportion 
est  assez  satisfaisante.  Pourtant  l'Angleterre  dé- 
passe la  France  sous  ce  rapport  (.32  mariages  au 
lieu  de  2K)  ;  elle  a  sur  nous  un  avantage  plus  pré- 
cieux :  c'est  que  les  Anglais  se  marient  plus  jeu- 
nes que  les  Français  (âge  moyen  des  garçons  :  25 
en  Angleterre,  28  en  France  ;  âge  moyen  des 
filles  :  24  ans  au  lieu  de  25).  De  plus,  les  mariages 
disproportionnés  sont  plus  rares  chez  eux  que 
chez  nous.  Mais  la  grande  supériorité  des  époux 
anglais,  celle  qui  assure  dans  l'avenir  la  grandeur 
de  leur  patrie,  c'est  qu'ils  ont  plus  d'enfants  que 
les  Français.  C'est  un  point  sur  lequel  nous  au- 
rons à  revenir. 

On  a  observé  que  la  fréquence  des  mariages 
augmente  quelque  peu  dès  que  les  aflaires  (indus- 
trielles, mais  surtout  agricoles)  sont  prospères. 
Au  contraire,  elle  diminue  si  la  récolte  est  mau- 
vaise, ou  si  quelque  crise  pèse  sur  le  pays;  mais 
les  fiancés  dont  une  mauvaise  année  a  retardé  la 
mariage  le  concluent  généralement  l'année  sui- 
vante :  aussi  trouve-t-on  que  les  années  qui  sui- 
vent une  mauvaise  récolte  sont  généralement 
remarquables  par  une  forte  nuptialité. 

Les  pays  pauvres  (Bretagne,  Gévennes,  Alpes) 
comptent  généralement  peu  de  mariages;  il  en  est 
de  même  du  Nord  et  de  la  Normandie. 

Influence  du  mariage  sur  la  santé  physique  et 
morale.  —  La  démographie  établit  entre  l'homme 
marié,  le  célibataire  et  le  veuf  de  profondes  dif- 
férences, qui  sans  elle  ne  pourraient  être  soup- 
çonnées :  les  hommes  mariés  meurent  moins  vite 
que  les  célibataires,  et  ceux-ci  meurent  moins  que 
les  veufs.  Et  cette  différence  est  tellement  forte 
'  qu'on  calcule  que  les  célibataires  de  25  ans  meu- 
Dans  le  dialogue  non  divisé  en  alinéas  on  em-  1  rent  dans  les   mêmes  proportions   que  les   gens 


ploie  le  tiret  ( — )  pour  éviter  la  répétition,  souvent 
fastidieuse,  des  locutions  dit-il,  répondit-il.  reprit- 
il,  ou  pour  indiquer  le  ctiangement  d'interlocu- 
teur : 

<i   Regardez  bien,  ma  sœur; 
Est-ce  assez?  dites-moi;  n'y  suis-jc  point  encore? 

—  Nenni.  —  M'y  voici  donc?  —  Point  du  tout.  —  M'y 

[voilà? 

—  Vous  n'en  approchez  point.  »  ^ 

On  emploie  quelquefois,  —  et  c'est  là  une  inno- 
vation fort  plausible,  —  le  tiret  à  la  place  des 
parenthèses  : 

Ce  jour-là,  —  je  n'aurai  garde  de  l'oublier  jamais,  — 
c  était  le  9  septembre  1854. 

Le  souper  terminé,  les  trois  plus  grandes  sœurs,  —  de 
belles  jeunes  ûlles  de  quinze  à  vingt  ans,  —  reprennent 
allègrement  un  délicat  travail  de  lingerie  ou  une  tapis- 
serie attrayante. 

Nous  venons  de  passer  en  revue  la  série  com- 
plète des  règles  de  la  ponctuation.  Ces  règles  ne 
sont  pas  difficiles  à  comprendre,  et  les  exemples 
qui  les  éclairent  en  faciliteront  l'application.  En 
terminant  cette  étude,  nous  croyons  doue  pouvoir 
dire  comme  Etienne  Dolet  :  «  Si  tu  entends  et  ob- 
2°  Partie. 


mariés  de  45  ans  1  Les  veufs  sont  encore  plus  mal 
partagés  que  les  garçons,  et  l'on  peut  bien  dire, 
en  thèse  générale,  qu'ils  meurent  deux  fois  plus 
que  les  gens  mariés  du  même  âge.  Dans  ce  qtii 
précède,  nous  ne  considérons  que  les  hommes. 
Pour  les  femmes,  les  mêmes  lois  se  vérifient,  mais 
avec  moins  de  netteté. 

Il  est  pourtant  un  âge  où  le  mariage,  loin  d'être 
favorable,  est  nuisible  :  c'est  pour  les  très  jeunes 
gens.  Un  homme  de  18  à  20  ans  n'est  apparemment 
pas  assez  développé  pour  se  marier;  s'il  commet 
cette  erreur.il  décuple  sa  mortalité;  les  jeunes  veufs 
(ils  sont  rares  heureusement)  sont  encore  plus 
frappés. 

Dire  que  les  célibataires  sont  plus  exposés  à  la 
mort,  c'est  indiquer  qu'ils  sont  plus  exposés  à  la 
maladie.  C'est  en  effet  ce  qui  résulte  des  chiffres 
assez  rares  ((u'on  a  sur  ce  sujet. 

L'influence  du  mariage  sur  le  moral  de  l'homme 
est  encore  plus  grande  que  sur  la  mort.  La  folie 
est  plus  fréquente  chez  les  célibataires,  et  surtout 
chez  les  veufs,  que  chez  les  époux.  Do  même 
pour  le  crime;  M.  Bertillon  père,  à  ([ui  sont  dus 
la  plupart  de  ces  calculs,  a  prouvé  plus  encore  : 
les  époux  qui  ont  des  enfants  coininet.l/'nt  moins 
lOG 


POPULATION 


—  1682  — 


POPULATION 


de  crimes  (18  crimes  pour  lUUOuO  époux  avec 
enfants)  que  ceux  qui  n'en  ont  pas  (28  crimes). 
De  mÈme  les  veufs  qui  ont  des  enfants  sont  moins 
portés  aux  idées  criminelles  que  ceux  qui  n'en 
ont  pas.  Quel  enseignement  moral  ressort  de  ces 
chiffres,  et  qu'ils  démontrent  avec  évidence  la 
sainteté  de  la  famille! 

Les  femmes  commettent  toujours  moins  de 
crimes  que  les  hommes.  Mais,  parmi  elles  aussi, 
on  observe  les  différences  que  nous  venons  de 
noter  pour  les  hommes. 

Un  document  suédois  permet  d'étudier  l'in- 
fluence de  la  famille  sur  la  tendance  au  sui- 
cide :  tandis  que  l'envie  de  se  tuer  reste  un  phé- 
nomène rare  chez  les  gens  mariés,  elle  aug- 
mente avec  l'âge  chez  les  célibataires  et  les  veufs, 
et  finit  chez  eux  par  être  une  cause  de  mort  assez 
fréquente  ;  les  différences  deviennent  prodigieu- 
ses à  la  fin  de  la  vie  (ly  suicides  sur  lOuOOU 
époux,  333  pour  les  non  mariés!).  La  présence  des 
enfants  a  sur  la  tendance  au  suicide  la  même  in- 
fluence salutaire  que  sur  le  crime.  —  Mêmes  dif- 
férences pour  les  femmes,  qui  d'ailleurs  ont  moins 
de  tendance  au  suicide  que  les  liommes. 

Ainsi  nous  voyons  que  le  célibataire  parait  être 
le  plus  souvent  un  être  malheureux,  plus  exposé 
à  la  mort,  à  la  maladie,  et  aux  tentations  mau- 
vaises. L'homme  (et  la  femme  jusqu'à  un  certain 
degré;  gagne  considérablement  au  mariage.  Si  les 
individus  y  gagnent,  la  nation  y  gagne  plus  en- 
core. 

Conditions  individuelle!:  qui  favorisent  le  ma- 
riaye.  —  Ces  conditions  sont  nombreuses  et  elles 
sont  encore  assez  mal  connues  au  point  de  vue 
statistique.  Nous  n'en  mentionnerons  (ju'une  : 
c'est  que  les  veufs  (et  jusqu'à  un  certain  point 
les  divorcés;  se  marient  beaucoup  plus  volontiers 
que  ceux  qui  ne  connaissent  pas  le  mariage  par 
expérience.  (Pour  les  femmes,  le  fait  se  vérifie, 
mais  moins  exactement.)  Il  semble  que  les  veufs 
sentent  eux-mêmes  qu'ils  sont  dans  une  condition 
mauvaise,  ain^i  que  nous  l'avons  montre  tout 
à  l'heure.  Un  document  alsacien  prouve  que  leur 
second  mariage  se  fait  généralement  très  peu  de 
temps  après  la  mort  de  la  première  femme.  Un 
document  de  Berlin  montre  en  outre  que  les  di- 
vorcés se  remarient  à  vrai  dire  peu  de  temps 
après  la  dissolution  du  premier  mariage,  mais  non 
pas  plus  vite  que  les  veufs. 

Naissances.  —  Les  naissances  ne  sont  pas  assez 
nombreuses  en  France.  Elles  sont  plus  rares  qu'en 
aucun  pays  de  l'Europe;  loOO  femmes  mariées  pro- 
créent par  an  :  13C  enfants  en  Angleterre,  13(1  en- 
viron en  Belgique,  en  Hollande,  etc.,  160  en  Prusse 
et  lU'i  seulement  en  France  !  On  compte  souvent 
la  nutalité  (proportion  des  naissances)  en  compa- 
rant le  nombre  des  enfants  à  la  population  totale  ; 
cette  méthode,  moins  exacte  que  la  précédente, 
donne  d'ailleurs  des  résultats  analogues  à  ceux 
qu'on  vient  de  lire  ;  20  naissances  en  France  et 
38  en  Prusse  pour  1000  habitants.  Au  siècle  der- 
nier, la  natalité  française  était  d'environ  40  pour 
1000  hab.,  à  peu  près  ce  qu'elle  est  en  Prusse 
aujourd'hui.  Depuis  le  commencement  du  siècle, 
elle  n'a  fait  que  décliner,  en  sorte  que  la  popula- 
tion française  ne  s'accroit  presque  plus  (3,5  hab. 
pour  1000  et  par  an). 

Le  département  le  plus  fécond  de  France  est  le 
département  du  Nord  (136  naissances  pour  IdOO 
femmes  de  15  à  50  ans)  ;  mais  il  est  le  seul  dont  la 
natalité  ressemble  à  celle  des  autres  pays  de  l'Eu- 
rope. La  rareté  des  naissances  est  un  mal  répandu 
à  peu  près  dans  toute  la  France.  C'est  surtout  en 
Normandie  et  dans  la  vallée  de  la  Garonne  (Lot- 
et-Garonne,  Gers,  etc. I  qu'on  l'observe.  Au  con- 
traire, la  Bretagne,  certaines  parties  des  Céven- 
nes,  l'Alsace,  présentent  un  nombre  plus  grand 
de  naissances. 


M.  BertiUon  père  a  observé  que  les  départe- 
ments dans  lesquels  la  propriété  est  le  plus  divi- 
sée sont,  en  général,  plus  inféconds  que  les  autres, 
ce  qui  confirme  l'opinion  que  l'observation  indi- 
viduelle a  suggérée  à  beaucoup  dauteurs  :  c'est 
que  cette  infécondité  est  en  rapport  avec  le  désir 
qu'ont  beaucoup  de  familles  d'éviter  le  partage  de 
leur  héritage.  Ce  qui  prouve  que  la  rareté  des 
naissances  n'est  pas,  chez  les  Français,  un  attri- 
but de  leur  race,  c'est  leur  fécondité  au  siècle 
passé  ;  c'est  aussi  ce  fait  que,  transporlés  dans  un 
pays  moins  rempli  que  le  nôtre,  tel  que  le  Canada, 
ou  même  que  l'Algérie,  leur  fécondité  devient 
beaucoup  plus  grande. 

Si  l'on  considère  la  natalité  à  un  point  de  vue 
plus  général,  on  voit  que  ce  qui  règle  le  nombre 
des  naissances,  c'est  (jusqu'à  un  certain  point)  la 
quantité  de  vivres  disponibles  :  a  Là  où  naît  un 
pain,  nait  un  homme.  »  Et  inversement,  liélas  : 
Cl  Là  où  disparaît  un  pain,  disparaît  un  homme.  » 
Telle  est  la  formule  générale.  C'est  donc  avec 
raison  qu'on  a  comparé  la  société  à  un  banquet 
où  aucune  place  ne  reste  jamais  vide  :  dès  qvi'un 
convive  disparaît,  par  la  mort  ou  par  l'émigration, 
sa  place  est  prise  soit  par  un  immigrant,  soit  par 
un  nouveau-né.  Par  exemple,  si  une  mauvaise  ré- 
colte, ou  une  épidémie,  ou  une  guerre  a  fait  périr 
un  grand  nombre  d'hommes,  on  peut  être  sûr  que 
pendant  les  années  suivantes  la  natalité  augmen- 
tera, en  sorte  que  les  places  qu'ils  ont  laissées 
vacantes  seront  occupées  très  rapidement.  De 
même,  si  une  bonne  récolte,  une  année  indus- 
trielle prospère,  augmente  le  nombre  des  places 
disponibles  au  banquet  de  la  vie,  elle  sera  tou- 
jours marquée  par  une  augmentation  do  nais- 
sances. 

Du  même  principe  résulte  que,  si  un  pays  four- 
nit beaucoup  d'émigrants  (tels  sont  l'Angleterre, 
l'Allemagne,  et  depuis  peu  les  pays  Scandinaves), 
les  places  que  ces  émigrants  laissent  vacantes  se- 
ront rapidement  occupées  au  moyen  de  naissances 
plus  nombreuses  ;  et  c'est  en  efl'et  ce  qu'on  ob- 
serve. Au  contraire,  si  un  pays  jusque  là  migra- 
teur cesse  subitement  d'envoyer  au  loin  des  émi- 
grants, sa  natalité  ne  tardera  pas  à  baisser  (ce 
qu'on  a  observé  en  Suisse). 

Si  un  pays,  jusque-là  stérile,  devient  productif, 
aussitôt  il  se  peuple,  soit  parce  que  des  colons 
vont  s'y  établir,  soit  parce  que  sa  natalité  aug- 
mente, et  le  plus  souvent  par  les  deux  procédés 
simultanément.  Tel  est,  par  exemple,  le  Canada, 
où  de  nombreux  colons  anglais  vont  s'établir  cha- 
que année,  et  où  la  fécondité  est  en  outre  très 
considérable. 

Exceptions  au  principe  de  l'cgualion  des  suti- 
sistances.  —S'il  en  est  ainsi  au  Canada,  c'est  que 
le  Canada  est  un  pays  salubre  pour  notre  race. 
Mais  en  Inde  ou  en  Cochinchine,  les  subsistances 
disponibles  auront  beau  être  abondantes,  la  nata- 
lité des  hommes  de  notrerace  n'en  sera  pas  accrue, 
parce  que  ces  climats  sont  pour  nous  rapidement 
mortels.  L'Algérie  a  beau  être  un  pays  fertile,  les 
hommes  du  midi  de  l'Europe  (Provençaux,  Italiens, 
Espagnols)  sont  les  seuls  qui  y  aient  beaucoup 
d'enfants,  tandis  que  les  Allemands  y  ont  une  na- 
talité inférieure  à  celle  de  leur  pays  et  n'y  élèvent 
pas  le  peu  d'enfants  qu'ils  y  ont,  parce  que  le  sol 
africain  ne  convient  pas  à  leur  race.  Ainsi  le 
climat  a  sur  la  natalité  une  influence  plus  grande 
que  l'abondance  des  subsistances. 

La  quantité  de  subsistances  nécessaire  à  1  en- 
tretien d'une  population  varie  d'ailleurs  avec  le 
climat,  avec  la  race,  avec  le  degré  de  culture  do  la 
population  considérée  :  par  exemple  la  Sicile 
nourrit  une  population  très  abondante,  quoique 
elle  soit  moins  riche  que  la  France,  mais  aussi 
laut-il  très  peu  de  chose  pour  nourrir  un  Sicilien, 
paresseux  et  inactif;  au  contraire,  un  paysan  ou 


i 


POPULATION 


—  1683  — 


POPULATION 


un  ouvrier  normaïul  consomme  beaucoup  plus  :  il 
est  vrai  qu'il  travaille  bi'aucoup  plus  aussi. 

En  résumé,  ou  peut  dire  que  le  nombre  des 
liommes  dépond  de  la  quantité  de  substances  ali- 
mentaires qu'ils  savent  tirer  du  sol:  l'industrie 
règle  moins  le  nombre  dos  liommes  que  leur  ré- 
partition sur  la  surface  du  sol  (ils  tendent  naturel- 
lement h  se  masser  dans  les  régions  industrielles). 
Eu  général,  la  population,  dans  un  climat  salubre, 
et  toutes  choses  égales  d'ailleurs,  tend  à  se  pro- 
portionner aux  subsistances  disponibles. 

Propurtion  des  sexes.  —  Il  nait  un  peu  plus  de 
garçons  que  de  filles  (lOG, 6  garçons  pour  lllO  filles), 
et  cela  est  fort  heureux,  car  les  garçons  meurent 
beaucoup  plus  que  les  filles  dans  les  premières 
années,  en  sorte  que  l'équilibre  entre  les  deux 
sexes  s'établit  dans  le  cours  de  la  vie.  Parmi  les 
naissances  illégitimes,  la  proportion  des  garçons 
est  toujours  un  peu  moins  considérable  (104).  La 
position  sociale  des  parents,  leur  âge,  leurs  mœurs 
modifient  ce  rapport  d'une  façon  curieuse,  mais 
que  nous  ne  pouvons  étudier  ici.  En  général  plus 
le  père  est  fort  et  bien  portant,  plus  la  naissance 
Q  un  garçon  parait  probable. 

Natalité  illégitime.  —  En  France  1000  filles  et 
veuves  de  15  à  50  ans  produisent  chaque  année 
18  naissances  illégitimes  :  c'est  une  proportion  qui 
n  est  pas  très  considérable  (elle  est  plus  forte  dans 
les  villes,  plus  faible  dans  les  campagnes),  et  qui, 
contrairement  à  ce  qu'on  écrit  souvent,  est  infé- 
rieure à  celle  qu'on  rencontre  en  Allemagne, 
même  dans  l'Allemagne  du  Nord  (Prusse  25). 
L  Allemagne  du  Sud  et  surtout  l'Autriche  propre 
sont  les  pays  d'Europe  où  les  naissances  illégi- 
times sont  le  plus  nombreuses.  Dans  beaucoup 
de  villes  autrichiennes,  la  moitié  des  naissances 
sont  illégitimes  (à  Paris,  le  quart  seulement,  soit 
&3  naissances  pour  1000  femmes  non  mariées  de 
15  a  50  ans;. 

Les  naissances  illégitimes  sont  beaucoup  plus 
freqvientes  dans  le  nord  et  l'est  de  la  France 
j25  il  :tO  naissances  pour  1000  filles)  que  dans 
le  midi  {:,  à  10  naissances).  On  remarque  que  la 
région  ou  les  naissances  illégitimes  sont  le  plus 
■nombreuses  sont  aussi  celles  où  les  légitimations 
sont  le  plus  fréquentes  pa;-  rapport  aux  nais- 
sances  lltf/itt'tiei. 

La  natalité  illégitime  est  plus  forte  dans  les 
villes  que  dans  les  campagnes;  plus  forte  dans 
les  pays  industriels  que  dans  les  contrées  agri- 
tPsL'i,  "  n'  '^""'r  ''"''  "'^  catholiques  et  les  pro- 
estants allemands  que  chez  les  Juifs,  etc.  On  ne 
la  malheureusement  pas  étudiée  suivant  les  con- 
ditions sociales  et  les  professions. 
rTr,°n«'"^^'  ~  °"  ^PV'Me  leur  proportion  par 
p:PP  u  ",""  naissances  mor/i-natalité.  Dans  ces 
ou  enf :„;  '=°""<="'  félimin^-r  les  faux  mort-nés, 
î'Vscr  nit^  ''  T^'  1  accouchement,  mais  avan 
obspri/o  p  '"'■  '^  '■^S's^'-e  des  naissances.  On 
Observe  en  France  les  ciiiffres  suivants  : 


Mort-nés  sur  1000  naissances. 

garçons 37 

filles 26 

2  sexes 32 

garçons 08 

filles 57 

2  sexes 62 


Parmi  les  légitimes... 
Parmi  les  illégitimes 


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ces  prétendus  mort-nés  illégitimes  sont  dûs 
tout  simplement  à  des  infanticides.  Le  fait  est 
incontestable  au  moins  pour  une;  grande  par- 
tie d'entre  eux.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que  la 
fermeture  des  derniers  tours  a  augmenté  du  tiers 
la  proportion  des  mort-nés  illégitimes. 

Mortalité.  —  On  ne  devrait  jamais  étudier  la 
mortalité  générale  sans  distinction  d'âges.  Cette 
mesure  (sur  100  Iiab.,  combien  de  décès)  est 
trompeuse,  et  le  plus  souvent  inutile. 

C'est  par  âges  que  doit  être  étudiée  la  morta- 
lité d'un  peuple  quand  on  veut  prendre  idée  des 
conditions  de  salub-'té  dans  lesquelles  il  se  trouve. 
C'est  un  point  de  méthode  élémentaire  qui  pour- 
tant a  trompé  beaucoup  d'auteurs;  mais  nous  ne 
pouvons  le  prouver  ici.  Le  tableau  suivant  donne 
les  principaux  éléments  de  la  mortalité  des 
Français  : 

Sur  1000  rii.'a7its  de  char/ne  l'iye  et  de  chaque  sexe, 
combien  de  décès  par  an. 
Ans.  Masc.  Fém.         2  scxess 

0  à  1 23C,0 197,0 2:5,0 

1  à  5 34,8 3i,5....     34,6 

5  à  15   6,8 7,G 7,2 

15  h  30 8,7 8,6....       8,6 

30  à  60.......     13,1 12,7...,     12,9 

60  à  la  mort..     G7,8 68,4 08,2 

Mortalité  des  enfants  de  0  «  1  an.  —  La  mor- 
talité à  cet  âge  est  sans  doute  très  considérable, 
puisque  un  enfant  qui  vient  de  naître  a  autant  de 
chances  do  mourir  qu'un  vieillard  de  88  ans.  Ce- 
pendant, il  faut  reconnaître  que,  chez  la  plupart 
des  nations  étrangères,  ia  mortalité  h  cet  âge  est 
plus  forte  encore  que  dans  notre  pays.  Dans  plu- 
sieurs parties  de  l'Allemagne,  près  du  tiers  des 
enfants  meurent  dans  la  première  année  delà  vie. 
Au  contraire,  les  pays  Scandinaves  en  perdent 
beaucoup  moins  que  nous. 

Parmi  les  causes  qui  aggravent  la  mortalité  des 
jeunes  enfants,  il  faut  citer  l'industrie  des  nour- 
rices mercenaires,  surtout  quand  elles  allaitent 
au  petit  pot  les  enfants  qui  leur  sont  confiés. 
Les  aliments  solides  leur  sont  encore  plus  funes- 
tes. Le  lait  de  vache  est  impropre  h  nourrir  les 
enfants,  parce  qu'il  contient  trop  de  caséine. 
Le  lait  des  carnivores  serait  peut-ôtre  meilleur. 
C'est  pour  surveiller  les  nourrices  et  étudier  la 
mortalité  des  jeunes  enfants  qu'a  été  votée  la  loi 
du  23  déc.  1.S74  (loi  Th.  Roussel).  C'est  surtout 
autour  de  Paris,  en  Normandie,  en  Champagne, 
en  Bourgogue  que  s'exerce  cette  fuueste  indus- 
trie ;  aussi  la  mortalité  y  est-elle  énorme,  tandis 
qu'elle  est  faible  daus  la  Basse-Normandie,  dans 
quelques  départements  du  centre  et  dans  U 
vallée  de  la  Garonne. 

Notre  tableau  montre  que  les  petits  garçons 
sont  beaucoup  plus  exposés  à  la  mort  que  les  pe- 
tites filles.  11  est  assez  singulier  que  ce  soit  jus- 
tement k  l'âgo  où  le  sexe  est  le  moins  apparent 
que  son  influence  sur  la  maladie  soit  le  plus  forte. 

C'est  surtout  la  diarrhée  et  la  méningite  (dont 
les  convulsions  sont  souvent  les  symptômes)  qui 
font  périr  les  jeuues  enfants.  Ces  maladies  sont 
surtout  fréquentes  en  été.  Eu  hiver,  la  pneumo- 
nie fait  mourir  beaucoup  d'enfants.  Mais  cette  ma- 
ladie est  moius  redoutable  que  les  deux  premiè- 
res. Aussi  la  mortalité  est  double  en  juillet  de  ce 
qu'elle  est  en  décembre,  et  l'on  peut  dire  que  les 
enfants  à  la  mamelle  craignent  deux  fois  plus  la 
chaleur  que  le  froid;  ce  qui  est  contraire  au 
préjugé  public  et  môme  aux  doctrines  médicale» 
classiques. 

Si,  au  lieu  de  considérer  la  mortalité  de  l'an- 
née entière,  on  étudie  avec  plus  de  détail  l'âge 
des  enfants,  on  trouve  qu'ils  meurent  d'autant 
moins  que  leur  âge  est  plus  avancé.  11  semble  que 


POPULATION 


1684 


PORC 


la  naissance  soit  une  opération  critique  dont  ils 
se  rétablissent  progressivement. 

La  mortalité  des  enfants  illégitimes  est  énorme 
dans  notre  pays.  En  France  (et  en  France  seule- 
ment!), elle  est  double  de  celle  des  légitimes. 
La  mortalité  de  ces  enfants  malheureux  est  wr- 
tout  énorme  dans  les  premières  semaines  qui 
suivent  la  naissance,  et  principalement  pendant 
la  seconde  semaine.  Cette  circonstance  et  quel- 
ques autres  encore  font  penser  que  c'est  la  faim 
qui  les  fait  périr.  Est-ce  faute  de  lait,  est-ce  au 
contraire  volontairement  que  les  filles  mères 
manquent  souvent  h  nourrir  leurs  enfants?  11  se- 
rait délicat  de  se  prononcer  sur  ce  point.  Quelle 
que  soit  la  solution ,  l'enfant  n'en  meurt  pas 
moins,  et  la  cause  première  de  sa  mort  est  tou- 
jours la  misère. 

Moitittilé  de  làb  ans.  —  Les  enfants  de  cet  âge 
meurent  dans  des  proportions  effrayantes  autour 
de  la  Méditerranée  :  tandis  que  leur  mortalité  est 
de  20  à  25  p.  1011  dans  le  reste  de  la  France,  elle 
atteint  autour  de  cette  mer  les  cliiffres  inouïs 
de  50,  GO  et  même  80!  «  Il  semble,  dit  M.  Bertil- 
lon,  que  de  cette  mer  d'azur  s'clève  je  ne  sais 
quelle  vapeur  funeste  qui  répand  la  mort  autour 
d'elle,  et  tue  l'enfant  k  son  âge  le  plus  gracieux 
et  le  plus  charmant.  »  Mais  ce  n'est  là  qu  une 
ligure  de  rhétorique.  Quelle  est  la  cause  qui  de- 
cime  ainsi  la  population  infantile  de  la  Provence 
et  du  Languedoc  ?  On  n'en  sait  absolument  rien. 
Elle  coûte  chaque  année  15  00  jeunes  enfants  à 
notre  pays  (non  compris  ceux  dont  la  mortalité 
normale  faisait  prévoir  la  mort).  _ 

Mortalité  de  b  à  15  ans.  —  C'est  à  lage  de  10 
;\  15  ans  que  la  mortalité  atteint  son  minimum. 

Murtalilé  de  15  à  30  aiis.  —  La  mortalité  à  cet 
âge  est  plus  forte  en  France  qu«  dans  la  plupart 
des  autres  pays  de  l'Europe.  C'est  à  la  mortalité 
des  jeunes  hommes  de  20  à  '2b  ans  que  cette  fu- 
neste aggravation  est  due.  On  ne  sait  comment 
expliquer  cette  mortalité  si  anormale.  Elle  est 
plus  forte  encore  parmi  les  militaires  que  parmi 
les  autres  hommes.  La  phtisie  est  à  cet  âge  la  prin- 
cipale cause  de  mort.  ,  , 

Moi-la/ité  lie  :i0  à  60  ans.  —  La  mortalité  à  cet 
âge  est  plus  faible  en  France  que  dans  la  plupart 
des  pays  de  l'Europe.  Plus  nous  avançons  en  âge 
et  plus  nous  l'emportons  sur  nos  voisins.  C'est 
surtout  en  Champagne,  en  Bourgogne,  en  Nor- 
mandie, dans  le  bassin  de  la  Garonne,  que  la 
mortalité  est  faible.  Elle  est  considérable  au  con- 
traire en  Bretagne,  dans  le  Centre,  dans  les  Alpes 
et  dans  la  Provence.  Les  saisons  n'ont  sur  la  mor- 
talité des  âges  aduhes  qu'une  action  peu  pro- 
noncée. „      ,    ,      ■  i       . 

Mortalité  de  60  ans  à  la  fin  de  la  vie.  —  A  cet 
âge  la  mortalité  est  moindre  en  France  que  dans  au- 
cun autre  pays  (la  Norvège  exceptée).  Ce  sont 
surtout  la  Champagne  et  la  Bourgogne  qui  se  font 
remarquer  par  leur  faible  mortalité.  Les  vieillards 
meurent  surtout  par  les  maladies  des  organes  res- 
piratoires :  aussi  est-ce  particulièrement  l'hiver 
qui  leur  est  funeste  :  plus  ils  sont  vieux  et  plus 
le  froid  leur  est  nuisible. 

Migrations.  —  De  tous  les  pays,  ce  sont  les 
îles  Britanniques  et  l'Allemagne  qui  fournissent  la 
plus  forte  proportion  d'émigrants.  Chaque  année 
250  0(10  Anglais  et  lOOOilO  Allemands  quittent  leur 
pays  pour  aller  chercher  fortune  au  loin.  Les 
Allemands,  n'ayant  pas  de  colonies  à  eux,  sont 
obligés  d'aller  chez  les  autres,  et  là  ils  oublient 
généralement  assez  vite  leur  langue  et  leur  pa- 
trie. 11  n'en  est  pas  de  même  des  Anglais. 

Grâce  à  la  loi  de  l'équation  des  subsistances  ex- 
pliquée plus  haut  :  1°  l'émigration  anglaise  a  pour 
effet  de  stimuler  la  natalité  des  îles  Britanniques; 
2°  arrivés  dans  leur  nouvelle  patrie  (Amérique  ou 
Australie),   les    colons,    trouvant  devant  eux   desJ 


immenses   ressources   naturelles  non  exploitées, 
ont  une  fécondité  souvent  prodigieuse. 

Ainsi  l'émigration  ne  diminue  pas  la  population 
de  la  mère  patrie  (sauf  en  Irlande,  mais  1  Irlande 
est  dans  une  position  particulièrement  malheu- 
reuse), et  accroît  énormément  celle  des  colonies. 
On  compte  aujourd'hui,  dans  les  cinq  parties  du 
monde,  SO  millions  d'individus  parlant  anglais, 
mais  il  est  impossible  de  deviner  combien  il  y  en 
aura  dans  un  siècle.  On  peut  seulement  assurer 
que  ce  nombre  sera  énorme.  Au  commencement 
du  siècle,  cette  langue  n'était  parlée  que  par 
15  millions  d'hommes  environ. 

L'accroissement  de  notre  nationalité  est  mal- 
heureusement loin  d'être  aussi  rapide.  Nous  étions 
26  à  21  millions  au  commencement  du  siècle,  et 
nous  sommes  31  millions  aujourd'hui  :  cela  cons- 
titue une  bien  faible  augmentation  ;  notre  popu- 
lation, qui  formait  alors  2"  pour  100  de  la  popu- 
lation des  grandes  puissances,  ne  compte  au- 
jourd'hui que  dans  la  proportion  de  H  pour  100. 
Tel  est  le  résultat  lamentable  de  la  faible  natalité 
que  nous  signalions  tout  h  l'heure. 

Le  grand  malheur  de  notre  nation,  c  est  de  ne 
tirer  aucun  parti  de  notre  grande  colonie  algé- 
rienne, où  près  de  la  moitié  des  immigrants  sont 
des  étrangers.  Si  ce  beau  pays  était  le  but  d  un 
courant  colonisateur  sérieux,  on  peut  espérer  que 
notre  natalité  se  relèverait,  et  que  le  nombre  de 
nos  concitoyens  augmenterait  de  manière  à  assurer 
à  la  France  la  puissance  militaire,  la  puissance 
économique,  et  surtout  la  puissance  intellectuelle 
dont  elle  a  joui  jusqu'à  ce  jour. 

[Jacques  BertiUon.] 

PORC  ET  KACES  PORCINES.  —  Agricul- 
ture, XV.— Le  porc  se  place,  au  point  de  vue  de 
l'importance  agricole,  au  même  rang  que  le  bœuf 
et  le  mouton;  on  pourrait  même  dire  qu  il  a  une 
plus  grande  importance,  â  raison  de  sa  diffusion 
dans  l'immense  majorité  des  exploitations  rurales. 
C'est  surtout  à  cause  de  sa  croissance  et  de  sa 
multiplication  rapides,  comme  du  peu  d  entretien 
qu'il  réclame,  que  le  porc  est  estimé  par  tous  les 
cultivateurs;  dans  les  plus  petites  habitations  ru- 
rales, on  trouve  moyen  de  l'entretenir  et  d  en  tirer 

''"'est  exclusivement  pour  la  consommation  de 
sa  viande  que  le  porc  est  élevé.  Tout,  dans  le 
corps  de  cet  animal,  peut  être  considère  comme 
produit.  Non  seulement  la  viande  du  tronc  et  des 
membres,  et  la  graisse  qu'ils  renferment  et  qu  on 
appelle  lard,  mais  encore  les  pieds,  la  tète,  la 
queue,  le  poumon,  le  foie,  entrent  dans  1  ahmen- 
tation.  L-s  intestins  servent  à  fabriquer  des  sau- 
cisses et  des  boudins,  pour  lesquels  on  fait  usage 
du  sang  de  l'animal.  Les  poils  ou  soies  du  porc 
sont    recherchés   par   l'industrie   pour  faire  des 

"^Différentes  dénominations  ont  été  données  au 
porc  suivant  son  âge  et  son  sexe:  les  jeunes  porcs 
sont  appelés  </o,-e(s  ou  porcelets;  les  maies  repro- 
ducteurs sont  dits  verrats,  et  les  femelles  sont 
désignées  sous  le  nom  de  truies. 

Les  variétés  nombreuses  de  races  porcines  que 
l'on  rencontre  dans  les  exploitations  rurales  doi-  . 
vent  être  rapportées  à  un  certain  nombre  de 
types  originaires  qui  forment  autant  d  espèces. 
Pendant  longtemps,  on  a  admis  que  le  porc  do- 
mestique dérive  du  sanglier:  cette  liyP«t''fe  ne 
peut  être  soutenue  depuis  que  les  recherches  de 
M.  Sanson  ont  démontré  que  le  sanglier  et  les  di- 
verses espèces  de  porcs  n'ont  pas  le  même  nombre 

Trois  types  primordiaux  paraissent  être  les  ori- 
gines de  touies  les  variétés  de  porcs.  Dans  sa 
classification  zootechnique,  que  nous  avonsadoptce 
ici,  M.  Saiison  I  s  .nppelle  :  race  asiatique,  race 
ccliique  et  race  ibérique. 


PORC 


1685  — 


PORC 


La  raco  asiatique,  qu'on  a  souvent  appelée  race 
•cliinoiso,  se  distingue  par  un  front  large  et  plat, 
un  profil  de  la  tête  anguleux,  une  face  large  et 
très  camuse,  des  oreilles  courtes,  étroites  et 
drossées,  un  col  épais  et  court,  un  corps  cylin- 
drique, dos  membres  courts  et  peu  volumineux, 
et  par  conséquent  une  taille  toujours  petite,  une 
peau  plus  ou  moins  pigmentée  suivant  les  indivi- 
dus. Cette  race,  importée  en  Europe,  a  créé  de 
nombreuses  races  métisses  avec  les  autres  races 
porcines. 

La  race  celtique  est  caractérisée  par  une  tcte 
relativement  forte,  une  face  allongée,  un  groin 
large  et  épais,  des  oreilles  larges  ei  tombantes, 
un  corps  très  allongé,  un  dos  voûté,  étroit  et 
même  tranchant,  des  membres  longs,  volumineux, 
fortement  musclés,  des  soies  grossières  et  abon- 
dantes, une  peau  de  nuance  rosée,  dépourvue  de 
pigment.  Les  animaux  de  cette  race  sont  de  grande 
taille;  les  femelles  sont  très  prolifiques.  Leur 
lard  est  d'excellente  qualité  ;  d'ailleurs  ces  animaux 
élaborent  plus  de  viande  que  de  graisse.  L'aire  de 
cette  race  paraît  être  la  plus  grande  partie  de 
l'Europe  occidentale;  elle  s'est  principalement  dé- 
veloppée en  France.  Les  principales  variétés  sont  : 
la  variété  craonnoise,  répandue  dans  l'ouest  central 
■de  la  France,  et  qui  se  distingue  par  son  grand 
volume,  la  longueur  de  son  corps,  la  brièveté  re- 
lative de  ses  membres,  la  finesse  de  sa  chair;  la 
variété  mancelte.  à  peu  près  la  même  que  la  pré- 
cédente; la  variété  normande,  à  ossature  plus 
grosse  et  à  membres  plus  développés  que  les  pré- 
cédentes variétés  :  elle  donne  aussi  une  viande 
moins  savoureuse. 

La  race  ibérique  a  pour  caractères  :  une  tête  peu 
forte,  une  face  étroite  à  sa  base,  allongée  et  ef- 
filée, le  groin  petit, les  oreilles  étroites,  allongées 
■et  dirigées  obliquement  en  avant,  presque  hori- 
zontales, le  col  court,  le  corps  de  longueur  moyenne, 
•cylindrique,  à  ligne  dorsale  droite,  les  membres 
Telativement  courts  et  fortement  musclés,  la  peau 
jortement  pigmentée.  Les  animaux  de  cette  race 
sont  doués  d'un  tempérament  vigoureux  et  rusti- 
que ;  ils  donnent  une  viande  très  estimée,  d'une 
saveur  accentuée.  Ce  type  est  originaire  de  l'Europe 
méridionale,  et  il  s'est  répandu  dans  la  plupart 
des  contrées  qui  la  forment.  Les  principales  va- 
riétés qu'il  présente  sont  les  variétés  napolitaine, 
Tomagnole,  toscane,  grecque,  hongroise,  béarnaise, 
•espagnole  et  portugaise  ;  et  en  France,  la  variété 
■bressane,  h  la  tête  relativement  forte,  au  dos 
-voûté,  au  corps  aplati,  aux  membres  longs  et 
grossiers;  la  peau  est  noire,  avec  une  bande 
blanche  ou  jaunâtre  autour  de  la  partie  médiane 
du  corps;  la  variété  du  Quercy,  du  Périgord  pA 
■du  Limousin,  à.  corps  parfois  entièrement  noir, 
mais  présentant  le  plus  souvent  des  taches  blan- 
■ches  plus  ou  moins  abondantes,  donnant  une  chair 
•de  bonne  qualité,  et  s'enfrraissant  assez  facilement; 
les  variétés  gasconn''  et  languedocienne,  plus  tar- 
-dives  et  moins  améliorées  que  les  précédentes  ; 
les  variétés  du  Roussitlon  et  de  la  Provence;  enfin 
3a  variété  béarnaise,  qu'on  rencontre  dans  les 
Pyrénées,  de  couleur  blanche  et  noire,  à  corps 
mince  et  à  membres  un  peu  longs;  cette  variété, 
rustique  et  tardive,  est  celle  qui  donne  les  fa- 
meux jambons  de  Bayonne. 

Les  croisements  entre  ces  types  primordiaux 
ont  amené  la  formation  de  nombreuses  populations 
métisses.  Au  premier  rang  de  celles-ci  se  placent  les 
races  anglaises,  obtenues  par  des  croisements 
multipliés  des  animaux  des  races  locales  avec  la 
race  asiatique  et  la  race  ibérique,  nu  napolitaine, 
l'une  et  l'autre  importées  à  diverses  reprises  dans 
les  îles  Britanniques.  Il  en  est  résulté  une  confu- 
sion absolue  dans  les  types,  si  bien  que  les  races 
ne  sont  plus  distinguées  maintenant,  en  Angleterre, 
•que  par  leur  taille  et  leur  couleur.  Le  plus  grand 


nombre  de  ces  variétés  sont  remarquables  par 
leur  développement  très  rapide,  la  petitesse  des 
membres  et  des  os,  et  par  la  rapidité  avec  la- 
quelle l'animal  s'assimile  les  plus  grandes  quantités 
d'aliments.  Les  principales  parmi  ces  races  sont  : 
la  race  Yorks)nre,  de  taille  très  variable,  à  peau 
blanche,  présentant  tantôt  les  oreilles  dressées, 
tantôt  les  oreilles  rabattues,  d'une  précocité  de 
première  ligne  ;  la  race  Berkshire,  noire  et  blanche, 
rustique  et  féconde,  à  oreilles  petites  et  dressées, 
à  corps  court  et  bien  cylindrique;  la  race  JVeuj- 
Leicester,  à  peau  blanche,  petite,  à  membres  très 
fins,  très  précoce,  mais  d'une  faible  fécondité,  et 
ne  présentant  pas  de  caractères  zootechniques 
constants;  la  race  de  Hampshire,  qui  ne  diffère  de 
celle  de  Berkshire  que  par  un  corps  plus  allongé  et 
un  moindre  perfectionnement;  la  race  d'Essex, 
petite,  à  peau  noire,  à  corps  bien  cylindrique. 
D'autres  populations  métisses  ont  été  formées  ail- 
leurs par  le  croisement  des  races  ibérique  et  cel- 
tique ;  c'est  ainsi  qu'ont  été  formées  notamment 
les  races  lorraine,  westphatienne,  remarquables 
par  la  qualité  de  leur  chair. 

Le  but  principal  cherché  par  les  éleveurs  an- 
glais dans  les  croisements  qui  viennent  d'être  in- 
diqués «lait  d'obtenir  des  animaux  d'un  dévelop- 
pement très  rapide,  et  d'un  rendement  considérable 
en  chair  et  en  graisse.  Ce  but  a  été  complètement 
atteint:  il  faut  toutefois  faire  observer  que,  chez 
ces  porcs,  la  graisse  prédomine  beaucoup  sur  la 
chair,  et  que  celle-ci  est  d'une  qualité  généralement 
inférieure  à  celle  des  porcs  du  continent.  Cette 
considération  n'était  pas  de  nature  à  arrêter  les 
éleveurs  qui  cherchent  à  obtenir  le  plus  grand 
profit.  Aussi  un  grand  nombre  de  reproducteurs 
anglais  ont  été  introduits,  depuis  quarante  ans, 
en  France,  et  dans  les  autres  parties  de  l'Europe  ; 
leur  action  a  eu  pour  résultat  la  création  d'un 
grand  nombre  de  nouvelles  races  métisses,  qui  ont 
pris  à  ces  reproducteurs  leurs  qualités,  mais  aussi 
leurs  défauts.  Ces  races  sont  aujourd'hui  très 
nombreuses.  En  même  temps,  des  efforts  considé- 
rables ont  été  faits  pour  développer,  p.ir  la  sélec- 
tion, la  précocité  des  races  locales,  de  telle  sorte 
que  celles-ci  luttent  aujourd'hui,  parfois  avecavan- 
tage,  contre  l'envahissement  des  croisements  an- 
glais, tout  en  ayant  gardé  les  qualités  primordia- 
les de  leur  chair  et  de  leur  lard . 

Les  caractères  que  l'on  doit  trouver  dans  un 
beau  porc  sont  les  suivants  :  le  dos  sera  très 
large,  depuis  le  cou  jusqu'à  la  queue,  ce  qui  en- 
traîne nécessairement  la  largeur  des  épaules  et 
celle  des  reins;  le  tronc  doit  avoir  une  grande  pro- 
fondeur, et  se  terminer  supérieurement  et  infé- 
rieurement  par  une  ligne  droite;  les  côtes  doivent 
être  bien  arquées,  do  sorte  que  les  flancs  affectent 
la  forme  cylindrique  ;  quant  aux  cuisses,  elles  doi- 
vent être  larges  et  bien  développées  ;  les  jambes 
doivent  être  fines  et  courtes  ;  la  tête  doit  aussi 
présenter  beaucoup  de  finesse.  Dans  un  animal 
qui  possède  ces  caractères,  il  y  a  prédominance 
des  parties  les  plus  utiles,  en  vue  de  la  production 
de  la  chair  et  du  lard.  —  Pour  la  truie,  il  faut  ajou- 
ter que  l'abdomen  et  le  bassin  doivent  être  am- 
ples, les  flancs  larges  et  les  mamelles  nombreuses 
et  bien  développées. 

La  durée  de  la  gestation  est,  chez  les  femelles, 
de  lui  à  120  jours.  Elles  peuvent  commencer  à 
porter  dès  l'âge  de  huit  à  dix  mois,  et  faire  ensuite 
deux  portées  par  an  sans  inconvénients  jusqu'à 
l'âge  de  quatre  à  cinq  ans  ;  dans  les  races  préco- 
ces, on  les  conserve  même  moins  longtemps.  On 
prend  le  plus  souvent  ses  mesures  pour  que  les 
petits  naissent  au  printemps  et  à  l'automne.  A 
chaque  poitée,  on  a  de  six  à  dix  petits. 

La  première  nourriture  des  gorets  est  le  lait  de 
leur  mère.  Au  bout  d'une  quinzaine  de  jours,  on 
commence  à  leur  donner  un  peu  de   lait  avec  de 


PORC 


—  1686  — 


PORCELAINE 


la  farine.  La  ration  est  augmenlée  progressive- 
ment jusqu'au  moment  du  sevrage,  qui  se  pratique 
au  bout  de  six  semaines  ou  de  deux  mois.  La  cas- 
tration des  animaux  destinés  à  être  engraissés 
doit  être  faite  un  peu  avant  le  sevrage.  Cette  opé- 
ration est  pratiquée  aussi  bien  pour  les  femelles 
que  pour  les  mâles,  quand  on  ne  veut  pas  les 
faire  servir  i  la  reproduction. 

Le  porc  est,  de  tous  les  animaux  domestiques, 
celui  qu'il  est  le  plus  facile  de  nourrir.  11  absorbe 
les  eaux  grasses  et  une  grande  quantité  de  détritus 
qui  seraient  perdus  sans  son  intervention.  C'est,  à 
ce  point  de  vuo  un  animal  très  précieux,  et,  dans 
un  grand  nombre  d'cxple-tstions,  on  considère  à 
juste  titre  sa  production  comme  n'occasionnant 
presque  aucun  frais.  Les  porcs  mangent  aussi  bien 
les  matières  animales  que  les  matières  végétales  ; 
le  plus  avantageux  est  de  les  méiinge:  les  unes 
aux  autres.  D'un  ^utro  côté,  le  régime  de  l'été 
ne  peut  pas  être  le  môme  que  celui  de  l'iiiver.  En 
été,  les  animaux  sont  nourris  h  la  porcherie  ou  au 
pâturage.  A  la  porcherie,  on  leur  distribue  des 
fourrages  verts,  des  choux,  des  feuilles  de  bette- 
raves, de  carottes;  quant  au  pâturage,  il  est  pris 
soit  sur  les  prairies  artificielles,  soit  dans  les  bois 
ou  dans  les  champs  cultivés,  après  'enlèvement 
des  récoltes.  Durant  l'hiver,  la  base  ae  la  nourri- 
ture est  dans  les  racines  cuites,  pommes  de  terre, 
carottes,  épluchures  de  légumes,  et  dans  le  son 
ou  les  farines  grossières.  Ces  derniers  aliments, 
de  même  que  le  petit-lait,  sont  particulièrement 
réservés  aux  animaux  placés  dans  la  dernière  pé- 
riode d'engraissement.  Les  eaux  grasses  forment, 
dans  tous  les  temps,  la  principale  partie  de  la 
boisson  pour  les  porcs. 

11  est  assez  difficile  de  donner  des  formules  de 
rations  alimentaires.  Toutefois,  il  sera  utile  de 
placer  ici  quelques  indications  sur  des  rations 
dont  la  valeur  pratique  a  été  démontrée  par 
M.  Boussingault.  La  truie  qui  vient  de  mettre  bas 
reçoit  une  nourriture  en  rapport  avec  le  nombre 
de  ses  petits;  pour  une  portée  de  cinq  petits,  on 
lui  donnera,  par  jour,  pendant  la  durée  de  l'allai- 
tement, un  mélange  formé  de  11  kilog.  250  de 
pommes  de  terre  cuites,  G  kilog.  de  lait  écrémé 
et  caillé,  et  1  kilog.  'Jô'>  de  farine  de  seigle.  Après 
le  sevrage,  cette  ration  est  réduite  de  moitié.  Peu 
à  peu,  on  revient  à  la  ration  d'entretien  qui  peut 
consister  en  7  kilog.  âUO  de  pommes  de  terre, 
broyées  et  délayées  dans  de  l'eau  de  vaisselle  et 
du  petit-lait.  Pour  les  jeunes  gorets,  M.  Boussin- 
gault recommande  la  ration  suivante  pendant  les 
trois  mois  qui  suivent  le  sevrage  :  pommes  de 
terre,  '2  kilog.  500  ;  eaux  grasses,  4  kilog.  ;  lait 
écrémé  et  caillé,  300  grammes.  —  Dans  les  circon- 
stances ordinaires,  l'engraissement  dure  deux 
mois  îi  deux  mois  et  demi.  Pendant  ce  temps,  les 
rations  alimentaires  doivent  être  plus  fortes.  Les 
racines  et  surtout  les  pommes  de  terre  cuites  et 
mélangées  avec  de  la  farine  grossière  et  avec  des 
tourteaux,  sont  les  aliments  le  plus  généralement 
employés  pour  l'engraissement.  Dans  les  pays  qui 
renferment  de  grandes  forêts  de  chênes,  les  porcs 
sont  conduits  dans  les  bois  où  ils  mangent  à  vo- 
lonté du  gland  vert;  ce  régime,  désigné  sous  le 
nom  de  gluiulce,  convient  très  bien  à  leur  engrais- 
sement. Les  glands  peuvent  aussi  être  recueillis 
pour  la  nourriture  à  la  porcherie.  L'important 
est  que  les  porcs  à  l'engrais  absorbent  la  plus 
grande  quantité  possible  d'aliments.  L'engraisse- 
ment est  achevé,  quand  leur  poids  n'augmente 
plus  d'une  manière  sensible.  Le  rendement  moyen, 
en  viande  et  lard,  ea  de  SO  à  85  pour  100  du  poids 
de  l'animal  vivant. 

Dans  presque  toutes  les  familles  de  cultivateurs, 
on  tue  chaque  année  un  ou  deux  porcs,  suivant 
les  besoins  de  la  liaison,  pour  la  consommation 
ménagère.  Dans  les  grandes  porcheries  annexées 


aux  fromageries,  aux  féculeries,  aux  brasseries, 
et  qui  en  uiilisent  les  résidus,  les  procédés  d'en- 
graissement et  d'élevage  sont  analogues  à  ceux 
adoptés  dans  les  fermes. 

C'est  une  erreur  presque  généralement  répan- 
due que  le  porc  se  plaît  dans  la  saleté  et  que  celle- 
ci  profite  à  son  développement.  Aussi  laisse-t-on 
le  plus  souvent  les  porcheries  de  côté,  S5ns  leur 
donner  les  soins  qu'on  prodigue  aux  étables,  aux 
bergeries,  à  la  basse-cour.  La  porcherie  doit,  au 
contraire,  être  entretenue  dans  un  grand  état  de 
propreté  :  il  faut  en  enlever  le  fumier  et  renouveler 
les  litières  régulièrement,  en  laver  le  pavé  à 
grande  eau.  Pendant  l'été,  les  porcs  recherchent 
la  fraîcheur;  la  chaleur  leur  est  désagréable  à 
l'excès,  et,  plutôt  que  de  la  supporter,  ils  se  roulent 
partout  sans  avoir  égard  h.  la  saleté.  Le  mieux  est 
d'avoir  près  de  la  porcherie  un  petit  bassin  ou  une 
mare  d'eau  propre,  où  les  animaux  puissent  se 
baigner,  ainsi  qu'une  cour  dans  laquelle  ils  puis- 
sent prendre  leurs  ébats.  En  règle  générale,  les 
lois  de  l'hygiène  doivent  être  observées  aussi  bien 
pour  les  porcs  que  pour  tous  les  autres  animaux 
domestiques. 

Le  porc  est  sujet  à  un  certain  nombre  de  mala- 
dies qui  affectent  divers  degrés  de  gravité.  Celles 
qu'il  convient  de  citer  pariiculicrement  sont  l'an- 
gine, la  constipation,  la  diarrhée,  la  gale,  l'enté- 
rite, rinflaminaiion  des  poumons,  et  surtout  la 
ladrerie  et  la  trichinose.  —  La  ladrerie  est  pro- 
voquée par  le  développement,  dans  le  tissu  cellu- 
laire, d'un  ver  vésiculaire,  appelé  cysticerque  ladri- 
que  ;  ce  ver  est  une  des  métamorphose-  du  ténia. 
La  maladie,  quand  elle  est  développée,  est  carac- 
térisée par  le  développement  de  points  blancs  ou 
de  vésicules  sous  la  langue.  Cette  maladie  est, 
pour  le  moment,  incurable.  Elle  est  dangereuse 
pour  l'homme,  car  la  viande  de  porc  ladre  peut 
donner  le  ver  solitaire  h  ceux  qui  en  mangent.  — 
11  en  est  de  même  de  la  trichinose;  cette  maladie 
est  due  au  développement  et  à  la  multiplication, 
dans  la  chair  du  porc,  de  vers  très  petits  appelés 
trichines.  Les  larves  de  ces  insectes  entrent  dans 
l'organisme  par  les  voies  digcsiives.  et  pénètrent 
dans  le  sang  et  les  organes  où  elles  se  dévelop- 
pent. La  trichinose  a  été  principalement  observée 
en  Allemagne  et  aux  États-Unis  d'Amérique  où.  Si 
certaines  époques,  elle  a  fait  de  nombreuses  vic- 
times. Pour  s'en  préserver,  il  suffit  de  ne  jamais 
manger  de  viande  île  porc  crue,  et,  dans  la  cuisson 
de  cette  viande,  de  porter  toute  l'épaisseur  de  la 
masse  i  une  température  minimum  de  71)  à  80  de- 
grés; les  trichines  ne  résistent  pas  à  cette  tempé- 
rature, et  la, viande  infestée  devient  inoffensive. 

—  V.  Helminthes. 

[Henry  Sagnier.] 
PORCELAINE.  —  Connaissances  usuelles,  il  V. 

—  On  a  beaucoup  et  vainement  discuté  sur  l'éiy- 
mologie  de  ce  mot,  ou  plutôt  sur  l'origine  de  cette 
désignation,  et  il  n'est  aucune  langue  ."i  laquelle 
les  chercheurs  ne  se  soient  adressés  pour  résoudre 
le  problème.  En  résumé,  nous  savons  que  le» 
Romains  avaient  donné  à  une  belle  coquille,  dont 
la  valve  est  lisse  et  translucide,  le  nom  de  porca, 
dont  les  Italiens  (sous-entendant  le  mot  terre)  ont 
fait  le  diminutif /^0)-ce//rt;(a,  ou  terre  ayant  l'aspect 
de  la  coquille  appelée  porca  (que  d'aillçurs  nous 
connaissons  aussi  sous  ce  même  nom  vulgaire  de 
porcelaine).  Quoi  qu'il  en  soit,  la  porcelaine  peut 
être  définie  une  sorte  de  poterie  à  pâte  très  fine, 
très  dure,  se  distinguant  des  autres  produits  de 
la  céramique  par  une  translucidité  qui  la  rapproche 
du  verre.  Sur  la  provenance  première  do  la  porce- 
laine, aucun  doute  possible.  C'est  aux  Chinois 
qu'en  revient  l'honneur.  Autant  qu'on  peut  le 
déduire  de  leur  lointaine  histoire,  ils  en  inventèrent 
la  fabrication  bien  avant  notre  ère.  Tout  nous  porte 
à  croire  que  la  porcelaine  fut  conmie  dos  Romains 


PORCELAINE 


1()87 


PORCELAINE 


qui,  au  cours  de  leurs  guerres  avec  les  peuples  de 
l'Asie  centrale,  rapportaient  beaucoup  de  produits 
dont  l'origino  restait  pour  eux  incertaine  (comme, 
par  exemple,  la  soie,  sur  la  production  de  laQuelle 
ils  avaient,  toutes  sortes  de  légendes).  Selon  plusieurs 
commentateurs  de  l'antiquité,  les  fameux  vases 
7nur>-hiiis,  qui  se  payaient  des  prix  exorbitants, 
n'auraient  été  rien  autre  que  des  pièces  de  porce- 
laine ricliement  décorées,  apportées  à  Rome  par 
des  marchands  qui  les  allaient  acheter  en  Asie 
Mineure,  où  elles  arrivaient  par  les  caravanes  tar- 
tares.  Il  en  fut  ainsi  jusqu'il  l'époque  où  les  con- 
qufttesmusulmanes,  jetantune  grande  perturbation 
dans  les  contrées  d'Orient,  imposèrent  une  sorte 
de  barrière  aux  trafics  commerciaux  dès  longtemps 
établis  entre  l'Asie  et  l'Europe.  Les  choses  repri- 
rent leur  cours  quand  l'empire  du  Ijroissant  fut 
régulièrement  assis,  et  l'on  sait  qu'au  ix"  siècle 
la  porcelaine  arrivait  en  assez  grande  quantité 
chez  les  Arabes  qui  la  recevaient  par  la  double 
voie  des  caravanes  et  des  navires  leur  apportant  les 
marchandises  de  l'Inde.  Il  va  de  soi  que  dans  les 
siècles  qui  suivirent,  étant  donné  les  relations  fré- 
quentes, pacifiques  ou  guerrières,  entre  le  monde 
chrétien  et  le  monde  mahoraétan,  l'Occident  a  dû 
voir  arriver  des  pièces  de  porcelaine  chinoise; 
mais  nulle  mention  ne  s'en  trouve  dans  les  au- 
teurs. Au  xiii°  siècle,  le  voyageur  Marco  Polo,  re- 
venvi  d'un  assez  long  séjour  en  Chine,  parle  à 
plusieurs  reprises  dans  son  curieux  récit  de  cette 
magnifique  poterie,  dont  il  avait  nécessairement 
dû  rapporter  quelques  échantillons  en  son  pays. 
Lentement,  d'ailleurs,  nous  voyons  se  répandre  en 
Europe  et  le  nom  et  la  chose,  jusqu'au  moment  où 
les  Portugais,  en  doublant  le  cap  de  Bonne-Espé- 
rance, eurent  ouvert  la  route  maritime  des  Indes. 
Dès  le  commencement  du  xvi'^  siècle,  en  effet,  la 
porcelaine  chinoise  fut  répandue  en  assez  grande 
quantité,  mais  encore  tenue  ;'i  haut  prix  et  recher- 
chée cotutue  objet  de  grand  luxe  dans  les  princi- 
paux États  de  l'Europe  occidentale.  Dès  lors  aussi 
beaucoup  d'esprits  furent  en  travail  pour  tâcher  de 
connaître  la  nature  de  ce  charmant  produit  de  l'art 
asiatique. 

Tout  d'abord  les  idées,  les  opinions  les  plus 
étranges  furent  émises  à  ce  propos.  Des  savants 
très  sérieux  écrivaient,  par  exemple,  que  la  pâte 
de  la  porcelaine  était  due  k  un  mélange  de  blanc 
d'œufs,  de  plâtre  et  d'écaillés  d'huîtres,  que,  après 
l'avoir  bien  intimement  malaxé,  on  enterrait  pour 
qu'il  se  mûrit  pendant  cent  ou  cent  cinquante 
ans.  Le  jour  vint  cependant,  mais  relativement 
tardif,  où,  au  lieu  de  voir  dans  la  fabrication  de  la 
porcelaine  une  sorte  d'opération  mystérieuse,  on 
se  mit  en  quête  dos  terres,  des  roches  qui,  sou- 
mises â  la  cuisson,  pourraient  donner  une  poterie 
translucide.  On  imagina  en  premier  lieu  un  mé- 
lange d'argile  marneuse  et  de  minium,  et  l'on 
produisit  une  sorte  de  porcelaine  qui,  en  réalité, 
n'avait  rien  de  commun  avec  celle  de  la  Chine,  et 
qui  depuis  a  reçu  le  nom  de  porcelaine  tendre  ou 
à  fritte.  Ces  essais  commencèrent  la  réputation 
de  la  manufacture  de  Sèvres,  où  ils  avaient  été 
faits  ;  et  les  produits  de  cette  époque,  obtenus 
par  ce  système,  sont  connus  et  recherchés  dans  le 
monde  des  amateurs  sous  le  nom  de  vieux  Sèvres. 
Cette  porcelaine,  qui,  répétons-le,  n'en  est  pas 
une  dans  la  vraie  acception  du  mot,  a  le  désa- 
vantage de  s'érailler  au  contact  des  corps  durs,  et 
de  résister  mal  aux  transitions  vives  de  tempéra- 
ture, de  telle  sorte  que  les  produits  qu'elle  donne 
sont  peu  propres  aux  usages  journaliers.  Par 
contre,  elle  se  prête  plus  avantageusement  â  la 
décoration  que  la  porcelaine  dure;  les  couleurs 
y  prennent  mieux,  y  gardent  plus  d'éclat,  et  ainsi 
elle  convient  particulièrement  h  la  fabrication 
des  objets  de  pure  ornementation. 

Quoi  qu'il  en   fût  de  l'importance  de  cette  dé- 


couverte, le  problème  posé  n'était  pas  résolu,  et 
il  ne  devait  l'être  que  le  jour  où  le  hasard  ferait 
connaître  cliez  nous  l'existence  d'une  terre  an.ilo- 
gue  il  celle  qu'emploient  les  Chinois.  Cotte  terre, 
pour  l'appeler  du  nom  que  lui  donnent  les  arti- 
sans du  Céleste  empire,  est  le  Icnolin,  sorte  d'ar- 
gile provenant  de  la  décomposition  des  feldspatlis; 
et  la  couverte  (V.  Poterie)  de  cet  élément  infusi- 
ble  est  formée  d'une  autre  roche  feldspathique  mé 
langée  de  quartz,  dite  pegmatite  (chez  les  Chinois 
petuntse),  qui  est  fusible  à  la  haute  température 
nécessaire  à  la  cuisson  de  la  pâte  formant  le  corps 
de  la  poterie.  Ces  deux  terres  ou  roches  étant 
d'origine  commune  (car  elles  ne  sont  en  quelque 
sorte  que  des  modifications  d'un  même  principe), 
il  s'en  suit  que  la  porcelaine  dure,  corps  et  cou- 
verte, forme  un  composé  plus  homogène  que  ceux 
qui  constituent  les  autres  produits  de  la  cérarai 
que  :  d'où  un  caractère  parfaitement  distinct  et 
supérieur. 

Or,  quand  il  fut  bien  avéré  pour  les  Occidentaux 
qu'ils  feraient  de  la  porcelaine  le  jour  où  ils  au- 
raient trouvé  la  terre  convenable,  ils  la  cher- 
chèrent obstinément.  Ce  fut  en  Saxo  que  la  pre- 
mière trouvaille  en  fut  faite,  en  nti9,  par  un  chi- 
miste, ou  plutôt  par  un  alchimiste  du  nom  de 
Cœttcher,  qui  dut  au  hasard  d'être  mis  sur  la 
trace  d'un  giseiuent  de  kaolin,  avoisiné,  comme 
cola  a  généralement  lieu,  de  la  pegmatite  propre 
îi  la  couverte.  Les  premiers  essais  ayant  donné 
d'excellents  résultats,  l'électeur  de  Saxe  établit 
aussitôt  h  ses  frais,  dans  le  château  d'Albrechtburg, 
une  manufacture  qui  livra  dès  l'origine  des  pièces 
presque  aussi  belles  que  celles  de  la  Cliine,  dont 
elles  imitaient  parfaitement  d'ailleurs  le  style  et 
l'ornementation.  Ce  fut,  pour  employer  le  terme 
consacré,  le  Saxe,  qui  si  longtemps,  comme  aujour- 
d'hui encore  d'ailleurs,  eut  la  vogue  dans  le  monde 
des  amateurs.  Quelque  soin  que  prit,  dès  lors,  le 
gouvernement  saxon  pour  garder  le  monopole  de 
cette  fabrication,  la  plupart  des  grandes  villes 
allemandes  no  tardèrent  pas  à  avoir  aussi  leur 
fabrique  de  porcelaine;  et  bientôt  le  secret  —  car 
il  y  avait  encore  un  secret  ~  de  la  fabricatioii  se 
répandit  généralement.  A  vrai  dire,  sans  rnatière 
première,  la  connaissance  des  procédés  était  lettre 
morte.  Déji  des  manufactures  étaient  en  pleine 
activité  dans  la  plupart  des  Etats  européens,  et  la 
Franco  en  était  réduite  à  sa  fabrique  do  Sèvres, 
qui  continuait  â  produire  sa  porcelaine  apocryphe, 
lorsque  enfin,  en  nCS,  une  femme  des  environs 
de  Limoges  trouva  dans  le  ravin  de  Saint  Yriex 
une  terre  blanche  et  grasse  qu'elle  prit,  la  croyant 
simplement  propre  au  blanchissage  du  linge,  et 
qui  n'était  autre  que  du  kaolin,  de  la  plus  belle  et 
de  la  plus  précieuse  qualité. 

De  ce  jour  date  pour  la  céramique  purement 
française  une  grande  et  magnifique  époque  :  car, 
mis  en  possession  d'éléments  de  fabrication 
identiques  à  ceux  de  l'Orient,  nos  artisans,  nos 
artistes  ne  s'astreignirent  pas,  comme  l'avaient 
fait  d'autres  nations,  à  imiter,  h  contrefaire  servi- 
lement les  produits  chinois.  Un  art  propre  fut  créé 
chez  nous  de  toutes  pièces,  qui,  pour  la  beauté, 
pour  .le  bon  goût  des  produits,  n'eut  bientôt  rien 
à  redouter  des  fabriques  les  plus  renommées,  et 
qui  on  plus  d'un  cas  peut  défier  et  vaincre  les  pro- 
duits de  plus  pure  provenance.  Pendant  près  d'un 
demi-siècle,  du  reste,  la  fabrication  de  la  porce- 
laine, concentrée  aux  mains  de  spécialistes  pari- 
siens, resta  chez  nous  â  l'état  d'industrie  de  luxe, 
ne  produisant  que  dans  des  conditions  exception- 
nelles et  en  vue  de  la  seule  clientèle  opulente.  Mais 
le  jour  vint  où,  sur  les  lieux  mêmes  des  gisements 
do  kaolin  primitivement  découverts,  et  sur  plu- 
sieurs autres  points  où  l'on  en  découvrit  par  la 
suite,  d'importantes  manufactures  s'établirent,  qui, 
répandant  Ji  profusion   leurs  excellents  et  écono- 


PORCELAINE 


1688  — 


PORCELAINE 


miques  produits,  ont  peu  à  peu  vulgarisé  l'usage 
de  la  porcelaine.  Ajoutons  que,  pour  avoir  péné- 
tré sous  les  formes  les  plus  simples,  les  plus 
communes,  dans  les  intérieurs  les  plus  modestes, 
et  pour  avoir  ofl'ert  h  tous  le  confortable,  d'abord 
réservé  à  quelques-uns,  l'art  du  porcelainier  n'a 
nullement  renoncé  au  charmant  privilège  de  se 
prêter  à  toutes  les  hautes  et  riches  fantaisies  qui 
le  placent  au  premier  rang  parmi  les  gloires  bien 
vivaces  de  notre  grande  activité  nationale.  On  sait 
que,  coocurremment  avec  notre  itianufacture  na- 
tionale de  Sèvres,  dont  les  œuvres  sont  univer- 
sellement considérées  comme  autant  de  modèles 
accomplis,  tant  au  point  de  vue  industriel  qu'au 
point  de  vue  artistique,  plusieurs  grands  établis- 
sements dispersent  aujourd'hui  dans  le  mnndo  en- 
tier de  véritables  merveilles  d'élégance,  de  bon 
goût,  qui  font  que  la  porcelaine  française  jouit 
partout  d'une  renommée  sans  rivale. 

Nous  ne  saurions  nous  étendre  longuement  sur 
les  nombreux  détails  de  fabrication,  qui  font  ren- 
trer l'art  du  porcelainier  dans  un  ordre  de  pro- 
cédés communs  à  la  plupart  des  applications  de 
la  céramique.  Etant  donné  la  grossière  argile 
destinée  à  produire  les  poteries  les  plus  com- 
munes, ou  la  fine  pâte  de  kaolin  devant  servir  à 
former  quelque  riche  pièce  de  porcelaine,  il  va 
de  soi  qu'en  beaucoup  de  cas  les  procédés  de  ma- 
nipulation seront  identiques  ou  tout  au  moins 
analogues  :  l'artisan  emploiera  ou  le  tour  ou  le 
moule  avec  plus  ou  moins  d'habileté,  de  soin,  de 
délicatesse.  Nous  pouvons  donc  renvoyer  le  lec- 
teur à  l'article  Poterie,  où  le?  pratiques  générales 
sont  convenablement  indiquées,  nous  bornant  à 
signaler  les  quelques  particularités  qui  différen- 
cient le  travail  de  la  porcelaine  des  autres  ma- 
nipulations céramiques. 

A  l'analyse  chimique,  la  pâte  de  la  porcelaine 
dure  (dont,  à  vrai  dire,  les  dosages  peuvent  va- 
rier selon  les  objets  à  fabriquer)  accuse  la  pré- 
sence en  quantités  majeures  de  silice  et  d'alumine, 
pour  une  toute  petite  proportion  (:!  à  b  p.  100)  de 
chaux  et  de  potasse.  La  couverte  ou  gluçure,  tou- 
jours formée  de  pegmatite,  a  pour  éléments  prin- 
cipaux la  silice,  l'alumine  et  la  potasse,  et  parfois 
un  peu  de  magnésie.  Les  matériaux,  broyés  sous 
des  meules,  lavés,  recueillis  par  décantation,  sont 
d'abord  pétris  dans  des  cuves.  La  pâte  obtenue 
est  mise  à  ressuer,  c'est-à-dire  à  s'égoutter  dans 
<les  sacs,  sur  lesquels  on  exerce  une  certaine 
pression.  On  doit  ensuite  (pratique  qui  rappelle 
en  principe  la  légende  dont  nous  parlions  plus 
haut)  la  faire  mûrir  ou  vieillir  en  la  tenant  im- 
mergée, non  pas  durant  un  siècle,  mais  pendant 
au  moins  une  année,  ce  qui  a  pour  efl'et  non  seu- 
lement de  la  débarrasser  par  pourriture  de 
toutes  les  molécules  organiques  qui  pourraient 
y  être  renfermées,  mais  encore  de  rendre  plus 
intime  le  mélange  des  éléments  qui  la  com- 
posent. Au  bout  du  temps  voulu,  elle  est  battue, 
pétrie,  roulée  en  cylindre,  que  l'on  taille  en 
menus  copeaux  appelés  taurnasxures  ;  et  l'on 
|ieut  enfin  la  manipuler  pour  le  façonnement  des 
pièces. 

Quand  celles-ci  sont  façonnées,  on  les  laisse  sé- 
cher pendant  quelques  jours  à  l'air,  puis,  après 
les  avoir  enfermées  dans  des  cassettes  (caisses  do 
terre  réfractairc),on  les  place  dans  le  haut  du  four 
rie  cuisson,  pour  qu'elles  y  prennent  ce  qu'on  ap- 
[lelle  le  dégourdi,  qui  est  moins  une  cuisson 
qu'un  parfat  dessèchement  des  pièces.  Après 
cette  opération,  elles  sont  en  état  de  recevoir  la 
I  ouverte  ou  glaçure.  qui  s'applique  soit  par  im- 
mersion di'  la  pièce  dans  un  liquide  où  la  pegma- 
tite très  finement  pulvérisée  est  tenue  en  suspen- 
sion, soit  par  aspersion  du  même  liquide.  La  pièce 
dégourdie,  étant  encore  poreuse,  absorbe  l'eau  de 
la  glaçure,  et  sa   surface   reste   couverte   d'une 


poussière  fusible,  qui  doit  à  la  cuisson  produire 
la  couche  vitrifiée. 

Quelquefois,  et  surtout  quand  il  s'agit  de  pièces 
ornementales,  statuettes  et  sujets  de  fantaisie,  la 
porcelaine  reste  sans  couverte;  c'est  ce  qu'on  a 
coutume  d'appeler  le  biscuit,  qui,  lorsque  la  pâte 
en  est  bien  réussie,  a  l'aspect  du  marbre  blanc  le 
plus  pur. 

Quelle  que  soit  enfin  la  disposition  adoptée  : 
porcelaine  mate  ou  biscuit,  porcelaine  glacée  ou 
avec  couverte,  il  faut,  après  ce  premier  feu,  ou  dc- 
gnurdissement,  procéder  à  la  cuisson  proprement 
dite  et  définitive,  qui  a  ordinairement  lieu  dans 
des  fours  cylindriques,  où  les  pièces  sont  métho- 
diquement disposées,  placées  au  préalable  et  à 
nouveau  dans  des  cassittes,  ayant  pour  principale 
fonction  d'égaliser  les  effets  du  calorique. 

Quand  la  cuisson  est  achevée  (ce  que  l'on  cons- 
tate en  retirant  de  temps  en  temps  du  four  des 
fragments  de  porcelaine  sur  l'état  desquels  on 
juge  du  degré  de  l'opération),  on  ferme  tous  les 
orifices  du  four,  pour  laisser  le  refroidissement  se 
produire  avec  lenteur  et  sans  l'accès  des  courants 
d'air,  qui  pourraient  causer  de  grands  dommages 
dans  les  produits  de  la  fournée.  Enfin  l'on  retire 
du  four  les  pièces  achevées,  qui,  au  cas  où  elles 
doivent  être  décorées  avec  plus  ou  moins  d'art  ou 
de  luxe,  passent  aux  mains  des  artisans  ou  artistes 
chargés  de  procéder  aux  travaux  d'enjolivement. 
Cette  décoration  s'effectue  â  l'aide  de  couleurs  gé- 
néralement composées  d'oxydes  métalliques  mêlés 
à  des  substances  vitrifiables  incolores  connues 
sous  le  nom  de  foridants.  Le  tout  étant  réduit  en 
poudres  impalpables,  les  peintres,  pour  s'en  servir, 
délayent  les  couleurs  avec  une  essence  :  leur  tra- 
vail achevé,  les  porcelaines  peintes  sont  soumises 
dans  des  fours  spéciaux  à  une  chauffe  qui  vitrifie 
le  fondant,  et  fixe  la  couleur  en  la  faisant  adhérer 
à  la  couverte.  L'or  et  les  autres  ornements  à 
éclat  métallique  peuvent  être  obtenus  par  des 
applications  de  feuilles  de  métal,  qui  alors  con- 
servent leur  brillant;  mais  le  plus  souvent  on 
les  obtient,  comme  les  autres  couleurs,  à  l'aide  de 
précipités  donnant  des  tons  mats,  que  l'on  amène 
au  brillant  par  le  /jrunissage  (frottement  à  l'aide 
d  outils  en  silex  poli). 

Ici  se  borne  le  résumé  que  nous  pouvons  faire 
dos  pratiques  générales  afférentes  à  la  fabrication 
do  la  porcelaine.  Nous  aurions  encore  de  longues 
pages  â  écrire  si  nous  voulions  comprendre  dans 
cet  article  les  notions  qui  composent  le  savoir 
des  amateurs  appelés  â  se  prononcer  sur  la  na- 
ture ou  la  provenance  des  divers  produits  de  cette 
grande  et  magnifique  branche  de  la  céramique. 
Toute  une  science  spéciale  existe,  Ji  laquelle  on  ne 
saurait  être  initié  que  par  des  études  longues  et 
minutieuses,  avec  pièces  :"i  l'appui.  Pour  la  seule 
porcelaine  de  Chine,  de  gros  manuels  ont  été  com- 
posés où  d'après  la  pâte,  le  glacé,  le  coloris  in- 
terne, la  décoration  extérieure,  les  pièces  sont 
classées  par  familles,  par  genres.  Autre  étude 
analogue  pour  les  porcelaines  du  Japon,  contrée 
qui,  pour  être  plus  jeune  dans  celte  f  ibricatioii, 
ne  le  cède  en  rien  à  sa  devancière  comme  beauté, 
finesse,  élégance  des  produits.  Puis  viennent  les 
recherches  relatives  aux  porcelaines  que  jadis  fa- 
briquait la  Perse,  etc.  Pour  l'Occident,  l'amateur 
n'a  pas  à  faire  preuve  de  moins  de  tact  et  de  sub- 
tilité quand  il  veut  ne  pas  se  méprendre  sur  l'âge, 
l'origine,  la  valeur  artistique  ou  marchande  des 
pièces  qui  lui  sont  soumises  :  car  le  nombre  est 
grand  des  centres  producteurs,  délicats  sont  les 
caractères  à  saisir,  et  complexes  les  détails  à  re- 
tenir, â  comparer  pour  arriver  juste  dans  les  di- 
verses appréciations.  C'est  donc,  répétons-le,  une 
science  d'amateur  pratiquant,  que  nous  n'aurions 
nullement  la  prétention  d'enseigner.  Il  y  a  là 
d'ailleurs   tout    un   vocabulaire   S   connaître,  en 


PORCINS 


—  1689  — 


PORTUGAL 


même  temps  que  tout  un  ensemble  d'applications  i  la  tête  s'élargit  considérablement,  et  de  chaque 
techniques  des  termes  à  observer  si«-  na^o-e.  côté  des  joues  pond  une  espèce  de  loupe  charnue, 
Nous  ne  saurions   mieux  faire,  croyons-nous,  en    ce  qui  donne  ;"i  ces  animaux  un  aspect  hideux. 


reconnaissant  tout  l'attrait  que  peut  offrir  cette 
intéressante  étude,  que  de  renvoyer  ceux  de  nos 
lecteurs  qui  seraient  tentés  de  l'entreprendre  an 
très  savant  et  très  pratique  ouvrage  qu'un  maître 
en  ce  charmant  savoir,  M.  A.  Jacquemart,  a  con- 
sacré à  la  céramique  dans  la  Hibliothèque  des 
menreilles.  [Eugène  MuUer.] 

l'ORClIVS.  —  Zoologie,  X.  —  Comme  nous 
avons  eu  déjà  l'occasion  de  le  dire,  l'ancien  ordre 
des  Pachydermes  a  été  complètement  démembré, 
et  à  ses  dépens  ont  été  constitués  les  trois  or- 
dres des  PfobosciiHens  ',  des  Solipèdes  ou  Ju- 
mejilés  '  et  des  Porcins  *. 

L'ordre  des  Porcins  correspond  h  une  partie  de 
la  subdivision  des  Pachydermes  on/inaires,  et  com- 
prend les  animaux  du  genre  Porc,  pris  dans  un 
sens  très  étendu,  plus  les  animaux  du  genre 
Hippopotame.  Tous  ces  mammifères  se  reconnais- 
sent h  leurs  formes  massives,  à  leur  corps  renfle, 
obèse,  revêtu  d'un  cuir  épais,  et  porté  sur  des 
pattes  courtes  et  robustes  dont  les  doigts  sont  en 
nombre  pair.  Leur  estomac  présente  une  certaine 
complication,  sans  être  subdivisé  en  poches  aussi 
distinctes  que  chez  les  Ruminants,  et  leurs  mâ- 
choires sont  pourvues  de  trois  sortes  de  dents, 
incisives,  canines  et  molaires. 

Les    Hippopolmnes   ont  quatre   doigts   presqu 


Chez  les  Cochons  proprement  diis,  les  canines 
supérieures,  sans  offrir  des  dimensions  aussi  con- 
sidérables, se  recourbent  néanmoins,  chez  les 
mâles,  au-devant  des  yeux,  et  ne  servent  pas  seu- 
lement comme  armes  offensives  et  défensives  ; 
elles  peuvent  encore  être  employées,  à  la  manière 
du  soc  d'une  charrue,  pour  retourner  la  terre  et 
mettre  à  découvert  les  racines  et  les  tubercules 
dont  les  Porcs  font  leur  nourriture. 

A  l'état  sauvage  tous  ces  animaux  vivent  en 
troupes,  dans  les  forêts  humides  et  marécageuses, 
et  ae  répandent  vers  le  soir  dans  les  champs,  où  ils 
causent  souvent  de  grands  dégâts  en  fouillant  le 
sol  en  tous  sens.  Quand  la  faim  les  presse,  ils  de- 
viennent carnivores  et  s'attaquent  môme,  dit-on, 
aux  animaux  vivants.  On  trouve  des  représentants 
de  ce  groupe  dans  toutes  les  contrées  chaudes  et 
tempérées  de  l'ancien  et  du  nouveau  monde.  En 
Europe,  en  Asie  et  en  Afrique  vit  le  Sanglier,  gé- 
néralement considéré  comme  la  souche  de  nos  Co- 
chons domestiques  (V.  Porc  et  races  porcines)  et 
qui,  à  l'âge  adulte,  a  le  corps  revêtu  de  soies  ru- 
des, d'un  brun  noirâtre. 

En  Amérique  le  groupe  des  Porcins  est  repré- 
senté par  les  Pécaris  (Dicolyles),  qui  n'atteignent 
jamais  la  taille  du  Sanglier,  et  qui  ont  le  corps 
plus  ramassé,   les   pattes   supérieures   lerminées 


égaux,  qui'  appuient  tous  sur  le  solpendant  la  [  par  trois  doigts  seulement  par  suite  de  l'atrophie 
marche  et  qui  sont  munis  chacun  d'un  petit  sabot;  I  du  doigt  externe,  la  queue  presque  nulle,  et  les  ca- 
leur  corps  lourd  repose  sur  de  véritables  piliers,  j  nines  enfermées  dans  l'intérieur  de  la  bouche, 
et  leur  tête  se  renfle  en  avant  en  une  sorte  de  Enfin  dans  les  îles  Moluques  habitent  les  Babi- 
,groin,  large  et  tronqué.  C'est  à  peine  si  l'on  dé-  '  roussas  (Babyrussa,  F.  Cuvier),  au  corps  grêle  et 
■couvre  quelques  poils  épars  sur  leur  peau  marquée  '  assez  haut  monté,  aux  canines  supérieures  rele- 
de  rides  nombreuses,  et  recouvrant   une  épaisse  \  vées  et  contournées  de  manière  à  protéger  la  re- 


couche de  graisse.  Leur  queue,  très  courte,  est 
■un  peu  velue  à  l'extrémité,  et  leur  tête  difforme 
n'est  animée  que  par  des  yeux  assez  petits  au- 
•dessus  desquels  se  dressent  des  oreilles  rudi- 
mentaires.  Somme  toute,  les  Hippopotames  sont 
des  êtres  fort  disgracieux  et  dont  !a  physionomie 
indique  bien  le  naturel  farouche  et  stupide.  Ils  vi- 
vent par  bandes  dans  les  lacs  et  dans  les  grands 
fleuves  de  l'Afrique  tropicale,  nagent  et  plongent 


gion  des  yeux. 

Plusieurs  naturalistes  rattachent  encore  à  1  ordre 
des  Porcins  les  Anoplotherium  et  les  Xiphodon, 
animaux  fossiles  signalés  par  Cuvier  dans  les  cou- 
ches de  plâtre  de  Montmartre.        [E.  Oustalet.j 

PORTUG.IL.  —  Histoire  générale,  X\I\;  Litté- 
ratures étrangères,  XIII.  —  Isolé  par  l'Espagne 
du  reste  du  continent  européen,  le  Portugal  a  dû 
subir,  à  toutes  les  époques,   le  contre-coup   des 


avec  facilité,  et  se  nourrissent  do  joncs,  de  racines,  '  révolutions  espagnoles,  et  repousser  plus  d'une 
et  d'autres  substances  végétales.  Dans  les  terrains  j  invasion  sur  sa  frontière  de  l'est.  Possédant,  vers 
de  diverses  parties  de  l'Kurope  on  a  découvert  !  l'ouest,  l'embouchure  de  trois  grands  fl'iuves, 
les  restes  fossiles  de  plusieurs  espèces   d'Hippo-  1  le  Minho,  le  Douro  et  le  Tage,  et  en   partie  avi 


sud  celle  du  Guadiana,  il  a  dii  nécessairement 
porter  toute  son  activité  vers  la  mer,  et  précéder 
les  autres  nations  occidentales  dans  la  voie  des 
grandes  découvertes  géographiques.  Peuple  de 
race  latine  et  de  religion  catholique,  la  nature 
semblait  destiner  les  Portugais  à  se  fondre  dans 
l'union  ibérique  ;  la   politique  leur  a  donné  une 


potames  plus  ou  moins  semblables  à  l'espèce  ac- 
tuelle. 
Les  Porcs  proprement  dits  ou   Suidés  (de  sus, 

■  qui,  en  latin,  signifie  porc),  sont  de  taille  plus 
faible  que  les  Hippopotames,  et  ont  le  corps  re- 
vêtu de   soies  rudes  et  serrées,  la  tête   conique, 

■  amincie  en  avant  en  un  groin  mobile  propre  i 
'fouiller  le  sol,  les  pattes  médiocres,  mais  toujours  '  vie  propre,  une  histoire  originale  et  une  nationa- 

moins    robustes    que    dans   le    genre    précédent.  1  lité. 

Leurs  pieds  sont  fourchus,  et  les  deux  doigts  mé-        1.  Les  invmions  antiques.   —  Les  Lusitaniens, 

■  dians  seuls  sont  garnis  de  sabots  et  touchent  le  anciens  habitants  du  Portugal,  nous  apparaissent 
sol,  tandis  que  les  doigts  externes  sont  beaucoup  d'abord  luttant  contre  la  domination  de  Carthage, 
plus  courts  et  rejetés  en  arrière.  On  compte  de  i  repoussant  Amilcar  Uarca  qui  périt  en  les  com- 
quatre  à  six  incisives  k  la  mâchoire  supérieure,  et  battant,  et  finalement  vaincus  par  Asdrubal  son 
six  à  la  mâchoire  inférieure,  où  elles  sont  forte-  I  gendre  et  .\nnibal  son  fils.  Les  victoires  de  Fu- 
ment inclinées,  et  deux  paires  de  canines  antago-    blius  Scipion  (211  à  20.">)  brisent,  à  l'époque  de  la 


nistes  qui  ont  une  tendance  â  sortir  de  la  bouche 

■  et  à  se  recourber  en  haut  et  en  dehors  de  manière 

■  à  constituer  des  défenses;  enfin  les  molaires,  en 
nombre  variable,  sont  tantôt  simples  et  coniques, 


seconde  guerre  punique,  le  joug  des  Carthaginois 
pour  y  substituer  celui  des  Romains.  Les  Lusita- 
niens se  tournent  alors  contre  Rome  (189)  et, 
malgré  les   massacres  systématiques  de  Servilius 


tantôt  élargies  et  tuberculeuses.  (;hez  les  Phaco-  '  Galba,  repoussent  un  moment  les  légions,  sous  la 
chères  {Phacoeliœrus),  qui  sont  répandus  sur  une  j  conduite  de  l'héroïque  berger  Viriathe,  qu'assassi- 
grande  partie  du  continent  africain,  les  prémolaires  nent  deux  traîtres  (i40).  Pendant  cent  ans  encore, 
et  même  les  premières  molaires  tombent  avec  l'âge,  la  Lusitanie  soutient  tous  les  ennemis  du  sénat, 
et  il  ne  reste  que  les  dernières  dents  mâchelières,  triomphe  avec  Sertorius  (80),  mais  succomba  sous 
offrant  des  sortes  de  cylindres  réunis  par  une  les  coups  de  Pompée,  puis  de  César,  h  qui  la 
substance  corticale,  et  les  canines  qui  acquièrent  Lusitanie  vaincue  vaut  les  honneurs  consulai- 
■  un  développement  extraordinaire.  En  même  temps  '  res  (59). 


PORTUGAL 


1690  — 


PORTUGAL 


Pacifiée  et  réconciliée  par  l'astucieuse  politique 
d'Octave-Auguste,  la  Lusitanie  se  couvre  de  mo- 
iiunieius  romains  et  verse  k  l'empire  le  trésor 
de  ses  mines  (30  000  marcs  d'or  par  année).  L'ar- 
rivée des  barbares  rouvre,  au  bout  de  quatre 
siècles  de  prospérité  matérielle,  la  période  des 
invasions. 

2.  Les  invasions  au  moyen  (h/e.  Vinili^pendnnce. 
—  A  la  cliute  de  l'empire  romain,  la  Lusitanie  fut 
partagée  par  les  Suèves,  au  nord,  et  les  Alains. 
au  sud,  puis  bientôt  conquise  par  les  Visigotbs, 
race  à  demi  civilisée  qui  légua  au  pays  des  lois 
équitables  et  une  sorte  de  gouvernement  libre 
(5S.S). 

La  victoire  de  Xérès  ouvrit  aux  Arabes  la 
route  de  la  Lusitanie  (711).  La  domination  des 
Gotlis  s'écroula  devant  celle  des  musulmans, 
fort  tolérante  d'ailleurs  et  qui  apportait  au  Por- 
tugal une  civilisation  très  supérieure  alors  à 
celle  de  l'Europe  chrétienne.  Pendant  trois  siè- 
cles, les  .\rabes  se  maintinrent,  malgré  les  pro- 
grès des  chrétiens  des  Asturies,  qui  rattachèrent 
au  royaume  de  Léon  le  nord  de  la  Lusitanie. 

Eiifiu,  en  I(-9i,  un  chevalier  français,  Henri  de 
Bourgogne,  obtint  du  roi  de  Castille  ..Alphonse  VI, 
avec  la  main  de  Tharéja  sa  fille,  l'investiture  du 
comté  de  Portugal  (environs  de  Porto)  ,  entre 
Minho  et  Donro,  et  de  tous  les  pays  qu'il  pourrait 
conquérir.  Dix-sept  victoires  consolidèrent  le 
puissant  vassal,  et  son  fils,  Alphonse  Henriquez, 
s'affranchit  doublement  de  la  Castille  par  la  vic- 
toire de  Valdovez,  puis  des  Maures  par  la  victoire 
mémorable  d'Ourique  (Ta  juillet  1139).  Le  même 
jour,  l'armée  le  proclamait  roi,  et  les  Cortès  de 
Lamcgo  confirmèrent  ce  titre  (IU2)  en  votant  les 
18  statuts  de  la  Charte  constitutionnelle. 

3.  Progiès  sous  la  dynastie  française.  —  Le 
Portugal  alïranchi  reprit  la  lutte  contre  les  Mau- 
res, la  continua  par  la  conquête  de  Lisbonne 
(II47),  l'expulsion  des  Almohades,  la  victoire  de 
Santarem  (1184),  et  ses  progrès  ne  furent  pas  ar- 
rêtés par  la  mort  d'Alphonse  ller.riquez  surnommé 
le  Saint  (1185).  Les  Portugais  contribuèrent  h  la 
grande  journée  libératrice  de  Las  Xavas  de  To- 
losa  (1212),  et  après  l'Estramadure  et  l'Alemtéjo, 
enlevèrent  les  Algarves  (1249-1253),  atteignant  la 
frontière  que  le  royaume  n'a  pas  dépassée  depuis. 

La  résistance  courageuse  d'Alphonse  II  aux 
prétentions  cléricales,  les  réformes  bienfaisantes 
d'Alphonse  III,  «  le  roi  des  pauvres  »,  consoli- 
daient la  dynastie  bourguignonne.  La  victoire  du 
Rio  Salado,  sous  Alphonse  IV  1340),  abattait  dé- 
finitivement l'islam.  Mais  les  drames  sanglants  de 
la  maison  royale,  l'assassinat  de  la  belle  liiez  de 
Castro  (1-355)  bientôt  suivi  des  vengeances  du 
Pierre  le  Justicier  (1356-I3C7),  sévère  répresseur 
de  la  noblesse  et  du  clergé,  amenèrent  une  crise 
passagère  qu'arrêta,  en  1385,  l'avènement  de  la 
branche  d'Avis. 

4.  Gramleur  du  Portugal  sous  la  maison  d'Avis. 
—  Un  fils  bâtard  de  Pierre  le  Justicier,  don  Juan 
d'Avis,  fut  porté  au  pouvoir  par  une  révolution  na- 
tionale (1383),  consacrée  par  la  grande  victoire 
d'Aljubarotla  (15  aovit  1385)  où  les  Portugais  re- 
poussèrent l'armée  castillane  malgré  l'étonne- 
nient  causé  dans  leurs  rangs  par  l'emploi  de  l'ar- 
tillerie. Ce  règne  inaugura  une  ère  de  grandeur 
et  de  gloire  inouïes  pour  la  nation. 

Sous  l'infant  don  Henri,  sous  Jean  II,  sous  Em- 
manuel le  Fortuné,  on  vit  se  succéder  les  expé- 
ditions maritimes  et  les  conquêtes  lointaines. 
Après  la  prise  de  Ceuta  (1415),  la  découverte  de 
Puerto-Santo,  de  Madère  (I41'i),  l'occupation  des 
Canaries,  des  Açores  (I4:il),  vint  l'exploration  de 
la  côte  africaine,  le  passage  du  cap  Bujador 
(1434),  et  du  Rio  d'Ouro.  Si  le  Portugal  refusait 
de  seconder  Colomb,  en  revanche  il  soutenait 
ardemment  ses  propres  navigateurs,  Barthélémy 


Diaz,  Vasco  de  Gama,  Alvarez  Cabrai.  Le  cap  de 
Bonne- Espérance  était  doublé  (1486),  la  route  de 
l'Inde  ouverte  i,H97),  le  Brésil  atteint  (15(i0), 
Ormuz  et  Socotora  conquis.  François  Almeida, 
Alphonse  Albuquerque,  Lopez  Soarès  fondaient, 
des  rivages  de  l'Atlantique  aux  extrémités  de  la 
mer  des  Indes,  uno  domination  coloniale  qui  don- 
nait au  commerce  européen  un  développement 
encore  inconnu. 

Mais  des  germes  de  décadence  rapide  se  mon- 
traient à  l'intérieur.  La  royauté  s'émancipait  des 
Certes,  devenait  absolue,  favorisait  l'inquisition 
et  l'ordre  naissant  des  jésuites.  Aux  colonies,  l'in- 
tolérance religieuse  exaspérait  les  indigènes  que 
contenait  en  vain  la  main  ferme  de  Jean  de  Castro 
(1545-I5'i81. 

Cependant  la  littérature  brillait  d'un  vif  éclat. 
La  langue  portugaise  s'animait  pour  chanter  l'a- 
mour, la  chevalerie,  la  croisade  et  les  grandes 
aventures  de  mer.  Les  chroniques  romanesques 
de  Carvalho,  de  Barros,  de  Maraès,  l'ouvrage  de 
l'historieii  Osorio,  les  poésies  patriotiques  de 
Lobo  et  do  Cortereal,  pâlissent  cependant  devant 
les  immortelles  Lusiades  de  Çamoens.  La  prison, 
l'exil  et  la  misère  furent  la  récompense  du  poète 
patriote,  du  valeureux  soldat  d'Afrique  promenant 
sa  vie  errante  de  Lisbonne  à  Macao,  aux  Molu- 
ques,  à  Mozambique,  pour  mourir  pauvre  et  isolé 
sur  un  grabat  (15711). 

L'avènement  de  don  Sébastien,  élève  des  jé- 
suites (15.S"),  et  sa  folle  croisade  au  Maroc  con- 
tre Muley-Moluc,  aboutissant  au  sanglant  désastre 
d'Alcazarquivir  (4  août  15^81,  amenèrent  une 
crise  épouvantable.  Le  roi  don  Henri,  cardinal 
couronné,  livra  son  pays  à  l'Espagne  (1580),  mal- 
gré les  efl'orts  des  patriotes  soutenus  par  la  France. 

5.  Domination  étrangère.  La  maison  de  Bra- 
gnnce.  —  La  lourde  domination  de  Philippe  II 
s'abattit  sur  le  pays.  L'inquisition  servit  le  despo- 
tisme espagnol.  Le  Portugal  humilié,  asservi, 
systématiquement  ruiné,  vit  s'évanouir  son  bel 
empire  colonial.  Les  Hollandais  et  les  Anglais 
mirent  la  main  sur  ses  possessions  d'Afrique  et 
d'Asie.  Sous  Philippe  IH  et  Philippe  IV,  l'oppres- 
sion s'accrut  encore,  et  amena  une  inévitable  ex- 
plosion. Lu  dévoué  patriote,  le  jurisconsulte 
Pinto  Ribeiro,  soutenu  par  Richelieu  et  encou- 
ragé par  dona  Louise,  femme  du  duc  Jean  de 
Bragance,  soulève  Lisbonne  (1"  décembre  UllL) 
et  afi'ranchit  le  pays.  La  victoire  de  Montijo  (1044) 
consolide  l'indépendance  réconquise,  mais  la  fai- 
blesse de  Jean  IV  de  Bragance  ne  peut  conjurer 
la  ruine  coloniale. 

6.  Noi'velle  décadence  au  xvni«  siècle,  ne- 
formes  de  Pombal.  —  Bombay  abandonné  (16(i0), 
Tanger  et  Ceuta  perdus  (1668),  il  restait  encore 
au  Portugal  un  vaste  empire  et  des  mines  au 
Brésil.  Le  roi  don  Pedro  n'en  sut  pas  profiter,  et 
signa,  avec  sir  John  Méthuen.un  funeste  traité  qui 
livrait  le  commerce  du  pays  à  la  discétion  de 
l'Angleterre  (1703),  en  donnant  à  cette  seule 
puissance  le  droit  d'importer  les  matières  pre- 
mières en  Portugal.  Cette  alliance  entraîna  le 
gouvernement  dans  une  coalition  contre  la  Fiance, 
et  amena  des  revers  au  Brésil  (prise  de  Rio-Janeiro 
par  Duguay-Trouin,  17  il). 

Le  triste  règne  de  Jean  V  (HOG-rSO)  fut  suivi 
d'un  réveil  inattendu.  Un  homme  énergique,  le 
Richelieu  des  Portugais,  Carvalho,  marquis  de 
Pombal,  très  épris  des  idées  françaises  et  de  la 
philosophie  du  xvin''  siècle,  ose  entreprendre 
sousJosephI"  (1750-1771)  de  renverser  à  la  fois 
tous  les  abus.  La  noblesse,  le  clergé,  les  Anglais 
lui  résistent.  Il  terrorise  les  nobles,  expulse  les 
jésuites,  cherche  à  rompre  le  traité  de  Méthuen. 
Le  tremblement  de  terre  qui  ruine  Lisbonne 
(1755)  ne  le  décourage  pas.  Réforme  dos  impôts, 
de  l'agriculture,   de  la  législation,  il  entreprend 


PORTUGAL 


1691  — 


POSTE 


Pli  nu'mn  temps  tout  ce  <|ui  peut  régénérer  son 
liays.  I.a  mort  (le  Joseph  1"  sauve  les  privilégiés 
Il  fait  tomber  Pombal  du  pouvoir  dans  la  capti- 
\ité  et  l'exil  (1777-1780). 

7.  L'invasion  française.  —  Une  reine  insensée, 
\mG  enfant  imbécile,  tel  était,  sous  doua  Maria  et 
don  Juan,  le  gouvernement  du  Portugal  à  l'Iicure 
(ui  éclata  la  révolution  française.  Pour  la  com- 
battre, don  Juan  se  mit  aux  pieds  de  l'Angleterre, 
et  complota,  au  milieu  des  moints  du  couvent  de 
la  Mafra,.  des  plans  ridicules  d'invasion.  La  ré- 
ponse ne  se  fit  pas  attendre.  Bonaparte  somma  le 
Portugal  de  rompre  l'alliance  anglaise  (It^OI),  et 
le  fit  envahir  par  une  armée  franco-espagnole. 
Après  Austerlitz,  nouvelle  intervention  (IxOd)  ame- 
nant le  bizarre  traité  de  Fontainebleau  (180'.  ),  qui 
partageait  le  Portugal  en  trois  tronçons,  dont  un 
serait  donné  à  l'infant  d'Etrnrie  comme  royaume, 
un  autre  :\  Manuel  Godoi  comme  principauté, 
tandis  que  le  troisième  resterait  sous  la  main  im- 
médiate de  l'empereur. 

Aussitôt  envahi  par  '25  000  Français  que  con- 
duit le  bouillant  Junot,  le  Portugal  est  abandonné 
par  SCS  chefs  dégénérés.  La  cour  s'entasse  sur  les 
navires,  avec  ses  trésors,  les  richesses  des  mu- 
sées, des  bibliothèques,  et  s'enfuit  au  Brésil  à 
l'heure  où  les  éclairours  français  entrent  à  Lis- 
bonne. Mais  le  pays,  agité  par  les  moines,  se 
soulève  fjuin  18li8).  s'unit  à  l'Espagne,  appelle  les 
Anglais.  Vainement  Junot,  Soult  et  Masséna  fo/it 
tête  à  la  révolte  et  arrêtent  Wellington.  Napoléon 
ayant  rappelé  ses  troupes  de  la  Péninsule  (181?.), 
les  Portugais,  à  leur  tour,  s'avancent,  mêlés  aux 
Anglo-Espagnols,  jusqu'à  Toulouse  (I8I4).  Les 
traités  de  1815  stipulent  le  rétablissement  de 
Jean  VL 

8.  La  >  évolution  portugaise.  —  Mais  Jean  VI 
refuse  de  quitter  RIo-Janeiro  et  prétend  faire  du 
Portugal  une  colonie  brésilienne.  Un  Anglais, 
lord  Beresford,  trône  il  Lisbonne  comme  vice-roi. 
Un  parti  libéral  se  refoime,  favorable  aux  idées 
françaises,  et,  le  24  aoiit  l82i),  Bernardo  .Sepul- 
voda,  colonel  du  18°  régiment  d'infanterie,  sou- 
lève le  peuple,  à  Oporto,  au  mot  magique  de 
Constitution.  Une  révolution  analogue  éclatait  en 
même  temps  en  Espagne. 

Les  Certes  portugaises,  qui  n'avaient  pas  été 
réunies  depuis  IGU7,  font  jurer  à.  Jean  VI  de  res- 
pecter la  charte  nouvelle  (1S2I).  Mais,  parjure  h 
son  serment,  Jean  VI,  revenu  en  Europe,  épou- 
vanté par  le  soulijvement  du  Brésil,  le  libéralisme 
des  Certes  de  Lisbonne,  et  excité  par  les  colères 
du  parti  de  la  cour,  renverse  la  constitution  avec 
l'appui  des  moines,  des  soldats  et  d'une  foule  fa- 
natisée ,1823). 

Cependant  le  Brésil  avait  rompu  tout  lien  avec 
la  mère  patrie.  Don  Pedro,  fils  aine  de  Jean  VI, 
avait  été  proclamé  empereur  (182'.'),  et  manifestait 
des  tendances  libérales.  Son  frère  cadet,  don  Mi- 
guel, ignorant,  féroce  ot  fanatique,  conspire  contre 
le  faible  Jean  VI,  s'empare  nuitamment  du  pou- 
voir (182i)  ;  il  est  saisi,  exilé,  mais  revient  entre- 
prendre, à  la  tête  des  absolutistes,  une  lutte  dé- 
sespérée à  la  mort  de  Jean  VI  (182U). 

Pendant  huit  ans,  la  guerre  civile  déchira  le 
pays.  Les  libéraux,  partisans  de  don  Pedro  qui 
avait  refusé  la  couronne  pour  la  placer  sur  la  tête 
ue  sa  fille,  dona  Maria  da  Gloria,  eu  lui  faisant  jurer 
de  respecter  la  constitution,  furent  d'abord  vain- 
cus par  les  miguélistes,  que  soutenait  le  parti  lé- 
gitimiste européen.  Mais  l'arrivée  de  don  Pedro, 
abdiquant  la  couronne  du  Brésil  pour  venir  souie- 
nir  sa  fille  en  Portugal,  cliangea  la  situation.  Don 
Pedro  se  jette  dans  Oporto  ;  les  libéraux  lui  ou- 
vrent les  portes  de  Lisbonne.  La  convention 
d'Evora  (18:i4)  termine  la  lutte,  et  don  Miguel 
exilé  clicrche  en  vain  b,  réveiller  une  dernière  fois 
son  parti  vaincu  (1835). 


Depuis  lors,  d'orageuses  discussions  parlemen- 
taires ont  troublé  le  pays;  mais  la  guerre  civile 
est  icriuinée.  Libéraux  et  conservateurs,  consti- 
tutionnels, chartistes,  septembristes  ont  appuyé 
ou  combattu  la  constitution  de  1838,  celle  do  1842 
ou  celle  de  1851.  Sans  être  encore  à  l'abi-i  des 
coups  d'Etat  militaires,  le  Portugal  parait  entré, 
depuis  trente  ans,  dans  une  voie  pacifique,  où  il 
lui  reste  beaucoup  à  faire  pour  relever  ses  finan- 
ces, sa  marine,  son  armée  et  les  derniers  débris 
de  sa  grandeur  coloniale  écroulée. 

[Paul  Martine.] 

Pour  la  géographie  du  Portugal,  V.  l'article  Es 
pagne  et  Portugal, 

i'OSTK.  —  Connaissances  usuelles ,  VII.  — 
Etym.  :  de  posila  stotio,  en  basse  latinité  posta, 
station.  —  En  français  le  mot  i  oste  a  différentes 
significations.  11  désigne  entre  autres  le  service  des 
stations  de  chevaux  établies  sur  les  routes,  de  dis- 
tance en  distance,  pour  le  transport  des  voya- 
geurs, ou  l'institution  entretenue  généralement  par 
l'Etat,  pour  l'expédition,  le  transport  et  la  distri- 
bution des  correspondances  dans  l'intérieur  des 
localités  d'un  pays,  ou  d'un  pays  i  un  autre.  Dans 
le  langage  ordinaire,  on  s'en  sei't  également  pour 
désignerles  bâtiments  affectés  au  service  postal, 
spécialement  les  bureaux  ouverts  au  public  pour 
la  consignation  des  correspondances,  et  l'on  ap- 
plique même  cette  appellation  aux  voitures  qui 
servent  au  transport  soit  des  voyageurs,  soit  dos 
colis  postaux. 

Comme  institution  de  l'Etat,  ayant  pour  objet 
essentiel  d'assurer  le  service  des  correspondances, 
la  poste  joue  un  rôle  très  important  dans  le  monde 
moderne.  Elle  sert  de  lien  entre  les  nations  et 
entre  les  individus.  Elle  établit  des  communica- 
tions entre  toutes  les  parties  du  globe  et  fait  de 
tous  les  résultats  de  l'activité  de  leurs  habitants 
dans  le  donuine^dos  idées,  des  arts,  des  sciences, 
de  l'industrie  et  du  commerce,  le  patrimoine  com- 
mun de  Ihumantté.  Elle  prête  des  ailes  à  la  pen- 
sée, facilite  toutes  les  relations,  et  dans  son  action 
incessante,  qui  ne  connaît  aucun  obstacle,  em- 
brasse à  la  (ois  tous  les  actes  de  la  vie  économi- 
que des  peuples,  comme  tous  les  détails  les  plus 
intimes  de  la  vie  de  famille  et  de  l'existence  dos 
individus.  Voltaire  disait  d'elle,  il  y  a  plus  d'un 
siècle  :  >•  La  poste  est  le  lion  de  toutes  lesalfaires, 
de  tontes  les  négociations;  les  absents  deviennent 
par  elle  présents,  elle  est  la  consolation  de  la 
vie.  »  On  peut  dire  aujourd'hui  qu'elle  est  un 
rouage  si  essentiel  dans  l'organisation  des  sociétés 
humaines,  que  toute  suspension  do  son  activité 
prend  le  caractère  d'une  calamité  publique,  et  que, 
dans  les  Etats  modernes,  le  développement  des 
institutions  postales  marclie  de  pair  avec  celui 
de  la  civilisation. 

Au  début,  la  poste  n'eut  pas  le  même  caractère 
que  de  nos  jours.  C'était  une  institution  exclusi- 
vement politique.  Elle  avait  essentiellement  pour 
but  de  fournir  au  gouvernement  le  moyen  d'expé- 
dier ses  ordres  dans  toutes  les  provinces,  et  de  se 
faire  tenir  au  courant  de  ce  qui  se  passait  dans  les 
différentes  parties  de  son  empire.  11  est  probable 
que  les  Hindous,  les  Egyptiens,  les  Ass.y riens,  et, 
dans  l'extrême  Orient,  les  Chinois  qui  tous,  bien 
des  siècles  avant  l'ère  chrétienne,  avaient  atteint 
un  haut  degré  de  culture,  possédaient  déji  des 
moyens  réguliers  do  communication.  On  est  ce- 
pendant généralement  d'accord  pour  attribuer 
aux  Perses  le  mérite  de  l'invention  de  la  poste. 
Ce  fut  Darius,  flls  d'Hystaspes,  qui  organisa  le 
premier  un  système  régulier  de  courriers  royaiix. 
Hérodote  nous  donne  une  description  de  cette  in- 
stitution à  propos  de  la  manière  dont  Xerxès 
transmit  h.  Suze  la  nouvelle  de  la  défaite  qu'il 
venait  d'essuyer  à  Salamiiie  :  «  Bien,  dit-il,  n'est 
plus  expédilif  que  le  mode  de  transiuission   des 


POSTE 


—  169-2  — 


POSTE 


messages  inventé  et  employé  par  les  Perses.  Sur 
chaque  route  sont  échelonnés  de  distance  en  dis- 
tance, et  par  chaque  journée  de  marche,  des  relais 
d'hommes  et  de  chevaux,  remisés  dans  des  sta- 
tions spécialement  établies  à  cet  effet.  Neige,  pluie, 
chaleur,  ténèbres,  rien  ne  doit  empêcher  les  cour- 
riers de  remplir  leur  office,  et  do  le  faire  avec  la 
plus  grande  célérité.  Le  premier  qui  arrive  passe 
ses  dépêches  au  second,  celui-ci  au  troisième  et 
ainsi  de  suite,  jusqu'à  ce  que  le  message  soit 
rendu  à  destination  :  cela  rappelle  quelque  peu 
la  fête  des  Lampes,  telle  que  la  pratiquent  les 
Grecs  lorsqu'ils  célèbrent  les  fêtes  de  Vulcain.  En 
langue  persane,  ce  relais  de  chevaux  et  d'hommes 
s'appelle  aggaréïon.  » 

Les  Grecs  ne  possédaient  pas  une  organisation 
permanente  pour  le  transport  des  dépêches.  Lors- 
qu'il s'agissait  d'expédier  un  message,  et  c'est  sur- 
tout en  temps  de  guerre  que  le  cas  se  présentait, 
on  le  confiait  à  des  coureurs  nommés  héméro- 
drome<,  qui  s'acquittaient  de  leur  mission  avec 
une  incroyable  vélocité. 

Chez  les  Romains  il  existait  déj!i,  sous  la  Répu- 
blique, depuis  la  conquête  de  l'Italie,  à  côté  d'en- 
treprises particulières,  comme  celles  des  péagers, 
un  service  spécialement  affecté  au  transport  de  la 
correspondance  des  fonctionnaires,  mais  qui  était, 
de  temps  en  temps  et  à  titre  exceptionnel,  utilisé 
par  les  particuliers.  Les  courriers  et  messagers 
étaient  appelés  cursores,  stato'-es  et  tabellarii. 
L'empereur  .\uguste  perfectionna  cette  institu- 
tion, u  II  disposa  sur  les  routes  militaires,  à  de 
courtes  distances,  d'abord  des  jeunes  gens,  puis 
des  voitures  de  relais  pour  les  courriers,  afin 
d'avoir  des  nouvelles  plus  promptes  des  provin- 
ces. »  (Suétone,  Oct.  Aiig.,  ch.  xtix).  Le  cursus 
puitlicus,  c'est  ainsi  qu'on  désignait  cette  organi- 
sation, ne  tarda  pas  à  devenir  le  grand  moyen  de 
transport  par  terre  à  l'usage  du  gouvernement  et 
de  ses  innombrables  fonctionnaires. 

Tout  était  gratuit  dans  son  service,  mais  on  n'é- 
tait admis  à  en  faire  usage  que  moyennant  une 
autorisation  appelée  diplôme  ou  lettre  d'évection, 
qui  énumorait  les  diverses  prestations  auxquelles 
le  voyageur  avait  droit.  Les  stations,  ninnsiones, 
et  les  relais,  mutationes,  devaient  entretenir  un 
nombre  considérable  de  chevaux,  ainsi  que  de 
mulets  et  de  bêtes  de  somme  pour  le  transport 
des  bagages.  Les  maisons  de  poste  étaient  en  même 
temps  de  véritables  hôtelleries,  où  logeaient  les 
fonctionnaires  en  mission,  les  personnes  de  dis- 
tinction munies  de  diplômes,  les  ambassadeurs, 
quelquefois  même  les  empereurs,  et  où  l'on  ne 
manquait  de  rien  de  ce  qui  constitue  la  commo- 
dité du  voyage. 

Cette  organisation  dura  jusqu'à  la  destruction 
de  l'Empire  par  les  Barbares,  tantôt  florissante, 
tantôt  en  décadence,  suivant  que  les  empereurs 
réprimaient  ou  favorisaient  les  abus  auxquels 
donnait  nécessairement  lieu  la  facilité  de  voyager 
ainsi  commodément  aux  frais  du  public  ou  des 
provinces  écrasées  par  les  réquisitions  de  chevaux 
et  de  fourrage. 

Dans  le  courant  du  moyen  âge,  après  une  ten- 
tative avortée  de  Charlemagne  de  rétablir  le  cur- 
su-i  puhlicus,  dont  il  était  resté  çî>  et  là  quelques 
vestiges,  on  voit  reparaître,  presque  simultané- 
■ment,  dans  divers  Etats  de  l'Europe,  des  services 
de^  transport  dans  lesquels  il  est  impossible  de 
méconnaître  le  point  de  départ  des  institutions 
postales  modernes.  Il  ne  s'agit  plus,  en  effet, 
■d'une  organisation  politique,  destinée  à  servir 
avant  tout  les  buts  des  gouvernements.  Ce  sont 
les  besoins  du  commerce  naissant,  les  voyages, 
les  déplacements  des  particuliers  qui  font  surgir 
les  nouveaux  moyens  de  communication,  et  c'est 
■  à  ces  besoins  que  ces  derniers  tendent  surtout  à 
■donner  satisfaction.   En  France,  où  l'on  retrouve 


également  des  traces  d'une  organisation  postale 
fondée  et  exploitée  par  les  couvents,  l'Université 
de  Paris,  où  affluaient  des  étudiants  de  tous  pays, 
créa  vers  le  milieu  du  xii=  siècle  un  corps  de 
messagers  pour  permettre  aux  professeurs  et  aux 
étudiants  d'entretenir  des  relations  avec  leurs 
familles.  Ces  messagers,  auxquels  elle  réussit  à 
faire  conférer  les  privilèges  et  les  immunités  uni- 
versitaires, se  mettent  bientôt  à  la  disposition  du 
public,  et  ne  tardent  pas  à  former  une  véritable 
compagnie  de  transport,  qui  étend  son  activité 
bien  au  delà  des  limites  du  royaume.  En  Allema- 
gne, les  villes,  spécialement  celles  de  la  Ligue 
du  Rhin  et  celles  de  la  Ligue  hanséalique,  orga- 
nisent à  leurs  frais  des  services  de  messagers  qui 
relient  les  pays  de  la  mer  du  Nord  avec  les  ports 
de  la  mer  Adriatique  et  avec  les  grands  marchés 
de  la  Russie.  'Vers  la  même  époque,  les  chevaliers 
de  l'ordre  Teutonique,  dont  le  siège  était  à  Ma- 
rienbourg,  entretenaient  en  Prusse  et  en  Lithua- 
nie  un  service  postal  et  expédiaient  des  messagers 
jusqu'à  Rome  et  en  Suède;  leur  organisation  spé- 
ciale pour  les  correspondances  est  la  première  qui 
mérite  le  nom  de  poste  aux  lettres  :  ils  avaient  un 
tarif  fixe,  des  locaux  pour  la  consignation  des  let- 
tres, un  livre  d'ordre  où  elles  étaient  enregistrées, 
avec  l'indication  de  Iheure  de  la  consignation  et 
de  celle  de  l'expédition,  qui  étaient  également  in- 
diquées sui-  l'adresse.  Cette  organisation  ne  sub- 
sista que  "294  années,  jusqu'au  moment  de  la  dis- 
solution de  l'ordre  en  I52â,  par  Sigismond,  roi  de 
Pologne.  Enfin  dans  d'autres  parties  de  l'Allema- 
gne, spécialement  en  Wurtemberg,  la  corporation 
des  bouchers  tenait  à  la  disposition  du  public  des 
chevaux  de  relais,  des  postillons  et  des  courriers. 
Cette  poste  des  bouchers  existait  encore  au 
xviii<i  siècle. 

La  révolution  sociale  amenée  par  l'invention  de 
l'imprimerie  en  143"  exerça  une  grande  influence 
sur  l'institution  de  la  poste.  A  mesure  que  le  be- 
soin do  communications  régulières  devenait  plus 
sensible,  que  les  relations  de  pays  à  piys  et  de 
province  à  province  étaient  plus  fréquentes,  et  que 
le  trafic  et  la  circulation  augmentaient  dans  des 
proportions  considérables,  les  gouvernements 
comprirent  qu'il  était  do  leur  intérêt  de  ne  pas 
laisser  un  instrument  économique  d'une  aussi 
grande  importance  entre  les  mains  de  villes,  d'as- 
sociations, ou  de  corporations  particulières  et  en 
dehors  de  l'action  de  l'Etat. 

Par  un  édit  daté  de  Luxies,  près  de  Doullens,  le 
19  juin  UG4,  le  roi  Louis  XI  rétablit  le  cursus  pu- 
hlicus dans  des  conditions  qui  trahissent  des  vues 
et  des  préoccupations  parfaitement  identiques  à 
celles  dont  s'étaient  inspirés  les  premiers  fondateurs 
de  l'institution,  Darius  et  l'empereur  Auguste. 
Il  devait  être  établi  sur  tous  les  grands  che- 
mins du  royaume,  de  4  lieues  en  4  lieues,  des  re- 
lais de  poste,  commis  aux  soins  d'officiers  désignés 
sous  le  titre  de  MaHres  tenant  li^s  c'ievaux  courant 
pour  le  service  du  Roy,  et  qui  devaient  constam- 
ment entretenir  4  ou  5  chevaux  ou  plus,  suivant 
les  besoins,  le  tout  sous  les  ordres  d'un  conseiller, 
(h-and  Maître  des  coureurs  de  France.  \u  début, 
l'institution  nouvelle  devait  être  exclusivement  à 
l'usage  du  gouvernement  :  «  Auxquels  maîtres 
est  deffendu  de  bailler  aulcuns  chevaux  à  qui  que 
ce  soyt  et  de  quelque  qualité  qu'il  puisse  être 
sans  le  mandement  du  roy  et  du  dit  grand  raais- 
tre,  à  peine  de  vie...  D'autant  que  ledit  seigneur 
ne  veut  et  n'entend  que  la  commodité  du  dict  éta- 
blissement ne  soit  pour  aultre  que  pour  son  ser- 
vice. 11 

Il  était  cependant  fait  une  exception  en  faveur 
des  messagers  et  des  courriers  du  pape,  et  des 
cours  étrangères  en  bonnes  relations  avec  la  cour 
de  l'rance  ;  mais  un  article  de  l'ordonnance  d'exé- 
cution faisait  un  devoir  aux  officiers  du  roi  d'exer- 


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—  1693 


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cer  la  plus  stricte  surveillance  sur  les  voyageurs 
et  sur  leurs  effets,  les  autorisant  selon  les  cir- 
constances à  visiter  ces  etVcls,  et  à  ouviir  les  cor- 
respondances pour  constater  si  elles  ne  renfer- 
maient rien  de  dangereux  pour  l'Etat. 

On  se  relâcha  bieniolde  ces  prescriptions,  car 
en  1480  la  taxe  h  payer  pour  le  transport  des  par- 
ticuliers est  fixée  à  6  sols  par  cheval  et  par  relais, 
et  un  édit  de  juillet  1495,  qui  interdit  aux  cour- 
riers sous  peine  de  la  liart  de  transporter  des 
écrits  venant  de  l'étranger  et  dirigés  contre  les 
saints  décrets  du  concile  de  Bàle  et  contre  la 
Pragmatique  Sanction,  fournit  la  preuve  que  la 
poste  royale  se  chargeait  du  transport  des  corres- 
pondances particulières. 

Aussi  l'édit  de  Louis  XI  est-il  généralement  en- 
visagé comme  formant,  dans  l'histoire  de  la  poste, 
la  transition  entre  le  régime  des  postes  privées  et 
le  système  moderne,  qui  fait  de  la  poste  une  insti- 
tution publique  relevant  exclusivement  de  l'Etat. 

Il  était  dans  la  nature  des  choses  que  la  nou- 
velle institution  entrât  en  concurrence  avec  l'or- 
ganisation postale  de  l'Université.  Petit  à  petit 
le  gouvernement  restreignit  les  privilèges  de 
l'institution  postale  universitaire,  en  même  temps 
qu'il  perfectionnait  celle  de  1  Etat  et  étendait  sa 
sphère  d'activité. 

En  15ti5,  toutes  les  postes  furent  placées  sous 
l'autorité  exclusive  d'un  contrôleur  général  nommé 
par  le  roi,  et  en  1574  un  édit  de  Henri  III  ayant 
créé  des  messagers  royaux,  autorisés  h  se  charger 
de  lettres  missives,  )nu>cf:a?.dises,  or  et  argent, 
déclara  en  même  temps  que  les  messagers  univer- 
sitaires et  les  messagers  royaux  jouiraient  des 
mêmes  droits  et  prérogatives.  A  cet  édit  qui  met- 
tait fin  au  monopole  exercé  depuis  si  longtemps 
par  l'Universiié,  Henri  III  en  ajouta  l'année  sui- 
vante un  second  qui  astreignait  tous  courriers  et 
messagers  à  prendre,  pour  l'exercice  de  leur  em- 
ploi, des  lettres  de  messagers  royaux.  Ces  mesu- 
res portèrent  un  coup  fatal  aux  institutions  pos- 
tales de  l'Université  ;  aussi,  quoique  dans  les  lettres 
d'enregistrement  du  parlement  et  de  la  cour  des 
aides  de  IbV,  les  fonctions  des  messagers  royaux 
fussent  réduites  au  transport  des  n  sacs  et  papiers 
de  justice  seulement,  »  la  poste  royale  accapara 
bientôt  la  plus  grande  partie  du  trafic,  grâce  aune 
meilleure  organisation.  Ce  ne  fut  toutefois  qu'en 
ni9  qu'un  odit  de  Louis  XV  abolit  définitivement 
le  privilège  do  l'Université  et  consomma  la  fusion 
de  ses  institutions  postales  avec  celles  de  l'Etat. 

A  partir  de  ce  moment,  la  poste  prit  un  dévelop- 
pement de  plus  en  plus  considérable.  Sous  Louis 
XIV,  Louvois,  nommé  surintendant  général  des 
postes,  les  avait  affermées  pour  une  somme  an- 
nuelle de  1,200,000  livres.  En  1~.3.3,  le  revenu  delà 
ferme  s'élevait  à  3  millions  de  livres,  et  en  dé- 
cembre 17'.il,  à  l'expiration  du  dernier  bail,  il 
avait  atteint  la  somme  de  11  millions  de  livres. 
L'Etat  en  ayant  repris  l'exploitation,  l'Assemblée 
nationale  rendit  sur  l'organisation  des  postes, 
leur  administration,  les  tarifs,  l'inviolabilité  du 
secret  des  lettres,  une  série  de  décrets  qui  ont 
servi  de  base  à  l'organisation  actuelle. 

En  Allemagne  la  poste  subit  une  transformation 
analogue  à  celle  que  nous  avons  signalée  en  France. 
Dans  h-  courant  du  xvi°  siècle  appâtait  une  poste 
impériale,  qui  devient  un  fief  héréditaire  entre  les 
mains  de  la  famille  Thurn  et  Taxis,  dont  le  chef, 
Roger  de  Taxis,  avait  déjà  en  UdO  organisé  dans 
le  Tyrol  et  la  Styrie  une  poste  aux  chevaux  pour  le 
service  de  l'empereur  Frédéric  111  pendant  ses 
campagnes  en  Italie.  La  nouvelle  institution  em- 
brassa bientôt  tous  les  pays  de  l'Empire,  à  l'ex- 
ception de  l'Autriche,  où  existait  déjà  antérieure- 
ment une  organisation  poslah;  oflirielle,  et  elle 
s'appliqua  à  supplanter  toutes  les  institutions  pri- 
vées de  transport  et  de  correspondance.  Mais  en 


dépit  du  monopole  auquel  prétendait  la  poste  im- 
périale, et  en  concurrence  avec  elle,  les  gouver- 
nements d'un  grand  nombre  de  pays  allemands 
voulurent  avoir  chacun  sa  poste  indépendante,  si 
bien  qu'au  commencement  du  xix'  siècle  on  ne 
comptait  pas  moins  de  VO  administrations  postales 
en  Allemagne.  Les  Thurn  et  Taxis,  élevés  succes- 
sivement à  la  dignité  de  cotiites  et  de  princes  de 
l'Empire,  conservèrent  leurs  postes  jusqu'en  1867, 
époque  oii  elles  furent  achetées  par  la  Prusse  pour 
une  somme  de  3  millions  de  thalers. 

L'histoire  de  la  poste  dans  les  autres  pays,  que 
le  cadre  de  cet  article  ne  nous  permet  pas  de  re- 
tracer, a  suivi  à  peu  près  les  mêmes  phases  et 
peut  se  résumer  de  la  môme  manière.  Dans  l'an- 
tiquité, partout  où  l'on  retrouve  des  traces  d'une 
organisation  postale,  la  poste  est  avant  tout  une 
institution  politique,  un  instrument  de  gouverne- 
ment, quelquefois  un  moyen  d'exercer  une  sur- 
veillance de  police  sur  les  relations  des  sujets  à 
l'intérieur  et  avec  l'extérieur.  Ce  n'est  que  secon- 
dairement et  accidentellement  qu'elle  offre  aux 
particuliers  et  au  commerce  un  moyen  de  com- 
munication. Au  moyen  âge,  le  soin  de  donner  sa- 
tisfaction aux  besoins  de  la  circulation  est  aban- 
donné à  l'initiative  privée.  Des  associations  se 
forment  à  cet  effet;  des  villes  commerçantes,  des 
corporations  dont  l'activité  s'étend  en  dehors  des 
limites  de  leur  pays  organisent  des  moyens  de 
transport  pour  la  correspondance,  pour  les 
marchandises,  pour  les  voyageurs.  A  mesure  que 
les  relations  de  peuple  à  peuple  grandissent  et 
que  le  commerce  prend  un  essor  plus  général,  la 
poste  acquiert  une  importance  économique  qui 
attire  l'atiention  des  gouvernements.  L'Etat  s'em- 
pare de  l'institution,  d'abord  dans  un  but  politi- 
que ;  il  s'en  attribue  ensuite  le  monopole  dans  un 
but  essentiellement  fiscal  ;  puis,  par  la  force  de» 
choses,  l'accroissement  journalier  des  relations,  et 
sous  la  pression  des  idées  modernes,  il  est  amené 
à  lui  reconnaître  et  à  lui  attribuer  le  caractère 
d'un  service  public  et  à  lui  vouer  une  sollicitude 
en  rapport  avec  le  rôle  capital  qu'elle  joue  dans 
la  vie  et  le  développement  des  sociétés  humaines. 

De  nos  jours,  la  poste  n'est  pas  seulement  une 
institution  nationale,  c'est  l'institution  internatio- 
nale et  cosmopolite  par  excellence.  Machine  uni- 
verselle dont  le  moteur  est  partout  et  le  centre 
nulle  part,  elle  donne  à  l'humanité  une  vie  com- 
mune, et  par  ses  innombrables  rouages  y  fait  con- 
courir et  participer  tous  les  êtres  civilisés,  d'un 
bout  à  l'autre  de  notre  globe  terrestre.  Son  his- 
toire ne  se  laisse  plus  circonscrire  dans  les  limite» 
d'un  Etat.  Tous  les  progrès  réalisés,  tous  les  dé- 
veloppements acquis  dans  le  champ  de  son  acti- 
vité, quel  que  soit  le  lieu  où  ils  ont  pris  naissance, 
ont  un  caractère  de  généralité  et  appartiennent  à 
l'institution  tout  entière.  Seule  parmi  les  pays 
civilisés,  la  Chine  n'a  pas  de  poste,  dans  le  sens 
moderne  du  mot  ;  elle  ne  possède  qu'une  organi- 
sation gouvernementale  dans  le  genre  de  celle  des 
anciens  Perses  ou  du  cursus  publicus  de  l'empe- 
reur Auguste.  Partout  ailleurs,  la  poste  est  envi- 
sagée comme  un  droit  régalien  de  l'Etat,  mais  en 
même  temps  elle  est  organisée  et  administrée  par 
lui  comme  un  service  public,  destiné  avant  tout  à 
faciliter  et  à  développer  la  circulation,  le  trafic  et 
toutes  les  relations,  en  vue  de  la  prospérité  pu- 
blique, comme  dans  l'intérêt  et  même  pour  l'a- 
grément des  particuliers.  Les  grandes  inventions 
modernes,  les  bateaux  à  vapeur,  les  chemins  de 
fer,  en  multipliant  à  l'infini  ses  moyens  d'action, 
ont  modifié  son  caractère.  C'est  la  poste  aux  let- 
tres qui  forme  aujourd'hui  son  objet  essentiel  et 
presque  exclusif;  car,  dans  un  certain  nombre  de 
pays,  le  transport  des  voyageurs  et  des  marchan- 
dises est  complètement  laissé  à  l'industrie  privée. 
Mais   la  poste  aux   lettres  ne  se  borne  pas  à  la 


POSTE 


—  1694  — 


POSTE 


transmission  des  correspondancfis,  elle  comprend 
le  transport  et  l'écliange  des  impiimés  et  de  tout 
ce  qui  s'y  rattache,  des  échantillons  de  marchan- 
dises, des  papiers-valeurs,  des  valeurs  d'or  et  d'ar- 
gent, le  service  des  mandats-poste,  des  mandats 
d'encaissement  ;  dans  plusieurs  Etats,  des  caisses 
d'épargne  postales  ;  et  même,  dans  la  Grande-Bre- 
tagne, des  caisses  de  pensions  viagères  et  d'assu- 
rances en  cas  de  décès.  Sauf  les  différences  qui  ré- 
sultent du  plus  ou  moins  grand  nombre  de  bran- 
ches d'activité  qu'elle  embrasse,  son  organisation 
est  partout  la  même,  elle  est  universellement  ré- 
gie par  les  mêmes  règles,  et  les  efforts  de  ses  nom- 
breuses administrations  tendent  uniformément  à 
réaliser  dans  son  service  ces  trois  grands  avanta- 
ges :  célérité,  sécurité  et  bon  marché. 

Les  faits  les  plus  saillants  de  l'histoire  de  la  poste 
dans  cette  dernière  période  sont  la  réforme  con- 
nue sous  le  nom  de  pen7iy-))0stnge,et  la  création  de 
l'L'nion  postale.  En  I8-4U,  un  citoyen  anglais,  Row- 
land  Hill,  réussit  à  faire  prévaloir  dans  la  Grande- 
Bretagne  le  principe  que  les  taxes  postales  doi- 
vent être  uniformes  et  aussi  peu  élevées  que 
possible,  et  k  introduire  la  taxe  de  un  pRnny  pour 
les  lettres  affranchies,  dans  toute  l'étendue  des 
Trois-Royaumes.  Cette  innovation,  qui  fut  imitée 
bientôtdansun  grand  nombre  de  pays,  fut  le  point 
de  départ  d'une  véritable  révolution  dans  l'insti- 
tution de  la  poste  aux  lettres;  elle  entraîna  comme 
conséquence  l'usage  des  timbres  poste  et  de  l'af- 
franchissement. Elle  profila  également  aux  admi- 
nistrations et  au  public  en  simplifiant  le  service  et 
en  augmentant,  dans  une  mesure  que  nul  n'aurait 
pu  prévoir,  le  mouvement  des  correspondances. 
Elle  fut  le  prélude  d'un  mouvement  général  dans 
le  sens  de  l'unification  des  principes  qui  régissent 
la  poste,  mouvement  qui  se  traduisit  par  la  con- 
clusion de  conventions  postales  entre  les  diverses 
administrations,  et  qui  aboutit  à  la  création  de 
rCiiion  postale  universelle.  Depuis  l'invention  des 
chemins  de  fer  et  des  télégraphes,  les  relations  ne 
connaissent  plus  de  frontières;  de  là  la  tendance 
à  leur  assurer  dans  le  vaste  domaine  du  service 
international  des  facilités  analogues  à  celles  qui 
leur  étaient  offertes  dans  le  service  interne,  et  en 
môme  temps,  pour  les  administrations,  la  nécessité 
d'introduire  dans  le  mécanisme  de  l'échange  pos- 
tal international  des  simplifications  sans  lesquelles 
il  n'aurait  pas  été  possible  de  faire  face  aux  exi- 
gences de  l'accroissement  progressif  du  trafic. 
Déjà,  en  1850,  la  Prusse  et  l'Autriche  avaient  or- 
ganisé une  union  postale  austro-allemande,  qui 
englobait  toutes  les  administrations  postales  de 
l'Allemagne.  En  186Î,  à  l'inîtigation  de  l'adminis- 
tration postale  des  Etats-Unis  de  l'Amérique  du 
Nord,  des  délégués  d'un  grand  nombre  de  pays  se 
réunirent  à  Paris,  pour  discuter  les  principes  qui 
devaient  servir  de  base  aux  conventions  postales 
et  régir  les  relations  des  administrations  entre 
elles. 

Enfin,  un  traité  conclu  à  Berne  en  1874,  à  la 
suite  d'un  congrès,  par  les  représentants  de  tous 
les  Etats  de  l'Europe,  plus  ceux  des  Etats-Unis 
d'Amérique  et  de  l'Egypte,  fonda  l'Union  générale 
des  postes,  qui,  dans  un  congrès  subséquent,  tenu 
à  Paris  en  1878,  auquel  prirent  part  33  Etats  dos 
différentes  parties  du  monde,  prit  le  nom  d'Union 
postale  universelle.  Cette  gigantesque  association^ 
dont  l'initiative  revient  à  l'administration  alle- 
mande, embrasse  aujourd'hui  les  Etats  suivants  : 
TMlemagne  avec  la  Bavière  et  le  Wurtemberg; 
l'Autriche-Hongrie,  la  Belgique,  la  Bulgarie,  le 
Danemark  avec  les  îles  Féroè,  l'Islande,  le  Groen- 
land et  les  Antilles  danoises  ;  l'Espagne,  y  compris 
les  Baléares,  les  îles  Canaries  et  toutes  les  colo- 
nies espagnoles;  la  France  avec  l'Algérie  et  les 
colonies  françaises,  y  compris  les  îles  de  l'Archi- 
pel   océanique   soumises   au     protectorat    de   la 


France;  la  Grande-Bretagne,  y  compris  Malte, 
Chypre,  Héligoland  et  Gibraltar,  l'empire  de 
l'Inde  britannique  avec  l'Hindoustan  (y  compris  les 
Etats  tributaires)  et  la  Birmanie  britannique,  Aden, 
le  Dominion  du  Canada,  Straits-Settlements,  La- 
bouan,  Maurice,  les  Bermudes,  Jamaïque,  Trinité, 
Guyane  britannique,  Hong-Kong,  Côte-d'Or,  Gam- 
bie, Lagos,  Sierra-Léone,  îles  Falkland,  Honduras 
britannique,  Terre-Neuve,  îles  Bahamas,  îles 
■Vierges,  Antigoa,  Dominique,  Montserrat,  Nevis 
et  Saint-Christophe;  la  Grèce,  l'Italie,  le  Luxem- 
bourg, le  Monténégro,  la  Norvège,  les  Pays-Bas 
et  les  colonies  néerlandaises  ;  le  Portugal,  y  com- 
pris Madère  et  les  Açores,  et  les  colonies  portu- 
gaises; la  Roumanie,  la  Russie,  la  Serbie,  la 
Suède,  la  Suisse,  la  Turquie,  la  Perse,  le  Japon, 
l'Egypte,  la  république  do  Libéria,  les  Etats-Unis 
de  l'Amérique  du  Nord,  le  Mexique,  la  république 
de  Saint-Domingue,  celle  de  Haïti,  les  Républi- 
ques de  Honduras  et  de  San-Salvador,  les  Etats- 
Unis  de  Venezuela,  la  république  de  l'Equateur, 
le  l'érou,  le  Chili,  le  Brésil,  l'Uruguay  et  la  répu- 
blique Argentine.  Ces  pays  couvrent  une  étendue  de 
79  rM'i  OOU  kilomètres  carrés,  et  leur  population  est 
évaluée  d'après  les  statistiques  les  plus  certaines 
à  "77  64oOijn  âmes.  Le  traité  de  Berne  avait 
proclamé  l'uniformité  des  taxes,  la  liberté  du 
transit,  la  suppression  des  décomptes  entre  les 
administrations,  l'abaissement  des  taxes  de  transit 
et  leur  payement  au  moyen  d'indemnités  an- 
nuelles, calculées  d'après  la  statistique.  La  con- 
vention de  Paris  a  affirmé  les  mêmes  principes 
en  leur  assurant  une  application  plus  complète  et 
plus  générale  ;  elle  a  introduit  un  nouveau  dégrève- 
ment du  transit  et  facilité  l'accession  de  l'Union  à 
tous  les  pays  du  globe.  'Voici  un  résumé  do  ses 
dispositions  : 

Les  pays  entre  lesquels  est  conclue  cette  con 
vention  forment,  sous  la  dénomination  d  Union 
postale  universelle,  un  seul  territoire  postal  pour 
l'échange  réciproque  des  correspondances  entre 
leurs  bureaux  de  postes.  La  convention  s'étend 
aux  lettres,  aux  canes  postales,  aux  imprimés  de 
toute  nature,  aux  papiers  d'affaires  et  aux  échan- 
tillons de  marchandises.  La  liberté  du  transit  est 
garantie  dans  le  territoire  entier  de  l'Union.  Les  • 
frais  de  transit,  savoir  pour  les  parcours  territo- 
riaux 2  fr.  par  kilogramme  de  lettres  ou  cartes 
postales,  0  fr.  2ô  c.  par  kilogramme  d'autres 
objets  ;  pour  les  parcours  maritimes  15  fr.  par 
kilogramme  de  lettres  ou  cartes  postales  et  1  fr. 
par  kilogramme  d'autres  objets,  sont  à  la  charge 
de  l'administratiou  du  pays  d'origine.  La  taxe  de 
l'Union  est  fixée  pour  les  lettres  à  25  centimes  en 
cas  d'affranchissement  et  au  double  dans  le  cas 
contra'i'e,  pour  chaque  lettre  et  chaque  poids  de 
15  grammes  ou  fraction  de  15  grammes;  pour 
les  cartes  postales,  à  10  centimes  par  carte;  pour 
les  imprimés  de  toute  nature,  les  papiers  d'af- 
faires et  les  échantillons  de  marchandises,  à  5 
centimes  par  objet  et  par  poids  de  50  grammes, 
la  taxe  des  papiers  d'affaires  ne  pouvant  toutefois 
être  inférieure  à  25  centimes,  et  celle  des  échan- 
tillons à  10  centimes  par  envoi.  Les  envois  soumis 
à  des  frais  de  transit  maritime  peuvent  être 
chargés  d'une  surtaxe  ne  dépassant  pas  25  cen- 
times par  lettre,  5  centimes  par  carte  postale  et 
5  centimes  p  ir  50  grammes  pour  les  autres  objets. 
Les  envois  peuvent  être  expédiés  sous  recomman- 
dation, moyennant  une  taxe  spéciale  de  25  cen- 
times au  maximum  en  sus  de  la  taxe  ordinaire. 
L'afîranchissement  ne  peut  être  opéré  qu'au  moyen 
de  timbres  poste  valables  dans  le  pays  d'ori- 
gine pour  la  correspondance  des  particuliers.  Cha- 
que administration  garde  en  entier  les  sommes 
qu'elle  perçoit.  Uu  bureau  international,  dont  le 
siège  est  à  Berne,  remplit  les  fonctions  d'intermé- 
diaire entre  les  différents  membres  de  l'Union;  il 


I 


POSTE 


—  1695 


POSTE 


est  ctiargé  entre  autres  de  publier  un  journal,  qui 
sert  d  organe  à  cette  dernière,  et  qui  parait  h  la  fois 
en  français,  en  anglais  et  on  allemand.  Les  dis- 
sentiments entre  memtjres  de  l'Union,  relative- 
ment i  l'interprétation  de  la  convention,  sont  ré- 
glés par  jugement  arbitral.  Les  pays  qui  ne  font 
pas  encore  partie  de  l'Union  sont  admis  à  y  adhé- 
rer, au  moyen  d'une  simple  déclaration,  faite  par 
la  voie  diplomatique  entre  les  mains  du  gouver- 
nement suisse,  administration  gérante.  Cette  con- 
vention est  entrée  en  vigueur  le  1»' avril  1879.  Le 
Congrès  de  Paris  de  1878  a,  on  outre,  élaboré  deux 
arrangements  concernant  l'échange,  l'un  des  let- 
tres avec  valeurs  déclarées,  l'autre  des  mandats- 
poste.  Le  premier  a  été  signé  entre  l'Allemaguo, 
l'Autriche-Hongrie,  la  Belgique,  le  Danemark  et  les 
colonies  danoises ,  l'Egypte,  la  France  et  les 
colonies  françaises,  l'Italie,  le  Luxembourg,  la 
Norvège,  les  Pays-Bas,  le  Portugal  et  les  colonies 
portugaises,  la  Roumanie,  la  Russie,  la  Serbie, 
LVSuède  et  la  Suisse  ;  le  dernier  a  reçu  l'adhésion 
des  mêmes  pays  h  l'exception  de  la  Russie,  de  la 
Serbie  et  des  colonies  portugaises.  La  taxe  des 
lettres  avec  valeurs  déclarées  se  compose  du  port 
de  la  lettre  et  du  droit  de  recommandation,  plus 
d'un  droit  d'assurance  de  10centimespar200  francs 
pour  les  pays  limitrophes  et  de  25  centimes  pour 
les  autres  pays.  Le  maximum  des  mandats-poste 
est  de  500  francs,  la  taxe  est  de  25  centimes  par 
2.">  francs,  mais  il  peut  être  perçu  un  maximum 
de  50  centimes  pour  tout  mandat  n'excédant  pas 
50  francs. 

En  dernier  lieu,  une  conférence  internationale 
réunie  i  Paris  (18S0),  a  adopté  une  convention 
destinée  à  régulariser  le  transport  des  petits  pa- 
quets. En  voici  les  dispositions  essentielles  : 

Il  peut  être  expédié  de  l'un  des  pays  adhérents 
pour  un  autre  de  ces  pays,  sous  la  dénomination 
de  «  colis  postaux  »,  des  colis  sans  déclaration  de 
valeur  jusqu'à  concurrence  de  3  kilogrammes  ;  la 
taxe  se  compose  d'un  droit  de  50  centimes  par 
pays  participant  au  transport  territorial. 

Le  transport  maritime  est  rémunéré  à  raison 
de25centimesjusqu'à500milles,de  50  centimes  de 
500  à  1000  milles,  1  franc  do  lOOii  à  3000  milles, 
2  francs  de  30.)0  àOuOO  milles,  et  3  francs  au-des- 
sus de  0000  milles. 

Comme  mesure  de  transition,  chacun  des  pays 
contractants  a  la  faculté  d'appliquer  aux  colis 
postaux  provenant  ou  à  destination  de  ses  bu- 
reaux, une  surtaxe  de  25  centimes  par  colis. 
Exceptionnellement,  celte  surtaxe  est  élevée  à 
50  centimes  pour  la  Grande-Bretagne  et  l'Irlande, 
à  75  centimes  pour  l'Inde  britannique  et  pour  la 
Perse,  et  à  l  franc  pour  la  iiuède. 

D'autre  part,  il  peut  être  perçu  par  le  pays  des- 
tinataire une  taxe  de  factage  pour  le  port  à  domi- 
cile et  l'accomplissement  des  formalités  de  douane, 
sans  excéder  25  centimes  par  colis.  La  législation 
intérieure  de  chacun  des  pays  contractants  de- 
meure toutefois  applicable  pour  tout  ce  qui  n'est 
pas  prévu  dans  les  stipulations  de  la  convention. 

Tout  pays  où  la  poste  ne  se  charge  pas  actuel- 
lement du  transport  des  petits  colis  et  qui  adhère 
à  la  convention,  aura  la  faculté  d'en  faire  exécu- 
ter les  clauses  par  les  entreprises  de  chemin  de 
fer  et  de  navigation;  il  pourra  en  même  temps 
limiter  ce  service  aux  colis  provenant  ou  à  desti- 
tion  de  localités  desservies  par  ces  entreprises. 

Cette  convention  entrera  en  vigueur  le  I"  octo- 
bre 1881.  Elle  a  été  signée  le  3  novembre  ISSO 
par  les  représimtants  de  l'Autriclie-IIongrie,  de  la 
Belgique,  do  la  Bulgarie,  du  Dajieraark,  de  l'E- 
gypte, de  l'Espagne,  de  l'Italie,  du  Luxembourg, 
du  Monténégro,  de  la  Suède  et  de  la  Norvège,  du 
Portugal,  de  la  Roumanie,  de  la  Serbie,  de  la 
Suisse  et  de  la  Turquie.  La  Grande-Bretagne, 
l'Inde  britannique,  les  Pays-Bas,  et  la  Perse,  qui 


étaient  également  représentés  à  la  conférence, 
se  sont  réservé  un  délai  jusqu'au  I"  juillet  1881 
pour  apporter  leurs  signatures  h  la  convention. 

Les  renseignements  suivants  sont  empruntés  à 
la  statistiiiue  publiée  annuelloment par  le  bureau 
international  de  Berne  : 


I 

Voir  le  tableau  ci-après,  p.  1696. 


II 

Statistique  du  trafic  postal  de  la  France 
en  1879. 

Nombre  de  kilomètres  parcourus  pendant,  l'année: 

Par  les  wagons-poslc 63  214  715 

Par  les  malles-poste 31  243  862 

Par  les  services  à  clieval 3  6J2  033 

Par  les  services  à  pied 13  994  830 

Par  les  services  en  bateaux 222  380  . 

Service  intérieur: 

Lettres  affranchies 396  094  050 

Lettres  non  ou  insuffisamment  affranchies.. . .        4  106  108 
Leltres  franches  de  port 64  411  024 

Total 451611184 

fartes  ooslales   !  Simples 28  307  992 

Lartes  postales  j  ^^,^^  réponse  payée 2s8  980 

Journaux    et  autres  publications  périodiques 

servies  par  abonnement 249  865  470 

Autres  im[jrimés  de  toute  nature.  Nombre  de 

paquets 277  787  307 

Echantillons  de  marchandises 1 1  93 1  958 

Papiers  d'affaires 9  004  439 

Envois  recommandés 4  237  685 

Lettres  avec  déclaration  de  valeur  I   ^o'"'"''--  „.;^^J2J° 

(    valeur.,  yol  050  oiO 

Demandes  d'avis  de  réception 127  410 

M     j  i    j„      ,,„(  Nombre 11051744 

Mandats  de  poste  j    ^.^|^^,. 3  17  039  717 

Recouvrements  opérés  j  ^""JjJ^;  ;;;;:;;;:;:        9  5^4  298 
SeroicG  international. 

Lettres  affranchies j   Expédiées  31  431  012 

]   Reçues...  29  484  616 

Lettres  non  ou  insufQsarament  af-  j  Expédiées  818  667 

franchies (Reçues...  946  844 

^    ,           ,  ,                                   1  Expédiées  1  569  429 

Cartes  postales j   Reçues...  1614197 

^    .  ,  ,  ,  L     \  Expédiées  38  112 

Cartes  postales  avec  réponse  payée      n^^ueg  _  74431 

,      .  .,•     ,.  \  Expédiés!       14  697  252 

Journaux  et  autres  publications  .   j  n^J,  „  ^  325  854 

,    .        .        ■     ,     J     .     .         ,  \  Expédiés.  4  407  514 

Autres  imprimés  de  toute  nature  Pycus  2  496  815 

.  .      ..,,         ,             ...  1  Expédiés!  1632911 

Echantillons  de  marchandises.. .  ï  ^S^l^  925  028 

„.,,„.  l  Expédiés!  299  570 

Papiers  d  affaires j  Reçus.. . .  169  704 

_       .  ,,  )  Expédiés.  580  8*3 

Envois  recommandés j  ji,;çus,...  918169 

Lettres  avec  déclaration  de  valeurs  : 

Expédiées...     Nombre  43 271  ;  Valeur  tr.  34240506 

Reçues —         52  067          -  39  624  273 

,,....,.               )    Expédiées  H  228 

Demandes  d  avis  de  réception  . . .   |  p^^^g^^  _  j  923 

Mandats  de  pitste  : 

Expédiés...     Nombre  474 426 ;  Valeur  fr.      21  603  2 i9 
Reçus —         462509         —  13  834382 

A  consulter.  —  Le  Qulen  de  la  Neulville,  Origins  det 
postes  chez  les  anciens  et  chez  les  modernes,  Paris,  1708; 
—  Gouin,  Essai  historique  sur  l'établissement  des  postes  en 
France,  etc.,  Paris,  isji;  —  lîrrn^  le,  Des  postes  en  gé- 
néral et  particaliàreinru'  r„  /■„„,..  Paris,  1826;  —  A.  de 
Hotlischild,  Histoire  ,J  hi  /.-  ;.  „  , ,  lettres,  3'  édit.,  Paris, 
2  vol.;  —  Uod.  Rous.M  un,  J'rmir  rlr  la  t ' oTrespoïidancc  par 
lettres,  missives  et  télègrauunes,  2"  édit.,  Paris,  l!i77:  — 
L.  Renault,  La  poste  et  les  télégraphes,  Paris,  1877  ;  — 
Union  postale,  années  1875  à  1S8U,  Renie. 

[Eugène  Borol.| 


POSTE 


—  1696  — 


POSTE 


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POTASSE 


—  1697  — 


POTASSE 


POTASSE,  POTASSIUM.  —  Chimie,  XVI.  —  On 
appelle  vulgairement  dans  le  commerce  pota-''s 
une  substance  impure  contenant  00  à  80  p.  100 
du  corps  que  les  cliiniistos  appellent  carboii'iie 
da  potasse  (V.  Alculi,  p.  GO).  Dans  les  traités  do 
chimie,  on  donne  lo  nom  do  potasse,  confoimé- 
ment  i  la  nomenclature  chimique,  à  une  substance 
solide  forjnéo  d'oxygène  et  du  métal  appelé  /lOtus- 
siiim  ;  cette  potasse  est  donc  un  oxyde  de  potas- 
sium, KO,  K  étant  le  symbole  du  potassium. 

Propriiiti's  et  préparatinn  de  la  potasse  du  eom- 
merce.  —  Quand  on  verse  de  l'eau  bouillante  sur  des 
cendres  de  bois,  on  obtient  un  liquide  légèrement 
roussâtre  :  c'est  la  Itssire.  Ce  liquide,  frotté  entre 
les  doigts,  donne  un  toucher  particulier,  et  pos- 
sède \ino  odeur  spéciale;  par  l'évaporation  il 
donne  un  résidu  appelé  S'din,  ou  potasse  brute, 
ou  encore  potasse  perlasse.  La  potasse  brute  con- 
tient, outre  le  carbonate  de  potasse,  du  chlorure 
de  potassium  et  du  sulfate  de  potasse,  (Je  la  silice, 
de  l'oxyde  de  fer,  etc.  Cette  potasse  a  la  propriété 
de  dissoudre  les  corps  gras:  c'est  à  cause  de  cela 
que  dans  les  ménages  on  s'en  sert  pour  netioyor 
le  linge  en  coidant  la  lessii-e.  Pour  faire  cette 
-opération,  on  empile  !e  linge,  déjà  mouillé,  dans 
une  grande  cuve  ou  envier  dont  le  fond  est  percé 
d'un  trou  bouché  d'un  bouchon  de  paille  ;  le  tout 
est  recouvert  d'un  morceau  de  grosse  toile  appelé 
cendrier  ;  c'est  sur  cette  toile  que  l'on  étend  unp 
couche  de  cendres  sur  laquelle  on  verse  ensuite  de 
l'eau  bouillante;  on  reçoit  la  lessive  dans  une 
deuxième  cuve  pour  la  reverser  ensuite  un  cer- 
tain nombre  de  fois  sur  le  cendrier. 

Potasse  eimstique  nu  lii/drate  de  potasse  et 
pierre  à  cautère.  —  La  potasse  caustique  est  une 
substance  blanche,  opnque,  à  cassure  cristalline, 
fondant  au  rouge  sombre  ;  fraîchement  préparée, 
elle  a  pour  formule  KO, HO;  c'est  une  combinai- 
son de  l'oxyde  de  potassium  avec  un  é|uivalent 
d'eau.  Exposée  à  l'air,  la  potasse  caustique  absorbe 
l'acide  carbonique  et  se  transforme  en  carbonate 
de  potasse  :  K0,C02  ;  elle  attire  aussi  l'humidité, 
et  tombe  en  déliquescence  (V.  Alcali,  p.  Gi)). 

Préparation  de  la  potasse  caustique.  —  On  fait 
bouillir  dans  une  marmite  de  fonte  une  dissolu- 
tion de  carbonate  de  potasse  dans  12  fois  son  poids 
d'eau;  on  y  ajoute  à  différentes  reprises  un  lait 
de  chaux;  il  se  forme  un  carbonate  de  cliaux  in- 
soluble qui  se  dépose  au  fond  de  la  marmite,  tan- 
dis que  la  potasse  reste  en  dissolution  dans  la 
liqueur  surnageante;  on  décante,  puis  on  évapore 
la  liqueur  dans  une  capsule  d'argent;  le  résidu, 
fondu,  puis  coulé  on  plaques,  est  la  potasse  caus- 
tique des  laboratoires  ;  si  on  la  coule  dans  des 
lingotières,  on  obtient  des  bâtons  que  vendent 
les  pharmaciens  sous  le  nom  de  pirrrr  à  cautère. 

Cette  potasse  n'est  point  encore  absolument 
pure  ;  elle  a  retenu  do  la  chaux.  Pour  l'en  débar- 
rasser, on  la  dissout  dajis  l'alcool,  qui  no  dissout 
point  la  chaux.  On  distille  los  2/:i  de  la  liqueur 
•décantée,  puis  on  évapore  jusqu'à  fusion  de  la 
niasse. 

Potassium.  —  L'illustre  chimiste  Lavoisier  avait 
soupçonné  la  composition  de  la  potasse,  de  la 
soude,  de  la  chaux,  etc.  Il  pensait  que  ces  sub- 
stances étaient  probablement  des  oxydes  métalli- 
ques, comme  les  oxydes  de  plomb,  de  zinc,  de 
1er  ;  mais  on  ne  connaissait  point  le  moyen  de  sé- 
parer le  métal  et  l'oxygène  très  fortement  unis. 
G  est  en  \mi  que  sir  H.  Davy  put  décomposer  la 
potasse,  au  moyen  d'une  pile  puissante,  ot  mettre 
en  liberté  le  premier  globule  de  potassium  qu'un 
homme  ait  jamais  vu.  C'était  là  une  découverte 
dune  jVnmense  portée.  J.-li  Dumas  raconte  (|ue 
ce  n  elft  pas  sans  une  profonde  émotion  qu'en 
compa,;nio  do  Faraday,  qui  avait  eu  pour  maître 
1  Illustre  chimiste  anglais,  il  put  lire,  sur  lo  regis- 
tre où  Davy  inscrivait  les  résultats  de  ses  expé- 
2«  Pahtie. 


riences,  ces  simples  mots:  Capital  experiment  ,Aé\,3.- 
chés  du  reste  delapa^e  par  un  cercle  que  Davy  avait 
tracé  d'une  main  liévreuse  quarante -deux  ans 
auparavant.  Aujourd'hui  on  prépare  le  potassium 
par  le  procédé  de  Brunnor;  il  consiste  à  décom- 
poser le  carbonate  de  potasse  par  le  charbon  à 
une  température  très  élevée.  K0,C02  +  2G  = 
3C0-I-K,  c'est-à-dire  que  la  calcination  du  mé- 
lange donne  de  l'oxyde  de  carbone  et  du  potas- 
sium Le  mélange  intime  de  carbone  et  de  carbo- 
nate de  potasse  s'obtient  en  calcinant  du  tartre 
(bitartrate  de  potasse). 

Propriétés  du  potassium.  —  Le  potassium  est 
blanc  comme  l'argent,  mou  comme  la  cire  et  bril- 
lant; dès  qu'il  est  exposé  à  l'air,  il  se  ternit,  de- 
vient blanc  opaque,  en  se  transformant  en  potasse. 
C'est  donc  un  métal  excessivement  oxydable. 
Projeté  sur  l'eau,  il  donne  naissance  à  une  flamme 
violacée,  tournoie  à  la  surface  de  l'eau,  puis  dis- 
paraît subitement  en  une  explosion  dont  il  faut 
éviter  les  projections.  Que  s'est-il  passé?  Le  po- 
tassium, avide  d'oxygène,  décompose  l'eau  à  froid, 
s'oxydo  en  produisant  un  grand  dégagement  de 
chaleur;  l'hydrogène  libre  s'enflamme,  la  potasse 
formée  devient  incandescente  et  éclate  quand  elle 
est  assez  refroidie  pour  entrer  en  contact  im- 
médiat avec  l'eau.  Lo  potassium  fond  à  Ci», 5.  Au 
rouge  il  bout  et  on  peut  lo  distiller.  Sa  vapeur 
est  verte,  et  au  spoctroscope  il  donne  une  raie 
violette. 

Le  potassium  n'a  guère  d'usages  que  dans  quel- 
ques expériences  do  laboratoire  ;  on  le  conserve 
dans  riiuile  de  naphte,  et  il  doit  être  manié  avec 
précaution  et  à  l'abri  de  la  moindre  trace  d'hu- 
midité. 

Sels  de  potasse.  —  La  potasse  est  une  base 
puissante  ;  elle  se  combine  avec  la  plupart  des 
acides  minéraux  et  végétaux;  plusieurs  des  com- 
posés formés  soit  par  la  putasse,  soit  par  lo  potas- 
sium, ont  de  l'importance  au  point  do  vue  scien- 
tifique, commercial,  industriel,  agricole  ou  médi- 
cal. Les  principaux  sont  :  le  carbonate,  l'azotate, 
le  chlorure,  le  sulfate,  lo  chlorate,  l'iodure,  l'hypo- 
chlorite  et  les  cyanures. 

Caractères  généraux  des  sels  depofas^e.  —  Les 
sels  de  potasse  en  dissolution  dans  l'eau  ne  don- 
nent de  précipité  qu'avec  le  bichlorure  de  platine, 
l'acide  tartriquR  et  l'acide  hydrofluosilicique.  C'est 
là  un  caractère  analytique  important  à  retenir. 

Cartionate  de  potasse.  —  Ce  sel  s'appelle  vul- 
gairement potasse  :  il  a  pour  formule  KO, GO*. 
Nous  avons  dit  plus  haut  comment  on  l'obtenait 
impur  ;  on  l'obtient  presque  pur  par  la  calcina- 
tion du  tartre. 

L'industrie  en  retire  uno  assez  grande  quantité 
des  résidus  de  la  distillation  dos  mélasses  de 
betterave,  puis  de  la  calcination  des  eaux  de  suint 
provenant  du  lavage  des  laines  de  mouton.  A  l'é- 
tat sec,  le  carbonate  de  potasse  est  une  masse 
blanche  pulvérulente  ayant  une  réaction  alcaline 
et  une  saveur  caustique;  c'est  un  poison.  Sous 
l'aciion  d'un  courant  d'acide  carbonique,  il  se 
transforme  en  bicarbonate. 

Azitate  de  potasse  ou  salpêtre.  —  V.  Sal- 
pêtre. 

Clilorate  de  potasse.  —  Le  chlorate  de  potasse 
ou  sel  de  Berthollet  est  un  beau  sel  blanc  cris- 
tallisé en  lames  rliomboïdales.  Il  a  uno  saveur 
fraîche,  fond  à  403",  puis  se  décompose  en  aban- 
donnant son  oxygène  ;  c'est  mémo  comme  cela 
qu'on  prépare   c'o  dernier  gaz. 

Le  chlorate  de  potasse  fuso  sur  les  charbons  in- 
candescents ;  mélangé  au  soufre  en  fleur,  ou  au 
phosphore,  il  détone  violemment  par  la  choc. 

On  prépare    le  chlorate   de    potasse   on  faisant 

passer  un    courant   de  chlore  dans  une   solution 

concentrée   de  carbonate  de  potasse  ;  il  se   forme 

d'abord  des  paillettes  miroitantes  qui  nagent  dans 

107 


POTASSE 


—  1698  — 


POTERIE 


la  lifiueur,  puis  se  déposent  au  fond,  tandis  que 
la  liqueur  surnageante  reste  chargée  du  clilorure 
de  potassium  qui  s'est  formé  en  même  temps  que 
le  tlilorate  de  potasse. 

Le  clilorate  de  potasse  est  beaucoup  employé 
en  médecine  aujourd'hui.  11  agit  efficacement 
dans  le  traitement  des  muqueuses  de  la  bouche 
et  de  la  gorge  ;  on  l'administre  en  potion  gom- 
meuse,  ou  en  simple  dissolution  aqueuse  étendue, 
quelquefois  en  pastilles. 

Hi/pochloiite  de  potasse  ou  eau  d  ■  javi'llu.  — 
L'eau  de  javelle,  qui  tire  son  nom  du  village  do 
Javelle,  aujourd'hui  quai  de  Javelle  à  I  aris,  où  on 
en  fabrique  beaucoup,  est  un  liquide  d'une  odeur 
chlorée,  d'une  saveur  alcaline,  et  d'un  toucher 
lessiveux ,  constitué  par  un  mélange  dhypo- 
chlorite  de  potasse  et  de  chlorure  de  potassium, 
CIK  +  KO, CIO.  On  prépare  cette  liqueur  en  fai- 
.sant  passer  un  courant  de  chlore  dans  une  dis- 
solution étendue  de  carbonate  de  potasse. 

L'eau  de  javelle  sert  au  blanchiment;  malheu- 
reusement pour  le  linge,  qu'elle  brûle,  les  blan- 
chisseuses en  abusent  souvent. 

Bromure  et  induré  de  potassium.  —  Ces  denx 
sels,  qui  cristallisent  en  cubes,  ont  à  peu  près 
l'aspect  du  sel  de  cuisine  blanc.  On  les  prépare,  le 
premier  par  l'action  directe  du  brome,  le  second 
par  celle  de  l'iode  sur  la  potasse  caustique.  Tous 
les  deux  sont  soUibles  dans  l'eau  et  sont  aujour- 
d'hui employés  en  médecine,  l'iodure  principale- 
ment. Ce  sel  a  une  saveur  salée  et  acre;  100  par- 
tics  d'eau  à  IS»  dissolvent  150  parties  d'iodure. 
On  l'administre  à  l'intérieur  en  dissolution  aqueu- 
se, ou  pour  l'usage  externe  h  l'ctat  de  pommade. 
Ou  peut  en  prendre  jusqu'à  10  grammes  par  jour. 
Nous  aurions  encore  à  parler  du  cyanure  de 
potassium,  du  silicate  de  potasse,  du  tartrate.  du 
sulfate  et  do  l'oxalate,  etc.  Nous  dirons  deux  mois 
de  ces  deux  derniers,  et  pour  les  autres  nous 
renvoyons  le  lecteur  aux  articles  Cyanogène, 
Silice,   Tartre. 

Sulfate  de  potasse.  —  Le  sulfate  de  potasse, 
K0,S03,  est  connu  sous  le  nom  de  sel  de  duohus, 
ou  fel  lit  Gloser,  ou  encore  tartre  vitriolé  ;  c'est 
un  des  représentants  de  la  vieille  pharmacologie. 
On  le  retire  des  cendres  de  varech,  puis  de  la 
préparation  de  l'acide  azotique.  Il  est  soluble 
dans  l'eau,  insoluble  dans  l'alcool  ;  il  a  une  sa- 
veur amère  et  désagréable.  Il  est  toxique  à  la 
dose  de  SO  gramme^  ;  il  ne  faut  donc  point  le  con- 
fondre avec  les  sulfates  de  soude  ou  de  magnésie 
si  employés  comme  purgatifs. 

Oxalate  de  potasse.  —  On  donne  le  nom  de  sel 
d'oseille  à  un  sel  acide  de  potasse  qu'on  retire 
de  YOxalis  aeetosetla,  qui  lui  doit  une  partie  de 
ses  propriétés.  Ce  sel  est  un  mélange  de  liioxulate 
et  de  qundroxalate  de  potasse.  Il  est  toxique,  et 
a  des  propriétés  qui  se  rapprochent  beaucoup  de 
celles  de  l'acide  oxalique. 

Usriges  lie  la  potasse  el  des  sels  de  potasse.  — 
Ces  usages  sont  extrêmement  nombreux  et  variés. 
Nous  en  avons  déjà  cité  un  grand  nombre.  La  po- 
tasse entre  dans  la  fabrication  dis  cristaux  et 
dans  celle  des  savons  V.  Savo7ii  et  l'erce).  Le 
carbonate  entre  dans  la  fabrication  du  cristal, 
de  l'alun,  du  b!eu  de  Prusse,  etc.  On  l'emploie 
aussi  en  médecine.  Le  chlorate  sert  à  prépa- 
rer l'oxygène  ;  il  entre  dans  la  pâte  des  allu- 
mettes dites  au  phospliore  amorphe.  Nous  avons 
parlé  des  applications  de  l'hypochlorite,  de  l'io- 
dure. etc.  Celles  du  silicate  se  trouveront  à  l'ar- 
ticle Sî/ice;  nous  dirons  seulement  ici  que,  le  sili- 
cate de  potasse  étant  le  principal  élément  des 
roclies  granitiques,  la  potasse  prend  une  impor- 
tance de  premier  ordre  dans  la  composition  de  la 
croûte  terrestre;  néanmoins  on  ne  l'y  rencontre 
jamais  pure,  parce  qu'elle  se  combine  trop  facile- 
ment aux  acides  ;  elle  est  aussi,  à  l'état  salin,  un 


élément  important  de  tous  les  végétaux  terres- 
tres, puisqu'on  la  retrouve  en  grande  quantité 
dans  leurs  cendres.  [A.  Jacquen^rt.] 

rOTIîUIE.  —  Connaissances  usuelles,  II-V.  — 
Histoiique.  —  L'art  de  la  poterie  remonte  aux 
époques  les  plus  reculées.  On  s'accorde  à  lui  re- 
connaître pour  berceau  les  contrées  de  l'Asie 
orientale. 

Parmi  toutes  les  manifestations  du  génie  hu- 
main, les  produits  de  l'art  céramique,  ou  de  la 
poterie,  ont  su  donner  à  travers  les  âges,  mieux 
que  toute  autre  industrie,  la  mesure  approximative 
du  degré  de  l'art  chez  les  peuples,  et  partant  de 
leur  civilisation. 

En  effet,  l'argile  s'offre  d'elle-même  à  l'idée  du 
façonnage;  elle  se  prête  aux  caprices  de  l'imagi- 
nation ;  multiple  dans  ses  applications  variées, 
toujours  accessible  par  sa  faible  valeur  intrinsè- 
que; c'est  par  la  forme  quelui  impose  l'artiste  que 
ses  produits  acquièrent  un  prix  quelquefois  très 
élevé. 

Nous  jetterons  un  coup  d'oeil  d'ensemble  sur  le 
développement  des  arts  cérarai'iues. 

L'art  du  potier  consista  d'abord  à  employer  le 
limon  ou  l'argile  simplement  exposés  et  séchés  au 
soleil. 

Ainsi  furent  construites  en  briques  les  premières 
villes  de  l'Asie,  sur  les  bords  du  Tigre  et  de  l'Eu- 
phrate. 

11  se  compléta  lorsqu'avec  l'aide  du  feu  on  vint 
ajouter  à  ses  produits  les  qualités  de  dureté,  de 
sonorité  qui  les  rendirent  indestructibles. 

Dès  la  plus  haute  antiquité  les  arts  céramiques 
furent  en  grande  considéiation  ;  et  chaque  con- 
trée, la  Grèce  entre  autres,  fournit  des  potiers 
célèbres. 

Ce  n'est  seulement  qu'au  xi'  siècle  que  1  on 
mentionne  en  Europe  l'apparition  des  poteries  à 
pâtes  compactes,  dures  et  imperméables  ;  et,  vers 
la  même  époque,  l'introduction  en  Espagne  par  les 
Arabes  (le  la  poterie  à  glaçure  plombifère. 

En  Italie  s'est  développée  la  fabrication  des  terres 
cuites  et  des  poteries  recouvertes  d'émail  stanni- 
fère,  importées  par  les  Arabes  venus  de  l'ile  Ma- 
jorque (d'où  le  nom  majolica  appliqué  à  cette 
faïence^. 

Elle  accomplit  de  rapides  proîrès  par  le  talent 
de  Luca  délia  Robia,  r.  sté  célèbre  (13'_8-1430)  et 
de  ses  neveux,  puis  par  Orazzio  et  Flaminio. 

A  Bernard  Palissy  (151Û-1.=.9I)  était  réservé  la 
tâche  de  retrouver  le  mode  de  fabrication  de  ces  jo- 
lies faïences.  . 

Après  des  années  de  travail  et  de  luttes  il  vit 
enfin  ses  efforts  couronnés  de  succès  (ISSOj.  Ses 
frères  et  ses  élèves  continuèrent  ses  travaux  jusque 
sous  le  règne  de  Henri  IV. 

Vers  1600,  un  nouvel  essor  est  donne  aux  arts 
céramiques  par  l'introduction  en  Europe  de  la 
porcelaine  chinoise. 

Des  essais  faits  en  vue  de  reproduire  cette  ma- 
tière sont  tentés,  et  l'on  arrive  à  la  porcelaine  ten- 
dre. En  11  95,  Morin  en  établit  à  Saint-Cloud  la 
première  fabrique. 

Ouelques  années  plus  tard,  a  lieu  par  hasard  la 
découverte  du  kaolin  (matière  propre  à  la  fabrica- 
tion de  la  véritable  porce'aine)  par  Doettger  et 
Tchirnhauss.  En  1710,  ils  créèrent  la  première  fa- 
brique de  porcelaine  dure  identique  à  la  pâte  cbi- 
noise.  , 

A  cette  même  époque  la  fabrication  des  grès 
cérames  acquit  un  grand  développement. 

Veis  le  milieu  du  xviii"  siècle,  en  nK.î,  la  de- 
couverte  du  kaolin  à  Saint-Yriex,  près  de  Limoges, 
permit  à  la  manufacture  récemment  insi  allée  il 
Sèvres  d'apporter  un  grand  développomeot  à  la 
fabrication  de  la  porcelaine  dure,  dont  les  procé- 
dés lui  avaient  été  donnés  par  un  industriel  de 
Frankenthal. 


POTERIE 


1699 


POTERIE 


A   pou  près  en  mÎMiie  temps,   l'Angleterre   s'il-  j 
lustrait  par   les  beaux  travaux  d'un  autre  potier, 
Wedgwood,   créateur  do  la  faïence  fine  et  dure  i 
i;laçure  transparente. 

Elle  obtint,  par  ses  qualités  spéciales,  une 
;;rande  célébrité  artistique  et  industrielle. 

Au  commencement  du  même  siècle  se  dévelop- 
pait la  porcelaine  tendre  anglaise,  qui,  en  ISOO, 
arriva  à  sa  perfection  par  les  modifications  im- 
portantes qu'y  apporta  Spode. 

A  partir  de  cette  date,  nous  entrons  dan  s  l'his- 
toire contemporaine  de  la  poterie,  qui,  après  une 
longue  éclipse,  se  réveille,  ;\  partir  de  lSi3,  avec 
les  Devers,  les  Avisseau,  les  Pull  dont  l'intelli- 
gente et  persévérante  initiative  amena  une  sorte 
de  résurrection  des  arts  de  la  terre. 

Considérations  générales  sur  la  composition 
des  poteries.  —  La  silice  et  l'alumine  sont  les 
deux  éléments  essentiels  des  pâtes  céramiques. 

Pris  séparément,  ces  deux  éléments  sont  infu- 
sibles. Au  contact  l'un  de  l'autre  ils  entrent  en 
vitrifioatlon. 

C'est  sur  ce  principe  qu'est  fondée  la  formation 
des  pâtes  en  général. 

Viennent  ensuite  les  fondants,  qui  ont  une  part 
important'^  dans  l'opération  de  la  fusion;  puis 
la  magnésie  et  le  fer,  qui  jouent  un  rôle  secon- 
daire. 

La  silice,  indépendamment  de  celle  que  contien- 
nent les  argiles,  est  fournie  par  le  sable,  le  silex, 
le  quartz  ou  cristal  de  roche,  etc. 

Le  kaolin,  l'argile,  la  marne  fournissent  la  partie 
plastique,  en  d'autres  termes  l'alumine. 

Nous  diviserons  les  fondants  en  deux  groupes  : 
1°  ceux  que  donnent  les  composés  de  la  chaux, 
craie,  gypses,  marnes,  etc.  (la  chaux,  matière  in- 
fusible prise  isolément,  devient  un  fondant  actif 
lorsqu'elle  est  alliée  à  la  silice  ou  à  l'alumine); 
2°  les  corps  alcalins  :  sels  de  soude  ou  de 
potasse,  unis  à  la  silice  ou  à  l'alumine,  soit  na- 
turellement, soit  à  l'état  de  fritte  ou  môme  de 
verre. 

C'est  donc  aux  proportions  variables,  à  l'état 
sous  lequel  on  introduit  ces  éléments  dans  la  for- 
mation d'ujiepàte.  au  degré  de  cuisson  qu'on  leur 
fait  subir,  que  chaque  espèce  des  poteries  expo- 
sées dans  le  tableau  ci-dessous  doit  ses  caractères 
particuliers. 

La  classification  Brongniart,  à  laquelle  nous 
croyons  devoir  faire  quelques  additions,  se  pré- 
sente dans  l'ordre  suivant  : 


l"  Poteries  à  pâte  tendre, 
c'ebt-à-dire  payables  par  le 
fer,  argilo-siliceuses,  cal- 
capifères,  fusibles  au  feu 
de  porcelaine.  (Du  xn"  siè- 
cle avant  l'ère  vulgaire 
jusqu'au  iv  siècle.) 

2'  Poteries  à  pâte  dure,  non 
rayables  par  l'acier,  opa- 
ques, argilo-siliceuses.  (Uu 
XVI"  au  ivii'  siècle). 

3»  Poteries  à  pâte  dure  Irans- 
Ixicide,  argilu- siliceuses, 
alcalines ,  rauiollissables. 
(Couteuipuraiues.) 


l"  Terres  cuites. 

2"  Poteries  mates  tournées. 

3»  Poterii-s  lustrées. 

4*  Poteries  vernissiïes. 

5"  Poteries  éraaiUées. 


8"  Porcelaine  4ure, 
9»  Porcelaine  tendre,  na- 
turelle ou-  anglaise. 
10°  Porcelaine  tendre,  arti- 
ficielle ou  française. 
11°  Faïence  siliceuse. 


^  Poteries  a  pâte  tendre.  —  1°  Terres  cuites. 
Produits  à  pâte?  peu  dures,  texture  poreuse,  cuis- 
son à  température  relativement  basse.  Pâte  com- 
posée presque  toujours  d'argile  figuline  (argile 
tenant  le  milieu  entre  l'argile  plastique  et  les 
mamos),  ou  de  marnes  argileuses. 

i'  Poteries  mates  tournées.  Cette  catégorie  com- 
prend les  hydrocérames  ou  alcarazas,  les  pots  à 
fleurs,  toutes  pièces  faites  à  l'aide  du  tour,  ainsi 
que  les  jarres  et  les  cuviers. 


La  pâte  se  coinpose  le  plus  souvent  d'argile  figu- 
line, de  marne  argileuse  et  de  sable;  et  ces  pote- 
ries sont  quelquefois  décorées  d'engobe. 

3°  Poteries  tendres  lustrées.  Ici  se  rangent  les 
vases  antiques  grecs,  égyptiens,  éiriisques  et 
campaniens.  Pâte  homogène,  fine,  jaunâtre  ou 
rougeâtre,  composée  de  silice,  d'alumine,  de  fer  et 
de  chaux. 

4"  Paieries  tendres  vernissées.  Les  ustensiles 
servant  à  l'alimentation  et  recouverts  d'un  ver- 
nis, rentrent  dans  cette  classe. 

Aux  environs  de  Paris,  on  compose  la  pâte  de 
sable  et  d'argile  brute  extraite  de  GentiUy, 
Arcueil,  Vanves,  Vaugirard,  etc. 

La  cuisson  du  vernis  en  partie  plombifère  a 
quelifuefois  lieu  simultanément  avec  celle  de  la 
terre . 

5°  Poteries  émaillées.  La  faïence  commune 
jaune  ou  rosâtre,  comprenant  sous  ce  titre  les 
vaisselles,  tasses,  assiettes,  etc.,  se  compose  d'ar- 
gile d'Arcueil,de  marnes  argileuses  verdâtres,  de 
marne  calcaire  blanche  et  de  sable  marneux  jau- 
nâtre (environ  58  'la  de  silice). 

L'émail  blanc  qui  recouvre  cette  faïence  est 
composé  d'oxyde  de  plomb,  d'élain,  de  sable 
quartzeux,  de  sel  marin  et  de  soude. 

C'est  dans  cet  ordre  que  se  placent  les  faïences 
pour  poêles  et  cheminées. 

Dans  d'autres  cas,  c'est  une  glaçure  brune  com- 
posée do  minium,  de  manganèse  et  de  poudre  de 
briques  fusibles. 

Poteries  a  pâtes  dures.  ^  6"  Faï  née  fine  ou 
anr/laise,  appelée  terre  de  pipe  ou  ciiilloutuge,  et 
désignée  aussi  quelquefois  sous  le  nom  de  porce- 
Inine  opaque  La  pâte  fine  et  blanche  est  très 
plastique.  Elle  est  recouverte  d'une  couche  mince 
de  glaçure  blanche  très  pure,  légèremetit  bleutée. 

La  base  de  cette  faïence  est  l'argile  plastique 
alliée  à  la  silice  que  fournit  le  silex  ou  pierre  à 
fusil.  Sa  composition  peut  se  compliquer  suivant 
les  circonstances  et  les  localités  par  l'ajout  de 
kaolin,  de  feldspath  ou  de  chaux  ;  mais  en  prin- 
cipe elle  renferme  toujours  81)  à  85  p.  100  d'ar- 
gile phistique. 

On  en  comprend  trois  variétés  :  la  faïence  fine 
marnée,  la  faïence  fine  cailloutée  et  la  faïence 
fine  dure  ou  feldspathique. 

Par  suite  de  la  grande  proportion  d'alumine 
qu'elle  contient,  la  faïence  fine  ne  peut  recevoir 
que  des  glaçures  à  base  boracique. 

7°  Grès  cérame.  Les  grès  sont  des  pâtes 
dures,  sonores,  homogènes  et  imperméables  à 
l'eau. 

On  en  distingue  deux  sortes  :  les  grès  cérames 
fins  et  les  grès  cérames  communs. 

Bon  nombre  d'objets  usuels,  cruches,  jarres, 
touriUes,  etc.,  sont  faits  en  cette  matière,  fré- 
quemment employée  pour  les  carreaux  de  dal- 
lages. 

Los  grès  sont  blancs  ou  colorés,  tantôt  natu- 
rellement, tantôt  par  des  oxydes  métalliques  que 
l'on  introduit  â  petite  dose  dans  le  mélange  de 
la  pâte.  C'est  ainsi  que  s'obtiennent  ces  carreaux. 

Les  pâtes  de  grès  cérames  sont  pour  la  plupart 
composées  d'argile  plastique,  à  laquelle  on  ajoute 
un  fondant  propre  à  en  lier  intimement  les  par- 
ties constitutives,  auxquelles  elles  donnent  une 
demi  vitrification.  Le  feldspath  est  essentielle- 
ment propre  à  cet  usage  et  dégraisse  en  môme 
temps  l'argile,  qui,  employée  pure,  serait  trop 
plastique. 

La  glaçure  des  grès  vernissés  s'obtient  en  pro- 
jetant du  sel  marin  dans  le  four  vers  la  fin  de  la 
cuisson  de  la  pâte. 

Les  pâtes  de  grès  cérames,  comme  les  faïences 
fines,  sont  soumises  â  une  liiiute  température. 

Poteries  a  pates  dures  translucides.  —  8°  l'or- 
celaine  dure.  Cette    poterie   se  caractérise  par 


POTERIE 


1700  — 


POTERIE 


sa  pète  extrêmement  blanche,  fine,  dure,  translu- 
cide et  sonore. 

Sa  couverte  blanche  est  fournie  par  le  feldspath 
pur  ou  mclajigé  de  chaux. 

La  pâte  de  porcelaine  se  compose  de  deux  élé- 
ments essentiels  :  de  kaolin,  matière  infusible, 
formant  la  partie  plastique,  et  de  sable  ou  de 
feldspath. 

Au  contact  l'un  de  l'autre,  ces  éléments  entrent 
en  vitrification.  On  leur  associe  quelquefois  de  la 
craie  ou  des  gypses. 

Ces  pièces  de  porcelaines  sont  d'abord  soumi- 
ses à  un  premier  feu,  dit  de  dégourdi,  puis,  à 
une  température  beaucoup  plus  élevée,  a  lieu  la 
viirification  de  la  couverte,  ainsi  que  la  complète 
cuisson  de  la  pâte. 

9°  Porcelaini:  tendre  naturelle  ou  anglaise.  Elle 
tient  le  milieu  entre  la  porcelaine  dure  et  la 
faïence  fine.  Elle  se  dislinoue  de  la  première 
parce  que  sa  pâte  est  plus  fusible  et  que  sa  gla- 
çure  est  plombière  et  rayable  par  l'acier;  de  la 
seconde  parce  qu'elle  est  transparente  et  que  son 
vernis  est  plus  dur. 

Les  pâtes  de  porcelaine  tendre  anglaise  sont 
composées  de  30  à  -iO  p.  lOn  de  kaolin  ou  d'argile 
plastique,  d'un  peu  de  sable  ou  silex  et  d'une 
forte  proportion  d'os  calcinés  qui  facilite  la  fusion 
du  produit. 

\0°  Porcelaine  tendre  artifti-iulle  ou  française. 
La  porcelaine  tendre  française  a  été  inventée  en 
1695  par  Morin,  alors  à  la  recherche  de  la  vérita- 
ble  porcelaine. 

C'est  une  pâte  blanche  vitreuse.  Elle  doit  ses 
propriétés  fusibles  à  une  forte  addition  de  sels 
alcalins.  Elle  se  compose  de  50  à  80  p.  lOO  de 
silice,  d'une  quantité  variable  de  chaux,  de  soude 
et  de  potasse  et  d'à  peine  8  ou  9  parties  de  marne 
calcaire. 

Dans  de  telles  conditions,  cette  pâte  est  exces- 
sivement courte.  Vu  son  manque  do  plasticité, 
elle  se  prête  peu  au  façonnage,  et  les  difficultés 
sont  encore  augmentées  par  son  ramollissement  à 
la  cuisson. 

Sa  couverte  est  un  verre  alcalin  composé  de 
sable  pour  38  p.  100,  d'une  égale  i|uantité  de  plomb, 
et  de  sels  de  potasse  et  de  soude  pour  le  reste. 

Les  résultats  de  la  porcelaine  tendre  française, 
supérieure  à  toute  autre,  en  ont  toujours  fait  une 
matière  de  prix. 

11°  Faïence  siliceuse.  Nous  avons  ajouté  à 
la  suite  de  cette  classification  une  catégnrie  im- 
portante de  faïence  exclusivement  composée  de 
silice  et  offrant  par  cela  même  beaucoup  d'analo- 
gie avec  la  porcelaine  tendre  française. 

La  faïence  siliceuse  se  compose  d'environ  80  à 
85  parties  de  silice  et  d'une  faible  quantité  d'ar- 
gile plastique;  étant  soumise  à  un  degré  plus  fai- 
ble de  cuisson,  elle  n'a  de  la  porcelaine  tendre 
ni  la  dureté  ni  la  même  translucidité. 

Tantôt,  sa  pâte  est  fine,  légèrement  jaunâtre  et 
très  poreuse. 

Tantôt  elle  est  grossière,  composée  de  grains 
de  quartz  que  lie  une  argile  ferrugineuse,  et  ses 
produits  sont  appliqués  en  Orient  à  la  construc- 
tion. La  faïence  est  alors  recouverte  d'un  émail 
opaque. 

La  chaux,  la  soude  et  la  potasse  apportent 
aussi  leur  part  dans  la  composition  des  faïences 
siliceuses,  qui  deviennent  alors,  avec  l'addition 
des  fondants,  de  véritables   porcelaims  tejidres. 

Ces  faïences,  par  leur  qualité  siliceuse,  sont 
spécialempnt  propres  à  recevoir  des  couvertes  à 
bases  alcalines,  sans  préjudice  des  autres. 

Façonnage.  —  Suivant  leur  nature  et  leur  qua- 
lité, les  pâtes  céramiques  sont  soumises  aux  opé- 
rations du  lavage,  du  décantage,  du  broyage,  du 
matisage,  ou  sojit  simplement  malaxées,  comme 
pour  les  terres  cuites. 


Après  leur  raffermissement,  elles  sont  propres 
au  façonnage.  Celui-ci  comprend  les  opérations  ci- 
après  : 

r  Le  moulage  et  l'estampage  ; 
2°  Le  tournage  et  le  tournassage; 
3°  Le  coulage; 
4"  L'estampage  parla  voie  sèche; 

5°  Le  filage. 

Les  moules  qui  servent  à  l'estampage  des  pâtes 
sont  généralement  en  plâtre  ;  ils  sont  quelquefois 
en  métal  pour  la  pression  des  briques,  tuiles,  car- 
reaux, etc. 

Le  tour  à  potier  sur  lequel  se  tournent  les 
vases,  coupes,  plats,  etc.,  est  composé  d'un  arbre 
vertical  en  fer,  d'un  disque  de  bois  appelé  girelle, 
fixé  horizontalement  à  l'extrémité  supérieure  de 
l'arbre,  et  d'un  volant  placé  au  bas.  Le  tourneur 
dépose  sur  la  girelle  la  niasse  de  pâle  â  façonner, 
met  l'appareil  en  rotation  en  poussant  du  pied  le 
volant  inférieur,  et  à  laide  de  ses  mains  com- 
prime la  pâte  à  laquelle  il  donne  la  forme  voulue. 

L'opération  du  tournassage  n'est  que  le  fini 
d'une  ébauche  faite  au  tour.  Elle'  a  lieu  sur  la 
pièce  à  moitié  ferme  à  l'aide  d'outils  tranchants 
et  de  calibres.  Les  poteries  fines,  les  grès  et  les 
porcelaines  sont  seuls  soumis  au  tournassage. 

Le  coulage  ne  s'applique  guère  qu'aux  porce- 
laines de  choix,  d'une  très  faible  épaisseur.  Les 
piècps  obtenues  par  ce  procédé  sont  excessive- 
ment légères  et  d  une  transparence  remarquable. 
La  pite  â  l'état  de  bouillie  claire  est  introduite 
dans  des  moules  en  plâtre  par  des  orifices  ména- 
gés aux  parties  inférieures;  elle  y  séjourne  quel- 
ques minutes;  on  reverse  l'excédent  de  pâle,  et 
celle  qui  a  adhéré  aux  parois,  sous  l'action  absor- 
bante du  plâtre,  ne  tarde  pas  i  s'en  détacher;  puis 
on  met  sécher  la  pièce  à  l'air. 

La  pression  pur  la  voie  sèche,  d'application  mo- 
derne, est  employée  plus  spécialement  pour  les  pro- 
duits de  la  construction,  carreaux,  briques,  etc. 
La  pâte  est  séchée.  réduite  en  poudre,  puis  dépo- 
sée dans  un  moule  en  métal  et  soumise  à  une  forte 
pression. 

Le  filage  a  lieu  pour  les  produits  creux,  tuyaux 
de  drainage,  briques  creuses,  etc.  11  s'opère  ver- 
ticalement ou  horizontalement.  La  paie  molle  se 
trouve  pressée  contre  une  filière,  et  â  sa  sortie 
des  fils  divisent  le  produit  par  section. 

Le  retrait  des  pâtes  céramiques,  c'est-à-dire  la 
différence  de  dimensions  d'une  pièce  sortant  du 
façonnage  i  celle  qu'elle  a  obtenue  après  la  cuis- 
son, varie  de  1  à  20  %. 

La  cuisson.  —  La  cuisson  des  poteries  et  des 
glaçures,  couvertes  ou  émaux,  se  fait  en  four  ou 
en  moufle. 

Les  fours  sont  des  chambres  de  formes  très 
variées,  tantôt  annulaires  comme  ceux  qui  servent 
à  cuire  la  brique,  la  tuile,  etc.,  où  la  flamme  cir- 
cule à  même  les  produits,  tantôt  carrés  comme 
ceux  destinés  à  cuire  la  faïence  commune. 

Pour  la  cuisson  des  porcelaines,  grès  fins,  faïen- 
ces fines,  etc.,  on  se  sert  de  fours  circulaires 
quelquefois  composés  de  plusieurs  chambres  su- 
perposées. Le  combustible  s'introduit  par  des 
alandiers  placés  en  dehors  à  la  partie  iuférieure 
de  la  chambre  et  communiquant  avec  l'intérieur 
où  se  trouvent  les  produits  à  cuire;  ceux-ci  sont 
étages  dans  des  étuis  ou  cazeties  qui  les  préser- 
vent de  l'action  directe  de  la  flamme. 

La  cuisson  pour  la  porcelaine,  dans  un  four  de 
dimension  moyenne,  est  d'environ  vingt-cinq  heu- 
res ;  le  four  met  trois  ou  quatre  jours  à  re- 
froidir. 

Le  moufle  est  une  sorte  de  boîte  rectangulaire 
de  proportions  variables;  la  partie  supérieure  est 
voûtée.  Le  foyerest  inférieur,  et  la  flamme  monte 
verticalement  sur  les  quatre  côtés  pour  se  réunir 
sous  une  voûte  ou  chapiteau. 


POTERIE 


1701 


POTERIE 


lin  de  sp,3  côtés  est  mobile  ;  le  mur  est  recons- 
truit J.  rliaqui!  cuisson. 

he  moufle  sert  de  préférence  à  la  cuisson  des 
pointures,  émaux  ou  couvertes. 

La  liouillo  et  le  bois  sont  les  combustibles  les 
plus  usités  pour  la  cuisson  des  poteries. 

Néanmoins  les  liuilos  lourdes  do  grapliite  et 
surtout  le  gaz  s'emploient  avec  quelque  succès. 

A  cliacun  de  ces  combustibles  s'appliquent  des 
loyers  appropriés. 

Le  biscuit,  l'engobe,  le  vernis,  la  glaçure,  la 
couverte  et  l'émail.  —  On  nomme  biscuit  toute 
pâte  ayant  subi  l'action  d'un  premier  feu. 

L'engobe  est  une  matière  terreuse  ou  vitreuse 
qui  sert  d'intermédiaire  entre  le  biscuit  et  le 
vernis  ou  la  couverte.  Les  engobcs  sont  suscep- 
tibles de  recevoir  des  colorations  par  les  oxydes 
métalliques. 

Les  mots  vernis,  glaçure,  couverte,  émail  ne 
sont  pas  synonymes  et  sont,  à  tort,  employés  les 
uns  pour  les  autres.  Il  est  donc  important  de  con- 
server à  chacun  d'eux  une  signification  propre. 

On  entend  par  vernis  tout  enduit  vitrifiable, 
transparent  et  plombifère  qui  se  fond  à  basse  tem- 
pérature. 

Nous  considérons  la  glaçure  comme  un  inter- 
médiaire entre  le  vernis  et  la  couverte. 

La  converti-  est  un  enduit  terreux  ou  vitreux 
essentiellement  transparent,  et  fondant  le  plus 
souvent  à  haute  température. 

Vémail  est  un  enduit  vitrifiable  opaque  ou  demi- 
transparent,  ordinairement  stannifère.  Il  s'appli- 
que aux  faïences  proprement  dites,  et  n'est  en 
somme  qu'une  glaçure  ou  une  couverte  rendue 
opai|ue  par  différents  opacifiants  dont  il  est  ques- 
tion plus  loin. 

L'opération  qui  consiste  à  étendre  sur  le  bis- 
cuit une  couche  d'émail  ou  do  couverte  s'appelle 
mise  en  émail,  ou  mise  en  couverte. 

Elle  a  lieu  par  voie  d'immersion  ou  d'arrosage. 

Pour  les  biscuits  non  absorbants  on  pratique 
aussi  le  tamisage. 

A  l'aide  d'un  tamis,  on  projette  sur  le  biscuit, 
que  l'on  a  préalablement  mouillé  d'eau  gommée, 
la  couverte  ou  l'émail  en  poudre  fine  et  sèche. 

Les  vernis,  glaçures,  couvertes  ou  émaux  doi- 
vent être  en  rapport  avec  \<-  degré  de  dilatabilité 
des  biscuits  sur  lesquels  on  les  applique  et  doivent 
être  composés  de  telle  façon  qu'ils  évitent  le  dé- 
faut de  la  gerçure  ou  tressaillage. 

Comme  règle  générale,  on  n'applique  aux  pote- 
ries alumineuses  que  des  glaçures  boraciques. 

Les  couvertes  ou  émaux  alcalins  conviennent 
spécialement  aux  poteries  siliceuses.  Un  manque 
de  cuisson  ou  de  finesse  est  néanmoins  une  des 
causes  qui  peuvent  faire  naître  la  gerçure. 

Les  oxydes  colorants.  —  Les  colorations  obte- 
nues, en  céramique,  dans  une  matière  terreuse  ou 
dans  une  fonte  vitreuse,  sont  dues  aux  oxydes  mé- 
talliques. 

Quoique  ces  o.tydes  soient  d'un  nombre  res- 
treint, leur  mélange,  leur  virage  et  leur  contact 
avec  difl'érents  sels  ou  fondants  peuvent  provo- 
quer sur  chacun  d'eux  des  colorations  très  variées. 

Nous  dirons  com.Tie  données  générales  que  : 

L,ox!/'/e  de  chrome  uni  à  un  composé  boracique 
donne  du  vert.  Il  donne  du  jaune  dans  un  milieu 
alcalin  Le  chrome  produit  aussi  du  rouge  lorsque 
sa  couleur  verte  est  virée  par  une  faible  dose 
d  etain.  Cest  ainsi  qu'ont  éié  obtenus  les  rouges 
^  K?*^'  'erres  cuites  qui  encadraient  la  (açade 
du  bâtiment  de  l'Exposition  universelle  de  lsi«. 

L  oxyde  i/e  fer  à  basse  température  donne  du 
rouge.  11  donne  du  jaune  et  du  vert  mélangé  à 
à  une  niaiière  vitreuse. 

h'oiyde  d'urane  fournit  ordinairement  des 
colorations  jaunes. 

Voiyde  de  manganèse  produit  la  riche  gamme 


des  violets  et  des  violets  bleuies  par  un  ajout  de 
cobalt. 

L'' xyr/e  de  cohaU  offre  les  bleus;  on  lui  allie 
souvent  une  petite  quantité  d'oxyde  de  cuivre. 

Voxyite  d'antimoine  donne  des  colorations  jau- 
nes peu  fixes  à  une  haute  température. 

L'oxyde  de  enivre  produit  du  vert,  lorsqu'il  se 
trouve  uni  à  des  fondants  boraciques;  du  bleu 
turquoise  avec  les  alcalins,  et  un  rouge  carminé 
d'une  grande  puissance  s'il  est  mis  en  rapport 
avec  une  faible  dose  d'étain. 

L'oxyde  de  p/omh  agit  comme  fondant. 

L'oxyde  d'étain  par  lui-même  est  incolore  et 
infusible  en  grande  masse.  Il  est  généralement 
employé  comme  opacifiant  dans  la  composition 
des  émaux  opaques  blancs  ou  colores.  Do  plus, 
introduit  en  petite  fraction,  c'est  un  réducteur 
puissant  auprès  de  certains  oxydes. 

Vnxyd''  d'argent  donne  du  jaune. 

L'oxyde  il'or^  sous  la  forme  du  pourpre  de  Cas- 
sius  (précipité  d'or  et  d'étain),  nous  fournit  les 
riches  colorations  des  roses,  des  carmins  et  des 
pourpres. 

Les  oxydes  de  platine  et  d'iridium  apportent 
des  teintes  grises  et  noires.  On  produit  aussi  des 
colorations  noires  par  la  réunion  des  oxydes  de 
cobalt,  de  manganèse,  de  fer  et  de  cuivre  ou  de 
chrome,  dans  des  proportions  définies. 

Résumé  des  procédés  employés  pour  la  déco 
ration  des  poteries.  —  Les  procédés  appliqués 
jusqu'à  nos  jours  à  la  décoration  des  poteries  se 
divisent  de  la  façon  suivante  : 

1"  Barbotine  ou  peinture  en  pâtes  colorées, 
faïence  ;  pâte  sur  pâte,  porcelaine  ; 

2°  Peinture  sous  vernis  et  sous  couverte,  faïence 
ou  porcelaine  ; 

3°  Peinture  sur  couverte,  faïence  ou  porcelaine; 

4°  Peinture  en  couvertes  colorées,  faïence  ou 
porcelaine  ; 

■5°  Peinture  en  émaux  colorés,  faïence. 

6°  Peinture  sur  émail  stannifère  cru,  faïence. 

T Peinture  sur  émail  stannifère  cuit,  faïence. 

1°  La  peinture  dite  barbotine  s'applique  aux 
faïences  en  général. 

Los  couleurs,  composées  de  la  même  pâte  ou 
d'une  pâte  blanche  que  l'on  colore  en  bleu,  jaune, 
vert,  etc.,  par  les  oxydes  colorants,  sont  appli- 
quées sur  la  pièce  en  terre  crue,  quelquefois  sur 
biscuit. 

La  cuisson  est  double,  celle  des  couleurs,  qui 
sont  rendues  adhérentes,  et  celle  d'un  vernis  ou 
d'une  glaçure  à  base  |)lombifère. 

Le  même  procédé  en  principe  s'applique  à  la  por- 
celaine ;  et  alors  il  prend  le  nom  àepdte  sur  pâte. 
On  procède  de  la  même  façon  que  pour  la  bar- 
botine de  faïence,  mais  avec  des  pâtes  de  porce- 
laine colorées.  Ces  colorations  sont  plus  restreintes, 
vu  l'élévation  de  la  température,  qui  ne  conserve 
que  les  oxjdes  les  plus  fixes. 

La  couverte  est  la  couverte  feldspathique  de 
porcel.nine. 

2°  La  peinture  sotis  ver7iis.  sous  glaçure  ou  sous 
couverte  a  lieu  directement  sur  le  biscuit  à  l'ai. le 
des  oxydes  métalliques  ;  c'est  le  cas  de  la  faïence 
fine  Dans  d'autres  cas,  pour  les  faïences  siliceuses, 
par  exemple,  elle  est  susceptible  d'ètro  appliquée 
sur  un  biscuit  engobé  en  blanc. 

Suivant  les  circonstances  et  le  genre  de  travaux, 
cette  peinture  subit  un  premier  feu  dit  feu  de 
peinture.  A  un  second  feu  a  lieu  la  vitrification 
du  vernis  ou  de  la  couverte,  qui  apporte  le  déve- 
loppement des  couleurs. 

Ces  deux  opérations  se  font  simultanément  pour 
les  produits  do  fabrication  courante. 

En  pnrcelaine,  la  sous-couverte  se  réduit  à 
l'application  sur  le  biscuit  du  bleu  par  l'oxyde  de 
cobalt. 

3°  l'cinture  sur  couverte.  Elle  comprend  d'une 


POTERIE 


—  1702 


POUDRE  A  CANON 


manière  générale  les  peintures  sur  couverte  de 
faienco  fine  ou  de  porcelaine. 

On  prépare  d'abord  des  fondants  à  différentes 
bases  ;  ces  fondants,  ou  verres  de  composition 
très  tendre,  sont  ensuite  mélangés  aux  oxydes 
colorants  (queliiuefois  dans  la  fonte)  ;  puis,  lorsque 
le  mélange  est  finement  broyé,  il  prend  le  nom 
de  couleur  vitriflable. 

Ces  couleurs  s'appliquent  sur  la  couverte  k  l'es- 
sence de  térébenthine  et  sont  susceptibles  de  re- 
passer plusieurs  fois  au  feu. 

4°  Ptinture  en  couvertes  colorées.  La  pein- 
ture en  couvertes  colorées  consiste  pour  la  faïence 
dans  l'emploi  de  verres  colorés  dans  leur  masse. 
Ces  verres  ou  couvertes  fondus  au  four  de  fusion 
avec  l'oxyde  colorant  sont  ensuite  broyés  pour  être 
appliqués  directement  sur  la  pièce  en  biscuit. 

Cette  peinture  ne  subit  qu'un  feu.  Par  ses  qua- 
lités essentiellement  transparentes  et  la  puis- 
sance de  ses  couleurs,  elle  l'emporte  sur  les  pein- 
tures en  barbotine  ou  d'émail  en  relief.  Les  cou- 
vertes colorées  s'appliquejit  sur  toutes  les  faïences, 
de  préférence  sur  les  biscuits  blancs. 

Les  faïences  fines  anglaises  connues  sous  le  nom 
de  majoliques  sont  émaillées  par  ce  procédé. 

L'application  des  couvertes  colorées  a  égale- 
ment lieu  sur  porcelaine.  Les  matières  colorantes 
unies  à  la  couverte  feldspaihique  ne  produisent 
qu'un  petit  nombre  de  colorations  variant  du  bleu 
au  jaune. 

On  les  désigne  comme  couleurs  de  grand  feu. 
(Ce  ti  rme,  improprement  donné  i  des  cuissons 
céramiques  inférieures,  est  employé  exactement 
dans  le  cas  présent. 

5"  l'einliire  en  énunix  colorés  ou  émmix  en 
relief.  Tout  émail  doit  ses  colorations  aux 
oxydes,  et  son  opacité  à  une  matière  infusible 
répandue  au  sein  desamasse  vitreuse. 

L'émail  est  d'abord  fondu  en  galette  ou  en 
bloc  et  broyé  sous  une  meule.  Il  s'emploie  tou- 
jours à  l'eau  et  s'applique  spécialement  aux 
faïences. 

L'oxyde  d'étain,  l'acide  stannique,  l'acide  anti- 
monique,  les  os  calcinés,  le  fluosilicate  de  po- 
tasse sont  les  opacifiants  ordinaires   des  émaux. 

Ces  derniers  permettant  des  colorations  plus 
brillantes  sont  les  plus  propres  k  la  coloration 
des  émaux  bleus,  turquoises,  violets,  etc. 

Nous  ne  ferons  que  mentionner  l'application 
des  émaux  sur  verre,  sur  métaux  servant  à  la 
bijouterie,  émaux  de  Limoges,  etc.,  sur  la  lave 
pour  la  confection  des  grands  cadrans  d'iior- 
logorie,  sur  les  produits  usuels  de  tôle  ou  fonte 
émaillée. 

I  .  6°  Peintures  sur  émail  cru.  Par  peinture  sur 
émail  cru  on  entend  l'application  de  couleurs 
analogues  à  celles  déj;'!  citées  i  la  peinture  sur 
couverte,  sur  un  émail  blanc  stannifère  cru,  c'est- 
à-dire  n'ayant  pas  été  soumis  à  l'action  du  feu 
depuis  son  application  sur  le  biscuit. 

Les  couleurs  s'emploient  à  l'eau,  et  leur  cuis- 
son a    lieu  simultanément  avec  celle  de  l'émail. 

II  en  résulte  à  la  fusion  une  certaine  homogé- 
néité des  couleurs  et  de  la  masse  que  donne  ra- 
rement le  procédé  sur  cuit. 

1"  Peinture  sur  émail  cuit.  Celte  manière  ne 
diffère  de  la  précédente  que  par  la  cuisson  de 
l'émail  stannifère  qui  a  lieu  avant  la  peinture. 
Les  couleurs  sont  souvent  les  mômes  et  s'appli- 
quent à  l'essence.  Elles  sont  cuites  à  un  feu  voi- 
sin de  la  fusion  de  l'émail.  Au  point  de  vue  du 
résultat,  ce  procédé  est,  croyons-nous,  inférieur  à 
tous  les  précédents. 

A  la  suite  de  ces  modes  divers  de  peinture, 
citons  comme  complément  à  la  décoration  des 
poteries  :  les  métaux  et  les  lustres  métalliques. 

Quelques  métaux,  co:i.me  l'or,  l'argent,  le  pla- 
tine (grâce  à  leur  malkabilité  et  h  leur  inaltéra- 


bilité  au  feu),  sont  employés  en  nature  pour  la 
décoration  des  poteries. 

On  les  réduit  d'abord  en  poudre  par  dos  préci- 
pités, on  les  broie  longuement  à  l'essence  et  on 
les  applique  au  pinceau  sur  la  couverte  ou  l'é- 
mail cuit.  Apres  une  légère  cuisson  qui  a  pour 
but  de  les  faire  adhérer  à  la  glaçure,  ces  métaux 
sont  susceptibles  d'un  brunissage;  pour  cette  opé- 
ration on  se  sert  du  brunissoir  en  agate. 

Par  un  procédé  produit  par  nous  pour  la  pre- 
mière fois,  en  ls7è,  des  métaux  d'or  ou  de  pla- 
tine laminés  ont  été  appliqués  en  feuille  à  l'état 
de  paillon  entre  le  biscuit  et  la  couverte  de 
faïence.  Ces  métaux  ainsi  emprisonnés  sous  une 
couche  de  verre  sont  rendus  inaltérables  et  pro- 
duisent dans  leur  emploi  pour  la  décoration  des 
effets  d'une  puissance  qui  ajoutent  aux  procédés 
ordinaires. 

Les  lustres  métalliques  sont  généralement  des 
métaux  appliqués  sur  les  glaçures  ou  les  émaux 
en  couche  très  mince. 

Par  le  feu,  ils  reçoivent  l'éclat  métallique  ou 
des  nuances  irisées. 

Néanmoins,  les  lustres  ou  reflets  métalliques 
sont  aussi  produits  par  des  procédés  nombreux 
et  varii's,  et  très  souvent  les  causes  qui  les  ont 
provoqués  sont  restées  inexpliquées. 

Conclusion.  —  Comme  on  peut  s'en  rendre 
compte  par  l'exposé  qui  précède,  les  procédés 
employés  dans  le  passé  ont  été  retrouvés  et  sont 
tous  mis  en  usage  aujourd'hui. 

De  plus,  étant  donné  les  progrès  de  la  science, 
on  doit  prévoir  que,  dans  un  avenir  prochain,  la 
céramique  entrera  dans  une  voie  féconde  en  nou- 
velles et  utiles  applications. 

Renonçant  à  la  stérile  imitation  des  œuvres  des 
époques  antérieures,  elle  se  servira  de  tous  les 
procédés  employés  jadis  pour  la  création  d'un  art 
décoratif  nouveau. 

En  même  temps  se  multiplieront  les  applica- 
tions ,'i  la  décoration  des  édifices  de  la  céramique 
moderne,  dont  les  tons  riches  et  variés  apportent 
à  l'architecte,  au  décorateur  un  si  puissant  con- 
cours. C'est  dans  cet  ordre  d'idées  que  les  cou- 
vertes colorées  dans  la  masse  doivent  jouer  dans 
l'art  polychrome,  par  leur  éclat  et  leur  solidité, 
le  rôle  le  plus  important. 

[Léon  Parvillée  et  Achille  Parvillée  fils.] 

rOL'DREA  CA>0>'.  — Connaissances  usuelles, 
II-V.  —  Du  jour  où  les  hommes,  qui  n'eurent 
pas  toujours  pour  premiers  préceptes  la  concorde 
et  la  tolérance,  eurent  découvert  le  fen,  ils  du- 
rent songer  ii  l'utiliser  pour  procéder  plus  expé- 
ditivemeni  à  l'extermination  de  leurs  semblables. 
Aussi  dans  tous  les  récits  qui  nous  restent  des 
âges  anciens,  et  qui  se  réduiraient  à  un  assez 
mince  ensemble  si  l'on  en  retranchait  ce  qui  a 
trait  aux  luttes  entre  les  divers  groupes  d'hommes, 
voyons-nous  intervenir  ce  terrible  élément  d'une 
façon  plus  ou  moins  efficace.  Torches  de  résine 
par-ci,  flèches  incendiaires  par-l.'i;  et  enfin,  par- 
dessus tout,  ce  fameux,  ce  mystérieux  feu  grégeois, 
qui  de  l'époque  antique  passe  jusqu'aux  temps  mo- 
dernes, sans  que  nul  des  historiens  qui  en  consta- 
tent les  redoutables  effets  nous  ait  légué  des  no- 
tions bien  certaines  sur  la  façon  de  le  composer. 
A  les  entendre,  c'est  l'agent  destructeur  par  ex- 
cellence, c'est  comme  «  vomissure  d'enfer  »  à  qui 
rien  ne  résiste;  tout  ce  qu'il  touche  est  consumé  ; 
l'eau,  qui  éteint  les  autres  flammes,  avive,  _  et 
même  allume  celle-là.  Au  total,  et  bien  qu'au 
temps  des  croisades,  époque  où,paralt-il,  la  mani- 
pulation de  cet  ardent  auxiliaire  s'était  notable- 
ment perfectionnée,  on  cite  beaucoup  de  cas  où 
les  combattants  en  furent  les  uns  très  bien  servis, 
les  autres  fort  «  dommages  u,  au  total,  disons-nous, 
le  feu  grégeois  aurait  encore  causé  plus  d'épou- 
vante que  de  mal  réel.  Qu'il  ait  incendié  nombre 


POUDRE  A  CANON   —  1703  —   POUDRE  A  CANON 


de  navires,  ce  sont  là  ses  plus  réi^Ues  prouesses, 
et  qui  ne  prouvent  pas  des  facultés  bien  pai'ticu- 
liènjs,  car  cette  besogne  de  dévastation  n'est  pas 
de  difficile  accomplissement  :  le  moindre  composé 
résineux  s'en  acquitte  i  merveille.  Quant  à  ses 
usages  dans  la  guerre  ordinaire,  nous  pourrions 
citer,  par  exemple,  le  témoignage  bien  autorisé  de 
Joinville,  qui,  l'ayant  vu  souvent  à  l'œuvre  pendant 
la  première  expédition  de  saint  Louis,  affirme 
qu'on  en  pouvait  être  pour  ainsi  dire  couvert  sans 
en  éprouver  «  grand  déplaisir  <>,  et  qui,  de  plus,  dé- 
ment complètement  l'impossibilité  où  l'on  aurait 
été  de  l'éteindre.  Il  y  a  donc  une  part  toute  légen- 
daire dans  le  renom  de  cette  sorte  de  miraculeuse 
invention,  qui  semble  n'avoir  été  qu'un  très  vul- 
gaire mélange  de  naphte,  de  résine,  de  soufre,  et 
autres  corps  facilement  inllammables  et  d'une 
combustion  persistante,  que  l'on  jetait  ou  lançait 
à  l'aide  d'appareils  plus  ou  moins  ingénieux. 
D'ailleurs  nul  doute  qu'on  n'ait  ramené  à  celte  seule 
dénomination  de  feu  grégeois  maints  composés 
incendiaires  de  natures  bien  différentes.  Quoi  qu'il 
en  soit,  et  si  terrible  qu'ait  été  la  réputation  du 
feu  grégeois,  son  rôle  réel  doit  nous  paraître  bien 
effacé  quand  nous  songeons  à  celui  qu'a  joué  de- 
puis la  poudre  à  canon,  u  Depuis  »,  disons-nous, 
peut-être  à  tort,  car  les  avis  étant  en  absolu 
désaccord  sur  l'origine,  parmi  nous,  do  cette  der- 
nière composition,  nous  croyons  être  dans  le  vrai 
en  la  faisant  remonter,  par  un  peuple  aux  très 
lointaines  annales,  à  des  temps  bien  antérieurs  à 
ceux  que  terrifia  la  légende  plus  que  l'histoire  du 
feu  grégeois.  Chez  nous  en  effet  les  uns  ont  voulu 
en  attribuer  l'invention  à  Roger  Bacon,  moine  an- 
glais qui  au  xiii'  siècle  dut  à  son  grand  savoir 
d'être  obstinément  persécute  pour  prétendu  crime 
de  sorcellerie  ;  d'autres,  la  retardant  d'un  siècle, 
l'ont  prêtée  îi  certain  bénédictin  allemand  du  nom 
de  Benhold  Schwartz,  qui  semblerait  avoir  eu,  lui 
aussi,  dans  l'opinion  de  ses  contemporains,  des 
connivences  avec  l'esprit  malin.  Toujours  est-il 
que  pour  les  siècles  qui  ont  précédé  le  nôtre,  le 
moine  chercheur  et  le  diable  inspirateur  semble- 
raient inséparables  dans  l'opinion  vulgaire,  à  pro- 
pos de  cette  découverte.  C'est  d'ailleurs  ce  que 
consacre  le  frontispice  des  plus  vieux  traités  de 
pyrotechnie,  où  l'on  voit  un  religieux  entouré  de 
balances,  de  creusets,  pilant  k  tour  de  bras  dans 
un  mortier  les  substances  explosives,  pendant  que 
derrière  lui  Satan,  pieds  fourchus,  tête  cornue, 
langue  tirée  et  queue  frétillante,  donne  les  signes 
du  plus  vif  coiitentemciit.  Et  comme  en  réalité  il 
est  possible  de  trouver  des  textes  antérieurs,  où 
l'on  reconnaît  non  pas  la  poudre  h  canon  propre- 
ment dite,  mais  des  mélanges  analogues  où  peu 
i  peu  s^introduisent  les  V^érilables  éléments  de  sa 
composition,  nous  ne  devons  pas  hésiter  à  re- 
connaître que  l'invention  première  de  la  poudre 
remonte  en  principe  aux  Chinois.  Les  Chinois,  en 
effet,  connurentde  toute  antiquité  des  compositions 
détonantes  ayant  pour  base  le  salpêtre,  qui,  comme 
on  l'a  très  justement  remarqué,  abonde  chez  eux  à 
l'étaid'inflorescence  fréquente  du  sol.  De  toute  inti- 
quité,  ils  surent  tirer  parti  de  cette  substance,  dont 
ils  eurent  bientôt  observé  la  propriété  /usante,  et 
•S  ils  n'ont  jamais  fait  de  remarquables  progrès  en 
1  art  de  la  balistique,  au  moins  furent-ils  long- 
temps et  peut-être  même  sont-ils  encore  sans  ri- 
vaux comme  artificiers  d'agrément.  Donc,  partie  de 
1  exirême  Orient,  la  poudre  à  artifice,  d'abord  con- 
nue et  employée  par  les  Arabes,  puis  parles  Turcs 
comme  adjuvant  des  compositions  de  feux  gré- 
geois jusque-li  formées  plus  particulièrement  de 
résines,  d'huiles  minérales,  dut  graduellement  ar- 
river, par  les  études  des  alchimistes,  par  les  essais 
des  praticiens  spéciaux,  à  l'état  de  corps  essen- 
tiellement explosif,  préparant  les  terribles  desti- 
nées de  l'artillerie  moderne. 


Ce  fut  incontestablement  au  retour  des  croisa- 
des, où  ils  avaient  vu  des  tuOns  lançnnt  du  ft:u, 
que  les  Occidentaux,  qui  avaient  surpris  plus  ou 
moins  e.xactoment  le  secret  des  préparations  em- 
ployées par  leurs  adversaires,  tentèrent  de  faire 
usage  de  m.achines  analogues.  Mais  nulle  date 
certaine,  nulle  mention  précisant  que  tel  ou  tel 
peuple  se  servit  de  la  poudre  et  du  canon  comme 
agent,  ou  comme  arme  absolument  nouvelle. 

Longtemps  on  avait  tenu  pour  premier  en  date 
dans  l'histoire  de  l'artillerie  le  passage  où  l'rois- 
sard  attestait  que  le  gain  de  la  bataille  de  Crrcy, 
de  si  désastreuse  mémoire  en  nos  annales,  et  li- 
vrée en  1.3i6,  était  dû  aux  canons  qu'employèrent 
les  Anglais  ;  mais  un  chercheur  aussi  patient 
qu'habile,  M.  L.  Larchey,  est  dernièrement  venu 
témoigner,  documents  en  mains,  que  lors  du  siège 
soutenu  en  13'1't  par  la  ville  de  Metz,  les  assiégés 
sortirent  un  jour  avec  une  couleuvrine  et  un  ca- 
non, dont  les  effets  causèrent  une  telle  frayeur 
aux  assiégeants  qu'un  de  leurs  chefs  fit  aussitôt 
sonner  la  retraite.  Il  est  en  outre  prouvé  aujour- 
d'hui qu'en  132G,  les  Florentins  avaient,  pour  la 
défense  de  leur  ville,  plusieurs  pièces  d'artillerie 
lançant  des  projectiles  dum'lal.  (Ce  que  nous  no- 
tons, parce  que  longtemps  on  ne  se  servit  guère 
pour  les  pièces  de  gros  calibre  que  de  boulets  en 
pierre  taillée,  tandis  que  celles  de  moindres  dimen- 
sions étaient  chargées  avec  des  cailloux.  L'époque 
n'est  pas  d'ailleurs  si  éloignée  où  les  pierriers  ou 
canons  à  lancer  des  pierres,  des  galets  pris  sur 
les  grèves,  faisaient  partie  de  l'armement  régu- 
lier des  navires.)  Pendant  tout  le  xiV  siècle,  des 
documents  font  foi  qu'un  grand  nombre  de  villes 
ou  de  corps  armés  avaient  dos  canons.  Et  parmi 
toutes  ces  mentions,  aucune,  remarquons- le  en- 
core une  fois,  no  semble  attester  que  ce  mode 
d'armement  constituât  une  innovation.  Nous  de- 
vons donc  reconnaître  que  si  le  xiv"  siècle  vit 
l'enfance  des  armes  à  feu,  il  put  fort  bien  n'en  pas 
voir,  si  nous  osons  ainsi  dire,  la  naissance.  Nous 
pourrions  encore  citer  un  passage  du  Traité  des 
plaies  d'arquebuses,  par  Ambroise  l'are,  qui  dit, 
mais  sans  indiquer  la  source  de  ce  renseignement, 
qui>  l'on  fit  usage  des  bortibardes  dans  une  ba- 
taille navale  livrée  au  xii*  siècle  sur  les  côtes 
d'Espagne.  Quoi  qu'il  en  soit,  longtemps  encore 
devait  se  prolonger  l'âge  vraiment  primitif  des 
canons  et  autres  «  bâtons  à  feu  »,  comme  on  disait 
alors,  ([ui  souvent,  par  leur  construction  défec- 
tueuse et  l'incertitude  des  dosages  de  la  poudre, 
faisaient  courir  de  réels  dangers  à  ceux  qui  les 
employaient.  Si  les  progrès  ne  furent  pas  décisifs, 
n'en  accusons  pas  cependant  le  défaut  d'in- 
géniosité des  chercheurs  et  des  constructeurs,  car 
01  n'imaginerait  que  difficilement  la  variété  qui 
existait  alors  dans  les  armes  e.  engins  à  poudre. 
Ecoutons  par  exemple  ce  que  disait,  dans  la 
dernière  moitié  du  xvi°  siècle,  ce  même  Ambroise 
Parc  dont  nous  évoquions  tout  à  l'heure  le  té- 
moignage, et  qui,  placé  mieux  que  personne  pour 
'  auprécier  les  terribles  effets  de  la  poudre,  ne  sa- 
vait proférer  assez  d'exécrations  contre  l'auteur 
;  de  tels  maux.  Après  s'être  félicité  que  le  nom  et 
''  la  profession  de  l'inventeur  des  bombardes  soit 
resté  ignoré  de  tous  comme  indigne  de  mémoire 
!  pour  Une  si  malheureuse  et  damnable  invention, 
!  "  Depuis,  continue-t-il,  à  cette  invention,  en  soi 
j  rude  et  imparfaite,  le  temps,  l'art  et  surtout  la 
I  malice  des  hommes  ont  beaucoup  ajouté.  De  li 
sont  venus  ces  horribles  monstres  de  canons, 
;  doubles  canons,  mousquets  et  pièces  de  campa- 
gne; ces  furieuses  bêtes  de  coulcvrines,  ser- 
pentines, dragonneaux,  basilics,  faucons,  faucon- 
neaux, sacres,  fiùtes,  orgues  et  autres  espèces, 
I  toutes  de  divers  noms  non  seulement  pris  de 
leurs  figures  et  qualités,  mais  bien  davantage  da 
1  leur  effet    et    cruauté.   En   quoi    certes   se  sont 


POUDRE  A  CANON 


1704 


POUDRE  A  CANON 


montrés  sages  et  bien    entendus    ceux  qui  leur 

ont  impose  de  tels  noms,  pris  non  seulement 
des  animaux  les  plus  ravissants  comme  sacres 
(gorfautsl  et  faucons,  mais  aussi  des  plus  per- 
nicieux ennemis  du  genre  humain,  comme  ser- 
pents, basilics,  etc.,  pour  montrer  que  telles  ma- 
chines n'ont  été  inventées  à  autre  fin  et  inten- 
tion que  pour  lavir  promptement  et  cruellement 
la  vie  aux  hommes,  et  qu'en  les  entendant  seule- 
ment nommer,  nous  les  eussions  en  horreur  et 
détestation.  De  cette  misérable  boutique  et  ma- 
gasin de  cruauté  sont  venus  les  mines,  contre- 
mines,  sapes,  pots  à  feu,  grenades,  fagots  brû- 
lants, carreaux,  carcasses  d'enfer  (machines  in- 
fernales), très  misérables  inventions,  par  lesquelles 
nous  voyons  souvent  une  milliasse  de  pauvres 
hommes  fricassés  sous  une  mine  ou  casemate, 
et  les  autres  en  l'ardeur  du  combat  qui,  quoique 
légèrement  blessés  par  quelques-uns  de  ces  en- 
gins, brûlent  cruellement  dans  leurs  liarnois...  « 
On  le  voit,  le  nombre  était  grand  des  instruments 
ou  des  dispositions  imaginés  pour  utiliser  avec 
plus  d'efficacité  l'agent  explosif;  et  il  y  a  cela  de 
curieux  à  noter  que,  dès  le  xvi«  siècle,  nous  trou- 
vons découverts  les  principes  sur  lesquels  de- 
vaient reposer  la  plupart  des  systèmes  qui  ont 
successivement  amené  les  derniers  perfectionne- 
ments des  armes  à  feu.  Citons  par  exemple  Vorgiie, 
qui  n'est  autre  qu'un  ensemble  de  tuyaux  à  feu 
montés  sur  un  même  affût  en  plusieurs  rangées, 
auxquels  la  même  traînée  de  poudre  mettait  le 
feu  :  point  de  départ  évident  de  la  mitrailleuse. 
Presque  dès  le  même  temps  aussi  nous  trouvons 
le  bâton  à  feu  se  chargeant  par  la  culasse,  et 
même  celui  qui  peut  tirer  plusieurs  coups  avec  le 
môme  canon,  à  l'aide  d'un  culot  tournant,  présen- 
tant des  cartouches  successives;  nous  ne  pouvons 
que  reconnaître  les  ancêtres  indéniables  du  mo- 
derne refolier  et   d'autres  armes  analogues,  etc. 

Après  avoir  abominé  la  poudre  et  les  armes  à 
feu.  Paré  conclut  ainsi:  «  De  même  qu'h  bon  droit 
nous  détestons  les  auteurs  de  si  dommageables  et 
pernicieuses  inventions,  de  même  nous  devons  au 
contraire  estimer  dignes  de  grandes  louanges  ceux 
qui  tâchent  de  ilétmo-ner  les  princes  et  rois  de  la 
pratique  d'aussi  miséraltles  et  funestes  marhines.» 
Dans  ce  dernier  passage  le  père  de  la  chirurgie 
française  non  seulement  traduit  une  aversion  per- 
sonnelle, mais  encore  il  s'attend  d'autant  mieux 
à  ce  que  ses  paroles  trouvent  de  l'écho  que,  de- 
puis l'adoption  des  nouveaux  engins  de  destruc- 
tion, toujours  parmi  les  gens  qui  approchaient 
0  les  princes  et  rois  »,  les  plus  braves,  les  plus 
vaillants  s'étaient  signalés  par  leur  obstination  à 
déconseiller,  à  répudier  même  un  système  qui 
d'après  eux  était  à  la  guerre  tout  son  noble  ca- 
ractère. L'usage  de  la  poudre  en  effet  ne  tendait 
à  rien  moins  qu'à  faire  prédominer  l'art  techni- 
que et  mécanique  de  déiiuire  sur  les  vertus  mi- 
litaires ;  et  il  va  de  soi  que  l'esprit  chevaleresque, 
encore  de  mise  en  ces  temps-là,  s'accordait  mal 
de  cette  dérogation  à  ses  fiers  privilèges.  Long- 
temps d'ailleurs,  dans  les  armées,  où  toute  la  gen- 
tilhommerie  gardait  ses  anciens  modes  de  s'armer 
etde  combattre,  le  maniement  des  engins  à  pon- 
dre fut  laissé  à  des  soldats  ou  servants  d'ordre 
inférieur.  Cette  déconsidération  morale  pourrait 
au  besoin  expliquer  la  lenteur  des  progrès  que 
firent  pratiquement  ces  armes. 

Vers  le  commencement  du  xvii«  siècle  cepen- 
dant, quelques  heureux  perfectionnements  ap- 
portés aux  engins  portatifs  ayant  permis  d'é- 
tablir des  corps  nombreux  qui  s'en  servaient 
exclusivement,  et  des  actions  décisives  ayant  dé- 
montré les  bons  effets  de  leur  usage,  force  fut  à 
l'antique  tradition  de  céder  la  place  aux  nouvelles 
méthodes.  Ce  fut  seulement  alors  que  disparurent 
les  derniers  chevaliers  bardés  de  fer,  et  que  les 


I  chefs  d'armées,  aussi  bien  que  leurs  plus  noble» 
auxiliaires,  acceptèrent  le  concours  régulier,  cons- 
tant de  la  poudre,  tant  pour  servir  les  combi- 
naisons stratégiques  que  pour  venir  en  aide  h 
l'intrépidité  iiidividuelle.  Ainsi  commença  pour  les 

'  hommes  de  guerre  une  période  bi-séculaire  durant 
laquelle,  au  cours  de  longues,  de  terribles  luttes, 
étant  donné  que  la  science  balistique  et  les  arts 
divers  qu'elle  embrasse  s'attardaient  encore  en  des 
progrès  tout  relatifs,  la  poudre  laissa  une  part 
très  notable  encore  aux  manifestations  de  la  va- 
leur personnelle. 

A  notre  époque  enfin,  il  semble  en  être  fait 
de  cette  dernière  concession  à  l'héroïsme  guerrier; 
au  seul  emploi  perfectionné  de  la  poudre  sem- 
blent en  quelque  sorte  devoir  revenir  tous  les  mé- 
rites et  tous  les  succès  :  par  leur  immense  portée, 
par  leur  impitcyablo  précision,  les  engins  ac- 
tuels tendent  à  être  tout  et  à  faire  tout,  en  la 
terrible  besogne  que  trop  souvent  réclament  d'eux 
les  rivalités  internationales  ou  les  dissensions  in- 
testines. Sur  terre,  plus  de  luttes  où  l'homme  se 
mesure  à  l'homme,  car  très  souvent  c'est  presque 
sans  que  les  combattants  se  soient  vus  distinc- 
ti  ment  à  l'œil  nu  qu'une  armée  peut  être  dé- 
truite, et  le  sort  d'une  bataille  décidé  ;  sur  mer, 
plus  de  ces  abordages  où  l'audace,  l'intrépidité 
forçaient  l'admiration  à  ne  plus  voir  les  horreurs 
du  carnage.  Des  léviathans  de  fer  rasant  l'onde 
se  canonnent  et  s'éventrent  à  longue  distance. 
De  la  côte,  à  peine  aperçue  à  l'horizon,  arrive 
une  masse  d'acier  sur  un  géant  bardé,  qui  sombre, 
et  tout  est  fait,  tout  est  dit.  Voilà  ce  que  la  poudre, 
maniée  avec  toute  Yingéninsité  dont  notre  savant 
siècle  est  capable,  a  fait  de  la  guerre.  Toujours 
épouvantable,  toujours  barbare,  la  guerre  em- 
pruntait cependant  un  prestige  réel,  une  grandeur 
indéniable  à  l'intervention  directe,  immédiate  et 
souventsuperbe  des  combattants;  mais,  transformée 
ainsi  en  opération  purement  mécanique,  elle 
nous  porte  à  regretter  ses  primitifs  mais  héroï- 
ques débuts.  A  la  vérité,  l'on  aime  à  penser  que, 
par  ces  raffinements  inouïs,  l'art  de  la  guerre,  nous- 
devrions  dire  l'art  des  armes  à  poudre,  qui 
d'ailleurs  absorbe  aujourd'hui  tant  de  milliards 
au  détriment  de  tant  d'autres  progrès  pacifiques, 
tend  à  se  paralyser  dans  l'extension  de  sa  propre 
puissance,  et  à  faire  que  l'effort  et  la  résistance 
s'annihilent  réciproquement.  Dieu  veuille  que 
vienne  le  jour  où  il  en  sera  ainsi.  Toutefois  l'é- 
chéance n'en  est  pas  si  proche  que  nous  puissions 
dédaigner  d'avoir  quelques  notions  sur  la  nature  de 
l'agent  qui,  depuis  six  ou  huit  siècles,  tient  tant  de 
place  dans  nos  histoires. 

La  force  explosive  ou  balistique  de  la  poudre  est 
due,  chacun  le  sait,  aux  gaz  qui  se  développent  lors 
de  son  inflammation,  et  qui,  pouvant  occuper  un 
espace  consrdérablement  plus  vaste  que  celui  où 
la  poudre  a  été  renfermée,  tendent,  selon  la  dispo- 
sition des  lieux  ou  des  appareils  où  on  l'emploie, 
soit  à  briser  les  parois  qui  la  coiuiennent,  soit  à 
chasser,  par  un  orifice  ménagé  à  cet  efîet,  un 
corps  mobile  qui  devient  le  projectile.  On  s'expli- 
pliquera  l'effort  produit  en  appi-enant  que,  d'après 
les  calculs  les  mieux  établis,  le  volume  des  gaz 
résultant  de  l'inflammation  de  la  poudre  est  égal 
à  4  0110  fois  son  volume  primitif.  Chacun  sait  aussi 
que  trois  substances  entrent  dans  la  composition 
de  la  poudre  :  salpêtre,  ou  azotate  de  potasse, 
charbon  et  soufre.  Le  salpêtre  vient  là  comme  gé- 
nérateur principal  des  gaz,  à  la  rapide  formation 
desquels  contribue  d'ailleurs  le  charbon,  qui  en 
ajoute  un  certain  contingent;  quant  :iu  soufre,  qui 
n'est  pas  cependant  sans  participer  à  la  trans- 
formation gazéiforme  dos  deux  autres  corps,  il  est 
plus  spécialement  appelé  à  faciliter  l'inflammation 
du  composé.  Somme  toute,  l'indispensable  présence 
de  chacune  des  trois  substances,  quelle  que  soit 


POUDRE  A   CANON 


i705 


POUSSIÈRES 


la  nature  ou  l'importaiiri.'  do  son  rôle,  a  toujours 
été  si  bien  reconnue  que  non  seulement  l'idée 
n'est  pas  venue  de  tendre  h  en  supprimer  aucune, 
mais  encore  qu'il  n'y  a  jamais  eu  que  do  léi^ères 
variantes  dans  les  proportions  d'abord  fixées  pour 
le  mélange.  A  une  certaine  époque  cependant,  et 
dans  le  but  d'ailleurs  illusoire  d'en  accroître  la 
puissance,  on  y  introduisit  une  certaine  propor- 
tion d'arsenic.  C'est  niiime  h  cela  qu'il  faut  attri- 
buer, bien  que  cette  adjonction  ait  été  presque 
aussitôt  abandonnée,  l'ancien  préjugé  prêtant  un 
caractère  vénéneux  aux  blessures  faites  par  dos 
projectiles  lancés  i  l'aide  de  la  poudre.  En  vertu 
de  cette  opinion,  les  cliirurgiens  se  croj aient 
tenus  d'arroser  d'Iiuile  bouillante  les  plaies  ainsi 
faites,  cruauté  inutile  dont  Ambroise  Paré  eut 
la  gloire  d'abolir  la  pratique.  Aujourd'Imi  les  va- 
riantes de  composition  sont  surtout  déterminées 
par  l'emploi  auquel  les  poudres  (car  il  y  en  a  de 
plusieurs  sortes)  sont  destinées.  Etant  reconnu,  par 
exemple,  que  c'est  au  soufre  que  sont  principale- 
ment dus  les  résidus  produisant  l'encrassement 
des  instruments  de  tir,  il  va  de  soi  que  l'on  tend 
à  en  diminuer  le  plus  possible  les  quantités  pour 
les  poudres  destinées  au  service  des  armes  de 
petite  dimension,  tandis  qu'on  pourra  sans  incon- 
vénient les  augmenter  pour  le  tir  du  canon,  et 
bien  plus  encore  quand  il  s'agira  de  la  poudre  de 
mine,  dans  l'usage  de  laquelle  il  no  saurait  être 
question  d'encrassement  des  blocs  à  faire  sauter.- 
En  France  donc  les  formules  actuelles  de  compo- 
sition des  poudres  sont  les  suivantes  :  poudre  h 
canon,  pour  lOn  parties,  salpêtre  75,  soufre  12,5, 
charbon  12,.i;  poudre  h  fusil  de  guerre  (dite  à 
mousquet),  salpêtre  'li,  soufre  10,5,  cbarbon  15,5; 
poudre  de  cliasse,  salpêtre  78,  soufre  10,  charbon 
12;  poudre  de  mine,  salpêtre  t>2,  soufre  18, 
charbon  20.  Dans  les  principaux  pays  d'Europe  les 
formules  de  la  poudre  de  guerre  ou  à  fusil  sont  les 
suivantes  (le  premier  chiffre  se  rapportant  au  sal- 
pêtre, le  second  au  soufre,  le  troisième  au  char- 
bon) :  Allemagne  75,  11,5,  13,5;  Suisse  76,  10, 
14;  Espagne  7i;,5,  10,8,  12,7;  Russie  75,  10,  15; 
Angleterre  7.S,  9,  16;  Portugal  75,7,  10,7,  13,6. 
La  poudre  chinoise,  toujours  la  même  depuis  bien 
des  siècles,  a  pour  formule  :  salpêtre,  75,7  ;  sou- 
Ire,  9,9;  charbon,  l'i,4. 

Etant  donnés  ces  divers  dosages,  qui,  on  le  voit, 
diffèrent  bien  peu,  et  dont  l'observation  précise  est 
d'une  grande  importance  pour  la  qualité  des  pou- 
dres, nous  devons  remarquer  une  autre  condition 
de  fabrication  qui  ne  concourt  pas  moins  à  l'excel- 
lence des  résultats.  A  l'origine,  et  longtemps  même 
après  l'invention,  le  mélange  intime  des  substan- 
ces était  fait  par  la  pulvérisation  ;  on  employait  la 
poudre  en  cet  état  primitif  (auquel  d'ailleurs  elle 
doit  son  nom).  Plus  tard  on  eut  la  preuve  qu'il 
y  avait  avantage  à  granuler  la  poudre,  linflam- 
mation  étant  beaucoup  plus  rapide  quand  le 
feu  venant  d'un  grain  peut  se  répandre  dans  les 
interstices  dos  autres,  que  quand  le  pulvérin  forme 
masse.  Depuis,  la  granulation  a  toujours  été  l'objet 
d'un  soin  particulier.  On  la  fait  varier  toutefois 
pour  les  diverses  espèces  de  poudres.  Par  exemple, 
la  poudre  à  canon  et  la  poudn^  de  mine  sont  en 
grains  mesurant  jusqu'à  2  millimètres  et  demi, 
tandis  que  les  grains  de  la  poudre  à  mousquet  no 
dépassent  jamais  1  millimètre,  et  ceux  de  la 
poudre  de  chabse  surfine  un  quart  do  millimètre. 

La  fabrication  de  la  poudre  nécessite  dos  matières 
de  premier  choix.  Le  salpêtre  doit  être  amené 
au  plus  parfait  degré  de  raffinement.  On  n'emploie 
que  du  soufre  obtenu  par  distillation  du  souf.e 
brut  du  commerce.  Quant  au  charbon,  qui,  selon 
la  qualiié  de  poudre,  est  fourni  par  de  jeunes 
branches  de  châtaignier,  bourdaine,  saule,  fusain, 
peuplier,  tilleul,  etc.,  que  l'on  a  eu  le  soin  d'écor- 
cer,  il  est  ordinairement  préparé  dans  des  cylin- 


dres de  fonte,  où  il  y  a  souvent  même  moins  car- 
bonisation proprement  dite  qu'extraction  des  parties 
aqueuses  et  torréfaction  du  ligneux.  Les  trois 
substances  ayant  été  d'abord  triturées,  on  en  opère 
le  mélange  intime  en  les  plaçant  d'abord  dans  des 
tonneaux  où  elles  tournent  pendant  huit  ou  dix 
heures,  en  compagnie  d'un  certain  nombre  debilles 
de  bronze.  On  soumet  ensuite  ce  mélange  hu- 
mecté soit  à  des  pilons,  soit  i  des  meules  d'un 
poids  énorme,  qui  le  broient  longuement.  L'on  a 
alors  une  masse  malléable  qu'on  laisse  se  ressuyer 
un  peu  de  son  humidité  et  que  l'on  soumet  S  la 
granulation,  qui  commence  par  un  mouvement 
de  la  masse  sur  un  crible  où  va  et  vient  un  bloc 
jouant  le  rôle  de  brisoir.  C'est  par  des  tamisages 
successifs  que  l'on  arrive  à  la  dimension  égale  des 
grains,  que  l'on  met  ensuite  à  sécher  sur  des 
toiles,  quand  ils  sont  à  la  grosseur  voulue.  La  sic- 
cité  obtenue,  la  fabrication  est  terminée  pour  les 
poudres  de  guerre  ou  de  mine  ;  mais  pour  la  pou- 
dre de  chasse  on  procède  à  l'opération  dite  du 
liisage,  qui  doit  donner  du  brillant  aux  grains,  et 
qui  consiste  i  faire  tourner  la  poudre  pendant 
quelques  heures  dans  un  cylindre  dont  le  pour- 
tour intérieur  est  garni  de  baguettes  obligeant  les 
grains  i  un  frottement  continuel  les  uns  contre 
les  autres.  En  dertiier  lieu  toujours,  les  poudres 
sont  soumises  à  \'é/imcssetage,  qui  se  fait  sur  des 
tamis  à  très  petits  trous,  et  qui  a  pour  but  d'enle- 
ver toutes  les  poussières  pour  ne  laisser  que  des 
grains  bien  distincts. 

En  France,  la  fabrication  et  la  vente  de  la 
poudre  sont  exclusivement  réservées  à  l'Etat,  et 
des  peines  graves  sont  applicables  h  la  fabrication 
ou  à  la  vente  clandestines  de  ce  produit.  Il  y  a 
également  interdiction  d'introduire  sur  le  terri- 
toire les  poudres  étrangères.  Une  administration 
spéciale,  d'ailleurs  fort  importante,  est  chargée  du 
service  des  poudreries,  qui  comprend  une  ving- 
taine d'établissements,  tant  usines  épurant  le 
salpêtre  ou  le  soufre  que  procédant  à  la  fabrication 
proprement  dite  des  poudres,  lesquelles  no  peii- 
vent  être  livrées  au  public  que  par  des  entreposi- 
taires  débitants  dûment  autorisés. 

Depuis  quelques  années  la  poudre  à  canon,  jus- 
que-là chargée  à  peu  près  seule  de  tous  les  effets 
balistiques  ou  explosifs  nécessités  par  la  guerre 
ou  les  travaux  du  génie  civil,  a  cédé  une  grande 
et  importante  partie  de  sa  lâche  i  de  nouvelles 
combinaisons:  niti-o-ylyeériiie,  dynnmite,  lilho- 
fracteur,  watasieite,  etc.,  qui  ne  sont  autres,  du 
reste,  que  des  applications  du  même  principe  sous 
des  noms  divers.  Quoi(|ue  récemment  découvertes, 
ces  substances  ont  déjà  une  histoire  si  féconde 
en  terribles  épisodes  que  le  temps  n'est  pas 
loin  où  nous  nous  surprendrons  à  regretter  le 
règne  exclusif  de  «  la  vieille  et  bonne  poudre  à 
canon  ».  Puisse  l'heure  ne  pas  sonner  où  les  re 
grets  seront  pour  ces  nouveaux  venus. 

[Eugène  Muller.] 

POUMONS.  —  V.  Respiriilion  et  Ci'culation. 

POUSSIÈRES  UE  L'ArMOSPIIÈRE  ET  UES 
EAUX.  —  Météorologie,  I  IV  ;  Hygiène,  XVII.  — 
L'air,  en  dehors  de  ses  composés  accidentels  ga- 
zeux, tient  pres(|ue  toujours  en  suspension  des 
poussières  minérales,  des  poussières  organiques 
mortes  et  des  poussières  org.iniques  vivantes. 

Poussières  minh-ales.  —  Elles  varient  beaucoup 
suivant  les  pays  et  la  force  du  vent.  Elles  peiivent 
être  incommodes;  il  est  très  rare  qu'elles  nuisent 
à  la  santé,  à  moins  qu'on  ne  vive  habituellement 
dans  une  atmosphère  qui  en  soit  chargée,  ou 
qu'elles  no  proviennent  de  substances  vénéneuses. 
Les  vents  peuvent  les  transporter  à  de  très  grandes 
distances.  Assez  souvent  on  y  remarque  des  globu- 
les microscopiques  de  fer  qui  proviennent  des 
aérohtlies  portés  à  l'incandescence  par  leur  pas- 
sage rapide  au  travers  de  notre  atmosphère. 


POUSSIERES 


—  1706 


POUSSIERES 


Poiisiicres  oignniqiies  mortes  ou  7ion  V!va7iies.  1 
—  Elks  sont  généralement  composées  de  grains 
d'amidon  cuit  ou  non  cuit,  de  dobris  d'épitliéliuni 
de  la  peau  de  l'homme  ou  des  animaux,  de  débris 
de  poils  ou  de  tissus,  etc.  Elles  sont,  comme  les 
précédentes,  généralement  sans  aucun  danger  par 
elles-mêmes. 

Poussié7-es  organiques  vivnnies.  —  On  les  dis- 
tingue en  deux  classes  :  les  spores  de  cryptogames, 
et  les  bactériens. 

Les  spores  sont  des  sortes  d'œufs  ou  de  graines 
rudimentaires  par  lesquels  certaines  espèces  vé- 
gétales, les  algues,  les  mousses,  les  licliens,  les 
cliampignons,  se  propagent  au  loin.  Plusieurs  de 
ces  plantes  ont  des  dimensions  relativement  con- 
sidérables; beaucoup  d'entre  elles,  connues  sous 
le  nom  vulgaire  de  moisissures,  ont  au  contraire 
des  proponions  extrême  ment  petites  et  jouent 
un  rôle  considérable  soit  dans  nos  liabitations,  soit 
dans  la  préparation  ou  la  conservation  de  nos  ali- 
ments. Certains  fromages  n'acquièrent  leurs  qua- 
lités que  quand  leur  pâte  est  envahie  par  le  mycé- 
lium de  certains  champignons  microscopiques;  au 
contraire,  les  conserves  alimentaires  périssent  sou- 
vent par  suite  de  l'invasion  d'autres  champignons. 
Le  charbon  et  la  carie  du  blé  sont  dus  à  des  cham- 
pignons dont  les  spores  forment  la  poussière  noire 
qui  remplit  les  grains  att.nqués.  Or  c'est  du  sol  que 
part  la  plante;  sa  tige  extrêmement  ténue  se  pro- 
longe au  travers  du  chaume  jusqu'à  l'épi,  où  sa 
fructification  s'effectue. 

Les  fructifications  étant  aériennes  et  les  spores 
étant  très  légères,  celles-ci  sont  prises  et  enlevées 
par  les  moindres  brises:  l'humidité  ainsi  que  la 
chaleur  étant  d'autre  part  favorables  au  dévelop- 
pement des  moisissures,  on  ci  mprend  que  le  nom- 
bre des  spores  cryptogamiques  contenues  dans 
l'air  augmente  en  été  et  diminue  en  hiver  par  l'ef- 
fet de  1  inégalité  des  températures  dans  ces  deux 
saisons;  on  comprend  aussi  qu'il  égale  température 
les  temps  humides  en  donnent  plus  que  les  temps 
secs.  Les  moyennes  des  nombres  des  spores  cry- 
ptogamiques renfermés  dans  1  mètre  cube  d'air  du 
parc  de  Montsouris,  à  Paris,  ont  été  de  3  000  en 
mars  18«u,  de  '  000  en  avril,  de  4  "00  en  mai  et  de 
54  500  en  juin  de  la  même  année. 

Les  bactériens  et  surtout  leurs  germes  sont 
beaucoup  plus  petits  que  les  spores  de  crypto- 
games; il  en  pourrait  tenir  huit  on  neuf  cents  côte 
à  côte  dans  la  longueur  d'un  millimètre;  aussi 
passent-ils  sans  difficulté  au  travers  de  tous  les 
filtres  quand  ils  sont  mêlés  à  l'eau.  C'est  parmi 
eux  qu'on  trouve  les  micrococcus  du  choléra  des 
poules,  de  la  vaccine,  du  croup  (diphthérie)  ;  les 
bacilles  du  charbon  et  de  la  putréfaction;  le  vi- 
brion de  la  pourriture  d'hôpital,  etc.,  et  en  géné- 
ral les  germes  des  diverses  maladies  infectieuses. 
Les  bactériens,  comme  les  spores  de  crypto- 
games, croissent  en  nombre  avec  la  température; 
mais,  contrairement  à  ce  qui  a  lieu  pour  les 
spores,  leur  nombre  est  d'autant  plus  grand  dans 
l'air  que  le  temps  est  plus  sec,  d'autant  moindre 
que  le  temps  est  plus  humide.  Ils  sont  générale- 
ment beaucoup  moins  nombreux  à  l'air  libre  que 
les  spores,  et  leur  nombre  moven  par  mètre  cube 
a  été  trouvé,  dans  le  parc  de  Montsouris,  de  93  en 
mars,  de  .'iC  en  avril,  de  181  en  mai  et  de  39  en 
juin  de  l'année  1880.  Mais  il  peut  être  de  cin- 
quante à  cent  fois  plus  élevé  dans  les  salles  mal 
tenues  renfermant  un  grand  nombre  de  personnes. 
L'évaporation  spontanée  d'un  liquide  en  putiéfac- 

tion  n'en  donne  point  à  l'air;  les  émanations  qui 

se  dégagent  d'un  sol  infect  n'en  donnent  pas  da- 
vantage, tant  que  ce  sol  est  humide.  L'humidité 
fait  adhérer  fortement  les  bactériens  aux  particules 
solides  sur  lesquelles  ils  se  fixent.  Mais,  dès  que 

le  sol    se  dessèche,  les  vents  les  entraînent  avec 

les    poussièies     auxquelles    ils    adhèrent.    Les 


miasmes  paludéens  sont  peu  à  craindre  pendant 
les  hautes  eaux;  ils  sont  surtout  dangereux  à  l'ar- 
rière-saison,  quand  le  niveau  des  eaux  maréca- 
geuses baisse  et  que  les  sédiments  qu'ils  déposent 
sur  leurs  bords  se  dessèchent  et  livrent  leur 
poussière  aux  vents.  Le  nombre  relativement  très 
grand  de  bactériens  qu'on  trouve  dans  l'air  des 
hôpitaux,  des  casernes  et  de  certains  apparte- 
ments, provient  des  poussières  qui  s'en  détachent 
du  sol  et  des  murs  et  qu'un  nettoyage  à  sec,  non 
accompagné  d'une  aération  suffisamment  large, 
rejette  périodiquement  dans  l'atmosphère.  Sous 
ce  rapport,  le  blanchiment  des  murs  à  la  colle  et 
au  blanc  d'Espagne  est  absolument  mauvais^  sur- 
tout si  on  le  compare  au  lait  de  chaux  de  nos 
campagnes.  Mais,  au  blanchiment  des  ninrs  à  la 
chaux,  répété  au  moins  deux  fois  par  an,  dans  les 
salles  où  séjournent  beaucoup  de  monde,  il  faut 
joindre  :  le  lavage  du  sol  au  moins  une  fois  par  se- 
maine; son  nettoyage  quotidien  soit  au  balai  sec 
après  arrosage,  soit  avec  des  linges  humides,  et 
une  large  aération  par  les  fenêtres  toutes  grandes 
ouvertes  chaque  fois  que  la  salle  est  inoccupée  ou 
vient  d'être  nettoyée.  Ces  précautions,  Tiéiessaires 
en  tout  temps,  le  sont  particulièrement  en  temps 
d'épidémie. 

Les  bactériens  sont  beaucoup  plus  nombreux 
dans  les  eaux  que  dans  l'air.  Les  eaux  des  sour- 
ces limpides  en  contiennent  fort  peu  quand  on  les 
prend  à  leur  sortie  même  de  la  terre.  Mais  dans 
la  plupart  des  villages  de  France,  le  lavoir  public 
est  mis  à  la  source  mémo,  et  les  eaux  pures  qui 
s'en  écoulent  sont  presque  immédiatement  conta- 
minées parles  microgermes  des  vêtements  qu'on  y 
lave.  Puis,  on  jette  à  l'eau  toutes  les  ordures  du 
village.  Aussi,  tandis  que  les  eaux  de  source, 
mémo  celles  qui  proviennent  des  terres  de  Gen- 
nevilliers  largement  irriguées  depuis  huit  ou  dix 
ans  avec  les  eaux  des  égouts  de  Paris,  renferment 
de  10  à  20  bactéries  par  centimètre  cube,  que  l'eau 
de  pluie  recueillie  dans  le  parc  de  Montsouris  en 
renferme  30  à  40.  l'eau  de  la  Vanne  en  arrivant 
h  Montrouge  en  contient  déji  00.  Mais  l'eau  de 
Seine  avant  d'entrer  à  Paris  en  renferme  de  1  '200 
à  1  iOO.  et  plus  de  3  000  par  centimètre  cube  à 
sa  sortie  de  Paris.  Pour  les  eaux  des  égouts  de 
Paris  le  nombre  est  de  20000.  Fort  heureusement, 
tous  ces  microgermes  sont  loin  d'être  nuisibles 
pour  nous.  Le  plus  grand  nombre  nous  vient,  au 
contraire,  en  aide  en  activant  la  nitrification  de 
tous  les  déchets  de  la  vie  animale  et  végétale  et 
en  les  préparant  pour  de  nouvelles  vies.  Mais  il 
en  est,  les  uns  connus  et  admirablement  étudiés 
par  M.  Pasteur,  les  autres  encore  inconnus,  qui, 
non  contents  de  s'attaquer  aux  déchets  de  la  vie, 
s'attaquent  encore  aux  êtres  vivants  et  les  tuent. 
Tels  sont  entre  autres  les  microgermes  du  char- 
bon, du  sang  de  rate,  du  choléra  des  poules,  etc. 
Les  animaux  qu'ils  ont  fait  |.érir,  s'ils  sont  jetés  à 
l'eau,  y  sèment  leurs  germes  qui  s'y  multiplient 
et  se  propagent.  Enfouis  dans  le  sol,  ils  y  dé- 
posent encore  leurs  germes  qui  y  sont  retenus 
avec  une  grande  énergie  ;  mais  le  travail  de  la 
terre  par  Ihomme  ou  par  les  animaux  (les  vers 
de  terre  d'après  les  beaux  travaux  de  M.  Pasteur) 
peut  les  ramener  à  la  surface  où  la  sécheresse  les 
livre  aux  vents.  Les  plantes,  qui  seraient  impuis- 
santes à  les  retirer  du  sol.  peuvent  se  charger  de 
ces  poussières  empoisonnées ,  et  si  les  animaux 
qui  s'en  nourrissent  ont  quelque  solution  de  con- 
tinuité, quelque  éraillure  dans  la  muqueuse  de 
la  bouche  ou  de  l'inteslin,  ils  s'inoculent  le  mi- 
crogerme de  l'infection.  11  faut  enfouir  l'animal 
moit  des  atteintes  du  mal,  el  l'enfouir  dans  un 
terrain  choisi,  aride  ou  sableux,  et  interdire  aux 
autres  d'aller  paître  sur  cet  emplacement. 

Des   épidémies   graves  peuvent   incontestable- 
ment so  transmettre  par  les  microgermes  errants  ' 


PRAIRIES 


—  1707  — 


PRAIRIES 


de  l'air  ;  mais  ceux  qui  adhèrent  aux  poussières 
des  lieux  liabitos  et  aux  vêtements  niême<,  ou 
ceux  qui  se  trouvent  molanp;és  aux  boissons  ou 
aux  aliments,  sont  bien  plus  il  craindre,  en  temps 
d'èpidèmifl  surtout,  et  ce  sont  ceux  dont  souvent 
on  se  défie  le  moins.  Les  désinfectants  chimiques, 
les  feux  de  plantes  aromatiques  dans  les  rues  et 
les  habitations,  ne  sont  que  des  palliatifs  sans 
efficacité  réelle.  Une  propreté  rigoureuse  du 
corps  et  des  habitations  ;  une  aération  largo,  pro- 
longée et  fréquente  des  chambres  à  coucher;  une 
vie  sobre,  active,  le  plus  possible  au  grand  air  ; 
l'usage  d'aliments  cuits  et  de  boissons  bouillies, 
telles  que  des  infusions  ;  telles  sont  les  précau- 
tions les  plus  efficaces  en  temps  d'épidémie, 
comme  en  temps  ordinaire.  A  cela  se  joint  natu- 
rellement l'inoculation  de  la  vaccine  contre  la 
seule  maladie  qui  le  comporte  actuellement  :  la 
variole.  |Marié-Davy.] 

PRAIRIES.  —  Agriculture,  X.  —  On  appelle 
prairie  toute  surface  produisant  du  fourrage  h 
faucher  ou  i  pâturer,  que  ce  fourrage  provienne 
de  semis  ou  qu'il  ait  poussé  naturellement.  On 
distingue  les  prairies  nulurelles  ou  permanentes, 
dans  lesquelles  l'ensemencement  a  été  fait  par  la 
voie  de  dissémination  naturelle  des  graines,  et  les 
prairies  artificielles  ou  temporaires,  semées  par 
l'homme  et  durant  seulement  un  petit  nombre 
d'années.  Il  y  a  lieu  de  distinguer  aussi  entre 
les  prairies  à  faucher  et  les  prairies  à  pâturer  ; 
les  premières  sont  communément  appelées  sim- 
plement prairies,  et  les  secondes  sont  dési- 
gnées par  le  nom  de  pâtures.  Le  produit  des  prai- 
ries fauchées  est  b-  plus  souvent  converti  en  foin, 
c'est-à-dire  desséché  par  l'action  du  soleil,  de  ma- 
nière à  pouvoir  être  consommé  en  toutes  saisons 
et  dans  toutes  les  ciiconstances. 

Prairies  nutwelles.  —  Les  prairies  naturelles 
ou  permanentes  ne  sont  jamais  formées  par  une 
seule  espèce  de  plantes;  elles  sont  constituées 
par  des  mélanges,  en  proportions  variables,  de 
plantes  herbacées  appartenant  à  un  grand  nombre 
de  familles  naturelles,  mais  dans  lesquelles  les 
graminées  et  les  légumineuses  entrent  pour  la 
plus  grande  part.  Chaque  nature  de  terrain  se 
couvre,  suivant  le  climat,  d'une  végétation  qui  l\ii 
est  propre  ;  c'est  cette  végétation  qui  fait  le  plus 
souvent  le  fond  de  la  prairie.  Les  plantes  qui 
constituent  les  prairies  ont  des  valeurs  très  diver- 
ses au  point  de  vue  de  l'alimentation  du  bétail. 
Suivant  leur  prédominance,  elles  donnent  leurs 
qualités  ou  leurs  défauts  à  l'ensemble  du  fourrage. 
Ces  plantes  forment  trois  grands  groupes  suivant 
qu'elles  viennent  principalement  dans  les  terrains 
humides,  les  terrains  frais  ou  les  terrains  secs; 
on  pourrait  y  ajouter  un  quatrième  groupe,  celui 
des  plantes  propres  aux  terres  acides. 

Dans  le  premier  groupe,  on  trouve  comme 
plantes  principales  les  fétuques,  les  pàturins,  les 
fléoles,  les  phalarides,  les  agfostides,  et  des  légu- 
mineuses. Quand  il  y  a  excès  d'humidité,  on  voit 
prédominer  des  espèces  plus  grossières,  les  fétu- 
ques, les  joncs,  les  carex  et  autres  plantes  d'une 
valeur  très  médiocre. 

Le  deuxième  groupe  comprend  quelques-unes 
des  plantes  déjà  indiquées,  et  en  outre  la  houlque, 
le  fromental,  le  dactyle,  la  candie,  etc. 

Au  troisième  groupe  appartiennent  d'une  ma- 
nière spéciale  plusieurs  espèces  de  fétuques,  de 
bromes,  de  chiendent,  de  dactyle,  de  lotus,  de 
trèfle.  ■* 

Enfin,  la  végétation  des  terres  acides  est  carac- 
térisée par  la  présence  de  [liantes  des  familles  des 
ryperacées  et  destyphinées,  qui  ne  donnent  qu'un 
fourrage  de  qualité  tout  à  fait  secondaire. 

Les  plantes  qui  forment  les  prairies  n'arrivent 
pas  ensemble  au  degré  de  maturité  nécessaire, 
soit  pour  la  pâture,  soit  pour  la  faucliaison.  Une 


prairie  est  d'autant  meilleure  que  le  plus  grand 
nombre  des  plantes  qui  la  forment,  passent  à  peu 
près  en  môme  temps  par  les  diverses  phases  de 
leur  végétation. 

Pour  créer  une  prairie,  on  peut  suivre  diverses 
méthodes.  Dans  les  terrains  de  qualité  médiocre, 
on  se  contente  le  plus  souvent  de  répandre  sur  le 
sol  le  fond  des  greniers  à  foin  et  de  laisser  pousser 
les  herbes,  en  ayant  toutefois  le  soin  d'enlever  les 
arbustes,  les  chardons  et  autres  plantes  nuisibles, 
en  même  temps  qu'on  nivelle  les  taupinières. 
Mais,  pour  avoir  un  produit  plus  rapide,  en  même 
temps  (|ue  plus  certain,  il  convient  d'avoir  recours 
à  des  semailles  directes  de  graines  de  plantes  des 
prairies. 

Suivant  la  nature  du  sol,  les  mélanges  de  grai- 
nes sont  variables.  En  voici  plusieurs  exemples 
qui  ont  été  plusieurs  fois  recommandés.  Les  quan- 
tités de  graines  à  semer  sont  indiquées  pour  un 
hectare. 

Dans  une  terre  humide  et  tourbeuse  :  ray-grass 
d'Italie,  15  kilog,  ;  agrostide  traçante,  3;  flcole  des 
près,  3;  vulpin,  '2;  houlque  laineuse,  i;  trèfle 
blanc,  3;  trèfle  hybride,  2;  niélilot,  2.  —  Dans 
une  terre  argileuse  :  ray-grass  commun,  15  kilog.; 
fétuque  des  prés,  3  ;  vulpin  des  prés,  3  ;  fléole,  3  ; 
houlque  laineuse,  2  ;  agrostide  traçante,  2  ;  dac- 
tyle, 1  ;  flouve,  (1,5  ;  trèfle  ordinaire,  4  ;  trèfle  blanc, 
3  ;  trèfle  hybride,  2  ;  mélilot,  I.  —  Dans  une  terre 
Calcaire  et  sèche  :  ray-grass  commun,  Vit  kilog.  ; 
brome  des  prés,  1(1;  fromental,  10;  dactyle,  6; 
lupuline,  3;  trèfle  ordinaire,  2;  trèfle  blanc,  2; 
mélilot,  2  ;  sainfoin,  20. 

Il  faut  ajouter  que,  en  faisant  les  semailles,  on 
ne  doit  réunir  ensemble  que  les  graines  ayant  à 
peu  près  le  même  poids  et  le  même  volume  ;  on 
fait  ainsi  deux  ou  trois  mélanges  qui  sjnt  semés 
séparément,  afin  que  chaque  nature  do  graine  soit 
uniformément  répandue  sur  toute  l'étendue.  On 
a  eu  soin  de  niveler  le  sol  et  d'en  ameublir  la 
surface.  La  semence  est  recouverte  par  un  léger 
coup  de  herse.  L'automne  est  le  moment  le  plus 
favorable  pour  faire  ce  travail.  La  première  pousse 
des  jeunes  plantes,  au  printemps  suivant,  doit 
toujours  être  fauchée  ;  après  cette  opération,  on 
peut  y  mettre  des  moutons  à  pâture,  mais  en  les 
surveillant  bien  afin  de  voir  s'il  n'y  a  pas  de  plan- 
tes arrachées.  La  deuxième  année,  on  peut  faire 
pâturer  la  prairie  dès  le  printemps. 

Dans  la  formation  d'une  prairie,  il  arrive  tou- 
jours que  les  plantes  qui  la  composent  définiti- 
vement ne  conservent  pas  les  proportions  rela- 
tives indiquées  par  les  quantités  de  graines  em- 
ployées. (Quelques  plantes  sont  étouffées  par  la 
végétation  des  autres;  il  en  vient  d'ailleurs  qui  ne 
sont  pas  semées,  et  qui  parfois  môme  deviennent 
dominantes. 

Les  soins  de  conservation  des  prairies  varient 
suivant  qu'il  s'agit  de  prairies  à  faucher  ou  de 
prairies  à  pâturer.  En  ce  qui  concerne  les  prai- 
ries fauchables,  les  soins  les  plus  indispensables 
consistent  à  pratiquer  des  sarclages  afin  de  détruire 
les  mauvaises  plantes,  surtout  les  cliardons  ;  à 
faire  la  chasse  aux  taupes  et  à  détruire  les  tau- 
pinières, à  entretenir  les  rigoles  quand  les  prai- 
ries sont  soumises  à  l'irrigation.  La  fauchage  doit 
être  fait  au  mois  de  mai  ou  au  mois  de  juin, 
quand  la  plus  grande  partie  des  graminées  sont 
en  fleur.  Il  ne  faut  ni  trop  avancer  ni  trop  reculer 
cette  importante  opération.  Si  on  la  fait  do  trop 
bonne  heure,  on  perd  sur  la  quantité  ;  si  on  la 
retarde  au  delà  du  point  le  plus  favorable,  on 
obtient,  il  est  vrai,  un  plus  grand  rendement,  mais 
le  foin  n'est  que  de  médiocre  qualité.  11  ne  faut 
pas  répéter  les  fauchages  à  des  intervalles  trop 
rapprochés,  car  on  court  le  risque  d'éloufi'er  dans 
leur  croissance  les  plantes  les  plus  abondantes  et 
les  plus  fortes.  Dans  les  circonstances  ordinaires, 


PRAIRIES 


—  1708 


PRAIRIES 


deux  ou  trois  coupes  sont,  pour  la  plupart  des 
saisons  et  des  climats,  la  meilleure  proportion  à 
adopter. 

Puur  les  pâturages,  les  soins  d'entretien  en  ce 
(|ui  concerne  la  destruction  des  mauvaises  plantes 
sont  i  peu  près  les  mêmes  que  pour  les  prairies 
faucliable-i  ;  mais  ils  sont  encore  plus  importants. 
Quant  à  la  conservation  et  à  l'amélioration  des 
pâturages,  elles  dépendent  surtout  de  la  nature 
des  animaux  qui  y  vivent.  Les  meilleurs  pâtu- 
rages sont  consacres  aux  vaclies  ou  aux  bêtes  bo- 
vines à  l'engrais  ;  les  autres  sont  réservés  aux 
moutons.  Un  pâturage  ne  peut  être  considéré 
comme  propre  aux  bêtes  à  cornes  que  lorsque 
chaque  vaclie  peut  y  être  nourrie  sur  une  surface 
d'un  hectare  et  demi.  Afin  de  juger  si  un  pâturage 
convient  à  un  troupeau,  le  comte  de  Gasparin  a 
conseillé  la  méthode  suivante  :  on  choisit  dix 
bêtes,  parmi  les  grosses,  les  moyennes  et  les  pe- 
tites ;  on  les  pèse  avant  de  les  mettre  sur  une 
partie  déterminée  du  pâturage,  et  on  les  y  laisse 
pendant  dix  jours.  Si,  au  bout  de  ce  temps,  elles 
n'ont  pas  perdu  de  leur  poids,  le  pâturage  sera 
réputé  suffisant;  si  elles  ont  gagné  sensiblement, 
le  pâturage  sera  réputé  bon  ;  si  enfin  l'accroisse- 
ment a  été  de  3  pour  KIO  du  poids,  le  pâturage 
peut  être  considéré  comme  pâture  d'engrais  ou 
d'embouche.  Lorsque  le  terrain  a  été  rendu  hu- 
mide au  point  que  les  animaux  laissent  sur  le 
pâturage  l'empreinte  de  leurs  pas,  il  convient  de 
ne  pas  les  y  faire  entrer.  Des  enclos  sont  ména- 
gés, afin  que  les  botes  parcourent  successivement 
toutes  les  pariies  de  la  pâture,  pour  revenir  à  la 
première  lorsque  toute  l'étendue  a  été  une  fois  ton- 
due. Si  l'on  n'a  que  de  faibles  étendues  de  pâtures 
et  peu  d'animaux,  on  fait  pâturer  au  piquet:  chaque 
animal  est  relié  par  une  corde  h  un  piquet  fixé  en 
terre,  et  on  lui  livre  chaque  jour  la  surface  néces- 
saire pour  .sa  nourriture. 

Les  pâturages  reçoivent  les  déjections  des  ani- 
maux qu'ils  nouirissent,  et  par  suite  ils  n'ont 
que  rarement  besoin  d'engrais.  Mais  il  est  tou- 
jours utile  de  les  soumettre  à  l'irrigation  (voir  ce 
mot),  si  on  le  peut.  Quant  aux  prairies  à  faucher, 
l'emploi  des  engrais  ou  des  amendements  est 
indiqué,  soit  qu'on  veuille  accroître  le  rendement, 
soit  qu'on  veuille  faire  disparaître  des  plantes 
nuisibles  en  les  étouffant  par  une  végétation  plus 
forte.  On  comprend  aussi  que,  pour  une  prairie 
fauchée,  comme  pour  toute  terre  à  laquelle  on 
enlève  lu  récolte  qu'elle  a  produite,  il  est  néces- 
saire de  restituer  l'équivalent  des  principes  qui 
ont  été  enlevés  ;  la  fertilité  ne  peut  pas  se  main- 
tenir indéfiniment.  Les  engrais  à  employer  varient 
suivant  la  nature  du  sol.  D'une  manière  générale, 
les  engrais  liquides,  tels  que  le  purin,  l'urine, 
les  eaux  grasses,  etc.,  sont  excellents  pour  les 
prairies.  De  même  les  engrais  pulvérulents,  qui 
sont  d'un  épandage  facile,  tels  que  les  tourteaux, 
le  guano,  la  poudre  d'os  ;  les  composts  bien  con- 
sommés peuvent  aussi  produire  do  très  bons 
effets.  Dans  les  terres  acides,  ou  dans  celles  qui 
sont  marécageuses,  les  phosphates  modifient  d'une 
manière  très  heureuse  la  végétitioti  des  prairies. 
La  saison  h  adopter  pour  répandre  les  engrais  sur 
les  prairies  est  l'hiver,  avant  la  pousse  de  l'herbe; 
la  raison  en  est  facile  à  comprendre.  C'est  aussi 
la  saison  qui  cojivient  pour  les  travaux  de  nivelle- 
ment, de  curage  des  fossés. 

Une  pratique  répandue  dans  quelques  contrées 
est  de  •<  déprimer  »  les  prairies  au  printemps. 
C'e&t  y  mettre  les  animaux  convalescents  ou 
même  tout  le  troupeau,  de  telle  sorte  qu'ils  pâtu- 
rent la  première  herbe  poussée.  Le  rendement  de 
la  prairie  au  fauchage  est  diminué,  mais  il  est  do 
meilleure  (|nalité,  car  les  plantes  les  plus  précoces 
ont  été  arrôiées  par  le  pâturage.  C'est  une  mé- 
thode  qu'on   ne  peut  adopter  que  lorsqu'il  est 


impossible  de  faire  autrement;  car,  au  printemps, 
le  sol  est  souvent  humide,  et  la  prairie  peat 
être  détériorée  par  le  piétineinent  des  animaux. 
Le  fauchage  des  prairies  est  fait  soit  avec  la 
faux,  soit  avec  la  fauclieuse  mécanique.  On  a  in- 
diqué plus  haut  l'époque  qui  est  la  plus  conve- 
nable pour  cette  opération.  11  est  inutile  d'insister 
sur  la  nécessité  de  couper  aussi  près  de  terre  que 
possible.  En  effet,  près  du  sol  l'herije  est  toujours 
plus  fournie,  et  c'est  la  base  des  tiges  qui  fouroit 
le  plus  de  fourrage.  Après  la  coupe,  l'herbe  doit 
être  fanée  pour  être  transformée  en  foin  ;  faner, 
c'est  rendre  l'herbe  propre  à  se  conserver,  en  lui 
enlevant  la  plus  grande  partie  de  l'eau  qu'elle- 
contient.  L'herbe,  après  avoir  été  coupée,  est  dis- 
posée sur  le  sol  en  lignes  qu'on  appelle  andains. 
On  la  laisse  ainsi  pendant  deux  ou  trois  jours, 
puis  on  la  retourne  sans  la  secouer  trop  violem- 
ment, afin  que  les  parties  les  plus  fines  ne  se- 
perdent  pas.  Dans  la  soirée,  on  dispose  l'herbe  à 
moitié  desséchée  en  moulons,  pour  la  soustraire 
à  l'action  de  la  rosée;  le  lendemain,  on  l'épar- 
pillé à  nouveau  sur  le  sol,  et  on  répète  ces  opé- 
rations jusqu'à  ce  que  la  dessiccation  soit  com- 
plète. Ces  opérations  sont  faites,  soit  avec  des 
fourches  et  des  râteaux,  soit  avec  la  faneuse  et  le 
râteau  mécaniques.  Si  des  pluies  surviennent  pen- 
dant l'opération  du  fanage,  il  faut  mettre  l'herbe 
en  moulons,  afin  de  la  soustraire  le  plus  possible  hj 
l'action  de  l'eau,  qui  est  tout  à  fait  nuisible  pour 
la  préparation  du  bon  foin.  Le  foin  fané  doit 
exhaler  son  odeur  caractéristique,  ne  pas  être  cas- 
sant, avoir  une  coloration  légèrement  dorée,  tout 
en  conservant  un  peu  de  la  teinte  verte  de  l'herbe. 
Le  foin  brun,  qui  a  perdu  en  grande  partie  son 
odeur,  et  qui  présente  une  couleur  noirâtre,  est 
celui  qui  a  été  fané  par  un  temps  excessivement 
humide;  sa  valeur  marchande  est  sensiblement, 
amoindrie. 

Le  rendement  des  prairies  varie  suivant  un 
très  grand  nombre  de  circonstances.  Quand  le 
printemps  est  très  sec,  les  prairies  qui  ne  peuvent 
pas  être  arrosées  ne  donnent  presque  rien  ;  si  le 
printemps  manque  de  chaleur,  le  même  fait  peut 
se  manifester.  Pour  évaluer  les  rendements,  il  faut 
supposer  une  saison  normale.  Dans  ces  conditions, 
une  prairie  soumise  à  un  bon  système  dirrigalioit 
peut  donner  SiinO  à  lOodO  kilog.  de  foin  sec  par 
hectare  ;  quelquefois  le  rendement  s'élève  jusqu'i 
12  000  et  même  15  000  kilog.  en  trois  ou  quatre 
coupes.  Dans  la  catégorie  des  prairies  non  arrosées, 
on  considère  comme  très  bonnes  prairies  celles 
dont  le  rendement  peut  atteindre,  en  deux  coupes, 
7  500  kilog.  Les  prairies  ordinaires  donnent 
3  0iiOà4  5liO  kilog.  Les  prairies  médiocres  sont 
celles  dont  le  rendement  n'atteint  pas  3  0;i0  kilog. 
On  est  généralement  d'accord  pour  admettre  qu'il 
ne  faut  pas  laisser  en  gazon  les  terres  qui  ne 
donnent  pas   1  000  kilcg.   de  foin  par  hectare. 

Quelquefois  sur  une  partie  de  prairie  on  veut 
obtenir  de  la  graine.  Dans  ce  cas,  on  ne  fauche 
que  lorsque  les  plantes  sont  arrivées  â  maturité  ; 
on  fait  sécher  la  coupe,  et  on  en  relire  ensuite 
les  graines. 

Le  foin  est  une  denrée  d'un  transport  difficile 
à  raison  du  grand  volume  qu'il  présente  sous  un 
faible  poids.  Le  mètre  cube  de  foin  bottclé  ne  peso 
pas  plus  de  90  h  r20  kilog.  Pour  faciliter  le  trans- 
port, on  a  imaginé  de  le  soumettre  à  une  forte 
pression  avec  des  appareils  spéciaux,  et  d'en  faire 
des  balles  dont  le  poids  spécifique  soit  de  300  & 
■iOO  kilog.  par  mètre  cube.  Le  foin  pressé  se  con- 
serve très  bien  pendant  plusieurs  années,  avec 
toute  sa  valeur  nutritive. 

Prairies  artificielles.  —  Les  prairies  artificiel- 
les, qu'on  appelle  aussi  plus  justement  prairie» 
temporaires,  sont  celles  qui  sont  semées  par  le 
cultivateur  en  plantes  spéciales,  pour  durer  pen- 


PUAIHIES 


1700 


PRÉHISTORIQUES 


■dant  un  nombre  d'aniuins  plus  ou  moins  considé- 
rable, et  (|ui  entrent  dans  l'assolement  des  terres 
arables.  Dans  quelques  régions,  où  la  culture 
alterne  est  presque  exclusivement  adoptée,  la  pro- 
duction des  fourrages  est  à  peu  près  tout  entière 
demandco  aux  prairies  artificielles.  Celles-ci  sont 
divisées  suivant  les  plantes  qui  les  composent,  ou 
bien  suivant  leur  durée.  C'est  ainsi  qu'on  distin- 
gue d'une  part  les  prairies  artificielles  de  légumi- 
neuses et  celles  de  graminées,  et  d'autre  part 
celles  qui  sont  vivaces,  bisannuelles  ou  annuelles. 
Leur  introduction  dans  les  usages  de  la  culture 
a  été  une  véritable  révolution  pour  un  grand  nom- 
bre d'exploitations;  on  a  pu  obtenir  du  bon  four- 
rage en  abondance  sur  beaucoup  de  points  où  l'on 
ne  pouvait  avoir  de  prairies  naturelles.  En  fait,  un 
bon  terrain  cultivé  en  luzerne  ou  en  trèfle  donne 
sensiblement  plus  de  nourriture  que  s'il  était  en 
pré  naturel,  et  sur  des  sols  médiocres  on  obtient 
un  produit  que  la  prairie  est  incapable  d'y  donner. 

Toutes  les  terres  de  la  ferme  sont  tour  à  tour 
transformées  en  prairies  artificielles.  Suivant  la 
durée  qu'on  donne  à  celles-ci,  on  les  met  dans 
l'assolement  ou  hors  de  l'assolement.  Les  soins  de 
préparation  consistent  dans  le  nivellement  du  sol, 
l'enlèvement  des  pierres,  le  plombage,  etc.  Les 
semailles  se  font  ensuite.  Les  principales  plantes 
des  prairies  artificielles  sont  semées  seules;  ce 
sont,  parmi  les  légumineuses,  la  luzerne,  le  trèfle, 
le  sainfoin  ;  parmi  les  graminées,  le  ray-grass  et 
le  seigle.  On  se  sert  quelquefois  de  fourrages  an- 
nuels pour  protéger  les  plantes  vivaces.  Ainsi, 
avec  la  luzerne  ou  avec  le  sainfoin,  on  sème  l'orge, 
le  seigle,  l'avoine,  le  brome,  le  sarrasin,  la  mou- 
tarde blanche,  les  fèves.  La  coupe  de  V'S  fourra- 
ges annuels  doime  un  précieux  accessoire  de  la 
plante  principale.  En  général,  il  convient  de  semer 
épais;  les  prairies  formées  dans  ces  conditions 
deviennent  plus  rapidement  productives,  demeu- 
rent garnies  malgré  les  circonstances  extérieures 
et  donnent  un  fourrage  fin  et  abondant. 

On  attribue  quelquefois  aux  prairies  artificielles 
fournies  par  des  légumineuses,  la  qualification  de 
plantes  améliorantes.  On  suppose  qu'elles  laissent 
le  sol  plus  riche,  au  bout  de  quelques  années, 
que  lorsqu'elles  ont  été  semées.  Aucune  erreur 
n'est  plus  grave.  Rien  n'a  jamais  démontré  que 
les  plantes  légumineuses  aient  le  pouvoir,  comme 
on  l'a  affirmé,  d'absorber  l'azote  de  l'atmosphère 
et  d'en  enrichir  le  sol.  Ce  qui  est  vrai,  c'est  que 
quelques-unes  de  ces  plantes,  notamment  la 
luzerne,  émeltent  des  racines  très  longues  et 
vont  puiser  leur  nourriture  dans  les  couches  pro- 
fondes du  sous-sol.  Elles  se  nourrissent  aux  dépens 
de  celles-ci,  et  quand  la  prairie  artificielle  est 
rompue,  les  feuilles  et  les  racines  qui  se  décom- 
posent dans  les  couches  superficielles  enrichis- 
sent en  effet  celles-ci,  mais  non  pas  de  la  ma- 
nière que  l'on  suppose,  par  une  absorption  de 
l'azote  atmosphérique.  Au  bout  d'un  nombre 
d'années  variable  suivant  les  plantes  et  les  sols, 
le  rendement  des  prairies  artificielles  diminue; 
c'est  surtout  sur  les  luzernes  que  ce  fait  se 
produit.  Cette  diminution  prouve  que  la  ferti- 
lité du  sol  à  l'égard  des  légumineuses  n'est  pas 
mdéfinie,  et  que,  en  dépit  des  fortes  fumures, 
elle  s'amoindrit  à  cause  de  la  difficulté  que  l'on 
éprouve  à  faire  pénétrer  les  engrais  dans  les  cou- 
ches profondi'S. 

L'herbe  des  prairies  artificielles  formées  par  les 
légummcuses  est  mangée  par  le  bétail  en  vert  ou 
en  sec.  On  fait  du  foin  de  trèfle  ou  de  luzerne, 
comme  du  loin  de  prairie  naturelle;  seulement  il 
faut  prendre,  au  fanage,  des  piécauiions  iifin  de 
ne  pas  détacher  de  la  tige  les  jeunes  pousses  et  les 
feuilles,  toujours  délicatts.  Quant  à  la  consomma- 
tion en  vert,  elle  se  fait  soit  à  la  pâture,  soit  à 
létable.  Mais,  dans  ce  cas,  il  faut  encore  prendre 


des  précautions  spéciales.  L'ingestion  de  l'herbe 
fraîche  des  prairies  artificielles  a  parfois  pour 
résultat  d'occasionner  des  coliques  oi  des  inétéo- 
risations  qui  peuvent  entraîner  la  mort  des  ani- 
maux. Surtout  quand  cette  herbe  est  humide,  il 
faut  ne  la  faire  consommer  que  graduellement  et 
ne  pas  laisser  les  animaux  paître  trop  longtemps 
dans  les  prairies  de  légumineuses. 

Les  principales  plantes  des  prairies  artificielles 
sont,  parmi  les  légumineuses  : 

1"  La  luzerni?  ordinaire  (Medkago  sativu),  qui 
vient  bien  dans  la  plupnrt  des  climats,  mais  se 
développe  surtout  sous  les  climats  chauds.  Elle  de- 
mande un  sol  profond,  exempt  d'excès  d'humidité 
ou  de  sécheresse.  Une  luzernière  dure  le  plus 
souvent  de  six  à  huit  ans,  en  la  fumant  et  en  la 
sarclant.  On  peut  en  prolonger  la  durée  pendant 
quinze  à  dix-liuit  ans.  11  est  convenable  de  ne  la 
faire  revenir  sur  le  mémo  sol  qu'après  un  temps 
égal  à  celui  pendant  lequel  elle  y  est  resiée.  Le 
rendement  varie  de  5  000  à  10  000  kilog.  de  four- 
rage sec  par  hectare  :  dans  les  prairies  du  Midi, 
fortement  arrosées,  il  s'élève  quelquefois  jus- 
qu'à 15  000  ou  18  000  Icilog. 

2°  La  minette  ou  Inpuline,  qui  vient  bien  dans 
les  sols  secs  et  calcaires,  et  qui  est  remarquable 
par  sa  précocité.  Elle  dure  généralement  deux  ans 
sur  le  môme  sol.  On  l'associe  quelquefois  à  la 
luzerne  dans  les  terres  légères. 

'i"  Le  tièfle,  dont  trois  espèces  principales  sont 
cultivées,  l.a  plus  importante  est  le  trèfle  des 
prés  ou  trèfle  violet,  spontané  en  Franco.  Le  trèfle 
demeure  dix-huit  mois  sur  le  même  sol.  Son  ren- 
dement est  de  G 000  à  lOnOO  kilog.  de  fourrage 
sec  par  année.  C'est  un  fourrage  excellent,  sain 
pour  tous  les  animaux.  Le  trèfle  rampant  est  le 
plus  souvent  consommé  en  vert.  Il  s'accommode 
des  terres  légères  et  môme  de  celles  qui  sont 
marécageuses.  Le  trèfle  blanc  est  aussi  cultivé, 
mais  sur  une  petite  échelle. 

4°  Le  sainfoin,  appelé  esparcette,  bourgo- 
gne, etc.,  et  dont  on  distinguo  deux  variétés:  le 
sainfoin  à  une  coupe  et  celui  à  deux  coupes,  dont 
les  tiges  sont  plus  longues  et  les  feuilles  plus 
larges.  Il  dure  de  cinq  à  six  ans  ;  son  rendement 
est  de  4000  à  OOOO  kilog.  de  fourrage  sec  par  hec- 
tare et  par  an. 

Les  principales  plantes  de  la  famille  des  gra- 
minées avec  lesquelles  on  fait  des  prairies  arti- 
ficielles sont  les  diverses  espèces  de  ray-grass,  le 
fromental,  les  agrostides,  les  vulpins,  les  pâtu- 
rins,  etc.  Ces  prairies  durent  plus  ou  moins  long- 
temps. 

Aux  prairies  artificielles  se  rattachent  les  cul- 
tures de  plantes  fourragères  annuelles  :  le  seigle 
coupé  en  vert,  le  mais  fourrage,  le  trèfle  incarnat, 
le  lupin,  la  gesse,  le  mélilot,  etc.,  ainsi  que  les 
culiures  appelées  dérobées,  c'est-à-dire  celles  de 
plantes  à  croissance  rapide  qu'on  dbtient  entre 
deux  plantes  se  succédant  dans  l'assolement.  Les 
cultures  dérobées  sont  surtout  avantageuses  dans 
les  années  de  disette  fourragère.  Le  sarrasin,  le 
moha,  la  jarosso,  etc.,  sont  les  plantes  qui  con- 
viennent le  mieux  pour  faire  les  cultures  dérobées. 

L'introduction  des  prairies  artificielles  en  France 
remonte  à  plusieurs  siècles;  mais  c'est  depuis  la 
dernière  moitié  du  siècle  dernier  qu'elles  ont  pris 
de  l'extension  et  permis  d'augmenter,  dans  d'im- 
menses proportions,  les  ressources  fourragères 
des    exploitations    rurales.         (Henry  Sagnier.j 

PIlÉllISToniQUES  (Populations).  —  Géologie, 
IX.  —  On  sait  comment  les  travaux  succssifs 
des  archéologues  ont  fait  revivre  jusque  duns  les 
particularités  les  plus  intimes  les  civilisations  les 
plus  anciennes  dont  l'histoire  fasse  meniion. 
L'art  de  déchiffrer  les  écritures  antiques,  hiéro- 
glyphes, cunéiformes,  etc.,  a  étendu  dans  ce 
domaine  le  cercle  de  nos  connaissances,  et  depuis 


PRÉHISTORIQUES        —  1710 


PREHISTORIQUES 


qu'à  la  tradition  se  sont  jointes  ainsi  des  données 
vraiment  scientifiques,  l'iiistoire  a  pris  un  carac- 
tèrede  précision  etde  certitude  tout  à  fait  nouveau. 
C'est  comme  une  conséquence  des  trav.vix  de 
celte  nature  qu'il  faut  considérer  la  découverte 
de  ce  grand  fait  qu'avant  tous  les  peuples  dont 
l'histoire  ou  les  traditions  nous  ont  conservé  le 
souvenir  plus  ou  moins  vague,  il  existait  déjà  des 
hommes  sur  la  terre.  Cette  notion  en  effet  ressort 
d'observations  directes,  aussi  indiscutab'es  que 
les  observations  astronomiques,  et  elles  doivent 
précisément  ce  caractère  de  démonstration  à  la 
méthode  même  qui  les  a  fournies. 

Quoique  des  témoignages  éloquents  de  l'exis- 
tence de  l'honune  préhistorique  aient  de  tous 
temps  éio  à  la  disposition  des  observateurs,  on 
s'est  néanmoins  refusé  jusque  dans  ces  dernières 
années  à  leur  accorder  l'intérêt  qu'ils  méritent, 
à  leur  attribuer  leur  vraie  signification.  Imbus 
d'idées  fausses  découlant  de  vieilles  traditions 
auxquelles  ils  prêtaient  une  origine  surhumaine, 
les  naturalistes  et  le  grand  Cuvier  à  leur  tète 
admettaient,  comme  une  vérité  dispensée  de  dé- 
monstration, que  l'espèce  humaine  représente  le 
dernier  produit  des  forces  créatrices;  que  de  son 
apparition  date  la  dernière  des  périodes  géologi- 
ques, et  que  depuis  lors  rien  d'essentiel  ne  s'est 
modifié  à  la  surface  de  notre  planète.  En  d'autres 
termes,  Cuvier  regardait  comme  évident  qu  il  n'y 
a  pas  d'/wmmes  /'ossi/es. 

Pour  bien  comprendre  la  portée  de  cette  grande 
question,  quelques  mots  de  géologie  sont  absolu- 
ment néci.'ssaires.  Les  couches  superficielles  du 
globe  consistent  en  terrains  d'alluvions  ou  de 
transport.  Ces  alluvions  sont  postérieures  aux  ter- 
rains tertiaires,  elles  les  recouvrent.  On  les  par- 
tage en  deux  grands  groupes  appartenant  à  deux 
époques  consécutives  :  les  alluvions  anciennes  et 
les  alluvions  modernes.  Ces  dernières  datent  des 
époques  historiques;  les  autres  rentrent  dans  la 
série  des  terrains  quaternaires,  appelés  aussi  et 
très  improprement  terrains  diluoicns  oudi/uviutn. 
Or,  à  l'époque  quaternaire  vivaient  de  grands 
mammifères  qu'on  peut  classer  en  trois  catégories 
sous  le  rapport  de  la  destinée  qu'ils  ont  eue.  Les 
uns  ont  traversé  la  période  quaternaire  et  pro- 
longé leur  existence  jusqu'à  nos  jours  ;  tels  sont  le 
bœuf,  le  buffle,  le  cheval,  le  cerf  commun,  le 
renne,  l'aurochs,  etc.  Les  seconds  ont  également 
survécu  à  l'époque  quaternaire  et  ils  sont  aussi 
devenus  contemporains  de  l'alluvion  moderne, 
mais  le  principe  de  vie  de  leur  espèce  s'est  épuisé 
avant  le  moment  présent  et  leurs  restes  se  rencon- 
trent dans  les  dépôts  les  plus  récents  ;  tel  est 
l'élan  aux  grandes  cornes  dont  on  trouve  les  restes 
dans  les  tourbes  d'Irlande  et  que  même,  dit-on,  les 
Romains  faisaient  venir  d'Angleterre.  Enfin,  les 
derniers  n'ont  pas  dépassé  l'époque  quaternaire  ; 
ils  se  sont  éteints  pendant  sa  durée.  Tels  sont 
l'éléphant  pi'imitif,  diverse^  espèces  de  rhinocéros, 
d'hippopotames,  d'ours,  de  lions,  d'hyènes,  etc. 

Le  i/iluvium  conserve  les  restes  de  tous  ces 
animaux,  tantôt  soudés  à  des  débris  de  roches  par 
un  ciment  et  formant  avec  eux  les  brèches  qui 
remplissent  certaines  crevasse»  du  sol  comblées 
par  les  alluvions  anciennes;  tantôt  enfouis  dans 
les  cavernes  ;  tantôt  perdus  au  sein  des  couches 
stratifiées.  On  trouve  des  os  épars,  des  portions 
d'os,  des  dents,  des  têtes  entières,  des  squelettes 
entiers,  dans  certains  cas  même  des  cadavres. 
Exemple,  ce  mammouth  et  ce  rhinocéros  trouvés 
en  Sibérie. 

Eh  bien,  quand  on  recherche  s'il  existe  des 
hommes  fossiles,  la  question  est  réellement  de 
savoir  si  Ihomme  a  vécu  en  même  temps  que 
toute  cette  faune  disparue  ;  s'il  a  été  cojitempo- 
rain  de  ce  grand  mammouth  dont  le  corps  était 
couvert  d'une  toison   composée    de  longs   crins 


noirs  et  d'une  abondante  laine  rougeàtre  ;  s'il  a 
rencontré  dans  presque  toute  l'Europe  le  lion, 
l'hyène  et  le  grand  ours  des  cavernes,  le  rhino- 
céros, l'hippopotame. 

En  d'autres  termes,  et  en  termes  dont  on  com- 
prend maintenant  l'exacte  signification,  l'homme 
appartient-il  à  l'époque  quaternaire? 

C'est  cette  question  que  Cuvier,  subordonnant  la 
science  à  la  tradition,  résolvait  négativement  dans 
son  célèbre  Discours  sur  les  riroiutiom  du  globe. 
C'est  cette  question  qu'une  foule  d'observations 
ont  fait  entrer  définitivement  dans  les  faits  les 
mieux  démontrés. 

Chose  digne  de  remarque,  ce  qu'on  découvrit 
d'abord,  ce  ne  fut  point  des  os,  mais  des  vestiges 
de  l'industrie  humaine  préhistorique. 

Dès  1838,  c'est-à-dire  six  ans  après  la  mort  de 
Cuvier,  M.  lioucher  de  Perthes,  se  fondant  sur 
plusieurs  ordres  de  considérations,  émettait  l'avis 
que  le  genre  humain  est  antérieur  à  ce  qu'on 
nommait  alors  la  dernière  révolution  du  globe. 
Où  fallait-il  en  chercher  la  preuve?  Là  où  l'on 
trouve  les  restes  des  animaux  dont  l'homme  pri- 
mitif aurait  été  le  contemporain,  dans  le  diluvium. 
La  pensée  que  des  silex  travaillés  pouvaient  se 
rencontrer  dans  les  terrains  diluviens  s'était  pré- 
sentée à  notre  auteur  un  soir  de  l'année  1828,  en 
vue  d'une  carrière  de  sable,  à  l'extrémité  du  fau- 
bourg de  Saint-Gilles  à  Abbeville.  Cependant,  au- 
cun des  cailloux  qui  gisaient  à  ses  pieds  n'offrait 
trace  de  main  d'œuvre.  Il  en  chercha  qui  eussent 
gardé  l'empreinte  de  la  main  de  l'homme,  et  les 
cliercha  pendant  des  années  sans  succès.  Quand 
enfin  il  en  eut  trouvé,  il  eut  à  lutter  contre  des 
résistances  opiniâtres  opposées  à  ses  assertions 
par  les  idées  préconçues  des  savants,  et  l'on 
doit  rendre  hommage  à  la  fois  au  génie  de 
M.  Boucher  de  Perthes  et  à  sa  persévérance.  U 
explora  personnellement  les  déparlements  de  la 
Somme,  du  Pas-de-Calais,  de  l'Oise,  de  la  Seine, 
de  la  Seine-Inférieure,  une  partie  de  l'Europe,  de 
l'Afrique  et  de  l'Asie. 

Pour  donner  une  idée  de  l'abondanco  des  silex 
taillés  qu'il  recueillit,  disons  que  sur  un  parcours 
d'une  dizaine  de  lieues,  dans  une  vallée  de  la 
Somme,  en  moins  de  dix  ans,  plus  d'un  millier 
de  haches  furent  extraites  du  diluvium,  où  elles 
gisaient  avec  des  débris  d'éléphants. 

Aujourd'hui  qu'on  n'en  conteste  plus  l'origine 
humaine,  on  constate  entre  ces  silex  et  les  instru- 
ments de  maints  sauvai;es  contemporains  une 
identité  absolue,  et  c'est  ainsi  qu'on  est  parvenu 
à  retrouver  l'emploi  do  la  plupart  dos  silex  taillés 
antéhistoriques. 

Les  plus  simples  sont  des  lames  étroites  et 
minces  que  leur  forme  générale  a  conduit  tout  de 
suite  à  qualifier  de  couteaux.  On  en  trouve  dans 
les  régions  les  plus  distantes;  les  Mexicains  en  fa- 
briquent de  tout  semblables  en  obsidienne  ou 
verre  des  volcans  et  les  utilisent  comme  excellents 
rasoirs.  Pour  les  obtenir,  un  n'a  qu  à  frapper  avec 
une  pirrre  sur  l'angle  d'un  bloc  de  silex  ou  d'obsi- 
dienne :  la  cassure,  qui  est  d'abord  semi-conoidale, 
devient  bientôt  tout  à  fait  plane,  et  l'éclat  séparé, 
qui  peut  atteindre  30  centimètres  de  longueur, 
offre  uno  section  sensiblement  triangulaire.  Il 
résulte  de  là  qu'un  éclat  parfait  présente  toujours 
un  petit  bulbe  de  percussio'i  qui  permet  de  le 
distinguer  des  pierres  qui,  accidentellement,  au- 
raient pu  affecier  une  forme  analogue.  Après  avoir 
ainsi  enlevé  par  éclats  les  quatre  angles  primitifs 
du  bloc  supposé  cassé,  on  peut  traiter  de  la  même 
manière  hs  huit  nouveaux  angles  et  ainsi  de  suite. 
U  se  produit  ainsi  un  bloc  de  forme  caraciéristi- 
(|ue,  bien  connu  des  antiquaires  sous  le  nom  da 
7ntcleus,  et  dont  les  collections  renferment  de 
magnifiques  spécimens. 
■«  U  peut  sembler  très  facile,  dit  Lubbock,  de 


PREHISTORIQUES 


—  1711   — 


PREHISTORIQUES 


faire  (ii.'S  coit'enux;  copoiirlant,  quelques  expâ- 
rieiices  convaincront  quiconque  voudra  essayer, 
qu'il  faut  une  certaine  habileté  pour  choisir  le 
silex.  Il  est  donc  évident  que  ces  éclats  de  silex, 
quelque  grossiers  qu'ils  puissent  paraître,  sont 
l'ouvrage  de  l'homme.  Pour  faire  un  éclat,  il  faut 
tenir  fermement  le  silex,  puis  exercer  une  force 
considérable,  soit  par  la  pression,  soit  par  la  per- 
cussion; les  coups  doivent  être  répétés  trois  ou 
quatre  fois,  mais  au  moins  trois  fois,  et  portés 
dans  certaines  directions  quelque  peu  différentes 
avec  une  certaine  force  définie,  condition  qui  ne 
pourrait  se  présenter  que  fort  rarement  dans  la 
nature;  aussi  quelque  simples  que  puissent  pa- 
raître ces  éclats,  à  quiconque  ne  les  a  pas  étudiés 
avec  soin,  un  éclat  de  silex  est,  pour  l'antiquaire, 
une  preuve  aussi  certaine  de  la  présence  de 
l'homme  ([ue  l'étaient  pour  liobinson  Crusoé  les 
traces  de  pas  empreints  dans  le  sable.  » 

Il  est  manifeste  qu'un  grand  nombre  d'éclats 
ont  servi  comme  scies,  comme  poinçons,  et  comme  j 
pointes  de  flèches.  Parmi  ces  derniers,  on  conserve  ! 
comme  échantillons  purliculiérement  démonstra-  | 
tifs  des  ossements  d'animaux  fossiles  dans  la  j 
substance  desquels  des  pointes  de  silex  sont 
solidement  enchâssées.  On  peut  voir  au  Muséum 
une  vertèbre  de  renne  qui  est  dans  ce  cas. 

Ce  n'est  que  vingt-cinq  ans  après  les  premières 
découvertes  de  silex  taillés,  et  alors  que  leur  ori- 
gine humaine  ne  faisait  plus  doute  pour  personne,, 
que  l'on  découvrit  des  débris  fossiles  provenant  de 
notre  espèce. 

Le  24  mars  186!,  un  terrassier  travaillant  à  la 
carrière  de  Moulin-Quignon,  près  Abbeville,  ap- 
porta à  M.  Boucher  de  Perthes  un  silex  taillé  et 
une  dent  fort  endommagée.  Débarrassée  du  sable 
qui  la  couvrait,  cette  dent  fut  reconnue  pour  une 
molaire  humaine.  Quelques  jours  après  (VSmars), 
en  préseni-e  de  M.  Boucher  de  Perthes,  qu'on  était 
venu  avertir  q\ie  «  quelque  chose  ressemblant  b  un 
os  paraissait  dans  le  banc  »,  la  moitié  d'une  mâ- 
choire humaine  fut  extraite  du  même  terrain.  A 
quelques  centimètres  de  là,  on  trouva  deux  haches 
en  silex,  dont  une  brisée,  et  deux  autres  dents. 

L'identité  de  couleur  de  cette  mâchoire  et  des 
silex  talllé.-i,  avec  le  banc  qui  les  contenait,  cou- 
leur brune,  presque  noire,  frappa  tous  les  témoins 
qui  étaient  nombreux.  Il  fut  d'ailleurs  constaté 
avec  le  plus  grand  soin  qu'il  n'existait  aucune  fis- 
sure par  où  ces  objets  auraient  pu  pénétrer  dans 
la  couche  diluvienne  postérieurement  à  la  forma- 
tion de  celle-ci.  Le  tout  se  trouvait  à  4",  bi  de  la 
surface  du  sol. 

Comme  on  le  conçoit,  beaucoup  de  personnes 
se  refusèrent  à  admettre  la  nouvelle  découverte 
de  M.  Boucher  de  Perthes,  et  l'illustre  géologue 
mourut  même  avant  d'avoir  convaincu  tout  le 
monde  :  M.  Elle  de  Beaumont  se  signala  parmi 
ceux  qui  refusèrent  d'examiner  les  preuves  de 
l'antiqilité  de  l'homme,  et  l'on  pourrait  citer  d'au- 
tres naturalistes  qui  sont  encore  victimes  du 
même  aveuglement.  Mais  en  même  temps  tous  les 
savants  actifs,  ouverts  aux  idées  progressives, 
soumirciU  le  fait  à  une  vérification  sévère  et  con- 
clurent à  sa  parfaite  authenticité. 

On  se  rappela  alors  une  foule  d'anciennes  dé- 
couvertes auxquelles  on  n'avait  pas  cru  devoir 
accorder  d'attention,  et  qui  prenaient  subitement 
une  importante  signification. 

Dès  ISîll,  par  exemple,  M.  Ami  Boue,  qui  doit 
être  maintenant  le  doyen  des  gi';ologues,  avait  re- 
tiré de  ses  propres  mains  du  lœss  ancien  et  bien 
en  place  des  environs  de  Strasbourg,  une  bonne 
moitié  des  os  d'un  scjuelettB  humain  :  fémur,  ti- 
bia, péroné,  côtes,  vertèbres,  os  métatarsiens,  le 
tout  en  bon  état  de  conservation.  Le  lœss  du 
même  âge  avait  fourni  dans  le  voisinage  des  res- 
tes de  mammifères  éteints.  Les  échantillons  soi- 


gneusement étiquetés  avaient  été  adressés  i  Cuvier, 
qui  refusa  de  les  examiner,  regardant  comme 
évident  qu'il  ne  pouvait  pas  y  avoir  d'os  humains 
vraiment  fossiles  et  que  M.  Bouô  devait  être  vic- 
time d'une  erreur. 

C'est  en  ISî-f  aussi  qu'on  trouva  dans  le  loess  de 
Caberg,  en  Belgique,  et  â  .Sin,ÎO  au-dessous  de  la 
surface  du  sol,  dans  une  couche  intacte  non  re- 
maniée, une  mâchoire  humaine  pourvue  de  ses 
dents  màchelières.  La  môme  couche  contenait  en 
abondance  des  molaires,  des  défenses  et  des  os 
d'éléphants,  des  os  de  rhinocéros,  de  bueuf  et 
autres  mammifères,  des  bois  de  daim,  etc. 

C'est  peu  de  temps  après  que  Tournai  et  Chris- 
tol  retirèrent  des  ossements  humains  du  sol  de 
plusieurs  cavernes  non  remaniées  et  couvertes 
d'épaisses  stalactites. 

Nous  n'en  finirions  pas  si  nous  voulions  men- 
tionner tous  les  faits  de  ce  genre,  et  surtout  si 
nous  voulions  énumérer  toutes  les  découvertes 
analogues  faites  depuis  la  trouvaille  de  Boucher 
de  Perthes.  Aujourd'hui,  la  démonstration  si  labo- 
rieusement faite  est  évidente  pour  tout  le  monde, 
et  l'on  sait  beaucoup  de  chos.-s  très  précises,  non 
seulement  sur  la  structure  des  hommes  préhisto- 
riques, mais  sur  leurs  usages  et  leurs  mœurs. 

Tout  d'abord  on  constate  que  les  populations 
préhistoriques  ont  constamment  été  en  progres- 
sant. Au  début  elles  ne  connaissaient  aucune- 
ment l'usage  des  métaux,  et  traversèrent  une 
immense  période  dite  àije  de  la  pien-s,  avant  de 
parvenir  à  i'dge  du  bi-onze,  puis  à  ^àge  du  fer 
qui  se  continue  encore  h  présent. 

L'âge  de  la  pierre  lui-même  se  subdivise  égale- 
ment en  périodes,  caractérisées  chacune  par  un 
degré  spécial  de  perfectionnement  de  fabrication 
des  outils,  des  instruments  et  des  armes.  Ces  pé- 
riodes sont  au  nombre  do  trois,  désignées  géuéra- 
,  lement  sous  le  nom  d'époques  de  la  pifrre  éclatée, 
'  do  la  pierre  taillée,  et  de  la  pierre  polie. 

La  première  fournit  des  instruments  nombreux 
en  silex,  et  ce  qui  la  caractérise,  c'est  le  mode 
opératoire  p^r  lequel  ces  instruments  ont  été  ob- 
tenus. Il  suppose  l'existence  simultanée  de  trois 
pierres,  savoir  :  le  percuteur,  qui  remplit  l'office  de 
marteau  ;  le  nncleus  ou  matrice  sur  lequel  on 
;  frappe;  et  Véclal  que  chaque  coup  détache.  C'est 
la  période  la  plus  primitive,  datant  vraisemblable- 
ment non  seulement  du  diluvium,  mais  même  des 
assises  tertiaires,  et  cependant  certains  peuples  la 
traversent  encore.  Au  premier  abord,  ce  qui  sur- 
j  prend,  c'est  cette  énorme  quantité,  signalée  plus 
!  haut,  des  silex  de  cette  époque;  mais  le  fait 
s'explique  précisément  par  l'observation  des  sau- 
vages qui  en  sont  encore  h  cette  première  étape 
de  l'humanité.  Ceux-ci  ont-ils  un  animal  à  dépecer, 
une  gazelle  par  exemple,  voici  comment  ils  s'y 
prennent  :  ils  s'asseyent  h  terre,  le  gibier  entra 
les  jambes.  .\  leur  gauche  est  un  nucléus,  k  leur 
droite  un  percuteur.  Un  coup  du  second  sur  le 
\  premier  leur  donne  un  couteau  qu'ils  emploient  à 
faire  une  incision  dans  la  peau  du  fauve.  Mais  le 
silex  ne  coupe  bien  que  tant  qu'il  est  tout  frais; 
après  quelques  coups  son  fil  s'émousse.  Le  sau- 
vage le  jette  alors  à  sa  droite,  et  le  percuteur  lui 
fournit  un  second  couteau.  Et  ainsi  do  suite,  le 
débit  d'un  animal  un  peu  fort  donnant  naissance  il 
!  tout  un  tas  de  couteaux  émoussés.  A  chaque  ins- 
tant on  retrouve  de  pareils  tas  dans  les  cavernes, 
,  et  l'on  est  porté  à  y  voir  les  restes  d'un  atelier  de 
'  coutellerie  quand  ce  sont  plutôt  ceux  d'un  étal  de 
boucherie. 

Les  outils  et  les  armes  appartenant  à  la  deu- 
xième époque,  celle  de  la  pierre  taillée,  ressem- 
blent souvent  à  ceux  de  la  période  précédente, 
qui  en  sont  comme  les  ébauches;  mais  c'est  par 
un  procédé  tout  autre  qu'ils  ont  été  obtenus.  Ici, 
plus  de  nucléus  d'où  les  éclats  sont  détachés.  On 


PREHISTORIQUES 


—  1712  — 


PREHISTORIQUES 


choisit  une  pierre  ayant  plus  ou  moins  la  forme  de 
l'objet  qu'on  veut  tailler;  puis,  à  petits  coups  de 
percuteur,  on  l'amène  progressivement  à  l'état 
voulu.  Le  travail  est  donc  beaucoup  plus  grand, 
mais  les  produits  sont  beaucoup  plus  parfaits  et 
beaucoup  plus  variés. 

Enfin  la  troisième  époque,  celle  de  la  pierre 
polie,  est  un  perfectionnement  do  la  seconde, 
correspondant  à  la  grande  invention  du  polis- 
sage. 

Si  ces  trois  époques  sont  nettement  caractéri- 
sées, comme  on  voit,  il  faut  néanmoins  remarquer 
que  l'avènement  de  chacune  d'elles  n'a  pas  abrogé 
les  prati(iues  des  précédentes. 

Pendant  l'âge  de  la  pierre  taillée  et  même  pen- 
dant celui  de  la  pierre  polie,  on  a  continué  à  se 
servir  de  pierres  éclatées,  qui  seules  fournissaient 
un  tranchant  suffisant  pour  certains  besoins. 

Bien  plus,  cette  pierre  éclatée  est  en  usage, 
non  seulement  chez  les  sauvages  dont  nous  par- 
iions tout  à  l'heure,  mais  même  parmi  certains 
peuples  relativement  civilisés  qui,  comme  les  ha- 
bitants du  Mexique,  font  remplir  h  des  éclats 
d'obsidienne  l'office  de  nos  rasoirs. 

De  même  la  pierre  simplement  taillée  a  toujours 
été  employée  pendant  la  période  de  la  pierre  po- 
lie, le  polissage  n'étant  appliqué  qu'à  des  objets 
de  luxe. 

Parmi  lis  formes  les  plus  importantes  d'objets 
appartenant  à  l'âge  de  la  pierre,  nous  mentionne- 
rons celles  de  haches,  de  racloirs  ou  grattoirs, 
de  ciseaux,  de  scies,  de  pointes  de  flèches,  de 
dagues,  de  pierres  de  fronde,  etc.  Outre  l'usage 
pour  la  guerre  et  pour  la  chasse,  les  haches  étaient, 
comme  ies  scies,  employées  à  des  travaux  très 
variés,  tels  que  le  travail  du  bois  qui  entrait  dans 
diverses  constructions,  comme  il  sera  dit  plus 
loin;  les  grattoirs  devaient  jouer  un  grand  rôle 
dans  la  préparation  des  peaux  dont  les  hommes 
se  l'evêtaient. 

Mais  làge  qui  vient  de  nous  occuper  ne  nous 
a  pas  transmis  que  des  objets  en  pierre.  Les 
caverne^,  les  tourbières  et  quelques  autres  gise- 
ments nous  ont  procuré  des  vestiges  tout  différents, 
au  premier  rang  desquels  il  convient  de  citer  des 
os  travaillés.  C'est  ainsi  que  les  bols  de  renne  et 
les  bois  de  cerf  ont  souvent  été  aiguisés  à  un 
bout  de  façon  à  se  transformer  en  poinçons  de 
diverses  grosseurs;  des  os  ont  été  h  maintes  re- 
prises taillés  en  flèche^  parfois  barbelées  et  pour- 
vues de  rainures  semblables  à  celles  que  certains 
sauvages  remplissent  de  poison;  on  connaît  de 
même  des  harpons  et  des  hameçons  taillés  dans 
des  os  ;  enfin  nous  citerons  des  aiguilles  fabri- 
quées avec  une  perfection  admirable  et  dont  on 
peut  voir  des  spécimens  du  plus  haut  intérêt  dans 
les  collections  du  Muséum  et  de  Sainl-Gcrmain. 

L'époque  du  bronze,  qui  correspond  à  une  im- 
mense iiécouverte,  celle  de  l'extraction  des  mé- 
taux, a  fourni  un  très  grand  nombre  d'armes  et 
d'outils  très  variés  et  parfois  d'une  grande  perfec- 
tion de  travail.  Ce  sont  avant  tout  des  haches, 
qualifiées  de  celtiques  dans  les  collections,  à  côté 
desquelles  ont  été  parfois  découverts  les  moules 
en  pierre  où  on  les  a  fondues.  Il  faut  citer  égale- 
ment des  poignards,  des  pointes  de  lance,  des 
pointes  de  flèche  et  des  épées  remarquables  à 
plus  d'un  tiire.  Ces  épées  afl'ectent  toujours  plus 
ou  moins  la  forme  d'une  feuille;  elles  sont  i  deux 
tranchants,  très  pointues  et  l'on  devait  s'en  servir 
pour  porier  des  coups  de  pointe  plutôt  que  de 
taille.  Elles  n'ont  jamais  de  garde;  les  poignées 
sont  quelquefois  solides,  parfois  elles  sont  très 
minci  s  et  devaient  alors  être  recouvertes  de  bois 
ou  d'os.  On  a  trouvé  des  centaines  de  hameçons 
de  bronze.  Los  faucilles  sont  nombreuses;  elles 
sont  plates  d'un  côté  et  bombées  de  l'autre.  Les 
couteaux  de  bronze  ne  sont  pas  rares  ;  ordinaire- 


ment ils  sont  fixés  à  un  manche  d'os,  de  corne 
ou  de  bois,  et  la  lame  est  toujours  plus  ou  moins 
courbe. 

Pour  l'âge  du  fer,  qui  sert  de  trait  d'union  entre 
l'âge  du  bronze  et  les  époques  véritablement  his- 
toriques, nous  nous  bornerons  simplement  à  faire 
remarquer  qu'il  témoigne  d'une  découverte  mé- 
tallurgique considérable,  le  fer  étant  beaucoup 
plus  difficile  que  le  cuivre  à  tirer  de  ses  mine- 
rais. 

Les  études  dont  les  populations  préhistoriques 
sont  maintenant  l'objet  d'une  manière  si  active, 
ne  se  sont  pas  bornées  à  nous  révéler  la  nature 
de  leurs  armes  et  des  outils  mentionnes  tout  à 
l'heure.  Elles  ont  jeté  le  jour  le  plus  inespéré  et 
le  plus  vif  sur  une  foule  de  particularités  intimes 
de  l'existence  de  nos  ancêtres.  On  sait  à  présent, 
dans  beaucoup  de  cas,  comment  ils  se  logeaient, 
de  quoi  ils  se  nourrissaient,  comment  ils  se  for- 
tifiaient contre  leurs  ennemis,  comment  ils  or- 
naient leurs  demeures  et  leurs  personnes  par  de 
véritables  bijoux;  comment  ils  enterraient  leurs 
inorls,  et  même  jusqu'à  un  certain  point  l'idée 
qu'ils  se  faisaient  de  la  mort.  Nous  dirons  rapide- 
ment un  mot  de  chacun  de  ces  grands  sujets. 

Les  premiers  hommes  ont  profité,  pour  se  loger, 
des  cavités  naturelles  du  sol  connues  sous  le  nom 
de  cavernes.  On  est  bien  sûr  d'avoir  retrouvé 
plusieurs  habitations  de  ce  genre,  par  exemple  à 
Louverné  (Mayenne).  Ce  sont  des  grottes  plus  ou 
moins  spacieuses,  dont  le  toit  est  percé  d'un  trou 
pour  le  dégagement  de  la  fumée,  et  au  milieu 
desquelles  persistent  encore  des  restes  de  foyer. 
Ailleurs,  cotnme  à  Laugerie  iDordogne),  l'homme 
préhistorique  s'est  contejité  de  l'abri  offert  par  un 
rocher  en  surplomb.  Il  n'est  pas  douteux  qu'il 
n'ait  parfois  construit  des  huttes  en  gazon,  et  c'est 
ce  qui  paraît  avoir  eu  lieu  à  Solutré.  Mais  parmi 
les  habitations  les  plus  intéressantes  par  leur 
conservation,  nous  devons  noter  d'une  manière 
toute  spéciale  celles  dont  on  a  trouvé  les  vestiges 
dans  certains  lacs,  dans  les  Pyrénées  et  surtout 
en  Suisse. 

C'est  en  ]Shi,  que  ces  dernières  furent  décou- 
vertes par  M.  Aeppli  (de  Meilen).  En  extrayant 
du  lac  de  Zurich  des  boues  destinées  à  engraisser 
des  jardins,  on  ramena  des  pilotis,  des  cornes  de 
daim  et  qu_'lques  instruments.  Depuis  lors  les 
recherches  se  continuèrent  et  se  multiplièrent  et 
en  même  temps  qu'une  foule  de  particularités 
furent  précisées,  on  arriva  à  détermmer  l'âge  des 
cilés  /acus'res,  qui  datent  évidemment  de  la  pé- 
riode du  bronze  pour  la  plupart,  et  de  celle  de  la 
pierre  polie  pour  les  autres. 

On  sait  qu'il  s'agit  de  villages  construits  sur  des 
plates-formes  supportées  par  de  nombreux  pilotis  ; 
et  dans  plusieurs  cas  on  a  pu  relever  exactement 
sur  un  plan  la  situation  de  ceux-ci.  La  plate-forino 
portait  des  huttes  circulaires  construites  en  bois 
recouvertes  en  boue  ;  et  l'on  a  retrouvé  des 
morceaux  d'argile  employés  pour  ce  revêtement. 
Il  est  évident  que  cette  conservation  tient  à  ce  que 
la  miiison  ayant  été  détruite  par  le  feu,  l'argile  a 
été  durcie,  cuite  pour  ainsi  du-'',  et  préservée  ainsi 
de  l'action  délayante  de  l'eau.  Ces  fragments  por- 
tent d'un  côté  les  marques  de  branches  entrela- 
cées; de  l'autre,  qui  formait  probablement  le 
mur  intérieur  de  la  hutte,  ils  sont  lisses.  Quelques- 
uns  de  ces  morceaux  d'argile  sont  si  grands  et  si 
réguliers  qu'on  a  cru  pouvoir  conclure  de  leur 
étude  que  les  huttes  étaient  circulaires  et  avaient 
de  10  à  15  pieds  de  diamètre  (3  à  .S  mètres). 
Cette  disposition  est  exactement  celle  qui  s'est 
perpétuée  jusqu'à  nos  jours  chez  certaines  peu- 
plades sauvages.  La  ville  de  Bornéo  est  tout  en- 
tière bâtie  sur  pilotis,  et  dilTérents  voyageurs  ont 
trouvé  des  habitations  semblables  dans  la  Nou- 
velle-Guinée, à  Célèbes,  à  Solor,  à  Céram,  à  Minda-    ^: 


PRÉHISTORIQUES        —  1713  —       PRÉHISTORIQUES 


iiio,  aux  lies  Carolines  ot  dans  bien  d'autres  en- 
ilniits. 

Aux  citc'îS  lacustres  doivent  être  rattachées  les 
/  i-i-^ininres  do  l'Italie,  et  les  crnnnoges  de  l'ir- 
Liiide.  Mais  ces  derniers,  qui  se  composent  d'Iles 
Il  titicielles,  étaient  moins  encore  des  habitations 
|iriiproment  dites'  que  de  véritables  forteresses. 
Aussi  nons  conduisent-elles  par  un  intermédiaire 
insensible  aux  fortifications  proprement  dites. 

Parmi  ces  dernières  nous  devons,  faute  de  place, 
nous  borner  à  mentionner  les  foHs  vitrifiés. 
Ceux-ci,  dont  on  a  des  exemples  dans  la  Creuse, 
dans  l'Orne,  dans  les  Côtes-dn-Nord,  etc.,  sont  de 
vastes  constructions  dont  les  matériaux  ont  été 
soudés  entre  eux  par  l'application  d'une  chaleur 
extrêmement  considérable.  Les  plus  remarqua- 
bles sont  peut-être  celles  du  Pny-de-Gaudy,  de 
Chàteauvieux  et  du  Camp  de  Péran,  dont  les  pierres 
sont  du  granit  dont  les  éléments  micacés  et  gra- 
nitiques ont  été  plus  ou  moins  complètement 
fondus. 

L'étude  des  habitations  préhistoriques  a  conduit 
tout  naturellement  à  découvrir  le  régime  alimen- 
taire de  leurs  hôtes.  C'est  ainsi  que  beaucoup  de 
stations  de  l'âge  de  pierre  ont  fourni  des  os  hu- 
mains calcinés  et  brisés  de  telle  sorte  qu'il  est 
absolument  démontré  que  les  peuplades  qui  les 
ont  abandonnés  étaient  anthropophages.  L'une 
d'entre  elles  habitait,  aux  portes  de  Paris,  la  ré- 
gion maintenant  si  paisible  de  Villeneuve-Saint- 
Georges.  Avec  les  os  humains  se  rencontrent  les 
os  plus  ou  moins  cuits  d'animaux  évidemment 
mangés  :  rennes,  ours,  bœuf,  cheval,  etc.  Dans 
les  habitations  lacustres  on  recueille  de  même  des 
arêtes  de  poissons,  les  os  du  cerf,  du  bœuf,  du 
cochon,  de  la  chèvre,  du  mouton;  et  ces  derniers 
montrent  que  les  premiers  naturels  des  lacs  de  la 
Suisse  étaient  pasteurs.  On  sait  aussi  que  l'agri- 
culture ne  leur  était  pas  absolument  inconnue,  et 
c'est  ce  qu'a  démontré  d'une  manière  bien  inatten- 
due la  découverte  de  céréales  carbonisées  :  le  blé 
est  le  plus  commun,  l'orge  l'accompagne  souvent. 
Une  découverte  encore  plus  remarquable  fut  celle 
du  pain  nu  plutôt  de  gâteaux,  car  le  levain  paraît 
avoir  été  inconnu.  Ces  gâteaux  sont  plats  et  ronds. 
Le  grain  qui  a  servi  h  les  préparer  semble  avoir 
été  rôti,  grossièrement  écrasé  entre  des  pierres 
taillées  exprès,  puis  conservé  dans  de  grands  pots 
de  terre  et  mangé  après  avoir  été  légèrement  hu- 
mecté. Dans  certains  lacs  on  a  trouvé  des  pommes 
et  des  poires  carbonisées,  quelquefois  entières, 
quelquefois  coupées  en  deux,  ou  plus  rarement 
en  quatre  morceaux,  mais  évidemment  séchées  et 
conservées  pour  l'hiver  :  ces  fruits  sont  petits  et 
ressemblent  à  ceux  qui  poussent  sauvages  dans 
les  forêts  de  la  Suisse.  On  a  trouvé  des  noyaux  de 
prunes  sauvages  et  des  quantités  considérables  de 
pépins  de  framboises  et  de  mûres,  ainsi  que  des 
coquilles  de  noisettes  et  de  faînes. 

pri  autre  grand  ensemble  d'informations  sur  le 
sujet  qui  nous  occupe  a  été  fourni  par  les  kjnkkfn- 
mSddinijs  (en  français  :  driris  de  cuisi  ,e}  du  Da- 
nemark, de  l'Ecosse  et  du  nord  de  la  France.  Ce 
sont  des  dépôts  de  coquilles  et  d'os  qu'on  ne  pou- 
vait inanger  et  qui,  accumulés  comme  de  véritables 
tas  d'ordures  autour  des  tentes  et  des  huttes,  tini- 
rentparformerdesmonticulcsayant  ordinairement 
de3  i  5  pieds  et  quelquefois  Ui  pieds  de  hauteur, 
sur  une  longueur  de  plus  de  :iiiO  mètres  et  sur 
une  largeur  de  100  à  200  pieds.  On  trouve  ces 
amas  de  préférence  au  bord  de  la  mer,  et  ils  sont 
en  général  composés  surtout  de  coquilles  d'huîtres 
ou  d'autres  mollusques,  mais  ils  ont  fourni  aux 
collectionneurs  des  débris  innombrables  qui  ont 
jeté  beaucoup  de  lumière  sur  les  coutumes  et  la 
civilisation  des  populations  qui  les  ont  déposés. 
Le3_  coquillages  les  plus  fréquents  sont,  avec 
1  liuitre,  la  coque,  la  moule  et  la  littorine  ;  on  a 
2'  Partie. 


reconnu  des  restes  de  liareng,  de  morue,  de  li- 
mande et  d'anguille  ;  de  cerl,  de  chevreuil,  de 
sanglier,  de  bœuf,  de  renne  et  de  divers  autres 
mammifères  parmi  lesquels  le  chien,  qui  parait 
avoir  été  utilise  comme  aliment  et  n'avoir  pas 
encore  été  domestiqué,  (cependant  on  a  remarqua 
que  parmi  les  os  des  kjokkenmoddings  ne  se  trou- 
vent jamais  ceux  que  mangent  les  chiens,  ce  qui 
ferait  croire  que  celui-ci  vivait  constamment  avec 
l'homme.  Ces  amas  de  cuisine  paraissent  dater  de 
l'âge  de  la  pierre,  antérieurement  à  l'invention  du 
polissage. 

Un  fait  des  plus  intéressants  est  que,  dès  l'au- 
rore de  l'humanité,  nos  ancêtres  ont  eu  des  goûts 
artistiques.  C'est  par  centaines  en  effet  qu'on  peut 
compter  les  pièces  gravées  ou  dessinées  fournies 
par  les  divers  gisements  préhistoriques.  On  peut 
voir  par  exemple  au  Muséum  un  fragment  de  dé- 
fense de  mammouth,  qui  porto,  gravée  au  trait,  la 
représentation  du  même  animal.  Cette  œuvre  d'art, 
qui  datait  de  l'âge  de  pierre  et  qui  a  été  découverte 
dans  la  caverne  de  la  Madelaine,  est  d'une  exacti- 
tude admirable  qu'on  a  pu  apprécier  par  la  décou- 
verte faite  à  la  fin  du  siècle  dernier  de  mam- 
mouths conservés  dans  les  glaces  de  la  Lena.  A 
côté  existe  sous  nos  vitrines  une  tête  de  renne 
gravée  sur  une  plaque  de  schiste.  De  même  on 
conserve  des  portraits  du  cheval,  de  l'ours  des 
cavernes,  du  renard,  du  cochon,  du  bœuf  musqué, 
du  phoque,  de  la  fougère,  du  sapin  et  môme  de 
l'homme.  C'est  ainsi  qu'on  a  trouvé  â  Laugerie- 
basse  un  véritable  tableau  représentant  un  jeune 
chasseur  poursuivant  un  aurochs.  De  la  RocUe- 
bertier  (Charente)  on  a  une  tête  humaine  gravée 
sur  un  bois  de  renne.  Un  autre  bois  de  renne  trouvé 
à  la  Madelaine  représente  une  femme  suivie  par 
un  serpent  et  entourée  de  têtes  de  chevaux.  ^ 

Evidemment  'ces  représentations  constituaient 
des  ornements.  C'est  à  côté  d'elles  qu'il  faut  men- 
tionner de  singuliers  objets  consistant  en  bois  de 
renne  finement  gravés  et  percés  de  trous,  et 
qu'on  désigne  généralement  sous  le  nom  de  tiâtons 
ae  curnma7ideinent. 

Les  hommes  primitifs  nous  ont  transmis  beau- 
coup d'autres  genres  d'ornements  ;  ce  sont  des 
dents  et  diis  coquilles  percées  et  évidemment  dis- 
posées pour  être  suspendues  soit  seules,  soit 
réunies,  en  colliers  et  en  bracelets.  A  l'âge  du 
bronze  appartiennent  des  bracelets,  des  épingles 
et  des  pendeloques  dont  beaucoup  sont  véritable- 
ment artistiques. 

Certains  faits  conduisent  à  penser  que  les 
hommes  de  l'âge  de  la  pierre  se  tatouaient  le  corps 
comme  font  encore  tant  de  sauvagoscontemporains. 
Dans  une  foule  de  cavernes  on  a  trouvé  do  petits 
fragments  de  sanguine  propres  à  cet  usage  et  ac- 
compagnés d'un  galet  de  silex  destiné  à  les  broyer, 
comme  le  prouvent  les  traces  de  matière  colorante 
restées  dans  ses  cavités.  Ailleurs  on  a  trouvé  des 
fragments  de  manganèse,  de  cinabre,  d'ocre,  de 
graphite.  On  est  d'autant  plus  certain  de  l'appli- 
cation qu'avaient  ces  substances  colorantes,  qu'une 
gravure  antéhistorique  représente  la  main  et  le 
bras  d'un  homme  dont  lavant-bras  est  marqué 
d'un  quadrillage  assez  régulier  qui  ne  peut  figurer 
que  lo  tatouage. 

L'homme  de  la  pierre  faisait  de  la  musique.  Les 
phalanges  de  cerf  ou  de  renne  percées  de  ma- 
nière h  devenir  des  sifflets,  découvertes  dans  une 
foule  de  cavernes,  devaient  servir  d'appel  pour 
la  guerre  ou  pour  la  chasse.  M.  Piette  a  même 
découvert  une  flûte  en  os  à  deux  trous. 

Enfin,  relativement  aux  sépultures  et  aux  hon- 
neurs rendus  aux  morts,  les  trouvailles  archéolo- 
glqu"S  ont  procuré  beaucoup  de  détails.  Souvent 
les  cadavres  étaient  déposés  dans  des  cavernes 
dont  la  porte  était  soigneusement  fermée  avec  des 
dalles  de  pierre  afin  d'en  écarter  les  bêtes  de 
108 


PRÉPOSITION 


1714  — 


PRÉPOSITION 


proie.  Avec  le  défunt  étaient  enfermés  des  armes 
et  des  quartiers  de  viande,  ces  derniers  pour  lui 
servir  de  provisiotis  pour  le  grand  voyage,  les  autres 
pour  lui  permettre  de  continuer  dans  l'autre  monde 
ses  chasses  et  ses  guerres  ;  et  ces  rites,  identi- 
ques à  ceux  des  Peaux-t'ouges  actuels,  montrent 
que  nos  premiers  ancêtres  avaient  foi  dans  une 
vie  future. 

Dans  maintes  localités  on  reconnaît  qu'en  de- 1 
hors  des  cavernes  funéraires  se  trouve  un  foyer 
entouré  de  débris  d'animaux;  ce  qui  prouve  que 
l'inhumation  était  accompagnée  de  repas,  comme  ^ 
l'usage  s'en  est  perpétué  dans  tant  de  pays. 

Les  célèbres  monuments  mégalitliiques  connus  ; 
sous  les  noms  de  dolmens,  de  menhirs,  de 
cromlechs,  d'allées  couvertes,  dont  les  druides  se 
sont  servis  sans  en  savoir  l'orighie,  sont  aussi  des 
tombeaux.  Toutes  les  fois  qu'on  y  a  fait  des  fouilles, 
on  en  a  extrait  des  vestiges  des  époques  anté- 
historique» 

Enfin,  des  cadavres  entiers,  surtout  de  l'âge  de 
bronze,  et  même  de  l'âge  de  la  pierre,  ont  été  re- 
tirés de  certaines  tourbières  dont  la  substance 
éminemment  antiseptique  s'oppose  à  la  décompo- 
sition putride.  C'est  ainsi  qu'on  a  découvert  en 
Irlande  le  corps  d'une  femme  chaussée  de  sanda- 
les et  qui  était  à  peine  altéré,  et  c'est  ainsi  encore 
que  dans  le  musée  de  Copenhague  se  trouvent  des 
vêtements  entiers  provenant  des  auteurs  mêmes 
des  kjokkenmôddings. 

Gomme  on  le  voit  par  le  très  rapide  résume 
qui  précède,  l'histoire  primitive  de  l'homme, 
commencée  depuis  si  peu  de  temps,  a  déjà  réalisé 
des  progrès  immenses,  et  si  les  conquêtes  faites 
nous  répoiidentde  l'avenir,  on  doit  compter  qu'un 
jour  nous  connaîtrons  l'histoire  de  nos  premiers 
ancêtres  jusque  dans  les  particularités  les  plus 
intimes.  [Stanislas  Meunier.] 

PRÉl'OSITIO?f.  —  Grammaire,  XVII.  —  La 
préposition  est  un  mot  invariable  qui  sert  à  unir 
deux  mots  en  marquant  le  rapport  qu'ils  ont. 
entre  eux.  Ex  :  Le  livre  de  Paul  ;  —  utile  à 
l'homme.  I>e  et  à  sont  des  prépositions. 

Préposition  vient  du  latin  pnepoiitio  [prse,  on 
avant;  posilio,  position). 

Quand  nous  disons  :  il  vient  de  Paris,  nous 
réunissons  les  deux  idées  de  ve7ur  et  de  Paris 
par  un  lien  qui  les  rattache  l'une  à  l'autre  et 
marque  leur  dépendance.  Ce  mot  de  qui  sert  à 
rapprocher,  h  mettre  en  contact,  en  rapport  deux 
idées  isolées,  s'appelle  une  préposition. 

Les  principaux  rapports  exprimés  par  les  pré- 
positions sont  au  nombre  de  cinq.  Ce  sont  les 
rapports  : 

r  De  tendance  ou  d'éloignement  :  à,  de,  envers, 
pour  ; 

2"  De  cause,  de  propriété,  d'origine  :  de,  pur, 
pour; 

3°  De  manière,  de  moyen  :  avec,  de,  par,  selon, 
sajis,  hors,  Iwi-mis,  outre,  malgré; 

4°  De  temps  :  avant,  après,  dès,  depuis; 

5°  De  lieu  :  à,  dans,  en,  de,  chez,  devant,  der- 
rière, sur,  sou<;,  vers,  entre,  parmi,  voici,  v  ilà. 

Il  est  difficile  de  classer  d'une  manière  absolue 
les  prépositions  selon  le  rapport  qu'elles  expriment, 
car  ces  rapports  varient  presque  à  l'infini,  et  la 
plupart  des  prépositions  changent  même  de  sens 
selon  les  mois  qu'elles  servent  à  réunir.  Ainsi  à 
peut  marquer  l'î/itoî/ion  :  j'écris  à  ma  mère; 
Vclo-gnement  :  j'ai  arraché  une  branche  à  cet 
arbre  ;  le  lieu  oii  l'on  est  :  je  suis  à  Paris  ;  le  lieu 
où  l'07i  va  :  je  vais  à  Paris;  le  tnO'jen,  la.  manière  : 
à  raconter  ses  maux,  souvent  on  les  soulage,  etc. 

Remarque.  —  I"  Il  ne  faut  pas  confondre  à, 
préposition,  avec  a,  troisième  personne  du  singu- 
lier du  verbe  iwoir;  à,  préposition,  est  marqué 
d'un  acrent  i;rav<'  :  il  monte  à  cheval;  a,  Vcrbe, 
n'a  pas  d'accent  :  il  a  un  livre. 


2°  Dés,  préposition,  prend  un  accent  grave  :  il 
se  lève  dès  l'aurore;  des,  article  contracté,  n'a 
point  d'accent  :  les  feuilles  des  arbres. 

Les  prépositions  formées  d'un  seul  mot,  comme 
à,  lie,  dans,  etc.,  sont  dites  prépositions  simples. 
Les  prépositions  formées  de  deux  ou  de  plusieurs 
mots,  comme  quaiit  à,  au-desSus  de,  etc.,  sont 
dites  lovutions  prépOsitii:es. 

FoRMATio.N  DES  PRÉPOSITIONS  SIMPLES.  —  Le  fran- 
çais a  reçu  du  latin  le  plus  grand  nombre  de  ses 
prépositions  simples,  mais  il  en  a  formé  lui-même 
plusieurs,  à  l'aide  des  noms,  des  adjectifs  et  des 
verbes  français. 

Les  prépositions  simples  que  nous  tenons  di- 
rectement du  latin  proviennent  : 

1°  Soit  de  prépositions  latines  simples,  comme 
à  (ad;,  de  (de),  con/;-e  icontra),  en  (in),  entre  (in- 
ter),  outre  (ultra),  pour  (pro),  sans  (sine),  sur 
(super),  sus  (sursum),  sous  (subtus)  ; 

2°  Soit  de  la  réunion  de  deux  prépositions  la- 
tines simples,  comme  avant  (de  ab  et  ante],  en- 
vers (de  in  et  de  versus,  vers)  ; 

3°  Soit  de  substantifs  latins,  comme  parmi  [per 
mi'diwn,  littéralement  par  le  milieu).  Chez  vient 
du  latin  casa  (maison).  La  locution  latine  in  casa 
devint  dans  noire  ancienne  langue  en  chez;  on 
disait  au  treizième  siècle  il  e^l  en  chez  Gautier 
(est  in  casa  Walterii).  La  préposition  en  disparut 
au  quatorzième  siècle  et  on  dit  alors  comme  au- 
jourd'hui :  il  est  chez  Gnulier. 

4»  Soit  de  participes  passés  latins,  comme  près 
(du  participe />/tiSM'«,  qui  est  pressé,  serré  con- 
tre  etc.). 

La  langue  française  a  tiré  de  son  propre  fonds 
des  prépositions  nouvelles  à  l'aide  des  substan- 
tifs, des  adjectifs  et  des  verbes. 

1°  Du  substantif:  malgré  (composé  de  l'ancien 

adjectif  ". a/,  mauvais,  etilu  substantif  jî-(!,  volonlé;. 

i°  De  l'adjectif  :  sauf  (que  nous  retrouvons  duns 

sain  et  sauf).  Ex.  :  sauf  mes  intérêts  (c'est-à-dire 

tnes  int':iéti  étant  snufs). 

3°  De  l'impératif  :  Doîci,  voilà  ipour  vots  ict, 
vois  lu.  Ces  mots  sont  composés  des  adverbes  ci 
et  là  et  de  voi.  ancien  impératif  du  verbe  voir, 
yoici  le  lo.p  signifie  donc  proprement  :  voyez  ici 
le  loup,  ou  le  loup  est  ici,  voyez-le. 

Void  annonce  ce  qu'on  va  dire  ;  votlà  rappelle 
ce  qu'on  vient  de  dire  :  Voici  ce  que  je  vous  ap- 
porte :  une  histoire,  une  grammaire  et  un  atlas. 
—  La  prudence  et  la  sagesse,  voilà  ce  que  Salo- 
mon  demande  à  Dieu. 

4"  Des  participes  passés  :  attendu,  excepte, 
passé,  sicpposé,  vu.  Ex.  :  Attendu  sa  faiblesse  ; 
excepté  cette  femme,  etc. 

Il  faut  y  ajouter  hormis,  qui  était  dans  le  vieux 
français  hor-mis.  c'est-à-dire  mii  hors.  Dans  cette 
locution,  le  participe  tms  était  variable;  on  disait 
au  treizième  siècle  :  Cet  homme  a  perdu  tous 
ses  enfants,  hors  mise  sa  fille.  Au  quinzième 
siècle,  le  participe  mis  s'est  soudé  à  l'adverbe 
Ivjrs,  et  la  locution  hors  mis  est  devenue  à  son 
tour  une  préposition. 

5-  Des  participes  présents  :  durnnt,  pendant, 
suivant,  Imchunt,  moyennant  (part,  présents  des 
verbes  durer,  pendre,  etc.).  E.x.  :  Hurant  le  jour; 
pendant  le  procès;  c'esl-à-dire  le  jour  durant,  le 
procès  étant  pendant.  .  . 

Le  vieux  français  plaçait  souvent  le  participe 
avant  le  nom  auquel  il  se  rapporte  dans  certaines 
tournures  équivalentes  à  l'ablatif  absolu  des  La- 
tins :  L'esclave  fut  jeté  au  feu,  vouant  le  roi, 
c'est-à-dire,  en  présence  du  roi,  le  roi  le  voyant, 
vidente  reije.  —  Une  des  parties  vint  à  mourir 
pendant  le  procès,  c'est-à-dire  le  procès  étant  pen- 
dant,   pendente  re). 

De  même,  on  aurait  tort  de  voir  une  inversion 
dans  sa  lie  durant;  durant  sa  vie  est  au  contraire 
l'inversion  véritable. 


PRÉVISION  DU  TEMPS 


1713 


PRÉVISION  DU  TEMPS 


Nonobstant  vient  du  latin  (?!0«  obstante),  qui 
veut  dire  n'empéchaiit  pai. 

FoilMATION    DES     LOCUTIONS    PRÉPOSITIVES.    —   LeS 

locutions  prépositives  sont  formées,  pour  la  plu- 
part, soit  h.  l'aide  de  substantifs,  soit  i  l'aide 
d'adverbes  suivis  de  la  préposition  à  ou  de  :  ainsi 
les  noms  tels  que  fnce,  force,  triwers,  faute,  rap- 
port, ont  donné  les  locutions  en  face  de,  à  force 
de,  nu  travers  de,  faute  de^  par  rapport  à;  et  les 
adverbes  tels  que  loin,  autour,  prés,  etc.,  ont 
formé  loin  de,  aatottr  de,  près  de,  au-devant  de, 
vis-à-vis  de,  etc. 

Vis-à-vis  est  formé  du  vieux  substantif  français 
ris  (visage);  cette  locution  équivaut  donc  à  face  à 
face.  On  retrouve  encore  ce  vieux  mot  vis  dans  la 
dérivé  visière  (la  visière  était  à  l'origine  la  partie 
du  casque  servant  i.  protéger  le  ris,  le  visage). 
Aussi  cette  locution  se  construit  avec  de.  Ex.  :  je 
me  plaçai  vis-à-vis  de  lui.  Dans  aucun  cas  elle  ne 
se  prend  au  figuré.  11  faut  dire  :  Ingrat  envers  son 
bienfaiteur,  et  non  :  vis-à-vis  de  son  bienfaiteur. 

Pourtant,  dans  le  style  familier,  l'usage  permet 
de  dire  :  vis-à-vis  notre  maison,  vis-à-vis  le  pa- 
lais. 

Au  travers  est  toujours  suivi  de  la  préposition 
de  :  Il  se  fit  jour  au  travers  des  ennemis.  —  A 
travers  n'en  est  pas  suivi  :  Il  marchait  à  travers 
les  épines. 

Près  et  prêt  sont  semblables  pour  l'oreille,  mais_ 
ont  un  sens  différent  :  Près  de,  suivi  d'un  infinitif,' 
signifie  sur  le  point  de  :  La  lampe  est  prés  de 
s'éteindre.  —  Prêt  à  signifie  disposé  à  :  L'igno- 
rance toujours  e^t  prctea  s'admirer. 

Pour  l'emploi  des  prépositions,  V.  Syntaxe. 
[S.  Dussouchet.J 

PRÉVISION  DU  TEMPS.  —  Météorologie,  XX. 
—  L'art  (le  prévoir  le  temps  qu'il  fera  plus  ou 
moins  prochainement,  d'après  l'état  actuel  du  ciel, 
a  été  connu  dès  la  plus  haute  antiquité  et  prati- 
qué par  des  populations  que  la  vie  au  grand  air 
familiarisait  avec  les  variations  locales  de  l'at- 
mosphère. L'ensemble  des  règles  qui  présidaient 
à  l'exercice  de  cet  art  constitue  la  météorognosie 
(connaissance  des  météores). 

La  science  moderne  est  venue  ajouter  à  ces 
règles  le  secours  d'insiruments  variés  et  d'obser- 
vations simultanées  faites  sur  une  grande  partie 
de  la  surface  de  la  terre.  Les  lois  des  changements 
du  temps  et  de  leur  mode  de  progression  à  la  sur- 
face du  globe  ont  pu  être  constatées;  elles  se 
précisent  de  plus  en  plus  à  mesure  que  s'accroît 
la  collection  dos  cartes  quotidiennes  servant  à 
figurer  l'état  simultané  de  l'atmosphère  sur  la 
plupart  des  continents  et  des  mers  de  l'hémi- 
sphère septentrional.  De  là  sont  nés  les  divers 
services  des  avertissements  mêléorologiques  qui 
fonctionnent  régulièrement  dans  la  plupart  des 
pays  civilisés. 

Le  service  des  avertissements  français  a  pris 
naissance  à  l'observatoire  de  Paris  ;  il  est  actuelle- 
ment placé  dans  les  attributions  du  bureau  mè- 
téoroloijique  crntrid  créé  après  la  mort  de  Le  Ver- 
rier. 11  est  fondé  sur  le  tracé  quotidien  de  la  carte 
du  temps  que  le  bureau  central  expédie  chaque 
jour,  soit  au\  ports  de  mer,  soit  aux  principales 
communes  de  France,  en  l'accompagnant  du  ta- 
bleau des  documents  qui  ont  servi  à  la  dresser 
ainsi  que  du  résumé  de  la  situation  météorologi- 
que qu'elle  met  en  relief. 

Caiites  quotidie.nnf.s  de  l'état  du  temps.  —  Les 
éléments  nécessaires  pour  la  construction  de  ces 
cartes  sont  :  la  hauteur  du  baromètre,  la  tempé- 
rature, l'dtat  du  ciel,  des  vents  et  de  la  mer,  la 
pluie.  Ces  données  observées  Ji,  7  ou  8  heures  du 
matin,  suivant  la  saison,  sont  expédiées  par  télé- 
graphe au  bureau  central,  de  110  ou  115  stations 
dP  France,  d'Europe  et  d'Algérie. 
La  hauteur   barométrique   de   cliaquo   station. 


corrigée  de  l'inHuonce  moyenne  de  l'altitude  de 
la  station,  est  pointée  sur  la  carte  on  son  lieu. 
Le  météorologiste  trace  ensuite,  au  travers  de 
tous  les  chiffres,  les  courbes  passant  par  les  points 
où  la  pression  est  estimée  la  même  :  ce  sont  les 
courbes  isohares  ou  d'égale  pression.  La  courbe 
correspondant  à  la  pression  760  est  marquée  par 
un  gros  trait  ;  les  autres  vont  de  6  en  .i  millimè- 
tres au-dessus  ou  au-dessous  de  cette  moyenne. 
Nous  reviendrons  sur  la  signification  de  leurs 
inflexions. 

Sur  la  môme  carte,  un  petit  cercle  marque  l'é- 
tat du  temps  en  chaque  station  et  indique,  d'a- 
près des  conventions  inscriies  sur  la  carte  même, 
si  le  ciel  est  beau,  nuageux,  couvert,  pluvieux  ou 
brumeux.  En  même  temps,  des  flèches  marchant 
dans  le  sens  du  vent,  vers  le  centre  do  chaque 
cercle,  indiquent  la  direction  du  vent  des  gi- 
rouettes en  ce  point.  Le  nombre  de  pennes  ajou- 
tés à  la  flèche  marquent,  do  0  à  G,  la  vitesse  du 
vent,  depuis  le  vent  très  faible  jusqu'au  vent  vio- 
lent. L'état  de  la  mer  sur  les  cotes  est  enfin 
figuré  par  des  signes  spéciaux.  Pour  compléter 
cette  carte,  qui  est  la  plus  importante,  des  lignes 
ponctuées,  au  lieu  d'être  à  trait  plein,  passent  : 
l'une  par  les  points  où  la  pression  n'a  pas  changé 
depuis  la  veille;  les  autres  par  les  points  où  le 
baromètre  a  monté  ou  baissé  de  5  millimètres. 

La  seconde  carte  est  consacrée  aux  tempéra- 
tures du  jour  et  à  ses  variations  depuis  la  veille. 

Ces  canes,  dont  l'origine,  à  l'observatoire  de 
Paris,  remonte  à  la  lin  de  l'année  I8li.3,  ont  dès 
le  début  conduit  à  d'importants  résultats. 

La  pression  barométrique  n'est  jamais  uniforme 
à  la  surface  de  l'Europe;  elle  s'en  rapproche  ce- 
pendant beaucoup  pendant  certaines  époques  de 
calme  général.  Mais,  dès  qu'un  trouble  quelconque 
tend  à  envahir  l'atmosphère,  les  lignes  isobares 
se  contournent  et  leur  nombre  augmente,  en 
même  temps  qu'elles  se  resserrent  ou  que  la  dis- 
tance de  deux  isobares  consécutives  diminue. 
Plus  ces  isobares  sont  rapprochées  en  une  con- 
trée de  l'Europe  et  plus  le  vent  y  est  fort. 

On  remarque,  en  môme  temps,  que  le  vent  a 
plus  de  tendance  à  marcher  parallèlement  aux 
isobares  qu  à  marcher  perpendiculairement  i  leur 
direction,  des  points  où  la  pression  est  la  plus 
forte  vers  le*  points  où  la  pression  est  la  plus 
faible.  De  l'eau  abandonnée  à  elle-même  sur  un 
terrain  incliné  detcondra  suivant  les  lignes  de 
plus  grande  pente  ;  mais  si  on  la  place  dans  un 
vase  et  qu'on  lui  imprime  un  mouvement  de  ro- 
tation horizontale,  on  voit  son  niveau  baisser  au 
centre  de  la  rotation  et  s'élever  sur  sou  pourtour. 
La  vitesse  de  chaque  élément  liquide  est  alors 
dirigée  dans  le  sens  des  lignes  d'égal  niveau  et 
non  dans  le  sens  des  lignes  de  pente.  On  remar- 
que, en  effet,  que  dans  toute  tempête,  ou  simple 
trouble  local  de  l'atmosphère,  l'air  tourne  toujours 
sur  lui-môme,  autour  d'un  centre  où  le  baromètre 
est  accidentellement  le  plus  bas  :  c'est  le  centre 
de  la  tempête,  bien  que  le  vent  y  soit  générale- 
ment faible.  Ce  centre  lui-même  n'est  pas  fixe  ; 
il  se  déplace  plus  ou  moins  vite  vers  l'est  dans  le 
nord  de  l'Europe  ou  de  la  France,  tout  en  incli- 
nant plus  ou  moins  vers  le  nord  ou  vers  le  sud. 
Il  arrive  même  presque  toujours  que  la  direction 
de  son  parcours,  quelle  qu'elle  soit  à  l'origine,  finit 
par  Incliner  vers  le  sud  ou  le  sud-ouest.  C'est 
ainsi  qu'on  voit  fréquemment  des  centres  do  tem- 
pêtes qui  abordent  l'Irlinde  se  propager  sur  la 
mer  du  Nord,  la  Suède  ou  la  Norvège,  et  so  ra- 
battre ensuite  sur  la  Russie  pour  la  traverser  obli- 
quement on  se  dirigeant  vers  le  sud,  puis,  enfin, 
rebrousser  chemin  sur  la  mer  Noire,  l'Adriatique 
et  l'Algci'io.  Mais  l'orbe  qu'ils  décrivent  ainsi  est 
très  variable  en  étendue.  Quelquefois  cet  orbe  tra 
verse  obliquement  l'Allemagn  e  et  même  la  Franco 


PRÉVISION  DU   TEMPS      —  1716  -      PRÉVISION  DU  TEMPS 


gurtout  au  printemps  ;  d'autres  fois  il  se  perd  du 
côté  du  pôle  nord,  surtout  en  automne. 

Toutes  CCS  tempêtes  nous  viennent  toutes  for- 
mées de  plus  ou  moins  loin  sur  l'Atlantique;  la 
plupart  ont  traversé  l'Amérique  du  Nord,  ou 
longé  ses  côtes  orienlales  ;  d'autres  viennent  des 
parages  de  l'Islande  ou  des  Bcrmudes  ;  d'autres, 
plus  rares  et  plus  méridionales,  ont  longé  les 
Açores;  un  très  petit  nombre  sembleraient  peut- 
être  se  former  plus  près  de  nous.  L'Irlande  et 
remboucliure  occidentale  de  la  Manche  en  sont, 
d'ordinaire,  les  premières  affectées  et  forment,  en 
quelque  sorte,  les  sentinelles  avancées  de  l'Eu- 
rope. Il  est  plus  rare  qu'elles  abordent  notre 
continent  soit  par  le  Portugal  ou  l'Espagne, 
soit  par  le  nord  de  l'Ecosse  ou  de  la  mer  du 
Nord.  C'est  une  des  causes  qui  donnent  à  Paris 
sa  prépondérance  comme  centre  d'avertissements. 
Mais  les  Et;iis-Unis,  à  cause  de  l'admirable  ré- 
seau météorologique  qui  couvre  leur  territoire, 
et  aussi  à  cause  des  nombreux  paquebots  qui 
circulent  entre  l'Europe  et  l'Amérique  et  les 
renseignent  sur  l'état  de  l'Atlantique  nord,  peu- 
vent nous  adresser  par  le  câble  transatlantique  de 
très  utiles  avis  sur  les  tempêtes  qui  nous  mena- 
cent. Toutes  les  tempêtes  ainsi  annoncées  n'at- 
teignent pas  la  France  ;  quelques-unes  se  perdent 
vers  le  nord  ;  d'autres  s'éteignent  en  chemin  ; 
mais  le  nombre  de  celles  qui  étendent  leur 
course  jusqu'à  la  surface  de  l'Europe  est  assez 
considérable  pour  éveiller  l'attention. 

Les  signes  auxquels  on  reconnaît  sur  la  carte 
l'approche  d'une  tempête  y  sont  écrits  en  carac- 
tères visibles.  Les  lignes  isobares  se  creusent; 
leur  concavité  s'accentue  de  plus  en  plus  à  me- 
sure que  le  centre  d'une  tempête  plus  forte  s'ap- 
proche plus  près  de  nous,  et  cette  concavité  est 
toujours  dirigée  vers  le  centre  de  la  tempête.  Si 
donc  l'isobare  qui  passe  dans  le  voisinage  de  Pa- 
ris, par  exemple,  se  creuse  en  s'inclinant  du  sud- 
ouest  vers  le  nord-est,  la  pression  diminuant 
d'ailleurs  du  centre  de  la  France  vers  les  côtes 
de  Bretagne,  c'est  qu'une  tempête,  ou  un  plus 
faible  mouvement  tournant,  se  trouve  sur  l'Atlan- 
tique marchant  vers  l'hurope  :  si  la  partie  la  plus 
basse  de  la  concavité  est,  à  Paris,  dans  le  sens 
d'un  parallèle,  c'est  que  le  centre  de  bourrasque 
traverse  le  méridien  de  Paris  ;  si  l'isobare  se  re- 
lève à  l'ouest  et  s'abaisse  dans  l'est,  c'est  que  le 
centre  de  la  tempête  a  franchi  le  méridien  de 
Paris  et  qu'il  s'éloigne,  ii  moins  qu'il  ne  traverse 
l'Allemagne  se  rendant  vers  la  Méditerranée. 
Dans  le  premier  cas  le  vent  souffle  du  sud  ou 
sud-ouesl;  dans  le  second  il  a  remonté  vers 
l'ouest  ;  dans  le  troisième  il  gagne  le  nord-ouest  ; 
le  nord  et  quelquefois  le  nord  est  dans  le  dernier 
cas.  Au  lieu  de  passer  dans  le  nord,  le  centre  de 
certaines  tempêtes  passe  au  contraire  dans  le  sud 
de  Pans;  il  en  est  d'autres  qui,  après  avoir  tra- 
versé l'Europe,  reviennent  vers  le  sud-est  et  par- 
courent la  Méditerranée.  Dans  ces  deux  cas,  les 
pressions,  au  lieu  de  diminuer  de  Paris  vers  le 
nord,  diminuent  de  Paris  vers  le  sud,  et  les  vents 
soufflent  d'entre  le  nord  et  l'est. 

La  carte  fait  donc  connaître  pour  chaque  jour 
la  position  des  centres  des  bourrasques  dévelop- 
pées dans  l'atmosphère  de  l'Europe  ;  elles  peu- 
vent en  outre  indiquer  les  points  qu'elles  mena- 
cent pour  le  lendemain  ou  le  surlendemain,  d'a- 
près les  vari.itions  barométriques  et  thermométri- 
ques qu'elles  accusent.  Le  minimum  de  hauteur 
baroniétri(|ue  est  au  centre  de  la  tempête  ;  le 
maximum  est  sur  son  pourtour  ;  la  diminution  de 
la  pression  depuis  la  veille  est  donc  accusée  sur- 
tout sur  les  points  vers  lesquels  se  dirige  la  tem 
pête  :  ce  maximum  de  variation  en  moins  du  ba- 
romètre est  accompagné  d'un  maximum  do  va- 
riation   en  plus  de   la  température,  et  ces   deux 


maximum  sont  en  avant  et  un  peu  i  droite  de  la 
ligne  que  le  centre  de  la  tempête  va  parcourir  si 
rien  ne  trouble  son  cours.  Au  contraire,  un  maxi- 
mum de  variation  du  baromètre  en  plus  et  un 
maximum  de  variation  thermométrique  en  moins, 
sont  en  arrière  et  un  peu  à  gaucho  de  cette  ligne. 
Si  malgré  la  hausse  du  baromètre  la  température 
se  maintient  élevée  pour  la  saison,  c'est  qu'une 
seconde  bourrasque  suit  la  première.  11  est  des 
saisons  où  ces  bourrasques  se  succèdent  pendant 
des  semaines,  distantes  l'une  de  l'autre  d'un  petit 
nombre  de  jours.  On  voit  alors  le  baromètre  mon- 
ter avec  continuation  de  la  pluie;  bientôt  il  re- 
vient ît  la  baisse,  le  ciel  se  dégage,  la  température 
monte,  on  croit  à  la  durée  du  beau  temps  ;  mais 
la  baisse  continue,  la  pluie  et  le  vent  reprennent, 
et  ces  alternatives  se  succèdent  à  2,  3  ou  5  jours 
d'intervalle.  On  dit  que  le  temps  a  la  fièvre  inter- 
mittente. 

Les  cartes  du  teiups  parviennent  actuellement 
dans  un  grand  nombre  de  communes  et  y  sont 
chaque  jour  affichées  dans  un  cadre  spécial.  En 
se  familiarisant  avec  leurs  indications,  on  peut  y 
puiser  de  très  utiles  renseignements  sur  les  pro- 
babilités prochaines  du  temps  dans  la  région  qu'ot» 
occupe  ;  mais  elles  ne  dispensent  pas  de  l'étude 
pratique  de  son  climat  et  de  l'observation  de  la 
marche  du  baromètre,  du  thermomètre,  des  vents 
et  de  l'aspect  du  ciel.  Rien  ne  peut  suppléer 
l'expérience  acquise  et  h'S  indications  locales  de» 
instruments  ;  mais  en  dehors  du  secours  que  pro- 
curent les  cartes,  il  est  certaines  données  géné- 
rales qui  aident  l'expérience  locale  à  se  foriuer. 

Pronostics  tirés  du  baromètre.  —  Les  indication» 
inscrites  sur  le  cadran  des  baromètres,  telles  que 
beau,  variable,  pluie,  etc.,  n'ont  qu'une  valeur 
très  relative  et  qui  peut  d'ailleurs  changer  avec  le 
lieu  où  est  placé  l'instrument  et  sa  hauteur  au- 
dessus  du  niveau  de  la  mer.  Ce  qu'il  importe  siir- 
tout  de  coiniaître,  c'est  d'abord  la  division  à  la- 
quelle se  tient  en  moyenne  l'aiguille  du  baromètre. 
Dans  un  barom*"tre  bien  réglé  cette  moyenne  se- 
rait de  76U  millimètres  environ  au  niveau  de  la 
mer;  elle  change,  pour  un  même  lieu,  à  mesure 
qu'on  monte  même  d'étage  en  étage  d'une  maison, 
à  raison  de  1  millimètre  pour  10  mètres  d'éléva- 
tion. D'ailleurs  un  baromètre  métallique  exacte- 
ment réglé  aujourd'hui  peut  ne  l'être  plus  au 
bout  de  quelques  années.  Or  chacun  peut  trouver 
cette  position  moyenne  de  son  baromètre  au  moyen 
des  canes  du  temps.  11  suffit  de  noter  pendant 
quelques  jours,  et  chaque  matin  à  7  ou  S  heures, 
la  division  indiquée  par  son  aiguille  et  do  compa- 
rer ce  chifi're  avec  celui  de  l'isobare  qui  passerait 
le  même  jour  dans  la  région  habitée.  L'écart  des 
deux  sera  il  peu  près  constant  surtout  si  on  choisit 
un  t.'raps  calme.  Supposons  que  la  station  soit  in- 
termédiaire entre  les  isobares  'W  et  T65,  plus 
rapprochée  de  celle-ci  que  de  celli-là,  en  sorte 
que  la  pression  estimée  soit  "«:(;  supposons  que 
le  même  jour  à  la  même  heure  le  baromètre  com- 
paré ait  marqué  i:>1,  on  en  conclura  qu'à  752  0 
baromètre  est  de  .3  millimètres  au-dessus  de  la 
pression  qu'il  marquerait  si  la  pression  vraie  était 
Je  TUO  au  niveau  de  la  mer.  "49  sera  donc  à  très 
peu  près  la  position  moyenne  de  l'aiguille  de  1  ins- 
trument dans  son  état  et  sa  position  actuels,  l.e 
n'est  pas  là  un  procédé  rigoureusement  exact, 
mais  suffisant.  On  sait  d'ailleurs  que,  dans  les 
baromètres  métalliques,  l'aiguille  peut  être  dé- 
placée à  volonté  en  tournant  la  vis  dont  la  teto 
appa-aît  au  fond  d'une  ouverture  de  sa  table  pos- 
térieure. On  peut  donc  la  ramener  do  cette  posi- 
tion moyenne  749  à  l'indication  normale  TiiO,  en  a 
faisant  marcher  de  11  divisions  en  avant  de  celle 
qu'elle  occupait  au  moment  do  1  opération. 

La  position  moyenne  de  l'aiguille  étant  connue, 
ce  qu'il  importe  do  noter,  c'est  le  sens  et  la  quaii- 


PRIMAIRES  (TERRAINS) 


1717  —      PRIMAIRES  (TERRAINS) 


titc  dont  cllo  en  est  actuellement  éloignée,  et, 
surtout,  le  sons  et  la  rapidité  de  sa  marche.  Si 
l'aiguille  tend  à  monter,  c'est  un  signe  qu'on 
marclio  vers  le  beau  temps;  mais  la  pluie  en  été, 
le  brouillard  en  hiver,  peuvent  survenir  d'abord 
par  suite  de  l'entrée  de  vents  froids  dans  une  at- 
mosphère relativement  chaude  et  humide.  Si  au 
contraire  le  baromètre  est  h  la  descente,  on  mar- 
che vers  la  pluie;  mais,  généralement,  on  traverse 
d'abord  une  période  de  beau  temps  et  de  tempé- 
rature relativement  chaude  dans  le  jour,  pouvant 
être  accompagnée  en  hiver  do  gelées  nocturnes. 
Si  la  baisse  continue,  le  vent  s'élève  des  régions 
sud  ou  sud-ouest  et  la  pluie  survient.  Dans  les 
fortes  tempêtes,  le  baromètre  élant  à  son  point  le 
plus  bas,  le  calme  et  le  beau  temps  peuvent  très 
bien  reparaître,  mais  ils  ne  durent  pas  :  le  baromè- 
tre commençant  à  remonter,  le  vent  s'élève  de 
nouveau  en  tournant  à.  l'ouest  nu  au  nord-ouest  et 
ramène  des  pluies.  Cet  état,  dure  jusqu'à.- ce  que  le 
vent  ait  atteint  ou  franchi  le  nord-ouest  et  que  le 
baromètre  ait  dépassé  sa  position  moyenne  :  pen- 
dant ce  temps  la  température  a  de  nouveau  baissé. 
Si  après  le  relèvement  du  baromètre  le  beau 
temps  reparaît  ot  si,  en  même  temps,  la  tempéra- 
ture reste  chaude,  et  que  le  vent  retourne  ou  se 
maintienne  vers  l'ouest,  c'est  une  nouvelle  bour- 
rasque ou  tempête  qui  va  succéder  i  la  première. 
Il  peut  donc  pleuvoir  ou  faire  beau  temps  soit  par 
un  baromètre  haut,  soit  par  un  baromètre  bas,  ce 
qui  fait  dire  que  le  baromètre  est  souvent  men- 
teur; c'est  qu'on  se  contente  de  noter  sa  position 
actuelle  et  non  pas  la  phase  de  son  excursion,  la 
seule  vraiment  intéressante  :  c'est  aussi  que  le 
baromètre  est  un  témoiji  des  changements  du 
temps  et  non  leur  cause  ;  c'est  enfin  que  la  pertur- 
bation qu'il  accuse  embrasse  un  espace  très 
étendu  et  que  les  pluies  sont  quelquefois  très  lo- 
calisées. (Jette  dernière  raison  est  particulière- 
ment accentuée  dans  la  saison  des  orages.  Les 
troubles  généraux  de  l'atmosphère  qui  produisent 
ces  grands  météores  sont  peu  intenses,  et  les 
oragfs  surviennent  le  plus  souvent,  en  été,  quand 
le  baromètre  est  près  de  sa  hauteur  moyenne.  Les 
vents  violents  qui  les  accompagnent  souvent  et  les 
grêles  qu'ils  sèment  sur  leur  route,  sont  localisés 
sur  des  bandes  de  terrain  généralement  très 
étroites,  mais  quelquefois  très  longues. 

Les  bourrasques  tournantes  offrent  au  prin- 
temps un  danger  particulier.  Quand  elles  traver- 
sent la  France,  elles  y  sont  précédées  d'un  temps 
chaud  ;  elles  y  sont  accompagnées  de  pluies,  et  sui- 
■vies  de  près  par  un  beau  ciel  avec  gelées  noctur- 
nes d'autant  plus  dangereuses  qu'elles  succèdent 
plus  rapidement  à  un  temps  favorable  ^  la  végéta- 
tion. Il  importe  de  les  surveiller  de  très  près  au 
moyen  du  baromètre  et  des  vents,  quand  on  a  les 
moyens  pratiques  de  préserver  ses  récoltes  de 
deurs  atteintes.  [Marié-Davy.] 

PRIMAIKES  (TERRAINS).  —  Géologie,  VI. 
—  On  les  appelle  aussi  terrains  palieozinques,  de 
transition,  du  grauwwke.  Ils  ont  été  divisés  en 
quatre  groupes  dont  les  trois  inférieurs,  long- 
temps confondus  ensemble  sous  le  nom  de  ter- 
Tains  ardoisiers,  ont  été  distingués,  il  y  a  déjJi  une 
■quarantaine  d'années,  par  Sedgwick  et  Murchison, 
sous  les  noms  de  terrains  rumhrien,  silurien  et 
■dévonien.  Le  quatrième  est  le  terrain  car/joni/èrf. 
Les  couches,  originairement  horizontales,  sont  re- 
levées, contournées,  plissées,  quelquefois  môme 
verti'-ales,  comme  dans  les  ardoisières  d'Angers. 
Alcide  d'Orbigny  a  rencontré,  dans  les  Andes  de 
Bolivie,  l'étage  silurien  avec  ses  fossiles  à  la  hau- 
teur de  .5  00»  mètres  au-dessus  de  la  mer. 

En  France  ils  iiccompagnent  le  plus  souvent  les 
terrains  primitifs  dans  les  régions  qui  en  sont 
composées,  comme  dans  la  liretagne,  les  Vosges, 
•le   Plateau   central  et  les  Pyrénées  ;  les    massifs 


primitifs  des  Alpes  et  des  Maures  n'en  paraissent 
pas  dépourvus.  Ils  constituent  aussi  à  eux  seuls 
l'Ardenne. 

Comme  pour  tous  les  terrains  sédimentaires  ou 
neptuniens,  les  roches  sont  de  trois  sortes  princi- 
pales :  argileuses,  arénacées  et  cacaires;  mais 
presque  toujours  plus  ou  moins  fortement  endur- 
cies. Les  ai'giles  dans  leurs  degrés  successifs  d'en- 
durcissement sont  les  schistes  argileux,  les 
schistes  ou  pliyllades  qui  deviennent  salines  et 
finissent  par  ressembler  aux  talschistcs,  auxquels 
ils  passent  véritablement.  Les  sables  donnent  des 
grès  plus  ou  moins  durs  qui  deviennent  lustrés  et 
finissent  par  se  distinguer  difficilement  des  quart- 
zites.  Les  calcaires  sont  compacts  avec  grains 
ou  nodules  cristallins  dus  à  des  fossiles  trans- 
formés en  calcaire  spathique.Le  schiste  et  le  grès, 
en  se  mélangeant,  donnent  la  qrauwacke,  qui  est 
dure,  et  le  psammite  qui  est  tendre  et  souvent 
micacé.  Le  schiste  et  le  calcaire  donnent  le  cal- 
scliisle.  Les  végétaux  enfouis  dans  les  argiles  ont 
donné  par  leur  décomposition  plus  on  moins  com- 
plète des  charbons,  soit  presque  purs,  V/mthracite, 
soit  plus  ou  moins  bitumineux,  la  houille. 

Le  terrain  cambrien,  dans  l'Ardenne,  peut  se 
diviser  en  trois  étages.  L'inférieur,  qui  fait  peut- 
être  partie  du  terrain  primitif,  est  formé  de  pliyl- 
lades luisants  bleuâtres  ou  vordàtres,  donnant  des 
ardoises;  les  quantités  extraites  sont  fort  consi- 
dérables; on  en  fabrique  annuellement  2.5  68.5  000 
à  DeviUe  et  Monthermé,  et  46  70U  000  à  Rimogne; 
ces  phyllades  renferment  assez  souvent  de  petits 
cristaux  de  fer  oxydulé  et  de  la  pyrite  en  gros 
cubes.  L'étage  moyen  se  compose  de  phyllades 
bleus,  rouges,  verts  ou  violets,  avec  pyrite,  alter- 
nant avec  des  grès  gris,  bleus,  verts  ou  rouges; 
ils  sont  exploités  pour  ardoises  h  Funiay,  où  on 
en  extrait  annuellement  5'2G44O00.  C'est  surtout 
dans  la  carrière  Sainte-Anne  qu'on  voit  bien  la 
disposition  oblique  des  feuillets  par  rapport  aui 
couches.  Cette  disposition  paraît  due  à  une  action 
postérieure  au  plissement  du  terrain,  car  les 
feuillets  conservent  leur  inclinaison  de  .30°,  quelle 
que  soit  l'inclinaison  des  couches,  qui  est  en 
moyenne  de  25°;  elle  est  encore  rendue  plus  sen- 
sible par  l'interposition  de  lits  de  grès.  L'étage 
supérieur  commence  par  des  poudingues  h  cail- 
loux de  quartz;  viennent  ensuite  des  grauwackes 
gris  bleuâtre  à  taches  rouges,  contenant  des  phylla- 
des bleus  avecTerehratula,  Spirifer,  encrines, etc., 
et  quelques  couches  interrompues  de  calcaire  com- 
pact noir  avec  nombreux  débris  d'encrines.  Dans 
tous  ces  terrains,  il  y  a  de  nombreux  filons  de 
quartz. 

Le  terrain  silurien,  en  Bretagne,  commence  par 
des  poudingues  quartzeux  et  des  grès  rougeâtres 
recouverts  par  des  grès  blancs  fins,  en  bancs  sé- 
parés par  de  petits  lits  de  schistes  argileux  rouge. 
Par-dessus  viennent  des  phyllades  tantôt  micacés, 
comme  i  Rennes,  et  tantôt  purs  bleus,  comme  à 
Angers  où  ils  renferment  des  trilobites  (Ogygia 
Guettardi,  0.  Oesmnresti,  Ca/ymene  Tristan!,  etc.), 
et  où  on  les  exploite  pour  ardoises  dans  des  fosses 
h  ciel  ouvert  de  liiO  mètres  de  profondeur  et  de 
plus  de  i  1100  mètres  carrés  do  surface.  On  y  em- 
ploie 2  000  ouvriers  et  on  en  tire  annuellement 
pour  plus  do  1  500  000  fr.  de  produits.  Les  derniè- 
res couches  sont  composées  de  calcaires  compacts 
noirs  à  encrines  et  trilobites  et  de  schistes  rou- 
ges ou  verts.  Dans  la  Sarthe,  la  Manche,  etc.,  il  y 
a  des  couches  d'ampélite  exploitées  pour  faire  des 
crayons.  A  Valognes  on  y  trouve  VOrthocerns  gre- 
garium,  des  Spirifer,  des  Produclus,  le  Grnpto- 
lites  spira.lis.  Dans  les  ardoisières  d'Angers,  les 
feuillets  sont  verticaux,  tandis  que  les  couclies  sont 
moyennomont  inclinées,  ce  qui  déinontre  bien 
que  cette  schistosité  est  due  à  une  action  posté- 
rieure. C'est  dans  cet  étage  que  se  trouvent  près 


PRIMAIRES  (TERRAINS)      —  1718 


PRIMAIRES  (TERRAINS) 


de  Morlaix  deux  filons  plombifèi-es  ;  celui  de 
Poullaouen,  exploité  dans  la  grauwacke  jusqu'à 
140  mètres  de  profondeur;  et  celui  du  Huelgoat, 
exploité  dans  un  schiste  noir  jusqu'à  365  mètres. 
Le  terrain  dêvonien  forme,  en  Bretagne,  une  grande 
bande,  allongée  de  l'E.  25°  S.  à  l'O.  25°  N.,  qui 
traverse  la  Loire  en  aval  d'Angers.  Elle  com- 
mence par  un  poudingue  de  quartz,  de  mica- 
scliiste  et  de  phyllade  vert  passant  Snuvent  à  des 
grès  grossiers:  viennent  ensuite  des  grès  schis- 
teux noirs  très  micacés  avec  végétaux,  puis  un 
système  de  couches  à  anthracite,  épais  de  plus  de 
liOO  mètres,  formé  de  grès  siliceux  très  durs,  de 
grauwackes,  de  psammites  schisteux  jaunâtres  ou 
gris  et  de  schistes  argileux  très  micacés  noirâtres 
avec  rognons  de  fer  carbonate.  Le  combusiible  est 
le  plus  souvent  à  l'état  d'anthracite:  cependant 
il  y  a  fies  couches  de  houille  grasse  de  première 
qualité  ;  il  forme  dans  la  partie  centrale  20  couches 
dont  l'épaisseur  totale  est  de  20  mètres  et  dont  8 
sont  exploitables.  Les  principales  exploiialions 
sont  celles  de  Saint-Georges-Chatelaison ,  Cliâ- 
lonnes,  Montjean,  Montrelais,  Nopt,  etc.,  qui  ont 
fourni  43fl  469  quintaux  en  1842,  et  1(162  471  en 
1864.  Les  empreintes  de  végétaux  sont  assez  abon- 
dantes et  ont  une  grande  analogie  avec  celles  du 
terrain  houiller  quant  aux  genres,  mais  les  espè- 
ces sont  presque  toutes  différentes:  les  plus  ca- 
ractérisques  sont  Sp/ienojjtiris  tenuifuiia,  Lyco- 
forlitcs  imbricatus,  Lepiilodendvon  carinatum, 
Stgi/iaria  venosa,  Calamités. 

En  Russie  le  terrain  silurien  forme  une  bande 
très  considérable  qui  passe  à  Saint-Pétersbourg  en 
s'étendant  de  la  Livonie  à  la  mer  Blanche,  et  qui 
présente,  par  rapport  aux  dépôts  de  l'Europe 
occidentale,  des  différences  que  l'on  remarque 
dans  les  autres  dépôts  primaires  de  cette  vaste 
région,  c'est-à-dire  que,  au  lieu  de  schistes  et  de 
psammites,  on  y  trouve  des  argiles  et  des  sables  ; 
au  lieu  de  calcaires  compacts  très  cohérents  et  de 
couleur  foncée,  des  calcaires  grenus  plus  ou 
moins  friables,  de  couleur  blanchâtre,  bigarrée 
de  teintes  peu  foncées  de  rougeâtre,  de  verdâ 
tro,  etc.  On  n'a  trouvé  aucun  fossile  dans  les 
argiles  bleuâtres  qui  forment  la  base.  Les  psam- 
mites et  les  sables  qui  occupent  le  milieu  se  dis- 
tinguent par  la  présence  de  VObolus  Apollinis. 
Les  calcaires  qui  forment  la  partie  supérieure  du 
dépôt  sont  souvent  mélangés  de  grains  de  chlo- 
rite  et  recèlent  une  grande  abondance  de  fossiles, 
notamment  VlUœnus  o'assicmida,  les  Orlhoceras 
spirnlis  et  vnr/i7talis  et  des  Cijslidées. 

Le  terrain  du  Devonshire  et  du  Cornouailles,  qui 
a  donné  lieu  à  la  dénomination  de  dévonien,  est 
principalement  composé  de  roches  schistoides,  dé- 
signées par  les  mineurs  sous  le  nom  de  killas,  et 
qui  présentent  des  passages  du  schiste  à  l'ardoise, 
au  psanimite,  au  quartzite,  au  grès,  au  stéa- 
schiste,  etc.  Ces  roches  sont  plus  ou  moins  méta- 
morphiques et  traversées  par  de  nombreux  filons 
métallifères,  ainsi  que  par  des  dykes  et  des 
culots  de  roches  plutoniennes. 

Dans  les  comtés  de  Brecon  et  de  Hereford,  le 
terrain  dévonien  se  présente  avec  des  caractères 
très  diflérents,  qui  l'ont  fait  appeler  old  red 
sandstone  ou  vieux  grès  rouge.  Ce  dépôt  y  est  en 
effet  presque  entièrement  composé  do  roches  de 
couleur  rougeàtre,  dont  les  plus  communes  sont 
des  psammites  ordinairement  très  micacés  et  à 
texture  schistoide,  qui  se  divisent  quelquefois  en 
grands  feuillets  susceptibles  d'être  employés  à 
couvrir  les  toits  et  qui,  d'autres  fois,  sont  assez 
massifs  pour  que  l'on  en  fasse  de  belles  pierres 
de  taille.  Ces  psammites  passent  souvent  à  des 
Bchistes  et  à  des  argiles  d'un  rouge  violâtre,  qui 
sont  quelquefois  veinés  ou  tachetés  de  verdâlre. 
Les  fossiles  sont  rares  dans  ce  dépôt;  mais  les 
restes  de   poissons   sont  plus  abondants  dans  la 


partie  moyenne  où  il  y  a  des  bancs  calcarifères 
appelés  cornstone. 

Dans  les  plaines  de  la  Russie,  ce  terrain  forme 
un  vaste  bassin  en  partie  recouvert  par  les  ter- 
rains carbonifères  et  permien  ;  il  s'y  présente 
avec  des  caractères  distinctifs  qui  sont  signalés 
dans  les  autres  dépôts  primaires  de  cette  région, 
c'est-à-dire  que,  outre  son  prodigieux  développe- 
ment géographique,  il  est  formé  do  couches  hori- 
zontales très  peu  cohérentes.  Il  y  est  principale- 
ment composé  de  sables  et  de  grès  rouges,  d'ar- 
giles, de  marnes  et  de  calcaire  blanchâtre, 
renfermant  du  gypse  et  du  sel  marin. 

Dans  l'Oural,  les  couches  sont  relevées,  les  ro- 
ches de  couleurs  plus  foncées  contiennent  des 
parties  cristallines,  les  argiles  et  les  marnes  sont 
remplacées  par  des  schistes  et  des  caischistes. 

Le  terrain   cnrhoni fère ,  fréquemment  aussi  ap- 
pelé terrain   houiller,   se   divise  en   deux  étages 
en    Angleterre    et   dans    la  France    septentrio- 
nale   :     le    calcaire    carbonifère     et    le    terrain 
houiller.  Ailleurs,  il  n'y  a  qu'une  seule  masse  que 
l'on   décrit   habituellement  comme  terrain  houil- 
ler, quoiqu'elle  corresponde  très  probablement  au 
terrain  carbonifère  tout  entier. 
I      Le  calcaire  carbonifère,  appelé  aussi  calcaire  de 
!  montagne  ou  métallifère  en  Angleterre,  est  prin- 
I  cipalement  formé  par  des  calcaires  compacts  féti- 
!  des,  le  plus  souvent  noirs  ou  gris  bleuâtre,  en  bancs 
'  épais,   dont    plusieurs    renferment  de    nombreux 
I  osselets  d'encrines  se  détachant  en  blanc  sur  un 
fond  noir,  et  donnent  le  marbre  appelé  petit  gra- 
nité. D'autres  bancs  donnent  les  marbres  de  Flayi- 
dre,  qui   sont  noirs  ou  gris,   à  veines  blanches, 
'  avec  de  nombreux  fossiles  marins  appartenant  aux 
'  trilobites    (Asaphns    obsoletus),    aux    mollusques 
(Orthoceras  Gesneri,  Belleroplio  Ijicarenus,  Evom- 
phalus  pentangulatut,  Conocardium  /lybernicum, 
'  Spirifer  papilionaceus ,  Proiludus  punctatns,  P. 
semireticulntus,  etc.),  aux  crinoïdes,  aux  zoophytes 
'  (Cyatlwphyltum  mitratum,  C.  plicatum,  Caninia 
'  giganten,  etc.). 

Cet  étage  est  parfois  traversé  par  des  filons  mé- 
tallifères où  le  sulfate  de  baryte,  le  fluorure  de 
calcium  surtout  sont  associés  au  sulfure  de  plomb  ; 
j  tel  est  le  cas  des  riches  mines  de  plomb  du  Der- 
I  byshire. 

'  Le  terrain  houiller,  qui  forme  dans  les  îles  Bri- 
■  tanniques  et  en  Belgique  des  bassins  très  étendus, 
ne  constitue  en  France  que  des  dépôts  assez  petits, 
dispersés  sur  un  grand  nombre  de  points,  et  tou- 
jours en  connexion  avec  les  six  massifs  de  terrain 
primitif,  à  la  surface  ou  au  bord  desquels  ils  sont 
disséminés,  souvent  aussi  au  contact  des  terrains 
plus  récents  qui  viennent  les  recouvrir  en  partie. 
Le  terrain  houiller  de  la  France  se  divise  en 
deux  catégories  distinctes  :  l'une,  à  laquelle  appar- 
tiennent les  dépôts  de  l'Ardeniie,  a  été  formée 
sur  les  rivages  d'une  grande  mer  par  des  causes 
générales,  et  se  présente  en  grandes  bandes  conti- 
'  nues  intimement  liées  au  calcaire  carbonifère  ;  les 
j  couches  y  présentent  des  plissements  reclilignes 
et  anguleux,  comme  cela  se  voit  bien  dans  le  bas- 
sin de  Valenciennes. 

L'autre  calégorie,  qui  comprend  tous  les  autres 
bassins,  se  compose  de  dépôts  lacustres,  formés 
par  des  causes  locales  dans  des  dépressions  plus 
ou  moins  profondes,  isolées  et  disséminées  irré- 
gulièrement à  la  surface  des  terrains  anciens  ;  les 
couches  y  présentent  des  plissements  courbes 
et  onduleux,  sans  angles  vifs,  ainsi  que  cela  se 
voit  dans  le  bassin  de  la  Loire  à  Rive-de-Gier.  A 
part  cette  différence  d'origine,  les  matériaux  des 
divers  bassins  houillers  sont  les  mêmes;  ce  sont, 
à  la  base,  des  poudingues  formés,  dans  le  premier 
cas,  de  galets  roulés  siliceux  ou  de  quartz  blanc, 
peu  volumineux,  ayant  peu  d'analogie  avec  les 
roches  sous-jacentes,  ce  qui  annonce  des  actions 


PRIMAIRES  (TERRAINS)     —  HiO  —     PRIMAIRES  (TERRAINS) 


générales  et  lointaines,  et  alternant  avec  quelques 
couches  de  calcaire  marin;  dans  le  sncond  cas,  ce 
sont  des  débris  peu  roules  et  souvent  énormes  de 
granité,  gneiss,  micasdiiate,  talscliiste  ou  pliyl- 
lade,  suivant  la  nature  des  roches  plus  anciennes 
qui  avoisiuent  le  bassin  et  lui  servent  d'assiette. 
La  partie  moyenne  est  occupée  par  des  psammites 
micacés,  le  plus  souvent  gris,  contenant  encore 
des  lits  de  poudingues  à  petits  fragments,  ren- 
fermant fréquemment  des  troncs  et  des  tiges  de 
végétaux,  et  alternant  avec  des  schistes  noirs  qui 
finissent  par  prédominer  et  constituer  presque  à 
eux  seuls  la  partie  supérieure.  Ces  schistes  sont 
souvent  bitumineux,  et  contiennent  de  nombreuses 
empreintes  de  fougères.  Les  divers  bassins  varient 
beaucoup  par  l'épaisseur  relative  des  couclies  de 
grès  et  de  schistes,  ainsi  que  par  le  grain  de  ces 
diverses  roches.  La  houille,  de  qnaliié  très  varia- 
ble, forme,  dans  les  schistes,  plus  rarement  dans 
les  psammites,  des  couches  le  plus  souvent  con- 
tournées et  très  variables  en  nombre  et  en  épais- 
si'ur.  A  Saint-Etienne,  il  y  en  a  1S  donnant  par 
li'ur  réunion  35  mètres  de  houille,  tandis  qu'à 
Onimper  il  n'y  a  que  des  veines  inexploitables. 
Le  carbonate  de  fer  peut  être  considéré  aussi 
i'»mme  roche  constituante  de  ce  terrain.  Il  est 
ii'll'ment  répandu,  conjointement  avec  la  houille, 
sur  certains  points  de  l'Angleterre,  qu'il  alimente 
Il  plus  grande  partie  des  hauts  fourneaux  à  fer  de. 
la  (irande-Bretagne.  La  présence  fréquente  du 
r  M  bonate  de  fer  dans  les  gisements  de  houille  est 
une  des  circonstances  les  plus  heureuses  pour  l'in- 
dustrie métallurgique.  Quand  on  trouve  réuni  dans 
le  môme  lieu  le  minerai  de  fer  et  les  combusti- 
bles, on  peut  établir  à  peu  de  frais  les  usines  pour 
l'extraction  et  l'exploitation  simultanée  de  la  fonte 
et  du  fer;  c'est  ce  qui  existe  dans  les  bassins 
houillers  de  l'Angleterre  et  aussi  de  France  à  un 
moindre  degré,  c'est-à-dire  seulement  à  Saint- 
Etienne  et  à  Alais. 

Le  terrain  houiller  de  France  renferme  de  nom- 
breux fossiles  ;  les  principaux  sont  des  poissons 
d'eau  douce  et  des  végétaux  terrestres.  Les  pois- 
sons ne  se  sont  guère  trouvés  encore  que  dans  les 
schistes  bitumineux  d'Autun,  où  ils  sont  très  abon- 
dants :  ce  sont  les  Palœoniscus  Dlainvillei,  P. 
VoUzii,  P.  aiigustus,  Amhbjpterus  lattis,  A.  ma- 
criipterus,  et  Pi/gopterus  llonnanli.  Les  végétaux, 
dont  il  a  été  déterminé  une  centaine  d'espèces, 
se  répartissent  de  la  manière  suivante  :  quarante 
fougères,  notamment  :  le&  Sp/ienopteris  t'ifolio- 
tala,  Nevropteris  heteiophijlla,  Pecopteris  potijmor- 
plin,  P.  iirborescens,  Odopinpteris  Bi'ardi,  0.  Schlo- 
tlieimii;  quinze  lycopodiacées  parmi  lesquelles  les 
Lepidodendron  rugosum,  L.  pukhellum  ;  sept 
calamitacées  dont  les  principales  sont  les  Cala  "i- 
tes  Suckowii,  C.  approximnlu' ;  huit  sigillariées 
dont  \e.s  principales  sont  les  Sigillm-ia  Issvignta, 
S.  Bvblagei,  .S.  tessellata,  Sbgmarin  ficoides  ; 
Quatre  astérophyllitées,  Aslervplii/llites  rigidn, 
Spheniipltyllum  deidatum,  Annutària  lo'  gifoiia, 
A.  hvevif'oliii  ;  q\ie]q\ies  conifères  du  genre  IVal- 
c/iia  h  feuilles  sessiles  en  spirale,  vois  n  des  Amu- 
cavia,  à  troncs  siliceux  ;  enfin  diverses  plantes 
de  familles  douteuses,  les  Sternbergia  approxi- 
mata,  ilusouarpon,  Irigonocavpon,  etc. 
^  Voici  quelle  est,  dans  les  divers  pays  du  globe, 
l'étendue  des  terrains  houillers  accessibles  à 
l'exploitation  de  l'homme  et  leur  production  : 


Amérique  du  Nord 

Grande-Bretagne 

France _' , 

Belgit|ue 

Allemagne  septentrionale 

Asturies  et  Espagne 

Ku93ie  (au  plus) 


.  cane.. 

Tonnes. 

00  000 

iO  000,000 

10  000 

65  000,01)0 

2  ."JOC 

6  000,000 

i  ii7.5 

8  000,000 

4  4i5 

6  900,000 

DilO 

800,000 

-m 

Inconnue 

Faune  primaire     -  L'embranchement  des  ver- 


tébrés est  représenté  par  de  rares  reptiles  et  des 
poissons.  On  a  découvert  dans  le  terrain  houiller 
du  Palatinat  et  aux  Etats-Unis  des  portions  de 
squelettes  de  reptiles  du  genre  Ardfego^aio'iis.La. 
classe  des  poissons  tenait  le  premier  rang  pen- 
dant le  dépôt  du  terrain  dévonien;  mais  la  struc- 
ture de  ces  animaux  était  souvent  bien  différente  de 
celle  de  nos  poissons  actuels,  le  corps  étant  pour- 
vu soit  d'une  sorte  de  cuirasse  (Ptfrichlliys,  Coc- 
costL'US,  Cephalaspiis),  soit  d'écaillés  très  résistan- 
tes juxtaposées  (,4caî!(/iorfe<(,  Clinialius.  Diplacan- 
llius).  Parmi  les  annelés,  la  classe  des  crustacés,  à 
laquelle  appartiennent  le  homard,  l'écrevisse,  le 
crabe,  était  représentée  par  des  animaux  marins 
fort  différents,  les  trilobites,  dont  l'existence  ne 
s'est  pas  prolongée  au  delà  de  la  période  primaire: 
leur  corps  généralement  ovale  était  formé  d'arti- 
culations transverses  et  divisé  en  trois  lobes  longi- 
tudinaux ;  l'article  antérieur  portait  de  gros  yeux 
réticulés  comme  ceux  des  insectes,  et  l'animal 
pouvait  se  rouler  en  boule  comme  les  cloportes  ; 
les  pattes,  probablement  notnbreuses  et  charnues, 
n'ont  pas  été  conservées. 

Les  mollusques  céphalopodes  son)  représentés 
notamment  par  divers  genres  de  la  famille  des 
nautilacées  spéciaux  à  ces  terrains  :  les  Onhoceras, 
dont  la  coquille  non  enrotilée  est  complètement 
rectiligne,  les  Clymeyiia,  dont  la  coquille  enroulée 
a  des  cloisons  très  onduleuses,  et  les  Gimiatites, 
où  elles  sont  à  plis  anguleux.  C'est  alors  aussi  le 
règne  des  brachiopodes,  qui  revêtent  des  formes 
extraordinaires  et  dont  les  espèces  sont  en  nombre 
immense.  Parmi  les  plus  curieuses  du  terrain  dé- 
vonien sont  les  Slrigocei'hrdus  Ihirtini,  Oncites 
Gryphus,  Davidsonia  Verneuilii,  Calcenla  sanda- 
li?ia,  et  parmi  les  plus  caractéristiques  les  Airypa 
reticularis,  Spirigiira  concentrica,  Leptœna  Mur- 
chisotii. 

Parmi  les  zoophytes,  les  encrines  ou  crinoîdes 
et  les  polypiers  étaient  extrêmement  nombreux. 

Flore  primaire.  —  Les  caractères  de  la  végéta- 
tion, pendant  la  période  carbonifère  surtout,  peu- 
vent se  résumer  ainsi  :  prédominance  dos  crypto- 
games acrogènes,  fougères,  lycopodiacées,  équi- 
sétacées.  Grand  développement  des  dicotylédones 
gymnospermes ,  sigillariées ,  nœggerathiées  et 
astérophyllitées.  Los  fougères,  qui,  dans  les  zones 
tempérées,  ne  sont  que  des  herbes  vivaces,  étaient 
en  partie  arborescentes  comme  dans  la  zone  tor- 
ride  et  composaient  une  grande  partie  de  la  végé- 
tation. Les  équisétacées  ou  prèles,  partout  her- 
bacées, étaient  remplacées  par  les  Cnlnmites,  végé- 
taux ligneux,  articulés  et  striés  longitudinalement, 
de  7  à  8  mètres  d'élévation  et  de  1  à  2  déci- 
mètres de  diamètre.  Nos  lycopodes  actuels  sont 
des  plantes  rampantes  qui  n'atteignent  pas  1  cen- 
timètre de  hauteur;  cevix  de  l'ancien  monde,  les 
Leptiloilendro»,  Lomalophloi"S,  étaient  des  ar- 
bres de  25  à  30  mètres  d'élévation,  dont  le  tronc 
avait  jusqu'à  un  mètre  de  diamètre  ;  les  branches 
prenaient  leur  évolution  par  dichotomie,  c'est-à- 
dire  en  se  divisant  continuellement  en  deux  jus- 
qu'au sommet,  qui  se  ti'rminait  souvent  par  une 
fructification  en  forme  de  cône  appelée  le/tido- 
strofms.  Les  Sigillaria  étaient  de  très  grands  ar- 
bres à  écorce  souvent  cannelée  , présentant  des 
cicatrices  ressemblant  à  des  sceaux  {sigiltum), 
laissées  par  les  feuilles  qui  étaient  fort  petites  ; 
leurs  racines,  également  couvertes  de  cicatrices, 
avaient  été  appelées  stigmnrin.  Les  astérophyl- 
litées avaient  les  tiges  articulées  et  les  fouilles 
verticillécs  ;  leurs  rameaux  se  terminaient  par 
des  chatons  et  des  cônes  analogues  à  ceux  des 
conifères  et  des  cycadées. 

Quoi  de  plus  surprenant  que  l'ensemble  de 
cette  exubérante  végétation  de  la  période  houil- 
lère! Oes  sigillariées  immenses,  qui  dominaient 
les  forêts  ;  ces  Lepidodendron  à  la  lige  élancée  et 


PRIMAIRES  (TERRAINS) 


1720 


PRIMITIFS  (TERRAINS) 


flexible  ;  ces  Lomatophloios  qui  offraient  l'image 
d'arbres  lierbaccs  i  taille  gigantesque;  ces  ca- 
lamités de  10  mètres  de  hauteur;  ces  élégantes 
fougères  arborescentes  au  feuillage  aérien  et 
aussi  finement  découpé  que  de  la  dentelle  ;  ces 
fougères  herbacées  au  feuillage  indéfiniment  ac- 
cidenté ! 

Rien  ne  saurait  nous  donner  aujourd'hui,  dans 
les  zones  tempérées,  l'idée  de  ce  prodigieux  et 
immense  revêtement  d'une  verdure  immuable  qui 
couvrait  la  terre  d'un  pôle  à  l'autre,  sous  une 
température  brûlante  et  la  même  partout,  de  l'île 
Melville  et  du  Spitzberg  dans  l'Océan  glacial 
arctique  jusqu'au  cejitre  de  l'Afrique.  Par  l'ab- 
sence complète  des  dicotylédones  angiospermes  et 
presque  complète  des  monocotylédones,  cette 
végétation  était  réduite  aux  formes  considérées 
comme  les  plus  simples  et  les  moins  parfaites. 
La  prédominance  des  cryptogames  acrogènes  éta- 
blit une  analogie  entre  la  végétation  de  cette  pre- 
mière période  et  celle  des  iles  peu  étendues  de 
la  zone  équatoriale  et  de  la  zone  tempérée  aus- 
trale, dans  lesquelles  le  climat  maritime  est  porto 
au  plus  haut  degré. 

Pour  expliquer  la  présence  des  houilles  au  sein 
de  la  terre,  il  y  a  deux  hypothèses  possibles  :  ces 
débris  végétaux  peuvent  résulter  de  l'enfouisse- 
ment de  plantes  qui  auraient  été  amenées  de  loin, 
transportées  par  les  fleuves  et  les  courants  mari- 
times, en  formant  comme  d'immenses  radeaux 
qui  seraient  venus  s'échouer  en  différents  lieux, 
et  auraient  été  plus  tard  recouverts  par  des  ter- 
rains nouveaux.  Ou  bien  les  plantes  qui  composent 
la  houille  sont  nées  sur  place  :  elles  résulteraient 
de  la  décomposition,  accconiplic  sous  terre,  d'une 
masse  accumulée  de  végétaux  qui  sont  nés  et  qui 
ont  péri  dans  les  lieux  mêmes  où  on  les  trouve. 
La  houille,  comme  on  le  voit,  est  la  substance 
même  des  végétaux  qui  ont  vécu  dans  les  temps 
reculés.  Ensevelis  sous  d'énormes  épaisseurs  de 
roches,  ces  végétaux  s'y  sont  conservés  jusqu'à 
nos  jours,  après  s'être  modifiés  dans  leur  nature 
intime  et  leur  aspect  extérieur.  Ayant  perdu  un 
certain  nombre  de  leurs  éléments  constitutifs,  ils 
se  sont  transformés  en  une  sorte  de  charbon,  im- 
prégné de  ces  substances  bitumineuses  ou  gou- 
dronneuses qui  sont  les  produits  ordinaires  de  la 
décomposition  lente  des  matières  organiques. 

Ainsi  la  houille  qui  alimente  nos  usines  et  nos 
fourneaux,  qui  est  l'agent  fondamental  de  notre 
production  industrielle  et  économique,  la  houille 
qui  sert  à  chauffer  nos  demeures  et  qui  fournit  le 
gaz  employé  pour  nous  éclairer,  cette  houille  est 
la  propre  substance  des  plantes  qui  composaient 
les  forêts,  les  herbages  et  les  marécages  de  l'ancien 
monde.  C'est  le  poids  et  la  pression  des  terrains 
déposés  par-dessus  qui  ont  donné  à  la  houille  la 
densité  considérable  qui  la  distingue,  et  son  état 
de  forte  agrégation.  La  chaleur  émanée  du  foyer 
intérieur  du  globe,  et  qui  se  faisait  encore  sentir 
à  la  surface,  dut  aussi  exercer  une  grande  in- 
fluence sur  le  résultat  final.  C'est  h  ces  deux  cau- 
ses, c'est-à-dire,  à  la  pression  et  au  plus  ou  moins 
grand  échauffement  par  le  foyer  terrestre  central, 
que  l'on  doit  attribuer  les  différences  qui  existent 
dans  la  nature  minéralogique  des  différentes 
houilles  et  de  l'anthracite. 

Les  formes  du  sol  sont  absolument  les  mêmes 
que  celles  du  terrain  primitif;  la  végétation  a 
aussi  de  très  grands  rapports;  les  céréales  y  sont 
cependant  cultivées  plus  fréquemment,  en  raison 
de  la  plus  grande  quantité  de  calcaire  contenu 
dans  ces  terrains.  Le  sol  occupé  par  le  terrain 
houiller,  toujours  de  peu  d'étendue,  offre  en  gé- 
néral une  multitude  de  collines  dont  il  est  diffi- 
cile de  saisir  la  disposition  relative,  à  pentes  peu 
escarpées,  en  raison  de  la  facile  désagrégation  des 
psammites  qui  le  constituent  essentiellement,  et 


qui   donnent  une  terre   sablonneuse,   maigre    et 
assez  improductive,  mélangée  de  cailloux. 

[V.  Raulin.] 
PRIMATES.  —  V.  Singes. 

l'ItlMITIFS  (TERRAlS'S).  —  Gcologie,  'V. — 
On  les  appelle  aussi  crùtiillophylliens,  c'est-à-dire 
cristallins  et  feuilletés. 

Les  masses  primitives  se  distinguent  par  la 
prédominance  des  roches  à  texture  schisto-grani- 
toide  et  schisto-lamellaire,  c'est-à-dire,  en  même 
temps  schistoide  et  cristalline,  ainsi  que  par  l'abon- 
dance du  mica  et  du  talc.  Elles  renferment,  d'ail- 
leurs, une  si  grande  quantité  de  minéraux  dissé- 
minés que,  si  on  voulait  en  faire  l'énumération, 
on  serait  obligé  de  répéter  presque  toute  la  no- 
menclature minéralogique;  mais  ces  dépôts  sont 
surtout  remarquables  par  les  nombreux  gîtes  mé- 
tallifères qu'ils  renferment,  soit  en  filons,  soit  on 
amas  couchés.  Ils  sont  très  répandus  à  la  surface 
de  la  terre;  cependant,  les  massifs  où  ils  se  mon- 
trent seuls  au  jour  sont  rarement  d'une  grande 
étendue.  Ils  se  rencontrent  plus  fréquemment 
dans  les  pays  de  montagnes  que  dans  ceux  de 
plaines;  ils  sont  en  général  peu  favorables  à  la  cul- 
ture, et  souvent  couverts  de  landes,  de  pâturages 
et  de  forêts.  Ils  présentent  un  caractère  particu- 
lier ;  c'est  que,  tandis  que  les  autres  groupes  ne 
se  lient  qu'autant  qu'ils  se  suivent  dans  la  série 
chronologique,  les  roches  primitives  se  lient  or- 
dinairement avec  la  plupart  des  autres  dépôts  qui 
se  trouvent  en  contact  avec  elles,  ce  qui  vient  à 
l'appui  de  l'idée  que  ce  groupe,  ou  du  moins  une 
partie  de  ce  groupe,  au  lieu  de  représenter  une 
période  de  la  série  des  temps,  pourrait,  dans  quel- 
ques cas,  être  plutôt  le  résultat  de  l'action  des 
phénomènes  métamorphiques. 

Si  l'on  ne  peut  affirmer  que  le  groupe  primitif  ait 
une  position  bien  déterminée,  à  plus  forte  raison 
ne  peut-on  pas  y  reconnaître  des  étages  bien 
caractérisés,  et  il  serait  possible  que  les  trois 
divisions  principales  que  l'on  y  distinguo  et  où 
dominent  respectivement  le  gneiss,  le  mica- 
schiste et  le  taiscliiste,  représentassent  plutôt  une 
manière  d'être  minéralogique  que  des  rapports 
géognostiques. 

On  a  aussi  placé  à  côté  de  ces  trois  grandes 
divisions  d'autres  sjstèmes  caractérisés  par  la 
présence  du  quartzite,  du  calcaire,  du  phyllade, 
de  l'amphibole,  de  l'ophiolite,  ainsi  que  d'autres 
roches  feldspathiques  et  pyroxéniques.  Mais  il  y 
a  de  ces  roches,  notamment  parmi  les  dernières, 
qui  sont  de  véritables  dykes  plutoniens  et  non  des 
membres  du  groupe  qui  nous  occupe  ;  et,  quarit 
aux  autres,  il  semble  que,  au  lieu  de  les  consi- 
dérer comme  formant  des  systèmes  susceptibles 
de  figurera  côté  des  trois  grandes  divisions  sus-in- 
diquées,  il  y  a  plutôt  lieu  de  n'y  voir  que  des 
membres  subordonnés  à  ces  divisions  ou  môme 
aux  autres  groupes  neptuniens.  C'est  ainsi,  par 
exemple,  que  l'un  des  gîtes  que  l'on  avait  cités 
pendant  longtemps  comme  type  du  calcaire  pri- 
mitif, celui  de  Carrare,  est  rangé  par  divers  géo- 
logues dans  un  groupe  assez  élevé  dans  la  série. 
Les  roches  quartzeuses  ont  peut-être  plus  de 
droit  à  figurer  comme  formant  un  système  indé- 
pendant, entre  autres  ctlles  qui  constituent  un 
massif  puissant  dans  les  montagnes  de  Minas- 
Geraes  au  Brésil,  célèbres  par  l'abondance  du 
quartz  aurifère,  du  quartz  à  paillettes  d'oligiste 
spéculaire  ou  itabiiite,  et  du  quarzite  micacé  ou 
itacolumite  ;  mais  les  relations  géognostiques  de 
ce  dépôt  ne  sont  pas  encore  bien  déterminées. 

Les  principales  roches  primitives  sont  les  sui- 
vantes :  Leptiinite.  Orthose  grenu,  le  plus 
souvent  blanchâtre  et  renfermant  un  peu  de  mica 
et  de  grenat;  en  bancs  dans  les  autres  roches: 
Cherbourg,  Saxe,  Saint-Gothard,  Ceylan,  etc.  — 
l'eginatite.     Tabulaire,    elle     forme     des    bancs 


PRIMITIFS  (TERRAINS)       —   1721  —       PRIMITIFS  (TERRAINS) 


•dans  les  parties  inférieures.  —  G7i(^i.is.  Mélange 
d'ortliosp,'  de  mica  et  do  quartz  ;  laminaire  ou 
grenu  ;  porpliyroide  par  la  présence  de  gros  cris- 
taux d'ortliosc  ;  scliisloide,  roiigeâtre,  gris  ou  noi- 
râtre. Forme  les  parties  inlérieures  du  terrain 
primitif  :  Limousin,  Lyonnais,  Vosges,  Saxe, 
Suède,  etc. 

Micusihiste  ou  micacite.  Mélange  de  mica 
et  de  quartz,  laminaire  ou  grenu  ;  scliistoîde  gris 
ou  noirâtre,  rarement  blanchâtre  ;  cristaux  acci- 
dentels d'ortliose,  grenat,  anipliibole,  tourmaline, 
pyrite,  etc.  Forme  les  parties  moyennes  du  terrain 
primitif  :  Limousin,  Pyrénées,  Vosges,  Alpes, 
Saxe,  Scandinavie,  États-Unis.  —  Macline.  Mi- 
caschiste dans  lequel  le  quartz  est  remplacé 
par  la  macle  ;  grenu  noirâtre,  en  grandes  assises 
dans   les  micascliites  et  talscliistes  des  Pyrénées. 

Talscldstrt  ou  Illicite.  Talc  scliistoîde  ou 
compact,  vert  ou  gris,  rougeàtre  par  décompo- 
sition, parfois  rendu  porpliyroide  par  des  cristaux 
ou  des  noyaux  de  quartz,  d'ortliose  ou  d'albile, 
cristaux  accidentels  de  grenat,  staurotide,  py- 
rite, etc.  ;  en  grandes  assises  formant  les  parties 
supérieures  du  terrain  primitif  :  Plateau  central, 
Bretagne,  Vosges,  Alpes,  Pyrénées,  8axe,  Ecosse, 
Scandinavie,  etc.  —  l'rotoyiiie.  Mélange  de  talc  et 
d'ortliose  avec  quartz  ;  laminaire  ou  grenue,  d'ap- 
parence granitique  ;  parties  porpbyroides  par  la 
présence  de  gros  cristaux  d'ortliose  ;  stratifiée 
en  grand  ou  f-chistoide  ;  gris  verdâtre  ou  rougeà- 
tre, parties  accidentelles  de  mica,  chlorite.  En 
grandes  assises  au  milieu  des  talschistes  :  Alpes 
formant  le  massif  du  mont  Blanc  et  ce  point  cul- 
minant de  l'Europe;  Tyrol;  celle  d'Algaiola  on 
Corse  a  fourni  le  soubassement  de  la  colonne 
Vendôme  â   Paris. 

Entilwtide,  serpentine.  AmphihoUte,  diorife. 
Stratifiées,  dans  les  diverses  assises.  —  V. 
PLulo7iie7\s  (Terrains). 

Quarizite.  Quartz  grenu  ou  compact,  ren- 
fermant assez  souvent  du  mica  ou  du  talc  qui  le 
colore  en  gris  ou  verdâtre.  Stratifié,  en  grandes 
assises  dans  les  parties  moyennes  et  supérieures 
partout  où  il  se  rencontre  ;  un  quartzite  talcifère 
appelé  itucolumile  est  le  gîte  originaire  de  l'or 
au  Brésil. 

Calcaire  cristallin.  Laminaire  ou  grenu,  for- 
mant des  assises  dans  les  micascliistes  et  sur- 
tout les  talscliistes  du  terrain  primitif.  Il  donne 
les  vrais  marbres  blancs  de  Paros  â  gros  grains 
et  de  (Jarrare  à  prains  fins,  et,  diversement  coloré, 
un  grand  nombre  d'autres  marbres.  —  Le  cipolin 
est  le  môme  calcaire  mélangé  de  mica  ou  de  talc. 
—  Dolomie.  Laminaire  ou  grenue,  blanchâtre, 
grisâtre:  Bagnères-de-Bigorre,  Saint-Gothard,  etc. 

Après  avoir  énuméré  les  principales  espèces  de 
roches  qui  se  rencontrent  dans  les  terrains  pri- 
mitifs, il  nous  reste  à  indiquer  les  st/siémes  for- 
més par  les  espèces  les  plus  importantes. 

Système  du  gneiss.  —  C'est  la  plus  importante 
des  divisions  du  terrain  primitif,  et  celle  qui  mé- 
rite le  mieux  le  nom  d'otage  qu'on  lui  donnait 
généralement  avant  l'introduction  des  doctrines 
du  métamorphisme,  car  on  ne  peut  lui  contester 
d'être  le  terme  le  plus  inférieur  des  terrains  stra- 
tifiés. Ce  système  parait  avoir  une  composition 
moins  compliquée  que  les  deux  divisions  suivan- 
tes ;  cependant  la  diminution  ou  la  disparition  de 
l'un  de  ces  éléments,  les  cliangements  qu'éprouve 
leur  mode  d'agrégation,  et  quelquefois  enfin  l'ac- 
cession de  principes  étrangers  déterminent 
l'existence  de  roches  qui  portent  des  noms  dif- 
férents dans  la  nomenclature.  C'est  ainsi  que, 
quand  le  mica  disparaît,  le  gneiss  passe  au  lep- 
tynite  et  à  l'eurite,  et  si  les  feldspatlis  sont  rem- 
placés par  du  quartz,  on  a  du  micaschiste,  sans 
compter  que  ce  système  renferme  aussi  des  bancs 
subordonnés  de  calcaire,  d'amphibolo,   etc.  Mais 


c'est  surtout  avec  le  granité  que  le  gneiss  pré- 
sente des  liaisons  et  des  mélanges;  non  seule- 
ment ces  roches  se  lient  si  intimement  qu'il  est 
parfois  impossible  de  dire  où  commence  l'une  et 
où  finit  l'autre,  ce  qui  se  conçoit  d'autant  plus 
facilement  que  la  composition  des  deux  roches 
est  à  peu  près  la  même,  et  que  la  difi'érence  entre 
le  système  du  gneiss  et  le  terrain  granitique 
consiste  principalement  dans  la  stratification  de 
l'un  et  la  structure  massive  de  l'autre,  caractères 
que  les  nombreuses  fissures  et  les  altérations  qui 
ont  ordinairement  lieu  vers  le  point  de  contact 
rendent  très  difficiles  à  reconnaître  ;  d  un  côté,  on 
trouve  des  fragments  de  granité  intercalés  dans  le 
gneiss  et  plus  souvent  des  fragments  de  gneiss 
dans  le  granité. 

SvsiÈME  ru  MicAscniSTE.  —  Celui-ci,  que  l'on  a 
souvent  désigné  par  la  dénomination  de  formation 
du  schiste  micacé  (Gliminerschiefer),  est  très  ré- 
pandu dans  la  nature  et  a  beaucoup  attiré  l'atten- 
tion des  géologues  et  des  mineurs,  â  cause  des 
nombreux  filons  métallifères  qui  le  traversent. 
Les  micas,  qui,  comme  on  sait,  sont  l'élément  do- 
minant du  micaschiste,  diminuant  quelquefois  ou 
disparaissant  même,  la  roche  devient  du  quartzite 
micacé  ou  même  du  quartzite  à  peu  près  pur  ; 
d'autres  fois,  les  feldspatlis  remplaçant  tout  ou 
partie  du  quartz,  la  roche  passe  au  gneiss.  D'au- 
tres éléments  se  développent  aussi  dans  ce  sys- 
tème et  y  forment  même  des  bancs  subordonnés, 
notamment  le  calcaire,  qui  est  souvent  blanc 
passant  au  bleuâtre,  à  texture  saccharoïde.  On 
peut  aussi  citer  du  gypse,  de  la  karstcnite,  de 
l'amphibole  schistoide,  etc. 

Système  des  talschistes.  —  Le  système  où  do- 
mine cette  roche  est  souvent  désigné  par  les  déno- 
minations de  schiste  talqneux  on  slèaschiste ;i\  aété 
quelquefois  confondu  avec  le  système  des  mica- 
schistes, parce  que  ces  deux  rocliessont  fréquem- 
ment difficiles  à  distinguer  et  passent  de  l'une 
â  l'autre.  Les  stéaschistes  passent  également  et 
peut  être  plus  souvent  au  quartzite  talqueux. 
D'autres  fois  les  talschistes  renferment  du  feld- 
spath et  passent  â  la  protogine.  On  a  même  rap- 
porté à  ce  système  la  grande  niasse  de  protogine 
qui  forme  la  cime  et  le  noyau  du  mont  Blanc,  dans 
laquelle  de  Saussure  a  cru  reconnaître  une  stra- 
tification, mais  que  plusieurs  sont  maintenant 
portés  à  considérer  comme  un  immense  culot 
appartenant  au  terrain  granitique.  Cette  môme 
roche  forme  sur  les  pentes,  au  milieu  des  neiges 
éternelles,  le  rocher  des  Grands-Mulets  où  vien- 
nent coucher  les  voyageurs  qui  font  l'ascension 
du  mont  Blanc. 

Au  Canada,  dans  des  roches  cristallines,'  mica- 
cées ou  talqueuses,  formant  ce  qu'on  appelle  le 
ieri  ain  laurenlien,  on  a  rencontré  des  masses  cal- 
caires cristallines  dans  lesquelles  on  a  cru  recon- 
naître les  traces  d'un  organisme  fossile  qu'on  a 
désigné  sous  le  nom  <\' liozoon  canidense ;  ce 
serait  le  premier  animal  qui  aurait  apparu  à  la 
surface  de  la  terre. 

Les  terrains  primiiifs  constituent  la  base  sur 
laquelle  reposent  tous  les  terrains  sédimentaires; 
ils  se  montrent  en  France  dans  les  six  régions 
suivantes  :  le  Plateau  central,  la  Bretagne,  les 
Vosges,  les  Alpes,  les  Maures  et  les  Pyrénées  : 
les  cinq  dernières  sont  disposées  circulairement 
autour  de  la  première. 

Dans  le  Plateau  central, au  milieu  des  gneiss,  ily 
a  à  Eymoutiers,  à  Savenne,  à  Mauriac,  des  amas 
contemporains  de  calcaire  saccharoïde  gris  souvent 
micacé  ;  le  fer  oxydulé,  à  Villefranclie  d'Aveyron,y 
forme  des  amas  lenticulaires  exploités  ;  près  de 
Saint-Pons,  au  milieu  de  talschistes  et  de  calcai- 
res, se  trouve  du  fer  oligiste  renfermant  de  l'or 
natif. 

Les  montagnes  voisines  de  Carrare  présentent 


PROBOSGIDIENS 


—  1722  — 


PROBOSGIDIENS 


les  trois  coupures  naturelles  de  Ravaccione, 
Canal-Grande  et  Colonnata.  O'est  de  la  première 
que  l'on  lire  le  marbre  statuaire  le  plus  renommé 
aujourd'hui;  il  ne  se  vend  pas  moins  de  20  francs 
la  palme  (cube  de  0",V5  de  côté,  soit  1280  francs  le 
mètre  cube,  sur  les  lieux  et  h  pied-d'œuvre  ;  en 
remontant,  on  rencontre  à  Polvaccio  une  ancienne 
carrière  romaine  qui  a  fourni  jusqu'à  ces  derniers 
temps  nn  marbre  statuaire  très  renommé  :  c'est 
de  là  que  les  Romains  ont  tiré  le  marbre  du  Pan- 
théon, de  la  colonne  Trajane,  des  arcs-de- triom- 
phe de  Titus  et  de  Septime  Sévère,  et  aussi  celui 
de  l'Apollon  du  Belvédère.  Les  marbres  blancs 
du  tombeau  de  Napoléon,  une  des  constructions 
modernes  qui  en  ont  consommé  le  plus,  ont  été 
tiré-;  de  Colonnata  qui  a  aussi  fourni  beaucoup  de 
marbre  aux  Romains.  L'exploitation  du  marbre 
est  de  beaucoup  plus  importante  à  Carrare  que 
dans  les  localités  marbrières  voisines,  Massa  et 
Serraveza.  A  Carrare  le  nombre  des  ouvriers  di- 
rectement attachés  aux  carrières  est  de  5  SGO  en- 
viron. Un  millier  d'hommes  sont,  en  outre,  em- 
ployés au  transport,  à  l'expédition  et  à  la  mise  en 
œuvre  des  marbres.  Près  de  la  moitié  de  la  pro- 
duction totale  va  aux  Etats-Unis,  le  pays  qui  con- 
somme le  plus  do  pierre  de  Carrare. 

Les  gneiss  et  les  micaschistes  renferment  fré- 
quemment des  liions  de  quartz  et  de  baryte  sul- 
fatée métallifères  parmi  lesquels  on  exploite  prin- 
cip.ilement  de  la  galène  à  Pontgibaud,  à  Vienne  et 
à  Villffort.  Près  de  Brioude  et  de  Florac,  il  y  a 
plusieurs  filons  quartzeux  contenant  de  l'anti- 
moine sulfuré  en  veines  compactes,  irrégulières 
ou  en  taches  fibreuses.  A  Vaulry  près  de  Limoges 
et  à  Moutebras,  il  y  a  de  petits  filons  stan- 
nifères. 

Le  sol  formé  par  le  terrain  primitif  présente  des 
contours  arrondis,  mais  le  plus  souvent  les  sommités 
sont  aiguës,  déchirées  et  dentelées,  en  raison  de 
l'inégale  désagrégation  et  décomposition  des  divers 
strates  qui  les  composent;  les  vallées  sont  étroi- 
tes et  profondes,  et  présentent  fréquemment,  sur 
les  flancs,  des  arêtes  saillantes  plus  ou  moins 
inclinées  qui  indiquent  la  stratification  ;  la  désa- 
grégation et  la  décomposition  des  roches  marchent 
lentement  en  général.  Le  sol  primitif,  le  plus 
souvent  stérile,  est  envahi  par  les  genêts,  les 
ajoncs  et  les  bruyères  ;  l'absence  du  calcaire  fait 
qu'il  ne  convient  pas  à  la  culture  des  céréales, 
excepté  à  celle  du  seigle  ;  aussi  les  remplace-t- 
on le  plus  souvent  par  le  sarrasin.  Les  châtaigniers 
prospèrent  presque  partout  sur  le  Plateau  central 
et  offrent  de  grandes  ressources  pour  la  nourriture 
de  ses  habitants.  Les  pins  et  les  sapins  occupent 
les  parties  élevées  de  la  plupart  des  régions. 
[V.  Raulin.; 
PRIS.ME.  —  V.  P-dyédres  et  Lumière. 
l'ROBOSCIDIEIVS.  —  Zoologie,  X.  —  Les  Pro- 
boscidiens  ou  Eléphants  étaient  jadis  rangés 
dans  l'ordre  des  Pachvdermes;  mais,  comme  nous 
avons  déjà  eu  l'occasion  de  le  dire,  ce  dernier 
groupe  assez  hétérogène  a  été  démembré  par  les 
naturalistes  modernes  (V.  Pachydermes],  et  les 
Proboscidiens  constituent  maintenant,  dans  la 
classe  des  Mammifères  *,  une  subdivision  de  même 
nature  que  celle  des  Jumentés  *  ou  celle  des 
Porcins  *. 

Dans  la  nature  actuelle  les  Proboscidiens  ne 
comprennent  plus  que  le  seul  genre  Eléphant, 
mais  jadis  ils  étaient  représentés,  même  dans  nos 
contrées,  par  les  Mastodontes  et  les  Dinotlienum 
qui  ont  laissé  leurs  ossements  dans  les  terrains 
tertiaires. 

Les  Eléphants  sont  des  mammifères  de  très 
grande  taille,  dont  le  corps  massif  est  porté  sur 
des  pattes  robustes,  terminées  chacune  par  cinq 
doigts,  et  dont  la  tête  est  munie  d'une  énorme 
trompe  préhensile,   constituée  par  un  prolonge- 


ment des  os  du  nez.  Cette  trompe  est  creusée  de 
deux  canaux  parallèles  qui  continuent  les  cavités 
nasales;  elle  renferme  dans  ses  parois  de  nom- 
breuses fibres  musculaires,  et  porte  à  l'extrémité 
un   petit  appendice   en   forme    de   doigt.   Grâce  à 

I  cette  disposition,  elle  est  assez  forte  pour  dére- 
ciner  un  arbre,  et  en  même  temps  assez  délicate- 
ment conformée  pour  saisir  la  nourriture  et  la 
porter  à  la  bouche,  aspirer  une  certaine  quantité 
de  liquide,  défaire  le  nœud  d'une  corde  ou  même 
ouvrir  une  serrure;  en  un  seul  mot  elle  remplit 
à  très  peu  près  le  rôle  d'une  main. 

De  tous  les  mammifères  les  Eléphants  sont 
ceux  dont  la  tête  a  le  plus  de  hauteur  verticale, 
grâce  à  un  renflement  considérable  des  portions 
supérieure,  temporale  et  postérieure  du  crâne. 
Pendant  longtemps  les  naturalistes  ont  pensé 
qu'à  ce  développement  inusité  de  la  boite  crâ- 
nienne correspondait  un  volume  extraordinaire  de 
substance  cérébrale  et  une  intelligence  exception- 
nelle; mais  on  sait  aujourd'hui  que  l'élévation  du 
crâne  chez  les  Eléphants  provient  de  l'existence 
de  grandes  cellules  creusées  dans  la  substance 
même  des  os,  et  que  l'espace  réservé  au  cerveau 
est  relativement  très  petit,   plus   petit  même  que 

I  chez  le  cochon,  qui  passe  cependant  pour  un  ani- 

I  mal  stupide.  Il  ne  faudrait  pas  néanmoins  tom- 
ber dans  l'excès  opposé,  et,  après  avoir  considéré 

■  les  Eléphants  comme  les  mammifères  les  plus  in- 
telligents après  l'homme,  les  relégui'r  au  rang  des 
brutes  :  bien  au  contraire,  les  récits  des  voyageurs 
nous  apprennent  qu'en  Asie  on  fait  exécuter  à 
ces   animaux  divers   travaux  qui  nécessitent   non 

;  seulement  une  grande  dépense  de  force,  mais 
encore   l'exercice   de  certaines   facultés  intellec- 

j  tuelles. 

Dans  leur   aspect  extérieur  les  Eléphants  sont 

!  des  êtres  fort  disgracieux;  leur  tête  énorme  n'est 
éclairée  que  par  deux  très  petits  yeux  qui  sem- 
blent percés  à  la  vrille,  à  côté  de  deux  oreilles 
retombant  comme  de  larges  feuilles.  Le  cou  est 
si  court  que  les  mouvements  de  la  tête  sont  fort 
circonscrits  et  que  l'animal,  si  la  nature  ne  l'avait 
doué  d'une  trompe,  serait  dans  l'impossibilité  ab- 
solue de  cueillir  les  feuilles  des  arbres,  comme 
le  fait  la  girafe,  ou  de  brouter  l'Iierbe  à  la  surface 
du  sol,  à  la  manière  des  Jumentés  et  des  Ru- 
minants *.  Le  corps,  gonflé  comme  un  ballon, 
est  posé  pour  ainsi  dire  sur  quatre  robustes 
piliers,  et  couvert  d'une  peau  très  épaisse,  dénu- 
dée, crevassée,  calleuse  et  d'un  gris  sale  ou  noi- 
râtre. Enfin  les  doigts  sont  garnis  de  sabots  assez 
informes  qui,  dans  la  marche,  touchent  à  peine  la 
surface  du  sol,  la  vaste  plante  des  pieds  étant 
garnie  en  dessous  d'un  cuir  épais  comme  une  se- 
melle. Les  mâchoires  sont  dépourvues  de  canines, 
mais  elles  poi  tent  de  larges  molaires  dont  la  cou- 
ronne est  hérissée  de  saillies  d'émail  diversement 
disposées;  en  outre  la  mâchoire  supérieure  porte 
deux  longues  dé/enses,  c'est-à-dire  deux  incisives 
qui  font  saillie  hors  de  la  bouche  et  qui  s'accrois- 
sent pendant  toute  la  durée  de  la  vie  de  l'éléphant. 
Ce  sont  ces  défenses  qui  fournissent  l'ivoire  si 
recherché  dans  l'industrie.  Leur  développement 
a  pour  conséquence  une  élévation  des  os  inter- 
maxillaires et  des  os  maxillaires  et  un  raccourcis- 
sement des  os  du  nez.  Les  autres  parties  du 
squelette  sont  moins  singulières,  et  les  os  des 
membres  ont  môme,  avec  les  pièces  correspon- 
dantes du  squelette  humain,  des  analogies  loin- 
taines ;  et,  pour  le  dire  en  passant,  ceci  nous  ex- 
plique comment,  à  une  époque  assez  rapprochée 
de  nous,  des  personnes  peu  versées  en  histoire 
naturelle  ont  pu  prendre  pour  des  ossements  de 
géants  grecs  ou  gaulois,  des  ossements  de  mam- 
mouth découverts  dans  le  sol  sur  divers  points  de 
l'Europe. 
A  l'époque  actuelle  on  ne  connaît  plus  que  deux 


PROGRESSIONS 


—  1723  — 


PROGRESSIONS 


espèces  d'Eli^pliants  :  VEléphant.  /l'Afrique  [Ele- 
phas  ijfricanu^),  et  VElcplimit  d'Asie  {Elep/ias  in- 
diens) qui  se  subdivise  peut-être  en  plusieurs 
races  distinctes.  L'Elépliant  d'Afrique  atteint  sans 
doute  une  taille  aussi  considérable  que  l'Eléphant 
d'Asie,  mais  il  a  les  oreilles  beaucoup  plus  gran- 
des, la  tète  plus  arrondie,  le  front  convexe  et  les 
molaires  garnies  sur  leur  couronne  de  lames  sail- 
lantes disposées  en  losanges.  Il  habite  la  plus 
grande  partie  du  continent  africain,  depuis  le  cap 
de  Bonne-Espérance  jusqu'à  l'Abyssinie  et  au  Sé- 
négal, mais  aujourd'hui  il  est  devenu  fort  rare 
dans  la  partie  méridioiiale,  par  suite  de  la  chasse 
active  qui  lui  a  été  faite  par  les  nègres  et  par  les 
Européens,  (ians  le  but  d'obtenir  ses  défenses. 
L'Eléphant  d'Asie  a  les  oreilles  relativement  assez 
petites,  la  tête  allongée,  le  front  concave  et  les 
molaires  pourvues  de  rubans  d'émail  ondulés.  Il 
se  trouve  non  seulement  dans  l'Inde  et  dans  l'Indo- 
Chine,  mais  à  Coylan,  à  Célèbes  et  dans  les  îles 
de  la  Sonde.  Suivant  les  localités  il  offre,  dit-on. 
des  variations  assez  grandes  pour  qu'un  œil  exercé 
puisse  reconnaître  diff'érentes  races,  et  dans  des 
cas  assez  fréquents  il  peut  être  atteint  d'albi- 
nisme. Dans  l'Inde  et  surtout  dans  le  Pégu  et  le 
royaume  de  Siam,  ces  éléphants  blancs  sont 
tenus  en  grande  vénération  et  considérés  comme 
les  rois  de  leur  espèce.  En  Asie  on  ne  tue  pas  les 
éléphants,  comme  en  Afrique,  pour  avoir  leurs 
défenses,  mais  on  s'efforce  de  les  prendre  vivants 
diins  des  pièges,  et  on  les  réduit  à  une  domesti- 
cité plus  ou  moins  complète.  On  les  emploie 
comme  bêtes  de  somme,  pour  porter  soit  des  ba- 
gages, soit  même  des  espèces  de  pavillons  riche- 
ment ornés  dans  lesquels  peuvent  monter  plu- 
sieurs personnes.  En  avant,  sur  le  cou  de  l'animal, 
est  assis  un  conducteur  ou  corna':  qui  dirige  l'élé- 
phant avec  la  voix  ou  le  stimule  au  moyen  d'un 
aiguillon.  Quelquefois  aussi  les  éléphants  sont 
dressés  à  rouler  ou  à  entasser  avec  leur  trompe 
de  lourds  madriers,  ou  bien  ils  sont  attelés  à  des 
pièces  d'artillerie  de  campagne. 

Les  anciens  se  sont  déjà  servis  dans  leurs  guerres 
d'éléphants  dressés,  et  chacun  sait  quelle  terreur 
les  Romains  éprouvèrent  quand,  dans  la  campa- 
gne contre  Pyrrhus,  ils  se  trouvèrent  en  présence 
de  ces  animaux  gigantesques  ;  mais  bientôt  ils 
s'habituèrent  à  la  vue  de  ces  monstres  et  songè- 
rent à  leur  tour  à  en  tirer  parti  :  Végèce  nous 
apprend  que  les  éléphants  figurèrent  avec  hon- 
neur dans  la  guerre  entreprise  contre  les  rois  de 
Macédoine  et  de  Syrie,  et  Valère  Maxime  rapporte 
qu'au  temps  de  Sévère  il  y  avait  encore  trois  cents 
de  ces  animaux  dans  les  arnici-s  impériales.  On 
sait  enfin  qu'Annibal  emmena  avec  lui  trente-sept 
éléphants  quand  en  2lx  av.  J.-C.  il  quitta  Cartba- 
gène  pour  envaliir  la  Gaule  méridionale  et  l'Italie. 
De  nos  jours  encore  des  animaux  de  ce  genre 
sont  fréquemment  employés  dans  les  Indes  par 
l'armée  anglaise  pour  le  transport  des  canons  et 
des  munitions,  et  tout  récemment  on  a  songé  à  se 
servir  d'éléphants  dans  les  voyages  d'exploration 
à  travers  l'Afrique  centrale.  [E.  Oustalet.  ] 

PROFESSI(>.\S.  —  V.  MétiiTS. 

PROGRESSION.  —  Arithmétique,  LI-LII.  — 
On  distingue  deux  espèces  de  progressions,  les 
progressions  a'ilhmé'ir/ues  ou  par  dilTérence,  et 
les   progressions  (léoniétriqucs  ou  par  quotient. 

I.  PnoonEssio.Ns    arithmétiques. 

I.  —  On  appelle  prnrjression  arithmétique  ou 
par  différence  une  suite  de  nombres  tels,  que 
chacun  d'eux  est  égal  au  précédent  augmenté 
dune  quantité  constante  qu'on  appelle  la  !Y«>o?î. 
Les  nombres  qui  composent  une  progression  s'ap- 
pellent \as  termes  de  cette  progression. 

On  indique  que  des  nombres  sont  on   progres- 


sion arithmétique  en  les  séparant  par  un  point, 
et  en  faisant  précéder  le  premier  du  signe  -s-.  Ainsi 
les  nombres  : 

•f  3.7.11.15.19.23.27 

forment  une  progression  arithmétique  dont  la 
raison  est  i.  On  a,  en  effet, 

7  =  3-1-4;     il=-l  +  i;    15=11-^4; 

et  ainsi  de  suite. 

Problème.  —  Connaissant  le  premier  terme  et 
la  raison  d'une  progression  arithmétique,  trouver 
la  valeur  d'un  terme  de  rang  quelconque. 

Soit  n  le  premier  terme  et  r  la  raison  ;  en  vertu 
de  la  définition, 

le  2"  terme  est  égal  à a -f-   r, 

le  3'     —      à  a  -t-  r  -h  r,  ou  à. . .     a  -j-  2r, 
10  4°     —       à  a -H  2)' +  r,  ou  à..     a-\-ir, 

et  ainsi  de  suite.  Chaque  terme  de  In  progression 
est  égal  au  premier  augmenté  d'autant  de  fois  la 
raisoji  qu'il  y  a  d".  termes  avant  lui. 

Ex.  —  Calculer  le  23"  terme  d'une  progression 
dont  le  premier  terme  est  7  et  dont  la  raison  est 
3.  Le  23*  terme  en  a  22  avant  lui  ;  donc  sa  valeur 

7-1-3X22  =  73. 

Trouver  la  valeur  du  ht'  nombre  impair.  Les 
nombres  impairs  forment  une  progression  arith- 
métique, dont  le  premier  terme  est  1  et  dont  la 
raison  est  2  ;  le  53'  terme  est  donc  : 

1-t- 2X51  =  103. 

î.  — Moyens  arithmétiques.  —  Insérer  1,2,  3,4,... 
moyens  artilimélv/ices  entre  deux  nombres  donnés, 
c'est  former  une  progression  arithmétique  dont 
les  deux  nombres  donnés  soient  les  termes  extrê- 
mes, et  qui  comprenne  1,  2,  3,  4...  autres  termes 
entre  les  extrêmes. 

Proposons-nous,  par  exemple,  d'insérerG  moyens 
entre  les  deux  nombres  5  et  19.  Si  la  progres- 
sion cherchée  était  écrite,  le  dernier  terme  19  en 
aurait  6^-l  ou  7  avant  lui;  il  serait  donc  égal 
au  premier  terme  5,  augmenté  de  7  fois  la  raison. 
11  résulte  de  là  que  la  différence  19  —  5  des  deux 
nombres  donnés  est  égale  à  7  fois  la  raison;  par 
suite,  la  raison  est  égale  h 

19  —  5       14       „ 


Ce  raisonnement  est  évidemment  général  et  con- 
duit à  la  règle  suivante  : 

La  raison  de  la  progresHon  qu'on  obtient  g'i 
insérant  des  moyens  nrithmétique-i  entre  deux 
nombres  donnés  est  égale  à  la  différence  de  ces 
deux  nombres  divisée  parle  nombre  des  moyens  à 
insérer  plus  un. 

La  raison  étant  connue,  les  moyens  se  calculent 
facilement  en  ajoutant  la  raison  successivement  au 
premier  terme,  puis  au  deuxième,  puis  au  troi- 
sième, et  ainsi  de  suite.  Dans  notre  exemple,  la 
progression  demandée  sera  : 

■V5. 7. 9. 11. 13. 15. 17. 19. 

Supposons,  en  particulier,  qu'on  veuille  insérer 
un  seul  moyen  arithmétique  entre  deux  nombres; 
la  valeur  de  ce  moyen,  qu'on  appelle  alors  la 
moye?ine  arithmétique  entre  les  doux  nombres, 
est  égale  à  leur  demi-somme.  En  effet,  si  a  et  6 
sont  les  deux  nombres  donnés,  les  trois  nombres 

a  +  h 
a,      -^,      b 

sont  évidemment  en   progression  ;  donc  la  demi- 


PROGRESSIONS 


—  1724  — 


PROGRESSIONS 


somme  — - —  est   la  moyenne  arithmétique  entre 

les  nombres  a  et  b. 

S.  —  Théorème. —  Si  l'on  insère  entre  les  termes 
cn7iséciiti/s  d'une  proyression  ariltimétique,  pris 
deux  à  deux,  le  même  nomhre  de  moyens,  on  ob- 
tient vne  suite  de  progressions  partielles  itont 
l'ensemble  forme  une  progression  unique. 

Considérons  la  progiession  arithmétique  : 

-^5.S.n.l4.17.20, 

dont  la  raison  est  3,  et  insérons  5  moyens  entre 
les  termes  consécutifs  pris  deux  à  deux  ;  la  rai- 
son   de  la    première    progression     partielle  sera 

— [ — )  celle  de  la  seconde  sera  de  même : — j 


celle  de  la  troisième, 


U 


etc.  Mais  les  dif- 


férences 8  —  5,  11—8,  14  —  11,  etc.  sont  toutes 
égales  à  la  raison  3  de  la  progression  donnée; 
donc  les  raisons  des  progressions  partielles  se- 
ront ('gales  entre  elles.  D'autre  part,  le  dernier 
terme  de  chacune  des  progressions  partielles  est 
^.n  mfrae  temps  le  premier  terme  do  la  suivante; 
donc  les  progressions  partielles,  écrites  à  la  suite 
l'une  do  l'autre,  formeront  une  seule  et  même 
progression  Ainsi,  dans  l'exemple  que  nous  avons 
pris,  les  progressions  partielles  sont  : 


•î-8.8+--9.0-t---I0.  in -!---•  11. 
-î-11  .U-f  i.l2.12-f '-IS.IS  +  Ih. 

En  les  écrivant  Ma  suite  l'une  de  l'autre,  on  for- 
mera une  progression  uni<iue. 

4. —  Somme  des  termes  d'ine  progression  arithmé- 
tique. —  Démontrons  d'abord  la  propriété  suivante  : 

Dans  une  progi-ession  arit/imélique  limitée,  la 
somme  de  de"X  termes  également  distants  des 
exilâmes  est  égale  à  la  somme  des  exire'mes. 

Prenons,  par  exemple,  la  progression  : 

-^2. 7. 12.17.22. 27. 32. 37, 

dont  la  raison  est  5,  et  considérons  d'abord  le 
second  terme  7  et  lavant-dernier  32  ;  le  second 
terme  7  surpasse  le  premier  de  ô  etravaiit-dernier 
32  est  inférieur  de  6  au  dernier,  de  sorte  qu'on  a  : 

7  =  2-1-5, 
32  =  37  —  5; 

si  l'on  ajoute  membre  à  membre  ces  deux  égali- 
tés, on  trouve  : 

7-1- .32  =  2 -H  37. 

Plus  généralement,  considérons  doux  termes 
quelconques  équidistants  des  extrêmes,  par  exem- 
ple celui  qui  a  trois  termes  avant  lui  et  celui  qui 
en  a  trois  après  lui;  ce  sont  ici  les  termes  17  et  | 
22.  D'après  la  règle  donnée  ci-dessus  pour  trou- 
ver un  terme  de  rang  quelconque  pris  dans  une 
progression,  le  terme  17  est  égal  au  premier  ter- 
me 2,  plus   3  fois  la  raison  ;  on  a  donc  : 

]7  =  2-f  5X3. 

Si  nous  prenons  .'i  part  la  progression  formée  par 
les  quatre  derniers  termes,  le  dernier  terme  37 
de  cette  progression  partiellesera  égal  au  premier 
22,  plus  -i  fois  la  raison;  par  suite,  22  sera  égal  i 
37,  moins  3  fois  la  raison  : 

22  =  37-5X3. 


Ajoutons  ces  deux  égalités  membre  à  membre, 
et  nous  aurons  enfin  : 

n  +  22  =  2H-37, 

ce  qui  démontre  la  propriété  énoncée. 

5.  —  Proposons-nous  maintenant  de  trouver  Is 
somme  des  termes  d'une  progression  arithmétique, 
par  exemple,  do  la  progression  : 

4-2.7.12.17.22.27.32.37. 

En  désignant  cette  somme  par  S,  on  aura  : 

S=  2-1-7-1-124-17-1-22 -h  27 -1-32-1-37; 

renversons  l'ordre  des  termes,  la  somme  ne  chan- 
gera pas  et  nous  aurons  encore  : 

8  =  37  4-32-1-27-1-22-1-17-1-12-1-7-1-2. 

Ajoutons  maintenant  ces  deux  égalités  membre 
à  membre,  en  groupant  ensemble  les  termes  qui 
occupent  le  même  rang  dans  les  seconds  mem- 
bres ;  il  viendra  ainsi  : 

2S  =  (2 -f  37) -I- (7-t- 32) -1-(12 -1- 27)  4- (17 +22) 
4-(22-f  17}4-(274-l2)4-.324-7)4-(37  +  2), 

le  nombre  des  groupes  étant  égal  au  nombre  des 
termes  de  la  progression.  Mais  les  termes  que 
nous  avons  groupés  et  compris  entre  parenthèses 
sont  des  termes  également  distants  des  extrêmes  ; 
leur  somme  est  donc  égale  à  la  somme  des  extrê- 
mes, comme  nous  venons  de  le  démontrer.  11  ré- 
sulte, de  là,  que  le  second  membre  de  l'égalité 
précédente  vaut  autant  de  fois  la  somme  des 
extrêmes  qu'il  y  a  de  termes  dans  la  progression; 
et  comme  ce  second  membre  est  le  double  de  la 
somme  cherchée,  nous  arrivons  enfin  à  la  règle 
suivante  : 

La  so'i-me  des  termes  d'une  pmgression  arithmé- 
tique est  égale  à  la  demi-somme  di.-s  termes  extrê- 
mes multipliée  par  le  nombre  d-s  termes. 

Il  arrive  souvent,  dans  les  applications,  qu'on 
donne  le  premier  terme,  la  raison  et  le  nombre 
des  ternies;  il  faut  alors,  pour  obtenir  la  somme 
des  termes,  calculer  d'abord  le  dernier  terme  par  la 
règle  donnée  plus  haut. 

E.XEMP1.ES.  —  1°  Calculer  la  somme  des  n  pre- 
miers nombres  entiers. 

Les  termes  extrêmes  sont   1  et  n,  leur  demi- 
?î  -+-  1 
somme  est  — - —  ;  donc  la  somme  des  n  pre- 
miers nombres  entiers  est,  d'après   ce  qui  pré- 
cède : 

re-H  n'n-lr  1). 

en  d'autres  termes,  cette  somme  est  égale  h.  la 
moitié  du  produit  des  nombres  entiers  consécu- 
tifs «  et  ??  4-  1.  Ainsi,  la  somme  des  99  premiers 
nombres  entiers  est  : 

9i><10?=4950. 

2°  Trouver  la  somme  des  )(  premiers  nombres 
impairs. 

Je  calcule  d'abord  la  valeur  du  n"  nombre  im- 
pair, c'est-à-dire  du  n"  ternie  d'une  progression 
dont  le  premier  terme  est  1  et  dont  la  raison 
est  2;  en  appliquant  la  règle  connue,  on  trouve  : 

1  4-2(ï!  — l)  =  2;j  — 1. 

Il  faut  ensuite  trouver  la  somme  d'une  progres- 
sion de  n  termes,  les  ternies  extrêmes  étant  1  et 
2n  —  1  ;  la  somme  des  extrêmes  est  1  -|-  2n  —  1 
ou  2/î,  la  demi-somme  de  ces  extrêmes  est  n; 
donc  la  somme  des  n  premiers  nombres  impairs 
est  n  X  n  ou  ;.*,  elle  est  égale  au  carré  de  n.  Par 


J 


PROGRESSIONS 


1725 


PROGRESSIONS 


oxemplc,    la   somme   dos   25   premiers    nombres 
impairs  est  égale  au  carre  de  25  ou  à  1)25. 

i;.  —  l'oiiMUi.Es.  —  Soit  n  le  premier  terme,  d'une 
progression  arillim6U(|ue,  r  la  raison,  l  le  dernier 
terme,  n  le  nombre  des  termes  et  S  la  somme 
di-s  termes;  ces  cinq  quantités  sont  liées  entre 
illes  par  les  équations  suivantes  : 

/  =  a  +  (îî  —  l)r. 


qui  permettent  de  résoudre  la  plupart  des  pro- 
blèmes qu'on  peut  se  proposer  sur  les  progres- 
sions arithmétiques. 

II.    PROGRESSIONS    GÉOMÉTRIQUES. 

7. —  On  appelle  progression  géométrique  OM  par 
quotient  une  suite  de  nombres  tels,  que  chacun 
d'eux  est  égal  au  précédent  multiplié  par  un  nom- 
bre constant,  qu'on  appelle  la  raison.  Les  nom- 
bres qui  composent  une  progression  géométrique 
s'appellent  les  tcruifs  de  cette  progression. 

Si  la  raison  est  plus  grande  que  1,  les  termes 
successifs  de  la  progression  vont  en  croissant,  et 
la  progression  est  dite  croissante;  elle  est  dë- 
croissantf  quand  la  raison  est  plus  petite  que  1. 

Pour  indiquer  qu'une  suite  de  nombres  forme 
une  progression  géométrique,  on  les  sépare  l'un' 
de  l'autre  par  deux  points,  et  on  fait  précéder  le 
premier  du  siino  -K-. 

Ex.  La  progression  géométrique  : 

•H- 5:  10:20:40:80:  160 

a  pour  raison  ?  ;  chaque  terme  est  égal  au  pré- 
cédent multiplie  par  2  ;  c'est  une  progression 
croissante.  Au  contraire,  la  suite  : 

'  •  '  •  J. 

3'  â'  27 


que  la  sixième  puissance  de  la  raison  est  égale  au 
quotient  de  ii8  :  7  ;  donc  enfin  la  raison  est  égale 
h  la  racine  sixième  de  ce  quotient,  c'est-à-dire  &  : 


l  A  48       B/— 
y— =  V04=2. 


-h9:3; 


est  une  progression  géométrique  décroissante 
dont  la  raison  est  |. 

Problème.  —  Connaissant  le  premier  terme  et 
In  raisoTi  d'une  progression  géométrique,  trouver 
la  valeur  d'un  ter/ne  de  rang  quelconque. 

Soit  a  le  premier  terme  et  q  la  raison  ;  d'après 
la  définition. 


le  2'  terme  est  i 
le  .3'  — 

le  4«  — 

le  5'  — 


aq  X  9  ou  à. 
aq'^xq    — 
aq'^xq     — 


nq  , 
aq'^, 
aq^, 


et  ainsi  de  suite.  Un  terme  quelconque  de  la  pro- 
gression est  égal  au  premier  terme  multiplié  par 
une  puissance  de  la  raison  dont  l'exposant  est 
ég'd  au  nombre  îles  termes  qui  précèdent. 

Ex.  —  Calculer  le  cinquième  terme  d'une  pro- 
gression géométrique,  dont  le  premier  est  3  et  la 
raison  |.  Le  cinquième  terme  en  a  4  avant  lui; 
donc  sa  valeur  est  : 


3X 


GM- 


8.  —  Moyens  géométriques. — Insérer [,"1,%,^ 

moyens  qéométiiqnes  entre  deux  nombres  donnés, 
c'est  former  ujie  progression  géométrique  dont  les 
nombres  donnés   soient    les  termes  extrêmes,  et 

qui  comprenne  1,  2,  3,  4, autres  termes  entre 

les  extrêmes. 

Proposons-nous,  par  exemple,  d'insérer  cinq 
moyens  géométriques  entre  les  nombres  7  et  448. 
Si  la  progression  cherchée  était  écrite,  le  dernier 
terme  kM  en  aurait  .S  -f  I  ou  (i  avant  lui  ;  il  serait 
donc  égal  au  premier  terme  7  multiplié  par  la 
sixième  puissance  de  la  raison.  Il  résulte  de  là 


De  ce  raisonnement,  qui  est  évidemment  général, 
ou  déduit  la  règle  suivante  : 

La  raison  de  la  progression  formée  en  insérant 
des  moyens  géométrique'^  entre  deux  nombres 
donnés,  s'obtient  en  divisant  le  second  par  le 
premier  et  en  extragant  de  ce  quotient  une  racine 
dont  l'i?idice  est  égal  au  nombre  des  moyens  à 
insérer  plus  un. 

La  raison  étant  connue,  les  moyens  géométri- 
ques se  calculent  en  multipliant  successivement 
le  premier  nombre  par  la  raison,  puis  le  produit 
obtenu  par  la  raison,  puis  ce  nouveau  produit  par 
la  raison,  et  ainsi  de  suite.  Dans  notre  exemple, 
la  progression  demandée  est  : 

vi-7:  1-4:28:51;:  112:224:448. 

Supposons  en  particulier  qu'on  veuille  insérer 
un  seul  moyen  géométrique  entre  deux  nombres; 
la  valeur  de  ce  moyen,  qu'on  appelle  alors  la 
moyenne  géométrique  ou  la  moyenne  proportion- 
nelle entre  les  deux  nombres,  s'obtient  en  ex- 
trayant la  racine  carrée  du  produit  de  ces  deux 
nombres.  En  effet,  si  a  et  b  sont  les  deux  nombres 
donnés,  les  trois  nombres 

a,    V«*.    *. 

forment  une  progression  dont  la  raison  est  i/_, 

\  a 
ainsi  qu'il  est  aisé  de  le  vérifier. 

9.  —  Théorème.  —  Si  l'on  insère  entre  les  termes 
consécutifs  d'une  progression  géométrique,  pris 
lieux  à  deux,  un  même  nombre  de  moyens,  on 
obtient  une  suite  de  progressions  partielles  dont 
l'ensemble  forme  une  progression  unique. 

Considérons  la  progression  géométrique: 

W2:6:18:54,-1G2, 

dont  la  raison  est  3,  et  insérons  4  moyens  entre 
les  termes  consécutifs  pris  deux  à  deux.  La  raison 
de  la  première  progression  partielle  sera,  d'après 

la  règle  précédente,   K    -\  celle  de  la  seconde  sera 

de  même  i  /_:  celle  de  la  troisième,  i  /_,  etc. 

V   G  '  V  18 

....  .  «i    18   54 

Mais  les  quotients  --,  ■ — ,  — ,•••  sont  tous   égaux  à 
-1  2    0     18  ^ 

la  raison  3  de  la  progression  donnée  ;  il  en  résulte 
que  les  raisons  de  toutes  les  progressions  par- 
tielles seront  égales  entre  elles;  leur  valeur  com- 
mune est  ^3.  D'autre  part,  le  dernier  terme  de 
chaque  progression  partielle  est  en  même  temps 
le  premier  terme  de  la  suivante;  donc  toutes  ces 
progressions  partielles,  écrites  à  la  suite  l'une  de 
l'autre,  forment  une  seule  et  même  progression, 
dont  la  raison  est  y  3-  Voici,  pour  notre  exemple, 
toutes  ces  progressions  partielles  : 

-K-  2:   2V3:   2^3^:   2v'3':   2V3*:   C, 

•H    «:    (ivJi:    CV/3a:    6V3»:    0^3*:  18, 

•H- 18  :  18  V»  :  18  Vs'  :  18  Va"  :  18  V3'  :  54, 

W  54  :  54  v3  :  54  V32  :  54  ^3»  ;  5'i  V»''  :  1G2  ; 

on  les  écrivant  à  la  suite  l'une  de  l'autre,  on  ob- 
tient une  progression  unique. 


PROGRESSIONS 


1726  — 


PROGRESSIONS 


10. —  Somme  des  termes  d'une  progression  géo- 
uÉTnioiiE.  —  Considérons  d'abord  une  progression 
géométrique  croissante,  et  désignons  ses  termes 
successifs  par  a,  b,  c,,...  g,  li,  t,  sa  raison  par  q,  et 
la  somme  des  termes  par  S;  nous  aurons: 

S  =  a+A+c+ +g  +  h  +  l. 

Multiplions  tous  les  termes  de  cette  égalité  par 
g,  et  remarquons  que,  les  nombres  ",  b.  c,....  for- 
mant une  progression  géométrique  dont  la  raison 
est  g,  on  a  : 

aq^^zb,     bq  =  c, hq=l; 

il  viendra  alors  : 

83=6  +  0+ +  A  4.  /  +  /y, 

q  étant  plus  grand  que  1 ,  S9  est  plus  grand  que  S  ; 
retranchons  la  première  égalité  de  la  dernière,  et 
supprimons  les  termes  //,  c,  h,  l,  qui  se  détrui- 
sent; nous  aurons  : 

Sy  — S=/gr  — a, 
ou  bien 

S(7  — >)  =  '?— a; 
d'où  l'on  tire  enfin  : 


S  = 


Iq  —  g 
7-1' 


formule  qui  s'énonce  ainsi  : 

La  somme  des  termes  d'une  progression  géomé- 
trique croissante s'ohiient  en  multipliant  ledemier 
terme  par  la  raison  et  retiayichant  le  premier 
terme  de  ce  produit,  puis  en  divisant  cette  diffé- 
rence pnr  l'excès  de  la  raison  sur  l'unité. 

Supposons  maintenant  que  la  progression 
donnée  soit  décroissante,  c'est-à-dire  que  la  raison 
q  soit  plus  petite  que  I.  La  méthode  précédente 
s'iipplique  encore,  avec  cette  seule  difîérence  qu'il 
faudra  retrancher  la  valeur  de  Sç  de  celle  de  S; 
on  arrivera  ainsi  à  la  formule  : 


S  =  - 


■Iq 


qui  se  traduira  par  la  règle  suivante  : 

La  somme  des  termes  d'une  progression  géomé- 
trique  décroissante  s'obtient  en  multipliant  I-  der- 
nier terme  par  la  mison  et  retrnnchnnt  ce  pro'luit 
dupremier  terme, puis  en  divisant  cette  d'fférence 
par  l'excès  de  l'nnM  sur  la  raison. 

Exemples.  1°  Trouver  la  somme  des  termes  de 
la  progression  : 

vi  4  :!•.!:  36:  108:324  :972, 

dont  la  raison  est  3. 
On  a 

972x3-4       2012 
S  =  — ^-^^-  =  -^  =  1456. 

2° Trouver  la  somme  des  puissances  successives 
du  nombre  a  depuis  la  première  Jusqu'à  la  n",  a 
étant  >  1. 

Ces  puissances  forment  la  progression  géomé- 
trique croissante  : 


■H- a  :  a-  :  «3; 


'  Q  I 


dont  la  raison  est  a;  la  somme  S  est  donc  : 
n"  y^a  —  a      a  (a"  —  I  ) 


a  —  l 
Sia  =  2  et  n  =  10, 


S  = 


2x(2i«-n 
2  —  1 


=  -:;oie 


r  3°  Un  maréchal  ferrant,  qui  a  employé  32  clous 
pour  ferrer  un  cheval,  demande  1  centime  pour 
le  1"  clou,  2  centimes  pour  le  2'  clou,  4  centimes 


pour  le  3«  clou,  8  centimes  pour  le  4*  clou,  et 
ainsi  de  suite  en  doublant  toujours.  Quel  est  le 
montant  de   la  somme  qu'il  réclame? 

Les  nombres  de  centimes  correspondant  aux 
clous  successifs  forment  une  progression  géomé- 
trique de  32  termes,  dont  le  premier  terme  est  1 
et  dont  la  raison  est  2.  Le  32°  terme  sera  donc, 
d'après  la  règle  connue,  1  x2"=2'i;  par  suite, 
la  valeur  de  la  somme  S  sera  : 


2'ix2-l 


=  2'2— 1  =  4294967295, 


ce  qui  donne  la  somme  énorme  de  42349672  fr.95. 
Cet  exemple  montre  avec  quelle  rapidité  croissent 
les  termes  d'une  progression  géométrique  dont  la 
raison   est  plus  grande  que   I . 

4°  Trouver  la  somme  de  la  progression  géomé- 
trique décroissante  : 

^JlL.  SL-JL  ■  JL  .jl 

■■  100  ■  1002  ■  lOu»  ■  100*  ■  100» 

La  raison  de  cette  progression  est  — :  par  suite, 
la  somme  demandée  est  : 


47 

uiu 

■W 
lOU»^ 

-i-       47— il 

1110             iou« 

~'m 

9.) 

ou  encore. 

47 
99 

47 

99X101.6 

Remarquons  que  la  progression  donnée  équivaut 
à  la  fraction  décimale  : 

0,4747474747. 

11.  —  Formules.  —  En  désignant  par  a  le  premipr 
terme  d'une  progression  géométrique,  par  l  h', 
dernier  terme,  par  n  le  nombre  des  termes,  par 
q  la  raison  et  par  S  la  somme  des  termes,  on  =>, 
les  formules  suivantes  : 


S  = 


Ig  —  a 


suivant  que  q  est  plus  grand  ou  plus  petit  que  1. 
Ces  formuhss  permettent  de  résoudre  un  grand 
nombre  de  problèmes  sur  les  progressions  géomé- 
triques. 

12.  —  Des  progressions  géométriqies  indéfinies. 
—  On  peut  toujours  supposer  qu'on  prolonge  indé- 
finiment une  progression  géométrique  dont  on 
connaît  le  premier  terme  et  la  raison  ;  ces  suites 
indéfinies  jouissent  de  propriétés  qu'il  est  utile 
d'établir. 

Théorème.  —  Dans  une  prO'/ressiu7i  géométrique 
croissante  indéfinie,  la  différence  de  'leux  termes 
consécutifs  va  toujours  en  croissant  à  mesure 
qu'on  s'iivnnce  dims  la  progression. 

Soient  a,  f>,  c,  trois  termes  consécutifs  de  la 
progression,  et  (7  la  r.iison,  qui  est  supposée  plus 
grande  que  I  ;  on  aura,  en  vertu  de  la  définition 
même  des  progressions  : 

b  =  og, 
c=iq; 

retranchons  la  première  égalité  de  la  seconde  ; 
nous  aurons  : 

c  —  b=^  bq  —  «7  =  (A  —  a'jq  ; 


PROGRESSIONS 


—  1727  —  ■ 


PROGRESSIONS 


ce  qui  niontro  que  la  différence  c  — A  est  plus 
grande  que  la  (lifTérence  4  —  a,  puisque  la  première 
est  égale  au  produit  du  la  seconde  par  un  nombre 
</  plus  grand  que  1  ;  c'est  ce  qu'il  fallait  démon- 
trer. 

On  voit  de  plus  que  les  différences  successives 
des  termes  consécutifs  forment  une  progression 
géométrique,  dont  la  raison  est  q,  c'est-i-dire  la 
même  que  celle  de  la  progression  donnée. 

Théorème.  —  Dans  une  jirogre^sion  géométrique 
croissante  imléfinie,  les  termes  rvigmentent  indéfi- 
niment et  penv-iit  dépasser  torde  tinide. 

Si  la  différence  de  deux  termes  consécutifs  était 
constante,  il  est  clair  qu'en  formant  les  termes 
successifs  par  l'addition  de  cette  quantité  cons- 
tante, on  pourrait  arriver  à  un  nombre  aussi 
grand  qu'on  voudrait.  Il  en  sera  de  même,  à  plus 
forte  raison,  si  la  quantité  qu'on  ajoute  à  un 
terme  pour  former  le  suivant,  au  lieu  de  rester 
constante,  va  elle-même  en  croissant;  pr  c'est  ce 
qui  a  lieu  dans  une  progression  géométrique 
croissante,  comme  nous  l'avons  démontré  dans  le 
précédent  théorème. 

Corollaire.  —  Les  puissances  successives  d'un 
nombre  plus  grand  que  1  vont  en  croissant  et  peu- 
vent dépos^er  toute  limite.  Car  ces  puissances 
sont  les  termes  d'une  progression  géométrique, 
dont  le  premier  terme  et  la  raison  sont  égaux  au 
nombre  donné,  et  qui,  par  conséquent,  est  crois; 
Bante,  puisque  ce  nombre  est  plus  grand  que  I . 

13.  —  Thkobème. —  Dam  une  progression  gi'o- 
métriquedécroissant  e  indi'finie,  l-  s  termes  successifs 
décroissent  ind'  fininient  et  peuvent  devenir  plus 
petits  que  tmile  quantité  donnée. 

Nous  rappellerons  d'abord  quelques  propriétés 
connues  des  nombres  inverses. On  sait  qu'on  appelle 
inwei'se  d'un  nombre  le  quotient  obtenu  en  divisant 
l'unité  par  ce  nombre  ;  ainsi,  l'inverse  de  2  est  |,  l'in- 
verse de  I  est  :i,  l'inverse  de  ^  est  \.  Il  résulte  de 
cette  définition  que  le  produit  d'un  Jiorabre  par  son 
inverse  est  égal  à,  l,  et,  par  suite,  que  si  un  nom- 
bre est  plus  grand  que  I,  son  inverse  est  plus 
petit  que  I,  et  réciproquement.  Enfin,  si  l'on  di- 
vise l'unité  par  des  nombres  de  plus  en  plus 
grands,  les  quotients  sont  de  plus  en  plus  petits 
et  peuvent  devenir  aussi  petits  qu'on  voudra  ;  en 
d'autres  termes,  les  inverses  de  nombres  qui  crois- 
sent sans  limite,  décroissent  eux-mômcs  indéfini- 
ment. 

Cela  posé,  considérons  une  progression  géomé- 
trique décroissante  indéfinie  ; 

-H-a:6:e:d: ; 

désignons  par  y  la  raison  qui  est  plus  petite  que  I. 
On  aura  les  éiçalités  : 


O^aq,     c  =  bq,     d  =  cq, 
on  en  déduit  : 


0      a       q        c       b       q       d 


égalités  qui  montrent  que -1  -;,  -,   -,v.  sont   les 

a    h    c    d 
termes    d'une  progression    géométrique    dont   la 


"  a'  Ti'  c'  d '' 

mais  cette  progression  est  croissante,  puisque  sa 
raison  est  le  nombre  -,  qui  est  plus  grand  que  1. 
Donc,  en  vertu  du   théorème   précédent,  les  ter- 


mes de  cette  seconde  progression  croissent  indé- 
finiment et  peuvent  dépasser  toute  limite  ;  par 
suite,  leurs  inverses,  c'est-à-dire  les  termes  de  la 
progression  donnée,  décroissent  indéfiniment  et 
peuvent  devenir  aussi  petits  qu'on  voudra. 

14.  —  Limite  iie  la  somme  des  termes  d'u.ne  pro- 
gression GÉOMÉTillQUE  UÉCBOISSANTE  INUÉFI.ME.  — 
Si,  dans  une  progression  géométrique  décroissante 
indéfinie,  on  prend  un  nombie  de  plus  en  plus 
grand  de  termes  et  qu'on  les  ajoute,  la  somme  va 
en  augmentant;  mai»  el!.;  reste  toujours  inférieure 
à  une  limite  que  nous  allons  déterminer. 

Soit  a  le  premier  terme  de  la  progression,  q  sa 
raison  ;  la  somme  S  de  tous  les  termes  jusqu'à  un 
terme  quelconque  l  est  donnée  par  la  formule 
établie  ci-dessus: 


que  l'on  peut  écrire  : 


S  =  - 


a  —  lq 

': lj_ 

-q       \-q' 


Si  l'on  prend  dans  la  progression  un  nombre  de 
plus  en  plus  grand  de  termes  à  partir  de  a,  le 
dernier  terme  /  décroîtra  indéfiniment  et  tendra 
vers  zéro,  ainsi  que  nous  l'avons  démontré;  il 
en  sera  de  même  du  produit  de  ce  terme  par  la 
quantité   constante  ,      ^;     par    conséquent,  la 


7' 


somme  S  ira  en  croissant  et  se  rapprochera  autant 

qu'on  le  voudra  de En    d'autres   termes, 

ï-q 

est  la  limite  vers  laquelle  tend  la  somme  S 

quand  le  nombre  des  termes  de  la   progression 
augmente  ijidéfiniment. 

Ex.  :  1"  Trouver  la  limite  de  la  fraction  déci- 
male périodique  (1,48484848 

Cette  expression  peut  se  mettre  sous  la  forme 
d'une  progression  géométrique  décroissante  indé- 
finie : 

48        48    _  _48_,  _48_  . 
"  lUO  ■  lUO^  ■  lUU^  ■  lOU*  

48        ,         .  1 

Le  premier  terme  est  — -  et  la  raison  est  — —  ; 

donc  la  limite  de  la  fraction  périodique  est  : 

il 

lUO      _  48   _   99  _4S_ 

_l_~  100  ■  100^99' 

~  lUO 

on  retrouve  ainsi  la  valeur  donnée  en  arithméti- 
que iV.  Fractions). 

2"  Trouver  la  limite  de  la  somme  des  termes 
do  la  progression  géométrique  décroissante  : 

^  I  ,  1  .  1  .  J_. 

■■  Û"  4  ■  8  ■  16 

L'application  de  la  formule  donne  : 


Rem.  Los  propriétés  des   progressions   servent 
de  base  à  la  théorie  des  /ogarii/tmes,  et  à.   celle 
des  annuités  et  de  l'amortissement  (V.  ces  mots). 
[H.  Dos.] 


PRONOM 


—  1728  — 


PRONOM 


PRONOM.  — Grammaire,  XII.  —  l.e  pronom 
est  un  mot  qui  tient  la  place  du  nom.  Dans  cette 
phrase  :  ■•  Paul  est  espiègle,  mais  il  deviendra 
raisonnable,  »  il.  que  l'on  met  à  la  place  de  Paul, 
est  un  pronom.  Pronom  vient  du  latin  pronomen 
(qui  se  met  à  la  place  du  nom). 

Le  pronom  prend  le  genre  et  le  nombre  du  nom 
dont  il  tient  la  place.  Ex.  :  "  Les  liirondelles  par- 
tent ;  elles  vont  dans  les  pays  cliauds.  n  Elles  est 
féminin  et  pluriel,  parce  que  hirondelles  est  du 
féminin  et  du  pluriel,  u  Votre  maison  est  grande, 
la  mienne  est  plus  petite,  u  la  mienne  est  du  fé- 
minin et  du  singulier  comme  le  mot  remplacé  : 
ynaison. 

Il  y  a  cinq  sortes  de  pronoms  :  les  pronoms 
personnels,  démonslratifs,  possessifs,  relatifs  et 
iyiclé  finis. 

I.    PUONOMS    PERSONNELS. 

Les  pronoms  personnels  sont  ceux  qui  dési- 
gnent les  personnes,  en  indiquant  le  rôle  que  ces 
personnes  jouent  dans  le  discours. 

Dans  cette  phrase  :  «  Je  devine  que  tu  viens  de 
cheî  lui,  )■  on  distingue  trois  personnages  diffé- 
rents -.je.  tu  et  lui,  qui  sont  les  trois  acteurs  de 
ce  petit  drame.  Ces  acteurs  ont  des  rôles  diffé- 
rent*, que  nous  trouvons  marqués  ici  par  trois 
mots  distincts  ;  le  premier  rôle  ije)  est  celui  de 
l'acteur  qui  parle  de  lui-même  ;  le  second  (tu),  ce- 
lui de  l'acteur  à  qui  l'on  parle;  le  troisième  {lui), 
celui  de  l'acteur  dont  on  parle. 

En  trrmcs  de  grammaire,  on  appelle  ces  trois 
rôles  des  personnes  (du  latin  persona,  rôle,  per- 
sonnage do  théâtre). 

Les  pronoms  personnels  sont  : 


'  personne    Je,  i)ie,  moi- 

—  Th,  le,  toi. 

—  //,  elle,  lui,  le.  la,  i 


—  Us,  eHes,  eux;  les,  leurs. 


n  Tous  ces  pronoms  viennent  directement  du 
latin;  les  deux  premières  personnes,  des  per- 
sonnes correspondantes  en  latin  ;  la  troisième 
personne  a  été  empruntée  aux  pronoms  démons- 
tratifs latins. 

Je,  au  xii«  siècle yo,  au  x'  io,  au  ix"  in  et  aussi 
eo  dans  les  fameux  serments  de  Strasbourg  de 
84'2,  vient  du  latin  ego  (je)  ;  par  la  chute  du  g, 
e(g)o  devient  eo,  comme  li{g)are  est  devenu 
lier  :  eo  s'adoucit  en  i  >,  comme  leonem  en  lion  : 
io  est  postérieurement  devenu  jo  (comme  Di- 
hionem  est  devenu  Dijon).  Enfin,  jo  s'est  adouci 
en  je.  Nous  avons  vu  le  vieux  français  Io,  ço, 
adouci  en  le,  ce.  —  Me  est  le  latin  me  (moi).  — 
Mot  vient  également  du  latin  me,  comme  toile 
vient  de  tela,  voile  de  vélum.  —  N'^us  est  le  latin 
nos  (nous).  —  Tu,  te,  représentent  le  latin  tu 
(tu),  te  (toi).  —  T:i  vient  également  de  te.  — 
Vous  est  le  latin  vos  (vous). 

Le  pronom'  de  la  troisième  personne  latine  is 
(il),  ea  (elle),  a  été  abandonné  par  le  français, 
sans  doute  i  cause  de  son  peu  d'ampleur,  et  no- 
tre langue  a  emprunté  sa  troisième  personne  au 
pronom  démonstratif  i//e  (celui-là),  illa  (celle-là!, 
illud  (cela)  :  ille  est  devenu  il,  comme  nulle  a 
donné  mil;  illi  a  donné  elle,  comme  axilla,  ais- 
selle; le  pluriel  iiU  a  donné  le  vieux  français  il, 
auquel  la  langue  moderne  a  ajouté  un  s,  d'où 
Us;  elles  vient  de  illus.  —  Eux  vient  de  illos, 
comme  cheveux,  de  capiUos.  —  On  a  vu  (V.  Article) 
l'origine  de  le,  la,  les.  —  Me,  te,  se,  viennent  du 
latin  me,  te,  se.  —  Lui  est  le  latin  itlihuic  (à  ce- 


lui-ci) qui,  contracté  en  illuic,  se  trouve  déjà  sous 
la  forme  illui  dans  une  inscription  romaine  pu- 
bliée par  Muratori.  Illui  est  devenu  l"i,  comme 
illiim  est  devenu  la,  comme  illorum  est  devenu 
leur,  par  la  chute  de  la  première  syllabe. 

Quand  le  ne  désigne  pas  les  personnes,  mais 
les  choses  (comme  dans  cette  phrase  :  la  Pologne 
périra,  jo  le  prévois),  il  signifie  cela,  vient  du 
neutre  latin  illud  icelaj,  et  nous  représente  à  peu 
près  le  seul  débris  du  genre  neutre  que  nous 
possédions  en  français.  Ce  qui  nous  explique 
pourquoi  aux  questions  :  «  Etes-vous  la  mère  de 
cet  enfant  '?  »  ou  »  Etes-vous  la  malade  ?»  il  faut 
répondre,  je  la  suis  (c'est-à-dire,  je  suis  la  per- 
sonne dont  vous  parlez),  —  tandis  qu'aux  ques- 
tions :  «  Etes-vous  /«ère  ?  Etes-vous  malade  ?»  il 
faut  répondre  je  le  suis,  c'est-à-dire,  je  suis  cela, 
(illud,,  c'est  ce  que  je  suis,  ce  que  vous  m'avez 
demandé;  jo  possède  <«  qualité  de  mère  ou  l'état 
de  malade.  ^  £?i,  dans  le  vieux  français  ent,  vient 
du  latin  inde  (en,  de  là)  comme  souvent  vient  de 
subiiide.  —  y,  dans  le  vieux  français  i,  vient 
du  latin  uhi  (là).  »  (Brachet,  Nouvelle  grammaire.) 
Remarque.  —  1°  Les  pronoms  il,  ils,  eux,  le, 
remplacent  les  noms  masculins  ;  elle,  elles,  la, 
remplacent  les  noms  féminins;  les  autres  servent 
pour  les  deux  genres. 

2°  Nous  s'emploie  parfois  au  lieu  de  je,  soit 
comme  marqua  d'autorité  :  Nous  décrétons  ;  soit 
pour  donner  à  la  phrase  un  ton  moins  tranchant  : 
Nous  sommes  prêt  à  vous  écouter  ;  soit  dans  le 
langage  familier  :  On  l'a  réprimandé  souvent,  mais 
nous  sommes  opiniâtre.  Alors  l'adjectif  reste  au 
singulier. 

3»  Vous  s'emploie  par  politesse  au  lieu  de  tu,  et 
l'adJHCtif  reste  au  singulier  :  Paul,  vous  êtes  sage. 
i'  Le,  la,  les,  pronoms,  ne  doivent  pas  être  con- 
fondus avec  le,  la,  les,  articles.  —  Le,  la,  les, 
pronoms,  sont  toujours  placés  avant  ou  après  un 
verbe  :  Je  te  le  donne,  prends-i«.  —  Le,  la,  les, 
articles,  accompagnent  toujours  un  nom  :  Ni  l'or, 
ni  la  grandeur  ne  nous  retident  heureux  ; 

5°  Leur  est  pronom  lorsqu'il  signifie  o  eux,  à 
elles;  il  accompagne  alors  le  verbe  et  ne  prend 
jamais  de  s.  Ex.  :  Je  leur  ai  donné  un  livre.  Il 
est  adjectif  lorsqu'il  signifie  d'eux,  d'elles,  et  il 
peut  alors  prendre  la  marque  du  pluriel  :  J'ai 
donné  leurs  livres  à  ces  enfants  ; 

6°  En  est  pronom  lorsqu'il  est  mis  pour  de  lui, 
d'elle,  d'eux,  d'elles,  de  cela.  Ex.  :  J'aime  cet 
enfant  et  j'en  suis  aimé.  Autrement  il  est  ad- 
verbe :  S'en  viens;  ou  préposition  :  Je  suis  en 
France  ; 

7»  J'  est  pronom  quand  il  signifie  à  cette  chose, 
à  ces  choses,  à  cela.  Ex.:  L'aiîaire  est  imporunte, 
j'î/  donnerai  tous  mes  soins.  Autrement  il  est 
adverbe  :  Tu  v  cours. 

8°  Se,  soi,  s'appelle  aussi  pronom  réfléchi  parce 
qu'il  rappelle  toujours  le  sujet  de  la  proposition. 
Ex.  :  On  a  souvent  besoin  d'un  plus  petit  que  soi. 
9°  Lorsque  le  pronom  il  ne  se  rapporte  à  aucun 
nom,  comme  dans  ces  phrases  :  //  pleut,  il  faut 
aimer  ses  parents,  on  dit  qu'il  est  impersonnel.  li 
est  alors  véritablement  le  neutre  latin  il/ud.  (On 
sait  que  neutre  (neutrum)  signifie  ni  l'un  ni  l'au- 
tre, c'est-à-dire  ni  masculin  ni  féminin.) 

10°  Pour  donner  plus  de  force  à  l'expression, 
on  joint  aux  pronoms  personnels  l'adjeciif  même  ; 
on  a  alors  les  pronoms  composés  :  moi-même,  toi- 
même,  lui-même,  7ious-)nêmes,  etc.  Ex.  :  Il  a  lu 
lui-même  ma  lettre;  je  viendrai  moi-même. 


II.  —  Pronoms   ué.monstratifs. 

Les  pronoms  démonstrntifs  sont  des  mots  qui 
servent  à  montrer  la  personne  ou  la  chose  dont  on 
parle.  Ex.  :  Mon  cheval  est  moins  beau  que 
celui-ci. 


PRONOM 

Les  pronoms  démonstratifs  sont  : 


1729  — 


PRONOM 


Eèi  ajniuant  les  adverbes  ci  et  /à  h  ces  pronoms, 
on  forme  de  nouveaux  pronoms  démonstratifs, 
qui  sont  : 


Ceci,  cela. 
Celui-ci,  celui-là. 
Celle-ci,  celle-là. 

«  Dp.  mCme  que  le  latin  ecce  hic  donna  ici,  le  pro- 
nom masculin  eccillum  (celui-li'i)  donna  le  vieux 
français  icel,  'e  féminin  eccillum  donna  icelte 
(comme  iWim  a  donné  elle),  —  le  pluriel  eccillos 
donna  iceux  (comme  il/os  donna  eux,  et  capillos, 
chrveux).  —  Icel,  qui  avait  pour  régime  iceliti 
(formé  comme  autrui  do  anlre),  disparut  au  xvi' 
siècle.  De  môme  que  ici  se  réduit  à  ci,  —  icelle, 
icelui,  iceux,  se  réduisent  à  celle,  celui,  ceux.  La 
forme  icelle  a  persisté  néanmoins  dans  quelques 
formules  de  procédure.  (De  ma  cause  et  des  faits 
renfermés  en  icelle,  dit  Racine  dans  les  Plai- 
dijurs).  »  (Bracliet,  Nouvelle  grammaire.) 

Remarque.  —  1.  l'e  est  pronom  :  1°  Lorsqu'il 
accompagne  un  verbe.  Kx.  :  Ce  doit  être  mon 
frère  ;  est-ce  lui?  —  2°  Lorsqu'il  est  placé  devant 
les  pronoms  (?!«',  que,  quoi,  dont.  Ex.  :  J'irai  voir 
ce  qui  est  arrivé  ;  je  ferai  ce  que  vous  demandez. 
Mais,  placé  devant  un  nom,  ce  est  adjectif  :  Ce 
livre,  ce  chapeau. 

2.  Dans  celui-ci,  celui-là,  ceux-ci,  etc.,  ci  mar- 
que le  rapprocliement,  là  marque  l'éloignement. 
Ex.  :  Cicéron  et  Démostliène  furent  deux  grands 
orateurs;  celui-ci  était  Gvec,  celui-là  était  Romain. 
Dans  cette  phrase,  celui-là  désigne  le  premier 
nom  exprimé,  Cicéron;  celui-ci  désigne  le  second, 
Démosthène. 

3.  Lorsque  ceci,  cela,  sont  mis  en  opposition, 
ceci  désigne  l'objet  qui  est  le  plus  près  de  nous, 
et  cela  l'objet  qui  en  est  le  plus  éloigné.  Ex.  :  Pre- 
nez ceci,  laissez  cela. 

h.  Ceci  s'applique  encore  à  ce  qui  va  suivre, 
<:elii  à  ce  qui  précède,  dans  les  phrases  telles  que: 
N'oubliez  pas  ceci  :  aide-toi,  le  ciel  t'aidera.  — 
L'orgueil  est  un  grand  défaut,  retenez  bien 
cela. 

in.  —  Pronoms  possessifs. 

Les  pronomt  possessifs  remplacent  le  nom  en 
marquant  la  possession.  Ex.  :  Ce  livre  est  plus 
beau  que  le  vôtre  ;  ton  cheval  est  plus  noir  que 
le  sien. 

Quand  on  parle  d'un  objet  possédé  par  une 
seule  personne,  les  pronoms  possessifs  sont  : 


i' 

2- 
3- 

personne 

Le  viien. 
Le  tien. 
Le  sien. 

1  "  personne     La  mienne. 
2"        —          La  tienne. 
3'        —          La  sienne. 

PLIUB 

L  MASCULIN 

PLuniBL  PKHinm 

1' 
!• 
3« 

personne 

Les  miens. 
Les  tiens. 
Les  siens. 

!'•  personne     Les  miennes 
2*        —          Les  tiennes. 
3'        —          Les  siennes. 

M  Pourquoi  cette  différence  d'orthographe  entre 
notre  et  le  nôtre,  —  votre  et  le  vôtre?  Pourquoi 
dans  le  premier  cas  o  est-il  bref,  tandis  que  dans 
le  second  il  est  long  et  surmonté  d'un  accent  cir- 
conflexe? Le  latin  nostrum  donne  le  vieux  fran- 
çais nostre,  qui  remplace  régulièrement  s  par  un 
accent  circonflnxe  marquant  l'allongement  de  la 
voyelle,  d'où  nôtre,  comme  teste,  best  ',  tem/ieste, 
apostre  sont  devenus  te't^',  béte,  trm)  été,  apôtre.  — 
Nôtre,  rôtre  (dans  le  ?idi)v,  le  vôtre)  sont  donc  les 
vraies  formes;  mais  ces  mots  se  sont  allégés  et 
abrégés,  quand  ?iôtre,  vôtre  précédaient  immédia- 
tement un  nom  sur  lequel  se  portait  naturelle- 
ment tout  l'effort  de  l'accent  tonique  :  au  lieu  de 
din'  7iôtre  lime,  qui  eût  été  régulier,  mais  sans 
relief,  on  allégea  l'adjectif  pour  reporter  tout 
l'effort  de  la  voix  sur  le  substantif,  d'où  7iotre 
âme.  »  (Brachet,  Nouvelle  grammaire.) 

IV.  —  Pronoms  relatifs. 

Les  pronoms  relatifs  sont,  ceux  qui  unissent  le 
nom  ou  le  pronom  dont  ils  tiennent  la  place  avec 
le  membre  de  phrase  qui  les  suit.  Ex.  :  Le  chêne 
qut  ombrage  notre  cour  est  vert;  le  livre  que  j'ai 
lu  est  intéressant. 

Quand  nous  disons  :  Le  chêne  qui  ombrage 
notre  cour  est  vert  ;  le  livre  que  j'ai  lu  est  intéres- 
sant, —  les  mots  qui,  que,  nous  avertissent  que 
ce  qui  va  suivre  se  rapporte  à  la  personne  ou  à  la 
chose  dont  on  vient  de  parler,  et  sont  appelés 
pronoms  relatifs,  parce  qu'ils  servent  à  marquer 
le  rapport,  la  relation  qui  existe  entre  les  deux 
membres  de  la  phrase. 

Le  mot  que  le  pronom  relatif  représente  est 
appelé  son  antécédent.  Dans  les  exemples  qui  pré- 
cèdent, chêne  est  l'antécédent  de  qui,  livre  est  l'an- 
técédent de  que. 

Le  mot  antécédent  vient  du  latin  antecedentem 
(qui  marche  avant),  parce  que  ce  mot  se  place 
avant  le  pronom  relatif. 

Les  pmnoms  relatifs  sont  :  qui,  que,  quoi,  dont 
(invariables),  et  lequel,  qui  varie  en  genre  et  en 
nombre  : 


Au  moyen  âge,  mien,  tien,  sien  pouvaient  être 
employés  comme  adjectifs  :  le  vieux  français  disait 
Indifféremment  mon  frère,  ton  vassal,  ou  le  viien 
frère,  /-•  tien  vassal  De  cette  règle,  qui  ne  tarda 
pas  à  disparaître,  il  est  resté  (|uelques  traces 
dans  :  un  /n(ej!  cousin  (pour  m((?i  cousin),  la  mai- 
son esVUenne,  le  •■ieii  propre. 

Quand  on  parle  d'un  objet  possédé  par  plusieurs 
personnes,  les  pronoms  possessifs  sont  : 

i'<  personne    Le  nôtre,  la  nôtre,  les  nôtres. 

*"        —         1^  vôtre,  la  vôtre,  les  vôtres. 

'■        —         i^  leur,  la  leur,  les  leurs. 
V  Partie. 


Lequel. 
Duquel. 
Auquel. 


Laquelle. 
De  laquelle. 
A  laquelle. 


Lesq^tcls.  Lesquelles. 

Desquels.  Desquelles. 

Auxquels.  Auxquelles. 

Qui,  que,  quoi  viennent  respectivement  du  latin 
qut,  quein,  qwd. 

Dont  vient  du  latin  de  unde  (d'où)  :  unde  donna 
ont,  qui  signifiait  oit  dans  notre  vieille  langue  ; 
und",  joint  à  la  préposition  de,  devint  itont,  qui, 
en  vieux  français,  signifiait  il'oii  : '^  11  me  demanda 
dont  je  venais.  »  Dait  fut  encore  employé  avec  ce 
sens  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième  siècle  :  «  Ren- 
tre dans  le  néant  dont  je  t'ai  fait  sortir.  »  (Racine, 
Bajazet.)  «  Ma  vie  est  dans  les  camps  dont  vous 
m'avez  tiré  u  (Voltaire.) 

Lequel  est  composé  de  le  et  de  quel,  qui  est  le 
latin  qualis. 

Emploi  des  pronoms  relatifs.  —  1"  Qui,  précédé 
d'une  piéposition,  se  dit  des  personnes  ou  <des 
choses  personnifiées.  Ex.:  L'enfanta  qui  loatcédt; 
est  le  plus  malheureux  (et  non  i'enfant  auquel..,) 
—  O  rochers  escarpés  I  c'est  à  vous  que  je  me 
plains,  car  je  n'ai  que  vous  à  qui  je  puisse  mo 
plaindre. 

2°  Lequel,  laqtietle,  etc.,  précédés  d'une  prépo- 
sition, se  disent  des  animaux  et  des  choses.  Ex.  : 
Les  sciejices  nuxqvelles  jfs  m'applique.  —  Les  La- 
pons ont  un  chat  noir  auquel  ils  confient  tous  leurs 
109 


PRONOM 


1730  — 


PRONONCIATION 


secrets  (el  non  les  sciences  à  gui ,  un  chat  à 

?"'■'■ 

3"  Leqiie',  /aque/le,  etc.,  s'emploient  quelque- 
fois au  lieu  de  gui,  pour  éviter  une  équivoque. 
Ex.  :  J'admirais  la  pureté  de  ce  ciel  du  midi,  l'i- 
qiulle  est  extraordinaire.  Qui,  rais  à  la  pl.ice  de 
laquelle,  ferait  croire  que  ciel  est  le  véritable  an- 
técédent. 

4°  Quoi  a  un  sens  indéfini,  et  ne  se  dit  que  des 
clioses  :  Ex.  :  Voilà  sur  quoi  je  veux  que  Bajazet 
prononce  (Racine). 

h"  Qui  peut  s'employer  sans  antécédent  comme 
sujet  ou  comme  complément.  Dans  ce  cas,  il  ne 
s'applique  qu'aux  personnes  et  est  au  masculin 
singulier.  Ex.  :  Qui  sert  bien  son  pays  n'a  pas  bc!- 
soin  daieux.  —  A  qui  venge  son  pèn,-,  il  n'est  rien 
d'impossible.  —  Choisis  qui  tu  voudras. 

C°  Dont,  marquant  l'origine,  l'extraction,  la  For- 
tie,  ne  se  dit  que  des  personnes  :  La  famille  illus- 
tre d'tit  il  descend. 

Avec  les  noms  de  choses,  on  emploie  d'où  ;  Le 
pays  iPiù  je  viens  (non  ;    le  pays  i/onl  je  viens). 

""  D'oie  s'emploie  aussi  au  lieu  de  dom  pour 
marquer  une  conclusion  :  C'est  un  fait  U'oii  je 
conclus  (et  non  pas  :  dut, t  je  conclus). 

Remm-que.  —Il  ne  faut  pas  confondre yi'e,  pro- 
nom, avec  71'e, adverbe  ou  conjonction,  pue  est  pro- 
nom lorsqu'il  peut  être  remplacé  par  lequel,  la- 
qjielle,  /eiquelles. E\.:yoici\a  rose  qw'jd,!  cueillie, 
c'est-à-dire  laquelle  j'ai  cueillie.  —  Il  est  adverbe 
lorsqu'il  signifie  combien:  Que  de  belle»  roses  j'ai 
cueillies  !  —  Il  est  conjonction  lorsqu'il  ne  signi- 
fie ni  lequel,  ni  eombien  :  Je  crois  que  lu  lis  ;  je 
pense  q'ie  vous  êtes  heureux. 

Les  pronoms  relatifs  servent  également  à  inter- 
roger; on  les  appelle  alors  pro.noms  interrogatifs. 
Ex.  :  Qui  êtes-vous?  —  Que  demandez-vous?  — 
A  quoi  êtes-vous  bon?  —  Voici  deux  accusés,  le- 
quel est  coupable  .' 

Remaque.  —  Les  pronoms  interrogatifs  n'ont 
point  d'antécédent. 

Qui,  interiogatif,  ne  se  dit  que  des  personnes. 
Ex  :  Qui  cherchez-vous  ?  (c'est-à-dire  quelle  per- 
sonne cherchez-vous  ?j 

Qui-,  interrogatif,  ne  se  dit  que  des  choses.  Ex.: 
Que  cherchez-vous?  (c'est-à-dire  quett-  cho.ie  cher- 
chez-vous ?)  Après  une  préposition,  au  lieu  de  que, 
on  emploie  quoi.  Ex.:  A  quoi  pensez-vous? 

Outre  les  ponoms  interrogatifs  proprement 
dits,  qui  s'emploient  seuls  et  servent  à  remplacer 
le  nom,  il  existe  un  adjectif  inlei  royidif,  quel, 
qui  s'emploie  avec  un  nom  ou  un  pronom.  Ex.  : 
Quil  âge  avez-vous?  Quel  est-il  ?  Quelles  sont- 
elles? 

Quel  varie  en  genre  et  en  nombre  : 

Singulier  masculin  ;  quel.  Pluriel  masculin  :  quels. 

Singulier  féminin  :  quelle.        Pluriel  féminin  :  quelles. 

V.   —  PRONOMS    INDÉFI.NIS. 

Les  pronoms  indéfinis  sont  ceux  qui  désignent 
une  personne  ou  une  chose  d'une  manière  vague, 
générale  et  indéfinie.  Ex.  :  Quelqu'un  est  venu. 
On  nous  l'a  dit.  Uespectez  le  bien  d'uuirui. 

Ces  pronoms  sont  :  «n  ou  l'on,  ch  nun,  autrui, 
personne,  rieu,  quelqu'un,  quiconque,  l'un,  l'autre. 

Quelques  grammairiens  appellent  o;i,7Je;-soîi«e, 
rien,  noms  indetinis.  Ces  mots  étaient,  en  effet,  à 
l'origine,  de  véritables  substantifs. 

On,  qui  était  au  xn'  siècle  om,  et  plus  ancien- 
nement liom,  n'est  pas  autre  chose  que  liomo,  et 
veut  dire  proprement  un  liomme.  a  On  lui  amène 
son  destrier  »,  c'est-à-dire  un  homme  lui  amène 
son  destrier. 

On  était  donc  un  substantif;  dès  lors  rien  d'é- 
tonnant qu'il  soit  précédé  de  l'article  [ton). 

L'on  se  met  fréquemment  par  euphonie  au  lieu 
de  071  après   les  conjonctions   el,  si,  of.  Ex.  :  .Si 


Con  savait  tout.  Parlez  et  l'oji  écoutera.  Sachez  où 
l'on  va. 

Mais  quand  on  est  suivi  du  pronom  le,  In,  les, 
il  vaut  mieux  conserver  071  sans  article.  Ex.  :  Qu'il 
parle  et  07i  l'écoutera.  Si  071  le  savait.  Sachez  où  on 
In  conduit  ;  et  non  :  Si  l'on  le  savait,  où  l'on  la 
conduit. 

Pour  l'origine  de  chacu/i,  autrui,  quelqu'un, 
V.  Adjectif. 

Perso7ine  vient  de  persona.  Rien,  du  latin  rem, 
signifiant  chose  (V.  Adverbe). 

Quiconque  est  le  latin  quicumque  et  signifiait 
tous  ceux  qui. 

L'u'i,  l'autre  représentent  le  latin  unus  el  aller, 
précédé  de  l'article, 

UEMARQtiEs.  —  I"  Le  mot  perso7ine  est  pronom 
lorsqu'il  n'est  accompagné  ni  de  l'article  ni  d'au- 
cun adjectif  :  Personne  n'est  venu  ;  personne  a-t- 
il  jamais  parlé  comme  vous  ?  Dans  le  cas  contraire, 
personTxe  est  un  nom  féminin  :  Ces  personnes 
sont  obligeantes. 

2°  Le  mot  rie7i  est  pronom  lorsqu'il  n'est  accom- 
pagné ni  de  l'article  ni  d'aucun  adjectif  :  Je  n'ai 
)■!««  vu.  Dans  le  cas  contraire,  c'est  un  nom 
masculin  :  Un  songe,  un  rie7),  tout  lui  fait  peur. 

Quelques  arf;ec<(/s  mrfe^îïiv  peuvent  s'employer 
sans  être  suivis  d'un  nom  et  deviennent  alors  ^n-o- 
7107ns  indéfi/lis.  Ex.  :  A'u/  n'est  irréprochable  ; 
plusieurs  ont  pleuré  ;  tout  est  perdu,  etc. 

Ces  adjectifs  sont  :  autre,  nul,  tel,  tout,  cer- 
tains, etc. 

ï"  Autre  est  pronom  lorsqu'il  n'est  accompagné 
ni  d'un  substantif,  ni  du  pronom  en.  Ex.  :  Un  autre 
que  moi  ne  vous  parlerait  pas  ainsi.  Dans  le  cas 
contraire  il  est  adjectif.  Ex.  :  Aut7-es  temps,  autres 
mœurs. 

2°  Les  mots  Vu7i  et  l'auti'e  placés  devant  un 
nom  sont  adjectifs  et  s'accordent  avec  le  nom  :  J'ai 
parcouru  l'u/ie  el  l'nutre  région.  Employés  seuls, 
ils  sont  pronoms.  Ex.  :  Ils  sont  tombes  l'uti  el 
l'autre. 

.3°  Nul  est  pronom  lorsqu'il  n'est  pas  accompa- 
gné d'un  substantif.  Alors  il  a  la  même  significa- 
tion que  le  mot/ie)'S"n?îe,  et  n'est  d'usage  qu'au 
masculin  singulier.  Ex.  :  Nul  n'est  content  de 
son  sort. 

Joint  à  un  nom,  il  est  adjectif  et  s'accorde  avec 
ce  nom.  Ex.  :  L'homme  ne  trouve  i.ulte  part  son 
bonheur  ici-bas. 

•4°  Tel,  employé  comme  pronom,  a  le  sens  de 
celui  et  ne  se  dit  pas  au  pluriel.  Ex.  :  Tel  qui  rit 
vendredi,  dimanche  pleurera. 

5°  Tnut,  employé  comme  pronom,  est  toujours  du 
masculin.  Ex.  :  Tout  languit,  tout  s'altère.  —  Affa- 
ble à  tous  avec  dignité  (Bossuet). 

G»  Certain  est  pronom  indéfini  au  pluriel, 
quand  il  signifie  quelques-uns.  Ex.  :  Certai7is  l'af- 
firment (V.  Syntaxe).  [J.  Dussouchet.] 

Auteurs  à  consulter  :  Ayer,  Grammaire  comparée; 
Brachel,  Nouvelle  Grammaire;  Chassang,  Grammaire  fran- 
çaise, cours  supérieur;  B.  Jullien,  Cours  supérieur;  Lariv.' 
et  Fleury,  Cours  supérieur,  etc. 

PROXONCIATIOX.  —  Grammaire,  IV.  —  La 
prononciation  (du  latin  proiiuntiatio,  action  de 
proférerj  est  la  manière  d'articuler  les  lettres  et 
les  mots.  La  grammaire  n'apprend  pas  seulement 
à  écrire,  elle  apprend  aussi  à  parler  correctement, 
et  pour  bien  parler  il  faut  donner  à  chaque  son  sa 
valeur  réelle.  Nous  avons  vu  qu'on  représentait 
les  divers  sons  d'une  langue  par  certains  signes 
appelés  lettres  (V.  Lettres).  Nous  avons  énii- 
méré  et  classé  tous  les  signes  usités  dan?  l'écri- 
ture française  ;  il  nous  reste  à  savoir  si  ces  signes 
représentent  toujours  exactement  le  son  qu'on 
leur  attribue,  si  la  môme  lettre  garde  toujours  le 
même  son,  quelle  est  sa  valeur  absolue  et  sa  va- 
leur relative,  en  un  mot  si  la  langue  écrite  est 


PRONONCIATION 


—  1731  — 


PRONONCIATION 


bien  d'accord  avoc  la  langue  parlée.  Nom  avons 
d  ailleurs  effleure  déji  co  sujet  dans  l'article  Let- 
tres :  il  était  impossible  de  parler  des  signes  sans 
indiquer  le  son  qu'ils  représentent. 

Les  vouelle-i  et  les  consonnes  réunies  forment 
des  njllabcs. 

On  appelle  syllabe  un  ou  plusieurs  sons  qui  se 
prononcent  sans  interruption  par  une  seule  éniis- 
Bion  de  voix.  Ainsi  ôté  a  deux  syllabes,  ô  ei  té  :  la 
première,  composée  seulement  d'une  voyelle  {ô), 
la  seconde,  composée  d'une  consonne  (t)  et  d'une 
voyelle  (é). 

On  appelle  syllabe  muette  celle  qui  est  terminée 
par  un  e  muet,  comme  me  dans  j'ai-me. 

Un  mot  est  monosyllabe  quand  il  n'a  qu'une 
syllabe  et  polysyllabe  quand  il  on  a  plusieurs. 

On  ne  prononce  jamais  avoc  la  même  force 
toutes  les  syllabes  d'un  même  mot;  ainsi  quand 
nous  disons  :  marcfiez,  cherchons,  nous  pronon- 
çons la  dernière  syllabe  plus  fortement  que  la  pre- 
mière, tandis  qu'au  contraire  dans  marche,  cher- 
che, nous  appuyons  sur  la  première  parce  que  la 
dernière  syllabe  est  muette.  Cette  élévation  de  la 
voix  sur  une  syllabe  particulière  dans  clia<iue  mot 
s'appelle  accent  tonique,  et  la  syllabe  qui  reçoit 
cette  élévation  de  la  voix,  cet  accent  tonique,  s'ap- 
pelle la  syllabe  accentuée  ou  tonique. 

En  français,  la  syllabe  accentuée  est  toujours  la 
dernière  syllabe  du  mot  [moaton,  cheval,  aima), 
excepté  quand  le  mot  est  terminé  par  un  e  muet 
(table,  aimable),  auquel  cas  on  reporte  l'accent 
tonique  sur  l'avant -dernière  syllabe  :  aimable, 
lisible. 

L'accent  tonique  amène  donc  l'élévation  de  la 
voix  sur  la  dernière  syllabe  sonore  d'un  mot,  et 
cette  syllabe,  absorbant  à  son  profit  tout  l'effort 
de  la  prononciation,  diminue  d'autant  l'intensité 
des  syllabes  précédentes  :  ainsi  hôtellerie,  char- 
retier, pèlerin,  etc.,  se  prononcent  en  réalité  : 
Itôtell'ne,  charr'tier,  pèl'rin,  en  supprimant  l'e 
muet. 

Il  ne  faut  pas  confondre  Vaccent  tonique  avec  la 
quantité.  Toute  voyelle  peut  être  brève  ou  longue, 
selon  qu'on  la  prononce  vite  ou  lentement;  cette 
durée  plus  ou  moins  grande  de  la  voix  sur  une 
syllabe  est  ce  qu'on  appelle  la  quantité.  En  géné- 
ral cependant  Vaccent  tonique  a  une  grande  in- 
fluence sur  la  quantité,  et  une  avant-dernière  syl- 
labe, qui  se  trouve  accentuée  parce  que  la  dernière 
est  muette,  est  ordinairement  longue.  Ex.  ;  rose, 
zone,  pôle,  vue,  vie,  etc.  Cependant  il  y  a  des 
«xceptions,  comme  fêler,  enrôler,  dont  l'avant- 
dernière  syllabe  est  longue  bien  que  l'accent  toni- 
que soit  sur  la  dernière.  Au  contraire,  les  syllabes 
non  accentuées  ou  atones  sont  ordinairement 
brèves  :  futile,  belliqueux,  é\èque,  etc.  C'est 
ce  qui  explique  pourquoi  les  voyelles  qui  sont 
longues  quand  elles  sont  accentuées  devien- 
nent brèves  en  devenant  atones.  Ainsi,  dans 
je  loue,  j'e/re,  fou\e,  ruse,  etc.,  la  pénultième 
est  acciintuée  et  longue,  tandis  qu'elle  est  atone 
et  brève  dans  louer,  errer,  (ouler,  rasé,  où  l'accent 
tonique  passe  de  la  pénultième  sur  la  dernièro 
syllabe.  11  en  est  de  même  dans  la  pbrase,  si  la 
disposition  des  mots  affaiblit  l'accent  d'une  pénul- 
tième accentuée.  Ainsi  o  est  long  dans  :  ce  livre 
est  le  Kùtre,  et  bref  dans  :  c'est  Notre  livre.  La 
quantité  permet  aussi  à  l'oreille  de  distinguer  cer- 
tains mots  paronymes,  comme  mâtin  et  matin, 
bâiller  et  bailler,  tâck-:r  et  tacher,  pécher  et  pé- 
cher, etc. 

Telle  est  en  résumé  la  règle  générale  qui  peut 
nous  guider  dans  la  prononciation  des  mots.  Il  y  a, 
comme  on  le  voit,  des  syllabes  qui  doivent  être 
sacrifiées;  d'autres,  au  contraire,  fortement  arti- 
culées. Cette  règle  poussée  h  l'excès  amènerait 
une  sorte  de  chant  qu'on  retrouve  dans  les  accents 
provinciaux  et  qui  choque  désagréablement  l'o- 


reille. IMais  c'est  le  contraire  qui  a  lieu  le  plus 
souvent,  et  cette  variété  d'intonations  est  d'ordi- 
naire peu  remarquable  en  français  où  l'accent  to- 
nique se  fait  h  peine  sentir,  tandis  qu'en  italien, 
par  exemple,  l'accent  joue  un  rôle  très  important. 

Les  règles  générales  qui  précèdent  s'adressent 
surtout  à  l'enseinble  des  sons  d'un  mot  ou  d'une 
môme  phrase  ;  voici  quelques  remarques  particu- 
lières sur  les  voyelles  et  les  consonnes. 

I,  Voyelles.  —  A  ne  se  prononce  pas  dans  : 
Août,  S\one,  sxoiil,  loiist,  t\on,  curaçxo.  —  Au 
contraire,  il  se  fait  entendre  seul  dans  faon, 
paon,  Laon,  Caen. 

Ai  se  prononce  ordinairement  e  dans  nous  fai- 
S071S,  satisfaisant,  etc.,  et  é  dans  niait re,  fai- 
tes, etc.  On  reconnaît  ici  l'influence  de  l'accent 
tonique. 

Au  se  prononce  ô  :  beau,  aube.  —  .lient  se 
prononce  ai,  les  lettres  ni  étant  nulles  dans  la 
terminaison  des  verbes  à  la  troisième  personne 
du  pluriel. 

E  est  nul  dans  quelques  mots  tels  que  :  dévouE- 
ment,  assEoir,  i-ouyEâtre,  hsauté,  eu.  Eusse,  etc. 
Il  se  prononce  a  dans  hennir,  rouEnn"rie,  solen- 
nel, ff,mme,  et  dans  tous  les  adverbes  en  emment 
{prudEmment,  prononcez  prudament);  -—  an  dans 
ETivie,  Efilever,  Entrer;  —  ène  dans  awîEN,  abdo- 
yiEH,  spécimES,  etc.;  —  in  dans  appEniice,  exa- 
inES,  Agm,  etc. 

Ent  équivaut  à  un  e  muet  à  la  troisième  per- 
sonne plurielle  des  verbes,  mais  se  prononce  an 
dans  les  substantifs  et  les  adjectifs.  Ainsi  ent  se 
prononce  an  dans  les  substantifs  et  adjectifs  sui- 
vants : 

adhérent  équivalent  divergent 

affluent  néi^liyeat  parent 

résident  président  coïncident 

expédient  violant  conoergenX 

eo«^ent  coMt'ent 

exce//ent  évident 

E?i  (et  eni)  reste  nasal  dans  les  mots  composés: 
ENorgiieillir,  ENvier,  Ennuijer,  e^  nener,  etc. 

Es  final  se  prononce  é  dans  les  monosyllables 
ces,  des,  les,  njes,  les,  .^es,  [tu)  es.  Dans  les  po- 
lysyllabes, il  se  prononce  e  ':  sciences,  grenade.?, 
tables,  etc. 

I  est  nul  dans  douairière,  encoignure,  oignon; 
et,  devant  un  /  mouillé,  il  ne  se  prononce  pas  avec 
la  voyelle  précédente  :  ba-i\,  trava-\\. 

0  ne  se  prononce  pas  dans  /ao7i,  paon,  etc., 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut. 

Oi  avait  autrefois  le  son  ouc.  De  là,  dans  les 
poètes  du  xvii'  siècle,  croître  rimant  avec  maî- 
tre, disparoitre  avec  peu'-êlre.  Mais  il  se  pro- 
nonçait ai  dans  François,  .inglois,  j'aimois,  etc. 
Ce  n'est  qu'en  IS3.'i,  longtemps  après  Voltaire, 
que  l'Académie  a  admis  l'orthographe  actuelle  : 
Français,  Anglais,  j'aimais.  Du  reste,  un  siècle 
avant  Voltaire,  en  IG",'),  un  avocat  obscur  au  Par- 
lement de  Rouen,  Nicolas  Bérain,  avait  déjà  de- 
mandé cette  réforme. 

U  se  prononce  ou  dans  quadragénaire,  gva- 
drilatère  ,  quadrupède  ,  quadruple  ,  in-qvarto  , 
sqvule,  etc. 

U7i  se  prononce  on  dans  vsguiculé  et  quelques 
autres  mots  savants  d'origine  latine. 

Y  se  prononce  comme  un  i  dans  analyse,  syn- 
thèse, syntaxe  et  autres  mots  venus  du  grec  ;  et 
comme  deux  i  quand  il  est  dans  le  corps  d'un  mot 
et  précédé  d'une  \oya\\e:  pays,  moyen,  joyeux, 
ayant,  etc.  C'est  que  y  entre  deux  consonnes 
vient  de  la  voyelle  grecque  upsilon,  comme  dans 
analyse,  martyr,  etc.  Y  entre  deux  voyelles  est  une 
lettre  française  provenant  d'ordinaire  d'un  c  ou  d'un 
g  latin  entre  deux  voyelles  :  ainsi  ployer  de  plicare, 
noyer  de  necare,  loyal  de  legalis,  royal  de  re- 
yalis  ;  ou  bien   1'^  est  inséré  par  cuphonio  entre 


PRONONCIATION 


—  1732 


PRONONCIATION 


deux  voyelles  pour  empêcher  un  hiatus  :  ainsi 
délayer  de  c/ila{l)nre,  atioi/er  de  adhau[b]are,  qui, 
sans  cela,  eussent  été  délai-er,  ahoi-er. 

Remaroce.  —  Eu  a  ordinairement  le  son  de  e  : 
jeune,  feu,  lieu.  Mais  il  se  prononce  comme  un  u 
simple  dans  j'eu--,  l'eusse  et  tnus  les  autres 
temps  passés  du  verbe  avoir.  C'est  ainsi  qu'au 
XVI'  et  au  xvii'  siècle  on  prononçait  vu,  du,  reçu, 
bien  qu'on  écrivit  veu,  deu,  receu.  Grâce  à  cet 
usage  La  Fontaine  a  pu  faire  rimer  ensemble 
émeute  et  dispute  dans  la  fable  :  les  Vautours  et 
les  pigerms.  Cette  rime  ne  serait  plus  admise  au- 
jourd'hui. 

Ole  se  prononce  comme  il  est  écrit  dans  cou, 
fou,   etc. 

II.  Consonnes,  —  Nous  avons  vu  que  les  con- 
sonnes sont  divisées  en  trois  classes  principales  : 
1°  les  gutturales  :  c,  ch,  g,  j,  k,  q;  2°  les  denta- 
les :  d,  t;  30  les  labiales  :  h,  f  [ph],  p,  v.  Aux- 
quelles on  ajoute  deux  consonnes  sifflantes  «  (f), 
i;  deux  liquides  :  /,  )•;  deux  nasales  :  m,  n  ;  une 
aspirée  :  h  ;  une  consonne  double  :  x. 

Le  nom  de  chacune  de  ces  classes  indique  la 
règle  générale  de  leur  prononciation  ;  les  pre- 
mières (c,  ch,  g,  etc.)  partent  du  gosier  ;  les  der- 
nières (é,  f,  etc.)  viennent  naître  sur  nos  lèvres. 
Les  liquides  combinées  avec  d'autres  consonnes 
coulent  facilement  de  notre  bouche  :  bl,  cl,  pr, 
tr,  etc.  Les  nasales  se  prononcent  du  nez  dans 
les  mots  comme  tombe,  plomb,  rond,  mont,  etc. 
H  devrait  marquer  l'aspiration,  du  moins  au  dire 
des  grammairiens,  mais  il  y  a  longtemps  que  nos 
gosiers  français  ont  oublié  la  manière  d'aspirer 
une  voyelle  :  elle  sert  donc  uniquement  à  em- 
pêcher l'élision  et  à  faire  prononcer  le  héros  au 
lieu  de  l'héros,  le  hameau  au  lieu  de  l'hameau,  etc. 
Quant  h  x,  on  l'appelle  consonne  double  parce 
qu'elle  fait  entendre  ordinairement  le  double 
son  du  c  et  du  s,  ou  du  g  et  du  :. 

Voyons  rapidement  les  remarques  particulières 
qu'on  peut  faire  sur  quelques-unes  de  ces  con- 
sonnes. 

1"  Gutturales.  —  C  a  le  son  de  h  devant  a,  0, 
u,  ou  :  cadeau,  corde,  cure,  coupe,  excepté  ce- 
pendant quand  il  est  accompagné  d'une  cédille 
comme  dans  façade,  façon,  reçu.  U  a  alors  le  son 
doux  du  .ï,  qu'il  a  toujours,  du  reste,  devant  eu, 
e,  i,  y  :  cerise,  ceux,  citron,  après.  A  la  fin  des 
mots,  il  est  tantôt  sonore  (avec,  frac,  bloc)  ;  tantôt 
nul  (accroc,  porc,  clerc,  blaiic).  Dans  second, 
seconde  et  les  composés,  c  a  le  son  du  g. 

Ch  se  prononce  tantôt  che,  comme  dans  chèvre, 
chirurgie,  chose,  chute,  Chypre,  chou;  tantôt  A, 
comme  dans  Chddéen,  chao.':,  Chersonése,  c  liro- 
mancie,  choléra,  chrétien,  catéchumène,  chrysa- 
lide, ou  à  la  fin  des  mots  :  Munich,  Baruc',,  etc. 
Cette  variété  de  prononciation  a  été  vivement 
critiquée  par  de  Wailly  (l'ô-i).  de  même,  du 
reste,  que  la  plupart  des  bizarreries  que  nous 
avons   signalées   dans  le    cours   de   celte    étude. 

Il  cite  comme  exemple  de  la  difficulté  de  la  pro- 
nonciation du  ch  la  phrase  suivante  :  Un  ana- 
chorète vint  avec  un  catécaumène  chochp!' 
Mgr  rarcaevêque  ou  son  arcuidiacre  pour  aller 
aupalais  orcai-épiscopal. 

G  a  le  son  du  j  devant  e  et  i  :  gerbe,  gibet. 
II  prend  l'articulation  dure  (giie)  devant  a,  o,  u, 
ou  :  gamelle,  gomme,  guttural,  goulet.  Séparé 
de  *,  0.  u,  ou  par  la  lettre  e,  il  conserve  le  son 
du  y.-  geai,  geôlier,  etc.  A  la  fiji  des  mots,  il  est 
ordinairement  muet  :  sa72g,  long,  bouri;  mais  si 
le  mot  suivant  commence  par  une  voyelle,  le  g 
final  sonne  comme  un  k  :  sang  échauffé,  pronon- 
cez sanK  échauffé. 

Rien  à  remarquer  sur  j  et  sur  q. 

T  Dentales.  —  D  est  nul  à  la  fin  des  mots  : 
rond,  grand,  excepté  quand  ces  mots  sont  suivis 
U'un  autre  mot  commençant  par  une  voyelle  ou 


une  h  muette  ;  il  sonne  alors  comme  un  t.  Ex.  ; 
grand  ami,  grand  homme.  Cependant,  précédé 
d'un  )•,  il  devient  nul,  et  la  liaison  se  fait  avec 
le  r  :  sourd  et  muet,  bord  escarpé  (prononcez 
sour  et  muet,  hor  escarpé). 

T  devant  i  dans  les  mots  en  ioti  se  prononce 
s;  imitation,  nation,  faction:  excepté  quand  il 
est  procédé  de  i  ou  de  x  :  gestion,  bastion,  mix- 
tion. T  se  prononce  encore  s  dans  quelques  noms 
en  tie  :  minutie,  inertie,  etc.;  cependant  on  dit  avec 
un  t  dur  :  sacristie,  eucharistie,  etc.  Cette  bizarrerie 
de  prononciation  n'est  pas  une  des  moindres  diffi- 
cultés de  notre  langue  pour  les  étrangers.  C'est  avec 
raison  qu'on  lui  reproche  d'avoir  deux  sons  diffé- 
rents pour  une  orthographe  identique  et  d'écrire 
do  la  même  façon  des  exceptions  et  yious  exceptions, 
des  affections  et  nous  affections,  avec  une  pronon- 
ciation complètement  différente.  'Voici  du  reste 
la  liste  des  mots  qui  sous  la  même  forme  (lions} 
doivent  se  prononcer  différemment  : 

acceptions  éditions  notions 

adoptions  exemptions  objections 

affections  exécutions  options 

attentions  infections  persécutions 

contentions  injections  portions 

contractions  insj)ections  rations 

dations  interceptions  relations 

désertions  inventions  réfractions 

dictions  intentions  rétraclions 

exceptions  mentions  sécrétions. 

Avec  l'article  les  ces  trente  mots  sont  substantifs 
et  se  prononcent  sinm;  avec  le  pronom  7ious  ces 
mêmes  mots  sont  verbes  et  se  prononcent  lions. 

30  Labiales.  —  Rien  à  remarquer  sur  b  et  7-. 

F  est  tantôt  muet  à  la  fin  des  mots  :  bœufs, 
œufs  (au  pluriel),  tantôt  sonore  :  bœuf,  œuf  {au 
singulier). 

Ph  se  prononce  f  dans  les  mots  d'origine  grec- 
que :  philosophe,  phrase,  Philippe. 

P  est  muet  h  la  fin  des  mots  après  un"  syllabe 
nasale  :  camp,  champ,  et  dans  le  corps  des  mots 
baptême,  compte,  sept,  exempt,  prompt,  sculpter. 

4»  S  est  une  sifflante.  Cette  consonne  placée 
entre  deux  voyelles  prend  ordinairement  le  son 
de  z  :  raison,  buse.  De  môme  k  la  fiii  des  mots 
quand  le  mot  suivant  comiuence  par  une  voyelle  : 
vous  êtes,  7i',ui  avo7is  'prononcez  vou-z-étcs,  nou- 
z-avons).  On  prononce  cependant  .ç  comme  z  dans 
transit,  transilion,  Alsace,  balsa-nique,  troîisiger, 
bien  qu'il  vienne  après  une  consonne;  et  comme 
S.S  dans  moriosyllabe.  désuétude,  préséance,  vrai- 
semblable, parasol,  bien  qu'il  soit  précédé  d'une 
voyelle. 

if  à  la  fin  des  mots  donne  à  l'e  un  son  fermé  : 
vous  ave:,  vous  aimez. 

5»  Liquides,  —ta  tantôt  l'articulation  qui  lui 
est  propre  (le,  la,  les)  et  tantôt  un  son  mouillé 
comme  dans  travail,  vermeil;  dans  ce  cas  /  est 
ordinairi-ment  redoublé  (II)  :  fille,  sillon,  quille, 
fa-iille.  Cependant  ces  lettres  ne  sont  pas  mouil- 
lées dans  les  mots  tranquille,  ville,  vaciller. 
Enfin  /  est  muet  même  après  l'i  à  la  fin  de  cer- 
tains mots  :  gentil,  fusil,  persil. 

R  donne  le  son  fermé  k  l'e  muet  îi  la  fin  des 
mots  :  danger,  aimer;  dans  ce  cas  r  est  muet; 
s'il  se  proiionce,  il  donne  à  l'e  un  son  ouvert  : 
fier,  fer. 

6»  [(iisales.  —  Rien  à  ajouter  à  ce  que  nous 
avons  déjà  dit  des  nasales.  (V.  lettres.) 

7°  Aspirée.  —  H  est  muette  ou  aspirée.  Muette, 
elle  ne  compte  pas  dans  la  prononciation  et  n'p'"- 
pêche  ni  la  liaison,  ni  l'élision  :  les  hommes,  i  ha- 
bit. Aspirée,  elle  empêche  la  liaison  et  l'élision  : 
les  hasards,  les  héros.  Il  y  a  dans  le  dictionnaire 
de  l'Académie  environ  73((  mots  commençant  par  h  ; 
i:iO  ont  r/i  muette,  ÎSn  l'/i  aspirée.  Il  serait  trop 
long  d'en  donner  la  liste;  l'usage  et  le  dictionnaire 


PROPORTIONS 


—  1733 


PROPORTIONS 


•sont  les  meilleurs  guides  à  cet  égard.  Ajoutons 
seulement  une  remarque  curieuse  sur  ce  qu'on 
appelle  en  français  l'aspiration  :  ce  ne  sont  pas 
seulement  les  mots  commençant  par  Vh  aspirée 
qui  repoussent  la  liaison  eti'élision;  certains  mots 
qui  ne  commencent  pas  par  cette  lettre  ont  la 
môme  propriété.  Tels  sont  oytze,  otii,  ouate,  qu'on 
prononce  d  ordinaire  :  les  onze,  le  nui,  la  ouate. 
■Cette  anomalie  s'explique  facilement  pour  les 
deux  premiers  mots  par  la  nécessité  d'appeler  no- 
tre attention  sur  onze,  oui,  qui  ne  sont  plus  em- 
ployés dans  ce  cas  comme  adjectifs  numéraux,  ni 
comme  adverbes  d'affirmation,  mais  comme  noms 
■rooimuns  :  le  onze  du  mois,  le  oui  et  le  non.  On 
dit  de  même  le  uri  pour  désigner  le  chiffre  im 
dans  un  nombre.  Quant  à  ounte,  c'est  une  anonia- 
iie  inexplicable  qui  a  été  peut-être  amenée  par  la 
ressemblance  initiale  de  ce  mot  avec  oui. 

8"  Douille.  —  X  est  la  seule  consonne  double 
que  nous  ayons  en  français.  Elle  équivaut  tantôt 
il  </z,  tantôt  h  es,  tantôt  à  deux  ss.  Au  commen- 
cement des  mots  elle  représente  gz  :  Xénophon, 
Xattttie. 

A  la  fin  ou  dans  la  dernière  syllabe  d'un  mot, 
c'est  toujours  es  :  phénix,  syniaxe.  Au  milieu 
d'un  mot;  c'est  tantôt  une  prononciation,  tantôt 
l'autre  :  examen  (prononcez  egzamen),  Alexandre 
{A  lecsandre] .  Dans  quelques  mots  comme  B/'U- 
xelles,  Atcverre,  six,  dix,  x  sonne  comme  ss. 
Enfin,  employé  comme  signe  du  pluriel,  dans 
chevaux,  par  exemple,  et  à  la  fin  des  mots  six, 
dix,  il  sonne  comme  un  :  dans  la  liaison  :  dix- 
huit  (prononcez  :  di-z-uit)  ;  chevaux  ardents  (pro- 
noncez :  rkeviiu-z-ardents). 

Remarque.  —  L'euphonie  exige  qu'on  lie  la  con- 
sonne finale  d'un  mot  avec  la  voyelle  initiale  ou 
r/(  muette  du  mot  suivant.  Ainsi  l'on  dit  :  fils  aine 
[fi-.'iainé),  cet  arbre  {cè-tarbre),  ces  hommes  (cè- 
zhonimcs],  etc. 

Quand  le  premier  mot  est  terminé  par  un  e 
muet,  cet  e  s'élide  :  pompe  à  feu  [pom-pà  feu), 
livre  ouvert  (li-vronrert). 

Telles  sont  les  règles  générales  de  la  pronon- 
ciation en  français.  Le  caprice  et  l'usage  y  ont  ap- 
porté bien  des  modifications  dans  le  cours  de 
notre  histoire,  témoin  les  Français  du  xvii"  siècle 
qui  d'après  Regnier-Desmarais  prononçaient  bis- 
suH  pour  buissim.  Te  Deon  pour  Te  Deum,  légère 
pour  léger,  etc.;  témoin  l'Académie  (préface  de 
1694)  qui  prononçait  parti)-,  sortir,  sans  faire 
sonner  l'r  (par/i,  aortt)  ;  témoin  les  Incroyables 
du  temps  du  Directoire  qui  supprimaient  les  r 
dans  le  corps  des  mots  et  prononçaient  haro  (pour 
bravo),  pédu  (pour  perdu),  ftc.  Enfin  le  c  avait 
souvent  le  son  du  g  :  oi\  disait  •:piffrf  l^rrref)  et 
Claude  (Ckiuite),  comme  nous  .h  r  "n'^ud  {se- 
cond), et  n^me-j/njirftMnalgré  I  "  i  i.  iiim-  deine- 
claude).  Par  contre  le  brave  '  , //..//  nans  ses 
lettres  il  Henri  IV  écrivait  son  nom  :  Grillon.  En- 
core aujourd'hui,  bien  des  sons  se  trouvent  dé- 
figurés par  les  divers  accents  des  villes  et  des 
campagnes.  Il  n'y  a  rien  de  précis,  rien  de  certain  ; 
la  règle  est  toujours  modifiée  par  une  foule  d'ex- 
ceptions. 

Nous  avons  vu  par  les  sons  différents  du  t,  du  c, 
•de  l's,  du  g.  etc.,  que  I  alphabet  est  obligé  de  faire 
d'étranges  concessions  à  la  langue  parlée  et  (|ue 
l'accord  n'a  jamais  été  établi  entre  la  parole  et 
les  signes  qui  la  représentent.  C'est  là  le  grand 
reproche  que  de  hardis  réformateurs  ont  adressé  i 
l'owhographe  de  notre  langue,  et  leur  blâme  paraît 
assfcz  fondé,  comme  on  l'a  vu  i  l'article  Ortho- 
graphe. [J.  Dussouchet.l 

Auteurs  à  consulter:  Ay<?r,  Grammaire  comparée; 

Brachct,  Nouvelle  Grammaire  ;  C.hassang,  Grammaire  fran- 

■çaise,  cours  supérieur;  B.  Jiillicn,  Cows  supérieur;  Larive 

et  Flcury,  Cours  supérieur,  etc. 

rnoi'ORTIOA'S.  —  Arithmétique,  XXXIX.  — 


Rapport.  —  Au  commencement  de  l'article  Lignes 
proportionnelles,  nous  avons  défini  le  rapport  de 
deux  lignes.  Or  le  rapport  n'existe  pas  seulement 
entre  deux  lignes,  mais  entre  deux  quantités  quel- 
conques de  même  nature,  par  exemple  entre  les 
poids  do  deux  objets,  les  capacités  de  deux  vases, 
les  valeurs  de  deux  sommes  d'argent.  Le  rapport 
de  deux  quantités  est  exprimé,  comme  celui  de 
deux  lignes,  par  le  quotient  obtenu  en  divisant 
entre  eux  les  nombres  qui  représentent  les  gran- 
deurs de  ces  quantités.  De  là  cette  définition  :  le 
rapport  de  drnx  nombres  est  le  ijuotietit  de  l'un 
de  ces  nombres  divisé  par  l'autre,  le  premier  pou- 
vant être  indifi'éremnient  le  plus  grand  ou  le  plus 
petit. 

Ce  quotient  prend  la  forme  d'une  fraction, 
quand  il  n'est  pas  un  nombre  entier.  Ainsi  le 
rapport  entre  une  somme  de  7  francs  et  une  autre 

7 
somme  de  1  i  francs  est  -r,  ce  qui  signifie  que  la 

plus  petite  vaut  7   fois  la  12'  partie  de  la  plus 

grande.  Pris  en  sens  inverse  le  rapport  est--,  ce 

q\ii  signifie  que  la  plus  grande  de  ces  deux 
sommes  est  égale  à  12  fois  la  1'  partie  de  la  plus 

7  12 

petite.  Les  deux  rapports  -p)  ^^  ~ï  ^"''^  "^''^  ""^P' 

ports  i7iverses  l'un  de  l'autre. 

On  peut  chercher  le  rapport  de  deux  nombres 
fractionnaires  aussi  bien  que  celui  de  deux  nombres 
entiers,  par  exemple  le  rapport  entre  deux  lon- 

3 
gueurs  ayant  la  première  -  de  mètre  et  la  seconde 

-  de  mètre.  Ce  rapport  sera  : 


35 


3X7^-:;i 

'4x5~2n 


Il  indique  que  la  première  longueur  contient  21 
fois  la  20"  partie  de  la  seconde. 

Pour  avoir  un  rapport  égal  i  un  rapport  numé- 
2 
rique  donné,  -  par  exemple,  il  suffit  de  multiplier 

par  un  même  nombre  les  deux  termes  du  rapport 

donné.  Ainsi  les  rapports  ^'  ^'  tô'  -ïI'   *""'   '""^ 

égaux  entre  eux. 

Proportion. —  On  nomme  proportioti  une  égalité 
comp'isée  de  deux  rnp),orts  égaux. 
2      4 

Telle  est  l'égalité  :-  =  - 
6      u 

Le  premier  terme  et  le  quatrième  (2  et  6)  s'ap- 
pellent extrêmes;  le  second  et  le  troisième  (3  et  4) 
moyens. 

D'après  cette  définition,  on  voit  que  deux  nom- 
bres sont  proportionnels  à  deux  autres,  lorsque 
le  rapport  des  doux  premiers  est  égal  au  rapport 
des  deux  derniers. 

Quantités  proportionnelles.  —  Puisqu'il  faut 
quatre  nombres  pour  former  \me  proportion, 
l'expression  quantités  proportionnelles  renferme 
en  elle-même  l'idée  de  quatre  quantités.  Cepen- 
dant il  semble  qu'il  n'y  en  a  que  deux  dans 
l'énoncé  des  principes  suivants  :  le  prix  d'une 
pièce  d'étoffe  est  proportionnel  au  nombre  de 
mètres  de  sa  longueur;  l'espace  parcouru  sur  un 
chemin  de  fer  par  un  train  marchant  toujours 
avec  la  même  vitesse  est  proportionnel  au  temps 
pendant  lequel  il  a  marché,  etc.  En  y  réfléchis- 
sant, il  est  f.acile  de  reconnaître  sous  celte  forme 
concise  l'idée  de  l'égalité  de  deux  rapports.  En 
s'exprimant  ainsi,  on  veut  dire  que  si  le  temps 
pendant  lefiuel  le  train  a  marché  est  2,3...  fois 
plus  grand  qu'un  autre  temps  auquel  on  le  com- 
pare,   l'espace  parcouru  pendant  ce   temps   est 


PROPORTIONS 


—  1734  —  PROPORTIONS 


2,3...  fois  plus  grand  que  l'espace  correspondant 
au  premier. 

On  dit  de  la  même  manière  que  deux  quantités 
sont  inversement  propvrtionnelles,  lorsque  l'une 
devenant  2, .3...  fois  plus  grande,  l'autre  doit  de- 
venir 2,3...  fois  plus  petite;  par  exemple  le  nom- 
bre de  jours  nécessaire  pour  confectionner  un 
ouvrage  est  inversement  proportionnel  au  nombre 
d'ouvriers  qu'on  emploiera. 

OBSERVâTioN.  —  Beaucoup  d'auteurs  donnent 
aux  deux  ternies  d'un  rapport  les  noms  d'onté- 
cedent  et  de  conséquent  ;  nous  n'emploierons  que 
ceux  de  numéiateur  et  de  dénominateur. 

Ils  font  aussi  écrire  la  proportion  sous  cette 
forme  : 

2  :  3  ::  4  :  6 

en  recommandant  de  la  lire  ainsi  :  2  est  à  3 
comme  4  est  à  G. 

Il  nous  semble  que  ce  langage  n'exprime  guère 
l'idée  fondamentale  de  la  proportion  qui  est  l'éga- 
lité de  deux  quotients.  En  outre,  sous  cette  forme, 
les  propriétés  des  proportions  perdent  le  ca- 
ractère d'évidence  ou  au  moins  de  clarté  que  leur 
donne  la  forme  de  l'égalité.  Il  n'y  a  aucun  motif 
de  conserver  ces  vieux  usages,  qui  ne  .«ont  propres 
qu'à  jeter  de  la  confusion  dans  l'esprit  des  élèves. 

Nous  en  dirons  ;iutant  du  rapport  que  certains 
auteurs  tiennent  encore  à  établir  entre  deux 
nombres  par  la  différence  qu'il  y  a  entre  eux,  et 
des  proportions  par  différence  qui  en  sont  la  con- 
3<!quence  Cette  distinction  de  deux  espèces  de 
rapports  est  sans  utilité  ;  pourquoi  ne  pas  en  dé- 
barrasser le  terrain  de  l'arithmétique? 

Propriétés  des  proportions.  —  Les  proportions 
jouissent  de  plusieurs  propriétés  importantes  qui 
sont  d'une  application  continuelle  dans  la  géo- 
métrie, mais  dont  on  peut  faire  aussi  un  usage 
avantageux  dans  d'autres  questions,  comme  nous 
le  montrerons  plus  loin  par  quelques  exemples. 

I.  PniNcii>E  F0NDA.MENTAL.  —  Dnns  toiite  propor- 
tion le  produit  des  extrêmes  est  égal  au  produit 
des  moyens. 

En  cfiTet,  soit  une  proportion  quelconque  : 


7 


Réduisons  les  deux  fractions  au  même  dénomi- 
nateur, en  appliquant  la  règle  générale  et  en  in- 
diquant seulement  les  multiplications  au  lieu  de 
les  effectuer;  nous  aurons  : 

7X16      14x8 
8X1G~16X8 

L«s  deux  fractions  sont  encore  égales,  et 
comme  elles  ont  le  même  dénominateur,  il  faut 
que  leurs  numérateurs  soient  égaux.  Or  le  premier, 
7X16,  est  le  produit  des  deux  extrêmes  de  la 
proportion  écrite  au  commencement;  le  second, 
14X8,  est  le  produit  des  moyens.  On  voit  donc 
que  le  produit  des  extrêmes  est  toujours  égal  à 
celui  des  moyens. 

De  ce  principe  découlent  les  conséquences  sui- 
vantes : 

1°  Quand  trois  termes  d'une  proportion  scule- 
.ment  sont  connus,  si  l'inconnu  est  un  extrême,  on 
obtient  sa  valeur  en  divisant  le  produit  des 
moyens  par  l'extrême  connu  ;  si  l'inconnu  est  un 
moyen,  on  divise  le  produit  des  extrêmes  par  le 
moyen  connu. 

Soit  X  un  terme  inconnu  dans  la  proportion 

1  —  1 

D'ap/èsce  qui  a  été  démontré,  on  a: 
1X4=9X7 


Le  terme  inconnu  sera  le  nombre  qui  multi- 
plié par  4  doit  donner  un  produit  égala  9X7; 
on  a  donc 

_9Xi_Ëi_i'  ^ 

~      4      ~  4  4 

2°  Lorsque  dans  une  proportion  les  deux 
moyens  sont  égaux,  comme  dans  celle-ci  : 


le  nombre    qui    forme   les    deux  moyens  est  dit 
moyen  proportionnel  entre  les  deux   autres.  Or 
de  cette  proportion  on  tire  : 
62  =  4X9. 

D'après  ce  résultat,  on  peut  dire  qu'un  nombre 
est  moyen  proportionnel  entre  deux  autres,  quand 
son   carré  est  égal  au  produit  des  deux  autres. 

Le  côté  d'un  carré,  par  exemple,  est  moyen 
proportionnel  entre  la  base  et  la  liauteur  d'un 
rectangle  dont  la  surface  est  équivalente  à  celle 
du  carré. 

3»  Lorsque  deux  produits  de  deux  facteurs 
chacun  sont  égaux,  l'égalité  formée  par  ces  deux 
produits  peut  être  changée  en  une  proportion. 
Pour  cela  il  suffit  d'écrire  les  deux  facteurs  de 
l'un  des  produits  aux  deux  extrêmes  et  les  deux 
autres  aux  deux  moyens. 

Ainsi  l'égalité  3X8  =  4x6  donnera 


Ces  nouvelles  égalités  sont  deux  proportions, 
puisque  le  produit  des  extrêmes  est  égal  au  pro- 
duit des  moyens. 

4°  On  peut  changer  de  place  entre  eux  les  ter- 
mes d'une  proportion  de  huit  manières  différen- 
tes, sans  que  la  proportion  cesse  d'exister.  Il  suf- 
fit pour  cola  que  le  produit  dos  extrêmes  reste 
égal  au  produit  des  moyens.  Ces  changement» 
sont  présentés  dans  le  tableau  suivant  : 

3_6.     3^4. 

4~8'     6       8' 

4_8.      4_3. 

3~Û'     S"~6' 

6_3.     6_8. 

8~4'     3~4' 

8_4.      8_6 

6~3'     4~3 

II.  Dans  toute  proportion  on  /teutmigmenter  ou 
dimmtter  chaque  numérateur  de  son  dmomiîia- 
teur,  et  la  proportion  subsiste  iouji'Urs. 

Pour  le  démontrer,  ajoutons  1  aux  deux  mem- 
bres de  la  proportion  : 

C       18 


Nous  aurons  l'égalité  : 

G  18    ,    ,  G   ,   5       18       15 

5  +  '  =  Ï5  +  ''    ""     5  +  5  =  Ï5  +  T5' 
ce  qui  peut  s'écrire  de  la  manière  suivante  : 
6  +  5^18+  la 
5      ~       15 
Cette  dernière  proportion  n'est  autre  chose   que 
la  première  dont  chaque    numérateur  a  été  aug- 
menté de  son  dénominateur  ;  le  principe  est  donc 
démontré. 

Quand  on  diminue  chaque  numérateur  de  son 
dénominateur,  ce  changement  revient  à  diminuer 


PROPORTIONS 


—  1733  — 


PROPORTIONS 


(lu  I  les  doux  rapports  égaux  ;  donc  ils  continuent 
à  (•tre  égaux  et  la  proportion  subsiste  toujours. 

m.  Le  même  principe  s'appliiiue  aussi  au  dé- 
nominateur ;  car  on  peut  dans  une  proportion 
mettre  le  numérateur  et  le  dénominateur  l'un  à 
la  place  de  l'autre  dans  chaque  rapport,  sans  dé- 
truire la  proporlion. 

Soit  par  exemple  la   proportion  : 

3       G 


Elle  peut  6tre  ainsi  écrite  : 
8_IB 
3~  G 

En  appliquant  à  celle-ci  le  principe  précédent, 
on  aura  : 

8  +  3_  IG  +  B  3      _       G 

3      ~       G  °"      «  +  3  ~  IG  +  U 

Nous  dirons  donc  :  on  peut  augmenter  ou  dimi- 
nuer chaque  dénomin/iieur  de  son  numérateur, 
sans  détruire  la  proportion. 

IV.  Dans  toute  iiroporlion  la  somme  des  deux 
premiers  termes  divisée  par  leur  différence  forme 
un  rapport  égal  à  celui  de  la  somme  des  deux 
derniers  divisée  par  leur  différence. 

En  effet,  soit  la  proportion  : 

''  =  Ii 

3~  G 

D'après  les  deux  principes  précédents,  on  a: 

7  +  3_U  +  6  7-3       14  —  6 

3^6  '^  3      ~       6      ' 

ou  en  changeant  les  moyens  de  place  entre  eux  : 

7  +  3  _3  7-3    _3 

i4  +  G~G     *      H-G  ""6 


ce  qui  démontre  le  principe  énoncé. 

Remarque.  —  Dans  la  plupart  des  traités  d'a- 
rithmétique se  trouvent  énoncés  avi^c  des  dé- 
monstrations particulières  plusieurs  autres  prin- 
cipes, tels  que  les  suivants  : 

1°  On  peut  multiplier  deur  ou  plusieurs  pro- 
portions terme  à  ta  me,  et  les  produits  forment 
encore  une  proportion. 

2°  On  }>eut  diviser  deux  profortiom  terme  à 
terme,  et  les  quotients  forment  encore  une  propor- 
tion. 

3°  Si  on  élève  au  carré  nu  au  cube  tous  les  ter- 
mes d'une  proportion,  In  proportion  existe  tou- 
jours. 

4°  Si  on  extrait  la  racine  carrée  ou  In  racine 
cubique  de  tous  les  termes  d'une  proportion,  la 
proporlion  existe  tO"jiiurs. 

Ces  principes  n'exigent  aucune  démonstration, 
quand  les  proportions  ont  la  forme  de  l'égalité  ; 
car  la  multiplication  de  deux  proportions  terme  à 
terme,  par  exemple,  n'est  autre  chose  que  la  mul 
tiplication  de  deux  fractions  égales  par  deux  au- 
tres fractions  égales,  et  il  est  évident  que  les  pro- 
duits sont  égaux. 

Le  cas  de  la  division  seulement  aurait  besoin 
d'une  petite  explication,  pour  faire  voir  que  la 
division  de  deux  fractions  terme  à  terme  revient 
Ji  la  division  de  la  première  fraction  par  la 
deuxième. 

2      5 

En  effet  soit  -  et  -   Si  on  divise  les  numérateurs 

entre  eux  et  les  dénominateurs  entre  eux,  on  a 
pour  quotient  ; 

2 

b_ 

3 

9 


Les  premiers  rapports   de  ces    deux  dernières 
3 
proportions  étant  égaux  au  rapport  -   sont    égaux 

entre  eux.  On  peut  donc  écrire: 

7  +  3  _     7—3  7-jr3_U_+_6 

14-|-6~14-6      °"     7- 3~14  — g' 

résultat  qui  démontre  le  principe  énoncé. 

V.  Dans  une  proportion,  ou  dans  une  suite  de 
rapports  égaux,  la  somme  des  numérateurs  divi- 
sée par  lu  somme  de  leurs  dénominateurs  forme 
un  rapport  égitt  à  ces  rapports. 

Soit  la  suite  des  rapports  égaux  : 
2_4__8_ 

2 

Chaque  numérateur   étant  les  -  do    son    dénomi- 
nateur, ou  peut  écrire  les  égalités  suivantes  : 

•■-  «1, 

4=  ex;^, 


8=12X 


En  additionnant  ces    égalités  membre  i  membre, 
on  obtient  l'égalité  : 

2  +  4  +  8  =  (3  +  G-M2)Xj 

Puis  en  divisant  les  deux  membres  de  cette  nou- 
velle égalité  par  le  facteur  (3-I-6  +  I2),  on  trouve  : 

2+4+8        2 

3  +  G  +  12~3' 


qui  peut  s  écrire  ainsi  : 


Or,  d'après  la  règle  de  la  division  de  deux  frac- 
tions, on  a  : 

2.3^2x9 
5  ■  9~~5X3 
En  écrivant  ce  résullat  de  la  manière  suivante  : 
2x9 

a'xâ' 

ou  ce  qui  est  la  môme  chose  : 
2     y 


on  voit  qu'il  n'est  autre  chose  que  le  quotient  de 

*>  .5 

la  fraction  ~,  divisée  par  la  fraction  -. 

Ainsi  diviser  deux  fractions  terme  à  terme, 
c'est-à-dire  le  numérateur  de  la  première  par  le 
numérateur  de  la  seconde,  et  le  dénominateur 
de  la  première  par  le  dénominateur  de  la  se- 
conde, revient  à  diviser  la  première  fraction 
par  la  seconde.  C'est  ce  qu'il  s'agissait  de  dé- 
montrer. 

Applications.  —  On  peut  voir  à  l'article  Lignes 
proportionnelles  l'emploi  des  proportions  dans 
la  géométrie.  Nous  terminerons  cet  article  en  ci- 
tant seulement  quelques  exemples  empruntés  à 
l'arithmétique. 

Problème  \.  —  On  a  payé  43  francs  pour  12 
mètres  de  toile;  combiin  Cuùteraient  7  mitres  de 
la  même  toile? 

Si  on  désigne  par  x  le  prix  inconnu  des  7  mè- 


PROPORTIONS 


—  1736  — 


PROPRETE 


très,  on  écrit  d'abord  cet  énoncé  en  abrégé  de  la 
manière  suivante  : 

43"     IS" 


dans   le    même  temps,  sont  proportionnels   au^ 
vitesses  ;  on  a  donc  la  proportion  : 

X  5U 


512  — X       32 


Pour  tirer  la  valeur  du  terme  inconnu,  on  fera 
d'abord  disparaître  x  du  dénominateur,  en  aug- 
mentant chaque  dénominateur  de  son  numérateur, 


La  marche  naturelle  consisterait  à  chercher  le  prix 
d'un  mètre  en  divisant  43  par  12,  et  à  muUiplier 
ce  prix  par  ';  c'est  ce  qu'on  nomme  méihode  do 

réduction  à    lunité.  Mais   quand   les   élèves   ont  ,  „„„„,!„„ 

acquis  par  de  nombreux  exercices  la  notion  bien    ce  qui  donne  cette  autre  propouion 
nette  des  rapporis.  ils  doivent  résoudre  ces  ques- 
tions plus   prompicmeut,  sans  entrer  dans  tous 
ces  détails. 

En  efl'et.ils  comprennent  que  le  second  nombre 
de  mètres  étant  égal  à  "  fois  la  12'  partie  du  I", 
le  2"  nombre  de  francs  doit  aussi  être  égal  à  1  fois 
la  12=  partie  du  1",  et  qu'il  y  a  ainsi  entre  les 
deux  nombres  de  francs  le  même  rapport  qu'entre 
les  deux  nombres  de  mètres.  Le  problème  four- 
nit donc  sur-le-champ  cette  proportion: 


43 


On  en  déduit,  sans  autre  explication  : 


43x:_301_ 

1  •!  10  ' 


Pboblî'ME  2.  —  On  doit  employer  43  ouvriers 
pour  fuire  un  certain  travail  eu  Vi  jours  ;  combien 
faudrait-il  d'ouvriers,  si  l'on  voulait  que  le  tra- 
vail fût  exécuté  en  '  jours  ? 

43°     12J 


512       :j2+50 


On  en  déduit  : 
512x50 


25600 


312  kilomètres. 


32-I-5U 
Problème  4.  —  Partager  une  somme  du  542  /)• 


en    trois  parties  proportiotinelles 

2,  3,  5.  .  , 

Représentons  par  s,  y,  z  les  trois  parts  deman- 
dées ;  on  aura,  d'après  l'énoncé  : 

x_2.     .v^3 
^-3'     'z      5 

En  changeant  les  moyens  de  place  entre  eux,  on 
obtient  : 


et  par  conséquent  : 


Le  2"  nombre  de  jours  étant  plus  petit  que  le 
1",  le  ■-•  nombre  d'ouvriers  devra  être  plus  grand 
que  le  1"  ;  en  outre,  si  le  nombre  7  était  2  ou  3 
fois  plus  petit  que  le  nombre  12,  le  nombre  in- 
connu X  serait  2,  3  fois  plus  grand  que  43,  ou  en 
d'autres  termes  43  serait  le  même  nombre  de  fois 
plus  grand  que  x.  Ainsi  le  rapport  des  deux 
nombres  de  jours  est  encore  égal  au  rapport  des 
deux  nombres  d'ouvriers,  celui-ci  étant  pris  en 
sens  inverse  de  l'autre  rapport.  On  écrira  donc 
la  proportion  : 

Ji__43 

n~  X 


Or  dans  cette  suite  de  rapports  égaux,  la  somme 
des  numérateurs  divisée  par  la  somme  des  déno- 
minateurs forme  un  rapport  égal  i  ces  rapports. 
On  aura  donc  : 


x  +  y  +  z 

2-1-3  +  5" 


On  en  tire  aussitôt  : 

43  X  1 2 


=  73,7. 


Mais  la  somme  x  +  y  +  z  étant  égale  à  542,  on  a  : 


lO  '' 


On  devra  employer  ■;3  ouvriers,  plus  un  autre 
qui  n'aurait  k  faire  que  les  7  dixièmes  de  la 
tâche  de  l'un  de  ses  compagnons. 

REMAngUE.  —  La  règle  par  laquelle  ont  été  ré- 
solus les  deux  problèmes  précédents  est  précisé^ 
ment  ce  que  les  auteurs  appellent  règle  de  trois'. 
Dans  le  l"  problème,  la  règle  est  directe,  parce 
que  les  deux  nombres  de  francs  sont  directement 
proportionnels  aux  deux  nombres  de  mètres.  Dans 
le  second  la  règle  est  dite  inverse,  parce  que  les 
deux  nombre»  d'ouvriers  sont  inversement  pro- 
portionnels aux  deux  nombres  de  jours. 

PiioBLÈBE  3.  —  Deux  irains  partent  au  même 
instant  l'un  de  Pari~  et  l'autre  de  Lyon,  en  allant 
l'un  au  devant  de  l'autre.  Le  \"  conserve  une  vi- 
tesse de  50  kilomètres  à  l'heure  et  le  2*  wie  vitose 
de  32  kilomètres.  Chercher  à  quille  distance  de 
Paris  ils  se  rencontreront,  la  distance  de  laris  à 
Lyon  étant  de  hli  kilomètres. 

Si  on  représente  par  x  le  nombre  de  kilomètres 
qu'il  y  a  de  Paris  au  point  de  rencontre,  la  dis- 
tance de  ce  point  à  Lyon  sera  512  —  a;.  Or  ces 
deux  espaces,  étant  parcourus  par  les  deux  trains 


De  là  on  tire  : 
:r      542 

j/^542 
3        10 

542 
10 


d'où 
d'où 


10 
542X3 


-  =  ---    d  ou     J  = 


542X5 


=  1G'2",GÛ; 
=  271",00 


Ces  exemples  suffisent  pour  montrer  l'usage 
qu'on  peut  faire  des  proportions  et  de  leurs  pro- 
priétés pour  résoudre  les  problèmes. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

1'R01'Ri;tÉ.  —  Hygiène,  VIII.  —  Des  expé- 
riences concluantes  ont  démontré  que  la  peau  est 
le  siège  d'une  véritable  respiration.  Si  on  la  re- 
couvre d'un  enduit  imperméable,  il  en  résulte 
des  accidents  d'asphyxie.  . 

La  malpropreté  forme  sur  la  peau  un  enduit  qui 
bouche  les  pores.  Cet  enduit  provient  des  résidus 
solides  de  la  sueur,  des  débris  de  l'épiderme,  de 
la  poussière,  agglutinés  par  la  matière  grasse  que 
sécrète  la  peau. 

Cette  couche  visqueuse  et  puante  obstrue  tous 
les  orifices,  empêche  les  exhalations  et  les  sécré- 
tions, et  les  petites  glandes  de  la  peau  devien- 
nent le  siège  d'irrilaiions  qui  dégénèrent  facile- 
ment en  graves  maladies. 


PROPRIÉTÉ 


—  1737  — 


PROPRIÉTÉ 


Co  n'fst  d'ailleurs  pas  la  peau  seul.;  qui  souiTi-e  de 
ce  trouble  apporté  à  ses  rooctions.  D'auln'S  organes 
se  trouvent  forces  de  suppléer  en  partie  !i  l'ôli- 
mination  dont  elle  est  naturellement  le  siège,  et  ce 
surcroît  de  travail  peut  y  causer  aussi  des  dé- 
sordres. 

I-  Qu'il  me  soit  permis,  dit  h  ce  sujet  Hufeland, 
de  signaler  une  inconséquence  qui  n'est  pas, 
d'ailleurs,  la  seule  de  ce  genre  dont  on  se  rende 
coupable.  Le  dernier  des  hommes  a  la  conviction 
que  l'entretien  de  la  peau  est  nécessaire  îi  la 
santé  des  animaux.  Le  palefrenier  néglige  tout 
pour  étriller,  bouchonner  et  laver  son  cheval;  et 
si  l'animal  tombe  malade,  à  l'instant  môme  il 
suppose  qu'on  a  bien  pu  négliger  les  soins  de  la 
propreté.  Mais  cette  idée  ne  lui  vient  jamais  h 
l'esprit  quand  il  s'agit  de  sa  propre  personne  ou 
de  son  enfant.  Si  celui-ci  est  d'une  nature  faible 
ou  maladive,  s'il  maigrit  et  tombe  dans  le  ma- 
rasme, effets  qui  résultent  tous  de  la  malpropreté, 
on  pensera  plutôt  à  un  ensorcellement  ou  à  quel- 
que autre  absurdité  semblable,  qu'à  la  véritable 
cause  qui  est  le  défaut  absolu  d'entretien  de  la 
peau.  Puisque  nous  sommes  si  clairvoyants  pour 
les  animaux,  pourquoi  ne  le  sommes-nous  pas 
autant  lorsqu'il  s'agit  de  nous-mêmes?  » 

L'influence  de  la  propreté  sur  la  santé  est  une 
des  banalités  de  l'iiygiène  pour  tous  ceux  qui  en 
possèdent  quelques  notions.  Mais  dans  les  campa- 
gnes et  parmi  les  ouvriers  des  grandes  villes, 
l'insouciance,  la  paresse,  la  misère,  empêchent 
trop  souvent  de  donner  au  corps  les  soins  néces- 
saires. Malheureusement  il  n'est  pas  seul  à  en 
souffrir  II  existe  entre  le  corps  et  l'ànie  des  in- 
fluences réciproques.  La  propreté  n'est  pas  seu- 
lement une  condition  de  santé  pour  l'homme  ; 
elle  est  aussi  une  condition  de  dignité,  de  res- 
pect ;  voilà  pourquoi  Kénelon  disait  :  «  La  propreté 
est  presque  une  vertu,  n 

Ce  serait  s'égarer  dans  un  spiritualisme  exagéré 
que  de  traiter  le  corps  avec  dédain  sous  pré- 
texte qu'il  n'est  qu'une  «  vile  poussière,  »  une 
«  guenille,  »  une  «  prison  d'argile.  »  Le  corps, 
temple  de  l'àme,  a  bien  droit  à  nos  égards,  à  nos 
respects.  El  d'ailleurs,  la  cousture  qui  lie  l'âme 
et  ie  corps  est  si  étroite,  comme  le  remarque 
Montaigne,  que  l'on  ne  peut  toucher  à  l'un  sans 
que  l'autre  s'en  ressente. 

C'est  donc  rendre  hommage  à  la  dignité  de  la 
nature  humaine  et  relever  l'àme  à  ses  propres 
jeux  que  de  montrer  de  la  considération  pour  son 
enveloppe  corporelle. 

Pour  vulgariser  les  notions  do  propreté,  il  faut 
entreprendre  une  croisade  non  moins  active  que 
pour  dissiper  les  préjugés  populaires.  Pour  les 
adultes,  la  lâche  est  difficile  Mais  lécole  est 
pour  l'enfance  un  milieu  favorable.  La  propreté 
peut  y  être  décrétée  obligatoire  par  chaque  maî- 
tre. A  eux  de  raconter  comment  la  malpropreté 
fait  chaque  année  plus  de  ravages  que  les  guerres 
et  les  épidt'mies.  Qu'ils  imposent  aux  enfants  des 
habitudes  cjui  deviendront  pour  eux  des  e.\igences 
impérieuses  de  bien-être.  Ils  y  trouveront  une 
garantie  de  santé, de  dignité  et  de  moralité.  —  V. 
Parasites,  l'eau.  [D'  Saffray.] 

i'HOl'uiÉTÉ.  -  Législation  usuelle,  VU.  — 
1.  IltFiMTiON.  — La  propriété  est  définie:  le  droit 
<Je  j  •,:,;■  et  de  disposer  des  choses  de  la  manière 
la  plus  absolue  sous  les  modifications  établies  par 
la  loi.  La  nécessité  sociale  et  la  légitimité  du  droit 
de  propriété  sont  incontestables  :  sans  le  respect 
de  la  propriété,  la  société  retournerait  à  la  barba- 
rie; si  riiomme  n'avait  plus  le  droit  de  jouir  de  la 
terre  qu'il  cultive,  do  la  transmettre  à  ceux  qui 
vieiinent  après  lui,  que  deviendraient  le  travail  et 
la  liberté  elle-iuènie'.' Les  dispositions  légales  re- 
latives à  la  propriété  se  trouvent  dans  le  livre  II 
du  Code  civil,  divisé  en  quatre  titres  traitant  :  le 


premier  (art.  5l(i  à  ,')43),  de  la  distinction  de» 
biens;  le  second  (art.  544  à  57"),  de  la  propriété  ; 
le  troisièiTie  (art.  57S  à  C3C),  de  l'usufruit,  de  l'u- 
sage et  do  l'habitation;  le  quatrième  (art.  Gi'  à 
710),  des  servitudes  ou  services  fonciers. 

2.  Des  iîiiîns,  —  Le  droit  de  propriété  ne  peut 
exister  que  sur  les  biens,  c'est-à-dire  sur  les  choses 
susceptibles  d'appropriation  privée,  qui  peuvent 
entrer  dans  le  patrimoine  de  l'homme.  Il  y  a  des 
choses  qui  n'appartiennent  à  personne  et  dont 
l'usage  est  commun  à  tous,  l'air,  la  mer,  la  lu- 
mière :  ces  choses  ne  sont  pas  des  biens,  au  sens 
juridique  du  mot,  parce  qu'elles  ne  peuvent  pro- 
curera quelqu'un  un  avantage  propre  et  exclusif  : 
elles  ne  sont  pas  susceptibles  de  propriété. 

Distinction  des  tnens;  meubles  et  unmeuljles.  — 
La  distinction  fondamentale  des  biens  est  celle  en 
meubles  et  immeubles:  elle  présente  dans  les  dif- 
férentes matières  du  droit  un  intérêt  considérable; 
ainsi  les  immeubles  sont  seuls  susceptibles 
d'hypothèque,  les  règles  relatives  à  l'aliénation 
des  meubles  et  des  immeubles  appartenant  à  des 
mineurs  sont  différentes,  la  saisie  et  la  vente  des 
meubles  et  des  immeubles  ne  sont  pas  soumises 
aux  mêmes  règles,  etc. 

Diverses  dusses  d'immeubles.  — Les  immeuble» 
se  divisent  en  plusieurs  classes.  Il  y  a  d'abord  les 
immeubles  par  leur  nature,  les  fonds  de  terre, 
les  bâtiments,  les  récoltes,  tant  qu'elles  adhèrent 
au  sol,  les  bois,  lorsqu'ils  ne  sont  point  coupés. 
Viennent  ensuite  les  immeubles  par  destination; 
ce  sont  des  objets,  mobiliers  de  leur  nature,  qui 
deviennent  immeubles,  parce  qu'ils  ont  été  affec- 
tés par  le  propriétaire  du  fonds  h  l'exploitation, 
ou  attachés  par  lui  d'une  manière  permanente  : 
ainsi  les  animaux  placés  sur  un  domaine  pour  la 
culture,  les  ustensiles  aratoires,  les  pressoirs, 
chaudières,  alambics,  cuves  et  tonnes,  sontdtîs 
immeubles  par  destination.  En  troisième  lieu,  il 
y  a  des  immeubles  par  l'objet  auquel  ils  s'appli- 
quent ;  ce  sont  les  droits  qui  ont  pour  oljjrt  des 
imineubles  :  l'usufruit  des  immeubles,  les  servi- 
tudes existant  au  profit  d'un  fonds  sur  un  autre 
fonds,  rentrent  dans  cette  classe  d'immeubles. 

Diverses  classes  de  meubles. —  H  y  a  deux  clas- 
ses de  meubles  :  les  meubles  proprement  dits,  ou 
meubles  corporels,  et  les  meubles  par  la  dutermi- 
nalion  de  la  loi,  c'est-à-dire  les  droits  ayant  pour 
objet  une  chose  mobilière.  Cette  seconde  classe 
de  meubles  a  une  grande  importance  :  elle  com- 
prend les  créances  de  sommes  d'argent  sur  des 
particuliers,  les  actions  des  compagnies  de  com- 
merce ou  d'industrie,  les  obligations  de  ces  mêmes 
compagnies,  qui  ne  sont  en  realité  que  des  créan- 
ces ayant  une  forme  et  un  mode  de  rembourse- 
ment particulier,  enfin  les  rentes  sur  l'Etat. 

3.  PiioPRiÉTÉ  ;  SES  ÉLÉMENTS.  —  Le  drolt  de  pro- 
priété se  compose  de  deux  éléments  essentiels, 
le  droit  de  jouir  de  la  chose  et  le  droit  d'en  dis- 
poser. Le  droit  de  jouir  consiste  dans  la  faculté 
de  tirer  de  la  chose  tous  les  avantages  qu'elle 
peut  procurer,  d'en  recueillir  tous  les  fruits.  On 
entend  par  fruits  les  produits  ordinaires  ou  pério- 
diques de  la  chose  :  on  distingue  les  fruits  natu- 
rels, qui  sont  réellement  produits  par  la  chose, 
comme  les  moissons,  les  coupes  de  bois,  et  les 
fruits  civils,  qui  soiit  certaines  prestations  per- 
çues à  l'occasion  de  la  chose,  comme  les  loyers 
des  maisons,  les  fermages,  les  intérêts  des  capi- 
taux. Le  droit  de  disposer  implique  la  faculté 
d'aliéner  la  chose,  de  la  transmettre  à  une  autre 
personne,  de  la  détruire  même,  si  le  propriétaire 
le  juge  convenable. 

kestrictions  an  'Iroii  de  propriété.  —  Si  le  droit 
de  propriété  est  de  sa  nature  absolu,  la  loi  y. 
néanmoins     apporté    certaines    restrictions    dans 
l'intérôt  du  propriétaire  lui  même  ou  dans  un  in- 
térêt général  :  ainsi  des  formes  particulières  sont 


PROPRIETE 


—  1738 


PROPRIETE 


prescrites  pour  l'aliénation  des  immeubles  appar- 
tenant aux  mineurs  ou  aux  interdits;  pour 
l'exécution  des  travaux  publics,  l'administration 
peut  contraindre  le  propriétaire  à  lui  céder  sa 
propriété  moyennant  une  juste  et  préalable  in- 
demnité :  c'est  l'expropriation  pour  cause  d'utilité 
publique  ;  certaines  servitudes  sont  imposées  à 
la  propriété  privée  par  des  raisons  d'utilité  géné- 
rale :  telles  sont  les  servitudes  établies  dans  le 
voisinage  des  places  de  guerre  pour  en  assurer  la 
défense,  la  servitude  d'alignement,  le  chemin  de 
halage,  etc. 

4.  Usufruit.  —  Les  attributs  du  droit  de  pro- 
priété peuvent  être  divisés  entre  plusieurs  per- 
sonnes. Ainsi  une  personne  peut  avoir  le  droit  de 
jouir  de  la  chose,  et  une  autre  personne  en  con- 
server la  propriété.  Le  droit  de  jouir  ainsi  déta- 
ché de  la  propriété  s'appelle  usufruit  ;  celui  qui 
l'exerce,  usufruitier.  La  propriété  dont  l'usufruit 
est  séparé  s'appelle  la  nue-propriété  ;  le  proprié- 
taire de  la  chose  grevée  d'usufruit  est  le  nu-pro- 
priétaire. La  séparation  de  l'usufruit  et  de  la  pro- 
priété ne  peut  être  que  t.;mporaire:  l'usufruit  est 
essentiellement  viager  et  s'éteint  toujours  par  la 
mort  de  l'usufruitier  ;  il  fait  alors  retour  à  la  nue- 
propriété.  L'usufruit  peut  s'établir  par  conven- 
tion, par  donation  ou  par  testament  ;  la  loi  elle- 
même  crée  ce  droit  au  profit  de  certaines  person- 
nes ;  ainsi  les  père  et  mère  ont  l'usufruit  légal  des 
biens  de  leurs  enfants  jusqu'à  l'âge  de  dix-huit 
ans  ou  jusqu'à  l'émancipation,  si  elle  a  lieu  avant 
cet  âge. 

Droits  de  rusufmitier.  —  L'usufruitier  a  droit 
à  tous  les  fruits  produits  par  la  chose,  fruits  na- 
turels ou  fruits  civils  :  les  récoltes,  le  produit  des 
bois  exploités  en  coupe  réglée,  les  intérêts  des 
capitaux,  les  arrérages  des  rentes  lui  appartien- 
nent. Si  les  biens  sont  loués  ou  afl'crmés,  l'usu- 
fruitier perçoit  les  loyers  ou  les  fermages.  L'usu- 
fruitier acquiert  les  fruits  naturels  au  moment  où 
il  les  récolte;  quant  aux  fruits  civils, il  les  acquiert 
jour  par  jour,  c'esl-à-diro  en  proportion  de  la 
durée  de  sa  jouissance.  L'usufruitier  peut  jouir 
par  lui-môme  ou  louer  la  chose  dont  il  a  l'usu- 
fruit ;  mais  les  baux  faits  par  lui  ne  sont  obliga- 
toires pour  le  nu-propriétaire,  à  l'extinction  de 
l'usufruit,  que  pour  une  période  de  neuf  ans  au 
plus. 

Obligations  de  l'usufruitier.  —  L'usufruitier 
doit,  avant  son  entrée  en  jouissance,  faire  faire 
un  inventaire  des  meubles  et  un  état  des  immeu- 
bles sur  lesquels  porte  son  droit.  Il  doit  fournir 
caution  de  jouir  en  bon  père  de  famille,  c'est-U- 
dire  comme  un  administrateur  soigneux  et  dili- 
gent: l'obligation  de  fournir  caution  n'existe  pas 
lorsque  l'usulruitier  en  est  dispensé  par  le  titre 
qui  constitue  son  droit  ;  elle  n'existe  pas  non 
plus  pour  les  père  et  mère  qui  ont  l'usufruit 
légal  des  biens  de  leurs  enfants.  L'usufruitier 
doit  faire  les  réparations  d'entretien,  mais  les 
grosses  réparations,  comme  celles  des  gros  murs, 
des  couvertures  ou  des  murs  de  clôture  en  entier, 
restent  à  la  charge  de  ses  propriétaires  ;  l'usufrui- 
tier paie  les  impôts,  acquitte  toutes  les  charges 
qui  d'ordinaire  se  paient  avec  les  revenus.  A 
l'extinction  de  l'usufruit,  l'usufruitier  ou  ses  hé- 
ritiers restituent  la  chose  au  nu-propriétaire. 

Extinction  de  l'usufruit.  —  L'usufruit  s'éteint 
par  l'expiration  du  temps  pour  lequel  il  a  été 
établi,  et,  dans  tous  les  cas,  par  la  mort  do  l'usu- 
fruitier ;  il  cesse  d'exister  lorsque,  par  une  cause 
quelconque,  par  succession  par  exemple,  les  qua- 
lités d'usufruitier  et  de  nu-propriétaire  sout  réu- 
nies sur  la  même  tête,  ou  bien  encore  par  la  re- 
nonciation que  l'usufruitier  fait  de  son  droit.  Si 
l'usufruitier  commet  des  abus  de  jouissance  en 
dégradant  la  chose  ou  en  la  laissant  dépérir  faute 
d'entretien,   le  nu-propriét»ire  peut  obtenir  des 


tribunaux  la  déchéance  du  droit  de  l'usufruitier. 

Usage  et  droit  it'luifjiuition.  —  Le  Code  civil 
appelle  droit  d'usage  un  usufruit  restreint.  L'u- 
sager n'a  pas,  comme  l'usufruitier,  droit  à  tous  les 
fruits,  mais  seulement  à  la  portion  des  produits 
de  la  chose  qui  est  nécessaire  à  ses  besoins  et  à 
ceux  de  sa  famille.  Le  droit  d'usage  appliqué  à 
une  maison  s  appelle  droit  d'habitation.  Le  droit 
d'usage  et  le  droit  d'habitation  se  constituent  et 
s'éteignent  de  la   même    manière    que  l'usufruit. 

Droits  d'usage  dans  les  bois.  —  Il  ne  faut  pas 
confondre  avec  le  droit  d'usage  dont  nous  venons 
de  parler  les  droits  d'usage  qui  existent,  par  suite 
de  concessions  anciennes,  dans  les  bois  de  l'Ëtat, 
des  communes  ou  des  particuliers.  Ces  droits  d'u- 
sage consistent  soit  à  conduire  les  troupeaux  dans 
les  bois  pour  le  pâturage,  soit  à  prendre  dans  les 
forêts  certains  produits,  soit  enfin  i  recevoir  une 
quantité  de  bois  déterminée.  Dans  certaines 
communes,  les  habitants  ont  droit  à  la  délivrance 
de  bois  de  chaulTage,  fourni  par  les  forêts  de 
l'Etat  ou  par  les  bois  de  la  commune:  c'est  ce 
qu'on  appelle  l'afl'ouage;  à  défaut  de  titre  ou  d'u- 
sage contraire,  le  partage  des  bois  d'affouage  se 
fait  par  feu,  c'est-à-dire  par  chef  de  famille  ou  de 
maison  ayant  domicile  réel  et  fixe  dans  la  com- 
mune (Code  forestier,  art.  105). 

5.  Servitides.  —  On  appelle  servitude  une 
charge  imposée  sur  un  fonds  pour  l'usage  et  l'uti- 
lité d'un  fonds  appartenant  à  un  autre  proprié- 
taire. Le  fonds  dominant  est  celui  auprolit  duquel 
la  servitude  est  établie;  le  fonds  servant,  celui  qui 
en  est  grevé.  Les  servitudes  dérivent  de  la  situa- 
tion naturelle  des  lieux  ;  elles  sont  établies  par  la 
loi  ou  par  le  fait  de  l'homme. 

Servitudes  dérivant  de  la  situation  des  lieux; 
obligation  de  recevoir  les  eaux  découlant  du  fonds 
supérieur.  —  La  première  des  servitudes  dérivant 
de  la  situation  des  lieux  est  l'obligation  pour  le 
propriétaire  du  fonds  inférieur  de  recevoir  les  eaux 
provenant  du  fonds  supérieur:  le  propriétaire 
inférieur  ne  peut  établir  de  digue  ou  d'obstacle 
quelconque  à  l'écoulement  des  eaux;  mais,  de  son 
côté,  le  propriétaire  supérieur  ne  peut  faire  de 
travaux  qui,  en  réunissant  les  eaux,  aggravent  l'o- 
bligation du  fonds  inférieur;  cette  obligation  con- 
siste en  effet  uniquement  à  recevoir  les  eaux  qui 
découlent  naturellement  et  sans  que  la  main  de 
l'homme  y  ait  contribué. 

Droits  du  propriétaire  d'une  S'dirce.  —  Le  pro- 
priétaire qui  a  une  source  sur  son  fonds  peut  en 
principe  disposer  comme  il  l'entend  de  l'eau  four- 
nie par  cette  source  ;  il  peut  s'en  servir,  l'absorber 
coiuplètement,  ou  la  laisser  couler  naturellement 
sur  les  fonds  inférieurs.  Le  propriétaire  de  la 
source  est,  dans  certains  cas,  obligé  d'en  laisser 
l'usage  soit  aux  propriétaires  voisins,  soit  à  la  com- 
mune :  le  premier  cas  se  présente  lorsque,  après 
avoir  fait  des  travaux  apparents  pour  faciliter  le 
cours  de  l'eau,  le  propriétaire  voisin  a  joui  pen- 
dant trente  ans  sans  interruption  de  l'eau  de  la 
source.  Le  propriétaire  ne  pourrait  non  plus 
changer  le  cours  de  l'eau  et  la  retenir  chez  lui, 
lorsque  l'usage  de  cette  eau  est  nécessaire  aux  ha- 
bitants d'une  commune,  village  ou  hameau;  le 
propriétaire  de  la  source  peut  seulement  réclamer 
une  indemnité  qui  est  fixée  à  dire  d'experts. 

Droits  du  propriétaire  dont  le  f^nds  est  bordé 
ou  traversé  par  une  eau  courante.  —  Le  propriéj 
taire  riverain  d'un  cours  d'eau  qui  est  classé 
comme  rivière  navigable  ou  flottable  no  peut  y 
faire  de  prise  d'eau  sans  une  autorisation  admi- 
nistrative qui  est  toujours  révocable.  Les  riverains 
des  cours  d'eaux  qui  ne  sont  ni  navigables  ni  flot- 
tables peuvent  au  contraire  se  servir  de  leurs  eaux  :  ) 
celui  dont  la  propriété  est  bordée  par  le  cours 
d'eau,  c'est-à-dire  qui  est  riverain  d'un  seul  côté, 
peut  se  servir  de  l'eau  seulement  pour  l'irrigation 


PROPRIETE 


1730  — 


PROPRIETE 


de  sa  propriété;  celui  dont  le  fonds  est  traversé 
par  le  cours  d'eau,  c'est  h-dirc  qui  est  riverain  des 
deux  cotés,  peut  user  de  l'eau  comme  il  l'entend, 
à  la  cliarge  seulement  de  ne  pas  l'absorber  et  de 
la  rendre  à  son  cours  ordinaire  à  la  sortie  de  son 
fonds. 

Du  drainage.  —  Des  servitudes  particulières 
ont  été  établies  par  une  loi  du  10  juin  1854  pour  fa- 
ciliter les  opérations  de  drainage  si  utiles  à  l'agri 


arbres  plantés  sur  un  fonds,  à  une  distance  trop 
rapprocbce  de  l'Iiéritage  du  voisin,  peuvent  nuire 
il  la  cultjire,  soit  par  l'ombre  qu'ils  projettent, 
soit  par  Wa  racines  qui  s'étendent  dans  la  terre. 
Aussi  la  loi  a-t-elle  déterminé  la  distance  à  obser- 
ver pour  les  plantations.  Les  arbres  do  haute  tige 
ne  peuvent  êlre  plantés  h  moins  de  deux  mètres  ; 
les  autres  arbres  et  les  baies  vives  .'i  moins  d'un 
demi-mètre.  Ces  di.stances  peuvent  être  modifiées 


culture.  Le  propriétaire  qui  veut  drainer  son  fonds    par   les  usages  locaux.  Le  voisin  a  le  droit  d'exi- 
peut,  pour  l'écoulement   des  eaux  provenant  du  '  ger  que  les  plantations  faites  à  une  moindre  dis 


drainage,  prendre  passage  souterraincment  ou  à 
ciel  ouvert  sur  les  propriétés  voisini'S  qui  le  sé- 
parent d'un  cours  d'eau  où  les  eaux  surabondantes 
peuvejit  Être  déversées.  Celui  qui  use  de  cette 
faculté  doit  au  voisin  une  indemnité  réglée,  en 
cas  de  contestation,  par  le  juge  de  paix. 

ûti  tioinage.  —  Le  bornage  est  une  opération 
qui  a  pour  but  de  fixer  d'une  manière  certaine  la 
limite  qui  sépare  des  propriétés  contigués,  afin 
de  bien  constater  le  point  où  cbacune  d'elles  com- 
mence et  finit,  et  An  pn-venir  les  empiétements 


lance  soient  arrachées;  quand  les  branches  des 
arbres  plantés  à  la  distance  légale  s'étendent  sur 
sa  propriété,  il  peut  demander  qu'elles  soient 
élaguées  ;  il  a  le  droit  de  couper  lui-même  les  ra- 
cines qui  pénètrent  sur   son  fonds. 

Vues  sur  la  propriété  du  voisin.  —  On  ne  peut 
pratiquer  aucun  jour  dans  un  mur  mitoyen  que 
d'un  commun  accord.  Celui  qui  est  propriétaire 
d'un  mur  non  mitoyen  joignant  la  propriété  du 
voisin  peut  y  ouvrir  des  jours  de  souffrance;  on 
appelle  ainsi  des  ouvertures  élevées  à  une  cer- 


Tout  propriétaire  peut  contraindre  son  voisin  au  taine  hauteur  au  dessus  du  sol,  formées  de  ma- 
bornage,  et  le  bornage  se  fait  à  frais  communs,  nière  à  ne  potivoir  s'ouvrir,  à  verre  dormant,  et 
Les  demandes  en  bornage  sont  de  la  compétence  ,  garnies  d'un  treillis  de  fer.  Les  jours  ouvrants  ou 
du  juge  de  paix;  mais  si  une  contestaiiun  s'élève  fenêtres  ne  peuvent  être  éiablis  qu'h  une  cer- 
£ur  la  propriété,  le  juge  de  paix  cesse  d'être  com-  taine  distance  du  fonds  voisin  :  six  pieds  (19déci- 
pctcnt,  et  le  litige  doit  être  porté  devant  le  tri-    mètres)  pour  les  vues  droites,  deux  pieds  («  déci- 


bunal  de  première  instance. 

t^ervitudes  établies  par  la  loi;  mitoyenmlé.  — 
La  première  des  servitudes  établies  p.Tr  la  loi  est 
la  servitude  de  mitoyenneté.  On  appelle  clôture 
mitoyenne  celle  qui  appartient  à  deux  voisins,  et 
qui  sert  de  séparation  à  leurs  héritages  ;  la  mi- 
toyenneté peut  s'appliquer  aux  murs,  aux  fossés, 
aux  haies. 

Mur  mitoyen;  droits  qni  résultent  de  la  mi- 
toyenneté. —  Les  murs  qui  servent  de  séparation 


.  mètres)  pour  les  vues  obliques. 

Egout  des  toits.  —  Les  propriétaires  doivent 
établir  leurs  toits  de  telle  manière  que  les  eaux 
pluviales  s'écoulent  sur  leur  terrain  ou  sur  la 
voie  publique  ;  ils  ne  peuvent  les  faire  verser  sur 
le  fonds  du  voisin  sans  son  consentement. 

Droit  de  passage  en  cas  d'enclace.  —  Lorsqu'un 
fonds  se  trouve  enclavé,  c'est-à-dire  n'a  pas  d'ac- 
cès a  la  voie  publique,  le  propriétaire  peut,  ré- 
clamer un  passage    sur  les  fonds  intermédiaires. 


entre  bâtiments,  ceux  qui  se  trouvent  entre  \  Ce  passage  se  prend,  autant  que  possible,  du  côté 
cours  et  jardins,  ou  même  dans  les  champs  entre  j  où  le  trajet  est  le  plus  court  pour  a:agner  la  voie 
deux  terrains  également  clos,  sont  présumés  mi-  ^  publique,  et  aussi  dans  l'endroit  le  moins  dom- 
toyens  ;  cette  présomption  cesse  lorsqu'un  titre  ,  mageable  i  celui  sur  le  fonds  duquel  il  s'exerce, 
formel  ou  ceriains  signes  matériels  indiquent  que  Le  propriétaire  enclavé  doit  à  celui  à  qui  il  de- 
le  mur  est  la  propriété  exclusive  de  l'un  des  '  mande  le  passage  une  indemnité  proportionnée 
voisins.  Lorsqu'un  mur  n'est  pas  mituyen,  le  pro-  ^  au  dommage  qu'il  lui  cause. 

priétaire  voisin  peut  en  acquérir  la  mitoyenneté  |  Servitudes  étal/lies  par  le  fait  de  l'homme.  — 
en  remboursant  la  moitié  de  la  valeur  du  mur  et  Indépendamment  des  servitudes  dérivant  de  la  si- 
la  moitié  de  la  valeur  du  sol  sur  lequel  il  est  con-  I  tuation  des  lieux  et  des  servitudes  établies  par 
struil.  Le  co-propriétaire  d'un  mur  mitoyen  peut  :  la  loi,  le  fait  de  l'homme  peut  créer  entre  deux 
s'en  servir  pour  y  adosser  des  constructions,  mais  ^  fonds  voisins  un  rapport  de  servitude.  Los  scr- 
il  ne  peut,  sans  le  consentement  de  l'autre  pro-  vitudes  sont  contiimes  lorsque  l'usage  en  est  ou 
priétaire,  y  pratiquer  des  jours.  Le  propriétaire  '  peut  en  être  continué  sans  le  fait  actuel  de 
pour  lequel  le  mur  est  insuffisant  peut  l'exhausser  l'homme,  comme  la  servitude  de  vue;  cette  ser- 
à  ses  frais,  en  fournissant  de  son  côté  le  supplé-    vitude,  en  effet,  existe  par  cela  seul  qij'un  jour  est 


ment  d'épaisseur  nécessaire 

OOliyations  nsullant  '  e  la  mitoienneté.  —  La 
réparation  et  la  reconstruction  du  mur  mitoyen 
sont  à  la  charge  de  chacun  des  propriétaires  pro 


pratiqué  sur  le  fonds  voisin,  sans  qu'il  soit  néces- 
saire qu'on  se  serve  de  ce  jour  d'une  manière 
constante.  La  servitude  est  discontinue  lorsqu'elle 
n'existe  <|ue  par  l'usage  constant  qui  en  est  fait. 


portionnellcraent  à  son  droit.  Celui  qui  veut  se  comme  la  servitude  de  passage.  Les  servitudes 
soustraire  à  cette  obligation  a  la  faculté,  si  le  mur  sont  apparentes  ou  non  apparentes  :  la  servitude 
De  soutient  pas  un  bâtiment  lui  appartenant,  d'à-  apparente  s'annonce  par  un  ouvrage  extérieur,  une 
bandonner  son  droit  de  mitoyenneté;  mais,  s'il  ■  porte,  une  fenêtre;  la  servitude  non  apparente  ne 
veut  plus  tard  se  servir  du  mur,  il  sera  obligé  d'en  !  se  manilcste  par  aucun  ouvrage  extérieur,  comme 
acquérir  la  mitoyenneté.  Une  obligation  particu- ,  la  servitude  de  ne  pas  bâtir.  Ces  divers  ternies  se 
lière  pèse  sur  les  jjropriétaires  des  villes  et  fau-  combinent;  il  y  a  des  servitudes  continues  appa- 
bourgs  :  chacun  peut  contraindre  son  voisin  à  rentes  ou  non  apparentes,  des  servitudes  discon- 
construire  à  Irais  communs  un  mur  pour  la  sépa-  i  tiniies  apparentes  ou  non  apparentes, 
ration  des  propriétés  contigués.  ÉtvblisseineiU  des  servitudes.  —  Les  servitudes, 

ilitoyenneté  des  foiSés  et  dus  liaie^.  —  Les  fos-    de   quelque   nature    qu'elles  soient,   s'établissent 
ses  qui  se  trouvent  entre  deux  héritages  sont  pré-  '  par  titre,   c'est-à-dire   par  contrat,  par  testament 


sûmes  mitoyens,  et  doivent  être  entretenus  à  frais 
communs.  Les  haies  sont  aussi  présumées  mi- 
toyennes lorsqu'elles  séparent  deux  héritages  qui 
sont  clos  l'un  et  l'autre.  Les  arbres  qui  se  trou- 
vent dans  la  haie  mitoyenne  appartiennent  en 
commun  aux  deux  voisins,  et  chacun  peut  deman- 
der qu'ils  soient  abattus. 
Distances  à  obsencr pour  les plunlulions.  —  Les 


ou  par  donation.  Les  servitudes  qui  sont  à  la  fois 
continues  et  apparentes  s'établissent  par  la  pres- 
cription de  trente  ans;  si,  pendant  trente  ans, 
un  propriétaire  laisse  subsister  une  servitude  de 
vue  sur  son  fonds,  le  droit  est  définitivement  ac- 
quis au  fonds  au  profit  duquel  la  servitude 
s'exerce.  Les  servitudes  continues  et  apparentes 
peuvent  encore  se  constituer  par  la  destination  du 


PROPRIÉTÉS  DES  CORPS     —  1740  —     PROPRIÉTÉS  DES  CORPS 

père  de  famille  :  il  y  a  destination  du  père  de  fa-  1  résulte  de  ce  que  les  parties  matérielles  qui  com- 
mille  lorsque  deux  fonds  actuellement  divisés  ont  '  posent  les  corps  ne  sont  pas  juxtaposées,  qu'il  y 
appartenu  au  même  propriétaire,  qui  a  créé  entre  .  a  des  vides  entre   elles,  de  sorte  que  la  pénétra- 


eux  un  rapport  do  servitude. 


bilité  apparente  des  corps  peut  se  concilier  avec 


Exttn-tion  des  servitudes.  —  On  ne  peut  avoir  !  limpénétrabilité  de  leurs  éléments 
de  servitude  sur  sa  propre  chose  :  la  servitude  ]  3.  La  divisibilité.  —  Tous  les  corps  sont  divi- 
■s'éteint  donc  dès  que  les  deux  héritages  entre  ,  sibles,  c'est-à-dire  peuvent  être  partagés  en  par- 
lesquels    elle  existe    se    trouvent    réunis    sur    la    ties   très    petites.    Les   exemples   abondent   pour 


même  tête.  Le  non  usage  pendant  trente  ans  en 
traîne  aussi  extinction  de  la  servitude  :  pour  les 
servitudes  disi'ontinues,  le  point  de  départ  du 
délai  se  trouve  au  jour  ou  a  eu  lieu  le  dernier 
acte  d'exercice  de   la   servitude;  pour  les  servi- 


mettre  cette  propriété  en  évidence.  Tous  les  so 
lides  peuvent,  sous  des  efforts  mécaniques,  être 
réduits  en  poudre  impalpable,  les  métaux  étirés 
en  fils  très  fins  ou  étendus  en  feuilles  très  min- 
ces. Wollaston  a  pu  obtenir  des  fils  de  platine  qui 


fonds  grevé  un  acte  contraire  h  la  servitude. 

6.    Différentes    manières   d'acqiérir    la    pro- 
priété. —  La  propriété  peut  s'acquérir  de  difïé- 


tudes  continues,  le  délai  ne  commence   à  courir  |  n'avaient   que  un   douze-centième  de   millimètre 
que  du  jour  où  il  a  été  fait  par  le  propriétaire  du  i  d'épaisseur,  et  on  fait  des  feuilles  d'or  si  minces 
■     '  ;  que  250,000  superposées  font  à  peine  un  centi- 

mètre d'épaisseur. 

;  La  divisibilité  des  liquides  est  très  considéra- 
rentes  manières.  La  simple  prise'  de  possession  ,  ble  ;  en  plongeant  la  main  dans  un  liquide,  on  n'en 
ou  occupation  suffit  pour  faire  acquérir  la  pro-  peut  sentir  directement  les  particules,  comme  on 
prioté  d'une  cho^e  qui  n'appartient  encore  à  per-  ]  sent  encore  celles  du  sable  le  plus  fin  ;  la  divisi- 
sonne,  comme  un  animal  sauvage.  Les  choses  qui  bilité  y  est  donc  poussée  assez  loin  pour  que  les 
sont  déjà  la  propriété  d'une  personne  peuvent  ,  particules  matérielles  échappent  h  nos  sens.  ^ 
être  transmises  et  acquises  par  divers  modes  :  les  !  Les  substances  colorantes  agitées  dans  l'eau 
successions  ab  intestat,  les  donations  entre  vifs,  atteignent  à  un  très  grand  degré  de  division  :  un 
les  testaments,  les  contrats,  comme  la  vente  et  centigramme  de  carmin  peut  donner  sa  couleur 
l'échange,  la  prescription,  c'est-à-dire  la  posses-  j  à  10  litres  d'eau,  et  chaque  millimètre  cube  do 
«ion  continue  pendant  un  certain  temps  et  avec  cette  eau  contient  au  moins  une  parcelle  de  la 
certaines  conditions.  On  trouvera  au  mot  Droit  1  matière  colorante  ;  c'est  donc  en  dix  raillions  de 
priré  les  développements  sur  ces  différents  modes    parties  qu'est  divisé  le  granule  primitif. 


d'acquisition  de  la  propriété.     [E.  D«lacourtie. 


On  pourrait  multiplier  beaucoup  les  exemples 


l'KOi'IlIlJïÉS  DES  CORPS.  —  Physique,  L  —  |  en  emprunter  aux  matières  odorantes  qui  par- 
Les  propriétés  des  corps  sont  les  différentes  ma-  fument  d'énormes  quantités  d'air  sans  que  nos 
nièros  d'être,  les  divers  aspects  sous  lesquels  les  ^  balances  puissent  accuser  leur  perte  de  poids, 
corps  se  présentent  :  les  unes  sont  communes  à  citer  les  fils  d'araignée,  les  globules  du  sang,  les 
tous  les  corps,  aux  solides  comme  aux  liquides  et  !  animalcules  microsco|)iques  ;  ce  qu'il  importe  le 
aux  gaz,  aux  êtres  inorganiques  comme  aux  êtres  plus  do  remarquer,  c'est  que  le  raisonnement 
organisés  ;  on  les  appelle  pr.//rie/t;s  jén^ra/es. Le  j  continue  la  divisibilité  des  corps  au  delà  de 
nom  de  propri-lés  particulières  est  réservé  à  celles  j  celle  que  nos  sens^  peuvent  constater^  Au  point 
d'un  corps  ou  d'un  groupe  de  corps.  '  '     '        '*' "' 

Les  propriétés  générales  sont  Vétendue,  Vim- 
pénètraiilite,  la  divisi'iitHé,  la  porosité  et  la  rom- 
pressihi.ité,  la  mobilité  et  {'inertie.  Les  deux  pre- 
mières sont  essentielles,  c'est-à-dire  que  sans  elles 


de  vue  mécanique,  la  divisibilité  a  des  bornes;  au 
point  de  vue  rationnel,  elle  semble  n'en  pas 
avoir. 

Doit-on  conclure  qu'elle   est,  en  effet,  sans  li- 
mites? On  ne  l'admet  pas.  On  croit  (|ue  les  corps 


on  ne  peut  pas  concevoir  l'existence  même  de  la    sont  formés  de  parties  insécables,  incomparable 
matière.  i  ment  plus  petites  que  les  dernières  parcelles  que 

1.  L'ttoidHcestla  propriété  dont  jouit  tout  corps  nous  saisissons  avec  le  sens  le  plus  délicat,  môme 
d'occuper,  dans  l'espace,  une  place  déterminée,  armé  de  1  instrument  le  plus  grossissant  ;  et  on 
Son  étude  fait  l'objet  d'une  science  rigoureuse,  donne  le  nom  d'atomes  à  ces  corpuscules  indivi- 
la  géométrie,  qui  se  rattache  ainsi  à  la  physique    sibles   des  corps  simples.  Ces  atomes  des  corps 


générale. 

La  portion  limitée  de  l'espace  qu'occupe  un 
corps  constitue  son  volume,  la  manière  dont  le 
corps  est  limité  constitue  sa  forme  ou  sa  figure. 
Le  volume  peut  être  compris  sous  des  formes  géo- 
métriques  simples   et  évalué   au  moyen  de  Ion 


simples  forment,  en  se  combinant  entre  eux,  les 
molécules  des  corps  composés.  Quant  aux  particu- 
les, si  petites  quelles  soient,  qui  résultent  d'une 
division  mécanii|ue  poussée  aussi  loin  que  pos- 
sible, ce  sont  des  assemblages  de  molécules. 
-Vinsi,  on  considi-re  tous  les  corps  comme  résul- 


gueurs    mesurées  dans   la    figure   du    corps.    La  ,  tant  de  l'association  de    molécules  qui  se    grou 


forme  est,  dans  beaucoup  d'objets,  ou  symétrique 
ou  parfaitement  régulière,  comme  dans  les  fleurs, 
le  corps  des  animaux  et  beaucoup  de  cristaux. 

2.  L'iiiip-  nétrabilité  est  la  propriété  que  pos- 
sède chaque  corps  de  remplir  l'espace  qu'il  oc- 
cupe à  l'exclusion  de  tout  autre  qui  ne  peut,  au 
même  moment,  occuper  la  même  place.  C'est  cette 
propriété  qui  empêche  un  liquide  de  couler  dans 
un  vase  plein  d'air  si  on  ne  permet  pas  à  celui-ci 
de  sortir;  elle  explique  également  que  le  niveau 
d'un  liquide  s'élève  quand  on  plonge  un  corps  so- 
lide dans  le  vase  qui  le  contient  ;  elle  fait  com- 
prendre pourc|uoi  l'eau  ne  monte  pas  dans  une 
cloche  renveisée  que  l'on  enfonce  verticalement 
dans  un  liquide. 

Il  y  a  cependant  des  cas  de  pénétration  appa- 
rente. Ainsi,  le  volume  de  l'alliage  de  plusieurs 
métaux  e^t  moindre  que  la  somme  des  volumes 
des  métaux  alliés.  De  même,  l'alcool  et  l'eau  réu- 
nis occupent  un  volume  moindre  que  la  somme 
des  deux  liquides  séparés.  Mais  ce    phénomène 


pent  sans  se  toucher,  laissant  entre  elles  des 
espaces  vides,  qui  peuvent,  à  leur  tour,  être  rem- 
plis d'une  substance  autre  que  celle  du  corps. 

4.  Porosité,  Compre.ssihilité.  —  Ces  espaces  vi- 
des ont  reçu  le  nom  de  pores;  ils  sont  invisi- 
bles comme  les  molécuh'S  qu'ils  séparent.  Il  y  a 
en  outre,  dans  beaucoup  de  corps,  des  vides  acci 
dontels,  des  trous  inoccupés,  visibles  avec  on  sans 
le  microscope,  qui  tiennent  à  un  arrangement 
spécial  de  la  matière;  ce  sont  les  pores  sensibles. 
Ainsi  l'éponge  a  des  vides  accidentels  de  très 
grandes  dimensions,  tandis  qu'une  plaque  métal- 
lique n'en  a  pas  d'apparents  et  ne  possède  que  les 
pores   intermoléculaires. 

Toutes  les  substances  possèdent  cette  propriété 
de  la  porosité.  Elle  est  de  toute  évidence  dans 
les  gaz,  évidente  aussi  pour  les  luiuidos  qui  dis- 
solvent les  gaz.  On  peut  également  la  démontrer 
avec  facilité  pour  les  solides.  Ainsi  les  pierres,U 
bois  dur,  les  vases  en  terre  cuite  non  vernissés, 
le  papier  non  collé,  se  laissent  plus  ou  moins  fa- 


PROSE 


1741  — 


PROSODIE 


cilenient  traverser  par  les  liquides;  les  métaux 
euvniOnies  sont  poreux  ot  laissent  suinter  h  leur 
surface  les  lii|uides  que  l'on  y  comprime  assez 
fortement  :  les  savants  de  Florence  avaient  mon- 
tré la  porosilé  de  l'or  dès  I(j(il.  Quant  aux  soli- 
des pour  lesquels  on  no  peut  constater  aucune 
perméabilité  aux  fluides,  comme  le  verre  par 
exemple,  si  l'on  remarque  qu'ils  possèdent  la 
propriété  de  se  dilater  par  la  chaleur,  on  sera 
conduit  à  admettre  qu'ils  contiennent  aussi  des 
espaces  vides  entre  leurs  molécules. 

D'ailleurs  tous  les  corps  diminuent  plus  ou 
moins  de  volume  quand  on  les  presse  ;  or,  puisque 
la  matière  est  impénétrable,  cette  diminution  de 
volume  ne  peut  avoir  lieu  qu'autant  que  les  mo- 
lécules se  rapprochent  ;  c'est  dire  qu'il  y  avait  en- 
tre elles,  dans  le  premier  état  du  corps,  des  vides 
assez  grands  que  la  première  compression  a  dimi- 
nués et  qu'une  compression  plus  forte  peut  dimi- 
nuer encore. 

5.  Moliililé,  inertie.  —  Tous  les  corps  ont  la 
propriété  de  pouvoir  passer  successivement  du 
repos  au  mouvement  et  du  mouvement  au  repos; 
c'est  la  mobilité:  elle  comprend  le  niotiveiiient, 
c'est-à-dire  l'état  d'un  corps  qui  occupe  successi- 
vement plusieurs  positions  dans  l'espace,  et  l'iner- 
tie, la  propriété  de  la  matière  de  ne  pouvoir 
pas  d'elle-même  modifier  l'état  de  repos  ou  de 
mouvement  dans  lequel  elle  se  trouve. 

ExpÉRiENCKS.  —  Plonger  la  main  ou  un  corps, 
volumineux  dans  une  éprouvett.e  contenant  de  l'eau 
jusqu'à  un  niveau  noté  ;  marquer  le  second  niveau, 
retirer  le  corps,  1  eau   déplacée  reprend  sa  place. 

Verser  un  liquide  dans  un  flacon  surmonté  d'un 
entonnoir  qui  joint  bien,  le  liquide  ne  descend 
pas.  —  Placer  une  bougie  allumée  sur  un  bou- 
chon flottant  sur  l'eau  d'un  cristallisoir  profond; 
la  couvrir  d'une  cloclie  que  l'on  enfonce  peu  à  peu. 

Mettre  une  égale  quantité  de  sable  fin  dans 
deux  verres  ;  ajouter  de  l'eau  dans  l'un,  le  volume 
n'augmente  pas  ;  l'eau  s'est  logée  dans  les  vides. 
On  met  ceux-ci  eti  évidence  en  tassant  le  sable  du 
second  vase  dont  le  volume  diminue. 

Pulvériser  un  corps  insoluble  dans  l'eau  et  sé- 
parer les  poudres  diverses  par  lévigalion. 

Verser  sur  une  feuille  de  papier  blanc  de  la 
fuchsine  cristallisée  ;  promener  le  solide  sur  la 
feuille;  le  remettre  dans  son  flacon  ;  secouer  for- 
tement la  feuille  ;  il  n'y  reste  aucune  parcelle  vi- 
sible du  solide  ;  de  l'alcool  versé  sur  la  feuille 
retrouve  les  fines  particules  invisibles  de  fuclisine 
et  colore  fortement  en  rouge  la  feuille  sur  la- 
quelle rien  n'était  apparent. 

Montrer  que  l'huile  tache  le  marbre  non  poli 
.ou  fraîchement  cassé,  et  que  l'argile  enlève 
l'huile  ainsi  répandue  dans  un  corps  poreux. 

Montrer  la  porosité  des  liquides  les  uns  pour 
les  autres  par  le  mélange  d'eau  et  d'acide  sulfu- 
rique  ou  d'alcool  et  d'eau,  la  porosité  des  liqui- 
des pour  les  gaz  par  la  solution  dans  l'eau  du  gaz 
ammoniac,  la  porosité  des  solides  pour  les  gaz 
par  l'absorption  du  gaz  ammoniac  par  le  charbon, 
fllaraucourt.] 

PROSE.—  Littérature  et  style,  I\.  —  Etym.  : 
du  latin  prorsa,  directe  (sous-entendu  «  construc- 
tion w).  —  Les  anciens  regardaient  la  prose 
comme  une  forme  du  langage  inférieure  au  dis- 
cours rythmé  :  pour  les  Grecs,  c'était  le  pézos 
logos,  ce  que  les  Latins  traduisaient  par  sermo 
pedestris,  le  style  terre  à  terre  ;  ceux-ci  l'appe- 
laient aussi  oratio  so/ula,  langage  libre,  non  assu- 
jetti aux  règles  poétiques,  et  enlin  /trosa  :  ce  der- 
nier mot  se  trouve  dans  Quintilien.  Dans  l'histoire 
littéraire,  l'emploi  du  langage  rythmé  précède 
celui  de  la  prosi  :  il  était  naturel  que  voulant 
composer  des  hymnes  religieux  ou  gu-rriers,  ou 
des  narrations  destinées  à  être  apprises  par  cœur, 
les  hommes  eussent  choisi  une  forint  de  langage  qui 


se  distinguât  du  parler  ordinaire,  qui  frappât  l'o- 
reille et  qui  s'imposât  à  la  mémoire.  Ce  fut  seule- 
ment lorsque  l'usage  de  l'écriture  fut  devenu  com- 
mun, que  l'on  vit  paralire  chez  les  Grecs  des  pro- 
sateurs à  coté  des  poètes.  Les  premiers  en  date 
furent  des  chroniqueurs  ou  logogfnphfS,  qui  re- 
cueillirent des  souvenirs  historiques  :  tels  sont 
Hccatée  de  Milet,  Phôrécyde  de  Léros,  Hollanicus 
de  Lesbos,  et  bien  d'autres,  qu'Hérodote,  leur 
continuateur  et  le  péri-  de  l'histoire,  a  fait  oublier. 
Puis  la  philosophie,  qui  d'abord  avait  parlé  en 
vers  avec  Pythagore,  Empédocle,  Xénophane,  Par- 
ménide,  commença  à  se  servir  à  son  tour  de  la 
prose  au  temps  d'Heraclite,  de  Démocrite,  des 
sophistes  et  de  Platon.  Enfin  à  côté  des  histo- 
riens et  des  philosophes  vinrent  se  placer  les  ora- 
teurs :  l'éloquence,  devenue  un  art  que  des  maî- 
tres enseignaient,  enrichit  la  prose  d'un  genre 
littéraire  de  plus.  Chez  les  Romains,  on  vit  aussi 
paraître  d'abord  les  historiens,  puis  simultanément 
les  orateurs  et  les  philosophes;  le  genre  épisto- 
laire  prit  naissance  avec  les  lettres  de  Cicéron. 
Enfin,  chez  les  modernes,  un  genre  nouveau,  le 
roman,  a  fait  son  apparition  ;  c'est  lui  (|ui  dans  la. 
prose  occupe  aujourd'hui  la  première  place. 

Certains  écrits,  formant  la  transition  entre  la 
prose  littéraire  et  la  science  proprement  dite,  ont 
été  rangés  dans  un  genre  à  pan,  qu'on  a  appelé 
didactique  :  \\  en  est  parmi  eux  qui,  par  les  qua- 
lités de  leur  style,  relèvent  décidément  de  la  lit- 
térature :  ainsi  l'Histoire  nntw  elle  de  Bufîon  ou 
l'Emile  de  Rousseau  ;  d'autres,  au  contraire,  n'ap- 
partiennent qu'à  la  science,  comme  certains  traités 
d'Aristote  ou  la  Géograpfiie  de  Strabon. 

D'autre  part,  il  n'existe  pas  entre  la  prose  et  la 
poésie  une  ligne  de  démarcation  absolue;  la 
prose  peut,  aussi  bien  que  levers,  servir  à  l'expres- 
sion du  sentiment  poétique,  ot  l'on  trouvera  dans 
Fénelon,  dans  J.-J.  Rousseau,  dans  George  Sand 
bien  des  pages  descriptives  ou  lyriques  pleines  de 
la  poésie  la  plus  gracieuse  ou  la  plus  élevée. 

Nous  consacrons  des  articles  spéciaux  à  l'his- 
toire, à  la  philosophie,  à  l'éloquence,  au  genre 
épistolaire,  au  roman  :  nous  y  renvoyons  le  lec- 
teur. —  V.  Histoire  et  Histmienx,  Philnsnp/ne 
{Histoire  de  la),  Orateurs,  Discours,  EpisloUnre 
(Genre),  Roman. 

PnosODli:.  —  Littérature  et  style,  III  ;  Gram- 
maire, XMV.  —  Le  mot  prosodie,  d'origine 
grecque,  a  désigné  primitivement,  dans  cette  lan- 
gue, le  chant  dont  on  accompagnait  un  instrument, 
puis  la  cadence  des  vers  et,  spécialement,  l'ac- 
cent du  mot  ;  enfin  la  quantité  longue  ou  brève 
des  syllabes,  qui  déterminait,  dans  la  versifica- 
tion grecque,  la  justesse  des  vers.  C'est  d'après 
cette  origine  que  l'Académie  française,  après  avoir 
défini  la  prosodie  «  la  prononciation  des  mots  con- 
formément à  l'accent  et  à  la  quantité  <i,  ajoute  : 
«  11  se  dit,  dans  les  collègis,  de  la  connaissance 
des  règles  de  la  qu  intité  en  grec  et  en  latin,  des 
syllabes  qui  sont  longues  ou  brèves,  de  la  mesure 
des  dilTérents  vers.  »  La  langue  de  la  criti(|ue  lit- 
téraire a  pris  pour  elle  ce  terme  de  collège  et 
élargi  la  définition,  en  appelant  prosodie  les  règles 
de  la  versification  en  usage  dans  toutes  les  lan- 
gues. C'est  en  ce  sens  que  nous  l'entendons  ici, 
nous  préoccupant,  d'ailleurs,  principalement  dos 
notions  qui  sont  nécessaires  à  l'instituteur  pour 
faire  comprendre  aux  élèves  les  règles  de  la  versi- 
fication de  notre  langue  nationale. 

L'article  P'ésie,  auquel  les  lecteurs  devront  se 
référer,  montre  comment  les  vers  sont  l'instru- 
ment priipre  de  la  poésie  ;  l'article  Aoenlwdion 
explique  ce  qu'est,  en  général,  dans  notre  langue, 
le  rôle  de  l'accent  tonique;  ils  devront  s'y  référer 
aussi. 

l,a  langue  française,  qui  doit  tout  au  latin,  no 
lui  a  point  emprunté  sa  prosodie. 


PROSODIE 


—  1742  — 


PROSODIE 


Voici,  par  exemple,  le  début  de  l'Enéide  de  Vir- 
gile, le  grand  poème  épique  des  Romains  : 

Anna  virumque  cano,  Trnjx  qui  priiniiS  ab  oris 
lialiam.  fato  profugus,  Laviinague  vcnit 
Litiora  :  multum  ille  et  terris  jactatus  et  alto, 
Vi  superûm,  sxvx  memorem  Junonis  ob  iram: 
Multa  qnoque  et  bello  passus,  dum  condcret  urbetn, 
Inferretque  deoA  Laiio  :  genus  unde  Latiiium, 
Albanique  paires,  alqite  altx  mœnia  Humx. 

(  «  Je  chante  les  combats  et  ce  héros  qui,  chassé 
(Î3  Troie  par  le  destin,  vint  le  premier  en  Italie, 
aux  rives  de  Laviniuni.  Longtemps,  sur  la  terre  et 
sur  les  mers,  il  fut  le  jouet  de  la  puissance  des 
dieux,  qu'excitait  l'implacable  colère  de  Junon. 
Longtemps  aussi  il  eut  à  souffrir  les  maux  de  la 
guerre,  avant  qu'il  put  fonder  une  ville  et  trans- 
porter ses  dieux  dans  le  Latium  :  de  li  sont  sortis 
la  race  latine,  les  rois  d'Albe  et  li-s  remparts  de 
la  superbe  Rome.  »  —  Tr/i'hicHrm  de  VUlfnove.) 

Voici  une  strophe  d'une  ode  d'Hurace,  le  célèbre 
poète  lyrique  du  siècle  d'Auguste  : 

Vides  ut  altâ  stet  niue  candidiim 
Soracle,  nec  Jam  sustineant  nntis 

Silvz  laborantes,  geluqite 

Fluinina  constiterint  acuto. 

(HoiiiCB,  livre  I,  oJe  n.) 

(o  Vois  comme  le  Soracte  élève  son  front  blanchi 
par  une  neige  épaisse  ;  déjà  les  forêts  s'affaissent 
sous  le  poids  qui  les  accable,  et  la  gelée  péné- 
trante enchaîne  le  cours  des  fleuves,  u  —  Traduc- 
tio-i  de  M.  A.  Oesportes.) 

Il  est  évident  qu'en  deliors  de  toute  question 
de  sens,  la  structure  de  ces  vers  n'a  rien  de  com- 
mun avec  celle  des  vers  français. 

C'est  qu'en  effet  les  Latins,  qui  ont  eux-mêmes 
emprunté  aux  Grecs  tout  leur  système  de  versifica- 
tion, sauf  peut-être  quelques  mètres  archaïques 
dont  il  est  resté  des  traces  peu  nombreuses,  ont 
fondé  ce  système,  non,  comme  nous  le  faisons, 
sur  le  nombre  des  syllabes,  mais  sur  leur  mesure 
ou  quantité.  Le  vers  latin  a  pour  éléments  ce 
qu'on  appelle  les  pieds,  c'est-à-dire  des  groupes 
de  syllabes  dont  la  valeur  est  déterminée  par  la 
pronouciaiioii,  et  le  rythme  en  est  marqué  pour 
l'oreille  par  ce  qu'on  appelle  la  quantité,  ce  qui 
ne  veut  pas  dire  un  nombre  déterminé  de  syllabes, 
mais  une  suite  régulière  de  syllalies  longues  et  de 
syllabes  brèves.  H  faut  voir,  dans  ce  système  pro- 
sodique, quelque  chose  d'analogue  à  ce  que  pré- 
sente la  musique,  quand  nous  nous  arrêtons  U7i 
te-iips  sur  une  note  blanche,  et  seulement  uv  rfem;- 
femps  sur  une  note  noire.  Le  pied  est  un  ensemble 
déterminé  de  longues  ou  de  brèves.  Ainsi  deux 
longues  forment  le  pied  qu'on  appelle  spondée  : 
Trfjjli  (on  marque  les  longues  par  une  petite  barre 
horizontale  placée  au-dessus  de  la  syllabe)  ;  une 
longue  et  deux  brèves  forment  le  d,icti/ie:  tittôrà 
(on  marque  les  brèves  par  un  petit  demi-cercle,  les 
pointes  en  haut);  une  brève  et  une  longue  for- 
ment X'inmb"  :  v'vlês;  une  longue  et  une  brève,  le 
trochée:  àirnà.  Une  série  régulière  de  pieds  forme 
la  mesure  d'un  vers.  Ainsi  le  vers  de  l'épopée, 
celui  dont  s'est  servi  Virgile,  est  Vite  rjimètre,  c'est- 
à-dire  le  vers  de  six  pieds,  dont  les  quatre  pre- 
miers sont  dactyles  oa  spondées  indifféremment, 
le  cinquième  dactyle  et  le  sixième  spondée  ; 

Arma  m\rumque  ca\no  Tro  \js  qui[primus  ab\orïs. 

On  remarquera  que,  dans  ces  vers,  la  dernière 
syllabe  no  de  cano  ne  fait  pas  partie  du  même 
pied  que  la  syllabe  ca,  et  que  la  dernière  syllabe 
f^e  de  Trois  ne  fait  pas  non  plus  partie  du  même 
pied  que  la  syllabe  Tru.  C'est  là  encore  une  autre 
loi  du  vers  latin,  au  moins  dans  les  mètres  les 
plus  longs  et  les  plus  soutenus,  comme  l'hexa- 
mètre, la  loi   de   la  césure  (coupure),  d'après  la- 


quelle, à  certains  endroits  du  vers,  la  dernière 
syllabe  d'un  mot  doit  rester  en  dehors  du  pied 
dont  font  partie  les  autres  syllabes,  pour  former 
la  première  syllabe  du  pied  suivant.  Ainsi  l'hexa- 
mètre doit  avoir  au  moins  une  césure  après  le 
second  pied,  ou,  à  défaut  de  celle-ci,  deux  césures, 
la  première  après  le  premier  pied  et  la  seconde 
après  le  troisième. 

La  poésie  latine  comptait  un  grand  nombre  d'es- 
pèces de  vers  ;  ainsi,  dans  le  genre  dramatique, 
on  employait  un  vers  ayant  pour  base  l'iambe  et 
appelé  pour  cela  iambique  ;  dans  les  genres  nar- 
ratifs moins  sévères  que  l'épopée,  on  employait 
les  distiques,  système  alterné  de  vers  de  six  pieds 
(hexamètres)  et  de  vers  de  cinq  pieds  (pentamè- 
tres). Les  strophes  de  la  poésie  lyrique  compre- 
naient des  vers  de  mesure  très  variée,  et  bien  sou- 
vent aussi  des   mélanges   de   mesures. 

Ajoutons  qu'en  dehors  de  leurs  longues  et  de 
leurs  brèves,  les  mots  latins  avaient  encore  des 
syllabes  marquées  de  l'accent  tonique,  c'est-à-dire 
que  ta  voix  devait,  dans  la  prononciation  des  mots, 
s'élever  sur  certaines  syllabes,  indépendamment 
de  leur  quantité.  Ajoutons  encore  que,  dans  la 
langue  latine,  les  syllabes  muettes  sont  in- 
connues, contrairement  à  ce  qui  a  lieu  en  fran- 
çais. 

De  ce  mélange  symétrique  des  brèves  et  des 
longues,  de  l'alternance  à  intervalles  réglés  des 
syllabes  accentuées  et  des  syllabes  non  accen- 
tuées, de  la  possibilité  de  combiner  harmonique- 
nient  toutes  sortes  de  rythmes,  résultait  une 
versification  très  riche,  très  souple,  très  sonore, 
assez  puissamment  marquée  pour  qu'aujourd'hui, 
à  tant  de  siècles  de  distance,  nous  en  sentions 
encore  le  cliarme,  mais  très  compliquée  aussi,  et 
plutôt  faite  assurément  pour  des  oreilles  de  lettrés 
que  pour  celles  du  peuple. 

Aussi  ne  put-elle  survivre  aux  époques  de  la 
littérature  latine  que  l'on  peut  appeler  classiques. 
L'accent  tonique,  dans  lo  vers  latin,  n'étant  pas 
toujours  d'accoi-d  avec  la  mesure  primitive  des  syl- 
labes distinguées  en  brèves  et  en  longues,  il  y  eut 
une  sorte  de  lutte  entre  la  syllabe  accentuée  et  la 
syllabe  métrique,  et,  aux  époques  de  décadence, 
la  prédominance  exclusive  do  l'accent  tunique 
finit  par  faire  oublier  cotte  distinction  des  brèves 
et  des  longues  qui  avait  constitué  la  quantité, 
c'est-à-dire  le  fond  même  de  l'ancienne  versifica- 
tion. Elle  dut  disparaître  complètement,  lorsque 
la  langue,  se  transformant  dans  la  bouche  de  nos 
pères.  Ht  porter  l'effort  de  la  prononciation  sur  la 
dernière  syllabe  sonore  des  mots.  II  resta  bien, 
en  deliors  de  cette  syllabe  accentuée,  des  brèves 
et  des  longues,  et  quelquefois  même  nous  indi- 
quons celles-ci,  dans  la  langue  écrite,  par  un  si- 
gne spécial  ;  mais  la  distinction  de  ces  brèves  et  de 
ces  longues  n'a  jamais  suffi  à  notre  oreille  pour 
valoir  en  intensité  cette  dernière  syllabe  accen- 
tuée qui  est  véritablement  pour  nous,  au  point 
de  vue  de  la  sonorité,  l'âme  du  mot.  Et  de  là 
l'eiT.îUrde  ces  savants  qui,  à  différentes  époques, 
ont  imaginé  de  faire  des  vers  en  y  marquant 
la  quantité  à  la  façon  des  anciens  :  la  cadence 
de  ces  vers  n'était  pas  saisissable  pour  notre 
oreille. 

A  cet  élément,  très  délicat,  de  la  mesure  pro- 
sodique, la  quantité  des  syllabes,  la  langue  du 
moyen  âge  en  a  substitué  un  autre,  le  nombre  des 
syllabes,  élément  plus  grossier  peut-être,  mais 
plus  commode,  et  susceptible,  lui  aussi,  de  deve- 
nir avec  le  temps  un  véritable  élément  rytlimi- 
que.  Les  syllabes  de  nos  vers  ne  sont  plus 
.\cun'lé-'s,  dans  la  véritable  acception  du  terme, 
c'est-à-dire  évaluées  pour  leur  valeur  métrique 
propre  ;  elle  sont  comptées. 

C'est  aussi  le  moyen  âge  qui  a  introduit  dans 
notre  prosodie  la  cîv/e,  c'est-à-dire  la  consoanance 


! 


PROSODIE 


-    1743 


PROSODIE 


do  la  terminaison  des  mots  à  la  fin  do  deux  ou  de 
plusieurs  vers  <|ui  so  suivent  plus  ou  moins  ini- 
niédialcmcnt.  L'origine  du  mot  rime  est  incer- 
taine: peut-être  y  faut-il  voir  une  abréviation  po- 
pulaire du  mot  ri/thme,  qni  vient  du  grec  et 
signifie  mesure,  cadence.  L'origine  de  la  rime  en 
elle-même  est  aussi  incertaine  que  celle  du  terme 
qui  la  désigne.  Sans  douie  elle  a  été  amenée  par 
la  nécessité  d'anôter  le  vers  d'une  manière  frap- 
pante pour  l'oreille.  Le  plaisir  —  car  c'en  est  un  — 
que  la  rime  donne  i  l'oreille  peut  être  assimile  4 
celui  que  nous  procure,  dans  un  chant  ou  dans 
un  morceau  do  musiqui',  le  retour  fréquent  de 
cette  note  qu'on  appelle  la  toniiiup,  laquelle  donne 
au  chant  ou  au  morceau  de  musique  comme  un 
caractère  spécial  et  qui  est  comme  le  centre  et 
aussi  le  terme  de  toutes  les  modulations.  La  rime 
est  une  espèce  de  tonique  du  vers.  Cela  était 
vrai  surtout  de  nos  anciens  poèmes,  des  poèmes 
monofimes  du  trouvère  ou  du  troubadour.  Des- 
tinés à  être  chantés  aux  accords  d'un  instru- 
ment, ces  poèmes  étaient  en  général  composés  de 
couplets  plus  ou  moins  longs  dont  tous  les  vers 
se  terminaient    par   une   seule   et  même  rime. 

L'imitation  d'une  espèce  particulière  de  vers 
latins,  qu'on  app  'Ile  léonins,  n'a  peut-être  pas  été 
non  plus  sans  influence  sur  l'adoption  de  la  rime 
dans  la  prosodie  du  moyen  âge.  Ces  vers,  dans 
lesquels  la  syllabe  finale  d'un  mol  placé  vers  le 
milieu  rime  avec  la  syllalie  finale  du  dernier  mot, 
étaient  en  usage  môme  du  temps  de  Virgile  ou 
d'Ovide.  En  voici  deux,  par  exemple,  de  cette 
époque,  le  sens  en  importo  peu  : 


Défait  et  scripjis  uttU 


h  de  sciiptis  rime  avec  is  de  mcis. 
Il  en  est  de  même  de  la  syllabe  tas  dans  cet 
autre  vers  : 

Vixit  DamœTks;  iuvidit  stultus  Amymxs. 

Fort  restreint  dans  la  langue  latine  des  bonnes 
époques,  l'emploi  du  vers  léonin  se  répandit 
davantage  dans  les  derniers  siècles  pendant  les- 
quels on  parla  encore  latin  en  Gaule  et  ailleurs  ; 
on  en  trouve,  par  exemple,  un  grand  nombre 
dans  des  poètes  gaulois  parlant  latin  (comme  Au- 
sone,  de  Bordeaux,  et  Prudence,  aux  iv"  et  V  siè- 
cles). Plus  tard,  à  une  époque  ancienne,  mais  où 
toute  notion  de  l'ancienne  versification  latine  a 
disparu,  l'Eglise,  s'inspirant  des  procédés  poéti- 
ques définitivement  acceptés  par  la  langue  vul- 
gaire, applique  la  rime  au  latin  de  ses  plus  beaux 
morceaux  de  ijoésie  chantée.  C'est  ainsi  que, 
dans  les  couplets  ou  strophes  du  Dies  irs,  que 
l'on  chante  à  la  messe  des  morts,  les  vers  riment 
entre  eux  trois  à  trois  ; 

Dies  irx,  dics  illa, 
Soivet  seclum  in  favilla. 
Teste  David  cum  Sibylla,  etc. 

Dans  le  Stahat  mater,  les  deux  premiers  vers 
de  chaque  strophe  riment  entre  eux,  et  le  troi- 
sième vers  avec  le  troisième  de  la  strophe  sui- 
vante. Il  existe  des  morceaux  de  poésie  drama- 
tique destinés  à,  entrer  dans  la  représentation  de 
certaines  pièces  écrites  moitié  en  latin,  moitié  en 
langue  vulgaire,  et  datant  du  xi'  siècle.  Les  vers 
latins  que  contiennent  ces  pièces  sont  mesurés, 
comme  nos  vers  modernes,  d'après  le  nombre 
des  syllabes,  et  rimes. 

La  césure,  telle  que  l'entendaient  les  Latins,  a 
disparu  de  nos  vers  comme  tout  le  reste  de  la 
prosodie  antique.  Ce  que  l'on  appelle  césure  dans 
le  vers  français  est  uji  repos  marqué  par  une 
"uspejision  du  sens  après  un  certain  nombre  de 
jyllabes.  Ainsi,  notre  plus  long  vers,  qui  est  le 
•■■(■.rs  de  don?»  syllabes,  divise  ces  douze  syllabes 


en  deux  parties  égales,  de  six  syllabes  chacune, 
qu'on  appelle  hémistiches  (demi-vers): 

Celui  qui  met  un  frein  |  à  la  fureur  des  flots 
Sait  aussi  des  méchants  |  arrêter  les  complots. 

Il  ne  faudrait  pas  croire  que  l'accent  tonique, 
dont  le  rôle  est  si  important  dans  notre  projion- 
ciation,  n'ait  pas  sa  place  marquée  dans  le 
vers  français.  La  succession,  dans  un  certain 
ordre,  des  syllabes  accentuées  et  des  syllabes 
non  accentuées  forme  la  plus  grande  part  de  ca 
qu'on  pourrait  appeler  la  musique  du  vers.  La 
rime  appelle  nécessairement  une  syllabe  accen- 
tuée à  la  fin  de  chaque  vers;  quand  cette  syllabe 
accentuée  est  suivie  d'une  syllabe  muette,  comme 
dans  Maris,  bénit,  la  syllabe  muette  ne  compte 
pas  dans  la  mesure  du  vers.  Quand  il  y  a  césure, 
il  faut  aussi  que  la  syllabe  après  laquelle  se  fait 
le  repos  soit  accentuée;  si  elle  est  suivie  d'une 
syllabe  muette,  cette  syllabe  doit  pouvoir  s'élider, 
c'est  îi-dire  disparaître  dans  la  prononciation, 
absorbée,  en  quelque  sorte,  par  une  voyelle  qui 
commence  le  mot  suivant  : 


La  cruelle 


entre  I  est  vide  ( 


La  syllabe  accentuée  qui  précède  la  césure  est 
venir;  Ve  final  est  élidé,  la  prononciation  n'en 
tenant  aucun  compte,  grâce  à  la  voyelle  qui  com- 
mence le  mot  suivant  est  ;  nous  ne  disons  pas  : 
ventrsv  e^t,  mais  venir'  est. 

D'après  cela,  les  vers  suivants  : 

L'ingrat,  il  me  laiss*?  )  cet  embarras  funeste... 
Mais  bieatôt  les  prêtres  j  nous  ont  enveloppés, 

seraient  vicieux,  parce  qu'ils  ont  à  la  césure  une 
syllabe  qui  n'est  pas  accentuée.  Racine  les  a  faits 
corrects,  en  les  construisant  ainsi  : 

II  rae  laisse,  l'ingrat,  cet  embarras  funeste... 
Mais  les  prêtres  bientôt  nous  ont  enveloppés. 

Le  vers  suivant  ne  serait  pas  moins  défectueux  : 
Et  redire  avec  tant  |  de  plaisir  les  exploits, 

parce  que  le  mot  limt  est  de  ceux  qui,  dans  cer- 
taines situations,  perdent  leur  accent  tonique.  Le 
vers  deviendra  régulier  si  on  le  lit  comme  Racine 
l'a  fait: 


;  tant  de  plaisir  |  redire  le 


xploils 


Pour  faire  sentir  la  règle  de  l'hémistiche,  dit 
M.  L.  Quicherat,  dans  son  excellent  Traité  de  ver- 
sification française,  Voltaire  a  fait  à  dessein  ce 
mauvais  vers  : 


Adic 


:je  I 


i  vais  à  1  Paris  pour  mes  aflFaires. 


On  a  remarqué  que  les  vers  les  mieux  rythmés, 
les  plus  agréables  h  entendre,  sont  ceux  où  les 
syllabes  accentuées  sont  relevées  pour  l'oreille 
par  un  nombre  plus  ou  moins  grand  de  syllabes 
non  accentuées  qui  les  précèdent  ou  qui  les  sui- 
vent, de  façon  à  former  une  sorte  de  cadence  on- 
dulée, la  voix  devant  se  baisser  et  se  hausser  al- 
ternativement, à  des  intervalles  à  peu  près  égaux, 
le  tout,  bien  entendu,  sans  préjudice  du  sens  gé- 
néral de  la  phrase  et  des  nécessités  supérieures 
de  la  pensée  et  du  mouvement.  Exemple: 

Oui,  je  viens  dans  son  temple  adorer  l'Élernel; 
Je  viens,  selon  l'usa;^e  antique  et  solen//e/, 
Céléôrer  avec  voits  la  tanneuse  journée 
Ou  sur  le  mont  Sina  la  loi  nous  fut  donnée. 

Ces  vers  de  Racine  ne  contiennent  guère  chacun 
que  quatre  syllabes  fortement  accentuées,  dont 
l'une  à  la  césure,  l'autre  formant  la  rime,  à  la  fin 
du  vers,  et  les  deux  autres  à  peu  près  au  milieu  de 
chaque  hémistiche. 

Quand  les   vers  sont  surchargés  de  syllabes  ac- 


PROSODIE 


—  1744  — 


PROSODIE 


centuées,  on   n'en  sent  plus  la  mesure.   Molière 
fait  dire  à  Alceste  dans  le  Misanthrope  : 

Quel  aifaniaçe  a-t-on  qu'un  homtac  vous  carejse, 
Vous  jjxro  &m\Uè,  foi,  rèle,  esf;me,  tenrf/Tîsc...  ? 

Ce  dernier  vers,  qui  renferme  six  syllabes  ac- 
centuées, ressemble  à  une  ligne  de  prose. 

Entrons  maintenant  dans  quelques  détails  sur 
les  principales  lois  de  la  prosodie  française  :  me- 
sure, rime,  enjambement  et  inversion,  et  aussi 
sur  les  différentes  espèces  de  vers  français. 

La  mesure,  avons-nous  dit,  résulte  du  compte 
des  syllabes.  Le  plus  long  vers  français,  que,  du 
nom  d'un  poète  et  d'un  poème  du  moyen  âge,  on 
appelle  souvent  alexandrin,  est  de  douze  syllabes. 
Il  n'y  a  pas  de  vers  de  plus  grande  longueur, 
parce  qu'au-dessus  de  ce  nombre  l'oreille  aurait 
peine  à  juger,  sans  le  secours  des  doigts,  si  la 
mesure  est  exactement  remplie.  Quelques  tenta- 
tives ont  été  faites  de  nos  jours,  notamment  par 
un  poète  fort  habile,  M.  Théodore  de  Banville, 
pour  déroger  à  cette  règle  :  elles  n'ont  pas  eu 
d'éi-ho.  Les  syllabes  que  l'on  compte  dans  la  me- 
sure sont  celles  qui  se  prononcent,  même  les  syl- 
labes dites  muettes,  comme  metil  dans  ils  d.\ment, 
lesquell'S  donnent,  à  proprement  parler,  un  son, 
si  étouffé  qu'on  le  fasse.  Quant  aux  syllabes  qu'on 
ne  prononce  pas  du  tout,  comme  les  e  muets  de 
la  fin  des  phrases  ou  les  e  muets  qui,  jilaccs  à 
la  fin  d'un  mot,  sont  suivis  dune  voyelle  au  com- 
mencement du  mot  suivant,  elles  ne  comptent  pas, 
comme  nous  l'avons  dit,  5  la  fin  du  vers,  et,  dans 
le  corps  du  vers,  elles  sont  élidées  et  ne  comp- 
tent pas   davantage. 

Voici  quelques  vers,  où  Lamartine  peint  une 
belle  nuit  sur  un  rivage  de  l'Ilalie  ;  nous  sou- 
lignons les  syllabes  qui  ne  comptent  point  dans  la 
mesure  : 

II  est  nuit  ;  mais  la  nuit  sous  ce  ciel  n'a  point  d'om6re  .- 
Son  astre,  suspendu  dans  un  dôme  moins  somôrf, 
Blanchit  de  ses  lueurs  dos  bords  silencieux 
Où  la  vague  se  teint  du  bleu  pâle  des  cieux  ; 
Où  la  côte  des  mers,  de  cent  golfes  coupée. 
Tantôt  humô/e  et  rampanf;?  et  tantôt  escarpée. 
Sur  un  sa/j/e  argenté  vient  mourir  mollement 
Ou  grande  sous  le  choc  de  son  flot  écumant... 

La  délicatesse  de  notre  oreille,  peut-être  exces- 
live  sur  ce  point,  n'admet  point  dans  les  vers  un 
accident  do  prononciation  dont  la  prose,  même 
la  plus  harmonieuse,  s'accommode  souvent  fort 
bien,  Vhiatus  (d'un  mot  latin  qui  veut  dire 
ouverture  de  bouche,  bâillement!,  c'est-à-dire  la 
rencontre  de  deux  voyelles  ou  d'une  voyelle  et 
d'une  h  muette,  placées,  l'une  à  la  fi'i  d'un  mot, 
l'autre  au  commencement  du  mot  suivant.  Ainsi 
on  ne  peut  pas  dire  dans  un  vers  ;  'u  es,  tu  auras, 
si  elle  vient,  etc.  La  conjonction  et,  dans  laquelle 
le  t  final  ne  se  prononce  pas,  fait  également 
hiatus  ;  et  l'on  ne  peut  pas  dire  non  plus  :  et  il 
vient,  sage  et  heureux.  Les  anciens  poètes  ne  se 
faisaient  pas  faute  de  l'hiatus.  Malherbe  lui-même, 
qui  a  beaucoup  contribué  à  fixer  les  lois  de  notre 
versification  moderne,  écrit  encore  : 

Il  demeure  en  danger  quo  l'âme,  gui  est  née 
Pour  ne  mourir  jamais,  meure  éternellement. 

Mais  la  règle  de  l'hiatus  est  acceptée  aujour- 
d'hui par  tous  nos  poètes  sans  excep'ions. 

Quand  la  rime  a  lieu  entre  deux  syllabes  sonores 
qui  ne  sont  point  suivies  d'un  e  muet,  on  la  dit 
masculine,  et  féminine  dans  le  cas  contraire,  pro- 
bablement parce  qu'un  grand  nombre  de  mots  dé- 
signant des  femmes  ou  des  femelles  d'animaux  ou 
pouvant  s'appliquer  aux  femmes  ou  aux  femelles 
d'animaux  sont  termines  par  un  e  muet,  tandis 
que  les  noms  d'hommes,  d'animaux  mâles,  les 
mots  qui  ne  peuvent  s'appliquer  aux  hommes  ou 
aux  animaux  mâles,  sont  souvent  terminés  par  un 


son  plein.  Mais  rime  masculine  ne  veut  pas  dire, 
comme  on  serait  porté  h  le  supposer,  rime  formée 
par  un  mot  masculin,  ni  rime  féminine  rime 
formée  par  un  mot  féminin  ;  homme  forme  une 
rime  fénjinine  aussi  bien  que  pomme;  et  maison 
forme  une  rime  raasciiline  aussi  bien  f|ue  poison. 
Comme  les  rimes  masculines  donnent  en  géné- 
ral un  son  plus  plein,  plus  fort  que  les  rimes 
féminines,  l'oreille  se  plaît  à  l'alternance  régu- 
lière des  unes  et  des  autres.  Aussi  notre  poésie 
a-t-elle  renoncé  depuis  longtemps  aux  longs 
couplets  monorimes  des  trouvères  et  des  trouba- 
dours. Lefranc  de  Pompignan  s'est  encore  amusé, 
au  dix-huitième  siècle,  k  décrire  dans  des  vers 
exclusivement  rimes  en  if  les  merveilles  du  fa- 
meux château  d'If  : 


Nous  fûmes  donc  au  château 
C'est  un  lieu  peu  récréatif 
Défendu  par  îe  fer  oisif 
De  plus  d'un  soldat  maladif.. 


d'If: 


Et  ainsi  de  suite  pendant  une  trentaine  de 
vers;  mais  ce  ne  sont  li    que  des  jeux  d'esprit. 

Dans  les  vers  de  Lamartine  que  nous  avons 
cités,  les  vers  se  suivent  deux  à  deux,  un  couple 
de  rimes  féminines  alternant  avec  un  couple  de 
rimes  masculines.  Cet  arrangement  constitue  ce 
«lue  l'on  appelle  les  rimes  plates  ou  suivies.  C'est 
l'ordre  le  plus  ordinairement  adopté  dans  les 
grands  poèmes,  comme  l'épopée,  le  genre  drama- 
tique, les  poèmes  didactiques,  la  satire  classique, 
les  grands  récits  en  vers  de  nos  poètes  contempo- 
rains. Mais  il  y  a  bien  d'autres  combinaisons  de 
rimes  admises  par  la  poésie  française.  La  succes- 
sion des  rimes  n'est  soumise,  à  proprement  par- 
ler, qu'à  une  seule  règle  générale,  qui  est  celle-ci  : 
Une  rime  masculine  ne  doit  pas  être  suivie 
immédiatement  d'une  rime  masculine  différente, 
ni  une  rime  féminine  d'une  rime  féminine  diffé- 
rente. A  cela  près,  toutes  les  combinaisons  de 
rimes  peuvent  être  employées.  Ainsi,  on  appelle 
rimes  croisées  celles  qui  présentent  alternative- 
ment un  vers  masculin  et  un  vers  féminin,  ou 
encore  deux  rimes  masculines  séparées  par  deux 
rimes  féminines  suivies,  ou  réciproquement. 
Voici,  dans  une  même  strophe,  un  exemple  de  ces 
deux  combinaisons  : 

J'ai  vu  mes  tristes  journé^'S 
Décliner  vers  leur  penchant; 

Je  touchiiis  à  mon  couchant. 
La  mort,  déployant  ses  ailes. 
Couvrait  d'ombres  éternelles 
La  clarté  dont  je  jouis. 
Et,  dans  cette  nuit  funeste. 
Je  cherchais  en  vain  le  reste 
De  mes  jours  évanouis. 

(J.-B.  RousSBiu.) 

Les  rimes  dont  la  succession  n'est  soumise 
qu'à  la  règle  générale  que  nous  avons  indiquée 
tout  à  l'heure  sont  dites  rimes  me'/ées.  La  plupart 
des  fables  de  La  Fontaine,  de  Florian  et  des 
autres  fabulistes,  \' Amphitryon  de  Molière,  sont 
en  rimes  mêlées. 

Lorsque,  le  sens  d'une  phrase  ne  se  complétant 
pas  à  la  fin  d'un  vers,  il  faut  rejeter  sur  le  vers 
suivant  un  ou  deux  mots  qui  en  rompent  la  ca- 
deme,  on  dit  qu'il  y  a  eyijnmbement.  Il  y  a,  par 
exeniple,  enjambementdans  ces  vers  des  l'iaidiurs 
de  Racine  : 

Mais  j'aperçois  venir  madame  la  comtesse 

De  Pimbesctie... 

L'Intimé,  dans  la  même  pièce,  dit  en  plaidant 
contre  Petit-Jean  : 

Puis  donc  qu'on  nous  permet  de  prendre 

haleine,  et  que  l'ou  nous  défend  de  nous  étendre. 
Je  Tais,  sans  rien  omettre,  etc. 


PROSODIE 


—  1743  — 


PROSODIE 


Ici  encore  il  y  a  enjambement,  et  enjambement 
prcmodilci,  le  rejet  du  mot  lialeine  étant  comme 
une  sorte  de  preuve  plaisante  de  l'essoufflement  de 
l'avocat. 

Et,  en  effet,  l'cnjambemont,  qui  peut  avoir  lieu, 
dans  certains  cas.  pour  la  plus  grande  commodité 
du  poète,  est  employé,  dans  certains  autres,  pour 
contribuer  au  développement  de  la  pensée  poéti- 
que en  portant  sur  un  mot  rejeté  toute  l'attention 
du  lecteur,  ou  encore  pour  rompre  la  monotonie 
des  vers,  surtout  des  grands  vers  rimant  deux  à 
deux,  dont  la  cadence  répétée  et  uniforme  finit 
par  fatiguer  l'oreille.  Il  est  vrai,  d'ailleurs,  qu'il 
conduit  h.  déranger  tellement  le  mouvement 
rythmique  qu'on  ne  saisit  plus  au  passage  l'arrêt 
nécessaire  de  la  rime  qui  marque  la  fin  de  chaque 
vers,  et  qu'on  peut  perdre  ainsi  tout  à  fait  le 
sentiment  de  la  mesure.  Pendant  nos  deux  siècles 
classiques,  tous  les  poètes  sans  exception  ont 
souscrit  sur  ce  point  aux  arrêts  exclusifs  de 
Malherbe,  dûment  formulés  par  Boileau, 


Elle 


;  n'osa  plus  enjamber. 


Notre  école  contemporaine  est  peut-être  tombée 
dans  l'excès  contraire. 

Un  moyen  d'atténuer  ce  que  l'enjambement 
pourrait  avoir  d'excessif,  c'est  de  faire  suivre  les 
mots  rejetés  par  un  développement  qui  s'y  ral« 
tache  et  complète  le  vers;  on  évite  ainsi  que  le 
■rythme  soit  coupé  trop  brusquement.  C'est  ce  que 
i'on  remarque,  par  exemple,  dans  ces  vers  de 
Britannicus  : 

Je  parlerai,  madame,  avec  la  liberté 
D'un  soldat  qui  sait  mal  farder  la  vérité. 

L'école  moderne  dirait  peut-être  : 


;  je 

Ces  deux  procédés,  suivant  les  cas  et  dans  une 
juste  proportion,  peuvent  avoir  une  égale  raison 
d'être. 

L'usage  accorde  aux  poètes,  pour  la  facilité  de 
leur  tache,  certaines  immunités  d'orthographe  et 
de  construction,  qu'on  appelle  des  licences  poéti- 
yuei.  Ainsi  dans  le  mot  encore,  ils  retranchent 
au  besoin  l'e  final;  ils  écrivent  indifféremment 
guère  ou  g-œref,  certe  ou  certes,  et  quelques 
autres  mots  où  1'^  finale  peut  se  supprimer.  Mais 
leur  principal  privilège  consiste  dans  des  invr- 
sions  qui  sont  propres  à  la  poésie.  Pour  le  besoin 
de  la  rime,  souvent  dans  une  intention  d'harmo- 
nie ou  d'élégance,  les  poètes  dérangent  h  plaisir 
l'ordre  ordinaire  dos  mots  dans  la  phrase,  et  se 
permetterjt,  à  la  condition  de  rester  clairs,  les  in- 
terversions les  plus  hardies. 

Lisez,  par  exemple,  ces  vers  de  Racine,  dans  le 
•début  d'Alhalie  : 


3  jour 


Que  les  temps  sont  changés  !  Sitôt  que  de 

L;i  trompette  sacrée  annonçait  ie  retour, 

Du  t«;mple,  urne  partout  de  festons  magnifiques, 

I  e  peuple  saint  nn  foule  inondait  les  portiques  ; 

Et  tous,  devint  l'autel  avec  ordre  introduits, 

De  leurs  charnps  dans  leurs  mains  portant  les  nouveaui 

Au  Dieu  de  l'univers  consacraient  ces  prémices,    [fruits, 


Essayez  maintenant  de  traduire  en  simple  prose 
ces  beaux  vers,  sans  y  rien  changer  que  l'ordre 
des  mots,  rétablis  tels  que  la  prose  les  comporte, 
€tvous  verrez  comme  cet  ordre  sera  différent. 

Il  est  à  ri'marquer,  d'ailleurs,  que  nos  poètes 
contemporains  n'usent  pas  autant  que  les  poètes 
du  dix-septième  et  du  dix-huitième  siècle  du 
procédé  de  l'invers'itin,  qui  est  beaucoup  plus,  en 
réalité,  dans  le  génie  de  la  langue  latine  que  dans 
■celui  de  la  nôtre,  et  qu'ils  la  considèrent  plutôt 
comme  une  ressource  utile  ou  commode,  que 
T  Partie. 


comme  un  véritable  principe  d'harmonie  et  d'élé- 
gance. 

Le  plus  long  vers  de  ta  poésie  française,  avons- 
nous  dit,  est  l'alexandrin,  de  i/ouze  syllabes,  ou, 
en  d'autres  termes,  de  six  pieds,  le  pied,  dans  le 
vers  français,  n'étant  autre  chose  que  l'ensemble 
de  deux  syllabes  qui  se  suivent  dans  un  même 
vers  et  qui  comptent  dans  la  mesure.  La  césure, 
dans  ce  vers,  tombe  après  le  troisième  pied,  par- 
tageant ainsi  l'alexandrin  en  deux  hémistiches 
égaux. 

Il  n'y  a  point  de  vers  de  onze  syllabes  ;  l'inéga- 
lité des  deux  hémistiches,  dont  l'un  aurait  deux 
pieds  et  un  demi-pied  et  l'autre  trois  pieds,  rend 
ces  vers,  dont  il  existe  à  peine  quelques  types, 
d'une  cadence  pénible  à  l'oreille.  Il  n'y  a  guère 
non  plus,  pour  la  même  raison,  de  vers  de  Jieuf 
syllabes.  Mais  il  y  a  des  vers  de  dix,  de  huit,  de 
sept,  de  six,  de  cinq,  de  quatre,  de  trois,  do  deux 
syllabes;  il  y  a  même  des  vers  monosyllabiques. 
De  tous  ces  vers,  les  plus  usités  sont,  après  le 
vers  de  douze  syllabes,  ceux  de  dix,  de  huit  et  de 
sept;  ce  sont  à  peu  près  les  seuls  que  notre 
oreille  —  car  c'est  là,  une  question  d'oreille  — 
permette  d'employer  de  suite  et  sans  mélange  de 
vers  d'autres  mesures  ;  les  autres,  particulière- 
ment ceux  de  six,  de  cinq,  de  quatre,  de  trois  et 
de  deux  syllabes  ne  s'emploient  guère  qu'accou- 
plés à  des  vers  plus  longs,  avec  lesquels  ils  for- 
ment des  couplets,  des  strophes,  des  stances  ;  les 
vers  de  deux  syllabes  et  les  vers  monosyllabiques 
sont  d'un  usage  fort  restreint. 

Si  l'on  veut  juger  de  l'effet  mélodique  que  peu- 
vent produire  les  différentes  espèces  de  vers  que 
possède  notre  prosodie,  employés  seuls  et  succes- 
sivement dans  une  série  de  strophes,  il  faut  lire 
la  pière  des  Urie?itiiles,  de  Victor  Hugo,  intitulée 
les  Djiuns.  Dans  cette  pièce,  plus  curieuse,  d'ail- 
leurs, que  véritablement  intéressante,  le  poète 
veut  donner  l'idée  d'un  bruit  qui  nait  au  loin, 
augmente  de  sonorité  k  mesure  (|u'il  approche, 
devient  h  un  certain  moment  très  éclatant,  puis 
diminue  par  degrés  en  s'éloignant  et  finit  par 
mourir.  Il  emploie  pour  cela  une  série  ascendante 
de  strophes  de  huit  vers  chacune,  la  première  en 
vers  de  deux  syllabes  ;  la  seconde,  de  trois,  la  troi- 
sième, de  quatre,  et  ainsi  do  suite  jusqu'à  huit 
syllabes.  Une  strophe  en  vers  de  dix  syllabes  forme 
en  quelque  sorte  le  point  central  du  crescendo  ; 
puis  vient  une  autre  série  descendante  de  strophes 
en  vers  de  huit,  de  sept,  de  six,  de  cinq,  de  qua- 
tre, de  trois  et  do  deux  .syllabes. 

Le  vers  de  dir  syllabes  ou  de  cinq  pieds  a  une 
césure  après  la  quatrième  syllabe,  et  se  partage 
ainsi  en  deux  hémistiches  inégaux,  le  premier  de 
deux  pieds  et  le  second  de  trois  ;  il  a  deux  accents 
toniques  principaux,  celui  de  la  césure  et  celui  do 
la  rime,  et  de  plus  un  accent  mobile,  qui  se  place 
dans  le  second  hémistiche  sur  la  sinième,  la  sep- 
tième ou  la  huitième  syllabe.  C'est  le  vers  narratif 
par  excellence,  celui  qu'employaient  le  plus  vo- 
lontiers nos  anciens  poètes.  En  voici  un  exemple 
dans  des  vers  de  La  Fontaine  : 

Deux  perroqui^ls,  |  l'un  père  et  l'autre  fils. 
Du  rot  d'un  roi  |  hisaienl  leur  ordinaire; 
Deui  demi-dicux,  |  l'un  fils  et  l'autre  ;)ére, 
eaux  I  (basaient  leurs  Snvoris. 
(Là  ForiTiisE,  les  Deux  Pirroquets,  le  Itoi 


et  son  Fils.] 

Quelquefois  aussi  le  vers  de  dix  syllabes  se 
coupe  en  deux  hémistiches  égaux,  de  cinq  syllabes 
chacun  : 

J'ai  dit  à  mon  cœur,  à  mon  faible  cœur  ; 
N'est-ce  point  assez  de  tant  de  tristesse  7 
Et  ne  vois-l.i  pas  que  changer  siins  cesse, 
C'est  à  chaque  pas  trouver  la  douleur? 

(Alpred  db  Mussbt.) 

110 


PROSODIE 


—  1746  — 


PROSODIE 


Le  vers  de  huit  syllabes,  et  tous  ceux  qui  en 
ont  un  nombre  moindre,  ne  sont  pas  soumis  k  la 
règle  de  la  césure.  Le  vers  de  huit  syllabes  est 
encore  un  de  nos  vers  les  plus  anciens.  Croupis 
en  ensemble  de  dix  vers,  dont  les  quatre  premiers 
riment  entre  eux,  et  les  six  autres  se  composent 
de  deux  tercets  dont  les  derniers  vers  riment 
aussi  entre  eux,  le  tout  formant  ainsi  une  suite  de 
cinqconsnnnances  différentes  symétriquement  en- 
trelacées, les  vers  de  liuit  syllabes  sont  l'élément 
ordinaire  de  notre  grande  strophe  lyrique  des 
odes,  des  élégies,  de  tous  les  sujets  poétiques  qui 
réclamant  le  plus  de  richesse,  de  mouvement  et 
d'ampleur.  Telle  est  cette  strophe  célèbre  de  Le- 
franc  de  Pompignan  dans  l'ode  sur  la  mort  de 
J.-B.  Rousseau  : 

Le  Nil  a  vu  sur  ses  rivages 
Les  noirs  habitants  tles  déserts 
Insulter  par  leurs  cris  sauvages 
L'astre  Mlataut  de  l'univers. 
Cris  impuissants,  fureurs  bizarres  i 
Tandis  que  ces  monstres  baibares 
Poussaient  d'insolentes  clameurs, 
Le  dieu,  poursuivant  sa  carrière, 
Versait  des  torrents  de  lumière 
Sur  ses  obscurs  blasphémateurs. 

Le  vers  de  huit  syllabes  s'accouple  admirable- 
ment au  vers  alexandrin  pour  former  des  disti- 
ques d'une  très  grande  vigueur.  C'est  le  rythme 
favori  des  satiriques  modernes,  d'André  Ciiénier 
flagellant  ses  bourreaux  : 

Quand  au  mouton  bêlant  la  sombre  boucherie 

Ouvre  ses  cavernes  de  mort. 
Pasteurs,  chiens  et  moutons,  toute  la  bergerie. 

Ne  s'informe  plus  de  son  sort.  Etc. 

C'est  le  rythme  des  ïambes  d'.Vuguste  Barbier  : 

0  Corse  aux  cheveux  plats,  que  ta  France  était  belle 
Au  grand  soleil  de  messidor  I  Etc. 

Le  vers  de  sfpt  syllabes,  moins  propre  aux  grands 
effets,  se  prête  aussi  à  la  strophe  lyrique;  nous 
en  avons  cité  plus  haut  un  exemple  à  propos  des 
rimes  croisées.  La  fjble  de  La  Fontaine  :  Le  rat 
de  ville  el  le  rat  des  champs  est  en  vers  de  sept 
syllabes  : 

Autrefois  le  rat  de  ville 
Invita  le  rat  des  champs 
D'une  façon  fort  civile 
A  des  reliefs  d'ortolans.  Etc. 


de  curiosité  littéraire,  un  sonnet  monosyllabique 
d'un  poète  de  notre  lemps,  M.-J.  de  Ressé(;uiep, 
sur  une  jeune  femme  morte  prématurément  : 

Fort 
Belle, 
Elle 
Dort. 

Frêle 
Sort  ; 
Quelle 
Mort! 

Rose 
Close, 


En  réalité,  ces  vers  de  mesure  minuscule  ne 
peuvent  servir  que  mêlés  à  d'autres  vers  de  me- 
sure plus  saisissable.  La  Fontaine,  par  exemple, 
a  introduit  à  dessein  un  vers  de  trois  syllabes 
dans  la  fable  des  Atiimaitx  malades  de  la  pesle  : 


Mèu 


m'est  arrivé  quelquefois  de  mauger 
Le  berger, 


Le  vers  de  six  syllabes  est  d'une  coupe  fort 
gracieuse,  par  exemple,  dans  cette  jolie  pièce  de 
Lamartine  : 

Il  est,  sur  la  colline. 
Une  blanche  maison  ; 
Un  coteau  la  domine  ; 
Un  buisson  d'aubépine 
En  fait  tout  l'horizon.  Etc. 

Accouplé  à  des  vers  de  plus  grande  ampleur, 
il  peut  donner  lieu  à  des  effets  très  énergiques  ; 

La  mort  a  des  rigueurs  à  nulle  autre  pareilles  ; 

On  A  beau  la  prier 
La  cruelle  qu'cll 


Et  j 


i  laisse  t 


bouche  les  oreilles 

(MALHBnBB.) 


Madame  Deshoulières  a  employé  seul  le  vers 
de  cinq  syllabes  dans  son  idylle  bien  connue  : 

Dans  ces  prés  fleuris 
Qu'arrose  la  Seine, 
Cherchez  qui  vous  mène. 
Mes  chères  brebis.  Etc. 

Les  autres  vers,  comme  nous  l'avons  dit,  ne 
s  emploient  seuls  que  dans  des  morceaux  qui  sont 
plutôt  des  jeux  d'esprit,  des  tours  de  force  poé- 
tiques plus  ou  moins  lieureux  que  des  composi- 
tions normales.  C'est  ainsi  qu'on  peut  citer,  à  titre 


dit  le  lion,  cherchant  à  étouffer,  dans  un  vers  si 
court,  l'énormité  de  son  crime. 

Victor  Hugo,  s'appropriant  un  rythme  proba- 
blement inventé  par  Ronsard,  fait  intervenir  très 
gracieusement  deux  vers  de  trois  syllabes  dans 
des  couplets  de  vers  de  sept  syllabes,  où  il  met 
en  scène  les  rêveries  de  Sara  la  baigneuse  : 

Sara,  belle  d'indolence. 

Se  balance 
Dans  un  hamac,  au-dessus 
Du  bas.^^n  d'une  fontaine 

Toute  pleine 
D'eau  puisée  à  l'ilissus. 

Et  la  frêle  escarpolette 

Se  reflète 
Dans  le  transparent  miroir, 
Avec  la  baigneuse  blanche 

Qui  se  penche, 
Qui  se  penche  pour  se  voir.  Etc. 

Les  ballades,  les   villanelles,  les  chansons,  tou- 
tes les  formes   do  la  poésie  li^gère  se  prêtent  vo- 
lontiers à  ces  fantaisies,  comme,  par  exemple,  la 
chanson  bien  souvent  citée  de  Panard,  où  a  trouvé 
I  place  le  vers  monosyllabique  : 

Et  l'on  voit  des  commis 

Mis 
Comme  des  princes, 
Qui  jadis  sont  venus 

Nus 
De  leurs  provinces. 

La  plupart  des  langues  modernes,  celles  sur- 
tout qui  dérivent  du  latin,  ont  adopté  un  système 
de  versification  analogue  au  nôtre,  au  moins  en  ce- 
qui  concerne  la  mesure.  V.Ues  comptent  comme 
nous  les  syllabes  de  leurs  vers,  et  la  plus  grande 
partie  de  leurs  poésies  sont,  comme  les  nôtres,  et» 
vers  rimes.  Cependant  en  italien,  en  anglais,  en 
allemand,  on  emploie,  dans  certains  genres  de 
poésie,  le  vers  sans  rime  aussi  bien  que  le  vers 
rimé.  Ces  vers  sans  rime  sont  ce  qu'on  appelle 
des  vers  blancs.  D'autre  part,  dans  la  langue  an- 
glaise, dans  la  langue  allemande  surtout,  l'accent 
tonique  permet  do  distinguer  assez  nettement  les 
syllabes  pour  produire  dans  la  durée  et  l'intensité 
de  la  prononciation  des  différences  qui  correspon- 
dent aux  longues  et  aux  brèves  des  anciens.  Il  en 
résulte  que,  parallèlement  aux  vers  où  les  syllabe» 
soiit  comptées,  les  .allemands  ont  tout  un  .système 
de  versification  avec  des  dactyles  et  des  spondées, 
des  Ïambes,  des  trochées,  et  tous  les  autres  pieds- 
de  la  prosodie  grecque  et  latine.  Cela  leur  a  per- 


PROTOZOAIRES 


—  1747  — 


PROTOZOAIRES 


mis,  par  exemple,  do  traduire  les  poètes  de  la 
Grèce  et  do  Rome  dans  les  mètres  mêmes  qu'ils 
avaient  consacrés.  On  a  fait  plus,  dit  M.  Vapereau 
dans  son  Dictionnaire  '/es  IMn-ntuvet  (article  sur 
la  versificiition  nllemnnile),  «  on  a  poussé  la  res 


monts  ou  p'eudopodes  que  la  monèrc  se  déplace, 
saisit  ses  aliments  et  même  les  digère.  Un  infu- 
soire,  par  exemple,  viont-il  à  toucher  l'un  de  ces 
pseudopodes,  il  est  aussitôt  arrêté  ;  les  pseudo- 
podes l'entourent  de  leur  réseau  gélatineux,  et  un 


semlilance  du  rythme  jusqu'aux  plus  minutieux  dé-  mouvement  insensible  le  transporte  dans  l'inté- 
tails,  ot,  pour  rendre  certains  effets  d'harmonie,  rieur  de  la  masse  protoplasmique  où  il  ne  tarde 
10  vers  a  lemand  s  est  calqué  sur  le  vers  grec,  pied  pas  à  se  dissoudre.  Un  mouvement  analogue  rejette 
pour  pied,  longue  pour  longue,  brève  pour  brève.....  ,  au  dehors  les  parties  qui  résistent  à  l'action  dia- 
M  ce  n  est  pas  seulement,  continue  M.  Vapereau,    suivante  du  protoplasma. 

«  aux  traductions  que  les  Allemands  appliqu(^rent  |  La  monère  s'assimile  les  substances  ainsi  di-'é- 
la  variété  de  rythme  naissant  des  combinaisons  rées  et  sa  masse  grandit  assez  rapi.Icment  La  phi- 
prosodiques  des  anciennes  langues  classiques,  part  de  ces  organismes  ne  peuvent  toutefois  dé- 
c  est  aussi  à  leurs  poésies  originales.  Klopstock,  passer  une  taille  déterminée.  Lorsqu'ils  l'ont 
Lessing,(jœtlie,  Schiller,  Kcerner.Ruckort,  Platon,  atteinte,  la  masse  de  leur  corps  s'allonge  légère- 
et  Dion  d  autres  ont  employé  tour  à  tour  l'hexa-  ment,  elle  s'étrangle  dans  sa  région  moyenne  et  se 
mètre,  le  vers  lambique  et  toutes  les  sortes  de  partage  bientôt  en  deux  sphères  à  pou  près  égales 
vers  lyriques  combines  en  stances  ou  en  strophes,  dont  chacune  se  comporte  exactement  comme  la 
avec  ou  sans  le  concours  accessoire  de  la  rime.  »  '  monère  primitive. 

Il  va  sans  dire  que  nous  n'avons  pu,  dans  cette  I  Chez  quelques  espèces  cependant,  la  reproduc- 
etude.quelllourertrès  sommairement  6e  qui  arap- '  tion  ne  s'opère  plus  d'une  façon  aussi  simple-  il 
port  aux  principes  généraux  de  notre  prosodie.  A  1  y  a  formation  de  corps  reproducteurs  spéciaux,  de 
ceuxqui  voudraient  étudier  plusà  fondcet  intéres-  ,  zuospores  comparables  à  celles  qu'on  observe  chez 
santsujet,  nous  indiquerons  les  principales  sources  '  un  grand  nombre  de  végétaux  inférieurs.  C'est 
auxquelles  nous  avons  puisé  nous-môrae  :  le  ainsi  qu'à  une  certaine  période  de  leur  existence, 
jrraiié  de  ver..ificalion  française,  ée  M.Louis  les  PTOÏowow/'te  rétractent  leurs  pseudopodes  et 
guicherat,  cite  dans  noire  article,  et  dont  nous  se  transforment  en  de  petites  sphères  régulières 
avons  en  divers  endroits,  suivi  d'assez  près  le  dont  la  portion  extérieure  devient  plus  résistante 
texte  (I  vol.  in-8.  Hachette  et  C'»)  ;  un  abrégé  très  ,  et  constitue  une  sorte  de  kyste  membraneux  dans 
bien  lait  de  ce  traite,  le  Petit  traité  de  versifioa-  ,  l'intérieur  duquel  le  protoplasma  se  partage  en 
tioii  f>-/mçaise  (in-l2  classique)  ;  ils  trouveront  en-  un  certain  nombre  de  très  petits  globules  arrondis. 
core  d  utiles  renseignements  dans  un  Précis  i/es  '  Plus  tard  le  kyste  se  rompt,  et  les  corps  repro- 
regles  île  la  versification,  qui  est  en  tête  du  Peil  ,  ducteurs  s'échappent  sous  la  forme  de  corpuscules 
aictwnnau-e  des  mues  françaises,  de  M.  E.  Soni-  :  piriformes,    pourvus   à  leur    extrémité    amincie 


mer  (in-18  classique,  Hachette  et  G'"),  et  enfin 
dans  différents  articles  du  Dictiojinaire  des  litté- 
ratures, de  M.  Gustave  Vapereau  (1  vol.  gr.  in-8 
1876,  même  librairie).  (Charles  Defodon.l 

PROTESTA.^  riS.ME.  —  V.  Réfo. 


d'un  long  filament  dont  les  mouvements  ondula- 
toires permettent  aux  zoospores  de  se  déplacer 
avec  rapidité  dans  le  liquide  ambiant.  Des  pseu- 
dopodes se  montrent  bieniôt,  et  la  spore  se  trans- 
forme en    une   nouvelle  protomonade.  La   Proto- 


PUO'TOZOAIRES.  —  Zoologie,  XXX.  —  On  |  nvjxa  awanliaca,  magn'ifique  monère  de  très 
donne  le  nom  de  Protozoaires  aux  plus  petits  et  '  grande  taille  qu'on  rencontre  ordinairement  sur 
aux  plus  simples  de  tous  les  animaux.  ,  les  coquilles    abandonnées  d'un  petit   mollusque 

Les  Protozoaires  sont  constitués  par  une  sub-  voisin  des  Poulpes,  la  S/drule  de  Pérou,  s'enkyste 
stance    contractile,    de    consistance    gélatineuse,    comme  les  Protomonades,  puis  sa  masse  centrale 

sans  forme  déterminée,  parfois  absolument  liomo- '         "  '  

gène,  plus  souvent  granuleuse,  douée  de  la  faculté 
de  se  mouvoir,  sans  cesse  parcourue  par  des  cou- 
rants qui  entraînent  dans  un  sens  ou  dans  un 
autre  les  granules  qu'elle  contient.  Cette  sub- 
stance, qui  constitue  le  substratum  le  plus  simple 


se  divise  en  un  nombre  considérable  de  petites 
sphères  qui  se  séparent  et  s'agitent  dans  l'inté- 
rieur du  kyste  jusqu'à  ce  que  la  rupture  de 
celui-ci  les  ait  mises  en  liberté. 

Le  nombre  des  Monères  actuellement  connues 
est  assez  considérable  ;  elles  affectent  d'ailleurs 


de  la  vie  animale,  est  designée  par  les  naturalistes  des  formes  extrêmement  variées.  Les  unes,  telles 
sous  le  nom  de  sarcode  ou  plus  généralement  '  que  la /'/•o%é«f/»-(mo>f/!a/f,  représentent  de  pe- 
sous  celui  de  p'o;û;)/rtsnitf.  Identique  dans  toute  '  tites  sphères  hérissées  de  filaments;  d'autres, 
sa  masse  cliez  les  plus  simples  des  Protozoaires,  î  comme  la  Protamibe  primitive,  ont  une  forme  ab- 
le  protoplasma  présente  chez  certains  autres  des  solument  indéfinie  :  leurs  contours,  soumis  à  de 
parues  neiiement  difierenciées  qui  ne  forment  !  continuels  changements,  se  découpent  en  lobes 
toutelois  jamais  de  véritables  organes  composés  ^  arrondis  dont  l'apparence  et  la  position  ne  pré- 
oe  cellules.  senlent  aucune  fixité  et  qui  n'émettent  d'ailleurs 

CLASSIFICATION.  —  Sous  cc  nom  de  Protozoaires,  jamais  de  véritables  pseudopodes.  Certaines  es- 
on  réunit  des  formes  d'organisation  assez  diffé-  |  pèces  vivent  en  société.  La  Monohh-  confluente 
rentes  que  1  on  divise  généralement  en  trois  clas-  forme  des  colonies  dans  lesquelles  les  individus  ne 
ses,  les  Monères.  les  Rliizopodes  et  les  Infusoires.  |  se  séparent  que   rarement,  bien   qu'ils   changent 

Monères.  —  La  classe  des  Monères  renferme  ;  fréi|uemment  de  position  relative  et  ne  demeurent 


les  formes  les  plus  simples  sous  lesquelles  la  vie 
animale  se  manifeste  dans  la  nature  actuelle. 

Ces  organismes,  dont  la  connaissance  est  toute 
récente,  —  le  plus  anciennement  observé,  la  Pro 


fixés  pendant  ces  migrations  que  par  un  ou  plu- 
sieurs de  leurs  pseudopodes.  Chez  le  Mijxodiclyon 
social,  les  différents  individus,  qui  sont  nés  les 
uns  des  autres  par  division  de  la  masse  primitive. 


togene  primoidide,  a  été  découvert  par  le  natu-    demeurent  soudés  par  leurs   pseudopodes  d'une 
raliste  allemand  Hœckel   en  186i,  —  vivent  dans  ■ 

les  eaux  douces  et  salées,  ainsi  que  dans  la  terre 
humide.  Ils  sont  uniquement  formés  par  une 
petite  masse  de  proioplasma  qui  émet  générale- 
ment sur  toute  sa  surface  des  filaments  grêles  de 
formes  variées  qui  s'allongent,  se  contractent,  se 
ramifient,  se  soudent  entre  eux  de  tout.s  les  façons 
possibles  et  peuvent  même  rentrer  complètement 
dans  la  masse  protoplasmique  dont  ils  ne  sont 
que  les  prolongements.  C'est  à  l'aide  de  ces  flla- 


manière  si  intime  que  les  granules  protoplasmi 
ques  peuvent  passer  de  la  masse  d'un  individu 
dans  celle  d'un  individu  voisin.  Quelques  espèces 
enfin  paraissent  constituer  des  masses  complète- 
ment amorphes,  capables  de  s'accroître  indéfini- 
ment sans  être  astreintes  à  se  diviser.  Tel  serait 
le  Hathi/tiins  Hieclielii,  ramené  des  profondeur» 
de  l'Atlaniique  par  les  naturalisti'S  anglais  Car- 
pcnter  et  VVyville  Tliomson  pendant  la  croisière 
du  navire  Porcupine  ;  tel  serait  également  le  Pro- 


PROTOZOAIRES 


—  1748 


PROTOZOAIRES 


tobathi/bius.  plus  récemment  découvert  dans  le 
détroit  de  Smiili  par  le  docteur  Bessels,  natura- 
liste de  l'expédition  du  Po/m-is,  etc. 

C'est  également  à  la  classe  des  Monères  que  l'on 
rapporte  généralement  les  lioctérvs,  organismes 
ambigus  que  certains  naturalistes  considèrent 
comme  des  champignons  inférieurs  voisins  des /ei'«- 
len,  avec  lesquelles  ils  partagent  le  pouvoir  de  pro- 
voquer dos  fermentations  ;  ces  naturalistes  en  font 
une  classe  spéciale  sens  le  nom  de  Sclnznmycètes. 
Les  Bactéries  (ïnchijmonè'es  de  Hœckel)  se  dis- 
tinguent des  Monères  proprement  dites  par 
l'extrême  petitesse  de  leur  taille,  par  la  consis- 
tance de  leur  protoplasma  qui  est  devenu  plus 
ferme,  par  la  fixité  de  leur  forme,  enfin  par  l'ab- 
sence de  pseudopodes  et  de  mouvements  ami- 
boides.  Elles  se  multiplient  par  division  transver- 
sale avec  une  rapidité  telle  i|ue,  d'après  Cohn,  la 
postérité  d'une  seule  bactérie  est  représentée  au 
bout  de  vingt-quatre  heures  par  plus  de  seize 
millions  d  individus. 

Les  bactéries  sont  de  tous  les  ôtres  les   plus 
répandus    dans  la   nature   :  elles  se    fixent   à  la 
surface  de  tous  les  corps,  pullulent  dans  tous  les 
liquides  organiques  exposés   à  l'air  et  pénétrent 
même  dans  les  tissus  drs  animaux  et  des  végétaux 
chez  lesi|uels  elles  déterminent  presque  toujours 
les  désordres  les  plus  graves.  Le  charbon  ou  pus- 
tule maligne,  le  croup  des  enfants,  la  variole,  le 
typhus  des  bêtes  à  cornes  et  probablement  aussi 
la   plupart   des  maladies   épidémiques   ou  conta- 
gieuses sont  dus  au  développement  dans   l'orga- 
nisme de  diverses  espèces  de  bactéries.  Nous  ci- 
terons, parmi   les  plus  remar(|uables  de   ces  es- 
pèces,  les   Micncocci/s,   parasites   des   animaux, 
dont  la  forme  est  globulaiie    les  Baaltus  et  les 
Vibrio.  qui  ont  la    forme  de  bâtonnets,   les  Spi- 
ri/luni  et  les  Spiroc/iasla,   qui  sont    enroulés    en 
spirale  et  se  meuvent  avec    rapidité  à   l'aide    du 
•   cil  vibratile  que  porte  chacune  de  leurs  extrémi- 
tés, les  Ba'ieiium,  qui  forment  des  colonies  li- 


un  très  grand  nombre  de  petits  pores  percés  dans 
l'épaisseur  du  test  livrent  en  général  passage  aux 
pseudopodes  concurremment  avec  l'orifice  de  la 
dernière  loge.  Certaines  de  ces  coquilles,  celles 
des  Glohigérines,  des  Rnsiilines,  des  Rotalies,  et 
surtout  celles  des  NunmiulUes,  dont  les  chambres 
sont  disposées  en  spirale,  présentent  une  struc- 
ture tellement  complic[uée  que  des  naturalistes 
éminents  ont  pu  les  considérer  comme  provenant 
de  céphalopodes  voisins  des  nautiles  et  dos  am- 
monites. 

La  plupart  des  Foraminifères  sont  manns;  ils 
habitent  ordinairement  le  fond  de  la  mer  et  ram- 
pent lentement  sur  les  tiges  des  algues  sous- 
marines.  Quelques  espèces  sont  fiuviatiles , 
comme  les  Ai  celles  et  les  Diffngies,  dont  la  mem- 
brane extérieure  peut  agglutiner  des  grains  de 
sable,  de  petites  coquilles,  etc.,  et  édifier  ainsi 
une  habitation  assez  semblable  à  celle  que  cons- 
truisent les  larves  des  phryganes. 

La  structure  des  Kadiolaires  est  un  peu  plus 
compliquée  que  celle  des  Foraminifères.  Au  centre 
de  leur  corps,  il  existe  généralement  une  capsule 
membraneuse  dont  le  contenu,  parfois  segmenté 
en  masses  polyédriques,  est  en  continuité  avec 
le  proloplasma  qui  entoure  extérieurement  la 
capsule.  On  trouve  également,  disséminés  dans  la 
masse  sarcodique,  certains  corpuscules  de  couleur 
jaune  qui  paraissent  être  de  véritables  cellules 
contenant  de  l'amidon.  Chez  nombre  d'espèces 
enfin  on  voit,  de  temps  à  autre,  se  former  en  un 
des  points  de  la  masse  protoplasmique  une  vési- 
cule limpide  qui  grossit  lentement,  puis  se  con- 
tracte et  se  vide  brusquement,  déversant  ainsi  à 
l'extérieur  le  liquide  qu'elle  contient.  Cette  vési- 
cule contractile  peut  être  considérée  comme  cons- 
tituant un  appareil  d'excrétion  rudimentaire  à 
l'aide  du(|UBl  l'organisme  se  débarrasse  des  rési- 
dus de  l'échange  moléculaire. 

Quelques  espèces  de  Radiolaires  seulement 
sont  nues  ;  les  autres  sont  pourvues  d'un  sque- 
lette intérieur,  de  nature  siliceuse,  qui  consiste 


néaires  semblables  à  des  chapelets,  etc.  .^.^„   ,   -  ,  . 

Khizopodes.  -  les  Hliizopodes  doivent  leur  tantôt  en  une  ou  plusieurs  sphères  treillissees,  em- 
nom  à  la  propriété  qu'ils  ont  d'émettre,  comme  boitées  les  unes  dans^les  autres^  tanto^  en^Qe 
les  Monères,  des  prolongements  sarcodiques,  des    "  '    '  '        "       '"'  ""° 

pseud'  pndes  ramifiés  que  Dujardin  comparait  au 
chevelu  d'une  racine  de  végétal,  (."est  à  l'aide  de 
ces  pseudopodes  que  les  Rhiznpodes  se  déplacent 
et  saisissent  les  iiifusoires  et  les  petits  crustacés 

dont  ils  font  leur  nourriture. 

Le  protopla^ma  des  Rliizopodes  sécrète  géné- 
ralement  ries    formations  calcaires  ou  siliceuses 

qui  constituent  une  sorte  de  squelette.  Cette  diffé- 
rence dans  la  composition  chimique  du  squelette 

et  queli|ues   autres   particularités   d'organisation 

ont  conduit  les  naturalistes  à  panager  les  lUiizo- 

podes  en   deux  ordres,  les  Foraminifèiies  et  les 

Radiolaikes. 
Plus  élevés    en  organisation  que  les  Monères, 

les   Foraminifères   présentent    dans    leur    masse 

sarcodique  un  noyau  et  parfois  une  ou  plusieurs 

vésicules  coniractiles  semblables  à  celles  des  Ra- 
diolaires et  des  Infusoires. 

Ceriains  Forammil'ères  sont   entièrement  nus; 

tels  sont  les  Amibes  ou  Prolées,  ainsi  nommés  à 

cause  de  l'instabilité  de   leur  forme,  les  Actyno- 

phrijs,  etc.   D'autres    ne   sont  revêtus  que  d'une 

simple  membrane  albuminoide   qui,  chez  les  Ar- 

celles,  ne  recouvre  niême  que   la  région  dorsale, 

tandis  que  chez  les  ('•roiiiies  elle  forme  une  sorte 

de  petite  bouteille  dont  le  goulot  livre  passage  au 

protoplasma  qui  s'étend  sur  la  surface  extérieure 

de   la   membrane,  émettant  de    toutes    parts   de 

nombreux  pseudopodes  ramifiés.  Chez  la  plupart 

des  es|icces  il  existe  une  coquille  calcaire  simple 

ou  cloisonnée,  toujours  pourvue  d'une  large  ou- 
verture, et  dont  les  logns,  diversement  disposées, 

donnent  lieu  à  des  formations  variées  à  1  infini  ; 


longues  épines  diversement  réunies,  ou  en  cor- 
puscules épars  ayant  la  forme  d'ancres,  de  cro- 
chets, de  casques,  etc.  . 

Les  Radiolaires  ..ont  des  animaux  pélagiques 
qui  se  tiennent  généralement  à  la  mer  où  ils  for- 
ment des  lé'.;ions  innombrables. 

On  ignore  à  peu  près  complètement  comment 
s'opère"  la  reproduction  chez  les  Foraminifères. 
Chez  les  Radiolaires,  le  phénomène  se  passe  ordi- 
nair.Mnent  de  la  façon  suivante  :  à  un  certain  mo- 
menl,  les  pseudopodes  .t  le  protoplasma  qui  entou- 
rent la  capsule  centrale  disparaissent  pou  à  peu  ;  e 
contenu  de  celle-ci  se  partage  en  une  multitude 
de  petits  corps  sphéroidaux,  puis  la  capsule  se 
rompt,  et  les  corps  reproducteurs  se  niontrent 
sous  la  forme  de  globules  munis  d  un  filament 
mobile  qui  leur  sert  d'appareil  locomoteur. 

Malgré  l'exiguitô  de  leur  taille,  les  Rhizopodes 
pourvus  d'un  squelette,  qui  furent  d  ailleurs  con- 
nus par  leur  test  longtemps  avant  _qu  on  n  eut 
étudié  leur  organisation,  ont  joué  un  rôle  des  plus 
importants  dans  la  formation  des  assises  geolo- 
giqu.-s.  Des  dépôts  puissants,  tels  que  la  ccaie  et 
Xeckaire  à  mi/iolites  des  environs  de  Parts,  en 
sont  presque  exclusivement  pétris;  les  niiramu- 
lites,  dont  certaines  espèces  avaient  des  dimen- 
sions supérieures  \  colles  d'une  pièce  de  deux 
francs,  ont  présenté  pendant  la  période  tertiaire 
une  ère  de  prospérité  telle  que  leurs  débris  cons- 
tituent presque  à  eux  seuls  certains  pics  aes 
Pyrénées.  ,         ,     „„♦„-« 

Ces  petits  êtres  jouent  d'ailleurs  dans  la  nature 
actuelle  un  rôle  non  moins  actif  qu  aux  cpt»]"»» 
géologiques  antérieures.  Les  dernières  expéditions 


PROTOZOAIRES 


1749 


PitOTOZO  AIRES 


d"explorat.ions  sous-marinos  ont  montré  qw  pros- 
que  panoiu  le  fond  de  l'Atlantique  et  de  l'Océan 
Paciiiqne  est  formé  par  un  limon  fin  oxclusivs- 
mont  Constitué  par  dos  Foraminifèros  ou  di-s  Ra- 
diolaires vivants.  Le  sable  dune  muliitude  de 
plages,  principalement  dans  la  mer  des  Aniilles 
et  l'Amérlqui',  est  presque  enlièrement  composé 
lie  coquilles  abandonnées  par  ces  mènios  animaux. 
D'après  un  auteur  allemand,  l'once  de  sable  du 
môle  de  Gaëte  en  contiendrait  plus  d  un  million 
et  demi  ! 

Les  dépôts  dus  aux  Rliizopodes  d'eau  douce, 
bien  que  moins  répandus  que  les  précédents,  ne 
laissent  pas  que  d'avoir  aussi  leur  importance. 
D'après  Ehrenberg,  les  dépôts  vaseux  qui  se 
forment  dans  un  très  grand  nombre  de  sources 
minérales,  dans  celles  de  Carlsbad  en  particulier, 
sont  en  partie  formés  par  les  spicules  siliceux 
produits  par  des  animaux  appartenant  au  groupe 
qui  nous  occupe. 

Infusoires.  —  Le  nom  que  les  naturalistes  ont 
imposé  à  ces  organismes  rappelle  qu'on  les  trouve 
en  abondance  dans  toutes  les  infusions  de  subs- 
tances organiques;  on  les  rencontre  également 
dans  l'air,  dans  le  sol  liumide  et  jusque  dans  les 
tissus  et  les  humeurs  des  animaux 

Ccrtaiiies  espèces,  par  l'accumulation  de  leurs 
débris,  peuvent  donner  naissance  à  des  couches 
de   plusieurs    mètres    d'épaisseur  :    Ehrenberg  a 


se  détacher  de  temps  h  autre  et  nager  librement 
dans  le  liquide  ambiant.  Les  espèces  privées  de 
cils  sont  munies  d'un  on  de  deux  prolongements 
mobiles  {flngellum),  qui  leur  servent  d'organes 
locomoteurs.  Les  quelques  espèces,  souvent  para- 
sites, formant  le  groupe  des  Acinéte.\,  sont  pour- 
vues de  suçoirs  contractiles  et  rélractiles,  ,'i  laide 
desquels  elles  aspirent  les  sucs  nutritifs.  Chez 
quelques  infusoires  ciliés  parasites,  les  Opalines, 
par  exemple,  dont  une  espèce  est  extrêmement 
fré(|Uonte  dans  le  tube  digestif  des  grenouilles, 
l'absorption  se  fait  par  simple  endosmose  à  tra- 
vers les  téguments. 

Le  parencliyme  du  corps  des  Infusoires  est  par- 
tagé en  deux  couches  qui  se  relient  du  reste  l'une  - 
à  l'autre  d'une  manière  insensible  :  une  corticale, 
visqueuse  et  granuleuse,  et  une  masse  centrale 
fluide  et  transparente. 

La  couche  corticale,  dans  laquelle  la  sensibilité 
et  le  mouvement  paraissent  localisés  présente 
souvent  des  stries  analogues  K  des  stries  muscu- 
laires :  de  véritables  muscles  existent  dans  le 
pédoncule  des  Vorticelles  et  de  quelques  autres 
espèces  C'est  également  dans  cette  môme  couche- 
que  se  trouvent  les  vésicu'es  contractiles,  ainsi 
que  deux  organes  qui  paraissent  jouer  un  rôle 
prépondérant  dans  la  reproduction  sexuée,  le  nu- 
cléus  et  le  nucléole. 

Le  ?niclf'Ux,  que  l'on   a  longtemps   comparé  a» 


signalé  dans  le  pays  de  Lunebourg  un  de  ces  dé-    noyau  d'une  cellule,  peut  être  unique  ou   multi- 
pôts  qui  n'a  pas  moins  de  14  mètres  d'épaisseur.  \  pie.  Déforme  extrêmement  variable,  il  est  constitué 


Les  terres  comestibles  auxquelles  certaines  peu 
plades  ont  recours  dans  les  années  de  disette,  la 
farine  dit  ■moningne  des  Lapons  en  particulier, 
doivent  leurs  propriétés  nutritives  à  la  présence 
d'un  grand  nombre  de  débris  de  ces  petits  êtres. 
La  coloration  verte  que  présentent  les  flaques 
d'eau,  la  couleur  rouge  que  prennent,  à  un  certain 
degré  de  salure,  les  eaux  des  marais  salants,  sont 
dues  à  la  présence  de  nombreux  infusoires.  La 
Monas  prodigiosn,  qui  se  développe  assez  fré- 
quemment sur  les  substances  amylacées,  a  plus 
(l'une  fois  déterminé  par  son  accumulation  sur 
des  hosties  la  production  des  tacites  sanguinolen- 
tes dont  l'apparition  a  souvent  été  considérée  par 
le  peuple  ignorant  comme  une  manifestation  de 
la  colère  divine. 

Un  grand  nombre  d'Infusoires  appartiennent  à  la 
catégorie  des  animaux  reviviscents.  La  dessicca- 
tion suspend  chez  eux  toutes  les  manifestations 
vitales.  Devenus  absolument  inertes,  ils  peuvent 
demeurer  pendant  plusieurs  années  dans  cet  état 
de  mort  apparente  et  ressusciter  ensuite  lors- 
qu'une goutte  d'eau  vient  humecter  leurs  tissus. 
Le  corps  des  Infusoires  est  constitue  par  une 
masse  protoplasmicine  de  forme  variable,  limitée 
par  une  fine  membrane  ou  cuticule,  qui  est  qu'l- 
quefois  elle-même  protégée  par  une  mince  co- 
quille, ainsi  qu'on  l'observe  chez  quelques  Vorti- 
cell'S.  La  cuticule  porte  des  appendices  de 
diverses  natures  qui  presque  tous  paraissent  se 
rattacher  au  parenchyme  intérieur.  C'est  ainsi 
qu'un  grand  nombre  d'Infusoires  présentent  des 
cils  vihraliles,  qui  peuvent  être  uniformément 
répartis  sur  toute  la  surface  du  corps  ou  n'en 
occuper  que  certaines  régions  déterminées.  Chez 
les  Vorth  elles,  dont  la  bouche  est  située  au  fond 
d'une  sorte  d'entonnoir,  ces  cils  forment  autour 
de  ce  vestibub,'  une  véritable  couronne  vibratile 
destinée  à  diriger  vers  1  orifice  buccal  le  liquide 
chargé  de  particules  alituentaires.  Indépendam- 
ment des  cils  vibratiles,  il  existe  fréquemment 
chez  h;s  Infusoires  ayant  une  existence  errante 
des  cirrhe<,  des  soies  rii/ide^,  des  crochets,  qui 
leur  servent  ii  ramper  ou  à  se  fixer.  Les  espèces 
dont  les  habitudes  sont  sédentaires  se  fixent  à 
l'aide  d'un  pédoncule  ou  simplpinent  par  leur 
extrémité   postérieure;   elles   peuvent    d'ailleurs 


par  une  substance  visqueuse,  renfermant  de  très 
fines  granulations,  entourée  d'une  membrane  ex- 
trêmement délicate. 

Le  nucléole,  dont  l'existence  paraît  du  reste 
être  moins  constant''  que  celle  du  nucléus,  peut 
être,  comme  ce  dernier,  simple  ou  multiple.  II 
n'égale  jamais  en  grosseur  le  nucléus,  dans  le 
voisinage  duquel  il  est  toujours  situé. 

Nous  avons  précédemment  indiqué  par  quels 
procédés  l'absorption  des  substances  nutritives 
s'effectue  chez  quelques  espèces  parasites,  les 
Opalines  et  les  Acinètes.  Ce  ne  sont  d'ailleurs  li 
que  des  dispositions  exceptionnelles.  La  plupart 
des  Infusoii-es  sont  pourvus  d'un  nrifire  hiircal, 
gcnéralfment  voisin  de  l'extrémité  aniérirnro  du 
corps,  et  d'un  orifice  anal  qui  n'est  parfaitement 
visible  qu'au  moment  de  l'expulsion  des  résidus 
de  la  digestion .  One  sorte  de  tube  œsophagien, 
parfois  armé  de  parties  cornées,  conduit  les  ali- 
ments réduits  en  bols  alimentaires  de  très  peti- 
tes dimensions  dans  le  parenchyiue  interne  où 
s'opère  la  digestion.  Il  n'existe  par  conséquent 
pas,  chez  les  Infusoires,  d'estomac  permanent 
pourvu  de  parois  propres,  et  les  prétendus  esto- 
macs multiples  décrits  autrefois  par  l'illustre  mi- 
crographe Ehrenberg  chez  des  infusoires  poli/gai- 
triques  n'étaient  autres  que  les  bols  alimentaires 
eux-mêmes. 

Les  Infusoires  se  multiplient  par  division  trans- 
versale, plus  rarement  par  scission  longitudinale, 
ainsi  qu'on  l'observe  chez  les  Vorticelles.  Il  existe, 
en  outre,  chez  ces  êtres  une  véritable  reproduc- 
tion sexuelle,  dans  laquelle  le  nucléus  joue  le 
rôle  d'ovaire. 

Les  Infusoires,  qui  sont  extrêtnement  nombreux 
en  espèces,  peuvent  être  subdivisés  en  trois  or- 
dres :  les  Infusoires  fla./ellifrres,  les  Infusoires  su- 
ceurs, les  lufuS'dres  ciliés. 

Les  Infusoires  flagellifères  sont  les  Monarles 
des  auteurs  anciens  ;  ils  sont  rarement  pourvus 
de  cils,  et  leurs  organes  locomoteurs  sont  réduits 
à  un  ou  deux  prolongements  filiformes  [flfigellum) 
animés  de  mouvements  ondulatoires.  Parmi  tes 
espèces  les  plus  remarquables,  notis  citerons  la 
Moiias  prO'ligiosa,  \'.4stnsia  hiemntodes,  l'HJug'enn 
samjuineri,  élc,  dont  la  couleur  est  d'un  roug« 
yU,  VEuylena  viridis,  l'une  des  espèces  les  plus.: 


PROVERBES 


—  1750 


PROVERBES 


communes,  qui  colore  en  vert  les  eaux  stagnantes 
des  mares  et  des  étangs;  les  Pfridinies,  qui  sont 
phosphorescentes,  et  qui  contribuent  avec  les 
NoctiluqU'-s,  êtres  plus  élevés,  à  produire  le  phé- 
nomène de  la  phosphorescence  de  la  mer,  etc. 
Plusieurs  espèces  forment  des  colonies  relative- 
ment volumineuses  et  remarquables  par  la  régu- 
larité de  l'arrangement  des  individus  qui  les  com- 
posent :  tels  sont  les  Dendrumonas,  les  Rhipulo- 
dendroti,  etc. 

Parmi  les  Infusoires  suceurs,  nous  mentionne- 
rons les  Ari7iétes,  qui  vivent  principalement  aux 
dépens  d'autres  infusoires  et  dont  les  diETorents 
individus  demeurent  isolés  ;  les  Solenophryes  et 
les  Dendrosonus,  qui  forment  des  colonies  rami- 
fiées, etc.  I 

Les  Infusoires  ciliés  sont  pourvus  de  véritables 
cils  vibratiles.  C'est  à  cet  ordre  qu'appartiennent 
les  Vurticfl/es,  qui  sont  ordinairement  portées 
sur  un  pédoncule  contractile  ;  les  Stentors,  re- 
marquables par  leur  grande  taille  et  la  forme 
turbinée  de  leur  corps;  les  Parinnéiies,  qui  sont 
également  d'assez  grande  taille  et  se  développent 
parfois  en  telle  quantité  dans  les  eaux  douces  et 
salées  qu'elles  les  rendent  absolument  troubles; 
une  espèce  de  ce  genre,  la  Puramccie  du  colon, 
vit  en  parasite  dans  le  gros  intestin  et  le  cœcum 
du  porc  et  de  l'homme.  1 

Il  faut  encore  rattacher  aux  Protozoaires  les 
Giégrirines,  organismes  parasites,  généralement 
restreints  à  une  seule  cellule;  les  N"itduqups,  qui 
se  rapprochent  des  Radiolaires  dont  tout  le  proto- 
plasma serait  contenu  dans  la  vésicule  centrale,  et 
un  certaiii  nombre  d'êtres  ambigus  formés  par 
des  groupes  de  cellules  toutes  semblables  entre 
elles  et  capables  de  se  séparer  pour  fonder  en-  ] 
suite  d'autres  groupes  semblables:  telles  sont  les 
Slagosjj/iœra,  les  Labyrintlailes,  etc.  | 

[Victor  Berlin.]      1 

TROVERBES.  —  Connaissances  usuelles,  XII. 
—  Le  proverbe  est  une  courte  sentence  résu-  ' 
mant  soit  une  vérité  d'expérience,  soit  un  conseil 
pour  la  conduite  de  la  vie.  Il  y  a  différentes  sortes 
de  proverbes;  les  uns  n'ont  pas  d'auteur  connu  ; 
ils  sont,  comme  on  l'a  dit  justement,  la  sagesse 
des  nations.  Quelque  tête  bien  organisée  a  trouvé 
le  tour  original,  la  figure  expressive,  l'image  plai- 
sante ou  la  rime  naïve  qui  a  pour  toujours  fixé  une 
idée.  Telle  est,  par  exemple,  cette  pensée:  <>  Pour  1 
connaître  un  homme,  il  faut  manger  un  minot  de 
sel  avec  lui.  »  Ou  cette  autre:  «  Compagnie  fait 
pendre  les  gens.  »  Quelquefois,  au  contraire,  nous 
connaissons  l'auteur  de  la  pensée  devenue  prover-  \ 
biale.  Ce  sont  surtout  les  poètes,  et  parmi  les 
poètes  les  plus  grands  et  les  plus  fins,  qui  met- 
tent cette  monnaie  en  circulation.  A  La  Fontaine 
appartiennent  :  «  Chassez  le  naturel,  il  revient  au 
galop.  —  Le  sage  dit,  selon  les  gens  :  Vive  le  roi, 
vive  la  Ligue  !  «  A  Molière  :  «  Il  y  a  fagots  et  fa- 
gots. —  Le  véritable  amphitryon  est  l'amphitryon 
où  l'on  dine.  »  A  Boileau  :  «  L'ennui  naquit  un 
jour  de  l'unifornjité.  >■  Quelquefois  enfin  les  pro- 
verbes ont  une  origine  historique  et  sont  des 
mots  qui  ont  été  prononcés  dans  une  circonstance 
connue,  comme  cette  réponse  des  Suisses  enrôlés 
au  service  de  la  France  durant  les  guerres  d'Italie  : 
«  Point  d'argent,  point  de  Suisses.  » 

De  ces  diflérentes  sortes  de  proverbes,  celle  qui 
nous  intéresse  le  plus  est  la  première.  Les  pro- 
verbes sortis  du  peuple  nous  monirent  au  vrai 
quelles  sont  les  préoccupations  principales  d'une 
population  et  d'une  époque.  Il  n'y  a  qu'à  prendre 
les  proverbes  sur  Dieu,  sur  les  saints  et  sur 
le  diable  pour  se  faire  une  idée  de  la  religion 
moitié  naïve,  moitié  sceptique  de  nos  pères  :  o  A 
q  ui  Dieu  aide,  nul  ne  peut  nuire.  —  Contre  Dieu, 
n  ul  ne  peut.  —  Ce  que  Dieu  garde,  est  bien 
g  ardé.  —  En  peu  d'heures.  Dieu  labeure.  —  Lais- 


sez faire  à  Dieu,  qui  est  homme  d'âge.  —  Mieux 
vaut  avoir  affaire  à  Dieu  qu'à  ses  saints.  —  Il  n'y 
a  si  petit  saint  qui  ne  veuille  sa  chandelle.  —  Der- 
rière la  croix  souvent  se  tient  le  diable,  n 

Les  proverbes  de  cette  sorte  forment  une  par- 
tie importante  de  la  littérature  populaire.  Ainsi 
les  fabliaux  du  loup  et  du  renard,  si  chers  au 
moyen  âge,  ont  comme  un  d'Tiiier  écho  dans  des 
adages  tels  que  :  »  Ne  donne  pas  au  loup  la  bre- 
bis à  garder.  —  C'est  folie  à  la  brebis  de  se  con- 
fesser au  loup.  —  Le  loup  et  le  renard  tiennent 
ensemble  conseil.  —  Conseil  de  renards,  massacre 
de  poules.  —  Le  renard  prêche  aux  poules.  —  A 
la  fin  sera  le  renard  moine.  >> 

Les  proverbes  s'appliquent  aux  objets  les  plus 
divers.  Il  y  en  a  qui  concernent  les  occupations 
des  champs,  les  saisons,  la  nature  et  les  éléments, 
les  animaux  et  les  végétaux.  D'autres,  et  c'est  le 
plus  grand  nombre,  concernent  l'homme  en  ses 
divers  états,  avec  ses  bonnes  et  ses  mauvaises 
qualités,  aux  prises  avec  les  difficultés  de  la  vie 
ou  avec  ses  propres  passions.  C'est  là  qu'on  peut 
étudier  la  philosophie  populaire,  qui  est  elle- 
même  fort  mélangée,  prêcliant  tantôt  la  morale  du 
devoir,  tantôt  la  morale  de  l'intérêt.  A  côté  des 
maximes  comme  :  u  Fais  ce  que  dois,  advienne 
que  pourra.  . —  Vis  où  tu  peux,  meurs  où  tu  dois,  » 
il  en  est  d'autres  d'une  inspiration-  moins  élevée. 
Cependant  les  proverbes  honnêtes  et  de  bon  aloi 
forment  la  majorité;  voici  un  certain  nombre  de 
maximes  sur  l'amitié  :  «  Aime  qui  t'aime.  — 
Mieux  vaut  être  aimé  qu'admiré.  —  Qui  s'aime 
trop  n'a  point  dami.  —  L'amitié  est  une  seconde 
parenté.  —  Vieille  amitié  ne  craint  pas  rouille.  — 
Ceux-là  sont  riches  qui  ont  des  amis.  —  L'ami 
par  intérêt  est  une  hirondelle  sur  les  toits.  —  Il 
est  toujours  fête  quand  amis  s'entre-assemblent. 
—  Plus  font  deux  amis  que  ne  font  quatre  enne- 
mis. —  Il  n'y  a  pas  de  meilleur  miroir  qu'un 
vieil  ami.  » 

Il  est  vrai  qu'en  regard  de  ces  saines  maximes 
on  en  peut  citer  quelques-unes  de  moins  louables  : 
Il  On  n'a  pas  de  plus  prochain  que  soi  même.  — 
Qui  ne  se  fie,  n'est  pas  trompé.  »  C'est  l'expé- 
rience de  la  vie  qui  a  dicté  ces  sentences  qui, 
entendues  non  comme  une  règle  générale  de  con- 
duite, mais  comme  avertissement  en  telle  cir- 
constance donnée,  ont  elles-mêmes  leur  vérité. 

Toutes  les  nations  ont  leur  collection  de  pro- 
verbes :  la  France  en  possède  un  grand  nombre, 
parmi  lesquels  beaucoup  de  remarquables  par  le 
tour  vif  et  dégagé  de  la  pensée.  Nos  vieux  écri- 
vains, Villon,  Marot,  Rabelais  en  faisaient  grand 
usage.  Plus  tard  la  mode  s'en  est  un  peu  passée  : 
mais  quand  on  lit  les  développements  qui  ont 
remplacé  ces  anciens  adages,  on  constate  que  le 
peuple  a  souvent  l'avantage  sur  nos  moralistes 
modernes.  Combien  de  bon  sens  est  ramassé  en 
de  courtes  phrases  telles  que  :  «  Par  savoir, 
vient  avoir.  —  Chacun  est  l'artisan  de  sa  for- 
tune. —  Qui  rien  ne  sait,  de  rien  ne  doute.  — 
Tout  passe,  fors  le  mérite.  —  Qui  fait  la  faute,  la 
boit.  —  Mets  raison  en  toi,  ou  elle  s'y  mettra.  » 

Nous  avons  à  dire  un  mot  des  proverbes  au 
point  de  vue  pédagogique.  L'école  n'en  fait  peut- 
être  pas  assez  usage.  Us  fourniraient  d'excellents 
sujets  de  composition  dans  les  hautes  classes, 
surtout  si  le  maître  prenait  d'abord  la  pcécau- 
lion  de  les  discuter  avec  ses  élèves  et  de  leur  en 
faire  entrevoir  la  portée.  Quelquefois  il  pourrait 
donner  deux  proverbes  de  signification  opposée, 
et  charger  les  élèves  de  montrer  la  part  de  vérité 
contenue  dans  l'un  et  dans  l'autre.  Ainsi  l'audace 
est  vantée  en  ces  maximes  :  ■  Qui  ne  risque  rien, 
n'a  rien .  —  Il  faut  donner  quelque  chose  au 
hasard.  —  Qui  ne  se  met  à  l'aventure  ne  trouve 
cheval  ni  monture.  "  Mais  la  prudence  n'est  pas 
moins  recommandée  par  celles-ci  :  a  Dans  le  doute, 


PROVINCES 


—  1751 


PROVINCES 


abstiens-toi.  —  Hasard  n'est  pas  sans  danger.  — 
Deux  sflretés  valent  mieux  qu'une.  »  Comment 
concilier  ces  conseils  ojiposés?  en  quelles  occa- 
sion doit-on  donner  le  pas  à  l'un  sur  l'autre? 
Parmi  les  exercices  de  i-éflexioji  qui  sont  jus- 
tement prescrits  par  la  pédagogie  moderne,  il 
n'en  est  pas  de  meilleur  que  cette  sorte  d'ana- 
lyse, qui  peut  être  accompagnée  de  récits  et 
d'exemples. 

Les  proverbes  ont  encore  pour  l'école  un  autre 
genre  d'utilité.  Comme  ils  renferment  beaucoup 
de  vieux  mots,  ils  sont  une  occasion  de  remonter 
vers  les  sources  de  notre  langue.  Ainsi  cette 
maxime  pourra  donner  lieu  à  d'intéressantes  ex- 
plications :  n  Où  fault  mémoire,  jambes  travail- 
lent. »  Ce  sera  le  cas  de  montrer  la  parenté  de 
falloir,  faille^  défaut.  Cette  autre  :  «  Oignez  vi- 
lain, il  vous  poindra:  peignez  vilain,  il  vous  oin- 
dra, »  pourra,  outre  les  enseignements  historiques 
et  moraux  qui  y  sont  contenus,  donner  lieu  à 
des  rapprochements  grammaticaux  que  nous 
n'avons  pas  besoin  d'indiquer  en  détail.  On  y 
joindra  ce  proverbe  d'origine  rustique,  mais  à  si- 
gnification morale  :  n  Qui  ne  point  en  herbe, 
ne  croît  pas  en  épi.  »  Comme  l'école  ne  peut 
mettre  entre  les  mains  des  élèves  ni  Montaigne, 
ni  Amyot,  elle  atteindra  au  moyen  des  proverbes 
le  même  but,  qui  est  d'éveiller  la  curiosité  des 
enfants  sur  les  vieilles  formes  du  langage. 

Mais  le  principal  fruit  de  cette  étude  sera  de' 
donner   aux    enfants  une   provision  de  règles  de 


France  et  les  provinces  voisines.  Le  Vexin  (pla- 
teau de  la  rive  droite  de  la  Seine  entre  Pontoise 
et  RouenJ  se  partageait  entre  l'Ile  de  France  et  la 
Normandie,  la  Brie  entre  l'Ile  de  France  et  la 
Champagne. 

Sous  les  derniers  Carlovingiens,  l'Ile  de  France 
appartenait  aux  ducs  de  France,  qui  s'étaient  illus- 
trés par  leur  courage  contre  les  Normands,  et  que 
les  grands  seigneurs  do  la  Neustrie,  le  pays  le 
plus  exposé  aux  attaques  de  ces  barbares,  élevè- 
rent à  la  dignité  royale,  en  la  personne  de  Hugues 
Capet,  à  la  place  des  Carlovingiens.  dégénérés  et 
du  reste  Au-^trasieiis  de  race  et  de  mœurs,  et  ré- 
sidant hors  de  la  Neustrie. 

La  convergence  des  rivières,  qui  descendent  de 
toutes  les  directions  vers  l'Ile  de  France,  la  com- 
munication facile  que  la  Seine  lui  ouvre  vers  la 
mer,  oni  fait  depuis  longtemps  de  cette  région  le 
fiôle  attractif  àetoute  la  France.  De  là  résultent  son 
rôle  historique  et  l'importance  de  sa  capitale,  qui 
est  devenue  colle  de  toute  la  France,  bien  que  n'y 
occupant  pas  une  position  centrale. 

Au  xviii"  siècle,  Paris  formait  un  gouvernement 
militaire  enclavé  dans  celui  de  l'Ile  de  France.  Au 
point  de  vue  judiciaire,  le  ressort  de  son  parle- 
ment était  fort  étendu.  Il  allait  depuis  Dunkerque 
jusqu'à  l'Auvergne. 

L'Om.ÉANAis,  traversé  par  la  Loire,  comprenait, 
au  nord  de  ce  fleuve,  les  campagnes  fertiles  de  la 
Beauce,  la  grande  forêt  d'Orléans,  les  gatines  de 
Montargis,  et  au  sud  du  fleuve,  les  marais   de  la 


conduite  qu'ils  seront  habitués,  non  à  accepter  |  Solnç/ne.  Comme  l'Ile  de  France,  l'Orléanais  fai- 
aveuglément,  mais  à  examiner  et  à  discuter,  de  I  sait  partie  du  domaine  de  Hugues  Capet;  non  pas 
manière  à  ne  pas  les  employer  au  hasard  et  à  ne  !  entièrement  toutefois,  et  il  fallut,  à  diverses  re- 
pas les  appliquer  à  contre-sens.  Ainsi  cette  part  prises,  que  les  rois  acquissent  par  voie  d'achat, 
de  l'expérience  de  nos  aïeux  ne  sera  point  perdue  |  ou  partout  autre  moyen,  les  fiefs  enclavés  dans 
ni  dédaignée,  mais  au  contraire  utilisée  et  honorée  ]  leurs  domaines,  pour  arriver  à  l'unité  complète 
par  l'école,  et  mise  au  service  des  générations  !  de  tout  le  territoire.  C'est  ainsi  que  Chilippe  I" 
nouvelles.  acquit  le  Vexin  français  et  le  Gatinais. 

Un  recueil  complet  des  proverbes  français  a  été  i  Apanage  sous  les  Valois  à  la  famille  d'Orléans, 
fait  par  Leroux  de  Lincy  dans  la  Bibliothèque  [  l'Orléanais  fit  retour  à  la  couronne  à  l'avènement 
Janet.  Un  recueil  abrégé,  qui  trouverait  utile-  j  du  duc  d'Orléans,  sous  le  nom  de  Louis  XII. 
ment  sa  place  entre  les  mains  des  instituteurs,  a  Depuis,  le  premier  prince  du  sang  après  l'héri- 
été  publié  sous  le  titre  :  Le  vérita^'/e  S"nchn-  I  tier  de  la  couronne  a  continué  à  porter  le  titre  de 
Pduzn,  dans  la  Bibliothèque  des  chemins  de  fer  duc  d'Orléans,  mais  sans  avoir  de  droit  efi'ectif  sur 
(maison  Hachette).  [Micliel  Bréal.]      I  cotte  province. 

PUOVIIVCUS.  —  Géographie  de  la  France,  IV.  ;  Louis  XII  apporta  en  même  temps  au  domaine 
—  Avant  que  l'Assemblée  constituante  ne  parta-  '  royal  le  Biaisais,  ou  comté  de  Blois,  qui,  longtemps 
geât  le  territoire  français  en  département^,  aussi  !  indépendant  du  reste  de  l'Orléanais,  avait  été 
équivalents  que  possible  sous  le  rapport  de  la  su-  [  momentanément  dans  la  suite  réuni  à  la  Chaai- 
perficie  et  de  la  population,  le  royaume  était  divisé  pagne,  puis  acquis  par  l'aïeul  de  Louis  XII. 
en  un  certain  nombre  de  gouvernements  corres-  La  NonMANDiE  forme  une  région  bien  distincte, 
pondant  pour  la  plupart  aux  anciennes  jirovinces,  ]  Elle  commence,  au  nord,  avec  le  plateau  élevé  de 
dont  l'origine  remontait  aux  temps  de  la  féodalité  \  Caux,  que  la  Bresle  (rivière  qui  aboutit  dans  la 
et  qui  concordaient  plus  que  les  départements  Manche  au  Tréport)  sépare  des  plaines  basses  de 
avec  les  régions  physiques  du  sol.  i  la  Picardie.  Les  côtes  normandes  se  développent 

C'est  par  la  réunion  de  ces  diverses  provinces  ou  en  falaises  élevées  le  long  de  la  Manche  jusqu'à 
pays  entre  les  mains  des  rois  de  France,  puis  l'embouchure  de  la  Seine  :  c'est  la  Haute-Nor- 
sous  l'autorité  des  gouvernements  qui  les  ont  rem- I  »ia?!dîe,  que  le  pays  de  Braij  (Neufchatel  et 
placés,  qu'a  été  constituée  l'unité  territoriale  de  la  Gournay),  tout  couvert  de  pâturages,  rattache  au 
France.  Nous  allons  les  passer  successivement  en  Vexin  et  au  Beauvaisis.  Au  sud  de  la  Seine,  la 
revue  sous  ce  rapport.  |  liasse-Normandie   offre  de   riants   pâturages,   au 

L'Ile  de  France  comprenait  le  pays  entouré  par  milieu  desquels  se  distinguent  ceux  de  la  vallée 
la  Seine,  la  Marne,  la  Nonette  (affluent  de  l'Oise  d'Auge  (entre  Caen  et  Honfleur)  où  l'on  élève 
qui  passe  à  Senlis  et  Chantilly)  et  l'Oise.  C'était  beaucoup  de  bestiaux.  Puis  vient  la  presqu'île 
l'ancien  pays  des  Parisii,  dont  la  capitale  de  la  du  Cotentin,  que  la  baie  du  mont  Saint-Michel 
France  a  tiré  son  nom.  Toutefois  les  limites  de  et  le  cours  du  Couesnon.  son  tributaire,  séparent 
cette  province  s'étendirent  davantage  par  la  suite  :  de  la  Bretagne.  Au  sud,  la  Normandie  s'étend 
à  l'ouest, jusqu'à  lEpte  et  l'Eure,  qui  la  séparaient  jusqu'aux  collines  du  Maine  et  du  Perche, 
de  la  Normandie  ;  au  sud  jusqu'au  pied  des  cam-  i  La  Normandie  tire  son  nom  des  Normands,  pi- 
pagnes  de  la  Beauce  et  du  plateau  d'Orléans,  qui  rates  Scandinaves  qui  s'y  établirent  et  s'en  firent 
faisaient  partie  de  l'Orléanais  ;  au  sud-est  et  à  concéd('r  la  possession  par  les  Carlovingiens,  au 
l'est,  jusqu'au  pied  des  contreforts  du  Morvan  et  '  début  du  x'  siècle.  A  la  fin  du  siècle  suivant,  le 
aux  plaines  de  la  Champagne;  au  nord  ,  enfin  duc  de  Normandie  devint  roi  d'Angleterre  par  la 
jusqu'aux  hauteursduVermandois  (Saint-Quentin)  '  conquête  qu'il  fit  de  ce  royaume  sur  les  Saxons, 
et  à  la  vallée  de  la  Somme,  qui  faisaient  partie  de  '  mais  il  resta  vassal  du  roi  de  France  pour  la  Nor- 
ia Picardie.  I  mandie   et  les  autres  possessions    continentales 

Plusieurs  pays  se  partageaient   entre  l'Ile    de  '  qui  lui  échurent  successivement. 


PROVINCES 


—  d752  — 


PROVINCES 


Philippe-Auguste  confisqua  la  Normandie  sur  le 
roi  Jean-Sans-Terre,  au  commencement  du  xiii'  siè- 
rle  Depuis,  elle  fut  reprise  par  les  Anglais  pen- 
dant la  guerre  de  Cent  Ans,  définitivement  recon- 
quise par  la  France  en  1450,  sous  Charles  VU. 
Rouen,  la  capitale  de  la  Normandie,  devint  le 
sic'ge  d'un  parlement  à  partir  de  i4!i9.  Le  Havre 
formait  un  petit  gouvernement  distinct  du  reste 
de    la    Normandie,    comme   Paris   dans  l'Ile    de 

France.  ...        .,        ,    j 

La  Bretagne  forme  à  l'extrémité  occidentale  de 


Picardie,  mais  faisaient  partie  du  gouyernement 
militaire  de  l'Ile  de  France.  Le  reste  de  la  Picardie 
formait  un  gouvernement,  cap.  Amiens.  Ces  divers 
pays  ont  suivi  des  destinées  différentes,  avant 
d'être  définitivement  rattachés  à  la  couronne  de 

''"""vermandois  formait  h  la  fin  du  ix'  siècle  un 
comté  qui,  cent  ans  plus  tard,  fut  ""'.  =>"  \^'«;* 
et  fit  retour  à  Philippe-Auguste  par  voie  û  acqui- 
sition et  de  conquête  en  même  temps  que  1  Amié- 
nois  et    le  Valois.  Ce  dernier  pays,  apanage  à  la 

""  .  ..^     ..  __■-!      x      1.,       /./Mii-nniiM       avec 


La  Bretagne  forme  a  1  extrémité  occiuBMw.o  u>j    ""■;  V    -^.^.T.     „  j^j   ^   la  "couronne    avec 

-hiLS:  j^c^gi^^'S  -e^^pt  ^1^  1;SiS  S^gu^^p^::^^ 

leurs  sur  le  continent.  Les  Bretons  ont  longtemp  PP^r^^^/J^^'^P^P^^^Sfi^^^utr'^conquis  pendant 
maintenu  leur  indépendance  contre  les  Francs.  Ce  |  [°' Jj  Anfieierre  e  roiR  ^  ^^j^^^  au  duc  de 
n'est  que  par  exception  que  les  rois  Mérovingiens     '^g"err«^e  Cent  Ans    pms  abano  ^^^^ 

pénétrèrent  chez  eux  à  la  fin  d"/";  .f  .^'fi  '^  .  '  rfrrtuc  n?a?les  le  Té  néraire  LouisXl  mit  la  main 
(;harlemagn.,laBretagnedevint  duché  bénéficiaire,  1  du  <'"=^^''"'TJ*  É^^^^^^^^  étaient  situés- 

puis  royaume  indépendant  et  enfin  duché  vassal  |  su,  '\P^^^'\\'^4'„,'''"'',,7é.îuit  ainsi  à  la  France 
de  la  Normandie.  Pendant  la  guerre  de  Cent  Ans,    le  long  de  'f  ,^""\™^/'/?"^„  J""' 
U  BretagTe  fit  souvent  cause'commune  avec  les  ,  >'A-'éno.s  e    les  viU^^^^^^  .      ^^^^^^ 

Anglais  à  qui  elle  ofl;rait  de  "«mbreux  ports  de  1  On  connal^  cents  ans  f^'  entre  lel  mains  des 
débarquement.  Enfin  le  mariage  de  «-''".^l"**  "f' l  P'"',  "^^  f5"^  ^eur  dernière  possession  sur  le 
avec  Anne,  duchesse  de  Bretagne,  P\^y>^'\\]  '^"f^'ll^'^l'^  elle  leur  TflVait  un  point  sur  de 
réunion  de  cette  province  à  la  couronne.  Louis  XII    continent,  ou    ^'c    leur    ou,  v  ^ 

épousa  k  son  tour  Anne  de  Bretagne  après  la  mort    débarquement,  et  fut  ei^fin  repris   par 
d!^  Charles  VIII    qui    ne   'a-->t  PO."t  d'enfants.    Guis^e  sou^^^  ^  ,a  Bourgogne 

Pendant   ces   deux   mariages,  la  reine  ^nne  con-        Au   sud  est   ae  i  iie  ^   ;       j    ju   bassin 

tinua  .  gouverner  son  duché  d'une  manière  mde-  i  occt^ipe  les   passages   qui    co  ^^  ^,^^^_^^ 

pendante.  Enfin,  François  I",  ayant  épouse  un  an  de  l^.^^f'"';.''^"^/''^"  te  rivière.  Les  eaux  de 
avant  de  monter  sur  le  trône,  Claude,  fiUe  d  Anne  jusqu  aux    rives   de    cette    riue^^^^^^  ^^ 

de  Bretagne,  le  duché  se  trouva,  pour  la   seconde     a   ^'^'''^1,^  vZhl       vTrl^Zl ,    lYonne;    la 
fois,  ent?e  les  mains  de  la  reine  de  France.  Apres    ^/'.   P«^^'^"\, '/j",'",",  •„d',^[prr  J'Àr  oux  ;  la  Saône, 
la  mort  de  la  reine  Claude  en  l.«4,  son  époux  se    Lo!^^,'  °"  ^^'  ^^.^^^fdfla  Ti  le,  de  l'Ouche,  de  la 
fit  reconnaître  comme   souverain   par   la  noblesse    quelles   grossissent  ae  m  Ji     , 
bretonne,etlaréuniondu  duché  à  la  France  de-,  Dheune  ^^^  ^^^   Burgondes, 

vint  définitive,  quelques  années  après.  Rennes,  ca-        V^^^^'^Jf^Sne    "•«  ^^  ^^  j^ 

nitale  de  la  Bretagne,  fut  dès  ce  moment  le  siège  ;  qu  occupèrent  tout  '^  °;^^"' "  y^„  ^^3  pre- 
Tun  parlement  frinçais.  et  la  Bretagne  conserva  ,  Saône  -  "W-  ^  e^  Le^  roj  Robert.^l^  ^^^^^^^ 
ses  Etats  provinciaux  jusqu'en  1  ,S9  1  m  ers  'r=^P""=";'"^,/fut  le  fondateur  de  la  prê- 

ta Champagne  occupe  à  l'est  de  1  Ile  de  France  au  xi  siècle^  ^"'Bourgogne,  dont  l'héritage  revint 
de  grands  plateaux  calcaires,  souvent  peu  fertiles  "^^'^«J'']^""  ^  b"»  qf^el  mes  années  après  la 
ou  couverts  de  forêts,  qui  commencent  au  revers  au  roi  ^«^"  .^,^g^';°"Lè' roi  l'apanagea  en  faveur 
occidental  de  l'Argonne  et  s'abaissent  graduelle-  bataille  de  P°  «^^-  ^y^'Jji  P,;  /était  distingué 
ment  à  l'ouest  vers   le  bassin  de  Pans.  L  Aisne,  ,  de  son  fils  Philippe   eHauli,  9  ^^  fondateur 

la  Marne,  l'Aube,  la  Seine   traversent  la  Cliampa-    par  sa  valeur  à  l'oitie'-s.  ^«'^  ,      do„t  les 

gne,  h  peu  près  parallèlement  de  l'est  à  l'ouest,  de  a  seconde  "^^'^^^^^f^j^^ur  H*e^^«.  é-^"?- 
La  Champagne  formait  un  comté  indépendant  <=  >efs  par  leur  pmssance  et  leu^^  n'y  eut  que 
depuis  le  milieu  du  ix=  siècle.  En  l-.'34,  sous  seront  •>'«"'"» '''^p5°''f_^'//.  Philippe  le  Hardi, 
saTnt  Louis,  le  comte  de  Champagne,  qui  était  un  <J"^  ",/„"'^^p,^„^/^p',î,ippè  îe  'boh,  e?^harles  le 
des  plus  grands  et  des  plus  puissants    seigneurs    Jean   sans   ^ur    Flulippe  le        ^  j^     (^  XI 

rerriWriaSx    de   France,    hérita    de    la  couronne    ^«■^^^^^'■■^«^  ^P,^^^  ,  jrMurie   le  duché  de  Bour- 
royale  de  Navarre.  Philippe  le  Bel,  par   son   ma-  ,  enleva  à^a  fille  "'^  q»"'  '         ;i„g,  ^c  la  Somme, 
r.age  avec  la  fille  de  ce  comte,  réunit   la  Cham-    f,°g"«  «"  ^"^^^'^^"'Pollîri  MaximU^ 
pagne  à  la  couronne.  .         1  I '  "f, '''hp  ^^  .i7de  Bour^^ogne,  que  le  Chnrolais. 

Dans  le  nord  de  la  Champagne,  Sedan,  qui  ap-    «poux  de  Mane  d^^»^^»''^.^ 't,  ^he  i  celle  d'Es- 
partenait  au  duc  de  Bouillon,  futvendu  par  celui-    C«lm-ci passa  de  a  mai>o  .^^  f^^   donné 

ci  à  Louis  .Mil,  et  formait  un  petit  gouvernement  P^g''^  f  ^P"^^!  "ji  revint  de  hi  maison  de  Bour- 
distinct  durestedela  Champagne, qui av.u  Troyes    -  ^-nd  Conde^^Il_re.^_ 

""^[i  Zd"  e  l'Ile  de  France,  la  P.caroie,  dont  la  !      Comme.  ^^  Bretagne     la   Bourgogne   avaU^^^^^^^ 
Somme  forme  le  principal  cours  d'eau  et  le   trait    Etats  provinciaux  et  sa  capitale.  U.jon 
d'union    entre    ses   diverses  parties,    <^°".''n«",«'''' 1  **  "J^;  P^J  f  "1''"^^^^^  la  B,-m6  (Bourg), 

avec  le  Vermandois,  capitale  Saint-Quentin,  ou  ce  De  1  ^"^  ^.,^"'V  IV /,o,«"  v  Seyssel),  et  le  pays 
fleuve   prend  sa  source.  A  l'ouest  du  Vermandois,    '?  ''"f  V  'f '^^éuni    â^ 

on  trouve   successivement   le    Santerre   cap   Pe-    de  Ge.v   qtii  sont  réun^^^^^^^^^  du  gouvernement 

ronne,  l'Araiénois,  le  Ponthieu,  cap.  Abbeville,  le  ment  de  ^^l" 'l^^^l^^H  '^lU  appartenaient  primi- 
Vimeu,cap.  Saint-Valery,  puis,  en    remontant  au    "."'''^'■■« /e  la  Bourgo  "e    Us  app  H 

nord  le  long  de  la  côte,  le  Calaisis,  qui  enveloppe    tivement  au  duc  de  Sa^ol.  ,  et  ^^'\^  [^  par- 

les hauteur!  du  Boulonnais,  appartenant  au  pla-  ,  de.ce  pnnce  en    ui  donna,  t  ^n   ec       g  ^^^ 

teaude   l'Artois.   Au  su,l  de  la  Somme,  le  Beau-    'l^'^^^de  Saluces    qu.   a^aU  0^^^^ 
vaisis,  le  Noyonnais,  le  Laonnais,  le  So.sso.nais,  ,  français  Pf"d^"'l^^.„fP'-''^,""e   plateau  qui  dé- 
groupés  auto'ur  des  villes  de  même   n,mi,  et    e  ,     .A  '  ""«^.^  de    ^,^^''='^"„'',.'i',.^,^e  et  la  droite  da 
Valois   cap.  Senlis,  étaient  encore  situés  dans  la    mme  la  rive  gauche  de  la  bauno 


PROVINCES 


—  1753 


PROVINCES 


RliAiifi,  au-dcS9vis  de  Lyon,  le  sol  est  tout  cou- 
vert d'ctangs.  C'i'St  le  pays  de  Donihes,  t|ui  appar- 
tenait au  connétable  de  Bourbon  et  fut  confis- 
que sur  lui  par  François  1".  Sa  capitale  Trévoux 
éiaii  le  siège  d'un  parlement  particulier.  Rendu 
plus  tard  en  toute  souveraineté  h  la  famille  de 
Montpensier,  le  pays  de  Dombes  fut  échangé  par 
Louis  XV  contre  des  domaines  à  revenus  utiles  et 
fit  retour  h  la  couronne. 

Le  Lyonnais,  groupé  autour  de  Lyon,  i  cheval 
sur  le  Rhône  et  la  Loire,  formait  un  comté  dès 
la  fin  du  IX"  siècle  et  fit  partie  du  royaume  d'Ar- 
les. La  ville  devint  plus  spécialement  le  domaine 
des  archevêques,  tandis  que  les  comtes  prenaient 
le  titre  de  comtes  de  Fojx'z  (Feurs.  entre  Lyon  et 


toucliant  au  sud  la  chaîne  des  Pyrénées,  le  Lan- 
guedoc couvre  au  nord  toute  la  chaîne  des  Céven- 
nes  et  déborde  ^  la  fois  sur  la  Loire  et  le  Rhône. 
C'est  donc  une  des  plus  vastes  provinces  de 
France.  Elle  tire  son  nom  de  ce  que  oui  s'y  disait 
oc,  tandis  que  les  pays  au  nord  de  la  Loire  sont 
les  pays  de  languf  d'oil. 

C'est,  dans  le  Languedoc  que  l'ancienne  civi- 
lisation romaine  s'est  le  plus  longtemps  con- 
servée, c'est  le  pays  qui  a  le  plus  lutté  contre  la 
domination  franque  venue  du  nord,  et  celle  des 
rois  de  France  qui  la  continuait.  Toulouse  était  une 
capiiale  florissante  sous  les  Visigoths,  et  à  l'é- 
poque des  croisades,  les  comtes  de  Toulouse 
étaient  plus  riches  que  les  rois  de  France.  L'un 


Montbrison).  Philippe  le  Bel  se  fit  céder  Lyon  par  ,  d'eux   pouvait  mettre  100  000   hommes  sous  les 
son  archevêque  (13ii*).  Quant  au  Forez,  il  devint,  i  armes. 

comme  le  Iteanjolais  (Geuujcu,  Villofranche,  entre        La  guerre  dite   croisade   des  Albiijeois,    entre- 
Lyon  et  Mâcon)  et  plusieurs  autres  provinces  du  ,  prise  sous  un  prétexte  religieux,  mais  envenimée 


centre  de  la  France,  le  domaine  des  sires  de 
Bourbon,  et  fut  confisqué  par  François  i"  à  la 
suite  de  la  trahison  du  connétable. 

Le  Daiphixé  est  compris  entre  le  Rliône  au 
nord  et  à  l'ouest,  la  Durance  au  sud,  les  Alpes 
à  l'est.  Formé  de  plaines  au  nord-ouest,  dans  le 
Vie7inois,  le  Dauphiné  est  en  grande  partie  cou- 
vert de  montagnes.  L'Isère,  qui  arrose  la  fertile 
vallée  du  Graisivaudan,  et  se  grossit  du  Drac, 
torrent  descendu  du  Champsaur,  est  la  principale 
rivière  du  Dauphiné. 

La  Durance,  sortie  du  Rriançonnais  et  de  VEm- 


par  la  haine  et  la  jalousie  des  gens  du  Nord  contre 
ceux  du  Midi,  se  termina  par  la  victoire  des  pre- 
miers et  la  ruine  de  l'indépendance  méridionale. 
Louis  VIII  acquit  le  Bas-Languedoc  (c'était  la  par- 
tie riveraine,  cap.  Montpellier)  et  y  établit  les 
sénéchaussées  de  Beaucaire  et  de  Carcassonne. 
C'est  ainsi  que  l'autorité  royale  atteignit,  pour  la 
première  fois  depuis  Charlemagne,  les  bords  de 
la  Méditerranée,  et  que  saint  Louis  put  s'embar- 
quer pour  la  croisade  dans  un  port  à  lui  appar- 
tenant, Aigues-Mortes. 

Ce  dernier  roi,  à   la    suite   de  la   guerre  entre 


bntnaif:,  reçoit  le  Bucch,  autre  rivière  dauphi-  ,  Amaury  et  Simon  de  Montfort,  chefs  des  croisés, 
noise.  Entre  l'Isère  et  la  Durance,  la  Drùme,  qui  I  et  Raymond  de  Saint-Gilles,  comte  de  Toulouse, 
arrose  le  Diois  et  le  Valenlinois,  appartient  aussi  acquit  encore  pour  lui-même  le  Gévaudan  {Mende 
tout  entière  au  Dauphiné.  L'héritage  de  ces  di-  et  la  LozèreV  le  Velay  (haute  vallée  de  la  Loire), 
vers  pays  fut  laissé  au  roi  de  France  sous  Phi-  le  Vivurais  (Viviers),  et  maria  son  frère,  Alphonse, 
lippe  VI  de  Valois,  à  condition  que  l'héritier  de  la  i  comte  de  Poitiers,  avec  l'héritière  du  comte  de 
couronne  de  France   porterait  désormais  le  titre    Toulouse. 


de  Dauphin.  Charles  V  a  été  le  premier  prince  fran- 
çais à  porter  ce  titre  dans  ces  conditions.  Le  Dau- 
phiné avait  ses  Eiats  provinciaux  comme  la  Breta- 
gne, la  Bourgogne,  et  sa  capitale,  Grenoble,  était 
le  siège  d'un  parlement. 

Au  sud  de  la  Durance,  la  PnovExcE,  couverte  de 
montagnes  brûlées  par  le  soleil,  mais  moins  éle- 
vées que  celles  de  la  Savoie  et  du  Dauphiné, 
jouit  d'un  climat  très  doux.  Elle  s'étend  à  l'ouest 
jusqu'au  Rhône,  au  sud  jusqu'à  la  Méditerranée. 
Elle  tire  son  nom  de  ce  qu'elle  fit  partie  de  la 
provihce  de  Gaule  romaine.  Elle  entra  dans  le 
royaume  d'Arles,  après  la  dissolution  de  l'empire 
de  Charlemagne,  puis,  quand  le  royaume  d'Arles 
fut  absorbé  nominalement  dans  l'empire  d'Alle- 
magne, la  Provence  forma  un  comté,  qui  arriva 
par  héritage  entre  les  mains  de  la  maison  cape 


Sous  Philippe  III  le  Hardi,  Alphonse  de  Poitiers  et 
sa  femme  moururent  sans  postérité,  et  leurs  vas- 
tes domaines,  comprenant,  avec  le  Poitou,  le 
Toulousain,  l'Albigeois,  le  Quercy  (Cahors),  le 
Ronergue  (Rodez)  et  l'Agénois,  furent  réunis  à  la 
couronne  do  France. 

Le  Languedoc  possédait  des  états  provinciaux, 
et  sa  capitale  Toulouse  eut  le  premier  parlement 
créé  après  celui  de  Paris,  quand  ce  dernier  devint 
sédeniaire  en  1.30"2. 

La  Gascogne  occupe  principalement  le  triangle 
compris  entre  la  Garonne  à  l'est  et  au  nord,  et 
l'Adour  à  l'ouest.  Le  sommet  de  ce  triangle  est 
au  plateau  de  Lannemezan,  entre  Tarbes  et  Tou- 
louse, et  le  terrain  descend  de  ce  plateau  en  forme 
de  cône  d'éboulement  vers  les  deux  fleuves  que 
nous  avons  nommés.  De  nombreuses  rivières  très 


tienne  d'Anjou,  fondée  par  un  frère  de  saijit  Louis,    peu   abondantes  sillonnent  ce  triangle  en  formant 
Cette  maison  finit  avec  René,  qui  portait  le  titre    l'éventail   autour   de  son  sommet.  Le    duché   de 


de  roi,  par  suite  de  ses  prétentions  sur  le  royaume 
de  Naples.  Ce  roi  René  institua  Louis  XI  pour 
son  héritier,  et  la  Provence  se  trouva  dès  lors 
réunie  à  la  couronne  de  France,  en  même  temps 
que  les  autres  possessions  de  René,  le  Maine  et 
l'Anjou.  Aix,  la  capitale  de  la  Provence,  était  le 
siège  d'un  parlement,  et  la  province  avait  ses  Etats 
particuliers. 

Au  nord  de  la  Durance,  il  y  avait  un  domaine 
appelé  marquisat  de  Provence,  et  qui  appartenait 
aux  comtes  de  Toulouse.  Il  passa  à  la  couronne  à 
la  suite  de  la  guerre  des  Albigeois. 

Dans  le  nord  do  la  Provence,  la  vallée  de 
Barcelonnette,  dans  les  Alpes,  ne  fut  réunie  à 
la  France  que  sous  Louis  XIV,  et  la  posses- 
sion en  fut  confirmée  5,  ce  roi  par  le  traité 
d'Utrecht. 

A  l'ouest  du  Rhône  commence  le  Languedoc, 
qui  occupe  le  col  de  Naurouze,  passage  bas  et 
facile  entre  le  bassin  de  la  Méiliterranée  et  celui 
de  la  Garonne.  A  cheval  sur  ces  deux  bassins,  et 


Gascogne  a  conservé  le  nom  des  anciens  Vascons 
que  Charlemagne  eut  à  combattre  et  qui  repré- 
sentaient l'ancieime  nationalité  ibère,  autrefois 
maïiresse  de  tout  le  sud  de  la  France. 

Le  duché  de  Gascogne,  héréditaire  et  indé- 
pendant sous  les  derniers  Carlovingiens,  fut  uni  à, 
la  fin  du  xi"  siècle  avec  l'Aquitaine,  dont  hérita 
Eléonore,  épouse  de  Louis  VII.  Mais  après  le 
divorce  de  ce  roi,  Eléonore  se  remaria  avec 
Henri  Plantagenet,  roi  d'Angleterre  et  lui  apporta 
la  possession  de  ses  vastes  domaines,  c'est-i-dire 
do  la  plus  grande  partie  d-;  la  France  occidentale, 
au  sud  de  la  Loire.  La  réunion  de  l'Aquitaine 
avec  les  biens  de  la  maison  d'Anjou  et  la  Norman- 
die fit  du  roi  d'Angleterre  sur  le  continent  un 
vassal  du  roi  do  France  plus  riche  que  lui  en 
puissance  territoriale. 

La  Gascogne  se  morcela  en  un  grand  nombre 
de  domaines  distincts,  dont  la  plupart  échurent 
en  héritage  à  Henri  IV,  qui  les  apporta  à  la  Franco 
en  montant  sur  le  trône.  C'étaient  le  Labour,  capitale 


PROVINCES 


1754  — 


PROVINCES 


Saint-Jean-de-Luz  ;  les  Landes,  capitalfi  Dax  ;  la 
Chalosse,  capitale  Saint-Sever;  le  Marsan,  cnpitale 
Mont-de- Marsan;  l'Albret,  capitale  Nérac;  l'Arma- 
gnac, capitale  Auch  ;  le  Bigorre,  capitale  Tarbes  ; 
le  Couserans,  capitale  Saint-Lizier.  Beaucoup  de 
ces  petits  pays  avaient  leurs  étals  particuliers. 
De  la  Gascogne  faisait  aussi  partie  la  Soûle,  capi- 
tale Mauléon,  qui,  comme  le  Labour  et  la  Basse- 
Navarre,  se  distingue  par  la  nationalité  basque  de 
ses  habitants. 

Au  gouvernement  de  Gascogne  était  uni  celui 
de  GiYENNE,  capitale  Bordeaux.  Cette  province, 
partie  de  l'ancienne  Aquitaine,  comprenait  le 
Rouergue,  le  Quercy,  l'Albigeois,  l'Agenois,  le 
Bordelais,  le  Périgord,  c'est-à-dire  les  bassins  des 
rivières  qui,  du  revers  sud  du  plateau  central, 
convergent  vers  Bordeaux  et  le  bassin  de  la  Gi- 
ronde. 

La  Guyenne,  longtemps  disputée  entre  les 
Français  et  les  Anglais  pendant  la  guerre  de  Cent 
Ans,  fut  enfin  reconquise  pour  la  France  sous 
Charles  VII  :  la  victoire  de  CastiUon,  sur  la 
Dordogne,  et  la  prise  de  Bordeaux  terminèrent 
enfin  cette  terrible  guerre.  Bordeaux  devint  alors 
le  siège  d'un  parlement. 

Le  Périgord,  apanage  depuis  à  la  famille  d  Or- 
léans, puis  à  celle  d'Albret,  revint  à  la  France  à  l'a- 
vèneraent  d'Henri  IV,  héritier  de  la  maison  d'Albret. 
Les  douze  provinces  que  nous  avons  passées 
jusqu'à  présent  en  revue  :  lie  de  France,  Orléa- 
nais, Normandie,  Bretagne,  l'icardie,  Cliampagne, 
duché  de  Bourgogne,  Lyonnais  avec  le  Beaujolais 
et  le  Forez,  Dauphiné,  Provence,  Languedoc, 
Guyenne  et  Gascogne  formaient  les  douze  grands 
gouvernements  militaires  organisés  sous  Fran- 
çois 1". 

Au  nord  de  la  Guyenne,  la  Charente  traverse 
successivement  I'Angocuois  ,  capitale  Angou- 
lême  ;  la  Saintonge,  capitale  Saintes  ;  et  I'Aunis,  ca- 
pitale La  Rochelle.  Ancien  comté  au  ix'  siècle, 
devenu  propriété  de  la  famille  de  Lusignan,  l'An- 
goumois  tomba  par  déshérence  dans  les  mains  de 
Philippe  le  Bel.  Pris  par  les  Anglais,  puis  apanage 
aux  Valois-Orléans,  il  fut  apporté  à  la  couronne 
par  François  I"'  à  son  avènement. 

Quant  h  la  Saintonge  et  h  1  Aunis,  pays  riverains 
de  l'Océan,  riches  en  vignes  et  en  marais  sa- 
lants, ils  avaient  été  conquis  sur  les  Anglais  par 
Louis  Vlil.  Lorsque  saint  Louis  restitua  aux  An- 
glais une  partie  des  conquêtes  de  son  père  et  de 
son  aieul,  la  Charente  devint  la  limite  des  posses- 
sions françaises  et  anglaises,  et  ce  fut  pendant  la 
guerre  de  Cent  Ans  que  ces  provinces  furent  en- 
tièrement reconquises  par  la  France. 

L'Angoumois  et  la  Saintonge  formaient  un  gou- 
vernement militaire  capitale  Àngouléme,  etl'Aunis 
un  autre,  capitale  la  Rochelle. 

Au  nord  delà  Saintonge,  de  l'Auni-;  et  do  l'An- 
goumois,  s  éiend  le  Poitou,  bas  et  marécageux  du 
côté  de  l'Océan,  où  existait  autrefois  le  golfe  de 
Poitou,  plus  élevé  et  boisé  dans  le  Hccaqe,  qui 
occupe  le  faîte  de  partage  entre  le  bassin  de  la 
Vienne,  affluent  de  la  Loire,  et  celui  de  la  Se- 
vré Niortaise  et  des  autres  affluents  directs  de 
rOccan. 

Le  Poitou  formait  un  comté  dès  le  règne  des 
premiers  Carlovingiens,  et  les  comtes  de  Poitiers, 
sa  capitale,  devinrent  bientôt  ducs  d'Aquitaine, 
maîtres  de  la  Guyenne,  et  les  plus  puissants  sei- 
gneurs de  la  France  méridionale  avec  les  comtes 
de  Toulouse.  Possession  d'Eléonore  de  Guyenne, 
le  Poitou  fut  apporté  successivement  en  dot  à 
Louis  VII.  roi  de  France,  puis  à  Henri  Plantage- 
net,  roi  d'Angleterre.  Conquis  par  Philippe-Au- 
guste, il  fut  apanage  par  Louis  Vlll  en  faveur 
d'un  de  ses  fils,  Alphonse,  qui  devint  comte  de 
Toulouse.  A  la  mort  de  ce  dernier  il  revint  à 
Philippe  le  Bardi.   Pris  par  les  Anglais  pendant 


la  guerre  de  Cent  Ans,  reconquis  par  Charles  V, 
il  fut  encore  une  fois  apanage  en  faveur  de  l'oncle, 
puis  du  fils  de  Charles  VI,  et  fit  définitivement 
retour  à  la  couronne  avec  l'avènement  de  Char- 
les Vil.  .     ^ 

L'Anjou,  capitale  Angers, occupe  cette  plainebasse 
et  fertile,  souvent  inondée,  que  parcourt  la  Loire  et 
où  elle  se  grossit  de  la  Maine,  formée  par  la  réu- 
nion de  la  Mayenne,  du  Loir  et  de  la  Sarthe.  Sous 
les  Carlovingiens,  l'Anjou  formait  un  comté  dont 
les  seigneurs  montèrent  sur  le  trône  d'Angleterre, 
où  ils  commencèrent  la  dynastie  des  Plantngenel-', 
au  milieu  du  xii»  siècle.  Confisqué  par  Philippe- 
Auguste  sur  le  roi  Jean  sans  Terre,  en  même 
temps  que  la  Normandie,  l'Anjou  fut  apanage, 
sous  saint  Louis,  à  un  frère  du  roi,  Charles.  La 
maison  d'Anjou  régna  à  Naples,  d'où  la  chassa  la 
maison  d'Aragon,  et  en  Provence.  Le  roi  René  de 
Provence,  célèbre  par  son  culte  pour  les  arts  et 
les  lettres,  qui  florissaient  à  sa  cour,  mourut  en 
laissant  son  héritage  à  Louis  XI,  ainsi  que  nous 
l'avons  vu  à  propos  de  la  Provence. 

Le  Maine,  capitale  le  Mans,  occupe  le  nœud  élevé 
de  collines,  d'où  la  Mayenne  et  la  Sartlie  descendent 
vers  la  Loire,  la  Vire  et  l'Orne  vers  la  Manche.  Le 
Maine  formait  un  comté  sous  les  Carlovingiens, 
mais  bientôt  uni  à  l'Anjou,  au  commencement  du 
xii'  siècle,  il  suivit  le  sort  de  celte  province.  Le  roi 
René  le  laissa  à  son  neveu  Charles  du  Maine,  qui 
mourut  peu  de  temps  après  en  l'abandonnant  à 
Louis  XI.  . 

Entre  le  Maine,  la  Normandie  et  1  Orléanais,  le 
Perche  forme  une  région  accidentée,  où  la  mai- 
son d'Alençon  fut  souvent  puissante.  Ce  fief  fit 
retour  à  la  couronne  par  déshérence  sous  Phi- 
lippe-Auguste. Apanage  de  nouveau,  il  fut  confis- 
qué par  Louis  XI.  .    ,    .     j- 

La  TouRAiNE,  capitale  Tours,  surnommée  le  jardm 
de  la  France,  est  arrosée  par  la  Loire  et  ses  deux 
affluents  le  Cher  et  l'Indre,  dont  les  rives  riantes 
sont  bordées  de  superbes  châteaux,  comme  celles  du 
fleuve  auquel  ils  vont  s'unir.  Comté  au  ix'  siècle, 
sous  les  premiers  Carlovingiens,  puis  devenue  la 
propriété  de  la  maison  d  Anjou,  la  Touraine  fut  reu- 
nie k  la  couronne  par  Philippe-Auguste,  en  même 
temps  que  l'Anjou,  et  depuis  elle  n'est  plus  sortie 
de  la  possession  des  rois  de  France.  Même  a  le- 
poque  la  plus  funeste  de  la  guerre  de  Cent  Ans, 
quand  un  roi  d'Angleterre  se  faisait  proclamer 
roi  de  France  à  Paris,  c'est  en  Tourame  que  le 
pauvre  Charles  VII  tenait  sa  cour  et  que  Jeanne 
d'Arc  vint  le  trouver. 

Charles  VII  était  alors  appelé  le  roi  de  Bourges. 
Cette  ville,  déjà  importante  sous  les  Romains,  et 
qui  occupe  à  peu  près  le  centre  de  la  France, 
éiait  la  capitale  du  Bebbi.  Cette  province,  arrosée 
par  le  Cher  et  l'Indre,  est  limitée  à  1  est  par  la 
Loire.  Fertile  dans  les  vallées  de  ces  rivières,  le 
Berri  renferme  de  grandes  plaines  calcaires  peu 
productives,  puis,  à  l'ouest,  une  contrée  couverte 
d'étangs,  qu'on  appelle  la  Brenne. 

Le  Berri  forme  une  des  plus  anciennes  posses- 
sions des  Capétiens.  Philippe  ï"  en  commença  1  ac- 
quisition en  achetant  le  vicomte  de  Bouges  à  un 
seigneur  qui  partait  pour  la  croisade. 

Celte  province  fut  apanagée  à  Un  des  oncles 
de  Charles  VI,  puis  à  un  frère  de  Louis  XI,  et 
revint  définitivement  à  la  couronne  sous  ce  der- 

"  Vis-à-vis  du  Berri,  sur  la  rive  droite  do  la  Loire, 
le  Nivernais,  capitale  Nevers,  s'étend  au  pied  des 
monts  du  Morvan,  à  cheval  sur  le  bassin  de  la 
Loire  et  sur  celui  de  l'Yonne,  tributaire  de  la  Seine. 
La  maison  de  Nevers  fut  une  des  dernières  mal- 
sons féodales  subsistant  en  France.  Ses  domaines, 
acquis  par  le  cardinal  Mazarin  et  cèdes  a  son  ne- 
veu ne  furent  réunis  à  la  couronne  qu  en  I.SJ- 
L' Auvergne,  capitale  Clermont-Ferrand,  occupe  le 


PROVINCES 


—  1755  — 


PROVINCES 


nœud  principal  et  le  plus  élevé  du  plateau  contrai 
de  la  Franco.  Les  eaux  s'y  partagent  entre  la  Diir- 
dogne,  tributaire  do  la  Gironde,  et  l'Allior,  affluent 
de  la  Loire.  C'est  là,  par  opposition  à  l'aris,  le 
pôle  répulsif  de  la  France,  d'où  le.s  populations 
s'écoulent  constamment  au  dehors. 

Au  nord  de  l'Auverpne,  on  descend  dans  les 
plaines  ferlili's  de  la  Limagne  et  du  Boiii\bon.nais, 
arrosées  par  l'Allier  et  où  le  Clior  prend  sa  source. 

Au  nord-ouest,  le  plateau  central  se  continue  en 
s'abaissant  dans  la  Marche,  capitale  Guéret,  dont 
la  Creuse  porte  les  eaux  à  la  Vieune. 

A  l'ouest,  le  Limousin,  capitale  Limoges,  partage 
ses  eaux  entre  la  Vienne,  tributaire  de  la  Loire 
(c'est  le  Haut-Limousin),  et  la  Vczère,  tributaire 
de  la  Dordogne  (c'est  le  Bas-Limousin). 

Le  duché  d'Auvergne,  qui  appartenait  au  conné- 
table de  Bourbon,  fut  confisqué  par  François  I". 
Le  comté  d'Auvergne,  capitale  Vic-le-Comtc  (entre 
Clermont  et  Issoire),  apanage  en  faveur  de  Mar- 
guerite de  Valois,  première  femme  de  Henri  IV, 
échut  en  héritage  à  Louis  XUI.  Le  Bourbonnais  et 
la  Marche  furent  aussi  confisqués  par  François  l" 
sur  le  connétable  de  Bourbon.  Avant  d'appartenir 
à  la  maison  de  Bourbon,  la  Marche  avait  formé 
un  comté  dès  le  .\'  siècle  et  avait  appartenu  à 
la  famille  de  Lusignan,  d'où  elle  avait  passé  par 
déshérence  à  Philippe  le  Bel. 

Une  partie  du  Limousin  fut  reconquise  par  Char- 
les V  sur  les  Anglais.  La  vicomte  de  Limoges, 
propriété  du  la  maison  d'Albret,  fut  réunie  à  l'a- 
vènement de  Henri  IV  au  trône  de  France.  Quant 
à  la  vico7>ilé  de  Tinetute,  dans  le  Bas-Limousin, 
elle  appartenait  à  la  maison  de  Bouillon  depuis  le 
W"  siècle  et  ne  perdit  son  indépendance  féodale, 
comme  la  Dombes,  que  sous  Louis  XV. 

Le  long  des  Pyrénées,  la  Navarre  avait  appar- 
tenu à  la  France  sous  Philippe  le  Bel,  héritier  des 
biens  de  la  maison  de  Champagne.  Mais  la  succes- 
sion de  ce  royaume  n'étant  pas  réglée  par  la  loi 
salique,  il  ne  passa  pas  aux  Valois  et  no  fit  retour 
à  la  France  que  sous  Henri  IV,  héritier  de  la  mai- 
son d'Albret;  cette  dernière  maison  possédait  la 
Navarre  depuis  1)83,  mais  avait  perdu  la  partie 
de  ce  royaume  située  au  sud  des  Pyrénées  et  qui 
a  appartenu  depuis  ce  temps  à  l'Espagne. 

Le  Béaiin,  capitale  Pau,  également  réuni  par 
Henri  IV,  et  la  Basse-Navarre,  capitale  Saint-Jean 
Pied  de  Port,  formaient  un  seul  gouvernement  mi- 
litaire, capitale  Pau.  Cette  ville  était  le  siège  d'un 
parlement. 

Le  comté  de  Foix,  situé  dans  la  haute  vallée  do 
l'Ariège,  était  uni  au  royaume  de  Navarre  depuis 
la  fin  du  XV'  siècle.  Il  fut  donc  apporté  à  la  France 
cent  ans  plus  tard  par  Henri  IV  et  formait  un 
gouvernement,  capitale  Foix. 

A  l'extrémité  orientale  de  la  chaîne  des  Pyré- 
nées, Charlemagne  avait  fondé  la  marche  de  Go- 
thie.  Saint  Louis,  en  annexant  le  comté  de  Tou- 
louse, abandonna  cette  marche  dite  do  Roussillon 
àl'Aragon.  Louis  XI  occupa  temporairement  cette 
province,  qui  fut  définitivement  conquise  sur 
riispagne  par  Louis  XIII.  La  possession  en  fut  con- 
firmée à  la  France  par  le  traité  des  Pyrénées.  La 
capitale  du  Roussillon  était  Perpignan 

Du  côté  du  nord,  l'ARrois  forme  un  plateau 
calcaire  et  fertile,  dont  la  pente  tournée  vers  l'Es 
caut  regarde  les  plaines  de  la  Flandre  et  les  riva- 
ges de  la  mer  du  Nord.  La  Scarpe  et  la  Lys  en 
sont  les  principales  rivières.  Philippe-Auguste 
avait  hérité  de  cette  province.  Apanagoe  sous  saint 
Louis,  elle  revint  à  la  couronne  sous  Philippe  le 
Bel,  qui  coiiquit  une  partie  de  la  Flandre.  Charles 
VII,  au  traité  d'Arras  abandonna  ces  conquêtes  au 
duc  de  Bourgogne.  A  la  mon  de  Charles  le  Témé- 
raire, Louis  XI  réunit  pour  la  troisième  fois  l'Ar- 
tois à  la  couronne.  Mais  quelques  années  plus 
tard,  Charles  VIII,  sur  le  point  d'entreprendre  ses 


guerres  d'Italie,  renonça  encore  i  ces  provinces 
du  nord  en  faveur  de  Maximilien  d'Autriclie,  aieul 
de  Charles-Quint.  L'Artois  ne  fut  reconquis  sur 
les  Espagnols  que  sous  Louis  XIII  et  Louis  XIV, 
et  forma  un  gouvernement,  capitale  Arras. 

Au  nord  de  l'Artois  commencent  les  plaines 
de  la  Flanure,  h  peine  plus  élevées  que  le  niveau 
de  la  mer  et  qu'aucune  limite  naturelle  ne  sé- 
pare des  pays  appartenant  aujourd'hui  à  la  Bel- 
gique et  qui  ont  conservé  le  nom  de  Flandre. 
Philippe  le  Bel  commença  la  conquête  de  ce  pays. 
Charles  V  en  apanagea  la  partie  française  à  son 
frère  Philipe  le  Hardi,  fondateur  de  la  seconde 
maison  de  Bourgogne,  qui  épousa  l'héritière  du 
comte  de  Flandre.  La  Flandre  entière  passa  entre 
les  mains  de  Maximilien  d'Autriche,  gendre  du 
Téméraire,  puis  à  son  petit-fils  Charles-Quint,  et 
resta  K  l'Espagne.  Louis  XIV  revendiqua  cette  pro- 
vince en  paiement  de  la  dot  de  la  reine  son  épouse, 
qui  était  infante  d'Espagne.  Il  en  assiégea,  prit  et 
reperdit  les  diverses  places-fortes  h  piuïïieurs 
reprises.  Enfin  le  traité  d'Aix-la-Chapelle,  en 
l(i(;8,  lui  reconnut  la  possession  de  la  Flandre 
française. 

Au  sud-est,  la  Flandre  touche  au  Hainaut,  dont 
les  terres  sont  plus  élevées.  L'Escaut  l'arrose  et 
passe  à  Valenciennes,  capitale  du  Hainaut  français, 
après  avoir  traversé  Cambrai.  Le  Hainaut  et  le 
Cambrésis  furent  conquis  sous  Louis  XIII  et  Louis 
\IV  ei,  réunis  k  la  Flandre  fiançaise,  formèrent  un 
gouvernement  militaire,  capitale  Lille.  Douai  était 
le  siège  du  parlement. 

La  Lorraine  forme  un  plateau  élevé,  limité 
h  l'ouest  par  lArgonne  et  les  Ardennes,  à  l'est 
par  les  Vosges.  La  Meuse  et  la  Moselle  en  sont 
les  principaux  cours  d'eau  et  descendent  au  nord 
vers  le  Rhin  et  la  mer  du  Nord,  tandis  qu'au  sud 
la  Lorraine  s'appuie  aux  monts  Faucilles.  La  Lor- 
raine tire  son  nom  de  Lhthaire,  h  qui  elle  appar- 
tint dans  le  partage  fait  au  traité  de  Verdun.  Sa 
situation  entre  la  France  et  l'Allemagne  en  fit  le 
but  commun  de  l'ambition  des  souverains  de  ces 
deux  pays,  mais  leur  rivalité  permit,  d'autre  part, 
aux  Lorrains  de  maintenir  leur  indépendance. 
Après  avoir  été  la  propriété  de  plusieurs  maisons 
diverses,  le  duché  de  Lorraine  lut  occupé  par  les 
armées  françaises  sous  Louis  XllI  et  Louis  XIV, 
et  ne  fut  restitué  îi  son  duc  qu'au  traité  de  Rys- 
wick.  Après  la  guerre  de  la  succession  de  Pologne, 
François  de  Lorraine,  époux  de  Marie-Thérèse 
d'Autriche,  échangea,  au  traité  de  Vienne,  son 
duché  de  Lorraine  contre  la  possession  de  la 
Toscane.  La  Lorraine  et  le  Barrois  furent  donnés 
au  roi  Stanislas  Leczinski,  beau-père  de  Louis  XV 
et  roi  détrôné  de  Pologne.  A  la  mort  de  Stanis- 
las, la  Lorraine  fut  définitivement  réunie  à  la 
France  en  n(J6. 

Dans  la  Lorraine  se  trouvent  enclavés  les  trois 
évôchés  de  Toul,  Metz  et  Verdun,  qui  lurent  con- 
quis et  réunis  sous  Henri  H.  Ces  trois  évêchés 
sont  en  môme  temps  trois  places-fortes.  Metz  ne 
nous  appartient  plus  depuis  1S"0.  Nancy,  capitale 
de  la  Lorraine,  et  Metz  étaient  chacune  le  siège  d'un 
parlement. 

L'Alsace,  perdue  par  la  France  en  1870,  est  com- 
prise entre  le  Rhin  et  les  Vosges,  et  tire  son  nom 
de  l'Ill,  l'affluent  principal  qu'elle  envoie  à  ce 
fleuve  et  qui  la  traverse  dans  presque  toute  sa 
longueur.  Ancien  domaine  de  la  maison  d'Autri- 
che, l'Alsace  fut  occupée  par  les  troupes  fran- 
çaises pendant  la  guerre  de  Trente  Ans,  et  la  pos- 
session en  fut  reconnue  h  la  France  au  traité  de 
Westphalie.  Sli-cisf/our;/,  qui  formait  une  ville  im- 
périale, une  sorte  de  république  distincte,  ne  fut 
réunie  que  sous  Louis  XIV,  et  devint  capitale  du 
gouvernement. 

Mullii'usu,  ville  libre,  ne  s'anne.xa  à  la  France 
qu'en  1TJ8,  pour  être   perdue  72  ans  plus    tard. 


PRUSSE 


—  1756  — 


PRUSSE 


Au  sud  de  l'Alsace,  leSundgau,  capitale  Belfort,  1  lonaise.  Lps  Prussiens  véritables,  les  seuls  à  qui 

est  au  contraire  resté  en  partie  français.  l'etlinographie  permette  de  porter  ce  nom  antique. 

Au    sud   des    l'aucillcs,  à  l'ouest    du    Jura,   la    sont   les  habitants    primitifs   de   cette  contrée  de 


Comté  di:  R-ur  ogne  ou  Fbanche-Comté  occupe  les 
plateaux  qui  descendent  en  gradins  vers  la  plaine 
de  la  Saône  et  la  Bourgogne.  La  liaute  Saune, 
l'Oignon,  le  Doubs,  l'Ain  en  sont  les  rivières 
principales.  Cette  province  a  souvent  suivi  les 
destinées  du  duclié  de  Bourgogne,  dont  elle  n'est 
séparée  par  aucune  limite  naturelle.  Comme  ce 
duché,  elle  fit  partie  des  divers  royaumes  de 
Bourgogne  au  moyen  âge.  Elle  fut  apportée  en  dot 
par  l'épouse  de  Philippe  V,  puis  apanagce  il  Phi- 
lippe le  Hardi,  duc  de  Bourgogne,  prise  par 
Louis  XI  à  la  mort  de  Charles  le  Téméraire,  aban- 
donnée par  Charles  Mil  en  faveur  de  Maximilien 
d'Autriche  au  traité  de  Senlis.  La  Franclie-Comté 
passa  comme  les  Pays-Bas  à  la  branche  espagnole 
de  la  maison  d'Autriche  ;  elle  fut  conquise  deux  fois 
par  Louis  XIV  et  définitivement  réunie  à  la  France 
sous  ce  roi.  Le  parlement  de  Franche-Comté  fut 
transféré  de  Dôle  à  Besançon,  qui  devint  capitale 
de  la  province. 

La  ville  deJl/ow/J^/i'aïY/,  enclavée  dans  la  Franche- 
Comté  et  possession  de  la  maison  de  Wurtemberg 
jusqu'à  l'époque  de  la  révolution  française,  fut 
alors  conquise  parla  France. 

Le  Comtat-Ven.^issin  occupe  le  pays  groupé  au 
pied  du  mont  Ventoux  entre  le  Rhône  à  l'ouest 
et  la  Durance  au  sud.  Avignon,  la  capitale,  était 
au  moyen  âge  une  république  comme  beaucoup 
d'autres  villes  du  midi.  Elle  devini,  sous  Philippe 
le  Bel,  la  résidence  des  papes,  qui  y  passèrent 
environ  un  siècle  et  en  conservèrent  la  possession 
jusqu'à  la  fin  du  xvtii"  siècle.  Ils  la  rendirent  à 
la  France  au  traité  do  Tolentino,  en  ITiH. 

hdijjrincipinte  d'Oranqe,  enclavée  dans  le  Com- 
tat,  fut  confisquée  par  Louis  XIV  sur  la  maison 
d'Orange  devenue  souveraine  en  Hollande.  Elle 
fit  dès  lors  partie  du  gouvernement  militaiî'e  du 
Dauphiné. 

La  Savoie,  comprise  entre  le  lac  de  Genève,  au 
nord,  le  Rhône  et  le  Guiers  à  l'ouest,  les  grandes 
Alpes  à  l'est,  depuis  le  Mont-Blanc  jusqu'au  Mont- 
Cenis,  appartenait  à  la  maison  de  Savoie  devenue 
maison  royale  de  Sardaigne,  puis  d'Iialie.  Elle  a 
été  cédée  à  la  France  en  1860  en  retour  de  l'al- 
liance fournie  par  les  armes  françaises  aux  Sardes 
contre  le^  Autrichiens.  Cette  annexion  a  été  con- 
firmée par  un  vote  plébiscitaire,  de  même  que 
colle  du  comté  de  Nice. 

En  grande  partie  couverte  de  montagnes,  la 
Savoie  est  tiiut  entière  comprise  dans  le  bassin 
du  Rhône.  Elle  lui  envoie  l'Arve,  descendue  du 
Mont-Blanc,  les  eaux  des  lacs  d'Annecy  et  du 
Bourget,  et  l'Isère,  son  principal  cours  d'eau.  Cette 
rivière,  après  avoir  parcouru  la  vallée  de  la  Trirriii- 
tnise,  se  grossit  de  l'Arc,  qui  recueille  les  eaux 
de  la  Maui-ieirne.  La  capitale  de  la  Savoie  était 
Chambéry,  devenu  chef-lieu  du  département  de 
Savoie. 

Le  COMTÉ  DE  Nier,  situé  à  l'est  du  Var,  parti- 
cipe du  doux  climat  de  la  Provence,  qu'il  continue 
du  côté  de  l'iialie.  Du  haut  de  ses  montagnes  par 
un  temps  clair,  on  aperçoit  celles  de  l'ile  de 
CoiiSE,  qui,  longtemps  propriété  des  Génois,  a  été 
vendue  à  la  France  sous  Louis  XV,  un  an  avant  la 
naissance  de  Napoléon  I".  La  capitale  de  la  Corse 
était  Bastia.  [G.  Meissas.] 

l'iiissiî.  —  Histoire  générale,  XXVII.  —  Le 
nom  de  Prusse  a  changé  de  sens  si  souvent,  soit  par 
I'enchaîi)ement  des  événements,  soit  par  les  cal- 
culs d'une  politique  habile,  qu'il  est  aujotird  hui 
impossible  d'en  donner  une  définition  simple  et 
unique.  La  Prusse,  dans  le  sens  primitif  du  mot, 
c'est  le  pays  compris  entre  l'embouchure  de  la 
Vistule  et  celle  du  Niémen,  de  Dantzig  à  Memel,  et 
faisant  géographiquement  partie   de  la  région  po- 


Prusse,  frères  de  race  des  Lithuaniens,  Vendes 
et  Lettons  comme  eux,  et  leurs  descendants  ac- 
tuels très  peu  nombreux  et  disséminés  surtout 
dans  les  cantpagnes  entre  Koenigsberg  et  le 
Niémen.  Comment  donc  se  fait-il  que  ces  noms  de 
Prusse  et  de  Prussiens,  si  modestes  dans  leur  sens 
véritable,  aient  pris  depuis  deux  siècles  une  ac- 
ception si  difl'ércnte,  et  servent  à  désigner  avijour- 
d'hui  un  royaume  et  un  peuple  ou  une  aggloméra- 
tion de  peuples  dépassant  tellement  les  limites 
premières  et  ayant  leur  centre,  leur  foyer  et 
leur  rayonnement  en  pleine  Allemagne  germani- 
que? C'est  ce  que  ce  résumé  historique  va  essayer 
de  mettre  en  lumière. 

La  Prusse  paiienne  (9^:0-12?C).  —  C'est  vers  la 
fin  du  Ti.'  siècle  que  le  nom  de  la  Prusse  et  des 
Prussiens  apparaît  dans  l'histoire,  lorsque  l'apôtre 
tchèque  saint  Adalbert  passe  de  Pologne  dans  leur 
pays  pour  les  évangéliser  et  tombe  sous  les  coups 
de  ces  païens  rebelles  à  ses  enseignements.  S'il 
faut  en  croire  le  chroniqueur  polono-lati.i  Galles,  h 
l'élément  letton  se  serait  déjà  jointe  au  viii'  siècle 
une  colonie  saxonne  échappée  au  glaive  de  Char- 
Icmagne  et  arrivée  par  mer  dans  le  pays  prussien. 
Pendant  deux  sièries,  les  Prussiens  restent  dans 
le  paganisme,  tour  à  tour  attaqués  par  les  rois 
polonais  de  la  dynastie  des  Piasts  et  prenant  leur 
revanche  par  des  incursions  sur  les  terres  polo- 
naises et  surtout  dans  la  Mazovie.  Leur  dernière 
invasion  est  de  12n:le  ducde  Mazovie  Conrad  (un 
Piast  polonais)  fit  comme  Charles  le  Gros,  il 
acheta  à  prix  d'or  la  retraite  des  envahisseurs. 
Mais  le  pape  Honorius  III  proclama  la  croisade 
contre  eux,  et  une  expédition  dont  la  date  coïn- 
cide avec  la  croisade  des  Albigeois  {\T2'2)  eut  lieu 
sans  grands  résultats.  Conrad  fonda  d'abord  un 
ordre  de  chevalerie  polonais  contre  les  Prussiens 
sous  le  nom  de  frères  de  Dobrzyn  (ainsi  s'appelait 
le  château  qui!  leur  concéda)  ;  mais  cet  ordre 
ayant  été  exteriuiné  par  les  païens,  Conrad  appela 
les  chevaliers  de  l'ordre  Ti-utoniquo  (122lj).^ 

Z,a  Prusse  teutonique  (r-'26-U<'>6,.  —  L'ordre 
Teutonique,  composé  presque  exclusivement  d'Al- 
lemands, allait  donc,  sous  couleur  de  convertir  les 
Pj  usiiens  au  christianisme,  conquérir  leur  pays, 
les  exterminer  et  les  remplacer  par  des  colons 
allemands. 

Fondé  en  1 190,  lors  de  la  troisième  croisade,  cet 
ordre,  après  une  brillante  carrière  en  Palestine, 
avait  obtenu  en  1217  d'André,  roi  de  Hongrie,  un 
établissement  en  Transylvanie  pour  combattre  les 
hordes  des  Koumans;  mais,  les  jugeant  dange- 
reux, André  s'en  était  débsrrassé,  et  c'est  alors 
qu'ils  avaient  trouvé  un  nouvel  emploi  de  leur 
zèle  de  convertisseurs  armés.  Conrad  leur  cédait 
la  terre  de  Chelmno  (Kulm),  sans  renoncer  à  sa 
suzeraineté  sur  cette  terre,  non  plus  qut;  sur  les 
conquêtes  à  faire  dans  le  pays  prussien. 

Les  chevaliers  teutoniques  commencent  par 
s'approprier  les  terres  de  l'ordre  de  Dobrzyn, 
puis  leur  maître  provincial  Herniann  Balk  com- 
mence en  1231  la  guerre  contre  les  Prussiens; 
alors  est  fondée  la  ville  de  Thorn  (Torun;,  puis 
celles  de  Chelmno  (Kulm)  et  de  Marienwerder, 
toutes  fortifiées  contre  les  païens  et  peuplées 
d'Allemands  à  qui  on  accorda  de  grands  privilèges 
et  lusage  du  droit  municipal  dit  de  MagJebourg. 
De  1235  à  1237,  les  Teutoniques  s'avancent  vers 
le  nord,  fondent  le  château  fort  d'Elbing,  qui 
devient  bientôt  une  ville,  et  imposent  le  christia- 
nisme aux  vaincus;  ils  s'adjoignent  ensuite  l'ordre 
des  chevaliers  Porte-glaives  qui  évangélisait  alors 
et  geriuanisait  la  Livonie. 

La  Prusse  une  fois  vaincue,  les  Teutoniques 
veulent  franchir   le   Niémen  et  convertir  les  Li 


J 


PRUSSE 


—  1757  — 


PUUSSE 


thuanicns  en  conquérant  leur  pays.  Mais  ils  ont 
affaire  à  plus  forte  partie,  et  sont  repousses  il  plu- 
sieurs reprises. 

De  rji.'i  h  i:ill  l'ordre  Teutonique  reste  stalion- 
iiaire.  Mais  en  1.311,  profitant  des  embarras  du  roi 
de  Pologne  Ladislas  le  Bref,  les  Ti'Utoniques  s'em- 
parent de  la  l'oméranie  et  de  la  ville  do  Dantzig  : 
c'est  alors  qu'ils  s'abouchent  pour  la  première 
fois  avec  le  margrave  de  Brandebourg,  qui  leur 
<;ède  ses  protendus  droits  sur  la  Pomcranie. 
L'ordre  Teutonique,  par  cette  audacieuse  usurpa- 
tion, avait  jeté  le  gant  il  la  Pologne.  Il  en  résulta 
une  guerre  assez  longue  qui  S';  termina  par  la  paix 
de  Kalisz  en  1343:  le  roi  de  Pologne  codait  aux 
Teutoniques  la  terre  de  Kulra  et  quelques  places, 
€t  leur  concédait  la  Poméranie  Ji  titre  de  fief. 
De  nouvelles  guerres  remplissent  la  fin  du  xiv° 
siècle  et  la  première  moitié  de  xv".  La  puissance 
de  l'ordre  Teutoniiiue,  ébranlée  par  la  terrible 
défaite  de  Griinwald  (l 'ilO),  décline  peu  à  peu  ;  les 
sujets  de  l'ordre,  que  lasse  sa  tyrannie,  font  cause 
commune  avec  les  Polonais;  et  enfin  les  Teutoni- 
ques sont  contraints  de  signer  la  paix  de  Thorn 
(1406),  qui  leur  enlève  la  plupart  de  leurs  con- 
quêtes; la  Pologne  reprend  la  Prusse  occidentale 
(Kulm,  Elbing,  Dantzig)  et  la  Poméranie  ;  elle 
laisse  à  l'ordre  Teutonique  la  Prusse  orientale 
avec  Kônigsberg  pour  capitale,  mais  à  la  condition 
pour  le  grand-maître  de  prêter  liommage  au  toi 
de  Pologne. 

La  Prusse  polonaise  ou  vassale  de  la  Pologne 
(HdIi-U.ôU).  —  A  partir  de  ce  mémorable  traité, 
la  Prusse  occidentale  ou  royale,  admise  à  tous  les 
privilèges  de  la  noblesse  polonaise,  fut  d'autant 
plus  attachée  à  la  Pologne  qu'elle  lui  dut  une  pros- 
périté toujours  croissante.  Quant  à  la  Prusse 
orientale  ou  teutonique,  elle  tâcha  toujours  de 
se  soustraire  à  l'obligalion  de  l'hommage,  invo- 
quant à  cet  effet  l'appui  de  l'empereur  d'Alle- 
magne, de  Maximilii'n  surtout.  En  lôlO,  à  la  mort 
du  grand  maître  Frédéric  de  .Saxe,  le  roi  de  Polo- 
gne Sigismond  fit  élire  grand-maître  son  neveu 
Albert  de  Brandebourg,  fils  de  sa  sœur  Sophie 
Jagellon,  espérant  trouver  en  lui  un  vassal  plus 
docile. 

Mais  c'était  une  illusion  ;  Albert  de  Brandebourg 
hérita  des  prétentions  do  ses  prédécesseurs,  c|ui 
n'avaient  obéi  qu't  n  murmurant  aux  clauses  du 
traité  de  Thorn.  Il  fit  la  guerre,  et  l'ut  vaincu. 
Alors,  abandonné  de  ses  alliés  et  de  ses  sujets, 
après  avoir  en  vain  mendié  dos  secours  dans 
toute  l'Europe,  il  rêvait  de  se  mettre  à  la  solde 
soit  du  roi  détrôné  de  Suède  (;iiristian,  soit  du 
roi  de  France  François  I",  quand  l'idée  lui  vint 
de  séculariser  l'ordre  Teuloiiique  et  d'embrasser 
le  luthéranisme  à.  l'exemple  des  autres  membres 
de  sa  famille.  Georges,  margrave  de  Brandebourg, 
servit  d'intermédiaire  entre  Albert  et  le  roi  de 
Pologne  Sigismond,  et  obtint  le  droit  de  succes- 
sion au  duché  de  Prusse  sous  la  suzeraineté  de  la 
Pologne  pour  la  ligne  de  Brandebourg  et  d'Anspach, 
jusqu'à  l'extinction  du  dernier  rejeton  mâle  (8  avril 
lô25):  le  jour  même  où  fut  signée  cette  convention, 
Albert  do  Brandebourg  reçut,  comme  duc  de 
Prusse,  sur  le  marché  de  Cracovie,  l'investiture  du 
la  main  de  Sigismond  I"  dit  le  Vieux. 

Ce  Alt  de  la  part  de  Sigismond  I"  une  grande 
faute  politique  d'avoir  prêté  les  mains  à  cet  atran- 
gement,  et  surtout  d'avoir  consenti  à  ce  qu'Albert 
de  Brandebourg  transmit  ses  droits  à  la  famille 
ambitieuse  (|ui  devait  un  jour  non  seulement  re- 
fuser I  hommage  à  ses  successeurs,  mais  encore 
donner  l'idée  du  partage  de  la  Pologne. 

Les  règnes  d'Albert  I"  de  Brandebourg  et  de 
son  fils  Albert  11  ne  présentent  pas  d'événements 
importants,  non  plus  que  celui  de  leur  successeur 
Jean-Sigisniond,  électeur  de  Brandebourg,  qui  réu- 
nit le  duché  de  Prusse  i  son  électorat  ;itilG).  Lo- 


lecteur  Georges-Guillaume,  successeur  de  Jean- 
Sigismond,  favorisa  la  descente  de  Gustave- 
Adolphe  en  Poméranie  et  lui  facilita  la  conquête 
momentanée  de  la  Prusse  royale  (polonaise),  à 
l'exception  de  Dantzig  qui  résista  à  la  fiotte  sué- 
doise (l(i;'G-lii2'i)  ;  la  province  fut  rendue  à  la 
Pologne  quand  Richelieu  eut  lancé  Gustave- 
Adolphe  contre  l'Allemagne. 

Le  successeur  de  Georges-Guillaume,  Frédéric- 
Guillaume,  surnommé  le  Grand-i'.lecteur,  profita 
de  la  guerre  entre  la  Suède  et  la  Pologne  pour  re- 
fuser l'hommage  au  roi  de  Pologne  pour  le  duché 
de  Prusse  orientale:  le  traité  de  Wehlau  (1B57) 
reconnut  l'indépendance  de  ce  duché.  Le  traité  de 
Westphalie  avait  donné  en  outre  au  Graud-Electeur 
la  Poméranie  orientale  ,  et  les  évêchés  sécularisés 
de  Magdebourg,  de  Halberstadt  et  de  Minden. 

Il  faut  maintenant  revenir  en  arrière  pour  dire 
ce  qu'étaient  ces  électeurs  de  Brandebourg,  qui, 
après  être  devenus  les  maîtres  de  la  Prusse  du- 
cale, allaient  prendre  bientôt  le  titre  de  rois  de 
Prusse. 

La  maison  de  Brandebourg  ou  de  HohenzoUern 
(llG4-nOIJ.  —  C'est  le  comte  Conrad  de  Ho- 
lienzoUern  qui  avait,  fondé  cette  maison.  Il  acheta 
en  1104  le  burgraviat  de  Nuremberg,  auquel  ses 
successeurs  ajoutèrent  successivement  Anspach, 
Culinbach  et  Bayreuth  il:;4s-l3  il).  En  lUi,  le 
burgrave  Frédéric  IV  reçut  <!■:  Sigismond  de 
Luxembourg  la  marche  de  Brandebourg,  et  en  1415, 
moyennant  finance,  il  obtint  le  titre  d'électeur 
sous  le  nom  de  Frédéric  l".  Son  successeur  fut 
Frédéric  II,  dit  Dent  de  Fn\  qui  arroiiiiit  ses 
Etats  par  l'acquisition  de  la  Nouvelle-Marche 
(1445).  En  1471,  Albert  l'Achille  réunit  les  pos- 
sessions que  Frédéric  II  avait  divisées  entre  ses 
fils.  En  lijli,  Jean-Sigismond  se  fait  donner  par 
le  traité  de  Xanten  la  moitié  de  la  succession  de 
Juliers  et  obtient,  comme  nous  l'avons  vu,  le  duché 
de  Prusse  à  la  mort  d'Albert  II  (luli;).  Enfin,  le 
Grand- Electeur  Frédéric-Guillaume  devient,  on 
lh;,7,  duc  indépendant  do  Prusse  et  Ibnde  la  gran- 
deur du  nouvel  Etat,  qui,  enrichi  par  l'émigration 
protestante  après  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes 
(1085),  joue  déjà  un  rôle  important  dans  la  lutte  de 
l'Europe  contre  Louis  .XIV,  et,  sous  l'électeur  Fré- 
déric III,  devient  le  royaume  de  Prusse  (1701). 

Monarchie  prussienne  (1701-1871).  —  Frédé- 
ric l"  (Fré'léric  III  comme  électeur)  prit  le  titre 
de  roi  avec  la  permission  de  l'empereur  Lco- 
pold  !"■,  toujours  besoigneux  et  craintif,  moyen- 
nant la  somme  de  G  millions  d'écus  (1701).  Bien  de 
plus  curieux  que  d'étudier  le  détail  dfs  intrigues 
diplomatiques  par  lesquelles,  s'appuyant  surtout 
sur  les  Jésuites,  il  parvint  à  obtenir  ce  titre  qui 
flattait  tant  sa  vanité.  Frédéric  I"  ajouta  à  ses 
Etats  le  comté  de  Mœrs,  la  principauté  de  Neu- 
cliàtel,  et  une  partie  de  la  Poméranie.  Sa  femme 
Sophie-Charlotte,  l'amie  de  Leibtiitz,  lui  Ht  fonder 
l'université  de  Halle  et  la  société  royale  des  scien- 
ces et  des  belle.s-lettres  de  Berlin,  dont  Leibnitz 
fut  le  premier  président. 

Fré'léric-GuÛlawne  I"  {n\-i-nWi  monta  sur  le 
trône  au  moment  où  Louis  XIV  lui-même  recon- 
naissait la  nouvelle  royauté  au  traité  d'Utrecht,  Le 
nouveau  roi  s'appela  le  serviteur  de  Dieu  et  n'es- 
tima que  les  théologiens  et  les  soldats.  Il  déclara  la 
guerre  à  la  mode  française,  à  la  philosophie  et  aux 
lettres.  .<  L'Athènes  du  Nord  en  devint  la  Sparte.  » 
Le  roi  sergent  confisqua  pour  l'armée  les  tonds  da 
la  Bibliolhèque  royale  et  paya  jusqu'à  2  UO  écus 
par  tèta  des  soldats  hauts  de  six  pied-,  qu'il  re- 
crutait même  dans  les  pays  voisins,  et  surtout  en 
Russie.  Il  n'avait  que  du  mépris  pour  son  fils  le 
jeune  Frédéric,  lettré  et  corrompu,  qui,  sétant 
enfui  pour  échapper  à  la  tyrannie  paternelle,  fut 
condamné  à  mort  comtne  déserteur,  puis  gracié 
après  avoir  assisté  au  supplice  de  son  complice  Ig 


PRUSSE 


—  1758  — 


PRUSSE 


lieutenant  Katt.  La  principale  passion  de  ce  roi, 
comme  celle  du  Grand-Electeur  son  aïeul  et  de 
tous  les  HolienzoUern,  fut  la  haine  de  la  France. 
Dans  la  guerre  de  succession  de  Pologne  (1733-33), 
la  siule  ([ui  eut  lieu  pendant  son  règne,  il  fut 
l'allié  fidèle  de  l'Autriclie  et  de  la  Russie  contre 
la  France  et  l'Angleterre.  11  désirait  ardemment 
justifier  par  l'annexion  de  la  Prusse  polonaise  le 
titre  anticipé  de  roi  de  Prusse  que  lui  avait  légué 
son  père,  et  en  1732,  il  fit  des  propositions  de 
partage  à  Auguste  11  ;  mais  ce  vœu  ne  devait  être 
réalisé  que  par  ses  deux  successeurs,  Frédéric  11 
et  Frédéric-Guillaume  11. 

FrrfcWc // (1740-1781;)  trouva  à  son  avènement 
une  armée  puissante  et  un  trésor  bien  garni.  11  se 
posa  dès  l'abord  en  protecteur  du  protestantisme, 
en  recueillant  avec  ostentation  tous  les  persécu- 
tés d'Allemagne  et  de  Pologne,  puis  il  proclama 
pour  tous  ses  sujets  la  liberté  de  conscience. 
Pour  donner  à  ses  soldats  un  autre  mobile  que  la 
crainte,  il  fojida  l'ordre  du  Mérite.  Enfin,  pour  se 
concilier  l'opinion  des  pbilosopbes,  il  fit  de  Mau- 
pertuis  le  président  de  son  académie  et  de  Vol- 
taire son  ami  et  son  confident.  Puis  la  fortune,  le 
servant  à  souhait,  lui  fournit  l'excellente  occasion 
de  la  guerre  do  succession  d'Autriclie,  qui  valut  à 
Frédéric  la  Silésie  (V.  Guerre  de  la  succession 
d'Autriche).  En  Silésie,  Frédéric  II  supprima  toute 
liberté  politique,  et  cette  province,  polonaise  de 
race,  n'eut  jamais  lieu  de  se  féliciter  de  l'annexion 
prussienne  :  elle  est  encore  économiquement  la 
plus  malheureuse  du  royaume. 

Dans  l'intervalle  des  deux  guerres  qui  ont  mar- 
qué son  règne  (de  l"48  à  Uôti),  Frédéric  fit  faire 
dans  ses  Etats  de  grands  travaux  (canaux  entre 
l'Elbe  et  l'Oder,  port  de  Stettiu)  ;  il  fertilisa  les 
plaines  sablonneuses  du  Brandebourg  en  y  faisant 
transpi'rter  les  boues  de  Berlin,  il  créa  itiO  villa- 
ges. Econome  pour  sa  cour,  il  n'épargjiait  pas  les 
dépi'iises  pour  agrandir  Berlin  et  relever  l'Acadé- 
mie des  sciences.  Sa  puissance  devenait  inquié- 
tante pour  l'Europe  entière. 

L'Autriche  n'avait  pas  attendu  jusque-là  pour 
se  repentir  de  la  faute  de  Léopold  l",  qui  avait 
laissé  grandir  les  électeurs  de  Brandebourg.  La 
France  s'aperçut  à  son  tour  qu'elle  n'avait  plus 
intérêt  ix  affaiblir  l'Autriche  pour  fortifier  en  Aile 
magne  une  puissance  plus  redoutable  encore. 
De  là,  bien  plus  que  des  intrigues  féminines  au 
récit  desquelles  se  complaisent  les  historiens, 
naquit  l'alliance  franco-autrichienne  et  la  guerre 
de  sept  ans  (1706-1763).  On  sait  comment  Frédé- 
ric attaqua  le  premier  la  coalition,  comment  tour 
à  tour  vaincu  et  vainqueur,  au  moment  d'être 
écrasé,  il  fut  sauvé  par  la  mort  de  la  tsarine  Elisa 
beth  et  l'avènement  de  son  admirateur  Pierre  111 
(V.  Gueire  de  sept  ans).  S'il  n'avait  pas  gagné  de 
territoire  aux  traités  de  Paris  et  d'Hubertsbourg, 
dont  profilèrent  seules  l'Angleterre  et  l'Autriche 
il  acquit  du  moins  une  gloire  nouvelle.  D'ailleurs, 
il  reçut  de  l'Angleterre  en  six  ans  '24  millions 
d'écus.  Mais  son  armée  permanente,  à  laquelle  il 
sacrifiait  tout,  aljsorbait  les  ressources  de  l'Etat. 
11  s'appliqua  alors  à  réparer  les  maux  de  la 
guerre.  11  attira  dans  son  royaume  300000  colons 
et  fonda  SOil  nouveaux  bourgs  et  villages.  11  éta 
but  une  banque  nationale  en  170j  et  développ; 
l'industrie.  11  fit  peu  de  chose  pour  l'instruction; 
il  méprisait  trop  son  peuple  pour  l'éclairer,  disant 
que  ce  peuple  n'avait  jamais  su  que  manger,  boire 
et  se  battre.  En  revanche,  il  réforma  la  législa- 
tion; mais  il  avilit  la  magistrature  en  se  substi 
tuant  trop  souvent  à  elle  dans  son  despotisme 
sans  appel.  11  y  avait  "  des  juges  à  Berlin,  «  mais 
des  juges  forcés  de  rendre  des  services  plutôt  que 
des  arrêts. 

Protecteur  des  privilèges  de  la  noblesse  qui  lui 
semblait  le  plus  fervent  appui  de   sa  puissance 


absolue,  il  laissa  les  bourgeois  s'enrichir  et  sut 
maintenir  l'équilibre  entre  les  castes.  Indifférent 
en  matière  de  religion,  il  n'en  persécuta  aucune, 
tout  en  éloignant  les  catholiques  des  hautes 
charges  ;  mais,  par  politique,  il  se  fit  partout  le 
défenseur  du  protestantisme,  et  son  grand  grief 
contre  la  Pologne,  qu'il  voulait  démembrer,  fut 
précisément  qu'elle  refusait  aux  dissidents  ces 
mêmes  hautes  charges  que  lui-même  n'accordait 
pas  aux  catholiques. 

Ses  plus  ardents  admirateurs,  et  l'admiration 
de  Frédéric  11  est  un  des  nombreux  legs  que 
Voltaire  a  laissés  à  la  France,  ne  sont  arrêtés 
dans  leurs  éloges  que  par  la  part  prépondérante 
qu'il  prit  au  partage  de  la  Pologne,  et  qu'ils  ne 
savent  comment  justifier,  puisque  Frédéric  lui- 
même,  dans  ses  lettres  à  Voltaire  sur  ce  sujet, 
se  contentait  de  plaider  les  circonstances  atté- 
nuantes, tout  en  reconnaissant  qu'il  ne  n  répon- 
dait pas  de  l'avenir,  u  C'est  de  la  Prusse  que  par- 
tit l'idée  du  partage,  et  cela  devait  être.  Depuis  le 
jour  où  l'ordre  Teutonique  avait  été  appelé  en 
Prusse  par  un  prince  polonais,  le  germanisme 
avait  rêvé  cette  conquête,  et  les  défaites  des  Teu- 
toniques,  ainsi  que  les  humiliations  des  ducs  de 
Prusse  forcés  de  prêter  hommage  aux  rois  de  Po- 
logne, avaient  enraciné  la  haine  de  la  Pologne  et 
le  désir  de  s'enrichir  à  ses  dépens  dans  le  cœur 
dos  souverains  du  Brandeboug.  D'ailleurs,  un  roi 
de  Prusse  ne  devait-il  pas  posséder  la  Prusse 
tout  entière  ?  Cette  spoliation  ne  se  fit  pas  cepen- 
dant d'un  seul  coup.  Frédéric  II  ne  fit  et  ne  vit 
que  le  premier  partage,  celui  de  i773,  et  ne  réunit 
à  ses  Etats  que  la  Prusse  occidentale  sans  les 
villes  de  Thorn  et  de  Dantzig. 

Frédéric-Guillaume  II  (17^6-1707),  neveu  de 
Frédéric  11  etson  successeur,  eut  la  joie  de  complé- 
ter cette  œuvre  en  prenant  part  au  second  et  an 
troisième  partage  de  la  Pologne  (1703  et  1795). 
Le  partage  de  1793  lui  donna  'l'horn  et  Dantzig; 
et  il  se  fit  adjuger  en  179.5  toute  la  rive  gauche  de 
la  Vistule  et  du  Niémen  avec  Varsovie. 

En  même  temps,  il  prenait  part  à  la  coalition 
contre  la  Révolution  française.  Il  fut  moins  heureux 
de  ce  côté.  Après  la  déclaration  de  Pilnitz  (1791) 
vint  l'insolent  manifeste  du  duc  de  Brunswick 
(juillet  1792),  l'invasion  de  la  France  par  les  trou- 
pes prussiennes  et  la  prise  de  Longvvy  et  de  Ver- 
dun; mais  lorsque  Paris  semblait  près  de  tomber 
aux  mains  des  alliés,  la  bataille  de  Valmy  (20  sept. 
1792)  sauva  la  France,  et  les  Prussiens  battirent 
en  retraite.  C'en  était  fait  du  projet  de  partage 
de  la  France,  conçu  par  Frédéric-Guillaume  II  et 
son  ministre  Hertzberg.  Néanmoins  la  Prusse 
reste  dans  la  première  coalition.  Après  la  prise 
de  Mayence,  Hoche  bat  les  Prussiens  à  Frœschwil- 
ler  et  à  Woerth,  puis  à  Geisberg;  et  Frédéric-Guil- 
laume ordonne  à  ses  généraux  une  immobilité 
complète  pendant  la  campagne  de  1794  et  de  1795. 
Enfin,  son  représentant  M.  de  Gollz  signe  la  paix 
de  Uàle  :  Frédéric-Guillaume  II  consent  à  la  réu- 
nion de  la  rive  gauche  du  Rhin  tout  entière  au 
territoire  français  (o  avril   I79Ô). 

Frédéric-Guillaume  lll  (1  "97-1340)  resta  d'a- 
bord neutre  dans  les  guerres  contre  la  République 
française  :  la  Prusse  ne  prit  point  part  à  la  se- 
conde coalition  (1199);  ce  fut  même  le  ministra 
do  Prusse  à  Rastadt  qui  recueillit  Jean  Debry,  le 
plénipotentiaire  français  qui  avait  échappé  à  l'at- 
tentat des  hussards  autrichiens.  Frédéric-Guil- 
laume lll  assista  de  même  en  témoin  impassible 
aux  guerres  du  Consulat.  Il  n'entra  pas  davan- 
tage sous  l'empire  dans  la  troisième  coalition,  et 
à  la  bataille  d'.\usterlitz,  l'envoyé  prussien,  M.  de 
Haugwitz,  vint  féliciter  "V.ipoléon,  qui  lui  répon- 
dit :  «  Voilà  un  compliment  dont  la  Fortune  a 
changé  l'adresse.  »  En  elïet,  FrédéricGuiUaume 
avait  signé  avec  la  Russie  un  traité  secret  par  le- 


PRUSSE 


—  1759  — 


PRUSSE 


quel  il  s'engageait  à  proposer  sa  mcdialion,  et, 
en  cas  do  refus  de  la  part  de  Napoléon,  il  se  join- 
dre aux  Autrichiens  et  aux  Russes.  Après  Auster- 
litz,  Napoléon  céda  à  la  Prusse  le  Hanovre  en 
échange  du  duché  de  Clèves,  de  Berg,  d'Anspach 
ot  de  Nfucliàlel,  et  pins  tard  de  Bayreulh.  Mais 
bienlût  la  formation  de  la  Confédération  du  Rhin, 
la  promesse  faite  par  Napoléon  aux  Aîiglais  de 
leur  rendre  le  Hanovre,  et  l'exécution  du  libraire 
Palm  h  Nuremberg  (18OO)  surexcitèrent  l'opinion 
publique,  et  le  roi  de  Prusse  fit  remettre  un 
ultimatum  réclamant  l'évacuation  de  l'Allemagne. 

On  sait  avec  quelle  rapidité  les  batailles  d'Iéna 
et  d'Auerslœdt  (ISOti)  détruisirent  l'armée  prus- 
sienne, comment  la  campagne  de  1807  contre  les 
Russes  et  ce  qui  restait  des  Prussiens  se  termina 
;'i  l'avantage  des  Français  par  la  victoire  de  Fried- 
land,  et  comment  la  paix  de  Tilsitt  rétablit  Frédé- 
ric-Guillaume dans  une  partie  de  ses  Etats,  h  savoir 
le  Brandebourg,  la  Silésie.  la  Prusse  proprement 
dite  et  la  l'oméranie  prussienne,  qui  ne  devaient 
être  évacuons  qu'après  l'acquiicenient  des  contri- 
butions de  guerre  montant  h  600  millions  de 
francs  ;  Napoléon  forma  avec  le  reste  le  royaume 
de  VVestphalie  donné  à  Jérôme,  et  le  grand-duché 
de  Varsovie  donné  à  l'électeur  de  Saxe  qui  rece- 
vait le  liire  de  roi.  Dantzig  était  déclarée  ville 
libre. 

C'est  pendant  cette  période  d'humiliation  pour 
la  Prusse  (1807-1813)  que  des  hommes  d'Etat  (le 
baron  de  Stein)  opérèrent  une  révoliUion  adminis- 
trative et  abolirent  les  abus  féodaux.  Cependant, 
dès  1808,  le  roi  de  Prusse  était  forcé  par  IVapoléon 
de  renvoyer  Stein  du  ministère  et  le  prince  Guil- 
laume signait  la  convention  de  Paris,  par  laquelle 
le  gouvernement  prussien  s'engageait,  entre  au- 
tres, à  ne  pas  avoir  sur  pied,  pendant  dix  ans, 
plus  de  4'iOOO  soldats,  et  laissait  les  Français 
tenir  garnison  à  Glogau,  Custrin  et  Stettin,  aux 
frais  de  la  Prusse,  jusqu'à  l'entier  acquittement 
de  la  dette. 

L'Allemagne,  humiliée  par  Napoléon,  préparait 
sa  délivrance.  Le  Tugend-ouncl  (association  de  la 
vertu)  avait  été  formé  par  le  professeur  Maurice 
Arndt,  secondé  par  l'ancien  ministre  prussien 
Stein,  des  généraux  et  des  princes.  Néanmoins,  non 
seulement  la  Prusse  ne  put  prendre  aucune  part 
à  la  coalition  de  1809,  mais  encore  en  1812  les 
Prussiens  durent  fournir  leur  contingent  à  la 
grande  armée  dans  la  campagne  de  Russie.  Aussi 
quand  vint  le  désastre  et  la  retraite,  ce  fut  dans 
toute  l'Allemagne  un  tressaillement  d'espérance. 
Frédéric-Guillaume  III  ouvrit  les  rangs  prussiens 
à  tous  les  Allemands  contre  l'étranger,  et  le 
17  mars  isllî,  la  Prusse  déclara  officiellement  la 
guerre  il  la  France.  Battus  à  Lutzen,  k  Bautzen, 
à  Wurschen,  les  alliés  obtiennent  l'armistice  de 
Pleiswitz,  et,  renforcés  des  troupes  de  l'Autriche, 
recommencent  la  lutte.  La  bataille  de  Dresde  est 
le  dernic-  succès  de  Napoléon  en  Allemagtie.  A 
Leipzig  Napoléon  est  vaincu,  et  c'est  le  général 
Blûcher  qui  a  le  plus  contribué  à  sa  défaite.  L'Al- 
lemagne est  délivrée,  la  France  va  être  envahie. 

On  connaît  les  événements  do  la  campagne  de 
France  (V.  Napoléon  l"). 

Le  30  mai  Isli,  Paris  capitula.  Le  C  avril.  Na- 
poléon abdiquait,  le  3  mai  Louis  XVIII  était  rentré 
il  Paris. 

Mais  une  année  ne  s'était  pas  écoulée  que  s'ef- 
fectuait le  retour  de  l'île  d'Elbe,  et  que  la  coalition 
se  reformait  contre  Napoléon  et  la  France.  La 
Prusse  se  montra  la  pliis  acharnée. 

Blucher,  dont  l'armée  occupait  la  Belgique,  fut 
d'abord  vaincu  à  Ligny  (Ifi  juin  18 1;.);  mais  il 
Waterloo  ce  fut  lui  qui  porta  le  dernier  coup  à 
l'armée  française  en  arrivant  à  la  fin  do  la  journée 
sur  le  champ  de  bataille  (18  juin). 

Après  la   lutte,  vint  le  partage  des  dépouilles; 


[après  Waterloo,  les  traités  de  Vienne.  La  Prusse 
aurait  voulu  se  faire  une  part  léonine  en  annexant 
tous  les  États  du  roi  de  Saxe,  et  elle  était  appuyée 
dans  ses  prétentions  par  la  Russie,  qui  espérait 
obtenir  ainsi  toute  la  Pologne  prussienne  y  com- 
pris le  duché  de  Posen.  Mais  ces  doux  puissances 
restèrent  isolées,  et  l'on  transigea.  La  Prusse 
n'eut  qu'une  partie  de  la  Saxe  et  garda  le  duché 
de  Posen,  en  laissant  Varsovie  et  Kalicz  k  la 
Russie.  Elle  obtint  de  plus  la  Poméranie  occiden- 
tale avec  Slralsund  et  l'île  de  Rilgen,  et  sur  la 
Rhin  de  nombreux  territoires  qui  formèrent  la 
Prusse  rhénane;  enfin  elle  avait  pris  il  la  France 
Sarrebruck  et  Sarrclouis.  Il  lui  restait  encore  à 
réunir  en  un  seul  tout  ses  États  morcelés,  et  à 
conquérir  en  Allemagne  l'hégémonie  qui  avait 
jusque-là  appartenu  à  1  Autriche. 

De  1815  à  1830,  nous  avons  à  noter  le  refus  de 
Frédéric-Guillaume  IH  de  donner  à  ses  sujets  une 
constitution,  le  rétablissement  dans  les  provinces 
rhénanes  des  privilèges  et  des  droits  féodaux,  les 
congrès  de  Garlsbad  et  de  Vienne  qui  réagissent 
contre  le  mouvement  libéral  (ISll)  et  1830),  la  loi 
de  IS20  qui  accorda  des  assemblées  provinciales, 
représentant  les  trois  ordres  de  la  noblesse,  des 
villes  et  des  paysans  et  n'ayant  qu'une  voix  con- 
sultative, et  la  création  du  Zolloerein  (Union 
douanière)  qui,  fondé  en  Prusse  (I818),  s'est 
étendu  peu  à  peu  sur  toute  l'Allemagne  et  a  pré- 
paré sur  le  terrain  économique  l'unité  politique 
que  la  Prusse  cherchait  à  réaliser  à  son  profit. 
Ajoutons  la  part  prise  par  le  roi  de  Prusse  à 
toutes  les  œuvres  de  réaction  de  la  Sainte-Al- 
liance, entre  autres  aux  congrès  de  Troppau,  de 
Laybach  et  de  Vérone. 

En  1830,  lorsqu'éclata  à  Varsovie  l'insurrection 
polonaise  contre  la  Russie,  à  laquelle  prirent  part 
un  grand  nombre  des  habitants  du  duché  de 
Posen  et  de  la  Prusse  royale,  la  Prusse  rendit  de 
grands  services  à  la  Russie  en  lui  livrant  des  ré- 
fugiés et  en  interceptant  les  convois  d'armes  des 
insurgés. 

L'Allemagne  avait  ressenti  à  son  tour  le  contre- 
coup des  révolutions  de  France,  de  Pologne  et  de 
Belgique  ;  mais  au  mois  de  juillet  lh.i2  la  diète  de 
Francfort,  sous  la  pression  de  l'Autriche  et  de  la 
Pru^se,  réatrit  violemment  contre  loute  velléité 
de  liberté.  En  1833,  la  Prusse,  l'Autriche  et  la 
Russie,  à  la  suite  des  conférences  de  Miinchen- 
Giaetz,  enjoignirent  même  au  gouvernement  fran- 
çais de  bannir  de  son  territoire  les  réfugiés  poli- 
ti(|ues,  ce  qui  leur  attira  de  la  part  du  duc  de 
Broglie  un  refus  énergique. 

Frèdâric-Guillaume  IV  (1840-I8fil),  fils  aîné  de 
Frédéric  Guillaume  III,  succéda  à  son  père  en 
1840,  au  moment  où  la  question  d'Orient  sem- 
blait devoir  faire  éclater  une  guerre  européenne. 
Le  traité  des  détroits  (juillet  I81I)  mit  fin  à  la 
crise  provn(|uée  par  les  velléités  belliqueuses  de 
M.  Thiurs  (V.  Lnuis-PhiHtipe). 

A  l'intérieur  Frédéric-Guillaume  IV  se  trouvait 
aux  prises  avec  les  réclamations  de  ses  sujets,  qui 
espéraient  enfin  le  voir  réaliser  la  promesse  d'une 
constitution  faite  en  181.S.  Le  nouveau  roi  so 
contenta  de  développer  l'instiiuiion  dos  états 
provinciaux  ot  de  créer  un  comité  général  des 
états  de  toutes  les  provinces  (iSil);  les  assem- 
blées provinciales  furent  d'ailleurs  convoquées 
plus  régulièrement.  Cependant  il  refusait  toujours 
une  constitution,  et  sa  dernière  concession  fut  de 
créer  (l'-47)  la  Diète  réunie,  assemblée  composée 
des  membres  des  états  provinciaux,  (iette  con- 
cession fut  fatale  :  la  Diète  réunie  (avril  1817)  dé- 
clara que  la  nation  attendait  toujours  l'exécution 
des  promesses  de  181.^)  et  de  la  loi  île  1820,  et 
repoussa  tous  les  projets  financiers  qui  lui  furent 
soumis. 

Sur  ces   entrefaites    éclate  Ja  révolution  fraii- 


PSYCHOLOGIE 


—  1760  — 


PSYCHOLOGIE 


•çaise  de  1848,  et  toute  l' Allemagne  s'agite:  le 
grand-duché  do  Bade  ,  la  Hesse-Darmstadt,  la 
Hesse  électorale,  le  Wurtemberg,  le  duché  de 
Nassau  conquièrent  leur  constitution.  Le  roi  de 
Bavière  est  détrôné.  L'insurrection  triomphe  i 
Berlin  (18  mars)  ;  Frédéric-Guillaume  IV,  forcé  par 
le  peuple  de  se  découvrir  devant  les  cadavres  des 
insurgé^,  se  voit  bientôt  obligé  de  convoquer  une 
assemblée  constituante.  Mais  des  conflits  survien- 
nent entre  le  roi  et  l'assemblée  ;  celle-ci  est  dis- 
soute le  G  décembre,  et  le  roi  octroie  une  consii- 
tuliiin.  Mais  les  chambres  chargées  de  la  réviser 
(18i9)  ne  peuvent  s'entendre  avec  le  roi.  La  se- 
conde chambre  demande  que  Frédéric-Guillaume 
IV  accepte  la  couronne  impériale  d'.\llemagne,  q\n 
lui  est  offerte  par  le  parlement  de  Francfort:  le 
roi  de  Prusse  ne  voulait  rien  devoir  k  la  Révolu- 
tion, il  refusa,  et  la  seconde  chambre  fut  encore 
dissoute.  Cependant  des  insurrections  avaient 
éclaté  dans  le  duché  de  Posen  et  dans  la  Prusse 
rhénane;  elles  furent  promptement  réprimées.  De 
nouvelles  chambres  terminèrent  enfin  la  révision 
de  la  Constitution,  et,  le  6  février  I8)(l,  le  roi 
prêta  serment  à  la  charte.  C'est  cette  constitution 
qui  est  encore  en  vigueur.  Tous  les  sujets  prus- 
siens sont  égaux  devant  la   loi  et  admissibles  aux 


de  l'âme  :  le  domaine  de  la  psychologie  varie 
selon  la  façon  d'entendre  l'âme,  et  selon  ce  qu'on 
croit  pouvoir  connaître  d'elle  scientifiquement. 

Quand  on  entend  par  âme  simplement  l'ensem- 
ble des  faits  de  conscience,  et  quand  on  croit  ne 
pouvoir  connaître  de  jioire  vie  mentale  rien  de 
plus  que  les  pliénomènes  qui  la  composent,  on  est 
conduit  naturellement  à  exclure  de  la  science 
psychologique  les  grandes  questions  niétaphy.'i- 
ques  de  la  nature,  de  l'origine  et  de  la  destinée 
de  l'âme.  Ainsi  cunçue,  la  psychologie  prend  le 
nom  de  psychologie  expcrunaitale.  Simple 
science  de  faits,  elle  prétend  regagner  en  rigueur 
scientifique  ce  qu'elle  perd  en  intérêt  métaphy- 
sique et  en  portée  ;  elle  aspire  à  se  fonder  sur 
l'expérience  seu'e,  à  l'image  des  sciences  physi- 
ques et  naturelles,  c'est-à-dire  à  découvrir,  par 
l'observation  et  l'analyse,  des  relations  constantes 
ou  lois  des  phénomènes  moraux,  aussi  certaines 
que  les  lois  physiques  ou  physiologiques.  Ces 
lois,  bien  connues,  ne  pourraient  m,uiquer  de  four- 
nir dos  lumières  pour  la  pratique,  puisque  la  pre- 
mière condition  pour  a:;ir  sur  un  ordre  quelcon- 
que de  phénomènes  est  d'en  connalfe  la  marche 
naturelle  et  le  mécanisme.  C'est  pourquoi  cette 
i  manière  de  concevoir  la  psychologie  est  celle  qui 
emplois  publics,  la  liberté  de  la  presse  et  des  i  importe  le  plus  à  l'éducation.  Elle  a  prévalu  dans 
cultes  sont  proclamées.  Le  roi  a  le  pouvoir  exécu-  |  les  pays  où  les  esprits  sont  surtout  préoccupés  de 
tif  et  partage  l'initiative  des  lois  avec  le  parle-  la  pratique,  notamment  en  Angleierre,  où  depuis 
ment,  composé  de  la  Chambre  des  seigneurs  ;  longtemps  la  philosophie  est,  pour  ainsi  dire, 
(Herren'iinis)  et  de  la  Cliambn;  des  députés  \Huus  tout  orientée  vers  les  intérêts  moraux  et  les 
rfec  ylij'-o/' '«■' e/i).  Tout  Prussien  âgé  de  vingt-  questions  sociales.  Chez  nous,  elle  a  gagné  du 
quatre  ans  fait  partie  des  assemblées  primaires  '  terrain  à  mesure  qu'ont  été  connus  les  travaux 
qui  nomment  les  électeurs  du  second  degré,  étrangers,  à  mesure  aussi  que  s'est  accentuée, 
chargés  d'élire  les  députés.  Les  ministres  sont  sous  l'influence  de  l'école  positiviste  d  un  côté  et 
responsables.  ■  de  l'école  kantienne  de  l'autre,  la  tendance  à  nous 

Frédéric-Guillaume  IV  régna  jusqu'en  1861.  Il  ,  défier  de  nos  forces  en  métaphysique  et  à  donner 
a  eu  pour  successeur  son  frère,  i  le  pas  à  la  murale. 

Guillaume  I".  dont  le  règne  doit  son  impor-  |  Cependant,  tel  est  l'attrait  des  questions  der- 
tance  et  sa  grandeur  à  un  ministre  célèbre,  VI ,  de  nières,  et  en  paiticulier  de  celles  qui  concernent 
Bismarck  Schœnhausen.  Il  est  à  peine  besoin  de  j  l'âme  humaine,  que  c'est  sans  doute  une  tentative 
rappeler  ici  la  suite  heureuse  des  enireprises  de  :  chimérique  (d'ailleurs  inutile)  d'en  vouloir  dé- 
cet  homme  d'Etat  :  la  conquête  du  Schleswig-  '  sintéresser  les  esprits.  S'il  n'est  pas  facile  déjà. 
Holstein.  faiie  de  concert  avec  l'Autriche,  mais  au  de  se  résigner  à  ne  savoir  jamais  ni  l'essence  delà 
profit  exclusif  de  la  l'russe  il8iî4);  la  défaite  de  ■  matière,  ni  d'où  vient  ce  monde,  ni  où  il  va,  et  si, 
l'Autriche  à  Sadowa  et  l'hégi'monie  de  l'.illema-  i  en  fait,  la  science  même  ne  sait  pas  s'interdire 
gne  définitivement  acquise  à  la  Prusse  (i86(;)  ;  absolument  ces  problèmes,  à  plus  forte  raison  se 
l'organisation  de  la  Confédération  du  Nord  et  la  posent-ils,  bon  gré  mal  gré,  el  reviennent-ils  obsti- 
confiscation  du  Hanovre,  de  la  Hesse-Cassel,  du  nément  quand  c'est  de  nous-mêmes  qu'il  s'agit, 
duché  de  Nassau  et  de  la  ville  de  Francfort-sur-le-  Or,  dès  qu'on  leur  ouvre  la  porte,  ils  envahissent 
Mein  (lst>6)  ;  la  convention  militaire  avec  les  Etats  toute  la  psychologie,  et  en  cliangent  radicale- 
de  l'Allemagne  du  Sud,  la  terrible  guerre  de  ment  le  caractère.  La  psychologie  qui  n'esclut 
1870-71  ;  la  proclamation  de  l'empire  d'Allemagne  pas  la  métaphysique  de  l'âme  devient  aussitôt 
le  18  janvier  187  1  au  palais  de  Versailles  et  la  une  psychologie  m' tnphi/sique,  c'est-à-dire  tout 
couronne  impériale  mise  sur  la  tête  du  descen-  le  contraire  de  la  psychologie  expérimentale.  Tout 
dant  des  électeurs  de  Brandebourg,  des  vassaux  autre  est  l'objet,  en  elTet,  car  il  ne  s'agit  plus  des 
de  la  Pologne;  enfin,  l'annexion  de  l'Alsace  et  pliénomènes,  mais  bien  de  la  substance  même  de 
d'une  partie  de  la  Lorraine  par  la  paix  de  Franc-  l'âme;  et  tout  autre  aussi  la  méthode,  car,  si  l'on 
fort  (lit  mai  1811).  L'œuvre  paraissait  achevée;  observe  encore,  ce  n'est  plus  pour  enregistrer  des 
grâce  à  M.  de  Bismaick  et  à  son  collègue  M.  de  faiis  et  en  dégager  la  loi,  c'est  dans  la  convic- 
Molike,  la  Prusse  semble  avoir  couronné  l'édifice  lion  que  l'âme  peut  saisir  par  l'effort  de  la  rô- 
de sa  politique,  être  parvenue  à  l'apogée  de  sa  flexion  son  essence  même,  et  que  cb  l'ait  unique,  sans 
grandeur.  Mais  rinn  ne  se  termine  dans  l'histoire:  analogue,  l'inirospeciion  de  l'âme  par  l'âme,  est 
sans  parler  des  complications  extérieures,  ni  des  à  lui  seul  ou  contient  la  psychologie  tout  entière, 
dangers  du  socialisme  militant  si  puissant  on  bien  plus,  nous  donne  jour  sur  l'absolu  même, 
Allemagne,  que  de  causes  do  faiblesse  dans  cet  qui  .se  révèle  ainsi  directement  à  chacun  de  nous, 
empire  créé  par  la  violence,  où  les  querelles  reli-  Cette  ps\chologie  a  été,  en  i  rance,  mise,  ou 
gieusos,  rallumées  par  les  lois  de  mai,  ne  sem-  plutôt  remise  en  honneur  par  Maine  de  Biran,  au 
blent  pas  piès  de  s'éteindre,  où  la  rivalité  commencement  de  ce  siècle,  et  y  a  toujours  eu, 
entre  le  Nord  et  le  Sud  couve  sans  cesse.  Ce  surtout  dans  l'enseignement,  des  représentants 
que  le  génie  d'un  homme  a  élevé  tombe  souvent  érainents.  Elle  n'a  jamais  cessé  de  combattre  et 
avec  lui  .  qui  sait  si  l'organisation  poliiique  et  de  conire-balancer  l'infiuence  de  l'école  empiri- 
militaire  imposée  par  M.  de  Bismarck  à  l'Allema-  que  qui  perpétue  chez  nous  la  tradition  de  Locke  , 
gne  sera  longtemps  celle  que  préférera  la  nation    et  de  Condillac. 

allemande?  [V.  Gasztowtt  ]       !      Peut-être  néanmoins  n'est-il  pas  nécessaire,^  en 

PRl'SSI.VTE  et  FUUSSIQL'E  (Acide). —V.  Cl/a-    optant  pour  une  de    ces  deux  psychologies.  d'ex- 

noi/ène.  dure    entièrement    1  autre.   Ne    pouriait-on    pas, 

FSïCIIOLOUIE:.  —  Psychologie  veutdire  science    sans  les  mêler,  sans  leur  accorder  la  même  valeur 


PSYCHOLOGIE 


—  1761  — 


PSYCHOLOGIE 


scientifique,  compléter  l'une  par  l'autre,  s'élever,  [ait  pas;  quand  il  serait  démontré  que  les  opéra- 
par  exemple,  des  certitudes  de  la  première  aux  !  tions  mentales  ne  sont  rien  de  plus  que  les  fono 
problèmes  qu'agite  la  seconde  ?  Il  n'est  guère  pos-  i  tions  mêmes  du  cerveau,  cela  n'empéclie  pas  les 
sible,  à  la  vérité,  qu'un  même  esprit  réunisse  les  faits  de  conscience  d'être,  comme  tels,  des  faits  à 
qualités  si  dift'érentes  requises  par  les  deux  mé-  '  part,  et  sui  i/eneris  :  c'est  là  le  plus  certain  des 
tliodes/  opposées  ;  mais  il  n'en  est  pas  moins  |  lieux  communs  pour  quiconque  a  tant  soit  peu  de 
vrai  qu'une  psycliologie  complète,  que  la  psyclio-  pliilosophie.  Les  faits  psycliologiques  sont  essen- 
logie  sans  épitliète  et  sans  restriction,  comporte  à  !  liellement  les  faits  do  conscience  ;  car,  môme  s'il  y 
la  fois  les  deux  ordres  de  problèmes.  Scientifique  |  a  des  faits  psychologiques  inconscients  (comme 
par  un  côté,  elle  peut  sans  doute,  elle  doit  avant  il  est  difficile  de  ne  pas  l'admettre),  ils  ne  sont 
tout  aspirer  à  se  constituer  comme  science;  elle  connus  que  par  induction,  ils  sont  interprétés  à 
n'est,  h  ce  titre,  que  la  plus  élevée  des  sciences  '  la  lumière  et  conçus  à  l'image  des  faits  de  con- 
naturelles.  Mais  comment  nier  qu'elle  conduit  '  science.  Or,  un  fait  de  conscience,  un  sentiment, 
plus  nécessairement,  plus  directement  qu'aucune  j  une  pensée,  une  décision  est  tout  autre  chose  que 
autre  science  aux  inévitables  interrogations  de  la  i  le  mouvement  qui  peut  y  correspondre  dans  le 
métaphysique'?  Comment  éviter  que  la  question  '  cerveau;  même  une  sensation  de  brûlure  est  pour 
suprême  de  l'existence  en  général  et  de  l'intelli-  '  celui  qui  l'éprouve,  et  en  tant  que  douleur  ressen- 
gibilité  des  choses  se  pose  .ivec  une  force  parti-  tie,  fort  distincte  de  la  lésion  qui  la  cause.  Quelle 
culière  h  qui  étudie  précisément  l'intelligence  et  ressemblance  y  a-t-il,  je  ne  dis  pas  entre  le  sen- 
sés lois,  c'est-à-dire  à  qui  se  trouve  ainsi  d'emblée  ,  timent  du  devoir  et  la  circulation  du  sang  ou  de  la 
au  cœur  même  de  la  philosophie  et  à  la  racine  de  '  digestion,  mais,  dans  un  seul  et  môme  événement, 
tous  les  problèmes?  Quel  avantage  y  aurait-il,  comme  un  accès  dans  une  maladie,  entre  les  émo- 
après  tout,  à  décourager  par  des  fins  de  non-rece-  tions  du  malade  et  les  désordres  physiologiques 
voir  la  plus  naturelle,  la  plus  invincible  des  eu-  ■  qu'elles  accompagnent.  Le  fait  psychologique, 
riosités '?  11  suffit,  semble-t-il,  d'éviter  avec  soin  essentiellement  conscient,  n'est  connu,  à  parler 
toute  confusion  en  traitant  scientifiquement  la  rigoureusement,  que  par  la  conscience,  c'est-à- 
psychologie  scientifique  et  à  part  la  métaphysique  j  dire  par  le  sujet  même  qui  l'éprouve  ;  et  il  n'est, 
de  l'âme,  en  s'imposant,  surtout,  de  savoir  autant  I  qu'autant  qu'il  est  connu  ou  senti.  On  pourra 
que  possible  comment  toutes  choses  se  passent  '  l'analyser  de  mieux  en  mieux,  mais  on  n'a  pas  à  le 
en  nous,  avant  de  cherclier  ce  que  nous  sommes  découvrir.  Aucune  peinture,  aucun  signe  exté- 
en  dernière  analyse  et  quel  sort  est  le  nôtre.  ,  rieur  n'en  donnerait  jamais  l'idée  à   qui  n'aurait 

Dans  la  présente  étude,  il  ne  s'agit  pas  de  don-  I  éprouvé  rien  de  tel;  il  échappe  à  l'observation  des 
ner  en  abrégé  un  traité  de  psychologie  :  tout  ce  sens,  parce  qu'il  n'occupe  aucune  place,  du  moins 
qu'on  peut  faire  est  d'indiquer  à  grands  traits  les  '  aucune  place  directement  assignée  :  il  dure,  mais 
questions  qu'il  devrait  comprendre  et  l'ordre  (un  !  il  n'a  pas  d'étendue  ;  il  est  dans  le  temps,  non 
ordre  entre  autres)  dans  lequel  ces  questions  '  dans  l'espace.  Tout  fait  physiologique,  au  con- 
pourraient  être  rangées.  Insister  sur  toutes  serait  '  traire,  est  saisi  dans  l'espace,  occupe  un  lieu, 
impossible;  insister  sur  quelques-unes  de  préfé-  '  offre  une  figure,  peut  être  représenté  schémati- 
renceaux  autres  serait  sans  raison.  Tous  les  points  I  quement,  parce  qu'il  tombe  essentiellement  sous 
importants     sont    d'ailleurs,     dans    ce    Diction- I  le  sens  et  n'est  même  connu  que  par  les  sens; 


imire,  l'objet  d'articles  particuliers,  auxquels  le 
lecteur  peut  se  reporter.  Il  est  clair,  par  exemple, 
que  de  longs  développements  sur  les  sens,  ou 
l'imagination,  ou  la  mémoire,  feraient  ici  double 
emploi. 

La  première  chose  à  faire  est  de  déterminer  la 
place  de  la  psychologie  dans  le  cadre  général  des 
sciences,  au  premier  rang  ou  plutôt  au  centre 
de  la  grande  famille  des  sciences  philosophiques. 
Rien  n'est  plus  facile  que  de  repousser  les  atta- 
ques de  certains  savants  contre  la  psychologie 
comme  science  originale,  ayant  son  objet  propre 
•et  sa  méthode.  Sans  doute  les  phénomènes  qu'elle 
étudie  ont  une  face  physiologique,  et  l'idéaliste 
Leibnitz  le  proclame  aussi  haut  que  nos  positi- 
•vistes,  «  tout  ce  qui  se  passe  dans  l'àme  de  César 
est  représenté  dans  son  corps  ;  »  mais  de  là  à  ne 
voir  en  elle  qu'un  chapitre  de  la  biologie,  il  y  a 
loin.  Pour  qui  pose  la  question  comme  il  faut, 
aucune  prétention  ne  paraît  plus  chiiuérique  que 
celle  d'absorber  la  psychologie  dans  la  physiologie 
cérébrale.  C'est  un  fait  bien  remarquable,  que 
ceux  qui  affichent  cette  prétention  n'ont  encore 
pour  ainsi  dire  rien  fait  pour  la  connaissance  de 
l'homme  moral,  tandis  que  les  vrais  psychologues, 
les  disciples  de  Locke  en  Angleterre  jusqu'à 
Stuart  Mill  et  Bain,  ceux  de  CondilJac  en  France, 
jusqu'à  M.  Taine,  ont  toujours  cru  à  une  psycho- 
logie analytique,  aussi  stire,  aussi  positive  que  la 
physiologie  elle-même,  mais  indépendante,  hété- 
rogène, par  la  nature  des  phénomènes  qu'elle 
étudie,  comme  par  sa  manière  de  les  atteindre. 
Il  faut  bien  entendre,  en  effet,  qu'il  ne  s'agit  ici 
que  des  phénomènes,  non  des  substances.  Le  débat 
n'est  pas  etitre  le  spiritualisme  et  le  matéria- 
lisme; la  ijuBstion  métaphysique  de  la  nature  du 
principe  pensant  est  ajournée.  Peu  importe  qu'il 
y  ait  une  âme  distincte  du  corps  ou  qu'il  n'y  en 
i'  Partie. 


c'est  au  dehors  qu'on  l'observe,  rarement  et 
difficilement  sur  soi-même  ;  il  peut  s'accomplir 
dans  nos  organes  à  notre  insu  :  la  circulation  du 
sang  a  dii  être  découverte;  presque  toutes  les 
fonctions  s'exécutent  chez  l'immense  majorité 
des  hommes  sans  que  rien  les  révèle  dans  la 
conscience,  et  le  plus  savant  physiologiste  ignore 
encore  aujourd'liui  la  fonction  de  plus  d'un  or- 
gane :  si  on  l'observe  un  jour,  ce  sera  dans  quel- 
que laboratoire,  avec  le  scalpel  et  la  loupe  et  tout 
l'appareil  des  vivisections  dont  n'a  que  faire  le 
psychologue. 

Les  deux  sciences,  en  effet,  diffèrent  de  méthode 
comme  d'objet.  II  est  vraique  l'étude  portant  départ 
et  d'autre  sur  des  faits,  la  méthode  est,  de  part  et 
d'autre,  celle  des  sciences  naturelles,  l'observa- 
tion. Constater  ce  qui  se  passe  dans  tels  cas  dé- 
terminés, pour  arriver  à  savoir  comment  les 
choses  sepassentdanstousles  cas  de  même  genre, 
en  d'autres  termes,  s'élever  des  faits  particuliers 
aux  causes  générales  et  aux  lois,  voilà  des  deux 
côtés  la  tache  qu'on  entreprend.  On  cherche  à 
■savoir,  afin  de  prévoir  et  de  pourvoir.  Mais,  en 
psychologie,  les  moyens  de  savoir  ne  sont  pas  les 
mômes  qu'en  biologie.  L'observation  par  la  con- 
science, première  et  nécessaire  ressource  du 
psychologue,  n'atteignant  directement  que  l'indi- 
viduel, ne  suffirait  en  aucune  manière  à  donner 
des  connaissances  scientifiques,  puisqu'il  n'y  a  de 
science  que  du  général  ;  d'autre  part,  cette  ob- 
servation intime  ne  peut  s'étendre,  se  dépasser 
elle-même,  par  l'expérimentation  qui  donne  aux 
sciences  physiques  leur  caractère  de  précision  en 
y  introduisant  l'exactitude  et  la  mesure.  On  a 
bien  essayé  de  soumettre  à  l'expérience  propre- 
ment dite  les  faits  de  conscience,  par  exemple  de 
mesurer  la  vitesse  de  la  pensée,  le  rapport  enlie 
l'excitation   et  la  sensation,  etc.  Mais   ces    oxpé- 

m 


PSYCHOLOGIE 


1762  —  PSYCHOLOGIE 


riences  de  Donders,  de  Fecliner,  de  Weber,  de 
Delboeuf,  mettent  en  lumière  beaucoup  moins  les 
opérations  mentales  elles-mêmes  que  leur  relation 
avec  ce  qui  les  précode  ou  les  suit;  la  science 
qu'elles  constituent  (car  partout  où  il  y  a  des 
rapports  d'un  certain  ordre  ix  étudier,  il  y  a  ma- 
tière à  une  science)  est  très  proprement  appelée 
psyc/w-physiqne,  mais  n'est  point  la  psychologie 
proprement  dite.  La  psychologie  proprement  dite 
n'expérimente  pas,  et  c'est  là,  on  peut  l'admettre, 
ce  qui  fait  la  lenteur  de  ses  progrès.  C'est  aussi 
ce  qui  met  en  défiance  d'elle  les  esprits  qui  se 
disent  positifs.  Elle  est  pourtant  en  mesure  d'at- 
teindre à  des  vérités  générales.  De  mèm.^  que  la 
conscience  individuelle  n'est  pas  bornée  à  un 
moment  unique,  mais  se  prolonge  en  quelque 
sorte  par  la  mémoire,  ce  qui  rend  déjà  possible  à 
qui  veut  s'étudier  une  certaine  connaissance  gé- 
nérale de  lui-même,  de  même  l'observation  psy- 
chologique n'est  point  bornée  à  l'individu,  mais 
peut  s'étendre  indirectement  à  toute  l'espèce,  car 
les  signes  de  tout  genre,  la  parole,  la  littérature, 
l'art,  l'histoire,  l'étude  des  langues,  le  témoignage 
des  médecins,  des  voyageurs,  permettent  au  psy- 
chologue de  contrôler  ce  qu'il  a  observé  en  lui, 
de  passer  par  conséquent  de  la  connaissance  de 
soi  à  la  connaissance  de  l'homme. 

Ce  n'est  pas  tout;  comme  on  peut  par  l'induc- 
tion et  l'analogie  projeter  sur  les  régions  inférieu- 
res de  la  vie  psychologique  la  lumière  de  la  ré- 
flexion, et  faire  de  la  sorte  une  psychologie  de 
l'enfance,  de  la  folie,  du  sommeil,  de  l'hallucina- 
tion, de  l'extase,  on  peut  aussi,  et  par  les  mêmes 
procédés,  descendre  au-dessous  de  l'humanité 
même,  et  par  la  psychologie  comparée  étendre 
infiniment  le  champ  des  recherches.  Jusqu'à  quel 
point  est  légitime  cette  extension  de  la  psycholo- 
gie à  l'animal,  jusqu'où  est-elle  possible  en  des- 
cendant l'échelle  des  vivants'?  question  neuve  et 
des  plus  intéressantes,  mais  qui  mène  en  droite 
ligne  au  cœur  de  la  métaphysique.  Tout  porte  à 
croire,  en  efl'et,  que  partout  où  il  y  a  organisa- 
tion, il  y  a  aussi  quelque  lueur  de  vie  intérieure 
répondant  (d'une  manière  de  plus  en  plus  impar- 
faite h  mesure  qu'on  s'éloigne  de  l'homme)  à  ce 
qu'est  chez  l'iiomme  la  vie  mentale.  Mais  que 
peut  être  la  conscience  d'un  reptile,  d'un  mollus- 
que, d'une  plante?  Et  quel  moyen  avons-nous  d'en 
savoir  quoi  que  ce  soit,  quand  c'est  déjà  par  une 
induction,  illégitime  aux  yeux  de  quelques-uns, 
que  nous  parlons  de  celle  des  animaux  supérieurs? 
Cette  conscience  inférieure,  indéfiniment  décrois- 
sante et  évanouissante,  nous  n'en  pouvons  rien 
pire  qu'à  la  condition  de  la  concevoir  partout  à 
l'image  de  la  nôtre.  Or,  dans  cette  voie,  il  n'y  a 
pas  de  limite  où  s'arrêter.  Nulle  raison  de  s'arrêter 
même  où  cesse  la  vie,  car  où  cesse-t-elle,  et  qui 
peut  assigner  la  borne'.'  Mais  concevoir  l'être  à 
tous  les  degrés,  l'être  en  général,  o  à  l'image  de 
l'âme»,  comme  Leibnilz  fait  ses  monades,  n'est-ce 
pas  tout  un  système  métaphysique,  ou  mieux, 
selon  plusieurs,  la  méthode  même  de  la  métaphy- 
sique? 

La  psychologie  confine  ainsi  à  la  métaphysique 
plus  que  toute  autre  science  et  y  conduit  plus 
directement;  libre  à  chacun  de  céder  ou  de  ré- 
sister à  la  tentation  de  s'aventurer  plus  ou  moins 
sur  cette  pente.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  la 
psychologie  proprement  dite  et  qui  veut  rester 
scrupuleusement  scientifique,  c'est  que  surtout  la 
psychologie  dirigée  en  vue  de  la  pratique  morale 
et  de  l'éducation,  a  tout  intérêt,  après  avoir  établi 
ses  droits  à  l'existence  en  revendiquant  son  objet 
et  sa  méthode  propres,  à  ne  point  creuser  A 
plaisir  un  abinie  iniaginaiie  entre  elle  et  la  l)hy- 
siologie.  Pour  être  à  un  rang  supérieur  dans  la 
nature,  l'homuie  moral  n'en  est  pas  moins  un  être 
naturel,  et  la  science  qui  l'étudié   n'est  que   la 


plus  haute  des  sciences  naturelles.  «  Ni  anges  ni 
bètes  >s  comme  dit  Pascal,  nos  facultés  mentales 
sont  étroitement  liées  à  l'organisme  et  aux  fonc- 
tions animales  :  le  nier  ne  sert  à  rien,  et  l'ignorer 
volontairement  est  une  pauvre  ressource.  Le 
mieux  est  de  connaître  notre  coniUtion  telle 
qu'elle  est  et  d'en  prendre  notre  parti,  ou  plutôt, 
d'en  tirer  le  meilleur  parti  possible.  La  relation 
entre  le  physique  et  le  moral  étant  certaine, 
comment  douter  qu'elle  donne  lieu  à  des  obser- 
vations utiles?  Ces  relations  apparemment  ont  leur 
constance,  c'est-à-dire  leurs  lois  :  et,  s'il  en  est 
ainsi,  comment  ne  pas  avouer  que  ces  lois  sont 
intéressantes,  sont  urgentes  à  connaître  s'il  en 
fut?  Est-ce  que  la  devise  «  savoir,  afin  de  prévoir 
et  de  pourvoir,  »  ne  s'applique  pas  là  comme 
partout?  L'éducateur  n'a  pas  le  droit  d'écarter 
par  des  fins  de  non-recevoir  une  seule  vérité 
concernant  le  mécanisme  de  la  vie  humaine. 
D'abord  parce  que  l'organisme,  quand  on  ne  tient 
pas  compte  de  ses  exigences  et  de  ses  droits,  se 
venge  en  quelque  sorte  et  nous  fait  payer  cher 
nos  ignorances  ou  nos  dédains  ;  c'est  le  sens  pro- 
fond "du  mot  de  Pascal  :  «  qui  veut  faire  l'ange 
fait  la  bête.  »  Ensuite,  à  supposer  qu'on  fût  en 
droit  de  mépriser  son  propre  corps,  ce  qui  n'est 
point,  on  a  certainement  le  devoir  de  respecter 
celui  des  autres.  Le  respecter,  c'est  trop  peu  dire, 
puisqu'il  faut  le  cultiver  et  le  fortifier,  puisqu'il  y_ 
a,  en  un  mot,  une  éducation  physique.  En  réalité 
personne  n'a  jamais  admis  l'indépendance  des 
fonctions  corporelles  et  des  opérations  mentales  ; 
cette  chimère,  fruit  de  l'abstraction,  ne  répond  à 
rien  dans  le  bon  sens  public  ni  dans  la  pratique 
universelle.  Elle  a  été  inventée  par  crainte  du 
matérialisme,  pour  sauver  la  spiritualité  de  l'âme. 
Mais  la  spiritualité  de  l'âme  n'est  point  ici  en 
cause;  elle  ne  peut  rien  gagner  à  être  établie  sur 
la  négation  des  faits.  Pauvre  spiritualisme  qtte 
celui  qui  ne  pourrait  s'accommoder  des  vérités 
que  tout  le  monde  constate,  et  qui  tomberait  en 
poussière  au  contact  de  la  réalité  !  Que  la  matière 
vivante,  que  la  substance  cérébrale  en  particu- 
lier soit  la  chose  même  qui  sent  et  qui  pense-, 
ou  que  le  cerveau  ne  soit  que  la  condition  tem- 
poraire, l'instrument  actuel  de  la  pensée,  les  faits 
s'expliquent  également  bien  dans  les  deux  cas; 
les  deux  hypothèses  métaphysiques  sont  donc 
possibles;  le  spiritualisme  et  le  matérialisme  ne 
sont  pas  plus  impliqués  l'un  que  l'autre  dans  la 
franche  et  simple  reconnaissance  des  faits.  Aucune 
de  ces  doctrines  n'a  le  droit  de  se  dire  srimbfique 
à  l'exclusion  de  l'autre;  elles  se  valent  aux  yeux 
du  savant;  et,  quand  il  faudra  choisir  entre  elles, 
ce  sont  des  raisons  d'un  autre  ordre,  des  néces- 
sités morales  qui  devront  dicter  le  choix.  Amsi 
l'éducateur  n'a  à  craindre  pour  auctine  croyance 
raisonnable,  pour  aucun  credo  métaphysique  :  il 
a  toute  liberté  d'esprit  pour  voir  les  choses  comme 
elles  sont.  Or  son  devoir  est  de  se  tenir  ouvert  à 
tous  les  enseignements  de  la  science  sur  les  rap- 
ports du  physique  et  du  moral  :  il  serait  inexcu- 
sable de  négliger  une  étude  plus  riche  peut-être 
que  toute  autre  en  applications  pédagogiques. 
Pourrait-il  ignorer  impunément  qu'il  y  a  une 
hygiène  morale  et  intellectuelle,  des  conditions 
physiologiques  nécessaires  au  travail  mental,  d'au- 
tres favorables,  d'autres  nuisibles  au  bon  équi- 
libre des  facultés?  Le  lien  entre  le  tempérament 
et  le  caractère  est  sans  doute  fort  mal  connu, 
mais  s'il  venait  à  l'être  mieux,  qui  se  pardonne- 
rait d'ignorer  un  seul  jour  la  moindre  découverte 
sérieuse,  la  moindre  indication  probable  sur  un 
point  de  si  grande  conséquence?  Ce  qui  est  siir, 
c'est  qu'il  y  a  littéralement  des  aliments  de  1  in- 
trlli^ence,  et  surtout  ce  qu'on  a  pu  appeler  d'une 
expression  singulièrement  éloquente  rfe»  poisons 
de   l'intelligence  :  imagine-t-on  un   père    ou   un 


I 


PSYCHOLOGIE 


—  1763 


PSYCHOLOGIE 


maître  ignorant  à  plaisir  de  tels  faits,  ou  négli- 
geant d'en  instruire  ceux  dont  il  a  charge?  Enfin 
qu'on  pense  ce  qu'on  voudra  de  ['hérédité  psy- 
chologique. Quand  elle  serait  moins  certaine 
qu'elle  n'est,  quand  la  transmission  des  aptitudes 
mentales  et  des  dispositions  morales  en  germe 
avec  la  vie  ne  serait  que  probable  ou  seulement 
possible,  quel  phénomène  serait  plus  digne  d'une 
étude  attentive?  Quelle  étude  plus  digne  d'être  sui- 
vie avec  un  intérêt  passionné  par  celui  qui  a  pour 
mission  de  préparer  l'avenir  do  notre  espèce  'l  La 
pensée  de  l'hérédité  est  si  salutaire,  si  propre  à 
nous  faire  réfléchir  sur  la  portée  de  nos  actes, 
qu'il  faudrait  tenir  pour  certaine,  quand  elle  se- 
rait douteuse,  cette  loi  qui  lie  entre  elles  les  géné- 
rations successives.  Quiconque  agit  de  quelque 
manière  sur  l'opinion  devrait  professer  et  ré- 
pandre cette  croyance  que  de  nos  œuvres  rien  ne 
se  perd,  que  toute  qualité  fixée  dans  les  parents 
et  passée  en  habitude  tend  à  se  transmettre  avec 
le  sang,  que  tout  vice  qu'ils  contractent  tend  à 
infester  leur  descendance. 

Ces  questions  mi-partie  physiologiques  et  psy- 
chologiques une  fois  traitées,  étant  bien  établi  que 
la  distinction  profonde  des  deux  sciences  n'en- 
traîne ni  leur  désaccord  ni  leur  scission,  on  peut 
aborder  l'objet  propre  de  la  psychologie,  c'est-à- 
dire  l'étude  des  faits  do  conscience.  Si  compliqués' 
qu'ils  soient,  ces  faits  se  rangent  assez  bien  d'eux- 
mêmes  en  trois  catégories  :  actes  proprement 
dits,  dont  le  mouvement  est  le  .signe  extérieur,  et 
dont  le  vouloir  est  psycliologiquement  le  type  ; 
—  phénomènes  affectifs  caractérisés  par  l'émotion 
de  plaLsir  ou  de  peine;  —phénomènes  mtfllec- 
iuels  ou  pensées.  Il  n'échappe  à  personne  que  ces 
trois  groupes  de  faits,  indissolublement  unis  et 
mêlés  dans  la  vie  consciente,  ne  sont  séparés  que 
par  abstraction,  qu'agir  est,  au  fond,  toute  la  vie 
psychique,  que  sentir  et  penser  ne  sont  que  des 
modes  divers  d'une  seule  et  même  activité.  Si 
donc  on  maintient  cette  division,  nécessaire  à  la 
science  du  moi,  consacrée  par  le  langage,  ce  doit 
être  à  condition  de  n'en  être  pas  dupe.  Et  si  le 
psychologue  continue  (ce  qui  est  peut-être  moins 
nécessaire)  à  compter  aussi,  avec  le  commun  lan- 
gage, trois  facultés,  répondant  h  ces  trois  catégo- 
ries de  faits.  Volonté,  Sensibilité,  Intelligence,  il 
ne  saurait  trop  résister  à  la  tentation  de  prendre 
pour  trois  causes  réelles  ces  trois  abstractions.  Il 
est  plus  difficile  qu'on  ne  croit  de  ne  pas  prêter 
inconsciemment  une  réalité  distincte  à  ce  qui 
porte  un  nom  distinct,  et,  par  suite,  de  ne  pas 
croire  qu'on  a  expliqué  suffisamment  un  fait  de 
conscience  quand  on  l'a  rapporté  à  sa  faculté. 
Comme  les  propriétés  réalisées  et  données  pour 
des  explications  ont  été  une  grande  cause  de  re- 
tardement pour  la  physique,  de  même  les  facultés 
ont  pu  être  dénoncées  comme  le  fléau  de  la  psy- 
chologie. Mais,  le  charme  une  fois  rompu  et  le 
péril  signalé,  il  n'y  a  pourtant  pas  d'inconvénient 
irrémédiable  à  conserver  le  langage  reçu;  et,  en 
fait,  personne  n'a  pu  tout  à  fait  l'abandonner. 
Les  facultés  après  tout  ne  sont  pas  de  pures  chi- 
mères, de  simples  dénominations  arbitraires  pour 
des  groupes  de  faits  artificiellement  distingués. 
Ce  ne  sont  que  des  modes  d'une  même  activité, 
mais  des  modes  Jiaturels,  qui  difl'èrent  vraiment  et 
notablement  dans  la  conscience.  Agir  ou  vouloir 
est  autre  chose  que  sentir  et  que  penser;  sentir 
et  penser  ne  sont  pas  des  phénomènes  identiques. 
Les  personnes  les  plus  intelligentes  ne  sont  pas 
nécessairement  les  plus  résolues  ni  les  plus  sen- 
sibles; le  moment  où  je  suis  le  plus  ému  n'est 
S  pas  celui  où  j'ai  les  pensées  les  plus  claires.  La 
'  synthèse  naturelle  des  trois  ordres  de  faits  (syn- 
thèse qu'il  faut  commencer  par  considérer  en 
prenant  une  vue  d'ensemble  de  la  vie  intime,  où 
tout  se  tient)  n'empêche  donc  pas,   mais  appelle 


au  contraire  l'analyse,  sans  laquelle  il  n'est  point 
de  science.  Il  sera  seulement  bon  de  refaire  de 
temps  en  temps  des  synthèses  partielles,  pour  ne 
pas  perdre  de  vue  le  concret  et  le  vivant,  et  sur- 
tout de  faire  succéder  à  toutes  les  analyses  une 
synthèse  finale.  L'ordre  à  suivre  dans  l'analyse 
peut  varier  selon  le  point  de  vue  où  l'on  se  place, 
mais  il  n'est  point  indifférent.  Le  mieux  semble 
être  de  commencer  par  l'étude  de  ce  qui  est  le 
plus  général  et  le  plus  essentiel,  savoir  l'activité. 
Si  penser  et  sentir  sont  des  modes  divers  de 
l'activité  consciente,  il  ne  peut  qu'être  bon  d'étu- 
dier d'abord  cette  activité  en  elle-même  :  ce  qui 
est  vrai  d'elle  d'une  manière  générale  ne  man- 
quera pas  de  se  retrouver  en  toutes  ses  manifes- 
tations, soit  affectives,  soit  intellectuelles  :  peut>- 
être  obtiendra-t-on  de  la  sorte  un  ordre  plus 
profond  et  plus  vraiment  naturel  que  ne  serait  un 
prétendu  ordre  chronologique.  Bien  que  les  trois 
facultés,  en  effet,  ne  se  développent  pas  d'une 
façon  rigoureusement  parallèle,  n'atteignent  pas 
en  même  temps  leur  plus  haut  période,  leur 
croissance  est  si  bien  simultanée  en  réalité,  et 
leur  mutuelle  solidarité  est  telle,  qu'il  semblera 
toujours  un  peu  arbitraire  d'étudier,  comme 
quelques  auteurs  l'ont  proposé  :  d'abord  la  sensi- 
bilité, sous  prétexte  qu'elle  apparaît  et  domine 
la  première,  ensuite  l'intelligence,  comme  n'étant 
mûre  qu'après  l'âge  des  passions,  enfin  la  volonté 
comme  n'assurant  qu'en  dernier  lieu  son  empire. 
\  cet  ordre  factice,  une  bonne  méthode  devrait, 
semble-t-il,  substituer  le  suivant. 

L'activité  proprement  dite  (dont  le  vouloir 
humain  est  le  type  parfait,  et  qui,  à  ses  degrés 
inférieurs,  est  peut-être  déjà  la  volonté  s'ignorant 
elle-même)  affecte  trois  degrés  et  comme  trois 
phases  :  elle  est  d'abord  tout  instinctive  et 
aveugle,  puis  devient  réfléchie  et  volontaire,  puis, 
par  l'habitude,  redescend  vers  l'instinct.  Com- 
mençant, en  d'autres  termes,  dans  la  région  de 
la  pure  nature,  elle  s'élève  au-dessus,  jusqu'à  la 
personnalité,  pour  revenir  bientôt  à  l'automatisme, 
qui  caractérise  la  seconde  nature  comme  la 
première.  Or  dans  la  sensibilité  aussi,  ou 
activité  affective,  quoique  chose  répond  à  l'ins- 
tinct, ce  sont  les  besoins  primitifs  ou  penchants; 
quelqvie  chose  à  la  volonté,  ce  sont  les  émotions 
conscientes-,  quelque  chose  à  l'habitude,  les  pas- 
sions. Et  l'intelligence  de  même  a  ses  instincts, 
puisque  les  principes  de  la  raison  ne  sont  autre 
cliose  que  des  exigences  à  priori  de  l'esprit, 
besoins  universels  et  éternels  de  la  pensée;  elle 
a  ses  opérations  proprement  dites,  par  lesquelles 
elle  acquiert,  combine,  élabore  les  connaissances, 
s'élevant  de  la  sensation  brute  à  l'idée  pure,  de 
la  perception  actuelle  au  raisonnement  abstrait; 
elle  a  enfin  ses  habitudes,  car  le  souvenir  et 
les  associations  d'idées  sont,  à  la  lettre,  des 
habitudes  mentales. 

A  propos  des  instincts  on  rappellera  seulement 
ici  que  deux  théories  sont  en  présence  :  la  théorie 
traditionnelle,  suivant  laquelle  l'instinct  est  im- 
muable et  imperfectible;  la  théorie  transformiste 
contemporaine  qui  le  représente  au  contraire 
comme  modifiable  et  susceptible  de  progrès  lents 
à  l'infini,  mieux  encore,  comme  formé  de  toutes 
pièces  au  cours  des  siècles  par  l'habitude,  l'adap- 
tation au  milieu,  la  sélection,  l'hérédité.  Point  de 
doute,  selon  nous,  que  ces  deux  théories  ne 
doivent  être  corrigées,  complétées  l'une  par 
l'autre.  Il  y  a  certainement  des  instincts  acquis, 
comme  il  y  a  des  formes  organiques  produites  et 
fixées  par  les  causes  qu'on  allègue;  l'acclimata- 
tion, la  domestication,  le  dressage,  seraient  im- 
possibles sans  la  variabilité  des  formes  et  des 
instincts.  Mais  certainement  aussi,  il  y  a,  dans  la 
constitution  psychique  comme  dans  l'organisation 
des  vivants,   un  fonds   naturel,  antérieur  à  toute 


PSYCHOLOGIE 


—  1764  — 


PSYCHOLOGIE 


acquisition,  résistant  à  toute  cause  de  modification. 
Pour  prendre  des  liabitudes  nouvelles,  pour 
s'adapter  peu  à  peu  à  un  nouveau  milieu,  pour 
transmettre  ses  caractères  avantageux,  il  y  a  au 
moins  deux  condiiions  nécessaires,  c'est  de  vivre 
et  de  se  reproduire,  ce  qui  suppose  au  moins  deux 
genres  d'instincts  fondamentaux  aussi  rudimen- 
taires  qu'on  voudra,  ceux  qui  assurent  la  conser- 
vation de  l'individu,  ceux  qui  assurent  la  perpé- 
tuité de  l'espèce.  Et,  pratiquement,  il  n'y  a  pas 
moins  d'enseignements  à  tirer  d'une  théorie  que 
de  l'autre.  La  connaissance  des  instincts  premiers, 
vraiment  irréductibles  et  sans  doute  indestructi- 
bles, doit  nous  rendre  modestes  en  présence  de 
la  nature  et  respectueux  de  ses  lois,  qu'il  serait 
insensé  d'espérer  ni  changer  ni  contrarier  impu- 
nément; mais  par  la  connaissance  de  la  variété 
infinie  que  la  nature  produit  elle-même  avec  ses 
lois  immuables,  on  comprend  mieux  ce  que  peut 
faire  l'art  humain  opérant  selon  la  science,  et  en 
particulier  l'éducation  éclairée  par  la  psychologie. 
De  même  que  l'éducation  physique,  sans  pouvoir 
jusqu'ici  entamer  les  espèces,  tire  pourtant  de 
leur  sein  des  variétés  de  plus  en  plus  belles 
et  avantageuses,  de  même  l'éducation  morale  ne 
changera  sans  doute  pas  l'humanité,  mais  elle 
peut  améliorer  singulièrement  l'homme. 

Le  propre  de  l'homme  n'est  pas  d'nbéir  à  l'ins- 
tinct, ce  que  l'animal  fait  comme  lui,  mais  d'agir 
avec  volonté.  Vouloir  est  le  fait  des  personnes. 
C'est  se  résoudre  en  connaissance  de  cause.  Tan- 
dis que  les  mouvements  instinctifs  sont  assimila- 
bles à  des  réflexes  plus  ou  moins  compliqués,  le 
vouloir  est  essentiellement  spontané.  Par  lui  on 
s'élève  de  l'automatisme  à  l'activité  autonome, 
de  la  vie  animale  à  la  vie  proprement  liumaine. 
Il  y  a  la  même  distance,  et  plus  grande  encore, 
entre  l'instinct  et  la  volonté,  qu'entre  le  pur  mé- 
canisme et  l'instinct.  La  volonté  est  pour  nous  le 
type  même  de  l'activité,  l'activité  par  excellence  ; 
bon  gré  mal  gré,  c'est  sur  ce  modèle  que  nous 
imaginons  toute  force.  En  réalité,  l'être  qui 
veut  ne  fait  pas  autre  chose  que  produire  des 
actes  appropriés  aux  circonstances,  et  vouloir,  en 
dernière  analyse,  ce  n'est  toujours  que  réagir 
contre  les  impressions  reçues.  Mais  un  intervalle 
parfois  très  grand  sépare  ici  les  impressions  des 
actes  qui  en  résultent  ;  et  le  vouloir  occupe  pré- 
cisément cet  intervalle.  Le  résultat,  c'est-à-dire 
l'acte,  n'est  plus  une  simple  résultante  mécani- 
que ;  il  n'apparait  pas  sans  doute  ex  nihito,  puis- 
qu'il est  motivé  par  toutes  sortes  de  pensées  et  de 
sentiments  provenant  de  notre  expérience  anté- 
rieure ;  tuais  ces  sentiments,  ces  pensées  sont 
quelque  chose  de  nous-mênie  et  portent  notre 
marque,  et  quand  la  résolution  apparaît,  elle 
émerge  vraiment  de  notre  propre  fonds.  Nous 
touchons  ici  à  un  des  problèmes  les  plus  graves 
de  la  psychologie  et  tout  ensemble  de  la  méta- 
physique :  Le  vouloir  n'est-il  que  le  concours  ou 
le  conflit  plus  ou  moins  compliqué  des  pensées  et 
des  désirs,  le  produit  indirect  et  conscient  des 
impressions  passées  ;  ou  bien  révèle-t-il,  sous  les 
émotions  mêmes  et  les  jugements  qui  le  déter- 
minent, une  spontanéité  pure,  une  liberté  abso- 
lue ?  Ou  ne  peut  ici  avoir  la  prétention  de  tran- 
cher en  quelques  mots  un  tel  débat  ;  nous 
signaleroiis  seulement  quelques  points  impor- 
tants dans  l'analyse  du  vouloir.  Le  premier 
point  est  la  différence  du  désir  et  du  vouloir, 
que  le  langage  tend  à  confondre,  mais  qui  ne 
semblent  pouvoir  être  pris  pour  identiques  en 
dépit  de  leur  étroite  union.  Saus  parler  des  cas 
où  l'on  veut  ce  qu'on  ne  désire  nullement,  le  vou- 
loir, même  conforme  au  désir,  est  toujours  un  peu 
autre  chose  que  lui  ;  c'est  tout  au  moins  un  désir 
contrôlé,  sciemment  autorisé  à  passer  à  l'acte 
Mais  ceci  nous  amène  à  un  second  point  difficile: 


le  vouloir  est-il  autre  chose  qu'une  pensée  domi- 
nante '?  Certes  l'intelligence  est  une  pièce  néces- 
saire de  la  volonté,  laquelle  pourrait  se  définir 
l'activité  consciente,  clairvoyante  et  maîtresse 
d'elle-même;  mais  ici  encore,  l'indissoluble  union 
n'est  peut-être  pas  la  pure  identité.  En  tout  cas, 
la  question  du  libre  arbitre  est  toute  là  ;  la  solu- 
tion du  problème  de  la  liberté  (autant  qu'il  peut 
être  résolu  par  la  psychologie)  ne  dépend  de  rien 
tant  que  des  résultats  que  donnera  sur  ce  point 
l'analyse.  Si,  des  quatre  moments  qu'on  a  cou- 
tume de  distinguer  dans  le  phétiomène  complexe 
de  la  volonté,  conception  des  fiOssibles,  déhbération 
sur  les  motifs,  résolution,  exécution,  on  considère 
le  troisième  seul,  ou  les  deux  derniers,  comme 
manifestant  le  vouloir,  on  donne  par  cela  même 
cause  gagnée  au  déteryninisrne.  Il  est  indubitable, 
en  effet,  que  la  décision  résulte  nécessairement 
des  possibles  conçus  et  des  motifs  pesés;  et  si  l'on 
n'a  point  de  volonté  avant  d'être  décidé,  on  n'est 
point  libre.  Mais  c'est  depuis  longtemps,  depuis 
Duns  Scott  et  Descartes  tout  au  moins,  une  idée 
familière  aux  logiciens,  que  la  volonté  domine  l'in- 
telligence elle-même  et  préside  déjà  à  nos  juge- 
ments. Pour  le  psychologue  de  même,  il  semble 
bien  qu'en  faitla  volonté  entre  d'abord  en  jeu  dans 
l'évocation  des  possibles,  puis  dajis  l'évaluation  des 
motifs  tour  à  tour  appelés,  retenus,  écartés,  rap- 
pelés encore.  Loin  donc  de  n'apparaître  que  dans 
la  décision,  c'est  elle-même  qui  la  prépare,  la 
diffère,  la  prononce  et  lui  imprime  son  sceau, 
comme  c'est  elle  encore  qui  l'accomplira,  pourra  en 
interrompre,  en  reprendre,  en  arrêter  ou  achever 
l'exécution.  Il  n'y  a  pas  d'ailleurs  d'illusion  à  se 
faire  :  admettre  le  libre  arbitre,  c'est  admettre  le 
choix  absolu,  c'est  par  conséquent  admettre  des  cas 
(en  aussi  petit  nombre  qu'on  voudra)  où  deux  ou 
plusieurs  actes  sont  également  possibles,  entre 
lesquels  celui-là  seul  sera  réalisé  que  la  vo- 
lonté aura  choisi.  Elle  ne  l'aura  pas  choisi  sans 
raison,  et  le  principe  de  raison  suftisante  ne  peut 
jamais  être  en  défaut;  mais  elle  aura  ete  elle- 
même  la  dernière  raison  déterminante.  S  ecriera- 
t-on  pour  cela  que  la  science  est  dès  lors  impossible, 
car  elle  exige  le  déterminisme  absolu  des  phéno- 
mènes' Il  faut  répondre  sans  hésiter  que  la  liberté 
est,  en  effet,  le  contraire  du  déterminisme  absolu, 
qu'elle  consiste  essentiellement  dans  la  possibilité 
de  déjouer  les  prévisions  et  d'échapper  au  calcul; 
l'admettre,  ce  n'est  rien  moins  qu  admettre  des 
futurs  cuntinyenU  dans  l'ordre  des  actions 
humaines.  La  science  n'a  nullement  besoin  que 
toutes  nos  actions  soient  nécessaires,  et  surtout 
ne  prouve  point  qu'elles  le  soient.  Le  déterminisme 
n'a  pas  le  moindre  droit  à  se  donner  pour  scien- 
tifiquement établi.  Ce  qui  est  établi,  c'est  qu  il  y 
a  une  part  de  détermination  dans  nos  actes,  c  est- 
à-dire  des  éléments  donnés  avec  lesquels  la 
volonté  doit  compter,  ce  qui  rend  jusquà  un 
artain  point  possibles  les  prévisions;  mais  les 
prévisions  ne  sont  jamais  dune  rigueur  mathéma- 
tique ;  et  si  l'on  prétend  que  leur  incertitude  ne 
tient  qu'à  notre  ignorance,  on  préjuge  précisé- 
ment ce  qui  est  en  question.  Ainsi  la  liberté 
n'est  ni  impossible  à  priori,  c'est-à-dire  absurde, 
ni  condamnée  par  les  faits  :  chacun  peut  à  son 
.-ré  la  rejeter  ou  l'admettre.  Or  des  raisons  mo- 
rales peuvent  seules  nous  décider,  mais  elles  sont  j 
impérieuses  et  nous  obligent  de  prendre  parti. 
Scientifiquement  la  liberté  n'est  pas  prouvée, 
elle  n'est  que  possible,  mais  moralement  il  faut  y 
croire.  Condition  sine  quù  non  de  la  moralité  etJ 
du  devoir,  on  pourrait  dire  que  c  est  déjà  uni 
devoir  et  notre  premier  devoir  de  1  admettre.! 
C'est  un  acte  de  foi  rationnel  que  Kant  demanaei 
à  notre  bon  vouloir.  Ceux  qui  le  refusent^  on! 
théorie  l'accordent  dans  la  pratique,  car  U  ny  af 
guère  qu'en   Orient  qu'on   s'en  tienne   pratique! 


;PSYCHOLOGIE 


—  1763  — 


PSYCHOLOGIE 


mont  au  fatalisme,  à  ce  fatum  mahumctanum 
dont  parle  Loibiiitz.  Chez  nous,  tout  lo  monde 
croit  sans  doute  que  ce  qui  doit  arriver  arri- 
vera (c'est  une  pure  et  simple  tautolor/ie)  ;  mais 
on  croit  que  cela  seul  doit  arriver,  dont  les  con- 
ditions seront  réalisées,  et  qvie  parmi  ces  condi- 
tions il  en  est  qui  dépendent  de  nous.  Aussi 
n'ost-il  pas  de  déterministe  qui  ne  continue  h 
admettre,  au  moins  dans  certaines  limites  et  dans 
certains  cas,  la  rosponsabilité  des  personnes. 

La  responsabilité  n'est  pas  plus  illimitée  que 
la  liberté;  elle  a  ses  bornes  et  ses  dfgrés;  elle 
varie  d'un  individu  à  l'autre  et  d'un  moment  à 
l'autre  pour  un  même  individu.  Si  en  effet  le 
choix  ne  peut  être  qu'absolu  là  où  il  est,  et  l'ar- 
bitre absolument  libre  quand  il  a  lieu,  il  ne 
s'ensuit  nullement  que  nous  ayons  tous  et  tou- 
jours le  choix  entre  un  égal  nombre  de  possibles, 
que  nous  soyons  tous  et  toujours  également  bien 
informés ,  également  clairvoyants ,  également 
maîtres  de  nous.  Il  suffit  moralement  C|ue  chacun 
n'ait  h  répondre  que  de  ce  qu'il  a  vraiment  et 
proprement  voulu.  Une  fois  écartées  les  proten- 
tions du  déterminisme  radical  et  pseudo-scienti- 
fique, il  y  a  tout  avantage  h  ne  point  nous  exagé- 
rer l'étendue  de  notre  liberté,  à  en  reconnaître 
au  contraire  les  conditions.  Il  est  certain  que  la 
liberté  d'indilférence  que  chacun  s'attribuerait-à 
lui-même  comme  infinie,  constante,  inaliénable, 
est  une  pure  chimère.  La  liberté  s'affermit  ou  se 
compromet,  s'acquiert  ou  se  perd  au  cours  de  la 
vie,  par  l'usage  même  qu'on  en  fait;  elle  dépend 
de  mille  circonstances  qui  la  favorisent  ou  la 
contrecarrent  ;  elle  grandit  par  l'instruction  et  les 
bonnes  habitudes,  diminue  dans  les  passions  vi- 
cieuses, est  toujours  menacée  par  l'influence  du 
milieu,  de  l'opinion,  de  la  coutume.  C'est  raison 
de  plus  pour  veiller  sur  elle  à  chaque  instant,  et 
en  cela  même  consiste  avant  tout  Ja  moralité.  Se 
croire  trop  libre  est  le  plus  sur  moyen  de  l'être 
fort  peu. 

La  personnalité  consiste  essentiellement  dans 
la  volonté  :  une  personne  est  un  être  qui  veut 
réellement,  par  opposition  aux  choses  qui  ne  font 
que  répercuter  mécaniquement  les  impulsions 
reçues,  et  aux  animaux  menés  par  l'aveugle  ins- 
tinct. La  dignité,  l'inviolabilité  de  la  personne 
libre,  voilà  le  fondement  de  la  morale  :  respecter 
les  personnes,  c'est  toute  la  justice;  faire  mieux 
encore  et  les  prendre  pour  fins,  c'est  la  charité. 
Car  si  la  personne  a  une  valeur  infinie,  la  plus 
grande  preuve  qu'elle  en  puisse  donner,  c'est  de 
relâcher  en  faveur  des  autres  quelque  chose  de 
ses  droits  stricts,  c'est  de  se  sacrifier  volontaire- 
ment. Elle  n'a  tout  son  prix  que  lorsqu'elle 
s'oublie.  L'idéal  social  est  une  communauté  où 
chaque  personne  respectée  par  toutes  (car  il  faut 
commencer  par  exiger  le  respect)  serait  toute 
dévouée  aux  autres  et  prête  à  faire  don  de  soi 
pour  le  bien  commun.  L'ordre  ainsi  obtenu  par  le 
concours  des  volontés,  sans  compression  d'aucune 
sorte,  serait  inaltérable  et  ferait  la  nation  la  plus 
heureuse  comme  la  plus  forte  :  réaliser  autant 
que  possible  un  tel  état  est  la  tâche  que  la  morale 
assigne  à  la  politique. 

Le  plus  grand  danger  que  coure  la  volonté  libre 
vient  de  {'habitude.  Toute  activité  contracte  en 
agissant  une  tendance  à  répéter  son  acte  :  cette 
tendance  est  l'habitude  même.  Elle  devient  de 
plus  en  plus  impérieuse  à  mesure  que  le  même 
acte  a  été  plus  souvent  répété;  elle  peut  à  la  fin 
devenir  irrésistible.  «  C'est,  dit  Montaigne,  une 
violente  et  traistresse  maîtresse  d'eschole,  que 
la  coutume.  Elle  establit  en  nous  peu  à  peu,  à  la 
desrobée,  le  pied  de  son  auctorité,  mais  par  cet 
humble  commencement,  l'ayant  rassis  et  planté 
avec  l'aide  du  temps,  elle  nous  descouvre  tantôt 
un  furieux  et   tyrannique   visage,  contre  lequel 


nous  n'avons  plus  la  liberté  de  hausser  seulement 
les  yeux.  Nous  lui  voyons  forcer  à  tous  les  coups 
les  règles  de  la  nature,  u  Par  là  nos  actes,  d'abord 
délibérés,  tendent  à  se  produire  bientôt  mécani- 
quement :  partis  du  mécanisme  de  l'instinct  pour 
nous  élever  à  la  liberté,  nous  risquons  à  chaque 
instant  de  retomber  de  la  liberté  dans  le  méca- 
nisme de  l'habitude.  Comme  si  un  être  naturel  ne 
pouvait  que  rarement  et  par  exception  agir  en 
pleine  possession  de  soi,  à  la  claire  lumière  de 
la  réflexion,  à  peine  échappons-nous  aux  liens  de 
la  première  nature  que  ceux  de  la  seconde  nous 
enlacent.  Se  défendre  de  la  tyrannie  des  habi- 
tudes, se  maintenir  libre  autant  que  possible,  se 
soustraire  à  toute  routine  est  si  difficile,  qu'il  faut 
sans  doute  en  désespérer,  quoique  ce  doive  être 
notre  continuelle  étude.  Il  y  a  pourtant  une  con- 
solation à  cette  loi  de  notre  nature.  Les  habi- 
tudes ne  sont  pas  toutes  également  contraires  à 
la  liberté,  et  s'il  faut  en  contracter  quoi  qu'on 
fasse,  au  moins  tient-il  à  nous  d'en  prendre  qui 
ne  nous  fassent  pas  déchoir.  A  tout  prendre,  la 
loi  de  l'habitude  est  celle  de  notre  perfectionne- 
ment en  môme  temps  que  celle  do  notre  chute; 
tout  dépend  de  ce  que  la  volonté  lui  livre.  Elle 
conserve,  amplifie,  accumule,  reproduit  avec  une 
facilité  croissante  le  bien  comme  le  mal.  Elle  mena 
indilTéremment  à.  la  parfaite  sagesse  quasi  in- 
faillible, et  à  l'extrême  abjection  à  peu  près  irré- 
médiable. Si  d'une  part  les  associations  d'idées 
étroites  et  aveugles,  les  passions  animales,  les 
fautes  répétées  engendrent  la  fatalité  du  vice,  en 
revanche  l'habitude  de  réfléchir  et  de  raisonner, 
d'obéir  aux  sentiments  généreux,  de  faire  ce  qu'on 
doit,  loin  d'enchaîner  la  liberté,  la  fortifie,  loin  de 
diminuer  la  personne,  l'alTermit  dans  sa  dignité. 
Former  de  bonnes  habitudes  d'esprit,  de  cœur, 
et  de  conduite,  et  empèclier  les  mauvaises  de 
naître  ou  de  durer,  c'est,  en  somme,  tout  l'objet 
de  l'éducation.  Nul  chapitre  de  psychologie  ne 
peut  être  plus  important  que  celui  qui  traite  des 
habitudes,  et  des  lois  selon  lesquelles  elles  se 
forment,  se  fixent  ou  se  perdent. 

La  sensibilité  et  l'intelligence  n'étant  que  des 
modes  de  l'activité,  on  y  retrouve  les  trois  mêmes 
degrés,  savoir  :  un  fond  primitif  fourni  par  la  na- 
ture même,  des  phénomènes  conscients,  occupant 
le  champ  de  la  réflexion,  des  dispositions  acquises 
devenues  comme  une  seconde  nature. 

La  sensibilité  est  le  pouvoir  de  jouir  et  de 
soulTrir,  mais  les  émotions  de  peine  et  de  plaisir 
présupposent  des  tendances  ou  inclinations,  et  ne 
peuvent  ni  durer  beaucoup  ni  se  renouveler 
souvent  sans  engendrer  des  passions-. 

Dans  l'étude  de  ces  inclinations  ou  penchants 
primitifs,  qui  sont  comme  nos  instincts  affectifs, 
le  difficile  est  de  distinguer  ce  qui  est  vérita- 
blement naturel  et  originel,  do  ce  qui  est  acquis 
et  maintenant  héréditaire.  Deux  besoins  au  moins 
semblent  se  rencontrer  chez  tout  vivant,  celui 
de  persévérer  dans  son  être  et  celui  de  dévelop- 
per son  être.  Chez  l'homme,  dont  l'être  est  à  la 
fois  physique  et  moral,  les  biens  pressentis  et 
recherchés  pourront  se  diversifier  à  l'infini.  Ce 
qui  parait  hors  de  doute,  c'est  que  la  nature 
nous  a  donné,  au-dessus  dos  appétits  et  des  in- 
clinations égoïstes,  la  sympathie,  lien  de  la  vie 
sociale,  et  certaines  aspirations  rationnelles  ou 
idéales,  sources  de  la  science,  de  l'art  et  de  la 
moralité. 

L'émotion  résulte  immédiatement  de  Vincli- 
nation  satisfaite  ou  contrariée,  et  seule  nous  la 
révèle.  Tout  déploiement  d'activité  normal  en 
quantité  et  en  qualité  cause  le  plaisir;  l'activité 
empochée  ou  surmenée,  ou  dépensée  dans  des 
voies  contraires  k  celles  de  la  nature,  c'est  la 
douleur.  Il  n'est  pas  vrai  par  conséquent  que  lo 
plaisir  soit  tout  négatif;  il  est  lié  à  l'activité  même 


PSYCHOLOGIE 


—  1766 


PSYCHOLOGIE 


et  à  la  vie;  il  en  est  l'épanouissement  et,  comme 
dit  Arislote,  la  fleur.  Le  jeu  n'est  agréable  que 
parce  qu'il  est,  en  tout  genre,  un  libre  et  vif 
exercice  de  nos  énergies;  le  travail  et  l'effort  sont 
agréables  au  même  titre  et  aux  mêmes  conditions  : 
il  ne  faut  que  les  varier  et  en  éviter  l'excès.  Sur 
la  relativité  du  plaisir  et  de  la  douleur,  sur  leur 
rôle  dans  la  vie,  sur  les  mille  degrés  de  la  sensation 
et  les  mille  nuances  du  sentiment,  il  y  a  une 
somme   inépuisable  d'analyses  et  de   documents. 

Les  passions  sont  des  dispositions  du  cœur  en 
partie  naturelles,  mais  en  partie  acquises  :  ce  sont 
tantôt  des  inclinations  devenues  dominantes  et 
tyranniques,  tantôt  des  émotions  violentes  deve- 
nues liabituelles.  Il  importe  tout  particulièrement 
de  bien  décrire  leur  formation,  pour  voir  si  la 
volonté  y  intervient  concurremment  avec  le  tem- 
pérament héréditaire,  le  milieu,  l'éducation, 
l'exemple;  car  si  nous  n'étions  pas  responsables 
de  les  laisser  naître,  nous  le  sommes  encore  moins 
de  ce  qu'elles  nous  font  faire  une  fois  formées. 
La  description  de  la  genèse  des  passions  et  de 
leur  mécanisme  fait  l'objet  d'un  chapitre  de  la 
psychologie  important  entre  tous  pour  l'éducation 
et  la  morale. 

Reste  l'étude  des  opérations  intellectuelles  :  elle 
est  si  vaste  qu'on  ne  peut  pas  même  l'ébaucher 
ici,  à  peine  peut-on  en  tracer  le  plan.  Ce  qui  dans 
la  faculté  de  juger  et  de  comprendre  répond  aux 
instincts  et  aux  besoins,  ce  sont  les  données  à 
/)rwri  de  la  raison,  les  exigences  nécessaires  et 
universelles  de  la  pensée,  les  principes.  Il  faut 
d'abord  établir  qu'il  y  a  de  telles  données  anté- 
rieures et  supérieures  à  l'expérience  et  sans  les- 
quelles l'expérience  même  no  serait  pas  possible. 
11  semble  difficile  de  ne  pas  compter  comme  telles 
au  moins  les  fo7-mfs  de  temps  et  d'espace,  sans 
lesquelles  l'intuition  ne  se  conçoit  pas,  certaines 
cati>gories  sans  lesquelles  l'entendement  ne  serait 
qu'un  chaos,  enfin  les  principes  pratiques  et  spé- 
culatifs, en  aussi  petit  nombre  qu'on  voudra.  Le 
principe  pratique  est  l'impératif  moral.  Les  prin- 
cipes spéculatifs  sont  :  ou  analytiques,  comme  les 
principes  d'identité  et  de  contradiction,  qui  for- 
cent simplement  l'esprit  à  rester  d'accord  avec 
lui-même;  ou  synthétiques,  comme  les  principes 
de  raison  suffisante,  de  causalité,  de  finalité,  qui 
le  poussent  à  chercher  l'explication  des  choses. 
Ceux-là  sont  le  fondement  des  axiomes,  des 
sciences  exactes  et  du  raisonnement  déductif; 
ceux-ci  des  sciences  de  faits  et  de  l'induction.  A 
1  empirisme  rajeuni  qui  prétend  ramener  tous  ces 
principes  à  des  habitudes  héréditaires,  il  faut  ré- 
pondre que,  sans  doute,  bien  des  tendances  men- 
tales, aujourd'hui  générales  et  vraiment  innées, 
ont  pu  être  acquises  au  cours  des  siècles;  mais 
que  pour  prendre  des  habitudes  de  pensée  il  faut 
d'abord  que  l'esprit  pense,  et  que  la  pensée  pas 
plus  que  la  vie  n'a  jamais  pu  être  tout  à  fait  sans 
lois. 

La  raison  est  ce  qui  donne  à  l'intelligence  hu- 
maine son  caractère  et  rend  possible  tout  le  tra- 
vail delà  pensée  par  lequel,  de  la  simple  sensation, 
elle  s'élève  à  la  science  et  à  la  philosophie.  Ce 
travail  commence  par  l'intuition  des  sens  et  de  la 
conscience;  l'acquisition  des  premiers  matériaux 
de  la  connaissance  est  le  fait  de  la  double  expé- 
rience. 

Vingt  questions  du  plus  vif  intérêt  se  posent 
dans  la  théorie  des  sens  :  Faut-il  aux  cinq  sens 
universellement  reconnus  ajouter,  comme  on  le 
fait  souvent  aujourd'hui,  le  sens  organique  et  le 
sens  ^  musculaire  7  Les  sens  nous  trompent-ils, 
ou  n'y  a-t-il  point  d'erreurs  des  sens?  Comment 
distmguer  pour  chaque  sens  les  perceptions  pri- 
mitives des  perceptions  acquises?  Comment  se 
fait  1  éducation  d'un  sens  par  le  concours  des 
autres?  Comment  nos  sensations  sont-elles  rap- 


portées à  quelque  chose  hors  de  nous?  Les  sens 
nous  renseignent-ils  sur  la  réalité  et  la  nature 
des  objets?  etc.,  etc.  Parti  de  simples  descrip- 
tions physiologiques,  on  est  bientôt  conduit  aux 
problèmes  derniers  de  la  légitimité  et  dos  limites 
de  la  connaissance. 

Les  données  des  sens  sont  reçues  dans  la  cojj- 
science,  et  le  sujet  qui  les  reçoit  n'est  point 
passif  :  il  réagit  contre  les  impressions,  et  dans 
l'effort  qu'il  fait  contre  ce  qui  n'est  pas  lui,  se 
connaît,  devient  pour  lui-môme  objet  de  ré- 
flexion. La  question  se  présente  alors,  de  sa- 
voir ce  que  la  réflexion  ajoute  à  la  sensation, 
et  quelles  données  le  moi  trouve  en  lui  par  l'a- 
nalyse. Est-il  causa  et  le  type  premier  de  toute 
causalité,  ou  l'idée  de  cause  se  réduit-elle  à  celle 
d'une  simple  succession  de  sensations?  Est-il 
une  substance  ou  seulement  une  suite  ininter- 
rompue de  pliénomènes  reliés  par  la  mémoire, 
laquelle  produirait  l'illusion  de  l'identité,  loin  de 
supposer  elle-même  un  sujet  identique?  Une  fois 
de  plus  on  voit  la  psychologie  confiner  à  la  mé- 
taphysique. L'idéalisme  de  Hume  n'est  que  le 
phénoménisme  de  Berkeley  poussé  i.  ses  consé- 
quences, transporté  de  l'objet  au  sujet. 

Quand  l'expérience  a  donné  les  matériaux  bruts 
de  la  connaissance,  l'esprit  les  combine  par  \'inia- 
gination,  et  les  élabore  par  Vabslraction,  la  géné- 
ralisation,  le  raisonnement. 

L'image,  au  plus  bas  degré,  n'est  que  l'écho  de 
la  sensation;  l'imagination  n'est  d'abord,  selon  le 
mot  de  Bossuet,  qu'un  sens  intérieur.  Dans  la  rêve- 
rie, le  rêve,  le  somnambulisme  naturel  ou  provo- 
qué, l'hallucination,  l'extase,  la  folie,  le  champ  de  la 
conscience  est  tout  occupé  par  le  jeu  des  représenta- 
tions involontaires;  le  sujet  s'abandonne  sans  con- 
trôle au  cours  de  sa  fantaisie.  Mais  réglée  par  la  rai- 
|son,  soumise  à  la  volonté,  l'imagination  est  la  faculté 
inventive  par  excellence  :  elle  crée,  dans  l'ordre 
spéculatif,  les  hypothèses  si  nécessaires  au  pro- 
grès et  à  la  vie  de  la  science,  dans  l'ordre  pra- 
tique et  moral  les  inventions  et  innovations  de 
tout  genre,  dans  l'ordre  esthétique  les  arts.  Si 
l'on  ne  fait  pas  de  l'esthétique  une  science  à  part, 
mais  seulement  un  chapitre  de  la  psychologie, 
c'est  ici  mieux  qu'ailleurs  que  se  place  l'étude  du 
beau.  Le  beau  est  essentiellement  l'idéal  prenant 
forme  et  vie,  l'intelligible  devenant  sensible,  pour 
ravir  l'imagination  et  toucher  le  cœur. 

L'abstraction  dégage  de  la  sensation  l'idée,  qui 
est  tout  autre  chose  que  l'image  :  l'étude  des  idées 
abstraites  et  de  leur  rôle  dans  la  vie  mentale  est 
inséparable  de  celle  des  mots  et  de  leur  fonction. 
Par  ce  point  la  psychologie  touche  à  la  logique, 
à  la  linguistique,  voire  à  la  mythologie. 

La  formation  des  idées  générales  n'est  pas  iden- 
tique à  celle  des  idées  abstraites;  la  généralisation 
n'est  pas  l'abstraction,  quoiqu'elle  la  suppose.  Les 
idées  d'espèces,  de  genres,  de  classes,  etc.,  ne 
sont  qu'à  demi  abstraites  ;  la  nature  même  nous  les 
oflre  ou  du  moins  nous  invite  à  les  former.  Mais 
on  retrouve  ici  sous  une  forme  rajeunie  l'antique 
débat  du  réalisme  et  du  nominalisme;  et  la  ten- 
tative du  transformisme  conteiuporain  pour  sup» 
primer  toutes  barrières  entre  les  espèces  donne 
un  regain  d'intérêt  à  la  question  de  savoir  si  le 
besoin  qu'a  notre  esprit  de  penser  par  catégories 
et  de  ranger  toute  multiplicité  dans  des  cadres 
est  purement  subjectif,  ou  bien  si  les  choses  of- 
frent effectivement  un  ordre  intelligible  répondant 
au  vœu  de  notre  intelligence. 

Le  dernier  degi  é  d'élaboration  de  la  connaissance 
est  le  raisonnement  qui  consiste  à  passer  du  connu 
à  l'inconnu.  Quand  on  s'élève  d'expériences  parti- 
culières à  des  affirmations  générales,  on  induit; 
quand  on  tire  d'affirmations  générales  des  conclu- 
sions qui  s'y  trouvaient  impliquées,  cela  s'appelle 
déduire.  La  déduction  en  forme  est  le  syllogisme. 


PSYCHOLOGIE 


—  1767  — 


PSYCHOLOGIE 


C'est  une  question,  de  savoir  si  les  deux  espèces  de 
raisonnement  se  ramènent  i  une  seule,  et  laf|uelle 
est  la  plus  fondamentale.  Elles  difl'èront  comme 
le  principe  de  contradiction  et  le  principe  de  cau- 
salité, et  restent  distinctes  au  même  titre.  L'in- 
duction a  seule  un  caractère  synthétique  et  est 
seule  instructive;  la  déduction  doit  sa  rigueur 
l'ormelle  à  son  caractère  purement  analytique.  Au 
reste  l'une  et  l'autre  ne  sont  que  la  raison  en 
acte,  la  raison  discursive,  et  s'expliquent,  en  der- 
nière analyse,  par  un  môme  besoin  d'unité  et 
de  liaison,  qui  est  l'essence  même  de  la  pensée. 

Il  est  clair  qu'aucune  des  opérations  qu'on  vient 
devoir  ne  serait  possible  sans  [arnémoire.  La  mé- 
moire est  à  l'activité  intellectuelle  ce  qu'est  l'ha- 
bitude à  l'activité  proprement  dite.  Le  souvenir 
est  littéralement  une  habitude  de  l'esprit  :  il 
s'acquiert,  se  conserve  et  se  perd  comme  une 
habitude  :  la  répétition  fréquente,  l'effort  intense, 
l'émotion  vive,  la  méthode  contribuent  à  graver  et 
;\  fixer  les  souvenirs  comme  k  créer  et  à  fixer  les 
habitudes;  l'oubli  de  part  et  d'autre  est  produit 
par  les  mêmes  causes.  Toutefois  le  souvenir  n'est 
qu'une  espèce  dans  le  genre  habitude;  il  a  un 
caractère  distinctif,  c'est  une  habitude  reconnue; 
e-ii  le  pensant  de  nouveau,  on  le  rapporte  au  passé. 
Le  souvenir  le  plus  parfait  est  celui  qu'on  replace 
le  plus  exactement  au  milieu  de  ses  circonstances  : 
la  réminiscence  est  le  souvenir  peu  ou  point  re- 
connu. 

L'association  des  idées  est  la  loi  commune  de 
toutes  nos  conceptions  :  selon  Stuart  Mill,  elle 
est  en  psychologie  ce  qu'est  en  astronomie  la  loi 
de  la  gravitation  universelle.  Non  seulement 
toutes  nos  pensées  se  suivent  et  se  lient  de  telle 
façon  qu'il  n'y  a  jamais  de  vide  entre  elles,  mais 
elles  se  lient  et  s'appellent  selon  des  rapports  dé- 
terminés. Le  plus  général  de  ces  rapports  est 
celui  qyi  résulte  d'une  expérience  antérieure  : 
<'  deux  idées  qui  ont  été  précédemment  en  con- 
nexion étroite  dans  l'esprit  tendent  à  y  revenir 
ensemble  et  à  se  rappeler  mutuellement;  »  c'est 
une  conséquence  de  l'habitude.  C'est  pourquoi  le 
signe  nous  fait  penser  à  la  chose  signifiée,  un 
certain  lieu  aux  lieux  voisins,  un  certain  temps  au 
temps  qui  précède  ou  qui  suit.  Mais  on  discute 
pour  savoir  si  toute  association  d'idées  se  ra- 
mène ainsi  à  une  liaison  de  fait  dans  les  états  de 
conscience  antérieurs,  ou  s'il  n'y  a  pas,  en  quel- 
que sorte,  des  associations  de  droit,  autrement  dit, 
des  rapports  rationnels  entre  certaines  idées 
(comme  celles  de  fait  et  de  cause,  de  principe  et 
de  conséquence,  de  fin  et  de  moyens).  C'est,  sous 
une  nouvelle  forme,  le  grand  débat  du  rationa- 
lisme et  de  l'empirisme. 

Après  une  étude  complète  de  la  vie  psycholo- 
gique considérée  en  elle-même,  il  reste  à  la  con- 
sidérer dans  ses  manifestations  :  la  théorie  des 
signes  et  du  Innr/atje  suppose  la  connaissance  des 
faits  de  conscience,  mais  ajoute  beaucoup  à  cette 
même  connaissance,  car  si  les  signes  servent  h 
traduire  les  sentiments,  les  pensées  et  les  résolu- 
tions, on  sait  combien  est  grande  l'influence  réci- 
proque du  langage  sur  la  pensée  d'abord,  puis  sur 
les  affections  et  la  conduite  même.  Cette  piirtic  de 
la  psychologie  touche  aux  sciences  les  plus  di- 
verses; à  la  linguistique,  à  la  philologie,  à  la 
.grammaire  comparée,  par  l'étude  des  lois  les  plus 
hautes  qui  régissent  les  langues;  ;\  la  physiologie 
et  i  l'histoire  naturelle  par  l'étude  de  la  physio- 
nomie. On  sait  que  les  recherches  les  plus  neuves 
sur  ce  point  sont  dues  à  des  savants,  comme  Gra- 
■tiolet  en  France,  Darwin  en  Angleterre. 

La  psychologie  comme  science  positive  pourrait 
être  regardée  comme  épuisée  quand  on  aurait 
traité,  dans  cet  ordre  ou  dans  un  autre,  toutes 
les  questions  jusqu'ici  énumérées;  mais  c'est  alors 
que  peut-être  la  curiosité  métaphysique  pourrait 


être  admise  Ji  se  donner  carrière.  Qu'est  donc,  en 
fin  décompte,  ce  mni,  qui  s'étudie  lui-même,  qui 
s'attribue  les  faits  si  divers  de  la  vie  psychique'? 
Substance,  ou  simple  suite  liée  de  phénomènes? 
Substance  immatérielle  et  impérissable,  ou  résul- 
tante éphémère,  presque  accidentelle,  du  co7i- 
sensiis  des  fonctions  cérébrales?  Ces  questions  et 
les  pareilles,  on  peut  assurément  se  les  interdire, 
et  il  faut  savoir  qu'en  se  les  posant  on  quitte  le 
terrain  de  la  science  proprement  dite  ;  mais  chacun 
aussi  a  le  droit  de  les  agiter,  d'y  appliquer  toutes 
les  ressources  de  la  dialectique,  toutes  les  forces 
de  la  méditation  intérieure  et  de  l'induction. 
Les  conclusions  vaudront  ce  que  vaudront  l'esprit 
et  la  méthode  de  chacun  ;  mais  elles  seront  toutes 
légitimes  dans  la  mesure  ot'i  elles  respecteront  la 
logique  et  les  faits.  Non  seulement  il  n'est  ni  dé- 
sirable ni  possible  de  désabuser  de  tels  problèmes 
les  esprits  qu'ils  tentent;  mais  tous  sans  exception 
nous  devons  les  avoir  une  bonne  fois  regardés  en 
face,  et,  soit  que  nous  les  ayons  écartés  ou  résolus 
à  notre  satisfaction,  être  à  leur  égard  dans  un 
état  d'esprit  compatible  avec  les  exigences  de  la 
morale  et  la  pratique  du  devoir. 

[Henri  Marion.] 
Comme  l'indique  l'article  qu'on  vient  de  lire, 
les  questions  qu'embrasse  la  psychologie  peuvent 
être  traitées  soit  dans  l'ordre  mentionné  ci-dessus, 
soit  dans  un  autre  ordre,  suivant  les  convenances 
de  l'enseignement.  Nous  avons  cru  devoir  joindre, 
dans  ce  Dictionnaire,  à  la  psychologie  proprement 
dite,  quelques  notions  élémentaires  de  logique, 
de  morale,  de  théodicée,  et  d'histoire  de  la  philo- 
sophie. On  trouvera  ci-dessous  l'énumération  des 
articles  du  Dictionnaire  entre  lesquels  nous  avons 
reparti  les  matières  de  ce  programme;  nous  avons 
rattaché  la  logique  aux  leçons  sur  l'intelligence,  la 
morale  et  la  théodicée  aux  leçons  sur  la  volonté, 
la  responsabilité  et  la  conscience,  et  terminé  I& 
cours  par  quelques  notions  sommaires  d'histoire  de 
la  philosophie. 

PROGRAMME 

DU  COUBS  DE  PSYCHOLOGIE  (COMPLÉTÉ  PAR  DES  NOTIONS 
DE  LOGIQUE,  DE  MORALE,  DE  THÉODICÉE  ET  D'HIS- 
TOIRE    DE  LA  PHILOSOPHIE). 

I.  —  Définition  de  la  psychologie  :  son  domaine, 
sa  méthode,  ses  divisions.  —  Rapports  de  la 
psychologie  avec  l'éducation.  —  V.  Psychologie. 

II.  —  Les  facultés  de  l'âme  :  sensibilité,  intelli- 
gence, volonté.  —  V.  Facultés  de  l'âme. 

III.  —  La  sensibilité.  — Le  plaisir  et  la  peine.  — 
Différentes  catégories  de  plaisirs  et  de  peines.  — 
Les  sensations  et  les  sentiments.  —  V.  Sensibilité. 

IV.  —  Diverses  formes  dos  phénomènes  sensi- 
bles :  instincts,  inclinations,  passions.  —  V.  In- 
stincts, Inclinations,  Passions. 

V.  —  Les  facultés  intellectuelles,  ou  l'intelli- 
gence. —  Division  générale  des  faits  intellectuels 
et  des  facultés  correspondantes.  —  Des  éléments 
d",  la  pensée.  Le  jugement,  ses  diverses  formes. 
Les  idées.  —  Intelligence,  Jugeme?it,  Idée. 

VI.  —  La  perception  extérieure  :  les  sens.  — 
Perceptions  naturelles,  perceptions  acquises.  — 
Education  des  sens.  —  Idées  fournies  parles  sens. 
—  Du  rôle  des  connaissances  sensibles  dans  le 
développement  de  l'esprit.  —  V.  Sens. 

VIL  —  La  conscience,  la  perception  intérieure  ; 
divers  degrés  de  la  conscience.  —  Les  notions 
qu'elle  nous  permet  d'acquérir.  —  V.  Conscience. 

VIII.  —  La  mémoire.  Notions  de  durée  et  d'i- 
dentité personnelle.  fVùle  de  l'imagination  et  de 
l'association  des  idées  dans  la  mémoire.  Culture  de 
la  mémoire.  —  V.  Mcmoire. 

IX.  —  L'imagination.  —  Comment  les  images  se 
produisent.  —  Passage  de  l'imagination  représen- 
tative h  l'imagination    créatrice.  —   Comment  on 


PSYCHOLOGIE 


—  1768 


PSYCHOLOGIE 


développe  l'imagination.  —  Comment  on  la  règle. 

—  Son  emploi  dans  les  arts,  dans  la  vie  pratique, 
dans  la  science.  —  V.  hnai^inatiun. 

X.  —  L'association  des  idées.  —  Les  idées 
acquises  par  les  sens,  par  la  conscience,  conser- 
vées parla  mémoire  et  par  l'imagination,  se  réveil- 
lent et  se  représentent  à  l'esprit  en  vertu  des 
lois  de  l'association  des  idées.  —  Comment  tout 
se  tient  dans  l'esprit.  Influence  des  premières 
impressions.  — V.  Association  des  idées  (au  Sup- 
plément), Mcrii'iire,  hnnijination. 

XI.  —  De  l'attention  :  son  influence  sur  les  di- 
verses facultés  intellectuelles.  —  Des  moyens  pra- 
tiques i  employer  pour  exciter  et  fixer  l'attention. 

—  Des  différentes  formes  de  l'attention  ;  la  distrac- 
tion et  ses  causes.  —  Les  idées  abstraites  et  géné- 
rales. Leur  rôle  et  leur  importance.  —V.  Atti-ii- 
tion  (dans  la  I"  V ky^iiy.) ,  Abstraction,  Idée,  Volonté. 

XII.  —  Le  raisonnement  :  ses  diverses  formes. 
Raisonnement  instinctif  et  réfléchi.  —  Inférence 
du  particulier  au  particulier,  du  particulier  au 
général,  ou  induction;  des  lois  aux  cas  particu- 
liers, ou  déduction.  —  V.  Raisonnement. 

XIII.  —  La  raison,  ou  les  principes  directeurs 
de  l'intelligence.  —  Discussion  sur  leur  origine. 

—  Sont-ils  indépendants  des  notions  expérimen- 
tales, et  irréductibles  au  travail  de  l'abstraction  et 
du  raisonnement.  — Le  principe  de  causalité,  etc. 
-.-  'V.  Raison. 

XIV.  —  Le  langage.  —  Formes  du  langage.  — 
Ses  rapports  avec  la  pensée.  —  Origine  du  lan- 
gage. —  V.  Langage. 

XV.  —  Logique  ou  étude  des  lois  de  l'intelli- 
gence. —  Définition.  —  Histoire  de  la  logique.  — 
Division  de  la  logique.  —  Son  utilité.  —  V.  Lo- 
gique. 

XVI.  —  L'activité,  ses  diverses  formes  :  l'in- 
stinct, la  volonté,  l'iiabilude.  —  De  l'instinct  : 
ses  caractères.  —  Tous  les  instincts  sont-ils  origi- 
nellement bons?  —  Origine  du  vice  et  du  mal. 

L'activité  volontaire  :  ses  conditions,  réflexion, 
délibération.  —  Education  de  la  volonté  :  comment 
on  la  fortifie.  —  Moyens  pratiques,  examen  de 
conscience,  etc. 

L'habitude.  —  Sa  puissance.  —  Les  bonnes  et 
les  mauvaises  habitudes  :  comment  peut- on  for- 
mer les  unes  et  réformer  les  autres.  —  V.  Activité, 
Instinci,  Volf^nté,  Habitude. 

XVII.  —  La  responsabilité,  conséquence  de  la 
liberté  ;  limites  de  la  liberté.  —  Le  fatalisme.  — 
V.  Responsabilité. 

XVIII.  —  Morale  ou  étude  des  lois  de  la  volonté. 

—  V.  Morale,  Conscieixce. 

XIX.  —  T/iéodicée.  —  V.  Théodicée. 

XX.  —  Notions  sommaires  d'histoire  de  la  phi- 
losophie. —  V.  Philosophie  (Histoire  de  la]. 

PROGRAMMES  FRANÇAIS  ET  ÉTRANGERS. 
I.  —  FRANCE. 

PROGRAMME     DU     COURS    D'INSTRUCTION     MORALE     POUR 

LES  ÉCOLES  NORMALES  PRIMAIRES 

(22  janvier  1881). 

PREMIÈRE  ANKÉE. 

MOTIONS    DE   PSYCHOLOGIE    ET    PB   MOUILB   TBÉoniQCB 

I.  — Notions  élémentaires  de  psychologie. 

Idée  générale  de  la  psychologie  appliquée  à  la 
morale  et  à  la  pédagogie  :  descriptiou  expérimen- 
tale des  facultés  humaines. 

L'nctivitc  ijligsif/u'i.  —  Les  mouvements,  les  ins- 
tincts, les  l].-iljitudes  corporelles. 

La  sensibilité  physique.  —  Le  plaisir  et  la  dou- 
leur ;  les  sens  :  sensations  internes  et  sensations 
externes  ;  les  besoins  et  les  appétits. 

L'intelligence.  —  La  conscience  et  la  perception 


extérieure;  la  mémoire  et  l'imagination;  l'abstrac- 
tion et  la  généralisation  ;  le  jugement  et  le  raison- 
nement; les  principes  régulateurs  de  la  raison. 

La  sensibilité  morale.  —  Sentiments  de  famille  ; 
sentiments  sociaux  et  patriotiques;  sentiments  du 
vrai,  du  beau  et  du  bien;  sentiments  religieux. 

La  volonté.  —  La  liberté,  l'habitude. 

Co?tclusions  de  la  psychologie.  —  Dualité  de  la 
nature  humaine  ;  l'esprit  et  le  corps  ;  la  vie  ani- 
male et  la  vie  intellectuelle  et  morale. 

II.  —  Morale  théorique.  —  Principes, 

Introduction  :  objets  de  la  morale. 

La  conscience  morale:  discernement  instinctif 
du  bien  et  du  mal  ;  comment  il  se  développe  par 
l'éducation. 

La  liberté  et  la  responsabilité  :  conditions  de  la 
responsabilité  ;  ses  degrés  ot  ses  limites. 

L'obligation  ou  le  devoir;  caractères  delà  loi 
morale.  Insuffisance  de  l'intérêt  personnel  comme 
base  de  la  morale.  Insuffisance  du  sentiment 
comme  principe  unique  de  la  morale. 

Le  bien  et  le  devoir  pur;  dignité  de  la  personne 
humaine. 

Le  droit  et  le  devoir;  leurs  rapports.  Différents 
devoirs;  devoirs  de  justice  et  devoirs  de  charité. 
La  vertu. 

Les  sanctions  de  la  morale  :  rapports  de  la  vertu 
et  du  bonheur.  Sanction  individuelle  (satisfaction 
morale  et  remords).  Sanctions  sociales.  Sanctions 
supérieures:  la  vie  future  et  Dieu. 

SECONDE    ANNÉE. 

MORALE    PIUTJQLE.  —  1PPL1CÀTI07(S 

Devoirs  individuels.  —  Leur  fondement.  Prin- 
cipales formes  du  respect  de  soi-même:  les  vertus 
individuelles  (tempérance,  prudence,  courage, 
respect  de  la  vérité,  de  la  parole  donnée,  dignité 
personnelle,  etc.) 

Devoirs  généraux  de  ta  vie  sociale.  —  Rapports 
des  personnes  entre  elles. 

Devoirs  de  justice.  —  Respect  de  la  personne 
dans  sa  vie  ;  condamnation  de  l'homicide  ;  examen 
des  exceptions  réelles  on  prétendues  :  cas  de  lé- 
gitime défense,  etc. 

Res,  ect  de  la  personne  dans  sa  liberté:  l'escla- 
vage, le  servage,  liberté  des  enfants  mineurs,  des 
salariés,  etc. 

Respect  de  la  personne  dans  son  honneur  et  sa 
réputation  :  la  calomnie,  la  médisance  ;  —  dans  ses 
opinions  et  ses  croyances  :  l'intolérance  ;  —  dans 
ses  moindres  intérêts,  dans  tous  ses  sentiments  : 
menues  injustices  de  toutes  sortes,  l'envie,  la  dé- 
lation, etc. 

Respect  de  la  personne  dans  ses  biens  :  le  droit 
de  propriété  ;  caractère  sacré  des  promesses  et 
des  contrats. 

Devoir.t  de  charité.  —  Obligation  de  défendre  les 
personnes  menacées  dans  leur  vie,  leur  liberté, 
'  leur  honneur,  leurs  biens.  La  bienfaisance  pro- 
prement dite  ;  le  dévouement  et  le  sacrifice.  De- 
voirs de  bonté  envers  les  animaux, 

Devoirs  de  famille.  —  Devoirs  des  parents  entre 
eux;  des  enfants  envers  les  parents;  des  enfants 
entre  eux.  Le  sentiment  de  la  famille. 

Devoirs  professionnels.  —  Professions  libérales, 
fonctionnaires,  industriels,  commerçants,  salariés 
et  patrons,  etc. 

Devoirs  civiques.  —  La  Patrie.  L'État  et  les  ci- 
toyens. Fondement  de  l'autorité  publique.  La 
Constitution  et  les  lois.  Le  droit  de  punir. 

Devoirs  des  simples  citoyens  :  l'obéissance  aux 
lois;  l'impôt;  le  service  militaire;  le  vote;  l'obli- 
gation scolaire. 

Devoirs  des  gouvernants. 

Deioirs  des  nations  entre  elles.  —  Le  droit  des 
gens. 


PUITS  ET  SOURCES      —  17G'J  —      PUITS  ET  SOURCES 


Devoir.'i  lelif/ieux  H  droits  correspondanl.i.  — 
Liberté  des  cultes.  Rôle  du  sentiment  religieux 
en  nioi'ali!. 

Application  des  principes  de  la  psychologie  et 
de  la  morale  il  l'éducation. 

Proghamme  nti  5  juin  1880  poun  l'examen  du  cer- 
tificat d'aptitude  a  l'inspection  PIIIMAIRE  ET  A 
LA    nillECTION   DES  ÉCOLES    NORMALES. 

(Des  notions  de  psychologie  appliquée  à  l'éduca- 
tion font  partie  des  connaissances  exigées  des 
candidats  au  certificat  d'aptitude  à  l'inspection 
primaire  et  à  la  direction  des  écoles  normales,  sous 
la  rubrique  Pédaç/oç/ie.  Nous  donnons  ci-dessous 
le  texte  du  programme,  en  ce  qui  concerne  la 
psychologie.) 

Education  dos  sens.  —  Petits  exercices  d'obser- 
vation. 

Education  intellectuelle.  —  Notions  sur  les  fa- 
cultés intellectuelles.  —  Leur  développement  aux 
divers  âges.  —  Leur  culture  et  leur  application 
aux  divers  ordres  de  connaissances.  —  Rôle  de  la 
mémoire,  du  jugement,  du  raisonnement,  de  l'ima- 
gination. —  La  méthode  :  ses  différents  procédés; 
analyse  et  synthèse;  induction  et  déduction. 

Education  morale.  —  Volonté.  —  Liberté  de 
l'homme  étudiée  dans  l'enfant.  —  Conscience  mo- 
rale ;  responsabilité;  devoirs.  — Rapports  des  de- 
voirs et  des  droits.  —  Culture  de  la  sensibilité  dans 
l'enfant.  —  ]\Iodification  des  caractères  et  forma- 
tion des  habitudes.  —  Diversité  naturelle  des  in- 
stincts et  des  caractères. 

II.  —  ÉTRANGER. 

Dans  les  écoles  normales  d'Allemagne,  d'Au- 
triche, de  Belgique,  de  Suisse,  d'Italie,  etc.,  des 
notions  de  psychologie  font  partie  du  cours  de 
pédagogie  ;  mais  les  programmes  officiels  se  bor- 
nent à  une  simple  mention,  sans  indiquer  aucun 
développement. 

PUITS  ET  SOURCES.  —  Géologie,  X.  — 
Tout  le  monde  sait  qu'il  suffit  de  creuser  de  quel- 
ques mètres  en  un  point  quelconque  de  la  surface  de 
la  terre  pour  trouver,  môme  par  les  plus  grandes 
sécheresses  de  l'année,  des  roches  imprégnées 
d'eau.  Les  moellons  extraits  des  carrières  sont 
d'une  consistance  bien  moindre  qu'après  leur 
dessication  à  l'air,  et  c'est  avec  justesse  qu'on  at- 
tribue cette  circonstance  si  favorable  à  la  taille 
des  pierres  à  la  présence  de  /'eau  de  carrière. 
Toutes  les  roches,  même  les  plus  compactes  et 
les  plus  dures,  comme  le  granit  et  le  porphyre,  con- 
tiennent de  l'eau  de  carrière. 

L'eau  qui  imprègne  ainsi  les  roches  vient  en 
définitive  de  la  surface  du  sol,  et  celle-ci  est  ali- 
mentée elle-même  par  les  pluies.  Or,  il  n'est  per- 
sonne qui  no  sache  que  la  pluie  ne  détermine 
pas  les  mêmes  effets  dans  toutes  les  localités,  et 
que  ces  effets  tieiment  en  grande  partie  à  la  cons- 
titution propre  de  la  surface  du  sol. 

Dans  les  pays  argileux,  comme  une  portion  de 
la  Brie  et  du  Soissonnais,  la  pluie  pénètre  dans  le 
sol  beaucoup  moins  vite  qu'elle  n'e  tombe  à  sa 
surface;  elle  y  séjourne  donc  et  donne  ainsi  nais- 
sance à  des  flaques  d'eau  qui  durent  tout  l'hiver. 
Les  routes  sont  fangeuses,  et  le  soleil  réduit  la 
terre  en  mottes  dures  qu'on  prendrait  parfois  pour 
des  fragments  de  briques. 

On  exprime  ce  fait  en  disant  que  l'argile  est 
imperméable  k  l'eau  (ce  qui  est  quoique  peu  exa- 
géré), et  on  l'applique  en  employant  cette  roche 
pour  pilonner  le  fond  des  canaux  et  des  autres 
réservoirs  où  l'on  veut  conserver  de  l'eau. 

Au  contraire,  dans  les  localités  sabliniscs  comme 
Fontainebleau  et  Ktampes,  la  pluie  disparaît  dans 
le  sol  au  fur  et  à  mesure  de  sa  chute.  La  boue  est 


I  inconnue,  et,  dès  que  le  soleil  brille,  le   moindre 
vent  soulève  des  nuages  de  poussière. 

Un  fait  analogue  a  lieu  dans  les  plaines  créta- 
cées de  la  Champagne  pouilleuse,  qui,  malgré  un 
climat  fort  pluvieux,  sont  vouées  par  la  porosité 
de  leur  sol  à  une  sécheresse  presque  perpé- 
tuelle. 

Par  opposition  h  l'argile,  le  sable  et  la  craie 
sont  appelées  des  roches  perméables.  Ce  ne  sont 
d'ailleurs  pas  les  seules  qui  soient  dans  ce  cas,  et 
l'on  connaît  dans  bien  des  pays  des  roches  qui  par 
elles-mêmes  seraient  tout  i  fait  ctanches,  comme 
des  granits  et  des  marbres,  et  au  travers  desquel- 
les l'eau  passe  néanmoins,  grâce  aux  fissures  qui 
les  recoupent  en  tous  sens  et  parfois  en  nombre 
prodigieux. 

En  résumé,  l'eau  pénètre  dans  toutes  les  roches, 
mais,  suivant  les  divers  types  de  celles-ci,  elle  s'y 
meut  avec  une  facilité  inégale. 

Comme  l'alimentation  superficielle,  due  à  l'eau 
météorique,  est  continue,  et  que  les  entrailles  du 
sol  dépensent  constamment  de  l'eau  a'nsi  que 
nous  allons  le  voir,  lo  renouvellement  des  parti- 
cules liquides  dans  I  épaisseur  de  l'écorce  terres- 
tre est  de  tous  les  moments,  et  l'eau  souterraine 
parcourt  le  cercle  d'une  véritable  circulation. 

Ceci  posé,  et  pour  nous  faire  une  idée  de  l'allure 
générale  de  cette  circulation,  il  importe  de  re- 
marquer que  les  roches  perméables  et  les  roches 
imperméables  ne  sont  pas  distribuées  au  hasard 
dans  la  nature.  On  peut  dire,  en  éliminant  les  cas 
particuliers,  qu'elles  alternent  entre  elles  de  sorte 
qu'une  assise  perméable  est  en  général  comprise 
entre  deux  assises  imperméables;  qu'une  assise 
imperméable  est  comprise  entre  deux  assises  per- 
méables, et  que  la  surface  du  sol  est  constituée 
suivant  les  points  et  indistinctement  par  des  ro- 
ches perméables  ou  par  des  roches  imperméables 
reposant  sur  des  masses  ayant  les  propriétés 
opposées. 

On  va  voir  que  ces  diverses  dispositions  don- 
nent lieu  à  une  foule  de  phénomènes  du  plus  vif 
intérêt. 

Supposons  tout  d'abord  le  cas  d'un  sol  très  per- 
méable reposant  sur  des  couches  profondes  im- 
perméables. Il  est  évident  que,  sous  l'influence  de 
la  pesanteur,  l'eau  gagnera  dans  la  masse  poreuse 
les  régions  les  plus  inférieures'et  viendra  s'accu- 
muler sur  la  couche  imperméable. 

Il  se  produira  alors  au  contact  même  des  doux 
couches  ce  qu'on  appelle  généralement  un  niveau 
d'eau;  et  si  par  suite  des  ondulations  de  la  sur- 
face du  sol  ce  niveau  d'eau  vient  affleurer  au  jour 
sur  les  parois  ou  au  fond  d'un  ravin  ou  d'une  val- 
lée, il  en  résultera  un  niveau  de  sources. 

Nous  allons  revenir  sur  ce  sujet  dans  un  mo- 
ment; mais  auparavant  il  importe  de  bien  préciser 
en  quoi  consiste  la  disposition  dont  il  s'agit  et  qui 
donne  souvent  lieu  à  des  idées  très  fausses.  Nous 
n'en  voulons  pour  preuve  que  le  nom  de  nappes 
d'eau  souterraines  qu'on  donne  fréquemment  aux 
niveaux  d'eau.  Ce  nom  no  porte-t-il  pas  h  sup- 
poser qu'il  y  a  dans  les  entrailles  de  la  terre  des 
couches  d'eau  comme  il  y  a  des  couches  de  grès 
ou  des  couches  de  calcaire  ?  Or  rien  n'est  plus 
inexact. 

On  connaît,  il  est  vrai,  des  rivières  souterraines 
et  des  lacs  souterrains  ;  mais  les  unes  et  les  au- 
tres sont  logés  dans  des  cavernes  ou  grandes  ca- 
vités des  roches  et  ne  supportent  pas  le  poids  des 
couches  superposées. 

Les  niveaux  d'eau  ne  sont  autre  chose,  comme 
le  fait  bien  voir  le  procédé  même  auquel  ils  sont 
dus,  que  des  couches  de  roches  poreuses  ou  fis- 
surées dont  les  pores  ou  les  fissures  sont  remplis 
d'eiu. 

Si  le  fond  imperméable  est  incliné,  le  liquide 
des   niveaux  d'eau  se  meut  suivant  la  déclivité  ; 


PUITS  ET  SOURCES      —  1770  —       PUITS  ET  SOURCES 


mais  se  meut  non  pas  à  la  manière  d'un  ruis- 
seau dans  son  lit,  mais  comme  le  contenu  d'une 
fontaine  au  travers  d'un  filtre. 

On  a  facilement  la  preuve  de  cette  assertion.  11 
suffit  pour  cela  de  creuser  rapidement  une  cavité 
dans  une  couche  de  sable  saturé  d'eau  ;  on  verra 
que  l'excavalion  ne  se  remplit  de  liquide  que  suc- 
cessivement par  un  vrai  drainage  esercé  sur  les 
parties  environnantes.  C'est  ce  que  savent  très 
bien  tous  les  enfants  qui,  au  bord  de  la  mer, 
jouent  dans  la  cou«he  de  sable  découvert  à  marée 
basse. 

Nous  disions  tout  à  l'beure  que  des  sources 
résultent  de  l'affleurement  des  roches  imperméa- 
bles recouvertes  de  roches  perméables  et  donnant 
naissance  à  des  niveaux.  C'est  le  cas  en  Lorraine 
où  les  calcaires  perméables  de  l'oolilhe  inférieure 
reposent  sur  les  argiles  du  lias.  L'affleurement 
a  lieu  généralement  à  flanc  de  coteau,  et  c'est  ce 
qui  rend  compte  des  chapelets  de  villages  égre- 
nés en  ligne  horizontale  sur  les  parois  des 
vallées  à  égale  distance  des  thalwegs  et  des  pla- 
teaux. 

A  ce  type  de  sources  qui  est  extrêmement 
fréquent  se  rapportent  également  un  très  grand 
nombre  de  fontaines  dans  les  régions  les  plus 
variées,  et  il  suffira  de  mentionner  celles  des  en- 
virons immédiats  de  Paris  qui  se  présentent  au 
contact  des  marnes  vertes  et  des  sables  de  Fon- 
tainebleau qui  leur  sont  superposés.  Il  en  résulte 
un  niveau  nettement  caractérisé  par  sa  végétation 
de  peupliers  et  de  saules  contrastant  avec  les  fo- 
rêts de  chênes  et  de  châtaigniers  qui  sont  au-des- 
sus, aussi  bien  qu'avec  les  cultures  de  vignes  et 
de  céréales  qui  sont  plus  bas  ;  c'est,  pour  la  même 
raison,  le  niveau  des  maisons  de  campagne. 

Des  caractères  de  ce  genre,  parfois  visibles  de 
très  loin,  et  auxquels  s'en  joignent  d'autres  plus 
intimes  dont  l'observation  devient  facile  à  la  suite 
d'une  pratique  plus  ou  moins  prolongée,  expli- 
quent pleinement  le  succès  des  découvreurs  de 
sources,  au  premier  rang  desquels  M-  Paramelle  a 
occupé  une  place  si  distinguée. 

La  même  superposition  de  masses  perméables 
à  des  masses  imperméables  donne  lieu  à  un  tj'pe 
de  sources  en  apparence  bien  différent  du  précé- 
dent et  qu'on  rencontre  à  chaque  pas  en  Cham- 
pagne par  exemple.  Il  s'agit  de  sources  toujours 
situées  au  fond  des  vallées  et  qui  sont  sujettes  à 
des  variations  considérables  de  volume  dans  le 
cours  de  l'année,  de  telle  sorte  qu'elles  peuvent 
disparaître  complètement  pendant  quelques  jours 
ou  même  pendant  quelques  semaines. 

Ce  type  correspond  au  cas  très  fréquent  où  le 
contact  des  deux  couches  de  perméabilité  difi'é- 
rente,  au  lieu  d'affleurer,  gît  à  une  profondeur 
plus  ou  moins  considérable.  L'eau  d'infiltration, 
s'accumulant  sur  le  fond  étanclie.  sature  une  zone 
de  plus  en  plus  épaisse  de  la  roche  poreuse  telle 
que  la  craie,  et  la  source  jaillit  au  moment  où  la 
surface  supérieure  de  cette  zone  saturée  coïncide 
avec  le  fond  du  ravin.  Tant  que  l'affleurement  a 
lieu,  la  source  continue  h  couler,  mais  elle  s'ar- 
rête dos  que  par  suite  d'une  sécheresse,  l'eau 
baisse  dans  la  substance  filtrante. 

On  conçoit  que  ces  deux  types  principaux  de 
sources  ne  concernenl  pas  les  régions  dont  le 
sol  est  constitué  par  des  roches  imperméables  et 
fissurées.  Dans  ce  cas,  les  sources  ne  sont  pas 
autre  chose  que  l'arrivée  au  jour,  grâce  aux  ondu- 
lations du  terrain,  de  l'extrémité  d'un  réseau  de 
pareilles  fissures  qui  viennent  y  verser  les  eaux 
qui  y  circulent. 

C'est  à  ce  même  type  qu'il  faut  rattacher  les 
sources  qui  sortent  des  cavernes  et  qui  parfois, 
grâce  à  une  forme  particulière  de  ces  cavités  sou- 
terraines, offrent  le  pl.énomone  si  étrange  à  pre- 
mière vue  de  Vinlermittence. 


Dans  ces  divers  cas,  bien  différents  des  précé- 
dents, il  n'existe  pas  à  proprement  parler  de  ni- 
veaux d'eau.  La  position  des  sources,  dépendant 
de  l'allure  des  crevasses  du  sol,  ne  saurait  être 
devinée  de  la  surface,  et  il  n'y  a  jamais  lieu  de 
creuser  des  puits. 

Les  puits  en  effet  ne  sont  pas  autre  chose  que 
des  cavités  creusées  jusqu'à  un  niveau  d'eau.  Leur 
funcement  est  donc  la  reproduction  en  grand  de 
ce  jeu  d'enfants  auquel  nous  faisions  allusion 
tout  à  l'heure.  Nous  n'avons  évidemment  pas  à 
entrer  dans  la  description  des  procédés  mis  en 
œuvre  pour  creuser  les  puits;  disons  seulement 
que  les  difficultés  sent  très  différentes  selon  la 
dureté  ou  la  tendance  à  l'éboulement  des  roches 
à  traverser;  selon  aussi  la  distance  à  franchir  pour 
parvenir  au  niveau  d'eau.  On  cite  des  puits  qui 
ont  (iU  mètres  de  profondeur.  Parmi  les  dangers 
que  courent  les  puisatiers,  il  faut  mentionner 
surtout  les  éboulements  et  les  dégagements  de  gaz 
carbonique  impropre  à  la  respiration. 

Tout  ce  qui  précède  concerne,  comme  nous  l'a- 
vons dit,  le  cas,  très  souvent  réalisé  dans  la  nature, 
où  dos  roches  poreuses  reposent  sur  des  couches 
imperméables.  Si  cette  disposition  est  extrême- 
ment fréquente,  elle  est  loin  d'être  la  seule  qui 
puisse  se  présenter,  et  il  faut  voir  rapidement  ce 
qui  a  lieu  dans  les  autres  cas  prévus  plus  haut. 

Si  la  surface  est  imperméable,  quelle  que  soit  la 
roche  sous-jacente,  le  régime  des  eaux  n'en  est 
pas  influencé.  Il  faut  cependant  noter  que  si  la 
couche  du  haut  offre  quelque  part  une  solution  de 
continuité,  les  eaux  sont  appelées  par  les  masses 
poreuses  du  fond,  de  sorte  qu'il  résulte  de  cette 
disposition  lout  la  contraire  des  sources  :  des 
points  où  la  terre,  loin  de  fournir  de  l'eau,  absorbe 
celle  que  peut  lui  parvenir.  Suivant  les  cas  on 
appelle  boit  tout,  tjétoires,  gvu/fres,elc.,\es  points 
offrant  ce  caractère,  et  c'est  souvent  à  eux  que  les 
rivières  telles  que  le  Rhône  doivent  de  disparaître 
dans  le  sol  pour  revenir  au  jour  à  une  distance 
plus  ou  moins  considérable.  Il  faut  d'ailleurs  bien 
distinguer  le  cas  qui  nous  occupe  de  celui  de 
cavernes  ou  autres  cavités  dans  lesquelles  les 
eaux  superficielles  peuvent  également  s'engouffrer. 
La  disposition  que  nous  venons  de  décrire  est 
parfois  utilisée.  Elle  permet  en  effet  d'assécher 
des  points  rendus  impraticables  par  le  séjour  des 
eaux.  Dans  ce  cas  on  creuse  ce  qu'on  appelle  des 
puits  absorbants.  C'est  par  exemple  ce  qu'on  a  fait 
dans  certaines  exploitations  d'argile  qui.  comme  à 
Issy  et  Vaugirard,  reposent  sur  des  couches  po- 
reuses. Ces  exploitations  constituent  de  vastes 
bassins  où  se  réunit  l'eau  des  pluies  ;  mais  on 
les  assèche  aisément  par  des  puits  absorbants 
pénétrant  jusqu'à  la  craie.  Le  même  arlifice  est 
souvent  employé  dans  les  mines.  On  y  a  recours 
aussi  quand  on  veut  assainir  des  régions  maréca- 
geuses telles  que  la  Sologne,  dont  le  sous-sol  est 
perméable,  et  l'agriculture  en  a  plus  d'une  fois 
tiré  un  parti  important. 

Un  troisième  cas  à  considérer  concerne  l'inter- 
calation  d'une  couche  imperméable  entre  deux 
terrains  perméables.  Il  est  clair  que  cette  couche 
imperméable  établit  une  séparation  presque  abso- 
lue entre  les  deux  masses  poreuses,  et  qu'à  sa  sur- 
face supérieure  existe  un  niveau  d'eau.  Au-des- 
sous d'elle  la  roche  perméable  se  comporte  diffé- 
remment suivant  qu'elle  est  ou  non  en  communica- 
tion latérale  avec  la  surface.  Si  la  communication  a 
lieu,  le  cas  rentre,  comme  on  va  voir,  dans  le  qua- 
trième cas  décrit  plus  bas.  Si  au  contraire  la  roche 
est  séparée  de  la  surface  par  des  masses  étanches, 
l'eau  qu'elle  contient  et  qui  y  est  renfermée  depuis 
l'antique  époque  du  dépôt  de  la  couche  imper- 
méable y  constitue  une  sorte  de  niveau  sta- 
gnant. Parmi  les  exemples,  d'ailleurs  assez  rares, 
de  cette  disposition,   il   faut   citer  tout  spéciale- 


PUITS  ET  SOURCES      —  1771  —      PUITS  ET  SOURCES 


ment  le  niveau  d'eau  qu'on  a  dû  franchir  pour 
percer  les  puits  destinés,  aux  environs  d'Anzin, 
à  l'exploitation  du  charbon  de  terre.  Ce  niveau, 
connu  sous  le  nom  de  torrent  d'Ayizin,  paraît  re- 
présenter un  résidu  de  la  mer  crétacée  dans  la- 
quelle se  sont  déposés  les  matériaux  qui  consti- 
tuent les  couches  superposées  au  terrain  houiller. 
Il  est  absolument  séparé  de  la  surface  par  d'é- 
paisses couches  argileuses  appelées  dtéves. 

Arrivons,  pour  terminer  cette  énumération,  au 
quatrième  cas,  relatif,  comme  on  l'a  vu,  à  une 
couche  perméable  comprise  entre  deux  cou- 
ches imperméables.  Il  offre  un  intérêt  tout  parti- 
culier. 

Par  suite  même  de  la  forme  ordinaire  des  cou- 
ches géologiques  qui  la  constituent,  comme  des  cu- 
vettes emboîtées  les  unes  dans  les  autres,  l'assise 
perméable  ainsi  pincée  entre  des  roches  étanches 
vient  affleurer  par  sa  tranche  à  la  surperflcie  du 
sol  ;  les  eaux  de  la  surface  y  pénètrent  donc  en 
suivant  les  déclivités  et  tendent  à  s'accumuler 
dans  les  parties  les  plus  basses  qui  se  saturent 
avant  les  autres.  Si,  comme  le  cas  est  fréquent, 
ces  parties  basses  sont  comprises  sur  certains 
points  de  l'affleurement  mémo  de  la  couche,  on 
voit  qu'il  en  résulte  des  sources  et  que  la  coupe 
géologique  d'une  localité  offrant  cette  disposiliqn 
est  comparable  Ji  celle  d'un  tube  incliné  à  parois 
étanches,  alimenté  par  en  haut  et  librement  ouvert 
par  en  bas.  Or,  il  résulte  de  cette  remarque  que 
si  l'on  suppose  une  ouverture  pratiquée  en  un 
point  quelconque  de  la  paroi  supérieure  du  tube, 
non  seulement  l'eau  sort  par  cette  ouverture, 
mais  elle  jaillit  verticalement  i  une  hauteur  qui 
dépendra  i  la  fois  de  celle  du  réservoir  d'alimen- 
tation et  de  la  distance  horizontale  comprise  entre 
l'ouverture  et  ce  même  réservoir. 

La  supposition  que  nous  venons  de  faire  n'est 
pas  un  simple  produit  de  l'imagination  :  elle  est 
au  contraire  souvent  réalisée.  C'est  ainsi  qu'en 
Algérie  on  rencontre  dans  un  grand  nombre  de 
localités  des  sources  jaillissantes  dont  le  volume 
est  parfois  considérable  et  dont  l'oriflce  est  entouré 
d'une  végétation  qui  contraste  avec  la  stérilité 
des  régions  voisines.  Quand  on  étudie  la  consti- 
tution géologique  et  hydrologique  de  la  contrée, 
on  voit  qu'elle  rentre  exactement  dans  la  dispo- 
sition que  nous  venons  de  décrire  :  une  couche 
perméable  reposant  sur  des  roches  compactes  et 
recouvertes  de  dépots  argileux  est  alimentée  par 
sa  tranche  redressée  qui  affleure  dans  les  monta- 
gnes; au  contraire,  elle  se  décharge  du  côté  du 
Soudan  à  l'affleurement  de  son  bord  opposé. 

On  ne  saurait  trop  distinguer  les  sources 
jaillissanles,  sensiblement  froides,  des  jets  d'eau 
chaude  de  l'Irlande,  des  Etats-Unis  et  de  la  Nou- 
velle-Zélande, connus  sous  le  nom  de  geysers,  et  qui 
se  rapprochent  intimement  des  éruptions  volcani- 
ques. Leur  ascension  est  due  en  effet  non  pas  à  la 
pression  hydrostatique,  comme  en  Algérie,  mais  à 
la  force  élastique  de  la  vapeur  d'eau  fortement 
chauffée  dans  les  laboratoires  souterrains.  Les 
geysers  et  les  sources  de  vapeurs  appelées  souf- 
flnrds  (sof/ioni,  en  Toscane)  nous  conduisent 
à  faire  remarquer  que  l'eau  en  vapeur  est  le 
moteur  des  éruptions  volcaniques,  et  que,  sans 
exagération  aucune,  tout  volcan  doit  être  consi- 
déré comme  une  véritable  source  :  conclusion  ren- 
due d'ailleurs  moins  étrange  par  l'observation 
des  souices  thermales,  dont  la  température  est 
parfois  très  élevée. 


Quoi  qu'il  en  soit,  le  phénomène  des  sources 
jaillissantes  dont  la  disposition  a  été  décrite  tout 
;i  l'hi'ure,  a  été  maintes  fois  et  est  tous  les  jours 
imité  par  l'homme.  C'est  lui  qui  fait  monter  l'eau 
de  nos  puits  artésie7is.  On  sait  comment  la  cons- 
truction, ou,  comme  on  dit,  le  forage  de  ceux-ci  a 
procuré  dans  maintes  circonstances  d'importants 
avantages.  Les  puits  artésiens  fournissent  par- 
fois des  quantités  d'eau  considérables  :  nous  en 
avons  la  preuve  dans  Paris  même  pour  le  puits 
de  Grenelle,  dont  la  profondeur  est  de  548  mètres. 
Une  partie  de  la  rivo  gauche  est  par  lui  alimen- 
tée d'une  eau  très  pure  fournie  par  des  cou- 
ches du  gault  (terrain  crétacé  inférieur),  qui 
affleurent  en  Champagne  où  elles  absorbent  les 
pluies.  Dans  le  Sahara  algérien,  des  forages  du 
même  genre,  véritable  imitation  des  sources  jail- 
lissantes mentionnées  tout  à  l'heure,  ont  rem- 
placé en  maints  endroits  la  stérilité  naturelle  du 
sol  par  la  verdure  des  oasis. 

L'eau  des  puits  artésiens  est  tiède  et  sa  tempé- 
rature, proportionnée  ."i  la  profondeur  des  sonda- 
ges, est  susceptible  de  diverses  applications. 
Arago  voulait  qu'on  chauffât  au  moins  partielle- 
ment l'hôtel  des  Invalides  avec  l'eau  du  puits  de 
Grenelle.  A  Erfurth,  une  cressonnière  chauffée  de 
cette  façon  donne  des  bénéfices  considérables,  et 
aux  environs  de  Stuttgart  on  a  eu  l'ingénieuse 
idée  de  réunir  des  eaux  artésiennes  en  un  bassin 
dont  la  température  est  si  douce  que  le  plaisir 
de  la  natation  y  est  possible  même  en  hiver. 

Pour  compléter  cette  étude  très  rapide  des 
sources  de  tous  genres,  il  faudrait  décrire  les  di- 
verses substances  qu'elles  tiennent  en  dissolu- 
tion ou  en  suspension  et  qu'elles  déposent,  soit 
dans  les  canaux  qui  les  portent  au  jour,  soit  dans 
les  bassins  où  elles  s'épanchent.  Disons  seule- 
ment ici  que  les  fontaines  in'-rustantes  sont 
loin  d'être  rares  ;  la  plupart  de  celles  qui  sortent 
des  roches  calcaires  déposent  des  slntactiles  et  des 
stalagmites,  sortes  de  sculptures  naturelles  dont 
beaucoup  de  grottes  sont  élégamment  ornées.  Il 
est  des  sources  qui  déposent  de  même  du  cal- 
caire sous  formes  do  petites  boules  à  couches 
concentriques,  et  on  en  a  conclu  avec  la  plus 
grande  logique  que  les  épaisses  assises  de  cal- 
caires oolithiques  comprises  dans  la  série  gîolo- 
gique  représentent  des  dépots  analogues  de  volu- 
mineuses sources  depuis  longtemps  taries.  Les 
sources  therni'iles,  dont  nous  avons  cité  le  nom 
tout  à  l'heure,  sont  remarquablfs  par  la  variété 
des  substances  qu'elles  tiennent  en  dissolution  et 
que,  par  conséquent,  elles  déposent  dans  les  con- 
ditions convenables.  Les  études  faites  sur  ce 
grand  sujet  ont  démontré  que  la  plupart  des 
filins  métallifères  ne  sont  pas  autre  chose  que 
des  canaux  de  très  antiques  sources  thermales 
incrustées  des  produits  que  leurs  eaux  dissol- 
vaient. De  même  on  a  de  fortes  raisons  de  suppo- 
ser que  beaucoup  d'argiles  sont  des  résultats  de 
précipitations  analogues. 

Enfin,  il  existe  toute  une  série  de  matériaux 
différents  qu'on  regarde  comme  ayant  été  charriés 
sous  formes  de  sables  par  des  eaux  venant  de  la 
profondeur.  On  les  désigne  sous  le  nom  d'allu- 
«ions  verticales,  et  on  considère  comme  un  des 
meilleurs  types  qu'on  en  puisse  citer  les  sables 
exploités  au  cap  de  Conne-Esporance  pour  les  in- 
nombrables diamants  qu'ils  renferment. 

[Stanislas    Meunier.] 
PYKA.MIDES.  —  V.  Polyèdres. 


QUATERNAIRE  (TERRAIN)    -  1772  —    QUATERNAIRE  (TERRAIN) 


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QUADRILATÈRES.  —V.  Polygones. 
QUADRUMANES.  —  V.  Singes. 
QUARTZ.  —  V.  Silice. 

QUATERNAIRE  (Terrain).  —  Géologie,  IX.  — 
Le  terrain  quaternaire,  dont  l'autonomie  ne  sau- 
rait être  contestée,  qui  n'est  ni  le  terrain  actuel,  ni 
le  terrain  tertiaire,  se  soude  si  intimement  avec  .ses 
deux  voisins  que  les  limites  communes  sont  bien 
souvent  insaisissables.  A  cet  égard,  il  suffira  de 
rappeler  qu'un  très  grand  nombre  de  dépôts, 
considérés  longtemps  comme  appartenant  au  plio- 
cène supérieur,  sont  classés  maintenant  par  beau- 
coup de  stratigraphes  dans  le  terrain  quaternaire. 
Les  sables  de  Saint-Prest,  aux  environs  de  Char- 
tres, sont  dans  ce  cas,  ainsi  que  le  limon  des  pla- 
teaux d'une  foule  de  régions. 

A  l'inverse,  le  diluviura  des  rivières,  celui  de 
la  Seine,  par  exemple,  se  rattache  de  toutes  les 
façons  aux  alluvions  contemporaines  :  par  l'allure, 
par  la  composition  lilhologique,  par  les  fossiles 
eux-mêmes. 

Le  temps  présent  n'est  évidemment  que  la 
suite,  sans  hiatus,  du  temps  quaternaire,  et  celui- 
ci,  par  conséquent,  présente  cet  intérêt  spécial 
de  jeter  un  véritable  pont  entre  la  géologie 
et  l'histoire. 

La  même  notion  nous  sera  fournie  également 
par  le  spectacle  de  la  continuité  des  actions  géo- 
logiques sur  un  point  donné,  depuis  la  période 
quaternaire  la  mieux  caractérisée  jusqu'à  nos 
jours. 

Tel  est  le  cas,  par  exemple,  pour  certaines 
tourbières  dont  les  assises  les  plus  inférieures  sont, 
sans  aucun  doute,  contemporaines  de  la  période 
que  nous  avons  en  vue,  tandis  que  leur  couche 
la  plus  externe  est  actuellement  encore  en  pleine 
végétation. 

Parfois,  un  lien  du  même  genre  apparaît  entre 
les  couches  quaternaires  et  le  terrain  tertiaire 
sous-jacent.  L'argile  à  silex  qui,  aux  environs 
de  Chartres,  est  sans  doute  éocèno  et  liée  intime- 
ment à  l'argile  plastique,  n'a  cesse  depuis  lors 
de  se  produtre  pendant  tous  les  temps  tertiaires 
et  quaternaires,  de  façon  qu'autour  d'Evreux,  elle 
est  post-miocène  et  qu'auprès  d'Amiens  elle  passe 
avec  des  transitions  insensibles  au  diluvium  rouge. 
Il  se  présente  même  des  cas  où  une  formation 
quaternaire  donnée  aura  comme  des  racines  dans 
le  passé  et  des  épanouissements  à  l'époque  ac- 
tuelle. Ainsi  le  terrain  quaternaire  de  l'Alher 
montre  à  Vichy  des  calcaires  globulifères  aux- 
quels font  suite  immédiatement  les  dépôts  des 
sources  gazeuses,  et  l'on  reconnaît  que  certains 
dépôts  filoniims  témoignent  dans  le  même  lieu 
d'une  activité  plus  ancienne  du  même  mécanisme 
géologique. 

La  considération  d'une  pareille  continuité  ac- 
quiert une  nouvelle  importance  si  l'on  remarque 
qu'elle  a  subsisté  malgré  des  variations  dans  les 
conditions  de  la  surface. 

Il  est  indiscutable  qu'à  certains  moments  de 
la  période  quaternaire,  notre  pays  présentait  au 
moins  par  places  la  climatologie  actuelle  des 
régions  boréales.  Et  c'est  une  contre-partie  bien 
frappant!-  de  la  température  élevée  dont  avaient 
joui  antérieurement  le  Spitzberg  et  le  Groenland. 
Alors  le  Périgord  était  habité  par  une  faune 
polaire.  Les  Vosges,  le  Jura,  le  Cantal  étaient 
couverts  de  grands  glaciers. 

A  l'époque  quaternaire  aussi,  il  existait,  dans 
la  région  maintenant  si  tranquille  de  la  France 
centrale,  des  volcans  en  pleine  activité  ;  et  comme  le 


lac  tertiaire  delà  Limagne  était  déjà  desséclié,ilest 
peut-être  inciqué  de  chercher  justement  dans  les 
glaciers  le  réservoir  d'où  venaient  les  infiltrations 
aqueuses  indispensables  aux  manifestations  vol- 
caniques. 

Cependant,  comme  par  une  contradiction  fla- 
grante, au  moins  en  apparence,  nous  rencontrons 
à  la  période  quaternaire  des  preuves  d'un  climat 
plus  doux  que  celui  de  nos  jours. 

Dans  certains  dépôts,  les  éléphants  pullulent 
avec  les  rhinocéros  et  les  antilopes,  c'est-à-dire 
dans  les  conditions  d'association  que  nous  offrent 
maintenant  les  locaUtés  les  plus  chaudes  de 
l'Afrique. 

En  mêrtle  temps,  les  figuiers  prospéraient  à 
Jloret,  c'est-à-dire  sensiblement  sous  la  latitude 
d'Argenteuil  où,  comme  on  sait,  on  ne  parvient  à 
préserver  ces  arbres  des  rigueurs  de  l'hiver  qu'en 
enterrant  leurs  branches  pendant  toute  la  durée 
des  froids. 

La  surface  de  notre  pays  a  donc  passé,  pendant 
la  durée  des  temps  quaternaires,  par  des  vissisci- 
tudes  de  froid  et  de  chaud  dont  les  extrêmes  sont 
fort  distants. 

Ces  conditions  ont  paru  extraordinaires  à  divers 
géologuus  qui,  pour  les  expliquer,  ont  eu  recours 
i  des  hypothèses  parfois  fort  compliquées.  C'est 
cependant  bien  à  tort  qu'on  a  voulu  faire  de  l'é- 
poque quaternaire  une  période  exceptionnelle  au 
|)oint  de  vue  climatérique.  L'erreur  commise  à  cet 
égard  vient  surtout  de  ce  qu'on  s'est  en  général 
fait  une  notion  tout  à  fait  fausse  des  durées  dont 
on  a  voulu  rendre  compte. 

Or,  un  des  points  les  plus  intéressants  de  l'his- 
toire des  terrains  quaternaires  est  la  découverte 
qu'on  y  a  faite  en  plusieurs  localités  de  véritahle, 
chroiiumètres  naturels  qui  permettent,  non  pas  de 
mesurer  la  durée  de  la  période  qui  nous  occupe, 
mais  de  reconnaître,  par  des  aperçus  inattaqua- 
bles, qu'elle  s'est  prolongée  pendant  un  laps  de 
temps  infiniment  supérieur  à  celui  que,  dans  les 
idées  primitives,  on  attribuait  à  l'histoire  tout  en- 
tière de  la  terre. 

L'une  des  pi-eniières  conséquences  de  ce  grand 
résultat,  c'est  qu'on  n'est  nullement  autorisé  à 
faire  intervenir  dans  l'explication  des  phénomènes 
quaternaires  ces  effets  violents  réunis  sous  la 
qualification  de  cataclysmes.  Et  ceci  mérite  évi- 
demment de  nous  arrêter  un  moment. 

Il  est,  en  effet,  très  remarquable  qu'à  l'orignie 
de  la  science,  la  tendance  générale  a  été  d'invo- 
quer l'intervention  d'agents  énergiques  et  brus- 
ques pour  expliquer  tous  les  faits  observés.  Il  en 
résultait  un  contraste  complet  entre  le  pané, 
période  de  bouleversements  incessants,  et  \e.  pré- 
sent  où  régnent,  au  contraire,   la  stabilité  et  le 

Peu  à  peu,  des  observations  plus  précises  firent 
restreindre  de  plus  en  plus  le  domaine  des  cata- 
clysmes et  amenèrent  à  voir  dans  l'Iiistoire  du 
globe  une  longue  et  lente  évolution.  Mais,  fait 
bien  imprévu,  le  dernier  refuge  des  suppositions 
extraordinaires  se  trouve  être  encore  cette  pé- 
riode quaternaire  qui,  étant  la  plus  voisine  de 
nous,  semblait  devoir  être  la  plus  analogue  à 
la   nôtre. 

On  explique  d'ailleurs  aisément  cette  ano- 
malie par  le  nombre  considérable  de  phénomènes 
qui  se  sont  développés  entre  l'époque  tertiaire  et 
l'époque  actuelle  et  par  le  peu  de  temps  que, 
d'une  manière  toute  gratuite  il  est  vrai,  on  a 
cru  devoir  leur  attribuer. 


QUATERNAIRE  (TERRAIN)    —  1773  —   QUATERNAIRE  (TERRAIN) 


Mais  le  point  do  vue  cliange  du  tout  au  tout  si 
l'on  éludie  les  clironomètres  auxquels  nous  venons 
de  faire  allusion  :  ils  montrent  que  les  temps  (|ua- 
ternaires  représentent  des  centaines  de  milliers 
d'années,  et  dès  lors  ils  imposent  la  nécessité  de 
repousser  l'iiypotlièse  des  révolutions,  pour  em- 
ployer une  expression  consacrée  parCuvier. 

Grâce  à  la  comparaison  facile  à  poursuivre  en- 
tre les  terrains  quaternaires  et  le  terrain  actuel, 
on  arrive  à  se  faire  aussi  une  idée  toute  nouvelle 
du  mécanisme  en  vertu  duquel  s'exercent  les  ac- 
tions géologiques. 

L'histoire,  même  rapide,  des  terrains  quaternai- 
res se  divise  naturellement  en  deux  chapitres 
d'égale  importance  : 

1°  La  description  des  formations  qui  datent  de 
cette  période  ; 

2°  La  reconstitution  par  voie  d'induction  des 
phénomènes,  maintenant  terminés,  qui  ont  donné 
lieu  à  ses  traits  géologiques. 

Dans  la  première  catégorie,  il  y  a  à  considé- 
rer : 

a)  Les  couches  dites  diluviennes; 

h)  Les  brèches  osseuses  ; 

c)  Les  dépôts  concrétioiinés ; 

d]  Les  produits  éruptifs,  etc. 
Dans  la  seconde  : 

a)  Les  fractures  du  sol; 

b)  Les  soulèvements  et  les  affaissements  ; 
c'  Les  glaciers; 

d)  Les  érosions  auxquelles  sont  dues  nos  vallées 
et  la  configuration  de  nos  côtes  ; 

e)  Les  volcans. 

Toutefois  cette  division  ne  saurait  être  absolue, 
et  il  est  indispensable  de  rapprocher  à  chaque 
instant  ces  deux  modes  complémentaires  d'infor- 
mation. 

Couches  dites  diluviennes  et  creusement  des 
VALLÉES.  —  Nous  avons  un  premier  exemple  de  cette 
liaison  mutuelle  h  propos  des  premiers  terrains 
quaternaires  qui  se  présentent  tout  naturellement 
à  nous  et  qui  rentrent  dans  la  vaste  catégorie  des 
terrains  de  transport. 

Placés  à  un  point  de  vue  dont  le  peu  de  fonde- 
ment apparaît  cliaque  jour  davantage,  les  pre- 
miers géologues  qui  s'occupèrent  des  terrains 
<)uaternaires  les  identifièrent  avec  le  produit  de 
prétendues  inondations  brusques  et  générales, 
qu'ils  rattachaient  à  la  vieille  tradition  d'un  dé- 
luge universel. 

De  là  ces  noms  de  terrains  diluvieyis  et  de  di- 
luvium  dont  certaines  couches  ne  sont  pas  parve- 
nues à  se  débarrasser  encore. 

Le  type  de  ces  terrains  est  fourni  par  une  for- 
mation qu'on  peut  étudier  à,  Paris  même,  qui  se 
retrouve  dans  la  plupart  des  vallées  de  la  France 
et  qu'on  appelle  le  diluviwn  gris.  Il  se  présente 
en  longues  traînées  au  fond  de  ces  dépressions 
du  sol,  recouvrant  le  terrain  plus  ancien  en 
siratification  tout  à  fait  discordante.  Les  maté- 
riaux qui  le  constituent  sont  analogues  pour  la 
plupart  aux  roches  en  place  les  plus  voisines,  et 
c'est  ainsi  qu'à  Paris  ce  qui  y  domine  ce  sont 
des  débris  de  meulières,  de  silex  de  la  craie  et  du 
calcaire  grossier,  de  ménilithes  des  teirains  gyp- 
seux  et  de  Saint-Ouen ,  de  grès  quarlzeux  de 
Beauchamp  et  de  Fontainebleau,  des  fossiles  di- 
vers roulés.  Avec  ces  fragments  se  montrent  des 
galets  granitiques  parfois  volumineux  et  prove- 
nant évidemment  du  Morvan. 

Suivant  les  points,  ces  éléments  minéraux  sont 
les  uns  sous  la  forme  de  cailloux  et  de  graviers 
plus  ou  moins  gros,  d'autres  à  l'état  de  sables; 
d'autres  enfin,  réduits  en  particules  très  ténues, 
forment  çà  et  là  des  lentilles  limoneuses.  La  roche 
s'appelle  alors  Iwss. 

Outre  les  fossiles  roulés  que  nous  avons  signa- 
lés tout  à  l'heure,  on  y  recueille  des  débris  d'ê- 


tres ayant  vécu  à  l'époque  du  dépôt  des  terrains 
qui  les  renferment. 

Ces  débris  dans  les  graviers  consistent  en  gros 
ossements  appartenant  pour  la  plupart  à  des 
mammifères.  Les  uns  proviennent  d'animaux  sem- 
blables à  ceux  qui  vivent  encore  dans  la  localité, 
comme  le  cheval  et  le  boeuf;  d'autres  représen- 
tent des  espèces  qui,  à  l'heure  actuelle,  ont  émi- 
gré dans  des  régions  fort  différentes,  comme 
l'hippopotame,  confiné  dans  les  pays  chauds,  et 
le  bœuf  musqué,  le  renne,  le  bison,  propres  aux 
pays  froids;  d'autres  enfin  à  des  animaux  absolu- 
ment disparus  de  la  faune  actuelle,  comme  le 
mammouth,  le  rhinocéros  à  narines  cloisonnées, 
le  grand  ours  des  cavernes  et  une  foule  d'autres. 

Dans  des  couches  fines,  où  des  débris  plus  déli- 
cats ont  pu  se  conserver,  on  recueille  en  abondance 
de  petites  coquilles  parmi  lesquelles  il  y  a  lieu  de 
faire  un  triage  tout  à  fait  semblable  à  celui  qui 
précède. 

Les  mêmes  couches  fournissent  en  abondance 
des  preuves  variées  de  l'existence  de  l'homme 
dès  le  début  des  temps  quaternaires.  —  V.  Préhis- 
toriques (pi'pulalions). 

L'origine  du  diluvium  gris  et  du  lœss  a  été 
l'objet  de  beaucoup  d'hypothèses. 

Un  fait  dont  il  faut  tenir  compte  avant  tout, 
c'est  la  liaison  évidente  de  ces  dépôts  avec  la 
forme  des  vallées  et  par  conséquent  avec  le  creu- 
sement de  celles-ci. 

En  générai,  ou  a  rattaché  ces  formations  à  un 
rabotage  subit,  et,  malgré  cette  communauté  de 
point  de  vue,  les  géologues  ont  émis  trois  tliéories 
principales  et  contradictoires. 

Dans  l'une,  défendue  surtout  par  Belgrand,  la 
vallée  aurait  été  creusée  par  un  fleuve  gigantesque 
qui  la  remplissait  d'un  bout  à  l'autre  et  qui  se 
mouvait  avec  une  vitesse  considérable.  Le  dilu- 
vium représente  le  sable  charrié  par  ce  fleuve 
gigantesque.  On  ne  peut,  cependant,  ucceptcr  cette 
manière  de  voir,  car  il  est  impossible  de  concevoir 
un  mode  convenable  d'alimentation  pour  des  fleuves 
de  semblable  débit.  La  supposition  de  pluies  con- 
tinuelles ne  suffirait  pas  pour  l'expliquer,  et 
d'ailleurs  cette  supposition  ne  serait  aucunement 
légitime. 

Une  deuxième  opinion,  émise  par  Lyell,  con- 
siste à  croire  que  les  vallées  ont  été  creusées  par 
des  glaciers  qui  ont  transporté  les  fragments 
pierreux  du  diluvium  comme  des  blocs  erratiques 
et  le  lœss  comme  de  la  boue  glaciaire.  Certaines 
vallées  ont,  en  efl'et,  cette  origine,  dans  les  hautes 
montagnes  tout  spécialement;  mais  on  les  recon- 
naît à  une  foule  do  caractères  spéciaux,  et  l'hypo- 
thèse ne  peut  plus  s'appliquer  aux  vallées  des  pays 
de  plaines,  connue  celles  de  la  Seine,  de  la 
Somme,  de  la  Dordogne,  etc. 

Enfin,  M.  Hébert  a  supposé  que  le  diluvium 
est  d'origine  marine  ;  c'est-à-dire  qu'il  s'est  dé- 
posé à  la  suite  d'un  double  mouvement  de  bascule 
du  sol  qui,  après  avoir  admis  l'eau  de  la  mer  sur 
toute  la  surface  de  la  France,  l'a  rejetée  rapidement 
dans  son  lit  actuel.  Ici,  les  objections  se  présen- 
tent à  chaque  pas,  et  cette  supposition  est  très 
généralement  abandonnée. 

Le  défaut  commun  de  ces  diverses  hypothèses 
est  de  vouloir  ramener  à  une  même  origine  tous 
les  éléments  du  terrain  quaternaire.  Or,  ceux-ci 
sont  très  variés  et  dérivent  réellement  do  causes 
très  diverses. 

Si  on  ne  considère  d'abord  que  le  diluvium  gris, 
on  arrive  à  reconnaître  qu'une  hypothèse  fluvia- 
tile  peut  seule  convenir  pour  en  expliquer  l'o- 
rigine. Mais  il  faut  faire  subir  à  l'opinion  de 
Belgrand  des  modifications  convenables.  L'examen 
des  rivières  actuelles  montre  qu'elles  modifient 
constamment  leur  cours  ;  leurs  anses  se  déplacent 
constamment,  et  au  bout  d'un  temps  suffisant,  qui 


QUATERNAIRE  (TERRAIN)   —  1774  —    QUATERNAIRE  (TERRAIN) 


n'est  pas  très  long,  elles  ont  remanié  tout  le  terrain 
qui  constitue  le  fond  de  leur  vallée.  Il  résulte  de 
cette  nbser\-ation  qu'une  rivière  étroite  peut 
remanier  une  bande  très  large  de  matériaux  de 
toute  sorte  et  l'on  voit  que  les  traînées  de  dilu- 
vium  peuvent  provenir  de  cours  d'eau  analogues 
à  ceux  qui  coulent  sous  nos  yeux. 
Toutefois,  ceci   n'explique   pas   le   gisement  si 


lions  concourent  à  démontrer  que  le  régime  de  la 
mer  n'a  pas  varié  d'une  manière  sensible  depuis 
les  temps  quaternaires,  dont  divers  moments  sont 
caractérisés  par  le  dépôt  de  lambeaux  aujourd'hui 
soulevés  sur  les  deux  rives.  11  résulte  de  li  qu'on 
peut,  en  partant  du  taux  actuel  de  la  dénudation, 
rechercher  de  combien  d'années  il  faut  remonter 
en  arrière  pour  revenir  à  l'époque  où  la  côte  fran- 


fréquent  de  diluviura   sur  les  flancs   des  vallées  !  çaise   et  la  côte  anglaise  étaient  en  contact,  où 


bien  au-dessus  du  niveau  atteint  par  les  rivières 
lors  des  plus  fortes  crues.  Mais  cette  seconde  parti- 
cularité provient  de  ce  que  le  sol  de  notre  conti- 
nent, par  exemple  dans  la  vallée  de  la  Seine, 
subit  depuis  le  commencement  du  temps  quater- 
naire un  exhaussement  lent  et  continu.  Belgrand 
lui-même  évalue  à  50  ou  60  mètres  le  soulèvement 
dont  il  s'agit. 

Quant  aux  gros  blocs  de  granité  et  d'autres 
roches  provenant  du  haut  de  la  vallée,  il  faut 
admettre  qu'ils  sont  dus  à  des  transports  par  la 
glace,  et  chaque  hiver  on  les  voit  se  reproduire. 

On  voit  en  résumé  que  la  recherche  de  l'origine 
du  diluvium  conduit  à  la  théorie  du  creusement 
des  vallées  par  un  mécanisme  absolument  compa- 
rable i.  celui  qui  tous  les  jours,  sous  nos  pas, 
continue  à  modifier  les  détails  du  relief  du  sol. 
La  même  manière  de  voir,  tout  entière  du  do- 
maine des  causes  actuelles,  s'applique  également 
au  creusement  de  certaines  vallées  marines. 

Par  exemple,  on  a  la  preuve  qu'au  début  de 
l'époque  quaternaire,  l'Angleterre  et  la  France 
étaient  unies  par  la  terre  ferme.  Même,  jusqu'à  la 
fin  de  la  période  jurassique,  une  terre  émergée, 
s'étendant  de  Londres  vers  Calais,  Douai  et  l'Ar- 
denne,  servait  de  rivage  à  un  vaste  golfe  anglo- 
parisien.  Ce  golfe,  dirigé  du  S.-E.  au  N.-O.,  em- 
brassait bien  la  partie  centrale  du  canal  de  la 
Manche  ;  mais  à  l'est,  de  Calais  à  Douvres,  comme 
à  l'ouest,  du  Cotentin  aux  Cornouailles,  une  bar- 
rière de  roches  anciennes  séparait  cette  partie 
centrale  soit  de  la  mer  du  Nord,  soit  de  l'Atlanti- 
que. 

L'Angleterre  et  la  France  se  tenaient  donc  par 
deux  langues  de  terre,  qui  différaient  l'une  de 
l'autre  par  les  dimensions  et  par  la  structure. 

L'isthme  de  l'ouest  était  gigantesque  par  rap- 
port h  l'autre  et  il  était  de  granité,  de  gneiss  et  de 
porphyre,  c'est-à-dire  de  roches  bien  difficilement 
désagrégeables,  tandis  que  l'isthme  de  Calais  était 
constitué  par  les  couches  comparativement  tendres 
des  terrains  stratifiés. 

Cependant  la  démolition  du  premier,  le  gigantes- 
que et  le  résistant,  semble  aux  géologues  infiniment 
plus  facile  à  comprendre  que  celle  de  l'autre,  le  mi- 
nuscule et  le  friable.  On  admet  que  l'isthme  de  Cor- 
nouailles a  disparu  à  l'époque  du  calcaire  pisoli- 
thique,  pour  reparaître  d'ailleurs  à  l'époque  éocène 
et  ne  cesser  définitivement  d'exister  qu'au  mo- 
ment du  calcaire  grossier  ;  tant  qu'il  s'agit  de  lui, 
personne  ne  songe  à  faire  intervenir  autre  chose  que 
les  oscillations  lentes  du  sol  et  le  pouvoir  de  dénu- 
dation de  la  mer:  mais  c'est  que  sa  rupture  date  de 
l'époque  tertiaire,  i'our  l'isthme  de  Calais,  on  est  en 
général  bien  loin  de  conserver  la  même  mesure. 
D'Archiac  n'hésitait  pas  à  attribuer  son  ouverture  à 
une  rupture  violente  ;  et  c'est  avec  surprise  que 
dans  un  travail  très  récent  on  voit  M.  Hébert  se  de- 
mander s'il  faut  voir  «  dans  les  phénomènes  volca- 
niques de  la  région  rhénane  la  cause  ou  du  moins 
un  fait  concomitant  de  celte  rupture.»  On  no  saurait 
évidemment  accepter  une  pareille  manière  Oe  voir. 
Les  phénomènes  d'observation  directe  fournissent 
tout  ce  qu'il  faut  pour  rendre  compte  de  l'ouver- 
ture du  Pas-de-Calais.  Tout  le  monde  sait  avec 
quelle  énergie  la  mer  démolit  les  falaises.  Dans  la 
Manche,  le  littoral  se  modifie  constamment,  et  l'on 
admet  que  la  terre  ferme  perd  en  moyenne  chaque 
année  1  mètre  de  largeur.  Une   foule  d'observa- 


par  conséquent  l'isthme  existait  encore. 

On  arrive  ainsi  à  des  chiffres  qu'il  est  sans  in- 
térêt de  donner,  car  ils  ne  sauraient  être  consi- 
dérés comme  rigoureux,  mais  qui,  en  tous  cas, 
sont  compris  sans  hésitation  dans  le  laps  de  temps 
qu'il  est  indispensable  d'accorder  à  la  période  qua- 
ternaire. Si  donc  on  admet,  conformément  aux 
suppositions  rappelées  plus  haut,  que  l'ouverture 
du  canal  soit  le  produit  d'une  convulsion  cataclys- 
mique,  il  faut  nécessairement  admettre  que  cette 
crise  a  été  suivie  d'une  période  1res  prolongée  de 
repos  absolu,  pendant  laquelle  la  mer  n'attaquait 
pas  ses  falaises  et  se  comportait  par  conséquent 
tout  autrement  qu'aujourd'hui.  Ce  qui  est  une 
hypothèse  évidemment  inacceptable. 

D'ailleurs  le  procédé  de  corrosion  graduelle  au- 
quel le  canal  de  la  Manche  doit  son  existence  est 
démontré  également  par  le  relief  même  du  fond 
de  la  mer.  Ce  canal  n'est  pas,  en  effet,  comme  con- 
duiraient à  le  faire  supposer  les  vues  que  nous 
combattons,  une  fissure  à  bords  escarpés,  analogue 
à  une  faille  largement  ouverte.  Sa  profondeur  est 
partout  proportionnelle  à  sa  longueur;  de  telle 
sorte  qu'une  espèce  de  dos  d'âne  existe  précisé- 
ment au  travers  du  canal  en  son  point  le  plus  ré- 
tréci; dos  d'àne  dont  les  deux  versants  descen- 
dent d'une  manière  tout  à  fait  uniforme  et  régu- 
lière vers  la  mer  du  Nord  et  vers  l'Atlantique. 

Lœss.  —  Nous  avons  dit  plus  haut  qu'on  ap- 
pelle loess  les  portions  fines  et  limoneuses  du 
diluvium  gris.  Quant  à  son  origine,  elle  n'est  cer- 
tainement pas  la  même  partout. 

Dans  les  vallées  descendant  des  hautes  monta- 
gnes à  glaciers  telles  que  les  Alpes  et  les  Pyrénées, 
il  est  nécessaire  d'y  voir  une  véritable  boue  gla- 
ciaire. Mais  on  ne  peut  adopter  une  semblable 
origine  pour  le  lœss  des  vallées  de  plaines.  A 
MeuJon,  par  exemple,  cette  formation  se  présente 
comme  un  placage  à  flanc  de  coteau  à  plus  de 
100  mètres  au-dessus  du  flanc  de  la  vallée. 

Dans  ce  cas  il  serait  légitime  d'y  voir  un  pro- 
duit de  sédimentation  atmosphérique,  c'est-à-dire 
de  le  rattacher  à  l'action  géologique  des  vents. 
C'est  ce  que  justifient  amplement  les  observations 
de  M.  Virlet  d'Aoust,  qui  a  assisté  au  Mexique  à  la 
production  actuelle  d'un  vrai  lœss  accumulé  en 
certains  points  par  des  courants  réguhers  de  l'o- 
céan aérien. 

Diluvium  rouge.  —  On  appelle  diluvium  rouge 
un  dépôt  dont  les  caractères  généraux  sont  iden- 
iiquement  ceux  du  diluvium  gris,  sauf  la  présence 
d'une  argile  rouge  qui  le  colore  fortement.  Quand 
les  deux  diluviums  sont  associés,  ce  qui  est  loin 
d'être  rare,  le  rouge  est  toujours  sur  le  gris;  les 
deux  formations  sont  fréquemment  isolées  l'une 
de  l'autre.  Si  le  diluvium  rouge  repose  directe- 
ment sur  une  roche  calcaire,  on  remarque  que  la 
surface  supérieure  de  celle-ci  est  fortement  cor- 
rodée et  parfois  même  percée  de  cavités  verticales 
et  cylindriques  très  profondes,  connues  sous  le 
nom  de  puits  naturels.  Des  expériences  directes 
ont  fait  voir  que  ces  puits  se  sont  nécessairement 
creusés  de  haut  en  bas,  grâce  à  l'action  dissol- 
vante des  eaux  chargées  d'acide  carbonique.  Et 
l'on  a  reconnu  non  moins  sûrement  qu'une  fois 
creusés,  ils  ont  livré  passage  à  des  eaux  ascendan- 
tes chargées  de  limon  rouge  qui  a  coloré  des  dé- 
Dots  de  diluvium  préalablement  constitués  avec 
lu  couleur  grise  ordinaire. 


QUATERNAIRE  (TERRAIN)   —  1775  —   QUATERNAIRE  (TERRAIN) 


Caveii\es.  —  Les  ravinements  quaternaires 
qui  ont  acrompagni',  comme  on  vient  de  le  voir, 
le  dépût  du  diluvinm  rouge,  nous  préparent  i  la 
rencontre  des  innombrables  cavernes  qui  ont  joué 
un  rôle  très  important  dans  la  géologie  de  la 
France  i  l'époque  que  nous  avons  en  vue. 

Les  cavernes  ont  surtout  été  étudiées  relative- 
ment aux  débris  fossiles  qu'on  y  a  rencontrés.  V. 
Préhistoriques  [l'opulations.)  —  On  en  trouve  dans 
toutes  les  régions  de  notre  pays  et  tout  spéciale- 
ment dans  les  couclies  de  nature  calcaire. 

Avant  tout,  elles  résultent  des  dislocations  du 
sol.  Les  vides  ainsi  produits  d'une  manière  méca- 
nique ont  été  ensuite  élargis  soit  par  des  sources 
thermales,  soit  par  des  cours  d'eau  souterrains, 
soit  par  les  vagues  de  la  mer  agissant  à  la  base  des 
falaises. 

Le  plus  souvent  les  cavernes  représentent  des 
canaux  souterrains  de  la  circulation  des  eaux. 
Aussi  leurs  dimensions  sont-elles  extrêmement  va- 
riables. Souvejit  ces  dimensions  nous  sont  in- 
connues. En  Carniole,  aux  Etat-Unis  et  ailleurs  on 
en  connaît  de  plusieurs  lieues  de  longueur.  Cer- 
tains pays,  tels  que  le  Jura,  sont  essentiellement 
caverneux.  M.  Végion  estime  à  un  Jj  du  volume 
total  les  vides  que  renferme  ce  massif  monta- 
gneux. 

Le  mode  de  remplissage  des  cavernes  se  ratta- 
che à  leur  mode  même  de  formation  et  en  est  la 
suite  naturelle. 

Dans  un  premier  temps,  les  eaux  y  circulent 
constamment  et  librement.  C'est  alors  la  période 
d'accroissement  de  la  caverne. 

Dans  un  second  temps,  les  eaux  ayant  trouvé 
une  autre  voie,  la  caverne  reçoit  les  éléments  de 
remplissage. 

En  effet,  chaque  fois  que  des  eaux  y  pénètrent, 
soit  accidentellement,  soit  sous  forme  de  ruis- 
seaux, elles  y  ont  apporté  des  sédiments  et 
ceux-ci  sont  de  diverses  sortes. 

Tout  d'abord  doivent  être  cités  des  limons,  des 
sables  et  des  fragments  de  roches  qui  se  dépo- 
sent parfois  avec  une  stratification  plus  ou  moins 
nette. 

En  second  lieu,  il  s'y  est  fait  des  concrétions 
calcaires  sous  la  double  forme  de  stalactites  et  de 
stalagmites.  Souvent,  à  la  suite  d'inondations  pé- 
riodiques, les  stalagmites  alternent  régulièrement 
avec  le  terrain  de  transport  et,  pour  le  dire  en 
passant,  cette  disposition  remarquable  constitue 
un  véritable  chronomètre  d'une  grande  précision 
dans  les  pays  oii  chaque  hiver  donne  lieu  à  une 
croûte  stalagmitique,  tandis  que  chaque  été  pro- 
duit une  couche  limoneuse. 

Un  certain  nombre  de  débris  organiques  sont 
accumulés  dans  les  cavernes  et  contribuent  k 
leur  remplissage.  Ce  sont,  d'une  part,  des  coquil- 
les et  de  petits  ossements  qui  ont  pu  être  char- 
riés par  le  courant.  Ce  sont  des  os  de  gros  ani- 
maux, provenant  des  carnassiers  qui  habitaient  les 
cavernes  ou  des  bêtes  dont  ils  ont  fait  leur  proie. 
Ce  sont  enfin  des  coprolithes  parfois  extrômomeut 
abondants. 

Ces  débris,  accumulés  dans  les  crevasses  du  sol, 
mélangés  de  limon  et  cimentés  par  les  infiltra- 
tions calcaires,  constituent  les  brèches  osseuies 
dont  l'origine  a  été  attribuée  d'abord  par  Cuvier 
et  ses  élèves  à  de  violents  charriages  réalisés  par 
les  prétendus  torrents  diluviens. 

D  ailleurs,  les  fossiles  contenus  dans  les  caver- 
nes sont  les  mêmes  qu'on  a  déjà  signalés  dans 
le  diluvium  gris.  L'iiomme  primitif  a  souvent  fait 
des  cavernes  sa  demeure  et  sa  sépulture,  et  c'est 
pourquoi  l'étude  de  beaucoup  d'entre  elles  a  fourni 
des  résultats  si  intéressants. 

Calc\iiies  concuétionnés.  —  Nous  venons  de  voir 
que  dans  les  cavernes  se  sont  déposés  à  l'époque 
quaternaire  des  stalactites  et  des  stalagmites  cal- 


cair.'S.  Il  en  est  résulté  dos  veines  d'albâtre  par- 
fois susceptibles  d'exploitation. 

Dans  d'autres  conditions,  il  s'est  fait  aussi  de  la 
véritable  pierre  i  bâtir,  et  nous  ne  saurions  son- 
ger à  citer  toutes  les  localités  où  il  s'est  déve- 
loppé une  semblable  formation;  il  suffira  d'en 
mentionner  quelques-unes. 

A  Vicliy,  on  observe  un  travertin  calcaire  en 
lits  minces  de  composition  et  de  texture  très 
variables;  on  y  trouve  des  ossements  appartenant 
à  la  faune  quaternaire  la  mieux  caractérisée.  Par 
places,  cette  roche  est  entièrement  pisolithiquo, 
c'est-à-dire  constituée  par  des  globules  calcaires 
juxtaposés  et  cimentés  entre  eux.  A  Moret,  dans 
le  département  de  Seine-et-Marne,  sa  présente 
un  tuf  du  même  genre  intéressant  par  les  débris 
de  plantes  dont  il  a  conservé  les  empreintes.  Ci- 
tons spécialement  le  laurier-tin,  l'arbre  de  Judée 
et  surtout  le  figuier  sauvage.  Les  dépôts  traverti- 
neux  de  Mamcrs  (Sarthe)  sont  encore  plus  riches 
au  point  de  vue  botanique. 

TouKBiÈRts.  —  Déjà  nous  avons  fait  allusion 
aux  tourbières  quaternaires.  Celles-ci  constituent 
en  définitive  les  couches  les  plus  profondes  des 
tourbières  actuelles  et  elles  ont  fourni  à  l'anthro- 
.pologie  et  à  la  paléontologie  un  nombre  considé- 
rable d'échantillons  importants. 

C'est  ce  qui  a  lieu,  par  exemple,  dans  les  dé- 
partements de  la  Somme  et  de  l'Oise.  Ailleurs,  la 
formation  de  la  tourbe  a  cessé  dès  l'époque  ac- 
tuelle, et  la  tourbe  fossile  quaternaire  est  recou- 
verte par  des  dépots  de  nature  diverse.  On  a  un 
exemple  de  cette  disparition  à  l'embouchure  de 
la  Canche,  où  la  tourbe  est  exploitée  sous  une 
couche  de  sable  et  de  marne. 

AxTEnnissEMENTS  LITTORAUX.  —  On  a  la  preuve 
que  durant  l'époque  quaternaire  la  forme  du  lit- 
toral a  changé  considérablement  en  certains 
points,  tels  que  la  côte  méditerranéenne  et  l'em- 
bouchure de  la  Somme,  par  suite  de  l'accumula- 
tion des  sables  charriés  par  des  courants  marins. 
Le  phénomène  se  poursuit  à  l'époque  actuelle, 
et  la  rapidité  de  son  allure,  directement  mesurée, 
a  pu  conduire  à  établir  une  chronométrio  dans  cer- 
tains dépôts  quaternaires. 

Plages  soulevées.  —  La  forme  des  côtes  s'est 
modifiée  aussi  par  suite  des  soulèvements  de  cer- 
tains points  du  littoral.  Ainsi,  près  de  Calais, 
entre  Sangatte  et  le  cap  Blanc-Nez  ;  ainsi  encore 
en  plusieurs  localités  de  la  Corse,  on  observe  de 
véritables  plaides  soiili:oées,àon\,  le  sol  fournit  des 
fossiles  nettement  quaternaires. 

Soulèvement  des  montag.nes.  —  Durant  l'époque 
quaternaire  diverses  montagnes  se  sont  soulevées. 
■Telles  sont  les  montagnes  d'Agde  et  de  Cette, 
dont  la  base  porte  des  lambeaux  quaternaires  in- 
clinés et  qui  présentent  des  brèches  osseuses  à 
des  hauteurs   considérables  au-dessus  de  la  mer. 

Volcans.  —  Le  sol  de  la  France  centrale  a  été 
durant  l'époque  quaternaire  le  tliéàtre  de  mani- 
festations volcaniques  très  développées.  Elles  ont 
laissé  comme  vestige  une  série  de  petits  cratères 
dont  l'activité  a  sans  doute  été  alimentée  par  les 
infiltrations  aqueuses  dériv.mt  des  grands  glaciers 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure. 

Ces  volcans,  dont  les  plus  beaux  spécimens  S3 
montrent  aupi  es  de  Clermont-Ferrand,  ont  apparu 
sur  un  sol  longuement  préparé  à  l'époque  ter- 
tiaire par  les  éruptions  successives  du  trachyte  et 
du  basalte.  Ils  ofl'rent  à  l'observation  un  cône  de 
lapilli  à  la  base  duquel  commence  une  coulée  do 
lave  parfois  très  longue  et  très  épaisse. 

On  a  reconnu  ijue  tous  les  volcans  do  l'Auver- 
gne n'ont  pas  le  même  âge.  Peut-être  quelques- 
uns  d'entre  eux  sont -ils  tertiaires.  D'autres, 
comme  le  Puy  de  Pariou  ot  le  Puy  de  Gravenoire, 
sont  extrêmement  récents. 

L'activité  volcanique   n'est  d'ailleurs    pas  en- 


QUATERNAIRE  (TERRAIN)   —  1776  —      QUINQUINA,  QUININE 


core  éteinte  dans  cette  région,  dont  le  sol  exsude 
constamment  des  torrents  d'acide  carbonique. 

Il  est  bien  remarquable  que  l'Auvergne,  cette  con- 
trée particulièrementtourmentée  de  la  France, vien- 
ne fournir  des  témoignages  exceptionnellement  élo- 
quents de  la  lenteur  des  phénomènes  quaternaires. 
Les  cliapeaux  de  basalte  tertiaire  ont,  en  effet, 
protégé  les  couches  sous-jacentes  contre  les 
érosions  postérieures  à  leur  éruption,  tandis  que 
les  intervalles  des  coulées  restaient  soumis  h 
l'action  corrosive  des  agents  météoriques.  Or,  on 
trouve  des  coulées  de  ce  genre  à  des  altitudes  ex- 
trêmement variées  qui  correspondent  cliacune  à  l'é- 
tat de  dénudation  du  sol  au  moment  où  elle  s'est 
produite.  La  conséquence  est  que  la  dénudation, 
loin  d'être  le  résultat  d'un  violent  rabotage  causé 
par  un  torrent  déchaîné  tout  à  coup,  a  été  un 
phénomène  continu  qui  s'est  prolongé  pendant 
tout  le  temps  qui  nous  sépare  de  l'époque  ter- 
tiaire. 

Glaciers.  —  Les  glaciers  ont  laissé  à  l'époque 
quaternaire  des  vestiges  si  considérables  que 
divers  géologues  ont  voulu  la  caractériser  en  la 
nommant  époque  glaciaire.  Cette  qualification  tou- 
tefois est  absolument  impropre,  les  glaciers  s'é- 
tant  montrés  bien  avant  l'époque  quaternaire  et 
ayant  persisté  depuis. 

Quoi  qu'il  en  soit,  on  a  reconnu  d'une  manière 
positive  que  les  glaciers  actuels  ont  eu  à  l'époque 
quaternaire  un  plus  grand  développement  qu'au- 
jourd'hui, et,  en  second  lieu,  que  des  localités 
maintenant  dépourvues  de  glace  ont  été  pendant 
ce  même  temps  recouvertes  de  glaciers. 

C'est  ainsi  que  de  toutes  parts  dans  les  Alpes 
on  voit  dans  les  vallées  où  sont  les  glaciers  une 
grande  hauteur  de  roches  polies  et  moutonnées 
au-dessus  du  niveau  de  la  glace.  Souvent  aussi 
à  l'avant  des  glaciers  se  trouvent  de  vastes  régions 
dont  le  sol  est  strié  et  qui  présentent  d'anciennes 
moraines. 

Dans  les  Pyrénées  on  retrouve  exactement  le 
même  ensemble  de  faits. 

Un  autre  ordre  d'observations  plus  frappantes  en- 
core concerne  les  régions  où  les  traces  glaciaires 
contrastent  avec  l'absence  absolue  de  tou;e  glace 
permanente.  Dans  le  Cantal,  par  exemple, on  trouve 
d'énormes  moraines  qui  bornent  des  vallées,  et 
qui  même,  par  leurs  dispositions  spéciales,  té- 
moignent d'une  fusion  successive  des  glaciers  qui 
les  ont  accumulées.  On  en  conclut  à  l'existence  de 
deux  périodes  glaciaires  parfaitement  distinctes. 
Le  Jura  fournit  des  faits  tout  h  fait  semblables  et 
spécialement  des  blocs  erratiques  originaires  des 
hautes  régions  des  Alpes  et  qui  gisent  maintenant 
sur  les  sommets  de  calcaire  secondaire.  Ces  blocs 
erratiques  se  continuent  dans  une  partie  de  la 
vallée  du  Rhône.  La  Bourgogne,  les  Vosges  sont 
fortement  marquées  du  sceau  des  anciens  glaciers. 
Dans  cette  dernière  région  on  constate  même  la 
superposition  des  moraines  à  des  alluvions  flu- 
viatiles  plus  anciennes,  ce  qui  est  une  observation 
des  plus  importantes  relativement  au  régime  de  la 
période  qui  a  immédiatement  précédé  les  temps 
actuels. 

Conc/usion.  —  Comme  on  le  voit  par  ce  rapide 
résumé,  l'étude  de  l'époque  quaternaire  est  loin 
de  nous  la  montrer  comme  une  époque  exception- 
nelle, signalée  par  des  phénomènes  spéciaux. 
Cette  époque  n'a  rien  d'essentiel  qui  la  distingue 
de  celles  qui  l'ont  immédiatement  précédée  ou  de 
celles  qui  l'ont  immédiatement  suivie.  Celte  coji- 
clusion,  très  différente  de  l'opinion  ordinairement 
professée,  est  aussi  irapojtante  au  point  de  vue 
philosophique  qu'au  point  de  vue  purement  géo- 
logique. Elle  contribue  plus  que  tout  autre  fait  à 
démontrer  l'évolution  coniinue  dont  le  globe  ter- 
restre traverse  réguhèrement  les  phases  succes- 
sives. [Stanislas  Meunier.] 


QUINQUI.NA,  QUIMNE.  —  Chimie,  XXV.  — On 
donne  communément  le  nom  de  rjuintjuîna  à  des 
écorces  desséchées,  d'aspect  et  de  couleur  va- 
riés, très  employées  en  pharmacie  à  cause  des 
principes  amers,  toniques  et  fébrifuges  qu'elles 
renferment.  Ces  écorces  proviennent  d'arbres 
exotiques  appelés  quinquinas,  kina-kina,  «  écorce 
des  écorces  »  en  péruvien,  du  genre  Cinchona  de 
la  famille  des  Rubiacées  *.  Le  principe  actif  du 
quinquina  est  un  remède  héroïque  contre  la  fiè- 
vre, la  gangrène,  la  pourriture  d'hôpital,  les  ulcè- 
res, etc.  C'est  un  antiseptique  et  un  stimulant  ;  on 
l'administre  sous  toutes  les  formes,  en  potion, 
en  pommades,  en  pilules,  etc. 

Les  quinquinas  sont  des  arbres  toujours  verts, 
à  feuilles  opposées,  à  fleurs  roses  odorantes  dis- 
posées en  panicules.  On  les  trouve  sur  les  flancs 
des  Cordillères  au  milieu  des  forêts  vierges,  à  des 
hauteurs  variant  de  lOOOà  3000  mètres  au-dessus 
du  niveau  de  la  mer,  principalement  au  Venezuela, 
il  la  Nouvelle-Grenade,  dans  l'Equateur,  au  Pérou, 
dans  la  Bolivie.  Les  Hollandais  ont  introduit  les 
quinquinas  aux  Indes  il  y  a  une  trentaine  d'an- 
nées ;  ils  les  cultivent  aujourd'hui  avec  succès  à 
Java.  Pour  les  détails  botaniques  et  historiques 
relatifs  au  quinquina,  V.  Rubiacées. 

Principes  actifs  du  quinquina.  Quinine  et  Cin- 
c/ioni/ie.  —  En  1820,  Pelletier  et  Caventon  purent 
extraire  de  l'écorce  de  quinquina  deux  substan- 
ces, la  quinine  et  la  cinchonine,  auxquelles  celle- 
ci  doit  ses  propriétés  ;  on  leur  donna,  ainsi  qu'à 
beaucoup  d'autres  substances  semblables  naturel- 
les ou  artificielles,  le  nom  générique  d' Alcaloï- 
des *,  parce  qu'au  point  de  vue  des  propriétés 
chimiques,  elles  se  rapprochent  des  alcalis  mi- 
néraux. (V.  Alcalis.) 

La  composition  de  la  quinine  peut  être  repré- 
sentée par  la  formule  C'^H-'Az^O*  ;  cette  substance 
est  solide,  blanche,  fort  amère  ;  elle  se  dissout 
dans  l'alcool,  l'éther  et  le  chloroforme,  tandis 
qu'elle  est  extrêmement  peu  soluble  dans  l'eau. 
Elle  cristallise  en  retenant  de  l'eau,  et  fond  h 
120°  en  se  décomposant  en  partie.  La  quinine  se 
combine  aux  acides  et  forme  des  sels  à  base  de 
quinine  dont  le  sulfate,  le  chlorhydrate,  le  bromhy- 
drate  et  le  valérianatesont  fort  employés  eu  théra- 
peutique. On  obtient  la  quinine  pure  eu  versant  de 
l'ammoniaque  dans  une  dissolution  de  sulfate  de 
quinine  ;  moins  puissante  que  l'ammoniaque,  elle 
est  déplacée  et  apparaît  sous  forme  de  précipité 
blanc  caséux,  amorphe.  La  quinine  pure  est  très 
peu  on  usage. 

Sulfate  de  quinine.  —  C'est  le  véritable  agent 
quinifère;  on  consomme  100  fois  plus  de  ce  sel 
de  quinine  que  de  tous  les  autres  ensemble. 

Il  est  surtout  employé  contre  la  fièvre.  Ce  sel 
se  présente  sous  forme  de  longues  et  minces  ai- 
guilles flexibles.  Il  est  léger,  efflorescent  à.  l'air, 
d'une  saveur  amère;  il  se  dissout  dans  <jii  parties 
d'alcool  i  froid  et  dans  30  d'eau  bouillante,  tandis 
qu'il  est  presque  insoluble  dans  l'eau  froide  et 
dans  l'éther.  Vers  100°  il  jouit  àe  la.  phosphores- 
cence. Délayé  dans  l'eau  aiguisée  par  de  l'acide 
sulfurique,  il  se  dissout  et  la  liqueur  prend  une 
teinte  bleue.  Ce  sulfate  ramène  au  bleu  le  tour- 
nesol rouge  ;  mais,  dissous  dans  l'eau  acidulée, 
il  donne  un  sulfate  neutre  beaucoup  plus  soluble. 

Préparation  du  sulfate  de  quinine,  ses  utnges, 
■^es  suphisticalions,  —  Pour  obtenir  le  sulfate 
basique,  c'est-à-dire  qui  bleuit  le  tournesol  rouge, 
on  fait  bouillir  l'écorce  de  quimiuina  pulvérisée 
dans  10  à  12  parties  d'eau  additionnées  de  12 
p.  100  d'acide  sulfurique  ou  25  d'acide  chlorhy- 
drique.  On  filtre  la  décoction  et  on  reprend  par 
l'eau  bouillante  un  peu  moins  acidulée.  Les  li- 
queurs refroidies  sont  traitées  par  un  lait  de 
chaux  ajouté  par  petites  portions;  le  précipité 
contient  la  quinine,    la  cinchonine  et   la   matière 


RACINE 


—  1777  — 


RACINE 


colorante,  puis  un  excès  do  chaux  et  du  sulfate 
de  cliaux;  on  le  comprime  après  l'avoir  laissé 
égoutter.  On  traite  le  tourteau  par  l'alcool,  et  la 
dissolution  concentrée  dépose  des  cristaux  do 
cinclionine,  si  le  quinquina  était  riche  en  cincho- 
nine  ;  les  eaux-mères,  traitées  par  l'acide  sulfuri- 
que,  puis  débarrassées  de  l'alcool  par  distilla- 
tion, laissent  déposer  des  cristaux  de  sulfate  de 
quinine.  On  remplace  souvent  la  chaux  par  le 
carbonate  de  soude,  et  l'alcool  par  d'autres  dis- 
solvants tels  que  l'essence  de  térébenthine  et  les 
huiles  lourdes  de  goudron. 

Le  sulfate  de  quinine  coûtant  fort  cher  est 
souvent  sophistiqué  ;  on  y  mélange  du  gypse,  du 
sucre,  de  l'acide  stéarique,  de  l'amidon,  de  l'acide 
borique.  On  reconnaît  qu'il  contient  une  subs- 
tance minérale  quand  il  laisse  un  résidu  par 
l'incinération.  Les  matières  solubles  dans  l'eau, 
comme  la  gomme,  le  sucre,  restent  dans  la 
liqueur  quand  on  en  a  précipité  la  quinine  par  la 
baryte. 

Emploi  (lu  sulfate  de  quiiune  en  médecine.  — 
Le  sulfate  de  quinine  est  le  fébrifuge  par  excel- 
lence ;  25  5.  40  centigrammes  coupent  rapidement 
l'accès  d'une  fièvre  intermittente  bénigne,  mais  il 
faut  une  dose  de  1  à  2  grammes  pour  combattre 
efficacement  les  fièvres  pernicieuses  des  pays 
chauds  (VVurtz).  Le  sulfate  de  quinine  s'adminis- 
tre aussi  contre  certaines  névroses,  puis  contre 
la  goutte,  le  rhumatisme  articulaire,  la  fièvre 
typhoïde.  On  peut  le  prendre  en  potion  ;  pour  cela 


on  le  dissout  dans  de  l'alcool  légèrement  acidulé 
par  de  l'acide   sulfuriciue. 

Action  des  composés  de  la  quinine  sur  l'écono- 
mie. —  A  faible  dose,  15  à  20  centigrammes, 
toutes  les  préparations  contenant  de  la  quinine 
agissent  comme  des  excitants  et  activent  la  respi- 
ration et  la  circulation.  A  dose  plus  élevée,  elles 
produisenr  des  troubles  de  la  vue,  des  bourdon- 
nements d'oreille  et  un  état  général  d'ivresse 
avec  douleur  de  tête.  Il  peut  ensuite  arriver  du 
délire,  des  convulsions,  l'anéantissement  de  tou- 
tes les  forces,  le  coma  et  la  mort.  Un  malade  qui 
échappe  dans  ce  cas  se  guérit  difficilement,  et 
souvent  il  ne  recouvre  pas  l'usage  de  l'ouie  ou  de 
la  vue. 

Vin  de  quinquina.  —  On  consomme  aujourd'hui 
une  très  grande  quantité  de  vin  dit  de  quinquina, 
qu'on  peut  préparer  soi-niôme  de  la  manière  sui- 
vante :  On  prend  du  quinquina  gris  qui  est  riche 
en  tannin,  on  le  concasse  finement,  puis  on  en 
met  30  à  4»  grammes  au  fond  d'un  litre  en  l'arro- 
sant de  (;0  grammes  d'alcool  à  20°  ;  on  bouche  le 
flacon  et  on  laisse  séjourner  24  heures  en  agitant 
de  temps  en  temps.  On  remplit  ensuite  le  litre 
avec  du  vin  blanc  de  Bourgogne  ou  du  Bordeaux 
ou  du  Malaga  ;  on  ferme  et  on  laisse  reposer  plu- 
sieurs jours  ;  le  vin  soutiré  est  tonifiant  et  forti- 
fiant ;  il  ne  faut  pas  cependant  en  abuser.  Si  on 
voulait  obtenir  un  vin  antifébrile,  il  faudrait  aug- 
menter la  dose  de  quinquina. 

[Alfred  Jacquemart.] 


R 


UACKS  1IUMA1.\ES.  —  V.  au  Supplément. 

RACLMÎ.  —  Botanique,  V.  —  Etym.  :  Le  mot 
racine  vient  du  latin  radix  qui  signifie  racine. 

DépnHiiin.  —  On  désigne  généralement  sous  le 
nom  de  racine  la  partie  du  végétal  plongée  dans 
le  sol,  qui  sert  à  ce  végétal  à  puiser  les  matières 
nutritives  dissoutes  dont  il  a  besoin,  et  qui  lui 
sert  aussi  à  le  fixer  au  sol.  Un  peu  plus  loin  nous 
aurons  occasion  de  donner  une  définition  plus 
précise  de  la  racine;  mais  il  nous  faut  pour  cela 
connaître  certaines  particularités  de  son  organisa- 
tion. 

Extérieur  et  nomenclature  de  la  racine.  — 
Lorsqu'une  graine  a  été  placée  dans  des  conditions 
favorables  pour  provoquer  sa  germination,  on  voit 
la  région  inférieure  de  l'embryon,  ou  axe  ht/poco- 
tylé,  percer  les  téguments  séminaux,  et,  ou  bien 
se  poser  simplement  sur  le  sol  en  s'épatant  pour 
ainsi  dire,  ou  bien  plus  généralement  pénétrer 
dans  l'iniorieur  du  sol  et  s'y  enfoncera  une  cer- 
taine profondeur.  Cette  région  inférieure  de  l'em- 
bryon a  reçu  le  nom  de  radicule  (petite  racine), 
parce  que  pendant  longtemps  on  a  cru  que  c'était 
elle  qui  en  s'allongeant  donnait  effectivement  nais- 
sance à  la  première  racine.  Depuis  lors,  il  a  été 
reconnu  que  la  première  raciiie,  comme  toutes 
celles  qui  la  suivront,  prend  naissance  dans  l'in- 
térieur des  tissus  des  organes  existants,  et  cela 
eu  n'importe  quel  point  de  la  plante. 

La  première  racine  apparaît  généralement  dans 
l'intérieur  des  tissus  de  la  région  inférieure  de 
l'axe  hypocotylé;  son  point  d'insertion  est  très 
variable  d'une  plante  à  l'autre;  il  est  toujours 
très  large.  Le  point  d'attache  de  la  racine  sur  un 
organe  s'appelle  tise  de  la  racine.  Par  suite  même 
de  sa  naissance  dans  l'intérieur  des  tissus,  la  ra- 
cine est  obligée  de  déchirer  les  tissus  superficiels 
qui  la  recouvrent  ;  il  en  résulte  comme  une  colle- 
rette autour   de  sa  base.  Cette  collerette  a  reçu 

2'^  l'AliTIE. 


le  nom  de  coléorhize.  Le  célèbre  botaniste  fran- 
çais Richard  considérait  la  présence  ou  l'absence 
de  coléorhize,  à  la  base  do  la  racine  principale  ou 
première  racine,  comme  un  caractère  distinctif 
d'une  très  grande  valeur,  et  équivalant  au  carac- 
tère fourni  par  le  nombre  des  cotylédons  de 
l'embryon.  Richard,  croyant  avoir  consulté  que 
les  végétaux  monocotylédonés  présentaient  seuls 
une  coléorhize  à  la  base  do  leur  première  racine, 
les  qualifia  d'emlorhizés,  ou  végétaux  dont  les 
racines  naissent  à  l'intérieur  des  autres  organes. 
Aux  endorliizos  ou  monocotylédonés,  Richard  op- 
posait les  exiirhizés  ou  dicotylédones  chez  lesquels 
il  supposait  que  la  première  racine  provenait  de 
l'élongation  directe  de  la  radicule  de  leur  em- 
bryon, lin  réalité  monocotylédonés  et  dicotylé- 
dones sont  endorhizés. 

Le  S'immtt  de  la  racine,  ou  extrémité  libre  de 
celle-ci,  est  le  point  par  lequel  cet  organe  s'accroît 
en  longueur.  Le  sommet  de  la  racine  est  formé  de 
tissus  délicats  qu'il  importe  beaucoup  à  la  plante 
de  conserver  intacts,  etdepréservercontre  leschocs 
extérieurs.  A  cet  effet,  ce  sommet  est  entièrement 
recouvert  d'une  couche  subéreuse  ou  liège.  On 
donne  à  cette  enveloppe  protectrice  le  nom  de 
coilTe  ou  pi/orhize.  Elle  détermine  à  l'extrémité 
des  racines  un  léger  renfiement  que  l'on  désignait 
autrefois  sous  le  nom  de  spongioles,  parce  qu'on 
supposait  que  cette  partie  de  la  plante  puisait  dans 
le  sol  les  matières  nécessaires  à  son  alimentation. 
La  pilorhizH  présente  sa  plus  grande  épaisseur  au 
sommet  môme  de  la  racine  ;  c'est  dans  cette  ré- 
gion, du  reste,  qu'elle  s'accroît  et  augmente  con- 
stamment d'épaisseur.  De  très  bonne  heure  sa 
surface  extérieure  s'exfolie,  et  souvent  on  la  voit 
former  des  niasses  gélatineuses  que  l'on  a  regar- 
dées comme  des  excrétions  végétales.  C'est  mime 
la  croyanci'  erronée  à  une  excrétion,  ayant  pour 
voie  de  sortie  les  racines,  qui  a  servi  de  base  lire- 
112 


RACINE 


—  1778  — 


RACINE 


mière  à  la  théorie  des  assolements  ou  rotation 
des  cultures  sur  un  sol  déterminé,  théorie  qui  a 
une  si  grande  importance  en  agriculture,  mais  dont 
la  véritable  raison  d'être  est  tout  autre.  On  sup- 
posait, en  effet,  que  les  excrélions  d'une  plante 
viciaient  peu  à  peu  le  sol  et  le  rendaient  impropre 
à  la  culture  de  cette  même  plante,  tandis  qu'elles 
favorisaient  le  développement  de  certaines  autres 
plantes.  De  là,  la  nécessité  de  varier  les  cultures 
sur  un  même  sol  ;  de  lii  des  plantes  sympathiques 
dont  la  culture  successive  était  prospère,  tandis 
que  la  culture  de  ces  mêmes  plantes  devenait 
impossible  lorsqu'elles  étaient  précédées  par  cer- 
taines autres  plantes  non  sympathiques.  En  réalité 
la  théorie  des  assolements  repose  sur  deux  faits  : 
1»  la  dimension  et  la  forme  des  racines  des  végé- 
taux cultivés  ;  2°  la  nature  des  matières  absorbées 
par  ces  mêmes  végétaux.  Supposons  en  effet  que 
l'on  ensemence  de  blé  un  sol  disposé  h  l'avance 
pour  cela.  Tout  le  monde  sait  que  les  racines  du 
blé  (qui  appartiennent  au  groupe  des  racines  fas- 
ciculées)  s'enfoncent  peu  profondément  dans  le 
sol,  qu'elles  s'étalent  à  peu  de  distance  de  la  sur- 
face de  ce  dernier.  La  récolte  du  blé  étant  faite, 
les  matières  nutritives  contenues  dans  le  sol  n'ont 
été  épuisées  que  dans  les  couches  superficielles  ; 
au-dessous  de  la  zone  où  ont  vécu  les  rai  ines  du 
blé,  le  sol  est  demeuré  intact.  Que  l'on  sème  alors 
des  navets,  plantes  qui  sont  pourvues  d'une  racine 
(dite  pivotante)  qui  s'enfonce  assez  profondément 
dans  le  sol;  ces  navets  trouveront  aisément  leur 
nourriture  dans  les  régions  où  les  racines  du  blé 
n'ont  pas  pénétré.  La  culture  du  navet  réussira 
donc  fort  bien  après  celle  du  blé  ;  la  principale 
raison  pour  laquelle  ces  deux  plantes  sont  sym- 
pathiques, c'est  que  leurs  racines  vivent,  dans  le 
sol,  à  des  profondeurs  différentes. 

Lapilorhize,  en  s'exfoliant,  meta  nu  une  partie 
des  tissus  de  la  racine  les  plus  nouvellement  for- 
més. Ceux-ci  donnent  alors  naissance  à  des  sortes 
de  poils  que  l'on  appelle  poils  radicaux  et  qui  sont 
les  principaux  organes  d'absorption  de  la  racine. 
Ces  poils  radicaux  n'ont  qu'une  existence  extrê- 
mement courte,  en  accord,  du  reste,  avec  leur  ra- 
pide renouvellement;  car  les  parties  nouvellement 
découvertes  par  la  chute  de  la  pilorhize  produisent 
constamment  de  nouveaux  poils  radicaux. 

Lorsciue  la  première  racine  s'allonge  beaucoup, 
prend  un  grand  développement,  et  persiste  pen- 
dant longtemps,  on  l'appelle  ia:ine  principale  ou 
pivot.  Si  la  prédominance  du  pivot  est  très  mar- 
quée, les  plantes  sont  dites  à  ra  ines  piv  dan  tes. 
Au  contraire,  on  appelle  plantes  à  racines  fasci- 
culées  celles  chez  lesquelles  la  racine  principale, 
s'allongeant  peu,  donne  immédiatement  naissance 
à  plusieurs  racines  grêles,  sensiblement  égales 
entre  elles. 

On  appelle  racnvs  secondaires  les  racines  qui 
naissent  sur  la  racine  principale  ;  elles  sont  d'au- 
tant plus  jeunos  qu'elles  sont  plus  rapprochées  du 
sommet  de  la  racine  principale  ;  elles  peuvent 
porter  des  racines  de  troisième  ordre  ;  celles-ci  à 
leur  tour  peuvent  en  porter  d'autres  plus  jeunes 
qu'elles.  L'ensemble  de  toutes  ces  racines  forme 
le  chevelu. 

On  appelle  racine  adventice  toute  racine  déve- 
loppée en  un  point  quelconque  du  végétal.  Lors- 
que ces  racines  adventives  doivent  séjourner  dans 
l'air,  elles  s'entourent  d'une  sorte  de  voile,  le  ve- 
lamen,  et  portent  alors  plus  spécialement  le  nom 
de  ruciyies  aéricyines.  Le  velamen  est  formé  par 
un  tissu  qui  est  une  sorte  de  liège.  Ce  tissu  est  or- 
dinairement rempli  d'air. 

Stracture  de  la  racine.  —  La  racine  ne  présente 
qu'un  seul  faisceau  primaire  à  plusieurs  centres 
de  développement  ligneux  symétriquement  dispo- 
sés autour  de  l'axe  de  ce  faisceau.  Cet  axe  du 
faisceau  colacide  d'ailleurs  avec  l'axe  de  la  racine 


elle-même;  il  en  résulte  que  le  bois  primaire  se 
présente  sous  forme  de  lames  rayonnantes  allant 
de  la  périphérie  du  faisceau  jusque  près  de  son 
centre.  Ces  lames  sont  formées  d'éléments  ligneux 
qui  vont  en  augmentant  de  volume  de  la  périphé- 
rie vers  le  centre  du  faisceau.  Les  éléments  li- 
gneux formés  les  premiers,  c'est-à-dire  ceux  qui 
avoisinent  la  périphérie  du  faisceau,  sont  des  tra- 
chées très  grêles;  ceux  qui  suivent,  en  se  rappro- 
chant du  centre  du  faisceau,  sont  des  trachées 
d'un  volume  de  plus  en  plus  considérable  et  qui 
présentent  des  spires  d'épaississement  plus  nom- 
breuses à  mesure  qu'elles  deviennent  plus  grosses. 
Entre  ses  lames  ligneuses,  le  faisceau  de  la  racine 
présente  toujours  des  îlots  libériens  constitués  à 
l'origine  par  des  cellules  grillagées  et  du  paren- 
chyme libérien.  C'est  par  le  tissu  libérien  que 
s'effectue  la  circulation  de  la  sève  élaborée  ;  c'est 
au  contraire  exclusivement  par  le  bois  que  l'eau, 
absorbée  par  la  racine,  pénètre  dans  la  tige  pour 
se  rendre  de  là  dans  les  diverses  parties  de  la 
plante. 

Toute  la  périphérie  du  faisceau  est  occupée  par 
une  zone  de  cellules  spéciales,  caractérisées  par 
des  épaississement  plissés  particuliers  à  ces  cel- 
lules. Cette  zone  a  reçu  le  nom  de  gaine  protec- 
trice du  faisceau;  elle  sépare  le  faisceau  du  reste 
des  tissus  de  la  racine. 

D'une  manière  générale,  le  nombre  des  centres 
du  faisceau  des  racines  va  en  diminuant  :  de  la 
base  au  sommet  de  la  racine  principale;  de  la  ra- 
cine principale  aux  racines  secondaires,  tertiaires, 
etc.  En  général  aussi,  le  nombre  des  centres  du 
faisceau  de  cha(|ue  racine  adventive.  née  en  un 
point  quelconque  de  la  tige,  est  plus  élevé  que 
celui  des  centres  du  faisceau  de  chaque  racine 
secondaire  née  sur  la  racine  principale. 

Dans  les  Cryptogames  vasculaires  et  dans  les 
Monocotylédonées,  la  structure  que  nous  venons 
de  décrire  pour  la  région  centrale  de  la  racine 
demeure  invariable,  quel  que  soit  l'âge,  quelles 
que  soient  les  dimensions  de  cette  racine. 

Dans  les  Dicotylédonées,  au  contraire,  on  voit 
s'interposer,  entre  les  massifs  ligneux  et  libérions, 
des  arcs  de  cambnim,  c'est-à-dire  des  arcs  d'un 
tissu  jeune  dont  les  éléments  se  cloisonnent  ra- 
dialement.  Chaque  zone  cambiale  se  développe  à 
la  face  interne  d'un  massif  libérien,  entre  ce 
massif  libérien  et  les  deux  lames  ligneuses  qui 
l'enferment.  Chacune  de  ces  lames  cambiales  pro- 
duit du  bois  secondaire  vers  les  massifs  ligneux 
qu'elle  avoisine,  et  du  liber  secondaire  vers  le 
massif  libérien  dont  elle  recouvre  la  face  interne. 
Le  bois  secondaire  est  formé  de  fibres  ligneuses, 
de  gros  vaisseaux  ponctués  ou  réticulés,  de  cellu- 
les ligneuses  à  parois  épaissies  et  de  parenchyme 
ligneux  à  parois  minces.  Le  liber  secondaire  est 
composé  de  grandes  cellules  grillagées,  de  paren- 
chyjue  libérien  et  d'éléments  auxquels  leur  non- 
différenciation  a  fait  donner  le  nom  de  fibres  pri- 
mitives. 

Tout  le  tissu  compris  entre  la  surface  de  la  ra- 
cine et  son  faisceau  est  formé  par  de  grandes  ceU 
Iules  à  parois  minces;  celles  de  ces  cellules  qui 
sont  les  plus  voisines  de  la  gaine  protectrice  ne 
sont  qu'une  expansion  do  celle-ci  ;  les  autres  doi- 
vent leur  origine  à  une  zone  génératrice  super- 
ficielle. Celte  zone  fournit  vers  l'intérieur  ces 
grands  éléments  à  parois  minces  dont  il  est  qiics- 
tion  ci-dessus,  et  vers  la  surface  libre  de  la  racine,  i 
un  tissu  protecteur  qui  joue  le  rôle  de  lièqe.  La  : 
surface  de  la  racine  est  donc  toujours  formée  par 
un  tissu  de  nature  subéreuse  dont  la  partie  agee  ^ 
s'exfolie  rapidement. 

C'est  également  un  tissu  de  nature  subéreuse 
qui  donne  la  pilorhize;  quand  celle-ci  s'exfolie,  la 
zone  génératrice  de  ce  tissu  est  mise  à  nu  et,  par 
prolifération  de    ses  élcuionts,  elle  les  orne  de 


RACINE 


—  1770 


RACINE  (JEAN) 


prolongements  superficiels  comparables  à  dos 
poils.  Ce  sont  ces  organes  qu'on  appelle  poils  ra- 
dicaux. 

On  appelle  assise  rhizoyrne  la  partie  des  tissus 
d'une  racine  où  prennent  ordinairement  naissance 
les  racines  qui  naissent  de  celle-ci. 

Chez  les  Cryptogames  vasculaires,  l'assise  rliizo- 
gène  se  confond  avec  la  gaine  protectrice.  Chez 
Ses  prèles  ou  equisetum,  la  gaine  protectrice  est 
divisée  en  deux  couches  dont  l'extérieure  remplit 
les  fonctions  de  gaine  protectrice  et  l'intérieure 
joue  spécialement  le  rôle  d'assise  rhizogène.  Chez 
toutes  los  cryptogames  vasculaires,  c'est  toujours 
une  seule  cellule  de  l'assise  rhizogène,  placée  en 
regard  d'une  lame  ligneuse,  qui  forme  une  nou- 
velle racine. 

Chez  les  Phanérogames ,  l'assise  rhizogène 
est  formée  par  le  rang  des  cellules  les  plus 
extérieures  du  faisceau  de  la  racine,  par  consé- 
quent par  celles  qui  touchent  la  gaine  protec- 
trice. Les  nouvelles  racines  naissent  dans  cette 
assise  rhizogène  par  la  segmentation  répétée  d'un 
groupe  de  ses  cellules  placées  en  regard  des  lames 
ligneuses  primitives  de  la  racine. 

Les  difl'érentes  racines  successives  sont  mises 
en  rapport  par  des  diaphragmes  aquifères,  c'est-i- 
dire  des  massifs  ligneux  composés  d'éléments 
courts,  gros,  spirales,  qui  sont  appelés  à  régula- 
riser le  courant  liquide  qui  marche  de  la  surface 
absorbante  des  racines  vers  les  tiges  et  les  feuilles. 

Physiologie  de  la  racine.  —  Le  premier  rôle 
des  racines  est  de  fixer  la  plante  au  sol  ;  ce 
qu'elles  font  en  traversant  le  sol  en  tous  sens,  s'y 
ramifiant  beaucoup,  et  contractant  avec  lui  des 
adhérences  nombreuses  par  les  poils  radicaux  dont 
elles  sont  couvertes. 

Le  second  rôle  des  racines,  c'est  d'absorber  les 
liqueurs  salines  que  le  sol  contient.  Grâce  à  sa 
perméabililé,  la  surface  des  racines  absorbe  par 
endosmose  les  solutions  salines  très  aqueuses  con- 
tenues dans  le  sol.  Les  parties  jeunes  des  racines 
sont  en  effet  gorgées  de  matières  albuminoides 
très  hydratées,  liquides  ;  ces  matières  sont  sépa- 
rées des  liqueurs  salines  très  aqueuses  que  le  sol 
contient  par  une  mince  membrane  qui  n'est  autre 
chose  que  la  paroi  des  poils  radicaux  ;  les  liqueurs 
aqueuses  du  sol  traversent  alors  tout  naturelle- 
ment cette  membrane  et  viennent  augmenter 
l'hydratation  de  la  matière  albuminoide.  C'est  à 
ce  phénomène  que  l'on  donne  le  nom  d'endos- 
mose. Si  l'eau  qui  a  pénétré  dans  les  matières  al- 
buminoides des  cellules  du  tissu  superficiel  de  la 
racine,  restait  dans  ces  matières,  l'absorption  s'ar- 
rêterait. Deux  phénomènes  interviennent  pour  en- 
lever cette  eau  ;  le  premier  est  la  capillarité,  qui 
permet  à  l'eau  de  s'élever  dans  les  éléments  li- 
gneux jusqu'à  une  assez  grande  hauteur;  le  se- 
cond est  la  transpiration  de  la  plante,  qui  a  pour 
effet  de  venir  en  aide  à  la  capillarité  et  de  per- 
mettre à  la  plante  de  rejeter  au  dehors  l'eau  qui 
lui  est  inutile.  C'est  grâce  à  cette  série  de  phéno- 
mènes qu'il  y  a  un  courant  d'eau,  pour  ainsi  dire 
ininterrompu,  du  sol  dans  les  poils  radicaux,  de 
ceux-ci  dans  le  bois  de  la  racine,  et  de  ce  dernier 
dans  le  bois  delà  tige  et  les  feuilles.  La  puissance 
même  de  l'absorption  est  cause  de  l'usure  et  de  la 
mort  rapide  des  poils  radicaux  qui  doivent  sans 
cesse  être  renouvelés. 

L'élude  de  l'absorption  des  racines  a  fait  con- 
-  naître  plusieurs  propriétés  de  ces  racines  entre- 
vues pour  la  première  fois  par  de  Saussure,  et 
dont  la  démonstration  rigoureuse  a  été  donnée 
■par  M.  J.  Vesque.  Voici  les  principales: 

Les  racines  des  plantes  sont  très  sensibles  aux 
variations  de  composition  du  milieu  qui  les  en- 
vironne. Lors(|u'on  laisse  agir  pendant  longtemps 
le  même  milieu,  l'absorption  de  la  racine  va  di- 
minuant aussi  bien  pour  l'eau  que  pour  les  sels. 


Pour  que  cotte  absorption  soit  le  plus  grande  pos- 
sible, il  faut  que  le  milieu  environnant  varie  de 
composition.  Ces  variations  sont  réalisées  dans  la 
nature  par  les  alternances  de  pluie  et  de  séche- 
resse. 

La  racine  possède  la  faculté  de  choisir  entre  les 
diflférentes  matières  salines  celles  qui  lui  convien- 
nent le  mieux. 

Les  racines  jouent  souvent  le  rôle  d'organes  de 
réserve,  d'organes  d'hibernation,  et  d'organes  de 
dissémination;  pour  cela  elles  >e  tubérisent^c'esl- 
à-dire  qu'elles  gorgent  leurs  tissus  de  matières 
nutritives;  c'est  ce  qui  a  lieu  chez  la  ficaire,  le 
dahlia,  le  topinambour,  le  caruin  bulbo-casta- 
num,  les  orchidées,  etc. 

Plus  rarement,  les  racines  jouent  le  rôle  d'or- 
ganes de  défense,  comme  cela  se  voit  chez  le  pal- 
mier nommé  Thrinax  stauracanthn,  où  toutes  les 
racines  adventives  qui  naissent  à  la  surface  de  la 
tige,  grâce  à  l'humidité  retenue  par  le  revêtement 
que  forment  les  vieilles  feuilles,  se  sèchent  dès 
qu'elles  arrivent  dans  l'air,  et  s'y  transforment  en 
dards  extrêmement  acérés. 

Dans  un  certain  nombre  de  végétaux,  les  racines 
coupées  en  fragments  sont  employées  pour  bou- 
turer ou  multiplier  la  plante. 

Chez  la  plupart  des  végétaux,  l'ablation  du 
sommet  de  la  racine  en  interrompt  le  développe- 
ment en  longueur,  mais  provoque  à  sa  surface  le 
développement  de  nombreuses  racines  secondai- 
res. Dans  le  jardinage,  cette  opération  très  usitée 
s'appelle  rafraîchissement  des  racines.  Elle  a  pour 
but  d'assurer  à  la  plante  un  système  radiculaire 
puissant,  mais  qui  ne  s'étend  pas  très  profondé- 
ment dans  le  sol.  Cette  opération  est  toujours 
employée  lorsque  des  arbres  provenant  de  semis 
doivent  être  déplacés  après  quelques  années.  Ce 
rafraîchissement  des  racines  ou  repiquage  de  la 
plante  réussit  d'autant  mieux  que  les  racines 
sont  plus  jeunes. 

La  racine  n'existe  que  chez  les  plantes  pour- 
vues de  faisceaux;  ce  qui  s'accorde  bien  avec  son 
rôle  d'appareil  chargé  de  mettre  en  communica- 
tion avec  le  sol,  le  bois  ou  appareil  aquifère  de  la 
plante. 

La  racine  fait  défaut  chez  quelques  orchidées 
et  quelques  lycopodiacées  où  elle  est  remplacée 
par  des  tiges  couvertes  de  poils  radicaux.  Chez  les 
Salvinia,  plantes  flottantes  qui  croissent  en  abon- 
dance dans  les  fossés  des  environs  de  Bordeaux, 
le  rôle  de  racines  est  confié  à  des  feuilles  submer- 
gées. Chez  les  Sélaginelles,  ce  sont  des  appendi- 
ces secondaires  de  la  surface  du  stipe  appelés 
porle-racmes  qui  jouent  le  rôle  de  racines. 

[C.-E.  Bcrtrand.l 
RACINE  (Jean).  —  Littérature  française,  XV. 
—  Le  plus  parfait  des  poètes  tragiques  du  grand 
siècle  classique  de  notre  littérature,  qui,  en  mêirie 
temps  qu'il  traduisait  sur  le  théâtre  les  passions 
les  plus  humaines.  Corneille  s'étant  réservé  le 
plus  héroïques,  donnait  à  leur  langage  des  qualités 
si  rares  dans  leur  union  :  l'élégance  et  la  force,  la 
correction  et  l'aisance,  la  dignité  et  le  naturel,  la 
précision  sans  sécheresse,  tous  les  mérites  qui 
rendent  la  prose  durable  joints  aux  charmes  d'une 
poésie,  sinon  la  plus  haute,  —  Sophocle,  Shake- 
speare et  Goethe  l'ont  portéo  à  des  régions  supé- 
rieures, —  du  moins  la  plus  tendre,  quand  s'ex- 
halent les  plaintes  résignées  de  ladouce  Iphigénie 
ou  les  regrets  d'Andromaque  éplorée,  la  plus 
passionnée, avec  HermioneetPhèdre,  laplusnoble, 
avec  Agrippine  et  Athalie. 

Né  il  la  rerté-Milon,  le  21  décembre  IG^iO,  non 
loin  de  La  Fontaine,  et  dans  ce  pays  de  l'Ile-de- 
France,  qui  est  la  province  de  Paris,  Racine,  fils 
de  bourgeoisie  noble,  demeura,  dès  sa  quatrième 
année,  orphelin  de  père  et  de  mère,  et  fnt  élevé 
sous  la  tutelle  d'un  oncle  maternel.  On  peut  dire 


RACINE  (JEAN) 


—  1780  — 


RACINE  (JEAN) 


que  sa  première  jeunesse  se  passa  à  l'ombre  du 
sanctuaire,  où  devaient  mourir  les  derniers  accents 
de  sa  muse,  purifiée  des  passions  profanes.  Destiné 
à  l'état  ecclésiastique,  élevé  par  les  «  Messieurs  de 
Port-Roynl  »,  les  plus  savants  éducateurs  du  xvii" 
siècle,  réservé,  par  un  oncle  chanoine,  pour  un  bé- 
néfice, il  manifesta  de  bonne  heure  son  défaut  do 
vocation,  soit  dans  la  pieuse  retraite  de  Port-Royal, 
où  il  lisait  en  cachette  les  u  Amours  de  Théagène 
et  de  Chariclée,  «  soit,  pendant  son  séjour  en 
Languedoc,  cliez  le  chanoine  son  parent,  d'où  il 
envoyait  h  La  Fontaine  une  description  enthou- 
siaste des  «  beautés  de  cette  province.  « 

Quelques  années  après,  le  siècle  et  bientôt  la 
gloire  le  possèdent  tout  entier;  il  devient  l'auteur 
déjà  applaudi  des  Frères  ennemis  (ICti-i)  et  d'Ale- 
xandre (lCG5),deux  tragédies  qui  annoncent  quel- 
que chose  du  grand  écrivain,  mais  ne  font  pas  en- 
core présager  le  grand  poète.  Aussi  Corneille,  i  ce 
momeut,  lui  conseille  de  quitter  le  genre  drama- 
tique. Racine  répond  par  le  grand  succès  à'Andro- 
maque  (16G7),  que  suit  la  johe  comédie  des  Plai- 
deurs ^lOUS),  imitée  d'Aristophane,  et  plus  tard 
(1669)  par  ISrilannicus,  u  la  pièce  des  connais- 
seurs »,  au  dire  de  Voltaire.  Bérenicr  (IG"U),  une 
idylle  tragique,  écrite,  à  la  demande  de  la  du- 
chesse d'Orléans,  d'après  deux  mots  de  Suétone 
et  toute  une  délicate  intrigue  de  cour,  mar<iue  son 
triomphe  sur  Corneille,  qui  s'est  exercé  sur  le 
même  sujet  et  n'est  pas  «  honoré  de  tant  de  lar- 
mes. »  Après  avoir  donné,  coup  sur  coup,  Bajazel 
(1672),  Mithridate  (16i3),  Iphigénie  en  Aulide 
(1674,,  Phèdre  (1()77),  le  poète  renonce  brusque- 
ment au  théâtre.  Douze  ans  plus  tard,  toutefois, 
i  la  demande  de  M°"  de  Maintenon,  il  écrit  pour 
les  jeunes  pensionnaires  de  Saint-Cyr  la  tragédie 
biblique  d'Esther  (16S9),  suivie  bientôt  après  d'A- 
thalie  lliid\). 

Il  faut  s'arrêter,  dans  cet  article  d'un  Diction- 
naire de  pédagogie,  aux  origines  d'Est/ier  et  d'^l- 
tUalie,  composées  toutes  les  deux  pour  une  maison 
d'éducation.  Nous  verrons  plus  loin  quel  parti 
peut  aujourd'hui  tirer  de  l'œuvre  de  Racine,  non 
plus  une  élite  de  jeunes  filles  nobles,  rassemblées 
dans  une  école  quasi-royale,  mais  la  masse  des 
enfants  de  toute  la  nation  que  l'État  veut  ins- 
truire dans  la  connaissance  de  la  langue  française 
et  même  de  ses  chefs-d'oeuvre.  Voyons  d'abord 
quel  intérêt  «  pédagogique  «  ces  deux  tragédies 
ont  eu  autrefois,  puisqu'elles  ont  été  écrites  pour 
des  élèves,  et  par  quel  maître! 

Ces  chefs-d'œuvre,  l'un  de  délicatesse,  l'autre 
de  force  poétique,  ont  été  composés  pour  l'ins- 
truction autant  que  pour  l'amusement.  Les  jésuites, 
sous  la  direction  desquels  était  en  réalité  placée 
la  maison  de  Saint-Cyr,  par  l'intermédiaire  de 
M""^  de  Maintenon  et  du  père  de  La  Chaise,  ont 
toujours  été  partisans  des  représentations  théâ- 
trales, dans  leurs  collèges.  «  Madame  de  Brinon, 
première  supérieure  de  Saint-Cyr,  aimait  les  vers 
et  la  comédie  ;  et,  au  défaut  des  pièces  de  Corneille 
et  de  Racine,  qu'elle  n'osait  faire  jouer,  elle  en 
composait  de  détestables...  M'""  de  Slaintenon  lui 
conseilla  de  faire  représenter  par  ses  élèves  plutôt 
quelque  belle  pièce  de  Corneille  et  de  Racine, 
choisissant  seulement  celles  où  il  y  aurait  le  moins 
d'amour.  Ces  petites  filles  représentèrent  Cinna, 
assez  passablement  pour  des  enfants  qui  n'avaient 
été  formées  au  théâtre  que  par  une  vieille  reli- 
gieuse. Elles  jouèrent  aussi  yl«</i-o»ia'/He,-  et,  soit 
que  les  actrices  en  fussent  mieux  choisies,  ou 
qu'elles  commençassent  à  prendre  des  air^  de  la 
cour,  dont  elles  ne  laissaient  pas  de  voir  de  temps 
eu  temps  ce  qu'il  y  avait  de  meilleur,  oeito  pièce 
ne  fut  que  trop  bien  représentée  au  gré  de  M""^  do 
Jlainteiion,  et  elle  lui  fit  appréhender  que  cet 
amusement  ne  leur  insinuât  des  sentiments  opposés 
h.  ceux  qu'elle  voulait  leur   inspirer.  Cependant, 


comme  elle  était  persuadée  que  ces  sortes  d'amu- 
sements sont  bons  à  la  jeunesse,  qu'ils  donnentde 
la  grâce,  apprennent  à  mieux  prononcer,  et  cul- 
tivent la  mémoire,  elle  écrivit  i  M.  Racine,  après 
la  représentation  d'A/idromague  :  «  Nos  petites  fil- 
u  les  viennent  de  jouervotre  Andromaque,  et  l'ont 
»  si  bien  jouée,  qu'elles  ne  la  joueront  de  leur  vie, 
))  ni  aucune  de  vos  autres  pièces.  «  Elle  le  pria,  dans 
cette  même  lettre,  de  lui  faire,  dans  ses  moments 
de  loisir,  quoique  espèce  de  poème  moral  ou  his- 
torique, dont  l'amour  fût  entièrement  banni, 
ajoutant  qu'il  lui  importait  peu  que  cet  ouvrage 
fût  contre  les  règles,  pourvu  qu'il  contribuât  aux 
vues  qu'elle  avait  de  divertir  les  demoiselles  de 
Saint-Cyr  en  les  instruisant.  »  {Souvenirs  de  M"' 
de  Caylus.j  C'est  pour  obéir  à  ce  désir  que  Racine 
écrivit  Esther,  en  la  faisant  précéder  d'une  pré- 
face, qui  a  bien  un  air  de  pédagogie  modeste  et 
simple  et  le  ton  d'un  homme  que  les  sujets  d'é- 
ducation intéressent,  non  seulement  quandil  s'agit 
de  son  fils  comme  nous  le  verrons  plus  loin. 
«  Pour  polir  l'esprit  de  ces  demoiselles  et  leur 
former  le  jugement,  dit-il,  on  a  imaginé  plusieurs 
moyens  qui,  sans  les  détourner  de  leur  travail  et 
de  leurs  exercices  ordinaires,  les  instruisent  en 
les  divertissant;  on  leur  met  pour  ainsi  dire  à 
profit  leurs  heures  de  récréation  ;  on  leur  fait  faire 
entre  elles,  sur  leurs  principaux  devoirs,  des  con- 
versations ingénieuses  qu'on  leur  a  composées 
exprès,  ou  qu'elles-mêmes  composent  sur-le- 
champ  ;  on  les  fait  parler  sur  des  histoires  qu'on 
leur  a  lues,  ou  sur  les  importantes  vérités  qu'on 
leur  a  enseignées  ;  on  leur  fait  réciter  par  cœur  et 
déclamer  les  plus  beaux  endroits  des  meilleurs 
poètes  ;  et  cela  leur  sert  surtout  à  les  défaire  de 
quantité  de  mauvaises  prononciations  qu'elles 
pourraient  avoir  apportées  de  leurs  provinces  ;  on 
a  soin  aussi  de  faire  apprendre  à  chanter  à  celle» 
qui  ont  de  la  voix  et  on  ne  leur  laisse  pas  perdre 
un  talent  qui  peut  les  amuser  innocemment.  » 
N'y  a  t-il  pas  làcommeune  partie  d'un  programme 
d'bcole  normale?  Et  c'est  pour  cet  amusement 
innocent,  cet  enseignement  du  chant  et  cet  exer- 
cice de  bonne  prononciation  qu  Esther  fut  écrite, 
0  les  plus  excellents  vers  de  notre  langue,  dit 
encore  Racine  sans  songer  qu'il  fait  penser  à  lui, 
ayant  été  composés  sur  des  matières  fort  profanes, 
et  nos  plus  beaux  airs  étant  sur  des  paroles  extrê- 
mement molles  et  efl'éminées,  capables  de  faire 
des  impressions  dangereuses  sur  de  jeunes  es- 
prits. '1  II  parait  qu'Estlier  eut  quelque  peu  à 
Saint-Cyr  la  destinée  d'A7idro)naque,  sa  sœur  en 
poésie;  on  la  joua  si  bien  que  M"'  de  Maintenon 
n'osa  pas  faire  représenter  ouvertement  Alhalie 
par  ses  jeunes  élèves,  pour  lesquelles  Racine 
l'avait  aussi  écrite. 

Si  nous  ne  proposons  plus  aujourd'hui  de  faire 
représenter  les  tragédies  de  Racine,  pour  aider 
dans  nos  écoles  à  la  prononciation  et  au  chant, 
nous  ne  craindrons  pas  de  recommander  à  nos 
instituteurs,  aux  mtiitres  et  maîtresses  de  nos 
écoles  normales  d'y  chercher  les  meilleurs  pio- 
dèlesde  l.i  langue.  Le  vers  de  Racine,  d'une  facilité 
si  soignée  et  d'une  aisance  savante,  recèle  tout  ce- 
que  la  pensée  peut  demander  à  la  parole  pour  se 
produire  sous  toutes  ses  formes.  La  science  des 
Il  figures  D  et  les  secrets  de  la  syntaxe,  on  les 
trouvera  dans  cette  phrase  racinienne,  imagée 
et  logique,  et  d'une  correction  qui  ne  nuit  jamais- 
au  libre  génie  de  la  langue.  Ce  sera  là  la  grande 
supériorité  de  Racine,  dans  l'école,  quand  une 
fois  le  maître  se  sera  rendu  compte,  par  une  ana- 
lyse exacte  et  minutieuse  qu'il  est  aisé  de  faire, 
le  crayon  à  la  main,  du  mécanisme  ingénieux  et 
brillant  de  ce  style,  patiemment  élabore  par  le 
plus  grand  artiste  en  l'art  de  dire  avec  élégaiice 
et  justesse.  Il  n'y  a  pas  de  règle  de  la  grammaire 
ou  de  la  construction  des  mots  qui  ne  puissent 


RACINE  (JEAN) 


—  1781  — 


RACINE  (JEAN) 


s'appuyer  de  la  pratique  de  Racine.  On  trouverait, 
dans  une  seule  de  sfts  tragédies,  des  modèles  frap- 
pants de  toutes  les  qualités  de  langage  qui  doi- 
vent être  recommandées  aux  meilleurs  des  élèves 
de  nos  classes  primaires.  Sans  parler  de  la  clarté, 
cette  première  vertu  du  style,  la  netteté  du  terme, 
sa  propriété,  sa  convenance,  son  élégance,  surtout 
sa  correction  peuvent  se  relever  au  hasard  des 
pagcs^  et  des  chefs-d'œuvre.  Corneille,  dont  l'in- 
spiration est  parfois  plus  haute,  n'est  pas  un  si 
bon  maître  dans  l'art  do  bien  dire.  L'obscurité  où 
tombe  si  souvent  son  sublime,  la  tautologie,  l'af- 
fectation, la  lourdeur  provinciale,  inconnue  à  La 
Fontaine  et  à  Racine,  l'incorrection  d'une  plume 
impatiente,  font  de  ses  œuvres  un  recueil  de  beau- 
coup moins  riche  en  enseignements  de  grammaire 
exacts  et  précis. 

Le  souci  de  l'exactitude  et  de  la  correction  du 
style  est  aussi  marqué  dans  plus  d'un  passage  de  la 
correspondance  de  Racine  avec  son  fils  aine.  On  y 
voit  le  grand  poète  diriger  la  plume  du  jeune  Jean- 
Baptiste  et  la  reprendre  quand  elle  commet  des 
néologismes  ou  dessolécismes  :  «  Mon  cher  fils,  vous 
me  faites  plaisir  de  me  mander  des  nouvelles:  mais 
prenez  garde  de  ne  les  pas  prendre  dans  la  Gazette 
de  Hollande;  car,  outre  que  nous  les  avons  comme 
vous,  vous  y  pourriez  apprendre  certains  termes 
qui  ne  valent  rien,  comme  celui  de  recruter  dont 
vous  vous  servez  :  au  lieu  de  quoi  il  faut  dire 
faire  des  recrues.  »  Il  y  a  longtemps  que  recruter 
njest  plus  un  néologisme  1  Et  ailleurs  il  le  reprend 
d'une  faute  qui  est  encore  fréquente  aujourd'hui  : 
«1  Vous  voulez  bien  que  je  vous  fasse  une  petite 
critique  sur  un  mot  de  votre  dernière  lettre.  //  en 
a  agi  avec  toute  In  politesse  du  monde;  il  faut 
dire  :  //  en  a  usé.  On  Jie  dit  point  :  //  en  a  bien  agi, 
et  c'est  une  mauvaise  façon  de  parler  ».  En  un 
autre  endroit  il  le  met  en  garde  contre  la  répéti- 
tion des  mêmes  termes,  qui  reviennent  si  sou- 
vent sous  la  plume  des  enfants  et  échappent  même 
à  des  personnes  plus  exercées.  Mais  c'est  devant 
Boileau-Despréaux  que  ces  lettres  du  jeune  Racine 
sont  lues,  devant  Boileau,  qui  guette  au  passage 
les  mots  et  les  syllabes.  «  M.  Despréaux  est  fort 
content  de  tout  ce  que  vous  écrivez  du  roi  d'An- 
gleterre. 'Vous  voulez  bien   que  je  vous  dise  en 


suite  à  son  esprit  et  le  conquiert.  Mais  les  en- 
fants de  nos  écoles  comprendront-ils  quelque 
chose  aux  tendresses  élégantes  des  Monime  et 
des  Atalida,  aux  airs  de  dameret  passionné  que 
prennent  Achille  lui-même  et  le  tragique  Britan- 
nicus?  Suivront-ils  bien,  même  lorsqu'on  les  aura 
expliquées,  sous  cette  trame  discrète  et  délicate  de 
la  langue  de  Racine  et  dans  le  caractère  de  ses 
personnages,  les  allusions  à  l'iiistoire  de  la  cour, 
qui  est  alors  l'histoire  de  France,  et  à  celui  qui 
la  remplit  tout  entière,  le  «  grand  roi?  a  Pour- 
ront-ils comprendre  que  ce  qui  a  fait  le  succès  de 
Racine,  en  son  temps,  la  peinture  fidèle,  et  sé- 
duisante alors  pour  tous,  des  mœurs  de  ses  con- 
temporains, dont  nous  ne  sommes  plus  autant 
touchés  aujourd'hui,  est  digne  d'une  sorte  d'ad- 
miration rétrospective  et  excite  d'autant  plus 
d'émotion,  qu'on  a  à  la  fois  plus  de  sensibilité, 
d'érudition  et  de  goût?  Non,  il  faut  le  dire,  ce 
théâtre  de  princes  et  de  princesses,  où  la  nature 
ne  se  découvre  pas  à  tous  les  yeux,  sous  l'éti- 
quette et  la  pompe,  n'est  pas  fait  pour  toucher 
l'enfance.  Il  faut  que  le  maître  choisisse  là  où  la 
passion,  qui  ne  peut  pas  troubler  le  cœur  de  son 
élève,  lui  parlera  toutefois  clairement  et  noble- 
ment; et  il  verra  que  ce  qui,  dans  les  chefs-d'œu 
vre  de  Racine,  convient  le  mieux  à  l'enfance,  ce 
sont  précisément  les  endroits  qui  portent  le  plus 
l'empreinte  de  sa  force  ou  de  la  maturité  de 
son  génie,  les  scènes  les  plushéroïques  d'Aiidro- 
maque  et  à'Iptiigénie,  celles  où  il  est  question  da 
patiio  et  de  gloire,  la  douleur  de  Burrhus,  la  co- 
lère d'Agrippine,  les  imprécations  d'Atlialie. 

Le  caractère  de  Racine  ne  parait  pas  avoir  été 
h  la  hauteur  de  son  génie.  Ce  n'est  que  dans  le 
monde  du  théâtre  et,  plus  tard,  dans  le  cercle 
étroit  et  même  claustral  de  sa  famille  qu'il  nous 
met  à  même  de  juger  son  cœur.  Et  ce  cœur  qui 
eut  des  oublis  fâcheux,  qui  manqua  de  reconnais- 
sance pour  Molière  et  de  déférence  pour  Corneille, 
se  révèle  dans  les  derniers  temps  avec  d'étranges 
duretés  ou  des  susceptibilités  non  viriles. 

En  IG99,  Racine,  qui  était  devenu  successive- 
ment historiographe  du  roi,  gentilhomme  ordi- 
naire de  la  chambre,  et  trésorier  de  la  généralité 
de  Moulins,  ce  qui  lui  donnait  le  titre  de  chevalier 


vnfio»  »''"?.' ■''"■"'î,.-'®    '"'   "l  qy.sliu'u'ie    de    et  «  la  satisfaction  honorable  d'êtr 


vos  lettres,  j'ai  soin  d'en  retrancher  les  mots  d'ic, 
de  là,  de  ci,  que  vous  répétez  jusqu'à  sept  à  huit 
fois  dans  une  page.  Ce  sont  de  petites  négligences 
qu'il  faut  éviter  et  qui  sont  même  aisées  à  éviter.» 
Et  ce  n'est  pas  seulement  dans  ces  lettres  d'un 
père  à  son  fils  que  se  rencontrent  de  ces  remar- 
ques scrupuleuses  sur  la  langue,  que  la  sollicitude 
paternelle  pouvait  dicter  autant  que  le  sentiment 
de  la  correction  et  de  l'élégance.  On  trouvera  dans 
les  nombreuses  notes  critiques  dont  Racine  a  fait 
suivre  la  courte  Epitre  dédicatoire  du  dictionnaire 
de  l'Académie  française  par  Ch.  Perrault,  les  le- 
çons les  plus  précises  et  les  plus  nettement  rai- 
sonnées  de  propriété,  de  justesse,  de  convenance, 
de  clarté  et  d'élégance  dans  l'expression. 

Mais,  si  plus  que  dans  Corneille,  qui  fait  dési- 
rer la  perfection  dans  les  œuvres  même  où  son 
génie  éclate,  plus  que  dans  .Molière  lui  aussi,  qui 
a  de  ces  «  brusques  fiertés  »  d'expression  dont  le 
goût  plus  prudent  de  Fénelon  et  de  La  Bruyère 
s  est  quelque  peu  eff'arouché,  il  est  aisé  de  trouver 
dans  Racine  dos  leçons  de  langue  et  de  style  à  la 
portée  des  enfants  de  nos  classes  primaires  ;  peut- 
il  servir  autant  que  ses  deux  grands  contempo- 
rains à  l'éducation  des  esprits  et  des  caractères  '' 
ba  pensée  peut-elle  frapper  autant  leur  intelli- 
gence? La  férocité  héroïque  d'Horace,  la  clémence 
majestueuse  d'Auguste  ont  certainement  une  gran- 
deur à  laquelle  est  promptement  sensible  l'âme  de 
1  enlant.  Il  est  étonné  et  il  admire.  La  franchise 
tiu  gonie  de  Molière  se  découvre  aussi  tout  de 


-- e  enterre  avec 

des  éperons  dorés  »,  mourait  d'une  maladie  de 
foie,  aggravée,  dit-on,  par  le  chagrin  d'avoir  déplu 
à  Louis  XIV.  [Charles  Loiret.] 

Nous  donnons  ci-dessous  quelques  jugements 
littéraires  sur  Racine.  On  trouvera  à  l'article  Théâ- 
tre classique  une  appréciation  détaillée  de  ses 
principaux  chefs-d'œuvre. 

Pakallêle  entre  Corneille  et  Racine.  —  Cor- 
neille ne  peut  être  égalé  dans  les  endroits  où 
il  excelle  ;  il  a  pour  lors  un  caractère  original 
et  inimitable  ;  mais  il  est  inégal.  Ses  premières 
comédies  sont  sèches,  languissantes,  et  ne  lais- 
saient pas  espérer  qu'il  dût  ensuite  aller  si  loin  ; 
comme  ses  dernières  font  qu'on  s'étonne  qu'il  ait 
pu  tomber  de  si  haut.  Dans  quelques-unes  de  ses 
meilleures  pièces,  il  y  a  des  fautes  inexcusables 
contre  les  mœurs  ;  un  style  de  déclamateur  qui 
arrête  l'action  et  la  fait  languir;  des  négligences 
dans  les  vers  et  dans  l'expression,  qu'on  ne  peut' 
comprendre  en  un  si  grand  homme.  Ce  qu'il  y  a 
eu  en  lui  de  plus  éminent,  c'est  l'esprit  qu'il  avait 
sublime,  auquel  il  a  été  redevable  du  certains 
vers,  les  plus  heureux  qu'on  ait  jamais  lus  ail- 
leurs, de  la  conduite  de  son  théâtre  qu'il  a  quel- 
quefois hasardée  contre  les  règles  des  anciens, 
et  enfin  de  ses  dénouements  ;  car  il  no  s'est  pas 
toujours  assujetti  au  goût  des  Grecs  et  à  leur 
grande  simplicité  :  il  a  aimé,  au  contraire,  à  char- 
ger la  scène  d'événements  dont  il  est  presque 
toujours  sorti  avec  succès  ;  admirable  surtout  par 
l'extrême   variété   et   le   peu  de  rapport  qui  se 


RACINE  (JEAN) 


—  1782  —  RACINE  (JEAN) 


trouve  pour  le  dessein  entre  un  si  grand  nombre 
de  poèmes  qu'il  a  composés.  Il  semble  qu'il  y  ait 
plus  de  ressemblance  dans  ceux  de  Racine,  et 
qu'ils  tendent  un  peu  plus  à  une  même  chose  ; 
mais  il  est  égal,  soutenu,  toujours  le  même  par- 
tout, soit  pour  le  dsssein  et  la  conduite  de  ses 
pièces,  qui  sont  justes,  régulières,  prises  dans 
le  bon  sens  et  dans  la  nature  ;  soit  pour  la  versi- 
fication qui  est  correcte,  riche  dans  ses  rimes, 
élégante,  nombreuse,  barmahieuse  :  exact  imita- 
teur des  anciens,  dont  il  a  suivi  scrupuleusement 
la  netteté  et  la  simplicité  de  l'action,  à  qui  le 
grand  et  le  merveilleux  n'ont  pas  même  manqué, 
ainsi  qu'à  Corneille,  ni  le  touchant,  ni  le  pathéti- 
que. Quelle  plus  grande  tendresse  que  celle  cjui 
est  répandue  dans  tout  h;  Cid,  dans  Polyeucte  et 
dans  les  Horaces  ?  Quelle  grandeur  ne  se  remar- 
que point  en  Mithridate,  en  Porus  et  en  Burrhus? 
Ces  passions  encore  favorites  des  anciens,  que  les 
tragiques  aimaient  à  exciter  sur  les  tlié&lres,  et 
qu'on  nomme  la  terreur  et  la  pitié,  ont  été  con- 
nues de  ces  deux  poêles  :  Oreste,  dans  VAndro- 
m-ique  rie  Racine,  et  Phèdre  du  même  auteur, 
comme  l'Œdipe  et  les  Horaces  de  Corneille,  en 
sont  la  preuve.  Si,  cependant,  il  est  permis  de 
faire  entre  eux  quelque  comparaison,  et  de  les 
marquer  l'un  et  l'autre  par  ce  qu'ils  ont  de  plus 


caché  à  lui-même,  sort  tout  à  coup  un  de  ces 
mots  simples  où  se  révèle  la  mère,  l'épouse,  l'a- 
mante, un  de  ces  accents  que  l'on  prendrait  pour 
le  son  même  de  l'âme.  Racine  est  le  Raphaël  du 
drame.  Expression,  dessin,  couleur  à  la  fois  bril- 
lante et  sobre,  il  réunit  toutes  les  qualités  dis- 
tinctives  de  ce  grand  maître,  en  qui  le  sentiment 
du  beau  antique  se  mêlait  au  génie  chrétien, 
affaibli  cependant  et  moins  naif  que  dans  le  moyen 
âge.  (Lamennais.) 

—  Ce  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  quand  en 
juge  Racine  aujourd'hui,  c'est  la  perfection,  l'u- 
nité et  l'harmonie  de  l'ensemble,  ce  qui  en  fait  la 
principale  beauté.  A  prendre  les  choses  isolément 
et  par  parties,  on  se  tromperait  bientôt  ;  le  carac- 
tère essentiel  échapperait,  et  l'on  prononcerait  à 
côté.  Au  contraire,  à  bien  sentir  cette  perfection 
de  l'ensemble,  cela  devient  une  lumière  générale 
qui  réfléchit  sur    chaque  détail  et  qui  l'éclairé. 

Racine  est  un  grand  dramatique,  et  il  l'a  été 
naturellement  par  vocation.  Il  a  pris  la  tragédie 
dans  les  conditions  où  elle  était  alors,  et  il_  s'y 
est  développé  avec  aisance  et  grandeur,  en  l'ap- 
propriant singulièrement  à  son  propre  génie.  Mais 
il  y  a  un  tel  équilibre  dans  les  facultés  de  Racine, 
et  il  a  de  si  complètes  facultés  rangées  sans  tu- 
multe sous  sa  volonté  lumineuse,  qu'on  se  figure 


propre,  et  par  ce  qui  éclate  le  plus  ordinairement    aisément  qu  une  autre  quelconque  de  ses  facultés 
d.nns  leurs  ouvrages,  peut-être  qu'on  pourrait  par-  î  eût  donné  avec   avantage  également  et  gloire,  et 


pourrait  par- 
ler ainsi:  Corneille  nous  assujeitit  à  ses  carac- 
tères et  à  ses  idées  ;  Racine  se  cunforme  aux  nô- 
tres ;  celui-là  peint  les  hommes  comme  ils  de- 
vraient être,  celui-ci  les  peint  tels  qu'ils  sont.  Il 
y  a  plus  dans  le  premier  de  ce  que  l'on  admire, 
et  de  ce  que  l'on  doit  même  imiter;  il  y  a  plus 
dans  le  second  de  ce  que  l'on  reconnaît  dans  les 
autres,  de  ce  qu'on  éprouve  soi-même.  L'un  élève, 
étonne,  maîtrise,  instruit;  l'autre  plaît,  remue, 
touche,  pénètre.  Ce  qu'il  y  a  de  plus  beau,  de  plus 
noble  et  de  plus  impérieux  dans  la  raison,  est 
manié  par  le  premier;  et  par  l'autre,  ce  qu'il  y  a 
de  plus  flatteur  et  de  plus  délicat  dans  la  passion. 
Ce  sont  dans  celui-là  des  maximes,  des  règles, 
des  préceptes,  et  dans  celui-ci  du  goût  et  des  sen- 
timents. L'on  est  plus  occupé  aux  pièces  de  Cor- 
neille ;  l'on  est  plus  ébranlé  et  plus  attendri  à 
celles  de  Racine.  Corneille  est  plus  moral  ;  Ra- 
cine, plus  naturel.  Il  semLile  que  l'un  imite  So- 
phocle, et  que  l'autre    doit   plus  à  Euripide.  (La 

BllDYÈRE.^ 

—  Il  peignit  la  nature  humaine,  immuable  en  soi, 
variable,  selon  les  époques  et  les  lieux,  dans  ses 
manifestations.  11  dut  se  conformer,  sous  ce  der- 
nier rapport,  aux  habitudes,  aux  exigences  du 
monde  au  milieu  duquel  il  vivait.  De  là  vient  que 


sans  que  l'équilibre  eût  été  rompu. 

Racine  est  tendre,  dit-on,  c'est  un  élégiaque 
dramatique.  Prenez  garde  !  Celui  qui  a  fait  la 
scène  du  troisième  acte  de  Mithriilate  et  Bitan- 
nkus,  le  peintre  de  Burrhus,  est-il  gêné  à  ma- 
nier la  tragédie  d'Etat  et  à  tirer  le  drame  sévère 
du  coeur  de  l'histoire  ? 

Ainsi  de  tout  pour  Racine  :  il  serait  téméraire 
de  lui  nier  ce  qu'il  n'a  pas  fait,  tant  il  a  été  accom- 
pli sans  effort  dans  tout  ce  qu'il  a  fait  I  Pour  moi, 
je  me  le  figure  à  merveille  dans  d'autres  genres 
que  la  tragédie  ;  par  exemple,  donnant  un  poème 
épique,  dans  le  goût  de  celui  du  Tasse  ;  desépi- 
giammes  comme  celles  de  Lebrun  ;  des  comédies 
comme  les  Planteurs  en  pouvaient  promettre.  Des 
odes,  il  en  a  fait  ;  des  Petites  Let'res  comme  Pascal,  il 
en  a  trop  bien  commencé.  Orateur  académique,  il 
l'a  été,  et  avec  éclat.  Et  toujours  et  partout  on  au- 
rait le  même  Racine,  avec  ses  traits  nobles,  élé- 
gants et  choisis,  recouvrant  sa  force  et  sa  passion; 
toujours  quelque  chose  de  naturel  et  de  soigné  à 
la  fois,  et  d'accompli,  toujours  l'auteur  sans  tour- 
ment,au  niveau  et  au  centre  de  son  genre  et  de 
son  sujet... 

Boileau,  certes,  assista  et  servit  Racine  dans 
toute  son   œuvre  d'une  façon  qui  no   se  saurait 


ae»  personnages  en  parlent  tous  plus  ou  moins  le  t  apprécier.  Racine,  on  le  voit  par  ses  premières 
langage.  Dans  son  plus  extrême  abandon,  dans  sa  i  lettres,  avec  tant  de  qualités  qui,  ce  semble,  au- 
plul  grande  violence,  la  passion  chez  eux  con-  j  raient  pu  se  suffire  à  elles-mêmes,  était  ne  docile, 
serve  toujours  une  certaine  retenue,  une  certaine  I  Xi  réclamait  un  juge  de  ses  vers.  Dès  quil  leut 
bienséance  que  les  mœurs  alors  commandaient,  I  reconnu  dans  Boileau,  il  s  y  confia  et  ne  s  en  dé- 
et  l'on  y  discerne  surtout  une  influence  de  1  esprit  i  partit  plus.  Boileau  dut  hâter  dans  «acine  cette 
chrétien,  très  sensible  aussi  dans  Corneille  ;  j  saison  d'entière  maturité,  qui  est  celle  de  toutes 
carie  poète  lui-même  est  toujours  individuelle- i  ses  œuvres  depuis  AndromaquejWaM  lui  ap- 
ment  un  reflet  de  son  siècle.  Celui  que  Racine  i  prendre  à  sacrifier  sans  pitie  le  détail  trop  joU  et 
illustra  imposait  à  l'art  des  conditions  particuliè-  j  trop  fin  à  l'efl'et  plus  sur  de  1  ensemble... 
res  dont  il  lui  éiait  impossible  de  safi'ranchir.  La  i  Boileau  avait  conscience  du  genre  de  service 
tragédie,  sous  Louis  XIV,  ne  pouvait  pas  plus  i  qu'il  avait  rendu  à  Racine,  lorsqu  il  lui  échappa 
être  la  tragédie  antique,  ou  le  drame  de  Shake-  1  de  dire  un  mot  qui  a  ete  cite  souvent,  qu  on  a 
speare,  que  l'épopée  n'aurait  pu  être  l'épopée  !  voulu  quelquefois  contester,  mai.s  qu  il  a  dit  Dien 
d'Homère  ou  de  Milton...  Le  travail,  l'efl'ort  ne  se  i  certainement  et  répété  en  plus  dune  rencontre, 
sent  nulle  part  dans  ce  vers  si  savant  où  l'art,  Interrogé  dans  sa  vieillesse  par  Falconnet,  par 
porté  à  son  dernier  terme,  redevient  la  nature,  i  Boindin,  par  La  Motte,  sur  ceux  qu  il  considérait 
la  nature  idéale  que  l'esprit  contemple  avec  ra-  '  vraiment  comme  les  génies  do  son  siècle  :  «  Je 
vissement.  Et  quel  regard  jeté  dans  les  abimes  1  n'en  connais  que  trois,  disait-il  sans  marcnanaer. 
du  cœur!  Comme  il  en  pénètre  les  mystères,  en  I  Corneille,  Molière  ...  et  moi.  »  —  «  Lt  Racine.  » 
démêle  les  contradictions,  les  ruses  secrètes,  les  i  demandait  l'interlocuteur  un  peu  étonné.  —  «  Ka- 
mouvements  variés,  les  soudains  élans  et  les  '  cine,  répliquait  Boileau,  n'était  qu  un  ^rest/c!  es- 
brusques  retours  !  Puis,  de  ce  cœur  si  mobile,  si  |  prit  à  qui  j'ai  appris  à  faire  difficilement  des  vers 


ii 


RACINE  CARRÉE 


—  1783 


RACINE  CARRÉE 


faciles.  >>  Oui,  Haciiie  est  un  très  bel  rspril,  qui 
connaissait  la  marclu^  du  cœur  liumain,  et  qui 
savait  en  mettre  en  jeu  tous  les  ressorts.  Voilà 
pourquoi  il  n'est  pas  inégal;  il  était  toujours  lui, 
il  avait  «le  la  force  quand  il  le  fallait.  Il  savait 
toujours  où  il  en  était.  Corneille  et  Molière  ont 
eu  cliacun  leur  démon  ;  La  Fontaine,  oublié  par 
Boileau,  on  avait  un  ;  Boileau  lui-même  avait  le 
sien,  ot  qui  avait  ses  quintes.  Racine,  lui,  n'avait 
pas  un  démon  détermine.  C'est  ainsi  que  j'entends 
et  que  je  traduis  le  mot  un  peu  singulier,  et  pour- 
tant bien  authentique,  de  Boileau.  (Sainte-Beuve.) 

—  Le  théâtre  de  Racine  n'offre  aucune  de  ces  har- 
diesses familières  à  Corneille.  Racine  est  contem- 
porain et  ami  de  Boileau  ;  il  a  le  goùi  de  la  règle  et 
de  l'autorité.  Sa  dernière  passion  fut  pour  Louis  .\IV, 
et  il  en  mourut.  De  plus,  ce  n'est  pas  un  de  ces  gé- 
nies énergiques  et  féconds  qui  ne  vivent  que  pour 
leur  art,  s'y  absorbent,  bravent  les  injustices  et  les 
dégoûts,  et  luttent  jusqu'i  ce  qu'ils  tombent  épui- 
sés, comme  le  vieux  Corneille,  comme  Molière.  A 
trente-huit  ans,  dans  l'épanouissement  de  son 
génie,  il  quitte  brusquement  le  théâtre.  L'insuc- 
cès de  P/iciIre  l'a  blessé  au  cœur.  Passionné  et 
faible,  il  songe  d'abord  à  expier  cette  gloire  pro- 
fane qu'on  lui  dispute  :  il  veut  se  faire  chartreux. 
Son  confesseur,  plus  sage,  lui  conseille  un  remède 
moins  violent,  le  mariage.  Il  se  marie,  et  oublie 
si  complètement  ce  qu'il  a  été  que  sa  femme  ignore 
même  les  titres  des  tragédies  de  son  mari. 

Le  théâtre  de  Racine  est  le  triomphe  d'un  art 
consommé  :  il  charme  encore  aujourd'hui  les  con- 
naisseurs, le  seul  public  auquel  il  désirait  plaire. 
Le  peuple  ne  goûte  guère  ces  beautés  délicates, 
tandis  que  Corneille  le  transporte  toujours.  Les 
tragédies  de  Racine  furent  le  modèle,  le  type  sur 
lequel  se  réglèrent  tous  les  poètes  qui  vinrent 
après  lui.  Pas  une  infraction  aux  lois  admises  ; 
pas  un  détail  familier;  pas  de  spectacle  excessif 
ou  choquant.  Mesure,  bienséance,  analyse  péné- 
trante, style  d'une  élégance  et  d'une  noblesse 
soutenues,  œuvre  essentiellement  aristocratique, 
faite  pour  charmer,  non  pour  enlever,  ni  mettre 
hors  de  soi,  ce  qui  serait  malséant.  Mais  la  scru- 
puleuse obéissance  aux  règles  impose  au  poète 
plus  d'un  sacrifice,  ou  des  expédients  bien  froids. 
Que  dire  de  ces  tristes  confidents,  sans  caractère, 
sans  personnalité,  créés  uniquement  pour  fournir 
à  leur  maître  l'occasion  d'une  tirade?  et  ces 
scènes  de  remplissage  pour  parfaire  les  cinq  actes 
réglementaires'?  et  cette  galanterie  fade  mêlée  h 
tout?  N'insistons  pas  sur  ces  critiques  qu'on  ne 
peut  taire  cependant.  Ce  qui  importe,  c'est  de 
constater  qu'à  partir  de  l'année  1670,  la  tragédie 
française  fut  définitivement  arrêtée  dans  sa  forme, 
son  esprit,  son  langage.  Il  ne  fut  plus  permis 
d'ignorer  comment  on  faisait  et  devait  faire  une 
tragédie  ;  la  recette  avait  été  donnée  ;  les  procédés 
étaient  parfaitement  connus  ;  le  style  même  était 
convenu;  c'était  un  genre  fixé.  Pendant  plus  de 
quarante  ans  les  héritiers  et  les  continuateurs  de 
Racine  firent  représenter  toujours  la  môme  tragé- 
die avec  des  difTérences  peu  appréciables;  la 
poésie  dramatique  était  peut-être  fixée,  j'aime- 
rais mieux  dh-e  qu'elle  était  figée.  (Paul  Alcebt.) 

Il.iClAE  CARUÉE.  —  Arithmétique,  XLVIl  et 
XLVIII. 

1.  —  La  racine  carrée  d'un  nombre  est  un  deu- 
xième nombre  dont  le  carré  est  égal  au  premier 
(V.  Carré)  ;  on  l'indique  par  le  signe  V  i  sous  le- 
quel on  place  le  nombre  donné;  ce  signe  porte  le 
nom  de  radicul.  Ex.  :  La  racine  carrée  de  i'J  est  "  ; 
car  le  carré  de  1  est  'iS.  On  peut  écrire  ce  résul- 
tat de  deux  manières  différentes  : 

V49  =  7,    ou    72=49; 
ces  deux  égalités  sont  équivalentes. 


2.  —  s;  un  nombre  entier  n'est  pas  le  carré  d'un 
autre  nnmhre  entier,  il  n'eUpas  non  plus  le  carri 
d'une  fraction,  et  par  conséquent,  il  n'a  pas  de 
ra'ine  carrée. 

Le  nombre  4(1,  par  exemple,  est  compris  entre 
0^  ou  36  et  'i-  ou  49;  donc  il  n'y  a  pas  de  nombre 
entier  dont  le  carré  soit  égal  k  40  ;  je  dis  qu'il 
n'y  a  pas  non  plus  de  nombre  fractionnaire  dont 
le  carré  soit  égal  h  W.  En  effet,  un  nombre  frac- 
tionnaire peut  toujours  être  mis  sous  la  forma 
d'une  fraction  à  deux  termes,  et  cette  fraction  elle- 
même  peut  toujours  être  réduite  à  sa  plus  simple 

expression  (V.  Fraction'!,  3  et  8).  Soit  TCettefrac- 

0 

a^ 
tion  irréductible  ;  son  carré  sera  —  ;  mais  les  deux 

nombres  a  et  b  étant  premiers  entre  eux,  leurs 
carres  o^  et  4'^  le  sont  aussi  (V.  Diviseurs,  23) , 

donc  la  fraction  _  est  irréductible,  et  par  consé- 
quent, ne  peut  pas  être  égale  à  un  nombre  entier. 
Ainsi,  le  nombre  40  n'est  le  carré  d'aucun  nom- 
bre, ni  entier,  ni  fractionnaire  ;  en  d'autres  termes, 
il  n'a  pas  de  racine  carrée. 

Lorsqu'un  nombre  n'a  pas  de  racine  carrée, 
c'est-Ji-dire  quand  il  n'est  pas  un  carré  parfait, 
on  appelle  racine  carrée  de  ce  nombre  à  une  unité 
près,  la  racine  carrée  du  plus  grand  carré  entier 
qui  y  est  contenu,  ou  ce  qui  revient  au  même,  le 
plus  grand  nombre  entier  dont  le  carré  est  con- 
tenu dans  le  nombre  donné.  Ainsi,  la  racine  carrée 
do  40  à  une  unité  près  est  6,  parce  que  le  plus 
grand  carré  entier  contenu  dans  40  est  36,  dont  la 
racine  carrée  est  6  ;  ou  encore,  parce  que  6  est  le 
plus  grand  nombre  entier  dont  le  carré  soit  con- 
tenu dans  40  ;  le  nombre  donné  40  est,  en  effet, 
compris  entre  le  carré  de  6  et  le  carré  de  7,  ce 
qu'on  peut  exprimer  par  la  double  inégalité  : 

6«<40<72. 

Nous  allons  indiquer  successivement  comment  on 
extrait  h  une  unité  près  la  racine  carrée  d'un  nom- 
bre entier  et  celle  d'un  nombre  fractionnaire;  puis 
nous  définirons  la  racine  carrée  approchée,  non 
plus  à  une  unité  près,  mais  avec  une  approxima- 
tion quelconque,  et  nous  apprendrons  à  la  calculer. 

3.  —  Racine  carrée  d'un  nombre  entier  à  une 
unité  p' es.  —  Nous  distinguerons  deux  cas,  sui- 
vant que  le  nombre  donné  est  inférieur  ou  supé- 
rieur à  100. 

1"  Cai.  Le  nombre  donné  est  plus  petit  que 
100.  —  La  racine  carrée  d'un  nombre  plus  petit 
que  100  est  plus  petite  que  10;  car  l(j0  est  le  carré 
de  10.  Il  suffit  alors  de  se  reporter  à  la  table  des 
carrés  des  neuf  premiers  nombres,  que  nous  re- 
produisons ici  : 

Nombres      12    3     456789 
Carrés..       1     4    9     16    25    36    49    64    81 

Si  le  nombre  donné  est  égal  à  l'un  de  ces  carrés, 
on  a  immédiatement  sa  racine  carrée  exacte; 
ainsi,  VCi  =  8  ;  SjVo  =  5  ;  etc.  Si  le  nombre  donné 
n'est  pas  un  carré  parfait,  on  cherche  dans  la  table 
précédente  le  plus  grand  carré  contenu  dans  ce 
nombre;  la  racine  carrée  de  ce  carré  est,  par  la 
définition  même,  la  racine  carrée  à  une  unité  près 
du  nombre  donné.  Ux.  :  Soit  58  le  nombre  donné  ; 
le  plus  grand  carré  entier  contenu  dans  58  est  49 
dont  la  racine  est  7  ;  ce  nombre  7  est  donc  la  ra- 
cine carrée  de  5'i  à  une  unité  près. 

4.  R'ste.  —  Lorsqu'on  extrait  à  une  unilé  près 
la  racine  carrée  d'un  nombre  qui  n'est  pas  un 
carré  parfait,  on  appelle  reste  de  l'opération 
l'excès  du  nombre  donné  sur  le  plus  grand  carré 
entier  qui  y  est  contenu.  Ainsi,  dans  l'exemple 
précédent,  le  reste  est  58  —  49  =  9. 


RACINE  CARREE 


—  1784 


RACINE  CARREE 


Le"  reste  ne  peut  pas  siirpnsser  le  dotihle  du 
nomhre  tionvé  à  la  racine.  —  Supposons,  pour 
fixer  les  idées,  que  le  nombre  donné  soit  compris 
entre  le  carré  de  15  et  le  carré  de  IH ;  sa  racine 
carrée  à  une  unité  près  sera  15,  et  le  reste,  qui  est 
l'excès  du  nombre  donné  sur  15',  sera  évidemment 
plus  petit  que  16*  —  15-.  Or  cette  différence 
est  égale  h  15  X  2  +  1  (V.  Carré,  I.Rem.); 
donc  le  reste  est  au  plus  égal  à  15  X  2i  c'est- 
à  dire  au  double  du  nombre  trouvé  à  la  racine  ; 
c.  q.  f.  d. 

5.  —  2'  Cas.  Le  nombre  donné  est  plus  grand 
que  100,  —  La  racine  carrée  cherchée  est  alors 
plus  grande  que  10,  c'est-à-dire  qu'elle  a  plusieurs 
chiffres.  La  théorie  de  l'opération  npose  tout  en- 
tière sur  les  deux  principes  suivants  : 

l.  Le  carre  d'un  nombre  composé  de  dizaines  et 
d'unités  se  compose  du  carré  des  dizaines,  de  deux 
fois  le  produit  des  dizaines  par  les  unités,  et  du 
carré  des  tmiiés  (V.  Carré,  1). 

IL  La  racine  carrée  du  plus  çrnnd  carré  entier 
contemi  dani  le  nombre  des  rentmnes  d'un  nom- 
bre donné  plus  grand  que  100,  est  éqale  nu  nom- 
bre des  dizaines  de  la  racine  carrée  de  ce  nombre. 
—  Prenons,  par  exemple,  le  nombre  15S64,  qui 
contient  158  centaines  ;  la  racine  carrée  du  plus 
grand  carré  entier  contenu  dans  158  est  12:  car 
158  est  compris  entre  W  ou  144  et  l.l'  ou  169  ; 
je  dis  que  la  racine  carrée  de  I586i  à  une  unité 
près  contient  12  dizaines  et  n'en  contient  pas  da- 
vantage. Rn  effet,  le  carré  de  12  est,  par  hypo- 
thèse, au  plus  égal  à  ISS  ;  donc  le  carré  de  12  di- 
laines  ou  120  est  au  plus  égal  Ji  15800;  et,  par 
conséquent,  il  est,  h  plus  forte  raison,  contenu 
dans  15X64.  D'autre  part,  le  carré  de  13  surpasse 
158  au  moins  d'une  unité,  c'est-à-dire  qu'il  est  au 
moins  égal  à  150;  donc  le  carré  de  13  dizaines  ou 
130  est  au  moins  égal  à  15900,  et  par  suite,  est 
plus  grand  que  le  nombre  donné  15804.  Ce  nom- 
bre est  donc  compris  entre  le  carré  de  12  dizai- 
nes et  celui  de  13  dizaines;  en  d'autres  termes, 
sa  racine  carrée  à  une  unité  près  est  comprise 
entre  12  dizaines  et  i3  dizaines  ;  c.  q.  f.  d. 

6.  —  Proposons-nous  maintenant  d'extraire  à  une 
unité  près  la  racine  carrée  du  nombre  419857. 

Ce  nombre  étant  plus  grand  que  100,  sa  racine 
carrée  est  plus  grande  que  10,  et  on  obtiendra  les 
dizaines  de  cette  racine  en  extrayant  la  racine 
carrée  du  plus  grand  carré  entier  contenu  dans 
4198  (2'  principe). 

Le  nombre  4108  étant  lui-même  plus  grand  que 
100,  sa  racine  carrée  sera  plus  grande  que  11),  et 
on  obtiendra  les  dizaines  de  cette  racine  en 
extrayant  la  racine  du  plus  grand  carré  entier 
contenu  dans  41. 

Le  nombre  41  est  plus  petit  que  IdO;  le  plus 
grand  carré  entier  qui  y  est  contenu  est  -jO,  dont  la 
racine  est  6  ;  donc  en  vertu  du  2'  principe,  la  ra- 
cine carrée  de  4198  contient  6  dizaines;  nous 
allons  chercher  les  unités  de  cette  racine. 

Or  le  nombre  4  i  98  se  compose  de  quatre  parties  : 

l»  Le  carré  des  B  dizaines  do  sa  racine  ; 
•    2°  Deux   lois  le   produit  des  dizaines  par  les 
unités  ; 

3"  Le  carré  des  unités  ; 

4°  Le  reste,  s'il  y  en  a  un. 

Si  donc  do  4198  on  retranche  le  carré  de  6  dizai- 
nes ou  :;6  centaines,  le  nombre  598  ainsi  obtenu 
contiendra  les  trois  autres  parties  que  nous  venons 
d'énumérer.  Mais  le  double  produit  des  dizaines 
par  les  unités,  étant  un  nombre  exact  de  dizaines, 
ne  peut  être  contenu  que  dans  les  59  dizaines  du 
nombre  598.  Donc,  en  divisant  59  dizaines  par  le 
double  des  dizaines  de  la  racine,  c'est-à-dire  par 
12  dizaines,  on  aura  le  chiffre  des  unités  ou  un 
chiffre  trop  fort;  ce  chiffre  peut  être  trop  fort 
parce  que  les  59  dizaines  du  nombre  598  contien- 
nent, outre  le  double  produit  des  dizaines  de  la 


racine  par  les  unités,  les  dizaines  provenant  du 
carré  des  unités  et  du  reste.  En  divisant  ,59  par  1;.', 
on  trouve  pour  quotient  entier  4  ;  pour  que  ce 
quotient  soit  égal  au  chiffre  des  unités  de  la  ra- 
cine, il  faut  évidemment  que  le  nombre  598  con- 
tienne le  double  produit  des  dizaines  de  la  racine 
par  4,  plus  le  carré  de  4;  et  cette  condition  suffit. 
Pour  l'aire  cet  essai,  on  écrit  le  chiffre  4  à  la 
droite  du  double  des  dizaines,  ce  qui  donne  124, 
et  on  multiplie  le  nombre  par  4  ;  il  est  clair  que  le 
produit  se  compose  du  double  produit  des  dizaines 
par  4  et  du  carré  de  4  ;  si  donc  le  produit  124X4 
est  contenu  dans  598,  4  est  bien  le  chiffre  des 
unités  de  la  racine;  si,  au  conlraire,  le  produit 
124x4  surpasse  598,  le  chiffre  4  est  trop  fort,  et 
alors  il  faut  le  diminuer  d'une  unité  et  essayer  de 
la  même  manière  le  nouveau  chiffre.  Ici  le  produit 
124  X  4  ou  4!'6,  est  inférieur  à  598  ;  donc  le  chiffre 
des  unités  de  la  racine  cherchée  est  4.  Par  suite, 
la  racine  carrée  à  une  unité  près  du  nombre  4198 
est  G4. 

Remarquons,  de  plus,  que  si  l'on  soustrait  le 
produit  124  X  4  de  598,  ce  qui  donne  102,  on 
aura  le  reste  de  l'opération.  Car  on  a  d'abord  re- 
tranché du  nombre  donné,  4198,  le  carré  des  6 
dizaines  de  sa  racine,  ce  qui  a  donné  le  nombre 
598;  puis  de  ce  dernier  nombre,  on  a  retranché 
le  double  produit  des  dizaines  de  la  racine  par  les 
unités  et  le  carré  des  unités;  on  a  donc,  en  défini- 
tive, retranché  de  4198  le  carré  de  01,  qui  est  sa 
racine  à  une  unité  près  ;  le  résultat,  102,  est  donc 
bien  le  reste  de  l'opération. 

En  résumé,  la  racine  carrée  de  4198  à  une  unité 
près  est  64  ;  et  le  reste  est  102.  Donc,  en  vertu 
du  2"  principe  démontré  plus  haut,  la  racine  car- 
rée de  419857  contient  64  dizaines.  Pour  calculer 
les  unités  de  cette  racine,  je  remarque  que  le 
nombre  419857  se  compose  de  quatre  parties  : 

10  Le  carré  des  64  dizaines  do  la  racine; 

1°  Le  double  produit  desdizaiaes  par  lesunités  ; 

3""  Le  carré  des  unités; 

4»  Le  reste,  s'il  y  en  a  un. 

Le  carré  des  64  dizaines  est  un  nombre  exact 
de  centaines  ;  en  le  retranchant  des  4198  centaines 
du  nombre  donné,  on  a  pour  reste  1112  centaines, 
ainsi  que  nous  venons  de  le  voir;  d'où  il  résulte 
que,  si  l'on  retranche  ce  même  carré  du  nombre 
total  419857,  on  aura  pour  reste  1U25Î.  Ce  reste  se 
compose  du  double  produit  des  04  dizaines  par 
les  unités,  du  carré  des  unités  et  du  reste,  s'il  y 
eu  a  un.  Le  double  produit  des  dizaines  par  les 
unités  étant  un  nombre  exact  de  dizaines,  est  con- 
tenu dans  les  1025  dizaines  du  nombre  102.S7  ; 
donc,  si  l'on  divise  1025  dizaines  par  le  double 
des  dizaines  de  la  racine,  c'est  à- dire  par  128  di- 
zaines, le  quotient  obtenu  sera  le  chiffre  même  des 
unités  de  la  racine  ou  un  chiffre  plus  fort.  En 
divisant  1025  par  128,  on  trouve  pour  quotient  8; 
il  reste  à  savoir  si  ce  chifl're  n'est  pas  trop  fort. 
Pour  l'essayer,  on  opère  comme  précédemment  : 
on  écrit  ce  chiffre  S  à  la  droite  du  double  des  di- 
zaines, ce  qui  donne  1288,  et  on  multiplie  le  nom- 
bre ainsi  obtenu  par  le  chiffre  présumé  dos  uni- 
tés ;  si  le  produit  1288  X  8  est  contenu  dans  le 
nombre  10257,  8  est  bien  le  chifl're  des  unités  de 
la  racine;  mais  si  le  produit  1288  x  8  surpasse 
10257,  le  chiffre  8  est  trop  fort  et  il  faut  essayer 
le  chiffre  immédiatement  inférieur,  7.  C'est  ce 
derniercas  qui  se  présente  ici  :  1288  x  8=  10304, 
nombre  supérieur  à  10257  ;  le  chiffre  8  est  trop 
fort.  J'essaie  de  même  le  chiffre  7  :  1287x7  = 
9009,  nombre  plus  petit  que  10257  ;  le  chiffre  des 
unités  de  la  racine  est  donc  7. 

En  résumé,  la  racine  carrée  de  419857  à  une 
unité  près  est  647;  et  le  reste  de  l'opération  est 
10257  —9009  =  1248. 

L'opération  se  dispose  liabituellement  comme 
il  suit  : 


UACINE  CARIlEIi 


—  m 


RACINE  CARREE 


41  i)8  57 
5  98 
I  02  57 
12  48 


r,47 


4_ 

496 


9009 


RÈGLE.  —  Pour  extraire  à  une  unité  près  la  ra- 
tine carrée  d'im  nombre  entier  jdus  grand  que  100, 
on  partage  ce  nombre  en  tra7iche<  rfe  ileux  ctiiffrcs 
il  partir  de  la  droite.  In  dernière  tranche  à  gau- 
che pouvant  n'avoir  qu'un  chiffre. 

On  extrait  la  racine  du  plus  grand  can  é  entier 
cont'  nu  dans  la  première  tranche  à  gauche,  ce  qui 
donne  le  chiffre  des  plus  hautes  unités  de  la  ra- 
cine; et  on  sousliuiit  le  carré  de  ce  chiffre  de  la 
première  tranche  à  gauche. 

A  la  droite  de  ce  reste,  on  abaisse  la  tranche 
suivante,  et  on  divise  les  dizaines  du  nombre  ainsi 
formé  par  le  double  du  premier  chiffre  de  la  ra- 
cine; un  éa-it  te  quotient  à  la  droite  du  diviseur 
et  on  multiplie  ce  nombre  par  le  quotient.  Si  le_ 
produit  peut  se  soustraire  du  nombre  total  qu'on 
a  obtenu  en  abaissant  la  seconde  iratiche  à  la 
droite  du  premier  reste,  le  quotient  trouvé  est  le 
second  chiffre  de  la  racine,  et  le  reste  de  cette  sous- 
traction est  le  reste  qui  servira  pour  continuer 
l'opération.  Si  la  soustraction  indiquée  n'est  pas 
possible,  on  diminue  le  quotient  trouvé,  successive- 
ment d'une,  deux,  trois ....  unités, jusqu'à  ce  que  la 
vérification  réussisse. 

A  la  droite  du  second  reste,  on  abaisse  la  tran- 
che suivante  du  nombre  donné  et  on  divise  les  di- 
zaines du  nombre  aiwi  formé  par  le  double  de  la 
partie  déjà  trouvée  à  la  racine:  le  quotient  est  le 
troisième  chiffre  de  la  racine  ou  un  chiffre  trop 
fort  ;  on  l'essaie  comme  le  précédent. 

On  continue  île  rnéme  jusqu'à  cequ'onait  abaissé 
l'une  après  l'autre  toutes  les  tranches  du  nombre 
donné. 

7.  —  Racine  carrée  d'un  nombre  fractionnaire  à 
une  unité  près.  —  La  racine  carrée  d'un  nombre 
fractionnaire  à  une  unité  près  est  la  racine  carrée 
du  plus  grand  carré  entier  contenu  dans  le  nombre 
donné  ;  la  définition  est  la  même  que  pour  les 
nombres  entiers. 

Proposons-nous  d'extraire  à  une  unité  près  la 

5 
racine  carrée  du  nombre  fractionnaire  52  +  ;•  J^ 

7 
dis  qu'elle  est  la  même  que  la  racine  carrée  à  une 
unité  près  de  la  partie  entière  du  nombre,  c'est-à- 
dire  de  52.  En  effet,  la  racine  carrée  de  52  à  une 
unité  près  est  7,  ce  qui  veut  dire  que  52  est  com- 
pris entre  7^  et  8^  ;  le  carré  do  7,  étant  con- 
tenu dans  52,   est,  à  plus  forte  raison,  contenu 

5 
dans  52  -f  -  ;  d'autre  part,  le  carré  de  8  surpasse 

52  d'au  moins  une  unité  ;  donc  il  surpasse  52  -J-  -. 

Le  nombre  fractionnaire  52  -)-  -  est  donc  compris 
entre  7  2  et  8'  ;  en  d'autres  termes,  la  racine  car- 
rée de  52  -f-  -  à  une  unité  près  est  7  ;  c.  q.  f.  d. 

RÈGLE.  —  Pour  extraire  à  une  unité  près  la 
racine  carrée  d'un  nomtire  fractionnaire,  on  ex- 
trait à  une  unité  près  la  racine  carrée  de  sa  par- 
tie entière. 

8.  —  Racine  carrée  d'un  nombre  quelconque 
avec  une   approximation  donnée.   —  On  appelle 

racine  carrée  d'un  nombre  à  J^,  yj^' fïJôj |. 

\' 's  plus  grand  nombre  de  dixièmes,  de  cen- 
tièmes, de  millièmes, de  tiers,  de  quarts.... 

dont  le  carré  est  contenu  dans  le  nombre  donné  ; 
plus  généralement,  la  racine  carrée  d'un  nombre  N 

à    -  près  est  le  plus  grand  multiple  de  -    dont 


le  carré  est  contenu  dans  N.  La  fraction  -    s'ap- 
pelle la  fractinn  d'approximation. 

Règle.  ^  Pour  avoir  la  racine  carrée  d'un 
nombre  avec  une  approximation  déterminée,  on 
multiplie  ce  nombre  par  le  carré  du  dénomina- 
teur de  la  fraction  d'approximation;  puis  on 
extrait  à  une  unité  près  la  rwine  carrée  de  ce 
produit,  et  on  divise  cette  racine  par  le  dénomi- 
nateur de  la  fraction  d'approximation. 

Proposons-nous,    par  exemple,  d'extraire   à  - 

355 
près  la  racine  carrée  du  nombre  -p.    Je  multi- 
plie ce  nombre  par  le  carré  de  7,  ou  49,  ce  qui 
donne  : 


355  X  49 
11:3 


lia 


113' 


la  racine  carrée  de  ce  nombre  à  une  unité  près 
est  la  même   que   celle  du    nombre    entier   153, 
c'est-à-dire    12;   je  dis    que  la  racine  carrée  de 
355    ,    1        ,        ,  12 
—    à  -  près  est -—. 
m        1   ^  7 


113 

se,  comprise  entre  12^  et  13^,  ce  qu'on  peut  expri- 
mer ainsi  : 

,o.<?gx49<13^; 

divisons  les  trois  membres  de  cette  inégalité  par 
7*  ou  49,  nous  aurons  : 


113 


12 


Mais  '-^  c'est  le  carré  de  -^  (V.  Carré,  3),  et 

— r  est  le  carré  de-^f-;  donc  la  double  inégalité 
72  7 

qui  précède  exprime  que   le  nombre  donné  — j 

12  .        13 

est  compris  entre  le  carré  de  -z-  et  celui  de  —  ;  et 

12  .  .     j     355 

par    conséquent  ,  —  est  la  racine  carrée  de  —r 

l 

1 

9- 

une  règle  pratique  très  simple  pour  le  cas"  où  on 
cherche  la  racine  carrée  d'un  nombre  quelconque, 
entier,  décimal    ou  fractionnaire,    avec   une   ap- 
proximation décimale  donnée. 
Soit  proposé,  par  exemple,  de  trouver  la  racine 

carrée  de  —  à  0,01  près.  D'après  la  règle  gé- 
nérale, il  faut  multiplier—   par  100^  ou    10000, 

ce  qui  donne  — ^— — ,  extraire  les  entiers  conte- 
nus dans  cette  fraction,  ce  qui  donne  8421,  ex- 
traire ensuite  à  une  unité  près  la  racine  carrée  de 
8421,  qui  est  91,  et  enfin,  diviser  cette  racine 
par  100;  le  résultat  llnal  est  donc  0,91.  Mais  il 
revient  évidemment  au  mémo  de  réduire  la  frac- 
tion donnée  —  en  décimales  en  calculant  deux  fois 

autant  de  chiffres  décimaux  qu'on  en  demande  à 
la  racine,  et  d'extraire  ensuite  la  racine  carrée  du 
nombre  obtenu  0,8421  comme  s'il  était  entier,  en 
prenant  seulement  la  précaution  de  mettre  une 
virgule  à  la  racine  lorsqu'on  abaisse  la  première 


à  -  près  ;  c.  q.  f.  d. 

De  la  règle  générale  qui  précède  on  déduit 


RACINE  CARREE 


—  178(3  — 


RACINE  CUBIQUE 


tranche  décimale   du    nombre  ;    on    arrivera    au    inspection  du  reste   permet  de  trancher  la  ques 


Blême  résultat.  Voici  l'opération  : 


19 


160 
80  1  0,8421 
40 

20 


0,8421 
321 

140 


0,91 


181 


tion  :  Si  le  reste  ne  surpasse  pas  (a  racine  trouvée, 
la  racine  par  défaut  est  préférable  ;  c'est  le  con- 
traire, si  le  reste  est  stipériew  à  la  racine. 
Pour  justifier  cette  règle,  formons  le  carré  de 


7  4--,  comme  on  a  fait,  à  l'article  Carré,  le  carré 
de  30  +  7  ou  celui  de  37  +  1. 


On  est  ainsi  conduit  h  la  règle  suivante  : 
Règle.  —  Pour  o^itenir  avec  uns  approximation 
décimale  donnée  la  racine  carrée  d'un  nombre 
quelconque,  on  exprime  ce  nombre  en  décimales 
en  calculant  deux  fois  autant  de  chiffres  déci- 
maux qu'on  en  demande  à  la  racine  ;  puis  on 
extrait  la  racine  carrée  du  nombre  décimal 
ainsi  obtenu  comme  s'il  était  entier,  en  aidant 
soin  de  mettre  une  virgule  à  la  racine  lorsqu'on 
abaisse  ta  première  tranche  décimale  du  nombre,. 
Exemples  :  —  I.  E.xtraire  à  0,0001  près  la  racine 
carrée  de  3.  —  Il  faut  extraire  la  racine  de 
3,00!'0u0ii0  comme  si  l'on  avait  affaire  au  nombre 
entier  3  00000000,  en  mettant  une  virgule  à  la 
racine  aussitôt  qu'on  arrive  à  la  première  tranche 
décimale  du  nombre:  ou  trouve  ainsi  l,7:i20. 

II.  Extraire  à  0,001  près  la  racine  carrée  du 
nombre  décimal  3,1415920535.  —  Comme  on  ne 
demande  que  trois  chiffres  décimaux  à  la  racine, 
il  n'en  faut  conserver  que  6  dans  le  nombre,  ce 
qui  donne  3,141592;  la  racine  carrée  de  ce  nom- 
bre, calculée  par  la  règle  ci-dessus,  est  l,"72. 

m.  Calculer  à  0,01  près  la  racine  carrée  de 
l'expression  3  — \2-  —  Il  faut  d'abord  calculer 
cette  expression  elle-même  avec  quatre  chiffres 
décimaux,  et  pour  cela  extraire  la  racine  carrée 
de  2  à  0,0001  près.  On  trouve  pour  cette  racine 
1,4142  ;    par    suite,    la     valeur    de    l'expression 

3  —  ^2  est,  avec  quatre  décimales  exactes,  1,5858; 
et  la  racine  carrée  demandée  est  enfin  1,25  à 
0,0T  près. 

y.  —  Remaroce.  —  Dans  tout  ce  qui  précède,  nous 
avons  calculé  des  racines  carrées  approchées  par 
défaut,  c'est-à-dire,  des  nombres  tels,  que  leurs 
carrés  soient  inférieurs  ou  au  plus  égaux  aux 
nombres  donnés.  On  peut  aussi  se  proposer  de 
chercher  des  racines  approchées  par  excès;  en 
voici  la  définiiion  générale  : 

La  raciiie    carrée  d'un   nombre  N,  approchée 

par  excès  à  -  prés,  est  égale  à  la  racine  appro- 
chée par  défaut,  augmentée  d-  -  . 

Ainsi,  la  racine  carrée  par  défaut  h  une  unité 
près  du  nombre  41985"  est  04";  la  racine  carrée  par 
excès  il  une  unité  près  est  648.  De  même,  nous 

{•1 
avons   trouvé   que  -^  était  la  racine  par  défaut  à 

r-  près   de  la  fraction  '—-;  la  racine  par  excès  îi 

13 

7 
à  0,0001    près   par  défaut  ;  la  racine  carrée  de  3, 
à  0,0001  près  par  excès,  sera  1,7321. 

Il  est  préférable,  dans  certains  cas,  de  prendre 
l'approximation  par  excès.  Considérons,  par  exem- 
ple, le  nombre  58  dont  la  racine  carrée  k  une 
unité  près  par  défaut  est  ",  avec  9  pour  reste;  le 
nombre  68  peut  être  compris  entre  le  carré  de  7 

et  celui  de  7  +  7,  ou,  au  contraire,  entre  le  carré 

de  7  +  -  et  le  carré  de  8.  Dans  le  premier  cas,  il 

vaudra  mieux  prendre  7  pour  la  racine  approchée 
à  une  unité  près  ;  dans  le  second  cas,  on  aura  une 
valeur  plus  approchée  en  prenant  8.  Or  la  seule 


7  +7. 


T  +  7X:; 


+  • 


!  +  7 


Ainsi    le  carré  de  7 +- est  égal  à  T+ 7+7 


-  esiBgai  a  1--1-  1 1- 
d'autre   part,  le  reste  de   l'opération  est  égal   il 
58  —  72.  Si  ce  reste  est  inférieur  à  7 +  7, 


c'est- 


à-dire   s'il  ne  dépasse  pas  7,  le   nombre   donné 

58  est  inférieur  à  ("  +  5  V ,   et  7  est   la  racine 

carrée  à  une  demi-unité  près.  Mais  si  le  reste  est 
supérieur  à  7,   le   nombre  58  est  compris  entre 

(  7  -|-  i  y  et  82  ;  8  est  alors  la  racine  carrée  de  58 

à  une  demi-unité  près  par  excès.  C'est  ce  dernier 
cas  qui  se  présente  ici,  puisque  le  reste  9  sur- 
passe 7.  [H.  Bos.l 

RACI>E  CCBIQUE.  —  Arithmétique,  XLIX 
et  L. 

1.  La  racine  cubique  d'un  nombre  est  un 
deuxième  nombre  dont  le  cube  est  égal  au  pre- 
mier (V.  Cube).  La  racine  cubique  d'un  nombre 
s'indique  en  plaçant  le  nombre  sous  le  signe 
V  ,  qui  ne  diffère  du  signe  de  la  racine  carrée 
que  par  l'inscription  du  chifi're  ou  indice  3  dans 
l'angle  de  gauche  du  radical. 

Ex.  :  La  racine  cubique  de  8  est  2  ;  car  le  cube 
de  2  est  8  :  ce  résultat  s'écrit  indifféremment  des 
deux  manières  suivantes  : 

^'8  =  2,    ou    23  =  8; 

ces  égalités  sont  équivalentes. 

2.  —  Si  un  nombre  entier  n'est  pas  le  cube 
d'un  autre  nombre  entie-,  il  n'est  i,as  non  plus  le 
cube  d'une  fraction,  et  par  conséquent,  il  n  a  pas 
de  racine  cubique. 

Le  nombre  50,  par  exemple,  est  compris  entre 
33  ou  27  et  43  ou  64  ;  donc  il  n'y  a  pas  de  nombre 
entier  dont  le  cube  soit  égal  à  50;  je  dis  qu'il  ny 
a  pas  non  plus  do  nombre  fractionnaire  dont  le 
cube  soit  égal  à  50.  En  effet,  un  nombre  fraction- 
naire peut  toujours  être  mis  sous  la  forme  d  une 
fraction  à  deux  termes  irréductible  -  (V.   Frac- 

a' 
lions,  3  et  8).  Le  cube  de  cette  fraction  est  -p 

(V.  Cube,  3)  ;  mais  les  deux  nombres  a  et  b 
étant  premiers  entre  eux,  leurs  cubes  le  sont  aussi 
(V.  Diviseurs,  n);  donc  la  fraction  ^^est  irréduc- 
tible, et  par  conséquent  ne  peut  pas  être  égale 
à  un  nombre  entier,  tel  que  5h.  Le  nombre  50  n  a 
donc  pas  de  racine  cubiiiue. 
Lorsqu'un   nombre  n'a  pas  do  racine  cubique, 


RACINE  CUBIQUE 


—  1787  — 


RACINE  CUBIQUE 


c'est-à-dire  quand  il  n'est  pas  un  cube  parfait, 
on  appelle  racine  cubique  de  ce  nombre  à  une 
unité  près,  la  racine  cubique  du  plus  grand  cube 
entier  contenu  dans  ce  nombre  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  le  plus  grand  nombre  entier  dont  le 
cube  est  contenu  dans  le  nombre  donné.  Ainsi,  la 
racine  cubique  de  50  à  une  unité  près  est  3,  parce 
que  le  plus  grand  cube  entier  contenu  dans  50 
est  27,  dont  la  racine  cubique  est  3;  le  nombre  .SO 
est  compris  entre  le  cube  de  3  et  le  cube  de  4,  ce 
qu'on  exprime  par  la  double  inégalité  : 

33<50<4'. 

Nous  allons  indiquer  suctessivement  comment 
on  extrait  à  une  unité  près  la  racine  cubique 
d'un  nombre  entier  et  celle  d'un  nombre  fraction- 
naire; puis  nous  délinirons  la  racine  cubique  ap- 
prochée, non  plus  à  une  unité  près,  mais  avec  une 
approximation  quelconque,  et  nous'apprendrons 
à  la  calculer. 

3.  —  Racine  cubique  d'un  nombre  eniier  à  une 
imite  près.  —  Nous  distinguerons  deux  cas,  sui- 
vant que  le  nombre  donné  est  inférieur  ou  supé- 
rieur à  1000. 

le'  Cas.  Le  nombre  donné  est  plus  petit  que 
1000.  —  La  racine  cubique  d'un  nombre  plus 
petit  que  1000  est  plus  petite  que  10;  car  lOUO 
est  le  cube  de  10.  Il  suffit  alors,  pour  trouver  le 
plus  grand  cube  entier  contenu  dans  un  nombre 
inférieur  à  1000,  et  par  suite,  la  racine  cubique 
de  ce  nombre  à  une  unité  près,  de  former  la 
table  des  cubes  des  9  premiers  nombres.  Voici 
cette  table  : 

Nombres  12345  6  1  8  9 
Cubes..     !     8     2"     Ci     125    21G    313     512     729 

Si  le  nombre  donné  est  égal  à  l'un  de  ces  cu- 
bes, on  a  immédiatement  sa  racine  cubique  exacte  ; 
ainsi,  ^125  =  5,  \'.=>I2  =  8,  etc.  Si  le  nombre 
donné  n'est  pas  un  cube  parfait,  on  cherche  dans 
la  table  précédente  le  plus  grand  cube  qui  y  est 
coiuenu  ;  la  racine  cubique  de  ce  cube  est,  par 
définition,  la  racine  cubique  à  une  unité  près  du 
nombre  donné.  Soit,  par  exemple,  41'.'  le  nombre 
donné;  le  plus  grand  cube  entier  contenu  dans  412 
est  343,  dont  la  racine  cubique  est  7  ;  ce  nombre 
7  est  donc  la  racine  cubique  de  412  à  une  unité 
près. 

i.  Reste.  —  Lorsqu'on  extrait  à  une  unité 
près  la  racine  cubique  d'un  nombre,  on  appelle 
reste  de  l'opération  l'excès  du  nombre  donné  sur 
le  cube  de  sa  racine  cubique  approchée.  Ainsi,  dans 
l'exemple  précédent,  le  reste  est  412  —  34  i  ^  6i). 

Le  reste  ne  peut  pas  suj'passer  la  somme  faite 
en  ajoutant  le  triple  du  cnrrc  de  lu  racine  au  tri- 
ple de  cetl"  racine.  Soit  a  la  racine  cubique  il  une 
unité  près  d'un  nombre  entier  N  ;  N  sera  compris 
entre  o'  et  {a  +  Ij^;  donc  le  reste,  qui  est  égal 
à  N  —  fl^,  sera  plus  petit  que  la  différence  la  -\-  l)-' 
—  a',  laquelle  est  égale  à  3a^  +  3'/  +  1  (V.  Cube, 
2)  ;  et,  par  conséquent,  ce  reste  sera  au  plus  égal 
à  3a» -f  3o;  c.  q.  f.  d. 

5.  —  2"  Cas.  Le  nombre  donné  est  plus  grand 
que  1000.  —  La  racine  cubique  cherchée  est  alors 
plus  grande  que  In,  c'est  à-dire  qu'elle  a  plusieurs 
chiffres.  La  théorie  de  l'opération  repose  tout  en- 
tière sur  les  deux  principes  suivants: 

L  /_e  cube  d'un  nombre  composé  de  dizaines 
et  d'unités  se  compose  du  cube  des  iliziines,  de 
trois  fois  le  produit  au  carré  des  dizaines  par 
les  unités,  de  trois  fois  le  produit  des  dizaines 
par  le  carré  des  unités,  et  du  cube  des  unités 
(V.  Cube,  1). 

IL  La  racine  cubique  du  plus  grand  cube  eniier 
contenu  dans  le  nombre  des  mille  d'un  nomlrre 
donné  plus  grand  que  1000,  est  égale  au  nombre 


des  dizaines  de  la  racine  cubique  de  ce  nombre. 
Considérons,  par  exemple,  le  nombre  41812,  qui 
contient  41  mille;  la  racine  cubique  du  plus  grand 
cube  entier  contenu  dans  41  est  3  ;  je  dis  que  la 
racine  cubique  à  une  unité  près  du  nombre  41  812 
contient  3  dizaines  et  n'en  contient  pas  davantage. 
En  effet,  le  cube  de  3  est,  par  hypothèse,  au  plus 
égal  à  41  ;  donc  le  cube  de  30  ou  3  dizaines  est  au 
plus  égal  à  41  000;  par  conséquent,  il  est,  à  plus 
forte  raison,  contenu  dans  41812.  D'autre  part,  le 
cube  de  4  surpasse  41  d'au  moins  une  unité,  c'est- 
à-dire  qu'il  est  au  moins  égal  à  42;  donc  le  cube 
do  4  dizaines  ou  40  est  au  moins  égal  à  42  000,  et, 
par  suite,  estsupérieur  à  41812.  Ce  nombre  41812 
est  donc  compris  entre  le  cube  de  3  dizaines  et 
celui  de  4  dizaines  ;  en  d'autres  termes,  sa  racine 
cubique  est  comprise  entre  3  dizaines  et4  dizaines  ; 
c.  q.  f.  d. 

6.  Proposons-nous  maintenant  d'extraire  à 
une  unité  près  la  racine  cubique  du  nombre 
115748954. 

Ce  nombre  étant  plus  grand  que  IflOO,  sa  racine 
cubique  est  plus  grande  que  10;  et  on  obtiendra 
les  dizaines  de  cette  racine  en  extrayant  la  racine 
cubique  du  plus  grand  cube  entier  contenu  dans 
II5  74S  (2"  principe). 

Le  nombre  115748  étant  lui-même  plus  grand 
que  1000,  sa  racine  cubique  contiendra  des  dizai- 
nes, que  l'on  obtiendra  en  extrayant  la  racine  cu- 
bique du  plus  grand  cube  entier  contenu  dans  115. 

Le  nombre  115  est  plu^  petit  que  lOOO;  sa  ra- 
cine cubique  à  une  unité  près  est  4  (l"'  cas)  ;  donc 
la  racine  cubique  de  115  748  contient  4  dizaines  et 
pas  davanlage  (2'  principe).  Nous  allons  chercher 
les  unités  de  cette  racine. 

Je  remarque  pour  cela  qu'en  vertu  du  premier 
principe  énoncé  ci-dessus,  le  nombre  115748  se 
compose  de  cinq  parties  : 

r  Le  cube  des  4  dizaines  de  sa  racine  ; 

2°  Trois  fois  le  produit  du  carré  des  dizaines 
de  la  racine  par  les  unités; 

3°  Trois  fois  le  produit  des  dizaines  par  le  carré 
des  unités  ; 

4°  Le  cube  des  unités; 

5°  Le  reste,  s'il  y  en  a  un. 

La  première  de  ces  parties  est  connue  ;  c'est  le 
cube  de  4  dizaines  ou  64  mille  ;  si  on  la  soustrait 
du  nombre  Il.')7i8,  le  reste  51  74s  contiendra  les 
quatre  autres  parties.  Or,  le  triple  produit  du  carré 
des  dizaines  par  les  unités  esi  un  nombre  exact  de 
centaines  ;  d'où  il  résulte  qu'il  est  contenu  dans 
les  517  centaines  du  nombre  51718.  Si  donc  on 
divise  517  par  le  triple  du  carré  de  4,  c'est-à-dire 
par  4.S,  le  quotient  obtenu  .sera  le  chiffre  des 
unités  de  la  racine  ou  un  chiffre  trop  fort  :  il  peut, 
en  effet,  être  trop  fort,  parce  que  les  517  centai- 
nes du  nombre  51  748  contiennent,  non  seulement 
le  triple  produit  du  carré  des  dizaines  par  les  uni- 
tés, mais  encore  les  centaines  provenant  des  trois 
autres  parties  dont  si'  compose  ce  nombre.  Le 
quotient  de  la  division  de  517  par  4S  est  10  ;  il  est 
donc  certainement  supérieur  au  chiffre  des  unités 
de  la  racine,  lequel  est  au  plus  égal  à  9  ;  mais  9 
pourrait  lui-même  être  encore  trop  fort.  Pour  sa- 
voir si  ce  chiffre  convient,  il  faut  examiner  si  le 
cube  de  49  est  contenu  dans  115748,  ou  mieux,  si 
le  nombre  51  743  contient  : 

1°  Le  triple  produit  du  carré  de  4  dizaines 
par  9; 

2°  Le  triple  produit  de  4  dizaines  par  le  carré 
de  9  ; 

3»  Enfin,  le  cube  de  9. 

On  forme  simplement  le  total  de  ces  trois  nom- 
bres de  la  manière  suivante  :  on  addilionno  d'a- 
bord le  triple  du  carré  des  dizaines,  le  triple  pro- 
duit des  dizaines  par  les  unités,  et  le  carré  des 
unités,  et  on  multiplie  ensuite  cette  somme  par 
les  unités  ;  voici  l'opération  : 


RACINE  CUBIQUE 

401x3 48(10 

40X9X3 1080 

9^ 81_ 

5961 


—  1788  — 


RACINE  CUBIQUE 


53649 

Le  nombre  S3C49  est  plus  grand  que  51748; 
donc  le  chiffre  9  est  trop  fort;  j'essaie  alors  le 
chiffre  immédiatement  inférieur  8  : 

■402X3 4800 

40X8x3 960 

82 64 

5824 


46592 

Le  nombre  46  592  étant  inférieur  h  51  748,  le 
chiffre  8  est  bon;  la  racine  cubique  de  I15  74S  à 
une  unité  près  est  48,  et  le  reste  de  l'opération 
«st  51748  —40592  =  5156. 

On  conclut  de  là  que  la  racine  cubique  de 
115  748  954  contient  48  dizaines,  et  qu'en  retran- 
chant du  nombre  le  cube  de  ces  48  dizaines,  on 
obtient  pour  reste  5150  954.  Un  raisonnement 
identique  h  celui  que  nous  venons  de  faire  mon- 
tre qu'en  divisant  les  51  569  centaines  de  ce  nom- 
bre par  le  triple  du  carré  de  48  dizaines,  c'est-à- 
dire  par  6912  centaines,  on  obtient  le  chiffre  des 
unités  de  la  racine  ou  un  chiffre  trop  fort.  On 
trouve  7  pour  quotient,  et  on  essaie  ce  chiffre 
comme   précédemment  : 

4802x3 691200 

480x7x3 10080 

72 49 

701^29 


4!109303 


Le  nombre  4909303  étant  inférieur  à  5156954, 
le  chiffre  7  est  bon  ;  la  racine  cubique  à  uce  unité 
près  du  nombre  1 15  74  8  954  est  4S7,  et  le  reste  de 
l'opération  est  5l5(i954  —  490  9303  =  247  651. 

Voici  la  disposition  adoptée  pour  les  calculs  : 


1I5-748-954 

■187 

64 

517-48 
465  92 

4800 
960 
04 

691-JOO 

10080 

49 

51  569-54 
49  Oi:3  (13 

5824 
8 

701329 

7 

2  470  51 

4Uu92 

49(IU3U3 

RÈGLE.  —  Pour  extraire  à  une  tniilé  près  la 
racine  cubique  n'un  nombre  entier  plus  qrand 
que  1000,  on  pnrtnge  ce  nombre  en  tranclies  de 
trois  chiffres  à  partir  de  la  droite,  la  dernière 
tranclie  à  gauche  pouvant  n'avoir  qu'un  ou  deux 
chiffr,s. 

On  extrait  la  racine  cubique  du  plus  grand,  cube 
entier  contenu  dnns  la  première  tranche  ii  gau- 
che, ce  qui  donne  le  chiffre  des  plus  hautes  uni- 
tés de  la  racine  ;  et  on  soustrait  le  cube  de  ce 
chiffre  de  la  première  tranche  à  gauche. 

A  la  droite  du  rate,  on  abaisse  la  tranche  sui- 
vante du  nombre  donné,  et  on  divise  les  centaines 
du  nombre  ainsi  formé  par  le  triple  du  carré  du 
premier  chiffre  de  la  racine  ;  le  quotient  trouvé 
est  le  second  chiffre  de  la  racine  ou  vn  chiffre 
plus  fort.  Pour  essayer  ce  chiffre,  on  addi- 
tionne ensemble  le  triple  carré  du  premier  chif- 
fre lie  la  racine  suivi  de  deux  zéros,  le  triple 
produit  du  premier  chiffre  de  la  racine  par  le  se- 
cond chiffre  présumé  suivi  d'un  zéro,  et  le  carré 


de  ce  second  chiffre;  et  on  multiplie  la  somme  par- 
le chiffre  à  vérifier.  Si  ce  produit  peut  se  sous- 
traire du  nombre  qu'on  a  obtenu  en  abaissant  la 
seconde  tranche  à  la  droite  du  premier  reste,  le 
quotient  trouvé  est  le  second  chiffre  de  la  racine, 
ft  le  reste  de  cette  soustraction  est  le  reste  qtii  ser- 
rira  à  continuer  l'opération.  Si  la  soustraction 
indiquée  n'est  pas  possible,  on  diminue  le  quotient 
trouvé,  successive7nent,  d'une,  deux...  unités,  jus- 
qu'à  ce  que  ta  vérification  réussisse. 

A  la  droite  du  second  reste,  on  abaisse  la 
tranche  suivante  du  nomtire  donné,  et  on  divise 
les  centaines  du  nombre  ainsi  formé  par  le  triple 
du  carré  de  In  partie  déjà  trouvée  à  la  racine; 
le  quotient  est  le  troisième  chiffre  de  la  racine 
ou  un  chiffre  trop  fort;  on  l'essuie  comme  te  pré- 
cédent. 

On  continue  de  même  jusqu'à  ce  qu'on  ait 
abaissé  l'une  après  l'autre  toutes  les  tranches  du 
nombre  donné. 

Remarque.  —  Chaque  fois  qu'on  veut  calculer 
un  nouveau  chiffre  de  la  racine,  on  a  besoin  de 
former  le  triple  carré  de  la  partie  déjà  trouvée  à 
la  racine;  cette  opération  peut  se  faire  très  rapi- 
dement à  l'aide  des  calculs  qu'on  a  faits  pour 
vérifier  le  chiffre  précédent.  Reprenons  l'exemple 
déjà  employé  :  après  avoir  trouvé  les  deux  pre- 
miers chiffres  48  de  la  racine,  on  doit  calculer  le 
produit  482  X  3  ;  mais 

48»  =  40*  -f  40  X  8  X  2  +  82. 
(V.  Carré,  1)  ;"donc 

48*  X  3  =  402  X  3  +  40  X  S  X  3  X  2  +  82  X  3  ; 
d'autre  part,  on  a  trouvé  pour  essayer  le  chiffre  8, 

402X3  =  4800, 
40x8x3=   900, 
82=     64; 
donc 

4  82  X  3  =  4800  -f  960  X  2  +  64  X  3. 

=  4800 -f  960  +  64  +  960  +  64  X  2. 

Comme  la  somme  4R00  -f  960  -f-  64  a  déjà  été 
i  calculée,  il  suffira  de  lui  ajouter  960  et  64  x  2  ; 
I  on  aura  donc,  en  définitive, 

482x3  =  5824  +  960H-GiX2  =  li9]2. 

I  7.  —  Racine  cubique  d'un  nombre  fractionnaire 
'  à  une  unité  près.  —  La  règle  et  la  démonstration 
sont  les  mêmes  que  pour  la  racine  carrée  (V.  Ra- 
cine carrée,  7). 

8.  —  Racine  cubique  d'un  nombre  quelconque 
avec  une  approximation   donnée.  —   On  appelle 

racine  cubique  d'un  nombre  N  à  -  près,  le  plus 

grand   multiple   de  -   dont  le   cube  est   contenu 

dans  N  ;  la  fraction  -  s'appelle  la  fraction  d'ap- 
proximation. 

Proposons-nous   de  trouver  la  racine   cubique 

de  N  à  -  près.  Soit  x  le  nombre  entier  par  lequel 
il    faut  multiplier  -  pour  avoir  cette  racine;  elle 

sera  alors  -  xx  ou,  plus  simplement,  -  .    D'après 

la  définition  précédente,  le  nombre  donné  N  sera 
compris  entre   les  cubes  des  deux  multiples  con- 


;  on  aura  donc  ; 


e)'<»<m" 


RAGE 


—  1789 


RAGE 


ou,  en  effectuant  les  cubes  des  deux  fractions, 


^'<N<(i±iI'. 


Multiplions  par  n'  tous  les  termes  de  cette  dou- 
ble inégalité  ;  nous  aurons  ainsi  : 

îi3<Nxn3<(j;+iP, 

inégalité  qui  montre  que  le  produit  N  X  n^  est 
compris  entre  les  cubes  des  deux  nombres  entiers 
consécutifs  x  et  x  +  1,  ou  en  d'autres  termes, 
que  X  est  la  racine  cubique  à  une  unité  près  du 
produit  N  X  n^  ;  d'où  la  règle  suivante  : 

RÈGLE.  —  Pour  avoir  la  racine  cubique  d'un 
nombre  arec  une  approximation  déterminée,  oji 
multiplie  ce  notnbre  par  le  cube  du  dénominateur 
de  la  fraition  d'approximalion ;  puis  on  exlnnt 
à  une  unité  près  la  racine  cubique  ile  ce  produit, 
et  on  divise  cette  racine  par  le  dénominateur  de 
la  fraction  d'approximalion. 

9.  —  Dans  le  cas  particulier  où  lafraction  d'ap- 
proximalion est  une  fraction  décimale,  -jL,  ■^■•■•t 
la  règle  générale  se  simplifie  et  peut  être  alors 
énoncée  ainsi  : 

Mgle.  —  Pour  obtenir  avec  une  approxima- 
tion décimale  ilonn:e  la  racine  cubique  d'u7i  nom- 
bre quelconque,  on  réduit  ce  nombre  en  décimales 
en  calculiinl  trois  fois  autant  de  chiffres  décitiiaux 
qu'on  eji  ilemandu  à  lu  racine;  puis  oji  extrait  la 
racine  cubique  du  nombre  décimal  ainsi  obtenu 
comnif  s'il  était  entier,  en  ayant  soin  de  mettre 
une  virqule  à  la  racine  lorsqu'on  abaisse  la  pre- 
mière tranche  décimale  du  7iombre.  Même  dé- 
monstration que  pour  la  racine  carrée  (V.  Racine 
carrée,   9). 

Remaruue.  —  La  racine  cubique  approchée, 
calculée  par  l'une  des  règles  précédentes,  est  dite 
par  défaut,  parce  que  le  cube  de  cette  racine  est 
inférieur  au  nombre  donné.  On  pourrait  avoir, 
comme  on  l'a  fait  pour  la  racine  carrée,  la  racine 
cubique  approchée  par  excès.  Mais  la  question 
n'a  pas  ici  la  même  importance  pratique  et  nous 
n'y  insisterons  pas. 

Il  faut  remarquer  d'ailleurs  que  l'on  a  toujours 
recours  aux  logarithmes,  quand  on  vent  obtenir 
une  racine  cubique  approchée  ;  la  méthode  directe 
qui  vient  d'être  exposée  conduit,  en  effet,  à  des 
calculs  extrêmement  longs  et  fastidieux,  si  l'on  a 
besoin  de  plus  de  deux  ou  trois  chiffres  exacts  sur 
la  gauche  de  la  racine,  tandis  que  l'emploi  des 
tables  de  logarithmes  permet  d'obtenir  presque 
sans  calcul  la  racine  cubique  d'un  nombre  quel- 
conque avec  5  ou  1  chiffres  exacts  sur  la  gauche 
(V.  Logarithmes).  [H.  Bos.] 

HAGIÎ.  —  Hygiène,  XVI.  —  La  rage  est  une 
maladie  contagieuse  particulière  aux  animaux  des 
genres  chien  et  chat.  Les  symptômes  les  plus  or- 
dinaires sont:  un  sentiment  de  clialeuret  de  cons- 
triction  à  la  gorge  et  à  la  poitrine,  des  accès  do 
convulsions,  des  accès  de  fureur  et  enfin  la  para- 
lysie qui  se  manifeste  peu  de  temps  avant  la  mort. 
Dans  le  plus  grand  nombre  des  cas,  la  constriction 
de  la  gorge  empêche  la  déglulitioii  des  liquides,  et 
la  vue  de  ceux-ci,  comme  celle  de  tous  les  objets 
brillants,  peut  provoquer  des  crises;  mais  dans  le 
conimencemeni  de  la  maladie  il  n'y  a  point  hylro- 
phobie,  c'est-à-dire  horreur  de  l'eau,  comme  on  le 
croit  généralement. 

La  rage  est  spontanée  chez  le  chien  et  le  chat. 
Elle  est  transmissible  par  inoculalion  à  l'homme 
et  aux  animaux. 

La  transmission  de  la  rage  par  les  animaux  her- 
bivores est  assez  rare,  parce  que  leurs  morsures 
n'entament  pas  facilement  la  peau.  Mais  il  importe 
de  constater  que  la  contagion  ss  produit  toutes  les 


fois  que  le  virus  suffisamment  actif  se  trouve  en 
contact  avec  une  partie  excoriée  ou  blessée.  Une 
égratignure  imperceptible,  un  petit  bouton  i  la 
peau  suffisent  pour  laisser  pénétrer  le  virus.  Aussi 
l'on  connaît  un  assez  grand  nombre  de  cas  de  rage 
chez  l'homme  causés  par  le  seul  contact  de  la  sa- 
live d'animaux  enragés. 

On  ignore  quelles  sont,  pour  les  animaux  des 
genres  chien  et  chat,  les  causes  de  la  rage  spon- 
tanée. C'est  une  maladie  très  rare  dans  les  pays 
intertropicaux  et  dans  les  régions  polaires.  Dans 
les  climats  tempérés,  certaines  régions  semblent 
favorisées.  La  rage  est  rare  en  Espagne,  presque 
inronnue  en  Portugal  et  à  Constantinople  où  les 
cliiens  sont  si  nombreux.  Elle  était  inconnue  en 
Algérie  au  temps  de  l'occupation  du  pays  par  les 
Arabes,  mais  depuis  l'occupation  française  cette 
maladie  y  est  assez  commune.  Cela  tient  sans  doute 
à  deux  causes  :  la  race  de  chiens  a  été  remplacée 
ou  modifiée  par  des  croisements;  leur  vie  se  trouve 
aujourd'hui  entravée  par  les  habitudes  européen- 
nes. Il  semble  effet  que  la  conirainte,  la  séques- 
tration, soient  pour  beaucoup  dans  le  développe- 
ment spontané  de  la  rage. 

La  saison  chaude  n'est  pas,  comme  on  le  croit, 
et  comme  la  police  semble  l'affirmer,  le  temps  le 
plus  propice  pour  le  développement  de  cette  ma- 
ladie. Les  jours  caniculaires  sont  moins  dange- 
reux, sous  ce  rapport,  que  les  mois  de  janvier, 
de  mars  et  surtout  d'avril. 

Le  sang  des  animaux  enragés  ne  possède  au- 
cune propriété  virulente.  Leur  chair  peut  être 
mangée  sans  inconvénient.  Cependant  il  pourrait  y 
avoir  quelque  danger  à  disséquer  un  animal  ou  un 
homme  mort  de  la  rage,  si  la  peau  dos  mains  n'é- 
tait pas  parfaitement  intacte.  Ou  croyait  en  effet, 
jusqu'à  ces  derniers  temps,  que  le  viru^  rabique 
n'existait  que  dans  la  salive.  Il  est  prouve  aujourd'hui 
qu'il  existe  également  dans  le  mucus  des  bron- 
ches, et  il  ressort  d'une  récente  discussion  à, 
l'Académie  de  médecine  (janvier  1881)  que  la 
substance  des  glandes  salivaires,  celle  des  ganglions 
lymphatiques  et  même  la  substance  nerveuse 
peuvent  contenir  ce  virus.  En  effet,  des  lapins 
inoculés  avec  ces  substances,  prises  sur  des  su- 
jets morts  de  la  rage,  n'ont  pas  tardé  à  succomber 
à  une  maladie  toujours  identique.  M.  Pasteur  est 
sur  la  voie  pour  découvrir  l'organisme  microsco- 
pique qui  sans  doute  constitue  le  virus  de  la  rage. 
Il  importe  de  remarquer  que  la  salive  d'un 
animal  enragé  ne  conlient  pas  dès  le  commence- 
ment de  la  maladie  le  virus  spécial,  ou  du  moins 
que  ce  virus  ne  s'y  trouve  pas  toujours  dans  les 
conditions  inicessaires  à  sa  propagation.  C'est  ce 
qui  explique  pourquoi  les  deux  tiers  des  person- 
nes mordues  par  des  chiens  enragés,  ou  supposés 
tels,  ne  contractent  pas  la  maladie.  Il  peut  arriver 
aussi  que  l'animal  ayant  iuHigé  une  morsure  à 
travers  des  vêtements  épais,  ceux-ci  aient  essuyé 
les  dents  au  passage,  de  sorte  que  la  blessure  est 
devenue  inofl'ensive. 

Comme  toutes  les  maladies  virulentes,  la  rage 
ne  se  manifeste  qu'après  une  certaine  période 
d'incubation.  Celle-ci  varie  d'ordinaire,  pour  le 
chien,  entre  six  à  douze  semaines  ;  pour  l'homme, 
entre  quatre  et  quinze  semaines.  Cependant  on 
connaît  dos  cas  autlientiques  qui  mettent  ces  rè- 
gles en  défaut.  Quant  aux  incubations  d'une  ou 
plusieurs  années  (on  en  cite  de  vingt  ans  et  plus  !l 
elles  n'existent  pas  pour  la  véritable  rage.  On  a 
confondu  avec  cette  maladie  diverses  affections 
nerveuses  dans  les(iuelles  il  n'y  a  jamais  produc- 
tion de  virus  rabique. 

Parmi  les  nombreux  préjugés  accrédités  dans 
le  public  au  sujet  de  la  rage,  le  plus  dangereux  est 
celui  qui  représente  cette  maladie  comme  consis- 
tant essentiellement  en  accès  de  fureur  accompa- 
gnés d'envie  de  mordre.  De  là.  vient  que  bien  sou- 


RAGE 


—  1790  — 


RAISON 


vent  on  reste  sans  défiance  auprès  d'un  chien 
atteint  de  la  rage. 

Chez  cet  animal,  les  premiers  sympiomes,  bien 
que  significatifs,  ne  ressemblent  en  rien  à  ceux 
qui  caractérisent  les  dernières  périodes  de  la  ma- 
ladie. Ils  consistent  en  une  humeur  sombre  et  une 
agitation  inquiète.  L'animal  clierche  à  fuir  ses 
maîtres,  se  retire  dans  les  coins  obscurs,  obéit 
lentement,  tient  sa  tète  cachée  sous  ses  pattes  et 
sa  poitrine.  Quand  il  s'approclie  de  son  maître,  il 
le  regarde  d'une  façon  étrange,  mais  semble  plus 
afl'eclueux  que  jamais.  Le  chien  enragé,  même 
pendant  la  période  d'excitation,  mord  rarement 
ceux  qu'il  affectionne;  cependant  il  peut  suffire 
d'une  correction  ou  d'une  excitation  accidentelle 
pour  provoquer  une  morsure.  Pendant  celte  pé- 
riode initiale,  l'animal  parait  souvent  victime  d'hal- 
lucinations. 

Un  peu  plus  tard,  le  chien  devient  inquiet, 
change  continuellement  de  position,  refoule  puis 
rejette  sa  litière,  fouille  partout  comme  à  la  re- 
cherche de  quelque  chose.  Si  on  lui  offre  à  boire, 
il  lape  comme  d'ordinaire,  mais  la  constriction  du 
«■osier  empêchant  la  déglutition  du  liquide,  il  y 
enfonce  tout  le  museau  et  fait  de  vains  efforts  pour 

En  même  temps  qu'il  refuse  les  aliments  soli- 
des, l'animal  mord,  déchire,  broie  et  avale  une 
foule  de  substances:  linge,  cuir,  terre,  pierres, 
verre,  etc. 

Quelquefois  la  bouche  et  l'arrière-bouche  sont 
sèches  et  enflammées;  mais  le  plus  souvent,  sur- 
tout pendent  les  accès,  le  chien  enragé  a  la  bou- 
che remplie  d'une  bave  écumeuse.  Souvent  les 
symptômes  d'étranslement  qui  se  manifestent  ont 
fait  croire  que  l'animal  enragé  souffrait  seulenipnt 
de  la  présence  d'un  os  arrêté  dans  la  gorge,  et, 
dans  les  manœuvres  faites  pour  le  soulager,  l'o- 
pérateur a  contracté  la  terrible  maladie  par  suite 
d'une  éraillure  contre  les  dents  mouillées  de  sa- 
five.  ...  ,, 

La  voix  du  chien  enrage  est  caractéristique  ;  elle 
ressemble  assez  au  cri  du  coq,  mais  bas  de  ton 
et  voilé  ;  après  un  premier  aboiement  ;\  pleine 
gueule,  on  entend  une  série  de  trois  ou  quatre 
hurlements  décroissants  qui  partent  du  fond  de 
la  gorge,  et  pendant  lesquels  les  mâchoires  ne  se 
rapprochent  pas  complètement. 

Le  chien  et  presque  tous  les  animaux  enrages, 
même  n'ayant  pas  encore  eu  d'accès,  entrent  en 
fureur  h  la  vue  d'un  chien  et  se  précipitent  sur  lui. 
D'autre  part  les  chiens  enragés  inspirent  une  telle 
frayeur  aux  animaux  de  leur  espèce  que  les  plus 
robustes  n'essaient  même  pas  de  se  défendre 
contre  leurs  attaques. 

Souvent  le  chien  s'éloigne  de  son  habitation  dès 
qu'il  ressent  les  premiers  symptômes  de  la  ma- 
ladie et  va  mourir  au  loin.  Mais  plus  souvent  en- 
core, après  avoir  erré  un  ou  deux  jours,  il  revient 
au  logis,  et  alors  ceux  qui  l'approchent  sont  fort 
exposés  à  le  voir  répondre  par  une  morsure  .'i  leurs 
caresses    de    bienvenue.    Tout     chien     qui    s'est 


absenté  sans  cause  connue  doit  donc  être  suspect,    difiée 


La  terminaison  de  la  maladie  s'annonce  par  le 
prolongement  des  périodes  de  repos  et  par  la  pa- 
ralysie du  train  de  derrière. 

On  ne  connaît  aucun  remède  contre  la  rage  dé- 
clarée. Le  seul  préservatif  consiste  à  faire  sortir 
le  virus  de  la  plaie  ou  à  l'y  détruire  sans  retard. 
Pour  le  faire  sortir  il  faut  agrandir  la  plaie,  la 
comprimer,  sucer,  ou  y  appliquer  une  ventouse.  La 
succion  ne  doit  se  faire  que  si  la  muqueuse  de  la 
bouche  est  parfaitement  intacte.  La  destruction  du 
virus  dans  la  plaie  n'est  sûre  et  complète  qu'au 
moyen  du  fer  rougi  à  blanc.  On  l'enfonce  profon- 
dément et  on  le  laisse  s'éteindre  sur  place. 

Puisque  l'on  ne  peut  guérir  la  rage,  il  importe 
de  prendre  toutes  les  précautions  possibles  pour 
empêcher  son  développement  spontané  et  sa  pro- 
pagation par  inoculation.  L'hygiène  canine  fourni- 
rait peut-être  des  moyens  de  prévention  suffisants. 
En  attendant,  les  mesures  restrictives  devraient 
être  maintenues  en  vigueur  plus  qu'on  ne  semble 
disposé  à  le  l'aire.  Quoi  qu'on  ait  dit  pour  affran- 
chir les  chiens  de  la  muselière,  les  chiffres  prou- 
vent son  utilité.  En  Allemagne,  de  1845  4  1853, 
liberté  complète  était  laissée  aux  chiens:  on  con- 
duisit à  l'école  vétérinaire  de  Berlin  :ViS  chiens 
enragés.  En  185i  une  ordonnance  de  police  imposa 
la  muselière  :  le  nombre  de  chiens  enragés  ob- 
servés à  l'école  fut  de  4;  il  y  en  eut  1  en  1855; 
1  en  185G,  et  6  de  1857  à  1861. 

Nous  n'avons  pas  à  décrire  la  rage  chez  l'homme. 
Disons  seulement  que  la  médecine  emploie  aujour- 
d'hui une  ressource  précieuse  :  les  anesthésiques 
(chloroforme,  éthen.  qui  calment  les  accès,  voilent 
l'horreur  des  crises,  procurent  au  malade  un  vé- 
ritable soulagement  et  atténuent  pour  ceux  qui 
l'entourent  le  spectacle  de  cette  horrible  maladie. 
[D'  Saffray.] 
RAISON.  —  Psychologie,  XlII.  —  On  est  sur- 
pris au  premier  abord  de  la  diversité  des  sens  que 
le  langage  semble  attribuer  au  mot  laison.  Ainsi, 
dans  certains  cas,  raison  signifie  simplement  l'état 
sain  de  l'esprit,  par  opposition  à  la  déraison,  h  la 
folie  :  quand  on  dit,  par  exemple,  d'un  fou  :  //  a 
perdu  la  raison.  Ailleurs  on  entend  par  raison  la 
justesse  du  jugement,  la  sagesse  des  vues  :  CH 
orateur  a  raison;  cette  doctrine  est  pleine  de  rai- 
son. La  raison  est  encore  le  contraire  de  l'instinct, 
l'activité  réfléchie  de  l'homme  par  opposition  à 
l'activité  instinctive  de  l'animal  :  L'animal  est 
privé  de  raison.  Enfin  la  raison  est  le  nom  qui 
désigne  la  plus  haute  des  facultés  intellectuelles, 
celle  qui  nous  révèle  les  idées  universelles,  né- 
cessaires, absolues;  en  ce  sens  elle  est  opposée  :\ 
l'expérience,  c'est-à-dire  aux  sens  et  à  la  cons- 
cience :  ridée  de  la  routeur  dérive  du  sens  de  la 
vite;  l'idée  du  moi  provient  de  la  conscience  : 
ridée  de  Dieu,  l'idée  du  bien  ont  leur  source  dans 
ta  rais07i. 

Si  l'on  veut  bien  y  réfléchir  pourtant,  on  se  con- 
vaincra que  cette  diversité  de  significations  est 
plus  apparente  que  réelle,  et  qu'au  fond  on  re- 
trouve partout  la  même  raison  différemment  mo- 


On  doit  suspecter  aussi  tout  chien  qui  présente  les 
changements  de  caractère,  d'habitudes  que  nous 
venons  de  signaler,  ou  dont  la  voix  perd  son  timbre 
et  son  rythme  ordinaire. 

Quand  la  maladie  atteint  la  période  vraiment 
rabique,  la  physionomie  du  chien  est  effrayante. 
Il  s'agite  sans  cesse,  cherche  à  se  délivrer  de  ses 
entraves,  à  se  jeter  sur  les  hommes  et  les  ani- 
maux, mord  tout  ce  qui  se  trouve  h  sa  portée. 
Dans  les  moments  de  calme  et  d'abattement  qui 
succèdent  aux  crises,  la  moindre  excitation  sulfit 
pour  renouveler  sa  fureur.  La  vue  d'un  liquide, 
d'un  objet  brillant  provoque  presque  toujours  un 
accès.  Libre,  il  va  droit  devant  lui,  attaquant  tous 
les  animaux  qu'il  rencontre. 


La  raison  en  effet  est  un  ensemble  de  notions  et 
d'affirmations,  d'idées  et  de  jugements,  de  concep- 
tions cl  de  principes  qui  président  au  développe- 
ment intellectuel  de  l'homme.  C'est  parce  qu'il 
obéit  à  ces  principes  que  l'espi-it  marche  correcte- 
ment, normalement,  et  échappe  à  la  folie,  ou  à  la 
sottise.  C'est  aussi  parce  qu'il  s'appuie  sur  ces 
principes  que  l'esprit  est  capable  de  diriger  ses 
idées,  de  gouverner  sa  conduite  intellectuelle,  de 
s'élever  en  un  mot  h  la  réflexion.  C'est  donc  tou- 
jours la  même  raison  qui  s'oppose  chez  l'homme 
soit  aux  aberrations  de  l'aliénation  mentale,  soit  a 
la  fausseté  des  jugements,  soit  aux  impulsions  irré- 
fléchies de  l'instinct. 

Une  fois  la  raison  définie   il  y  aurait  lieu  de  se 


RAISON 


—  1791 


RAISONNEMENT 


demander  si  elle  est,  comme  le  croient  la  plupart 
des  philosophes,  quoique  chose  d'inné,  un  élément 
absolument  primitif  de  la  constitution  intellec- 
tuelle de  l'homme,  ou  au  contraire,  comme  le 
prétendent  quelques  penseurs  modernes,  parti- 
sans de  la  doctrine  de  l'évolution,  le  résultat 
lentement  acquis  du  travail  de  l'intelligence  à 
travers  les  siècles.  Mais  cette  question  a  été  diji 
discutée  (V.  Idées),  et  nous  n'avons  pas  ày  revenir. 

Quoiqu'il  en  soit,  innée  ou  héritée,  la  raison 
existe  en  tout  lioninie  :  elle  est  comme  la  lumière 
naturelle  qui  éclaire  tout  individu  venant  en  ce 
monde.  Seulement  avec  le  progrès  de  l'âge  et  le 
développement  des  facultés  elle  se  manifeste  sous 
diverses  formes. 

L'enfant,  dès  le  premier  éveil  do  son  intelligence, 
est  déjà  sous  la  direction  de  la  raison,  mais  cette 
raison  esta  peu  près  inconsciente:  l'enfant  serait 
incapable  de  lormuler  les  lois  rationnelles  dont 
ses  jugements  sont  l'application.  Ainsi  un  petit 
garçon  de  sept  ou  huit  ans  clierche  avec  son  père 
U]i  objet  perdu,  et,  ne  le  retrouvant  pas,  il  s'écrie  : 
"  Mais  pourtant  il  faut  bien  que  quelque  chose 
soit  toujours  quelque  part!  «  N'est-ce  pas  déjà 
exprimer  sous  une  forme  naive,  et  sans  arriver  à 
s'en  rendre  compte  tout  à  fait,  la  nécessité  de 
l'existence  d'un  espace  infini  où  sont  contenues 
toutes  les  choses  matérielles?  De  même,  quand 
l'enfant  à  qui  l'on  s'efforce  d'inculquer  l'idée  de 
la  création  du  monde  et  l'idée  du  créateur,  ré- 
pond obstinément  :  «  Mais  avant  Dieu,  qu'est-ce 
qu'il  y  avait  donc'?  »  n'est-il  pas  évident  que  sans 
le  savoir  son  jeune  esprit  obéii  au  principe  ration- 
nel de  causalité  qui  exige  que  toute  existence 
soit  rattachée  à  une  cause  antérieure? 

On  pourrait  multiplier  les  exemples  de  ces  pro- 
pos enfantins  où  se  marque  la  première  manifes- 
tation, confuse  encore  et  à  peine  consciente,  de  la 
raison.  Mais  peu  à  peu  la  conscience  s'éclaire,  et 
l'esprit,  s'analysant  lui-même  grâce  à  la  réflexion, 
parvient  à  formuler  nettement  les  lois  rationnelles 
qui  le  gouvernent  :  ce  que  les  philosophes  ont  ap- 
pelé, tour  à  tour,  notions  communes  et  univer- 
selles, idées  innées,  vérités  premières,  vérités 
nécessaires,  catégories  de  l'intelligence,  principes 
constitutifs  et  régulateurs  de  la  pensée. 

Sans  prétendre  donner  ici  une  énumération 
complète  et  une  classification  définitive  des  élé- 
ments essentiels  de  la  raison,  nous  indiquerons 
les  principaux,  en  même  temps  que  nous  en  mar- 
querons le  rôle  et  les  fonctions  dans  l'activité  in- 
tellectuelle. 

Distinguons  d'abord  les  principes  rationnels  re- 
latifs à  la  pratique,  à  la  conduite  morale,  ce  que 
Kant  appelle  la  raison  pratir/ite,  des  principes 
rationnels  relatifs  à  la  science  pure,  à  la  spécula- 
tion théorique,  ce  que  Kant  encore  appelle  la 
raison  pure. 

La  raison  pratique  n'est  pas  autre  chose  que 
l'ensemble  des  notions  et  des  affirmations  qu'on 
désigne  vulgairement  sous  le  nom  de  conscience 
morale.  Qu'il  y  aune  différence  naturelle,  absolue, 
entre  le  bien  et  le  mal,  qu'il  y  a  obligation  né- 
cessaire de  faire  le  bien  ou  en  d'autres  termes 
que  le  devoir  existe,  enfin  que  celui  qui  fait  le 
bien  mérite,  que  celui  qui  fait  le  mal  démérite, 
voilà  à  peu  près  le  contenu  de  la  raison  pratique. 
Ce  sont  les  fondements  de  la  morale. 

Quant  à  la  raison  pure,  c'est  elle  qui  règle 
l'exercice  de  nos  facultés  spéculatives,  qui  domine 
et  détermine  nos  recherches  scientifiques.  C'est 
elle  encore  qui  nous  révèle,  en  dernière  instance, 
l'Être  idéal,  parfait,  absolu,  Dieu. 

Sans  la  raison,  la  science  ne  serait  qu'une  ac- 
cumulation stérile  de  faits,  sans  liaison  et  sans 
lois,  d'expériences  isolées  sans  cohésion.  C'est 
la  raison  seule  qui  permet  au  savant  d'établir  des 
relations  nécessaires  entre  les  phénomènes.  Elle 


pourvoit  à  cette  tâche  par  deux  principes  surtout  : 
le  principe  d'induction,  et  le  principe  de  causalité. 
Le  principe  de  causalité  peut  être  formulé  ainsi  : 
Tout  ce  qui  commence  d'exister  a  une  cause.  En 
d'autres  termes,  l'esprit  humain  n'admet  pas  de 
solution  de  continuité  dans  l'ordre  successif  des 
phénomènes.  Tout  ce  qui  commence  d'exister  doit 
avoir  son  explication,  son  principe,  sa  raison 
d'être.  La  recherche  scientifique,  en  dernière 
analyse,  n'a  pas  d'autre  but  que  de  déterminer 
les  causes  des  faits.  C'est  l'observation,  l'expé- 
rience qui  nous  découvre,  dans  chaque  cas  donné, 
la  cause  particulière  qui  est  en  jeu  :  mais  c'est  la 
raison  qui  affirme  d'avance  qu'il  y  a  une  cause, 
quelle  qu'en  soit  d'ailleurs  la  nature.  D'autre  part 
la  raison  nous  fait  une  loi  de  croire  à  un  ordre 
immuable  dans  l'univers,  à  la  constance  néces- 
saire des  rapports  observés  entre  les  phénomè- 
nes. C'est  ce  qu'on  appelle  le  principe  de  l'iuduc- 
tion,  dont  la  formule  sera  :  L'uni  foi-mité  de  suc- 
cession est  la  loi  delà  nature;  il  y  a  de  l'ordre 
dans  l'univers  ;  ou  encore  :  Les  mémei  causes  pro- 
duisent  toujours  les  mêmes  effets. 

Mais  la  raison  n'a  pas  seulement  pour  rôle  de 
régler  les  actes  de  la  vie  morale  et  de  coordonner 
les  expériences  de  la  recherche  scientifique.  Elle 
est  aussi  la  source  des  notions  dont  l'ensemble 
nous  permet  de  concevoir  l'existence  et  la  nature 
de  Dieu.  Elle  prétend  à  autre  chose  qu'à  la  direc- 
tion de  l'intelligence  dans  le  monde  réel  ;  elle 
nous  introduit  dans  le  monde  idéal  et  elle  nous 
fait  entrevoir  par  delà  les  choses  contingentes, 
relatives,  imparfaites,  passagères  et  finies,  l'être 
nécessaire,  absolu,  parfait,  éternel  et  infini,  l'être 
qui  est  la  cause  des  causes,  le  principe  de  l'ordre 
dans  l'univers  et  le  principe  du  bien  dans  la 
conscience.  [Gabriel  Gompayré.] 

KAISOJi.NE.MENT.  —  Psychologie  et  Logi- 
que, XIL  —  Raisonner  est  une  opération  dis- 
tincte de  l'esprit,  un  acte  intellectuel  irréducti- 
ble à  tout  autre.  Il  y  a,  dans  l'activité  de 
l'intelligence,  trois  degrés,  trois  moments  essen- 
tiels, concevoir  ou  avoir  des  idées,  juger  ou  asso- 
cier des  conceptions,  raisonner  ou  lier  des  juge- 
ments. De  même  que  le  jugement  est  l'assemblage 
de  deux  idées,  unies  par  un  acte  d'affirmation  qu'ex- 
prime le  verbe  être.,  de  môme  le  raisonnement 
est  une  suite,  une  liaison  de  jugements,  rappro- 
chés l'un  de  l'autre  de  telle  sorte  que  le  dernier 
apparaisse  comme  la  conclusion  légitime  et  la 
conséquence  nécessaire  des  premiers. 

Le  raisonnement  suppose  donc  diverses  opéra- 
tions préalables  :  qu'on  a  conçu  nettement  des 
idées  qui  sont  la  matière  du  raisonnement  ;  qu'on 
a,  dans  des  jugements  antérieurs,  affirmé  entre 
ces  idées  des  rapports  déjà  connus  ;  enfin,  que  ce» 
affirmations  elles-mêmes  ont  été  attentivement 
comparées  l'une  à  l'autre.  L'acte  propre  du  rai- 
sonnement consistera  à  faire  sortir  de  cette  com- 
paraison un  jugement  nouveau  implicitement  con- 
tenu dans  les  précédents. 

De  même  que  le  jugement  trouve  son  expression 
verbale  dans  la  proposition,  qui  est,  comme  on 
sait,  composée  de  trois  éléments,  le  sujet,  l'attri- 
but et  le  verbe,  de  même  le  raisonnemeni, 
rigoureusement  exprimé,  donne  lieu  au  syllogisme, 
c'est-à-dire  à  un  argument  formé  de  trois  propo- 
sitions. Dieu  est  parfait  ;  la  tionté  est  une  perfec- 
tion :  doue  Dieu  est  Ijou.  Dans  tout  syllogisme, 
comme  dans  celui  que  nous  prenons  pour  exem- 
ple, il  y  a  trois  idées  :  ici.  Dieu,  la  honte,  la  per- 
fecti'  n.  L'une  de  ces  idées  sert  d'intermédiaire, 
de  terme  de  comparaison  entre  les  deux  autres  : 
dans  l'exemple  choisi,  c'est  l'idée  de  perfection. 
On  l'appelle  le  moy  n  terme.  On  compare  suc- 
cessivement à  cette  idée  de  perfection  les  deux 
autres  idées  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  yrand 
et  le  petit  terme,  Dieu  et  hunté ;  et  après  s'être 


RAISONNEMENT 


—  1792  — 


RAISONNEMENT 


assuré  dans  ces  deux  premiers  jugements,  appelés 
prêiiiis'es,  qu'il  y  a  convenance,  accord,  entre 
l'idée  de  perfection  et  chasune  des  deux  autres, 
on  affirme  dans  la  conclusion  qu'il  y  a  aussi  con- 
venance, accord,  entre  l'idée  de  Dieu  et  l'idée 
de  bonté.  On  applique  en  définitive  à  la  compa- 
raison des  idées  laxiome  mathématique  qui  dit  : 
Deux  quantités  égales  à  une  même  troisième  sont 
égales  entre  elles.  Ajoutons,  sans  entrer  dans 
d'autres  détails  et  sans  songer  à  faire  connaître 
ici  la  tliéoçie  si  compliquée  du  syllogisme,  que 
chacune  des  deux  prémisses  a  un  nom  particulier  : 
on  nomme  majeure  celle  qui  contient  le  grand 
terme ,  mineure  celle  qui  contient  le  petit 
terme. 

Le  syllogisme  n'est  donc  pas  la  même  chose 
que  le  raisonnement.  11  faut  se  garder  de  con- 
fondre l'acte  intérieur  de  l'esprit  qui  juge  et  qui 
raisonne  avec  la  traduction  verbale  qu'on  lui  donne 
dans  le  langage. 

Tous  les  raisonnements  ne  se  prêtent  pas  d'ail- 
leurs à  être  exprimés  sous  une  forme  aussi  simple, 
aussi  courte  que  l'argument  syllogistique.  Dans 
la  plupart  do  nos  raisonnements,  les  prémisses 
sont  autrement  compliquées  que  dans  le  syllo- 
gisme élémentaire  que  nous  avons  cité.  Il  y  a 
d'ordinaire  plusieurs  mineures  et  par  suite  la 
comparaison  des  prémisses  est  délicate  et  labo- 
rieuse. L'esprit  n'arrive  à  la  conclusion  qu'au  prix 
d'un  grand  effort  d'attention.  D'autre  part,  il  est 
rare  que  le  penseur  qui  raisonne  même  le  plus 
rigoureusement  impose  à  son  raisonnement  la 
forme  syllogistique.  Bien  entendu  dans  la  conver-  | 
sation,  dans  les  discours,  on  n'use  presque  jamais  | 
du  syllogisme,  qui  ne  saurait  racheter  par  le  mé- 
rite do  la  clarté  et  de  la  précision  ce  qu'il  a  de 
lourd  et  de  pédantesquo.  Mais  jusque  dans  les 
écrits  scientifii|ues,  il  y  a  longtemps  qu'on  a  re- 
noncé à  l'emploi  des  formes  syllogistiques  que  les 
théologiens  du  moyen  âge  avaient  essayé  de  met- 
tre en  honneur. 

Il  n'y  a  donc  pas  lieu  de  se  préoccuper  outre 
mesure  des  règles  savantes  du  syllogisme.  L'étude 
minutieuse  et  approfondie  qu'en  ont  faite  les  lo- 
giciens peut  intéresser  ceux  qui  veulent  connaître 
i  fond  le  jeu  et  le  mécanisme  du  raisonnement  : 
mais  elle  est  plus  curieuse  qu'utile,  et  pratique- 
ment elle  ne  peut  guère  prétendre  à  développer 
l'art  de  raisonner. 

Ce  qui  est  plus  important ,  c'est  de  recher- 
cher s'il  y  a,  dans  la  réalité  des  choses,  une  ou 
plusieurs  formes  distinctes  de  raisonnement.  Tous 
les  logiciens  séparent  Vinductiun  de  la  déduction. 
L'induction,  disent-ils,  s'élève  des  vérités  particu- 
lières à  des  vérités  générales,  du  fait  à  la  loi  : 
la  déduction  descend  des  vérités  générales  à  des 
vérités  particulières ,  du  principe  à,  la  consé- 
quence. Ou  bien  encore  l'induction  va  de  la  par- 
tie au  tout,  du  moins  au  plus,  la  déduction  suit 
l'ordre  inverse.  Déduire,  c'est  échanger  une  pièce 
d'or  contre  la  menue  monnaie  dont  la  pièce  doit 
représenter  la  valeur  :  induire,  c'est  une  opération 
tout  autrement  difficile,  et  qui  au  premier  abord 
parait  irréalisable  et  illégitime,  c'est  avec  quelques 
pièces  d'argent  de  moindre  valeur  obtenir  une 
pièce  d'or  d'un  grand  prix. 

Expliquons  mieux  encore  la  distinction  du  rai- 
sonnement inductif  et  du  raisonnement  déductif: 
nous  verrons  ensuite  si  la  différence  est  aussi 
réelle  qu'apparente.  Dans  les  sciences  d'observa- 
tion, d'expérimentation,  on  induit  :  les  faits  une 
fois  observés  et  constatés,  on  généralise  ;  on 
affirme  que  la  chaleur  dilatera  toujours  et  par- 
tout les  corps  soumis  à  son  influence,  iiue  la 
pierre  livrée  ;\  cllo-môme  tombera  sous  l'action 
de  la  pesanteur  en  tout  lieu  et  en  tout  temps. 
D'une  simple  observation  on  passe  à  une  affirmation 
universelle.  Dans  les  sciences  abstraites  et  exac- 


tes, on  déduit  :  les  axiomes  et  les  définitions  une 
fois  posés,  on  en  recherche  les  conséquences.  De 
la  définition  du  triangle  et  du  cercle  on  fait  sortir, 
en  s'appuyant  sur  tel  ou  tel  axiome,  une  série  dé 
théorèmes.  Ici  l'opération  logique  est  d'une  légi- 
timité manifeste,  puisqu'elle  consiste  simplement 
à  mettre  au  jour  les  vérités  contenues  dans  des 
principes  déjà  admis. 

Au  fond  et  quoique  les  deux  formes  du  raison- 
nement paraissent  provoquer  l'esprit  à  deux  mou- 
vemoiits  inverses,  l'opération  est  la  môme.  En 
eflet,  dans  toute  induction,  il  y  a  une  vérité  gé- 
nérale sous-entendue,  majeure  commune  do  tout 
raisonnement  inductif  :  c'est  la  croyance  rationnelle 
à  l'ordre,  à  la  constance,  à  l'uniformité  de  succes- 
sion des  phéiiomènes.  Quand  le  physicien,  après 
avoir  vu  deux  ou  trois  espèces  de  corps  se  dila- 
ter sous  l'action  de  la  chaleur,  déclare  résolument 
que  tous  les  corps  placés  sous  la  môme  influence 
subiront  les  mêmes  modifications,  il  semble  au 
premier  abord  que  la  seule  base  de  son  induction 
soit  la  courte  série  de  faits  qu'il  a  observés.  Il 
n'en  est  rien,  et  ce  qui  autorise  véritablement  le 
savant  à  accepter  la  loi  générale,  universelle  qu'il 
établit,  c'est  ce  principe  préalablement  admis  : 
la  nature  est  toujours  et  partout  semblable  à 
elle-même.  En  d'autres  termes,  tout  raisonnement 
inductif  peut  être  ramené  à  un  syllogisme,  dont 
voici  la  formule:  Les  mêmes  causes  produisent  les 
mêmes  effets  (majeure):  or,  j'ai  constaté  deux 
fois,  trois  fois  que  le  phénomène  A  était  la  cause 
du  phénomène  B  :  donc  toujours  et  partout  A 
aura  B  pour  effet. 

L'induction  et  la  déduction  ne  sont  donc  que 
deux  manifestations,  deux  formes  différentes  de 
la  môme  opération  logiijue.  Ce  n'est  pas  une  rai- 
son pour  oublier  qu'elles  ont  chacune  leurs  lois 
propres,  leurs  règles  spéciales,  que  l'on  étudie  dans 
les  deux  parties  fondamentales  de  toute  logique, 
la  logique  inductive,  et  la  logique  déductive.  Pour 
l'induction,  il  faut  surtout  par  des  observations 
exactes,  par  des  expérimentations  habiles  et  répé- 
tées, s'assurer  que  l'on  ne  confond  pas  la  coïnci- 
dence accidentelle  avec  le  rapport  constant  de  deux 
phénomènes.  C'est  pour  cela  que  l'on  a  recours  à 
dift'érents  procédés  que  les  logiciens  modernes  ra- 
mènent à  ce  qu'ils  appellent  la  méthode  de  con- 
cordance, la  méthode  de  différence,  la  méthode 
des  variations  coticomituntes.  La  première  con- 
siste à  montrer  que  partout  où  le  phénomène  A 
se  produit,  le  phénomène  11  se  produit  aussi  ;  la 
seconde  à  établir  que  partout  où  A  majiquc,  B  fait 
défaut  ;  la  troisième  enfin,  i  prouver  que  toutes 
les  variations  de  A  correspondent  à  des  variations 
équivalentes  de  B. 

Pour  la  déduction,  il  faut  être  attentif  à  n'ad- 
mettre que  des  définitions  claires,  précises,  et  des 
principes  qui  soient  ou  des  vérités  évidentes  par 
elles-mêmes,  c'est-à-dire  des  axiomes,  ou  des  lois 
indnctives  scrupuleusement  contrôlées. 

Quand  on  connaît  la  nature  et  les  diverses  for- 
mes du  raisonnement,  il  est  facile  de  comprendre 
l'importance  de  cette  opération  intellectuelle. 
Sans  le  raisonnemejit,  la  conjiaissance  humaine 
serait  enfermée  dans  le  cercle  étroit  des  intui- 
tions immédiates  de  la  raison  et  des  perceptions 
directes  de  l'expérience.  11  serait  interdit  à  l'intel- 
ligence humaine  de  dépasser  l'horizon  borjié  des 
sens,  de  concevoir  les  lois  générales  qui  consti- 
tuent la  science  et  par  lesquelles  l'esprit  embrasse 
l'univers  entier. 

Ce  qu'il  serait  plus  intéressant  de  montrer, 
c'est  comment  on  peut  abuser  du  raisonnement, 
comment  trop  de  logique  nous  égare  et  nous 
trompe,  comment  enfin  il  est  vrai  de  dire  de 
l'esprit  ce  que  Molière  disait  de  la  maison  des 
Femmes  savantes  : 

Que  le  raisonnement  en  bannit  la  taison. 


IIAPACES 


—  1793  — 


RAPAGES 


Remarquons  simplement  que  l'excès  de  la  logi- 
que, l'application  à  outrance  du  raisonnement  à 
n'importe  quel  sujet,  peut,  de  conséquence  en 
conséquence,  nous  pousser  jusqu'à  des  conclu- 
sions qui,  pour  être  régulièrement  déduites,  n'en 
sont  pas  moins  contraires  à  nos  intérêts,  h  nos 
besoins,  et  en  opposition  avec  les  faits. 

Il  nous  reste  à  chercher  dans  quelle  mesure 
l'enfant  est  capable  de  raisonner,  et  Jusqu'à  quel 
point,  par  conséquent,  il  est  possible  do  faire 
intervenir  le  raisonnement  dans  la  première  édu- 
cation. C'est  la  maxime  favorite  de  Locke  «  qu'il 
faut  raisonner  avec  les  enfants  ».  Le  philosophe 
anglais  ajoute  que  o  les  enfants  peuvent  entendre 
raison  dès  qu'ils  comprennent  la  langue  mater- 
nelle, u  Condillac,  disciple  de  Locke  en  philoso- 
pliie,  s'inspire  aussi  de  sa  doctrine  pédagogique. 
«  Il  est  démontré,  dit-il,  que  la  faculté  de  rai- 
sonner commence  aussitôt  que  nos  sens  commen- 
cent à  se  développer,  et  que  nous  n'avons  de 
bonne  heure  l'usage  de  nos  sens  que  parce  que 
nous  avons  raisonné  de  bonne  heure...  Les 
facultés  de  l'entendement  sont  les  mêmes  dans 
un  enfant  que  dans  un  homme  fait...  Nous 
voyons  que  les  enfants  commencent  de  bonne 
heure  à  savoir  les  analogies  du  langage.  S'ils  s'y 
trompent  quelquefois,  il  n'en  est  pas  moins  vrai 
qu'ils  ont  raisonné.  »  Et  Condillac  ,va  jusqu'à 
comparer  cette  initiation  instinctive  à  la  langue 
maternelleavec  le  raisonnement  de  Newton  décou- 
vrant par  une  série  de  déductions  et  d'inductions 
le  système  du  monde. 

Nous  répondrons  à  Condillac  et  à  Locke  qu'ils 
ont  l'un  et  l'autre  méconnu  ce  qu'il  y  a  de  géné- 
ral, d'abstrait,  de  réiléclii  dans  le  raisonnement, 
et  qu'ils  confondent  les  formes  élevées  de  la  plus 
haute  opération  intellectuelle  avec  ses  formes 
inférieures,  avec  les  inférences  irréflécliies  que 
'■'on  peut  observer  jusque  chez  les  animaux.  Sans 
doate  l'enfant  raisonne  en  un  sens  :  mais  cela, 
sans  presque  le  savoir,  d'une  façon  à  peu  près  in- 
consciente. De  plus,  son  raisonnement  ne  porte 
que  sur  les  objets  familiers  et  sensibles  qu'il 
voit  tous  les  jours.  Ne  lui  demandez  pas  de  rai- 
sonner sur  des  idées  abstraites.  C'est  à  une  logi- 
que instinctive  qu'il  obéit  quand  il  saisit  les 
analogies  du  langage.  L'enfant  de  trois  ou  qua- 
tre ans  s  obstinera  h  dire  à  le  dwenU  à  le  iar- 
din,  parce  qu'il  a  entendu  qu'on  disait  :  à  la 
caclie,  a  la  promeiuide;  il  supprimera  la  diversité 
des  conjugaisons,  prononcera  /,atter  au  lieu  de 
Outtre,  parce  que  la  plupart  des  verbes  qu'il  a 
appris  tout  d'abord  se  conjuguent  sur  aimer.  Mais 
de  ce  que  l'intelligence  de  l'enfant  suit  ainsi  sans 
conscience  et  sans  réllexion  la  marche  la  plus  na- 
turelle, qui  n'est  la  plus  aisée  que  parce  qu'elle 
est  a  plus  logique,  il  serait  téméraire  de  conclure 
qu  U  soit  capable  de  raisonnements  véritables,  de 
ceux  qui  supposent  l'attention,  l'effort  de  l'esprit, 
1  enchaînement  conscient  des  jugements  et  des 
"*^„s^-  [Gabriel  Compayré.] 

RAPACES.  —  Zoologie,  .W.  —  Les  I{r,p„ces 
,„,r,'^V^  '  '•"'""  appelle  communément  Oi- 
riic  t,;,/™"^'  diffèrent  souvent  beaucoup  les  uns 
tiPs  Hn  ?n''rn»''J'''  proportioos  dcs  divcrscs  par- 
.,LÎ^  ,  P  "'  ,î-^r  ''^  "=""'•«  du  plumage,  mais 
conservent,  en  dépit  a<,  ^„,  modilicaiions  pï.Iî 
Heures,  un  cachet  particulier  qm^'i^pt^t  po  nt 
de  méconnaître  leur  véritable  nature.  Ainli  ^cnTz 
tous  les  représentants  de  cet  ordre,  le  crâiie  s'é- 
largit fortement  dans  le  sens  transversal,  princi- 
palement au  niveau  des  orbites,  qui  sont  sépa- 
rées I  une  de  1  autre  par  une  cloison  verticale 
ossiflce  en  majeure  partie;  le  bec  est  toujours 
très  robuste,  la  mandibule  pouvant  d'ailleurs  être 
soudée  intimement  aucràneons'articuleràla  région 
frontale  par  une  sorte  de  charnière  ;  le  sternum 
est  très  développé,  surtout  dans  sa  partie  infé- 
i'  Pahtie. 


rieure,  qui  présente  parfois  une  paire  de  fenêtres, 
et  qui  généralement  est  limitée  par  un  bord  entier 
droit  ou  légèrement  convexe.  Les  clavicules,  sou- 
dées en  un  os  unique  qu'on  nomme  la  fourchette, 
affectant  la  forme  d'un  U  à  branches  très  écartées, 
et  les  os  coracoidiens,  qui  sont  destinés  à  four- 
nir des  points  d'appui  aux  organes  du  vol,  consti- 
tuent une  paire  de  piliers  massifs  entre  l'omo- 
plate et  le  sternum.  L'humérus,  un  peu  tordu 
sur  lui-même,  est  toujours  un  os  puissant,  muni 
d'une  crête  très  saillante  où  vient  s'attacher  l'ex- 
trémité des  muscles  pectoraux,  mais  il  varie  de 
largeur,  de  même  que  les  os  du  bras,  le  radius  et 
le  cubitus,  suivant  que  l'oiseau  est  bon  ou  mau- 
vais voilier.  Quant  aux  métacarpiens,  ils  sont 
séparé?  l'un  de  l'autre  par  une  lacune  consi- 
dérable. 

Le  bassin  est  étroit,  allongé  et  fortement  incliné 
dans  sa  partie  postérieure,  en  arrière  de  la  cavité 
où  s'articule  la  tête  du  fémur.  Ce  dernier  os  est 
épais,  mais  creusé  vers  le  haut  d'un  trou  qui 
donne  accès  à  l'air  dans  son  intérieur  ;  il  est  for- 
tement arqué  en  avant  et  suivi  d'un  tibia  dont  les 
diuiensions  varient  considérablement  d'un  groupe 
à  l'autre,  mais  qui  présente  souvent  à  sa  partie 
inférieure  (chez  tous  les  Rapaces  diurnes)  un 
pont  osseux  sous  lequel  glisse  le  muscle  qui 
sert  à  étendre  les  doigts.  L'os  du  tarse,  qu'on 
considère  souvent  à  tort  comme  l'os  do  la  jambe, 
mais  qui  répond  en  réalité  au  cou-de-pied| 
reste,  sauf  dans  un  petit  nombre  d'espèces,  plus 
court  que  le  tibia;  il  est  comprimé  d'avant  en 
arrière,  garni  sur  la  face  postérieure  d'une  crête 
correspondant  au  talon  et  creusé  sur  le  face  an- 
térieure d'une  large  gouttière  pour  loger  les  mus- 
cles digitaux  qui,  chez  les  Chouettes  et  cliez  les 
Balbuzards,  passent  sous  un  pont  osseux  ana- 
logue à  celui  qui  existe  sur  le  tibia,  chez  d'autres 
Rapaces. 

A  ces  caractères  fournis  par  le  squelette  s'en 
joignent  d'autres,  purement  extérieurs  :  ainsi  le 
bec,  chez  tous  les  Rapaces,  est  court,  épais  à  la 
base  et  brusquement  recourbé,  l'extrémité  de  la 
mandibule  tombant  verticalement  et  dépassant 
le  bout  de  la  mandibule  inférieure,  sous  forme 
de  crochet  acéré.  Les  pattes  sont  robustes  et  les 
doigts,  qu'on  appelle  plus  particulièrement  les 
serres  chez  les  oiseaux  de  proie,  sont  souples, 
nerveux,  admirablement  conformes  pour  lier  une 
proie.  Ils  se  terminent  par  de  véritables  gritfes, 
qui,  comme  des  harpons,  maintiennent  solidement 
la  victime  en  s'enfonçant  dans  ses  chairs. 

Les  Rapaces  ont  donc  une  physionomie  qui  leur 
est  propre,  à  une  ou  deux  exceptions  près;  ils  se 
reconnaissent  facilement  au  premier  coup  d'oeil  et 
constituent  dans  le  monde  ornithologique  un 
groupe  naturel,  un  ordre  dont  les  limites  ont  été 
à  peine  modifiées  au  milieu  do  nombreux  chan- 
gements introduits  dans  les  classifications  par 
les  progrès  de  la  science  (V.  Oiseaux). 

Cependant,  en  dépit  de  son  homogénéité  fonda- 
mentale, cet  ordre  peut  être  subdivisé  en  groupes 
secondaires.  Et  d'abord,  les  personnes  môme  les 
moins  versées  dans  l'étude  des  sciences  naturel- 
les reconnaîtront  aisément  parmi  les  oiseaux  de 
proie  deux  grandes  catégories.  Certains  de  ces 
oiseaux  ont,  en  effet,  la  face  aplatie  en  forme  de  dis- 
que, les  yeux  dirigés  entièrement  comme  ceux  de 
l'honiMie,  les  narines  en  majeure  partie  cachées  sous 
des  soies  roides,  le  doigt  externe  de  chaque  patte 
légèrementréversible,  le  plumage  duveteux,  touffu, 
moelleux  au  toucher  ;  d'autres,  au  contraire,  n'of- 
frent point  do  disque  facial  ;  ils  ont  les  yeux  laté- 
raux, comme  la  plupart  des  oiseaux,  les  narines 
à  découvert,  le  doigt  externe  dirigé  en  avant, 
comme  le  doigt  médian  et  le  doigt  interne,  le 
plumage  serré,  formé  de  plumes  étroitement  .-«p- 
pliquées  l'une  sur  l'autre.  Ces  derniers  Rapaces 
113 


RAPACES 


—  I79i  — 


RAPACES 


poursuivent  en  général  leur  proie  en  plein  soleil  : 
ce  sont  les  Rapaces  diubnesou  Accipitres  propre- 
ment dits  (de  Acdpiter,  nom  latin  de  l'épervier)  ; 
les  premiers,  au  contraire,  cliassent  dans  les  té- 
nèbres et  sont,  pour  ce  motif,  appelés  Rapaces 
NocTiiiNEs  ou  Sthigks  [Strix,  nom  latin  de  la 
chouette  etTraye). 

Au  sous-ordre  des  Rapaces  diubnes  se  rattache 
u»  oiseau  qui  a  longtemps  embarrassé  les  natu- 
ralistes. Cet  oiseau,  c'est  le  Messager,  (|u'on 
nomme  aussi  Secrétaire  ou  Ser/jen/ahe,  nous  ver- 
rons tout  à  l'heure  pourquoi.  Par  sa  taille  élevoe, 
par  son  corps  monté  sur  de  longues  |  attes,  sur 
des  échasses.  le  Messager  semblait  appartenir  i 
l'ordre  des  Echassiers  ;  aussi  l'avait-on  placé  à 
côté  des  Hérons  et  des  Cigognes;  mais  une  élude 
approfondie  de  son  squelette  a  démontré  qu'il 
devait  être  rangé  parmi  les  Oiseaux  de  proie.  11 
a,  du  reste,  tout  à  fait  la  tête  et  le  bec  d'un  Ra- 
pace,  et  il  en  a  aussi  les  mœurs.  Dans  les  grandes 
plaines  de  l'Afrique  australe,  il  fait  une  guerre 
acharnée  aux  petits  mammifères,  et  surtout  aux 
reptiles,  aux  serpents;  il  ne  craint  pa<  de  s'atta- 
quer aux  espèces  les  plus  dangereuses,  et  il  en 
vient  à  bout  grâce  à  son  agilité,  se  servant  tour 
à  tour  et  de  son  bec  et  de  ses  pattes  pour  frap- 
per son  adversaire  et  parant  les  coups  avec  son 
aile  étendue.  Son  régime  lui  a  valu  le  nom  de 
Serpuitaire  ;  quant  au  nom  de  Secréluire,  il  lui 
a  été  donné  parce  qu'il  a  sur  le  sommet  de  la 
tête  une  huppe  dn-igée  en  arrière  et  rappelant  un 
peu  la  plume  qu'un  écrivain  public  ou  un  secré- 
taire met  volontiers  derrière  son  oreille,  quand  il 
interrompt  un  instant  son  travail. 

Par  son  aspect  extérieur  et  par  plusieurs  points 
de  son  organisation,  le  Messager  ou  Serpentaire 
mérite  assurément  de  devenir  le  type  d'une  sec- 
tion particulière  des  Rapaces  diurnes. 

Une  autre  section  doit  être  constituée  en  faveur 
des  Sarcorliamphes  (Condors  et  Cathartes),  qu'on 
a  presque  toujours  confondus  jusqu'ici  avec 
les  Vautours  de  l'Ancien  Monde.  Une  particula- 
rité de  structure  permet,  cependant,  de  distinguer 
immédiatement  les  Condors  et  les  Catliartes  : 
chez  ces  Vautours  du  Xouveau  .Monde,  comme  on 
les  appelle  vulgairement,  les  narines  communi- 
quent largement  entre  elles  et  ne  sont  jamais 
séparées  lune  de  l'autre  par  une  cloison  osseuse. 
Mais  d'autres  caractères  peuvent  encore  être  assi- 
gnés aux  Sarcorliamphes,  en  tenant  compte  de  la 
forme  de  leur  sternum,  fortement  aplati,  muni 
d'un  bréchet  qui  s'étend  d  un  bout  à  l'autre  de 
l'os,  et  échancré  de  part  et  d'autre  au  bord  infé- 
rieur ;  en  considérant  leur  mâchoire  inférieure 
dont  les  branches  se  rapprochent  en  arrière,  leurs 
narines  disposées  en  fentes  longitudinales  comme 
chez  les  Gallinnacés,  etc.  Dans  celte  subdivision 
rentrent  non  seulement  le  Condor  des  Andes  ' 
(Sarc^rhamp/ius  condor),  mais  le  Condor  de  Cali- 
fornie [Sarcorhamiihus  ca/ifornicus),  le  Cathane 
pape  ou  Roi  des  Vautours  [Cathartes  pajta\,  l'U- 
rubu {Cathartes  atrotus),  etc. 

Enfin,  une  troisième  section  comprend  la  grande 
majorité  des  Rapaces  diurnes,  et  peut  être  à  son 
tour,  pour  la  commodité  de  l'élude,  partagée  en 
un  certain  nombre  de  groupes  moins  importants 
établis  sur  des  caractères  extérieurs,  ou  sur  des 
diflérences  de  niueurs.  On  est  en  droil,  par  exi'in- 
ple,  d'admettre  les  familles  suivantes  :  Falcvni- 
des,  Polyljoridés,  Mitvidés,  Circidès,  Potij/,oroï- 
rfidejv,  Asturi'lés,  Uu/éonirlés,  CircaiUidês,  Aqui- 
lidés,  Gypiietijiés  et  Vutturides,  qui  tirent  chacune 
leur  nom  d'un  genre  de  Hapace.s. 

La  famille  des  Falconidés  renferme  des  oiseaux 
qui  sont  généralement  de  taille  moyenne  ou 
même  de  petite  taille,  mais  qui  possèdent  néan- 
moins une  grande  force  musculaire  et  qui  oftrent 
dans  toute  sa  perfection  le  type  des  Rapaces.  La 


nature  les  a  dotés,  en  effet,  d'un  bec  crochu,  muni 
de  chaque  côté  d'une  dent  trancliante.  de  pattes 
robustes,  de  doigts  déliés,  armés  de  griffes  redou- 
tables, d'ailes  longues  et  effilées,  taillées  .«pécia- 
lement  pour  une  locomotion  rapide.  Les  Falconi- 
dés, en  effet,  poursuivent  volontiers  leur  proie  à 
travers  les  airs,  ou  fondent  sur  elle  brusquement, 
et  ne  craignent  pas  d'engager  la  lutte  avec  des 
mammifères  et  des  oiseaux  de  taille  bien  supérieure 
à  la  leur.  Aussi  a-ton  cherché  de  bonne  heura 
à  tirer  parti  de  ces  instincts  chasseurs  des  Falconi- 
dés en  employant  ces  oiseaux  à  la  chasse,  comme 
auxiliaires.  Du  temps  de  la  féodalité,  non  seule- 
ment les  rois  et  les  grands  seigneurs,  mais  jus- 
qu'aux petits  gentilhomnies  faisaient  élever  i  grands 
frais  quelques  uns  de  ces  oiseaux  qui  jouaient  un 
lùle  important  dans  les  fêtes  et  dans  les  divertis- 
:  semenis  cynégétiques. 

1      Dans  la  famille  des  Falconidés  prennent  place,  % 
1  côté  des  Faucons  communs  (Faucon  pèlerin,  Fau- 
j  con  de  Barbarie,  etc.),  les  Faucons  hobereaux,  les 
Gerfauts,  les  Cresserelles,  les  Faucons  nains,  etc. 
Tous  ces  Rapaces  ont,  quand  ils  sont  jeunes,  les 
parties  inférieures  du  corps    marquées  de  taches 
longitudinales   de   couleur  foncée,   qui  tendent  à 
s'effacer  avec  l'âge  et  qui  chez  les  vieux  individus 
i  sont  remplacées  par  des  stries  et  des  gouttelettes. 
,  Le  Faucon  pèlerin  niche  sur  des  falaises  escarpées 
et  dans  les  montagnes  ;  pendant  la  belle  saison  il 
I  se  montre  dans  plusieurs  de  nos  départements;  le 
Hobereau    n'est  pas  rare  non  plus  ;  et  la  Cresse- 
j  relie  est  encore  plus  commune  :  c'est  cet  oiseau 
aux   ailes    profondement  découpées  que  l'on  voit 
souvent  isolé  ouen  compagnie  d'un  autre  individu 
de  son  espèce,   volant  au-dessus  des  guérets   et 
.  s'arrètant   de  temps   en    temps,  les  ailes  frémis- 
santes, au-dessus  de  quelque  proie  tapie  dans  un 
sillon. 

Les  Polyboridés  comprennent  les  genres  Cam- 
cara  (Poli/borus)  et  Ihycter,  Rapaces  américains 
qui  ont  été  pendant  longtemps  réunis  auï  VuUu- 
ridés,  parce  (|u'ils  ont  quelque  chose  de  la  phy- 
sionomie des  Vautours,  avec  leurs  joues  dénudées, 
leur  bec  épais  et  allongé,  et  encore  parce  que, 
comme  les  Vautours,  ils  se  repaissent  de  ca- 
davres. 

Les  Milvidés  ont  les  ailes  bien  développées,  la 
queue  ample  et  généralement  fourchue,  le  bec 
dépourvu  de  dent  latérale,  les  pattes  courtes,  ter- 
minées par  des  doigts  moins  longs  et  moins  forts 
que  ceux  des  Faucons.  Les  Milans  (.Milan  noir. 
Milan  royal),  qui  vivent  en  parasites  aux  dépens 
d'autres  Rapaces  ou  qui  se  contentent  de  détriuis 
animaux  et  végétaux,  les  Elanions,  les  Nauclers, 
lesLeptodons  ou  liecs-en-croc,  lesMacharrlinmphus 
et  les  Buses  Bondrées  (genre  Pernis).  sont  les  prin- 
cipaux représentants  de  cette  famille.  La  Bondrée 
apivore,  qui  vit  en  France  et  dans  d'autres  contrées 
de  1  Europe,  se  nourrit  principalement  d'insectes 
hyménoptères,  de  reptiles  et  de  petits  rongeurs. 
Les  Circidès  ou  Busards  ont  le  bec  plus  court 
que  les  Milans  et  les  pattes  beaucoup  plus  longues, 
leur  queue  n'est  point  fourcline.  Plusieurs  d'entre 
eux  subissent  des  changements  de  plumage  con- 
sidérables et  passent  du  roux  ou  du  t'Un  au  bleu 
cendré  pâle.  Souvent,  à  l'âge  a(l"'fe.  ils  ont  la  face 
entour.'e  d'un  cercle  ri»  fetites  plumes  qui  leur 
donnent  une  "<' rallie  ressemblance  avec  les  Oi- 
seaux de  nuit.  Le  Busard  harpaye  se  nourrit  non 
seulement  de  reptiles,  mais  aussi  d'œufs  d'oiseaux 
aquatiiiues  ;  le  Busard  Saint-.Martin  et  le  Busard 
Montagu  fotit  au  contraire  la  guerre  aux  petits 
rongeurs  et  rendent  des  services  à  l'agriculture. 
Les  Autours-clianieurs  (Meherax)  du  continent 
africain  elles  Autours-nains  (/Ui«-as(«)',de  1  Amé- 
rique chaude  paraissent  se  rattach(?r  à  celle  mémo 
famille  des  Milvidés.  .\u  contraire,  certains  Ra- 
paces de  Madagascar  qni  ont,  dans  leurs  formes 


i 


RAPAGES 


—  1795  — 


extérieures,  quelques  analogies  d'une  part  avec 
les  Melierax,  d'autre  part  avec  les  Caracaras, 
possèdent  un  assez  grand  nombre  de  caractères 
distinctifs  pour  constituer  un  groupe  particulier 
sous  le  iioni  do  Polyboroididôs. 

Les  Autours  et  les  Eperviers,  qui  composent  la 
famille  des  Asturidos,  ont  le  bec  plus  robuste  que 
celui  dos  liusards,  les  narines  déliées,  les  doigts 
courts  et  forts,  les  ailes  médiocrement  développées 
et  recouvrant,  quand  elles  sont  ployées,  la  moitié 
de  la  queue,  toujours  très  allongée.  L'Autour  des 
Pigeons  {Astur  palumbarius)  et  l'Epervier  vul- 
gaire [Accifjiternisiis,  L.)  sont  très  communs  dans 
notre  pays  et  font  la  chasse  aus  petits  rongeurs, 
aux  passereaux,  aux  pigeons  et  aux  volailles  de 
basse-cour. 

Les  Butéonidés  se  reconnaissent  facilement  à 
leur  tète  assez  grosse  relativement  au  corps,  à 
leur  bec  comprimé  et  largement  fendu  jusque 
sous  les  yeux,  à  leurs  ailes  qui,,  au  repos,  n'at- 
teignent jamais  l'extrémité  de  la  queue,  à  leur 
corps  épais,  reposant  sur  des  pattes  robustes. 
Leur  mandibule  supérieure  ne  présente  jamais  de 
dent  latérale  comme  celle  des  Faucons,  elle  est 
simplement  festounée  sur  le  bord,  et  leurs  tarses 
sont  recouverts  par  les  plumes  un  peu  au-dessous 
de  1  articulation  ou  même  sur  une  grande  partie 
de  leur  longueur.  Parmi  les  genres  assez  nombreux 
qui  composent  cette  famille,  deux  seulement  sont 
représentes  dans  la  faune  française,  chacun  par 
une  seule  espèce,  le  genre  Buse  proprement  dit 
par  a  Buse  commune  (Buteo  vulgari,),  et  le  genre 
Archibuse  par  l'Archibuse  pattue  {Archâu/eo 
'agopusYX  la  même  famille  appartient  la  Harpie 
féroce  {Thrasaetus  hurpijia),  grand  rapace,  aussi 
dUona*}"  ""  '  ''"'  "''  '*^'"   ''^'"énque   méri- 

L'Aigle  Jean-le-Blanc  (Civcaetus  qallicus).  qui 
habite  le  pourtour  du  bassin  méditerranéen  et 
certaines  contrées  de  l'Europe  occidentale  et  cen- 
trale, et  qui  se  nourrit  de  petits  mammifères, 
Ip  f!nt"5  '^f  "^^  reptiles,  doit  être  regardé  comme 
e  type  de  la  petue  famille  des  CircaêUdé:<,  dans 
aque  le  vient  se  placer  aussi  l'Aigle  bateleur 
[Helotai-sus  ecaudatus)  du  continent  africain 

Les  raen,bres  de  la  famille  des  Aquilidés  ou  les 
Aigles  sont  toujours  do  grande  taille,  mais  res- 
semblent aux  Buses  par  leurs  traits  généraux  et 
en  re  autres  par  la  forme  de  leur  bec,  qui  est 
Zrftt  T  •",  """,'"  '"'''"'"•  "^  «0"t  répandus 
tnn.IP  ^^  ""■'^''''  .^^  S''^'^"'  '"^'^"«  n'ont  pas 
rAil lP  f  """  ^';'!'''  ''■?  '"^'  l^elques-uns,  comme 
Aigle  fauve  {Aciuila  faim),  l'Aiglè  criard 
enan  "sT  ''  '  ^'^'^  impérial  (^.  i.nlerialU)  se 
tenant  sur  es  rochers  inaccessibles  ou  dans  les 
V?.T  a'Î"''''  'I'''"'^'^^'  =">  contraire,  comme 
Aigle  pêcheur  d^Europe  [A.  albicilln]  et'  l'Aigle  i 
ête  blanche  des  Etats-Unis  yA.  leucocephala)  han-  ' 
fleï.vi'»  r  '  ''/  "'^Ses  de  la'  mer  et  les  bords  des 
HfnInf■,^''^^'"■""='■'•  '"-'^  '^'S'^^  pêcheurs,  cons- 
tituent le  petit  genre  Pygargue  {Hahaètus). 
r^nnf  '■'>'i''"r';"',es  qu'on  a  souvent,  mais  à  tort, 
réunis  aux  Aigles,  semblent  avoir  emprunté  cerl 
où;   a™"^''f  ,'"k  ^'^"'""'■s.  lisent  le  bec  assez 

jouis,  Te  somiat  d^l^rêTe  efl^ir  ''''"""''  ''' 
de  plumes  cotonneulei  A  "^  '"•  ^"f^''  couverts 
de  'plumes  UncTollTuu''r^''^L!\t^T.  ^^""^ 
leur  queue  est  étagée  et  leurs  tarses  sont  émnlu: 
mes  sur  la  plus  grande  partie  de  leur  longueur 
Ce  sont  des  mseaux  de  forte  taille,  qui  se  tien' 
nent  sur  les  cimes  escarpées  et  qui  se  côntentenV 
volontiers  de  proie  morte.  Dans'les  llpe    e  lé 

Enfin  ia  famille  des  Vautours  ou  Vulturidés 
comprend  toute  une  série  d'oiseaux  qui,  ei  dé 
pu  de  leurs  dimensions    égales  ou  niê.ne  supé- 


RAPPORTS 


rioures  h  celles  des  Aigles,  no  sont  jamais  douce 
d'une  force  musculaire  aussi  considérable,  qui 
ont  le  bec  plus  long,  moins  crochu,  les  serres 
bien  moins  puissantes.  Ces  Rapaces  portent  géM- 
ralementune  livrée  brune  ou  jaunâtre;  ils  ont  fré- 
quemment la  tête  et  la  partie  supérieure  du  cou 
dénudées  et  colorées  en  bleu,  en  rose  pâle,  etc.  Le» 
Vautours  se  repaissent  de  charognes.  Ils  sont 
très  nombreux  dans  certaines  contrées  de  l'Afri- 
que et  en  Asie  Mineure.  Dans  les  Pyrénées  on 
tue  parfois  le  Vautour  arrioa  {VuHur  monnchui). 
Les  R.\PACESNOCTuitNEs  ou  Striges,  de  môme  ique 
les  Rapaces  diurnes,  peuvent  être  subdivisés  eii 
groupes  secondaires  ou  familles.  Ainsi  les  Effrayes, 
par  la  brièveté  et  la  largeur  de  leur  sternum, 
parla  gracilité  de  leurs  tarses,  par  la  nature  serré« 
et  la  coloration  paie,  jaunâtre  ou  blanchâtre  d« 
leur  plumage,  se  distinguent  facilement  des 
Chouettes  ordinaires  et  des  Hibous  et  doiveat 
constituer  la  famille  des  Strigidés,  ayant  poiLr 
type  l'Effraye  commune  {Slrix  flammaa). 

Les  Grands-Ducs,  chez  lesquels  la  conque  au 
ditive  est  de  grandeur  moyenne  et  dépourvue 
d'opercule,  et  les  Hulottes,  chez  lesquelles  cette 
même  conque  est  très  développée  et  toujours 
operculée,  forment  deux  autres  familles,  celle  des 
Bubonidés,  ayant  pour  type  le  Grand-Duc  d'Eu- 
rope (Buho  mnximus),  et  celle  des  Syrniidés,  ayant, 
pour  type  la  Hulotte  {Syriiiuiii  a'uco).  X  la  ft- 
mille  des  Bubonidés  se  rattachent  les  Petits-Duos, 
dont  une  espèce  (Stops  gui  ou  Sco/is  Aldravaiidj) 
est  très  commune  dans  nos  contrées,  les  Chefè- 
clies(.4/Aene),  et  quelques  genres  exotiques.  Diiis 
la  famille  des  Syrniidés  rentrent  d'autre  part  ce* 
.■Uoyens-Ducs  (Asiu)  qu'on  désigne  vulgairement 
sous  le  nom  de  Hibous  et  qui  sont  représentés 
en  France  par  le  Hibou  vulgaire  (Asia  otiiif)  ■^'it. 
Hibou  brachyole  [Asio  Orachi/olus). 

Tous  ces  Rapaces  restent  cachés  pendiat  ia 
jour  dans  des  trous  d'arbres,  sous  la  feuiUée  ou 
dans  de  vieux  édifices,  et,  sauf  de  rares  excep- 
tions, ne  se  mettent  en  chasse  qu'après  3e  rçbu- 
cher  du  soleil. 

Leur  vol  est  silencieux,  et  grâce  i  leurs  grand» 
yeux  qui,  comme  ceux  des  chats,  voient  adm'rra- 
blement  dans  la  demi-obscurité,  ils  parviennent  à 
s'emparer  des  petits  oiseaux  ei  des  mammifères 
endormis  En  raison  de  leur  apparence  stupide  et  de 
la  gaucherie  de  leurs  allures,  on  leur  a  voué  de- 
puis longtemps  une  haine  imméritée;  on  lésa, 
considérés  comme  des  oiseaux  de  mauvais  au- 
gure, et  on  les  a  détruits  sans  pitié.  Mais  il  e«. 
temps  de  réagir  contre  de  semblables  préjngés- 
Dans  les  campagnes  les  Chouettes  et  les  HibotM 
font  une  guerre  acharnée  aux  souris  et  aux  mu- 
lots, ces  fléaux  de  l'agriculture,  et  doivent  jjar 
conséquent  être  protégés  comme  des  oiseaux 
éminemment  utiles.  (E.  Oustalet.l 

BAI'PUUTS.  —  Arithmétique,  XX.WIH.  —  Oa 
appelle  rapport  de  deux  grandeurs  de  même  es- 
pèce le  nombre  qui  mesure  la  prejnière  quand  ok 
prend  la  seconde  pour  unité. 

Supposons  pour  fixer  les  idées,  que  les  gran- 
deurs de  même  espèce  dont  on  veut  trouver  le 
rapport  soient  deux  longueurs  que  je  désigne 
par  A  et  B.  Pour  obtenir  ce  rapport,  il  faut,  d'a- 
près la  définitmn  précédente,  prendre  la  longueur 
B  pour  unité,  et  lue.surer  la  longueur  A  au  moyen 
de  cette  unité;  il  peut  alors  se  présenter  trois  cas. 
i'"'  Cas.  —  La  première  longueur  A  coniient  lî 
seconde  exactement,  cinq  fois,  par  exemple  La 
longueur  A  est  alors  égale  k  5  fois  l'unité  de  Ion 
gueui-  ;  sa  mesure,  ou  ce  qui  est  la  même  chose, 
le  rapport  de  A  et  B  est  alors  exprimé  par  le  nom- 
bre entier  5. 

2"  Cas.  —  La  première  longueur  A  ne  contieiot 
pas  exactement  la  seconde;  mais  elle  coniieia 
exactement  une  partie  aliquote  de  cette  deuxièœa  ' 


RAPPORTS 


—  1796 


RAPPORTS 


longueur.  Supposons,  par  exemple,  que  lo  cin- 
quième de  la  longucîur  B  soit  contenu  exactement 
trois  fois  dans  la  longueur  A  ;  alors  la  longueur  A 

3 
est  égale  aux  -  de  la  longueur  B  ;  par  conséquent, 

si  l'on  prenait  la  longueur  B  pour  unité,  la  me- 
sure de  A  serait  exprimée  par  la  fraction  -;  en 
d'autres   termes,  le  rapport  de  A  à  B   est  égal 

Dans  les  deux  cas  que  nous  venons  de  considé- 
rer, il  existait  une  longueur  qui  était  contenue 
exactement  dans  cliacune  des  longueurs  A  et  B  ; 
dans  le  premier  cas,  c'était  la  longueur  B  elle- 
même,  et  dans  le  second  cas,  c'était  le  cinquième 
de  B  ;  c'est  ce  qu'on  exprime  ordinairement  en 
disant  qu'alors  les  deux  longueurs  A  et  B  ont  une 
commune  mesure,  ou  qu'elles  sont  commcnsura- 
blés  entre  elles.  D'une  manière  générale,  on  ap- 
pelle commune  mesure  entre  deux  grandeurs  de 
même  espèce,  une  troisième  grandeur  de  la  même 
espèce,  qui  est  contenue  exactement  dans  les  deux 
premières. 

Lorsque  deux  grandeurs  de  môme  espèce  ont 
une  commune  mesure,  leur  rapport  s'obtient  en 
cherchant  combien  de  fois  ta  cummune  mesure  est 
contenue  dmis  cliacune  des  grandeurs,  et  en  dici- 
snnt  l'un  par  l'autre  les  deux  nombres  ainsi  trou- 
vés. Supposons,  par  exemple,  qu'on  demande  le 
rapport  des  capacités  de  deux  vases,  et  qu'on  ait 
reconnu  que  le  premier  contient  exactement 
12  fois  la  capacité  d'un  troisième  vase,  et  que  le 
second  contient  exactement  5  fois  cette  même  ca- 
pacité, la  capacité  du  premier  vase  vaudra  évidem- 

12 
ment  les  -r-  de  celle  du  second  ;  le  rapport  cher- 
ché sera  donc  égal  à -r^i  c'est-à-dire  au  quotient  de 

la  division  des  nombres  12  et  5  qui  indiquent 
combien  de  fois  la  commune  mesure  est  contenue 
dans  chacune  des  grandeurs  considérées. 

3'  Cas.  —  Il  peut  arriver  que  deux  grandeurs 
de  même  espèce  n'aient  pas  de  (  ommune  mesure, 
qu'elles  soient  incnmmensurables  entre  elles  ; 
mais  ce  cas  n'a  aucun  intérêt  dans  la  pratique  et 
nous  ne  nous  y  arrêterons  pas.  On  peut  d'ailleurs 
toujours  obtenir  une  valeur  aussi  approchée  qu'on 
voudra  du  rapport  des  deux  grandeurs,  en  rem- 
plaçant la  première  par  une  autre  qui  en  diffère 
très  peu  et  quisoitcommensurable  avec  la  seconde. 

Exemples.  —  Le  titre  d'un  alliage  d'or  ou  d'ar- 
gent est  un  rapport;  c'est  le  rapport  du  poids  du 
luétal  fin  contenu  dans  l'alliage  au  poids  total  de 
cet  alliage.  (V.  Système  métrique.) 

Le  rapport  de  la  valeur  de  la  monnaie  d'or  à 
celle  de  la  monnaie  d'argent,  i  poids  égal,  est  15,5 
(V.  Système  métrique). 

La  densité  d'un  corps  est  le  rapport  du  poids  de 
ce  corps  au  poids  d'un  égal  volume  d'eau  (V. 
Densité). 

On  pourrait  donner  beaucoup  d'autres  exemples 
de  l'emploi  de  ce  mot  rapport.  11  est  important 
de  remarquer:  1°  qu'on  ne  peut  jamais  parler  du 
rapport  de  deux  grandeurs,  si  elles  ne  sont  pas 
de  même  espèce  ;  2°  qu'un  rapport  est  toujours 
un  nombre  abstrait. 

Rapports  itiverses.  —  Un  rapport  peut  toujours 
être  considéré  comme  une  fraction  ;  car  s'il  cal 
entier,  on  peut  le  mettre  sous  forme  fractionnaire 
en  lui  donnant  l'unité  pour  dénominateur.  Cela 
posé,  deux  rapports  sont  dits  inverses  l'un  de 
l'autre  lorsque  le  numérateur  de  l'un  est  ét,'al  au 
dénominateur     de    l'autre,    et   réciproquement  ; 

ainsi  4  et  7  sont  des   rapports  inverses  ;  il  en  est 


duit  de  deux  rapports  inverses  est  alors  égal  à  1, 
et  l'on  peut  dire,  par  conséquent,  que  l'inverse 
d'un  rapport  est  égal  au  quotient  de  la  division  de 
l'unité  par  ce  rapport. 

Deux  grandeurs  étant  données,  si  l'on  connaît  le 
rapport  de  la  première  h  la  seconde,  on  aura  le 
rapport  de  la  seconde  à  la  première  en  prenant 
l'inverse  du   premier   rapport.    Supposons,    par 

7 
exemple,  que  le  rapport  de  A  à  B  soit  égal  à  --, 

cela  veut  dire  que  A  vaut  7  fois  le  5'  de  B,  ou 
bien  que,  si  l'on  partage  A  en  7  parties  égales, 
chacune  d'elles  sera  égale  au  ô'  de  B  ;  B  contient 
donc  5  fois  la  7=  partie  de  A  ;  ou  en  d'autres  ter- 
mes, le  rapport  de  B  à  A  est  -,  rapport    inverse 

RÈGLE.  —  Pour  avoir  le  rapport  de  deux  grayi- 
deurs  i/e  même  espèce,  on  /es  mesure  toutes  les 
deux  avec  une  même  unité,  et  on  divise  l'un  par 
l'autre  les  deux  nombres  aitisi  obtenus. 

Supposons,  pour  fixer  les  idées,  qu'on  veuille 
obtenir  le  rapport  des  poids  de  deux  objets;  on 
les  pèse  et  on  trouve  que  le  premier  pèse  ^"«,2  ; 
et  le  second,  "."«,45;  je  dis  que  le  rapport  demandé 
est  le  quotient  : 

320_ 
'lib 

En  l'ffet,  prenons  pour  unité  de  poids  le  centième 
du  kilogramme,  c'est-à-dire  le  décagramme;  nous 
pourrons  dire  alors  que  le  premier  objet  pèse 
320  décagrammes  et  que  le  second  en  pèse  745. 
Le  décagramme  est  donc  une  commune  mesure 
entre  les  poids  des  deux  objets,  et  elle  est  conte- 
nue 320  fois  dans  le  premier  et  745  fois  dans  le 
second  ;  par  conséquent,  le  rapport  des  deux  poids 
est  égal,  d'après  ce  qui  a  été  démontré  plus  haut, 
au  quotient  320  :  745  ;  c'est  ce  qu'il  fallait  prouver. 

La  règle  précédente  fournit  le  moyen  pratique 
de  déterminer  le  rapport  de  deux  grandeurs; 
mais  il  faut  avoir  soin  dans  les  applications  de 
rapporter  à  la  même  unité  les  mesures  des  deux 
grandeurs. 

Rapport  de  delx  nombiies.  —  On  appelle  rapport 
de  deux  nombres,  le  quotient  de  la  division  du 
premier  par  le  second.  C'est  par  une  extension 
toute  naturelle  qu'on  donne  au  mot  rapport  cette 
nouvelle  acception  ;  car  si  les  deux  nombres 
donnés  représentaient  les  mesures  de  deux  gran- 
deurs de  même  espèce,  le  quotient  de  la  division 
de  ces  deux  nombres  serait  égal  au  rapport  des 
deux  grandeurs. 

Les  deux  nombres  s'appellent  les  deux  termes 
du  rapport;  le  dividende  porte  le  nom  d  antécé- 
dent ou  de  numérateur;  le  diviseur,  celui  de  con- 
séquent ou  de  dénominateur. 

On  écrit  ordinairement  un  rapport  sous  la  forme 
d'une  fraction,  en  plaçant  lantécédent  au-de«us 
du  conséquent  et  en  les  séparant  par  un  ■■'^''''°' 
rizontal.  On  peut  aussi  écrire  le  '■^'"^'^ll^'".* '^ 
suite  de  l'antécédent  en  les  .6,.arant  par  le  signe 
de  la  division  O-  ^i'"'  '«  "pport  du  nombre  47 
au  nombre  19  peut  s'écrire  soit -^,   soit  47  :   19. 

11  est  à  remarquer  que  les  rapports  diffèrent 
des  fractions  proprement  dites,  parce  que  les  deux 
termes  d'un  rapport  peuvent  être  des  nombres 
tout  à  fait  quelconques,  entiers,  fractionnaires  ou 
décimaux,  tandis  que  les  deux  termes  d  une  frac- 
tion sont  nécessairement  entiirs. 

De  la  définition  du  rapport  do  deux  nombres 
,  résultent  les  deux  règles  suivantes  : 


RAPPORTS 


—  1197  — 


RAYONNEMENT 


Quand  on  cannait  la  valeur  d'un  rapport  et 
celle  du  cnnscquunt,  on  obtient  l'antécédent  en 
mulliplinnl  les  deux  nom'û-es  connus.  C'est  ainsi, 
par  exemple,  que  le  poids  du  métal  fin  contenu 
dans  un  alliage  d'or  ou  d'argent  est  égal  au  pro- 
duit du  poids  total  par  le  titre. 

Quand  on  connaît  l'antécédent  d'un  rapport  et 
le  rapport  lui-même,  on  obtient  le  cotitéguent  en 
divisant  l'antécéd-nt  par  la  valeur  du  rapport. 
Ainsi,  le  poids  total  d'un  alliage  d'or  ou  d'argent 
est  égal  au  poids  du  métal  fin  divisé  par  le  titre. 

Calcul  des  rapports.  —  Bien  que  les  rapports 
ne  puissent  pas  être  assimilés  complètement  aux 
fractions,  les  règles  du  calcul  des  rapports  sont 
absolument  identiques  à  celles  du  calcul  des  frac- 
tions, comme  nous  allons  le  démontrer. 

La  valeur  d'un   rapport  ne  ctiange  pas  quand 
on  multiplie  ou  qu'on  divise  ses  deux  termes  par 
un  même  nombre  entier  ou  fractionnaire. 
3    [  5 

Soit  le  rapport -: -^  ;  en   multipliant  ses    deux 

termes  par  un  môme  nombre,  -,  par  exemple,  on 

obtient  le  nouveau  rapport  (i-  X  ^)  :  ( —  X  q  )  i 

je  dis  que  ces  deux  rapports  ont  la  même  valeur. 
En  effet,  la  valeur  du  premier  rapport  est  : 

3  ,  15_  3X8  . 
7  ■  S  ~7x  li' 
la  valeur  du  second  rapport  est  : 

•3  X  -2  .  15x2  _  3x2X8X9 
IXa'  8X9  "7X9X15X2 

Or  cette  seconde  fraction  ne  diffère  de  la  première 
que  parce  que  les  deux  termes  ont  été  multipliés 
par  2  X  9  ;  ces  deux  fractions  sont  donc  égales,  et 
c'est  ce  qu'il  fallait  démontrer. 

A  l'aide  de  ce  principe,  on  pourra  simplifier  un 
rapport  et  réduire  plusieurs  rapports  au  même 
dénominateur,  comme  si  l'on  avait  afl'aire  à  des 
fractions  ordinaires.  On  pourra  donc  aussi  addi- 
tionner et  soustraire  des  rapports  exactement 
comme  des  fractions. 

Le  produit  de  deux  rapports  est  égal  au  rap- 
port du  produit  des  antécédents  au  produit  des 
conséquents. 

Considérons  les  deux  rapports  : 


[i^^)'-{i^ïi)-'r. 


r  :  :     et 


11  ■  u' 


et  proposons-nous  d'en  trouver  le  produit.  Il  faut 
d'abord  ramener  chacun  d'eux  i  la  forme  fraction- 
naire ordinaire  ;  le  premier  est  égal  ii  : 


et  le  second  à 


3x7 

5x-.i' 


4XC  . 
11X6' 


leur  produit  s'obtient  alors  aisément  par  la  règle 
de  la  multiplication  dos  fractions  ;  il  est  égal  à  : 

3X7X4XG 
SX'^XUxô' 
Mais  cette  fraction  elle-même  peut  s'écrire  : 


{i-^)-Qxiy 


ce  qui  montre  qu'elle  est  égale  au  rapport  du  pro- 
duit des  antécédents  à  celui  des  conséquents. 
On  démontrerait  de  môme  que  le  quotient  de   la 


division  de  deux  rapports  est  égal  au  produit  du 
rapport  dividende  par  l'inverse  du  rapport  divi- 
seur. 

Remahoue.  —  Il  est  indispensable  de  connaître 
les  règles  du  calcul  des  rapports  et  de  savoir  que 
ces  règles  sont  identiques  à  celles  du  calcul  des 
fractions,  pour  établir  dans  toute  leur  généralité 
les  propriétés  si  importantes  des  proportions  (V. 
P7-oporlions).  [H.  Bos.] 

R.VVONNEMEINT.  —  Physique,  XX.  —  Tout 
corps  chaud  placé  dans  une  enceinte,  qu'il  soit  lu- 
mineux comme  un  boulet  incandescent  ou  obscur 
comme  un  vase  rempli  d'eau  bouillante,  envoie 
de  la  chaleur  autour  de  lui  dans  toutes  les  direc- 
tions. C'est  i  celte  propagation  que  l'on  donne 
le  nom  de  rai/ounement. 

A  l'époque  où  l'on  considérait  la  chaleur  comme 
un  fluide  que  l'on  définissait  par  ses  manifesta- 
tions les  plus  frappantes,  on  appelait  c/ialeur 
rayonnante  celle  qui  se  transmet  du  corps  chaud 
au  corps  froid  en  traversant  l'espace.  On  avait 
été  amené  par  l'observation  h  distinguer  la  cha- 
leur qui  provient  des  sources  lumineuses  telles 
que  le  soleil  ou  les  corps  en  combustion,  et  celle 
des  sources  obscures.  On  savait  que  la  chaleur 
lumineuse  du  soleil  traverse  le  vide,  puisqu'elle  ne 
nous  arrive  qu'après  avoir  franchi  les  espaces  in- 
terplanétaires où  il  n'existe  aucune  matière  pon- 
dérable. Rumford  avait  montré  par  une  expérience 
restée  classique  que  la  chaleur  obscure  se  propage 
également  dans  le  vide.  On  reconnaissait  donc  à  la 
chaleur  rayonnante,  comme  propriété  saillante,  la 
possibilité  de  se  transmettre  sans  le  secours  de  la 
matière  pondérable  et  de  traverser  certains  corps 
sans  les  échauffer.  L'étude  du  rayonnement  so 
bornait  alors  aux  principaux  faits  de  cette  trans- 
mission. 

Aujourd'hui  la  notion  de  rayonnement  n'est  plus 
limitée  à  la  propagation  de  la  chaleur;  mais  elle 
s'applique  aux  diverses  radiations  du  spectre.  La 
lumière  et  la  chaleur  sont  pour  le  physicien  deux 
effets  différents  d'une  même  cause,  la  chaleur 
obscure  ne  difTore  do  la  chaleur  lumineuse  que  par 
sa  moindre  réfrangibilité.  La  transmission  de  la 
chaleur  et  tous  les  pliénomènes  qui  en  résultent 
ne  peuvent  plus  être  séparés  de  la  transmission  de 
la  lumière.  Cependant,  au  point  de  vue  des  appli- 
cations, il  y  a  encore  avantage  h  faire  du  rayonne- 
ment de  la  chaleur  une  étude  particulière  et  spé- 
ciale, sans  oublier  l'analogie  profonde  de  la  lu- 
mière et  de  la  chaleur  et  sans  rien  négliger  de 
tout  ce  que  la  connaissance  du  rayonnement  lumi- 
neux peut  apporter  de  clarté  et  de  précision  dans 
ce  vaste  sujet. 

La  division  s'impose  nettement  :  d'un  côté  un 
corps  chaud  qui  envoie,  de  l'autre  un  corps  qui 
reçoit  et  s'écliauffe  ;  entre  eux  un  corps  qui  trans- 
met sans  s'échauffer. 

La  transmission  jette  un  certain  jour  sur  les  par- 
ticularités des  autres  phénomènes,  aussi  l'étu- 
die-t-on  la  première. 

1.  Transmission  de  la  chaleur.  —  De  même 
qu'il  y  a  des  substances  plus  ou  moins  transpa- 
rentes pour  la  lumière,  de  même  il  y  en  a  de  plus 
ou  moins  transparentes  pour  la  chaleur.  On  a  ap- 
pelé diatliermanes  les  corps  qui  laissent  passer  la 
chaleur,  athermanes  ceux  qui  l'arrêtent. 

On  sait  que  certaines  substances  transparentes 
ne  laissent  passer  que  quelques-unes  des  radia- 
tions de  la  lumière  blanche  ;  ainsi  un  verre  forte- 
ment coloré  ne  se  laisse  traverser  que  par  les 
rayons  de  sa  couleur  ;  le  verre  rouge  laisse  passer 
les  rayons  rouges  et  éteint  les  autres.  Il  se  passe 
quelque  chose  d'analogue  pour  la  chaleur. 

Le  sel  gemme  est  la  seule  substance  complète- 
ment diathermane  pour  toute  espèce  de  chaleur  j 
il  laisse  passer  aussi  bien  les  chaleurs  obscures 
que  les  chaleurs  lumineuses.  On  s'en  est  servi,  en 


RAYONNEMENT 


—  17U8  —     KAYONNEMT  TERRESTRE 


îfe.  mettant  sous  forme  de  prisme,  pour  produire    ihermo-électvique  pour  qu'elle  accuse  instantané 


!é  ïçectre  des  diverses  sources  calorifiques.  On 
pu  se  convaincre  que  li.'S  rayons  émis  par  le  soleil 


ment  de  la  clialeur  reçue. 
Les  substances  mates  telles  que  le  papier,   le 


..  „.„  les  corps  en  combustion,  autrement  dit  par  blanc  de  céruse,  les  métaux  dépolis,  sont  celles  qui 
Ifcs'  sources  calorifiques  lumineuses,  se  partagent    diffusent  le  pins.  ,       ,  .  , 

«Ddcux  groupes  :  les  uns,  plus  déviés  par  le  prisme,  '  La  quantité  de  chaleur  ah.^orbee  par  c  corps  OU 
spnt  à  la  fois  lumineux  et  calorifiques;  ils  im-  retenue  par  lui,  qui  cesse  d  être  chaleur  rayon- 
»r£Ssionnent  l'oeil  aussi  bien  que  les  appareils  nante  et  se  manifeste  par  une  élévation  de  lem- 
sensibles  seulement  à  la  chaleur  comme  la  pile  de  pér.iture,  est  évidemment  1  inverse  de  la  portion 
Melloni  ;  les  autres,  moins  réfrangibles  par  le  réflécliie  régulièrement  ou  irrégulièrement.  Les 
ip-isme,  sont  seulement  calorifiques;  ils  n'agissent  ,  corps  polis  renvoient  presque  tout  «  .H"  "s  ont 
nue  sur  la  pile  et  aucunement  sur  l'œil.  reçu,  ils  n'absorbent  et  par  suite  ne  s  échauffent 

Des  expériences  faites  par  Melloni  et  plus  ré-  que  peu.  Les  corps  mats,  au  contraire,  qui  ne  re- 
ecmment  par  d'autres  savants,  il  résulte  que  le  [  fiéchissent  ou  ne  diffusent  que  très  peu,  absor- 
wrre  est  diathermane  seulement  pour  les  cha-  1  bent  beaucoup  et  s  échauffent  vite. 
leurs  rumineuses;  il  ne  se  laisse  pas  traverser  par  3.  Emission  de  la  chaleur.  -  Tout  corps  ciauQ 
1rs  chaleurs  obscures.  La  vapeur  d'eau  est  dans  émet  dans  toutes  les  directions  autour  de  lu  des 
Je  même  cas.  L'iode  dissous  dans  le  sulfure  de  car-  radiations  complexes  composées  d  un  ensemble  ûe 
hone  agit  d'une  manière  absolument  contraire;  il  ,  rayons  dont  la  réfrangibilité  varie  avec  la  tempe- 
ii£  laisse  passer  que  les  chaleurs  obscures,  arrô-  ;  rature.  L'émission  se  fait  on  ligne  droite  entre  e 
»ant  com-plétement  la  lumière  et  la  chaleur  dont  ,  corps  et  un  point  donne  de  1  espace  :  au-dessous 


Wnt  coniplètem 

elle  est  accompagnée. 


de  100°,  il  n'y  a  que  des  radiations  peu  rcfrangi- 


tes  conséqueifces  de  ces  faits  sont  intéressan-  blés,  qui  traversent  à  peine  la  plaque  ou  le  .P"sme 
tes.  Cette  propriété  du  verre  permet  de  compren-  ]  de  sel  gemme,  mais  sont  "1''^^;;™^ '  ^7f '^«'J'  ,P.f 
drc  pourquoi  l'espace  couvert  d'un  châssis  vitré  ,  une  lame  de  verre  mince.  De  ICO  àoOO  'es  rama- 
s-.échauffe  plus  par  la  chaleur  solaire  que  le  même  tions  sontencore  obscures,  mais  se  rapprochent  oes 
espace  voisin  qui  est  découvert.  Sur  chacun  d'eux  radiations  visibles  du  spectre  ;  vers  '0"  f  ^"-'>«^- 
H  arrive  une  égale  quantité  de  chaleur  lumineuse  sus,  il  y  a  en  même  temps  que  les  "dictions  ca  10- 
0,11  échauffe  il  sol  et  devient  de  la  chaleur  rifiqnes  des  radiations  lumineuses.  On  comprend 
o^cure  ;  mais  tandis  que  rien  n'empêche  le  sol  alors  que  la  quantité  totale  de  '■''^'e"[^'^'  Jf  •/°'* 
découvert  de  rayonner  et  de  perdre  cette  chaleur  |  dans  toutes  les   directions,   soit    seiUement  dans 


obscure,  le  verre  du  châssis  s'oppose  au  passage  et 
à  la  perte  de  la  chaleur  obscure  venue  de  l'espace 
qu'il  recouvre. 
La  propriété  de  la  vapeur  d'eau  de  ne  pas  laisser 


une,  augmente  avec  la  température  du  corps. 

Les  expériences  sur  l'émission  n'ont  guère 
poité  que  sur  les  chaleurs  obscures  les  moins 
réfrangibles.   C'est  Leslie    qui  le   premier   les  a 


passer  la  chaleur  obscure,  tout  en  étant  dialher-  faites.  Il  employait  comme  source  de  chaleur  un 
Lne  pour  la  chaleur  lumineuse,  explique  pourquoi  cube  métallique  contenant  de  Ijf^^/i'"'''^^"^^^^ 
lu  refroidissement  nocturne  du  sol  est  toujours  |  dont  les  faces  étaient  recouvertes  de  diverses 
olus   grand  quand  l'atmosphère   est   sans   nuage,  i  substances.  ,,,.,.,.,       „„r,„„  „,  Hans  ries 

4e  lorsqu'un  rideau  de  vapeur  d'eau  peut  s'op-        Il  a, trouve  qu'à  égalité  de  surface  e    dans  des 


leau  de  vapeur  a  eau  peut,  s  op-        ii  a  uuuvu  i^.  »  ^b-...^  «^  -.-•■- .,, 

de  la  chaleur  obscure  que  le  sol  conditions  identiques  de  '■•'mP'?''''»"'''^' 'j',^"^'  "!; 
de  chaleur  émise  par  un  corps  varie  avec  la  nature 
de  sa  surface. 

Le  noir  de   fumée  est  celui  de  tous  les  corps 

■     st  devenu  le  terme  de 

Et  on 


squ 
joser  au  passag 
rayonne  vers  l'espace. 

2.  Ln  chaleur  et  le  corps  à  échauffer.  —  La  cha- 
leur   arrivant    sur   un   corps    peut  être    réfléchie 


comme  la  lumière,  c'est-à-dire  renvoyée  dans  une  ,  qui  rayonne  le  mieux;  il  e: 

direcUon  unique  et  déterminée,  si  le  corps  est  comparaison  du  7''y"""^!"^"'  f^\^  rionné  le  rap 
poli  ;  elle  peut  être  diffusée,  c'est-à-dire  renvoyée  appelle  pouvoir  em,ss,fd  ","  .'^"Jf  J,°"°'. ''l/r  ^ 
L  ;„.,,»    rtans  inntes    les   directions    Dossibles;  '  DOrt  entre  la  quantité  de  chaleur  rajonnee  par  c( 


M  partie   dans  toutes   les   directions   possibles  ;    port  entre  la  quantité  de  chaleur  rajonnee  p..  ^^ 
enfin  elle  est  absorhée  par  le  corps  dont  elle  élève  !  corps  et  celle  que   rayonnerait  le   noir  de   lumee 

I  dans  les  mômes  conditions. 

D'une  manière  générale  les  corps  rugueux  ont 

1  un  pouvoir  émissif  plus  fort  que  les  corps  polis; 

les  métaux  à  surface  polie  sont  les  corps  dont  le 

if  est  le  plus  faible.  Cette  propriété 


miroirs   conjugués  imaginée  par  Leslie.  De  tous    des  physiciens,  etc.  ..;,,„,„ont    ri'nn 

!es  corps,  ce  sont  les  n.étaux  polis  qui  réfléchis-        Ajoutons    que    le  .^''-f™'^  f/f f^"'    ^.  ""  , 
sent  le  mieux  la  chaleur.  placé  dans  une  enceinte, dont   a  te^Pf  f  » 


la  température. 

La  réflexion  de  la  chaleur  se  fait  idenlique- 
nient  d'après  les  mêmes  lois  que  pour  la  lumière. 
C'est  un  fait  hors  de  doute  en  ce  qui  concerne  la 

chaleur  lumineuse;  on  sait  en  effet  qu'on  peut  |  pouvoir  émissit  est  le  pms  ia.uie^..._..^r.^,'. -y- 
roilammer  un  corps  combustible  au  foyer  d'un  ]  juslihe  1  emploi  que  1  on  f^'*; °f  .";'^^f"''„,PQÙe 
miroir  concave  sur  lequel  on  fait  arriver  la  lu-  toutes  les  fois  que  1  on  ^'^t  .."^f '^  "*  ^^."''Jl',^,^d ^ 
mière  solaire.  C'est  aussi  vrai  pour  la  chaleur  possible  !«  ,«f™id.>ssement  d  un  liquide  ch^^^^^ 
obscure,  comme  le  prouve  l'expérience  des  deux    telles  sont  les  théières  d  argent,  les  calorimètres 

corps 
pérature  est 
■La'"di/?i«To«   de  la    chaleur  est  également  un  1  inférieure" à"  la  sienne  n'est  pas  dii  ^"   J^J;»""?- 
Bhéncmène  analogue  à  celui   qu'on  observe  pour    ment  seul;   la  ^"'^ti'r /^f  "^  .'!"'  f  \oX«  et 
l  lumière.  Si  dans  une  chambre  obscure  on  fait    corps  lui  enlève  aussi  de  la  chaleur  au  contact  et 

■  se  renouvelle  sans  cesse  autour  de  ]"'■  ^  esi  ui 
phénomène  complexe  qui  dé|.e«d  sans  contredit 
dn  pouvoir  émissif  et  de  l-  «mperature  du  corps 
chaud,  mais  aussi  de  la  température  de  1  enceinte 
et  de  la  nature  du  gaz  qu'elle  contient. 

[Haraucourt.J 
RAVO.NNEMENT  TERRUSTRK.  -  Météorolo- 
gie MV  —  Emission  de  chaleur  par  les  objets 
terrestres  vers  les  espaces  planétaires,  d'où  ré- 
sulte l'abaissement  de  la  température  des  nuits. 
La  température  des  espaces  célestes  au  milieu 
desquels  circule  notre  globe  est  d'une  centaine 
de  detirés  au-dessous  du  point  de  congélation  de 


entrer  un  faisceau  de  rayons  solaires  et  qu'on  le 
reçoive  sur  un  petit  miroir  incliné,  une  personne 
placée  dans  l'appartement  ne  recevra  de  lumière 
lie  ce  miroir  que  si  elle  se  trouve  sur  le  trajet  du 
faisceau  réfléchi,  et  c'est  également  dans  cette  di- 
ïcclion  unique  que  la  pile  thermo-électrique  accu- 
sera la  chaleur  renvoyée  par  le  miroir;  voilà  la 
réflexion  régulière.  Mais  que  les  rayons  viennent 
Irjppcr  un  mur  blanc  en  face  de  l'ouverture,  l'i- 
niagc  qu'ils  y  dessineront  sera  visible  de  tous  les 
pohivs  de  la  salle,  ce  qui  preuve  que  le  mur  a 
diffusé  la  lumière  dans  toutes  les  directions.  Il  a 
également  diffusé  la  chaleur,  car  il  suffit  de  tour 


egaiomeni  amuse  la  cnaieur,  car  u  suiui  ue  luui-     u^-  uv^.^.»  »-  "~-r     ,,  ,    ',.    -j    i,._i.,  „,  i,,o  nsm 
âv   vers   la  direction  du    point    éclairé   la  pile    l'eau.  Ce  n'est  point  là  le  Iroid  absolu,  et  Ils  espa 


RAYONNEM'   TEIIIIKSTRE     —  ITM  —     RAYONNKMf  TERRESTRIi: 


ces  planétaires  nous  envoient  Rncoro  de  la  clialeur, 
quoique  la  quantité  en  soit  extrêmement  faible; 
mais  ilans  l'écliange  perpétuel  qui  s'en  fait  entre 
eux  et  la  teire,  celle-ci,  en  l'absence  du  soleil,  est 
loin  d'en  recevoir  autant  qu'elle  Iciur  en  envoie. 
La  surface  terrestre  se  refroidirait  donc  indclini- 
ment,  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  atteint  la  température 
des  espaces  célestes,  si  ses  pertes  de  chaleur  n'é- 
taient pas  compensées  par  l'action  solaire. 

Dès  que  le  jour  se  lève,  la  température  com- 
mence généralement  à  monter;  elle  monte  assez 
vite  jusqu'à  midi,  moment  où  le  soleil  atteint  son 
point  le  plus  haut  au-dessus  de  l'horizon  ;  elle 
monte  encore,  mais  plus  lentement,  jusque  vers 
1  heure  en  hiver,  jusque  vers  3  heures  en  éié, 
parce  que  si,  à  partir  de  midi,  l'action  solaire 
commence  à  décroître,  elle  est  encore  supérieure 
aux  pertes  que  le  rayonnement  fait  subira  la  terre. 
A  partir  de  son  maximum,  la  température  baisse, 
lentement  d'abord,  puis  plus  rapidement  jusqu'au 
coucher  du  soleil,  puis  enfin  de  nouveau  d'une 
manière  lente  pendant  la  durée  de  la  nuit.  Le 
filus  grand  froid  a  lieu  un  peu  avant  le  lever  du 
soleil. 

Ces  variations  successives  sont  surtout  accusées 
et  régulières  quand  le  temps  est  stable  et  le  ciel 
pur.  Quand  le  ciel  est  nuageux  ou  couvert,  la 
marche  de  la  température  peut  s'écarter  sensible- 
ment de  la  règle  précédente  et,  surtout  en  hiver, 
quand  le  temps  change,  la  température  peut  croître 
ou  décroître  d'une  manière  continue  pendant  les 
vingt-quatre  heures.  L'influence  solaire  alors  peu 
marquée  disparaît  au  milieu  d'autres  causes  plus 
actives. 

Les  objets  terrestres  ne  sont  pas  seuls  h  rayon- 
ner leur  chaleur;  chaque  particule  de  l'atmos- 
phère arrête  et  s'assimile  une  p;irtie  dos  rayons 
qui  passent  dans  son  voisinage,  et  rayonne  elle- 
même  do  sa  propre  chaleur  dans  toutes  les  di- 
rections ;  sa  température  monte  ou  descend  sui- 
vant que  le  gain  l'emporte  sur  la  perte  ou  que  la 
perte  dépasse  le  gain.  Chaque  objet  lerrestre  re- 
çoit donc  non  seulement  la  faible  part  que  lui 
envoient  les  espaces  célestes  toujours  très  froids, 
mais  encore  celle  que  lui  envoient  tous  les  points 
de  l'atmosphère  situés  entre  l'objet  et  le  ciel  qui  le 
recouvre.  Or  cette  dernière  somme  de  chaleur, 
tout  en  étant  encore  faible  généralement,  est  in- 
comparablement plus  grande  que  celle  qui  nous 
vient  des  espaces  célestes;  elle  varie  d'ailleurs 
d'un  jour  à  l'autre  et  d'une  heure  à  l'autre  d'un 
même  jour  suivant  l'état  présent  du  ciel. 

Dès  que  les  dernières  lueurs  du  crépuscule 
ont  disparu  dans  un  ciel  pur,  l'atmosphère  rayonne 
relativement  peu  de  chaleur  vers  nous;  le  senti- 
ment de  fraîcheur  nous  paraît  vif,  en  dehors 
môme  de  la  transition  qui  s'opère.  Los  instru- 
ments spéciaux  accusent  alors  un  premier  mini- 
mum dans  la  quantité  de  chaleur  que  l'ensemble 
de  l'atmosphère  nous  envoie.  Mais  bieniôt,  l'air 
s'étant  refroidi,  des  vapeurs  se  condensent  et, 
alors  même  que  le  voile  formé  par  elles  nous  pa- 
raît invisible,  elles  retardant  le  refroidissement 
nocturne,  en  formant  comme  u)ie  sorte  d'écran 
qui  nous  abrite.  Quelques  heures  après  h;  coucher 
du  soleil,  la  fraîcheur  du  soir  semble  un  peu  s'a- 
mortir. Cet  effet  s'accuse  encore  davantage  si  le 
vent  léger  du  soir  vient  à  tomber.  La  disparition 
de  ces  vapeurs  dans  les  couches  élevées  de  l'at- 
mosphère, un  peu  avant  lo  lever  du  soleil,  produit 
un  effet  inverse  au  moment  du  minimum  iher- 
mométriquc  du  matin.  En  dehors  de  la  tempéra- 
ture propre  de  l'air  que  nous  amènent  les  vents  du 
Nord  on  du  Midi,  un  ciel  pur  est  un  gage  de  re- 
froidissement nocturne  et  d'échaufl'ement  diurne 
intenses;  un  ciel  couvert  ou  brumeux  tend  au 
contraire  à  diminuer  l'écart  entre  les  deux 
extrêmes  températures  de  la  période  quotidienne. 


Dans  la  plupart  des  pays  chauds,  les  nuits  sont 
très  fraîches,  p,trce  que  le  ciel  y  conserve  une 
grande  pureté.  Le  phénomène  devient  encore 
plus  marqué  si  on  s'élève  sur  do  hauts  pjateaux, 
parce  que  la  masse  de  la  couche  atmosphérique 
qui  nous  sépare  des  espaces  planétaires  et  tem- 
père leur  action  devient  de  plus  en  plus  faible.  11 
n'est  pas  rare  de  voir  les  faucheurs  des  Alpes 
couper  l'herbe  glacée  le  matin  et  subir,  dans  le 
jour,  des  températures  de  plus  de  30  degrés.  A 
mesure  qu'on  descend  dans  la  plaine  ou  qu'on 
s'avance  vers  les  brumes  du  Nord,  la  différence 
des  températures  entre  le  jour  et  la  nuit  va  s'af- 
faiblissant.  Les  mœurs  des  populations  se  plient  à 
ces  conditions  climatériques,  et  il  est  souvent  im- 
prudent de  transporter,  sans  modification,  ses  ha- 
bitudes d'une  région  à  une  autre.  Les  hommes 
d'Lcosse  et  les  jeunes  enfants  d'Angleterre  peu- 
vent impunément  garder  les  bras  et  les  jambes 
nus,  même  pendant  leurs  hivers  à  température 
diurne  peu  variable;  les  habitants  du  Midi  de  la 
France,  de  toute  l'Espagne  et  du  Nord  de  l'Afrique 
ne  doivent  pas  nous  surprendre  avec  leurs  man- 
teaux de  drap  ou  leurs  longs  vêtements  de  laine, 
dont  les  grands  changements  de  température  du 
jour  à  la  nuit  leur  ont  appris  l'utilité. 

Dans  la  phase  du  reiroidisscmont  nocturne,  tous 
les  corps  ne  descendent  ni  avec  la  môme  vitesse 
ni  .m  même  degré.  Les  plantes  ayant  un  pouvoir 
rayonnant  considérable  se  refroidissent  plus  que 
l'air  qui  les  entoure;  elles  se  refroidissent  d'au- 
tant plus  que  le  ciel  est  plus  pur,  que  l'air  est  plus 
calme  et  qu'elles  sont  moins  protégées  par  des 
abris  de  toute  nature.  Un  thermomètre  couché  sur 
l'herbe  d'un  pré  peut  descendre,  dans  certaines 
nuits  de  France,  à  7  ou  8  degrés  plus  bas  qu'un 
thermomètre  semblable  situé  à  l'air  libre,  mais 
abrité  du  rayonnement  nocturne.  L'air  peut  donc 
ii'avoir  pas  atteint  la  température  de  son  point  de 
rosée,  c'est-à-dire  la  température  à  laquelle  il 
commence  à  être  saturé  par  la  vapeur  d'eau  qu'il 
renferme,  et  au-dessous  de  laquelle  une  partie 
de  cette  vapeur  se  condenserait  sous  forme  de 
brouillard  ou  de  vapeurs  visibles,  tandis  que,  au 
même  moment,  les  objets  terrestres  auront  dé- 
passé ce  point  et  se  seront  couverts  de  rosée  ou 
de  gelée  blanche.  —  V.  Gelée  blanche. 

Le  refroidissement  nocturne  produit  par  le 
rayonnement  varie  beaucoup  d'un  pointa  un  autre 
d'un  môme  canton,  la  plus  légère  vapeur  pouvant 
le  ret.ii'der  beaucoup.  D'un  autre  côté,  les  corps, 
lorsqu'ils  sont  plus  froids  que  l'air  qui  les  entoure, 
prennent  de  la  chaleur  à  cet  air  qu'ils  refroidis- 
sent, en  sorte  que  la  différence  de  leurs  deux 
températures  ne  peut  jamais  dépasser  une  cer- 
taine limite.  Le  degré  de  température  auquel 
descendent  les  rameaux,  les  feuilles,  les  brins 
d'Iierbe,  dépendra  donc  du  degré  de  température 
de  l'air  lui-môme.  Or,  cet  air  étant  d'autant  plus 
lourd  qu'il  est  plus  froid,  celui  qui  s'est  refroidi 
par  son  contact  avec  les  points  élevés  du  sol  coule 
progressivement  vers  les  points  les  plus  bas,  où 
il  se  rassemble  quand  l'atmosplière  est  calme.  Ce 
fait  est  extrêmement  sensible  dans  certaines  val- 
lées qu'on  nomme  en  plusieurs  lieux  vallée  du 
refroidi.  Il  l'est  encore,  quoique  moins  marqué, 
sur  un  sol  moins  accidenté.  On  ne  doit  donc  pas 
être  surpris  si,  dans  les  grands  froids  de  décem- 
bre 187U,  des  thermomètres,  peu  éloignés  cepen- 
dant, ont  accusé  de  très  notables  différences  de 
température.  Des  différences  analogues  se  pro- 
duisent on  toute  saison  pendant  les  nuits  calmes 
et  claires.  Si  l'un  considère  d'autre  part  que  les 
eaux  des  pluies  qui  ruissellent  à  la  surface  dn  sol 
obéissent  à  la  môtne  loi  de  pesanteur,  que  la  na- 
ture du  sol  et  du  sous-sol  varie  beaucoup  d'un 
point  à  l'autre  d'un  mCiuo  champ  et  que,  etiliii, 
l'effet  du   froid   sur  une  plante  dépend  beaucoup 


RAYONNES 


—  1800 


RAYONNES 


de  l'état  du  la  sève  dans  cette  plante,  on  compren- 
dra que  les  effets  du  rayonnement  nocturne  puis- 
sent présenter  les  anomalies  les  plus  grandes  en 
apparence,  alors  que  ces  effets  obéissent  au  con- 
traire à  des  lois  très  simples  dans  leur  nature, 
sinon  dans  leurs  manifestations.     [Marié-Davy.] 

RAYONNES.  —  Zoologie,  XXIX.  —  Sous  le  nom 
de  Haytiiviés  ou  de  Zoopliytes,  Cuvier  avait  réuni 
non  seulement  des  animaux  à  structure  externe 
rayonnée,  comme  les  Coralliaires  et  les  Écliino- 
dermes,  mais  encore  tous  les  êtres  dont  la  nature 
lui  était  imparfaitement  connue,  comme  les 
Bryozoaires,  les  Helminthes  et  les  Infusoires.  De 
Blainville,  le  premier,  en  sépara  les  Helminthes, 
qu'il  rangea  à  leur  place  près  des  Vers,  et  les 
Infusoires,  qui,  avec  les  Éponges  (V.  Spongiaires  , 
formaient  pour  lui  le  type  le  plus  inférieur  du 
règne  animal  ;  eufm  les  Bryozoaires,  mieux  con- 
nus, furent  placés  par  M.  Milne-Edwards  à  côté 
des  Mollusques.  L'embranchement  des  Rayonnes 
de  Cuvier,  ainsi  réduit  et  tel  que  nous  l'admet- 
trons ici,  a  été  divisé  par  Leuckart  en  deux 
groupes  que  nous  considérerons  comme  des  sous- 
embrancbemcnts,  le  sous-embranchement  des 
Cœlentércs   et   celui    des   Er/iinodei-mps. 

Sous-embranchement   des    Cœlentérés.    —   Le 
groupe  des  Cœlentérés    est   formé    d'animaux    à 
structure  rayonnée,  sans  appareils  digestif  et  vas- 
culaire  distincts,  vivant  le  plus  souvent  en  colo- 
nies. Ils  sont  caractérisés  par  la   présence  dans 
leurs  tissus  de  cellules  spéciales,  les  iiématuci/stes, 
renfermant  un  til  enroulé  en  spirale  qui  peut  se 
dérouler  au  dehors,  en  entraînant  quelques  gout- 
tes d'un  liquide  jouissant  de  propriétés  urticantes 
et  paralysant  les  petits  animaux  qui  en   sont  at- 
teints. Ce  sont  ces  organes  urticants  qui  ont  valu 
à  quelques  animaux  de  ce  groupe  le  nom  d'orties 
de  mer. 
Les  Cœlentérés  ont  été  divisés  en  trois  classes  : 
1°  Les  Polypes  ou  Cokalliaibes, 
2°  Les  Hydrcmédisaibes, 
3°  Les  CtÉiXophoiies. 

Coralliaires.  —  Le  polype  coralliaire  est  un 
animal  à  forme  plus  ou  moins  cylindrique  fixe  par 
sa  base.  Son  extrémité  supérieure  présente  un  ori- 
fice qui  tient  lieu  ùlafoisdebouclieetd'anus.  Cette 
bouche  est  entourée  d'un  nombre  plus  ou  moins 
grand  de  tentacules  tubulaires.  A  la  bouche  fait 
suite  un  tube  assez  court,  l'œsophage,  s'ouvrant 
largement  dans  la  cavité  unique  dont  est  creusé  le 
corps.  Les  parois  de  cette  cavité  générale  sont 
garnies  de  lames  membraneuses,  les  cloiions  mésen- 
tciûïde<,  en  nombre  égal  aux  tentacules  et  alter- 
nant avec  elles.  Ces  cloisons,  soudées  à  leur  partie 
supérieure  avec  le  tube  œsophagien,  limitent  une 
série  de  loges  communiquant  en  haut  avec  l'inté- 
rieur des  tentacules,  et  .s'ouvrant  largement,  en 
bas,  dans  la  cavité  générale  au  moyen  de  laquelle 
elles  communiquent  entre  elles. 

Les  Coralliaires  sont  des  animaux  marins,  car- 
nivores, se  nourrissant  en  général  d'infusoires  ou 
de  matières  organiques  tenues  en  suspension 
dans  l'eau;  mais  les  espèces  de  grande  taille, 
comme  les  Actinies,  se  nourrissent  aussi  de  crus- 
tacés, de  mollusques  et  autres  animaux  .marins 
qu'ellts  arrêtent  avec  leurs  tentacules  et  dont 
elles  neutralisent  les  mouvements  au  moyen  do 
leurs  nématocystes. 

La  plupart  de  ces  animaux  vivent  en  colonie  et 
secrettnt  dans  leurs  tissus  des  spicules  ou  des 
corpuscules  calcaires  qui  se  soudent  entre  eux  et 
dont  l'ensemble  constitue  une  masse  solide, 
pierreuse,  le  polypier. 

D'après  la  forme  et  le  nombre  des  tentacules, 
le  mode  de  formation  du  polypier,  les  Coralliaires 
ont  été  divisés  en  deux  ordres:  les  Alcyonnaires 
ou  0  tactiniaircs,  et  les  Zoanlhaircs. 

.ikyon?iaires  ou  Octactiniuires.  —  Les  Alcyon- 


naires,  dont  les  représentants  principaux  sont  le 
Corail,  les  Gorgones,  les  Pennatules,  vivent  tous 
en  colonie  et  sont  caractérisés  par  le  nombre  et 
la  forme  de  leurs  tentacules.  Ces  tentacules,  tou- 
jours au  nombre  de  huit,  sont  garnis  de  chaque 
côté  de  petites  digitations  simples  et  filiformes 
qui  leur  donnent  une  apparence  pennée. 

Les  animaux  de  la  colonie  sont  fixés  dans  un 
tissu  commun,  le  cœnenchyme,  qui  est  creusé  de 
canaux  les  mettant  en  communication  les  uns 
avec  les  autres.  Ce  cœnenchyme,  souvent  rempli 
de  spicules,  enveloppe  l'axe  de  la  colonie  qui  est 
tantôt  corné  comme  dans  les  Gorgones,  tantôt 
calcaire  comme  dans  le  Corail,  ou  alternativement 
corné  et  calcaire  comme  dans  les  Isis.  Quelque- 
fois l'axe  manque  ;  alors  le  cœnenchyme  prend  un 
grand  développement  et  conserve  une  certaine 
contractilité;  c'est  ce  qui  a  lieu  dans  les  Alcyons. 

C'est  dans  ce  groupe  des  Alcyonnaires  que  l'on 
ren(?ontre  des  colonies  non  fixées,  les  Pennatules, 
les  Virgulaires,  les  liénilles.  La  portion  basilaire 
commune  i  la  colonie,  au  lieu  do  s'étaler  sur  un 
rocher  ou  un  corps  sous-marin  quelconque,  se 
prolonge  en  une  sorte  de  racine  s'enfonçant  dans 
la  vase  sans  contracter  aucune  adhérence. 

De  tout  ce  groupe  des  Alcyonnaires,  l'espèce  la 
plus  importante  est  le  Corail  rouge,  dont  l'axe  dur 
et  susceptible  d'un  beau  poli  est  utilisé  en 
bijouterie.  Le  Corail  habite  seulement  la  Médi- 
terranée, où  on  le  pêche  surtout  sur  les  côtes 
d'Algérie  et  de  Tunisie. 

Zoaidhnires.  —  Les  animaux  de  cet  ordre  diffè- 
rent surtout  des  Alcyonnaires  par  la  structure 
et  le  nombre  des  tentacules.  Ici  les  tentacules 
sont  d'ordinaire  simples,  et  quand  par  exception 
ils  deviennent  ranieux,  ils  ne  présentent  jamais 
la  disposition  bipennée  qui  se  voit  toujours 
dans  les  tentacules  des  Alcyonnaires.  Dans  le 
plus  jeune  âge,  les  tentacules  ne  sont  qu'au 
nombre  de  six  ou  de  quatre,  mais  en  général  ils 
se  multiplient  rapidement  de  façon  à  former  plu- 
sieurs couronnes  autour  de  la  bouche,  et  chez 
l'adulte  on  en  compte  presque  toujours  au  moins 
12,  souvent  3i,  parfois  48  et  plus.  Le  nombre  des 
cloisons  de  la  cavité  du  corps,  qui  n'est  jamais  que 
de  8  chez  les  Alcyonnaires,  est  en  même  nombre 
que  les  tentacules,  de  sorte  que  la  cavité  viscérale 
se  trouve  divisée  en  une  multitude  de  loges  pé- 
riphériques. Enfin,  tandis  que  chez  les  Alcyon- 
naires les  polypes  sont  en  quelque  sorte  indé- 
pendants du  polypier  quand  il  existe,  chez  les 
Zoanthaires,  au  contraire,  à  chaque  polype  corres- 
pond un  polypier  pierreux  présentant  i  peu  près 
la  forme  de  l'animal  et  pourvu  de  cloisons  qui 
alternent  avec  les  cloisons  mésentéroides  du  po- 

C'est  à  ce  groupe  des  Zoanthaires  qu  appartien- 
nent les  Actinies,  que  leurs  couleurs  et  leur 
forme  ont  fait  appeler  anémoifs  de  mer:  elles 
vivent  isolées  et  sont  dépourvues  de  polypier;  et 
les  Antipathes,  dont  le  polypier  est  corné.  Parmi 
les  Zoanthaires  à  polypier  calcaire,  il  faut  citer 
les  Millépores,  les  Fongies,  les  Astrées,  les 
Méandrines,  les  Madrépores,  etc.  Tous  ces 
animaux,  qui  vivent  dans  les  mors  chaudes, 
jouent  un  grand  rôle  dans  les  modifications  de 
l'écorce  terrestre.  Par  leur  grand  développement 
combiné  avec  les  mouvements  du  fond  de  la  mer, 
ils  concourent  à  la  formation  des  récifs,  des  atolls 
et  des  îles  madréporiques,  si  développés  dans  les 
régions  chaudes  de  l'océan  Pacifique,  et  en  parti- 
culier en  Océanie. 

Hyuromédusaires.  —  La  deuxième  classe  des 
Cœlentérés  renferme  des  animaux  très  différents 
par  leur  forme  et  par  leur  mode  d'existence,  les 
Polypes  hydraires  et  les  Méduses.  Aussi  les  an- 
ciens zoologistes  les  avaient-ils  placés  dans  des 
classes  difl'éreutes,  et  ce  ne    fut   qu'à    partir  de 


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Sii^juu^e^  4^   t&c^t!.âTs.f ,   /i<_  iu'àzi2/'rii    d)auâ-a^e.    <3^/a^rUf~ àu.^4r>iSs^i^ 

ce  ùirf/zi-,  y^ /^'  c^f^  i>^zt^'^r>  ^  t^u  t.  c^^<.^   /<*  /û^'^el  aU^t^ ^^^ 


<^2'i-C<C  .  /7ioù^/he^'&^£^     c^O  /i..^/t^    C^jt  e.o  i^^  e.^t^AJ    £/C-^a.    Sij'e/tC^  ^aJc>-f'C 

'^  /a.  Jc.zf^cA.    c^^'o-^&4  à'ffx^^eyyi.^--  /^i^/r  e^Joy   &c—fii  'c^   cci?!e  i^e,   ^^^4^- 
àZcc       jr^   ^i> n  fe.i^  aZio^ /^  fa  e^' tL/e     ^Hsm^  /au^-  <^^  i^O'^i^^y^'^''^  ^■''-^■^ 


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RAYONNES 


—  1801  — 


RAYONNES 


1835,  lorsque  le  pasteur  suédois  MicliaOl  Sars  eut 
montre  (|uo  les  méduses  n'étaient  que  la  forme 
sexuée  des  polypes  liydraires,  que  ces  animaux 
furent  réunis  dans  une  même  classe,  celle  des 
Hydromédusaires. 

Les  Polypes  liydraires  ont  une  structure  plus 
simple  que  les  polypes  coralliaires.  Ils  n'ont 
pas  de  tube  œsophagien  et  leur  cavité  gastro- 
vasculaire  n'est  pas  divisée  par  des  cloisons  en 
loges  périphériques;  en  outre  les  tentacules  qui 
entourent  la  bouche  sont  dépourvus  de  cavité. 

Ils  restent  rarement  isolés,  comme  les  hydres  de 
nos  eaux  douces,  mais  forment  des  colonies  ra- 
mifiées protégées  souvent  par  des  tubes  chitineux 
sécrétés  par  la  couche  externe  du  corps.  La  tige 
et  les  rameaux  de  la  colonie  sont  parcourus  par  un 
canal  cilié  qui  met  en  communication  entre  eux 
les  différents  individus  de  la  colonie. 

Certaines  colonies  présentent  un  grand  poly- 
morphisme, et  on  peut  y  distinguer  des  animaux 
nourriciers,  des  animaux  reproducteurs,  des  ani- 
maux défenseurs  et  des  animaux  préhenseurs. 

Les  bourgeons  sexués  qui  se  développent  sur 
la  colonie  en  des  points  variables  avec  les  espè- 
ces donnent  parfois  naissance  à  des  larves  ciliées 
qui  se  fixent  et  reproduisent  par  une  série  de 
bourgeonnements  une  nouvelle  colonie;  mais  très 
souvent  aussi,  ces  bourgeons  se  développent  en 
un  animal  différent  des  animaux  de  la  colonie, 
qui  devient  libre  et  ne  se  fixe  jamais  ;  c'est  cet 
animal,  la  Méduse,  qui  produira  les  larves  qui 
donneront  naissance  à  de  nouvelles  colonies  d'hy- 
draires.  Cette  méduse  a  la  forme  d'une  cloche  gé- 
latineuse, Viiinhieth:.  Du  fond  de  l'ombrelle  pend 
un  appendice  plus  ou  moins  long,  analogue  au 
battant  d'une  cloche  :  c'est  le  manuhrium.  L'ex- 
trémité libre  du  manubrium  porte  une  ouverture, 
la  bouche,  conduisant  dans  la  cavité  intestinale 
qui  communique  avec  4  ou  8  canaux  radiaires 
logés  dans  l'épaisseur  de  l'ombrelle  et  qui  vont 
se  jeter  dans  un  canal  annulaire  situé  près  du 
bord  de  ceue  dernière.  Ce  bord  porte  en  outre 
des  tentacules  très  extensibles,  pourvus  d'un 
grand  nombre  de  nématocystes.  Ces  tentacules,  au 
nombre  de  4  ou  d'un  multiple  de  4,  correspon- 
dent aux  canaux  radiaires  de  l'ombrelle.  La  méduse 
nage  au  moyen  des  contractions  do  son  ombrelle. 

A  côté  de  ces  méduses  provenant  de  colonies 
d'hydraires  et  qui  sont  très  petites,  s  en  trouvent 
d'autres  atteignant  une  très  grande  taille  et  pos- 
sédant un  système  gastro-vasculaire  plus  com- 
pliqué. Ces  méduses,  qu'un  a  rangées  dans  un 
même  groupe  sous  le  nom  d'Aca/èpIms,  présentent 
un  mode  de  développement  un  peu  différent.  La 
larve  produite  par  un  acalèphe  se  fixe  et  donne 
naissance!)  un  animal  cylindrique,  un  scyp/iistome, 
pourvu  dune  couronne  de  tentacules.  Bientôt  le 
corps  du  scyphistome  présente  une  série  d'étran- 
glements transversaux  allant  en  augmentant,  et 
pi^end  l'aspect  d'une  pile  de  tasses  à  bords  feston- 
nés. Puis  successivement  chaque  segment  se 
détache  et  donne  naissance  à  une  méduse,  qui 
continue  i  croître  jusqu'à  ce  qu'elle  ait  acquis 
tous  ses  caractères  d'animal  sexué.  C'est  à  ce 
groupe  de  méduses  qu'appartiennent  les  Au- 
réiies,  les  Rhizostomes,  méduses  gigantesques. 
Ces  méduses  peuvent  saisir  au  moyen  de  leurs 
tentacules  des  poissons  même  de  grande  taille 
qu'elles  immobilisent  par  leurs  nématocystes. 

Les  Polypes  nydraires  les  plus  fréquents  sont 
les  Hydres,  animaux  d'eau  douce  vivant  libres  et 
isolés,  produisant  par  bourgi'onnemcnl  des  pa- 
rois de  leur  corps  d'autres  polypes  qui  finissent 
par  se  détacher  de  l'animal  mère  ;  les  Cordylo- 
phores,  polypes  également  d'eau  douce,  luais 
vivant  fixés  et  en  colonie;  les  Corynes,  les  Tubu- 
laires,  les  Plumulaires,  les  Sertulariens,  les 
Campanulaires,  etc. 


La  plupart  de  ces  Hydromédusaires  présentent 
h  un  haut  degré  le  phénomène  de  la  génération 
alternante.  Presque  tous  passent  par  la  forme 
fixée,  hydraire  ou  scyphistome,  et  par  la  forme  mé- 
dusaire. 

On  en  rencontre  encore  d'autres  où  les  formes 
hydraires  et  médusaires  sont  constamment  réu- 
nies, et  la  colonie  qui  en  résulte  est  toujours 
libre.  Ces  Hydromédusaires  sont  réunis  dans 
un  même  groupe  sous  le  nom  de  Siphonopho- 
rcs.  Dans  ces  colonies,  le  polymorphisme  est 
si  complet,  qu'elles  ont  été  souvent  considérées 
comme  un  animal  simple  et  les  différents  indivi- 
dus de  la  colonie  comme  des  organes.  Les  colo- 
nies de  ce  groupe  présentent  les  formes  les  plus 
variées  et  les'  plus  belles.  Les  Physales,  les 
Forskalia,  les  Vélelles,  les  Porpites,  les  Diphies, 
sont  les  principaux  genres  de  ce  groupe  des  Hy- 
dromédusaires. 

Cténophoues.  —  Les  Cténophores  sont  des  ani- 
maux marins,  en  général  sphéi-iques,  quelque- 
fois rubannés,  libres,  de  consistance  gélatineuse. 
A  la  surface  du  corps  se  trouvent  huit  rangées 
longitudinales  de  palettes  natatoires  très  délica- 
tes, disposées  suivant  des  méridiens.  Ces  rangées 
de  palettes  portent  le  nom  de  côtes.  Latérale- 
ment, on  trouve  encore  deux  filaments  très  con- 
tractiles pouvant  se  retirer  dans  une  fossette; 
ces  appendices  garnis  de  nombreuses  némato- 
cystes sont  des  filaments  pêcheurs. L'ouverture 
buccale,  souvent  lobée,  conduit  dans  un  tube 
stomacal  s'ouvrantdans  la  cavité  générale  du  corps, 
appelée  Ve7itonnoii-,  et  qui  communique  au  de- 
hors par  un  pore  susceptible  de  se  fcriuer.  De 
l'entonnoir  partent  quatre  vaisseaux  disposés  par 
paires  et  donnant  naissance  par  dichotomie  i 
huit  vaisseaux  dirigés  le  long  des  côtes. 

C'est  à  la  classe  des  Cténophores  qu'appar- 
tiennent les  Béroés,  Ji  corps  légèreiucnt  comprimé, 
les  Cydippes,  à  corps  spliérique,  et  les  t'.estos  ou 
Ceintures  de  Vénus,  dont  le  corps  a  la  forme  d'un 
long  ruban. 

Tous  ces  aniiuaux  se  nourrissent,  comme  tous 
les  Cœlentérés,  de  petits  animaux  qu'ils  capturent 
k  l'aide  de  leurs  filaments  et  de  leurs  néiuato- 
cystes. 

Sous-embranchement  des  Echinodermes.  -^ 
Les  Echinodermes  sont  des  animaux  marins  à 
symétrie  rayoïniée,  le  plus  souvent  suivant  le  type 
cinq.  Ils  sont  essentiellement  caractérisés  par  les 
nombreuses  pièces  calcaires  qui  soutiennent  leurs 
téguments.  Ces  pièces,  parfois  soudées  entre  elles, 
supportent,  dans  nombre  de  cas,  des  piquants  ou 
des  baguettes  calcaires  qui  ont  fait  donner  à 
quelques-uns  de  ces  animaux  le  nom  de  châtai- 
gnes de  mer. 

Chez  tous  ces  animaux,  on  rencontre  à  la  surface 
du  corps  des  organes  particuliers,  \esnmbiclacresou 
tubes  ambulacraires,  servant  à  la  fois  à  la  respi- 
ration et  à  la  locomotion.  Ce  sont  des  tubes  à 
parois  délicates,  susceptibles  d'une  grande  exten- 
sion, souvent  terminés  par  une  rosette  de  petites 
pièces  calcaires  pouvant  fonctionner  comme  ven- 
touses. Ces  tubes  sont  en  communication  avec  un 
système  vasculaire  interne,  le  système  aquifère, 
et  l'animal  peut  à  sa  volonté  les  gonfler  de  liquide 
et  les  appliquer  i  la  surface  des  corps  environ- 
nants. C'est  au  moyen  des  contractions  et  des 
dilatations  successives  des  ambulacres  que  la 
plupart  des  Echinodermes,  les  Oursins  et  les 
Etoiles  de  mer  en  particulier,  peuvent  se  mouvoir. 
Enfin,  ces  animaux  présentent  un  tube  digestif  et 
un  appareil  vasculaire  distincts,  ainsi  qu'un  sys- 
tème nerveux  bien  caractérisé,  ce  qui  n'existait 
pas  dans  le  sous-embranchement  dos  Cœlentérés. 
Les  Echinodermes  sont  ovipares,  i  l'exception 
de  quelques  Ophiurides  qui  sont  vivipares.  La 
larve  de  ces  animaux  subit  des  métamorphoses 


RAYONNES 


1802  — 


RAYONNES 


très  curieuses.  Cette  larve,  d'abord  sphérique  et  i  trent  également  chez  les  Oursins.  Ce  sont  des  sor- 
couverte  entièrement  de  cils  vibratiles.  s'allonge  tes  de  tenailles  ou  pinces  musculan-es  soutenues 
peu  h  peu  s'aplatit  et  devient  bilatérale  ;  en  par  un  stiuelette  calcaire  délicat.  Ces  ten^iilles,  à 
même  temps  les  cils  se  rassemblent  et  forment  !  deux  branches  chez  les  A'^lérides,  sont  suscepti- 
une  bandelette  ciliée  sinueuse.  Quelques-unes  de  '  blés  de  saisir  les  petits  organismes  qui  passent 
ces  larves  sont  on  outre  pourvues  d'expansions  dans  leur  voisinage;  le  rôle  de  ces  organes  si 
souvent  très  longues  et  parfois  soutenues  par  des  '  particuliers  est  peu  connu. 

baguettes  calcaires.  Ces  différentes  f,.rmos  lar-  |  A  la  face  dorsale,  dans  un  espace  interbra- 
vaires  étaient  connues  depuis  longtemps  sous  les  chial,  on  rencontre  encore  une  plaque  calcaire 
noms  àe  Phdeu^;  de  Bijdnnai-in,  de  h,  nri.wlana  rciiculée  et  percée  d'un  grand  nombre  d  orifices 
et  à'Awirularia;  on  les  considérait  comme  des  très  petits  ;  c'est  la  pUujue  madreponque.  Dans 
Hydromédusaires  jusqu'en  1845,  époque  à  laquelle  son  vmsinage  se  trouve  1  orifice  anal. 
J.  Muller  montra  leur  véritable  nature.  Outre  ce  ]  La  bouche,  située  à  la  face  ventrale  au  centre  du 
mode  normal  de  reproduction,  les  Astérides,  les  disque,  est  garnie  de  papilles  (t  conduit  dans  un 
Ophiurideset  les  Crinoides  jouissent  encore  de  la  intestin  en  forme^de  sacj-nvoyantdM  prolonge- 
faculté  dé  rédintégration  ou  de  reproduction  des 


parties  détachées  du  corps.  Dans  quelques  Asté 
vides,  les  bras  détachés  peuvent  même  reproduire 
l'animal  entier. 

Les  Echinodermcs  peuvent  être  divisés  en  cinq 
classes  : 

1°  Les  CniNoîDES  ; 

i°  Les  AsTÉBiDES  ; 

;!"  Les  Ophiirides  ; 

3°  Les  EcHiNiDEs  ou  Oursins  ; 

5°    Les  HOLOTHUBIDES. 

Cri.soîives.  —  Les  Crinoides  ont  la   forme  d'un 


ments  en  cœcum  dans  l'intérieur  des  bras. 

L'appareil  vasculaire  se  compose  do  deux  par- 
ties en  communication  l'une  avec  l'autre,  l'appa- 
reil aquifère  et  l'appareil  circulatoire. 

L'appareil  aquifère  se  compose  d'un  canal  par- 
tant de  la  plaque  madréporique;  c'est  le  canal  du 
sable,  servant  à  prendre  de  l'eau  au  dehors  au  moyen 
des  pores  de  la  plaque  madréporique  11  aboutit  à 
un  canal  annulaire  situé  au-dessus  de  la  bouche  et 
donnant  naissance  à  cinq  canaux  se  dirigeant  dans 
les  bras  et  émettant  sur  leur  trajet  de  petites 
branches  garnies  chacune  d'une  ampoule  et  cora- 


calice  renfermant  les  viscères  et  revêtu  de  muniquant  avec  les  ambulacres.  C  est  au  nmyen 
pièces  calcaires  régulièrement  disposées.  Sur  ce  du  liquide  renfermé  dans  cet  appareil  que  1  am- 
calice  se  trouve  tendue  une  peau  membraneuse  mal  peut  gonfler  ses  ambulacres  et  se  mouvoir, 
sans  pièces  calcaires,  au  centre  de  laquelle  est  L  appareil  circulatoire  est  peu  connu 
située  la  bouche  et  excentriquement  au  sommet  Le  système  nerveux  se  compose  d  un  anneau 
d'un  petit  tube  l'anus.  Du  bord  du  calice  partent  I  envoyant  dans  chaque  bras  un  nerf  qui  accompa- 
cinq  bras  formés  chacun  d'une  seule  série  de  piè-  [  gne  le  vaisseau  ambulacraire  et  qui  se  termine  i 
ces  calcaires  articulées  entre  elles.  Ces  bras  se  '  l'extrémité  du  bras  dans  des  taches  pigmentaires 
divisent  bientôt  en  doux  ou  en  un  plus  grand  i  rouges  qui  sont  de  véritables  yeux, 
nombre  de  branches,  portant  latéralement  un'  Les  genres  pnncipaux  ^e  cette  classe  dEchi- 
grand  nombre  de  rameaux  simples  ou  ;""n»/cs  ;  nodermessont  :  les  Asterias,  àbiv-istrèsal  ongés  età 
régulièrement  alternes  et  non  opposés.  De  la  quatre  séries  d  ^■^''ulacres  ;  les  Helaste.,  pourvus 
bouche  partent  des  sillons  ambulacraiies  qui  se  de  bras  en  "«"b'-e  considérable  les  Culcues  à 
prolongent  dans  les  bras  et  jusque  dans  les  pin-  ,  corps  épais  et  à  b^^%  t':^,^^^"";'^  '"'i' al  très 
nules.  Ces  sillons  portent  des  tubes  ambulacraires  t-ns,  à  corps  plat;  lesLuid.a,  \f '=q»f,'=,^"^'^^' "^^^ 
très  petits.  peiil  <='  ^  ^ras  très  longs  renfermant  une  cavité 

Le   plus'  grand  nombre   des  Crinoides  existant    peu  étendue.  „  , .      ,         „  „„,  „  „,„„,„ 

actuellement  vivent  libres  et  se  meuvent  au  moyen  Ophicb.des.  -  Les  Echinodermes  qui  se  rappro- 
des  mouvements  de  leurs  bras.  Ils  appartiennent  chent  le  plus  des  Etoiles  de  mer  sont  les  Oplim 
presque  tous  au  genre  Comatule  ou  Antédon.  Mais  rides.  Comme  celles-ci,  les  Ophmrides  sont  p°ur- 
la  plupart  des  formes  fossiles  étaient  lixées,  et  vues  de  cinq  bras  mais  ici  le  ^isqne  centrai  est 
le  calice  était  supporté  par  une  longue  tige  cal-  très  réduit  et  les  bras  pleins  ne  communiquent 
Caire  formée  d'un  grand  nombre  de  pièces  arti-  !  plus  avec  la  cavité  centrale.  Ces  ^ras  sont  pour 
culées,  en  général  pentagonales.  i  vus  de   goultières  ambulacraires  conime  c hez   es 

Quelques  unes  de  ces  formes  fixes  ont  été  re-  '  Astérides,  mais  ces  gouttières  sont  chez  les 
trouvées  de  nos  jours  dans  les  mers  profondes,  Ophiurides  recouvertes  d  écailles  et  les  tubes  am 
et  en  particulier  des  Pentacrines.  Du  reste  les  bulacraires  ne  P?"^:'^"t  P'^^J^.f ,''""'"'  i?! 
Comatiles  elles-mêmes  présentent  h  l'état  jeune  ,  côtes  des  bras  L  animal  se  meut  par  une  sorte 
une  tige  calcaire  qui  disparait  plus  lard.  ,  de  mouvement  ondalatoire  „''''  '^^«,^^,^"%'™-' '°'^|^ 

AsTÉBiDEs.  -  Les  Astérides  ou  Etoiles  de  mer  '  et  très  flexibles  "'^'^'l"'  "«,  P"","  ,^"',„',^ '°":i°" 
sont  formées  d'un  disque  central  d'où  rayonnent  qu'à  droite  ou  à  gauche.  L^  bouche  co'_""«  "î'^*^ 
des  bras,  en  général  au  nombre  de  cinq,  creux,  ,  les  Astérides,  est  '«"J^;;'?,,^^^^/,/"  ^f"|''éto^^^^^^ 
et  dont  la  cavité  communique  largement  avec  la  face  ventrale,  au  fond  d  une  excav  ation  étouee 
cavité  centrale  du  disque.  A  la  face  dorsale,  les  dont  les  bords  sont  garnis  de  papilles, 
téguments  sont  soutenis  par  un  grand  nombre  de  L'intestin  a  la  forme  d  un  «f  J^^P"""  éoo! 
pièces  calcaires  disposées  plus  ou  moins  réguliè-  :  cœcums  et  sans  orihce  anal  La  P'^^"^  ™^'^'.^P° 
rement  et  sur  lesquelles  se  voient  des  papilles,  rique  existe,  mais  elle  est  très  petue  et  toujours 
des  piquants  et  des  crochets.  A  la  face  ventrale,  ]  située  à  la  face  ventrale. 

on  trouve  sous  la  peau  des  pièces  calcaires,  les  1  Parmi  les  Ophiurides,  on  Pf"*  "t^!  :  '«^ 
ptcuiucs  mniulacnares,  disposées  par  paires  trans-  |  Ophiura,  à  bras  garnis  de  courts  piquan  s  latéraux 
verbalement  et  s'étendant  de  la  bouche  à  l'exlré-  et  à  disque  granuleux  les  O phiacat^tha  dont  le 
mité  des  bras.  Ces  pièces,  articulées  entre  elles  disque  est  couvert  de  tubercules  et  dont  les  bras 
comme  des  vertèbres,  limitent  une  rainure,  'e,  sont  armés  de  nombreux  piquants  très  lorts,etc_ 
sillon  amhulacraire,  dans  lequel  se  trouvent  logés  Mais  les  Ophiurides  les  P  "^  remarquablos  et 
les  ambulacres,  qui  sortent  au  dehors  par  des  les  plus  grands  sont  les  Euryales  ou  Astroi^  y  o.^^^^ 
orifices  ménagés  enire  les  plaques  ambulacraires.  ,  dont  les  bras  ne  sont  plussiniples,  "  f'ssedmsent 
Suivant  les  fSmilles,  ces  ambulacres  sont  dispo- ;  à  l'infini.  Chez  ces  animaux  les  sillons  amb^^^^^^^ 
ses  en  deux  ou  quatre  rangées.  i  craires  sont  dépourvus  d  écailles  et  les  bras  peuvent 

Sur  les  téguments  et  surtout  dans  le  voisinage    se  recourber  vers  la  lace  ventrale.  ,?,,,,;,,„. 

des  piquants,  on  trouve  chez  les  Astérides  des  Oursins  ou  Echinides.  -  Le  type  des  tcmno 
organes  spéciaux,  les  pédkdlaoes,  qui  se  roncon-  |  dermes  nous  est  offert  par  les  (Jiirsins. 


RAYONNES 


—  1803  — 


REFLEXIUN 


Dans  rOui'sin,  le  corps  est  globuleux,  plus  ou 
moins  aplati  aux  deux  pôles  ;  il  est  entouré  de 
plaques  calcaires  iniimcment  soudées  entré  elles 
et  formant  un  lest  solide  renlermant  tons  les  or- 
ganes de  l'animal.  Le  test  est  divisé  en  dix  fu- 
seaux. Ces  fuseaux,  formés  d'une  double  rangée 
de  plaques  pentagonales,  appartiennent  à  deux 
séries  différentes  et  alternent  entre  eux.  L'une  de 
ces  séries  est  percée  de  trous  par  où  passent  les 
tubes  ambulacraires  ;  ce  sont  les  zones  amhula- 
O'uires.  Les  cinq  autres  fuseaux,  formés  de  pièces 
imperforées,  sont  appelés  zones  intei-amOula- 
O'aires. 

La  surface  des  plaques  calcaires  do  cbacune  de 
ces  zones  est  couverte  de  tubercules  souvent  très 
gros,  .'iur  lesquels  s'insèrent  des  piquants  de  forme 
et  de  dimensions  variables  avec  les  genres. 
Entre  ces  piquants,  et  surtout  nombreux  du  côté 
de  la  bouche,  se  trouvent  des  péclicellaires.  Ces 
organes,  chez  les  Oursins,  forment  des  pinces  h 
trois  ou  k  quatre  branches,  tandis  que  chez  les 
Etoiles  de  mer  ils  n'étaient  qu'à  deux  branches. 
Vers  le  pôle  anal,  ces  différentes  zones  se  termi- 
nent par  des  pièces  spéciales.  Aux  cinq  zones 
interambubicraires  correspoiident  cinq  plaques 
calcaires  percées  chacune  d'un  orilice.  L'une  de  ces 
plaques,  plus  grande  que  les  autres,  est  criblée  de 
petits  trous  et  constitue  la  plaque  madréporique. 

Alternant  avec  ces  pièces  et  correspondant 
aux  zones  ambulacraires,  s'en  trouvent  cinq  autres 
plus  petites,  appelées  improprement  plaques  ocel- 
laires.  C'est  dans  l'espace  circulaire  lim.ité  par  ces 
dix  plaques  que  se  trouve  l'anus  dans  les  oursins 
réguliers. 

Au  pôle  opposé,  les  différentes  zones  laissent 
libre  un  espace  plus  ou  moins  considérable  qui 
n'est  revêtu  souvent  que  d'une  peau  coriace,  et 
qui  présente  à  son  centre  une  ouverture,  la 
bouche.  Celle-ci  est  armée  d'un  appareil  mastica- 
teur très  complexe  formé  d'un  grand  nombre  de 
pièces  calcaires  et  constituant  l'organe  appelé 
lanterne  d'Aristole. 

A  la  bouche  fait  suite  le  tube  digestif,  qui,  après 
plusieurs  circonvolutions  à  l'intérieur  de  l'animal, 
s'ouvre  au  dehors  par  l'orifice  anal,  toujours  très 
petit. 

L'appareil  vasculaire,  très  développé,  se  com- 
pose d'un  canal  pierreux  ou  canal  du  sable  qui, 
par  la  plaque  madréporique,  communique  avec 
l'intérieur;  ce  canal  se  jette  dan.s  un  anneau  situé 
sur  la  lanterne.  De  cet  anneau  partent  cinq  vais- 
seaux longeant  les  zones  ambulacraires  et  en- 
voyant des  branches  aux  ambulacres.  De  ce  même 
anneau  part  un  autre  vaisseau  qui  va  se  ramifier 
sur  l'intestin.  Ces  ramifications  s'anastomosent 
avec  celles  d'une  veine  qui  communique  avec  un 
vaisseau  fluttantlibremenldans  la  cavité  générale. 

Le  système  nerveux  se  compose  d'un  anneau 
situé  sur  la  lanterne  et  qui  envoie  cinq  nerfs 
accompagnant  les  vaisseaux  ambulacraires. 

LesOursins  vivent  principalement  sur  les  côtes; 
ils  rampent  lentement  et  se  nourrissent  de  mol- 
lusques et  d'autres  petits  animaux  marins.  Quelques 
espèces  possèdent  la  propriété  du  creuser  les 
rochers. 

Les  principaux  genres  de  cette  classe  sont  les  Ci- 
daris,  à  test  globuleux  aplati  aux  deux  pôles  et  pour- 
vu de  piquants  en  massue  très  gros;  les  Diadéma, 
à  test  comprimé  et  à  piquants  très  longs  et  creux  ; 
les  Echinus,  à  test  globuleux  et  à  piquants  courts  ; 
les  Clypeaster,  à  test  aplati,  à  anus  excentrique 
Bilué  sur  la  face  ventrale  ;  les  Spatangucs,  à  test 
cordiforme,    à   bouche   et    à  anus  excentriques. 

Certains  genres  fossiles,  comme  les  Ananchytes, 
les  Micraster,  etc.,  ont  une  grande  importance 
au  pomt  de  vue  de  la  détermination  de  l'âge  des 
terrains. 

HoLoïiRiiiiuEs.  —  Les  Holothuridcs,  par  la  dis- 


position de  leurs  organes,  so  rapprochent  beaucoup 
des  Oursins  ;  mais  par  la  forme  allongée  de  leur 
corps  dépourvu  de  squelette  calcaire,  ils  ont  l'ap- 
parence de  vers.  Les  téguments  de  ces  animaux 
restent  mous  et  coriaces,  et  ne  renferment  que  des 
particules  calcaires  disséminées  dans  l'épaisseur 
des  parois  du  corps.  Ces  particules  ont  des  formes 
très  diverses;  les  unes  ressemblent  à  des  ancres, 
à  des  roues,  h  des  hameçons,  d'autres  ont  la  forme 
de  disques  cribles.  Il  existe  cependant  autour  de 
l'oesophage  un  anneau  calcaire  formé  de  dix  pièces 
alternes  correspondant  aux  zones  ambulacraires 
et  interambulacraires.  Les  ambulacres  sont  géné- 
ralement disposés  comme  chez  les  Oursins,  sui- 
vant cinq  zones  radiajes  ;  parfois  ils  semblent 
disséminés  irrégulièrement  à  la  surface  du  corps, 
ou  bien  ne  se  rencontrent  que  sur  une  seule  face 
du  corps,  sur  laquelle  l'animal  se  meut. 

La  bouche  est  entourée  de  tentacules  qui  ne 
sont  que  des  modifications  des  tubes  ambula- 
craires, et  comme  ces  derniers  conmiuniquent 
avec  le  système  vasculaire.  La  bouche  se  continue 
par  un  tiibe  digestif  à  double  courbure,  s'ouvrant 
au  pôle  opposé  dans  une  sorte  de  cloaque.  Dans 
ce  cloaque  débouchent  aussi  deux  organes  foliacés, 
qui,  se  remplissant  d'eau  par  l'intermédiaire  du 
cloaque,  concourent  à  la  respiration  et  qui,  pour 
cette  raison,  ont  été  3ppe\és  poumons. 

L'appareil  vasculaire  est  construit  sur  le  même 
type  que  celui  des  Oursins  ;  seulement  il  n'existe 
plus  de  plaque  madréporique,  et  le  canal  du  sable 
se  termine  dans  la  cavité  générale  par  une  extré- 
mité libre  incrustée  de  calcaire  et  comparable  à 
cette  plaque.  Le  système  nerveux  est  identique  h 
celui  des  autres  Echinodcrmes. 

Les  Holothurides  sont  des  animaux  nocturnes 
vivant  le  plus  souvent  près  des  côtes.  Ils  peu- 
vent rejeter  au  dehors,  par  l'ouverture  anale,  leur 
tube  digestif  tout  entier,  qui  se  reproduit  ensuite  ; 
les  Synaptes  peuvent  même,  quand  on  les  tour- 
mente, se  diviser  en  plusieuis  segments.  Certains 
Holothurides  logent  dans  leur  tube  digestif  des 
parasites  très  curieux  :  ce  sont  des  poissons  appar- 
tenant au  genre  Fierasfer.  Les  genres  principaux 
de  cette  classe  sont  :  les  Holothuria,  dont  la 
bouche  est  ornée  de  20  k  30  tentacules;  les  Cucu- 
maria,  avec  10  tentacules;  les  Thyone,  avec 
10  tentacules  et  des  ambulacres  disséminés  à  la 
surface  du  corps  ;  les  Synapta,  dont  les  tentacules 
sont  digités  et  qui  manquent  de  tubes  ambula- 
craires et  de  poumons. 

Les  Echinodermes  sont  très  peu  utilisés  ;  cepen- 
dant on  mange  quelques  Oursins  :  ce  sont  les 
ovaires  très  développés  dans  les  zones  interam- 
bulacraires de  ces  animaux  que  l'on  recherche. 
Une  grosse  Holothurie,  le  Tiépang. est  activement 
recherchée  sur  les  côtes  malaises  et  est  employée 
en  Chine  comme  aliment.  Enfin  sur  quelques 
côtes  on  utilise  des  Etoiles  de  mer  comme  engrais 
calcaire.  L-I-  Poirier.] 

RKCTANGLE.  —  'V.  Polygones. 

UECTA>-«;le  (Triangle).  —  V.  Puhjgones. 

IIÉI'LEXIOIN.  —  Physique,  XXX.  --  Nous  ne 
nous  occuperons  dans  le  présent  article  que  de 
la  réflexion  de  la  lumière  ;  pour  la  réflexion  de  la 
chaleur,  V.  linyonnemenl  ;  pour  la  réflexion  du 
son,  V.  Aioustigiie. 

Lorsqu'un  faisceau  lumineux  vient  frapper  la 
surface  libre  d'un  liquide  (eau,  mercure,  etc.), 
l'expérience  montre  (|u'une  partie  du  faisceau  est 
renvoyée  par  celte  surface  ;  elle  rebrousse  chemin 
comme  le  fait  la  bille  d'ivoire  après  avoir  heurté 
la  bande  du  billard.  Le  même  effet  se  produit 
quand  le  rayon  de  lumière  rencontre  la  surface 
polie  d'un  solide  quelconque  (verre,  cuivre,  ar- 
gent, etc.). 

Indépendamment  de  cette  réflexion  dite  régu- 
lière parce  qu'elle  est  soumise  à  des  Jois  géonié- 


REFLEXION 


1804  — 


REFLEXION 


triques  fort  simples,  le  rayon  lumineux  en  éprouve, 
en  même  temps,  une  seconde  toutes  les  fois  —  ce 
qui  est  le  cas  ordinaire  pour  les  corps  solides  — 
que  la  surface  atteinte  n'a  qu'un  poli  imparfait. 
Cette  autre  réflexion  qui  tient  aux  rugosités  de  la 
surface,  Ji  la  variabilité  d'inclinaison  des  éléments 
plans  qui  la  constituent,  est  nommée  diffusion. 
C'est  précisément  la  lumière  diffuse  renvoyée  par 
un  corps  qui  nous  permet  de  juger  de  sa  forme, 
de  sa  couleur,  disons  mieux,  qui  nous  permet  de 
le  voir.  Si  le  corps  avait  un  poli  parfait  et  si  la  lu- 
mière qu'il  renvoie  était,  par  suite,  réflécliie  ré- 
gulièrement en  totalité,  nous  ne  le  verrions  pas, 
il  serait  pour  nos  yeux  comme  s'il  n'existait  pas, 
nous  recevrions  uniquement  l'impression  de  l'i- 
mage des  objets  extérieurs  que  nous  apporteraient 
les  rayons  rejetés  par  la  surface.  A  l'inverse  de 
la  surface  idéale  offrant  un  poli  parfait,  le  mur 
revêtu  d'un  enduit  de  plâtre  ou  d  une  couche  de 
lait  de  chaux  et,  en  général,  tout  corps  i  surface 
mate  dissémine,  sous  forme  de  lumière  diffuse, 
la  majeure  partie  de  la  lumière  qu'il  reçoit. 

Nous  nous  occuperons  ici  spécialement  de  la 
lumière  réfléchie  régulièrement.  Elle  est  soumise 
dans  sa  marche  à  deux  lois  très  simples. 

Par  le  trou  A  pratiqué  dans  le  volet  d'une  cham- 
bre noire,  faites  arriver  (fig.  1)  un  faisceau  lumi- 
neux AB    qui  aille   frapper  la  surface  d'un  miroir 


posé  horizontalement  sur  une  table.  Vous  verrez 
aussitôt  la  réflexion  s'opérer  sous  vos  yeux  :  le 
rayon  incident  AB  donnera  naissance  à  un  rayon 
réfléchi  BC  qui  se  propagera  en  ligne  droite  de  B  en 
C  jusqu'il  larencontre  du  plafond.  Les  deuxrayons, 
incident  et  réfléchi,  seront  parfaitement  visibles  à 
cause  des  nombreuses  poussières  toujours  sus- 
pendues, même  dans  une  atmosphère  calme,  que 
les  rayons  illumineront  vivement  sur  tout  leur 
trajet.  Si  vous  avez  alors  à  votre  disposition  un 
instrument  capable  de  déterminer,  avec  rigueur, 
la  position  relative  des  lignes  AB,  BC  et  de  la  per- 
pendiculaire BD  menée  au  miroir  par  le  point 
d'incidence  B,  vous  constaterez  que,  quelle  que 
soit  l'inclinaison  du  rayon  AB  sur  le  miroir,  les 
trois  lignes  AB,  CB,  BD,  sont  toujours  contenues 
dans  un  seul  et  même  plan. 

Donc,  1"  loi.  —  Le  rayon  incident,  le  rnyon 
réfléchi  et  la  normale  à  la  surface  réfléchissante 
menée  au  point  d'incidence  sont  trois  lignes  appa-- 
lenant  à  un  plan  unique. 

Vous  trouverez,  en  second  lieu,  que,  dans  tous 
les  cas,  l'angle  ABD,  dit  nngle  d'incidence,  est  égal 
à  CBD,  dit  angle  de  réflexion. 

Donc,  2*  loi.  —  L'angle  de  réflexion  est  égal  à 
l'angle  d'incidence. 

La  vérification  expérimentale  de  ces  deux  lois  se 
fait  commodément  avec  l'appareil  figuré  ci-contre 


{fig.  2).  Denx  tubes  sont  mobiles  sur  un  cercle 
gradué  vertical,  de  telle  sorte  que  leurs  axes  soient 
constamment  dirigés  suivant  un  rayon  de  ce  cer- 
cle. La  lumière  incidente  tombe  par  le  tube  de 
droite  sur  un  miroir  horizontal  placé  au  centre  et 
on  cherche,  par  tâtonnement,  quelle  est  la  position, 
sur  le  cercle,  qu'il  faut  donner  au  tube  do  gauche 
pour  que  le  rayon  réfléchi  s'écliappe  suivant  son 
axe.  On  reconnaît  ainsi  que  le  plan  d'incidence  et 
le  plan  de  réflexion  se  confondent  et  représentent 
un  plan  parallèle  à  celui  du  limbe  On  voit  de  plus 
que  les  angles  que  font  les  axes  des  deux  tubes  avec 
le  diamètre  vertical  du  cercle  gradué  sont  rigou- 
reusement égaux  entre  eux.  Les  deux  lois  sus 
énoncées  sont,  de  cette  façon,  vérifiées  expérimen- 
talement. 

Les  lois  de  la  réflexion  de  la  lumière  étant  dé- 
montrées comme  il  vient  d'être  dit,  par  des  expé- 
riences directes,  il  nous  est  possible  d'en  déduire 
par  des  considérations  géométriques  très  simples 
la  théorie  de  la  formation  des  images  dans  les  mi- 
roirs. 

A.  —  Réflexion  dans  les  miroirs  plans.  — 
Soit  un  miroir  .M.\  (fig.  3)  et  un  point  lumineux 
S,  placé  au-dessus  do  ce  miroir.  Le  point  S  en- 


voie des  rayons  de  lumière  dans  toutes  les  direc- 
tions ;  une  partie  de  ces  rayons  frappe  le  miroir 


Fig.  3. 


en  I,  r,  I",  etc.  Considérons,  en  particulier,  le 
rayon  incident  SI  ;  ce  rayon  se  réfléchit  suivant  lO, 
conformément   aux  lois    précédemment  établies, 


REFLEXION 


—  1803 


REFLEXION 


c'est-à-dire  que  SI,  10  et  la  normale  IN  sont  trois 
lignes  contenues  dans  un  môme  plan  fl"  loi)  et 
que  les  angles  SIN  et  OIN  sont  égaux  (2'  loi).  Cela 
posé,  prolongeons  le  rayon  10  au-dessous  du  mi- 
roir; il  ira  nécessairement  rencontrer  la  normale 
SK  prolongée  qui  se  trouve  dans  le  même  plan 
que  lui,  en  S'  par  exemple.  Or,  je  dis  que  la 
longueur  KS'  est  toujours  égale  à  SK,  quel  que 
soit  d'ailleurs  le  rayon  incident  choisi.  Cela  ré- 
sulte en  effet  de  l'égalité  des  deux  triangles  rec- 
tangles SKI,  S'KI  :  Kl  est  commun  ;  de  plus,  SIK 
complément  de  l'angle  d  incidence  est  égal  à  S'IK 
complément  de  l'angle  de  réflexion  ;  donc  les  deux 
triangles  ont  un  côté  égal  adjacent  h  deux  angles 
égaux  ;  ils  sont  égaux  et  par  suite  SK  =  S'K.  Ce 
qui  est  vrai  pour  le  rayon  incident  SI  l'est  pour 
tout  autre  SI',  SI",  etc.  Donc  les  rayons  rcflécliis 
par  le  miroir,  10,  l'O',  1"0",  etc.,  vont,  quand 
on  les  prolonge,  se  couper  tous  en  un  même 
point  S',  point  symétrique  de  S  par  rapport  au  mi- 
roir. Si  donc  un  œil  est  placé  au-dessus  de  ce  mi- 
roir de  manière  h  recevoir  un  certain  nombre  des 
rayons  réfléchis,  il  subira  de  leur  part  la  même 
impression  que  s'ils  partaient  tous  de  S',  ou,  en 
d'autres  termes,  l'œil  placera  forcément  eu  S'  le 
point  lumineux,  cause  de  la  sensation  qu'il 
éprouve  ;  il  verra  en  S'  l'image  du  point  lumineux 
S,  image  virtuelle  évidemment,  mais  qui  produira 
le  même  effet  sur  la  rétine  que  si  elle  existait  ef- 
fectivement. Concluons  déjà  que  l'image  d'u?i point 
lumineux  dans  un  miroir  plan  se  trouve  exister 
pour  l'œil  de  l'oliservateur  au  point  symétrique- 
ment placé  derrière  ce  miroir. 

La  connaissance  de  l'image  d'un  point  nous  con- 
duit, sans  difficulté,  à  celle  de  l'image  d'un  objet 
éclairé.  Il  suffira  évidemment  d'abaisser,  de  clia- 
que  point  de  l'objet  en  question,  des  perpendicu- 
laires sur  le  miroir  et  de  les  prolonger  derrière 
lui  de  quantités  égales.  Les  extrémités  des  per- 
pendiculaires ainsi  prolongées  nous  donneront  l'i- 
mage de  l'objet  laquelle  sera,  par  suite,  symétrique 
de  l'objet  lui-même. 

L'expérience  de  tous  les  jours  vérifie  complète- 
ment ces  conséquences  de  la  théorie.  Placez  une 
bougie  devant  une  glace,  vous  verrez  l'image  de 
cette  bougie  derrière  la  glace  et  à  une  dislance 
égale.  Placez-vous  vous-même  devant  un  miroir 
plan.  Vous  verrez  votre  image  exactement  repro- 
duite derrière  lui.  Seulement,  votre  droite  à  vous 
sera  la  gauche  de  l'image  et  réciproquement.  L'i- 
mage que  fournit  le  miroir  ne  vous  est  donc  pas 
identique  ;  elle  représente  seulement  votre  symé- 
trique. Faites  varier  la  position  du  miroir,  incli- 
nez-le à  4i  degrés  sur  l'horizon,  par  exemple, 
votre  image  se  montrera  dans  une  direction  hoi'i- 
zontale  :  ce  sont  là  des  conséquences  immédiates 
de  la  théorie  que  nous  venons  de  donner,  consé- 
quences toutes  facilement  vérifiables  par  l'obser- 
vation. 

Pareillement,  placez  en  m,  dans  l'angle  (jue  for- 
ment deux  miroirs  plans  rectangulaires  AO,  BO 
(flg.  4),  un  point  lumineux,  vous  obtiendrez  de  lui 
trois  images  distinctes  en  :  m',  m",  m'",  lin  effec- 
tuant les  constructions  géométriques  on  voit,  en 
effet,  que  en  m'  se  trouve  l'image  de  m  fournie 
par  AO  et  en  m"  par  BO,  mais  l'image  m  est  comme 
un  point  lumineux  qui  envoie  des  rayons  sur  le 
miroir  BO  et  forme  son  image  en  m'";  de  même  et 
par  raison  de  symétrie  l'image  m",  point  lumineux 
virtuel,  donne  dans  le  miroir  AO  son  image  exac- 
tement au  même  point  m'";  les  deux  images  de 
m'  et  de  m"  se  superposent  donc  en  m'"  comme  le 
montre  la  construction  et  n'en  forment  qu'une 
seule.  Que  les  miroirs  soient  inclinés  à  GO"  l'un 
sur  l'autre,  et  le  point  lumineux  m  posé  dans  le 
plan  bissecteur  des  miroirs  nous  donnera  seiubla- 
blement  cinq  images  qui  avec  le  point  m  lui-même 
figureront  six  points  lumineux  placés,  chacun  au 


sommet  d'un  hexagone  régulier.  On  utilise  depuis 
longtemps  cette  propriété  des  images  multiples 
fournies  par  les  miroirs  inclinés  dans  l'instrument 
nommé  kaléidoscope .  C'est  une  sorte  de  tube, 
fermé  à  un  bout  par  une  glace  dépolie  et  portant 
dans  son  intérieur  et  parallèlement  à  son  axe  deux 
miroirs  plans  inclinés  l'un  sur  l'autre  à  0(J°.  On  a 
placé  au  fond  du  tube  et  contre  le  verre  dépoli 
des  fragments  d'objets  coloriés  :  des  pétales  de 
fleurs,  des  verroteries,  etc..  Les  couleurs  diverses 
s'agencent  et  se  combinent  quelquefois  d'une  fa- 
çon remarquable  et  l'œil  placé  à  l'extrémité  ou- 
verte du  tube  voit  leurs  images  reproduites  avec 
une  symétrie  parfaite.  Les  dessinateurs  sur  étoffes 
s'inspirent  quelquefois,  pour  obtenir  des  combi- 
naisons nouvelles  de  lignes  ou  de  teintes,  de  ces 
figures  curieuses  que  le  kaléidoscope  leur  fournit 
avec  une  infinie  variété  d'aspect. 

Enfin,  si  l'angle  formé  par  les  doux  miroirs  A 
et  B  est  égal  à  zéro,  ce  qui  revient  à  dire  que  les 
miroirs  sont  parallèles,  le  nombre  des  images  d'un 
point  lumineux  situe  entre  les  deux  miroirs  est 
théoriquement  infini.  En  effet,  cliaque  image 
nouvelle  donnée  par  le  miroir  A  doit  en  fournir 
une  correspondante  dans  le  miroir  B  et  inverse- 
ment. Seulement  ces  images  successives  dues  à 
des  réflexions  de  plus  en  plus  nombreuses,  les- 
quelles amènent,  chaque  fois,  des  pertes  nouvelles 
de  lumière,  diminuent  rapidement  d'éclat;  et,  en 
réalité,  le  nombre  observable  d'images  de  l'objet 
lumineux  est  toujours  assez  restreint.  On  a  un 
exemple  de  ces  images  multiples  lorsqu'une 
lampe  allumée  ou  un  bec  de  gaz  est  placé  entre 
les  deux  glaces  parallèles  qui  ornent  les  murs 
opposés  d'une  salle.  Les  images  de  l'appareil 
éclairant  se  montrent  à  la  file  l'une  de  l'autre 
derrière  chacun  des  deux  miroirs,  et  cela  en  nom- 
bre d'autant  plus  considérable  que  l'intensité  des 
foyers  lumineux  est  plus  grande.  Le  même  effet  se 
manifeste,  encore  lorsque  vous  placez,  sur  une  che- 
minée, une  bougie  tout  près  de  la  glace  que  cette 
cheminée  supporte  et  que  vous  regardez  dans  une 
direction  un  peu  oblique  l'image  do  ladite  bougie  ; 
vous  apercevez  alors,  non  plus  une  image  unique, 
mais  une  série  d'images  d'intensités  rapidement 
décroissantes.  Dans  ce  cas,  il  y  a  encore,  en 
réalité,  deux  miroirs  plans  parallèles:  l'un  cons- 
titué par  la  face  postérieure  de  la  glace,  laquelle 
est  recouverte  de  tain,  et  l'autre  par  la  face  vitreuse 
antérieure  qui  est  nue.  Le  pouvoir  réflecteur  do 
cette  dernière  est,  il  est  vrai,  beaucoup  plus  faible, 
mais  elle  n'en  joue  pas  moins  le  rôle  de  miroir. 
Seulement,  l'œil  n'est  pas  placé,  cette  fois,  entre 
les  deux  surfaces  réfléchissantes  comme  dans  le 
cas  précédent,  aussi  ne  peut-il  distinguer  qu'une 
seule  des  images  de  la  bougie  que  fournit  la  face 
antérieure  de  la  glace,  tandis  qu'il  aperçoit  celles 
que  produit   la  face  postérieure. 

B.  —  Réflexion  de  la  lumière  dans  les  miroirs 
sphèriques,  concaves  et  convexes.  —  Les  lois  de 


REFLEXION 


—  i806  — 


REFLEXION 


la  réflexion  do  la  lumière  s'appliquent  tout  aussi 
bien  que  précédemment  au  cas  où  la  surface 
réflécliissante  est  courbe  au  lieu  d'être  plane. 
Il  faut  remarquer,  en  effet,  que  lorsqu'un  rayon 
de  lumière  tombe  en  un  point  d'une  surface 
courbe,  tout  se  passe  comme  si  l'élément  superfi- 
ciel atteint  était  remplacé  par  le  plan  tangent  qui 
lui  correspond.  La  perpendiculaire  qui  permettra 
d'évaluer  l'angle  d'incidence  et  l'angle  de  ré- 
flexion sera  donc,  cette  fois,  la  normale  à  la  surface 
courbe  au  point  considéré.  Dans  le  cas  particulier 
des  miroirs  sphériques,  le  seul  que  nous  ayons  à 
examiner  ici,  la  normale  dont  il  s'agit  sera  évi- 
demment le  rayon  de  la  sphère,  à  laquelle  le  mi- 
roir appartient. 

Miroirs  concaves.  —  Nous  allons  étudier  d'a- 
bord la  formation  de  l'image  d'un  point  lumineux 
dans  un  miroir  spliérique  concave.  Ce  genre  de 
miroirs  consiste  en  une  calotte  spliérique  dont 
l'angle  d'ouverture   MCO   (lis-   5)    ne    correspond 


Fig.  5. 

qu'à  un  petit  nombre  de  degrés,  de  3  i  5  au  plus, 
et  qui  est  polie  à  l'intérieur.  La  ligne  OCL,  qui 
joint  le  centre  C  de  la  sphère  au  centre  0  de 
figure  du  miroir,  porte  le  nom  d'axe  principal. 

Nous  supposerons,  en  premier  lieu,  que  le  point 
lumineux,  une  étoile  par  exemple,  soit  situé  à 
une  distance  infiniment  grande  et  que  l'axe  prin- 
cipal soit  dirigé  vers  ce  point.  Dans  ce  cas,  le? 
rayons  incidents  BR,  DA,  etc.,  seront  parallèles 
entre  eux  et  en  même  temps  parallèles  à  l'axe  OL. 
Considérons  spécialement  l'un  d'eux.  BR  par 
exemple;  il  se  réfléchit  dans  la  direction  RF  en 
faisant  avec  la  normale  RC  un  angle  de  réflexion 
égal  à  l'angle  d  incidence  BRC;  il  vient  par  suite 
couper  l'axe  principal  en  un  certain  point  F.  Or, 
remarquons  que  le  triangle  CRF  est  isocèle,  car 
les  angles  en  C  et  en  R  sont  égaux  ;  en  efi'et,  RCF 
et  CRB  sont  égaux  comme  aiternes-internes  ; 
d'autre  part,  CRB  égale  CRF  comme  angle  de 
réflexion  et  angle  d'incidence,  donc  RCF  =  FRC, 
par  suite  RF  ^  FC  :  mais  FR  difl'ère  très  peu  de 
FO  parce  que  nous  avons  supposé  l'angle  RCO  et 
par  suite  RFO  très  petit,  donc  le  point  F,  point 
de  rencontre  du  rayon  réfléchi  et  de  l'axe  princi- 
pal, se  trouvera  sitnsihlemeni  placé  au  milieu  du 
rayon  CO  ;  et  ceci  sera  d'autant  plus  exact  que 
le  rayon  de  la  sphère  sera  plus  grand  et  que  la 
calotte  sphéri'iue  cnrres|iondra  h  un  plus  petit 
nombre  de  degrés.  Ce  qui  vient  d  être  dit  pour  le 
rayon  incident  BR  parallèle  à  l'axe,  est  exactement 
vrai  pour  tout  autre,  tel  que  DA  ;  donc  tous  les 
rayons  lumineux  tombant  parallèlement  à  l'axe 
principal  donneront  naissance  à  des  rayons  réflé- 
chis qui  viendront  tous  se  couper  en  un  point 
unique  F,  situé  sur  l'axe  au  milieu  du  rayon.  Ce 
point  de  convergence  des  rayons  parallèles  porte  le 
nom  de  foyer  principal. 

Réciproquement,  un  point  lumineux  placé  en  F 
donnerait  des  rayons  de  lumière,  qui,  réfléchis 
par  le  miroir,  deviendraient  tous  parallèles  à  l'axe 
principal.  C'est  la  conséquence  des  lois  de  la  ré- 
flexion. 

L'expérience   confirme   les    indications    de    la 


théorie.  On  choisit  comme  point  lumineux  une 
étoile  vers  laquelle  on  dirige  l'axe  OL  du  miroir 
concave,  et  l'on  trouve  alors  qu'en  plaçant  un  petit 
écran  de  papier  au  milieu  du  rayon  de  courbure 
CO,  en  F,  on  voit  sur  l'écran  une  image  très 
nette  de  l'étoile,  image  qui  est  sensiblement  un 
point.  L'écran  porté  en  avant  ou  en  arrière  de  F 
ne  montre  plus  qu'un  cercle  lumineux  d'un  rayon 
d'autant  plus  grand  que  la  distance  de  F  à  l'écran 
se  trouve  augmentée. 

Ce  qui  est  vrai  pour  des  rayons  incidents  paral- 
lèles à  OL  l'est  encore  pour  des  rayons  parallèles 
à  un  autre  diamètre  quelconque  de  la  sphère  dont 
le  miroir  fait  partie  ;  CM,  CA,  etc.  Car,  dans  une 
sphère,  tous  les  diamètres  sont  identiques  et 
jouissent  par  suite  des  mêmes  propriétés.  Seule- 
ment, il  demeure  bien  entendu  que  si  les  rayons 
incidents  sont  parallèles  à  CM,  le  foyer  principal 
correspondant  n'est  plus  au  milieu  de  CO,  mais 
au  milieu  de  CM  ;  s'ils  sont  parallèles  à  CA, 
le  foyer  correspondant  se  trouve  pareillement  au 
point  milieu  de  C.\  et  ainsi  de  suite. 

Il  faut  remarquer  toutefois  qu'il  n'est  pas  in- 
différent, au  point  de  vue  de  la  netteté  des 
images,  de  prendre  pour  axe  principal  du  mi- 
roir CO  ou  CM;  dans  le  premier  cas,  en  effet, 
l'angle  d'ouverture  est  MCO,  dans  le  second,  il 
est  plus  grand  et  égal  à  MGN.  Or,  il  a  été  établi 
plus  haut  que  la  netteté  de  l'image  d'un  point 
lumineux  est  d'autant  plus  grande  que  l'angle  du 
miroir  réflecteur  est  plus  petit,  donc  les  foyers  de 
lumière  placés  sur  CO  donneront  des  images 
mieux  définies,  plus  arrêtées  dans  leurs  contours 
que  s'ils  sont  situés  sur  CM . 

Soit  maintenant  (fig.  6)  un  miroir  PP',  ou  plu- 


Fig.  6.  I 

tôt,  soit  PP'  la  section  de  ce  miroir  par  le  plan  | 
du  tableau,  plan  qui  contient  toujours  lecentredela  I 
sphère;  soit  C  le  centre  de  courbure  et  A  le  cen-  j 
tre  de  figure  du  miroir.  F,  point  milieu  de  AC,  î 
sera  le  foyer  correspondant  à  l'axe  principal,  j 
Si,  de  C.  comme  centre,  avec  CF  pour  rayon,  ,J 
nous  décrivons  une  sphère  dont  la  section  par  la  < 
plan  du  tableau  soit  FF',  cette  surface  FF'  pourra  .> 
être  nommée  la  surface  focitle  principale,  car  elle 
contiendra  tous  les  foyers  principaux  correspon-  . 
dant  aux  différents  diamètres  de  la  sphère. 

Cela  dit,  supposons  le  point  lumineux  non  plus  ij 
à  l'infini,  mais  sur  l'axe  principal,  en  S,  par  exem- 
ple, il  émet  des  rayons  dans  tous  les  sens  et 
quelques-uns  de  ces  rayons  viennent  nécessaire- 
ment rencontrer  le  miroir.  Appelons  Sm  l'un 
d'eux.  Comment  tracer  le  rayon  réfléchi  qui  lui 
correspond.'  Rien  n'est  plus  simple  :  S»i  coupant 
la  surface  focale  principale  en  l<",  tout  se  passe, 
quant  i  la  réflexion  sur  le  miroir,  comme  si  le 
rayon  lumineux  partait  de  F'  pour  tomber  sur  PP' 
dans  la  direction  de  fin  ;  donc,  d'après  ce  qui  a 


REFLEXION 


—  1807 


HEFLEXIUN 


6to  dit  plus  liaut,  lo  rayon  réllochi  on  m  devra 
fttro  parallèle  à  l'axo  ou  au  diamètre  de  la  sphère 
passant  en  F',  c'est-à-dire  à  CF'K.  Par  suite,  pour 
avoir  le  rayon  réfléclii,  il  suffira  de  mener 
par  )n  une  parallèle  ms  à.  CK'K.  Cette  parallèle 
viendra  couper  l'axe  principal  en  s  entre  F  et 
C.  Ce  point  s  (jui,  nous  le  ferons  voir  comme  tout  à 
l'heure,  est  le  point  de  concours  de  tous  les  rayons 
réfléchis  provenant  du  rayon  émis  par  S,  porte  lo 
nom  de  foyer  conjugué  de  S.  Ces  deux  points  5  et 
S  sont  liés  l'un  i  l'autre  par  une  relation  remar- 
quable :  ils  sont  tels,  en  elTet,  que  si  le  point  lu- 
mineux est  en  S,  le  point  de  concours  des  rayons 
réfléchis  est  en  *,  et  si  le  point  lumineux  est  ans, 
leur  point  do  concours  est  en  S. 

Cherchons  maijitenant  quelle  est,  au  juste,  la 
relation  numérique  qui  lie  s  et  S.  Appelons  it  et 
7t'  les  distances  des  points  S  et  s  au  point  fixe  F, 
milieu  du  rayon  de  courbure.  Soit  R  le  rayon 
de  courbure  de  la  sphère  et  /'lo  demi-rayon  ou  la 
longueur  focale  principale  CF. 

Dans  le  triangle  Sms,  la  ligne  CF'- étant  paral- 
lèle à  s/71,  on  a  : 

sS        »is 


es 


CF' 


Si  on  remarque  quesS  =7t  —  ti';  que  SC  =  it  —  /, 
que  srn  est  sensiblement  égal  îi  SA.  en  vertu  des 
conventioiis  dé|ii  faites  et  par  suite  égal  à  7t' -+- /; 
que,  enfin,  CF'  =  /',  l'égalité  précédente  se  trouve 
remplacée  par  celle-ci  : 

^_V       n'+f 


ElTecluant  et  réduisant,  on  arrive  à  l'expression 
très  simple  : 

TtTt'  =  /'2 

Telle  est  la  relation  cherchée  quia  été  indiquée, 
pour  la  première  fois,  par  Newton.  Elle  montre  en 
premier  lieu,  que  n  et  ix'  sont  réciproques  l'un 
de  l'autre,  propriété  signalée  plus  liant.  De  plus, 
71  et  7i'  sont  toujours  de  même  signe  puisque  leur 
produit  est  positif,  c'est-à-dire  que  les  deux  foyers 
conjugués  sont,  tous  les  deux  à  la  fois,  à  droite 
de  F,  ou,  tous  les  deux  à  la  fois,  à  gauche  de  F. 

Pour  rendre  la  discussion  de  la  formule  1171'  =  /- 
complète,  nous  recourrons  à  une  construction 
géométrique  qui  a  été  donnée  récemment  par 
M.  Lebourg. 

Du    point    F   comme    centre    (fig.    7),  avec    CF 


pour  rayon,  décrivons  une  circonférence;  le  point 


lumineux  étant  en  S,  il  suffira  pour  obtenir  son 
conjugué  de  mener  par  S  une  tangente  ST  à  la 
circonférence  déjà  décrite,  puis  d'abaisser,  du  point 
de  tangence  T,  une  perpendiculaire  l's  sur  l'axe 
principal  ;  le  point  d'intersection  s  de  cette  perpen- 
diculaire avec  l'axe  sera  le  foyer  conjugué  de  S. 
On  a,  en  efl'et,  dans  le  triangle  rectangle  FTS  : 

FT*  =  FSx  Fs 

remplaçant  les  quantités  par  leurs  valeurs  on  oli- 
tien  t  : 

/'^  =  7t7l' 

donc  s  est  bien  le  conjugué  de  S. 

La  discussion  projetée  devient  dès  lors  facile  : 
S  est-il  à  l'infini?  le  point  de  tangence  est  en  D 
et  ce  point  se  projette  en  F.  C'est  ce  qui  a  été 
établi  plus  haut.  S  toujours  placé  sur  l'axe  se 
rapproche-t-il  de  C?  Le  point  de  tangence  T  mar- 
che sur  la  circonférence  de  D  vers  G  et  sa  pro- 
jection A'  de  F  vers  C.  Le  point  lumineux  arrive- 
t-il  en  G  '?  C'est  ce  même  point  G  qui  est  à  la  fois 
,  le  point  de  tangence  et  sa  propre  projection  sur 
I  l'axe,  alors  les  deux  foyers  conjugues  se  confon- 
I  dent.  Le  point  lumineux  continue-til  sa  marclie 
1  toujours  dans  le  même  sens  de  C  vers  F?  De  cha- 
cune des  positions  nouvelles  données  à  ce  point, 
on  élèvera  une  perpendiculaire  sT  à  l'axe,  et  au 
point  de  rencontre  T  de  cette  perpendiculaii'e 
avec  la  circonférence,  on  mènera  la  tangente  qui, 
par  sa  rencontre  avec  l'axe. donnera,  chaque  fois, 
le  point  conjugué  cherché.  Donc,  à  mesure  que 
le  point  lumineux  se  rapprochera  de  F,  son  foyer 
conjugué  s'éloignera  de  G,  et,  quand  le  point  lumi- 
neux sera  en  F,  son  conjugué  sera  à  l'inflni,  c'est- 
à-dire  que  les  rayons  réfléchis  seront  parallèles 
à  l'axe  principal. 

Jusqu'à  présent,  nous  avons  toujours  maintenu 
le  point  lumineux  entre  l'infini  et  le  point  F,  et  le 
foyer  conjugué  auquel  il  a  donné  naissance  dans 
chacune  de  ses  positions  successives  résultait 
d'un  croisement  effectif  ans  rayons  réfléchis,  croi- 
sement qui  peut  être  rendu  sensible  en  pla- 
çant un  écran  dans  la  position  convenable.  Aussi, 
les  foyers  ainsi  obtenus  ont  ils  été  appelés,  avec 
raison,  des  foyers  réeis. 

Continuons  à  faire  marcher  le  point  lumineux 
dans  le  même  sens,  mais  de  F  vers  A.  Cette  fois, 
le  point  de  tangence  déterminé  comme  précédem- 
ment par  la  perpendiculaire  à  l'axe  menée  du 
point  lumineux  passera  à  gauche  de  D,  par  suite 
la  tangente  ne  rencontrera  plus  l'axe;  ce  sera  son 
prolongement  qui  seul  la  rencontrera  derrière  le 
miroir.  Dans  ce  cas  donc,  les  rayons  réfléchis  ne 
se  croiseront  plus  effectivement,  il  faudra  les  sup- 
poser prolongés  derrière  le  miroir  pour  obtenir 
leur  point  de  concours.  Les  rayons  réfléchis  que 
l'œil  recevra  lui  donneront,  sans  doute,  la  sensation 
d'un  foyer  lumineux  situé  en  arrière  du  miroir, 
mais  ce  foyer  n'existera  pas  en  réalité  ,  il  ne 
pourra  pas  être  reçu  sur  un  écran.  On  le  nomme, 
pour  ce  motif,  foyer  virtuel. 

Ce  foyer  virtuel  a  des  positions  variables  avec 
celles  du  point  lumineux.  Ce  dernier  se  déplace- 
t-il  de  F  vers  A"!  le  point  T,  situé  sur  la  circon- 
férence à  gauche  de  D,  s'avance  de  D  vers  A,  et 
par  suite  la  tangente  qui  lui  correspond  va,  par 
son  prolongement,  couper  l'axe  en  des  points  de 
plus  en  plus  voisins  du  miroir.  Enfi[i,  quand  le 
point  lumineux  est  en  A,  son  foyer  est  aussi  en  A. 

Résumons   cette  discussion  en  quelques  mots  : 

Point  lumineux  à  l'infini;  —  foyer  conjugué  au 
foyer  prijicipal. 

Point  lumineux  entre  l'infini  et  le  centre  ;  — 
foyer  coiijugué  entre  le  foyer  principal  et  le 
centre. 


REFLEXION 


—  1808  — 


RÉFLEXION 


Point  lumineux  se  rapprochant  du  centre  ;  — 
foyer  conjugué  se  rapprochant  du  centre. 

"Point  lumineux  au  centre  ;  —  foyer  conjugué 
au  centre. 

Point  lumineux  entre  le  centre  et  le  foyer 
principal  ;  —  foyer  conjugué  entre  le  centre  et 
l'infini. 

Point  lumineux  se  rapprochant  du  foyer  prin- 
cipal ;  —  foyer  conjugué  se  rapprochant  de 
l'infini. 

Point  lumineux  au  foyer  principal;  —  foyer 
conjugué  à  l'infini. 

Point  lumineux  entre  le  foyer  principal  et  le 
miroir  ;  —  foyer  conjugué  virtuel  derrière  le 
miroir. 

Point  lumineux  se  rapprochant  du  miroir  ;  — 
foyer  conjugué  virtuel  se  rapprochant  du  miroir. 

Point  lumineux  sur  le  miroir;  —  foyer  conju- 
gué sur  le  miroir. 

Dans  tous  les  cas,  on  le  voit,  les  deux  foyers 
conjugués  marchent  en  sens  contraire  l'un  de 
l'autre. 

On  donne  ordinairement  une  formule  autre 
que  celle  de  JN'ewton  pour  exprimer  la  relation 
<|Ui  lie,  l'un  à  l'autre,  les  deux  foyers  conjugues. 
(;ette  formule  rentre  absolument  dans  la  précé- 
dente et  peut  s'en  déduire  immédiatement  ;  elle 
a  seulement  le  défaut  d'être  moins  simple,  et  de 


rendre  par  suite  la  discussion  un  peu   plus  com- 
pliquée. 

Posons  en  effet  SA=p  s\=p'  (fig.  6)  et  dans 
l'expression  nn' ;= /^  remplaçons  tt  et  ti'  par  leurs 
valeurs  en  fonction  de;;  et  de  p'.  On  a  évidemment 
II  ^p  — f;  Tt'=p' — /■  et  par  suite  : 

(.p-n{p'-r=f; 

effectuant  et  réduisant,  il  vient  : 

P'f+Pf=PP'; 
divisant  tous  les  termes  parpp/on  obtient  : 

1+4=1 

p   p'  f 

qui  est  la  formule  ordinaire  des  foyers. 

Nous  ne  recommencerons  pas  la  discussion  re- 
lative aux  foyers  conjugués  en  nous  servant  de 
cette  nouvelle  formule  algébrique  ;  elle  conduit, 
bien  entendu,  aux  mêmes  résultats.  Nous  laisse- 
rons au  lecteur  le  soin  de  la  diriger  lui-même. 

hnac/e  des  objets.  —  Nous  savons  trouver  l'image 
d'un  point  situé  sur  l'axe  principal;  l'image  d'un 
point  quelconque  situé  hors  de  l'axe  s'en  déduit 
facilement. 

Soit  le  point  lumineux  B   placé  en   dehors  de 


,/. 


/ 

\ 

B 

A 

\ 

\/ 

./ 

\/ 

S 

\ 

/\ 

\/ 

^    \ 

\/ 

/■ 

A" 

\ 

\^ 

/ 

A 

l'axe  principal  ffig.  8).  L'image  de  B  se  trouve 
nécessairement  sur  le  diamètre  BC  qui  représente 
à  la  fois  la  direction  d'un  rayon  incident  et  celle 
du  vayon  réfléchi  qui  lui  correspond.  —  Cette  ligne 
BC  s'appelle  un  axe  secondaire.  —  D'autre  part, 
parmi  les  rayons  émis  par  B,  il  en  est  toujours  un 
qui  est  parallèle  à  l'axe  principal;  celui-là  fournit 
par  la  réflexion  un  rayon  qui  va  passer  en  F  au 
foyer  principal  et  qui,  par  sa  rencontre  avec  BC 
en  h,  donne  le  foyer  conjugué  ou,  si  l'on  veut, 
l'image  de  B. 

Quand  on  sait  obtenir  l'image  d'un  point_  quel- 
conque on  sait,  par  là  même,  déterminer  l'image 
d'un  objet  éclairé,  qui  n'est  en  réalité  qu'un  com- 
posé de  points  lumineux. 

Ainsi,  soit  l'objet  AB  que,  pour  plus  de  sim- 
plicité, nous  supposons  rectiligne  ;  nous  venons 
de  trouver  l'image  de  B  ;  pjr  une  construction 
semblable,  on  trouvera  l'image  de  A  :  ah  est  donc 
l'image  de  AB.  Mais  comme  cela  résulte  nécessai- 
rement de  la  construction  même,  l'image  de  AB 
est  renversée  par  rapport  *  l'objet;  car  B  qui 
était  au-dessus  de  l'axe  principal  a  son    image  b 


placée  au-dessous  de  ce  même  axe,  et  A  qui  est 
au-dessous  a  son  image  a  placée  au-dessus. 

Je  dis  de  plus  que,  dans  les  conditions  où  nous 
nous  trouvons,  l'image  ah  est  plus  petite  que 
l'objet  ;  car,  à  cause  de  la  similitude  des  trian- 
gles BCA,  iCa  on  a  : 


ab 
AB~ 

Ca  _ 
CA" 

Cs 
"CS 

mais 

Cs 

=r- 

■Ti' 

êtes 

ah 

Tl  - 

•fi  on  a 

donc  : 

Remplaçant  tv'  par  sa  valeur  tirée  de  la  formule 
înt'  =  f2,  il  vient  après  réduction  : 

a6_  f 
AB~n 

Donc,  tant  que  tt  sera  plus  grand  que  f,  c'est-à- 
dire  toutes  les  fois  que  l'objet  sera  au-delà  du 


REFLEXION 


—  180'J  — 


REFLEXION 


centre,  son  image  sera  réelle,  renversée,  située 
entre  le  centre  et  le  foyer  principal  et  plus  petite 
que  lui.  Elle  sera  d'autant  plus  petite,  l'objet  con- 
servant une  grandeur  constante,  que  cet  objet 
sera  placé  plus  loin  du  centre  ou,  ce  qui  revient 
au  même,  que  ■k  sera  plus  grand. 

Si,  en  second  lieu,  nous  supposons  l'objet  en 
ab,  son  image  sera  en  AB,  d'où  nous  déduirons 
cette  conséquence,  que  lorsque  l'objet  se  trouve 
entre  le  centre  elle  foyer  principal,  son  image  est 
réelle,  renversée,  située  au  delîi  du  centre,  plus 
grande  que  lui  et  d'autant  plus  grande  que  l'objet 
est  plus  près  du   foyer  principal. 

Eutiua  ne  devient  égal  à  AB  que  lorsque  it  =  /', 
c'est-à-dire  lorsque  l'objet  est  placé  au  centre.  Son 
image  dans  ce  cas  se  superpose  à  lui  et  lui  est 
égale  en  grandeur  tout  en  étant  renversée. 

Enfin  si,  en  dernier  lieu,  nous  supposons  l'ob- 
jet AB  placé  entre  le  foyer  principal  et  le  miroir. 


nous  savons  déjà  que  son  image  sera  virtuelle. 
Pour  la  trouver,  on  effectue  la  même  construction 
que  dans  le  cas  précédent  (fig.  9)  et  l'on  voit  alors 


que  l'objet  Al!  et  l'image  ah  sont  l'un  et  l'autre 
compris  dans  l'angle  hCa,  et  que,  leurs  directions 
étant  parallèles,  l'image  est  toujours  plus  grande 
que  l'objet,  puisqu'elle  est  nécessairement  plus 
éloignée  que  lui  du  sommet  de  l'angle.  De  plus, 
cette  image  virtuelle  est  toujours  droite.  Le  rap- 
port de  grandeur  de  l'image  et  de  l'objet  se  cal- 
cule comme  tout  à  l'heure,  et  l'on  a  : 

ab  _  b'4-/' 
All-Tt-H/- 

Remplaçant  it'  par  sa  valeur  —  et  réduisant,  on  a 

encore  : 

û6  _  / 
AB~5r 

Mais  cette  fois,  à  raison  de  la  convention  faite, 
it  est  plus  petit  que  f,  donc  l'image  est  plus  grande 
i|ue  l'objet. 

Mir.outs  coNVKXES.  —  Le  miroir  convexe  est, 
comra&le  miroir  concave,  constitué  par  une  calotte 
spliérique  présentant  les  conditions  déjà  indiquées; 
c  est-à-dire  qu'elle  ne  représente  qu'une  très 
laible  partie  de  la  surface  de  la  sphère  à  laquelle 
ille  appartient.  Seulement,  cette  fois,  la  calotte 
i-st  polie  à  l'extérieur. 

La  figure  10  indique  la  construction  nécessaire 
pour  trouver  l'image  d'un  point  et  celle  d'un  objet. 
On  voit  que  cette  image  est  toujours  et  nécessai- 
rement droite,  virtuelle  et  pins  petite  que  l'objet. 
Dans  le  dessin  ci-contre,  l'objet  est  à  droite,  du 
lùié  de  la  face  polie  du  miroir  et  dans  deux  posi- 
nons  difl'érentes.  Il  ressort  de  la  construction,  que 
c|nand  l'objet  s'éloigne  du  miroir,  son  image  tou- 
jours virtuelle  s'en  éloigne  aussi  en  se  rapprochant 
du  foyer  principal  ;  et  elle  est  d'autant  plus  petite 
que  l'objet  est  plus  éloigné. 

La  formule  itîi'=/'a  s'applique,  telle  quelle  et 
sans  aucun  changement  de  signe,  au  cas  du  mi- 
roir convexe.  On  peut  le  démontrer  directement, 


Fijj.  10. 


en  construisant,  pour  le  cas  du  miroir  convexe, 
une  figure  tout  à  fait  semblable  à  celle  qui  nous 
aservi  pour  le  miroir  concave  (fig.  6\  et  en  conser- 
vant les  mêmes  notations.  On  a  alors  : 

•*S  TZ  — 7t'  A—  tc' 

Effectuant  et  réduisant  on  retombe  sur  l'expres- 
sion Ît7c'=/'a. 

On  trouve  pareillement  que  le  rapport  de  gran- 
deur de  l'image  et  de  l'objet  est  donné  par  l'ex- 
pression - 1  et  comme  ici  u  est  nécessairement  plus 
grand  que  /'dans  tous  les  cas,  l'image  est  toujours 
2'  Partie. 


plus  petite  que  l'objet,  ce   qu'avait    déjà  indiqué 
la  construction  géométrique. 

Expériences  d'une  exécution  facile  dans  les 
cours.  —  1°  Miioira  plans.  —  Montrer  que  si  on  re- 
çoit un  faisceau  de  lumière  solaire  sur  un  miroir 
plan,  on  peut,  en  faisant  varier  l'inclinaison  du  fais- 
ceau incident  sur  le  miroir,  amener  les  rayons  réflé- 
chis dans  telle  direction  que  l'on  veut.  —  IWiroirs  rec- 
tangulaires et  bougie  allumée  placée  dans  l'angle 
des  deux  miroirs.  —  Même  expérience  en  donnant 
à  l'angle  des  deux  miroirs  successivement  la  valeur 
de  45°  de  GO". —  Miroir  plan  métallique  ou  lame  di; 
verre  à  face  antérieure  argentée  ;  une  seule  image, 
—  glace  de  verre  étainée  ;  images  multiples.  —  Vnt- 
lampe  munie  d'une  cheminée  de  verre  cylindrique 
lli 


REFORME 


—  1810  — 


REFORME 


tosnaltre  sur  le  plafond  au-dessus  d'elle  des  an- 
sfeiax  conceniriques  alternativement  clairs  et  obs- 
ÎU3&,  —  montrer  ce  pliénomène  et  l'expliquer. 

2'  Miroirs  spliériqiies  cuncnves.  —  On  dirige 
Faae  d'un  miroir  concave  vers  le  soleil,  et  on  coji- 
slate  qu'en  portant  un  petit  écran  en  avant  du  mi- 
?s»i!T,  on  arrive  par  tâtonnement  à  le  placer  dans 
nae  position  telle  que  l'image  du  soleil  se  produit 
iar  l'écran  nettement  délimitée  et  avec  le  maxi- 
iaiini  de  lumière  et  de  chaleur.  —  D'où  mesure  de 
la  distai.ce  focale  principale.  —  On  place  une  bou- 
gie allumée  sur  l'axe  du  miroir  concave  et  on  fait 
"sarier  sa  position  depuis  le  foyer  principal  jusqu'au 
centre  et  puis  du  centre  à  quelques  mètres  de  dis- 
tance au  delà  ;  on  cherche  chaque  fois,  avec  un 
^elit  écran  en  papier,  la  position  où  l'image  de  la 
iongie  a  le  maximum  de  netteté,  et  on  vérifie  ainsi 
«  lelation  donnée  plus  haut,  relative  aux  foyers 
3»itjugnés.  —  On  place  la  bougie  allumée  entre  le 
Ssyer  principal  et  le  miroir  ;  on  voit  son  image 
iroite  et  agrandie,  mais  on  ne  peut  la  recevoir 
wi  un  écran.  Elle  est  virtuelle. 

3*  Miroirs  spliériques  convexes.  —  Mêmes  expé- 
riïnces  que  pour  les  miroirs  concaves,  —  seule- 
:a«nt  image  non  recevable  sur  un  écran  quelle  que 
soit  la  position  de  ce  dernier.  —  La  lumière  de  la 
îottgie  parait  toujours  plus  petite  dans  le  miroir 
ït  d'autant  plus  petite  que  la  bougie  est  plus  éloi- 
gaée  du  miroir.  —  Boules  de  verre  argentées  qu'on 
place  dans  les  jardins,  —  Images  des  objets  exté- 
rieurs vues  dans  ces  boules. 

•4*  Miroirs  cylin'/riques  et  coiiiqufs  en  métal.  — 
Déformation  complète  de  l'image  des  objets. 

[A.  Boutan.] 

RÉFLEXION  (Psychologie).  —  V.  Intelligence. 
—  V.  aussi  Ré/lexion  ila.ns  la  I"  Paiitie 

UÉFOKMK.  —  Histoire  générale,  XXII-XXIII.  — 
La  Réforme  est  l'événement  capital  du  xyi'  siècle. 
Elle  emplit  deux  cents  ans  d'histoire  de  ses  revers 
M  de  ses  succès,  depuis  l'heure  solennelle  où  Lu- 
ther, simple  moine,  brûla  la  bulle  d'excommunica- 
lisii  du  successeur  de  Grégoire  VII  et  d'Iniio- 
Miit  III  ,1520), jusqu'au  jour  où  Guillaume  d'Orange 
jDrta  le  coup  décisif  au  catholicisme  armé  de 
Louis  XIV,  en  inscrivant  sur  sa  bannière  victo- 
rieuse :  «  Je  maintiendrai  les  libertés  et  la  reli- 
»ion  du  peuple  anglais  »  (1688).  La  cause  est  aussi 
profonde  que  l'événement  est  grand  ;  au  fond,  dans 
--on  origine  et  dans  ses  résultats,  «  la  Réforme  est  un 
ilan  de  l'esprit  humain  vers  la  liberté  n  (Guizot). 

Causes.  —  Au  moyen  âge,  la  pensée  était  en 
servitude.  L'auiorité,  et  non  l'expérience,  était  le 
fondement  des  principes  reconnus  d'avance  et  né- 
îessairement  acceptés.  L'Eglise  était  un  gouver- 
nement des  intelligences,  et  un  gouvernement  ab- 
30lu.  La  Bible  contenait  la  base  de  toute  vérité  ; 
la  logique  d'.\ristote  permettait  d'en  déduire  toutes 
î«s  conséquences;  de  là  était  née  la  scolastique.  La 
philosophie,  servante  de  la  théologie,  jouissait  du 
uième  prestige  inviolable  et  consacré.  Aristote 
avait  eu  ses  martyrs  comme  la  Bible  ;  toute  con- 
tradiction était  inierdite.  i>  Les  élèves  d'Abailard 
lui  demandaient,  nous  dit-il  dans  son  Introduc- 
i-wn  à  la  théologie,  des  arguments  philosophiques 
H  propres  à  satisfaire  la  raison,  le  suppliant  de 
iî3  instruire,  non  à  répéter  ce  qu'il  leur  appre- 
nait, mais  à  le  comprendre;  car  nul  ne  saurait 
iTOire  sans  avoir  compris.  »  Et  pour  avoir  essayé 
^  les  satisfaire,  Abuilard  était  condamné  par  les 
•îïiiciles  de  Soissons  et  de  Sens.  Plus  tard,  un  de 
•MS  disciples,  Arnauld  de  Brescia,  était  brûlé  à 
Some,  et  ses  cendres  dispersées  dans  le  Tibre. 

Cependant  à  la  fin  du  xV  siècle,  cette  auto- 
rite  indiscutable  venait  d'être  convaincue  d'er- 
jeur,  par  la  découverte  de  deux  mondes  nouveaux 
qu'elle  avait  ignorés,  l'Amérique  et  l'antiquité. 
Ue  fut  un  bouleversement  des  intelligences.  Au 
■jiQmcnt  où  Christophe  Colomb  allait  doubler  le 


domaine  et  la  fortune  des  hommes,  les  savants 
grecs  débarquaient  en  Occident  les  mains  pleines 
des  trésors  antiques,  et  jetaient  en  circulation  la 
masse  des  idées  qui  font  encore  aujourd  hui  le 
fond  de  nos  esprits.  Ce  fut  le  ravissement,  l'ivresse 
des  intelligences,  en  même  temps  que  la  liberté  ; 
car  l'autorité  devenait  impuissante  contre  la  pen- 
sée. Elle  pouvait  encore  supplicier  les  novateurs, 
mais  non   plus  anéantir  leurs  nouveautés. 

Au  lieu  de  cette  unique  Bible  que  les  fidèles 
apercevaient  de  loin,  enchaînée  au  pupitre  de 
l'église,  les  livres  maintenant  passaient  de  mains 
en  mains,  poursuivis,  mais  nombreux,  insaisissa- 
bles dans  leur  course  légère,  et  d'ailleurs  sans  cesse 
renaissants.  Et  mille  systèmes  éclataient  chaqiie 
jour,  souvent  sous  des  noms  anciens  ;  —  Scepti- 
ques, Platoniciens,  Epicuriens  étaient  plus  nom- 
breux, plus  entliousiastes  que  dans  l'antiquité 
même.  De  là  cette  hardiesse  en  tous  sens,  cette 
initiative  agitée  hors  des  chemins  battus  au  moyen 
âge,  cette  incohérence  d'action  qui  est  le  carac- 
tère même  du  xvi'  siècle.  Cette  masse  d'idées, 
comparées,  soutenues,  combattues  avec  l'efferves- 
cence de  la  jeunesse  qui  secoue  ses  lisières,  de- 
vaient nécessairement  donner  naissance  à  l'es- 
prit d'examen.  Et  le  jour  où  l'examen  porta  sur  la 
Bible,  la  Béformation,  cette  forme  religieuse  de  la 
Pienaissance  commença. 

Caractèie.  —  C'est  pourquoi  la  Réforme  est  un 
événement  aussi  vaste  et  vraiment  européen.  La 
question  se  posa  partout,  parce  que  partout  fu- 
rent attaqués,  sinon  détruits,  l'autorité,  le  gouver- 
nement des  esprits,  en  Allemagne,  en  Danemark, 
en  Suède,  comme  en  Angleterre  et  en  France. 
Le  libre  examen  devait  naître  du  combat  des  idées 
et  des  cultes,  et  contre  la  volonté  même  des  réfor- 
mateurs. Car  Luther  et  Calvin,  comme  Zwingle, 
prétendaient  seulement  substituer  une  religion  à 
une  autre;  mais  la  force  des  choses  amena  la  li- 
berté, et,  après  la  lutte,  la  tolérance. 

Précurseurs.  —  Née  d'un  mouvement  universel, 
la  Réforme  était  nécessaire,  fatale.  Ce  qui  le  prouve 
encore,  c'est  quelle  fut  préparée,  elle  eut  des 
précurseurs.  Il  y  a  deux  sortes  de  grands  hom- 
mes :  ceux  qui  devancent  leurs  contemporains  et 
périssent  entraînés  dans  la  chute  d'une  entre- 
prise prématurée  ;  et  ceux  qui,  nés  à  l'heure  pro- 
pice, savent  produire  et  conduire  les  événements. 
La  Réforme  a  eu  les  uns  et  les  autres. 

L'immobilité  n'es'  point  humaine  ;  de  ce  besoin 
de  mouvement  étaient  nées  les  hérésies  du  moyen 
âge;  et   peut-être   la  Réforme  se   serait-elle  pro- 
duite dans  la  spirituelle  et  frondeuse  Provence  si 
les  soldats   de    Simon    de    Montfort   n'y    avaient 
porté  le  fer  et  la  mort,  à  la   voix  d  Linocent  III 
(1208-1228).  En  Allemagne,   l'Anglais  LoUard  fat 
.brûlé  en  1322.   Mais  ses  disciples,    répandus  aux 
Pays-Bas,    avaient   passé    en    Angleterre,   où    ils 
s'étaient  confondus  avec  les  partisans  de  VViklef. 
Celui-ci,  protégé  par  le  roi  Edouard  III,  avait  pu 
combattre  les  ordres  monastiques,  les  biens  tem- 
porels du  clergé,   la  suprématie  pontificale,  et  il 
;  avait  ainsi  préparé   la   révolution    religieuse    du 
!  XVI'     siècle.   Mais    le     véritable    précurseur    de 
Luther  fut  le  Bohémien  Jean  Huss  qui,  le  premier, 
proclama  l'Ecriture  saiiite  seule  règle   de  la  foi, 
combattit  l'autorité   du  pape  et  réclama  la  com- 
munion sous  les  deux  espèces.  Cité  à  comparaître 
devant  le  concile  de  Constance,   il   eut   confiance 
■  dans  un  sauf-conduit  de  l'empereur  Sifjismond  et 
il  fut  trahi.  Ar.èté,  il  se  déchira  prêt  à  renoncer  à 
I  ses  croyances  «  si  on   lui  démontrait  qu'il  s'était 
[  trompé  n,  et  ajoutant  «  qu'il  aimait  mieux  mourir 
,  que  de  trahir  la  vérité  ».  Il  mourut  le  6  judlet  i41o, 
sur  le  bûcher  où  le  suivit,  Oiîze  mois  après,  son 
condisciple  Jérôme  de  Prague.  «  O  sainte  simpli- 
cité !  0  s'écria  le  mourant  en  voyant  une  vieille 
[  femme  apporter  un  fagot  pour  son  bûcher.  Mais 


REFORME 


—  iSn  — 


RÉFORME 


la  Bohême  était  en  armes,  invincible  sous  Jean 
Ziska  (V.  Guerre  des  flussites).  Quand  leur  clief 
mourut,  les  Hussites  firent  de  sa  peau  un  tambour 
qui,  sous  Procope,  les  conduisit  encore  à  la  vic- 
toire, au  cri  de  «  guerre  aux  papes  et  guerre  aux 
images  ».  L'incendie  qui  avait  éclaté  en  Boliônie 
n'était  pas  éteint  quand  naquirent  Zwingle,  Lu- 
ther et  Calvin. 

Mais  alors  l'heure  était  devenue  favorable.  En 
effet  la  papauté,  ébranlée  dans  sa  suprématie 
par  la  formation  d'Etats  puissants,  en  France,  en 
Espagne  et  eu  Angleterre,  commençait  à  perdre 
une  partie  de  son  prestige.  «  La  cognée  est  à  la 
racine,  avait  écrit  le  cardinal  Cesarini  au  pape 
Eugène  IV,  l'arbre  penche...  et  Dieu  nous  ôte  la 
vue  de  nos  périls.  »  Presque  partout  peuple  et  sei- 
gneurs jalousaient  le  clergé.  Mais  le  terrain  le 
mieux  préparé  était  l'Allemagne,  qui  n  contenait 
plusieurs  Etats  distincts,  indépendants  et  assez 
forts,  quoique  très  inégaux,  pour  offrir  aux  croyan- 
ces diverses  un  asile  assuré  et  former  des  coali- 
tions capables  de  résister  à  l'empereur  «  (Guiîot). 

Réforme  en  Alleniagiie.  —  «  C'est  le  caractère 
du  XVI'  siècle  que  les  hommes  y  sont  aussi  grands 
que  les  événements;  ainsi  le  veut  la  nature  même 
des  révolutions  religieuses...  A  coup  sûr.  il  y  faut 
quelqu'un  des  héros  de  l'espèce  humaine...  il 
n'en  est  aucune  qui  ne  paraisse  l'œuvre  person- 
nelle d'un  grand  homme,  et  presque  toutes  ont 
gardé  le  nom  de  leur  fondateur  »  (Guizot).  Mar- 
tin Luther  était  né  à  Eisleben  en  Saxe  (  1483) ,  d'un 
pauvre  mineur.  Etudiant  à  Erfurth,  il  vit  un  jour 
la  foudre  frapper  un  ami  près  de  lui  ;  et  quatorze 
jours  après,  fuyant  la  vanité  du  monde,  il  était 
novice  dans  un  monastère  d'augustins.  C'est  là 
qu'il  étudia  l'Ecriture,  n  Deux  fois  par  an,  il  lisait 
la  Bible  tout  entière  et  s'y  enfonçait  toujours  da- 
vantage. »  Plus  tard,  dans  un  voyage  à  Rome,  il 
vit  le  pape  Jules  II,  tel  que  l'avait  représenté  .Mi- 
chel-Ange il  Bologne,  tiare  en  tête  et  l'épée  au 
poing;  et  il  en  rapporta  des  souvenirs  qui  se  pro- 
duisirent dans  son  pamphlet  de  la  Batiylone  mo- 
derne. Cependant,  devenu  professeur  à  l'université 
nouvelle  de  Wittemberg,  entouré  de  philosophes, 
il  respirait  comme  un  souffle  de  hardiesses  et  de 
nouveautés  jeté  dans  l'atmosphère  par  l'agitation 
du  siècle  naissant.  Enfin,  le  lU  octobre  lilT,  en- 
traîné, il  fit  le  premier  et  le  dernier  pas  hors  de 
l'Eglise,  il  afficha  quatre-vingt-quinze  propositions 
contre  les  indulgences  que  prêchait  le  moine  do- 
minicain ïetzel.  «  Il  faut  enseigner  aux  chrétiens 
que  si  le  pape  connaissait  les  exactions  des  prê- 
cheurs de  pardon,  il  aimerait  mieux  que  la  basili- 
que de  Saint-Pierre  tombât  en  cendres,  plutôt  que 
de  la  construire  avec  la  chair  et  les  os  de  ses  bre- 
bis. Le  vrai  trésor  de  l'Eglise,  c'est  le  Saint  Evan- 
gile. 1.  La  Reforme  était  commencée,  et  le  bruit 
de  ces  paroles  sonna  comme  un  clairon  dans  le 
cœur  des  peuples  d'Allemagne.  «  Elles  coururent 
en  un  mois  jusqu'à  Jérusalem.  »  Luther  lui-même 
en  fut  efl'rayé  un  instant.  «  Je  suis  facile  de  voir 
ces  propositions  tant  imprimées,  tant  répandues,  » 
disait-il  ;  mais  il  combattait  Tetzel  et  en  appelait  à 
Léon  X.  «  Querelles  de  moines  !  frère  Martin  est 
un  beau  génie,  »  répondait  le  pontife  de  la  Re- 
naissance aux  excitations  de  son  entourage.  Ce- 
pendant 1  Allemagne,  peuple  et  seigneurs,  était 
ébranlée;  Jean-Fréderic  de  Saxe  soutenait  ouver- 
tement le  réformateur. 

Léon  X  cita  LuUier,  qui  fut  condamné  à  Augs- 
bourg  par  le  cardinal  Cajetaiio  (15ls).  Le  moine 
en  appela  au  pape  mieux  informé  ;  on  ordonna 
ae  le  saisir.  Il  voyait  devant  lui  le  bûcher  de  Jean 
Huss  ;  il  écrivait  à  l'électeur  de  Saxe  :  «  Pour  n'at- 
tirer aucun  danger  sur  Votre  Altesse,  voici  que 
jabanrlonne  vos  terres;  j'irai  où  me  conduira  la 
miséricorde  de  Dieu.  .,  M.iis  il  en  appelait  du  paoe 
au  concile,    et  au   peuple.   «   Que  personne   ne 


s'avise  de  mépriser  devant  moi  les  pauvres  com- 
pagnons qui  vont  chantant  et  disant  de  porte  en 
porte  :  Du  pain  au  nom  de  Dieu  !  Vous  savez 
comme  dit  le  psaume:  «  Les  princes  et  les  rois  ont 
chanté.  »  Et  moi  aussi  j'ai  été  un  pauvre  men- 
diant, j'ai  reçu  du  pain  aux  portes  des  maisons, 
particulièrement  à  Eisenach ,  dans  ma  chère 
ville.  » 

Il  fut  sauvé  par  la  mort  de  l'empereur  Maximi- 
lien  ;  pendant  l'interrègne,  Jean-Frédéric  devenait 
vicaire  de  l'empire.  Aussi  en  Ib'iO  parut  l'évangile 
luthérien  :  la  Liberté  Chr^tiennu,  qui  déclarait 
prêtres  tous  les  fidèles  et  proclamait  l'Ecriture 
seule  base  de  la  foi.  Monaco  d'excommunication, 
Luther  répondait  par  la  Ca/itiuHé  de  Uabi/lune;  il 
osait  brûler  publiquement  à  Wittiimberjj  le  texte 
des  decrétales  avec  la  sentence  enfin  portée  contre 
lui.  Mais  Charles-Quint  était  nommé  empereur  et 
s'alliait  au  pape  ;  il  cita  Luther  à  comparaître  de- 
vant la  diète  de  'VVorras  (1521).  «  Il  vint,  porté 
sur  le  cœur  et  dans  les  bras  de  l'Allemagne  'fous, 
amis  et  ennemis,  voulaient  l'empêcher  d'arriver 
et  lui  rappelaient  Jean  Huss.  J'irai,  dit-il,  y  eût-il 
autant  de  diables  que  de  tuiles  sur  les  toits  » 
(Miehelet).  Devant  Cliarles-Quini,  le  réformateur 
déclara  qu'il  céderait  si  on  prouvait  qu'il  s'était 
trompé,  à  l'aide  du  seul  Evangile,  qu'autrement  il 
ne  pouvait  ni  ne  voulait  se  rétracter.  La  discus- 
sion était  impossible.  Il  sortit  de  'Worms,  et  dans 
la  forêt  de  Thuringe,  l'électeur  Jean-Frédéric  le  fit 
enlever  et  conduire  au  château  de  la  'Wartbourg, 
caché  sous  le  masque  et  sous  l'armure  d'un  che- 
valier. C'est  de  ce  château  féodal  que  sortirent 
incessamment  pendant  quatre  années  les  pam- 
phlets datés  de  a  sa  montagne,  de  sou  désert,  de 
son  Pathmos  »,  dont  le  réformateur  frappait  ses 
adversaires,  les  évoques,  le  pape,  l'empereur, 
Henri  VIII.  «  Voyez  donc  ce  roi  d'Angleterre  qui 
s'avise  de  lancer  sa  paille  et  son  fumier  contre  le 
roc  de  la  parole  divine Vous  le  savez,  ô  Sei- 
gneur, le  diable,  le  pape  et  le  Turc,  c'est  tout 
un...  Je  tiens  mes  dogmes  du  ciel,  et  je  défie 
pape,  rois  et  docteurs.  "  Mais  dans  l'intervalle  de 
ces  emportements  d'éloquence  populaire,  il  tra- 
duisait les  psaumes  «  au  bruit  des  oiseaux  qui 
chantaient  sous  la  feuiUée,  et  louaient  Dieu  le 
jour  et  la  nuit  ;  »  il  traduisit  aussi  la  Bible,  seul 
texte  inviolable  et  sacré,  que  tout  réformé  devait 
lire  et  interpréter  librement.  Plus  de  caste  sacer- 
dotale, investie  du  privilège  exclusif  d'expliquer 
la  foi  et  de  parler  au  nom  de  Dieu ,  par  consé- 
quent, plus  d'intermédiaire  entre  Dieu  et  l'homme, 
plus  d'évéques,  ni  de  saints,  plus  de  confession, 
plus  de  vœux  monastiques,  plus  d'indulgences, 
plus  de  purgatoire;  mais  jusqu'à  sa  mort,  Luther 
hésita  sur  le  dogme  de  la  présence  réelle,  sur  le 
libre  arbitre  de  l'homme  ;  et  ce  ne  sont  pas  les 
seules  contradictions  du  théologien  réformé. 

Mais  qu'importait  au  peuple  d'Allemagne,  agité 
dans  ses  couches  profondes  par  la  grande  voix  de 
la  Wartbourg.  Les  disciples  du  réformateur  répé- 
taient partout  ses  doctrines.  Bucer  soulevait  Stras- 
bourg ;  à  Wittemberg,  Carlostadt  brisait  les  cru- 
cifix des  églises,  pour  faire  «  le  carnage  des 
idoles  »,  Luther,  pour  l'arrêter,  sortit  de  la  re- 
traite ;  sa  maison  devint  l'asile  des  religieux  fugi- 
tifs; et  pour  prêcher  d'exemple,  il  éjiousait  en 
l.i2.5  une  nonne,  Catherine  de  Bora.  La  Réforme 
était  triomphante  en  Allemagne;  peuple  et  sei- 
gneurs abandonnaient  le  catholicisme. 

Mais  l'ébranlement  religieux  faillit  tourner  <ui 
révolution  sociale;  les  paysans  voulaient  établir 
par  la  force  l'égalité  chrétienne  sur  la  terre. 
c<  Il  est  temps.  Soyez  sans  pitié,  quand  mùrno 
Esaii  vous  donnerait  de  belles  paroles.  Soulevez 
les  villes  et  villages  I  »  s'écriait  Thomas  MUiizer, 
c<  serviteur  do  Dieu  contre  les  impies.  »  Et  cent 
mille  paysans  coururent  la  Souabe,  laFraiicouie 


REFORME 


—  1812  — 


REFORME 


les  bords  du  Rhin,  comme  une  avalanche  de  des- 
truction. (V.  Guerre  des  paysans.)  Luther  essaya 
vainement  de  les  arrêter;  la  noblesse  se  dressa 
contre  ces  Jacques  d'Allemagne,  qui  furent  massa- 
crés avec  fureur.  AFrankenliausen,  ils  soutinrent 
longtempsles  coups  de  l'artillerie  ennemie  sans  ré- 
pondre, que  par  des  psaumes,  pleins  de  foi,  atten- 
dant un  miracle  de  Dieu.  C'est  là  que  fut  pris  et 
tué  Thomas  Jlunzer  (I.S25). 

Leur  défaite  était  le  salut  [de  la  Réforme  en 
Allemagne.  L'empereur,  qui  combattait  le  pape 
Clément  VII,  laissait  grandir  librement  l'hérésie, 
en  attendant  qu'il  laissât  piller  Rome  odieuse- 
ment par  les  bandes  lutliériennes  du  connétable 
de  Bourbon  (15?7).  En  même  temps  des  villes  im- 
périales, comme  Nuremberg,  Francfort,  Ham- 
bourg; des  princes,  Jean-Frédéric  le  Sage,  élec- 
teur de  Saxe,  Philippe  de  Hesse-Cassel,  le  grand- 
nialtre  de  l'Ordre  Teutonique,  Albert  de  Brande- 
bourg ;  des  provinces,  le  MeCklembourg,  la  Pomé- 
ranie,  laLivonie,  su  déclaraient  pour  Luther.  Les 
moines  abandonnaient  les  couvents,  et  les  sei- 
gneurs confisquaient  en  les  déclarant  terres  sécu- 
lières les  vastes  domaines  des  églises  et  des 
monastères.  Déjà  en  1523  la  diète  de  Pîureniberg 
s'était  montrée  favorable  aux  idées  nouvelles  ;  la 
diète  de  Spire,  moins  décidée,  avait  maintenu  le 
statu  quo  (1529),  malgré  les  protestations  des  lu- 
thériens, depuis  lors  appelés  protestants.  Enfin 
c'est  en  1530  que  Mélanchthon  rédigeait,  dans  un 
esprit  de  conciliation,  la  confession  iVAugsbourrj, 
que  la  diète  réunie  dans  cette  ville  refusa  d'ac- 
cepter, mais  qui  devint  aussitôt  le  formulaire  de 
la  religion  protestante.  Le  luthéranisme  était 
définitivement  constitué  par  la  suppression  de 
l'épiscopat,  la  substitution  des  pasteurs  aux  prê- 
tres, la  participation  des  laïques  aux  affaires  reli- 
gieuses, et  par  l'adoption  des  doctrines  soutenues 
par  le  réformateur. 

Réforme  en  Sunsc.  —  A  l'étranger,  Luther  trou- 
vait déj:i  des  imitateurs.  Ulrich  Zwingle,  «  paysan 
intrépide,  aumônier  d'armée,  fort  lettré  du  reste, 
et  bon  musicien,  avait  fait  les  guerres  d'Italie.  » 
Curé  d'EinsiedeIn,  le  fameux  sanctuaire  du  canton 
de  ScluNjtz,  puis  de  Zurich  (1519),  il  y  commença 
la  Réforme;  il  attaquait  la  messe,  la  confession, 
le  purgatoire,  le  célibat  des  prêtres,  et,  plus  résolu 
que  Luther,  niait  la  présence  réelle.  Soutenu  par 
le  sénat  de  Zuricli,  il  convertit  les  habitants  de 
Bàle,  Berne,  Schaffhouse,  Appenzell,  Coire  et  Saint- 
Gall.  Mais  L'rij  Schwytz,  Ùnterwald,  Lucerne,  Zoug, 
Fribourg  restaient  catholiques.  Des  discussions  de- 
vait sortir  la  guerre.  Elle  faillit  éclater  en  1528. 
Cinq  cantons  catholiques  avaient  fait  alliance  avec 
l'Autriche.  Les  Zuricois  marchèrent  contre  eux  ; 
mais  grâce  à  l'intervention  de  Berne,  Fribourg, 
Soleure,  Claris,  l'effusion  du  sang  put  être  évitée, 
et  les  cinq  cantons  renoncèrent  à  leur  Sondcrlituid. 
Mais  bientôt,  Zurich  exigeant  que  l'évangile  pût 
être  librement  prêché  dans  les  cantons  catholiques, 
les  cinq  cantons  dissidents  lui  déclarent  la  guerre. 
Les  Zuricois,  au  nombre  de  1500,  sont  écrasés  à 
Cappel  par  8000  catholiques  ;  Zwingle  est  tué  dans 
la  bataille  (1531),  Sa  mort  arrêta  la  guerre;  les 
deux  religions  se  partageaient  la  Suisse. 

Réfonnc  en  Scanditiacie.  —  Dans  le  Nord, 
c'étaient  les  rois  eux-mêmes  qui  prenaient  la  tête 
de  l'insurrection  religieuse.  Sorti  des  prisons  da- 
noises pour  monter  sur  le  trône  de  Suède  (lô'-'l), 
Gustave  \Vasa  rencontrait  devant  lui  l'opposition 
de  la  féodalité  ecclésiastique.  Pour  l'abolir,  il  fit 
appel  aux  Uéformés;  pendant  que  deux  luthériens, 
Laurent  et  Olaûs  Peiri,  prêchaient  leurs  doctrines, 
le  roi,  sur  l'avis  des  États  généraux  de  VVesteras 
(1627),  confisquait  les  biens  temporels  des  églises, 
attribuait  h.  l'Etat  les  deux  tier^  de  la  dime,  ou- 
■VI  ait  les  couvents,  enfin  usurpait  la  nomination 
des  évêques.  En  deux  aus,  l'aristocratie  religieuse 


était  renversée.  Le  concile  d'Orebro,  réuni  en  1529,- 
put  alors  adhérer  au  luthéranisme.  Il  accepta  la 
liturgie  d'Augsbourg,  en  maintenant  quelques  cé- 
rémonies catholiques  pour  ménager  l'ignorante 
susceptibilité  du  peuple. 

En  Danemark,  la  noblesse  avait  renversé  Chris- 
tian II  ;  son  remplaçant  sur  le  trône,  Frédéric  1"  de- 
Holstein,  s'était  déclaré  luthérien  (1625).  Les  ÉUts 
d'Odensee  (1527)  établirent  la  liberté  religieuse, 
soumirent  au  roi  les  évêques  et  permirent  le  ma- 
riage aux  prêtres.  La  rupture  était  complète  avec 
la  papauté.  En  1536  la  diète  de  Copenhague  sup- 
primait les  évêques,  et  confisquait  les  biens  du 
clergé.  L'année  suivante,  uno  liturgie  noiivelle  en- 
voyée par  Luther  était  proclamée  et  définitivement 
établie,  malgré  de  nombreuses  résistances  en  Nor- 
vège et  en  Islande. 

Suite  de  la  réforme  en  Allemagne.  —  Mais  en 
Allemagne  même  la  victoire  ne  fut  pas  si  rapide 
ni  si  décisive.  L'empire  s'était  partagé  en  deux  li- 
gues formées  à  Augsbourg  par  les  catholiques,  à 
Smalkalde  par  les  protestants.  Cependant  la  chré- 
tienté, menacée  par  les  Turcs,  efl'rayée  par  les 
Anabaptistes  de  Munster  (1535),  hésitait  à  se  dé- 
chirer de  ses  propres  mains.  Le  pape  Paul  III  con- 
voqua un  concile  général  (1542),  qui  se  réunit  h 
Trente  en  1545.  Le  concile,  fidèle  à  la  doctrine 
catholique,  consacra  le  symbole  de  Nicée,  pro- 
clama l'Eglise  seule  interprète  légitime  de  l'Ecri- 
ture sainte,  et  reconnut  l'autorité  des  Pères.  Il  ne 
restait  plus  qu'à  combattre.  Charles-Quint  fut  vain- 
queur à  Miihlberg  (1547).  Le  chef  des  protestants, 
Frédéric  le  Sage,  était  prisonnier.  La  Saxe  fut 
donnée  au  prince  Maurice,  dont  la  trahison  avait 
fait  l'empereur  victorieux.  L'Allemagne  était  du 
même  coup  en  proie  aux  Espagnols  ;  Charles-Quint 
imposait  partout  des  garnisons  étrangères  et 
d'énormes  contributions.  Il  prétendit  même  ré- 
gler seul  la  question  religieuse  par  l'intérim  d'Augs- 
bourg. Mais  alors  le  mécontentement  éclata.  Mau- 
rice de  Saxe,  le  trahissant  à  son  tour,  négocie  avec 
le  roi  de  France  Henri  II,  soulève  toute  l'Allema- 
gne et  surprend  l'empereur  à  Passau  (1552).  Ma- 
lade, presque  captif,  Charles  dut  signer  une  trêve 
bientôt  confirmée  par  la  convention  d'Augsbourg 
(1555).  Le  culte  luthérien  devait  être  à  l'avenir 
librement  pratiqué.  Mais  Luther  n'avait  pas  vu  ce 
triomphe;  il  était  mort  à  la  veille  de  la  guei-re,  en 
1546.  Toutefois  son  œuvre  était  accomplie;  k- 
mouvement  de  la  Réforme  était  désormais  lance 
irrévocablement. 

Cependant  il  fallait  maintenant  "  mettre  vive- 
ment en  lumière  les  nouveaux  principes,  les  fé- 
conder chaque  jour,  en  imprégner  la  multitude, 
les  faire  passer  dans  la  pratique,  les  réduire  enfin 
en  une  doctrine  qui  gouvernât  fortement  la  vje 
comme  la  pensée  de  ses  adhérents,  et  les  ralhàt  en 
une  vraie  société  «  (Guizot).  Il  fallait  organiser 
la  nouvelle  Eglise;  ainsi  la  Reforme  entrait  dans 
la  seconde  époque  de  son  établissement  ;  cette  œu- 
vre fut  accomplie  par  Jean  Calvin. 

Le  calvinisme.  Génère.  —  Calvin  était  ne  ;V 
Noyon,  le  10  juillet  150!),  d'un  simple  tonnelier; 
mais  son  intelligence  brillante  le  mit  bientôt  hors 
de  pair;  à  vingt  ans,  suivant  l'usage  dalois,  il 
avait  déjà  un  bénéfice  dans  la  cathédrale  de  Noyon. 
et  la  cure  de  Pont-l'Evèque.  Cependant,  il  étu- 
diait à  Paris,  puis  à  Orléans,  puis  à  Bourges  ; 
((  c'était  un  écolier  triste,  solitaire,  dur  à  lui 
même,  affamé  de  science;  <■  il  apprit  le  grec,, 
l'hébreu  le  droit,  la  théologie.  Mais  il  connu i 
aussi  les  doctrines  nouvelles  qui  commençaient  ;, 
se  répandre  en  France  (V.  François  I"),  et  il  les 
prêchait  à  Paris  dès  1531.  Les  premières  persécu- 
tions, permises  par  le  roi,  l'obligèrent  à  fuir  :i 
Strasbourg,  puis  à  Bàlc.  C'est  là  qu  il  composo 
l'Institution  chrétienne,  publiée  en  153o  et  dcdiee- 
à  François  I*'. 


REFORME 


—  1813  — 


REFORME 


Ce  livre  est  l'exposé  systématique  et  complet 
■du  protestantisme  au  xvi"  siècle.  «  Luther  avait 
voulu  laisser  subsister  tout  ce  qui  n'est  pas  con- 
damné par  la  Parole  de  Dieu  ;  et  Calvin  voulut 
abolir  tout  ce  qui  n'est  pas  prescrit  par  la  Parole 
de  Dieu.  Calvin  était  plus  conséquent  et  plus 
liardi....  La  Bible,  toute  la  Bible,  rien  que  la 
Bible,  tel  est  le  mot  du  calvinisme  au  xvi«  siècle.  » 
(Bonnet.)  L'inflexibilité  logique  de  Calvin  le 
conduisit  donc  plus  loin  que  Luther.  Il  résolut 
rigoureusement  les  questions  redoutables  que 
son  prédécesseur  avait  laissées  incertaines.  Dans 
son  impuissance  do  concilier  le  libre  arbitre  et 
la  grâce,  il  sacrifia  le  premier  et  poussa  la  soconde 
jusqu'à  la  prédestination  absolue.  Les  sacrements 
étaient  donc  réduits  à  deux,  le  baptême  et  la 
communion  ;  l'égalité  des  fidèles  devant  Dieu 
était  absolue  ;  laïques  et  pasteurs  composaient  le 
consistoire  directeur  des  églises. 

Après  avoir  préparé  k  la  Réforme  son  système 
de  doctrine  et  de  gouverneraenti  Calvin  devait 
encore  lui  donner  un  centre  d'action  et  comme 
une  citadelle,  Genève.  Cette  ville  venait  de  chas- 
ser son  évêque  en  IbZh  ;  du  même  coup  elle  ac- 
ceptait le  protestantisme  prêché  dans  ses  murs 
depuis  quelques  années  par  le  Français  Guillaume 
Farel.  <<  Tout  y  semblait  alors  accompli,  quand  pa- 
rut sur  ce  théàtrOj  où  venaient  de  s'opérer  deux 
révolutions,  un  acteur  qui  devait  y  en  opérer  une 
nouvelle,  et  devenir  lui-même  un  grand  homme 
en  rendant  Genève  la  capitale  d'une  grande  opi- 
nion. 1)  (Mignot.)  En  effet,  à  la  date  du  15  février 
1537,  on  voit  dans  les  comptes  du  Conseil  d'Etat  de 
■Genève  «  6  ocus  au  soleil  à  Calvin,  vu  qu'il  n'a 
guère  encore  reçu.  »  Le  réformateur  était  pro- 
fesseur de  théologie  de  la  nouvelle  république.  Ce- 
pendant sa  rigueur  intolérante  avait  à  lutter  con- 
tre les  partisans  de  la  liberté  politique  et  reli- 
gieuse, les  libertins.  Vaincu  d'abord,  il  dut  s'exiler 
avecGuillaumeFarel(15S8),  mais  pour  être  rappelé 
trois  ans  plus  tard.  Désormais,  il  était  maître,  et 
il  fut  absolu.  Le  consistoire,  formé  de  ministres  et 
de  trois  coadjuteurs,  ne  respirait  que  sa  pensée.  La 
Réforme,  comme  le  catholicisme,  eut  ses  bûchers 
et  ses  inquisiteurs.  Le  conseiller  Gruet,  coupable 
d'avoir  affiché  un  placard  contre  Calvin,  eut  la 
•tète  tranchée  (154'!);  Micliel  Servet,  convaincu 
d'hérésie,  périt  sur  le  biicher  en  1553.  Les  der- 
niers libertins  furent  proscrits  en  1,555. 

Cependant,  Calvin  était  devenu  le  véritable  direc- 
teur du  parti  réformé  en  Europe  ;  sa  correspon- 
dance était  immense.  De  Genève  partaient  inces- 
samment ses  lettres,  ses  ouvrages,  ses  pasteurs 
pour  porter  partout  et  répandre  l'ardeur  de  sa  pas- 
sion religieuse.  Impitoyable  k  lui-même,  il  formait 
infatigablement  une  pépinière  de  martyrs.  Et,  sim- 
ple professeur  de  théologie,  à  .'ÎOO  écus  par  an,  il 
inspirait  la  moitié  de  l'Europe  de  la  puissance  de  sa 
ipensée.  Mais  son  corps  était  frêle  ;  il  se  consuma 
danscette  œuvre  prodigieuse.  Enfin,  le  19  mai  1561, 
dl  se  fit  porter  de  son  lit  à  la  table  de  communion  : 
«  Mes  frères,  je  viens  vous  voir  pour  la  dernière 
fois,  »  dit-il.  Le  27  mai.  il  expira  sur  le  soir.  «  Et 
yoilà,  dit  Théodore  de  Bèze,  comment  en  un  même 
instant,  ce  soir-là,  le  soleil  se  coucha  et  la  plus 
grande  lumière  qui  fût  sur  le  monde  pour  l'a- 
dresse de  l'église  de  Dieu  en  fut  retirée  »  (Bon- 
net). Mais  il  laissait  Genève,  '■  cet  étonnant  asile 
entre  trois  nations,  qui,  sans  appui,  dura  par  sa 
force  morale...  Point  de  territoire,  point  d'ar- 
mée... Contre  l'immense  filet  où  l'Europe  tom- 
bait, il  ne  fallait  pas  moins  que  ce  séminaire 
héroïque.  A  tout  peuple  en  péril,  Sparto  pour 
armée  envoyait  un  Spartiate.  Il  en  fut  ainsi  de 
Genève.  A  1  Angleterre,  elle  donna  Pierre  Martyr, 
Knox  à  l'Ecosse,  Marnix  aux  Pays-Bas  ;  trois 
hommes  et  trois  révolutions.  »  (Michelet.) 
La  Hé'orrni!  en  Angleterre  et  en  Ecosse.  —  C'est 


en  1547  que  Pierre  Martyr  descendit  en  Angle- 
terre. \é  à  Vérone,  disciple  de  Calvin,  il  porta 
V Institution  chrétienne  à  l'université  d'Oxford,  où 
il  enseignait.  L'opinion  était  préparée  par  la  rup- 
ture d'Henri  VIII  avec  le  Saint-Siège  (V.  Tiidom)  ; 
Martyr  fit  de  nombreux  disciples  ;  le  Parlement 
assemblé  après  la  mort  d'Henri  VIII  fit  donner  la 
communion  sous  les  deux  espèces  ;  l'archevêque 
de  Cantorbéry,  Cranmer,  permit  le  mariage  aux 
prêtres;  les  images  furent  chassées  des  temples. 
Enfin,  la  Réforme  jeta  de  si  profondes  racines 
que  les  persécutions  de  Marie  la  Sanglante  (1553- 
155H)  ne  purent  l'abolir.  Elisabeth,  fille  d'Anne 
Boleyn,  fit  rédiger  la  Confession  de  fui  de  l'é- 
glise anglicnne  (1562),  dont  les  trente-neuf  arti- 
cles sont  empruntés  à  la  fois  aux  nouveautés 
calvinistes  et  aux  souvenirs  catholiques.  L'Ecri- 
ture sainte  est  reconnue  suffisante  au  fondement 
de  la  foi  ;  les  indulgences,  le  culte  des  saints, 
des  reliques,  sont  déclarés  inutiles  ;  les  questions 
du  libre  arbitre,  de  la  présence  réelle  ne  sont  pas 
clairement  résolues.  Enfin,  la  suprématie  du  roi, 
la  hiérarchie  des  évêques,  l'ordination  des  mi- 
nistres sont  déclarées  obligatoires  comme  dans  les 
Statuts  d'Edouard  IV.  Telle  est  la  doctrine  anglicane, 
dont  la  profession  fut  assurée  sous  Elisabeth  par 
de  nombreuses  persécutions.  Accomplie  par  la 
royauté,  la  Réforme  prenait  en  Angleterre  un 
caractère  particulier  contre  lequel  le  peuple  ne 
devait  pas  tarder  à  protester.  C'est  pour  n'avoir 
pas  abandonné  l'épiscopat  que  Charles  l"'  devait 
monter  sur  l'échafaud. 

Ce  mélange  de  révolution  politique  et  religieuse 
se  montrait  déjà  en  Ecosse.  Jolin  Knox  avait  été 
chapelain  d'Edouard  VI.  Combattu  par  la  reine 
Marie  de  Lorraine,  sœur  des  Guises,  il  s'était 
d'abord  réfugié  à  Genève,  où  il  publia  son  pam- 
phlet :  Le  premier  son  de  In  trompette  contre  le 
monstrueux  /jouvernement  des  femmes.  Mais  en 
l.'ij'J,  il  était  de  retour  et  soulevait  dans  Perth  une 
insurrection  des  protestants  qui  détruisirent  les 
églises.  <i  Frappez,  disait-il,  il  faut  écraser  le  nid 
pour  détruire  la  couvée.  »  Ses  disciples  étaient 
déjà  si  nombreux  qu'un  Parlement  en  1560  inter- 
dit le  catholicisme;  «  une  messe  était  plus  dange- 
reuse que  lOOOi)  soldats  n;  le  culte  calviniste  fut 
établi  sous  le  nom  de  religion  presbytérienne;  les 
ministres  devaient  être  surveillés  par  des  surin- 
tendants, sans  pouvoir  politique.  C'est  en  vain 
que  Marie  Stuart  voulut  s'opposer  à  ces  progrès. 
Le  catliolicisme  fut  vaincu  à  Langside  (1.568)  avec 
la  «  Jézabel  nouvelle  >>  par  la  noblesse  protestante. 
Et  quand  Knox  mourut  (1572),  la  Réforme  était 
triomphante  en  Ecosse  sous  Jacques  VI,  comme 
en  Angleterre  sous  Elisabeth. 

Ainsi,  par  le  progrès  des  idées  nouvelles,  l'unité 
religieuse  de  l'Europe  se  trouvait  définitivement 
rompue.  La  république  chrétien  ne,  dont  le  pape  avait 
voulu  prendre  l'hégémonie  au  moyen  âge  .n'était  plus 
qu'un  souvenir.  L'Occident  était  partagé  en  deux 
camps  irréconciliables.  La  guerre  éclata;  elle  eut 
pour  champ  de  bataille  la  France  et  les  Pays-Bas. 

La  Héforme  aux  Pays-Bas.  —  Les  Pays-Bas, 
«  fertiles  en  pâturages,  mais  stériles  en  grains, 
malsains,  et  presque  submergés  par  la  mer, 
étaient  un  exemple,  presque  unique  sur  la  terre, 
de  ce  que  peuvent  l'amour  de  la  liberté  et  le  tra- 
vail infatigable  »  (Voltaire).  Ils  ne  devaient  rien 
qu'à  eux-mêmes  et  surtout  le  sol  de  la  patrie, 
arraché  lentement  aux  tempêtes.  Le  calvitiisme 
était  entré  profondément  dans  ces  cceurs  indomp- 
tables. Moins  prudent  que  son  père,  Philippe  H 
voulut  leur  arracher  l'hérésie.  Quand  débarqua 
le  duc  d'Albe  (  1566),  Guillaume  de  Nassau  partit 
pour  l'exil  :  «  Adieu,  prince  sans  terre  s,  lui  dit 
Eginont  qui  refusait  de  le  suivre.  «  Adieu,  comte 
sans  tète,  »  répondait  Guillaume,  dont  la  sinistre 
plaisanterie  était  bientôt  réalisée  par  la  haclie  du 


RÉFORME 


1814  — 


REFRACTION 


bourreau.  Egmont  était  décapité  avec  10  000  Fla- 
mands, 30  000  voyaient  leurs  biens  confisqués, 
100  000  avaient  fui  en  France  et  en  Angleterre. 
Mais  les  exilés  n'avaient  voulu  se  soustraire  au 
supplice  que  pour  se  garder  au  combat.  Quand 
les  ffiieux  de  mer  eurent  pris  la  Brille  llhl'i), 
Guillaume  le  Taciturne  vint  les  commander. 
n  C'était  un  de  ces  linmmes  pâles  et  maigres  qui 
ne  se  reposent  pas  la  nuit,  qui  ne  vivent  que 
pour  penser,  et  devant  lesquels  chancellent 
les  hommes  les  plus  intrépides  »  (Scliiller;. 
Quand  il  apprit  les  premiers  succès  du  duc  d 'Albe, 
le  cardinal  Granvelle  demanda  <i  si  le  Taciturne 
était  pris?  —  Non.  —  En  ce  cas,  dit-il,  il  n'y  a 
riep  de  fait.  «  Kt  pour  briser  le  héros,  il  fal- 
lut le  poignard  d'un  assassin  (1584).  Mais  alors 
les  Provinces-Unies  étaient  sauvées,  et  Philippe  II 
commençait  à  pencher  vers  son  déclin.  Marie 
Stuart  allait  mourir  (157"),  et  l'invincible  Armada 
devait  périr  sans  la  venger  (15S8).  Philippe  III 
consacrait  en  I6o9  l'indépendance  d'une  seconde 
Genève,  aussi  héroïque  que  la  première.  —  V. 
Pays-Bas,  Guilhvme  d'Orange  et  Philippe  II. 

La  Réforme  en  France.  —  Aux  Pays-Mas  c'étaient 
des  soldats  étrangers  qui  voulaient  abolir  la  pa- 
trie en  même  temps  que  la  religion  des  réformés. 
En  France,  la  guerre  fut  plus  atroce  encore,  parce 
qu'elle  était  civile  en  même  temps  qu'étrangère. 
En  vain  Lhospital  s'était  écrié  :  «  Otons  ces  mots 
diaboliques,  luthériens,  huguenots,  papistes,  et 
ne  changeons  le  nom  de  chrétiens.  »  En  vain,  au 
matin  de  la  bataille  de  Dreux,  l'un  des  combat- 
tants, La  Noue,  écrivait  :  «  Alors  chacun  se  tenait 
ferme,  repensant  en  soi-même  que  les  hommes 
qu'il  voyait  venir  vers  soi  n'étaient  point  Espa- 
gnols, Anglais,  Italiens,  mais  Français,  entre  les- 
quels il  y  en  avait  qui  étaient  ses  propres  compa- 
gnons, parents  et  amis,  et  que  dans  une  heure  il 
feindrait  se  tuer  les  uns  les  autres,  ce  qui  donnait 
quelque  horreur  du  fait.  »  Le  résultat  féroce  de 
cette  guerre  où  se  mêlaient  les  haines  de  parti, 
de  nation  et  de  religion,  fut  le  coup  d'Etat  de  la 
Saint-Barthélémy  (1672).  Mais  cet  excès  de  fureur 
même  devait  porter  un  coup  mortel  au  fanatisme. 
C'est  en  France  que  la  lutte  fut  le  plus  atroce,  et 
c'est  aussi  en  France  que  la  tolérance,  c'est-à-dire 
l'esprit  de  liberté  religieuse,  fut  le  plus  rapide- 
ment établie  (V.  Henri  II,  François  II,  ('Ivirles  IX, 
Henri  III.  Henri  IV,  Gîterres  de  religion). 

La  Réforme  commençait  h  produire  ses  fruits 
naturels  que  n'avaient  prévus  ni  Calvin  ni  Luther; 
Henri  IV,  c'est  Lhospital  armé,  d'abord  en  France 
contre  la  Ligue,  et  plus  tard  en  Europe  contre  la 
maison  d'Autriche.  Et  la  victoire  de  la  tolérance 
en  France  eut  pour  conséquence  prochaine  son 
succès  définitif  en  Europe.  Henri  IV  avait  failli 
commencer  la  guerre  de  'Trente  Ans,  que  Richelieu 
rendit  décisive  et  que  termina  Mazarin.  Aux 
traités  d'Osnabriick  et  de  IMûnster  (lt)48),  calvi- 
nistes et  protestants,  réunis  par  la  communauté 
de  leurs  origines  et  de  leur  but,  imposèrent  aux 
successeurs  de  Charles-Quint  et  de  Philippe  II  la 
reconnaissance  de  leur  liberté  complète,  et  le 
partage  du  gouvernement  de  l'Allemagne.  Le 
pape,  en  abdiquant  son  rôle  de  médiateur,  avait 
abdique  du  même  coup  ses  prétentions  au  gou 
vernement  des  intelligences.  Et  le  triomphe  de 
l'esprit  de  liberté  était  si  bien  définitif,  que  quand 
Louis  XIV  eut  attaqué  la  tolérance  et  révoqué 
l'édit  de  .\antes,  Guillaume  III  le  vainquit  comme 
le  Taciturne  avait  vaincu  Philippe  II  (l(i88). 

Et  au  livre  du  grand  évêque  Bossuet,  la  Poli- 
ligne  tirée  de  l'Ecriture  sainte,  le  philosophe 
protestant  Locke  opposait  le  Traité  du  gouverne- 
ment civil,  comme  au  droit  divin  le  droit  du 
peuple.  Calvin  n'avait  voulu  fonder  qu'une  re- 
ligion nouvelle,  et  la  Réforme  aboutissait  à  la  li- 
berté. [Paul  Schâfer.l 


RÉFRACTION.  —  Physique,  XXXI.  —  Nous  ne 
traiterons  dans  cet  article  que  de  la  réiraction  de 
la  lumière.  Pour  la  réfraction  de  la  chaleur,  V. 
Knyonnement. 

(,luand  un  pinceau  de  lumièrese  présente  oblique- 
mentà  la  surface  de  séparation  de  deux  milieux  d'es- 
pèce différente  et  transparents  l'un  rt  l'autre,  il  se 
divise  en  deux  parties:  l'une  se  réfléchit  et  rentre 
dansle  premier  milieu  en  suivant  les  lois  ordinaires 
de  la  réflexion  *.  —  Nous  ne  nous  occuperons  pas, 
dans  cet  article,  de  cette  portion  du  faisceau  lumi- 
neux. —  L'autre  pénètre  dans  le  second  milieu 
et  ne  suit  plus  la  direction  primitive.  Ce  change- 
ment de  direction  du  rayon  constitue  ce  qu'on 
nomme  la  réfraelian  de  la  lumière. 

Tantôt  le  rayon  dévié  de  sa  direction  première 
se  rapproche,  en  se  brisant,  de  la  normale  à  la  sur- 
face de  séparation,  menée  au  point  d'incidence,  et 
alors  le  second  milieu  est  dit  plus  réfringent  que 
lo  premier;  tantôt  il  s'en  éloigne,  et  alors  le 
second  milieu  est  dit  moiyis  réfringent.  Les  li- 
quides et  les  solides  sont  plus  réfringents  que 
les  gaz.  Le  verre  l'est  plus  que  l'eau;  le  sulfure 
de  carbone  plus  que  le  verre  :  le  diamant,  plus 
que  le  sulfure  de  carbone. 

La  figure  1  montre  le  phénomène  de  réfraction 


qui  se  manifeste  au  passage  de  la  lumière  solaire 
de  l'air  dans  l'eau.  L'illumination  produite  par  le 
pinceau,  quand  il  traverse  les  deux  milieux,  per- 
met de  suivre  sa  marche,  et  l'on  voit  très  bien  le 
brisement  qui  se  produit  S  la  surface  de  sépara- 
tion. Le  rayon  réfracté  ne  suit  plus  la  direction  du 
rayon  incident;  il  se  rapproche  de  la  normale,  au 
moment  où  il  pénètre  dans  l'eau. 

Une  foule  dé  faits  naturels  qui  étonnent,  au 
premier  abord,  par  leur  singularité,  s'expliquent 
aisément  quand  on  tient  compte  de  la  déviation, 
qu'éprouve  la  lumière  en  changeant  de  milieu. 
Ainsi  un  bâton  dont  on  plonge  la  partie  antérieure' 
dans  l'eau  parait  brisé  au  point  d'immersion;  — 
une  pièce  de  monnaie  qu'on  met  au  fond  d'une 
cuvette  semble  se  relever,  quand  on  verse  un  li- 
quide dans  cette  cuvette;  —  quand  l'eau  d'une 
rivière  ou  d'un  bassin  est  assez  limpide  pour  qu'on 
puisse  en  distinguer  le  fond,  ce  fond  parait  tou- 
jours exhaussé  ;  la  profondeur  du  bassin  se  montre 
notablement  moindre  qu'elle  ne  l'est  en  réalité. 
—  Les  astres  voisins  de  l'horizon  ne  se  trouvent 


REFRACTION 


—  1813  — 


RÉFRACTION 


jamais  ri^ellement  au  point  do  la  sphère  céleste 
qu'ils  paraissent  occuper;  le  soleil  est  déjà  couclié 
et  nous  voyons  encore  son  disque  au-dessus  de 
l'horizon;  sa  forme  ni6me  est  h  ce  moment  un  peu 
modifiée  :  nous  la  voyons  légèrement  elliptique. 
C'est  que  les  rayons  lumineux  l'oiis  par  les  astres 
passent  nécessairement  du  vide  dans  l'atmosphère 
terrestre  avant  de  parvenir  jusqu'il  notre  œil. 
Dans  leur  marche,  ils  ont  donc  i  traverser  des 
milieux  inégalement  réfringents,  et  cliangent,  par 
suite,  de  direction  ;  finalement,  l'ieil  qui  les  reçoit 
aperçoit  l'astre  sur  le  prolongement  rectiligne  des 
rayons  qui  lui  arrivent,  prolongement  qui  ne  va  peint 
passer  par  le  point  de  l'espace  que  cet  astre  oc- 
cupe effectivement. 

Lots  de  la  réfraction.  —  Nous  supposerons  dans 
ce  qui  va  suivre  que  les  milieux  dans  lesquels  la 
lumière  se  propage  sont  homogènes  et  présentent 
la  même  élasticité  dans  toutes  les  directions  au- 
tour d'un  point;  les  gaz,  les  liquides,  le  verre,  le 
diamant,  etc.,  sont  dans  ce  cas. 

Voici  l'énoncé  des  deux  lois  de  la  réfraction, 
dite  réfraction  simple,  qu'on  appelle  lois  de 
Descartes,  du  nom  du  célèbre  philosophe  qui  les 
a  découvertes  : 

1"  Loi.  —  Le  phiji  d'incidunce  (déterminé  par 
le  rayon  incident  et  la  normale  au  point  d'inci- 
dence) et  le  plan  île  réfraction  (déterminé  par  le 
rayon  réfracté  et  la  même  normale)  forment  un 
seul  et  même  plan. 

2°  Loi.  —  l'our  deux  mènirs'iuiHeti  v  (juc  la  lu- 
mière traverse  successivemi  ut,  //  r,i^lr  m,  rapport 
constant  entre  le  sinus  'le  l'ini/lr  il'uttailence  et 
le  \inus  de  l'angle  de  réfraction,  quelle  que  soit 
d'ailleurs  la  valeur  de  l'iini/lr  d'incidence. 

Ce  rapport  constant  est  nommé  indice  de  ré- 
fraction. 

Faisons  comprendre  d'abord  la  signification 
exacte  de  ces  lois.  Du  point  I,  comme  contre 
(fig.  2),  avec  un  rayon  égal  à  l'unité,  décrivons  une 


Fig.  2. 

circonférence,  et  supposons  que  la  surface  de  sé- 
paration des  deux  milieux,  air  et  eau,  que  la  lu- 
mière va  parcourir,  soit  représentée  sur  la  figure 
par  le  diamètre  horizontal  de  cette  circonférence. 
Le  pinceau  lumineux  incident  est  RI,  l'un  des 
rayons  de  la  circonférence;  la  normale  est  IP. 
Le  pinceau  réfracté  IS  ne  se  confond  pas,  on  le 
sait,  avec  IR'  prolongement  du  faisceau  incident; 
il  s'est  rapproché  de  la  normale.  L'eau  est,  en  effet, 
plus  réfringente  que  l'air.  —  La  première  loi  si- 
gnifie que  le  rayon  réfracté  IS  se  trouve  toujours 
dans  le  plan  déterminé  par  les  lignes  RI,  IP  qui 
se  coupent  dans  le  plan  d'incidence.  La  seconde 
loi  veut  dire  que,  quelle  que  soit  la  valeur  de  l'angle 
que  RI  fait  avec  la  normale  au  point  d'incidence, 
il  existe  toujours  le  même  rapport  entre  P'R'  et 


PS;  P'R'  mesurant,  comme  on  le  voit  sur  la  (ig«re, 
le  sinus  de  l'angle  d'incidence,  et  PS  le  sinus  lii 
l'angle  de  réfraction.  Dans  l'espèce,  les  deux  mi 
lieux  étant  l'eau  et  l'air,  le    rapport  constant  i'. 

4  4 

P'R'  i  PS  sera  -•  Ce  nombre  -  ou  plus  exacte- 
ment 1,.3.36  est  dit  l'indice  <fe  réfraction  de  Teis: 
par  rapport  h  l'air. 

Démonstration  expérimentale  de-!  lois  de  la  ré- 
fraction. —  On  se  sert,  h  cet  effet,  d'un  appirei: 
analogue  à  celui  qui  a  été  déjà  décrit  fV.  fig.  î, 
art.  fiéflexi'm^  pour  la  vérification  des  lois  de  la  ré- 
flexion. Le  miroir  horizontal  placé  au  centre  de 
cercle  gradué  vertical  est  remplacé  cette  fois  par 
une  gouttière  demi-cylindrique  de  verre,  fermée 
aux  deux  bouts,  et  dont  l'axe  est  perpendiculaire ie 
plan  du  cercle  et  passe  exactement  par  son  centre- 
Ce  vase  est  complètement  plein  d'eau.  La  surfiee 
libre  horizontale  du  liquide  tient  ici  exactemeiK 
la  place  qu'occupait  auparavant  la  surface  réflé- 
chissante du  miroir.  L'appareil  étant  décrit,  voîâ 
maintenant  en  quoi  consiste  1  expérience  de  vé- 
rification des  lois  de  la  réfraction.  Un  rayon  de 
lumière  arrive  suivant  l'axe  du  tube  de  droite; 
il  pénètre  dans  l'eau  en  un  point  qui  correspond 
à  l'axe  du  cylindre;  là, il  change  de  direction,  se 
réfracte  et  va  rencontrer  normalement  la  paroi  d« 
verre  du  demi-cylindre.  Cette  incidence  novmaie 
sur  le  verre  du  rayon  réfracté  par  l'eau  fait  qi« 
celui-ci  émerge  dans  l'air  sans  changer  de  noaï«ac 
sa  direction.  On  cherche  alors  par  tâtonnement  i 
recevoir  le  rayon  émergent  dans  l'axe  du  secoua 
tube,  celui  de  gauche.  Il  suffit  de  déplacer  ce  se- 
cond tube,  avec  lenteur,  sur  le  limbe  gradue  psur 
obtenir  le  résultat  voulu.  Quand  ladite  condition 
est  réalisée,  il  n'y  a  plus  qu'à  lire  la  position 
angulaire  des  deux  tubes  sur  le  limbe  vertical 
qui  les  porte  pour  connaître  les  valeurs  des  angle* 
d'incidence  et  de  réfraction  et  par  suite  celles  d€ 
leurs  sinus.  On  constate  que  le  rapport  de  ces  siauB 
se  montre  constant,  quelle  que  soit  l'incidence 
du  rayon  de  lumière  sur  la  surface  libre  du  ct- 
quide.  On  remarque  de  plus  que  le  rayon  incideui, 
la  normale  et  le  rayon  réfracté  se  trouvent  toift. 
les  trois  dans  un  même  plan  parallèle  au  limbe, 
car  si  cette  condition  n'était  pas  remplie,  le  rayon 
réfracté  n'eilt  pas  pu  traverser  l'axe  du  tube  ds 
gauche.  La  première  loi  se  trouve  donc  ainsi  véri- 
fiée en  même  temps  que  la  seconde. 

On  a,  d'une  manière  générale,  en  appelant  s 
l'angle  d'incidence,  r  l'angle  de  réfraction  corres- 
pondant et  n  l'indice  de  réfraction  du  milieu  dtui 
lequel  pénèfe  la  lumière  : 


si  n  est  plus  grand  que  1,  r  est  toujours  plus 
petit  que  i;  si  n  est  plus  petit  que  1,  r  est 
plus  grand  que  i.  Dans  le  premier  cas,  le  rayon 
réfracté  se  rapproche  de  la  normale,  il  s'en  él','iguf 
dans  le  second.  Remarquons  de  suite  que  quand 
i  et  r  sont  très  petits,  c'est-à-dire  quand  le  rayon 
lumineux  s'écarte  peu  de  la  normale,  les  arcs  tse 
confondent  sensiblement  avec  leurs  sinus  et  que, 
dans  ce  cas,  on  peut  dire  que  le  rapport  des  angles 
d'incidence  et  de  réfraction  demeure  constant. 

Angle  limite.  —  La  même  formule  nous  montre 
encore  que,  puisque,  pour  n  plus  grand  que  I,  r 
est  toujours  plus  petit  que  i,  un  rayon  de  lumière 
peut  toujours  pénétrer  dans  un  milieu  plus  ré- 
fringent placé  sur  son  trajet,  quelle  que  soit 
d'ailleurs  la  valeur  de  l'.mgle  d'incidence.  Seule- 
ment, quand  l'angle  d'incidence,  qui  peut  être  suc- 
cessivement :  SOiV,  S'ON,  S"0?J,  etc.,  atteindra  st 
valeur  maximum  BON  ou  OO"  (fig.  3),  le  rayon  ré- 
fracté, faisant  toujours  avec  la  normale  un  angle 


REFRACTION  -  1816  -  RÉFRACTION 

plus"  petit   que  90°,   prendra  alors   une  position  i  aussi  atteint  sa  valeur  maximum  LON';  cet  angle 
limite  telle  que  OL,  et  l'angle  de  réfraction  aura  lui  |  est  nommé,  pour  cette  raison,  angle  limite.  Sa  va- 


leur se  déduit  de  la  formule  générale  où  l'on  fait 
i  =  'M'.  Dans  ce  cas,  sin  t  =  1  ;  r  devient  l'angle 
limite  L,  et  on  a  : 

sin  L  =  -. 

n 

Le  sinus  de  l'angle  limite  est  donc  l'inverse  de 
l'indice  de  réfraction  de  la  substance  considérée. 

3  *> 

Il  est  égal  à  -  pour  l'eau,  à  ^ pour  le  verre,  ce  qui 

correspond  à  un  angle  limite  de  4S°,35'  pour  le 
premier  corps  et,  en  moyenne,  de  41°, 49'  pour  le 
second. 

On  déduit  de  là  une  conséquence  importante  : 
c'est  que  tandis  que  la  lumière  peut  toujours  pas- 
ser de  l'air  dans  le  verre  ou  dans  l'eau,  la  marche 
inverse  ne  peut  pas  toujours  s'accomplir.  Il  faut, 
pour  qu'un  rayon  puisse  sortir  d'un  milieu  plus 
réfringent  et  pénétrer  dans  un  milieu  moins 
réfringent,  que  langle  qu'il  forme  avec  la  nor- 
male à  la  surface  de  sortie  soit  plus  petit  que 
l'angle  limite  défini,  comme  il  vient  d'être  dit. 
Ainsi  AB  (fig.  3)  représentant  la  surface  de  sépara- 
tion de  l'air  et  de  l'eau  —  l'air  au-dessu=,  l'eau  au- 
dessous  —  il  faut  que  les  rayons  incidents  qui 
tendent  à  sortir  de  l'eau  dans  l'air  soient  contenus 
dans  l'angle  limite  LON";  ils  émeraeront  alors 
dans  l'angle  BON  :  RO  suivant  OS,  R'O  suivant 
OS',  R'O  suivant  OS"  et  enfin  LO  suivant  08. 
Mais  si  un  rayon  lumineux  se  présente  dans  la 
direction  10  par  exemple  —  lO.N  étant  plus  grand 
que  l'angle  limite  —  il  ne  trouve  plus  de  place 
disponible  dans  l'angle  BON  :  il  ne  peut  donc  pas 
sortir  de  l'eau,  et  l'expérience  montre  qu'il  est 
réfléchi  par  la  surface  sans  qu'aucune  portion 
émerge  dans  l'air.  11  suit,  dans  ce  cas,  les  lois 
ordinaires  de  la  réflexion. 

C'est  le  phénomène  dit  de  la  réflexion  totale, 
pncnomène  qui  permet  d'expliquer  un  grand  non:- 
bre  de  faits  naturels  et  en  particulier  le  mii-aije. 

Mirage.  —  Le  mirage  se  produit  dans  une  plaine 
sablonneuse,  lorsque  le  sol  est  fortement  chaufl'é  par 
es  rayons  solaires  et  que,  giàce  à  l'absence  du  vent, 
1  air  placé  au-dessus  de  ce  sol  se  maintient  sensi- 
blement calme.  Il  s'établit  alors  momentanément 
dans  les  couches  gazeuses  qui  constituent  l'atmo- 
.sphère  un  ordre  de  densité  inverse  de  celui  qui 
convient  à  l'équilibre  normal.  La  densité  des  cou- 
ches d  air  successives  va  en  croissant  à  mesure 
quon  s  élève  au-dessus  du  sol,  au  lieu  d'aller  en 


diminuant,  comme  c'est  l'ordinaire.  H  en  résulte 
que  les  rayons  lumineux  émanés  des  objets  ter- 
restres qui  sont  placés  à  une  certaine  hauteur 
au-dessus  du  sol,  du  sommet  des  arbres,  des  mai- 
sons, etc.,  traversent  en  descendant  des  couches 
de  moins  en  moins  denses;  ils  passent  d'un  mi-- 
lieu  plus  réfringent  dans  un  milieu  moins  réfrin- 
gent; leur  angle  d'incidence  va  donc  en  crois- 
sant à  mesure  qu'ils  se  propagent  de  haut  en  bas 
dans  l'atmphère  ;  et  il  arrive  un  moment  où  cet 
angle  devient  forcément  égal  à  l'angle  limite.  A 
partir  de  ce  moment,  les  faisceaux  lumineux  se 
réfléchissent  totalement,  et  la  lame  d'air  sur  la- 
quelle s'opère  cette  réflexion  représente  alors, 
pour  un  obserratenr  placé  à  distance,  comme  une 
nappe  d'eau  tremblotante  dans  laquelle  il  aper- 
cevrait l'image  renversée  des  objets  extérieurs. 
L'illusion  est  complète,  on  a  devant  soi  les  ap- 
parences d'une  inondation  véritable  dont  les  traces 
disparaissent  à  mesure  qu'on  s'avance  vers  le 
lieu  quelle  semblait  occuper. 

On  peut  être  aussi,  sous  certaines  conditions, 
témoin  d'un  mirage  latéral.  Un  mur  vertical  forte- 
ment chanfl"é  par  le  soleil  donne  aux  couches  d'air 
voisines  une  disposition  analogue  h  celle  qui  vient 
d'être  indiquée.  Si,  à  ce  moment,  l'observateur  se 
place  de  manière  à  recevoir  dans  son  œil  des 
rayons  lumineux  presque  rasants,  il  voit  l'image 
latérale  des  objets  voisins  du  mur  exactement 
comme  s'il  existait  contre  la  paroi  de  ce  dernier 
ou  au  moins  dans  son  voisinage  immédiat  un 
miroir  vertical  qui  lui   serait  parallèle. 

Ces  principes  posés,  nous  allons  étudier  la  ré- 
fraction de  la  lumière  dans  les  milieux  transparents 
de  formes  diverses. 

I.  —  Lames  transparentes  a  faces  parallèles. 

Soit  un  rayon  lumineux  SI  (fig.  4)  tombant  sur 
une  lame  de  verre  à  faces  planes,  exactement 
parallèles;  ce  rayon  pénètre  dans  le  verre  en  sui- 
vant la  direction  IR  et  émerge  dans  l'air  suivant 
RS'.  Je  dis  que  RS'  est  parallèle  à  IS.  En  effet, 
c'est  un  principe  qu'on  pourrait  considérer  comme 
évident  et  que  vérifie,  dans  tous  les  cas,  l'expérience, 
que  la  lumière,  quand  elle  revient  sur  ses  pas,  suit 
exactement,  pour  le  retour,  le  môme  chemin  que 
pour  l'aller.  Si,  dans  le  cas  particulier  qui  nous  oc- 
cupe, la  lumière  était  tombée  sur  la  partie  supé- 
rieure de  la  lame  dans  la  direction  S'R,  elle  serait 


RÉFRACTION  —  1817  — 

y      S' 


REFRACTION 


s/ 

r      "~ 


sortie  dans  la  direction  IS.  Partant  de  !.\  et  nom- 
mant i  l'angle  d'incidence  SIN,  e  l'angle  d'émer- 
gence S'RN',  et  ;-,)•' les  angles  de  réfraction  corres- 
pondants, on  aura 


sm  i 
sin  ;•' 


sin  e 

'  sin  (■' 


mais  les  angles  r  et  >■'  sont  égaux  comme  alternes 
internes  formés  par  les  parallèles  IN,  RN"  et  la 
sécante  IR;  leurs  sinus  sont  aussi  égaux,  donc 
sin  i  =  sin  e,  i  =  e. 

Ainsi,  dans  le  cas  d'une  lame  transparente  à 
faces  parallèles,  le  rayon  émergent  est  parallèle 
au  rayon  incident;  mais  il  n'est  rigoureusement 
sur  son  prolongement  que  lorsque  le  rayon  inci- 
dent est  perpendiculaire  à  la  lame  ;  il  la  traverse 
alors  sans  déviation. 

I!  résulte  de  là  —  ce  que  l'expérience  confirme 
du  reste  —  qu'un  objet  vu  à  travers  une  lame  de 
ce  genre  ne  donne  point  une  image  sensiblement 
déformée.  Il  y  a  seulement,  dans  le  cas  des  rayons 
obliques,  un  déplacement  latéral  du  point  lumineux 
d'autant  plus  grand  que  la  lame  est  plus  épaisse. 


II. 


Prismes. 


Les  deuT  surfaces  planes  qui  limitent  le  milieu 
réfringent  ne  sont  pas  toujours  parallèles,  comme 
dans  le  cas  qui  vient  d'être  examiné.  Ces  faces 
peuvent  être  inclinées  l'une  sur  l'autre,  ce  qui  se 
présente  en  particulier  pour  un  prisme  triangu- 
laire de  verre.  Nous  aurons  à  considérer  seulement 
ici  la  marche  de  la  lumière  dans  une  section  prin- 
cipale du  prisme  (fig.  5).  Le  rayon  incident  SI  et 
la  normale  IN  à  la  première  face  se  trouvant  dans 
le  plan  de  cette  section,  le  rayon  réfracté  lE  dans 
le  verre  et  le  rayon  émergent  EB  dans  l'air  s'y 
trouveront  nécessairement  aussi.  Ceci  est  une  con- 
séquence de  la  première  loi  de  la  réfraction  qui  a  été 
démontrée  plus  haut.  Cette  fois,  EB  ne  peut  plus 
être  parallèle  à  SI  ;  il  forme  avec  lui  un  angle  qu'on 
nomme  angle  de  déviation.  L'expérience  et  la 
théorie  s'accordent  pour  établir  que  ,cet  angle 
de  déviation  D,  variable  avec  l'angle  d'incidence, 
esicapable  d'acquérir  une  valeur  minimum  quand 
on  fait  tourner  le  prisme  autour  de  son  arête 
de  réfringence,  et  ce  minimum  se  produit  pré- 
cisément quand  l'angle  d'incidence  SIN  est  égal 
à  l'angle   d'émergence  BEN'. 

Minimum  de  déviation.  —  On  montre  expéri- 
mentalement l'existence  du  minimum  de  déviation 
dans  les  prismes  de  la  façon  suivante  :  un  faisceau 
de  lumière  simple  (rouge  par  exemple)  pénètre 
dans  une  chambre  obscure  par  un  trou  du  volet; 
ce  faisceau  rencontre  le  prisme  dans  le  voisinage 


de  son  arête  réfringente  —  ligne  de  rencontre 
des  deux  faces  que  la  lumière  traverse.  Ledit 
faisceau  passe  en  partie  au-dessus  de  l'arête,  et 
cette  portion  continue  sa  marche  sans  dévia- 
tion puisqu'elle  ne  change  pas  do  milieu;  elle  va 
marquer  sa  trace  lumineuse  sur  un  écran  placé  à 
distance.  L'autre  partie  du  faisceau  incident  tra- 
verse le  prisme,  s'y  réfracte  et  va  former  sa  trace 
rouge  sur  le  même  écran,  et  au-dessous  de  la  pre- 
mière, puisqu'il  y  a  eu  déviation.  La  distance  des 
deux  traces  lumineuses  permet  \\  un  observateur 
de  juger  de  la  grandeur  de  la  déviation  produite. 
Si  maintenant  on  fait  tourner  le  prisme  autour  de 
son  arête  dans  un  sens  tel  que  la  déviation  diminue, 
ce  qu'on  constate  par  le  fait  du  rapprochement  des 
traces  rouges  sur  l'écran,  on  reconnaît  que  cette 
déviation  ne  décroît  que  jusqu'il  une  certaine  li- 
mite qu'on  ne  peut  dépasser,  quel  que  soit  d'ail- 
leurs le  sens  de  la  rotation  du  prisme.  Le  mini- 
mum de  déviation  est  ainsi  accusé  d'une  manière 
évidente. 

Dans  tous  les  cas,  l'effet  du  prisme  sur  un  rayon 
de  lumière  est  toujours  de  le  rejeter  vers  sa  base, 
si  bien  que  si  un  point  lumineux  se  trouve  en  S, 
l'œil  placé  en  B  qui  regarde  ledit  point  lumineux 
à  travers  le  prisme  le  voit  sur  le  prolongement 
de  BE  et  par  suite  relevé. 

Prisme  à  réflexion  totale.  —  Il  ne  faut  pas 
croire  que  tout  rayon  lumineux  qui  pénètre  dans 
un  prisme  par  l'une  des  faces  puisse  nécessai- 
rement en  sortir  et  émerger  dans  l'air  par  l'autre 
face.  Je  prends  comme  exemple,  parce  que  ce  fait 
a  une  application  pratique,  le  cas  d'un  prisme  de 


REFRACTION 


1818 


REFRACTION 


verre  rectaiif^le  et  isocèle,  et  je  suppose  qu'un 
rayon  de  lumière  pénètre  par  l'une  des  faces  de 
l'angle  droit  et  normalement  à  cette  face.  Le 
rayon  lumineux  passera  de  l'air  dans  le  prisme 
sans  éprouver  aucun  changement  de  direction  ;  il 
ira  rencontrer  la  face  hypoténuse,  où  il  formera 
avec  la  perpendiculaire  à  cette  face  au  point  d'in- 
cidence un  angle  de  45°,  angle  plus  grand  que  l'an- 
gle limite  (42°  environ!  qui  appartient  au  verre.  11 
ne  pourra  donc  émerger  dans  l'air,  il  siilnr.i  la 
réflexion  totale,  sera  rejeté  vers  la  seconde  f.ice 
de  l'angle  dièdre  droit  et  la  traversera  norm:ilemi'nt 
en  formant  ainsi  un  angle  de  90°  avec  sa  direction 
première  d'incidence.  'Tout  se  sera  passé  comme 
si  le  rayon  primitif  avait  trouvé  sur  sa  route  un 
véritable  miroir  le  réfléchissant  totalement  et  for- 
mant avec  lui  un  angle  de  45°.  Ce  genre  de  prisme 
est  souvent  employé  dans  les  instruments  d'opti- 
que et  remplace  avec  avantage  le  miroir  plan  or- 
dinaire qti'on  placerait  sur  le  trajet  du  faisceau 
pour  changer  sa  direction.  —  V.  Luinière. 

Si  on  fait  tomber  sur  un  prisme,  au  lieu  d'un 
rayon  de  lumière  simple,  comme  nous  l'avons  sup- 
posé jusqu'.^  présent,  un  rayon  de  lumière  blan- 
che, il  y  a  complication  dans  le  phénomène  pro- 
duit. La  lumière  blanche  est  décomposée  en  même 
temps  qu'elle  est  réfractée,  il  se  produit  à  la  fois 
une  réfraction  et  une  ilis/.er-sion.  —  V.  Lumière. 

III.  —  Lentilles. 

Les  lentilles  sont  formées  par  un  milieu  trans- 
parent limité  par  des  surfaces  sphériques.  Ce 
nom  leur  vient  de  leur  ressemhiance  de  forme 
avec  la  lentille  comestible  (la  graine  de  \'Eri:uin 
le7is).  On  en  distingue  de  deux  sortes  :  les  unes 
sont  dites  convergentes,  parce  qu'elles  augmen- 
tent  la  convergence  des  rayons  lumineux  qui  les 
traversent  ;  elles  ont  pour  caractère  commun  d'ê- 
tre plus  épaisses  en  leur  milieu  qu'en  leurs  bords. 
Les  autres,  dites  divergentes,  parce  qu'elles  aug- 
mentent la  divergence  des  rayons,  sont  plus  minces, 
au  contraire,  en  leur  milieu  qu'en  leurs  bords. 

Parmi  les  lentilles  convergentes,  on  distingue  : 
la  lentille  bi-convexe  (fig.  6,  1):  —  deux  surfaces 


spliériques  convexes  ;  —  la  lentille  piano-con- 
vexe (fig.  6,  2;  :  surface  plane  et  surface  sphérique 
convexe  ;  —  le  ménisque  convergent  (fig.  6,  3;  :  sur- 
face sphériquG  concave,  surface  spliérique  con- 
vexe ;  la  seconde  ayant  un  rayon  de  courbure  plus 
petit  que  la  première.  —  Les  lentilles  divergen- 
tes comprennent:  la  lentille  bi-concave  (fig.  6,  4)  : 
deux  surfaces  spliériques  concaves;  —  la  lentille 
piano-concave  (fig.  C,  5,  :  une  surface  plane  et  une 
surface  sphérique  concave;  —  le  ménisque  diver- 
gent (fig.  6,6):  une  surface  sphérique  convexe  et  une 
surface  sphérique  concave  ;  cette  dernière  ayant 
un  rayon  de  courbure  plus  petit  que  la  première. 
Nous  n'avons  à  considérer  véritablement  dans 
cette  étude  que  la  lentille  bi-convexe  d'une  part, 
que  nous  prendrons  comme  type  des  lentilles 
convergentes,  et  la  lentille  bi-concave,  de  l'aulro, 
qui  servira  de  type  pour  les  lentilles  divergentes. 
La  théorie  des  lentilles  plano-spliériques  et  con- 
cavo-convexe  est,  en  efl'et,  la  même  que  pour  le 
type  du  groupe. 


Lentilles  convergentes.  —  Foyer  principal.  —  On 
nomme  nxe  principal  d'une  lentille  la  ligne  qui 
joint  les  centres  des  deux  sphères  dont  la  len- 
tille fait  partie.  Faisons  tomber  de  droite  à 
gauche,   sur  une    lentille   bi-convexe   (fig.    7),  un 


faisceau  de  rayons  parallèles  à  l'axe  principal 
CF,  et  considérons  l'un  de  ses  rayons  en  particu- 
lier. Quand  il  pénètre  par  la  première  face  de 
la  lentille,  il  se  rapproche  de  la  normale  au  point 
d'incidence,  normale  qui  n'est  autre  ici  que  le 
rayon  de  la  sphère  à  laquelle  ladite  face  ap- 
partient. Donc  déjà,  s'il  ne  sortait  plus  du  verre, 
ce  rayon  de  lumière  irait  couper  l'axe  en  un  cer- 
tain point.  Mais  quand  il  traverse  la  seconde 
face  pour  émerger  dans  l'air,  il  est  encore  inflé- 
chi dans  le  môme  sens,  puisque  cette  fois,  il  s'é- 
carte de  la  normale  qui  est  le  rayon  de  la  seconde 
sphère.  Donc,  les  rajons  lumineux  qui  arrivent 
ainsi  parallèles  sur  les  lentilles  perdent  leur  pa- 
rallélisme par  le  fait  de  leur  trajet  dans  le  verre 
et  finalement  vont  tous  couper  l'axe.  On  prouve- 
rait, comme  dans  le  cas  des  miroirs  concaves  (V. 
Réflexion],  que  si  h-s  rayons  incidents  sont  très 
voisins  de  l'axe,  si  la  portion  utilisée  de  la  len- 
tille ne  correspond  qu'à  un  petit  nombre  de 
degrés,  tous  les  rayons  émergent}  provenant  de 
rayons  parallèles  à  l'axe  vont  sensiblement  cou- 
per cet  axe  en  un  point  unique  F,  qu'on  appelle 
foyer  principal.  Si,  réciproquement,  en  F  on 
place  un  foyer  lumineux,  les  rayons  provenant 
de  ce  point  qui  traversent  la  lentille  constituent 
à  leur  sortie  un  faisceau  cylindrique  formé  de 
rayons  parallèles,  un  faisceau  capable,  par  suite, 
de  pai  courir  de  grandes  distances,  sans  s'afl'aiblir 
notablement. 

On  peut  aisément  démontrer  par  expérience 
l'existence  du  foyer  principal  dans  les  lentilles  con- 
vergentes et,  au  besoin  même,  déterminer  sa  po- 
sition exacte  et  par  suite  la  valeur  de  la  distance 
focale  pri?tcipale.  On  dirige  l'axe  de  la  lentille 
vers  le  soleil  et  on  cherche,  par  tâtonnement,  en 
quel  lieu  doit  être  placé  un  écran  pour  que  l'i- 
mage de  l'astre  apparaisse  avec  le  maximum  d'éclat 
et  le  minimum  d'étendue.  Quand  l'expérience  est 
faite  dans  une  chambre  noire  dont  l'atmosphère 
tient  en  suspension  de  fines  poussières,  on  distingue 
très  bien,  par  le  fait  de  l'illumination  produite, 
et  le  faisceau  cylindrique  incident  et  le  faisceau 
conique  émergent  dont  le  sommet  est  en  F.  La 
distance  de  F  à  la  lentille,  mesurée  avec  soin, 
donne  la  ilistance  focale  principale.  On  reconnaît, 
de  plus,  que,  quelle  que  soit  la  face  de  la  lentille 
tournée  vers  le  soleil,  la  grandeur  de  la  distance 
focale  ne  varie  pas.  Ce  que  l'expérience  indique 
ici,  la  théorie  permettrait  de  le  prévoir  ;  nous  y 
reviendrons  tout  à  l'heure. 

A  ce  point  F  se  trouvent  condensées  à  la  fois  la 
lumière  et  la  chaleur,  si  ben  que  l'écran  qui 
y  est  placé  s'échaulïe  fortement  et  peut  dans 
certains  cas  fondre  ou  brûler. 

Lentilles  convergentes.  —  Foyers  conjuguas.  — 
On  démontre  expérimentalement,  comme  dans  le 
cas  des  miroirs,  l'existence  du  foyer  conjugué 
d'un  foyer  lumineux  placé  sur  l'axe.  Tant  que  le 


REFRACTION 


1819  — 


RÉFRACTION 


point  hirainnnx,  la  flamnifi  d'une  bougie,  par 
exemple,  est  siluo  au  deli  du  foyer  principal, 
l'image  est  réelle  et  se  montre  de  l'autre  coté  de 
la  lentille,  au  delà  du  foyer  principal.  Si  le  point 
lumineux  se  trouve  entre  le  foyer  principal  et  la 
lentille,  l'image  est  virtuelle  et  du  même  coté  de 
la  lentille  (|ue  le  point  lumineux.  Nous  n'insiste- 
rons pas  sur  la  signification  physique  de  ces  deux 
expressions  :  images  réelles,  imoyes  virtuelles.  Le 
lecteur  pourra  se  reporter  aux  explications  déjà 
données  à  ce  sujet  {V.  Hrf flexion).  La  distinction 
à  faire  est  la  même  dans  les  deux  cas. 

Centre  uptique.  —  Il  existe  pour  toute  len- 
tille un  point  qui  est  tel,  que  tout  rayon  qui  y 
passe  ■  émerge  parallèlement  à  son  incidence. 
Cette  propriété  que  nous  allons  démontrer  a,  nous 
le  verrons  bientôt,  une  grande  importance,  au 
point  de  vue  de  la  théorie  des  foyers  conjugués. 
i)es  centres  de  courbure  O   et   Ô'  tfig.  S)  de  la 


lentille  bi-convexe,  menons  les  rayons  parallèles 
OI,0'E;  les  éléments  de  la  surface  I  et  E  aux- 
quels ils  aboutissent  seront  eux-mêmes  parallèles 
enire  eux  comme  plans  perpendiculaires  h  des  li- 
gnes parallèles.  Menons  la  droite  lE  ;  je  dis  que  le 
poiiit  C  d'intersection  de  lE  avec  l'axe  est  un  point 
fixe  par  lequel  passeront  tontes  les  droites  qui 
joindront  entre  eux  des  éléments  de  surface  pa- 
rallèles de  la  lentille.  En  effet,  les  deux  trian- 
gles OIC  et  O'CE,  étant  semblables,  on  a  l'égalité 


01 


1  ou  bien 


OC 


01 


0'C~Tnî'""  "'"■■  OC  +  0'C~OH-0'E' 
OC +  0'(_;  c'est  la  distance  des  centres,  quantité 
constante  pour  une  môme  lentille  :  nous  l'appelle- 
rons d;  —  01,  c'est  le  rayon  H  de  la  première 
sphère  01  -f  O'E,  c'est  la  somme  des  rayons  R  -|-  R'; 
on  aura  donc  : 


0C  = 


dR 
R  +  R 


=  constante  ; 


donc  le  point  C  est  invariable  de  position,  quel 
que  soit  le  groupe  de  rayons  de  courbures  paral- 
lèles qu'on  choisisse.  On  le  nomme  le  rentre  optiriue 
de  la  lentille.  Il  suit  de  là  que  tout  rayon  incid(;nt 
tel  que  SI  qui  pénétrera  dans  la  lentille  en  suivant 
la  direction  lÉ,  donnera  naissance  à  un  rayon 
émergent  ER  parallèle  à  SI.  Car  il  sera  dans  les 
mêmes  conditions  que  s'il  avait  traversé  un  mi- 
lieu à  faces  parallèles. 

Axes  secondaires.  —  Si  on  suppose  de  plus  que 
l'épaisseur  de  la  lentille  soit  assez  petite  pour 
être  négligeable,  le  rayon  ER  pourra  être  consi- 
déré comme  étant  le  prolongement  de  SI.  La  ligne 
droite  SCR  est  nommée  uxe  Sfcondniie.  On  peut 
donc  lui  attribuer  les  mêmes  propriétés  qu'à  l'axe 
principal,  en  ce  sens  que  des  rayons  incidents  pa- 
rallèles à  SI  iront  former  sur  son  prolongement 
ER  leur  foyer  principal,  et  cela  à  la  même  distance 
de  la  lentille  comme  s'il  s'agissait  de  l'axe  principal 
lui-même.  Si  donc  du  point  C  comme  centre,  avec 
cette  distance  focale  comme  rayon,  nous  décrivons 
une  sphère  qui,  dans  le  cas  de  la  figure,  sera  re- 
présentée par  une  circonférence  —  section  de  la 
sphère  par  le  plan  du  tableau  —  nous  aurons 
tracé  la  surface  focale,  celle  qui  contiendra  tous 
les  foyers  principaux  correspondants  aux  diffé- 
rents axes,  principal  et  secondairCj  de  la  lentille. 

Réciproquement,  tous  les  rayons  qui  émane- 
ront d'un  point  lumineux  pris  sur  la  même  surface 
focale  émergeront  de  la  lentille  en  formant  un 
faisceau  parallèle  à  l'axe  qui  passe  par  ledit  point 
lumineux. 

riieorte  générale  des  lentilles  convergentes.  — 
Nous  allons  tirer  parti  de  cette  propriété  pour 
établir  la  théorie  des  lentilles  convergentes. 

Dans  tout  ce  qui  va  suivre  nous  admettrons  que 
l'épaisseur  de  la  lentille  est  assez  faible  pour 
pouvoir  être  négligée  ;  nous  supposerons,  en  outre, 
que  les  rayons  de  lumière  incidents  sont  très  peu 
écartés  de  l'axe.  La  lentille  se  trouvera,  pour  ainsi 
dire,  réduite   de  cette  façon  au  plan  KO  perpen- 


diculaire àl'axe  principal  et  passant  par  le  point  0  1  et  R  sur  l'axe  principal  et  exactement  au  milieu 
Le  centre  optique  0  ^fig.  IJ)  est  placé  entre  A  |  de  l'intervalle  AB,  si  les  doux  rayons  de  courbura 


REFRACTION 


—  1820  — 


REFRACTION 


■sont  égnus.  Le  foyer  principal  F  est  placé  au  delîi 
de  C;  de  l'autre  coté,  le  loyer  principal  F'  est, 
à  la  même  distance  de  la  lentille  entre  C  et  P.  Du 
point  0  comme  centre  avec  OF  comme  rayon  nous 
décrivons  un  arc  de  cercle  qui  représente  une 
portion  de  la  surface  focale. 

Ceci  convenu,  plaçons  le  point  lumineux  en  P 
sur  l'axe  au  delà  du  foyer  principal  F'  ;  et  me- 
nons un  rayon  incident  quelconque  PIK.  Pour  trou- 
ver le  rayon  émergent  correspondant  au  rayon 
incident,  il  suffira  de  mener  par  le  centre  optique 
0  une  parallèle  à  PK;  cet  axe  secondaire  ira  ren- 
contrer la  surface  focale  en  Fj.  Joignant  K  à  F) 
nous  aurons  le  rayon  réfracté  KFjP'  qui  irait  ren- 
contrer l'axe  en  P',  foyer  conjugué  de  P. 

Si  maintenant  nous  remarquons  que  dans  le 
triangle  PKP',  OFi  est  parallèle  à  PK,  nous  aurons 
avec  une  approximation  suffisante  : 


PK 
OF,^ 


PP' 
OP' 


(1) 


En  conservant  les' mêmes  notations  que  pour 


les  miroirs  concaves  (V.  Réflexion),  et  en  appe- 
lant Tc  et  7i'  la  distance  de  cliaque  foyer  conjugué 
au  foyer  principal  qui  lui  correspond  et /"  la  dis- 
tance focale  principale,  nous  aurons  sensiblement  : 

PK  =  P0  =  7r-|-/';  0F,  =  /';  PP'=7t4-i'  +  2/'; 

0P'  =  7t'+/ 

remplaçant  dans  l'égalité  (1)  les  quantités  qui  s'y 
trouvent  par  leurs  valeurs,  il  vient  : 

n+f _  tt+tc'+î/' 

Effectuant  et  réduisant,  on  tombe  précisément 
sur  la  formule  de  Newton,  déjà  donnée  pour  les 
miroirs  : 

7t7l'=/'2 

La  discussion  de  cette  formule  se  fait  simple- 
ment, comme  dans  le  cas  de»  miroirs,  à  l'aide  de 
la  construction  géométrique  suivante  qu'a  donnée 
M.  Lebourg  (fig.  Ui)  :  F  et  F'  indiquant  la  position 


du  foyer  principal  de  part  et  d'autre  de  la  lentille, 
nous  savons  que  OF=Or'.  De  ces  points  F  et  F' 
comme  centres,  avec  un  rayon  égal  à  f,  décrivons 
des  circonférences.  Le  point  lumineux  est  placé 
sur  l'axe  principal  en  S.  Pour  obtenir  son  foyer 
conjugué,  nous  menons  la  tangente  ST;  du  point 
T,  nous  abaissons  une  perpendiculaire  sur  l'axe; 
elle  tombe  en  s'  ;  nous  joignons  T  au  centre  op- 
tique et  nous  prolongeons  TO  jusqu'à  la  rencontre 
de  la  circonférence  de  gauclie  ;  de  ce  point  do 
rencontre,  nous  menons  une  perpendiculaire  à 
l'axe,  s  est  le  foyer  conjugué  cliercbé.  On  a,  en 
effet,  dans  le  triangle  rectangle  FTS  : 

FT2=FSxFs' 

mais  Es',  comme  le  montre  la  figure,  égale  F's;  il 
vient  par  suite  : 

FT'  =  FS  X  F's 
ou 

,c  X  F's  =  /'S 

donc  F's  est  bien  égal  à  n'  et  par  suite  s  est  le 
foyer  conjugué  de  S. 

Passons  à  la  discussion  de  la  formule.  Si  S  est 
à  l'infini,  la  tangente  ST  est  parallèle  à  l'axe  et  T 
se  projette  en  F.  Le  foyer  conjugué,  dans  ce  cas, 
est  F',  ce  que  nous  savions  déjà.  Si  S  s'avance 
snr  l'axe,  de  l'infini  jusqu'à  un  point  situé  à  une 
distance  de  la  lentille  égale  au  double  de  la  dis- 
lance focale  principale,  la  projection  s'  du  point 
de  tangence  marclie  en  sens  contraire,  c'est-à-dire 
de  F  à  l'extrémité  du  rayon  de  la  circonférence, 


et  par  suite,  le  foyer  conjugué  s  chemine  de  F' 
à  l'extrémité  du  rayon  correspondant.  Quand  S 
arrive  au  double  de  la  distance  focale  principale, 
s  est  aussi  au  double  de  la  même  distance,  de 
l'autre  côté  de  la  lentille.  S  continue  sa  marche 
dans  le  même  sens  ;  il  vient  en  s'  par  exemple. 
Pour  avoir  le  foyer  conjugué,  je  mène  à  l'axe  la 
perpendiculaire  s'T  ;  je  joins  T  à  0  ;  je  prolonge, 
et  au  point  do  rencontre  de  OT  avec  la  circonfé- 
rence, je  mène  une  tangente  qui  va  couper  l'axe. 
Le  point  d'intersection  ainsi  obtenu  sera  le  foyer 
conjugué  de  s'.  Arrivé  en  F,  S  a  son  conjugué  à  l'in- 
fini. Si  S  continue  sa  marche  de  F  vers  O  et  que 
pour  chaque  position  intermédiaire  on  fasse 
la  môme  construction  que  tout  à  l'heure,  on 
voit  que  la  tangente  qui  donne  le  foyer  con- 
jugué ne  rencontre  plus  l'axe  du  même  côté,  à 
gaucho  de  la  lentille  ;  son  prolongement  seul  coupe 
l'axe  à  droite  ;  le  foyer  conjugué  n'est  plus  réel, 
mais  virtuel. 

Donc,  en  résumé  :  1°  Pour  tout  point  lumineux 
situé  entre  l'infini  et  le  foyer  principal,  le  foyer 
conjugué  est  réel  et  situé  entre  le  foyer  principal 
et  l'infini;  20  quand  le  point  lumineux  est  au 
double  de  la  distance  focalo  principale,  son  foyer 
conjugué  est  aussi  au  double  de  la  distance  focale 
principale  ;  .3°  quand  le  point  lumineux  est  situé 
entre  le  foyer  principal  et  la  lentille,  son  conju- 
gué est  virtuel. 

De  la  formule  de  Newton  tz-k'^P  on  déduit, 
si  besoin  est,  la  relation  habituellement  employée 
pour  les  calculs  relatifs  aux  lentilles.  Au  fond,  il 
n'y  a  d'autre  différence  entre  les  deux  expressions 


IlÉFRACTION 


—  1821  — 


REFRACTION 


algébriques  qu'un  changement  d'origine,  qu'une 
convention  différente  pour  compter  les  distances 
qui  permettent  d'établir  la  situation  relative  des 
doux  foyers  conjugués.  Nous  avons  toutefois  inté- 
rêt il  reproduire  ici  la  formule  ordinaire,  parce  que 
c'est  en  l'utilisant  exclusivement  qu'a  été  exposée 
la  théorie  des  instruments  d'optique.  —V.  Optique 
(Instruments  d'). 

Désignant  par  p  et  p'  les  distances  des  foyers 
conjugués  à.  la  lentille,  on  a  évidemment  : 

n=p'  —  f;  it' =/)'  —  /•. 

Substituant  dans  l'expression  :  nn'^f^,  à  la  place 
de  7t  et  7i',  leurs  valeurs  ;  effectuant  et  divisant  tous 
les  termes  par  pp'f,  il  vient  : 


C'est  la  formule  ordinaire  des  foyers.  Seulement, 
dans  le  cas  où  le  foyer  conjugué  est  virtuel,  //  doit 
être  compté  en  sens  inverse  du  sens  ordinairo,  il 
est  négatif,  et  la  formule  des  lentilles  convergentes, 
dans  ce  cas,  devient  : 

1  _  1    ^1 
1      p'   ~f' 

Image  des  objets.  —  Nous  savons  trouver  l'i- 
mage d'un  point  ;  aucune  difficulté  nouvelle  ne  sau- 
rait nous  arrêter  pour  déterminer  limage  d'un 
objet  qui  n'est  qu'un  ensemble  de  points  lumineux. 
Pour  tous  les  points  situés  hors  de  l'axe  principal, 
nous  emprunterons  le  secours  de  l'axe  secon- 
daire passant  par  le  point  considéré,  et  dès  lors 
les  formules  précédentes  seront  ici  applicables. 

Considérons  successivement  les  différents  cas  : 
oii  l'image  est  réelle;  où  ellç  est  virtuelle. 

1"  cas.  —  L'objet  AB  (fig.  11)  est   au     delà   du 


double  de  la  distance  focale  principale.  On  mène 
l'axe  secondaire  AO  passant  parle  point  A.  Par  le 
même  point  A,  on  trace  une  parallèle  à  l'axe  prin- 
cipal ;  le  rayon  émergent  correspondant  va  passer 
au  foyer  principal  F.  Sa  rencontre  avec  le  prolon- 
gement de  AO  donne  en  a  l'image  de  A.  —  Môme 
construction  pour  B.  L'image  a/j  de  AB  est,  d'après 
la  construction  même,  renversée  par  rapport  à 
1  objet,  et,  en  outre,  réelle,  nous  l'avons  déjà  éta- 
bli. Pour  avoir  la  grandeur  relative  de  l'image  et 
de  l'objet,  il  n'y  a  qu'à  considérer  les  triangles 
semblables  :  A013,  aOi,  qui  donnent  : 

ab ;/ 

ÂB~^ 

Mais  ;/  déduit  de  la  formule  générale  établie  plus 
haut  a  pour  valeur   : 

Pf 
P-f 
substituant,  il  vient  : 


ab 
Ali' 


f 
P-f 


p  est,  par  hypothèse,  plus  grand  que  2/';  donc 
ab  est  plus  petit  que  AB.  Si  p  élait  exactement 
égal  à  î  /■,  ail  serait  égal  à  AB.  i 

Donc  tout  objet  placé  au  delà  du  double  de  la 
distance  focale  principale  donne  naissance  à  une 
image  réelle,  renversée  et  plus  petite, 

2'  cas.  —  Si  l'objet  AB  est  placé  entre  le  double 
de  la  distance  focale  principale  et  le  foyer  principal 
lui-même,  la  construction  est  la  môme,  le  raison- 
nement le  môme;  et  l'on  voit  que  l'image  est 
réelle,  renversée  et  plus  grande  que  l'objet. 

3'  cas.  —  Si  l'objet  AB  est  entre  le  foyer  prin- 
cipal et  la  lentille,  la  construction  et  le  raisonne- 
ment demeurent  tout  à  fait  semblables  et  l'objet 
AB  (fig.    12)   donne  une  image  virtuelle  droite   et 


Fig.  12. 

nécessairement   plus  grande  que  l'objet.   Le  rap- 
port de  grandeur  de  l'image  et  l'objet  devient  dans 
f 

ce  cas  : ,  et  comme  le  numérateur  est  néces- 

t—P 
sairement  plus  grand  que  le  dénominateur,  l'image 
sera   toujours  plus   grande  que  l'objet.  C'est  là  le 
point  de  départ  de  la  théorie  de  la  loupe. 

L(;nlilles  divergentes.  —  Nous  prendrons  comme 
type  des  lentilles  divergentes  la  lentille  bicon- 
cave. La  marche  à  suivre  pour  son  étude  est  exac- 
tement celle  que  nous  avons  adoptée  dans  la 
théorie  des  verres  convergents.  Le  centre  opti- 
que, les  axes  secondaires  s'y  présentent  avec 
li'S  mômes  propriétés  que  précédemment.  Seule- 
ment ici,  le  foyer  principal  est  lui-même  virtuel 
comme  le  montre  la  construction  int'iquée  (lig.  13), 


Fig.  13. 

où  les  rayons  incidents  parallèles  à  l'axe  qui  arri- 
vent de  la  gauche  de  la  lentille  émergent  en  di- 
vergeant à  sa  droite.  Ce  sont  les  prolongements 
de  ces  derniers  rayons  qui  vont  se  couper  en  un 
point  F  situé  à  gauche  de  la  lentille.  La  même  ob- 
servation demeure  vraie  en  ce  qui  concerne  le 
foyer  conjugué  de  tout  point  lumineux  réel.  Son 
foyer  est  toujours  virtuel  et  du  même  côté  de  la 
lentille  (|ue  le  point  lumineux. 
La  formule  -n' =  f-  s'applique  aux  lentilles  di- 


RÉFRACTION 


-   1822  — 


REGENCE 


yergentes,  à  la  condition  toutefois  qu'on  donne  à 
K  et  n'  les  valeurs  qui  conviennent  à  ce  cas  parti- 
culier. 

L'expression  algébrique  qui  fournit  la  relation 
existant  entre  /<  et  p'  dans  lu  cas  des  lentilles  di- 
vergentes, se  trouve  aussi  modifiée  par  cette  cir- 
constance que  p'  et  f  correspondent  toujours  k  des 
foyers  virtuels  et  doivent  par  suite  être  pris  néga- 
tivement. La  formule  relative  aux  lentilles  diver- 
gentes devient  dans  ce  cas  : 


d'où  Ton  déduit,  par  une  discussion  tout  à  fait 
semblable  à  celle  qui  se  rapporte  aux  lentilles 
convergentes,  les  valeurs  de  p'  qui  correspondent 
aux  différentes  valeurs  de  p. 

L'iitil/'-s  divergentes,  image  ries  objets.  —  L'i- 
mage d'un  objet  est  toujours  virtuelle,  droite  et 
plus  petite  que  l'objet  lui-même.  Le  rapport  de 
grandeur  de  l'image  et  de  l'obj-t   est  donné  par 

l'expression  —  ou  son  égale  — —   dans    laquelle 
P  P  +  I     .  ,      ,, 

le  numérateur  est  toujours  plus  petit  que  le  dé- 
nominateur. 

Le  point  lumineux  lui-même  peut  être  consi- 
déré, dans  un  cas  particulier,  comme  virtuel.  Cela 
signifie  que  les  rayons  lumineux  qui  tombent  sur 
la  lentille  et  qui  sont  interceptés  par  elle  iraient, 
si  rien  ne  changeait  leur  route,  se  rencontrer  en  un 
certain  point  placé  de  l'autre  côté  de  la  lentille. 
Ils  sont  donc,  non  en  ce  qui  concerne  le  sens  de 
leur  propagation,  mais  quant  à  leur  direction 
relative,  comme  s'ils  partaient  d'un  certain  point 
lumineux  qui  n'existe  pas  efi'ectivement.  C'est 
pour  ce  motif  qu'on  le  nomme  virtuel,  hi  formule 
ordinaire  des  lentilles  divergentes  s'applique  tout 
aussi  bien  à  ce  dernier  cas  ;  il  suffit  d'y  faire  p 
négatif.  Elle  devient  alors,  en  changeant  tous  les 

signes  •  — I — 1=7.)  identique  à  celle  qui  se  rap- 

P       P        I 
porte  au    foyer  réel  des    lentilles    convergentes. 
Nous  l'utiliserons  dans   le   cas  de  la   lunette   de 
Galilée.  —  V.  Optique  {[nstrumcnts  d'). 

Double  réfraction.  —  Dans  tout  ce  qui  précède, 
nous  n'avons  étudié  le  phénomène  de  réfraction  que 
dans  les  milieux  homogènes  et  dont  l'élasticité  est 
constante  dans  toutes  les  directions.  La  réfraction 
est  alors  simple;  le  rayon  incident  ne  donne  nais- 
sance qu'à  un  seul  rayon  réfracté.  Le  phénomène 
est  tout  autre  quand  le  rayon  lumineux  pénètre 
dans  un  milieu  cristallisé  à  élasticité  variable  se- 
lon le  sens  que  l'on  considère  (le  spath  d'Klande,  le 
quartz,  etc.).  D.ins  ce  cas,  le  rayon  incident  donne 
naissance  en  général  à  deux  rayons  réfractés,  l'un 
dit  rnyiin  ordinaire,  l'autre  rayon  exirnordmairc, 
qui  obéissent  dans  leur  marche  à  des  luis  nou- 
velles. La  réfraction  est  dite  alors  rc fraction  dou- 
ble, et  les  milieux  jouissant  de  la  propriété  susdite 
sont  nommés  bi-réfringents.  On  peut,  du  reste,  par 
des  moyens  mécaniques  :  la  compression,  la  fle- 
xion, etc.,  qui  font  varier,  dans  une  seule  direc- 
tion, l'élasticité  du  milieu  monoréfringent,  con- 
vertir ce  dernier  en  un  milieu  bi- réfringent. 

Expériences  à  exécuter  dans  les  cours.  — 
VrL-)iM'rs  faits  de  r.-lratu.n  :  —  Pièce  de  mon- 
naie au  fond  d'une  cuvette  qu'on  remplit  d'eau  ; 
tige  cylindrique  de  bois  ou  de  métal  plongi'ant 
dans  l'eau.  —  Expérience  de  réflexion  /nto'e  .• 
vase  cylindrique  de  verre,  en  partie  plein  d'eau. 
On  regarde  sa  surface  libre  obliquement  et  par 
dessons,  on  la  voit  brillante  comme  le  miroir  le 
mieux  poli.  —  Réfraction  produite  par  h-s  pi  infs. 
Verres  taillés  à  facettes  planes  qu'on  trouve  faci- 
lement d.ms  le  commerce  :  on  peut,  à  leur  aide, 
nionirer  les  principaux  phénomènes  produits  par 


les  prismes.  —  Prisme  de  flint  monté  sur  un  pied 
de  cuivre  :  On  peut,  en  le  faisant  tourner  autour 
de  son  axe,  montrer  aisément  le  phénomène  de 
la  déviation  minimum  (Voir  les  détails  donnés 
dans  le  texte  de  cet  article).  —  Lentille:  conver- 
gentes- —  Première  expérience.  —  Diriger  l'axe  prin- 
cipal vers  le  soleil  et  placer,  par  tâtonnement,  un 
écran  au  sommet  du  cône  des  rayons  émergents. 
Effets  de  lumière  et  de  chaleur;  mesure  de  la 
distance  focale.  —  Deuxième  expérience  :  Prendre 
une  lentille  montée  sur  un  pied;  placer  d'un  côté 
de  la  lentille  et  à  la  hauteur  de  son  axe  la  flamme 
d'une  bougie  et  chercher,  par  tâtonnement,  de 
l'autre  côté  de  la  lentille  et  avec  un  écran,  le  point 
où  se  forme  l'image  la  plus  nette  de  la  bougie. 
On  vérifiera  ainsi  toutes  les  conséquences  de  la 
formule  générale  des  lentilles  convergentes  — 
Expériences  analogues  avec  la  lentdle  divergente. 
[A    Boutan.] 

RÉr.ENCE.  —  Histoire  de  France,  XL,  XXVU. 
—  Bien  que  la  loi  salique  exclût  les  femmes 
du  trône  de  France,  en  fait  elles  ont  souvent 
exercé  le  pouvoir  avec  le  titre  de  régente.  Pen- 
dant les  huit  siècles  qu'a  duré  la  monarchie 
capétienne,  on  voit  la  régence  c<mftée  trois  fois 
seulement  à  des  hommes  (l'abbé  Suger,  le  dau- 
phin Charles,  fils  de  Jean  le  Bon,  et  Philippe 
d'Orléans),  tandis  qu'à  six  reprises  différentes 
des  reines  ont  gouverné  la  France,  pendant  des 
périodes  qui  appartiennent  aux  plus  importantes 
de  son  histoire,  au  nom  d'un  fils,  d'un  frère  ou 
d'un  époux. 

Nous  allons  énnmérer  les  diverses  régences 
qu'offrent  les  annales  de  la  France  à  partir  du 
xi'  siècle,  et  nous  nous  arrêterons  sur  la  der- 
nière, celle  de  Philippe  d'Orléans,  que  l'iiistoire 
appelle  particulièrement  la  Régence. 

1°  En  114",  Louis  Vil,  partant  pour  la  seconde 
croisade,  confia  le  go'uvernement  du  royaume  à 
Suger,  abbé  de  Saint-Denis;  celui-ci  montra 
beaucoup  de  sagesse  et  de  fermeté  dans  l'exer- 
cice de  ses  hautes  fonctions,  qu'il  conserva  jus- 
qu'au retour  du  roi,  en  1149.  —  V.  Louis  Vil. 

2°  Blanche  de  Castille,  veuve  de  Louis  VIII, 
exerça  la  régence  pendant  la  minorité  de  son  fils 
saint  Louis  (I2"2G-I23(i),  puis  plus  tard  pendant 
l'absence  du  roi  qui  s'était  croisé  (1248).  Elle 
mourut  en  1252,  tandis  que  saint  Louis  était 
encore  en  Palestine.  —  V.  Louis  IX. 

3"  Durant  la  captivité  de  Jean  le  Bon,  son  fils 
Charles  (plus  tard  Charles  V)  gouverna  le  royaume 
en   qualité  de  régent  (135G-l:i(jO).  Ce  fut  pendant  j 

cette  période  qu'eurent  lieu  les  tentatives  réfor-         : 
matrices  d'Etienne  Marcel  et  la  révolte  des  Jac- 
ques.  —  V.  Charlet  Y,  et  Guerre  de  Cent  uns. 

4°  Isabeau  de  Bavière,  épouse  de  Charles  VI,  fut 
mise  en  140S  à,  la  têtedu  consolide  régence  composé 
des  oncles  du  roi  tombé  en  démence  et  de  son 
frère.  Après  avoir  favorisé  la  faction  du  duc  d'Or- 
léans, elle  s'allia  au  duc  de  Bourgogne  pour  con- 
server le  pouvoir;  exilée  en  1117,  elle  rentra  à 
Paris  en  1418  ;  puis  elle  négocia  le  honteux  traité 
de  Troyes  (1420),  qni  livrait  la  France  aux  Anglais 
et  qui  donnait  à  Henri  V  de  Lancastre  le  titre 
de  régent.  —  V.  Cliarlcs  VI,  Charles  VU,  Guerre 
de  Cent  ans . 

5°  Anne  de  Beaujeu,  fille  de  Louis  XI.  avait 
été  désignée  par  son  père  pour  diriger  l'éduca- 
tion de  son  jeune  frère  Charles  VIII  (i483).  Elle 
exerça  de  fait  la  régence,  sans  posséder  officielle- 
ment aucun  titre,  jusqu'au  mariage  de  Charles  VUI 
avec  Anne  de  Breiagne  (1 191).  —  V.  Cliorlet  VIIL 

6°  Catherine  de  Médicis,  veuve  d'Henri  II, 
s'empara  du  pouvoir  à  la  mort  de  son  fils  aîné 
François  II  (lâtiil;,  et  le  garda  pondant  la  mino- 
rité de  Charles  IX,  mais  .'sans  avoir,  non  plus 
qu'Anne  de  Beaujeu,  le  titre  officiel  de  régente. 
Lorsque    Charles  I\  fut   déclaré   majeur  (15G3;, 


REGENCE 


—  1823  —     RÉGIONS  AGRICOLES 


elle  n'en  conserva  pas  moins  l'autorité  réelle, 
qu'elle  garda  encore  pendant  la  plus  grande  partie 
du  règne  de  son  troisième  fils  Henri  III.  — 
V.  Cfiaiies  IX,  Guerre^  de  religiim. 

1°  Le  jour  même  de  l'assassinat  d'Henri  IV 
(14  mai  1010),  Marie  do  Médicis  prit  le  titre  de 
régeiile,  que  lui  confirma  le  Parlement.  Elle  le 
garda  jusqu'en  1614,  année  où  Louis  XIII  fut 
déclaré  majeur.  En  1617,  après  le  meurtre  de 
Goncini,  elle  fut  exilée  à  IJlois.  —  V.  Louis  Xtll. 
8°  Anjie  d'Autriche  devijit  régente  à  la  mort  de 
son  époux  Louis  XIII  (164S),  et  eut  Mazarin  pour 
premier  ministre.  Louis  XIV  fut  déclaré  majeur 
en  1651  ;  mais  il  ne  prit  effectivement  la  direc- 
tion des  affaires  qu'en  HiGl,  à  la  mort  de  Mazarin. 
—  V.  Louis  XI  y,  Mazarin,  Fronde,  Guerre  de 
Trente  ans. 

9°  L'époque  conjiue  sous  lu  nom  de  ta  Régence 
s'étend  de  la  mort  de  Louis  XIV  (1710)  à  celle  de 
Philippe  d'Orléans,  le  Rayent  (172;i). 

Le  tesiament  de  Louis  XIV.  qui  donnait,  à  son 
fils  adultérin,  le  duc  du  Maine,  la  tutelle  du 
jeune  Louis  XV,  fut  cassé  par  le  Parlement  ;  et 
le  duc  d'Orléans,  neveu  de  Louis  XIV,  reçut  la 
régence  sans  condition.  Philippe  d'Orléans  était  un 
piince  intelligent,  à  l'esprit  ouvert  et  lihéral,  mais 
de  mœurs  dissolues.  L'opinion  publique,  soulevée 
contre  le  régime  tyrannique  et  bigot  du  dernier 
règne,  attendait  de  lui  des  mesures  réparatrices. 
Le  régent  s'empressa  d'ouvrir  les  prisons,  pleines 
de  jansénistes;  il  exila  le  jésuite  Letellier,  con- 
fesseur de  Louis  XIV,  supprima  divers  impots. 
La  France  respira.  Il  rendit  au  Parlement  son 
droit  de  remontrances  ;  les  ministres  furent  rem- 
placés par  sept  conseils  dans  lesquels  la  noblesse 
eut  presque  timtes  les  places  :  le  parti  des  ducs 
et  pairs,  conduit  par  Saint-Simon,  et  celui  des  par- 
lementaires, si  humiliés  sous  Louis  XIV,  pre- 
naient leur  revanche.  On  pardonnait  au  régent 
ses  débauches  scandaleuses  et  celles  de  ses  roués 
le  duc  de  Broalie,  Brancas,  Biron,Canillac,  etc.), 
parce  qu'on  était  las  de  l'hypocrisie  officielle  qu'a- 
vait imposée  pendant  trente  ans  le  gouvernement 
de  M""  de  Maintenon. 

Louis  XI'V  av.iit  légué  à  la  France  une  situation 
financière  déplorable  ;  il  fallait  trouver  de  l'ar- 
gent. Le  régent  essaya  de  s'en  procurer  en  faisant 
rendre  gorge  aux  traitants  accusés  de  concussion  : 
une  chambre  de  justice  fut  instituée  à  cet  effet, 
plus  de  quatre  mille  personnes  furent  arrêtées, 
de  rigoureuses  condamnations  furent  prononcées 
(1716)  ;  mais  il  ne  rentra  que  fort  peu  d'argent  au 
trésor.  Philippe  d'Orléans  accepta  alors  l'offre  de 
l'Ecossais  Law,  qui  promettait,  grâce  à  un  nouveau 
système  financier,  de  payer  les  dettes  de  l'Etat. 
Il  l'autorisa  à  créer  une  banque  (171H),  et  bientôt 
après  à  fonder  la  compagnie  des  Indes  occiden- 
tales (1717),  dont  les  actions  furent  avidement 
recherchées  par  le  public.  Mais  le  Parlement 
et  les  grands  seigneurs  virent  de  mauvais  œil 
la  tentative  de  Law,  et  firent  de  l'opposition; 
les  mécontents  se  groupèrent  autour  du  duc  du 
.Maine,  chef  naturel  des  ennemis  du  régent.  Ce- 
lui-ci coupa  court  à  ces  menées  par  un  coup  d'Etat  : 
le  Parlement  se  vit  enlever  de  nouveau  son  droit 
de  remontrances;  un  édit  ôta  au  duc  du  Maine  le 
titre  de  prince  de  sang;  et  les  conseils  de  gouver- 
nement furent  supprimés.  La  banque  de  Law 
fut  alors  déclarée  banque  royale  (17  18),  et  il 
sembla  que  le  succès  définitif  du  c<  système  »  fût 
assuré. 

Cependant,  le  régent  voyait  son  pouvoir  menacé 
par  les  nurigues  du  ministre  espagnol  Alberoni  ■ 
celui-ci  rêvait  do  donner  à  son  maître  Philippe  V, 
petit-fils  de  Louis  XIV,  la  couronne  de  France,  au 
cas  où  le  jeune  Louis  XV  viendrait  à  mourir. 
Pour  se  garantir  contre  le»  projets  de  l'Espagne, 
le  régent   avait  conclu,    par   liutennédiairo    de 


l'abbé  Dubois,  la  quadruple  nlliance  dans  la- 
quelle entrèrent,  avec  la  France,  l'Angleterre,  la 
Hollande  et  l'Autriche  (1717).  Dubois  fut  récom- 
pensé de  ce  service  par  le  portefeuille  des  affaires 
étrangères.  De  son  côté  Alberoni  organisa  en 
France  une  conspiration  dont  l'agent  fut  l'ambas- 
sadeur espagnol  Cellamare,  et  dans  laquelle  entra 
le  duc  du  Maine.  Le  complot  fut  découvert 
(1718),  et  le  régent  déclara  la  guerre  à  l'Espagne., 
Cette  guerre  dura  pou,  et  se  termina  par  la  ruine 
de  tous  les  projets  d'Alberoni  :  Philippe  V  dut 
demander  la  paix  (1720)  et  adhérer  à  la  quadruple 
alliance  (V.  Guerre  de  lu  quadruple  alliance). 
L'abbé  Dubois  voyait  triompher  sa  politique  ; 
la  même  année,  il  fut  nommé  archevêque  de  Cam- 
brai. 

Sur  CBS  entrefaites,  le  système  de  Law  s'était 
écrpulé.  En  1719,  la  compagnie  dos  Indea  occi- 
dentales avait  ajouté  à  ses  privilèges  celui  du 
commerce  des  Indes  orientales  ;  elle  avait  fait  de 
nouvelles  émissions  d'actions,  et  la  valeur  nomi- 
nale de  celles-ci  avait  atteint  vingt  fois  leur  va- 
leur réelle,  à  la  suite  d'un  agiotage  effréné.  Mais 
quelques  spéculateurs  ayant  réalisé  leuis  actions, 
la  panique  s'empara  de  tout  le  monde  ;  les  ac- 
tions baissèrent  rapidement;  en  vain  Law,  nommé 
contrôleur   général,   essaya   d'arrêter    ce    mouve- 

ent  de  réaction  :  la  compagnie  des  Indes  en- 
traîna la  banque  dans  sa  ruine  (1720J,  et  Law 
quitta  la  France  chargé  de  malédictions.  Il  avait 
cepenJant  rendu  un  réel  service  en  enseignant 
le  premier  la  puissance  du  crédit  ;  et  si  ses 
combinaisons  échouèrent,  ce  fut  la  faute  de  ses 
ennemis  et  d'avides  spéculateurs  plus  que  la 
sienne. 

Los  trois  dernières  années  de  la  régence  sont 
le  règne  exclusif  de  l'intrigant  Dubois.  Il  con- 
traint le  Parlement,  alors  exilé  à  Pontoise,  à  en- 
registrer la  bulle  Ûnigeiiitus  (1720),  puis  s'auto- 
ise  de  ce  service  rendu  au  Saint-Siège  pour 
exiger  le  chapeau  de  cardinal,  qui  lui  est  accordé 
par  Innocent  XIII  (1721).  Il  entre  alors  au  conseil 
de  régence,  puis  est  nommé  ministre  principal 
(1722)  :  le  régent  lui  abandonne  tout  le  gouver- 
nement. Pour  acliever  le  scandale  de  la  fortune 
de  celui  que  Philippe  d'Orléans  appelait  lui- 
même  un  «  drôle  »,  l'Académie  française  l'appela 
dans  son  sein,  et  l'assemblée  du  clergé  de  France 
l'élut  son  président. 

En  février  172.3,  Louis  XV  fut  déclaré  majeur: 
il  confirma  Dubois  dans  les  fonctions  de  premier 
ministre  ;  mais  ce  triste  personnage  mourut  six 
mois  après  ;  et  le  duc  d'Orléans,  qui  reprit 
alors  la  direction  des  affaires,  fut  lui-même  em- 
porté par  une  attaque  d'apoplexie  en  décembre 
1723.  —  V.  Louis  XV. 

KËGIONS  AGRICOLES.  —  Agriculture,  I; 
Météorologie,  XIX.  —  On  appelle  rrgiun  açjrivole- 
l'étendue  de  pays  dans  laquelle  on  suit  à  peu 
près  les  mêmes  systèmes  de  culture,  c'est-à-dire 
où  l'on  cultive  les  mêmes  plantes  suivant  les 
mêmes  procédés.  Ses  limites  dépendent  à  la  fois 
du  climat,  du  sol,  et  des  conditions  économiques. 

1»  Cliinal.  —  En  se  fondant  sur  les  quantités  di- 
verses de  chaleur  et  de  lumière  nécessaires  au 
développement  des  diverses  plantes,  le  comte  de 
Gasparin  {Cours  d'agriciUnire,  vol.  II.  p.  3.38)  a 
tracé  sur  une  carte  do  l'Europe  les  limites  des  ré- 
gions où  la  culture  de  quel<|ues-unes  des  plantes 
les  plus  importantes  est  possible,  au  sud  la  région 
des  oliviers,  et,  en  s'avançant  vers  le  nord,  suc- 
cessivement celle  des  vignes,  celle  des  céréales, 
celle  des  herbngi's  et  celle  des  forêts. 

A  hauteur  égale  au-dessus  du  niveau  de  la  mer 
les  limites  de  ces  régions  dépendent  de  la  lati- 
tude, mais  elles  atteignent  des  latitudes  d'autant 
moins  hantes  qu'elles  s'élèvent  davantage  au-des- 
■us  du  niveau  de  la  mer. 


RÉGIONS  AGRICOLES    —  18:24  — 


REGLE  DE  TROIS 


Il  y  a  lieu  d'établir  pour  d'autres  plantes  et  de 
fixer  d'une  manière  plus  précise,  par  des  obser- 
Yitions  plus  complètes,  les  régions  que  le  comte 
de  Gasparin  a  commencé  b.  dessiner  pour  quel- 
ques-unes d'entre  elles  (Voir  la  Géographie  bola-  i 
«ïçue  d'A.  de  t'.andoUe).  | 

Il  y  a  lieu  également  de  tenir  compte  de  la, 
quantité  de  pluie  et  de  sa  répartition  dans  les  di-  j 
vers  mois  de  l'année.  | 

2°  Sol.  —  Suivant  que  le  sol  est  plus   ou  moins 
perméable  ou  compacte  et  humide,  suivant  qu'il 
est  plus  ou  moins  calcaire,  c'est-à-diro   suivant  i 
ses  propriétés  pliysiciues    et  sa  composition  clii-  ! 
mlque,  telle  culture  est  plus  ou  moins  profitable. 
Le»  productions  des  terrains  granitiques,  comme 
ceux  du  Morvan  et  du  plateau  central,  ne  ressem-  ! 
blent  ni  à  celles  des  collines  calcaires  de  la  Bour- 
gogne, ni  à  celles  des  montagnes  du  Jura,  même  I 
si  toutes   les   conditions   de  climat  sont  égales 
d'ailleurs. 

En  France,  les  régions  agricoles  et,  comme  l'ont 
remarqué  MM.  Elle   de   Beaumont  et  Dufrénoy, 
dans  leur  belle  Introduction  à  la  carte  géologique 
de  la   France,  la  plupart  des  anciennes  dénomi- 
nations ou   divisions  naturelles   du    territoire,  la 
Beauce,  la  Brie,    le  pays   de  Caux,  la  plaine  de  ; 
Caen,  la  Champagne  pouilleuse,  etc.,  et  dans  le' 
sud,  les    Causses,  le  Quercy,  la  Crau,  etc.,  coin- : 
cident  d'une  manière  frappante  avec  les   forma- 
tions géologiques. 

3°  Conditions  écotwmigues.  — .La  distance  des 
grandes  villes  et  les  moyens  de  transport  pour  y  j 
conduire  les  produits  delà  culture  exercent  éga- 
lement une  grande  influence  sur  les  systèmes  de  | 
culture  et  modifient  ainsi  jusqu'à  un  certain  point  ' 
les  causes  naturelles  qui  ont  délimité  les  régions  j 
agricoles.  Mais  ordinairement  la  situation  des 
grands  centres  de  population  et  le  parcours  des 
fleuves  ou  rivières  navigables  dépendent  eux- 
mêmes  du  relief  et  de  la  structure  géologique  de 
la  contrée. 

D'un  autre  côté,  la  densité  de  la  population 
agricole,  son  groupement  en  villages  ou  sa  disper- 
sion en  fermes  isolées,  le  morcellement  de  la 
propriété,  les  habitudes  de  fermage  ou  de  mé- 
tayage, toutes  les  mœurs  rurales  sont  influencées  ' 
par  les  causes  physiques,  mais  elles  ont  été  pro-  ; 
fondement  modifiées  par  des  causes  politiques  et 
sociales. 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  les  régions 
agricoles  ont  beaucoup  de  rapport  avec  les  an- 
ciennes divisions  de  la  France  en  provinces,  etc., 
mais  elles  n'en  ont  que  fort  peu  avec  sa  division 
actuelle  en  départements  et  arrundissements. 

Pour  établir  les  circonscriptions  de  ses  inspec- 
teurs généraux,  des  concours  auxquels  ils  sont 
chargés  de  présider,  etc.,  l'administration  de  l'a- 
griculture a  été  obligée  de  se  fonder  sur  la  division 
en  départements,  mais  elle  a  réuni  en  douze  ;-e- 
gions  qu'elle  appelle  régions  oyricotes  les  dé- 
partements les  plus  voisins  et,  par  suite,  ceux  qui 
ont  le  plus  d'analogie  comme  climat. 

La  première  région,  celle  du  Nord-Ouest,  com- 
prend les  départements  du  Calvados,  de  la  Seine- 
Inférieure,  d'Eure-et-Loir,  Eure,  Sarthe,  Orne  et 
Manche. 

La  deuxième,  celle  de  l'Ouest,  les  départements 
du  Morbihan,  Finistère,  Maine-et-Loire,  Mayenne, 
lUe-et-Vilaine,  Côtes-du-Nord  et  Loire-Inférieure. 
La  troisième,  celle  du  Nord  :  Somn)e,  Pas-de- 
Calais,  Oise,  Nord,  Seine-et-Marne,  Seine-et-Oise 
et  Aisne. 

La   quatrième,    celle  du  Centre  :  Loir-et-Cher, 

Loiret,  Allier,  Cher,  Nièvre,  Indre-et-Loire,  Indre. 

La   cinquième,   du    Nord-Est  :    Aube,    Marne, 

Meurthe-et-Moselle,  Ardeunes,  Meuse,  Vosges  et 

Haute -Marne. 


La  sixième,  de  l'Est  :  Ain,  Jura,  Haute-Saône, 
Côte-d'Or,  Doubs,  Saône-et-Loire  et  Yonne. 

La  septième,  Ouest-Central  :  Charente-Infé- 
rieure, Gironde,  Charente,  Haute-Vienne,  Vienne, 
Dordogne,  Vendée  et  Deux-Sèvres. 

La  huitième,  Sud-Ouest:  Ariège,  Hautes-Pyré- 
nées, Lot-et-Garonne,  Gars,  Basses-Pyrénées  et 
Landes. 

La  neuvième  ,  Sud-Central  :  Cantal,  Aveyron, 
Tarn-et-Garonne,  Creuse,  Corrèze,  Lot,  et  Tarn. 

La  dixième,  Est-Central  :  Lozère,  Haute-Loire, 
Rhône,  Puy-de-Dôme,  Loiret  et  Ardèche. 

La  onzième.  Sud  :  Alpes-Maritimes,  Aude,  Hé- 
rault, Bouches-dtl-Rhône,  Pyrénées-Orientales, 
Gard  et  Var. 

La  douzième,  Sud-Est:  Basses-Alpes,  Hautes- 
Alpes,  Drôme,  Savoie,  Isère,  Haute-Savoie  et 
Vaucluse.  [E.  Risler.] 

nÈGLE  DE  TROIS.  —  Arithmétique,  XL  et 
XLI.  —  I .  —  Si  deux  grandeurs  variables  et  dépen- 
dant l'une  de  l'autre  sont  telles  que,  lorsque  l'une 
d'elles  devient  2,  3,  4,...  fois  plus  grande  ou  plus 
petite,  l'autre  devient  en  même  temps  2,  3,  4,... 
fois  plus  grande  ou  plus  petite,  on  dit  que  ces 
grandeurs  sont  proportionnelles  ou  qu'elles  va- 
rient datis  le  même  rapport.  Ex.  :  le  prix  d'une 
étoffe  déterminée  est  proportionnel  à  sa  longueur; 
sur  un  chemin  de  fer,  le  prix  des  places,  dans 
une  classe  déterminée,  est  proportionnel  à  la  dis- 
tance parcourue,  etc. 

Si  deux  grandeurs  variables  et  dépendant  l'une 
de  l'autre  sont  telles  que,  lorsque  l'une  devient 
2,  3,  4,...  fois  plus  grande,  l'autre  devient  en 
même  temps  2,  3,  4,...  fois  plus  petite,  on  dit  que 
ces  grandeurs  sont  ii. versement  proporliomielles, 
ou  qu'elles  varient  en  raison  i„verse  l'une  de 
l'autre.  Ex.  :  le  temps  que  met  un  train  de  chemin 
de  fer  à  parcourir  un  espace  déterminé  est  inver- 
sement proportionnel  i  la  vitesse  du  train-,  la 
longueur  de  la  toile  qu'on  peut  fabriquer  avec  un 
poids  déterminé  de  fil  est  inversement  proportion- 
nelle i  la  largeur  de  cette  toile,  etc. 

Lorsqu'une  grandeur  A  dépend  de  plusieurs 
autres  B,C,  D,...  on  dit  qu'elle  est  proportionncUo 
à  la  fois  aux  grandeurs  B,C,  D,..si  elle  est  propor- 
tionnelle à  chacune  d'elles  séparément,  quand 
toutes  les  autres  demeurent  constantes.  Ainsi, 
supposons  que,  C,D,..  gardant  les  mêmes  valeurs, 
A  varie  dans  le  même  rapport  que  B;  que  B,D, 
restant  constantes,  A  varie  dans  le  même  rapport 
que  C  ;  et  de  môme  pour  les  autres;  on  dit  que 
la  grandeur  A  est  proportionnelle  à  la  fois  à  toutes 
les  grandeurs  B,  CD...  Ex.  :  le  poids  d'une  pierre 
de  taille  rectangulaire  est  proportionnel  à  la  fois 
à  sa  longuetir,  h  sa  largeur,  i  son  épaisseur  et 
à  sa  densité;  le  prix  de  transport  des  marchan- 
dises sur  un  chemin  de  fer  est  proportionnel  à  la 
fois  au  poids  de  ces  marchandises  et  à  la  longueur 
du  trajet. 

Une  grandeur  A,  qui  dépend  de  plusieurs 
autres,  est  inversement  proportionnelle  à  la  fois 
à  toutes  ces  grandeurs,  lorsqu'elle  est  inverse- 
ment proportionnelle  à  chacune  d'elles  prise  sé- 
parément quand  les  autres  restent  constantes. 

Enfin,  une  grandeur  A  peut  être  directement 
proportionnelle  h.  plusieurs  grandeurs  et  inverse- 
ment proportionnelle  à  d'autres.  Ainsi  le  nombre 
des  moellons  rectangulaires  nécessaires  pour 
construire  un  massif  de  maçonnerie  également 
rectangulaire  est  proportionnel  à  la  longueur,  à 
la  largeur  et  à  la  hauteur  du  massif;  et  il  est  en 
même  temps  inversement  proportionnel  à  la  lon- 
gueur, à  la  largeur  et  à  l'épaisseur  des  moellons, 
supposés  tous  pareils. 

On  appelle  règle  de  trois  un  problème  qui  a 
pour  but,  étant  ùonnées  les  valeurs  correupondim- 
tes  de  plusieurs  grandeurs  directemcnl  ou  inverse- 
ment proportionnelles,  de  trouver  ce  qui  devient 


REGLE  DE  TROIS 


—  1825  —        RÈGLE  DE  TROIS 


l'ime  d'elles  quand  toutes  les  autres  re^'oivent  des 
valeurs  nouvcllrs. 

La  règle  de  trois  est  dite  simple,  quand  on  n'y 
considère  que  deux  grandeurs  directement  ou  in- 
versement proportionnelles  ;  composée,  quand  il  y 
en  a  plus  do  deux. 

Une  règle  de  trois  simple  est  directe  ou  inverse, 
suivant  que  les  deux  grandeurs  qu'on  y  considère 
sont  directement  ou  inversement  proportionnelles. 

11  existe  deux  métliodcs  pour  résoudre  les  rè- 
gles de  trois,  la  millwde  de  réduction  à  l'unité 
et  la  méthode  des  proportions  ;  nous  allons  les 
exposer  toutes  les  deux  et  les  appliquer  successi- 
vement à  la  résolution  des  règles  de  trois  simples, 
directes  ou  inverses,  et  des  règles  de  tro!"  com- 
posées. 

2.  Méthode  de  réduction  à  l'unité.  —  RÈGLE 
DE  TKOiS  SIMPLE  iiiiiECTE.  —  Une  loconiotive  a  mis 
5  heures  pour  parcourir  180  kilomètres;  quel 
chemin  fera-t-elle  en  'J  heures  ? 

Ce  problème  est  une  règle  de  trois  simple  di- 
recte ;  car  les  doux  grandeurs  qu'on  y  considère, 
la  longueur  du  chemin  parcouru  et  le  temps  eip- 
ployé  h  le  parcourir,  sont  directement  propor- 
tionnelles. 

Holutton.  —  Si  la  locomotive  parcourt  180  kilo- 
mètres en  5  heures,  en  l    heure  elle  fora  5  fois 

moins  de  chemin,  c  est-i-dire : — 

Si  la  locomotive  parcourt,  en  1  heure,  ~ ,  en 

9  heures   elle  accomplira  un    trajet   9  fois  plus 

ISO  •""  X  9 
grand,  c'est-à-dire  p ;  tel  est  le  résultat 

cherché. 

Il  est  commode  d'inscrire  dans  un  tableau  .\ 
deux  colonnes  les  valeurs  successives  des  deux 
grandeurs,  en  plaçant  sur  une  munie  ligne  les 
valeurs  correspondanies.  Les  deux  premières  li- 
gnes du  tableau  contiennent  les  nombres  de  l'é- 
noncé ;  les  suivantes  renferment  les  v.Tlcurs  que 
le  raisonnement  conduit  ii  donner  aux  deux  gran- 
deurs. Enfin  on  a  coutume  de  désigner  l'inconnue 
du  problème  par  x.  Voici  ce  tableau  : 


Durée  (lu  Ir^jcl. 

9 


'  (lu  trajet. 


Pour  calculer  la  valeur  de  l'inconnue,  il  faut, 
avant  de  faire  les  opérations  indiquées,  simplifier 
autant  que  possible  la  fraction,  en  supprimant  les 
facteurs  communs  au  numérateur  et  au  dénomi- 
nateur. On  a  ainsi: 


'X9 


=  30''°  X  9  =  3-2  i  kilom. 


Remarque.  —  La  valeur  de  x  peut  s'écrire  : 

9 
a;=180"»Xr; 

si  l'on  compare  cette  valeur  à  l'énoncé  du  pro- 
blème, on  arrive  h  la  règle  suivante  : 

Pour  avoir  l'ineo'inue  d'une  régie  de  trois  sim- 
ple directe,  on  multiplie  la  valeur  donnée  de  la 
grandeur  de  même  espèce  que  l'inconnue  par  le 
rapport  de  la  nouvelle  vuleur  de  l'autre  nrandetir 
a  l  ancienne. 

RÈGLE  DE  TROIS  SIMPLE  INVERSE.  —  Une  fontaine 
qui  donna  10  litres  d'eau  par  seconde  a  mis  'M  mi- 
nutes 1  remplir  un  réservoir;  combien  faudra-t-il 
2°  Partie. 


de  temps  pour  remplir  le  même  réservoir  à  une 
autre  fontaine  dont  le  débit  est  de  21  litres  par 
seconde? 

Ce  problème  est  bien  une  règle  de  trois  simple 
inverse  ;  car  les  deux  grandeurs  qu'on  y  considère, 
le  débit  de  la  fontaine  et  le  temps  qu'elle  met  à 
remplir  le  bassin,  sont  inversement  proportion- 
nelles. 

Holidion.  —  Puisqu'une  fontaine  donnant  10  li- 
tres par  seconde  met  5G  minutes  h  remplir  le  ré- 
servoir, une  fontaine  donnant  1  litre  par  seconde 
mettrait  10  fois  plus  de  temps  à  remplir  le  même 
réservoir,  c'est-à-dire  .'>fi"""X10. 

SI  une  fontaine  donnant  1  litre  d'eau  par  se- 
conde met  ,56°""  X  10  pour  r:inplirle  réservoir, 
une  autre  fontaine  donnant  21  litres  à  la  seconde 
mettra  21  fois  moins  de  temps  à  remplir  le  même 

.^  hG""'  X  10 
réservoir,  soit — 

L'énoncé  et  les  raisonnements  sont  résumés 
dans  le  tableau  suivant,  analoi,'ae  à  celui  que  nous 
avons  formé  pour  la  règle  de  trois  simple  directe  : 


10  lit. 
21 


66  min. 


56  X  10 
50  X  10 


Eu  faisant  les.  calculs,  on  a  : 

56mm  X  10       8-i«  X  10      „_,,,. 
x  =  — 2j =  —^—  =  26.0. 

Remarque.  —  La  valeur  de  x  peut  s'écrire  : 

10 
a;  =  50"""  X—) 

ce  qui  conduit  à  la  règle  suivante  : 

Pincr  avoir  l'inconnue  d'une  règle  de  trois  sim- 
ple inverse,  on  multiplie  la  valeur  donnée  de  ta 
grandeur  de  même  espèce  que  l'inconnue  par  le 
rapport  de  l'ancienne  valeur  de  l'autre  grandeur 
à  l<i  nouvelle. 

Règle  de  trois  composée.  —  Une  pierre  de 
taille  rectangulaire  de  2'", 50  de  longueur,  1»,20 
de  largeur  et  O^.eO  de  hauteur  pèse  4140  kilo- 
grammes; quelle  est  la  longueur  d'une  autre 
pierre  de  la  même  espèce  ayant  l'°,15  de  largeur, 
0"',';2  de  hauteur  et  pesant  36i5  kilogrammes? 

Ce  problème  est  une  règle  de  trois  composée; 
car  les  quatre  grandeurs  qu'on  y  considère  sont 
directement  ou  inversement  proportionnelles  les 
unes  aux  autres.  En  particulier,  la  longueur  de  la 
pierre  est  proportionnelle  à  son  poids;  mais  elle 
varie  en  raison  inverse  de  la  largeur  et  de  l'épais- 

La  résolution  de  cette  règle  de  trois  composée 
se  ramène  à,  la  résolution  de  plusieurs  règles  de 
trois  simples  que  nous  allons  traiter  successive- 
mont.  ,  ,      , 

Première  règle  de  trois  simpl-.  —  La  largeur 
d'une  pierre  est  égale  à  1»>,'20  et  a  hauteurs 
(,"'  c.O;  sa  longueur  est  de  2°',50  et  ello  pèse  4140 
kilogrammes;  la  largeur  et  la  hauteur  ne  chan- 
Z<;:\nt  pas,  quelle  sera  la  longueur,  si  le  poids 
devient  ;!G45  kilogrammes? 

Si  le  poids,  qui  est  de  4liO  kilog.,  se  réduisait 
à  1  kilog,,  la  longueur  serait  4 140  fois  plus  petite, 

c'est-à-dire  ^^^-  Si,  au  lieu  do  1  kilog.,  le  poids 
est  de  3645  kilog,,  la  longueur  sera  ;i6'i5  fois  plus 
grande,  ou  : 

2°',50x3645      „,„ -os.  ""''''^ 

ïm •"'^'^41iO- 

1  !H 


RÈGLE  DE  TROIS         -1826-         REGLE  DE  TROIS 


Deuxii'iu':  ré(//e  de  trois  simple.  —  Une  pierre 
qui  a  I^.ÎO  de  largeur  et  (l"i,60  de  hauteur  et  qui 
pèse  36-ij  Icilog.,  a  une  longueur  égale  h  2",â()X 

^— ^;  quelle  sera  la  longueur  d'une  autre  pierre 

4140' 

de  la  môme  espèce  ayant    a  même  hauteur  et  le 

même  poids,  mais  ayant  l'",\b  de  largeur? 

Si,  au  lieu  de  l^.aO,  la  pierre  n'avait  que  0",01 
de  largeur,  la  longueur  devrait  être  120  fois  plus 
grande  pour  que  le  poids  restât  le  même  ;  cette 

longueur  serait  donc  2°,50  X  ^j^  X  120.  Si,  au 

lieu  de  0°,0I,  la  pierre  a  1°>,15  de  largeur,  sa  lon- 
gueur devra  être  115  fois  moindre  pour  que  le 
poids  ne  change  pas;  cette  longueur  sera  donc  : 

„      3645      120 
*    '^"^4140      115 

Truisième  règle  de  trois  simple.  —  Une  pierre 
de  I'°,15  de  largeur,  de  0",60  de  liauteur,  et  qui 
pèse  ai;45  kilog.,  a  une  longueur  égale  à  2'", 50  x 

Ê£lii  V  —  •  quelle  sera  la  longueur  d'une  autre 

pierre  de  même  largeur  et  de  même  poids,  mais 
dont  la  hauteur  est  égale  h  0",72  ? 

Si,  au  lieu  de  O-n.eu,  la  pierre  n'avait  que  O^.Ol 
de  hauteur,  sa  longueur  devrait  être  60  fois  plus 
grande,  c'est-à-dire  2",50  X  |j^X  j^  xGO.En- 

fin,  si,  au  lieu  de  0",01,  la  pierre  a  0"',72  de  hau- 
teur, il  faudra,  pour  que  le  poids  ne  change  pas, 
que  la  longueur  devienne  72  fois  plus  petite  ;  elle 
sera  donc  : 

3G4Ô       120^^60 
2»>ôOX5^oX-X^- 

Telle  est  la  valeur  do  l'inconnue.  Voici  mainte- 
nant le  tableau  de  l'énoncé  et  des  raisonnements  : 


",50 


Largeur. 
lm,20 

Hauteur. 
«"■,60 
0    ,72 

1    ,20 

0    ,G0 

1    ,20 

0    ,C0 

0    ,01 

0    ,60 

1    ,15 

0    ,60 

1     ,15 

0    0,1 

1     ,15 

0    ,72 

2  ,5  11 
ïïïi) 
.36 .15 
SHO 

.-^64; 

4140' 
3045, 


2,50  X^ 

2,50X^X120 
120 


„     „       3043         20 

.*i645       fO 
2,50Xtt77^X— -.  XGO 
4140       llo 
3615       120       60 
•^'^«X4Ïr«>^Tr5^72  = 


En  simplifiant  autant  que  possible  cette  valeur 
de  l'inconnue,  on  trouve  : 

2'°.50x3G45X120X60_2°,5OX  405x24x5 
^^        4140X115X72        ~        400X23X0 

2°>,50xSlX.ÎX5      2"',5nx81x5       10I2™,50 


5;a 


92X23  2JX23 

=  1°',91, 

àO",01  prés  par  défaut. 

Remarque.   —  Heprenons    la    valeur    de    l'in- 
connue : 

„     ,„      3i:4S       120      60 
^  =  2'°.^0X4Î4Ô^rT5><-2' 

et  comparons  cette  valeur  h  l'énoncé,  on  remar- 


quant que  la  longueur  est  directement  propor- 
tionnfUe  au  poids  et  inverscm-nt  proportionnelle 
h  la  largeur  et  à  la  hauteur;  nous  arrivons  à  la 
règle  suivante,  qui  est  d'ailleurs  une  conséquence 
de  celles  que  nous  avons  établies  plus  haut  pour 
les  règles  de  trois  simples  : 

Pour  "voir  l'inconnue  d'une  règle  de  trois  compo- 
sée, on  mtiUiplie  la  valeur  donnée  de  La  grandeur 
(le  même  espèce  que  l'inconnue  par  /es  rapports 
de<  nouvelles  valeurs  aux  anciennes  potcr  les  gran- 
deurs qui  lui  sont  directeo.ent  proportionnelles, 
et  par  les  rapports  des  anciennes  valeurs  aux 
nouvelles  pour  les  grondeurs  inversement  propor- 
tionnelles à  ta  grandeur  inconnue. 

1°  Méthode  des  proportions.  —  J'établirai  d'a- 
bord di'ux  principes.  . 

1"  Lorsque  deux  grandeurs  sont  proportionnelles, 
le  rapport  de  deux  valeurs  quelconques  de  la 
première  est  égal  au  rapport  des  valeurs  corres- 
pondanti'S  de  la  seconde. 

Soient  A  et  B  deux  grandeurs  proportionnelles, 
c'est-î-dire  telles  que," si  l'on  donne  à  la  première 

une   valeur    double,  triple,  quadruple de  la 

valeur  qu'elle  avait  d' abord,  la  valeur  primitive 
de  la  seconde  devienne  en  même  temps  double 

triple,   quadruple Donnons  à  la  grandeur  A 

deux  valeurs  successives  dont  le  rapport  soit  une 
fraction  quelconque,  et  supposons,  par  exemple, 
que  le  rapport  de  la  seconde  de  ces  valeurs  à  la 
première  soit|;  je  dis  que  le  rapport  des  valeurs 

correspondantes  de  B  est  aussi  égal  à--  En  ef- 
fet, pour  passer  de  la  première  valeur  de  A 
à  la  seconde,  on  peut  concevoir  qu  on  prenne 
d'abord  le  quart  de  la  première  valeur  de  A,  et 
qu'on  répète  ensuite  ce  quart  trois  fois.  Or,  quand 
on  rend  quatre  fois  plus  petite  la  valeur  primi- 
tive de  A,  la  valeur  corres]>ondante  de  b  devient 
aussi  le  quart  de  la  valeur  primitive  de  13  :  et  si 
l'on  triple  ensuite  la  nouvelle  valeur  de  A,  la  valeur 
de  B  devient  en  même  temps  trois  fois  plus 
grande  qu'elle  n'était  auparavant,  rinalement, 
pour  avoir  la  seconde  valeur  de  B,  il  faudra  pren- 
dre le  quart  de  la  première  et  le  répeter  trois  fois  ; 
donc  le  rapport  de  la  seconde  valeur  de  B  a  la 
première  sera  |,  c'est-à-dire  le  même  que  le  rap- 
port de  la  seconde  valeur   de  A  à  la  première; 

'"  1^°'  Lorsque  deux  grandeurs  sotit  inversement 
proporlionnelles,  le  rapport  de  deux  valeurs  quel- 
conques  de  la  première  est  inverse  dn  rapport  des 
valeurs  correspondantes  de  la  seconde. 

Soient  A  et  B  deux  grandeurs  i"ye''senifnt  f»- 
portionnclh-s,  et  supposons  Q'i ''°,d''""e  à  A  deux 
valeurs  telles  que  le  rapport  de  la  seconde  à  la 
première  soit  |;  je  dis  que  le  rapport  des  va- 
leurs  correspondantes  de  B  est  l'inverse  de  -  , 
c'est-à-dire  |-  En  effet,  pour  passer  de  la  première 
valeur  de  -V  à  la  seconde,  on  peut  prendre  d'a- 
bord [e  quart  de  cette  première  va'^^F-  f^  ™P«^^ 
ensuite  trois  fois  ce  quart.  Mais,  'i^f"^;>^:"'\2''„\. 
tre  fois  plus  petite  la  première  valeur  de  A,  la  va 
leur  correspondante  de  B  devient  quatre  fois  plus 
grande  qu'elle  n'était  primitivement;  pus  quand 
m  triple  cette  nouvelle  valeur  de  A  la  \aleur 
correspondante  de  B  devient  trois  fois  moindre^ 
Donc  pour  avoir  la  seconde  va  eur  dÇ  «;  "  f;'"^^^J 
multiplier  la  première  par  4  et  diviser  le  produit 
par  3;  cette  seconde  valeur  sera  donc  les  -delà 


première  ;  c.  q.  f.  d. 


RÈGLE  DE  TROIS         —  1«27  —       RP:GNES  (LES   TROIS) 


Nous  allons  maintenant  appliquer  aux  exemples 
déjà  tiMités  par  la  réduction  à  l'unité  la  méthode 
des  proportions. 

IIÉGLE   IIE  TUOIS    SIMPLE  TlinECTE.  —  UnO   loCOmO- 

tivc  a   mis  5    heures   pour  parcourir  180  kilom.  ; 
quoi  chemin  fera-t-ello  en  9  heures? 

Soit  .r  l'inconnue  :  d'après  le  premier  principe, 
le  rapport  des  doux  valeurs  du  temps  est  égal  au 
rapport  des  vahnirs  correspondantes  du  clieniin 
parcouru.  On  a  donc  la  proportion  : 


5:9  =  18 


;  a;,- 


d'où  l'on  tire,  pur  une  propriété  connue  (V.  Propoi- 
tions)  : 

1811x9 


RÈGLE  DE  mois  SIMPLE  INVERSE.  —  Une  fontaine 
qui  donne  10  litres  d'eau  par  seconde  a  mis  5G 
minutes  U  remplir  un  réservoir;  combien  faudra- 
t-il  de  temps  pour  remplir  le  môme  réservoir  à 
une  autre  fontaine  dont  le  débit  est  de  21  litres 
par  seconde  ? 

Soit  X  l'inconnue;  d'après  le  deuxième  prin- 
cipe, le  rapport  des  temps  employés  à  remplir  le 
réservoir  est  égal  au  rapport  inverse  des  débits 
des  deux  fontaines.  On  a  donc  la  proportion  : 


d'où  l'on  tire 


21  :  10  =  56  :a;, 

,_  56x10 

^~      21      ' 


RÈGLE  DE  Tnois  COMPOSÉE.  —  Une  pierre  de  taille 
rectangulaire  de  2'",5U  de  longueur,  l">,20  de  lar- 
geur tt  0'",60  de  hauteur  pèse  'lUO  kilog.  ;  quelle 
est  la  longueur  d  une  autre  pierro  de  la  même 
espèce  ayant  1°',!»  de  largeur,  o°',72de  hauteur  et 
pesant  3645  kilogrammes  ? 

Désignons  enciire  l'inconnue  par  x.  Pour  résou- 
dre cette  règle  de  trois  composée,  nous  la  décom- 
poserons en  plusieurs  règles  de  trois  simples. 

Pienuere  rèijle  de  trois  simple.  —  Laissons  à 
la  largeur  et  i.  la  hauteur  de  la  pierre  leurs  va- 
leurs primitives,  et  supposons  que  le  poids,  qui 
était  de  4140  kilog.,  devienne  égal  h.  3645  kilog.  ; 
la  longueur  primitive  étant  2'",50,  quelle  sera  sa 
nouvelle  valeur  ? 

Nous  avons  là  une  règle  de  trois  simple  di- 
recte ;  en  désignant  l'inconnue  part/,  nous  aurons 
la  proportion  : 

4140:3.'i45  =  ?,50:y. 

Deuxième  règle  de  trois  simple.  —  Supposons 
maintenant  que  la  largeur  de  la  pierre,  d'abord 
égale  à  li",20,  devienne  égale  à  1",  15,  la  hauteur 
restant  égale  à  0'°,6!i  et  le  poids  à  3645  kilog.  ;  la 
longueur,  d'abord  égale  à  y,  prendra  une  nou- 
velle Valeur  que  nous  désignerons  par  z,  et  qu'il 
faut  déterminer. 

La  règle  de  trois  étant  inverse,  nous  aurons  la 
proportion  : 

1,15;  1,20  =  ^:--. 

Troisième  règle  de  trois  simple.  —  La  largeur 
de  la  pierre  étantégaleàlni,15,  son  poids  à  3645  ki- 
log., sa  hauteur  à  0'",6ii  et  sa  longueur  à  z,  on 
demande  ce  que  deviendra  la  longueur,  si  la  hau- 
teur devient  égale  à  0'n,72,  la  largeur  et  le  poids 
restant  les  mêmes. 

C'est  encore  une  règle  de  trois  simple  inverse, 
dont  l'inconnue  n'est  autre  qun  l'inconnue  x 
de  la  règle  de  trois  composée.  On  aura  donc  la 
proportion  : 

0,7  2 :  0,00  =  z:x. 

Si  nous  multiplions  terme  à  term  ■  ces  trois 
proportions,  nous  aurons  encore  une  proportion  : 


4140x1, 15x0,72  :  3645  Xl,20xO,00=?,50î/::2/:x,- 

on  peut  diviser  les  deux  termes  du  second  rapport 
par  î/z{V.  liapport),  et  il  vient  : 

4 140  X  1 ,  15  X  0,72  :  3645  X  1 ,20  X  0,60  =  2.50  :  x; 

d'où  l'on  tire  : 

2..'iOx  3645x1.20x0.60 

^~        4140X1,15X0,72 

lirmarque.  —  La  résolution  des  règles  de  trois 
par  les  proportions  n'offre  aucun  avantage  sur  la 
méthode  de  réduction  à  l'unilé.  A  la  vérité,  les 
raisonnements  auxquels  conduit  cette  méthode 
sont  un  peu  lojigs  ;  mais  la  marche  est  sûre,  et  les 
erreurs  presque  impossibles.  On  peut  d'ailleurs 
abréger  considérablement  la  résolution  des  règles 
de  trois,  sans  employer  les  proportions;  il  suffit 
d'appliquer  les  deux  principes  démontrés  au  com- 
mencement de  ce  paragraphe.  Reprenons  les  deux 
règles  de  trois  simples  précédemment  traitées  et 
dont  nous  ne  reproduisons  pas  les  énoncés. 

Dans  la  première,  qui  est  directe,  nous  raison- 
nerons ainsi  qu'il  suit.  La  durée  du  second  trajet 

9 
est  les  r  de  la  durée  du  premier  ;  donc  l'espace 

9 
parcouru    dans   le   second  cas  est  les  -    de  l'es- 
pace parcouru  dans  le  premier,  il  est  donc  égal  k 

g 
180'"  Xt-  ;  c'est  la  valeur  de  l'inconnue. 

5 

Passons  à  la  règle  inverse.  Le  débit  de  la  se- 
conde fontaine  est  les  —  du  débit  de  la  seconde  ; 

donc,   en  vertu   du  deuxième  principe,  le  temps 
que   la   seconde   met  à  remplir   le    réservoir  est 

les  —   du  temps  que  met  la  première.  La  valeur 

de  l'inconnue  est  donc  58°"°  X  5-7- 

ExEnr.rcES.  —  1.  On  n  pw/i}  350  freines  pour 
fair-e  creuser  un  fossé  i/e  410  mètres  de  longueur  ; 
combien  pniern-t-on  po'ir  un  fossé  d''  même  lar- 
geur, de  même  profondeur  et  dont  la  longueur  est 
de  hn  mètres?  (Rép.  450',73.) 

7.  —  On  a  payé  4.'i0  fanes  pour  36  mètres  de 
drap;  eombien  cotiteront  117  viétres  de  la  même 
étoffe?  (Rép.    13(i5  fr.) 

3.  —  On  a  tissé  9r>  mètres  de  toile  nyani  1".20 
de  largeur  avec  une  certaine  quantilé  d-J  fil;  si  la 
toile  n'avait  eu  que  0".80  de  largeur,  quelle  eût 
été  la  longueur  de  la  pièce?  (Rép.  144  m.) 

4.  —  Un  train  de  chemin  de  fer  qui  fait  45  ki- 
lomètres à  l'àenre  met  7  heures  à  parcourir  une 
certaine  dislance;  combien  de  temps  mettra  un 
autre  train  qui  7ie  fait  que  38  kilomètres  à  l'heu- 
re ?   (Rép.  8''n'°2-2*.; 

5.  —  Les  dimensions  d'une  barre  sont  :  lon- 
gu'Ur,3'',6;  largeur,  ni", 06;  épaisseur,  0"',02  ;  son 
poids  est  67'', 5.  Combien  pèserait  une  barre  du 
même  métal,  longue  d-  l",50,  large  de  0'°,048 
et  qui  anrait  0",03i;  d'épaisseur  ?  (Rép.    4(i's,5.) 

6.  —  Une  colonne  de  mercure  d'ime  hauteur  de 
56  centimètres  exerce  nne  pression  de  i'^',^^  sur  le 
fond  d'un  vnse,  fon'<  qui  a  une  superficie  de 
2i^<i,6.  Quelle  serait  la  hauteur  d'une  colonne 
d'huile  qui  exercernit  une  press'wi  de  l''',5  sur 
une  surface  de  3=1,5?  La  densité  du  mercure  est 
13,596  et  celle  de  l  huile  est  0,915  (Rép.  4'»,683;. 

fH.  Bos.] 
RÈG!VES(les  trois).  —  Minéralogie,  I  ;  Botani- 
que. I;  Zoologie,  I.  -^  Le  besoin  d'une  classifica- 
tion  s'est  fait  sentir  dès  que  l'Iiomme  a  abordé 
l'étude  do  la  nature.  .Vristote  le  pronier  se  mit 


RÈGNES  (LES   TROIS) 


1828  —        RÈGNES  (LES  TROIS) 


aux  prises  avec  cette  œuvre  gigantesque,  cliimc- 
rique  et  nécessaire  à  la  fois  :  distribuer  les  ôtres 
crées  selon  un  système  rationnel  ;  et  il  fît  pour 
tous  les  corps  qui  existent  deux  grandes  catégo- 
lies,  mettant  dans  l'une  les  corps  viinnts  ou  or- 
ganisés; dans  l'autre,  les  corps  bruts  ou  sa)is  vie. 
Bien  des  siècles  après,  on  revint  à  cette  idée 
d'une  classification  naturelle;  Linné  distingua, 
parmi  les  corps  vivants,  les  végétaux  et  les  ayii- 
manx,  et  réunit  tous  les  corps  bruts  sous  le  nom 
de  minéraux  :  de  là,  les  Trois  régnes. 


le  nom  bien  expressif  do  caméléon  organo-mi- 
néral. 

En  second  lieu,  les  rognons  de  silex  naissent 
et  s'accroissent  souvent  en  couches  concentriques 
comme  certaines  colonies  de  spongiaires  et  de 
polypiers,  de  façon  à  englober  les  substances 
situées  dans  leur  voisinage,  telles  que  des  débris 
de  coquilles  fossiles. 

Enfin,  ils  sont  susceptibles  de  mourir  :  séparés 
de  leur  gangue  crayeusOj  ou  soumis  à  des  actions 
variées,    ils  perdent  leurs    éléments    organiques 


Ces  mots    paraissent   au  premier  abord  expri-    et  hydratés.  Transformés  alors  en  silex  nectiques 
mer  une  distinction   ayant  une  base    réelle  dans    loin  de  pouvoir^  comme  à  l'état  normal,  faire  feu 


la  nature;  car  les  animaux  vivent,  se  déplacent, 
sentent  et  veulent  ;  les  végétaux  vivent,  sont  im- 
mobiles, ne  sentent  pas,  ne  veulent  pas  ;  les  mi- 
néraux ne  vivent  pas. 

La  distinction  est  évidente  quand  on  choisit 
bien  ses  exemples;  et  le  cheval,  le  chêne,  le 
granit  s'en  arrangent  fort  bien. 

Mais  en  demandant  à  chacun  des  mots  de  ces 
définitions  ce  qu'ils  signifient,  et  comment  ils 
s'appliquent  il  quelques  animaux,  à  quelques 
végétaux,  et  même  à  quelques  minéraux,  on  verra 
qu'il  est  bon  de  ne  pas  les  admettre  sans  res- 
triction. 

Les  animaux  et  les  végétaux  vivent,  les  miné- 
raux ne  vivent  pas  :  ia  vie,  voilà  donc  le  fait  qui 
réunit  les  deux  premiers  règnes,  en  les  séparant 
du  dernier.  Mais  cette  expression,  la  vie,  n'a  pas 
ici  le  sens  étendu  qu'on  lui  accorde  généralement. 


au  briquet,  ils  tombent  en  poudre  sous  une  pres- 
sion modérée. 

A  l'invurse,  des  êtres  vivants  peuvent  mo- 
mentanément perdre  les  caractères  que  leur  at- 
tribue Linné,  leur  vie  se  trouvant  suspendue, 
au  point  que,  pendant  de  longues  durées,  ils  re- 
vêti'nt  exactement  l'apparence  de  corps  inertes. 

L'exemple  le  plus  frappant  sans  doute  est 
fourni  par  des  animaux  inférieurs,  les  anguiUu- 
les  et  les  rotifères,  qui,  vivant  normalement  dans 
la  mousse  humide  des  toits,  passent  sous 
l'action  de  la  dessiccation  à  l'état  de  grains  de 
poussière,  impossibles  à  distinguer,  quant  à  leur 
allure,  des  mêmes  débris  provenant  des  pierres. 
Vient-on,  même  après  un  temps  très  long  de  cette 
déchéance  organique,  à  fournir  un  peu  d'eau  à 
celte  poudre  inerte,  on  en  voit  bientôt  chaque 
grain  se  gonfler,  reprendre  sa  forme   propre  et 


Vivre,  pour  le  naturaliste,  veut   dire   7iailre,   se  |  reconquérir    l'existence  caractéristique  do  I  ani- 
développer   (ou  entretenir  tant  bien  que  mal  les  1  malité.  •  i        • 

forces  acquises),  se    reproduire  et  mourir.   Ani-       Pour  les  végétaux, la  durée  de  la  léthargie  peut 
maux  et  végétaux  vivent  ;  en  effet  :  être  beaucoup  plus  longue  encore. 

Ils  naissent;  ils  commencent  en  se  détachant  Dans  des  sarcophages  contenant  des  momies 
d'un  parent  semblable  à  eux,  soit  déjà  formés,  j  égyptiennes  vieilles  de  plusieurs  milliers  d  années, 
soit  dans  un  œuf,  soit  par  un  bourgeon,  soit  dans  |  on  a  trouvé  quelques  pois  desséches  qu  on  eut 
une  graine,  etc.;  l'idée  de  semer  à  Guernesey.  Un   an  après,  trois 

Ils  se  développent,  en  s'accroissant  au  moyen  !  de  ces  pois  avaient  produit  deux  petits  plants,  au 
de  la  nourriture  qu'ils  tirent  des  corps  qui  les  j  moyen  desquels  il  fut  possible  l'année  suivante 
environnent;  ,  d'ensemencer  un  champ  tout  entier. 

Ils  se  reproduisent,  en  donnant  naissance  à  des  Si,  en  divers  points,  la  division  entre  les  êtres 
individus  de  leur  espèce  ;  '  bruts  et  les  ôires  organisés  ne  semble  pas  certai- 

ns meurent,  cessant  d'entretenir  leurs  forces  '  ne,  on  peut  dire  de  même  qu'entre  le  règne  ve- 
qui  n'existent  même  plus  pour  retenir  les  élé- I  gétal  et  le  règne  animal  une  délimitation  nette 
ments  dont  ils  sont  formés.  i  est  presque  impossible  à  établir.     _ 

L'histoire  des  minéraux  ne  peut  pas  invoquer  D'après  Cuvier,  l'animal  doit  présenter  les  ca- 
la même  succession  de  phénomènes.  On  a  bien  ractères  suivants  :  la  sensibilité  et  le  mouvement 
i'ait  parmi  eux  des  espèces,  puisqu'on  y  distin- '  volontaire;  une  cavité  digestive,  un  appareil  cir- 
gue  le  fer,  l'or,  le  mica,  etc.  ;  mais  on  n'y  rncon-  '  culatoire  ;  une  composition  chimique  plus  compli- 
nait  pas  d'individus  :  des  morceaux,  tout  simple-  quée  que  celle  des  végétaux  et  marquée  par  'a 
ment.  Si,  d'un  morceau  d'or,  on  détache  un  présence  de  l'azote  comme  élément  essentiel;  Qes 
fragment,  le  fragment  n'est  pas  le  fils  du  morceau,  '  échanges  gazeux  (respiration)  consistant  en  aD- 
il  n'est  besoin  d'expliquer  cela  à  personne,  et  lai  sorption  d'oxygène  et  exhalation  d  acide  carDO- 
multiplication  des  parties  se  fait  là  par  i'amoin-  ',  nique  ;  les  végétaux  fixant,^  au  contraire,  le  car- 
drissement  du  bloc. 

De  plus,  si  le  morceau  s'accroit,  c'est  exté- 
rieurement, par  Juxtaposition  ;  tandis  que  l'ac- 
croissement de  l'animal  ou  de  la  plante  se  fait  de 
dedans  en  deliors,  par  intnssusceptioti. 

Cependant,  malgré  ces  différences  qui  semblent  !  de  quelques  exemples, 
si  tranchées,  on  a  pu  prendre  des  êtres  vivants  |  Assurément  il  n'est  pas  aisé  de  conslatei  si  la 
pour  des  minéraux,  et  semblable  erreur  se  corn-  I  sensibilité  existe  chez  certains  polypiers  et  aans 
met  encore  très  probablement.  Jusqu'au  com- '  les  éponges.  Par  leurs  formes  d  ailleurs,  par  leur 
mencement  de  ce  siècle,  on  a  cru  que  le  corail  fixation  au  sol,  ces  animaux  inférieurs  semDieni  a 
était  une  pierre,  et  personne  ne  se  fait  faute  au- 1  première  vue  appartenirau  règne  végétai,  un  i  a 
iourd'hui  d'en  classer  le  squelette  parmi  les  1  cru  pour  le  corail  jusqu'à  Peyssonnel.  11  se  pre- 
pierres  fines.  sente  comme  un  branchage  capricieusementramine 

Pour  se  prononcer,  il  est  d'ailleurs  des  points  1  et  tout  enduit  dune  matière  grisâtre  et  gelati- 
fort  délicats.  Les  rognons  de  silex  de  la  craie,  que  !  neuse  qui,  à  de  certains  moments,  se  met  a  "eurir 
tout  le  monde  classe  sans  hésiter  dans  le  règne  '  donnant  naissance  de  distance  en  distance  a  oe 
minéral,  ofl'rent  un  certain  nombre  de  caractères  1  jolies  étoiles  aux  rayons  crénelés.  Les  mouvemenis 
qui  ne  se  trouvent  pas  d'ordinaire  réunis  chez  que  ces  étoiles  opèrent  lorsqu  ou  les  touciie  ou 
les  pierres.  lorsqu'elles  saisissent  la  proie  dont  elles  se  nour- 

IIs  renferment  une  proportion  notable  d'un  rissent  ne  sont  pas  plus  nets  que  ceux  qui  loni 
principe  organique  ciui  se  dégage  par  la  distilla-'  croire  h  la  sensibilité  des  Drosera  ou  ao  'î'. -"'" 
lion  et  que  le  géologue  Fournet  avait  étudié  sous  I  >,iosa  piidica,  si  bien  appelée  sensUwL:  La  utoiiee 


bone  et  dégageant  de  l'oxygène. 

Mais  tous  ces  caractères  existent-ils  ou  sont-ils 
bien  appréciables  au  bas  de  l'échelle  animale,  et 
ne  saurait-on  jamais  les  rencontrer  chez  les  végé- 
taux' C'est  ce  que  nous  allons  examiner  au  moyen 


RÈGNES  (LES  TROIS) 


1829 


RÈGNES  (LES   TROIS) 


attrape-mouches,  originaire  do  la  Caroline  du  Sud, 
est  une  petite  plante  i  feuilles  disposées  en  ro- 
settes, et  dont  l'extrémité  est  formée  d'un  limbe 
découpé  en  deux  loljes  ou  valvules  garnies  et  bor- 
dées de  longs  cils  ;  ces  deux  lobes,  réunis  par  leur 
milieu  comme  par  une  cliarnière,  sont  doués  d'une 
irritabilité  telle  qu'ils  se  referment  brusquement 
sur  l'inseclo  ou  le  corps  étrangerqui  les  a  touchés. 
La  sensitive  éprouve  toutes  les  influences  des 
animaux  à  sang-froid.  La  chaleur  augmente  en 
elle  l'activité  des  fonctions  et  porte  l'irritabilité  au 
plus  haut  point.  Exposée  peiidaTit  longtemps  à 
l'obscurité  ou  au  froid,  elle  devient  h  peu  près 
insensible  au  contact,  et  il  faut  que  la  lumière  et 
la  chaleur  la  raniment;  l'eau  tiède  dont  on  l'ar- 
rose lui  rend  très  vile  son  activité  suspendue.  On 
la  narcotise  comme  les  animaux;  seulement  l'effet 
est  plus  lent  à  se  produire.  Claude  Bernard  pla- 
çait, séparément,  sous  différentes  cloches  de  verre 
renfermant  chacune  une  éponge  imbibée  d'éther, 
un  oiseau,  une  souris,  une  grenouille  et  une  sen- 
sitive :  «  C'est  l'oiseau,  disait-il;  qui  est  le  pre- 
mier atteint  ;  il  chancelle  et  il  tombe  insensible 
au  bout  de  quatre  à  cinq  minutes;  c'est  ensuite 
le  tour  de  la  souris  ;  la  grenouille  est  paralysée 
plus  tard.  Enfin  la  sensitive  reste  la  dernière;  ce 
n'est  qu'au  bout  de  vingt  h  vingt-cinq  minutes  que 
l'insensibiUté  commence  àsc  manifester.  Après  une 


comme  autant  de  petites  nacelles  (d'où  le  nom 
qu'on  leur  a  donné),  dans  un  sens  différent;  ce  qui 
prouve  que  le  mouvement  n'est  pas  dû  à  un  cou- 
rant étiibli  dans  le  liquide.  Le  mouvement  peut 
se  prolonger  assez  longtemps,  et  il  se  fait  toujours 
dans  le  sens  de  la  frustule.  On  appelle  ainsi  la 
cellule  dont  est  formée  la  Diatomée  et  qui  est 
renfermée  dans  une  enveloppe  siliceuse  rigide  et 
incombustible.  Les  Diatomées  qui  vivent  associées 
en  groupes  sous  forme  de  filaments,  d'arborisations 
ou  d'éventails,  peuvent  aussi  exécuter  ces  mouve- 
ments, si  pour  une  cause  quelconque  leurs  frus- 
tulos  deviennent  libres.  Des  espèces  filamenteuses 
se  meuvent  même  partiellement  sans  se  séparer, 
c'est-à-dire  que  certaines  frustules  se  déplacent 
dans  l'intérieur  du  tube  gélatineux  qui  les  réunit 
et  sans  le  rompre.  11  en  est  dont  les  mouvements 
sont  lort  bizarres  ;  tel  est  par  exemple  le  Bacillo.- 
ria  paradoxa,  qui  est  composé  de  plusieurs  frus- 
tules en  bâtonnets,  associés  parallèlement  les  uns 
aux  autres,  de  manière  à  former  une  sorte  de  ta- 
blette quadrangulaire.  Bientôt  le  premier  de  ces 
bâtonnets  glisse  sous  le  second,  parallèlement  h. 
sa  direction,  de  manière  à  ne  plus  toucher  la  ta- 
blette que  par  une  de  ses  extrémités.  Puis  le  se- 
cond bâtonnet,  imitant  le  mouvement  du  premier, 
glisse  à  son  tour  et  va  se  ranger  sous  le  premier  ; 
puis  le  troisième  sous  le  second,  et  ainsi  de  suite 


demi-heure  environ,  la  sensitive  est  anesthésiée,    jusqu'à  ce  que  toutes  les  frustules  soient  déplacées 


l'attouchement  des  folioles  ne  détermine  plus 
leur  abaissement,  tandis  que  la  même  excitation 
produit  une  contraction  immédiate  des  folioles 
sur  une  sensitive  normale.  » 

Los  étamines  du  Spunnaimia  afncana  s'éloi- 
gnent du  style  quand  on  les  touche.  Ces  mouve- 
ments rentrent  dans  ceux  que  les  botanistes  ap- 
pellent provoqués.  Ils  constituent  une  sorte 
d'exception,  et  leur  présence  correspond  à  une 
supériorité  d'organisation,  dépendant  en  dernière 
analyse  d'une  véritable  sensibilité  du  protoplasma, 
c'est-à-dire  de  la  substance  primitive  contenue 
dans  la  cellule.  Ces  mouvements  ne  s'observent 
que  dans  les  organes  foliaires  plus  ou  moins  mo- 
difiés. 

Les  mouvements  spontanés  sont  beaucoup  plus 
fréquents.  L'exemple  du  Tournesol  présentant  sa 
corolle  au  soleil,  de  quelque  coté  de  l'horizon 
(lu'il  se  trouve,  est  peut-être  le  plus  connu;  mais 
il  est  d'autres  plantes  qui  effectuent  des  mouve- 
ments encore  plus  compliqués.  Les  Népenthès, 
plantes  très  voisines  des  Droséracées,  et  indigènes 
de  l'Asie  tropicale  et  de  Madagascar,  ont  des  feuil- 
les singulières  qui  imitent  un  vase  surmonté  de 
son  couvercle  et  dans  lequel  se  trouve  de  l'eau. 
Le  couvercle  tombe  pendant  la  nuit,  et  c'est  alors 
que  la  feuille  s'emplit  de  liquide  ;  il  se  relève 
lorsque  le  jour  parait,  et  la  feuille  se  vide  en  tout 
ou  en  partie 

On  a  lieu  de  penser  que  ces  mouvements  des 
grands  végétaux  sont  automatiques,  et  n'ont  rien 
dans  leur  production  qui  rappelle  les  mouvements 
des  animaux  supérieurs.  Ce  seraient  plutôt  les 
organismes  des  végétaux  dits  inférieurs  qui  nous 
offriraient  des  phénomènes  de  motilité  semblant  dé' 


La  tablette  s'est  ainsi  avancée  latéralenjent  de 
toute  sa  largeur.  Alors  le  premier  bâtonnet  recom- 
mence soii  mouvement  en  sens  contraire  et  re- 
prend la  position  qu'il  occupait  d'abord,  le  second 
le  suit  bientôt,  puis  le  troisième,  et  le  phénomène 
se  reproduit  peut-être  indéfiniment. 

Si  nous  passons  enfin  à  la  digestion,  nous  devons 
rappeler  tout  d'abord  que  beaucoup  de  plantes, 
telles  que  la  vesce,  le  chanvre,  le  lin,  l'orge,  con- 
tiennent un  ferment  qui  transforme  les  alburai- 
noîdes  végétaux,  comme  le  gluten  et  la  légumine, 
et  même  les  albuminoîdes  animaux,  en  peptones 
assimilables.  Dans  ces  derniers  temps  même  on  a 
signalé,  dans  le  Carica  papaija,  un  suc  extraordi- 
nairement  actif  à  cet  égard.  En  effet,  mis  en  con- 
tact avec  de  la  viande  crue,  de  la  fibrine,  du  blanc 
d'œuf  ou  du  gluten,  il  les  ramollit  en  quelques 
instants  et  les  dissout  en  quelques  heures.  Quand 
on  ajoute  ce  suc  au  lait,  celui-ci  comraeiice  par  se 
coaguler,  mais  la  caséine  (le  fromage)  précipitée 
se  dissout  ensuite. 

On  voit  combien  M.  Morren  a  pu  dire  juste- 
ment :  «  'foutes  les  plantes  digèrent,  et  leur  di- 
gestion, dans  ses  phénomènes  essentiels,  est  la 
même  que  chez  les  animaux.  » 

Nul  exemple  n'en  est  plus  frappant  que  celui 
auxquels  les  plantes  carnivores  font  assister.  Déjà, 
du  temps  de  Linné,  l'Américain  Curtis  avait 
annoncé  non  seulement  que  les  feuilles  de  ces 
plantes  saisissent  les  insectes,  comme  on  l'a  vu 
plus  haut,  mais  que  les  insectes  se  fondent  et  dis- 
paraissent sous  l'action  corrosive  d'un  liquide  muci- 
lagineux  exsudé  par  les  feuilles.  Darwin  vérifia  ce 
fait,  et  voici  par  exemple  une  de  ses  expériences. 
Deux  cents  pieds  de  Drosera  furent  transplantés 


pendre  d'une  volonté  propre.  Les  zoospores,  corps  |  et  cultivés  dans  des  assiettes  remplies  de  mousse, 
reproducteurs  des  algues,  se  meuvent,  se  déploient,  j  Une  cloison  en  bois  très  basse  séparait  chaque 
se  dirigent  en  nageant,  semblent  contourner  ou  évi-  assiette  en  deux  moitiés  :  dans  l'une  de  ces  moi- 
ter  les  obstacles,  comme  le  feraient  de  petits  ani-  tiés  étaient  placés  les  pieds  destinés  à  recevoir 
maux  aquatiques.  Les  mouvements  des  Diatomées,  la  nourriture  animale,  dans  l'autre  les  pieds  mis 
qui  forment  la  dernière  division  du  groupe  des  à  la  diète.  On  recouvrait  le  petit  parterre  d'un 
algues,  et  sont  au  règne  végétal  ce  que  les  Infu-  châssis  en  toile  métallique,  pour  einpêcher  la 
soires  sont  au  règne  animal,  ces  mouvements  visite  des  insectes.  Depuis  le  commencement  de 
avaient  semblé  si  parfaits  aux  micrographes,  qu'ils  I  juillet  jusqu'au  commencement  de  septembre, 
avaient  d'abord  classé  ces  êtres  singuliers  parmi  une  ou  deux  parcelles  de  viandes  rôties  furent 
les  animaux.  Si  l'on  dépose  sur  le  porte-objet  du  1  distribuées,  à  quelques  jours  d'intervalle,  à  cha- 
microscope  une  goutte  d'eau  tenant  en  suspension  j  que  feuille  des  plantes  alimentées;  ces  parcelles 
plusieurs  Navicules  vivantes,  on  les  voit  aussitôt  i  de  viande  pesaient  un  quinzième  de  grain.  ,\vant 
se    mettre   en  mouvement  et  se  diriger  toutes,  '  le   commencement  de  septembre,  époque   de  la 


RELATION 


—  1830  — 


RELIGIONS 


comparaison  définitive  des  deux  séries  de  plantes 
mises  en  expérience,  on  constatait  que  les  plantes 
nourries  avec  la  viande  profitaient  fort  bien  du 
traitement  auquel  elles  étaient  soumises  :  leur 
couleur  voit  brillant  témoignait  que  l'azote  ap- 
porté par  la  viande  avait  augmenté  les  grains  de 
clilorcpliylle.  Au  contraire,  dans  les  compartiments 
laissés  à  la  diète,  les  plantes  prosentaient  un  état 
visible  de  dépérissement. 

Sur  les  finguicules  même,  les  petits  insectes 
agglutinés  par  le  mucus  s'aplatissent  à  vue  d'œil, 
et  disparaissent  en  deux  ou  trois  jours  de  façon 
à  ne  laisser  aucun  vestige. 

Arrêtons  là  cette  comparaison  des  êtres  classés 
dans  les  prétendus  trids  règnes,  et  concluons  que 
si  l'admission  de  ces  vignes  est  indispensable 
pour  la  clarté  des  études,  il  ne  faut  jamais  perdre 
de  vue  qu'ils  ne  représentent  pas  une  division  ab- 
solue existant  réellement  dans  la  nature. 

[Stanislas  Meunier.] 

REIA'S.  —  V.  Digestion. 

RELATION  l  Fonctions  de).  —  Zoologie,  XXXVI. 
—  La  vie  des  végétaux  consiste  dans  l'accomplis- 
sement de  deux  fonctions  principales  :  la  nutrition 
et  la  reproduction.  Chez  les  animaux,  il  existe 
d'autres  fonctions  par  lesquelles  ils  ont  cojiscience 
de  certains  phénomènes  qui  se  passent  en  eux- 
mêmes,  ou  qui  les  mettent  en  rapport  avec  le  mi- 
lieu dans  lequel  ils  vivent.  Ce  nouvel  ordre  de 
fonctions,  appelé  ^Oîidî'oHS  de  relation,  s'exerce  au 
moj'cn  d'organes  spéciaux  :  ce  sont  les  organes  de 
la  sensibilité  et  de  la  locomotion. 

Chez  les  animaux  des  classes  inférieures,  comme 
les  zoophytes,  les  vers  et  la  plupart  des  mollus- 
ques, la  sensibilité  est  peu  développée.  On  peut 
douter  qu'une  volonté  intelligente  les  fasse  agir 
selon  les  impressions  reçues.  Leur  vie  ressemble 
assez  à  la  vie  des  organes  internes  de  la  nutrition 
cliez  ks  animaux  supérieurs.  Leurs  actes  sem- 
blent purement  automatiques.  Cependant  ces  ani- 
maux, à  l'exception  peut-être  des  protozoaires, 
possèdent  un  système  nerveux  et  par  conséquent 
reçoivent  des  iwpy-essions  qui  les  mettent  en  rela- 
tion avec  le  monde  extérieur. 

Les  facultés  par  lesquelles  les  animaux  inférieurs 
reçoivent  des  impressions  nous  semblent  distinc- 
tes de  l'instinct  le  plus  obscur.  L'instinri,  en  efl'et, 
permet  aux  céphalopodes,  aux  crustacés  et  sur- 
tout aux  insectes,  d'accomplir  une  foule  d'actions 
très  compliquées.  L'homme  ne  pourrait  arriver  à 
des  résultats  analogues  que  par  une  suite  de  rai- 
sonnements. Mais  chez  les  insectes,  par  exemple, 
l'instinct,  fonction  de  relation  par  excellence, 
s'exerce  d'une  façon  à  peu  près  automatique.  Ils 
ignorent  les  lois  qu'ils  appliquent  avec  une  mer- 
veilleuse précision.  Ils  ne  pourraient  pas  faire 
moins  bien.  Quand  les  circonstances  s'opposent 
à  l'accomplissement  automatique  de  leurs  actes 
instinctifs,  ils  se  trouvent  embarrassés,  pris  au 
dépourvu,  et  ne  savent  guère  adapter  leurs  pro- 
cédés aux  circonstances  nouvelles.  Lorsque  cette 
adaptation  s'accomplit,  dans  des  limites  toujours 
fort  restreintes,  on  est  en  droit  de  supposer  qu'elle 
résulte  d'une  faculté  instinctive. 

Viritelligence  offre  aux  animaux  des  ressources 
bien  plus  variées  pour  se  mettre  en  relation  avec 
leur  milieu.  Ce  n'est  pas,  comme  l'instinct,  une 
notion  innée  de  ce  qui  doit  être  fait  ;  elle  n'ar- 
rive pas  du  premier  coup  à  la  perfection  ;  il 
faut  que  l'éducation  la  développe  pour  qu'elle 
donne  tous  les  résultats  dont  elle  est  susceptible. 
Les  parents  commencent  cette  éducation.  Ils  en- 
seignent à  leurs  petits  les  moyens  de  se  procurer 
leur  nourriture,  de  combattre,  d'éviter  les  en- 
nemis. L'ensemble  de  cette  éducation  commence 
I  expérience  individuelle,  qui  accroît  le  bien-être  et 
assure  la  conservation.  Plus  tard  l'individu  livré  à 
Im-mênie  exerce  son  intelligence  pour  compléter 


l'éducation  acquise.  L'hérédité  fixe  en  partie  les 
progrès  accomplis,  et  il  se  forme  ainsi  dans  cer- 
taines espèces,  principalement  parmi  les  animaux 
domestiques,  des  races  supérieures  dont  l'homme 
utilise  les  services  et  perfectionne  les  aptitudes. 

Descartes  croyait  que  même  les  animaux  supé- 
rieurs sont  dénués  d'intelligence.  Il  attribuait  à  un 
simple  automatisme  l'exercice  des  fonctions  de  re- 
lation les  plus  compliquées  et  l'on  peut  dire  les 
mieux  raisonnées.  Condillac,  au  contraire,  niait 
l'instinct  et  attribuait  à  une  intelligence  plus  ou 
moins  obscure  même  les  actes  les  plus  simples 
des  espèces  inférieures.  L'erreur  des  deux  philo- 
sophes provenait  surtout  d'une  étude  incomplète 
de  la  nature.  Aucune  des  deux  hypothèses  ne 
rend  compte  des  faits  tels  qu'on  les  a  observés  de- 
puis un  demi-siècle.  Les  fonctions  de  relation 
pariicipent  de  l'instinct  et  de  l'intelligence,  non 
seulement  chez  les  animaux  de  ran^;  diflérent, 
mais  encore  chez  le  même  individu  examiné  à  di- 
verses périodes  de  son  existence. 

Parmi  les  animaux  supérieurs,  l'individu  qui 
vient  de  naiire  réagit  par  pur  instinct  contre  les 
sensations  pénibles.  Sa  sensibilité  obtuse  consti- 
tue une  sorte  d'aulomatisme,  il  n'a  conscience 
ni  des  causes  ni  des  actes  qui  en  sont  la  consé- 
quence :  il  sent,  mais  il  n'en  a  pas  conscience. 
Plus  tard  l'instinct  continuera  de  diriger  un  grand 
nombre  de  ses  actes,  mais  à  cette  cause  détermi- 
nante se  joindra  l'intelligence.  Alors  il  arrivera  sou- 
vent que  l'observateur  se  trouvera  fort  embarrassé 
pour  apprécier  dans  certains  actes  la  part  do  l'in- 
telligence et  celle  de  l'instinct. Les  effets  de  l'intelli- 
gence paraissent  d'ailleurs  d'autant  plus  manifes- 
tes que  les  hémisphères  cérébraux  sont  plus 
développés.  C'est,  en  effet,  cette  partie  du  cerveau 
qui  est  .spécialement  affectée  à  l'exercice  des 
fonctions  de  relation. 

La  perception  des  phénomènes  qui  se  passent 
dans  le  milieu  où  vit  un  animal  implique  une  sen- 
sibilité plus  ou  moins  développée.  Cette  sensibilité 
est  la  cause  première  des  actes  automatiques, 
instinctifs  et  intelligents.  Elle  s'exerce  par  l'en- 
tremise d'organes  en  rapport  avec  les  centres  ner- 
veux. Ce  sont  ces  organes,  nommés  organes  des 
sens, qui  procurent  aux  animaux  les  notions  qu'ils 
possèdent  sur  leur  manière  d'être  et  sur  le  monde 
extérieur. 

Outre  cette  sensibilité  qui  les  met  en  rela- 
tion avec  leur  milieu  ambiant,  les  animaux  pos- 
sèdent la  faculté  de  se  mouvoir.  Cetie  faculté 
s'exerce  par  l'intermédiaire  d'appareils  spéciaux, 
les  muscles,  qui  agissent  sous  l'influence  de  l'au- 
tomatisme, de  l'instinct  ou  de  la  volonté. 

Les  fonctions  de  relation  embrassant  les  mou- 
vements et  la  perception  de  certains  phénomènes 
par  la  sensibilité,  leur  étude  complète  comprend 
celle  des  organes  i/es  sewsetde  l'appareil  locomo- 
teur. —  V.  Squelette,  Muscles,  Système  nerveux, 
Sens,  Toucher,  Odorat,  Ouïe,  Vue.     j  D' SaflTray.] 

RELIGIONS.  —  Les  religions  anciennes  et  con- 
temporaines sont  les  formes  diverses  de  la  reli- 
gion en  soi,  qui  est  un  des  attributs  dislinctifs  de 
l'esprit  humain  et  qui  est  tellement  inhérente  à 
sa  nature  qu'il  est  difficile  d'expliquer  l'absence 
totale  de  religion  autrement  que  par  l'hypothèse 
d'une  infirmité  congénitale  ou  volontaire.  I!  est 
bien  entendu  qu'en  parlant  ainsi,  nous  limitons 
notre  jugement  au  sentiment  religieux  lui-même, 
indépendamment  de  toute  solidarité  avec  une  ou 
plusieurs  des  religions  existâmes.  0'autre  part,  en 
respectant  profondément  celles-ci  comme  autant 
d'expressions  du  senliment  religieux  naturel  à 
l'esprit  humain,  sans  prendre  parti  pour  ou  contre 
aucune  d'entre  elles,  il  doit  nous  ètro  permis  de 
dresser  le  tableau  historique  et  philosophique  des 
religions  qui  se  partagent  l'humanité,  sans  autre 
ambition  que  d'en  élucider  brièvement  la  genèse 


RELIGIONS 


~  iKH  — 


RELIGIONS 


et  d'en  mai-iiuor  la  place  logiqun  tlaiis  le  dévelop- 
pement, t;oiier.il  de  noire  espèce. 

La  religion  en  eiret  a  une  histoire,  celle  des  re- 
ligions. Aussi  loin  que  la  science  liistorique  nous 
permet  do  remonter  dans  le  passé  do  l'humanité, 
nous  discernons  les  traces  indubitables  de  cou- 
tumes et  de  croyances  religieuses.  Il  en  est  do 
mime  quand  nous  e^aminon3  la  totalité  des  po- 
pulations actuellement  réparties  sur  notre  planète. 
Il  n'en  est  pas  une,  si  arriérée  ou  dégradée  qu'elle 
soit,  où,  moyennant  un  peu  d'attention  et  d'Iiabi- 
lude  de  ce  genre  de  recherches,  on  n'ait  décou- 
vert quelque  cliose  qui  rentre  dans  la  catégorie  de 
religion.  La  thèse  contraire  n'a  pu  Être  soutenue 
que  par  des  voyageurs  trop  presses  de  conclure 
après  des  observations  superficielles,  ou  par  des 
esprits  étroits  ne  sachant  pas  reconnaître  la  reli- 
gion quand  elle  se  présente  sous  des  formes  qui 
ne  leur  sont  pas  familières. 

Toujours  et  partout  la  religion  a  procédé  du  be- 
soin qu'éprouve  l'homme  do  chercher  la  synthèse, 
l'harmonie,  entre  son  moi  personnel  et  le  monde 
extérieur  à  lui,  ou  plus  précisément  encore  entre 
ce  moi  et  la  puissance  à  laquelle  il  fait  remonter 
la  direction  supérieure  des  choses,  par  conséquent 
de  sa  propre  destinée.  L'esprit  de  l'homme  cherche 
;\  s'unir  harmoniquement  à  l'esprit  souverain  qu'il 
croit  discerner  au  dedans  et  au-dessus  des  choses, 
et  il  est  d'autant  plus  fortement  poussé  à  tâcher 
de  réaliser  cette  union  désirée  qu'il  éprouve  un 
sentiment  de  bien-être  particulier,  une  joie  mys- 
térieuse, quand  il  peut  avoir  conscience  de  cette 
synthèse;  et  cela,  lors  même  qu'il  se  représente 
l'esprit  ou  les  esprits  divins  sous  des  traits  qui 
l'épouvantent,  lors  même  qu'il  imagine  des  moyens 
d'union  tragiques  et  cruels. 

Nous  disons  l'esprit  ou  les  esprits  divins.  En 
effet,  l'esprit  auquel  l'homme  cherche  à.  s'unir  par 
la  religion  peut  être  conçu  comme  unique  ou 
comme  expression  collective  d'un  nombre  plus 
ou  moins  élevé  d'esprits  distincts.  C'est  la  base 
de  la  première  division  des  religions,  que  l'on  sé- 
pare en  deux  grandes  familles,  les  religions  mo- 
nvtfiéiites,  c'est-à-dire  n'adorant  qu'un  dieu  uni- 
que (du  grec  monos,  unique,  théns,  dieu),  et  les 
religions  polythéistes  {poli/s,  plusieurs). 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  la  manière  dont 
l'homme  a  compris  la  religion  a  toujours  en  grande 
partie  dépendu,  et  môme  dans  les  premiers  temps 
a  dépendu,  peut-on  dire,  uniquement  de  l'idée 
qu'il  se  faisait  du  monde,  révélateur  de  l'esprit  ou 
des  esprits.  Et  comme  l'idée  qu'il  se  faisait  du 
monde  fut  longtemps  très  bornée  et  très  incohé- 
rente, comme  il  s'écoula  bien  des  siècles  avant 
qu'il  pût  s'élever  h  la  notion  de  l'univers  organisé, 
soumis  partout  aux  mêmes  lois  et  révélant  tou- 
jours l'unité  suprême  dans  la  variété  infinie  des 
phénomènes,  il  n'est  pas  étonnant  que  le  poly- 
théisme ait  partout  précédé  le  monothéisme. 

Le  polythéisme  à  son  tour  est  loin  d'avoir  tou- 
jours présenté  ces  formes  riches,  poétiques,  cet 
ensemble  complet  que  nous  pouvons  admirer 
dans  les  mythologies  de  la  Grèce,  de  l'Egypte  et 
de  l'Inde.  A  l'origine  la  religion  eut  pour  objet 
des  êtres  très  humbles,  très  rapprochés  de 
l'homme,  tels  que  des  arbres,  des  rochers,  des 
sources,  des  animaux  même,  quand  ils  étonnaient 
l'homme  par  leur  vigueur,  leur  étrangeté  ou  leur 
merveilleux  instinct;  puis,  des  phénomènes  lumi- 
neux, tels  que  l'aurore,  le  soleil,  la  lune.  C'est  co 
qu'il  faut  appeler,  non  pas  lo  fétichisme,  comme 
on  le  fait  d'ordinaire,  mais  le  plus  bas  degré  de 
la  religion  de  la  nature  ou,  d'un  seul  mot,  le  pre- 
mier naturiime. 

Pour  comprendre  comment  l'homme  primitif  a 
pu  so  contenter  d'une  religion  aussi  enfantine,  il 
■'"'se  rappeler  ce  que  nous  avons  dit  à  l'article 
Mythe  de  la  facilité  avec  laquelle  l'homme  encore 


prodigieusement  ignorant  personnifinU,  c'est-i\- 
dire  regardait  comme  êtres  conscients,  pensant, 
voulant,  personnels,  des  êtres  qui  pour  nous  ne 
sont  que  des  choses  ou  des  brutes.  La  distinction 
entre  quelqu'im  et  quelque  chose  lui  était  encore 
étrangère,  ou  plutôt  en  toute  chose  il  voyait 
quelqu'un ,  et  toute  chose  dont  il  attendait  du 
bien  ou  dont  il  craignait  du  mal  était  pour  lui  un 
esprit  personnel  envers  lequel  il  se  sentait  animé 
de  respect  et  de  crainte,  d'amour  ou  d'antipathie. 
N'allons  pas  croire  non  plus  que  dans  cet  âge  de 
l'enfance  de  l'inimanité  la  religion  fût  systémati- 
sée, rédigée  en  dogmes  et  symbolisée  dans  des 
rites  comme  elle  le  fut  depuis.  Elle  était  encore 
indécise,  incohérente,  variant  à  chaque  instant 
avec  les  impressions  individuelles  et  la  nature  des 
lieux. 

Peu  à  peu,  cependant,  elle  devait  so  fixer  par 
le  pouvoir  des  habitudes,  l'autorité  des  chefs  de 
tribu,  la  constitution  des  traditions  héréditaires  ; 
puis,  sans  qu'il  fût  encore  question  de  science, 
le  regard  de  l'homme  embrassa  un  horizon  plus 
vaste.  Non  seulement  l'arbi-e,  mais  la  forêt  et, 
après  la  forêt,  la  végétation  tout  entière  ;  non 
seulement  la  source,  mais  le  fleuve  et  la  mer  ; 
non  seulement  le  rocher,  mais  la  montagne,  la 
chatno  de  montagnes  et  la  terre;  non  seulement 
l'aurore,  le  soleil  ou  la  lune,  mais  les  astres,  les 
planètes  surtout  (plus  mobiles  en  apparence  que 
les  étoiles  fixes),  le  ciel  dans  son  ensemble,  par- 
lèrent à  l'imagination  et  déterimnèrent  les  adora- 
lions.  La  monde  visible,  dans  ces  phénomènes 
grands  et  petits,  n'était  plus  qu'un  immense  as- 
semblage do  personnes  ou  d'esprits  supérieurs  à, 
l'homme  et  dont  l'hommr  jdorait  la  puissance. 

Maintenant,  sur  cotte  jase  naturiste  s'opéra 
une  sorte  de  bifurcation  d'une  extrême  impor- 
tance dans  l'histoire  des  religions  et  qui  coïn- 
cide avec  le  plus  ou  moins  d'aptitude  des  races  et 
des  peuples  à  la  civilisation.  On  put  : 

Ou  bien  :  1°  considérer  l'esprit  de  chaque  chose 
ou  de  chaque  objet  adoré  comme  tout  à  fait  indé- 
pendant de  sa  forme  visible,  pouvant  la  quitter, 
la  reprendre,  vivre  et  agir  sans  elle,  comme 
nous  quittons,  reprenons  ou  abandonnons  un  vê- 
tement, de  telle  sorte  que  l'adoration  s'attacha 
moins  désormais  aux  phénomènes  qu'aux  esprits 
dont  ils  avaient  suggéré  l'idée  et  qu'on  se  représenta 
comme  errants  dans  l'espace  au  gré  de  leurs 
caprices,  à  peu  près  comme  les  ignorants  de  nos 
jours  encore  se  représentent  les  fées,  les  lutins 
ou  les  korrigans  (Bretagne).  C'est  ce  qu'on  ap- 
pelle Vaniiniume,  ou  religion  des  esprits.  Il  est 
remarquable  que  telle  est  la  religion  prépondé- 
rante au  sein  des  populations  restées  à  l'état  dit 
sauvage,  noirs  de  l'Afrique,  Hotlentots,  Cafres, 
indigènes  des  deux  Amériques,  Océaniens,  ïar- 
tares.  Esquimaux,  etc.  (pour  autant  du  moins 
qu'elles  n'ont  pas  été  converties  par  les  missions 
bouddhistes,  musulmanes  ou  chrétiennes).  Les 
recherches  de  la  science  moderne  permettent  au- 
jonrd'hui  d'affirmer  que  cette  religion  animiste 
fut  aussi  la  religion  essentielle  de  nos  prédéces- 
seurs de  l'âge  dit  de  pierre,  à  l'époque  où  l'on  ne 
connaissait  pas  encore  l'usage  des  métaux  et  où 
l'on  n'avait  que  des  outils  et  des  armes  de  pierre. 
Il  faut  ajouter  qu'à  cette  croyance  aux  esprits  s'asso- 
ciait une  foi  très  ferme  à  la  survivance  de  l'àme 
humaine  après  la  mort.  C'est  dans  cette  croyance  et 
dans  l'idée  que  la  vie  future  ressemblait  il  très  pou 
de  chose  près  à  la  vie  actuelle,  qu'on  enterrait  avec 
le  défunt  ses  armes,  ses  ornements,  ses  chevaux, 
même  ses  esclaves  et  ses  femmes.  L'esprit  hu- 
main après  la  mort  devenait  un  esprit  analogue  îi 
ces  esprits  divins  qui  peuplaient  l'espace  ;  on  pou- 
vait espérer  ou  redouter  les  apparitions  des  morts 
sous  une  forme  diaphane  et  fantastique  (croyance 
aux  revenants);   on  leur  attribuait  dos  pouvoirs 


RELIGIONS 


—  1832 


RELIGIONS 


supérieurs,  et  voilà  pourquoi  dans  les  religions  |  une  grande  mythologie  systématisée,  tout  un 
animistes  le  culte  des  ancêtres  ou  des  morts  s'as-  code  religieux  et  moral  (lois  de  Manou),  qui  con- 
socie  ordinairement  à  celui  des  esprits  de  la  na-  sacre  le  système  des  castes,  fait  de  Bralima  la 
ture.  Une  autre  conséquence  de  la  religion  ani-  ;  cause  suprême  ou  le  générateur  des  dieux  et  des 
miste,  c'est  la  croyance  aux  sorcin-f:,  c'est-à-dire  :  liommes,  et  lui  subordonne,  par  conséquent,  les 
au  pouvoir  surnaturel  d'hommes  en  relation  directe  dieux-nature  des  Védas.  Plus  tard,  après  sa  lutte 
avec  les  esprits  et  pouvant  disposer  à  leur  gré  de  finalement  victorieuse  contre  le  bouddhisme,  le 
leurs  pouvoirs  supérieurs.  Enfin,  dans  bien  des  brahmanisme  devint  encore  plus  compliqué  et 
lieux,  mais  surtout  chez  les  noirs  d'Afrique,  l'a-  rattacha  tout  son  système  religieux  à  la  Trimourti 
nimiste  voulut  s'assurer  la  protection  toute  spô-  (triple  forme)  de  Brahma,  source  suprême  de 
ciale  d'un  ou  de  plusieurs  esprits  qu'il  crut  loca-  l'être,  Vishnou,  conservateur,  et  Siva,  destructeur  ; 
lises,  renfermés  dans  des  objets  portatifs,  qui  lui  3°  le  mazdéisme  ou  religion  du  Zend  Avesta, 
appartenaient  en  propre,  ordinairement  de  forme  j  livre  sacré  de  l'Iran  ou  des  Perses,  où  toutes  les 
bizarre  ou  mystérieuse.  C'est  là  le  vrai  fétichisme  \  divinités  sont  partagées  en  deux  camps  hostiles. 


(du  portugais  feitiço  ,  venant  lui-même  du  latin 
farjitius,  fait  de  main,  non  naturel,  et  par  déri- 
Tation  surnaturel,  enchanté,  magique).  Un  bâton 
drôlement  taillé,  une  pierre  ou  un  coquillage 
d'aspect  bizarre,  un  os  d'animal,  un  tesson,  une 
touffe  de  poils,  toute  espèce  d'objets  peuvent  être 
adoptés  comme  fétiches  parle  nègre  superstitieux, 
du  moment  qu'ils  frappent]  son  imagination  en- 
fantine. Tel  est  l'animisme  avec  se^  principales 
conséquences.  Toutefois,  n'oublions  pas  qu'il  ne 
règne  jamais  absolument  seul.  11  y  a  toujours  plus 
ou  moins  de  mythologie  de  la  nature  chez  '«s 
peuples  les  plus  animistes,  de  même  qu'il  y  a 
toujours  plus  mj  moins  d'animisme  chez  les 
peuples  où  dominent  ,des  religions  bien  supé- 
rieures. 

Ou  bien  :  2°  tout  en  distinguant  l'esprit  per- 
sonr  o'  du  phénomène  visible  qui  le  recelait, 
tout  en  lui  accordant  une  liberté  de  mouvement 
ou  même  des  formes  qui  finissaient  par  différer 
grandement  de  la  forme  de  ce  phénomène,  on 
maintint  une  relation  étroite,  essentielle,  entre 
le  phénomène  et  son  esprit,  de  telle  sorte  que 
la  nature,  les  attributs,  le  caractère,  l'histoire 
supposée,  la  parenté  de  cet  esprit  furent  déter- 
minés logiquement  par  les  apparences  du  phéno- 
mène qu'il  était  censé  animer.  C'est  ainsi  que, 
dans  la  mythologie  grecque,  les  histoires  d'Apol- 
lon, d'Hercule,  de  Persée,  etc.,  dieux  solaires,  ont 
toujours  pour  principe  directeur  la  nature  visible 
du  soleil,  et  que  dans  tous  les  mythes  concernant 
Jupiter  on  retrouve  toujours  l'idée  du  ciel  brillant 
dont  il  est  la  personnification.  De  là,  de  cette 
relation  constante  et  fixe  des  esprits  et  des  phé- 
nomènes, ces  dramatisations  de  la  nature  qui 
ont  fait  les  mythes  et  les  mythologies.  Ce  point 
de  vue,  beaucoup  plus  philosophique  et  pour 
ainsi  dire  plus  organique,  fut  celui  des  peuples  de 
l'antiquité  qui  arrivèrent  à  la  civilisation,  tels  que 
les  Hindous,  les  Perses,  les  Grecs,  les  Latins,  ou 
qui  l'adoptèrent  aisément  comme  les  Celtes  et  les 
Germains.  11  est  bon  de  noter  ici  que  ces  peuples 
appartiennent  à  la  race  àhearynine  ou  des  Aryas, 
dorit  on  indique  le  berceau  dans  la  haute  anti- 
quité entre  la  mer  Caspienne  et  l'Himalaya. 
Cette  race  est  essentiellement  celle  de  la  civili- 
sation. 

Toutefois,  à  l'est  de  l'Asie,  il  y  eut  aussi  une  civi- 
lisation remarquable  et  très  ancienne,  celle  de  la 
Chine,  dont  la  religion  associe  une  certaine  mytho- 
logie de  la  nature  (tout  provient  de  l'union  du 
Ciel  et  de  la  Terre,  l'empereur  est  fils  du  Ciel  et 
les  lois  de  l'empire  sont  aussi  immuables  que 
celles  du  monde)  à  des  croyances  animistes  (culte 
des  esprits  et  des  ancêtres)  très  prononcées. 

Chez  les  Aryas,  nous  distinguons  :  l"  la  religion 
védique  des  premiers  envahisseurs  de  l'Inde, 
contenue  dans  les  Ftfrfas  ou  chants  sacrés.  Là  le  culte 
des  grands  phénomènes  de  la  nature,  l'aurore,  le 
ciel,  le  soleil,  les  vents,  etc.,  règne  encore  presque 
exclusivement  dans  sa  poésie  et  dans  sa  naïveté 
première  ;  2»  le  brahmanisme,  qui  s'éleva  sur  la 
base  du  védisme  par  le  travail  et  l'influence  de  la 
caste  sacerdotale  des  brahmanes.  Il  y  a  là  toute 


subordonnés  l'un  à  JAoîirn  Mazda  (Ormuzd),  dieu 
de  la  lumière  et  du  bien.  Vautre  itA?igro  maïnyous 
(  Ahriman),dieu  des  ténèbres  et  du  mal.  Les  ténèbres 
physiques  et  morales  ne  sont  donc  pas  encore  nette- 
ment distinguées  dans  cette  religion,  qui  toutefois 
est  une  des  plus  élevées  et  des  plus  morales  de 
l'antiquité  ;  4°  la  religion  helKnique  ou  des  Grecs, 
à  laquelle  on  peut  associer  théoriquement,  comme 
elle  le  fut  en  fait  plus  tard,  celle  des  Latins.  Il 
en  forttt  cette  mythologie  gréco-romaine  qui  est 
pour  nous  la  mythologie  proprement  dite  et  pour 
laquelle  nous  renvoyons  aux  ouvrages  spéciaux. 
C'est  sans  contredit  le  polythéisme  le  plus  poé- 
tique et  le  plus  artistique  de  tous;  5"  les  reli- 
gions germanique,  Scandinave,  slave  et  celtique, 
bien  plus  voisines  des  précédentes  qu'on  ne  le 
croyait  autrefois^  fondées  du  moins  sur  une  ma- 
nière semblable  de  comprendre  la  nature,  seule- 
ment beaucoup  plus  grossières,  et  qui  ont  été  ar- 
rêtées dans  leur  développement, soit  par  leur  fusion 
dans  la  religion  gréco-romaine  (religion  celtique, 
druidisme),  soit  par  l'invasion  victorieuse  du  chris- 
tianisme. 

A  côté  des  Aryas,  on  distingue  ordinairement  une 
race  qui  diffère  surtout  de  ceux-ci  par  la  langue,  celle 
des  Sémites  (Arabes,  Clialdéens,  Mésopotamiens, 
Syriens,  Israélites  et  peuples  parents  de  Moab, 
d'Ammon,  d'Edom,  etc.),  et  celle  dite  des  Chamltes, 
qui  en  réalité  ne  se  distingue  des  Sémites  que 
par  le  genre  de  vie  et  la  civilisation  plus  avancée 
(Egyptiens,  Cananéens,  Phéniciens,  etc.  !.  Dans  ce 
conglomérat  de  nations  que  leur  situation  et  leur 
histoire  associent  étroitement,  nous  devons  signa- 
ler surtout  la  religion  de  l'ancienne  Egypte,  si 
riche  par  ses  monuments  grandioses  et  où  le 
grand  drame  de  l'année  (mythe  fondamental  : 
Osiris,  le  soleil  d'été,  tué  par  Set,  l'hiver,  pleuré 
parisis,  la  terre,  vengé  par  leur  fils  Horus,  le  jeune 
soleil  du  printemps)  devient  le  type  du  drame  de 
la  vie  humaine,  l'îiomme  ne  disparaissant  comme 
Osiris  que  pour  revi\Te  comme  lui.  Cette  idée 
mère  de  la  religion  égyptienne  se  retrouve  sous 
une  foule  de  noms  divers  et  de  variantes  locales. 
—  Les  religions  de  la  Mésopotamie,  de  Babylone 
et  de  Ninive,  encore  imparfaitement  connues,  sont 
en  quelque  sorte  de  la  même  famille  que  la  reli- 
gion égyptienne.  —  Sur  la  côte  orientale  de  la. 
Méditerranée  nous  voyons  fleurir  aussi,  chez  les 
Phéniciens,  les  Cananéens  et  les  peuples  voisins- 
d'Israël,  des  religions  solaires,  mais  où  la  mytho- 
logie est  beaucoup  plus  simple,  très  réduite. 
Baal,  le  seigneur,  et  son  épouse  Ascliera,  Molok 
ou  Molek,  le  roi,  et  son  épouse  Astoreth,  en  dési- 
gnent les  divinités  principales,  le  premier  élarit 
le  soleil  radieux  et  voluptueux;  le  second,  divi- 
nité d'un  caractère  plus  sombre  et  plus  austère. 
Signalons  enfin  les  polythéismes  mythologiques 
Indigènes  de  l'Amérique,  savoir  la  religion  solaire 
du  Mexique  et  la  religion,  solaire  aussi,  des  In- 
cas  du  Pérou.  Ces  religions,  associant  des  rites 
fort  cruels  à  des  croyances  assez  élevées,  se  sont 
formées,  comme  la  demi-civilisation  des  peuples 
qui  les  professèrent,  au  milieu  de  religions  en- 
core toutes  grossières  et  dont  le  caractère  sauvage 


RELIGIONS 


—  1833  — 


allait  en  grandissant  à  mesure  qu'on  s'éloignait  de 
l'Amérique  centrale. 

Le  développement  religieux,  dû  essentielle- 
ment à  la  logique  interne  de  l'esprit  humain,  fut 
consolidé  par  le  sacerdoce  et  hâté  par  le  prophé- 
iisme.  Le  sacerdoce  est  l'institution  en  vertu  de 
laquelle  certains  hommes  sont  reconnus  en  pos- 
session d'un  rapport  intime  et  direct  avec  la  Di- 
vinité, rapport  qui  les  élève  à  la  dignité  d'inter- 
médiaires indispensables  entre  elle  et  le  resto 
des  hommes,  seuls  qualifiés  pour  leur  communi- 
quer ses  arrêts  et  leur  transmettre  ses  grâces.  Le 
prêtre,  (m  l'homme  revêtu  du  sacerdoce,  seul  peut 
unir  l'homme  ordinaire  à  l'Être  divin,  soit  par  le 
sacrifice  qui  n'est  efficace  que  s'il  est  célébré  par 
lui,  soit  par  l'absolution  qui  n'est  réelle  que  si 
elle  est  prononcée  par  sa  bouche.  Le  sacerdoce, 
tantôt  héréditaire,  tantôt  électif,  tantôt  ouvert  à 
tous  moyennant  un  noviciat  préalable,  centralisa 
les  traditions,  les  conserva,  les  fixa,  et  à  l'origine 
des  civilisations  rendit  partout  de  grands  servi- 
ces. Il  résulte  de  là  qu'au  sein  des  sociétés  qui 
se  développent,  il  est  essentiellement  conserva- 
teur. C'est  surtout  comme  sacrificateur  seul  légi- 
time, sans  le  ministère  duquel  tout  sacrifice  était 
inefficace  ou  même  sacrilège,  que  le  prêtre  éta- 
blit et  maintint  son  caractère  sacerdotal  et  son 
autorité.  Le  sacrifice  ou  l'oft'rande  de  dons  (ali- 
ments, parfums,  trésors,  etc.)  faits  aux  divinhés 
a  qui  l'on  attribuait  les  mêmes  besoins  et  les 
mêmes  désirs  qu'à  l'homme,  fut  pour  ainsi  dire 
partout  le  rite  par  excellence,  le  grand,  l'indis- 
pensable moyen  de  l'union  entre  l'homme  et  les 
dieux.  —  Leprophète,  comme  le  prêtre,  se  détache 
du  sorcier  primitif,  mais  par  le  côté  individualiste, 
clairvoyant,  extatique  et  inspiré.  Il  regarde  plu- 
tôt l'avenir  et,  dans  les  formes  encore  grossières 
du  prophétisme  primitif,  il  est  surtout  devin  et 
faiseur  de  prédictions.  Le  prophétisme,  en  se  puri- 
fiant, s'élève  à  la  prédication  chaleureuse,  enthou- 
siaste, reformatrice,  etdevient  le  principal  moteur 
du  progrès  rehgleux. 

Le  polythéisme,  en  se  développant  sous  ses 
formes  diverses,  avant  tout  locales  et  nationales, 
parallèlement  à  l'esprit  humain  lui-même,  devait 
révéler  tôt  ou  tard  les  insuffisances  morales,  ra- 
tionnelles et  religieuses  qu'il  tenait  de  son  prin- 
cipe. 1  adoration  de  la  nature  visible.  C'est  pourquoi 
Il  devait  un  jour  être  remplacé  par  des  religions 
plus  morales,  plus  rationnelles  et  plus  conformes 
aux  besoins  de  la  conscience  religieuse.  C'est 
1ère  nouvelle  représentée  par  le  bouddhisme 
et  les  religions  monothéistes. 

Le  bouddhisme  originel  est  une  morale  bien 
plus  qu  une  religion.  Il  part,  contrairement  au 
polythéisme,  du  principe  d'opposition  à  la  nature 
sensible.  11  regarde  cette  nature  comme  une  illu- 
sion, il  repousse  donc  l'adoration  des  dieux-nature 
ou  tout  au  moins  la  rabaisse,  et  il  y  substitue  une 
règle  de  vie  qui  doit  mener  l'homme  au  souverain 
bonheur  qu'il  confond  avec  la  parfaite  insensibilité 
{mrvana).  Tel  fut  l'enseignement  fondamental  de 
couadha  (1  éclairé)  ou  Sakyamouni  ou  Siddhârta, 
prince  hindou  qui,  au  sixième  siècle  avant  Jésus- 
Uirist,  abandonna  sa  cour  et  son  rang  pour  prêcher 
le  renoncement,  l'égalité  des  hommes,  les  devoirs  de 
la  charité  la  plus  tendre  et  la  plus  dévouée,  en  y  joi- 
gnant des  préceptes  d'une  austérité  toute  monacale. 
Bouddha  réunit  de  nombreux  disciples  ;  sa  doctrine 
lut  pendant  plusieurs  siècles  victorieuse  du  brah- 
manisme hindou,  mais  à  la  fin  elle  fut  proscrite  et 
abandonnée  par  la  plupart  des  Hindous  eux-mê- 
mes (huitième  siècle  de  notre  ère).  Le  boud- 
dhisme subsista  cependant  à  Ceyian  et  au  Ne- 
paul.  bon  rayonnement  dans  les  autres  pays  n'en 
fut  pas  moins  extraordinaire,  et  aujourd'hui  encore 
Il  est  la  grande  religion  internationale  de  l'Asie 
onentale.  On    évalue  ses  adhérents    à   plus    de 


RELIGIONS 


300  millions.  Il  a  eu  ses  grands  conciles,  il  a  ses 
prêtres,  ses  couvents  et  de  nombreux  moines.  Il 
faut  ajouter  que,  ne  répondant  pas  dans  sa  teneur 
première  aux  besoins  religieux  de  l'àme  hu- 
maine, il  a  moins  supplanté  les  religions  locales 
et  nationales  qu'il  ne  s'est  amalgamé  avec  elles, 
contribuant  à  l'adoucissement  des  mœurs,  mais 
impuissant  contre  les  superstitions  qu'il  ne  sait 
pas  combattre  par  la  science.  Outre  Ceyian  et  le 
Nepaul,  la  Chine,  l'Indo-Chine,  le  Thibet,  le  Ja- 
pon, et  bien  d'autres  pays  asiatiques  sont  le 
théâtre  de  ses  immenses  conquêtes.  Bouddha  lui- 
même  a  été  déifié,  et  le  Dalai-Lama,  pontife  de  la 
religion  thibétaine  à  Lasa,  passe  pour  son  incar- 
nation permanente. 

Les  religioîis  monothéistes  sont  au  nombre  de 
trois,  le  judaïsme,  \e  christianisme  ell'islamisme, 
si  du  moins  on  n'y  joint  pas  le  théisme  philoso- 
phique, religion  d'un  certain  nombre  d'esprits 
distingués,  mais  à  qui  semble  manquer  cette  force 
organique  et  cohésive  qui  fait  les  religions  histo- 
riques et  populaires. 

Il  y  a  dans  la  raison  humaine  une  tendance 
monothéiste,  en  ce  sens  que  la  raison  humaine 
aime  et  poursuit  l'unité  dans  toute  variété.  C'est 
pour  cela  qu'au  sein  du  polythéisme  développé, 
dans  l'Inde  comme  en  Grèce,  il  y  eut  des  pen- 
seurs qui  s'élevèrent  par  la  seule  force  de  leur 
raison  à  la  notion  d'un  dieu  unique  (Anaxagore, 
Socrate,  Platon,  etc.).  Déjà  les  polythéismes,  en 
organisant  leur  panthéon  de  manière  à  assigner 
le  rang  suprême  au  dieu  considéré  comme  le  plus 
auguste  et  le  plus  puissant  de  tous  (Brahma, 
Ormuzd,  Jupiter,  etc.),  rendaient  hommage  à  leur 
manière  à  ce  principe  d'unité.  Toutefois  on  peut 
douter  que  le  polythéisme  eût  jamais  été  vaincu 
sur  ce  terrain  si,  intermédiaire  entre  l'Orient  et 
l'Occident,  un  petit  peuple  n'avait  eu  l'honneur, 
qui  lui  a  coûté  cher,  de  léguer  au  monde  le  prin- 
cipe monothéiste  dans  des  conditions  qui  per- 
mettaient d'en  faire  celui  de  la  religion  de  peu- 
ples nombreux.  Ce  fut  le  peuple  d'Isratl. 

Lui-même,  ses  propres  annales  en  font  foi, 
avait  commencé  par  le  polythéisme,  mais  par 
un  de  ces  polythéismes  sémitiques  où  la  mytho- 
logie est  très  réduite.  A  la  suite  d'événements  dont 
la  narration  serait  trop  longueet  qui  se  résument 
dans  sa  sortie  d'Egypte  sous  la  conduite  du  libé- 
rateur Moïse  et  dans  son  établissement  définitif 
au  pays  de  Canaan,  sous  le  régime  d'une  confé- 
dération plus  ou  moins  resserrée  de  douze  tribus,, 
il  se  forma  dans  son  sein  un  parti  national  dont 
le  lien  était  l'adoration  exclusive  do  Yahveh  ou 
Jehovah,  dieu  du  ciel  tonnant,  mais  dieu  invisible 
et  dieu  jaloux  (c'est-à-dire  refusant  ses  faveurs  à 
ceux  qui  associaient  un  autre  culte  au  sien).  Ce 
point  de  vue  ne  niait  nullement  l'existence  des 
autres  dieux,  mais  excluait  leur  adoration.  La 
monolâlrie  est  donc  le  point  de  départ  du  mono- 
théisme d'Israël.  A  travers  bien  des  vicissitudes,, 
souvent  compromise  soit  par  le  culte  populaire 
du  Veau  ou  jeune  Taureau  d'or  (symbole  solaire), 
soit  par  l'influence  séductrice  des  religions  cana- 
néennes voisines,  soit  par  les  visées  politiques 
des  rois,  la  monolâtrie  de  Jehovah  persista  comme 
religion  nationale  par  excellence  et  se  rapprocha 
toujours  plus  du  monothéisme  pur.  Ce  fut  l'œu- 
vre surtout  des  célèbres  prophètes  du  vii«  au 
V  siècle  avant  notre  ère  (Elle,  Elisée,  les  deux 
Esaïe,  Jérémie,  Ezéchiel,  Joël,  Amos,  etc.).  La 
captivité  de  Babylone,  suivie  de  la  restauration 
dont  ne  profitèrent  que  les  éléments  jehovistes  du 
peuple  déporté,  acheva  de  faire  pour  toujours  du 
peuple  d'Israël,  désormais  ]Kup\e  juif  ou  de  Juda, 
le  représentant  du  monothéisme  dans  l'histoire. 
C'est  dans  cette  période  que  se  constitua  le 
judaïsme  proprement  dit,  avec  sa  Loi  rituelle  et 
morale,    ses  rabbins    (docteurs,    commentateurs, 


RELIulONS 


_  1834  — 


RENAISSANCE 


iuristps  et  prédicateurs),  son  attente  d  un  Messie, 
de  la  résurrection  et  du  jugement  dernier. 

Du  principe  qu'il  n'y  avait  qu'un  dieu  adorable, 
le  peuple  juif  était  donc  arrivé  au  sentiment  très 
net  qu'il  n'y  avait  en  réalité  qu'un  Dieu.  Mais  sa 
religion  restait  exclusivement  nationale,  suppo- 
sant un  privilège  inexplicable  accordé  par  Dieu  i 
son  peuple,  qui  devait  tôt  ou  tard  dominer  sou- 
verainement toutes  les  nations.  C'est  ce  côte  étroit 
et  exclusif  du  judaïsme  qui  fut  élimine  par  1  isla- 
mist)ie  el  \e  christianisme. 

L'islamisme,  bien  que  venu  six  siècles  après  le 
christianisme,    n'en  est  pas  moins   logiquement 
son  aîné.  Son  fondateur  Mahomet,  ne  à  la  Mecque 
en  L69   n'ayant  guère  que  de  vagues  notions  du 
christianisme,  est  un  prophète  arabe  qui   prêcha 
un   monothéisme  aussi  rigide  que  celui  du  ju- 
daïsme, Vislamisme  fdu  mot  islam,  salut).    Mais 
il  invita  tous  les  peuples  h  entrer  dans  sa  reli- 
gion, et   du    reste  trouva   tout   naturel  que  les 
vrais   croyants    dominassent    temporellement    la 
terre  entière  et   établissent  leur  dommation  par 
le  glaive.  Destruction  des  païens,  tolérance,  mais 
assujettissement  des  monothéistes  juifs  et  chré- 
tiens, tel  est  son  principe.  Le  Coran  qui  contient 
ses  enseignements  est  pour  le  musulman  (c  est- 
à-dire  l'homme  résigné  à  la  volonté  divmei  ce  que 
la  Loi  attribuée  à  Moïse  est  pour  le  Juif,  le  code 
religieux,  rituel  et  civil.  11  réprouve  1  idolâtrie, 
admet  la  polygamie  en  la  restreignant,  ordonne 
de  nombreuses  pratiques  de  dévotion,  et  résume 
sa  doctrine  religieuse  en  cette  formule  célèbre  : 
u  II  n'y  a  d'autre  Dieu  que  Dieu,  et  Mahomet  est  son 
prophète.  «    L'islamisme  fit   proraptement  d'im- 
menses conquêtes  et  parvint  à  travers  l'Afrique 
et  l'Espagne  jusqu'au  delà  des  Pyrénées.  Lente- 
ment refoulé  de  ce  côté  en  Afrique,  il  arriva  avec 
les  Turcs  dans  l'Europe  orientale  jusqu'aux  portes 
de  Vienne.  Depuis  lors,  de  ce  côté  aussi,  il  recule 
et  se  voit  menacé  dans  Constantinople  même  par 
l'ascendant  des  races  chrétiennes.  Mais  il  domine 
encore  dans  toute  l'Asie  occidentale,  en  Arabie, 
où  il  a  son  principal  sanctuaire  (la  Mecque),  dans 
le  nord  de  l'Afrique,  dans  la  Malaisie,  et  il  tait 
toujours  de  nombreux  prosélytes  au  sem  des  popu- 
lations noires  de  l'Afrique,  dans  l'Inde  et  en  Chine. 
Nous  ne  saurions  résumer  de  la  même  manière 
l'histoire  du  christianisme  sans  risquer   de  pré- 
senter comme  avérées  des  opinions  pour  nous  très 
certaines,  mais  encore  très  controversées.  C  est  à 
chacun  de  nous  de  s'en  faire  une  idée  rationnelle 
ens'entourant  de  toutes  les  lumières  i  sa  portée. 
Disons  seulement  que  le  christianisme,  qui  doit 
tant  de  force  et  d'attrait  à  la  personne  admirable 
de  son   fondateur,   Jésus   de   Nazareth,   salué   de 
bonne  heure  par  ses  disciples  juifs  comme  Christ 
ou  Me'ssie,  est  monothéiste  comme  le  judaïsme  et 
l'islamisme,  plus  ouvert   toutefois  aux  doctrines 
cherchant  i.   établir  un   lien  permanent,  continu, 
entre  le  Créateur    et   la    création,  entre  Dieu  et 
l'homme.  De  plus,  et  comme  le  bouddhisme,  le 
christianisme  est  une  religion  de  rédemption  ou 
de  délivrance,  c'est-à-dire  indiquant  b.  1  homme  la 
voie  de  la  réconciliation  morale  avec  Dieu.  En  se 
répandant  parmi  les  Juifs  d'abord,  puis  dans  1  ena- 
pire  romain,  le  christianisme  se  constiiua  sous  la 
forme  d'une  grande  société  organisée  sous  le  nom 
d'Eglise,  qui  aspira  de  bonne  heure  à  s'unitier.  Mais 
l'unité  ne  put   être   maintenue  entre  l'Orient  et 
l'Occident  (Eglise  grecque.  Eglise  latine),  et,  dans 
l'Occident  même,  les  deux  éléments,  qui,  au  fond, 
depuis   l'origine,  étaient  à   l'état  plus  ou  moins 
latent  d'antagonisme,  —  les  deux  éléments  qu  à  la 
condition  de  ne  pas  trop  presser  les  termes,  on 
peut  ramener  à  la  vieille  opposition,  mentionnée 
plus  haut,  du  sacerdoce  et  du  propliétisme,  —  se 
scindèrent  au  SM"  siècle  ou  catholicisme  romain 
et  protestantisme. 


Quelque  opinion  que  l'on  professe,  il  convient 
de  se  rappeler  que  notre  civilisation  européenne, 
la  première  de  toutes,   maltresse  désormais  des 
deux   Amériques,  se   répandant  en   Afrique,  en 
Océanie  et  même   en   Asie,  est  essentiellement 
clirélienne,  et  que  tous  ceux  qui  tiennent  à  con- 
server dans  leur  vie  publique  et  privée    le  prin- 
cipe de  la  religion  en  soi  ne  peuvent  que  s'incliner 
avec  respect  devant  le  résumé  que  le  fondateur 
lui-même  du  christianisme  a  donné  de  son  ensei- 
gnement: Iln'ij  a  qu'un  seul  Père  céleste,  et,  pour 
vous,  vous  êtes  tous  frères.        [Albert  ReviUe.] 
REMÈDES.  —  V.  Médicaments.  _ 
RENAISSANCE.  —  Histoire  générale,  X\l.  — 
A  la  fin  du   xv   siècle,  une  révolution   politique 
avait  substitué    à  la   féodalité  le  gouvernement 
absolu  des   rois.  Une  révolution  religieuse  allait 
porter  une  atteinte  grave  à  la  puissance  de  1  h- 
glise  romaine.   Enfin  une  révolution  des  intelli- 
gences allait  remplacer  par   la   science  nouvelle 
les  connaissances  surannées  du  moyen  âge.  La  re- 
forme *  religieuse   sortit  du  libre  examen.  La  re- 
naissance est  née  de   Vlmmanisme.  On   designs 
sous  ce  nem  les  grands  efforts  que,  pendant  près 
de  deux  siècles,  tentèrent  de  puissants  esprits, 
Dour  renouer  avec  l'antiquité  classique  la  chaîne  in- 
terrompue des  traditions  intellectuelles  et  morales. 
C'est  par  l'Italie  surtout  que  l'Europe  fut  initiée 
à  la    connaissance,  on   pourrait  dire  au  culte  de 
l'antiquité.  Dans  les  troubles  du  xiv"  siècle,  1  Italie 
semblait  vouloir  se  consoler  des  misères  présentes 
en  reclierchant  dans  le  passé  les  titres  glorieux  de 
la  puissance  romaine.  Pétrarque  et  Boccaco  fiirent 
d'infatigables  chercheurs  de  manuscrits  anciens. 
Grâce  aux  patients  eiïorts  d'une  pléiade  d  erudits, 
parmi  lesquels  se  distinguaient  le  Pogge,  Enoch 
d'Ascoli,  Landino,  la  littérature  latine  fut  enfin 
tirée   de  la   poussière  où  elle  était  si  longtemps 
restée  ensevelie.  Le  désir  de  connaître  et  d  admi-     i 
rer  gagnait  les  peuples  et  les  princes.  Ludovic  le 
More  à  Milan,  les  Gonzague  h  Ma.itoue,  les  Ben- 
tivogli  à  Bologne,  Alphonse  V  dans  les  Deux-Siciles 
favorisèrent  îa  renaissance  latine.   L  histoire  de 
R^mê  ne  marquait-elle  pas  le  début  de  /' lus toire 
italienne?  La  politique  des  uns,  1  orgue  1  national 
des  antres  exagéraient  peut-être  cette  P>éte  rétro- 
snective.  On  promettait  un  château  à  qui  décou- 
vrirait une  décade  de  Tite-Live.  On  saluait  avec 
ènthousiasmeTite-Live  et  Tacite,  César  et  Ciceron, 
Lucrèce  et  Virgile,  ces  grands  ancêtres  qui  sem- 
blaient sortir  du  tombeaS,  pleins  de  gloire  et  forts 
d'une  nouvelle  jeunesse. 

L'étude  exclusive  du  latin  n'était  pas  sans  dan- 
ger pour  le  développement  futur  de  1  l'»>"'^"'^,'"f: 
La  1  ttérature  latine,  faite  à  l'image  d  un  peuple 
quiavaitTarlé  surtout  la  .langue  des|.fl-res,res-  ■ 
serrée  dans  le  cadre  étroit  de  1  histon-e,  de  1  elo- 
nuènce  et  dune  poésie  qu'on  pourrait  appeler 
prat  Sue,  n'ouvrait  pas  i  l'esprit  dos  horizons  lu- 
mineux La  littérature  grecque,  plus  désintéressée, 
"our  ainsi  dire,  et  par-cela  mên.e  P'us  artistique 
dans  les  chants  de  ses  poètes,  dans  les  discours 
de  ses  ora  eurs,  dans  les  dissertations  de  ses  plu- 
fo'so'phe:  révélait  au  monde  "- ^'f '""f  X^ 
«antp  iileine  de  sève  encore,  maigre  les  siecies 
écoutés  faite  en  un  mot  de  grandes  et  larges 
fdees  exprimées  dans  le  plus  beau  langage  tjue 
•tnim^f'ait  jamais  parlé.  Le  '"">  P~f„«;! 
à  un  monde  étroit  et  dogmatique.  La  langue  giec 
nue  avec  ses  délicatesses  exquises  auxquelles 
s^iôutait  comme  un  charme  de  plus,  une  admi- 
rable uécision,  devait  séduire  les  générations 
du  xvi'  siècle,  éprises  avant  tout  des  splendeurs 
^t'ë^lTFtencrsTr-tout  que  -a  Grèce  trouva  des 
admirateurs  passionnés.  Cosme  "e  Medicis  1-  3»- 
UW  j  olTrit  l'hospitalité  aux  savants  grecs  chasses 
de   Constantinople  (U53).  Il  jeta  les  fondements 


RENAISSANCE 


—  i83o 


RENAISSANCE 


de  1  ccole  grecque  qui  se  développa  plus  lard  avec 
Marsilo  Ficin,  I>ic  de  la  Mirandole,  Politien, 
Cavalcaiiti.  Platon  devint  bientôt  l'objet  d'une  ad- 
miration très  vivo.  Il  eut,  comme  Dante,  ses  lec- 
teurs et  ses  commentateurs  enthousiastes.  Des 
études  grecques  résultèrent  en  littérature  la  rhé- 
torique moderne,  en  philosophie  une  sorte  de 
néo-platonisme,  favorable  aux  doctrines  panthéis- 
tes, dangereux  pour  les  croyances  du  catholicisme 
romain. 

Les  manuscrits  anciens  étaient  retrouvés.  Il 
s'agissait  de  les  répandre  h  bon  marché  et  par 
nombreux  exemplaires.  Ce  fut  l'œuvre  de  l'impri- 
merie. De  14-38  aH40,Ga?nsfleischde  Sugeloch,  dit 
Gutenberg,  développait  h  Strasbourg  les  décou- 
vertes encore  incomplètes  de  Laurent  Coster  de 
Harlem.  En  H59,  le  gouvernement  de  Charles  VU 
installait  une  imprimerie  dans  les  bâtiments  de  la 
Sorbonne.  En  1102,  l'invention  nouvelle  était  ap- 
portée en  Italie  par  Sweynheim  et  Pannartz. 
De  liGh  à  U71,  on  imprima  en  Italie  12000  vo- 
lumes. Les  livres  sortirent  en  très  grand  nombre 
des  presses  de  Lyon  {H74),  Angers  (1477), Poitiers 
(HÎ8),Caen  (1480),  Rennes  (14s4),Abbeville(  1480), 
Besançon  et  Rouen  (I487\  Orléans  (liOn),  Dijon 
(1491),  Nantes  (1493),  Limoges  (1495),  etc.  Trans- 
portée à  la  même  époque  dans  les  autres  Etats 
européens,  l'imprimerie  devint  l'agent  le  plus 
actif  de  la  renaissance  littéraire  et  scientifique. 

Alors  commença  en  Italie  le  siècle  inimitable 
qui  a  gardé  le  nom  des  Médicis  (Laurent,  1409- 
1492,  Léon  X,  1514-1521).  Alors  les  lettres 
brillent  d'un  éclat  incomparable,  avec  Machia- 
vel et  Guichardin,  Boiardo,  Pulci,  Ariosto,  etc. 
Dans  les  arts,  Cimabuë,  Giotto,  Fra  Angelico, 
Masaccio,  Ghiberti,  Donatello,  ont  pour  succes- 
seurs Leonardo  da  Vinci,  Michel-Ange,  Raphaël, 
Benvenuto  Cellini.  Alors  se  fondent  les  grandes 
écoles  artistiques  de  Rome,  de  Lombardie  (Antonio 
Allegri,  ou  le  Corrège),  de  Venise  (Tiziano  Vecelli. 
ou  le  Titien)  de  Bologne  (les  Carrache),  et  plus 
tard  de  Naples  (Salvatôr  Rosa). 

En  France,  le  génie  politique  de  la  nation 
donna  à  la  littérature  nouvelle  une  singulière 
originalité.  Protégée  par  des  princes  intelligents, 
éclaii  os,  amis  des  arts,  poètes  pour  la  plupart,  la 
renaissance  françai.^e  produisit  une  littérature  qui 
ne  fut  pas  comme  celle  de  l'Italie  purement  artis- 
tique, mais  qui  toucha  aux  grands  problèmes  po- 
litiques et  religieux  que  le  xvi"  siècle  a  agités. 
Louis  XII  protégea  le  poète  Gringoire,  qui  le  servit 
dans  sa  lutte  contre  Rome.  François  1"  fonda  le 
Collège  de  France,  monument  de  la  tolérance 
royale,  en  face  de  la  catholique  Sorbonne.  Clément 
Marot  et  Marguerite  de  Valois,  Budé,  Calvin  et 
Rabelais  donnaient  de  beaux  titres  littéraires  à  la 
langue  française, que  l'édit  de  Villers-Cotterets  dé- 
clarait dans  le  môme  temps  la  langue  des  affaires. 

Dans  la  seconde  moitié  du  xvi"  siècle  domine 
une  école  grave  et  sérieuse.  C'est  le  temps  des 
jurisconsultes,  avec  Cujas  et  les  professeurs  de 
Bourges.  Là  se  forme  la  grande  magistrature 
française,  qui  comptera  des  politiques  comme 
IHospital,  des  écrivains  comme  la  Boétie. 

La  réforme  pénètre  dans  l'enseignement  avec 
Ramus.  De  grands  collèges  sont  fondés  à  Paris  et 
dans  les  provinces.  Le  corps  enseignant  s'inspire 
des  doctrines  nouvelles;  il  ouvre  ses  rangs  à  des 
protestants  et  même  à  des  Israélites  (Jean  de 
Govea  à  Bordeaux).  Ce  développement  de  l'esprit 
français  est  vraiment  original.  La  poé^ie  seule 
subit  liiifiuenco  de  l'Italie.  Elle  a  l'enthousiasme 
et  1  audace  de  la  jeunesse,  avec  du  Bellay,  Ronsard 
et  la  Pléiade. 

Sous  les  fils  de  Henri  II,  le  désordre  des  temps 
donne  naissance  au  scepticisme  de  Montaigne, 
aux  (adcurs  de  Desportes.  Les  événements  politi- 
ques font   naître  les  mémoires  (Montluc),  l'élo- 


quence politique  (l'Hospital).  La  hmgue  française 
trouve  de  savants  et  brillants  défenseurs  dans  Es- 
tienne  et  son  école. 

Autour  d'IIenry  de  Béarn  se  groupent  les  écri- 
vains protestants,  Duplessis-Mornay,  d'Aubigné, 
Régnier  de  la  Planche  ;  autour  du  roi  de  France. 
Duperron,  d'Ossat  et  les  auteurs  de  la  Satire 
Ménippée. 

Elevés  à  l'école  de  l'Italie,  protégés  par  les  rois, 
les  artistes  français,  architectes,  sculpteurs,  pein- 
tres sur  vitraux,  Pierre  Lescot,  Philibert  Delorme, 
Germain  Pilon,  Jean  Cousin,  donnaient  à  la  France 
d'admirables  chefs-d'œuvre.  Bernard  Palissy  dé- 
robait à  l'Italie  le  secret  de  l'émail  (l'j65).  L'art 
français  du  xvi'' siècle,  né  de  l'inspiration  antique 
et  de  l'étude  raisonnée  des  œuvres  modernes, 
savait  rester  original,  même  dans  l'imitation. 

Toute  l'Europe,  à  l'exception  des  Etats  orien- 
taux, a  subi  T'influence  féconde  de  l'Italie  et  de  la 
France.  L'influence  italienne  au  xvi"  siècle  paraît 
s'être  exercée  surtout  sur  l'Espagne  et  l'Angle- 
terre; celle  de  la  France  ne  s'exerce  que  plus 
tard  sur  l'Allemagne  et  les  pays  Scandinaves 
(xvii'  et  xviii"  siècles).  Chaque  pays  d'ailleurs 
modifia  les  influences  étrangères  suivant  la  tour- 
nure et  les  ressources  de  son  caractère  propre. 
Le  xvi»  siècle  fut  l'âge  d'or  de  la  littérature 
espagnole.  Cervantes  (1547-lGlC)  publia  le  Don 
Quichotte.  Alonzo  de  ErciUa  donnait  à  l'Espa- 
gne son  meilleur  poème  épique,  la  Araucana. 
Lope  de  Vega  (1572-1I..33)  composa  plus  de  vingt 
millions  de  vers  ;  Alarcon,  mort  en  1035,  Tirso  de 
Molina  (1585-1648),  Calderon  (1G00-1G81)  furent 
ses  émules.  Mariana  et  Herrera  écrivirent  des 
ouvrages  d'histoire  estimables.  L'art  espagnol 
s'enrichissait  des  chefs-d'œuvre  de  Juanès  (1523- 
1581),  de  Ribera  (né  en  1539),  plus  tard  de  Zur- 
baran,  de  Murillo  et  de  Velasquez.  L'art  devait 
d'ailleurs  survivre  à  la  littérature.  Avant  la  fin  du 
xvi'  siècle  elle  tombait  en  décadence  avec  Luis 
de  Gongora  (1501-1627),  créateur  d'un  style  affecté 
et  prétentieux  qui  a  pris  le  nom  de  «  gongorisme  ». 
Une  démarcation  très  nette  s'établit  alors  entre 
les  trois  littératures  sœurs  de  France,  d'Italie  et 
d'Espagne.  En  France,  le  ton  restait  grave,  les 
allures  sérieuses.  Les  fadeurs  de  Desportes,  les 
essais  de  du  Bellay  et  de  Ronsard  n'avaient  obtenu 
qu'un  médiocre  succès.  En  Italie  et  en  Espagne, 
le  goût  se  corrompit  bientôt.  Les  concetti,  les 
antithèses  forcées,  le  galimatias,  infectèrent  tous 
les  ouvrages.  L'emphase  italienne  et  espagnole 
devait  réagir  plus  tard  sur  la  littérature  française, 
comme  elle  agit  d'abord  sur  la  littérature  an- 
glaise. 

La  passion  des  voyages,  s'il  faut  en  croire 
Shakespeare,  poussait  déjà  un  grand  nombre  d'An- 
glais à  visiter  le  continent.  Ils  revenaient  le  plus 
souvent  épris  de  la  littérature  italienne.  Fairfax 
traduisit  le  Tasse,  Harrington  l'Arioste.  Les 
modes,  les  manières,  le  langage  de  l'Italie  devin- 
rent l'objet  d'une  imitation  passionnée,  exagérée. 
«Les  Anglais,  disait-on  au  temps  d'Elisabeth, 
sont  plus  au  courant  des  histoires  de  Boccace  que 
des  récils  de  la  Bible.  »  Mais  ce  furent  surtout 
les  défauts  de  l'Italie  que  l'Angleterre  copia. 
John  Lilly  fut  le  père  de  Vcuphuhme,  style  ridicule 
et  prétentieux  que  Shukespeare  railla  plus  tard,  et 
qui  ressemblait  au  «  gongorisme  ».  Elisabeth  fut 
la  plus  détestable  dos  «  cuphuistes».  La  cour  s'é- 
tait engouée  de  l'euphuisme,  comme  un  siècle  plus 
tard  elle  s'engoua  du  français.  Philippe  Sydney 
faisait  connaître  h.  ses  compatriotes  les  drames 
espagnols,  les  poèmes  de  Ronsard  et  les  sonnets 
de  l'Italie.  Le  public  s'arrachait  les  écrits  de 
Greene  et  de  Nash.  La  littérature  anglaise  so 
formait.  Elle  n'était  pas  encore  vraiment  origi- 
nale; mais  après  la  défaite  de  1  Armada  espagnole 
(1588),  devenue  grâce  à  ses  politiques  et  à  ses 


RENAISSANCE 


—  1836  — 


RENAISSANCE 


soldats  une  grande  puissance,  l'Angleterre  conquit 
aussi  dans  les  lettres  une  indépendance  glo- 
rieuse avec  Spenser  (the  Fairie  Qiieene,  la  Reine 
des  Fées),  Shakespeare  et  Bacon. 

L'Allemagne,  absorbée  dans  les  luttes  religieu- 
ses, ne  tira  pas  grand  profit  de  la  renaissance 
littéraire  au  xvi'  siècle.  Dans  le  Nord,  les  univer- 
sités, formées  sur  le  modèle  de  celle  de  Paris, 
s'attardaient  dans  des  débats  dignes  du  mnj'en 
âge.  On  ne  lisait  avec  faveur,  après  les  livres 
dogmatiques  de  la  Réforme,  que  les  pamphlets  de 
Ulrich  de  Hutten, les  0  Lettres  des  hommes  obscurs  », 
ou  les  spirituels  ouvrages  du  Flamand  Erasme. 
La  langue  allemande  se  formait  lentement.  Luther 
.-ivait  traduit  la  Bible  en  langage  saxon.  Ce  dia- 
lecte devint  pour  les  Allemands  ce  qu'avait  été 
l'attique  pour  les  anciens  Grecs.  Le  poète  populaire 
Hans  Sachs  (1494-1571.)  composait  des  drames, 
des  contes,  des  pièces  comiques.  L'Allemagne 
élevait  son  premier  théâtre  à  Nuremberg  (1550). 
Mais  les  événements  poliliques  retardèrent  de  deux 
siècles  l'éclosion  de  sa  renaissance  littéraire. 

Les  sciences  ne  varient  pas,  comme  les  lettres 
et  les  arts,  suivant  les  aptitudes  diverses  des 
différents  peuples.  Elles  constituent  dans  leur 
■  précision  et  leur  universalité  le  patrimoine  com- 
mun de  l'humanité.  Copernic  et  Tyclio-Brahé, 
Kepler  et  Galilée  déterminèrent  les 'lois  physi- 
ques qui  régissent  les  mondes.  Le  Français  Viète, 
l'Italien  Tartaglia,  l'Ecossais  Napier,  dévelop- 
paient l'algèbre  et  créaient  pour  ainsi  dire  une 
arithmétique  nouvelle.  L'observation  devenait  la 
base  de  toutes  les  sciences,  comme  le  voulait 
Bacon  le  philosophe.  La  médecine,  moins  entra- 
vée par  les  préjugés  d'un  autre  âge,  allait  déve- 
lopper les  principes  d'Hippocrate  et  de  Galion. 
Pierre  Brissot.  Guillaume  Cop,  Fernel,  Gonthier 
d'.Nndernach,  Vesale.Jean  de  Carpi,  Ambroise  Paré, 
créaient  les  sciences  nouvelles  de  la  pathologie, 
de  l'anatomie,  de  la  chirurgie. 

La  pensée  si  longtemps  prisonnière  se  voyait 
enfin  délivrée.  Le  monde  physique  s'agrandissait 
aussi.  Les  grands  voyageurs  du  xvi«  siècle  fai- 
saient connaître  à  l'Europe  étonnée  les  civilisa- 
tions étranges  du  Mexique,  du  Pérou,  de  l'Ex- 
trême Orient,  des  régions  polaires.  Jamais  l'es- 
prit humain  n'avait  entrevu  d'horizons  aussi 
vastes.  Jamais  l'homme  n'avait  mieux  senti  sa 
propre  valeur.  Le  désir  de  la  liberté,  le  sen- 
tiiiient  que  cette  liberté  était  juste  et  néces- 
saire, se  révélaient  partout,  dans  la  politique, 
dans  la  religion,  comme  dans  la  science  et  la  lit- 
térature. C'était  bien  une  société  nouvelle  qui 
se  formait  d'après  des  principes  contraires  à 
ceux  des  sociétés  antérieures.  Le  moyen  âge  avait 
eu  la  foi  :  le  xvi'  siècle  restait  sceptique  avec  Mon- 
taigne, et  croyait  avec  Bacon  i  la  nécessité  de  l'ex- 
périence. Le  moyen  âge  avait  été  «  ecclésiasti- 
que »  ;  l'Eglise  alors  instruisait  les  peuples  et 
dominait  les  rois.  Au  xvi=  siècle,  les  peuples  ré- 
clament la  libre  pensée;  la  science,  la  littérature, 
l'art  deviennent  laïques.  Les  rois  menacent  l'E- 
glise, la  raillent,  l'abandonnent  ou  la  soumettent 
à  leurs  caprices.  La  révolution  de  l'intelligence 
complète  la  révolution  religieuse. 

[L.-G.  Gourraigne.] 

Lectures  et  dictées.  —  Il  y  avait  dix-sept  siè- 
cles qu'une  grande  pensée  triste  avait  commencé  à 
peser  sur  l'esprit  de  l'homme  pour  l'accabler, 
puis  l'exalter  et  l'affaiblir,  sans  que  jamais,  dans 
un  si  long  intervalle,  elle  eût  lâché  prise.  C'é- 
tait l'idée  de  l'impuissanceet  de  la  décadence  hu- 
maine. La  corruption  grecque,  l'oppression  ro- 
maine et  la  dissolution  du  monde  antique  l'avaient 
fait  naître;  à  son  tour  elle  avait  fait  naître  la 
résignation  stoique,  l'insouciance  épicurienne,  le 
mysticisme  alexandrin  et  l'attente  chrétienne  du 
royaume   de   Dieu.  «    Le  monde  est  mauvais   et 


perdu  :  échappons-lui  par  l'insensibilité,  par  l'é- 
tourdissement,  par  l'extase.  »  Ainsi  parlaient  les 
philosophies,  et  la  religion,  arrivant  par-dessus 
elles,  avait  ajouté  qu'il  allait  finir  :  n  Tenez-vous 
prêts,  car  le  royaume  de  Dieu  est  proche.  »  Mille 
ans  durant,  les  ruines  qui  se  faisaient  de  toutes 
parts  vinrent  incessamment  enfoncer  dans  les 
cœurs  cette  pensée  funèbre,  et  quand  du  fond  de 
l'imbécillité  finale  et  de  la  misère  universelle 
l'homme  féodal  se  releva  par  la  force  de  son  cou-  i 
rage  et  de  son  bras,  il  retrouva,  pour  entraver  sa 
pensée  et  son  œuvre,  la  conception  écrasante  qui, 
proscrivant  la  vie  naturelle  et  les  expérances  ter- 
restres, érigeait  en  modèles  l'obéissance  du  moine 
et  les  langueurs  de  l'illuminé. 

Par  sa  propre  force,  elle  empira.  Car  le  propre 
d'une  pareille  conception,  comme  des  misères  qui 
l'engendrent  et  du  découragement  qu'elle  consa- 
cre, c'est  de  supprimer  l'action  personnelle  et  de 
remplacer  l'invention  par  la  soumission.  Insensi- 
blement, dès  le  IV'  siècle,  on  voit  la  règle  morte 
se  substituer  à  la  foi  vivante.  Le  peuple  chrétien 
se  remet  aux  mains  du  clergé,  qui  se  remet  aux 
mains  du  pape.  Les  opinions  chrétiennes  se  sou- 
mettent aux  théologiens,  qui  se  soumettent  aus 
Pères.  La  foi  chrétienne  se  réduit'îi  l'accomplis- 
sement des  œuvres,  qui  se  réduit  à  l'accomplisse- 
ment des  rites.  La  religion,  fluide  aux  premiers  siè 
clés,  se  fige  en  un  cristal  raide,  et  le  contact  gros 
sier  des  barbares  vient  poser  par-dessus  une 
couche  d'idolâtrie  :  on  voit  paraître  la  théocratie 
et  l'inquisition,  le  monopole  du  clergé  et  Tinter 
diction  des  Ecritures,  le  culte  des  reliques  e 
l'achat  des  indulgences.  Au  lieu  du  christianisme 
l'Eglise  ;  au  lieu  de  la  croyance  libre,  l'ortliodoxii] 
imposée  ;  au  lieu  de  la  ferveur  morale,  les  prati 
ques  fixes  ;  au  lieu  du  cœur  et  de  la  pensée  agisj 
santé,  la  discipline  extérieure  et  machinale  :  C!| 
sont  là  les  traits  propres  du  moyen  âge.  Soiil 
cette  contrainte,  la  société  pensante  avait  cess 
de  penser;  la  philosophie  avait  tourné  au  manut 
et  la  poésie  au  radotage,  et  l'homme  inerie,  agc 
nouille,  remettant  sa  conscience  et  sa  conduit 
aux  mains  de  son  prêtre,  ne  semblait  qu'un  mai 
nequin  bon  pour  réciter  un  catéchisme  et  psalim 
dier  un  chapelet. 

Enfin,  l'invention  recommence;  elle  recon 
mence  par  l'effort  de  la  société  laïque  qui  a  rejet 
la  théocratie,  maintenu  l'Etat  libre,  et  qui  à  pn 
sent  retrouve  ou  trouve  une  à  une  les  industrie 
les  sciences  et  les  arts.  Tout  se  renouvelle  ;  l'Am 
rique  et  les  Indes  sont  découvertes,  la  figure  de 
terre  est  connue,  le  système  du  monde  est  annonc 
la  philosophie  moderne  est  fondée ,  les  scienc 
expérimentales  commencent,  les  arts  et  les  litt 
ratures  poussent  comme  une  moisson,  la  religii 
se  transforme  ;  il  n'y  a  point  de  province  da 
l'intelligence  et  dans  l'action  humaine  qui  ne  si. 
défrichée  et  fécondée  par  cet  universel  effort,  i 
est  si  grand,  que  des  novateurs  il  passe  a; 
retardataires,  et  redresse  un  catholicisme  i 
face  du  protestantisme  qu'il  a  dressé.  Il  semli 
que  les  hommes  aient  ouvert  tout  d'un  ce» 
les  yeux  et  voiejit.  En  effet,  ils  entrent  dîJ 
une  forme  d'esprit  nouvelle  et  supérieure.  C't 
le  trait  propre  de  cet  âge,  qu'ils  ne  saisissit 
plus  les  choses  par  parcelles,  isolément,  ou  j* 
des  classifications  scolastiques  et  mécaniqu, 
mais  d'ensemble,  par  des  vues  générales  et  ce- 
plètes,  avec  cet  embrassement  passionné  dD 
esprit  sympathique  qui,  placé  devant  un  V£9 
objet,  le  pénètre  dans  toutes  ses  parties,  le  1* 
dans  toutes  ses  attaclies,  se  l'approprie,  se  IJ^ 
simile,  s'en  imprime  l'image  vivante  et  puissaifc 
si  vivante  et  si  puissante  qu'il  est  obligé  d(l» 
traduire  au  dehors  par  une  œuvre  d'art  ou  i* 
action.  Une  chaleur  d'âme  extraordinaire,  le 
imagination  surabondante  et  magnifique,  des  3- 


i 


i 


IIENONGULACEES 


—  1837 


IIENONGULACEES 


mi-visions,  dos  visions  entières,  des  artistes,  des 
croyants,  des  fondateurs,  des  crcnleurs,  voili  ce 
qu'une  pareille  forme  d'esprit  produit  au  jour  ; 
car,  pour  créer,  il  faut  avoir,  comme  Lutlier  et 
saint  Ignace  ,  comme  Micliel-Ange  et  Shake- 
speare, une  idée  non  plus  abstraite,  partielle  et 
sèche,  mais  figurée,  achevée  et  sensible,  une 
vraie  créature  qui  s'agite  intérieurement  et  fait 
effort  pour  apparaître  à  la  lumière.  C'est  ici  le 
grand  siècle  de  l'Europe  et  le  plus  admirable 
moment  de  la  végétation  humaine.  Nous  vivons 
encore  aujourd'hui  de  sa  sève,  et  nous  ne  faisons 
que  continuer  sa  poussée  et  son  effort.  (H.  Taine.) 
UE>'Oi\ClILAt;ÉES.  —  Botanique,  XXII-XXIV. 
—  Etym.  :  Kenonculacées  vient  de  7-enoncule,  nom 
de  l'un  des  genres  do  celte  famille. 

Défiiiilton.  —  Famille  de  plantes  dicotylédones 
dialypétales  Ji  ovaire  supère. 

Cette  famille  nous  présente  quelque  intérêt  au 
point  de  vue  do  l'histoire  de  la  botanique.  C'est 
en  l'étudiant,  qu'Antoine-Laurent  de  Jussieu  a 
été  conduit  à  admettre  que  tous  les  caractères 
d'une  plante  n'ont  pas  la  même  valeur,  qu'il  y  en 
a  de  primordiaux  et  de  secondaires,  et  surtout 
que  cliacun  d'eux  n'a  de  valeur  que  considéré 
dans  ses  rapports  avec  les  autres.  Se  fondant  sur 
ce  principe  de  la  valeur  relative  des  caractères  de 
chaque  plante,  A.-L.  de  Jussieu  donna  il  l'Acadé- 
mie des  sciences,  dont  il  faisait  partie,  la  première 
classification  naturelle  des  végétaux  (ITÎ4). 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  Re- 
nonculacées  est  lisse  et  brillante  ou  granuleuse; 
le  raphé  y  est  très  proéminent;  son  tégument 
séminal  est  crustaco;  il  recouvre  un  petit  embryon 
placé  à  la  base  d'un  albumen  corné;  chez  les 
pivoines  [P^eonia)  cet  albumen  est  charnu. 

Les  racines  sont  fasciculées  ;  la  première  racine 
qui  naît  de  l'embryon  au  moment  de  la  germina- 
tion, donne  très  rapidement  naissance  à  des  ra- 
cines secondaires  d'égal  volume  qui  se  ramifient 
à  leur  tour  abondamment.  Dans  certains  cas,  ces 
nombreuses  racines  se  renflent  de  distance  en 
distance  pour  former  des  fmlbilles  qui  servent  i 
la  dissémination  de  la  plante.  Ce  phénomène 
s'observe  surtout  chez  la  ficaire.  Dans  le  midi  de 
la  France,  où  cette  plante  fleurit  très  abondam- 
ment, où  SOS  graines  arrivent  facilement  à  matu- 
rité et  assurent  ainsi  sa  reproduction,  on  ne  voit 
jamais  ses  racines  produire  de  bulbilles.  Au 
contraire,  dans  le  nord  de  la  Franco,  surtout 
lorsque  la  saison  d'été  est  pluvieuse,  la  ficaire 
produit  peu  de  fleurs,  ses  graines  mûrissent  dif- 
ficilement, et  alors  ses  racines  se  couvrent  de 
bulbilles.  Chaque  bulbille  est  un  petit  tubercule, 
gorgé  de  matières  nutritives,  qui  passe  l'hiver 
dans  le  sol.  Au  printemps  il  émet  des  racines  et 
des  tiges,  et  reproduit  ainsi  une  plante  entière. 
La  tige  des  Renonculacécs  est  ordinairement 
herbacée  et  dressée,  ou  transformée  en  rliizome; 
chez  le  Iianu7icului  bulbosus  elle  se  renfle  à  sa 
base  en  un  bulbe.  Dans  quelques  genres,  quoique 
toujours  relativement  grêle,  elle  devient  ligneuse 
ei  sarmenteuse  (clématite,  naravolia).  L'anatomie 
de  cette  tige  offre  quelques  particularités  intéres- 
santes; ses  faisceaux  primaires,  peu  nombreux, 
ont  une  structure  comparable  à  celle  des  faisceaux 
des  plantes  monocotylédouées.  Ils  sont  môme 
pourvus  d'une  lacune,  dite  lacune  antérieure 
parce  qu'elle  se  trouve  entre  les  plus  petites 
trachées  et  le  liber  interne;  et,  excepté  chez  les 
Cléniatidées,  ils  ne  présentent  qu'un  accroissement 
secondaire  très  faible.  Leur  zone  cambiale  s'éteint 
très  rapidement;  on  les  désigcie  alors  sous  le  nom 
de  faisceaux  fermés. 

Les  feuides  sont  alternes,  sauf  chez  les  Cléma- 
tidées.  où  elles  sont  opposées.  Elles  se  composent 
d'un  limbe  et  d'un  pétiole  bien  développés.  Le 
limbe  est  quelquefois  entier,  mais  lu  plus  souvent 


profondément  divisé,  de  sorte  que  les  feuilles 
peuvent  être  :  entières  (mj-oaurus),  dentées  (fi- 
caire ,  populage)  ,  pédalées  (ellébore  fétide, 
ellébore  noir),  pinnatifides  (adonis,  thaliotrum, 
nigelle),  palmilobées  ou  palmitifides  (dauphinelle, 
aconit,  renoncule),  composées  (cléniatidées),  dé- 
composées-ternées  (ancolie,  etc.).  Souvent  le  pé- 
tiole se  dilate  h  sa  base  de  façon  h  devenir  engai- 
nant (amplexicaule)  ;  chez  les  Ihalietrum  et  les 
Kammciilus,  il  est  accompagné  d'appendices  stipu- 
liformes;  chez  ]es  Naravelia,  plantes  grimpantes 
de  l'Asie  tropicale,  le  pétiole  est  contourné  en  vrille. 
Les  feuilles  sont  parfois  toutes  radicales,  et,  dans 
ce  cas,  celles  que  portent  les  hampes  florales  sont 
plus  réduites  et  passent  insensiblement  aux  brac- 
tées, ou  bien  elles  deviennent  sessiles  et  forment 
un  involucre  à  la  fleur  (anémone,  hépatique). 

Les  fleurs  sont  tantôt  terminales  ou  .solitaires 
(clématite  h  fleurs  bleues,  anémone  des  bois), 
tantôt  disposées  en  grappes  (aconit)  ou  en  pani- 
cules  (thalietrum).  Elles  sont  régulières  ou  irré- 
gulières; elles  sont  hermaphrodites,  excepté 
dans  un  petit  nombre  de  genres  où  elles  sont 
dioïques  parce  que,  dans  certaines  de  leurs  fleurs, 
les  étamines  ne  se  développent  pas,  tandis  que, 
dans  certaines  autres,  ce  sont  les  carpelles  qui  ne 
se  sont  pas  développés. 

Le  caractère  général  de  la  fleur  des  Rononcula- 
cées,  c'est  que  tous  ses  organes  sont  disposés  sui- 
vant une  spirale  continue  qui  commence  au  premier 
sépale  et  se  termine  au  dernier  carpelle,  compre- 
nant successivement  tous  les  sépales,  tous  les  pé- 
tales, toutes  les  étamines  et  tous  les  carpelles. 

Chez  ces  plantes,  les  glandes  à  nectar  semblent 
être  d'une  grande  importance  pour  assurer  leur 
reproduction,  car  elles  ne  font  jamais  défaut; 
elles  sont  toujours  portées  par  les  pétales,  à 
moins  que  ceux-ci  n'existent  pas,  ainsi  que  cela 
arrive  chez  un  certain  nombre  de  genres;  dans  ce 
cas,  les  étamines  les  plus  extérieures  se  changent 
en  appareils  nectarifères. 

En  général,  la  fleur  présente  de  l'extérieur  à 
l'intérieur  : 

1"  Un  calice  composé  ordinairement  de  cinq  sé- 
pales (renoncule,  ancolie,  nigelle,  pivoine,  dau- 
phinelle, aconit),  ou  de  trois  (ficaire),  ou  de  huit 
(adonis),  ou  d'un  plus  grand  nombre.  Ce  calice  est 
ordinairement  pétaloido  et  vivement  coloré,  même 
chez  les  plantes  pourvues  de  corolle  ;  ce  n'est 
que  chez  les  renonculées  et  les  péoniées  qu'il  a 
l'aspect  ordinaire  d'un  calice.  Il  est  régulier,  ou 
rarement  irrégulier  chez  les  dauphinelles,  où  le 
sépale  postérieur  est  prolongé  en  éperon,  et  chez 
les  aconits,  où  les  deux  sépales  antérieurs  sont 
soudés  en  casque. 

2"  Une  corolle,  composée  ordinairement  de  cinq 
pétales  (renoncule,  ancolie),  ou  de  huit  (pivoine, 
acoiiit,  nigelle,  ficaire),  ou  de  deux  ou  de  quatre 
(actée,  dauphinelle),  ou  de  dix  à  quinze  (ellé- 
bore, adonis,  etc.).  Dans  quelques  genres  cette 
corolle  fait  complètement  défaut  (populage,  ané- 
mone, thalietrum,  clématite).  Les  pétales  sont 
non  moins  variables  dans  leur  forme  que  dans 
leur  nombre  ;  comme  ils  n'ont  d'autre  rôle  que 
de  porter  les  glandes  h  nectar,  ils  sont  souvent 
fort  petits,  presque  invisibles,  tandis  que  les  sé- 
pales devenus  pétaloides  constituent  alors  à  eux 
seuls  l'enveloppe  éclatante  de  la  fleur.  Les  pétales 
sont  très  développés  chez  les  renonculées  et  les 
pivoines,  où  ils  sont  plans  et  étalés,  et  chez  les 
ancolies,  où  ils  ont  la  forme  de  cornets;  ils  sont 
petits,  exclusivement  nectarifères,  chez  les  el- 
lébores, les  nigelles,  les  garidelles,  etc.,  où  ils 
ont  les  formes  les  plus  diverses.  Les  pétales  sont 
inégaux  et  forment  une  corolle  irrégulière  chez 
les  dauphinelles,  où  les  deux  postérieurs  sont 
soudés  et  prolongés  en  un  éperon,  et  chez  les 
aconits,  où  les  doux  antérieurs  sont  pédicules  on 


RENONCULACEES 


1838  — 


RENTES 


forme  de  capuchon,  et  cacliés  sous  le  casque  fornu; 
par  le  calice,  tandis  que  les  autres  sont  ordinaire- 
ment filiformes. 

3"  Un  am/rocéf  composé  de  nombreuses  éta- 
mines  liypogynes  à  filets  filiformes  et  à  anthères  h 
deux  loges  extrorses  ou  latérales. 

i"  Dn  gynécée  composé  de  carpelles  en  nombre 
variable,  ordinairement  très  nombreux.  Il  y  en  a 
un  seul  chez  l'actée,  deux  à  cinq  chez  la  pivoine, 
cinq  chez  l'ancolie,  huit  chez  la  nigelle;  un 
nombre  h  peu  près  indéfini  chez  les  ellébores, 
renoncules,  anémones,  clématites,  etc.  Ces  car- 
pelles sont  libres,  excepté  chez  la  nigelle  où  ils 
sont  soudés  au  centre  de  la  fleur.  Le  stigmate 
assez  développé  est  quelquefois  sessile.  Les  ovules 
sont  anairopes,  unitégumentés  ou  bitégumentés. 
Souvent  chaque  carpelle  n'en  contient  qu'un  seul 
(renoncule,  clématite,  myosurus,  etc.),  ou  bien 
dans  chaque  carpelle  il  y  a  deux  rangées  d'ovules 
placés  horizontalement  (ellébore,  nigelle,  ancolie, 
pivoine,  etc.). 

Le  fruit  est  sec,  déhiscent  ou  indéhiscent;  dans 
le  cas  où  les  carpelles  sont  uniovulés,  chacun 
d'eux  devient  un  akène;  dans  le  cas  où  les  car- 
pelles renferment  deux  séries  d'ovules,  chacun 
d'eux  devient  un  follicule  Chez  la  nigelle,  où  les 
carpelles  sont  soudés,  le  fruit,  sec  et  déhiscent, 
prend  le  nom  de  capsule; chez  l'actée,  le  fruit  est 
charnu  :  l'unique  carpelle  de  la  fleur  devient  une 
haie  à  la  maturité. 

Dans  le  cas  où  le  fruit  est  un  follicule,  la  dé- 
hiscence  se  fuit  par  la  rupture  de  la  ligne  de  suture 
ventrale  de  chaque  carpelle;  chez  les  nigelles, 
cette  ligne  de  suture  ne  se  fend  que  dans  sa 
partie  supérieure. 

CUassifi cation.  —  La  famille  des  Renonculacées 
comprend  entre  autres  les  grouiies  suivants  :  les 
Clématidées.  plantes  grimpantes  (genres  Clématite 
et  Naravelia)  ;  les  Anémonées  (genres  Anémone, 
Adonis,  Myosoius);  les  Renonculées  (genres  Re- 
noncule et  Ficaire);  les  Elléborées  (genres  Po- 
pulage.  Ellébore,  Nigelle,  Ancolie,  Dauphinelle, 
Aconit);  les  Péoniées  (gpnre  Pivoine). 

Usages  des  Renonculacées.  —  Toutes  les  Re- 
nonculacées soni  acres  et  vénéneuses  ;  mais  le 
principe  vénéneux  qu'elles  renferment  est  volatil 
et  disparaît  par  la  dessiccation  ou  la  cuisson,  de 
sorte  que  certaines  d'entre  elles  sont  comes- 
tibles. 

1.  Renonculacées  comestibl-s.  —La  Renoncule 
scélérate,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  est  des  plus 
vénéneuses,  perd  ses  propriétés  toxiques  par  une 
cuisson  prolongée  et  est  mangée  comme  légume. 
Il  en  est  de  même  des  jeunes  pousses  de  la  Clé- 
matite fl'imiiièle.  La  Ficaire  cesse  d'être  véné- 
neuse après  sa  floraison,  et  devient  ainsi  comes- 
tible. Dans  le  midi  de  l'Europe  et  en  Orient,  on 
cultive  la  higelle  pour  récolter  ses  graines,  dont 
on  se  sert  pour  assaisonner  le  pain. 

2.  Rciiniicuiacées  médicinales.  —  Presque  toutes 
les  Renonculacées  ont  été  utilisées  en  médecine, 
quoique  beaucoup  d'entre  elles  soient  toxiques 
quand  elles  sont  employées  à  haute  dose.  La 
plupart  sont  aujourd'hui  tombées  en  désué- 
tude. 

A  cause  de  leur  àcreté  même,  il  en  est  qui  sont 
vésicantes  et  servent  à  remplacer  les  cantliarides, 
dans  les  pays  où  elles  croissent;  ce  sont  les 
Clemati^  erecla.  Cl.  vilalha.  Cl.  flatnmubi.  Avec 
les  feuilles  de  la  Clématite  des  haies  '  Clematis 
vitalha)  les  mendiants  simulent  des  ulcères,  ce 
qui  a  valu  à  cette  plante  le  nom  i'herbe  aux 
gtieux. 

L'Anémone  pulsatile  est  employée,  à  l'étal  frais, 
pour  combaitr.^  la  paralysie  de  la  rétine  et  aussi 
les  rhumatismes. 

Le  Pigamon  jaune  (Thnlietnim  flavum)  est 
employé  pour  couper  les   fièvres   intermittentes; 


on  le  désigne  souvent  sous  le  nom  de  Rhubarbe 
des  pauvres. 

La  Dauphinelle  ries  champs  ou  Pied- d'alouette 
est  vermifuge,  et  en  même  temps  très  apéri- 
tive. 

Les  graines  de  la  Slaphijsaigre  (Delphinium 
staphf/sogria)  réduites  en  poudre  sont  usitées 
pour  détruire  la  vermine  de  la  tête;  et,  d'une  fa- 
çon générale,  c'est  un  excellent  insecticide.  Elles 
sont  quelquefois  employées  comme  vomitif. 

Les  Ellébores  sont  extrêmement  vénéneuses; 
dans  l'antiquité  elles  étaient  fort  recherchées 
parce  qu'on  croyait  qu'elles  guérissaient  de  la 
folie  ;  on  leur  attribuait  aussi  des  propriétés  pur- 
gatives. 

VAconit  Napel  est  non  moins  vénéneux  que 
les  ellébores  ;  cependant  il  est  encore  aujour- 
d'hui usité  en  médecine,  mais  toujours  k  fort 
petite  dose;  ses  feuilles  et  ses  graines  seules  sont 
employées. 

Le  Cimifu^/a  serpeiitiirio  est  em\Aoyé  en  Améri- 
que contre  la  morsure  du  Crotale. 

La  Pivoine  officinale  a  joui  d'une  grande  célé- 
brité ;  au  moyen  âge,  elle  jouait  un  grand  rôle  dans 
la  sorcellerie;  aujourd'hui  encore,  dans  certains 
pays,  on  croit  que  les  colliers  qui  sont  faits  avec 
ses  graines  préservent  les  jeunes  enfants  des  con- 
vulsions. Elle  n'a  plus  aucun  usage.  Eu  Sibérie, 
il  croit  une  autre  espèce  de  Pivoine,  la  Pivoine 
anormale,  dont  la  racine  est  employée  par  les 
habitants  pour  combattre  les  fièvres  intermit- 
tentes. 

:3.  Renonculacées  tinctoriales.  —  Quelques  Re- 
nonculacées fournissent  un  principe  colorant 
jaune;  ce  sont; 

Le  Coptis  trifoliatu. 

VHg'lrostis  catiadensis  (Amérique). 

Le  Xmithiirhiza  apiifoha  (Amérique). 

4.  Renonculacées  oryiemeyitales.  —  Les  Renon- 
culacées sont  recherchées  comme  plantes  orne- 
mentales à  cause  de  la  beauté  de  leurs  fleurs. 
Comme  elles  ont  des  étamines  très  nombreuses, 
les  fleurs  deviennent  facilement  doubles  par  la 
culture,  ce  qui  ajoute  encore  à  leur  éclat.  Nous 
citerons  les  principales  : 

Les  Clématites, 

Les  Anémones, 

Les  Renoncules, 

L'Ellébore  noir  ou  Rose  de  Noël, 

Les  Ancolics, 

Les  Dauphinelles  {Pied-' l'alouette  à  fleurs  dou- 
bles ;  Dauphinelle  d'AJa.r,  ainsi  nommée  parce  que 
sa  corolle  forme  des  dessins  que  l'on  a  comparés 
au.x  lettres  AIA  qui  sont  les  trois  premières  du 
mot  Ajax), 

L'Aconit  Napel, 

Les  Pivoines.  (C.-E.  Bertrand.] 

UEiVTES. —  Arithmétique,  XLVl. —  On  appelle 
rentes  une  suite  de  sommes  qui  sont  payées  à  des 
époques  déterminées.  Ces  sommes  ne  sont  autre 
chose  que  l'intérêt  d'un  capital  appartenant  au  cen- 
lier,  c'est-à-dire  au  possesseur  de  la  rente,  soit  qu'il 
ait  réellement  prêté  ce  capital,  soit  qu'il  en  ait 
acquis  la  possession  par  suite  de  transactions 
particulières.  Au  point  de  vue  de  l'enseignement, 
la  question  des  reiites  ne  diffère  en  rien  de  celle 
des  intérêts,  et  nous  n'aurions  qu'à  renvoyer  le 
lecteur  à  cette  dernière,  s'il  n'était  pas  nécessaire 
d'entrer  dans  quehiuc-s  détails  au  sujet  des  tentes 
payées  par  l'État,  h  cause  de  la  grande  place 
qu'elles  occupent  dans  la  fortune  publique. 
Nous  y  ajouterons  quelques  indications  sur  les 
rentes  viagères. 

1.  Rentes  si'r  l'Etat.  —  L'Etat  peut  se  trouver 
en  face  de  besoins  extraordinaires  pour  lesquels 
le  produit  des  impùts  annuels  serait  insufflsanl, 
par  exemple,  une  guerre  à  entreprendre,  des  tra- 
vaux  h  exécuter,   etc.    Dans  ce  cas,  il  cherche. 


RENTES 


—  1839  — 


RENTES 


comme  les  particuliers,  des  ressources  dans  un 
emprunt;  mais  il  ne  rembourse  jamais  le  capital  ; 
il  s'engage  seulement  Ji  payer  l'intérêt  :  c'est,  cet 
int6r6t  qui  est  désigné  par  le  nom  de  rentes  sur 
l'Etat.  En  échange  de  son  argent  le  prêteur  reçoit 
un  titre  nommé  inicription  de  retite,  dont  il  dé- 
tache, à  dos  époques  déterminées,  un  petit  carré 
nommé  coupon,  portant  le  montant  de  la  rente 
avec  le  jour  de  l'écliéance.  En  remettant  lo  cou- 
pon aux  bureaux  do  l'Etat,  le  rentier  touche  la 
rente  qui  lui  est  due. 

Il  y  a  trois  espèces  de  rentes  sur  l'Etat  :  1°  les 
rentes  4  1/2  et  4  p.  100,  payables  par  semestres, 
le  22  mars  et  le  'JS  septembre  ;  T  les  rentes 
3  p.  100,  payables  par  trimestres,  le  1"  des  mois 
de  janvier,  avril,  juillet  et  octobre  ;  3°  les  rentes 
5  p.  100,  payables  aussi  par  trimestres,  le  IK  des 
mois  de  février,  mai,  août  et  novembre. 

Ce  sont  ces  deux  dernières  qui  sont  les  plus 
considérables.  Au  \"  janvier  18"9,  le  montant 
des  rentes  payées  par  l'Etat  était  : 

En  rentes  5  p.  100 34G  001  60i  fr. 

—  3  p.  100 361695  465 

—  4  1/2  p.  ICO...       37  450  476 

—  4  p.  100 44C07(i 

Il  faudrait   y  ajouter  une   quatrième   rente,  le 

3  p.  100  amortissable,  qui  résulte  d'un  emprunt 
autorisé  par  une  loi  du  11  juin  1878.  Au  con- 
traire d3s  autres  rentes,  celle-ci  doit  être  rem- 
boursée par  voie  de  tirage  au  sort,  dans  un  espace 
de  soixante-quinze  ans. 

Ces   expressions   rentes    5    p.    100,  3  p.    100, 

4  1/2  p.  lOOj  4  p.  100  signifie  qne  pour  une 
rente  de  5  fr.,  de  3  fr.,  de  4",.iO,  de  4  fi.,  l'E- 
tat donnerait  un  capital  de  100  fr.,  au  cas  où  il 
jugerait  à  propos  d'effectuer  un  remboursement. 
—  V.  Dette  puhlir/ue. 

Il  peut  arriver  que  le  propriétaire  d'une  inscrip- 
tion de  rente  ait  besoin  de  son  capital.  Il  vend 
alors  son  titre  à  un  acheteur  qui  se  substitue  à 
lui  et  reçoit  la  rente  h  sa  place  Si  l'Etat  est 
dans  une  situation  prospère,  on  a  l'assurance  que 
la  rente  sera  régulièrement  payée  ;  en  raison  de 
cette  sécurité  la  valeur  du  titre  augmente  plus  ou 
moins.  Si,  au  contraire,  l'Etat  se  trouve  en  face 
d'embarras  financiers  ou  autres,  on  peut  craindre 
qu'il  ne  soit  pas  en  mesure  de  payer  exactement 
la  rente,  le  titre  perd  alors  de  sa  valeur  et  se 
vend  à  un  prix  plus  ou  moins  bas.  Ce  prix  varia- 
ble est  ce  qu'on  appelle  cours  de  la  rente.  La 
vente  et  l'achat  de  ces  titres  se  font  à  Paris,  et 
dans  quelques  autres  grandes  villes,  dans  un  lo- 
cal particulier  nommé  la  Bowse,  et  par  l'inter- 
médiaire des  agents  de  change,  qui  ont  seuls  le 
droit  d'opérer  ces  transactions.  Ils  perçoivent 
pour  leurs  honoraires,  comme  frais  de  commis- 
sion, 1/8  p.  10(1  sur  lo  capital  employé,  c'est-à- 
dire  12  centimes  et  demi  par  100  fr.  Quand  le  cours 
de  la  rente  est  égal  h  sa  valeur  nominale,  on  dit 
qu'elle  est  au  pair. 

On  dislingue  les  rentes  en  renies  nominatives 
et  rentes  au  porteur.  Les  premières  sont  inscri- 
tes au  Grand-Livre  avec  le  nom  de  leur  proprié- 
taire. Quant  aux  autres,  le  nom  de  celui  qui 
les  possède  ne  figure  nulle  part;  l'Etat  paie  la 
rente  à  celui  qui  lui  présente  le  coupon.  Ces  der- 
niers titres  ont  l'avantage  de  pouvoir  passer  de 
mains  en  mains,  en  quelque  sorte,  aussi  facile- 
ment que  les  pièces  de  monnaie  ou  les  billets  de 
banque  ;  cette  cession  est  soumise,  au  contraire, 
à  quelques  formalités  pour  les  titres  nominatifs. 
Au  reste,  il  est  toujours  facultatif  de  faire  con- 
vertir un  titre  nominatif  en  un  titre  au  porteur 
et  réciproquement. 

Nous  allons  maintenant  traiter  quelques  pro- 
blèmes relatifs  aux  négociations  des  rentes  sur 
lEtat. 


PiiOBLÈME  1.  —  On  arhèle  840  /;■.  de  renies 
5  /).  100  le  27  décem/jre  1880.  Quel  est  le  capital 
di'/)Oursé,  le  cours  de  la  renie  étant  ce  jour-là 
119,25? 

Une  rente  de  5  fr.  coûte  110'', 25. 
Uiie    rente   de   1    fr.    coûte   5  fois   moins,   ou 
1I9,V5 
5 
Une   rente   de   840  fr.  coûtera 


■=23",S5. 


23,85  X  840  =  20034  fr. 

Au  capital  il  faudra  ajouter  : 

Courtage  de  1/8  p.  100  sur  20  034  fr., 
c'est-à-dire 25',04 

Timbre  sur  le  bordereau  de  l'agent  de 
change I  ,80 

Timbre  sur  le  reçu 0  ,10 

Total  des  frais  à  ajouter  au  capital    2G',94 

Nota.  —  Le  droit  de  timbre  sur  le  bordereau 
est  de  1",80  pour  tout  achat  dont  le  montant  est 
de  lOOOOfr.  et  au-dessus,  et  seulement  de  Of'',60, 
quand  le  montant  est  au-dessous  de  cette  somme. 

PnoBi.ÈME  2.  —  Au  cours  de  84,95,  la  rente  de 
3  p.  100  coiUe-t-elle  p/u<  ou  moins  cher  que  la 
rente  5  p.  100  au  cours  de  119,25  ? 

En  3  p.  100  une  rente  de  3  fr  coûte  8if'',95; 

84  95 
une  rente  de  1  fr.  coûterait  — r — =28''',316. 

En  5  p.  100  une  rente  de  5  fr.  coûte  1 19",25  ; 

1 19  2.i 
une  rente  de  1  fr.  coûterait  — -^  =  2-3'', 85. 

5 
C'est  la  rente  3  p.  luO  qui  coûte  le  plus  cher  ; 
la  différence  du  prix  de  l'achat  de  1  fr.  de  rente 
est  : 

28,32  — 23,85=  i",47. 

PnoBLÈME  3.  —  Le  cours  du  5  p.  100  étant 
119,10,  guel  devrait  élre  ce  j'>ur-là  le  cows  du 
3  jD.  100,  ]iour  que  le  taux  de  l'intérêt  fût  le 
même  dans  les  deux  rentes. 

Une  rente  de  5  fr.  coûte  119",10,  abstraction 
faite  des  frais  de  négociation. 

110,10 

Une  rente  de  1  fr.  coûterait — ^2.1'', 83. 

5 

Une  rente  de  3  fr.  devrait  coûter  : 
23,82  X3  =  71",4G. 

Problème  4.  —  Quel  capital  représente  tme 
rente  de  m>  fr.  en  4  1/2  p  100  au  cours  de 
9;'%7â  .'  Quelle  sent  t'migmeidation  que  recevra 
le  capital,  si  le  cours  de  la  rente  s'élève  à  95  fr. 

Une  rente  de  4", 50  correspond  à  un  capital  de 
92",75. 

Le  capital  correspondant  à  1  fr.  de  rente  serait 
92,75 
4,5  ' 

Le  capital  demandé  sera  105  fois  celui-ci,  c'est- 
à-dire  : 

0V^X195=HLi^  =  4019M7. 


Lorsque  le  cours  de  la  rente  s'élève  de  92'',75  à 
95  fr.,  le  rentier  gagne  2",25  sur  chaque  titre. 
Or  le  nombre  do  ses  titres  est  : 


4,5 


130 

3  ■ 


RENTES 
Lg  bénéfice  total  est  donc  : 


1840  —  RENTES 

Table  de  mortalité  dressée  par  Déparcieux. 


,  130 


2,25  X^=  0,75  X  130  =  97",50. 

L'augmentation  qu'a  prise  le  capital  est  de 
7"",50. 

Observation.  —  Les  problèmes  qui  précèdent 
suffisent  pour  indiquer  la  marche  à  suivre  dans 
les  questions  élémentaires  relatives  aux  rentes 
sur  l'Elat.  Des  développements  plus  étendus  sur 
des  opérations  plus  compliquées  sortiraient  du  ca- 
dre de  l'enseignement  primaire  ;  c'est  dans  les 
ouvrages  spéciaux  qu'il  faut  les  étudier. 

II.  Rentes  viagères.  —  Une  personne  cède  la 
propriété  d'un  capital,  en  numéraire  ou  en  im- 
meubles, à  un  particulier  ou  à  une  compagnie,  à 
condition  d'en  recevoir  en  écliange  pendant  le 
reste  de  sa  vie  une  rente  déterminée  :  cette 
rente  est  ce  qu'on  appelle  une  rente  viagère. 
On  dit  dans  ce  cas  que  le  capital  est  placé  b. 
fonds  perdu. 

La  rente  viagère  est  toujours  supérieure  à  l'in- 
térêt que  produirait  un  capital  dans  les  condi- 
tions ordinaires  de  placement,  et  elle  est  d'autant 
plus  grande  que  la  personne  à  qui  elle  doit  être 
payée  est  plus  âgée.  Si  cette  personne  meurt 
bientôt  après,  l'autre  se  trouve  à  peu  de  frais 
propriétaire  du  capital.  Si  la  vie  de  la  première 
Tient  à  se  prolonger  au  delà  des  prévisions  possi- 
bles, la  seconde  subit  les  cliarges  d'un  contrat 
plus  onéreux  qu'elle  n'avait  pensé.  Pour  éviter  de 
tels  mécomptes,  il  faudrait  pouvoir  déterminer 
la  quotité  de  la  rente  à  payer  pour  un  capital 
donné  et  pour  un  âge  désigné  ;  ce  qui  n'est 
guère  possible  à  cause  de  l'incertitude  sur  l'épo- 
que de  la  mort  du  rentier.  On  a  cependant 
cherché  à  diminuer  cette  indétermination,  en 
combinant  deux  éléments  :  la  valeur  actuelle  d'un 
capital  payable  à  une  époque  déterminée,  et  la 
probabilité  qu'une  personne  d'un  âge  connu  at- 
teindra cette  époque. 

Probabilité.  —  Qu'on  prenne  au  hasard  une 
bille  dans  un  sac  qui  en  contient  par  exemple  'JO, 
numérotées  1,  '2,  :)...,  etc.  Quelle  chance  a-t-on 
d'en  tirer  un  numéro  déterminé  ?  Chacun  des  90 
numéros  pouvant  également  sortir,  il  n'y  a  sur 
HO  manières  différentes  de  choisir  une  bille  qu'une 
seule  qui  puisse  amener  le  numéro  attendu  ;  le 
nombre  des  chances  heureuses  n'est  donc  que  la 
90=  partie  du  nombre  total  des  chances  favorables 
eu  contraires. 

Si,  au  lieu  d'un  seul  numéro,  on  en  tirait  cinq, 
il  est  évident  que  les  chances  de  voir  sortir  le 
numéro  désigné  seraient  cinq  fois  plus  nombreu- 
ses que  dans  le  cas  précédent  ;  ce  nombre  serait 

—  du  nombre  total   des  chances   favorables  ou 

MO 

contraires.   Cotte   fraction   est   ce  qu'on    appelle 

probabilité  dans  le  langage  mathématique. 

La  probabilité  mathématique  d'un  événement 
est  donc  le  rapport  qu'il  y  a  entre  le  nombre  des 
chances  par  lesquelles  l'évéuemeut  peut  se  pro- 
duire et  le  nombre  total  des  chances  favorables  et 
contraires. 

Tables  de  mortalité.  —  Supposons  qu'à  l'aide 
des  registres  dos  naissances  et  des  décès  d'une 
ville  on  ait  noté,  par  exemple,  1000  individas  nos 
le  même  jour  ou  à  peu  près,  et  que  d'année  en  année 
on  ail  compté  le  nombre  do  ceux  d'entre  eux  qui 
sont  morts.  En  inscrivant  vis-i-vis  de  chaque  âge 
les  nombres  de  ceux  qui  sont  vivants  à  cet  à^o. 
on  aura  ce  qu'on  appelle  une  table  de  mortalité. 

Nous  n'avons  pas  à  expliquer  ici  comment  de 
pareilles  tables  peuvent  être  établies  ;  nous  nous 
bornerons  à  rapi-oduire,  pour  fournir  un  exemple, 
l'une  des  plus  connues,  en  l'empruntant  à  l'An- 
nuaire du  bureau  des  longitudes  : 


AGES.   VIVANTS.    .\GES.   VIVAMS.   AGES.   VIVANTS 


Cette  table  montre  que  sur  l'J.Sli  individus  nés 
le  même  jour,  il  n'y  en  a  de  vivants  que  1071  au 
bout  de  1  an,  1006  au  bout  de  2  ans,  etc.,  et  que 
le  dernier  meurt  après  l'âge  de  94  ans. 

De  cette  table  on  tire  la  probabilité  qu'il  y  a 
pour  une  personne  ayant  un  âge  connu  d'ar- 
river h  un  âge  déterminé,  par  exemple,  de  60  à 
SO  ans. 

En  effet,  d'après  cette  table,  le  nombre  des 
vivants  à  60  ans  est  -163  ;  le  nombre  des  vivants  à 
80  ans  est  de  118.  Or,  l'individu  qui  est  au  nom- 
bre des  463,  peut  se  trouver  l'un  des  118  .survi- 
vants ;  la    probabilité  qu'il   atteindra  80  ans  est 

donc  -— • 

46-5 

Ainsi  la  probabilité  pour  une  personne  ayant  un 
àgB  connu  d'atteindre  un  âge  assigné  est  une 
fraction  qui  a  pour  numérateur  le  nombre  des 
vivants  de  ce  dernier  âge,  et  pour  dénominateur 
le  nombre  des  vivants  de  l'âge  précédent. 

Videur  actuelle  d'une  rente  vinr/èi-e  pour  toi 
âge  donné.  —  Supposons,  par  exemple,  qu'une 
personne  âgée  de  80  ans  propose  à  un  homme  de 
lui  abandonner  son  bien,  pour  une  rente  viagère 
annuelle  de  1500  fr.,  dont  la  première  serait  payée 
dans  un  an  ;  quelle  doit  être  la  valeur  de  ce  bien  't 

Soit  4,5  p.  100  le  taux  annuel  de  l'intérêt.  Pour 
abréger  l'écriture,  représentons  par  ;■  l'intérêt 
annuel  de  I  fr.,  c'est-à-dire  U",045  dans  ce  cas,  et 
par  a  la  rente  de  liOO  fr. 

La  première  étant  payable  dans  un  an  ne  vaut 

auiourd'hui  que ;  la  deuxième  payable  dans 

j  '      1-f-r' 


2  ans  ne  vaut  aujourd'hui  que 


et  ainsi  de     t 


(l-t-2j- 

suite  (V.  Intérêts  composés).  Mais,  en  raison  de 
rôventualité  de  la  mort  du  rentier,  la  valeur  réelle 
so  trouve  inférieure  à  celle  qui  vient  d'être  indi- 
quée, pour  le  cas  où  le  rentier  serait  vivant  i 
l'échéance  de  chacune  de  ces  rentes. 


REPTILES 


1841 


REPTILES 


Or,  la  probabilité  qu'il  attuindra  los  igos  suc- 
cessifs est: 


us 


_85 
IJ8 


71 
US 


US 


On  peut  d'après  cela  assigner  comme  valeur 
réelle  de  chaque  rente,  au  jour  du  contrat,  eu 
égard  aux  chances  de  mortalité  : 

a        1(H_^^      a  85. „^      n  71 

'°l+c^llS'^  (l+<',i^n8'"''(H-cj3-~~^TT8'°"^' 

La  somme  de  toutes  ces  valeurs  déterminera 
la  valeur  du  capital  correspondant.  Si  on  désigne 
ce  capital  par  C,  on  aura  l'équation  : 

„_    a        101  n  «.->  a  71 

~\  +  r'    Us'^"(H-r)^^hs'*"(l+rj:  "^ 


US 

+  ■ 


US 


:X- 


(H-;)i'"US' 
ou  en  rétablissant  les  nombres  et  mettant 
facteur  commun  de  tous  les  termes  : 

1500     /  101  85 71_ 

~  118  ■^\l,0i5"^l,0i53 "''1,045: 

On  calculera  au  moyen  des  logarithmes  les 
divers  quotients  compris  entre  les  parenthèses; 
puis  il  ne  restera  qu'à  en  faire  la  somme,  à  la 
multiplier  par  1500  et  à  diviser  le  produit  par  118. 
On  trouvera  : 

C  =  5299". 

Tel  serait  le  capital  que  doit  céder  la  personne 
âgée  de  SO  ans  pour  recevoir  une  rente  viagère  de 
1500  fr. 

Ces  calculs  étant  laborieux,  on  a  construit  des 
tables  indiquant  le  capital  correspondant  i  une 
rente  viagère  de  1  fr.  pour  les  divers  âges  et  à 
divers  taux.  Une  simple  multiplication  suffit 
alors  pour  trouver  le  capital  demandé. 

Les  contrats  relatifs  à  la  constitution  des  rentes 
viagères  n'interviennent  pas  seulement  entre  les 
particuliers  ;  ils  sont  la  base  des  opérations  des 
Compagnies  d'assurances  sur  la  vie. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

REPRODUCTION.  —  Botanique,  X.  —  V.  Cryp- 
togames, Acotylcdones,  Champignons,  Phmiéro- 
gamex.  Fleuri,  Fruit. 

REPTILES.  —  Zoologie,  XIX.  —  Les  Reptiles 
peuvent  être  définis  des  animaux  vertébrés  al- 
lantoïdiens  à  cinuhdion  imparfaite.  Par  leur 
double  enveloppe  fœtale  {utlatitoïde  et  amnios), 
ils  se  distinguent  des  Vertébrés  inférieurs.  Batra- 
ciens et  Poissons  ;  et,  par  l'imperfection  de  leur 
cœur,  ils  se  séparent  nettement  des  supérieurs, 
Mammifères  et  Oiseaux. 

Le  cœur  des  Reptiles  (à  l'exception  des  Croco- 
diliens  dont  nous  parlerons  plus  loin)  présente 
constamment,  comme  celui  des  Batraciens  adul- 
tes, deux  oreillettes  et  un  seul  ventricule  dans 
lequel  le  sang  veineux  se  mélange  au  sang  ar- 
tériel. Il  résulte  de  cette  conformation  qu'une 
partie  seulement  de  la  masse  du  sang  vient,  à 
chaque  révolution,  se  revivifier  au  contact  de 
l'oxygène  de  l'atmosphère.  On  sait  que  l'oxygè- 
ne, absorbé  par  le  sang  dans  les  poumons,  et 
charrié  par  lui  dans  l'organisme,  amt-ne  une  vé- 
ritable combustion  de  la  substance  de  l'animal,  et 
que  cette  combustion  est  la  source  de  sa  chaleur 
et  de  sa  vie.  Aussi  la  quantité  de  chaleur,  et,  si 
Ion  peut  is'exprimer  ainsi,  la  quantité  dévie, 
produite  ci*  un  temps  donné,  est-elle  bien  moin- 
dre chez  les  Reptiles  que  chez  les  Mammifères 
et  surtout  que  chez  les  Oiseaux.  Par  suite  du 
peu  de  chaleur  qu'ils  produisent,  la  température 
2«  Partie. 


du  corps  des  Reptiles  est,  le  plus  souvent,  info- 
ricuro  à  celle  de  notre  propre  corps,  d'où  la  dé- 
nomination impropre  à'animaux  à  sang  froid 
qui  leur  a  été  attrihuce  ;  celle  d'a?umnux  à  tem- 
pérature variable  leur  conviendrait  mieux  ;  car 
leur  vraie  condition  est  de  ne  pas  produire  assez 
de  calorique  pour  se  rendre  en  quelque  sorte 
maîtres  de  la  situation,  et  conserver,  avec  des 
moyens  de  dégagement  bien  équilibrés,  une  tem- 
pérature constante  et  indépendante  du  milieu  où 
ils  se  trouvent.  Les  Batraciens  et  les  Poissons 
parmi  les  Vertébrés,  ainsi  que  les  Invertébrés, 
se  trouvent  dans  le  môme  cas. 

Les  Reptiles,  dès  leur  naissance,  respirent  à 
l'aide  de  poumons  et  n'ont  pas  de  brancliies,  ce 
qui  los  éloigne  des  Batraciens  et  des  Poissons,  et 
les  rapproche  des  Mammifères  et  des  Oiseaux;  ils 
n'ont  qu'un  seul  condyle  occipiiat  comme  ces 
derniers,  les  Batraciens  en  ayant  deux;  enfin,  ils 
ne  sont  revêtus,  ni  de  poils  conmie  les  Mammi- 
fères, ni  de  plames  comme  les  Oiseaux  ;  mais  ils 
ont  comme  les  Mammifères  et  les  Oiseaux  l'épi- 
derme  corné,  durci  et  résistant,  et  non  muqueux 
comme  celui  des  Batraciens  et  des  Poissons.  Les 
papilles  du  derme  affectent  d'ordinaire  la  forme 
écailleuse  sur  toute  la  surface  du  corps,  et  le 
derme  est  susceptible  de  s'ossifier  en  plaques 
isolées  {Crocodiles,  Scincoidiens,  Chalcidiens,  Am- 
phisbéniens)  ou  soudées  les  unes  aux  autres 
(Chéloniens). 

Les  Reptiles  présentent  de  grandes  affinités 
avec  les  Oiseaux;  dès  1818,  de  Rlainville  les  avait 
désignés  sous  le  nom  à.'Ornithovles,  attribuant 
aux  Batraciens  celui  d'ichthyoïdes.  Les  Oiseaux  et 
les  Reptiles,  en  efl'et,  sont  ovipares  comme  les 
Batraciens  et  les  Poissons;  mais  l'œuf  des  pre- 
miers est  construit  sur  un  autre  type  que  celui  des 
derniers.  Il  est  beaucoup  plus  volumineux  et  plus 
riche  en  matière  nutritive,  de  telle  sorte  que 
l'embryon  en  sort  beaucoup  plus  avancé  dans  son 
développement  ;  en  outre,  le  vitellus  ne  participe 
pas  tout  entier  à  la  formation  de  l'embryon  :  la 
cicatricule  seule  forme  le  petit  être,  qui  s'assi- 
mile ensuite  le  restant  du  vitellus  et  l'albumine. 
Du  reste,  l'œuf  de  certains  poissons,  les  Raies, 
les  Squales,  se  comporte  de  môme.  Mais  les  Rep- 
tiles et  les  Oiseaux,  seuls  parmi  les  Vertébrés 
allantoidiens,  prennent  dans  l'œuf  môme  les  ali- 
ments dont  ils  ont  besoin  pour  se  développer, 
tandis  que  les  Mammifères  (i  l'exception  des 
Ornithodelphes  et  des  Marsupiaux)  puisent  leur 
nourriture  dans  le  sang  de  leur  mère  à  l'aide  du 
placenta. 

La  taille  des  Reptiles  est  fort  variable,  depuis 
celle  des  Typhlops,  Ophidiens  ayant  les  dimen- 
sions et  menant  la  vie  souterraine  des  lombrics, 
jusqu'à  celles  des  Crocodiles  mesurant  10  mètres 
de  long,  des  Boas  et  des  Pythons  pouvant  avaler 
de  gros  mammifères,  et  des  Tortues  dont  la  ca- 
rapace est  parfois  assez  grande,  dit-on,  pour  four- 
nir des  pirogues  h  certaines  peuplades. 

Leur  forme  ne  varie  pas  moins.  On  pourrait 
cependant  la  ramener  h  trois  types  principaux  et 
diviser,  à  ce  point  de  vue,  les  Reptiles  en  :  Qua- 
drupèiles  à  co'-ps  ramassé  (Tortues),  Quadrupè- 
des à  corps  allongé  et  à  queue  effilée  (Crocodiles, 
Sauriens),  et  Apodes  cylindriques  et  allongés 
(Ophidiens,  Sauriens  serpentiformes).  Leur  dé- 
marche est  évidemment  en  rapport  avec  leur 
forme.  Cette  division,  fondée  sur  la  seule  appa- 
rence extérieure,  fut  en  effet  adoptée  par  les  pre- 
miers naturalistes;  mais  des  observations  plus 
approfondies  ont  dû  bientôt  la  faire  rejeter. 

La  classe  des  Reptiles  peut  se  partager  au- 
jourd'hui eu  cinq  ordres  qui  sont  :  1°  les  Chélo- 
niens ;  2°  les  Crocodiliens  ;  3°  les  Sa  uuiens  ;  4°  les 
Ampuisué.nibns  ;  5°  les  Opuidiens. 

I.  —  Les  CUèloniens  se  distinguent  des  autres 
116 


REPTILES 


1842  — 


REPTILES 


reptiles  par  leur  corps  ramassé  et  protégé  par 
une  carapace  ou  un  plastron,  sorte  de  boîte 
osseuse  dans  laquelle  ils  peuvent  retirer  plus  ou 
moins  complètement  leur  tête,  leurs  membres, 
et  leur  queue  ;  enfin  par  leurs  •mâchoires,  dépour- 
vues de  dénis,  et  revêtues  d'un  bec  corné  analo- 
gue à  celui  des  Oiseaux 

La  boîte  osseuse  des  Chéloniens  acquiert  son 
plus  grand  développement  chez  les  Terrestres. 
Elle  est  formée  par  un  certain  nombre  de  plaques 
distinctes,  engrenées  les  unes  aux  autres,  et  dont 
l'origine  est  double  :  le  derme  du  tronc  s'est  os- 
sifié dans  toute  son  étendue,  les  diverses  plaques 
osseuses  représentant  les  différents  points  d'ossi- 
fication primitifs,  et  plusieurs  os  du  squelette, 
les  apophyses  épineuses  des  vertèbres,  les  côtes, 
le  sternum,  se  rapprochant  de  la  surface  et  s'éta- 
lant,  sont  venus  se  confondre  avec  le  derme  et 
s'ossifier  avec  lui.  Il  y  a  des  plaques  (les  viar- 
giiiales  par  exemple)  d'origine  exclusivement  der- 
mique, tandis  qu'il  n'existe  pas  de  plaques 
exclusivement  squelettiques,  les  os  du  squelette 
qui  ont  concouru  à  former  la  carapace  s'étant 
toujours  annexé  une  certaine  superficie  corres- 
pondante du  derme  :  dans  ce  cas  l'ossification  a 
marché  du  squelette  vers  le  derme,  et  celui-ci 
n'a  pas  eu  de  point  d'ossification  propre.  Cette 
boîte  osseuse  est  elle-même  revêtue  d'ordinaire 
par  un  épiderme  épais  et  résistant  [écaille),  dis- 
posé aussi  en  un  certain  nombre  de  plaques  qui 
ne  correspondent  nullement  aux  pla(|Ues  osseu- 
ses, et  fournissent  de  bons  caractères  pour  la  dis- 
tinction des  genres  et  des  espèces. 

Cette  adaptation  spéciale  d'une  partie  du  sque- 
lette des  Chéloniens  a  entraîné  quelques  modifica- 
tions et  déplacements  des  autres  os  dont  on  a 
peut-être  exagéré  l'importance  :  c'est  ainsi  que 
l'omoplate,  de  postérieure  devenue  latérale,  est 
représentée  par  un  os  long  à  direction  antéro- 
postérieure.  Quant  i  l'ossification  du  derme,  elle 
a  lieu  également  dans  plusieurs  autres  groupes 
de  Reptiles,  à  peu  près  complètement  chez  les 
Crocodiliens,  les  Scincoîdiens,  les  Chalcidicns, 
les  Amphisbéniens  ;  on  l'observe  sur  le  crâne 
seulement  chez  la  plupart  des  Sauriens  et  chez 
quelques  Batraciens  (Pélobates),  sur  le  corps  de 
beaucoup  de  poissons,  et  même  chez  certains 
mammifères  comme  les  Tatous  (les  écailles  des 
Pangolins  sont  d'origine  exclusivement  épider- 
mique). 

Les  Chéloniens  se  divisent  très  naturellement  en 
quatre  tribus,  d'après  la  conformation  de  leurs 
pattes,  laquelle  concorde  exactement  avec  leur 
genre  de  vie  : 

1°  Les  Thalassites  ou  Marines,  dont  les  pattes 
sont  aplaties  en  rames,  les  doigts  immobiles  les 
uns  par  rapport  aux  autres   et  largement  aplatis; 

2"  Les  PoTAMrrES  ou  Fluviales,  â  membres  apla- 
tis en  rame,  mais  à  doigts  mobiles,  largement 
palmés,  trois  des  cinq  munis  d'ongles; 

3°  Les  Ei.ODiTES  ou  Palustres,  à  pieds  palmés,  à 
doigts  mobiles  et  tous  armés  d'ongles; 

4"  Les  Cheiisites  ou  Terrestres,  dont  les  pattes 
sont  terminées  en  moignon,  les  doigts  immobiles, 
et  les  ongles  en  sabots. 

Les  Thalassites  vivent  surtout  de  plantes  ma- 
rines, mais  mangeraient  aussi,  dit-on,  des  mollus- 
ques et  des  crustacés.  Elles  quitteraient  quelque- 
fois, la  nuit,  l'élément  liquide,  pour  aller  paître 
dans  des  îles  désertes.  Mais  c'est  surtout  à  l'époque 
de  la  ponte  qu'on  les  voit  en  grand  nombre  sortir 
de  la  mer.  Les  femelles  font  de  longues  routes, 
accompagnées  par  les  mâles,  et  vont,  quelquefois 
à  cinquanie  lieues  de  distance,  pondre  leurs  œufs 
sur  un  îlot  désert  et  sablonneux.  De  temps  imn]é- 
morial  elles  se  rendent  aux  mêmes  lieux  et  Ji  la 
môme  époque.  Elles  creusent,  au-dessus  du  ni- 
veau des  plus  hautes  marées,  des  fosscsde  GO  cei> 


timètres  de  diamètre,  et  y  déposent  une  centaine 
d'œufs,  qu'elles  recouvrent  ensuite  de  sable  fin. 
Une  même  nuit  voit  le  commencement  et  la  fin  du 
travail  ;  et  chaque  femelle  fait  ainsi  jusqu'il  trois 
pontes,  à  deux  ou  trois  semaines  d'intervalle.  Les 
œufs,  qui  sont  recherchés  comme  aliment,  sont 
sphériques  ou  à  peu  près,  et  ont  de  6  à  U  centi- 
mètres de  diamètre.  Ils  sont  protégés  par  une 
coque  flexible,  un  peu  calcaire.  L'albumine,  ou  le 
blanc  de  ces  œufs,  a  une  teinte  verdâtre,et  ne  se 
coagule  pas  sous  l'action  de  la  chaleur.Du  quinzième 
au  vingtième  jour  après  la  ponte,  ces  œ'ufs  éclo- 
sentpar  l'effet  de  la  chaleur  solaire,  très  forte  dans 
les  climats  équatoriaux  habités  par  ces  espèces. 
Les  jeunes  tortues,  dont  les  écailles  ne  sont  pas 
encore  durcies,  blanches  et  coiume  étiolées,  cher- 
chent à  gagner  la  mer;  mais  elles  périssent  en 
grand  noiubre,  devenant  la  proie  des  oiseaux 
carnassiers,  des  poissons  et  des  crocodiles.  Les 
Thalassites  parviennent  à  une  taille  colossale.  On  a 
vu  des  Sphurgis  pesant  jusqu'à  800  kilogr.  :  des 
Chelone  qui  en  pesaietit  -i  à  OUO,  et  dont  la  cara- 
pace mesurait  plus  de  5  mètres  de  circonférence, 
et  près  de  2  mètres  et  demi  de  longueur. 

Une  espèce  de  Thalassite, la  Caouanne  (Thnlas- 
sochelys  coriicata.  Rondelet),  vit  et  se  reproduit 
dans  la  Méditerranée  ;  d'autres  espèces  vienneiit 
parfois  s'égarer  dans  nos  parages;  telles  sont  la 
Sphorgis  criacea  (Rondelet),  la  Tortue  luth,  ap- 
pelée aussi  la  Tortue  cuir,  à  cause  du  moindre  dé- 
veloppement de  sa  carapace  osseuse,  et  de  sa  peau 
coriace  ;  la  Chelone  virilù  (Schneider),  la  Tortue 
franche,  espèce  recherchée  pour  ses  œufs  et  sa 
chair.  La  Tortue  caret  (Chelone  imbncata,  Linné), 
dont  l'écaillé  est  utilisée^  dans  l'industrie,  se  voit 
plus  rarement  sur  nos  côtes. 

Les  PoTAMiTES  sont  toutes  étrangères  à  1  Europe. 
L'une  d'elles (Gi/m)io;j (M yEi/y/'^îoeus,  Geoffroyj  vit 
dans  le  Nil-  les  autres  habitent  les  grands  fleuves 
d'Asie,  d'Afrique  et  d'Amérique.  Elles  peuveiit 
atteindre  de  grandes  dimensions  et  peser  jusqu  à 
35  kilogr.  Elles  sont  presque  toujours  à  1  eau, 
très  voraces  et  très  agiles,  donnant  la  chasse  aux 
poissons,  et  même  aux  petits  mammifères  et  aux 
oiseaux  qui  viennent  se  désaltérer.  La  disposition 
de  leurs  narines,  s'ouvrant  à  l  extrémité  dune 
sorte  de  trompe  molle  qui  prolonge  en  avant  leur 
museau,  leur  permet  de  respirer  sans  sortir  de 
l'eau,  et  de  se  tenir  de  longues  heures  immobiles, 
cachées  au  milieu  des  plantes  aquatiques,  eu  épiant 
leur  proie.  La  nui;  elles  vont  se  reposer  sur  les 
petites  îles  et  les  troncs  d'arbres,  s  élanç.int  i 
l'eau  il  la  moindre  apparence  de  danger.  Leur  cuair 
est  estimée.  On  les  prend  à  la  ligne;  et,  comme 
leur  morsure  est  à.  redouter  (leur  bec  est  robuste 
et  tranchant,  et  le  coup  part  comme  un  trait),  on 
se  hâte  de  couper  la  tête  à  celles  que  1  on  a  prises. 
Une  Elûdite,  la  CUluito  lalaria  (Gesner),  vit  en 
France,  commune  encore  dans  certaiiies  régions, 
les  marais  du  Sud-Ouest  par  exemple  Elle  est 
quelquefois  importée  en  quantité  considérable  à 
Paris  des  lagunes  de  Venise.  Une  autre  espèce 
(fmî/v  caspica,  Gmelin)  est  européenne  habitant 
presque  tout  le  pourtour  de  la  Méditerranée 
TEspagne,  la  liarbarie,  la  Grèce,  et  s  étendant  en 
Asie  jSsqu'i  la  mer  Caspienne.  Toutes  doux  ap- 
partiennent h  la  famille  des  Crypotoderes.  Les 
Elodites  vivent  de  proie  vivante. 

Trois  espèces  de  Chersite^,  autochtones  ou  im- 
portées, vivent  dans  plusieurs  pays  de  'Europe 
méridionale;  toutes  trois  appartiennent  au  genre 
Trstudo.  La  Teslmlo  nemoraiu  (Aldrovande)  se 
rencontre  en  Grèce,  en  Dalmatie,  etc.  ;  la  J. 
qrœca  (Linné),  en  Grèce,  en  Italie,  dans  les  îles 
Baléares;  la  T.  mauritanr:.  (Dumenl  et  Bihro  , 
en  Espagne  et  dans  le  rai.U  de  la  France.  Cet  < 
dernière  espèce  se  voit  fréquemment  dans  nos 
jardins,  et   sur    nos   marchés,    importée    chaque 


i 


REPTILES 


1843  — 


REPTILES 


année  par  cargaisons  d'Algérie  où  elle  est  très 
abondante.  Quelques  es|)èces  gigantesques  de  la 
même  tribu  vivaient  récemment  dans  les  ilos 
Mascareignes  (Maurice  et  Rodriguez),  où  une 
subsiste  encore  (petite  île  d'Aldabra)  ;  cinq  autres 
espèces  vivent  de  nos  jours  dans  l'archipel  des 
Gallapagos.  Los  Chersites  sont  phytophages. 

II.  —  Les  Crocodiliens,  tous  de  grande  taille,  à 
corps  allongé,  munis  d'une  longue  queue  et  de 
quatre  membres,  dont  le  faciès  en  un  mol  rap- 
pelle celui  des  lézards  auxquels  ils  ont  été  long- 
temps réunis,  se  distinguent  de  tous  les  autres 
Reptiles  :  par  leurs  dents,  implantées  dans  des  al- 
véoles, et  représentant  des  cônes  creux,  à  l'iniéricur 
desquels  se  développent  les  dents  de  remplace- 
ment; par  leur  langue,  si  intimement  fixée  sur 
toute  son  étendue  au  plancher  buccal,  que  son 
existence  a  pu  être  longtemps  niée;  par  la  pré- 
sence d'un  sternum  abdominal,  supportant  des 
côtes  qui  ne  vont  pas  s'articuler  à  la  colonne  ver- 
tébrale; parleurs  narines  s'ouvrant  postérieure- 
ment dans  le  pharynx  et  non  dans  la  cavité 
buccale.  Leur  cloaque  est  en  fente  longitudinale, 
comme  celui  des  Chéloniens;  et,  comme  chez  ces 
derniers,  deux  canaux  pérUonéaux,  débouchant 
dans  le  cloaque,  mettent  la  cavité  péritonéale  en 
communication  avec  l'extérieur.  Leur  derme  est 
plus  ou  moins  complètement  ossifié  en  plaques 
épaisses,  séparées  les  unes  des  autres.  Leur  cœur 
comprend  deux  oreillettes  et  deux  ventricules 
complètement  séparés  l'un  de  l'autre  par  une 
cloison  imperforée  à  l'âge  adulte  ;  mais  le  mélange 
du  sang  veineux  au  sang  artériel  n'en  a  pas  moins 
lieu;  il  se  fait,  d'abord  faiblement,  à  la  sortie  du 
cœur,  par  le  fjramen  de  Panizza,  qui  fait  commu- 
niquer l'aorte,  entraînant  le  sang  artériel  du  ven- 
tricule gauche,  avec  la  crosse  aortique  opposée, 
qui  puise  du  sang  veineux  dans  le  ventricule 
droit,  ces  deux  vaisseaux  se  trouvant  accolés  à 
leur  origine  ;  puis  complètement,  quand  ces  deux 
vaisseaux  sont  venus  se  confondre  en  un  seul, 
dans  l'abdomen,  pour  constituer  l'aorte  dorsale. 
L'aorte  ayant  fourni,  avant  cette  fusion,  les  vais- 
seaux qui  vont  h  la  tête  et  aux  membres  anté- 
rieurs, il  résulte  de  cette  disposition  que  les 
parties  antérieures  reçoivent  du  sang  plus  oxy- 
géné que  la  queue  et  les  parties  postérieures  du 
tronc. 

Les  Crocodiliens  sont  aquatiques,  vivant  les  uns 
dans  les  eaux  douces,  les  autres  dans  la  mer,  et 
ils  ont  les  pieds  palmés.  Ils  se  nourrissent  de 
proie  vivante,  et  sont  redoutés  pour  leur  force  et 
leur  voracité. 

Les  espèces  actuelles,  au  nombre  de  vingt  et 
quelques,  habitent  les  zones  chaudes  de  toutes 
les  parties  du  monde,  l'Europe  exceptée  ;  encore, 
si  l'on  en  croit  certaines  traditions,  le  Rhône  en 
aurait-il  nourri  dans  les  temps  historiques.  On  les 
divise  en  trois  genres  : 

Le  genre  AHiynlor  (les  Caïmans),  à  museau 
relativement  court,  et  dont  quatre  dents  (la  pre- 
mière et  la  quatrième  de  chaque  côté)  percent  la 
voûte  palatine  et  se  font  jour  au  dehors.  Le 
caïman  à  museau  de  brochet  (Alligator  missisn- 
piensis,  Daudin)  est  commun  dans  le  sud  des 
Etats-Unis.  Une  autre  espèce  (A.  siueiisis,  Fauvel), 
la  seule  du  genre  qni  ne  soit  pas  américaine, 
habite  en  Chine  où  elle  a  été  récemment  décou- 
verte par  M.  Fauvel,  qui  avait  trouvé  sa  trace 
dans  des  manuscrits  chinois. 

Le  genre  Crorodtlus,  chez  qui  la  première  dent 
ou  maxillaire  inférieur  perfore  seule  le  palais,  la 
quatrième  se  logeant  dans  une  simple  éclian- 
crure  de  la  mâchoire  supérieure,  est  le  plus  nom- 
breux en  espèces.  L'une  d'elles,  le  Cr.  vulgnris 
(tuvier),  était  jadis  un  objet  do  culte  pour  les 
Egyptiens,  et  ses  momies  f-ont  entassées  par 
milliers  dans  ceriaiiies  nécropoles  d'Egypte;  on 


no  le  trouve  plus  aujourd'hui  dans  le  Nil  au-des- 
sous des  premières  cataractes.  Une  autre  espèce,  lo 
Cr.  bifurcalus  (Cuvier),  la  plus  grande  et  la  plus 
redoutable,  habite  l'océan  Pacifique  et  l'océan  In- 
dien, des  iles  Viti  aux  îles  Mascareignes,  et  des 
côtes  méridionales  de  l'Asie  aux  côtes  septen- 
trionales de  l'Australie. 

Enfin  le  genre  Gavialis,  à  museau  très  allongé, 
et  sans  aucune  dent  perforante,  ne  comprend  que 
deux  espèces  habitant,  l'une  Bornéo  et  Java, 
l'autre  le  bassin  du  Gange. 

Sous  le  nom  d'Enaliosauriens,  on  range  à  côté 
des  Crocodiliens  les  Ichthyosaures  et  les  Plésio- 
saures des  terrains  jurassique  et  crétacé  ;  ces 
deux  ordres  forment  ensemble  la  sous-classe  des 
Hydrosauriens. 

Les  Ptèrosauriens  ou  Ptérodactyles,  aussi  de 
l'époque  jurassique,  formeraient  une  autre  sous- 
classe  à  côté  des  Hydrosauriens.  Ils  sont  remar- 
quables par  le  développement  extraordinaire  des 
phalanges  de  leur  pot:*,  doigt.  Sacs  doute  une 
large  membrane  s'étendait  de  chaque  côté  entre 
leurs  membres  antérieur  et  postérieur.  La  pneu- 
macité  de  leurs  os  et  quelques  auires  particula- 
rités de  structure  font  supposer  qu'ils  avaient  la 
faculté  de  voler  à  la  façon  de  nos  chauves-souris; 
mais  on  ne  saurait  voir,  dans  les  Ptérodactyles, 
les  ancêtres  directs  de  nos  oiseaux,  dont  l'aile  est 
formée  par  l'allongement  des  os  du  bras,  avec 
atrophie  des  phalanges. 

Les  trois  ordres  suivants  de  Reptiles  sont 
réunis  par  beaucoup  d'auteurs  en  une  même  soua- 
classe,  sous  les  noms  de  Saurophidiens  ou  Ophi- 
dosauriens,  Plagiotrèmos,  etc.  Ils  ont  en  effet 
plusieurs  caractères  communs,  entre  autres  le 
cloaque  en  fente  transversale,  la  peau  revêtue 
d'écaillés  ou  d'écussons,  etc.  Tous  les  ans,  au 
sortir  de  l'hiver,  et  souvent  dans  le  courant  de 
l'année,  ils  éprouvent  le  phénomène  de  la  mue  : 
la  couche  superficielle  caduque  de  lépiderme 
sale  et  obscure  se  détache  d'une  seule  pièce  chez 
les  Ophidiens,  les  Amphisbéniens,  et  chez  les  Sau- 
riens apodes,  par  lambeaux  chez  les  autres,  et 
laisse  apparaître  de  plus  fraîches  couleurs. 

m.  —  Les  Sauriens  sont  caractérisés  par  la 
présence  constante  de  la  ceinture  scapulaire  et 
du  bassin,  qui  peuvent  être  très  réduits,  mais 
jamais  absents,  même  quand  les  membres  font 
défaut.  Le  sternum  existe  aussi  dans  tous  les  cas. 
Les  Sauriens  se  distinguent  ainsi  des  Ophidiens, 
qui  n'ont  jamais  de  ceinture  scapulaire  ni  de 
sternum,  et  des  Amphisbéniens,  qui  n'ont  jamais 
de  sternum.  Les  deux  branches  de  leur  maxil- 
laire inférieur  sont  soudées  ensemble,  et  leur 
gueule  est  inextensible.  Leur  peau  est  protégée 
soit  par  des  écailles,  comme  celle  des  Ophidiens, 
soit  par  des  tubercules,  ou  elle  est  simplement 
chagrinée;  mais  jamais  elle  ne  prend  l'apparence 
de  pièces  rectangulaires  juxtaposées  et  disposées 
en  anneau,  comme  chez  les  Amphisbéniens.  Us 
ont  une  queue  et  le  plus  souvent  deux  paires  de 
membres  ;  mais  ceux-ci  peuvent  être  réduits  à 
une  seule  paire,  ou  faire  absolument  défaut.  Les 
paupières  et  le  méat  auditif  externe  peuvent 
manquer  aussi. 

La  queue  est  quelquefois  (Geckotiens,  Lacer- 
tiens,  Scincoîdiens)  d'une  extrême  fragilité,  et  dans 
ce  cas,  le  moignon  restant  reproduit  la  partie 
liétachée.  La  disposition  anatomique  des  parties 
est  telle  que  la  rupture  a  toujours  lieu  au  milieu 
d'une  vertèbre,  suivant  un  plan  cartilagineux  qui 
divise  transversalement  celle-ci  en  deux  parties. 
Le  cartilage  mis  à  nu  bourgeonne  et  produit  une. 
longue  tige  cartilagineuse  qui  se  calcifié  d'abord 
irrégulièrement,  quand  elle  a  atteint  ses  dimen- 
sions normales,  et  ne  reproduit  que  beaticou|i 
plus  tard  sa  constitution  vertébrale  primitive. 
Parfois,  au  lieu  d'un,  il  se  produit  deux  bourgeon^ 


REPTILES 


—  1844  — 


REPTILES 


sur  le  cartilage  rais  ;i  nu  ;  d'autres  fois  l'accident 
qui  a  amené  la  rupture  do  la  queue  a  lésé  aussi 
un  ou  deux  cartilages  du  tronçon  restant  qui  se 
mettent  aussi  k  bourgeonner:  c'est  ainsi  que  se 
produisent  ces  queues  multifides  dont  les  exem- 
ples ne  sont  pas  rares.  Quoi  qu'il  en  soit,  cette 
fragilité  de  la  queue  n'est  pas  sans  utilité  pour 
les  lézards,  qui  souvent  sauvenl  leur  vie  en 
abandonnant  aux  dents  et  aux  grifl'es  do  l'ennemi 
un  organe  dont  la  perte  est  facilement  réparable. 
A  l'exception  de  quelques  Iguaniens,  qui  se  nour- 
rissent de  matières  végétales,  les  Sauriens  vivent 
tous  de  proie  vivante,  d'insectes  ou  de  vertébrés, 
suivant  leur  taille  et  leur  force.  1 

Sept  tribus  composent  l'ordre  des  Sauriens. 
Nous  allons  les  passer  rapidement  en  revue. 

1"  LesGECKOTiENS  ou  Asci!aboles  sont  les  seuls 
Sauriens  de  l'époque  actuelle  dont  les  vertèbres  ; 
soient  biconcaves  comme  celles  des  Poissons.  Ce 
sont  des  animaux  nocturnes,  à  pupille  verticale, 
sans  paupières  mobiles.  Leur  peau  est  granuleuse 
ou  tuberculeuse,  à  épiderme  moins  résistant  que 
la  peau  des  autres  Reptiles.  Ils  ont  une  langue 
épaisse  et  charnue,  comme  les  Iguaniens.  Ils 
font  entendre  un  léger  cri. la  nuit,  quand  ils  sont 
en  chasse,  ou  lorsqu'on  les  saisit. 

La  particularité  la  plus  remarquable  de  cette  tribu 
consiste  danslaconl'ormationdes  doigts,  qui  permet 
aux  Geckotiens  de  grimper  aux  parois  verticales, 
et  même  de  courir  sur  nos  plafonds.  La  face  pal- 
maire de  leurs  doigts  est  dilatée,  et  d'ordinaire 
transversalement  striée.  Vue  au  microscope,  cha- 
cune de  ces  lamelles  transversales  prend  l'appa- 
rence d'une  brosse  à  poils  nombreux  et  serrés.  Ce 
sont  ces  productions  cuticulaires  en  forme  de 
poils  qui,  pénétrant  dans  les  mille  anfractuosités 
microscopiques  des  surfaces  lisses  en  apparence, 
produisent  l'adhérence  que  nous  constatons.  C'est 
grâce  à  une  disposition  semblable  que  les  mou- 
ches peuvent  se  promener  sur  nos  vitres  ;  mais 
c'est  par  un  procédé  différent  que  la  rainette 
arrive  au  même  résultat. 

D'après  la  conformation  de  leurs  doigts,  les 
Geckotiens  sont  divisés  en  sept  familles:  1°  Les 
Platydactiles,  qui  ont  les  doigts  élargis  dans  toute 
leur  longueur;  la  surface  inférieure  est  divisée 
transversalement  en  lamelles  simples  ou  inter- 
rompues au  milieu.  Une  espèce  européenne  :  le 
Platydactylus  f'acctunus  (Aldrovande),  de  tout  le 
pourtour  méditerranéen,  y  compris  la  France  ;  2° 
Les  Hémidactyles,  h  doigts  dilatés  seulement  vers 
la  base,  les  deux  dernières  phalanges  libres.  Une 
espèce  d'Europe  et  de  France,  ['Humidactyliis 
verruculatus  (Cuvier)  ;  3°  Les  Ptyodactyles,  chez 
qui  les  extrémités  seules  des  doigts  sont  élargies,  et 
striées  en  éventail  ;  4°  Les  Phyllodactyles,à  doigts 
semblables  h  ceux  des  Ptyodactyles,  mais  lisses 
en  dessous.  Une  seule  espèce  européenne  et  fran- 
çaise, des  iles  de  la  Méditerranée;  ô"  Les  Spliœ- 
riodactyles,  dont  tous  les  doigts,  sans  ongles,  se 
dilatent  i  1  extrémité  en  un  disque  non  écliancré  ; 
U"  Les  Gymnodactyles,  à  doigts  simples,  non  dila- 
tés, mais  transversalement  striés  en  dessous;  ~t° 
Entin  les  Sténodactyles,  à  doigts  non  dilatés,  gra- 
nuleux en  dessous,  dentelés  sur  les  bords. 

2"  Les  Cameléo.viens  se  distinguent  par  leur 
langue  exsertiie,  renflée  et  creusée  en  coupe  à 
son  exirémiié,  supportée  par  un  pédicule  très 
extensible  ;  ils  la  lancent  k  une  distance  consi- 
dérable, égale  à  la  longueur  de  leur  corps,  sur 
leur  proie  qu'ils  engluent  et  ramènent  avec  elle. 
L'œil,  protégé  par  une  paupière  unique,  percée 
il  son  centre  d'une  petite  ouverture  circulaire, 
se  dirige  avec  vivacité  dans  tous  les  sens,  indé- 
pendamment de  la  direction  prise  par  son  congé- 
nère, et  contribue  à  donner  une  physionomie  sin- 
gulière à  ces  animaux.  Les  doigta  sont  divisés  en 
deux   groupes   opposables  de   deux   et   de    trois 


doigts,  et  agissent  comme  les  piuces  d'une  te- 
naille. La  peau  est  chagrinée.  L'os  carré  est  so- 
lidement soudé  au  crâne, lequel  est  orné  d'ordinaire 
de  crêtes  très  saillantes.  Mais  la  particularité,  si- 
non la  plus  remarquable,  du  moins  la  plus  connue, 
que  présentent  les  Caméléons,  est  leur  faculté 
de  changer  de  couleur.  De  gros  chromatophores 
brun-noir  et  brun-rougeàtre ,  placés  dans  les 
couches  profondes  du  derme,  peuvent  pousser  des 
prolongements  mobiles  vers  les  couches  supé- 
rieures, qui  contiennent  des  cellules  bourrées,  les 
unes  de  granulations  pigmentaires  jaunes,  et  d'au- 
tres de  granulations  i  reflet  bleuâtre.  La  cou- 
che plus  profonde  du  derme,  dans  laquelle  sont 
plongés  les  chromatophores  bruns,  est  elle-même 
remplie  de  granulations  opaques  à  reflet  blanc 
qui  lui  ont  valu  le  nom  à'écran.  On  conçoit  com- 
bien peut  varier  la  coloration  de  l'animal,  suivant 
que  les  chromatophores  bruns  se  contractent  et 
se  dissimulent  sous  l'écran,  ou  s'étalent  plus  ou 
moins  loin  vers  la  surface  de  la  peau,  masqiiant 
les  granulations  jaunes  ou  bleues,  ou  se  mariant 
à  elles.  Du  reste  ce  changement  de  couleur  n'est 
pas  sans  limites,  dépejidant  de  la  constitution 
anatomique  de  la  peau,  variable  aux  différents 
points  du  corps  et  même  d'un  individu  à  l'autre  ; 
il  n'est  pas  non  plus  spécial  aux  Caméléons,  plu- 
sieurs Sauriens,  notamment  les  Anolis  de  la  tribu 
des  Iguaniens,  et  quelques  Batraciens,  la  rainette 
par  exemple,  jouissant  à  des  degrés  divers  de  la 
même  faculté.  Chez  les  uns  comme  chez  les  au- 
tres, les  causes  déterminantes  du  phénomène 
sont  multiples,  et  par  li  même  difticiles  à  démê- 
ler :  l'action  directe  de  la  lumière  solaire,  de  la 
chaleur,  de  l'état  hygrométrique  de  l'atmosphère, 
est  incontestable;  on  ne  peut  mer  davantage  le 
mimétisme,  c'est-i-dire  l'adaptation  de  la  colo- 
ration de  l'animal  à  celle  du  milieu  dans  lequel 
il  se  trouve  plongé  ;  et  dans  ce  cas,  l'impression 
qui  détermine  les  réflexes  et  amène  les  mouve- 
ments coordonnés  des  chromatophores  parait 
arriver  exclusivement  par  l'œil;  enfin  1  animal 
lui-même,  d'après  des  impressions  morales,  comme 
la  frayeur,  se  montre  susceptible  do  reagir,  in- 
volontairement sans  doute,  sur  les  couleurs  de 
sa   peau,  et  de  les  modifier. 

Une  seule  espèce,  répandue  dans  le  nord  de 
l'Afrique  et  l'ouest  de  l'Asie,  vit  en  Europe  dans 
l'extrême  sud  de  la  péninsule  ibérique.  C  est  le 
Caméléon  commun,  Chcmxteo  vulgann  (Daudin). 
,  3-  Les  Varaniens  sont  les  plus  grands  des  Sau- 
riens ;  langue  profondément  bifide,  très  longue, 
rétractile  dans  un  fourreau;  peau  revêtue  de  tu- 
bercules enchâssés.  Citons  le  Varan  du  désert, 
Psnmmomwu^  areuarius,  à  queue  arrondie,  com- 
mun dans  le  Sahara;  et  le  Varan  du  ^ll,  Varanus 
ndoticus  (Hasselquitz),  à  queue  comprimée  et 
crêtée,  vivant  en  troupes  sur  le  Nil. 

Il  faut  rapprocher  de  nos  Varans  le  gigan- 
tesque genre  fossile  ilusasauius,    des    terrains 

"fo'^Les'lGtiArJiENS  ont  la  langue  épaisse  et  charnue 
comme  les  Geckotiens,  la  peau  écailleuse  et  tu- 
berculeuse, souvent  ornée  <l^PP^"''"='^\f 'J,^!': 
C'est  le  groupe  le  plus  riclie  en  formes  bizarres 
i  et  vivement  colorées.  Quelques  auteurs  les  réu- 
nissent aux  Geckotiens  sous  le  nom  de  Crassi- 
lingues.  On  les  divise  en  deux  sections  d  après 
le  mode  d'implantation  de  leurs  dents  :  les  Pleu- 
rodontes,  dont  les  dents  sont  fixées  le  long  de  la 
paroi  interne  du  maxillaire,  tous  «■"«"'^^''f  '  «' 
les  Acrodontes,  dont  les  dents  sont  al'g"<=<=^  sur 
la  crête  même  des  maxillai.-os,  «"^  d,''  '  ^""«" 
Monde.  Citons,  parmi  les  l*leurondotes  le  bel 
Iguane  [lijuana  tubcrculata,  Laurenti)  de  1 A 
mérique  méridionale  ;  et,  parmi  'c?  Acrodontes, 
les  Dragons,  dont  les  premières  cotes,  très  al- 
longées, supportent  un  repli  de  peau  servant  de 


11 


REPTILES 


—  1845 


REPTILES 


paracliute  h  ces  petits  Sauriens  arboricoles, 
(|uanil  ils  s'olaiicent  d'une  brandie  à  l'autre. 
(Mtons  encore  les  genres  l'rijuocephaliis  jKaup), 
Af/atrui  (Dau(lin) ,  Slellio  (Ùaudin),  Uromasli.c 
(Merrem),  dont  quelques  espèces  s'avancent 
jusque  dans  l'orient  de  l'Europe. 

5"  Les  LACEaTTENS,  réunis  quelquefois  aux  Vara- 
niens  sous  le  nom  de  Fissilingues,  ont  comme 
ceux-ci  la  langue  mince,  longue,  protractile  et 
fourchue,  mais  non  rétractile  dans  un  fourreau  ; 
comme  eux  aussi  ils  sont  pleurodontes.  Ils  s'en 
distinguent  par  leur  peau  écailleuse,  de  larges 
plaques  polygones  recouvrant  leurs  tûtes,  de  pe- 
tites écailles  granuleuses,  hexagonales  ou  rhom- 
biques,  leur  dos,  de  plus  larges  scutelles,  rhora- 
biques  et  imbriquées,  transversalement  et  longi- 
tudinalement  alignées,  leur  ventre;  les  écailles 
do  leur  queue,  grandes  et  souvent  carénées,  sont 
disposées  en  verticilles.  Le  méat  auditif  existe 
toujours. 

On  les  divise  en  deux  sections,  d'après  la  struc- 
ture de  leurs  dents  :  les  Pléodontes,  à  dents  pleines, 
du  Nouveau  Monde  :  mentionnons  seulement  les 
Sauvegardes  (Sn^!)'(<o)'),  de  l'Amérique  méridionale, 
grand  lézard  que  l'on  chasse  pour  sa  chair  ;  et 
les  Cœlodontes,  à  dents  creuses,  de  l'Ancien 
Monde.  Ces  derniers  se  subdivisent  eux-mêmes  en 
deux  groupes  :  les  Leiodactyles,  à  doigts  lisses, 
et  les  Pristidactyles,  à  doigts  carénés  en  dessous. 
Le  midi  de  la  France  nourrit  trois  espèces  de  ce 
dernier  groupe,  l'Acanthodactyle  commun  {Acan- 
thod/ictytus  vulgaris) ,  et  les  deux  espèces 
du  genre  Psaramodrome,  le  Psnmmodromtis  his- 
panicus  (Fitziiiger)  et  le  Ps.  c»!e/-e«v  (Bonaparte), 
toutes  truis  habitant  aussi  l'Espagne.  Nos  Leio- 
dactyles sont  au  nombre  de  six:  un  du  genre  Tro- 
pidosaure,  le  Tropi  losawa  algira  (Linné),  qui 
vit  dans  le  midi  de  la  France,  et  aussi  en  Espa- 
gne, en  Barbarie,  etc.  ;  et  cinq  du  genre  Lézard, 
qui  sont  :  le  Lacerta  muralis  (Laurenti),  le  L. 
ncellata  (Daudin),  le  L.  vifidis  (Gesner),  lei.  agi- 
lis  (VVolf),  et  le  L.  viviparu  (Jacquin). 

(;o  Les  ScixcoîDiENS  sont  quelquefois  confondus 
avec  les  suivants  sous  le  nom  de  Brévilingues.  Ces 
deux  tribus  ont  pour  caractère  commun  de  pré- 
senter des  formes  de  plus  en  plus  dégradées,  à 
membres  imparfaits  ou  absents,  qui  établissent  un 
passage  vers  les  Ophidiens.  Toujours  néanmoins, 
même  en  l'absence  do  membres,  les  ceintures  sca- 
pulaire  et  pelvienne  et  le  sternum  subsistent,  plus 
ou  moins  développés.  La  langue,  assez  semblable 
à  celle  des  lézards,  est  plus  courte  et  plus  épaisse. 
Les  paupières  font  quelquefois  défaut,  comme  cela 
d'ailleurs  s'observe  déjà  chez  quelques  Lacertiens 
(genre  Ophiops,  Ménétriès).  La  membrane  du  tym- 
pan n'est  pas  toujours  apparente,  Latête  est,  comme 
celle  des  lézards,  revêtue  de  grandes  plaques 
polygonales,  mais  le  ventre  ne  présente  plus, 
au  lieu  de  larges  dentelles,  que  des  écailles 
semblables,  par  leur  forme  et  leur  dimension,  à 
celles  du  dos.  Ces  écailles  sont  ossifiées,  ou  du 
moins  cartilagineuses  en  leur  centre.  Elles  sont 
disposées  tout  autour  du  corps  on  quinconce  chez 
les  Scincoidiens,  en  verticilles  chez  les  Chalci- 
diens. 

Les  Scincoidiens  se  partagent  en  deux  sections, 
les  Sauropluhalmes  et  les  Ophiophthalmes,  sui- 
vant qu'ils  sont  munis  de  paupières  comme  la  plu- 
part des  Sauriens,  ou  en  sont  dépourvus  comme 
tous  les  Ophidiens.  Une  seule  espèce  du  dernier 
groupe, /14;ep/iac(/.ç  ;)a)înoïi(Cz«(Fitzinger),  à  mem- 
bres relativement  bien  développés,  est  européenne, 
des  régions  orientales.  Parmi  les  Saurophtlialmes, 
nous  ne  citerons  que  les  deux  espèces  françaises: 
le  SepscA«/cirfes  (Laurenti),  à  corps  allongé,  à  mem- 
bres rudimentaires  pourvus  de  trois  doigts  seule- 
ment; oaY Aiiguia  fragilis  (Linné)  l'Orvet,  dépourvu 
de  toute  trace  de  membres  ii  l'exlérieur,  et  con-  I 


fondu  par  le  vulgaire  avec  les  serpents  dont  il  a 
jusqu'il  un  certain  point  l'apparence. 

7"  Enhn  les  Chalcidiens  ou  Ptychophnires. 
Nous  avons  indiqué  plus  haut  la  plupart  de  leurs 
caractères.  Ajoutons  qu'un  sillon,  revêtu  d'une 
peau  plus  molle  divisée  en  écailles  beaucou])  plus 
petites  que  les  autres,  s'étend  chez  eux  de  l'oreille 
à  l'anus,  marquant  la  limite  du  dos  et  de  l'abdo- 
men. L'ossification  très  avancée  et  la  rigidité  con- 
sécutive du  derme  paraît  avoir  exigé  une  telle 
particularité  de  structure,  que  nous  retrouverons, 
avec  1ns  mêmes  causes,  chez  les  Amphisbéniens. 
\ine  seule  espèce  européenne,  le  Pseudopus  npiis 
(Pallas),  des  régions  orientales  jusqu'en  Dalma- 
tie. 

IV.  —  Les  Amphisbéniens,  ou  Doublos-Mar- 
cheurs,  ou  Annelés,  réunis  parfois  aux  Opliidiens, 
plus  souvent  aux  Sauriens,  nous  paraissent  de- 
voir former  un  ordre  k  part.  Ils  se  distinguent  h 
la  fois  des  Sauriens  et  des  Ophidiens  par  la  dis- 
position de  leur  tégument,  que  des  sillons  trans- 
versaux et  longitudinaux  divisent  en  comparti- 
ments à  la  façon  d'une  mosaïque.  La  tête  et  la 
gorge  seule  présentent  quelques  grands  écussons. 
L'absence  constante  du  sternum  les  éloigne  des 
Sauriens,  leur  langue  dépourvue  de  fourreau  des 
Ophidiens.  Ils  ont  toujours  des  rudiments  de  bas- 
sin, mais  manquent  le  plus  souvent  de  ceinture 
scapulaire  et  de  membres  antérieurs,  toujours  de 
membres  postérieurs.  Leur  bouche  n'est  nulle- 
ment dilatable,  et  les  os  de  la  face  sont  plus  inti- 
mement soudés  même  que  chez  les  Sauriens.  Ja- 
mais d'os  columellaire,  ni  de  cloison  interorbitaire  ; 
jamais  de  méat  auditif  externe.  Les  yeux  sontca- 
chés  sous  la  peau.  Ils  sont,  comme  les  Sauriens, 
divisibles  en  plourodoutos  et  acrodontes. 

Ces  animaux  sont  de  petite  taille;  ils  vivent  à 
la  façon  des  lombrics,  dont  ils  ont  grossièrement 
l'apparence.  Une  seule  espèce  est  européenne,  le 
Blimus  cinereus  (Vandelli),  d'Espagne  et  de  Maroc. 
Citons  encore  le  Trogonopkis  IV7ejwian«i(Kaup), 
de  Barbarie  et  d'Egypte. 

V.  —  Les  Ophidiens,  vulgairement  les  Ser- 
pents, sont  caractérisés  par  leur  forme  allongée, 
cylindrique,  apode.  Ils  n'ont  jamais  de  ceinture 
scapulaire  ni  de  sternum;  mais  les  Typhlops  ont 
des  rudiments  de  bassin,  et  d'autres  Ophidiens, 
désignés  parfois  sous  le  nom  de  Poropodes,  pré- 
sentent, de  chaque  côté  de  l'anus,  un  ergot,  et 
quelques  os  que  l'on  considère  comme  des  vesti- 
ges du  membre  postérieur.  Les  différents  os  des 
mâchoires,  les  intermaxillaires  et  maxillaires  in- 
férieurs et  supérieurs,  ainsi  que  les  tympaniques, 
suspendus  au  crâne  et  reliés  entre  eux  à  l'aide  de 
ligaments  élastiques,  forment  un  anneau  suscep- 
tible de  se  distendre  énormément.  Les  Ophidiens 
peuvent  ainsi  avaler  une  proie  très  volumineuse 
par  rapport  au  diamètre  de  leur  corps.  Celle-ci, 
généralement  saisie  par  la  tête,  de  façon  à  cou- 
clier  sur  le  corps  les  plumes  ou  les  poils,  s'engage 
peu  à,  peu  dans  le  tube  digestif,  à  l'aide  d'un 
mouvement  alternatif  des  mâchoires  supérieure  et 
inférieure  qui  agissent  comme  des  cardes,  en- 
traînée en  avant  quand  une  mâchoire  recule,  re- 
tenue par  l'autre  quand  elle  avance.  Pendant  la 
déglutition,  l'ouverture  trachéale  est  ramenée  en 
avant,  au-delà  de  l'extrémité  des  mâchoires,  de 
façon  à  permettre  le  libre  accès  de  l'air  dans  la 
poumon.  Les  Typhlops,  qui  établissent  le  passage 
des  Ophidiens  vers  les  Sauriens,  comme  les  Scin- 
coidiens et  les  Chalcidiens  l'établissent  des  Sau- 
riens vers  les  Ophidiens,  ont  la  bouche  beaucoup 
moins  dilatable.  Les  Ophidiens  sont  dépourvus  de 
paupières  :  la  peau  passe,  transparente  en  ce 
point,  sur  le  globe  de  l'œil,  mobile  en  dessous. 
Leur  langue  est  profondément  bifide,  mince  et 
longue,  réli-actile  dans  un  fourreau.  Ils  n'ont  ni 
cavité  du  tympan,  ni  vessie  urinaire.  Le  poumon 


REPTILES 


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REPTILES 


droit  est  seul  d'ordinaire  bien  développé,  le  gau-  1 
elle  deraenrant  nidimentaire. 

C'est  surtout  à  l'aide  de  mouvements  latéraux 
du  tronc  et  de  la  queue,  la  lête  se  maintenant 
élevée  et  horizontale,  que  ces  animaux  progres- 
sent, s'aidant  des  inégalités  du  terrain,  des  her- 
bes, et  de  tous  les  obstacles  qu'ils  peuvent  ren- 
contrer. Aussi  avancent-ils  difficilement  sur  un 
sol  uni  ;  mais,  dans  un  champ  rocailleux  ou  la- 
bouré, ils  fuient  avec  une  rapidité  extrême.  Ils 
nagent  comme  ils  rampent.  Ils  peuvent  à  volonté 
se  maintenir  à  la  surface  de  l'eau  en  gonflant  leur 
énorme  poumon,  ou  plonger  et  ramper  entre  les 
pierres  du  fond,  où  on  les  prendrait  pour  des  an- 
guilles. Us  sont,  quoi  qu'on  en  ait  dit,  incapables 
de  sauter;  mais  ils  peuvent  dresser  une  partie 
plus  ou  moins  grande  de  leur  corps,  et  la  main- 
tenir verticale,  en  s'appuyant  sur  la  queue  et  le 
reste  du  tronc.  Les  Naja,  ces  terribles  serpents 
ve  nimeux  qu'exhibent  les  bateleurs  de  l'Inde,  de 
l'Fgypte  et  même  de  l'Algérie,  jouissent  à  un 
haut  degré  de  cette  faculté. 

Les  Ophidiens  peuvent  être  divisés  en  trois 
sous-ordres  :  les  Scolécophides,  les  Azémiophioes, 
et  les  Thanatophides. 

Les  ScoLÉcoPHiDES,  ou  Typhlopiens,  nommés 
aussi  Opntérodontes,  parce  qu'ils  n'ont  de  dents 
qu'à  l'une  ou  l'autre  des  mâchoires  inférieure  et 
supérieure,  sont  de  petite  taille,  vermiforme,  à 
queue  nulle  ou  très  courte  et  souvent  moins  effi- 
lée que  la  tête.  Les  os  de  la  face  ne  sont  pas 
mobiles,  et  la  bouche  est  inextensible.  L'écail- 
lure  de  leur  corps,  reproduction  exacte  de  celle 
des  Scincoidiens  parmi  les  Sauriens,  suffirait  à 
les  faire  distinguer  des  autres  Ophidiens.  Leurs 
yenx  sont  très  petits,  et  cachés  sous  la  peau  peu 
modifiée  à  leur  niveau.  Ils  mènent  une  vie  sou- 
terraine à  la  façon  des  lombrics,  comme  les 
Amphisbéniens. 

Ce  sous-ordre  forme  une  seule  tribu,  que  l'on 
divise  en  deux  familles  :  celle  des  Catodontes, 
qui  n'ont  de  dents  qu'à  la  mâchoire  inférieure,  et 
celle  des  Epanadontes,  qui  n'ont  de  dents  qu'à 
la  mâchoire  supérieure.  Une  seule  espèce  euro- 
péenne de  cette  dernière  famille,  le  Typhlops  ver- 
m'cularis  (Linné),  de  Grèce. 

Le  sous-ordre  des  Azèmiophides,  ou  Colubrifor- 
mes,  comprend  tous  les  vrais  serpents  non  veni- 
meux. Les  maxillaires  supérieur  et  inférieur,  et 
presque  toujours'  aussi  les  palatins,  sont  armés 
de  dents  aiguës,  recourbées  en  arrière  ;  lisses, 
sauf  la  dernière  du  maxillaire  supérieur,  dont  le 
bord  antérieur  ou  convexe  peut  être  parcouru 
par  un  sillon  (les  espèces  présentant  cette  parti- 
cularité sont  quelquefois  retirées  des  autres 
groupes  et  considérées  comme  formant  une  tribu 
que  l'on  désigne  sous  le  nom  d'Opisthoglyphes). 
Le  dos  est  revêtu  d'écaillés  imbriquées,  l'abdo- 
men de  larges  scutelles  transversales,  la  tête  de 
plaques  polygonales  le  plus  souvent  au  nombre 
de  neuf  :  les  Acrocliordides  seuls  présentent  des 
tubercules  au  lieu  d'écaillés.  La  queue  est  bien 
développée,  sauf  chez  les  Uropeltides.  Sauf  dans 
les  deux  premières  familles,  la  bouche  est  exten- 
sible, et  le  squammosal  distinct  de  la  paroi  du 
crâne. 

Ce  sous-ordre  comprend  quatorze  familles  que 
nous  allons  énumérer  rapidement  : 

1.  Uropeltides.  Queue  tronquée,  offrant  un  bou- 
clier terminal.  —  2.  Tortricides,  Rouleaux.  Tête 
-  à  peine  distincte,  queue  courte  et  conique.  Des 
ergots  près  de  l'anus  comme  chez  les  suivants.  — 
:i.  Boasides.  Subdivisés  en  trois  sous-familles  :  les 
Erycines,  de  taille  médiocre,  à  bouche  étroite,  à 
tête  peu  distincte  :  Eryxjaculus  (Linné),  d'Egypte, 
d'Asie-Mineure,  et  de  l'Europe  orientale  ;  les 
Booeiiies,  et  les  Pythonines,  remarquables  par  leur 
grande  taille,  leur  queue  préhensile,  les  premiers 


sans  dents  sur  les  intermaxillaires,  d'Amérique; 
les  derniers  ."i  infermaxillaires  dentés,  de  l'An- 
cien Monde.  Genres  Boa,  Pyihon,  etc.  —  4.  Ca- 
lamarides.  —  S.Coronellides.  Deux  espèces  françai- 
ses, toutes  deux  du  genre  Coronelle,  la  Coronella 
nnstnaca  (Laurenti)  et  la  C  ^/run'/icn  (Dnudin). 

—  6.  Colubrides  ou  couleuvres  proprement  dites. 
Trois  espèces  françaises  :  VElaphis  .Ksculapii 
(Aldrovande),  le  Zamenis  viridiflavus  (Latreille) 
et  la  Rhinerhis  scalrais  (Seba).  —  7.  Tropidonoti- 
des.  Deux  espèces  françaises  du  genre  Tropidonote, 
le  Tropi'/onotus  tiairix  (Linné),  et  le  T.  viperinus 
(Latreille).  —  8.  Dryophilides.  —  9.  Psammophi- 
des.  Une  espèce  française,  le  Calopeltis  tacertina 
(Wagler),  à  crochets  postérieurs  cannelés,  quoique 
parfaitement  inoffensive,  comme  toutes  les  espèces 
de  la  tribu.  —  10.  Scytalides.  —  11.  Lycodontides. 

—  12.  Dipsadides.—  13,  Rachiodontides  Un  genre 
unique  et  une  seule  espèce,  le  Rnchiodon  scaher 
(Linné),  d'Afrique,  remarquable  par  ses  dents  ver- 
tébrales. Les  dents  maxillaires  sont  très  faibles  et 
peu  nombreuses,  mais  des  apophyses  vertébrales- 
encroûtées  d'émail  font  saillie  dans  l'œsophage.  Ce 
reptile  se  nourrit  surtout  d'œufs  d'oiseaux,  pa- 
raît-il :  les  œufs  sont  cassés  par  les  dents  verté- 
brales et  aucune  goutte  de  liquide  ne  se  trouve 
perdiie.  —  14.  Acrochordides.  Aquatiques,  des 
grandes  îles  de  la  Sonde. 

Les  Thanatophides  ou  Serpents  venimeuï,  ca- 
ractérisés par  la  présence  de  dents  creuses  oa 
cannelées  implantées  sur  la  partie  antérieure 
du  maxillaire  supérieur,  qui  est  très  réduit  en 
longueur  et  ne  porte  pas  d'ordinaire  d'autres  cro- 
chets que  les  venimeux.  Ceux-ci,  taillés  en  biseau 
à  leur  pointe,  sont  en  communication  par  leur 
base  avec  le  conduit  de  la  glande  à  venin.  Quand 
la  bouche  est  fermée,  le  crochet  venimeux  est 
couché  horizontalement,  la  pointe  dirigée  en 
arrière,  et  presque  entièrement  enveloppé  dans 
un  repli  de  la  muqueuse  buccale  ;  mais,  quand 
le  serpent  ouvre  sa  gueule,  le  maxillaire  est  dis- 
posé de  telle  sorte  qu'il  doit  nécessairement  bas- 
culer ;  il  entraîne  avec  lui  le  crochet  qui  devient 
normal  au  plan  du  palais  ;  l'animal,  la  tète  haute, 
présente  alors  sa  pointe  menaçante  en  avant.  Il 
frappe,  et  se  retire,  attendant  les  effets  de  sa 
morsure.  Pendant  le  choc,  le  maxillaire  a  pressé 
sur  la  glande  à  venin,  déjà  comprimée  par  la 
compression  des  muscles  temporaux  qui  la  re- 
couvrent, et  une  goutte  du  liquide  toxique  s'est 
écoulée  dans  la  blessure  et  s'est  mêlée  au  sang 
de  la  victime  qui  ne  tarde  pas  à  en  éprouver  les 
terribles  effets. 

L'intensité  des  phénomènes  consécutifs  à  la 
morsure  d'un  serpent  venimeux  dépend  évidem- 
ment de  la  quantité  de  venin  inoculé,  et  aussi  de  la 
masse  de  la  victime.  S  il  s'agit  de  l'homme,  l'en- 
fant résiste  moins  que  l'adulte,  la  femme  moins 
que  l'homme,  l'homme  faible  moins  que  l'homme 
robuste  et  vigoureux.  Il  faut  évidemment  tenir 
compte  aussi  de  la  qualité  elle-même  du  venin 
qui  doit  varier  avec  l'espèce  d'ophidien,  et  môme 
avec  l'état  physiologique  de  l'individu,  soumis  à 
l'influence  de  la  nourriture,  du  climat,  de  la 
saison,  etc.  Mais  ces  actions  sont  d'une  analyse 
bien  difficile,  à  cause  de  leur  complexité. 

Quoi  qu'il  en  soit,  ces  accidents  sont  toujours 
graves.  Ils  produisent  des  altérations  profondes 
dans  la  partie  blessée  et  dans  l'organisme  entier 
(différant  en  cela  du  venin  ries  arachnides  qui 
n'amène  pas  d'altérations  organiques  et  paraît  agir 
exclusivement  sur  le  système  nerveux), et  laissent 
des  traces  parfois  très  durables;  ils  peuvent  d'ail- 
leurs, même  chez  des  sujets  vigoureux,  amener 
une  mort  rapide,  parfois  immédiate.  La  preiuière 
précaution  à  prendre,  qu:ind  on  a  été  piqué  par 
une  vipère,  ou  tout  autre  serpent  venimeux,  c'est 
de  débrider    immédiatement   la    plaie,    et    d'en 


REPTILES 


—  IH'H  — 


RÉPUBLIQUE 


extraire  autant  que  possible  le  venin  par  une 
succion  vigourouse,  qui  ne  présente  aucun  dan- 
ger pour  l'opérateur,  alors  mOme  que  sa  muqueuse 
buccale  ne  serait  pas  absolument  intacte.  Par  les 
cordiaux  et  l'exercice  forcé,  on  réagit  contre  la 
torpeur  qui  envaliit  le  blessé,  et  on  accélère  l'éli- 
mination (lu  virus.  Il  n'est  pas  inutile  aussi  de 
placer  une  ligature,  s'il  est  possible,  au-dessus  du 
point  mordu,  ligature  que  l'on  déplace  de  temps 
en  temps,  en  s'éloignant  de  plus  en  plus  de  la 
périphérie  :  ainsi  le  venin  est  absorbé  plus  lente- 
ment ;  son  élimination  est  par  là  môme  retardée, 
mais  son  action  sur  l'organisme  e.st  moins  intense 
que  s'il  entrait  tout  à  la  fois  dans  la  circulation. 
Enfin  on  recommande  la  cautérisation  de  la  plaie, 
pour  détruire  tout  le  venin  qui  n'aurait  pas  encore 
été  absorbé. 

On  divise  très  naturellement  le  sous-ordre  des 
Thanatnpidos  en  deux  tribus,  et  chacune  d'elles 
à  son  tour  en  deux  familles. 

La  tribu  des  Protéroglyphes  est  caractérisée 
par  son  aspect  colubriforme,  sa  taille. élancée,  sa 
tète  recouverte  de  plaques,  ses  dents  venimeuses 
en  gouttière  souvent  suivies  de  dents  pleines  non 
venimeuses.  Les  deux  familles  qui  la  composent 
sont  celle  des  Elapides,  appelés  aussi  Gonocerques  à 
cause  de  leur  queue  arrondie  et  semblable  à  celle 
des  couleuvres;  et  celle  desHydrophides,ou  Platy- 
cerques,  les  Serpents  de  mer,  à  corps  et  à  queue 
fortement  comprimés  et  en  rame.  Ces  derniers, 
qui  habitent  les  mers  et  plus  rarement  les  lacs 
des  pays  chauds,  sont  peu  nombreux  en  espèces. 
Parmi  les  premiers  nous  citerons  le  Serpent  corail, 
Elaps  Corallitnis  (Linné),  de  l'Amérique  centrale 
et  méridionale,  annelé  de  noir  profond  et  de 
rouge  cramoisi  ;  et  le  Serpent  à  lunettes,  Naja 
tripudians  (Linné),  des  Indes  orientales  où  il  fe- 
rait, d'après  des  statistiques  anglaises,  10  000  vic- 
times humaines  par  année.  Ses  premières  côtes, 
très  longues,  s'écartent  quand  il  est  irrité,  di- 
latent la  peau  très  extensible  du  cou.  qui  devient 
infiniment  plus  large  que  sa  tête,  et  donnent  à 
l'animal  une  allure  bizarre  qui  lui  a  valu  le  nom 
de  serpent  à  coiffe,  cobra  capello  des  Portugais, 
et  qu'exploitent  les  charmeurs  de  l'Inde.  Une  es- 
pèce voisine,  la  Naja  linje  (Linné),  se  voit  égale- 
ment entre  les  mains  des  jongleurs  d'Egypte  et 
d'Algérie  :  c'est  V Aspic  de  Cléopâtre. 

La  tribu  des  Solénoglyphes  a  généralement  des 
formes  plus  ramassées,  la  tête  plus  élargie,  la 
queue  plus  courte.  Les  mâchoires  supérieures, 
très  courtes,  ne  portent  jamais  que  les  dents  ve- 
nimeuses. Rarement  la  tête  montre  les  neuf 
grandes  plaques  polygonales  habituelles  aux  Cou- 
leuvres et  aux  l'rotéroglyphes,  mais  elle  est  plus 
ou  moins  entièrement  couverte  de  petites  écailles 
semblables  à  celles  du  dos.  La  pupille  est  verti- 
cale. 

Beaucoup  d'espèces  mettent  au  monde  des  pe- 
tits vivants,  |rropriété  qu'elles  partagent  avec 
beaucoup  de  Sauriens,  peu  importante  d'ail- 
leurs bien  qu'elle  ait  valu  leur  nom  à  nos 
vipères  (de  vivipari)  :  dans  ce  cas,  l'œuf  éclot 
dans  l'oviducte  maternel,  d'ordinaire  au  moment 
de  la  ponte,  et  ses  enveloppes  sont  évacuées  en 
même  temps  que  les  jeunes.  Ces  animaux  sont 
àiis  ovovivipares,  \tQ\iT  les  distinguer  des  vrais  uiuz- 
pares  qui  se  développent  dans  le  corps  de  la  mère 
et  se  nourrissent  directement  de  sa  substance. 

Les  deux  familles  des  Vipérides  et  des  Crotali- 
des  se  distinguent  l'une  de  l'autre  par  l'absence 
ou  la  présence  de  fossettes  glandulaires  aux  lè- 
vres, entre  les  narines  et  les  yeux. 
_  Cinq  espèces  de  la  première  famille  habitent 
l'Europe,  toutes  appartiennent  au  genre  Vipera. 
Ce  sont  la  V.  irrus  (Linné),  do  toute  l'Europe 
septentrionale  et  moyenne  et  d'Asie,  de  l'Angle- 
terre au  Kamtchatka,  française  aussi  ;  le  V.  Seoa- 


nei  (Lataste),  des  montagnes  de  la  Galice  en  Es- 
pagne; la  V.  atpis  (Linné),  d«  France  et  de  quel- 
ques pays  limitrophes  ;  la  V.  Latastei  (Bosca), 
d'Espagne  et  d'Algérie;  la  V.  (immodyles  'Linné), 
de  l'Europe  sud-est. 

Parmi  les  Crotalides,  une  espèce,  le  Trigonoce- 
phahts  habjs  (Pallas),  de  Sibérie,  a  été  indiquée 
en  Europe.  Citons  encore  les  Bolhiops  des  An- 
tilles, désignés  à  tort  dans  ces  colonies  sous  le 
nom  de  Trigonocéphales,  et  le  terrible  genre  Cro- 
lalus,  les  Serpents  à  sonnette,  nombreux  en  es- 
pèces, des  deux  Amériques.  La  queue  porte  à  son 
extrémité  l'appareil  particulier  qui  leur  a  valu 
leur  nom,  la  sonnette,  formée  par  des  anneaux 
cornés  cngainés  les  uns  dans  les  autres.  A  cha- 
que mue  un  nouvel  anneau,  de  formation  exclusi- 
vement épidermique,  se  détache  du  corps  de  l'ani- 
mal, mais  reste  accroclié  h  l'extrétnité  de  la  queue 
élargie.  La  sonnette  s'allonge  ainsi,  mais  ne  peut 
servir  néanmoins  à  déterminer  lo  nombre  de 
mues  et  l'âge  du  reptile  ;  car  les  derniers  an- 
neaux s'usent,  se  brisent  et  se  fendent  souvent. 
[Fernand  Lataste.] 
RÉPUBLIQUE.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL. 
—  Etym.  :  du  latin  [iespublicaoti  res  publica,  chose 
publique.  —  Ce  mot,  que  nous  avons  emprunté  aui 
Romains,  ne  désignait  pas  cliez  eux  une  forme 
particulière  de  gouvernement;  c'était  l'équivalent 
de  notre  terme  français  d'Etat,  exprimant  la 
société  civile  constituée  en  corps  de  nation.  Aussi, 
même  après  l'établissement  du  gouvernement  im- 
périal, continua-t-on  à  appeler  l'Etat  romain  du 
nom  de  république.  Chez  les  Grecs,  on  ne  ren- 
contre pas  de  terme  qui  corresponde  exactement 
à  la  reipuhlicn  des  Romains  ;  l'Etat  y  est  appelé 
/lolis,  «  la  cité  »  (c'est  de  là  que  nous  avons  tiré 
le  mot  de  politique)  ;  le  gouvernement  de  la  cité 
est  une  démocratie,  si  le  pouvoir  appartient  au 
peuple  tout  entier  ;  une  oligarchie  ou  une  aristo- 
cratie, si  le  pouvoir  n'appartient  qu'à  quelques- 
uns,  i  une  classe  privilégiée  do  citoyens;  une 
tyrannie,  si  le  pouvoir  est  aux  mains  d'un  seul 
(le  mot  grec  tyrannos,  tyran,  ne  se  prend  pas 
nécessairement  en  mauvaise  part,  et  signifie  sim- 
plement souverain,  maître).  On  a  pris  l'haljitiide, 
néanmoins,  d'appeler  républiques  celles  des  cités 
grecques  dont  le  gouvernement  était  soit  démo- 
cratique, soit  aristocratique,  par  opposition  aux 
monarchies  des  peuples  voisins.  Pris  dans  son 
acception  usuelle,  le  mot  république  signifie  donc 
un  Etat  qui  n'est  pas  gouverné  par  un  roi,  par 
un  monarque  :  c'est  ainsi  qu'on  a  pu  dire,  mal- 
gré les  dilTérences  notables  qui  existaient  en- 
tre les  institutions  politiques  de  ces  cités  ou  de 
ces  peuples,  la  république  de  Carthage,  la  répu- 
blique de  Venise,  de  Florence,  de  Gênes,  les  ré- 
publiques suisses,  la  république  des  Sept  Pro- 
vinces unies,  etc.  La  •  République  de  Pologne  » 
fait  seule  une  exception  :  elle  avait  un  roi  ;  mais 
ce  roi,  ajoutons-le,  otaitélectifvV.Po/o,9fte,  p.  1644). 
Les  républiques  de  nos  jours  sont  toutes  des 
Etats  démocratiques;  mais  chez  quelques-unes,  la 
démocratie  est  directe,  c'est-à-dire  que  le  peuple 
assemblé  délibère  lui-même  sur  les  lois  (par 
exemple  dans  deux  ou  trois  petits  cantons  suisses)  ; 
chez  les  autres,  la  démocratie  est  représentative. 
D'autre  part,  il  y  a  des  républiques  unitaires, 
comme  la  France,  et  des  républiques  fédératives, 
comme  la  Suisse  et  les  Etats-Unis. 

Les  Etats  qui  sont  actuellement  constitués  selon 
la  forme  républicaine  sont  les  suivants: 

En  Europe:  La  France,  la  Confédération  suisse, 
la  république  d'Andorre  et  celle  de  Saint- Marin. 
En  Amérique  :  Les  Etats-Unis  do  l'Amérique  du 
IVord;  la  Confédération  mexicaine;  la  république 
de  Haiti  et  la  République  dominicaine,  qui  se  par- 
tagent l'Ile  de  Saint-Domingue;  les  cinq  Républi- 
ques de  l'Amérique  centrale  :  Guatemala,  Hondu- 


REPUBLIQUE 


■1848  — 


REPUBLIQUE 


ras,  San-Salvador,  Nicaragua,    et    Costa-Rica  ;  et  1  l'ont  fort  rapprocliée  du  but  ;  elle  a,  dès  i  prosent, 
les  républiques  espagnoles  de  l'Amérique  du  Sud  :    atteint  une  sorte  de  demi-suffrage  universel  qui 


la  Nouvelle-Grenade,  le  Venezuela,  l'Equateur,   le 
Pérou,    la  Bolivie,  le  Chili,  le  Paraguay,  l'Uruguay, 
et  la  république  Argentine. 
En  AFniorE,  la  république  nègre  de  Libéria,  sur 


bientôt  sera  universel  tout  à  fait,  sans  avoir  coûté 
à  ce  pays  ni  révolution,  ni  démembrement. 

Cependant,  la  première  heure   du  suffrage  uni- 
versel eut  quelque  chose  de  radieux  comme  une 


la  côte  de  Guinée  ;  et  les  républiques  hollandaises  '  aurore.  Huit  millions  d'hommes  votèrent  le  2o  avril 


du  Transvaal  et  d'Orange,  près  du  cap  de  Bonne 
Espérance. 

UÊPUBLIQUE    FRANÇAISE     (Première).    — 
V.  Hcvnliition  française  et  Directoire. 

ItÉl'UBLlQUEFUANÇAlSE  iDeu.xième).  —  His- 
toire de  France,  XXXVl.  —  Durant  le  cours  de 
l'année  1847,  l'opposition  libérale  avait  organisé 
une  série  de  banquets  politiques,  dans  lesquels 
des  orateurs  tels  que  Lamartine  et  Ledru-RoUin 
réclamèrent  la  réforme  électornle,  c'est-à-dire  une 
révision  de  la  loi  électorale  qui  abaissât  le  chiffre 
du  cens  et  augmentât  le  nombre  des  électeurs. 
Le  ministère  Guizot  refusa  toute  concession,  et, 
pour  en  finir  avec  l'agitation  produite  par  cette 
question,  il  crut  devoir  interdire  le  banquet  an- 
noncé dans  le  XII"  arrondissement  de  Paris  pour 
le  '2.'  février  1.S48.  Cet  acte  imprudent,  joint  au 
mécontentement  que  causaient  la  politique  exté- 
rieure du  gouvernement  de  Louis-Philippe  et  les 
scandales  qu'avait  dévoilés  la  session  parlemen- 
taire de  184",  provoqua  une  insurrection  du  peu- 
ple parisien.  Devant  les  insurgés  victorieux  le 
24  février,  le  roi  prit  la  fuite,  l'armée  évacua  Paris. 
Quelques  hommes  acclamés  par  la  foule  se  réu- 
nirent à  l'hôtel  de  ville  et  se  constituèrent  chels 
de  l'Etat  avec  le  titre  de  Gouvernement  provisoire. 
C'étaient  M.^L  Dupont  de  l'Eure,  Arago,  Lamar- 
tine, Ledru-I'oUin,  Marie,  Garnier-Pagès,  Cré- 
mieux,  Louis  Blanc,  Marrast,  Flocon  et  Albert. 
Cette  autorité  décréta  que  la  République  serait 
la  forme  du  gouvernement  de  la  France,  et  la 
France  accepta  sans  résistance  les  faits  accomplis. 
Quelques  jours  après,  un  décret  du  gouverne- 
ment provisoire  établissait  le  suffrage  universel. 
C'est  uniquement  par  cette  grande  innovation,  re- 
nouvelée de  1789  et  de  1793,  que  la  révolution  de 
1S48  est  considérable  dans  l'hisloire.  Les  autres 
événements  qui  semblent  la  composer  sont  peu  ' 
de  chose  en  comparaison. 

On  peut  juger  aujourd'hui  favorablement  du 
suffrage  universel,  fondement  de  toutes  nos  insti- 
tutions, et  convenir  cependant  que  ceux  qui 
l'établirent  brusquement  firent  un  acte  d'une  im- 
prudence sans  égale.  La  manière  simple  et  étroite 
dont  ils  raisonnaient  la  politique  explique  leur  ex- 
traordinaire témérité.  «  Tout  homme,  disaient-ils, 
paie  à  l'Etat  l'impôl  de  l'argent  et  celui  du  sang  : 
il  a  donc  le  di-oit  indéniable  de  décider  des  affaires 
publiques.  »  La  possibilité  que  cet  homme,  par  un 
vote  mal  éclairé,  se  rendît  l'usage  de  son  droit 
nuisible  à  lui-même,  ne  se  présenta  pas  à  leur 
esprit  ou  fut  écartée.  Ce  qu'ils  voulaient,  d'ailleurs, 
était  juste  :  ils  en  conclurent  que  les  suites  en 
seraient  nécessairement  avantageuses.  Idée  très 
fausse,  par  malheur! 

n  y  avait  certes  quelque  chose  à  faire.  Toute 
révolution  constate  un  besoin  public.  En  lSi8, 
le  besoin  senti  était  d'élargir  le  système  de  suf- 
frage. On  aurait  pu  se  proposer  le  suffrage  uni- 
versel comme  but  à  atteindre,  et  faire  sur  le 
champ  une  étape  vers  ce  but  :  accorder  le  suf- 
frage à  tons  pour  l'élection  des  conseils  munici- 
paux, tripler  ou  quadrupler  le  nombre  des  élec- 
teurs politiques,  qui  était  à  peine  de  2.^nOilÛ. 
L'exercice  du  vote,  universel  pour  les  affaires 
communales,  momentanément  partiel  pour  le 
reste,  aurait  fait  l'éducation  des  masses.  Cette 
marche  en  avant,  mesurée  et  sagement  progres- 
sive, a  été  le  fait  de  l'Angleterre.  Partie  en  IS30 
vers  les  mêmes  institutions  démocratiques  que 
nous,   l'Angleterre   a  f-jurni  plusieurs  relais  qui 


sauf  sur  un  ou  deux  points)  tranquillement,  et 
même  avec  une  sorte  d'allégresse.  Les  votes  ex- 
primèrent une  acceptation  confiante  du  nouvel 
ordre  de  choses.  Les  élus  du  peuple,  en  majorité, 
voulaient  la  République,  une  République  modé- 
rée. Tel  fut  l'esprit  de  l'Assemblée  constituante. 
En  la  nommant,  les  masses  populaires  avaient  cédé 
à  un  entraînement  passager  :  elles  allaient  bientôt 
manifester  une  tendance  contraire,  plus  conforme 
il  leur  état  de  culture  et  à  leurs  instincts  naturels. 
En  fait  de  conceptions  politiques,  le  paysan,  l'ou- 
vrier ne  pouvaient  avoir  et  n'avaient  au  fond  que 
cette  idée  simple  :  trouver  un  homme  en  qui  on 
pût  se  confier,  et  lui  livrer  la  conduite  de  l'Etat. 
Il  faut  un  assez  haut  degré  de  culture  pour  com- 
prendre ce  système  de  pouvoirs  limités  et  pondé- 
rés qu'on  appelle  le  régime  parlementaire.  En 
second  lieu,  les  masses  n'avaient  retenu  de  la  ré- 
volution et  de  l'empire  que  le  souvenir  d'un 
homme  éblouissant.  Pour  toute  histoire,  elles  sa- 
vaient un  nom  :  Napoléon;  et  ce  nom  ne  signi- 
fiait pour  elles  rien  de  moins  que  génie  extraordi- 
naire, capacité  presque  surhumaine.  Un  homme 
existait  qui  portait  ce  nom  prestigieux.  C'était 
Louis-Napoléon  Bonaparte,  fils  de  Louis  Bonaparte, 
frère  de  Napoléon  1". 

Le  prince  (il  portait  ce  titre)  avait  une  con- 
fiance fanatique  dans  l'ascendant  de  son  nom. 
Sous  Louis-Philippe,  à  Strasbourg,  à  Boulogne,  il 
avait  deux  fois  tenté  les  troupes,  essayé  de  se 
faire  porter  au  trône  par  un  pronunciamiento  do 
soldat^.  Esprit  fort  chimérique,  Louis- Napoléon 
s'était  trompé  d'heure  comme  de  moyen;  il  avait 
échoué  misérablement  et  était  resté  ridicule  aux 
yeux  de  la  classe  intelligente.  Mais,  après  la  ré- 
volution de  IS48,  le  suffrage  universel  établi,  la 
classe  intelligente  se  trouvait  comme  noyée  dans 
les  masses  populaires.  Celles-ci  ou  ignoraient  les 
aventures  de  Strasbourg  et  de  Boulogne,  ou  n'en 
sentaient  ni  l'absurde,  ni  l'odieux.  L'heure  du  pré- 
tendant cette  fois  était  venue.  Quoiqu'il  fût  absent 
de  France,  et  qu'il  ne  se  présentât  pas  expressé- 
ment, dès  le  mois  de  juin  1848  Louis-Napoléon  fut 
élu  dans  quatre  départements,  parmi  lesquels  la 
Seine.  Il  avait  suffi  que  le  peuple  apprît,  par  les 
vieux  soldats  survivants  de  l'Empire,  ses  institu- 
teurs en  histoire,  l'existence  du  descendant  de 
Napoléon. 

Cependant  d'autres  causes  concouraient  avec 
les  instincts  populaires  pour  la  future  élévation 
du  prince.  Le  nom  de  République  lui-même 
effrayait  déj'i  un  grand  nombre  de  personnes.  Les 
clubistes  de  Paris,  certains  journaux  républicains, 
les  écrivains  socialistes,  prirent  comme  à  tâche 
de  porter  cet  effroi  à  son  comble.  Ils  semblaient 
persuadés  qu'une  société  d'hommes  est  une  pâte 
inerte,  insensible,  qu'on  façonne  comme  on  veut. 
Conséquemnient,  on  voyait  se  produire  tous  les 
matins  quelque  rêve  nouveau  et  absurde  touchant 
la  forme  k  donner  à  la  propriété,  îi  la  famille  ott 
h  l'Etat,  et  cela  dans  un  pays  d'esprit  timoré  où 
tout  le  monde  est  disposé  Ji  croire  que  la  parole 
va  immédiatement  produire  l'acte.  Au  reste,  il  y 
eut  des  actes  dangereux  pour  la  société;  mais  ils 
partirent  d'une  autre  espèce  de  théoriciens.  Le 
parti  républicain  renfermait  une  sorte  d'hom- 
mes très  redoutables  pour  qui  la  République 
et  la  démocratie,  dont  ils  se  prétendaient  les 
chevaliers  à  outrance,  n'étaient  absolument  res- 
pectables qu'à  la  condition  do  se  laisser  gouver- 
ner autocraliqucmcnt  par  eux.  Intraitables  pour 


REPUBLIQUE 


—  1849 


RÉPUBLIQUE 


tout  gouvornemeiil  autre  que  leur  propre  dicta- 
ture, conspirateurs  incorrigibles,  sans  foi  ni  loi 
politiquement  parlant,  ces  hommes  tentèrent  plu- 
sieurs fois  d'enlever  le  gouvernement  provisoire 
ou  (le  l'assi'rvir.  Ils  essayèrent  au  15  mai  d'enle- 
ver tout  à  la  fois  la  Commission  executive,  par 
la(|uelle  l'Assemblée  venait  de  remplacer  le  gou- 
vernement provisoire,  et  l'Assemblée  elle-même. 
Colle-ci,  envaliie  avec  succès,  fut  un  instant  dis- 
soute, et  les  insurgés  occupèrent  l'hôtel  de  ville. 
La  garde  nationale  vint  peu  après  les  y  arrêter. 
C'était  un  coup  manqué,  mais  il  en.resta  une  im- 
pression do  déliance  quant  à  la  durée  des  insti- 
tutions républicaines. 

La  révolution  avait  naturellement  arrêté  le  tra- 
vail ;  tous  les  métiers  cliùraaient  dans  Paris. 
L'ouvrier,  désœuvré,  misérable,  fréquentait  les 
clubs,  parcourait  la  ville  en  corps  de  métier,  assié- 
geait le  gouvernement  provisoire  de  ses  députa- 
lions.  Excusable  d'ailleurs  par  son  ignorance  et 
par  ses  soufl'rances,  il  prétendait  hautement  que 
le  gouvernement  lui  procurât  du  travail  et  du 
pain.  C'était  la  suite  de  cette  croyance  assez 
commune  dans  toutes  les  classes  de  la  société 
française  que  le  gouvernement  peut  tout,  de  lui- 
même,  pour  le  bien-être  de  ses  administrés,  sans 
avoir  besoin  de  leur  concours  éclairé.  Il  y  a  des 
gens  qui  ont  trouvé  sublime  un  mot  de  l'ouvrier 
de  cette  époque  :  «  Nous  avons  trois  mois  de  mi- 
sère au  service  de  la  République.  «  Ce  qui  si- 
gnifiait :  Vous  avez  trois  mois  pour  trouver  le 
système  par  lequel  vous  assurerez  désormais 
à  tout  ouvrier  un  travail  constant  et  bien  ré- 
munéré, quelle  que  soit  d'ailleurs  la  conduite  do 
cet  ouvrier.  Le  gouvernement  provisoire  eut  la 
faiblesse,  explicable  d'ailleurs  par  l'état  do  dé- 
pendance où  le  tenaient  les  foules  qui  l'assié- 
geaient, de  promettre  qu'il  résoudrait  ce  pro- 
blème, aussi  insoluble  que  la  quadrature  du 
cercle.  Il  s'engagea  par  décret  à  garantir  l'exis- 
tence de  l'ouvrier,  ou,  suivant  le  langage  du 
temps,  il  reconnut  le  «  droit  au  travail  ».  En  atten- 
dant d'avoir  trouvé  Vorganisaiion  du  travail,  pour 
débarrasser  la  rue,  pour  employer  et  secourir  ces 
foules  oisives,  il  ouvrit  des  ateliers  nationaux. 
Tout  ouvrier  sans  ouvrage  fut  admis  et  embri- 
gadé dans  une  sorte  d'armée  dont  la  solde  fut 
fixée  d'abord  à  2  francs,  puis  à  1  fr.  bO  par  jour- 
née de  travail,  ù  1  fr.  50  et  à  1  franc  par  jour 
sans  travail.  Au  bout  de  trois  mois,  l'effectir  de 
cette  armée  se  montait  à  117  000  hommes  appar- 
tenant à  150  métiers  différents.  Il  arrivait  des  ou- 
vriers de  tous  les  coins  de  la  France.  Comment 
occuper  valablement  cette  énorme  main-d'œuvre, 
si  diversifiée  ?  Comment  l'Etat  aurait-il  pu  employer 
effectivement  les  horlogers,  les  bijoutiers  ou  les 
peintres  enrôlés  dans  ses  ateliers  'i'  Il  ne  put 
offrir  que  quelques  travaux  d'espèce  fort  simple, 
terrassements,  arrachages  d'arbres,  etc.  Encore, 
les  ouvriers  nationaux  s'en  acquittèrent-ils  fort 
mal.  La  plupart  du  trnips,  toute  besogne  manquait. 
Les  ouvriers  recevaient  alors  l'aumône  de  la  paie 
de  chômage,  leur  conscience  s'y  habituait,  ils 
perdaient  le  sens  de  l'honnêteté.  Et  avec  cela,  la 
concurrence  des  ateliers  nationaux  empêchait  les 
ateliers  privés  de  se  rouvrir.  Imaginés  comme 
remède  à  la  grève  universelle,  ils  la  perpétuaient. 
Enfin,  ils  obéraient  le  trésor  public  en  un  temps 
de  pénurie.  A  la  fin  de  juin,  l'Assemblée  dé- 
cida de  les  licencier.  Elle  s'y  prit  mal,  les  ouvriers 
se  révoltèrent.  Des  socialistes,  des  républicains 
dictatoriaux,  des  conspirateurs  h  la  solde  des 
princes,  des  malfaiteurs,  se  joignirent  h  eux.  En 
quelques  heun-s,  une  insurrection  formidable 
éleva  partout  ses  barricades.  Paris  se  divisa  en 
detix  années  qui  se  choquèrent  avec  fureur.  D'un 
coté  la  classe  ouvrière,  de  l'autre  la  troupe,  la 
garde  mobile,  la  bourgeoisie  enrôlée  dans  la  garde  | 


nationale.  Quatre  jours  dune  bataille  acharnée, 
parfois  impitoyable,  des  morts  par  millji'rs  ;  au- 
tour de  Paris,  la  France  troublée  jusque  dans 
ses  couches  profondes,  toutes  les  gardes  natio- 
nales, debout,  dans  l'attente  la  plus  anxieuse,  par- 
tant pour  Paris  ou  prêtes  h  partir,  telles  furent  les 
fameuses  journées  de  juin  (du  23  au  2(1).  Elles 
furent  suivies  de  transportations  t|ui  enlevèrent  à 
leurs  femmes  et  à  leurs  enfants  quantité  de  maris 
et  de  pères  :  en  résumé,  une  somme  énorme  de 
maux  pour  des  idées  vaines  ou  pour  des  appétits. 

Ces  événements  mirent  en  lumière  un  homme, 
le  général  Cavaignac,  quo  la  Commission  execu- 
tive avait  appelé  au  ministère  de  la  guerre.  Lors- 
que éclata  l'insurrection,  l'Assemblée  fit  de  lui  le 
chef  du  pouvoir  exécutif  au  lieu  et  place  do  la 
Commission  executive,  discréditée.  Cavaignac  avait 
une  probité  rare,  de  la  fermeté,  de  la  prudence: 
s'il  fût  devenu  président  de  la  P>épublique,  il  est 
probable  que  cette  forme  de  gouvernement  aurait 
duré.  Nos  destinées  étaient  changées  et  avec  elles 
le  cours  des  événements  en  Europe.  Cavaignac  fiit 
devenu  président  de  la  République  si,  en  faisant 
la  constitution,  l'Assemblée  s'était  réservé  l'élec- 
tion présidentielle.  Mais,  repoussant  l'amende- 
ment Grévy,  qui  voulait  que  le  président  fût  l'élu 
révocable  de  l'Assemblée,  elle  décida  Ci  octobre) 
qu'il  serait  nommé  par  le  suffrage  universel.  Ce 
vote  imprudent  fut  l'œuvre  des  monarchistes  et 
des  conservateurs;  les  plus  avisés  d'entre  eux  pré- 
virent bien  qu'ils  élevaient  Louis-Napoléon,  mais 
ils  préférèrent  l'homme  problématique  à  l'homme 
sûr,  déjà  éprouvé,  en  haine  aveugle  des  républi- 
cains dont  Cavaignac  s'entourait  nécessairement. 
Les  partis,  collections  d'individus,  ont  de  ces  im- 
probités, parce  qu'ils  sont  irresponsables.  Le  peu- 
ple, appelé  il  élire  le  président,  donna  h  Louis-Na- 
poléon 5  millions  1/2  de  suffrages  et  h  Cavaignac 
1  million  1/2  (10  décembre).  Le  sort  de  la  Répu- 
blique était  fixé. 

Louis-Napoléon,  avec  ses  idées  et  si  l'on  veut 
ses  rêves,  son  nom,  les  traditions  de  sa  famille, 
ses  ambitions  de  jeunesse,  et,  ajoutons,  ses  be- 
soins et  ceux  de  sa  camarilla,  ne  pouvait  pas  con- 
sentir à  quitter  le  pouvoir  à  l'expiration  de  sa 
présidence  :  il  devait  viser  à  l'empire.  Il  avait  bien 
des  chances  de  réussir.  Toutes  les  forces,  im- 
menses chez  nous,  du  pouvoir  e.xécutif,  étaient 
dans  sa  main.  L'armée  devait  lui  obéir  par  disci- 
pline et  par  inclination.  L'empire  n'était-il  pas 
voué  par  sa  tradition  à  faire  la  guerre  et  à  favori- 
ser l'élément  militaire'?  Louis-Napoléon  avait, 
nous  l'avons  déjà  dit,  les  sympathies  aveugles  des 
masses  rurales.  La  fraction  considérable  de  la 
bourgeoisie  quo  les  théories  des  socialistes  et  Ja 
conduite  parfois  impolitique  du  parti  républicain 
avaient  tout  à  fait  apeurée,  faisait  dos  vœux  pour  lui: 
elle  souhaitait,  pour  se  rassurer,  un  maître  absolu. 
Contre  lui  il  avait  la  majorité  des  grandes  et  des 
moyennes  villes,  et.  ce  qui  était  de  plus  grave  con- 
sé(|uonce,  l'hostilité  de  Paris. 

En  mai  1840,  l'Assemblée  constituante  avait  cédé 
la  place  h  l'Assemblée  législative.  Celle-ci  fut 
composée  en  grande  majorité  d'hommes  dévoués 
à  Louis-Philippe  ou  i  Henri  V  et  hostiles  à  la  Ré- 
publique ou  au  moins  aux  républicains;  pensant 
trouver  eu  Louis-Napoléon  un  instrument  docile, 
cette  majorité  lui  accorda  d'abord  son  appui  dans 
les  mesures  qu'il  prenait  contre  la  démocratie. 
Elle  donna  son  approbation  à  l'expédition  romaine. 
Le  pape  ayant  été  chassé  de  Rome  par  une  révo- 
lution à  la  fin  de  'année  1848,  Louis-Napoléon 
s'était  décidé  i  envoyer  contre  la  république  ro- 
maine une  armée  chargée  de  restaurer  la  .souve- 
raineté de  l'ie  IX  (avril  1849).  En  vain  les  répu- 
blicains français,  dirigés  par  Ledrii-RoUin,  essayè- 
rent-ils de  pi-otester  contre  cette  mesure  impoli- 
tique (manifestation  du  Conservatoire  dos  arts  et 


REPUBLIQUE 


—  1850  — 


RÉPUBLIQUE 


métiers,  13  juin  18491  ;  les  auteurs  de  la  manifes- 
tation furent  proscrits,  et  le  3  juillet  Rome  capi- 
tulait devant  les  canoiis  du  général  Oudinot. 

Préoccupés  avant  tout  de  soustraire  la  société 
française  au  péril  cliimérique  dont  les  républi- 
cains leur  semblaient  la  menacer,  et  ne  voyant  pas 
que  le  véritable  danger  était  celui  de  la  dictature, 
les  monarchistes  de  l'Assemblée  firent  des  lois 
contre  les  clubs,  contre  la  presse.  Sous  l'inspira- 
tion de  M.  Tliiers,  devenu  le  chef  du  grand  parti 
conservateur, ils  combinèrent  une  loi  sur  l'inst'uc- 
tion  primaire  (15  mars  1850),  moins  pour  instruire 
lesenfants  que  pour  leurinculquerlecatholicisme. 
Incrédules  d'ailleurs,  ou  indifférents  pour  cette 
religion  en  elle-même,  ils  l'apprécièrent  unique- 
ment comme  antidote  au  poison  du  socialisme. 
Us  mutilèrent  le  suffrage  universel  par  la  loi  du 
31  mai  1850,  qui,  en  imposant  comme  condition 
d'électoral  trois  années  de  séjour,  réduisit  de  neuf 
millions  à  six  le  nombre  des  électeurs. 

Bientôt,  certains  faits  démontrèrent  à  tous  que 
le  prince  président  tendait  à  l'empire.  La  majorité 
réactionnaire  de  l'Assemblée  se  divisa  alors  en  deux 
parties  presque  égales.  L'une  se  composa  de  ceux 
qui  voulaient  détruire  la  République  au  profit  des 
d'Orléans  ou  de  Henri  V,  mais  non  de  Bonaparte; 
l'autre,  de  ceux  qui  voulaient  l'empire  ou  le  ju- 
geaient la  seule  porte  praticable  pour  sortir  de  la 
République.  La  minorité  républicaine  redoutait 
également  et  les  amis  du  président,  qui  se  mon- 
traient disposés  à  appuyer  un  coup  d'Etat,  et  les 
monarchistes,  qui  ne  défendaient  la  légalité  que 
pour  la  faire  servir  à  leurs  desseins  de  restaura- 
tion orléaniste  ou  légitimiste. 

La  lutte  engagée  par  Louis-Mapoléon  contre 
l'Assemblée,  devenue  dans  sa  majorité  hostile  à  la 
politique  du  président,  remplit  de  ses  péripéties 
la  seconde  moitié  de  185'i  et  toute  l'année  1851. 
Nous  en  omettons  les  détails.  Dès  juillet  1850, 
l'Assemblée  institua  une  Commission  de  perma- 
nence pour  surveiller  les  menées  du  pouvoir  exé- 
cutif. Les  voyages  du  président  en  province  n'en 
furent  pas  moins  l'occasion  de  nombreuses  mani- 
festations bonapartistes.  Kn  janvier  1851,  lors 
de  la  révocation  du  général  Changarnier,  privé 
de  son  commandement  parce  qu'il  avait  in- 
terdit à  la  troupe  de  pousser  le  cri  de  Vive  l'em- 
pereur, M.  Thiers  put  dire  :  «  L'empire  est  fait.  » 
Cependant  Louis-N'apoléon  n'était  pas  encore 
décidé  à  recourir  aux  moyens  violents,  et  il  voulut 
essayer  d'abord  de  la  voie  légale  pour  se  perpé- 
tuer au  pouvoir.  La  constitution  stipulait  que  le 
président,  à  l'expiration  de  son  mandat,  ne  pourrait 
pas  être  réélu  ;  Louis-Napoléon  proposa  à  l'As- 
semblée la  révision  de  la  constitution.  L'Assem- 
blée rejeta  celte  proposition  (juillet  1851).  Le  pré- 
sident, décidé  alors,  à  tenter  un  coup  d'Etat, 
voulut  se  i-endre  favorable  l'opinion  populaire  :  il 
demanda  :\  l'-^ssemblée,  à  l'ouverture  de  sa  nou- 
velle session  (novembre  1851),  l'abî-ogation  de  la 
loi  du  31  mai.  L'Assemblée  refusa  encore  ;  et  comme 
chacun  sentait  que  le  moment  critique  appro- 
chait, une  propo-ition  significative,  connue  sous 
le  nom  de  prnposition  des  que-tews,  fut  déposée  : 
elle  donnait  au  président  de  l'Assemblée  le  moyen 
de  requérir  directemeut  la  force  armée.  Cette  pro- 
position fut  rejetée,  les  républicains  ayant  refusé 
de  lui  donner  leurs  voix  parce  qu'ils  craignaient  de 
faire  ainsi  le  jeu  des  partis  monarchiques.  Le  'J  dé- 
cembre, le  conflit  était  dénoué  par  un  coup  de  force. 
Dans  la  nuit  du  1"  au  2  décembre,  Louis-Napo- 
léon fit  arrêter  les  principaux  représentants;  une 
proclamation  annonça  à  la  France  que  l'Assemblée 
était  dissoute,  que  le  suffrage  universel  était  réta- 
bli, et  que  le  président  demandait  au  pays  de  lui 
donner  le  pouvoir  pour  dix  ans,  avec  le  droit  de 
faire  une  con^^tiiution.  Paris  essaya  de  la  résis- 
tance (3  et  4  décembre),  ainsi  que  quelques  dé- 


partements, entre  autres  la  Nièvre  et  le  Var  ;  mais 
l'armée,  tout  acquise  au  bonapartisme,  fit  triom- 
pher le  coup  d'l''.tat.  Le  20  décembre,  le  peuple 
français,  convoqué  dans  ses  comices,  approuvait 
par  sept  millions  de  oui  l'acte  illégal  du  président 
de  la  République,  et  ouvrait  ainsi  la  porte  au 
rétablissement  de  l'empire  (V.  Napoléon  III). 

En  résumé  le  suffrage  universel,  en  son  pre- 
mier essor,  alla  droit  à  l'empire.  On  aurait  pu  le 
prévoir  :  les  masses  ne  concevaient  en  fait  de 
gouvernement  que  le  pouvoir  absolu  d'un  homme. 
Slais  en  politique,  on  méconn.iît  généralement 
cette  vérité  simple  que  l'arbre  doit  donner  son 
fruit  naturel.  De  même  l'empire,  avec  ses  sou- 
venirs, ses  traditions,  était  nécessité  à  reproduire 
plus  ou  moins  les  aventures  militaires  du  grand 
Napoléon.  Le  caractère  de  Napoléon  lll,  par  mal- 
heur, n'était  pas  tel  qu'il  aurait  fallu  pour  contra- 
rier ce  courant-  C'était  un  esprit  à  projets  vastes, 
mal  définis,  chimérique  dans  l'appréciation  des 
moyens;  un  cerveau  d'aventurier  en  un  mot. 
Parmi  les  hommes  politiques  qui  aidèrent  à  son 
élévation,  beaucoup  le  connurent  pour  tel,  mais, 
soit  intérêt,  soit  faiblesse  de  raison,  ils  se  plurent 
à  espérer  que  les  conséquences  prévues  pour- 
raient être  évitées.  Ils  s'étaient  trompés.  La 
France,  sous  Napoléon  111,  se  livra  de  nouveau  au 
jeu  de  la  guerre.  Comme  tous  les  joueurs,  elle 
rencontra,  après  des  jours  de  gain,  sa  veine  de 
perte  et  de  malheur. 

Et  c'est  ainsi  que,  pour  avoir  établi  sans  oppor- 
tunité, sans  progression,  non  pas  la  République, 
mais  le  suffrage  universel,  la  France  a  été  enga- 
gée dans  une  voie  aboutissant  on  droite  ligne  à 
un  démembrement.  Mais  une  institution  comme 
le  suffrage  universel  a  des  effets  multiples  dans 
tous  les  sens,  et  il  a,  par  exemple,  probablement 
plus  fait  pour  l'éducation  dos  masses  que  toutes 
les  écoles  de  France. 

I  L'histoire  de  la  Révolution  de  1848  ne  conclut 
donc  pas  contre  le  suffrage  universel  en  soi,  mais, 

'  en  montrant  à  quel  point  une  innovation  politi- 
que a  des  effets  complexes,  vastes,  prolongés  et 
parfois  terribles,  elle  conclut  contre  la  précipi- 
tation ;  elle  recommande  aux  politiques  la  plus 
scrupuleuse  prudence.  [Paul  Lacombc] 

I  RÉI'UBLiyUE  FUANÇ.VISE  (Troisième).—  His- 
toire de  France,  XXXVI.  —  Dans  les  articles  que 
nous  avons  consacrés  à  l'histoire  contemporaine  de 
la  France  —  V.  entre  autres  Napoléon  III,Moder- 

'  nés  (Temps)  et  Pans,  —  nous  avons,  par  une  ré- 

'  serve  facile  à  comprendre,  arrêté  le  récit  des 
faits  à  la  date  du  4  septembre  1870.  Mais  si  le 
moment  n'est  pas  encore  venu  d'écrire  l'histoire 
des  premières  années  de  la  troisième  République, 
il  peut  être  utile  de  rapprler  au  moins,  à  titre 
d'aide-mémoire,  quelques  faits  et  quelques  dates. 
Au  i  septembre  1870,  à  la  nouvelle  do  la  capi- 
tulation de  Sedan,  le  peuple  de  Paris  avait  pro- 
clamé la  République  :  un  gouvernement  provisoire, 
prenant  le  titre  de  gouvernement  de  la  Défense 
nationale,  s'était  installé  i  l'Hôtel-de-Ville  sous  la 
présidence  du  général  Trochu.  Ce  gouvernement 
remit  ses  pouvoirs  le  13  février  1871  à  l'Assemblés 
nationale  élue  le  8  février  et  réunie  à  Bordeaux. 
L'Assemblée  nomma  M.  Thiers  chef  du   pouvoir 

'  exécutif  (17  février).  Le  24  mai  1873,  i.  la  suite 
d'un  vote  hostile  de  la  majorité  de  l'Assemblée, 
M.  Thiers   dut  donner  sa  démission,  et  fut  rom- 

'  placé  par  le  maréchal  Mac-Mahon.  Après  de  longs 
débats   qui  montrèrent  l'impossibilité  de  rétablir 

'  une  monarchie,  l'Assemblée  vota,  le  25février  1S75, 
à  une  voix  de  majorité,  la  loi  constitutionnelle_ 
sur  l'organisation  des  pouvoirs  publics,  loi  qui 
confère  le  pouvoir  législatif  à  un  Sénat  et  à  une 
Chambre  des  députés,  et  le  pouvoir  exécutif  à  un 
président  de  la  républiiiue  qui  choisit  ses  minis- 
tres. Le  pouvoir  exécutif  resta  entre  les  mains  du 


RÉSINES 


—  4851  — 


RESINES 


maréchal  Mac-Malion;  le  Sénat  fut  élu  le  ^0  jan- 
vier 187G,  la  Cliaiiibre  des  députés  le  20  février 
1876.  Le  IC  mai  IS77,  le  maréclial  Mac-Mahon 
renvoj'a  brusquement  le  ministère  républicain 
que  la  Cliauibre  lui  avait  imposé,  et,  d'accord  avec 
le  Sénat,  prononça  la  dissolution  de  la  Cliambrc. 
Mais  les  élections  du  U  octobre  1877  confirmèrent 
le  mandat  des  36:!  députés  de  la  majorité  républi- 
caine. Le  maréclial  Mac-Mahon  donna  sa  démis- 
sion quinze  mois  plus  tard,  et  les  deux  Chambres 
réunies  en  congrès  ')i(l  janvier  1879)  l'ont  rem- 
placé en  appelant  M.  Jules  Grévy  aux  fonctions 
de  président  de  la  République. 

nÉSIMîS.  —  Cliimie,  XXIV.  —  Les  huiles  sic- 
catives et  les  essences  s'épaississent  et  se  solidi- 
fient à  l'air  en  absorbant  de  l'oxygène;  il  en  résulte 
une  matière  résineuse  tout  à  fait  semblable  aux 
résines  naturelles.  Il  est  fort  probable  que  celles- 
ci  sont  aussi  le  résultat  de  l'oxydation  des  huiles 
essentielles  avec  lesquelles  elles  sont  mélangées 
dans  les  tissus  végétaux.  Elles  sortent  de  ceux-ci 
naturellement  ou  par  des  incisions  faites  exprès. 
Ces  sucs  résineux,  mélange  d'huiles  essentielles  et 
de  résines,  se  solidifient  complètement  à  l'air. 

On  appelle  résines  sèches  celles  qui,  contenant 
fort  peu  d'huiles  essentielles,  sont  solides  ;  téré- 
benthines, celles  qui  coulent  facilement;  rjommes- 
résinei,  des  mélanges  naturels  de  gommes  et  de 
résines  (V.  Gommes),  et  baumes  des  substances 
résineuses  riches  en  acide  benzoïque. 

Les  résines  naturelles  ne  sont  point  des  sub- 
stances homogènes,  mais  des  mélanges  en  pro- 
portions variables  de  divers  principes  résineux 
auxquels  on  a  donné  les  noms  de  :  résine  alpha, 
résine  bêla,  nsine  gamma.  Quand  on  en  a 
extrait  les  huiles  essentielles  par  la  distillation, 
les  résines  sont  solides,  cassantes,  sèches,  fusi- 
bles à  la  clialour  rouge-sombre,  d'une  couleur 
jaunâtre,  quelquefois  brunâtre,  insolubles  dans 
l'eau,  tandis  que  les  gommes  sont  solubles  dans 
l'alcool,  l'éther,  et  le  sulfure  de  carbone. 

Les  vernis  à  l'alcool  ne  sont  autre  chose  que 
des  dissolutions  alcooliques  de  résines. 

Les  résines  sont  riches  en  carbone  et  en  hydro- 
gène, pauvres  en  oxygène  et  complètement  pri- 
vées d'azote  ;  elles  sont  très  inflammables  et  brii- 
lent  en  donnant  une  flamme  jaune  fort  éclairante, 
et  en  produisant  une  abondante  fumée  noire.  Il 
est  imprudent  d'allumer  du  feu  dans  des  forêts 
de  bois  résineux. 

Chauffées  avec  une  dissolution  de  carbonate 
alcalin  (V.  Alcnli),  les  résines  forment  de  véri- 
tables résinale<,  qui  moussent  à  l'eau  et  peuvent 
être  employés  comme  savons  communs.  Les 
savons  dits  économiques  sont  des  mélanges  de 
savons  de  suif  et  de  savons  à  la  résine;  on  les  a 
d'abord  employés  en  Amérique,  on  en  fait  main- 
tenant usage  en  France. 

La  distillation  des  résines  donne  de  l'acide  suc- 
cinique,qvàt\Ta  son  nom  du  swccf;),  résine  fossile 
dont  on  l'a  extrait  d'abord.  C'est  là  un  caractère 
chimique  distinclif  des  résines.  La  plupart  pro- 
viennent des  végétaux  des  familles  des  Légumi- 
neuses, des  Amyridacées,  des  Liliacées,  mais 
surtout  de  la  famille  dos  Conifères. 

Nous  citerons  parmi  les  résines  sèches  :  Le  copal, 
la  sandaraque,  le  masiir,  la  résine  élémi,  le  sang- 
dragon.  Le  copal  est  transparent  ;  on  le  rencontre 
dans  le  commerce  en  morceaux  d'un  jaune-clair; 
sa  dissolution  dans  l'huile  de  lin  donne  le  vernis 
au  copal.  La  résine  élémi  est  presque  blanche, 
friable,  et  d'une  odeur  de  térébenthine;  on  en 
extrait  l'essence  d'élémi  en  ladislillantavecde  l'eau. 
Le  sang-dragon  est  d'un  brun-rouge,  sans  odeur. 

Un  grand   nombre  do   substances  médicamen- 
teuses contiennent  des  résines;  tels  sont  les  bois 
de  gayac,  do  jalap,  etc. 
Parmi   les    gommes-résines,    qui   proviennent 


principalement  de  l'évaporution  i  l'air  de  sucs 
laiteux  d'un  grand  nombre  d'Onibellifères,  on 
disiingue  l'as-sn  /œtida,  la  gomme  ammoniaque, 
Vopoponax,  l'encens  ou  oliban,  la  myrrhe,  la 
giimme-gutle,  l'eiiphorhfi,  etc.  L'opoponax  est  en 
lames  agglomérées  de  couleur  rougeâire,  extérieu- 
rement, et  jaune-marbré  intérieurement;  il  est 
friable  et  possède  une  odeur  aromatique  qui  le 
fait  employer  en  parfumerie.  Comme  l'encens,  il 
vient  de  l'Arabie.  Ce  dernier  produit,  appelé  en- 
core oliban,  vient  aussi  de  1  Inde  ;  on  rencontre 
l'encens  en  lames  jaunâtres,  arrondies,  qui  au 
contact  de  charbons  incandescents  répandent  une 
odeur  aromatique  fort  agréable;  on  l'emploie  à 
cause  dç  cela  dans  les  cérémonies  religieuses  ; 
dans  l'antiquité  l'encens  servait  déjà  h  cet  usage  ; 
sous  ce  rapport  c'est  une  substance  historique. 
L'euphorbe  n'est  autre  chose  que  le  suc  épaissi 
de  divers  euphorbes  qui  croissent  dans  l'Afrique 
centrale.  La  gomme-gutte  vient  de  Ceylan  et  du 
Malabar. 

Parmi  les  baumes,  nous  ne  citerons  que  le 
baume  de  copahu,  fort  employé  en  médecine  ;  il 
nous  vient  du  Brésil  ou  de  Cajenne;  puis  le  haume 
rie  Tolu,  qui  fond  facilement;  il  est  d'une  couleur 
rouge,  d'une  saveur  balsamique  et  d'une  odeur 
suave  ;  et  enfin  le  benjoin,  qui  croît  à  Java  et  il 
Sumatra.  On  le  trouve  dans  le  commerce  en  mas- 
ses sèches,  enveloppées  d'une  résine  rougeâtre  ; 
il  a  une  odeur  qui  rappelle  celle  de  la  vanille. 
Les  térébenthines  ont  la  consistance  du  miel  ; 
elles  proviennent  des  Conifères.  Les  principales 
sont  :  la  térébenthine  de  Bordeaux,  qui  provient  du 
pin  maritime  ;  la  térébenthine  d'Alsace  ou  de  Stras- 
bourg; la  térébenthine  d'Amérique,  la  térében- 
thine de  Chypre. 

Les  térébenthines  proviennent  des  pins  et  des 
sapins;  elles  sont  formées  d'essence  et  de  résines; 
on  les  emploie  beaucoup  en  médecine;  la  térében- 
thine du  sapin  est  très  employée  pour  l'usage 
interne;  elle  agit  surtout  par  son  huile  essentielle. 
Elle  est  limpide,un  peuainèrc,et  son  odeur  rappelle 
celle  du  citron.  La  térébenthine  de  Bordeaux  sa 
'récolte  dans  les  Landes  principalement;  exposée 
j  à  l'air  pendant  longtemps,  elle  perd  son  essence  et 
'  donne  le  ^aftpo^,  résine  sèche  de  térébenthine  ;  la 
I  colophane  est  le  résidu  solide  de  la  distillation  de 
la  térébenthine.  —  V.  Conifères. 

Le  caoutchouc  est  une  résine  élastique  prove- 
nant d'un  arbre  vert  qu'on  cultive  beaucoup 
aujourd'hui  en  France  comme  plante  d'agrément; 
il  s'écoule  des  incisions  de  l'arbre  sous  l'aspect 
d'un  suc  blanc  laiteux  qui  s'épaissit,  noircit,  et 
devient  élastique  dès  qu'on  le  triture  à  l'air.  Les 
usages  du  caoutchouc  sont  aujourd'hui  extrême- 
ment nombreux  et  connus  de  tout  le  monde. 

La  poix  est  un  produit  résineux.  La  poix  blanche 
ou  poix  de  Bourgogne  est  un  mélange  de  résine 
molle  et  de  cire  jaune;  on  l'emploie  en  pharma- 
cie. La  poix  noire  s'obtient  par  la  distillation  des 
copeaux  qui  proviennent  des  incisions  faites  aux 
sapins  pour  en  obtenir  la  térébenthine. 

Le  ca^toréum,  le  musc,  sont  des  espèces  de 
résines  aromatiques  d'origine  animale. 

liésini's  fossiles.  —  On  appelle  ambre  on  succm 
une  résine  fossile  qu'on  rencontre  principalement 
sur  les  côtes  de  la  Prusse  occidentale.  L'ambre  a 
une  couleur  jaune  do  nuance  plus  ou  moins  fon- 
cée. Il  y  a  même  du  succin  noir,  considéré 
comme  une  espèce  de  jayet  ou  lignite.  Le  succm 
brûle  en  répandant  une  odeur  aromatique.  Sa 
densité,  plus  grande  que  celle  de  l'eau,  ne  dépasse 
pas  1,7;  il  est  insoluble  dans  l'alcool,  et  donne 
parla  distillation  de  l'acide  succiniiiue.  On  le 
rencontre  en  rognons  ou  grains  à  texture  com- 
pacte, quelquefois  fouilletée  et  à  cassure  con- 
choide  ;  il  est  parfois  blanchâtre  ou  verdâtre  ; 
presque  toujours  transparent,  il  est  quelquefois 


RESPIRATION 


1832  — 


RESPIRATION 


laiteux,  translucide  ou  opaque.  Sa  propriété  la  plus 
importante  est  de  s'clectriser  par  le  frottement  ; 
c'est  même  li  le  seul  fait  d'électricité  qui  fût 
connu  des  anciens.  Ils  appelaient  l'ambre  éleclron  : 
de  1^  le  nom  d'électricité  donné  aux  phénomènes 
d'attraction  qui  se  produisent  lorsqu'on  approche 
des  corps  légers  de  l'ambre  frotté.  La  plus  grande 
masse  d'ambre  connue  a  été  trouvée  près  de 
Kœnigsberg  ;  elle  pesait  10  kilog.  1/2.  On  en  a 
rencontré  aussi  en  France,  à  Auteuil-Paris,  puis 
dans  le  Gard  et  dans  les  lignites  du  département 
de  l'Aisne.  On  s'accorde  à  penser  que  l'ambre  est 
une  résine  fossile  provenant  d'un  arbre  de  la  fa- 
mille des  Conifères,  assez  rapproché  de  nos  sa- 
pins ordinaires. 

On  rencontre  quelquefois  dans  les  grains  de 
succin  des  insectes,  des  pétales  de  fleurs,  em- 
prisonnés et  restés  intacts  au  sein  de  la  masse 
qui  les  a   enveloppés;  mais   il   parait  qu'on  n'y  a 


carbonique  s'échappe  ainsi  dans  l'air,  tandis 
qu'une  nouvelle  provision  d'oxygène  vient  prendre 
sa  place  et  se  fixer  sur  les  globu/ex  sanguins.  Cet 
échange  de  gaz  au  travers  des  parois  membraneu- 
ses d'un  organe  respiratoire  constitue  le  phéno- 
mène physique  de  la  respiration,  qui  est  intime- 
ment lié  au  phénomène  chimique  des  combustions 
organiques. 

Respiration  puhnnnaire.  —  Uiiiforme  en  prin- 
cipe, la  fonction  respiratoire  s'accomplit  chez  les 
animaux  par  l'intermédiaire  d'organes  divers  adap- 
tés aux  conditions  de  leur  milieu  et  aux  exigences 
de  leur  vitalité. 

Occupons-nous  d'abord  de  la  respiration  aérienne 
pulmonaire,  effectuée  au  moyen  d'organes  fort 
compliqués,  propres  aux  espèces  supérieures,  que 
l'on  nomme  poumons.  Le  poumon  proprement  dit 
est  propre  aux  animaux  aériens  de  l'embranche- 
ment des  animaux  vertébrés.  Il  se  compose  essen- 


jamais  observé  la  moindre  trace  d'animal   à  sang    tiollement   de    deux  parties  :   la  trachée   (irt''re, 
chaud  ni  de  poisson.  !  conduit  plus  ou  moins  rigide  qui  se  divise  et  se 

L'ambre  sert  ."i  fabriquer  des  pommes  de  canne,  j  ramifie  en  conduits  plus  étroits  nommés  bronches, 
des  tuyaux  de  pipe,  des  porte-cigarette,  des  cha-  |  et  le  parenchyme  pulmonaire,  constitué  par  les 
pelets,  etc.  Autrefois  on  l'employait  ù  l'état  de  '■  ramifications  les  plus  déliées  des  bronches,  les 
sirop,  comme  antispasmodique,  sous  le  nom  de  !  vésicules  pulmonaires,  les  veines  et  les  artères  qui 
sirop  fie  karaté.  I  sillonnent  leurs  tissus. 

Uambre  gris  est  une  résine  qui  se  rencontre 
dans  les  sables  des  rivages  des  mers  tropicales; 
elle  est  d'un  gris  noir  quelquefois  nuancé  de 
jaune  ;  la  chaleur  de  la  main  la  ramollit.  Sa  den- 
sité ne  dépasse  pas  0,8.  Elle  sent  le  musc;  on 
l'emploie  en  parfumerie,  quelquefois  encore  en 
médecine  comme  antispasmodique.  On  la  consi- 
dère comme  une  concrétion  formée  dans  les  in- 
testins d'une  espèce  de  caclialot.  D'après  les  chi- 
mistes Pelletier  et  Caventon,  ce  serait  un  cal- 
cul biliaire  ;  elle  présente  en  effet  une  grande 
analogie  avec  la  cholestérine,  produit  normal  et 
constant  du  foie.  [Alfred  Jacquemart.] 

RESPIRATION.  —  Zoologie,  XXXV  ;  Botanique, 
VIII.  —  Notiire  de  la  fmdion  respiratoire.— 
Tout  ce  qui  vit  respire.  La  respiration  consiste  en 
un  échange  de  gaz  au  travers  de  membranes,  en 
vertu  des  lois  de  Vosmose  '.  Elle  s'accomplit  chez 
les  végétaux  comme  chez  les  animaux.  Le  méca- 
nisme de  la  respiration  est  d'ailleurs  très  variable, 
comme  nous  allons  le  voir. 

La  vie  des  plantes  et  des  animaux  ne  se  main- 
tient que  grâce  h  des  combustions  lentes  qui  ont 
pour  siège  la  substance  même  des  tissus  organi- 
sés. Cette  combustion  produit  des  résidus  gazeux, 
dont  les  organismes  ont  besoin  de  se  débarrasser 
en  même  temps  qu'ils  doivent  recevoir  continuel- 
lement de  nouvelles  doses  du  gaz  comburant, 
l'oxygène,  qu'ils  empruntent  à  l'atmosphère. 

Respiratio.v  dans  le  règne  animal.  —  Les  com-  ,  ^.^    ^   _  j^^^^^^^.^.i^,^  et  sa  ramification 
bustions  intérieures  qui  s  effectuent  dans  les  tis-  |     f^  j^_  trachée-artère  ;  —  B,  bronche  droite 

sus   des  animaux,  combustions  dont  le  principal  ' 

objet  est  l'entretien  de  la  chaleur  vitale,  s'effec- 
tuent aux  dépens  du  carbone  et  donnent  pour  ré- 
sidu de  l'acide  carbonique,  comme  la  combustion 


ichioles  dans  le  parenchyme  pulmonaire  ;  —  C,  bron- 
che gauche  ;  —  D,  D,  ses  princip.iles  divisions, 

La  trachée-artère  des  mammifères   est   formée 


à  l'air  libre  d'un  fragment  do  charbon.  A  mesure  !  de    plusieurs  couches    superposées.   La    couche 
qu'il  se    dégage,  cet  acide  carbonique  se  dissout  '  interne,  en  contact  avec  l'air,  est  garnie  de  déU- 


dans  le  sérum  du  sang  veineux  qui  le  charrie  vers 
le  côté  droit  du  cœur.  Si  le  cœur  refoulait  de 
nouveau  ce  sang  dans  les  artères,  toutes  les  fonc- 
tions seraient  immédiatement  troublées.  Au  lieu 
d'un  excès  d'oxygène,  il  ne  porterait  aux  tissus, 
aux  cellules,  qu'un  excès  d'acide  carbonique,  im- 
propre à  entretenir  les  combustions  vitales  :  le 
résultat  serait  l'asphi/xie. 

Il  faut  donc  que  le  sang  veineux  puisse  se  dé- 
barrasser au  fur  et  à  mesure  de  l'acide  carboni- 
que dont  il  est  imprégné.  La  trame  délicate  des 
organes  respiratoires  lui  en  donne  un  moyen  fort 
simple.  Tout  organe  respiratoire  est  formé  de 
minces  membranes  au  travers  desquelles  les  gaz 
peuvent  passer  selon  les  lois  de  l'csmose.  L'acide 


cates  cellules  d'épttliélium  vibratile,  qui  lui  donne 
une  apparence  veloutée  et  renferme  dans  son 
épaisseur  de  petites  glandes  sécrétant  un 
mucus  destiné  à  lubrifier  le  tube  et  l\  le  mainte- 
nir constamment  humide.  La  trachée  et  les  bron- 
ches sont  rendues  rigides  et  béantes  par  des  an- 
neaux incomplets  de  tissu  cartilagineux. 

Chez  les  mammifères,  les  poumons  consistent 
en  des  sacs  placés  dans  la  cavité  du  thorax.  Il  y 
a  deux  poumons,  l'un  à  droite,  l'autre  à  gauche. 
Chez  l'homme  le  poumon  droit  a  trois  Ivbes ;  le 
gauche  n'en  a  que  deux,  afin  de  laisser  au  cœur  la 
place  nécessaire.  Chez  les  cétacés,  chaque  pou- 
mon est  formé  d'un  seul  lobe.  _  , 

Les  dernières  ramifications  des  tubes  aériens, 


RESPIRATION 


—  1853  — 


RESPIRATION 


colles  qui,  sous  le  nom  de  hi-onchioles,  font  partie 
du  parenchyme,  se  terminent  par  de  petites  vési- 
cules aux  parois  très  minces.  Dans  tout  le  paren- 
chyme on  trouve  des  veines,  des  artères,  des  vais- 
seaux lymphatiques,  des  nerfs  et  diverses  sortes 
de  tissus. 

Chez  les  mammifères,  la  cavité  thoracique  est 
séparée  de  la  cavité  abdominale  par  une  cloison 
libro-musculaire  nommée  le  diaphragme.  Celui-ci, 
excité  par  des  nerfs  spéciaux,  en  même  temps  que 
les  muscles  de  la  cage  thoracique,  exécute  comme 
eux  des  mouvements  involontaires  qui  augmen- 
tent et  diminuent  alternativement  la  capacité 
de  la  poitrine  et  déterminent  ainsi  la  vesylvaLion 
eiVexpiridioH,  c'est-à-dire  l'entrée  de  l'air  dans  les 
poumons  et  sa  sortie. 

La  respiration  des  oiseaux  est  beaucoup  plus 
active  que  celle  des  mammifères.  La  nature  les  .1 
doués  d'organes  respiratoires  additionnels  qui 
contribuent  i  diminuer  le  poids  du  corps  et  con- 
stituent des  réservoirs  d'air.  Chez  eux  les  pou- 
mons  sont   en   communication  avec  des  sacs   on 


poumons  pour  l'échange  de  gaz  qui  constitue  la 
respiration.  Chez  quelques  espèces,  l'air  pénètre 
au.ssi  sous  la  peau  par  des  appendices  pulmo- 
naires. 

A  l'exception  de  l'aptéryx,  les  oiseaux  n'ont 
qu'un  diaphragme  incomplet  ou  rudimentaire.Les 
bronches  traversent  les  poumons  sous  forme  de 
tuyaux  droits,  sans  ramifications,  et  les  vésicules 
pulmonaires  communiquent  entre  elles.  Toutes  ces 
dispositions  favorisent  singulièrement  la  libre  et 
prompte  circulation  de  l'air  dans  toutes  les  parties 
des  organes  respiratoires. 

Chez  les  reptiles  on  constate  deux  .systèmes  de 
poumons.  Ceux  de  la  tortue  et  du  crocodile  con- 
sistent en  sacs  membraneux  partagés  en  compar- 
timents de  manière  à  augmenter  la  surface  respi- 
ratoire. Les  poumons  des  sauriens  sont  comme 
gaufres  par  la  proéminence  des  vaisseaux  sanguins. 

Les  serpents  ont  deux  poumons  très  inégaux. 
Le  droit,  fort  long,  qui  se  prolonge  jusque  dans 
la  cavité  abdominale,  n'est  pourvu  de  vaisseaux  que 
dans  sa  partie  antérieure,  le  reste  ne  sert  que  de 
réservoir  d'air  comme  les  sacs  des  oiseaux.  Quant 
au  poumon  gauche,  il  est  si  petit  qu'on  a  souvent 
de  la  peine  à  le  distinguer.  La  disposition  du  pou- 
mon droit  explique  comment  ces  animaux  peu- 
vent rester  longtemps  privés  d'air  extérieur  :  celui 
qu'ils  ont  accumulé  dans  le  sac  pulmonaire  droit 
fournit  alors  h  la  consommation  très  lente  qui  s'ac- 
complit dans  la  partie  antérieure  de  cet  organe. 


iig  2  —  Apparul  respiriloire  d  lipouk  —a  les  côtes 
coupé  s  —  4  ti  achée-artert  —  c  brjnchi.s  —dm 
reiiriijrae  pulmon-iire  —  e  sac  aérien  de  la  réftiOD  tla 
vicijlairc  ;  —  f,  sacs  aériens  de  1  épaule  ;  —  ff  et  A,  grands 
iacs  aériens  de  L'abdomen. 

poches  aériennes  qui  donnent  accès  à  l'air  jusqu'à, 
l'intérieur  des  os.  La  suiface  des  sacs  aériens 
n'est  d'ailleurs  pis  vasculaire,  de  sorte  que  ces 
organes  ne  peuvent  être  considérés  que  comme 
des  réservons  d'air  et  uon  comme  des  annexes  des 


ri  ■■  3  —  Poumon  u'un  leptile  saurieu  :  lus  bronches  sont 
Courtes  et  sans  ram.Qcatiuns  ;  l'un  dos  poumons,  repré- 
senté ouvert,  montre  l'apparence  gaufrée  produite  par 
les  yaisseaui  sanguins. 

Quoique  l'on  regarde  généralement  les  pois- 
sons comme  dénués  de  poumons,  on  peut  consi- 
dérer comme  un  organe  respiratoire, analogue  aiix 
poumons  des  serpents  et  de  certains  sauriens,  la 
vessie  natatoire  dont  sont  pourvues  un  grand  nom- 
bre d  espèces.  Notons  toutefois  que  si  la  vessie 
natatoire  est  dépourvue  de  réseau  sanguin,  comme 
dans  la  carpe,  elle  constitue  simplement  un  ap- 
pareil hydrostatique  destiné  à  favoriser  les  moii- 
vements  de  l'animal  en  modifiant,  au  gré  de  celui- 
ci,  son  poids  spécifique. 

Respirat'wn  branchiale.—  On  appelle  branchies 
les  organes  de  la  respiration  aquatique.  Ce  sont 
des  expansions  la  melleuses,  en  forme  de  peigne 
ou  de  panache,  de  houppes,  pourvues  d'un  réseau 
circulatoire  abondant,  et  disposées  de  manière  à 
flotter  dans  l'eau  pour  y  accomplir  les  échanges 
gazeux  qui  constituent  la  respiration.  Les  bran- 
chies prennent  h  l'eau  l'oxygène  qui  s'y  trouve 
dissous  et  y  laissent  échapper  do  l'acide  carboni- 
que. 


RESPIRATION 


—  1834  — 


RESPIRATION 


Les  brauchies  sont  insérées  dans  la  cavité  plia- 
rynsienne,  et  reçoivent  par  la  bouche  l'eau  des- 
tinée à  la  respiration.  L'eau  introduite  dans  la 
bouche  sort  par  les  ouïes  en  soulevant  Voperculi; 
qui  les  forme  et  qui  protège  le  tissu  délicat  des 
branchies. 


Fig.  4.  —  Tète  de  carpe  montrant  les  branchies  après  l'en- 
lèvement de  l'opercule. 

Quelques  espèces  de  poissons  peuvent  vivre 
assez  longtemps  dans  l'air,  parce  que  les  opercules, 
très  petits,  s'opposent  à  la  dessiccation  des  brau- 
cliies  ou  p:irce  qu'ils  sont  munis  d'un  petit  réser- 
voir d'eau  qui  maintient  celles-ci  humides. 

Beaucoup  d'animaux  invertébrés  aquatiques, 
comme  les  mollusques,  vivent  dans  l'eau  et  res- 
pirent par  des  branchies.  Mais  chez  eux  ces  or- 
ganes ne  dépendent  point  de  la  cavité  buccale  ;  ce 
sont  des  appendices  de  la  peau. 

Les  articulés  de  la  classe  des  crustacés  possè- 
dent de  véritables  branchies,  même  quand  ils  vi- 
vent à  l'ail'  comme  les  crabes  terrestres.  Ces  bran- 
chies forment  des  houppes  ordinairement  proté- 
gées par  la  carapace.  Quelquefois  ce  sonlde  simples 
appendices  des  pattes. 


Fig.  5.  —  Partie  auiêiieurL-  du  corps  du  Palénmn, — a, 
rostre;  —  b,  céphalothorax;  —  c,  antennes  ;  —  d,  pre- 
miers anneaux  de  l'abdomen  ;  —  /,  branchies  rendues 
visibles  par  l'enlèvement  d'une  partie  de  la  carapace;  — 
S,  partie  postérieure  de  la  ca-vité  branchiale;  —  h,  son 
orifice  antérieur  ;  —  l,  pieds-màchoires. 

Respiration  trachéale.  —  Chez  les  insectes,  les 
myriapodes  et  une  partie  des  arachnides,  la  respi- 
ration s'opère  au  EOyen  de  trai:hécs.  Ce  sont  des 
ttibes  analogues  à  ceux  ainsi  nommés  chez  les 
végétaux,  et  formés,  comme  eux,  de  deux  mem- 
branes séparées  par  un  fil  spiral  qui  donne  à 
l'ensemble  la  rigidité  voulue.  On  pe'ut  le^  compa- 
rer à  des  bronches  isolées.  Klles  s'ouvrent  au 
dehors  par  des  orifices  ordinairement  situés  sur 
les  paities  latérales  du  corps,  et  qui  sontmainte- 
niis  ouverts  par  un  bourrelet  résistant  nommé 
stigmate.  Claque  trachée  se  ramifie  dans  l'inté- 
rieur du  corps.  Dans  les  espèces  volantes,  on 
trouve  sur  leur  parcours  des  renflements  qui  cous-  ' 


tituent  des  sacs  aériens  analogues  à  ceux  des  oi- 
seaux. Ces  parties  dilatées  n'ont  pas  de  fil  spiral. 


Fig.  6.  —  Stigmates  et  trachées  des  insectes  :  —  A,  stig- 
mates du  dytique,  vus  eu  place  après  l'eDlèvcment  des 
ailes  ;  —  B,  un  de  ces  stigmates  grossi;  —  G,  une  tra- 
chée avec  son  fil  déroulahle. 

Quelques  insectes  qui  vivent  dans  l'eau  respi- 
rent néanmoins  par  des  trachées.  Les  uns  vien- 
nent de  temps  en  temps  respirer  à  l'air,  ou  char- 
ger d'air  la  surface  de  petits  poils  d'une  couche 
d^air  qu'ils  utilisent  ensuite  ;  d'autres  sont  munis 
d'appendices  analogues  aux  branchies,  qui  absor- 
bent l'oxygène  dissous  dans  l'eau  et  le  font  par- 
venir aux  trachées. 

Respiration  cutanée.  —  Même  chez  les  animaux 
munis  des  poumons  les  plus  compliqués  et  chez 
lesquels  la  respiration  semble  exclusivement  pul- 
inonaire,  la  peau  se  charge  d'une  partie  des 
échanges  gazeux  nécessaires  i  l'entretien  de  la 
vie.  Cette  respiration  cutanée  est  indispensable,  et 
si  l'on  couvre  la  peau  d'un  enduit  imperméable, 
on  cause  l'asphyxie  lente  de  l'animal  bien  que  les 
poumons  fonctionnent  avec  toute  leur  énergie. 
_  La  respiration  cutanée  des  batraciens  est  si  ac- 
tive qu'ellepeutsupplcer  pendant  assez  longtemps 
à  la  respiration  pulmonaire.  Une  grenouille  survit 
plus  d  un  jour  à  l'extirpation  des  poumons  :  après 
cette  opération,  les  échanges  gazeux  se  font  par  le 
réseau  de  la  branche  cutanée  de  l'artère  pulmo- 
naire. 

Quelques  crustacés  inférieurs, comme  les  lernées, 
sont  privés  d'organes  spéciaux  pour  la  respiration  : 
celle-ci  est  uniquement  cutanée. 

Un  grand  nombre  do  zoophytes,  et  surtout  de 
ceux  nommés  protozoaires,  ont  aussi  une  respira- 
tion essentiellement  cutanée. 

Respiiiation  dans  le  liÈGiNE  VÉGÉTAL.  —  La  vie  des 
plantes  s'entretient  par  un  échange  de  liquides  et 
de  gaz  avec  leur  milieu  terrestre  et  leur  milieu 
aérien.  L'échange  de  gaz  (|ui  s'effectue  dans  le 
milieu  aérien  est  une  véiitable  respiration,  com- 
parable à  celle  des  animaux.  Mais  comme  la 
plante  est  immobile,  elle  a  besoin  d'une  très  faible 
quantité  de  calorique  pour  maintenir  sa  vitalité, 
pour  produire  les  oxydations  de  tissus  nécessaires 
à  l'entretien  de  toute  vie.  Dès  que  cette  limite  est 
atteinte,  elle  fonctionne  non  plus  comme  un  ap- 
pareil à  comliUStio?i,  mais  comme  un  appareil  à 
réduction  :  elle  s'empare  de  l'acide  carbonique  de 
l'air,  le  réduit,  le  décompose  en  oxygène  et  en 
carbone,  et  au  lieu  d'employer  en  combustions 
l'oxygène,  le  laisse  s'échapper  dans  l'almo&phère, 
tandis  qu'elle  retient  le  carbone  pour  en  faire  des 
composés  fort  complexes  qui  passent  par  l'état  de 
sucre,  d'amidon  et  enfin  de  cellulose  ou  ligneux, 
matière  constitutive  du  bois. 


RESPONSABILITI'] 


—  1853 


RESPONSABILITE 


EnbolaïUquo,  on  divise  les  organes  des  plantes, 
eu  égard  h  leur  couleur,  en  doux  groupes  :  les  or- 
ganes verts,  qui  doivent  leur  couleur  à  la  cUloro- 
phi/lte  ;  les  organes  privés  de  chlorophylle  ou  dans 
lesquels  sa  couleur  se  trouve  masquée  par  une  ou 
plusieurs  autres. 

L'embryon  en  germination,  ainsi  que  les  plantes 
ou  parties  di'plaiitessans  chlorophylle,  les  fleurs, 
les  fruits  mûrs,  li-s  bourgeons,  les  tiges  ligneuses, 
les  racines,  absorbent  de  l'oxygène  et  exhalent  de 
l'acide  carbonique  en  tous  temps,  de  jour  et  de 
nuit,  à  la  lumière  et  dans  l'obscurité.  De  même 
les  parties  vertes  des  plantes  dans  l'obscurité  na- 
turelle ou  artificielle,  ou  exposées  dans  un  lieu 
très  peu  éclairé,  à  l'air  libre  ou  dans  un  apparte- 
ment, se  conduisent  comme  si  elles  ne  contenaient 
pas  de  chlorophylle;  ce  sont  des  agents  de  com- 
bustion, des  producteurs  d'acide  carbonique. 

Pendant  le  jour,  sous  un  ciel  couvert,  les  par- 


lies  vertes  des  plantes  absorbent  de  l'acide  carbo- 
nique et  exhalent  de  l'oxygène  :  elles  agissent 
comme  réducteurs,  et  emmagasinent  du  carbone. 
Daus  les  mûmes  conditions,  les  parties  colorées 
qui  contiennent  une  certaine  quantité  de  chloro- 
phylle se  conduisent  k  la  fois  comme  agents  de 
réduction  et  d'oxydation. 

Sous  l'influence  de  la  lumière  solaire,  les  orga- 
nes verts  exhalent  une  quantité  d'oxygène  plus 
grande  que  celle  fournie  par  l'acide  carbonique 
pris  à  l'atmosphère,  ce  qui  fait  supposer  qu'une 
portion  provient  de  l'acide  carbonique  puisé  dans 
le  sol  par  les  racines. 

La  faculté  respiratoire  varie,  pour  cliaque  plante, 
avec  son  âge,  la  saison,  l'exposition,  la  tempéra- 
ture, et  le  nombre  des  slomates  des  feuilles.  Les 
stomates  constituant  pour  le  plus  grand  nombre  des 
plantes  les  organes  respiratoires  par  excellence, 
nous  devons  indiquer  brièvement  leur  structure. 


Fig.  7. 


uni  d'cptiiijriue  âe  feaiiic   >u  ùu  micjoacopo,  iuouti;iiit  les  stoiuates  S, ri. 


Si  l'on  examine  au  microscope  l'épiderme  d'une 
feuille,  on  reconnaît  que  la  surface  lisse  et  presque 
imperméable  est  entrecoupée  de  nombreuses  ou- 
vertures, sorte  de  petitesbouches,  que  l'on  appelle 
stomates.  L'ouveriuie  de  chaque  stomate  donne 
accès  dans  une  lacune  de  parenchyme,  nommée 
chambre  res/jiraloire.  C'est  dans  cette  cavité  que 
s'effectuent  les  échanges  gazeux  de  la  respiration. 

Il  reste  beaucoup  de  points  à  élucider  au  sujet 
de  la  respiration  des  plantes,  mais  les  faits  que 
nous  avons  résumés  suffisent  pour  donner  une 
idée  exacte  des  principaux  phénomènes  qui 
s'y  rapportent.  Chez  les  végétaux  la  respiration 
s'effectue  par  tous  les  organes  superficiels  ;  mais 
pendant  la  période  active  de  la  végétation  il  fallait 
des  organes  spéciaux  d'une  puissance  exception- 
nelle :  ce  sont  les  chambres  respiratoires,  pou- 
mons rudimentaires  et  microscopiques  qui  criblent 
le  tissu  des  feuilles.  [D'  Saffray]. 

RESPONSABILITÉ.  —  Psychologie,  XXVll.  — 
Le  mot  de  responsabilité  résume  à  lui  seul  toutes 
les  conditions  de  la  vie  morale  et  contient  les 
principes  et  les  conséquences  de  la  morale  tout 
entière.  La  responsabilité,  en  effet,  peut  être  dé- 
finie le  caractère  d'un  être  intelligent  et  libre, 
qui.  sachant  ce  qu'il  fait  et  pouvant  agir  autre- 
ment qu'il  n'agit,  doit  répondre  de  ses  actes. 

La  responsabilité  suppose  par  conséquent  plu- 
sieurs conditions  :  1"  l'existence  d'une  loi  obli- 
gatoire que  la  conscience  défend  de  violer;  '2°  la 
connaissance  de  celle  loi;  i'  enfin  la  liberté,  c'est- 
à-dire  le  pouvoir  de  se  soumettre  volontairement 
ou  de  se  dérober  aux  commandements  de  la  loi. 

Qu'il  existe  une  loi  naturelle  qui  ordonne  de 
faire  le  bien  et  d'éviter  le  mal,  c'est  ce  que  la 
plupart  des  philosophas  s'accordent  h.  reconnaître. 
On  a  beaucoup  discuté  sur  la  nature  du  bien  et 
du  mal,  sur  le  principe  de  l'obligation,  mais  la 
diversité  de^  doctrines  morales  n'empêche  pas  les 


philosophes  de  s'entendre  presque  unanimement 
dans  la  croyance  à  une  distinction  réelle  entre 
les  actions  bonnes  et  les  actions  mauvaises  et  à 
l'obligation  de  faire  un  choix  entre  elles.  S'il  en 
était  autrement,  toute  responsabilité  disparaîtrait. 
Si  l'idée  du  bien,  si  l'idée  du  devoir  n'étaient  que 
des  chimères,  nos  actes  seraient  indifférents  ; 
ils  ne  pourraient  être  qualifiés  moralement,  nous 
n'aurions  par  conséquent  aucun  compte  à  rendre 
de  notre  conduite.  Pour  qu'on  ait  à  répondre  de 
sa  vie,  il  faut  de  toute  nécessité  qu'il  y  ait  une 
autorité,  une  loi  devant  laquelle  nos  volontés  s'in- 
clinent. 

Mais  il  ne  suffit  pas  que  cette  loi  existe  :  ce 
qui  est  nécessaire  encore,  c'est  que  cette  loi  soit 
connue.  Nous  ne  sommes  pas  responsables,  quand 
nous  violons  des  ordres  que  nous  ignorons,  qui 
ne  nous  ont  pas  été  communiqués.  Aussi  tout 
code  de  lois  impératives  ou  prohibitives  a-t-il 
pour  postulat  une  affirmation  analogue  à,  celle 
qui  ouvre  le  recueil  de  nos  lois  :  «  Tout  Français 
est.  ce7isé  cun?iaitre  la  loi.  «  La  responsabilité 
suppose  donc  une  éducation  morale  qui  ait  éclairé 
la  conscience  et  développé  l'idée  du  bien  et  du 
devoir.  C'est  une  question  intéressante  do  recher- 
cher à  quel  âge  l'enfant  a  assez  de  sens  moral 
pour  s'élever  à  la  conception  d'une  loi  obliga- 
toire. Sans  vouloir  forcer  les  choses,  il  est  permis 
d'avancer  que  de  très  bonne  heure  l'intelligence 
enfantine  entrevoit  vaguement  la  distinction  du 
bien  et  du  mal.  Sans  doute  le  bien  n'est  d'abord 
que  ce  qui  est  ordonné,  le  mal  ce  qui  est  dé- 
fendu par  les  parents;  mais  l'enfant  no  tarde  pas 
à  comprendre  que  les  ordres  paternels  et  mater- 
nels se  doublent  pour  ainsi  dire  d'une  autorité  mo- 
rale. L'enfant  est  capable  de  remords,  quand  il 
a  mal  fait  :  on  sent  dans  sa  confusion  et  sa  honte 
autre  chose  que  la  crainte  de  la  pnniiion  ;  et  s'il 
n'est  jamais  plus  aimable  qu'après  une  faute  eom- 


RESPONSABILITE 


—  1836  — 


RESPONSABILITE 


mise,  ce  n'est  pas  seulement  parce  qu'il  veut 
rentrer  en  grâce  et  obtenir  son  pardon.  Des  ob- 
servateurs ont  cité  des  enfants  qui  ne  se  trou- 
vaient pas  assez  punis,  et  qui  témoignaient  d'un 
sentiment  déjà  vif  de  la  justice.  En  général  on 
peut  dire  que  l'enfant  ne  serait  pas  aussi  disposé 
qu'il  l'est  h  se  courber,  malgré  ses  petites  rebel- 
lions passagères,  devant  l'autorité  paternelle,  s'il 
ne  soupçonnait  pas  déj:\,  par  une  sorte  d'instinct 
secret,  dans  la  volonté  individuelle  du  père,  la 
loi  universelle  du  devoir.  Quoi  qu'il  en  soit,  quand 
la  raison  est  développée,  quand  la  conscience  est 
adulte,  riiomme  n'hésite  plus  à  reconnaître  la 
différence  morale  des  actions,  et  il  se  sent  res- 
ponsable vis-à-vis  d'une  loi  qu'il  connaît,  qn  il 
ne  peut  pas  ne  pas  connaître,  puisque  cette  loi 
n'est  pas  antre  chose   que  sa  conscience  même. 

Cette  responsabiliié  n'existe  pourtant  qu'ît  une 
troisième  condition  :  c'est  que  l'agent  soit  libre 
d'agir  comme  il  le  fait.  Admettez  un  instant 
l'hypothèse  d'un  falum  absolu  pesant  sur  les  ré- 
solutions humaines  et  dominant  les  volontés  : 
toute  responsabilité  s'efface.  Aussi  le  premier 
mouvement  des  grands  criminels  est-il  de  s'é- 
crier, pour  excuser  leurs  fautes  :  «  C'est  la  fata- 
lité! »  La  responsabilité  a  précisément  la  même 
étendue  que  la  liberté.  Nous  sommes  responsa- 
bles dans  la  mesure  où  nous  sommes  libres.  Un 
homme  n'est  pas  coupable  pour  avoir  commis 
une  action  mauvaise  sous  la  pression  d'une  con- 
trainte insurmontable.  Le  soldat  soumis  à  l'o- 
béissance passive  n'est  pas  responsable  do  ce 
qu'il  fait  sur  l'ordre  de  son  chef.  On  ne  peut 
légitimement  imputer  à  un  homme  que  la  res- 
ponsabilité des  aciions  qui  dépendent  de  sa  vo- 
lonté libre.  Il  ne  dépend  pas  de  nous  que  nos 
jambes  soient  longues  ou  courtes,  mais  il  dépend 
de  nous  de  les  remuer  plus  ou  moins  vite  quand 
nous  marchons.  Ce  n'est  pas  notre  faute  si  nous 
sommes  moins  intelligents  que  d'autres,  mais 
c'est  notre  faute  si  nous  sommes  moins  attentifs. 

Si  telles  sont  les  conditions  de  la  responsabi- 
lité, il  est  aisé  de  comprendre  pourquoi  la  res- 
ponsabilité a  des  degrés,  pourquoi  elle  peut  va- 
rier d'une  personne  aune  autre,  et  chez  le  même 
individu  d'un  instant  à  un  autre.  Elle  a  pour  cau- 
ses essentielles  la  conscience  morale,  ce  que  Kant 
appelle  la  raison  pratique,  et  la  liberté  :  or  rien 
n'est  plus  inégal  d'homme  à  homme  ou  chez  le 
même  homme,  suivant  les  circonstances,  que  la 
liberté  et  la  raison.  Voilà  pourquoi  il  est  si  diffi- 
cile et  si  délicat  pour  le  magistrat,  quand  il  ap- 
jirécie  les  actions  criminelles,  et  en  général  pour 
l'historien,  quand  il  juge  les  hommes,  de  répar- 
tli-  équitablement  les  responsabilités. 

Notre  liberté  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  illimitée, 
l't  nous  avons  dans  nos  actes  un  grand  nombre 
de  collaborateurs  occultes  qui  nous  influencent 
à  notre  insu.  Dans  quelle  mesure,  par  exemple, 
sommes-nous  libres  d'avoir  telle  ou  telle  opinion, 
d'adhérer  à  telle  ou  telle  croyance?  N'est-il  pas 
vrai  que  les  circonstances  extérieures  de  notre 
vie,  le  milieu  où  nous  avons  été  placés  par  la 
naissance,  contribuent  pour  une  bonne  part  à  dé- 
terminer nos  opinions?  L'effort  libre  de  notre 
réflexion  peut-il  toujours  lutter  avec  avantage 
contre  ces  mille  influences  qui  nous  enveloppent 
et  qui  nous  assiègent?  Serons-nous  par  consé- 
quent absolument  responsables  des  actes  que 
nous  aurons  accomplis  en  conformité  avec  des 
croyances  qu'il  n'a  pas  dépendu  de  nous  de  dé- 
faire ou  de  modifier?  Il  suffit  de  réfléchir  aux 
iimites  de  notre  liberté,  pour  apprendre  à  être 
indulgents  envers  les  hommes,  et  à  adoucir  la 
sévérité  des  imputations  dont  nous  chargeons 
leur  responsabilité. 

D'autre  part,  la  raison  pratique  ou  la  conscience 
morale  n'est  pas  moins  imparfaite  chez  l'homme 


que  la  liberté  n'est  limitée.  Il  y  a  des  états  de 
lame  où  toute  raison  est  abolie  :  l'ivresse,  la 
folie.  Là  l'iri-esponsabilité  est  évidente  :  aussi  les 
avocats,  quand  ils  veulent  essayer  d'obtenir  l'ac- 
quittement d'un  client  compromis,  ne  manquent- 
ils  |.as  de  plaider  la  folie.  Mais  il  y  a  aussi  des 
états  intermédiaires  entre  la  pleine  raison  d'un 
sage  et  la  déraison  d'un  fou  :  un  sauvage  ignorant 
et  borné  ne  saurait  être  responsable  au  même 
degré  que  l'Européen  instruit  et  civilisé.  La  res- 
ponsabilité, qui  n'est  q.u'un  effet,  s'atténuera  ou 
s'aggravera  à  proportion  que  s'affaibliront  ou 
s'accroîtront  les  causes  psychologiques  qui  la  dé- 
terminent. 

Nous  avons  défini  la  responsabilité  morale, 
celle  qui  est  commune  à  tous  les  hommes,  à  tous 
les  agents  raisonnables  et  libres.  Avons-nous  be- 
soin de  dire  que  cette  responsabilité  générale  se 
complique  de  responsabilités  particulières,  selon  la 
profession,  l'état  qu'on  exerce  dans  la  vie  réelle. 
Chaque  situation  sociale  attribue  à  l'homme  un 
pouvoir  spécial  et  une  certaine  portée  d'action. 
En  d'autres  termes,  chaque  situation  sociale  fixe  à 
notre  liberté  une  sphère  d'activité  déterminée  et 
modifie  par  suite  notre  responsabilité.  Voilà  pour- 
quoi, comme  l'ont  déjà  fait  remarquer  plusieurs 
moralistes,  nous  sommes  en  partie  responsables 
des  actions  des  autres,  do  ceux  qui  sont  soumis 
à  notre  autorité  :  le  père  de  ses  enfants,  le  maître 
de  ses  serviteurs,  le  patron  de  ses  ouvriers.  Nous 
sommes  responsables  encore  de  tout  ce  que  nous 
aurions  pu  empêcher;  par  exemple^  si  nous 
voyons  un  homme  près  de  se  tuer  et  si,  par  pa- 
resse ou  négligence,  nous  ne  faisons  aucun  efl'ort 
pour  l'empèclier,  nous  ne  sommes  pas  tout  à  fait 
innocents  de  sa  mort.  Plus  un  homme  a  de  puis- 
sance, c'est-à-dire  plus  sa  liberté  d'action  est 
grande,  plus  sa  responsabilité  s'étend. 

Quelles  sont  maintenant  les  conséquences  de  la 
responsabilité?  C'est  (eut  ce  que  les  moralistes 
appellent  les  sanctions  de  la  morale,  c'est-à-dire  les 
punitions  et  les  récompenses  qui  attendent  les 
actions  humaines.  L'éloge  ou  le  blâme,  l'estime 
ou  le  mépris  public,  les  distinctions  sociales  et  le 
code  pénal,  voilà  les  manifestations  extérieures 
du  fait  moral  de  la  responsabilité  et  de  l'imputa- 
bilité.  L'idée  de  la  vie  future  elle-même,  de  ses 
joies  et  de  ses  peines,  repose  sur  l'idée  de  la  res- 
ponsabilité individuelle. 

Mais  la  responsabilité  a  d'autres  sanctions  en- 
core. Ce  sont  d'abord  les  joies  et  les  peines  inté- 
rieures de  la  conscience,  la  satisfaction  du  devoir 
accompli,  et  inversement  le  repentir  et  le  re- 
mords. Ce  sont  en  outre  les  biens  ou  les  maux 
naturels  qui  résultent  de  l'accomplissement  du 
devoir,  la  santé  ou  la  maladie,  les  succès  ou  les 
revers  de  la  vie  pratique. 

En  définitive,  l'idée  de  responsabilité,  si  elle  ne 
prouve  pas  que  la  liberté  existe,  prouve  au  moins 
que  nous  croyons  à  la  liberté.  Croire  à  sa  respon- 
sabilité, c'est  protester  contre  toutes  les  formes  du 
fatalisme.  Au  fatalisme  un  peu  triste,  fondé  sur 
la  faute  originelle  et  qui  a  reparu  si  souvent  dans 
les  écoles  théologiques  sous  le  nom  de  prédestina- 
tion, a  succédé  de  notre  temps  un  fatalisme  plus 
optimiste  qu'inspire  l'idée  de  progrès  nécessaire  et 
l'attente  d'une  sorte  d'âge  d'or  à  venir.  Il  ne  faut 
pas  plus  accepter  l'un  que  l'autre.  «  L'histoire, 
disait  M.  Cousin,  si  elle  n'a  pas  de  lois  nécessaires, 
est  une  fantasmagorie  insignifiante.  »  C'est  tout 
le  contraire  qui  est  le  vrai;  l'histoire,  pourrait- 
on  répondre,  si  elle  est  soumise  à  des  lois  néces- 
saires, est  un  jeu  cruel  où  nous  usons  nos  forces 
sans  responsabilité  et  sans  profit.  Sans  nous 
exagérer  la  portée  de  nos  actes,  nous  ne  devons 
pas  oublier  que  notre  façon  d'agir  aura  ses  consé- 
quences soit  dans  notre  propre  vie,  soit  dans  celle 
des  autres  hommes. 


RESTAURATION  —  1857  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


Pour  mieux  mettre  en  lumière  notre  part  de 
liberté  et  de  responsabilité  dans  les  événements 
de  co  monde,  un  philosophe  contemporain, 
M.  Uenouvier,  a  écrit  récemment  un  livre  curieux 
qu'il  a  intitulé  Vchronie,  ou  l'utopie  dans  le 
temps,  dans  l'histoire,  avec  ce  sous-titre  :  Histoire 
lie  la  ciuilisation  europi'ome  telle  qu'elle  n'a  pas 
été,  telle  qu'elle  aurait  pu  être.  Pascal  disait  :  «  Si 
le  nez  de  Cléopâtre  eût  été  plus  court,  toute  la  face 
de  la  terre  aurait  changé.  «  En  effet,  Cléopâtre  sup- 
posée moins  belle,  Antoine  n'était  plus  amoureux, 
Antoine  ne  se  brouillait  pas  avec  Octave.  M.  Re- 
nouvier  a  repris  sous  une  forme  grave  la  boutade 
paradoxale  de  Pascal.  Seulement,  au  lieu  de 
prendre  comme  point  de  départ  du  changement 
qu'il  imagine  dans  les  événements  historiques  un 
fait  physique,  tel  que  la  physionomie  de  Cléo- 
pâtre, dû  à  un  caprice  de  la  nature  ou  à  des  lois 
fatales,  il  suppose  comme  principe  un  fait  moral, 
un  acte  de  liberté,  tel  qu'aurait  été,  dans 
l'exemple  de  Pascal,  la  résolution  prise  et  accom- 
plie par  Antoine  de  résister  aux  séductions  de 
Cléopâtre.  11  suppose  que  Marc-Aurèle.  au  lieu 
de  continuer  l'empire,  a  rétabli  la  République  et 
par  là  régénéré  Rome,  et  il  montre  comment  ce 
fait,  s'il  s'était  produit,  aurait  profondéniftnt  mo- 
difié toute  la  suite  des  événements.  L'Iiistoire  au- 
rait pris  un  autre  cours  :  tout  le  moyen  âge,  avec 
son  régime  théocratique  et  mojiarchique,  aurait  pu 
être  évité.  Sans  doute,  on  se  tromperait  gravement 
si  on  attribuait  à  une  volonté  humaine  le  pouvoir 
de  transformer  l'ordre  du  monde.  11  y  a  dans 
l'histoire  d'antres  facteurs  que  la  liberté  humaine, 
tout  ce  qu'on  a  vaguement  appelé  fortune,  hasard, 
destin;  mais  il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  la  li- 
berté peut  venir  à  chaque  instant  rompre  la  trame 
des  faits  nécessaires.  La  liberté  est  en  effet  le  pou- 
voir d'agir  dans  un  sens  ou  dans  un  autre,  de  faire 
autre  chose  que  ce  qu'on  a  fait  :  d'où  la  possibilité 
de  concevoir  pour  les  faits  historiques  un  autre 
enchaînement,  si  seulement  le  premier  anneau  de 
!a  chaîne  est  suspendu  à  une  volonté  différente 
de  celle  qui  s'est  manifestée  en  effet. 

L'hypothèse    que    M.    Renouvier  a    faite    pour 
l'histoire  de  l'humanité,  chacun  de  nous  peut  la 
renouveler  en  petit  pour  sa  propre  existence.  Il  y 
aurait   un   grand   intérêt  pratique   à  nous  arrêter 
souvent, i  propos  de  nous-mêmes,  sur  des  réflexions 
comme  celles-ci  :  «  Telle  faute  pouvait  être  évitée. 
Telle  qualité  pouvait  être  acquise  plus  vite.  Enfin 
on  pouvait  faire  autrement  et  mieux!  »  Ce  serait 
là  un  moyen  assuré  d'étendre   le  sentiment  de 
notre  responsabilité  et  d'accroître  par  suite  notre 
liberté.   On   ne    saurait  trop   faire   d'efforts  pour 
maintenir,  pour   furtifier  dans  nos  âmes  la  chose 
la  plus   précieuse  de  ce  monde,  je  veux  dire  le 
sentiment  pratique  de  notre  libre  arbitre,  en  nous 
débarrassant  de  cette  idée  accablante  de  nécessité, 
dont  un   philosophe  anglais,   Smart  Mill,  disait  : 
u  L'idée  de  nécessité  pesait  sur  mon   existence 
comme  un  mauvais  génie.  »     [Gabriel  Compayré.] 
UESTAUHATlOiN.  — Histoire  générale,  XXXIX- 
XL;  Histoire   de  France,    XXXVIll-XL.  —  Deux 
périodes  dans  l'hisioire  sont   désignées   sous   ce 
nom  de    Restauration  :  en  Angleterre,  celle    qui 
suivit  le  rétablissement  sur  le  trûne  de  la  famille 
des  Sluarts  avec  Charles  II  (1060),  après  l'abdica- 
tion   de   Richard   Cromwell,  et  qui   se  termine  à 
l'expulsion  de  Jacques  II  (lli88);  en  France  celle 
qui    commence    au    retour    des    Rourbons    avec 
Louis  XVlll,    après    la   première    abdication    de 
Napoléon  (ISI4),  et   qui  se  termine  à  l'expulsion 
de  Charles  X  (I8:i0).  Il  y  aurait  plus  d'un  rappro- 
chement curieux  à  faire  à  propos  de  ces  deux  pé- 
riodes de    l'histoire  de   France   et   d'Angleterre: 
toutes  deux  sont  précédées  d'une  révolution  qui 
envoie    U   l'échafaud    le   monarque  vaincu;  vient 
ensuite  le  règne  d'un  général  ambitieux  qui  s'est 
'l'  Partie. 


emparé  du  pouvoir  suprême  ;  dans  les  deux  pays, 
la  dynastie  royale  restaurée  est  représentée  d'a- 
bord par  un  souverain  d'humeur  épicurienne,  au- 
quel surcède  son  frère;  celui-ci,  esprit  étroit  et 
fanatique,  conseillé  par  les  jésuites,  commet  faute 
sur  faute  et  perd  à  jamais  la  dynastie.  La  révolu- 
tion qui  le  chasse  appelle  au  trône  un  de  ses  pa- 
rents, son  gendre  en  Angleterre,  son  cousin  en 
France,  et  inaugure  la  monarchie  constitution- 
nelle. —  Pour  les  détails,  V.  Charles  II,  Jacques 
II,  Guillaume  III;  Louis  XVIII,  Charles  X, 
Louis-Philippe. 

UÉVOLUTIOIV  FRANÇAISE.  —  Histoire  de 
France,  XXlX-XXXll.  —  Cet  article  comprendra 
deux  parties  :  l°  l'étude  de  l'état  de  choses  antérieur 
à  1789  et  celle  des  lois  qui  lui  ont  substitué  la  so- 
ciété nouvelle  ;  en  d'autres  termes  :  l'Ancien  Ré- 
gime et  l'œuvre  de  la  Révolution  ;  2°  l'histoire  de 
la  Révolution,  c'est-à-dire  l'exposé  des  événements 
au  milieu  desquels  s'est  opérée  la  régénération 
de  la  France. 

PREMIÈRE     PARTIE 

L'Ancien  Régime   et  l'œuvre   de   la 
Révolution. 

A.  —    L'Ancien  Régime. 

L'ancien  régime  était  caractérisé  :  1»  par  le 
pouvoir  absolu  de  la  royauté  ;  2»  par  les  privilèges 
excessifs  des  deux  premiers  ordres  de  l'Etat  ; 
3»  par  des  abus  invétérés  dans  toutes  les  branches 
de  l'administration  publique. 

I.—  Pouvoir  absolu  du  roi.  —  Sous  les  derniers 
rois  de  la  dynastie  de  Bourbon,  l'autorité  royale 
était  devenue  telle  que  le  jurisconsulte  anglais 
Blackstone  osait  comparer  comme  «  pays  despoti- 
ques »  la  France  et  la  Turquie,  et  que  les  ennemis 
de  Louis  XIV  l'appelaient  «  le  Grand  Turc  des 
Français.  »  Lorsque  Henri  IV  se  considérait  comme 
étant  «  au-dessus  des  lois  »  ;  lorsque  Louis  XIV 
disait  :  "  l'Etat,  c'est  moi  ;  »  lorsque  Louis  XY 
proclamait  qu'il  n'était  «  responsable  qu'à  Dieu  »  ; 
lorsque  Louis  XVI  répondait  au  duc  d'Orléans  : 
«  C'est  légal,  parce  que  je  le  veux,  »  ils  ne  faisaient 
que  résumer  la  doctrine  même  de  la  monarchie. 

Cette  doctrine,  Louis  XIV  l'a  formulée  ainsi 
dans  ses  Instructions  à  l'usage  du  Dauphin  :  «  Le 
roi  représente  la  nation  tout  entière;  toute  puis- 
sance réside  dans  les  mains  du  roi;...  les  rois  sont 
seigneurs  absolus  et  ont  naturellement  la  disposi- 
tion pleine  et  entière  de  tous  les  biens  qui  sont 
possédés,  aussi  bien  par  les  gens  d'église  que  par 
les  séculiers;...  quiconque  est  né  sujet  doit  obéir 
sans  discernement.  »  Les  docteurs  de  la  Sorbonne, 
consultés  par  le  jésuite  Tellier,  confesseur  de 
Louis  XIV,  afarmaient  »  que  tous  les  biens  des 
sujets  étaient  au  roi  et  qu'en  les  prenant,  U  ne 
prenait  que  ce  qui  lui  appartenait.  »  — «  Toutl  ttat 
est  en  lui,  »  écrivait  à  son  tour  Bossuet.  Et  ver- 
gennes,  ministre  de  Louis  XVI,  dira  :  «  Le  monar- 
que parle  :  tout  est  peuple  et  tout  obéit.  » 

La  France,  de  par  le  droit  divin,  était  sujette  Ha 
roi.  Elle  était,  vis-à-vis  de  lui,  dans  la  môme  dépen- 
dance que  les  serfs  d'autrefois  vis-à-vis  de  leur  sei- 
gneur; et  on  aurait  pu  répéter  au  xviii"  siècle,  en 
l'appliquant  à  la  France  entière,  cet  adage  du  xiii  : 
..  Entre  ton  seigneur  et  toi,  nul  juge  excepté 
Dieu;  »  car  le  roi  était  le  maître  absolu  de  tous 
les  Français,  le  propriélaire-né  de  leurs  biens,  et 
nul  n'avait  de  recours  contre  sa  volonté. 

Quelques  écrivains  ont  prétendu  que  la  France 
avait  une  constitution,  parce  que  l'autorité  du  roi 
semblait  limitée  par  les  prérogatives  do  certains 
corps.  M.  Duvergiorde  Hauranne  leur  repond  que 
la  France  n'avait  d'autre  constitution  que  celle-ci  : 
«  l'omnipotence  royale,  contrariée  quelquefois, 
jamais  entravée,  u 

HT 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1838  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

On  a  parlé  du  droit  de  remontrance  des  parle- 
ments; mais  le  roi  les  réduisait  au  silence  quand 
il  lui  plaisait,  et  il  lui  suffisait  de  tenir  un  lit  de 
justice  pour  les  obliger  à  enregistrer  les  lois  et 
édils  qui  avaient  provoqué  leurs  remontrances. 
(  Je  leur  fis  défense,  dit  Louis  XIV,  de  rendre  des 
arrêts  contraires  à  ceux  de  mon  conseil,  en  quelque 
circonstance  que  ce  fût.  » 

On  a  parlé  des  Etats-Généraux;  mais  de  1614  h 
1789,  on  n'a  pas  réuni  une  seule  fois  ces  repré- 
sentants de  la  nation.  Le  cardinal  Dubois  disait 
que  11  l'appareil  des  députés  du  peuple,  la  per- 
mission de  parler  devant  le  roi  et  de  lui  présenter 
des  cahiers  de  doléances,  ont  je  ne  sais  quoi  de 
triste  qu'un  grand  roi  doit  toujours  éloigner  de  sa 
présence.  » 

On  a  parlé  des  Etats  provinciaux  ;  mais  la  royauté 
les  avait  abolis  partout,  sauf  en  Languedoc,  Bre- 
tagne, Bourgogne,  Province,  Daupliiné,  Artois  et 
quelques  autres  provinces  plus  petites.  Ces  pro- 
vinces s'appelaient  pays  d'Etals  ;  mais  quand  les 
députes  de  ces  Etats  montraient  quelques  velléi- 
tés de  résistance,  les  gouverneurs  emprisonnaient 
les  meneurs  et  réduisaient  le  reste  au  silence.  Les 
trois  quarts  do  la  France,  bien  qu'on  les  appelât 
pays  d'élection,  n'avaient  aucune  représentation 
provinciale. 

On  a  parlé  des  libertés  municipales;  or,  non 
seulement  les  offices  de  maires,  prévôts,  éche- 
vins,  conseillers,  dans  le  nord,  de  consuls,  capi- 
touls,  jurats,  dans  le  sud,  étaient  à  la  nomination 
du  roi.  mais  on  avait  imaginé  de  rendre  ces  char- 
ges vénales  et  de  distribuer  les  offices  munici- 
paux à  qui  voulait  les  payer. 

Les  agents  du  roi,  dans  les  provinces  et  dans  les 
villes,  ne  rencontraient  donc  pas  plus  de  résis- 
tance que  le  roi  lui-même  au  centre  du  gouverne- 
ment. En  bas  comme  en  haut,  il  n'y  avait  place 
que  pour  l'autorité  arbitraire  et  l'obéissance 
muette. 

Ainsi,  tandis  que  l'Angleterre,  depuis  le  xiii° 
siècle,  avait  une  constitution  ;  tandis  que  ses  rois 
ne  pouvaient  ni  faire  les  lois,  ni  lever  l'impôt,  ni 
contracter  un  emprunt,  ni  déclarer  la  guerre,  ni 
conclure  la  paix  qu'avec  le  concours  du  parlement  ; 
tandis  que  le  sujet  britannique  voyait  sa  liberté  et 
sa  propriété  garanties  par  la  loi  et  par  une  repré- 
sentation nationale,  le  roi  de  France,  entouré  de 
ministres  qui  n'étaient  qtie  ses  commis,  livré  aux 
conseils  de  ses  familiers,  de  ses  favorites  ou  de 
son  confesseur,  disposait  arbitrairement  des  des- 
tinées de  la  nation  comme  du  sort  des  particuliers. 
Il  trônait  à  Versailles,  dans  cet  immense  palais 
qui,  parmi  les  misères  du  xvii»  siècle,  avait  coûté 
près  d'un  milliard,  et  qu'on  avait  édifié  loiii  de  Paris, 
afin  que  la  voix  de  l'opinion  publique  ne  pût  s'y 
faire  entendre;  là  10  OUO  hommes  composaient  sa 
maison  militaire,  4000  sa  maison  civile;  2000  che- 
vaux peuplaient  ses  écuries  ;  la  plus  haute  noblesse 
de  France,  réduite  volontairement  à  l'état  de  do- 
mesticité, s'empressait  autour  de  lui,  se  disputait 
lesbienfaUs  du  roi,  c'est-à-dire  l'argent  du  trésor, 
joignait  les  flatteries  des  courtisans  aux  adula- 
tions des  évoques,  l'entretenait  dans  cette  infa- 
tuation  de  sa  toute-puissance,  dans  la  persuasion 
qu'il  était  au  dessus  de  l'humanité.  Partout,  dans 
la  décoration  du  palais  de  Versailles,  l'image  du 
roi  se  confondait  avec  celle  du  soleil;  et  c'est  ainsi 
que  le  pinceau  des  artistes  traduisait  cotte  parole 
de  Bossuet  :  «  O  rois,  vous  êtes  des  dieux.  »  Le 
gouverneur  du  jeune  Louis  XV  ouvrait  une  fenêtre 
et,  montrant  à  cet  enfant  la  foule  qui  se  pressait 
autour  du  palais,  lui  disait  :  «  Tout  ce  peuple  est 
à  vous  !  >i 

II-  —  "Violation  de  toutes  les  libertés  publiques. 
—  Le  roi  ne  pouvait  exercer  lui-même  l'auto- 
rité absolue  qu'il  s'arrogeait  ;  il  gouvernait  par 
ses  ministres,  dont  le  premier  portait  le  titre  de 


contrôleur-général  des  finances.  Ces  ministres, 
surcliargés  d'afTaires,  souvent  incapables  ou  mal 
clioisis  pour  les  fonctions  où  les  appelait  la  faveur, 
entraînés  dans  les  tourbillons  des  plaisirs  ou  des 
intrigues  de  la  cour,  s'en  remettaient  à  des  su- 
bordonnés :  c'étaient  donc,  en  dernier  ressort,  des 
subalternes  irresponsables,  qui,  souvent  à  l'insu  du 
roi  et  des  ministres,  décidaient  sur  les  atïaires  les 
plus  importantes  de  l'Etat.  Le  despotisme,  en  en- 
levant à  la  nation  la  connaissance  de  ses  affaires, 
aboutissait  au  gouvernement  des  commis,  à  une 
simple  bureaucratie. 

L'administration,  comme  le  gouvernement,  avait 
pour  principe  l'arbitraire,  le  n  bon  plaisir  ».  La 
police  était  mal  payée,  par  conséquent  vénale. 
Un  emploi  de  police,  payé  300  livres,  en  rappor- 
tait 400  000.  La  police  était  souvent  de  conni- 
vence avec  les  voleurs,  leur  accordait  des  permis 
de  séjour,  les  autorisait  à  sortir  la  nuit  des  pri- 
sons, partageait  avec  eux  le  fruit  de  leurs  brigan- 
dages. En  revanche,  tout  citoyen,  sans  être  ac- 
cusé, sans  être  jugé,  en  vertu  d'une  lettre  de 
cachet,  pouvait  être  jeté  à  la  Bastille  ou  dans 
quelque  autre  des  forteresses  royales.  Ce  n'était 
pas  seulement  le  roi  qui  délivrait  des  lettres  de 
cachet,  mais  les  ministies,  mais  les  intendants, 
leurs  commis,  leurs  agents  les  plus  infimes  :  on 
les  délivrait  avec  le  nom  en  blanc,  on  en  fai- 
sait trafic  :  la  comtesse  de  Langeac,  maîtresse 
du  ministre  la  Vrillière,  les  vendait  '.'.S  louis; 
ce  même  ministre  finit  parles  faire  vendre  par  ses 
laquais  :  il  n'en  coiltait  plus  que  120  livres  pour 
arrêter  les  gens.  Qui  ne  connaît  l'histoire  de 
Latude  mis  à  la  Bastille  par  la  marquise  de 
Pompadour  et  oublié  là  trente-cinq  ans  !  Sous 
Louis  XV,  on  distribua  plus  de  J50000  lettres  de 
cachet;  l'abus  était  tellement  inhérent  à  l'an- 
cienne monarchie  que,  sous  Louis  XVI,  on  en  dis- 
tribua 14  000. 

La  poste  n'était  pas  alors  un  service  public, 
mais  une  ferme  exploitée  par  des  traitants  :  la 
taxe  était  arbitraire,  et  le  fermier  ne  songeait 
qu'à  augmenter  son  profit.  Le  secret  des  corres- 
pondances était  violé  :  le  cahinet  noir,  qui  sub- 
sista jusqu'à  la  Révolution,  décachetait  les  lettres 
et  en  faisait  des  extraits  pour  le  roi.  Turgot,  mi- 
nistre de  Louis  XVI,  suppliait  son  ami  Condorcet 
de  ne  plus  lui  écrire  par  la  poste. 

Les  routes  étaient  mal  entretenues,  mais  leur 
entretien  coûtait  cher  au  peuple.  On  amenait  les 
paysans  des  villages  les  plus  éloignés  pour  faire 
la  '.  corvée  royale  »  sur  les  grandes  routes,  tandis 
que  les  chemins  vicinaux  restaient  à  l'état  de 
bourbiers.  Les  corvéables  n'étaient  ni  payés,  ni 
nourris,  mais  au  contraire  l'on  maltraités  par  les 
piqueurs  des  ponts  et  chaussées,  contre  la  tyran- 
nie desquels  les  plaintes  n'étaient  jamais  reçues. 
«  Les  corvées,  a  dit  un  économiste,  l'abbe  Luber- 
sac,  sont  un  impôt  qui  coûte  aux  cultivateurs  et  à 
l'Etat,  en  déprédations,  en  anéantissement  de  pro- 
duction, soixante  fois  au  moins  la  valeur  du  tra- 
vail des  corvéables,  i 

La  presse  était  encore  sous  le  coup  des  ordon- 
nances de  1547  et  de  lâti3,  qui  condumnaieiit  à  la 
potence  les  imprimeurs  et  les  auteurs  d'écrits 
réputés  hostiles  à  la  religion  ou  au  gouvernement. 
Sous  Louis  XIV,  on  pendait  les  délinquants  après 
les  avoir  mis  à  la  torture  ;  sous  Louis  XV,  on  se 
contentait  de  les  mettre  à  la  Bastille  et  de  brûler 
les  livres  devant  l'escalier  du  Palais  de  Justice. 
Cent  soixante-liuit  «  censeurs  du  roi  >>  surveillaient 
les  productions  littéraires  :  la  Uime  lioyale  de 
Vauban,  le  Télémaque  de  Fénelon,  les  Inconvé- 
nients des  dniits  féodaux  de  Turgot,  beaucoup  des 
ouvrages  de  Diderot,  Raynal,  Uousseau,  Voltaire 
furent  condamnés  et  brûlés.  Si  le  livre  était 
ainsi  traité,  à  quoi  pouvait  s'attendre  le  journal  ? 
Aussi  la  presse  périodique,  si  active  el  si  puis- 


1 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


1859 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


santc  dans  l'Anglctorro  du  xviii*  si^clf,  n'existait 
même  pas  à  Paris,  à  part  ((uelques  feuilles  insi- 
gnitiantes  comme  la  Gazelle  ou  le  Mercure  de 
France.  Il  n'y  avait  pas  un  seul  journal  en  pro- 
vince. L'Anglais  Young  s'en  étonnait  en  1789  : 
«  Personne  ne  saurait  douter,  dit-il,  que  celle 
affreuse  ignorance,  cliez  le  peuple,  des  événe- 
ments qui  doivent  l'intéresser  le  plus,  ne  pro- 
vienne de  l'ancien  gouvernement,  n 

La  liberté  de  conscience  n'était  pas  plus  respec- 
tée que  la  liberté  de  la  presse.  Sous  Louis  XIV, 
après  la  révocation  de  l'Edit  de  Nantes,  on  avait 
vu  les  pasteurs  condamnés  i  la  potence  ou  à  la 
roue,  les  populations  protestaLites  livrées  aux 
dragonnades,  les  galères  pleines  de  «  religion- 
naires,  »  L'évèquc  Bossuct  approuvait  ces  bar- 
baries et,  dans  son  enthousiasme,  comparait 
Louis  XIV  aux  empereurs  romains  Constantin 
et  Théodose.  Flécliier,  après  les  massacres  de 
Nîmes,  avait  dit  :  n  Cet  exemple  était  nécessaire 
pour  châtier  l'insolence  de  ces  gens4à.  »  Le  sort 
des  protestants  ne  s'était  guère  amélioré  sous 
Louis  XV  :  chaque  fois  que  le  gouvernement 
réunissait  l'assemblée  du  clergé  pour  en  obtenir 
un  don  graiuU,  il  lui  accordait,  en  compensation, 
un  redoublement  de   rigueurs  contre  les  dissi 


Rappelons  qu'en  HCG  un  jeune  liomme  de  vingt 
ans,  le  chevalier  de  La  Barre,  pour  n'avoir  pas 
salué  une  procession  et  avoir  mutilé,  disait-on, 
un  crucifix,  eut  le  poing  coupé  et  la  langue  arra- 
chée ;  puis  il  fut  décapité,  et  son  corps  brûlé  sur 
un  bûcher. 

III.  —  Inégalité  dans  la  condition  des  personnes. 
—  Le  despotisme  royal  pesait  d'un  poids  inégal 
sur  les  diverses  catégories  de  sujets.  La  nation 
française  élait  répartie  en  trois  ordres  :  clergé, 
noblesse,  tiers-état.  Le  clergé  se  composait  de 
130  000  prêtres  ou  moines;  la  noblesse,  de 
1 40 000 personnes;  le  Tiers-Élat.de  vingt-cinq  mil- 
lions d'hommes.  Quiconque  n'était  pas  clerc  ou 
noble  était  roturier,  c'est-à-dire  vilain  ;  vingt-cinq 
millions  de  Français  étaient  donc,  pour  emprun- 
ter les  termes  d'un  édit  de  Louis  XIV,  de  condi- 
tion o  ignoble  ».  Le  clergé  et  la  noblesse,  c'étaient 
les  ordres  privilégiés  :  sous  prétexte  que  le 
clergé  priait  et  que  la  noblesse  combattait,  ils  se 
refusaient  à  payer  presque  tous  les  impôts  qui 
pesaient  sur  le  Tiers. 

La  taille,  ou  impôt  foncier,  la  capitation,  ou 
impôt  personnel,  étaient  payés  uniquement  par 
le  peuple  :  les  privilégiés  en  étaient  exempts. 
Quant  aux  impôts  indirects,  ils  auraient  dû,  à  ce 


dents,  l'autorisant  b.  enlever  les  enfants  des  j  qu'il  semble,  peser  sur  ceux  qui  consommaient  le 
protestants  pour  les  élever  dans  les  couvents,  i  plus,  c'est-à-dire  sur  les  plus  riclies;  c'est  le 
Ln  édit  de  1724  ordonne  que  ceux  qui  mourront  |  contraire  qui  arrivait.  Ainsi  pour  les  vingtièmes, 
après  avoir  refusé  les  sacrements  de  l'Eglise  '  Impôt  qui  devait  être  proportionnel  au  revenu, 
catholique  seront  traînés  à  la  voirie  et  leurs  il  se  trouvait  que  les  princes  du  sang,  au  lieu  de 
biens  confisqués.  Une  ordonnance  de  1730  statue  ,  2  400  0U0  livres,  n'en  payaient,  grâce  à  la  conni- 
que,  lorsque  des  protestants  seront  surpris  à  i  vence  du  fisc,  que  188  OUO  ;  les  autres  privilégiés 
prier  en  commun,  les  hommes  seront  envoyés  J  se  faisaient  exempter  dans  la  même  proportion  :  le 
aux  galères,  les  femmes  en  prison  pour  la  vie,  les  ;  peuple  payait  leur  part  avec  la  sienne.  Les  aides 
pasteurs  à  la  potence.  En  1745  et  1746,  rien  que  étaient  un  impôt  de  consommation  ;  mais  il  était 
dans  le  Dauphiné,  287  protestants  sont  condam-  1  si  mal  réglé  que  l'ouvrier  payait  pour  son  vin 
nés  aux  galères  et  les  femmes  au  fouet.  Encore  quatre  fois  plus  cher  que  le  moine.  La  gabelle, 
en  1762,  le  pasteur  La  Rochette  fut  décapité  par  ,  ou  impôt  sur  le  sel,  était  ruineuse  surtout  pour  le 
arrêt  du  parlement  de  Toulouse.  On  sait  l'horri-  '  paysan;  elle  lui  coûtait  en  moyenne  une  valeur  de 
ble  supplice  de  Calas  et  les  persécutions  contre  l  vingt  et  une  journées  de  travail  par  an;  un  pauvre 
la  famille  Sirven.  Ces  cruautés  durèrent  jusqu'à  homme  qui  gagnait  six  sous  par  jour  payait  130 
une  époque   si  voisine   de  la    Révolution,  que  la    sous  par  an  pour  son   sel. 

mère  de  M.  Guizot,  un  jour  que  les  soldats  1  Non  seulement  les  privilégiés  payaient  moins 
avaient  surpris  une  assemblée,  reçut  des  coups  ,  que  le  peuple  ;  mais  le  peuple  leur  payait  à  eui- 
de  fusil  dans  ses    vêtements.   Cette  intolérance    mêmes  des  impôts. 

était  tellement  liée  au  système  de  gouvernement  j  Le  clergé,  outre  le  produit  des  quêtes  et  du 
que  Louis  XVI,  à  son  sacre,  fut  obligé  de  répéter  ,  casuel,  percevait  sur  les  blés,  le  vin,  le  bétail  et 
l'ancien  serment  :  o  Je  jure  d'appliquer  tout  mon  j  tous  les  fruits  de  la  terre  un  impôt  qu'un  appe- 
pouvoir  à  l'extermination  des  hérétiques.  »  Quant  '  lait  la  dime  ;  la  dîme,  portant  sur  le  produit  brut, 
aux  évoques,  surtout  dans  le  Languedoc,  leur  ,  enlevait  au  paysan  bien  plus  que  le  dixième  :  sou- 
sentiment,  jusqu'à  la  fin,  fut  toujours  «  de  dra-  vent  la  moitié  de  son  revenu, 
gonner,  de  convertir  à  coups  de  fusil.  »  1      Les   nobles    exigeaient   du    paysan  les    droits 

Comme  les  actes  de  l'état  civil  étaient  tenus  '  seigneuriaux  :  les  lods  et  ventes  ou  droits  casuels, 
par  les  curés,  les  protestants  ne  pouvaient  faire  qui  étaient  des  espèces  de  droits  de  mutation, 
constater  ni  leur  mariage,  ni  la  naissance  de  leurs  '  payables  au  seigneur  chaque  fois  que  la  terre 
enfants  :  leurs  enfants  étaient  considérés  comme  changeait  de  propriétaire,  et  qui  montaient  généra- 
bâtards  et  leurs  femmes  comme  illégitimes.  Cela  lement  au  sixième  du  prix  de  la  vente  ;  le  cens, 
dura  jusqu'à  l'édit  de  1787,  qui  reconnut  la  légi-  rente  annuelle,  perpétuelle  et  irrachetable,  dont 
limité  des  mariagescontractés  par  les  protestants;  ,  le  non-paiement  entraînait  parfois  la  confiscation 
mais  jusqu'en  1789  les  dissidents  continuèrent  à  de  la  terre;  la  laille  seigneuriale,  qui  était  en 
être  exclus  de  tous  les  c.iplois.  certaines    occasions    un   doublement    du    cens; 

Les  Juifs,  moins  crueliunient  traités,  étaient  en  la  corvée,  qui  prenait  aux  cultivateurs,  en 
en  revanche  plus  méprisés.  Ils  vivaient  parqués  moyenne,  62  journées  de  travail  par  an  ;  les 
dans  des  quartiers  à  part,  exclus  de  toutes  ks  pro-  i  péages  sur  les  pools,  les  chemins,  les  marchés  ; 
fessions  libérales,  soumis  à  dos  taxes  exception-  ;  les  banalités,  qui  obligeaient  le  petit  propriétaire 
nelles.  «  Il  est  pénible,  disait  un  écrivain  catholi-  j  à  se  servir,  moyennant  finance,  du  prcss.oir,  du 
que,  de  voir  des  hommes  aussi  vils  posséder  des  moulin,  du  four  établis  par  le  seigneur;  les 
meubles  précieux  et  apprendre  la  musique  ins- 


trumentale 

Bien  que  les  jansénistes  fussent  des  catholi- 
ques, comme  ils  affectaient  une  morale  sévère  et 
prétendaient  limiter  l'autorité  du  pape,  ils  subi- 
rent à  plusieurs  reprises  de  cruelles  persécutions. 
En  1709,  Louis  XIV   avait  chassé  les  jansénistes 


droits  de  colombier,  de  garenne,  de  prmge,  de 
ravage,  qui  livraient  les  semailles  ou  la  récolle 
du  paysan  aux  pigeons  et  au  gibier  du  seigneur. 
C'étaient  là  les  droits  les  plus  ordinaires;  d'au- 
tres étaier)t  ci'mnie  le  rachat  ou  la  compen- 
sation, en  argent,  d'usages  abominables  qui 
avaient  prévalu  dans  la  barbarie  féodale  et  qui  se 


de    Port-Royal  des  Champs,    fait   déterrer    leurs  i  conservaient  encore  dans  certaines  provinces  re- 
morts et  passer  la  charrue  sur  l'emplacement  de  j  culées, 
celte  illustre  maison.  1     Enfin,  au-dessous  du  paysan  durement  exploité 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1860  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


mais  cependant  libre  de  sa  personne,  écrasé 
de  redevances,  mais  propriétaire,  venait  le  serf 
dont  l'héritage  et  la  personne  même  apparte- 
naient au  seigneur  et  qui  était  soumis  à  toute  la 
rigueur  du  droit  de  main-morte. 

Il  y  avait  encore  en  France,  à  la  veille  de  la 
Révolution,  dans  certains  cantons  de  la  Bourgo- 
gne, de  l'Alsace,  de  la  Lorraine,  des  Trois-Evê- 
cliés,  du  Hainaut,  de  l'Artois,  de  la  Flandre,  de 
la  Champagne,  de  la  Marche,  de  l'Auvergne,  du 
Bourbonnais,  du  Berry,  du  Nivernais,  150  000  su- 
jets du  roi  qui  restaient  serfs.  Voltaire,  dès  1771, 
avait  élevé  la  voiï  en  faveur  des  serfs  du  Mont- 
Jura,  qui  appartenaient  au  chapitre  de  Saint- 
Claude.  «Il  y  a  donc,  s'écriait-il,  des  peuples  chré- 
tiens gémissant  dans  un  triple  esclavage  sous  des 
moines  qui  ont  fait  vœu  d'humilité  et  de  pau- 
vreté. "  Les  serfs  du  Mont-Jura  étaient  si  bien  la 
propriété,  la  chose  do  leurs  maîtres  ecclésiasti- 
ques, qu'ils  n'avaient  même  pas  de  noms  de  fa- 
mille. D'ailleurs,  pour  «  cette  canaille  »,  comme 
disait  le  marquis  de  Langeron,  le  nom  d'un  saint, 
Jean,  Pierre  ou  Paul,  suffisait. 

La  dime  de  l'Église  comme  les  droits  féodaux 
des  seigneurs  étaient  choses  qu'on  n'avait  pas  le 
droit  de  discuter.  Turgot  ayant  publié  ses  Incon- 
vénients  des  dioits  féodaux,  le  livre  fut  condamné 
par  le  parlement  de  Paris  et  brûlé  par  la  main 
du  bourreau. 

On  aura  une  idée  des  charges  qui  écrasaient  le 
peuple  quand  on  saura  que  les  propriétés  rotu- 
rières, c'est-à-dire  les  seules  qui  supportassent 
l'impôt,  formaient  au  plus  le  quart  du  territoire 
français  :  les  trois  autres  quarts  se  partageaient 
entre  le  domaine  royal,  les  apanages  des  princes 
du  sang,  les  terres  nobles  et  les  terres  d'Eglise. 

L'inégalité  n'existait  pas  seulement  en  matière 
d'impôt  :  elle  se  retrouvait  partout.  Dans  l'armée, 
il  fallait  être  noble  pour  devenir  officier.  Dans 
le  clergé,  les  dignités  d'archevêques,  évêques, 
abbés  des  monastères,  membres  des  chapitres, 
n'étaient  accessibles  qu'à  ceux  qui  faisaient  preuve 
de  noblesse.  Dans  les  tribunaux,  les  offices  su- 
périeurs de  justice,  dans  l'administration,  les 
hautes  charges  municipales,  étaient  réservées  aux 
gentilshommes.  Les  criminels  mêmes  étaient  trai- 
tés inégalement  suivant  la  différence  de  leur  con- 
dition: le  condamné,  s'il  était  noble,  était  déca- 
pité ;  s'il  était  roturier,  pendu. 

Non  seulement  le  noble  et  le  roturier  n'étaient 
pas  égaux  devant  les  juges  du  roi  ;  mais  le  noble 
avait  droit  de  juger  le  paysan  ;  il  avait  sa  justice 
à  lui,  la  justice  seigneuriale.  On  la  distinguait  en 
basse  justice,  moyenne  justice  et  haute  justice  ; 
la  haute  justice  emportait  le  droit  de  condam- 
ner à  mort;  une  potence  se  dressait,  en  signe 
de  bOn  droit,  aux  portes  du  château  qu'habitait  le 
seigneur  haut-justicier. 

On  pouvait  dire  qu'il  n'y  avait  pas  en  France 
trois  ordres,  mais  presque  trois  nations  dift'érentes, 
comme  si  les  privilégiés  eussent  éié  les  descen- 
dants d'une  race  étrangère  qui  aurait  conquis  et 
asservi  le  peuple  indigène. 

Chacun  des  trois  ordres  se  subdivisait  en 
classes  nettement  séparées.  Dans  le  clergé,  il 
y  avait  le  haut  clergé,  qui  était  noble,  et  le  bas 
clergé,-  c'est-à-dire  les  curés  plébéiejis.  Dans  la 
noblesse,  on  distinguait  les  princes  du  sang,  la 
noblesse  de  cour,  qui  accaparait  les  emplois  et 
les  pensions,  la  noblesse  des  villes,  qui  se  perpé- 
tuait dans  les  offices  municipaux,  la  noblesse  ru- 
rale, pauvre  et  négligée  :  ajoutons-y  la  noblesse 
de  robe,  qui  occupait  les  tribunaux.  Celle-ci  for- 
mait la  transition  entre  le  second  ordre  et  le  Tiers- 
t-tat.  Dans  le  Tiers-État,  il  y  avait  d'ubord  la  haute 
bourgeoisie,  <iui  vivait  noblement,  c'est-à-dire  ne 
travaillait  pas,  qui  possédait  des  terres  nobles, 
c'est-à-dire  ne  payait  pas  l'impôt  foncier,  qui  avait 


acheté  des  châteaux  et  qui  exerçait  dans  les  vil- 
lages tous  les  droits  seigneuriaux;  la  bourgeoisie 
moyenne;  la  petite  bourgeoisie  et  le  peuple  des 
villes  ;  le  peuple  des  campagnes  ;  le  serf  enfin, 
placé  au  dernier  échelon  de  la  société. 

Le  haut  clergé  exploitait  et  méprisait  le  bas^ 
clergé.  La  noblesse  à  quartiers,  qui  pouvait  faire 
ses  preuves  d'ancienneté,  méprisait  la  noblesse  de 
robe,  qu'elle  appelait  les  robins,  les  bourgeois 
anoblis,  qui  avaient  acquis  des  terres  ou  des  char- 
ges conférant  la  noblesse  et  qui  étaient  devenus 
nobles  au  moyen  de  la  savonnette  à  vilain,  c'est- 
à-dire  à  prix  d'argent.  Elle  méprisait  également 
les  gentilsliommes  verriers,  anoblis  par  l'industrie 
de  la  verrerie.  C'était  même  une  maxime  que 
tout  travail,  tout  commerce,  toute  industrie  faisait 
déroger,  c'est-à-dire  perdre  la  noblesse.  Le  noble 
aurait  mieux  aimé,  par  respect  pour  le  blason  de 
ses  ancêtres,  mendier  que  travailler. 

La  haute  bourgeoisie,  les  bourgeois  notables^ 
professaient  le  même  mépris  pour  la  bourgeoisie 
moyenne,  les  parvenus.  Un  intendant  du  roi  dé- 
clarait qu'on  ne  pouvait  donner  une  place  d'échevin. 
à  un  notaire,  parce  que  cela  dégoûterait  les  no- 
tables, attendu  que,  dans  la  localité  en  question, 
les  notaires  étaient  «  des  gens  sans  naissance,  qui' 
ne  sont  pas  de  famille  de  notables  et  qui  ont  tous 
été  clercs.  »  Tous  s'accordaient  à  mépriser  le 
paysan,  qui  formait  alors  les  cinq  sixièmes  de  la 
nation.  Un  des  motifs  pour  lesquels  la  noblesse, 
en  1776,  repoussait  la  transformation  de  la  corvée 
royale  en  contribution  pécuniaire,  c'est  que  <>  ce 
serait  efl'acer  sur  le  front  de  la  plèbe  la  tache  ori- 
ginelle de  la  servitude.  » 

Sur  le  paysan  retombait  en  dernier  lieu  tout 
le  poids  de  cette  société  si  étrangement  con- 
struite. Ainsi,  que  l'écrivait  l'Américain  Jefferson 
en  1786  :  «  Pour  apprécier  la  masse  des  maux  qui 
découlent  de  cette  source  fatale,  l'aristocratie,  il 
faut  résider  en  France,  il  faut  voir  le  sol  le  plus 
beau,  le  meilleur  climat,  l'Etat  le  plus  compacte, 
le  caractère  national  le  plus  bienveillant,  en  un 
moi,  la  réunion  de  tous  les  avantages  naturels, 
être  insuffisants  pour  empêcher  ce  fiéau  de  l'aris- 
tocratie de  rendre  la  vie  un  supplice  pour  les 
vingt-quatre  vingt-cinquièmes  des  habitants  de  ce 
pays.  » 

IV.  — Administration  des  provinces.  —  Dans 
les  provinces,  les  gouverneurs,  tous  gens  de  haute 
noblesse,  très  largement  appointés,  se  bornaient 
à  présider,  dans  les  pays  d'Etats,  les  sessions 
des  assemblées  provinciales;  le  reste  de  l'année, 
ils  résidaient  à  la  cour.  La  véritable  division  ad- 
ministrative, c'étaient  les  intenitu7ices  ou  généra' 
lités,  au  nombre  de  trente  ;  le  véritable  représen- 
tant du  roi,  c'éla.ilVinte7idunt.  Investi  d'attribution» 
beaucoup  plus  étendues  et  plus  variées  que  les 
préfets  d'aujourd'hui,  il  ne  subissait  pas  le  con- 
trôle d'assemblées  élues  et  n'était  responsable 
qu'envers  le  roi  et  les  ministres.  Impôts,  milices, 
routes,  industrie,  commerce,  justice,  tout  relevait 
do  son  autorité.  Sous  i  ■;  ordres  des  intendants  se 
plaçaient  les  sous-Intendants,  appelé  su/jdélégués, 
et  (|ui  était  nommés  et  révoqués  par  les  inten- 
dants. «  Sachez,  écrivait  d'Argenson,  que  ce 
royaume  de  France  est  gouverné  par  trente  in- 
tendants :  ce  sont  trente  maîtres  des  requêtes, 
commis  aux  provinces,  de  qui  dépendent  le  mal- 
heur ou  le  bonheur  de  ces  provinces,  leur  abon- 
dance ou  leur  stérilité,   o 

Les  trente  généralités  se  subdivisaient  en  8 
pays  d'Etats  et  118  pays  d'élection.  Les  pro- 
vinces étaient  donc  les  unes  privilégiées,  les  au- 
tres arbitrairement  gouvernées.  Elles  étaient  sé- 
parées entre  elles  par  des  lignes  de  douanes. 
L'Alsace,  la  Lorraine,  les  Trois-Évêchés  (Metz, 
Toul,  Verdun)  avaient  des  douanes  du  côté  de  la 
France  et  n'en  avaient  pas  du  côté  de   l'AUema- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1861  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


gne.  Les  provinces  n'étaient  pas  astreintes  au 
môme  régime  d'impôts  :  la  Lorraine  n'était  pas 
soumise  h  la  capitation  ;  l'impôt  du  vingtième 
était  moiiis  lourd  on  Lorraine,  en  Alsace  et  en 
Franclie-Comté  que  dans  le  reste  de  la  France. 
Ces  diversités  administratives  entretenaient  le 
souvenir  des  anciennes  divisions.  La  Bretagne 
invoquait  encore  le  contrat  de  mariage  d'Anne  de 
Bretagne  ;  la  Lorraine  regrettait  ses  ducs,  la 
Franclie-Comlé    son   ancienne    indépendance,    la 


chaque  petite  province  avait  sa  coutume  particu- 
lière, il  y  avait  près  de  quatre  cents  codes  diffé- 
rents. Les  registres  de  l'état  civil  étaient  tenus, 
et  fort  mal  tenus,  par  les  curés  des  paroisses  :  ce 
qui  donnait  encore  ample  matière  aux  procès. 
Dans  la  législation  civile  se  perpétuait  le  droit 
d'aînesse  qui,  dans  la  succession,  dépouillait  les 
cadets  au  profit  des  aînés,  les  flUes  au  profit  des 
garçons  :  il  ne  laissait  de  ressource  aux  cadets 
que  le  régiment  et  aux  filles  que  le  couvent. 


Flandre  ses  franchises  municipales.  Les  paysans  1  La  justice  criminelle  surtout  fut  la  honte  de 
d'Alsace  payaient  l'impôt  Ma  fois  au  roi  de  France  l'ancien  régime.  La  procédure  rappelait  celle  da 
et  aux  princes  allemands  possessionnés  dans  la  l'inquisition.  On  n'accordait  au  prévenu  ni  débat 
province.  On  parlait  encore  flamand  au  nord,  al-  public,  ni  confrontation  de  témoins,  ni  commu- 
lemand  du  côté  du  Rhin,  breton  en  Bretagne,  nication  de  pièces,  ni  assistance  d'avocat.  On 
basque  ou  espagnol  le  long  des  Pyrénées,  pro-  l'obligeait  à.  prêter  serment  qu'il  dirait  la  vérité  : 
vençal  du  côte  des  Alpes.  La  France  n'était  pas  ce  qui  le  plaçait  entre  le  parjure  ou  l'abandon  de 
encore  une  patrie.  Dans  les  provinces  éloignées,  |  sa  défense.  Le  grand  moyen  d'instruction  judi- 
quand  on  allait  h  Paris,  on  disait  :  «  .le  vais  en  '  claire,  c'était  la  question,  une  torture  raffinée 
France.  »  Il  y  avait  autant  de  diversités  et  pas  !  dont  un  médecin,  attaclié  au  tribunal,  surveillait 
plus  d'unité  nationale  dans  la  France  d'alors  que  l'application  afin  que  le  patient  put  souffrir  le 
dans  l'empire  d'Autriche.  '  plus  possible  sans  mourir.  Quand  le  juse   d'ins- 

V.— La  justice.  — Enimatière  judiciaire, ilyavait  truction,  à  force  de  barbarie,  avait  arraché  au 
treize  parlements  et  quatre  conseils  provinciaux  '  misérable  l'aveu  vrai  ou  faux  de  son  crime  on 
jugeant  en  dernier  ressort,  tant  au  civil  qu'au  cri-  l'amenait  devant  le  tribunal.  Ce  n'était  pas  un 
minel.  C'étaient,  par  ordre  d'ancienneté,  les  p.ir-  '  jury,  comme  aujourd'hui,  mais  des  juges  de  pro- 
lements  de  Paris,  Toulouse,  Grenoble,  Bordeaux,  fession,  endurcis  i  toutes  les  cruautés,  habitués 
Dijon,  Rouen,  Aix,  Rennes,  Metz,  Pau,  Douai,  à  voir  dans  tout  prévenu  un  coupable,  qui  ap- 
Besançon,  Nancy,  et  les  conseils  souverains  d'AI-  préciaient  la  culpabilité  et  prononçaient  la  sen- 
sace,  de  Roussillon,  d'Artois  et  de  Corse.  Envi-  tence,  sans  même  prendre  la  peine  de  la  motiver, 
ron  huit  cents  tribunaux  de  second  ordre,  bail-  |  Rarement  on  envoyait  le  condamné  au  supplice 
liages,  sénéchaussées,  présidiaux,  jugeaient  en'  sans  l'avoir  remis  à  la  torture,  cette  fois  pour  lui 
première  instance.  Puis  venaient  les  justices  sel-  faire  avouer  ses  complices,  ou  sous  tout  autre 
gneuriales,  les  justices  municipales  (le  sénat  de  prétexte  :  c'était  d'usage  et  pour  ainsi  dire  de 
Strasbourg  jugeait  à  mort),  les  justices  ecclésias- I  style.  On  appelait  question  pi-épnnitoire  celle 
tiques  qui,  sous  le  nom  d'officinlitcs,  pouvaient  dont  on  usait  pendant  l'instruction,  et  question 
prononcer  la  prison  perpétuelle.  Tous  ces  tribu-  préalable  celle  qui  précédait  l'exécution.  Suivant 
naux  étaient  des  écoles  de  chicane,  de  corruption  l'intensité  de  la  torture,  on  la  distinguait  aussi  en 
et  de  vénalité.  Le  seigneur  haut-justicier,  afin  do  '  ordinaire  et  extraordinaire.  Quant  à  la  peine  su- 
prouver  son  droit,  dit  La  Bruyère,  «  faisait  pen-  I  prème,  les  juges  se  contentaient  difficilement  de 
dre  un  homme  qui  méritait  le  bannissement.  »  la  mort  simple  :  le  chevalier  de  La  Barre  fut 
Beaumarchais,  dans  sa  comédie  du  Maria;/e  de  '  cruellement  mutilé  avant  sa  décapitation  ;  le  sup- 
Figaro,  a  ridiculisé  l'ineptie  et  la  servilité  du  juge  ,  plico  ordinaire  qu'on  appliquait  à  tout  voleur  de 
seigneurial,  personnifié  dans  le  type  grotesque  do  '  grande  route,  à,  tout  assassin  (à  Calas,  par  exem- 
■Bridoison.  [  pie,  faussement  accusé  du  meurtre  do  son  fils), 

A  côté  de  la  justice  ordinaire  du  roi,  il  y  avait  !  c'était  la  roue,  sur  laquelle  expirait  le  condamné 
aussi  la  justice  extraordinaire  ou  administrative  i  après  que  le  bourreau  l'avait  rompu  vif,  c'est-à- 
•que  rendaient  les  chambres  des  comptes,  les  dire  lui  avait  brisé  tous  les  os  à  coups  de  barre 
•cours  des  aides,  la  cour  des  monnaies,  le  grand  '  de  fer.  Rien  de  plus  afl'reux  que  les  tortures  in- 
conseil, les  eaux  et  forêts,  les  fermiers  généraux,  fligées  à  Damiens,  qui  avait  égratigné  Louis  X'V 
les  fermiers  de  la  gabelle.  1  avec   un  canif;  leur  atrocité   fut  telle   que    les 

Le  cours  régulier  de  la  justice  pouvait  être  cheveux  du  condamné  blanchirent  pendant  l'exé- 
arrêté  par  les  évocations  au  grand  conseil,  les  '  cution.  La  place  rie  Grève,  à  Paris,  était  le  lieu 
■lettres  de  répit,  les  arrêts  de  surséance,  que  le  1  ordinaire  des  supplices  :  le  gouvernement,  qui  ne 
roi  accordait  trop  facilement  aux  sollicitations  t  faisait  rien  pour  rendre  le  peuple  moins  ignorant, 
•des  privilégiés.  Quand  le  roi  tenait  à  faire  con-  I  ne  négligeait  rien  pour  le  rendre  féroce, 
damner  quelque  grand  personnage,  il  l'enlevait  à  i  VI.  L'armée.  —  L'armée,  môme  après  les  réfor- 
ses  juges  naturels  et  le  traduisait  devant  une  mes  de  Louvois  au  xvii«  siècle,  reflétait  l'inéga- 
commission  extraordinaire.  lité  sociale.  Les  chefs  étaient  nommés  non  pour 

Les  charges  de  justice,  môme  de  justice  royale,  !  leurs  talents,  mais  pour  leurs  quartiers  de  no- 
étaient  la  propriété  des  juges  ;  ils  les  avaient  1  blesse,  par  le  bon  plaisir  du  roi  ou  le  caprice  des 
achetées  à  prix  d'argont  et  transmettaient,  comme  favorites  :  c'est  au  choix  de  madame  de  Pompa- 
héritage  à  leur  fils,  comme  dot  à  leurs  gendres,    dour  que  nous  sommes  redevables  des  généraux 


ou  simplement  à  des  acheteurs,  le  droit  de  juger. 
Ces  charges  étaient  donc  à  la  fois  vénales  et  héré- 
ditaires. Les  magistrats,  greffiers  et  autres  offi- 
ciers de  justice,  n'étant  pas  payés  par  le  roi,  se 
faisaient  payer  par  les  plaideurs  :  cela  s'appelait 
recevoir  des  épices.  Ces  épices  coûtaient  aux  jus- 
ticiables près  de  Cfl  millions  par  an.  Un  avocat  du 
roi  dit  que  la  justice  de  son  temps  était  un  bri- 
gandage. Les  procès  étaient  interminables  :  l'ar- 
gent, les  titres,  le  crédit  des  plaideurs  influaient 
sur  la  décision  de'*  juges. 

La  diversité  de  législation  aggravait  le  désor- 
dre. On  distinguait  les  provinces  du  nord  ou 
pays  de  coutumes,  et  les  provinces  du  sud  ou 
pays  de  droit  écrit,  ou  droit  romain  ;  mais  comme 


courtisans  qui,  pendant  la  guerre  de  Sept  ans, 
firent  battre  les  Français  par  les  Prussiens,  sou- 
vent dans  la  proportion  de  trois  contre  un.  Les 
grades  s'achetaient  ou  s'obtenaient  à  la  faveur. 
Sons  Louis  XV,  on  vit  un  enfant  de  treize  ans,  le 
vicomte  do  Turenno,  nommé  colonel-général  de  la 
cavalerie  ;  le  duc  de  Bouillon  était  colonel  à  onze 
ans,  le  duc  de  Fronsac  à  sept  ans,  les  princes 
du  sang  au  berceau.  C'est  seulement  h  partir  de 
Choiseul,  en  n.'>8,  qu'on  exigea  sept  ans  de  ser- 
vice comme  officier  pour  devenir  colonel.  Une 
charge  militaire,  étant  vénale  comme  une  cliarge 
de  judicature,  s'exploitait  comme  elle.  Malgré 
les  réformes  de  Choiseul,  colonels  et  capitaines 
continuaient  à  vivre   sur  le   soldat,   spéculaient 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1862  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

sur  son  habillement,  son  armement,  sa  nourri-  !  était  question  d'assembler  les  bataillons,  il  fallait 
tare,  fraudaient  sur  sa  paie,  faisaient  coucher  I  que  les  syndics  des  paroisses  fissent  amener  leurs 
trois  soldats  dans  un  même  lit.  Il  y  avait  des  miliciens  escortés  par  la  maréchaussée  et  souvent 
écoles  militaires,  mais  elles  ne  s'ouvraient  qu'aux  garrottés.  »  Voili  ce  que  l'ancien  régime  avait 
nobles  :  les  examens  de  sortie  étant  clandestins,  '  fait  du  peuple  gaulois,  le  plus  belliqueux  et  le 
c'étaient  toujours  les  plus  protégés  qui  avaient  I  plus  brave  de  l'ancien  monde, 
les  meilleurs  rangs  :  un  édit  du  22  mars  1781,  1  VII.  —  L'Église.  —  Nous  avons  parlé  des  im- 
sous  Louis  XVI,  vint  encore  aggraver  la  situation  :  ;  menses  richesses  de  l'Église  :  voyons  comme  elles 
il  exigeait  de  tout  candidat  au  grade  d'officier  étaient  employées  et  comment  se  répartissaient, 
qu'il  fit  preuve  devant  le  généalogiste  Saint-Ché-  !  dans  cet  ordre  privilégié,  les  avantages  et  les 
rin  de  quatre  générations  de  noblesse.  C'est  alors  ,  charges.  Une  fonction  d'Église  s'appelait  bénéfice  : 
que  Jourdan,  Joubert,  Kléber  quittèrent  l'armée  c'était  assez  dire  que  l'on  s'occupait  plus  des  re- 
pour  les  carrières  civiles  ou  le  service  étranger.  \  venus  qu'elle  procurait  que  des  devoirs  qu'elle 
A  la  veille  de  la  Révolution,  Hoche  était  sergent  |  imposait.  La  feuille  des  béjiéfices  était  entre  les 
aux  gardes  et,  pour  s'acheter  des  livres,  brodait  mains,  soit  d'un  aumônier  de  la  cour,  soit  d'un 
des  gilets  qu'il  allait  vendre  dans  les  cafés  aux  !  familier  du  roi,  parfois  d'une  favorite.  Madame  de 
officiers  ;  Augereau  était  sous-offlcier  d'infanterie,  '  Pompadour,  pendant  de  longues  années,  a  dis- 
Marceau simple  soldat  et  sans  espoir  d'avance-  tribué  sans  contrôle  les  évêchés,  les  bonnes  cu- 
ment.  Dans  la  marine,  on  distinguait  entre  les  res  et  les  abbayes  :  aussi  l'antichambre  et  le  bou- 
officiers  rouges  ou  nobles  et  les  officiers  bleus  ou  '  doir  de  cette  courtisane  étaient-ils  toujours  encom- 
roturiers  :  les  premiers  ne  négligeaient  aucune  I  brés  de  candidats  ecclésiastiques, 
occasion  de  faire  aux  seconds  quelque  insolence.  Le  haut  clergé,  ainsi  recruté,  justifiait  la  pein- 
Comrae  il  fallait  placer  les   cadets  de  noblesse,  i  turc  qu'en  a  faite  le  roi  Louis  XVIII  dans  ses  mé- 

on  avait  multiplié  inutilement  les  emplois  d'offi-         '  "  .■■         . 

ciers.  On  comptait  60,000  officiers  pour  une  ar- 
mée de  nO,0OU  hommes.  Un  régiment  de  cavale- 
rie comprenait  142  officiers  ou  sous-officiers  et 
seulement  4S2  soldats.  On  dépensait  40  millions 
pour  les  officiers  et  seulement  44  pour  le  reste 
de  l'armée.  La  situation  du  soldat  était  intoléra- 
ble, surtout  depuis  que  le  comte  do  Saint-Ger- 
main, ministre  de  la  guerre,  avait,  en  1774,  em- 
prunté  aux  armées  allemandes  l'usage  des  châti 


moires  :  «  Par  son  ambition  et  ses  prodigalités, 
il  s'était  attiré  le  mécontentement  de  la  nation. 
Il  désertait  les  temples  et  ne  se  montrait  plus 
qu'à  Versailles.  Profitant  de  son  influence,  il 
exerçait  une  tyrannie  insupportable  sur  le  bas 
clergé  et  sur  le  peuple,  se  faisait  craindre  par 
son  intolérance  et  mépriser  par  le  relâchement 
de  ses  mœurs.  » 

Tandis  que  l'évêque  de   Gap   recevait  à  peine 
80011  livres,  celui  de  Séez  en  touchait  34,000,  cé- 
ments corporels  et  recommandé  les  coups  de  plat  I  lui  de  Sisteron  36,0  lO,  celui  de  Rennes  40,000, 
do  sabre.  celui   de  Pamiers  45,000,  celui  d'Autun   50,000, 

L'armée  se  recrutait  :  1°  par  le  racolement;  celui  de  Strasbourg  60,o00,  celui  de  Bordeaux 
2"  par  le  tirage  au  sort.  Les  racoleurs  attiraient  63,0il0,  celui  de  Sens  82.000,  celui  d'Alby  100,000, 
au  cabaret  les  vagabonds  ou  les  imprudents,  les  celui  de  Toulouse  106,000,  celui  de  Narbonne 
enivraient  pour  leur  faire  signer  des  engagements,  I20,0f!0,  celui  de  Rouen  130,000.  Les  plus  grasses 
et  encombraient  ainsi  les  régiments  de  la  lie  des  sinécures  étaient  les  abbayes  des  monastères  : 
grandes  villes.  De  tels  soldats  n'avaient  ni  sen-  on  en  gratifiait  des  jeunes  gens  qui  ne  résidaient 
liment  d'honneur,  ni  patriotisme  :  on  comptait  '  même  pas  dans  leurs  couvents,  on  les  accumulait 
4000   désertions   par   an.    Quant  au  tirage   de  la    sur  les  ménifs  têtes,  de  manière  à   faire  h  M.  de 


milice,  qui  fournissait  des  éléments  plus  sains 
et  plus  honnêtes,  il  pesait  principalement  sur  le 
peuple.  Il  n'y  avait  en  réalité  pas  de  milice; 
c'était  donc  au  régiment  qu'on  envoyait  les  re- 
crues. Cet  impôt  du  sang,  comme  toutes  les 
charges  de  l'ancien  régime,  était  aggravé  par 
une  révoltante  inégalité.  On  exemptait  du  tirage 
non  seulement  les  nobles,  les  clercs,  les  bour- 
geois vivant  noblement,  les  gros  marchands,  les 
employés  de  bureaux,  mais  les  fermiers,  commis 
et  laquais  des  privilégiés  :  on  peut  .ijouter  tous 
ceux  qu'il  plaisait  h  l'intendant  ou  au  subdélégué 
d'exempter.  C'était  en  résumé  Jacques  Bonhomme 
le  paysan  qui,  après  avoir  payé  pour  tous,  par- 
tait à  la  place  de  tous.  La  noblesse  n'en  cOTjli- 
nuait  pas  moins  à  s'exempter  des  contributions 
sous  prétexte  qu'elle  payait  de  son  sang. 

Étant  admis  qu'on  n'envoyait  au  régiment  que 
les  pauvres  diables  sans  appui  et  sans  protection, 
qui  n'étaient  même  pas  valets  d'un  procureur, 
la  milice  ne  pouvait  être  pour  le  paysan  qu'un 
objet  d'horreur  et  le  nom  de  milicien  qu'un 
terme  de  mépris.  On  cherchait  h  se  dérober  au 
service  par  tous  les  moyens  possibles  :  la  ma- 
réchaussée n'était  occupée  qu'à  donner  la  chasse 
aux  réfractaires.  Comme  la  fuite  d'une  recrue  aug- 
mentait les  risques  du  tirage,  les  paysans  eux- 
mêmes  cliercliaient  à  rattraper  le  fugitif  : 

«  Chaque  tirage,  raconte  Turgot,  donnait  le  si- 
gnal des  plus  grands  désordres  et  d'une  sorte 
de  guerre  civile  entre  les  paysans,  les  uns  se  ré- 
fugiant dans  les  bois,  les  autres  les  poursuivant 
à  main  armée  pour  enlever  les  fuyards.  Les  meur- 
tres, les  procédures  criminelles  se  multipliaient 
et   la  dépopulation  en    était   la  suite.   Lorsqu'il 


Bohan  jusqu'à  4(iO,000  livres  et  à  M.  de  Brienna 
jusqu'à  678,000  livres  de  revenu.  L'abbé  de  Ver- 
mond,  prêtre  autrichien,  lecteur  de  Marie-.\n- 
toinette,  touchait  60,1^00  livres  par  an,  sans  met- 
tre le  pied  dans  aucune  de  ses  abbayes. 

Dans  les  cures,  il  y  avait  presque  toujours  un 
curé  titulaire,  abbé  de  monastère,  grand  seigneur 
ecclésiastique,  qui  touchait  les  dîmes  et  les  gros 
revenus,  mais  se  souciait  peu  de  dire  la  messe 
à  des  paysans.  11  prenait  à  sa  solde  un  pauvre 
diable  d'ecclésiastique  auquel  il  allouait  quelques 
centaines  de  livres  sous  le  nom  portion  congrue, 
et  qui  se  chargeait  de  prêcher,  baptiser,  marier 
et  enterrer  ses  paroissiens.  La  misère  de  ces  pas- 
teurs contrastait  si  scandaleusement  avec  le  luxe 
du  haut  clergé  que  Voltaire  les  prenait  en  pitié  : 
«  Je  plains,  disait-il,  le  curé  à  portion  congrue  à 
qui  des  moines,  nommés  gros  décimateurs,  osent 
donner  un  salaire  de  quarante  ducats  pour  aller 
faire,  toute  l'année,  à  deux  ou  trois  milles  de  sa 
maison,  le  jour,  la  nuit,  au  soleil,  à  la  pluie,  dans 
les  neiges,  au  milieu  des  glaces,  les  fonctions  les- 
plus  pénibles  et  les  plus  désagréables.  »  Voilà 
ce  que  les  curés  d'aujourd'hui,  qui  jouissent  des 
bienfaits  de  la  Révolution,  ne  devraient  jamais  ou- 
blier. 

Tandis  que  les  abbés  ou  les  abbesses  de  noble 
famille  retrouvaient  au  couvent  les  plaisirs  et  le» 
hommages  du  monde,  les  simples  religieux  ou  re- 
ligieuses formaient  une  nouvelle  variété  de  mal- 
heureux. Les  jeunes  gens  ou  les  jeunes  filles  étaient 
ordinairement  conduits  au  couvent  par  une  vo- 
cation prématurée,  par  les  entraînements  et  l'in- 
exporience  de  l'adolescence,  plus  souvent  par  les 
calculs  intéressés  des  familles  qui  voulaient  sodé- 


RÉVOLUTIOiN  FRANÇAISE    —  1863  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


barrasser  dos  cadHts  et  des  filles  afin  d'avantager 
les  aînés.  Une  fois  entrés  dans  le  monastère,  ils 
n'en  pouvaient  plus  sortir.  Ils  étaient  frappés  de 
mort  civile,  c'esi-Ji-dire  qu'ils  n'avaient  plus  droit 
h  l'héritage  do  leurs  parents.  Contre  leur  velléité 
de  liberté,  contre  leur  nostalgie  du  monde  ou  du 
mariage,  le  bras  séculier  venait  en  aide  aux  ana- 
tbèmos  de  l'Eglise  ;  le  moine  fugitif  était  ramené 
par  la  maréchaussée.  Suivant  l'humour  des  supé- 
rieurs, le  relâchement  do  la  discipline  pouvait  aller 
jusqu'il  la  licence  ou  la  rigueur  de  la  règle  dégé- 
nérer en  cruauté.  L'abbé  titulaire,  surtout  dans 
les  couvents  riches,  était  un  mondain  qui  allait 
vivre  à  la  cour  des  revenus  de  la  communauté  et 
qui,  pour  les  accroître,  exploitait  la  plèbe  mona- 
cale, obligeait  ses  frères  à  des  jeûnes  sévères.  S'il 
résidait  au  couvent,  c'était  souvent  un  tyran  do- 
mesiique  qui  mettait  la  patience  de  ses  subor- 
donnés k  de  rudes  épreuves.  Dans  le  secret  impéné- 
trable du  cloître,  il  avait  Ji  sa  disposition,  contre 
les  caractères  et  les  esprits  trop  indépendants,  le 
fouet,  les  privations,  le  cachot.  Du  reste,  il  y  avait 
les  couvents  aristocratiques,  où  l'on  n'admettait  à 
faire  vœu  d'humilité  que  les  cadets  et  les  filles  de 
lière  noblesse,  et  les  couvents  de  moindre  re- 
nom, où   s'abritaient  les  vocations  plébéiennes. 

VIII.  —  L'agriculture,  le  commerce  et  l'indus- 
trie. —  Avant  do  parler  de  l'administration  des  im- 
pots, il  faut  voir  à  quel  point  la  matière  imposable 
avait  été  appauvrie  et  quelles  servitudes  pesaient 
sur  l'agriculture,  le  commerce  et  l'industrie. 

Nous  avons  vu  que  le  paysan  payait  pour  tout  le 
monde  et  que  môme  il  p  lyait  i  tout  le  monde  :  au 
roi,  les  impôts;  au  clergé,  la  dîme;  à  la  noblesse, 
les  droits  féodaux  ;  que,  tandis  que  la  noblesse 
s'exemptait  des  impôts  sous  prétexte  du  service 
militaire,  c'était  lui  cependant  qui  principalement 
recrutait  l'armée  ;  qu'il  avait  à  supporter  en  même 
temps  la  corvée  royale  et  la  corvée  seigneuriale, 
qu'il  nourrissait  le  gibier  du  roi  et  les  pigeons  du 
gentilhomme.  Personne  ne  lui  venait  en  aide  :  à 
l)eine  s'il  existait  des  chemins  vicinaux.  La  charge 
était  si  excessive  qu'elle  ruinait  la  production  ;  le 
paysan,  appauvri,  s'en  tenait  h  un  outillage  im- 
parfait, pratiquait  une  agriculture  qui,  au  dire 
d'un  agronome  anglais,  rappelait  celle  du  x"  siè- 
cle, n'élevait  plus  de  bétail,  ne  fumait  plus  la 
terre;  le  sol  épuisé  ne  se  réparait  plus.  Dans 
certains  pays,  les  vexations  exercées  par  les  agents 
des  contributions  indirectes  faisaient  que  le  cam- 
pagnard désespéré  arrachait  les  vignes.  S'il  plan- 
tait la  pomme  de  terre,  nouvellement  importée 
d'Amérique,  aussitôt  l'Eglise  s'en  faisait  par  les 
tribunaux  attribuer  la  dîme.  Aussi  les  économis- 
tes constataient  que  le  quart  du  sol  restait  en  fri- 
che ;  qu  enTouraiue,  en  Poitou,  en  Berry,  s'éten- 
daient des  solitudes  de  30  OOJ  et  40  000  arpents  ; 
que  les  deux  tiers  de  la  Bretagne,  que  la  moitié 
des  provinces  du  centre  n'étaient  point  cultivées  ; 
que  la  Sologne,  autrefois  florissante,  redevenait 
marécage  et  forùt  ;  qu'en  beaucoup  de  régions  le 
désert  se  faisait  et  que  la  terre  retournait  à  l'état 
sauvage  ;  que  la  race  française  devenait  chétive  et 
diminuait  en  nombre.  Devant  ce  lamentable  ta- 
bleau, on  pense  au  mot  de  Montesquieu  :  «  Les 
terres  rendent  moins  en  raison  de  leur  fertilité 
que  de  la  liberté  de  leurs  habitants.  » 

Le  commerce,  que  les  gentilshommes  regar- 
daient comme  une  occupation  déshonorante,  était 
entravé  par  les  douanes  intérieures,  par  la  diver- 
sité des  monnaies,  des  poids  et  mesures,  par  les 
restrictions  apportées  à  la  circulation  des  grains, 
par  le  monopole  des  grandes  compagnies  :  jusqu'à 
l'année  mo,  la  compagnie  des  Indes  avait  seule 
droit  de  faire  le  négoce  dans  les  mers  d'Orient. 
Les  autres  compagnies  étaient  abolies  depuis  tiop 
peu  de  temps  pour  que  l'initiative  privée  eût  pu 
!>e  développer. 


L'industrie  restait  soumise  au  régime  des  corpo- 
rations ;  à  la  tète  de  chaque  corporation  il  y  avait 
une  jurande  ou  maîtrise,  composée  des  jurés,  syn- 
dics ou  maîtres.  Pour  exercer  n'importe  quel  mé- 
tier ou  industrie,  il  fallait  être  mnitre.  La  charge 
de  maître  charpentier  ou  de  maître  drapier  devait 
être  payée  au  roi  tout  comme  celle  de  capitaine,  de 
conseiller  au  parlement  ou  d'échevin  municipal  : 
on  ne  pouvait  devenir  maître  qu'en  achetant  cette 
charge  à  un  maître  ou  en  obtenant  du  roi  une 
lettre  de  maîtrise,  qui  valait  entre  200')  et  .3500 
livres.  Il  fallait  en  outre  passer  par  les  grades  d'ap- 
prenti et  de  compagnon.  L'apprenti.-sage  durait 
longtemps  :  dans  certaines  professions  dix  ou 
douze  ans.  Puis  on  restait  une  vingtaine  d'années 
compagnon,  travaillant  sous  les  ordres  et  pour 
le  compte  d'un  autre  ;  on  faisait  le  chef-d'œuvre, 
qui  devait  Cire  admis  par  la  jurande;  enfin  on 
payait  une  coûteuse  bienvenue  à  tous  les  confrè- 
res. Los  délais  étaient  abrégés  lorsqu'on  était  fils  de 
maître,  ou  qu'on  épousait  la  flile  ou  la  veuve  d'un 
maître.  Remarquons  qu'une  lettre  de  maîtrise  n'a- 
vait de  valeur  que  dans  une  ville  déterminée  et 
qu'elle  ne  permettait  pas  à  l'industriel  lyonnais, 
par  exemple,  d'aller  s'établir  à  Marseille  ou  à 
Paris. 

Les  métiers  étaient  rigoureusement  séparés.  Le 
bonnetier  qui  s'avisait  de  fabriquer  un  chapeau 
avait  un  procès  contre  toute  la  corporation  des 
chapeliers.  Les  attributions  des  métiers  étant  mal 
définies,  les  corporations  dépensaient  un  million 
par  an,  rien  que  dans  Paris,  h  plaider  les  unes 
contre  les  autres,  pâtissiers  contre  boulangers, 
tailleurs  contre  fripiers,  cordonniers  contre  save- 
tiers, poulaillers  contre  rôtisseurs.  (V.  ludu'tvie.) 
L'administration,  s'étant  avisée  de  réglementer 
les  produits  de  l'industrie,  entravait  tous  les  per- 
fectionnements :  le  drapier  qui  augmentait  ou  di- 
minuait le  nombre  de  fils  dans  une  pièce  d'étoffes, 
le  chandelier  qui  mêlait  de  la  graisse  de  vache  au 
suif  du  mouton,  le  chapelier  qui  mêlait  de  la  soie 
au  castor,  quand  bien  même  ils  annonçaient  loya- 
lement au  public  un  produit  nouveau  et  moins 
coûteux,  étaient  frappés  de  grosses  amendes,  pri- 
vés de  leurs  maîtrises  ;  leur  marchandise  était 
clouée  au  pilori,  brûlée  en  place  publique. 

La  royauté  intervenait  sans  cesse  dans  le  travail 
national  pour  le  contrarier,  multipliant  les  em- 
plois inutiles  ou  ridicules  qu'elle  vendait  fort  cher, 
créant,  par  exemple,  des  visiteurs  et  langueyeurs 
de  porcs,  des  jures  cribleurs  de  blé,  des  visiteurs 
de  foin,  des  conseillers  du  roi  mesureurs  du 
bois  de  chauffage,  des  jurés  crieurs  héréditaires 
d'enterrements,  des  contrôleurs  de  perruques,  etc. 
Pontchartrain,  sous  Louis  XIV,  vendit  h,  lui  seul 
40  000  de  ces  emplois. 

Toute  espèce  de  production  était  ainsi  arrêtée 
dans  son  développement  ;  des  impôts  excessifs  et 
vexatoires  achevaient  de  la  ruiner.  Bien  que  le 
total  des  impôts  fût  alors  quatre  fois  moins  consi- 
dérable qu'aujourd'hui,  ils  écrasaient  le  peuple 
parce  qu'ils  étaient  mal  assis,  que  le  système  de 
répartition  et  de  perception  était  mauvais,  et  qu'ils 
portaient  sur  une  part  restreinte  du  sol,  de  la  popu- 
lation, de  la  richesse. 

IX.  —  Administration  financière.  —  Lu  taille, 
arbitrairement  fixée  par  le  roi,  arbitrairement  ré- 
partie entre  les  communes  par  les  intendants, 
était  perçue  par  les  colledews.  Les  collecteurs 
étaient  des  contribuables,  à  qui  on  imposait  cette 
fonction  désagréable  et  qui  répondaient  sur  leurs 
biens  du  rendement  de  l'impôt  :  ils  étaient  forcés 
de  ménager  les  puissants,  chargeaient  d'autant 
plus  les  pauvres,  et  s'inspiraient  trop  souvent  de 
leurs  affections  ou  de  leurs  inimitiés,  (jomme  ils 
étaient  à  la  lois  victimes  et  tyrans,  la  taille  était 
perçue  par  eux  avec  une  extrême  rigueur.  L'in- 
solvable se  voyait  enlever  ses  bardes,  ses  meu- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


1864 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


bles,  son  lit,  jusqu'au  plancher  de  sa  chambre  et 
aux  tuiles  de  son  toit. 

La  cnpilalion,  qui  n'atteignait  que  faiblement 
les  privilégiés,  que  le  clergé  esquivait  en  votant 
des  dom  gratuits,  était  ruineuse  pour  le  peuple  : 
un  pauvre  journalier,  qui  gagnait  dix  souspar  jour, 
payait  jusqu'à  huit  et  dix  livres  et  même,  par 
exemple  en  Bourgogne,  dix-huit  ou  vingt  livres  de 
capitation.  Il  en  était  de  même  pour  les  vinr/tièmes. 
Pour  la  gabelle,  ou  impùt  du  sel,  on  distinguait 
les  pays  de  grande  gabelle,  pays  de  petite  ga- 
belle, pays  francs,  pays  rédimés.  Dans  les  pays 
de  grande  gabelle,  le  sel  se  payait  de  5.')  i  tiO 
livres  le  quintal  ;  dans  les  pays  de  petite  ga- 
belle, 28  livres;  dans  les  pays  rédimés,  9  livres, 
dans  les  pays  francs,  de  2  h  7  livres.  Pour  con- 
server cette  inégalité  de  régime,  l'administration 
interdisait  de  transporter  le  sel  d  un  pays  dans 
un  autre.  Sur  les  rivages,  pour  maintenir  le  prix 
fixé,  les  agents  de  la  gabelle  rejetaient  dans  les 
flots  le  sel  formé  par  la  mer.  Chaque  liabitant  du 
royaume,  au-dessus  de  sept  ans,  était  astreint  à 
en  payer  une  quantité  déterminée,  qu'on  appe- 
lait le  sel  ilu  decoir  et  qui  était  généralement  fixé 
à  la  quantité  de  sept  livres  par  tête. 

Le  régime  de  la  gabelle  ne  se  maintenait  que 
par  des  perquisitions  constantes  et  des  pénalités 
rigoureuses.  Était  réputé  fraudeur  ou  faux  sau- 
sier  quiconque  employait  à  un  autre  usage  le  sel 
acheté  pour  sa  consommation  personnelle,  le 
paysan  qui  épargnait  son  sel  pour  saler  son  porc, 
celui  qui  employait  le  sel  du  poisson  salé,  etc. 
Les  faux  sauniers  étaient  fouettés,  envoyés  aux 
galères,  et,  en  cas  de  récidive,  pendus.  Il  y  avait, 
en  moyenne,  2  ou  3000  arrestations  par  an  :  les 
prisons  regorgeaient.  La  haine  du  peuple  contre 
le  gahelou  a  survécu  au  système  :  Mandriji,  le 
hardi  capitaine  de  faux-sauniers,  était  au  xviii' 
siècle  le  héros  favori  des  légendes  populaires.  Le 
comte  de  Provence,  plus  tard  Louis  XVIIl,  ne 
craignit  pas  de  dire,  en  1788,  à  l'assemblée  des 
notables  :  i>  La  gabelle  est  un  impôt  dont  les  effets 
sont  si  effrayants  qu'il  n'est  pas  un  bon  citoj'en 
qui  ne  voulût  contribuer,  fût-ce  d'une  partie  de 
son  sang,  à  l'abolition  d'un  pareil  régime.  » 

Les  aides,  ou  impôts  sur  les  boissons  et  con- 
sommations, donnaient  lieu  b.  la  même  inquisi- 
tion, aux  mêmes  vexations.  Les  aiites  présentent 
avec  la  gabelle  ce  trait  commun  qu'elles  ne  sont 
pas  perçues  par  des  agents  du  roi,  mais  par  les 
agents  de  la  Ferme,  compagnie  de  financiers  qui, 
moyennant  une  somme  payée  au  trésor,  avaient  le 
droit  d'extorquer  au  peuple  tout  ce  qu'ils  pou- 
vaient lui  arracher.  Les  contribuables  payaient 
toujours  trois  ou  quatre  fois  plus  que  no  recevait 
le  trésor.  Quand  le  droit  d:  joyeux  avénenimt 
fut  atfermé  en  1715,  les  traitants  payèrent  au  roi 
20  millions  et  firent  suer  au  peuple  10  millions. 
Le  gouvernement  n'intervenait  pas  dans  les  dé- 
mêlés entre  la  Ferme  et  ses  sujets  :  pour  comble 
d'iniquité,  c'étaient  des  juges  spéciaux,  nommés, 
payés  par  la  Ferme,  qui  statuaient  sur  les  procès 
entre  la  Ferme  et  les  contribuables  et  prouvaient 
leur  complaisance   par  leurs  sévérités. 

X.  —  L'instruction  publique.  —  Voyons  ce  qu'a 
fait  l'ancien  régime  pour  l'éducation  nationale. 
Un  lait  suffit  à  juger  son  œuvre,  c'est  que  le 
peuple  en  1789  ne  savait  ni  lire,  ni  écrire  et  que, 
plus  de  quarante  ans  après,  quand  M.  Guizot  fit 
la  loi  de  1833,  on  constata  que  la  moitié  des  con- 
scrits étaient  absolument  illettrés.  Malgré  l'éclat  des 
lettres  sous  Louis  XIV,  malgré  la  gloire  de  Cor- 
neille, Racine,  Molière,  Montesquieu,  Voltaire,  on 
peut  dire  qu'au  xvni'^  siècle,  après  une  si  longue 
tutelle  exercée  par  l'Église  sur  les  intelligences, 
le  peuple,  dans  ses  masses  profondes,  était  resté 
à  l'état  absolument  barbare. 
Pour  l'instruction  primaire,  il  y  avait  quelques 


écoles  dans  les  villes,  et  cependant  on  pouvait 
parier  que  «  sur  cinq  bonnes  bourgeoises,  assises 
à  une  table  somptueusement  servie,  aucune  ne 
saurait  compter  jusqu'à  quatre.  »  Dans  la  plupart 
des  villages,  il  n'y  avait  même  pas  d'écoles.  Le 
syndic  do  la  commune  souvent  ne  sait  pas  lire; 
on  trouve  parfois  dans  les  registres  cette  mention  : 
a  Pour  avoir  pris  un  homme  pour  dresse  du  pré- 
sent compte,  pour  n'avoir  l'usage  d'écrire  :  trois 
livres  >..  Les  registres  de  l'état  civil,  tenus  par  le 
curé,  portent,  au  lieu  de  signatures,  des  milliers 
de  croix.  Çà  et  là,  quelque  prêtre  réunissait  à  son 
presbytère  trois  ou  quatre  enfants  choisis  parmi 
les  mieux  doués;  mais,  s'il  les  instruisait,  c'était 
en  vue  de  les  préparer  au  sacerdoce.  Dans  les 
pays  où  le  culte  catholique  et  le  culte  protestant 
étaient  en  présence,  dans  les  Cévennes  par  exem- 
ple, la  rivalité  confessionnelle  créa  un  certain 
nombre  d'écoles.  Dans  l'est  de  la  France,  notam- 
ment en  Lorraine,  on  comptait  presque  autant  de 
maîtres  d'école  que  de  communes,  liais,  comme 
il  n'y  avait  pas  alors  d'écoles  normalos  pouT  for- 
mer les  instituteurs,  ceux-ci  passaient  un  examen 
peu  sévère  devant  une  commission  nommée  par 
i'évêque  et  recevaient  de  lui  Vapproltation,  ou 
permission  d'enseigner.  Alors  le  maître  d'école  se 
mettait  en  quête  d'un  emploi,  se  présentait  de- 
vant les  municipalités,  donnait  un  échantillon  de 
son  talent  à  chanter  ou  à  calculer,  montrait  son 
écriture  et,  s'il  était  agréé,  signait  un  engage- 
ment. Avec  sa  classe,  il  se  logeait  où  il  pouvait, 
dans  un  grenier,  dans  une  cave,  dans  une  grange; 
il  vivait  d'un  petit  traitement  soit  en  argent,  soit 
en  nature,  d'un  droit  d'écolage  de  quelques  sous 
par  tête  d'écolier,  des  bénéfices  que  lui  rapportait 
son  service  à  l'église,  parfois  d'une  dime  imposée 
sur  un  laboureur,  et  mangeait  tour  à  tour  chez 
les  parents  de  ses  élèves.  Généralement  il  cumu- 
lait ses  fonctions  de  l'église  et  de  l'école  avec 
quelque  profession  manuelle,  comme  celle  de 
tailleur,  cordonnier,  maçon  ou  débitant  de  bois- 
sons. 

L'enseignement  secondaire  se  donnait  dans  les 
collèges.  Les  études  littéraires  y  étaient  médio- 
cres ;  on  s'en  tenait  aux  méthodes  des  jésuites,  et 
l'enseignement  scientifique  restait  fort  eu  arrière 
des  progrès  du  siècle.  Les  châtiments  corporels 
y  étaient  prodigués  sans  ménagement;  on  em- 
ployait, pour  éclairer  les  esprits,  les  verges  et  le 
fouet,  qui  s'est  maintenu  en  Angleterre.  On 
n'avait  pas  d'Ecole  normale  supérieure,  qui  put 
préparer  de  bons  maîtres  et  relever  le  niveau 
de  l'enseignement. 

Pour  l'enseignement  supérieur,  sur  les  vingt- 
trois  universités  patentées  par  le  roi.  bien  peu 
méritaient  ce  nom.  Elles  luttaient  péniblement 
contre  les  prétentions  des  évêques  et  les  empié- 
tements des  ordres  religieux,  qui  prétendaient 
participer  à  la  collation  des  grades.  Les  exercices 
du  culte  catlioliqne  étant  obligatoires,  les  pro- 
testants et  les  juifs  étaient  exclus  des  univer- 
sités. Les  conditions  d'aptitude  aux  grades  étaient 
différentes  suivant  que  l'étudiant  était  noble  ou 
roturier. 

Les  écoles  spéciales  étaient  dans  un  état  dé- 
plorable :  la  faveur,  les  titres  nobiliaires,  et  non 
les  exametis,  décidaient  de  l'entrée  à  l'école 
du  génie  militaire  de  Mézières,  à  l'école  d'artil- 
lerie de  Châlons,  à  l'école  des  ponts  et  chaussées 
et  à  l'école  des  mines  do  Paris.  La  nomination 
des  professeurs  du  Collège  de  France  était  sou- 
mise à  la  signature  du  grand-aumônier.  Les 
Académies  de  province,  fort  aristocratiques  par 
leur  composition,  subsistaient  généralement  de 
quelque  fondation  et  ne  s'occupaient  que  de  lit- 
I  térature.  L'Académie  française  était  lui  salon  où 
des  grands  seigneurs  daignaient  traiter  de  con- 
frères les  beaux-esprits  du  temps.  Seules,  l'Aca- 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


18C5 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


demie  dos  Sciences  et  celle  des  Inscriptions  et 
Belles-lettres  publiaient  des  mémoires  intéres- 
sants. 

Ce  qui  manr|uait  au  système  d'enseignement 
public  sous  l'ancien  régime,  c'était  un  concours 
efficace  et  régulier  de  l'État,  c'était  le  désir  sin- 
cère d'éclairer  le  peuple,  c'était  aussi  la  liberté  : 
Fréret,  membre  de  l'Académie  dos  Inscriptions, 
avait  été  rais  à  la  Bastille  pour  son  Mémnire  sur 
l'ongiiie  dex  Français,  et  l'Église  surveillait  ja- 
lousement toute  science  et  tout  enseignement. 

B.  —  L'iBUvro  de  la  névoliWlon.' 

L'œuvre  de  la  Révolution  s'est  complétée  sous 
quatre  régimes  successifs  :  l»  sous  l'Assemblée  qui, 
convoquée  d'abord  le  5  mai  1789  comme  réunion 
des  Ëtats-Généraux,  s'est  déclarée  Assemblée  natio- 
nale le  n  juin,  a  pris  le  titre  de  Constituante  le 
6  juillet,  et  s'est  séparée  le  3n  septembre  1761  ; 
2"  sous  la  Législative,  qui  a  duré  du  1"  octobre 
1791  au 20  septembre  1792;  3°  sous  la  Convention, 
qui  a  gouverné  du  21  septembre  1792  au  26  octo- 
bre 1795;  4°  sous  le  Directoire,  quia  fonctionné 
du  11  octobre  1795  au  9  novembre  1799  avec  le 
concours  de  deux  assemblées  législatives,  celle 
des  Anciens  et  celle  des  Cinq-Cents. 

De  toutes  ces  asseiublées,  deux  surtout  ont 
contribué  à  accomplir  la  transformation  de  la 
France  :  la  Constituante,  qui  a  rendu  près  de 
4000  décrets  et  opéré  la  grande  révolution  poli- 
tique et  sociale;  la  Convention,  à  qui  nous  som- 
mes redevables  des  grandes  créations  scientifi- 
ques, littéraires  et  artistiques. 

1-  —  Souveraineté  nationale.  — Alatbéoriede 
la  royauté  absolue  de  droit  divin,  traitant  la  nation 
en  sujette,  faisant  seule  la  loi  et  se  mettant  au- 
dessus  des  lois,  l'Assemblée  constituante  opposa  j 
le  principe  de  la  souveraineté  nationale,  formulé  ! 
dans  ces  deux  articles  de  la  Déclaration  des 
droits  de  l'homme  et  du  citoyen  : 

«  Le  principe  de  toute  souveraineté  réside 
♦essentiellement  dans  la  nation.  Nul  corps,  nul 
individu,  ne  peut  exercer  d'autorité  qui  n'en 
émane  expressément. 

«  La  loi  est  l'expression  de  la  volonté  générale. 
Tous  les  citoyens  ont  droit  de  concourir  per- 
sonnellement ou  par  leurs  représentants  à  sa  for- 
mation. )) 

Dans  la  première  constitution  qu'ait  eue  la 
France,  celle  de  1791,  la  royauté  a  déji  changé 
de  nature.  Le  roi,  désormais,  règne  «  par  la  vo- 
lonté nationale  ».  Il  n'est  plus  que  le  premier 
magistrat  du  pays.  Il  ne  peut  plus  faire  la  loi, 
établir  l'impôt,  déclarer  la  guerre,  conclure  la 
paix,  signer  des  traités  de  commerce,  contracter 
des  emprunts,  qu'avec  le  concours  d'une  assem- 
blée composée  des  élus  de  la  nation.  Il  cesse  d'être 
le  propriétaire  des  personnes  et  des  biens  de  ses 
sujets;  la  constitution  substitue  partout  la  loi 
consentie  par  tous  à  l'arbitraire  d'un  seul.  Il  ne 
puise  plus  à  sa  fantaisie  dans  le  trésor,  car  on 
a  fixé  sa  liste  civile  à  35  millions  :  comme  tous 
les  fonctionnaires  publics,  il  reçoit  un  traitement. 
On  l'a  rendu  irresponsable,  précisément  pour  le 
rendre  impuissant;  les  ministres  seuls  sont  res- 
ponsables; les  actes  qu'il  accomplit  par  eux  sont 
justiciables  de  l'Assemblée.  Quoique  sa  charge 
soit  héréditaire,  on  a  déterminé  en  quels  cas  il 
peut  être  déclaré  déchu  du  trû'ie  et  passer  de  la 
condition  de  roi  à  celle  de  sujet. 

Bien  des  constitutions  se  sont  succédé  en 
France  depuis  la  constitution  de  1791  ;  il  y  a  eu,  à 
plusieurs  reprises,  des  essais  de  pouvoir  personnel  ; 
mais  ni  Napoléon  I",  ni  Louis  XVIlf ,  ni  Charles  X, 
ni  Louis-Pliilippe,  ni  Napoléon  III,  n'ont  prétendu 
gouverner  sans  le  concours  d'une  représentation 
nationale.  Depuis  1870,  le  pouvoir  exécutif  a  cessé 


d'être  héréditaire  ;  la  forme  républicaine,  après 
avoir  fait  deux  apparitions,  en  1792,  puis  en  1848, 
s'est  définitivement  implantée  dans  notre  pays. 
Non  seulement  la  royauté  absolue,  mais  la  mo- 
narchie constitutionnelle  nu  représentative  ap- 
partiennent désormais  aux  formes  du  passé. 

La  participation  de  tous  les  citoyens  à  la  for- 
mation de  la  loi  est  devenue  une  réalité  ;  la  cons- 
titution de  1791,  celle  de  l'an  III,  celle  de 
l'an  VIII  ont  établi  le  suffrage  à  deux  degrés  ;  les 
chartes  de  1814  et  de  1830  ont  organisé  le  suf- 
frage restreint;  depuis  1818,  c'est  le  suffrage 
universel  qui  est  la  loi  fondamentale  de  notre 
pays, 

II.  —  Libertés  publiques.  —  L'arbitraire  gouver- 
neiuental  ou  administratif  sont  condamnés,  les  li- 
bertés naturelles  garanties  par  cet  article  de  la 
Déclaration  des  droits,  qui  ne  nous  laissait  rien  à, 
envier  aux  vieilles  libertés  britanniques  : 

«  Nul  homme  ne  peut  être  accusé,  arrêté  ni  dé- 
tenu que  dans  les  cas  déterminés  parla  loi  et  selon 
les  formes  qu'elle  a  prescrites.  Ceux  qui  sollici- 
tent, expédient,  exécutent  ou  font  exécuter  des 
ordres  arbitraires,  doivent  être  punis.  » 

Les  lettres  de  cachet  furent  abolies  ;  lo  secret 
des  lettres  déclaré  inviolable.  On  vit  la  Consti- 
tuante refuser  d'ouvrir  des  lettres  saisies  à  la 
poste  et  qui  contenaient,  disait-on,  la  preuve  des 
complots  tramés  contre  elle. 

La  liberté  de  la  presse,  la  liberté  de  conscience 
furent  dans  la  Déclaration  des  droits,  affirmées  en 
ces  termes  : 

«  Nul  ne  doit  être  inquiété  pour  ses  opinions, 
même  religieuses,  pourvu  que  leur  manifestation 
ne  trouble  pas  l'ordre  établi  par  la  loi. 

«  La  libre  communication  des  pensées  et  des 
opinions  est  un  des  droits  les  plus  précieux  de 
l'homme;  tout  citoyen  peut  donc  parler,  écrire, 
imprimer  librement,  sauf  à  répondre  de  l'abus  de 
cette  liberté  dans  les  cas  déterininés  par  la  loi.  » 
La  constitution  de  1791  garantit  «  la  liberté  à 
tout  homme  de  parler,  d'écrire,  d'imprimer  et 
publier  ses  pensées,  sans  que  ses  écrits  puissent 
être  soumis  à  aucune  censure,  ni  inspection  avant 
leur  publication,  et  d'exercer  le  culte  religieux 
auquel  il  est  attaché;  la  liberté  aux  citoyens  de 
s'assembler  paisiblement  et  sans  armes,  en  sa- 
tisfaisant aux  lois  de  police.  >> 

Si  la  liberté  de  la  presse  a  été  de  nouveau  me- 
nacée, opprimée  môme  à  certaines  époques,  elle 
n'en  est  pas  moins  restée  dans  la  conscience  pu- 
blique comme  une  de  nos  libertés  essentielles. 
La  Révolution  a  fait  mieux  que  de  proclamer  la 
liberté  d'écrire  :  la  Constituante,  puis  la  Convention 
ont  garanti  la  propriété  littéraire,  c'est-Mire 
assuré  à  l'écrivain  et  à  ses  héritiers  le  droii  ex- 
clusif de  retirer  de  son  œuvre  un  profit  légitime, 
La  Révolution  a  garanti  la  propriété  ;  tandis  que, 
sous  l'ancien  régime,  le  roi  confisquait  arbitraire- 
ment les  biens  de  ses  sujets  ;  que,  sous  prétexte 
'  d'utilité  publique,  l'administration  s'arrogeait  le 
droit  d'exproprier  les  citoyens,  sans  jugement,  en 
leur  promettant  une  indemnité  qui  souveiit  no 
leur  était  jamais  payée,  la  Constituante  établissait 
le  jury  d'expropriation  et  ne  permettait  de  tou- 
cher aux  biens  frappés  d'expropriation  pour  cause 
bien  établie  d'utilité  publique,  qu'après  avoir 
préalaOlement  payé  l'indemnité. 

La  Convention  elle-même,  si  impitoyable  pour 
les  droits  féodaux,  ne  permit  pas  qu'on  discutât  le 
principe  de  la  propriété  :  le  18  mars  1793,  elle  dé- 
crétait la  peine  de  mort  contre  quiconque  propo- 
serait la  loi  agraire. 

Quant  ;'i  la  confiscation,  abolie  par  la  Consti- 
tuante, rétablie  par  les  assemblées  révolutionnai- 
res comme  une  arme  contre  les  émigrés,  puis  par 
Napoléon  au  retour  de  l'île  d'Elbe,  elle  a,  depuis 
la  Restauration,  disparu  de  nos  lois. 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1866  —    RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


Le  principe  de  la  liberté  de  conscience  dicta  à 
la  Constituante  une  série  de  mesures  réparatrices 
Yis-à-vis  des  protestants.  Le  décret  du  2i  décem- 
bre 1789  leur  rendit  les  droits  politiques.  Celui  du 
10  juillet  1790  restitua  aux  héritiers  des  fugitifs 
les  biens  qui  avaient  été  confisqués  et  se  trou- 
vaient incorporés  au  domaine  de  l'Etat,  sous  la 
garde  de  la  régie  aux  Oietis  des  relirjionnnires.  On 
respecta  les  biens  possédés  de  bonne  foi  par  des 
catlioliques,  mais  on  dépouilla  ceux  qui  en  jouis- 
saient «  pourprix  de  leurs  services  ii,^titre  de  dé- 
nonciateurs d'iiérétiqucs.  Le  décret  du  9  décem- 
bre 1790  alla  rechercher  sur  la  terre  d'exil  les  re- 
jetons des  proscrits:  il  statua  que  tout  descendant, 
né  en  pays  étranger,  d'un  Français  ou  d'une  Fran- 
çaise expatriés  pour  cause  de  religion,  serait  de 
plein  droit,  s'il  revenait  en  France  et  y  prêtait  le 
serment  civique,  admis  à  jouir  de  tous  les  droits 
attachés  h  la  qualité  de  Français. 

Les  Juifs  furent  en  partie  affranchis  par  le  dé- 
cret du  27  septembre  1791  :  ils  n'avaient  qu'à 
prêter  le  serment  civique  pour  jouir  de  leurs 
droits  politiques.  Cette  condition  ou  cette  res- 
triction fut  abolie  sous  l'empire.  Il  n'y  a  plus  de 
Juifs  en  France,  mais  seulement  des  citoyens 
français  professant  la  religion  juive. 

La  Constituante ,  en  retirant  au  clergé  les 
registres  de  l'état  civil,  en  les  confiant  aux  offi- 
ciers municipaux,  garantit  les  droits  des  dissi- 
dents. En  déclarant  que  o  la  loi  ne  considère  le 
mariage  que  comme  contrat  civil  »,  en  exigeant 
que  le  mariage  civil  précédât  le  mariage  religieux, 
la  Révolution  a  sécularisé  la  famille  et  assuré  la 
liberté  de  conscience  contre  tout  retour  oITensif. 

in.  —  Égalité  entre  tous  les  citoyens.  —  L'éga- 
lité entre  tous  les  citoyens  devenait  ainsi  la  loi  nou- 
velle de  la  France,  et  voici  comme  la  Déclaration 
des  droits  déduisait  les  conséquences  du  principe 
d'égalité  : 

n  Les  hommes  naissent  et  demeurent  libres  et 
égaux  on  droits.  —  Les  distinctions  sociales  ne 
peuvent  être  fondées  que  sur  l'utilité  commune. 

«  La  loi  doit  être  la  même  pour  tous,  soit  qu'elle 
protège,  soit  qu'elle  punisse.  — Tous  les  citoyens 
sont  égaux  à  ses  yeux,  sont  également  admissi- 
bles à  toutes  dignités,  places  et  emplois  publics, 
selon  leur  capacité  et  sans  autre  distinction  que 
celle  de  leurs  vertus  et  de  leurs  talents.  » 

En  conséquence  :  «  Il  n'y  a  plus  ni  noblesse,  ni 
pairie,  ni  distinctions  héréditaires,  ni  distinction 
d'ordres,  ni  régime  féodal,  ni  justices  patrimonia- 
les, ni  aucun  des  titres,  dénominations  et  privi- 
lèges qui  en  dérivaient,  ni  aucun  ordre  de  clieva- 
lerie,  ni  aucune  des  corporations  ou  décoratjjns 
pour  lesquelles  on  exigeait  des  preuves  de  no- 
blesse ou  qui  supposaient  des  distinctions  de 
naissance,  ni  aucune  autre  supériorité  que  celle 
des  fonctionnaires  publics  dans  l'exercice  de  leurs 
fonctions.  » 

Et  on  lit  dans  le  préambule  de  la  constitution 
de  1791  :  «  La  constitution  garantit  comme  droits 
naturels  et  civils  :  1°  que  tous  les  citoyens  sont 
admissibles  aux  places  et  emplois,  sans  autre  dis- 
tinction que  celle  des  vertus  et  des  talents;  — 
2'"  que  toutes  les  contributions  seront  réparties 
entre  tous  les  citoyens  également,  en  proportion 
de  leurs  facultés  ;  —  3°  que  les  mêmes  délits  se- 
ront punis  des  mêmes  peines,  sans  aucune  dis- 
tinction des  personnes.  » 

La  Révolution  avait  trouvé  le  peuple  français 
divisé  en  trois  ordres,  ou  plutôt  en  trois  nations  : 
elle  fit  passer  sur  tous  les  privilèges  et  toutes  les 
distinctions  le  niveau  de  la  loi  commune.  Elle 
détruisit  le  clergé  comme  puissance  temporelle 
et  comme  propriétaire  du  sol  ;  elle  détruisit  le 
pouvoir  de  la  noijiesse,  qui  retenait  encore  sur  les 
personnes  et  sur  les  propriétés  une  partie  des 
son  ancienne  souveraineté  féodale.  La  Déclaration 


des  droits  et  la  constitution  de  1791  ne  firent  que 
sanctionner  les  célèbres  décrets  de  la  nuit  du 
4  aoiit  1789  et  celui  du  19  juin  179(1  qui  avait  aboli 
la  noblesse  héréditaire.  Il  n'y  eut  plus  de  distinc- 
tion ni  pour  les  impôts,  ni  pour  la  justice,  ni 
pour  les  charges  de  la  judicature,  du  clergé,  de 
l'armée,  de  l'administration. 

Ce  fut  une  longue  et  difficile  liquidation  que 
celle  des  droits  seigneuriaux  qui  pesaient  sur  le 
peuple  des  campagnes.  On  s'y  reprit  à  trois  fois  : 
sous  la  Constituante,  sous  la  Législative,  sous  la 
Convention. 

Après  la  nuit  du  4  août,  les  légistes  de  la  Cons- 
tituante s'avisèrent  de  distinguer  entre  les  droits 
seigneuriaux  qui  témoignaient  de  l'ancien  asser- 
vissement du  peuple  par  la  noblesse,  et  ceux  qui 
dérivaient  de  contrats  librement  consentis  entre 
les  propriétaires  nobles  et  les  paysans.  En  d'au- 
tres termes,  ils  établirent  deux  catégories  de  droits 
seigneuriaux  :  ceux  qui  procédaient  de  la  féodalité 
dominante  et  ceux  qui  procédaient  de  la  féodalité 
contriictante. 

Après  la  nuit  du  4  août,  fut  abolie,  sans  iiidem- 
nité  pour  les  propriétaires,  la  première  catégorie 
de  ces  droits  ;  ainsi  disparurent  le  servage,  le 
droit  de  main-morte,  et  toutes  les  obligations, 
plus  ou  moins  odieuses,  qui  rappelaient  l'ancienne 
servitude  :  les  droits  de  chasse,  de  colombier,  de 
garenne,  de  préage,  de  ravage  ;  les  droits  de  déshé- 
rence et  de  bâtardise,  qui  livraient  aux  seigneurs 
l'héritage  de  leurs  sujets  morts  sans  postérité  et 
ceux  des  enfants  illégitimes  ;  le  droit  d'aubaine, 
en  vertu  duquel  ils  acquéraient  l'héritage  des 
étrangers  morts  sur  leur  domaine  ;  le  droit  d'é- 
pave, qui  assurait  aux  seigneurs  de  Bretagne  la 
dépouille  dos  naufragés  ;  la  corvée  seigneuriale, 
la  taille  seigneuriale,  les  banalités  de  pressoir, 
de  moulin,  de  four;  les  péages  sur  les  routes,  les 
rivières,  les  marchés. 

Mais  la  Constituante,  composée  en  majeure  par- 
tie de  nobles  ou  de  bourgeois  qui  exerçaient  des 
droits  seigneuriaux,  n'osa  aller  plus  loin.  Elle  fit 
entrer  dans  la  catégorie  des  droits  procédant  de 
la  féodalité  contractante  beaucoup  de  redevances 
qui  grevaient  encore  les  terres,  telles  que  les  lods 
et  ventes  ou  droits  usue's,  le  cras  ou  rente  sei- 
gneuriale, un  certain  nombre  de  banalités  qu'on 
regardait  comme  la  réconip"nse  de  services  au- 
trefois rendus  par  le  seigneur.  Le  paysan  ne  pou- 
vait s'en  affranchir  qu'en  les  rachetant. 

Le  paysan  se  voyait  donc  obligé  de  payer  comme 
droits  fonciers  les  mêmes  droits  de  mutation  ou 
les  mêmes  rentes  qu'il  payait  auparavant  comme 
droits  féodaux  ou  censuels.  Si  ce  système  avait 
pr-valu,  la  propriété  rurale  restait  surchargée 
de  redevances  énorjnes  ;  elles  se  seraient  accrues 
d'année  en  année  à  mesure  que  la  richesse  pu- 
blique aurait  grandi  ;  elles  auraient  maintenu  la 
1  fortune  nationale  entre  les  mains  de  l'aristocratie 
et  brisé  l'essor  de  notre  démocratie  rurale.  La 
terre  n'était  donc  que  nominalement  affranchie  : 
il  fallait  pousser  plus  loin  la  Révolution. 

Citons  les  mémorables  décrets  par  lesquels 
la  Législative  et  la  Convention  achevèrent  l'é- 
mancipation du  paysan,  et  qui  doivent  se  graver 
dans  la  mémoire  reconnaissante  du  peuple. 

Par  le  décret  du  18  juin  1792,  la  Législative 
déclara  abolis  sans  rachat  «  les  droits  connus 
sous  les  noms  de  quint,  re(/uiiit,  treizième,  lods 
et  treizains,  lods  et  vnles  et  isuies,  mi-lods,  ra- 
chaps,  ventioles,  reliefs,  releraisons,plaids-acapte, 
arriére-acapte  et  autres,  sous  quelque  dénomina- 
tion que  ce  soit,  qui  se  percevaient  i  cause  des 
mutations  qui  survenaient  dans  la  propriété  ou  la 
possession  d'un  fonds,  sur  le  vendeur,  l'acheteur, 
les  donataires,  les  héritiers  et  tous  autres  ". 

Elle  ne  maintint,  en  fait  de  droits  casuels,  que 
ceux  dont  le  propriétaire  pourrait  établir,  par  des 


REVOLUTION  FRANÇAISE    —  1867  —    RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


titres,  qu'ils  étaient  le  prix  ou  la  condition  d'une 
cession  de  terre. 

Par  le  décret  du  25  août  1702,  la  Législative, 
0  considérant  (|U0  le  régime  féodal  est  aboli, 
que  néanmoins  il  subsiste  dans  ses  effets,  et  que 
rien  n'est  plus  urgent  que  de  faire  disparaître  du 
sol  français  ces  décombres  de  la  servitude  qui 
couvrent  et  dévorent  les  propriétés,  décrète  qu'il 
y  a  urgence:  —  Tous  les  effets  qui  peuvent  avoir 
été  produits  par  la  maxime  nulle  terre  sans  sei- 
gneur, par  celle  de  l'enclave,  par  les  statuts,  cou- 
tumes et  règles,  soit  générales,  soit  particulières, 
qui  tiennent  à  la  féodalité,  demeurent  comme  non 
avenus  ». 

Les  banalités  que  la  Constituante  avait  réser- 
vées furent  alors  abolies  sans  rachat  ;  tout  pro- 
priétaire devint,  sans  aucunes  condiiionsni  réser- 
ves, le  maître  de  sa  terre. 

La  Convention,  h  son  tour,  par  la  loi  dn  17  juil- 
let ni)3,  va  plus  loin  :  elle  abolit  même  les  droits 
(■asiiels  que  la  Législative  avait  conservés,  même 
ceux  qui  avaient  été  le  prix  ou  la  condition  d'une 
acquisition  de  terre.  Elle  n'admet  plus  que  la 
féodalité  ait  jamais  élô  conlracfanie  ;  elle  entend 
abolir  jusqu'à  son  nom  et  à  sa  mémoire.  Pour 
cmpêclier  qu'on  puisse  revenir  sur  celte  abolition, 
lu  Convention  décrète  a  que  tous  les  titres  féodaux 
ilevront  être  déposés  dans  les  trois  mois  au  greffe 
des  municipalités  et  qu'ils  seront  brûlés  en  pré- 
sence du  conseil  général  et  de  tous  les  citoyens.  « 
Kn  vertu  de  cette  loi,  le  10  août  179."!,  il  y  eut  sur 
toute  la  surface  de  la  France  comme  un  immense 
feu  de  joie  de  tous  ces  titres  qui  avaient  coûté 
au  peuple  de  France,  pendant  des  siècles,  tant 
de  sueurs  et  de  larmes. 

Enfin,  le  7  septembre  1793,  la  Convention  pro- 
mulgue ce  décret  : 

«  La  Convention  nationale  décrète  qu'aucun 
Français  ne  pourra  percevoir  des  droits  féodaux 
et  des  redevances  de  servitude,  en  quelque  lieu 
de  la  terre  que  ce  puisse  être,  sous  peine  de 
dégradation  civique.  » 

La  féodalité,  cet  arbre  maudit  qui  avait  si  long- 
temps stérilisé  le  sol  français,  en  fut  ainsi  extirpé 
jusqu'en  ses  dernières  racines.  Le  paysan  fran- 
çais devint  enfin  libre  dans  sa  personne  et  dans 
son  bien.  Lui-même  a  peine  il  s'imaginer  aujour- 
d'hui tout  ce  que  la  féodalité  et  l'ancien  régime 
ont  fait  souffrir  à  ses  devanciers. 

Une  autre  révolution  se  fit  dans  la  propriété 
française.  Non  seulement  la_ dîme  fut  abolie,  sans 
racliat,  mais  les  biens  d'Église  furent  déclarés 
biens  nationaux  et  mis  en  vente.  Quand  la  Légis- 
lative décréta  la  confiscation  des  biens  des  émi- 
grés qui  avaient  pris  les  armes  contre  la  France, 
ce  fut  une  masse  nouvelle  de  terres  qui  s'ajouta 
aux  biens  nationaux.  Le  décret  du  14  août  1792  pres- 
crivit de  les  vendre  par  petits  lots  do  deux,  trois 
et  quatre  arpents,  pour  que  le  plus  pauvre  paysan 
pût  s'en  rendre  acquéreur.  L'émission  des  assi- 
gnats et  plus  tard  des  mandats  territoriaux  permit 
au  cultivateur  d'acheter  à  vil  prix  les  terres  qu'il 
avait  cultivées  pendant  tant  de  siècles  pour  le 
compte  des  évéques,  dos  moines  et  des  seigneurs. 
Le  décret  du  10  juin  1793  autorisa  en  outre  le 
partage  des  biens  communaux  si  le  tiers  des  habi- 
tants se  prononçait  pour  cette  mesure.  Des  mil- 
lions de  campagnards  deviurentainsi  propriétaires. 
Les  acquisitions  de  biens  nationaux  furent  le  lien 
puissant  qui  attacha  le  paysan  h  la  Révolution  ; 
c  est  pour  défendre  à  la  fois  les  droits  de  l'homme 
et  sa  propriété  nouvelle  qu'il  s'arma  contre  les 
émigrés  et  les  armées  coalisées.  Conijne  on  le 
disait  en  1791,  la  propriété  lui  fut  donnée  comme 
a  la  dot  de  la  constitution  »  et  comme  le  pre- 
mier bienfait  de  la  liberté.  Une  France  nouvelle 
sortit  de  cette  révolution  agraire,  et  la  démocra- 
tie rurale  de  France,   la  plus  puissante  qu'il  y 


ait  dans  le  monde,  grandit  sur  ce  sol  par  elle  re- 
conquis. 

IV.  —  Administration  départementale  et  mu- 
nicipale. —  Ue  même  que  nous  avons  pu  retrouver 
dans  toutes  les  branches  do  l'administration  et  de 
la  vie  publi(|ue  l'application  de  ces  deux  princi- 
pes sur  lequel  reposait  l'ancien  régime,  c'est-à- 
dire  arbitraire  et  privilège,  nous  allons  suivre 
dans  toutes  les  lois  de  la  Itévolution  l'application 
dosa  double  devise  :  liberté  et  égalité. 

Dans  la  nuit  du  4  août  les  provinces  et  les  villes 
avaient  renoncé  à  leurs  privilèges.  Pour  abolir 
jusqu'au  souvenir  des  anciennes  distinctions  ter- 
ritoriales, dos  anciennes  autonomies,  des  ancien- 
nes dynasties,  des  rivalités  et  des  haines  locales, 
l'Assemblée  constituante  décréta,  le  20  janvier 
n90,  la  nouvelle  division  territoriale  de  la 
France.  Les  vieux  noms  historiques  des  provinces 
disparurent  de  la  langue  administrative.  Les  X3  dé- 
partements ne  portèrent  d'autres  noms  que  ceux 
qu'ils  empruntaient  aux  montagnes,  aux  cours 
d'eau  et  autres  particulariiés  de  leur  topographie. 
Ils  se  subdivisèrent  en  districts  ou  arrondisse- 
ments; les  districts  en  cantons;  les  cantons  en 
communes.  Alors  l'unité  nationale,  ébauchée  par 
les  plus  grands  de  nos  rois,  se  trouva  consommée. 
Il  n'y  eut  plus  des  Bretons,  des  Flamands,  des 
Alsaciens,  des  Provençaux  :  il  n'y  eut  plus  que  des 
Français  ayant  tous  les  mêmes  devoirs  et  les 
mêmes  droits. 

Le  principe  d'un  contrôle  du  pouvoir  exécutif 
par  des  pouvoirs  élus  se  retrouve  à  tous  les  de- 
grés de  la  hiérarchie  politique.  La  Constituante 
supprima  les  intendants  et  les  subdélégués  et  les 
remplaça  par  des  autorités  électives:  le  départe- 
ment était  administré  par  le  conseil  de  départe- 
ment et  le  directoire  di'partemental,  surveillés 
par  l'assemblée  de  leurs  électeurs;  le  district  par 
le  conseil  et  le  directoire  de  district  ;  la  commune, 
par  un  corps  municipal,  composé  du  cotiseil  gé- 
néral de  la  commune  et  d'un  bureau  exéciiti/", 
c'est  à-dire  d'un  maire,  d'un  procureur,  d'un 
greffier  et  d'un  trésorier.  Le  Premier  consul,  en 
l'an  Vlll,  renforça  dans  cette  organisation  l'auto- 
rité du  pouvoir  central  :  il  établit  des  préfets  et  des 
sous-préfets,  créades  tribunaux  administratifs  sous 
le  nom  de  conseils  de  préfecture,  et  s'attribua  la 
nomination  des  maires;  mais  à  côté  d'eux  subsis- 
tèrent les  conseils  généraux,  les  conseils  d'arron- 
dissement et  les  conseils  municipaux  ;  depuis  cette 
époque  les  attributions  des  conseils  généraux  et 
municipaux  se  sontaccrues,  et  l'élection  des  maires, 
sauf  dans  les  grandes  villes,  a  été  restituée  aux 
communes.  Les  principes  de  liberté  et  de  contrôle 
posés  par  la  Constituante  n'ont  donc  jamais  été, 
à  aucune  époque,  complètement  répudiés,  et  ils 
ont  fini  par  triompher  dans  les  administrations 
locales  comme  dans  le  gouvernement  central. 

La  modification  apportée  par  le  Premier  consul 
à  l'organisation  créée  par  la  Constituante  n'était  pas 
inutile.  Cette  assemblée,  préoccupée  surtout  d'as- 
surer la  liberté,  avait  affaibli  à  l'excès  le  pouvoir 
central  ;  celui-ci  n'avait  presque  aucune  action 
bur  les  départements  et  les  communes;  auprès  du 
directoire  du  département  ou  du  conseil  de  la 
commune,  il  n'avait  pas,  comme  agents  directs, 
un  maire  ou  un  préfet  chargés  de  l'exécution  des 
lois,  mais  seulement  des  procureurs  chargés  d'en 
requérir  l'exécution.  Les  directoires  et  les  com- 
munes pouvaient  donc  entraver,  par  inertie  ou 
malveillance,  les  mesures  les  plus  essentielles  à 
la  défense  du  territoire  ou  à  la  mise  en  vigueur 
des  réformes.  La  Constituante  eut  à  lutter  en 
effet  contre  les  administrations  royalistes;  la  Lé- 
gislative, où  domiiiaienl  les  Girondins,  contre  les 
administrations  constitutionnelles  ou  feuillantes; 
la  Convention,  après  le  triomphe  de  la  Mon- 
tagne, contre  les  administrations  girondines,  les 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1868  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


provinces  se  trouvant  toujours  un  peu  en  retard 
sur  le  mouvement  parisien.  C'est  ce  qui  explique 
l'impuissance  de  la  Législative  à  assurer  l'ordre 
à  Paris  même,  et  les  mesures  exceptionnelles  et 
terribles  auxquelles  fut  obligée  de  recourir  la 
Convention  pour  assurer  la  défense  nationale,  le 
recrutement  des  armées,  la  levée  de  1  impôt,  la 
mise  en  vente  des  biens  nationaux,  le  cours  forcé 
des  assignats.  La  Convention  fut  contrainte  do 
suppléer  à  l'absence  d'agents  directs  du  pouvoir 
par  l'envoi  des  représentants  en  mission,  de  mfme 
qu'elle  dut  suppléer  à  l'inertie  des  tribunaux  par 
l'établissement  de  la  justice  révolutionnaire. 

V.  —  Réforme  de  la  justice  et  de  la  législation. 
—  La  Constituante  supprima  les)  parlements,  qui 
étaient  des  foyers  d'opposition  à  ses  réformes; 
«lie  supprima  les  tribunaux  de  second  ordre,  les 
juridictions  extraordinaires  du  roi,  toutes  les 
justices  seigneuriales,  ecclésiastiques,  munici- 
pales. Elle  lit  table  rase  de  toutes  ces  anciennes 
institutions  qui  n'étaient  plus  que  les  débris 
anarcbiques  des  pouvoirs  féodaux,  et  qui  ne  ser- 
vaient plus  qu'à  entraver  l'action  de  la  justice  et 
à  vexer  les  justiciables. 

Par  la  loi  du  16  août  1790,  elle  disposa  qu'il 
y  aurait  un  tribunal  par  district.  Il  n'y  avait  plus 
de  parlements  et,  pour  ne  pas  les  restaurer  sous 
un  autre  nom,  elle  n'établit  pas  de  cours  d'appel. 
L'appel  était  porté  d'un  tribunal  de  district  à  un 
autre  tribunal  de  district,  choisi  contradictoire- 
ment  par  les  parties  sur  une  liste  do  sept  tribu- 
naux. Seulement,  comme  l'idée  d'un  appel  suggère 
naturellement  l'idée  d'une  juridiction  plus  haute 
et  d'une  compétence  supérieure,  il  y  avait  réelle- 
ment une  lacune  dans  la  hiérarchie  judiciaire  de 
la  Constituante;  elle  fut  comblée  par  le  Premier 
consul  qui  établit  des  cours  d'appel. 

En  revanche,  l'organisation  décrétée  par  la  Con- 
stituante présente  deux   particularités  originales. 

Elle  instituait,  au  sommet  de  la  hiérarchie 
judiciaire,  une  Cour  de  cassation  qui  devait  sta- 
tuer uuiqucment  sur  les  vices  de  forme  et  sur 
l'interprétation  des  lois.  La  Cour  de  cassation 
assurait  l'unité  de  jurisprudence,  en  même  temps 
que  le  Code  civil  allait  assurer  l'unité  de  législa- 
tion. 

L'autre  innovation  fut  l'institution  des  juges  de 
paix,  à  raison  d'un  par  canton.  Dans  cette  région 
inférieure  où  fourmillaient  auparavant  les  chi- 
canes des  diverses  justices  locales,  ces  mangevies 
de  villarje,  comme  les  appelait  Loyseau,  une  ma- 
gistrature paternelle  et  conciliatrice  allait  rendre 
aux  ouvriers,  aux  paysans,  aux  pauvres,  dans 
leurs  petits  procès,  une  justice  prompte  et  peu 
coûteuse;  pour  les  causes  qui  dépassaient  sa 
compétence,  les  plaideurs  étaient  cependant  tenus 
de  se  rendre  devant  le  juge  de  paix;  il  s'elTorçait 
alors  de  concilier  leurs  prétentions,  d'étouffer  les 
procès  naissants,  d'épargner  aux  justiciables  des 
peines  et  des  dépenses  inutiles.  Enfin  le  juge  de 
paix  avec  deux  assesseurs  rendait  une  justice  dite 
correctionnelle,  car  elle  avait  surtout  pour  but  de 
corriger  par  des  peines  légères  les  délits  d'une 
faible  gravité. 

_  Des  tribunaux  de  commerce,  d'une  procédure 
simple  et  expéditive,  remplacèrent  dans  un  cer- 
tain nombre  de  villes  les  anciennes  juridictions 
consulaires. 

La  Constituante  s'inspira  de  ce  principe  de  la 
Déclaration  des  droits  :  i<  Nul  corps,  nul  individu 
ne  peut  exercer  d'autorité  qui  n'émane  expressé- 
ment de  la  nation.  »  Les  magistratures  hérédi- 
taires et  les  magistratures  achetées,  le  juge  par 
droit  de  naissance  et  le  juge  par  le  droit  du  plus 
ofl'rant  disparurent  également.  Il  n'y  eut  plus  de 
juge  propriétaire  de  la  justice,  plus  de  juie  ina- 
movible, u  Déclarer  l'inamovibilité,  disait  Kœde- 
rer,   c'est   travailler    dans   l'intérêt  des  mauvais 


juges.  »  Tous  les  magistrats  étaient  élus  pour 
dix  ans  par  le  même  corps  électoral  qui  nommait 
les  députés.  Ce  corps  élecioral  fit  des  choix 
excellents  :  beaucoup  des  légistes  qui  plus  tard 
contribuèrent  à  la  rédaction  du  Code  civil,  ou  à 
l'établissement  de  la  jurisprudence  nouvelle,  soit 
au  conseil  d'Etat,  soit  à  la  Cour  de  cassation, 
entrèrent  dans  la  magistrature  par  les  élections 
de  1790. 

La  Constituante  voulut  même  que  la  nation  in- 
tervint directement  dans  l'exercice  de  la  plus  im- 
portante des  attributions  judiciaires,  la  justice 
criminelle.  On  avait  horreur  de  l'ancien  système 
qui  la  livrait  uniquement  à  des  juges  de  profes- 
sion, c'est-i-dire  i.  des  juges  endurcis,  habitués 
aux  cruautés  de  l'ancienne  procédure,  enclins  à 
voir  dans  tout  prévenu  un  coupable.  C'était  une 
vieille  maxime  du  droit  français  que  nul  ne  pou- 
vait être  jugé  que  par  ses  pairs,  c'est-à-dire  par  ses 
égaux;  en  France  elle  était  tombée  en  désuétude; 
on  ne  la  retrouvait  plus  que  dans  les  pays  libres, 
comme  l'Angleterre  et  l'Amérique,  où  fonctionnait 
l'institution  du  jury.  La  Constituante  décréta  que, 
dans  toute  cause  criminelle,  douze  jurés,  appli- 
quant aux  faits  de  la  cause  le  simple  bon  sens, 
statueraient  par  un  verdict  sur  la  culpabilité  ou 
l'innocence  du  prévenu  ;  d'après  ce  verdict,  les 
juges  appliqueraient  la  loi  et  prononceraient  la 
sentence. 

La  Constituante  exigea  que  l'on  donnât  con 
naissance  à  l'inculpé  des  accusations  portées 
contre  lui,  qu'il  reçût  communication  des  pièces, 
fût  confronté  avec  les  témoins,  pût  recourir  au 
ministère  d'un  avocat.  Les  débats  devaient  être 
publics  et  le  jugement  motivé.  Toute  irrégularité 
dans  le  procès  ouvrait  la  voie  il  un  recours  en 
cassation. 

Louis  XVI  n'avait  aboli,  en  1788,  que  la  ques- 
tion préparatoire  ;  encore  se  réservait-il  de  la 
rétablir  "  si  l'expérience  en  démontrait  la  néces- 
sité, n  La  Constituante  anéantit  les  restes  de 
cette  abominable  procédure  en  abolissant  la  ques- 
tion préalable.  Elle  supprima  toutes  les  barliaries 
qui  accompagnaient  le  supplice  des  condamnés, 
et  établit  que  tout  condamne  à  mort  aurait  la  tète 
tranchée.  Elle  abolit  le  fouet,  la  marque,  les  muti- 
lations, les  peines  perpétuelles,  restreignit  à  des 
cas  assez  rares  la  peine  de  mort.  Xapoléon  I"  ré- 
tablit la  marque,  les  peines  perpétuelles,  la  peine 
de  mort  dans  un  grand  nombre  de  cas,  l'amputa- 
tion du  poing  avant  la  décapitation  pour  les 
parricides.  La  réforme  du  Code  pénal  en  1832 
supprima  de  nouveau  ces  vestiges  de  barbarie,  et, 
par  l'admission  des  circonstances  atténuantes, 
permit  aux  magistrats  d'abaisser  toutes  les  peines 
d'un  ou  deux  degrés  et  de  réduire  l'application  de 
la  peine  de  mort.  L'adoucissement  des  mœurs  n'a 
cessé  de  correspondre,  comme  pour  le  justifier,  à 
cet  adoucissement  progressif  de  la  législation. 
La  République  de  ISiS  a  aboli  l'exposition  pu- 
blique et  la  peine  de  mort  en  matière  politique. 
La  peine  de  mort,  en  matière  criminelle,  sera 
quelque  jour  abolie,  et  l'on  vient  de  reprendre,  à 
la  Chambre  des  députés,  l'initiative  d'une  proposi- 
tion en  ce  sens. 

Dans  la  Déclaration  des  droits  la  Constituante 
posait  ce  principe  :  "  Il  sera  fait  un  code  de  lois 
civiles  communes  Ji  tout  le  royaume.  »  L'anéantis- 
sement du  régime  féodal  avait  déjà  aboli,  aux 
trois  quarts,  les  anciennes  coutumes.  L'Assemblée, 
travaillait  à  fondre  dans  une  loi  commune  leS' 
dispositions  les  plus  équitables  du  droit  coutumier 
et  du  droit  romain.  La  loi  du  15  avril  1701  pro- 
clama le  droit  égal  des  enfants  à  la  succession  de 
leurs  parents,  abolit  les  droits  d'ainesse  et  dei 
masculinité,  et,  pour  empêcher  leur  rétablissement 
par  voie  indirecte,  décida  que  le  père  de  famille,' 
par  donation  ou  testament,  ne  pourrait  favoriserl 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1869  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


l'un  de  ses  enfants  au  détriment  des  autres  que  l 
dans  une  mesure  déterminée.  Depuis  la  Révolution, 
le   droit   d'aînesse   n'a  guère  été  revendiqué  que 
par  ceux  qui  voulaient  rétablir  la  famille  ariatocra-  i 
tique  d'autrefois,  et  en   faire   la    pierre   d'attente 
pour  un  rétablissement  de  l'ancien  régime.  Quajit 
à  la  liberté  absolue  de  tester,  elle  est  soutenue  sur-  i 
tout  par  ceux  qui  voudraient  ménager  au  clergé,  par  j 
la  captation   des   testaments  et  la   spoliation   des 
héritiers  naturels,  un  moyen  de  reconstituer  son 
ancien  domaine.  A  vingt  et  un  ans,   les  enfants 
étaient    émancipés   de   la  tutelle  paternelle,  qui 
autrefois  se   prolongeait  sur  leur  vie  entière,  et 
reprenaient  la  disposition  de  leurs  biens  person- 
nels.  Dans    la    famille   despotique  et    divi.sée  de  i 
l'ancien   régime,   pénétrèrent    les    principes   qui 
régissaient  l'ordre  social   et  politique  :  liberté  et 
égalité.  Les  mœurs   et  les   affections   de   famille  . 
n'y  ont  rien  perdu.  1 

L'institution  des  actes  de  l'état  civil  donna  une  i 
date  certaine  aux    naissances,  aux   mariages,  aux 
décès,    coupa    court    à    d'innombrables    procès, 
assura  la  sécularisation  du  mariage. 

La  Constituant!'  n'eut  pas  le  temps  de  codifier 
les  lois  par  lesquelles  elle  réforma  l'ancienne 
société  et  fonda  le  droit  nouveau.  Si  elle  ne  fit  pas 
le  Code  civil,  elle  en  prépara  tous  les  éléments 
essentiels.  On  l'a  appelé  Code  Napoléon  :  mais  il 
est  bien  le  Code  de  la  Révolution  ;  ce  sont  les 
principes  mêmes  de  1789  qu'il  a  formulés,  c'est 
des  sentiments  de  la  Constituante  qu'il  est  impré- 
gné, et,  s'il  a  mérité  de  servir  de  modèle  à  tous  les 
peuples  civilisés  et  de  fonder  non  seulement  en 
France,  mais  dans  la  moitié  de  l'Europe,  la  société 
moderne,  c'est  que  l'esprit  du  xviiio  siècle  et 
l'esprit  de  la  Révolution  l'ont  inspiré. 

VL  —  Réforme  de  1  armée.  — La  Constituante 
commença  la  régénération  de  l'armée  en  décla- 
rant, le  28  février  1790,  «  tous  les  soldats  habiles 
à  obtenir  tous  les  emplois  et  grades  militaires.  » 
Déjà  un  souflle  nouveau  de  patriotisme  avait  pé- 
nétré dans  l'armée  comme  dans  le  peuple. 

On  vit  alors  cette  nation,  qui  manifestait  tant 
d'horreur  pour  la  milice,  courir  spontanément 
aux  armes  en  n89  et  mettre  sur  pied  quatre 
millions  de  gardes  nationaux;  on  la  vit,  en  1792, 
envoyer  aux  frontières  ses  bataillons  de  volon- 
taires en  sabots  ;  on  la  vit,  en  17H3,  répondre  à  la 
proclamation  de  la  levée  en  masse,  remplir  de  ses 
recrues  quatorze  armées;  on  la  vit,  de  1793  à 
1815,  tenir  tète  i  l'Lurope  entière,  inonder  de  ses 
bataillons  l'Allemagne  et  l'Italie,  guerroyer  en 
Espagne,  en  Egypte,  en  Syrie,  à  Saint-Domingue, 
en  Irlande,  affronter  le  soleil  d'Afrique  et  les 
neiges  do  Moscou,  et  réaliser  cette  prédiction  de 
Sieyès  h.  un  gentilhomme  qui  justifiait  l'oppression 
du  peuple  par  un  droit  de  conquête  :  u  N'est-ce 
que  cela  't  répondit-il.  Nous  serons  conquérants 
i  notre  tour.  » 

Toutes  les  pénalités  infamantes  de  l'ancien  ré- 
gime avaient  été  abolies  par  la  Constituante. 
Les  châtiments  corporels  furent  laissés  aux  ar- 
mées anglaise,  russe  ou  allemande,  qui  elles- 
mêmes,  gagnées  par  notre  exemple,  ne  devaient 
pas  les  supporter  longtemps. 

L'armée  se  recruta  d'abord,  sous  la  Législa- 
ture, par  les  enrôlements  volontaires  ;  sous  la 
Convention,  par  les  réquisitions;  sous  le  Direc- 
toire, par  la  loi  du  21  août  1798  (19  fructidor 
an  VIj,  qui  posa  en  principe  que  tout  Français 
contractait  en  naissant  l'obligation  de  servir  la 
patrie.  La  conscription,  restée  depuis  lors  la  règle 
fondamentale  de  notre  armée,  organisée  défini- 
tivement par  la  loi  du  21  mars  183^',  considérée 
comme  le  premier  des  devoirs  civiques,  s'imposa 
5.  tous  sans  distinction  de  naissance  ;  elle  fut  le 
niveau  égalitaire  sous  lequel  se  courbèient  toutes 
les  têtes  ;  ceux-li  seuls  qui  avaient  encouru  des 


peines  infamantes  furent  exemptés  de  l'honneur 
de  servir  le  pays. 

Cette  organisation  militaire  a  atteint  son  plus 
haut  degré  de  moralité  et  d'égalité  par  la  loi  du 
27  juillet  1872,  qui  a  proclamé  le  service  militaire 
universel  et  obligatoire  et  qui  a  réalisé  ce  que  les 
hommes  de  la  Révolution  avaient  rêvé  ou  ébau- 
ché :  la  nation  armée. 

VII.  — Réforme  ecclésiastique.  —  La  Révolution 
anéantit  le  clergé  connue  ordre  de  l'Etat,  abolit  ses 
justices  ecclésiastiques,  lui  retira  les  registres  de 
l'état  civil,  supprima  les  dîmes  qu'il  faisait  payer 
au  peuple,  s'empara  des  biens  de  l'Eglise  et  en  fit 
les  biens  nationaux,  réduisit  les  membres  du  clergé 
à  n'être  plus  que  les  fonctionnaires  salariés  de  la 
nation.  Un  épisode  de  cette  sécularisation  de  l'E- 
glise fut  la  destruction  de  l'Etat  pontifical  d'Avi- 
gnon, la  réunion  au  domaine  national  de  ce  do- 
maine papal,  qui  fit  partie  intégrante  du  départe- 
ment de  Vaucluse. 

L'ancienne  France  était  divisée  en  111  évê- 
chés  et  18  archevêchés.  L'étendue  de  ces  diocèses- 
était  aussi  variable  que  les  traitements  des  titu- 
laires ;  à  la  frontière  leurs  limites  ne  coïnci- 
daient même  pas  avec  celles  de  la  France;  ainsi 
les  évêchés  de  Metz,  Toul,  Verdun,  Strasbourg, 
dépendaient  des  archevêchés  allemands  de  Trêves 
et  Mayence  ;  les  cinq  évêchés  de  Corse  dépen- 
daient des  archevêchés  italiens  de  Gènes  et  de 
Pise  ;  en  revanche,  les  archevêques  de  Cambrai 
et  de  Besançon  étendaient  leur  autorité  sur  uns 
partie  de  la  Belgique  et  de  la  Suisse. 

La  Constituante  tit  coïncider  les  limites  des  dio- 
cèses avec  celles  des  départements;  il  y  eut  au- 
tant de  diocèses  que  de  départements;  le  nom- 
bre des  archevêchés  ou  évêchés  se  trouva  donc 
ramené  à  83.  Le  traitement  des  prélats  fut  réduit 
à  des  proportions  modestes,  celui  des  curés  ou 
desservants  porté  à  un  chilTre  honorable.  Toutes 
ces  réformes  furent  sanctionnées  sous  le  Consu- 
lat par  le  Concordat  du  li  juillet  1801  conclu  avec 
la  cour  de  Rome,  ratifié  par  la  loi  du  10  germinal 
an  X  (8  août  1802)  en  même  temps  que  les  articles 
orçiuniques. 

Au  contraire,  la  Révolution  échoua  dans  sa  ten- 
tative pour  changer  le  mode  de  nomination  des 
évêques  et  des  curés,  c'est-à-dire  pour  les  faire 
nommer  à  l'élection  comme  les  autres  magistral?. 
La  cour  de  Rome  traita  en  schismatique  le  clergé 
élu,  et  le  Concordat  rendit  au  pouvoir  exécutif  la 
nomination  des  évoques.  Pourtant  l'Église  cuns- 
iitutionnelle  de  France  a  jeté  un  certain  éclat  avec 
Grégoire,  évêque  de  Loir-et-Cher,  Fauchet,  du 
Calvados,  Lind^t,  de  l'Eure,  Thibaut,  du  Cantal, 
Cazeneuve,  dus  Hautes-Alpes,  Gay-Vernon,  de  la 
Haute-Vienne,  Massieu,  do  l'Oise,  Huguet,  de  la 
Creuse,  Lalande,  de  la  Meurthe,  qui  furent  tous 
membres  de  la  Convention.  Un  des  adversaires  de 
l'Église  constitutionnelle  lui  a  rendu  ce  témoi- 
gnage : 

i<  Les  nouveaux  élus,  dit  Lally-Tollendal,  ont 
prêché,  de  parole  et  d'exemple,  l'étude  de  la  reli- 
gion, la  régularité  des  mœurs,  la  pratique  de  la 
charité  et  de  tous  les  devoirs  sacerdotaux.  Dans 
les  temps  de  la  terreur,  on  a  vu  de  ces  pasteurs 
schismatiques  braver  les  plus  grands  dangers  pour 
conserver  le  souvenir  d'une  religion,  pour  secou- 
rir, consoler,  sauver  ce  qu'ils  appelaient  leur  trou- 
peau, même  sans  différence  d'amis  ou  d'ennemis. 
On  en  a  vu  qui,  trahies  à  l'échafaud,  ont  reçu  la 
coup  de  la  mort  avec  courage  et  religion.  » 

Les  4'J9  abbayes  ou  monastères  de  l'ancienne 
France  disparurent  dans  la  tourmente.  Par  le 
décret  du  1"  novembre  1189,  la  Constituante 
commença  par  suspendre  l'émission  des  vœux 
dans  tous  les  monastères  des  deux  sexes  et  par 
restreindre  le  nombre  des  couvents  à  un  seul  du 
même   ordre  dans  chaque    municipalité.  Par   le 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


1870 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


décret  du  ÎO  février  1190,  elle  entra  au  vif  de  la 
question.  Voici  le  texte  de  l'article  premier  : 

<(  La  loi  constitutionnelle  du  royaume  ne  recon- 
naîtra plus  de  vœux  monastiques  solennels  de 
personnes  de  l'un  et  de  l'autre  sexe.  En  consé- 
quence les  ordres  et  congrégations  religieux 
dans  lesquels  on  fait  de  pareils  vœux  sont  et 
demeurent  supprimés  en  France,  sans  qu'il  puisse 
en  être  établi  de  semblables  à  l'avenir.  »  Les 
vœux  monastiques  pouvaient  être  encore  des 
liens  de  conscience  et  de  foi;  la  loi  ne  les  recon- 
naissait plus  comme  obligation  civile.  Elle  abo- 
lissait leurs  conséquences  légales,  relevait  les 
religieux  et  religieuses  de  la  mort  civile,  leur 
reconnaissait  les  mêmes  droits  qu'aux  autres 
citoyens,  les  déclarait  habiles  h  hériter  et  à  pos- 
séder, leur  permettait  le  mariage.  Pour  beaucoup 
d'infortunés  dont  les  vocations  avaient  été  con- 
traintes, celte  loi  fut  une  grande  délivrance. 

La  loi  de  1*90  n'avait  pas  entendu  fermer  les 
couvents,  sauf  ceux  où  l'on  prononçait  les  voeux 
perpétuels,  mais  seulement  en  ouvrir  les  portes 
aux  religieux  qui  voudraient  recouvrer  la  liberté. 

La  Législative,  par  le  décret  du  18  août  179'!, 
alla  pli|§-hoin.  Elle  anéantit  tous  les  couvents  sans 
exception  :  n  Toutes  les  corporations  ou  congréga- 
tions régulières  d'hommes  et  de  femmes sous 

quelque  dénomination  qu'elles  existent  en  Fran- 
ce,... sont  éteintes  et  supprimées  à  dater  de  la 
promulgation  du  présent  décret.  »  Les  religieux 
et  les  religieuses  dépossédés  reçurent  une 
pension. 

Ainsi  fut  dissoute  cette  vaste  confédération 
d'associations  monacales,  plus  ancienne  que  le 
royaume  de  France,  qui  avait  exercé  dans  notre 
pays  une  influence  si  puissante  et  souvent  si 
néfaste,  et  qui  pendant  quatorze  siècles  avait 
concentré  entre  les  mains  des  moines  une  part 
si  considérable  de  la  fortune  nationale.  La  même 
ruine  enveloppa  les  Bénédictins,  contemporains 
des  rois  francs,  les  Dominicains  qui  au  xiii' siècle 
avaient  établi  l'inquisition  dans  le  midi  de  la 
France,  les  Franciscains,  subdivisés  en  tant  d'or- 
dres, qui  depuis  cinq  cents  ans  mendiaient  pour 
enrichir  l'Eglise  et,  la  besace  au  cou,  amassaient  des 
millions,  et  qui,  sons  le  nom  de  Capucins,  avaient 
figuré  dans  les  guerres  civiles  du  xvi'  siècle. 

VllI.  —  Affranchissement  de  l'agriculture,  du 
commerce  et  de  l'industrie-  —  La  Révolution  a 
été  surtout  l'émancipation  du  travail  national.  Elle 
affranchit  l'agriculture  de  la  dime,  des  droits  sei- 
gneuriaux, de  la  corvée  royale  ;  elle  adoucit 
pour  elle  le  poids  des  autres  impôts  en  les  répar- 
tissant  égaletuent  sur  tous  les  citoyens  ;  elle  lui 
a  livré  les  terres  de  l'Eglise  et  de  l'aristocratie  ; 
elle  a  honoré  le  travail  agricole,  qui  était  le  plus 
méprisé,  en  amenant  les  députés-paysans  sur  les 
bancs  des  assemblées  nationales,  en  faisant  trem- 
bler les  rois  de  1  Europe  devant  ses  armées  de 
soldats-paysans.  Elle  a  rendu  la  liberté  absolue 
dans  le  choix  des  cultures,  et  décrété  la  libre  cir- 
culation des  grains  dans  l'intérieur  du  pays.  Les 
lois  du  14  décembre  1789  et  du  28  septem- 
bre 1790  ont  donné  l'impulsion  lia  construction 
des  chemins  vicinaux.  Les  diverses  assemblées 
révolutionnaires  se  sont  préoccupées  de  faire  pé- 
nétrer, par  l'établissement  d'tcoles  primaires, 
l'instruction  et  la  lumière  jusqu'au  fond  des 
campagnes.  Toutes  les  lois  qui,  depuis  cette  épo- 
que, se  sont  inspirées  de  l'esprit  de  17S9,  même 
celle  qui  a  établi  le  suffrage  universel,  sont  i  l'a- 
vantage des  paysans.  La  Révolution,  dans  ses 
traits  essentiels,  a  été  appelée  par  les  cahiers 
des  paysans,  réalisée  par  le  soulèveiuent  des 
paysans  en  juillet  1789,  consolidée  parles  victoi- 
res des  paysans  sur  les  armées  de  l'Europe.  Nulle 
classe  de  la  société  n'est  plus  intéressée  au  main- 
tien des  conquêtes  de   la  Révolution  ;  nulle   ne 


serait  plus  ardente  à  les  défendre,  si  elles  étaient 
menacées. 

Le  commerce  a  été  affranchi  par  la  suppression 
des  douanes  intérieures,  qui,  plus  tard,  a  eu  pour 
conséquence,  dans  les  rapports  avec  les  pays 
étrangers,  l'extension  des  principes  du  libre- 
échange. 

La  Convention  a  mis  fin  à  la  diversité  infinie 
des  poids,  des  mesures,  des  monnaies,  en  décré- 
tant le  1*'  aoîit  1793  l'établissement  du  système 
décimal,  qui  a  été  rendu  obligatoire  par  la  loi  du 
4  juillet  18.37,  et  qui  a  été  adopté  ensuite  parla 
plupart  des  nations  européennes. 

En  abolissant  les  abus  dont  souffrait  l'étranger 
domicilié  en  France,  coirime  le  droit  d'aubaine, 
en  favorisant  son  admission  à  la  cité  française, 
la  Constituante  avait  donné  plus  de  sécurité  aux 
relations  commerciales.  Par  l'abolition  des  restric- 
tions qu'apportait  l'Eglise  au  prêt  à  intérêt,  par 
la  création  d'un  bon  système  d'hypothèques,  qui 
transforme  les  immeubles  mêmes  en  valeurs  mo- 
bilières, elle  a  donné  à  la  richesse  mobilière  une 
extension  inouie,  et  si  rapide  que  le  Code  civil 
lui-même  n'a  pu  la  prévoir. 

La  Constituante  proclama  la  loi  nouvelle  de 
l'industrie  dans  cet  article  de  la  Déclaration  des 
droits  :  «  11  n'y  a  plus  ni  jurandes,  ni  corpora- 
tions de  professions,  arts  et  métiers.  »  En  consé- 
quence, reprenant  la  réforme  tentée  par  Turgot, 
,  le  décret  du  15  février  1791  abolit  les  maîtrises 
!  et  les  jurandes,  supprima  la  distinction  entre  maî- 
tres et  compagnons,  abrogea  tous  les  règlements 
qui  s'opposaient  aux  progrès  et  à  la  variété  de  la 
fabrication,  substitua  au  régime  du  privilège  la 
libre  concurrence. 

Par  le  décret  du  7  janvier  1791,  la  Constituante 
a  garanti  la  propriété  industrielle  et  établi  les 
I  brevets  d'invention. 

I  Sous  la  Convention,  la  loi  du  10  octobre  1794  a 
fondé  le  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers  ;  sous 
le  Directoire,  en  1798,  par  les  soins  du  ministre 
;  François  de  Neufchàteau,  fut  ouverte  au  Champ 
de  Mars  la  première  exposition  de  l'industrie,  et 
j  l'on  sait  quel  développement  a  pris  cette  insti- 
tution, 

IX.  —  Réforme  du  système  des  contributions. 
—  Tandis  que  l'essor  du  travail  national  rendait 
moins  lourd  le  poids  des  inipùts,  la  Révolution  in- 
troduisait de  profondes  et  salutaires  modifications 
dans  l'administration  des  finances.  La  Déclara- 
tion des  droits  a  défini  en  ces  termes  les  principes 
nouveaux  qui  régissent  la  matière  : 

Il  Pour  l'entretien  de  la  force  publique,  et  pour 
les  dépenses  d'administration,  une  contribution 
commune  est  indispensable;  elle  doit  être  égale- 
ment répartie  entre  les  citoyens,  en  raison  de 
leurs  facultés. 

t  Tous  les  citoyens  ont  droit  de  constater  par 
eux-mêmes  ou  par  leurs  représentants  la  néces- 
sité de  la  contribution  publique,  de  la  consentir 
librement,  d'en  suivre  l'emploi  et  d'en  détermi- 
ner la  quotité,  l'assiette,  le  recouvrement  et  la 
durée.  » 

Ainsi,  dans  le  langage  de  ce  temps,  on  n'em- 
ploie même  plus  le  mot  d'impôt,  qui  semble 
emporter  l'idée  d  une  obligation  tyrannique,  mais 
celui  de  contribution,  qui  rappelle  h  la  fois  la 
légitimité  et  l'utilité  du  sacrifice  auquel  chaque 
citoyen  doit  consentir  en  vue  de  l'intérêt  com- 
mun. L'impôt  ou  la  contribution  n'est  plus,  sui- 
vant l'expression  de  Proudhon,  que  la  quote-part 
à  payer  par  chaque  citoyen  pour  la  dépense  des 
services  publics. 

Dans  l'organisation  établie  par  la  Constituante, 
les  contributions  ne  sont  plus  imposées  par  le 
roi  ;  elles  sont  consenties  par  les  représentants 
de  la  nation.  S'il  s'agit  d'impôts  directs,  elles  ne 
sont  plus  réparties  arbitrairement  par  les  inten- 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


1871  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


dants  et  leurs  subdolégués:  ce  sont  les  conseils  de 
déparlement  qui  sont  investis  de  cette  attribution, 
et,  dans  chaque  commune,  ce  sont  des  répartiteurs 
choisis  parmi  les  habitants,  il  n'y  a  plus  de  collec- 
teurs charges  malgré  eux  du  soin  ingrat  de  la  per- 
ception :  ce  sont  des  agents  de  l'État,  qui  (à  partir 
du  Consulat  sous  le  nom  de  percepteurs,  rece- 
veurs particuliers,  receveurs  généraux)  ont  mis- 
sion de  faire  parvenir  au  trésor  public  les  fonds 
recueillis  par  eux.  S'il  s'agit  d'impôts  indirects, 
il  n'y  a  plus  de  fermiers-généraux  exploitant  le 
contribuable  bien  plus  à  leur  profit  qu'au  profit  du 
trésor. 

Une  fois  le  produit  des  contributions  entré 
dans  le  trésor  public,  les  mômes  représentants 
de  la  nation  qui  en  ont  autorise  la  perception 
en  surveillent  l'emploi.  De  même  qu'ils  ont  éta- 
bli le  budget  des  recettes,  ce  sont  eux  qui  dres- 
sent le  budget  des  dépenses. 

Les  seuls  impots  directs  établis  par  la  Consti- 
tuante sont  la  contribution  foncière,  la  contribu- 
tion personnelle  et  mobilière,  les  patentes  :  à  ces 
trois  impôts  il  faut  en  ajouter  un  quatrième,  éta- 
bli sous  le  Directoire  :  celui  des  portes  et  fenê- 
tres. 

Pour  assurer  l'égale  répartition  de  l'impôt 
foncier,  la  Constituante,  par  les  décrets  du  2S 
août  et  du  23  septembre  1791,  la  Convention,  par 
le  décret  du  21  mars  1193,  ordonnèrent  l'établis- 
sement du  cadastre  ;  cette  longue  et  coûteuse 
opération  n'a  été  terminée  qu'en  1850. 

En  fait  d'impôts  indirects,  la  Constituante  n'au- 
torisa que  les  droits  d'enregistrement,  de  timbre, 
d'hypothèque,  et  les  douanes.  La  gabelle  et  les 
aides  avaient  laissé  un  souvenir  trop  détesté  pour 
qu'elle  ne  s'empressât  pas  do  les  abolir.  Les  im- 
pôts de  consommation,  rétablis  par  Napoléon 
sous  le  nom  do  droits  réunis,  abolis  de  nouveau 
par  la  Restauration,  ont  dû  être  rétablis  presque 
aussitôt. 

Les  emprunts,  livrés  autrefois  au  bon  plaisir 
du  souverain,  sont  depuis  la  Révolution  soumis 
au  vote  des  assemblées.  Cette  garantie  parle- 
mentaire est  même  une  condition  essentielle  du 
crédit  de  l'État.  Seuls  les  gouvernements  libres 
peuvent  emprunter  à  un  taux  raisonnable  :  les 
gouvernements  despotiques,  n'ofl'rant  pas  de  ga- 
ranties à  l'épargne,  sont  nécessairement  la  proie 
des  usuriers  et  des  lanceurs  d'affaires.  On  sait 
quelle  horreur  inspirait  à  la  lionstituante  l'idée 
de  faire  banqueroute  aux  créanciers  de  l'État, 
idée  si  familière  aux  ministres  des  finances  sous 
l'ancien  régime.  La  Convention,  dans  ses  plus 
terribles  embarras,  montra  la  même  probité  in- 
flexible :  par  la  loi  du  'ii  septembre  1193,  elle 
créa  le  grand-livre  de  la  dette  publique,  qui, 
malgré  la  banqueroute  partielle  du  Directoire, 
connue  sous  le  nom  d'opération  du  Tiers-Conso- 
lidé,  est  resté  la  base  solide  de  notre  crédit  et 
fait  aujourd'hui  de  la  rente  française  la  plus  sûre 
des  valeurs  mobilières. 

X.  L'instruction  publique  sous  la  Révolution. 
Grandes  créations  de  la  Convention.  —  La  Révo- 
lution, qui  rencontra  parmi  les  contemporains 
des  résistances  si  acharnées,  ne  pouvait  compter 
que  sur  l'avenir  pour  s'implanter  définitivement. 
La  génération  qu'éprouva  la  tourmente  était  encore 
trop  imbue  des  idées  et  des  sentiments  anciens  : 
c'est  à  l'enfance,  c'est  à  la  jeunesse  qu'on  devait 
s'adresser,  c'est  dans  leur  esprit  et  leur  cœur 
qu'il  fallait  enraciner  l'amour  de  la  liberté  et  de 
l'égalité  :  on  ne  pouvait  y  parvenir  qu'en  organi- 
sant l'éducation  publique.  C'est  le  sentiment  de 
tous  que  l'évêque  Grégoire  exprimait  en  ces  ter- 
mes :  «  Reconstituons  la  nature  humaine  en  lui 
donnant  une  nouvelle  trempe.  11  faut  que  l'édu- 
cation publique  s'empare  de  la  génération  qui 
naît.  9 


Ce  fut  le  premier  souci  de  l'Assemblée  cons- 
tituante. Dans  la  Déclaration  des  droits,  on  trouve 
formulée  cette  prescription  : 

«  Il  sera  créé  et  organisé  une  instruction  publi- 
que commune  à  tous  les  citoyens,  gratuite  à 
l'égard  des  parties  d'enseignement  indispensa- 
bles pour  tous  les  hommes.  » 

La  Constituante  se  mit  à  l'œuvre  ;  mais  la  tâche 
était  si  longue  et  si  délicate  que  c'est  seulement 
la  Convention  qui  put  l'accomplir,  au  moins  en 
partie. 

n  L'histoire,  dit  un  écrivain  royaliste,  M.  de 
Riancoy,  n'a  pas  enregistré  sans  une  sorte  d'é- 
tonnement  mêlé  de  frayeur  l'activité  de  la  Con- 
vention. Or,  parmi  les  douze  comités  qui  la  com- 
posaient, le  Comité  de  salut  public  seul  peut  être 
comparé  pour  sa  terrible  ardeur  k  celui  de  l'ins- 
truction publique.  « 

Nous  allons  résumer  les  titres  que  le  Comité 
d'instruction  publique  s'est  acquis  à  la  recon- 
naissance de  la  nation.  (V.  pour  les  détails  l'ar- 
ticle Convention,  dans  la  I"  Partie.) 

Les  deux  plans  d'éducation  présentés  à  la 
Constituante,  d'abord  par  Mirabeau^nsuite  par 
Talleyrand,  n'ont  pas  été  suivis  d'eiHkffin.  Le 
plan  que  Condorcet  avait  préparé  pour^  Légis- 
lative ne  fut  examiné  que  par  le  Comité  d'instruc- 
tion publique  de  la  Convention.  Dans  ce  plan,  on 
trouve  énumérés  cinq  degrés  d'enseignement  : 

1°  Les  écoles  primaires,  à  raison  d'une  par 
400  habitants  ; 

2°  Les  écoles  secondaires  (qui  représenteraient 
aujourd'hui  l'enseignement  primaire  supérieur 
et  l'instruction  professionnelle),  Ji  raison  d'une 
par  district; 

3»  Les  instituts  (que  nous  appellerions  aujour- 
d'hui lycées  et  collèges),  au  nombre  de  1 10  ; 

4°  Les  lycées  (qui  eussent  correspondu  aux  fa- 
cultés d'aujourd'hui),  au  nombre  de  9; 

5"  Une  société  nationale  des  arts  et  sciences 
(c'est  l'idée  qui  s'est  réalisée  plus  tard  dans  la 
création  de  l'Institut  national  de  France). 

La  Convention  dutcourir  d'abord  au  plus  pressé, 
c'est-à-dire  aux  écoles  élémentaires.  C'était  l'é- 
ducation du  peuple  qui  avait  été  la  plus  négligée, 
c'était  donc  elle  qui  s'imposait  le  plus  impérieu- 
sement aux  méditations  de  la  première  assemblée 
républicaine. 

Le  12  décembre  1792,  le  girondin  Lantlienas 
vint,  au  nom  du  Comité  d'instruction  publique, 
lire  un  rapport  sur  la  partie  du  plan  de  Condorcet 
qui  touchait  à  l'instruction  primaire.  Après  une 
vive  discussion,  le  principe  d'une  loi  sur  l'instruc- 
tion primaire  fut  posé  dans  le  décret  suivant  : 

«  Les  écoles  primaires  formeront  le  premier 
degré  d'instruction.  On  y  enseignera  les  connais- 
sances rigoureusement  nécessaires  à  tous  les  ci- 
toyens. Les  personnes  chargées  de  l'enseigne- 
ment dans  ces  écoles  s'appelleront  instituteurs.  » 
Après  la  chute  des  Girondins,  la  discussion  fut 
reprise,  en  juin  1793,  sur  le  rapport  du  monta- 
gnard Lakanal,  puis  en  juillet  à  propos  du  plan 
d'éducation  trouve  dans  les  papiers  de  Lepelletier 
de  Saint-Fargeau,  assassiné  par  un  royaliste.  Elle 
aboutit  à  la  loi  du  29  frimaire  an  II  (19  décem- 
bre 1793),  votée  sur  le  rapport  de  Bouquier.  Cette 
loi  rendait  l'enseignement  primaire  obligatoire 
et  gratuit,  et  mettait  le  salaire  des  instituteurs  et 
institutrices  à  la  charge  de  la  République.  Après 
la  réaction  de  thermidor,  le  principe  de  l'obliga- 
tion et  delà  gratuité  fut  abandonné. 

Il  ne  suffisait  pas  de  décréter  l'instruction  pri- 
maire ;  il  eût  fallu  créer  les  locaux,  le  per- 
sonnel, les  méthodes.  C'est  une  œuvre  qui  ne 
peuts'accomplir  qu'avecle  temps;  or.  la  Convention 
se  séparaen  17;).')  ;  le  Directoire  oublia  l'œuvre  com- 
mencée ;  Napoléon  ne  se  soucia  pas  de  la  repren- 
dre. Il  lui  suffisait  d'inscrire  à  ses  dépenses  une 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1872  —     RÉVOLUTION  FRAN'ÇAISE 


somme  de  4250  francs  destinée  au  noviciat  des 
écoles  clirétiennes;  ce  fut  tout  le  budget  de  l'ins- 
truction populaire  sous  le  puissant  empereur.  La 
question  traîna  de  longues  années:  on  sait  comme 
elle  s'est  résolue,  sous  le  ministère  de  M.  Guizot, 
par  la  loi  de  1833  ;  sous  celui  de  M.  Duruy  par  la 
loi  de  1SG7  ;  sous  le  gouvernement  actuel  par  levote 
de  l'instruction  gratuite  et  obligatoire,  par  la  loi 
sur  les  écoles  normales  des  filles,  par  la  création 
de  5000  écoles  nouvelles,  par  l'accroissement  du 
budget  de  l'enseignement  populaire  qui  s'élève 
à  plus  de  30  millions.  Les  essais  tenté»  par  la 
Révolution  se  sont  complétés,  et  c'est  l'esprit  de 
la  première  République  qui  inspire  la  République 
nouvelle. 

En  matière  d'enseignement  secondaire,  les  ef- 
forts que  l'on  voudra  tenter  seront  toujours  suivis 
de  résultats  plus  prompts.  Aussi  la  Convention 
eut-elle  le  temps  d'inaugurer  les  écoles  centmles 
(c'est  à-dire  les  instituts  de  Condorcet,  les  lycées 
ou  collèges  d'aujourd'hui).  C'est  Lakanal  qui  pré- 
senta le  rapport  que  sanctionna  le  décret  du  7  ven- 
tôse an  m  (?5  février  1195;.  La  supériorité  des 
écoles  cân^i^s  de  IVJb  sur  les  collèges  de  l'ancien 
régimeW^HItait  surtout  dans  un  enseignement 
sérieux ^^^la  philosophie,  de  l'histoire,  des 
sciences,  du  dessin  :  cet  enseignement  tout  scien- 
tifique nous  était  bien  nécessaire,  car  les  dé- 
fauts de  l'esprit  français,  à  cette  époque,  prove- 
naient surtout  dune  éducation  trop  exclusivement 
littéraire.  Les  écoles  centrales  restèrent  floris- 
santes jusqu'à  Napoléon,  qui  les  remplaça  par  les 
lycées  et  rétablit  en  grande  partie  l'ancien  pro- 
gramme. 

Pour  l'enseignement  supérieur  proprement  dit, 
la  Convention  n'eut  pas  le  temps  de  créer  une 
organisation  d'ensemble  :  les  facultés  de  lettres 
et  de  sciences  ne  furent  établies  que  beaucoup 
plus  tard. 

L'honneur  de  la  Convention,  ce  sera  surtout  la 
création  des  grandes  écoles  spéciales. 

V Ecole  centrale  rtes  travaux  publics,  qui  est  de- 
venue l'École  polytechnique,  fut  constituée  par  le 
décret  du  21  ventôse  an  II  (II  mars  179i).  Les  con- 
ventionnnels  ('arnot  et  Prieur  de  la  Côte-d'Or 
furent  les  auxiliaires  les  plus  zélés  de  l'ingénieur 
Larablardie,  cliargé  de  l'organiser.  Parmi  ses  pre- 
miers professeurs  se  rencontrciit  les  plus  illustres 
savants  de  l'époque  :  Lagrange,  Prony,  Monge, 
Berthollet,  Fourcroy,  Chapial,  Vauquelin,  Guyton 
de  Morveau. 

L'ancienne  Ecole  des  mines,  supprimée  depuis 
nyO,  fut  rétablie  sur  un  plan  nouveau  en   1793. 

L'Ecole  du  génie,  réorganisée  par  la  Consti- 
tuante, fut,  en  1794,  transférée  de  Mézières  à 
Metz. 

Aux  34  écoles  de  navigation  établies  dans  les 
ports  de  mer  par  la  Constituante,  la  Convention 
en  ajouta  deux  nouvelles.  De  plus  elle  fonda  trois 
écoles  spéciales  pour  les  aspirants  reçus  dans  les 
ports  de  Brest,  Toulon  et  Rochefurt.  Ces  trois  éco- 
les furent  l'origine  de  notre  École  navale. 

L'Ecole  7iOi  maie,  pour  le  recrutement  des  pro- 
fesseurs, fut  fondée  le  9  brumaire  an  III  (30  octo- 
bre liai).  Les  jeunes  gens,  trop  nombreux  (ils 
étaient  l"20(i),  qui  y  furent  appelés,  y  trouvèrent 
un  personnel  de  professeurs  unique  dans  le 
monde  :  les  mathématiques  y  étaient  ensei- 
gnées par  Lagrange,  Laplace,  Slonge  ;  la  physi- 
que, par  Haiiy  ;  l'histoire  naturelle,  par  Dauben- 
ton  ;  la  chimie,  par  Berthollet;  l'agriculture,  par 
Thouin  j  la  géographie,  par  Buaclie  ;  l'histoire,  par 
Volney  ;  la  morale,  par  Bernardin  de  Saint-Pierre  ; 
la  grammaire  générale,  par  Sicard  ;  l'analyse  de 
l'entendement,  par  Garât;  la  littérature,  par  La- 
harpe;  l'économie  politique,  par  Vandermonde.  Le 
conventionnel  Lakaiial,  qui  avait  fait  voter  le 
décret,  présida  la  séance  d'inauguration. 


Avec  l'École  polytechnique  et  l'École  normale, 
l'avenir  scientifique  du  pays  était  assuré. 

Le  Jardin  du  Roi  ou  Jardin  des  Plantes  devint, 
parle  décret  du  10  juin  1793,  rendu  également  sur 
la  proposition  de  Lakanal,  ce  magnifique  établisse- 
ment scientifique  qu'on  appelle  le  Mu  éum.  Geof- 
froy Saint-Hilaire  y  ouvrit,  le  6  mai  1794,  «  le 
premier  cours  de  zoologie  qu'on  ait  fait  en  Fran- 
ce. "  C'est  là  que  les  Laniarck,  les  Cuvier,  les 
Jussieu,  les  Brongniart,  les  Lacépcde  allaient 
donner  aux  sciences  naturelles  leur  prodigieux 
développement. 

Le  Collège  de  France  fut  réorganisé  par  décret 
du  13  juillet  1795. 

L'École  spéciale  des  langues  orientales  «  d'une 
utilité  reconnue  pour  la  politique  et  le  commerce  » 
était  fondée  par  décretdu30  mars  1795.  Langlès  y 
enseignait  le  persan  et  le  malais;  Sylvestre  deSaci 
l'arabe;  Venture,  le  turc  et  letatar;  Millin,  l'ar- 
chéologie ;  sous  le  Directoire,  une  chaire  de  grec 
moderne  y  sera  créée  pour  D'Anse  de  Villoison. 

Le  Bureau  des  loyigitudes  est  constitué  par  le 
décret  du  25  juin  1795. 

Le  Conservatoire  des  arts  et  métiers,  fondé 
par  le  décret  du  10  octobre  1794,  ne  sera  pas  seu- 
lement un  musée,  mais  une  école  supérieure  d'in- 
dustrie. 

Le  25  octobre  1795,  un  décret  de  la  Convention 
ouvrait  à  Paris  deux  écoles  de  droit;  le  4  décem- 
bre 1794  étaient  constituées  les  écoles  de  méde- 
cine de  Paris,  Montpellier  et  Strasbourg.  A  l'or- 
ganisation du  service  médical  se  rattache  une 
réforme  des  hôpitaux  qui,  sous  l'ancien  régime, 
étaient  dans  un  état  affreux  :  à  l'Hôtel-Dieu  les 
morts  et  les  mourants  étaient  confondus  dans  le 
même  lit,  et  Necker  vit  à  Bicètre  neuf  malades  cou- 
chés dans  les  mêmes  draps  infects.  La  Convention, 
énergiquement  soutenue  d'ailleurs  par  la  Com- 
mune de  Paris,  institue  une  commission  parle- 
mentaire des  hôpitaux  et  défend  de  mettre  deux 
malades  dans  le  même  lit.  Elle  prend  sous  son  pa- 
tronage rétablissement  des  sourds-muets  fondés 
par  l'abbé  de  l'Epée,  et  en  établit  un  second  à 
Bordeaux;  elle  subventionne  la  maison  des  jeu- 
nes aveugles,  fondée  par  Haiiy,  et  qui  prend  le 
nom  d'Institut  national  des  aveugles  travailleurs. 
Telle  était  la  pliilanthropie  éclairée  de  cette  as- 
semblée qui  a  laissé  dans  l'histoire  un  si  terrible 
renom. 

Quant, aux  Académies,  Mirabeau,  dans  ses  der- 
niers jours,  avait  préparé  un  rapport  concluant  à 
la  suppression  de  «  ces  écoles  do  servilité  et  de 
mensonge  ».  Il  s'agissait  surtout  de  l'Académie 
française,  qui  comptait  alors  dix  de  ses  membres 
dans  l'émigration.  Elle  fut  en  effet  supprimée;  les 
autres  lurent  simplement  réorganisées  avec  un  per- 
sonnel en  pariie  renouvelé  et  sur  des  bases  plus 
conformes  aux  nouvelles  institutions  sociales  et  au 
progrès  des  sciences;  elles  devinrent  des  sections 
de  l'Institut  national  de  France,  créé  le  25  oc- 
tobre 1795,  sur  le  rapport  do  Daunou.  Il  se  divi- 
sait en  trois  classes:  sciences  physiques  et  ma- 
thématiques; sciences  morales  et  politiques;  lit- 
térature et  beaux- arts.  Il  comprenait  tous  les 
hommes  marquants  de  cette  époque,  dont  quel- 
ques-uns sont  les  plus  grands  du  siècle.  Cette 
organisation  était  la  plus  rationnelle  :  l'Institut 
ainsi  compris  était  comme  la  consécration  de  tout 
le  mouvement  scientifi(|ue  qui  a  produit  la  Révolu- 
tion ;  il  était,  suivant  un  mot  du  temps,  r£/iC^c/o- 
pédie  vivante  et  triomphante. 

Bonaparte,  en  1803,  brisa  cette  organisalioii, 
reconstitua  les  quatre  Académies  de  1  ancien  ré- 
gime, et  suppriiua,  comme  dangereuse  pour  le  gou- 
vernement qu'il  allait  fonder,  la  section  des  sciences 
luorales  et  politiques  ;  c'était  celle  où  siégeaient 
Volney,  Garât,  Cabanis,  Grégoire,  Lakanal.  Daunou, 
Sieyès,  c'est-à-dire  la  représentatiou  la  plus  auto- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1873  —    RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


risée  de  la  liberté  politique  et  de  l'indépendaiico 
■scientiliciue. 

Revenons  aux  créations  de  la  Convention  et  de 
son  Comité  d'instruction  publique: 

Le  Musée  du  Louvre,  établi  par  décret  du  27 
juillet  1793  pour  l'éducation  artistique  du  peuple 
dans  le  palais  des  rois,  formé  des  tableaux  que  la 
monarcliie  avait  dispersés  dans  ses  galeries  et, 
dès  noi,  enrichi  par  les  victoires  de  nos  armées 
en  Belgi(|ue  et  en  Hollande; 

ha.  Bi/jliothèr/tœ  yiationale,  l'ancienne  bibliotliè- 
que  du  roi,  prodigieusement  agrandie  et  que  la  loi 
de  ITJS  sur  le  dépôt  légal  va  augmenter  de  tout 
ce  que  publieront  les  presses  françaises; 

Le  Musée  des  monuments  françaix,  fondé  le  30 
février  ns3,  où  la  Convention  veut  réunir  les  mor- 
ceaux de  sculpture  et  d'arcliitecture  du  moyen 
âge  qu'elle  protège  contre  le  vandalisme  des  po- 
pulations, défendant  de  muiiler  les  monuments 
ou  les  livres,  «  sous  prétexte  de  faire  disparaître 
les  insignes  de  la  féodalité  et  de  la  royauté  »;  il 
fut  dispersé  après  la  Révolution. 

Les  Archives  nationales,  où  viennent  se  centra- 
liser les  papiers  précieux  des  cliâteaux  et  des  mo- 
nastères lorsque,  sur  la  proposition  de  Grégoire,  la 
Convention  défend  de  continuer  à  brûler  les  char- 
tes féodales; 

Le  Conseï  vatoire  national  de  musique,  créé  par 
décret  du  8  novembre  1793,  où  six  cents  élèves 
viennent  écouter  les  leçons  de  Gossec,  de  Grétry, 
•de  Méhul,  de  Lesueur,  de  Cherubini. 

Si  la  Révolution  a  supprimé  l'Académie  des 
Beaux-Arts,  elle  a  convoqué  le  premier  jury  na- 
tional des  Beaux-Arts;  la  première  exposition 
artistique  a  lieu  au  Louvre  en  1791  ;  la  seconde  a 
lieu  en  1793,  en  cette  année  à  la  fois  terrible  et 
féconde,  qui  vit  la  Convention,  au  milieu  de  dan- 
gers mortels,  préparer  la  grandeur  scientifique 
et  artistique  de  la  Frjnce. 

C'est  encore  en  1793  qu'elle  vote  la  loi  sur  la 
propriété  artistique  et  littéraire  (juillet),  qu'elle 
entend  le  rapport  du  député  Arbogast  sur  l'unité 
■des  poids  et  mesures  (août).  Au  plus  fort  de  sa 
lutte  contre  l'Europe  (avril  1793),  elle  avaitaccueiUi, 
sur  le  rapport  de  Romme,  l'invention  nouvelle  de 
l'abbé  Cliappe,  le  télégraphe  aérien. Le  30  août  I79i, 
le  télégraphe,  fonctionnant  pour  la  première  fois 
jusqu'à  la  frontière,  lui  apportait  cette  nouvelle  : 
«  La  ville  de  Condé  est  restituée  k  la  République. 
La  reddition  a  eu  lieu  ce  matin  à  six  heures.  « 
■C'est  aux  armées  de  la  Convention,  dans  la  jour- 
née victorieuse  de  Fleurus,  que  fut  tenté  le  pre- 
mier essai  d'aérostation  militaire.  Dans  un  rap- 
port à  l'assemblée,  Fourcroy  constatait  que, 
depuis  cette  première  ascension  qui  avait  si  fort 
intrigué  les  Autricliiens,  jusqu'au  i  janvier  1795, 
■il  y  en  avait  eu  déjà,  3:>.  Il  était  bien  juste  que  la 
science  se  mit  au  service  du  seul  gouvernement 
qui  en  Europe  combattît  pour  la  raison  et  pour  le 
droit,  celui  dont  les  victoires  préparaient  l'avenir 
splendide  de  l'humanité,  et  dont  la  défaite  eût 
été  le  triomphe  des  puissances  de  la  nuit. 


Principaux  ouvrages  à  consulter.  —  A.  de  Toc- 
-queviUe,  L'Ancien  réf/imf  et  la  liévoliilimi.  —  F.  LafiT- 
rière.  Histoire  des  principes,  des  institutions  et  des  toii 
jiendant  ta  Iléooliaion  française.  —  H.  Taine.  Les  origi- 
nes rfe  la  France  contemporaine  :  l'Ancien  régime.  —  E. 
Despois,  Le  Vandalisme  réiiolutionnaire  ;  fondations  litté- 
raires, scienti/it/nes  et  artistiques  de  la  Convention.  — 
H.  DODiol,  Ln  lievolution  française  et  la  féodalité.  -  Ch. 
Chassin,  L'Eglise  et  les  derniers  serfs.  —  Arthur  Young, 


Voi/age. 
IrailuiN  |i:ir\l    I,. 


ruci,   //„■/,„„„„„■,.   /,„i, „■„,,„■    .,  „.„„,o  ». 

enul  urnes  de  la  France.  —  Lmilc  Gurft,  Les  bicnfàus'de  Tu 
JicoolutiOti  française. 


1787,  1788.  17»! 
I,,a.l„,  li.  \[.,l\\n,n.  L'ancien  ré- 
..„,,„,,„,  ,,/  ,/,,  /i„,rois.  —  X.r.\K- 


DEUXIEME    PARTIE 
Histoire  de  la  Révolution. 

A.  —  Lca   orIgInciKie  lu  névulutlon. 

Il  faut  chercher  dans  les  splendeurs  mêmes  du 
règne  de  Louis  XIV  les  causes  de  la  Révolution. 
Sous  ce  roi  qu'en  France  et  en  Europe  on  appelait 
le  grand  roi,  l'Etat  français  arriva  au  plus  haut 
degré  de  puissance.  L'Alsace,  le  Roussillon, 
l'Artois,  la  Flandre,  la  Franclie-Comlé  furent 
réunis  i,  la  France;  à  nos  colonies  du  Canada,  de 
la  Guyane,  de  l'île  Bourbon,  s'ajoutèrent  celles  de 
la  Louisiane,  de  Saint-Domingue,  du  Sénégal, 
presque  tout  le  groupe  des  Petites  Antilles,  des 
établissements  considérables  à  Madagascar  et  dans 
l'Indoustan.  Louis  XIV,  justifiant  sa  devise  Nec 
plurihus  iiiipar,  lutta,  dans  plusieurs  guerres,  con- 
tre l'Europe  coalisée,  la  fatigua  de  ses  victoires, 
et  presque  toujours,  sauf  dans  sa  dernière  guerre, 
celle  de  la  succession  d'Espagne,  dicta  les  con- 
ditions de  la  paix.  Les  souverains  de  l'Europe 
s'inclinaient  devant  sa  prépondérancc^e  jecon- 
naissaient  pour  le  premier  d'entre  ^Bflks'ef- 
forçaient  de  l'imiter  en  tout.  ^^^H^ 

A  l'intérieur,  il  fonda  sa  royauté  abs^^^ur  la 
ruine  des  pouvoirs  qui  avaient  tenu  en  échec  ses 
prédécesseurs  :  il  dompta  l'aristocratie  qu'il  ré- 
duisit à  n'être  plus  qu'une  noblesse  de  cour;  il 
força  les  parlements,  qui  s'intitulaient  cours  sou- 
veraines, à  se  renfermer  dans  leurs  attributions 
judiciaires  ;  il  humilia  les  prétentions  du  pape  et  fit 
des  évoques  les  plus  dociles  de  ses  sujets  ;  il  rédui- 
sit à  l'impuissance  les  Etats  provinciaux  et  effaça 
les  derniers  vestiges  des  libertés  municipales. 

Louvois  lui  organisa  son  armée  sur  un  pied 
formidable;  Colbert accrut  sa  marine  marchande, 
créa  une  puissante  marine  de  guerre,  fonda  les 
ports  militaires  de  Dunkerque,  Brest,  Rochefort  et 
Toulon  ;  ses  architectes  bâtirent  le  Val-de-Gràce, 
l'Observatoire,  le  Palais-Mazarin,  l'Observatoire, 
les  arcs  de  triomphe  des  portes  Saint-Denis  et 
Saint-Martin,  les  Invalides,  achevèrent  le  Louvre 
et  les   Tuileries,  construisirent  Versailles. 

Toute  cette  grandeur  fut  achetée  par  d'énormes 
sacrifices,  et  la  nation  en  fut  comme  écrasée.  Les 
vingt  années  de  guerres  non  interrompues,  sou- 
vent malheureuses,  qui  signalèrent  la  fin  de  ce 
règne,  portèrent  à  son  comble  la  misère  du  peu- 
ple des  campagnes  et  des  villes  :  la  guerre  sévis- 
sait aux  frontières  et  la  famine  dans  l'intérieur 
du  royaume.  La  royauté  persécuta  cruellement 
les  protestants,  supplicia  leurs  pasteurs,  terrorisa 
les  populations  du  midi  par  les  dragonnades, 
poussa  les  calvinistes  des  Cévennes  à  l'insurrec- 
tion ;  400  000  Français,  les  plus  riches  et  les  plus 
industrieux,  fuyant  la  barbarie  de  ses  intendants, 
de  ses  juges,  de  ses  dragons,  émigrèrent  dans  les 
pays  voisins:  ce  fut  un  coup  mortel  pour  l'indus- 
trie et  le  commerce  de  la  France  et  le  commen- 
cement des  prospérités  de  la  Prusse  et  de  l^An- 
gleterre.  Après  avoir  étonné  l'Europe  de  ses 
victoires,  de  ses  bâtiments,  du  luxe  de  sa  cour, 
Louis  XIV  laissait  en  mourant  une  dette  de  près 
d'un  milliard. 

Sous  Louis  XV,  cette  situation  empira.  La  ban- 
queroute do  Lavv  au  début,  la  banqueroute  de 
l'abbé  Terray  à  la  fin  du  règne,  anéantirent  le 
crédit  de  l'Etat.  Le  pouvoir  royal,  tout  aussi  écra- 
sant pour  le  peuple,  aussi  tyrannique  pour  les 
dissidents,  n'offrait  plus,  en  compensation,  ni 
la  gloire  militaire,  ni  la  prépondérance  du  pays 
au  dehors.  La  guerre  de  Sept  ans  fut  le  déshon- 
neur de  la  roya'Uté  et  des  nobles  qui  comman- 
daient ses  armées  ;  en  Europe,  la  France  fut  hu- 
miliée devant  la  Prusse  naissante  ;  hors  d'Europe, 
les  Anglais  s'emparèrent  du  Canada,  de  nos  pos- 
sessions de  l'Indoustan  ;  la  Louisiane  était  cédée  k 
118 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    -  1874  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


l'Espagne.  La  vie  privée  du  roi  fut  le  scandale  du 
siècle  :  le  peuple,  qui,  en  1744,  lui  avait  décerné  le 
nom  de  "  Louis  le  Bien-Aimé  »,  changea  cet 
amour  en  haine  :  on  vit  le  roi  s'associer  aux  spé- 
culateurs pour  accaparer  les  grains  et  créer  des 
famines  artificielles.  La  royauté,  si  obéie  naguère, 
voyait  l'insubordination  grandir  autour  d'elle  :  les 
évêques  la  bravaient;  les  parlements  lefusaient 
d'enregistrer  ses  édits;  à  Paris,  le  peuple,  exas- 
péré par  la  disette,  les  petits  rentiers,  ruinés  par  les 
banqueroutes  de  l'Etat,  multipliaient  les  émeutes; 
les  campagnes  se  dépeuplaient,  et,  dans  certaines 
provinces,  le  désert  s'étendait. 

Le  Tiers-Et:it,  qui  jusqu'alors  avait  soutenu  la 
royauté  contre  tous  ses  ennemis,  contre  l'aristo- 
cratie, contre  le  pape,  contre  les  évoques,  et  qui 
l'avait  aidée  à  fonder  sur  l'unité  française  la  gr.tn- 
deur  royale,  commençait  à  séparer  sa  cause  de 
celle  du  monarque.  La  bourgeoisie  étaiiniaintenant 
trop  éclairée  pour  s'accommoder  plus  longtemps 
du  despotisme,  de  l'arbitraire  administratif,  des 
abus  qui  déshonoraient  la  justice,  l'armée  et  tous 
les  seines  publics,  des  privilèges  que  s'arro- 
geaflH||M:lergé  et  la  noblesse.  Les  économistes 
Traifl^^^u  étrangers,  Vauban,  Boisguillebert, 
Qu^r^,  Gournay,  Adam  Smitli,  démontraient 
l'absurdité  dif  système  d'impôts.  Voltaire  flétris- 
sait l'intolérance  religieuse,  vengeait  La  Barre, 
Sirven,  Calas,  victimes  de  la  barbarie  des  juges, 
dénonçait  au  monde  entier  l'état  de  servage  où 
le  chapitre  de  Saint-Claude  retenait  les  paysans 
du  mont  Jura.  Montesquieu,  dans  son  Esprit  des 
Lois,  dégageait  le  principe  des  constitutions  libres 
et  donnait  la  formule  des  réformes.  Rousseau, 
dans  son  Coyitratsùcia/,  pvodàmahU  souveraineté 
du  peuple.  Diderot  et  d'Alemborl,  dans  V Encyclo- 
pédie, commençaient  l'éducation  scientifique  de 
la  nation  et  détruisaient  par  la  base  toutes  les 
superstitions  politiques  ou  religieuses.  Beaumar- 
chais, dans  sa  comédie  du  Mariage  de  Figaro,  li- 
vrait la  noblesse  et  le  régime  arbitraire  aux  risées 
du  public. 

Quand,  le  11  mai  1774,  Louis  XVI  succéda  à 
son  aïeul  Louis  XV,  une  immense  espérance  s'em- 
para du  peuple  et  de  la  bourgeoisie.  Le  nouveau 
roi  parut  d'abord  vouloir  justilier  cette  attente. 
Il  congédia  les  ministres  de  Louis  XV,  que  pour- 
suivaient la  haine  et  le  mépris  de  la  nation:  mais 
presque  aussitôt  se  manifesta  l'indécision  qui  était 
le  trait  essentiel  de  son  caractère.  11  nomma 
Turgot  contrôleur-général  des  finances,  et  Males- 
hcrbes  ministre  de  sa  maison  ;  mais  en  mètne 
temps  il  confiait  le  ministère  des  affaires  étrangères 
à  Técervelc  Maurepas,  qu'on  appelait  le  Perroquet 
de  la  Régence,  et  le  ministère  de  la  guerre  au 
comte  de  Saint-Germain,  dont  le  premier  soin  fut 
d'introduire  dans  l'armée  l'usage  des  châtiments 
corporels. 

Malgré  les  obstacles  qui  leur  étaient  suscités 
par  la  reine  Marie-Antoinette,  fille  de  l'impératrice 
d'Allemagne  Marie-Thérèse,  par  les  parlements,  les 
courtisans,  les  financiers,  par  leurs  propres  col- 
lègues et  tous  ceux  qui  profitaient  des  abus,  les 
deux  ministres  populaires,  Turgot  et  Malesherbes, 
se  mirent  h  l'œuvre. 

Malesherbes  proposa  à  Louis  XVI  la  restitution 
des  droits  civils  aux  protestants,  la  suppression 
des  lettres  de  cachet,  de  la  censure  contre  la 
presse,  l'abolition  de  la  torture  :  ces  réformes 
furent  ajournées. 

Turgot  fit  décréter  la  suppression  de  la  corvée 
royale  sur  les  routes,  l'abolition  des  maîtrises,  la 
destruction  des  douanes  intérieures,  les  entraves 
à  la  circulation  des  grains.  Ces  réformes  suscitè- 
rent l'aiiimosiié  des  privilégiés.  Le  parlement  de 
Paris  foutint  que  «  le  peuple  est  taillable  et  cor- 
véable à  merci  et  que  c'est  une  partie  de  la  cons- 
titution que  le  roi  est  inipuissant  i.  changer  ;  »  il 


n'enregistra  que  par  force  l'édit  qui  abolissait  la 
corvée.  Les  accapareurs  soulevèrent  le  peuple  igno- 
rant contre  l'édit  qui  établissait  la  liberté  du 
commerce  des  grains,  et  soudoyèrent  des  brigands 
qui  :. lièrent  piller  les  boulangeries  et  couler  les 
bateaux  chargés  de  blé.  Il  fallut  tout  un  corps  de 
troupes  pour  mettre  fin  à  la  «  guerre  des  farines» 
^mars  I77G'.  Le  roi  n'osa  soutenir  les  ministres 
réformateurs.  Malesherbes  et  Turgot  donnèrent 
leur  démission  ;  les  paysans  furent  remis  à  la 
corvée,  les  ouvriers  au  régime  des  maîtrises,  le 
cotnnierce  soumis  aux  anciennes  entraves,  tous 
les  projets  de  réformes  abandonnés. 

Lorsqu'en  1776  éclata  la  guerre  contre  l'Angle- 
terre pour  la  liberté  des  États-l  nis,  pressée  de 
rétablir  ses  finances,  la  cour  s'adressa  à  un  ban- 
quier genevois,  Xecker  ;  comme  il  était  protestant, 
on  ne  le  nomma  pas  contrôleur-général,  mais  sim- 
plement directeur  des  finances.  Necker  reprit 
quelques-unes  des  idées  de  Turgot,  affranchit  les 
serfs  du  domaine  royal,  abolit  la  torture,  mais 
seulement  la  question  préparatoire,  et  non  pas  la 
question  préalable.  Pour  trouver  de  l'argent,  il 
fallait  emprunter;  pour  emprunter,  il  fallait  relever 
le  crédit  de  l'État,  et  donner  confiance  aux  capita- 
listes. Necker,  pour  la  première  fois,  rendit  public 
le  budget  des  recettes  et  dépenses  ;  cette  publica- 
tion était  fort  incomplète  et  dissimulait  encore 
bien  des  abus.  Les  courtisans,  qui  vivaient,  comme 
on  disait  alors,  des  «  bienfaits  du  roi  »,  furent 
inquiets  de  ce  commencement  de  lumière.  Comme 
le  compte-rendu  de  X'ecker  avait  une  couverture 
bleue  :  «  Avez-vous  lu  le  conte  bleu  ?  •>  dit  Mau- 
repas. Le  mot  eut  du  succès  ;  le  roi  abandonna 
son  ministre. 

La  guerre  d'Amérique  continuait  :  elle  eut  des 
conséquences  que  la  cour  n'avait  sans  doute  pas 
prévues  quand  elle  permit  à  Lafayette  et  aux  volon- 
taires français  d'aller  soutenir  les  insurgés  améri- 
cains, et  quand  etisuite  elle  envoya  les  troupes 
royales  sous  la  conduite  de  Rochambeau.  Les 
Français  assistèrent  dans  le  Nouveau  Monde  au 
soulèvement  d'un  peuple  qui  revendiquait  ses 
droits  ;  ils  entendirent  proclamer  les  principes 
de  la  souveraineté  nationale  et  saluèrent  la  nais- 
sance de  la  République  des  États  Unis.  Beaucoup 
dirent  avec  Lafayette  :  «  Voili  des  principes  que 
nous  rappellerons  un  jour  chez  nous,  »  et  gravèrent 
dans  leur  cœur  ces  maximes  de  la  déclaration  de 
Philadelphie  : 

«  Tous  les  hommes  ont  été  créés  égaux;  ils  ont 
été  doués  par  le  Créateur  de  certains  droits  ina- 
liénables ;  pour  s'assurer  la  jouissance  de  ces 
droits,  les  hommes  ont  établi  parmi  eux  des  gou- 
vernements dont  l'autorité  légitime  émane  du 
consentement  des  gouvernés  ;  toutes  les  fois 
qu'une  forme  de  gouvernement  quelconque  devient 
destructive  des  fins  pour  lesquelles  elle  a  été  éta- 
blie, le  peuple  a  le  droit  de  la  changer  et  d^ 
l'abolir.  » 

Pendant  que  l'Amérique  anglaise  devenait  un< 
république,  la  cour  de  France  et  le  gouverneraenj 
s'obstinaient  dans  les  mêmes  errements.  Malgré  lî 
pénurie  du  trésor  et  la  misère  du  peuple,  le! 
favoris  de  la  reine  touchaient  de  grosses  pensions: 
les  Polignac,  à  enx  seuls,  700  000  livres  par  an, 
Aussi  la  haine  du  peuple  se  tournait-elle  coiitro 
Marie-Antoinette  :  on  commençait  à  J'appeler  ÏAlt- 
Iricliieiine  ou  encore  Madame  Déficit.  Les  frères 
du  roi,  le  comte  de  Provence,  le  comte  d'Artois, 
s'adjugeaient  des  sommes  énormes.  Il  fallait  rem- 
plir le  trésor,  épuisé  parles  dépenses  de  la  guerre 
et  les  prodigalités  de  la  cour. 

Galonné  promit  à  la  reine  de  trouver  des  res- 
sources :  nommé  contrôleur-général,  il  débuta  par 
emprunter  ii  0  millions,  dont  un  quart  à  peine 
entra  au  trésor  ;  le  reste  fut  dévoré  par  les  gens 
de  cour  :   le   comte  de  Provence  en  prit  pour  sa 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1875  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

pan  Î5  niilliotis  et  le  comte  d'Artois  50.  Calonne 
ne  savait  rien  refuser  à  personne  ;  il  fallut  em- 
prunter encore  400  millions.  Alors  il  s'avisa  de 
proposer  des  réformes  :  soumettre  les  privilégies 
k  l'impôt,  décréter  la  liberté  du  commerce,  établir 
des  assemblées  provinciales,  etc. 

La  situation  était  si  grave  que  l'on  parla  de  con- 
voquer les  États-Généraux  :  on  ne  pensait  à  eux 
aue  lorsqu'il  y  avait  de  l'argent  à  leur  demander, 
etto  fois,  on  avait  de  tels  comptes  à  leur  rendre 
qu'on  n'osa  les  réunir.  On  se  borna  donc  à  convo- 
quer les  notablfs,  c'est-à-diro  précisément  les 
représentants  des  classes  privilégiées,  qui  ne 
payaient  rien  et  qui  entendaient  bien  ne  rien 
payer.  Ils  repoussèrent  unanimement  les  réformes 
que  proposait  le  contrôleur-général,  et  Calonne 
tomba. 

Son  successeur,  Loménie  de  Brienne,  arche- 
vêque de  Toulouse,  ne  réussit  pas  mieux  à  con- 
vaincre les  notables.  Ils  acceptèrent  l'établisse- 
ment d'assemblées  provinciales,  l'abolition  (!e  la 
corvée  royale,  la  restitution  de  l'étal  civil  aux  pro- 
testants ;  ils  consentirent  même  à  voter  un  impôt 
du  timbre  et  une  subvention  territoriale  ;  mais  ils 
se  refusèrent  tout  net  à  l'égalité  des  impôts,  seul 
moyen  d'éviter  la  banqueroute.  Au  cours  dos  dis- 
cussions, Lafayette  avait  prononcé  le  mot  d'États- 
Généraux  et  même  d'Assemblée  nationale. 

Le  parlement  de  Paris,  quand  les  notables  se 
furent  séparés,  refusa  au  ministère  même  les 
maigres  ressources  que  ceux-ci  lui  avaient  accor- 
dées. Il  n'enregistra  que  par  force,  dans  une  séance 
royale  ou  lil  de  /u-^tive  tenu  par  le  roi,  les  deux 
impôts  votés  par  eux.  Après  la  séance  royale,  le 
parlement  protesta  et  fut  exilé  à  Troyes,  puis 
dissous  ;  les  parlements  de  province  firent  cause 
commune  avec  celui  de  Paris  et  furent  également 
dispersés. 

En  se  dispersant,  le  parlement  de  Paris,  comme 
l'assemblée  des  notables,  comme  naguère  la  cour 
des  aides,  comme  les  États  provinciaux  de  Dau- 
pliiné  réunis  à  Vizille,  comme  le  clergé  lui-même 
dans  son  assemblée  de  1787,  comme  l'opinion  pu- 
blique tout  entière,  en  avait  appelé  aux  États- 
Généraux.  Le  roi  finit  par  se  résigner  :  en  dé- 
cembre 1"87,  il  promit  qu'on  les  convoquerait 
dans  cinq  ans.  L'état  des  finances  no  permit  pas 
d'attendre  si  longtemps  :  la  date  de  mai  I7S9  fut 
définitivement  arrêtée.  Puis,  pour  s'assurer  un 
peu  de  popularité, le  gouvernemejit  rappela  Necker. 
Il  y  avait  cent  soixante-quinze  ans  qu'on  n'avait 
convoqué  les  mandataires  de  la  nation  ;  la  dernière 
réunion  remontait  à  1014.  Pendant  les  deux  règnes 
si  longs  de  Louis  XIV  et  de  Louis  XV,  pendant  ce 
siècle  et  demi  de  monarchie  absolue  et  irrespon- 
sable, il  ne  fut  môme  pas  question  des  États.  Le 
souvenir  des  États-Généraux  de  1614  était  d'ail- 
leurs resté  peu  populaire,  tant  le  Tiers-État  y  avait 
essuyé  d'humiliations;  les  représentants  de  la 
bourgeoisie  y  avaient  paru  à  genoux  et  tête  nue, 
tandis  que  le  clergé  et  la  noblesse  restaient  assis 
et  couverts  devant  le  roi.  L'orateur  du  Tiers-État 
ayant  osé  dire  que  les  trois  ordres  étaient  comme 
trois  frères,  les  deux  premiers  étant  les  aines  et  le 
Tiers-Éiat  étant  le  cadet,  la  noblesse  lui  lit  cette 
insolente  réponse  :  «  Qu'il  n'y  avait  aucune  fra- 
ternité entre  elle  et  le  Tiers;  que  les  nobles  ne 
voulaient  pas  que  les  enfants  de  cordonniers  et  de 
savetiers  les  appelassent  leurs  frères  ;  qu'il  y  avait 
autant  de  différence  entie  eux  et  le  Tiers  qu'entre 
le  maître  et  le  valet.  » 

En  1788,  la  première  question  qui  se  posa  fut 
celle-ci  :  le  Tiers-État  aurait-il  un  nombre  de 
représentants  égal  à  celui  des  représentants  des 
«eux  autres  ordres  réunis  .'  C'est  ce  ([u'on  appelait 
1*  question  du  a  doublement  du  Tiers  ».  l.n  fait, 
dans  la  plupart  des  réunions  d'États-Généraux, 
.le  Tiers  avait  une  double  représentation  ;  en  droit, 


il  était  bien  juste  que  vingt  millions  d'hommes 
eussent  une  représentation  au  moins  égale  à  celle 
des  cent  mille  ecclésiastiques  et  des  cent  cin- 
quante mille  nobles  qui  composaient  les  deux  au- 
tres ordres.  Necker  le  comprit  ainsi;  mais  il  voulut 
faire  décider  le  doublement  du  Tiers  par  une  nou- 
velle assemblée  de  notables  qu'il  convoqua  en 
1788.  Les  notables,  gens  privilégiés,  refusèrent  le 
doublement  :  Necker  le  fit  décider  par  le  con- 
seil du  roi. 

De  ce  premier  principe,  le  doublement  du  Tiers, 
découlait  naturellement  cette  conséquence  :  le 
vote  par  tries,  et  non  le  vote  par  ori/res,  dans  les 
délibérations.  A  quoi  bon  attribuer  au  'fiers-Etat 
un  nombre  double  de  représentants,  si  l'on  devait 
voter  par  ordres,  s'il  ne  devait  avoir  qu'un  suf- 
frage contre  les  deux  sulTrages  des  ordres  privi- 
légiés'/ Necker  ne  put  ou  ne  voulut  pas  tirer  la 
conséquence  du  principe  posé  par  lui-même.  Les 
événements  allaient  montrer  tout  le  péril  de  cette 
irrésolution. 

Necker  fit  admettre  les  curés  dans  lareprésenta- 
tion  du  clergé,  les  paysans  dans  celle  di^^m|Etat, 
les  protestants  au  nombre  des  électÉ^^^Kdes 
éligiblcs.  Il  s'abstint  d'exercer  aucuH^HHion 
sur  les  élections  :  on  vit,  pour  la  prer^re  fois 
dans  notre  histoire,  cinq  millions  de  Français 
exercer  leur  droit  de  citoyens.  Les  privilégiés 
essayèrent  bien  d'apporter  quelque  trouble  dans 
ce  grand  mouvement  :  leurs  intrigues  ne  furent 
pas  étrangères  à  l'émeute  du  27  avril  1789  à 
Paris,  pendant  laquelle  la  populace  incendia  la 
fabrique  Réveillon,  et  qui  manqua  faire  ajourner 
la  convocation  des  Etats. 

Presque  partout,  les  élections  se  firent  avec  le 
plus  grand  calme  ;  dans  chaque  bailliage,  le 
clergé,  la  noblesse,  le  peuple  dos  villes  et  des 
campagnes,  rédigèrent  les  fameux  cahiers  de  1789, 
c'est-à-dire  les  vœux  dont  les  députés  aux  Etats 
étaient  chargés  de  solliciter  la  réalisation.  Le 
clergé  revendiqua,  dans  ses  cahiers,  le  maintien 
de  la  dime  et  de  la  propriété  ecclésiastique,  son 
droit  de  surveillance  sur  l'éducation,  sur  la  pres- 
se, sur  les  dissidents  religieux;  la  noblesse 
stipula  la  garantie  de  tous  ses  privilèges  ;  mais  le 
clergé  comme  la  noblesse  s'unirent  au  Tiers-Etat 
pour  demander  qu'où  restreignît  le  despotisme 
royal  et  que  les  mandataires  de  la  nation  fussent 
convoqués  périodiquement. 

«  Ecoutez!  écrivait  Camille  Dosmoulins  dans  sa 
brochure  la  France  libre,  écoutez  Paris  et  Lyon, 
Rouen  et  Bordeaux,  Calais  et  .Marseille  ;  d'un 
bout  de  la  France  à  l'autre,  le  même  cri,  un  cri 
universel,  se  fait  entendre.  La  nation  a  partout 
exprimé  le  même  vœu.  Tous  veulent  être  libres.» 

Les  cahiers  du  Tiers-Etat  de  Rennes  contien- 
nent ce  vœu  qui  est  la  formule  même  de  la  Ré- 
volution :  a  C'est  par  erreur  que  ce  qu'on  appelle 
Tiers-Etat  a  été  qualifié  é'oritre  ;  avec  ou  sans 
les  privilégiés,  il  s'appelle  Peuple  ou  Nation.  >■ 
C'est  l'idée  que  l'abbé  Sieyès  avait  déjà  exprimée 
dans  la  célèbre  brochure  :  «  Qu'est-ce  que  le 
liers-Etat  ?  —  Rien.  —  Que  doit-il  être  ?  — 
Tout.  » 

La  députation  de  la  noblesse,  telle  qu'elle  sor- 
tit des  élections,  se  composait  de  243  gentils- 
hommes et  de  28  membres  des  parlements  ;  celle 
du  clergé,  de  48  prélats,  de  ;!5  abbés  de  monas- 
tères, de  ^08  curés  ;  le  Tiers  comptait  578  mem- 
bres, parmi  lesquels  2  prêtres,  12  nobles,  13  ma- 
gistrats des  municipalités,  102  magistrats  de  bail- 
liage, 212  avocats.  16  médecins,  106  marchaiif's 
ou  cultivateurs.  Le  comte  de  Mirabeau  et  l'abbé 
Sicyès  figuraient  comme  députés  du  Tiers. 

B,  —   l.c»  î:tul«-f.êupraus.  L  i  CoiLttltauiite, 

Bèunion  ds  Etats  Génèra-.x.  —  Les  Etals. 
Généraux  se   réunirent  non  à  Paris,  mais  à  Ver 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1876  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


sailles,  où  résidait  le  monarque.  Le  4  mai,  le  roi, 
sa  famille,  ses  ministres,  les  députés  des  trois 
ordres,  se  rendirent  processionnellement  de  l'é- 
glise -Notre-Dame  à  l'église  Saint-Louis,  pour  y 
entendre  la  messe  d'inauguration.  Une  foule  im- 
mense était  accourue  de  Paris  pour  assister  à  la 
cérémonie  ;  elle  fut  péniblement  frappée  du  con- 
traste qu'on  avait  voulu  ménager  entre  le  costume 
simple  et  sévère,  l'habit  noir,  le  petit  manteau 
court  des  députés  bourgeois,  et  les  costumes  ma- 
gnifiques des  députés  privilégiés.  En  fait  d'étiquet- 
te, la  cour  prétendait  revenirà  la  tradition  des  Etats 
de  1014.  Quand  on  demandait  au  garde  des  sceaux 
Barentin   si    le  Tiers-Etat  serait  obligé  de  parler 

;\  genoux,  il  répondait  :  u  Si  le  roi  voulait! » 

La  même  distinction  humiliante  se  retrouva  dans 
la  harangue  que  l'évèque  de  Nanty  adressa  au 
roi  dans  l'église  Saint-Louis  :  «  Sire,  recevez  les 
hommnges  du  clergé,  les  respects  do  la  noblesse, 
et  les  hum/jlès  supplications  du  Tiers-Etat.  » 

Le  lendemain,  à  mai,  la  séance  d'ouverture 
eut  lieu  dans  la  salle  des  Menus.  Eji  face  du 
trôii^^^e  le  roi  allait  occuper,  le  maître  des 
cénH^Mi  plaça  le  clergé  h  droite,  la  noblesse  à 
gafl^^^Viers  au  fond  de  la  salle.  Plus  de  qua- 
ir^H^^pectateurs  emplissaient  les  tribunes. 
Louis  XVL  entouré  de  la  reine,  de  ses  frères,  de 
ses  ministres,  de  toute  une  cour  brillante,  se 
plaça  sur  le  trùne  et  se  couvrit.  Les  députés  du 
clergé  et  de  la  noblesse,  comme  c'était  l'usage, 
en  firent  autant  :  ceux  du  Tiers  les  imitèrent. 
Des  murmures  éclatèrent  sur  les  bancs  des  pri- 
vilégiés; alors  le  roi,  pour  ne  pas  autoriser  l'ex- 
tension de  leur  prérogative  aux  membres  des 
communes,  relira  sou  chapeau. 

Dans  les  discours  que  prononcèrent  successi- 
vement le  roi,  le  garde  des  sceaux  et  Necker,  on 
s'appliquait  à  mettre  les  députés  en  garde  contre 
les  «  innovations  dangereuses  »  ;  c'était  unique- 
ment de  l'état  financier,  des  sacrifices  à  s'impo- 
ser qu'on  prétendait  les  entretenir.  Quant  à  la 
question  du  vote  par  tètes  ou  par  ordres,  on  la 
laissait  indécise  :  au  fond  la  cour  eût  désiré  qu'on 
votât  par  tète  dans  les  matières  de  finances,  afin 
d'être  plus  assurée  d'obtenir  les  fonds,  et  qu'on 
votât  par  ordres  sur  presque  toutes  les  autres 
questions,  afin  d'être  garantie  contre  toute  inno- 
vation. Elle  s'obstinait  à  voir  dans  les  députés, 
non  des  législateurs,  mais  des  contribuables.  Mais 
la  nation  française  qui,  pour  la  première  fois 
depiiis  ses  origines,  se  trouvait  maîtresse  de  ses 
destinées,  qui  depuis  quinze  siècles  portait  le  triple 
joug  des  clergés,  des  aristocraties,  des  monar- 
chies de  toute  forme,  qui  pendant  cent  soixante- 
quinze  ans  avait  vu  interrompre  la  convocation  de 
ses  Etats,  n'entendait  pas  que  tant  de  souffrances, 
tant  d'efforts,  tant  de  progrès  accumulés,  tant 
d'espérances  suscitées,  n'aboutissent  qu  à  ce  ré- 
sultat :  refaire  les  finances  du  roi  pour  que  les 
vieux  abus  pussent  en  paix  se  perpétuer.  Les 
députés  du  Tiers  furent  à  la  hauteur  de  leur 
mission. 

Le  Tiers-Etat  se  constitue  en  Assemblée  natio- 
nale. —  Le  6  mai,  le  clergé  et  la  noblesse  se  ren- 
dirent dans  les  salles  qu'on  leur  avait  préparées  ; 
le  Tiers-Etat,  comme  le  plus  nombreux,  conti- 
nuait à  siéger  dans  la  salle  des  Menus.  Il  y  avait 
a  procéder  tout  d'abord  à  la  vérification  dos  pou- 
voirs. Cette  opération  devait-elle  se  faire  en  com- 
mun par  les  trois  ordres,  ou  séparément  ?  Les  pri- 
vilégiés entendaient  qu'elle  se  ferait  séparément  ; 
les  députés  du  Tiers,  qu'elle  se  ferait  en  commua. 
Si  ces  derniers  cédaient,  il  était  certain  que 
toutes  les  autres  délibérations  auraient  lieu  dans 
la  même  forme  ;  que  tontes  les  fois  qu'il  y  aurait 
un  abus  à  supprimer,  une  réforme  à  établir,  le 
suffrage  unique  du  Tiers  serait  annulé  par  le 
double  suffrage  des  ordres  privilégiés.  La  Révo- 


tion  était  arrêtée  dès  le  début,  le  Tiers-Etat 
maintenu  dans  son  infériorité,  le  peuple  con- 
damne à  une  servitude  éternelle. 

.\insi  de  la  solution  qu'on  donnerait  à  cette 
simple  question,  la  vérification  des  pouvoirs,  dé- 
pendait l'avenir  même  de  la  France. 

C'est  ce  que  comprirent  à  merveille  les  députés 
du  Tiers  :  ils  maintinrent  leur  revendication  et 
attendirent  que  les  privilégiés  voulussent  bien  se 
réunir  à  eux.  Ils  attendirent  patiemment,  long- 
temps ;  mais  le  temps  travaillait  pour  eux.  Ils  sa- 
vaient que,  même  parmi  les  nobles,  un  certain 
nombre  souhaitaient  que  la  Révolution  continuât, 
et  que,  dans  le  clergé,  la  plupart  des  curés,  op- 
primés par  l'épispocat,  exploités  par  les  monas- 
tères, étaient  favorables  aux  communes.  Des  con- 
férences s'établirent  entre  les  délégués  des  trois 
ordres  ;  les  évêques,  sous  prétexte  de  se  porter 
médiateurs,  n'oublièrent  rien  pour  empêcher  l'ac- 
cord. Ils  affectaient  de  rendre  le  Tiers-État  res- 
ponsable du  retard  apporté  au  soulagement  de  la 
misère  croissante  du  peuple  ;  un  des  prélats  s'é- 
criait pathétiquement  en  montrant  un  morceau 
d'afl'reux  pain  noir  :  «  Voilà  le  pain  du  paysan  !  » 
En  effet,  c'était  le  pain  que  l'ancien  régime,  de- 
puis quinze  siècles,  faisait  manger  au  peuple 
français. 

Près  de  cinq  semaines  se  passèrent  ainsi,  les 
privilégiés  se  concertant  avec  la  cour,  le  Tiers  en 
relation  constante  avec  le  peuple  qui  tous  les 
jours  venait  remplir  les  tribunes  de  l'Assemblée. 
Le  10  juin,  Sieyès  dit  à  ses  amis  :  «  Coupons  le 
câble,  il  est  temps,  u  11  était  temps  de  quitter  le 
rivage  du  vieux  monde  et  de  voguer  en  pleine 
mer,  vers  l'avenir.  Sieyès  proposa  de  so'ftmer 
une  dernière  fois  le  clergé  et  la  noblesse,  de  leur 
signifier  que  l'appel  se  ferait  dans  une  heure  et 
qu'il  serait  donné  défaut  contre  les  non-compa- 
rants.  Cette  mise  en  demeure  décida  quelques 
curés,  trois  d'abord,  puis  sept,  puis  un  plus  grand 
nombre,  à  se  rallier  au  Tiers  qui  les  accueillit 
avec  enthousiasme.  Le  17,  les  députés  des  com- 
munes firent  un  pas  encore  plus  hardi.  Sur  la  mo- 
tion de  Sieyès,  «  attendu  que  cette  assemblée  est 
déjà  composée  des  représentants  envoyés  direc- 
tement par  les  %  centièmes  au  moins  de  la  na- 
tion, et  qu'une  telle  masse  de  députation  ne 
saurait  rester  inactive  par  l'absence  des  députés 
de  quelques  bailliages  ou  de  quelques  classes  de 
citoyens,  •  ils  se  proclamèrent  constitués  en 
Assemblée  nationnle.  C'en  était  fait  des  États-Gé- 
néraux, de  la  division  en  ordres,  de  tout  l'ancien 
régime  politique. 

L'Assemblée  nationale  parle  et  agit  tout  d'abord 
en  souverain.  Elle  entend  et  décrète  :  1°  que  les 
impôts  cesseront  d  être  perçus,  si  elle  venait  à 
être  dissoute  ;  2°  que  la  dette  publique  est  sous 
la  garantie  de  la  nation  ;  3°  qu'un  comité  de  sub- 
sistances sera  constitué.  Par  le  premier  de  ces 
décrets,  elle  mettait,  quant  aux  finances,  la  COUP 
dans  sa  dépendance  ;  par  le  second,  elle  s'atta- 
chait les  capitalistes  et  les  créanciers  de  l'État; 
par  le  troisième,  elle  s'assurait  les  sympathies  du 
peuple. 

La  cour  et  les  privilégiés  sentirent  le  coup 
qui  leur  était  porté.  Louis  XVI  hésita  quelque 
temps  entre  les  conseils  de  Necker  et  ceux  de  sa 
famille.  La  reine  l'entraîna,  sous  prétexte  de 
chasse,  à  Marly,  l'entoura  d'un  comité  secret  formé 
du  co.mte  d'Artois,  de  Condé,  Conli,  Barentin, 
l'archevêque  de  Paris,  le  cardinal  de  la  Rochefou- 
cauld. 11  se  laissa  convertir  à  l'idée  d'un  coup 
d'État  :  il  tiendrait  dans  la  salle  des  Menus  une 
séance  royale,  parlerait  aux  députés  un  langage 
menaçant,  indiquerait  les  quel<|ues  réformes  auï- 
quelles  il  consentait,  et  signifierait  aux  irois  or- 
dres d'avoir  à  se  séparer.  Necker  serait  renvoyé. 
Le   serment  du  20  juin  et  la  séance  royale  du 


J 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


1877  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


23.  —  Dans  la  nuit  du  '20  juin,  Bailly,  président 
de  l'Assi'mblée  nationale,  fut  averti  par  le  garde 
des  sceaux  que  les  séances  étaient  suspendues. 
Ce  grand  citoyen  aima  mieux  obéir  à  son  mandai 
qu'.*!  la  cour.  A  l'heure  ordinaire,  il  se  présenta, 
suivi  des  députés,  h.  la  salle  des  États.  Il  la  trouve 
fermée,  occupée  par  les  ouvriers  qui  faisaient  les 
préparatifs  de  la  séance  royale  :  les  sentinelles 
présentèrent  la  baïonnette  aux  représentants  de 
la  nation.  Ceux-ci,  dans  leur  indignation,  parlaient 
d'aller  tenir  leur  séance  h  Marly,  sous  les  fe- 
nêtres du  roi.  On  décida  de  se  rendre  h.  la  salle 
(lu  Jeu  do  Paume  ;  là,  dans  une  salle  nue,  sans 
autre  meuble  que  la  ch.iise  sur  laquelle  était 
monté  le  président,  en  présence  d'un  public  nom- 
breux, parmi  les  rafales  du  vent  qui  pénétrait  de 
toutes  parts,  les  députés  debout,  la  main  levée, 
Jurèrent  de  ne  pas  se  séparer  avant  d'avoir  donné 
une  constitution  à  la  France.  Tel  fut  le  serment 
du  Jeu  de  Paume. 

Le  surlendemain,  l'Assemblée  trouva  le  Jeu  de 
Paume  fermé,  le  comte  d'Artois  l'ayant  retenu  pour 
une  partie  de  balle  ;  mais  à  ce  moment,  la  majeure 
partie  du  clergé,  s'étant  réunie  aux  communes, 
fit  ouvrir  l'église  Saint-Louis,  et,  suivant  l'expres- 
sion d'un  orateur,  o  le  temple  de  la  religion  devint 
celui  de  la  patrie.  " 

Le  23  eut  lieu  la  séance  royale.  La  salle  des 
Menus  était  entourée  de  troupes;  les  députés 
du  Tiers  attendirent  longtemps  à  une  porte  de 
derrière,  dans  la  boue,  sous  la  pluie,  disputant 
avec  les  g.nrdes,  pendant  que  les  ordres  privilé- 
giés entraient  par  la  grande  porte.  Dans  l'appareil 
militaire  qui  entourait  le  roi,  on  remarqua  l'ab- 
sence de  Necker.  Les  tribunes  étaient  vides,  l'en- 
trée de  la  salle  ayant  été  interdite  au  public.  Le 
roi  tint  le  discours  que  lui  avait  dicté  le  comité 
secret  :  il  cassa  tous  les  décrets  de  l'Assemblée, 
pre-^crivit  le  maintien  de  la  division  en  ordres, 
déclara  qu'il  ne  permettrait  pas  qu'on  tnucliât  ni 
à  l'Église,  ni  à  l'institution  de  l'armée,  ni  au  sys- 
tème d'impôts  sans  le  consentement  des  privilé- 
giés, ni  à  la  dîme,  ni  aux  droits  et  devoirs  seigneu- 
riaux. «  Je  vous  ordonne,  messieurs,  ajouta-t-il, 
de  vous  séparer  tout  de  suite  et  de  vous  rendre 
demain  matin  dans  les  cliambres  affectées  à  vos 
ordres.  » 

Quand  le  roi  se  fut  retiré,  le  clergé  et  la  no- 
blesse sortirent  également.  Les  députés  des  com- 
munes restèrent  h  leurs  places,  calmes,  silencieux, 
indignés.  Le  grand-maitro  des  cérémonies,  Dreux- 
Brézé,  revint  alors,  et  s'adressant  au  président  : 
»  Vous  avez  entendu,  messieurs,  l'ordre  du  roi.  » 
Bailly.  se  tournant  vers  ses  collègues  :  «  Il  me 
semble,  leur  dit-il,  que  la  nation  assemblée  ne 
peut  pas  recevoir  d'ordre.  »  Alors  Mirabeau,  d'une 
voix  tonnante,  répondit  h  Dreux-Brézé  :  «  Nous 
avons  entendu  les  intentions  qu'on  a  suggérées  au 
roi...  Allez  dire  à  ceux  qui  vous  envoient  que 
nous  sommes  ici  par  la  volonté  du  peuple  et  qu'on 
ne  nous  en  arrachera  que  par  la  puissance  des 
baïonnettes.  »  Le  grand-maître  des  cérémonies, 
intimidé  par  la  majesté  de  cette  souveraineté  nou- 
velle qui  venait  de  se  révéler,  sortit  à  reculons 
devant  les  représentants  du  peuple,  comme  il  fai- 
sait devant  le  roi.  <i  Quoi  donc  !  dit  un  député 
breton,  le  roi  parle  en  maître  quand  il  devrait 
consulter.  »  Sieyès  ajouta  :  «  Vous  êtes  aujourd'hui 
ce  que  vous  étiez  hier  :  délibérons.  »  C'était  dé- 
clarer qu'on  tenait  pour  nul  tout  ce  qu'avait  dit 
le  roi;  on  cassait  les  actes  de  la  séance  royale, 
tandis  que  la  séance  royale  avait  prétendu  casser 
les  actes  de  l'Assemblée.  Puis  l'Assemblée  décréta 
l'inviolabilité  de  ses  membres. 

Dans  le  premier  moment,  la  cour  crut  à  son 
triomphe.  La  reine  était  radieuse,  et,  présentant 
son  fils  aux  députés  nobles  :  u  Je  le  confie,  dit- 
elle,  à  la  noblesse  ».  Toute  cette  joie  tomba  quand 


on  apprit  la  résistance  du  Tier.s  :  on  n'avait  pas 
prévu  ce  refus  d'obéissance  ;  le  roi  paraissait  dé- 
concerté et  disait  :  «  S'ils  ne  veulent  pas  s'en  aller, 
qu'on  les  laisse  I  »  Necker,  que,  le  matin,  on  avait 
décidé  de  congédier,  fut,  le  soir,  supplié  de  res- 
ter. Le  27,  le  duc  d'Orléans  se  rendit  h  l'Assem- 
blée avec  un  grand  nombre  de  députés  nobles,  et 
la  réunion  définitive  des  trois  ordres  devint  alors 
un  fait  accompli. 

Prise  de  la  Bastille  et  nuit  du  4  août.  —  La 
reine  et  le  parti  de  la  cour  n'avaient  reculé  que 
parce  qu'on  n'était  pas  en  mesure  d'employer  «  la 
puissance  des  baïonnettes  ».  On  se  mit  aussitôt  en 
devoirde  réparorcel  échec  ;  dès  les  premiers  jours 
de  juillet,  des  mouvements  de  troupes  se  dessinè- 
rent autour  de  Versailles  et  do  Paris  ;  on  appela 
de  préférence  les  troupes  étrangères,  les  merce- 
naires suisses,  croates,  hongrois,  allemands,  qui 
résisteraient  moins  à  un  attentat  contre  l'Assem- 
blée nationale,  les  régiments  de  Diesbach,  Rei- 
nach,  Helmstadt,  Salis-Samade,  Berchiny,  Es- 
terhazy,  Pioyal-Allemand,  Boyal-Pologne,  Royal- 
Croate,  etc.  On  occupa  toutes  les  routeade  ma- 
nière h  pouvoir,  suivant  le  cas,  mena^ÉflB^^Ies 
ou  aifamer  Paris.  On  fit  entrer  un  rd^^^^^Hlis- 
ses  à  la  Bastille.  On  confia  toutes  ce^^^|^s  à 
Brcteuil,  qui  disait  :  «  S'il  faut  brûler  Paris,  on 
brûlera  Paris  !  »  et  au  maréchal  de  Broglie,  qui 
disait,  parlant  des  députés,  que  «  le  canon  et  la 
fusillade  auraient  raison  des  arguaientateurs.  » 
Enfin,  on  sut  que  la  reine,  pour  payer  la  guerre 
civile,  faisait  fabriquer  secrètement  du  papier- 
monnaie,  c'est  à-dire  préparait  la  banqueroute. 

Le  9  juillet,  lejour  même  où  elle  prenait  le  titre 
de  Constituante,  l'Assemblée  envoyait  une  adresse 
au  roi  pour  demander  l'éloignement  des  troupes 
étrangères,  dont  la  présence  agitait  le  peuple.  La 
réponse  du  roi  fut  peu  rassurante  :  il  était,  disait- 
il,  seul  juge  de  la  nécessité  de  faire  venir  ou  de 
renvoyer  les  troupes  ;  il  ne  s'agissait  que  d'assu- 
rer l'ordre  et  de  garder  l'Assemblée  ;  .si  l'Assem- 
blée était  inquiète,on  pourrait  la  transférer  à  Noyon 
ou  à  Soissons.  C'eût  été  l'éloigner  de  Paris  et  la 
mettre  à  la  discrétion  des  mercenaires.  Le  même 
jour.  Il  juillet,  on  apprenait  que  Necker,  chassé 
du  ministère,  était  parti  pour  Bruxelles,  et  qu'un 
nouveau  cabinet  vetiail  de  se  former,  composé 
précisément  de  tous  les  hommes  du  coup  d'Etat  : 
Broglie,  Breteuil,  La  Galissonnière,  Vauguyon, 
l'ami  des  jésuites,  et  Foulon,  auquel  le  peuple  prê- 
tait cette  parole  :  «  S'ils  ont  faim,  qu'ils  mangent 
du  foin  I  » 

L'Assemblée,  sous  le  coup  do  cette  provocation, 
reprit  toute  son  énergie.  Elle  envoya  une  députa- 
lion  demander  au  roi  le  renvoi  des  troupes  et  le 
rappel  de  Necker;  la  députation  ne  fut  pas  reçue. 
Alors  cette  Assemblée,  qui  n'avait  pas  un  soldat 
pour  la  défendre,  décréta  : 

1°  Que  Necker  et  ses  collègues  emportaient  sa 
confiance  et  les  regrets  de  la  nation  ; 

2°  Qu'elle  rendait  responsables  les  ministres 
actuels  et  les  conseillers  du  roi,  de  r/ue'que  rang 
et  état  qu'ils  pussent  être,  —  ce  qui  visait  les  frères 
du  roi  et  la  reine  elle-même  ; 

.3»  Que  quiconque  proposerait  la  banqueroute 
serait  déclaré  infâme  :  —  c'était  flétrir  d'avance  les 
projets  financiers  de  la  cour. 

Cela  fait,  l'Assemblée  attendil. 

A  Paris,  que  se  passait-il?  Depuis  la  séance 
royale  du  Ti  juin,  les  esprits  étaient  inquiets  et 
agités.  L'abbé  Faucliet  et  d'autres  journalistes 
avaient  mis  en  circulation  une  adresse  au  roi  qui 
demandait  l'éloignement  dos  troupes,  la  formaliori 
d'une  garde  civique,  l'élection  d'une  municipalité 
parisienne  :  ils  recueillirent  'Mi)0  signatures,  La 
déclaration  du  roi  au  sujet  de  l'armée  avait  achevé 
de  convertir  les  gardes  françaises  à  la  cause  de  la 
Révolution,  Déji  ils  refusaient  de  tirer  sur  le  peu- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1878  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 
pie  :  leur  colonel  en  fit  mettre  onze  à  l'Abbaye  ;  le  |  reconduisit  le   prince  jusqu'au   château.  Mais  la 


peuple  les  délivra  de  vive  force.  Les  Parisiens  fu- 
rent exaspéré'*  quand  ils  virent  les  troupes  royales 
occuper  le  Champde-Mars  et  pousser  leurs  pa- 
trouilles jusqu'aux  Tuileries.  Le  12  juillet,  à  la 
nouvelle  du  renvoi  de  Neckor,  Camille  Desnioulins 
monta  sur  une  table  au  Palais-Royal,  distribua 
aux  assistants  les  fouilles  des  marronniers  en  guise 
de  cocarde  et  appela  le  peuple  à  linsurrection  ; 
on  promena  les  bustes  de  Necker  et  du  duc  d'Or- 
léans. Les  dragons  du  prince  de  Lambesc  cliargè- 
rcnt  la  foule  aux  Tuileries  :  les  gardes  françai-es 
tirèrent  sur  les  dragons.  Les  électeurs  se  réuni- 
rent à  l'Hùtel-de-Ville,  cbassèrent  la  municipalité 
royale,  en  installèrent  une  nouvelle,  et  décrélèrent 
la  levée  de  4s,000  hommes.  Toute  la  journée  du  l'-f, 
le  tocsin  de  l'Hôtel-de-Ville  et  des  églises  retentit 
dans  la  ville,  soulevant  l'effroi  et  la  colore  des 
niasses.  Flesselles,  prévôt  des  marchands  (maire 
de  Paris;,  essaya  d'amuser  le  peuple  en  lui  pro- 
mettant des  armes.  Le  peuple  en  trouva  tout  seul  ; 
on  fabriqua  5(i,000  piques  et  l'on  enleva  du  dépôt 
des  Invalides  les  fusils  et  les  canons.  Le  14  au 
matùaflA|ïi  unanime  s'éleva  dans  Paris  :  a  Al- 
lon^^^^lPla  Bastille    » 

L^^^HÏÏo  passait  pour  imprenable  ;  elle  avait 
huit  tours  d'une  hauteur  vertigineuse,  des  fossés 
pleins  d'eau,  larges  comme  une  rivière,  des  canons 
à  toutes  ses  emlTasures  :  elle  pouvait  broyer  le 
faubourg  Saint-Antoine.  Le  peuple  parlementa 
d'abord  avec  le  gouverneur  de  Launay,  puis  l'at- 
taque commença.  Les  Parisiens,  que  la  garnison 
pouvait canonneret  fusillera  I  abri, eurent  83  morts 
et  98  blessés  ;  mais,  à  cinq  heures,  la  Bastille  était 
prise. 

Il  était  temps  ;  dans  la  nuit  du  U  au  15  devait 
se  faire  le  coup  d'Etat  ;  40,000  exemplaires  de  la 
proclamation  royale  étaient  dej,"!  imprimés  ;  la 
reine  et  M""  de  Polignac  visitaient  les  troupes 
étrangères,  présidaient  aux  distributions  d'argent 
et  de  vin.  Foulon  et  son  gendre,  l'intendant  Ber- 
thier,  poussaient  avec  ardeur  les  préparatifs.  Le 
roi  devait  quitter  Versailles  pour  laisser  l'Assem- 
blée aux  prises  avec  les  soldats.  Ce  jour-là,  une 
grande  dame  disait  à  Dumouriez  ;  «  Il  paraît  que 
les  députés  mutins  sont  déjà  à  la  Bastille 

La  nouvelle  de  la  victoire  du  peuple  tomba 
comme  un  coup  de  foudre  sur  Versailles.  L'As- 
semblée, pour  éviter  de  trouver  encore  une  fo 
les  portes  fermées,  s'était  déclarée  en  permanence; 
elle  siégea  soixanle-dix-neuf  heures  de  suite 
Presque  en  même  temps,  elle  apprit  la  chute  de 
la  Bastille,  et  la  retraite  des  troupes,  qui  dos 
Champs-Elysées  se  repliaient  .'ur  Sèvres.  On  n'a- 
vait même  plus  à  craindre  un  retour  offensif,  à  la 
faveur  de  la  nuit,  comme  l'espéraient  Berthier  et 
Foulon  :  car  des  symptômes  de  mutinerie  s'étaient 
manifestés  même  dans  les  troupes  étrangères,  et 
le  régiment  suisse  de  Chàleauvieux  avait  déclaré 
qu'il  ne  tirerait  pas. 

Le  15  au  matin,  les  représentants  décidèrent 
d'envoyer  au  roi  une  députation  que  Mirabeau 
enflamma  de  sa  redoutable  éloquence.  Au  moment 
où  elle  se  disposait  à  sortir,  on  annonça  que  le 
roi  allait  se  rendre  dans  l'Assemblée.  Louis  XVI, 
à  qui  le  duc  de  Liancourt  avait  fait  entendre  qu'il 
s'agissait  u  non  d'une  révolte,  mais  d'une  révolu- 
tion, ))  venait  tenter  une  réconciliation.  «  Le  sang 
de  nos  frères  coule  à  Paris,  s'écria  Mirabeau, 
qu'un  morne  respect  soit  le  premier  accueil  fait 
au  monarque  par  les  représentants  d  un  peuple 
malheureux  :  le  silence  des  peuples  est  la  leçon 
dos  rois.  »  Pourtant  quand  le  roi  parut  sans 
gardes,  accompagné  seulement  de  ses  frères,  lors- 
qu'il eut  dit  qu'il  avait  éloigné  les  troupes,  qu'il 
ne  faisait  qu'un  avec  la  nation,  cette  assemblée, 
profondément  imbue  de  sentiments  etde  traditions 
monarchiques,  se  leva  au  cri  de  :  Vive  le  Roil  et 


faiblesse  de  Louis  XVI  et  la  perfidie  obstinée  de 
la  cour  autorisaient  des  défiances  qui  étaient  dans 
tous  les  cœurs,  et  qu'une  vieille  femme,  se  jetant 
aux  genoux  du  roi  sur  la  place  du  palais,  exprima 
en  son  langage  :  o  Ahl  sire  !  êtes-vous  sincère? 
Ne  vont-ils  pas  encore  vous  faire  changer?  » 

Le  roi,  réconcilié  avec  l'Assemblée,  sentit  qu'il 
devait  également  se  réconcilier  avec  Paris  :  Paris 
qu'un  long  divorce  séparait  de  ses  rois  depuis  un 
siècle  et  demi  qu'ils  avaient  quitté  les  Tuileries 
pour  Versailles,  Paris  encore  tout  bouillant  d\i 
14  juillet,  Paris  qui  poursuivait  de  son  cnurroui 
les  complices  du  coup  d'État,  qui  venait  de  mettre 
à  mort  Flesselles  et  de  Launay  et  qui  allait  mas- 
sacrer Foulon  et  Berthier.  La  reine  aurait  voulu 
que  le  roi  n'allât  pas  à  Paris,  qu'au  contraire  11 
quittât  Versailles  et  commençât  la  guerre  civile  : 
Louis  XVI  n'osa  pas.  Il  fit  annoncer  à  l'Assemblée 
qu'il  rappelait  Necker  et  qu'il  se  rendait  à  Paris. 
Une  délégation  de  cent  députés  l'y  précéda  et  fut 
reçue  avec  enthousiasme  ;  l'Assemblée  et  Paris 
avaient  également  fait  leur  devoir  :  au  serment  du 
Jeu  de  Paume  avait  répondu  la  prise  de  la  Bastille. 
Bailly,  nommé  maire  de  la  municipalité  nouvelle, 
Lafayette,  proclamé  commandant  des  gardes  na- 
tionales, allèrent  aux  portes  de  la  ville  recevoir 
le  roi.  Louis  XVI  traversa  Paris  entre  deux  haies 
de  gardes  nationaux,  reçut  des  mains  de  Bailly  la 
cocarde  tricolore,  monta  l'escalier  de  l'Hôtel-de- 
Ville  sous  une  voûte  d'acier  fermée  par  les  épées 
des  officiers  de  l'armée  nouvelle,  sanctionna  la 
nomination  de  Bailly  et  de  Lafayette,  et  repartit 
pour  Versailles. 

Necker  était  revenu  en  triomphe.  Les  fauteurs 
du  coup  d'État,  le  comte  d'Artois,  Condé,  Conti, 
Polignac,  Broglie,  Lambesc,  Calonne  quittaient  la 
France  et  donnaient  ainsi  le  signal  de  l'émigra- 
tion. 

Le  drapeau  tricolore,  emblème  de  la  lîévolutionj 
flottait  sur  la  Bastille  vaincue,  sur  cette  sombre 
forteresse  qui  était  comme  le  symbole  de  l'abso- 
lutisme royal,  qui  avait  servi  de  prison  à  toutes 
les  victimes  de  l'arbitraire,  aux  protestants,  aux 
philosophes.  Les  cahiers  de  1"S1)  en  avaient  de- 
mandé la  démolition  :  le  peuple  de  Paris  ne 
fit  qu'exécuter  la  sentence  prononcée  par  la 
France  tout  entière.  La  prise  de  la  Bastille  est 
un  fait  culminant  dans  l'histoire  non  seulement 
de  lu  France,  mais  de  l'Europe  entière;  elle  inau- 
gurait une  époque  nouvelle  de  l'histoire  du  monde 
et  consacrait  l'avènement  de  la  société  moderne. 
Ce  ne  furent  pas  seulement  les  Français  qui  s'en 
réjouirent,  mais  les  libéraux  de  l'Angleterre,  de 
l'Allemagne,  de  l'Italie  ;  dans  la  Russie  lointaine, 
à  Saint-Pétersbourg,  quand  parvint  cette  grande 
nouvelle,  on  vit  les  Russes  et  les  étrangers  s'em- 
brasser dans  les  rues  et  répéter  avec  enthousiasme  : 
"  La  Bastille  est  prise  !  u 

La  province  suivit  le  mouvement  de  Paris  : 
à  Rouen,  à  Orléans,  à  Lyon,  à  ^■ancy,  il  y  eut  des 
rixes  entre  la  troupe  et  la  milice  bourgeoise;  à 
Caen,  à  Bordeaux,  les  forteresses  royales  furent 
prises  ;  à  Rennes,  à  Saint-Malo,  à  Strasbourg,  les 
soldats  fraternisèrent  avec  le  peuple.  Le  mouve- 
ment gagna  les  campagnes  :  partout  les  paysans 
coururent  aux  châieaux  des  nobles,  brûlèrent  les 
archives  pour  anéantir  les  titres  qui  consacraient 
les  redevances  féodales  ;  dans  maint  village,  les 
châteaux  édifiés  autrefois  des  corvées  du  peuple 
furent  incendiés,  et  les  potences  des  seigneurs 
haut-justiciers  renversées.  Partout,  dans  les  cam- 
pagnes comme  dans  les  villes,  la  population 
s'arma  de  piques,  de  faulx  ou  de  fusils.  Contre 
les  régiments  restés  fidèles  à  la  cour,  l'Assemblée 
disposait  maintenant  de  trois  ou  quatre  millions 
d'hommes.  En  huitjours,  contre  lesdroits  féodaux, 
contre  les  intrigues  de  Versailles,  contre  les  me- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1879  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


naccs  de  l'Europo,  la  nation  s'était  lovée  d'un  clan 
unaninK*. 

Celle  liaino  du  paysan  contre  la  féodalité,  qui 
so  traduisait  en  incendies  des  châteaux  et  en  vio- 
lences contre  les  seigneurs,  força  l'Assemblée  à 
prendre  un  grand  parti.  Dans  la  nuit  du  4  août, 
le  duc  d'Aiguillon  et  le  vicomte  de  Noailles  pro- 
posèrent l'abolition  do  tous  les  droits  féodaux  : 
les  curés  offrirent  d'abandonner  leur  casuel;  les 
députés  des  pays  d'État  renoncèrent  i  leurs  privi- 
lèges en  matière  d'impôts;  les  députés  des  villes 
aux  privilègtîs  municipaux.  Ce  fut  une  émulation 
admirable  de  renoncement  et  de  sacrifice.  Le  haut 
clergé,  qui  s'était  abstenu,  n'y  gagna  rien  :  deux 
jours  après  il  fut  dépouillé  de  la  dime,  en  attendant 
qu'il  fût  dépouillé  de  ses  biens. 

L'Assemblée  venait,  en  cette  nuit  mémorable,  de 
consacrer  l'abolition  du  régime  féodal  qui  depuis 
les  origines  de  notre  histoire  pesait  sur  le  peuple 
de  France.  Il  lui  restait  à  remplir  son  serment  du 
20  juin,  à  faire  la  constitution.  D'abord  elle 
rédigea  la  Décluration  des  droits  di:  l'homme,  ce 
résumé  des  principes  de  la  Révolution  qui  est 
resté  comme  l'Évangile  politique  et  social  de  la 
France  nouvelle,  et  le  raagnitique  préambule  de 
'la  constitution.  Puis  elle  discuta  l'organisation  du 
pouvoir  exécutif  et  du  pouvoir  législatif. 

Quant  on  en  vint  h  cette  matière  délicate,  les 
jjartis  qui  existaient  en  germe  dans  l'Assemblée 
commencèrent  à  prendre  position.  On  put  distin- 
guer bientôt  :  r  le  parti  de  la  cour,  composé  du 
haut  clergé  et  de  la  noblesse,  qui  prétendait  main- 
tenir presque  entièrement  l'ancien  régime  ;  il 
comptait  parmi  ses  plus  brillants  orateurs  l'abbé 
Maury  et  Cazalcs;  '.i"  le  parti  Necker,  ou  parti 
monarchien,  qui  entendait  conserver  au  roi  tout 
le  pouvoir  exécutif,  à  la  noblesse  et  au  clergé  une 
grande  situation  dans  l'État,  qui  rêvait  de  partag  -r 
î' Assemblée  en  une  Chambre  haute  et  une  Chambre 
des  communes  :  il  reconnaissait  pour  ses  chefs 
Meunier,  Lally-ToUendal  et  Clermont-Tonnern'  ; 
•S»  le  parti  nntional,  qui  voulait  constituer  une 
Assemblée  unique  en  face  de  la  royauté  alfaiblie  ; 
il  avait  à  sa  tête  Mirabeau,  Sieyès,  Bailly  et  Li- 
fayette  ;  4°  le  parti  avancé,  avec  Duport,  Barnave, 
les  frères  Lametli,  qui  essayait  de  stimuler  l'As- 
semblée en  s'appuyant  sur  le  peuple  de  Paris  et 
■en  organisant  la  confédération  des  clubs  ;  5»  les 
Jiommes  comme  Robespierre,  Barèrc,  Grégoire, 
Pétion,  Buzot,  dont  le  groupe  contenait  en  germe 
la  future  Gironde  et  la  future  Montagne  et  qui  se 
réservaient  de  pousser  encore  plus  loin  la  Révo- 
lution. 

Hors  de  l'Assemblée,  Danton  avait  déjà  une 
puissante  action  sur  le  peuple,  Camille  Des- 
moulins dans  la  presse.  Des  clubs  s'ouvraient 
.aux  Jacobins,  aux  Cordeliers.  Loustalot  tirait  à 
200  000  exemplaires  son  journal  intitulé  les 
Révolutions  de  Paris;  Fréron  rédigeait  VOrateur 
du  peiiplf;  Camille  Desmoulins,  les  Révolutions 
de  France  et  de  lirriljant;  Barère,  le  Point  du 
jour;  plus  tard  viendront  Marat  avec  V Ami  du 
/euiùe,  Hébert  avec  le  Père  Duvhesne.  Le  parti 
de  la  cour,  dans  le  Journal  de  la  Cour  et  de 
la  Ville,  le  Journal  des  Halles,  YAmi  du  roi, 
les  Aides  des  apôtres,  attaquait  avec  une  violence 
et  une  insolence  inouïes  les  hommes  de  la  Ré- 
volution, outrageant  de  préférence  les  modérés, 
comme  plus  dangereux  pour  la  royauté. 

Les  journées  d'octobre.  —  Il  ne  faut  pas  croire 
que  la  cour,  après  la  terrible  leçon  du  l'i  juillet, 
eût  désarmé.  Ses  partisans  dans  l'Assemblée  s'é- 
tudiaient à  troubler  les  séances.  Le  roi  entravait  les 
efl'orts  de  la  Constituante  en  refusant  de  sanction- 
ner ses  décrets,  tantôt  l'abolition  du  régime  féo- 
'dal,  tantôt  la  déclaration  des  Droits  de  l'homme.  Le 
comité  secret,  qui  avait  échoué  dans  ses  deux  tenta- 
tives de  coup  d'Etat,  en  rêvait  une  troisième.  Cette 


fois,  il  comi)tait  sur  Rouillé,  qui  commandait  autour 
de  Metz  une  armée  de  2j  à  30  001)  hommes.  Il  pro- 
jetait de  rassembler  autour  du  roi,  outre  les 
loooo  hommes  de  la  maison  militaire,  les 
régiments  des  environs,  d'envoyer  Louis  XVI  à 
leur  tête  rejoindre  Rouillé,  qui  aurait  marché 
sur  Paris.  On  commença  par  appeler  à  Ver- 
sailles le  régiment  de  Flandre,  et  les  cocardes 
des  régiments  étrangers  se  montrèrent  de  nouveau 
à  Paris.  Le  l"  octobre,  dans  la  salle  du  théâtre 
de  Versailles,  un  repas,  donné  par  les  gardes 
du  corps  au  régiment  de  Flandre,  dégénéra  en 
manifestations  violentes.  Le  roi,  la  reine  avec  le 
dauphin  dans  ses  bras,  parurent  dans  cette  fête. 
La  musique  joua  un  air  significatif  :  «  O  Richard, 
ô  mon  roi,  l'univers  t'abandonne,  »  puis  la  mar- 
che des  hulans  ;  puis  on  sonna  la  charge  et  les 
convives  avinés  escaladèrent,  l'épée  en  main,  les 
loges  du  théâtre;  des  dames  enlevèrent  aux  of- 
ficiers la  cocarde  tricolore  pour  la  remplacer 
par  la  cocarde  blanche.  Le  S  octobre,  autre  ban- 
quet du  même  genre. 

Pendant  qu'on  banquetait  à  Versailles,  la  fa- 
mine sévissait  à  Paris.  Ces  provo^MB^gpmbè- 
rent  sur  une  population  atTotée  ^^^^^B^uf- 
frances,  aigrie  par  des  saupçons^^P^Hnhés 
d'ailleurs  qu'elle-même  ne  pouvait  IccroH^e  5, 
c|uelques  milliers  de  femmes  envahissent  l'Hôtel- 
de-Ville  et  déclarent  qu'elles  vont  chercher  le 
houlanger,  c'est-i-diro  le  roi,  dont  la  présence  à 
Paris  ramènera  l'abondance .  Plusieurs  sont 
munies  de  tambours  et  entraînent  le  reste  sur  la 
route  de  Versailles  ;  l'huissier  Maillart  leur  sert 
de  guide,  comme  pour  aller  opérer  la  saisie  de 
la  royauté  ;  les  volontaires  de  la  Bastille  courent 
i  leur  suite,  traînant  des  canons;  Lafayette  ras- 
semble en  hâte  les  gardes  nationales  et  prend  à 
son  tour  le  chemin  de  Versailles,  dans  le  dessein 
de  protéger  le  château.  Toute  cette  masse  de 
population  entre  à  Versailles  en  chantant  l'air 
royaliste  Vive  Henri IVIUne  députation  de  ces  fem- 
mes est  reçue  par  Louis  XVI,  qui  promet  de 
veiller  à  l'approvisionnement  de  Paris.  Sauf 
quelques  rixes  avec  les  gardes,  la  soirée  est  calme. 
Mais  au  matin,  vers  six  heures,  quelques  hommes 
du  peuple,  rôdant  autour  des  grilles  du  château, 
trouvent  une  porte  ouverte  et  s'y  précipitent. 
La  foule  accourt  et  les  suit.  On  commence  à 
massacrer  les  gardes  du  corps,  on  pénètre  dans 
les  appartements.  Lafayette  parvient  i  sauver  le 
roi,  la  reine  et  le  dauphin,  mais  c'est  à  condition 
que  le  boulanger,  la  boulangère  el  \e  petit  mitron 
viendront  à  Paris.  Telles  furent  les  journées  d'oc- 
tot)ie,  qui  écrasèrent  en  germe  le  complot  de  la 
cour  et  mirent  le  monarque  à  la  discrétion  du 
peuple.  Louis  XVI  s'installa  aux  Tuileries,  et  l'As- 
semblée k  l'Évêché,  puis  au  Manège. 

La  situation  devenait  d'autant  plus  périlleuse 
que  les  questions  dont  l'Assemblée  avait  à  s'oc- 
cuper étaient  plus  délicates.  On  allait  toucher 
aux  biens  et  même  à  l'organisation  du  clergé. 
Pour  éviter  la  banqueroute,  l'Assemblée  avait, 
sur  la  proposition  de  Mirabeau,  décrété  le  don 
patriotique  par  tous  les  citoyens  d'un  quart  de 
leur  revenu.  Ce  sacrifice  fut  reconnu  insuffisant. 
Alors  on  songea  aux  immenses  ressources  que 
détenait  encore  l'Eglise:  11)0  000  membres  du 
clergé  régulier  et  séculier,  ou  plutôt  quelques 
centaines  de  prélats,  abbés  de  monastères  et 
autres  grands  seigneurs  ecclésiastiques,  possé- 
daient en  toute  propriété  le  tiers  du  sol  national  ; 
leurs  revenus  s'élevaient  à  près  de  400  millions  ; 
le  chapitre  de  Saint-Claude  tenait  en  servage 
15000  citoyens.  C'était  là  une  situation  qui  ne 
pouvait  plus  se  défendre.  Dès  le  6  août,  Buzot  avait 
déclaré  qu'il  fallait  reprendre  les  biens  de  l'E- 
glise. Le  8,  le  marquis  do  Lacoste  proposa  ce 
projet    de   loi  :   o    1"  Les    biens    ecclésiastique» 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1880  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


appartiennent  à  la  nation  ;  2°  la  dîme  est  sup- 
primée ;  3"  les  moines  dépossédés  recevront  une 
pension  ;  le  traitement  des  évèques  et  des  curés 
sera  payé  par  le  Trésor.  »  C'était  transformer  les 
ecclésiastiques  en  fonctionnaires  salariés  de  la 
nation. 

Au  cours  de  la  discussion,  pendant  laquelle 
les  curés  soutinrent  faiblement  les  évêques,  car 
ils  avaient  tout  k  gagner  à  la  réforme,  survint 
un  incident  qui  acheva  de  décider  l'opinion.  Les 
serfs  du  Mont-Jura  déléguèrent  un  des  leurs 
pour  remercier  l'Assemblée  n  d'avoir  adouci  leur 
sort  par  ses  décrets  libérateurs  ;  t>  ils  clioisirent 
un  homme  qui  était  peut-être  le  doyen  des 
p.iysans  français,  un  vieillard  de  cent  vingt  ans, 
Jean-Jacob,  qui  parut  devant  les  députés  entouré 
de  ses  enfants  et  de  ses  petits-enfants  :  sur  la 
proposition  de  l'abbé  Grégoire,  toute  l'assemblée 
se  leva,  émue  et  respectueuse,  devant  l'héritier  de 
tant  de  générations  opprimées,  devant  le  dernier 
des  serfs  de  France,  et  lui  décerna  les  honneurs 
de  la  séance  (2.3  octobre). 

Le  2  décembre  1789,  un  décret  de  l'Assemblée 
mit j^ftf^Hkd'Eglise  «  à  la  disposition  de  la 
nati^^^^^^Hpie  nom  de  biens  nationau^i,  ils 
dcval^^B|^er  la  garantie  des  assignats  qu'on 
allait  cWirTet  dont  l'Assemblée  décida  une  pre- 
mière émission  pour  une  somme  de  400  millions. 

Le  haut  clergé  n'avait  d'ailleurs  pas  attendu 
cette  mesure  pour  agir  en  ennemi  irréconciliable 
de  la  Révolution  ;  il  se  joignit  aux  émigrés  qui 
ameutaient  les  cours  étrangères  contre  la  Fran- 
ce, aux  Etats  provinciaux  qui  protestaient  con- 
tre les  décrets  de  l'Assemblée,  aux  parlements, 
qui  refusaient  de  les  enregistrer,  à  tous  les 
privilégiés  qu'exaspérait  l'avènement  de  l'éga- 
lité. Les  évêques  s'attachèrent  k  soulever  les 
campagnes  :  cola  commença  dès  le  14  octobre, 
par  un  mandement  séditieux  de  l'évêque  de 
Tréguier;  il  pleurait  sur  la  captivité  du  roi  et 
déclarait  que  les  prêtres  n'étaient  plus  que  «  les 
commis  soldés  des  brigands  a  :  il  entendait  par 
brigands  les  députés.  Le  réveil  du  fanatisme, 
dans  les  populations  ardentes  du  Midi,  amena  les 
massacres  de  Ximes,  de  Toulouse  et  de  Montauban. 

Les  fédérations  de  1790.  Nouveaux  com- 
plots de  la  cour.  —  Contre  tant  d'ennemis  occul- 
tes ou  déclarés,  dans  la  dissolution  des  pouvoirs 
anciens  et  le  laborieux  enfantement  des  pouvoirs 
nouveaux,  la  nation  sentit  la  nécessité  de  s'unir, 
de  s'armer,  et,  comme  on  disait  alors,  de  se  fé- 
dérer. Dès  novembre  1789  se  constitue  la  fédéra- 
tion d'Etoiles,  près  de  Valence  ;  dès  janvier  1790, 
sur  une  lande  de  Bretagne,  150(jOO  gardes  natio- 
naux prêtent  le  serment  fédéral  de  fidélité  i\  la 
nation,  à  la  loi,  au  roi.  Le  C  mars  1700,  les  garni- 
sons et  les  gardes  nationales  se  confédérèrent  àEpi- 
nal  ;  le  30  mai,  3OO0O  hommes  en  armes  se  réu- 
nissent à  Lyon  autour  de  l'autel  do  la  patrie  ; 
le  13  juin  s  organise  sous  la  présidence  du  maire 
de  Strasbourg,  Frédéric  Dietrich,  la  fédération 
alsacienne  :  le  drapeau  tricolore  est  arboré  au 
plus  haut  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  le 
vieux  Mihisler  est  illuminé  afin  que  «  le  spectacle, 
vu  des  rives  opposées  du  Rhin,  apprenne  à  l'Alle- 
magne que  l'empire  de  la  liberté  est  fondé  en 
France.  » 

Ce  vaste  mouvement  qui  se  propageait  do  la 
Bretagne  à  l'Alsace,  et  de  la  Meuse  aux  Pyrénées, 
devait  aboutir  le  14  juillet  1700,  anniversaire  delà 
prise  de  la  Bastille,  à  la  grande  fédération  pari- 
sienne du  Champ-de-Mars.En  présence  de  4000ÛO 
spectateurs  et  de  50  000  gardes  nationaux  accourus 
de  toutes  les  provinces  de  France,  et  qui  étaient 
comme  la  délégation  et  l'avant-gardo  de  trois  mil- 
lions d'hommes  en  armes,  La  Fayette  prêta  sur 
l'autel  de  la  patrie  le  serment  fédéral  ;  puis  le 
roi,  d'une  voix  forte,  fit  entendre  ces  mots:  «Moi, 


roi  des  Français,  je  jure  d'employer  tout  le  pou- 
voir qui  m'est  délégué  par  la  loi  constitutionnelle- 
do  l'Etat,  à  maintenir  la  constitution  décrétée  par 
l'Assemblée  nationale  et  acceptée  par  moi,  et  à- 
faire  exécuter  les  lois  ».  La  reine,  comme  gagnée 
par  l'enthousiasme  général,  prit  le  dauphin  dans 
ses  bras  et  le  présenta  au  peuple,  l'associant  ainsi 
au  serment  de  son  père.  Le  soir,  on  dansa  sur 
l'emplacement  de  la  Bastille. 

La  cour  était-elle  donc  sincèrement  ralliée  à  la 
constitution?  Non  !  le  serment  du  roi  et  l'enthou- 
siasme de  la  reine  ne  furent,  en  cette  grande 
journée,  qu'une  comédie.  Marie-Antoinette  n'avait 
pas  renoncé  à  ses  plans  d'évasion  et  de  guerre 
civile:  en  octobre  1789,  complot  Augéard  pour 
faire  échapper  le  roi  sur  Metz;  en  décembre  de  la 
même  année,  complot  Favras  pour  l'emmener  à- 
Péronne  ;  puis  complot  Maillobois  pour  le  conduire 
à  Lyon;  en  octobre  1790,  reprise  du  plan  d'éva- 
sion sur  Metz,  avec  le  concours  de  Bouille.  C'était 
pour  en  préparer  l'exécution  qu'en  aoîit  1790, 
Bouille  terrorisait  l'armée  par  la  cruauté  qu'il 
déploya  dans  la  répression  d'une  prétendue  ré- 
volte à  Nancy,  punissant  le  régiment  de  Château- 
vieux  de  sa  conduite  au  14  juillet,  faisant  pendre 
2!  soldats,  infligeant  au  vingt-deuxième  le  sup- 
plice barbare  et  illégal  de  la  roue,  envoyant  le 
reste  aux  galères.  En  juillet  1790,  la  Prusse 
et  l'Autriche  s'étaient  rapprochées  en  vue  de  sur- 
veiller la  Révolution  et  avaient  conclu  la  conven- 
tion de  Reichenbach.  En  octobre,  Louis  XVI  écrivit 
au  roi  d'Espagne  et  autres  souverains  pour  les 
prier  de  ne  tenir  aucun  compte  des  actes  publics 
qui  lui  étaient  imposés. 

La  constitution  civile  du  clergé.  —  Entre  le 
roi  et  l'Assemblée,  un  nouveau  sujet  de  désaccord 
venait  de  surgir.  Le  12  juillc-t  1790,  l'Assemblée- 
avait  décrété  la  constitution  civile  du  clergé:  le 
nombre  des  arclievôchcs  et  évêchés  était  réduit 
de  135  .1  83,  à  raison  d'un  par  département;  les 
évêques  et  curés  devaient  être  nommés  par  les 
mêmes  électeurs  qui  nommaient  les  députés  ;  les 
évêques  recevraient  l'institution  canonique,  non 
du  pape,  mais  du  métropolitain.  Le  premier  ar- 
ticle est  le  même  que  le  pape  accepta  sans  dif- 
ficulté par  le  Concordat  ;  le  second  se  bornait  à 
substituer  le  choix  par  les  électeurs,  le  nouveau 
souverain,  à  la  nomination  par  le  roi,  l'ancien  sou- 
verain ;  mais  le  troisième  semblait  s'attaquer  à 
un  droit  que  la  plupart  des  catholiques  reconnais- 
saient au  pape. 

Pouriant,  si  la  loi  nouvelle  pouvait  faire  des  mé- 
contents, elle  ne  faisait  pas  encore  des  insoumis. 
Tout  le  mal  est  venu  de  la  funeste  décision  qui 
imposa  le  serment  constitutionnel  aux  ecclésias- 
tiques :  par  là  on  fournissait  aux  évêques,  à  la 
cour  de  Rome,  le  prétexte  qu'ils  cherchaient 
pour  troubler  les  consciences  ;  on  divisait,  le 
clergé  en  deux  catégories,  les  prêtres  assermentés 
ou  conHilutionneis  et  les  prêtres  réfractaires;- 
enfin,  on  s'imposait  l'obligation  de  proscrire  ces 
derniers  et  l'on  rouvrait  la  porte  aux  guerres  de 
religion.  «  Les  évêques,  dit  un  écrivain  royaliste, 
le  marquis  de  Ferrières,  refusèrent  de  se  prêter 
à  aucun  arrangement  et  par  leurs  intrigues  cou- 
pables fermèrent  toute  voie  de  conciliation,  sacri- 
fiant la  religion  catholique  à  leur  fol  entêtement 
et  à  un  attachement  condamnable  à  leurs  riches- 
ses ».  Le  pape,  conseillé  par  eux  et  par  le  parti 
de  la  cour,  s'empressa  d'interdire  aux  ecclésiasti- 
ques le  serment  constitutionnel.  Nombre  de  curés 
qui  avaient  jusqu'alors  servi  la  Révolution  se 
trouvèrent  jetés  dans  les  rangs  de  ses  ennemis, 
confondus  avec  eux  sous  le  nom  de  réfractaires. 
Le  peuple  n'était  pas  moins  troublé  :  il  se  sentit 
partagé  entre  son  amour  pour  la  Révolution  et  son 
attachement  au  culte  catholique.  Le  roi  Louis  XVI, 
dominé  par  ses  convictions  religieuses,  se  trouva 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1881  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


forcéuiciit  on  conflit  avRc  l'Assembléfi  ;  les  mau- 
vais di'S5iiMns  do  la  cour  pouvaient  d(isorm;iis  se 
colorer  d'un  prétexte. 

Tentative  oontre-rêvolutionnaire  de  Mirabeau. 
—  En  juillet  n!)0,  un  puis.sant  moyen  de  salut 
s'cHait  offert  à  la  cour.  Mirabeau,  l'orateur  popu- 
laire qui  avait  brisé  la  monarcliie  absolue  au 
23  juin,  croyait  le  moment  venu  d'arrêter  la  Ré- 
volution. La  constitution  qu'il  rêvait  étant  une 
sorte  d'équilibre  entre  l'Assemblée  et  la  royauté, 
il  fallait  que  la  royauté  ne  fût  pas  trop  affaiblie. 
Bien  que,  de  temps  à  autre,  il  continuât  à  tonner 
contre  les  intrigues  de  la  cour,  secrètement  il 
s'était  rapproché  du  roi,  et,  le  .3  juillet,  il  fut 
reçu  par  la  reine.  Il  accepta  une  forte  somme  pour 
payer  ses  dettes.  Lui  aussi  se  proposa  do  reformer 
autour  du  roi  une  armée  fidèle,  de  l'emmener 
on  province,  à  Rouen,  de  commencer  au  besoin 
la  résistance  armée.  Engagé  dans  cotte  voie  fu- 
neste, il  en  vint  h  admettre  une  certaine  coopé- 
ration de  l'étranger,  au  moyen  de  démonstrations 
sur  nos  frontières.  Gomment  ces  offres  de  dé- 
vouement furent-elles  accueillies  par  la  cour?  On 
ne  vit  pas  en  Ini  un  sauvi'ur,  mais  une  dupe  dont 
on  pouvait  exploiter  la  crédulité. La  reine  écrivait  à 
Flachslanden  :  «  On  se  sert  de  Mirabeau,  mais  il 
n'y  a  rien  de  sérieux.  »  Quand  Mirabeau  s'aperce- 
vait de  quoique  trahison  de  ses  nouveaux  alliés, 
il  entrait  dans  des  colères  terribles.  C'est  alors 
qu'il  écrivait  à  son  ami  La  Marck  :  «  A  quoi  donc 
pensent  ces  gens-là?  Ne  voient-ils  pas  les  abîmes 
qui  se  creusent  sous  leurs  pas?  Le  roi  et  la  reine 
y  périront,  et,  vous  le  verrez,  la  populace  battra 
leurs  cadavres.  » 

Dans  la  discussion  du  droit  de  paix  et  de  guerre, 
Mirabeau  employa  toute  son  éloquence  à  faire  at- 
tribuer au  roi  l'initiative  des  propositions  de  paix 
et  rie  guerre,  la  décision  restant  toutefois  à  l'As- 
semblée. C'est  b.  la  suite  de  ce  discours  que  l'on 
commença  .^  crier  dans  les  rues  "  la  grande  tra- 
hison du  comte  de  Mirabeau.  «  Plus  tard,  lorsqu'on 
voulut  user  de  rigueur  contre  les  émigrés,  et 
qu'on  proposa  contre  eux  la  mort  civile  et  la  con- 
fiscation des  biens:  «  Si  vous  faites  une  loi  contre 
les  émigrants,  s'écria  Mirabeau,  je  jure  de  ne  pas 
l'observer.  »  Entre  la  royauté,  qui  n'avait  d'espé- 
rance que  dans  le  secours  de  l'étranger,  et  le  parti 
avancé,  qui  grandissait  chaque  jour,  mais  qui  ne 
rêvait  pas  encore  la  Républic|ue,  Mirabeau  usa  ce 
qui  lai  restait  de  forces.  Atteint  d'une  maladie 
mortelle,  il  put  dire  :  »  J'emporte  avec  moi  le 
deuil  de  la  monarchie  ;  ses  débris  vont  être  la 
proie  des  factieux.  »  Les  factieux  de  la  cour  ne 
devaient  pas  être  les  moins  acharnés.  Le  2  avril 
1791,  Mirabeau  mourut;  ses  restes  furent  portés 
au  Panthéon. 

Le  complot  de  Varennes.  —  Plus  que  jamais,  la 
cour  en  revint  à  ses  projets  de  fuite  et  d'alliance 
avec  l'étranger.  En  avril  1701,  comme  l'évêque  de 
Clermont  refusait  au  roi  la  communion,  celui-ci 
promit  «  de  rétablir  entièrement  le  culte  catholi- 
que, si  jamais  il  recouvrait  son  autorité.  »  Le 
18  avril,  sous  prétexte  d'aller  faire  ses  Pâques, 
Louis  XVI  annonça  qu'il  partait  pour  Saint-Cloud. 
Il  comptait  que,  ou  bien  l'Assemblée  autoriserait 
ce  voyage,  et  alors  il  irait  rejoindre  ses  complices, 
ou  bien  elle  s'y  opposerait,  et  alors  il  serait  con- 
staté, devant  la  France  et  l'Europe,  que  les  émi- 
grés ne  mentaient  pas  et  que  le  roi  n'était  pas 
libre.  C'est  la  seconde  de  ces  prévisions  qui  se 
réalisa  :  le  peuple,  inquiet,  se  porta  aux  Tui- 
leries et  empêcha  le  départ.  Le  lendemain,  le 
roi  se  rendit  h  l'Assemblée  et  répéta  qu'il  vou- 
lait maintenir  la  constitution  «  dont  faisait  par- 
tie la  constitution  civile  du  clergé  ».  Il  ne  lui 
en  coCitait  pas  de  prendre  ces  engagements,  car 
il  avait  fait  riKherchor,  dans  les  archives  du 
royaume,  la  formule  des  actes   par  lesquels   on 


peut  désavouer  «  les  promesses  arrachées  par  la 
force.  » 

Le  20  mai,  Louis  XVI  autorisait  secrètement  le 
comte  d'Artois  et  son  homme  do  confiance,  le 
comte  do  Dnrfort,  â  traiter  avec  Léopold  aux  con- 
férences de  Mantoue  :  l'Autriche  devait  fournir 
;55,O0O  hommes,  les  princes  allemands  15,000,  les 
Suisses  l.'),00n,  le  roi  de  Sardaigne  15,000,  l'Es- 
pagne '20,000;  toutes  ces  troupes,  avec  l'appui  du 
roi  de  Prusse,  devaient,  i  la  fin  de  juillet,  bloquer 
nos  frontières  ;  à  ce  moment,  les  frères  du  roi  fe- 
raient une  protestation  contre  les  actes  de  l'Assem- 
blée et  les  puissances  lanceraient  un  manifeste. 
Le  roi  comptait  sur  l'armée  que  Bouille  concen- 
trait autour  de  Metz  :  plus  près  de  Paris,  ce  gé- 
néral avait  établi  un  camp  à  Montmody;  des  dé- 
tachements de  cavalerie  élaient  postés  sur  la  route 
de  Montmédy  à  Paris. 

A  Paris,  on  n'était  pas  sans  inquiétude  sur  quel- 
que nouveau  projet  du  roi  ;  mais  Louis  XVI  s'ex- 
pliqua avec  tant  de  bonhomie  avec  Lafayette,  que 
celui-ci  déclara  répondre  du  roi  sii^^a  tête.  Le 
21  juin,  Paris  en  s'éveillaiit  appr^^JB^yipeur 
que  le  roi  s'était  évadé  pcndaiit^^^^^^Bc  la 
reine,  ses  enfants  et  sa  sœur;  il^^^^Hpndre 
Bouille.  Il  y  eut  un  moment  d  effroîT^^Watten- 
dait  à  l'invasion  de  la  France  par  les  troupes 
étrangères  et  les  mercenaires  allemands  de  Bouille, 
au  triomphe  de  l'émigration,  au  retour  de  l'ancien 
ré(,'ime,  au  massacre  dos  patriotes  et  au  démem- 
brement du  pays.  Le  calme  de  l'Assemblée  ras- 
sura tout  le  monde  :  elle  manda  à  sa  barre  les 
ministres  du  roi,  surtout  le  ministre  des  affaires 
étrangères  Montmorin,  qui  n'avait  pu  ignorer  les 
desseins  de  son  maître.  Elle  se  saisit  du  pouvoir 
exécutif,  adressa  aux  cours  étrangères  des  décla- 
rations pacifiques,  envoya  dos  commissaires  aux 
troupes  pour  leur  faire  prêter  le  serment  de  fidé- 
lité â  la  nation,  ordonna  d'arrêter  quiconque  vou- 
drait sortir  du  royaume,  décréta  l'armement  de 
300,000  gardes  nationaux.  Les  affaires  de  l'Etat 
furent  expédiées  comme  à  l'ordinaire  :  il  fut  ainsi 
démontré  combien  le  roi  était  étranger  au  gouver- 
nement et  iiuitile  à  la  chose  publique.  La  démon- 
stration parut  si  cojicluante  que,  pour  la  première 
fois,  un  parti  républicain  se  forma,  o  VoilJi  le 
grand  embarras  parti,  «  disaient  les  uns.  Et  d'au- 
tres, montrant  la  salle  de  l'Assemblée  :  «  Notre 
roi  est  là-dedans,  disaii'nt-ils  ;  l'autre  roi  peut 
bien  s'en  aller  où  il  voudra.  »  —  «  Le  nom  do  la 
république,  écrivait  madame  Roland,  l'indignation 
contre  Louis  XVI,  la  haine  des  rois,  s'e.\halent  ici 
de  partout,  u 

Quand  on  apprit  que  le  roi  avait  été  arrêté  il 
Varennes  au  moment  où  les  hussards  de  Bouille 
allaient  lui  prêter  main-forte,  Paris  éprouva  comme 
une  déception.  C'était  son  «  embarras  »  qu'on  lui 
ramenait. 

Nul  doute  que  l'Assemblée,  si  elle  eût  alors  pro- 
clamé la  déchéance  du  roi  parjure,  n'eût  obtenu 
l'assentiment  de  la  nation.  Bien  des  malheurs 
eussent  été  évités.  Condorcet  disait  avec  raison  : 
«  Le  roi  en  ce  moment  ne  tient  plus  à  rien  ;  n'at-  . 
tendons  pas  qu'on  lui  ait  rendu  assez  de  puis- 
sance pour  que  sa  chute  exige  un  effort  ;  cet  effort 
sera  terrible  si  la  république  se  fait  par  révolu- 
tion, par  soulèvement  du  peuple  ;  si  elle  se  fait  à 
présent  avec  une  Assemblée  toute-puissante,  le 
passage  ne  sera  pas  difficile.  » 

Malheureusement,  l'Assemblée  était  profondé- 
ment royaliste.  Quand  elle  sut  l'arrestation  de 
Louis  X'Î'I,  elle  envoya  trois  de  ses  membres, 
Pétion,  Latonr-Maubourg  et  Barnave,  au-devant  de 
la  famille  royale  qu'ils  rejoignirent  à  Epornay. 
Dans  ce  voyage,  Barnave  se  laissa  gagner  par  la 
reine  et  se  prépara  à  jouer  le  rûla  qui  avait  si  mal 
réussi  à  Mirabeau.  A  Paris,  on  avait  affiché  par- 
tout cet  avis  :  «  Celui  qui   applaudira  le  roi  sera 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


\i 


battu  ;  celui  qui  insultera  le  roi  sera  pendu.  » 
Louis  XVI  rentrait  en  vaincu  dans  sa  capitale,  au 
milieu  d'un  peuple  immense,  muet  et  dédaigneux. 

L'Assemblée  déclara  Louis  XVI  suspendu  de 
ses  pouvoirs,  lui  donna  une  garde  ainsi  qu'à  la 
reine,  nomma  des  commissaires  pour  les  interro- 
ger, décréta  que  le  roi  serait  considéré  comme 
ayant  abdiqué  s'il  rétractait  ses  serments,  s'il 
fai>ait  la  guerre  à  la  nation  ou  s'il  souffrait 
qu'on  la  fit  en  son  nom.  On  reçut  une  lettre  in- 
solente de  Bouille  qui  menaçait,  si  l'on  touchait 
au  roi,  à  un  cheveu  de  sa  tète,  n  d'amener  les  ar- 
mées étrangères  et  de  ne  pas  laisser  pierre  sur 
pierre  dans  Paris.  »  L'Assemblée  accueillit  par 
des  rires  ces  vaines  menaces. 

Dès  le  I"  juillet,  une  affiche  républicaine  fut 
placardée  dans  Paris  :  «  La  nation  ne  rendra 
jamnis  sa  confiance  au  parjure,  au  fuyard....  La 
royauté  est  finie.  Qu'est-ce  qu'un  office  abandonné 
au  hasard  de  la  naissance,  qui  peut  être  rempli 
par  uu  idiot?  N'est-ce  pas  un  rien,  un  néant?  » 
Pourtant  les  républicains,  même  à  Paris,  étaient 
loin  d^É^M^i,iajorité.  Encore  à  cette  époque, 
Robd^^^^^^^club  des  Jacobins,  disait  n  qu'on 
lui  ^^^^Ê/K  d'honneur  en  l'appelant  ré- 
publical^^pTon  lui  ferait  déshonneur  en  l'ap- 
pelant monarchiste  ;  qu'il  n'était  ni  l'un,  ni 
l'autre.  » 

Le  peuple  n'avait  qu'une  idée  bien  arrêtée  : 
s'affranchir  d  un  monarque  qui  violait  ses  ser- 
ments et  correspondait  avec  l'étranger.  Cette 
répugnance  contre  Louis  XVI,  tout  autre  monar- 
que étant  alors  impossible,  devait  logiquement 
nous  conduire  à  la  République.  Le  club  des 
.lacobins  avait  écrit  :  «  Nous  ne  reconnaîtrons 
plus  Louis  XVI.  )i  Le  club  des  Cordeliers,  où 
dominaient  Danton  et  Desmoulins,  ajouta  :  <i  Ni 
un  autre  roi.  » 

L'affaire  du  Champ-de-Mars.  Fin  de  la  Cons- 
tituante. —  Le  17  juillet,  une  pétition  qui  deman- 
dait la  déchéance  du  roi  fut  déposée  au  Champ-de- 
Mars  sur  l'autel  de  la  patrie  et  se  couvrit  de 
milliers  de  signatures.  L'Assemblée  s'cflraya  de 
voir  ses  intentions  dépassées  :  des  hommes  inté- 
ressés à  produire  un  conflit  lui  présentèrent  cette 
manifestation  pacifique  comme  un  danger  public. 
Par  ses  ordres,  Lafayette  et  liailly  se  rendirent 
au  Champ-de-Mars  avec  des  troupes,  proclamè- 
rent la  loi  martiale  et  déployèrent  le  drapeau 
rouge.  Les  sommations,  mêm'e  une  décharge  à 
povidre,  restèrent  sans  effet  ;  alors  les  soldats 
tirèrent  à  balle  sur  la  foule  et  couvrirent  l'autel 
de  la  patrie  de  morts  et  de  mourants.  L'Assem- 
blée venait  de  faire  couler  le  sang  du  peuple  pa- 
risien, qui  l'avait  sauvée  au  14  juillet  17«9;  et  dans 
quel  but?  pour  sauver  la  royauté, qui  conspirait 
contre  l'Assemblée  et  contre  elle-même,  qui  s'ob- 
stinait à  périr.  La  popularité  de  la  Constituante, 
de   Lafayette,  de  liailly  ne  put  s'en  relever. 

Un  schisme  s'était  produit  à  cette  occasion  dans 
le  club  des  Jacobins.  Duport,  iiarnave,  les  Lameth, 
ralliés  à  la  cour,  se  séparèrent  de  leurs  anciens 
collègues  et  fondèrent  le  club  des  Feuillants, 
qui  devint  le  centre  de  ralliement  des  monar- 
chistes constitutionnels.  Par  la  retraite  de  ces  an- 
ciens chefs  du  parti  populaire,  l'influence  au  club 
des  Jacobins  appartint  sans  partage  aux  hommes 
qui  tiendront  désormais  la  tête  du  parti  révolu- 
tionnaire, Robespierre,  Pétion,  Brissot  et  leurs 
amis. 

Les  jours  de  l'Assemblée  étaient  comptés.  Elle 
venait  de  terminer  la  constitution,  c'est-à-dire 
d  accomplir  la  mission  qu'elle  s'était  donnée. 
Ecartant  la  théorie  britannique  d'un  parlement 
divisé  en  deux  chambres,  elle  avait  institué  une 
assemblée  unique  investie  du  pouvoir  législatif.  Le 
roi  n'avait  pas  le  droit  de  la  dissoudre;  le  pou- 
voir de  l'assemblée  était  indépendant  et  rival  du 


2  —     REVOLUTION  FRANÇAISE 

sien.  Le  monarque  n'avait  que  la  sanction  des 
lois  ;  contre  tout  décret  voté  par  l'assemblée, 
il  avait  le  droit  de  veto  :  non  pas  le  veto  absolu, 
mais  le  veto  suspeyisif  pendant  deux  législatures  ; 
après  ce  délai,  si  la  troisième  législature  persistait, 
le  décret  voté  par  elle  prenait  force  de  loi,  sans 
qu'il  fût  besoin  de  sanction.  En  matière  de  paix 
et  de  guerre,  l'initiative  appartenait  au  roi,  la  dé- 
cision à  l'assemblée.  La  dignité  royale  était  héré- 
ditaire et  se  transmettait,  conformément  à  l'an- 
cien droit,  de  mâle  en  mâle,  par  ordre  de  primo- 
géniture.  L'assemblée  législative  était  élue  par  le 
peuple,  mais  non  par  tout  le  peuple;  les  ci- 
toi/ens  actifs,  c'est-à-dire  payant  une  contribution 
égale  à  la  valeur  de  trois  journées  de  travail, 
étaient  seuls  investis  du  droit  de  suffrage  ;  ils 
élisaient  non  pas  les  députés,  mais  des  électeurs, 
jouissant  d'un  revenu  d'au  moins  2.'>IJ  livres  et  qui 
nommaient  les  députés,  les  administrations  dé- 
partementales, les  juges,  les  évêques,  les  curés. 
Si  l'Assemblée  avait  entendu  faire  un  gouverne- 
ment monarcliique,  cette  constitution  avait  un 
défaut:  c'était  de  trop  restreindre  les  attributions 
du  monarque.  Mais,  étant  donnée  l'attitude  que 
la  royauté  avait  prise  contre  la  nation,  cette 
même  constitution  laissait  encore  trop  de  pou- 
voirs au  roi.  Le  droit  de  veto  qu'on  lui  concédait 
devait  perdre  Louis  XVI. 

Quand  la  constitution  fut  achevée,  l'Assemblée 
releva  le  roi  de  sa  suspension  et  soumit  la  consti- 
tution à  sa  libre  acceptation.  Le  13  septembre, 
Louis  XVI  envoya  son  adhésion  à  l'Assemblée; 
le  14.  il  s'y  rendit  en  personne  et  prononça  une 
I  fois  de  plus  le  serment  constitutionnel  :  "  Je  jure 
d'être  fidèle  à  la  Nation  et  à  la  Loi.  » 
'  Dans  l'intervalle,  le  roi  de  Prusse  et  l'empereur 
j  d'Allemagne  tinrent  le  congrès  de  Pilnitz  avec  les 
frères  de  Louis  XVI,  et,  d'accord  avec  eux,  publiè- 
I  rent  la  déclaration  du  27  aoiit  :  ils  signifièrent  à  la 
I  France  et  à  l'Europe  qu'ils  s'entendraient  avec  les 
autres  souverains  pour  mettre  le  roi  di'  France  en 
état  d'assurer  sa  liberté  et  d'affermir  les  bases  du 
gouvernement  monarchique  :  et  en  attendant,  ils 
donneraient  à  leurs  troupes  les  ordres  convena- 
bles pour  qu'elles  fussent  à  portée  de  se  mettre  en 
activité.  »  C'était  une  déclaration  de  guerre  de 
l'Europe  monarchique  à  la  France  émancipée. 
i  La  Révolution  était  assurée  des  ressources  né- 
'  cessaires  pour  lutter  contre  l'Europe  :  la  veille  de  la 
déclaration  de  Pilnitz,  on  annonçait  à  r.\ssemblée 
qu'on  avait  déjà  vendu  pour  près  d'un  milliard  de 
biens  nationaux.  Comme  le  pape  Pie  VI,  non  con- 
tent d'exciter  secrètement  le  clergé  à  la  résistance 
et  le  peuple  à  la  révolte,  venait  do  publier  un 
manifeste  outrageant  pour  la  Révolution,  l'As- 
semblée l'en  punit  en  saisissant  le  Coratat-Ve- 
naissin.  | 

I  Le  30  septembre,  Louis  XVI  vint,  encore  une 
fois,  renouveler  à  l'Assemblée  son  serment  de 
fidélité  à  la  constitution,  et  le  président  Thouret  fit 
la  déclaration  suivante  :  «  L'Assemblée  nationale 
constituante  déclare  sa  mission  terminée.  " 

Les  élections  pour  l'Assemblée  législative  étaient 
déjà  terminées  :  en  vertu  d'une  décision  prise 
par  la  Constituante  elle-même,  aucun  membre  de 
celle-ci  ne  pouvait  faire  partie  de  l'Assemblée 
nouvelle.  Bailly  avait  donné  sa  démission  de 
maire  et  Lafayette  sa  démission  de  commandant 
j  des  gardes  nationales.  C'étaient  des  hommes  iiou- 
veaux  qui  allaient  arriver  aux  affaires;  ils  allaient 
'  être  privés  de  l'expérience  et  des  conseils  de 
j  leurs  devanciers,  mais  ils  avaient  sur  eux  l'avan- 
tage de  représenter  l'opinion  nouvelle  qui  s'était 
formée  dans  le  pays. 

C.  —  L'.lsieiiiklée  LégUlalIvc. 

La  royauté    et   la    constitution.    —    Pendant 
j  près    de   trois   années    qu'avait  duré   la  Consti- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1883  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


tuante,  une  Francfi  toute  nouvelle  s'était  faite. 
Le  TiiTS-Etat  était  devenu  la  Nation  ;  le  paysan, 
naguère  opprimé,  était  aujourd'hui  un  homme 
libre,  un  propriétaire,  un  citoyen,  un  élec- 
teur. Par  la  vente  des  biens  nationaux,  la  Ré- 
volution s'était  donné  pour  appui  les  intérêts 
nouveaux  qu'elle  créait.  Or  ces  intérêts  étaient 
menacés  :  la  royauté  apparaissait  trop  claire- 
ment ,  surtout  depuis  la  fuite  de  Varennes, 
comme  le  contre  de  toutes  les  menées  à  l'in- 
térieur et  de  la  coalition  européenne;  le  paysan 
sentait  que  c'était  pour  Louis  XVI  qu'on  fomen- 
tait la  guerre  étrangère,  la  guerre  civile.  Pour 
défendre  ses  droits  et  ses  biens,  il  était  prêt  à 
courir  aux  armes.  C'est  sous  le  coup  de  ces 
préoccupations  que  s'étaient  faites  les  élections 
pour  l'Assemblée  législative;  on  peut  l'appeler 
l'assemblée  de  la  guerre,  car  elle  arrivait  avec  un 
mandat  bien  défini  :  faire  la  guerre  à  tout  ennemi 
de  la  Révolution,  au  réfractaire,  à  l'émigré,  aux 
rois  étrangers,  même  au  roi  des  Tuileries.  Toute 
son  histoire  d'une  année,  c'est  la  lutte  pour  la 
défense  de  la  Révolution. 

La  royauté,  malgré  ses  grandes  défaites  de  89 
et  de  01,  était  encore  puissante.  Louis  XVI,  dé- 
sarmé par  la  prise  de  la  Bastille,  amené  de  Ver- 
sailles à  Paris,  ramené  prisonnier  de  Varennes, 
forcé  de  jurer  la  constitution,  suspendu  de  ses 
fonctions,  enfermé  aux  Tuileries,  restait  dange- 
reux. Il  disposait  encore  dune  force  militaire  : 
outre  ses  gardes  suisses,  il  avait  la  garde  dite 
coiislitutioniielli-',  que  lui  avait  accordée  l'Assem- 
blée. La  reine  avait  si  bien  fait  que  cette 
garde  fut  successivement  portée  de  1800  à 
liOOO  homiues  ;  elle  se  composait  de  gentils- 
hommes braves  et  dévoués,  comme  Larochejac- 
quelein  ;  de  soldats  de  fortune,  adroits  à  l'escrime, 
qui  ferraillaient  volontiers  contre  le  bourgeois,  de 
fanatiques  qui  avaient  déjà  figuré  dans  les  trou- 
bles du  Midi  et  goûté  au  sang  des  guerres  civiles. 
En  cas  de  péril,  le  roi  pouvait  encore  faire  appel 
à  nombre  de  royalistes  dévoués  :  on  évaluait  à 
12  000  le  nombre  des  chevaliers  de  Saint-Louis, 
presque  tous  anciens  militaires,  qui  restaient 
dans  Paris. 

Le  pouvoir  exécutif  était  entièrement  aux  mains 
du  roi.  La  constitution,  en  interdisant  le  cumul  des 
fonctions  de  ministre  et  de  député,  amenait  ce 
résultat  que  les  ministres,  pris  en  dehors  de  l'As- 
semblée, étaient  uniquement  les  hommes  du  roi. 
Les  ministres  des  affaires  étrangères,  comme 
Montmorin,  puis  Uelessart,  mettaient  au  service 
de  la  contre-révolution  le  personnel  de  notre 
diplomatie  ;  ceux  de  la  guerre  et  de  la  marine 
encourageaient  la  désertion  des  soldats,  l'émigra- 
tion des  officiers  de  terre  et  de  mer;  tous  amu- 
saient l'Assemblée  de  faux  rapports. 

Aux  frais  de  la  liste  civile  se  publiaient  des 
journaux  qui  bravaient  audacieusement  l'opinion, 
calomniaient  les  libéraux,  insultaient  au  senti- 
ment patriotique,  au  drapeau  national,  annon- 
çaient tous  les  matins  la  prochaine  invasion  de 
la  France  et  promettaient  la  potence  à  tous  les 
auteurs  de  la  Révolution,  aux  modérés  encore 
plus  qu'aux  jacobins.  Le  Journal  général  de  la 
cour  et  de  lu  ville,  un  mois  après  la  déclaration 
de  Pilnitz,  écrivait  :  n  Les  ci-devant  Français 
n'attendent  que  l'arrivée  dos  Autrichiens  pour 
changer  leur  devise  :  au  lieu  de  Vivre  libre  ou 
mourir,  ils  diront  :  Vine  libre  et  courir.  »  En 
octobre  1181,  il  publiait  ces  vers  : 

Tremblez,  canaille, 
De  voir  nos  drapeaux  blancs, 

Et  la  mitraille 
De  nos  canons  fumants. 


répression  de  l'insurrection  belge  et  annonçaient 
le  môme  sort  à  la  Révolution  française  : 

Quinze  milliers  de  potences 

Qui  foraient  fort  bien  en  France 

Attesteront  la  elémenee 

Et  la  veitc  vigilance 

De  monsieur  l'Empereur 

Dont  ils  ont  grand'peur. 

Voilà  les  appuis  que  la  royauté  gardait  K  Paris. 
On  peut  même  dire  qu'elle  y  disposait  de  deux 
armées  :  les  royalistes  purs  et  les  royalistes 
constitutionnels.  Une  grande  partie  de  la  garde 
nationale  de  Paris,  le  directoire  du  département, 
presque  toutes  les  administrations,  étaient  feuil- 
lants ou  monarchiens. 

Or,  le  roi  avait  trouvé  le  moyen  do  se  concilier 
les  Feuillants,  tout  en  préparant  leur  ruine,  et 
de  détruire  la  constitution,  tout  en  affeciant  de 
l'observer  avec  scrupule.  Il  était  toujours  prêt  à  re- 
nouveler ses  serments  de  fidélité  i  la  loi  dans  l'As- 
semblée :  mais  il  usait  du  droit  de  vetn  qu'elle  lui 
donnait,  pour  annuler  les  déera^^^É^semblée 
et  entraver  les  mesures  de  dëf^^^HBkonsti- 
tutionnels  lui  avaient  mis  en^^^^^^^Brme 
pour  tenir  la  constitution  en  écim^^^^paHs- 
tes  purs  lui  forgeaient  k  l'étrangerun^^ffe  pour 
la  détruire. 

Au  fond  la  cour  n'aimait  pas  les  Fenillants  ;  on 
le  vit  bien  aux  élections  municipales  de  Paris 
(novembre)  :  la  reine  engagea  ses  amis  ^  voter 
contre  Lafayette  en  faveur  du  républicain  Pétion. 
C'est  grâce  à  elle  que  Lafayette  fut  écarté,  que 
Pétion  devint  maire  de  Paris  et  Danton  substitut  du 
procureur-syndic.La  cour  ne  comptait  en  réalité  que 
sur  les  royalistes  purs,  c'est-i-dire  sur  le  prêtre 
réfractaire  et  l'émigré,  et  sur  les  armées  étran- 
gères. 

L'Assemblée  montra  d'abord  de  la  modération 
envers  les  réfractaires.  Certains  d'entre  eux  n'a- 
vaient refusé  le  serment  qu'avec  regret  et  par 
scrupule  de  conscience;  mais  le  plus  grand  nom- 
bre agissaient  en  ennemis  mortels  de  la  Révolii- 
tion.  Leur  animosité  la  plus  violente  se  tournait 
contre  les  prêtres  assermentés,  bien  qu'ils  fus- 
sent séparés  d'eux,  non  par  ujie  question  de 
dogme,  mais  seulement  par  un  point  de  discipline. 
Où  les  prêtres  constitutionnels  étaient  les  plus 
forts,  comme  à  Paris,  ils  usaient  de  tolérance 
avec  leurs  adversaires  :  à  l'église  Saint-Jacques, 
sept  réfractaires  disaient  leur  messe.  En  province, 
la  situation  était  bien  différente  :  dans  une  com- 
mune du  Beaujolais,  l'ancien  curé  se  mettait  à 
la  tête  de  cinq  cents  montagnards  pour  chasser  le 
nouveau  ;  à  Caen,  le  curé  constitutionnel  était 
attaqué  par  les  nobles  et  leurs  domestiques  ar- 
més; en  Alsace,  les  assermentés  couraient  chaque 
jour  risque  de  la  vie.  C'était  surtout  dans  l'Ouest, 
dans  le  Midi,  que  les  réfractaires,  en  chaire,  a\i 
confessionnal,  propageaient  la  légende  du  roi 
prisonnier,  du  roi  martyr,  vouaient  h  l'enfer  les 
agents  du  gouvernement,  les  acquéreurs  do  biens 
nationaux,  les  citoyens  qui  payaient  l'impôt. 

Et  cependant  un  écrivain  catholique,  l'abbé 
Ja>gcr,  avoue  que  »  d'après  les  sentiments  d'ec- 
clésiastiques recommandables,  les  prêtres  pou- 
vaient en  conscience  prêter  le  serment.  »  Pie  VII, 
étant  évoque  d  Imola,  disait  qu'il  ne  l'eût  pas 
refusé,  s'il  avait  été  prélat  français  ;  devenu 
pape,  il  sanctionna  par  le  Concordat  beaucoup 
de  dispositions  empruntées  à  la  constitution 
civile  du  clergé  et  admit  h  sa  communion  les 
évoques  constitutionnels  de  France. 

Les  nobles  continuaient  à  éinigrer  du  royaume, 

mais  beaucoup  d'émigrés  commençaient  à  rentrer 

pour  préparer  la  révolte  :  ainsi  Lcscure  et  tjuan- 

gentilshommes  vendéens.  Les    émigrés 


tité    de     ^, 

ou  leurs  agents  travaillaient  Paris  et  la  province. 
Les  Actes  des   apôtres  célébraient   la    cruelle  |  tentaient  la  fidélité  des  régiments,  embauchaient 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE  —  1^84  -  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


des  hommes  pour  l'armée  du  prince  de  Condé, 
entretenaient  des  intelligences  dans  les  places 
frontières,  paradaient  dans  les  cours  de  Péters- 
bourg,  Berlin,  Vienne,  Turin,  Trêves,  y  calom- 
niaient la  France  et  l'Assemblée,  insultaient  les 
voyageurs  et  commerçants  français  à  l'étranger. 
Etablis  tout  le  long  de  nos  frontières,  ils  corres- 
pondaient avec  les  nobles  du  dedans,  envoyaient 
des  quenouilles  à  ceux  qui  refusaient  d'émigrer, 
annonçaient  partout  la  prochaine  invasion  et  les 
prochaines  vengeances. 

La  situation  de  l'Kurope  était  périlleuse  pour 
nous  :  les  peuples,  partout  asservis,  ne  pouvaient 
nous  aider  ;  tandis  que  les  libéraux  faisaient  des 
vœux  impuissants  pour  le  succès  de  la  Révolu- 
tion, les  gouvernements  armaient  contre  elle. 
La  Prusse  s'était  réconciliée  avec  l'Autriche  et 
s'était  associée  à  la  déclaration  de  Pilnitz  ;  Cathe- 
rine II  signait  un  traité  avec  Gustave  111,  roi  de 
Suède,  quï s'engageait  à  débarquer  sur  nos  côtes. 
Partout  nos  agents  diplomatiques,  quand  ils  ne 
trahissaiei^^^fifiuvertement,  étaient  insultés. 
Cathed^^^^Hpait  sans  l'ouvrir  la  lettre  par 
laquq^^^^^^^^T  notifiait  son  acceptation  de  la 
cons^^^^^HPDtsdam,  le  roi  de  Prusse  tour- 
nait l^^WP^egur  pour  sourire  i  l'envoyé  des 
émigrés;  à  Trêves,  Uigot  de  Sainte-Croix  éiait 
outragé  par  le  gazetier  de  l'archevêque-électeur; 
à  Mayence,  les  émigrés  aiguisaient  leurs  épées 
sous  les  fenêtres  de  AL  de  Villars.  Les  plus  petits 
Etats  nous  bravaient  :  le  sénat  aristocratique  de 
Berne  châtiait  les  villes  du  pays  de  Vaud,  où  l'on 
avait  osé  chanter  des  chansons  révolutionnaires  . 
A  Venise,  le  conseil  des  Dix^  en  Espagne,  l'In- 
quisition redoublaient  de  rigueurs  contre  les  par- 
tisans des  idées  françaises. 

Les  partis  dans  l'Assemblée  :  Feuillants,  Gi- 
rondins et  Montagnards.  —  Contre  tant  de  dan- 
gers, l'Assemblce  législative  était  faiblement 
armée.  Les  directoires  des  départements,  les  con- 
seils municipaux  des  grandes  villes,  les  gardes 
nationales,  les  magistrats  des  tribunaux  étaient 
acquis  aux  idées  dites  monarcliiennes.  La  Consti- 
tuante avait  détruit  la  centralisation  administra- 
tive, et  désarmé  l'Assemblée  encore  plus  que  la 
royauté. 

La  Législative  se  composait  d'hommes  nouveaux  : 
les  grandes  influences  et  les  grandes  réputations 
de  la  Constituante  restaient  en  dehors  d'elle.  Elle 
se  composait  de  trois  partis  : 

Les  royalistes  purs,  qui  avaient  formé  la  droite 
de  la  précédente  assemblée,  ne  comptaient  plus 
dans  la  Législative.  La  droite  était  donc  formée  des 
constitutionnels  ou  monarchiens.  qu'on  appelait 
aussi  Feuillaiiis  ou  Fayittistes.  Leurs  chefs  dans 
l'Assemblée  étaient  Mathieu  Dumas,  Ramond, 
Vaublanc,  Beugnot.  Hors  de  l'Assemblée,  ils  s'ap- 
puyaient sur  le  triumvirat  Barnave,  Duport, 
Lameth,  sur  le  directoire  du  département  et  la 
plupart  des  administrations;  sur  certains  batail- 
lons de  la  garde  nationale  ;  sur  Lafayette,  qui 
allait  bientôt  commander  l'armée  du  Nord;  enfin 
sur  le  club  des  Feuillants. 

La  gauche  se  partageait  entre  les  Girondins 
et  les  Montagnards.  Les  Girondins,  de  beaucoup 
les  plus  nombreux  et  les  plus  influents,  recon- 
naissaient pour  chefs,  dans  l'Assemblée,  Vergniaud, 
Guadet,  Gensonné,  tous  trois  avocats  de  Bor- 
deaux, Isnard ,  Brissot ,  Condorcet  ;  ils  s'ap- 
puyaient, hors  de  l'Assemblée,  sur  Pétion,  qui 
succédait  à  Eailly  dans  la  mairie  de  Paris;  ils 
disputaient  aux  Montagnards  la  prédominance 
dans  le  club  des  Jacobins  et  dans  la  Commune  de 
Paris. 

Les  principaux  Montagnards  de  l'Assemblée 
étaient  Merlin  de  'Ihionville,  Bazire,  le  capucin 
Chabot,  Coutlion.  Les  plus  grands  noms  du  parti 
avaient  été   laissés  en  dehors  de  la  Législative  : 


Robespierre,  qui  finit  par  devenir  maître  du  club 
des  Jacobins;  Danton  et  Camille  Desmoulins,  qui 
dominaient  au  club  des  Cordeliers;  Santerre,  qui 
soulevait  il  volonté  le  faubourg  Saint-Antoine  ; 
Marat,  qui,  dans  son  Ami  du  peuple,  prêchait  l'ex- 
termination des  aristocrates. 

Le  club  des  Jacobins  constituait  alors  une 
puissance  énorme;  c'était  comme  une  assemblée 
rivale  de  l'Assemblée,  qui  avait  son  président,  sa 
tribune  aux  harangues,  ses  galeries  pleines  de 
public.  Dans  toutes  les  villes  de  France,  jusque 
dans  des  bourgs  et  des  villages,  il  se  forma  bientôt 
des  sociétés  de  Jacobins  affiliées  à  la  société-mère, 
qui  recevaient  son  mot  d'ordre,  adoptaient  ses 
motions  et  remplaçaient  la  centralisation  admi- 
nistrative qu'on  avait  détruite  par  une  confédéra- 
tion de  sociétés.  C'étaient  ces  clubs  de  province 
qui  surveillaient  les  magistrats,  dénonçaient  les 
suspects,  poussaient  à  la  vente  et  au  morcelle- 
ment des  biens  nationaux,  intimidaient  les  enne- 
mis de  la  Révolution,  et  donnèrent  l'impulsion  à 
la  défense  nationale  et  à  toutes  les  mesures  révo- 
lutionnaires. 

L'Assemblée  apportait  des  idées  fort  arrêtées 
au  sujet  des  réfraclaires,  des  émigrés  et  des  puis- 
sances européennes;  moins  arrêtées  en  ce  qui  con- 
cernait la  royauté.  On  le  vit  bien  encore  le 
7  juillet  i'9i,  lorsque  l'évêque  Lamourette  proposa 
que  tous  ceux  qui  étaient  b.  la  fois  contre  la  Ré- 
publique et  contre  les  deux  Chambres  se  levas- 
sent :  toute  l'Assemblée  se  leva.  L'Assemblée 
n'était  pas  républicaine  :  ce  furent  les  trahisons  de 
la  cour  qui  la  jetèrent  dans  la  République.  Elle 
tenait  le  roi  pour  suspect,  mais  ne  songeait  pas 
encore  à  détruire  la  royauté. 

Dès  sa  première  séance,  comme  Louis  XVI  lui 
avait  manqué  d'égards,  elle  adopta  par  dépit  les 
propositions  de  Grangeneuve  et  Couthon,  qui  de- 
mandaient la  stippression  des  titres  de  ^ire  et  de 
majesté  et  voulaient  que  le  fauteuil  du  roi,  sem- 
blable à  celui  du  président,  fût  plucé  i  la  gauche 
de  celui-ci.  Elle  rapporta  son  décret  le  lende- 
main, et,  quand  Louis  XVI  se  rendit  h  l'Assemblée 
pour  inaugurer  ses  travaux,  elle  l'accueillit  aux 
cris  de  Vive  le  Roi! 

Entente  de  la  cour  avec  l'étranger.  —  Trois 
questions  furent  soulevées  presque  simultané- 
ment, celle  des  émigrés,  celle  des  réfraclaires, 
celle  des  mesures  à  prendre  pour  la  défense  du 
royaume.  Môme  sur  cette  dernière  question,  la 
cour  se  trouva  en  conflit  avec  l'Assemblée;  la 
façon  perfide  dont  le  ministère  préparait  la  guerre 
et  conduisait  les  négociations  contribua  à  ejiveni- 
mer  les  questions  intérieures.  Dans  l'affaire  de 
Saint-Domingue,  dans  l'affaire  d'Avignon,  c'est 
le  pouvoir  exécutif  qui,  en  retardant  la  promul- 
gation des  décrets  de  l'Assemblée,  amena  les 
épouvantables  massacres  qui  désolèrent  ces  deux 
pays. 

La  discussion  sur  les  émigrés  fut  signalée  par 
un  discours  d'Isnard  où  il  prenait  surtout  à  partie 
les  deux  frères  du  roi  ;  o  Si  nous  ne  les  punissons 
pas,  est-ce  donc  parce  qu'ils  sont  princes?...  Si 
nous  voulons  être  libres,  il  faut  que  la  loi  seule 
gouverne,  que  sa  voix  foudroyante  retentisse  éga- 
lement au  palais,  à  la  chaumière,  qu'elle  ne  dis- 
tingue ni  rangs,  ni  titres,  inexorable  comme  la 
mort  quand  elle  tombe  sur  sa  proie.  » 

L'Assemblée  rendit  un  premier  décret  portant 
que  si  le  comte  de  Provence  ne  rentrait  pas  dans 
deux  mois,  il  serait  déchu  de  son  droit  éventuel 
à  la  régence  et  h  la  royauté  ;  puis  un  second  dé- 
cret (8  novembre),  statuant  que  si  les  émigrés  ne 
rentraient  pas  pour  le  1"  janvier,  ils  seraient  dé- 
clarés coupables  de  conjuration  et  punis  de  mort; 
que  leurs  revenus  seraient  perçus  au  profit  do  la 
nation,  sauf  les  droits  des  femmes,  des  enfants, 
des  créanciers;  que  les  peines  contre  la  désertion 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1885 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


seraient  ap|)lii|uces  aux  officiers  émigrés;  que 
l'emljaucliagc  serait  puni  de  mort.  Le  roi  ne 
sanctionna  que  le  décret  relatif  à  son  frère  et 
opposa  au  second  son  veto  (i2  novembre). 

Le  décret  du  29  novembre  contre  les  prêtres 
réfractaires  se  ressentit  de  l'irritation  qu'éprouvait 
l'Assemblée.  Il  statuait  «  que  le  serment  civique 
serait  exigé  des  prêtres  réfractaires  dans  le  délai 
d(!  huit  jours  ;  i|ue  ceux  qui  le  refuseraient  seraient 
tenus  pour  suspects  do  révolte  et  recommandés  à 
la  surveillance  des  autorités  ;  que  s'il  se  produi- 
sait des  troubles  dans  la  commune  qu'ils  habite- 
raient, le  directoire  du  département  pourrait  les 
en  éloigner;  que  s'ils  résistaient  i  cet  ordre,  ils 
seraient  passibles  d'une  année  au  moins  d'em- 
prisonnement, et  de  deux  ans,  s'ils  provoquaient 
à  la  désobéissance.  »  Le  roi  signifia  son  veto  le 
19  décembre. 

Dans  l'intervalle,  le  22  novembre,  l'Assemblée 
avait  entendu  un  rapport  de  Kocli  sur  nos  rela- 
tions extérieures,  les  armements  do  l'Kurope,  les 
vexations  exercées  sur  les  citoyens  français  d'Al- 
sace par  les  émigrés  et  les  princes  allemands  du 
voisinage.  Isnard  s'empara  de  la  question  dans 
un  discours  éloquent  où  il  avertissait  les  minis- 
tres qu'ils  étaient  responsables  et  que  par  res- 
ponsabilité il  entendait  la  mort.  «  Disons  à  l'Eu- 
rope, s'écria-t-il,  que  si  Its  cabinets  engagent  les 
rois  dans  une  guerre  contre  les  peuples,  nous  en- 
gagerons les  peuples  dans  une  guerre  contre  les 
rois.  »  Le  14  décembre,  le  roi  vint  déclarer  il 
l'Assemblée  qu'il  faisait  sommer  l'électeur  de 
Trêves  d'avoir  à  disperser,  avant  le  15  janvier, 
les  rassenibleraenis  armés  sur  son  territoire. 

Pendant  que  Louis  XVI  tenait  ce  langage  à  la 
Législative,  quels  étaient  ses  actes'?  Il  adressait 
secrètement  aux  souverains  de  l'Europe  des  lettres 
circulaires  pour  les  inviter  à  s'unir  contre  ceux 
qu'il  appelle  les  factieux.  Voici  sa  lettre  au  roi 
de  Prusse  en  date  du  3  décembre  1791  : 

«  Monsieur  mon  frère, 

11  J'ai  appris  par  M.  de  Moustier  l'intérêt  que 
Votre  Majesté  avait  témoigné  non  seulement  pour 
raa  personne,  mais  encore  pour  le  bien  de  mon 
royaume.  La  disposition  de  Votre  Majesté  à 
m'en  donner  des  témoignages  dans  tous  les  cas  où 
cet  intérêt  pourrait  être  utile  pour  le  bien  de  mon 
peuple,  a  excité  vivement  ma  sensibilité;  je  la  ré- 
clame avec  confiance  dans  ce  moment-ci,  où, 
malgré  l'acceptation  que  j'ai  faite  de  la  nouvelle 
constitution,  les  factieux  montrent  le  projet  de 
détruire  entièrement  les  restes  de  la  monarchie. 
Je  viens  de  m'adresser  à  l'Empereur  et  à  l'impé- 
ratrice de  Russie,  aux  rois  d'Espagne  et  de  Suède, 
et  je  leur  présente  l'idée  d'un  congrès  des  princi- 
pales puissances  de  l'Europe,  appuyé  d'une  force 
armée,  comme  la  meilleure  manière  pour  arrêter 
ici  les  factieux,  donner  le  moyen  d'établir  un 
ordre  de  choses  plus  désirable,  et  empêcher  que 
le  mal  qui  nous  travaille  puisse  gagner  les  autres 
Etats  de  l'Kurope.  J'espère  que  Votre  Majesté 
approuvera  mes  idées  et  qu'elle  lue  gardera  le 
secret  le  plus  absolu  sur  la  démarche  que  je  fais 
auprès  d'elle.  Elle  sentira  aisément  que  les  cir- 
constances où  je  me  trouve  m'obligent  à  la  plus 
grande  circonspection  ;  c'est  ce  qui  fait  qu'il  n'y 
u  que  le  baron  de  Breteuil  qui  soit  instruit  de 
mes  projets,  et  Votre  Majesté  peut  lui  faire  passer 
ce  qu'elle  voudra.  » 

La  reine,  de  son  coté,  à  la  date  du  16  décem- 
bre, écrivait  au  résident  autrichien  de  Bruxelles, 
le  comte  Mercy  d'Argenieau  ; 

11  Saiis  armée,  sans  discipline,  sans  argent,  c'est 
nous  qui  voulons  attaquer!  Mais  le  roi  n'est  pas 
libre;  il  faut  qu'il  suive  exactement  la  marche 
qui  lui  est  prescrite.  C'est  k  l'Empereur  et  aux 
autres  puissances  à  présent  à  nous  servir.  Nous 


serons  obligés  h  faire  des  démarches  et  moi  sur- 
tout vis-i-vis  de  mon  frère,  mais  comment  pour- 
ra-t-il  de  bonne  foi  les  regarder  comme  des  actes 
de  notre   volonté  ? 

»  L'Euipereur  doit  sur   ce  point  savoir  au- 

jourd'liui  h  quoi  s'en  tenir,  et  il  n'agirait  point 
à  l'aveugle  ;  il  me  semble  d'ailleurs  qu'il  y  va 
dès  à  présent  de  la  tran(|uillité  de  ses  propres 
Etats  ;  que  mon  frère  ne  s'y  trompe  pas,  il  sera 
têt  ou  tard  engagé  dans  nos  affaires.  D'abord,  si 
nous  sommes  assez  sots  pour  attaquer,  il  sera 
obligé,  comme  chef  de  l'Empire,  de  soutenir  le 
corps  germanique,  et  de  plus,  avec  des  soldats 
aussi  indisciplinés  que  les  nôtres,  son  territoire 
sera  bientôt  violé  de  tous  les  cotés.  C'est  dans  ce 
moiucul,  où  i'  w^us  semble  que  te  congrès  armé 
powrnit  encore  être  de  la  plus  grande  utilité. 
U  n'est  plus  temps  de  craindre  pour  nos  person- 
nes :  la  marcho  que  nous  avons  adoptée  en  ayant 
l'air  de  marcher  franchement  dajis  le  sens  qu'on 
désire,  nous  met  en  sûreté.  » 

C'était  bien  une  guerre  d'inva^on  que  nous 
préparait  la  cour.  Or,  elle  sav^ÉflHB^ment  que 
les  puissances  comptaient  fair^^^^^^|B9ices 
rendus  au  roi  par  le  démeiT 
toire  français.  La  reine,  cviderl 
crit  aux  conditions  posées  par  Merî^tw^genteau 
dans  sa  lettre  de  mars  1791  :  «  Il  ne  faut  pas  se 
dissimuler  le  principe  reçu  généralement  que  les 
grandes  puissances  ne  font  rien  pour  rien.  Le 
roi  de  Sardaigne  a  toujours  eu  des  vues  sur  Ge- 
nève :  une  extension  de  limites  dans  la  partie 
française  des  Alpes  et  sur  le  Var  lui  serait  très 
intéressante.  Pareille  facilité  pourrait  être  négo- 
ciéû  avec  l'Espagne  pour  les  limites  de  la  Na- 
varre,   etc.  » 

Le  18  décembre  1791,  au  club  des  Jacobins, 
Isnard  répondait  à  cette  coalition  des  rois  cojitre 
les  peuples  en  donnant  la  formule  de  la  guerre 
des  peuples  contre  les  rois.  La  salle  était  décorée 
des  drapeaux  de  la  France,  de  l'Angleterre  et  de  l'A- 
mérique, les  trois  nations  libres  d'alors.  Un  citoyen 
suisse,  un  Neuchàtelois,  avait  envoyé  une  épéo 
de  Damas  pour  le  premier  général  français  qui 
remporterait  une  victoire  sur  les  ennemis  de  la 
liberté.  Isnard  se  saisit  de  cette  épée,  l'épée  de 
la  liévolution  universelle,  et  s'écria  :  n  La  voilà! 
Elle  sera  victorieuse.  La  France  poussera  un 
grand  cri,  tous  les  peuples  répondront.  La  terre 
se  couvrira  de  combattants,  et  les  ennemis  de  la 
liberté  seront  effacés  de  la  liste  des  hommes.  » 

Le  2  janvier  1792,  l'empereur  et  lo  roi  de 
Prusse  signèrent  un  traité  d'alliance  offensive  et 
défeiisive. 

Le  ministère  girondin.  —  Des  trois  partis  qui 
divisaient  l'opinion,  il  y  en  avait  deux  qui  dési- 
raient la  guerre  :  c'étaient  les  Feuillants  et  les 
Girondins,  mais  pour  des  motifs  différents  :  ceux- 
là  pour  consolider  la  royauté,  et  ceux-ci  pour 
l'affaiblir  et  s'imposer  à  elle.  Quant  aux  Monta- 
gnards, ils  luttaient  contre  le  courant  manifeste 
do  l'opinion  :  Uobespierre,  qui  ne  voyait  partout 
que  dos  complots,  répétait  que  la  Gironde  était 
d'accord  avec  les  Feuillants  :  calomnie  ridicule, 
car  la  Gironde  ne  pouvait  atteindre  son  but  qu'en 
écrasant  les  Feuillants. 

Les  Montagnards  étaient  jaloux  de  la  Gironde, 
alors  à  l'apogée  de  sa  popularité  et  qui  avait  la 
direction  du  grand  courant  révolutionnaire.  Les 
Montagnards  ne  voulaient  de  guerre  que  contre 
l'ennemi  du  dedans,  prétendaient  avant  tout  éjiU- 
rer  la  France  ;  Marat  et  Fréron  disaient  qu'il 
suffisait  pour  cela  de  poignards  et  do  bouts 
de  cordes.  La  Gironde  avait  un  idéal  plus  haut  : 
arraclier  le  pays  à  ses  divisions,  propager  la 
Révolution  pour  la  fortifier,  aKer  au-devant  des 
nations  (pii  attendaient  de  nous  leur  déli- 
vrance ,  prévenir    la     croisade    des    rois  par    le 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1886  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

soulèvement  des  peuples,  faire  flotter  sur  les 
Alpes  et  sur  le  Uliin  le  drapeau  aux  trois  couleurs. 
C'était  la  Gironde  qui  donnait  alors  l'impulsion  à 
l'armement  des  masses,  à  la  fabrication  des  pi- 
ques, à  l'adoption  du  bonnet  rouge  comme  signe 
de  liberté,  et  qui  pouvait  se  vanter,  en  janvier  17 9;', 
d'avoir  armé  600  onn  volontaires.  Par  Isnard  et 
Brissot,  elle  précliait  l'arniement  universel,  comme 
par  Condorcel  l'instruction  universelle.  Elle  ne 
pouvait  prendre  encore  la  direction  des  affaires, 
car  le  roi  ne  voulait  pas  entendre  parler  d'un 
cabinet  girondin.  Elle  laissait  les  Feuillants  pous- 
ser Narbonne,  l'amant  de  M""  de  Staël,  au  minis- 
tère de  la  guerre  ;  elle  laissait  Narbonne  s'in- 
fatuer  de  son  rùle  nouveau  et  donner  la  mesure 
de  son  incapacité.  Elle  se  réservait,  dans  le  comité 
diplomatique  de  l'Assemblée,  la  tàclie  de  démas- 
quer l'entente  du  ministère  et  de  l'Europe.  Le  14 
janvier,  Geusonné  concluait  à  ce  que  le  roi  som- 
mât l'Empereur  de  déclarer,  avant  le  11  février, 
s'il  était  pour  nous  ou  contre  nous.  Guadet 
flétrissait  en  ces  termes  l'idée  du  congrès  que 
rèvaitl^^ÉB|A 

(i^M^^^^^^uingrès,  ce  complot  '?...  Appre- 
il^^^^^^^^^H^inces  que  la  mainiien- 

dr^^^^^^HPR  tout  entière  ou  qu'elle  périra 
av^NHBPiffquons  une  place  aux  traîtres,  et  que 
cette  place  soit  l'échafaud...  Je  propose  de  décla- 
rer traître  et  infâme  tout  Français  qui  prendra 
part  à  un  congrès  pour  modilier  la  constitution 
ou  obtenir  une  médiation  entre  la  France  et  les 
rebelles.  »  Et  l'Assemblée  se  levait  tout  entière 
pour  prêter  ce  serment. 

Le  1"  mars,  Delessarl  lisait  à  l'Assemblée  une 
note  deKaunilz  plus  insolente  que  toutes  les  au- 
tres :  elle  fournit  aux  Girondins  l'occasion  de 
pousser  à  fond  l'enquête  sur  les  affaires  étran- 
gères. On  y  acquit  la  preuve  que  Delessart  avait 
constamment  éludé  les  ordres  de  l'Assemblée, 
qu'il  s'était  prêté  aux  intrigues  de  l'Autriche,  qu'il 
n'avait  clierclié  qu'à  endormir  le  pays,  comme  pour 
laisser  à  la  coalition  le  temps  d'organiser  l'inva- 
sion. Brissot  démontra  que  la  cour  de  Vienne  était 
en  parfait  accord  avec  celle  des  Tuileries,  que 
l'Empereur  parlait  un  langage  identique  à  celui 
des  Feuillants,  et  que  la  note  de  Kaunitz  avait  dû 
être  rédigée  sur  les  indications  fournies  par  les 
ministres  et  par  la  reine. 

Vergniaud,  reprenant  un  des  plus  beaux  mou- 
vements oratoires  de  Mirabeau  ,  s'écria  :  n  Et 
moi  aussi,  je  puis  le  dire  :  de  cette  tribune,  je  vois 
le  palais  où  se  trame  la  contre-révolution,  où 
l'on  prépare,  les  manœuvres  cjui  doivent  nous  li- 
vrer à  l'Autriche...  Le  jour  est  venu  où  vous  pou- 
vez mettre  un  terme  à  tant  d'audace  et  confondre 
les  conspirateurs.  L'épouvante  et  la  terreur  sont 
souvent  sorties  de  ce  palais,  dans  les  temps  anti- 
ques, au  nom  du  despotisme  ;  qu'elles  y  rentrent 
aujourd'hui,  au  nom  de  la  loi  ;  qu'elles  y  pénètrent 
les  cœurs;  qu  ils  sachent  bien,  ceux  qui  l'habitent, 
que  la  constitution  ne  rend  inviolable  que  le  roi. 
La  loi  atteindra  les  coupables,  sans  faire  nulle  dis- 
tinction. Point  de  tête  criminelle  que  son  glaive 
ne  puisse  toucher.  •• 

Du  coup  Delessart  tomba,  fut  décrété  d'accu- 
sation, ainsi  que  le  ministre  de  la  marine.  Nar- 
bonne ne  put  se  soutenir,  et  la  cour  se  laissa  im- 
poser un  ministère  girondin  ('^4  mars  1792),  que 
les  rojalistes  appelèrent  le  ministère  ^am-iju/olte. 
Les  finances  furent  confiées  à  Clavière,  la  justice 
à  Roland,  la  guerre  à  de  Grave  d'abord,  puis  à  Ser- 
van,  les  atTaires  étrangères  a  Duraouriez.  Roland, 
avec  son  austère  probité,  madame  Roland  avec 
son  grand  cœur  et  sa  haute  intelligence,  avaient 
la  direction  morale  du  ministère.  Dumouriez  n'é- 
tait pas  un  Girondin  :  c'était  un  aventurier  de 
grand  talent,  dont  la  jeunesse  s'était  passée  dans 
les  camps,  qui   avait  été   employé  dans  la  diplo- 


matie secrète  de  Louis  XV;  ayant  toujours  su  ac- 
commoder ses  opinions  aux  situations  que  déve- 
loppait le  mouvement  révolutionnaire,  il  arrivait 
maintenant  par  les  Girondins,  mais  avec  la  pensée 
de  suivre  sa  politique  à  lui.  Des  le  premier  jour, 
il  coilfa  le  bonnet  rouge  et  alla  se  faire  applaudir 
au  club  des  Jacobins  ;  dans  telle  autre  occasion, 
il  sera  l'homme  du  roi  contre  la  Gironde. 

La  reine  avait  deviné  Dumouriez.  En  toute 
franchise,  elle  lui  dit  :  «  On  assure  que  vous 
avez  beaucoup  de  talents.  Vous  devez  juger  que 
ui  le  roi,  ni  moi,  nous  ne  pouvons  souffrir  toutes 
ces  nouveautés,  ni  la  constitution.  Je  vous  le  dé- 
clare franchement:  prenez  votre  parti.  » 

Léopold,  malgré  ses  notes  menaçantes,  s'enten- 
dait avec  les  Tuileries  pour  ajourner  la  guerre. 
Il  mourut  le  !•' mars;  son  frère  François  II,  roi  de 
Hongrie  et  de  Bohême,  qui  lui  succéda,  esprit 
étroit  et  fanatique,  devait  précipiter  les  événe- 
ments. Il  charge  son  généralissime  Hohenlohe  de 
s'entendre  avec  celui  de  Prusse,  Brunswick,  pour 
une  action  commune.  Son  ministre  Cobentzel  si- 
gnifie à  la  France  l'ultimatum  de  l'Autriche  :  res- 
tituer aux  princes  allemands  possessionnés  en 
Alsace  tous  leurs  anciens  droits  ;  rendre  Avignon 
au  pape  ;  rétablir  la  monarchie  sur  le  pied  de  la 
déclaration  royale  du  '.'3  juin  1789.  Les  troupes  de 
la  coalition  s'avançaient  vers  nos  frontières. 

Le  "20  avril  1792,  le  roi  se  rendit  à  l'Assemblée 
avec  Dumouriez,  et  proposa  la  guerre  «  contre  le 
roi  de  Hongrie  et  de  Bohême.  «  L'.\ssemblée  dé- 
libéra. Elle  applaudit  ces  paroles  du  députe 
Mailhe  :  «  Si  votre  humanité  souffre  à  décréter 
en  ce  moment  la  mon  de  plusieurs  millier.s 
d'hommes,  songez  aussi  qu'en  même  temps  vous 
décrétez  la  liberté  du  monde.  »  Merlin  de  ïliion- 
ville  ajouta  :  «  Votons  la  guerre  aux  rois  et  la 
paix  aux  nations.  »  L'Assemblée  se  leva  tout  en- 
tière, et  à  l'unanimité,  moins  sept  membres,  vota 
la  guerre  à  r.\utriclie.  Condorcot  fut  chargé  de 
rédiger  la  déclaration  :  elle  portait  que  «  la  France 
ne  voulait  pas  de  conquête  et  n'attaquerait  la  li- 
berté d'aucun  peuple.  » 

La  déclaration  de  guerre  redoubla  l'élan  guer- 
rier de  la  nation.  Dès  janvier  179"2,  le  départe- 
ment de  la  Dordogne  annoiçait  i,  l'Assemblée 
qu'il  avait  forgé  3000  piques  et  demandait  qu'on 
fit  partir  les  volontaires.  A  la  fin  de  ce  mois,  il 
y  avait  600,000  hommes  en  armes.  On  voyait  par- 
fois tous  les  hommes  d'une  famille  se  rendre  à 
l'armée,  comme  les  trois  frères  Levavasseur  de 
Rouen,  qui  tous  trois  deviendront  généraux.  Le 
bataillon  des  Vosges  fut  prêt  le  premier.  Dans  le 
Jura,  les  femmes  faisaient  partir  les  hommes, 
déclarant  qu'elles  se  chargeaient  de  monter  la 
garde.  Championnet  arrivait  avec  le  sixième  ba- 
taillon de  la  Drome,  Kléber  avec  un  bataillon  du 
Haut-l'ihin.  .\  la  tète  de  ces  multitudes  armées, 
dans  les  grades  obscurs  de  colonels,  chefs  de  ba- 
taillon, capitaines,  il  y  avait  des  hommes  dont 
les  noms  allaient  retentir  sur  tous  les  champs  do 
bataille  de  l'Europe  :  pour  la  première  fois  l'épée 
du  commandement  est  aux  mains  des  Hoche,  des 
Marceau,  des  Desaix,  des  Joubert,  les  glorieux 
généraux  de  la  République  prochaine,  des  .Vlas- 
séna,  des  Augereau,  des  Moncey,  des  Davoust,  des 
Macdonald,  les  futurs  maréchaux  de  Napoléon  ; 
de  Murât,  le  futur  roi  de  Naples,  de  Bernadolte, 
le  futur  roi  de  Suède.  Du  fond  de  la  Bretagne,  un 
homme  qui  n'est  pi  us  jeune,  —  il  avait  alors  4  9  ans, 
—  s'arracliant  à  ses  études  celtiques,  n'emportant 
que  sa  grammaire  bretonne  et  son  fusil  de  muni- 
tion, part  avec  les  jeunes  gens  et  en  loute  les 
forme  au  métier  des  armes.  Celui-là  ne  sera  ni 
maréchal,  ni  roi  ;  il  ne  voudra  jamais  être  que 
I'  le  premier  grenadier  des  armées  de  la  Répu- 
blique ;  u  c'est  le  noble,  l'immortel  Latour-d'Au- 
vergne.  Sur  toutes  ces  colonnes  enthousiastes  qui 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


1887 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


en  tout  sens  sillojirient  la  France,  qui  vont  aux 
arnicSes  de  Lafayotte,  de  Luckner,  de  Rocliani- 
beau,  plane,  comme  une  fanfare  de  victoire,  un 
chaut  nouveau,  composé  i  Strasbourg  par  Houget 
de  Lisle,  imprégné  ensuite  des  ardeurs  de  la  IVo- 
vence,  et  qui  s'appelle  leyMarseillaine.  Dans  les 
églises,  les  femmes  sont  organisées  en  ateliers 
nationaux,  cousent  les  capotes,  les  tentes,  qui  ré- 
chaufferont, qui  abriteront  leurs  frères  ou  leurs 
fils.  A  Paris,  les  femmes  de  la  halle,  les  ouvrières, 
apportent  leurs  bijoux,  leur  épargne,  pour  payer 
la  guerre  sainte  de  la  liberté. 

Pendant  que  les  volontaires  de  France  courent 
à  la  frontière,  que  fait-on  à  la  cour?  La  reine 
correspond  avec  l'agent  autrichien  à  Bruxelles,  le 
roi  avec  son  agent  de  Vienne,  M.  de  Breteuil,  et 
Montmorin,  l'ancien  ministre  des  affaires  étran- 
gères, communique  aux  Autrichiens  les  plans  de 
guerre  et  les  délibérations  du  conseil. 

Il  y  a  surtout  un  billet,  terriblement  accusateur, 
de  Marie-Antoinette  à  Mercy  d'Argenlean  :  "  26 
mars  1792.  M.  Dumouriez,  ne  doutant  plus  de 
l'accord  des  puissances  par  la  marche  des  troupes, 
a  le  projet  de  commencer  ici  le  premier  par  une 
attaque  sur  la  Savoie  et  le  pays  de  Liège.  C'est 
l'armée  de  Lafayetie  qui  doit  servir  à  cette  der- 
nière attaque.  Voilà  le  résultat  du  conseil  d'hier; 
il  est  bon  de  connaître  ce  projet  pour  se  tenir  sur 
ses  gardes  et  prendre  toutes  les  mesures  convena- 
bles. Selon  toutes  apparences,  cela  se  fera  promp- 
tement.  » 

Le  comte  de  Fersen,  un  agent  de  la  reine,  celui 
qui  l'avait  aidée  dans  la  fuite  à  Varennes,  lui  écri-  I 
vait  le  2  juin  :  o  La  Prusse  va  bien.  C'est  la  seule 
sur  laquelle  vous  pouviez  compter.  Vienne  a  lon- 
jntirs  te  projet  de  démembrement.  La  lète  de 
l'armée  prussienne  arrivera  le  3  juillet.  Tout  y 
sera  le  4  août.  Nous  agirons  sur  la  Moselle  et  la 
Meuse,  les  émigrés  du  côté  de  l'hilipsbourg,  les 
Autrichiens  sur  le  Brisgau.  Le  duc  de  Brunswick 
vient  le  .'>  juillet  à  Goblentz  quand  tout  y  sera  ar- 
rivé. II  avancera,  masquera  les  places  foi  tes  et 
avec  3U  000  hommes  d'élite  marchera  droit  sur 
Paris.  » 

Journées  du  20  juin  et  du  10  août.  —  Le  peu- 
ple devinait  cette  hostilité  de  la  cour.  Les  volon- 
taires, en  arriv.iiit  à  la  frontière,  trouvaient  qu'une 
partie  des  officiers  avait  émigré,  que  d'autres 
affichaient  hautement  leur  haijie  de  la  Révolution. 
L'intendance,  comme  les  cadres,  était  désorgani- 
sée :  les  soldats  étaient  mal  nourris,  mal  comman- 
dés. Les  débuts  de  la  guerre  furent  désastreux  : 
deux  colonnes  qui  se  dirigeaiejit  sur  Mons  et  sur 
Tournai  furent  prises  de  panique  et  reculèrent  en 
désordre;  la  secojide  égorgea  son  général.  Cet 
échec  causa  dans  Paris  une  vive  émotion.  Au  club 
des  Jacobins,  Robespierre  en  profita  pour  accuser 
Brissot  et  les  Girondins  ;  mais  les  Girondins  se 
relevèrent  dans  l'Assemblée  par  une  série  d'actes 
de  vigueur.  Brissot,  dans  la  séance  du  33  mai,  dé- 
nonça l'existence  du  comité  autrichien,  formé  au- 
tour de  la  reine,  qui  se  composait  des  ministres 
déchus,  Montmorin,  Delessan,  Bertrand  de  .Mol- 
leyille,  qui  étendait  sur  la  France  un  vaste  réseau 
d'intrigues,  correspojidait,  à  Bruxelles,  avec  Mercy 
d'Argenteau,  à  Vienne,  avec  Breteuil,  autorisait 
nos  représentants  à  létranger,  comme  cela  fut 
prouvé  pour  l'envoyé  de  Genève,  i  prendre  du 
service  dansl'émigration.  Six  jours  après,  l'Assem- 
blée décréta  le  licenciement  de  la  garde  constitu- 
tionnelle du  roi,  cette  menace  permanente  contre 
la  constitution,  et  décréta  d'arrestation  son  com- 
mandant, le  duc  de  Brissac.  Los  tinno  gardes  se 
dispersèrent,  mais  restèrent  dans  Paris,  attendant 
des  événements  leur  revanche.  Le  i.1  mai,  nouveau 
décret  contre  les  piètres  réfractaires:  ..  La  dépor- 
tation aura  lieu  dans  un  mois,  hors  du  royaume, 
si  elle    est   demandée   par  vingt  citoyens  actifs, 


approuvée  par  le  district,  prononcée  par  le  dépar- 
tement. »  Enfin,  Servan,  le  ministre  girondin 
de  la  guerre,  proposa  tout  à  coup  à  l'Assemblée, 
qui  transforma  la  proposition  en  décret  (8  juin), 
la  formation  d'un  camp  de  '20  000  fédérés  soiis  les 
murs  de  Paris;  en  mémo  temps  qu'il  licenciait  la 
garde  constitutionnelle,  il  voulait  organiser  l'ar- 
mée révolutionnaire. 

L'accueil  fait  à  ces  deux  décrets  devait  permettre 
déjuger  les  intentions  du  roi  :  s'il  leur  refusait  la 
sanction,  il  serait  visible  à  tous  qu'il  était  le 
grand  obstacle  à  la  défense  nationale.  II  évita 
d'abord  de  se  prononcer;  mais  Roland,  brusque- 
ment, le  mit  en  demeure.  Dans  le  conseil  des 
ministres,  il  lut  une  lettre  qu'il  avait  écrite  au 
roi  pour  le  sommer  d'éloigner  de  sa  personne  les 
prêtres  réfractaires  et  d'observer  loyalement  la 
constitution.  Louis  XVI,  piqué  au  vif,  congédia 
Roland,  Servan  et  Clavière  (13  juin)  ;  il  fit  croire  i 
Dumouriez  qu'il  sanctionnerait  les  deux  décrets, 
et  obtint  ainsi  de  lui  qu'il  abandonni^  ses  collè- 
gues.Les  ministres  girondins  £uiKi^j|auilacés  par 
des  Feuillants  ;  alors  le  roi,  c' 
refusa  la  sanction  des  décrets! 
prenant  trop  tard  qu'il  avait^ 
donna  à  son  toursa  démissioni 

déclara    que  les  ministres  gi  

sa  confiance,  et  vota  l'envoi  de  la  leTTBWWTolaud 
aux  83  départements. 

Louis  \VI  restait  seul.  Lafayette  acheva  de  le 
compromettre  en  adressant,  de  l'armée  du  Nord, 
une  lettre  impérieuse  M'Assemblée.  Il  écrivait  au 
roi  :  H  Persistez,  sire,  fort  de  l'autorité  que  la  vo- 
lonté nationale  vous  a  déléo:uée  :  vous  trouverez 
tous  les  bons  Français  rangés  autour  de  votre 
trône.  » 

Le  peuple  de  Paris  vit  clairement  alors  que 
le  palais  du  roi  était  le  centre  où  venaient  abou- 
tir les  menées  cléricales,  les  complots  des  émigrés, 
les  intrigues  de  l'iiurope,  les  espérances  factieuses 
de  Lafayette.  Deux  coups  terribles  furent  frappés 
par  le  peuple  :  au  20  juin,  au  10  août.  Le  20  juin, 
premier  avertissement  au  roi  des  réfractaires,  au 
roi  des  émigrés;  le  10  août,  anéantissement  de 
la  royauté. 

Le  20  juin  fut  un  soulèvement  spontané  du 
peuple,  auquel  Marat  ni  Robespierre  n'eurent  au- 
cune part:  Robespierre,  qui  s  était  opposé  à  la 
formation  du  camp  sous  Paris,  eu  était  encore  b. 
prêcher  le  respect  de  cette  constitution  violée  par 
Louis  XVI  et  qui  livrait,  la  France  ;'i  l'ennemi. 
Pétion,  maire  de  Paris,  laissa  faire.  C'est  Danton 
qui  fut  l'àmc  du  mouvement  par  ses.  amis  du  fau- 
bourg Saint-Antoine,  par  le  boucher  Legendre,  le 
brasseur  Santerre,  Lacroix,  Westermaun,  Panis, 
Sergent,  Fournier  l'Américain.  Le  20  juin  au 
matin,  des  milliers  d'hommes  se  mirent  en  marche 
vers  l'Assemblée,  lui  apportant  une  pétition  qui 
requérait  des  mesures  énergiques.  Après  avoir 
défilé  devant  l'Assemblée,  ils  forcèrent  la  grille 
des  Tuileries,  montèrent  l'escalier  du  palais,  traî- 
nant avec  eux  un  canon,  enfoncèrent  les  portes 
de  l'appartement  du  roi.  Legendre  apostropha 
Louis  XVI  :  aMonsieur!  lui  dit-il,  écoutez-nous. 
Vous  êtes  un  perfide  ;  vous  nous  avez  toujours  trom- 
pés; vous  nous  trompez  encore.  Mais  prenez  garde 
à  vous;  la  mesure  est  comble;  le  peuple  est  las 
do  su  voir  votre  jouet,  u  Le  roi  resta  impassible. 
1.  Je  ferai,  dit-il,  ce  que  m'ordonnent  les  lois  et 
la  constitution.  «  Il  but  i  la  santé  du  peuple  et  se 
coiffa  du  bonnet  rouge  ;  mais  il  refusa  la  sanction 
des  décrets.  Pétion  survint  alors,  harangua  le 
peuple  et  l'engagea  à  se  retirer.  Les  manifestants 
s'en  allèrent  assez  tristes,  en  se  disant:  «  Nous 
n'avons  rien  obtenu:  il  faudra  bien  revenir,  a 

L'Assemblée  ayant  désavoué  l'insurrection,  la 
cour  reprit  confiance.  Quand  l'étion  vint  le  lende- 
main pour  rendre  compte  au  roi  de  la  situation  de 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1888  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


la  capitale,  Louis  XVI  lui  dit  :  »  Taisez-vous,  » 
et  lui  tourna  le  dos.  Sorgent,  qui  l'accompagnait, 
malgré  son  éiljarpe  de  conseiller  municipal,  fut 
injurié  et  frappé  par  des  royalistes.  Une  pétition, 
portant  vingt  mille  signatures,  protesta  auprès 
de  l'Assemblée  contre  l'acte  du  20  juin.  Lafayette, 
quittant  son  armée,  vint  demander  aux  députés  le 
cluilinient  des  a  Jacobins.  »  Malgré  la  réclamation 
de  Guadet  contre  cette  démarche  étrange  d'un 
général  qui  abandonnait  son  commandement,  La- 
fayette fut  admis  aux  honneurs  de  la  séance. 

Le  danger  intérieur  grandissait.  Les  bourgeois  de 
Quimper  avaient  dû  écraser  une  première  tentative 
de  chouannerie  dans  le  Finistère;  les  campagnes 
du  Languedoc  étaient  parcourues  par  un  aventu- 
rier qui  s'intitulait  <i  lieutenant-général  des  prin- 
ces, gouverneur  du  Bas-Languedoc  et  des  Cé- 
vennes,  »  et  appelait  les  paysans  à  l'insurrection. 
A  Strasbourg,  on  découvrait  un  complot  pour 
ouvrir  la  ville  aux  Autrichiens  :  le  grand-duc  de 
Bade  ven^de  leur  livrer  Kehl,  c'est-à-dire  le  pont 
du  Hliij^^^j|^|àbdes  princes  allemands,  à  Ratis- 
bQDBfi^^^^^^^Bmettre  notre  envoyé  ;  l'armée 
lée  de  contingents  hessois  et 
eparait   à   franchir  la   frontière 


mit  par  s'émouvoir.  Jean  Debry, 
nu  nflW^MpTcommission  des  Douze,  avait  appelé 
son  attennnn  sur  les  mesures  à  prendre  en  cas  de 
danger  de  la  patrie,  spécialement  pour  le  cas  où 
ce  danger  u  viendrait  précisément  du  pouvoir 
exécutif.  »  Vergniaud  prononça  en  cette  occasion 
(3  juillet)  un  de  ses  plus  éloquents  discours  :  i  0 
roi,  qui  sans  doute  avez  cru,  avec  le  tyran  Lysandre, 
que  la  vérité  ne  valait  pas  mieux  que  le  men- 
songe, et  qu'il  fallait  amuser  les  hommes  par  des 
serments  comme  on  amuse  les  enfants  avec  des 
osselets;  qui  n'avez  feintd'aimer  les  lois  que  pour 
conserver  la  puissance  qui  vous  servirait  à  les 
braver...  Non,  non,  homme  que  la  générosité  des 
Français  n'a  pu  émouvoir,  homme  que  le  seul 
amour  du  despotisme  a  pu  rendre  sensible,  vous 
n'avez  pas  rempli  le  vœu  de  la  constitution  !  Elle 
est  peut-être  renversée  ;  mais  vous  ne  recueillerez 
pas  le  fruit  de  votre  parjure!  Vous  ne  vous  êtes 
point  opposé  par  un  acte  formel  aux  victoires  qui 
se  remportaient  en  votre  nom  sur  la  liberté,  mais 
vous  ne  recueillerez  point  le  fruit  de  ces  indignes 
triomphes!  Vous  n'êtes  plus  rien  pour  cette  cons- 
titution que  vous  avez  si  indignement  violée,  pour 
ce  peuple  que  vous  avez  si  lâchement  trahi  !  " 

L'Assemblée  ne  prit  cependant  aucune  dé- 
cision à  l'égard  de  Louis  XVI.  Le  14  juillet 
l'ut  célébré  comme  à  l'ordinaire  :  seulement  le 
roi  remarqua  la  multitude  de  porteurs  de  piques 
accourus  au  Champ-de-Mars,  l'ardeur  avec  la- 
quelle ils  criaient  Viv  la  nation!  Il  vit  ausii, 
présage  menaçant,  des  hommes  qui  portaient,  so- 
lennellement enveloppée  dans  un  voile,  une  chose 
qui  reluisait  sinistrement  :  c'était  «  le  glaive  de 
la  loi.  » 

Le  11  juillet,  l'Assemblée  avait  proclamé  l'a- 
vertissement solennel  :  «  La  patrie  est  en  dan- 
ger! »  En  conséquence,  le  1%  juillet,  les  gardes 
nationaux  et  les  troupes  parcoururent  la  ville  en 
colonnes  précédées  de  hérauts  qui  répétaient  la 
formule  sacrée.  Les  canons  du  Pont-Neuf  tonnè- 
rent toute  la  journée,  en  signe  d'alarme,  répon- 
dant au  canon  de  l'Arsenal.  Le  drapeau  du 
((  Danger  de  la  patrie  »  déploya  ses  plis  immen- 
ses au  fronton  de  l'Hôtel-de-ViUe.  La  foule  se 
pressait  aux  bureaux  d'enrôlement.  En  même 
temps,  les  fédérés  de  l'ouest,  du  midi,  les  Bre- 
tons, les  Marseillais,  commencèrent  à  affluer, 
ajoutant  leurs  ardeurs  à  l'excitation  des  Parisiens. 

Sur  toute  cett>^  fermentation  belliqueuse  tomba 
comme  une  étincelle  le  fameux  manifeste  de 
Brunswick.  U  résumait  les   accusations  des  rois 


contre  la  Révolution  française  ;  déclarait  que  les 
souverains  alliés  entendaient  faire  cesser  l'anar- 
chie, relever  le  trône  et  l'autel,  rendre  au  roi 
ses  prérogatives;  que  les  habitants  qui  oseraient 
se  défendre  seraient  passés  par  les  armes  et  leurs 
maisons  démolies  ou  brûlées  ;  que  si  Paris  ne 
mettait  pas  le  roi  en  liberté,  toutes  les  autorités 
civiles  et  militaires  seraient  traduites  en  conseil 
de  guerre  ;  que  si  les  Tuileries  étaient  insultées, 
les  princes  exerceraient  une  vengeance  mémora- 
ble, livreraiejit  Paris  à  une  exécution  militaire  et 
à  une  subversion  totale.  Chose  singulière,  le  ma- 
nifeste, daté  du  ?â,  fut  connu  à  Paris  le  28.  On 
ne  s'en  étonne  plus  quand  on  sait  que  c'étaient 
les  agents  du  roi  et  les  émigrés,  Mallet  du  Pan, 
M.  de  Limon,  qui,  malgré  Brunswick,  y  avaient 
fait  insérer  les  phrases  les  plus  violentes,  et 
quand  on  lit  ce  billet  de  Fersen  à  la  reine  : 
«  Vous  avez  le  manifeste  et  vous  devez  en  être 
contente.  » 

Fersen,  à  cette  époque,  recommandait  à  la  reine 
de  se  préparer  i  la  délivrance  et  «  d'emporter  les 
dianianis  de  la  couronne.  «  La  reine  répondait  : 
o  Vous  avez  pu  juger  par  une  précédente  lettre 
combien  il  est  intéressant  de  gagner  vingt-qua- 
tre heures  ;  je  ne  ferai  que  vous  le  répéter  au- 
jourd'hui, en  ajoutant  que  si  on  n'arrive  pas,  il 
n'y  a  que  la  Providence  qui  puisse  sauver  le  roi 
et  sa  famille.  »  Elle  continuait  h  révéler  le  secret 
des  opérations  françaises  :  «  Il  y  a  des  ordres 
pour  que  l'armée  de  Luckner  attaque  incessam- 
ment ;  il  s'y  oppose,  mais  le  ministère  le  veut. 
Les  troupes  manquent  de  tout  et  sont  dans  le 
plus  grand  désordre.   » 

Marie-Antoiiiette  ne  cachait  pas  ses  espérances 
à  soji  entourage  :  «  Une  nuit,  raconte  M"=  Cara- 
pan,  comme  la  lune  éclairait  sa  chambre,  elle  la 
contempla  et  me  dit  que,  dans  un  mois,  elle  ne 
verrait  pas  cette  lune  sans  être  dégagée  de  ses 
chaînes.  Elle  me  confia  que  tout  marchait  à  la  fois 
pour  la  délivrer.  Elle  m'apprit  que  le  siège  de  Lille 
allait  se  faire,  qu'on  leur  faisait  craindre  que, 
malgré  le  commandant  militaire,  l'autorité  civile 
ne  voulût  défendre  la  ville.  Elle  avait  l'itinéraire 
des  princes  et  des  Prussiens;  tel  jour  ils  de- 
vaient être  à  Verdun  et  tel  jour  h  un  autre  en- 
droit. 1) 

Le  peuple  ignorait  ces  correspondances  ;  il  no 
pouvait  que  les  soupçonner  ;  mais  un  sûr  instinct 
le  guidait  et  lui  montrait  les  Tuileries  comme 
restant,  en  plein  Paris,  la  citadelle  de  l'invasion, 
la  cour  comme  l'alliée  secrète  de  ceux  qui  allaient 
ravager  la  Lorraine  et  bombarder  Lille.  Le  jour 
même  où  la  proclamation  de  Brunswick  fut  con- 
nue, la  section  Mauconseil  déclara  :  qu'il  était 
impossible  de  sauver  la  liberté  par  la  constitu- 
tion ;  qu'elle  abjurait  son  serment  et  ne  recon- 
naissait plus  Louis  XVI  pour  roi.  Sur  les  48 
sections  de  Paris,  47  votèrent  la  déchéance  du 
roi.  L'Assemblée,  sous  la  pression  de  l'opinion, 
licencia  les  corps  d'élite  de  la  garde  nationale, 
qui  étaient  royalistes  ou  fayettistes,  et  enjoignit  aux 
gardes  suisses  de  sortir  de  Paris;  mais,  faute  de 
prendre  à  temps  une  décision  à  l'égard  du  roi, 
elle  laissa  l'initiative  au  peuple.  Le  8  août,  elle 
commit  une  faute  irréparable  :  par  40ri  voix  con- 
tre 224,  elle  repoussa  la  mise  en  accusation 
de  Lafayette,  qui  conspirait  publiquement  en  fa- 
veur de  la  royauté. 

Le  10  août  ne  fut  pas  une  surprise  :  ce  fut 
une  lutte  en  plein  soleil  entre  la  royauté  et  la 
nation.  On  s'y  préparait  ouvertement  de  part  et 
d'autre,  depuis  trois  longues  semaines.  Los  deux 
faubourgs  démocratiques,  Saint-Antoine  et  Saint- 
Marceau,  s'entendaient  pour  une  action  com- 
mune. Les  anciens  gardes  français,  mêlés  au 
peuple,  le  formaient  au  courage  et  à  la  disci- 
pline ;  les  fédérés  bretons  et  marseillais,  pour  la 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1889  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


plupart  anciens  soldats,    très   apucrris,    allaient 
former  le  solide  noyau  de  l'insurrection. 

La  conr,  de  son  côté,  avait  fait  revenir  secrè- 
tement les  Suisses  aux  Tuileries  :  c'était  une 
troupe  d'élite  d'environ  1500  hommes;  beau- 
coup des  anciens  gardes  constitutionnels,  quel- 
ques centaines  de  gentilshommes  accoururent  au 
château  prendre  leur  part  du  danger  ;  le  9  août 
encore,  la  cour  croyait  pouvoir  compter  pour  sa 
défense  sur  la  Commune  do  Paris  et  sur  le  maire 
Pétion  ;  Mandat,  commandant  des  gardes  nationa- 
les, lui  était  acquis.  Dans  la  soirée  du  9,  Mandat 
fit  masser  autour  dos  Tuileries  les  bataillons  qu'il 
estimait  royalistes  ou  fayettistes,  placer  des  ca- 
nons au  Pont-Neuf  afin  d'arrêter  le  faubourg 
Saint  Marceau,  occuper  la  place  de  Grève  afin 
d'arrêter  le  faubourg  Saint-Antoine.  Mais  dans  i 
la  nuit  du  9  au  10  août,  une  Commune  insur- j 
rectionnelle,  composée  des  hommes  du  "20  juin, 
s'empara  de  l'Hôlel-de-Ville  ;  Mandat,  appelé  à.  la 
municipalité,  fut  tué  au  retour  d'un  coup  do 
pistolet.  Aux  Tuileries,  la  confiance,  très  grande  ' 
d'abord,  commença  à  diminuer  :  les  gentilshom- 
mes se  défiaient  des  gardes  nationaux  ;  ceux-ci, 
qui  tenaient  pour  la  royauté  constitutionnelle,  ne 
se  souciaient  pas  de  combattre  avec  les  partisans 
de  l'absolutisme.  La  reine,  pour  relever  les  cou- 
rages, engagea  le  roi  à  passer  les  troupes  en 
revue  vers  cinq  heures  du  matin;  l'air  fatigué  et 
triste  de  Louis  XVI.son  silejice  glacèrent  les  cœurs; 
plusieurs  bataillons  de  gardes  nationales  com- 
mencèrent à  crier  Vive  la  nation!  d'autres  :  A 
bas  le  Iruitre  l  Tous  finirent  par  abandonner  le 
château,  et  quelques-uns  allèrent  rejoindre  l'in- 
surrection. Louis  XVI  n'eut  plus  autour  de  lui, 
en  cette  journée  suprême  de  la  royauté,  que  les 
Suisses  et  quelques  gentilshommes. 

C'est  alors,  quand  Paris  s'ébranlait  déjà,  que 
Louis  XVI  se  kissa  persuader  par  le  procureur- 
syndic  du  département,  Rœderer,  de  venir  cher- 
cher un  asile  dans  l'Assemblée.  La  reine  l'y  sui- 
vit. Elle  n'avait  pas  encore  perdu  l'espérance  : 
si  ses  partisans  repoussaient  l'attaque  des  insur- 
gés, ils  pourraient  bien  venir  la  chercher  dans 
l'Assemblée  même,  et  alors  les  rôles  seraient 
changés  :  ce  serait  l'Assemblée  qui  se  trouverait 
à  la  discrétion  de  la  royauté. 

Vers  huit  heures  arrivèrent  devant  les  Tuileries 
les  premières  bandes  d'insurgés,  les  plus  impa- 
tients, les  plus  mal  armés,  les  porteurs  de  piques. 
Ils  s'engagèrent  imprudemment  dans  la  cour  du 
Carrousel,  furent  accueillis  par  un  feu  roulant, 
et  s'enfuirent  en  désordre,  laissant  trois  ou  quatre 
cents  morts  sur  le  pavé.  Les  nobles  se  crurent 
victorieux  :  déjà  d'Hervilly  courait  aux  Suisses, 
leur  criant  :  «  Ce  n'est  pas  tout;  il  faut  vous 
porter  à  l'Assemblée,  près  du  roi  ;  »  déjà  l'As- 
semblée, pénétrant  les  intentions  secrètes  de  la 
cour,  se  préparait  au  sacrifice  et,  se  levant  tout 
entière,  d'un  mouvement  spontané,  renouvelait 
le  serment  de  mourir  pour  la  liberté. 

L'arrivée  des  Bretons,  des  Marseillais,  des  gar- 
des nationaux  armés  de  fusils,  changea  la  face  des 
choses.  Ils  mirent  en  position  quatre  canons  et 
refoulèrent  les  Sui-sses  dans  le  palais.  Alors  s'en- 
gagea la  vraie  bataille,  acharnée,  sanglante;  les 
assaillants  étaient  plus  nombreux;  mais  les  Suis- 
ses, à  l'abri  dans  le  château,  tiraient  à  coup  sûr. 
Aussi  ne  perdirent-ils  que  ;00  hommes,  tandis  que 
IIOO  insurgés  périrent  dans  cette  journée.  A  la 
fin  les  Tuileries  furent  enlevées  et  les  Suisses 
pourchassés  à  travers  le  jardin  et  les  Champs- 
Elysées.  Quand  le  château  fut  forcé,  Louis  XVI 
envoya  l'ordre  à  ses  gardes  de  cesser  le  l'eu. 

Le  peuple,  victorieux,  demandait  la  déchéance 
du  roi.  L'Assemblée,    sur  la  proposition  de  Ver- 
gniaud,  se  borna  à  décréter  la  su.spension  du  pou- 
voir exécutif.  Elle  déclara  qu'une  nouvelle  assem- 
2»  Paiitie. 


blée,  la  Convention,  aurait  à  statuer  sur  le  sort 
de  la  royauté. 

La  journée  du  10  août  fut  un  acte  nécessaire. 
En  prônant  les  Tuileries,  le  peuple  venait  de  dé- 
truire une  des  places  d'armes  de  la  coalition  et 
de  l'émigration.  Ce  fut  le  premier  coup  frappé  sur 
l'invasion  elle-même.  11  rendit  possible  la  défense 
nationale. 

Le  malheur  fut  que  l'Assemblée,  au  lieu  d'agir, 
s'était  laissé  traînera  la  remorque  des  événements. 
Un  décret  prononçant  la  déchéance  ou  la  suspen- 
sion du  roi  eût  évité  l'insurrection  ;  il  l'eût  rendue 
légitime  devant  la  loi  écrite  comme  elle  l'est  de- 
vant l'histoire  et  devant  la  conscience  publique. 
C'était  à  l'Assemblée  de  prendre  l'initiative  de  ce 
grand  acte  de  justice,  et  de  ne  pas  la  laisser  à  un 
pouvoir  inférieur  au  sien,  rival  du  sien,  la  Commune 
de  Paris.  Le  renversement  de  la  royauté  était  un 
acte  de  souveraineté  nationale  ;  seule,  l'Assemblée 
souveraine,  issue  des  votes  du  pays  tout  entier, 
avait  qualité  pour  l'accomplir:  ses  funestes  hési- 
tations au  lendemain  de  la  chute  de  Roland,  qui 
ne  rappellent  que  trop  celles  de  la  Constituante  au 
lendemain  de  Varennes.  son  désaveu  du  20  juin, 
sa  longanimité  envers  Lafayette  qui  osait  lui 
parler  en  soldat  du  coup  d'Etat,  sa  résistance  au 
vœu  le  plus  légitime  de  l'opinion,  eurent  un  ré- 
sultat funeste:  l'afTaiblissemont  de  son  pouvoir  et 
de  sa  popularité.  Elle  ne  fit  pas  le  10  août,  elle 
n'eut  plus  qu'à  le  ratifier.  Par  là  grandit  démesu- 
rément cette  puissance  nouvelle,  anonyme,  irres- 
ponsable, de  la  Commune,  née  dans  la  nuit  du 
10  août,  qui  tombait  en  des  mains  suspectes.  Les 
Vergniaud,  les  Brissot,  les  Isnard,  les  Merlin  de 
Thionvillej  les  Jean  Debry,  n'auraient  pas  dû  livrer 
une  telle  force  à  des  Rossignol  et  des  Hébert, 
à  des  Bourdon,  des  Tallien  et  des  Collet.  Ces  in- 
connus, ayant  au  front  l'auréole  du  10  août, 
transfigurés  dans  la  gloire  de  cette  journée,  as- 
sociés au  plus  grand  événement  de  l'époque,  la 
chute  de  la  royauté,  et  comme  sacrés  chefs  du 
peuple  et  de  la  Révolution,  se  dressent  en  face 
de  l'Assemblée  qui  a  prépare  et  qui  n'a  pas  osé 
faire  la  République.  Bientôt  les  nouveaux  muni- 
cipaux s'adjoignirent  Marat,  tiré  de  sa  cave,  Ro- 
bespierre sorti  de  sa  retraite.  Robespierre  re- 
cueille les  fruits  de  la  victoire,  lui  qui  s'est  toujours 
opposé  à  la  lutte,  qui  a  désapprouvé  et  le  décret 
sur  les  réfractaires,  et  la  déclaration  de  guerre,  et 
la  formation  du  camp  do  vingt  mille  hommes,  et 
l'appel  aux  fédérés,  et  le  30  juin,  et  qui,  à  la  veille 
du  1(1  août,  prêchait  encore  le  respect  de  la  con- 
stitution. 

Dès  le  lendemain  du  10  août,  on  voit  que  le 
va  nqueur  ce  n'est  pas  l'Assemblée.  L'Assemblée 
ordonne  que  le  roi  sera  mis  au  Luxembourg,  dans 
un  palais;  la  Commune  l'envoie  au  Temple,  dans 
une  prison.  C'est  la  Commune  qui  enferme  les 
Suisses  à  l'Abbaye,  qui  fait  briser  les  statues  des 
rois  et  les  emblèmes  de  la  royauté;  c'est  à  son 
profit  qu'on  supprime  les  attributions  politiques 
du  directoire  du  département,  auquel  elle  était 
hiérarchiquement  subordonnée  et  dont  l'efface- 
ment  la  laisse  sans  contre-poids. 

Le  peuple  de  Paris  avait  fait  de  grosses  pertes 
pendant  le  combat:  une  partie  du  nouveau  conseil 
municipal,  Marat  et  autres  furieux  l'excitaient  à 
la  vengeance,  disant  qu'il  fallait  «  en  finir  avec 
l'ennemi  »,  On  commença  à  craindre  un  massacre 
dans  les  prisons.  Des  députations  menaçantes  se 
succédaient  à  la  barre  de  l'Assemblée.  Les  amis 
de  Danton  résistaient  à  cette  propagande  de 
meurtres.  Le  jacobin  Choudieu  disait:  «  Ceux  qui 
viennent  crier  ici  ne  sont  pas  les  amis  du  peuple; 
ce  sont  ses  flatteurs,  »  et  Thuriot  prononça  ces 
belles  paroles  :  «  La  Révolution  n'est  pas  seule- 
ment à  la  Franco  ;  nous  en  sommes  comptables  à 
I  l'humanité,  u 

119 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE  —  1^90  —  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


Le  ministère  girondin  avait  été  reconstitué, 
avec  lioland  à  l'intérieur,  Clavière  aux  finances, 
Servan  à  la  guerre,  Monge  k  la  marine,  Lebrun 
aux  affaires  étrangères.  On  lui  avait  adjoint  un 
seul  des  inspirateurs  du  Id  août,  Danton,  nommé 
ministre  de  la  justice.  Danton  pioposa  l'établisse- 
ment d'un  tribunal  criminel,  qui  frapperait  les 
plus  coupables  parmi  les  complices  de  la  cour. 
Les  jurés  devaient  être  choisis  par  l'élection  à 
deux  degrés,  comme  les  députés,  o  Que  la  justice 
des  tribunaux  commence,  écrivait  Danton  dans  une 
circulaire,  et  celle  du  peuple  cessera.  »  Le  tri- 
bunal entra  en  fonctions  le  19  et  prononça  trois 
condamnations  capitales.  En  même  temps  l'Assem- 
blée frappa  deux  coups  terribles  :  sur  les  émigrés, 
dont  les  biens  furent  placés  sous  le  séquestre; 
sur  les  réfractaires,  qui  devaient  être  déportés 
dans  les  quijize  jours.  Lafayette  avait  essayé  de 
soulever  contre  l'Assemblée  l'armée  du  Nord  et 
avait  fait  arrêter  trois  représentants  du  peuple, 
le  girondin  Kersaint,  les  jacobins  Antonelle  et 
Péraldy  ;  il  fut  décrété  d'accusation  et  s'enfuit 
avec  ses  amis,  Alexandre  Lametli  et  Latour-Mau- 
bourg.  Il  n'échappa  aux  prisons  de  Pans  que  pour 
tomber  dans  celles  de  l'Autriche  :  il  devait  expier 
par  cinq  ans  de  captivité,  à  Magdebourg  et  à 
Olmiitz,  le  crime  d  avoir  commencé  la  Révolu- 
tion. Ses  malheurs  ont  fait  oublier  les  fautes 
qu'il  avait  commises  dans  ces  dernières  années, 
quand  sa  fidélité  au  roi  le  rendit  infidèle  à  la 
nation. 

L'invasion  prussienne  :  les  journées  de  sep- 
tembre. —  L'exaspération  du  peuple  était  entre- 
tenue par  les  nouvelles  de  la  frontière.  Longwy 
venait  d'être  livré  aux  Prussiens  par  la  trahison 
de  son  commandant.  L'Assemblée  décréta  que 
tout  citoyen  qui,  dans  une  place  assiégi''e,  parle- 
rait de  capitulation,  serait  puni  de  mort.  Le  péril 
était  grand;  les  insurrections  royalistes  éclataient 
dans  plusieurs  provinces  ;  à  Paris  même,  la  contre- 
révolution  se  reprenait  à  espérer  :  quand  on  apprit 
le  désastre  de  Longwy,  des  rassemblements  roya- 
listes se  formèrent  autour  du  Temple,  sous  les 
fenêtres  de  Louis  WI,  et  l'on  entendit  des  cris 
de  Vive  le  Roi  !  Les  combattants  rojalistes  du 
10  août  étaient  restés  dans  Paris;  on  insulta 
pendant  la  nuit  les  statues  de  la  Loi  et  de  la 
Liberté;  dans  les  prisons  mêmes,  oii  entretenait 
des  relations  avec  l'émigration,  on  buvait  au  succès 
des  alliés.  Les  Prussiens  arrivaient,  mais  l'ennemi 
était  déji  dans  la  place, 

Danton  ordonna  des  visites  domiciliaires:  elles 
se  firent  en  grand  appareil,  pour  frapper  les  esprits 
d'une  terreur  salutaire;  ces  jours-là,  les  barrières 
de  Paris  étaient  fermées,  les  rues  barrées  par  la 
troupe,  tandis  que  les  gardes  nationaux  pénétraient 
dans  les  maisons  pour  chercher  les  armes  cachées 
et  arrêter  les  suspects.  On  saisit  ■2(100  fusils  et 
l'on  fit  30U0  arrestations,  qui,  pour  la  plupart,  ne 
furent  pas  maintenues.  Danton  estimait  que  le 
tribunal  criminel  et  les  visites  domiciliaires  suf- 
fisaient à  réprimer  l'audace  des  conspirateurs  : 
de  ce  jour,  en  elTet,  ils  commencèrent  à  trembler. 
Ces  mesures  ne  contentaient  point  Marat  et  ses 
amis:  ils  répétaient  qu'avant  de  courir  i  1  ennemi 
du  dehors,  il  fallait  extermiiier  celui  du  dedans. 
Déjà,  deux  sections  sur  quarante-huit  avaient  voté 
le  massacre  des  prisonniers,  et  l'on  ne  prenait 
aucune  mesure  pour  leur  sûreté  :  les  prisons  res- 
taient confiées  à  la  garde  de  la  Commune.  Le 
désaccord  entre  l'Assemblée,  qui  avait  prescrit  le 
renouvellement  de  la  Commune,  et  la  Commune, 
qui  refusait  de  résigner  ses  pouvoirs,  paralysait 
toute  puissance  publique.  Le  i"  septembre  Panis 
avait  illégalement  introduit  dans  le  comité  de 
surveillance  de  la  Commune  l'homme  qui.  depuis 
deux  ans,  demandait  di-s  massacres  :  Marat.  Le 
2  septembre,   le  jour  môme  où  devaient  se  faire 


les  élections  pour  le  nouveau  conseil  municipal, 
on  apprenait  à  Paris  l'investissement  de  Verdun  : 
l'ennemi  n'était  plus  qu'à  quelques  jours  de 
marche. 

Devant  l'imminence  du  danger  le  courage  de 
Boland  fléchit  un  moment:  il  proposait  que  l'As- 
semblée et  le  ministère  se  retirassent  derrière  la 
Loire,  à  Tours  ou  à  Blois.  Danton  no  voulut  pas 
entendre  parler  de  retraite  :  «  La  France  est 
dans  Paris,  rcpondit-il  ;  si  vous  abandonnez  la  ca- 
pitale à  l'étranger,  vous  vous  livrez  et  vous  livrez 
la  France;  c'est  dans  Paris  qu'il  faut  se  maintenir 
par  tous  les  moyens.  » 

La  Commune  et  l'Asseiublée  se  trouvent  d'ac- 
cord pour  décréter  les  mesures  les  plus  énergi- 
ques :  la  Commune  invite  tous  les  citoyens  en  état 
de  porter  les  armes  à  se  réunir  au  Champ-de-Mars  ; 
elle  décide  qu'à  l'instant  le  canon  d'alarme  sera 
tiré  ;  qu'on  assurera  des  secours  aux  familles  des 
volontaires  ;  qu'on  portera  de  .30  000  à  60  000  hom- 
mes le  contingent  de  Paris.  L'Assemblée  approuve 
toutes  ces  décisions  ;  elle  rapporte  le  décret  qui 
prescrivait  le  renouvellement  de  la  Commune  : 
les  membres  nouvellement  élus  siégeront  avec  les 
anciens.  Vergniaud  s'écrie  :  u  C'est  aujourd'hui 
que  Paris  doit  vraiment  se  montrer  dans  toute  sa 
grandeur;  je  reconnais  son  courage  à  la  démarche 
qu'il  vient  de  faire,  et  maintenant  on  peut  dire 
que  la  patrie  est  sauvée....  Hommes  du  14  juil- 
let, du  10  août,  c'est  vous  que  j'invoque...  Il  n'est 
plus  temps  de  discourir  ;  il  faut  piocher  la  fosse 
de  nos  ennemis,  ou  chaque  pas  qu'ils  font  pioche 
la  nôtre.  « 

Pour  diriger  le  peuple  que  toutes  ces  nouvelles, 
tous  ces  discours,  toutes  ces  mesures  extraordi- 
naires allaient  soulever,  pour  le  soustraire  aux 
mauvaises  tentations,  pour  le  lancer  vers  la  fron- 
tière, vers  la  gloire,  pour  assurer  la  défense  natio- 
nale, il  fallait  créer  un  gouvernement,  fortifier 
le  ministère.  Danton  vint  demander  à  l'Assem- 
blée de  rendre  un  décret  portant  :  que  quicon- 
que refuserait  de  servir  de  sa  personne  ou  de 
remettre  ses  armes  ;  quiconque ,  directement 
ou  indirectement,  refuserait  d'exécuter  ou  en- 
traverait, de  quelque  manière  que  ce  fût,  les 
ordres  donnés  et  les  mesures  prises  par  le  pou- 
voir exécutif,  serait  puni  de  mort,  n  Le  tocsin 
qu'on  va  sonner,  s'écria  Danton,  n'est  point  un  si- 
gnal d'alarme  ;  c'est  la  charge  sur  les  ennemis  de 
la  patrie.  Pour  les  vaincre,  messieurs,  il  nous 
faut  de  l'audace,  toujours  de  l'audace,  et  la  France 
est  sauvée    »  L'Assemblée  vota  le  décret. 

Ce  même  jour,  vers  quatre  ou  cinq  heures, 
comme  Marat,  Panis  et  quelques  autres  sié- 
geaient au  comité  de  surveillance  de  la  Commune, 
commencèrent  les  massacres  de  l'Abbaye;  ils 
se  continuèrent  les  3,  4,  .S  et  G  septembre  à  la 
Force,  au  Chàtelet,  à  la  Salpêtrière,  à  Bicètre  ; 
les  prisonniers  qu'on  devait  juger  à  Orléans,  De- 
lessart,  Brissac,  furent  amenés  à  Versailles  et 
massacrés  par  Fournier  et  Lazowski  accourus  de 
Paris.  Sur  une  circulaire  sortie  de  l'iuiprime- 
rie  de  Marat,  cxp -diée  aux  départements  sous 
le  couvert  du  ministre  de  la  justice,  il  y  eut 
aussi  des  meurtres  à  Reims,  à  Meaux,  h  Lyon, 
à  Chàlons. 

Pendant  ces  scènes  abominables,  l'Assemblée 
restait  inerte  et  passive  :  Danton,  ministre  de  la 
justice,  non  seulement  n'einpôcha  rien,  mais  ap- 
prouva. Peut-être  croyait-il  ce  qu'il  dit  à  Brissot 
qui  le  pressait  de  sauver  au  moins  les  innocents  : 
(i  II  n'y  en  a  pas  un,  "  répondit  le  ministre  de 
la  justice.  Aussi  quelque  chose  du  sang  de  sep- 
tembre lui  resta  sur  les  mains  :  c'est  ce  qui  éloi- 
gna de  lui  les  Girondins,  empêcha  l'alliance  de 
rhomme  d'action  et  des  hommes  d'éloiiuence,  et 
plus  tard  les  livra  désunis  et  désarmés  à  la  san- 
glante dictature  de  Robespierre. 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE     —  1891  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


Ces  journées  de  septembre,  il  n'est  peut-ôtre 
personne,  parmi  les  plus  endurcis,  qui,  à  un  nm- 
ment  donné,  ne  les  ait  désavouées  ;  Marat,  le  mois 
suivant,  les  r|uali(iait  de  désastreuses  ;  Danton,  de 
journées  sanglantes  sur  lesquelles  tout  bon  ci- 
toyen a  gémi  ;  Tallien,  dans  son  apologie  de  no- 
vembre, d'événement  douloureux.  Elles  lurent 
désavouées  plus  lard  par  la  Commune  elle-même 
k  la  barre  de  la  Convention  ;  elles  le  furent  immé- 
diatement par  Irt  peuple,  par  l'armée;  le  faubourg 
Saint- Antoiiie  n'y  eut  aucune  part  ;  des  volontaires 
qui  partaient  pour  l'armée  vinrent  les  flélrir  à 
l'Assemblée;  un  des  assassins  de  M'"'  de  Lamballe 
fut  plus  tard  sabré  par  ses  camarades  du  régi- 
ment. Le  crime  fut  commis  par  une  bande  de 
trois  ou  quatre  cents  hommes,  qui  firent  leur  hor- 
rible besogne  au  milieu  de  la  stupeur  et  de  l'im- 
puissance publique. 

Manuel,  procureur-syndic,  risqua  sa  vie  pour 
arrêter  les  meurtres  :  il  lit  échapper  son  ennemi 
personnel  Beaumarchais.  Danton  réussit  à  sauver 
JJuport  et  Lametli. 

C'est  seulement  le  6  septembre  que  Pétion  put 
aller  fermer  les  portes  des  prisons  et  que  l'Assem- 
blée se  crut  assez  forte  pour  maîtriser  la  Com- 
mune. Elle  fit  défense  aux  commissaires  d'une 
municipalité  d'envoyer  des  ordres  hors  de  son 
territoire  ;  une  petite  commune  de  la  Haute-Saône, 
Champlitte,  donna  l'exemple  aux  autres  :  elle  re- 
fusa d'obéir  aux  délégués  de  Paris,  déclarant  que 
toutes  les  communes  de  France  étaient  égales  de- 
vant la  loi.  L'Assemblée  décréta  que  «  quiconque 
prendrait  indûment  l'écliarpe  municipale  serait 
puni  de  mort  ».  Ce  décret  visait  Marat,  l'intrus  du 
comité  de  surveillance.  Malgré  ces  efl'orts  tar- 
difs, l'Assemblée  était  frappée  k  mort  :  le  lO  août 
l'avait  ali'aiblie,  parce  qu'elle  n'avait  pas  su  agir; 
les  journées  de  septembre  la  tuèrent,  parce  qu'elle 
ne  sut  pas  empêclier.  Une  majorité  de  feuillants 
et  d'indécis  paralysait  l'énergie  des  Girondins  et 
des  Jacobins.  Il  faut  citer  à  l'honneur  de  la  Gi- 
ronde ces  belles  paroles  de  Vergniaud,  dénonçant 
à  la  France  la  tyrannie  de  la  Commune  (17  sep- 
tembre) :  Il  Ils  ont  des  poignards,  je  le  sais... 
Mais  qu'importe  la  vie  aux  représentants  du  peu- 
ple, lors(|n'il  s'agit  de  son  salut'?...  Quand  Guil- 
laume Tell  ajusta  la  flèche  pour  abattre  la  pomme 
fatale  sur  la  tête  de  son  fils,  il  dit  :  Périssent  mon 
nom  et  ma  mémoire  pourvu  que  la  Suisse  soit 
libre  !...  Et,  nous  aussi,  nous  disons  :  Périsse 
l'Assemblée  nationale,  pourvu  que  la  France  soit 
libre  :  qu'elle  périsse  si  elle  épargne  une  tache  au 
nom  français!...  Oui,  périssons,  et,  sur  nos  cen- 
dres, puissent  nos  successeurs  plus  heureux  assu- 
rer le  bonheur  de  la  France  et  sauver  la  liberté.  « 
■Valmy  :  l'invasion  repoussèe.  —  Ce  cri  était 
à  ce  moment  celui  de  tous  les  patriotes  :  Périssent 
les  hommes,  et  que  la  liberté  vive  !  L'héroïsme  de 
Beaurepaire  vint,  en  cette  épreuve  terrible,  consoler 
et  exalter  le  cœur  de  la  France.  Il  avait  traversé 
tout  le  pays,  avec  des  volontaires  de  Maine-et- 
Loire,  pour  aller  s'enfermer  dans  Verdun;  en  ar- 
rivant sur  cette  frontière,  si  profondément  tra- 
vaillée par  les  royalistes,  ils  firent  d'avance  le 
sacrifice  de  leur  vie,  chargèrent  un  patriote  de 
porter  leurs  adieux  k  leurs  familles  et  de  dire 
«qu'ils  étaient  morts.  •  Presque  aussitôt  après 
l'investissement  de  la  place,  les  bourgeois  et  le 
commandant  militaire  se  préparèrent  à  livrer  la 
ville  :  Beaurepaire  fit  au  projet  de  reddition  une 
résistance  énergique  ;  quand  il  vit  que  décidément 
l'on  capitulait,  il  se  fit  sauter  la  cervelle:  son  sang 
rejaillit  sur  les  traîtres  et  les  mari|ua  pour  le 
châtiment.  Tandi*  que  leurs  femmes  et  leurs  filles 
allaient,  vêtues  de  blanc,  recevoir  l'ennemi  aux 
portes  de  la  ville  et  offrir  au  roi  do  Prusse  des 
fleurs  et  desdrag.  es,  un  des  volontaires  de  Maine- 
et-Loire,    plutôt  iiue  de  se  rendre,   se  précipitait 


dans  la  Meuse.  La  trahison  des  notables  de  Ver- 
dun exaspéra  les  colores,  l'exemple  de  Beaure- 
paire et  de  ses  soldats  enflamma  les  courages. 
C'est  le  moment  du  grand  élan  vers  la  frontière  : 
chaque  jour  ISOO  volontaires  sortent  do  Paris. Sans 
cette  tache  des  massacres,  le  mois  de  septembre 
n9"2  serait  un  des  plus  beaux  de  l'histoire  révolu- 
tionnaire. Il  vil  la  première  victoire  des  Droits  de 
l'homme,  le  premier  triomphe  de  la  France  nou- 
velle sur  la  coalition  des  vieilles  royautés,  la 
première  revanche  des  peuples  contre  l'oppres- 
sion séculaire  ;  et,  au  soleil  de  Valmy,  l'enfan- 
tement  splendide  de  la  liberté  européenne. 

Contre  l'ennemi  du  dehors,  l'accord  était  complet 
entre  tous  les  partis;  tous  furent  admirables  de 
patriotisme  et  d'abnégation  ;  les  Girondins  n'ai- 
maient pas  Dumouriez,  qui  les  avait  trahis,  et 
pourtant  ils  le  nommèrent  général  en  chef  ;  les 
Montagnards  ne  l'aimaient  pas,  et  pourtant  ils  ap- 
puyèrent le  choix  ;  Danton  ne  l'aimait  pas,  et 
pourtant  il  lui  donna  pour  conseils  ses  amis  dé- 
voués, Fabre  d'Eglantine,  l'intrépide  Westermann  ; 
tous  se  rangèrent  sous  le  commandement  de  celui 
qu'ils  jugeaient  l'homme  nécessaire  et  s'accordè- 
rent à  lui  mettre  aux  mains  le  glaive  de  la  Révo- 
lution, l'épée  libératrice  qu'Isnard  avait  brandie 
aux  Jacobins  :  ils  l'atTermirent  de  leur  confiance, 
l'exaltèrent  de  leur  enthousiasme,  le  firent  digne 
de  vaincre. 

Tandis  que  Wimpfen  se  maintenait  dans 
Thionville,  Dumouriez  s'emparait  des  défilés  de 
l'Argonne,  n  lesThermopyles  do  la  France,  v  Quand 
sa  iiosition  fut  tournée,  il  s'établit  dans  le  camp 
de  Sainte-Menchould,  sur  le  flanc  même  de  l'ar- 
mée prussienne;  il  s'y  tint  si  ferme  que  rien  ne 
put  l'en  arracher,  pas  même  le  mouvement  des 
Prussiens  qui  vinrent  camper  sur  les  collines  de 
la  Lune,  coupant  de  Paris  l'armée  française. 

Dumouriez,  rejoint  par  Kellermann,  se  trouva 
commander  'ÎGMIO  hommes  contre  7(1000  Alle- 
mands :  le  20  septembre  au  matin  la  bataille, 
s'engagea.  Brunswick  et  le  roi  de  Prusse  obser- 
vèrent longuement  la  contenance  de  cette  armée 
«  de  vagabonds,  de  tailleurs,  de  savetiers,  ■>  qui, 
au  dire  des  émigrés,  devaient  se  disperser  au  pre- 
mier coup  de  canon.  Au  contraire,  ils  endu- 
raient avec  le  sang-froid  de  vieilles  troupes  le  feu 
de  soixante  canons  et  y  répondaient.  Vers  onze 
lieures,  les  Prussiens  se  formèrent  en  trois  co- 
lonnes et  commencèrent  à  gravir  le  plateau  de 
Valmy  occupé  par  Kellermann.  Comme  ils  mon- 
taient ainsi,  mitraillés  sur  leur  flanc  par  Dumou- 
riez, ils  virent  tout  k  coup  une  chose  extraordi- 
dinaire  :  30  000  hommes,  élevant  dans  un  accès 
d'enthousiasme  leurs  chapeaux  à  la  pointe  des 
sabres  et  des  baïonnettes,  et  couvrant  la  voix  du 
canon  d'un  cri  formid».ble  :  l'aie  lu  Nation  ! 
Brunswick  n'osa  risquer  l'attaque  et  fit  sonner  le 
rappel.  Le  roi  de  Prusse,  à  son  tour,  voulut 
recommencer  l'escalade  :  mais  son  infanterie, 
décimée  par  la  mitraille,  était  encore  plus  trou- 
blée par  ce  cri  formidable  qu'on  entendait  là- 
haut  et  qui  annonçait  au  monde  le  réveil  des 
peuples. 

Le  soir,  au  bivouac,  le  grand  poète  allemand 
Gœthe,  qui  accompagnait  les  troupes  allemandes, 
dit  K  ceux  qui  l'entouraient  :  «  En  ce  lieu  et  en 
ce  jour  a  commencé  une  nouvelle  ère  de  l'his- 
toire du  monde,  et  vous  pourrez  tous  dire  :  J'ai 
assisté  à  sa  naissance.  » 

Le  lendemain,  21  septembre,  pendant  qu'à 
Paris  la  Convention  se  réunissait  et,  sans  con- 
naître encore  la  première  victoire  de  la  Révolu- 
tion, proclamait  la  Bopublique,  le  roi  de  Prusse 
reprenait  le  chemin  de  la  frontière.  Valmy,  ce  n'é- 
tait pas  seulement  l'invasion  repoussèe,  la  France 
sauvée  ;  c'était  aussi  l'Europe  ouverte  h  la  France, 
les  peuples  saluant  d'avance  le  drapeau  tricolore. 


RÉVOLUTION   FRANÇAISE     —  1892  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


les  Allemands  du  Rhin  appelant  Custine,  la  Savoie 
appelant  Montesquieu,  Mce  appelant  Anselme, 
le  monde  entier  agité  d'un  frémissement  dont 
tous  les  trônes  chancelèrent. 


D.  —   La  Couveutloa. 

La  Gironde  et  la  Montagne.  —  La  Convention 
était  comme  une  nouvelle  Constituante  qui  devait 
faire  la  constitution  républicaine,  de  même  que 
la  première  Constituante  avait  fait  la  constitution 
monarchique  de  TOI.  Au  point  de  vue  des  partis, 
elle  présentait  d'abord  deux  groupes  peu  nom- 
breux, d'un  peu  plus  de  cent  membres  chacun, 
qu'on  appela  la  Gironde  et  la  Moiitayne.  Le  reste 
de  l'Assemblée,  environ  cinq  cents  membres,  devait 
suivre  tour  à  tour  l'impulsion  des  deux  groupes 
dirigeants  :  c'était  la  Plai7ie,  ou  encore  le  Marais. 

La  Gironde  se  composait  d'hommes  qui  avaient 
déjà  illustré  ce  parti  dans  la  Législative,  comme 
Vergniaud,  Guadet,  Gensonné,  Condorcet,  Isnard, 
Brissot,  de  quelques  anciens  constituants,  comme 
Pétion,  Buzot,  Rabaut-Saint-Elienne,  Lanjuinais, 
et  d'hommes  nouveaux,  comme  Barbaroux,  Rebec- 
qui,  Louvet. 

La  Montagne  comprenait  Robespierre,  Gré- 
goire, Merlin  de  Douai,  Prieur  de  la  Marne,  qui 
avaient  déjà  siégé  à  la  Constituante;  Cambon, 
Carnot,  Lindet,  Merlin  de  Thion\ille,  Couthon, 
Prieur  de  la  Côte-d'Or,  Hérault  de  Séchelles,  qui 
avaient  figuré  à  la  Législative;  Danton,  Camille 
Desmoulins,  Fabre  d'Eglantine,  Lcgendre,  Marat, 
Billaud-Varennes,  CoUot  d'Herbois,  Saint-Just, 
Lebas,  le  peintre  David,  Robespierre  jeune.  Tou- 
ché, Barras,  Tallien,  Carrier,  etc.,  qui  débutaient 
dans  la  vie  parlementaire.  Nous  verrons  les  Mon- 
tagnards se  diviser  par  la  suite  en  robespierris- 
tes,  maraiistes,  hébenistes,  dantonistes,  ther- 
midoriens, montagnards  indépendants. 

Dans  la  Plaine,  beaucoup  de  notoriétés  de 
l'époque  précédente,  beaucoup  d'anciens  consti- 
tutionnels, bon  nombre  aussi  de  sincères  répu- 
blicains :  citons  Sieyès,  Barère,  Camus,  Daunou, 
Durand-Maillane,  Laréveillère-Lépeaux,  Boissy 
d'Anglas,  etc.  Ils  traversèrent,  beaucoup  moins 
éprouvés  que  la  Gironde  ou  la  Montagne,  tous 
les  orages  de  la  Révolution,  et  commencèrent  à 
jouer  un  rôle  après  que  les  deux  partis  militants 
eurent  été  décimés.  Leur  puissance  commence 
dans  la  décadence  de  la  Révolution.  La  Plaine  a 
toujours  fourni  aux  divers  comités  de  la  Convention 
des  hommes  compétents,  laborieux,  ex;  érimen- 
tés,  qui  ont  attaché  leurs  noms  aux  lois  les  plus 
utiles  ;  mais  dans  les  luttes  politiques,  elle  for- 
mait une  masse  inerte,  une  majorité  de  flottants 
et  de  timorés,  qui  malheureusement  se  prêta  au 
jeu  de  bascule  des  partis  au  lieu  de  les  maîtri- 
ser :  avec  sa  complicité  muette  et  peureuse,  elle 
aida  la  Gironde  d'abord  à  dominer  la  Convention, 
puis  la  Montagne  à  écraser  la  Gironde  ;  dans  la 
Montagne  même,  Robespierre  à  écraser  tour  à 
tour  les  hébertistes  et  les  dantonisies,  sauf  à 
favoriser  ensuite  la  réaction  thermidorienne  con- 
tre les  robespierristes  et  la  réaction  girondine 
contre  les  thermidoriens.  La  Plaine  ne  sut  ja- 
mais former  une  majorité  compacte  de  gouver- 
nement ;  par  sa  faiblesse,  elle  a  contribué  à 
rendre  inévitable  l'extermination  réciproque  des 
membres  les  plus  énergiques  de  l'Assemblée,  et 
assumé  ainsi  devant  l'histoire  une  lourde  respon- 
sabilité. 

La  difficulté  contre  laquelle  la  Convention  se 
débattit  pendant  toute  son  existence  fut  l'éta- 
blissement d'un  gouvernement.  Contre  1  Europe 
coalisée,  contre  la  Vendée  insurgée,  il  efit  fallu 
une  autorité,  très  forte  et  une  administration 
centralisée.  La  Constituante,  en  organisant  toutes 
les  administrations  sur  la  seule   base  de  l'élec- 


tion, n'avait  songé  qu'à  affaiblir  la  royauté  :  la 
royauté  disparue,  le  pouvoir  qui  lui  succéda, 
l'Assemblée  souveraine,  hérita  de  la  même  impuis- 
sance ;  comme  il  n'y  avait  alors  ni  préfets,  ni 
procureurs  généraux,  ni  aucun  agent  direct  du 
pouvoir  central,  elle  ne  possédait  aucune  action 
sur  les  directoires  de  département,  les  municipa- 
lités, les  tribunaux  :  la  Convention,  pour  assurer 
le  recrutement  des  armées,  la  perception  de 
l'impôt,  la  justice  nationale,  en  sera  réduite  à 
organiser,  à  côté  des  pouvoirs  légaux,  des  pou- 
voirs exceptionnels  :  à  côté  des  administrations 
locales,  les  sociétés  jacobines  et  les  comités  révo- 
lutionnaires ;  à  côté  des  tribunaux  réguliers,  les 
tribunaux  révolutionnaires;  et,  par-dessus  tout, 
les  pouvoirs  extraordinaires  des  représentants  eii' 
mission.  Elle  n'obtiendra  que  par  la  Terreur  beau- 
coup de  résultats  qui  s'obtiennent  aujourd'hui 
par  une  bonne  administration. 

La  Convention,  précisément  parce  qu'elle  était 
chargée  de  faire  une  constitution,  n'avait  au- 
cune loi  constitutionnelle  qui  réglât  son  fonc- 
tionnement. Elle  réunissait  tous  les  pouvoirs  : 
l'exécutif,  le  législatif,  comme  le  judiciaire; 
aucune  loi  ne  déterminait  de  quelle  manière 
elle  aurait  à  les  exercer.  Dans  ces  conditions  la 
lutte  des  partis  devait  être  extrêmement  vio- 
lente; comme  on  ne  pouvait  espérer  que  la  mi- 
norité se  soumît  volontairement  à  une  autre 
minorité,  comme  d'autre  part  l'inertie  de  la 
Plaine  empêchait  la  constitution  d'une  véritable 
majorité,  le  parti  qui  arrivait  un  moment  au  pou- 
voir n'avait  qu'un  moyen  de  s'y  maintenir,  c'était 
d'exterminer  le  parti  vaincu.  Aujourd'hui  le  parti 
qui  perd  le  pouvoir  en  est  quitte  pour  devenir  un 
parti  d'opposition  ;  à  cette  époque,  dans  une 
situation  aussi  troublée,  parmi  les  dangers  d'une 
guerre  étrangère  et  de  la  guerre  civile,  le  parti 
vaincu  dans  l'Assemblée  ne  savait  que  recourir 
à  la  force;  il  fallait  l'envoyer  à  l'éciiafaud  pour 
assurer  sa  défaite.  Battus  dans  l'Assemblée, 
les  monarchi.stes  ont  recours  à  l'étranger,  les 
Girondins  au  soulèvement  des  départements,  les 
Montagnards  à  l'émeute  parisienne  :  toutes  les 
crises  parlementaires  font  couler  le  sang. 

L'Assemblée  souveraine,  qui  disposait  de  moyens 
si  imparfaits  pour  gouverner  bois  de  Paris,  so 
trouvait  à  Paris,  même  en  présence  d'influences 
qui  rivalisaient  avec  la  sienne.  La  Commune  de 
Paris  rendait  des  arrêtés,  parfois  contraires  aux. 
décrets  de  la  Convention.  On  discutait  dans 
les  clubs  les  mêmes  questions  qu'il  l'Assem- 
blée :  telle  séance  du  club  des  Jacobins  ou  dtt 
club  des  Cordeliers  avait  plus  d'importance  et 
entraînait  des  résultats  plus  directs  que  celles  de 
la  Convention.  Les  sections  ou  quartiers  de  Paris, 
les  bataillons  de  gardes  nationaux,  se  croyaient 
le  droit  de  prendre  des  arrêtes.  Lu  groupe  quel- 
conque de  citoyens  se  donnait  pour  o  le  peuple 
souverain  »  et  traitait  en  égale,  même  en  subor- 
donnée, une  assemblée  qui  était  élue  par  la 
France  entière.  Une  erreur  qui  alors  égara  beau- 
coup d'excellents  patriotes  était  de  croire  que 
le  peuple  peut  à  tout  moment  reprendre  les  pou- 
voirs qu'il  a  confiés  à  tes  mandataires  ;  c'était  lui 
reconnaître  un  droit  continu  à  l'insurrection.  Le 
temps  a  fait  justice  de  ces  deux  hérésies  :  aujour- 
d'hui le  suffrage  universel  est  la  négation  du 
droit  insurrectionnel  ;  la  loi  électorale,  qui  s'im- 
pose aux  électeurs  aussi  bien  qu'aux  élus,  déter- 
mine rigoureusement  la  durée  des  mandats.  Mais 
en  1792,  la  loi  électorale  comme  la  constitution 
elle-même  était  à  faire  :  cette  incertitude  favori- 
sait les  émeutes  aussi  bien  que  les  coups  d'État. 

La   lutte  commença  presque  aussitôt  entre  la 
Gironde  et  la  Montagne.  Les  Girondins  avaient  été  I 
élus    dans    les    départements    sous    l'impiession  | 
causée  par  les  massacres  de  septembre  :  ils  s'in- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1893  —     REVOLUTION   FRANÇAISE 


dignaient  de  retrouver,  parmi  leurs  colli''!];ues  de 
la  Montagne,  beaucoup  d  anciens  membres  de  la 
Commune  insurrectionnelle.  Us  accusaient  en 
masse  la  députation  de  Paris,  bien  que  fort  peu 
de  ces  députés  eussent  été  compromis  dans  les 
massacres.  Les  Girondins  étaient  liantes  de  crain- 
tes eliimériques,  soupçonnant  la  Montagne  de 
vouloir  porter  atteinte  à  la  propriété;  Danton, 
Robespierre  etMarat,  d'aspirer  à  la  dictature.  Les 
Montagnards,  k  leur  tour,  avaient  leurs  préjugés 
contre  les  députés  de  province  ;  ils  accusaient  les 
Girondins  de  vouloir  substituer  k  l'unité  française 
une  fédération  des  départements,  et  leur  prêtaient 
des  arrière-pensées  de  royalisme.  Ces  accusations 
<)ue  se  renvoyèrent  si  longtemps  les  deux  partis 
étaient  également  fausses  :  les  Montagnards  ne 
demandaient  pas  la  dictature,  mais  un  gouver- 
nement assez  fort  pour  résister  à  la  coalition  de 
l'Europe,  de  la  Vendée  et  de  l'émigration  ;  encore 
moins  voulaient-ils  mettre  en  péril  la  propriété, 
puisque  leurs  amis,  dans  toute  la  France,  se  por- 
taient acquéreurs  des  biens  nationaux.  t)e  même, 
les  Girondins  n'ont  jamais  songé  à  fodéraliser  la 
France,  ni  à  rétablir  la  monarchie  :  ils  étaient 
aussi  dévoués  que  leurs  adversaires  ^  la  Républi- 
que et  ils  sont  morts  avec  son  nom  sur  les  lèvres. 
C'était  faute  de  se  bien  connaître  que  Girondins 
et  Montagnards  étaient  tourmentés  de  ces  injustes 
méfiances. 

Danton,  Robespierre  lui-même,  avec  un  grand 
sens  d'hommes  d'État,  comprirent  tout  le  danger 
de  ce  malentendu,  qui  pouvait  diviser  la  Conven- 
tion eu  face  de  l'Europe.  Ils  entreprirent  de  ras- 
surer la  Gironde  :  Conthon,  ami  de  Robespierre, 
proposa,  dès  la  première  séance,  do  jurer  haine 
non  seulement  à  la  royauté,  mais  à  la  dictature  ; 
Danton,  lorsqu'il  donna  sa  démission  de  ministre, 
fit  décréter  que  "  toute  propriété,  territoriale  et 
industrielle,  serait  éternellement  maintenue.  » 
■Quant  aux  massacres  de  septembre,  les  Monta- 
gnards essayèrent  de  prouver  combien  étaient 
exagérés  les  récits  qu'on  en  faisait  dans  les  pro- 
vinces, où  l'on  parlait  de  10  ou  12  000  morts,  où 
l'on  contait  que  le  sang  avait  monté  h  douze  pieds 
dans  la  prison  de  1  Abbaye.  La  Commune  de  Paris 
vint  à  la  barre  de  la  Convention  répudier  toute 
participation  à  ces  crimes.  En  môme  temps,  pour 
écarter  le  fantôme  du  fédéralisme,  Danton  pro- 
posa do  déclarer  la  République  française  a  une  et 
indivisible,  »  et  les  Girondins,  comme  les  Monta- 
gnards, votèrent  cette  déclaration  de  principe. 

La  situation  de  la  Gironde  était  alors  très  forte 
dans  l'Assemblée  et  dans  le  pays.  C'étaient  des 
girondins,  Roland,  Clavière,  Servan,  Monge,  qui 
occupaient  les  ministères  ;  l'éloquence  de  Ver- 
gniaud,  la  fougue  d'isnard,  la  froide  sagesse  de 
Condorcet  étaient  d'un  grand  effet  sur  la  Convention; 
la  Plaine  sympathisait  avec  eux  ;  le  président  de 
l'Assemblée  était  toujours  élu  parmi  eux  ;  par  le 
ministère  de  l'intérieur,  par  les  journaux,  ils  for- 
maient l'opinion  publique  ;  au  club  des  Jacobins, 
ils  disputaient  l'influence  aux  Montagnards;  dans 
la  Commune  môme,  ils  avaient  des  amis  :  le  maire 
de  Paris,  Pétion,  réélu  le  15  octobre,  puis  son 
successeur  Chambon  (décembre),  étaient  des  leurs  ; 
•dans  les  départements,  les  directoires,  les  munici- 
palités, les  tribunaux,  autrefois  peuplés  de  feuil- 
lants, étaient  maintenant  acquis  aux  Girondins; 
l'armée,  par  Dumouriez,  semblait  leur  appartenir. 
Jusqu'alors,  ils  avaient  tenu  la  tête  du  mouvement 
révolutionnaire;  c'étaient  les  Girondins,  par  l'é- 
voque Fauchet,  par  Brissot,  par  Condorcet,  qui 
avaient  pris  l'initiative  républicaine,  au  moment 
où  Robespierre  proclamait  qu'il  n'était  «  ni  répu- 
blicain, ni  monarchiste  u  ;  c'étaient  eux  qui  avaient 
armé  l'ouvrier  et  le  paysan,  poussé  à,  la  fabrica- 
tion des  piques,  fait  adopter  le  bonnet  rouge  ; 
■c'étaient  eux  qui  avaient  fait  déclarer  la  guerre 


aux  rois.  Comment  ont-ils  pu  déchoir  d'une  si- 
tuation si  haute,  et  laisser  la  grande  initiative  dé- 
mocratique passer  aux  mains  de  Robespierre? 

A  cela,  plusieurs  raisons.  D'abord,  leur  parti, 
en  s'étendant,  perdait  de  son  énergie  première. 
Beaucoup  d'anciens  constitutionnels,  feuillants, 
royalistes  honteux,  s'étaient  ralliés  à  eux,  se  di- 
saient girondins,  couvraient  du  pavillon  républicain 
leurs  arrière-pensées  de  contre-révolution  ;  leurs 
amis  sincères  on  faux,  qui  remplissaient  les  admi- 
nistrations, restaient  fort  en  deçi  du  républicanisme 
de  Vergniaud  ou  do  Condorcet,  donnaient  une 
main  à  Isnard  et  l'autre  aux  monwcliiens,  vou- 
laient que  la  Révolution  s'arrêtât,  reculât,  à  l'ins- 
tant même  où  il  fallait  qu'elle  déployât  toute  son 
énergie.  C'étaient  ces  amis  dangereux  qui  partout 
énervaient  l'action  des  municipalités,  entravaient 
la  vente  des  biens  nationaux  et,  par  IJi,  compro- 
mettaient les  assignats  et  le  crédit  de  la  Révolution, 
en  même  temps  qu'ils  retardaient  le  départ  des 
volontaires  et  plus  tard  la  lovée  en  masse.  En- 
suite les  chefs  du  parti  girondin  dans  l'Assemblée 
ne  se  rendaient  pas  assez  compte  des  difficul- 
tés de  l'heure  présente  :  la  plupart  ont  résisté 
à  des  mesures  reconnues  indispensables,  comme 
l'organisation  du  Comité  de  salut  public,  la  créa- 
tion du  tribunal  révolutionnaire,  la  loi  du  maxi- 
mum. 

Si  les  Girondins  avaient  eu  la  même  sagesse  que 
Danton,  ils  auraient  pu  prévenir  les  déchirements 
de  la  Convention  ;  mais  leurs  orateurs,  jeunes, 
ardents,  avec  leur  fougue  méridionale,  souvent 
grisés  de  leur  propre  éloquence,  montrèrent  tout 
d'abord  un  acharnement  impolitique  i  réveiller  les 
souvenirs  de  septembre,  à  remuer  cette  boue  san- 
glante. Ils  s'attaquèrent  h  Marat,  qu'ils  auraient 
dû  dédaigner,  k  Robespierre,  qu'ils  auraient  pu 
contenir,  à  Danton,  qui  ne  demandait  qu'à  s'unir 
à  eux  pour  maintenir  la  Révolution  dans  une  voie 
plus  modérée.  Danton  n'était  ni  un  furieux,  ni  un 
sectaire;  c'était  un  homme  d'Etat.  Quoiqu'il  fût 
sorti  du  ministère,  il  exerçait  encore  une  grande 
action  sur  la  diplomatie  et  la  politique  :  c'était  lui 
qui,  k  ce  moment,  conduisait  les  négociations  avec 
la  Prusse  pour  rompre  le  faisceau  de  la  coalition; 
c'était  lui  qui,  par  ses  agents  secrets,  surveillait 
les  complots  de  la  Vendée  et  de  l'émigration.  En 
lui  fut  alors  le  génie  môme  de  la  Révolution  : 
il  la  poussait  à  l'action,  k  l'expansion,  pour  la 
sauver  de  la  guerre  civile;  il  organisait  ce  que  les 
Girondins  avaient  rêvé,  le  soulèvement  des  peu- 
ples contre  les  rois.  Il  avait  donné  des  garan- 
ties efficaces  k  la  propriété  et  désavoué  publique- 
ment les  exagérations  de  Marat;  bien  que  ses  pa- 
roles, par  une  nécessité  des  temps,  fussent  parfois 
d'un  violent,  ses  actes  étaient  ceux  d'un  modéré. 
Comment  les  Girondins  ont  ils  pu  méconnaître  en 
Danton  le  grand  induhjent,  celui  qui  devait  expier 
sur  l'échafaud  le  même  crime  qu'eux-mêmes  :  la 
modération  ?  C'est  le  malheur  de  la  Révolution  que 
les  Girondins  aient  repoussé  les  avances  de  Dan- 
ton ;  eux  et  lui,  avec  les  sages  Montagnards,  comme 
Carnet,  Cambon,  Lindet,  les  deux  Prieur,  ils 
étaient  la  force  vive  de  la  France,  la  Révolution 
tout  entière;  ils  eussent  sauvé  le  pays  sans  le 
faire  passer  par  les  angoisses  de  la  Terreur.  Dan- 
ton, du  moins,  a  tout  fait  pour  conjurer  la  rup- 
ture. Plusieurs  des  grands  Girondins,  Vergniaud, 
Condorcet,  Gensonné,  n'avaient  aucune  haine 
contre  lui;  ils  eussent  consenti  à  un  rapproche- 
ment :  ce  furent  surtout  Roland,  M'"'^  Roland, 
Buzot,  Valazé,  Barbaroux,  Guadet,  qui,  obéissant 
à  d'aveugles  antipathies,  entraînèrent  le  reste  du 
parti  dans  une  voie  funeste. 

Les  Girondins  s'attaquaient  non  seulement  aux 
députés  parisiens,  mais  à  Paris  même,  affectant 
contre  cotte  ville  une  défiance  injurieuse,  comme 
,si  les  massacres  de  septembre  eussent  été  l'œuvre 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  189i  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


de  Paris,  comme  s'il  n'eût  pas  été  plus  sage  de 
se  souvenir  que  Paris,  au  14  juillet,  au  5  octobre, 
au  10  août,  avait  sauvé  la  Révolution.  Buzot  et 
Roland  proposaient  d'entourer  la  Convention  d'une 
garde  fournie  par  les  83  départements;  Barbaroux 
annonçait  qu'il  faisait  venir  mille  Marseillais  pour 
parantir  la  sécurité  des  Girondins.  Vainement 
Gonchon,  l'orateur  du  faubourg  Saint-Antoine, 
essayait  de  calmer  ces  craintes  chimériques  et 
prononçait  à  la  barre  de  la  Convention  ces  paroles 
fraternelles  :  "  Qu'ils  viennent,  non  pas  six,  sept, 
huit,  vingt-quatre  mille,  mais  qu'un  million  de 
Français  accourent  dans  ces  murs.  Nos  bras  sont 
ouverts  pour  les  recevoir.  Ils  trouveront  les 
mêmes  foyers  qu'ils  visitèrent  à  l'époque  de  la 
Fédération.  »  Le  peuple  de  Paris  voyait  claire- 
ment que  les  discordes  de  l'Assemblée  seraient 
recueil  de  la  Révolution  :  Gonchon  disait  encore 
au  nom  des  ouvriers:  «  C'est  avec  douleur  que 
nous  voyons  des  hommes,  faits  pour  se  chérir  et 
s'estimer,  se  haïr  et  se  craindre  autant  et  plus 
qu'ils  ne  détestent  les  tyrans.  N'êtes-vous  pas, 
comme  nous,  les  zélateurs  de  la  République,  les 
fléaux  des  rois  et  les  amis  de  la  justice?  Ah! 
croyez-cn  des  citoyens  étrangers  i  l'intrigue.  On 
s'attribue  mutuellement  des  torts  imaginaires. 
Soyez  persuadés  que  les  hommes  ne  sont  pas 
aussi  méchants  qu'on   le  croit.  " 

Danton  fut  peut-être  le  seul  îi  s'Inspirer  de  ces 
conseils  dictés  par  le  bon  sens  du  peuple.  A  plu- 
sieurs reprises,  il  essaya  de  se  rapprocher  des 
Girondins  :  la  raideur  de  Roland,  la  hauteur  de 
sa  femme  firent  échouer  toutes  les  tentatives  de 
réconciliation. 

Jemmapes  ;  les  peuples  et  la  Révolution.  —  La 
guerre  continuait  aux  frontières.  Pendant  que 
l'armée  prussienne  évacuait  notre  territoire,  que 
Custine  entrait  dans  Mayence,  que  Monlesquiou 
et  Anselme,  avec  quelques  soldats,  entraient  dans 
Chambéry  et  dans  Nice,  que,  dans  les  Alpes  et  sur 
le  Rhin,  les  populations  arboraient  le  drapeau  tri- 
colore et  plantaient  les  arbres  de  la  liberté,  l'ar- 
mée autrichienne  avait  attaqué  Lille.  Le  duc  de 
Saxe-Cobourg  et  sa  femme,  l'archiduchesse  Chris- 
tine, soeur  de  la  reine  de  France,  infligeaient  à 
cette  ville  un  effroyable  bombardement  C-O  sept.- 
7  octobre),  qui  brûla  400  maisons,  tua  des  femmes 
et  des  enfants,  mais  ne  put  réduire  l'héroique 
cité.  Le  peuple  lillois  se  montra  digne  de  ce 
canoiinier  qui  refusa  de  quitter  le  rempart,  bien 
que  sa  maison  brûlât  :  »  Mon  poste  est  ici,  ré- 
pondit-il en  pointant  sa  pièce  :  feu  pour  leu!  » 
Dumouriez  arrivait  avec  l'armée  victorieuse  de 
Valmy  pour  venger  ces  barbaries.  Le  Ci  novembre, 
il  rencontra  l'ennemi  sur  les  hauteurs  de  Jem- 
mapes ;  les  positions  autrichiennes  furent  enlevées 
au  chant  de  la  Marseillaise.  Le  7,  Dumouriez  fit 
son  entrée  i  Mons,  le  14  à  Bruxelles,  le  18  .^ 
Liège.  La  Belgique  tout  entière  était  à  nous.  11 
fallait  savoir  comment  on  l'organiserait. 

Ici  commence  le  dissentiment  entre  Dumouriez 
et  les  Montagnards.  Dumouriez,  qui  n'avait  pas 
renoncé  à  rétablir  en  France  la  royauté,  qui  avait 
voulu  attribuer  au  duc  de  Chartres,  plus  tard 
Louis-Pliilippe  I*',  fils  du  duc  d'Orléans,  tout  l'hon- 
neur du  succès  de  Jemmapes,  n'était  pas  homme 
à  révolutionner  la  Belgique.  Il  cherchait  au  con- 
traire dans  les  classes  dirigeantes  de  ce  pays  un 
point  d'appui  pour  ses  desseins  ultérieurs.  Il  mé- 
nageait la  noblesse  et  l'Eglise,  demandant  seule- 
ment un  emprunt  de  100  millions  au  clergé;  il 
laissait  les  «  aristocrates  »  en  possession  de  toutes 
les  administrations  locales.  Il  se  trouva  tout  d'a- 
bord en  lutte  avec  les  Jacobins  qui  voulaient  éta- 
blir dans  toutes  les  villes  belges  des  clubs  affiliés 
à  la  société-mère,  appliquer  à  la  Belgique  les  lois 
révolutionnaires,  anéantir  le  pouvoir  des  classes 
dirigeantes,   assurer  l'avènement  des  classes  po- 


pulaires. Il  se  fit  un  ennemi  de  Cambon,  prési- 
dent du  Comité  des  finances  que  la  Convention 
avait  chargé  de  la  vente  des  biens  nationaux  et  de 
l'émission  des  assignats,  et  qui  voulait  introduire 
en  Belgique  le  même  système  financier  qu'en 
France;  la  vente  des  biens  du  clergé  belge  eût 
créé  dans  le  pays  toute  une  classe  de  propriétaires 
intéressés  au  succès  de  la  Révolution  ;  une  nou- 
velle émission  d'assignats  eut  donné  au  peuple  le 
moyen  d'acheter  la  terre;  ainsi  les  frais  de  la 
guerre  pour  l'affranchissement  de  la  Belgique 
eussent  été  payés  par  l'Eglise.  Dumouriez  résis- 
tait. Danton  se  rendit  en  Beli:if|ne  pour  empêcher 
la  rupture  entre  le  général  et  lAssemblée.  Dans 
l'inten-alle,  le  1-3  décembre,  Cambon  fit  rendre  un 
décret  qui  défendait  aux  généraux  de  passer  des 
marchés,  chargeait  de  ce  soin  des  commissaires- 
ordonnateurs,  et  cassait  tous  les  marchés  conclus 
par  Dumouriez:  il  voulait  obliger  celui-ci  à  nour- 
rir son  armée  aux  dépens  des  riches  abbayes  de 
Belgique. 

Déjà,  le  18  novembre,  la  Convention  avait  dé- 
crété que  la  France  appuierait  toute  nation  qui 
voudrait  la  liberté.  Le  15  décembre  parut  un 
nouveau  décret  qui  réglait  l'application  du  pré- 
cédent :  dans  tous  les  pays  où  entreraient  les 
armées  françaises,  elles  devaient  casser  les  au- 
torités aristocratiques,  les  remplacer  par  des  sans- 
culottes,  saisir  les  biens  d'Eglise,  abolir  les 
dîmes  et  les  droits  seigneuriaux,  appeler  le 
peuple  h  la  liberté.  C'était  l'organisation  de  la 
guirre  révolutionnaire. 

Quand  Dumouriez  reçut  en  Belgique  le  décret 
du  15  décembre,  il  demanda  à  Danton  ce  qu'il  en 
pensait:  «  Ce  que  j'en  pense,  répondit  celui-ci, 
c'est  que  j'en  suis  l'auteur.  >■  Ce  décret  réalisait, 
en  efiét,  les  idées  de  Danton  et  de  ses  amis  :  la 
guerre  commencée  par  les  rois  ne  devait  plus 
s'arrêter  que  par  leur  renversement  ou  leur  sou- 
mission. Le  drapeau  tricolore  devenait  le  symbole 
de  la  révolution  universelle. 

Procès  de  Louis  X'VI.  —  En  attendant,  la  vic- 
toire de  Jemmapes  assurait  déjà  la  sécurité  de  nos 
frontières.  Remportée  plus  tôt,  elle  eût  peut-être 
empêché  la  mise  en  jugement  de  Louis  XVI.  Mais, 
dès  le  16  octobre,  la_  Convention  avait  accueilli 
une  pétition  des  Jacobins  d'Auxerre  qui  deman- 
dait le  jugement  du  roi.  Au  fond,  personne  dans 
l'Assemblée  n'avait  intérêt  à  sa  perte  :  n'était-il 
pas  mort,  en  tant  que  roi,  depuis  le  Kl  août'?  Mais 
une  fois  la  question  posée,  ni  Robespierre,  ni 
Danton,  ni  la  Montagne,  ni  même  la  Gironde 
ne  voulaient  risquer  de  passer  pour  inodércs, 
peut-être  pour  fauteurs  de  la  royauté.  Le  G  et  le 
7  novembre,  deux  rapports  furent  lus  dans  l'As- 
semblée, l'un  du  girondin  Valazé,  l'autre  du  mon- 
tagnard Mailhe  :  tous  deux  concluaient  à  la  mise 
en  accusation  ;  la  Gironde  et  la  Montagne  se  pi- 
quaient d'émulation.  Une  chose  aurait  pu  sauver  la 
tête  du  roi,  c'était  la  réconciliation  de  la  Gironde 
avec  Danton  ;  mais  il  fallait  laisser  à  celui-ci  ce 
rôle  de  chef  des  violents,  qui  cachait  en  lui  tant 
de  modération,  et  qui  était  le  secret  de  sa  forde 
et  de  sa  popularité.  Un  mot  de  Danton  au  club 
des  Cordeliers  aurait  dû  éclairer  les  Girondins  : 
<•  l^ne  nation  se  sauve,  avait-il  dit,  mais  ne  se 
venge  pas.  »  Le  30  novembre,  dans  le  plus  grand 
secret,  au  milieu  des  bois  de  Sceaux,  il  eut  avec 
les  chefs  girondins  une  dernière  entrevue  et  fit 
une  suprême  tentative  de  réconciliation.  II  les 
trouva  intraitables,  obstinés  dans  leurs  soupçons 
de  dictature,  acharnés  à  réveiller  les  souvenirs  de 
septembre,  comme  s'ils  ne  comptaient  pas  dans 
leurs  rangs  Duprat  et  Mainvielle,  qui  avaient  fa- 
vorisé, en  1791,  les  massacres  d'Avignon,  enfermés 
dans  leurs  haines  et  leurs  défiances,  pénétres  do 
l'esprit  étroit  et  jaloux  de  Roland.  «  Guadet,  dit 
alors  Danton  à  l'un  d'eux,  Guadet,  tu  as  tort  :  tu 


J 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1893  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

Le  3  docombre,  Robaspierre  intervint  pour  re- 
prenilro  la  tlièse  de  Saint-Jnst:  «  11  n'y  a  point 
ici  de  procès  h  faire.  Louis  n'e-t  point  un  accusé, 
vous  n'fttijs  point  des  juges  ;  vous  ôtcs,  vous  ne 
pouvez  être  que  des  hommes  d'Ktat  et  les  repré- 
sentants de  la  Naiion.  Vous  n'avez  point  une  sen- 
tence k  rendre  pour  ou  contre  un  liomme,  mais 
une  mesure  de  saint  public  à  prendre,  un  acte  de 
providence  nationale  à  exercer.  Quel  est  le  parti 
que  la  saine  politique  prescrit  pour  cimenter  la 
l\épubliquo  naissante  ?  C'est  de  graver  profondé- 
ment dans  les  cœurs  le  mépris  de  la  royauté  et 
de  frapper  de  stupeur  tous  les  partisans  du  roi... 
Louis  fut  roi,  et  la  République  est  fondée  :  la 
question  qui  vous  occupe  est  décidée  par  ces  seula 
mots...  Louis  ne  peut  donc  être  jugé,  il  est  déjà 
condamné;  il  est  condamné,  ou  la  République 
n'est  pas  absoute...  Les  peuples  ne  jugent  pas 
comme  les  cours  judiciaires  ;  ils  ne  rendent  point 
de  sentences,  ils  lancent  la  foudre.  » 

Au  cours  du  procès,  Chabot  avait  tenté  de  com- 
promettre certains  députés  girondins  avec  les 
papiers  trouvés  aux  Tuileries  :  ils  n'eurent  pas  de 
peine  à  confondre  leurs  accusateurs  ;  M'""  Roland 
parut  k  la  barre  de  la  Convention  :  elle  eut  un 
vrai  triomphe.  Kn  revanche  les  Girondins,  dans 
leur  désir  secret  de  sauver  la  vie  du  roi,  commi- 
rent une  lourde  faute  :  Guadct  demanda  qu'on 
réunît  h  l'instant  les  assemblées  primaires  (c'est- 
à-dire  les  électeurs  du  premier  degré'  pour  sanc- 
tionner les  choix  faits  par  les  électeurs  du  degré 
supérieuret  pourrévoquerles  députés  qui  auraient 
perdu  la  confiance  du  peuple.  Guadet  espérait  par  là 
éliminer  Marat,  Robespierre  et  plusieurs  des  dépu- 
tés de  Paris.  Dans  cette  vaine  espérance,  il  venait 
de  donner  une  force  nouvelle  à  la  plus  dangereuse 
des  doctrines  anarchistes  :  la  perpétuelle  révoca- 
bilité du  mandat  de  représentant.  Les  Girondins, 
qui  devaient  tomber  victimes  de  cette  théorie  fu- 
neste, se  levèrent  en  masse  pour  appuyer  le  dé- 
cret; il  fallut  que  les  Montagnards  intervinssent 
pour  montrer  à  la  Convention  que  tout  était  perdu 
si,  pressée  entre  la  guerre  étrangère  et  la  guerre 
civile,  elle  doutait  de  ses  pouvoirs. 

La  Convention  avait  nommé  une  commission 
de  21  membres  ponr  instruire  le  procès  du  roi. 
Le  10  décembre,  le  montagnard  Robert  Lindet 
lut  un  exposé  historique  de  la  cause  et  le  giron- 
din Barbaroux  donna  le  résume  des  griefs.  Le  11, 
Louis  XVI  comparut  à  la  barre  de  l'Afsemblée  et 
répondit  à  l'interrogatoire  du  président.  Il  per- 
sista à  répéter  qu'il  n'avait  jamais  eu  connais- 
sance d'un  seul  projet  de  contre-révolution.  On 
lui  permit  de  choisir  pour  l'assister  trois  juris- 
consultes, iVlalesherbes,  Tronchet  et  de  Sèze.  Ce 
dernier  présenta,  le  2G  décembre,  la  défense 
du  roi. 

Les  Girondins  acceptaient  la  mise  en  jugement 
du  roi,  mais  ils  auraient  voulu  que  sa  vie  fût 
sauve.  Vergniaud,  dans  son  beau  discours  du 
.31  décembre,  prophétisa  les  malheurs  qui  sui- 
vraient son  exécution  ;  la  coalition  accrue  par 
l'accession  de  l'Angleterre,  de  la  Hollande,  de 
l'Espagne,  des  princes  allemands  ;  une  recrudes- 
cence de  la  misère;  une  lutte  plus  acharnée  des 
partis  :  la  Convention  prochainement  en  butte  aux 
mêmes  haines  qu'aujourd'hui  la  royauté  ;  peut- 
être  la  dictature  s'élevant  sur  les  cadavres  des 
défenseurs  de  la  Republique.  Les  Jacobins  en- 
tendaient que  le  procès,  une  fois  commencé, 
aboutît  à  la  condamnation  et  que  le  roi,  condamné, 
fiit  exécuté. 

Trois  questions  seulement,  formulées  par  le 
"•irondiu  Fonfrède,  furent  présentées  au  verdict 
de  l'Assemblée  constituée  en  tribunal  :  ci  Louis 
est-il  coupable  1  —  Y  aura-t  il  appel  au  peuple  '? 
—  Quelle  peine  sera  infligée'?  " 

Le  15  janvier  commença  l'appel  nominal  sur  ces 


110  sais  point  pardonner.  Tu  ne  sais  pas  sacrifier 
ton  ressentiment  à  la  patrie.  Tu  es  opiniâtre  et  tu 
périras.   » 

Les  choses  allaient  donc  suivre  leur  cours  et  le 
procès  du  roi  fournir  un  nouvel  aliment  aux  dis- 
cordes. Dans  la  séance  du  1-3  novembre,  un  homme 
nouveau,  Saint-Just,  l'ami  de  Robespierre,  avait 
prononcé  un  discours  bref,  tranchant  comme  la 
hache.  Pour  lui,  il  ne  s'agissait  pas  de  discuter  si 
le  roi  était  ou  non  couven  par  l'inviolabilité  ;  on 
n'avait  pas  à  le  juger,  mais  aie  frapper;  on  devait 
le  traiter  non  en  citoyen,  mais  en  ennemi.  Un 
jour,  s'écria-t-il,  «  on  s'étonnera  de  la  barbarie 
d'un  siècle  où  ce  fut  quelque  chose  de  religieux 
que  de  juger  un  tyran...  On  s'étonnera  qu'au 
.wiii»  siècle  on  ait  été  moins  avancé  que  du  temps 
de  César;  le  tyran  fut  immolé  en  plein  sénat, 
sans  autres  formalités  que  vingt-trois  coups  de 
poignard,  sans  antre  loi  que  la  liberté  do  Rome  ! 
Et  aujourd'hui  l'on  fait  avec  respect  le  procès  d'un 
liomme  assassin  d'un  peuple,  pris  en  flagrant  dé- 
lit, la  main  dans  le  sang,  la  main  dans  le  crime  ! 
Ceux  qui  attachent  quelque  importance  au  juste 
chàtiiuent  d'un  roi  ne  fonderont  jamais  une  ré- 
publique ..  Juger  un  roi  com'me  un  citoyen!  ce 
mot  étonnera  la  postériié  froide.  Juger,  c'est  ap- 
pliquer la  loi.  Une  loi  est  un  rapport  de  justice. 
Quel  rapport  de  justice  y  a-t-il  donc  entre  l'huma- 
nité et  les  rois  '?...  La  royauté  est  un  crime  éter- 
nel ;  on  ne   peut  point  régner  innocemment,  a 

Les  griefs  contre  Louis  XVI  étaient  faiblement 
établis  :  on  lui  reprochait  les  affaires  de  Nancy, 
do  Varennes,  du  Cliamp-de-Mars,  qui  se  trouvaient 
couvertes,  amnistiées  en  quelque  sorte  par  son 
acceptation  de  la  constitution  ;  la  désorganisation 
de  l'armée,  de  la  marine,  des  forteresses;  le  sang 
versé  au  ]il  août  ;  des  intelligences  avec  les  émi- 
L^rés  et  avec  l'étranger.  Malgré  les  papiers  trouvés 
aux  Tuileries  après  le  10  août  et  ceux  qu'on  ve- 
nait de  découvrir  dans  l'armoire  de  fer,  on  était 
loin  de  savoir,  sur  les  relations  de  Louis  XVI  avec 
la  coalition,  tout  ce  que  nous  en  savons  aujour- 
d'hui. 

En  réalité,  pour  les  jacobins,  il  n'y  avait  pas  un 
accusé  à  juger,  mais  un  ennemi  à  détruire.  Ils 
voulaient  consommer  la  rupture  entre  le  passé  et 
l'avenir,  rendre  irréparable  le  divorce  delà  Franco 
et  de  la  royauté,  couper  les  ponts  derrière  la  Ré- 
volution. A  ce  prix  seulement  les  intérêts  créés 
par  elle  seraient  afi'ermis,  le  crédit  de  la  Révolution 
solidement  établi, toutes  les  espérances  derestaura- 
tion_  anéanties.  Us  voulaient,  par  un  remède 
terrible,  «  guérir  le  monde  du  mal  des  rois.  » 
Thomas  Paync,  un  Anglais,  devenu  Franç.ais  par 
amour  de  la  liévolulion,  envisageait  la  question 
d'un  point  de  vue  plus  élevé  encore.  Il  entendait 
que  le  procès  de  Louis  XVI  fût  un  commencement 
d'instruction  «  contre  la  bande  des  rois...  De  ces 
individus,  disait-il,  nous  en  avons  un  en  notre 
pouvoir,  11  nous  mettra  sur  la  voi,o  de  la  conspira- 
tion générale.  Il  y  a  aussi  de  fortes  présomptions 
contre  M.  Guelfe,  électeur  de  Hanovre, en  sa  qua- 
lité de  roi  d'Angleterre.»  Ainsi,  le  procès  d  un  roi 
serait  devenu  le  procès  de  tous  les  rois,  la  mise 
en  accusation  de  la  royauté.  Les  souverains  de 
l'Europe  auraient  été  cités  à  la  barre  de  la  Conven- 
tion. L'ère  nouvelle  se  serait  ouverte  par  la  con- 
damnation solennelle  de  l'institution  monarchi- 
'  que.  Les  circonstances  ne  permettaient  pas  de 
donner  au  procès  cette  ampleur.  Le  2  décembre, 
la  Commune  de  Paris  fut  renouvelée  ;  à  peine  ins- 
tallée, elle  vint  à  la  barre  de  la  Convention  de- 
mander la  condamnation  du  roi.  Elle  était  forte 
du  malaise  public,  de  la  souffrance  du  peuple  ; 
les  masses,  jusqu'alors  indifférentes  au  débat, 
commençaient  à  s'agiter,  associant  bizarrement 
ces  deux  idées,  la  vie  du  roi  et  la  misère  du 
peuple. 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


1896 


REVOLUTION   FRANHAISE 


trois  questions.  Chaque  député,  à  l'appel  de  son 
nom,  montait  h  la  tribune  et  émettait  son  suffrage 
à  haute  voix.  Du  15  au  19  janvier  la  Convention 
siégea  nuit  et  jour. 

A  l'unanimité,  moins  une  trentaine  de  voix, 
Louis  XVI  fut  déclaré  coupable  de  conspiration 
contre  la  liberté  de  la  nation  et  la  sûreté  générale 
de  l'Etat. 

L'appel  au  peuple,  qui  aurait  ajourné  indéfini- 
ment l'exécution,  fut  repoussé  par  423  voix  con- 
tre -281. 

Parmi  les  Girondins,  Ducos,  Fonfrède,  Isnard, 
Condorcet  avaient  voté  contre  l'appel  au  peu- 
ple ;  Vergniaud,  Valazé,  Biizot,  Brissot.  Guadet, 
avaient  voté  pour.  La  Gironde  apparaissait  divi- 
sée sur  une  question  capitale.  Quant  aux  dé- 
putés de  la  Plaine,  le  plus  grand  nombre  subit 
l'impulsion  de  la  Montagne. 

La  séance  du  IG  au  17  janvier  fut  la  nlus  dra- 
matique. On  allait  voter  sur  l'application  de  la 
peine.  Lanjuinais  et  Lehardy  soulevaient  la  ques- 
tion de  savoir  si  la  majorisé  requise  pour  la 
peine  de  mort  serait  la  majorité  simple  ou  la  ma- 
jorité des  deux  tiers.  Danton  fit  écarter  cette  propo- 
sition, et  l'appel  nominal  commença  à  huit  lieures 
du  soir  pour  se  prolonger  toute  la  nuit  et  le  jour 
suivant:  334  députés  se  prononcèrent,  soit  pour  la 
mort  avec  sursis  à  l'exécution,  soit  pour  des  pei- 
nes qui  n'étaient  pas  la  mort  ;  387  votèrent  la 
mort  sans  conditions.  Ici  encore  les  Girondins  s'é- 
taient divisés  ;  Condorcet  et  Rabaut-Saint- Etienne 
votèrent  pour  la  détention  ;  Vergniaud,  Guadet, 
Buzot,  Pétion,  Valazé,  Brissot,  Louvet  se  pronon- 
cèrent pour  la  mort  avec  sursis;  Gcnsonné,  Re- 
becqui,  Barbaroux,  Duprat,  Isnard,  Fonfrède,  vo- 
tèrent pour  la  mort  sans  condition.  Dans  la  Mon- 
tagne, on  vit  avec  stupeur  le  duc  d'Orléans,  qui  se 
faisait  appeler  Philippe-Egalité,  voter  la  mort  de 


le  feu  des  champs  de  bataille,  le  poignard  des 
conspirateurs,  le  couteau  de  la  guillotine  pour 
sauver  la  France  et  la  liberté,  devaient  considérer 
comme  le  plus  abominable  des  crini's  l'appel  de 
l'étranger.  Faisant  application  à  Louis  XVI  du  nou- 
veau droit  national,  ils  le  jugèrent  coupable  et 
n'hésitèrent  pas  à  le  frapper.  Carnot,  qui  avait 
voté  la  mort  du  roi  et  signé  l'ordre  d'exécution, 
disait  :  a  Aucun  devoir  ne  m'a  tant  coûté.  » 
iMais  h  ses  yeux,  ce  fut  un  devoir. 

C'est  une  calomnie  que  de  représenter  les  dé- 
putés qui  votèrent  la  mort  du  roi  comme  ayant 
cédé  à  la  peur  :  Paris  fut  calme  pendant  les 
journées  de  janvier,  et  la  Convention  délibéra  en 
toute  liberté.  Il  y  avait  alors  plus  de  péril  pour 
ceux  qui  émettaient  un  vote  régicide  que  pour 
les  indulgents.  Paris  était  encore  plein  d'anciens 
gardes  constitutionnels  et  gardes  du  corps.  Le 
jour  même  où  le  sursis  fut  rejeté,  la  veille  de 
l'exécution  de  Louis  XVI,  un  de  ces  soldats  roya- 
listes rencontra  Lepelletier  de  Saint-Fargeau,  qui 
avait  voté  la  mort  du  roi  :  d'un  coup  de  coutelas, 
il  lui  perça  le  cœur.  Lepelletier  de  Saint-Fargeau 
est  l'auteur  d'un  projet  de  Code  pénal,  dans 
lequel  la  peine  de  mort  est  abolie,  et  d'un  plan 
d'éducation  nationale,  où  il  demande  l'instruc- 
tion gratuite  et  obligatoire,  commune  aux  enfants 
pauvres  et  aux  riches,  afin  que  les  premiers 
puissent  participer  au  bien-être  de  leurs  cama- 
rades. L'Assemblée  fit  à  la  victime  de  magnifiques 
funérailles  et  lui  décerna  les  honneurs  du  Pan- 
théon. Sa  fille  fut  adoptée  par  la  naiion.  Le  ta- 
bleau de  David  qui  représentait  la  mort  de  Lo- 
pelletior  fut  placé  dans  la  salle  des  séances  de  la 
Convention. 

Coalition  générale  contre  la  France.  La  'Ven- 
dée. —  La  Convention,  au  lendemain  de  l'exécu- 
tion du  roi,  se  trouvait  en   présence  de  dangers 


son  parent;  il  espérait  que  son  sutfrage  régicide    plus  terribles.  Comme  Vergniaud  l'avait  prévu,  la 


pourrait  faire  oublier  ses  immenses  richesses 
Danton  motiva  son  vote  en  ces  termes  :  i.  Je  ne 
suis  pas  de  cette  foule  d'hommes  qui  ignorent 
qu'on  ne  compose  pas  avec  les  tyrans,  qu'on  ne 
les  frappe  qu'à  la  tète.  »  Robespierre  dit  :  «  Je 
suis  inflexible  pour  les  oppresseurs,  parce  que 
je  suis  compatissant  pour  les  opprimés.  Je  ne  con- 
nais point  l'humanité  qui  égorge  les  peuples  et 
qui  pardonne  aux  despotes.  »  11  ajouta  que  le 
même  sentiment  qui  lavait  porté  à  demander 
l'abolition  de  la  peine  de  mort  le  forçait  aujour- 
d'hui à  l'appliquer  au  tyran. 

Le  19,  on  reprit  la  question  du  sursis.  Le  20,  h 
trois  heures  du  matin,  par  380  voix  contre  310, 
la  Convention  décida  qu'il  ne  serait  pas  sursis  i 
l'exécution  et  qu'elle  aurait  lieu  dans  les  vingt- 
quatre  heures.  Le  21  janvier,  à  10  heures  22  mi- 
nutes, Louis  XVI  fut  décapité  sur  la  place  de  la 
Révolution,  aujourd'hui  place  de  la  Concorde. 

L'historien  impartial  doit  tenir  compte  il  ce 
prince  des  fatalités  de  la  naissance  et  de  l'éduca- 
tion; roi  de  droit  divin,  élevé  par  les  jésuites  dans 
les  idées  de  la  monarcliie  absolue,  on  conçoit 
qu'il  n'ait  jamais  pu  se  résigner  à  voir  limiter  le 
pouvoir  qu'il  avait  reçu  intact  de  ses  ancêtres  ; 
qu'il  n'ait  pu  accepter  la  constitution  que  pour 
y  chercher  les  moyens  do  la  renverser;  que,  pour 
rétablir  son  ancienne  autorité,  il  se  soit  cru  en 
droit  do  faire  appel  aux  autres  souverains  ;  qu'il 
ait  préféré  voir  la  France  envahie  que  la  royauté 
amoindrie  et  le  territoire  diminué  plutôt  que  ses 
prérogatives  ;  qu'il  soit  resté  étranger  à  ces  idées 
nouvelles  de  patriotisme  qui  exaltaient  les  hom- 
mes de  93  et  qu'il  se  soit  senti  solidaire  de  la 
famille  des  rois  plutôt  que  de  la  nation  française. 
L'historien  qui  f.-ra  ces  réserves  en  faveur  du  roi 
sera  tenu  à  la  même  justice  envers  les  régicides 
Ces  hommes  qui  pour  la  défense  du  territoire  ne 


mort  de  Louis  XVI  fut  sinon  la  cause,  du  moins  le 
prétexte  de  nouvelles  attaques.  C'était  unique- 
ment la  conquête  de  la  Belgique  qui  avait  décidé 
Pitt  à  entrer  dans  la  coalition  ;  mais  il  prit  occa- 
sion du  régicide  pour  chasser  notre  envoyé  Ghau- 
vehn.  Le  staihouder  de  Hollande  imita  l'Angle- 
terre. La  cour  de  Xaples,  où  régnait  une  soeur  de 
Marie-Antoinette,  la  cour  d'Espagne,  où  régnait 
une  bi-anclie  des  Bourbons,  se  joignirent  h  nos 
ennemis.  Le  pape,  qui  avait  tant  fait  pour  attiser 
chez  nous  la  guerre  civile,  laissait  prêcher  à 
Rome  le  meurtre  des  Français  :  le  13  janvier,  no- 
tre envoyé  Basseville  était  égorgé  avec  un  rasoir 
sous  les  yeux  de  la  police  pontificale.  Les  princes 
du  Saint- Empire  allemand,  réunis  à  la  diète  de 
Ratisbonne,  firent  cause  commune  avec  l'Autri- 
che. La  Convention  envoya  sa  déclaration  de 
guerre  le  1"  février  à.  l'Angleterre,  le  9  mars  au 
stathouder  de  Hullande  et  au  roi  d'Espagne  ;  le 
22,  elle  reçut  celle  de  l  Empire  allemand. 

Au  moment  où  il  fallait  faire  face  à  l'Europe  en- 
tière, où  400,000  Anglais,  Hollandais,  Allemands, 
Autrichiens,  Sardes,  Espagnols  men:içaient  toutes 
nos  frontières,  la  France  se  trouva  prise  Ji  revers 
par  l'insurrection  vendéenne.  Depuis  longtemps 
déji,  dans  les  départenionts  du  Poitou  et  de  la 
Bretagne,  les  prêtres  réfractaires,  les  émigrés  re- 
venus dans  leurs  manoirs,  attisaient  la  guerre  ci- 
vile. Le  24  août  1792  avait  eu  lieu  la  première, 
prise  d'armes,  comprimée  par  les  bourgeois  de 
Quimper.  Ainsi,  la  veille  même  du  jour  où  l'As- 
semblée législative  décrétait  l'abolition  des  der- 
niers droits  féodaux,  all'ranchissait  la  terre  du 
paysan,  l'avougle  paysan  vendéen  s'armait  contre 
la  Révolution;  il  s'insurgeait  pour  ceux  qui,  du- 
rant tant  de  siècles,  l'avaient  tenu  dans  la  misère, 
dans  l'ignorance,  dans  la  barbarie.  Cette  première 
prise  d'armes  avait  coïncidé  exactement  avec  l'in- 


reculèrent  devant  aucun  sacrifice,  qui  affrontèrent  i  vasion  prussienne  de  1792:    la  grande  insurrec- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1807  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


lion  de  mars  ITJS  coïncida avecla  grande  coalition. 
Comme  il  fallait  augmenter  l'effectif  de  nos 
armées,  on  proclama  par  toute  la  France  la  ré(|ui- 
silion,  c'est-à-dire  l'appel  des  conscrits.  Le 
paysan  vendéen  prit  le  fusil,  mais  contre  la  France. 
I.e  4  mars,  on  avait  assassiné  le  commandant  de 
O.liollet;  lo  10,  les  masses  rurales  assaillirent 
Macliecoul  et  y  massacrèrent  les  patriotes;  le  12, 
à  Saint-Florent,  elles  tuèrent  les  gendarmes  char- 
gés du  recrutement,  tirèrent  sur  la  troupe  et  se 
saisirent  des  canons.  En  quelques  jours  le  tocsin 
sonna  dans  tontes  les  paroisses;  1(KI,000  paysans 
se  trouvèrent  sous  les  armes,  fanatisés  par  les 
prédications  du  carême,  par  les  approches  de  Pâ- 
ques. Ils  se  formèrent  en  bandes  à  la  tête  des- 
quelles se  placèrent  lo  voiturier  Cathelincau,  le 
garde-chasse  Stofflet,  le  perruquier  Gaston.  Les 
chefs  nobles,  Charette,  Lescure,  d'Elbée,  Talmont, 
Sapinaud,  Bonchamp,  Larochejacquelein,  ne  paru- 
rent que  plus  tard.  Le  mouvement  fut  d'abord 
plutôt  clérical  et  populaire  que  royaliste'.  Catheli- 
neau  était  avant  tout  l'homme  du  clergé  :  ses 
hommes  portaient  presque  tous  un  sacré-cœur  sur 
la  poitrine  avec  cette  inscription  :  «  Arrête  I  le 
coeur  de  Jésus  est  avec  moi.  »  I.e  chapelet  était 
une  partie  essentielle  de  leur  équipement.  Quand 
ils  prenaient  des  patriotes,  ils  n'oubliaient  jam.ais 
de  les  faire  conf^esser  avant  de  les  fusiller.  Ils 
restaient  aussi  ignorants,  aussi  barbares  que  leurs 
ancêtres  du  moyen  âge  :  leur  isolement,  en  plein 
xviii'  siècle,  les  avait  maintenus  à  l'état  sauvage. 
Leur  fanatisme  parut  dans  les  tortures  qu'ils  fai- 
saient subir  h  leurs  prisonniers  :  en  cela  il  diffé- 
rait du  fanatisme  révolutionnaire,  qui  se  conten- 
tait de  rendre  la  mort  pour  la  mort.  L'esprit  de 
l'inquisition  anima,  du  côté  des  Vendéens,  cette 
horrible  guerre  :  à  Machecoul,  les  paysans  prirent 
le  cure  constitutionnel,  et  le  firent  mourir  h  pe- 
tits coups  pour  que  le  supplice  durât  plus  long- 
temps ;  avec  dos  cors,  ils  donnèrent  la  chasse 
aux  palrioti'S  ;  quand  ceux-ci  tombaient,  on  son- 
nait la  curée,  et  les  femmes  achevaient  les  victi- 
mes avec  leurs  ongles  ou  leurs  ciseaux  ;  il  y  eut 
des  hommes  enterrés  vifs,  des  gardas  nationaux 
cruellement  martyrisés.  Des  prêtres  rofractaires 
rivalisaient  de  férocité  avec  les  paysans.  A  Mache- 
coul, l'un  d'eux,  comme  il  n'y  avait  plus  à  tuer 
que  les  femmes,  s'avisa  de  dire  la  messe  sur  la 
tombe  d'une  sainte.  Tout  k  coup  il  cria  qu'il  sentait 
la  pierre  se  soubver.  Ce  miracle  allait  faire  con- 
tinuer les  massacres, quand  arrivèrent  les  troupes 
républicaines.  Ces  paysans,  qui  refusaient  d'aller 
combattre  aux  frontières,  montrèrent  une  bravoure 
farouche  :  on  les  vit  se  jeter  à  la  gueule  des  ca- 
nons pour  s'en  emparer.  Toutefois  le  succès  de 
l'insurrection  paraîtra  moins  étonnant,  quand  on 
saura  que  les  départements  de  l'Ouest  étaient 
■alors  entièrement  dégarnis  de  troupes  et  que  les 
insurgés  n'eurent  à  lutter  que  contre  les  gardes 
nationales  des  petites  villes.  Cette  guerre  que  les 
paysans  faisaient  aux  citadins  était  à  certains 
égards  une  guerre  sociale.  Ils  haïssaient  les  villes 
■comme  la  résidence  des  autorités,  des  gens  de 
lois,  des  marchands.  La  Vendée,  avant  même  l'ar- 
rivée des  troupes  de  la  Convention,  était  déjà  di- 
visée en  bleus  et  on  chouans.  Les  bleus,  c'est-à- 
dire  les  habitants  des  villes,  se  sacrifièrent  pour 
arrêter  l'insurrection.  Les  cités  de  Nantes,  Ren- 
nes, Quimper,  Angers,  même  des  bourgades 
comme  Machecoul,  Cliollct,  les  Sables  d'Olonne, 
Luçon,  Fontenay,  la  Roche-Bernard,  acquirent 
■alors  des  titres  impérissables  à  la  reconnaissance 
du  pays.  Les  villes  étaient  comme  des  îlots  perdus 
au  milieu  du  soulèvement  dos  niasses  rurales, 
dans  les  départements  de  la  Vendée,  des  Deux- 
Sèvres,  de  .Maine-et-Loire,  Ille-et-Vilaine,  Loire- 
inférieure.  L  insurrection  dans  les  départements 
tas-bretons  (Morbihan,  Finistère,  Côtes-du-Nord) 


s'appela  d'un  nom  particulier,  la  chouannerie,  parce 
que  le  signe  de  rallicnientétaitlecridu  chat-huant. 

Trahison  de  Dumouriez.  —  La  lutte  continuait 
entre  Dumouriez,  le  conquérant  de  la  Belgique, 
et  Cambon,  que  soutenait  toute  la  Montagne. 
Dumouriez  ne  voulait  pas  de  la  guerre  révolution- 
naire ;  or,  c'est  avec  cette  guerre  seulement  qu'on 
pouvait  résister  à  l'Europe.  Il  négligeait  de  pour- 
snivre  les  Autrichiens  et  de  leur  faire  passer  le 
Rhin,  laissait  battre  Custine  et  bloquer  iVlayence  ; 
son  armée  découragée  fondait  entre  ses  mains. 
Il  se  croyait  fort  liabile  en  négociant  avec  l'Au- 
triche et  l'Angleterre,  qui  le  trompaient  et  com- 
plotaient leurs  armements.  Il  s'aliénait  à  la  fois 
tous  les  partis  de  la  Convention  :  Danton  et  les  Gi- 
rondins qui  demandaient  la  propagande  armée  ;  les 
J,icobins,  qui  visaient  h  l'établissement  du  gouver- 
nement révolutionnaire;  Cambon,  qui  voulait 
étendre  à  la  Belgique  et  à  l'Allemagne  son  sys- 
tème financier  Un  échec  que  Dumouriez  éprouva 
près  d'Aix-la-Chapelle  le  força  d'évacuer  Liège, 
abandonnant  les  patriotes  de  cette  ville  aux  v^-n- 
geances  de  leur  évêque  et  de  l'Autriche  :  les  Lié- 
geois fugitifs  accoururent  à  Paris,  soulevant  les 
colères  du  peuple  contre  Dumouriez. 

Celui-ci  se  décida  alors  h  reprendre  l'offensive, 
il  tenter  l'invasion  de  la  Hollande  :  victorieux,  il 
marcherait  ensuite  sur  Paris  et  ferait  la  loi  i  la 
Convention.  Le  12  mars  il  écrivait  une  lettre  me- 
naçante, qui  excita  l'indignation  de  l'Assemblée. 
Le  18,  il  attaqua  les  Autrichiens  à  Neerwindcn, 
dans  une  situation  presque  semblable  à  celle  de 
Jemmapes  ;  mais  il  n'avait  plus  que  35000  hom- 
mes contre  5".' 000;  il  fut  cotriplètement  battu. 
Alors  il  ne  vit  plus  de  salut  que  dans  la  trahison. 
Il  eut  des  conférences  secrètes  avec  le  colonel 
Mack,  délégué  par  le  duc  de  Cobonrg,  promit  de 
livrer  aux  Autrichiens  Condé  et  Valenciennes,  à 
condition  qu'ils  l'aideraient  à  marcher  sur  Paris. 
Trois  envoyés  du  club  dus  Jacobins  étant  venus 
le  trouver  dans  son  camp,  il  leur  dit  nettement 
que  la  Convention  était  un  tyran  à  745  têtes,  la 
république  un  vain  mot  ;  qu'il  fallait  rétablir  la 
royauté  avec  la  constitution  de  1791  :  dans  sa 
pensée  le  roi  devait  être  le  duc  de  Chartres.  Dès 
que  la  Convention  eut  connaissance  de  ses  pro- 
jets, elle  le  somma  de  comparaître  à  sa  barre.  Sur 
son  refus,  elle  envoya  Bcurnonville,  ministre  de 
la  guerre,  et  les  députés  Camus,  Quinette,  Lamar- 
que  et  Bancal  :  ils  lui  présentèrent  le  décret  qui  le 
suspendait  de  ses  pouvoirs.  Dumouriez  fit  arrê- 
ter les  représentants  du  peuple  et  les  livra  aux 
Autrichiens.  Toutefois  la  démarche  hardie  des 
commissaires  avait  dérangé  tous  ses  plans.  Jus- 
qu'alors il  traitait  d'égal  à  égal  avec  les  Autri- 
chiens ;  maintenant  il  fallait  en  passer  par  leurs 
exigences.  Or  Cobourg  avait  d'autres  projets  que 
Dumouriez  :  il  voulait  d'abord  s'emparer  de  nos 
places  frontières  ;  ensuite,  si  l'on  marchait  sur 
Paris,  donner  le  trône  au  fils  ou  au  frère  aîné  de 
Louis  XVI.  Dumouriez  se  rendit  auprès  de  Mack, 
puis  revint  dans  son  camp  entouré  de  dragons 
autrichiens.  A  la  vue  des  uniformes  étrangers,  ses 
soldats  refusèrent  do  l'entendre.  Il  eut  beau  dire  : 
«  Mes  amis,  j'ai  fait  la  paix.  Nous  allons  à  Paris 
arrêter  le  sang  qui  coule.  »  Un  simple  fourrier, 
nommé  Fichot,  sortit  des  rangs  et  cr.a  :  «  Trahi- 
son !  »  Un  soldat  tira  sur  Dumouriez.  Il  fut  obligé 
de  fuir  avec  ses  généraux  orléanistes.  Valence  et 
le  duc  de  Chartres  (4  avril).  Les  soldats  coururent 
d'eux-mêmes  h  Condé,  à  Valenciennes,  se  jetèrent 
dans  ces  deux  places  et  les  mirent  en  état,  do  dé- 
fense. Dumouriez  était  le  troisième  général  qui 
essayait  une  rébellion  militaire  :  Bouille  avait 
conspiré  contre  la  Constituante,  Lafayette  contre 
la  Législative,  Dumouriez  contre  la  Convention. 
Tous  CCS  essais  de  coup  d'Etat  écliouèrent  égale- 
ment contre  le  patriotisme  de  l'armée. 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1898  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


caïute  de  la  Gironde.  —  Les  défaites  et  la  tra- 
hison de  Diimouricz  portèrent  h  la  Gironde  un 
coup  mortel.  Dupuis  la  condamnation  du  roi,  la 
Montagne,  qui  avait  montré  plus  d'union  et  plus 
de  décision  pendant  le  procès,  prenait  de  l'avance 
sur  les  Girondins.  C'étaient  ceux-ci  qui  autrefois 
avaient  mis  Duniouriez  à  la  tète  de  l'armée  : 
aussi  commença-t-on  à  crier  dans  les  rues  de 
Paris  «  la  grande  trahison  du  général  giron- 
din i>. 

Leur  situation  devenait  critique  :  ils  occupaient 
les  ministères,  la  présidence  de  l'Assemblée,  les 
administrations  locales;  ils  étaient  donc  le  gouver- 
nement ;  on  les  rendait  responsables  de  tout.  La 
Plaine  jouait  alors  un  jeu  fort  dangereux  :  si  les 
Montagnards  proposaient  quelque  décret  éner- 
gique, elle  s'empressait  de  le  voter,  mais  les 
Girondins  en  avaient  l'exécution  :  des  lors  rien 
ne  se  f::isait.  La  seule  solution  raisonnable  eût 
été  que  la  Gironde  cédât  à  la  Montagne  la  direc- 
tion légale  de  la  Révolution,  que  les  ministres 
girondins  Roland,  Clavif-re,  Tondu-Lebrun,  Garât, 
donnassent  leur  démission,  que  les  autorités  giron- 
dines des  départements  les  suivissent  dans  la  re- 
traite. Malheureusement  les  Girondins  estimaient 
que  sortir  du  pouvoir,  c'était  déserter  le  danger  ; 
la  Plaine  les  encourageait  dans  leur  résistance  en 
les  choisissant  toujours  pour  la  présidence  de 
l'Assemblée  :  ils  pouvaient  donc  dire  qu'ils  avaient 
une  majorité  de  gouvernement. 

La  Convention,  sous  le  coup  des  premiers  dé- 
sastres, avait  décidé  que  tout  ce  qu'il  y  avait  de 
soldats  et  do  fédérés  dans  Paris  se  rendraient  im- 
médiatement à  la  frontière  :  les  fédérés  bretons, 
sur  lesquels  la  Gironde  comptait  pour  sa  sûreté, 
durent  partir.  Le  lendemain  9  mors,  la  Commune 
lit  arborer  aux  tours  de  Notre-Dame  le  drapeau 
noir  et  h  l'Hùtel-de-Ville  l'étendard  du  «  Danger  de 
la  patrie  >■.  Quelques  furieux,  Varlet,  Lazowski, 
Fournier,  essayèrent  le  9  mars  de  soulever  les 
sections,  brisèrent  les  presses  de  deux  imprime- 
ries girondines,  demandèrent  l'épuration  de  l'As- 
semblée. .Mais  Paris  resta  sonrd  h  ces  excitations  : 
le  faubourg  Saint-Antoine  fit  même  oa'rir  une 
g.irde  h  la  Convention. 

Li  population  parisienne  n'avait  d'autre  préoc- 
cupation que  celle  de  la  défense  nationale  :  dans 
presque  tous  les  quartiers,  on  offrait  des  repas 
civiques  aux  volontaires  qui  se  rendaient  aux 
frontières.  La  seule  section  de  la  Halle  aux  blés, 
après  son  banquet  du  10  mars,  envoyn  mille  vo- 
lontaires. Le  nouveau  maire  de  Paris,  Pache  félu 
en  février  en  remplacement  du  girondin  Chàm- 
bon),  et  le  procureur  de  la  commune  Chaumette, 
vinrent  à  la  Convention  rendre  tcjnoignage  de 
l'élan  patriotique  du  peuple  et  recommander  à 
l'Assemblée  les  familles  des  volontaires.  Puis  les 
compagnies  de  citoyens  en  armes  défilèrent  de- 
vant la  Convention  ,  en  disant  :  «  Pères  de  la 
patrie,  nous  vous  laissons  nos  enf.jnts.  »  — 
«  ^0U3  n'enverrons  pas  seulement  à  la  frontière, 
répondirent  le^  députés,  nous  irons  nous-mêmes.  » 
Et  la  Convention,  sur  la  proposition  de  Carnot, 
décréta  que  8i  de  ses  membres  se  rendraient  aux 
armées.  Le  même  jour,  l'Assemblée  commença 
la_  discussion  sur  l'établissement  d'un  tribunal 
révolutionnaire,  demandé  par  la  Commune  et  les 
Jacobins  ;  la  mesure  fut  appuyée  par  Saint-André 
et  Levasseur:  ceux-ci  n'étaient  pas  des  hommes  de 
sang,  mais  des  hommes  d'Etal,  des  patriotes  qui 
se  montrèrent  béroiques  aux  armées  :  Saint-André 
osa  même  improviser  une  marine,  se  risquer  avec 
elle  contre  la  flotte  anglaise,  et  livrer,  en  n9i,  la 
mémorable  bataille  navale  où  périt  le  vaisseau  le 
Vengeur;  c'est  lui  qui  plus  tard  organisa  les  dé- 
partements du  Hliin.  11  fallait  que  ce  tribunal  fût 
nécessaire  pour  qu'il  le  réclamât.  La  Gironde,  à 
part  Lanjuinais  et  quelques  autres,  en  adoptait  le 


principe,  mais  discutait  les  détails  d'organisation. 
Cambacérès,  qui  fut  plus  tard  un  des  rédacteurs 
du  Code  civil  et  grand  dignitaire  de  l'Empire,  disait 
(1  qu'on  ne  pouvait  suivre  ici  les  principes  ordi- 
naires. »  La  Convention  décida  que  le  tribunal 
serait  composé  de  neuf  juges  et  d'un  jury,  nom- 
més   par  elle  (10  mars). 

Le  tribunal  révolutionnaire,  tel  que  l'entendait 
Danton,  n'était  en  somme  qu'une  juridiction 
exceptionnelle  comme  il  s'en  est  toujours  établi 
dans  les  circonstances  extraordinaires,  lorsque 
l'existence  même  de  l'Etat  est  mise  en  péril  ; 
ce  n'était  pas  autre  chose  qu'une  cour  martiale 
comme  celles  qui  ont  fonctionné  à  des  époques 
plus  récentes  quand  le  pays  s'est  trouvé  en  état  de 
guerre  étrangère  ou  de  guerre  civile.  La  France 
tout  entière  étant  comme  une  place  assiégée,  le 
tribunal  révolutionnaire  se  trouvait  chargé  de 
punir  les  traîtres,  les  rebelles,  les  complices 
de  l'étranger,  les  fournisseurs  infidèles,  les  fabri- 
cateurs  de  faux  assignats.  Les  peines  appliquées 
par  le  tribunal  étaient  la  mort  ou  la  déportation; 
comme  la  mer  n'était  pas  libre,  les  "-ondamnés  à 
la  déportation  étaient  provisoirement  emprisonnés 
à  Bicôtre.  C'était  au  prix  d'une  justice  rigoureuse 
qu'on  pouvait  prévenir  le  retour  des  massacres  de 
septembre. 

L'organisation  du  tribunal  révolutionnaire  faisait 
partie  de  l'ensemble  des  mesures  de  défense  pro- 
posées par  Danton  dans  son  discours  du  10  mars, 
qui  touchait  à  l'organisation  politique  et  militaire 
du  pays  et  qui  se  terminait  ainsi  :  «  Je  me  ré- 
sume ;  ce  soir,  organisation  du  tribunal,  organisa- 
tion du  pouvoir  exécutif;  di'main,  mouvement  mi- 
litaire ;  que  demain  vos  commissaires  soientpartis  ; 
que  la  l-'i-ance  entière  se  lève,  coure  aux  armes, 
marche  ii  l'ennemi  ;  que  la  Hollande  soit  envahie; 
que  la  Belgique  soit  libre  ;  que  le  commerce 
de  l'Angleterre  soit  ruiné;  que  nos  armes,  partout 
victorieuses,  apportent  aux  peuples  la  délivrance  et 
le  bonheur,  et  que  le  monde  soit  vengé.  » 

L'.Assemblée  était  comme  enveloppée  du  mou- 
vement patriotique  de  Paris.  Les  défilés  des  ba- 
taillons qui  se  rendaient  aux  frontières  conti- 
nuaient. Quand  le  contingent  des  Halles  vint  faire 
ses  adieux  h  la  Convention  et  la  traversa  tambours 
battants  et  drapeaux  déployés,  l'.Vssemblée,  saisie 
d'enthousiasme,  se  leva  tout  entière  au  cri  de 
11  Vivent  les  défenseurs  de  la  patrie  !  « 

Tandis  que  la  Convention  discutait  l'organisation 
de  ce  tribunal,  le  même  jour,  en  Vendée,  com- 
mençait à  fonctionner  le  tribunal  révolutionnaire 
de  l'insurrection  :  le  mis«acre  de  Machecoul, 
commencé  par  les  paysans,  était  régularisé  le  soir 
par  un  comité  d'honnêtes  gens  qui  en  six  semai- 
nes condamnait  à  mort  54"J  patriotes. 

Quand  l'insurrection  de  Vendée  fut  connue  à 
Paris  le  IS  mars,  la  Convention,  sur  la  proposi- 
tion de  Diiliem,  décréta  que  tous  les  émigrés 
ou  prêtres  réfractaires  qui,  au  bout  de  huit  jours, 
seraient  trouvés  sur  le  territoire  de  la  République, 
encourraient  la  peine  de  mort;  le  19  mars,  sur  la 
proposition  de  Cambacérès,  nouveau  décret  por- 
tant que  tous  les  individus  prévenus  d'avoir  pris 
pan  aux  mouvements  contre-révolutionnaires  ou 
arboré  la  coc.irde  blanche  .seraient  mis  hors  la  loi  ; 
que  s'ils  étaient  pris  les  armes  i  U  main,  ils  se- 
raient exécutés  dans  les  vingt-quatre  heures. 
11  Vous  n'ignorez  pas,  ajoutait  Cambacérès,  que 
les  circonstances  commandent  presque  toujours 
les  décisions.  •>  Le  Tî  mars,  après  la  défaite  de 
iVeerwinden,Jean  Dcbry  fit  décréter  l'établissement 
dans  chaque  commune  ou  section  de  commune 
d'un  comité  révolutionnaire,  chargé  de  contenir 
les  suspects  ;  le  20  mar*,  désarmement  de  tous 
les  ci-devant  nobles  et  prêtres,  ce  qui  fut  exécuté 
aussitôt  à  Paris  ;  le  2S,  bannissement  à  perpétuité 
de  tous  les  émigrés,  peine  de  mort  contre  ceui 


IIKVOLUTION  FRANÇAISE     —  1899  —     REVOLUTION   FRANÇAISE 

droite,  Vernior,  poussa  ce  cri  d'alarme  :  "  Eli  !  ci- 
toyens, si  vous  en  êtes  i\  ce  point  de  défiance  que 
désormais  vous  ne  puissiez  plus  servir  la  patrie, 
partons  plutôt;  soyons  généreux  les  uns  et  les 
antrns.  Partons:  que  les  plus  violents  dans  l'un 
et  l'autre  parti  s'en  aillent;  simples  soldats,  qu'ils 
donnent  à  l'armée  l'exemple  d'une  soumission 
courageuse  et  marchent  à  l'ennemi  I  » 

Vergniaud,  le  plus  sage  des  Girondins,  eut  aussi 
nne  grande  inspiration  de  patriotisme.  «  On  vous 
accuse,  dit-il  aux  représentants,  on  demande  un 
scrutin  épuratoire.  Ce  n'est  point  par  l'appel  au 
peuple,  c'est  par  le  développement  d'une  grande 
énergie  qu'il  faut  vous  justifier.  L'incendie  va  s'al- 
lumer: la  convocation  des  assemblées  primaires 
en  sera  l'explosion.  C'est  \ine  mesure  désastreuse. 
Elle  peut  perdre  la  Convention,  la  République  et 
la  liberté.  S'il  faut  ou  décréter  cette  convocation, 
ou  nous  livrer  aux  vengeances  de  nos  ennemis,  ci- 
toyens, n'hésitez  pas  entre  quelques  liomraes  et 
la  chose  publique  Jetez-nous  dans  le  goulTre  et 
sauvez  la  patrie  »  Les  Girondins  s'associèrent  par 
leur  silence  aux  paroles  de  Vergniaud;  plusieurs 
comprenaient  qu'un  des  deux  partis  était  de  trop 
à  la  tête  de  la  Képublique. 

Danton  exprimait  le  même  sentiment  que  "Ver- 
gniaud, mais  sous  une  autre  forme  :  «  Que  les 
Brissotins  s'en  aillent  et  nous  laissent  travailler, 
disait-il  ;  quand  nous  aurons  sauvé  la  France,  ils 
reviendront  jouir  de  nos  travaux.  »  Mais  les 
Girondins  ne  pouvaient  «  s'en  aller  ».  Le  point 
d'honneur  leur  défendait  de  se  retirer;  leurs  con- 
victions de  modérés  leur  interdisaient  de  s'asso- 
cier à  certaines  mesures  révolutionnaires;  il  n'y 
avait  pas  d'issue  h  cette  situation. 

En  avril,  les  Girondins  opposèrent  une  résis- 
tance énergique  à  l'établissement  du  mu.cbnum 
sur  les  denrées,  mesure  assurément  contraire  à 
la  liberté  économique,  mais  nécessaire  h  un  mo- 
ment où  l'agiotage,  par  la  hausse  des  denrées, 
tendait  à  amener  l'avilissement  des  assignats, 
c'est-à-dire  la  ruine  du  crédit. 

Coup  sur  coup,  l'on  apprit  la  mort  de  Dam- 
pierre,  tué  au  camp  de  Famars,  l'investissement 
de  Condo  et  Valenciennes  par  les  Autrichiens, 
les  victoires  vendéennes  dans  l'ouest  :  ces  dé- 
faites fournissaient  de  nouveaux  arguments  à  la 
doctrine  du  Salut  public,  il  la  politique  jacobine 
de  la  nécessité  ;  mais  la  majorité  de  la  Convention, 
loin  d'abandonner  les  Girondins,  ce  qui  leur  eût 
ùté  le  pouvoir,  mais  élit  sauvé  leurs  têtes,  portait 
ila  présilence  (16  mai)  le  plus  violent  d'entre  eux, 
l'éloquent  et  colérique  Isnard. 

Alors  la  Commune  de  Paris,  le  club  des  Jaco- 
bins et  la  réunion  de  l'iîvêché,  qui  était  le  centre 
d'action  des  comités  rovulutionnaires  de  Paris, 
s'entendirent  pour  arracher  i  la  Convention  l'ex- 
pulsion des  principaux  Girondins.  La  Gironde 
venait  de  commetiro  une  nouvelle  imprudence: 
elle  avait  fait  décréter  (18  mai)  l'établissement 
d'un  comité  de  douze  membres,  tous  Girondins, 
chargé  de  prendre  toutes  les  mesures  nécessaires 
à  la  tranquillité  publique.  Son  premier  acte  fut 
d'arrêter  un  membre  de  la  Commune,  Hébert, 
rédacteur  du  l'ère  Dui:hi?no.  Le  mot  d'ordre 
donjié  à  tous  les  comités  révolutionnaires  fut 
donc  celui-ci  :  expulsion  des  vingt-deux  députés, 
précédemment  dénoncé»  par  la  Commune,  et  des 
douze  membres  du  nouveau  comité.  Le  "U  mai,  la 
Commune  se  présente  à  la  barre  et  demande  la 
mise  en  liberté  d'Hébert  et  la  suppression  dos 
Douze.  La  section  de  la  Cité  osa  même  demander 
que  les  Douze  fussent  traduits  devant  le  tribunal 
révolutionnaire.  Le  président  Isnard  se  laissa  em- 
porter par  la  colère  jusqu'à  prononcer  des  paro- 
les qui  devaient  avoir  un  funeste  retentissemejit  : 
«  Ecoutez  ce  que  je  vais  vous  dire,  dit-il  aux 
pétitionnaires;  si  jamais  il  arrivait  qu'on  portât 


i|ui  rentreraient.  La  nouvelle  de  la  trahison  de 
i)nnio\iriez  eut  des  effets  encore  plus  terribles  : 
on  autorisa  l'accusateur  pnhlic  à  trmluire  de  son 
propre  mouvement  devant  le  tribunal  révolulion- 
nairf!  tous  les  prévenus  du  crime  de  conspiration, 
sauf  les  députés,  les  ministres  et  les  généraux, 
dont  l'arrestation  devait  être  autorisée  parl'Assem- 
blée.  On  décréta  l'arrestation  des  généraux  orléa- 
nistes et  de  toute  la  famille  d'Orléans.  On  en- 
voya 40  liOO  hommes  aux  frontières  et  l'on  dépêcha 
de  nouveaux  commissaires  à  l'armée  du  IVord. 
Eiifin,  sur  la  proposition  de  Barère,  on  décida 
l'organisation  du  Comité  de  salut  pîibliCj  et  ce  fut 
le  girondin  isnard  qui  rédigea  le  rapport  et  le 
texte  du  décret  (fi  avril).  Ce  comité  devait  se 
composer  de  neuf  membres  fce  nombre  fut  aug- 
menté par  la  suite),  renouvelables  tous  les  mois  ; 
il  devait  concentrer  tous  les  pouvoirs,  donner 
des  ordres  aux  ministres,  tracer  des  plans  aux 
généraux.  Il  fut  d'abord  composé  de  Barère,  Jean 
Debry.  Bréard,  Treilhard,  Canibon,  Danton,  Dela- 
croix, Delmas,  Guyton-Morveau.  La  Convention 
semblait  avoir  écané  systématiquement  les  mem- 
bres influents  des  partis  en  lutte  ;  la  Montagne 
n'était  guère  représentée  dans  le  Comité  que  par 
Danton  ;   la  Gironde  en  était  exclue. 

La  Convention  avait,  dès  ses  premières  séances, 
tire  do  son  sein  un  certain  nombre  d'autres  co- 
mités. Outre  le  Comité  de  salut  public,  qui  fut 
kl  terreur  de  l'I'.urope,  et  le  Comité  de  sûreté  gé- 
nérale, qui  devint  la  terreur  des  suspects,  elle 
eut  quatorze  comités  d'affaires,  savoir  :  les  Comités 
des  finances;  de  législation;  d'instruction  publi- 
que ;  d'agriculture  et  des  arts  ;  du  commerce  et 
des  approvisionnements  ;  des  travaux  publics  ;  des 
transports,  postes  et  messageries;  de  la  guerre; 
de  la  marine  et  des  colonies  ;  des  secours  publics  ; 
rie  division  ;  des  décrets,  procès-verbaux  et  ar- 
chives ;  des  pétitions,  correspondances  et  dépê- 
ches ;  des  inspecteurs  du  palais  national. 

Beurnonville  était  remplacé  au  ministère  de  la 
guerre  par  le  montagnard  Bouchotte.  Pioland  quit- 
tait le  ministère  de  l'intérieur,  où  il  fut  remplacé 
par  Garât  ;  mais  Lebrun  restait  aux  affaires  étran- 
gères, Clavière  aux  finances,  en  lutte  ouverte  avec 
('.ambon. 

La  Convention, unanime  contre  l'invasion,  contre 
la  Vendée,  contre  Dumouriez  et  contre  les  traî- 
tres, était  en  discorde  sur  toutes  les  autres  ques- 
tions. Girondins  et  Montagnards  se  renvoyaient 
niutuelletnent  la  responsabilité  des  malheurs  pu- 
blics. Robespierre  surtout  eut  un  rôle  funeste: 
dans  la  séance  du  10  avril  il, rassembla  contre  les 
(iirondins  toutes  les  accusations  qui  traînaient 
dans  les  clubs,  leur  reprochant  d'avoir  voulu  la 
i;uerre,  que  toute  la  France  avait  voulue  avec  eux; 
n'être  cotnplices  do  Dumouriez  et  des  Orléans, 
tandis  qu'ils  s'étaient  associés  à  toutes  les  mesures 
contre  les  Orléans  et  Dumonricz.  Vergniaud,  avec 
nne  grande  éloquence,  réfuta  ces  calomnies  et  fit 
lapulogie  du  la  politique  modérée.  Cimille  Des- 
nioulins,  suscité  par  Robespierre,  lança  contre 
la  Gironde  un  païuphlet  meurtrier,  \'Hisloire  dfs 
lli-ùsutins.  Les  Girondins,  qui  ne  furent  pas  alors 
plus  sages  que  Robespierre,  en  revinrent  à  leur 
politique  de  provocations  vis-à-vis  de  Marat  et  de 
la  Commune.  Guadet  fit  décréter  Marat  d'accusa- 
tioji  ;  mais  celui-ci  fut  acquitté  par  le  tribunal  révo- 
lutionnaire etramené  en  triomphe  à  la  Convention 
sur  les  épaules  du  peuple  (2t  avril).  Quelques 
jours  avant,  la  Commune  était  venue  à  la  barre  de 
l'Assemblée  réclamer  l'expulsion  de  vingt-deux 
Girondins  (U  avril).  Les  deux  partis  en  appelaient 
également  aux  assemblées  primaires,  les  Giron- 
dins pour  faire  exclure  de  la  Convention  Marat, 
Robespierre,  Danton,  les  députés  de  Paris;  la 
Commune,  pour  en  faire  chasser  les  Girondins. 
Emu  de  ces  discordes,  un  membre   obscur  de  la 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


1900 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


atteinte  à  la  représentation  nationale,  je  vous  le 
déclare  au  nom  de  la  France  entière.  Paris  serait 
anéanti;  oui,  la  France  entière  tirerait  vengeance 
de  cet  attentat,  et  bientôt  on  cherclierait  sur  les 
rives  de  la  Seine  si  Paris  a  existé.  » 

Ces  paroles  imprudentes,  répétées,  amplifiées, 
exagérées  dans  tout  Paris,  mirent  en  mouvement 
les  faubourgs.  La  section  des  Gravilliers  se  déclara 
en  insurrection;  celles  de  Montmartre,  le  27,  se 
rendirent  à  la  Convention  pour  lui  présenter  "  une 
pétition  au  bout  d'une  pique  ».  La  Convention 
était  désarmée  en  face  de  l'émeute  ;  elle  avait  bien 
donné  au  comité  des  Douze  les  pouvoirs  discré- 
tionnaires qui  exaspéraient  la  Commune,  mais 
elle  ne  lui  avait  pas  donné  le  droit  de  requérir  la 
force  armée.  Les  députations  se  succédèrent  en 
si  grand  nombre  à  la  barre  de  la  Convention,  que, 
dans  la  nuit  du  27  au  28  mai,  les  pétitionnaires 
vinrent  s'asseoir  jusque  sur  les  bancs  dos  repré- 
sentants. Les  députés  de  la  Montagne,  mrlés 
aux  hommes  dos  faubourgs,  votèrent  l'élargisse- 
ment des  personnes  arrêtées  et  la  sujipi-ession 
du  comité  des  Douze.  Le  lendemain,  au  début 
de  la  séance,  les  Girondins  eurent  le  courage  de 
demander  le  rétablissement  des  Douze  et  la  ma- 
jorité eut  l'imprudence  de  le  voter.  Alors  la  réunion 
de  l'Evcclié  convoqua  les  délégués  de  tous  les 
comités  révolutionnaires,  proclama  l'insurrection, 
s'empara  de  l'Hôtel-de- Ville,  nomma  Hanriot  com- 
mandant général  des  gardes  nationales,  fit  sonner 
le  tocsin  de  Notre-Dame  et  tirer  le  canon  d'alarme. 
La  Convention  fut  envahie  le  31  mai  par  les  sec- 
tionnaires  en  armes  :  mais  le  peuple  n'avait,  pas 
d'intention  hostile  contre  l'Assemblée;  il  ne 
toucha  à  aucun  des  représentants,  et,  dès  qu'il 
eut  obtenu  la  suppression  définitive  du  comité 
des  Douze,  il  se  relira. 

Marat,  l'Evèché  et  la  Commune  trouvèrent 
qu'on  n'avait  rien  obtenu.  Ils  se  séparèrent  de 
Danton,  qui  cherchait  à  les  contenir,  et  préparèrent 
une  nouvelle  insurrection.  Le  club  des  Jacobins, 
dans  la  nuit  du  l"  au  2  juin,  décréta  la  levée 
immédiate  d'un  emprunt  forcé  sur  les  riches,  qui 
servirait  à  solder  une  «  armée  révolutionnaire  » 
à  raison  de  40  sous  par  homme.  Au  matin  du  2, 
OH  apprit  l'insurrection  girondine  de  Lyon  et 
le  massacre  des  patriotes  lyonnais.  Cette  nou- 
velle accéléra  le  mouvement.  Hanriot  avait  re- 
quis la  force  armée  au  nom  de  la  Commune,  et 
Marat  avait  fait  sonner  le  tocsin  de  l'IIùtel  de- 
Ville.  Pondant  ce  temps  le  Comité  de  salut  public, 
qui  savait  à,  quel  point  les  Girondins  étaient 
innocents  des  événements  de  Lyon,  se  désespérait 
de  ne  pouvoir  les  sauver.  Le  ministre  de  l'inté- 
rieur Garât  vint  proposer  au  Comité  de  salut  pu- 
blic un  étrange  expédient  :  trente-quatre  députés 
girondins  se  retireraient  de  l'Assemblée,  mais  la 
Montagne  enverrait  dans  les  départements  des 
otages  en  nombre  égal.  Cambon,  Karère,  Delmas 
saisirent  avidement  cette  idée  ;  Danton  se  leva  et 
dit:  i<  Je  m'offre  le  premier  pour  aller  à  Bor- 
deaux :  proposons-le  à  la  Convention.  »  Ils  le  pro- 
posèrent, mais  Robespierre  jeta  sur  leur  enthou- 
siasme le  froid  de  son  ironie. 

A  dix  heures  la  Convention,  qui  occtipait  alors 
(depuis  le  10  maij  la  grande  salle  des  Tuileries, 
est  complètement  cernée  par  les  citoyens  armés 
que  commande  Hanriot.  Les  députés  qui  veu- 
lent sortir  sont  repoussés  dans  la  salle.  «  Prou- 
vons que  nous  sommes  libres,  s'écria  Barère  ; 
allons  délibérer  au  milieu  de  la  force  armée;  elle 
protégera  sans  doute   la  Convention.  » 

L'Assemblée,  ayant  à  sa  tète  son  président 
Hérault  de  Séchelles,  se  forma  en  cortège  :  les 
députés  de  la  droite  en  première  ligne,  les  Mon- 
tagnards ensuite  :  seuls  les  maratistes,  au  nom- 
bre d'une  trentaine,  désapprouvant  la  démarche 
de  leurs  collègues,  restèrent  à  leur  banc.  Quand 


Hérault  de  Séchelles  se  présenta  h  la  porte  du 
pavillon  de  l'Horloçe,  il  se  trouva  en  présence 
d'Hanriot  :  «  Que  demande  le  peuple  ?  lui  dit-il. 
La  Convention  n'est  occupée  que  de  lui  et  de 
son  bonheur.  —  Hérault,  répondit  Hanriot,  le 
peuple  ne  s'est  pas  levé  pour  écouter  des  phrases, 
mais  pour  donner  des  ordres.  Il  veut  qu'on  lui 
livre  trente-quatre  coupables.  —  Qu'on  nous  li\Te 
tous  !  j>  s'écrient  les  députés.  Et  ils  essaient  de 
forcer  le  passage.  «  Canonniers,  à  vos  pièces  !  'i 
commande  le  général  de  la  Commune,  et  six 
pièces  de  canon  sont  braquées  sur  les  représen- 
tants. La  Convention  rentra  et  essaya  de  sortir 
par  l'autre  porte,  celle  du  jardin  :  elle  trouva 
Marat  qui  somma  «  les  députes  fidèles  »  de  re- 
tourner à  leurs  bancs.  L'Assemblée  rentra  vain- 
cue, tête  baissée,  dans  la  salle  des  séances,  et 
consentit  à  sa  propre  mutilation.  La  liste  des 
expulsés  comprenait  entre  autres  :  Vergniaud, 
Guadet,  Gensonné,  Brissot,  Pétion,  Barbaroux, 
Buzot,  Lanjuinais,  Louvet,  Valazé,  Rabaut-Saint- 
Etienne  :  en  tout  vingt-sept  députés,  car  Marat  et 
Le;;endre  avaient  fait  effacer  cinq  noms  de  la  liste 
primitive.  Isnard  et  Fauchet  s'étaient  volontaire- 
ment suspendus  de  leurs  fonctions. 

Les  députés  expulsés  ne  furent  pas  mis  en  pri- 
son :  ils  étaient  simplement  consignés  chez  eux  et 
si  peu  gardés  que  ceux  qui  voulurent  quitter  Paris 
le  purent.  Danton  et  presque  toute  la  Montagne 
n'entendaient  faire  aucun  mal  aux  Girondins  ;  ils 
voulaient  seulement  les  éloigner  de  la  Convention 
pendant  la  crise,  les  empêcher  de  parler,  de 
voter,  de  se  perdre. 

Le  coup  d'Etat  du  3!  mai  et  du  2  juin  ouvrit 
la  porte  i  toutes  les  autres  violations  de  la  repré- 
sentation nationale:  il  contient  en  germe  le  18  bru- 
maire. Quand  l'attentat  fut  consoinmé,  ceux 
mêmes  qui  l'avaient  jugé  nécessaire  en  furent 
émus.  Les  Jacobins  essayèrent  de  donner  le 
change  à  l'opinion  :  dans  les  48  sections,  ils  ra- 
contèrent «  comment  la  Convention  avait  été  au 
jardin  prendre  quelques  moments  de  repos,  puis, 
invitée  par  le  peuple,  était  rentrée  en  séance.  ->  A 
la  fin  de  la  séance  du  2  juin,  une  députation  vint, 
au  nom  du  peuple  de  Paris,  remercier  l'Assemblée 
du  décret  qu'elle  avait  rendu,  et  offrit  do  consti- 
tuer des  otages  en  nombre  égal  à.  celui  des  dépu- 
tés arrêtés.  Lanjuinais  déclara  qu'il  acceptait 
«  pour  empêcher  la  guerre  civile,  »  mais  Barba- 
roux refusa,  disant  «  qu'il  s'en  remettait  h  la 
loyauté  du  peuple  de  Paris.  »  Ce  n'était  pas  seule- 
ment la  Plaine,  mais  les  Montagnards  indépendants, 
non  inféodés  i  Robespierre  et  à  Marat,  comme  les 
Carnot,  les  Cambon,  les  Lindet,  qui  se  sentirent 
atteints.  Ils  rentrèrent  cependant  le  lendemain  dans 
la  salle  profanée,  reprirent  leur  place  sur  les  bancs 
dégarnis.  Il  le  fallait.  La  Convention,  même  hu- 
miliée et  décimée,  c'était  encore  la  Convention, 
c'est-à-dire  l'unité  visible  de  la  France,  la  légalité 
I  vivante,  l'unique  moyen  de  salut  pour  laRépubli- 
I  que.  Voilà  pourquoi  ces  hommes  intrépides, 
ceux  qui  plus  tard  formèrent  le  nouveau  Comité 
de  salut  public  et  furent  commissaires  aux  ar- 
mées, acceptèrent  le  fait  accompli  et  reprirent  sans 
protester  leur  rude  labeur. 

La  constitution  de  1793.  —  Comme  tous  les 
désordres  semblaient  occasionnés  par  l'absence 
d'une  loi  précise,  d'un  pacte  fondamental  qui 
s'imposât  à  tous,  la  Convention  résolut  de  liâter 
l'œuvre  qui  était  le  point  principal  de  son  man- 
dat et  de  faire  la  constitution.  Devant  l'Europe 
en  armes,  parmi  les  insurrections  des  départe- 
ments, sous  la  menace  de  50ii,000  baïonnettes 
et  dans  le  bouleversement  universel,  la  Conven- 
tion légiféra.  Une  foi  robuste  la  soutenait  dans 
ce  labeur  :  elle  croyait  fermement  que  lorsqu'elle 
aurait  formulé  en  loi  les  principes  de  la  Révo- 
lution, ses  ennemis  seraient  confondus,  bien  plus, 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1901  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


convertis,  et  que  l'avènement  de  la  Justice  désar- 
merait les  insurges. 

Déjà  une  commission  de  neuf  memljres,  Sieyès, 
Thomas  Payne,  Brissot,  Pétinn,  Vergtiiaud,  Gen- 
sonné,  Barùre,  Danton  et  Condorcet,  avait  élaboré 
on  treize  titres  un  projet  du  coustiturion.  Con- 
dorcet, qui  en  l'ut  le  rédacteur,  avait  présenté  son 
projet  dans  les  séances  du  i5  et  du  16  février. 
La  lutte  chaque  jour  plus  vivo  entre  la  Montagne 
et  la  Gironde  avait  fait  ajourner  la  discussion. 
Après  le  31  mai,  ou'  adjoignit,  pour  terminer 
cette  œuvre,  aux  membres  du  Comité  de  salut 
public  cinq  nouveaux  commissaires  :  Hérault  do 
Séchelles,  Ramel,  Mathieu,  Couthon,  Saint-Just. 
Ceux-ci  reprirent  le  travail  de  Condorcet,  mais  en 
l'abrégeant,  en  l'imprégnant  de  l'esprit  de  la 
Montagne.  Le  projet  fut  présenté  à  l'Assemblée 
le  10  juin,  discuté  sans  désemparer  et  voté  le  24. 
La  constitution  fut  ensuite  soumise  à  la  ratifica- 
tion des  as.semblées  primaires  dans  les  départe- 
ments non  soulevés  et  acceptée  à  une  grande  ma- 
jorité. Le  10  août  ni).3,  il  y  aura  à  Paris,  pour 
célébrer  l'acceptation  do  la  constitution,  une  fête 
grandiose  dont  le  peintre  David  dressera  le  pro- 
gramme. 

La  constitution  de  1793  était  précédée  d'une 
nouvelle  Déclaration  des  droits  de  l'homme  et  du 
citoyen  en  trente-cinq  articles^  que  le  peuple  fran- 
çais proclamait  II  en  présence  de  l'Etre  suprême». 
Elle  reproduisait  en  partie  la  déclaration  pro- 
posée par  Robespierre.  On  y  trouve  cette 
maxime  :  u  L'instruction  est  le  besoin  de  tous. 
La  société  doit  favoriser  de  tout  son  pouvoir  les 
progrès  de  la  raison  publique,  et  mettre  l'instruc- 
tion à  la  portée  de  tous.  »  L'ai  ticle  suivant  té- 
moigne d'une  des  plus  vives  préoccupations  de  ce 
temps  :  «  Que  tout  individu  qui  usurperait  la  sou- 
veraineté soit  à  l'instant  mis  à  mort  par  les 
hommes  libres.  >>  Celui-ci  servira  à  justifier  tous 
les  coups  de  force  que  la  constitution  est  préci- 
sément destinée  à  réprimer  :  «  Quand  le  gouver- 
neiuent  viole  les  droits  du  peuple,  l'insurrection 
est  pour  le  peuple,  et  pour  chaque  portion  du  peu- 
ple, le  plus  sacré  des  droits  et  le  plus  indispensa- 
ble des  devoirs.  » 

La  constitution  elle-même  se  composait  de 
cent  vingt-quatre  articles.  Elle  donnait  au  peuple, 
c'est-à-dire  aux  assemblées  primaires,  le  droit  de 
délibérer  sur  les  lois  ;  elle  réduisait  à  une  année 
le  mandat  de  député  ;  elle  établissait  une  Assem- 
blée unique  «  intiivisible  et  permanente  »,  rendant 
à  la  fois  des  lois  et  des  décrets.  Elle  eût  été  pro- 
bablement inexécutable  ;  en  tout  cas,  elle  n'a  pas 
été  appliquée,  le  gouvernement  révolutionnaire 
ayant  fonctionné  jusqu'au  moment  où  la  Con- 
vention lui  substitua  la  constitution  de  l'an  III. 
Certains  articles  portent  l'empreinte  vigoureuse 
de  l'esprit  de  i'U'i.  Les  idées  humanitaires  ont 
inspiré  l'article  qui  accorde  le  droit  de  cité  à  l'é- 
trangi  r  qui,  établi  en  France  depuis  une  année, 
attra  adopté  un  enfant  ou  nourri  un  vieillard. 
L'énergie  toute  romaine  des  grands  conventionnels 
revit  dans  celui-ci  :  «  Le  peuple  français  ne  fait 
poiiit  la  paix  avec  un  ennemi  qui  occupe  son  ter- 
ritoire. »  C'est  à  propos  de  ce  dernier  article  que 
le  girondin  Mercier  demanda  :  «  Avez-vous  fait 
un  pacte  avec  la  victoire  '?  »  Bazire  répondit  : 
'<  Nous  en  avons  lait  un  avec  la  mort.  » 

Les  insurrections  girondines  et  royalistes.  — 
L'expuision  des  Ginindiiis  pioduisit  fes  mêmes 
effets  que  la  mort  du  roi.  Après  le  21  janvier,  la 
Vendée  ;  après  le  2  juin,  la  grande  instirrection 
girondine.  Caen,  Bordeaux,  Lyon,  Marseille, 
presque  toutes  les  villes  du  Midi  se  déclarèrent 
contre  la  Convention.  Il  y  eut  à  un  moment  près 
de  soixante  départements  insurgés.  Certains  dé- 
putés giiondins  commirent  alors  un  véritable 
crime  cojitro  l'unité;  tandis  que  Vergniaud,  Gen-J 


[  sonné,  Fauchet,  Valazé  et  d'autres  restaient  à 
Paris,  attendant  leur  jugement,  résignés  à  leur 
sort,  d'autres,  enflammés  des  mômes  passions 
que  les  émigrés,  organisaient  la  guerre  civile  : 
Guadet,  Buzot,  Louvet,  Barbaroux,  Kervélegan, 
soulevaient  la  Normandie;  Meilhan  et  Duchà- 
tel  s'agitaiejit  en  Bretagne,  Rabaut-Saint-Etienne 
dans  le  Gard,  Biissot  dans  l'Allier,  Rehecqui 
en  Provence.  Ils  eurent  alors  la  révélation  de 
l'état  réel  de  leur  parti  ;  ils  s'aperçurent  avec 
stupeur  que  sous  le  drapeau  républicain,  à  l'abri 
de  leur  modération  girondine,  c'étaient  partout  les 
royalistes  qui,  après  avoir  tenu  la  Révolution  en 
échec,  se  préparaient  h  la  combattre  avec  l'appui  de- 
l'étranger.  Partout  où  d'abord  ils  essayèrent  d'a- 
gir au  nom  de  leurs  principes,  ils  se  virent 
supplantés  par  les  émigrés  et  les  agents  des 
princes.  L'insurrection  prétondue  girondine  du  Cal- 
vados se  mit  sous  les  ordres  du  royaliste  Wiinp- 
fen  et  de  Puisaye,  agent  de  l'Angleterre;  dan» 
les  Cévennes,  sous  les  yeux  de  Rabaut-Saint- 
Etienne,  les  paysans  arboraient  le  drapeau  blanc  ; 
Lyon,  tout  à  l'heure  girondin,  se  remplissait 
de  nobles,  de  réfractaires  ;  Toulon  allait  être  livré 
aux  Anglais  (28  août)  ;  Paoli  les  appelait  en  Corse. 
En  même  temps  toutes  les  armées  étrangères- 
faisaient  un  pas  en  avant  :  les  Autrichiens  pre- 
naient Condé  {l'i  juin)  et  Valenciennes  (2S  juil- 
jet);Mayence  capitulait  devant  l'armée  prussienne 
(22  juillet);  les  Espagnols  envaliissaient  le  Rous- 
sillun;  les  Anglais  bloquaient  nos  ports,  affamaient 
les  départements  maritimes,  jetaient  des  armes  en 
Vendée,   inondaient  la  France   de  faux  assignats. 

Gouvernement  des  Montagnards.  Le  Comité  d& 
salut  public.  La  levée  en  niasse.  La  Terreur.  — 
La  Convention,  en  face  de  tant  d'ennemis  et  de 
tant  de  périls,  déploya  une  redoutable  énergie.  Dès 
le  10  avril,  elle  était  revenue  sur  son  décret  du  15 
décembre  1792,  et  avait  déclaré  que  «  la  France  ne 
s'immiscerait  pas  dans  les  affaires  des  autres  peu- 
ples. »  La  constitution  de  179:!,  tout  en  constatant 
que  (1  le  peuple  français  est  l'ami  et  l'allié  naturel 
des  peuples  libres  »,  ajoutait  :  "  Il  ne  s'immisce 
point  dans  le  gouvernement  des  autres  nations.  Il 
ne  soufl're  pas  que  les  autres  nations  s'immiscent 
dans  le  sien.  »  La  France  renonçait  donc  à  la 
guerre  de  propagande,  mais  pour  concentrer  tout 
son  effort  sur  la  guerre  nationale,  sur  la  défense 
du  territoire. 

Au  cours  des  débats  sur  la  constitution,  Danton 
avait  dit  :  «  Mettons  en  réquisition  400  nui)  hom- 
mes; c'est  à  coups  de  canon  qu'il  faut  signifier 
la  constitution  à  nos  ennemis.  C'est  l'instant  de 
faire  un  grand  et  dernier  serment,  (|ue  nous  nous 
vouons  tous  à  la  mort,  ou  que  nous  anéantirons  les 
tyrans.  » 

Le  10  juillet,  le  Comité  de  salut  public  fut  re- 
nouvelé dans  un  sens  plus  avancé.  Des  anciens 
membres,  il  ne  resta  que  Barère  et  Robert  Lin- 
det  :  on  leur  adjoignit  Jean-Bon  Saint-André, 
Hérault  de  Séchelles,  Prieur  de  la  Marne,  Gas- 
parin,  Thuriot,  Saint-Just,  Couthon.  Les  danto- 
nistes  y  étaient  encore  représentés  par  Hérault 
et  Thuriot. 

Le  13  juillet,  une  jeune  fille  de  Caen,  descen- 
dante de  Pierre  Corneille,  exaltée  par  les  dis- 
cours des  proscrits  girondins,  se  rendit  à  Paris, 
pénétra  chez  Marat  et  le  poignarda  dans  son 
bain.  Elle  fut  exécutée  six  jours  après.  Un  jeune 
Allemand,  Adam  Lux,  envoyé  par  ses  compa- 
triotes pour  demander  à  la  Convention  la  réunion 
de  Mayence  à  la  France,  la  vit  sur  l'échafaud, 
s'éprit  pour  elle  d'un  anjonr  étr.inge  et  mystique  : 
il  manilesta  ses  sentiments  avec  une  telle  témé- 
rité que  quelques  mois  plus  tard  (-i  novembre) 
11  fut  guillotiné  connue  elle.  L'attentat  commis 
par  Charlotte  Corday  eut  des  conséquences  fu- 
nestes :  il  donna  raison  aux  conseils  des  violents, 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1902 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


hâta  rétablissement  du  régime  terroriste;  il  lais- 
sait Robespierre  en  présence  de  Danton.  Marat 
était  utile  en  ce  sens  qu'il  maintenait  un  certain 
équilibre  entre  les  deux  autres  triumvirs.  Sa 
sœur  répétait  plus  tard  que  n  Marat  aurait  sauvé 
Danton.  >• 

Or,  le  27  juillet,  Robespierre  entrait  au  Comité 
de  salut  public  en  remplacement  de  Gasparin, 
démissionnaire. 

A  ce  moment  la  situation  était  au  pire.  Mayence 
et  Valencieiities  succombaient  ;  Lyon  était  déjà 
en  pleine  révolte. 

Sous  l'impression  de  ces  nouvelles,  la  Conven- 
tion porta  le  2G  juillet  peine  de  mort  contre 
les  accapareurs  et  décréta,  dans  sa  séance  du 
1"  août,  une  série  de  mesures  terribles  :  confis- 
cation des  biens  de  toutes  les  personiies  mises 
hors  la  loi  ;  jugement  de  la  reine  ;  destruction  des 
sépultures  royales  de  Saint-Denis;  cours  forcé  des 
assigiiats  sous  peine  des  galères  ;  dévastation  sys- 
tématique de  la  Vendée,  incendie  des  bois,  des 
taillis,  des  genêts,  des  "  repaires  de  rebelles  » 
(c'est-à-dire  des  villes  occupées  par  les  insurgés). 
Le  7  août,  la  guerre  contre  l'Angleterre  prend  un 
caractère  particulier  de  fureur  par  le  décret  qui 
déclare  Pitt  «  l'ennemi  du  genre  humain.  »  La  fête 
du  10  août,  par  laquelle  on  célébra  l'acceptation 
de  la  constitution,  eut  un  caractère  de  grandeur 
triste  et  tragique  qui  exalta  encore  les  imagina- 
tions. Le  12  août,  sur  la  [iroposition  de  Danton, 
les  SOOO  délégués  des  assemblées  primaires,  venus 
pour  proclamer  la  ratification  de  la  constitution, 
sont  investis  de  pouvoirs  extraordinaires  à  l'effet 
d'organiser  la  levée  en  masse. 

La  Montagne  éiait  bien  maîtresse  du   pouvoir  : 
mais  dans   la   Montagne  même   se  manifestèrent 
de    nouvelles    divisions,    et    la    question    vitale, 
la  création  d'un  gouvernement  uni  et  fort,  n'en 
était  pas   plus   avancée.  On   peut  dire  (iue,  pen- 
dant les  trois   mois  qui   suivirent  l'expulsion  des 
Girondins,  la  défense  nationale  se  trouva  presque  1 
sans   direction.   C'est   avec    des    troupes   levées 
par  eux-mêmes,  en  Daupliiné  par  Dubois  Crancé,  i 
en    Auvergne    par  Couthon,    eu   iN'ormandie    par 
Lindet,  que  les  représentants  en  mission  combat-  | 
talent   les    rebelles.   Nantes  se   protégeait   toute  i 
seule   contre    la   Vendée.    Les    Autrichiens   n'a-  | 
valent  pas  profité  tout  de  suite  de  leur  succès  de 
Valenciennes:  ils  s'attardèrent  au  blocus  de  Mau- 
beuge  et  du  Quesnoy,  tandis  que  les  Anglais  as- 
siégeaient Dunkerque  ;  mais  ces  forteresses  prises, 
toutes  les  armées  ennemies  pouvaient  faire  leur 
jonction  et  marcher  en  masse  sur  Paris. 

Dès  juillet,  Danton  invitait  le  Comité  de  salut 
public  à  se  subordonner  les  ministères,  à  se 
constituer  en  gouvernement.  «  Vous  redoutez  la 
responsabilité,  disait-il  aux  membres  du  Comité. 
Souvenez-vous  que,  quand  je  fus  membre  du 
conseil,  je  pris  sur  moi  toutes  les  mesures  révo- 
lutionnaires. Je  dis  :  que  la  liberté  vive,  et  périsse 
mon  nom  1  » 

Robespierre,  à  ce  moment,  ne  voulait  pas  agir 
contre  les  hébertistes.  Depuis  la  mort  de  Marat, 
Hébert,  par  son  journal  le  fèi'e  Diidiènn,  avait 
acquis  une  influence  énorme  sur  l'opinion.  Le 
ministre  de  la  guerre,  Bouchotte,  avait  pour  ad- 
joint et  pour  secrétaire-général  deux  amis  d'Hé- 
bert, Ronsin  et  Vincent;  et  parmi  les  journaux 
dont  la  Convention  avait  décrété  l'envol  gratuit 
aux  armées,  le  Fère  Duchéne  grâce  aux  ordres 
donnés  par  Vincent,  tenait  le  premier  rang.  Ro- 
bespierre, quoiqu'il  n'aimât  pas  Hébert  et  son 
parti,  ne  se  sentait  pas  assez  fort  pour  renverser 
l'idnle  de  la  populace.  D'autre  part,  il  ne  se  sou- 
ciait pas  de  constituer  un  gouvernement  dans  le- 
quel il  eût  fallu  partager  le  pouvoir  avec  Danton. 
H  ne  voulait  faire  donner  la  dictature  au  Comité 
de  salut  public  que  lorsqu'il  n'aurait  à  y  crain 


dre  ni   la   rivalité  des  hébertistes,  ni   celle   des 
dantonistes. 

C'est  seulement  en  août  1 793,  quand  Robespierre 
eut  pris  la  haute  direction  du  Comité  de  salut 
public  avec  ses  amis  Saint-Just  et  Couthon,  quand 
les  dantonistes  Thuriot  et  Hérault  de  Séchelles  en 
furent  sortis,  que  les  ressorts  du  pouvoir  commen- 
cèrent à  se  tendre.  Carnot  entre  au  Comité  le  14 
août,  un  peu  malgré  Robespierre  :  mais  tout  le 
monde  jugeait  Carnot  1  homme  nécessaire  pour 
la  guerre,  comme  Cambon  pour  les  finances. 

Le  ï3  août  Barère  vint  à  la  Convention  lire  au 
nom  du  Comité  un  projet  de  décret  sur  la  levée  en 
masse.  «  La  liberté,  dit-il,  est  devenue  créancière  de 
tous  les  citoyens  ;  les  uns  lui  doivent  leur  indus- 
trie, les  autres  leur  fortune  ;  ceux-ci  leurs  conseils, 
ceux-là  leurs  bras  ;  tous  lui  doivent  leur  sang. 
Ainsi  donc  tous  les  Français,  tous  les  sexes,  tous 
les  âges,  sont  appelés  par  la  patrie  à  défendre  la 
liberté.  Toutes  les  facultés  physiques  ou  morales, 
tous  les  moyens  politiques  ou  industriels  lui  sont 
acquis  ;  tous  les  métaux,  tous  les  cléments  sont 
ses  tributaires.  Que  chacun  occupe  son  poste  dans 
le  mouvement  national  et  militaire  qui  se  prépare. 
Les  jeunes  gens  combattront;  les  hommes  ma- 
riés forgeront  les  armes,  transporteront  les  baga- 
ges et  lartiUerie,  propareront  les  subsisiances; 
les  femmes  travailleront  aux  habits  des  soldats, 
feront  des  tentes  et  porteront  leurs  soins  hospita- 
liers dans  les  asiles  des  blessés  ;  les  enfants  met- 
tront le  vieux  linge  en  charpie;  et  les  vieillards, 
reprenant  la  mission  qu'ils  avaient  chez  les  an- 
ciens, se  feront  porter  sur  les  places  publiques; 
ils  enflammeront  le  cimrage  des  jeunes  guerriers, 
ils  propageront  la  haine  des  rois  et  l'unité  de  la 
république.  Les  maisons  nationales  seront  con- 
verties en  casernes,  les  places  publiques  en  ate- 
liers ;  le  sol  des  caves  servira  a  préparer  le  sal- 
pêtre ;  tous  les  chevaux  de  selle  seront  requis 
pour  la  cavalerie,  tous  les  chevaux  de  voiture 
pour  l'artillerie  ;  les  fusils  de  chasse,  de  luxe,  les 
armes  blanches  et  les  piques  suffiront  pour  le 
service  de  l'intérieur.  La  républiciue  n'est  qu'une 
grande  ville  assiégée,  il  faut  que  la  France  ne 
soit  plus  qu'un  vaste  camp.  » 

En  conséquence,  il  l'ut  décrété  que  tous  les  ci- 
toyens non  mariés  ou  veufs  sans  enfants  parti- 
raient les  premiers,  et  se  rendraient  immédiate- 
ment au  cbef-lieu  de  district,  où  ils  s'exerceraient 
chaque  jour  en  attendant  l'ordre  du  départ.  Chaque 
1  district  formerait  un  bataillon  dont  le  drapeau  por- 
terait cette  inscription  :  u  Le  peuple  français 
debout  contre  les  tyrans.  «  La  réquisition  fut  à 
1  l'ordre  du  jour.  On  recruta  les  armées  avec  les 
réquisitions  d'hommes,  on  les  nourrit  avec  des 
I  réquisitions  de  vivres. 

Partout  aux  frontières  menacées,  aux  portes  des 
I  villes   rebelles,  investis    de  pouvoirs   illimités,  le 
sabre  au  côté,  avec  le  panache  et  l'écliarpe  trico- 
lore, se  montrèrent  les  représentants  en  mission. 
i  Sans   distinction  de  partis,  ces  envoyés,  qui  por- 
;  talent  avec  eux  l'enthousiasme  ou  la  terreur,  firent 
I  preuve  d'un  courage  intrépide,  domptant  les  mau- 
vaises   volontés,    forçant   les    «  aristocrates   »    à 
nourrir,  à  équiper  les  armées,  faisant  le   coup  de 
fusil  comme  des  soldats,  pointant  le  canon,  cou- 
chant sur  la  terre  nue,  marchant   à    l'assaut   des 
retranchements  ennemis.  11  faut    citer  Merlin  de 
ThionviUe  dans  la  défense  de  Mayence  et  la  cam- 
pagne  de  l'Ouest,  Bourbotte  en  Vendée,   Philip- 
peaux  qui  pacifia  et  s^iuva  .\ant6S,  Briez  qui  résista 
4U  jours  dans  Valenciennes,  Duquesnoy  qui  com- 
battit à  Wattignies,  Chasles  qui  fut  blessé  d'un  obus 
au  combat  de  Werwick,  Baudot,  J.-B.  Lacoste,  Le- 
bas,  Saint-Just  aux  armées  du  Rhin,  Dubois-Craucé 
à  l'armée  des  Alpes,  Soubrany,  Milhau  aux  Pyré- 
nées, Ricord,  Salicetti,  Robespierre  jeune  devant 
I  Toulon,  Couthon  devaut  Lyon. 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1903  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


Oii  fondit  des  canons  avec  les  cloches  des  églises, 
des  balles  avec  le  plomb  des  cercueils  ;  on  fabri- 
qua de  la  poudre  en  extrayant  le  salpêtre  des 
étables.  Kourcroy,  Monge,  Bm-llioUet  mettaient  la 
science  au  service  de  la  liberté,  inventaient  de 
nouveaux  procèdes  pour  travailler  le  bronze,  l'a- 
cier, les  poudres.  Carnot  trouva  la  seule  tactique 
qui  conviiit  il  l'inexpérience  des  soldats  et  à 
leur  enthousiasme  :  la  guerre  toujours  offensive, 
l'élan  par  grandes  masses,  les  attaques  à  l'arme 
blanche.  Assisté  de  deux  autres  membres  du  Co- 
mité, Lindet  et  Prieur  de  la  Cûle-d'Or,  il  fut, 
comme  on  l'a  appelé,  l'organisateur  de  la  victoire. 
Il  finit  par  mettre  I  200  OUO  hommes  sur  pied. 

Cependant  à  Paris,  le  peuple,  déjà  irrité  par 
les  nouvelles  de  la  frontière,  subissait  une  double 
excitation  :  la  cessation  des  alTaires  avait  amené 
pour  les  ouvriers  une  misère  inouïe  ;  littérale- 
ment, ils  manquaient  de  pain;  ils  ne  recevaient 
plus  de  salaire  et  le  prix  des  denrées  montait  cha- 
que jour.  D'autre  part,  les  royalistes,  dans  les  théâ- 
tres, dans  la  rue,  affectaient  de  provoquer  les  sans- 
culottes.  Au  Théâtre  Français,  ils  applaudissaient 
Paméla,  où  se  trouvait  un  éloge  de  l'Angleterre  ; 
au  théâtre  du  Lycée,  Adèle  de  Sacy.  qui  était  la 
mise  en  scène  de  l'histoire  de  la  reine.  A  ce  mo- 
ment arrive  b.  Paris  la  nouvelle  de  la  perte  de 
Toulon,  livré  à  l'amiral  Hood. 

Le  1"  septembre,  le  club  des  Jacobins  demanda 
la  création  d'une  armée  révolutionnaire  pour 
l'extermination  des  ennemis  de  l'intérieur,  et 
l'établissemeiit  du  maximum. 

Le  4  septembre,  dès  cinq  heures  du  matin,  la  foule 
se  rassemble  sur  la  place  de  Grève, en  criant  rf«/.o!rt .' 
du  pain!  Une  table  est  posée  sur  la  place  et  l'on 
signe  une  pétition  à  la  municipalité  :  puis  l'Hotel- 
de-Ville  est  envahi  à  ce  cri  lugubre  :  du  pain!  Le 
procureur  de  la  commune,  Chaumelte,  court  à 
la  Convention  et  en  revient  avec  la  promesse  que 
le  prix  du  pain  va  être  fixé.  L'arrivée  d'une  dé- 
putation  du  club  des  Jacobins  achève  de  calmer  la 
foule  :  elle  se  disperse.  Mais  les  Jacobins  pren- 
nent l'engagement  do  porter  le  lendemain  une 
pétition  à  la  Convention. 

Le  5,  la  Convention,  présidée  par  Robespierre, 
délibérait  sur  une  proposition  de  Merlin  de  Douai 
concluant  à  une  organisation  plus  expéditive  du 
tribunal  révolutionnaire,  lorsqu'une  dcputation  de 
la  Commune  se  présente  U  la  barre.  Le  maire 
Pache  dénonce  les  accapareurs;  Cbaumette  de- 
mande l'organisation  de  l'armée  révolutionnaire 
qui  parcourra  les  déparlements,  accoai|iagnée 
d'un  tribunal  et  de  la  guillotine.  A  peine  ont-ils 
parlé,  qu'une  foule  énorme  d'hommes,  de  femmes, 
d'enfants  envahit  l'assemblée,  aux  cris  de  Vive  la 
République!  mort  aux  accapareurs.!  La  passion 
populaire  réveille  celle  de  l'Assemblée.  Moyse 
Bayle,  Billaud-Varennes,  Bazire,  Léonard  Bourdon 
se  succèdent  à  la  tribune.  Danton  y  monte  à  son 
tour,  et  d'une  voix  tonnante,  aux  applaudissements 
du  peuple,  appuie  toutes  les  motions  révolution- 
naires, propose  de  les  formuler  en  décrets. 
Thuriotessaie  de  modérer  les  violents  :  n  LaFrance 
n'est  pas  altérée  de  sang,  s'écria-t-l;  elle  n'est 
altérée  que  de  justice,  u  Mais  Barcrj  projionce  le 
mot  qui  résume  la  situation  :  «  Plaçons  la  terreur 
à  l'ordre  du  jour  !  u 

En  effet,  c'est  de  ce  jour  de  colère  et  d'effroi 
qiie  date  la  Terreur.  Coup  sur  coup  la  Convention 
décrète  :  l'organisation  d'une  armée  révolution- 
naire, sorte  de  maréchaussée  républicaine,  qui  sera 
chargée  do  comprimer  la  contre-révolution,  d'as- 
Burer  le  service  des  subsistances  et  l'exécution  des 
lois  ;  la  peine  de  mort  contre  quiconque  trafiquera 
(les  assignats;  la  division  du  tribunal  révolution- 
naire en  quatre  sections,  afin  d'accélérer  la  jus- 
tice; le  renvoi  des  Girondins  détenus  devant  ce 
tribunal  ;  le  rétablissement  des  visites  domiciliai- 


res et  l'arrestation  des  suspects;  l'épuration  des 
comités  révolutionnaires  ;  une  solde  de  trois  livres 
par  jour  aux  membres  de  ces  comités  et  de  qua- 
rante sous  aux  citoyens  qui  seront  assidus  dans 
les  sections.  Ce  formidable  ensemble  est  complété 
le  n  septembre  par  la  loi  des  suspects.  Cette  loi 
répute  suspect  quiconque  s'est  montré  partisan  de 
la  tyrannie  ou  du  fédéralisme,  quiconque  ne  jus- 
tifie pas  de  l'accomplissement  de  ses  devoirs  civi- 
ques, tous  les  ci-devant  nobles  qui  n'ont  pas  fait 
preuve  d'un  constant  attachement  à  la  République, 
tous  les  fonctionnaires  destitués.  Le  29,  la  Con- 
vention décrète  l'établissement   du  maximum. 

Une  dernière  fois,  il  est  question  d'adjoindre 
Danton  au  Comité  de  salut  public.  Mais  Danton, 
qui  venait  de  se  remarier  dans  une  famille  royaliste, 
répugnait  au  fardeau  trop  lourd  du  pouvoir.  Il 
était  opposé  aux  mesures  violentes  :  à  la  mort  des 
Girondins,  dont  on  instruisait  le  procès,  à  la  des- 
truction de  la  Vendée,  que  Ronsin  livrait  alors  à 
l'extermination,  sans  vouloir  distinguer  entre  les 
insurgés  royalistes  et  les  communes  patriotes  qui 
s'étaient  défendues  contre  eux.  (j'est  par  huma- 
nité que  Danton  se  perdait.  Malgré  son  attitude 
dans  la  séance  du  5  septembre,  on  commençait  à 
soupçonner  en  cet  orateur  si  violent  le  chef  secret 
des  modérés. 

La  place  que  Danton  laissait  vide  au  Comité, 
deux  hommes  nouveaux  l'occupèrent  en  septem- 
bre :  Billaud-Varennes  et  Collot  d'Herbois,  qui 
étaient  comme  la  personnification  de  la  Terreur, 
qui  allaient  imposer  aux  répugnances  de  Robes- 
pierre lui-même  la  continuation  de  ce  régime.  Ce 
funeste  renoncement  de  Danton  marque  un  point 
décisif  dans  l'histoire  de  la  Révolution  :  il  se 
laissa  mettre  en  dehors  du  gouvernement  qu'il 
avait  fait  constituer  et,  par  aversion  contre  cer- 
taines mesures  de  la  Terreur,  s'ôta  tout  moyen  do 
l'enrayer. 

C'est  à  cette  époque  que  le  Comité  de  salut 
public  apparaît  définitivement  constitué  tel  qu'il 
resta  jusqu'en  thermidor.  Carnot,  Lindet,  Prieur 
de  la  Côted'Or  étaient  chargés  spécialement  de  la 
guerre;  ils  formaient  au  Comité  le  groupe  des 
gens  d'exaoïen  ;  Collot  d'Herbois,  Billaud  Varennes, 
de  la  direction  des  représentants  en  mission, 
Barcre  des  rapports  à  l'Assemblée  :  ces  trois 
hommes  formaient  le  groupe  des  yniis  révolution- 
yiaires;  Prieur  de  la  Marne  et  Saint-André  étaient 
presque  constamment  en  mission;  sur  le  tout  pla- 
nait la  pensée  politique  du  moment,  le  groupe 
des  qens  de  In  haute  main,  Robespierre  en  trois 
personnes,  c'est-à-dire  Robespierre,  Saint-Just, 
Couthon.  Tel  fut  ce  fameux  Comité  qui  lut  pen- 
dant près  d'une  année  l'effroi  de  l'Europe. 

Le  14  septembre,  le  Comité  de  sûreté  générale 
avait  été  réornanisé.  11  se  composait,  à  la  fin  de 
179:),  de  Vadier,  Lavicomtorie,  Amar,  Elle  La- 
coste, Dubarran,  Jagot,  Louis  (du  Bas-Rhin),  Voul- 
land,  Moyse  Bayle,  et  de  deux  amis  de  Robes- 
pierre, Lebas  et  le  peintre  David.  Le  parti  de 
Robespierre  dominait  au  tribunal  révolutionnaire 
avec  le  président  Herman,  le  vice-président  Dumas, 
le  juge  Coffinhal,  les  jurés  Duplay,  Nicolas,  Sou- 
berbielle,  Renaudin,  Topino-Lebrun.  Aux  Jacobins, 
depuis  la  retraite  de  la  Gironde,  il  était  si  bien  le 
maître  que  plus  tard  il  pourra  faire  rayer  Ana- 
cliarsis  Cloots  et  que  Danton  et  Camille  Desmou- 
lins ne  pourront  s'y  maintenir  que  par  sa  protec- 
tion. Dans  la  Commune  de  Paris,  son  autorité 
était  encore  tenue  en  échec  par  les  hébertistes. 

Le  10  octobre,  sur  la  proposition  de  Saint-Just, 
la  mise  en  vigueur  de  la  constitution  fut  ajournée, 
et  le  <c  gouvernement  révolutionnaire  »  décrété 
jusqu'à  la  paix  générale. 

Revejions  aux  luttes  militaires  et  voyons  quel 
fut  sur  les  insurrections  girondines  et  royalistes, 
sur  la    Vendée,  sur  les  opérations  aux  frontières, 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     -  190i  -     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


l'effet  de  ces  terribles  mesures  de  o  salut  public.  » 
Les   insurrections  vaincues   et   1  invasion  re- 
poussée.   —     Les    insurreclions    girondines    ou 
pseudo-giroÈidines  furent  assez  facilement  répr' 


frontière  des  Alpes.  Ses  sommations  demeurèrent 
inutiles  ;  le  bombardement,  commencé  le  24  août 
1793,  ne  put  réduire  la  ville.  La  Convention  rem- 
plaça Dubois-Crancé   par  Coutlion  et   le  médecin 


niées.  A  Caen,  la  garde  nationale  avait  emprisonné  Doppet.  Coutbon  lança  sur  Lyon  la  levée  en  masse 
dans  Is  cliàteau  les  commissaires  de  la  Convention  des  départements  d'Auvergne,  somma  une  der- 
Romme  et  Prieur  de  la  Côte-d'Or(  juin).  Comme  ces    nière   fois  les  rebelles  et,  dans  la   nuit  du  S   au 


représentants  partageaient  les  idées  de  concilia- 
tion qui  animaient  alors  Danton  et  ses  amis,  ils 
éci-ivirent  à  l'Assemblée  :  «  Confirmez  notre  arres- 


0  octobre,  emporta  la  ville  d'assaut.  Il  laissa 
échapper  à  travers  ses  lignes  2000  des  plus  dé- 
sespérés, et   cette   conduite,  qu'oji   taxa  d'indul- 


tation  et  constituez-nous  otages  pour  la  sécurité  gence,  fit  grand  bruit  h  Par. s.  Puis  il  institua  une 
des  députés  arrêtés  à  Paris.  «  Quelqu'un  fit  ob-  commission  militaire  pour  juger  sommairement 
server  à  la  Conveniion  que  cette  lettre  leur  avait  ,  les  insurgés  pris  les  armes  à  la  main  et  une  com- 
peut-être  été  dictée  par  contrainlo  :  «  Vous  vous  [  mission  civile  pour  exammer  ceux  qui  étaient 
trompez,  répondit  Coutlion;  Romme  serait  libre  ,  seulement  égarés.  Dans  l'intervalle  la  Convention, 
au  milieu  de  tous  les  canons  de  l'iiurope.  »  C'est  irritée  des  lenteurs  du  siège,  avait  rendu  sur  la 
à  co  moment  que  la  révolte  change  de  caractère  ;  ,  proposition  de  Barère  un  terrible  décret  :  on 
que  Wimpfen,  appelé  à  Paris  par  le  ministre  de  la  i  devait  juger  tous  les  contre-révolutionnaires, 
guerre  Boucliotte,  lui  répond  qu'il  ne  pourra  s'y  détruire  avec  la  mine  et  le  canon  les  maisons  des 
rendre  qu'accompagné  de  GOOUO  hommes;  que  ^  riches;  le  nom  de  Lyon  serait  effacé  et  remplacé 
Puisaye,  accouru  de  Londres,  prend  le  commande-  par  celui  de  Commune-AITranchie  ,  un  monument 
nient  en  chef  des  forces  insurrectionnelles.  Elles  ,  expiatoire  érigé  avec  cette  inscription  :  «  Lyon 
n'allèrent  pas  bien  loin  et  rencontrèrent  à  Vernon  ^  s'est  révolté,  Lyon  a  cessé  d'exister.  »  Coutlion 
les  gardes  nationales  de  l'Eure  et  quelques  trou-  continuait  à  user  d'indulgence;  il  ne  démolit,  en 
pes  accourues  de  Paris  :  trois  coups  de  canon,  sans  grand  appareil,  qu'une  seule  maison  sur  la  place 
atteindre  personne,  suffirent  h  disperser  les  re-  BcUecourt.  Il  fut  alors  remplacé  par  Fouché  et 
belles.  C'est  cette  échauffource  qu'on  appela  cm-  Collot-d'Herbois,  qui  commencèrent  la  démoli- 
pliatiquenient  la  bataille  de  Vernon:  elle  eut  lieu  tion  et  employèrent  la  mitraille  contre  les  cou- 
le  13  juillet,  le  jour  même   où  Charlotte  Corday    damnés. 

poignardait  Marat.  L'insurrection  normande  tom-  Le  16  décembre  1T93,  Toulon,  au  pouvoir  des 
bait  dans  le  ridicule  :  Lindet,  envoyé  de  la  Con-  ,  Anglais  depuis  le  28  août,  fut  repris  par  le  géné- 
vention,  ne  jugea  pas  nécessaire  de  tourner  les  rai  Dugommier,  assisté  de  Bonaparte.  Les  repré- 
clioses  au  tragique.  Comme  il  était  Normand  lui-  sentants  du  peuple  Robespierre  jeune,  Ricord, 
même,  député  de  lEure,  il  s'employa  à  la  pacifi-  Salicetli,  s'élancèrent  à  la  tête  des  troupes  et 
cation  du  pays,  fit  traîner  l'instruction  contre  les  enlevèrent  sous  la  mitraille  les  redoutes  anglaises, 
rebelles,  garda  les  dossiers,  malgré  les  réclama-  Les  Anglais  ne  quittèrent  le  port  qu'après  avoir 
tiens  de  Fouquier-TinviUe,  et  réussit  à  éviter  les  ,  incendié  la  flotte  française  et  les  arsenaux.  Robes 


uesures  de  rigueur.  C'est  ainsi  qu'il  démentit  le 
surnom  de  la  Hyène  que  lui  appliquait  si  injuste- 
ment Brissot 


pierre  jeune,  qui  avait  surveillé  les  opérations 
militaires,  montra  quelque  indulgence  ;  mais  Bar- 
as  et  Fréron,  qui  lui  succédèrent,  furent  implaca- 


Les  députés  girondins,  chassés  de  Normandie,  '  blés.  Ils  changèrent  le    nom   de   Toulon  contre 


s'étaient  embarqués  pour  Bordeaux,  où  Buzol 
Barbaroux,  Louvet,  Guadet,  Pétiou,  Salles,  essayé 
rent  d'organiser  une  insurrection  vraiment  giron 
dine.  Us  échouèrent  encore  et   furent  obligés  d' 


celui  de  Port-de-la-Montagne  ;  on  dut  leur  défen- 
dre de  traiter  Marseille  avec  la  même  rigueur. 

En  Alsace,  tandis  que  Landau  était  bloqué  par 
les  Autrichiens,  se  formèrent  des  complots  roya- 


fuir.  Tallien,  commissaire  de  la  Convention,  sévit  ,  listes  pour  livrer  les  forteresses.  A  Molsheim,  les 
cruellement  contre  leurs  complices.  Puis  il  lit  tra-  ,  prêtres  réfractaires  soulevèrent  les  paysans  contre 


quer,  avec  une  meute  de  chien 
dans    les    grottes    de    Saint-E 


proscrits  cachés    les  décrets  qui  ordonnaient  la  levée  de  300  000  hom- 
lion.    Barbaroux,    mes.    Les    rebelles,  pris   les   armes   à   la   main. 


Guadet,  Salles  furent  guillotinés  l'année  sui-  ,  furent  passés  par  les  armes  ou  guillotinés.  Le 
vante  à  Bordeaux  (juin-juillet  IlOi).  Buzot  et  Pé-  i  club  des  jacobins  de  Strasbourg,  le  maire  Monet, 
tion,  mis  hors  la  loi,  errèrent  quelque  temps  j  l'ex-prètre  autrichien  Eulogius  Schneider  opposè- 
dans  la  campagne;  vers  la  même  époque^  on  !  rent  le  fanatisme  révolutionnaire  à  celui  des  roya- 
trouva  leurs  cadavres    dans  un  champ,  à  moitié  i  listes  et  les  domptèrent  par  la  terreur  :  il  y  eut  h 


dévorés  par  les  loups. 

Marseille   avait  emprisonné  les   deux   commis 


Strasbourg  31    exécutions  sous  le  procousulat  de 
Schneider.  Quand  Saint-Just  avec   Lebas   fut  en- 


saires  de  la  Convention,  Bô  et  Antiboul.  Là  encore  ,  voyé  en  Alsace,  il  destitua  Schneider  (U  décembre 


le  mouvement  girondin  tourna  bien  vite  au  roya- 
lisme. Rebecqui.de  désespoir,  se  noya.  Les  roya- 
listes se  préparaient  à  livrer  la  ville  aux  Anglais 
lorsque  l'approche  du  général  Carteaux  rendit 
courage  aux  patriotes  qui,  le  24  août,  prirent  les 
armes,  engagèrent  la  lutte  contre  les  rebelles  et 
favorisèrent  la  reprise  de  la  ville  (2j  août). 

Lyon  débuta  le  29  mai  par  l'insurrection  giron- 
dine; Châlier,  chef  du  parti  populaire  lyonnais,  fut 
guillotiné  par  les  Girondins,  le  I"  juillet  ;  puis  les 
royalistes  s'emparèrent  de  la  direction  du  mouve- 
ment, expulsèrent  les  girondins  Biioteau  et  Chasset, 
mirent  à  leur  tête  les  comtes  de  Précy  et  de  Virieux, 


1793;,  l'exposa  toute  une  journée  sur  l'échafaud, 
lié  au  poteau  de  la  guillotine,  et  l'envoya  sous 
escorte  au  tribunal  révolutionnaire  de  Paris.  La 
terreur  continua  cependant  :  il  y  eut  encore 
G:'  exécutions  capitales;  Saint-Just,  en  terri- 
fiant les  conspirateurs,  réussit  à  approvisionner 
les  armées  ;  il  faisait  déchausser  les  a  aristocrates  » 
de  Strasbourg  pour  envoyer  leurs  souliers  aux 
soldats. 

Le  ;9  juin  les  Vendéens  avaient  fait  une  grande 
perte;  ils  étaient  sur  le  point  d'enlever  Nantes  ; 
Cathelineau,  le  «  saint  de  l'Anjou  »,  s'était  déjà 
glissé  jusqu'à  la    place  Viarmes;    croyant  la  ville 


organisèrent  le  massacre  des  patriotes,  et  entrèrent  I  prise,  il  s'agenouille  et  se   met   à    dire  son   cha 
en  négociation  avec  le  roi  de  Sardaigne. Dubois-Cran-  i  pelel.  D'une  masure  voisine  un  cordonnier  l'aper- 


cé fut  d'à  bord  délégué  par  le  Comité  de  salut  public 
pour  reprendre  Lyon,  avec  ordre  «  d'épargner  ceux 
qui  se  soumettraient  et  de  se  montrer  dur  seule- 
ment aux  superbes  ».  11  amena  contre  Lyon  tout 
ce  qu'il  put  rassembler  de  troupes  et  de  gardes 
nationales  dans  l'Isère,  forcé  de  dégarnir  ainsi  la. 


çoit,  l'ajuste  et  l'étend  sur  le  pavé  blessé  i  mort. 

La  Vendée  venait  d  être  frappée  dans  une  de  ses 

forces  vives  ;  son  chef  populaire  allait  être  rem- 
I  placé  par  les  chefs  nobles  :  ils  n'auront  pas 
:  comme  lui  l'art  d'entraîner  les  masses.  La  Vendée, 

ayant  échoué  contre  Nantes,  n'avait  pas  de  port, 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1903  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


■où  elle  pfit  accueillir  les  Anglais.  Dans  les  liindes 
de  Bretagne,  dans  les  cliemins  creux  et  les  taillis 
ilu  liocage,  la  guerre  continuait  avec  acliariie- 
ment.  L'incapacité  de  lionsiii,  de  Rossignol,  de 
Lécliello,  paralysait  la  bravoure  des  K16bor,  des 
Westermann,  des  Marceau  :  la  garnison  de 
Mayence,  transportée  en  poste  dans  la  Vendée  et 
i|ui  s'était  déjà  illustrée  sous  le  nom  de  co- 
lonnes infeniales,  fut  écrasée  h  Torfou  {19  sep- 
tembre). 

Au  nord,  les  progrès  de  la  coalition  s'étaient 
ralentis  par  les  divisions  des  alliés.  Le  roi  de 
Prusse,  après  la  prise  de  Mayence,  était  retourné 
dans  ses  l'.tats  pour  surveiller  l'ambition  de  Cathe- 
rine II,  et  prendre  sa  part  dans  le  second  démem- 
brement de  la  l'ologne.  11  ne  laissait  à  Brunswick 
qu'une  partie  de  ses  troupes  pour  appuyer 
les  opérations  de  l'Autrichien  VVurmser  contre 
l'Alsace.  En  Flandre,  (Jobourg  avait  encore  lUOOOO 
Autrichiens  et  York  50  OdO  Anglais  ou  Hollandais. 
Avec  cette  masse,  ils  auraient  pu  écraser  l'armée 
française  réduite  à  35  000  hommes.  Mais  Gobourg 
•voulut  d'abord  prendre  Cambrai,  et  Pitt  enjoignit 
au  duc  d'York  de  prendre  Dunkerque. 

Dunkerque  était  énergiquement  défendue  par 
■Hoche.  Houchard  vint  attaquer  les  positions  an- 
glaises à  Hondschoote,  livra  bataille  pendant  trois 
jours  et  contraignit  le  duc  d'York  à  la  retraite 
(8  septembre!  ;  puis  il  se  jeta  sur  les  Hollandais 
et  les  battit  il  Menin  (18  septembre).  Uiie  panique 
inexplicable  s'empara  à  ce  moment  des  troupes 
républicaines  :  elle  se  replièrent  en  désordre  sur 
Lille.  Le  Comité  de  salut  public,  voyant  qu'on 
avait  vaincu  les  Anglo-Hollandais,  mais  qu'on  ne 
les  avait  pas  écrasés,  jugea  la  victoire  incomplète 
ot  renvoya  Houchard  devant  le  tribunal  révolu- 
tionnaire. Ce  fut  dès  lors  sa  politique  à  l'égard  des 
généraux  indociles  ou  malheureux  :  successive- 
ment les  généraux  Custine,  le  28  août  1793,  Bou- 
chard, le  n  novembre,  Biron,  le  ;)1  décembre, 
Beauliarnais,  le  23  juillet  ITUé,  devaient  monter 
sur  l'échafaud. 

Le  25  septembre,  le  Comité  de  salut  public 
confia  l'armée  du  Nord  îi  Jourdan  ;  celle  du  Rhin 
à  Uelmas,  remplacé  ensuite  par  Pichegru  ;  celle 
de  la  Moselle  à  Moreau,  qui  aura  pour  successeur 
Hoche,  Jourdan,  après  avoir  plusieurs  fois  refusé, 
car,  ainsi  que  le  disait  Kléber,  un  titre  de  géné- 
ral était  alors  un  brevet  d'écliafaud,  se  résigna 
à  prendre  lo  commandement  qu'on  lui  impo- 
sait. Il  rencontra  les  Autrichiens  à  VVattignies 
et  échoua  d'abord  dans  l'attaque  de  leurs  po- 
sitions. Carnot  était  auprès  de  lui  avec  le 
représentant  Duquesnoy  ;  Carnot  comprit  qu'au 
moment  où  l'Alsace  allait  être  envahie,  où 
la  grande  armée  vendéenne  marchait  sur  la  Loire, 
tout  était  perdu  si  l'on  ne  battait  pas  les  Autri- 
chiens. Jourdan  risqua  le  tout  pour  le  tout;  k  la 
faveur  d'un  brouillard  épais,  il  dégarnit  son  centre 
et  sa  droite,  porta  toutes  ses  forces  à  sa  gauche. 
Le  10  octobre  il  tenta  un  efl'ort  désespéré  sur  la 
droite  des  Autrichiens  et  remporta  une  victoire 
complète.  Elle  coïncidait  avec  des  succès  dans  la 
Vendée,  à  Châlillon,  le  Tremblay,  ChoUet,  Beau- 
préau. 

Exécutions  en  octobre,  novembre  et  décembre 
1793.  —  11  semblait  qu'après  les  victoires  de 
Hondschoote  et  do  Wallignies,  la  France  était  en 
mesure  de  vaincre  sans  s'astreindre  au  régime  de 
la  Terreur.  Danton  et  ses  amis  le  pensaient.  Ro- 
bespierre parut  un  instant  incliner  vers  les  indul- 
gents ;  on  commentait  la  modération  relative  de 
ses  amis  personnels  :  de  Couthon  ii  Lyon  on  oc- 
tobre, de  son  frère  à  Toulon  et  k  Marseille  en  dé- 
cembre; on  la  comparait  avec  la  rigueur  excessive 
des  représentants  par  lesquels  le  Comité  de  salut 
public  les  avait  remplacés.  Un  incident  significatif 
avait  eu  lieu  le  3  octobre  :  Amar,  du  Comité  de 

2'  Partie. 


sûreté  générale,  apportait  à  la  Convention  son 
rapport  contre  la  Gironde  ;  d'un  geste  menaçant 
il  fit  fermer  les  portes  et  proposa  la  mise  en  ac- 
cusation de  73  Girondins  qui,  au  lendemain  du 
31  mai,  avaient  signé  une  protestation  contra 
l'expulsion  de  leurs  collègues.  Ils  allaient  être 
envoyés  au  tribunal  révolutionnaire,  lorsque  Ro- 
bespierre intervint,  les  sauva.  «  La  Convention  ne 
doit  pas  multiplier  les  coupables,  dit-il  ;  il  suffit 
des  chefs  ;  s'il  on  est  d'autres,  le  Comité  de  sû- 
reté générale  en  présentera  la  nomenclature,  n 
Grâce  à  Robespierre,  les  73  furent  simplement 
mis  an  état  d'arrastation.  Dans  cette  clémence 
presque  royale,  plusieurs  entrevirent  un  plan  qui 
aurait  consisté  à  prendre  appui  sur  la  docilité  de 
la  Plaine  pour  maîtriser  la  Montagne.  Alors  Col- 
lot,  Billaud,  s'appliquèrent  k  démontrer  au  Comité 
que  sans  la  Terreur  on  ne  pourrait  ni  contenir 
les  royalistes,  ni  assurer  les  réquisitions,  ni  main- 
tenir la  loi  du  maximum  ot  le  cours  forcé  des  assi- 
gnats. Robespierre,  s'il  eut  une  velléité  de  clé- 
mence, y  renonça  :  il  signa  avec  ses  collègues  lo 
décret  qui  vouait  Lyon  à  l'anéantissement. 

Les  exécutions  continuèrent  k  Paris.  Le  jour 
même  où  les  Autrichiens  étaient  battus  ;\  Watti- 
gnies,  la  reine  Marie-Antoinette  montait  sur  l'é- 
chafaud. Puis  vint  le  tour  des  Girondins  arrêtés 
après  le  31  mai  et  dont  la  détention  était  devenue 
de  plus  en  plus  rigoureuse.  Le  31  octobre,  vingt 
et  un  d'entre  eux  furent  exécutés.  Nul  spectacle 
plus  cruel  que  de  voir  périr  ainsi  des  hommes  par 
qui  la  royauté  était  tombée,  par  qui  la  Républi- 
que avait  été  fondée,  ceux  qui  furent  les  pères  de 
la  patrie,  les  meilleurs  de  leur  parti,  car  ils  étaient 
innocents  des  révoltes  girondines,  et  plusieurs,  par 
respect  pour  la  loi,  avaient  comme  Socrato  refusé 
de  quitter  leur  prison.  Ce  jour-là  moururent  Ver- 
gniaud,  dont  l'éloquence  avait  tant  de  fois,  en 
1792,  fait  rentrer  la  terreur  dans  le  palais  des 
rois,  en  1793,  apaisé  les  orages  de  la  Conven- 
tion ;  Brissot,  qui  avait  appelé  l'Europe  à  la  liberté 
et  qui  employa  ses  derniers  jours  à  rédiger  un 
mémoire  sur  l'émancipation  des  noirs  ;  l'évêque 
Fauchet,  qui  le  premier  avait  juré  la  constitution 
civile  du  clergé  et  l'un  des  pramiers,  danslafloM- 
che  de  fe> .  demandé  l'abolition  de  la  royauté  ;  Gen- 
sonné,  Valazé,  Fonfrède,  Ducos  ettant  d'autres,  li- 
bres esprits,  grands  citoyens,  ardents  patriotes, 
humains  et  purs  entre  tous.  Fidèles  à  leurs  con- 
victions philosophiques,  ils  refusèrent,  sauf  deux, 
le  ministère  des  prêtres  et,  la  veille  de  leur  exé- 
cution, se  réunirent  dans  un  banquet  fraternel, 
le  dernier  repas  des  Girondins.  Valazé,  comme 
le  Romain  C.aton,  se  perça  le  cœur  d'un  stylet. 
Tous  les  autres  allèrent  au  supplice,  l'amour  de 
la  République  dans  le  cœur,  la  Marseillaise  sur 
les  lèvres,  inébranlables  dans  leur  foi  à  la 
France,  au  progrès,  à  la  liberté.  Quelques  jours 
après  (8  novembre),  M"»"  Roland,  condamnée  à 
mort,  refusa  lo  poison  que  lui  offrait  une  main 
amie,  voulut  mourir  au  grand  jour,  souveraine- 
ment dédaigneuse  de  ceux  qui  croyaient  servir  la 
liberté  par  de  tels  attentats.  Roland  ne  put  lui 
survivre  :  il  quitta  son  asile  de  proscrit  pour  ne 
pas  compromettre  son  liote,  alla  se  tuer  sur  la 
grande  route.  On  trouva  sur  lui  un  billet  ainsi 
conçu  :  "  Qui  que  tu  sois,  toi  qui  me  trouves  gi- 
sant, respecte  mes  restes  :  ce  sont  ceux  d'un 
homme  vertueux.  »  Condorcet,  l'auteur  du  pre- 
mier plan  d'éducation  nationale,  un  des  plus 
grands  esprits  de  ce  temps,  périra  également  par 
suicide  (9  avril  1791).  L'extermination  de  la  Gi- 
ronde fut  complétée  par  l'exécution  de  Rabaut- 
Saint-Etienne  et  de  Kersaint  (décembre  1793). 
On  frappa  aussi  les  vaincus  du  parti  constitu- 
tionnel :  par  une  froide  matinée  d'automne  ,  le 
12  novembre,  on  amena  au  Champ-de-Mars,  pour 
expier  le  sang  versé  le    17   juillet  1791,  l'homme 

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RÉVOLUTION  FUANÇAISE     —  l'J06  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 

la  destruction  du  catholicisme,  et  le  député  alsa- 
cien Rulil,  à  Reims,  brisa  de  sa  main  la  sainte- 
ampoule.  Par  décret  du  IK  novembre,  les  bâti- 
menls  affectes  au  logement  des  prêtres  catholiques 
furent  transformés  en  écoles  pour  les  enfants  ou 
en  asiles  pour  les  infirmes. 

Robespierre  voyait  d'un  œil  inquiet  ce  mouve- 
ment contre  le  culte  catholique,  qui  se  tentait  en 
dehors  de  son  influence.  Le  17,  il  dénonçait  à  la 
Convention  les  exagérés  en  même  temps  que  les 
modérés,  et  le  21  il  prononcaitaux  Jacobins  un  grand 
discours  contre  l'athéisme.  Malgré  ses  efl'orts,  la 
Commune  arrêta,  le  2-3,  que  les  églises  de  Paris 
seraient  fermées.  Danton,  qui  était  revenu  à  Paris 
pour  essayer  avec  ses  amis  de  renverser  la  puis- 
sance des  Comités,  avait  intérêt  à  aider  d'abord 
ceux-ci  à  réprimer  la  Commune.  Il  se  rapprocha 
donc  de  Robespierre  et,  dans  la  séance  du  26 
novembre,  flétrit  les  «  mascarades  religieuses  ■> 
organisées  par  les  hébertistes.  La  Commune,  in- 
quiète de  ce  rapprochement,  revint  le  2.s  novembre 
sur  son  arrêté  du  23.  Dans  l'intervalle,  au  cours 
de  la  discussion  sur  l'organisation  du  gouverne- 
ment révolutionnaire,  Danton  avait  contribué  à 
faire  prendre  deux  dispnsilions  qui  fortifiaient  le 
pouvoir  central  et  limitaient  celui  de  la  Com- 
mune :  d'une  part  les  procureurs-syndics,  élus 
par  le  peuple,  devaient  être  remplacés  par  des 
commissaires  ou  agents  nationaux,  nommés  par 
le  gouvernement  ;  d'autre  part  on  retirait  aux  com- 
munes le  droit  de  convoquer  les  comités  révolu- 
tionnaires. L'alliance  momentanée  de  Robespierre 
et  de  Danton  fut  encore  marquée  par  un  fait  signi- 
ficatif. Le  club  des  Jacobins  avait  décidé  qu'il 
procéderait  à  l'épuration  de  ses  membres  :  le  :i 
décembre  c'était  le  tour  de  Danton.  Vivement 
attaqué,  il  fut  éloquemment  défendu  par  Robes- 
pierre. 

Robespierre  alla  plus  loin  dans  sa  campagne 
contre  l'athéisme.  C'est  grâce  à  lui  qu'au  plus 
fort  de  la  Terreur  les  cérémonies  do  l'Église  ca- 
tholique ne  furent  pas  interrompues.  On  priait 
pour  Robespierre  à  Notre-Dame.  La  censure  eut 
l'œil  ouvert  sur  les  publications  irréligieuses.  Au 
club  des  Jacobins,  nous  verrons  Robespierre  obte- 
nir le  maintien  des  évoques  et  des  prêtres  cons- 
titutionnels sur  la  liste  de  la  société,  tandis  qu'il 
en  fera  rayer  Anacharsis  Cloots  (12  décembre) 

Danton  s'était  uni  à  Robespierre  pour  restrein- 
dre l'autorité  de  la  Commune  et  pour  organiser 
sur  une  base  plus  régulière  le  gouvernement  ré- 
volutionnaire. Il  crut  le  moment  venu  de  prendre 
sa  part  du  pouvoir  qu'il  avait  contribué  à  créer. 
Le  12  décembre,  un  de  ses  amis.  Bourdon  de  l'Oise, 
fit  observer  it  la  Convention  que  les  pouvoirs  des 
comités  étaient  expirés  et  proposa  le  renouvelle- 
ment du  Comité  de  salut  public.  Après  quelque 
hésitation,  l'Assemblée  décida  le  lendemain  que 
les  comités  seraient  maintenus  :  c'était  ajourner 
les  espérances  dos  dantonistes. 

Sur  ces  entrefaites,  on  eut  des  succès  aux  ar- 
mées. Le  10  décembre  Toulon  était  repris;  la 
grande  armée  vendéenne,  après  avoir  franchi  la 
Loire  et  poussé  jusqu'à  Laval,  était  ramenée  sur 
Saveiiay  et  totalement  anéantie  par  Marceau  et 
Kléber  (23  décembre).  En  Alsace,  Saint-Just.Lebas. 
Lacoste,  Dentzel,  après  avoir  réorganisé  les  troupes 
et  placé  Hoche  à  leur  tète,  les  accompjgnèrent 
dans  le  mouvement  en  avant.  L'armée  s'ébranla 
au  cri  de  Landau  on  la  mort!  Le  soir  même,  la 
bataille  de  Geisberg  faisait  tomber  les  retranche- 
ments autrichiens  ,  et  le  lendemain  les  Fran- 
çais entraient  dans  Landau  débloqué  (26  décem- 
bre). 

Robespierre,  les  hébertistes.  les  dantonistes. 
—  Cette  fois,  la  Vendée  abattue  et  les  frontières 
reprises,  rien  ne  pouvait  justifie!'  la  continuation 
du  système  terroriste-  Il  était  une  insulte  à  la  vie- 


dont  la  parole  en  juin  1789  avait  fait  reculer  la 
royauté  toute-puissante,  celui  qui  prêta  le  premier 
le  serment  du  Jeu  de  Paume,  le  premier  présida 
une  .Vssemblée  nationale  et  fut  le  premier  maire 
de  Paris.  Comme  les  mains  du  vieillard  trem- 
blaient :  «  Tu  trembles!  lui  dit  un  des  assistants. 

—  Mon  ami,  répondit  paisiblement  Bailly,  c'est  de 
froid.  » 

Le  culte  de  la  Raison.  —Vers  cotte  époque,  se 
produisit  une  curieuse  tentative  pour  remplacer 
l'ancienne  religion  comme  on  avait  remplacé  l'an- 
cienne royauté.  Le  culte  nouveau  était  celui  de  la 
raison  pure  et  celui  de  la  nature.  Romme,  le  h  oc- 
tobre, avait  proposé  une  réforme  du  calendrier  qu'il 
avait  préparée  en  collaboration  avec  les  mathémati- 
ciens Lagrange  et  Laplace.  11  supprimait  le  di- 
manche et  divisait  le  mois  en  décades;  mais 
l'austoe  mathématicien  ne  voulait  désigner  les 
mois  que  par  des  termes  abstraits  :  Justice,  Ega- 
lité, etc.  Le  littérateur  Fabre  d'Eglaniine  ren- 
dit son  idée  plus  populaire,  trouva  les  noms  poé- 
tiques des  mois  révolutionnaires  :  vendémiaire, 
brumaire,  frimaire; —  nivùse,  pluviôse,  ventôse; 

—  germinal,  floréal,  prairial  ;  —  messidor,  thermi- 
dor, fructidor.  L'ère  nouvelle  datait  du  22  sep- 
tembre 1792,  jour  de  la  fondation  de  la  Républi- 
que. Le  calendrier  de  Romme,  amendé  par  Fabre, 
devint  le  calendrier  officiel  (24  octobre). 

Le  but  de  Romme  était  surtout  la  destruction 
du  catholicisme  ;  pour  fonder  le  culte  de  la  Rai- 
son, il  s'unit  h  Chaumette  et  à  Anacharsis  Cloots, 
(i  l'orateur  du  genre  humain  »,  le  cosmopolite  qui 
voulait  donner  le  Rhin  à  la  France  et  lui  ouvrir 
l'Allemagne.  Chaumette,  ordinairement  confondu 
dans  le  parti  d'Hébert,  valait  mieux  que  lui  : 
c'est  sous  ses  inspirations  que  la  Commune  de 
Paris  fit  pour  le  peuple  tant  de  choses  humaines 
et  grandes,  assainissant  les  hôpitaux,  réformant 
le  régime  de  Bicêtre,  créant  le  premier  hospice 
de  maternité,  adoptant  les  enfants  trouvés  et  ceux 
des  suppliciés,  recueillant  les  indigents,  les  in- 
firmes et  les  vieillards,  cherchant  à  élever  l'es- 
prit du  peuple  par  l'amour  des  arts,  fondant  le 
Conservatoire  national  de  musique.  Chaumette 
voulait  associer  à  la  religion  nouvelle  l'avènement 
d'une  politique  d'humanité  ;  il  avait  sauvé  les 
domestiques  de  Louis  XVI  et  commençait  à  ré- 
sister aux  dénonciations.  Il  demandait  tout  d'abord 
que  l'btat  ne  subventionnait  plus  aucun  culte  : 
l'État  ou  la  commune  recevait  le  citoyen  à  sa 
naissance,  sanctionnait  soti  mariage,  l]onorait  ses 
funérailles  ;  déjà  c'était  un  usage  établi  à  Paris 
que  l'égalité  des  enterrements:  sur  le  cercueil  du 
riche  comme  du  pauvre,  on  jetait  non  pas  le  fu- 
nèbre drap  mortuaire,  mais  le  drapeau  de  la  sec- 
tion aux  couleurs  éclatantes,  le  drapeau  de  la 
patrie  à  l'ombre  duquel,  citoyen,  il  avait  vécu, 
et,  soldat,  combattu.  La  Convention  se  prêta  d'a- 
bord aux  idées  des  novateurs  :  elle  reçut  les  vases 
sacrés,  statues  de  saints,  châsses,  chasubles,  qu'on 
enlevait  aux  églises  et  qu'on  lui  amenait  par 
charretées.  Le  7  novembre,  elle  accueillit  Gobel, 
l'évèque  constitutionnel  de  Paris,  qui  vint  avec 
tout  son  clergé  donner  sa  démission  do  prêtre. 
Elle  toléra  pourtant  les  protestations  de  l'évêque 
Grégoire  qui,  jusqu'à  la  fin,  en  pleine  Terreur, 
sur  les  bancs  de  la  Montagne,  siégea  en  bas  vio- 
lets et  en  camail. 

Le  10  noveiubre  la  fête  de  la  Raison  fut  célébrée 
en  grande  pompe  à  Notre  Dame  :  on  y  chanta  un 
hymne  dont  Chénier  avait  composé  les  paroles  et 
Gossec  la  musique.  La  Raison,  en  robe  blanche, 
en  manteau  bleu,  avec  le  bonnet  rouge,  représen- 
tée par  M'"  Maill.ird,  une  artiste  fort  estimée,  fut 
menée  sur  un  char  triomphal  à  la  Convention  et 
y  reçut,  au  nom  du  peuple  français,  l'accolade 
du  président.  Les  départements  avaient  précédé 
Paris  :  les  représentants  en  mission  favorisaient 


i 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1907  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


toire,  ^  la  fnrtune  de  la  France.  Ainsi  que  Collot 
d'Ucrbois  l'écrivail  indigné  à  la  Convention,  au 
bi'uil  do  ses  mitraillades  de  Lyoji,  il  y  eut  h  ce 
moment  «  un  grand  complot  pour  demander  l'am- 
nistie. »  Le  i:i  décembre,  une  députation  de  fem- 
mes viennent  h  la  Convention  pleurer,  prier  pour 
leurs  maris.  Le  18,  le  robespierriste  Levasseur,  en 
mission  dans  la  Vendée,  proclame  une  amnistie 
pour  ceux  des  Vendéens  qui  n'étaient  qu'égarés. 
Le  même  jour,  la  Convention  accueillait  avec  fa- 
veur une  pétition  des  patriotes  lyonnais  deman- 
dant grâce  pour  leur  malheureuse  ville.  Le  '20,  les 
fe  limes  reviennent,  et  Robespierre  propose  de 
nommer  des  commissaires  «  pour  rcclierclier  les 
patriotes  qui  auraient  pu  être  incarcérés  et  que 
les  comités  pourraient  élargir.  »  Sur  ses  conclu- 
sions, l'Assemblée  décréta  l'établissement  d'un 
K  comité  de  justice.  »  C'était  un  premier  pas  hors 
de  la  Terreur. 

Qu'est-ce  qui  empêcha  Robespierre  de  s'aban- 
donner à  ce  grand  courant  de  générosité,  de  suivre 
sa  propre  inspiration  ,  d'e.xaucer  le  vœu  de  ses 
propres  partisans'?  Le  club  des  Jacobins,  qui  était 
comme  le  régulateur  de  la  Révolution,  lui  était 
dévoué  absolument,  au  point  de  suivre  l'impulsion 
qu'il  voudrait  lui  donner  dans  un  sens  ou  dans 
l'autre.  Pourquoi  hésita-t-il  à  fermer  ce  gouffre 
béant  des  haines  civiles,  qui  allait  engloutir  les 
meilleurs  de  la  Montagne,  le  dévorer  lui-même  ? 
Il  eut  peur!  peur  d'être  déborde  par  les  violents, 
supplanté  par  les  modérés  ;  peur  des  terroristes, 
de  Collot  d'Herbois  qui  arrivait  do  Lyon  pour  dé- 
noncer le  complot  de  clémence  ;  peur  de  Camille 
Desmoulins,  qui,  dans  les  premiers  numéros  du 
Vieuj:  Cordelier,  implorait  Robespierre,  qui  vou- 
lait le  compromettre  dans  la  politique  d'humanité, 
et  derrière  lequel  on  entrevoyait  Danton. 

Alors  Camille  Desmoulins,  que  Robespierre  mé- 
nageait pourtant  et  qui  grâce  à  lui  venait  d'être 
maintenu  aux  Jacobins  (14  décembre),  entra  en 
lutte  avec  lui.  Dans  le  n»  3  du  Vieux  Currietier, 
il  compare  le  gouvernement  do  la  France  à  la  tyran- 
nie décrite  par  Tacite;  dans  le  n°  4,  au  comité  de 
jiKtice  demandé  par  Robespierre,  il  oppose  un  co- 
mité de  clémence;  il  demande  qu'on  ouvre  Ids 
prisons:  «  Voulez-vous,  s'écriait-il,  que  je  l'adore, 
votre  constitution,  que  je  tombe  à  genoux  devant 
elle'?  Ouvrez  la  porte  à  ces  •iOO,OOU  citoyens  quo 
vous  appelez  suspects.  »  Dans  le  n"  ô  du  Vieux 
Coi-delier  (25  décembre)  il  fit  une  charge  à  fond 
contre  ces  deux  génies  de  la  terreur,  Collot  et  Ba- 
rère  ;  contre  Hébert,  qui  aurait  détourne  les  fonds 
de  la  guerre  pour  payer  son  Père  Duclténe  et 
dont  les  amis  auraient  fait  écraser  en  Vendée 
l'armée  de  Mayence  ;  contre  les  familiers  de  Ro- 
bespierre, contre  l'imprimeur  Nicolas.  Dans  les 
numéros  suivants,  il  s'attaquait  à  l'incorruptible 
lui-même,  le  comparant,  injure  suprême,  au  giron- 
din Brissot.  Fabre  d'Eglantine,  le  véritable  meneur 
de  cette  campagne  contre  la  politique  du  Comité 
de  salut  public,  ne  montra  pas  moins  d'audace  : 
on  croit  qu'à  cette  époque  il  écrivait  une  comédie 
politique,  dont  les  variations  de  Robespierre  fai- 
saient les  frais.  Fabre  et  Philippeaux  devenaient 
embarrassants  par  l'acharnement  qu'ils  déployaient 
contre  les  hébertistes  :  la  Convention  retentissait 
de  leurs  accusations  contre  Hébert,  Vincent,  Ron- 
sin.  Rossignol  :  les  Jacobins  étaient  fatigués  des 
accusations  d'Hébert  et  de  Collot  contre  Fabre, 
Philippeaux,  Camille  Dosmoulins. 

A  ce  moment  la  situation  peut  se  résumer  ainsi  : 
la  devise  des  hébertistes,  c  était  la  Terreur  ;  celle 
des  dantonistes,  la  Clémence.  Robespierre  et  le 
Comité  de  salut  public  essayaient  de  se  maintenir 
entre  ceux  qu'ils  appelaient  les  exagérés  et  les 
modérés,  en  prenant  pour  mot  d'ordre  :  la  Justice. 
Or  le  Comité  était  attaqué  à  la  fois  par  les  danto- 
nistes et  par  les  hébertistes,  dont  une  députation, 


pour  mieux  l'atteindre,  venait  demander  à  la  Con- 
vention la  mise  en  jugement  des  73  Girondins. 

Collot  était  revenu  de  Lyon  :  il  apportait  le  mou- 
lage de  la  tète  de  Chàlier,  reproduisant  la  triple 
entaille  de  la  maladroite  guillotine  des  Giron- 
dins; le  suicide  d'un  autre  patriote  lyonnais, 
Gaillard,  qui,  en  entendant  parler  de  clémence, 
avait  «désespéré  de  la  Révolution  »,  ajoutait  encore 
à  la  surexcitation.  Contre  la  trinité  des  «  gens  ré- 
volutionnaires ",  reconstituée  au  sein  du  Comité 
par  l'arrivée  de  Collot,  Robespierre  se  voyait  isolé, 
ne  savait  où  prendre  un  point  d'appui.  Il  dut  subir 
à  la  Convention  la  semonce  de  Billaud,  qui,  ap- 
puyé de  Collot  et  Barêre,  fit  rapporter  le  décret 
du  "20  décembre  établissant  le  comité  de  justice 
C-'G  décembre). 

Les  Jacobins,  sous  l'influence  de  Collot,  étaient 
revenus  aux  idées  terroristes.  Pendant  trois  séan- 
ces, ils  examinèrent  les  numéros  du  Vieux  Corde- 
l'C'',  et  le  10  janvier  prononcèrent  l'exclusion  de 
Camille  Desmoulins.  Robespierre  intervint  alors 
et  le  fit  maintenir  pour  la  seconde  fois.  En  revan- 
che, il  dénonçait  aux  Jacobins  Fabre  d'Eglantine, 
qui,  le  13  janvier,  était  arrêté  par  ordre  du  Comité 
de  sûreté  générale  comme  complice  de  Chabot 
dans  une  affaire  de  concussion.  D'autre  part,  Ronsin 
et  Vincent,  arrêtés  en  décembre  sur  une  dénon- 
ciation de  Fabre  qui  fut  reconnue  fausse,  étaient 
mis  en  liberté  le  2  février. 

Robespierre,  malgré  lui,  se  trouva  donc  ramené 
dans  la  Terreur,  et  dans  la  Terreur  il  allait  trou- 
ver la  toute-puissance. 

H  s'était  fait  déj,\  beaucoup  d'ennemis  dans  la 
Convention  ;  prodigue  de  dénonciations  vagues  et 
meurtrières,  on  l'avait  vu  attaquer  non  seulement 
Fouché  et  Tallien,  si  méprisables,  mais  Merlin  de 
Thionville,  qu'il  accusait  d'avoir  reçu  de  l'argent 
pour  rendre  Mayence;  mais  Dubois-Crancé,  qui 
aurait  trahi  devant  Lyon  ;  mais  Lindet,  qui  aurait 
innocenté  le  fédéralisme;  mais  Briez.  qui  avait  le 
tort  de  n'être  pas  mort  dans  Valenciennes  ;  mais 
Philippeaux,  traité  de  modéré  pour  ses  attaques 
contre  les  généraux  hébertistes  ;  Bourbotte,  traité 
d'aristocrate;  un  jour  même  il  traitera  Cam- 
bon  de  fripon.  Il  faisait  le  procès  aux  représen- 
tants en  mission,  anticipant  ainsi  sur  la  réaction 
de  1795.  Lui  qui  couvrait  de  sa  protection  les  73 
Girondins,  semblait  n'en  vouloir  qu'aux  Monta- 
gnards. Son  ami  David  disait  :  «  Je  crois  que  nous 
ne  resterons  pas  vingt  membres  de  la  Montagne.  » 

Robespierre,  avec  son  esprit  étroit  et  soupçon- 
neux, ne  comprenait  qu'un  coté  de  cotte  Révolu- 
tion, alors  si  complexe,  si  vivante,  qui  remuait 
tous  les  problèmes  Ji  la  fois,  le  problème  religieux 
avec  Cliaumette,  le  problème  européen  avec  Cloots, 
le  problème  social  avec  Jacques  Roux  ;  cette  lave 
enflammée  d'idées  et  de  passions,  il  entreprit  de 
la  figer  avec  la  Terreur  jacobine;  il  prétendit  faire 
une  Révolution  à  son  image,  sèche,  froide, négative  ; 
élève  des  prêtres,  dans  son  fanatisme  à  rebours,  il 
voulut  l'enfermer  en  un  dogme,  épurant,  comme 
il  disait,  les  personnes  et  les  doctrines,  traitant 
en  hérétique  tout  ce  qui  était  en  deç.\  ou  au  delà 
de  son  orthodoxie,  usant  de  la  guillotine  comme 
l'Eglise  avait  autrefois  usé  du  bûcher,  jalousant  à 
la  fois  les  généraux  victorieux,  les  penseurs,  les 
orateurs,  citant  toutes  les  manifestations  séditieu- 
ses del'idée  révolutionnaire  devant  un  concile  à  lui, 
le  club  des  Jacobins;  provoquant  les  radiations 
comme  des  excommunications,  sachant  d'avance 
que  l'anathème  jacobin  serait  ratifié  par  le  bras 
séculier,  c'est-à-dire  par  le  tribunal  révolution- 
naire. 11  s'appuyait  sur  les  Jacobins  pour  asservir 
la  Montagne;  car  il  faut  bien  distinguer  ces  deux 
termes  que  l'on  confond  ordinaireinent.La  Montagne 
était  la  Révolution  même  ;  dans  la  variété  infinie 
de  ses  représentants,  elle  en  personnifiait  toutes 
les  aspirations;  les  JacoLiins  au  contraire  étaient 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1908  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


devenus,  sous  l'influence  de  Robespierre,  une 
secte,  une  petite  église.  Carnot,  Cambon,  Danton, 
Desmoulins,  Merlin  de  Tliionville  étaient  des  Mon- 
tagnards, et  non  des  Jacobins.  Leur  puissante 
nature  dépassait  l'honnête  médiocrité  du  club  : 
ils  lui  étaient  suspects.  Robespierre,  probe  et 
pauvre, incorruptible  et  impeccable, défiant  de  toute 
supériorité,  était  au  contraire  l'homme  des  Jaco- 
bins, et  c'est  à  leur  mesure  qu'il  entendait  mesurer 
la  Révolution. 

Cliose  singulière,  Robespierre,  au  temps  de  sa 
plus  grande  puissance,  quand  il  dominait  la  Con- 
vention parla  terreur,  se  sentait  dépendant  de  la 
Convention,  car  elle  était  la  Loi!  11  ne  la  décima 
que  par  les  lois  qu'elle  consentit  h.  voter.  C'est  lé- 
galement qu'il  perdit  les  hébertistes,  les  danto- 
nistes,  tous  ses  ennemis.  Il  ne  gouverna  jamais 
que  par  la  majorité,  n'administra  que  par  la  loi, 
n'agit  que  par  la  parole  et  la  discussion,  par  les  seuls 
moyens  autorisés  dans  l'Etat  le  plus  libre.  Il  eut, 
dans  les  plus  grandes  violences,  dans  les  situa- 
tions les  plus  extrêmes,  des  scrupules  de  légalité. 
Sa  dictature  fut  toute  d'opinion,  de  persuasion, 
d'autorité  morale  :  elle  fut  une  sorte  de  pontificat 
entre  les  mains  d'un  homme  «  vertueux  »,  «  sensi- 
ble »,  fervent  disciple  de  Jean-Jacques  Rousseau, 
croyant  sincère  de  l'Etre  suprême  et  de  l'immor- 
talité de  l'àme.  Le  jour  où  la  Convention,  c'est-à- 
dire  la  Loi,  se  retira  de  lui,  il  se  laissa  mourir, 
plutôt  que  de  recourir  à  un  coup  d'Etat,  h  la  force 


les  tribunaux  d'Angleterre  n'ont-ils  égorgé  per- 
sonne cette  année?  Et  Reader,  qui  faisait  rôtir  les 
enfants  des  Belges!  Et  les  cachots  de  l'Allemagne 
où  le  peuple  est  enterré!  on  ne  nous  en  parle 
point  '?  Parle-t-on  de  clémence  chez  les  rois  de 
l'Europe?  Non!  ne  vous  laissez  point  amollir!  » 
Puis  se  retournant  contre  les  terroristes  :  u  Que 
de  traîtres  ont  échappé  à  la  Terreur,  qui  parle,  et 
n'échapperaient  point  à  la  Justice,  qui  pèse  les 
crimes  dans  sa  main  !  La  Justice  condamne  les 
ennemis  du  peuple  et  les  partisans  de  la  tyran- 
nie parmi  nous  à  un  esclavage  éternel  :  la  Terreur 
leur  en  laisse  espérer  la  tin.  »  Dans  la  bouche 
de  Saint-Just  reparaissait  la  menaçante  formule 
de  Robespierre  :  l'épuration  :  a  La  société  doit 
s'épurer,  disait-il.  Qui  l'empêche  de  s'épurer  la 
corrompt.  Qui  la  corrompt  veut  la  détruire.  » 
C'était  l'annonce  do  la  guillotine  on  permanence. 
Les  Hébertistes  furent  les  premiers  qui  se  pla- 
cèrent imprudemment  sous  le  couteau.  Le  club 
des  Cordeliers,  où  ils  étaient  devenus  prépondé- 
rants, voila  d'un  crêpe  la  Déclaration  des  droits. 
Leurs  orateurs,  Vincent,  Hébert,  Boulanger,  Mo- 
moro,  attaquent  les  Comités.  Carrier,  revenu  de 
Nantes,  propose  contre  eux  une  «  insurrection 
morale  >•.  Ronsin,  le  général  de  l'armée  révolution- 
naire, traîne  son  sabre  dans  les  rues  de  Paris. 
Robespierre  cependant  était  revenu  au  Comité.  Le 
13  mars, un  coup  de  foudre  tomba  sur  eux  :  le  rap- 
port de  Saint-Just  dénonçant  le  <>  parti  de  l'étraji- 


illcgale.  Ace  point  de  vue,  il  fut  un  personnage  1  ger».  Le  soir,  ils  étaient  tous  arrêtés  par  Hauriot.Us 


presque  unique  dans  Ihistoire.  Exerçant  la  plus 
effroyable  tyrannie,  il  resta  un  citoyen,  de  même 
que  l'homme  de  la  Terreur  resta  un  philanthrope. 

Le  â  février,  Robespierre  lut  ;i  la  Convention 
un  rapport  où  il  signalait  les  deux  factions  extrê- 
mes qui  menaçaient  la  République  :  «  L'une  nous 
pousse  aux  excès  et  l'autre  à  la  faiblesse  ;  l'une 
veut  changer  la  liberté  en  bacchante,  l'autre  en 
prostituée.  »  Il  définissait  la  Terreur  en  ces  ter- 
mes :  "  Elle  n'est  autre  que  la  justice  prompte, 
sévère,  inflexible.  »  Peu  de  jours  après,  Robes- 
pierre et  Couthon  tombèrent  malades,  ne  parurent 
de  quelque  temps  ni  à  la  Convention,  ni  aux  Comi- 
tés. Les  hébertistes  profitèrent  de  leur  absence  : 
aux  Cordeliers,  ils  déclamèrent  contre  la  Conven- 
tion, contre  les  Comités  et  contre  u  les  hommes 
usés  »,  Robespierre  et  Couthon.  Mais  le  2ô  février, 
le  troisième  membre  de  la  trinité  robespierriste, 
Saint-Just,  revint  d'.ilsace  :  d'abord  il  tenta  de 
désarmer  les  hébertistes,  offrant  à  Vincent  une 
place  de  commissaire-ordonnateur  à  l'armée  du 
Nord  et  k  Rons,in  un  poste  de  général  aux  frontiè- 
res. Sur  leur  refus,  il  les  attaqua  le  lendemain  à  la 
Convention,  dans  un  discours  qui  dut  leur  donner 
le  frisson  :  tout  eu  déclarant  qu'il  ne  connaissait 
que  la  Justice,  la  définition  qu'il  en  donnait  faisait 
pâlir  la  Terreur  hébertiste,  car,  sous  le  nom  de 
Justice,  sa- Terreur  à  lui  était  érigée  en  système 
permanent  et  régulier  de  gouvernement. 

D'ailleurs,  Saint-Just  menace  à  la  fois  les  mo- 
dérés et  les  exagérés  :  il  se  plaint  qu'on  ne  punit 
point  les  coupables,  et  les  danionistes  à  leur  tour 
commencent  à  ne  plus  se  sentir  innocents.  Le 
Vieux  Cordelier  savait  bien  que  c'était  i  lui  que 
s'adressaient  ces  paroles  :  «  La  cour  pendait  dans 
les  prisons  ;  les  noyés  que  l'on  ramassait  dans  la 
Seine  étaient  ses  victimes;  il  y  avait  400,000  pri- 
sonniers ;  on  pendait  par  an  15,000  contreban- 
diers ;  on  rouait  3000  hommes  ;  il  y  avait  dans 
Paris  plus  de  prisonniers  qu'aujourd'hui...  l'ar- 
courez  l'Europe  ;  il  y  a  en  Europe  quatre  millions 
de  prisonniers  dont  vous  n'entendez  pas  les  cris... 
Citoyens,  par  quelle  illusion  vous  persuaderait-on 
que  vous  êtes  inhumains?  Votre  tribunal  révolu- 
tionnaire a  fait  périr  trois  cents  scélérats  depuis  un 
an  1  Et  l'inquisition  d'Espagne  n'en  a-t-elle  pas 
fait  plus?  Et  pour  quelle  cause,  grand  Dieu!  Et 


furent  traduits  devant  le  tribunal  révolutionnaire 
comme  «  agents  de  l'étranger  »;  bien  mieux, 
comme  royalistes!  Pour  donner  couleur  i\  leurs 
prétendues  relations  avec  l'étranger,  on  leur  ad- 
joignit le  Belge  Proly,  le  HoUanduis  Rock,  père 
du  célèbre  romancier  Paul  de  Kock,  qui  avait 
appelé  les  Français  pour  la  délivrance  de  son 
pays  et  levé  pour  nous  une  légion  batave,  Ana- 
charsis  Cloots,  cet  Allemand  qui  avait  voulu  la 
réunion  des  provinces  du  Rhin  k  la  France  et  prê- 
ché la  république  universelle.  Un  de  ses  derniers 
mots  fut  celui-ci  :  «  France,  guéris-toi  des  indivi- 
dus »,  trop  justifié  parla  dictature  de  Robespierre, 
par  celle  de  Bonaparte. 

Le  24  mars,  exécution  de  vingt  et  un  hébertistes. 
Sur  l'échafaud,  les  pires  d'entre  eux  furent  tou- 
chés comme  d'un  rayon  d'en  haut.  Ils  montrèrent 
bien  qu'on  les  avait  calomniés  en  les  accusant  de 
royalisme,  a  Ce  qui  me  tue,  disait  Hébert,  c'est 
que  la  République  va  périr.  —  Non,  répondit 
Honsin   :  elle  est  immortelle  I  » 

Ayant  frappé  ce  coup  sur  les  exagérés,  il  était 
trop  évident  que  les  Comités  en  allaient  frapper 
un  autre  sur  les  indulgents.  Ceux-ci  crurent  d'a- 
bord que  la  ruine  des  hébertistes  allait  profiter  à 
leur  propre  parti.  Le  19  mais.  Bourdon  de  l'Oise 
avait  fait  rendre  à  la  Convention  un  décret  ordon- 
nant l'épuration  delà  Commune  de  Paris  ;  le  lende- 
main, il  fit  voter  l'arrestation  de  Héron,  agent  du 
Comité  do  sûreté  générale;  mais,  sur  l'interven- 
tion de  Robespierre  et  de  Couthon,  la  Convention 
rapporta  le  décret  d'arrestation.  Cependant,  les 
dantonistes  semblaient  près  d'être  maîtres  de  la 
situation:  Tallien  venait  d'être  porté  à  la  prési- 
dence de  la  Convention,  Legeudre  à  celle  des  Ja- 
cobins. Les  Comités  se  sentent  menacés,  et  Robes- 
pierre se  décide  à  frapper  Danton.  Dans  la  nuit 
du  29  au  30  mars,  les  deux  Comités  signent  à  l'una- 
nimité des  membres  présents,  moins  Lindet,  l'or- 
dre d'arrêter  les  dantonistes.  Danton,  qui  habitait 
à  Sèvres,  avait  été  averti  de  ce  qu'on  tramait  con- 
tre lui  :  a  Eh  bien  I  répondit-il,  j'aime  mieux  être 
guillotiné  que  guillotineur.  »  Il  pouvait  fuir,  se  ca- 
cher. «  Bah  !  dit-il,  est-ce  qu'on  emporte  la  patrie 
i  la  semelle  de  ses  souliers  »  ?  Desmoulins  aussi 
se  sentait  menacé  :  déjeunant  un  jour  avec  Brune, 
il  lui  dit  en  latin,  pour  n'être  pas  entendu  de  sa 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1909 


REVOLUTION  FRANÇAISE 


fommc  :  n  Mangeons  et  buvons,  car  demain  nous 
mourrons.  « 

Le  31  mar?,  Danton,  Dusmoulins,  Lacroix,  Plii- 
lippcaux,  sont  arrêtés,  conduits  au  Luxembourg, 
où  ils  irouvont  déjà  Hérault  de  Sécbelles,  arrêté 
SOIS  la  jmWention  d'avoir  cache  un  émigré,  Fabro 
d'figlantiiie,  Tliomas  Payne,  puisa  la  Conciergerie, 
où  ils  retrouvent  Chabot,  Bazire,  Westermann. 

Le  iirocès  qu'on  fit  aux  dantonistes  fut  dans 
la  manière  ordinaire  de  Robespierre,  qui  voulait 
déshonorer  ceux  qu'il  faisait  mourrir.  Pour  faire 
croire  à  l'accusation  de  vol,  on  leur  avait  adjoint 
quelques  hommes  tarés;  et,  de  môme  que  pour 
les  liébortistes,  quelques  étrangers  :  l'Allemand 
Frey,  l'Espagnol  Gusman,  le  Danois  Diedriksen. 
Les  jurés  du  tribunal  révolutionnaire  furent  triés 
avec  soin,  la  défense  étouffée,  tous  les  procès- 
verbaux  mutilés  ;  mais  malgré  If^s  falsifications,  ils 
témoignent  de  la  fière  attitude  des  accusés.  Quand 
le  iirésident  Herman  lui  posa  les  questions  d'usage, 
Danton  répondit  :  «  Mon  nom  est  Danton  ;  mon 
âge,  trenie-ciiiq  ans  ;  ma  demeure  sera  demain  le 
néant;  mon  nom  restera  au  Panthéon  de  l'histoire. 
—  Et  moi,  dit  son  ami,  je  suis  Camille  Desmoulins  ; 
trente-trois  ans  ;  l'âge  du  sans-culotte  Jésus.  »  Les 
j'irés  eux-mômes  furent  émus  devoir  devant  eux 
l'homme  qui  avait  fait  le  20  juin,  le  10  août,  ren- 
versé la  royauté,  lancé  la  guerre  des  peuples,  et 
celui  qui,  en  juillet  1789,  avait  mené  le  peuple  à 
la  Bastille  et,  en  1791,  demandé  l'un  des  pre- 
miers la  République.  Topino-Lebrun  prit  à  part 
un  de  ses  collègues  dont  le  cœur  défaillait,  et, 
invoquant  la  raison  d'État  :  «  Ceci  n'est  pas  un 
procès,  lui  dit-il,  c'est  une  mesure.  Deux  hommes 
sont  impossibles;  il  faut  qu'un  périsse.  Veux-tu 
tuer  Robespierre  ?  —  Non  !  —  Eh  bien,  par  cela 
seul,  tu  viens  de  condamner  Danton.  « 

Danton,  dans  sa  prison,  n'eut  qu'un  regret,  sa 
jeune  femme,  qu'un  souci,  l'avenir  do  la  Répu- 
blique :  "  Encore  si  je  laissais  mes  jambes  à  Cou- 
thon  et  mon  énergie  à  Robespierre,  dit-il,  cela 
pourrait  marcher  quelque  temps.  »  Sur  l'échafaud, 
comme  le  bourreau  l'empêchait  d'embrasser  Hé- 
rault :  <t  Imbécile,  lui  dit  Danton,  tu  n'empêcheras 
pas  nos  tètes  de  se  baiser  dans  le  même  panier.» 
Camille  regarda  le  couteau  sanglant  :  «  Digne  ré- 
compense, dit-il,  du  premier  apôtre  de  la  liberté  ;  » 
et  il  chargea  le  bourreau  de  faire  parvenir  à  sa  femme 
une  mèche  de  ses  cheveux.  Quand  ce  fut  le  tour 
de  Danton  :  «  Tu  montreras  ma  tête  au  peuple, 
dit-il  àl'exécuteur.  Elle  en  vaut  la  peine  »  {5  avril). 

La  mort  de  Danton  fut  le  crime  inexpiable  de 
Robespierre  et  de  ses  amis.  En  détruisant  les  dan- 
tonistes et  même  les  liéberti-tes,  ils  avaient  tué 
deux  forces  vives  de  la  Révolution.  De  ce  moment 
date  le  commencement  de  la  réaction;  elle  se  pour- 
suivra contre  Robespierre  lui-même  en  thermidor; 
contre  les  vainqueurs  de  Robespierre  après  ther- 
midor, jusqu'à  ce  qu'elle  aboutisse  au  Consulat, 
à  l'Empire,  à  l'extermination  de  cinq  millions  de 
Français.  Quand  les  vivaces  partis  dont  se  com- 
posait la  Convention  eurent  été  décimés.  Giron- 
dins au  31  mai,  hébertistes  au  24  mars,  danto- 
nistes au5-avril,  robespierristes  en  thermidor, 
les  derniers  Montagnards  en  prairial,  la  Révolution 
se  trouva  décapitée;  les  vaillants  qui  avaient  siégé 
aux  Comités,  les  représentants  qui  avaient  con- 
duit les  armées  à  la  victoire,  les  pères  de  la  Ré- 
volution, les  héros  de  la  République  étaient  morts  : 
le  reste  n'avait  plus  qu'à  fléchir  devant  un  maître. 
Robespierre,  à  son  insu,  travaillait  pour  Bona- 
parte. 

^  Dictature  de  Robespierre.  —  Le  lendemain  de 
l'exécution,  Couthoii  vint  dire  à  la  Convention  : 
'i  Nous  pi'éparons  une  fête  à  l'Être  suprême  «. 
Le  mot  fit  horreur  à  la  droite,  comme  à  la  Mon- 
tagne. Une  fête  entre  l'échafaud  de  Danton  et 
celui   où   montèrent,   les  jours  suivants,   Chau- 


mette,  l'apôtre  de  la  Raison,  Lucile  Desmou- 
lins, la  veuve  de  Camille,  Gobel,  sur  qui  Robes- 
pierre semblait  venger  les  injures  du  catholicisme, 
Lavoisier,  dans  lequel  on  frappait  l'esprit  même 
du  siècle,  l'esprit  scientifique,  ce  fidèle  auxiliaire 
de  la  Révolution,  Malesherbes,  qui  avait  été  le 
collaborateur  de  Turgot  dans  les  réformes  do  1774! 

Le  froid  fanatisme  de  Robespierre  se  doublait  alors 
de  celui  de  Saint-.Iust:  Saint-Just,  avec  sa  raideur 
jacobine,  sa  volonté  inflexible,  son  inexpérience  de 
jeune  homme,  .sa  fausse  éducation  classique,  n'en- 
tendait rien  à  ces  choses  vivantes,  la  France,  la 
Révolution.  11  disait:  «  Le  monde  est  vide  depuis 
les  Romains.  »  Son  idéal,  c'était  Lycurgue,  la  pu- 
reté, la  pauvreté  Spartiate.  Il  rêvait  un  progrès 
qui  eût  été  un  retour  à  la  barbarie,  ne  voulant  ni 
industrie,  ni  commerce,  ni  monnaie  :  il  était  en 
lutte  sourde  avec  Cambon.  Il  eût  si  bien  épuré 
que  rien  ne  serait  resté  de  la  Montagne,  ni  de  la 
France.  Cette  étroitesse,  cette  sévérité  d'inquisi- 
teur ou  de  tyran  effrayait  parfois  Robespierre. 
«  Il  y  a  en  lui  du  Charles  IX,  »  disait-il.  Collot  et 
Billaud  n'étaient  pas  moins  implacables;  Billaud 
fit  rendre  le  10  avril  ce  décret  :  a  La  Con- 
vention nationale  déclare  qu'appuyée  sur  les  vertus 
du  peuple  français,  elle  fera  triompher  la  Répu- 
blique démocratique  et  punira  sans  pitié  tous  ses 
ennemis.  »  On  avait  fait  bien  du  chemin  depuis 
décembre  1793,  lorsque  Robespierre  parlait  de 
justice  et  Desmoulins  de  clémence  ;  le  mot  d'ordre 
était  maintenant  celui  de  Billaud  :  «  sans  pitié.  » 

Robespierre  usa  de  sa  victoire  pour  achever  d'as- 
seoir son  autorité.  La  Commune,  débarrassée  de 
Pache,  de  Chaumette  et  d'Hébert,  fut  toute  à  lui: 
pour  maire  et  pour  agent  national  deux  de  ses  créa- 
tures, Fleuriot-Lescot  et  Payan.  A  la  dictature,  il 
allait  joindre  le  pontificat.  Il  était  pontife  d'une  nou-  ■ 
velle  religion  d'Etat  :  le  7  mai,  jour  de  l'exécu- 
tion de  Lavoisier,  il  prononça  un  long  discours 
rentre  l'athéisme  et  le  fanatisme,  et  fit  voter  le 
célèbre  décret  :  «  Le  peuple  français  reconnaît 
l'existence  de  lEtre  suprême  et  l'immortalité  de 
l'âme.»  Le  fidèle  disciple  de  Rousseau,  tout  en  dé- 
clamant contre  les  prêtres  <•  qui  sont  à  la  morale 
ce  que  les  charlatans  sont  à  la  médecine,  »  deve- 
nait l'espérance  de  l'ancienne  religion,  puisqu'il 
rendait  les  églises  aux  catholiques,  autorisait  la 
célébration  du  dimanche  :  celle  du  décadi  tombait 
en  désuétude.  Comme  il  avait  guillotiné  Cloots  et 
autres  apôtres  de  la  guerre  des  peuples,  comme  il 
arrêtait  l'invasion  de  l'Italie,  et  retardait  la  chute  du 
pouvoir  temporel,  il  apparaissait  à  l'Europe 
comme  un  homme  de  gouvernement,  le  modéra- 
teur de  la  Révolution,  conservateur  au  dehors 
comme  au  dedans,  éloigné  de  toute  folie  révolu- 
tionnaire. 

Tout  semblait  le  pousser  à  la  dictature  ;  Saint- 
Just  disait  :  «  Il  faut  un  dictateur.  i>  Pour  en 
arriver  là,  un  seul  obstacle,  la  Montagne  :  la  Moii- 
tagne  commença  à  trembler.  Robespierre  avait 
forcément  contre  lui  plusieurs  sortes  d'hommes  : 
les  corrompus,  comme  Tallien  ou  Fouché,  qui 
redoutaient  sa  justice  ;  les  amis  d'Hébert  et  de 
Danton,  qui  voulaient  les  venger  ;  les  indépen- 
dants, comme  Ronime  ou  Soubrany,  qui  crai- 
gnaient pour  la  liberté;  les  membres  des  Comités, 
qui  commençaient  à  trouver  sa  tutelle  trop  pe- 
sante :  il  avait  alors  contre  lui  tout  le  Comité 
de  salut  public,  sauf  Couthon  et  Saint-Just,  et 
presque  tout  le  Comité  de  sûreté  générale.  Ces 
sentiments  éclatèrent  à  la  fête  de  l'Etre  suprême, 
le  8  juin  :  ses  collègues,  après  l'avoir  élevé  à  la 
présidence  de  la  Convention,  affectèrent  de  le  lais- 
ser bien  en  avant  d'eux  pour  signaler  »  le  grand- 
prêtre  »  aux  soupçons  du  peuple.  Ils  répétèrent  ce 
mot  d'un  sans-culotte  :  «  Il  n'est  pas  content  d'ê- 
tre maître  1  II  lui  faut  encore  être  Dieu  !  » 

Beaucoup   espéraient  que   cette   fête  serait   le 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE    —  1910  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


coniraeiiccinent  de  la  clémence  et  que  la  guillo- 
tine, un  mcment  retirée,  ne  reparaîtrait  plus. 
Tout  au  contraire,  le  surlendemain,  Robespierre 
et  Couthon,  au  nom  des  Comités,  mais  sans  les 
avoir  consultes,  faisaient  voter  la  loi  du  22  prai- 
rial (10  juin),  qui  ordonnait  à  tout  citoyen  de  dé- 
noncer les  conspirateurs  et  l'autorisait  h  les 
arrêter,  qui  supprimait  toutes  les  formalités  de 
jugement  et  déclarait  suffisante  la  preuve  morale  ; 
la  mort  devenait  la  peine  unique  pour  tous  les 
délits  jugés  par  le  tribunal  révolutionnaire.  Bour- 
don de  l'Oise  voulut  y  introduire  un  article  qui 
donnait  une  nouvelle  consécration  au  droit  que 
la  Convention  avait  seule  de  mettre  ses  membres  en 
accusation  ;  Coutlion  et  Robespierre  obtinrent  que 
cette  réserve  no  fût  pas  rappelée  :  Robespierre  apos- 
tropha Bourdon  de  telle  sorte  que  ce  député  en 
fut  malade  pendant  un  mois.  A  partir  de  ce  jour,  il 
y  eut  un  redoublement  de  terreur  dans  le  pays  et 
dans  l'Assemblée.  Soixante  députés  ne  couchaient 
plus  dans  leur  domicile.  On  exécutait  par  fournées 
de  quarante  ou  cinquante.  Paris  ne  cachait  plus 
son  dégoût  :  il  fallut  transporter  la  guillotine  de  la 
place  de  la  Révolution  à  la  barrière  du  Trône,  ou- 
vrir de  nouveaux  cimetières. 

Robespierre,  à  la  suite  d'une  scène  violente 
avec  Billaud  qui  lui  reprochait  d'avoir  présenté, 
sans  consulter  ses  collègues,  «  le  décret  abomi- 
nable qui  faisait  l'effroi  des  patriotes,  »  et  de 
vouloir  «  guillotiner  la  Convention  nationale,  u 
cessa  de  paraître  au  Comité  de  salut  public. 
Les  Comités  profitèrent  de  son  absence  pour 
jouer  ce  jeu  cruel  d'exagérer  la  l'erreur  afin  do  ren- 
dre Robespierre  plus  odieux.  Une  jeune  ouvrière 
ayant  été  surprise  chez  lui  avec  deux  petits  cou- 
teaux, on  impliqua  dans  l'affaire  cinquante-qua- 
tre personnes,  qu'on  revêtit  pour  l'exéLUtion  du 
manteau  rouge  des  parricides.  En  longue  file,  au 
pas  lent  des  charrettes,  le  funèbre  et  rouge  cor- 
tège traversa  tout  Paris  (1"  juin).  Ce  spectacle 
frappa  le  peuple  :  Robespierre  était-il  donc  roi 
pour  qu'on  le  vengeât  si  royalement  ?  D'autre 
part,  on  le  rendait  ridicule  en  instruisant  l'affaire 
de  Catherine  Théot,  une  vieille  folle  qui  se  disait 
la  mère  de  Dieu,  appelait  Robespierre  son  fils,  et 
annonçaitia  prochaine  venue  d'un  Sauveur.  Le  rap 
porteur  Vadier,  tandis  que  Robespierre  même  prési- 
dait la  Convention ,  amusa  l'Asseniblée  à  ses  dépens. 

Chute  de  Robespierre.  -  Cependant  les  Comi- 
tés, la  Montagne  hésitaient  avant  d'engager  la 
lutte.  Si  Robespierre  semblait  dangereux  pour  la 
liberté,  sa  mort  pouvait  être  funeste  k  la  Répu- 
blique et  devenir  le  signal  de  l'universelle  réac- 
tion. Sa  situation  était  d'ailleurs  très  forte  :  il  avait 
pour  lui  les  Jacobins,  la  nouvelle  Commune  ;  or,  la 
Commune,  par  Hanriot,  disposait  de  la  force  ar- 
mée. Il  semblait  avoir  pour  lui  la  majorité  de  la 
Convention,  et  il  pouvait  revendiquer  pour  son 
gouvernement  la  victoire  de  Jourdan  à  Fleurus 
(26  juinl.  La  lutte  était  cependant  inévitable  ;  pour 
fonder  l'ordre  de  choses  qu'il  rêvait,  Robespierre 
devait  détruire  les  Comités;  eux,  devaient  le  dé- 
truire ou  périr  par  lui.  Sa  défiance  de  la  Mojitagne 
tout  entière,  ses  avances  à  la  droite  étaient  visibles. 
On  contait  qu'il  avait  des  listes  de  proscription 
toutes  prêtes  sur  lesquelles  ne  figuraient  que  des 
Montagnards.  Dans  son  grand  discours  du  8  llier- 
midor  ^26  juillet),  il  fit  planer  la  Terreur  sur 
toutes  les  têtes,  attaqua  même  Cambon,  qui  ri- 
posta avec  vigueur.  La  Convention  décréta  l'im- 
pression de  son  discours,  puis  revint  sur  son 
décret,  refusa  l'impression  et  l'envoi  aux  départe- 
ments. C'était  un  vote  de  défiance  et  de  haine.  En 
rentraiil  chez  lui,  Robespierre  dit  auxdamcsDuplay  : 
«  Je  n'attends  plus  rien  de  la  Montagne  ;  mais  la 
majorité  est  pure.  »  La  majorité,  c'est-à-dire  les 
monarc/iieiis  honteux,  les  feuillants  déguisés,  ceux 
qu'il  appelait  autrefois  les  «  serpents  du  Marais.  « 


Le  soir,  aux  Jacobins,  il  relut  son  discours  et  fut 
applaudi.  Couthon  fit  rayer  du  club  les  con- 
ventionnels qui  avaient  voté  contre  rimpression. 
Saint-Just,  malgré  Robespierre,  presse  les  prépa- 
ratifs d'une  journée  contre  l'Assembh'e.  Hanriot, 
dans  la  nuit,  rassemble  ses  canonniers.  Ses  enne- 
mi?, de  leur  côté,  Tallien,  Fréron,  Fouché,  Bour- 
don, de  l'Oise,  Lecointre,  Legendre,  Collet,  Bil- 
laud, ne  perdent  pas  leur  temps  :  s'ils  ne  peuvent 
décider  les  Comités  i  l'action,  ils  ont  plus  de  suc- 
cès auprès  de  la  droite.  Ils  réussissent  sans  doute 
à  lui  persuader  que,  si  Robespierre  succombe, 
c'est  à  elle  que  reviendra  peut-être  le  pouvoir, 
qu'on  pourra  enrayer  la  Terreur,  «  arrêter  l'hor- 
rible charrette  ".  L'alliance  se  conclut  entre  les 
modérés  et  les  violnnts,  ceux-ci  espérant  bien  ar- 
racher à  ceux-là  le  fruit  de  la  victoire  commune. 

Le  lendemain,  9  thermidor,  Saint-Just  monte  i 
la  tribune  de  la  Convention  pour  lire  un  rapport 
qui  devait  conclure  centre  Billaud  et  Collot.  On 
l'interrompt,  on  l'arrête  dès  les  premiers  mots. 
Tallien  et  Billaud  se  succèdent  à  la  tribune,  mul- 
tipliant les  accusations  de  dictature  et  de  tyran- 
nie. Ce  qui  anime  surtout  Tallien,  c'est  que  sa 
maîtresse.  M""  de  Fontenay,  est  en  prison  de- 
puis le  22  mai,  réservée  pour  une  des  premières 
«  fournées  ».  Robespierre  parvient  enfin  à  occuper 
la  tribune  ;  mais  les  conjurés  couvrent  sa  voix  en 
criant  :  «  A  bas  le  tyran  !  »  Vainement  il  se  tourne 
vers  la  Plaine,  vers  les  modérés,  les  amis  des  soi- 
xante-treize Girondins  qui  lui  doivent  la  vie  :  »  C'est 
à  vous,  hommes  purs,  que  je  m'adresse,  et  non 
aux  brigands.  »  Alors,  toute  cette  Plaine,  muette 
et  tremblante  depuis  quinze  mois,  recouvre  la  pa- 
role, mais  c'est  pour  pousser,  d'une  clameur  una- 
nime, continue,  roulant  comme  le  tonneri-e,  le 
même  cri  terrible  :  <  A  bas  le  tyran  !  »  Le  danto- 
niste  Thuriot  occupe  le  fauteuil  de  la  présidence 
et,  de  sa  sonnette,  achève  d'étouffer  la  voix  de 
Robespierre.  Un  député  lui  cric  de  sa  place  : 
n  (/est  le  sang  de  Danton  qui  t'étouffe.  »  Puis  une 
autre  clameur  succède  à  la  première  :  «  L'arresta- 
tion I  l'accusation  !  »  Thuriot  met  l'accusation  aux 
voix  :  elle  est  votée  à  l'unanimité.  Les  clameurs 
reprennent  :  a  A  la  barre,  les  accusés  I  Point  de 
privilège.  »  Il  faut  que  Robespierre  descende  de 
son  banc  et  se  rende  à  la  barre,  comme  un  ac- 
cusé. Il  y  est  rejoint  par  son  frère,  par  Lebas,  qui 
intrépidement  déclarèrent  vouloir  partager  son  sort, 
par  Couthon,  Saint-Just,  également  décrétés  d'ac- 
cusation. 

Le  bruit  de  la  mise  en  accusation  de  Robes- 
pierre se  répand  dans  Paris.  Son  nom  est  telle- 
ment associé  à  celui  de  la  Terreur  que  tout  le 
monde  s'écrie  :  «  Alors  plus  de  guillotine,  n 

Les  faubourgs  restèrent  indifférents  :  on  leur 
avait  fait  croire  que  Robespierre  était  royaliste  et 
qu'on  avait  trouvé  chez  lui  un  sceau  avec  des 
fleurs  de  lys.  Saint-Marceau  n'agit  pas  plus  que 
Saint-Antoine  :  il  y  avait  trop  de  gnns  qui  no 
pardonnaient  pas  la  mort  des  hébertistes  et  de 
Danton.  Paris,  dans  sa  grande  masse,  ne  bougea 
pas. 

Dans  la  soirée,  Fleuriot,  Payan,  Goffinhal  font 
sonner  le  tocsin,  mais  ne  réussissent  à  insurger 
que  quelques  sections  avec  lesquelles  ils  vont  dé- 
livrer Robespierre  qu'on  avait  écroué  à  la  police  : 
ou  plutôt  il  s'y  était  écroué  lui-même,  le  concierge 
de  la  prison  du  Luxembourg  ayant  refusé  de  le 
recevoir.  Robespierre  refusait  de  suivre  les  insur- 
gés, disant  :  «  Laissez-moi  comparaître  devant 
mes  juges.  »  On  l'entraîna  malgré  lui,  on  l'a- 
mena à  l'Hôtel-de-Ville,  tandis  qu'il  ne  cessait 
de  répéter  :  «  Vous  me  perdez!  Nous  perdez  la 
République  !  >>  La  Convention  tenait  alors  une 
séance  de  nuit  :  sur  la  proposition  de  Collot 
d'Herbois,  président,  elle  décréta  la  mise  hors  la 
loi  des  accusés,  nomma  Barras    général  de  ses 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE  —  l'HI  —  RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


troupes.  Ces  troupes  étaient  peu  considérables  : 
;\  force  de  courir  leurs  sections,  quelques  repré- 
sentants Unirent  par  réunir  18un  hommes.  La 
section  des  Gravilliers,  se  souvenant  que  Robes- 
pierre avait  fait  condamner  ses  favoris,  le  socia- 
liste Jac(|ues  Uoux  et  C.haumetto,  fournit  le  plus 
fort  contingent.  Vers  une  heure  et  demie  du  ma- 
tin, Léonard  Bourdon  et  lîarias  marchent  sur 
l'Hôtel-de-Ville,  précédés  des  huissiers  de  la  Con- 
vention qui  proclament  le  décret  de  mise  hors  la 
loi  :  cela  f-unU  pour  disperser  les  canonniers  (|ui 
occupent  la  place  de  Grève.  Hobespierre,  à  ce  mo- 
ment, supplié  par  ses  amis  de  convoquer  la  force 
armée,  hésiiait  par  scrupule  de  localité,  deman- 
dant :  c.  Mais  au  nom  de  c|ui7  ■>  L'Hôtel-de-Ville 
était  donc  sans  défense.  Quelques  gendarmes 
montèrent  sans  obstacle  l'escalier,  arrivèrent  jus- 
qu'à Robespierre  ;  l'un  d'eux,  nommé  Merda, 
d'un  coup  de  pistolet  lui  fracassa  la  mâchoire  et 
de  l'autre  blessa  Couthon  à  la  jambe.  Se  voyant 
pris,  Lebas  se  fait  sauter  la  cervelle,  Robespierre' 
jeune  se  jette  par  la  fenêtre,  Hanriot  y  est  jeté 
par  Coffinhal,  exaspéré  de  ses  maladresses.  On 
arrête  les  survivants,  on  ramasse  les  mou- 
rants, on  les  amène  au  Comité  de  salut  pu- 
blic. C'est  avec  un  serrement  de  cœur  que  les 
ennemis  mêmes  de  Robespierre,  CoUot.  Billaud, 
Barère  le  virent  en  cet  état.  Ils  inventèrent 
une  fable,  et  répétèrent  partout  qu'il  s'était 
<i  tiré  lui-même  ».  Ils  comprenaient  qu'en  pré 
aence  de  la  réaction  imminente,  si  l'on  voulait 
tenir  tête  à  la  droite  déchaînée,  on  devait  ména- 
ger une  réconciliation  avec  les  robespierristes. 
Leurs  ménagements  ne  furent  pas  admis  :  la 
Convention  lit  du  parti  une  boucherie.  La  guillotine 
fut  relevée  tout  exprès  sur  la  place  de  la  Révolu- 
tion. Robespierre,  avec  sa  mâchoire  fracassée,  son 
frère,  Couthon,  Hanriot,  tous  trois  à  demi  morts; 
Saint  Just,  le  président  du  tribunal  Dumas,  le 
maire  Fleuriot,  l'agent  national  Payan,  le  cordon- 
nier Simon,  en  tout  vingt  et  un  condamnés  furent 
guillotinés  le  10  thermidor.  Les  robespierristes. 
comme  leurs  adversaires.  Girondins,  hébertistes, 
dantonistes,  mouraient  bien  jeunes  :  le  plus  âgé, 
Couthon,  avait  38  ans,  Robespierre  3a  ans, 
Saint-Just  27  ans.  Le  lendemain,  soixante-dix  exé- 
cutions, et  le  surlendemain  treize  :  c'était  l'exter- 
mination en  masse  de  la  Commune  robespierriste. 

Le  régime  thermidorien.  —  La  Terreur  était 
finie.  Depuis  trois  mois,  elle  ne  se  maintenait 
plus  que  par  la  défiance  réciproque  et  par  la 
sourde  rivalité,  au  sein  môme  du  Comité,  de  la 
trinité  robespierriste  et  de  la  trinité  CoUot,  Bil- 
laud et  Parère.  Comme  les  deux  partis  ne  pous- 
saient à  l'exagération  du  système  que  pour  s'en 
faire  une  arme  l'un  contre  l'autre,  Robespierre 
pour  atteindre  enfin  ses  ennemis  de  la  Montagne, 
ceux-ci  pour  le  noyer  dans  le  sang  répandu,  il 
était  évident  que,  quel  que  fût  le  parti  victorieux, 
les  massacres  devaient  cesser.  L'un  aussi  bien  que 
l'autre  devait  nécessairement  inaugurer  sa  dic- 
tature par  des  mesures  de  clémence.  D'ailleurs 
la  Montagne  était  mainten.nnt  trop  affaiblie,  trop 
divisée,  pour  qu'elle  pût  imposer  à  la  majorité, 
à  la  ville  de  Paris,  à,  la  France  la  continuation  d'un 
régime  qu'elles  avaient  en  exécration. 

"Tout  d'abord  la  Convention  eut  à  statuer  sur 
les  instruments  de  ce  régime.  Le  II  thermidor, 
le  tribunal  révolutionnaire  avait  été  suspendu  : 
Billaud-Varennes  le  fit  rétablir.  Barère  essaya 
d'aller  plus  loin  et  de  faire  décréter  le  maintien 
de  tous  ses  membres,  même  de  l'accusateur  Fou- 
quier-Tinville,  qui,  nommé  par  l'influence  de 
Desmoiilins,  avait  requis  contre  Desmoulins,  qui, 
après  avoir  requis  contre  les  ennemis  de  Robes- 
pierre, avait  requis  contre  Robespierre,  et  se  mon- 
trait disposé,  agent  docile  de  toute  tyrannie  pourvu 
qu'il  gardât  sa  place,  à  requérir  contre  tous  ceux 


qu'on  lui  désignerait.  La  proposition  de  Barère 
souleva  un  mouvement  d'horreur  :  Fouquier- 
Tinville  fut  décrété  d'accusation.  On  conserva  le 
tribunal,  mais  en  le  renouvelant,  en  l'entourant 
de  garanties  protectrices  pour  les  accusés,  et  la 
loi  de  prairial  fut  rapportée.  On  supprima  la  paie 
de  40  sous  par  jour  établie  pour  assurer  la  fré- 
quentation des  assemblées  des  sections,  on  décida 
que  les  sections  ne  se  réuniraient  qu'une  fois  par 
décade.  On  renouvela  le  Comité  de  salut  public, 
où  l'on  fit  entrer  T,allien,  Bréard,  Treilhard,  Es- 
chassérianx,  Thuriot,  Laloi,  et  le  Comité  de  sû- 
reté générale,  où  entrèrent  Legendre,  Merlin  de 
Thionville,  Goupilleau  do  Fontenay,  André  Du- 
raont.  Bernard  do  Saintes,  Rewbell.  La  majorité 
dans  les  deux  Comités  se  trouva  donc  acquise  aux 
thermidoriens,  aux  dantonistes,  aux  moiiérés  : 
CoUot,  Billaud,  Barère,  Carnet  s'y  virent  dé- 
bordés. 

Trois  partis  se  dessinèrent  dans  l'assemblée: 
le  parti  des  anciens  Comités,  qu'on  appela 
aussi  les  Cretois  ou  Montagnards  de  la  crtSle,  avec 
Billaud,  CoUot,  Barère,  Vadier,  Amar,  Carnot, 
Cambon,  les  deux  Prieur,  la  plupart  des  repré- 
sentants revenus  de  mission,  tous  se  considé- 
rant comme  solidaires  des  mesures  de  salut  pu- 
blic, aucun  n'entendant  qu'on  fit  le  procès  à 
la  Révolution,  et  que  la  réaction  contre  la  Terreur 
put  conduire  à  la  contre-révolution;  —  le  parti 
des  thermidoriens  proprement  dits,  qui,  étant  al- 
lés s'asseoir  à  droite  au  lendemain  du  '.1  thermi- 
dor, répudiaient  leur  part  de  solidarité  avec  le 
gouvernement  précédent  et  cherchaient  leur  sû- 
reté dans  l'alliance  avec  les  modérés  :  leurs  chefs 
étaient  Tallien,  Barras,  Fréron,  Legendre,  Lecoin- 
tre,  Bourdon  de  l'Oise,  Rovère,  Bentabole,  André 
Dûment,  les  deux  Merlin  ;  —  enfin  les  moilérés,  qui 
n'avaient  pris  aucune  part  au  gouvernement,  qui 
restaient  fidèlgs  à  la  Révolution,  même  à  la  Ré- 
publique, mais  qui  allaient  montrer  de  singuliè- 
res complaisances  pour  les  royalistes  :  Sieyès, 
Boissy  d'Anglas,  Cambacérès,  'fliibaudeau,  Ché- 
nier  (Marie-Joseph),  frère  du  grand  poète  André 
Cliénier,  supplicié  le  2,i  juillet  1794. 

Ce  furent  les  thermidoriens  qui,  pour  complé- 
ter leur  victoire  sur  le  parti  robespierriste  ou 
pour  faire  oublier  leur  rôle  sous  la  Terreur,  ou- 
vrirent la  campagne  contre  le  parti  des  anciens 
Comités.  Fréron  parlait  de  détruire  l'Hôtel  de- 
Ville,  ce  a  Louvre  du  tyran  Robespierre  ».  David, 
autrefois  fanatique  de  Robespierre,  qui  avait 
promis  de  «  boire  la  ciguë  »  avec  h  juste,  le  re- 
niait en  pleine  Convention.  Lecointre,  le  30  août, 
dénonçait  Billaud,  CoUot,  Barère,  de  l'ancien 
Comité  de  salut  public,  Amar,  Voulland.  Vadier, 
David  même,  de  l'ancien  Comité  de  sûreté  géné- 
r.-ile.  La  Convention  comprenait  que  ces  accusa- 
tions contre  Billaud  ou  CoUot  menaient  logique- 
ment h.  la  mise  en  accusation  de  Carnot,  de  Lindet, 
de  Prieur,  solidaires  de  tous  les  actes  du  Co- 
mité de  salut  public,  au  procès  de  la  Convention 
tout  entière,  qui  les  avait  couverts  de  son  appro- 
bation ou  de  son  silence,  à  la  condamnation  de 
la  Révolution  môme.  «  Si  les  Comités  sont  crimi- 
nels, fit  observer  Cambon.  criminelle  aussi  doit 
être  l'Assemblée  qui,  chaque  mois  et  unanime- 
ment, a  prorogé  leurs  pouvoirs.  »  D'ailleurs  la 
plupart  des  thermidoriens  étaient  bien  mal  fondés 
à  attaquer  le  régime  précédent;  quand  Tallien 
montrait  l'ombre  de  Robespierre  planant  encore 
sur  la  Convention,  il  s'attirait  cette  verte  répliqua 
du  député  Lefiot  :  ce  Tel  qui  déclame  aujouril'hui 
contre  le  système  do  terreur  en  vantait  hier  l'u- 
tilité. »  La  Convention  eut  la  sagesse  de  repous- 
ser les  accusations  de  Lecointre,  déclarées  ca- 
lomnieuses. 

Deux  jours  après,  le  résultat  que  Lecointre  vou- 
lait obtenir  par  sa  dénonciation  fut  obtenu  par  un 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1012  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


autre  moyen.  Barère,  par  la  voie  du  sort,  Collot 
et  Billaud,  volontairement,  sortirent  du  Comité  ; 
Tallien  lui-même,  l'allié  de  Lecointre,  fut  obligé 
de  démissionner.  Les  membres  sortants  furent 
remplacés  par  Delmas,  Cochon,  le  savant  Four- 
croy,  Merlin  de  Douai  qui  avait  été  le  légiste"de  la 
Terreur.  Tallien,  Fréron,  Lecointre,  qui  n'ou- 
vraient les  portes  des  prisons  aux  royalistes  que 
pour  les  remplacer  par  des  républicains,  qui  ne 
répudiaient  la  Terreur  que  pour  se  jeter  avec  la 
même  frénésie  dans  la  réaction,  étaient  également 
abhorrés  de  tous  les  partis,  des  modérés  pour 
leurs  anciens  excès,  des  montagnards  pour  leurs 
violences  nouvelles.  Le  club  des  Jacobins,  si 
cruellement  frappé  dans  son  idole  Robespierre, 
conservait  cependant  une  bonne  partie  de  son  au- 
torité morale.  Il  fut  généralement  approuvé  quand 
il  prononça  l'exclusion  de  Tallien  et  de  ses  deux 
acolytes.  La  Convention  résistait  encore  aux  en- 
traînements de  la  réaction  :  elle  répondait  aux  dé- 
piitations  jacobines  qu'elle  maintiendrait  vigou- 
reusement le  gouvernement  révolutionnaire,  et 
décrétait  la  translation  des  restes  do  Marat  au 
Panthéon.  Elle  rendit  en  octobre  le  même  hom- 
mage il  Jean-Jacques  Rousseau. 

Ces  hommages  rendus  à  Marat  et  à  Rousseau 
cachèrent  aux  yeux  du  peuple  une  campagne  ac-  ' 
tivement  menée  contre  les  clubs  et  les  sociétés  ^ 
populaires.  Le  28  septembre,  la  Convention  ferma  ; 
le  club  de  l'Evêché,  où  se  réunissaient  les  débris 
des  partis  hébertiste  et  socialiste,  où  Gracchus 
Babeuf  et  ses  disciples  prêchaient  le  partage  des 
biens,  la  «  vraie  égalité  «  et  le  c.  bonheur  com- 
mun. »  Le  IC  octobre  elle  décréta  des  mesures 
de  police  contre  les  sociétés.  Dans  la  nuit  du  11 
au  12  novembre,  comme  des  désordres  s'étaient 
produits  autour  du  club  des  Jacobins,  que  les  gar- 
des nationaux  modérés  ou  royalistes  assaillaient 
à  coups  de  pierre,  le  club  fut  fermé.  Ainsi  périt 
cette  célèbre  société  qui,  dans  la  décomposition 
des  pouvoirs  publics,  avait  été  le  grand  ressort 
de  la  Révolution,  qui,  par  ses  affiliations  des  dé- 
partements, par  le  réseau  de  ses  innombrables 
succursales,  par  la  vaste  confédération  de  ses 
clubs,  avait  suppléé  à  l'impuissance  des  autorités 
locales,  qui  avait  été  à  la  fois  un  gouvernement 
et  une  administration.  Elle  succomba  au  moment 
où  se  réveillaient  toutes  les  forces  hostiles  h  la 
Révolution,  où  la  a  jeunesse  dorée  »  houspillait 
les  républicains  dans  les  rues  de  Paris,  où  les  vio- 
lences de  la  presse  royaliste  commençaient  à  faire 
oublier  celles  de  1'^»/!  du  Peuple  et  du  Père  Du- 
chcne,  où  le  chant  contre-révolutionnaire  du  liéveil 
du  peuple  étouffait  celui  de  la  Marseillaise. 

La  Convention  prit,  le  8  décembre,  une  mesure 
encore  plus  grave.  Sur  la  proposition  de  Merlin  de 
Douai,  elle  rappela  les  soixante-treize  représen- 
tants girondins  qui  avaient  été  exclus  de  l'Assem- 
blée pour  leur  protestation  contre  le  :S1  mai.  Le 
retour  de  ces  députés,  fort  aigris  pour  la  plupart, 
beaucoup  moins  dévoués  h  la  Republique  qu'ils  ne 
l'avaient  été  en  179.3,  changea  la  distribution  des 
partis  dans  l'Assemblée  et  assura  la  prépondé- 
rance aux  modérés,  ou  plutôt,  comme  la  modéra- 
tion était  alors  un  vain  mot,  à  cette  forme  modé- 
rée de  contre-révolution  que  représentaient  Sieyès 
et  Boissy  d'Anglas.  Les  soixante-treize  deman- 
dèrent aussitôt  la  rentrée  des  Girondins  expulsés 
le  2  juin  et  mis  hors  la  loi  pendant  l'insurrection 
des  départements.  Leur  motion  fut  d'abord  re- 
poussée. Merlin  de  Douai  lui-même  s'écria  :  <r  Vou- 
lez-vous ouvrir  les  portes  du  Temple  ?  »  On  per- 
sistait encore,  dans  la  Convention,  à  identifier  la 
cause  des  Girondins  proscrits  avec  celle  do  la 
royauté. 

En  même  temps  commençait  le  procès  de  Car- 
rier. Au  10  thermidor,  on  l'avait  vu,  derrière  la 
charrette  qui  empnrtait  Robespierre,  crier  :  o  A  bas 


le  tyran  !  »  Cela  ne  le  sauva  pas.  Le  23  novembre 
il  avait  été,  sur  un  rapport  de  Romme,  mis  en  ac- 
cusation devant  la  Convention.  Sa  défense  con- 
sista à  démontrer  que,  s'il  était  criminel,  la  Con- 
vention, la  Révolution  l'était  également  :  «  Tout 
est  coupable  ici,  disait-il,  tout,  jusqu'à  la  sonnette 
du  président.  »  Mais  498  voix  sur  500  votants  ré- 
pudièrent la  solidarité  qu'il  osait  établir  entre  les 
mesures  de  salut  public  et  tant  d'inutiles  barba- 
ries. 11  fut  traduit,  avec  tout  le  comité  révolution- 
naire de  Nantes,  devant  le  tribunal  révolutionnaire. 
Sur  trente-tî'ois  accusés,  il  n'y  eut  que  trois  con- 
damnations h  mort  :  celles  de  Carrier,  Grandmai- 
son  et  Pinard.  Les  autres  furent  renvoyés  devant 
le  tribunal  criminel  d'Angers. 

On  continuait  à  détruire  les  restes  du  système 
dictatorial.  La  suppression  du  ma.ri»nim  (23  dé- 
cembre) entraîna  une  crise  économique  aussi  vio- 
lente que  celle  qui  avait  motivé  son  établisse- 
ment; le  prix  des  denrées  haussa  dans  des  pro- 
portions énormes,  la  valeur  des  assignats  baissa 
d'autant.  La  misère  du  peuple  s'accrut;  l'agiotage, 
les  accaparements,  les  disettes  factices  recommen- 
cèrent. Boissy-d'Anglas  proposa  le  rationnement 
pour  Paris  :  le  peuple  s'en  vengea  en  l'appelant 
Boissy-Famine. 

On  révoquait  les  décrets  d'expulsion  contre  les 
nobles  et  les  prêtres  réfractaires.  Mais,  si  l'on 
voulait  substituer  au  système  révolutionnaire,  aux 
lois  d'exception,  un  régime  de  liberté  et  de  léga- 
lité, il  eût  été  sage  de  ne  pas  revenir  sur  le  passé, 
et,  en  abandonnant  les  voies  de  l'ancien  gouver- 
nement, de  ne  pas  poursuivre  en  lui  la  Révolu- 
tion. La  Convention,  dès  que  les  soixante- 
treize  y  furent  rentrés,  ne  sut  pas  se  tenir  dans 
la  politique  équitable  et  réparatrice  qu'elle  avait 
suivie  un  instant.  La  dénonciation  de  Lecointre, 
reprise  par  Clauzel,  fut  accueillie  :  l'Assemblée 
chargea  une  commission  de  21  membres  d'exami- 
ner les  actes  de  Billaud,  Collot,  Barère  et  Vadier. 
Duhem  s'étant  écrié  que  l'aristocratie  et  le  roya- 
lisme triomphaient,  fut  envoyé  à  l'Abbaye.  Vers 
cette  époque,  la  mémoire  de  Marat,  honorée  na- 
guère parce  qu'on  voulait  s'appuyer  de  ses  parti- 
sans pour  attaquer  Robespierre,  fut  en  butte  aux 
mêmes  attaques  que  la  mémoire  de  Robespierre. 
En  février  1795,  son  buste  fut  retiré  de  la  salle  de 
la  Convention.  Billaud,  Collot,  Barère  et  Vadier 
furent  décrétés  d'accusation  (2  marsi.  Le  S  mars, 
sur  une  motion  de  Chénier  et  malgré  une  vive 
protestation  du  thermidorien  Bontabole,  les  Giron- 
dins mis  hors  la  loi,  Isnard,  Lanjuinais,  Louvet,  La 
Rivière,  Kervélegan,  La  Réveillère-Lépeaux,  en 
tout  vingt-deux  députés,  rentraient  dans  la  Conven- 
tion. La  fête  commémorative  du  31  mai  était  abolie. 
Merlin  de  Douai  avait  appuyé  ces  propositions.  Les 
Girondins  aidèrent  du  moins  à  constituer  un  parti 
qui  voulait  franchement,  contre  hs  royalistes,  la 
Republique,  contre  les  révolutionnaires  obstinés, 
un  régime  légal.  Pour  que  cette  tentative  eût 
chance  de  succès,  il  auraitété  nécessaire  démettre 
fin  aux  enquêtes  contre  les  hommes  des  comités. 
Lindet  et  Carnot  demandaient  l'acquittement  des 
quatre  accusés  qui  avaient  été  leurs  collaborateurs. 
Malheureusement  les  imprudences  du  parti  mon- 
tagnard, la  disette,  les  souffrances  du  peuple,  les 
troubles  qui  en  furent  la  conséquence,  compro- 
mirent la  politique  d'apaisement. 

Journées  de  germinal  et  de  prairial.  —Fréron, 
qui  parfois  rentrait  dans  la  tradition  montagnarde, 
avait  demandé  la  discussion  des  lois  organiques 
qui  étaient  le  complément  de  la  constitution  dé- 
mocratique de  1793.  Les  rixes  continuaient  au 
Palais-Royal,  dans  les  rues  de  Paris,  entre  les 
patriotes  et  la  jeunesse  dorée;  la  Convention  em- 
prunta à  la  Constituante  do  1791  la  loi  martiale 
contre  les  attroupements.  Le  30  mars,  les  péti- 
tionnaires de  la  section  des  Quinze-Vingts  vinrent 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1913  -     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


(lemaiifUT  >\  la  Convpntion  le  rétablissement  de  la 
muiiiripalité  de  Paris,  remplacée,  depuis  l'cxti^r- 
mination  de  la  Commune  robespierristc,  par  des 
commissions  executives;  la  réouverture  des  sociétés 
populaires:  la  mise  en  vigueur  de  la  constitution 
de  niKî;  des  mesures  énergiques  pour  assurer 
l'approvisionnement  de  Paris. 

Le  1?  germinal  (1"'  avril),  l'Assemblée  fut  en- 
vahie par  une  foule  nombreuse  d'hommes,  de 
femmes,  d'enfants,  criant  :  <•  Du  pain,  la  consti- 
tution de  n!)3  I  »  Le  peuple  était  d'ailleurs  sans 
armes  ;  il  se  retira  sans  avoir  commis  de  violence. 
La  majorité  de  la  Convention  prit  prétexte  de 
cette  insurrection  de  la  misère  pour  ordonner  la 
déportation  de  Collot,  Billaud,  Barère,  Vadier,  et 
l'arrestation  d'un  certain  nombre  de  députes  de  la 
CriHe  qui  avaient  appuyé  les  revendications  de  la 
foule;  Choudien,  Dnhem,  Amar,  Léonard  Bourdon, 
Levasseur,  qui  avait  sous  Robespierre  demandé 
l'amnistie  vendéenne,  Thuriot,  qui  avait  présidé 
au  9  thermidor,  Maignet,  qui  avait  défendu  Mar- 
seille contre  les  fureurs  de  Fréron  et  Barras,  Le- 
cointre,  qui  avait  été  le  dénonciateur  des  quatre 
accusés,  Cambon  lui-même,  furent  décrétés  d'ac- 
cusation. 

Fréron,  trop  tard,  voulut  intervenir  :  sa  propo- 
sition d'abolir  la  peine  de  mort  en  matière  poli- 
tique fut  repoussée.  Ainsi,  tandis  que  les  Giron- 
dins rentraient  dans  la  Convention,  les  Montagnards 
en  étaient  exclus  :  la  Convention,  en  rappelant 
les  proscrits  du  ,31  mai,  faisait  un  31  mai  contre 
les  patriotes.  On  désarma  les  faubourgs  ;  on 
réorganisa  la  garde  nationale,  croyant  donner  la 
force  aux  modérés,  tandis  qu'on  la  donnait  en 
réalité  aux  royalistes.  Le  tribunal  révolutionnaire, 
qui  avait  été  maintenu  par  les  modérés,  fut  encore 
une  fois  remanié.  Fouquier-Tinville  fat  guillotiné 
en  place  de  Grève  avec  quatorze  autres  condam- 
nés, pour  la  plupart  membres  de  l'ancien  tribunal. 
Le  l*'  prairial  (20  mai),  nouvelle  insurrection, 
en  armes  cette  fois,  à  laquelle  prirent  part  les 
faubourgs  Saint-Antoine  et  Saint-Marceau.  Elle 
s'intitulait  «  Insurrection  du  peuple  pour  obtenir 
du  pain  et  reconquérir  ses  droits.  »  La  Convention 
est  de  nouveau  envahie  :  un  député  thermidorien, 
Féraud,  pour  empêcher  la  violation  de  l'Assem- 
blée, se  couche  en  travers  de  la  porte.  Par  une 
erreur  de  nom,  on  le  prend  pour  Fréron,  que  le 
peuple  regardait  comme  l'âme  de  la  réaction.  Il 
est  massacrc^et  sa  tête,  portée  au  bout  d'une  pique, 
est  présentée  toute  sanglante  par  les  assassins  au 
président  de  la  Convention,  Boissy-d'.\nglas.  Le 
président  se  lève  et  salue  cette  tête  sanglante. 
Aveuglés  par  la  funeste  doctrine  du  temps,  qui 
avait  cours  d'ailleurs  dans  tous  les  partis,  la  légi- 
timité de  l'insurrection  même  contre  la  représen- 
tation nationale,  convaincus  que  le  peuple  avait 
le  droit,  en  tout  temps,  de  se  substituer  à  ses 
députés  et  que  leur  mandat  cessait  en  présence 
du  n  peuple  souverain  »,  les  Montagnards  de  la 
Cfcti;  commettent  alors  un  acte  des  plus  graves. 
Tandis  que  les  hommes  des  faubourgs  siègent 
parmi  les  députés  de  la  nation,  usurpant  leurs 
places  et  leurs  droits,  Romme  cède  à  un  élan  de 
pitié  irréfléchie  pour  ce  peuple  affamé.  Il  venait 
d'entendre  une  pauvre  femme  murmurer  :  «  Si 
au  moins  je  n'étais  pas  enceinte!  »  Alors  il  monte 
à  la  tribune.  Soutenu  par  Ruhl,  Duroy,  Duques- 
noy,  Bourbotte,  Prieur  de  la  Marne,  Soubrany, 
Goujon,  il  appuie  les  revendications  de  l'émeute. 
Il  propose  la  permanence  des  sections  ;  l'élargis- 
sement des  patriotes  arrêtés;  la  rentrée  dans  la 
Convention  des  députés  patriotes  ;  le  rétablisse- 
ment de  la  municipalité  de  Paris  ;  la  mise  en  vi- 
gueur de  la  constitution  do  1793  et  la  convocation 
d'une  assemblée  législative  ;  l'abolition  de  la  peine 
de  mort,  sauf  contre  les  émigrés,  les  conspira- 
teurs, les  fabricateurs  de  faux  assignats;  l'arresta- 


tion des  émigrés  rentrés  dans  Paris,  colle  des 
folliculaires  royalistes,  les  visites  domiciliaires 
et  le  désarmement  des  suspects  ;  des  mesures 
exceptionnelles  pour  ramener  l'abondance  dans 
Paris.  Toutes  ces  propositions  sont  votées  par  les 
députés  de  la  gauche  et  les  insurgés,  confondus 
sur  les  mêmes  bancs. 

Le  peuple,  satisfait,  commence  à  se  retirer.  Il 
était  plus  de  minuit.  A  ce  moment,  les  bataillons 
royalistes  de  la  garde  nationale,  comme  celui  de 
la  Butte- des-Moulins  qui  avait  voulu  défendre 
Louis  XVI  au  10  août,  pénètrent  dans  la  salle  et 
en  expulsent  ce  qui  restait  d'insurgés.  La  scène 
change  aussitôt.  C'est  maintenant  Tallien,  Fréron, 
Lcgendre,  Thibaudeau,  qui  sont  à  la  tribune  et 
qui  font  voter  l'annulation  de  tous  ces  décrets, 
comme  surpris  à  l'Assemblée.  Quatorze  députés 
delà  Montagne  sont  ensuite  décrétés  d'accusation 
comme  complices  de  l'insurrection.  Au  matin,  le 
peuple  étant  revenu  i  la  place  du  Carrousel,  on 
le  disperse  en  lui  annonçant  la  présentation,  sous 
trois  jours,  des  lois  organiques  de  la  constitution 
de  1793  et  en  lui  promettant  d'assurer  l'abon- 
dance. Le  surlendemain,  la  Convention  fait  entrer 
dans  Paris  de  nombreux  escadrons  de  hussards, 
chasseurs,  dragons,  désarme  les  faubourgs  et  les 
sections  patriotes,  fait  opérer  dans  les  quartiers 
suspects  près  do  10,000  arrestations.  Ce  fut  la 
défaite  Irrémédiable  du  Paris  révolutionnaire  :  le 
peuple  disparaît  presque  entièrement  de  la  scène; 
désormais  c'est  par  l'armée  que  se  feront  les  coups 
d'État  et  les  insurrections  contre  la  loi. 

Nombre  d'insurgés  furent  traduits  devant  les 
commissions  militaires  :  24  furent  passés  par  les 
armes.  Dans  l'Assemblée,  où  la  Montagne  était  dé- 
cidément vaincue,  sous  l'impulsion  dos  Girondins, 
des  modérés ,  des  thermidoriens  convertis,  la 
réaction  fut  implacable.  Outre  les  députés  qui 
avaient  pris  le  parti  du  peuple  soulevé  dans  la 
journée  du  1"  prairial,  on  décréta  l'arrestation  de 
Lindet,  Saint-André,  Prieur  de  la  Cote-d'Or,  qui 
avaient  été  la  gloire  du  Comité  du  salut  public, 
J.-B.  Lacoste,  Baudot,  Salicetti,  qui  s'étaient  ho- 
norés par  leurs  missions  aux  armées.  Sergent  et 
Panis,  qui  avaient  combattu  au  10  août.  Elle  La- 
coste, qui  avait  commencé  la  lutte  contre  Robes- 
pierre. 

Maure,  désespérant  de  la  République ,  se  fit 
sauter  la  cervelle.  Ruhl,  qui  avait  brisé  la  sainte- 
ampoule,  se  poignarda.  Six  autres  furent  traduits 
devant  une  cour  martiale,  qui  les  envoya  à  l'é- 
chafaud  :  c'étaient  Romme,  mathématicien,  agro- 
nome, philanthrope,  qui  avait  pacifié  la  Norman- 
die, proposé  le  calendrier  républicain  et  rédigé 
le  premier  Annuaire  du  cultivateur;  Goujon,  qui 
avait  défendu  Klébcr  et  Marceau  contre  les  hé- 
bertistes  ;  Duquesnoy,  qui  avait  été  un  héros  à  Wat- 
tignies  ;  Duroy,  qui  avait  dit  à  Robespierre  :  «  Moi, 
j'entends  juger  même  les  actes  du  Comité  de  salut 
public  ;  '1  Bourbotte,  qui  avait  avec  Kléber  vaincu  la 
Vendée  ;  Soubrany  qui,  à  l'armée  de  la  Moselle,  s'é- 
tait fait  adorer  des  soldats,  couchant  avec  eux  sous 
la  tente  et  partageant  leurs  misères.  Ces  six  hom- 
mes n'avaient  jamais  adopté  des  mesures  de  ter- 
reur que  ce  qui  était  nécessaire  pour  sauver  la 
patrie  ;  ils  étaient  restés  étrangers  au  fanatisme 
sectaire,  à  l'inquisition  jacobine.  La  mort  des  «  der- 
niers Montagnards»  fut  une  perte  pour  la  liberté, 
pour  la  République.  Avant  l'exécution,  ils  essayè- 
rent de  se  tuer  avec  des  poinçons  ou  de  mauvais 
couteaux.  Uomme,  Goujon,  Duquesnoy,  y  réussi- 
rent ;  Duroy,  Soubrany,  Bourbotte,  cruellement 
blessés,  survécurent  pour  la  guillotine.  «  Tu  souf- 
fres, pauvre  Duroy,  disait  Bourbotte,  souriant 
parmi  ses  tortures.  Consolo-toi  :  c'est  pour  la  Ré- 
publique. » 

Ainsi  après  que  la  Gironde,  la  Montagne  héber- 
tiste,  dantoniste,  robespierristc,  avaient  été  déca- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1914  —     RÉVOLUTION  FRANÇAISE 


pitées,  c'était  le  tour  delà  Montagne  indépendante. 
Les  plus  grands  de  cliaque  parti,  ceux  qui  furent 
le  «  sel  de  la  terre,  »  étaient  couchés  dans  la  chaux 
vive  des  cimetières  de  la  Révolution.  Ceux  qui 
survivaient  n'étaient  plus  de  force  à  sauver  la  li- 
berté. Si  Bonaparte,  quand  il  médita  le  coup 
d'État  de  brumaire,  avait  vu  se  dresser  devant  lui 
le  courage  stoique  des  Roland  et  des  Condorcet, 
l'éloquence  intrépide  des  Vergniaud,  des  Brissot 
et  des  Barbaroux,  le  génie  révolutionnaire  de  Dan- 
ton, l'âme  hautaine  de  Saint-Just  et  de  Robes- 
pierre ,  la  bravoure  des  Wiilippeaux,  des  Bour- 
botte,  des  Soubrany,  l'indomptable  fi'rmeté  des 
Romme  et  des  Goujon,  s'il  avait  trouvé  devant 
lui  cette  grande  légion  républicaine,  si  diverse  en 
ses  aspirations,  mais  si  unanime  dans  son  amour 
de  la  République,  si  riche  de  beaux  talents,  en 
grands  cœurs,  en  volontés  inébranlables,  il  serait 
resté  dans  le  devoir  ou  serait  rentré  dans  l'ombre, 
et  la  Liberté  aurait  vécu.  La  Révolution,  suivant 
un  mot  du  temps,  avait  fait  comme  Saturne  : 
■I  elle  avait  dévoré  ses  enfants  ». 

La  Constitution  de  l'an  III.  Journée  du  13  ven- 
démiaire. Fin  de  la  Convention.  —  La  constitu- 
tion de  n;);i  fut  frappée  du  coup  ([ui  acheva  la 
Montagne.  Cette  constitution,  à  certains  égards, 
consacrait  un  grand  progrès  démocratique  :  elle 
supprimait  la  distinction  en  citoyens  actifs  et  ci- 
toyens passifs,  établie  en  KQl,  et  décrétait  le 
suffrage  universel  ;  mais,  par  l'extrême  brièveté 
du  mandat  de  député,  réduit  à  une  année,  par 
l'inlervention  permanente  des  assemblées  pri- 
maires dansle  gouvernement  et  la  législation,  elle 
organisait  l'anarchie,  sans  garantir  la  liberté.  Les 
auteurs  do  cette  constitution  avaient  bien  senti 
ses  défauts,  car,  après  l'avoir  fait  accepter  par  le 
peuple,  ils  en  avaient  suspendu  l'application  jus- 
qu'à la  paix  générale  et  lui  avaient  substitué  le 
gouvernement  révolutionnaire. 

La  Convention  la  remplaça,  le  22  aotit  1*95, 
par  une  autre  constitution.  Le  pouvoir  exécutif 
était  confié  k  un  Directoire-composé  de  cinq  mem- 
bres, dont  chacun  portait  pendant  tmis  mois  le 
titre  de  président  :  les  ministres  lui  étaient  subor- 
donnés ;  tous  les  ans,  un  des  membres  du  Direc- 
toire, désigné  par  le  sort,  était  remplacé.  Le  pou- 
voir législatif  était  partagé  entre  le  conseil  des 
.anciens,  composé  de  250  membres,  et  le  conseil 
des  Jeunes,  appelé  aussi  conseil  de?  Cinq-Cents. 
C'étaient  les  Cinq-Cents  qui  faisaient  les  lois  :  les 
Anciens  pouvaient  les  rejeter,  ou  encore  les  an- 
nuler comme  contraires  à  la  constitution.  Chaque 
année,  les  deux  conseils  étaient  renouvelables  par 
tiers.  La  distinction  entre  éhctcurs  du  premier 
et  du  deuxième  degré  était  rétablie  :  pour  appar- 
tenir à  la  plus  haute  catégorie,  il  fallait  justifier 
d'un  revenu  égal  k  la  valeur  de  150  journées  de 
travail.  Telle  fut  la  constitution  dirertoiiale  ou 
constitution  de  l'an  lU. 

Les  espérances  que  le  parti  royaliste  avait  fon- 
dées sur  le  succès  de  la  coalition  étaient  déçues. 
Jourdan  avait  battu  les  Autrichiens  ù  Meurus 
le  28  juin  17'Ji,  reconquis  la  Belgique  perdue 
pour  Dumouriez,  forcé  le  passage  de  la  Roér  le 
5  octobre,  et  pris  position  sur  le  Rhin.  Pichegru, 
pendatit  ce  temps,  poussait  devant  lui  les  Anglais, 
entrait  dans  Amsterdam  le  20  janvier  ITJ.'j,  cap- 
turait la  flotte  anglaise  retenue  dans  les  glaces  du 
Texel,  achevait  la  conquête  de  la  Hollande  et, 
après  avoir  chassé  le  stathoudcr,  constituait  ce 
pays  en  république  batave.  Les  Espagnols  étaient 
rejetés  au  delà  des  Pyrénées  et  leur  pays  me- 
nacé d'une  double  invasion  par  la  Catalogne  et  par 
les  provinces  basques.  L'armée  des  Alpes  avait 
enlevé  le  camp  des  Piémontais  à  Saorgio  et  se 
Jiréparait  à  pétiétrer  en  Italie.  La  Prusse  signait 
la  paix  de  Bâie  (5  avril  n95),  par  laquelle  elle  nous 
cédait  ses  possessions  sur  la  rive  gauche  du  Rhin  ; 


l'Espagne  trahait  également  à  Bàle  (28  juillet)  et 
nous  cédait  la  partie  espagnolcde  Saint-Domingue. 
Le  duc  de  Toscane  avait  fait  la  paix  dès  le  mois  de 
février.  Il  ne  restait  en  guerre  avec  nous  que  le 
Piémont,  dépouillé  de  ses  provinces  de  langue 
française,  l'Autriche,  sur  laquelle  on  avait  con- 
quis la  Belgique,  l'Empire,  dont  toutes  les  posses- 
sions sur  la  rive  gauche  du  Rhin  étaient  entre  nos 
mains,  l'Angleterre,  dont  la  conquête  de  la  Hol- 
lande et  l'ouverture  de  l'Escaut  menaçaient  les 
rivages.  Le  résultat  de  la  grande  coalition  avait  été 
de  nous  rendre  maîtres  de  tous  les  pays  compris 
entre  l'Océan,  le  Rhin  et  les  Alpes,  de  nous 
agrandir  de  la  Belgique,  de  Nice  et  de  la  Savoie, 
de  constituer  deux  républiques  nouvelles  :  la 
Hollande  et  r.\llemagne  cis-rhénane. 

La  Vendée  ne  donnait  guère  plus  de  satisfac- 
tion aijx  royalistes.  La  Convention  avait  proclamé, 
le  2  décembre  l'Oi,  une  amnistie  générale  pour 
tous  les  rebelles  qui  poseraietit  les  armes  dans  le 
délai  d'un  mois.  Beaucoup  de  paysans  firent  leur 
soumission,  et  les  chefs  vendéens,  Charette, 
Sapinaud,  Stofflet,  consentirent  à  un  armistice 
qui  devait  certainemenl  conduire  au  désarmement. 
Hoche  menait  l'œuvre  de  pacification  avec  autant 
d'habileté,  d'énergie,  d'humanité  qu'il  en  avait 
montré  dans  les  opérations  militaires.  L'Angle- 
terre se  résolut  alors  à  frapper  un  grand  coup. 
Elle  débarqua  (27  juin)  dans  la  presqu'île  de  Qui- 
beron,  en  Basse-Bretagne,  un  corps  de  loi  0  émi- 
grés, auxquels  vinrent  se  joindre  quelques  milliers 
de  chouans.  La  garnison  du  fort  de  Penthièvre  se 
rendit  sans  combat  aux  royalistes;  on  se  flatta  de 
l'utiliser  contre  les  républicains.  Hoche,  accouru 
avec  une  troupe  peu  nombreuse,  se  trouva  en- 
fermé entre  les  émigrés,  le  fort  Penthièvre  et  les 
bandes  de  chouans.  Il  fut  sauvé  par  l'audace  d'une 
compagnie  do  grenadiers  qui  escalada  pendant  la 
nuit  le  fort  Penthièvre,  insurgea  contre  les  Anglais 
la  garnison  de  prisonniers,  et  arbora  sur  hi  forte- 
resse le  drapeau  tricolore.  Hoche  reprit  à  son 
tour  l'avantage:  les  l.')00 émigrés,  mal  soutenus  de 
la  flotte  anglaise,  canonnés  par  le  fort  Penthièvre, 
furent  tous  tués  ou  pris  (21  juillet).  Pour  faire  un 
exemple  qui  épouvantât  les  émigrés  dans  l'Europe 
entière.  Hoche  et  Tallien  appliquèrent  aux  gen- 
tilshommes prisonniers  les  lois  terribles  de  la 
Convention  :  2u0  furent  passés  par  les  armes  à  Dol 
et  800  il  Auray.  Le  sang  noble  coula  à  flots  dans 
ces  journées  tragiques. 

Le  débarquement  des  émigrés  h.  Quiberon  coïn- 
cidait avec  une  agitation  royaliste  dans  les  dépar- 
tements du  Midi.  Encouragés  par  les  discordes  de 
la  Convention,  l'indulgence  des  modérés,  et  la 
défaite  de  la  Montagne,  se  couvrant  parfois  du  nom 
des  Girondins,  ils  organisèrent  une  terreur /jlaiiche 
qui  dépassa  les  excès  de  la  Terreur  républicaine. 
Dans  l'ouest  apparaissaientdes  bandes  de  brigands 
royalistes  qu'on  appelait  les  chauffeurs .  Les  com- 
pagnies de  Jésus  et  du  Soleil  infestaient  les  grandes 
routes,  arrêtaient  les  diligences,  pillaient  les  cais- 
ses publiques,  égorgeaient  les  prêtres  constitu- 
tionnels, les  acquéreurs  de  biens  nationaux  et  les 
fonctionnaires  républicains,  pénétraient  même 
dans  les  grandes  villes,  où  ils  soulevaient  la  po- 
pulace et  massacraient  les  patriotes  détenus  aux 
prisons.  Le  5  mai,  à  Lyon,  ils  tuèrent  100  prison- 
niers ;  le  10  mai,  à  ■iix,  72  ;  à  Marseille,  :iO  ;  dans  la 
seule  petite  ville  de  Lisie,  SO.  Le  27  mai.  à  Tarascon, 
ils  prirent  d'assaut  le  château  et  précipitèrent  les 
prisonniers  du  haut  des  tours  sur  les  rochers  du 
Rhône.  Le  comte  de  Précy,  qui  avait  dirigé  la 
révolte  de  Lyon  en  1793,  reparaissait  dans  Avignon 
et  y  soutenait  un  siège  contre  le  représentant 
Boursault.  Les  émigrés  s'agitaient  sur  toutes  nos 
frontières,  rentraient  hardiment  dans  les  villes  et 
les  châteaux,  se  glissaient  dans  les  armées,  dans  les 
camps.  D'Entraigues,  agent  du  prince  de  Coudé, 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1915  —     RÉVOLUTION   FRANÇAISE 


ni^gociait  avpc  Piclirpru,  qui  commandait  l'armée 
de  Kliin-et-Mnsnllr,  lui  faisait  promettre  de  rloniior 
la  maiîi  aux  Aiitricliioiis  pour  rétablir  en  France 
la  royauté.  C'rtail  ro  d'Iîiitraigucs  qui  disait  :  u  Je 
veux  être  le  AJarat  de  la  contre  révolution,  »  et 
qui  demandait  400  000  têtes.  Les  émigrés  al- 
laient répétant  qu'on  n'accorderait  de  par- 
don h  personne,  et  que  si  le  roi  faisait  gr.àce, 
son  parlement  ferait  justice.  Quand  le  dauphin 
mourut  le  8  juin  1795  à  la  prison  du  Temple,  la 
coalition  reconnut  le  comte  de  Provence  comme 
roi  de  Trance  sous  le  nom  de  Louis  WIII,  et  les 
intrigues  reprirent  à  son  profit  avec  une  nouvelle 
ardeur. 

La  Convention,  jusqu'alors  uniquement  occu- 
pée des  émeutes  jacobines,  commença  h  s'émou- 
voir de  cette  conspiration  royaliste  qui  embra.s- 
sait  h  la  fois  la  Bretagne,  la  Vendée,  le  midi  de 
la  France;  elle  ignorait  cependant  la  trahison  de 
Pichegru.  Le  30  avril,  sur  la  proposition  de  Marie- 
Joseph  Chénier.elle  chargea  le  tribunal  criminel  de 
Grenoble  de  faire  une  enquête  sur  les  premiers 
assassinats  du  Midi.  Quand  eurent  lieu  les  mas- 
sacres de  mai  dans  les  prisons,  elle  chargea  Fré- 
ron,  qui  depuis  la  répression  de  Toulon  avait  un 
si  terrible  renom  dans  le  Midi,  d'une  mission  ex- 
traordinaire. La  tournée  de  Fréron  dans  le  Midi, 
la  sanglante  victoire  do  Hoche  à  Quiberon,  cal- 
mèrent un  peu  l'agitation. 

Alors  les  rnyalistes  se  résignèrent  à  essayer, 
par  des  voies  légales,  la  destruction  de  la  Repu- 
blique. A  la  faveur  de  l'épouvante  que  continuaient 
h  causer  les  excès  des  brigands,  organisant  la  ter- 
reur autour  des  urnes  électorales,  ils  se  préparè- 
rent à  faire  entrer  leurs  partisans  dans  les  conseils 
des  Anciens  et  des  Cinq-Cents,  poussant  entre  au- 
tresla  candidature  de  Joh  Aymé,  compromis  dans  les 
troubles  de  Monlbrison.  L'Assemblée  déjoua  leurs 
calculs,  en  décrétant  que  les  deux  tiers  des  mem- 
bres dans  ces  deux  Chambres  devraient  être  choi- 
sis parmi  les  membres  de  la  Convention.  Elle  sou- 
mit ce  décret,  avec  la  constitution  elle-même,  à 
l'acceptation  des  assemblées  primaires:  S40,(lOn 
voix  contre  40,000  se  prononcèrent  en  faveur  de 
la  constitution,  168,000  contre  115,000  en  faveur 
du  décret  sur  les  deux  tiers.  Mêiue  les  modérés 
de  la  Convention,  comme  Daunou  et  Louvet, 
prirent  l'initiative  de  mesures  rigoureuses  contre 
les  agitateurs  :  la  Convention  décréta  le  bannisse 
ment  à  perpétuité  de  tous  les  émigrés  et  assura 
les  acquéreurs  de  biens  nationaux  contre  toute 
revendication. 

Les  royalistes  parisiens  se  décidèrent  à  recourir 
aux  armes.  La  section  Lepelleiier  insurgea  sept 
autres  sections  ;  elles  se  renforcèrent  d'émigrés, 
de  chouans,  accourus  h  Paris  et  qui  portaient  en- 
core l'uniforme  de  la  guerre  civile.  Contre  40,000 
insurgés  royalistes,  l'Assemblée  ne  pouvait  plus 
compter  sur  le  peuple  qu'elle  avait  désarmé.  Elle 
arma  seulement  1800  «  patriotes  de  89  »,  et  em- 
prunta des  troupes  et  des  canons  au  camp  des 
Sablons.  Le  gênerai  Menou,  placé  k  la  tête  des 
troupes  conventionnelles,  montra  une  mollesse 
suspecte,  parlementa  avec  la  section  Lepelletier 
retranchée  dans  le  couvent  des  Filles-Saint-  Tho- 
mas, accrut  par  son  attitude  l'audace  des  roya- 
listes. La  Convention  révoqua  Menou  et  contia  le 
commandement  au  représentant  Darras.  Celui-ci 
entoura  les  Tuileries  de  retranchements,  distri- 
bua des  fusils  et  des  gibernes  aux  députés  qui 
durent  former  une  troupe  de  réserve,  chargea 
Carteaux  de  garder  les  quais  et  Bonaparte  d'occu- 
per la  rue  Saint- Honoré.  Danican,  général  des 
insurgés,  envoya  un  parlementaire  pour  négocier 
avec  l'Assemblée,  demandant  la  retraite  des  trou- 
pes et  le  désarmement  des  terrorisles.  Boissy 
d'Anglas  et  Lanjuinais,  par  faiblesse  ou  compli- 
cité, insistaient  pour  qu'on  négociât  sur  cet  inso- 


lent ultimatum.  Le  bruit  de  la  fusillade  interrom- 
pit la  discussion  :  Bonaparte,  à  coups  de  mitraille, 
balayait  la  rue  Saint-Honoré  et  les  marches  de  l'é- 
glise Saint- Roch.  Les  bataillons  royalistes  s'en- 
fuirent on  désordre,  laissant  200  morts  sur  la 
place  (1.5  vendémiaire,  5  octobre).  Dans  la  ré- 
pression, l'Assemblée  montra  autant  d'indulgence 
qu'elle  avait  déployé  de  rigueur  en  germinal  et  en 
prairial.  Les  commissions  militaires  ne  prononcè- 
rent que  deux  condamnations  à  mort  :  celle  do 
Lebois,  qui  avait  été  l'instigateur  du  mouvement, 
et  celle  de  l'émigré  Lafond,  ancien  garde  du  corps. 

L'Assemblée  victorieuse  désarma  les  sections 
royalistes.  Puis  elle  se  ferma  en  assembb'e  élec- 
loinle  nationale  pour  désigner  ceux  de  ces  mem- 
bres qui  composeraient,  à  raison  dos  deux  tiers, 
les  Anciens  et  les  Cinq-Cents.  Les  deux  Conseils, 
définitivement  constitués  le  17  octobre,  élurent  les 
cinq  directeurs  :  La  Réveillère-Lépeaux,  Rewbell, 
Letournenr,  Barras  et  Carnot.  Bien  que  ces  cinq 
hommes  eussent  des  origines  bien  différentes.  La 
Réveillère  étant  un  proscrit  du  31  luai,  Carnot  un 
ancien  membre  du  terrible  Comité,  tous  étaient 
républicains,  tous  avaient  voté  la  mort  du  roi. 
Par  cette  élection  de  cinq  régicides,  les  Conseils 
entendaient  rassurer  les  intérêts  créés  par  la  Ré- 
volution contre  toute  crainte  d'un  retour  au  passé. 

Le  20  octobre,  dans  sa  dernière  séance,  la  Con- 
vention avait  décidé  que  la  place  de  la  Révolution, 
sur  laquelle  avaient  péri  tant  de  nobles  \ictimesde 
nos  haines  civiles,  prendrait  le  nom  de  place  de  la 
Concorde;  elle  décréta  l'abolition  de  la  peine  de  mort, 
mais  seulement  à  dater  de  la  paix  générale;  proclama 
une  amnistie  générale,  sauf  pour  les  émigrés,  les 
prêtres  réfractaires,  les  fabricateurs  de  faux  assi- 
gnats, les  insurgés  de  vendémiaire.  Puis  Génissieu, 
président  de  1  Assemblée,  prononça  la  formule 
solennelle  :  «  La  Convention  déclare  que  sa  mis- 
sion est  remplie  et  que  sa  session  est  terminée.  « 

La  Convention,  malgré  ses  discordes,  malgré  ses 
défaillances  ou  ses  excès,  restera  glorieuse  dans 
l'Iiistoire.  Son  œuvre  peut  se  résunter  en  ces  deux 
mots  :  la  Révolution  accomplie,  l'invasion  re- 
poussée. 

Plus  tard,  un  des  membres  de  cette  Assemblée, 
Jean-Bon  Saint-André,  devenu,  en  1813,  préfet  de 
Mayence,  discutait  avec  les  courtisans  de  Napo- 
léon ;  ceux-ci  assaillaient  de  leurs  railleries  «  le 
conventionnel,  le  votant,  l'ancien  collègue  de 
Robespierre,  qui  puait  le  jacobin  une  lieue  à  la 
ronde,  »  et  se  moquaient  de  sa, mise  et  de  ses  bas 
noirs.  Il  leur  fit  alors  cette  fière  réponse  : 

a  J'avoue  tout  cela.  L'Europe  était  alors  conjurée 
contre  la  France,  comme  elle  l'est  aujourd'hui.  Elle 
voulait  nous  écraser  de  toutes  les  forces  morales 
et  matérielles  do  l'ancienne  civilisation.  Elle  avait 
tracé  autour  de  nous  un  cercle  de  fer.  Déjà  la 
trahison  lui  avait  livré  des  villes  notables  ;  elle  s'a- 
vançait :  eh  bien!  les  rois  en  ont  eu  le  démenti; 
nous  avons  dégagé  le  territoire  et  reporté  chez  eux 
la  guerre  d'invasion  qu'ils  avaient  commencée  chez 
nous  :  nous  leur  avons  enlevé  la  Belgique  et  la 
rive  gauche  du  Rhin  que  nous  avons  réunies  à. 
cette  même  France  dont  ils  avaient,  au  début  de 
la  guerre,  arrêté  le  partage.  Nous  avons  porté  au 
loin  notre  prépondérance  et  forcé  ces  mêiues  rois 
i  venir  humblement  nous  demander  la  paix.  Sa- 
vez-vous  quel  gouvernement  a  obtenu  ou  préparé 
de  tels  résultats?  un  gouvernement  composé  de 
conventionnels,  do  jacobins  forcenés,  coiffés  de 
bonnets  rouges,  habillés  de  laine  grossière,  des 
sabots  aux  pieds,  réduits  pour  toute  nourriture  à 
du  pain  grossier  et  de  mauvaise  bière,  et  qui  se 
jetaient  sur  des  matelas  étalés  par  terre  dans  le 
lieu  de  leurs  séances  quand  ils  succombaient  à 
l'excès  de  la  fatigue  et  des  veilles.  Voil.'l  quels 
hommes  ont  sauvé  la  France.  J'en  étais.  Mes- 
sieurs! et  ici,  comme  dans  l'appartement  de  l'Em- 


RÉVOLUTION  FRANÇAISE     —  1916  — 


RHÉTORIQUE 


pereur  où  je  vais  entrer,  je  le  tiens  à  gloire....  La 
fortune  est  capricieuse  de  sa  nature.  Elle  a  élevé 
la  France  bien  haut  ;  elle  peut  tôt  ou  tard  la  faire 
descendre,  qui  sait  ?  aussi  bas  qu'en  n93.  Alors 
on  verra  si  on  la  sauvera  par  des  moyens  anodins, 
et  ce  qu'y  feront  dns  plaques,  des  broderies,  des 
plumes  et  surtout  des  bas  de  soie  blancs.  » 

L'histoire  de  la  République  française  sous  le  Di- 
rectoire a  été  racontée  ailleurs  (V.  Dire:toire].  Le 
Directoire  fut,  à  l'intérieur,  un  essai  remarquable 
de  gouvernement  libre,  compromis  par  le  souvenir 
d'événements  trop  récents  :  les  partis  extrêmes 
gardaient  les  passions  acharnées  de  cette  époque 
de  luttes,  les  uns  s'obstinant  à  ne  pas  voir  de 
salut  pour  la  République  hors  de  la  Terreur,  les 
autres  se  croyant  autorisés  i  venger  la  Terreur 
républicaine  par  la  Terreur  blanche.  Malgré  son 
désir  de  légalité  et  de  liberté,  la  situation  était 
trop  exceptionnelle  pour  que  le  gouvernement  lui- 
même  ne  fût  pas  contraint  de  recourir  à  des  me- 
sures d'exception  :  il  fit  le  coup  d'État  du  IS  fruc- 
tidor contre  les  royalistes,  et  celui  du  22  floréal, 
beaucoup  moins  nécessaire,  contre  les  jacobins  : 
le  coup  d'État  du  30  prairial,  qui  «xclut  du  gouver- 
nement Laréveillère-Lcpeaux,  l'homme  le  plus 
estimable  du  Directoire,  prépara  l'attentat  mili- 
taire qui  mit  fin  à  la  République.  Malgré  ces  actes 
illégaux,  qui  ne  s'expliquentque  trop  par  les  ha- 
bitudes violentes  de  l'époque  précédente  et  par  la 
persistance  des  traditions  d'ancien  régime,  les 
quatre  années  du  gouvernement  directorial  n'en  fu- 
rent pas  moins  une  époque  de  liberté,  de  gran- 
deur et  de  prospérité  nationale. 

A  l'extérieur,  la  politique  des  grands  Girondins, 
l'expansion  des  idées  révolutionnaires  en  Europe, 
fut  reprise.  La  France  républicaine  accorda  son 
appui  5,  tous  les  peuples  qui  voulurent  être  libres  ; 
un  moment  elle  refit  .\  son  image  presque  toute 
l'Europe  occidentale.  Elle  renversa  les  sénats  aris- 
tocratiques de  Berne,  de  Venise,  de  Gênes;  elle 
afl'ranchit  l'Italie  septentrionale  de  la  domination 
antricliienne  et  faillit  affrarcliir  l'Irlande  de  la 
domination  anglaise;  elle  chassa  les  rois  de  Sar- 
daigne  et  de  Naples,  les  rélégua  dans  les  îles  de 
Sardaigne  et  de  Sicile  ;  elle  vengea  sur  le  pouvoir 
temporel  tout  le  mal  que  la  papauté  avait  fait  à  la 
Révolution  en  forçant  les  prêtres  à  refuser  le 
serment  civique,  en  provoquant  le  schisme,  en 
.soulevant  la  révolte  de  la  Vendée  et  les  troubles 
du  Midi;  elle  amena  prisonnier  k  Valence  le  pape 
Pie  VI,  qui  pendant  dix  ans  n'avait  cessé  de  prê- 
cher la  croisade  contre  nous.  Elle  rencontra  d'ad- 
mirables dévouements  parmi  les  patriotes  de  la 
Suisse,  de  l'Italie,  de  l'Irlande  ;  elle  effraya  les 
cours  européennes  par  une  merveilleuse  multipli- 
cation de  républiques  :  républiques  helvétique, 
cisalpine,  ligurienne,  romaine,  parthénopéenne.  Si 
le  Directoire,  imprudemment  engagé  dans  de  loin- 
taines expéditions  en  Egypte  et  en  Syrie,  éprouva 
de  cruelles  défaites,  ses  derniers  jours  furent 
marqués  par  une  éclatante  revanche  :  les  victoires 
de  Masséna  i  Zurich  et  de  Brune  à  Bergen  assurè- 
rent à  la  France  ses  limites  naturelles,  ses  fron- 
tières du  Rhin  et  des  Alpes  que  l'Empire  allait 
nous  faire  perdre. 

Avec  le  18  brumaire  se  termine  l'histoire  de  la 
Révolution  :  ce  qui  suit,  c'est  l'histoire  du  gouver- 
nement personnel,  quelque  nom  qu'il  porte,  Con- 
sulat ou  Empire.  Les  destinées  de  la  France  sont 
dès  lors  aux  mains  d'un  homme  :  or,  notre  tâche 
était  seulement  de  faire  revivre  l'époque  où  les 
destinées  de  la  France  étaient  aux  mains  de  la 
France.  Grande  époque,  quelles  qu'aient  été  ses 
misères  ou  ses  excès,  glorieuse  et  féconde  entre 
toutes.  Alors  c'était  le  peuple  qui  était  debout  pour 
assaillir  la  Bastille  et  les  'Tuileries,  pour  défendre 
la  frontière  contre  les  rois  étrangers,  pour  leur 
renvoyer  la  terreur  que  leurs  manifestes  préten- 


daient répandre  chez  nous.  Alors  la  tribune  de  la 
Constituante,  de  la  Législative,  de  la  Convention, 
cette  tribune  que  le  18  brumaire  allait  rendre 
muette,  retentissait  de  paroles  que  le  monde 
n'avait  jamais  entendues,  qui  allaient  au  cœur  de 
tous  les  peuples,  et  qui  formulaient  pour  toutes 
les  nations  les  principes  du  droit  moderne.  Alors 
le  bruit  des  batailles  n'étouffait  pas  la  voix  des 
orateurs  :  auxvictoires  do  Kellermann  à  Valmy,  de 
Dumouriez  à  Jemmapes,  de  Jourdan  à  Wattignies 
et  à  Fleurus,  de  Marceau  à  Savenay,  de  Hoche  à 
Landau,  de  Brune  à  Bergen,  de  Masséna  à  Ziirich, 
répondaient  l'éloquence  des  Vcrgniaud,  des  Brissot. 
des  Isnard,  des  Danton,  des  Saint-Just,  le  fécond 
labeur  des  Condorcot,  des  Romme,  des  Lakanal, 
des  Daunou,  des  Merlin  de  Douai,  des  législa- 
teurs du  Code  civil.  Il  y  avait  une  merveilleuse 
émulation  entre  les  hommes  d'État  et  les  ora- 
teurs, entre  les  députés  et  les  généraux,  entre  lo 
peuple  et  ses  représentants,  entre  les  soldats  et 
leurs  chefs,  pour  le  salut  de  la  République  et  la 
liberté  du  monde.  Pendant  que  les  armées  démo- 
lissaient à  coups  de  canon  le  vieil  édifice  euro- 
I  péen,  des  milliers  de  lois  fondaient  la  société  nou- 
velle, affi'anchissant  à  la  fois  l'industrie  et 
l'agriculture,  l'homme  et  la  terre,  organisant  les 
tribunaux,  les  administrateurs,  les  écoles,  les  mu- 
sées. Les  soldats  avaient  le  respect  de  la  loi  comme 
j  des  légistes  et  les  avocats  montraient  sur  les  champs 
de  bataille  la  bravoure  des  solJats.  C'étaient  des 
pouvoirs  purement  civils  qui  envoyaient  à  la  vic- 
toire des  armées  de  citoyens.  La  vertu  antique 
semblait  revivre  dans  ces  hommes  si  jeunes  que 
la  guillotine  ou  la  mitraille  frappait  à  la  fleur  de 
l'âge,  Saint-Just  à  vingt-sept  ans,  Marceau  à  vingt- 
■  cinq.  Ils  mouraient  comme  des  Romains  ;  Plutar- 
j  que  eût  été  digne  de  raconter  les  morts  héroïques 
des  Girondins,  des  dantonistes,  dos  derniers- 
Montagnards.  La  révolution  a  été  un  continuel 
enfantement  d'idées,  de  lois,  de  victoires.  Toute 
cette  génération,  vouée  à  une  mort  prématurée, 
n'eut  devant  les  yeux  que  l'avenir  infini,  la  vie 
!  immortelle  de  l'humanité.  C'est  pour  avoir  re- 
gardé  au  delà  du  temps  qu'elle  vivra  éternelle- 
I  ment  dans  la  mémoire  des  hommes.  Nulle  gloire, 
ni  celle  d'Austerlitz,  ni  celle  d'Iéna,  n'effacera  la 
sienne.  Dans  nos  prospérités,  c'est  à  la  Révolution 
que  nous  faisons  remonter  l'hommage  de  notre 
reconnaissance;  dans  nos  épreuves,  c'est  à  elle 
que  nous  nous  adressons  pourlui  demander  l'ins- 
piration et  la  foi.  Nos  pères  de  1780  et  de 
KOÎ,  par  leurs  combats,  par  leurs  souffrances, 
'  par  leur  vie  et  par  leur  mon,  nous  ont  faits  ce 
'  que  nous  sommes  :  ingrats  serions-nous  si  nous 
ne  défendions  pas  leur  mémoire;  indignes,  si  nous 
laissions  périr  leur  héritage. 

[Alfred  Rambaad.l 
j      RHÉTORIQUE.—  Littérature  et  style,  I.  —De 
'  la  théorie  litléraire  et  de  la  rhétorique  —  La  lit- 
[  térature  (en  latin  litterœ,  écriture)  est  l'expression 
écrite  des  faits  qui  intéressent  l'homme,  de    ses 
'  idées,  de  ses  croyances,  de  ses  sentiments,  et  en 
j  même   temps  l'expression  du  vrai,  du   beau  et  du 
bien,  sans  laquelle  aucune  œuvre  ne  saurait  mé- 
riter le  nom  de   littéraire.  Etudier  la  littérature, 
c'est  donc  rechercher  par  quelle  méthode  et  con- 
[  fermement   à    quelles  règles  on  pourra  de  façon 
littéraire   exprimer  ce    que  l'on  sait,  ce  que  l'on 
pense,  ce  que  l'on  sont,  ou  comprendre  ce  qu'ont 
'  décrit,  pensé,  ou  senti  les  autres  hommes.  Cette 
étude  est  presque  tout   entière  contenue  dans  la 
rhétorique.  Considérée  du  point  de  vue  le  plus  gé- 
néral, la  rhétorique  est  en  effet  la  théorie  même 
de  l'art  de  la  composition,  la  théorie  do  la  parole 
(en  grec  rlieô,  je   parlej.  non  pas  seulement  telle 
qu'elle    s'échappe  des    lèvres  de  l'orateur,   mais 
telle  qu'elle  reste  gravée  dans  les  monuments  de 
'  la  littérature  ;  ses  préceptes  fondamentaux,  rela- 


RHÉTORIQUE 


—  1917  — 


RHETORIQUE 


tifs  àriuvention,  b.  la  disposilion  et  à  l'éloculioii, 
ne  s'appli(|uein  pas  seulement  à  la  prose,  mais 
encore  à  la  poésie,  et  s'imposent  h  toute  ceuvi-e 
littéraire;  elle  distingue  et  étudie  les  genres; 
elle  analyse  le  fond  et  la  forme,  pour  saisir  leur 
intime  rapport  ;  elle  clierclio  à  découvrir  toutes 
les  sources  de  la  pensée,  et  à  assurer  la  marclie 
du  raisonnemejit  ;  elle  sonde  les  facultés  de  l'âme, 
où  doit  pénétrer  rélo(|uence,  et  d'où  elle  doit  jail- 
lir; elle  énumèro  toutes  les  variétés  et  toutes  les 
qualités  du  style,  pour  l'approprier  aux  divers  su- 
jets et  en  faire  l'instrument  docile  de  la  pensée  ; 
elle  définit  le  goût  ([u'elle  aide  à  former  par  la 
critique  et  l'étude  des  modelés,  le  talent  qu'elle 
développe  et  fortifie  par  l'exercice,  le  génie  qu'elle 
guide  et  gouverne  par  l'art;  elle  le  met,  pour 
l'inspirer,  en  présence  du  beau,  du  sublime  et  de 
l'idéal  :  elle  est,  en  un  mot,  la  théorie  littéraire 
par  excellence. 

Ace  tilie,  quelle  n'est  pas  son  utilité?  En  dé- 
veloppant les  facultés  intellectuelles,  et  en  for- 
mant le  cœur  de  l'homme,  elle  le  rend  "véritable- 
ment digne  de  ce  nom,  capable  de  servir  et 
d'honorer  l'humanité,  capable  de  goûter  la  plus 
noble  des  jouissances,  celle  que  procure  l'étude  et 
la  connaissance  des  belles-lettres. 

De  la  rheloi-ii/ue  proiJi-einait  dite.  —  Mais  la 
rhétorique  a  été  enfermée  dans  des  limites  plus 
étroites,  et  considérée  comme  un  art  spécial,  dont 
les  préceptes  s'adressent  particulièrement  à  tous 
ceux  qui  ont  à.  parler  en  public.  On  la  définit  alors 
l'art  oratoire,  l'art  de  bien  dire,  ou  mieux  l'art  de 
persuader,  d'agir  sur  les  volontés  par  la  parole. 
Elle  limite  le  domaine  de  l'éloquence  à  trois 
genres  de  causes,  le  délibératif  qui  conseille  ou 
dissuade,  le  judiciaire  qui  accuse  ou  défend,  le 
démonstratif  qui  blâme  ou  loue  (V.  la  division 
moderne  à  l'article  Discours)  ;  puis,  pour  nous  ap- 
prendre h  traiter  les  sujets  qui  se  rattachent  i  ces 
trois  genres,  elle  se  divise  elle-même  en  cinq  par- 
ties :  I'Invention  accumule  tous  les  matériaux  du 
discours,  les  aiyuments  ou  preuves,  avec  les 
lieux  communs  et  les  formes  de  raisonnement  qui 
les  font  valoir,  les  mœurs,  qui  concilient  à  l'orateur 
la  sympathie  de  l'auditoire,  les  passions,  qui  le 
rendent  maître  des  âmes  ;  la  Disposition  met 
tous  ces  matériaux  en  ordre,  et  les  répartit  entre 
l'exordc,  la  proposition,  la  narration,  la  confirma- 
tion, la  réfutation  et  la  péroraison  ;  I'Elocution  est 
comme  le  vêtement  du  discours,  et  s'occupe  des 
qualités  générales  ou  particulières  du  style,  des 
tropes,  des  figures  de  mots  et  de  pensée;  la 
MÉMOIRE,  ce  liésor  de  toutes  les  connaissances, 
est  la  gardienne  du  dépùt  que  lui  confie  l'inven- 
tion ;  l'AcTioN  règle  la  voix,  le  regard,  le  geste, 
l'attitude  de  l'orateur  ;  elle  est  comme  l'éloquence 
du  corps.  Nous  faisons  grâce  à  nos  lecteurs  de  la 
longue  et  stérile  nomenclature  des  termes  et  des 
définitions  que  comporte,  dans  les  traités  de  rhé- 
torique ancienne,  chacune  des  subdivisions  de 
ces  cinq  parties  principales;  pour  plus  de  détails, 
nous  les  renvoyons  aux  articles  Discours,  Cii7npo- 
silion.  Style,  t'iijures.  Ûéclmnatioit. 

Le  but  de  la  rhétorique  ainsi  conçue,  c'est  l'uti- 
lité ;  art  pratique,  elle  forme  des  orateurs,  et  leur 
apprend  à  défendre  des  accusés,  à  traiter  dans  les 
assemblées  publiques  toutes  les  questions  qui  in- 
téressent le  gouvernement  des  Etats,  la  prospéiité 
et  le  salut  des  peuples.  S'il  dépendait  d'elle  de 
donner  l'éloquence,  aucun  art  ne  pourrait  se 
vanter  d'être  plus  utile  :  qu'il  suffise  à  sa  gloire 
d'être  au  moins  son  auxiliaire  et  son  guide. 

Historir/ue.  —  C'est  qu'en  efl'et  la  rhétorique 
doit  plus  k  l'éloquence,  que  l'éloquence  à  la  rhé- 
torique. Comme  tous  les  arts,  elle  naît  de  l'obser- 
vation et  de  l'imitation.  Dès  ces  époques  primiti- 
ves où  l'homme  vivaità  l'état  sauvage  et  où  régnait 
la  force,  l'éloquence,  fille  de  la  nature  et  du  génie, 


alliée  h  la  poésie  pour  fonder  les  sociétés  et  les 
soumettre  h  des  lois,  avait  déjà  rendu  bien  des 
services  â  l'humanité  et  remporté  bien  des  triom- 
phes, ciuand  des  esprits  observateurs  s'avisèrent 
de  noter  les  procédés  qu'elle  employait  d'instinct. 
La  rhétorique,  fruit  de  ces  observations,  n'appa- 
raît en  Grèce  que  lon;;tenips  après  Homère,  qui 
lui  fournit  des  modèles,  après  Selon,  Pisistrate, 
Tliémistocle,  etc.,  qui  la  devinent.  La  liberté  vit 
d'éloquence  :  chez  les  Grecs  un  temps  arrive  où 
«  tout  dépend  du  peuple  et  où  le  peuple  dépend 
de  la  parole  ;  dans  leur  forme  de  gouvernement, 
la  fortune,  la  réputation,  l'autorité  sont  attachées 
à  la  persuasion  de  la  multitude.  La  parole  est  le 
grand  ressort  en  paix  et  en  guerre  :  »  les  rhéteurs 
et  les  sophistes  peuvent  paraître  alors  ;  la  jeunesse 
athénienne  accourt  i  leurs  éculos;  on  comprend 
la  puissance  d'un  discours  étudié,  composé,  écrit  ; 
l'art  \ient  en  aide  à  la  nature  ;  on  ruttine  la  pa- 
role, et  l'éloquence  devient  savante,  grâce  aux 
leçons  des  Gorgias,  des  Protagoras,  des  Prodicus, 
dos  Lysias,  des  Isocrate.  Quand  elle  mourra  avec 
Démoslhène  et  la  liberté,  elle  aura  livré  ses  secrets 
h  Aristote,  qui  résume  pour  les  siècles  à  venir  la 
théorie  de  l'art  oratoire. 

La  rhétorique  grecque  règne  chez  les  Romains. 
Cicéron  l'ennoblit,  en  la  soumettant  à  la  philoso- 
phie, et  en  lui  faisant  franchir  à  la  recherche  de 
l'idéal  les  limites  où  l'avaient  enfermée  les  rhé- 
teurs de  profession  ;  mais  à  Rome ,  comme  à 
Athènes,  elle  survit  k  l'éloquence  et  se  met  au  ser- 
vice de  la  déclamation;  l'œuvre  immense  et  compli- 
quée d'un  Quiniilien  peut  encore  honorer  les  le- 
çons d'un  art  qu'elle  aide  ."i  vivre,  mais  que  ne  fé- 
conde plus  la  véritable  éloquence. 

En  France,  dans  les  universités  et  dans  les  col- 
lèges, on  ne  jure  longtemps  que  par  Aristote  et 
Quintilien;  la  rhétorique  est  enseignée,  avec  une 
superstitieuse  exactitude,  telle  que  les  rhéteurs 
grecs  et  romains  l'avaient  conçue,  sans  autre  but 
que  l'érudition,  et  dans  un  idiome  qui  n'avait 
plus  de  rapport  avec  la  pensée,  les  mœurs  et  les 
sentiments  d'un  monde  nouveau  ;  l'enseignement 
des  Jésuites,  voué  au  laliii,  perpétue  le  règne  de 
cet  art  pédantesque,  même  en  un  siècle  où  c'est 
la  voix  d'un  Bossuet  qui  répond  aux  préceptes 
d'une  rhétorique  surannée.  Mais  déjà  le  génie 
français  tend  k  s'affranchir  du  joug:  Racine,  dans 
ses  l'iatdeurs,  livre  au  ridicule  les  avocats  qui 
confondent  le  temple  de  la  chicane  avi;c  l'agora 
ou  le  forum  ;  Molière  fait  justice  de  Vithos  et  du 
pathos;  quelques  pensées  de  Pascal,  quelques 
pages  de  Fônelon  et  de  La  Bruyère  dégagent  la 
rhétorique  du  faix  d'érudition  qui  l'appesantissait, 
et  la  soumettent  aux  simples  lois  du  goût  fran- 
çais ;  il  y  a  enfin  une  rhétorique  nationale,  fran- 
çaise. En  vain  l'aimable  Rollin  cherche  k  rajeunir 
par  une  forme  plus  légère  et  plus  séduisante  les 
préceptes  de  la  vieille  rhétorique  :  le  xviii=  siècle 
écrit  plus  qu'il  ne  parle,  et  quand  il  parle,  k  la 
fin,  c'est  pour  agir;  les  orateurs  de  la  Révolution 
n'ont  pas  le  temps  d'écouter  Aristote  et  Quintilien. 
Puis  peu  à  peu  s'élargit  le  cercle  des  connaissances 
humaines  ;  les  sciences  prennent  place  k  côté  des 
lettres  dans  l'enseignement  de  l'université;  si  la 
rhétorique  figure  encore  avec  honneur  au  pro- 
gramme des  études,  on  l'étudié  moins  dans  les 
traites  que  sur  les  modèles;  elle  cesse  d'ôtre  en- 
combrante et  pédante,  elle  parle  en  français. 

De  la  rliètorique  daiis  les  écoles  normales  et 
les  écoles  primaires.  —  La  littérature  et  l'art  de 
la  composition  ont  leur  large  part  dans  ce  Diction- 
naire. A  la  rhétorique  proprement  dite,  nous  ne 
demanderons  pour  nos  maîtres  et  pour  nos  élèves 
que  ce  qu'elle  peut  donner  aux  uns,  dans  la  me- 
sure de  leurs  attributions,  aux  autres,  dans  la 
mesure  de  leur  instruction  et  des  nécessités  de  la 
vie  publique  et  privée.  Un  maître  doit  savoir  par- 


HICHARD 


—  1918  — 


RICHELIEU 


1er;  on  fait  aujoui'd"liui  une  large  part  Ji  l'ensei- 
gnement, oral,  plus  vivant  et  plus  fécond  que  celui 
du  livre.  La  plume  reste  sans  doute  la  maîtresse 
par  excellence  de  l'art  de  bien  dire,  mais  elle  ne 
suffit  pas;  il  faut  encore  la  pratique  et  comme 
une  culture  particulière  de  la  parole.  Bien  des 
sujets  de  composition  écrite  peuvent  devejiir  à  un 
moment  donné  des  sujets  de  composition  parlée, 
récits,  descriptions,  développements  de  pensées 
morales,  jugements  sur  un  personnage  liistorique  ; 
les  leçons  d'histoire  et  les  leçons  de  choses  doi- 
vent être  orales,  une  analyse  littéraire  peut  être 
improvisée.  Jusqu'à  la  mémoire  et  à  l'action,  cul- 
tivées par  la  récitation  et  la  lecture,  il  n'est  pas 
une  partie  de  la  rhétorique  qui',  réduite  à  de  justes 
proportions,  ne  puisse  et  ne  doive  trouver  son 
emploi  dans  une  école  normale. 

De  môme,  avec  les  exercices  de  composition 
écrite,  tous  les  degrés  de  l'école  primaire  com- 
portent certains  exercices  de  parole,  et  nos  élèves 
sauront  parler,  quoi  qu'on  en  dise,  si  nous  leur 
apprenons  à  parler,  si  nous  ne  les  tenons  pas 
courbés  sans  cesse  sur  le  livre  ou  le  cahier,  si 
l'interrogation  volant  dans  la  classe  fait  partout 
jaillir  la  parole;  invitez-les  h  raconter  ce  qu'ils 
ont  vu,  h  répéter  tout  haut  ce  qu'ils  viennent  d'ap- 
prendre, h.  résumer  de  vive  voix  une  leçon  d'his- 
toire ou  les  premières  notions  de  la  science,  à 
animer  par  des  exemples  les  leçons  abstraites  de 
la  morale;  à  la  faveur  de  la  lecture,  apprenez-leur 
à  soigner  leur  débit.  Citoyens  d'un  pays  libre, 
maires  de  leurs  villases,  conseillers  municipaux, 
témoins  devant  un  tribunal,  pour  eux  bientôt,  dans 
les  professions  les  plus  diverses,  que  d'occasions 
de  parler  1  Qu'ils  apprennent  dans  les  écoles  à 
s'exprimer  avec  clarté,  correction,  aisance  et  sin- 
cérité :  la  rhétorique  ne  leur  en  demande  pas  da- 
vantage. [C.  de  Lostalot.J 

RICIIAIID.  —  Histoire  générale,  XXVIII.  — 
Nom  de  trois  rois  d'Angleterre.  Pour  Richard  I"' 
Cœur  de  Lion,  V.  Plantayunet  et  Croisades; 
pour  Richaid  II,  V.  Plantarjenet  et  Guerre  de 
Cent  Ans;  pour  Richard  III,  V.  Pla>itage7iet  et 
Guerre  rfev  Deux  Ros-^-.  —  V.  aussi  Angleterre. 

KICHEI.IEU.  —  Histoire  de  France,  XXII.  — 
Armand-Jean  du  Plessis,  cardinal  de  Richelieu, 
fut  l'un  des  plus  grands  hommes  d'Etat  de  l'an- 
cienne monarchie  française,  un  de  ceux  qui  ont 
le  plus  contribué  à  fonder  l'unité  nationale  et  la 
l)répondérance  de  notre  pays  en  Europe.  Richelieu 
naquit  i  Paris  (5  septembre  I.îS.i).  11  avait  pour 
père  un  gentilhomme  poitevin,  François  du  Plessis, 
qui  avait  suivi  Henri  III  en  Pologne  et  vigoureuse- 
ment combattu  les  Ligueurs  aux  cùtés  d'Henri  IV. 
Elève  du  collège  de  Navarre,  le  futur  cardinal  se 
destinait  i  la  carrière  des  armes.  Mais  la  pression 
de  sa  famille  le  contraignit  à  entrer  dans  les  or- 
dres, où  il  devait  porter  son  caractère  tranchant  et 
son  esprit  tout  militaire. Le  frère  aine  de  Richelieu 
venait  de  se  faire  chartreux  et  lui  cédait  sa  place 
d'évêque  de  Luçon,  bien  qu'il  eût  à  peine  vingt- 
deux  ans(lGO").  Aux  Etats-Généraux  de  1614,  il 
fut  élu  pour  représenter  le  clergé  du  Poitou.  La 
femme  du  maréchal  d'Ancre,  Léonora  Galigai,  le 
présenta  !\.  la  reine-mère,  Marie  de  ^lédicis  (16151 
qui,  remarquant  sa  vive  intelliïence,  le  fit  entrer 
au  conseil  comme  secrétaire  d'Etat  pour  la  guerre 
(1016).  La  réaction  féodale  qui  suivit  le  meurtre 
du  luaréchal  d'Ancre  (24  avril  1017)  fit  tomber 
Richelieu.  Exilé  de  la  cour,  il  s'attache  à  la  reine- 
mère,  négocie  en  son  nom  un  double  accommode- 
ment avec  son  fils  Louis  XIII,  à  Angoulème  (1019) 
et  à  Angers  (1021).  La  mort  du  duc  de  Luynes,  re- 
présentant du  parti  féodal,  réconcilie  le  jeune  roi 
avec  Marie  de  Médicis.  Elle  obtient  pour  Richelieu 
le  chapeau  de  cardinal  (1623)  et  parvient  h  le  faire 
entrer  au  conseil,  malgré  les  défiances  de  Louis 
XllI  (I0'i4j.  Dès  lors    Richelieu  saisit  le  pouvoir 


d'une  main  vigoureuse,  exerçant  en  fait  depuis 
1024,  en  titre  depuis  1629,  le  rôle  de  premier  mi- 
nistre pour  le  plus  grand  bien  de  la  France,  la 
confusion  de  l'étranger  et  la  défaite  du  parti 
féodal. 

A  peine  maître  de  la  situation,  Richelieu  met  à 
exécution  ses  grands  desseins.  Placé  entre  la  ja- 
lousie du  roi  qui  le  redoute  et  le  supporte  en  fré- 
missant; les  complots  du  duc  d'Orléans  qui  veut 
le  faire  assassiner;  lus  intrigues  honteuses  des 
deux  reines,  maintenant  réconciliées  (Marie  de 
Médicis  et  Anne  d'Autriche),  qui  le  trahissent 
tantôt  pour  l'Angleterre  et  tantôt  pour  l'Espagne  ; 
harcelé  par  la  noblesse,  qui  appelle  les  armées 
étrangères  pour  le  combattre,  et  par  les  favoris 
royaux,  le  poignard  des  meurtriers  et  les  ven- 
geances féminines,  Richelieu  poursuit  impertur- 
bablement son  œuvre,  broyant  tous  les  obstacles, 
avec  l'aide  de  quel(|ues  agents  dévoués  (le  père 
Joseph,  le  cardinal  de  Sourdis). 

Arracher  la  France  aux  mains  des  f,ictions  reli- 
gieuses qui  la  déchirent,  du  parti  seigneurial  qui 
la  déshonore,  tel  est  son  premier  but.  Réunir  en- 
suite toutes  les  forces  de  la  nation  pour  briser  la 
puissance  de  la  maison  d'Autriche  en  Europe  et 
assurer  du  même  coup  la  prépondérance  de  la 
France  et  la  liberté  de  conscience  de  l'Allemagne, 
telle  fut  la  seconde  partie  de  son  rôle.  Essayons 
de  l'analyser  brièvement. 

Evoque  et  cardinal,  Richelieu  eut  la  gloire,  en 
plein  xvii"  siècle,  de  subordonner  toujours  les 
questions  religieuses  aux  intérêts  nationaux.  Deux 
partis  étaient  en  armes  :  catholiques  et  protes- 
tants. Ces  derniers,  se  sentant  menacés,  avaient 
conclu,  par  l'intermédiaire  de  leurs  chefs  (Henri 
de  Rohan  et  le  duc  de  Soubise),  une  alliance 
avec  l'Angleterre.  Richelieu  les  attaque  (1026), 
leur  enlève  l'île  de  Ré,  assiège  leur  principale 
place  d'armes,  La  Rochelle,  jette  dans  la  mer  une 
digue  de  liOil  mètres  qui  ferme  le  port,  canonne 
la  flotte  anglaise,  et  s'empare  de  la  ville  après 
14  mois  de  siège  (1628).  Les  protestants  vaincus 
et  désarmes,  il  les  réconcilie  avec  le  pouvoir  en 
leur  accordant  le  libre  exercice  de  leur  culte  et 
les  mêmes  droits  qu'aux  catholiques  jpaix  d'Alais, 
1629).  Par  cette  sage  conduite,  les  guerres  de  reli- 
gion étaient  terminées. 

Il  se  tourne  alors  contre  la  noblesse,  dont  les 
complots  et  les  soulèvements  avaient  déjà  failli 
paralyser  son  œuvre,  contre  la  noblesse  qui  par- 
lait ouvertement  de  le  poignarder,  avec  l'assenti- 
ment de  la  reine  et  du  frère  du  roi.  Le  conspira- 
teur Chalais  est  décapité  (1026)  ;  les  comtes  de 
Boutteville  et  de  La  Chapelle,  qui  ont  bravé  l'édit 
contre  les  duels,  le  suivent  à  l'échafaud  (1627). 
César  de  Vendôme  est  dépouillé  de  ses  titres,  en- 
fermé à  Vincennes  ;  d'Ornano  meurt  dans  sa  pri- 
son. Les  deux  reines  font  un  nouvel  effort  pour 
renverser  Richelieu  (1B3U),  mais  la  journée  des 
dupes,  qui  le  consolide,  amène  la  disgrâce  des 
conspirateurs,  Bassompierre  et  les  deux  Marillac. 
Marie  de  Médicis  est  exilée  (1631).  La  noblesse  de 
province  se  révolte,  entraînée  par  le  duc  de 
Lorraine  et  le  maréchal  duc  do  Montmorency,  gou- 
verneur du  Languedoc.  Ce  derjiier  est  vaincu  à 
Castelnaudary  et  décapité  à  Toulouse  (1632).  La 
Lorraine  est  occupée  par  l'armée  royale.  En  1635, 
Gaston  d'Orléans  essaie  en  vain  de  faire  assassi- 
ner le  ministre  à  Amiens.  Puis  c'est  le  comte  de 
Soissons,  aidé  du  duc  de  Bouillon,  qui  se  soulève 
et  appelle  l'armée  espagnole.  Il  est  tué  à  la  ba- 
taille de  la  Marfée  (1641'.  Le  favori  du  roi,  Cinq- 
Mars,  complote  avec  de  Tliou  la  chute  du  puissant 
ministre.  Richelieu  parvient  à  saisir  le  traité  se- 
cret qu'ils  ont  conclu  avec  l'Espagne,  et  les  fait 
exécuter  à  Lyon  (1642). 

La  noblesse  effarée,  domptée,  courbait  la  tôle. 
Pour  mieux  la  réduire  encore,  il  brisait  ses  privi- 


RICHELIEU 


—  1919  — 


ROCHES 


lègos,  sii|ipriiii.iit  les  (îi'andes  dignités  militaires, 
trop  il;iii^  rriiM's  entre  des  mains  seigneuriales 
(le  liiir  .le  .nniirtahlc  et  celui  de  grand-amiral). 
il  (le-, uni. m  lis  cliàteaux  féodaux,  instituait  dos 
m:ifii^li.ii^  iiouveaux  (les  intendants),  hommes  du 
Tiers-Elat,  qui  supplanteront  bientôt  les  anciens 
gouveiiu'urs  pour  l'administration  des  provinces. 
La  sauvasse  coutume  du  duel,  vieux  reste  do  l'an- 
cien droit  féodal  do  guerre  prirce  et  du  prétendu 
jiii/cinent  dr  Uiru,  était  sévèrement  prohibée.  La 
bourgeoisie  et  la  magistrature  parlementaire,  corps 
tout  dévoués  au  gouvernement,  s'élevaient  sur  les 
débris  du  monde  féodal,  oppresseur  et  anarchique, 
dont  les  plus  illustres  représentants  tombaient 
l'un  après  l'autre  sous  les  coups  du  grand  minis- 
tre de  la  monarchie  absolue. 

La  France  enlin  centralisée,  unie  et  forte,  pou- 
vait entrer  en  scène  dans  le  grand  drame  qui  se 
jouait  alors  en  Europe,  la  guerre  do  Trente  Ans. 
Deux  principes  étaient  aux  prises.  D'une  part, 
l'intolérance  religieuse  et  l'asservissement  de 
l'Europe  aux  deux  grands  Etats  catholiques  d'Au- 
triche et  d'Espagne.  De  l'autre,  la  liberté  de  cons- 
cience et  l'indépendance  des  peuples,  représentées 
par  les  petits  Etats  prolestants  de  l'Allemagne  et 
de  la  région  Scandinave.  Richelieu,  évèque  et  car- 
dinal, foule  aux  pieds  les  préjugés  de  son  temps, 
et  tire  l'épée  pour  la  défense  du  protestantisme 
en  danger.  Grâce  à  lui,  la  France  apparaît  tout  à 
coup  comme  la  protectrice  de  tous  les  peuples 
menacés  dans  leur  foi  ou  leur  indépendance  par 
les  envahissements  de  Rome  ou  l'ombrageuse 
tyrannie  de  l'Autriclie-Espagne.  Ajoutons  que  der- 
rière la  défaite  de  l'Autriche  et  la  liberté  de 
l'Allemagne  protestante,  Richelieu  a  entrevu  l'in- 
dispensable conquête  tant  négligée  par  la  vieille 
monarchie,  la  conquête  de  la  rive  gauche  du  Rhin. 

Il  commence  par  chasser  l'Espagne  de  la  Valto- 
line,  qu'il  restitue  aux  Grisons  calvinistes  (iC'iO). 
Il  établit  de  vive  force  un  prince  français,  le  duc 
de  Nevers,  dans  les  importantes  possessions  de 
Mantoue  et  du  Montferrat,  maigre  les  Espagnols 
(l6-i0).  L'Italie  est  entamée.  Mais  en  Allemagne, 
l'armée  protestante  vient  d'être  vaincue  et  disper- 
sée, malgré  l'appui  des  Danois.  Richelieu  contient 
un  moment  l'Autriche  victorieuse  (diète  de  Ratis 
bonne)  par  la  diplomatie  du  père  Joseph.  11  négocie 
un  traité  avec  la  Suède,  au  grand  avantage  et  des 
Suédois  et  de  la  France,  prodigue  l'argent  pour 
lever  des  troupes  en  Allemagne,  et  jette  sur 
l'Autriche  le  premier  homme  de  guerre  de  l'épo- 
que, le  héros  de  la  Suède,  Gustave-Adolphe 
(I(j30-I6;ri).  Celui-ci  parcourt  en  vainqueur  tout 
l'empire  germanique,  mais  il  meurt  au  milieu  de 
son  triomphe,  à  la  bataille  de  Lutzeu  (lliS'i).  Dès 
lors  Richelieu  n'hésite  plus.  Il  s'assure  l'appui, 
moral  ou  matériel,  de  tous  les  Etats  menacés  par 
l'ambition  autrichienne,  et  déclare  la  guerre(lC35j. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  la  raconter  (V.  Guerre 
de  Trente  Ans).  Malgré  les  trahisons  de  la  no- 
blesse et  les  complots  de  la  reine  Anne  d'Autriche, 
qui  ne  craint  pas  de  livrer  les  secrets  d'Etat  à 
l'Espagne,  la  France  tient  tète  à  l'ennemi  sur 
toutes  ses  frontières.  Un  moment  envaliie  au  nord 
par  l'armée  espagnole  qui  s'avance  jusqu'à  C.orbie 
(I63G),  elle  est  sauvée  par  la  fermeté  de  Riche- 
lieu et  l'enthousiasme  des  Parisiens  qui  s'enrô- 
lent en  foule.  L'appui  de  la  Hollande  et  les  vic- 
toires de  Bernard  de  Saxe  venant  en  aide  à  nos 
généraux,  l'Alsace  est  conquise  (lO:iS),  une  révo- 
lution éclate  en  Portugal  contre  les  Espagnols 
(Ifi4li),  le  Roussillon  et  la  Catalogne  même  se 
soulèvent  et  réclament  l'appui  de  la  France  (lG4l)  ; 
au  nord,  l'Artois  est  conquis;  au  sud,  Perpignan 
est  pris  (IG42).  Mais  Richelieu  épuise  meurt 
avant  d'avoir  pu  achever  son  u;uvre,  en  léguant 
à  la  France  Mazarin,  son  élève,  qui  était  digne 
do  la  compléter. 


Malgré  ses  nombreux  ennemis,  ses  faibles  res- 
sources et  sa  santé  chancelajite,  Richelieu  était 
donc  parvenu  à  réaliser,  au  moins  dans  ses  gran- 
des lignes,  le  plan  qu'il  s'était  tracé.  Il  fut, 
comme  administrateur,  aussi  actif  et  aussi  habile 
qu'il  était  bon  diplomate  et  grand  patriote.  Sa 
persévérance,  son  énergie  soutenue,  son  intelli- 
gence des  temps  nouveaux  sont  également  admi- 
rables. C'est  le  premier  ministre,  avant  Lou- 
vols,  qui  organise  une  armée  forte  et  régulière 
(18(1, OUO  hommes);  le  premier,  avant  Colbert,  qui 
équipe  une  flotte  de  cent  vaisseaux.  Il  comprend 
l'importance  des  colonies  naissantes,  et  cherche 
à  devancer  l'Angleterre  sur  tous  les  points  du 
monde  (au  Canada,  à  Terre-Neuve,  à  Saint-Do- 
mingue, aux  Petites  Antilles,  au  Sénégal,  à  Mada- 
gasear,  à  la  Guyane).  11  fait  refondre  les  lois 
civiles  (111-28).  il  institue  l'Académie  française 
(IU:15),  protège  la  jeunesse  de  Corneille,  honore 
les  lettres  en  la  personne  de  Voiture,  de  Gom- 
bault,  de  Chapelain,  les  arts  en  pensionnant 
Poussin.  La  construction  du  Palais-Cardinal  (Pa- 
lais-Royal), la  création  du  collège  du  Plessis,  de 
la  Bibliothèque  royale,  du  Jardin  des  plantes, 
attestent  assez  son  activité  et  ses  efforts  pour 
embellir  la  capitale. 

On  lui  a  reproché  son  despotisme,  et  la  mort 
des  grands  seigneurs,  conspirateurs  ou  traîtres, 
qu'il  fit  monter  à  l'échafaud.  Mais  ces  exécutions 
étaient  nécessaires  à  son  système  de  gouverne- 
ment, et  II  ne  pouvait  exercer  le  pouvoir  et  réa- 
liser ses  plans  qu'à  ce  prix.  Quoi  qu'il  en  soit, 
rirapartialité  oblige  à  reconnaître  que  Richelieu 
est,  avec  Philippe-Auguste  et  Philippe  le  Bel, 
Louis  XI  et  Henri  IV,  un  des  rares  hommes  d'E- 
tat de  l'ancienne  monarchie  qui  aient  voué  leur 
vie  à  fonder  l'unité  française,  à  élever  l'édifice  de 
la  grandeur  nationale,  et  qui  aient  su  marcher 
avec  l'esprit  du  temps,  souvent  même  devancer 
l'avenir.  [p.  Martine.! 

nuBKRT.  —  Histoire  de  France,  VIII.  —  Robert, 
fils  et  successeur  de  Hugues  Capet,  régna  de  9()G 
à  IflSI.  Les  principaux  événements  de  son  règne 
ont  été  racoiités  à  l'article  Hwjues  Capet  et  les  pre- 
miers Ca/jétie?is. 

nucuii.s.  —  Géologie,  II.  —  On  donne  le 
nom  de  roi:he  à  tout  minéral  ou  assemblage  de 
minéraux  formant  des  masses  assez  considérables 
pour  jouer  un  rôle  notable  dans  l'écorce  du  globe. 
Les  caractères  généraux  des  roches  se  rappor- 
tent surtout  :  r  à  la  composition;  2°  an  gise- 
ment ;  3°  au  mode  de  formation  ;  4°i  la  structure. 
Il  suffit  d'un  examen  très  surperflciel  pour 
constater  que  les  roches  sont  les  unes  simples  et 
les  autres  composées.  Les  premières,  souvent  dé- 
signées sous  le  nom  de  roclies  liumogénes,  sont 
formées  d'éléments  ou  d'individus  minéralogi- 
ques  de  nature  uniforme.  Le  grès  quartzeux,  le 
sel  gemme,  le  marbre  blanc  peuvent  être  cités 
comme  exemples  de  roches  homogènes.  Los  ro- 
ches composées,  dites  aussi  h/Srotéi/éiies,  sont 
constituées  par  la  réunion  d'individus  appartenant 
à  diverses  espèces  minérales.  Parmi  ces  roches, 
qui  sont  extrêmement  nombreuses,  on  peut 
citer  le  granité,  la  pegmatlte,  l'ophicalce,  etc.  Le 
nom  de  roches  surcmiposiSes  convient  à  celles 
qui,  comme  la  brèche  universelle  d'Egypte  ou  le 
nagelfluhe,  sont  formées  de  fragments  apparte- 
nant à  des  roches  diverses,  composées  elles- 
mêmes. 

En  général,  les  individus  minéralogiques  conte- 
nus dans  les  roches  sont  fort  petits  et  souvent 
même  d'un  volume  inappréciable  à  l'oeil  nu. 
Dans  certaines  roches  le  volume  dos  parties  mi- 
nérales élémentaires  échappe  aux  instruments 
grossissants  les  plus  perfectionnés;  ainsi,  de 
quelque  manière  que  l'on  s'y  prenne,  il  est  jus- 
qu'ici imuûssible  de  distinguar  les  dernières  par- 


ROCHES 


—  1920  — 


ROCHES 


tics  indivisibles  de  l'argile,  de  la  marne,  du  si- 
lex, comme  aussi  des  masses  vitreuses  qui 
résultent  de  refroidissement  de  certaines  laves 
comme  l'obsidienne  et  la  gallicane.  On  peut  dis- 
tinguer, sous  le  rapport  des  parties  individuel- 
les :  1»  les  roches  pluinéroyènes,  c'est-à-dire  dont 
les  parties  sont  apparentes  et  discernables  à  l'œil 
nu  (ex.  le  granité,  la  dolérite)  ;  2°  les  roclies  adé- 
logènes,  où  le  volume  des  parties  est  caché  et 
invisible  (ex.  :  le  basalte,  le  pétrosilex);  3°  les 
roches  partie  adélogènes  et  partie  phanérogènes  : 
tels  soi'.t  les  mélapbyres,  composés  dune  pâte 
compacte  avec  cristaux  discernables  et  reconnais- 
bles  à  l'œil  nu. 

En  général,  les  caractères  tirés  du  gisement 
des  roches  présentent  extrêmement  peu  de  pré- 
cision. S'il  est  vrai  que  le  granité  occupe  une 
autre  position  que  la  houille  et  une  autre  aussi 
que  la  galène,  il  faut  reconnaître  qu'on  trouve 
des  calcaires  dans  les  situations  géologiques  les 
plus  diverses,  et  qu'il  en  est  encore  de  même 
pour  beaucoup  d'autres  roches.  Les  considéra- 
tions stratigraphiques  ne  sauraient  donc  être  que 
d'un  très  faible  secours  relativement  à  la  classi- 
fication des  roches. 

L'étude  du  mode  de  formation  des  roches  est 
un  des  points  les  plus  intéressants  de  la  géolo- 
gie; mais  cette  élude  est  bien  loin  d'être  com- 
plète. Dès  à  présent  on  sait  d'une  manière 
générale  que  certaines  roches  se  sont  formées 
par  voie  purement  aqueuse  (limon),  et  d'autres 
par  voie  hydrotherniale,  c'est-à-dire  par  l'inter- 
médiaire de  l'eau  aidée  d'une  forte  chaleur  (les 
filons);  d'autres  par  une  sorte  de  voie  mixte 
supposant  d'abord  un  dépôt  aqueux,  puis  un 
échaufifement  plus  ou  moins  considérable  (roches 
métamorphiques).  Il  est  de  plus  en  plus  dou- 
teux que  des  roches  aient  jamais  été  produites 
par  la  voie  ignée  seule,  c'est-à-dire  par  la  chaleur 
non  aidée  de  vapeurs,  et  s'il  en  existe,  on  ne  sau- 
rait les  chercher  même  parmi  les  masses  les  plus 
profondes,  telles  que  les  roches  de  péridot  dont 
les  éruptions  de  basaltes  nous  ont  parfois  apporté 
des  échantillons. 

On  entend  par  structure  l'aspect  que  présente 
l'enchevêtrement,  l'enlacement  des  éléments  mi- 
néralogiques  dune  roche.  Cet  aspect  dépend  du 
volume  respectif,  de  la  figure,  de  la  proportion 
et  de  la  position  réciproque  des  parties  élémen- 
taires. Il  convient  d'énumcrer  quelques-unes  des 
principales  structures  qui  peuvent  se  rencontrer  : 
1°  Une  roche  est  dite  Idnielkiire  lorsiiue  la  cas- 
sure offre  de  petites  lamelles  cristallines  à  peu 
près  planes;  elle  e&t  sacchdruide  lorsque  sa  cou- 
leur blanciie  lui  donne  une  apparence  analogue 
à  celle  du  sucre;  '2°  une  roche  yrenue  ou  granu- 
laire est  formée  de  grains  distincts  plus  ou 
moins  gros  ;  3"  une  roche  est  porplujrique  lorsqu'au 
milieu  d'une  pâte  d'apparence  plus  ou  moins  ho- 
mogène, on  trouve  des  cristaux  disséminés  de 
feldspath  ou  des  divers  autres  éléments  qui  cons- 
tituent la  roche;  4°  on  la  dit  porphyroïd-  lors- 
que, étant  grenue,  elle  contient  des  cristaux  dis- 
séminés beaucoup  plus  gros  que  ceux  qui  for- 
ment la  base  de  la  roche;  ô"  i/tandu/aire  quand, 
au  milieu  de  la  pâte,  les  cristaux,  au  lieu  d'être 
disséminés  en  grains  cristallins,  se  présentent 
sous  forme  de  rognons  glanduleux  ;  i.»  gtohuli- 
fére,  ysohaire  ou  variolaire,  ami/gdahiire,  ou 
pisulit'iiyue,  ou  oolithique,  quand  la  roche  con- 
tient, disséminées  dans  la  masse,  des  parties  plus 
ou  moins  sphéroidales;  7°  schistuide,  lorsque  la 
roche  parait  formée  de  lits  minces  et  quelque- 
fois même  de  feuillets  ;  S°  compacte,  quand  tous 
les  éléments,  réduits  à  un  volume  microscopi- 
ques, sont  très  serrés  dans  le  tissu  de  la  roclie  ; 
y  vacuolaire  ou  cellulaire,  lorsciue  la  roche  con- 
tient des    cavités  nombreuses;  10°   argiloide  oa 


terreuse,  lorsque  le  tissu  est  serré  et  poreux  ; 
11"  vitreuse,  quand  la  roche  présente  l'aspect  du 
verre;  12°  yrésiforine  ou  arénacée,  quand  la  ro- 
che prend  l'aspect  du  sable  agglutiné  ou  non  ; 
13°  poudinguiforine  ou  pséphitique  quand  elle  a 
l'aspect  de  grains  agglutinés  ou  non;  14°  brécki- 
forine,  quand  elle  est  formée  par  la  réunion  de 
fragments  anguleux;  15°  zoogène  ou  pJiylogène, 
quand  elle  résulte  de  l'agglutination  de  débris 
animaux  ou  végétaux. 

Pour  la  détermination  des  roches,  l'analyse 
minéralogique  doit  seule  intervenir,  et  non  pas 
l'analyse  chimique,  comme  on  le  fait  trop  sou- 
vent. La  raison  en  est  très  simple.  En  elïet,  les 
roches  étant,  d'après  leur  définition  même,  des 
mélanges  en  proportions  variées  de  diverses  es- 
pèces minérales,  il  pourra  arriver,  si  on  les  sou- 
met à  l'analyse  chimique,  des  résultats  dilïérents 
pour  des  roches  évidemment  identiques .  et, 
par  contre,  des  roches  certainement  difl'éren- 
tes  donneront  les  mêmes  résultats.  C'est  ainsi  que 
du  granité  très  feldspathique  n'a  pas  la  même 
composition  chiiniiiue  que  du  granité  très 
quartzeux;  c'est  ainsi,  à  l'inverse,  que  l'analyse 
donne  les  mêmes  chiffres  quand  elle  s'applique 
à  certains  granités  et  à  certaines  ardoises. 

Reste  à  savoir  si  l'analyse  minéralogique  est 
toujours  possible  ;  si,  par  exemple,  on  pourra 
dire  quels  minéraux  entrent  dans  la  constitution 
de  telle  ou  telle  roche  à  grains  très  fins  et  d'ap- 
parence homogène.  Mais  ce  sont  là  des  détails 
que  les  études  ultérieures  viendront  sans  dtiute 
éclaircir  et  qui,  dans  tous  les  cas,  ne  sauraient 
infirmer  le  principe  de  la  méthode.  On  en  est 
d'autant  plus  assuré  que  divers  procédés  in- 
génieux ont  dès  maintenant  fourni  une  foule 
de  documents  i)récis  à  l'égard  de  roches  qui 
semblaient  défier  toutes  les  tentatives  de  triags 
minéralogique. 

En  première  ligne  doit  être  citée  à  ce  point  de 
vue  l'étude  au  microscope  de  lames  taillées  au  ira» 
vers  des  roches  sans  moclifier  la  situation  relative  de 
leurs  parties  constituantes,  et  cependant  avec  une 
minceur  telle  que  la  lumière  passe  sans  difficulté 
au  travers  de  leur  substance. M.  Sorby  est  certaine- 
ment un  des  savants  qui  ont  les  premiers  employé  ce 
mode  opératoire.  En  opérant  dans  la  lumière  po- 
larisée, on  arrive  à  déterminer  ainsi  beaucoup  de 
substances  minérales.  Toutefois,  il  ne  faut  pas  aller 
trop  vile  dans  l'application  de  ce  délicat  procétié, 
et  justement  à  cause  de  sa  délicatesse.  On  sait, 
en  effet,  que  les  cristaux  agissent  sur  la  lumière 
polarisée  de  faisons  diverses  dans  leurs  diverses 
directions,  et  on  n'a  pas  toujours  le  moyen  de 
reconnaître  la  direction  cristallographique  suivant 
laquelle  sont  coupés  les  éléments  d'une  roche 
réduite  en  lame  mince.  Mais  les  résultats  déjà 
acciuis  peuvent  faire  prévoir  de  nouveaux  progrès 
qui  permettront  de  rejeter  des  déterminations 
sans  doute  hasardées,  faites  trop  vite  par  la  lu- 
mière  polarisée. 

Dans  beaucoup  de  cas,  il  importe  de  séparer 
les  uns  des  autres  les  minéraux  associés  daiis 
une  ruche,  et  parfois  cette  séparation  est  possi- 
ble  grâce  à  l'application  de  dilt'érenles  méthodes. 
L'une  des  plus  habituellement  suivies  porte  le 
nom  de  lêvigation  :  elle  s'applique  au  cas  où 
les  minéraux  à  séparer,  ayant  un  volume  à  peu 
près  égal,  ont  des  densités  dift'érentes.  On  met 
la  matière  réduite  en  poudre  dans  une  capsule  et 
l'on  y  fait  arriver  un  filet  d'eau  d'une  vitesse 
convenable  :  les  parties  peu  denses  sont  entraî- 
nées et  vont  se  déposer  dans  un  second  vase  où 
l'on  reçoit  l'eau  qui  les  entraine  ;  les  autres  res- 
tent dans  la  capsule,  à  laquelle  on  a  soin  d'im- 
primer, durant  l'opération,  un  mouvement  parti- 
culier d'oscillation.  On  sait  que  c'e.st  par  lêviga- 
tion  que    les  orpailleurs  séparent  le»  paillettes 


ROCHES 


—  1921  — 


ROCHES 


d'or  (les  matièros   moins  donscs  qui   constituent 
les  sables  aurifii-es. 

Des  triages  physiques  peuvent  être  cités  h  cM 
de  ces  triages  purement  mécaniques.  L'un  d'eux 
consiste  dans  l'emploi  d'un  barreau  aimanté.  Si 
l'on  promène  un  aimant  dans  la  poudre  obtenue 
par  le  broyage  d'un  basalte,  on  en  retire  facile- 
ment tout  le  fer  titane,  qui  est  magnétique, 
tandis  (|uo  les  parties  pierreuses  restent  à  peu 
prés  complètement  inertes.  Parfois,  on  peut  utili- 
ser la  conductibilité  électrique  des  éléments  des 
roches.  On  sait  en  quoi  consiste  l'expérience  de 
Leichtenberg  :  on  prend  un  plateau  de  résine  bien 
uni  et  l'on  dépose  sur  sa  surface,  au  moyen 
d'une  bouteille  de  Leyde  que  l'on  tient  par  la 
panse,  de  l'électricité  positive  suivant  des  lignes 
quelconques.  On  répète  cette  opération,  mais  en 
suivant  d'autres  lignes,  après  avoir  chargé  l'inté- 
rieur do  la  bouteille  d'électricité  négative.  On 
a  donc  sur  la  résine  des  bandes  électrisoes  positi- 
vement et  d'autres  électrisées  négativement  ;  on 
projette  alors  sur  la  résine  ainsi  préparée  un  mé- 
lange de  poudres  fines  de  minium  et  de  soufre, 
au  moyen  d'un  petit  soufflet  dans  lequel  on  les  a 
introduites.  Les  deux  poudres  s'électrisent  par 
frottement  en  passant  par  la  tuyère  du  soufflet; 
le  soufre,  qui  est  électrisé  négativement,  se  porte 
sur  les  couches  électrisées  positivement,  et  le 
minium  sur  celles  qui  ont  reçu  le  fluide  néga- 
tif. Or,  l'expérience  réussit  très  bien  si  au  lieu 
du  mélange  de  minium  et  de  soufre,  on  fait 
usage  de  la  poudre  de  certaines  roches  com- 
plexes naturelles,  telles  que  certains  trachytes 
sulfurifères.  Le  triage  des  éléments  de  ces  roches 
est  donc  ainsi  réalisé. 

Comme  les  acides  n'exercent  pas  une  action 
égale  sur  tous  les  minéraux,  on  peut  les  employer 
à  opérer  des  séparations;  seulement  il  faut  re- 
marquer qu'ils  donnent  simplement  le  moyen 
d'isoler  les  minéraux  inattaquables  ;  les  autres 
sont  détruits.  Par  exemple  un  acide  étendu  agis- 
sant sur  du  cipolin,  dissout  et  fait  disparaître  le 
calcaire,  tandis  que  le  talc  reste  inaltéré  ;  de  même 
ce  réactif  agissant  sur  la  Iherzolithe  respecte  le 
pyroxène  et  attaque  le  péridot. 

L'analyse  aussi  complète  que  possible  des  ro- 
ches les  plus  diverses  conduit  comme  dernier  ré- 
sultat à  l'établissement  d'un  nombre  plus  ou  moins 
grand  de  types  fondés  à  la  fois  sur  les  caractères 
•de  composition  et  do  structure. 

Evidemment,  nous  no  confondrons  pas  le  basalte 
vacuolaire  avec  le  calcaire  saccharoide  ou  la  peg- 
matite  graphique  ;  mais  il  est  certain  que  nous 
chercherions  tout  de  suite  à  réunir  ces  types  en 
espi-'ccs,  comme  on  le  fait  dans  les  autres  branches 
de  l'histoire  naturelle,  en  minéralogie  par  exemple. 
Orce  travail  nous  conduit  à  cette  conséquence  peut- 
être  imprévue  pour  quelques-uns  de  nos  lecteurs, 
qu'il  n'existe  pas  d'espèces  en  lithologie. 

D'ailleurs,  la  raison  en  est  bien  simple  :  c'est 
que  parmi  les  roches,  il  n'existe  pas  de  véritables 
indittidus.  En  zoologie,  en  botanique,  en  chimie, 
en  minéralogie,  on  sait  ce  que  c'est  qu'un  indi- 
vidu. Mais  rien  de  pareil  n'existe  en  lithologie, 
abstraction  faite  bien  entendu  dfs  roches  simples, 
dans  lesquelles  on  ne  peut  voir  que  des  minéraux 
présentant  simplement  ce  caractère  particulier 
d'être  très  abondants. 

Toutefois,  la  division  en  types  ne  saurait  suffire 
pour  rendre  nos  études  faciles,  et  si  nous  n'avons 
pas  la  faculté  de  distinguer  des  espèces,  nous 
pouvons  du  moins  faire  des  rjroupes  qui  leur  se- 
ront en  quelques  points  analogues.  On  peut  citer 
difl'érents  types  de  granités  :  granité  porphyroîde, 
granité  grenu,  granité  schistoide,  etc., c'est-à-dire 
différents  types  de  roches  ayant  la  même  compo- 
sition minéralogir/ue.  Il  parait  tout  indiqué  de  les 
réunir  en  un  seul  groupe  qui  sera  le  groupe  des 
2«  Partie. 


i/raniles,  ou  plutôt,  pour  no  pas  nous  enchaîner 
trop  vite  il  des  dénominations  spéciales,  le  groupe 
des  roches  formées  par  la  réunion  du  quartz,  du 
feldspath  orthose  et  du  mica. 

Nécessairement,  à  cùté  de  ce  groupe  nous  en 
ferons  trois  autres,  l'un  pour  les  roches  formées 
de  quartz  et  de  feldspath  {pegniatitos,  etc.),  le 
second  pour  les  roches  formées  de  quartz  et  de 
mica  (gneiss),  et  le  troisième  pour  les  roches  for- 
mées de  feldspath  et  de  mica  (minette). 

A  ce  propos  une  remarque  importante  est  indis- 
pensable :  il  n'est  pas  un  type,  il  n'est  pas  un 
groupe  qui  soit  nettement  délimité.  Partout  les 
transitions  les  plus  insensibles  relient  entre  eux 
les  termes  qu'un  premier  coup  d'œil  montrait 
comme  parfaitement  distincts  les  uns  des  autres. 
Ainsi,  ce  qui  nous  frappera  tout  de  suite  dans 
l'étude  des  types,  c'est  le  nombre  de  leurs  pas- 
sages intermédiaires.  Si  l'on  examine  une  suite 
suffisamment  nombreuse  d'échantillons,  on  en 
trouve  immédiatement  qui  participent  à  la  fois 
des  caractères  de  plusieurs  types  difl'érents  etdont 
la  définition  est  dès  lors  incertaine. 

Pour  les  groupes,  il  en  est  de  même.  Ainsi,  nous 
trouvons  parmi  les  granités  de  très  grandes  varia- 
tions. Le  mica  par  exemple  y  est  en  propor- 
tion très  diverse,  et  cet  élément  venant  à  dispa- 
raître progressivement,  nous  serons  insensiblement 
en  présence  de  roches  qui  seront  de  plus  en  plus 
semblables  aux  pegmatites.  A  quel  moment  ce 
groupe  fera-t-il  place  i  l'autre'?  Il  est  impossible 
de  le  prévoir. 

Ce  que  nous  disons  relativement  au  mica  peut 
se  dire  pour  le  feldspath  et  pour  le  quartz,  c'est- 
i-dire  que  nous  trouverons  des  passages  entre  le 
granit  et  le  gneiss,  de  même  qu'entre  le  granit 
et  la  minette. 

Ces  mômes  passages  qui  viennent  de  se  pro- 
duire par  appauvrissement,  c'est-à-dire  par  dispa- 
rition progressive  de  l'un  des  éléments  d'une 
roche  donnée,  pourront  aussi  être  dus  à  une  cause 
inverse  :  on  rencontrera  des  échantillons  de 
pegmatite  un  peu  micacée.  Il  n'y  a  pas  pour  cela 
à  pensera  en  faire  un  granité;  mais  cotte  peg- 
matite est  évidemment  un  passage  vers  leS  roches 
à  trois  éléments. 

Les  faits  de  ce  genre  nous  conduisent  tout  na- 
turellement à  dire  quelques  mots  d'une  distinc- 
tion capitale  qu'on  doit  établir,  malgré  son 
arbitraire,  entre  les  divers  minéraux  qui  peuvent 
entrer  dans  la  composition  d'une  roche  donnée. 

Outre  le  feldspath,  le  quartz  et  le  mica,  l'analyse 
minéralogique  de  certains  granités  donne  du 
grenat,  du  talc,  de  la  tourmaline,  de  l'émeraude, 
de  la  topaze,  du  zircon,  de  l'andalousite,  du  dis- 
thène,  de  la  pinite,  du  sphène,  de  la  magnétite, 
de  l'apatite,  de  la  fluorine, du  graphite,  etc.  Mais 
ces  divers  minéraux  ne  jouent  évidemment  dans 
la  roche  qu'un  rôle  tout  à  fait  accessoire;  et  c'est 
CB  qu'on  exprime  en  disant  qu'ils  sont  des  miné- 
raux accidentels.  Le  quartz,  le  feldspath  et  la 
mica  sont  au  contraire,  dans  ce  cas  particulier,  des 
minéraux  essentiels. 

Comment  s'y  prendra-t-on  pour  reconnaître 
qu'un  minéral  est,  daus  une  roche  donnée,  essen- 
tiel ou  accidentel?  Deux  cas  peuvent  se  présenter: 
ou  bien  le  minéral  on  question  est  très  rare  dans 
les  roches,  ou  bien,  au  contraire,  il  y  est  très 
abondant.  Dans  le  premier  cas,  l'étude  des  échan- 
tillons suffit;  dans  l'autre  l'observation  sur  le  ter- 
rain peut  seule  conduire  à  la  solution  du  pro- 
blème. 

Ainsi,  le  calcaire  saccharoide  contient  quelquefois 
de  petites  paillettes  de  graphite  ;  elles  sont  rares 
et  disséminées  çà  et  là  :  évidemment  le  nom 
d'accidentel  convient  sans  conteste  à  ce  gra- 
phite. An  contraire,  certains  micaschistes  sont 
complètement  criblés  de  cristaux  do  grenat.  Le 
121 


ROCHES 


—  1922  — 


ROMAN 


grenat  est-il  essentiel  ou  accidentel  ?  L'étude  de 
l'échantillon  conduirait  à  répondre  qu'il  fait  partie 
essentielle  de  la  roche  ;  mais  l'examen  des  grands 
massifs  do  micaschistes  montre  que  les  régions 
grcnatisées  sont  exceptionnelles,  et  que  le  grenat 
est  par  conséquent  un  accident  de  composition. 

De  pareils  exemples  font  voir  quel  vague  doit 
exister  dans  la  distinction  des  minéraux  en  essen- 
tiels et  en  accidentels.  Les  lithologistes  sont  né- 
cessairement contraints,  dans  nombre  de  cas,  à 
trancher  la  question  d'une  manière  tout  à  fait 
arbitraire,  et  dès  lors  il  ne  faut  pas  s'étonner  de 
voir  varier  plus  ou  moins  la  caractéristique  qu'ils 
donnent  d'une  même  roche. 

Ajoutons  que  la  présence  des  minéraux  acciden- 
tels lournit  le  meilleur  caractère  pour  l'établisse- 
ment des  variétés. 

Les  observations  qui  précèdent  nous  donnent  le 
moyen  de  repartir  les  diverses  roches,  non  pas 
d'après  une  cla>iifii:ation  proprement  dite,  dont 
l'impossibilité  en  lithologie  est  manifeste,  mais 
conformément  à  un  arrangement  systématique 
susceptible  de  faciUter  nos  études. 

Ce  que  cet  arrangement  ainsi  compris  prosente 
de  particulier,  c'est  la  rigueur  avec  laquelle  le 
principe  de  la  subordination  des  caractères  y  est 
appliqué.  Nous  divisons  d'abord  les  roches  en  deux 
grandes  catégories,  suivant  qu'elles  sont  liomo- 
génes  ou  hétérogènes,  ces  dernières  consistant  en 
fragments  agglutinés  de  roches  homogènes. 

Les  roches  hétérogènes  sont  caractérisées  par 
la  nature  des  fragments  qui  entrent  dans  leur 
constitution,  et  ceux-ci  font  partie  de  la  première 
catégorie.  11  n'y  a  donc  pas  lieu  ici  d'y  insister 
spécialement. 

Quant  aux  roches  homogènes,  nous  les  répar- 
tissons  dans  de  grandes  divisioifi  d'après  le  nom- 
bre de  leurs  éléments  constituants  essentiels. 
Nous  avons  ainsi  les  roches  unitaires,  les  roches 
binaires  et  les  roches  ternaires. 

Chaque  division  comprend  des  groupes  exclusi- 
vement caractérisés  par  la  composition  minéra- 
logique.  C'est  ainsi  que  toutes  les  roches  essen- 
tiellement formées  de  feldspath  et  de  mica  sont 
réunies  dans  le  même  groupe.  S'il  se  trouve  que 
ces  minéraux  essentiels  subissent  des  variations 
dans  leur  composition,  à  chacune  d'elles  corres- 
pond un  sous-groupe.  Ainsi  les  roches  qui  nous 
occupent  se  diviseront  en  trois  sous-groupes  :  le 
premier  comprend  les  roches  formées  d'orthose 
et  de  mica  ordinaire  (gneiss,  leptynolithes)  ;  le  se- 
cond les  roches  formées  d'orthose  et  àe  mica 
brun  (minette,  kéralite)  ;  le  dernier  enfin  les  ro- 
ches formées  de  mica  ordinaire  et  d'oligoclase 
(kersanton). 

D'après  la  structure,  les  groupes  (ou  les  sous- 
groupes  quand  il  y  en  a)  se  divisent  en  types. 
Ainsi,  le  groupe  des  roches  essentiellement  for- 
mées par  le  mélange  du  quartz  avec  le  feldspath 
comprend  des  masses  se  rapportant  à  sept  struc- 
tures principales  :  nous  en  faisons  sept  types  dis- 
tincts. Ce  sont  ceux  qui  correspondent  aux 
roches  :  r  grenues  (granulites)  ;  2°  graphiques 
(pegmatite)  ;  .i°  porphyroldes  (porphyre  feldspa- 
thique  quartzifère)  ;  4°  granitoides  (!'/.);  5°  schis- 
toides  (((/.);()"  globulifères  (pyromérides)  ;  7"  gré- 
siformes  (arkose). 

Chacun  de  ces  types  admet  enfin  des  variétés 
dues  exclusivement  à  la  présence  de  minéraux 
accidentels,  et  l'on  ne  voit  d'indétermination  possi- 
ble que  dans  le  cas  où  plusieurs  de  ces  minéraux 
se  présentent  à  la  fois.  Dans  ce  cas,  la  roche  pour- 
rait au  même  titre  être  considérée  coumie  appar- 
tenant à  |)lusieurs  variétés,  mais,  celles-ci  étant 
toutes  com|)rises  dans  le  même  type,  le  vague  ne 
serait  pas  très  grand. 

Pour  ce  qui  concerne  le  classement  géologique 
des  roches  et  l'étude  des  phénomènes  de  stratifi- 


cation, nous  renvoyons  à  l'article  Terrains  (Classi- 
ficalioii  des).  i Stanislas  Meunier.] 

RODOLPHE  1"  KT  II.  —  V.  Habsbourg. 

R(>.M.v.\.  —  Littérature  et  style,  IV.  —  Le 
roman  est  le  dernier-né  parmi  les  genres  litté- 
raires. Sans  remonterjusqu'aux  littératures  de  l'O- 
rient et  sans  rechercher  si  des  livres  comme 
Estker  et  Ruili,  par  exemple,  doivent  être  ou  non 
considérés  comme  des  romans,  en  nous  arrêtant 
à  la  littérature  grecque,  ce  n'est  que  fort  tard 
que  nous  voyons  apparaître  le  roman.  L'épopée 
et  la  poésie  lyrique  ouvrent  la  marche,  puis  vien- 
nent la  chronique  et  bientôt  l'histoire.  La  tragé- 
die et  la  comédie  se  dégagent  de  la  poésie  lyrique 
et  presque  aussitôt  fleurissent.  Athènes  voit  à  peu 
près  en  même  temps  éclore  et  s'épanouir  l'élo- 
quence et  la  philosophie.  Ce  n'est  qu'après  la 
chute  d'Athènes,  lorsque  la  période  alexandrine 
est  venue,  que  le  roman  se  montre  ;  après  la  poé- 
sie bucolique,  c'est  lui  qui  donna  aux  lettres 
grecques  leur  dernier  éclat  avec  l'auteur  de 
Théagène  et  Chariclée,  avec  celui  de  Daphnis  et 
C/iIoé.  La  véritable  Grèce,  on  peut  le  (lire,  n'a 
pas  connu  le  roman.  A  Rome,  Pétrone,  au  temps 
de  Néron,  en  donne,  dans  le  Satgricon,  le  pre- 
mier échantillon  qui  nous  soit  parvenu  dans  la 
langue  latine.  Apulée  écrit  V.ine  d'or,  un  siècle 
plus  tard.  S'il  fallait  chercher  l'origine  directe 
du  roman  dans  l'antiquité,  c'est  probablement 
parmi  les  contes  de  l'ancienne  Egypte  qu'on  aurait 
le  plus  de  chance  de  la  rencontrer. 

Le  roman  dans  l'antiquité  ne  se  montre  jamais 
que  comme  un  genre  secondaire.  Né  à  une  épo- 
que de  décadence  littéraire,  il  n'a  produit  aucune 
œuvre  animée  d'un  grand  souffle.  Il  est  médio- 
crement composé,  afl'ecté  et  maniéré,  le  plus  sou- 
vent licencieux. 

C'est  durant  la  période  historique  que  l'on  est 
convenu  d'appeler  le  moyen  âge  que  le  roman 
conquiert  définitivement  la  faveur  générale.  11  y 
revêt  une  double  forme.  Tantôt  il  raconte  les 
incidents  de  la  vie  populaire,  les  petits  drames 
ou  les  petites  comédies  de  la  vie  ordinaire  et 
bourgeoise,  les  mésaventures  des  maris,  les  bons 
tours  de  la  rouerie  féminine,  les  conflits  des  in- 
térêts et  des  passions  humaines  ;  tantôt,  haussant 
le  ton,  il  peint,  au  contraire,  la  vie  héroïque, 
les  vaillants  coups  d'épée  des  chevaliers,  les 
luttes  épiques,  tantôt  contre  les  monstres,  tantôt 
contre  les  infidèles,  tantôt  contre  les  hérétiques, 
les  combats  grandioses  et  terribles  et  les  nobles 
amours,  les  tournois  hardis  et  galants,  la  foi  in- 
vincible du  paladin  défendant  tour  à  tour  son 
Dieu,  son  roi  ou  sa  dame.  Il  est  à  la  fois  l'épo- 
pée, la  tragédie  ou  la  comédie.  Un  caractère  le 
marque  :  terrible  ou  gai,  le  récit  en  est  toujours 
le  caractère  principal.  Et  voici  son  second  carac- 
tère. A  mesure  qu'il  avance,  le  merveilleux  y 
lient  de  moins  en  moins  de  place.  Il  a  commencé 
par  mettre  en  action  le  ciel  et  la  terre.  Dieu,  les 
anges  et  les  démons  aussi  bien  que  les  hommes; 
il  l'a  fait  sans  scrupule;  les  récits  édifiants  de  la 
Légende  Dorée  n'appartiennent  pas  moins  au  genre 
du  roman  que  les  exploits  des  chevaliers  ou  les 
contes  joyeux  des  Gaulois,  nos  vieux  pères.  Le 
roman,  selon  le  sujet  qu'il  aborde  ou  la  fantaisie 
dts  auteurs,  s'écrit  tantôt  en  prose,  tantôt  en 
vers.  Puis,  peu  h  peu  le  merveilleux  est  éliminé. 
La  prose  remplace  définitivement  le  vers.  L'in- 
tervention des  puissances  surnaturelles  cesse  de  se 
manifester.  Le  romancier  abandonne  aux  poètes, 
aux  faiseurs  d'épopée  tout  ce  qui  dépasse  l'hu- 
manité. Il  se  borne  à  étudier  celle-ci  et  à  la  pein- 
dre. La  transition  n'est  pas  brusque.  Longtemps 
encore  le  roman  de  clievalerie  continue  à  char- 
mer les  imaginations  ;  il  met  en  scène  des  hom- 
mes plus  grands  que  nature,  il  se  plait  à  peindre 
des    amours  idéales,  ou  a   raconter    des  événe- 


ROMAN 


—  1923  — 


ROMAN 


iiients  extraordinaires.  Il  semble  plaire  d'autant 
plus  qu'il  transporto  davantage  le  loctour  dans  un 
monde  plus  diirérent  du  monde  réel.  Pourtant  le 
mouvement  une  fois  imprimé  ne  s'arrêtera  plus. 
Le  roman  abordera  tous  les  sujets  et  tentera 
toutes  les  formes,  il  cliorcliera  tour  à  tour  h  faire 
pleurer  ou  îi  faire  rire  :  mais  qu'il  se  propose  d'é- 
mouvoir l'iuinianilé  ou  de  la  distraire,  c'est  tou- 
jours rimmanité  elle-même  qu'il  s'appliquera  à 
mettre  en  scène. 

Ce  qui  est  incontestable  on  tout  cas,  c'est  qu'un 
genre  littéraire  nouveau  s'est  développé.  Du  se- 
cond, du  troisième  plan,  il  s'est  avancé  sur  le 
premier.  Il  n'est  plus  un  genre  inférieur  et  dé- 
daigné. Si  riiistoire  en  Italie  a  Guichardin  et 
Machiavel  au  xvi''  siècle,  si  elle  a  eu  Philippe  de 
Commines  en  Franco  dès  le  xv';  si  Lope  de  Vega 
en  Espagne  a  ressuscité  le  drame  ;  si  Shakes- 
peare en  Angleterre  se  lève  comme  un  soleil, 
portant  l'art  dramatique  à  un  degré  de  vérité 
iiumaine,  supérieur  peut-être  h  ce  que  la  Grèce 
nous  avait  montré  de  plus  adEuirable;  en  France, 
en  Espagne,  les  deux  plus  magnifiques  productions 
de  l'esprit  humain,  les  deux  ouvrages  où  le  siècle 
nouveau  a  le  mieux  exprime  son  génie  sont 
deux  romans,  le  Gargantua  et  le  Pantagruel  de 
Rabelais,  le  Don  Quichotte  de  Cervantes.  Le 
roman  a  conquis  sa  place  qu'il  n'abandonnera 
plus. 

Il  pâlit  légèrement  durant  le  xvii°  siècle.  Le 
goût  classique,  l'admiration  passionnée  de  l'anti- 
quité et  des  formes  littéraires  consacrées  par  les 
chefs-d'œuvre  font  un  peu  de  tort  au  roman, 
surtout  auprès  des  lettrés.  Cependant,  VAstrée  de 
d'ilrfé,  plus  tard  les  romans  de  M'i"  de  Scudéry, 
s'ils  ne  sont  pas  parmi  les  ouvrages  dont  la  criti- 
que s'occupe  le  plus,  sont  au  nombre  des  ouvra- 
ges les  plus  lus.  Les  contes  et  les  romans  du 
xvie  siècle,  les  romans  de  l'Espagne  et  de  l'Italie, 
comptent  eux  aussi  beaucoup  de  lecteurs  et  de 
lectrices.  Scarron  publie  son  Roman  comique. 
Tandis  que  Perrault  compose  ses  contes,  l'amie 
de  La  Rochefoucauld,  M'"'  de  Lafayette,  écrit 
Zénaide  et  la  Princesse  de  Clève'-;  elle  prouve 
ainsi,  au  moment  où  Racine  écrit  ses  tragédies, 
que  le  roman  n'est  pas  moins  que  le  théâtre  ca- 
pable d'animer  des  caractères,  et  d'analyser  les 
sentiments  les  plus  délicats  du  cœur  humain. 

Les  génies  qui  ont  fait  au  xvn«  siècle  la  gloire 
du  théâtre  français  disparaissent  l'un  après  l'au- 
tre, Molière  meurt,  Corneille  meurt.  Racine 
meurt  :  nul  n'est  capable  de  recueillir  leur 
héritage.  C'est  le  roman  qui  va  bénéficier  sur- 
tout de  cette  situation.  Fénelon,  le  pieux  arclie- 
vêque,  trouve  dans  le  Télémnque  le  titre  le  plus 
durable  de  sa  gloire.  Voici  Lesage,  îi  la  fois  au- 
teur dramatique  et  romancier  :  mais  le  romancier 
est  supérieur  à  l'auteur  dramatique  ;  le  Diable 
boiteux  et  Gil  Blus  seront  ses  œuvres  les  plus 
incontestées,  les  plus  durables.  Le  roman  de 
mœurs  est  né,  cheminant  de  compagnie  avec  le 
roman  d'aventures.  Voici  Montesquieu,  qui  choisit 
la  forme  du  roman  pour  écrire  ses  Lettres  persa- 
nes. Voici  bientôt  l'abbé  Prévost,  qui  va  émouvoir 
son  temps,  qui  émouvra  tous  les  temps  avec  son 
court  récit  de  Manon  Lescaut.  Daniel  de  Foe  en 
Angleterre  vient  de  son  côté  de  se  servir  du  ro- 
man pour  glorifier  dans  le  liubinson  Crusoë  l'é- 
nergie humaine.  Swift  lui  aussi  s'en  est  servi 
dans  le  Conte  du  Tonneau,  dans  ses  Voi/aijes 
de  Gulliver,  pour  lancer  contre  les  vices  et  les 
travers  de  l'humanité  ses  âpres  et  amères  satires. 
Un  moment,  durant  la  première  moitié  du  xviii" 
siècle,  la  vogue  en  France  revient  vers  le  théâtre. 
Crébillon  et  Voltaire  s'emparent  de  la  scène 
tragique.  C'est  l'heure  do  Z«iVe,  d'Alzire,<\a  Rha- 
damiste,  à'Atrèe,  de  Mérope,  de  Scmiramis.  Le 
roman  cependant  ne  consent  plus   à  perdre  son 


importance  littéraire.  En  Angleterre,  il  a  Fiel- 
dini;,  l'auteur  do  Tom  Jones,  il  a  Richardson,  l'au- 
teur de  Paniéla  et  de  Clarisse  liarlowe,  qui  le 
portent  plus  haut  qu'il  n'a  jamais  été.  En  France, 
il  va  briller  durant  la  seconde  moitié  du  siècle 
d'un  éclat  extraordinaire.  Ce  ne  sont  pas  seule- 
ment les  auteurs  secondaires,  les  Duclos,  les 
Crébillon  fils,  les  Laclos,  qui  vont  le  cultiver, 
exploitant  les  curiosités  licencieuses  et  libertines 
du  temps.  Il  va  servir  à  de  plus  nobles  entrepri- 
ses. C'est  d'abord  Voltaire  qui  s'empare  do  cette 
forme  de  l'art,  comme  étant  celle  qui  peut  arriver 
au  public  le  plus  nombreux,  qui  peut  le  mieux  le 
servir  dans  l'œuvre  qu'il  poursuit.  En  se  servant 
du  roman,  il  le  rehausse  dans  l'opinion,  il  l'élève 
au  premier  rang  par  le  prestige  qu'il  lui  apporte, 
par  le  génie  qu'il  y  déploie,  par  les  imitateurs 
qu'il  va  susciter  parmi  ses  disciples.  Tout  jeune 
homme,  hanté  de  l'ambition  littéraire,  s'exercera 
désormais  à  composer  dus  romans,  comme  il 
s'exerçait  naguère  h  composer  des  tragédies.  Les 
romans  conduiront  i  l'Académie  française.  Vol- 
taire écrit  en  se  jouant  cent  contes  et  dix  ro- 
mans :  c'est  la  Princesse  de  Babyinie,  c'est  Zadig, 
c'est  Micromégas,  c'est  l'Homme  aux  quarante 
écus,  c'est  ïhigénu,  c'est  Candide.  A  côté  de  lui 
Diderot  écrit  Jacques  le  Fataliste,  la  Reli/jieuse, 
qui  servent  à  la  fois  les  passions  du  siècle,  flat- 
tent son  libertinage,  propagent  l'audace  des 
doctrines  nouvelles.  Soudain  Rousseau  apparaît 
tenant  d'une  main  l'Emile,  de  l'autre  la  Nouvelle 
Héloise,  et  le  rôle  du  roman  s'agrandit  encore. 
Aucun  livre  ne  sera  plus  lu,  aucun  n'exercera  sur 
une  société  une  influence  plus  profonde  que  ces 
deux  ouvrages.  Ils  auront  sur  les  femmes  plus 
d'influence  encore  peut-être  que  sur  les  hommes. 

C'est  depuis  la  seconde  moitié  du  xvm'  siècle, 
depuis  Richardson,  surtout  depuis  Voltaire  et 
Rousseau,  que  le  roman  a  conquis  dans  les  let- 
tres sa  place  incontestée.  Un  romancier,  s'il  a  du 
génie, ne  le  cède  désormais  comme  autorité, comme 
considération,  comme  influence,  ni  i  un  grand 
poète  tragique  ou  comique,  ni  à  un  grand  philo- 
sophe, ni  à  uu  grand  historien,  ni  à  un  puissant 
orateur.  La  France  après  Rousseau  se  passionne 
pour  Bernardin  de  Saint-Pierre;  l'Angleterre  a 
Sterne  et  Goldsmith  ;  l'Allemagne  moderne  qui 
s'éveille  voit  apparaître  Werther. 

A  partir  de  ce  moment  on  ne  disputera  plus 
au  roman  l'égalité  avec  les  genres  littéraires  les 
plus  éminents.  Loin  de  dédaigner  cette  forme  de 
l'art,  les  plus  beaux  génies  tiendront  à  honneur 
de  la  cultiver.  Gœthe,  qui  a  débuté  par  le  roman 
de  Wertlier,  après  avoir  écrit  Gœlz  de  Berlichin- 
qen,  Egmonl  et  Faust,  ne  croira  pas  déchoir  en 
revenant  au  roman  avec  Wilhelm  Meister  ou  les 
Affinités  électives.  Madame  de  Staël,  avec  les  ro- 
mans de  Corinne  et  de  Delphine,  passionnera 
toute  une  génération.  Atala,  René,  Le  dernier  des 
Abencerrnges,  exerceront  plus  d'influence  et  as- 
sureront mieux  la  gloire  de  Chateaubriand  que 
le  Génie  du  christianisme  ou  les  .Martyrs.  De 
tous  les  livres  de  Benjamin  Constant,  c'est  Adol- 
phe qui  trouvera  le  plus  de  lecteurs.  Walter 
Scott,  en  Angleterre,  avec  des  romans  partage 
la  gloire  de  lord  Byron,  et  le  romancier  est  plus 
populaire  peut-être  que  le  poète  ;  il  est  traduit 
dans  toutes  les  langues  et  admiré  par  tout  l'uni- 
vers C'est  un  romancier,  Fenimore  Coopor,  qui 
le  premier  donne  à  l'Amérique,  sa  patrie,  un  rang 
dans  la  littérature. 

Raconter  l'histoire  du  roman  au  xix'  siècle,  ce 
serait  pour  ainsi  dire  raconter  l'histoire  de  la 
littérature  elle-même.  On  aurait  beaucoup  plus 
tôt  compté  les  grands  écrivains  qui  ne  se  sont 
pas  essayés  dans  le  roman  que  ceux  qui  s'y  sont 
exercés.  Plusieurs,  parmi  les  plus  illustres,  ont 
demandé  au  roman    seul  de  leur  assurer  la  ré- 


ROMAN 


1924 


ROMAN 


putation  et  la  gloire.  Durant  la  période  romanti- 
que, la  poésie  lyrique,  le  tliéàtro  et  le  roman  se 
sont  partagé  la  faveur  publique.  Depuis  quarante 
années  la  France  attend  en  vain  une  génération 
nouvelle  de  poètes  :  elle  compte  les  auteurs  dra- 
matiques vraiment  dignes  de  ce  nom  qui  se  sont 
révélés.  La  fortune  du  roman,  au  contraire,  sem- 
ble n'avoir  fait  que  grandir.  C'est  au  roman  que 
va  comme  de  lui-même  tout  jeune  auteur  qui  se 
sent  quelque  imagination,  quelque  vocation  litté- 
raire. Une  bonne  parue  de  nos  ouvrages  drama- 
tiques ont  été  des  romans  d'abord,  et  c'est  le  suc- 
cès du  livre  même  qui  a  inspiré  la  pensée  d'en 
porter  le  sujet  à  la  scène.  Le  roman  peut  re- 
vendiquer comme  siens  les  noms  les  plus  glo- 
rieux :  en  France  ceux  de  Victor  Hugo,  de  La- 
martine, d'Alfred  de  Musset,  de  George  Sand,  de 
Balzac,  d'Alexandre  Dumas  père  et  lils,  de  Sten- 
dhal, de  Tliéopliile  Gautier,  de  Mérimée,  de 
M.  Jules  Sandeau,  de  M.  Octave  Feuillet,  de 
M.  Edmond  About,  de  Gustave  Flaubert,  de 
MM.  de  Goncourt,  de  M.  Victor  Clierbuliez,  de 
M.  Alphonse  Daudet,  de  M.  Emile  Zola;  en  Angle- 
terre, ceux  de  Thackeray,  de  Dickens,  de  George 
Eliot,  de  Buhvcr,  de  Charlotte  Bronté,  de  madame 
Gaskell  ;  en  Amérique  ceux  de  Hawthorne,  d'Ed- 
gar Poe,  de  Washington  Irving,  de  Bret  Harte  ;  en 
Allemagne  ceux  d'Auerbach  et  de  Freitag  ;  en  Italie 
de  Manzoni,  de  Massimo  d'Azeglio,  de  M.  De 
Amicis  ;  en  Espagne  de  M.  Juan  Valera;  en  Russie 
de  Pouchkine  et  de  M.  Ivan  Tourguénief.  Ce  n'est 
plus  assez  de  dire  qu'il  est  dans  les  lettres  au  pre- 
mier rang;  à  ce  premier  rang  c'est  lui  qui  oc- 
cupe la  première  place.  C'est  lui  que  le  critique 
aperçoit  d'abord  quand  il  jette  les  yeux  sur  les 
productions  du  temps  ;  c'est  lui  que  le  public 
recherched'abord.  Plus  il  s'écrit  de  romans,  plus 
il  semble  que  la  foule  en  demande;  par  tout  pays 
des  milliers  d'écrivains  composent  chaque  jour 
des  romans  pour  des  millions  de  lecteurs  ;  en 
France  il  ne  se  publie  pas  do  journal  petit  ou 
grand  qui  ne  découpe  par  tranches  matin  et  soir 
un  roman-feuilleton  pour  la  consommation  de  ses 
abonnés  :  faire  des  romans  est  devenu  une  in- 
dustrie aussi  bien  qu'un  art.  Les  sujets  ont  beau 
s'épuiser,  les  intrigues,  les  situations,  les  carac- 
tères ont  beau  avoir  été  tournes  et  retournés  de 
toutes  les  façons  possibles  et  impossibles,  le 
genre  a  beau  avoir  donné  dans  tant  de  mains  qui 
le  manient  tout  ce  qu'il  semble  qu'un  genre  litté- 
raire puisse  donner,  la  vogue  est  au  roman  et 
lui  reste  :  c'est  à  qui  transformera  le  roman  et 
lui  procurera  par  cette  transformation  un  ragoiit 
nouveau;  personne  ne  découvre  un  genre  litté- 
raire qui  puisse  remplacer  le  roman,  personne 
même  ne  cherche  à  découvrir  ce  genre  nouveau. 
Si  l'histoire  littéraire  offre  un  spectacle  curieux, 
c'est  bien  certainement  cette  prodigieuse  fortune 
du  roman  que  nous  venons  de  raconter  en  quel- 
ques pages.  Comment  du  dernier  rang  a-t-il  pu 
passer  ainsi  au  premier?  Si  l'on  prend  un  peu  la 
peine  de  réfléchir,  il  nous  semble  que  l'on  s'éton- 
nera moins  de  ce  succès.  C'est  qu'en  efi'et  le  ro- 
man participe  de  tous  les  genres;  c'est  qu'en 
même  temps  il  est  le  plus  souple  et  le  plus  libre 
de  tous.  Il  peut  tenir  dans  les  quelques  pages 
d'une  nouvelle,  il  peut  s'étendre  en  un  nombre 
considérable  de  volumes.  Comme  l'épopée,  il  ra- 
conte; comme  le  drame  ou  la  comédie  il  met  en 
scène  les  personnages  et  les  fait  dialoguer,  il 
heurte  et  entrechoque  à  son  gré  les  caractères.  Il 
analyse  les  passions  et  les  sentiments,  et  aucun 
détail  n'est  trop  subtil  ou  trop  insignifiant  pour 
lui  :  il  décrit  les  fibres  les  plus  délicates  du  cœur. 
II  ne  peint  pas  l'humanité  seulement,  il  peint  la 
nature  entière  ;  les  animaux,  les  plantes,  les  mon- 
tagnes et  la  mer,  la  terre  et  le  ciel,  tout  appartient 
au  romancier  aussi   bien   qu'au   poète.  Le  passé 


comme  le  présent  sont  également  de  son  domaine. 
Veut-il  faire  rire  ou  faire  pleurer?  Il  le  peut  éga- 
lement; les  vices  et  les  travers  de  l'humanité  sont 
ses  clients.  Rien  n'est  si  gai  qu'il  ne  puisse  s'en 
emparer  pour  divertir  son  lecteur,  rien  n'est  si 
tragique  OU  si  terrible  qu'il  n'en  puisse  exprimer 
la  terreur  dans  toute  son  énergie'?  Lui  plaît-il 
d'évoquer  les  siècles  descendus  au  tombeau'?  S'il 
a  reçu  du  ciel  la  baguette  magique,  il  le  peut.  A 
son  appel  Irs  morts  ressusciteront  vêtus  de  leurs 
armures  et  recommenceront  la  bataille  de  la  vie. 
Aime-t-il  mieux  peindre  la  génération  qui  s'agite 
autour  de  lui?  Il  n'a  qu'à  ouvrir  les  yeux,  à  ob- 
server, à  rendre  à  son  siècle  ce  que  son  siècle  lui 
a  prêté.  S'il  est  un  rêveur  qui  se  nourrit  surtout 
de  l'idéal  et  que  les  faiblesses  du  temps  offensent 
en  même  temps  qu'elles  l'attristent,  s'il  imagine 
volontiers  des  hommes  plus  braves  et  moins 
égoïstes,  des  femmes  plus  belles  et  plus  nobles 
de  cœur  que  les  êtres  qu'il  coudoie  dans  la  vie, 
le  roman  accueillera  ses  rêves  ;  s'il  est  au  contraire 
un  esprit  précis,  positif,  qui  n'entend  point  se  re- 
paître de  chimères,  que  n'effraie  pas  la  laideur 
morale  ou  physique,  ou  même  cette  pire  des  lai- 
deurs, la  vulgarité,  le  roman  s'offre  encore  à  lui. 
Aucune  forme  littéraire  n'est  plus  romplaisante  et 
plus  élastique.  A  son  gré  l'auteur  presse  ou  ra- 
lentit l'action.  Il  commence,  s'arrête,  finit  où  bon 
lui  semble.  Tour  à  tour,  il  cède  la  parole  à  ses 
personnages  ou  il  parle  en  son  nom.  Il  peut 
prendre  tous  les  tons,  tous  les  styles  ;  il  peut 
dans  une  même  œuvre  les  prendre  tour  h  tour. 
Un  couplet  de  poésie  chante  dans  son  esprit,  ce 
couplet  poétique  est  à  sa  place  dans  le  roman  ;  il 
a  observé  l'humanité  en  moraliste:  les  réllexions 
du  moraliste  se  liront  avec  intérêt.  Il  pourra  être 
tour  à  tour  poète,  historien,  chroniqueur,  philo- 
sophe. Ne  veut-il  que  raconter  d'extraordinaires  et 
étranges  aventures?  S'il  y  apporte  le  mouvement 
et  la  vie,  il  sera  lu.  S  intéresse-t-il  au  contraire 
surtout  :~L  ces  petits  drames  de  la  vie  ordinaire  où 
les  incidents  ne  sont  rien  pour  ainsi  dire,  où 
toute  l'action  est  dans  les  mouvements  du  coeur? 
Le  lecteur  s'y  intéressera  comme  lui-même.  Est-ce 
la  fantaisie  qui  l'attire?  Il  n'a  qu'à  suivre  sa  fan- 
taisie? Est-il  né  satirique?  Rien  ne  l'empêche 
d'enfermer  sa  caricature  dans  le  cadre  d'un  ro- 
man. Si  elle  est  juste  et  capable  de  porter,  elle 
n'en  portera  que  mieux.  Enfin  est-il  préoccupé  de 
quelque  grosse  question  philosophique,  politique, 
religieuse  ou  sociale;  le  roman  est  prêt  à  accueillir 
la  thèse  qu'il  lui  plaît  d'y  déposer,  et  le  roman 
pourra  être  non  pas  seulement  une  œuvre  d'art, 
mais  un  instrument  d'action.  Il  risque  sans  doute 
à  la  génération  suivante  de  trouver  des  lecteurs 
que  ses  sermons  fatiguent  ou  rebutent;  mais  si 
les  questions  pour  lesquelles  l'auteur  s'est  pris  do 
passion  sont  aussi  celles  qui  passionnent  ses  con- 
temporains, il  devra  souvent  aux  thèses  mêmes  qu'il 
soutient  un  succès  extraordinaire. 

Le  roman  a  peut-être  dû  une  partie  de  sa  for- 
tune précisément  à  ce  qu'il  n'avait  point  de  place 
dans  la  littérature  classique.  On  n'a  pu  trouver 
pour  lui  de  prétendues  règles  d'Aristote.  Les 
docteurs  qui  ont  «  régenté  le  Parnasse  «  n'ont 
point  songé  à  lui.  Ils  l'ont  volontairement  ignoré 
ou  dédaigné.  Ils  n'ont  pas  pensé  à  lui  imposer 
des  lois.  Il  y  a  gagné  d'êire  atïranchi  des  conven- 
tions, de  n'être  point  emmailloté  de  langes.  II  a 
grandi  librement,  cherchant  sa  vie  à  lui  seul, 
n'ayant  d'autres  maîtres  que  la  nature  et  les  cir- 
constances. Les  critiques  ne  se  sont  occupés  do 
lui  que  sur  le  tard,  i  l'heure  où  il  était  assez  ro- 
buste pour  n'avoir  plus  à  redouter  aucune  con- 
trainte, à  l'heure  aussi  où  la  critique  a  perdu  la 
foi  dans  les  règles  écrites,  et  croit  volontiers  qu'il 
n'y  a  au  monde  que  deux  sortes  d'ouvrages  :  les 
bons  et  les  mauvais. 


ROMAN 


—  1925  — 


ROMAN 


L'e^trftme  souplesse  du  genre  a  ses  inconvé- 
nients. Tandis  que  la  faveur  dont  jouit  le  roman 
et  les  succès  do  réputation  et  plus  encore  d'ar- 
gent où  il  conduit  appellent  les  vocations,  la  li- 
berté du  genre  les  encourage.  Qui  ne  serait  ca- 
pable d'écrire  des  romans?  Tandis  que  la  poésie 
veut  un  don,  que  le  théâtre  exige  une  main  vi- 
goureuse, que  presque  tous  les  genres  littéraires 
réclament  de  longues  et  patientes  études,  le  ro- 
man conimo  le  moulin  semble  ouvert  à  tous. 
Beaucoup  conviennent  qu'ils  ne  sauraient  mettre 
sur  pied  ni  un  drame  en  cinq  actes,  ni  môme  un 
vaudeville  en  un  acte  :  il  n'est  presque  personne 
qui  ne  se  croie  capable  de  faire  un  roman.  Un 
flacon  d'encre  et  une  rame  de  papier,  que  faut-il 
de  plus?  Ignorants  ou  lettrés,  femmes  du  monde, 
jeunes  filles  mômes,  déclassés,  s'improvisent  ro- 
manciers avec  une  facilité  égale.  Les  romans 
abondent  où  manquent  également  l'observation, 
l'analyse,  la  pliilosopliie,  les  caractères,  l'action  et 
le  style.  Nulle  part  la  platitude  n'a  fleuri  davan- 
tage. Aucun  genre  non  plus  n'a  été  pratiqué  da- 
vantage par  des  industriels  sans  vergogne,  soi- 
disant  écrivains,  qui  ont  exploité  les  curiosités 
publi(iues  comme  im  vice  et  cherché  le  succès 
dans  le  scandale  ou  la  dépravation.  C'était  l'écueil 
du  genre,  mais  qu'y  faire?  Le  genre  n'est  res- 
ponsable ni  des  sots  qui  le  cultivent  ni  des  mal- 
honnêtes gens  qui  l'exploitent.  Il  suffit  qu'il  ofl're 
à  ceux  qui  ont  h  la  fois  du  talent  et  le  coeur  haut 
placé  le  moyen  de  produire  de  beaux  ouvrages  : 
ceux-là  dureront  seuls;  les  autres  mourront  vite 
ou  plutôt  sont  morts  avant  d'ôtre  nés. 

Si  l'on  voulait  dire  les  causes  principales  qui, 
dans  l'âge  moderne,  ont  déterminé  le  triomphe 
du  roman,  il  en  est  deux  qu'il  ne  faudrait  pas  ou- 
blier. 

La  première,  c'est  l'invention  de  l'imprimerie 
et  les  conséquences  nécessaires  qui  ont  suivi  :  le 
livre,  c'est-à-dire  la  parole  écrite,  a  conquis  une 
puissance  jusqu'alors  inconnue.  Quelque  impor- 
tance qu'ait  prise  la  science,  quelque  importance 
croissante  encore  qu'elle  doive  prendre,  l'humanité 
n'est  pas  et  ne  sera  jamais  toute  intelligence  :  elle 
a  besoin  d'art  et  d'émotion,  elle  en  aura  toujours 
besoin,  et  il  faudrait  la  plaindre  si  elle  en  venait 
à  ne  plus  vivre  que  pour  la  curiosité  de  l'esprit; 
car  ce  jour-là  elle  aurait  étoulTé  toute  une  moitié 
d'ellc-môme  qui  est  souvent  la  plus  noble  et 
presque  toujours  la  plus  généreuse.  Or  de  toutes 
les  formes  que  l'art  littéraire  ait  à  sa  disposition, 
celle  qui  est  la  plus  aisément  comprise,  celle  qui 
peut  atteindre  le  public  le  plus  nombreux,  c'est 
incontestablement  le  roman.  Le  moraliste  et  le 
philosophe  ne  s'adressent  qu'à  une  élite  déjà  cul- 
tivée ;  la  poésie  pour  ôtre  goûtée  demande  une 
éducation  préalable  ;  l'histoire  est  souvent  sinistre 
et  triste;  l'éloquence  suppose  un  orateur,  et  com- 
bien n'auront  jamais  l'occasion  d'entendre  un  vé- 
ritable orateur  :  la  tragédie  comme  la  comédie 
supposent  des  théâtres,  des  décors,  des  acteurs. 
Le  roman  va  partout,  pénètre  partout,  se  suffit  à 
lui-même.  11  est  son  décorateur,  son  interprète, 
son  machiniste.  Il  peut  plaire  à  tous  également. 
Quoi  que  le  lecteur  y  cherche,  l'analyse,  les  idées, 
l'action,  la  nature  ou  l'humanité,  la  description,  le 
dialogue  ou  le  récit,  il  y  peut  trouver  son  compte. 
Ce  n'est  pas  tout  :  chacun  le  trouve  quand  il 
veut  ou  quand  il  peut.  Qu'il  dispose  d'une  jour- 
née entière  de  loisirs  ou  de  quelques  minutes  seu- 
lement, il  le  trouve  toujours  à  sa  disposition.  Il 
est  là  qui  attend  à  toute  heure  du  jour  ou  do  la 
nuit.  A  son  gré  on  l'ouvre,  à  son  gré  on  le  ferme, 
à  son  gré  on  le  reprend.  Pour  quelques  francs  on 
l'achète,  pour  quelques  sous  on  le  loue;  il  est 
vraiment  tout  à  tous,  il  est  vraiment  l'art  démo- 
cratique par  excellence.  II  est  fait  pour  être  lu  et 
pour  ôtre  lu  seulement. 


Voici  une  seconde  raison,  toute  morale  et  non 
moins  considérable.  L'humatiité  a  deux  besoins 
également  impérieux  :  l'un  de  retrouver  dans 
l'art  la  peinture  de  la  réalité,  comme  en  un  miroir 
l'homme  se  reconnaît.  L'autre  de  trouver  dans  l'art 
autre  chose  encore  que  la  réalité.  L'histoire,  qui 
raconte  seulement  ce  qui  a  réellement  été,  n'ar- 
rivera jamais  à  la  satisfaire  entièrement.  Elle  ré- 
clame la  fiction.  Un  fait  divers  authentique  ne  la 
touchera  jamais  autant  qu'une  histoire  inventée. 
Elle  veut  éternellement  qu'on  lui  conte  Peau 
d'Ane.  Elle  sait  bien  que  Peau  d'Ane  n'a  jamais 
existé,  et  peut-être  si  elle  avait  existé  la  touche- 
rait-elle moins.  Elle  veut  retrouver  dans  les  œu- 
vres littéraires  ses  passions,  ses  idées,  ses  senti- 
ments ;  elle  vent  être  émue  et  ne  s'émeut  que  de 
ce  qui  est  humain,  et  en  même  temps,  elle  a  be- 
soin de  savoir  que  les  maux  ou  les  félicités  qui 
l'émeuvent  ne  sont  qu'imaginaires.  L'émotion,  où 
elle  cherche  d'abord  du  plaisir,  perdrait  quelque 
chose  à  so  trouver  en  présence  d'une  réalité,  et 
elle  s'abandonne  d'autant  plus  aisément  qu'elle 
sait  mieux  qu'il  n'y  a  pour  elle  ni  heureux  à  en- 
vier ni  infortunés  à  secourir.  Elle  peut  palpiter 
de  terreur  et  frissonuer  au  spectacle  des  dou- 
leurs humaines  sans  avoir  de  cruauté  à  se  re- 
procher, puisqu'elle  sait  que  les  maux  sont  imagi- 
naires et  non  réels;  elle  peut  s'abandonnera  la 
joie  et  à  l'ivresse  sans  qu'aucune  obligation  pro- 
saïque vienne  troubler  sou  extase  et  du  firiua- 
ment  la  ramener  sur  notre  pauvre  terre. 

La  tragédie,  la  comédie,  le  drame,  la  poésie, 
l'épopée,  le  roman  peuvent  également  procurer 
les  émotions  à  l'humanité,  et  partout  en  effet  ce 
sont  elles  qu'elle  cherche;  mais  le  roman  peut  les 
procurer  plus  complètes,  et  c'est  là  sa  supériorité. 
Il  unit  les  mérites  de  la  poésie,  du  drame,  de  la 
tragédie,  de  la  comédie  ;  il  en  possède  qui  ne 
leur  appartiennent  pas.  Un  seul  genre  lui  peut 
ôtre  comparé,  qui,  comme  lui,  tour  à  tour  raconte, 
décrit,  fait  agir,  presse  ou  ralentit  l'action  :  l'épo- 
pée. Mais  voici  où  est  la  difl'érence.  L'épopée  a 
besoin  d'un  sujet  historique  ou  légendaire  ;  l'é- 
popée surtout,  et  cela  môme  a  été  sa  grandeur, 
a  besoin  de  mêler  sans  cesse  dans  son  action  le 
monde  surnaturel  et  l'humanité.  De  là  vient  que 
l'épopée  a  fleuri  seulement  aux  âges  où  la  croyance 
naïve  faisait  sans  cesse  intervenir  dans  les  conflits 
des  hommes,  dans  les  exploits  des  héros  ou  des 
paladins,  les  dieux  et  les  déesses,  les  bons  génies 
et  les  magiciens,  les  anges  et  les  démons.  Elle  se 
rapetisse  et  s'abaisse,  elle  n'est  plus  que  la  chro- 
nique, sitôt  que  dans  ses  récits  l'homme  apparaît 
conme  le  seul  acteur.  Le  roman  au  contraire  vit 
des  hommes  et  vit  d'eux  seuls:  il  ne  fait  point 
intervenir  des  puissances  célestes  ou  infernales  : 
il  ne  croit  pas  qu'aucun  bon  génie  s'occupe  de 
protéger  les  chétifs  habitants  de  notre  planète  ou 
qu'aucun  mauvais  génie  se  donne  la  peine  de  les 
persécuter.  Il  les  montre  s'agitant  et  luttant,  ani- 
més de  leurs  seules  forces,  possédant  en  eux-mêmes 
leurs  meilleurs  appuis  et  souvent  aussi  leurs  pires 
ennemis  ;  il  raconte  leurs  victoires  et  leurs  dé- 
faites, leurs  grandeurs  et  leurs  faiblesses,  il  mon- 
tre leurs  conflits.  Il  les  met  aux  prises  les  uns 
avec  les  autres,  ainsi  qu'il  arrive  dans  la  réalité. 
Plus  l'humanité  avance  dans  ses  voies,  phis  elle 
s'intéresse  au  spectacle  qu'elle  s'offre  à  elle- 
même  ;  plus  elle  prend  plaisir  à  voir  retracer  dans 
leur  exactitude  la  vie  humaine  et  ses  mille  vi- 
cissitudes, tristes  ou  gaies  ;  plus  elle  sait  gré  à 
ceux  qui  lui  ofl'rent  le  tableau  fidèle  de  ses 
épreuves,  de  ses  douleurs  et  de  ses  joies,  de  ses 
désillusions  et  do  ses  espérances.  Elle  n'a  cessé 
de  môler  aux  drames  qu'elle  joue  chaque  jour 
les  êtres  surnaturels  que  pour  s'y  voir  plus  clai- 
rement elle-même.  Cespectacle  lui  suffit  désormais, 
et  les  acteurs  expliquent  tout.  Ni  la  poésie,  ni  le 


ROMAN 


—  1926  —       ROMANES  (LANGUES) 


drame,  ni  la  comédie  n'ont  rien  à  redouter  du 
succès  du  roman  :  ce  qu'il  a  proprement  remplacé, 
c'est  l'épopée  ;  ou  à  parler  plus  justement  encore, 
le  roman  n'est  autre  chose  que  l'cpopce  moderne, 
et  voilà  pourquoi,  à  vrai  dire,  l'épopée  a  cessé  du 
jour  où  le  roman  est  apparu.  S'il  ne  fallait  se 
défier  des  formules  absolues,  on  pourrait  dire  : 
l'épopée  est  le  roman  de  làge  théologii|ue  ;  le  ro- 
man est  l'épopée  do  l'âge  laïque.  Ainsi  le  dernier 
terme  de  l'évolution  de  l'humanité  se  rapproche 
du  premier.  Comme  l'épopée,  le  roman  tour  à  tour 
raconte,  décrit,  fait  agir  ou  parler  les  personna- 
ges i  comme  elle  il  mêle  à  la  fiction  la  vciiié  mo- 
rale :  mais  il  a  sur  l'épopée  cette  supériorité  de 
ne  prendre  ses  acteurs  que  dans  l'humanité,  et 
de  ne  coûter  à  la  raison  du  lecteur  aucun  effort. 
Il  n'a  rien  à  redouter  des  hardiesses  de  la  science. 
Et  à  ce  premier  avantage  on  en  peut  joindre  un 
second;  c'est  que  l'épopée  est  essentiellement  so- 
lennelle :  en  compagnie  des  êtres  surjiaturels  elle 
ne  peut  admettre  que  les  plus  nobles  des  hommes, 
les  héros,  les  rois,  les  princes  et  les  princesses. 
Le  ciel  ne  saurait  se  mettre  en  branle  au  service 
des  manants. Le  roman  ne  connaît  pas  ces  fiertés 
ni  ces  dédains  :  il  peut  mettre  en  scène  tour  à 
tour  les  plus  nobles  personnages  ou  les  plus 
humbles.  Son  domaine,  c'est  l'Iiumanité  :  rien 
n'est  si  haut  qu'il  n'ose  l'aborder;  rien  n'est  si 
bas  qu'il  le  dédaigne.  Sa  devise  est  celle  du  poète 
antique  : 


Homo  sum,  Immani  nihil  ^ 


alienum  puto. 


Et  maintenant  quel  est  l'avenir  du  roman  ?  Il 
est  aussi  impossible  d'éluder  en  finissant  cette 
question  qu'il  est  impertinent  de  prétendre  y 
répondre.  Le  roman  a  traversé  déjà  bien  des  vi- 
cissitudes. Il  s'est  contenté  d'abord  du  rang  hum- 
ble qui  lui  était  accordé  :  il  a  borné  ses  préten- 
tions à  désennuyer,  à  délasser,  à  distraire.  Puis 
ses  ambitions  ont  grandi  avec  sa  fortune.  Pour 
nous  borner  à  la  France,  il  a  présenté  des  thèses 
philosophiques  et  politiques  avec  Rousseau,  avec 
M"'  de  Staël  ;  avec  Chateaubriand,  il  a  prétendu 
assez  étrangement  servir  la  cause  de  l'Eglise  et  de 
la  religion.  On  a  vu,  après  1830,  le  roman  ressus- 
citer, entre  les  mains  de  Victor  Hugo,  h.  la  fois  le 
moyen  âge  prêt  à  s'effacer  et  la  Renaissance  qui 
se  lève  :  on  l'a  vu  avec  George  Sand  chanter  la 
poésie  de  la  nature,  glorifier  les  passions  arden- 
tes, la  révolte  contre  les  conventions  et  parfois 
les  insti'utions  sociales;  on  l'a  vu  avec  Eugène 
Sue  apporter  son  concours  aux  revendications  so- 
cialistes, aux  passions  religieuses,  sonner  la  charge 
d'une  révolution  ;  on  l'a  vu  avec  Alexandre  Dumas 
raconter  Ihistoire  au  gré  de  la  fantaisie,  éblouir 
et  fasciner  jusqu'aux  plus  sévères  par  la  gaité, 
la  verve  endiablée  du  plus  merveilleux  conteur  qui 
fut  jamais. 

En  ce  moment  même,  Balzac  se  levait,  s'impo- 
sait, poursuivait  durant  vingt  années  d'un  travail 
opiniâtre  une  œuvre  colossale.  Il  écrivait  la  Co- 
médie humaine.  Comme  Molière  avait  peint  l'hu- 
manité du  XVII»  siècle,  il  entreprenait  de  peindre 
l'humanité  du  xi.\«,  La  main  de  Balzac  s'est 
imposée  au  roman  moderne,  et  depuis  lors  il  n'a 
pas  secoué  cette  autorité.  D'autres  sont  venus  qui 
ont  surtout  voulu  peindre  l'humanité  en  ses  vul- 
garités, d'autres  qui  ont  vu  surtout  l'être  malade, 
détraqué,  ultra-nerveux.  On  a  fouillé  avec  un  soin 
curieux  toutes  les  laideurs,  toutes  les  difl'ormités, 
les  désordres  physiques  et  moraux,  les  cas  patho- 
logiques, les  folies.  Après  l'école  réaliste,  nous 
assistons  aujourd'hui  au  triomphe  de  l'école 
naturaliste,  qui  durera  ce  qu'elle  pourra.  Quoi 
qu'il  arrive,  sans  prétendre  au  rôle  toujours  ridi- 
cule de  prophète,  on  peut  affirmer  trois  choses 
qui  serviront  de  conclusion  à  cette  élude  : 

1°  Que  le  roman,  comme  forme  de  la  littérature, 


continuera  à  se  développer  de  plus  eu  plus,  quoi 
que  les  romanciers  puissent  faire  pour  le  com- 
promettre ; 

2°  Que  le  roman  naturaliste,  qui  a  la  pré- 
tention d'apporter  la  formule  définitive  de  l'art, 
passera  lui  aussi,  comme  ont  passé  les  formules 
précédentes,  comme  ont  toujours  passé  les  for- 
mules prétendues  définitives,  car  il  n'est  au 
pouvoir  de  personne  d'arrêter  l'évolution  de  l'es- 
prit humain  ; 

3°  Enfin,  et  c'est  là  le  point  capital,  que  la  lit- 
térature est  toujours  l'expression  de  la  société, 
que  la  société  fait  les  artistes  au  lieu  que  les 
artistes  fassent  la  société,  et  que  l'humanité  trou- 
vera toujours  dans  les  livres  ce  qu'elle-même  y 
aura  mis.  C'est  là  la  vérité  qui  peut  cire  selon 
l'événement  ou  triste  ou  consolante.  Qu'une  gé- 
nération se  lève  vaillante  et  forte,  soutenue  par 
une  ferme  croyance,  saine  dans  ses  mœurs,  ro- 
buste dans  ses  caractères,  aimant  ce  qui  est 
vrai  et  poursuivant  ce  qui  est  juste  :  les  roman- 
ciers célébreront  la  vertu  comme  aux  âges  héroï- 
ques les  chantres  d'épopée  la  célébraient.  Si  on 
lui  offre  aujourd'hui  des  œuvres  équivoques  et 
malsaines,  la  faute  en  est  à  elle  d'abord  ;  et  elle- 
même  ensuite,  en  les  achetant,  en  les  admirant, 
en  les  prônant,  achève  de  prononcer  sa  propre 
condamnation.  [Charles  Bigot.] 

RO.llAKES  (Langues).  —  Littérature  fran- 
çaise, 1.  —  Les  langues  sorties  du  latin  ont  reçu 
diverses  dénominations.  On  les  a  appelées  néo- 
Intines,  ce  qui  indique  tout  à  la  fois  leur  point  de 
départ  et  le  nouvel  élément  qu'elles  contiennent; 
toutefois,  ce  composé  hybride,  grec  quant  à  la  pre- 
mière partie,  latin  quant  à  la  seconde,  choqua 
quelques  puristes  qui  tentèrent  d'y  substituer 
l'expression  homogène,  mais  assez  mal  accueillie, 
de  noL-c-latines.  Aujourd'hui,  on  a  généralement 
adopté  le  nom  plus  simple,  plus  clair,  et  surtout 
mieux  justifié  historiquement,  de  lanyues  romanes. 

Cette  expression  a  été  employée  par  les  Romains 
eux-mêmes.  D'ordinaire,  ils  appelaient  latine  (hi- 
tina)  leur  langue  nationale,  mais  parfois  aussi 
ils  la  nommèrent  romana.  Ce  terme  se  trouve 
dans  des  vers  que  Pline  r.\ncien  cite  dans  son 
Histoiiv  naturelle  (XXXI,  2).  D'assez  bonne  heure 
le  nom  de  Remanie  (liomanîa),  sorte  de  synonyme 
populaire  et  abrégé  à'imperiimi  rornanum,  s'ap- 
plique à  tout  le  pays  conquis  et  civilisé  par 
Rome.  Paul  Orose  raconte  (VII,  43)  qu'un  habi- 
tant de  la  Xarbonnaise,  visitant  un  jour  saint  Jé- 
rôme dans  sa  grotte  de  Bethléem,  lui  disait  qu'il 
avait  connu  le  roi  Goth  Ataulf  et  que  ce  roi,  ayant 
cessé  d'être  l'allié  de  l'Empire,  avait  rêvé  de  dé- 
truire et  de  changer  en  Gothie  toute  la  Remanie 
(RiiuKiniu) .  Ces  expressions  qui  remontent,  on  le 
voit,  assez  haut,  ont  été  pendant  fort  longtemps 
en  usage.  Tandis  que  le  latin  véritable  et  offi- 
ciel, langue  exclusive  de  la  religion,  du  droit  et 
des  sciences,  conservait  son  nom,  ceux  de  loman, 
roman  rustique,  hinrjue  roinime  ou  romance 
étaient  indifféremment  appliqués  à  tous  les  idio- 
mes nouveaux,  parlés  dans  les  pays  de  race  la- 
tine, et  employés  dans  les  affaires,  le  commerce, 
la  prédication  familière,  et  aussi  dans  les  œuvres 
d'imagination.  C'est  ce  qui  explique  comment  les 
noms  de  roman,  rumance,  romancero  ont  été 
donnés  aux  récits  d'aventures  et  aux  chants 
historiques  et  légendaires  qui  sont  le  point  de 
départ  des  littératures  modernes.  La  dénomina- 
tion de  roman  a  désigné  la  langue  française 
jusqu'au  commencement  du  xvi''  siècle.  Un  livret 
fort  rare,  non  daté,  mais  sorti  des  presses  de 
Guillaume  Nyvert  et  contenant  des  verbes  fran- 
çais conjugués,  a  pour  titre  :  «  Sequitur  forma 
romanlii  seu  gallici  yerhoram.  » 

Comme  nous  l'avons  déjà  fait  remarquer,  — 
V.  Française  [Lanijue),  —  les  langues  romunes  sont 


ROMANES  (LANGUES)       —  1927  — 


ROME 


au  nombre  ilc  quatre  :  l'italion,  l'espagnol,  le 
provençal  et  l'ancien  fran<,'ais.  Elles  dérivent  du 
parler  populaire  des  Romains  et  l'on  peut,  h  un 
certain  point  de  vue,  les  considérer  comme  quatre 
grands  dialectes  de  la  langue  latine,  divisés  eux- 
mêmes  en  sous-dialoctos,  tels  que  le  portugais  et 
le  catalan  pour  l'espagnol,  le  normand,  le  picard 
et  le  bourguignon  pour  l'ancien  français,  etc.  Il 
convient  d'y  ajouter  le  lan^'age,  fortement  mêlé 
de  slave,  parle  par  les  Vainques  et  les  Moldaves 
dans  le  pays  encore  appelé  Houmnnie. 

Malgré  l'analogie  profonde  qui  existe,  quant  au 
vocabulaire  et  à  la  syntaxe,  entre  les  langues  ro- 
manes et  le  latin,  dont  elles  sont  sorties,  elles 
appartiennent  toutefois  h.  un  système  grammati- 
cal différent.  Le  latin,  comme  le  sanscrit  et 
le  grec,  est  une  langue  syntliétique  ;  les  langues 
romanes,  au  contraire,  sont  des  langues  ana- 
lytiques, et  la  transition  d'un  état  :'i  l'autre  s'est 
opérée  i  l'aide  du  latin  populaire.  Ainsi  que  nous 
l'avons  expliqué  ailleurs  (V.  Grammçiire  histori- 
que), c'est  ce  qui  fait  comprendre  l'uniformité  de 
création  des  langues  romanes.  En  effet,  on  peut 
signaler  certains  points  essentiels  où,  tout  en  se 
séparant  absolument  du  latin  classique,  elles  de- 
meurent unies  par  la  plus  étroite  analogie  : 

1°  Dans  les  noms  et  dans  les  a'fjectifs  les  cas 
disparaissent,  la  déclinaison  latine  est  détruite. 
Il  n'existe  d'exception  que  pour  le  provençal  et 
l'ancien  français,  qui  conservent,  pendant  plusieurs 
siècles,  une  déclinaison  k  doux  cas  que  nous  avons 
signalée  (V.  Grammaire  liistoritjuc).  Les  genres 
sont  réduits  à  deux  :  le  masculin  et  le  féminin  ;  le 
neutre  disparaît. 

2°  La  création  de  deux  sortes  d'articles,  l'un  dé- 
fini, venant  à'itle,  l'autre,  indéfini,  venant  d'imu?, 
est  la  conséquence  presque  nécessaire  de  la 
suppression  des  cas. 

3°  La  tendance  analytique  des  idiomes  moder- 
nes se  manifeste  d'une  manière  très  frappante 
dans  les  rerlies.  Cinq  temps  de  l'actif  sont  rem- 
placés par  des  temps  composés  :  iNnicATtr,  plus- 
que-parfait  nmaverum,  j'avais  aimé  ;  futur  passé 
umavei'O,  j'aurai  aimé.  SiiBJONCTiF,  passé  amave- 
rim,  que  j'aie  aimé;  plus-que-parfait  amavissein, 
que  j'eusse  aimé.  Pauticipe,  futur  nmnturus, 
devant  aimer.  Quant  au  passif  amor,  je  suis 
aimé,  il  disparaît  entièrement  comme  forme,  et 
ce  n'est  plus  autre  cliose  à  tous  ses  temps  que 
le  verbe  cire  suivi  d'un  participe  passé.  Il  faut 
surtout  noter  avec  soin  la  création  d'un  futur, 
tout  différent  du  futur  latin,  par  une  fusion  or- 
ganique de  l'infinitif  aimer  et  du  verbe  avoir; 
le  sens  primitif  est  :  j'ai  à  aimer;  d'où:  i'ai- 
mer-ni,  j'aimerai.  Enfin,  un  mode  nouveau,  le  con- 
ditionnel, est  créé  dune  façon  analogue  par  la 
réunion  de  l'infinitif  du  verbe  et  de  la  terminaison 
de  l'imparfait  à'acoir  :  i'uii>ier{av)ais  ; 

4°  Le  mot  latin  mens,  îi  l'ablatif  mente  (esprit), 
est  devenu  le  signe  grammatical  de  l'adverbe  ; 
employé  dans  le  sens  de  manière,  façon,  il  s'est 
ajouté,  eu  forme  de  suffixe,  aux  adjectifs,  qui  ont 
été  mis  au  féminin  afin  de  s'accorder  avec  ce  mot, 
féminin  en  latin.  U'iine  manière  saine  a  donc  été 
exprimé  : 

en  italien  et  en  espagnol  par    sanamenle 
en  provençal,  —    sanament 

en  français,  —    sainement. 

Il  est  fort  inutile  de  faire  ressortir  l'importance 
de  ces  études  nouvelles,  qui  permettent  à  la  fois 
de  mieux  déterminer  les  lois  générales  du  déve- 
loppement des  langues  et  de  pénétrer  plus  pro- 
fondément dans  l'iiistoire  do  cliacuno  d'elles  ; 
elles  sont  très  dignement  appréciées  aujourd'hui, 
et  il  ne  manque  pas  d'érudits  qui  consacrent 
leur  vie  au  progrès  de  la  philologie  romane. 

Ce  qui  est  peut-être  plus  nécessaire,  c'est 
d'insister  ici  sur  l'utilité  qu'on   devrait  tirer  de 


ces  découvertes,  non  plus  seulement  dans  le  do- 
main(!  de  l'érudition,  mais  dans  l'enseignement 
courant  et  pratique. 

Si  nous  voulons  apprendre  l'italien  ou  l'espa- 
gnol, nous  le  prenons  au  moment  actuel  de  son 
développement  et  pour  ainsi  dire  à  son  point 
d'arrivée  ;  ne  serait-il  pas  meilleur  de  remonter 
au  point  de  départ,  à  l'origine,  et  d'observer  la 
langue  que  nous  désirons  savoir  dans  ses  rapports 
avec  la  notre '.'En  procédant  ainsi,  nous  avancerions, 
il  est  vrai,  un  peu  plus  lentement,  mais  nous  pour- 
rions compter  sur  un  succès  beaucoup  plus  com- 
plet. 

Il  y  a  là  aussi  un  secours  qu'il  importe  de  ne 
pas  négliger,  si  l'on  veut  seulement  se  livrer  h 
une  étude  sérieuse  de  la  langue  française.  On 
commence  à  comprendre  qu'il  faut  la  connaître, 
au  moins  d'une  façon  générale,  depuis  son  ori- 
gine, qu'il  faut  se  rendre  un  compte  historique 
de  la  formation  successive  des  règles  diverses  qui 
la  régissent  ;  mais  on  se  borne  encore  i  l'étudier 
en  elle-même  ou  tout  au  moins  k  la  comparer  à 
sa  mère,  la  langue  latine,  sans  la  rapprocher  des 
langues  sœurs.  Cependant,  si  nous  sommes  une 
fuis  persuadés,  comme  il  importe  tant  que  nous  le 
soyons,  que  l'enseignement  doit  de  nos  jours 
être,  non  pas  dogmatique,  mais  expérimental, 
nous  nous  convaincrons  que  les  exemples  tirés 
dos  autres  langues  romanes  peuvent  nous  être 
d'une  aide  journalière  dans  les  démonstrations 
que  nous  avons  à  faire  au  sujet  de  la  langue  fran- 
çaise. Au  lieu,  par  exemple,  de  nous  contenter 
d'affirmer  que  les  adverbes  de  manière  se  for- 
ment en  ajoutant  ment  au  féminin  de  l'adjectif, 
ou  même,  en  faisant  un  pas  dans  le  domaine  his- 
torique, de  faire  remarquer  que  ment  vient  de 
nteiis,  n'est-ce  pas  donner  une  preuve  décisive  à 
l'élève  qui  doute  encore  que  sainement  soit  la 
transcription  du  latin  sana  mente,  que  do  lui  mon- 
trer ces  deux  mots  persistant  sous  It'ur  forme  pu- 
rement latine  dans  l'italien  et  dans  l'espagnol,  où 
ils  ne  présentent  d'antre  différence  qu'un  rap- 
prochement plus  immédiat,  qu'une  sorte  d'agglu- 
tination? Il  peut  en  être  de  même  dans  beaucoup 
d'autres  cas  analogues.  Ainsi  la  formation  du  futur 
français, ye  vous  dirai,  de  i'oi  à  vou^  dire,  devient 
d'une  évidence  complète  lorsqu'on  trouve  indiffé 
remment  en  provençal  dir  vos  ai  et  vos  dirai. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  partie  grammaticale 
de  notre  langue  qui  peut  être  éclaircie  par  des 
conipar.-iisons  de  ce  genre.  Elles  sont  également 
utiles  pour  l'étude  de  la  formation  du  vocabu- 
laire. Une  étymologie  n'est  démontrée  qu'autant 
qu'on  peut  rétablir  toute  la  série  des  intermé- 
diaires ;  lorsqu'ils  manquent,  ce  qui  arrive  sou- 
vent, on  est  forcé,  à  défaut  d'une  démonstration 
directe,  d'avoir  recours  i  une  démonstration  pour 
ainsi  dire  collatérale,  et  d'établir  la  transformation 
des  mots  latins  en  mots  français  h  l'aide  do  la  com- 
paraison avec  les  termes  analogues  des  autres 
langues  romanes.  L'étude  de  ces  idiomes  est  donc 
indispensable,  au  moins  dans  une  certaine  mesure, 
pour  la  connaissance  historique  et  raisonnée  de 
notre  propre  langue. 

Ouvrages  à  consulter.  —  Bruce  "Wliytc,  Histoire 
des  langues  romanes  et  de  leur  liltérature.  Paria,  1841, 
3  vol.  in-â«.  Ouvr<ige  curieux,  mais  qui  ne  doit  être  lu 
qu'avec  précaution.  —  Fréd.  Diez,  Grammaire  des  lan- 
gues romanes,  3  vol.  in-S*»  (traduction  fi'ançaiso  par 
M.M.  Gaston  Paris,  Brachet,  etc.).  —  Litti'é,  Ilisloire  de  lu 
lamine  frnnraise.  i  vol.  in-8°,  introduction.  —Jlomnniu- 
rccueil  périodique  fondé  en  1872  par  MM.  Paul  M.  vit  'I 
Gaston  Paris.  [Ch.  Marty  Laveaux. J 

UOME.  —  Histoire  générale,  Xl-X'i'l.  —  Prélimi- 
naires. —  Sources. — L'histoire  romaine  nous  est 
connue  par  trois  sortes  de  documents  :  1°  les  textes 
des  écrivains,  historiens,  géographes,  grammai- 
riens, jurisconsultes,  orateurs, poètes  même,  etc.  : 
I  écrivains    latins,   comme   Cicéron,    Varron,  Tite- 


ROME 


—  1928  — 


ROME 


Live,  Sallusfe,  César,  Plino,  Tacite,  Gains,  etc.  ; 
écrivains  grecs,  comme  Polybe,  Denys  d'Halicar- 
nasse,  Strabon,  Diodore,  Plutarque,  Àppien,  Dion 
Cassius,  etc.  Ces  écrivains  nous  font  connaître  les 
événements,  mais  ils  sont  muets  le  plus  souvent 
sur  les  institutions,  qu'ils  supposent  connues  des 
hommes  de  leur  temps  ;  —  3°  les  insciiptions  sur 
pierre,  marbre,  bronze,  plomb,  etc.  :  inscriptions 
tumulaires  (ex.:  tombeau  des  Scipions),  ex-voto, 
rituels  de  corporations  (ex.  :  tables  Eugubines), 
actes  diurnes,  espèces  de  bulletins  officiels,  lois 
(ex.  :  loi  Julia,  loi  Regia),  actes  du  pouvoir  pu- 
blic (ex.  :  monument  d'Ancyre),  discours,  récla- 
mes, feuilles  de  route,  etc.  Le  principal  recueil 
d'inscriptions  latines  est  le  Corpus  publié  par  l'.\- 
cadémie  de  Berlin.  L'épigrapliic,  science  du  dé- 
chiffrement des  inscriptions,  a  renouvelé  l'histoire 
romaine  ;  les  inscriptions,  d'apparence  aride,  ont 
sur  les  livres  deux  avantages  :  pures  d'altérations, 
elles  nous  donnent  les  noms  exacts,  les  dates  pré- 
cises, les  chifl'res  vrais;  en  second  lien,  elles  nous 
mettent  sous  les  yeux  les  mœurs  des  anciens,  leur 
vie  sociale,  leur  gouvernement;  —  3"  les  vestiges 
matériels  de  la  civilisation  romaine,  qui  subsis- 
tent sur  le  sol  ou  dans  le<:  musées,  œuvres  d'art 
et  travaux  publics,  tels  que  murailles,  temples, 
cirques,  théâtres,  thermes,  colonnes,  tombeaux, 
prisons,  égouts,  ponts,  aqueducs,  routes,  etc.,  — 
statues,  peintures,  mosaïques,  vases,  bijoux, 
monnaies,  etc.  Les  fouilles  de  Pompéi  ont  rendu 
à  la  lumière  une  ville  romiine. 

Les  principales  histoires  romaines  écrites  de  nos 
jours  sont  celle  de  Duruy,  qui  va  jusqu'à  Dio- 
clétien,  et  celle  de  Mommsen,qui  s'arrête  à  l'em- 
pire ;  la  première  est  la  plus  complète  et  la  plus 
claire;  le  savant  allemand,  jMonimsen,  insiste  sur 
les  institutions;  son  histoire  est  traduite. 

Géographie  de  l'Italie  ancienne.  —  L'Italie  se 
divise  naturellement  en  trois  parties  :  Vltalie  con- 
tinentale ou  Haiite-Itnlie;  l'Italie  propre,  péninsu- 
laire ou  npennine;  les  iles.  La  Haute-Italie,  appelée 
par  les  Roiuains  Gaule  Cisalpine,  comprend  la 
Vénétie,\di  Gaule  TranspadaneM  Gaule  Cispadane, 
la  Ligune.  L'Italie  péninsulaire  se  divise  en  dix 
régions,  cinq  sur  la  mer  Adriatique  :  ÏOmbrie,  le 
Picemcm,  le  Sanmiuyn,  VApulie,  la  Cataire;  cinq 
sur  la  mer  Tyrrhénienne,  VEtrurie,  le  Lattum,  la 
Campante,  la  Lucanie,  le  Bruttium  (V.  la  géogra- 
phie physique  à  l'article  Italie). 

Division  de  l'Iiistoire  romaine.  —  On  peut  di- 
viser l'histoire  romaine  en  trois  grandes  périodes. 

Dans  la  période  primitive,  depuis  les  origines 
jusqu'à  609,  Rome  est  un  petit  Etat,  gouverne  par 
un  roi. 

Dans  la  période  républicai7ie,  de  509  à  30  avant 
J.-C,  Rome  développe  ses  institutions  aristocra- 
tiques, puis  elle  les  laisse  périr;  il  l'extérieur  elle 
fait  la  conquête  de  l'Italie  et  du  monde. 

Dans  la  période  impériale  (de  30  av.  J.-C.  à 
47G  ap.  J.-C.),  la  nouvelle  constitution  politique 
donne  au  monde  deux  siècles  de  prospérité,  puis 
entraîne  Rome  dans  sa  chute. 

PÉRIODE    PRIMITIVE 
(Depuis  les  origines  jusqu'en  500). 

Anciennes  populations.  —  La  population  de 
l'Italie  ancienne  a  été  formée  de  plusieurs  cou- 
ches successives,  qui  correspondent  ;\  des  états 
difl'érents  de  civilisation.  L'histoire  serait  impuis- 
sante à  les  distinguer,  si  elle  était  réduite  h  cher- 
cher la  vérité  dans  la  légende;  mais  une  autre 
science,  la  philologie,  lui  vient  en  aide  pour  dé- 
mêler les  diverses  races  au  moyen  do  leurs  idio- 
mes, et  juger  de  leur  culture  par  leur  langage. 
On  peut  établir  ainsi  l'existence  de  trois  races  pri- 
mitives dans  l'Italie  péninsulaire.  1°  Les  Swules, 
dits  vulgairement  Aborigènes,  semblent  ôtre  les 


parents  des  Hellènes. —  2°  Les  Ombro-Lalins,  ou 
Ilaliotes,  sont  à  coup  sûr  de  proclies  parents  des 
Hellènes,  mais  ils  sont  leurs  frères  et  non  leurs 
fils  ;  ils  se  divisent  en  Latins  et  en  Ombro-Sabel- 
/ie?!j,  d'origine  commune,  mais  devenus  étrangers 
les  uns  aux  autres;  la  langue  des  Latins  nous  est 
entièrement  connue;  des  Ombro-Sabolliens  nous 
n'avons  que  des  débris  d'idiomes  divers,  entre 
autres  Vombrien  et  Vosque  :  les  tables  Eugubines, 
inscriptions  ombriennes  trouvées  .'i  Gubbio,  sont 
un  document  important  pour  la  philologie  et  pour 
l'histoire.  —  3°  Les  Etrusques  diffèrent  essentiel- 
lement des  Grecs  et  de  tous  les  peuples  connus; 
leurs  inscriptions  sont  jusqu'à  présent  intradui- 
sibles, et  leur  civilisation  ne  nous  est  révélée  que 
par  les  œuvres  d'art  qu'ils  nous  ont  laissées. 

On  ne  peut  assigner  aux  migrations  de  ces  di- 
vers peuples  que  des  dates  hypothétiques.  Les 
Sicules,  venus  vingt  siècles  environ  avant  notre 
ère,  auraient  été  conquis  vers  le  xiV  par  les  Orabro- 
Latins,  nouveaux  venus  en  Italie.  Les  Omhro- 
Latins,  peuples  de  race  supérieure,  ont  eu  des 
destinées  très  diverses:  les  Ombriens  proprement 
dits,  après  une  période  de  grandeur,  subissent 
l'influence  étrusque  vers  lex'  siècle,  puis  sont  de 
bonne  heure  latinisés  ;  les  autres  peuples  de  la 
même  famille  ombro-sabellienne,  Subiiis,  Sain- 
nites,  Picentins,  Hirpins,  Marses,  etc.,  demeurent 
longtemps  enfermés  dans  leur  pays  montagneux, 
et  ils  seront  assez  forts  pour  lutter  contre  Rome. 
Les  Lntms  proprement  dits  jouent  le  premier 
rôle  dans  l'histoire  de  la  péninsule:  établis  dans 
la  plaine  accidentée  du  Latium,  entre  le  Mont- 
Albain,  l'Apennin,  le  Tibre  et  la  mer  (moins  de 
300  kilomètres  carrés),  ils  se  construisent  des  re- 
fuges fortifiés  (Albe,  Lanuvium,  Tibur,  Préneste, 
Tusculum,  enfin  Rome);  ils  assainissent  et  fer- 
tilisent le  pays,  et  s'unissent  les  premiers  en 
confédération.  Les  autres  peuples  latins,  les 
Eques,  les  Berniques,  les  Volsques,  etc.,  ou  se- 
ront exterminés  par  Rome,  ou  s'associeront  à  sa 
fortune. 

Outre  les  Sicules,  les  Ombro-Latins  et  les 
Etrusques,  qui  forment  la  population  de  l'Italie 
proprement  dite,  les  Grecs  ont  colonisé  la  partie 
méridionale,  et  les  Gaulois  ont  envahi  l'Italie  dii 
Nord:  de  là  les  noms  de  Grande  Grèce  et  de 
Gaule  Cisalpine.  Les  légendes  sur  les  premiers 
établissements  des  Grecs  après  la  guerre  de  Troie 
ne  sont  que  des  traditions  poétiques;  ce  qui  est 
sûr,  c'est  que  le  Sud  de  l'Italie  et  la  Sicile  furent 
fréquentés  par  les  Grecs  de  bonne  heure  (vers 
le  viii"  siècle)  ;  les  Ioniens  y  fondèrent  Citmes, 
Kaples,  lihégium,  Messane,  Cutané,  etc.  ;  les 
Achéens,  Si/baris,  Crotone,  Métapnnte,  etc.  ;  les 
Dorions,  Syracuse,  Gela,  Agrigente,  Tarente, 
Héraclée,  etc.  Ces  villes  sont  toutes  commerçantes 
et  peu  militaires  :  elles  ouvrent  1  Italie  à  la  civi- 
lisation hellénique,  mais  elles  seront  facilement 
conquises  par  Rome.  —  L'Italie  du  Nord  semble 
avoir  eu  pour  habitants  primitifs,  outre  les  Om- 
briens et  les  Etrusques:  à  l'Ouest,  les  Ligures, 
qui  ressemblent  plus  aux  Celtes  qu'aux  Ibères  ;  à 
l'Est  les  Vénètes  et  les  Liburnes,  venus  dTUyrie  ; 
plus  tard,  du  vi°  au  IV  siècle,  viennent  d'au  delà 
des  Alpes  des  Gaulois,  appelés  Insubres,  Céno- 
mans,  Boies,  Sénons.  dont  l'avant-garde  poussera 
jusqu'à  Rome.  La  Sicile,  avant  d'être  colonisée 
par  les  Grecs,  paraît  avoir  été  peuplée  par  les 
Sicules  et  par  d'autres  fuyards  d'Italie. 

Période  royale  {753-509).  —  Incertitude  des 
premiers  siècles  de  Home.  —  L'histoire  romaine 
pendant  la  période  royale  nous  échappe  en  partie, 
faute  de  documents  contemporains,  textes  ou 
inscriptions.  Les  principaux  historiens  qui  nous 
la  racontent,  Tite-Live  et  Denys,  ont  vécu  sept 
siècles  après  Romulus,et  se  proposent  l'éloquence 
plus  que  la  critique  ;  plusieurs  érudits  modernes. 


ROME 


—  1929 


ROME 


parmi  lesquels  l'Allemand  Niebulir,  considèrent 
le  Ijcau  l'ocit  de  Tite-Live  comino  le  résumé  de 
compositions  poétiques  aujourd'iiui  perdues,  et 
lui  refusent  pour  toute  cette  période  le  titre 
d'historien .  Cependant,  il  est  certain  qu'il  a 
compulsé  et  comparé  des  historiens  antérieurs  h 
lui  de  plusieurs  siècles,  et  que  ceux-ci  ont  eu 
entre  les  mains  des  documents  authentiques 
échappés  îi  l'incendie  de  390.  La  vulgate  légen- 
daire popularisée  par  Titc-Live  ne  manque 
pas  de  valeur  :  la  vérité  s'y  trouve  à  côté  de  la 
fable. 

I.  HisToiBE  TRADITIONNELLE.  —  D'après  la  tra- 
dition, Rome  se  rattache  .'i  ce  qu'il  y  a  de  plus 
grand  au  ciel,  h  Saturne,  père  des  dieux,  et  à  ce 
qu'il  y  a  de  plus  grand  sur  la  terre,  à  Troie  (lé- 
gendes de  Janus,  d'Hercule,  d'Evandre,  de  Lati- 
nus,  d'Enée,  de  Sylvia).  —  tiomulus,  premier  roi 
de  Rome  (753-710),  fonde  la  ville  du  Palatin  en 
753  ;  il  ouvre  un  asile  aux  aventuriers,  enlève  les 
Sabines,  agrandit  son  territoire  par  'la  guerre, 
réunit  les  Sabins  aux  Romains,  et  disparaît  mys- 
térieusement. —  Le  Sabin  Niimu,  deuxième  roi 
(715-C73),  pacifique  et  pieux,  évite  les  guerres  et 
organise  la  religion.  —  Le  Romain  Tullus  Hosti- 
liiix,  troisième  roi  (6'3-64y),  fait  la  guerre  aux 
Albains  :  l'exploit  des  Horaces  décide  de  la  vic- 
toire, et  les  Albains  sont  réunis  aux  Romains.  — 
Le  Sabin  Ancus  Marcius,  quatrième  roi  (640-CIG), 
suit  l'exemple  de  Numa,  rétablit  la  religion, 
construit  un  pont  et  une  prison  ;  mais  il  est  forcé 
à  la  guerre,  et  il  étend  le  territoire  de  Rome 
jusqu'à  la  mer.  —  Le  cinquième  roi,  Tarquin  l'An- 
cien (ClC-.i78;,  apporte  dEtrurie  l'art  des  grands 
travaux  publics.  —  Un  autre  étranger,  Servius 
Tulliiis,  sixième  roi  (57S-534),  agrandit  Rome, 
accroît  le  territoire,  conclut  une  alliance  avec  les 
villes  latines,  et  opère  une  révolution  dans  la 
constitution.  —  Au  bon  roi  Servius  succède  Tur- 
quin  le  Superbe,  septième  roi  (53'i-5IO),  qui  éta- 
blit la  suprématie  de  Rome  dans  le  Latium,  em- 
bellit la  ville,  mais  gouverne  en  tyran  ;  la  haine 
qu'il  inspire,  et  l'attentat  de  son  fils  Sextus.sont 
la  cause  et  l'occasion  de  sa  chute  (510). 

IL     EXUIIE    CRITIQUE     DE    LA     PÉRIODE    ROYALE.    — 

Cette  histoire  traditionnelle  renferme  assurément 
des  fictions,  comme  les  légendes  de  Tarpeia,  des 
Sabines,  d'Egérie,  etc.  ;  les  efforts  qu'on  peut 
faire  pour  les  interpréter  n'aboutissent  qu'à  des 
hypothèses  pour  le  moins  aussi  incertaines.  Mais 
si  la  science  doit  rejeter  certains  faits,  elle  par- 
vient à  distinguer  les  principaux  événements,  et 
à  suivre  le  développement  général  des  institu- 
tions. 

Fondation  de  Rome.  —  Rome  peut  être  regar- 
dée comme  une  colonie  latine,  fondée  au  milieu 
du  VIII»  siècle  ;  la  fondation  d'une  ville  antique 
était  une  cérémonie  religieuse,  consistant  à  creuser 
une  fosse  sacrée  (mundus),  et  à  tracer  une  en- 
ceinte sacrée  [pomosrium]  ;  la  date  adoptée  par 
les  Romains,  21  avril  75'i,  est  probablement 
mythique,  mais  il  est  certain  qu'une  ville  était 
fondée  en  un  jour.  La  plupart  des  livres  français 
ont  conservé  la  date  de  764;  les  Allemands  prê- 
tèrent celle  de  753.  Ce  passé  si  lointain  a  laissé 
dans  le  sol  des  traces  vivantes  :  des  fouilles  ré- 
centes ont  découvert  sur  plusieurs  point  l'enceinte 
étroite  attribuée  à  Romulus,  la  Home  carrée  ;  elle 
entourait  le  Palatin,  colline  de  35  mètres  de 
haut,  et  avait  1800  mètres  de  tour. 

Etat  social  nvunt  Servius.  —  La  population 
primitive  do  Rome  a  été  formée  non  de  plusieurs 
races,  mais  de  deux  classes  :  le  patricint,  aristo- 
cratie établie  dans  la  ville  sacrée  du  Palatin,  et  la 
plèbe,  population  admise  seulement  dans  l'asile, 
enclos  au  pied  du  Capitolin.  Le  patriciat,  exclusi- 
vement hcrcditaire,  est  une  caste  sociale,  mili- 
taire et   surtout   sacerdotale  ;  une   famille   patri- 


cienne, r/e7is,  se  compose  du  chef  de  famille, 
pater,  de  sa  famille  proprement  dite,  et  de  ses 
clients,  hommes  libres  qui  sont  liés  aux  patri- 
ciens par  des  obligations  héréditaires  réciproques, 
analogues  à  la  vassalité  ;  les  familles  (gentes,  plu- 
riel de  f/ens]  sont  groupées  en  trente  curies  ;  dix 
curies  .forment  une  tril/u;  les  trois  tribus  com- 
posent le  populus,  peuple,  ensemble  des  Quirites, 
citoyens.  La  plèbe  parait  avoir  pour  origine  les 
populations  vaincues  transplantées  à  Rome  ;  très 
différents  des  clients,  les  plébéiens  sont  des 
hommes  libres,  sans  obligation  envers  personne, 
mais  sans  foyer  commun  et  sans  droits  politi- 
ques ;  ils  ne  font  pas  partie  du  populus.  Au-des- 
sous sont  les  esclaves. 

Etat  politique  avant  Servius.  —  Trois  pouvoirs 
gouvernent  la  Rome  primitive  :  le  roi,  le  sénat 
et  les  comices.  Le  roi  est  nommé  à  vie;  il  est  le 
prêtre  suprême  de  la  cité  ;  il  a  le  pouvoir  mili- 
taire et  judiciaire,  et  un  certain  pouvoir  législatif. 
Le  sénat,  composé  des  chefs  de  famille,  con- 
firme le  roi  et  lui  sort  de  conseil.  Les  comices 
sont  la  réunion  des  curies,  assemblées  pour  voter 
des  lois,  choisir  des  magistrats,  décider  la  guerre, 
élire  le  roi  et  l'investir  de  Vimperium  (délégation 
de  la  souveraineté).  La  royauté  romaine  est  une 
monarchie  limitée  par  l'aristocratie;  elle  est  sans- 
cesse  en  lutte  avec  celle-ci. 

Héformes  rie  Servius.  —  Le  cinquième  roi,  Ser- 
vius, fait  des  concessions  à  la  plèbe.  Il  lui  donne 
des  terres  et  un  culte  ;  il  établit  les  trihus,  divi- 
sions territoriales,  où  sont  inscrits  tous  les  habi- 
tants, patriciens,  clients,  plébéiens  (on  peut 
comparer  l'inscription  dans  la  tribu  à  l'inscription 
sur  nos  registres  de  l'état  civil).  Il  établit  les 
classes,  divisions  à  la  fois  censitaires  et  militaires, 
au  moyen  desquelles  le  service  militaire  pèse 
sur  chacun  en  raison  de  sa  fortune  :  la  première 
classe,  celle  des  c/ievaliers,  composée  des  patri- 
ciens et  de  l'élite  des  plébéiens,  fournit  dix-huit 
centuries  (compagnies)  de  cavalerie  ;  la  deuxième 
classe,  celle  des  plébéiens  ou  des  clients  riches,  qua- 
tre-vingts centuries  d'infanterie  ;  les  quatre  autres 
classes  de  plébéiens  ou  de  clients  propriétaires  ne 
fournissent  ensemble  que  quatre-vingt-quatorze 
centuries  d'infanterie,  moins  complètement  équi- 
pées ;  la  septième  et  dernière  classe,  celle  des 
prolétaires,  en  fournit  une  seule  employée  aux 
travaux  manuels.  Mais  les  droits  politiques  sont 
inégaux  comme  les  charges  :  autant  do  centuries, 
autant  de  suffrages  :  les  patriciens  et  les  plé- 
béiens riches  réunis  possèdent  donc  98  suffrages 
sur  193,  c'est-à-dire  la  majorité  ;  la  foule  des  pro- 
létaires, qui  ne  possède  en  tout  qu'un  suffrage, 
n'a  aucun  pouvoir  politique. 

Notions  sur  la  religion  romaine.  —  Les  insti- 
tutions des  Romains  dérivent  de  leurs  croyances; 
ce  sont  leurs  idées  sur  la  divinité  et  sur  la  nature 
de  l'homme  qui  expliquent  la  constitution  de 
leur  famille  et  de  leur  cité.  Le  dogme  fondamen- 
tal chez  les  Romains,  comme  cliez  tous  les  peuples 
de  la  même  origine,  c'est  que  l'âme,  après  la 
mort,  reste  près  des  vivants  et  veille  sur  eux  : 
de  là  la  croyance  à  la  providence,  le  culte  des 
morts,  la  religion  de  la  famille,  le  patriotisme; 
les  morts  deviennent  des  dieux  [lares,  mânes); 
le  chef  vivant  de  la  gens  est  un  prêtre  :  de  là  sa 
puissance  paternelle,  sociale  et  politique.  —  A 
cette  religion  domestique  se  joint  une  religion 
agricole,  mythologie  produite  par  l'impressioa 
des  forces  de  la  nature,  telles  que  le  soleil,  la 
végétation,  le  tonnerre.  Mais  les  divinités  ro- 
maines, sabines  et  étrusques,  au  lieu  d'être 
vivantes  et  poétiques  comme  celles  des  Grecs, 
sont  abstraites  et  prosaïques  :  tels  sont  Ja- 
nus, Jupiter,  Mars,  Qnirinus,  Saturne,  Junon, 
Vesta  ;  une  épéc  représente  Mars,  une  pierre 
Jupiter. 


ROME 

PÉRIODE    RÉPUBLICAINE  (509-30  av.  J.-C.) 

ÉtablUiteinctit  de  la   Rcpiililiqiie. 


1920  — 


ROME 


Abolition  de  la  ror/auté.  —  En  509  la  royauté 
est  renversée,  et  la  République  établie;  mais  cette 
révolution  est  l'œuvre  de  l'aristocratie,  et  non  des 
classes  inférieures;  elle  profite  uniquement  aux 
patriciens,  qui  en  sont  les  auteurs;  les  plébéiens 
sont  dépouillés  de  leurs  terres.  Le  gouvernement 
nouveau  se  C'"'mpose  de  trois  pouvoirs  :  deux  ma- 
gistrats patriciens,  appelés  consuls,  remplacent  le 
roi  ;  les  eumices  (assemblées)  par  centuries  sont 
conservés,  mais  ils  n'ont  rien  de  démocratique  ; 
le  sénrit  exerce  une  influence  prépondérante.  Le 
pouvoir  de  l'aristocratie  est  absolu. 

Le  consulat.  —  Le  consul  est  une  sorte  de 
roi  annuel.  En  apparence  il  est  tout-puissant  : 
prêtre,  il  est  comme  le  génie  tutélairc  de  la  cité; 
chef  de  l'Etat,  il  convoque  et  préside  le  sénat  et 
les  comices,  et  peut  s'opposer  à  leurs  votes  et  à 
leurs  clioix  ;  ses  édits  ont  force  de  loi;  chef  de 
l'armée,  il  la  lève,  l'organise,  la  commande;  chef 
de  la  justice,  il  a  le  droit  de  condamner  ."i  mort. 
Ce  pouvoir,  qui  semble  absolu,  a  en  réalité  des 
limites  :  le  consul  a  un  collègue  aussi  puissant 
que  lui,  qui  peut  lui  faire  échec  {iyilerrcisio)  ;  il 
est  annuel  et  responsable  ;  sorti  de  charge,  il  re- 
devient simple  citoyen.  Le  consulat  est  donc  un 
pouvoir  exécutif  fort  sans  être  dangereux.  Quand 
le  sénat  veut  en  augmenter  la  puissance,  les  deux 
consuls  sont  remplacés  pour  six  mois  par  un  dic- 
tuteui-,  mais  la  dictature  est  une  magistrature 
exceptionnelle.  Les  questeurs,  au  nombre  de  deux, 
sont  des  magistrats  fiscaux  supérieurs. 

Les  comices.  —  Les  comices  centuriates  sont 
souverains  en  principe,  mais  ils  restent  entourés 
de  formalités  nombreuses,  qui  mettent  aux  mains 
des  patriciens  les  votes  et  les  élections.  Le  carac- 
tère militaire  y  reste  nettement  marqué  ;  le  lieu 
de  réunion  est  le  Champ  de  Mars  ;  les  centuries 
s'y  rendent  en  armes,  sous  le  commandement  des 
centurions  et  du  consul.  La  religion  y  tient  aussi 
une  grande  place  :  ainsi  l'augure  peut  dissoudre 
l'assemblée,  si  les  auspices  sont  contraires.  Le 
vote  a  lieu  par  centuries,  et  dans  chaque  centurie 
par  tête  ;  les  patriciens  votent  les  premiers,  les 
plébéiens  riches  votent  ensuite  ;  s'ils  sont  d'ac- 
cord, ils  ont  la  majorité,  et  les  autres  classes  ne 
votent  même  pas.  —  Les  comices  curiides  ont 
perdu  leur  importance  politique  depuis  l'institu- 
tion des  centuries  :  ils  n'existent  guère  que 
comme  vestige  respectable  du  passé. 

Le  sé?int.  — Le  sénat  est  l'institution  dominante 
de  la  République.  Composé  des  chefs  de  génies  et 
de  cent  membres  nouveaux  [coriscripti],  tirés  sans 
doute  des  branches  cadettes  des  t.entis,  il  est 
exclusivement  patricien.  —  En  théorie  il  semble 
un  simple  conseil  d'État:  il  ne  choisit  pas  son 
président,  qui  est  le  consul  ;  il  n'a  pas  de  bu- 
reaux pour  délibérer  ;  il  n'a  pas  l'initiative  des 
propositions  ;  il  répond  seulement  aux  questions 
du  consul.  —  En  réalité  il  gouverne  :  composé  en 
grande  partie  de  prêtres,  il  dirige  la  religion  de 
l'État  ;  investi  du  pouvoir  financier,  il  établit  les 
impôts  et  dispose  du  trésor;  il  a  la  haute  main 
sur  les  travaux  publics  et  administre  les  domai- 
nes de  l'État;  il  dirige  la  politique  étrangère  et 
décide  des  questions  de  guerre  et  de  paix.  —  Lo 
.  gouvernement  serait  impossible  si  les  consuls  et 
le  sénat  étaient  hostiles;  mais  ils  ne  sont  pas  en 
conflit,  parce  qu'ils  ont  les  mêmes  intérêts,  et 
les  consuls,  investis  de  fonctions  annuelles,  se 
laissent  diriger  par  le  sénat,  dont  le  pouvoir  ne 
passe  pas. 

Histoire  extérieure  de  lo    népulillqiie. 

Conquête  de  1  Italie  péninsulaire  (509-264).  — 
Rome   républicaine  lutte   d'abord  contre  son   roi 


Tarquin,  que  soutiennent  les  Etrusques;  elle  est 
prise  et  humiliée  par  l'orsenna  en  .ïin  (légendes 
d'Horatius  Coclès,  de  Sc;evola,  de  Clélie,  etc.), 
mais  elle  prend  bientôt  sa  revanche  avec  l'aide 
du  Latiiim.  —  Une  sorte  de  guerre  civile  éclate 
entre  elle  et  les  Latins  :  elle  les  bat  au  lac  Régille 
(490?),  et  leur  impose  de  nouveau  son  liégémonie. 
—  Elle  soumet  facilement  les  Sa0i7is  ;  fortifiée 
par  l'alliance  des  Hemiqws  (486),  elle  triomphe 
des  Eques,  des  ['olsques.  des  Aurunces,  après  une 
résistance  acharnée;  puis  elle  se  tourne  contre  les 
Etrusques,  que  les  Gaulois  attaquent  en  mêine 
temps  au  nord,  et,  après  de  longues  guerres,  elle 
détruit  Veïes  (.195). 

Mais  les  Gaidois,  vainqueurs  des  Etrusques, 
surviennent  tout  à  coup,  culbutent  les  Romains  à 
V Allia  (;i90),  entrent  dans  Rome  et  l'incendient; 
ils  ne  peuvent  prendre  d'assaut  le  Capitole,  mais 
les  assiégés,  en  proie  à  la  famine,  sont  réduits  à 
traiter;  les  Gaulois,  gorgés  d'or,  se  dispersent  et 
sont  battus  en  détail  par  Camille  (légendes  de 
Manlius  Torquatus,  de  Valérius  Corvus,   etc.). 

Les  Romains  reconstruisent  leur  ville,  réduisent 
les  Volsques,  les  heni'ques  et  des  peuples  latins 
révoltés;  le  Latmm  est  organisé  en  une  ligue  de 
trente  cités,  et  étroitement  soumis  à  l'hégémonie 
(vers  :nO).  —  En  même  temps  Rome  recommence 
ses  conquêtes  au  Nord  :  toute  YEtrurie  du  Sud 
est  soumise.  —  Bientôt  elle  se  heurte  au  Sud 
contre  un  peuple  puissant,  les  Sanindes,  à  qui 
elle  dispute  la  riche  Campante  (343).  Aussitôt  les 
Latins  et  les  Volsques  se  soulèvent,  mais  ils 
sont  battus  et  domptés  (3'iO);  la  ligue  latine  est 
détruite,  et  chaque  cite  est  liée  h  Rome  par  un 
pacte  particulier;  la  Cnmpanie  et  le  pays  Volsque 
sont  complètement  assujettis.  11  reste  h  vaincre 
les  Samniles  et  leurs  alliés;  une  guerre  terrible 
éclate  en  3?C  ;  les  Romains  y  éprouvent  un  dé- 
sastre honteux  aux  Fotirches  Cnudines  en  321, 
mais  ils  ressaisissent  la  victoire  avec  Papirius 
Cursor  (319),  s'emparent  de  l'Apulie,  et  écrasent 
successivement  tous  les  alliés  dos  Samnites,  les 
Ausones  en  314,  les  Etrusques  en  310.  au  lac  Va- 
dimon,  les  Ombriens,  les  Morses  et  autres  Sabel- 
liens,  les  Hemiques.  Les  Samnites,  restés  seuls, 
paraissent  réduits  (.304).  —  Ils  reprennent  les 
armes  en  ^98,  entraînent  les  Marses,  les  Ombriens 
et  les  Etrusques,  qui  ont  h  leur  solde  des  bandes 
ç/auloises:  un  choc  terrible  a  lieu  à  Sentinum  en 
Ombrie  (295)  ;  le  dévouement  de  Décius  donne  la 
victoire  aux  Romains  ;  la  coalition  est  dissoute, 
l'Ombrie  est  conquise,  l'Etrurie  traite,  et  les 
Samnites,  achevés  à  Aquilonie  (293),  sont  contraints 
à  la  paix  (290). 

Les  Lucaniens  et  les  Bruttiens  essaient  de  rem- 
placer les  Samnites,  et  forment  une  nouvelle  ligue 
avec  les  Gaulois  et  les  Etrusques,  mais  Rome  bat 
séparément  tous  les  coalisés  (285).  —  La  ville 
grecque  de  Tarente,  menacée  do  la  suprématie 
romaine,  appelle  à  son  secours  le  roi  d'Epire 
Pyrrhus,  qui  rêve  de  réunir  il  l'Epire  la  Grande- 
Grèce  et  la  Sicile,  pour  fonder  un  empire  grec. 
Déliarqué  avec  26  000  mercenaires,  Pyrrhus  enrôle 
de  force  les  habitants  de  Tarente,  et  marche  contre 
l'armée  romaine  ;  il  la  taille  en  pièces  ^  Héraclée, 
où  sa  tactique  savante  étonne  les  légionnaires,  et 
où  ses  éléphants  efl'arouchent  les  chevaux  erine- 
mis  (280);  il  soulève  le  Samnium  et  les  villes  ■' 
grecques,  mais  il  ne  remporte  h  .isculum  qu'une 
victoire  sans  résultat  (279);  mollement  soutenu 
par  ses  alliés,  il  passe  en  Sicile  et  s'en  rend  maî- 
tre ;  mais  rappelé  par  les  défaites  des  Samnites, 
il  est  battu  h  llénécent  (2"5),  et  retourne  en  Grèce 
sans  armée.  Les  Siciliens  recouvrent  leur  indé- 
pendance ;  les  Romains  entrent  à  Tarente  ("272), 
et  châtient  le  Samnium,  la  Liicanie  et  le  Brultiwn. 
L'Italie  péninsulaire  est  tout  entière  réunie  sous 
la  domination  de  Rome. 


ROME 


—  1931  — 


HOME 


Organisation  de  l'Italie  au   III"  siècle.  —    La 

poliuquf  du  Home  consiste  à  s'assimiler  peu  à 
peu  les  vaincus.  Elle  divise  ponr  régner;  toutes 
les  fédérations  italiques  sont  dissoutes;  les  cités, 
isolées  les  unes  des  autres,  n'ont  plus  rien  de 
commun  entre  elles,  ni  le  droit  de  commerce,  ni 
les  mariages  ;  elles  n'ont  de  liens  qu'avec  Rome, 
et  ces  liens  diffèrent  selon  les  cités.  Les  unes,  les 
cités  siijeltes,  cessent  de  former  un  corps  poli- 
tique, et  sont  soumises  à  un  préfet  romain.  Les 
autres,  les  cités  dites  alliées,  restent  en  appa- 
rence organisées  en  cités:  elles  conservent  leur 
régime  municipal,  leurs  lois,  leurs  magistrats, 
mais  elles  reconnaissent  la  souveraineté  de  Rome, 
lui  rendent  des  comptes,  lui  paient  des  impôts, 
lui  fournissent  des  soldats,  obéissent  au  proconsul; 
en  réalité  il  ne  reste  debout  qu'une  cité,  Rome.  — 
Los  vaincus  ne  sont  pas  seulement  soumis,  ils 
sont  lentement  absorbés  :  les  familles  riclies  re- 
çoivent une  il  une  le  droit  complet  de  cité,  qui 
leur  assure  richesse,  sécurité,  honneurs,  mais 
qui  les  fait  entièrement  romaines.  L'aristocratie, 
ainsi  favorisée,  est  partout  dévouée  à  Rome  ;  le 
reste  des  Ilaliens  ambitionne  le  droit  de  cité 
comme  le  privilège  le  plus  précieux,  et  l'art  de  la 
politique  romaine  est  d'en  conserver  la  valeur  en 
ne  le  prodiguant  pas. 

Chez  les  peuples  qui  regrettent  leur  indépen- 
dance, Rome  a  établi  des  colonies  et  des  forte- 
resses, garnisons  de  citoyens  ou  de  soldats,  qui 
contienïient  le  pays,  et  y  font  pénétrer  la  civilisa- 
tion romaine:  lois  sont  Antium  et  Frégelles,  chez 
les  'Voisques,  Uénénent,  entre  le  Samiiium  et  la 
Campanie,  Venoiise,  entre  l'Apulie  et  la  Lucanie, 
Lucérie,  eji  Apulie,  Brindes,  en  Calabro,  Arimi- 
num,  en  Ombrie.  —  Des  vo:es  v.ilituires  hcXWienl 
la  surveillance,  et  la  répression  des  révoltes  : 
telle  est  la  voie  Appinme,  construite  pour  joindre 
Rome  à  Gapoue,  et  prolongée  bientôt  jusqu'à. 
Bénévent,  Brindes  et  Tarente. 

h' armée  romaine  doit  ses  victoires  à  sa  bra- 
voure, et  plus  encore  à  sa  discipline  et  à  son  or- 
ganisation. Uniquement  composée  de  citoyens, 
elle  est  soutenue  par  le  patriotisme.  L'ancienne 
phalange  dorienne  de  l'époque  royale  a  été  rem- 
placée au  temps  de  Camille  par  la  légion  n.anipii- 
laire,  petite  armée  complète,  composée  d'infan- 
terie, de  cavalerie  et  de  machines  de  guerre  ;  l'in- 
fanterie de  la  légion,  forte  de  4'2UO  hommes  en 
moyenne,  se  subdivise  en  trente  manipules  d'in- 
fanterie de  ligne  (hastaires,  princes  et  Iriaires), 
et  en  nombreuses  escouades  d'infanterie  légère 
(uélites)  ;  la  cavalerie  compte  dix  turmes,  pelotons 
de  trente  hommes;  les  machines  sont  la  lialiste  et 
la  catapulte.  —  La  légion,  à  la  fois  solide  et  mo- 
bile, est  apte  k  l'offensive  et  à  la  défensive,  au 
combat  corps  à  corps  avec  l'cpi'e  et  la  lance,  au 
combat  à  distance  avec  le  jnvelol  (pilum).  Aux 
4500  soldats-citoyens  est  toujours  adjointe  une 
troupe  égale  à.'allié<  ou  auxiliaires:  une  légion  re- 
présente de  neuf  h  dix  mille  hommes  ;  le  nombre 
des  logions  varie.  —  Le  camp  romain,  forteresse 
passagère,  est  un  refuge  pour  la  défensive  et  un 
appui  pour  l'offensive.  —  La  marine  prend  nais- 
sance. 

Première  guerre  punique  (264-241).  —  Car- 
Ihaije,  colonie  fondée  par  les  Phéniciens,  s'est  faite 
la  capitale  d'un  vaste  empire  africain,  aux  dépens 
des  Libyens,  et  d'un  empire  maritime,  composé  des 
autres  colonies  phéniciennes  d'Afrique  (Hadru- 
mète,  L'tique,  Hippone),  d'une  grande  partie  du 
littoral  sicilien  (Lilybée,  Panorme,  Ségesle),  des 
îles  de  la  Méditerranée  occidentale  (Malte,  Sar- 
daigne,  Corse,  Baléares),  et  de  comptoirs  en  Espa- 
gne (Gadès).  Exclusivement  commerçante,  elle  est 
riche,  mais  elle  n'a  d'autre  but  que  le  gain  ;  elle 
n'a  ni  classe  moyenne,  ni  armée  nationale;  elle 
est  détestée  de   ses  sujets.  Rome  a  moins  d'or. 


mais  elle  a  de  meilleures  institutions,  un  gouver- 
nement fort,  un  peuple  discipliné,  et  une  armée 
nationale.  —  Rome  et  Cartilage  deviennent  enne- 
mies quand  elles  se  rencontrent  en  Sicile  :  la 
guerre  entre  les  Mamertins  et  Hiéron  de  Syracuse 
dégénère  en  une  guerre  entre  leurs  alliés,  les 
Romains  et  les  Carthaginois. 

La  première  guerre  punique  se  divise  en  trois 
phases.  De  264  à  iCl,  les  hostilités  ont  lieu  en 
Sicile.  Les  Romains  s'établissent  à  Messine,  re- 
poussent l'attaque  des  Carthaginois,  et  leur  enlè- 
vent la  plupart  de  leurs  villes,  Calane,  Ségeste, 
Agrigente;  mais  Cartilage  est  encore  la  première 
puissance  maritime  du  monde.  —  De  201  à,  255,  la 
guerre  a  pour  théâtre  \a.iner  et  l'Afrique.  Décidés 
à  transporter  la  guerre  en  Afrique,  les  Piomains 
construisent  h  la  hâte  des  vaisseaux  de  haut  bord, 
inventent  une  nouvelle  manière  de  combattra 
(l'abordage  au  moyen  des  ponts  mobiles  do 
Duillius),  et  remportent  deux  grandes  victoires 
navales,  l'une  près  de  il/(/fes  ("260),  qui  leur  ouvre  la 
Sardaigne  et  la  Corse,  l'autre  près  d'Ecnome  (25G), 
qui  leur  ouvre  l'Afrique.  Les  sujets  de  Carthage 
n'opposent  aux  Romains  aucune  résistance,  mais 
Kégulus,  laissé  en  Afrique  avec  une  armée  insuf- 
fisante, est  battu  et  pris  par  Xa7tthippe,  Lacédé- 
monien  au  service  de  Carthage  :  Carthage  est 
sauvée,  el  Rome  renonce  à  l'Afrique.  —  Do  '.'55  à 
211,  la  guerre  est  reportée  en  Sicile.  Après  quatre 
années  d'opérations  secondaires,  les  Romains  sont 
vainqueurs  à /'«no/'me  (251),  mais  ils  sont  vaincus 
sur  terre  à  Drép'ine,  et  sur  mer  près  de  Cam'irine 
(249).  Hamilcar  ravage  le  Bruttium  et  le  littoral 
de  la  Campanie;  mais,  abandonné  par  le  gouver- 
nement de  Carthage,  qui  ne  lui  envoie  ni  argent, 
ni  renforts,  il  ne  peut  que  tenir  en  échec  pen- 
dant six  années  toutes  les  forces  des  Romains  près 
de  l'iinorme  (2i"-241);  une  flotte,  envoyée  enfin 
pour  le  ravitailler,  est  détruite  par  l.utatius  Catu- 
to.saux  îles  Egales  ('Ml),  et  les  Romains  deviennent 
les  maîtres  de  la  mer.  —  Les  Carthaginois,  las 
d'une  guerre  qui  entrave  leur  commerce,  achètent 
la  paix  au  prix  de  :i'JOO  talents  et  de  la  SicUf. 

Intervalle  entre  la  première  et  la  deuxième 
guerre  punique  241  219).  —  Les  Romains  victo- 
rieux comprennent  que  la  paix  n'est  qu'une  trêve, 
et  se  fortifient  en  prévision  de  nouvelles  guerres. 
—  Ils  organisent  d'abord  leur  conquête  de  Sicile. 
Hiéron,  à  Syracuse,  conserve  son  petit  royaume; 
le  reste  de  l'île  est  réduite  en  proiince  romaine, 
c'est-à-dire  qu'elle  devient  sujette  et  tributaire,  et 
qu'elle  est  gouvernée  par  un  préteur,  h  la  fois  ad- 
ministrateur, général  et  souverain  juge.  —  La 
Sardaigne  et  la  Corse,  sortes  de  lonerosses  dé- 
tachées, tentent  les  Romains:  ils  s'en  emparent, 
et  les  deux  îles  forment  une  deuxième  prooince 
romaine  (22'i)  ;  la  merTyrrhénienne,  entre  l'Italie, 
la  Sicile,  la  Sardaigne  et  la  Corse,  semble  un  lac 
romain.  Dans  l'Adriatique,  les  Romains  répriment 
énergiquement  la  piraterie,  et  s'établissent  sur  la 
côle  d'Illijrie;  la  Grèce  les  accueille  comme  des 
sauveurs.  —  Rome  étend  son  empire  contiriental 
comme  son  empire  maritime.  Maîtresse  de  l'Italie 
péninsulaire,  elle  n'a  pas  encore  pénétré  dans  la 
Gaule  Cisalpine,  mais  elle  convoite  ce  riche  pays, 
qui  assurerait  son  approvisionneiuent,  et  qui  lui 
donnerait  pour  rempart  lés  Alpes,  ses  frontières 
naturelles.  Braves  jusqu'à  l'héroïsme,  maisdivisés, 
indisciplinés,  à  demi  barbares,  les  Cisalpins  font 
trembler  l'Italie:  ils  franchissent  l'Apennin,  mais 
Rome  ordonne  une  levée  générale  ;  les  Italiens, 
déjà  transformés, mettent  en  elle  leur  salut;  trois 
armées  sont  envoyées  au-devant  des  Gaulois,  et 
les  anéantissent  près  du  cap  Télamone  (22.i)  ;  puis 
les  légions  envahissent  la  vallée  du  Pô,  et  s'en 
emparent  après  une  lutte  terrible;  de  fartes  colo- 
nies, Plaisance,  Crémone,  Modène,  sont  aussitôt 
fondées  pour  garder  le  pays;  la  voie  Flaminienne, 


ROME 


1932 


ROME 


poussée  jusqu'à  Ariminum,  fraie  aux  légions  le 
passage  d'une  mer  à  l'autre  à  travers  l'Apennin. 
—  A  la  même  époque,  les  Romains  soumettent 
la  petite  presqu'île  de  VlslriP,  pour  relier  l'Italie 
à  riUjrie  ("221).  —  L'Italie  entière  parait  conquise, 
quand  éclate  la  deuxième  guerre  punique.  — Pen- 
dant que  Rome  se  fortifie,  Cartilage  traverse  la 
terrible  crise  de  la  querre  inexpiable  contre  ses 
mercenaires  et  ses  sujets  révoltés  (V.  Giiei-res)  ; 
mais  Hamilcar  la  dédommage  de  ses  pertes  par  la 
conquiHeile  l'Espagne. 

Deuxième  guerre  ptmique  (219  201i-  —  La 
deuxième  guerre  punique  est  plutOt  un  duel  entre 
Hannibal  et  Rome  qu'une  lutte  nationale  entre 
deux  peuples;  Hannibal,  grâce  à  son  génie,  rem- 
porte les  plus  éclatantes  victoires,  mais  Rome 
finit  par  triompher,  grâce  à  la  force  de  ses  insti- 
tutions. 

1"  pÉniODE  (2I9-21G).  Défaites  de  Rome.  — 
Hannibal,  fils  aîné  d'Hamilcar,  met  à  exécution  les 
projets  de  son  père;  il  s'attache  d'abord  son  ar- 
mée et  entraîne  Carthage  à  la  guerre  par  la  prise 
et  le  pillage  de  la  grande  ville  de  Sagonte  en  Es- 
pagne i219i;  Rome,  alliée  de  Sagonte,  déclare  la 
guerre  i  Carthage,  et  Hannibal  se  met  en  marche 
aussitôt  avec  une  formidable  armée  d'Africains  et 
d'Espagnols;  décidé  à  envahir  l'Italie  par  le  nord, 
pour  rallier  les  Gaulois,  il  choisit  la  route  de 
terre,  franchit  VEbre  au  printemps  de  S  in,  sou 
met  le  pays  (la  Catalogne  d'aujourd'hui),  traverse 
les  Pyrénées  au  col  de  Perthus,  passe  k  Narbonne 
et  à  Aimes,  franchit  le  R/uJne  près  d'Orange,  puis, 
évitant  l'armée  de  Scipion,  gagne  les  Alpes  par  la 
vallée  de  l'Isère,  du  Drac  et  de  la  Romanche,  et 
force  enfin  le  col  du  mo7it  Genèvre.  malgré  les 
hommes  et  la  nature  (septembre  218).  De  59  000 
hommes  il  ne  lui  reste  que  20  000  fantassins  et 
6000  cavaliers,  mais  il  a  pour  champ  de  bataille 
l'Italie.  Descendu  des  Alpes,  il  rejette  les  Ro- 
mains au  délit  du  Pô  par  la  victoire  du  Tessin,  et 
au  delà  des  Apennins  par  celle  de  la  Trébic  (218); 
les  Cisalpins,  qui  voient  en  lui  un  vengeur,  gros- 
sissent son  armée  de  COOOO  hommes.  Entré  en 
Étrurie,  il  anéantit  au  lac  Trasimhie  l'armée  du 
consul  Flaniinius  (217);  forcé  de  ménager  son  ar- 
mée, il  se  détourne  de  Rome,  et  essaie  de  soule- 
ver l'Italie  comme  la  Cisalpine,  mais  toutes  les 
villes  lui  ferment  leurs  portes  :  les  Italiens,  par 
haine  de  Carthage,  restent  fidèles  à  Rome.  Hannibal 
remporte  encore  dans  la  plaine  de  Cannes,  en 
Apulie,  une  prodigieuse  victoire  (216i;  il  réussit 
à  détacher  de  Rome  la  grande  ville  de  Capoue  et 
la  linsse-Italie  (moins  les  cités  grecques  et  les 
colonies  romaines)  ;  mais  Rome,  oubliant  ses 
querelles  du  forum,  va  se  relever  par  une  in- 
comparable énergie;  Carthage,  qui  craint  de  se 
donner  un  maître,  n'envoie  à  Hannibal  que  des  se- 
cours dérisoires,  et  les  6000  hommes  qu'il  a  per- 
dus pour  vaincre  sont  moins  aisément  remplacés 
que  les  70  000  morts  romains. 

2=  PÉRIODE  (2IG-201).  Revanche  de  Rome.  — 
Abandonné  de  sa  patrie,  Hannibal  essaie  d'augmen- 
ter ses  ressources  par  des  alliances,  mais  les  Ro- 
mains tiennent  tète  h  la  coalition  :  leur  liabile  po- 
litique réduit  Philippe  de  Macédoine  à  l'impuis- 
sance; .l/i')Te//»s  s'empare  de  Syracuse  après  un 
siège  de  deux  ans  (212);  les  Gaulois  sont  devenus 
indifférents;  Cneus  et  Publius  Scipion  retiennent 
en  Espagne  les  frères  d'Hannibal,  Hasdrubal  et  lla- 
gon;  vaincus  et  tués  en  212,  ils  sont  vengés  par  Pu- 
blius Scipion,  fils  de  Publius.  Hannibal  lui-même 
échoue  dans  la  guerre  de  sièges  à  laquelle  il  est 
réduit,  et  Capoue.  qu'il  ne  peut  sauver,  est  prise 
et  détruite  (•;il).  Hasdrubal,  échappé  de  l'Espagne 
malgré  Scipion,  descend  en  Italie  avec  52  OiiO 
hommes,  et  y  soulève  les  Ligures  :  s'il  joint  son 
frère,  Rome  est  perdue;  mais  attaqué  par  les 
deux  consuls  au  passage  du  Miitaure,  il  est  tué  et 


son  armée  exterminée  (207).  Hannibal  se  renferme 
dans  le  Rruttium,  réduit  i  la  défensive,  mais  inex- 
pugnable. Les  Romains,  pour  l'arracher  de  ce 
repaire,  transportent  la  guerre  en  Afrique  (201); 
Carthage,  forcée  de  se  défendre,  se  réveille,  mais 
trop  tard  ;  son  allié  Si/phnx,  roi  des  Massésyliens, 
est  vaincu  par  Scipion,  et  détrôné  par  Masinissa, 
Numide  allie  de  Rome.  Hannibal,  appelé  par  sa 
patrie  en  danger,  quitte  l'Italie  la  rage  au  cœur, 
débarque  à  Leptis,  et  est  battu  i  'lama  par  Sci- 
pion et  Masinissa  (202).  Carthage,  sans  armée  et 
sans  approvisionnements,  obtient  la  paix  à  dos 
conditions  désastreuses  :  elle  renonce  à  l'Espag/ie 
et  à  toutes  possessions  hors  d'Afrique  :  elle  ne  fera 
jamais  la  guerre  sans  la  permission  de  Rome;  elle 
livre  ses  vaisseaux  et  ses  éléphants,  elle  paiera 
par  an  200  talents  (201).  Descendue  au  rang  de 
tributaire,  Carthage  a  perdu  son  indépendance  po- 
litique. 

Conquête  du  monde  (200-50  av.  J.-C).  —  1" 
pÉiiioiiE  (200-172'.  —  Victorieuse  de  Carthage, 
Rome  poursuit  les  alliés  d'Hannibal,  et  châtie  les 
peuples  rebelles.  —  En  Orient  ses  victoires  sont 
faciles.  Le  roi  de  Macédoine,  l'hitippe,  allié 
d'Hannibal,  est  attaqué  le  premier;  vaincu  à  la  ba- 
taille de  Ci/noscéphales,  où  la  légion  triomphe  de 
la  phalange  (197),  il  traite  à  des  conditions  désas- 
treuses :  sa  flotte  est  réduite  Ji  cinq  vaisseaux, 
son  armée  h  cinq  mille  hommes;  il  paie  un  tribut, 
et  livre  son  fils  comme  otage.  Le  consul  siin- 
quPAW,  Flamininus,  se  fait  habilement  passer  pour 
le  libérateur  de  la  Grèce  (196).  —  Le  roi  de  Syrie 
Antiochus  ///,  décidé  b.  la  guerre  par  Hannibal, 
s'allie  aux  Etoliens  et  tente  de  les  joindre  à  tra- 
vers la  Grèce  ;  mais  il  est  vaincu  aux  Thermopy- 
tes  (191),  puis  les  Romains  détruisent  ses  flottes, 
le  poursuivent  eu  Asie,  et  le  battent  à  Magné- 
sie (19U)  :  ils  lui  enlèvent  ses  éléphants,  ses 
vaisseaux,  ses  trésors,  et  donnent  ses  possessions 
d'Asie  Mineure  h  leur  protégé  Euméne,  roi  de 
Pergame.  —  Les  Galales,  peuple  d'origine  gauloise 
établi  en  Asie  Mineure,  sont  punis  de  l'alliance 
qu'ils  ont  prêtée  au  roi  de  Syrie  :  vaincus  au 
mont  Olympe,  ils  sont  contraîjits  de  s'allier  au 
roi  de  Pergame  (1S9).  —  Les  Etolietu,  après 
avoir  bravé  trois  ans  la  puissance  romaine,  sont 
vaincus  et  achètent  la  paix  (189,.  —  Enfin  /■'/'(• 
mininits  délivre  Rome  de  Phdopœmcn  et  d'Han- 
nibal (I8;i)  :  l'Orient  est  soumis  à  l'influence  ro- 
maine. 

Rome  soutient  en  Occident  des  luttes  plus 
difficiles  :  l'Espagne,  menacée  d'être  réduite  en 
province  romaine,  se  lève  en  masse  pour  dé- 
fendre son  indépendance  (197)  ;  héroïque,  mais 
divisée,  elle  est  vaincue  h  Empories  (195),  h  To- 
lède (185),  et  forcée  jusque  dans  ses  montagnes; 
la  Celtibérie,  réduite  par  Sempronius  Gracchus, 
est  soumise  au  protectorat  de  Home,  et  l'Espagne 
parait  conquise  (178).  —  La  Ciudpine,  qui  a  re- 
pondu à  Zama  par  la  destruction  de  Plaisance, 
paie  chèrement  sa  fidélité  â  Hannibal  :  elle  tient 
tête  pendant  dix  ans  à  quinze  consuls,  mais  la 
discipline  des  légions  l'emporte;  Plaisance  est 
repeuplée;  des  colons  s'établissent  à  lioloirnc,  à 
Parme,  ii  .Aquilée  ;  la  voie  Emilienne,  prolonge- 
ment de  la  voie  Flaminienne,  fraie  le  chemin  de 
ristrie,  et  la  voie  Anrétienne  celui  de  la  Ligurie. 
—  Vlstrie,  la  Corse  et  la  Sardnigne,  qui  se  sont 
soulevées,  sont  durement  ramenées  à  l'obéissance 

T  PÉRIODE  (173-118).  —  En  Orient   la  Macédoi- 
ne, qui  n'accepte  pas  sa  déchéance,    se  prépare 
en  secret  à  la  guerre.    Après  la  mort  do  Philippe, 
Persée,   brillant  de  venger   sa   patrie,  tente  une 
entreprise  au-dessus  de  ses  forces  ;  ses   projets  1 
de  coalition  échouent  ;  resté  seul  en  face  des  Ro-  1 
mains    (172),  il   les  bat  deux  fois;    mais,   attaque! 
par  Paul-Emile,   il    est  écrasé  à   Pgdnu,    où    la 


I 


ROME 


1933  — 


ROME 


plialanKo  livre  son  dernior  comlial  (1G8)  ;  la  Ma- 
cédoine est  morcolce,  et  Perséo  meurt  en  prison. 
Les  autres  rois  de  l'Orient,  rois  de  liilhi/nii',  de 
Si/rie,  de  Cnpparioce,  A'Ef/ypte,  de  Perfjamr,  trem- 
blent el  s'humilient  lâclirment.  La  Macédoine, 
qui  s'agite  encon;  h  la  voix  il'Aiiih-isros,  est  ré- 
duite par  Mctellus  en  jn-nri/irr  romaine  (14(!)  : 
la  voie  Egiwlienne  joint  Dyrrachium  i  'i'hessalo- 
niquB.  —  La  ligue  Acliéenne,  qui,  après  avoir 
aidé  les  Boraains,  ne  veut  pas  d'eux  pour  maîtres, 
retrouve  quelque  courage  avec  Critotaoa  et  Diieos, 
mais  elle  est  écrasée  i  Leucopélia  par  Mummius; 
Corintlie  est  détruite,  et  la  Grèce  entière  devient 
la  province  d'Achaîe.  —  Jalonx  de  la  prospérité 
renaissante  do  Cm-lhage,  le  sénat  romain,  où  do- 
mine l'influence  de  Calon,  excite  contre  elle 
Masinissa;  les  Carthaginois,  exaspérés,  se  dé- 
fendent malgré  l'ordre  de  Kome  ;  aussitôt  Sci- 
pion  Eniilien  parait  devant  leurs  murs  (149j, 
leur  offre  la  paix  en  échange  de  leur  soumission, 
puis,  quand  il  les  a  désarmés,  il  annonce  que  la 
ville  sera  rasée  :  Carthage,  régénérée  par  le  dé- 
sespoir, improvise  un  nouvel  armement,  soutient 
un  siège  de  trois  années,  se  défend  do  rue  en 
rue,  et  succombe  avec  gloire  ;  la  ville  est  brûlée, 
elle  territoire  carthaginois  devient  laproumce  d'A- 
frique (146).  —  L'Espagne,  qui  s'est  soulevée  de 
nouveau  en  153,  résiste  avec  acharnement  :  le 
roi  barbare  Virvithe  inflige  aux  Romains  défaite 
sur  défaite  (148-140),  mais  il  périt  assassiné;  la 
petite  ville  de  Numa7ice,  sur  le  Douro,  défendue 
par  8000  hommes,  repousse  toutes  les  attaques 
pendant  huit  ans,  mais  Scipioji  Emilieu,  envoyé 
contre  elle  avec  fiOOOO  hommes,  la  bloque  et  la 
réduit  par  la  famine  (133);  l'Espagne  se  sonmet, 
et  la  domination  romaine  s'étend  jusqu'à  l'Atlan- 
tique. —  En  Orient  les  Romains  réclament  le 
royaume  de  Pergame  comme  un  héritage  qui 
leur  est  dû,  s'en  emparent  malgré  Aristonic,  et 
en  font  la  province  d'Asie  {V2'J).  —  La  Gaule 
transalpine  est  entamée  à  son  tour.  Appelés  par 
Marseille,  les  Romains  soumettent  d'abord  la 
côte  entre  les  Alpes  et  le  Rhùne  (125),  puis  éten- 
dent leur  nouvelle  province,  la  Narbonnaise,  jus- 
qu'au lac  Léman  et  jusqu'à  la  Garonne  ;  des  co- 
lons s'établissent  à  Nurbonne.  La  conquête  de 
la  Gaule  est  commencée,  et  l'Espagne  est  reliée  à 
l'Italie. 

3'  PÉRIODE  (118-63).  —  Jugurthn ,  à  qui  son 
oncle  Micipsa  a  laissé  le  tiers  de  la  Numidie  (118), 
ne  so  contente  pas  de  sa  part,  et  prend  celle  de 
ses  deux  cousins  (112).  Devenu  un  voisin  dange- 
reux, il  détourne  quelque  temps  par  son  or  la 
colère  de  Rome,  puis  il  achète  plusieurs  armées 
envoyées  contre  lui.  Métellus,  incorruptible,  le 
bat  au  Muthul  (lOS),  mais  ne  peut  l'atteindre  dans 
le  désert.  Marins,  ennemi  de  Métellus  et  de  la 
noblesse,  obtient  du  peuple  la  conduite  de  la 
guerre;  Jugurtha  et  son  beau-père  liocclms,  roi 
de  Maurétanie,  sont  vaincus  et  réduits  (106); 
Bocchus  s'humilie,  livre  Jugurtha,  et  reçoit  une 
partie  de  ses  dépouilles  ;  la  province  romaine 
d'Afrique  s'agrandit  de  la  Numidie  orientale. 

Mais  l'Italie  est  menacée  d'une  formidable  in 
vasion  :  300  000  Cimbrea  et  Teutons,  sortis  de  la 
Germanie,  ont  écrasé  six  armées  romaines  (113- 
105),  et  mis  la  Narbonnaiso  à  feu  et  li  sang.  Ma- 
rins, réélu  consul  avant  le  temps,  est  envoyé 
d'Afrique  en  Gaule;  il  profite  de  l'incursion  des 
barbares  en  Espagne  pour  aguerrir  son  armée 
de  recrues,  et  pour  fortifier  ses  positions  le  long 
du  Rhône,  et  quand  les  Teutons  se  présentent, 
il  les  anéantit  k  Pourrières,  près  d'Aix  (lO'i).  Les 
Cimbres,  qui,  après  un  grand  détour,  ont  péné- 
tré en  Italie  par  le  col  du  Brcnner,  font  reculer 
une  armée  romaine,  et  ravagent  la  Transpadane; 
mais,  au  lieu  des  Teutons  qu'il»  attendent,  Ma- 
rius  parait  devant  eux,  et  les  massacre  h  Verceil 


(loi).  Le  sauveur  de  l'Italie  rapporte  h  Rome  une 
renommée  immense. 

La  guerre  de  Jugurtha  et  l'invasion  des  Cimbres, 
puis  les  guerres  civiles,  qui  absorbent  l'activité 
do  Homo,  permettent  au  roi  de  Pont,  Mil/iridate, 
de  conquérir  peu  b.  peu  l'Asie  Mineure,  y  compris 
la  province  romaine  (l"20-88),  d'y  massacrer  la 
population  romaine,  et  de  soulever  en  Grèce  le 
parti  démocratique  (88).  —  Mais  Rome,  libre  enfin 
d'agir,  donne  la  conduite  delà  guerre  à  Sylla  (87): 
At/tihies,  qui  s'est  alliée  h  Mithridate,  est  prise  et 
pillée  (86)  ;  les  armées  asiatiques  débarquées  en 
Grèce  sont  battues  à  Cliéronée  (86)  et  à  Orcfio- 
méne  (85);  l'Asie  Mineure  est  déjà  lasse  do  son 
nouveau  maître,  et  Sylla,  passé  en  Troade,  dicte 
au  roi  de  Pont  ses  conditions  (84).  —  Mithridate, 
qui  cherche  à  se  venger,  s'allie  à  Sertorius  (V.  ci- 
dessous)  et  au  roi  d'Arménie  Tigrane,  brouillé 
avec  Rome;  mais  LucuUus  le  bat,  le  chasse  de- 
vant lui  de  ville  en  ville,  lui  enlève  sa  capitale 
Sinope.  le  force  Ji  fuir  en  Arménie,  l'y  poursuit 
aussitôt  et  détruit  les  armées  de  Tigrane  (74-67). 

—  Pompée,  après  avoir  détruit  les  pirates  (67), 
remplace  en  Asie  Lucullus  (86),  et  organise  habi- 
lement la  domination  de  Rome:  devant  lui  Tigrane 
s'humilie,  et  Mithridate  se  tue  (63);  le  Pont,  la 
Cilicie  et  la  Syrie  sont  organisés  en  provinces  ro- 
maines ;  le  reste  de  r.\sie  Mineure,  morcelé,  est 
placé  dans  la  dépendance  de  Rome,  et  \'Ar7nénie 
seule  garde  assez  de  force  pour  arrêter  les  Par- 
thes. 

4'=  pÉnioDE.  —  Conquête    de   la   Gaule  (58-51). 

—  La  Gaule,  avant  César,  ne  forme  pas  une  na- 
tion ;  elle  est  divisée  en  trois  grandes  régions  ; 
V Aquitaine,  entre  les  Pyrénées  et  la  Garonne, 
la  Celtique,  entre  la  Garonne  et  la  Seine  ;  la  Bel- 
gique, entre  la  Seine  et  le  Rhin  :  l'Aquitaine  com- 
prend 9  peuples,  la  Celtique  36,  la  Belgique  15. 
Ces  60  Etats  ne  sont  unis  entre  eux  ni  par  un 
lien  fédéral,  ni  par  une  autorité  supérieure,  ni 
par  l'idée  nette  d'une  patrie  commune  ;  ennemis 
les  uns  des  autres,  ils  se  font  des  guerres  achar- 
nées. Ils  n'ont  de  commun  que  la  religion  ;  les 
Druide',  confrérie  d'initiés  dont  le  centre  est  en 
Bretagne  (Angleterre),  ont  un  chef  unique.  —  La 
Gaule  manque  d'unité  sociale  comme  d'unité  poli- 
tique :  chaque  Etat  est  lui-iuême  divisé  :  dans  les 
champs,  des  esclaves  innombrables,  des  hommes 
attachés  au  sol  et  des  clients  ;  au-dessus  d'eux, 
sans  intermédiaires,  les  nobles,  maîtres  des  terres, 
et  les  Druides,  maîtres  des  âmes.  Dans  les  villes, 
peu  peuplées,  dos  esclaves,  quelque  populace  et 
des  riches  tout-puissants.  L'énergie  des  Gaulois 
se  perd  dans  les  agitations  de  la  guerre  civile 
(V.  Gaule). 

Envahie  par  les  Suèves,  menacée  par  les  Hel 
vêtes,  la  Gaule  implore  le  secours  de  Rome  (58). 
Jtiles  César  est  envoyé  pour  la  sauver.  —  Dans  la 
1"  campagne  (58),  il  bat  les  Helvètes  au  passage 
de  la  Saône  et  près  de  Bibracte,  et  les  force  à 
rentrer  dans  leur  pays,  puis  il  se  tourne  contre 
Arioviste,  chef  des  Suèves,  et  le  rejette  au  delà  du 
Rhin.  —  Dans  la  2"  campagne  (57),  César  marche 
contre  les  Belges  soulevés,  et  les  bat  sur  l'Aisne 
et  sur  la  Sambre,  pendant  que  Crassus  soumet 
une  partie  de  l'Armorique.  • —  Dans  la  3°  cam- 
pagne (56),  César  réduit  VArmorique,  pendant 
que  Crassus  conquiert  V Aquitaine.  —  Dans  la 
4«  campagne  (65),  César  taille  en  pièces  des  en- 
vahisseurs germains,  et  pousse  jusqu'au  delà  du 
Rhin,  puis  il  fait  une  expédition  dans  1';'/^  de  Bre- 
ingne;  la  Gaule  n'a  plus  de  secours  à  attendre  de 
ses  voisins.  —  Dans  la  5'^  campagne  (d4).  César 
passe  une  seconde  fois  en  Bretagne;  à  son  retour, 
la  Gaule  semble  soumise,  et  les  légions  se  dis- 
persent pour  vivre,  mais  une  terrible  insurrection 
éclate  tout  i  coup  en  Belgique  :  la  légion  de  Sa- 
binus  est  massacrée  par  l'Eburon  .Ambiorix;    celle 


ROME 


1934  — 


ROME 


de  Q.  Cicéron,  chpz  les  Nerviens-,  est  assiégée  par 
plusieurs  peuples,  mais  elle  est  délivrée  par  César, 
qui  bat  les  Nerviens;  Labiénus,  attaqué  par  les 
Trévèi-es,  les  met  en  déroute  et  tue  Indutlomare. 
—  Dans  la  6'  cnmfjagne  (63),  César  triomphe 
d'une  troisième  insurrection  belge,  mais  il  ne  peut 
atteindre  Ambiorix.  —  La  ''  campagne  (ôî)  dé- 
cide du  sort  de  la  Gaule.  Les  Gaulois,  qui  se  sen- 
tent conquis,  s'unissent,  mais  trop  tard.  Vercin- 
gélorix,  roi  des  Arvernes,  groupe  autour  de  lui 
la  plupart  des  Etats,  celtes  et  belges;  la  r.'sistance 
est  organisée  avec  activité.  Avaricum  (Bourges) 
ne  succombe  qu'après  une  résistance  liéroique  ; 
Vercingétorix,  assiégé  à  Cergovia  par  César,  re- 
pousse ses  assauts  et  le  force  à  la  retraite  ;  si 
Labiénus  bat  une  armée  gauloise  K  Lutetia  (Paris;, 
d'un  autre  côté  les  Eduens  font  défection,  et  Ver- 
cingétorix,  plus  puissant  encoie  après  l'assemblée 
de  bibracte,  prépare  une  attaque  contre  la  Nar- 
bonnaise;  mais  il  est  battu  par  César  et  enfermé 
dans  Alésia  (Alise-Sainte-Reine  en  Bourgogne,  et 
non  Alaise  en  Franche-Comté)  :  toutes  les  sorties 
sont  repoussées:  l'armée  de  secours  est  détruite  ; 
vaincu  par  la  famine,  Vercingétorix  se  rend  à 
César.  La  chute  d'Alésia  est  le  signal  de  la  dé- 
faite définitive.  —  Mais  une  8''  campagne  (51)  est 
nécessaire  pour  pacifier  la  Gaule:  au  Nord  les 
Bellovuques,  les  Eburonn,  les  Tréuères  sont  ré- 
duits; à  l'Ouest  les  bandes  de  Dunmacus  sont 
taillées  en  pièces  ;  au  Sud  Uxe/lodunum  (Puy 
d'Issolu  ?)  succombe  après  la  défaite  de  IJrappès 
et  de  Ludévius.  —  La  Gaule  pacifiée.  César  s  at- 
tache à  faire  oublier  la  guerre. 

Pendant  que  César  se  couvre  de  gloire  en  Gaule, 
les  Pai-tfies  détruisent   l'armée    de    Crwsus  (53). 

Administration  des  provinces.  —  Dans  les  der- 
niers temps  de  la  République,  Vllalie,  qui  ne 
forme  plus  qu'un  seul  Etat,  est  entrée  dans  la  cité 
romaine  (V.  ci-dessous)  ;  les  provinces  no  font 
encore  partie  que  de  l'empire  de  Rome;  elles 
n'ont  plus  leurs  lois  propres  et  n'ont  pas  encore 
les  lois  romaines  ;  chaque  province  est  divisée  en 
cercles,  ayant  chacun  une  ville  comme  centre  : 
ces  villes  conservent  une  certaine  autonomie 
administrative  ;  la  province  est  gouvernée  par  un 
ancien  préteur  {propréteur),  ou  par  un  ancien 
consul  (/jro'O'is!;/);  leur  pouvoir,  annuel  en  prin- 
cipe, peut  être  prorogé  jusqu'à  six  ans;  le  gou- 
verneur a  des  licteurs  et  des  troupes,  lève  des 
contributions,  et  juge  au  civil  et  au  criminel  ;  il 
est  assisté  d'un  queUeur  (trésorier),  et  d'un  ou 
plusieurs  Uguts.  Les  provinciaux  aspirent  à  sortir 
de  cette  sujétion  et  à  devenir  citoyens  romains 
comme  les  Italiens. 

HUtolrc     Intérieure   de    la    République. 

Lutte  entre  les  deux  ordres.  —  La  plèbe.  — 
L'aristocratie,  maîtresse  du  pouvoir,  le  conserve 
plusieurs  siècles  par  un  mélange  de  résistance  et 
de  concessions,  mais  elle  est  attaquée  sans  relâ- 
che par  la  plèbe,  qui  grandit  sans  cesse,  et  que 
ne  retiennent  plus  les  anciennes  croyances.  —  Le 
pouvoir  des  patriciens  ne  reste  pas  longtemps  ab- 
solu :  les  clients,  qui,  depuis  Servius,  sont  mêlés 
aux  plébéiens  dans  les  centuries,  commencent  à  j 
se  détacher  de  la  gens,  et  une  partie  d'entre  eux 
entrent  dans  la  plèbe  pour  être  libres  ;  il  est  vrai 
qu'en  même  temps  des  plébéiens,  appauvris  et 
réduits  k  emprunter,  se  résignent  à  devenir  les 
clients  des  patriciens,  et  à  renforcer  malgré  eux 
les  génies;  mais  d'autre  part,  une  partie  de  la 
plèbe,  enrichie  peu  à  peu  par  l'industrie  et  le 
commerce  naissants,  s'élève  au-dessus  des  classes 
inférieures,  et  devient  une  seconde  aristocatie. 
La  plèbe,  longtemps  abjecte  et  méprisée,  sans  or- 
ganisation, tenue  hors  de  la  société,  hors  de  la 
loi,  hors  de  la  religion,  va  se  fortifier,  s'organiser, 


et  conquérir  lentement  l'égalité  civile,  l'égalité 
politique,  l'égalité  religieuse. 

Ktfiblissetnetit  du  trih'jnat  (493).  —  Désespé- 
rant de  vaincre  les  résistances  patriciennes,  les 
plébéiens  quittent  la  ville,  et  se  retirent  sur  le 
Mo?it-Sacré  (493  ;  légende  de  Ménénius  Agrippa). 
I  Le  sénat,  qui  a  besoin  d'eux  comme  soldats,  les 
j  ramène  par  une  grande  concession  :  la  plèbe 
obtient  quatre  chefs  tirés  de  son  sein,  deux  tri- 
bun-' et  deux  édiles.  Le  tribun  n'est  ni  prêtre,  ni 
magistrat,  mais  il  est  inviolable  {sacro-saint)  ;  il 
I  n'est  d'abord  que  le  juge  des  différends  entre 
plébéiens,  et  leur  protecteur  contre  les  patri- 
j  ciens,  mais,  grâce  à  son  inviolabilité,  il  convoque 
les  comices,  siège  au  sénat,  propose  des  lois, 
brave  le  patriciat  (exil  de  Coriolan  ;  loi  agraire 
I  de  S/iurius  Cas>'ius;  mort  du  consul  Ménénius). 
Les  édiles,  auxiliaires  des  tribuns,  sont  chargés 
I  de  la  police,  des  jeux  publics  et  de  Vannone  (ser- 
vice des  subsistances).  En  même  temps,  la  plèbe 
se  réunit  en  assemblées  délibérantes  dans  les 
comices  par  tribus,  où  elle  fait  des  décrets  pour 
son  usage,  les  plébiscites.  Les  deux  ordres,  plèbe 
et  patriciat,  forment  légalement  deux  peuples 
distincts,  unis  seulement  dans  les  comices  centu- 
riates  et  à  l'armée.  —  Cependant,  la  société  ro- 
maine n'a  encore  rien  de  démocratique  ;  les  tri- 
buns, loin  d'être  des  démagogues,  représentent 
non  les  classes  inférieures,  mais  la  plèbe  riche, 
qui  commence  à  s'allier  au  patriciat  par  des  ma- 
riages ;  les  comices  par  tribus  ne  sont  démocrati- 
ques qu'en  apparence,  parce  que  les  tribus  ur- 
baines, formées  des  pauvres,  sont  annulées  par 
les  tribus  rustiques,  plus  nombreuses,  où  domi- 
nent les  propriétaires  ;  les  plébéiens  pauvres 
marchent  d'ailleurs  à  la  suite  des  plébéiens  ri- 
ches ;  les  prolétaires  n'ont  pas  plus  d'influence 
que  par  le  passé  ;  la  lutte  est  entre  l'aristocratie 
de  naissance  et  l'aristocratie  de  richesse,  et  non 
pas  entre  les  riches  et  les  pauvres  :  c'est  pour- 
quoi elle  est  peu  sanglante. 

Conquête  de  l'égnlité  civile  (441).  —  Les  deux 
ordres  mettent  deux  siècles  à  se  fondre.  La  plèbe, 
qui,  dans  toute  cause  où  figurent  des  hommes  des 
deux  ordres,  est  jugée  par  des  patriciens,  sui- 
vant des  lois  connues  d'eux  seuls  et  gardées  dans 
les  temples,  commence  par  réclamer  un  code 
fondé  non  plus  sur  la  religion,  mais  sur  l'intérêt 
général.  —  Aux  efforts  du  tribun  Térentillus 
Arsa  462),  le  sénat  s'oppose  pacifiquement,  et 
une  partie  des  patriciens  par  la  force  {Céson)  ;  le  sé- 
nat, forcé  aux  concessions,  élève  le  nombre  des 
tribuns  à  di.c,  deux  pour  chaque  classe  de  plé- 
béiens propriétaires  (457;,  et  charge  dix  magis- 
trats patriciens  {décemvirs)  de  rédiger  un  code 
(4.il).  — Les  premiers  décemvirs  gouvernent  avec 
sagesse  et  rédigent  dix  tables  de  lois  ;  les  deuxiè- 
mes décemvirs,  dont  le  principal  est  Appius  Clau- 
dius,  publient  deux  tables  de  lois  iniques,  et 
favorisent  une  réaction  violente  ;  mais  une  partie 
des  patriciens  mêmes  les  abandonnent;  le  crime 
d'Appius  amène  sa  chute  et  celle  de  ses  collè- 
gues (449).  —  Les  deux  dernières  tables  sont 
corrigées,  et  la  loi  des  Douze  tables,  applicable 
aux  deux  ordres,  sorte  de  transition  entre  les 
traditions  saintes  et  le  droit  proprement  dit,  est 
acceptée  par  les  comices  centuriates.  La  plèbe  a 
conquis  l'égalité  dans  la  vie  privée.  Rome  a 
encore  deux  classes,  mais  elle  n'a  plus  qu'un 
peuple. 

Conquête  de  l'égalité  politique  {trois  dates  prin- 
cipales :  443  ;  3GG  ;  339).  —  .\près  une  série  de  lois 
secondaires,  qui  diminuent  déji\  les  privilèges 
politiques  des  patriciens,  les  tribuns  réclament 
le  partage  des  magistratures.  Les  patriciens, 
forcés  il  de  nouvelles  concessions,  démembrent 
le  consulat  en  deux  parties,  la  censure  et  le 
tribunal  cotisulaire    (443)  ;  la   censure,   fonction 


ROME 


1933 


ROME 


religieuse  qui  cousisie  principalement  à  faire  le 
cens,  c'est-:\-dire  il  répartir  les  citoyens  parmi  les 
classe f,  est  réservée  aux  patriciens;  le  tribunal 
consulaire,  inférieur  au  consulat,  non  seulement 
par  l'institution  de  la  censure,  mais  aussi  par  le 
nombre  des  tribuns  consulaires,  qui  sera  porté 
jusqu'à  six,  est  déclaré  accessible  aux  plébéiens. 

Le  principe  de  l'égalité  triomphe,  mais  la 
nouvelli!  cunstitulion  ne  passe  que  lentement 
dans  hi  pratii|ue  ;  le  patriciat  se  défond  pied  à 
pied,  et  no  ciide  qu'à  la  dernière  extrémité.  — 
En  i'î\,  la  questure  devient  accessible  aux  plé- 
béiens, et  les  questeurs,  jusque-là  nommés  par 
les  consuls,  sont  élus  par  les  comices  par  tribus, 
dont  l'importance  croît  de  jour  on  jour  ;  le  nom- 
bre des  questeurs  est  porté  à  quatre.  —  En  4i)n, 
les  plébéiens  réussissent  enfin  à  élever  quatre 
des  leurs  au  tribunat  consulaire.  —  La  lutte, 
interrompue  par  l'invasion  des  Gaulois,  reprend 
aussitôt  après  leur  départ  ;  les  patriciens  sont 
abandonnés  de  leurs  derniers  clients  :  il  n'y  a  plus 
en  face  les  uns  des  autres  que  des  patriciens, 
dont  le  nombre  diminue  à  cliaque  guerre,  et  des 
pléLéiens  renforcés  non  seulement  par  les  clients, 
mais  encore  par  les  Italiens  fixés  à  Rome.  —  La 
décadence  du  patriciat  est  désormais  rapide  ;  la 
plèbe  riclie  réclame  le  rétablissement  et  le  par- 
tage du  consulnt;  la  plèbe  pauvre,  indifférente  à 
la  politique,  demande  seulement  une  distribu- 
tion de  terres,  et  la  réduction  des  dettes  ;  les  tri- 
buns Licinius  Stolon  et  Se-,tius,  qui  représen- 
tent les  riclies,  convoitent  avant  tout  le  consulat, 
mais  ils  proposent  les  autres  réformes  pour  être 
soutenus  par  la  plèbe  entière  :  grâce  h  cette  tac- 
tique, ils  l'emportent  après  une  lutte  de  dix  ans, 
où  cette  fois  le  sang  coule  ;  la  plèbe  aura  désor- 
mais un  consul  sur  deux  (.3CC).  —  Mais,  en  même 
temps,  une  magistrature  nouvelle  et  exclusive- 
ment patricienne,  la  préture,  est  créée,  pour  deux 
raisons  :  1°  parce  que  l'accroissement  de  la  po- 
pulation et  les  progrès  de  la  puissance  romaine 
nécessitent  de  nouveaux  magistrats  ;  2°  parce  que 
les  patriciens  veulent  regagner  une  partie  de  ce 
qu'ils  ont  perdu.  Le  préteur  est  une  sorte  de 
vice-consul,  et  à  la  fois  le  juge  souverain  dans 
toutes  les  affaires  civiles  ;  en  entrant  en  fonc- 
tions, il  publie  un  édit  où  il  fixe  les  règles  qu'il 
suivra  dans  sa  juridiction;  les  édits  du  préteur 
constitueront  le   droit  nouveau. 

Les  patriciens,  qui  conservent  encore  la  dic- 
tature, s'en  servent  quatorze  fois  en  vingt  ans 
pour  influencer  les  élections,  et  les  plébéiens  n'ar- 
rivent au  consulat  que  huit  fois  en  vingt-sept  ans  ; 
la  plèbe  et  l'armée  s'insurgent  I3il),  et  arrachent 
au  sénat  d'immenses  concessions  :  les  deux  con- 
suls pourront  être  plébéiens;  les  vléhiscites  seront 
obligatoires  pour  tous  ;  le  veto  législatif  du  sénat 
est  aboli.  —  La  censure,  devenue  la  première 
charge  municipale,  est  partagée  entre  les  deux  or- 
dres par  la  loi  de  Publilius  l'hilo  (3:i9)  ;  et  deux  ans 
après  (33"),  la  préture  est  partagée  ;  le  proconsu'at, 
magistrature  nouvelle  créée  en  32ii  pour  déchar- 
ger les  consuls,  est  dès  l'origine  accessible  aux 
plébéiens.  —  Enfin  le  sénat  lui-même,  ouvert  aux 
anciens  magistrats,  consuls,  censeurs,  préteurs, 
questeurs,  édiles  curules,  et  aux  tribujis,  se  remplit 
de  plébéiens,  et  les  patriciens  y  sont  bientôt  en 
minorité  (fin  du  iv=  siècle).  L'égalité  potiiif/'ie  est 
complète  entre  les  deux  ordres,  ou  plutôt  le  pri- 
vilège est  maintenant  du  côté  des  plébéiens,  qui 
ont  fermé  aux  patriciens  le  tribunat. 

Conquête  de  l'ét/alité  religieuse  (300).  —  Les 
patriciens  gardent  encore  quelque  temps  la  supé- 
riorité religieuse,  mais  la  plèbe  réclame  le  partage 
des  sacerdoces  politiques,  et  en  3t)0  elle  obtient 
pour  elle  la  moitié  des  pontifes  et  des  augures; 
l'antique  religion  tombe  comme  est  tombée  l'an- 
cienne  famille  (je/is)  et  l'ancienne  cité;    les  ins- 


titutions sont  fondées,  non  plus  sur  la  religion, 
mais  sur  l'intérêt  public  (cespublicu)  ;  le  patri- 
ciat n'est  plus  qu'un  nom. 

Formation  de  la  noblesse.  —  Le  nouveau  ré- 
gime n'est  pas  encore  démocratique.  Le  pdriciat 
renversé,  une  nouv<!lle  aristocratie  s'élève,  la  no- 
blesse (iiobilitos),  composée  du  peu  qu'il  reste  de 
familles  patriciennes,  mais  en  majeure  partie  de 
familles  plébéiennes  arrivées  par  l'exercice  de 
magistratures  curules  :  le  non-noble  (ignubilis) 
qui  devient  censeur,  consul,  préteur,  etc.,  porte 
le  titre  à'iiomme  nouveau  [homo  nuvus)  ;  il  n'est 
plus  appelé  ignobilis,  mais  il  n'est  pas  noljle  en- 
core ;  son  fils  est  noble  à  une  image,  parce  qu'il 
place  dans  son  atrium  le  buste  de  son  père  ;  une 
famille  est  d'autant  plus  noble  qu'elle  a  plus  d'i- 
magos. —  Au-dessous  de  la  noblesse  se  trouve 
l'ordre  équestre,  aristocratie  de  deuxième  ordre, 
constituée  par  les  familles  riches  qui  n'ont  pas 
exercé  de  magistratures,  et  qui  se  livrent  à  l'a- 
griculture, au  commerce,  à  la  banque,  etc.  —  Il 
n'y  a  rien  de  commun  que  le  nom  entre  cet 
ordre  équestre  et  les  chevaliers  de  l'époque  primi- 
tive :  autrefois  les  chevaliers  étaient  surtout  des 
cavaliers,  organisés  en  centuries  (compagnies)  ; 
aujourd'hui  ils  ne  servent  plus  en  corps  ;  à  la 
guerre  ils  sont  officiers;  mais  leur  caractère  mi- 
litaire s'efface,  et  l'ordre  équestre  ne  sera  bientôt 
plus  qu'une  c/asjeWc/ie  de  commerçants  et  d'hom- 
mes d'alTaires. 

Causes  de  la  révolution.  —  Puissance  de  la  no- 
blesse au  lit"  siècle.  —  Maîtresse  du  sénat  et  de 
l'ordre  équestre,  l'aristocratie  de  richesse  gouverne 
Rome.  Les  dangers  de  la  première  et  de  la 
deuxième  guerre  punique  ne  font  que  la  fortifier 
en  donnant  au  sénat  une  véritable  dictature.  — 
Son  pouvoir  est  cependant  moins  durable  (lue  ce- 
lui du  patriciat,  parce  (|ue  la  richesse  excite  l'en- 
vie plus  que  le  respect;  les  pauvres  commencent 
à  désirer  l'égalité,  et  les  classes  moyennes  la  ré- 
clament. —  Attaquée  par  le  parti  pojtidaire,  la 
nouvelle  aristocratie,  loin  de  se  fortifier,  s'affaiblit 
de  jour  en  jour  :  devenue  la  classe  militaire  à 
l'exemple  du  patriciat  qu'elle  reiuplace,  elle  est 
décimée  à  chaque  guerre. 

Mais  la  démocratie  met  plus  d'un  siècle  à  l'em- 
porter. Si  les  privilèges  ne  sont  pas  autorisés  en 
principe,  les  avenues  du  pouvoir  sont  occupées 
par  les  nobles,  et  les  procédés  de  gouvernement 
demeurent  aristocratiques.  La  censure,  qui  a  la 
juridiction  des  mœurs,  et  qui  classe  les  citoyens, 
est  devenue  entre  les  mains  des  nobles  un  puis- 
sant instruiuent.  Si  la  dictature  a  été  supprimée, 
en  fait  le  sénat  en  a  le  pouvoir.  Dos  règlements 
compliqués  rendent  les  magistratures  inaccessi- 
bles aux  pauvres.  La  réforma  des  comices  centu- 
riates,  vers  241,  est  théoriquement  une  grande 
victoire  de  la  démocratie  :  désormais  les  a/f'rnnchis 
y  voteront  comme  les  hommes  libres;  il  sera  éta- 
bli 373  centuries;  chaque  classe  censitaire  aura 
le  même  nombre  de  centuries,  et  par  conséquent 
dévotes;  la  majorité  étantde  IS7,le votedevra  être 
continué  au  moins  jusqu'à  la  troisième  classe, 
ainsi,  au  lieu  d'avoir  la  moitié  des  voix,  les  riches 
n'en  ont  plus  guère  que  la  cinquième  partie.  Mais, 
en  fait,  les  nobles  réussissent  à  garder  la  prépon- 
dérance, grâce  au  pouvoir  absolu  du  censeur, 
qui  compose  les  centuries  arbitrairement,  grâce 
aussi  à  leurs  immenses  richesses,  qui  leur  per- 
mettent d'acheter  les  suffrages  ;  les  riches  vien- 
nent aux  comices  avec  une  suite  nombreuse  dj 
créatures  :  uni;  nouvelle  clientèle  s'est  formée,  et 
la  corruption  de  la  populace  est  érigée  en  sys- 
tème. —  La  ruine  des  petits  propriétaires  et  le 
nombre  croissant  des  afiranchis  liàtent  cette  dé- 
composition. ^Liiicomices  par  tribus, C[a\  ont  pris 
une  grande  extension,  ne  sont  pas  non  plus  aussi 
démocratiques  qu'ils  le  paraissent  :  sans  douta  il 


ROME 


—  1936  — 


ROME 


n'y  est  pas  fait  légalement  de  distinction  de  ri- 
chesse, mais  les  affranchis  et  les  pauvres,  en  un 
mot,  la  populace,  restent  relégués  dans  les  qua- 
tre tribus  urb(ii7ies  /les  31  tribus  rustiques  sont 
formées  par  la  classe  moyenne  et  par  la  classe  ri- 
che. —  Les  ti-ihiins  eux-mômes  sont  souvent  des 
nobles,  et  toujours  des  riches  qui  ambitionnent 
les  hautes  magistratures.  —  En  résumé,  le  peuple 
n'est  souverain  qu'en  théorie  :  en  réalité  la  no- 
blesse règne  et  le  sénat  gouverne  ;  la  république 
est  oligarchique. 

Conséguenees  des  conquêtes.  —Le  monde  vaincu 
se  venge  en  corrompant  Rome.  La  double  inva- 
sion du  scepticisme  grec  et  des  cultes  orientaux 
ruine  les  antiques  croyances  :  une  infâme  asso- 
ciation, celle  des  Bacclmnales,  est  découverte  en 
186;  les  liens  de  la  famille  se  relâchent;  le  pa- 
triotisme s'affaiblit;  l'argent  est  tout.  L'excès  de 
la  richesse  produit  la  dépravation  des  mœurs, 
l'accroissement  de  l'esclavage,  la  vénalité  des 
pauvres.  —  Pour  la  littérature,  V.  Latine  [Litté- 
rature). 

Tentatives  de  réformes  {I"  partie  du  deuxième 
siècle).  —  Entre  l'aristocratie  égoïste  et  la  popu- 
lace envieuse  se  forme  un  partie  qui  se  propose 
de  relever  la  classe  moyenne,  et  qui  lutte  à  la 
fois  contre  les  nobles  et  contre  les  démagogues  : 
à  la  tête  do  ce  parti  esfCn/o^?,  homme  nouveau,  qui 
fait  de  sa  vie  un  long  combat,  et  qui  passe  pour  le 
type  du  vieux  Romain.  A  la  tète  de  la  noblesse 
est  Scipio?i  l'Africain,  le  vainqueur  de  Zama.  — 
La  lutte  s'engage  entre  ces  deux  hommes  qui  re- 
présentent des  intérêts  opposés,  et  Catoii,  u  à 
force  d'atinyer  »,  réduit  Scipion  à  l'exil  (186); 
élu  censeur  en  184,  après  la  découverte  des  Bac- 
chanales, il  use  de  son  pouvoir  avec  énergie; 
ennemi  de  la  noblesse,  il  la  rappelle  sévèrement 
au  respect  des  lois;  ennemi  de  l'esprit  7iouveau, 
il  attaque  les  moeurs  grecques,  l'élégance,  le 
luxe,  l'oisiveté,  l'indiscipline,  la  corruption,  et  la 
philosophie  qu'il  rend  responsable  de  toutes  les 
nouveautés.  Mais  le  mal  est  trop  profond  pour 
être  guéri  :  la  classe  moyenne,  déjà  décimée  par 
les  guerres,  est  ruinée  par  la  gnni'/e  propriété 
et  par  le  travail  des  esclaves;  elle  fonil  de  jour 
en  jour  au  profit  de  la  populace,  et  bientôt  on  ne 
comptera  plus  à  Rome  que  20UO  propriétaires. 

Au  milieu  de  cette  décadence  générale,  quel- 
ques hommes,  n'empruntant  à  la  Grèce  que  les 
meilleurs  de  ses  fruits,  savent  allier  la  culture 
littéraire  au  patriotisme,  l'urbanité  aux  vertus 
romaines,  l'esprit  ancien  à  l'esprit  nouveau  :  tels 
sont  Paul-Emile,  Scipion  Nasica,  Calpurnius  Pi- 
son,  Senipronius,  père  des  Gracques,  l'orateur 
Scfevola,  et  par  dessus  tout  Scipi'm  E'/iilien,  hon- 
nête homme  sans  préjugés  ni  passions,  l'ami  de 
Polybe,  de  Panétius,  de  Léliuss  Egalement  en- 
nemi de  l'oligarchie  avide  et  de  la  populace 
avilie,  il  semble  avoir  voulu,  non  pas  régénérer 
la  plèbe  romaine,  qu'il  méprise,  mais  faire  do  1'/- 
talie  une  nation,  où  les  petits  propriétaires  fissent 
équilibre  aux  prolétaires,  et  les  travailleurs  libres 
aux  esclaves. 

Une  révolution  est  inévitable.  A  Rome  une 
plèbe  énorme;  dans  les  champs  des  esclaves  in- 
nombrables ;  au-dessus,  sans  intermédiaire,  l'a- 
ristocratie, maîtresse  du  gouvernement  et  de  la 
terre.  Rome,  devenue  un  monde,  ne  peut  conser- 
ver son  antique  constitution  :  les  plébticns  sont 
las  de  leur  pauvreté,  les  Italiens  de  leur  infério- 
rité, les  provinciaux  de  leur  sujétion,  les  esclaves 
de  leurs  misères. 

La  Révolution.  —  Les  terres  publiques.  —  Les 
lois  agraires  ne  sont  pas  un  accident  dans  l'his- 
toire de  Rome  :  il  y  en  a  eu  sous  les  rois,  sous  la 
République,  sous  l'Empire,  l'ne  loi  agraire  est 
une  loi  relative  k  la  propriété  rurale  [aqer).  — 
Rome,  qui  s'est  approprié   les  terres   conquises, 


dispose  d'immenses  territoires  :  elle  laisse  aux 
vaincus  un  tiers  environ  de  leur  sol,  à  l\lTe  pré- 
caire,  ce  qui  veut  dire  qu'ils  n'en  sont  pas  pro- 
priétaires ;  elle  garde  pour  elle  tout  le  reste  :  de  ces 
terres  publiques  (ager  publicus],  les  unes,  vendues 
àdes  citoyensou  données  à  des  colonies,  deviennent 
propriétés  privées;  d'autres  sont  affermées  par 
l'Etat  au  plus  offrant  ;  d'autres  enfin,  stériles, 
vagues  ou  éloignées  des  centres,  restent  rscaw^e^,- 
les  unes  comme  les  autres  sont  accaparées  par  les 
riches  romains  ou  italiens,  parce  que  les  terres  affer- 
mées le  sont  par  gros  lots,  et  que  les  terres  vacantes 
exigent  pour  être  mises  en  culture  un  gros  capital 
en  argent  et  en  esclaves;  les  plébéiens  n'ont  pas 
part  au  domaine  public  ;  il  n'y  a  plus  de  place  pour 
eux  qu'à  Rome,  où  ils  vendent  leurs  votes. 

Tentative  de  Tihérius  dracckus  (133).  —  Tibé- 
rius  Gracchus,  tribun  de  la  plèbe,  n'est  pas  un 
démagogue  :  son  père,  Sempronius,  est  noble,  et 
sa  mère,  Cornélie,  patricienne.  Sa  loi  agraire 
n'est  pas  démagogique;  il  propose  principalement 
que  personne  ne  possède  plus  de  600  arpents  de 
terres  publiques,  et  que  par  compensation  ces 
500  arpents  soient  donnés  en  propriété  complète 
et  non  plus  k  titre  précaire  ;  Tibérius  ne  restreint 
nullement  la  propriété  privée;  il  ne  viole  aucun 
droit,  puisque  les  terres  publiques  appartiennent 
à  l'Etat;  son  but  est  de  reconstituer  la  petite  pro- 
priété, et  par  conséquent  la  cla<ise  moyenne. 
Mais  les  riches  se  considèrent  comme  les  pro- 
priétaires du  sol  qu'ils  occupent  depuis  long- 
temps, qu'ils  ont  défriché,  cultivé,  amélioré;  les 
Italiens  se  plaignent  qu'on  les  dépouille  au  pro- 
fit de  la  populace  romaine  ;  quant  aux  plébéiens, 
ils  montrent  peu  d'empressement  à  quitter  Rome 
pour  les  champs,  et  ne  veulent  pas  être  régéné- 
rés. Tibérius,  dans  les  comices  par  tribus,  réus- 
sit par  sa  popularité  à  faire  déposer  son  collègue 
Octavius,  qui  s'est  fait  l'nistrument  des  riches  ; 
la  loi  passe,  mais  elle  entre  difficilement  dans  la 
pratique  :  Tibérius,  vivemnent  attaqué  par  l'a- 
ristocratie, blâmé  de  ses  violences  par  Scipion 
Emilien,  abandonné  par  la  plèbe,  est  tué  par 
ordre  du  sénat  dans  une  sédition  (133).  11  a  voulu 
relever  la  classe  moyenne,  mais  il  est  trop  tard  : 
elle  n'existe  plus. 

Dans  le  même  temps  les  esclaves  siciliens  se 
soulèvent  et  ont  leur  jour  de  vengeance,  mais  ils 
finissent  par  être  vaincus;  traqués  comme  des 
bêtes,  ils  périssent  dans  les   supplices  (13i-141). 

Tentative  de  Ca'ius  Gracchus.  —  La  plèbe  re- 
grette bientôt  son  inertie  :  elle  réclame  l'exécu- 
tion de  la  loi  de  Tibérius,  en  charge  trois  com- 
missaires (triumvirs),  dont  Caïus,  frère  de  Tibé- 
rius, et  leur  donne  un  pouvoir  absolu,  qui  para- 
lyse le  sénat  et  toutes  les  autorités  légales.  Sci- 
pion Emilien,  qui  seul  tient  en  échec  les  trium- 
virs par  sa  grande  influence,  périt  sans  doute 
assassiné  (129),  et  les  Italiens  n'ont  plus  de  pro- 
tecteur. Gains,  nommé  tribun  (123),  entreprend 
de  changer  toute  la  constitution  :  il  n'est  pas  éta- 
bli qu'il  ait  aspiré  à  la  royauté  ;  ses  intentions 
paraissent  bonnes,  mais  ses  réformes  sont  contra- 
dictoires et  inapplicables.  Ses  lois  agraires,  qui 
établissent  en  Italie  un  grand  nombre  de  colo- 
nies, mécontentent  les  Italiens  qu'elles  dépouil- 
lent; sa  loi  politique,  qui  leur  donne  le  droit  de 
suffrage,  ne  les  apaise  pas,  et  d'un  autre  côté 
irrite  la  plèbe,  qui  ne  veut  pas  partager  avec 
d'autres  la  vente  des  votes  ;  sa  loi  frumentaire, 
qui  assure  aux  prolétaires  des  distributions  ré- 
gulières de  blé,  épuise  le  trésor  public  et  nour- 
rit la  paresse  ;  sa  loi  judiciaire,  qui  donne  le 
pouvoir  judiciaire  aux  chevaliers  au  détriment 
des  sénateurs,  abaisse  une  oligarchie  pour  en 
élever  une  autre  ;  enfin  sa  loi  sur  la  rééligihilitc 
des  magistrats  et  particulièrement  des  tribuns 
parait  la  préparation  du  pouvoir  personnel. 


ROME 


1937  — 


ROME 


Aussi  so  heui'te-t-il  à  des  obstacles  sans  nom- 
bre: il  indispose  contre  lui  tous  les  partis,  aris- 
tocratie, plèbe,  Italiens,  clievaliers  mfime  :  le  peu 
de  popularité  qui  lui  reste  lui  est  facilement  en- 
levé par  l'ambitieux  tribun  Livius  Dntsus,  que  le 
sénat  paie  pour  flatter  la  plèbe  ;  Caîus,  qui  ne 
peut  se  faire  renommer,  redevient  simple  citoyen  : 
aussitôt  cité  en  justice  par  les  nobles,  menacé 
d'une  arrestation,  il  tente  un  coup  d'Etat  avec  ses 
partisans  :  un  combat  s'engage,  et  Caîus  succombe 
comme  Tibérius  (121).  —  Les  lois  des  Gracques 
sont  abolies  ou  modifiées,  et  la  réaction  aristocra- 
tique dure  jusqu'à  la  fin  du  ii"  siècle;  la  noblesse 
et  l'ordre  équestre  continuent  de  s'enrichir  mal- 
honnêtement, aux  dépens  des  provinces;  la  popu- 
lace s'avilit  encore;  la  misère  s'accroît,  et  une 
seconde  révolte  des  esclaves  est  noyée  dans  le 
sang  (10'2-99).  —  V.  Guerres  servîtes. 

Muriui ;  Suturninus  ;  Dvusus.  —  Les  Gracques 
ont  échoue  dans  leur  tentative  pacifique  do  révo- 
lution ;  la  plèbe  a  refusé  de  se  relever;  le  temps 
des  réformes  est  passé  :  les  réformateurs  vont  être 
remplacés  par  des  ambitieux,  les  émeutes  par 
des  guerres.  —  Marins,  déjà  aimé  des  prolétaires, 
et  des  Italiens,  auxquels  il  a  ouvert  les  légions, 
conquiert  une  popularité  immense  :  né  à  Arpinum, 
il  semble  le  défenseur  naturel  des  Italims; 
homme  nouveau,  il  est  l'espoir  de  la  plèbe;  vain- 
queur de  Jugurtha  et  des  Cimbres,  il  impose  si- 
lence à  l'aristocratie.  —  Mais  il  n'use  de  sa  gloire 
que  pour  satisfaire  son  ambition  et  sa  haine  de 
parvenu  :  il  s'entoure  de  ses  vétérans  tout  dé- 
voués, flatte  la  plèbe,  fait  donner  le  tribunal  et  la 
préture  aux  démagogues  Saturuinns  et  Glaucia, 
ses  alliés  (10»),  obtient  pour  lui  u[i  sixième  consu- 
lat, réduit  le  sénat  h  l'impuissance,  et  Métellus  ;i 
l'exil  ;  mais,  une  fois  maître  du  pouvoir,  il  montre 
une  telle  incapacité  politique  que  Saturninus  et 
Glaucia  se  séparent  de  lui,  et  profitent  de  la  dé- 
ception de  la  plèbe  pour  la  soulever  et  pour  s'em- 
parer du  Capitule.  Marins,  isolé,  se  rapproche  des 
nobles,  se  tourne  contre  ses  anciens  complices, 
et  les  laisse  massacrer  (100).  Métellus  revient  en 
triomphe  (OU),  et  Marius  méprisé  de  tous  part  pour 
l'Asie. 

Après  quelques  années  de  réaction  aristocra- 
que,  un  réformateur  mystérieux,  un  noble,  le 
tiihnn  Driisiis,  fils  de  l'antagoniste  de  Caîus  Grac- 
chus,  projette  de  satisfaire  les  s-nateurs  par  la 
restitution  des  tribunaux,  les  chevaliers  par  des 
places  au  sénat,  les  pauvres  par  des  terres,  les 
italiens  par  le  droit  de  cité.  Mais  les  nobles  veu- 
lent être  les  seuls  sénateurs,  et  les  chevaliers  les 
seuls  juges  ;  les  pauvres  se  refusent  à  quitter 
Rome,  et  les  Italiens  à  leur  céder  des  terres. 
Drusus  est  assassiné  par  les  chevaliers  (91). 

Gup-re  sociale  _(9o-89).  —  La  moitié  des  Italiens, 
las  d'être  exploités  par  Rome  sans  compensation, 
s'unissent,  et  réclament  le  droit  de  cité,  les  armes 
à  la  main  :  ils  ont  d'abord  l'avantage;  des  con- 
suls sont  battus;  et  Marias,  rappelé  pour  rendre 
îi  Rome  la  victoire,  se  rappelle  que  les  Italiens  ont 
été  ses  plus  chauds  partisans  et  les  ménage. Mais 
son  ancien  lieutenant,  le  patricien  Sylla,  profite  de 
cette  inaction  pour  prendre  le  premier  rôle  et  s'é- 
lever par  l'armée  ;  il  pousse  activement  la  guerre, 
et  fait  changer  la  fortune.  —  En  même  temps  le 
sénat  se  décide  à  des  concessions  :  la  loi  Julia  ac- 
corde le  droit  de  cité  à  tous  les  Italiens  restés 
fidèles  et  à  tous  ceux  qui  viendront  se  soumettre. 
Restés  seuls,  les  Samnites  et  les  Lucaniens  sont 
écrasés  ;  le  sénat,  modéré  dans  la  victoire,  accorde 
à  toute;  l'Italie  le  droit  de  cité  par  la  loi  Plauiia- 
Puiiiriu  (89).  Inscrits  tous  ensemble  dans  les 
quatre  dernières  tribus  avec  les  piolétaires,  les 
nouveaux  ciioyens  n'ont  pas  de  pouvoir  politique, 
mais  ils  sont  protégés  par  les  lois  romaines  et  ont 
le  droit  de  propriété  complète  sur  leurs  terres, 
2*  l'AniiE, 


qui  sont  assimilées  aux  terres  romaines  par  le 
dioit  italii/ue.  Quelques  villes  et  quelques  |ietits 
peuples  repoussent  l'offre  de  Rome  ;  d'autres, 
trop  lents  h  so  soumettre,  sont  traités  en  vaincus, 
mais  la  plupart  acceptent  avec  joie  les  avantages 
qu'ils  Convoitent  depuis  si  longtemps,  et  l'ensem- 
ble de  l'Italie  forme  une  nation  dont  Rome  ne 
sera  plus  bientôt  que  la  capitale. 

Marius  et  Si/lla  (88-78).  —  Compromis  aux 
yeux  dos  Italiens  comme  aux  yeux  de  la  plèbe, 
Marius  n'a  plus  d'alliés  contre  le  parti  des  no- 
bles et  de  Sylla  ;  après  une  émeute,  il  est  forcé 
de  fuir  jusqu'en  Afrique  (88).  Mais  le  consul 
Ciiina,  son  partisan,  profite  de  l'absence  de  Sylla 
pour  soulever  la  plèbe  et  les  Italiens  contre  le 
sénat.  Marius,  à  la  tête  d'un  ramas  d'esclaves, 
rentre  à  Rome  (87),  massacre  les  partisans  de 
Sylla,  prend  possession  du  consulat  pour  la  sep- 
tième fois,  et  meurt  maître  de  Rome  (86). 

Cependant  Sylla,  vainqueur  de  Mithridate, 
revient  d'Asie,  altéré  de  vengeance  (8^!);  Cinna 
et  les  autres  chefs  du  parti  populaire  sont  égor- 
gés ou  vaincus;  une  armée  de  COOdO  Italiens  est 
écrasée  à.  la  porte  Colline  (8.3).  Sylla,  appuyé  sur 
le  sénat  et  sur  ses  lOUOOO  vétérans  exerce  la 
dictature  (8'2-"9).  Il  proscrit  les  riches  de  tous 
les  partis,  et  confisque  leurs  biens  pour  satisfaire 
ses  soldats,  et  établit  par  les  loii  cornéliennes 
une  constitution  oligarchique  :  les  chevaliers  per- 
dent une  partie  de  leurs  terres  et  de  leurs  fer- 
mes, et  sont  dépouillés  dn  poiwnir  judiciaire, 
qui  est  rendu  aux  sénateurs  ;  les  comices  par  tribus 
sont  supprimés  ;  le  tribimat  de  la  plèbe  est  an- 
nulé ;  la  coisure  est  abolie  ;  le  sénat  redevient 
tout  puissant.  —  Mais  une  telle  constitution  n'est 
pas  durable  ;  les  soldats  n'y  sont  pas  attachés  : 
ils  ne  sont  dévoués  qu'à  leur  chef.  Sylla  a  seule- 
ment montré  que  l'armée  peut  changer  la  forme 
du  gouvernement;  le  régime  républicain  n'existe 
plus  que  de  nom;  le  règne  des  armées  est 
venu. 

Pompée;  Sertoritis;  Spartacus.  —  A  1  époque 
de  la  mort  de  Sylla,  il  y  a  dans  l'Etat  rornain 
quatre  armées  :  aucune  n'est  l'armée  de  la  Répu- 
blique ;  toutes  quatre  sont  levées  par  des  hom- 
mes qui  ne  sont  pas  magistrats,  Lepi'lus,  Serto- 
ritis,  Crnssus  et  Pompée.  Ces  quatre  ambitieux 
se  mettent  deux  contre  deux  pour  se  combattre, 
et  s'appuient,  les  deux  premiers  sur  le  parti  po- 
pulaire, les  deux  autres  sur  le  sénat  (77).  — 
Pompée  défend  Rome  contre  Lépidus,  le  bat  et 
le  réduit  à  se  tuer  (77)  ;  puis  il  marche  contre 
Sertorius,  qui  a  soulevé  l'Espagne,  et,  après  une 
lutte  longue  et  sanglante,  Sertorius  est  assassiné 
et  l'Espagne  réduite  (72i.  —  De  son  côté  Grassus 
combat  en  Italie  les  esclaves  révoltes  (73-71),  et 
tue  leur  chef  Spartacus  (71).  Pompée,  revenu 
d'Espagne,  achève  do  les  dompter,  et  rentre  à 
Rome  en  triomphe.  . 

Restés  seuls,  Crassus  et  Pompée,  qui  ne  cher- 
chent qu'à  fortifier  leur  pouvoir,  s  entendent 
pour  se  concilier  le  peuple,  et  affaiblissent  le 
sénat,  qu'ils  ont  défendu  ;  la  constitution  de  Sylla 
est  détruite  ;  la  censure  et  le  tribund  sont  réta- 
blis ;  enfin,  grâce  aux  efforts  de  Cicéron,  le  pou- 
voir judiciaire  est  rendu  aux  chevaliers,  après  le 
procès  de  Verrh.  —  Cette  révolution,  qui  mon- 
tre l'impuissance  du  sénat,  est  la  préparation  de 
la  monarchie  (70).  —  Investi  de  la  dictature  en 
117  pour  combattre  les  pirates,  continué  dans  ce 
pouvoir  par  la  loi  Mmilia  (GG)  pour  réduire  Mi- 
thridate, avec  le  droit  de  conclure  des  traités, 
Pompée  est  déjà  un  monarque  absolu,  excepté  à 
Rome.  Crassus,  jaloux,  s'est  séparé  de  lui, 

Ci'éron;    Rullus;   Catilma   (U.3;.    —   Pendant 

l'absence  de  Pompée,  une  dernière  tentative  est 

faite  pour    relever   la  République.  Cicéron,   sans 

abandonner  le  parti  de  Pompée,  veut  cependant 

122 


ROME 


—  1938  — 


ROME 


n  que  les  armes  le  cèdent  i  la  toge  »  ;  plein  d'i- 
dées généreuses,  il  prèclie  l'Iiunianité,  l'apaise- 
ment, la  conciliation,  et  clierche  à  créer  un  parti 
intermédiaire  entre  les  nobles  et  les  démagogues, 
le  parti  des  honnêtes  gens,  dont  le  noyau  sera 
Yordre  équestre.  —  Elu  consul  en  63,  il  a  d'abord 
à  lutter  contre  un  tribun,  derrière  lequel  se  ca- 
clie  l'ambition  de  César,  Rullus,  qui  réclame  pour 
les  pauvres  des  distributions  de  terres  et  d'argent, 
afin  d'avoir  le  pouvoir  absolu,  que  lui  donnerait 
rexccution  du  partage.  Menacés  dans  leurs  inté- 
rêts, les  clievaliiirs  rompent  avec  la  plèbe,  et  se  coa- 
lisent avec  le  sénat  ;  la  loi  agraire  est  repoussée. 

CutiHua,  ambitieux  sans  scrupules,  qui  n'est 
pas  même  un  chef  de  parti,  et  qui  n'est  peut-être 
que  le  prête-nom  de  Crassus,  exploite  la  décep- 
tion de  la  plèbe,  et  forme  une  conjuration  qui 
devait  avoir  pour  but  de  renverser  Pompée  et 
de  bouleverser  les  fortunes.  —  Démasqué  par 
Cicéron,  déclaré  ennemi  public.  Catilina  est  con- 
traint de  fuir;  ses  complices  de  Rome  sont  exé- 
cutés.malgré  les  efforts  de  César, (jui  veut  se  rendre 
populaire;  l'armée  que  Catilina  réunit  à  la  hâte 
est  taillée  en  pièces,  et  il  périt  sur  le  champ  de 
bataille.  Cicéron  a  sauvé  la  République,  mais  seu- 
lement de  Catilina. 

Pompée,  Crassus  et  César.  —  Revenu  en  Italie 
(62),  Pompée,  confiant  dans  sa  force,  se  démet 
de  ses  pouvoirs  militaires,  et  rentre  dans  Kome 
en  particulier.  Mais  le  sénat,  qui  ne  le  craint 
plus,  relève  la  tête  ;  en  même  temps  deux  autres 
ambitions  se  produisent,  l'une  déjà  ancienne,  celle 
de  Crassus,  l'autre  plus  nouvelle,  celle  de  César, 
en  qui  Sylla  avait  pressenti  <i  plusieurs  Marins  >'. 
Pompée  aime  mieux  partager  avec  eux  le  pouvoir 
que  de  tout  perdre  (60)  :  un  gouvernement  illégal, 
appelé  improprement  le  jireniier  triumvirat, 
s'établit  malgré  le?  efforts  du  sénat,  et  surtout 
de  Caton.qui,  faute  de  comprendre  les  choses  et 
les  hommes  de  son  temps,  voit  son  honnêteté 
impuissante.  Pompée  est  chargé  d'exécuter  la 
loi  agraire,  proposée  par  César;  César,  après 
son  consulat  (59;,  reçoit  le  proconsulai  des  Gau- 
les; Crassus  obtient  des  avantages  que  l'histoire 
n'a  pu  préciser  ;  la  République  a  trois  maîtres. 

Resté  seul  à  Rome,  Pompée  semble  encore 
tout  puissant,  mais  il  se  laisse  dominer  et  ba- 
fouer par  un  agent  de  César,  le  tribun  Clodius, 
devenu  maître  dans  Rome  par  sa  popularité  et  par 
son  audace  :  Cicéron  est  exilé  pendant  dix-sept 
mois  ;  Caton  est  envoyé  à  Cypre  ;  Rome  est  en 
proie  aux  sicaires.  —  D'un  autre  côté  le  sénat, 
enhardi  par  l'éloignement  des  armées,  essaye  de 
supprimer  la  loi  agraire. 

Réunis  encore  par  le  danger,  les  triumvirs  res- 
serrent leur  alliance  dans  Ventrerue  de  Luc- 
gues  (5(1),  et  décident  que  chacun  d'eux  aura  une 
armée;  la  plèbe  ratifie  leurs  arrangements  par  un 
plébiscite;  Pompée  met  une  garnison  au  Capitole, 
et  les  sénateurs,  réduits  à  l'impuissance,  se  divi- 
sent eux-mêmes  en  deux  groupes  :  les  uns, 
comme  Caton,  défendent  une  cause  désespérée; 
les  autres,  comme  Cicéron,  se  soumettent. 

Pomjiée  el  César.  —  La  mort  de  Crassus  chez 
les  Parthes  met  fin  au  triumvirat  (5-))  ;  César  et 
Pompée,  restés  seuls  en  présence,  deviennent  en- 
nemis, et  la  lutte  s'engage  non  pas  entre  la  mo- 
narchie et  la  république,  non  pas  entre  la  démo- 
cratie et  l'aristocratie,  mais  entre  deux  ambitieux 
armés  du  même  pouvoir.  —  Après  quatre  ajinées 
de  rivalité  sourde,  Pompée,  forçant  la  main  au 
sénat,  lui  fait  rendre  un  décret  illégal,  qui  enlève 
à  César  son  commandement  (4y).  Aussitôt  César 
franchit  le  Huhiœn,  c'est-à-dire  qu'il  sort  de  sa 
province  avec  son  armée,  pour  marcher  sur  Rome. 
L'acte  illégal  de  Pompée  a  entraîné  celui  de  César. 

Pompée,  qui  n'est  qu'un  chef  de  faction,  s'inti- 
tule le  défenseur  de  la  République,  mais  il  est 


impuissant  àladéfendre,  et  s'enfuit  avec  le  sénat. 
César  le  domine  de  toute  sa  gloire;  accueilli 
avec  enthousiasme  par  les  populations,  il  prend 
possession  de  Rome,  et,  après  avoir  réduit  l'Espa- 
gne, Marseille  et  Vltade,  il  poursuit  son  ennemi 
cil  Epire.  Pompée  y  a  réuni  une  nombreuse  ar- 
mée, mais  il  est  vaincu  à  Pharsale,  en  Thessa- 
lie  (48),  s'enfuit  en  Egypte,  et  y  périt  assassiné. 
—  César  se  détourne  un  instant  pour  battre  les 
Egyptien^  et  Pliamaci'.  fils  de  Mithridate  (47), 
puis,  revenant  aux  Pompéiens,  il  les  bat  à  Thapsus, 
en  Afrique  (4G),  et  à  Munda,  en  Espagne  (45); 
tous  les  chefs  pompéiens,  Scipion,  Caton  d'Utique, 
Labi.'nus,  Cnéus  Pompée,  ont  péri. 

Dictature  de  César.  —  César,  rentré  à  Rome  en 
triomphe,  est  roi  sous  le  nom  de  dictateur.  Il 
laisse  subsister  le  sénat  et  les  comices,  mais  il  est 
le  maître  au  forum  par  son  or  et  par  son  armée  ; 
il  est  le  maître  dans  le  sénat,  qu'il  compose  à  son 
gré;  il  concentre  en  ses  mains  les  hautes  magis- 
tratures :  dictateur  à  vie,  tribun  à  vie,  imperator, 
il  a  le  pouvoir  exécutif  et  financier,  le  pouvoir 
législatif,  le  pouvoir  militaire.  Il  est  déclaré  dieu 
par  le  sénat;  Cicéron  lui-même  subit  le  charme 
du  vainqueur. 

Le  plus  grand  acte  de  la  vie  publique  de  César 
est  une  loi  qu'aucun  historien  n'a  mentionnée,  et 
qui  nous  est  connue  par  des  inscriptions  trouvées 
à  Héraclée,  en  Bruttium  (H-^;),  et  à  Osuna  en 
Espagne  (IK'O).  Cette  loi,  appelée  la  loi  munici- 
pale (Icx  Julia  municipalis),  donne  à  toute  cité, 
en  Italie  ou  au  dehors,  des  tribunaux  particuliers, 
une  assemblée  du  peuple,  un  conseil  municipal 
de  décurions,  sorte  do  sénat,  des  censeurs  muni- 
cipaux et  des  édiles  pour  administrer  la  ville  et  le 
territoire  (45).  —  Ainsi  la  vie  publique,  étouffée  à 
Rome,  se  développe  dans  les  provinces;  César 
s'appuie  sur  les  cités  provinciales  pour  avoir  rai- 
son de  l'aristocratie  à  Rome;  il  sacrifie  une  oligar- 
chie étroite  pour  prendre  les  intérêts  de  80  millions 
d'hommes  :  il  a  inauguré  la  politique  impériale. 

Après  avoir  organisé  le  monde  romain,  César 
médite  encore  de  plus  grands  projets,  quand  il 
tombe  assassiné  dans  le  sénat  par  Cassius  et  Dru- 
tus,  le  jour  des  ides  de  mars  (44). 

Octave  et  Antoine.  —  Après  la  mort  de  César, 
le  sénat,  inspiré  par  Cicéron,  essaye  de  se  concilier 
les  deux  partis  :  les  uns  obtiennent  la  confirma- 
tion des  actes  de  César,  malgré  sa  tyrannie;  les 
autres,  l'amnistie  pour  les  meurtriers,  malgré  leur 
crime.  —  Mais  le  consul  Antoine,  qui  convoite  le 
pouvoir,  soulève  la  plèbe  contre  les  assassins,  les 
contraint  à  fuir,  et  se  croit  tout  puissant  ;  le  tjTan 
est  mort,  mais  la  tyrannie  vit  toujours. 

Tout  à  coup  parait  avec  une  armée  un  jeune 
ambitieux,  Octave,  fils  adoptif  de  César,  et  héri- 
tier de  sa  fortune  :  à  la  plèbe  il  promet  de  punir 
les  parricides,  au  sénat  de  renverser  le  nouveau 
tyran.  Cicéron,  encore  dupe,  se  lie  à  lui,  lance 
contre  Antoine  ses  éloquentes  ptdlippiques,  fait 
donner  à  Octave  un  commandement  légal,  et  ap- 
plaudit à  la  défaite  d'Antoine  dans  la  guerre  de 
Modéne  (43).  —  Mais  Octave,  vainqueur,  réclame 
le  consulat,  et,  sur  le  refus  du  sénat,  il  entre  à 
Rome,  se  fait  proclamer  consul  par  les  comices  ; 
enfin,  au  lieu  de  poursuivre  son  rival  vaincu,  il 
accepte  son  alliance,  et  forme  avec  lui  et  avec  un 
autre  chef,  Lépide,  un  dcu-cicme  triumvirat,  vraie 
dictature  à  trois  têtes  (42).  Le  sénat  est  vaincu, 
l'amnistie  annulée;  Cicéron,  abandonné  par  Oc- 
tave, est  mis  à  mort  par  Antoine  ;  chacun  des 
triumvirs  proscrit  ses  ennemis. 

Le  sénat  dompté,  Octave  et  Antoine  se  tour- 
nent contre  Brutus  et  Cassius,  qui  se  sont  rendus 
maîtres  de  la  Macédoine  et  de  la  Syrie  à  l'aide 
d'anciens  soldats  de  Pompée  ;  les  deux  meurtriers 
sont  vaincus  à  Philippe,  et  se  donnent  la  mort 
j42).  —  Les  deux  vainqueurs  excluent  Lépide  du 


ROME 


—  1930  — 


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triumvirat,  et  organisent  vm  duummrat  ;  mais  An- 
toine, qui  clicrclie  du  butin  pour  ses  soldats, 
oublie  Uonie  en  voyant  Cléopilti-c,  et  la  suit  en 
Kgypte.  —  Pendant  ce  temps  Octave,  forcé,  lui 
aussi,  de  s'attaclier  ses  soldats,  leur  distribue  d''s 
terres  et  des  villes  au  détriment  des  Italiens  ;  la 
femme  et  le  frère  d'Antoine,  qui  ont  il  se  venger 
d'Octave,  profitent  de  leur  mécontentement  pour 
exciter  un  soulèvement  [guerre  de  Pi'rr?use,  41)  ; 
mais  Octave  rétahlit  l'ordre,  et  reste  seul  maître 
de  l'Italie.  —  Antoine  renonce  .\  la  lutte  par  le 
Irailé  de  lirinden,  qui  lui  laisse  l'Orient.  —  Le  fils 
de  Pompée, Sp.r/«s, forcé  de  négocier  par  ses  soldats, 
signe  le  traité  de  Misène,  qui  lui  laisse  sa  flotte  et 
des  îles  (.38).  —  Une  ère  de  paix  semble  s'ouvrir. 

Fin  du  gouvernement  républicain.  —  Octave 
n'a  voulu  que  gagner  du  temps  ;  il  réorganise  son 
armée,  construit  une  flotte  et  recommence  la 
guerre.  Sextiis  Pompée,  battu  sur  mer,  périt  mi- 
sérablement (35).  —  Lépide,  qui  relève  la  tète, 
€st  contraint  de  s'humilier  aux  pieds  d'Gctave. 
Les  Alpes  sont  pacifiées,  les  pirates  domptés,  les 
brigands  détruits  :  la  sécurité  renaît.  La  plèbe, 
reconnaissante,  confère  à  Octave  l'inviolahililé 
tribunitienne.  —  Pendant  ce  temps  Antoine  donne 
à  la  reine  d'Egypte  des  provinces  romaines, 
échoue  honteusement  contre  les  Parthes,  et 
tombe  à  l'état  de  monarque  asiatique. 

Octave,  maître  au  sénat  comme  au  forum,  fait 
enlever  à  Antoine  le  consulat  et  déclarer  la  guerre 
à  Cléopâtre  (31).  Cléopâtre  et  Antoine,  toujours 
unis,  rassemblent  toutes  les  forces  de  l'Orient, 
mais  ils  risquent  à  la  légère  une  bataille  navale 
près  à-'ActnuH  (31),  et  s'enfuient  au  premier  péril. 
Leurs  flottes  et  leurs  armées  se  rendent  à  Octave, 
leurs  alliés  les  abandonnent  ;  Octave  débarque 
en  Egypte;  menacé  de  tomber  en  son  pouvoir, 
Antoine  demande  lâchement  la  vie,  retrouve 
quelque  courage  pour  combattre,  mais,  trahi  par 
Cléopâtre,  il  se  tue;  Cléopâtre,  qui  n'a  pu  séduire 
Oclave^se  donne  aussi  la  mort,  pour  ne  pas  être 
prise  vivante.  L'ï^ypie  est  réduite  en  province,  et 
le  monde  romain  n'a  plus  qu  un  chef. 

PÉRIODE  IMPÉRIALE 
(30  av.  J,-C.  —  476  ap.  3.-C..). 

Organisation    du    gouvernement  nouveau.    — 

Après  tant  de  guerres,  les  Romains  ne  désirent  que 
la  paix  :  le  sénat  est  sans  prestige  et  sans  force  ; 
la  plèbe  ne  tient  pas  Ji  se  gouverner  elle-même  ; 
personne  no  défend  les  anciennes  institutions;  la 
République  est  tombée,  et  la  monarchie  s'impose. 
Octave  reste  quelques  années  dans  une  situation 
mal  définie,  mais  le  vainqueur  d'Actium  est  le 
maître  que  tout  le  monde  souh.-iite  j  il  ne  reste 
qu'K  organiser  le  gouvernement  nouveau. 

Le  pouvoir  impérial.  —  La  loi  royale  de  l'an  27, 
complétée  dans  les  années  suivantes  (lex  rerjia 
de  imperio),  dont  les  historiens  ne  parlent  pas, 
mais  qu'on  peut  à  peu  près  reconstituer  à  l'aide 
d]inscriptions  postérieures ,  e^t  le  fondement 
légal  de  la  toute-puissance  des  empereurs.  Par 
<;ette  loi  le  peuple  et  le  sénat,  rallié  lui-même 
k  11  monarchie,  investissent  Octave  du  pouvoir 
impérial,  sous  le  imm  A'AuguHe,  mot  qui  pour 
les  Romaiiis  désigne  une  dignité  surhumaine.  — 
^  Le  pouvoir  impérial  n'est  pas  pour  cela  fondé  sur 
j  le  droit  divin  ;  il  n'est  que  la  réujiion,  au  profit 
d'un  seul  homjne,  de  dignités  anciennes,  jusque- 
là  partagées  entre  plusieurs  ;  un  seul  maître 
remplace  plusieurs  maîtres.  L'empereur  ne  cu- 
mule pas  toutes  les  magistratures,  mais  il  est 
revêtu  de  celles  qui  donnent  l'autorité  eB'octive  : 
Impernlor,  c'est-à-dire  investi  de  Viuiperium,  il 
commande  les  armées,  il  a  lo  droit  do  guerre  et 
■de  paix  dans  tout  l'Empire,  et  le  droit  de  vie  et  de 
mort  sur  tous  les  habitants,  citoyens,  sénateurs 


môme  ;  il  fait  des  édit^  qui  durent  autant  que  lui  ; 
il  esljiige  suprême  et  sans  appel.  —  Investi  de 
la  puissance  triltunitienne,  il  est  inviolable  (sncro- 
saint)  ;  il  a  les  droits  de  veto  et  d'initiative.  — 
Proconsul,  il  dirige  ou  contrôle  le  gouvernement 
des  provinces.  —  Préfet  des  mœurs,  il  a  le  pou- 
voir des  censeurs  d'autrefois.  —  Souverain  pon- 
tife, il  tient  toute  religion  dans  sa  main. 

Enfin  il  lève  les  impôts,  et  il  a  le  maniement 
des  fonds.  Il  n'y  a  donc  aucun  pouvoir  qui  ne 
soit  aux  mains  do  l'empereur  ;  en  lui  réside  la 
majesté,  c'est-à-dire  l'omnipotence;  on  ne  peut 
imaginer  de  despotisme  plus  complet. 

Ni  les  comices  ni  le  sénat  no  sont  supprimés  par 
Auguste  :  les  aigles  continuent  de  porter  S.  P.  Q.  |{ 
[senatus  populusqtie  romanus)  avec  l'image  de  l'em- 
pereur. Mais  le  rôle  des  comices  se  borne  à  ac- 
clamer les  candidats  officiels.  Le  sénat  reste  un 
corps  aristocratique  et  considéré,  où  les  riches 
arrivent  par  l'exercice  d'une  magistrature.  Sans 
doute  il  ne  paraît  plus  être  qu'une  sorte  de  conseil 
d'Etat  ou  de  commission  consultative,  mais  il  con- 
serve des  attributions  législatives,  administratives, 
judiciaires,  et  il  a  deux  droits  nouveaux,  qui  se- 
ront souvent  illusoires,  le  droit  d'élire  les  empe- 
reurs et  celui  de  les  juger  après  leur  mort  ;  l'em- 
pire oscillera  entre  l'hérédité  et  l'élection. 

Les  magistratures  de  la  République  subsistent 
sous  l'empire  jusqu'à  Dioclétien,  mais  elles  sont 
plus  nombreuses,  et  subordonnées  à  l'empereur. 
—  Aux  anciens  magistrats  sont  ajoutés  de  nou- 
veaux fonctionnaires,  les  deux  préfets  du  prétoire, 
chefs  des  cohortes  prétoriennes,  sorte  de  garde 
impériale, le  préfet  de  la  ville,  le  préfet  dfs  vivres, 
le  préfet  du  trésor,  etc.  Une  sorte  de  conseil  d'É- 
tat'impéria.1  est  constitué  sous  le  nom  de  conseil  du 
prince.  —  La  carrière  administrative  est  fermée  à 
l'ordre  plébéien, qui  s'avilit  de  plus  en  plus  et  se  rap- 
proche de  la  classe  servile  ;  elle  est  ouverte  aux  ri- 
ches, c'est-à-dire  à  l'ordre  sénatorial  et  à  l'ordre 
c</!ies/re; l'ordre  sénatorial,  composé  des  sénateurs 
et  de  leurs  familles,  est  le  premier  ordre  de  l'Em- 
pire ;  il  appartient  exclusivement  à  Rome  -,  l'ordre 
équestre  est  le  second  dans  la  capitale,  et  le  pre- 
mier dans  le  reste  de  l'Empire. 

Administration  des  provinces.  —  Le  monde  ro- 
main, au  lieu  d'être  affermé  par  lots  et  livré  au 
pillage,  est  administré  et  centralisé  ;  Rome  n'en 
est  plus  que  la  capitale  ;  toute  différence  entre  le 
régime  de  l'Italie  et  celui  des  provinces  tend  à 
disparaître  ;  les  cités  qui  n'ont  pas  le  droit  italique 
(\.  ci-dessus,  p.  1937)  ont  le  droit  latin,  c'est- 
à-dire  que  leurs  habitants  peuvent  devenir  ci- 
toyens après  une  magistrature,  selon  l'usage  éta- 
bli anciennement  dans  le  Latium  ;  mais  le  droit 
italique  et  le  droit  de  cité  complet  s'étendent  de 
plus  en  plus  ;  tous  les  hommes  libres  sans  excep- 
tion seront  citoyens  romains  sous  Caracatla  CiVl), 
et  il  ne  restera  plus  aucune  distinction  entre  le 
peuple  dominateur  et  les  peuples  sujets. 

L'Italie  est  divisée  en  douze  régions  :  Vénétie, 
Traiispadane,  Ligurie,  Emilie,  Ombrie,  Picénum, 
Samniam,  Apuiie,  Calahre,  Lucarne,  Campante, 
Elrurie.  —  Le  reste  du  monde  romain  est  divisé 
en  22  provinces  (27  av.  J.-C.)  :  dix  d'entre  elles, 
l'Afrique,  l'Asie,  la  Itilliymc,  l'Achaie,l'llhp-ip,  la 
Macédoine,  la  Cgiéna'ir/ue,  la  Sicile,  la  Sardaigne, 
la  Bétique,  ont  pour  gouverneur  un  magistrat 
nommé  par  le  sénat;  les  dix  autres,  l'Egypte,  la 
Syrie,  Chypre,  la  Cilicie,  la  Turraconnnise,  la  Lu- 
sitanie,  les  quatre  provinces  de  Gaule,  les  deux 
Germanies,  sont  gouvernées  chacune  par  deux 
agents  directs  de  l'empereur,  le  légat,  gouverneur 
politique  et  militaire,  le  procurateur,  administra- 
teur du  domaine.  Les  bons  empereurs  surveillent 
activement  leurs  agents  (Ex.  la  correspondance  de 
Trnjan  et  de  fline). 

Sénatoriales  ou  impériales,  les  provinces  jouis- 


ROME 


—  1940 


ROME 


sent  d'une  certaine  liberté,  qui  nous  est  révélée 
surtout  par  les  inscriptions  :  les  tables  de  Mnlof/a 
et  do  Sa/pensa  nous  montrent  l'activité  do  la  vie 
municipale  en  Espagne  :  le  monumeiit  de  Tho/i- 
gnij  nous  apprend  l'existence  d'une  assemblée 
des  Gaules.  Nous  savons  par  les  historiens  qu'Au- 
guste supprima  l'obligation  du  service  personnel, 
qu'il  créa  la  profession  militaire,  et  que  l'armée, 
désormais  permanente,  se  recruta  par  les  engage- 
ments volontaires  et  par  les  contributions  d'ijom- 
mes  imposées  aux  propriétaires  ;  mais  les  expédi- 
tions ne  sont  dirigées  que  contre  les  barbares, 
sur  le  Damibe  et  sur  le  Rhin,  et  l'épigraphie  nous 
apprend  qu'il  n'y  avait  de  garnison  qu'aux  fron- 
tières ;  la  police  de  la  Gaule  était  faite  par  des 
Gaulois. 

Historiens  et  inscriptions  sont  d'accord  pour 
dépeindre  la  prospérité  du  monde,  auquel  l'em- 
pire a  donné  la  paix  ;  la  domination  romaine  est 
devenue  le  ciment  de  chaque  peuple  et  de  tous 
les  peuples  entre  eux  ;  les  provinces  sont  romai- 
nes d'esprit  et  de  cœur  ;  leur  patriotisme  consiste 
à  aimer  Rome.  —  Il  ne  faut  donc  pas  juger  l'Em- 
pire d'après  les  idées  d'aujourd'hui.  L'Empire, 
devenu  nécessaire,  a  été  accepté  de  tous  ;  Tacite 
et  Juvénal  flétrissent  les  vices  de  quelques  em- 
pereurs ;  ils  n'attaquent  pas  la  nature  des  institu- 
tions. Si  le  régime  impérial  a  duré  cinq  siècles, 
c'est  qu'il  était  d'accord  avec  l'ensemble  des  in- 
térêts ;  après  une  longue  anarchie,  il  a  été  consi- 
déré comme  un  bienfait  par  le  peuple  de  Rome, 
par  l'Italie,  et  plus  encore  par  les  provinces  :  dé- 
livrées du  joug  d'une  aristocratie  oppressive,  sau- 
vées du  despotisme  des  proconsuls  par  le  despo- 
tisme impérial,  elles  considèrent  l'empereur 
comme  le  garant  de  la  paix  et  la  source  du  bon- 
heur; elles  l'adorent  comme  une  divinité. 

Le  siècle  d'Aigij'ste.  —  Auguste  a  att.tché  son 
nom  h  un  des  grands  siècles  artistiques  et  litté- 
raires. Aidé  de  Mécène  et  à' Agrippa,  il  favorise  la 
littérntureM .Lutine  (Littérature)  et  les  beuui-arts  ; 
il  laisse  une  ville  de  marbre  là  où  il  a  trouvé  une 
ville  de  briques  ;  de  toutes  parts  s'élèvent  des  pa- 
lais, des  basiliques,  des  thermes,  des  portiques, 
des  cirques,  des  arcs  de  triomphe,  etc.  L'inso-iji- 
tion  d'Aiicyre,  compte  rendu  par  Auguste  des  actes 
de  son  gouvernement,  contient,  entre  autres  do- 
cuments précieux,  la  liste  complète  des  monu- 
ments qu'il  fit  construire.  — L'architecture  atteint 
un  immense  développement  :  elle  est  vraiment 
romaine  ;  les  autres  arts  manquent  d'originalité. 

Auguste  meurt  en  l'an  14. 

Empereurs  de  la  famille  d'Auguste  (14-68).  — 
Titjrie  (14-3").  L'avènement  de  Tibère,  fils adoptif 
d'Auguste,  ne  rencontre  aucune  opposition  dans  le 
sénat,  mais  soulève  dans  les  camps  des  séditions 
qu'apaisent  non  sans  peine  le  fils  et  le  neveu  de 
l'empereur,  Dcusms  et  Germaiiictis  (Xi).  —  l'our 
occuper  l'armée,  Germaiiicus  entre  en  Germanie 
et  y  venge  le  désastre  de  Varus  ;  mais,  soupçon- 
né d'aspirer  h  l'empire,  il  est  rappelé  par  Tibère, 
et  envoyé  en  Orient,  où  il  meurt  bientôt  empoi- 
sonné (19)  ;  sa  femme  Agrippine  et  ses  enfants 
disparaissent  les  uns  après  les  autres,  à  l'excep- 
tion de  (Jaïiis,  que  sauve  sa  jeunesse. 

Le  favori  de  l'empereur,  Séja?i,  qui  lui  a  conseillé 
tous  ces  crimes,  est  convaincu  h.  son  tour  d'avoir 
empoisonné  Drusus  et  de  convoiter  l'empire  :  il  est 
étranglé  (31).  Tibère,  défiant,  se  repaît  de  cruautés 
et  meurt  assassiné  (37). 

Caligida  (;)7-41).  —  Le  troisième  empereur, 
Caïiis  ou  Caliguta,  fils  de  Germanicus,  gouverne 
sagement  pendant  huit  mois,  devient  fou  furieux, 
et  périt  égorgé. 

Claude  (11-54).  —  Cl/iude,  frère  do  Germani- 
cus, est  proclamé  par  les  soldats.  Rome  est  ensan- 
glantée par  les  conspirations  et  souillée  par  les 
vices  do  Messaline;  mais  au  dehors  la  Maurétanie 


et  la  moitié  de  la  Bretagne  sont  glorieusement 
conquises,  la  Ihvace,  la  Ljjcie.  la  Judée,  réduites 
en  provinces  ;  les  nobles  gaulois  reçuivent  le  droit 
de  posséder  des  dignités  romaines  :  une  table 
d'airain  trouvée  à  Lijon  nous  conserve  le  discours 
prononcé  par  l'empereur  h  cette  occasion.  —  Le 
commerce  est  favorisé  par  de  grands  travaux  publics. 

Ncro7i  (54-C8).  —  Claude  est  empoisonné  par 
sa  seconde  femme  Agrippine,  impatiente  de  pla- 
cer sur  le  trône  son  fils  NéroUj  au  détriment 
de  Britannicus,  fils  de  l'empereur.  Mais,  après 
"  d'heureuses  prémices  »,  Néron  met  à  mort  son 
frère  Britannicus  (.■)5),  sa  mère  Agrippine  (59),  sa 
femme  Octavie  (6'2),  et  Corbulon,  vainqueur  des 
Parthes.  Il  multiplie  les  supplices  et  persécute 
les  ch-ctiens  (V.  Christianisme).  Plusieurs  conspi- 
rations échouent  et  coûtent  la  vie  à  Pison,  à  Sénè- 
que,  à  Lucain^  à  Thraséas  ;  la  révolte  de  Vindex 
en  Gaule  est  aussi  réprimée,  mais  Galba,  plus 
heureux, force  Néron  à  fuir  deRomeetàse  tuer(68). 

Galba,  Othon,  'Vitellius  (69).  —  Galba  est  bien- 
tôt assassiné  par  ses  soldats,  dont  il  n'a  pas  satis- 
fait l'avidité.  —  Othon  et  Vitellius  se  disputent 
1  empire  ;  Othon  succombe,  et  Vitellius  jouit  de 
l'empire  pendant  huit  mois.  Mais  Yespasien,  vain- 
queur des  Juifs,  est  proclamé  par  ses  soldats  (Ii9). 

Les  Flaviens  (69-96). —  Vespasien  (U9-19).  —  Le 
nouvel  empereurest  un  honnête  homme, un  général 
habile,  un  administrateur  actif.  Il  étouffe  la  révolte 
du  Batave  Civilis  (70),  que  soutiennent  des  peuples 
germains  et  quelques  Gaulois  ambitieux,  comme 
Sabinus  (V.  Gaule).  En  même  temps  Titus  met 
fin  à  la  révolte  des  Juifs  par  la  destruction  de 
Jérusalem  (70),  qui  amène  la  dispersion  du  peuple 
hébreu.  A  l'intérieur  Vespasien  gouverne  avec  sa- 
gesse :  il  rend  au  sénat  quelque  vitalité  en  élevant 
au  putriciid  mille  familles  italiennes  ou  provincia- 
les; parmi  les  nouveaux  patriciens  se  trouvent 
Agricola,  de  la  Narbonnaise,  etXrajan,  d'Espagne. 
L'enseignement  public  est  organisé;  Rome  l'st 
embellie  par  la  restauration  du  Capitole,  la  cons- 
truction du  Colisée,  etc. 

r(7j/s  (79-81). —  Titus,  fils  de  Vespasien,  a  laissé 
le  souvenir  d'un  prince  doux  et  bon.  Son  règne  si 
court  est  rempli  d'efi'royables  calamités,  incendie 
de  Rome,  peste,  éruption  du  Vésuve,  qui  engloutit 
Pompéi  (79). 

Domitien  (8}-d6). — Domitien  est  l'opposé  de 
son  frère  Titus.  Jl  persécute  les  chrétiens,  se 
porte  aux  dernières  extravagances,  et  met  h  mort 
tous  ceux  qu'il  soupçonne.  A  l'extérieur,  il  con 
tient  les  Germains  par  la  force,  et  les  Daces  par 
la  politique,  en  pensionnant  leurs  chefs;  la  plus 
grande  partie  de  la  Bretagne  est  conquise  par 
Agricola,  et  ouverte  à  la  civilisation  romaine;  une 
ligne  de  postes  est  élevée  contre  les  Calédoniens. 
Mai  de  tous,  excepté  des  soldats,  Domitien  est 
assassiné,  et  le  sénat  condamne  sa  mémoire. 

Les  Antonins  (96-192).  —  Les  Antonins,  qui 
succèdent  aux  Flaviens,  donnent  à  l'empire  un 
siècle  de  prospérité. 

Nerva  (9G-9(>).  —  Nervn,  un  des  conjurés  f\ui 
ont  renversé  Domitien,  est  proclamé  par  le  sénat 
(90).  Il  commence  d'utiles  réformes,  donne  des 
terres  aux  pauvres,  respecte  les  droits  du  sénat, 
rétablit  l'ordre  dans  l'Etat,  mais  n'ose  faire  sentii 
son  autorité  à  l'armée. 

Trajan  [dS-lVi).  —L'Espagnol  7"î'n/aH,fils  adop- 
tif de  Nerva,  est  le  plus  renomme  des  Antonins 
Soldat  avant  tout,  il  rétablit  la  discipline.  Il  si 
fait  aimer  de  l'armée  par  son  énergie  et  sa  bra 
voure,  du  sénat  par  la  déférence  qu'il  lui  témoi 
gne,  du  peuple  par  son  humanité.  L'inscriptioi 
connue  sous  le  nom  de  Table  alimentaire  nou 
explique  parle  détail  une  très  curieuse  institutio 
de  Trajan  :  l'empereur  prête  sur  sa  cassette  ui 
million  do  sesterces  à  52  propriétaires,  qui  e: 
verseront  les    intérêts    au  trésor  do   la  cité  d 


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_  1941  — 


ROME 


Ve,oia,pnur   .a  nourriture  ''«^  «n^-^-v^cs  ,  l^ne..   çonti^^^^^ 
CHloinsUt«tion,auivientena>deilape    c^^F^^  les  incendies  et  par   les  tremblo- 

pnoté  et  ll»V^«"'^^f  j^^ST,  le^rt^c  aïsls'ance  mcnts  deï.uTe,  tolère  le  christianisme,  ot  ne  fatt 
;î;;^,?;îS::r:|ï  a^^  oîl^^nssi  le^o,^erce,  iV  _  ,,      «, 

dlitc  la  circulation  des  grains  et  ait  creuscid^s  J^^^^^^  d'Antonin,  est  un  des  modèles  de  la 
ports   (Anohic   et   Civiia-ecch,a];û  orne  ^om^^^^  4  fois  doux  et  ferme,  moraliste 

Se  l'arc  de  triomphe   du  forum  et  de  ^a  co lo  ne    veilu  a  t  n^^^    ^^.^  ^^_^^  pédanterie  et  sans  clu- 

<iui  portent  son  nom;  '«» 'jf^-^''^ '/,^  tiSre  âe^  »  è^"^'  »  ':l>«>''^''=  '^  perfection  morale  sans  né- 
tmjane   nous    f»"»  connaUre  la  v  e  m  lua^^^^^  1  ^^   ses  devoirs  d'empereur.  Ami 

Romains,  comme  Pompéi  nous  f^>' ^°  '\\' „'' ''„"e  |c  la  paix,  il  est  forcé  de  passer  sa  vie  dans  les 
vie  civile.  Habilo  et  économe,  T^aJ^"  ^'"S'^f"''!  r^^p^' .  ;  arrête  les  Marcomans.  parvenus  jus- 
les  revenus  de  l'Etat,  tout  en  dimuniant  les  impôts      ca^^pB.^^^^^^^       ^^  .^^.^  ,^^  Ç,^,„/^^.  ^^,,,3  ,eur 

il  restreint  le  domaine  particuUer  «^«i  ';3„''fJ  ^avs  ;  pnis  il  se  rend  en  Sijrie  pour  apaiser  une 
pour  accroître  la  richesse  publique  ^ '^"PP"^,;  P^v^l  e!  arrÈte  de  nouvelles  incursions  des  Sér- 
ies dons  de  ioye"\r<^"^"l''"'- i^iT„  'même  Ci"^,  et  meurt  h  Vindobona  (Vienne).  -Dans 
ferme  sans  être  cruelle;  "^«'^  ^^'«"^'l 'H' 'Jit'^fl  70^111^^^^^^         de    ses    campa,nes,  Marc-Aurèle 


terme  sans  eue  i-iuo..»- ,  , —   «  .„,,<.; 

par  les  préjugés  de  ses  cont^emporains   .1  consi 
dère   les   chrétiens   comme  des  séditieux,  et  les 


les  intervalles  de  ses  campagnes,  Marc-Auréle 
remplit  exactement  sa  charge  de  grand  justicier 
adoucit  les  lois,  protège  le  peuple  contre  les 
agents  du  fisc  et  contre  l'arbitraire  des  gouver- 
neurs développe  l'institution  utuncntinre,  repare 
"es  désastres.'^  Une  faute  cependant  pèse  sur  sa 
mémoire,  la  persécution  des  chrétiens,  quil 
confond  avec  les  criminels. 

Commode  (180-11)2).  -  Commode,  .fils  de  Marc- 
Aurèle,  prend  le  pouvoir  sans  "PPO^'^'""'  "^f' |^ 
l'intérêt  public,  se  jette  dans  le  desordre,  fait  de 


^  e  ^'séc^t^  1  r;;:i;irieur  il  lait  la  conquête 
de  laDa  <^;  (101-IOG),  larattache  à  la  msie  par  un 
pont  sur  le   Danube,  et  la  romanise  paù  de  nom- 

"  P^lfil^ttorrne  contre  les  PaHke.,  qtii  ont  en- 
vahi l'Arménie,  franchit  l'Euphrate  et  '« /'g^S; 
entre  à  Babylone,  h  Ctésiphon,  à.  Suse  \i>y'Y 
et  une  partie   de    la  Mésopotamie  et  àc\  Arabie 

sont    réduites   en    P™""'=«^n"V','Traia^'meurt  1  liombrruseTVictimes;  et  périt  assassiné 
Juifs  se  soulèvent  de  tous  cotés,  etTrajan  meurt    ""^  militaire  (192-268).  -;  Perttnax  (193), 

avant  de  les  avoir  réduits  (17)..        „^^^„„  .  i„iLréfet  du  prétoire,   est  proclame  empereur  par 
Hadrien    (117-138).    -    lladrim,  Espagnol  Im    preiet   Q      P  ^^^^^^     j  ^^^^j^  ^1^  ^.^^^^^^J. 

aussi,  cousin  de  Trajan  et  adopte  par    ni   est  re-     ?s  »euuue  .  ,  ^^^^  ^^^^ 

^ro^i;i:^e^n^:^nd^"^^î^'£M^ 

è  don:ifn'tp;^^^^^;;î:;u:;^pôu/^^n:  =  e.  ^^^^^^^^  ,^ 

^ère,  mais  il  renonce  aux  provinces  conquises  ,^f';  f  ^j^/^ol^i^  ;  Vend  sa  place,  casse  les 
sur  l'es  Vartiœs;  en  Bretagne  il  se  eo-uente  d  é-  d  l  y  le  fie  u  ^,  1.^^,^  ^^^  ^^^  compétiteurs 
lever  une  grande  muraille  cou  re  les  ^J^ff^lPiZlseth  Lyon,  rétablit  la  discipime,  fait  la 
jiieiis;  il  for lifio   le   Rhin  contre  les  Gei-mnifU,  et    à  issus  ei  d,  _t.j     , r„h:rln7,ims.   con- 


se  tient  partout  sur  la  défensive;  la  paix  n  est 
troublée  que  par  une  révolte  suprême  des  JuUs, 
qui  est  noyée  dans  le  sang  (135).  .. 

Hadrien  porte  tous  ses  soins  vers  1  administra- 
tion intérieure.  Il  perfectionne  le  gouvernement, 
et  le  rend  plus  monarchique,  1"  par  la  création 
des  bureaux  (scrini.a],rou!iiie  esseniiel  de  la  cen- 
tralisation ;  î"  par  l'établissement  d  un  nombreux 
personnel  de  fonctionnaires  :  il  ne  les  prend  m 
narmi  les  affranchis'  ni  parmi  les  sénateurs,  qu  U 

*^  ,  ;i —     I.,,.   „i,(t.,io    tvnn   ni  tar.  hnS 


tu  r  aux  iV^-^èreT  aux  Ca/«/ôn,en.  con- 
^llt^niésopotamie,  et  «'ftache  surtout  à  con- 
tenter les  soldats.  A  sa  mort,  ses  deux  ùls  se  dis 

^""caraïSmUlV,  poignarde  son  frère  G«a, 
et''rtrlit\ous  iere,!nemis  20  000  à  Rome 
dont  le  iurisconsulie  P,!pimai.  Il  est  assassine. 
cCt  sois  son  règne  que  '«  d.'oH  de  cae  est  ac- 
cordé à  tous  les  hommes  libres  de  lE.npe 
Macrin     (217-21S)    est    tue    avant    dentier   a 


narmi  les  anrancms  m  ijai.w.  .^.a  o^..»~.. — ,  -i-,      „ 

juge  les  uns  trop  serviles,  les  autres  trop  attaches    uome.  ^       ,^^.    ^^^^  de  Syrie,  imite  .les 

iîeurs  privilèges;  aux  sénateurs  il  réserve  les     J^^^^^^^  l„„ge   dans  le  vice, 

hautes  magistratures,  aux  aftranchis  les  emplois    "^''"^^^'J'^'^J'^g     les  prétoriens  le  massacrent, 
domestiques  de   la    cour,  mai.s  c'est  la  noblesse    et  se  fat  aaoïCTc    P  ^^^^^    ^   l'Empire 

italienne   et    provinciale,    Vordre    équestre,  qaû\     ^^f^'f'^j'"  de  Ta  me  :  il  gouverne  avec  la 
di  isH  pour  en  faire  une  '"'i^loa^Uie  admmutra-U^^^^^^  d|,3,u,  plus  dan- 

t,ve;  les  chevaliers  remplissent  le  '>°"f,«''  d^'^  hena^Utte  contre  ^^^.^  .^  ^^^^^^^  ^^  ^^^^ 

et  toutes  les  fonctions;  la  réiorme  de  1  Espagnol    gcreux   qne   ics^^  ,.„,^,V,  ,.^„nv„a,it. 


aux  Germains;  ses  soldats  l'égoi-gf»'-      ,    _  ^e 

,ért;îr1.^.-i^^t;:(l^9^'-pa3^ 
ltàf?^st-L^s^-'^u^--^s 

et  Œr,  sont  massacrés  k  leur  tour  par  les 
soldats  (238).-  Gordien  procl^.'"^  Pm  1  -  Le 
riens,  est  tué  par  l'Arabe  P/'^W^Jf.:^')-        ^^ 


Hadrien  est  donc  une  réaction  en  faveur  de  1  Italie 
et  des  provinces.  30  Le  pouvoir  législatif  est  retiré 
au  sénat,  et  donné  au  conseil  (consistorium)  com- 
posé par  l'empereur;  en  outre,  les  constitutions 
impériales,  édits,  décrets,  jugements,  lettres  ot 
réponses  aux  fonctionnaires,  ont  désormais  force 

de  loi.  4"   L-Edit  perpétuel,  où    Salvius    Julianus  r,,».^;'-   v 

coordonne  les  édits  prétoriens,  hxe  1^  J""spru-  "«"f -Jf  .j'^^!^^,  P'^^t  et  tue  Philippe  (249),  prend 
dence  (131);    en  même    temps  les  .sctoes  son     senateu,  J,c^^^^^^  l'ordre  et  de   con- 

rendusjustici,-iblesdestribunanx,etsoustraitsau    sa   place    essaye  ,g  ^^  de  ba- 

caprice  do  leurs  maîtres.  L'armée,  qui  n'a  plus  à  ten  r  les  »jOtn^ ',..-,?  _  Au  bout  de  deux  ans 
combattre  que  les  masses  barbares,  est  reorga-  ta'Ue,  e»  wtsie  ^-.  ^^^^.^..^^^  s'empare  de  l'em- 
iiiséo  en  ,j/m/anffes.  Enfin  Hadrien  assure  la  regu-    de    guerre    civ  ^  g^  les    barbares,  mais 

larité  des  travaux  publics  par  l'organisation  mili-  pire  et  ^^^"^«.,^^8  g^^par  les  Perses  (2G0).  - 
taire  des  corporations  ouvrières,  d  ou  dériveront   .1   est    fa  t  pi  01  ^^^  ,     ^e  de  nom  : 

les  corporations  du  moyen  âge;  Rome  voit  s  ele-  Son  il»  '^f''""'  nroclame  un  empereur,  et  une 
ver  de  nombreux  monuments,  entre  autres  le  «^l'^^^  ?  P'°  '"''1^  em's  connus  sius  le  nom  des 
mausolée  d'Hadrien,  aujourd'hui  château  Saint-  vingta.ne^dusurpateu.s.w,^  ^,^^^.^^^  repoussent 
^"S«,e^<^-  ,    ,     .         ,     ,,    „,,    les  barbares  ou  les  appellent  i  leur  secours;  la 

A7ituHiii    (138-101).    -    Antomn,    adopté    par  I  les  baroarcs  ou  i-i 


ROME 


1942 


ROME 


Gaule  forme  l'empire  de  Tètricus;  la  Thrace  et 
la  Grùce  sont  dévastées  par  les  Gotlis  et  par  les 
Hérules. 

Restauration  de  l'Empire  dans  la  seconde  moi- 
Ué  du  I1I«  siècle  (268-2841.  —  Claude  II  (2(iS-270). 
—  L'Empire  se  relève  avec  le  Dalmate  Claude  II  : 
l'invasion  des  Alumans  est  arrêtée  au  lac  de 
Garde,  et  celle  des  GoOis  en  Macédoine. 

Aurelien  (270-275).  —  Aurélien,  originaire  de 
Pannonie,  gouverne  avec  énergie.  11  sauve  l'Italie, 
envahie  par  les  Alamans,  et  entoure  Rome  d'une 
nouvelle  muraille  ;  il  abandonne  aux  Gollis  la 
Dacie  pour  garder  la  ilésie,  puis  il  attaque  Zéno- 
bie,  reine  de  l'almyre,  lui  enlève  ses  provinces, 
détruit  sa  capitale,  et  pacifie  l'Orient  (273).  — 
Télficus,  effrayé,  se  rend  (274).  —  Aurélien  ra- 
mène l'ordre  dans  l'Etat,  l'économie  dans  les 
finances,  la  discipline  dans  l'armée  ;  il  se  pré- 
pare à  châtier  les  Perses,  quand  il  est  assas- 
siné (275). 

Tacite  ;  Probus;  Carus;  Carin  et  Numérie/i  (275- 
284).  —  Après  un  intervalle  de  huit  mois,  le  sénat 
proclame  un  vieillard,  Tacite,  qui  meurt  six  mois 
après  (270).  —  Son  successeur,  choisi  par  les 
soldats,  Probus,  chasse  de  Gaule  les  Alamans, 
jette  la  terreur  en  Germanie,  et  repousse  partout 
l'invasion,  en  Asie,  en  Egypte,  en  Ihrace,  en  Jlly- 
rie  ;  sévère  pour  les  soldats,  il  est  tué  par 
des  mutins  (282).  —  Carus  marche  contre  les 
Perses,  leur  prend  leur  capitale,  et  meurt  dans 
l'expédition  (283).  —  Ses  fils,  Carin  et  Numé- 
rien,  ne  deviennent  empereurs  que  pour  périr 
assassinés,  et  le  Dalmate  Dioclétien  est  pro- 
clamé (284). 

Dioclétien  (284-305).  —  Dioclétien  se  propose  de 
repousser  les  barbares  et  de  rétablir  l'ordre  in- 
térieur. Pour  s'assurer  des  lieutenants  dévoués, 
il  associe  h  l'empire  Mnjimien  sous  le  nom 
d'Auguste  (286),  Galère  et  Constimce  Chlore  sous 
le  nom  de  Césars  (292)  ;  il  les  désigne  pour  ses 
héritiers,  afin  de  donner  de  la  stabilité  au  pou- 
voir, mais  il  reste  le  chef  de  ce  gouvernement  à 
quatre,  appelé  la  têtrardde.  —  Maximien  bat  les 
Alamans,  les  Francs,  les  Burgondes,  et  soumet 
dans  la  Gaule  les  Bugaudes,  paysans  soulevés 
contre  les  gouverneurs.  La  Bretagne,  agitée 
par  un  usurpateur,  est  soumise  par  Constance 
Chlore.  En  Orient  les  Perses,  vaincus  une  pre- 
mière fois  par  Dioclétien  lui-même,  sont  chas- 
sés de  Mésopotamie  par  Galère,  et  contraints  à 
traiter. 

A  l'intérieur,  Dioclétien  achève  l'œuvre  de  cen- 
tralisation et  d'uniformité  commencée  par  Ha- 
drien, et  continuée  insensiblement  au  milieu  des 
guerres  civiles  :  les  dernières  formes  de  la  Répu- 
blique disparaissent,  et  le  Bas-Empire  commence. 
Le  cérémonial  asiatique  est  introduit  à  la  cour. 
Tous  les  hauts  emplois  sont  donnés  i  des  agents 
directs  de  l'empereur  ;  les  sénateurs,  déjà  écar- 
tés de  l'armée  par  Gallien,  sont  exclus  de  l'ad- 
ministration; toutes  les  provinces  deviennent 
impériales,  c'est-à-dire  qu'elles  ont  pour  gouver- 
neur non  plus  un  magistrat  nommé  par  le  sénat, 
mais  un  légat  de  l'Empereur.  —  L'administra- 
tion de  chaque  province  est  en  outre  divisée, 
pour  que  les  fonctionnaires,  moins  puissants  à 
mesure  qu'ils  sont  plus  nombreux,  soient  entiè- 
rement dans  la  main  du  pouvoir  central.  Les 
vicaires  sont  institués  pour  les  surveiller.  —  La 
justice  est  rendue  par  des  juges  impériaux,  la 
procédure  devient  autocratique,  et  le  droit,  chan- 
geant de  caractère,  s'éloigne  du  vieux  droit  romain 
pour  se  rapprocher  du  droit  naturel  et  s'appuyer 
en  même  temps  sur  l'autorité  des  grands  juris- 
consultes, Gaius,  Papinicn,  Ulpien,  etc.  ;  les 
grands  travaux  do  compilation  et  de  codification 
commencent.  —  Les  i7iipijts  sont  rejidus  aussi 
plus  uniformes  :  l'Italie  y  contribue  comme  les 


provinces  ;  les  membres  des  sénats  municipaux, 
déclinons  ou  curiides,  sont  chargés  dans  chaque 
cité  de  faire  rentrer  les  contributions,  et  sont 
responsables  du  paiement  intégral  de  l'impôt.  — 
Le  recrutement  de  l'armée  devient  de  plus  en 
plus  difficile.  —  Enfin,  la  mémoire  de  Dioclétien 
est  souillée  par  une  horrible  persécution  contre 
les  chrétiens  (303). 

Constantin  (306-337).  —  Après  l'abdication  de 
Dioclétien  et  de  Maximie7i  (305),  et  la  mort  de 
Constance  Chlore  (3UG),  l'empire  a  cinq  maîtres  à 
la  fois  :  Galère,  Séoére,  Maximin,  son  f[\s,Maxence, 
et  Constantin,  fils  de  Constance  Chlore.  Ces  cinq 
empereurs  en  viennent  aux  mains  :  Maximin  tue 
Sévère  (307),  mais  est  tué  par  Coiutantin  (310); 
Galère  disparaît  l'année  suivante  ;  Constantin  bat 
et  tue  Maxence  au  pont  Mihiiis  (312)  ;  un  nou- 
veau prétendant,  Licinius,  tue  Maximin  (3l3),  et 
partage  pendant  quelques  années  l'empire  avec 
Constantin,  mais  il  finit  par  succomber  (324),  et 
Constantin  reste  seul  empereur. 

L'œuvre  de  Constantin  est  capitale  :  il  favorise 
le  triomphe  du  christianisme  et  réforme  l'adminis- 
tration. 

Triomphe  du  christianisme.  —  Malgré  les 
efforts  à.' Auguste,  secondé  par  Virgile,  la  religion 
romaine  a  disparu;  les  cultes  orientaux,  fondés 
sur  les  superstitions  les  plus  grossières,  la  rem- 
placent d'abord,  mais  les  honnêtes  gens  s'en  dé- 
tournent avec  dégoût,  et  le  christianisme,  fondé 
sur  les  sentiments  les  plus  purs  et  les  plus  no- 
bles du  cœur  humain,  oriental  et  sémitique  par 
son  origine,  mais  aryen  et  hellénique  par  l'esprit, 
grandit  rapidement  malgré  les  persécutions.  Cons- 
tantin, par  intérêt  plus  que  par  conviction,  se  dé- 
clare le  défenseur  de  la  foi  chrétienne  :  dès  313, 
Ycdit  de  Milan  permet  aux  chrétiens  l'exercice  de 
leur  culte;  bientôt  l'Église  reçoit  des  dons,  et  les 
prêtres  des  privilèges;  aux  provinces  politiques  et 
aux  cités  correspondent  des  provinces  ecclésiasti- 
ques et  des  diocèses,  administrés  par  des  primais, 
des  métropolitains  et  des  évéques,  à  la  fois  maîtres 
du  culte  et  dont  l'influence  s'exerce  sur  le  gouver- 
nement de  la  cité.  —  Le  concile  de  Nicée  (325)  rend 
la  paix  à  l'Église,  troublée  par  les  J)ie?is,  et  rédige 
le  Symbole  catholique.  L'heureuse  influence  du 
christianisme  se  fait  aussitôt  sentir  ;  des  idées  et 
des  sentiments  nouveaux  se  propagent;  la  ser- 
vitude personnelle  se  transforme  peu  à  peu  en 
servitude  territoriale  ;  les  esclaves  font  place  aux 
colo7is,  sortes  de  serfs. 

Hé  forme  admiiiistralive.  —  Constantin  réagitcon- 
tre  la  domination  des  armées.  L'Empire  est  partagé 
en  quatre  grandes  préfectures  :  l'Orient,  l'Illyrie, 
l'Italie,  la  Gaide,  sous  des  préfets  du  prétoire  ; 
les  préfectures  sont  divisées  en  quatorze  diocèses 
sous  des  ricaires  et  les  diocèses  en  cent-vingt 
provinces,  divisées  en  cités.  —  Une  seconde  ca- 
pitale est  fondée,  Constantinoplc,  qui  devient  le 
siège  principal  de  l'Empire.  De  nouvelles  charges 
de  cour  sont  créées.  Les  pouvoirs  civils  et  mili- 
taires deviennent  distincts  :  le  gouverneur  civil 
porte  en  général  le  nom  de  juge  ;  le  gouverneur 
militaire  est  appelé  duc  oa  comte;  les  uns  comme 
les  autres  sont  nobles  (illustres,  spectnbiles,  cla- 
rissimi,  etc.)  ;  mais  les  chefs  militaires  sont  placés 
au  dernier  rang;  la  garde  prétorienne  est  détruite  ; 
et  les  préfets  du  prétoire  sont  réduits  à  des  fonc- 
tions administratives.  —  Grâce  à  cette  division  et 
à  cette  hiérarchie,  les  fonctionnaires  civils  font 
équilibre  aux  chefs  militaires,  et  les  révoltes  sont 
rendues  plus  difficiles  ;  mais  l'armée,  tenue  comme 
en  disgrâce,  achève  de  se  désorganiser;  les  pau- 
vres l'abandonnent  à  leur  tour  :  rien  ne  peut  les 
y  retenir,  ni  les  faveurs  ni  les  supplices,  et  l'em- 
pereur est  réduit  à  prendre  à  sa  solde  des  bar- 
bares. —  En  même  temps  le  grand  nombre  des 
fonctionnaires   accroît  les  dépenses  publiques  ; 


J 


ROME 


—  1943  — 


RONGEURS 


l'impôt  écrase  les  petits  propriétaires  et  surtout 
les  curiati's,  principalement  à  cause  du  mode  de 
perception  ;  les  libertés  municipales  ne  sont 
plus  que  des  cliargos;  pressuré  et  ruiné,  l'homme 
libre  aliène  sa  liberté  pour  vivre,  et  se  fait  le 
colon  d'un  riclie;  l'impôt  n'en  est  que  plus  lourd 
pour  les  curialos,  forcés  de  rester  libres  et  ma- 
gistrats. 

Tentative  de  Julien.  Valentinien  et  Valens 
(337-3781.  —  Après  la  mort  de  Constantin  (337), 
l'empire  est  longtemps  disputé  par  ses  trois  lils 
et  d'autres  prétendants.  Constance  linit  par  res- 
ter seul  empereur  (353);  mais  Julien,  vainqueur 
des  Atnmnns  h,  Strasbourg  (35")  et  des  Francs 
dans  plusieurs  rencontres,  est  proclamé  à  Paris 
par  ses  soldats  (3(Jii),  et  reconnu  bientôt  dans 
tout  l'Empire,  après  la  mort  de  Constance  (361). 
—  Attaché  au  pjissé,  il  essaye  de  rendre  la  vie  au 
pni)a)iismp  ;  mais  il  meurt  dans  une  campagne 
contre  les  Perses  (363),  avant  d'avoir  pu  ébranler  le 
christianisme. 

Après  le  règne  insignifiant  de  Jovien  (303),  Va- 
lentinien /'■'  et  son  frère  Valens  se  partaient  l'Em- 
pire ;  Valentinien,  en  Occident,  tient  tête  aux 
Germains,  et  règle  l'élection  des  magistrats  mu- 
nicipaux appelés  défenseurs.  —  Valens,  en  Orient, 
se  déclare  pour  Varianisme  contre  l'Église  ortho- 
doxe ;  il  force  les  Perses  à  une  trêve,  mais  laisse 
les  Wisirjoths  passer  le  Danube  (aTti),  et  s'établir 
en  Tlirace ;  et,  quand  il  veut  les  en  chasser,  il  est 
vaincu  et  tué  à  Andrinople  (3"8)  :  tout  le  pays  jus- 
qu'aux murs  de  Constantinople  est  ravagé  par  les 
barbares. 

Théodose  (379-395).  —  En  Occident,  Valenti- 
nien 1"  laisse  le  trône  à  ses  deux  û\!,,Gratien  et 
Valentinien  11  (375).  En  Orient,  Valens  a  pour  suc- 
cesseur Théodose,  illustré  par  ses  victoires  sur  les 
barbares.  —  Théodose  refait  une  armée,  relève  les 
courages,  et,  par  séduction  plus  que  par  force,  dé- 
cide les  Wisigoths  à  cesser  leurs  ravages,  et  à 
traiter;  mais  il  est  forcé  de  leur  abandonner  la 
Mésie  et  la  Thrace,  et  d'admettre  40  000  d'entre 
eux  dans  les  troupes  impériales.  Tliéodose  paraît 
sauver  l'empire  ;  en  réalité  il  le  livre  ."i  ses  enne- 
mis :  les  auxiliaires  barbares  ont  rendu  des  ser- 
vices tant  qu'ils  ont  été  disséminés  et  mêlés  à  des 
troupes  romaines  ;  aujourd'hui  l'élément  romain 
est  entièrement  submergé,  les  petits  corps  barba- 
res sont  transformés  en  grandes  armées,  comman- 
dées par  leurs  chefs  nationaux,  et  l'Empire  n'est 
défendu  contre  eux  que  par  le  respect  que  leur 
inspirent  encore  sa  savante  organisation  et  son 
glorieux  passé. 

En  Occident,  A/oïi'me  abandonne  aux  barbares  la 
Bretagne,  qu'il  est  chargé  de  défendre,  passe  en 
Gaule  &yec  son  armée,  et  renverse  Gratien  (383); 
après  s'être  contenté  de  la  Gaule  pendant  cinq 
ans,  il  enlève  l'Italie  à  Valentinien  II;  mais  Théo- 
dose, accouru  d'Orient,  le  bat  et  le  tue  en  Pan- 
nonie  ;3S8),  rétablit  Valentinien,  et  demeure 
trois  ans  en  Occident  pour  y  extirper  Varianisme. 
Aussitôt  après  son  départ,  le  Franc  Arbogasl  as- 
sassine Valentinien,  et  rallie  une  dernière  fois  les 
païens  ;  Théodose  le  réduit  (3U4),  et  demeure  seul 
empereur. 

Pendant  tout  son  règne.  Théodose  a  essayé 
d'arrêter  la  ruine  de  l'Empire  par  une  ferme  ad- 
ministration, et  a  été  le  défenseur  de  l'ortho- 
doxie; il  se  soumet  à  la  pénitence  publique  que 
lui  impose  saint  Ambroise,  archevêque  de  Milan. 
Etat  de  l'empire  romain  à  la  mort  de  Théodose. 
Après  la  mort  de  Théodose,  le  monde  romain 
est  dofiniiivement  partagé  en  Empire  d'Occident  et 
en  Empire  d'Orient. 

L'état  géographique  et  politique  des  deux  Em- 
pires à  la  fin  du  iv=  siècle  nous  est  connu  surtout 
par  la  Nolice  des  dignités,  le  plus  précieux  docu- 
ment que  nous  ayons  sur  cette  époque.  —  Le  gou- 


vernement de  chaque  Empire  est  une  autocratie 
pure  ;  le  gouvernement  contrat  est  formé  des  of- 
ficiers de  la  cour,  le  grnnl  chnmbellnn,  le  maî- 
tre des  offices,  sorte  de  chancelier  et  de  ministre 
de  l'intérieur,  le  questeur,  chef  de  l'ordre  judi- 
ciaire, le  comte  des  largesses,  ministre  du  trésor  et 
du  commerce,  la  comte  du  domaine  privé,  le 
comle  des  gardes  du  corps,  etc.  —  Le  monde  ro- 
main reste  h  pou  près  divisé  comme  au  temps  de 
Constantin,  et  la  séparation  est  complète  entre 
l'ordre  militaire  et  l'ordre  civil;  les  préfectures 
sont  gouvernées  par  des  préfets  du  prétoire,  les 
diocèses  par  des  vicaires,  les  provinces  par  des 
consulaires,  des  présides,  des  correcteurs  ;  les  ci- 
tés par  des  défenseurs.  L'armée  a  pour  chefs  le 
maître  des  fantassins  et  le  maître  des  cavaliers, 
tous  les  deux  sortes  de  ministres  de  la  guerre 
et  de  la  marine  ;  au-dessous  viennent  les  comtes, 
puis  1rs  ducs. 

En  dépit  de  cette  organisation  savante,  qui  mar- 
que une  civilisation  raffinée,  l'Empire  romain  n'est 
plus  qu'une  ruine.  Les  causes  de  cette  décadence 
sont  : 

1"  La  disparition  de  la  classe  moyenne,  écrasée 
par  les  impôts  et  appauvrie  par  la  ruine  du  com- 
merce ; 

'i°  Lxd''popnlation,  causée  par  plusieurs  pestes, 
par  les  guerres  civiles,  par  les  guerres  contre  les 
barbares  ; 

3°  Le  mnuvnis  recrutement  de  l'armée,  envahie 
par  les  barbares. 

Une  seule  puissaiice  est  debout,  l'Église,  forte- 
ment constituée  ;  mais  elle  est  indifférente  aux 
destinées  de  l'Empire;  elle  renonce  à  le  régéné- 
rer, et  sait  qu'elle  lui  survivra,  parce  que  le  chris- 
tianisme n'est  ni  une  religion  domestique,  ni  une 
religion  nationale  ;  il  appelle  à  lui  l'humanité  en- 
tière. 

Fin  de  l'Empire  d'Occident.  —  L'Empire  d'O- 
rient subsiste  jusqu'au  xV  siècle,  grâce  k  la  forte 
position  de  Constantinople  (V.  Grèce,  p.  909). 
L'agonie  de  l'Empire  d'Occid-nt  ne  dure  pas  un 
siècle.  Les  Germains,  poussés  hors  de  leur  pays 
par  la  ruine  de  leurs  institutions  primitives,  par 
leurs  divisions  et  par  leur  misère,  sont  entrés 
d'abord  dans  l'Empire  en  fuyards  et  non  en  con- 
quérants, comme  laboureurs,  ouvriers  ou  soldats  ; 
mais  le  jour  vient  où  les  auxiliaires  barbares  de- 
viennent les  troupes  principales,  prennent  cons- 
cience de  leur  force,  et  n'obéissent  plus  ;  leurs 
chefs,  qui  sont  des  rois  de  leur  nation,  prennent 
peu  il  pou  la  place  des  fonctionnaires  romains,  se 
font  gouverneurs  de  provinces,  lèvent  des  impôts 
pour  leur  compte,  rendent  la  justice  ;  leur  ambi- 
tion grandit  de  jour  en  jour  :  le  lien  qui  les  rat- 
tache à  Rome  ou  à  Constantinople  se  relâche  et 
finira  par  se  rompre  ;  l'Empire  se  désagrège,  et 
les  empereurs  d'Occident,  jouets  des  nouveaux 
maîtres  de  la  milice,  dépouillés  de  toute  puis- 
sance, sont  réduits  à  l'état  de  fantômes,  qui 
finissent  par  s'évanouir  (47G).  —  V.   Barbares. 

Pour  l'histoire  de  l'Italie  après  la  chute  de  l'em- 
pire d'Occident,  V.   Italie.         [Paul  Lehugeur.] 

nONGEUllS.  —  Zoologie,  VIII.  —  Les  Ron- 
geurs sont  des  mammifères  onguiculés,  c'est-à- 
dire  des  mammifères  dont  les  doigts  se  terminent 
chacun  par  un  ongle  distinct  (V.  Mammifères). 
Leurs  mâchoires  sont  armées  de  dents  molaires 
fortes  et  rugueuses  et  d'incisives  bien  dévelop- 
pées, mais  sont  dépourvues  de  canines,  l'espace 
occupé  d'ordinaire  par  ces  dents  restant  vide  et 
formant  une  barre.  Ainsi  disposé,  leur  système 
dentaire  est  admirablement  approprié  à  un  régime 
essentiellement,  sinon  exclusivement  végétal. 
C'est  en  effut  de  feuilles,  de  fruits,  de  racines 
que  se  nourrissent  principalement  les  Rongeurs, 
qui  avec  leurs  grandes  incisives  peuvent  entamer 
les  écorces  et  les  graines  les  plus  résistantes.  Le 


RONGEURS 


1944  — 


RONGEURS 


faible  degré  de  complication  du  cerveau  et  l'ab- 
sence presque  complète  de  circonvolutions  à  la 
surface  des  hémisphères  dénote  chez  ces  animaux 
une  intelligence  des  plus  médiocres;  cependant 
il  y  a  des  Rongeurs,  les  Castors,  par  exemple, 
qui  exécutent  de  véritables  travaux  d'art  pour 
loger  leurs  provisions  ou  pour  élever  leur  jeune 
famille;  d'autres  qui,  comme  les  Écureuils,  amas- 
sent des  provisions  pour  la  saison  froide;  d'au- 
tres enfin  qui,  comme  les  Lemmings,  exécutent 
des  migrations  lointaines. 

Les  Uongeurs  sont  presque  tous  de  petite  taille; 
mais,  en  dépit  de  leurs  faibles  dimensions,  ils 
jouent  dans  la  nature  un  rôle  des  plus  impor- 
tants; car  ils  pullulent  sur  la  majeure  partie  de 
la  surface  du  globeet  se  répartissent  en  un  grand 
nombre  d'espèces  dont  chacune  est  douée  d'une 
déplorable  fécondité.  Toutes  ces  espèces  se  res- 
semblent par  la  structure  Intérieure,  mais  diffèrent 
souvent  beaucoup  les  unes  des  autres  par  le  port, 
les  allures  et  le  genre  de  vie.  Ainsi  les  Lièvres 
sont  organisés  pour  courir  sur  le  sol,  les  Gerboises 
progressent  par  bonds  successifs  à  la  manière  des 
Kanguroos,  les  Écureuils  et  les  Loirs  grimpent 
aux  arbres  avec  facilité,  les  Ptcromys  et  les  Sciu- 
roptères,  ou  Écureuils  volants,  grâce  aux  para- 
chutes dont  la  nature  les  a  dotes,  s'élancent 
d'une  branche  à  l'autre  et  franchissent  dans  l'es- 
pace une  distance  considérable,  les  Bathyergues 
ou  Rats-Taupes  et  les  Spalax  mènent  comme  les 
Taupes  une  existence  souterraine,  tandis  que  les 
Castors  et  les  Ondatras  vivent  surtout  dans  l'eau 
et  nagent  avec  beaucoup  d'aisance.  D'un  autre 
côté,  si  les  Gerboises  dont  nous  parlions  tout  à 
l'heure  ont  le  corps  svelte,  les  pattes  antérieures 
très  courtes,  les  pattes  postérieures  très  dévelop- 
pées et  la  queue  démesurément  allongée,  les 
Pacas  et  les  Cochons  d'Inde  ont  des  formes 
lourdes,  les  pattes  médiocres,  la  queue  très  ré- 
duite et  rappellent  un  peu  les  Porcins,  tandis  que 
les  Agoutis,  plus  légers  et  plus  hauts  sur  pattes, 
ressemblent  à  des  Chevrotains.  Enfin  si  la  plupart 
des  Rongeurs  sont  couverts  d'une  fourrure  douce, 
égale  et  bien  fournie,  quelques-uns  d'entre  eux 
ont  le  corps  hérissé  de  piquants.  Parmi  ces  der- 
niers les  plus  remarquables  sont  les  Porrs-Epics, 
qu'un  examen  superficiel  ferait  rapprocher  des 
Hérissons,  qui  appartiennent  cependant  à  l'ordre 
des  Insectivores'.  On  rencontre  dn  reste,  dans  ce 
dernier  groupe,  un  si  grand  nombre  d'espèces  qui 
offrent  avec  certains  Rongeurs  des  analogies  ex- 
térieures, qu'on  peut,  comme  l'a  proposé  Isidore 
Geoffroy  Saint-Hilaire,  établir  pour  ces  deux  caté- 
gories de  mammifères  un  système  de  classification 
paralléliqne. 

Les  Rongeurs  forment  donc  parmi  les  mammi- 
fères un  ordre  extrêmement  riche  en  espèces,  si 
riche  qu'il  a  été  nécessaire  de  le  subdiviser,  pour 
la  commodité  de  l'étude,  en  plusieurs  groupes 
secondaires,  sous-ordres,  familles  et  genres.  En 
tenant  compte  de  quelques  particularités  du  sys- 
tème dentaire,  deux  grandes  coupes  peuvent  être 
immédiatement  pratiquées.  En  effet,  si  cliez  la  ma- 
jorité des  Rongeurs  on  ne  compte  qu'une  seule 
paire  d'incisives  à  chaque  mâchoire,  cliez  quel- 
ques-uns de  ces  animaux  on  trouve,  à  la  mâchoire 
supérieure,  une  paire  de  petites  incisives  supplé- 
mentaires qui  doublent,  pour  ainsi  dire,  les  inci- 
sives normales.  Les  Rongeurs  qui  ofl'rent  cetie 
disposition  ont  reçu  le  nom  de  Duiilicidenté^.  Ils 
ne  forment,  dans  la  nature  actuelle,  qu'une  seule 
famille,  la  famille  des  Léporidés,  qui  est  répan- 
due sur  une  grande  partie  de  la  surface  du  globe, 
en  Europe,  en  Afrique,  en  .\sie  et  en  Amérique, 
mais  qui  manque  en  Australie  et  dans  l'île  de 
Madagascar.  Dans  cette  famille  ne  rentrent  que 
trois  genres,  les  Lièvres  [Lepus),  les  Lapins  {Cuiii- 
culus)  et  les  Laijomys, 


Les  Lièvres  proprement  dits  ont  le  corps  al- 
longé, les  oreilles  grandes,  les  pattes  de  derrière 
longues,  la  queue  petite,  mais  distincte.  Ils  ne 
creusent  pas  de  galeries  et  produisent  des  petits 
qui  naissent  couverts  de  poils  et  les  yeux  ouverts. 
Dans  notre  pay-  vit  le  Lièvre  timide  [Lepus  limi- 
rtus),  dont  Aristote  a  déjà  fait  mention  et  dont 
Buffon  a  donné  une  excellente  description.  Tout 
le  monde  connaît  cet  animal  qui  se  rencontre  à  la 
fois  dans  les  plaines  fertiles,  au  voisinage  des  fo- 
rêts et  sur  les  versants  boisés  des  montagnes,  et 
qui  présente,  suivant  les  localités,  certaines  va- 
riétés de  pelage.  Ordinairement  il  est  d'un  gris 
fauve  jaspé  de  brun  sur  les  parties  supérieures  et 
passant  au  blanc  plus  ou  moins  pur  sur  les  parties 
inférieures  du  corps;  mais  parfois  il  présente  des 
teintes  soit  plus  foncées,  soit  beaucoup  plus  claires, 
ou  devient  même  complètement  blanc.  Sa  nourri- 
ture consiste  en  racines,  en  jeunes  pousses,  en 
herbes  diverses,  et  particulièrement  en  plantes 
aromatiques,  telles  que  le  thym  et  le  serpolet. 
Grâce  à  ce  régime,  la  chair  du  Lièvre,  qui  rentre 
dans  la  catégorie  des  viandes  noires,  acquiert  des 
qualités  particulières  et  se  place,  dans  l'estime 
des  gourmets,  bien  au-dessus  de  la  chair  du  Lapin. 
Aussi  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  le  Lièvre 
est-il,  dans  l'Europe  occidentale,  l'objet  d'une 
chasse  des  plus  actives.  Peut-être  même  aurait-il 
déjà,  complètement  disparu  de  nos  contrées  si 
des  lois  particulières  n'assuraient  la  conservation 
ou,  pour  mieux  dire,  ne  prévenaient  la  destruction 
trop  rapide  de  l'espèce. 

En  Russie  et  sur  quelques  points  de  l'Europe 
centrale  et  occidentale,  en  Ecosse,  dans  les  Py- 
rénées, ainsi  que  dans  une  partie  de  l'Asie  septen- 
trionale, on  trouve  un  autre  Lièvre  qui  est  encore 
plus  sujet  que  le  Lièvre  ordinaire  i  des  change- 
ments de  couleur  et  qui  a  reçu,  pour  ce  motif,  le 
nom  de  Lièvre  variable  {Lepus  variabilis).  Sa 
chair  est  un  peu  moins  savoureuse  que  celle  du 
Lièvre  de  France,  mais  sa  fourrure,  qui  devient 
en  hiver  d'un  blanc  immaculé,  sert  à  faire  des 
palatines  et  des  épitoges. 

A  Java,  au  Bengale,  en  Sibérie,  aux  États-Dnis, 
au  Brésil,  en  Syrie,  en  Arabie  et  dans  les  grandes 
plainesde  l'Afrique  australe  vivent  plusieurs  autres 
espèces  de  Lièvres,  tels  que  le  Lièvre  mossel 
(Lepus  nigricnllis),  le  Lièvre  à  queue  rousse  (Le- 
pus ruficaudatus),  le  Lièvre  de  Virginie  {Lepits 
lirijiniatius),  le  Lièvre  Tapéti  {Lepus  l/rasiticnsis), 
le  Lièvre  de  Syrie  (Lepus  syriacus),  le  Lièvre  du 
Cap  (Lepus  capensis),  sur  lesquels  nous  n'avons 
pas  Ji  insister  ici. 

Les  Lapins  se  rapprochent  beaucoup  des  Lièvres 
parleurs  caractères  anatomiques;  mais  ils  ont  les 
oreilles  et  les  pattes  moins  longues  ;  ils  vivent  en 
société,  se  creusent  des  terriers  et  produisent  des 
petits  qui  naissent  presque  nus  et  les  yeux  fer- 
més. Us  se  répartissent  en  un  petit  nombre  d'es- 
pèces, dont  une  est  tellement  connue  qu'il  est 
tout  k  fait  inutile  de  la  décrire.  Nous  rappelle- 
rons seulement  que  l'élevage  des  Lapins  ne  re- 
monte pas  à  une  très  haute  antiquité,  et  pa- 
raît n'avoir  été  pratiqué  ni  par  les  Grecs  ni  par 
les  Romains;  mais  que  depuis  un  siècle,  cette 
industrie  a  pris  non  seulement  en  Europe,  mais 
dans  d'autres  parties  du  monde,  un  développe- 
ment considérable.  L'homme  a  transporté  des  La- 
pinsjusque  dans  les  contrées  lointaines  et,  peu  à 
peu,  il  est  arrivé  à  modifier  profondément  l'espèce 
primitive,  et  h  créer  une  foule  do  races  différant 
les  unes  des  autres  par  les  proportions  du  corps, 
par  la  couleur  et  la  qualité  du  pelage.  Ainsi  ont 
été  formés  les  Lapins  de  clapier^  dont  certains  in- 
dividus arrivent  à  peser  1".;  ou  même  15  livres, 
les  Lapins  riches,  b.  la  fourrure  argentée,  les  La- 
pins angoras  aux  poils  longs  et  frisés,  etc.  A  l'état 
sauvage  le  Lapin  de  garenne  se  rencontre  dans 


RONGEURS 


—  1943  — 


RONGEURS 


une  grande  partie  de  l'Eiirope  ;  il  préfère  les 
lieux  élèves  et  rocailleux,  les  landes,  les  garrigues, 
et  creuse  dans  le  sol  des  trous  et  des  galeries  où 
il  élève  sa  jeune  famille  et  se  retire  en  cas  de 
danger. 

Plus  petits  que  les  Lapins,  les  Lagomys  sont 
aussi  moins  liants  sur  pattes;  ils  ont  les  oreilles 
courtes  et  arrondies,  et  sont  privés  de  queue.  On 
ne  les  trouve  plus  à  l'époque  actuelle  que  sur  les 
confins  de  l'Europe  et  de  l'Asie,  en  Tartarie,  en 
Sibérie,  au  Tibet,  dans  l'Himalaya  et,  en  Amérique, 
dans  les  montagnes  Rocheuses;  mais  on  a  des 
preuves  certaines  qu'ils  ont  vécu  jadis  sur  le  sol 
de  la  France,  en  même  temps  que  les  Hamsters 
et  les  Spermopliiles. 

En  tûte  des  Kongeurs  ordinaires,  pourvus  d'une 
seule  paire  d'incisives  à  chaque  mâchoire,  se  pla- 
cent les  Ecureuils  [Sciurus),  qui  constituent  le 
principal  genre  de  la  famille  des  Sciuritl.es.  Ce 
sont  des  animaux  essentiellement  arboricoles,  qui 
sautent  adroitement  de  branche  en  branche  en 
étalant  leur  queue  comme  un  parachute  et  qui, 
à  l'aide  de  leurs  ongles  crochus,  grimpent  avec  la 
plus  grande  facilité  le  long  des  troncs  les  plus 
lisses  :  ils  sont  d'une  timidité  extrême  et  prennent 
la  fuite  ou  se  cachent  à  la  première  apparence  de 
danger.  Pendant  la  plus  grande  partie  du  jour  ils 
se  tiennent  tapis  dans  une  sorte  de  bauge,  faite 
de  mousse  et  de  bois  flexibles,  et  c'est  seulement 
vers  le  soir  qu'ils  prennent  leurs  ébats.  En  hiver 
ils' ne  s'engourdissent  pas  et  se  nourrissent  des 
grains,  des  noisettes,  des  glands,  des  amandes 
qu'ils  ont  en  la  précaution  d'amasser  dans  quel- 
que trou.  L'Écureuil  commun  (Sciurus  vulgaris) 
est  répandu  dans  les  forêts  de  l'Europe  septen- 
trionale et  centrale  et  présente,  suivant  les  loca- 
lités, des  ditïéronces  de  coloration  très  sensibles. 
Dans  certaines  contrées  son  pelage  reste  cons- 
tamment d'un  roux  vit  en  dessus  et  d'un  blanc 
pur  ou  jaunâtre  sur  les  parties  inférieures  du 
corps,  tandis  que,  dans  le  Nord,  il  prend  en  hiver 
une  coloration  grise  ou  bleuâtre  et  constitue  alors 
une  fourrure  très  estimée  qui  s'emploie,  sous  le 
nom  de  petit-ijris,  pour  garnir  des  manteaux  ou 
doubler  des  vêtements. 

L'Asie,  l'Afrique  et  le  Nouveau  Monde  nour- 
rissent plusieurs  espèces  d'Ecureuils  qui  diffèrent 
de  l'espèce  européenne  par  les  proportions  et  le 
système  de  coloration  ;  quelques-unes  ont  le 
corps  mi-parti  noir  et  jaune;  d'autres  sont  d'un 
noir  uniforme;  d'autres,  enfin,  portent  sur  le  dos 
et  sur  les  flancs  des  bandes  longitudinales  du  plus 
gracieux  efTet. 

Les  Tamias,  qui  se  trouvent  en  Asie  et  en  Amé- 
rique, et  qui  ont  pour  type  l'Ecureuil  suisse 
(T.  stviatiis)  de  la  Caroline,  diffèrent  des  Sciuri- 
dés ordinaires  par  le  genre  de  vie  et  par  une  par- 
ticularité de  conformation  ;  ils  se  tiennent,  en 
effet,  dans  des  trous  creusés  sou'i  le  sol,  et  ils  ont 
les  parois  de  la  bouche  creusées  de  vastes  poches, 
à'ubajoues  dans  lesquelles  ils  transportent  leurs 
provisions. 

Les  Sciuroptères  {Sciuroptcrus)  ou  Polalouches 
ont  de  cha(|uecoté  du  corps  un  prolongement  de 
la  peau  qui  s'étend  du  membre  antérieur  au 
membre  postérieur,  et  remplit  le  rôle  d'un  para- 
chute quand  l'animal  bondit  d'un  arbre  à  l'autre.  Ce 
sont  des  animaux  crépusculaires  ou  nocturnes 
qui,  à,  part  leurs  membranes,  sont  conformés  à 
peu  près  comme  les  Ecureuils,  et  mangent  comme 
ces  derniers  des  grains  et  des  fruits.  Dans  l'Eu- 
rope orientale  et  septentrionale  et  dans  le  nord 
de  l'Asie  vit  le  Sciuroptôre  polatouche  (Sciuro- 
ptcrus volrnis),  qui  ne  mesure  pas  plus  de  15  cen- 
timètres de  long,  queue  non  comprise,  et  qui 
porte  une  livrée  grise  en  dessus  et  blanche  on 
dessous. 
Les    iSpermophiles    (Spermophilm) ,    dont    le 


nom  signifie  amateurs  de  grains,  sont  dos  ani- 
maux fouisseurs  qui  liabitent  les  régions  froides 
de  l'Ancien  et  du  ^'ouveau  Monde  et  qui  attei- 
gnent à  peu  près  la  taille  du  Cochon  d'Inde.  Ils 
sont  pourvus  d'abajoues  et  se  nourrissent  princi- 
palement de  graines  et  de  céréales.  Aussi,  lors- 
c|u'ils  sont  abondants,  ils  peuvent  causer  de  grands 
dégâts  dans  les  terres  cultivées.  Le  type  de  ce 
petit  groupe  est  le  Spermophile  souslik  (Sp.  citil- 
lus)  de  Pologne  et  do  Silésie. 

Notablement  plus  grosses  que  les  Spermophi- 
les,  les  Marmottes  [Arctomys)  ont  des  formes 
plus  lourdes,  le  corps  plus  épais  et  moins  haut 
sur  pattes.  Leur  pelage  est  bien  fourni,  mais  assez 
rude,  d'un  gris  brunâtre,  varié  de  brun  ou  de 
blanc  jaunâtre  ;  leur  queue  est  courte  et  touffue, 
et  leurs  pattes  de  derrière  n'ont  qu'un  pouce 
tout  à  fait  rudiraentaire.  Ces  animaux  vivent 
dans  les  régions  montagneuses  do  l'Europe,  de 
l'Asie  et  de  l'Amérique  septentrionale,  et  se  creu- 
sent, sur  les  terrains  inclinés,  des  habitations  sou- 
terraines. Pendant  l'été  ils  vivent  de  graines  et 
de  plantes  herbacées,  et  pendant  l'hiver  ils  res- 
tent plongés  dans  un  sommeil  léthargique  très 
profond.  Les  Marmottes  des  Alpes  (Arctomys 
alpinusj  sont  souvent  promenées  dans  les  rues  de 
nos  villes  et  de  nos  villages  par  de  petits  Sa- 
voyards (|ui  leur  font  exécuter  différents  tours, 
au  sou  d'une  musique  naïve. 

Enfin,  les  Ptéromys  (Pteromys),  que  l'on 
confond  souvent  avec  les  Sciuroptères  sous 
le  nom  A' Ecureuils  volants,  et  qui  font  encore 
partie  de  la  famille  des  Sciuritlés,  sont  pour 
ainsi  dire  des  Marmottes  organisées,  non  plus 
pour  une  vie  terrestre  et  sédentaire,  mais  pour 
une  existence  active  et  arboricole.  Comme  les 
Sciuroptères,  ils  ont  sur  les  flancs  des  sortes  de 
parachutes  et  bondissent  d'arbre  en  arbre  et  de 
branche  en  branche.  On  les  trouve  dans  l'Asie 
méridionale,  aux  Moluques,  aux  Philippines,  etc. 
Les  deux  espèces  de  Ptéromys  les  plus  con- 
nues sont  le  Pétauriste  (Pt.  petaurista)  et  le 
Ptéromys  éclatant  (Pt.  nitidus),  ainsi  nommé  à 
cause  de  son  pelage  d'un  brun  foncé  sur  le  dos, 
d'un  roux  brillant  sur  la  poitrine  et  sur  le  ventre. 
Les  Castors  (Cas/o)-),  qui  constituent  Ji  eux  seuls 
une  petite  famille,  celle  des  Custoridés,  habitent 
exclusivement  l'hémisphère  boréal,  et  principale- 
ment les  régions  des  grands  lacs  de  l'Amérique 
du  Nord.  Jadis,  ils  étaient  communs  en  France, 
sur  le  Rhône,  la  Durance,  l'Isère,  la  Saune,  la 
Somme,  et  môme  sur  la  Seine,  aux  i-nviriins  de 
Paris  ;  si  l'on  en  croit  la  tradition  ,  ils  ont 
donné  i  la  rivière  de  Bièvre  le  nom  qu'elle  porte 
actuellement,  bièvre  (du  latin  filjer)  étant  encore 
le  nom  vulgaire  du  Castor  dans  diverses  contrées. 
Mais  aujourd'hui,  c'est  à  peine  si  l'on  tne  de  rare 
en  rare  quelques-uns  de  ces  animaux  dans  les  en- 
virons d'Arles,  de  Beaucaire  et  d'Avignon. 

Les  Castors  passent  la  plus  grande  partie  de 
leur  vie  dans  l'eau  et  nagent  avec  facilité,  grâce 
aux  palmures  qui  relient  les  doigts  de  leurs  pat- 
tes postérieures  et  leur  queue  largement  aplatie, 
en  l'orme  do  rame,  et  couverte  de  sortes  d'écail- 
lés. Doués  d'une  certaine  intelligence,  ils  se  réu- 
nissent en  petites  troupes  pour  construire  des 
barrages  à  travers  les  cours  d'eau  et  au  bord  des 
lacs  et  pour  élever  des  huttes  dont  l'intérieur  est 
divisé  en  plusieurs  compartiments  et  dont  le  fond 
est  percé  d'un  trou  s'ouvrant  immédiatement 
au-dessus  de  l'eau.  Ces  demeures  sont  habitées, 
pendant  la  mauvaise  saison,  par  plusieurs  indi- 
vidus. 

Pour  la  plupart  des  naturalistes  modernes  la 
famille  des  Hystricidés  comprend  non  seulement 
les  Porcs-épics  (Hystrix),  mais  les  Ilydrochères 
(Hyi/rochœrus)  ou  Câblais,  les  Cobayes  (Cavia)  ou 
Cochons    d'Inde ,     les    Pacas     (Cœlogenys),    les 


RONGEURS 


—  1946  — 


RONGEURS 


Agoutis  (Dasi/procla),  les  Chinchillas  [ChinclnlUi), 
les  Viscaches  yLagostonius),  etc. 

Les  Porcs-épics  {HijsMx)  se  reconnaissent  faci- 
lement à  leur  tête  grosse,  plus  ou  moins  bombée 
sur  le  front,  i  leur  corps  volumineux,  terminé  en 
arrière  par  un  rudiment  de  queue  et  couvert, 
principalement  dans  la  région  postérieure  et  sur 
la  nuque,  de  piquants  longs  et  acérés.  Ces  pi- 
quants, en  se  redressant  comme  des  chevaux  île 
frise,  protègent  l'animal  contre  les  attaques  des 
carnivores,  mais  ne  sauraient,  comme  on  l'a  pré- 
tendu, se  détacher  de  la  peau  et  être  projetés 
comme  des  flèches.  Dans  le  midi  de  l'Europe  et 
en  Algérie  habite  le  Porc-épic  à  crête  (Hi/sirix 
cvistatu),  qui  est  do  la  grosseur  d'un  chat  et  qui 
a  le  corps  noir  et  les  piquants  annelcs  de  blanc  et 
de  noir.  Comme  tous  ses  congénères,  ce  Rongeur 
se  nourrit  de  fruits  et  passe  l'hiver  plongé  dans 
un  sommeil  léthargique. 

Les  Hydroclières  [Hydrochœrus),  dont  le  nom 
signifie  Porcs  aquatiques,  ont  été  en  effet  réunis 
primitivement  aux  Porcins  par  les  naturalistes 
voyageurs,  mais,  d'après  l'ensemble  de  leur  orga- 
nisation, se  rapportent  décidément  à  l'ordre  des 
Rongeurs.  Le  Cabiai  ou  Hydrochère  capybara 
(Hydrochœrus  capybara)  est  répandu  sur  une 
grande  partie  de  l'Amérique  méridionale,  depuis 
le  fleuve  des  Amazones  jusqu'à  la  Plata.  Il  atteint 
presque  la  taille  d'une  brebis;  sa  tête  est  très 
volumineuse  relativement  au  corps,  qui  est  revêtu 
de  poils  bruns  et  roussàtres,  peu  fournis,  et  qui 
en  arrière  ne  porte  pas  même  un  rudiment  de 
queue.  Le  Cabiai  se  nourrit  de  fruits,  principale- 
ment do  melons  et  de  citrouilles  ;  il  vit  dans  le 
voisinage  des  eaux  et  nage  avec  facilité. 

Les  Cobayes  (Cavia)  ne  méritent  en  aucune  fa- 
çon le  nom  de  Cochons  d'Inde  par  lequel  on  les 
désigne  vulgairement  ;  en  effet  ils  ne  ressemblent 
aux  Cochons  ni  par  les  dimensions,  ni  par  la 
forme  générale,  et  ils  ne  sont  point  originaires  de 
l'Asie  méridionale.  Ce  sont  de  petits  rongeurs  à 
la  tête  arrondie,  au  corps  renflé,  aux  pattes  cour- 
tes, à  la  queue  rudimentaire,  qui  ont  pour  patrie 
la  Guyane,  le  Brésil,  le  Pérou,  la  Patagonie,  etc. 
Les  Cochons  d'Inde  qui  vivent  à  l'éiat  sauvage  dans 
ces  difl'érentes  contrées,  tels  que  le  Cobaye  aus- 
tral et  le  Cobaye  apérea  {Cavia  australis  et  C.  npe- 
rea),  ont  une  livrée  grise,  variée  de  jaune  et  de  noir; 
mais  ceux  que  l'on  voit  communément  en  Europe 
ont  été  profondément  modifiés  par  l'influence  de 
l'homme  et  se  font  remarquer  par  leur  pelage  blanc 
ou  jaunâtre  marqué  de  larges  plaques  irrégulières 
noires  et  jaunes. 

Les  Pacas  [Cœlogenys),  plus  gros  et  plus  hauts 
sur  pattes  que  les  Cochons  d'Inde,  se  distinguent 
par  une  particularité  anatomique  fort  curieuse; 
ils  ont  de  chaque  coté  de  la  tête  une  grande  expan- 
sion osseuse  sous  laquelle  s'enfonce  un  repli  de 
la  peau.  Le  Paca  brun  (Cœtogeni/s  subniger)  de 
Cayenne  est  d'un  brun  chocolat  avec  des  taches 
blanclics  arrondies  sur  les  flancs. 

Les  Agoutis  (Dasyproctn)  sont  de  fort  jolis  ani- 
maux, au  pelage  lisse  et  brillant,  qui  habitent 
aussi  les  contrées  chaudes  du  Nouveau  Monde  et 
qui  se  nourrissent  de  substances  végétales.  Leurs 
pattes  assez  fines  sont  bien  conformées  pour  la 
course,  et  celles  de  devant  peuvent  aussi  servir 
jusqu'à  un  certain  point  à  la  préhension  des  ali- 
ments. La  plupart  des  espèces  de  ce  genre,  l'A- 
couchi  (Dnsyprorta  acuschy),  l'Agouti  proprement 
dit(D.  aculi),  l'Agouti  huppé  (D.  cristala),  ont  un 
pelage  brun  ou  noirâtre,  plus  ou  moins  tiqueté  de 
blanc  ou  de  fauve. 
_Les  Cliinchillas(C/ti«c/ii//n),  dont  la  fourrure  est 
si  estimée,  se  trouvent  principalement  au  Chili, 
dans  la  région  des  Andes.  Ils  ont  à  peu  près  la 
taille  de  nos  Ecureuils  et  rappellent  un  peu  ces 
derniers   animaux  par   leur   tête   surmontée  de 


grandes  oreilles  et  ornée  de  grandes  moustaches  ; 
mais  ils  ont  la  queue  beaucoup  moins  longue  et 
moins  touffue  que  les  Ecureuils,  les  yeux  beau- 
coup moins  vifs,  les  oreilles  plus  arrondies  vers 
le  haut  et  presque  dénudées,  enfin  ils  sont  essen- 
tiellement terrestres.  Le  pelage  du  CliincliiUa  la- 
nigère (C/i.  laniger)  est  d'un  gris  perlé,  un  peu 
ondulé,  soyeux  et  doux  au  toucher. 

Les  'Viscaches  [Lagostomns),  qui  vivent  dans  les 
Pampas,  ressemblent  un  peu  aux  Chincliillas  par 
leurs  caractères  généraux,  mais  ne  fournissent 
qu'une  fourrure  de  très  médiocre  valeur. 

Enfin  les  Anomalures  (Anomal urus)  présentent 
la  particularité,  unique  parmi  les  Rongeurs,  d'a- 
voir en  dessus  de  la  queue,  dans  la  portion  basi- 
laire  de  cet  organe,  de  larges  écailles  imbriquées 
comme  les  tuiles  d'un  toit.  Ce  caractère,  joint  à  la 
disposition  des  omoplates  et  des  doigts  antérieurs, 
permet  de  distinguer  facilement  ces  animaux  des 
Ecureuils  volants  avec  lesquels  ils  ont  une  lointaine 
analogie,  ayant  comme  ces  derniers  les  membres 
antérieurs  rattachés  aux  membres  postérieurs  par 
de  larges  expansions  cutanées. 

La  petite  famille  des  Dipodidés  ne  comprend  que 
les  Gerboises  [Dipus),  qui,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  liant,  ont,  avec  des  formes  extrêmement 
réduites,  la  piiysionomie  générale  des  Kanguroos, 
et  qui  semblent  aussi  avoir  emprunté  le  mode 
de  locomotion  de  ces  mammifères  australiens 
(V.  Marsupiaux).  Pourvus  d'une  très  longue 
queue  qui  se  termine  par  un  bouquet  de  poils  et 
qui  peut  tour  à,  tour  remplir  le  rùle  d'un  balancier 
ou  fournir  au  corps  un  point  d'appui  d'une  cer- 
taine résistance,  ayant  les  pattes  antérieures  extrê- 
mement courtes,  et  les  pattes  postérieures  au  con- 
traire très  développées,  les  Gerboises  progressent 
avec  une  rapidité  extraordinaire,  par  bonds  suc- 
cessifs, et  ne  se  servent  guère  de  leurs  membres 
antérieurs  que  pour  fouir  le  sol.  Leur  tète  est 
surmontée  de  larges  oreilles  et  animée  par  de  gros 
yeux  k  fleur  de  tète  qui  indiquent  immédiatement 
des  habitudes  nocturnes.  En  effet,  les  Gerboises  ne 
sortent  guère  de  leurs  terriers  qu'à  la  tombée  de 
la  nuit.  Le  pelage  de  ces  petits  animaux  oiîre  cons- 
tamment des  teintes  assez  claires,  fauves  ou  bru- 
nes sur  les  parties  supérieures,  et  blanches  ou  jau- 
nâtres sur  les  parties  inférieures  du  corps.  Une 
espèce  de  Gerboise  [Dipus  m'iurilanicus)  se  trouve 
en  Algérie;  d'autres  habitent  l'Arabie,  l'Inde  et 
la  Russie  méridionale. 

Les  Loirs  {Myoxus),  qui  composent  avec  un 
ou  deux  autres  petits  genres  la  famille  iss, 
MyoxiiUs,  tiennent  à  la  fois  des  Rats  et  des  Ecu- 
reuils. Ils  passent  leur  vie  sur  les  arbres,  ou  se 
cachent  dans  les  trous  des  rochers,  des  vieux 
murs,  et  s'engourdissent  pendant  la  mauvaise  sai- 
son. Le  Lérot  (Myoxus  mlila),  qui  n'a  pas  plus 
de  15  centimètres  de  long,  queue  non  comprise, 
est  d'un  brun  fauve  sur  le  dos,  d'un  blanc  pur  en 
dessous,  et  a  les  cotés  de  la  tète  et  une  partie  de 
la  queue  fortement  tachés  de  noir.  Il  est  commun 
dans  toute  l'Europe,  surtout  dans  les  endroits 
cultivés.  D'autres  espèces  de  Loirs  sont  spéciales 
à  l'Afrique  ou  à  l'Asie  orientale. 

La  très  nombreuse  famille  des  Muridés  a  pour 
principaux  représentants  les  Rats-taupes,  les 
Campagnols,  les  Ondatras,  les  Hamsters  et  les 
Rats. 

Les  Rats-taupes  [Spnlax,  Bathyergns,  etc.)  sont 
des  Rongeurs  fouisseurs,  ayant  la  tête  grosse,  le 
corps  plus  ou  moins  cylindrique,  la  queue  courte 
ou  nulle,  les  ongles  robustes,  les  yeux  presque 
atrophiés,  comme  c'est  l'ordinaire  chez  les  êtres 
qui  mènent  une  vie  souterraine.  Le  Zemmi  [Spa- 
liix  ti/i'h'iis),  qui  se  rencontre  en  Crimée  et  dans 
l'Asie  Mineure,  peut  être  considéré  comme  le  type 
de  ce  groupe. 
Les  Campagnols  ne  dépassent  pas  en  grandeur 


RONGEURS 


1947 


ROSACEES 


les  Souris  du  nos  inaisous,  avec  lesf|UC'llcs  ils  ont 
parfois  ijtt'  confondus,  quoiqu'ils  aiout  les  oreil- 
les plus  longues,  les  yeux  plus  gros  et  plus 
saillants,  le  pelage  en  général  plus  fortement 
teinté  de  jaune,  etc.  Ils  sont  représentes  en  Eu- 
rope i)ar  plusieurs  espèces,  dont  une,  le  Cam- 
pagnol des  champs  {Arvicola  arvalis),  établit  sa 
demeure  dans  les  plaines  cultivées  et  cause  sou- 
vent de  gramis  ravages  en  coupant  les  tiges  des 
céréales,  en  rongeant  les  racines  des  plantes  po- 
tagères et  en  dévorant  les  semences. 

Aux  Campagnols  se  rattachent  les  Lemmings 
{Lcmiiius),  si  célèbres  par  leurs  migrations.  Ces 
Lemmings  (t.  nurvegicus)  sont  originaires  de 
Laponie  et  de  Norvège  et,  poussés  par  la  famine  ou 
par  quelque  autre  cause,  quittent  à  certaines 
époques  leur  pays  natal,  en  troupes  innombrables, 
et  prennent  deux  directions  opposées,  certains 
d'entre  eux  gagnant  les  rivages  de  la  mer  du 
Nord  et  d'autres  descendant  vers  le  golfe  de  Bot- 
nie. Sur  leur  passage  ils  dévorent  les  récoltes,  les 
herbes  et  les  racines  ;  mais  heureusement  ils  sont 
bientôt  décimés  parles  intempéries  ou  deviennent 
la  proie  des  Kapaces,  des  oiseaux  de  mer  ou  des 
mammifères  carnivores. 

Los  Ondatras  habitent  le  nord  du  continent 
américain  ;  ils  sont  aquatiques  comme  certains 
Campagnols  et  sont  encore  mieux  organisés  que 
ceux-ci  pour  la  natation,  ayant  la  queue  écailleuse 
et  comprimée  latéralement  et  les  pattes  de  der- 
rière palmées.  L'Ondatra  musqué  {Omlatra  zi- 
liethica),  qui  vit  dans  les  lacs  du  Canada,  doit 
son  nom  à  l'odeur  particulière  qu'exhale  sa  four- 
rure. Il  coiistruit  des  huttes  semblables  il  celles 
qu'élèvent  les  Castors,  mais  de  dimensions  plus 
restreintes. 

V<  Les  Hamsters  {Cricetu>i\  qui  sont  à  peu 
près  de  la  grosseur  d'un  Rat,  sont  parfois  appelés 
Marmottes  d'Allemagne  ou  Marmottes  de  Stras- 
bourg, parce  qu'ils  se  trouvent  principalement  en 
Alsace  et  dans  les  pays  d'Outre-lîhin.  Le  Hamster 
vulgaire  jC'r.  frumentarius)  entasse  dans  l'une 
des  chambres  dont  se  compose  son  terrier  des 
quantités  considérables  de  froment,  de  seigle,  de 
légumes  secs,  et  se  nourrit  pendant  l'hiver  avec 
ces  provisions. 

L'un  des  genres  les  plus  nombreux  en  espè- 
ces de  tout  l'ordre  des  Rongeurs  est  assuré- 
ment le  genre  Uu.i,  qui  renferme  les  animaux 
désignés  vulgairement  par  les  noms  de  Rais,  de 
Souris  et  de  Mulots.  La  Souris  vulgaire  est  irop 
connue  pour  que  nous  ayons  besoin  d'en  donner 
une  description  détaillée.  Chacun  sait  que  ce  pe- 
tit Rongeur  est  ordinairement  d'un  gris  cendré, 
mais  que  parfois  il  passe  au  blanc  pur.  Les  in- 
dividus ainsi  moditiés  ont  les  yeux  rouges,  comme 
c'est  la  règle  chez  les  albinos. 

Buffon  a  dit  de  la  Souris  :  «  Timide  par  sa  na- 
ture, familière  par  nécessité,  la  peur  ou  le  besoin 
font  tous  ses  mouvements  ;  elle  ne  sort  de  son 
trou  que  pour  chercher  h  vivre  ;  elle  ne  s'en  écarte 
guère,  y  rentre  à  la  première  alerte,  ne  va  pas, 
comme  le  Rat,  de  maisons  en  maisons,  à.  moins 
qu'elle  n'y  soit  forcée,  fait  aussi  beaucoup  moins 
de  dégâts',  a  les  moeurs  plus  douces  et  s'apprivoise 
jusqu'à  un  certain  point,  mais  sans  s'attacher.  » 
Dans  les  catalogues  scientifiques,  la  Souris  est 
appelée  Mus  nnisculus. 

Le  Mulot  vulgaire  {Mus  sylvatinus)  est  un  peu 
plus  fort  que  la  Souris  et  porte  une  livrée  d'un 
brun  fauve  sur  le  dos,  d'un  blanc  pur  sur  la  poi- 
trine et  sur  le  ventre.  Répandue  dans  toute  l'Eu- 
rope et  sur  une  partie  de  l'Asie,  cette  espèce  ne 
pénètre  guère  dans  les  habitations  qu'M'approche 
de  l'hiver,  et  se  tient  durant  la  belle  saison  dans 
les  bois  et  dans  les  champs. 

Le  Rai  nain  ou  Rat  des  moissons  {Mus  arena- 
rius  ou  Mus  parvulus)  est  le  plus  petit  de  nos 


Rongeurs  indigènes  et  se  distingue  entre  tous  par 
son  industrie.  Pour  loger  ses  petits,  il  construit 
en  effet  un  nid  il  peu  près  sphérique  qu'il  suspend 
dans  un  champ  de  blé  à  quelques  tiges  encore 
sur  pied  et  qu'il  abrite  sous  des  chaumes  artiste- 
mont  tressés,  (^ette  petite  construciion  rappelle 
beaucoup  par  sa  forme  les  nids  de  certaines  Fau- 
vettes, et,  comme  ceux-ci.  peut  se  balancer  au 
soufllo  du  vent,  avec  les  tiges  qui  le  supportent. 
Le  Rat  surmulot  {Mus  decumunus)  est,  comme 
son  nom  môme  l'indique,  beaucoup  plus  giand  et 
plus  robuste  que  le  Mulot.  C'est  un  animal  des- 
tructeur par  excellence,  qui,  dans  les  localités  où 
il  se  multiplie,  occasionne  des  dégâts  considé- 
rables et  compromet  même  la  sécurité  des  habi- 
tations en  rongeant  les  poutres  de  soutènement 
et  en  se  frayant  un  passage  à  travers  les  murs  de 
fondation.  Aujourd'hui  cette  espèce  est  extrême- 
ment répandue  dans  les  grandes  villes  et  pullule 
parliculièreraent  dans  les  égouts  de  Paris,  ei 
cependant  c'est  seulement  depuis  le  milieu  du 
XVIIII-'  siècle  que  l'on  a  constaté  sa  présence  en 
Europe.  Les  premiers  Surmulots  furent  sans  doute 
amenés  do  la  Perse  ou  do  l'Inde  à  bord  de  quelques 
vaisseaux,  et  en  1727  un  grand  nombre  de  ces  ani- 
maux arrivèrent  à  Astrakhan,  venant  des  déserts 
de  l'ouest,    et  ayant  traversé  les  flots  du  Volga. 

En  France,  le  Surmulot  a  presque  complètement 
détrôné  et  anéanti  une  autre  espèce,  de  taille  un 
peu  plus  faible,  et  revêtue  d'une  livrée  plus  fon- 
cée, le  Rat  noir  {Mus  ratus],  qui  lui-même  était 
déj^,  selon  toute  probabilité,  originaire  de  l'Asie. 
Suivant  une  opinion  généralement  aixréditée,  cet 
animal  nuisible  a  été  introduit  en  Europe  par  les 
navires  qui  ramenaient  dans  leurs  foyers  les  guer- 
riers ayant  pris  part  aux  croisades;  cependant  il 
ne  se  trouve  mentionné  d'une  manière  parfaite- 
ment nette  que  par  les  auteurs  du  xvi"  et  du 
xvii°  siècle. 

Il  parait  même  qu'une  troisième  espèce,  le  Rat 
d'Alexandrie  (il/i(s  alexandrinus),  (\\\\  a  l'Egypte 
pour  patrie  d'origine,  s'est  établie  depuis  une 
soixantaine  d'années  dans  nos  départements  mé- 
ridionaux; aussi  craignait-on  jusqu'à  ces  derniers 
temps  de  voir  pénétrer  en  France  un  Rongeur 
encore  plus  redoutable,  un  véritable  géant  dans 
son  genre,  le  Rat  pilori  {Mus  piloridcs)  des  An- 
tilles; mais  des  observations  récentes  ont  heureu- 
sement démontré  que  cette  espèce  dift'érait  par 
ses  mœurs  autant  que  par  son  organisation  du 
Rat  noir,  du  Kat  surmulot  et  duRat  d'Alexandrie, 
et  que,  par  suite,  son  introduction  et  son  accli- 
matation en  Europe  ne  sont  probablement  pas  à 
redouter.  [E.  Oustalet.] 

ROSACÉES.  —  Botanique,  XXIV.  —  Etym.:  de 
rosfi,  nom  latin  de  la  rose.  — Oe/î«J(iU'(.  — Famdle 
de  plantes  phanérogames,  angiospermes,  dicoty- 
lédonées,  dont  les  fleurs  sont  dialypétales  et  il 
étamines  périgynes,  et  dont  les  graines,  arrivées 
à  maturité,  sont  dépourvues  d'albumen. 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  Rosa- 
cées, toujours  protégée  par  les  parois  du  fruit, 
ne  possède  qu'un  tégument  extrêmement  mince, 
entièrement  transformé  en  une  lame  de  paren- 
chyme corné.  L'albumen  faisant  défaut,  la  ré- 
serve nutritive  destinée  ii  nourrir  l'embryon  pen- 
dant les  premières  phases  de  la  germination, 
est  emmagasinée  dans  les  cotylédons  de  cet 
embryon. 

La  racine  est  pivntante  ou  fasciculée.  Les 
plantes  de  cette  famille  sont  des  herbes,  des  ar- 
bustes, ou  des  arbres;  leur  tir/e  varie  donc  de 
hauteur  et  de  dimension,  depuis  celle  des  frai- 
siers jusqu'il  celle  des  pommiers  et  des  cerisiers. 
Elle  porte  des  feuilles  alternes,  presque  toujours 
stipulées  ;  les  stipules  sont  adnéos  au  pétiole  chez 
les  rosiers,  les  fraisiers,  les  ronces,  la  sanguisorbe, 
etc.  ;  elles  sont  caduques  chez  les  pommiers,  les 


ROSACEES 


—  1948 


ROSACEES 


amandiers  ;  elles  manquent  complètement  dans 
quelques  genres.  Le  limbe  de  la  feuille  varie  de 
forme  ;  il  est  simple  et  denté  cliez  les  Pomacces 
et  les  Amygdalées;  il  est  compose,  penné  chez 
les  rosiers,  les  fraisiers  ;  il  est  quelquefois  pal- 
matilobé  (alcbimille)  ;  il  manque  chez  VHutthe- 
maia,  où  la  feuille  se  trouve  réduite  à  deux 
stipules.  Chez  les  Amygdalées,  les  feuilles  pré- 
sentent des  glandes  analogues  à  celles  des  Papi- 
lionacées. 

Les  fleurs  sont  parfois  solitaires  et  terminales  ; 
le  plus  souvent,  elles  sont  disposées  en  ombelles 
(cerisier)  ou  en  oorymbos  et  aussi  en  panicules 
ou  en  grappes.  Elles  sont  liermaphrodites,  excepté 
dans  un  petit  nombre  de  genres  où  elles  sont  di- 
clines  {Potermm,  Cliff'ortia).  Le  caractère  des 
fleurs  de  cette  famille,  c'est  de  présenter  un  ré- 
ceptacle fort  développé,  le  plus  ordinairement 
concave,  ovoïde  ou  cyatliiforme,  à  la  surface  in- 
térieure duquel  sont  insérés  les  carpelles,  tous 
les  autres  verticilles  de  la  fleur  étant  portés  par 
les  bords  de  ce  môme  réceptacle.  Ces  verticilles 
sont  par  cela  même  insérés  h  un  niveau  plus 
élevé  que  les  carpelles.  Ce  fait  s'exprime  en  di- 
sant que  les  ovaires  de  ces  plantes  sont  infères 
ou  que  leurs  étamines  sont  épigynes.  Dans  plu- 
sieurs genres,  cependant,  la  cupule  réceptacu- 
laire  fort  élargie  devient  conique  vers  son  centre 
et  porte  les  carpelles  à  la  surface  de  ce  cùne 
(fraisiers,  framboisiers),  qui  dépasse  de  beaucoup 
les  bords  réceptaculaires  ;  le  qualificatif  d'ài/'ères 
ne  peut  alors  plus  être  attribué  aux  ovaires  de  ces 
plantes.  Dans  ce  cas,  on  considère  les  étamines 
comme  périgynes.  Une  fleur  de  rosacée  présente 
donc  un  réceptacle  concave  ou  conique  sur  les 
bords  duquel  on  voit,  de  l'iutcrieur  à  l'extérieur  : 

1°  L'n  calice  ordinairement  à  cinq  pétales  ou  à 
quatre  seulement.  Chez  les  fraisiers,  au-dessous 
du  calice,  on  remarque  une  enveloppe  compara- 
ble au  calice  et  nommée  cahcule  ; 

1°  Une  corolle  h.  cinq  pétales  ou  i  quatre  alter- 
nant avec  les  sépales.  Dans  un  petit  nombre  de 
genres  la  corolle  fait  défaut; 

3°  Des  étamines  ordinairement  très  nombreu- 
ses (rosiers)  o\i  au  nombre  de  vingt  (fraisiers, 
pruniers)  ;  quelquefois  quatre  seulement  (alcbi- 
mille, sanguisorbe); 

■4°  On  trouve  au  centre  de  la  fleur  des  carpel- 
les insérés  soit  dans  l'intérieur  de  la  cupule  ' 
réceptaculaire,  .soit  à  la  surface  du  cône  que  forme  j 
celle  cupule.  Ces  carpelles  sont  on  nombre  va-  ' 
riable  ;  quelquefois  un  seul  i,Amygdalces),  souvent  | 
cinq  (Pomacées),  ou  très  nombreux  (Rosées).  Ils 
sont  libres  lorsque  le  réceptacle  est  conique,  et 
aussi  chez  les  Amygdalées  et  les  rosiers  où  le 
réceptacle  est  concave.  Chez  les  Pomacées,  ils 
sont  soudés  entre  eux  et  avec  le  réceptacle  ;  dans 
ce  cas,  on  a  un  ovaire  tout  à  fait  infère  et  h  plu- 
sieurs loges  renfermant  chacune  deux  ou  plu- 
sieurs ovules.  Lorsque  les  carpelles  sont  libres, 
ils  sont  uni-ovulés,  bi-ovulés  ou  pluri-ovulés.  Les 
styles  sont  toujours  libres,  même  chez  les  Poma- 
cées, et  toujours  en  même  nombre  que  les  car- 
pelles. Le  plus  souvent,  chaque  style  est  inséré 
sur  le  bord  interne  du  carpelle,  au-dessous  du 
sommet  de  l'ovaire. 

Le  fniit  est  variable  :  chez  les  Pomacées,  c'est 
une  pomme.  Les  parois  de  l'ovaire  sont  soudées 
avec  celles  du  réceptacle  ;  ce  dernier  s'accroît 
et    devient  charnu   et   comestible  à   la  maturité. 

Chez  les  Spiréacées,  le  fruit  est  un  assemblage 
de  follicule::;  les  carpelles,  libres  de  toute  adhé- 
rence, contiennent  chacun  plusieurs  graines  et 
sont  déhiscents  à  la  maturité. 

Chez  les  Rosées,  le  fruit  est  un  assemblage 
d'aA-ràe«,  ou  un  assemblage  de  drupes:  V  un 
assemblage  à'akhies,  c'est-ii-dire  que  chaque  car- 
pelle ne  renferme  qu'une   graine  et  devient  à  la 


maturité  sec  et  indéhiscent  ;  tantôt  ces  akènes 
sont  enfermés  dans  la  cupule  réceptaculaire  dont 
les  parois  deviennent  charnues  à  la  maturité 
(rosiers)  ;  tantôt  ces  akènes  sont  portés  sur  un 
réceptacle  conique  qui  devient  charnu  et  comes- 
tible (fraises)  ;  tantôt  enfin  le  réceptacle  demeure 
sec  (potentille,  benoîte)  ;  2°  un  assemblage  de  dru- 
pes. C'est  le  cas  des  ronces  (mûre  des  haies, 
framboisiers).  Les  parois  de  chaque  ovaire  devien- 
nent charnues  et  comestibles  ;  les  ovaires  se  sou- 
dent latéralement  entre  eux  ;  le  réceptacle  conique 
se  développe  peu. 

Enfin  chez  les  Amygdalées  le  fruit  est  une 
drupe.  Le  réceptacle  concave  se  détruit  après  la 
floraison.  Les  parois  de  l'ovaire  s'accroissent  et 
se  divisent  nettement  en  trois  zones  :  à  l'exté- 
rieur une  mince  pellicule  [ipicarpe\;  à  l'intérieur 
une  enveloppe  fort  dure  (endocarpe),  et  entre  les 
deux  le  méSKCcrpe.  La  mince  pellicule,  c'est  la 
peau  de  la  pèche  par  exemple  ;  l'enveloppe  dure 
(endocarpe),  c'est  le  r.oijau  (pêche,  abricot,  ce- 
rise, prune).  Le  mésocarpe  devient  charnu  ;  il 
est  comestible,  excepté  chez  les  amandiers;  à 
l'intérieur  du  noyau  se  trouve  la  graine  avec  son 
tégument  mince.  La  graine  est  la  seule  partie 
comestible  dans  la  drupe  des  amandiers. 

Classification  des  Rosacées.  —  Les  Rosacées 
se  divisent  en  quatre  tribus;  nous  nous  conten- 
terons de  If'S  nommer  avec  les  principaux  genres 
qu'elles  comprennent  : 

1.  Pomacées  [Coynassier,  Poirier,  Pommier, 
Sorbier,   Néflier). 

]I.  Rosées  [Rosiers,  Aigre'moine.  Alcliimille, 
Ronce  arbrisseau,  Honce  framboisier.  Fraisier, 
Tormentilli-,  Benoîte). 

III.  Spikéacées  (i^pirée  filipendule,  Spirée  reine- 
des-prés). 

IV.  Amygdalées  [Amandier,  Pécher  commun, 
Pêcher   brugnon.  Abricotier,  Prunier,    Cerisier). 

Usage  des  Rosacées.  —  I.  Plantes  alimentaires, 
—  Nous  citerons  les  principales  : 

1°  Les  fruits  du  Cognassier  ou  coings  ne  peu- 
vent se  manger  crus  à  cause  de  leur  àpreté  ;  mais 
ils  sont  fort  recherchés  pour  la  fabrication  de 
gelée,  de  conserves  et  de  sirop.  Ils  étaient  très 
appréciés  des  Grecs  et  des  Latins  ;  ce  sont  eux 
que  Virgile  désigne  sous  le  nom  de  pommes 
d'or  ;  on  les  cultivait  spécialement  dans  l'île  de 
Ciète.  On  suppose  même  que  les  pommes  d'or 
du  jardin  des  Hespérides  étaient  des  coings  et 
non  des  oranges; 

20  Les  Pommiers  et  les  Poiriers  sont  des  arbres 
extrêmement  voisins  les  uns  des  autres  ;  ils  ne  se 
distinguent  que  par  leurs  inflorescences,  la  cou- 
leur de  leurs  fleurs  et  la  forme  de  leurs  fruits. 
Chez  les  Pommiers,  l'inflorescence  est  une  om- 
belle, les  fleurs  sont  blanches  nuancées  de  rose; 
les  fruits  sont  globuleux  et  creusés  à  leur  base 
d'un  enfoncement  profond  dans  lequel  s'implante 
le  pédoncule.  Chez  les  Poiriers,  l'inflorescence 
est  un  corymbe,  les  fleurs  sont  absolument  blan- 
;  elles  ,  les  fiuits  sont  turbines,  allongés  et  rétrécis 
à  leur  base.  Les  fruits  de  ces  arbres  à  l'état  sau- 
vage sont  âpres  et  acerbes  ;  sous  l'influence  de  la 
culture,  ils  deviennent  sucrés  et  légèrement  acl- 
I  des.  En  Normandie,  en  Picardie  et  en  Bretagne, 
'  on  cultive  les  pommiers  pour  la  fabrication  du 
cidre.  Le  cidre  de  qualité  supérieure  se  fabrique 
avec  des  pommes  douces  auxiiuelles  on  mélange 
une  notable  quantité  de  pommes  anières;  l'emploi 
de  ces  dernières  a  pour  but  d'assurer  la  conser- 
j  vation  du  cidre  ; 

3°  Les  fruits  du  Néflier  ne  sont  agréables  au  goût 
que  queliiuc  temps  après  la  cueillette; 

■i"  Les  /raniiioises  sont  fort  estimées  ;  on  en  fait 
un  .sirop,  des  conserves,  de  la  gelée  et  aussi 
un  vinaigre  qui  sort  lui-même  à  fabriquer  le  vl- 
.  naigre  framboise  ; 


ROSACÉES 


1949  — 


ROUMANIE 


5°  Los  fruits  des  Rotices  ou  mi'iros  des  haies 
se  mangent  comme  les  framboises,  en  Suisse  et 
en  Allemagne  ; 

G»  Les  fraises.  On  connaît  toutes  les  variétés 
de  fraises  que  l'on  a  pu  obtenir  par  la  culture 
et  chez  lesquelles  lo  réceptacle  conique,  extrême- 
ment développé,  est  succulent  et  parfumé  ; 

7°  Les  connndes  ilouces  se  servent  sur  les  ta- 
bles ;  elles  servent  h.  fabriquer  lo  sirop  d'orgeat  ; 
les  amandes  amères  sont  plus  rarement  em- 
ployées, parce  que,  distillées  avec  de  l'eau,  elles 
ont  la  propriété  de  produire  de  l'acide  cyan- 
hydrique  en  quantité  suffisante  pour  être  dan- 
gereux; 

8"  Les  Pf'cliei-s  sont  originaires  de  la  Chine.  L'a- 
mande de  leur  fruit  renferme  les  éléments  de  l'a- 
cide cyanhydrique  ;  broyée  avec  le  noyau,  elle  sert 
à  faire  une  liqueur  nommée  ralafiu,  ou  Hijueur 
de  noyau; 
9°  Les  Abricotiers  sont  originaires  de  l'Asie; 
10"  Les  Pruniers  donnent  des  fruits  que  l'on 
sert  sur  les  tables  et  dont  on  fait  des  conserves. 
On  les  fait  également  sécher  et  on  les  vend  alors 
sous  le  nom  de  pruneaux.  Les  pruneaux  les  plus 
estimés  sont  ceux  de  Touis,  d'Agen  et  de  Bri- 
gnolcs; 

11°  h&s  Cerisiers.  Les  fruits  du  cerisier-merisier 
fournissent  par  la  distillation  et  la  fermentation 
le  kirsch-wasser.  Les  fruits  des  autres  cerisiers, 
tels  que  le  bigiirrenutier,\e  y>iignier,\e  ijriotlier, 
se  mangent  à,  l'état  frais.  Avec  ceux  du  griottier, 
on  fait  des  conserves  ;  on  les  confit  également 
dans  l'eau-de-vie.  Le  griottier  est  originaire 
d'Asie  :  il  aurait  été  apporté  en  Italie  par  Lucullus  ; 
12"  Les  feuilles  de  la  petite  pimprenelle  sont 
utilisées  comme  assaisonnement. 

II.  Plantes  médicinales.  —  1°  La  gelée  et  le 
sirop  de  coings  sont  usités  comme  astringents; 
les  pépins  de    coings  sont   émollients. 

2°  Les  rose-^.  La  rose  de  Provins  ou  rose  rouge, 
apportée  de  Syrie  à  Provins,  au  temps  des  Croi- 
sades, par  un  comte  de  Brie,  est  cultivée  pour 
ses  pétales  avec  lesquels  on  prépare  le  miel 
rosat ;  on  en  fait  aussi  un  sirop  et  une  conserve. 
Provins  ne  peut  ilui  seul  fournir  tous  les  pétales 
de  roses  du  commerce.  Il  en  vient  des  environs 
de  Lyon  et  de  Metz  et  surtout  d'Allemagne.  Ces 
pétales  sont  sèches  i  l'étuv.e  et  conservés  dans  des 
boites  en  bois;  on  les  récolte  quand  les  roses  sont 
en  boutons  ;  on  enlève  le  calice,  on  coupe  les  pé- 
tales que  l'on  passe  au  crible  pour  en  séparer  les 
étamines  et  les  insectes.  La  rose  à  cent  feuilles  et 
la  rose  de  Damas  ou  roses  pâles  sont  culiivées 
dans  le  midi  de  la  France  et  aux  environs  de 
Paris;  elles  servent  à  la  fabrication  de  l'eau  de 
roses  et  de  Vessence  de  roses.  L'eau  de  roses  s'ob- 
tient en  distillant  les  pétales  des  roses  avec  de 
l'eau.  L'eau  de  roses  est  un  collyre  astringent. 
L'essence  do  roses  du  commerce  nous  vient  de 
la  Perse,  de  l'Inde  et  de  Tunis;  on  en  fabrique 
aussi  dans  le  midi  de  la  France.  On  l'obtient  par 
deux  procédés  différents.  Le  plus  répandu  con- 
siste à  établir  des  lits  alternatifs  de  pétales  de 
roses  et  de  graines  de  sésame.  Ces  dernières  ab- 
sorbent l'huile  odorante  des  roses  et  se  gonflent  ; 
on  renouvelle  plusieurs  fois  les  lits  de  pétales  de 
roses  pour  les  mêmes  lits  de  graines  de  sésame. 
Quand  ces  graines  ont  atteint  un  certain  volume, 
qu'elles  ne  se  gonflent  plus,  on  les  retire,  on  les 
soumet  h  l'action  d'une  presse  et  on  en  exprime 
ainsi  une  huile  odorante  contenant  une  forte  pro- 
portion d'essence  de  roses.  L'n  autre  procédé  con- 
siste à  distilleries  pétales  de  roses  avec  de  l'eau, 
de  façon  à  obtenir  une  eau  de  roses  assez  concen- 
trée; on  distille  une  seconde  fois  cette  eau  de 
roses;  on  maintient  le  nouveau  liquide  à  une 
température  de  5»  à  (iO  degrés,  et  on  voit  alors 
surnager  une  huile  essentielle  qu'il  est  très   fa- 


cile de  recueillir  et  qui  est  l'essence  de  roses. 
(Ce  procédé  est  usité  dans  les  Balkans.)  A  la 
température  ordinaire,  l'essence  de  roses  pure  se 
prend  en  une  masse  cristalline  ayant  l'aspect  d'un 
amas  de  lamelles  ou  d'aiguilles  ;  elle  fond  sous 
l'action  do  la  chaleur  de  la  main. 

J)"  Les  feuilles  de  Yuigremoine  sont  astringentes 
et  utilisées  contre  les  inflammations  de  la  gorge. 
4°  Les  feuilles  de  Y alcliimilte  s'emploient  pour 
combattre  les  héniorrhagies  et  la  phthisie. 

5°  Les  feuilles,  l'écorce  ou  la  racine  de  quel- 
ques autres  Rosacées  sont  souvent  usitées  comme 
astringentes  ou  toniques.  Nous  citerons  seulement 
l'écorce  du  cerisi,-r  puiiet  {Cera'Us  Padus),  que 
l'on  a  proposée  comme  succédanée  du  (|uinquina. 
G"  Les  fleurs  du  cousso  [Broijera  nntkfhnintldca) 
sont  employées  en  infusion  pour  détruire  le 
ténia.  C'est  le  remède  le  plus  efficace  lorsqu'on 
ne  peut  pas  se  procurer  de  l'écorce  de  grenadier 
tonte  fraîche.  Le  cousso  est  un  arbre  d'Abyssinie 
qui  atteint  une  hauteur  de  20  mètres. 

1°  Les  feuilles  du  law  ier-cerise  produisent  par 
la  distillation  une  eau  narcotique.  Ces  feuilles 
s'emploient  quelquefois,  il  la  dose  de  trois  feui:les 
pour  un  liti'r  di-  l.iit,pour  calmer  la  toux.  L'arbre 
est origiiiaiii'  ili'  I'Amo. 

lU.Piiuilcs  i!ifl.;.^li>elles. —  Lchoh  de  plusieurs 
Rosacées  est  reeiierché  des  ébénistes  parce  qu'il' 
est  dur  et  susceptible  d'être  poli.  Nous  citerons 
seulement  les  plus  estimés;  ce  sont  les  bois  du 
poirier,  du  sorbier  doinesliquc,  do  Valisier,  et  sur- 
tout du  cerisier  mahuleb,  qui  se  vend  dans  le 
commerce  sous  le  nom  de  bois  lie  Suinte-Lucie,  Am 
nom  d'un  village  des  Vosges  où  l'on  en  fait  le 
commerce. 

Les  vieux  cerisiers  laissent  couler  de  leur  tronc 
et  de  leurs  branches  une  gomme  qui  se  colore  et 
se  durcit  en  séchant.  Elle  est  utilisée  par  les  cha- 
peliers pour  l'apprêt  du  feutre. 

IV.  Plantes  oinemvnlales. —  Il  suffit  de  les 
nommer,  tout  le  monde  les  connaît.  Ce  sont: 
d'abord  toutes  les  nombreuses  variétés  de  roses 
obtenues  par  la  culture  et  qui  dérivent  pour  la 
plupart  de  la  rose  de  Provins,  de  la  rose  à  cent 
feuilles,  et  des  églantiers. 

Et  ensuite  les  sorbiers,  les  aubépines ,  les 
épines  roses,  l'ulmnire  ou  reinr-iles-près  {Spirea 
uhnariii),  et  le  laurier-cerise  V'  cli -ich'  iiour  son 
feuillage  toujours  vert.  i<'.  ■'■'■■  r.  i  uand.] 

ROL'MAiNIE.  —Histoire  génnale,  \\'\1V.  —Le 
peuple  qui  s'est  donné  à  lui-même  le  nom  de 
Roumains  en  souvenir  de  la  colonisation  romaine 
dans  la  vallée  du  Danube,  et  qui  occupe  aujour- 
d'hui, outre  les  anciennes  principautés  de  Mol- 
davie-et  de  Valachie,  une  partie  de  la  Bessarabie, 
de  la  Bukowine,  de  la  Transylvanie  et  de  la 
Hongrie  orientale,  de  la  Serbie  et  de  la  Bulgarie, 
forme  le  groupe  le  plus  oriental  des  nations  de 
langue  latine.  L'origine  des  Roumains  est  incer- 
taine. «  Habitants  de  l'antique  Dacie,  les  Rou- 
mains sont-ils  exclusivement  les  descendants  de 
Gètes  et  de  Daces  latinisés,  ou  bien  le  sang  des 
colons  italiens  amenés  par  Trajan  prédomine-t-il 
chez  eux  ?  Dans  quelle  proportion  se  sont  mêlés 
au  peuple  roumain  les  divers  éléments  des  popu- 
lations environnantes,  slaves  et  illyriennes  ? 
Quelle  part  ont  eue  les  Celtes  dans  la  formation 
de  la  nationalité  valaque  '?  On  ne  saurait  le  dire 
avec  certitude.  Les  vastes  plaines  que  les  Rou- 
mains habitent  aujourd'hui  avaient  été,  sinon 
'complè  ement,  du  moins  en  grande  partie  aban- 
données par  eux  au  m'-'  siècle,  lorsqu'ils  durent 
émigrer  de  l'autre  coté  du  fleuve  par  ordre  de 
l'enqiereur  Aurélien.  S'il  est  vrai  que  les  arrière- 
peiits-lils  de  ces  exilés  soient  jamais  retournés 
dans  leur  patrie,  il  quelle  époque  y  revinrent-ils 
pour  y  remplacer  les  Slaves,  les  Magyars,  les 
Petchénègues?  Quelques  écrivains  pensent  qu'il 


ROUMANIE 


1950  — 


ROUSSEAU 


n'y  eut  point  d'immigralion  nouvelle  et  que  le  ré- 
sidu des  populations  ronianisées  du  pays  suffit 
pour  rcconstituei'  peu  h  peu  la  nationalité.  Quoi 
qu'il  en  soit,  ce  petit  peuple,  dont  les  commen- 
cements sont  tellement  incertains,  a  grandi  d'une 
manière  surprenante,  puisqu'il  est  devenu  la  race 
prépondérante  sur  le  bas  Danube  et  dans  les 
Alpes  transylvaines,  et  sert  aux  populations  de 
la  péninsule  tliraco-liellénique  de  rempart  contre 
les  envahissements  de  la  Russie.  —  Encore  au 
xMi"  siècle,  la  langue  roumaine  était  tenue  pour 
un  patois,  et  les  Valaques  eux-mêmes  devaient 
parler  slave  dans  les  églises  et  devant  les  tribu- 
naux. De  nos  jours,  au  contraire,  les  patriotes 
roumains  travaillent  activement  à  purifier  leur 
idiome  de  tous  les  mots  serbes,  qui  s'y  trouvaient 
dans  la  proportion  d'un  dixième  environ,  et  des 
termes  turcs  et  grecs  introduits  dans  la  langue 
lors  de  la  domination  des  Osmanlis.  Ils  se  sont 
également  débarrassés  de  l'écriture  slave  pour 
prendre  les  caractères  français...  Il  reste  dans  la 
langue  roumaine  un  fonds  de  deux  cents  mots 
environ  qui  ne  se  retrouvent  dans  aucune  langue 
connue  et  qu'on  croit  être  un  débris  de  l'ancien 
dace  parle  avant  l'occupation  romaine.  «  (Elisée 
Reclus.) 

La  religion  des  Roumains  est,  comme  celle  des 
populations  slaves  qui  les  environnent,  la  religion 
grecque. 

On  évalue  à  9  millions  environ  le  chiffre  total 
de  la  population  de  race  roumaine  ;  mais  une 
moitié  seulement  de  cette  population  habite  les 
anciennes  Principautés  danubiennes,  aujourd'hui 
constituées  en  royaume  indépendant  de  Roumanie  ; 
les  autres  Roumains  sont  sujets  de  la  Russie,  de 
l'Autriche-Hongrie,  delà  Serbie  ou  de  la  Turquie. 
La  'Valachie  ou  pays  des  Velchos  (c'est-à-dire 
des  Latins)  forma,  à  partir  du  milieu  du  xiii''  siècle, 
un  Etat  à  part,  qui  tantùt  fut  uni  a  la  Moldavie 
ou  vassal  de  la  Hongrie,  tantôt  vécut  d'une  exis- 
tence indépendante.  En  \i<i'2,  Mahomet  II  fit  de  la 
Valachie  une  province  de  son  empire,  mais  eu  lui 
laissant  ses  princes  particuliers,  qui  portaient  le 
titre  de  hospodars  ou  de  vaucdes.  Ces  princes, 
depuis  le  xvii"  siècle,  furent  choisis  parmi  les 
Grecs  de  Constantinople.  En  1839,  le  traité  d'An- 
drinople  plaça  la  Valachie  sous  le  protectorat  de 
la  Russie.  Après  la  guerre  de  Crimée,  le  traité  de 
Paris  (1856)  remplaça  ce  protectorat  par  celui  des 
grandes  puissances,  et,  en  1859,  la  Valachie  s'unit 
avec  la  Moldavie  par  l'élection  d'Alexandre  Couza 
comme  hospodar  des  deux  principautés. 

La  Moldavie  ou  pays  de  la  Moldau  eut  pour 
premier  prince  un  chef  nommé  Bogdan,  qui  y 
régna  au  xiii'  ou  au  xiV^  siècle.  Les  descendants 
de  Bogdan  se  soumirent  aux  Turcs  au  xvi^  siècle; 
h  partir  de  ce  moment,  ce  fut  le  sultan  qui 
nomma  le  vaivode  ou  hospodar;  et  ce  dignitaire 
fut  pris,  comme  pour  la  Valachie,  parmi  les  Grecs 
phanariotes.  Aux  traités  d'Andrinople  et  de  Paris, 
la  Moldavie  suivit  le  sort  de  la  Valachie,  h  laquelle 
elle  s'unit  administrativement  en  1S5U. 

En  18(iO,  le  prince  Couza  dut  abdiquer  h  la 
suite  d'une  révolution.  11  fut  remplacé  par  le 
prince  Charles  de  Hohenzollern.  dont  l'élection 
par  le  suffrage  populaire  fut  ensuite  ratifiée  par 
le  sultan.  Les  deux  principautés  ne  formèrent 
plus  qu'un  seul  Etat  sous  le  nom  de  Houmumc, 
avec  Bucharest  (Bucuresci)  pour  capitale.  Cepen- 
dant la  Roumanie  restait  encore  rattachée  à  la 
Turquie  par  des  liens  de  vassalité:  ces  liens  furent 
rompus  après  la  guerre  russo-turque  de  1S"7,  à 
laquelle  la  Roumanie  prit  part  comme  alliée  de  la 
Russie.  Mais,  en  acquérant  sa  complète  indépen- 
dance, elle  dut  céder  à  la  Russie  la  Bessarabie, 
que  le  traité  de  I8âG  avait  réunie  à  la  Moldavie. 
En  mars  1881,  un  vote  des  Chambres  roumaines 
a  érigé  la  Roumanie  en  royaume. 


Pour  la  géographie,  V.  Tur(jiiie. 
ROUSSEAU  (Jean-Jacques).  —  Littérature 
française,  XX.  —  J.-J.  Rousseau  est  né  à  Ge- 
nève le  28  juin  1712  :  il  est  mort  à  Ermenonville, 
près  Paris,  le  3  juillet  1778.  Sa  famille  était  d'ori- 
jjinef'-ançaise:  elle  descendait  d'un  libraire  que  les 
persécu  ions  religieuses  avaient  chassé  de  France 
au  XM*  sièc'.'î.  Sa  vie  s'est  écoulée  en  partie  à  Pa- 
ris ou  aux  environs  de  Paris.  Et,  bien  qu'il  ait  tou- 
jours gardé  au  fond  du  cœur  une  vive  affection 
pour  ses  compatriotes  genevois,  la  France  peut  le 
revendiquer  tout  entier.  C'est  pour  elle  qu'il  a  écrit 
dans  un  langage  admirable  les  livres  qui  immorta- 
lisent son  nom.  Son  influence  s'est  sans  doute  éten- 
due par  delà  la  frontière  sur  la  littérature  des  peu- 
ples voisins  :  mais  on  ne  saurait  méconnaître  qu'il 
a  laissé  des  traces  profondes  de  son  génie,  soit 
comme  homme  pnlitique  dans  les  discours  et  dans 
les  actes  de  la  Révolution  française,  soit  comme 
écrivain  dans  les  oeuvres  littéraires  de  la  dernière 
partie  du  win"  siècle,  et  de  quelques-uns  de  nos 
contemporains. 

L'histoire  des  lettres  françaises  n'offre  rien  de 
plus  extraordinaire  que  la  vie  de  Jean-Jacques 
Rousseau.  Tout  est  étrange  dans  la  destinée  de  ce 
malheureux  grand  homme.  Rousseau  a  commis  de 
grandes  fautes,  surtout  dans  sa  jeunesse.  Et  il  les 
a  aggravées  encore  en  les  racontant,  non  sans 
quelque  complaisance,  dans  une  œuvre  de  sa 
vieillesse,  les  Co7ifessions.  Sans  vouloir  l'excuser, 
il  est  cependant  équitable  do  remarquer  quelle 
part  ont  eue  dans  ses  défaillances  morales  les  cir- 
constances et  les  accidents  de  sa  vie  et  surtout  le 
caractère  de  sa  première  éducation.  Il  perdit  sa 
mère  en  naissant.  Quant  à  son  père,  bourgeois 
romanesque,  artisan  cosmopolite,  il  ne  s'est  oc- 
cupé de  lui  que  pour  enflammer  son  imagination 
d'enfant  par  la  lecture  de  quelques  mauvais  ro- 
mans. Puis  il  l'abandonna,  emprisonnant  dans  la 
boutique  d'un  graveur  ce  fougueux  adolescent 
dont  il  avait  prématurément  éveillé  les  sens  et  les 
passions.  Lorsque  Rousseau,  las  de  l'apprentissage 
d'un  métier  détesté,  quitta  Genève  pour  retrouver 
son  indépendance  et  courir  librement  les  aven- 
tures, il  faut  sans  doute  le  rendre  responsable  de 
ce  coup  de  tête  qui  fut  le  point  de  départ  de  ses 
premiers  malheurs.  Mais  voyez  comme  tout  con- 
court pour  perdre  ce  noble  esprit.  Il  est  accueilli 
par  un  prêtre  fanatique  qui,  au  lieu  de  le  rendre 
à  sa  famille,  l'encourage  dans  sa  faute.  L'impru- 
dent curé  de  Pontverre  ne  se  préoccupe  que  d'ar- 
racher l'âme  du  fugitif  à  l'hérésie  genevoise,  et 
avec  de  bonnes  intentions  il  lui  rend  le  plus  mau- 
vais service  qu'un  homme  ait  jamais  reçu  do  son 
semblable,  eu  l'adressant  à  madame  de  Warens. 

Madame  de  'Warens,  plus  encore  que  Thérèse 
Levasseur,  aété  le  mauvaisgéniede  Rousseau.  Elle 
ne  sut  lui  donner  que  de  mauvais  exemples,  et 
contribua  à  développer  dans  son  âme  ce  sensua- 
lisme instinctif  dont  trop  d'actions  de  sa  vie  de- 
vaient témoigner. 

L'isolement  avait  jeté  Rousseau  dans  les  bras 
de  madame  de  Warens  :  son  humeur  inquiète  le 
poussa  bientôt  à  reprendre  à  travers  le  monde  sa 
vie  d'aventures.  Pendant  près  de  quarante  ans, 
jusqu'en  1749,  l'existence  de  Rousseau  n'a  été 
qu'une  série  d'incidents  pitoyables  ou  comiques, 
qui  rappellent  la  destinée  imaginaire  des  héros  de 
Beaumarchais  et  de  Lesage.  Tour  à  tour  ouvrier, 
laquais,  charlatan,  précepteur,  il  courait  à  dix-huit 
ans  les  boutiques  de  'î'urin  pour  y  trouver  de 
l'ouvrage  et  logeait  dans  un  grenier  pour  un  sou 
par  nuit;  plus  tard  il  se  faisait  le  valet  d'un  es- 
croc et  mendiait  avec  lui  de  porte  en  porte  des 
ofl'randes  pour  le  rétablissement  du  Saint-Sépul- 
cre ;  ailleurs  il  n'avait  pas  d'autres  ressources  que 
d'enseigner  la  musique  qu'il  ne  savait  pas  encon;  ; 
souvent  il    était  réduit  à  se  faire  recueillir  par 


ROUSSEAU 


—  1951  — 


ROUSSEAU 


des  étrangers  cliaritablos.  A  Paris  il  se  plaignait 
que  le  pain  fiU  trop  cher. 

Ce  tiui  est  digne  d'être  noté  à  l'honneur  de 
Rousseau,  c'est  <|ne,  à  travers  toutes  les  misères  et 
toutes  les  humiliations  de  sa  vie,  il  n'a  jamais 
renonce  à  son  optimisme  philosophique,  à  sa  foi 
dans  la  Providence.  Il  n'a  jamais  laissé  échapper 
une  plainte  amèrc,  comme  Job,  ou  un  éclat  de 
rire,  comme  Voltaire.  11  est  vrai  qu'i,l  prit  sa  re- 
vanche avec  la  société.  Toute  sa  mauvaise  liu- 
meur  retomba  sur  ses  semblables,  et  madame 
d'Épinay  pouvait  le  nommer  justement  le  «  roi 
des  ours  ». 

Dès  sa  jeunesse  Rousseau  était  possédé  de  ce 
besoin  de  changement  qu'il  appelait  lui-même  sa 
Il  manie  ambulante  ».  Que  de  fois  dans  le  cours  de 
sa  vie  agitée,  en  Suisse,  ou  en  Savoie,  il  rencon- 
tra l'occasion  d'un  paisible  et  durable  établisse- 
ment !  Mais  il  ne  savait  pas  se  fixer,  et,  au  moment 
où  il  semblait  s'être  fait  une  situation  définitive, 
il  s'esquivait  tout  à  coup  :  il  avait  conune  l'ins- 
tinct et  le  besoin  de  l'évasion. 

Pendant  ces  folles  années  d'adolescence,  tandis 
que  Rousseau  s'agitait,  plus  qu'il  n'agissait,  rien 
n'annonçait  encore  ce  qu'il  deviendrait  un  jour. 
Le  style  de  ses  lettres  était  incolore,  lourd,  em- 
barrassé. Une  seule  fois,  dans  une  lettre  célèbre 
h  mademoiselle  Serres,  le  talent  parait  se  révéler, 
mais  c'était  l'éloquence  facile  de  l'amour.  Dans 
la  conversation  il  était  froid  et  lourd,  i  moins 
qu'il  n'en  vînt  h  déclamer  en  s'échauffant.  Lors- 
que madame  de  Warens,  h  bout  d'e.\pédients,  le 
mit  au  séminaire,  ou  se  hâta  de  le  lui  rendre, 
comme  incapable. 

Une  qualité  cependant  se  manifestait  déjà  tout 
entière  dans  Rousseau.  Sa  sensibilité  était 
extrême.  L'enfant  qui,  maltraite  injustement, 
éprouvait  une  de  ces  rages  violentes  qu'il  a  si  bien 
décrites  dans  les  Confessions,  et  se  tordait  toute 
une  nuit  sur  son  lit  eu  criant  Cai-nifex!  caniifex! 
n'était  pas  à  coup  sûr  un  enfant  ordinaire.  «  Je 
n'avais  aucune  idée  des  choses,  que  tous  les  sen- 
timents m'étaient  déjà  connus.  Je  n'avais  rien 
conçu,  j'avais  tout  senti.  »  Une  représentation 
même  médiocre  A'Ahire  le  mettait  hors  de  lui,  et 
il  renonçait  à  voir  jouer  des  tragédies  de  peur  de 
tomber  malade. 

C'est  Cette  âme  faite  surtout  de  sensibilité  et  d'i- 
magination que  ces  Confessions  nous  font  connaî- 
tre, ces  Confessions  que  Rousseau  a  écrites  avec  le 
talent  exercé  de  sa  maturité,  mais  qui  sont  pleines 
des  sentiments  brûlants  de  ses  premières  années. 
L'amour,  il  le  ressentit  de  bonne  heure,  parfois 
avec  une  timidité  enfantine,  plus  souvent  avec  un 
emportement  fiévreux.  Mais  on  préfère  ne  pas  par- 
ler des  amours  de  Jean-Jacques. 

Il  vaut  mieux  considérer  le  sentiment  naissant 
de  Rousseau  pour  la  nature  :  sentiment  que  d'au- 
tres causes  développèrent  plus  tard,  mais  qui 
date  dé  ses  plus  jeunes  ans.  Né  au  pied  des  Alpes, 
sur  les  bords  d'un  lac  enchanteur,  ses  premiers 
regards  s'étaient  portés  sur  quelques-uns  des  plus 
beaux  paysages  de  l'univers.  De  là  une  passion  qui 
ne  s'éteignit  jamais.  Les  meilleurs  plaisirs  de  sa 
vie  furent  les  longues  courses  à  pied,  les  prome- 
nades solitaires.  Qui  ne  se  rappelle  le  tableau  dé- 
licieux qu'il  a  laissé  de  son  séjour  aux  Charmettes, 
le  chemin  à  mi-côio,  avec  la  haie  en  fleurs  par  où 
il  passait  chaque  matin  ! 

D'autres  sentiments  généreux  et  purs  germaient 
dans  sa  jeune  âme.  L'étude  de  Plutarque  lui  avait 
inspiré  le  goùl  des  vertus  républicaines  et  l'en- 
thousiasme de  la  liberté.  Le  mensonge  lui  causait 
une  véritable  horreur.  Il  avait  à  un  haut  degré  le 
sentiment  de  l'Cquité.  Plus  tard  à  la  haine  de  l'in- 
justice se  joignit  dans  son  cœur  un  implacable 
ressentiment  contre  les  oppresseurs  du  peuple.  Il 
avait  sans   doute   recueilli  lo   premier  germe  de 


cette  haine,  alors  que,  faisant  à  pied  lo  voyage  de 
Paris  à  Lyon,  il  était  entré  dans  la  cabaned'un 
pauvre  paysan  et  y  avait  trouvé,  comme  en  un  ta- 
bleau, l'abrégé  émouvant  des  misères  populaires. 

En  même  temps,  il  lisait  avec  passion,  il  se  nour- 
rissait des  poètes,  des  historiens,  des  philosophes 
de  l'antiquité  ;  il  étudiait  les  mathématiques  et 
l'astronomie.  Comme  on  l'a  dit  :  «  Cette  vie  de 
lecture  et  de  travail  coupée  par  tant  d'incidents 
romanesques  et  do  courses  aventureuses  avivait 
bien  autrement  l'imagination  qu'un  cours  régulier 
d'études  au  collège  du  Plessis.  » 

Ainsi  le  génie  littéraire  de  Rousseau  n'attendait 
qu'une  occasion  pour  se  révéler.  Cette  occasion 
lui  fut  fournie  en  1749  par  l'Académie  de  Dijon, 
qui  avait  mis  au  concours  cette  question  :  «  Le 
rétablissement  des  sciences  et  des  aiis  a-t-il  contri- 
l)Ué  à  épurer  les  mœurs  ?  »  Du  premier  coup 
Rousseau  conquit  la  gloire  et  passa  grand  homme. 
Le  succès  du  Discours  qu'il  envoya  à  l'Académie 
de  Dijon  alla  «  par-dessus  les  nues.  »  Et  cepen- 
dant le  Discours  stir  /es  sciimces  el  sur  les  arts 
n'était  qu'une  improvisation  déclamatoire.  Rous- 
seau disait  plus  tard  lui-même  :  «  C'est  une  oeuvre 
tout  au  plus  médiocre.  »  Si  l'on  y  joint  le  Discours 
sur  l'inégalité,  c'est  le  plus  faux  des  écrits  de 
Rousseau.  11  y  donna  carrière  à  tous  les  levains 
de  haine  qui  depuis  longtemps  fermentaient  dans 
son  âme,  à  toutes  les  colères  qu'il  avait  amassées 
dans  les  antichambres  de  ses  maîtres,  ou  plus  tard 
à  Paris,  dans  la  société  des  beaux-esprits  et  des 
gens  à  la  mode.  Qu'on  ne  s'étonne  donc  pas  de 
trouver  dans  le  premier  écrit  de  liou^tseau,  d'un 
homme  dont  le  nom  sera  plus  tard  Je  symbole 
même  de  la  Révolution,  des  bontadet  étranges 
contre  la  civilisation  et  le  progrès, l'éloge  de  l'igno- 
rance et  de  la  vie  sauvage.  La  civilisation  appa- 
raissait à  Rousseau  sous  la  forme  qu'elle  avait  re- 
vêtue au  xv!!!"  siècle,  c'est-à-dire  avec  sa  frivolité 
licencieuse  et  ses  raffinements  malsains.  Il  avait 
l'imagination  pleine  de  ses  lectures  de  Plutarque, 
0  son  maître  et  son  consolateur  »  ;  il  rêvait  des 
républiques  antiques,  qu'il  se  représentait  à  l'i- 
mage de  Sparte,  comme  do  petites  cités,  fières  de 
leur  pauvreté  libre,  sans  luxe,  sans  éclat,  mais 
vertueuses  et  pures.  Au  fond,  Rousseau  atta- 
quait le  XVIII'  siècle  plutôt  que  la  société  en  gé- 
néral, et  un  certain  emploi  de  la  ponsée  plutôt 
que  le  principe  même  de  la  pensée,  les  lettres 
eflféminéos  et  avilies  plutôt  que  les  lettres  elles- 
mêmes.  Et,  en  efi'et,  dans  les  écrits  qui  suivirent 
la  publication  de  son  Discours,  il  s'empressa  de 
déclarer  a  qu'il  honorait  les  grands  écrivains  »,  et 
qu'il  n'avait  prétendu  attaquer  que  les  faux  sa- 
vants et  les  mauvais  auteurs. 

Il  est  plus  difficile  de  trouver  des  excuses  au 
Discours  sur  l'iuéyaltlé  (1751).  Ici  la  thèse  est 
plus  fausse  encore,  le  paradoxe  plus  irritant. 
Enivré  par  le  succès  de  son  premier  ouvrage, 
Rousseau  se  prit  au  sérieux  dans  son  rôle  de  sau- 
vage et  do  paysan  du  Danube.  Cette  fois,  c'est 
bien  au  principe  même  de  la  société  qu'il  s'attaque. 
Tout  est  bien  au  sortir  des  mains  de  Dieu,  tout 
devient  mauvais  entre  les  mains  de  l'homme.  La 
nature  est  innocente  de  toutes  les  inégalités  qui 
existent  entre  les  hommes;  c'est  la  société  seule 
qui  en  est  responsable.  C'était  donc  le  retour  à 
l'état  sauvage  que  prêchait  Rousseau,  dans  ses  rê- 
veries bizarres  dont  Voltaire  fit  justice,  en  ba- 
fouant ce  philosophe  «  qui  voulait  qu'on  se  nour- 
rît de  glands  ». 

Quelque  jugement  sévère  que  nous  devions 
porter  aujourd'hui  sur  les  premiers  ouvrages  de 
Rousseau,  l'efTet  produit  sur  ses  contemporains 
par  celte  éloquence  paradoxale  et  enflammée 
l'ut  irrésistible.  Les  lecteurs  dont  Jean-Jacques 
choquait  et  rudoyait  les  opinions  à  chaque  page, 
n'en   furent    que  plus  ardents  à  la  lecture.  La 


ROUSSEAU 


19oi2 


ROUSSEAU 


société  attafiuée  et  outragée  sembla  ne  vouloir 
se  venger  de  son  ennemi  qu'en  le  fêtant.  Ce  fut 
dans  la  vie  de  Rousseau  un  éclair  rapide  de  gloire 
et  de  domination  intellectuelle,  entre  la  longue 
domesticité  de  son  adolescence,  et  las  tristesses  in- 
finies de  sa  vieillesse. 

Ce  qui  ajouta  à  la  renommée  naissante  de  Jean- 
Jacques,  ce  furent  ses  succès  musicaux.  Rien  ne 
profite  à  la  gloire  d'un  liomme  comme  d'associer 
de  petits  talents  à  un  grand  génie.  L'auteur  du 
Devin  du  vil/ar/e  (que  l'on  représenta  à  Fontaine- 
bleau devant  la  cour  en  no2)  devint  vite  popu- 
laire. -N'oublions  pas,  d'ailleurs,  que  Jean-Jacques, 
jusqu'à  la  fin  de  sa  vie,  a  gagné  son  pain  en  co- 
piant de  la  musique  et  qu'il  s'est  garanti  par  lit 
l'indépendance  qui  lui  était  chère. 

La  célébrité  fut  salutaire  à  Rousseau  et  lui  im- 
posa le  respect  de  lui-même.  C'est  de  cette  épo- 
que que  datent  ses  projets  de  réforme  morale.  Sans 
doute  il  ne  parvint  pas  à  se  régénérer  tout  h  fait. 
Lo  passé  ne  se  laisse  pas  effarer  d'un  trait,  au 
premier  signe  d'une  volonté  énervée  par  de  longues 
défaillances.  Il  commit  des  fautes  nouvelles,  et 
les  fautes  déjà,  accomplies  se  perpétuèrent  dans 
leurs  effets.  On  sait  comment,  dans  son  isolement 
déjeune  homme,  il  était  tombé  dans  des  liens  in- 
dignes de  lui,  en  associant  à  son  existence  une 
servante  d'auberge,  Thérèse  LevasSeur.  Il  eut,  il 
est  vrai,  le  mérite  de  la  constance,  mais  son  tort 
fut  de  ne  pas  élever  Thérèse  k  la  dignité  de 
fenmie  et  de  mère,  en  lui  laissant  ses  enfants. 
Jetons  un  voile  sur  les  faiblesses  criminelles 
d'un  homme,  enthousiaste  de  la  vertu,  mais  peu 
vertueux,  qui  a  admirablement  parlé  des  devoirs 
des  pères,  et  qui  a  envoyé  ses  fils  aux  Enfants- 
Trouvés  ! 

Du  moins  Jean-Jacques  se  réforma  sur  quelques 
points,  et  s'imposa  dans  sa  manière  de  vivre  une 
sobriété,  une  simplicité  plus  grande  encore  que  par 
le  passé.  En  même  temps  il  voulut  se  mettre  en  règle 
avec  sa  conscience,  et  fit  en  l':A  ie  voyage  de  Ge- 
nève pour  y  faire  profession  de  protestantisme.  On 
a  prétendu  que  par  cet  acte  public  de  retour  à  la 
confession  protestante  qu'il  avait  un  peu  légère- 
ment abandonnée  dans  sa  jeunesse,  Rousseau 
s'était  montré  inconséquent  avec  ses  opinions 
réelles  et  avait  trahi  ses  amis,  les  philosophes. 
Rien  n'est  plus  inexact.  Rousseau  n'avait  jamais 
cessé  d'être  chrétien,  de  cœur  et  d'esprit,  bien 
entendu,  et  non  selon  la  rigueur  du  dogme  or- 
thodoxe. Dans  son  premier  Discours,  il  prenait  i 
partie  les  écrivains  qui  sapent  les  fondements  de 
la  foi.  Un  soir,  chez  mademoiselle  Quinault,  dans 
une  réunion  nombreuse  et  brillante,  il  menaçait 
de  se  retirer,  si  l'on  continuait  i  mettre  en  ques- 
tion dev.-int  lui  l'existence  de  Dieu.  11  est  vrai  qu'il 
détestait  le  fanatisme  et  les  excès  de  dévotion  : 
mais  il  ne  détestait  pas  moins  l'incrédulité. 

Son  retour  au  protestantisnir-  n'en  fut  pas  moins 
une  rupture  éclatante  avec  d'Holbach  et  ses  amis, 
les  matéiialistes,et  même  avecVoltaire. Celui-ci  l'ac- 
cusa violemment  de  vouloir  faire  a  bande  àpart  ».Et 
en  effet  Rousseau,  par  son  opposition  au  froid 
athéisme  ou  au  scepticisme  alors  à  la  mode,  ou- 
vrait un  courant  nouveau  d'opinion  qui  ira  tout 
droit  àla  fêle  de  l'Être  Suprême,  et  même  dépas- 
sera la  pensée  de  Rousseau  pour  aboutir  au  Gcjiie 
du  christianisme. 

Dès  1754,  Rousseau  était  disposé  à  quitter  Pa- 
ris et  le  monde.  S'il  eût  trouvé  à  Genève  l'ac- 
cueil qu'il  espérait,  il  serait  peut-être  redevenu 
Genevois  pour  toujours.  Mais  ses  compatriotes 
l'accueillirent  avec  froideur.  Il  revint  •  Paris,  s'y 
dégoûta  de  plus  en  plus  des  hommes  et  des  villes, 
et  le  9  avril  1756  il  quitta  la  capitale,  pour  aller 
vivre  à  l'I'^rmitage,  dansla  vallée  de  Montmorency, 
OÙ  son  amie,  madame  d'Epinay,  lui  offrait  l'hospi- 
talité. Ce  départ  fit  scandale  dans  la  société  pari- 


sienne. Diderot,  Grimm,  les  autres  amis  de  Rous- 
seau, le  crurent  fuu  et  le  traitèrent  comme  tel.  Ils 
ne  comprirent  pas  qu'il  cédait  h  ses  instincts  de 
contemplateur  et  de  poète  plus  qu'à  tout  autre 
sentiment.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  rupture  fut  com- 
plète, irrémédiable  ;  et  le  cœur  de  Rousseau  saigna 
jusqu'à  la  mort  de  cette  blessure.  C'est  de  cette 
époque  surtout  que  date  la  misanthropie  ombra- 
geuse qui  devait  attrister  toute  la  fin  de  la  vie  de 
Rousseau.  Un  amour  malheureux  vint  encore 
aigrir  son  caractère.  Au  milieu  des  champs  et  des 
bois,  son  ànie,  qui  s'essayait  en  vain  à  devenir 
stoïcienne,  se  relâcha  et  s'amollit  de  nouveau. 
Il  était,  comme  il  l'a  dit,  ivre  d'amour  sans  oljjet.  Il 
vit  madame  d'Houdetot  :  il  l'aima. Cette  folle  passion, 
en  même  temps  qu'elle  troubla  pour  quelque  temps 
son  faible  cœur,  acheva  de  le  brouilleravec  tous  ceux 
qui  l'avaient  jusque-là  aimé  et  protégé.  Il  y  eut  des 
intrigues  et  des  querelles,  et  le  résultat  fut  que 
Rousseau,  au  milieu  de  l'hiver  de  l'ôS,  quitta 
l'Ermitage  pour  se  retirer  à  Montmorency.  Ce  fut 
un  des  moments  les  plus  tristes  d'une  vie  où  il 
y  en  eut  tant.  Il  avait  rompu  avec  tous  ses  amis. 
Il  n'avait  auprès  de  lui  que  Thérèse  Levasseur.  Il 
succomba  pendant  quelques  jours  à  un  véritable 
abattement.  Mais  heureusement  le  printemps  re- 
vint; il  recommença  avec  passion  ses  promenades; 
surtout  il  se  remit  au  travail,  et  c'est  précisément 
de  ces  jours  de  retraite  et  de  solitude  à  Montmo- 
rency que  datent  ses  œuvres  les  plus  considéra- 
bles :  la  Lettre  à  d'Alembert  sur  les  spectacles 
(17581,  \3.Nouvelle  Héloïse  (1759),  le  Contrat  social 
etrÉmj/einiiS). 

La  Lettre  sur  tes  spectacles  est  le  dernier  des  ou- 
vrages purement  agressifs  de  ftousseau  :  il  y  atta- 
quait le  théâtre,  c'est-à-dire  une  des  formes  les 
plus  brillantes  des  lettres,  un  des  divertissements 
les  plus  goûtés  de  la  société,  comme  il  avait  déjà 
attaqué  en  bloc  la  société  et  les  lettres.  Toujours 
préoccupé  de  ses  concitoyens  de  Genève,  il  crai- 
gnait que  le  théâtre,  avec  ses  plaisirs  souvent  fri- 
voles et  quelquefois  licencieux,  ne  vint  distraire 
les  Genevois  des  joies  pures  de  la  vie  de  famille. 
El  comme  sa  pensée  ne  savait  se  fixer  que  dans 
les  extrêmes,  il  allait  jusqu'à  proscrire  absoluinent 
les  spectacles  :  le  premier  des  révolutionnaires 
se  rencontrait  dans  une  doctrine  commune  avec 
le  dernier  des  Pères  de  l'Eglise.  La  Lrttre  sur  les 
spectacles  rééditait  les  jugements  sévères  de  la 
Lettre  de  Bossuet  au  P.  Caffaro. 

La  Lettre  sur  les  spectacles  est  peut-être  le  plus 
éloquent  des  écrits  de  Rouseau  ;  mais  un  pareil 
ouvrage  n'était  pas  fait  pour  lui  ramener  les  syin- 
pathies  des  littérateurs.  Voltaire  surtout,  qui  fai- 
sait du  théâtre  une  question  personnelle,  se 
montra  fort  irrité.  Il  se  lâcha  publiquement  et  ne 
garda  plus  de  mesure  dans  un  sentiment  d'hosti- 
lités qu'il  eut  le  tort  de  traduire  en  vers  médiocres 
et  en  infâmes  calomnies.  Quant  au  public,  tout  en 
admirant  la  forme  de  l'écrit  de  Rousseau,;!  s'étonna 
de  voir  le  théâtre  condamné  sans  restriction  par 
l'auteur  d'un  opéra  et  de  quelques  comédies. 

L'apparition  de  la  Nouvelle  Héloïse  ménageait 
d'autres  surprises  aux  lecteurs  de  Rousseau.  Le 
réformateur  morose  qui  s'était  rendu  célèbre  par 
ses  violentes  critiques  contre  les  écrits  relâchés, 
s'oubliait  maintenant  au  point  do  composer  un 
roman  d'amour,  et  un  roman  dangereux.  Pour  se 
justifier,  Rousseau, dans  sa  préface, faisaitvaloir  qtie 
l'amour  passionné  vaut  mieux  que  la  galanterie 
frivole.  Faire  remonter  les  mœurs  jusqu'à  l'amour, 
rev.  nir  à  la  nature,  tel  est  le  but  qu'il  prétendait 
avoir  poursuivi.  La  vérité  est  (lu'il  avait  d'abord 
suivi  sans  résistance  le  courant  de  son  imagination  : 
le*  scrupules  moraux  ne  lui  vinrent  qu'après  coup, 
et  à  la  fin  de  l'ouvrage.  Voilà  pourquoi,  dans  la  se- 
conde partie  de  la  Nouvelte  Héloïse,  il  essaye 
d'apaiser,  de  soumettre  au  devoir  les  passions  qu  il 


ROUSSEAU 


—  1953  — 


ROUSSEAU 


a  remuées  et  soulevées  dans  la  première  partie,  et 
donne  un  sermon  pliilosophiquo  pour  conclusion  à 
un  roman. 

On  a  pu  dire,  non  sans  raison,  que  la  Nouvelle 
Hclo'ùe  était  le  premier  modèle  de  Werther,  et 
Rousseau  le  maître  de  Goethe.  Prenez  les  trois  pre- 
miers livres  de  la  Nouvelle  Héluise;  achevez  lo 
roman  t  cet  endroit  ;  ôtez  à  Saint-Preux  déses- 
péré l'ami  qui  le  sauve  de  lui-même  et  de  sa  fa- 
tale résolution  ;  faites-le  moins  raisonneur  et  plus 
passionné  encore  ;  développez  dans  son  àme  cet 
amour  de  la  nature  que  Saint-Preux  ne  manifeste 
que  par  intervalles  parce  que  son  amour  est  plus 
heureux  que  celui  de  Werther  :  et  vous  aurez  à 
peu  près  le  roman  do  Ouetlie. 

Presque  en  même  temps  qu'il  composait  la 
Nouvelle  Hé/oïse,  Rousseau  mettait  la  dernière 
main  au  Contrat  social,  ce  fragment  d'un  grand 
ouvrage  politique  qu'il  n'eutjamais  le  loisir  d'ache- 
ver. Les  fanatiques  de  Jean-Jacques  présentent  vo- 
lontiers le  Contrai  social  comme  un  chef-d'œuvre 
Comparable  h  l'Esprit  des  Lois.  Il  parait  difficile 
de  souscrire  à  ce  jugement.  Rousseau  n'a  jamais 
mieux  montré  que  dans  ce  livre  combien  il  était 
incapable  de  s'élever  au-dessus  des  impressions 
généreuses,  mais  confuses,  du  sentiment.jusqu'aux 
pures  lumières  d'une  pensée  ordonnée,  maltresse 
d'elle-même.  Le  plan  du  Contrat  social  n'a  ni 
clarté  ni  rigueur.  La  rêverie,  dans  les  œuvres  de 
Rousseau,  se  mêle  toujours  à  la  réflexion.  Il  s'en 
apercevait  bien  lui-même,  et,  à  plusieurs  reprises, 
comme  s'il  avait  prévu  l'impatience  et  les  objec- 
tions de  son  lecteur,  il  le  prie  d'attendre,  de  lui 
laisser  le  temps  d'achever  sa  pensée.  «  Pour  être 
clair,  dit-il  ingénument,  il  faut  que  j'aie  tout  dit.  » 
Le  Contrat  social,  par  ses  tendances  générales, 
est  en  contradiction  formelle  avec  les  conclusions 
de  l'Emile.  Dans  son  écrit  politique,  Rousseau 
subordonne  à  l'État  tout-puissant  la  liberté  indi- 
via-aelle.  Dans  son  écrit  pédagogique,  il  cherche  au 
contraire  avant  tout  à  développer  la  conscience 
libre,  la  volonté  indépendante.  D'une  part,  il 
pousse  le  respect  de  la  personne  jusqu'à  ne  pas 
vouloir  qu'on  impose  une  religion  à  l'enfant  ; 
d'autre  part,  il  réclame  des  religions  d'État.  11 
suivait  ainsi,  un  peu  au  hasard,  les  divers  élans 
de  sa  pensée,  sans  s'inquiéter  d'aboutir  à  la  même 
conclusion. 

Il  est  inutile  d'insister  sur  les  erreurs  du  Contrat 
social.  Le  temps,  l'expérience  en  ont  fait  justice. 
On  a  dit  que  Rousseau  avait  retrouvé  les  droits 
de  l'homme,  mais  on  peut  dire  qu'à  peine  re- 
trouvés, il  s'est  empressé  de  les  reperdre  en  les 
sacrifiant  à  l'Etat.  Il  n'y  en  a  pas  moins,  dans  le 
Contrat  social,  à  côté  des  paradoxes  et  des  excès, 
de  grandes  vérités  magnifiquement  exprimées.  C'é- 
tait alors  une  hardie  nouveauté  que  d'enseigner 
auxnationsqu'elles  s'appartiennent  à  elles-mêmes. 
IVareraent  le  respect  de  la  loi  et  la  haine  du  des- 
potkme  ont  inspiré  de  plus  nobles  accents.  Il  y 
avait  a  ailleurs  du  courage  à  dire  leur  fait  à  des 
pouvoirs  arbitraires,  consacrés  par  la  vénération 
superstitieuse  de  iu,n  de  siècles.  Qui  donc  a  osé 
dire  que  Rousseau  n'étau  qu'„n  vil  flatteur  du 
peuple?  On  ne  flatte  que  les  souverains.  Et  le 
peuple  alors  n'était  rien  ;  ce  n'est  pas  lui  qui  dis- 
tribuait les  honneurs,  les  places  et  les  pensions. 
INous  n  avons  pas  à  parler  ici  de  l'Emile  (V.  l'ar- 
ticle nousseau  dans  la  I"  Pahtie),  ni  des  idées 
pédagogiques  de  Rousseau.  Disons  seulement 
que  1  Emile  est  le  chef-d'œuvre  de  son  auteur. 
Jamais  l.ousseau  n'avait  porté  plus  loin  la  perfec- 
tion de  son  style,  de  cette  prose  large,  abondante, 
colorée  qui  subjugue  le  lecteur  et  comme  un  flot 
irrésistible  entraîne  la  conviction. 

^1^?,',.^  Montmorency  que  Rousseau  avait  com- 
posé 1  £»«/e  et  le  Contrat  social,  sous  la  protec- 
tion du  maréchal  de  Luxembourg,  dont  il   était 
1'  Partie. 


devenu  l'hôte  et  l'ami.  Mais  l'influence  de  son 
protecteur  ne  put  empêcher  les  conséquences  de 
la  publication  de  ces  deux  ouvrages.  L'Emile  fut 
condamné  à  la  fois  à  Paris  et  à  Genève  et  l'auteur 
décrété  de  prise  de  corps  par  ordre  du  Parlement. 
Il  fallut  quitter  Montmorency,  et  se  dérober  par 
l'exil  à  la  persécution.  Rousseau  se  retira  sur  le 
territoire  de  Berne,  mais  il  en  fut  chassé,  puis  au 
village  de  Métiers,  près  de  Neuchâtel,  sous  la  pro- 
tection du  maréchal  Keith,  gouverneur  de  la 
principauté  pour  le  roi  de  Prusse  Frédéric  II. 

Du  fond  de  son  exil  et  au  milieu  do  tant  d'é- 
preuves, Rousseau  trouva  le  temps  de  se  défendre 
et  de  défendre  la  tolérance  et  la  justice  violées 
dans  sa  personne  et  dans  ses  écrits.  Il  faut  lire 
«a  Lettre  à  Christophe  de  lieaumont,  archevêque 
de  Paris  (1703).  Jean- Jacques  n'a  jamais  soutenu 
une  cause  aussi  complètement  juste.  Combien  sa 
dialectique  était  puissante,  quand  elle  combattait 
pour  la  vérilo  I 

Les  Lettres  de  la  lUontar/ne  (il6i)  sont  encore  un 
monument  remarquable  do  l'éloquence  de  Rous- 
seau :  elles  furent  lo  dernier  effort  de  sa  polé- 
mique. De  ce  moment  il  renonça  à  la  lutte,  il 
s'enferma  dans  ses  méditations  solitaires  et  il  no 
reprit  la  plume  que  pour  la  postérité.  C'est  pour 
elle  qu'il  composa  des  ouvrages  qui  n'ont  été  pu- 
bliés qu'après  sa  mort,  et  qui  contiennent, avec  ses 
dernières  impressions,  les  réminiscences  de  son 
passé,  et  surtout  sa  perpétuelle  apologie  :  les  Con- 
fessions, suivies  des  lie'veries  d'un  promeneur  soli- 
taire, les  Dialogues. 

Peu  à  peu  il  se  déshabitua  de  la  réflexion,  ven- 
dit sa  bibliothèque  et  vécut  de  souvenirs  et  de  re- 
grets. Une  seule  passion  survécut  toujours  :  celle 
de  la  nature,  a  Quand  je  me  sentirai  mourir,  di- 
sait-il, ô  mes  amis,  portez-moi  sous  un  chêne  et  la 
vie  reviendra.  »  Son  imagination  s'assombrissait 
de  jour  en  jour.  Sa  rupture  définitive  avec  ses  an- 
ciens amis,  les  ennuis  de  l'exil  et  de  la  pauvreté, 
les  maux  physiques,  la  bizarrerie  naturelle  d'un 
caractère  ombrageux,  mille  circonstances  encore 
contribuèrent  à  troubler  peu  à  peu  un  cerveau 
que  l'âge  affaiblissait.  Dès  1761,  à  Montmorency,  il 
avait  conçu  un  premier  projet  de  suicide.  En  1763, 
nouvelle  résolution  de  suicide.  Mais  la  santé  re- 
vint et  avec  elle  le  désir  de  vivre.  Ce  qui  ne  le 
quitta  plus,  ce  fut  l'idée  qu'un  grand  complot  était 
tramé  contre  lui.  Les  épreuves  qu'il  avait  encore 
à  subir,  les  événements  de  Mùtiers-Travers  où  il 
faillit  êtro  lapidé;  son  voyage  en  Angleterre,  et  sa 
rupture  retentissante  avec  Hume,  dont  l'esprit  froid 
ne  comprit  rien  aux  émotions  d'une  âme  délicate 
et  sensible,  aigrie  par  l'infortune;  sa  vie  vaga- 
bonde en  France,  ses  aventures  en  Dauphiné  ache- 
vèrent de  bouleverser  son  imagination.  Il  croyait 
voir  partout  des  espions  chargés  de  l'observer,  dej 
ennemis  conjurés  pour  le  perdre.  Jusqu'où,  hélas  1 
ne  poussa-t-il  pas  l'extravagance?  Il  en  vint  à 
distribuer  dans  la  rue  aux  passants  des  récla- 
mes en  faveur  de>on  innocence,  et  à  la  môme  épo- 
que, craignant  que  ses  ennemis,  qui,  disait-il,  na 
lui  laissaient  pas  d'encre  pour  écrire,  ne  fissent 
disparaître  ses  ouvrages,  il  eut  la  folia  de  les  ap- 
porter à  Notre-Dame,  pour  les  placer  sur  1  autel 
et  les  confier  à  la  garde  de  Dieu. 

Rousseau  retrouva  cependant  quelques  jours 
heureux  à  Paris  do  1770  à  1778.  Il  y  connut  Ber- 
nardin de  Saint-Pierre,  qui  devint  son  confident, 
le  compagnon  de  ses  promenades  champêtres  et 
le  consolateur  de  ses  tristesses.  Mais,  en  17  "8,  les 
souffrances  physiques  de  Rousseau  augmentèrent, 
et  il  se  décida  ^  quitte,  paris  pour  essayer  de  re- 
trouver à  la  campagne  le  repos  et  la  force.  M.  de 
Girardin  lui  ofl'rit  un  asile  dans  la  délicieuse 
vallée  d'Ermenonville.  Rousseau  n'en  jouit  que 
quelques  semaines.  Le  3  juillet  1778,  il  mourut 
subitement,  et  la  rapidité  de  sa  mort  accrédita 
123 


RUBIACEES 


—  1934  — 


RUBIACEES 


l'idéo  d'un  suicide.  Dans  le  débat  qui  s'est  engagé 
Burce  point,  la  lumière  ne  semble  pas  s'être  faite, 
et  il  n'y  a  pas  de  preuves  qui  établissent  que 
Rousseau,  après  avoir  si  éloquemment  parlé  con- 
tre lo  suicide,  dans  la  Nouvelle  Héloïse,  ait  éié 
infidèle  à  ses  principes.  D'autre  part,  il  est  permis 
de  rappeler  que  dans  sa  fameuse  lettre  Rousseau 
admettait  une  exception,  le  cas  où  la  maladie  rend 
la  vie  intolérable,  et  que,  comme  le  prouve  sa 
correspondance,  il  a  eu  il  deux  reprises  l'intention 
avouée   d'en  finir  avec  l'existence. 

C'est  après  sa  mort  surtout  que  Rousseau  a 
exercé  sur  les  intelligences  une  véritable  domina- 
tion. Les  hommes  de  la  Révolution  française  ont 
été  sur  bien  des  points  ses  disciples,  et  le  11  oc- 
tobre 1794  ses  restes,  qui  avaient  été  conservés 
dans  la  petite  île  des  Peupliers  sur  l'étang  d'Erme- 
nonville,  furent  portés  en  triomplie  au  Panthéon. 

Il  s'en  faut  cependant  que  l'accord  soit  fait  dans 
le  jugement  que  l'on  porte  sur  cette  grande  mé- 
moire. Dans  l'espace  d'un  siècle  à  quelles  vicissi- 
tudes d'opinion  n'a  point  été  soumis  le  nom  de 
Rousseau!  Tour  à  tour  exalté  ou  avili,  il  a  connu 
toutes  les  exagérations  de  l'éloge  comme  toutes  les 
duretés  de  l'injure.  Nous  ne  songeons  pas  h  re- 
nouveler pour  un  homme  faible  et  par  endroits 
méprisable  les  honneurs  d'une  apothéose  imméri- 
tée. Mais  nous  demandons  aussi  à  défendre  contre 
des  cundamnalions  iniques  et  passionnées  un 
écrivain  qui  a  honoré  la  langue  de  son  pays,  et 
TevÊtu  un  grand  nombre  d'idées  justes  de  toutes 
les  parures  d'une  éloquence  enthousiaste;  un  phi- 
losophe qui  a  soutenu  avec  cournge  et  relevé  avec 
éclat  la  cause  alors  ab.indonnée  du  spiritualisme; 
un  citoyen  qui  a  retrouvé  dans  son  cœur  les  beaux 
élans  du  patriotisme  antique;  un  malheureux  per- 
sécuté qui  a  proclamé  dans  ses  livres  et  confessé 
par  sa  vie  les  droits  sacrés  de  la  conscience  ;  un 
homme  enfin  de  riche  imagination  et  de  rare  sen- 
sibilité dont  les  défauts  ne  sauraient  faire  oublier 
les  brillantes  qualités.  Il  ne  faut  pas  que  la 
France  se  désintéresse  de  son  Rousseau  :  elle  ne 
l'oubliera  que  le  jour  où  elle  aura  désappris  les 
fiers  et  nobles  sentiments  qui  ont  remué  l'âme  de 
Jean-Jacques,  s'ils  n'ont  pas  toujours  été  la  règle 
de  sa  vie  :  l'amour  du  bien,  l'entlionsiasme  pour 
la  liberté  et  pour  la  patrie,  le  mépris  de  la  vie 
factice,  le  goût  vif  et  pur  de  la  nature  ;  le  culte  de 
la  tolérance  uni  &  l'ardeur  sincère  des  croyances 
religieuses.  _  [Gabriel  Compayré.] 

RUBIACEES.  —  Botanique,  X.XI. —  Ktym.  :  Le 
mot  Rubiacées  vient  de  Hubia,  nom  latin  d'un 
genre  de  cette  famille,  le  genre  Garance. 

Définition.  —  Les  Rubiacées  sont  caractérisées 
par  leur  corolle  gamopétale  périgyne,  leur  ovaire 
infère,  leurs  étamines  en  même  nombre  que  les 
lobes  de  la  corolle,  et  leurs  graines  pourvues  d'un 
albumen  corné,  abondant. 

Caractères  botaniques.  — Les  graines  sont  vo- 
lumineuses ;  elles  présentent  un  spermoderme 
excessivement  mince  qui  recouvre  une  masse  albu- 
mineuse  cornée,  souvent  plissée,  à  la  base  de  la- 
quelle on  remarque  un  très  petit  embryon  recti- 
ligne.  L'albumen  est  gorgé  de  matières  grasses  ; 
ces  substances  s'altérant  rapidement,  la  faculté 
germinative  des  graines  des  rubiacées  ne  persiste 
que  pendant  très  peu  de  temps.  Exceptionnelle- 
ment, certaines  de  ces  graines  germent  encore 
après  un  long  temps  de  conservation  ;  mais  bientôt 
le.5  jeunes  plantes  cessent  de  se  développer  et 
meurent  Pour  beaucoup  de  rubiacées,  il  faut  em- 
ployer, pour  conserver  leurs  graines  en  bon  Atat,  la 
méthode  des  stratiftcatlun»,  qui  consi.ste  à  établir 
des  lits  de  sable  très  légèrement  humide  et  de 
graines  fraîchement  récoltées  ;  on  superpose  ainsi 
un  grand  nombre  de  couches  de  sable  et  de  grai- 
nes. Un  conuuencement  de  germination  se  pro- 
duit,  mais  ne  tarde   pas  à  s'arrêter;    les  jeunes 


embryons  protégés  par  le  sable  qui  les  entoure 
peuvent  alors  être  transportés  et  expédiés  au  loin. 
C'est  en  cet  état  qu'on  expédie  chaque  année  en 
Belgique  les  graines  du  Cofjf'ea  mnu' il i"7iri ,  iont 
les  jeunes  plants  sont  ensuite  transportés  par 
milliers  dans  les  plantations  de  café  du  Brésil  et 
des  Antilles. 

Les  racines  des  rubiacées  sont  grêles,  très  ra- 
meuses. Certaines  d'entre  elles  sont  recherchées 
pour  les  matières  tinctoriales  qu'elles  contiennent 
(Garance)  ;  d'autres  sont  usitées  en  médecine  à 
cause  de  leurs  propriétés  émétiques  (Ipécacuanha). 

La  tiye  est  ligneuse  ou  plus  fréquemment  her- 
bacée, et  alors  quatlrangulaire  et  recouverte  au 
moins  sur  ses  angles  de  poils  raides;  parfois  ces 
poils  sont  terminés  par  un  crochet  ;  dans  ce  cas, 
ces  organes  permettent  k  la  plante  de  s'élever  en 
s'accrochant  aux  plantes  voisines. 

Les  feuilles  sont  opposées,  simples,  entières, 
toujours  stipulées  ;  le  bord  de  leur  limbe  est  or- 
dinairement garni  de  poils  raides  semblables  à 
ceux  qui  revêtent  la  tige.  Les  stipules  sont  tantôt 
petites,  simples  et  caduques  (Quinquina),  tantôt 
soudées  entre  elles  (Ipécacuanha),  ou  avec  la 
feuille,  tantôt  enfin  elles  s'accroissent  et  devien- 
nent exactement  semblables  aux  feuilles;  cette 
dernière  disposition  s'observe  chez  la  plupart  des 
Rubiacées  de  nos  pays  où  les  feuilles  paraissent 
verticillées  au  premier  abord;  dans  certaines 
d'entre  elles  les  véritables  feuilles  ne  peuvent  être 
reconnues  que  par  la  présence  des  bourgeons 
axillaires,  ces  derniers  n'existant  jamais  à  1  ais- 
selle des  stipules. 

Les  fleurs  sont  disposées  en  cymes  ou  en  pani- 
cules  ;  chacune  d'elles  présente  de  dehors  en  de- 
dans :  •       j     . 

r  Un  calice  gamosépale  à  quatre  ou  cinq  dents 
parfois  tellement  réduites  que  le  calice  semble  ne 
pas  exister;  eu 

T  Une  corolle  gamopétale  rotacée  ou  inron>ii- 
buliforme  dont  le  bord  présente  autant  ds  divi- 
sions qu'il  y  en  a  au  calice;  . 

3°  Un  androcoe  comprenant  quatre  ou  cinq  éta- 
mines i  filets  linéaires,  à  anthères  globuleuses; 
ces  étamines  sont  insérées  sur  la  gorge  de  la  co- 
rolle ;  elles  alternent  avec  les  lobes  de   celles-ci  , 

4"  Un  gynécée  composé  d'un  ovaire  biloculaire 
ou  pluriloculaire,  toujours  infère,  surmonte  d  un 
style  que  termine  un  stigmate  divise  en  autant  de 
lobes  que  l'ovaire  a  de  loges.  Dans  quelques  gen- 
res, chaque  loge  de  l'ovaire  ne  renferme  que 
deux  ovules  (Coffcacées)  ;  partout  ailleurs,  il  y  a 
plusieurs  ovules  dans  chaque  loge  (Cinclionees). 

Exceptionnellement,  comme  dans  le  genre  to- 
prosma,  les  fleurs  sont  unisexuees  par  suite  de 
Vavortementdu  gynécée  dans  les  unes  et  de  1  an- 
drocée  dans  les  autres.  „  „„„i„ 

Le  fruit  des  rubiacées  est  tantôt  une  capsule 
sèche  déhiscente,  et  tantôt  une  baie  ou  une  drupo. 

Classification  des  Rabiaoees.  -  On  divise  les 

^^^r  ti^  r  Copi^Ls,  carac...'.sée  par  la 
prisence'de  deux  ovules  d.ns  ^^que  Uige  de  l  o- 

:z^è  %^"i^^^o^:rcepn.iis,  Mcnotna, 

^l^La  t'^itXr-CiNCHONÉBS,  caractérisée  parla 
orésence  de  plusieurs  ovules  dans  chaque  logo 
Srf'ovafre  Se's  principaux  genres  sont  :  Buuvar- 
dia.  Cinclion:  i,Qmnquina),  ^«if 'l'^,;^  ,,^^^^^ 
Usaoes  des  Rubiacées.  —  1"  La  (jaiance  (nuvia 
TJf.eTu-n)  -  La  racine  de  la  Gara.ce  renferme 
un'  pnncte  colorant  ro'.ge  .d'utietres^  grande 
fixité  QUe  l'on  nomme  ahzurtne.—  \.  Loioi unies 
UVaM.  -Cette  plante  est  cultivée  aux  envi- 
mfsd  Avignon  et  en  Alsace;  mais  les  racities  de 
garance  les  plus  estimées  viennent  de  1  Afrique, 
de  nie  de  Chypre,  de  l'Orient. 


IIUBIACÉES 


—  1955  — 


RUBIACÉES 


La  garancR,  donnco  aux  animaux  comme  ali- 
ment, teint  leurs  os  on  rouge  ;  on  peut  ainsi,  en 
administrant  de  la  garance  à  un  animal  à  diffé- 
rentes 6pO(iues  de  sa  vie,  provoquer  sur  ses  os 
<les  couches  concentriques  alternativement  rouges 
et  blanches. 

Les  racines  d'un  certain  nombre  d'autres  ru- 
biacées  renferment  aussi  une  certaine  quantité 
d'alizarine  et  peuvent,  au  besoin,  remplacer  la 
garance  dans  leurs  pays  d'origine.  Ce  sont  :  les 
Rubia  nnguntifolia,  H.  longifidia,  R.  peregrhui, 
R.  lu'idi,  qui  sont  européennes  ;  le  Ruina  mun- 
jista,  qui  est  originaire  de  l'Inde,  le  Huhia  Chi- 
lensis,  originaire  du  Chili,  et  le  Riihia  Guadalii- 
pensis,  des  Antilles.  Nous  citerons  encore  le 
Ouiiiim  vpriim  et  le  (in/ium  Molliig",  qui  crois- 
sent en  Europe,  et  VOldenlandia  umbeUata,  que 
l'on  cultive  sur  la  côte  de  Coromandel  sous  le 
nom  de  Chaij'i-vair.  Toutefois,  comme  ces  raci- 
nes renferment  moins  d'alizarine  que  celle  de  la 
garance,  elles  sont  peu  employées,  d'autant  plus 
que  l'aniline  ot  les  couleurs  qui  en  dérivent  ont 
à  peu  près  complètement  remplacé  l'alizarine 
dans  l'industrie  des  teintures. 

2°  Le  Galium  luteum  ou  Caille-lait  jnime 
sert  à  colorer  en  jaune  les  fromages  de  Chester. 
Les  infusions  de  Gnlium  hdexun  sont  administrées 
comme  antispasmodiques. 

3°  h'Ip^cttciKinlia  (Cephselis  Ipecacuanha)  est 
un  arbrisseau  qui  croit  dans  les  forêts  vierges  du 
Brésil  et  dont  la  racine  est  un  vomitif  puissant. 
Cette  racine  est  annelée  et  de  la  grosseur  d'une 
plume  h  écrire.  Dès  l'année  10^2,  on  la  trouve 
usitée  en  pliarmacie  sous  le  nom  de  béconqnille 
ou  àe  mine  d'or.  V,n  lUDO,  Louis  XIV  acheta  aux 
Anglais  le  secret  de  l'ipécacuanha  Tout  l'ipéca- 
cuanha  du  commerce  vient  du  Brésil  et  de  la 
Nouvelle-Grenade.  On  vend  encore  sous  le  nom 
d'ipécacuanha  les  racines  de  deux  autres  rubia- 
cées  brésiliennes  :  ce  sont  celleë  du  P.-i/chotrin 
emetiça,  reconnaissables  à  leurs  stries,  et  celles 
du  Richai'dso  lia  brasiliensis ,  qui  sont  ondulées. 
Ces  racines  sont  en  effet  éméliques,  mais  à  un 
moindre  degré  que  celle  de  l'ipécacuanha.  Les 
autres  racines  que  l'on  a  voulu  substituer  à  l'ipéca- 
cuanha (et  avec  lesquelles  on  le  falsifie),  mais  que 
l'on  doit  rejeter  comme  étant  d'un  emploi  dan- 
gereux, sont  fournies  surtout  par  des  Euphorbia- 
cées  et  des  Asclépiadées. 

4°  La  racine  de  Caïiica  est  employée  en  Améri- 
que contre  la  morsure  des  serpents  venimeux; 
cette  racine  appariient  au  Cbiococca  anuuifa  du 
Brésil.  ^    ' 

b°  Le  Caféier  {Coffea  arabica)  est  un  arbuste 
toujours  vert,  origijialre  de  l'Abyssinie  ;  on  l'a 
transporté  en  Arabie  où  il  a  très  bien  réussi  ; 
c'est  lui  qui  fournit  le  café  m  ka  du  com- 
merce. De  l'Arabie,  on  l'a  transporté  aux  îles  Mas- 
Cireignes  et  aux  Antilles.  Dans  ces  dernières  lo- 
caliiSs,  on  le  greffe  d'ordinaire  sur  le  Coffea 
mawith.nu  ou  Caféier  de  Vile  Maurice.  Co  caféier 
se  distingue  du  caféier  d'Arabie  par  ses  fruits  et 
ses  graines.  On  sau  on  effet  que  les  graines  du 
caféier  d  Arabie,  qui  sont  au  nombre  de  deux 
dans  chaque  fruit,  sont  aplaties  sur  leur  face 
ventrale,  et  arrondies  sur  leur  face  dorsale  ; 
le  fruit  qui  les  contient  est  une  baie  arrondie.  Les 
baies  du  caféier  de  l'île  Maurice  sont  au  contraire 
allongées  et  terminées  en  pointe  ;  les  deux  grai- 
nés  que  chacune  d'elles  contient  sont  également 
allongées  et  terminées  à  leur  extrémité  par  une 
sorte  do  corne.  Ce  caféier  est  originaire  des  îles 
Mascareignes  ;  on  a  dû  transporter  ses  graines 
aux  Anulles,  ce  que  l'on  a  fait  au  moyen  de  la 
méthode  des  stratifications  (V.  plus  haut). 

6" Les  Quinquinas  (genreCmc/(rafl).— Les  quin- 
quinas sont  dos  arbres  élevés  toujours  verts,  qui 
croissent  dans  l'Amérique  du  Sud  sur  les  flancs  de 


la  Cordillière  des  Andes,  entre  le  10*  degré  de 
latitude  nord  et  le  19»  degré  de  latitude  sud,  à 
une  altitude  moyenne  de  1500  à,  2100  mètres, 
mais  qui  peuvent  descendre  jusqu'à  1000  mètres 
au-dessus  du  niveau  de  la  mer,  dans  les  régions 
les  plus  froides,  et  remonter  jusqu'à  3000  mètres 
dans  les  régions  les  plus  chaudes.  Toutefois  les 
quinquinas  qui  habitent  à  ces  hauteurs  extrêmes 
ne  sont  plus  que  des  arbustes  plus  ou  moins  ra- 
bougris, comme  toutes  les  plantes  qui  avoisinent 
la  région  des  neiges  olernelles.  Les  fliiurs  des 
quinquinas  sont  blanches,  roses  ou  pourprées,  et 
d'une  odeur  agréable  ;  leur  fruit  est  une  capsule 
à  deux  loges  renfermant  des  graines  ailées. 

La  médecine  uiilise  seulement  l'écorce  du  tronc 
et  des  branches,  à  cause  de  sa  richesse  en  alca- 
loïdes, surtout  en  sulfate  de  quinine  et  sulfate  de 
cinchonine  (V.  Pui^îî^na)  ;  depuis  quelque  temps 
cependant  on  commence  à  employer  aussi  l'écorce 
des  racines,  q  le  l'on  a  trouvée  dans  quelques  cas 
plus  riche  même  que  celle  du  tronc. 

L'écorce  de  quinquina  réduite  en  poudre  fut  !n- 
troduite  en  Europe  en  1036  par  la  comtesse  d'El 
Cinchon,  femme  du  vice-roi  du  Pérou  (c'est  de 
son  nom  que  l'arbre  qui  produit  l'écorce  de  quin- 
quina a  été  nommé  Cincliona).  Jusqu'en  1679,  on 
appela  la  poudre  de  quinquina  poudre  de  la 
comtesse,  poudre  des  jésuites,  mais  sans  connaître 
son  origine;  à  cette  époque,  Louis  XIV  acheta  la 
secret  du  quinquina.  En  1737,  La  Condamine,  en- 
voyé au  Pérou  avec  Gudin  et  Bouguer  pour  mesu- 
rer un  arc  de  méridien,  fut  spécialement  chargé 
de  découvrir  l'arbre  h  quinquina;  le  premier,  en 
1738,  il  rapporta  en  Europe  un  dessin  .l'un  Cin- 
chona  et  des  échantillons  de  ses  branches,  de  ses 
fleurs  et  de  ses  graines.  Ce  Coichona,  observé 
aux  environs  de  Loxa,  reçut  le  nom  de  Cinchona 
officinalif  ou  La  Condmniiwa.  Joseph  de  Jussieu, 
qui  avait  accompagné  La  Condamine,  ne  revint  en 
Europe  qu'en  1771  ;  mais,  comme  il  était  mourant, 
il  ne  put  publier  ses  découvertes.  De  1776  à  1799, 
plusieurs  explorateurs  parcoururent  les  Andes  du 
Pérou  et  firent  connaître  les  autres  espèces  de 
quinquina.  Les  quinquinas  de  la  Bolivie  ne  furent 
connus  qu'en  l8i8. 

L'exploitation  des  quinquinas  se  fait  de  la  ma- 
nière suivante  :  Une  société  d'entrepreneurs  a  à  son 
service  un  certain  nombre  de  cascarilleros  (écor- 
ceurs)  qui  sont  envoyé';  dans  les  forêts  à  la  recher- 
che des  quinquinas.  Quand  ils  ont  découvert  un 
arbre,  ils  l'abattent,  le  décortiquent,  découpent  l'é- 
corce et  la  font  sécher  au  soleil  ;  l'écorce  du  tronc 
et  des  plus  grosses  branches  est  mise  sous  presse 
de  façon  à  rester  plate,  celle  des  petites  branches 
s'enroule  sur  elle-même  en  séchant  et  prend  l'as- 
pect de  tubes.  Leur  travail  terminé,  les  cascaril- 
leros mettent  leur  écorce  en  ballots  qu  ils  portent 
au  mnjord'ime  chargé  de  les  surveiller  et  qui  est 
ordinairement  établi  à  l'entrée  de  la  forêt.  Il 
est  facile  du  comprendre  que  cette  façon  de  pro- 
céder a  comme  résultat  de  détruire  les  quinqui- 
nas ;  aussi  les  espèces  qui  ont  été  exploitées  les 
premières  deviennent  de  plus  en  plus  rares  ; 
quelques-unes  même  ont  disparu  complètement 
du  commerce. 

Nous  citerons  quelques-unes  des  espèces  les 
plus  estimées. 

Les  premiers  quinquinas  exploités,  ceux  que  les 
premiers  explorateurs  avaient  désignés  comme  les 
seuls  efficaces,  sont  les  quinquinas  des  environs 
de  Loxa  et  de  Jaen  (République  de  l'Equateur), 
qui  sont  expédiés  en  Europe  par  Is  port  de  Payta. 
Us  appartiennent  au  Cinchona  officinalis  et  aux 
espèces  voisines;  leur  écorce  est  en  effet  riche  en 
quinine,   mais  ils  sont  de  plus  en  plus  rares. 

Au  nord  de  la  région  de  Loxa,  entre  le  Chimbo- 
razo  et  l'Assnay,  on  exploite  le  Cinchonn  snccirxt- 
bra,  dont  l'écorce  nous  est  expédiée  par  Guaya- 


RUMINANTS 


—  1956  — 


RUMINANTS 


quil  sous  le  nom  de  quinquina  rouge;  c'est  une 
des  écorces  des  plus  riches  en  sulfate  de  quinine 
et  sulfate  de  cinchonine;  malheureusement, 
comme  elle  commence  aussi  i.  devenir  rare,  elle 
est  d'un  prix  très  élevé. 

Le  port  de  Callao  nous  expédie  les  écorces  des 
quinquinas  des  environs  de  Lima  et  de  Huanuco  ; 
ce  sont  des  quinquinas  gris  et  des  quinquinas 
jaunes  où  la  cinchonine  se  trouve  en  plus  grande 
proportion  que  la  quinine.  Ces  écorces  provien- 
nent en  majeure  partie  des  Cinchona  nitida, 
C.  peruviana,  C.  micrantha. 

Les  ports  de  Sainte-Marthe  et  de  Savanilla 
expédient  en  Europe  les  quinquinas  de  la  Nouvelle- 
Grenade  ;  ce  sont  des  quinquinas  jaunes  de  fort 
bonne  qualité,  riches  en  quinine.  Ils  proviennent 
en  majeure  partie  du  Cinchona  Pilayensis. 

Enfin,  une  des  espèces  les  plus  recherchées 
aujourd'hui  est  le  Cinchona  Calisai/a  de  la  Bo- 
livie, parce  que  c'est  un  des  plus  riches  on  sul- 
fate de  quinine  ;  mais  il  ne  renferme  presque 
pas  de  cinchonine.  Son  écorce  nous  est  expédiée 
par  le  port  d'Arica. 

Le  Cinchona  eltiptica,  de  la  province  de  Cara- 
baya  au  sud  du  Pérou,  est  presque  aussi  riche 
en  quinine  que  le  Calisaya  ;  aussi  remplace-t-il 
ce  dernier  pour  la  préparation  du  sulfate  de 
quinine. 

Les  écorces  qui  ne  renferment  pas  d  alcaloïdes 
sont  désignées  dans  le  commerce  sous  le  nom 
de  cascarilles. 

L'Europe   s'est   émue   de    la    disparition    des 
quinquinas  d'Amérique,  et   dès   l'année  1852  les 
Hollandais  et  les  Anglais  ont  essayé  d'acclimater 
les  espèces  officinales  de  quinquinas  dans  leurs 
colonies.    Les  plantations  de  quinquinas  faites  à 
Java  ne  réussirent  pas  tout  d'abord,  parce  qu'el- 
les étaient  ii  une  altitude  trop  basse,  et  par  con- 
séquent dans  une  région   trop  chaude;  on    dut 
transplanter  tous    les    arbres  dans   une    région 
plus  élevée  où   ils   réussissent  à  merveille.  En 
1871,   il   y   avait  h.  Java  près  do  un   million  et  \ 
demi  de    pieds  de  quinquinas,  sur   lesquels   le  ; 
Cinchona  Calisai/a  était  en  majorité  ;  on  y  coinp-  ] 
tait  près  de  quatre  mille  pieds  de  C.  succirubra. 

Les  plantations  de  quinquinas  ne  purent  être  , 
établies  dans  l'Inde  par  les  Anglais  qu'après 
plusieurs  essais  infructueux  ;  tous  les  jeunes 
pieds  que  l'on  essaya  de  transporter  du  Pérou 
dans  l'Inde  périrent  en  route.  Alors  on  trans- 
porta des  graines  qu'on  fit  germer  au  jardin 
d'Oatakamund  ;  ces  graines  levèrent  parfaite- 
ment. On  renouvela  l'essai  pour  les  graines  du 
C.  succinihra,  et  pour  celles  du  C.  La  Conda- 
minea  et  du  C.  Calisaya.  Tous  les  serais  ont 
réussi;  aujourd'hui,  plusieurs  régions  anglaises 
de  l'Inde  sont  couvertes  de  quinquinas.  Ce  sont 
les  montagnes  de  Neilgherries  (cote  de  Malabar), 
le  Bengale,  le  Sikhin  au  pied  de  l'Himalaya,  et 
nie  de  Ceylan.  En  outre,  le  gouvernement  anglais 
a  donné  de  jeunes  plants  à  beaucoup  de  particu- 
liers qui  les  cultivent  avec  l'espoir  d'en  faire  un 
jour  le  commerce.  Non  seulement  toutes  ces 
plantations  sont  prospères,  mais  en  outre  M.  de 
Vry  a  découvert  qu'en  entourant  le  tronc  des 
arbres  de  mousse,  pendant  un  certain  temps,  on 
double  la  quantité  d'alcaloïdes  contenue  dans  les 
écorces.  [C.-E.  Bertrand.] 

RUMINANTS.  —  Zoologie,  XI.  —  Les  Mam- 
mirtres  que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  Humi- 
nants  sont  ainsi  appelés  parce  qu'ils  jouissent  de 
la  faculté  de  ruminer,  c'est-à-dire  de  ramener  dans 
leur  bouclie  les  aliments  préalablement  ingérés 
afin  de  les  mâcher  et  de  les  imbiber  de  salive.  Ils  ont 
un  régime  essentiellement  herbivore  ;  aussi  possè- 
dent-ils des  dents  molaires  très  larges  dont  la 
couronne  s'use  en  double  croissant,  tandis  qu'ils 
sont  ordinairement    privés  de  canines  ou   même 


1  d'incisives  à  la  mâchoire  supérieure.  Leur  tuba 
'  digestif  ofi're  une  assez  grande  complication  ;  en 
effet,  au  lieu  de  l'estomac  unique  qui  existe  chez 
l'homme  et  chez  tous  les  Mammifères  supérieurs, 
il  y  a  plusieurs  poches  qui  reçoivent  les  noms 
àe  panse,  de  bonnet,  de  feuillet,  de  caillette,  et 
1  qui  jouent  chacune  un  rôle  distinct  dans  le  phé- 
nomène de  la  digestion. 

Les  Ruminants,  pour  la  plupart,  sont  onguligra- 
des ■  en  d'autres  termes,  ils  marchent  sur  1  extrô- 
mité  des  doigts,  ou  pour  parler  plus  exactement,, 
sur  l'extrémité  du  troisième  et  du  quatrième  doigt, 
qui  se  terminent  chacun  par  un  sabot,  tandis  qua- 
le  deuxième  et  le  cinquième  doigt  ne  touchent 
pas  le  sol  et  sont  rejetés  en  arrière,  sous  forme 
de  stylets,  et  que  le  cinquième  doigt  est  complète- 
ment atrophié.  ^  ,  .  „ 
Une  disposition  analogue  se  rencontre  cnez  les 
Porcins  *,  que  l'on  a  quelquefois  associés  â  la 
grande  majorité  des  Ruminants  pour  constituer 
Tordre  des  Bisulques,  c'est-à-dire  des  Mammi- 
fères à  pieds  fourchus.  Toutefois  il  est  aussi  des 
Ruminants  qui,  dans  la  marche,  posent  sur  la 
terre  non  plus  l'extrémité,  mais  la  totalité  des 
doigts,  qui  sont  phalung, grades,  comme  on  dit 
en  loologie.  Tels  sont  les  Chameaux  et  les  Lamas. 
qui  diffèrent  d'ailleurs  des  Ruminants  ordinaires 
et  de  tous  les  autres  Mammifères  par  une  particu- 
larité histologique  fort  ■•?™='^q"=''^'<=\''^,'„,^l°7'n'  1 
sanguins  qui  cheminent  dans  leurs  artères  et  dans 
leurs  veines  n'étant  plus  circulaires  "^^mf^: 
tant  une  forme  elliptique,  comme  les  globules 
sanguins  des  Oiseaux.  Se  fondant  sur  cette  par- 
ticularité, ainsi  que  sur  l'absence  de  co^^es  et  sur 
la  disposition  du  système  dentaire  et  du  tube 
digestif  chez  les  Chameaux  et  les  Lamas,  plusieurs 


naturalistes  ont  complètement  sépare  ces  ani- 
maux des  Ruminants  ordinaires,  de  même  qu  ils 
ont  créé  un  groupe  particulier  en  faveur  des 
Chevrotains.  cis  derniers,  en  effet,  sont  pr.vos  d_9 
cornes;  ils  se  rapprochent  un  P«f,  «^^^^^^f""! 
(V  Porcins]  par  leur  squelette;  ils  n  ont  que 
rois  pochei  ^tomachales'et  ils  .0"'  ""  «^^^f //, 
développement  différent  de  celui  des  Bœufs  des- 
Moutons,  etc.  Si  l'on  .adopte  cette  manière  de 
voir,  on  est  conduit  à  démembrer  1  f""""  "^Pf^ 
des  Ruminants,  tel  que  le  concevait  G.  Cuvier, 
1  pour  former  à  ses  dépens  trois  «■'dres  d'.s  "^cu 
h^-SXi;r^^j;Sk^""càe4o^ns 

°\IrpX:^:NS  à  leur  tour  peuvent  ét^ partagés- 
en  deux  grandes  catégories  :  les  »  e'^o^e"*  t 
cornes  perlistantes  et  les  Péconens  à  cornes  ca 
dunues.  En  effet  les  appendices  1"' souNent  dans 
ipVdpux  spxes  ou  tout  au  moins  chez  les  maies, 
urmontenUa  'région  frontale,  tantôt  son^  intime^ 
ment  soudés  à  l'os  sous-jacent  et  subs.sten  pa^ 
conséquent  pendant  ,toute  l^^^  "'^«"bri^és  Var  un 
l'animal,  à  moins  qu  ils  ne  soie,  t  brisOs  P 
choc  OU  par  quelque  autre  acçide  U  *.ntOt ^.^^., 
pour    ainsi  dire,    surajoutes    e»  ^^.^^^^^^ 

quement  POur  être  remp.»^«^^^         ^^  ,„, 

par  des  aPP'="d'^'^^  ?'";  J"      '  ^^^  appendices  sont 

mineux.  »f^^'^, .''','„'?   Js'desco.«e.,  tandis  que 
plus  spécialement  appe  es  aes.^^   ^^^ 

dans  le  second  ils   sont   gène  ^^^^^[e^     1 

riire  recouvertes  par  la  peau,  ou  des  cornes  i,.^ 
ses    c^est"ldire   ormôes  d'un  axe  osseux  et  d  un 
étui   corne"    Enfin  l'axe  de  la  corne,   la  cliev  1  le. 
onimron  dit  vulgairement,  peut  être  à  soi    ou 

r^^n^r^eUr-S^^è^rgosi^^n 
existe  chez  tous  nos  Ruminants  domestiques,  chez 


RUMINANTS 


—  1957  — 


RUMINANTS 


Iles  Boeufs,  les  Chèvres  et  les  Moutons  ;  l'autre  au 
contraire  peut  être  observée  chez  les  Antilopes, 
et  les  cornes  velues  ne  se  rencontrent  que  chez  les 
'Girafes,  qui  se  reconnaissent  d'ailleurs  facilement 
à  leur  tête  petite,  portée  sur  un  cou  démesu- 
rément allongé  et  à  leurs  pattes  antérieures  no- 
tablement plus  hautes  que  les  postérieures. 

Les  Girales,  dont  nous  parlerons  d'abord,  con- 
stituent pour  les  naturalistes  le  genre  Camelo- 
pardalis  et  la  famille  des  Camelupm-dalidis  ou 
■des  Girafidés.  Ces  animaux  ont  une  physio- 
nomie et  des  allures  tellement  étranges  qu'ils 
méritent  d'occuper  une  place  tout  à  fait  à  part 
dans  la  série  des  Pécoriens.  Leur  tète  fine  et 
pointue  est  surmontée  de  petites  cornes  qui  se 
soudent  de  bonne  heure  avec  l'os  frontal  et  qui 
ne  se  dépouillent  jamais  de  leur  revêtement  cu- 
tané ;  elle  porte  en  outre,  sur  le  chanfrein,  un 
troisième  prolongement,  de  même  nature  que  les 
précédents,  mais  plus  large  et  moins  saillant,  et 
se  termine  inférieurement  par  un  mufle  aux 
•lèvres  extrêmement  mobiles.  La  longueur  du  cou 
est  telle  que  la  tête  est  perchée  à  6  mètres  en- 
viron au-dessus  du  sol,  de  sorte  que  pour  boire 
ou  pour  brouter  le  gazon  l'animal  est  obligé  d'é- 
carter fortement  les  jambes.  Du  reste  ce  n'est  pas 
d'ordinaire  sur  la  terre  que  la  Girafe  cherche  sa 
nourriture;  elle  dévore  principalement  les  feuilles 
et  les  jeunes  pousses  des  mimosas  et  d'autres 
arbustes  de  l'Afrique  tropicale,  dont  elle  atteint 
facilement  les  plus  hautes  branches.  Par  suite  de 
la  disproportion  qui  existe  entre  les  deux  paires  de 
membres,  la  ligne  du  dos  est,  chez  la  Girafe,  for- 
tement inclinée  en  arrière,  et  rétablit  l'aplomb  du 
corps  compromis  par  l'allongement  de  la  région 
•cervicale  ;  enfin,  comme  pour  augmenter  encore 
l'étrangeté  de  ce  type  zoologique,  la  nature  a  donné 
&  son  pelage  un  système  de  coloration  qui  ne 
se  rencontre  guère  que  chez  les  Carnassiers  ;  elle 
a  marqué  sa  robe  jaunâtre  de  larges  taches  angu- 
leuses d'un  brun  roux,  assez  semblables  à  celles 
qui  existent  sur  la  robe  des  Léopards,  et  c'est  ce 
mode  d'ornementation  qui  a  valu  i.  la  Girafe  le 
nom  latin  de  Cameloijardalis  (Chameau-Léopard). 
Les  Girafes  habitent  l'Afrique  tropicale  et  méri- 
dionale, depuis  le  sud  du  Sahara  jusqu'au  fleuve 
Orange,  et  se  trouvent  ordinairement  sur  la  limite 
■des  forêts  qui  bordent  les  déserts.  Elles  appar- 
tiennent toutes  à  une  seule  espèce,  Cat7iel-/par- 
dalis  giraffa,  qui  était  déjà  connue  des  anciens 
et  qui  se  trouve  représentée  maintenant  par  quel- 
ques individus  vivants  dans  la  plupart  des  jardins 
zoologiques  de  l'Europe. 

Les  Ruminants  qui  composent  le  groupe  des 
Bœufs  ou  la  famille  des  Bovidés  ont  des  formes 
lourdes,  des  allures  pesantes;  leur  corps  est  mas- 
sif et  porté  sur  des  jambes  robustes  ;  leur  tête 
puissante  se  termine  inférieurement  par  un  mu- 
fle épais  et  se  trouve  surmontée  de  cornes  qui  se 
dirigent  d'abord  en  dehors,  puis  se  recourbent  en 
haut  et  en  avant  ;  et  leur  cou  présente  inférieu- 
rement un  large  repli  ou  fanon  constitué  par  une 
peau  lâche  et  tombante.  Ils  sont  tous  herbivores 
et  se  tiennent  de  préférence  dans  les  plaines.  Les 
Bœufs  ordinaires,  les  Bisons,  les  Buffles,  les 
"i'acks  et  les  Bœufs  musqués  appartiennent  à  cette 
division. 

Chacun  sait  que  nos  Bœufs  domestiques  se  sont 
prop.igés  dans  les  quatre  parties  du  monde  et 
ijuf,  dans  les  parages  de  l'Amérique  du  Sud,  ils 
sont  même  retournés  en  partie  à  la  vie  sauvage. 
Suivant  les  localités  ils  offrentdans  les  proportions 
du  corps,  dans  la  forme  des  cornes,  dans  la  cou- 
leur du  pelage,  des  différences  telles  qu'on  ne 
comprend  pas  comment  tous  ces  types  divers  ont 
pu  dériver  d'une  seule  et  même  souche.  Il  est 
probable  cependant  que  tous  les  bœufs  à  longues 
cornes  ou  sans  cornes,  à  pelage  uniforme  ou  ba- 


riolé, à  dos  lisse  ou  surmonté  d'une  bosse  (Z^iw), 
ont  pour  ancêtre  commun  quelque  Bœuf  qui  se 
trouvait  jadis  en  Europe  ou  en  Asie  à  l'état  sau- 
vage. Mais  quel  est  ce  Bœuf?  c'est  ce  qui  n'est  pas 
encore  bien  établi.  Pour  quelques  auteurs  c'est 
une  espèce  éteinte,  pour  d'autres  c'est  l'Aurochs, 
dont  quelques  représentants  vivent  encore  dans 
les  forêts  de  la  Lithuanie.  Cet  Aurochs  lui-même 
a  de  grands  rapports  avec  le  Bison  (Bos  nmerica- 
n!«),quo  l'on  voit  dans  nos  ménageries,  et  qui  a  la 
tête  et  la  partie  antérieure  du  corps  revêtues  d'une 
épaisse  toison.  Autrefois,  avant  l'arrivée  des  Eu- 
ropéens, d'immenses  troupeaux  de  Bisons  peu- 
plaient les  grandes  prairies  de  l'Amérique  du  Nord  ; 
mais  ces  animaux  ont  eu  le  sort  des  peuplades 
indiennes,  ils  ont  été  refoulés  et  en  grande  partie 
anéantis  par  le  flot  montant  de  la  civilisation. 

Les  Buffles  [Bos  hubalus,  Bos  enfer,  etc.),  qui 
se  reconnaissent  à  leur  front  bombé,  â  leurs  cor- 
nes plus  oumoinsprismatiques,  à  leur  pelage  dur, 
peu  fourni,  tirant  fortement  au  noir,  habitent  les 
parties  chaudes  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  et  se  sont 
répandus  dans  le  midi  de  l'Europe,  en  Grèce  et 
en  Italie. 

Les  Yacks  se  distinguent  par  leur  queue  garnie 
de  crins  aussi  longs  et  aussi  lustrés  que  ceux  d'un 
cheval,  et  parleur  dos  et  leurs  flancs  revêtus  d'un 
ample  manteau  de  poils  tombant  jusqu'à  mi-jam- 
bes. Ils  sont  originaires  des  luontagnes  du  Tibet 
et  ont  été  successivement  introduits  en  Tartarie  et 
en  Chine.  Leur  voix  est  une  sorte  de  grognement 
sonore  ;  c'est  ce  qui  leur  a  valu  le  nom  spécifique 
de  Bos  gruniens.  Les  étendards  que  les  pachas 
orientaux  font  porter  devant  eux  pour  marquer 
leur  dignité  sont  ordinairement  faits  avec  de» 
queues  de  Yacks. 

Enfin,  dans  le  voisinage  du  cercle  polaire,  en 
Amérique,  vit  ie  Bœuf  musqué  {Uvibos  moschatus), 
ainsi  nommé  à  cause  de  l'odeur  dont  son  pelage 
et  sa  chair  sont  imprégnés.  Il  a  le  museau  garni 
de  poils,  les  cornes  très  larges  et  très  rappro- 
chées à  la  base,  puis  descendantes  et  relevées 
ensuite  à  la  pointe,  le  corps  bas  sur  pattes  et 
couvert  de  poils  laineux. 

Une  autre  famille  de  Ruminants  à  cornes  creu- 
ses, celle  des  Ooidés,  est  constituée  par  les  Mou- 
tons, qui  ont  le  nez  busqué  et  les  cornes  ridées, 
annelées,  rejetées  d'abord  en  arrière,  puis  ra- 
menées en  avant,  en  spirale.  Elle  compte  parmi 
ses  représentants  actuels  un  assez  grand  nombre 
d'espèces  sauvages,  telles  que  le  Mouflon  commun 
{Musimon  inusmou) ,  qui  vit  dans  les  montagnes 
de  la  Corse  et  de  la  Sardaigne,  le  Mouflon  de 
montagne  {Musimon  montanus),  qui  est  originaire 
des  Montagnes  Rocheuses,  le  Mouflon  à  manchet- 
tes {Musimon  trayelaphus),  qui  se  trouve  on  Afri- 
que, dansl'Aurès,  et  dont  la  ménagerie  du  Jardin 
des  Plantes  possède  un  véritable  troupeau,  l'Ar- 
gali  (Musimon  aigali),  que  l'on  prend  on  Sibérie  et 
au  Kamtchatka  et  qui  est  de  la  taille  d'un  âne, 
etc.  Par  leurs  formes  robustes,  leurs  cornes  voln- 
luineuses,  leur  pelage  rude  et  peu  fourni,  sauf  à  la 
partie  inférieure  du  cou,  d'où  pend  une  sorte  de 
crinière,  ces  Moutons  sauvages  diffèrent  beau- 
coup au  premier  abord  de  nos  Moutons  domesti- 
ques, et  cependant,  suivant  toute  vraisemblance, 
ces  derniers  sont  dérivés  d'une  espèce  de  Mouflon. 
En  tous  cas,  sous  l'influence  de  l'homme,  les 
Moutons  ont  subi  des  modifications  profondes  qui 
ont  eu  pour  effet  tantôt  de  faire  disparaître  leurs 
cornes  (Moutons  à  tête  noire),  tantôt  de  dévelop- 
per leurs  parties  charnues  (Moutons  picards),  tan- 
tôt d'augmenter  le  volume  et  la  finesse  de  leur 
toison  (Moutons  mérinos). 

Les  Chèvres,  que  les  naturalistes  placent,  sous 
le  nom  de  Capridés,  dans  une  famille  distincte 
mais  voisine  de  celle  des  Ovidés,  ont  en  général 
des  formes  plus  légères  que  les  Moutons,  le  chan- 


RUMINANTS 


—  1938  — 


RUMINANTS 


frein  moins  busqiié,  le  menton  orné  d'une  barbi- 
ciie,  les  cornes  dirigées  d'abord  verticalement, 
puis  en  arrière.  A  ce  groupe  appartiennent  les 
Bouquetins  (Ibex),  qui  vivent  dans  les  Alpes,  dans 
les  Pyrénées,  dans  le  Caucase,  dans  l'Himalaya 
(Ibex  alpinus,  Ibex  pyreiwiciis,  Ibex  caucaiiciis, 
Ibex  himalayuniisj,  et  les  Chèvres  ordinaires  [Ca- 
pra),  dont  une  espèce,  la  Chèvre  égagre  {Caf-d 
jegagrus),  existe  encore  à  l'état  sauvage  dans  le  sud 
dit  Caucase,  en  Perse,  en  Arménie  et  en  Crète. 
Cette  Chèvre  sauvage,  qui  se  plaît  sur  les  cimes 
escarpées,  ilans  le  voisinage  des  neiges  perpétuel- 
les, et  (|ui  se  nourrit  en  été  de  feuilles  et  de  bour- 
geons, en  hiver  de  lichens  et  de  graminées,  parait 
avoir  donné  naissance  à  nos  Clièvres  domestiques. 
Celles-ci  offrent  des  variétés  presque  aussi  nom- 
breuses que  celles  qu'on  observe  parmi  les  Mou- 
tons, les  unes  étant  de  taille  fort  réduite  (Chèvres 
naines),  les  autres  portant  une  riche  toison  (Chè- 
vres d'Angora),  d'autres  étant  privées  de  cornes 
et  revêtues  d'un  pelage  lisse  (Clièvres  de  la  Thé- 
baïde),  etc. 

La  famille  des  Antil-pidés  comprend  une  très 
nombreuse  série  de  Ruminants  qui  se  ressemblent 
par  la  structure  interne  de  leurs  cornes,  mais  qui 
diffèrent  du  tout  au  tout  parU  zonformation  exté- 
rieure de  ces  appendices,  .-".ussi  bien  que  par  les 
proportions  des  diverse.-^  parties  du  corps,  la  na- 
ture et  la  coloration  du  pelage.  Il  y  a  en  effet  des 
Antilopes  aux  formes  légères,  aux  allures  rapides, 
comme  les  Gazelles;  des  Antilopes  au  corps  massif, 
aux  membres  robustes,  comme  les  Bosélaphes  ;des 
Antilopes  qui  tiennent  à  la  fois  du  bœuf  et  du 
cheval,  comme  les  Gnous,  d'autres  qui  rappellent 
les  Chevreuils,  comme  les  Oréotragues  et  les  Té- 
tracères,  etc.  Comment  passer  en  revue  tant  de 
types  divers  !  Évidemment  il  faut  nous  contenter 
d'en  signaler  quelques-uns. 

Sous  le  nom  de  Gazelles  (Gnzella)  on  désigne 
plus  particulièrement  des  Antilopes  de  taille 
moyenne,  ayant  les  jambes  fines,  le  corps  svelte, 
la  tête  petite,  les  yeux  largement  fendus,  les  cor- 
nes de  longueur  médiocre,  le  pelage  coloré  en 
fauve  ou  en  brun  et  passant  au  blanc  sur  les  par- 
ties inférieures  et  sur  la  face  interne  des  mem- 
bres. L'espèce  la  plus  connue  de  ce  genre  est  la 
Gazelle  dorcas  (G.  ilorcas),  qui  habite  la  Syrie, 
'Egypte,  l'Algérie  et  le  Sénégal. 

Le  Saïga  (Saï^fa  tato-iCt()  constitue  le  type  d'un 
autre  genre,  remarquable  par  son  nez  proéminent 
en  avant  de  la  mâchoire  inférieure,  par  ses  oreilles 
courtes  et  larges,  son  poil  mou  et  épais.  Il  se 
trouve  dans  les  steppes  de  l'Europe  orientale  et  de 
la  Tartarie. 

Dans  l'Afrique  australe  vivent  de  nombreuses 
espèces  d'Antilopes  :  les  Spring-bocks  (Boucs  sau- 
teurs), ainsi  nommés  parce  qu'ils  peuvent,  en  s'en- 
levant  des  quatre  pieds  à  la  fois,  franchir  sans 
effort  apparent  des  obstacles  de  2  i  3  mètres  de 
hauteur  ;  les  Céphalophes,  qui  sont  également 
doués  d'une  agilité  extraordinaire  ;  les  Eléotragues 
ou  Antilopes  des  marais,  qui  fréquentent  les  bords 
humides  des  rivières  ;  les  Gnous,  i  la  tùte  de  tau- 
reau, à  la  queue  longue  et  fournie  comme  celle 
d'un  cheval  ;  les  Bosélaphes,  à.  la  physionomie  stu- 
pide,  au  front  rétréci,  au  garrot  surmanié  d'une 
bosse  ;  les  Cannas,  qui  ressemblent  à  des  bœufs 
par  leur  corps  massif,  leur  queue  grêle  à  la  base, 
touffue  à  l'extrémité,  leur  cou  d'où  descend  un 
vaste  fanon  ;  les  iNilgauts,  dont  la  tête  élégante  et 
surmontéo  de  petites  cornes  contraste  avec  le 
corps  épais  et  les  pattes  robustes,  etc.  Au  Séné- 
gal, au  Gabon,  en  Abyssinie,  et  dans  le  pays  de 
Mozambique  se  trouvent  d'autres  formes  du  même 
groupe,  également  intéressantes,  les  Oryx  ou  Al- 
gazelles,  aux  longues  cornes  presque  droites  ;  les 
Guibs,  au  pelage  tacheté  ;  les  JJanotragues  ou  An- 
tilopes naines  ;  l'Inde  a  les  Antilopes  cervichèvres, 


dont  l'estomac  renferme  des  concrétions  qui 
étaient  jadis  employées  en  médecine  sous  le  nom 
de  bêzoards;  l'Amérique  du  Nord  a  les  Dicrano- 
cères  aux  cornes  fourchues,  et  une  espèce  de  Cha- 
mois, propre  aux  Montagnes  Rocheuses  ;  enfin  notre 
pays  possède  aussi  une  véritable  Antilope,  le  Cha- 
mois des  Alpes  (Rupicnpra  b-agus),  qui  doit  sans 
doute  être  identifié  k  l'Isard  des  Pyrénées. 

La  famille  des  Cervidés  comprend  les  Cerfs,  les 
Elans,  les  Rennes  et  les  Cervules  ou  Muntjacs, 
c'est-à-dire  toute  une  série  de  Ruminants  aux  for- 
mes élancées,  aux  jambes  fines,  au  pelage  luisant, 
à  la  tète  surmontée  quelquefois  dans  les  deus 
sexes  (cliez  les  Rennes)  ou,  plus  souvent,  chez  les 
mâles  seulement,  de  cornes  caduques  ou  bois. 
Ces  bois  se  montrent  d'abord  comme  de  simples 
protubérances  de  chaque  côté  de  l'os  frontal  ; 
mais  ils  grandissent  rapidement  en  soulevant  la 
peau  qui  les  recouvre  et  qui  est  le  siège  d'une  vé- 
ritable inflammation  ;  puis,  à  un  moment  donné,  il 
sur\ient  dans  toute  cette  pariie  un  dépérissement 
par  suite  de  la  formation,  à  la  base  do  prolonge- 
ment osseux,  d'un  cercle  de  tubercules  qui  com- 
priment les  vaisseaux  chargés  d'apporter  le  fluide 
nourricier  ;  la  peau  se  dessèche  et  tombe  par  lam- 
beaux, et  l'os  mis  à  nu  meurt  et  se  détache  du 
crâne.  L'animal  reste  alors  désarmé,  mais  bientôt 
la  plaie  se  cicatrise,  se  recouvre  d'une  pellicule,  et 
un  nouveau  bois,  presque  toujours  plus  compli- 
qué que  l'ancien,  s'élève  à  la  place  de  celui-ci. 
Comme  ce  phénomène  se  produit  d'ordinaire  cha- 
que année,  à  la  même  époque,  on  peut  souvent 
juger  de  l'âge  d'un  Cerf  par  le  degré  de  dévelop- 
pement de  ses  bois,  qui,  après  avoir  formé  d'abord 
une  simple  pointe,  une  dague,  de  chaque  côté,  of- 
frent un,  deux,  trois  et  jusqu'à  cinq  prolonge- 
ments ou  andouillers.  Toutefois  il  n'en  est  pas 
toujours  ainsi,  et  dans  certains  cas  les  bois  restent 
â  l'état  de  dagues,  ou  bien  encore  se  transforment 
avec  l'âge  en  lames  aplaties  et  dentelées. 

Les  Cervidés  habitent  pour  la  plupart  les  gran- 
des forêts,  et  préfèrent  les  pays  plats  ou  légère- 
ment accidentés  aux  contrées  montagneuses.  Ils 
vivent  isolés  ou  en  petites  troupes  dans  diverses 
régions  de  l'Europe,  de  l'Asie  et  de  l'Amérique  et 
dans  le  nord  de  l'Afrique. 

Le  Cerf  commun  [L'ervus  elaphis)  est  à  l'âge 
adulte  d'un  gris  brun,  plus  ou  moins  nuancé  de 
fauve,  et  lorsqu'il  est  jeune  d'un  brun  fauve  ma- 
culé de  blanc.  Dans  ce  dernier  état  il  porto  le 
nom  de  faon.  La  femelle,  qui  est  privée  de  cor- 
nes, se  nomme  biche.  En  France,  cette  belle  es- 
pèce ne  se  trouve  plus  guère  que  dans  certaines 
chasses  gardées;  mais  elle  est  encore  assez  commune 
dans  les  forêts  de  haute  futaie  de  l'Allemagne,  de 
l'Autriche  et  de  la  Russie.  Au  Canada  vit  un  Cerf 
beaucoup  plus  grand  que  le  nôtre,  qu'on  nomma 
le  Wapiti  [Cervui  canadensis) . 

Le  Daim  {Ceruus  dama)  se  distingue  facilement 
du  Cerf  commun  par  ses  bois  dont  les  aoJouiUers- 
terminaux  sont  réunis  en  une  masse  unique,  en 
une  empaumure  aplatie,  et  par  son  pelage  qui,  en 
été,  présente  des  taches  bl:inch-s  sur  lond  brun.. 
Il  est,  dit-on,  originaire  des  Etats  barbaresques,. 
mais  on  le  trouve  maintenant  en  Sardaigne,  et 
quelques  grands  propriétaires  de  France  et  d'An- 
gleterre l'ont  introduit  dans  leurs  parcs,  à  titre 
de  gibier  ou  comme  animal  d'agrément. 

Le  Chevreuil  {Cervus  capreoins)  est  le  plus  pe- 
tit de  nos  Cervidés  européens.  Il  a  des  bois  à 
ti^e  arrondie,  dirigée  verticalement  et  munie  de 
deux  andouillers  seulement.  Son  pelage  est  ordi- 
nairement d  un  brun  roussâtre. 

L'Elan  [AUes  jubata),  qui  était  jadis  assez  com- 
mun dans  notre  pays,  mais  qui  à  l'heure  actuelle 
ne  se  trouve  plus  que  dans  les  f  ircts  marécageu- 
ses de  la  Suède,  de  la  Norvège,  de  la  Sibérie  et  de 
l'Amérique  boréale,  se  fait  remarquer  par  sa  forte 


RUMINANTS 


—  1959 


RUSSIE 


taille  et  par  le  développement  sxtraordinaire  do 
ses  bois,  (|iil,  cliez  les  mâles  adultes,  arrivent  h 
peser  jusqu'à  6U  livres.  Ces  bois,  au  lieu  de  s'éle- 
ver, comme  cliez  le  Cerf,  sous  la  forme  d'une 
tige  rameuse,  s'étalent  largement  de  chaque  côté 
de  la  tète  en  présentant  seulement  quelques  bi- 
furcations et  quelques  dentelures. 

Le  Uenne  [Tarandus  rangifer)  a  le  pelage  rude, 
d'un  brun  grisâtre  en  été,  d'un  gris  blancliàlre 
en  hiver,  les  jambes  plus  robustes  et  plus  courtes 
que  celles  des  Cerfs,  la  tôte  surmontée  de  cornes 
dont  les  ramifications  s'aplatissent  en  palmes 
dentées.  A  UJie  époque  géologique  relativement 
récente,  et  qui  a  reçu  le  nom  à.\Uje  du  Renne, 
cette  espèce  habitait  le  sol  de  la  France;  mais  au- 
jourd'hui elle  est  conlinée  dans  les  régions  glacées 
de  l'homisphère  septentrional,  on  Laponie,  en 
Finlande,  au  Groenland,  dans  l'extrême  nord  de 
l'Amérique.  Le  Renne  est  un  animal  précieux 
pour  les  habitants  de  ces  contrées  hyperboréen- 
nes,  qui  l'attellent  à  leurs  traîneaux,  se  servent  de 
sa  peau  pour  confectionner  des  vêtements,  et  se 
nourrissent  de  sa  chair  et  de  son  lait. 

Los  Muntjacs  [Ceri-ulus)  sont  do  la  taille  du 
Chevreuil,  avec  des  formes  encore  plus  fines  et 
plus  élégantes,  un  pelago  plus  lisse  et  plus  lus- 
tré ;  ils  pourraient  même  être  pris  pour  des  An- 
tilopes de  petite  taille  si,  parmi  eux,  les  mâles 
n'avaient  des  cornes  caduques  et  des  canines  su- 
périeures développées  au  point  de  constituer  de 
véritables  défenses.  Ces  animaux  sont  répandus 
dans  l'Inde,  dans  la  Chine  méridionale  et  dans  les 
lies  de  Java,  de  Sumatra,  de  Bornéo  et  de  Cey- 
lan. 

Chez  les  Ruminants  de  l'ordre  ou  du  sous  ordre 
des  Traguliens,  nous  trouvons  encore  des  canines 
supérieures  qui,  chez  les  mâles,  font  saillie  hors 
de  la  bouche;  mais  les  cornes  font  complètement 
défaut  dans  les  deux  sexes,  particularité  qui  éta- 
blit une  transition  vers  le  groupe  des  Caméliens. 
Les  formes  et  la  taille  sont  du  reste  à  peu  près 
celles  des  .Muntjacs.  Parmi  ces  Traguliens  on 
peut  citer  les  Chevrotains  proprement  dits  (Mos- 
chtii),  qui  habitent  l'Asie  méridionale  et  orientale, 
depuis  le  Népaul  jusqu'en  Sibérie  ;  les  Tragules, 
{Tragulus),  qui  sont  particuliers  aux  îles  de  Java 
etde  Sumatra,  et  les  Chevrotains  aquatiques  (W.'/œ- 
moschus),  qui  sont  confinés  sur  la  cote  orientale 
d'Afrique.  Les  Chevrotains  aquatiques  et  les  Tra- 
gulus  portent  une  livrée  d'un  brun  fauve,  avec 
des  raies  et  des  taches  blanches,  tandis  que  les 
Chevrotains  proprement  dits  ont  un  pelage  uni- 
forme. Ces  derniers  animaux  sont,  dans  leur  pays 
natal,  l'objet  d'une  citasse  très  active,  parce  qu'ils 
fournissent  la  substance  odorante  connue  sous  le 
nom  de  musc. 

Les  Chameaux  et  les  Lamas,  pour  lesquels  on  a 
créé  l'ordre  ou  le  sous-ordre  des  CAMÉLitîNS,  se 
distinguent  facilement  des  autres  Ruminants  non 
seulement  par  les  caractères  que  nous  avons  in- 
diqués plus  haut,  mais  encore  par  leur  aspect 
extérieur  :  ils  ont  la  tête  petite,  dépourvue  de 
cornes,  les  yeux  saillants,  la  lèvre  supérieure  fen- 
due, le  cou  long,  la  croupe  faible,  les  jambes  assez 
épaisses  et  souvent  noueuses.  En  outre,  chez  les 
Chameaux  (Camelus),  le  dos  est  surmonté  d'une 
ou  deux  loupes  graisseuses  en  forme  de  bosse,  et 
la  peau,  sur  certains  points,  est  dénudée  et  cou- 
verte de  callosités. 

_  Les  Chameaux,  qui  sont  propres  à  l'Ancien  Con- 
tinent, sont  des  animaux  de  grande  taille,  au  corps 
massif,  aux  allures  disgracieuses.  En  marchant  ils 
appuient  sur  le  sol  non  seulement  l'extrémité  de 
leur  sabot,  comme  le  font  les  Chevaux,  les  Cerfs 
et  les  Boeufs,  mais  toute  la  face  inférieure  de  leurs 
deux  doigts,  garnis  en  dessous  d'une  sorte  de  se- 
melle. Grâce  i  cette  disposition,  les  Chameaux  peu- 
vent s'avancer  avec  une  certaine  assurance  au  mi- 


lieu des  sables  mouvants:  aussi  les  emploie-t-on, 
de  préférence  aux  Chevaux  et  aux  Mulets,  comme 
montures  ou  comme  bétes  de  somme  dans  les 
grands  déserts  de  l'Afrique  et  dans  les  steppes  de 
l'Asie  centrale.  Ils  jouissent  d'ailleurs  de  la  faculté 
précieuse  de  pouvoir  supporter  pendant  un  temps 
considérable  la  privation  d'eau  et  d'aliments,  et 
de  vivre  aux  dépens  de  leur  masse  graisseuse  et 
des  liquides  que  renferment  des  cellules  disposées 
sur  les  parois  de  leur  panse.  Le  Chameau  dro- 
madaire {Camelus  Dromedurins),  qui  n'a  qu'une 
seule  bosse  sur  le  dos,  est  originaire  de  la  Syrie, 
mais  se  trouve  aujourd'hui  répandu  dans  d'autres 
contrées  de  l'Asie  et  dans  toute  l'Afrique.  En 
Chine  et  en  Tartario,  il  est  remplacé  par  le  Cha- 
meau de  la  Bactriane  [Camelus  baclrianus),  ou 
Chameau  à  deux  bosses,  qui  vient  de  l'Asie  cen- 
trale. 

Les  Lamas  (Auchenia),  qui  vivent  on  Amérique, 
dans  la  grande  chaîne  des  Cordillères,  depuis  la 
Nouvelle-Grenade  jusqu'au  Chili,  se  distinguent 
des  Chameaux  par  des  formes  moins  lourdes,  un 
corps  plus  svelte  et  complètement  dépourvu  de 
bosse  dans  la  région  dorsale,  des  pattes  moins 
élevées,  terminées  chacune  pardeux  doigts  qui  n'ap- 
puient sur  le  sol  que  par  leur  portion  terminale. 
Ils  se  répartissent  en  quatre  espèces  que  certains 
auteurs  considèrent  comme  de  simples  variétés  : 
le  Lama  guanaco  lAuchenin  huanaeos),  l'Alpaca 
Aiich.  pacos),  la  Vigogne  (Àiicli.  vicunna),  et  le 
Lama  du  Pérou  (Auc/i.  perunna).  Dans  la  région 
des  Andes  ces  animaux,  qui  s'apprivoisent  facile- 
ment, sont  employés  comme  botes  de  somme. 
Leur  laine,  dont  la  couleur  varie  du  noir  au  blanc, 
en  passant  par  le  brun,  le  jaune  et  le  gris  clair, 
sert  à  fabriquer  des  tissus  moelleux  ;  leur  peau 
fournit  un  cuir  estimé;  enfin  leur  chair  et  leur 
lait  entrent  pour  une  large  part  dans  l'aliiuonta- 
tion  des  habitants  de  la  Cordillère. 

[E.  Oustalet.l 

UUSSIE  (Géogkaphie).  —  Géographie  générale, 
XVII.  —  1.  Géographie  physique,  —  Situation. 
—  La  Russie,  qui  occupe  toute  l'Iiurope  orientale, 
couvre  plus  de  la  moitié  de  l'étendue  de  cette 
partie  du  monde  et  la  rattache  h  l'Asie. 

Limites.  —  Les  monts  Oural,  le  fleuve  du  même 
nom  et  la  mer  Caspienne  forment  une  limite  plus 
conventionnelle  que  réelle  entre  la  Russie  d'Eu- 
rope et  la  Russie  d'Asie,  soumises  au  môme  sou- 
verain. Au  sud,  au  contraire,  le  Caucase  dresse 
un  épais  rempart  entre  des  provinces  d'Europe  et 
d'Asie  appartenant  également  au  tsar,  mais  de  na- 
tures bien  différentes.  La  mer  Noire,  au  sud; 
l'océan  Glacial,  au  nord  ;  la  mer  Baltiqne,  h  l'ouest, 
baignent  les  côtes  de  la  Russie,  qui  se  rattache  à 
la  Scandinavie,  du  côté  du  N.-O.,  par  l'isthme  de 
Laponie,  et  à  l'Europe  occidentale  par  l'isthme 
beaucoup  plus  large  qui  s'étend  entre  la  Baltique 
et  la  mer  Noire,  depuis  Koenigsberg  jusqu'à 
Odessa. 

Do  ce  côté,  la  Russie  est  séparée  de  la  Roumanie 
par  le  cours  du  Danube  et  celui  du  Pruth.  Mais  il 
n'y  a  pas  de  frontières  naturelles  i  travers  les 
plaines  de  la  Pologne  que  se  sont  partagées  les  trois 
puissances  contiguës,  la  Russie,  l'Autriche  et  la 
Prusse. 

Aspect  général.  —  L'absence  do  montagnes  est 
un  des  caractères  distinctifs  qui  séparent  la  Russie 
du  reste  do  lEurope.  Le  Valdai,  qui  forme  entre 
Saint-Pétersbourg  et  Moscou  le  principal  nœud 
orographique  du  centre  de  la  Russie,  ne  dépasse 
guère  -300  mètres.  Et  c'est  do  li  quo  le  Volga,  le 
plus  long  fleuve  de  l'Europe,  mais  non  le  plus 
abondant,  s'écoule  lentement  vers  la  Caspienne. 
De  là  aussi  descendent  le  Dtiiepr  vers  la  mer 
Noire,  et  la  Duna  vers  la  Baltique  ;  mais  partout 
ailleurs  et  autour  même  du  Valdai,  les  bassins  des 
divers  fleuves  ne  sont  séparés  par  aucune  ligna 


RUSSIE 


1960  — 


RUSSIE 


de  faite  tranchée,  et  des  routes  ou  des  canaux  les  i 
unissent  aisément,  quand  leurs  eaux  ne  se  mêlent 
pas  d'elles-mêmes  dans  les  marais  où  ils  prennent  j 
naissance.  ' 

Les   côtes  de   la  Russie  ne  sont  pas  non  plus 
entaillées    comme    celles    de    l'Europe    occiden- 
tale  par   des   indentations   nombreuses    et   pro- 
fondes qui  rapprochent   les   eaux  de    la  mer  des 
divers   points    de    l'intérieur   du    continent-    Les 
golfes  de  Bothnie,  de  Finlande  et  de  Higa,  sur  la  , 
Baltique,  sont  !i  plus  de  1200  kilomètres  de  la  mer  , 
Noire.  Celle-ci  n'a  d'autre  golfe  que  la  mer  d'Azov, 
que  la  presqu'île  de  Crimée  ferme  presque  comme  [ 
un  lac.  Au  nord,  l'océan  Glacial  projette  la  mer 
Blanche    avec    ses   dépendances,    les    golfes    de 
Mezen,  d'Arkhangel,  d'Onega  et  de  Kandalakcha, 
—  puis  le  golfe  de  Tcheskaia,  et  celui  où  débouche  , 
la  l'etchora.  Mais  en  comparaison  de  l'étendue  de  1 
la  Russie,  qui  en  latitude  va  du   iO'  au  70',  ces  ' 
golfes  ne  sont  que  de  petites  baies  sans  profondeur,  j 
Climat.  —  De  cette  uniformité  du    sol,  et  de 
l'éloignement  de  la  mer,    il  résulte  que  le  climat 
de  la  Russie  est  par  excellence  ce  qu'on  appelle 
un  climat  cnnlinental.  Les  pluies  y    sont   rares, 
les  hivers   glacés,    les   étés  brûlants.   Depuis   les 
bords  de  la  Baltique  jusqu'à  ceux  do  la  Caspienne, 
l'eau  tombée  du  ciel  est  de  moins  en  moins  abon- 
dante.  En  Finlande,  on  en  recueille  annuellement 
une  couche  de  70  centimètres  à  I  mètre,  comme 
en  France  :  il  Astrakhan,  la  quantité  recueillie  est 
quatre  fois  moindre,  et  l'cvaporation  enlève  plus 
d'eau  à  la  surface  de  la  Caspienne  que  ne  lui  eu 
apportent  les  fleuves   du  Caucase,  l'Oural  et  le 
Volga,  quoique  le  bassin  de  ce  dernier  fleuve  soit, 
à  lui  seul,  trois  fois  grand  comme  la  France.  Ac- 
tuellement la  Caspienne  est  à  20  mètres  plus  bas 
que  le  niveau  de  la  mer  Noire,  h  laquelle  elle  fut 
autrefois  réunie. 

Les  grandes  différences  entre  les  températures 
de  l'hiver  et  celles  de  l'été  sont  d'autant  pliis 
accusées  qu'on  s'avance  davantage  vers  la  Russie 
orientale.  Ainsi,  tandis  qu'à  Saint-Pétersbourg  la 
température  moyenne  de  l'été  est  de  10°  et  celle 
de  l'hiver  de  —  7°,  à  Samara,  sur  le  Volga,  ces 
mêmes  moyennes  sont  de  19"  et  de  —  12°.  Et  la 
différence  serait  encore  bien  plus  sensible  entre 
les  chaleurs  et  les  froids  extrêmes  qu'entre  les 
températures  moyennes  des  deux  saisons.  Les 
lignes  isothères,  qui  réunissent  ensemble  les  points 
soumis  à  une  même  moyenne  de  température 
estivale,  traversent  la  Russie  de  l'O.-S.-O.  à 
l'E.-N.-E.,  de  sorte  que  Varsovie  ctTobolsk  se  trou- 
vent sur  la  même  ligne,  bien  que  la  première  do 
ces  villes  soit  sur  le  52°  de  latitude  et  la  seconde 
sur  le  58'.  Les  lignes  isocliimcnes,  au  contraire, 
qui  correspondent  aux  mêmes  températures 
moyennes  de  l'hiver,  sont  fortement  relevées  du 
S.-E.  au  N.-C.  et  il  fait  aussi  froid  pendant 
l'hiver  à  Astrakhan,  voisine  du  iG"  de  latitude,  qu'à 
Saint-Pétersbourg  sur  le  C0«. 

Comparée  à  l'Europe  occidentale,  la  Russie  est 
un  pays  froid  et  d'autant  plus  froid  qu'on  se  rap- 
proche davantage  de  l'Asie  ;  les  lignes  iiotlienues, 
qui  correspondent  à  la  moyenne  des  températures 
de  toute  l'année,  traversent  la  Russie  du  S.-E.  au 
N.-O.,  de  sorte  que  Saint-Pétersbourg  et  Oren- 
bourg  ont  le  même  climat  moyen.  La  différence 
est  grande  du  reste,  sous  ce  rapport,  entre  les 
bords  de  la  mer  Noire,  où  la  moyenne  de  l'année 
estde-+-  lO'',  et  qui  est  la  seule  région  de  la 
Russie  où  la  vigne  mûrisse  ses  fruits,  et  les  bords 
de  la  mer  Glaciale,  toujours  gelés,  et  où  ne  crois- 
sent même  plus  les  arbres.  En  redescendant  de 
là  vers  le  sud,  on  retrouve  successivement  les 
forêts,  l'orge  et  le  seigle  qui  mûrissent  au  sud  de 
la  mer  Blanche,  puis  le  froment  dont  la  limite 
septentrionale  va  du  golfe  de  Finlande  aux  sources 
de  la  Kama, 


Pendant  de  longs  mois  d'hiver,  le  sol  est  re- 
couvert d'un  linceul  de  neige,  les  rivières  et  les 
lacs  glacés,  les  navires  bloqués  dans  les  ports. 
La  Petchora  n'est  libre  que  du  25  mai  au  1"  oc- 
tobre; la  Dvina,  à  Arkhangel,  est  prise  pendant 
190  jours.  Le  lac  Onega  est  couvert  de  glace 
pendant  5  mois;  le  Ladoga  pendant  4.  La  Neva 
reste  gelée  pendant  1-40  jours.  La  Kama,  à  Penn, 
l'est  pendant  la  moitié  de  l'année,  et  à  mesure 
qu'on  descend  vers  le  sud,  la  débâcle  se  produit 
de  plus  en  plus  tôt.  Pris  pendant  150  jours  de- 
vant Kazan,  le  Volga,  à  Astrakhan,  est  libre  an 
bout  de  100  jours,  le  Don  au  bout  de  125.  Le 
Dniepr,  à  Kiev,  est  pris  pendant  95  jours,  et 
pendant  80  jours  seulement  à  Kherson,  près  de 
son  embouchure. 

Pendant  tout  ce  temps,  la  navigation  est  Sus- 
pendue en  Russie,  tous  les  trans])orts  se  font  en 
traîneaux  ou  par  les  chemins  de  fer,  et  les  cours 
d'eau  les  plus  puissants  n'opposent  plus  aucun 
obstacle  aux  races  nomades  qui  les  traversent 
librement  avec  leurs  troupeaux,  comme  les  ont 
sans  doute  passés  nombre  des  barbares  envahis- 
seurs qui  d'Asie  se  sont  jetés  sur  l'Europe. 

Fi-EuvES  ET  LACS.  —  Volya.  —  Le  Volga  naît 
au  sud  du  Valdaï,  tout  prés  de  la  source  do  la 
Duna,  mais  prend  une  direction  opposée  à  celle-ci 
et  coule  à  l'est  jusqu'à  Kazan.  Après  avoir  franchi 
quelques  rapides,  il  devient  bien  vite  une  rivière 
navigable.  A  Tver,  àAlologa,  àRybinsk,  il  est  joint 
par  trois  canaux  qui  le  relient  respectivement  au 
Volkhov,  la  rivière  de  Novgorod,  au  lac  Ladoga,  et 
enfin  au  lac  Biélo  et  au  bassin  de  la  Dvina.  A 
Nijni-Novgorod,  le  Volga  reçoit  par  la  droite 
l'Oka,  presqu'aussi  considérable  que  lui.  C'est 
au  confluent  de  ces  deux  puissants  cours  d'eau, 
de  1.500  mètres  de  large,  que  se  tient  chaque  année 
la  foire  où  se  réunissent  les  marchands  d'Europe 
et  ceux  de  l'Asie,  au  nombre  de  deux  à  trois  cent 
mille,  et  où  les  affaires  atteignent  un  chiffre  d'un 
demi-milliard. 

L'Oka  traverse  la  partie  la  plus  peuplée,  la 
plus  riche,  la  plus  industrieuse  de  la  Grande- 
Russie.  Elle  reçoit  par  la  droite  la  Zna,  qui, 
comme  l'Oka,  coule  du  sud  au  nord  en  sens  in- 
verse du  Volga  inférieur,  et  par  la  gauche  la 
Moskva,  qui  arrose  Moscou,  et  la  Kjasma. 

A  Kazan.  le  Volga  tourne  au  sud.  Rongeant 
sans  cesse  la  falaise  qui  borde  sa  rive  droite,  le 
fleuve  délaisse  de  plus  en  plus  les  villes  bâties 
dans  la  plaine  de  la  rive  gauche.  Kazan  est  aujour- 
d'hui à  plusieurs  kilomètres  du  Volga  et  les  eaux 
du  fleuve  ne  baignent  plus  les  murs  de  la  ville 
que  dans  les  grandes  inondations.  Peu  après,  le 
Volga  reçoit  par  sa  gauche  le  plus  grand  de  ses 
affluents,  la  Kama,  qui  lui  apporte  les  eaux  du  ver- 
sant occidental  de  l'Oural  et  ouvre  une  route  na- 
vigable vers  les  riches  mines  du  gouvernement  de 
Perm,  et  vers  la  Dvina  du  nord  par  la  Vitchegda, 
branche  orientale  de  ce  dernier  fleuve.  En  dessous 
du  confluent  de  la  Kama,  le  Volga  passe  au  pied 
de  Simbirsk,  et  forme  une  boucle  prononcée  vers 
l'orient  au  devant  du  confluent  de  la  Samara.  C'est 
dans  la  vallée  de  ce  dernier  cours  d'eau  que  s'en- 
gage le  chemin  de  fer  d'Orenbourg,  seule  voie 
ferrée  qui  relie  jusqu'ici  l'Europe  à  l'Asie.  De 
la  ville  de  Samara,  le  chemin  de  fer  côtoie  la 
rive  gauche  du  fleuve  jusqu'à  Sysran  et  le  tra-- 
verse  en  ce  point  sur  un  immense  viaduc,  seul 
pont  fixe  élevé  au-dessus  du  Volga,  depuis  Tver. 
En  aval  de  Sysran,  le  Volga  reprend  sa  direction 
au  S.-O.,  passe  au  pied  de  Saratov,  et  arrive 
à  Zarizyn,  où  60  kilomètres  seulement  le  séparent 
du  cours  du  Don.  Mais  au  lieu  de  se  joindre  en 
ce  point,  les  deux  fleuves  changent  brusquement 
de  direction  pour  couler  en  sens  opposé  ;  le  Volga 
se  partage  en  plusieurs  branches  qui  courent  au 
sud-est  et  se  subdivisent   de  plus  en    plus    avant 


RUSSIE 


—  1961  — 


RUSSIE 


•d'arriver  h  la  Caspienne.  Au  milieu  de  ce  delta 
s'élève  Astraklian,  ancienne  ville  dont  la  prospérité 
•va  sans  cesse  en  décroissant  h.  mesure  que  la 
barre  du  fleuve  oppose  pins  d'entraves  à  la  navi- 
gation. Aussi,  à  l'inverse  des  autres  fleuves,  sur 
lesquels  la  navigation  devient  en  général  do  plus 
en  plus  active  à  mesure  qu'on  s'approche  de  la 
zone  maritime,  le  trafic  de  la  batellerie  sur  le 
Volga  décroît  rapidement  en  aval  de  Saratov  et  de 
-Zarizyn,  pour  atteindre  son  maximum  sur  le  cours 
moyen  du  fleuve,  au  centre  de  ce  réseau  de 
120U0  kilomètres  de  longueur  que  forment  le 
fleuve  et  ses  divers  affluents  navigables. 

Don  et  nier  d'Azov.  —  Le  Don  naît  au  centre 
de  la  Russie,  non  loin  de  Toula,  qui  appartient 
au  bassin  de  l'Oka;  il  coule  au  sud,  reçoit  à  gau- 
che le  Khoper  et  le  Medvieditza,  et  k  droite  le 
Donetz  qui  traverse  dans  sa  partie  inférieure  un 
riche  bassin  liouiller  encore  peu  exploité,  mais 
qui  est  appelé  sans  doute  à  un  grand  avenir  in- 
dustriel. Comme  le  Volga,  le  Don  a  sa  rive  gauche 
basse,  et  sa  rive  droite  escarpée.  C'est  li  ce  qui 
le  rejette  à  l'est  vers  le  Volga.  Au  moment  où  il 
est  sur  le  point  d'atteindre  ce  fleuve,  il  tourne 
brusquement  au  S.-O.  vers  la  mer  d'Azov,  qu'il 
comble  de  plus  en  plus  de  ses  alluvions. 

Dniepr,  Hong,  Dniestr.  —  Le  Dniepr  prend 
sa  source  dans  le  voisinage  de  celles  du  Volga  et 
de  la  Duna,  traverse  Smolensk,  descend  au  sud 
jusqu'à  Kiev,  puis  au  S.-O.  jusqu'il  Ekatérinoslav. 
Comme  le  Volga  et  le  Don,  sa  rive  droite  est  plus 
escarpée  que  sa  rive  gauche,  et  c'est  de  ce  der- 
nier côté  qu'il  épanche  ses  eaux  sur  une  largeur 
de  plusieurs  kilomètres  pendant  les  inondations. 
Mais  contrairement  h  ces  deux  autres  fleuves,  il 
ne  gagne  son  bassin  inférieur  qu'en  traversant 
des  rapides  qui  sont  infranchissables  aux  embar- 
cations, sauf  quelquefois  pend.int  la  grande  crue 
du  printemps.  La  navigation  d'amont  s'interrompt 
à  Ekatérinoslav,  pour  ne  repren'dre  qu'en  aval  à 
Alexandrovsk.  Entre  ces  deux  villes  le  Dniepr 
coule  du  N  au  S.  pour  prendre  ensuite  la  di- 
rection du  S.-O.  jusqu'à  son  embouchure  en  dos- 
sous  de  Kherson.  Le  Dniepr  se  grossit,  à  Kiev 
et  par  la  gauche,  de  la  Desna,  et  en  amont  de  cette 
■ville  et  par  la  rive  opposée,  de  la  Bérézina,  de 
sinistre  mémoire,  et  du  Pripet.  Cette  dernière 
rivière,  qui  coule  de  l'O.  à  l'E.  en  drainant  les  ma- 
récages de  Pinsk  (entre  Varsovie  et  Kiev),  ouvre 
■une  communication  navigable  entre  le  Dniepr  et 
le  Niémen,  d'une  part,  et  avec  la  Vistule  par  le 
Boug,  de  l'autre.  Ainsi  se  trouvent  reliées  la  Balti- 
que et  la  mer  Noire. 

Comme  le  Dniepr,  le  Boug,  qui  débouche  dans 
■le  même  estuaire  que  ce  fleuve,  après  avoir  traversé 
le  grand  arsenal  maritmie  de  Nicolaiev,  et  le 
Dniester,  qui  forme  la  limite  de  la  Bessarabie, 
sont  interrompus  par  des  rapides  à  la  traversée 
du  plateau  granitique  qui  porte  au  nord  les  fer- 
tiles terres  noires,  tandis  que  s'étendent  au  sud 
les  steppes  arides  et  salines,  dépourvues  de  toute 
végétation  arborescente. 

Bassin  de  lu  nnllique.  —  La  Vistule  n'appar- 
tient k  l'empire  de  Russie  ni  par  sa  source,  ni 
par  son  embouchure,  mais  elle  forme  la  princi- 
pale artère  commerciale  de  la  Pologne,  dont  elle 
traverse  la  capitale,  Varsovie,  et  où  elle  se  grossit 
par  la  droite  du  Bug.  Le  Bug  a  lui-même  un 
affluent  ronsidcrable,  le  Narev.  Une  grande  partie 
des  produits  de  la  Pologne  suivent  cette  voie  pour 
être    embarqués  à  Dantzig  sur  les  navires  de  mer. 

De  môme  le  Niémen,  après  avoir  traversé  Grodno 
et  Kovrio,  va  finir  dans  la  lagune  prussienne  du 
Kurische  Haff. 

La  Duna  s'écoule  directement  du  S.-E.  au  N.-O. 
par  Vitcbsk,  Dunabourg  et  le  grand  port  de  Riga, 
la  métropole  des  provinces  baltiques,  en  aval  de 
laquelle  la  Duna  finit  dans  le  golfe  de  Riga. 


Dans  le  golfe  de  Finlande  arrivent  au  sud, 
la  Narva,  à  l'est,  la  Neva.  La  Narva  sert  de  débou- 
ché aux  lacs  de  Pskov  et  de  Peipous.  Par  la  Neva 
s'écoulent  les  lacs  Saima,  Onega,  Ladoga  et  llnien, 
les  plus  étendus  do  toute  l'Europe.  C'est  par  le 
Wuoxen  que  les  nombreux  lacs  remplissant  les 
vasques  granitiques  de  la  Finlande  et  réunis  sous 
le  nom  de  lac  Saima  se  déversent  dans  le  Ladoga. 
C'est  la  rivière  Svir  qui  réunit  le  lac  Onega  au 
Ladoga.  Dans  ce  dernier  lac  arrive  par  le  sud  le 
Volkhov,  qui  sort  du  lac  Umen  auprès  de  l'anti- 
que ville  de  Novgorod.  Grossie  par  tous  ces  af- 
fluents, la  Neva,  qui  n'a  guère  qu'une  quinzaine 
de  lieues  de  cours  entre  SchlUsselbourg,  où  elle 
sort  du  Ladoga,  et  Saint-Pétersbourg,  roule  une 
masse  d'eau  aussi  considérable  que  le  Rhône  ou 
le  Rhin,  et  chaque  année  la  débâcle  des  glaces  y 
est  terrible.  Toutefois  les  gros  navires  de  mer 
ne  peuvent  la  remonter  jusqu'à  Saint-Pétersbourg 
et  s'arrêtent  à  Kronstadt,  qui  est  en  même  temps 
une  forteresse  formidable,  défendant  l'accès  de  la 
capitale. 

Bassi7i  de  la  mer  Blanche.  —  La  Dvina,  le  fleuve 
d'Arkhangel,  se  forme  de  deux  branches  princi- 
pales :  à  l'est,  la  Vitchegda,  qui  par  ses  sources 
touche  à  la  Kama  et  à  la  Petchora,  et  à  l'ouest  la 
Sukona,  reliée  par  des  canaux  avec  le  Volga  et  le 
lac  Onega,  qui  appartient  an  système  de  la  Neva. 
La  Dvina  porte  à  Arkhangel  les  bois  coupés  dans 
les  forêts  immenses  qu'elle  traverse.  C'est  par  ce  . 
port  que  les  Russes  entrèrent  pour  la  première 
fois  en  communication  maritime  avec  les  peuples 
de  l'Europe  occidentale,  quand  ils  n'avaient  pas 
encore  conquis  sur  les  Suédois  les  rivages  de  la 
Baltique,  et  sur  les  Turcs  ceux  de  la  nier  Noire. 

La  Petchora,  que  l'Oural  envoie  k  l'Océan  gla- 
cial, traverse  des  pays  trop  peu  peuplés  pour 
avoir  une  grande  importance  économique  malgré 
l'abondance  de  ses  eaux. 

Bassin  île  la  Caspicmie  (à  part  le  Voltja).  —  A 
l'autre  extrémité  de  l'Oural,  le  fleuve  de  ce  nom 
sert  de  limite  entre  l'Europe  et  l'Asie,  passe  à 
Orenbourg  et  finit  dans  la  Caspienne. 

La  même  mer  reçoit  le  Térek,  venu  du  versant 
septentrional  du  Caucase.  De  ce  côté  aussi  des- 
cend le  Kouban,  qui  aboutit  dans  la  mer  Noire 
près  du  détroit  de  Kertch.  Entre  ces  deux  cours 
d'eau,  le  Kalaous,  descendu  du  Caucase,  déverse  ses 
eaux,  tantôt  vers  la  mer  d'Azov,  et  tantôt  vers  la 
Caspienne  par  la  Manîtch,  qui  jalonne  l'ancienne 
voie  de  communication  entre  les  deux  mers. 

Montagnes.  —  Les  plus  hautes  cimes  de  l'Oural 
n'atteignent  pas  2000  mètres.  Le  Caucase  au  con- 
traire a  plusieurs  cimes  plus  élevées  que  le  mont 
Blanc  :  l'Elbourz  dépasse  6500  mètres,  le  Kas- 
beck  iSOO,  et  le  défilé  du  Dariel,  qui  passe  au 
pied  de  ce  dernier  et  forme  la  principale  voie  de 
communication  entre  l'Europe  et  la  Transcaucasie, 
franchit  un  col  de  près  de  210()  mètres.  Le  Cau- 
case est  d'autant  plus  majestueux  et  imposant  k 
contempler  en  arrivant  d'Europe  que  le  pays 
entre  la  Caspienne  et  la  mer  d'Azov  est  peu  élevé. 

Le  Caucase  se  continue  en  Crimée,  au  delà  de 
la  péninsule  deTaman  et  du  détroit  de  Kertch,  par 
une  chaîne  d'un  millier  de  mètres,  au  pied  de  la- 
quelle règne  une  étroite  corniche  qui  jouit  d'un 
climat  délicieux,  et  rappelle  par  sa  situation  et 
ses  productions  les  environs  de  Nice  et  de  Gênes, 
tandis  qu'au  nord-ouest  le  plateau  va  se  rattacher 
aux  steppes  de  la  Russie  méridionale.  Là,  dans  le 
temps  de  leur  prospérité,  les  Génois  avaient 
fondé  la  colonie  de  CafTa,  comme  autrefois  les 
Grecs  avaient  couvert  de  leurs  comptoirs  les  ri- 
vages de  la  mer  Noire.  A  l'ouest,  la  cliaine  de 
Crimée  se  termine  par  le  cap  Chersonèse,  sur 
lequel  s'étaient  établies  les  armées  alliées  pour 
assiéger  Sébastopol. 

II.  Géographie  agricole,   industrielle  et   com- 


RUSSIE 


—  1962  — 


RUSSIE 


meroiale.  —  Agricultcre.  —  Zones  de  culture.  — 
Au  point  de  vue  des  productions  agricoles,  la 
Russie  se  partage  en  cinq  zones.  Au  nord  la  zone 
glaciale  est  couverte  de  rochers  ou  de  marais 
tourbeux,  gelés  pendant  la  plus  grande  partie  de 
l'année  et  qui  ne  sont  propres  qu'à  nourrir  quel- 
ques rennes.  Au  sud  de  la  zone  glaciale,  la  zone 
forestière  couvre  la  Finlande,  les  gouvernements 
d'Olonetz,  d'Arkliangel  et  de  Vologda.  Dans  la 
partie  septentrionale  on  ne  trouve  d'abord  que 
des  arbrisseaux,  puis  des  pins  et  des  bouleaux, 
et  à  mesure  qu'on  descend  vers  le  sud,  ceux-ci 
font  place  aux  sapins,  mélèzes,  cèdres,  trembles, 
puis  aux  tilleuls  et  aux  chênes.  Dans  les  gou- 
vernements d'Olonetz  et  de  Vologda,  les  bois 
couvrent  les  9/10  de  la  superficie.  Dans  toute  la 
région  forestière,  la  chasse  et  la  pèche  forment 
avec  l'exploitation  des  forêts  (coupe  du  bois, 
fabrication  de  la  potasse,  du  goudron,  de  la  téré- 
benthine), les  principales  ressources  d'une  po- 
pulation du  reste  très  clairsemée,  qui  ne  récolle 
qu'un  peu  d'avoine,  de  seigle  ou  d'orge  et  mé- 
lange souvent  à  son  pain  de  la  sciure  de  bois 
pour  en  augmenter  le  volume  sans  le  rendre  plus 
nutritif. 

Au  sud  du  golfe  de  Finlande,  les  forêts  devien- 
nent plus  rares,  les  défrichements  plus  éten- 
dus ;  aux  grains  secondaires  comme  l'orge,  le 
seigle  et  l'avoine,  se  mêlent  maintenant  les  champs 
de  froment  ou  de  lin.  Les  chênes  remplacent  en  ' 
partie  les  arbres  verts.  Là  commence  une  troi- 
sième région  qui  occupe  l'ouest  de  l'empire  et 
comprend  les  provinces  baltiques,  la  Lithuanie,  la 
Pologne.  Les  forêts  couvrent  encore  la  moitié  de 
ce  territoire,  mais  les  chênes,  les  ormes,  les  til- 
leuls, les  frênes  et  les  érables  s'y  mêlent  aux 
sapins  et  aux  pins  comme  dans  l'Europe  occiden- 
tale, et  on  voit  réussir  sous  un  climat  plus  doux  ^ 
le  froment,  le  seigle,  le  lin,  le  chanvre,  la  bette- 
rave. Les  prairies  se  couvrent  aussi  de  troupeaux. 

Au  sud  des  forêts  et  des  marais  qui  limitent  la 
Pologne  du  côté  du  S.-E.,  on  entre  dans  la  zone 
des  terres  noires.  Les  arbres  n'y  croissent  pas 
spontanément,  mais  le  sol  s'y  recouvre  d'herbes 
assez  hautes  pour  cacher  à  la  vue  un  cavalier 
monté.  Les  débris  de  cette  végétation  accumulés 
depuis  des  milliers  d'années  y  ont  formé  une  cou-  ' 
che  de  terreau  dont  l'épaisseur  varie  de  60  centi-  ! 
mètres  à  1>°,50.  La  zone  des  terres  noires  [Tcliev-  \ 
nozon)  s'étend  du  S.-O.  au  i\.-E.  à  travers  toute  la 
Russie  et  res>emble  à  un  pont  jeté  sur  cet  empire  ' 
depuis  la  Galicie  et  l'Europe  occidentale  jusqu'à  | 
l'Oural,  du  cùlé  de  Kazan  et  d'Orenbourg.  Son  ' 
étendue  est  presque  double  de  celle  de  la  France,  \ 
son  sol  produit  dos  céréales  sans  se  lasser,  de 
sorte  que  l'on  a  comparé  la  richesse  qu'en  peut 
retirer  la  Russie  à  celle  dont  les  Anglais  sont  re- 
devables à  leurs  mines  de  houille.  Les  engrais  ca- 
pables de  fournir  l'azote  que  renferme  la  terre  | 
noire,  ne  vaudraient  pas  moins  de  seize  milliards, 
et  là  l'engrais  est  déjà  transporté  et  assimilé  au  sol. 

La  terre  noire  est,  comme  la  Hongrie  dont  le  sol 
est  analogne  au  sien,  un  des  grands  centres  de 
production  des  céréales  pour  toute  l'Europe,  et 
l'étendue  qui  y  est  ensemencée  ne  pourra 
qu'augmenter,  à  mesure  que  des  voies  ferrées  j 
plus  nombreuses  en  amèneront  plus  économique- 
ment les  produits  aux  poris  d'embarquement 
d'Odessa  et  de  la  mer  d'Azov.  ] 

La  cinquième  zone  de  la  Russie  est  celle  des 
steppes  qui  occupent  les  bassins  inférieurs  du 
Dniepr,  du  Don  et  du  Volga,  et  s'étendent  le  long 
de  la  mer  Noire  et  de  la  mer  d'Azov  jusqu'à  la 
Caspienne.  Ces  steppes,  où  ne  pousse  aucun  ar- 
bre, se  recouvrent  au  printemps,  après  la  fonte 
des  neiges,  d  une  herbe  savoureuse  qui  nourrit  de  î 
grands  troupeaux  de  bœufs,  de  moutons  et  de  , 
chevaux.    L'aliitude  de  ces   steppes  va  en  dimi-  | 


nuant  du  coté  de  la  Caspienne,  où  brillent  un 
certain  nombre  de  lacsrecouverts  de  cristauxdesel. 
Productions  agricoles.  —  Après  les  Etats-Unis, 
la  Russie  est  le  pays  du  monde  où  l'on  récolte  le 
plus  de  céréales  (hûO  millions  d'hectolitres).  Au- 
cun ne  la  dépasse  pour  la  production  du  lin  et 
du  chanvre.  La  betterave  est  aussi  de  plus  en  plus 
cultivée,  dans  la  Pologne,  le  sud  et  l'ouest  de  la 
Russie.  La  récolte  des  pommes  de  terre,  très 
considérable,  est  en  partie  convertie  en  alcool. 

Les  troupeaux  sont  très  nombreux  en  Russie. 
On  y  compte  plus  de  IG  millions  de  chevaux,  soit 
5  chevaux  pour  '.'5  habitants,  tandis  qu'en  France 
nous  n'en  avons  que  2.  Les  trotteurs  russes  sont 
recherchés  pour  leur  rapidité  ;  les  chevaux  des 
Cosaques  sont  connus  pour  leur  rusticité  et  leur 
résistance  à  la  fatigue. 

Sous  le  rapport  des  bêtes  à  cornes,  des  moutons, 
des  porcs,  la  Russie  est  aussi  plus  riche  que  les 
autres  pays  de  l'Europe,  mais  d'une  manière  abso- 
lue seulement.  Relativement  à  la  population,  l'Eu- 
rope occidentale  possède  un  plus  grand  nombre  de 
bêles  à  cornes,  l'Angleterre  et  la  France  sont  plus 
riches  en  bétes  à  laine  ;  l'Autriche  et  l'Allemagne 
ont  la  supériorité  pour  le  nombre  des  porcs.  La 
Russie  a  donc  encore  bien  des  progrès  à  accomplir 
pour  tirer  meilleur  parti  de  son  sol.  L'émancipa- 
tion des  serfs  sous  le  dernier  règne  a  déjà  fait  faire 
un  grand  pas  en  affranchissant  les  paysans  et  en  les 
rendant  propriétaires.  Mais,  d'une  part,  les  procé- 
dés de  culture  sont  souvent  fort  arriérés,  et,  d'autre 
part,  les  institutions  communales  d'ujie  grande  par- 
tie do  la  Russie,  qui  mettent  les  terres  en  com- 
mun, ne  stimulent  peut-être  pas  autant  les  effort» 
individuels  que  celles  des  pays  où  la  propriété  pri- 
vée est  constituée. 

Industrie.  —  Mines.  —  La  Russie  possède  dans 
l'Ou  rai  de  riches  mines  de  métaux.  Depuis  un  siècle 
environ  qu'on  s'est  mis  à  les  exploiter  on  en  a 
retiré  plus  de  700,000  kilogr.  d'or;  elles  produi- 
sent annuellement  oOÛO  tonnes  de  cuivre,  et  c'est 
à  peu  près  le  seul  point  du  monde  où  l'on  trouva 
du  platine. 

Le  fer  forme  de  nombreux  gisements  autour  de 
Perm,  et  est  aussi  exploité  à  Pétrosavodsk,  sur  les 
bords  du  lac  Onega,  où  l'on  trouve  de  riche  minerai 
de  fer  magnétique  presque  pur,  et  où  cette  extrac- 
tion a  fait  établir  une  fonderio  de  canons  et  une 
fabrique  d'armes,  dès  le  règne  de  Pierre  le  Grand. 
De  même  Toula,  qui  est  un  petit  Birmingham 
russe,  se  trouve  au  milieu  des  mines  de  fer. 

L'Oural  renferme  aussi  des  pierres  précieuses, 
comme  la  malachite,  et  des  mines  de  sel  gemme. 
Le  reste  du  sel  consommé  dans  l'empire  est  fourni 
par  les  lagunes  des  bords  de  la  mer  d'Azov  et  de 
la  mer  Noire,  et  les  lacs  des  steppes  Les  terrains- 
houillers  couvrent  une  grande  surface  en  Russie, 
mais  sont  encore  fort  mal  exploités.  Cependant  en 
dix  ans,  de  1804  à  1874,  la  quantité  extraite  a  pres- 
que décuplé  et  de  175,000  tonnes  a  passe  à  I, '200,000- 
Bientôt  sans  doute  la  production  nationale  équi- 
vaudra en  importance  à  l'importation  étrangère, 
qui  est  de  'J  millions  de  tonnes  environ.  Le  prin- 
cipal bassin  est  celui  du  Donetz;  d'autres  existent 
en  Pologne,  sur  les  confins  de  la  Silésie  et  dans 
l'Oural. 

Manufactures.  —  Les  manufactures  ne  sont  pas 
encore  très  nombreuses  en  Russie  ;  ainsi  l'indtis- 
trie  du  coton,  qui  occupe  le  plus  grand  nombre 
de  bras  et  dont  les  produits  atteignent  la  plus 
haute  valeur,  ne  possède  encore  que  la  moitié  des 
broches  employées  en  France.  Ces  établissements 
sont  concentrés  autour  de  Saint-Pétersbourg.  Mos- 
cou, Vladimir,  et  Lods,  en  l'ologne  Après  la  filatiire 
et  le  tissage  des  cotons,  les  principales  industries 
manufacturières  de  la  Russie  sont  la  fabrication 
des  draps  à  Moscou,  en  Pologne,  et  dans  la  Grande- 
Russie  en  général  ;  la  préparation  des  cuirs,  re- 


RUSSIE 


—  1963  — 


RUSSIE 


cherchés  pour  l'odeur  que  leur  communique 
réoorce  de  bouleau  qui  sert  îi  les  tanner  ;  la  fila- 
ture et  le  tissage  du  lin  et  du  chanvre,  qui  se  fait 
dans  les  campagnes  ;  la  construction  des  macliines, 
la  préparation  des  suifs,  et  des  produits  chiiniquos 
tels  que  la  potasse,  pour  utiliser  les  troupeaux  des 
steppes  et  les  bois  des  forôts;  la  fabrication  de 
quincaillerie  i  Moscou,  Toula,  Nijni-Novgorod. 

En  résumé  les  manufactures  forment  cinq  grou- 
pes principaux  autour  do  Moscou  (c'est  le  plus 
considérable),  de  SaiutPélersbourg,  de  Riga,  de 
Kiev,  et  eu  Pologne.  Et  les  industries  qui  ont  fait 
le  plus  de  progrès  pendant  ces  dernières  années 
sont  celles  du  coton,  du  sucre  de  betterave,  des 
machines  et  des  cuirs. 

Commerce.  —  A  l'extérieur,  la  Russie  n'envoie 
guère  que  des  matières  premières.  Les  céréales  à 
elles  seules  forment  par  leur  valeur  les  deux  tiers 
de  l'exportation  générale.  Puis  viennent  le  lin  à 
l'état  de  graine  ou  de  filasse,  les  bois,  les  laines, 
le  chanvre,  et  le  bétail,  souvent  infecté  par  des 
épizooties  dont  il  transmet  le  germe  dans  les  pays 
de  l'Europe  occidentale,  où  on  le  transporte. 

En  échange  on  importe  en  Russie  de  la  quin- 
caillerie et  divers  objets  manufacturés,  tissus  ou 
autres,  du  thé,  principale  boisson  des  Russes  et 
qui  jusqu'ici  est  apporté  de  Chine  par  les  caravanes, 
du  coton  venu  de  l'Asie  centrale,  des  vins  et  li- 
queurs, du  tabac. 

C'est  avec  l'Allemagne  que  la  Russie  entretient 
le  plus  de  relations  commerciales,  à  cause  de  la 
frontière  commune  aux  deux  Etats,  par  où  passent 
beaucoup  de  marchandises  en  provenance  ou  i 
destination  de  l'Europe  occidentale.  L'Angleterre 
vient  au  second  rang,  puis  la  France  et  l'Autriche- 
Hongrie. 

La  plus  grande  partie  de  ce  trafic  s'opère  par 
mer;  cependant  l'importation  est  presque  aussi 
considérable  par  terre  que  par  mer,  parce  qu'elle 
comprend  surtout  des  objets  manufacturés  et 
chers  que  transportent  les  chemins  de  fer.  Le 
commerce  maritime  se  fait  plutôt  par  les  ports  de 
la  Baltique  que  par  ceux  de  la  mer  Noiie  ou  de  la 
mer  d'Azov  et  surtout  que  par  ceux  de  la  mer 
Blanche  et  de  la  Caspienne.  La  mer  Caspienne 
occupe  le  dernier  rang  pour  l'exportation,  la  mer 
Blanche  pour  l'importation. 

Ports  de  ttier.  —  Saint-Pétersbourg  et  Riga 
sont  les  débouchés  les  plus  rapprochés  et  les  plus 
commodes  vers  l'Europe  occidentale  de  la  Grande 
Russie  et  de  la  Russie  occidentale,  qui  forment 
les  régions  les  plus  peuplées  de  l'empire.  Revel, 
en  Ehstonie,  et  Libau,  en  Courlande,  occupent 
respectivement  des  positions  plus  avancées  que 
Saint-Pétersbourg  et  Riga,  et  sont  plus  vite  dé- 
barrassées des  glaces.  Viborg,  Helsingfors  et  Abo 
sont  les  principaux  ports  de  la  Finlande.  Tagan- 
rog,  Rosiov  et  Berdiansk,  sur  la  mer  d'Azov, 
Odessa,  sur  la  mer  Noire,  sont  les  principaux  dé- 
bouchés des  céréales  de  la  région  du  Tchornozon 
(la  terre  noire).  Sébastopol,  ruiné  par  la  guerre 
de  Crimée  et  le  traité  de  Paris  qui  avait  neutra- 
lisé la  mer  Noire  en  185G,  reprend  son  ancien  rûle 
depuis  que  ce  traité  a  été  dénoncé  en  l870.  Il  est 
relié  à  Saint-Pétersbourg  par  un  chemin  de  fer. 
Ses  fortifications  relevées  et  augmentées  sont  plus 
formidables  que  jamais.  Son  excellent  port  abrite 
une  flotte  puissante.  Nicolaiev,  près  de  l'embou- 
chure du  Boug  dans  le  liman  du  Dniepr,  ren- 
ferme les  établissements  militaires  et  les  arsenaux 
qui  travaillent  à  l'armer.  Nous  avons  déjà  nommé 
Kronstadt,  près  de  Saint-Pétersbourg.  Astrakhan, 
bien  que  voisin  de  l'embouchure  du  Volga,  ne 
fait  pas  un  grand  commerce  maritime.  La  pèche, 
fort  importante  sur  ce  fleuve  et  dans  la  mer  voi- 
sine, alimente  un  grand  trafic.  Arkhangel,  sur  la 
mer  Blanche,  a  été  dépossédée,  par  la  fondation 
de  Saint-Pétersbourg,  d'une  grande  partie  des  re- 


lations qu'elle  entretenait  avec  l'Europe  occiden- 
tale. Du  reste,  son  port  bloqué  parles  glaces  pen- 
dant plusieurs  mois  chaque  année  et  la  population 
clairsemée  qui  l'entoure  ne  sont  pas  des  condi- 
tions favorables  pour  le  commerce  de  cette  ville, 
malgré  l'étendue  du  bassin  de  la  Dvina  qui  y  trouve 
son  débouché  naturel. 

Marine.  —  La  flotte  commerciale  de  la  Russie 
n'occupe  qu'un  rang  secondaire  dans  le  monde, 
malgré  les  matériaux  de  construction  que  le  pays 
possède  en  abondance.  Elle  n'est  que  de  3  à 
4  000  navires,  jaugeant  une  centaine  de  tonnes  en 
moyenne.  La  flotte  de  guerre  est  de  près  de 
400  navires,  jaugeant  2JO,000  tonnes. 

Navigation  intérieure.  —  Bien  plus  considé- 
rable est  la  flotte  qui  dessert  la  navigation  inté- 
rieure. On  construit  chaque  année  I0,0ii0  embar- 
cations de  cette  sorte,  dont  la  plupart  sont  dépe- 
cées en  arrivant  au  bas  du  fleuve  qu'elles  ont 
descendu.  Quelques-uns  de  ces  bateaux  de  ri- 
vière atteignent  des  dimensions  considérables.  Sur 
le  Volga,  il  y  en  a  qui  portent  jusqu'à  2000  tonnes  ; 
400  tonnes  est  le  maximum  sur  la  Dvina  ouïe  Don, 
200  sur  le  Dniepr. 

Nous  avons  fait  connaître,  en  décrivant  les 
fleuves  et  les  rivières,  les  canaux  qui  relient  leurs 
bassins  entre  eux. 

Ch'tnins  de  fer.  —  Le  réseau  des  chemins  de  fer, 
moins  développé  que  dans  les  pays  riches  et  in- 
dustrieux de  l'Europe  occidentale,  va  en  resser- 
rant de  plus  en  plus  ses  mailles.  Actuellement,  il 
comprend  2;),OuO  kilomètres  en  exploitation  : 
dix  fois  moins  qu'en  France,  relativement  à  la  su- 
perficie des  deux  pays  desservis.  Moscou  en  est 
le  principal  centre.  Les  points  extrêmes  en  sont 
au  nord  et  à  l'est:  Vologda,  Nijni-Novgorod,  Oren- 
bourg,  Saratov,  'l'sarJlsin.  Il  s'avance  jusqu'à  Vla- 
dikaukasz,  au  pied  du  Caucase,  à  Sébastopol,  à 
l'extrémité  de  la  Crimée,  se  relie  aux  railways  de 
la  Roumanie,  de  la  Galicie  et  de  la  Prusse,  et  va 
jusqu'à  Abo,  à  l'entrée  du  golfe  de  Finlande. 

111.  Géographie  politique.  —  Divisions  admi- 
nisiratwei  et  villes  priiici/jales.  —  La  Finlande 
forme  un  grand-duché  distinct  du  reste  de  l'em- 
pire de  Russie,  mais  soumis  au  même  souverain. 
Celui-ci  y  est  représenté  par  un  gouverneur  géné- 
ral qui  préside  le  Sénat  finlandais.  Ce  pays  a  des 
représentants  et  des  diètes  qui  ti'existcnt  pas  en 
Russie.  L'armée,  la  flotte,  et  toute  l'adminis- 
tration en  général  sont  indépendantes  de  celles  de 
la  Russie.  Helsingfors  (40,000  hab.)  est  la  capi- 
tale politique  de  la  Finlande.  Abo  en  est  la  mé- 
tropole religieuse  et  judiciaire.  Les  Finlandais 
sont  en  majorité  luthériens  et  de  race  finnoise. 

Les  autres  gouvernements  de  l'empire  se  clas- 
sent en  plusieurs  grands  groupes  d'après  leur 
situation  géographique,  les  traditions  historiques, 
les  nationalités  iju'ils  renferment. 

A  l'ouest,  les  Provinces  balliques  comprennent 
les  gouvernements  de  Saint-Pétersbourg;  d'Ehsto- 
nie,  capitale  Revel  ;  de  Livonie,  capitale  Riga  ;  de 
Courlande,  capitale  Mitau.  Los  villes  les  plus  con- 
sidérables situées  dans  ce  groupe  sont  la  capitale 
del'empiri'^qui  renfermeprès  de  700,000 habitants, 
lliga,  dont  la  population  est  de  100,000  habitants, 
et  Kronstadt  (50,000  liab.}. 

La  Husste  occidentale  comprend  les  gouverne- 
ments de  Kovno,  Vitebsk,  Mohilev,  Vilna  (63,000 
hab.),  Grodno,  la  Volliyuie,  capitale  Jilomir,  et  la 
Podolie,  capitale  Kamcnetz. 

Cette  région  correspond  au  noyau  de  l'ancienne 
principauté  de  Lithuanie. 

Le  royaume  de  Pologne  est  divisé  en  dix  goii- 
vernements,  dont  les  chefs-lieux  sont  :  Varsovie 
(:i00,000liab.),  la  troisième  ville  de  l'empire,  Sou- 
walki,  Lomza,  Plock,  Kalisz,  Piotkrov  (ville  prin- 
cipale, Lods  40,000  hab.),  Siedlce,  Kielce,  Radom 
et  Lublin. 


RUSSIE 


—  1964  — 


RUSSIE 


La  Petite  Russie  comprend  les  gouvernements 
de  Kiev  (130,000  hab.),  avec  Berditchev  (environ 
80  OOOliab.  presqu' exclusivement  juifs);  do  Tcher- 
nigov,  de  Poltava,  et  de  Kliarkov  (près  de  100,000 
hab.)-  Le  principal  centre  de  cette  région,  Kiev, 
est  une  des  métropoles  religieuses  de  la  Russie. 
C'est  par  là  que  le  christianisme  a  été  introduit  de 
Constantinople  en  Russie,  et  les  pèlerins  viennent 
se  presser  en  foule  autour  de  ses  monuments 
religieux.  . 

La  Nourelle  Russie  ou  Russi'^  méridionale  a  été 
la  dernière  conquête  faite  par  les  tsars  sur  les 
Turcs  et  les  Tartars.  Elle  comprend  la  Bessarabie, 
capitale  Kichenev  (100,000  hab.),  villes  principales 
Akkermann  (40,000  hab.)  et  Bender,  sur  le  Dniestr  ; 
les  gouvernements  de  Kherson  (4.i,000  hab.), 
■villes  principales,  Odessa  (185,000  hab.l  et  Nico- 
laiev  (8;., 000  hab.);  de  Tauride,  capitale  Simfé- 
ropol  ;  d'Ekatérinoslav,  villes  principales  Tagan- 
rog  (S0,000  hab.l  et  Rostovsur  le  Don,  grand  port 
d'expédition  pour  les  céréales  ;  et  le  gouverne- 
ment de  l'armée  du  Don,  chef-lieu  Novo-Tcher- 
kask,  près  de  l'embouchure  du  Don. 

La  Grande  Russie  comprend  tout  le  centre  de 
l'empire  :  au  nord,  les  gouvernements  d'Arkhan- 
gel,  Olonetz  et  Vologda;  à  l'ouest,  celui  de  Nov- 
gorod, première  capitale  de  la  Russie,  peuplée  au 
moyen  âge  de  plusieurs  centaines  de  mille  liabi- 
tants  quand  elle  était  le  centre  du  commerce  de 
la  Russie  avec  les  villes  hanséatiques  ;  Pskov,  sa 
•voisine  et  sa  rivale  à  cette  époque,  est  la  capitale 
d'un  autre  gouvernement  de  la  Grande  Russie.  , 
Puis  viennent  ceux  de  Tver,  laroslav,  Kostroma, 
Vladimir,  Nijni-Xovgorod  (45,000  hab.),  Kiazan, 
Toula  (00,000  hab.),  Kalouga  et  Smolensk,  grou- 
pés autour  du  gouvernement  central  de  Moscou. 
■Cette  dernière  ville  renferme  plus  de  600,000  ha- 
bitants. Enfin,  dans  le  sud  de  la  Grande  Russie, 
se  trouvent  les  gouvernements  d'Orel,  Tambov, 
■Koursk  et  Voronej. 

A  l'est  de  la  Russie,  l'ancien  royaume  de  Knznn 
comprend  les  gouvernements  de  Viatka,  Perm 
(celui-ci,  achevai  sur  l'Oural,  appartient  en  partie 
h  l'Europe  et  en  partie  à  l'Asie),  Kazan  lOO.OOi) 
hab.)  et  Simbirsk.  Principal  centre  des  popula- 
tions tartares  de  la  «ussie,  Kazan  est  en  même 
temps  une  ville  universitaire. 

L'ancien  royaume  d'Astrakhan  comprend  les 
gouvernements  d'Oufa  et  Orenbourg  (à  cheval  sur 
l'Oural),  Samara'(50,000  hab.),  Saratov,{85,000  hab.), 
et  Astrakhan  (50,000  hab.). 

La  lieutenance  du  Caucase  s'étend  au  nord  de 
cette  chaîne  en  Europe,  et  au  sud,  en  Asie.  La 
partie  du  nord  comprend  les  gouvernements  de 
Stavropol  et  les  territoires  du  Kouban,  sur  la 
mer  d'Azov,  et  du  Tcrek,  sur  la  mer  Caspienne. 
Population.  —  D'après  les  derniers  recense- 
ments officiels,  la  population  de  la  Russie  d'Europe 
(sans  la  Finlande,  la  Pologne  et  le  Caucase)  était 
de  06  millions  d'habitants,  celle  de  la  Finlande  de 
2  millions,  celle  de  la  Pologne  de  G  millions  et 
demi.  Enfin  la  partie  septentrionale  du  Caucase 
renferme  1,850,000  liabitants.  Cette  population 
augmentant  très  rapidement  (1  million  par  an), 
elle  doit  dépasser  maintenant  80  millions.  D'après 
les  recensements  successifs,  on  a  calculé  qu'elle 
doublait  en  05  ans,  tandis  qu'en  France  ce  n'est 
qu'au  bout  de  plus  de  200  ans  qu'on  arriverait  i 
ce  même  résultat.  Et  comme  la  vie  moyenne  est 
beaucoup  plus  courte  en  Russie  que  dans  le  reste 
de  l'Europe  (24  ans  seulement),  il  faut  que  le 
nombre  des  naissances  y  soit  très  considérable. 
Cette  population  est  encore  très  peu  compacte. 
En  moyenne,  on  ne  trouve  guère  sur  l'ensemble 
de  la  Russie  d'Europe  que  15  habitants  par  kilo- 
mètre carré.  La  Suède  et  la  Norvège  offrent  seules 
en  Europe  des  populations  encore  plus  clairsemées. 
La  rigueur  du  climat  en  est  en  partie  la  cause  ; 


mais,  dans  la  Russie  méridionale,  il  y  a  encore 
bien  des  terres  fertiles  à  mettre  en  culture  dans 
la  steppe,  et  des  colonies  à  fonder,  comme  on  l'a 
déjà  fait  à  plusieurs  reprises,  notamment  avec  des 
Allemands  dans  la  Nouvelle  Russie. 

Actuellement  la  population  est  très  inégalement 
distribuée.  C'est  autour  de  Moscou  et  au  sud  de 
cette  ville,  dans  la  Grande  Russie,  \h  où  se  trou- 
vent réunies  les  ressources  de  l'industrie  et  de 
l'agriculture,  que  les  habitants  sont  le  plus  pressés. 
Le  même  fait  a  lieu  en  Pologne  pour  la  même 
raison.  Et  encore  dans  aucun  gouvernement  la 
densité  kilométrique  n'atteint-elle  le  cliiffre  de  60 
habitants,  tandis  que  la  moyenne  de  la  France 
entière  est  70.  Mais  autour  de  ces  régions  relative- 
ment populeuses  de  la  Russie,  la  densité  va  sans 
cesse  en  diminuant,  pour  ne  plus  être  que  de  3 
habitants  par  kilomètre  dans  les  steppes  qui  bor- 
dent la  Caspienne  et  do  moins  d'un  habitant  par 
deux  kilomètres  dans  le  bassin  de  la  Petchora. 

Races.  —  La  Russie,  ayant  servi  de  grand  che- 
min à  toutes  les  invasions  qui,  de  l'Asie,  se  sont 
avancées  vers  l'Europe,  garde  dans  son  sein  des 
restes  de  toutes  ces  races  successives  qui  ne  se 
sont  pas  encore  fondues  les  unes  dans  les  autres. 
Au  centre  dominent  les  Slaves,  d'origine  aryenne 
comme  les  peuples  de  l'Europe  occidentale,  mais 
plus  ou  moins  altérés  par  leur  croisement  avec  les 
races  jaunes  qui,  sous  le  nom  de  Finnois,  au 
nord,  et  de  Tartares,  slm  sud,  ont  menacé  h  diverses 
reprises  de  les  absorber,  avant  d'être  définitive- 
ment vaincus. 

I  Les  Slaves,  qui  semblent  être  les  descendants 
des  Sarmates  ou  Scythes  de  l'antiquité,  se  sont 
eux-mêmes  divisés  en  plusieurs  branches  souvent 
en  lutte  les  unes  contre  les  autres,  et  différant 
entre  elles  par  les  mœurs  et  la  langue. 

Les  Grands  Russiens  ou  Moscovites,  les  plus 
nombreux  puisqu'on  en  évalue  le  nombre  h  40  mil- 
lions, ont  souvent  été  accusés  par  les  autres 
Slaves  d'être  des  Mongols,  des  Tartares  ou  des 
Finnois  usurpant  la  nationalité  slave.  Ils  sont 
seulement  de  sang  plus  mélangé  que  les  autres 
Slaves,  et  ont  su  établir  leur  suprématie  dans 
l'empire. 

Ees  Petits  Russiens,  au  nombre  de  IG  ou  U 
millions,  s'appellent  aussi  Oukrainiens,  et  occu- 
pent tout  l'espace  compris  entre  le  Doiietz  en 
Russie,  le  San  (tributaire  de  la  Vistule)  en  Galicie, 
et  les  sources  de  la  Theiss. 

Les  Polonais,  au  nombre  de  5  millions,  for- 
ment un  groupe  de  Slaves  bien  compact,  avec 
quelques  îlots  dispersés  dans  la  Petite  Russie  et 
la  Russie  Blanche. 

Cette  dernière  comprend  les  plaines  couvertes 
de  forêts  qui  s'étendent  de  la  rive  gauche  de  la 
Duna  aux  marais  du  Pripet.  Les  Russes  blancs 
sont  au  nombre  de  3  à  4  millions. 

Les  Juifs  (sémites),  au  nombre  de  3  millions,  se 
rencontrent  dans  toutes  les  villes  de  commerce 
de  l'ouest  de  l'empire. 

Les  autres  races  aryennes  sont  moins  forte- 
ment représentées.  Les  Letles,  qui  habitent  la 
Livonie  et  la  Courlande,  dépassent  le  million;  les 
Lithuiniiens,  au  nombre  de  1,000,000,  occupent  le 
bassin  du  Niémen  depuis  Vilna  jusqu'à  la  mer. 

Un  million  à'.illemands  sont  dispersés  dans 
tout  l'empire,  notamment  à  l'état  de  cultivateurs 
dans  les  colonies  agricoles  de  la  Nouvelle  Russie. 
Ils  occupent  aussi  beaucoup  de  fonctions  admi- 
nistratives; le  commerce,  la  fortune  et  la  pro- 
priété du  sol  sont  entre  leurs  mains  dans  les 
provinces  baltiques.  Presque  aussi  nombreux  sont 
les  Roumains,  anciens  Daces  latinisés  qui  occupent 
la  Bessarabie.  , 

Les  Suédois,  anciens  maîtres  de  la  Finlande,  y 
sont  encore  au  nombre  de  300  nOO.  Puis  viennent 
des    Grecs,    des   Arméniens,   des    Rutyares,  des 


RUSSIE 


—  1965  — 


RUSSIE 


Set-bes,  priiicipalemont  établis  au  voisinage  de  la 
mer  Noirn. 

_  Parmi  los  races  finnoises,  les  Fmlandais  se  dis- 
tinguent par  leur  degré  avancé  de  civilisation.  Us 
l'emportent  aussi  par  le  nombre,  car  ils  sont  plus 
de  1,800,000  entre  le  golfe  de  Finlande  et  le  golfe 
do  Botnie.  Les  Knréliens,  qui  leur  confinent  à 
l'est  et  s'étendent  jusqu'au  bord  de  la  mer 
Blanche,  sont  de  même  race  que  les  Finlandais, 
mais  s'en  distinguent  par  leur  taille  plus  élancée 
et  la  couleur  brune  de  leurs  cheveux.  Ils  sont 
3,00000. 

Au  sud  du  golfe  de  Finlande,  ot  jusqu'au  lac 
Péipous,  habitent  800,000  Ehstes  et  Livonkns, 
frères  de  race  des  Finlandais. 

Le  bassin  du  Volga  renferme  de  son  côté  d'au- 
tres Finnois  :  ce  sont  les  Mordues  ou  Mordvines, 
au  nombre  d'un  million,  entre  l'Oural  et  les 
sources  de  l'Oka  ;  les  Tchouvachfs,  au  nombre  de 
700,000,  dont  le  gouvernement  de  Kazan  forme  le 
centre;  les  Votiaks  (Viatka)  et  les  Tcliéréniisses, 
qui  occupent  aussi  les  bords  du  Volga.  Puis,  au 
nord,  d'immenses  espaces  sont  occupés  par  les 
Pet-miens  (150,0(i0),  les  Lapons  et  les  Samoyédes, 
au  nombre  de  quelques  milliers  seulement.  Les 
Lapons  s'étendent  au  nord  des  Finlandais  jus- 
qu'en Suéde;  les  Samoyédes  occupent  tous  les  ri- 
vages de  l'océan  Glacial,  à  l'est  de  la  mer 
Blanche. 

Ces  derniers  sont  frères  de  race  des  Kalmouks, 
autres  llongols  de  religion  bouddhique,  qui  habi- 
tent les  steppes  de  la  Caspienne,  entre  le  Don  et 
le  Vol^a,  et  y  mènent,  au  nombre  de  120,000,  une 
existence  exclusivement  pastorale. 

Parmi  les  représentants  de  la  race  tartare,  les 
principaux  sont  les  Tartaresde  Kazan,  au  nombre 
de  plus  d'un  million,  les  Daclikirs  des  gouver- 
nements d'Oufa  et  d'Orenbourg  (750  000),  les 
Kirghiz  des  bords  de  la  Caspienne  (180  000),  les 
Tartares  de  Crimée. 

Reliyions.  —  Toutes  ces  races,  très  différentes 
au  point  de  vue  des  mœurs  et  du  degré  de  civi- 
lisation, n'ont  pas  adopté  le  même  culte.  On 
compte  05  millions  de  chrétiens  grecs  qui  suivent 
la  religion  orthodoxe,  dont  le  tsar  est  le  chef,  et 
dont  la  direction  est  confiée  à  un  saint-synode. 
Mais  dans  ce  nombre  sont  comprises  de  nom- 
breuses sectes  hérétiques,  dont  les  adeptes  cher- 
chent à  se  cacher  pour  éviter  la  persécution  offi- 
cielle. Certaines  de  ces  sectes  refusent  le  service 
militaire,  d'autres  ne  reconnaissent  pas  le  clergé 
actuellement  en  exercice;  il  y  en  a  une  enfin 
qui  prêche  la  mutilation. 

Il  y  a  peu  de  pays  au  monde  où  les  pratiques 
religieuses  soient  plus  observées  qu'en  Russie,  où 
les  reliques  soient  plus  honorées,  les  pèlerinages 
plus  nombreux  malgré  la  longueur  et  les  fatigues 
des  voyages,  les  jeûnes  plue  fréquents. 

En  dehors  du  culte  orthodoxe  et  des  sectes  dis- 
sidentes, on  compte  en  Russie  8  millions  de  catho- 
liques romains,  principalement  en  Pologne,  3  mil- 
lions de  protestants,  autant  d'Israélites,  i  millions 
Ë'  demi  de  niahométans.  Beaucoup  de  peuplades 
arriérées,  comme  les  Tchérémisses,  bien  que  con- 
vertios;nomiualement  au  culte  orthodoxe,  ont  con- 
servé beaucoup  de  coutumes  des  anciens  cultes 
païens  ou  musulmans  qu'elles  ont  successivement 
pratiqués.  Les  Samoyédes  sont  encore  païens. 

Gouvernement.  —  Le  gouvernement  de  la 
Russie  est  une  autocratie  absolue,  et  ne  peut  pas 
être  comparé  aux  gouvernements  parlementai- 
res de  l'Europe  occidentale  Ce  n'est  que  depuis 
moins  de  deux  cents  ans  que  Pierre  le  Grand 
a  commencé  à,  tirer  les  Uusses  de  l'état  de  bar- 
barie où  les  avait  plongés  l'invasion  mongole , 
sous  laquelle  ils  avaient  succombé.  Ce  n'est  que 
le  tsar  Alexandre  II  qui  a  entrepris  l'émancipation 
des  serfs.  Les  assemblées  électives    n'ont  com- 


mencé qu'avec  l'Institution  des  Zemslvos,  élus- 
dans  cliaquo  gouvernement  par  les  trois  corps  do 
la  noblesse,  du  clergé  et  des  paysans.  Leurs  attri- 
butions ne  sont  du  reste  pas  fort  étendues,  et  la 
gouvernement  central,  au  besoin,  casse  les  assem- 
blées, quand  leurs  décisions  lui  déplaisent. 

L'état  de  l'empire,  au  point  de  vue  de  la  liberté, 
est  singulièrement  différent  de  celui  de  tous  les 
autres  pays  voisins.  La  police  y  est  toute  puis- 
sante et  fait  déporter  suivant  son  bon  plaisir 
les  citoyens  en  Sibérie.  Cette  absence  de  liberté 
de  la  nation  ne  semble  pas  avoir  procuré  aux 
souverains  et  aux  personnages  qui  les  entourent 
une  sécurité  on  rapport  .avec  leur  puissance, 
puisque  la  Russie  a  été  à  diverses  reprises  ensan- 
glantée par  de  terribles  attentats,  auxquels  les 
Nihilistes  doivent  actuellement  leur  sinistre  ré- 
putation. 

Armée.  —  Comme  puissance  militaire,  la  Russie 
occupe  un  des  premiers  rangs  dans  le  monde. 
C'est  elle  qui  peut  lever  le  plus  do  soldats,  et  ses- 
troupes  ont  montré  dans  plus  d'une  guerre  d'ex- 
cellentes qualités  de  bravoure,  de  discipline,  do 
résistance  aux  privations.  L'abnégation  entre  dans 
leur  caractère  qui  n'est  pas  exempt  de  fatalisme» 
et  le  dévouement  h.  la  personne  du  tsar  est  un 
véritable  culte  dans  l'armée. 

Parmi  les  soldats  russes,  il  convient  de  citer 
les  Cosaques,  qui  conservent  toujours  leur  orga- 
nisation militaire  et  dont  le  grand-duc  héritier 
est  Vatuman  ou  chef  nominal.  Leur  origine  re- 
monte au  temps  où  les  Tartares  dominaient 
encore  dans  la  steppo,  d'où  ils  poussaient  cha- 
que année  leurs  expéditions  de  pillagei  sur  les 
terres  occupées  par  les  chrétiens.  Ceux-ci  leur 
opposèrent  les  Cosaques,  soldats  d'aventure,  qui 
s'établirent  dans  le  pays  disputé  entre  les  deux 
nations  et  y  contractèrent  l'Iiabitude  de  la  guerre 
dans  leurs  luttes  et  leurs  combats  continuels. 
Possessions  en  deliors  de  l'Europe.  —  Nous 
avons  décrit,  h  l'article  Asie,  les  possessions  des 
Russes  au  sud  du  Caucase,  dans  l'Asie  centrale 
et  en  Sibérie.  En  joignant  la  superficie  de  ces 
possessions  (16  millions  et  demi  de  kilomètres^ 
carrés)  il  celle  de  la  Russie  d'Europe  (5  millions 
et  demi),  on  trouve  pour  l'empire  russe  entier 
une  étendue  plus  grande  que  celle  de  toutes  les 
possessions  anglaises  réunies.  Nul  souverain  au 
monde  ne  règne  sur  des  Etats  aussi  grands  que 
ceux  du  tsar.  Ajoutons  que  la  Russie  ayant  fait 
en  Asie  des  progrès  considérables,  sur  lesquels 
elle  ne  semble  pas  appelée  à  revenir,  cette  supé- 
riorité n'est  probablement  pas  près  de  disparaître. 
Mais  un  plus  grand  nombre  de  sujets  reconnais- 
sent l'autorité  de  l'empereur  de  la  Chine  ou  celle 
de  la  reine  des  Iles  Britanniques,  impératrice 
des  Indes.  En  chiffres  ronds,  le  premier  règne  sur 
400  raillions  d'hommes,  la  deuxième  sur  250,  et 
le  tsar  sur  100  millions.  [G.  Meissas.] 

nUSSIE  (Histoihe  et  littérature).  —  Histoire 
générale,  XXXIll  ;  Littératures  étrangères,  XX.  — 
Chacun  sait  que  l'Europe  moderne  est  partagée 
entre  trois  grandes  races  rivales.  Les  Latitis  en 
occupent  l'ouest  et  le  sud;  les  Germnnis  le  nord 
et  le  centre  ;  les  Slaves  sont  massés  en  orient. 
Chacune  de  ces  grandes  familles  se  subdivise  en 
un  certain  nombre  do  peuples  unis  entre  eux  par 
la  communauté  d'origine,  la  similitude  des  moeurs 
et  surtout  l'analogie  des  idiomes.  Chez  les  popu- 
lations latines  comme  chez  les  populations  germa- 
niques, la  même  race  est  représentée  par  un  cer- 
tain nombre  de  nations  indépendantes  qui  se  font 
équilibre  et  rendent  impossible  l'absorption  des 
différents  peuples  en  un  seul.  Chez  les  Slaves,  au 
contraire,  derniers  nés  de  la  civilisation  euro- 
péenne, les  divers  rameaux  de  la  branche  com- 
mune tendent  manifestement  à  se  réunir  en  un 
seul  et  immense  État.  Cet  État,  c'est  la  Russie, 


RUSSIE 


—  1966  — 


RUSSIE 


qui  paraît  douée  d'une  puissance  expansiye  et 
lune  force  d'assimilation  supérieures  à  colle  de 
l'Allemagne,  et  au  moins  égales  à  celle  des  Etats- 
Unis  d'Amérique.  .  .  ,  ,  .  „„„ 
Nous  ne  pouvons  raconter  ici  la  longue  et  con- 
fuse histoire  du  peuple  russe,  qui  n'est  autre  (|ue 
celle  de  l'Europe  orientale,  bornons-nous  hjesa- 
mer  en  quelques  mots  les  origines  de  la  Uussie 
primitive,  à  rappeler  les  grandes  étapes  qm  ont 
signalé  sa  marclie,  son  développement  social  et 
ses  conquêtes  jusqu'il  l'époque  contemporaine. 
Nous  terminerons  par  un  expose  rapide  de  la  si- 
tuation actuelle  du  pays  et  de  ses  destinées  pro- 

''t'ïés  origines  d,  la  Russie.  -  C'est  aux  histo- 
riens   grecs  et  aux  monuments   scythiques  seuls 
que  nous  pouvons  demander  le  peu  que  no"s  sa- 
chions sur  la  Russie  primitive.   Vers  le  sixième 
siècle  avant   J.-C.    des  colons   grecs    partis  les 
uns   de  Milet,  les  autres  de  Mégare     fondaient 
sur  la  côte  s'eptentrionale   du   Pont-Euxin     me 
Noire)  les  premiers  établissements  d  ou  soilirent 
peu  à  peu  les  cités  commerçantes  d  Odessos    de 
Tyras,  d'Olbia  (aux  bouches  du  Dniepr),  de  Cher- 
sonnesos  (non  loin  de  Sébastopo  ),   de  Palakion 
(Balaklava  ,Tl.éodosie  (Caffa)   Pantiçapée  (Kertc 11, 
Phanagorie  (sur  le  détroit  d'Ienikale),  Tanais  (sur 
le  Don)    et  divers  comptoirs  sur  le  flanc  du  Cau- 
case   Dans  la  grande   plaine  qui  s'étend  au  nord 
de    ia   mer   Noire,    les  voyageurs  et   les  colons 
grecs  découvrirent  de  nombreuses  tribus  barba- 
res que   l'historien   Hérodote  nous  a  dépeintes. 
Ces^aces  primitives  et  nomades,  tour  à  tour  con- 
nues sous  les  noms  de  Cimmoriens    de  Scjtlies 
de  Massagètes,  de  Sarmatcs,    sont   les  premières 
nui  nous   apparaissent  comme   ayant  peuple    le 
grand  déserïde  la  Russie  du  sud.  Les  kourganes 
sorte    de   monticules  oblongs   iiui   parsèment  la 
plaine  russe  au  nombre  de  plus  de  trente  mille 
sont  les  seuls  monuments  que  ces  tribus  errantes 
et  les  Slaves  qui  leur  succédèrent  aient  laisses. 
L'ouverture  de  ces  tombes  où  reposent  les  sque- 
lettes des  guerriers  barbares,  a  révèle  aux  moder- 
nes archéologues  de  curieux  détails  sur  la  religion, 
les  mœurs  et  les  usages  de  ces  temps  primitifs 
uremière  époque  de  civilisation  rudimcntaire  par 
laquelle  tous  les  peuples  ont  successivement  passe. 
Survint  la  grande  migration  des  races  qui  bou- 
leversa le   monde  barbare  et  détermina  la  chute 
de   ['empire    romain.   Les    Alains    les    Goths,    es 
Huns  élevèrent  tour  à  tour  sur  1  Europe  orientale 
leur   fragile    domination.  Les    Roxolans  (Russesi 
avaient   déji   paru,  s'efforçant   de  briser   le  joug 
imposé  par  la  nation  germanique  des  Golhs    Au 
milieu  de  la  grande  bataille  des  f  7'«^;,  <>"  «  " 
trevoyait  vaguement  se  dessiner  la  famille  i^lnie 
(c'est-à-dire  «  les  hommes  9'",f°'''^"' ,»•  P^f  "P; 
position   aux   Germains,    appelés   par  les  Slaves 
«  les  muets  "1.  Au  ix*  siècle  de  notre   ère,  les 
Slaves   occupaient   déjà  la   Russie   occidentale   et 
Ta   Pologne^'^du   lac   llmen  aux   monts    Karpathes 
etiusqu^au  cours  moyen  du  Dniepr.  Mais  ils  étaient 
divisés  en   tribus  nombreuses,  errantes,   toujours 
en  armes.  De  tous  côtés  les  entouraient  des  races 
ennemies  :  au  nord-ouest,  les  Finnois,  population 
mystérieuse  et  primitive  ;  à  l'ouest,   «ur  le  Nié- 
men et  la   Duna,  les  Lithuameus,  qui  se  fond  - 
rent  plus  tard  avec  les  Polonais  ;  au  sud  et  k  1  est, 
d'innombrables  peuplades  turques,  aussi    féroces 
que  sauvages,  les  Avars,  l-s  Kh„zars,  les  Dolga- 
res,  les  pelrhé'iégues  et  les  P^lovlsi.  . 

L'espace  nous  manque  pour  esquisser  ici  le 
tableau  des  mœurs  de  la  Slaùe  primitive,  la  reli- 
gion sans  prêtres  du  dieu  Péroun,  les  cnants  des 
bardes  la  légende  des  héros  (Hia  de  Mourom), 
les  funérailles  et  les  mariages.  Notons  pourtant 
deux  institutions  politiques,  le  mir  (ou  la  coni- 
mune  souveraine),  le  volost  (ou  le  .canton  auto- 


nome), si  profondément  conformes  au  génie  par- 
ticulier des  peuples  slaves,  qu'aucune  révolution 
depuis  lors  n'a  pu  les  effacer. 

La  grande  ville  de  Novgorod  était  déjà  le  centre 
des  SÎaves  du  Nord,  entre  les  sources  du  Volga 
et  le  golfe  de  Finlande.  C'est  là  qu'arrivèrent,  à 
l'appel  des  habitants,  quelques  aventuriers  Scan- 
dinaves, frères  des  Normands  qui  dès  lors  infes- 
taient les  côtes  de  France.  On  les  appelait  les 
Vai-ègues.  Leurs  trois  chefs,  Rourik,  Sinéous  et 
Trouvor,  allaient  fonder,  grâce  à  leur  supériorité 
militaire,  le  premier  empire  russe  sous  des  chefs 
étrangers  (8m2).  .... 

Deux  autres  guerriers  Varègues  fondaient,  vers 
le  même  temps,  une  domination  éphémère  a 
Kiev,  où  ils  furent  massacrés  par  le  successeur 
de  Rourik,  après  avoir  tenté  do  surprendre  Cons- 
tantinople.  . 

II.  Dominatinn  de  Kiev.  Les  princes  hormands. 
—  Maître  de  Kiev  par  ce  double  meurtre,  Oleg, 
frère  de  Rourik,  y  établit  le  centre  du  nouvel  em- 
pire, qui  s'étendait  de  Novgorod  aux  frontières  de 
la  Hongrie.  Il  tenta  contre  Constantinople  une 
expédition  qui  faillit  réussir  (i)07).  Son  succes- 
seur I<'or,  fils  de  Rourik,  renouvela  cette  ten- 
tative avec  une  nombreuse  fl.ittille.  Byzance  ne 
fut  sauvée  que  par  le  feu  grégeois.  De  retour  en 
Russie,  Igor  fut  pris  et  massacré  par  les  Drevlia- 
nes  (94.i).  ,  ,,„ 

Sa  veuve,  la  .<  sage  «  Olga,  le  vengea  cruelle- 
ment en  brûlant  la  ville  de  Korostliène.  Convertie 
au  christianisme  dans  un  voyage  à  Constantino; 
nie  elle  s'efforça  vainement  d'entraîner  à  la  loi 
nouvelle  son  fils  Sviatoslav.  Celui-ci,  poussé  par 
l'esprit  d'aventure  et  la  soif  des  conquêtes,  comme 
nos  premiers  Mérovingiens,  entraîna  ses  jiordes 
guerrières  du  Don  jusqu'au  Balkan  (9i;4-9i2).  Là, 
il  écrasa  la  nation  des  Khazars.  Ici,  il  fit  trem- 
bler l'empire  grec  et  soumit  toute  la  Bulgarie. 
Mais  le  vaillant  Jean  Zimiscès  le  repoussa  d  An- 
drinople  et  extermina  son  armée  sur  le  Danube, 
à  Dorostol  (Silistrie).  .    ...   „ 

Cependant  l'heure   était  venue    où   1  influence 
byzantine  allait  amener  le  triomphe  du  christia- 
nisme chez  les  princes  de  Kiev.  Vladimir,  un  des 
trois   fils  de  Sviatoslav,  après  avoir  massacre  ses 
frères  et  conquis  leurs  provinces,  tout  couvert  de 
crimes  comme  notreClovis,  imagina  de  reformer 
le  vieux  culie  des  Slaves.  Il  faut  lire  dans  le  chro- 
niqueur  Nestor,   moine  de  Kiev,  la  curieuse  his- 
toire de  l'ambassade  envoyée  par  le  barbare  pour 
étudier  tour  à  tour  la  religion  des  juifs,  des  ma- 
hométans,  des  catholiques  et  des  grecs  byzantins, 
les  scrupules    de  Vladimir,  sa    conversion  et  son 
mariage  avec  une  princesse  de  Constantinople  ,  la 
destruction  de  l'idole  Péroun  et  le  baptême  donné 
en  masse  à  tout  le  peuple  de  Kiev  descendu  dans 
les   eaux    du  Dniepr.   Vladimir   mort    (1015),  une 
guerre  d'extermination  commença  entre  ses  nom- 
breux fils.  ,      .        .  „„„,,    i 
Jaroslav,  l'un   d'eux,  reste   vie  orieux,  POrta  » 
son  plus  haut  point  de  grandeur  '^  P"'f  ^,"J«  ^^! 
nrinces   de  Kiev  (lOlG-lOâi  .    H  soutint  I attaque 
des  Polonais  sous  Boleslas  le  Brave,  extermma  de- 
vant Kiev  l'armée  des  l'etchénè.ueset  envoya  son 
fils  assiéger  encore   Constantinople.  Jaroslav  est 
Te  Charlemagne  de  la  Russie.  Il  fit  de  sa  capitale 
de  Kiev  .<  aux  quatre  cents  églises  »,  le  çlu^  grand 
centre  commercial  et  l'"eraire   de  1  0  lent  Tous 
les   rois  recherchaient  son  alliance.   Casimir  de 
Polosne  éoousa  sa  sœur.  Les  souveiMiiis  de  Hon 
grt.^de  SuMe  et  môme  de  France  épousèrent  ses 
trois   filles    mariage  d'Anne  avec   ««"" .?,  )•  ';;^ 
Russie  Kiévienne  était  dès  lors  un  grand  Ltat  eu 
ropéen.  Elle  n'allait  pas  tarder  à  retomber  au  m 
veau  de  la  barbarie  asiatique.              A„„„„„ntable 
m.  Vnnarchie  priucière.  -  Une   épouvantable 
anarchie,  comparable  à  celle  que  nous  montrent 


RUSSIE 


—  1967  — 


RUSSIE 


les  derniers  Carloviiigioni=,  éclata  après  la  mort 
de  Jaroslav.  Diverses  principautés  indépendantes 
se  formèrent  autour  de  Smoli'iisk,  de  Tclierjiigov. 
de  lUazan,  de  Snusdul,  de  Kiev,  do  Polotsk.  Au 
nord,  Pskov  et  Novgorod  redevinrent  des  villes 
libres.  L'unité  morale  de  la  nation  se  maintenait 
pourtant  encore  par  les  mœurs,  par  la  langue  et 
par  la  suprématie  tliéorique  du  grand-prince  de 
Kiev. 

Deux  noms  se  détachent  parmi  ceux  des  nom- 
breux compétiteurs  qui  se  décliirèrent  l'empire 
d'Iaroslav:  Sviatopolk  (I093-I I  i:j)  et  Vladimir  Mo- 
nomaque  (1113-1125).  Ce  dernier,  vainqueur  des 
Grecs  et  des  barbares  petcliénègues,  a  laissé  un 
testament  curieux  sous  forme  do  «  Conseils  i  ses 
fils,  »  où  les  traits  caractéristiques  de  l'esprit 
slave  se  manifestent  avec  une  puissante  origi- 
nalité. 

Finalement  le  pouvoir  central  fut  brisé.  Kiev 
succomba  sous  les  coups  des  princes  de  Sousdal, 
de  Vladimir  et  do  Rostov,  réunis  par  André  Bo- 
golioubski  (11(9).  Elle  fut  une  seconde  fois  ravagée 
par  les  Polovtzi  (1203).  La  prépondérance  allait 
passer  à  la  liussie  du  Nord,  à  la  Russie  barbare 
des  forêts  du  Volga. 

André  Bogolioubski,  prince  do  Sousdal  (1157- 
1174),  soupçonneux,  despote,  ami  des  prêtres,  es- 
saya d'inaugurer  le  gouvernement  autocratique, 
terrorisant  le  peuple  elles  boiars  (seigneurs). Il  fut 
assassiné.  Undeses  successeurs,  Georges II  {1J12- 
123S),  entama  contre  les  républiques  de  Novgorod 
et  de  Pskov  une  guerre  sans  pitié.  Il  fut  vaincu  à 
Lipetsk  (121G),  mais  se  retourna  vers  l'Orient  où 
il  fonda  une  cite  nouvelle,  Nijni-Novgorod  (1220), 
qui  devait  attirer  à  elle  tout  le  commerce  du 
Volga. 

De  leur  côté  les  princes  de  Volbynie,  Roman 
et  son  fils  Daniel,  appelés  par  les  Galiciens,  es- 
sayaient d'établir  sur  cette  province  polonaise 
leur  tyrannie  maintenue  à  force  de  supplices. 
L'anarchie  était  partout.  Au  nord,  enorgueillies 
par  la  victoire  de  Lipetsk,  dominaient  les  commu- 
nes libres,  Pskov,  Viatka  et  Novgorod  la  grande, 
fières  de  leur  commerce  et  de  leur  indépendance. 
Sur  cette  Russie  divisée,  affaiblie,  allait  s'abattre 
une  triple  et  formidable  invasion. 

IV.  Les  invasions  du  treizième  siècle.  —  La 
conquête  (d'cmande.  —  Depuis  longtemps  l'in- 
fluence de  l'empire  d'Allemagne  se  faisait  sentir 
sur  les  provinces  riveraines  de  la  Baltique.  De 
même  que  jadis  Cliarlemagne  avait  conquis  et 
dévasté  la  Saxe  païenne  en  s'appuyant  à  la  fois 
sur  ses  guerriers  et  ses  missionnaires,  de  même 
les  missionnaires  catholiques  et  les  chevaliers 
allemands  apparurent  à.  la  fois  en  Livonio  et  en 
Courlande.  En  vain  les  Livoniens  soulevés  massa- 
crèrent les  envahisseurs  (ll98K  Le  pape  Innocent 
III  prêcha  contre  eux  une  croisade,  et  l'évêque  al- 
lemand Albi'rt  de  Buxliœvden,  en  fondant  Riga 
(1200),  donna  une  capitale  au  nouvel  Etat  des  che- 
valiers Poiie-g/aives.  Les  Livoniens  furent  écrasés 
(120G),  puis  chassés,  traqués  comme  des  bêtes 
fauves  par  les  tyrans  germaniques.  Partout  s'éle- 
vfcrent  des  églises  et  des  forteresses  allemandes. 
L'Esthoniemème  fut  conquise.  Une  seconde  con- 
frérie religieuse  et  militaire,  celle  des  chevaliers 
Teutoniqices,  vint  achever  (1237)  la  soumission  et 
la  ruine  du  pays. 

V.  L'i  conquête  des  Tatars- Mongols.  —  Un 
danger  plus  terrible  allait  fondre  sur  les  princi- 
pautés slaves.  Partis  des  montagnes  de  Chine,  les 
féroces  Tatars-Mongols,  semblables  aux  Huns 
d'Attila,  venaient  de  constituer  un  vaste  empire 
sous  Gengis-Kl.an  (1 164-1227J.  A  la  seule  nouvelle 
de  leur  approche,  l'Europe  trembla  dépouvante. 
Cinc^ siècles  auparavant,  Charles-Martel  avec  ses 
Francs  avait  arrêté,  devant  Tours,  l'invasion  des 
Arabes.  Qui  arrêterait  celle  des  Asiatiques?  Les 


Polovtzi  furent  écrasés.  Les  princes  russes,  réunis 
un  moment  par  le  péril  commun,  voulurent  les 
venger  et  subirent  un  vrai  désastre  sur  les  bords 
de  la  Kalka,  non  loin  de  la  mer  d'Azov  (1224).  Le 
massacre  et  l'incendie  signalaient  la  marche  des 
barbares.  Us  revinrent  bientôt  sous  Batou  (1237), 
saccagèrent  la  grande  ville  de  Bolgary,  extermine- 
ront l'armée  du  prince  de  Riazan,  brûlèrent 
Sousdal,  Moscou,  Kolomna,  Vladimir,  terrorisant 
toute  la  région  du  Volga  (1238).  Puis  ce  fut  le  tour 
des  provinces  du  sud.  Tchernigov,  Kiev,  la 
Volhynio,  la  Galicie,  furent  dévastées.  «Les  têtes 
russes  tombaient  sous  l'épée  des  Tatars  comme 
l'herbe  sous  la  faux.  »  Cette  fois  l'Europe  latine 
était  ouverte  a.  l'invasion.  Les  Polonais  et  les 
Allemands  arrêtèrent  les  barbares  à  la  journée  de 
Liegnitz,  en  Silésie  (r242). 

Les  Tatars  se  replièrent.  Batôu  leur  chef  établit 
sur  le  Bas-Volga  sa  capitale,  qu'il  nomma  Sarai. 
Ce  fut  le  centre  du  nouvel  empire  de  la  Horde 
d'or.  Batcu  mort  (12.i5),  les  Tatars  embrassèrent 
l'islamisme  (127'2).  C'était  l'époque  où  les  croisa- 
des en  Occident  venaient  de  linir  (mort  de  saint 
Louis,  1270).  Elles  allaient  recommencer  en 
Orient  sous  les  princes  moscovites. 

L'Europe  latine  n'y  prit  aucune  part.  Convertis 
par  Byzance,  ayant  reçu  le  christianisme  sous  la 
forme  grecque  ou  orthodoxe,  les  Russes  n'avaient 
aucun  secours  i  espérer  de  l'Occident  catholi- 
que. Les  Polonais  eux-mêmes,  bien  que  Slaves  de 
race,  mais  convertis  par  Rome  et  sous  la  forme 
latine  ou  catholique,  devaient  être  ])our  la 
Russie  de  dangereux  rivaux  plutôt  que  des  alliés. 

Un  prince  habile  et  populaire,  Alexandre 
Nevski,  releva  les  courages.  Héiitier  de  la  Sous- 
dalie,  et  choisi  pour  clief  par  la  grande  commune 
de  Novgorod,  il  avait  à  faire  face  aux  chevaliers 
Porte-glaives,  aux  Scandinaves  et  aux  Tatars.  Il 
attaqua  vaillamment  l'armée  Scandinave  que  le 
pape  Grégoire  IX  avait  appelée  à  la  croisade  contre 
les  chrétiens  grecs,  et  remporta  sur  elle  la  célè- 
bre victoire  de  l'Ijora  près  des  bords  de  la  Neva 
(1240).  Se  retournant  contre  les  Porte-glaives,  il 
reprend  Pskov  et  disperse  l'armée  allemande  à  la 
bataille  livrée  sur  la  glace  du  lac  Peipous  (1242). 
Mais  l'immense  empire  des  Tatars  était  autre- 
ment redoutable.  Alexandre  Nevski  préféra  la 
soumission  à  la  ruine.  Par  son  conseil,  la  fière 
Novgorod  accepta  la  suzeraineté  des  barbares 
(1260).  Mais  Vladimir  et  Sousdal  avaient  massa- 
cré leurs  garnisons  mongoliques  (IVU2).  .\lexan- 
dre  courut  offrir  sa  tête  au  khan  des  Tatars, 
qui  l'épargna.  La  Russie  reconnaissante  a  mis 
Alexandre  Nevski  au  nombre  de  ses  saints  na- 
tionaux. 

L'invasion  asiatique  s'était  arrêtée,  mais  le  pays 
restait  esclave.  Courbés  sous  un  joug  atroce, 
les  Russes  allaient  voir  périr  le  germe  de  leurs 
institutions  nationales,  se  creuser  le  fossé  pro- 
fond qui  les  séparait  déji  de  l'Europe  catholique, 
et  semblaient  destinés  à  retomber  dans  la  bar- 
barie à  l'heure  même  où  l'Occident  latin  allait 
se  dégager  des  misères  du  moyen  âge. 

VI.  Lu  conqupte  Lithuanienne.  —  Malgré  les 
efforts  des  chevaliers  Teutoniques,  la  Lithuanie 
était  encore  indépendante  et  païenne.  Un  do  ses 
chefs,  Mindvog  ou  Mendog,  fut  proclamé  roi  (1252), 
embrassa  puis  abjura  le  christianisme  romain. 
Sous  le  vaillant  Gédimine  ou  Giedymin  (1315- 
1340),  la  Lithuanie  s'agrandit  de  Grodno  à  Tcher- 
nigov et  à  Kiev.  Vilna  en  fut  la  capitale.  Sous 
Olgcrd,  les  Liiliuanions  parcoururent  la  Russie 
de  Moscou  à  la  Crimée,  ébranlant  le  joug  des 
Tatars.  Un  de  ses  iils,  le  sanguinaire  Jagellon, 
décida  du  sort  de  la  Lithuanie  (137S-I434).  Il  se 
convertit  au  christianisme  catholique  pour  épouser 
la  reine  Hedvvige,  héritière  du  trône  de  Pologne 
(138G).  Les  doux  Etats  allaient  désormais  s'unir  on 


RUSSIE 


—  1968  — 


RUSSIE 


un  seul.  La  conversion  sommaire  du  peuple  suivit 
celle  de  Jagellon. 

Vitovt  ou  Vilold  reprit,  sous  Jagellon,  l'œuvre 
de  la  conquête.  Une  ruse  déloyale  lui  donna 
Smolensk.  11  osa  défier  les  Talars  de  Sarai,  et 
leur  livra  bataille  sur  les  bords  de  la  Vorskla, 
non  luinde  Poltava  (1399).  Il  fut  vaincu  et  perdit 
Kiev.  Mais  sa  victoire  sur  les  chevaliers  Teuto- 
niques  compensa  cette  défaite.  A  la  journée  de 
Tannenberg  ou  Griinwald  (1410),  la  grande  armée 
polono-lithuanienne  écrasa  les  80,000  hommes 
d'Ulrich  de  Junginnen.  Ainsi  se  formait  un  grand 
Etat  militaire,  aux  mœurs  polonaises,  à  la  religion 
gréco-russe.  L'union  définitive  avec  la  Pologne 
s'accomplit  en  1501. 

Vn.  Domi}iation  de  Moscou.  —  Les  premiers 
princes  Moscovites.  —  La  Russie  avait  été  organisée 
militairement  par  les  Normands  Varègues.  Elle 
avait  reçu  son  organisation  religieuse  et  politi- 
que des  Grecs  byzantins.  Les  relations  fréquen- 
tes avec  Constantinople  avaient  fait  établir  alors 
la  capitale  sur  les  bords  du  Dniepr.  C'est  l'épo- 
que de  la  domination  de  Kiev.  La  triple  inva- 
sion des  xiii'=  et  xiV  siècles  dispersa  les  débris 
de  cet  empire,  rompit  toute  relation  avec  la  Grèce 
et  rejeta  les  Russes  sous  la  main  des  barbares 
d'Asie.  Le  centre  de  la  nationalité  renaissante 
fut  reporté  sur  un  affluent  du  Volga,  le  plus  asia- 
tique des  fleuves  russes.  Kiev  avait  été  une  ville 
à  moitié  byzantine.  Moscou  fut  une  cite  à  moitié 
mongolique  et  l'est  restée  en  dépit  du  temps  et 
des  hommes,  tandis  qu'une  troisième  capitale, 
celle-ci  européenne,  s'élevait  plus  tard  sur  les 
bords  de  la  Neva  grâce  au  génie  de  Pierre  le  Grand. 

Placés,  comme  les  premiers  Capétiens,  au  cen- 
tre d'un  grand  pays  morcelé  par  une  féodalité 
barbare;  soumis  en  outre  à  la  domination  bru- 
tale des  Tatars-Mongols,  les  premiers  princes  de 
Moscou  entreprirent  contre  leurs  innombrables 
adversaires  une  lutte  où  la  perfidie  et  la  ruse 
furent  employées  de  préférence  aux  moyens  che- 
valeresques. Humbles  devant  les  Tatars,  arro- 
gants devant  leurs  compatriotes,  peu  belliqueux, 
grands  acheteurs  de  terre,  fort  amis  du  clergé, 
protecteurs  des  moines  de  Troitsa,  les  grands- 
princes  moscovites  agrandirent  lentement  l'hum- 
ble domaine  fondé  par  Daniel,  fils  d'Alexandre 
Nevski.  Tels  furent  le  servile  Georges  Danilo- 
vitch  (13l)3-13"25),  le  persécuteur  de  Michel  de 
■iver  et  l'humble  ami  des  khans  ;  Ivan  Kalita 
(1328-1340),  le  dévot;  Siméon  le  Superbe  (1340- 
(1353),  qui  remplit  le  Kremlin  d'églises,  Ivan  II 
le  Débonnaire  (1353-1359),  et  Dmitri  de  Sousdal. 

Cependant,  l'empire  éphémère  des  Tatars  tom- 
bait en  ruine.  Un  héros  apparut,  le  valeureux 
Dmitri  Ivanovitch,  plus  célèbre  sous  le  nom  de 
Dmitri  Donskoï  (1363-1389).  Débarrassé  de  ses 
premiers  adversaires,  les  princes  de  Tver,  de 
Riazan  et  de  Lithuanie,  il  fond  sur  l'armée  ta- 
tare,  la  bat  sous  Riazan  (I37S),  la  poursuit  aux 
rives  du  Don,  et  remporte,  sur  toutes  les  hordes 
réunies  du  grand-khan  Marnai,  l'inoubliable  vic- 
toire de  Koulikovo  ou  du  «  Champ  des  bécas- 
ses »  (1380).  Moscou  fut  reprise,  il  est  vrai,  et 
saccagée.  .Mais  l'héroïsme  des  vainqueurs  de  Kou- 
likovo avait  porté  à  la  domination  étrangère  un 
coup  mortel,  tout  comme,  à  la  même  époque,  la 
vaillance  de  Du  Guesclin  et  l'habileté  de  Char- 
les V  émancipaient  une  première  fois  la  France 
de  la  domination  des  Anglais. 

VassiliDmitriévitch(13î>9-1425)  etVassili  l'Aveu- 
gle (liib-\iij'l)  revinrent  à  la  politique  de  pru- 
dence et  de  servilité.  Elle  leur  réussit.  Le  pre- 
mier, enfermé  dans  Moscou,  laissa  passer  les 
invasions  lithuaniennes  et  tatares.  Le  second, 
après  vingt  ans  d'efforts,  parvint  i  se  débarrasser 
des  princes  apanages  Georges  et  Cliémiaka,  et  fit 
trembler  Novgorod. 


Trois  hommes,  Ivan  le  Grand,  Vassili  Ivanovitch 
et  Ivan  le  Terrible,  achevèrent  la  révolution  lente- 
ment commencée  par  les  premiers  princes  mosco- 
vites. En  Angleterre,  en  France,  en  Espagne,  les 
Tudors,  Louis  XI  et  Ferdinand  le  Catholique  éle- 
vaient la  royauté  sur  les  débris  du  monde  féodal. 
Telle  fut  aussi  l'œuvre  des  princes  de  Moscou,  et 
quelle  qu'ait  été  leur  férocité,  leur  perfidie,  leur 
violence,  c'est  à  eux  que  la  Russie  dut  son  unité 
nationale  et  sa  délivrance. 

Ivan  m  le  Grand,  véritable  créateur  de  l'empire 
moscovite,  soumit  d'abord  la  turbulente  cité  de 
Novgorod  (1471-1481)  et  détruisit  toutes  ses  fran- 
chises ;  dompta  Viatka  (1489)  ;  annexa  Tver,  Ros- 
tov  et  laroslavl.  En  même  temps,  il  secouait  1& 
joug  des  Tatars  (148U),  et  prenait  sur  l'Islam  la 
grande  ville  de  Kazan  (1487).  Deux  guerres  heu- 
reuses contre  les  Lithuaniens  portèrent  sa  fron- 
tière à  la  Desna,  puis  à  la  Soja  (1494  et  1503).  Ta- 
tars, Lithuaniens,  chevaliers  Porte-glaives  étaient 
partout  vaincus.  Le  mariage  d'Ivan  avec  une  prin- 
cesse byzantine,  Sophie,  iille  de  Thomas  Paléolo- 
gue  (1472),  ouvrit  la  Moscovie  barbare  h  l'influence 
heureuse  de  la  Renaissance  et  de  la  Grèce.  Aris- 
tote  Fioraventi  organisa  l'artillerie  russe.  Pié- 
tro  Antonio  construisit  des  palais  et  Théodore 
Lascaris  fonda  des  bibliothèques. 

Sous  Vassili  Ivanovitch  (1505-1535),  le  mouve- 
ment ne  s'arrêta  pas.  La  république  de  Pskov 
anéantie  (1510),  Riazan  et  Novgorod-Severski  con- 
fisquées sur  leurs  princes,  Vassili  put  recommencer 
la  double  lutte,  à  l'orient  contre  les  Tatars,  i  l'oc- 
cident contre  les  Lithuaniens.  La  reprise  de  Smo- 
lensk sur  l'armée  lithuanienne  (1514)  fut  ratifiée 
douze  ans  plus  tard.  Une  invasion  des  Tatars  cri- 
méens  fut  repoussée.  A  l'intérieur,  des  exécutions 
nombreuses  apprenaient  aux  boiars  que  les  temps 
de  la  licence  féodale  étaient  passés. 

VIII.  Iv'in  le  Terrible.  —  Ivan  IV,  le  Terrible 
(1533-1584),  devait  achever  cette  grande  tache. 
Profond  politique  et  sombre  despote,  ami  des  petits 
et  persécuteur  des  boiars,  il  a  trouvé,  comme  no- 
tre Louis  XI,  des  historiens  pour  le  blâmer  et 
d'autres  pour  l'applaudir.  Son  règne  sanguinaire 
marque  toutefois  une  époque  de  progrès  pour  la 
nation. 

La  régente  Hélène  Glinska,  mère  du  jeune  Ivan, 
venait  de  mourir  empoisonnée  parlesnobles  (1538). 
Lui-même  avait  failli  périr.  Il  dissimula,  puis  fit 
massacrer  le  chef  des  boiars,  André  Chouiski(1543), 
et  se  décerna  à  lui-même  le  titre  impérial  romain 
et  byzantin  de  tsar  ou  de  César  (1547).  Cette  révo- 
lution fut  sanctionnée  par  un  premier  appel  aui 
Etats  généraux  de  la  nation  (1549). 

Désormais  sur  de  son  pouvoir,  Ivan  IV  se  jette 
sur  les  deux  royaumes  musulmans  et  tatares  de 
Kazan  et  d'Astrakhan.  La  cité  de  Kazan,  défendue 
par  35,000  guerriers,  est  prise  d'assaut  après  un 
siège  mémorable  (1552).  Astrakhan  est  conquis 
(1554),  et  la  Russie  moscovite  s'étend  désormais 
des  bords  du  lac  Peïpous  aux  rivages  de  la  Cas- 
pienne. 

Partout  attaqué,  Ivan  IV  fait  tête  à  tous  ses  ad- 
versaires ;  aux  Suédois  de  Gustave  Vasa  (1554),  et 
l'ordre  des  chevaliers  Livoniens  dont  il  enlève  les 
places-fortes  (1558)  ;  au  roi  de  Pologne  Sigismond- 
Auguste  ;  enfin  aux  boiars  révoltés.  La  trahison 
d'André  Kourbski  le  pousse  aux  plus  atroces  ven- 
geances. Mais  les  Tatars  criméens  soutenus  par 
les  Turcs  viennent  incendier  Moscou  (1571).  Le 
vaillant  Etienne  Batory,  élu  roi  de  Pologne,  reprend 
Pobtsk  et  assiège  Pskov  (158 1),  tandis  que  les 
Suédois  occupent  Narva. 

Ivan  IV  vaincu  ne  désespérait  pas.  Il  recher- 
chait l'alliance  d'Elisabeth  d'Angleterre  (1558),  et 
clierchait  à  créer  la  navigation  de  la  mer  Blanche. 
D'ailleurs  l'audace  d'un  aventurier  cosaque  lui 
donnait  un  monde.  Irmak  Timofeiévitch,  i  la  tête 


RUSSIE 


—  1969  — 


RUSSIE 


d'une  poignéo  de  cavaliers,  découvrait  et  conqué- 
rait la  Sibérie  sur  le  khan  Koutchoum  (1580-l.'iSl). 
Il  se  noya  dans  l'Irticli,  léguant  un  monde  inex- 
ploré au  tsar  de  Moscou.  La  môme  année  mourait 
Ivan  le  Terrible,  inconsolable  d'avoir,  trois  ans  au- 
paravant, tué  son  fils  aîné  (I5S4). 

Sur  cette  Russie  barbare,  sur  cette  Chine  euro- 
péenne, mal  façonnée  par  la  rude  main  des  Ivan, 
régnaient  encore  les  mœurs  et  les  usages  de  l'A- 
sie. Pourtant  le  souffle  bienfaisant  de  la  Renais- 
sance allait  la  régénérer  peut-fttre,  quand  une 
atroce  guerre  civile  la  rejeta  pour  vingt  années 
dans  le  sang  et  les  larmes. 

IX.  —  linris  Godouniiv  et  les  faux  Dmitri.  — 
Ivan  le  Terrible  laissait  deux  fils  :  le  faible  Féodor, 
qui  fut  proclamé  tsar,  et  le  jeune  Dmitri,  qui  fut 
relégué  h  Ouglitcli  et  secrètement  assassiné  par 
les  agiMits  de  Boris  Godounov  (1591).  Celui-ci, 
tout-puissant  sur  l'esprit  de  Féodor  dont  il  était  le 
beau-père,  se  débarrasse  de  ses  rivaux  Chouiski  et 
Belski,  réagit  contre  la  politique  d'Ivan  le  Terrible 
et  s'appuie  sur  le  clergé  et  les  boiars.  Il  fait  con- 
sacrer l'arclievftque  de  Mo.'-cou  patriarche  souve- 
rain de  la  Russie.  Il  décide  l'indolent  Féodor  à 
signer  le  célèbre  oukase  qui  déclarait  le  paysan 
russe  désormais  asservi  à  la  glèbe,  précisément 
à  l'époque  où  le  servage  était  battu  en  brèche 
partout  ailleurs  en  Europe. 

Féodor  mort  (151)8),  la  noblesse  et  leclergéof- 
frirent  le  trône  à  Boris.  Parvenu  à  réaliser  son 
rêve  ambitieux,  celui-ci  chercha  du  moins  h  s'en- 
tourer de  savants  et  d'artistes  étrangers.  Mais  la 
malédiction  populaire  pesait  sur  le  représentant 
des  nobles.  Un  imposteur,  Grégoire  Otrépiev, 
moine  défroqué  du  couvent  des  Miracles,  se  sou- 
leva, prétendant  être  ce  Dmitri  qu'on  disait  mort 
à  Ouglitch.  Réfugié  en  Pologne,  le  faux  Dmitri  en 
revient  avec  une  armée  et  l'appui  du  roi  Sigisniond 
et  des  catholiques  (1604).  La  mort  de  Boris  (1G05) 
lui  ouvre  les  portes  de  Moscou,  où  les  partisans 
du  feu  tsar  sont  massacrés. 

Cependant  la  prédilection  d'Otrépiev  pour  les 
Polonais  exaspère  le  peuple  moscovite.  Le  faux 
Dmitri  est  surpris  et  égorgé  par  les  boiars  (IG06). 
Ceux-ci  proclament  leur  chef,  Vassili  Chouiski, 
énergique  vieillard.  Mais  l'exemple  d'Otrépiev  a 
engendré  de  nombreux  imposteurs.  Un  second 
faux  Dmitri  vient  assiéger  Moscou.  Il  est  soutenu 
par  les  Cosaques,  troupe  aventureuse  de  guerriers, 
de  bandits  ou  de  serfs  révoltés  qui  sont  venus 
chercher,  aux  bords  du  Dniepr,  la  libre  indépen- 
dance du  désert.  Les  paysans  s'insurgent.  Les 
Polonais  passent  la  frontière,  enlèvent  Smolensk 
après  un  combat  sanglant.  Vassili  Chouiski  est  dé- 
posé, enforiné  dans  un  monastère.  Le  second 
Dmitri  meurt  assassiné,  et  Moscou  ouvre  ses  por- 
tes à  l'armée  polonaise  enproclamanttsarVladislas, 
fils  du  roi  de  Pologne. 

La  Russie  semblait  anéantie  comme  la  France 
au  temps  de  Charles  VII.  Un  Polonais  régnait  au 
Kremlin;  les  Suédois  avaient  saisi  Novgorod  la 
grande.  Le  peuple  se  soulève  dans  Moscou  sans 
succès.  A  Kazan,  à  Nijni-Novgorod,  la  résistance 
s'organise.  Le  boucher  Kou»ma  Minine  et  le 
prince  Pojarski  entraînent  la  foule.  Les  Polonais, 
bloqués  dans  le  Kremlin,  se  rendent  après  avoir 
incendié  la  ville  (lOlî).  Une  assemblée  composée 
des  délégués  de  tous  les  corps  de  la  nation  se 
réunit  et  proclame  tsar  le  jeune  Michel  Romanov, 
j'ancôire  de  la  dynastie  qui  règne  aujourd'hui  sur 
la  Russie  (161:!). 

X.  ie>-  /jvemiers  Romanov.  —  Moscou  était  dé- 
livrée, mais  la  Russie  n'était  pas  reconquise.  Mi- 
chel Romanov  dut  la  reconstituer  par  ses  victoires 
(l(;i:i-l(;45;.  Astrakhan  fut  arrachée  au  khan  des 
latars  du  Don;  les  Cosaqiies  Zaporognes  domptés; 
la  Suéde,  réconciliée  par  le  traité  de  Stolbova.  Res- 
tait le  principal  ennemi,  la  Pologne.  Conseillé  par 

tl'  Paktie. 


son  père,  l'intelligent  Philarète,  métropolitain  de 
Moscou,  Michel  se  tint  sur  une  prudente  défensive. 
Sigisniond  de  Polognefutponrtantvictorieux(1633). 
Vaincue  sur  les  champs  de  bataille,  la  Russie  es- 
sayait de  se  soulever  par  la  diplomatie,  de  pren- 
dre rang  dans  la  famille  européenne.  Elle  s'al- 
liait avec  la  Suède,  ébauchait  une  autre  alliance 
avec  la  France  (1(115-1629),  essayait  de  réorgani- 
ser son  armée  naissante.  Les  querelles  religieu- 
ses qui  commençaient  à  déchirer  la  Pologne,  et 
le  soulèvement  des  libres  Cosaques  de  l'Ukraine 
contre  la  persécution  catholique  et  l'oppression 
aristocratique  des  Polonais,  allaient  fournir  un 
plus  vaste  théâtre  à  l'activité  militaire  dos  tsars 
de  Moscou. 

Ce  rôle  guerrier  fut  celui  d'Alexis  Mikhailovitch 
(lGi5-16"(i),  prince  débonnaire  dont  les  circons- 
tances firent  un  conquérant.  Guidé  par  le  boiar 
Marozov,  le  Richelieu  de  cet  autre  Louis  XIII,  il 
remet  un  peu  d'ordre  dans  l'Etat  bouleversé, 
écrase  les  Novgorodiens  et  les  Pskovites  révoltés, 
calme  l'émeute  de  Moscou  (ICi.î),  et  prend  en 
main,  contre  les  Polonais,  la  cause  des  Cosaques 
de  l'Ukraine. 

Appuyé  sur  les  Zaporogues,  aventuriers  vail- 
lants campés  le  long  du  Dniepr,  Bogdan  Chmiel- 
nitski,  le  héros  de  la  Petite-Russie,  soulève  les 
paysans  et  les  Cosaques  contre  la  gentilhommorio 
polonaise.  Une  guerre  à  mort  éclate,  où  les  Cosa- 
ques exterminent  à  la  fois  les  Polonais,  les  Juifs, 
les  prêtres  catholiques.  Vainqueur  i  la  bataille  de 
Korsoun,  Bogdan  enveloppe  à  Zborovo  le  roi  de 
Pologne  Jean-Casimir,  et  rançonne  Leniberg. 
Vaincu  à  son  tour,  il  se  jette  dans  les  bras  du 
tsar  moscovite,  que  la  conformité  de  religion  et 
la  haine  du  nom  polonais  lui  donnent  pour  allié 
et  pour  suzerain.  La  guerre  est  votée  par  l'assem- 
blée de  Moscou  (1()54).  Elle  débute  par  d'éclatants 
succès.  Polotsk,  Mohilev  et  Smolensk  sont  repri- 
ses (1654);  Vilna,  Grodno  occupées  (1(;55);  les 
Suédois,  vaincus  i  leur  tour,  perdent  Dunabourg 
et  Dorpat  (1656).  La  paix  de  Cardis  rétablit  l'or- 
dre le  long  de  la  Baltique  (1661). 

Mais  Jean-Casimir  prépare  sa  revanche.  Vain- 
queur de  Schérémétiev  à  Tchouduovo,  il  envahit 
rUkraine.  Le  traité  d'Androussovo  abandonne 
pourtant  i  la  Russie  Smolensk,  Kiev  et  toute  la 
rive  gauche  du  Dniepr  (1661). 

Restait  à  plier  au  joug  les  Cosaques  de  la  Pe- 
tite-Russie, ainsi  que  ceux  du  Don.  Bogdan  s'é- 
tait fait  moine  ;  mais  Stenka  Razine,  à  la  tête 
d'une  armée  d'aventuriers,  désolait  les  rives  du 
Don  et  du  Volga,  prenait  Saratov,  Samara,  Nijni. 
Moscou  trembla,  comme  plus  tard  au  temps  de 
Pougatschev.  Stenka  Razine,  vaincu  par  Baria- 
tinski,  fut  égorgé  (l(i"l). 

Vainqueur  des  Polonais,  des  Suédois  et  des  Co- 
saques, Alexis  Mikhailovitch  voulut  réformer  et 
civiliser  sa  grossière  Moscovie.  Par  les  conseils 
du  paysan  Nikon,  devenu  patriarche  de  Moscou, 
une  révision  des  livres  saints  débarrassa  les  ma- 
nuscrits slavons  des  fautes  et  des  interpolations, 
souvent  ineptes,  qui  s'y  étaient  introduites.  Mais 
le  peuple  et  les  moines  protestèrent.  Il  fallut 
dompter  à  coups  de  canon  ces  observateurs  pas- 
sionnés du  traditionnalisme  (16.i4l668).  Les  mo- 
nastères de  la  mer  Blanche  furent  pris  d'assaut. 
En  maint  endroit  les  paysans  refusèrent  d'admet- 
tre la  réforme  nikonienne  et  formèrent  ces  in- 
nombrables sectes  de  ras/co/ni/ts  (vieux  croyants), 
qui  s'élèvent  aujourd'hui  à  plus  de  treize  millions 
d'individus. 

Entoures  d'hommes  savants  tels  que  Siméon 
Polotski,  Matvéiev  et  le  Serbe  Krijanitch,  le  tsar 
avait  fait  élever  dans  Moscou  un  premier  théâtre, 
avait  noué  des  relations  diplomatiques  avec  Char- 
les I"  d'Anglutcrre  et  Louis  XIV.  On  jota  lus 
bases  d'un  traité  de  commerce  avec  ColbiTi. 


RUSSIE 


—  1970  — 


RUSSIE 


Le  fils  aîné  d'Alexis,  Féodor  {1G7G-1682),  pour- 
suivit son  œuvre.  Le  klian  de  Crimée  lui  recon- 
nut la  suzeraineté  du  pays  des  Zaporogues. 
Louis  XIV  reçut  ses  ambassadeurs  (|C81).  Une 
Académie  gréco-latine  fut  fondée  à  Moscou.  Pré- 
parée par  les  trois  premiers  Romanov,  l'œuvre 
de  Pierre  le  Grand  était  désormais  possible. 

XI.  —  l'ipn-e  le  Grand  (1682-1725).  —  La  Rus- 
sie avait  été  jusqu'alors  une  puissance  d'abord 
exclusivement  byzantine,  puis  asiatique.  La  gloire 
de  Pierre  le  Grand  fut  de  faire  de  son  peuple 
une  nation  européenne.  Esquissons  brièvement 
ce  grand  règne,  qui  demanderait  Ji  être  étudié, 
comme  celui  de  Catherine  II,  dans  une  histoire 
spéciale. 

Alexis  Mikhaîlovitch  avait  laissé  trois  fils,  Féo- 
dor, Ivan  et  Pierre,  et  neuf  filles  dont  la  plus  in- 
telligente était  la  célèbre  Sophie.  Féodor  mort,  i 
qui  reviendrait  l'empire  moscovite  7  Ivan  était  à 
peu  près  idiot.  Le  patriarche  elles  boiars  élurent 
le  jeune  Pierre,  qui  n'avait  pas  neuf  ans.  Mais 
l'ambitieuse  Sophie,  aidée  de  ses  sœurs,  sou- 
lève la  garde  des  streltsi  (tireurs).  Les  parti- 
sans de  Pierre  sont  massacrés,  sa  mère  insultée, 
le  Kremlin  inondé  de  sang.  Ivan  et  Pierre  sont 
proclamés  conjointement  tsars  moscovites,  sous 
la  régence  ou  plutôt  la  domination  altière  de 
Sophie  (1682). 

Menacée  i  son  tour  par  la  turbulence  des 
streltsi,  Sophie  les  décime.  Son  favori,  le  prince 
Galitzine,  essaie  vainement  de  nouer  une  alliance 
avec  Louis  XIV  (1687),  puis  entreprend  deux  ex- 
péditions malheureuses  contre  le  khan  de  Cri- 
mée (1687-16X9).  Un  revirement  d'opinion  se  pro- 
duit contre  la  régente.  I/intelligence  et  la  valeur 
précoce  du  jeune  Pierre  séduisent  la  foule  et  les 
soldats.  Sophie  est  enfermée  dans  la  prison  d'un 
monastère  (1689),  ses  favoris  exilés  ou  mis  à  mort. 
Le  règne  de  Pierre  I'^'  commençait. 

Pierre  a  dix  sept  ans.  Passionnément  épris  de 
la  civilisation  européenne,  il  rêve  une  transforma- 
tion complète  de  l'empire  et  de  la  société  russe. 
Il  s'entoure  d'étrangers,  IcSuisse  Lefort,  l'Anglais 
Gordon.  Il  apprend  le  hollandais,  l'allemand,  le 
latin.  D'Arkhangel,  il  essaie  de  lancer  une  flottille 
sur  la  mer  Blanche.  Contre  les  Turcs,  il  entreprend 
une  double  expédition  qui  doit  lui  ouvrir  la  mer 
Noiri'.  Vaincu  devant  Azov  (1695),  il  s'en  empare 
bientôt  à  la  tète  des  régiments  réguliers  qu'il  a 
formés,  des  1860  radeaux  ou  galères  qu'il  a  fait 
construire  (1690).  Mais  il  lui  faut  voir  par  ses 
yeux  l'Occident.  Il  court,  déguisé  en  simple  ma- 
telot, demander  îi  la  Hollande,  à  l'Angleterre,  le 
secret  de  leur  puissance  navale  (lei97).  11  travaille 
de  ses  mains,  dès  quatre  heures  du  matin,  sur 
les  cliantiers,  apprend  la  construction,  la  manœu- 
vre, le  pointage. 

Mais  une  formidable  opposition  éclate,  en  Rus- 
sie, dans  les  rangs  du  clergé  et  du  peuple,  contre 
ce  tsar  ami  des  étrangers  et  du  progrès.  Les 
streltsi  se  révoltent  à  Azov,  à  Moscou.  Pierre  ac- 
court de  Vienne  (1698),  dissout  la  milice,  châtie  les 
mutins,  couvre  Moscou  de  potences,  déiapile  de  sa 
main  les  plus  rebelles,  répudie  sa  femme  Eudoxie 
Lapouchine,  ennemie  des  réformes,  enferme  plus 
étroitement  Sophie. 

Les  Cosaques  du  Don  s'insurgent  (1706)  ;  il  les 
extermine.  Ceux  de  l'Ukraine  ont  à  leur  tête  le 
légendaire  Mazeppa,  son  allié.  Les  succès  des 
Suédois  décident  Mazeppa  k  quitter  l'alliance  russe 
(1709);  mais  il  en  est  châtié  par  la  dévastation  de 
l'Ukraine,  désormais  bien  conquise,  et  par  l'exil  et 
la  mort  à  Bender. 

Une  plus  terrible  lutte  absorbait  alors  toute 
l'attention  de  Pierre  I".  Charles  XII  venait  d'en- 
trer en  scène.  A  qui  serait  la  domination  de  la 
Baltique  et  de  ses  rives?  Pierren'y  possédait  encore 
ni  un  pouce  de  terre  ni  un  vaisseau.  Le  Danemark 


et  la  Pologne  se  liguent  avec  lui  contre  la  Suède. 
Mais  l'armée  suédoise  est  partout  victorieuse.  Le 
tsar  se  jette  sur  l'Ehstonie,  assiège  Narva  avec 
une  cohue  de  63,000  soldats  guidés  par  des  offi- 
ciers allemands.  Charles  XII,  à  la  tête  de 
8400  hommes,  disperse  cette  multitude  en  l'ab- 
sence de  Pierre  (30  novembre  1700),  puis  se  dé- 
tourne pour  tomber  sur  la  Pologne. 

Cette  écrasante  défaite  n'a  pas  abattu  le  tsar. 
Il  réorganise  l'armée  à  la  mode  européenne,  fond 
les  cloches  des  églises  pour  en  faire  300  pièces 
d'artillerie.  L'habile  Schérémétiev,  son  général, 
inflige  une  double  défaite  au  Suédois  Slipenbach 
en  Livonie  (1701-1702).  Menchikov  remporte  un 
nouveau  succès  (1706)  devant  Kaliscli.  L'Ingrie 
est  conquise,  Narva  enlevée  (170i):  Riga  ouvre 
ses  portes.  Le  pavillon  russe  flotte  sur  la  Neva  et 
la  Baltique. 

Charles  XII,  exaspéré  de  ces  succès  d'un  en- 
nemi qu'il  dédaigne,  jette  à  la  torture  l'ambassa- 
deur du  tsar,  le  Livonien  Reynold  Patkul  (1707). 
Conseillé  par  le  perfide  Marlborough,  il  se  jette  de 
nouveau  sur  la  Russie  avec  43,000  soldats  d'élite, 
repousse  l'arrière-gard'  ennemie  à  Grodno  (1708), 
à  Hollosin,  à  Mohilev,  à  Dobroe,  mais  en  perdant 
la  moitié  de  ses  troupes.  Pierre  se  replie  sur 
Moscou.  Ses  éclaireurs  harcèlent  et  affament  l'ar- 
mée suédoise.  Charles  XII  appelle  Lœwenhaupt  et 
ses  18,000  hommes  de  réserve.  Mais  l'habile 
Schérémétiev  anéantit,  dans  les  marais  de  la 
Saja,  les  trois  quarts  de  ces  troupes. 

Charles  XII  s'arrête.  Appelé  par  Mazeppa,  il 
tourne  au  sud  vers  l'Ukraine.  L'horrible  hiver  de 
1709  achève  de  démoraliser  son  armée.  Il  s'a- 
charne au  siège  de  Poltava,  malgré  ses  g.néraux. 
Pierre  passe  alors  de  la  défensive  à  l'offensive. 
Avec  60,000  hommes,  il  vient  débloquer  Poltava 
qu'assiègent  les  29,000  soldats  épuisés  du  roi  de 
Suède.  Charles  XII  est  blessé,  ses  troupes  se  dé- 
bandent sous  le  canon  (8  juillet  1709).  Le  roi 
vaincu  s'enfuit,  comme  un  aventurier,  derrière  Is 
frontière  turque,  abandonnant  les  restes  de  sa  glo 
rieuse  armée,  16,000  soldats  qui  capitulent  ave( 
Lœwenhaupt  aux  bords  du  Dniepr.  La  victoire  de 
Poltava  inaugurait  la  prépondérance  de  la  Russie 
en  Orient,  et  légitimait  les  réformes  hardies  d( 
Pierre  le  Grand. 

Quelles  étaient  ces  réformes  ?  La  place  nous 
manque  pour  les  raconter  complètement.  Totj 
était  h  créer.  Il  créa  tout.  Imprimeries,  hôpi- 
taux, casernes  s'élevèrent.  La  flotte,  qui  n'exis 
tait  pas,  monta  d'un  seul  coup  à  50  vaisseaux  dt 
ligne,  800  bâtiments  légers,  30000  matelots.  Uni 
armée  régulière  de  v  10  000  hommes,  divisée  en  ré- 
giments de  fantassins  et  de  dragons,  se  form: 
sous  des  chefs  étrangers  et  d'après  la  tactique 
française  et  allemande.  Des  journaux  parurent 
Des  écoles  s'ouvrirent.  Ordre  fut  donné  aux  vieu' 
Moscovites  d'adopter  les  modes  occidentales,  di 
se  couper  la  barbe,  de  dépouiller  la  robe  asiatique 
Défense  fut  faite  de  maintenir  les  femmes  enfer 
mées  dans  le  gynécée.  L'établissement  du  tchini 
ou  noblesse  administrative,  divisée  en  14  degrés 
stimula  le  zèle  des  fonctionnaires  et  fit  de  la  no 
blesse  la  récompense  des  services  ou  du  talent 
Une  administration  savante  entama  partout  1 
lutte  contre  l'anarchie  et  les  résistances  cies  par 
tisans  du  vieux  système.  La  police  fut  créée  ;  1 
patriarcat  de  Moscou,  sorte  de  papauté  russe,  aboi 
(1700),  pour  éviter  i  l'Etat  ces  luttes  entre  le  gou 
vernement  et  l'Église  qui  tant  de  fois  ont  désol 
l'Occident.  Des  milliers  d'étrangers,  encouragé 
par  la  faveur  du  tsar,  établirent  en  Russie  de 
manufactures,  des  magasins,  des  écoles.  L'alpha 
bet  fut  réformé,  la  géographie  développée,  de 
canaux  crrusés  ;  des  ports  s'ouvrirent.  Enfin  se 
leva,  sur  le  delta  de  la  majestueuse  Neva,  la  cap 
taie  nouvelle,  audacieusement  jetée  sur  la  Baltiqut 


RUSSIE 


—  1971  — 


RUSSIE 


la  superbe  Pétersbourg,  qui  devait  éclipser  vite  la 
vieille  et  asiatique  cité  de  Moscou  (n03). 

La  dernière  partie  du  rèi;iie  ne  démentit  pas  ces 
grandes  choses.  Tandis  que  Cliarles  XII  s'endor- 
mait h  Bender,  Pierre  se  jette  sur  ses  provinces, 
occupe  Réval  (1710),  toute  la  Livonie,  toute  l'Elis- 
tonie,  entame  la  Finlande.  Cependant  la  Turquie 
faisait  mine  de  soutenir  les  Suédois.  Pierre,  enivré 
,par  le  succès,  s'avança  imprudemment  sur  le 
Prutli,  appelé  par  les  liospodars  Moldo-Valaques, 
Cantacuzène  et  Cantomir.  Enveloppé  le  long  du 
Prntli,  avec  38000  hommes,  par  les  200000  Turcs 
du  grand-vizir  Baltagi-Méhémet,  il  est  sauvé  grâce 
à  la  présence  d'esprit  de  sa  femme  Catherine, 
mais  abandonne  Azov  au  sultan  (1711).  Il  s'en  ven- 
gea sur  les  Suédois,  qui  perdirent  Helsingfors  et 
Abo  (ni3). 

Cependant  Louis  XIV  expirait,  et  Pierre  1°'  ca- 
ressait l'espoir  de  conclure  une  alliance  avec  la 
France  devenue  moins  hostile.  Il  apparut  à  Ver- 
sailles (n  17),  étonnant  cette  cour  raffinée  par  son 
génie  barbare  et  ses  allures  étranges.  Il  tourna  le 
dos  aux  grands  seigneurs  et  s'entretint  de  préfé- 
■rence  avec  les  ouvriers  et  les  soldats.  Vainement  il 
s'efforça  d'opérer  avec  la  France  unrapprocliement 
politique  qui  nous  eût  été  bien  utile.  Le  régent 
refusa  tout,  enchaîné  qu'il  était  à  l'Angleterre. 
«  On  a  eu  depuis  lors,  dit  tristemuat  Saint-?:mon, 
un  long  repentir  des  funestes  cliarmesde  l'Angle- 
terre et  du  fol  mépris  que  nous  avons  fait  de  la 
Russie.  1/ 

Charles  XII  mort  (1718),  la  Suède  dévastée  par 
les  flottes  russes  (ni.S-1720  ,  la  cour  de  SiotKholm 
traita.  Par  la  pai.>;  de  Nystadt  (1721),  les  Russes 
gardaient  l'Ingrie,  l'Ehstonie,  la  Livonie  et  l'entrée 
de  la  Carélie  et  de  la  Finlande.  Vainqueur  au  nord, 
Pierre  termina  ses  campagnes  par  une  heureuse 
attaque  au  sud.  La  Perse  perdit  Derbent  et  Bakou 
(1722);  le  Daghestan  et  le  Mazendéran  même,  au 
sud  de  la  Caspienne,  furent  occupés. 

Mais  un  drame  sanglant  venait  d'affliger  les  der- 
niers jours  du  grand  tsar.  Sa  première  femme  et 
son  fils  conspiraient  contre  lui  avec  tous  les  enne- 
mis des  réformes.  11  avait  enfermé  Eudoxie  et  dis- 
gracié Alexis,  l'ami  des  rnuines.  Ce  dernier  s'en- 
fuit en  Allemagne,  puis  reparut  (17 18).  Arrêté, 
jugé,  convaincu  de  liaute-trahison,  il  fut  mis  à 
mort.  Les  principaux  conspirateurs,  Glébov  etLa- 
pouchine,  périrent  dans  les  tortures.  Dès  1712, 
Pierre  avait  épousé  solennellement  la  Livonienne 
Catherine,  ancienne  servante  d'auberge,  dont  le 
■talent  et  l'énergie  l'avaient  sauvé  aux  bords  du 
Pruth.  En  1723,  elle  fut  couronnée  impératrice. 
Deux  ans  après,  le  fondateur  de  la  puissance 
russe,  Pierre  le  Grand,  expirait  (1725). 

XII.  Cat/iei-ine  I"  (1725-1727).  —  Sa  veuve,  la 
paysanne  livonienne,  fut  proclamée  impératrice 
sous  le  nom  de  Catherine  I".  Dans  cette  Russie 
ou  naguère  les  femmes  étaient  à  peu  près  escla- 
ves, c'était  une  révolution.  Soutenue  par  les  étran- 
gers, les  soldats,  les  vieux  compagnons  du  tsar, 
Catherine  fut  fidèle  à  la  politique  de  son  époux, 
fonda  l'Académie  des  sciences  (1726),  conquit  la 
Courtaude,  choisit  pour  favori  Menchikov.  Elisa- 
beth, fille  de  Pierre  le  Grand,  fut  un  moment  fiancée 
à  Louis  XV. 

XIII.  Pierre  II  (1727-1730).  —  La  mort  de  Ca- 
therme  fit  passer  la  couronne  à  Pierre,  fils  de  ce 
tsarévitch  Alexis  que  Pierre  le  Grand  avait  immolé 
au  salut  de  son  œuvre.  Excité  par  Elisabeth,  ce 
jeune  tsar  secoua  la  pesante  tutelle  de  Menchikov 
(1727),  qui  mourut  disgracié  (1729).  Les  Dolgorouki 
le  remplacèrent,  mais  la  disgrâce  allait  les  attein- 
dre à  leur  tour,  quand  Pierre  II  expira  (i720). 

XIV.  Anne  Ivaiwvna  (1730-1740).  —  Sa  mort 
amena  un  double  coup  d'Etat.  A  qui  reviendrait 
1  empire?  Les  lois  de  succession  n'étaient  guère 
J)récises.  Deux  filles  restaient  du  tsar  Pierre  ;  deux 


autres  de  son  frère  Ivan.  L'aiiiée  de  ces  dernières, 
Anne  Ivanovna,  fut  choisie  par  le  conseil  secret, 
mais  dut  jurer  d'obéir  h  la  constitution  improvi- 
sée parles  membresde  l'aristocratie  (1730).  Quel- 
ques mois  après,  un  soulèvement  des  troupes,  du 
clergé  et  du  peuple,  renversait  le  conseil  secret, 
dont  les  membres  périrent  dans  les  tortures,  et 
rendait  à  Annelo  pouvoir  absolu  (1731). 

Anne  Ivanovna,  veuve  du  duc  de  Courlande,  mé- 
prisait les  Russes  et  ne  voyait  que  par  les  yeuï 
des  Allemands.  Son  favori,  le  cynique  Biren,  peu- 
pla la  cour  d'aventuriers  germaniques.  Il  en  rem- 
plit la  garde  à.  cheval,  et  l'école  des  cadets  (assez 
semblable  .'i  notre  école  de  Saint-Cyr)  dut  ensei- 
gner aux  officiers  l'histoire  d'Allemagne  et  non 
celle  de  leur  pays. 

A  l'extérieur,  Anne  abandonnait  les  conquêtes 
de  Pierre  le  Grand  sur  la  Perse.  En  revanche,  elle 
soutint  h  Varsovie  Auguste  II  contre  Stanislas 
Leszczinski  (1733).  Ce  dernier  fut  chassé,  bloqué  i 
Dantzig  par  l'armée  russe  que  commandait  l'Al- 
lemand Munich.  Le  petit  bataillon  français  du 
comte  de  Plélo  ne  put  le  délivrer.  Dantzig  fut 
pris.  Pour  appuyer  l'Autriche,  une  armée  russe 
s'avançait  déjà  au  coeur  de  l'Allemagne,  à  Heidel- 
berg,  juand  le  traité  devienne  termina  la  guerre 
en  donnant  la  couronne  de  Pologne  au  candidat 
de  la  Russie  (1735).  Toujours  appuyée  par  l'Au- 
triche, Anne  se  retourna  contre  les  'furcs.  La 
Turquie  fut  assez  forte  encore  pour  vaincre  les 
Autrichiens,  mais  succomba  sous  les  coups  des 
armées  russes.  Munich  et  Lascy  enlevèrent  Azov, 
Pérékop,  Batchi-Sarai,  Otchakov  et  Chotim  (1736- 
1739>  La  Russie  recula  sa  frontière  du  Dniepr  au 
Boug  (traité  de  Belgrade,  1739). 

XV.  Ivan  Vide  B;-«;;,yU)ic/t(l740-1741).  —  Anne 
mourut,  léguant  la  régence  au  Courlandais  Biren. 
On  proclama  le  fils  de  sa  sœur,  un  enfantau  ber- 
ceau, sous  le  nom  d'Ivan  VI.  La  cour,  le  gouver- 
nement, les  provinces  furent  entièrement  livrés 
aux  Allemands.  Les  parents  du  petit  empereur, 
Antoine  de  Brunswick  et  Anne  de  Mecklembourg, 
firent  arrêter  Biren  et  renvoyer  Munich.  Ces 
aventuriers  se  déchiraient  entre  eux.  Le  peuple 
grondait.  Un  souffle  de  révolte  passait  sur  les  ca- 
sernes. Elisabeth,  la  fille  aînée  du  grand  tsar  Pierre, 
saisit  le  moment.  Appuyée  par  la  Suède,  encou- 
ragée par  l'ambassadeur  français  La  Chétardie, 
elle  soulève  les  grenadiers  de  Préobrajenski.  Tous 
les  Allemands  sont  arrêtés,  le  petit  Ivan  VI  dé- 
posé, Elisabeth  proclamée  impératrice  (26  octobre 
1741). 

XM.  Elisabeth  Petrovna  {Mil-ndi).  —Forte 
de  l'appui  de  la  nation,  conseillée  par  les  Chou- 
valov,  les  Voronzov,  les  Bestoujev,  Elisabeth  re- 
poussa vigoureusement  l'attaque  desSuédois(1741- 
1743),  leur  enleva  Helsingfors,  leur  fit  signer 
l'humiliant  traité  d'Abo.  Elle  allait  intervenir  en 
faveur  de  Marie-Thérèse  quand  le  traité  d'Aix-la- 
Chapelle  (1748)  arrêta  son  armée  sur  le  Rhin.  La 
grandeur  croissante  de  la  Prusse  effraya  bientôt  la 
cour  de  Russie.  Elle  s'allia  avec  la  France  et 
l'Autriche  contre  Frédéric  II,  et  faillit  l'anéantir. 
D'abord  vaincu  à  Ja?gersdorff  (1758),  puis  vain- 
queur à  Zorndorff  (1758),  le  roi  de  Prusse  fut 
complètement  écrasé  par  les  Russes  à  Ziillichau 
et  à  Kumorsdorff  11759).  Berlin  même  fut  pris 
(1760).  Frédéric  désespéré  songeait  au  suicide, 
quand  la  mort  subite  d'Elisabeth  sauva  la  Prusse 
inO'i).  ,     j 

Ennemie  acharnée  des  Allemands,  des  Juifs,  des 
raskolniks,  Elisabeth  ouvrit  la  cour  aux  idées  et 
aux  moeurs  françaises.  Chouvalov  devint  le  cor- 
respondant de  Voltaire.  L'Université  de  Muscou, 
l'Académie  des  beaux-arts  de  Péiersbourg  furent 
fondées.  L'illustre  Lomonossov,  historien,  poète, 
orateur,  dramaturge,  inaugura  avec  éclat  la  litté- 
rature nationale. 


RUSSIE 


—  1972  — 


RUSSIE 


\ni. Pierre  III  de  Hohiein  (1762).  —  A  cette 
lirincesse  patriote,  h  la  grande  Elisabetli,  succé- 
ilait  un  écervelé,  fanatique  admirateur  de  Frédé- 
ric et  des  Prussiens.  Petit-fils  de  Pierre  le  Grand 
par  sa  mcre  Anne  Pétrovna,  duc  de  Holstein  par 
son  père,  Pierre  III  était  un  véritable  Allemand 
égaré  sur  le  trùne  de  Russie.  Ses  folies,  ses  in- 
sultes à  l'armée,  ses  basses  flatteries  à  l'adresse 
du  roi  de  Pi-usse  excitèrent  une  fermentation 
universelle.  Rompant  avec  la  politique  d'Elisa- 
beth, il  mit  ses  troupes  au  service  de  Frédéric 
contre  l'Autriche  et  la  France,  menaça  d'atta- 
quer le  Danemark,  appela  à  Oranienbaum  une 
garde  allemande.  Une  vaste  conspiration  se  forma 
aussitôt. 

La  femme  de  Pierre  III,  Catherine  d'Anliult- 
Zerbst,  se  mit  à  la  tête  des  mécontents.  Biwi 
qu'Allemande,  elle  embrassa  hardiment  la  cause 
nationale.  Aidée  par  ses  nombreux  favoris,  par  les 
Orlov  surtout,  elle  soulève  les  casernes,  entraine 
l'armée,  le  clergé,  le  peuple,  con!-e  le  tremblant 
Pierre  111  (juin  1762).  Il  abdique,  est  enfermé  au 
château  de  Robclia  où  les  conjurés  l'étranglent. 
L'impératrice  est  proclan^  •  sous  le  nom  do 
Catherine  II.  Vainement  une  poignée  d'officiers 
essaie  de  tirer  de  prison  et  de  proclamer  Ivan  V'I. 
lie  dernier  est  massacré  par  ses  gardiens  (1164). 
•  '.atherine  II  n'avait  plus  de  prétendant  à  re- 
douter. 

XVIII.  Catherine  II  (n6-M796).  —  Ce  long  et 
glorieux  règne,  qui  devait  faire  de  la  Russie  un 
lies  plus  puissants  Etats  du  monde,  rappelle  à  bien 
des  égards  celui  de  Pierre  le  Grand.  Mêmes  con- 
quêtes au  dehors,  mêmes  réformes  à  l'intérieur. 
'Frois  royaumes  en  décadence  barraient  à  Cathe- 
rine II  la  route  de  lOccident  (Suède,  Pologne, 
Turquie).  Pour  les  réduire  elle  s'appuya  d'abord 
."•ur  l'alliance  des  pavs  du  nord  i^Prusse  et  Angle- 
lerre);  plus  tard  sur  ceux  du  sud  (Autriche  et 
France;.  A  l'intérieur,  ce  fut  l'influence  de  la 
philosophie  française  qui  présida  à  toutes  ses 
créations. 

Restait  d'abord  Miquider  la  guerre  de  Prusse.  Elle 
rappela  ses  troupes,  se  déclara  neutre  entre  Fré- 
déric et  Marie-Thérèse  (1762),  et  hâta  ainsi  le 
traité  de-Paris  qui  termina  la  guerre  de  Sept 
ans  (176-3).  Elle  remit  la  main  sur  la  Courlande, 
sous  prétexte  de  la  donner  à  Biren.  En  Pologne, 
elle  fit  élire  son  ancien  favori  Stanislas  Ponia- 
towski  contre  le  candidat  saxon.  L'intolérance 
fanatique  des  jésuites  de  Pologne  lui  donnait, 
pour  intervenir,  un  excellent  prétexte.  Ils  tortu- 
raient odieusement  les  chrétiens  grecs  de  la  Li- 
thuanie  et  de  la  Russie  Blanche,  pour  les  con- 
traindre à  embrasser  le  catholicisme.  Catherine 
protesta  au  nom  de  la  liberté  de  conscience. 
Mais  les  supplices  redoublèrent.  Elle  fit  envahir 
la  Pologne  (r67  ,  arrêter  plusieurs  évêques, 
garantir  la  liberté  des  dissidents  (1768).  Mais  les 
catholiques  se  soulevèrent,  formèrent  la  confédé- 
ration de  Radow,  puis  ceKe  de  Bar.  Catherine 
lança  sur  eux  les  Cosaques  Zaporogues  et  les 
paysans  révoltés.  Une  horrible  guerre,  à  la  fois 
nationale,  sociale  et  religieuse,  éclata  partout. 

Pour  soutenir  les  Polonais,  Choiseul  envoya 
Dumouriez  et  quelques  officiers  français  qui 
défendirent  Cracovie  (1772).  Il  arma  la  Turquie 
contre  le.s  Russes  (1767-1774).  Mais  Galitzine 
et  Roumiantzov  dispersèrent  trois  armées  tur- 
ques, à  Choiim,  sur  la  Larga  et  au  Kagoul 
(1768-1770).  La  Crimée  fut  conquise.  Une  flotte 
russe,  dirigée  par  Alexis  Orlov,  Spiridov  et  Greig, 
anéantit  la  marine  turque  dans  l'Archipel,  devant 
Chios  et  à  Tchesmé  (1770j.  La  Grèce  se  souleva. 
Les  défaites  de  la  Turquie  entraînaient  la  ruine 
de  la  Pologne.  Déjà  l'armée  russe,  franchissant 
le  Danube,  bloquait  Choumla.  La  Pologne  céda 
la   première.    Perdue  par  le    fol  orgueil   de   son 


aristocratie  et  l'intolérance  de  son  clergé,  elle 
fut  démembrée  entre  trois  puissances,  la  Prusse, 
la  Russie,  l'Autriche  (1772).  A  ce  premier  par- 
tage, elle  perdait  cinq  millions  d'habitants,  dont 
1  60(1  nOU  seulement  furent  livrés  à  la  Russie, 
avec  les  provinces  de  Polotsk,  de  Vitepsk,  de 
Mohilev  et  d'Orcha.  La  Turquie  vaincue  céda  de 
son  côté,  à  la  paix  de  Kainardji  (1774),  Azov  et 
Kinburn  aux  Russes,  la  Crimée  aux  khans  tata- 
res,  la  libre  navigation  du  Bosphore  et  une  con- 
tribution de  guerre.  Un  coup  d'Etat  sauva  la 
Suède  d'un  sort  semblable.  Gustave  III  renversa 
l'aristocratie  vendue  à  l'étranger  et  s'empara  du 
pouvoir  absolu  (1772). 

A  l'intérieur,  une  double  et  violente  commotion 
venait  de  mettre  en  péril  le  trône  de  Catherine. 
Exaspérés  par  la  grande  peste  de  Moscou,  les 
serfs  de  la  Grande-Russie  se  révoltèrent  (1771). 
Grégoire  Orlov  réprima  les  insurrections.  Puis  ce 
fut  un  aventurier  cosaque,  Pougatschev,  qui  sou- 
leva toute  la  région  du  Volga  en  se  donnant  pour 
le  vrai  Pierre  III  (1772).  Une  immense  armée  de 
Tatars,  de  paysans,  de  Cosaques,  de  musulmans 
pilla  Tsaritsine,  Samara  et  Kazan.  Moscou  trem- 
blait. Mais  Biliikov  vainquit  ces  hord  s  confuses 
Pougatschev  fut  pris  et  exécuté  (1773).  Cette 
révolte  malheureuse  perdait  du  même  coup  les 
Cosaques  Zaporogues.  Ils  furent  soumis  ou  dis 
perses  (1775). 

Catherine  était  partout  victorieuse.  Conseillée 
par  Potemkine  et  Bezbaradko,  elle  se  rapprochait 
de  la  France.  La  médiation  commune  des  cabi 
nets  de  Pétersbourg  et  de  Versailles  imposa  Is 
paix  à  la  Prusse  et  à  l'Autriche  en  armes  (traité  de 
Teschen,  1777).  Louis  XVI  était  alors  en  luttt 
avec  l'Angleterre  pour  l'indépendance  de  l'Amé- 
rique. Catherine  lança  contre  les  Anglais  sa  fa' 
meuse  déclaration  du  droit  des  neutres^  qui  fut  sa 
luée  avec  joie  par  tous  les  petits  Etats  dont  la  ma 
rine  était  livrée  au  brigandage  britannique  (1780/1 

En  même  temps  la  Russie  annexait  la  Crimée 
le  Kouban  (178u-17l;'3),  méditait  d'affranchir  le: 
populations  roumaines,  préparait  contre  l'Angle 
terre  une  alliance  militaire  avec  la  France.  Li 
déclaration  de  guerre  du  sultan  remit  tout  ei 
question  (1787).  La  Suède  appuyait  la  Turquie 
La  double  bataille  navale  de  Svenska-Sund  (1790) 
et  la  paix  de  Varéla  arrêtèrent  les  Suédois.  L'Au- 
triche contint  les  Turcs,  et  donna  le  temps  i 
Potemkine  d'enlever  Otchakov  (1788).  Souvarov 
trois  fois  vainqueur  des  Turcs,  emporta  d'assau 
Ismail  (1790).  La  prise  d'Ackermann,  la  victoir 
de  Matchin  (1791)  effrayèrent  le  sultan  et  ame 
nèrent  la  paix  d'Iassy  (1792),  qui  portait  la  fron 
tière  russe  jusqu'au  Dniestr. 

Restait  la  Pologne,  qui  avait  tenté  de  se  régé 
nérer  par  la  constitution  du  3  mai  1791.  Mais  le 
chefs  de  l'aristocratie,  confédérés  à  Targowicz,ap. 
pelèrent  les  Russes  (1792).  Trompée  par  les  Prus 
siens,  la  Pologne  voulut  résister.  La  bataille  d 
Dubienka  amena  le  second  partage.  Cette  foi 
Catherine  enlevait  au.t  vaincus  trois  million 
d'âmes,  et  le  vaste  territoire  comprenant  1 
Podolie,  la  Voihynie  et  le  reste  de  la  PetiU 
Russie.  La  diète  de  Grodno  ratifia  ce  traité  lamei 
table  (1793).  Par  haine  des  gentilshommes,  li 
paysans  n'avaient  pas  bougé. 

Mais  l'armée  se  révolta,  mit  à  sa  tète  un  hén 
patriote,  Thaddée  Kosciuszko.  Le  bruit  de 
Révolution  française  ranimait  les  courages.  Ko 
eiuszko  bat  les  Russes  à  Raclawice  (^1794),  marcl 
sur  Varsovie  qui  se  soulève,  expulse  le  génér 
Igelstrom  et  massacre  les  traîtres.  Mais,  appuy- 
nsF  les  Prussiens,  les  Russes  reprennent  Vilni 
Kosciuszko  est  vaincu  et  laissé  pour  mort  à 
journée  de  Maciejowice  (l"9i).  Souvarov  enlè 
d'assaut  Praga,  qui  est  inondée  de  sang.  Varsov 
capitule  (1794).   Le  troisième  et  dernier  panajl 


RUSSIE 


—  1973 


RUSSIE 


)péré  par  la  Prusse,  l'Autriche  et'  la  Russie, 
ïonnait  à  celle-ci  Vilna,  Kovno,  Grodno,  lo  reste 
ie  la  Litliuanie  et  de  la  Volhynie.  Varsovie  res- 
;ait  aux  Prussiens  (ni)5). 

Les  partages  do  la  Pologne  et  surtout  la  Révo- 
lution de  nK9  avaient  rompu  l'alliance  ébauchée 
ntre  la  Russie  et  la  France.  Catherine  II  entra, 
comme  tous  les  rois,  dans  la  première  coalition 
contre  la  République  (ITj:i),  mais  elle  se  garda 
bien  d'envoyer  un  soûl  homme  sur  le  Rhin  pour 
appuyer  l'Allemagne.  Elle  laissa  battre  la  Prus- 
se, puis  l'Autriche  par  la  Révolution  française, 
et  mourut,  laissant  la  Russie  agrandie  et  paci- 
Sée  (1706). 

Elle  la  laissait  surtout  transformée  par  ses 
réformes,  qu'avaient  longtemps  applaudies  Dide- 
rot, Grimm  et  Voltaire.  Elle  avait  confié  l'éduca- 
tion de  ses  petits-fils  au  Suisse  Laharpc,  imbu  de 
principes  nettement  républicains.  Elle  citait  à  tout 
propos  Montesquieu.  Elle  avait  fait  ofTrir  en  Russie 
une  superbe  hospitalité  h  d'Alembert,  à  Jeah-Jac- 
ques  Rousseau  même.  Elle  composait  des  comédies, 
des  satires,  dos  traités  philosophiques,  écrivait  des 
mémoires,  fondait  l'Académie  russe,  encourageait 
les  écrivains,  surtout  le  poète  Derjaviiie  et  le  sati- 
rique Fon-Vizon.  Elle  commandait  à  Pallas  des  voya- 
ges de  découverte,  au  Français  Falconnet  la  superbe 
statue  équestre  de  Pierre  le  Grand.  Elle  fondait, 
pour  les  filles  de  la  bourgeoisie  et  de  la  noblesse,  le 
magnifique  Institut  de  Smolna,  où  l'éducation  fut  I 
donnée  par  des  maîtres  français.  Elle  divisait  ' 
la  Russie  en  50  provinces  subdivisées  chacune  en  | 
districts,  réformait  les  scandales  de  l'administra-  1 
tion,  créait  une  savante  organisation  judiciaire, 
déterminait  les  droits  des  bourgeois,  des  mar- 
chands, colonisait  la  steppe  et  les  rives  du  Volga, 
sécularisait  les  riches  biens  du  clergé  russe, 
mais  ouvrait  son  vaste  empire  à  tous  les  cultes, 
sans  privilège  pour  aucun.  Elle  agita  môme  la 
question  de  l'éiuancipation  des  serfs,  et  réunit  à, 
Moscou,  sous  la  présidence  de  Bibikoff,  une 
grande  assemblée  nationale  élue  par  toutes  les 
classes,  toutes  les  provinces  et  par  tous  les  sec- 
j  tateurs  des  diverses  religions  de  l'empire  (HCG- 
,  ncs).  De  ses  délibérations,  trop  confuses,  sortit 
pourtant  un  nouveau  Code  de  lois. 

XIX.   Paul   I"    (1796-1801).    —  Ces   réformes 
furent  d'abord  mises  en  péril  par  Paul  I",  fils  et 
,i  successeur  de   la  grande  Catherine.  Il  disgracia 
,   Souvarov,   s'entoura    des  représentants   du  vieux 
J|:  parti  moscovite,   Araktchéev   et   Rostopchine.    Il 
acctieillit  avec  faveur   les  émigrés  français  et  les 
Bourbons.   Toutefois  les  prisonniers   polonais  et 
Kosciuszko  leur  chef  lui  durent  leur  liberté  (171)6). 
L'occupation  des  îles  Ioniennes,  de  Malte  et  de 
l'Egypte  par  la  France    (1797-1798)    le  jeta  dans 
[..  la  seconde  coalition.  La  Russie  envoya  une  flotte 
contre   les  lies   Ioniennes,   et  quatre  armées  en 
Hollande,  à  Naples,  sur  l'Adige  et  en  Suisse  pour 
.   appuyer  la   marche   des   Autrichiens   et  des  An- 
glais. Souvarov  rappelé,  mis  à  la  tête  de  l'armée 
de  Lombardie,  battit,  avec  1  On  000  Austro-Russes, 
les  30  000    soldats  de   Moreau    i  Cassano  (1799), 
les  18  000  hommes  de  Macdonald  à  la  Trebbia  et 
les   40000   de   Joubert   h    Novi   (août    1799).  Les 
réfugiés   polonais   de    Dombrowski   combattaient 
dans  les  rangs  français. 

Maître  de  l'Italie,  mais  brouillé  avec  l'état-major 
autrichien,  Sonvarov  se  retourne  vers  la  Suisse, 
pour  y  prendre  à  revers  l'armée  do  Masséna. 
Mais  celui-ci  l'arrête  au  Saint-Gothard  et  sur  la 
Reuss,  grâce  à  l'énergie  de  Lecourbe,  puis  fond 
j  sur  les  Austro  Russes  que  commande  Korsakov, 
j  les  enferme,  les  écrase  et  les  prend  dans  Zurich 
(septembre  1799).  Souvarov  enveloppé  i  son  tour 
s'échappe  à  travers  les  glaciers  on  perdant  son 
artillerie  et  les  trois  quarts  de  ses  soldats.  En 
même    temps   le   général    Brune    battait  devant 


Bergen  l'armée  anglo-russe  débarquée  en  Hol- 
lande, et  qui  capitula  dans  Alkmaèr  (octobre 
1799).  La  coalition  était  vaincue. 

Paul  I",  exaspéré  contre  l'Autriche  et  l'Angle- 
terre, qu'il  rendait  responsables  de  ce  double 
désastre,  ouvrit  des  négociations  avec  la  France, 
expulsa  les  Bourbons,  s'éprit  du  talent  de  Mas- 
séna et  du  génie  de  Bonaparte.  Une  alliance 
offensive  et  défensive  s'improvisa  entre  les  deux 
pays.  Paul  I"'  devait  avoir  l'île  de  Malte  et  le 
protectorat  de  l'ordre  des  chevaliers.  H  mettait 
trois  armées  au  service  de  la  France  pour  des- 
cendre à  travers  la  Perse  et  enlever  l'Inde  aux 
Anglais  (1801).  Il  renouait  la  ligne  des  neutres 
contre  les  tyrans  des  mers.  Déjà  la  flotte  anglaise 
partait  pour  la  Baltique.  Paul  I"  sommait  la 
Prusse  d'entrer  dans  l'alliance  franco-russe.  Tout 
à  coup  on  apprit  que  le  tsar  venait  d'être  assas- 
siné C2'i  mars  1801").  Les  conjurés  étaient  Pahlen 
et  Bennigsen,  deux  Allemands  ;  Platon  Zoubov, 
ancien  favori  de  Catherine;  plusieurs  agents  de 
l'ambassade  anglaise  ;  peut-être  même  .\raktchéev 
et  F  .itopcn.ue,  deux  boiars  fanatiques,  enne- 
mis acharnés  de  la  Pologne  et  des  Français. 
Alexandre  I""'  lui-môme  avait  trempé  dans  le 
meurtre  de  son  père. 

XX.  Alexandre  I"  (1801-182,^).  —  Le  règne  du 
premier  Alexandre  est  trop  intimement  lié  à  l'his- 
toire générale  de  l'Europe,  et  en  particulier  à 
celle  des  guerres  napoléoniennes,  pour  que  nous 
en  esquissions  ici  le  tableau.  Bornons-nous  i  rap- 
peler les  grands  événements  dont  il  se  compose, 
et  qui  sont  dans  la  mémoire  de  chacun. 

Paul  I"  avait  été  un  admirateur  passionné 
de  Napoléon.  Alexandre  1"  en  fut  le  plus  dange- 
reux ennemi.  Entraîné  par  ses  jeunes  favoris  ven- 
dus à  l'Angleterre,  Novossiltsov,  Czartoryski  et 
Kotchoubey,  il  signa,  pour  gagner  du  temps,  un 
traité  provisoire  avec  la  France  consulaire  (octo- 
bre 1801),  se  fit  donner  un  subside  par  Pitt,  et 
tout  à  coup  lança  l'ultimatum  qui  annonçait  la 
troisième  coalition  (180.i). 

Trois  armées  russes  s'avancent  au  secours  de 
l'Autriche,  trop  tard  pourtant  pour  sauver  Mack. 
Koutouzov  livre  aux  Français  le  sanglant  combat 
de  Diermstein,  et  Bagration  celui  de  llollabrunn. 
Les  deux  empereurs  de  Russie  et  d'Autriche  se 
réunissent  en  Moravie  et  perdent  ensemble  la 
mémorable  bataille  d'Austerlitz  {1  décembre 
1805). 

Abandonnée  par  l'Autriche,  qui  s'humilie  à  Pres- 
bourg,  la  Russie  est  soutenue  tout  à  coup  par  la 
Prusse  (18(16).  Mais  la  quatrième  coalition  se  brise 
comme  les  autres.  .Vvant  l'arrivée  d'Alexandre,  les 
Prussiens  sont  vaincus  àléna,  Berlin  envahi,  Var- 
sovie délivrée .  L'armée  russe  de  Bennigsen  (l'assas- 
sin du  tsar  Paul)  est  successivement  vaincue  à 
Pultusk,  à  Ostrolenka  (1306),  i  moitié  détruite  i. 
Eylau,  où  elle  perd  26  000  hommes  (1807),  puis  à 
Friediand,  où  elle  laisse  15  000  hommes  et  80  ca- 
nons (1807).  Désespéré,  ruiné,  privé  des  sub- 
sides de  l'Angleterre,  Alexandre  demande  la 
paix.  Elle  fut  conclue  k  Tilsitt,  sur  le  célèbre  ra- 
deau du  Niémen  (juin  1807).  La  Prusse  était  sa- 
crifiée, la  Pologne  rétablie  sous  le  nom  de  grand- 
duché  de  Varsovie.  Napoléon  permettait  au  tsar 
d'enlever  la  Moldo-Valachie  aux  Turcs,  la  Fin- 
lande aux  Suédois.  Alexandre  promettait  de  dé- 
clarer la  guerre  h  l'Angleterre,  et  laissait  Napo- 
léon libre  en  Allemagne  et  du  côté  de  l'Espagne. 
Ce  n'était  rien  moins  que  le  partage  de  l'Europe 
entre  les  deux  empereurs. 

Mais  Alexandre  et  l'aristocratie  russe  ne  vou- 
laient pas  sérieusement  l'alliance  française.  Pour 
s'attacher  la  Russie  contre  l'Autriche  et  l'Angle- 
terre, Napoléon  eut  une  nouvelle  entrevue  avec 
Alexandre  h  Erfurt  (1808).  Le  tsar  lui  prodigua 
les  promesses,   feignit   de  rompre  avec   l'Angle- 


RUSSIE 


—  1974  — 


RUSSIE 


terre  et  d'appuyer  les  troupes  franco-polonaises 
contre  l'Autriche  (1809),  tandis  que  Napoléon  li- 
vrait bataille  à  Essling  et  Wagram.  En  réalité 
Alexandre  n'attaqua  que  la  Suède.  L'imprenable 
Svéaborg  capitula  ;  Helsingfors,  Abo,  furent  en- 
levées ;  une  armée  russe  osa  franchir  la  Baltique 
gelée,  et  faillit  prendre  Stokholm  (1808-1809).  La 
Suède  céda  toute  la  Finlande,  à  laquelle  Alexan- 
dre garantit  ses  privilèges  (1809).  En  même 
temps,  il  battait  les  Persans  et  reprenait  Derbent 
(1806-1813).  Les  Turcs,  vaincus  par  Michelson 
et  Kamenski,  cédaient  la  Bessarabie,  Chotim, 
Bender,  Ismail  et  Kilia  (1806-1812).  Toutes  ces 
conquêtes  se  perdaient  au  milieu  du  bruit  des 
batailles  qui  bouleversaient  alors  l'Europe  s.";- 
tière. 

Cependant  Alexandre  préparait  sourdement  une 
rupture  nouvelle  avec  la  France.  Bien  que  gratifié 
d'une  partie  de  la  Galicie  au  congrès  de  Scliœn 
brunn  (1809),  il  protestait  contre  l'extension  don- 
née au  grand-duché  de  Varsovie,  contre  les 
annexions  de  la  France  en  Allemagne.  Il  hésitait 
à  donner  une  de  ses  sœurs  en  mariage  à  Napo- 
léon, qui,  se  retournant  vers  l'Autriche,  épousa 
Marie-Louise.  Bientôt  Alexandre  refusa  de  parti- 
ciper au  blocus  continental  qui  devait  tuer  l'An 
gleterre.  On  échangea  d'aigres  paroles,  des  notes 
menaçantes,  et  la  sixième  coalition  commença. 

Chacun  connaît  la  douloureuse  histoire  de  la 
campagne  de  181"^.  Napoléon,  traînant  avec  lui 
650,000  liommes  dont  .320,000  alliés  (Polonais, 
Italiens,  Allemands),  franchii  le  Niémen.  Alexan 
dre  et  ses  généraux  se  replient  vers  Moscou,  ,-n 
bataillant  à  Krasnoé,  à  Smolensk,  à  Valoutina. 
Koutouzov,  nommé  généralissime,  veut  du  moins 
sauver  la  vieille  capitale.  Avec  1-30,000  hommes, 
il  livre  bataille,  près  de  Eorodiiio,  à  la  principale 
armée  de  Napoléon  qui  s'élevait  h  un  chiffre  égal. 
Vainqueur  à  la  journée  de  la  Moskova  (1  sep- 
tembre 1812),  où  10,000  cadavres  jonchèrent  la 
plaine,  Napoléon  entre  à  Moscou,  où  les  agents 
du  gouverneur  Rostopchine  allument  un  effroya- 
ble incendie.  Cependant,  à  la  voix  du  tsar  et  des 
popes,  toute  la  Russie  se  lève  avec  enthou- 
siasme. Des  bandes  de  Cosaques,  de  paysans  fa- 
natisés interceptent  les  convois,  assassinent  les 
soldats  isolés,  les  blessés,  les  vedettes,  massa- 
crent les  prisonniers,  incendient  les  villages 
pour  affamer  les  Français.  Napoléon  ordonne  la 
retraite  (octobre  1812),  s'ouvre  péniblement  un 
chemin  à  la  bataille  de  Malo-jaroslavetz,  aux 
combats  de  Viazma,  de  Krasnoé,  au  passage  de 
laBérézina,  où  40,000  hommes  enfoncèrent  trois 
armées  russes,  en  sacrifiant  les  canons.  Les  Co- 
saques rentrent  à  Vilna  où  commence  un  affreux 
Carnage  des  blessés  et  des  malades  (décembre 
1812).  La  Russie  était  délivrée  de  l'invasion. 

Dans  l'acharnement  du  succès,  Alexandre  ne 
s'arrêta  pas.  Toute  l'Europe  se  soulevait  derrière 
la  grande  armée  vaincue.  Mais  à  Liitzen,  à  Baut- 
zen,  à  Dresde,  Napoléon  écrase  Russes  et  Prus- 
siens réunis  (I.S13).  Une  victoire  inespérée  à 
Kulm  leur  rend  l'avantage.  Pendant  trois  jours, 
autour  de  Leipzig  MC-18  octobre  1813),  330,000 
coalisés  disputent  la  domination  du  monde  h 
170,0(10  Français.  Napoléon,  accablé  sous  le  nom- 
bre, se  replie  vers  le  Rhin,  abandonnant  les  gar- 
nisons bloquées  le  long  de  la  Vistule.  L'armée 
russe  envahit  la  France.  Repoussée  à  Saint-Dizier, 
àChamp-Aubert,  à  Montmirail.àReims,  elle  écrase 
une  division  de  gardes-nationaux  à  la  Fère-Cham- 
penoise,  et  contribue  à  la  bataille  qui  livre  Paris 
à  la  coalition  (3(1  mars  18U). 

A  Paris  comme  ati  congrès  de  Vienne,  ce  fut  le 
tsar  Alexandre  qui  seul  prit  la  défense  de  la 
France  vaincue  etdésarmée.  Après  Waterloo  (1815), 
ce  fut  encore  lui  qui  la  sauva  des  fureurs  de 
Bliicher,  qui  s'opposa  au  démembrement  rêvé  par 


l'Autriche  et  l'Allemagne.  Dans  le  grand  partage- 
des  peuples,  Alexandre,  qui  pourtant  avait  porté 
les  coups  les  plus  rudes,  ne  se  réserva  qu'une 
part  relativement  modeste  (trois  millions  d'âmes 
en  Pologne).  Toutefois  il  avait  mis  la  main  sur 
Varsovie. 

Mais  cette  éblouissante  fortune  parut  avoir  trou- 
blé l'esprit  rêveur  et  mystique  d'Alexandre.  I! 
avait  donné  au  royaume  de  Pologne,  reconstitué 
sous  le  protectorat  russe,  une  constitution  libé- 
rale, deux  Chambres,  une  armée  nationale,  une 
presse  libre  (1815).  Puis  il  conçut  l'idée  bizarre 
de  la  Sai7ite-Alliance  des  rois  pour  la  défense  de 
la  religion  et  de  la  monarchie.  Lancé  sur  cette 
pente,  il  ne  s'arrêta  plus.  Aux  Congrès  d'Aix-la- 
Chapelle  (1818),  de  Carlsbad  (1819),  de  Troppau- 
(1820),  de  Vérone  (1822),  on  le  vit  appuyer  chaque 
fois  plus  résolument  la  politique  d!e  réaction.  Le 
soulèvement  de  la  Grèce  chrétienne  contre  les 
Turcs  le  trouva  indifférent,  même  hostile  (1821). 
Il  laissa  la  barbarie  musulmane  insulter  à  l'Europe 
et  à  l'humanité,  sans  reprendre  le  rôle  de  Cathe- 
rine et  de  Pierre  le  Grand.  L'inondation  terrible 
qui  ruina  Pétersbourg  (19  novembre  1824)  frappa 
encore  son  esprit  déjà  troublé.  Il  expira  dans  la 
solitude,  à  Taganrog  (1825). 

Nous  avons  vu  son  rôle  militaire.  Quel  fut  son 
rôle  administratif?  Il  se  divise  nettement  en  deux 
périodes.  Dans  la  première  (1801-1812),  Alexandre 
sembla  marcher  dans  la  voie  tracée  par  son  aïeule 
Catherine  et  s'inspirer  des  principes  libéraux  que 
lui  avait  inculqués  son  précepteur  Laharpe.  Il 
parlait  d'humanité,  de  constitution,  de  réformes  ; 
à  ses  intimes  il  se  disait  théoriquement  républi- 
cain. La  persécution  cessa  contre  les  ra^kotniks. 
L'oukaze  de  1803  adoucit  le  servage  des  paysans. 
Des  ministères  furent  créés,  i  l'image  de  ceux  de- 
l'Occident  (180'-').  L'empire  se  couvrit  d'univer- 
sités, d'écoles,  de  gymnases  (collèges).  Speranski,. 
le  fils  d'un  humble  pope,  devint  président  du  con- 
seil de  l'empire  et  s'efforça  de  faire  prévaloir  les 
idées  françaises  contre  Czartoryski,  admirateur 
des  institutions  britanniques.  Un  code  civil  fut 
projeté,  à  l'imitation  du  code  Napoléon.  Un  par- 
lement composé  de  fonctioimaires  s'ouvrit  (1810). 
Mais  l'invasion  de  1812  amène  la  disgrâce  de 
Speranski.  Le  tsar  se  jette  dans  les  bras  des  par- 
tisans d'Araktchéev  et  de  Rostopchine.  L'in- 
fluence française  est  proscrite^  les  théâtres  fer- 
més ;  les  sociétés  bibliques  se  répandent  dans. 
tout  l'empire.  Les  universités  sont  surveillées,, 
les  professeurs  destitués,  les  catholiques  inquié- 
tés. Des  colonies  militaires,  imaginées  par  Arak- 
tchéev,  enrégimentent  les  paysans.  La  censure  et 
la  police  s'acharnent  à  dénoncer  toute  idée  libé- 
rale. Aussitôt  des  sociétés  secrètes  s'organisent, 
à  Pétersbourg,  à  Moscou,  h  Kiev  (1816-1825).  L'a- 
ristocratie, les  officiers  de  la  garde  sont  à  la  tête- 
du  mouvement  révolutionnaire.  Une  sourde  fer- 
mentation se  manifeste  en  Pologne.  Le  régimetit 
de  Semenowski  se  mutine.  Une  conspiration  mili- 
taire était  formée  pour  se  débarrasser  de  l'empe- 
reur, quand  l'avènement  de  Nicolas  précipita  la. 
crise  (1825). 

La  réaction  politique  n'avait  pu  paralyser  le- 
brillant  essor  de  la  littérature  nationale.  Le  poète 
Derjavine,  l'historien  Karamzino,  le  fabuliste 
Krylov  représentaient  la  vieille  école  vis-à-vis  des 
poètes  Joukowski  et  Pouchkine,  premiers  apôtres 
du  romantisme  russe.  Krusenstern  faisait  le  tour 
du  monde  (1803)  et  Kotzebue  explorait  les  régions 
polaires  (1815).  Pétersbourg  voyait  s'élever  des 
monuments  superbes,  la  cathédrale  de  Kazan  et 
celle  disaac,  oeuvre  de  l'architecte  Français  Mont- 
ferrand. 

XXI.  Nicolas  I"  (1825-1855).  —  Au  romanesqtie 
et  mystique  Alexandre,  tour  à  tour  partisan,  puis 
ennemi  acharné  des  idées  libérales,  succéda  l'era- 


RUSSIE 


—  1975  — 


RUSSIE 


pormir  de  fer,  le  génie  même  de  la  réaction  mo- 
narchique, l'apôtre  de  l'autorité,  le  tsar  Nicolas. 
La  couronne  devait  revenir,  par  droit  liérc'.ditaire, 
au  second  fils  de  Paul  I'^',  au  grand-duc  Constan- 
tin, alors  vice-roi  de  Pologne.  Mais  Constantin 
généreux  et  fantasque,  avait  refusé  le  tr6ne  pour 
être  libre  d'épouser,  au  mépris  des  usages  mo- 
narchiques, une  comtesse  polonaise  (182;'),  Le 
peuple  ignorait  cette  renonciation.  Aussi,  le  jour 
où  fut  proclamé  Nicolas,  une  émeute  éclata  dans 
Pétersbourg.  Les  conjurés  militaires,  saisissant 
cette  occasion  inespérée,  soulevèrent  les  grena- 
diers et  les  marins  {'iti  décembre  1825).  Le  vieux 
Miloradovitcli  fut  tué,  le  métropolitain  faillit  périr. 
La  canonnade  dispersa  les  insurges  sur  la  place 
d'Isaac.  Ciiiq  potences  s'élevèrent  pour  les  chefs 
du  complot.  Nicolas  gracia  ou  fit  déporter  les  au- 
tres. Dans  le  midi,  un  bataillon  soulevé  par 
Pestel  fut  mitraillé  au  village  d'Ouslimovka. 

La  révolution  prématurée  du  '^G  décembre  avait 
tristement  échoué.  Elle  exaspéra  encore  le  despo- 
tisme intolérant  de  Nicolas  1".  Pour  fortifier  le 
principe  autoritaire,  il  rendit  légal  l'établissement 
des  majorais,  antipathique  aux  mœurs  slaves.  Il 
compila  les  vieilles  lois  de  l'empire  (1830-1815)  en 
remontant  jusqu'à  celles  des  premiers  Romanov. 
Il  éloigna  les  professeurs  étrangers,  entrava  la  li- 
berté des  voyages  hors  des  frontières  de  l'empire, 
aggrava  les  rigueurs  de  la  censure.  Le  comte  Bo- 
brinski  n'obtint  qu'après  de  longs  efforts  l'autori- 
sation de  créer  en  Russie  le  premier  chemin  de 
fer  (de  Pétersbourg  ;\  Tzarskoe-Sélo).  Une  surveil- 
lance mesquine  pesa  sur  les  brillanis  littérateurs 
de  la  pléiade  romantique,  les  poètes  Pouchkine  et 
Lermontov  (l'un  et  l'autre  tués  en  duel  dans  un 
âge  encore  jeune),  le  mélancolique  Kaltsov,  le 
chantre  des  paysans  ;  l'inimitable  romancier  Gogol, 
un  des  plus  charmants  conteurs  du  siècle  ;  Ivan 
Tourgueniev,  qui  a  su  populariser  la  Russie  à  l'é- 
tranger; Dostoïevski,  que  son  libéralisme  fit  con- 
damner aux  mines  sibériennes.  Les  comédies 
d'Ostrovski  et  de  Griboyedov,  la  musique  de 
Glinka  montrèrent  l'égale  facilité  du  génie  slave  à 
rivaliser  avec  les  artistes  et  les  écrivains  de 
l'Occident. 

Mais  c'est  vers  la  guerre  que  se  tourna  exclusi- 
vement l'esprit  de  Nicolas.  En  deux  campagnes 
(I8"J6-1827),  il  vainquit  la  Perse.  Les  victoires 
d'Elisabethpol  et  de  l'Araxe,  la  prise  de  Tauris  et 
d'Erivan,  immortalisèrent  le  nom  de  Paskievitch 
Evivanski.  Au  traité  de  Tourkmantchai  (18ïS),  le 
chah  de  Perse  abandonna  deux  provinces.  Le 
meurtre  de  l'ambassadeur  russe  Griboyedov  (1829) 
amena  de  nouvelles  concessions.  Au  grand  scan- 
dale de  l'Angleterre,  l'influence  russe  domina  à  la 
cour  de  Téhéran. 

Après  la  Perse,  ce  fut  le  tour  de  la  Turquie.  De 
concert  cette  fois  avec  l'Angleterre  et  la  Franco, 
Nicolas  intervint  en  faveur  de  la  Grèce  que  déso- 
laient les  fureurs  des  pachas.  Les  trois  flottes 
coalisées  anéantirent  la  marine  turque  dans  la 
rade  de  Navarin  120  octobre  1821).  La  Grèce  était 
sauvée,  mais  la  Turquie  proclama  la  gnerre  sainte. 
Deux  armées  russes  l'envahirent.  En  Asie-Mineure, 
Paskiévilch  enleva  les  fortes  places  de  Kars  et  d'Er- 
zeroum  (I82S-182:)).  En  Europe,  Wittgenstein  et 
Diebitch  Zabalkunski  conquirent  les  provinces 
roumaines,  la  Bulgarie,  Silistrie,  et  Andrinople  au 
delà  des  Balkans  (182s-18i9).  La  Turquie  vaincue 
céda  aux  Russes,  par  la  paix  d'Andrinople, 
quatre  districts  en  Asie,  les  bouches  du  Danube 
en  Europe,  une  forte  indemnité,  et  la  libre  navi- 
gation du  Bosphore  (18'^9). 

L'influence  russe  grandissait  rapidement  en 
Asie.  L'expédition  du  général  Perovski  sur  Khiva 
échoua  (1841),  mais  la  Chine  s'ouvrit  aux  Russes, 
admit  leurs  ambassadeurs  (1827),  leurs  marchands 
(18,)2;,  et  laissa   leurs  pionniers  annexer  tout  le 


bassin  de  l'Amour  et  les  rivages  du  Pacifique(1854). 
Au  Caucase,  l'héroïque  Schamyl,  prophète  et  gé- 
néral, sorte  d'Abd-el-Kader  des  Circassiens,  ar- 
rêta trente  ans  les  armées  impériales;  mais  les 
Abkhases,  les  Tcherkesses,  les  Lesgliis  furent 
domptés. 

Du  côté  de  l'Europe,  Nicolas  se  posa  hardiment 
en  champion  des  rois  contre  les  peuples.  Les  Po- 
lonais, irrités  do  le  voir  fouler  aux  pieds  la  cons- 
titution do  1815,  se  révoltèrent  (29  novembre  1830), 
encouragés  par  les  nouvelles  qui  venaient  de  Pa- 
ris. Le  vice-roi  Constantin  s'échappa  avec  peine. 
La  diète  polonaise  proclama  la  déchéance  des 
Romanov  (janvier  1831),  organisa  une  armée  de 
90  01)0  hommes,  fit  appel  aux  puissances  d'Occi- 
dent. Mais  la  Russie,  appuyée  par  la  Prusse,  con- 
centra sur  la  Vistule  les  troupes  de  Diebitch  et  de 
Paskievitch.  Les  Polonais  furent  chassés  de  la  Li- 
thuanie,  de  la  Podolie.  Les  sanglants  combats  de 
Grochow,  de  Bialolenska,  de  Wawer,  d'Ostrolenka 
épuisèrent  l'armée  polonaise.  Paskievitch  franchit 
la  Vistule,  enleva  Vola  et  canonna  Varsovie  qui  dut 
capituler  (septembre  1831).  Une  violente  répres- 
sion se  déchaîna  sur  la  Pologne,  la  constitution 
fut  déchirée,  les  biens  des  Polonais  confisqués,  les 
vaincus  déportés  en  Sibérie.  La  persécution  reli- 
gieuse, jadis  exercée  par  les  catholiques  sur  les 
dissidents,  se  retourna  dès  lors  contre  les  catholi- 
ques. Le  second  exode  des  Polonais  commença. 

Les  sympathies  montrées  par  la  France  à  la  Po- 
logne avaient  profondément  irrité  Nicolas.  Pour 
combattre  la  politique  française,  favorable  i  l'E- 
gypte, il  appuya  le  sultan  contre  les  Egyptiens  et 
se  déclara  protecteur  de  la  Turquie  (traité  d'Un- 
kiar-Skélessi,  1833).  La  môme  année,  aux  confé- 
rences de  Miinchen-Graetz,  il  appuyait  les  remon- 
trances adressées  à  la  France  par  la  Prusse  et 
l'Autriche.  Il  inspira  le  traité  de  Londres  (1840), 
qui  faillit  amener  la  guerre  entre  la  France  et  la 
coalition  reformée.  Il  aida  l'Autriche  :\  écraser  la 
révolution  polonaise  de  Galicie  (1840)  et  la  révo- 
lution hongroise  (1»<49).  Vainqueurs  des  troupes 
autrichiennes,  les  Hongrois  durent  capituler  de- 
vant l'armée  russe  de  Paskievitch.  Nicolas  encou- 
ragea la  Prusse  à  écraser  la  révolution  allemande 
(1849),  et  lui  interdit  de  soutenir  le  soulèvement 
des  Holsteinois  contrôle  Danemaik  (1852). 

La  réaction  triomphait  partout  on  Europe.  Le 
tsar  crut  le  moment  venu  de  reprendre  en  Orient 
l'ccuvro  de  Catherine  II.  Il  comptait  sur  l'appui 
des  rois  qu'il  avait  sauvés,  de  l'Angleterre  qu'il 
avait  soutenue  contrôla  France.  Mais  la  reconnais- 
sance des  rois  fut  courte  et  l'Angleterre  comprit 
que  ses  intérêts  étaient  en  danger.  Les  armées 
russes  avaient  envahi  la  Moldo-Valachie  (1853!,  et 
la  flotte  de  Nakliimolï  détruisait  celle  des  Turcs  à 
Sinope.  La  France  et  l'Angleterre  envoyèrent  leurs 
marins  et  leurs  soldat*  en  Orient  (1854)  Silistrie 
fut  débloquée,  Odessa  bombardée.  Une  expédition 
anglo-française  enleva  les  îles  d'Aland,  dans  la 
Baltique,  à  la  grande  joie  des  Suédois.  L'Autriche 
même  mobilisa  ses  troupes.  Abandonné  de  tous, 
le  tsar  vit  son  armée  vaincue  sur  les  bords  de 
l'Aima  (20 sept.  1854),  Sébastopol  assiégé,  sa  flotte 
anéantie.  Il  lutta  avec  son  opiniâtreté  obstinée. 
Mais  l'armée  russe  fut  encore  vaincue  à  Bahiklava, 
à  Inkermann  (1854),  à  la  Tchernaia  (1855).  Sébas- 
topol fut  bombardé,  pris  d'assaut  après  une  résis- 
tance admirable  (S  sept.  1S55).  Nicolas,  désespéré, 
doutant  de  son  système,  n'avait  pas  voulu  être  té- 
moin de  cette  grande  chute.  Le  3  mars  1855,  il 
expirait.  Le  bruit  courut  qu'il  s'était  suicidé. 

XXII,  Alexaivlve  II  (1855-1881).  —  La  Russie 
semblait  perdue.  Plus  d'argent,  plus  d'armée.  Une 
administration  désordonnée,  vexatoirc,  avait  mé- 
contenté toute  la  nation,  humiliée  sous  le  double 
poids  du  despotisme  et  de  la  défaite.  Le  succes- 
seur do  Nicolas,  instruit  par  le  malheur,  se  pro- 


RUSSIE 


--  1976  — 


RUSSIE 


posa  immédiatement  un  double  but  :  la  paix  d'a- 
bord, la  réforme  sociale  ensuite. 

Bien  différent  de  son  père,  Alexandre  II  avait  les 
idées  généreuses  de  Catherine  et  du  premier 
Alexandre,  sans  avoir  l'ambition  de  l'une  ni  la 
duplicité  de  l'autre.  Pacifique,  humain,  ami  des 
paysans,  fort  enclin  aux  réformes,  il  avait  tou- 
jours désapprouvé  le  système  irritant  du  tsar  Ni- 
colas. A  Sébastopol,  il  lutta  pour  l'honneur.  La 
ville  prise,  il  envoya  ses  diplomates  au  congrès 
de  Paris  (ISifi),  et  se  résigna  à  la  paix  douloureuse 
qui  faisait  perdre  à  la  Russie  la  libre  navigation 
delà  mer  Noire,  le  protectorat  des  chrétiens  d'O- 
rient, et  un  lambeau  de  territoire  aux  bouches  du 
Danube. 

Aussitôtconimençala  grande  œuvre  de  la  régéné- 
ration sociale,  rêvée  jadis  parles  décembristes,  à 
peine  entrevue  par  Speranski  et  Catherine  II.  Se- 
condé par  le  mouvement  général  de  l'opinion, 
Alexandre  II  aborda  courageusement  l'entreprise. 
A  l'heure  même  où,  de  l'autre  côté  de  l'Atlantique, 
Abraham  Lincoln,  président  des  Etats-Unis,  éman- 
cipait quatre  millions  d'esclaves,  le  tsar  de  Russie 
lança  le  grand  oukaze  libérateur  du  3  mars  1861, 
qui  affranchissait  du  servage  quarante-sept  mil- 
lions et  demi  de  paysans  (25  millions  de  paysans 
de  la  couronne,  et  22  millions  et  demi  de  serfs  ap- 
partenant à  des  propriétaires).  Cette  colossale 
réforme  s'opéra  pacifiquement.  A  Kazan  seule- 
ment, quelques  milliers  de  serfs  se  mutinèrent  et 
nécessitèrent  l'intervention  des  troupes. 

En  outre,  pour  éviter  la  formation  d'un  immense 
prolétariat  rural,  Alexandre  II  fit  partager  le 
sol  entre  les  paysans  affranchis  et  la  noblesse. 
Chaque  serf  émancipé  reçut,  en  moyenne,  trois 
à  quatre  arpents  de  terre  en  toute  propriété. 
Il  devait  payer,  en  retour,  un  certain  droit  de  ra- 
chat qui,  en  fait,  ne  fut  généralement  pas  acquitté. 

Les  paysans,  désormais  libres  et  propriétaires, 
reçurent  le  droit  de  se  gouverner  eux-mêmes,  d'é- 
lire leur  maire  {staroste]  et  leur  chef  de  canton 
lst(jrchi7U!),  d'organiser  leurs  tribunaux,  d'admi- 
nistrer à  leur  gré  la  commune. 

Les  autres  classes  de  la  nation  ne  furent  pas 
oubliées.  Des  conseils  d'arrondissement,  des  con- 
seils généraux  {zemstvos)  furent  créés.  Ils  sont 
élus  par  toutes  les  classes  de  la  nation,  délibè- 
rent publiquement,  jouissent  de  droits  assez 
étendus  au  point  de  vue  administratif.  Chaque 
ville  put  élire  son  conseil  municipal  ((/oi/mo).  La 
décentralisation  et  les  libertés  locales  devaiejit 
habituer  peu  à  peu  la  nation  à  la  pratique  des 
institutions  parlementaires. 

La  magistrature  de  Nicolas  fut  transformée,  les 
tribunaux  reconsiitués,  les  juges  de  paix  créés  à 
l'instar  de  la  France,  avec  cette  différence  qu'ils 
durent  être  éhis  par  les  citoyens. 

L'odieux  emploi  du  knout  fut  aboli.  La  Rus- 
sie se  couvrit  d'un  vaste  réseau  de  chemins  de 
fer  (22,000  kilomètres  en  vingt  ans).  Près  de 
200  gymnases  (collèges)  s'ouvrirent  pour  les  gar- 
çons et  tout  autant  pour  les  filles,  versant  à  flot 
l'instruction  dans  les  masses.  On  cessa  de  persé- 
ciiter  le»  raskolniks ;  on  leva  la  plupart  des  bar- 
rières qui  confinaier.t  les  Juifs  dans  les  provinces 
de  l'ouest.  Sous  l'énergique  impulsion  du  général 
Miloutine,  l'armée  se  transforma.  Le  service  mi- 
litaire obligatoire,  égal  pour  tous,  sans  rachat 
d'aucune  sorte  (mais  avec  réduction  de  temps  pour 
les  plus  lettrés),  mit  chaque  année  à  la  disposition 
du  pays  près  de  700, OUO  conscrits  (187.3). 

Jamais  gouvernement  monarchique  n'avait  mon- 
tré une  si  vive  intelligence  des  intérêts  populai- 
res. Mais  la  malheureuse  question  polonaise, 
triste  héritage  de  Catherine  H,  amena  des  com- 
plications fâcheuses  pour  la  Russie  comme  pour 


l'Europe,  en  brisant  l'alliance  franco-russe  qui 
nous  eût  épargne  les  malheurs  de  1870  . 

A  Varsovie,  des  manifestations  menaçantes 
avaient  amené  des  fusillades  (1800-1861).  Au 
libéral  gouverneur  Vielopolski  succéda  le  brutal 
Luders.  Les  Polonais,  réfugiés  dans  les  bois, 
commencèrent  une  guerre  de  partisans  où  s'il- 
lustrèrent Langiewicz  et  Bosak,  mais  qui  fut 
comprimée  (18tl3-I8641  et  entraîna  des  représail- 
les. La  France,  l'Autriche  et  l'Angleterre  pro- 
testèrent. La  Prusse,  au  contraire,  offrit  ses  ser- 
vices et  noua  l'alliance  qui  lui  permit  d'écraser 
la  France  quelques  années  plus  tard.  En  Polo- 
gne, les  derniers  vestiges  de  libertés  locales  fu- 
rent  supprimés. 

Cependant  la  Russie  se  relevait  rapidement  de 
sa  défaite  de  Sébastopol.  Les  historiens  Soloviev  et 
Kostomarov,  les  romanciers  Alexis  et  Léon  Tolstoï, 
le  dramaturge  Ostrovski,  le  poète  Nékrassov, 
l'économiste  Tcliernycbevski  se  donnaient  libre 
carrière.  L'école  russe  de  peinture  se  développait 
avec  Aivazovski,  Verechtchaguine  et  Sémiradski. 
En  musique,  Rubinstein  succédait  à  Glinka. 

La  Russie,  libre  du  côté  de  l'Europe  depuis  le 
traité  de  Paris,  étendait  chaque  jour  ses  conquê- 
tes en  Asie.  Sdiamyl  fut  pris  dans  son  dernier 
noul  du  Caucase  (18.)9).  La  colonne  russe  de 
Tchernaiev  enleva  Tachkent  (1864).  L'émir  de 
ïîokliara  céda  Samarkand  (1866-18U8).  Le  gouver- 
nement du  Turkestan  fut  fondé  (1867);  Khiva  con- 
quis, et  à  peu  près  annexé  (1872)  ;  Khokand  réuni 
(1875);  les  frontières  de  Chine  entamées  (1870- 
1880).  Le  Japon  avait  cédé  l'Ile  de  Saghalian. 
Une  convention  conclue  avec  les  Etats-Unis  assura 
à  ceux-ci  la  cession  de    l'Amérique  russe  ^186"). 

Chacun  connaît  les  derniers  événements  du 
règne  :  l'alliance  éphémère  des  trois  empereurs 
de  Russie,  d'Allemagne  et  d'Autriche  (1873)  ; 
l'intervention  diplomatique  de  la  Russie  à  Berlin 
en  faveur  de  la  France  (1875);  les  revendications 
du  prince  Gortchakov  en  faveur  de  la  Serbie,  du 
Monténégro  et  des  Bulgares  (1876)  ;  la  guerre 
de  Turquie  (1877),  le  passage  du  Danube,  les 
batailles  sous  Plevna,  la  traversée  des  Balkans, 
la  victoire  de  Philippopoli  (1878),  la  prise  de 
Kars  et  d'Erzeroum,  le  traité  de  San-Stéfano, 
amendé  par  le  congrès  de  Berlin  (1878).  Déjà, 
pendant  la  guerre  franco-allemande,  la  Russie 
avait  obtenu  de  l'Europe  la  mod4fication  du  traité 
de  Paris  et  la  libre  navigation  de  la  mer  Noire 
(1871).  Le  congrès  de  Berlin,  malgré  l'impuiB- 
sante  opposition  de  lord  Beaconsfield,  lui  resti- 
tua les  bouches  du  Danube,  lui  céda  la  forte- 
resse de  Kars,  le  port  de  Batoum,  divers  terri- 
toires en  Asie,  et  assura  l'indépeiidance  plus  ou 
moins  complète  de  ses  alliées  du  sud,  les  prin- 
cipautés de  Roumanie,  de  Serbie,  de  Monténé- 
gro, de  Bulgarie  et  de  Roumélie  orientale  (1878). 

On  sait  aussi  que  ce  règne  réparateur  vient  de 
finir  d'une  façon  tragique  par  le  meurtre  du  tsar 
Alexandre  II  (13  mars  1881),  qui  avait  échappé 
cinq  fois  déjà  aux  complots  du  nihilisme.  La 
Russie  semble  être  entrée,  depuis  deux  ans,  dans 
une  voie  de  bouleversement  dont  nul  ne  peut 
encore  prévoir  l'issue. 

Malgré  l'extrême  gravité  de  cette  crise,  la  Rus- 
sie reste,  à  l'heure  actuelle,  un  des  plus  puissants 
Etats  du  monde.  L'immensité  de  son  territoire; 
le  chiffre  élevé  de  sa  population  (près  de  90  mil- 
lions d'àmes)  ;  l'extrême  rapidité  avec  laquelle 
elle  se  développe  ;  les  millions  d  hommes  qu'elle 
peut  jeter  dans  un  conflit  européen;  les  liens  de 
religion  et  de  race  qui  la  rattachent  aux  Slaves 
d'Autriche  et  de  Turquie,  assurent  au  peuple 
russe,  dans  un  temps  donné,  un  rôle  considé- 
rable en  Europe.  [Paul  Martine.] 


SAISONS 


—  1977 


SAISONS 


SAISONS.—  Cosnicgrapliie,  IV;  Hygiène,  V. 
—  L'action  du  soleil  à  la  surface  de  la  terre  est 
variable  :  nous  le  reconnaissons  par  l'expérience 
de  cliaque  jour,  et  nous  appelons  xfiixons  les  pé- 
riodes pendant  lesquelles  ces  variations  sont  le 
plus  frappantes.  Envisagées  à  ce  point  de  vue,  les 
saisons  ne  constituent  pas  des  divisions  générales 
de  l'année  applicables  à  tous  les  pays.  Mais  si  l'on 
étudie  le  mécanisme  astronomique  auquel  sont 
dues  les  saisons,  on  reconnaît  que  l'on  peut  divi- 
ser en  périodes  qui  n'ont  rien  d'arbitraire  les  va- 
riations d'intensité  de  l'action  solaire  qui  causent 
la  difl'érence  des  cUtimts  et  celle  de  la  longueur 
du  jour  et  de  la  nuit. 

Si  l'axe  de  rotation  de  la  terre  était  perpendicu- 
laire au  plan  dans  lequel  elle  se  meut  autour  du 
soleil,  le  jour  et  la  nuit  seraient  égaux  pendant 
toute  l'année,  chaque  point  du  globe  recevrait 
chaque  jour  la  même  quantité  de  chaleur,  il  n'y 
aurait  pas  de  saisons.  Mais  pour  la  terre,  l'axe  de 
rotation  est  incliné  de  telle  sorte  que  l'équateur 
terrestre  forme  toujours  avec  le  plan  de  l'éclipti- 
que  un  angle  d  un  peu  plus  de  '.'3  degrés.  C'est 
cette  inclinaison  de  l'écliptique  qui  cause  les  sai- 
sons. En  effet,  l'axe  de  rotation  do  la  terre  restant 
parallèle  à  lui-même  pendant  la  translation  du 
globe  autour  du  soleil,  il  arrive  qu'aux  deux  extré- 
mités de  l'orbite  elliptique  le  pôle  sud  et  le  pôle 
nord  se  présentent  successivement  au  soleil.  Le 
21  juin,  la  terre  se  trouve  à  une  des  extrémités 
de  son  orbite;  ce  jour-là,  au  tropique  du  Cancer, 
situé  à  23°  28'  au  N.  de  l'équateur,  on  voit,  à 
midi,  le  soleil  au  zénith.  A  partir  de  ce  jour,  il 
cesse  de  s'élever  chaque  jour  davantage  dans  le 
ciel  comme  il  faisait  depuis  trois  mois.  Le  lende- 
main et  les  jours  suivants  on  constate  qu'à  midi 
l'astre  est  un  peu  moins  haut  au-dessus  de  notre 
horizon  ;  il  redescend  désormais  vers  l'équateur. 
Cet  arrêt  du  soleil  au  21  juin  s'appelle  so/s/îce.  Ce 
jour-là  est  le  plus  long  pour  notre  hémisphère,  et 
le  plus  court  pour  l'hémisphère  opposé.  Pour 
nous  c'est  le  jour  du  solstice  d'élé;  pour  l'autre 
hémisphère,  c'est  le  jour  du  solstice  d'hiver.  Pour 
nous  les  jours  décroissent  à  partir  du  solstice 
d'élé,  jusqu'au  21  décembre  qui  est  le  jour  du 
solstice  d'hiver. 

Trois  mois  après  le  solstice  d'été,  lorsque  la 
terre  a  décrit  le  quart  de  son  orbite,  c'est-à-dire 
le  23  septembre,  elle  présente  son  équateur  aux 
rayons  perpendiculaires  du  soleil  :  ce  jour-là,  sous 
l'équateur,  le  soleil  passe  au  zénith  à  midi,  et 
pour  tous  les  points  de  la  terre  l'astre  se  lève  à 
6  heures  du  matin  et  se  couche  à  6  heures  du 
soir  :  le  jour  est  donc  égal  h  la  nuit.  Voilà  pour- 
quoi on  appelle  équinoxe  (égalité  de  la  nuit  et 
du  jour)  le  moment  où  la  terre  occupe  cette  posi- 
tion. Le  23  septembre  est  le  jour  de  Véqui7ioxe 
d'automne. Lî  terre,  continuant  sa  course,  atteint 
le  21  décembre  le  solstice  d'hiver,  moment  où  le 
soleil  s'élève  le  moins  pour  nous  au-dessus  de 
l'horizon,  tandis  qu'au  tropique  du  Capricorne  il 
passe  au  zénith  à  midi  ;  puis  l'astre  se  relève  cha- 
que jour  pendant  trois  mois,  et  la  terre  se  trouve 
le  21  mars,  jour  de  Véquinoxe  du  printemps,  en 
face  du  lieu  où  elle  se  trouvait  le  jour  de  l'équi- 
noxe  d'automne. 

Nous  avons  admis  ((ue  pendant  son  mouvement 
de  translation  autour  du  soleil,  l'axe  de  la  terre 
restait  toujours  parallèle  à  lui-môme.  Cela  n'est 
pas  strictement  exact.  Il  résulte  de  l'attraction  so 
laire  sur  la  partie  renflée  de  l'équateur  un  dépla- 
cement appréciable  dans  la  direction  de  l'axe  de 
rotation  ;  celui-ci  décrit  très  lentement  un  cercle, 


à  la  manière  d'une  toupie,  qui  se  trouve  animée  des 
trois  mouvements  du  la  terre  :  rotation  autour  de 
son  axe,  translation  sur  un  plan,  et  mouvement 
conique  de  l'axe  autour  de  la  verticale  passant  par 
la  pointe.  Pour  la  terre,  ce  mouvement  conique 
est  très  lent  :  il  accomplit  un  tour  en  2<i  000  ans. 

Ce  changement  ainsi  produit  dans  la  direction 
de  l'axe  de  la  terre  pendant  qu'elle  parcourt  son 
orbite  n'est  guère  que  de  i  degré  en  12  ans. 
Néanmoins  on  peut  constater  chaque  année  qu'il 
apporte  une  perturbation  dans  l'ordre  que  nous 
venons  d'établir  pour  la  succession  des  équinoxes. 
Cette  perturbation  ramène  l'équinoxe  de  prin- 
temps environ  20  minutes  et  19  secondes  plus  tôt 
chaque  année,  et  comme  l'année  tropique  est  le 
temps  qui  s'écoule  entre  deux  équinoxes  de  prin- 
temps, on  voit  que  cette  année  est  plus  courte 
que  l'année  sidérale.  L'équinoxe  de  printemps  se 
trouvant  chaque  année  précéder  un  peu  l'époque 
qui  correspond  à  l'équinoxe  de  l'année  précédente, 
on  appelle  précession  des  équinoxes  le  mouvement 
très  lent  effectué  le  long  de  l'écliptique  par  les 
points  équinoxiaux,  en  sens  inverse  de  la  transla- 
tion de  la  terre. 

La  saison  astronomique  est  un  espace  de  temps 
compris  entre  un  équinoxe  et  un  solstice.  Le  prin- 
temps commence  du  19  au  21  mars,  l'été  du  2) 
au  22  juin,  l'automne  du  22  au  23  septembre, 
l'hiver  du  20  au  21  décembre.  Sile  soleil  se  trou- 
vait au  centre  de  l'orbite  de  la  terre,  les  quatre 
saisons  seraient  d'égale  durée  :  l'inégalité  est  pro- 
duite par  la  vitesse  inégale  de  la  terre,  dans  son 
orbite,  causée  par  l'excentricité  du  soleil.  La 
durée  des  saisons  est  à  peu  près  la  suivante  : 

Printemps 94  jours. 

Eté 93     — 

Automne 89    — 

Hiver 89    — 

Maintenant  que  nous  connaissons  le  mécanisme 
dos  saisons  astronomiques,  examinons  leurs  rela- 
tions avec  la  température,  qui  forment  la  base  des 
divisions  adoptées  en  météorologie. 

Il  semble,  à  première  vue,  que  la  température 
d'un  point  de  la  terre  devrait  augmenter  pendant 
tout  le  temps  que,  pour  ce  point,  le  soleil  s'élève 
chaque  jour  davantage  au-dessus  de  l'horizon, 
puis  diminuer  dans  la  même  mesure.  Ainsi,  pour 
nos  latitudes,  elle  augmenterait  depuis  le  solstice 
d'hiver  jusqu'au  solstice  d'été.  S'il  en  était  ainsi, 
les  saisons  météorologiques  ne  coïncideraient  plus 
avec  les  saisons  astronomiques  :  le  printemps  com- 
mencerait un  mois  et  demi  avant  l'équinoxe  de 
printemps,  l'été  un  mois  et  demi  avant  le  solstice 
d'été,  et  ainsi  de  suite.  Mais  la  température  d'un 
lieu  dépend  à  la  fois  de  la  chaleur  émise  par  le  so- 
leil et  de  la  chaleur  que  la  terre  rayonne  après 
l'avoir  emmagasinée.  En  réalité,  la  température 
augmente  tant  que  la  chaleur  émise  par  le  sol  est 
plus  que  suffisante  pour  compenser  la  déperdition 
due  à  l'inclinaison  croissante  du  soleil.  Aussi  la 
chaleur  continue-t-elle  do  s'accrokro  pendant 
quelque  temps  après  le  solstice  d'été.  De  même 
le  froid  continue  d'augmenter  après  le  solstice 
d'hiver,  parce  que  l'obliquité  moindre  des  rayons 
solaires  ne  suffit  pas  pour  compenser  l'absorption 
par  le  sol  longtemps  refroidi. 

D'après  la  division  astronomique  des  saisons, 
l'hiver  devrait  être  identique  à  l'automne  et  le 
printemps  identique  à  l'été,  puisque  la  terre  oc- 
cupe, dans  l'un  et  l'autre  cas,  des  positions  iden- 
tiques par  rapport  au  soleil.  C'est  donc  à  la  raison 
que  nous  venons  d'exposer  qu'il  faut  attribuer, 


SAISONS 


—  1978 


SALPÊTRE 


dans  nos  régions,  la  différence  si  marquée  des 
saisons.  Pour  nous,  au  point  de  vue  météorologi- 
que, l'année  peut  se  diviser  en  quatre  périodes  ou 
saisons  assez  bien  adaptées  à  la  marclie  ordinaire 
delà  température.  Cliaque  période  comprend  trois 
mois  pleins:  l'hiver  se  compose  de  décembre, 
janvier,  février,  le  printemps  de  mars,  avril,  mai, 
et  ainsi  de  suite.  Dans  l'hémisphère  austral,  pour 
des  latitudes  correspondantes,  les  saisons  météo- 
rologiques sont  inverses  des  nôtres,  puisque  le 
solstice  d'été  a  lieu  le  21  décembre. 

l\e  perdons  pas  de  vue  que  la  classification  des 
saisons  météorologiques  telle  que  nous  l'avons 
établie  pour  les  pays  des  zones  tempérées  cesse 
d'être  applicable  quand  on  s'éloigne  de  ces  zones. 
Près  du  polo  il  n'y  a  guère  que  deux  saisons, 
l'une  plus  glacée  que  l'autre;  entre  les  tropiques, 
toutes  les  saisons  sont  chaudes,  et  c'est  la  fré- 
quence des  pluies  pendant  certaines  périodes  qui 
constitue  les  saisons  locales. 

Envisagées  au  point  de  vue  météorologique 
local,  les  saisons  exercent  une  influence  évidente 
sur  les  plantes  et  sur  les  animaux.  L'homme  peut 
par  son  industrie  et  ses  mœurs  se  dérober  en 
partie  h  cette  influence,  mais  il  ]ie  saurait  s'y 
soustraire  complètement.  En  France, les  naissances 
atteignent  leur  maximum  en  janvier,  décroissent 
graduellement  jusqu'en  juin  et  juillet,  puis  aug- 
mentent jusqu'à  décembre.  La  mortalité  des  en- 
fants varie  régulièrement  suivant  les  saisons; 
celle  des  adultes  est  plus  forte  en  hiver  et  au 
printemps  qu'en  été  et  en  automne. 

On  peut  considérer  que  chez  l'homme,  la  com- 
bustion plus  ou  moins  considérable  de  carbone 
correspond  à  une  plus  ou  moins  grande  activité 
vitale.  Or  on  a  démontré  que  cette  quantité  varie 
régulièrement,  dans  nos  climats,  suivant  les  sai- 
sons. Elle  diminue  de  juin  h  septembre,  puis 
augmente  pendant  trois  mois  pour  rester  station- 
naire  jusqu'à  la  fin  de  mars  ;  le  mouvement  as- 
censionnel recommence  en  avril  et  mai  pour  cesser 
en  juin.  La  plus  grande  difl'érence  observée  est  de 
O^'.lti  d'acide  carbonique  par  heure. 

On  travaille  depuis  quelques  années  à  une  sta- 
tistique médicale  qui  permettra  de  reconnaître 
avec  quelque  exactitude  l'influence  des  saisons 
sur  les  maladies.  Les  documents  recueillis  jusqu'à 
ce  jour  sont  insuffisants  pour  qu'on  en  tire  des 
conclusions  pratiques.  Tout  en  admettant  l'in- 
fluence saisonnière  dans  l'apparition  et  la  recru- 
descence des  maladies,  il  faut  d'ailleurs  reconnaî- 
tre que  les  maladies  saisonnières  d'une  année  ne 
ressemblent  pas  toujours  à  celles  que  l'on  constate 
d'ordinaire,  et  que  les  observations  n'ont  jamais 
qu'une  valeur  locale. 

La  saison  froide  est  chez  nous  la  plus  dange- 
reuse. Le  froid  n'est  pas  tonique,  comme  on  le  dit 
généralement  :  il  produit  indirectement  la  tonicité 
chez  les  sujets  robustes  et  bien  portants,  en  les 
obligeant  à  un  exercice  salutaire,  mais  il  n'en  est 
pas  moins,  par  lui-même,  un  débilitant.  Son  action 
est  funeste  aux  enfants,  aux  vieillards,  aux  conva- 
lescents, aux  personnes  affaiblies  par  les  priva- 
tions, les  chagrins.  Gardez-vous,  si  vous  n'êtes 
pas  très  robuste,  de  braver  le  froid  pour  vous 
aguerrir,  ce  serait  livrer  combat  à  plus  fort  que 
vous.  Craignez  surtout,  lorsque  vous  êtes  obligé 
d'afi'ronter  les  intempéries,  de  chercher  dans  l'al- 
cool une  source  de  chaleur  ou  de  lorce.  Après 
une  excitation  passagère,  l'alcool  vous  laisse  plus 
sensible  et  moins  capable  de  réagir.  Une  ali- 
mentation abondante,  riche  en  matières  grasses, 
est  le  meilleur  préservatif  contre  le  froid. 

11  est  assez  facile  de  se  préserver  des  accidents 
causés  par  la  chaleur.  Si  les  ouvriers  suspendent 
leurs  travaux  au  soleil  de  midi  à  trois  heures,  ils 
n'ont  pas  à  craindre  l'insolation.  Evitez  de  boire 
froid   quand  vous  êtes  en  sueur,  ne  vous   laissez 


pas  aller  à  l'indolence,  mangez  suffisamment, 
même  si  vous  n'y  êtes  pas  enclin,  et  vous  n'aurez 
rien  à  redouter  de  la  saison  chaude.  Quelle  que 
soit  la  température,  craignez  les  courants  d'air  : 
la  fraîcheur  agréable  qu'ils  produisent  constitue 
un  danger  sérieux,  et  sur  ce  point  on  ne  saurait 
pousser  trop  loin  les  précautions. 

Au  printemps  et  à  l'automne  portez  des  vête- 
ments un  peu  trop  chauds  pour  la  saison  ;  mangez 
un  peu  plus  qu'en  été,  moins  qu'en  hiver  ;  prolon- 
gez, s'il  se  peut,  votre  sommeil;  ne  vous  exposez 
pas  volontairement  à  l'humidité,  surtout  la  nuit  ; 
après  un  refroidissement  môme  insignifiant  en  ap- 
parence, frottez-vous  énergiquement  tout  le  corps 
et  couvrez-vous  de  flanelle  :  vous  éviterez  ainsi  les 
maladies  de  la  gorge  et  des  poumons,  les  fièvres 
et  les  rhumatismes  qui  vous  guettent  pendant  ces 
époques  de  transition.  [D' Saffray.] 

SALPÊTRE.  —  Chimie,  XVL  —  Snlpe'li-e,  qui 
veut  dire  pierre  de  sel,  est  le  nom  ancien  et  com- 
mun du  sel  que  les  chimistes  appellent,  d'après  sa 
composition.  Azotate  de  posasse. Sa  formule  chimi- 
que est  Az05,K0.  On  lui  donne  aussi  les  noms  de 
nitre,  sel  de  nitre,  nitrate  de  potasse.  Le  salpêtre 
ou  azotate  de  potasse,  comme  sa  formule  le  rap- 
pelle, est  formé  d'acide  azotique  et  de  potasse; 
c'est  un  sel  incolore  ou  blanc,  cristallisé  en  prismes 
à  six  pans  terminés  par  des  pyramides  également 
hexagonales.  Ces  cristaux  ne  contiennent  point 
d'eau,  et  ne  s'altèrent  point  à  l'air;  leur  saveur  est 
fraîche,  légèrement  piquante  etamère.  Le  salpêtre 
se  dissout  dix  fois  plus  dans  l'eau  bouillante  que 
dans  l'eau  froide  :  c'est  ce  qui  permet  de  le  séparer 
facilement  des  matières  étrangères  qui  l'accom- 
pagnent dans  les  salpêtres  bruts. 

Le  salpêtre,  comme  tous  les  autres  azotates,  mais 
avec  plus  d'intensité,  fuse  quand  on  le  projette  sur 
des  charbons  incandescents,  c'est-à-dire  que,  par 
son  oxygène, il  provoque  une  vive  combustion  qui  fait 
entendre  une  espèce  de  sifflement  caractéristique, 
en  même  temps  qu'il  produit  une  vive  lumière,  ren- 
due un  peu  violacée  par  la  présence  des  vapeurs  de 
potassium.  Dans  une  leçon  de  chimie  sur  les  sels,  il 
est  intéressant  de  répéter  cette  expérience  facile  et 
tout  à  fait  inoffensive.  On  n'oubliera  pas  non  plus 
de  faire  cristalliser  du  salpêtre  par  voie  humide; 
l'opération  est  facile,  elle  réussit  toujours,  et  on 
peut  pour  ainsi  dire  assister,  de  vim,  à  la  forma- 
tion des  cristaux.  Pour  cela  on  sature  à  chaud  avec 
de  l'azotate  de  potasse  un  demi-litre  environ  d'eau 
distillée,  puis  on  laisse  refroidir  en  regardant  de 
temps  en  temps  la  liqueur. 

Si  on  chauffe  de  l'azotate  de  potasse  dans  ui» 
creuset,  il  fond  vers  .350»  ;  il  est  alors  liquide  com- 
me de  l'eau  et  se  prend  en  masse  cristallisée  com- 
pacte par  refroidissement. Ce  sel  peut  donc,  comme 
beaucoup  d'autres  du  reste,  subir  deux  cristallisa- 
tions :  la  cristallisation  par  voie  sèche  ou  par  fa- 
sion,  et  la  cristallisation  par  voie  humide  ou  par- 
dissolution.  Cliauffé  au-dessus  de  330°,  il  se  décom- 
pose en  dégageant  de  l'oxygène  et  en  laissant  un 
résidu  solide  d'azotite  de  potasse,  KO.AzO-'.  Enfin 
au  rouge,  ce  dernier  sel  lui-même  se  décompose- 
en  perdant  son  azote  et  une  partie  de  son  oxygène, 
et  en  laissant  un  résidu  solide  de  potasse  et  de 
peroxyde  de  potassium. 

Mélangé  au  charbon  pulvérisé  et  au  soufre  dans- 
des  proportions  convenables,  il  forme  des  matiè- 
res expliisibles  dont  la  principale  est  la  poutre  *. 
Produclioa  naturelle  du  salpêtre.  —  Comme  il  a 
été  dit  à  l'article  Azote  (p.  :i3S),  on  rencontre  le 
salpêtre  à  la  surface  du  sol,  sous  forme  d'efflores- 
cence  et  mélangé  à  la  terre,  dans  beaucoup  de- 
pays  chauds. 

Dans  les  climats  tempérés  on  le  rencontre  à  la 
surface  des  vieilles  murailles  habituellement  hu- 
mides, dans  les  vieilles  écuries,  les  caves  et  les 
maisons  abandonnées,  puis  à  la  surface  des  vieux 


SALUBRITÉ  PUBLIQUE 


1979 


SALUBRITE  PUBLIQUE 


plâtras  :  parle  temps  sec, il  apparaît  sous  forme  de 
poussière  blanche  efflorescente. 

Ces  formations  naturelles  du  salpêtre  ne  sont 
point  encore  parfaitement  expliquées  aujourd'hui 
(V.  Azotf). 

Co  qui  est  certain,  c'est  que  les  conditions  les 
plus  favorables  à  la  formation  du  salpêtre  à  la 
surface  des  murailles  ou  du  sol  des  écuries  et  des 
caves  sont  :  la  présence  d'un  sol  calcaire  et  hu- 
mide, puis  de  matières  organiques  en  décomposi- 
tion. Celles-ci  sont-elles  absolument  indispensa- 
bles? On  ne  peut  pas  l'affirmer,  car  un  courant 
d'air  passant  à  travers  des  pierres  poreuses  peut 
dans  certains  cas  donner  naissance  à  de  l'acide  azo- 
tique (Cloëz)  ;  il  ne  paraît  donc  pas  indispensable  de 
recourir  à  l'azote  des  matières  organiques  en  dé- 
composition pour  expliquer  la  formation  du  salpê- 
tre ;  nous  ajouterons  néanmoins  que  leur  présence 
la  favorise  singulièrement,  comme  on  le  voit  dans 
le  cas  des  nitrières  artificielles. 

Aujourd'hui  en  France  on  fabrique  le  salpêtre 
avec  l'azotate  de  soude  qui  nous  arrive  abondam- 
ment du  Chili,  en  traitant  celui-ci  par  le  chlorure 
de  potassium.  Par  leur  mélange  dans  l'eau  bouil- 
lante, il  se  forme  du  chlorure  de  sodium  ou  sel 
marin  et  de  l'azotate  de  potasse. 

Par  le  refroidissement,  la  plus  grande  partie  de 
l'azotate  de  potasse  se  déposera  en  cristallisant, 
parce  que  ce  sel  est  beaucoup  moins  soluble  à 
froid  qu'à  chaud.  Le  chlorure  de  sodium,  dont  la 
solubilité  ne  change  pour  ainsi  dire  point  avec  la 
température,  restera  en  grande  partie  dans  la  dis- 
solution. 

Les  usages  du  salpêtre  ont  été  indiqués  à  l'ar- 
ticle Azoïe  (p.  3.38).  [Alfred  Jacquemart.] 

SALUBRITÉ  PUBLIQUE.  —  Hygiène,  XVII.  — 
Pour  les  individus  réunis  en  sociétés,  la  liberté 
individuelle  se  trouve  limitée  par  le  droit  que  pos- 
sède chaque  citoyen  de  n'éprouver  aucun  préjudice 
de  la  part  des  autres.  En  outre  l'Etat  est  intéressé 
à  ce  que  chaque  citoyen  soit  à  même  de  rendre  le 
plus  de  services  possible  et  ne  devienne  pas,  par 
sa  faute,  une  charge  pour  la  communauté. 

Or,  pour  que  l'homme  soit  apte  à  rendre  le 
plus  de  services  possible  et  ne  devienne  qu'acci- 
dentellement une  charge  pour  la  société,  il  faut, 
avant  tout,  comme  l'a  dit  le  philosophe  américain 
Emerson,  qu'il  soit  un  «  bon  animal  »,  c'est-à-dire 
qu'il  jouisse  d'une  santé  robuste  et  ne  la  com- 
promette par  aucune  infraction  grave  aux  lois  de 
l'hygiène.  L'Etat  a  le  droit  d'exiger  cela  tout 
aussi  bien  qu'il  exige  un  impôt  ou  le  service  mi- 
litaire. l)n  citoyen  représente  dans  l'Etat  une 
valeur  dont  profite  la  masse  ;  par  conséquent,  il 
importe  de  ne  pas  lui  permettre  de  diminuer 
volontairement  cette  valeur.  A  l'Etat  de  trouver  les 
moyens  d'accomplir  cette  partie  de  sa  tàclie  de 
manière  à  entraver  le  moins  possible  la  liberté 
des  individus.  L'éducation,  en  vulgarisant  l'hy- 
giène, la  ferait  entrer  dans  les  mœurs  et  restrein- 
drait, autant  qu'on  peut,  le  souhaiter,  l'interven- 
tion officielle. 

En  Angleterre,  en  Italie,  aux  Etats-Dnis,  on 
agite  la  question  de  créer  un  ministère  de  la 
santé  publique,  un  véritable  ministère  d'hygiène. 
En  attendant,  les  attributions  de  ce  ministère 
sont  réparties,  comme  chez  nous,  entre  diverses 
autorités  chargées  de  veiller  à  la  salubrité  publi- 
que, à  l'hygiène  des  populations. 

Pour  bien  .ipprécier  le  rôle  de  l'Etat  dans  cette 
branche  de  l'administration,  il  faut  considérer 
l'hygiène  comme  l'ensemble  des  connaissances  et 
des  mesures  propres  à  améliorer  l'homme  au  point 
de  vue  physique,  intellectuel  et  moral,  aie  défen- 
dre contre  les  causes  de  maladie  et  de  dégéné- 
rescence. Il  est  évident  que  l'hygiène  considérée 
à  ce  point  de  vue  implique  l'intervention  de  l'au- 
torité. 


En  France,  les  questions  sanitaires  rentrent, 
d'une  part,  dans  les  attributions  de  plusieurs 
départements  de  l'administration  centrale  ;  de 
l'autre,  dans  celles  des  administrations  départe- 
mentale et  communale. 

C'est  spécialement  au  ministère  de  l'agricul- 
ture et  de  commerce  qu'est  confiée  la  tutelle  de 
la  santé  publique.  Les  afl'aires  sanitaires  y  sont 
réparties  de  la  manière  suivante  : 

DlHECTION   DU    SECnÉTABIAT    GÉNÉRAL.    DiVISIOI* 

DU  PERSONNEL.  —  1"^'  bureau.  — Nominations,  pro- 
motions et  mouvements.  —  Comité  des  arts  et 
manufactures;  comité  consultatif  d'hygiène  pu- 
blique ;  médecins  et  agents  sanitaires  ;  médecins 
inspecteurs  des  établissements  d'eaux  minérales. 

—  Statistique  générale  rie  la  France.  —  Mouve- 
ment annuel  de  la  population  ;  commissions  canto- 
nales permanentes  de  statistique  ;  publication  des 
documents  destinés  à  la  continuation  de  la  statisti- 
que générale  de  France. 

Direction  de  l'agbicultire.  —  I"  bureau.  — 
Enseignement  agricole  et  vétérinaire.  —  Vache- 
ries, bergeries,  colonies  :  et  asiles  agricoles  ; 
écoles  vétérinaires  ;  e.xercice  de  la  médecine  vé- 
térinaire ;  épizooties.  —  2*  bureau.  —  Encoura- 
gements à  C agriculture  et  secours.  —  Dessèche- 
ments et  assainissements,  drainage,  irrigation; 
police  rurale  ;  mise  en  culture  des  landes,  reboi- 
sement; secours  pour  pertes  résultant  d'épizoo- 
ties,  inondations  ;  etc.  —  3'  bureau.  —  Subiis- 
tances.  —  Législation  relative  aux  subsistances  ; 
recours  en  matière  de  règlements  sur  la  boulan- 
gerie, les  abattuirs  et  sur  la  vente  des  comesti- 
bles dans  les  foires  et  marchés. 

Direction  du  commerce  intérieur.  —  2*  bureau. 

—  Industrie.  —  Travail  des  enfants  dans  les  ma- 
nufactures. —  3°  bureau.  —  Police  sanitaire  et 
industrielle.  —  Comité  consultatif  d'hygiène  pu- 
blique; commissions  et  agences  sanitaires,  laza- 
rets, quarantaines,  etc.  ;  correspondance  relative 
à  l'état  de  la  santé  publii»ae,  tani  en  France  qu'à 
l'étranger  ;  épidémies  ;  rapports  avec  l'Académie 
de  médecine  ;  encouragement  et  propagation  de 
la  vaccine;  règlement  sur  la  police  des  profes- 
sions médicales,  remèdes  secrets;  mesures  géné- 
rales relatives  à  la  salubrité  ;  police  et  régime 
des  établissements  d'eaux  minérales  ;  examen  et 
approbation  des  règlements  relatifs  à  ces  établis- 
sements ;  subventions  ;  établissements  dangereux, 
insalubres  et  incommodes. 

Direction  des  ponts  et  chaussées.  —  Divisio7i 
du  service  hydraulique.  —  Curage  des  cours 
d'eau;  règlements  pour  l'établissement  des  usi- 
nes ;  études  relatives  aux  irrigations  ;  dessèche- 
ment des  marais  et  assainissement  des  terrains 
insalubres;  concession  ou  exécution  des  travaux 
de  dessèchement  et  d'assainissement. 

DiiiECTiON  DES  MINES.  —  1"  bureau,  —  Mines. 
Eaux  minérales.  Appareils  à  vapeur.  —  Surveil- 
lance des  mines,  tourbières,  carrières  ;  recherche, 
conservation  et  aménagement  des  sources  mi- 
raies. 

Les  services  suivants  ressortissent  au  minis- 
tère de  l'intérieur  : 

Division  de  l'administration,  générale  et  dé- 
partementale. —  4"  bureau.  Etablissements  gé- 
néraux de  bienfaisance.  —  Amélioration  des  loge- 
ments d'ouvriers  ;  bains  et  lavoirs  publics  ;  services 
de  médecins  gratuits. 

Division  de  l'administration  communale  et  hos- 
piiALiÈRE.  —  i'  bureau.  —  Hospices  communaux. 

—  Bureaux  de  bienfaisance. 

Direction  des  prisons  et  établissements  péni- 
tentiaires. —  l"  bureau.  —  Administration  géné- 
rale lies  prisons.  —  État  sanitaire  ;  service  médical  ; 
travaux  statistiques;  institutions  de  patronage. 

Au  ministère  de  la  guerre  est  attaché  le  Con- 
seil de  sajité  des  armées. 


SALUBRITÉ  PUBLIQUE 


1980  —      SALUBRITÉ  PUBLIQUE 


Au  ministère  de  la  marine  et  des  colonies  est  '  des  lumières  de  la  science  et  de  s'assurer  le  con- 
attaclié  un  inspecteur  général  du  service  de  santé.  !  cours  des  hommes  que  leurs  connaissances  spé- 
Dans  les  provinces,  les  questions  relatives  à  la  !  ciales  rendent  seuls  capables  de  résoudre  les  pro- 
salubritc  et  à  l'hygiène  publiques  sont  confiées  à  '  blêmes  d'hygiène  publique.  C'est  pour  cela  qu'un 
rautoritémunicipaleetenmême  temps  à  l'autorité  décret  de  1 858  a  organisé  les  conseils  d'hygiène 
départementale.  Les  co'/sfi/s  d'hygiène  et  de  sa/u-  publique  et  de  salubrité  des  départements,  com- 
tirité  institués  dans  chaque  arrondissement,  les  posés  de  médecins,  de  pharmaciens,  de  chimistes 
médecins  des  épidémies,  les  commissions  canto-  \  et  do  vétérinaires,  assistés  par  des  agriculteurs, 
nales  doivent  aider  les  autorités  dans  tout  ce  qui  '  des  commerçants,  des  industriels,  des  ingé- 
touche   à  l'administration  de  la  santé  publique,    nieurs,  etc. 

Les  conseils  municipaux  sont  aussi  appelés  à  |  Les  attributions  de  ces  conseils  sont  divisées  en 
intervenir  dans  les  affaires  sanitaires,  en  ce  qui  douze  paragraphes,  savoir  :  1°  L'assainissement 
concerne  la  recherche  et  la  réforme  des  logements  ;  des  localités  et  des  habitations;  —  2° Les  mesures 
insalubres.  à  prendre  pour  prévenir  et  combattre  les  mala- 

Pour  Paris,  la  direction  spéciale  des  services  '  dies  endémiques,  épidémiques  et  transmissibles  ; 
sanitaires  est  confiée  aux  administrations  sui-  1  —  3°  Les  épizooties  et  les  maladies  des  animaux  ; 
vantes  :  —  4°  La  propagation  de  la  vaccine  ;  —  5°  L'organi- 

Préfecti're  ue  la  Seine.  —  1'  division.  —  Ad-  sation  et  les  distributions  de  secours  médicaux 
MiNisTBATioN  DÉPARTEMENTALE  ET  coMMi;NALE.  —  i  aux  malades  indigents  ;  —  6°  Les  moyens  d'amé- 
1"  bureau.  —  Académie  de  la  Seine;  faculté  de  ;  liorer  les  conditions  sanitaires  des  populations 
médecine  ;  visa  des  diplômes  des  médecins  et  des  industrielles  et  agricoles  ;  —  7°  La  salubrité  des 
sages-femmes;  listes  des  vétérinaires  ;  inspection  '  ateliers,  écoles,  hôpitaux,  maisons  d'aliénés,  éta- 
de  la  vérification  des  décès;  pompes  funèbres,  !  blissements  de  bienfaisance,  casernes,  arsenaux, 
cimetières.  —  3'  bureau.  —  Abattoirs,  halles  et  :  prisons,  dépôts  de  mendicité,  asiles,  etc.  ;  — 
marchés.  —   4«  bureau.  —  AssisUnce  publique.  |  8°  Les  questions  relatives  aux  enfants  trouves;  — 

30  Division.  Travaux   pcblics.   —   2'   bu-    9"  La  qualité  des  aliments,  boissons,  condiments  et 

reo!<.  —  Balayage  ;  enlèvement  des  boues,  im-  médicaments  livrés  au  commerce;  —  10»  L'amélio- 
mondices  neiges  et  glaces;  curage  d'égouts,  ]  ration  des  établissements  d'eaux  minérales  appar- 
fosses  d'aisances;  éclairage  public  et  privé.  —' tenant  à  l'État,  aux  départements,  aux  communes 
V  Aureoi,.  —  Logements  insalubres.  !  et  aux  particuliers,   et  les  moyens   d  en  rendre 

Préfecture  de  police.  —  Le  préfet  de  police  '  l'usage  accessible  aux  malades  pauvres;  — 
est  chargé  d'assurer  la  salubrité  de  la  ville  :  en  j  1  r  Les  demandes  d'autorisation,  translation  ou 
prenant  des  mesures  pour  prévenir  et  arrêter  révocation  des  établissements  dangereux,  insalu- 
les  épidémies,  les  épizooties,  les  maladies  conta-  bres  ou  incommodes  ;  —  12°  Les  grands  travaux 
gieuses;  en  faisant  observer  les  règlements  de  d'utilité  publique,  constructions  d  édifices,  écoles, 
police  sur  les  inhumations;  en  faisant  enfouir  ;  prisons,  casernes,  ports,  canaux,  réservoirs,  lon- 
les  cadavres  d'animaux  morts,  surveiller  les  fos-  '  taines,  halles  ;  établissement  des  marches,  rou- 
ses  vétérinaires,  la  construction,  l'entretien  et  toirs,  égouts,  cimetières,  voirie,  etc.,  sous  le  rap- 
la  vidange  des  fosses  d'aisances;  en  faisant  arrêter,    port  de  lliygiène  publique.  ,      . 

visiter,  les  animaux  suspects  de  mal  contagieux  ,  Les  conseils  d'hygiène  doivent,  en  outre,  reumr 
et  mettre  à  mort  ceux  qui  en  sont  atteints  ;  en  et  coordonner  les  documents  relatifs  il  la  mortalité 
surveillant  les  échaudoirs,  fondoirs,  salles  de  dis-  et  i  ses  causes,  à  la  topographie  et  à  la  statisti- 
section  ;  en  empêchant  d'établir  dans  l'intérieur  que  de  l'arrondissement,  en  ce  qui  touche  la  santé 
de    Paris    des    ateliers,    manufactures,     labora-    publique. 

toires,  etc.,  qui  doivent  être  hors  de  l'enceinte  des  1  Le  conseil  qui  réside  au  chef-lieu  du  départe- 
villes  ;  en  empêchant  qu'on  ne  jette  ou  dépose  1  ment  a  pour  mission  spéciale  de  centraliser  et 
dans  les  rues  aucune  substance  malsaine;  en  :  coordonner  les  travaux  des  conseils  d  arrondis- 
faisant  saisir  et  détruire  dans  les  halles,  marchés  sèment  et  d'adresser  chaque  année  au  préfet  un 
et  boutiques,  chez  les  bouchers,  boulangers,  mar-  \  rapport  général  qui  est  immédiateraerii  ti|ansrais, 
chands  de  vins,  bi'asseurs,  limonadiers,  épiciers,  |  avec  les  pièces  à  l'appui,  au  ministre  de  1  agricul- 
droguistes,   apothicaires  ou   tous  autres,  les  co-  I  ture  et  du  commerce. 

mestibles  ou  médicaments  gâtés,  corrompus  ou  1  Le  département  de  la  Seine  possède,  comme 
nuisibles.  Il  est  chargé  de  faire  administrer  des  les  autres,  un  conseil  d'hygicne  publuiue  et  de 
secours  aux  noyés,  et  détermine  le  placement  des  ,  salubrité,  mais  en  outre  il  a  été  établi  dans 
boites  de  secours,  etc.  —  2«  division.  —  2°  bu-  \  chaque  arrondissement  de  Paris  une  conimission 
reau.  —  Carrières,  vidanges,  cabinets  d'aisances  d'hygiène  et  de  salubrité  chargée  de  reunir  toutes 
et  urinoirs  publics.  —  4«  bureau.  —  Travaux  du  les  informations  qui  peuvent  intéresser  la  santé 
conseil  d'hygiène  et  de  salubrité  et  des  corn-  !  publique  dans  l'étendue  de  la  circonscription, 
missaires  d'hygiène  du  département  de  la  Seine  ;  d'appeler  l'attention  du  préfet  de  police  sur  les 
secours  publics,  établissements  dangereux,  et  i  causes  d'insalubrité,  et  de  donner  son  avis  sur  les 
tout  ce  qui  concerne  la  salubrité.  —  Une  partie  '  moyens  de  les  faire  disparaître 

de  ces    dernières    attributions   est  placée   sous'      "        "" ~..^.,,  „'„^-r,^.^v 

l'autorité  du  préfet  de   la  Seine.  —  A  la  préfec- 
ture de    police   sont  attachés  un  co7iseil  de  salu- ^  ,.^..., ,  --  .  ,  _         . 

brité;des  insi,ecteurs  des  établissements  dangereux    nistration  centrale,  ^un    comité^  ^^^^f,[  ^of î,  ni  a 
et  insalubres,  des  inspecteurs  des  eaux  mi7iérales ; 
une  commission  d'inspection   du  travail  de. 


juyciio    ut;    ,co    icitio    ....^i^.. 

Comité  consultatif  d'hïgiène  de  France.  —  Four 
1  compléter  le  système  d'institutions  que  nous  ve- 
nons d'énumérer,  on  a  établi,  au  siège  de  ladmi- 


fants  dans  les  manufactures  ;  des  inspecteurs  des 
maisons  de  santé,  de  sevrage  et  de  nourrices,  etc. 

Administration  générale  de  l'assistance  publi- 
que. —  L'administration  des  hôpitaux,  hospices  et 
secours  à  domicile  de  Paris  est  concentrée  en 
une  adminisiration  générale  de  l'assistance  pu- 
blique, placée  sous  l'autorité  du  préfet  de  la 
Seine. 

Conseils  d'hygiène  publique  et  de  salubrité.  — 
Pour  surveiller  et  protéger  la  santé  publique, 
l'autorité  administrative  a  besoin  de   s'entourer 


aboutir  les  travaux  des  conseils  locaux  et  qui  a 
pour  mission  d'éclairer  l'autorité  sur  les  questions 
sanitaires.  ,■  •  • 

Telles  sont,  chez  nous,  les  principales  divisions 
administratives  auxquelles  sont  confiées  les  ques- 
tions relatives  à  l'hygiène  publique.  Cette  énu- 
mération  suffit  pour  donner  une  idée  de  1  impor- 
tance de  l'hygiène  publique.  Il  faudrait  plusieurs 
volumes  pour  traiter  les  sujets  principaux  qui  s  y 
rattachent.  Faute  d'espace,  nous  nous  bornerons  a 
des  indications  sommaires  sur  ceux  qu'il  importe 
le  plus  de  connaître. 

Assaviissement.  —   L'assainissement    consiste 


SALUBRITÉ  PUBLIQUE      —  1981 


SALUBRITE  PUBLIQUE 


dans  la  rcclierclie  et  l'exemple  des  moyens  pro- 
pres il  faire  disparailre  les  causes  d'insalubrité 
qui  existent  dans  une  localité  d'une  manière  fixe 
ou  accidentelle  :  c'est  donc  la  partie  essentielle 
de  riiygiène  publii|ue.  Les  méthodes  rationnelles 
d'assainissement  tendent  il  purilier  ou  ii  mainte- 
nir dans  un  état  convenable  de  pureté  l'air,  le 
sol  et  les  eaux.  Elles  s'adressent  aux  conditions 
géographiques,  géologiques  et  climatologiques 
de  chaque  lieu,  et  consistent  d'abord  en  travaux 
de  défrichement,  de  dessèchement,  d'irrigation, 
do  culture.  Puis  il  un  point  de  vue  plus  restreint, 
l'assainissement,  consiste  à  faire  disparaître  les 
causes  d'insalubrité  à  l'extérieur  ou  à  l'ititérieur 
des  habitations,  par  l'établissement  de  drainages, 
d'égouts,  de  voiries,  de  conduites  d'eau,  de  plan- 
tations, etc.  ;  il  disposer  les  habitations  de  ma- 
nière que  chacun  jouisse  d'un  air  pur,  d'une  lu- 
mière abondante,  et  dispose  d'une  grande  quan- 
tité d'eau  pure. 

Marais.  —  Au  point  de  vue  de  l'hygiène,  on 
doit  comprendre  sous  le  nom  de  marais  toute 
portion  du  sol  alternativement  couverte  et  aban- 
donnée par  les  eaux,  et  donnant  lieu,  sous  l'in- 
fluence du  dessèchement  et  de  la  chaleur,  à  un 
dégagement  de  miasmes  qui  engendrent  la  fièvre. 
Les  marais,  étangs,  lacs,  fleuves  débordés,  pla- 
ges découvertes,  embouchures  de  rivières,  ca- 
naux, défricliements,  déboisements,  mares,  ruis- 
seaux, réservoirs,  peuvent  donc  devenir  des 
foyers  d'émanations  miasmatiques.  Les  moyens 
de  combattre  l'influence  des  marais  sont  du 
ressort  de  l'administration.  Elle  seule  est  res- 
ponsable des  maux  que  leur  présence  engendre, 
encore  aujourd'hui,  dans  un  grand  nombre  do 
localités.  Sans  doute,  il  faut  du  temps  et  de 
grandes  dépenses  pour  réaliser  les  améliorations 
urgentes  ;  mais  on  ne  doit  pas  perdre  de  vue 
qu'en  outre  de  la  reconstitution  des  populations 
étiolées  et  décimées  par  les  miasmes,  des  tra- 
vaux d'assainissement  donnent  toujours  aux  ter- 
rains oti  ils  sont  exécutés  une  plus-value  qui 
dépasse  de  beaucoup  la  première  mise  de  fonds. 

Kgouts.  —  On  appelle  égouts  les  canaux  sou- 
terrains destinés  à  recevoir,  dans  les  villes,  les 
eaux  impures  ou  encombrantes,  pour  les  déverser 
sur  un  sol  cultivé,  dans  des  puisards  ou  dans  un 
cours  d'eau.  C'est  de  leur  construction  et  de 
leur  aménagement  ([ue  dépend  en  grande  partie 
la  salubrité  des  villes.  Leur  construction  et  leur 
entretien  nécessitent  des  connaissances  spéciales. 
Quant  à  l'utilisation  des  eaux  d'égout,  divers 
systèmes  sont  en  présence  ;  on  exécute  des  ex- 
périences sur  une  vaste  échelle,  et  l'on  peut 
espérer  que  dans  un  avenir  prochain  les  cours 
d'eau  ne  seront  plus  empoisonnés  et  souillés  par 
l'afflux  de  ces  liquides  infects,  dont  l'industrie 
peut  retirer  des  matières  fertilisantes,  si  on  ne 
trouve  pas  plus  avantageux  de  les  purifier  par 
une  Hltration  lente  à  travers  des  terrains  cultivés. 

Eau.  —  On  peut  d'ordinaire  apprécier  la  salu- 
brité d'une  ville  par  la  quantité  d'eau  dont  peut 
disposer  chaque  habitant,  pourvu  que  le  liquide 
qui  a  servi  à  l'entretien  de  la  propreté  des  per- 
sonnes et  des  habitations  ait  un  écoulement  facile 
et  disposé  suivant  les  règles  de  l'arl.  L'eau  dis- 
tribuée dans  les  villes  doit  avant  tout  être  pure. 
Le  repos  et  la  filtration  ne  donnent  pas  à  l'eau 
contaminée  des  grands  fleuves  les  qualités  requises 
par  les  hygiénistes.  11  faut,  à  tout  prix,  amener  les 
eaux  de  rivières  qui  coulent  dans  des  vallées  peu 
habitées. 

l  oiî'jev.  —  Au  point  de  vue  de  l'hygiène  pu- 
blique, la  question  des  voiries  peut  se  ramener 
aux  termes  suivants  :  quels  sont  les  moyens  les 
moins  insalubres  et  les  plus  pratiques  pour  éva- 
cuer hors  des  villes  et  utiliser  les  débris  organi- 
ques et  les  résidus  de   toute  sorte  qui  résultent 


d'une  grande  agglomération  humaine  ?  Ces  débris 
et  résidus  peuvent  être  distribués  en  trois  classes  : 
imniondii:es  ;  débris  des  halles  et  marchés,  de 
l'économie  domestique,  boues,  etc;  —  excréments 
tant  des  hommes  que  des  animaux  ;  —  cada- 
vres, comprenant  ceux  des  hommes  et  des  ani- 
maux. D'où  la  division  des  voiries  en  1°  voiries 
d'immondices;  T  voiries  de  matières  fécales; 
S"  voiries  d'animaux  morts.  Les  cadavres  humains 
forment,  bien  entendu,  un  groupe  séparé. 

Habitations.  — L'hygiène  ne  doit  pas  seulemen 
s'occuper  des  habitations  dans  l'intérêt  de  ceux 
qui  les  habitent,  pour  les  prémunir  contre  leur 
inexpérience,  les  protéger  contre  la  rapacité  ou 
l'ignorance  d'un  propriétaire,  d'un  logeur,  etc.  ; 
la  police  sanitaire  surveille  la  construction  des 
maisons,  leur  élévation,  la  largeur  des  rues,  oblige 
il  assainir  les  logements  insalubres,  ou  en  interdit 
la  location.  Si  le  danger  résulte  de  causes  exté- 
rieures et  permanentes,  ou  lorsque  ces  causes  ne 
peuvent  être  détruites  que  par  des  travaux  d'en- 
semble, la  commune  exproprie  les  immeubles  et 
les  revend  lorsqu'elle  a  fait  disparaître  les  causes 
d'insalubrité. 

Fosses  et  cabinets  (faisances,  —  Malgré  les  per- 
fectionjiements  apportés  dans  cette  partie  des  ha- 
bitations, les  résultats  obtenus  ne  sont  pas  satis- 
faisants. Les  intérêts  de  l'agriculture  et  ceux  de 
l'hygiène  s'accordent  pour  réclamer  qu'aucune  par- 
tie des  résidus  humains  ne  soit  perdue  par  l'écou- 
lement direct  dans  les  cours  d'eau.  D'autre  part  il 
importe  que  ces  résidus  ne  s'accumulent  pas  long- 
temps dans  les  habitations  et  que  l'on  ne  soit  pas 
obligé  d'en  faire  de  vastes  dépôts  qui  deviennent 
forcément  des  foyers  d'infection.  Tout  ce  qui  con- 
cerne ces  questions  et  celle  des  vidanges  est  l'ob- 
jet d'études  pratiques  dont  il  faut  attendre  le 
résultat.  Comme  mesures  provisoires,  l'hygiène 
conseille  et  exige  d'entretenir  dans  un  état  de 
propreté  parfaite  les  cabinets  publics  et  privés, 
de  ventiler  les  fosses,  et  de  munir  les  conduits  de 
soupapes  à  joint  hydraulique  qui  s'opposent  à  la 
sortie  des  gaz  mé|)hitique3. 

Hôpitaux  et  hospices.  —  On  désigne  générale- 
ment sous  le  nom  d'hôpitaux  les  établissements 
destinés  au  traitement  gratuit  des  indigents  at- 
teints de  maladies  aiguës,  tandis  qu'on  donne  le 
nom  d'hospices  aux  asiles  où  sont  recueillis  les 
enfants  abandonnés,  les  vieillards,  les  incurables 
et  les  infirmes  non  domiciliés.  Ces  établissements 
,  ressortissent  à  l'assistance  publique,  pour  la  tu- 
telle administrative,  les  soins  médicaux  et  l'hy- 
giène. A  ce  dernier  point  de  vue,  la  question  des 
hospices  et  des  hôpitaux  est  depuis  quelque  temps 
l'objet  de  discussions  et  d'expériences  qui  semblent 
appelées  il  modifier  profondément  les  vieilles  cou- 
tumes. On  tend  il  éloigner  ces  établissements  de» 
centres  de  populatioji,  ii  multiplier  les  corps  de 
'  logis,  à  substituer  aux  constructions  permanentes 
des  chalets,  des  pavillons  destinés  à  être  détruits 
aux  premiers  indices  d'infection.  L'extension  des 
secours  li  domicile  permettra  en  outre  de  dimi- 
nuer beaucoup  la  population  des  établissements 
hospitaliers,  sans  grever  sensiblement  le  budget, 
et  pour  le  plus  grand  profit  de  l'hygiène. 

Vérification  des  décès.  —  La  législation  relative 
aux  décès  prescrit  :  la  déclaration  à  la  mairie  par 
deux  témoins;  la  constatation  ii  domicile  par  of- 
ficier cfctut  civil.  Malheureusement  cette  dernière 
formalité  n'est  pas  accomplie  comme  l'exige  la  loi. 
Dans  quelques  grandes  villes,  les  municipalités 
ont  tenté  de  faire  suppléer  l'officier  d'état  civil 
par  des  médecins  spéciaux,  et  des  arrêtés,  des 
circulaires  préfectorales  sont  venus  sanction- 
ner en  quelque  sorte  cette  substitution  qui 
n'est  pas  prévue  par  la  loi.  La  vérification  des 
décès  est  importante  au  point  de  vue  do  l'hygiène 
publique,  pour  reconnaître  les  cas  de  mort  appa- 


SALUBRITE  PUBLIQUE      —  1882  —      SALUBRITE  PUBLIQUE 


Tente  et  pour  appeler  l'attention  des  autorités  sur 
les  décès  causés  par  des  maladies  contagieuses. 

Inhumations.  —  L'Iiygiène  publique  s'occupe 
spécialement  de  ce  qui  concerne  les  inhumations, 
afin  d'atténuer,  autant  que  possible,  les  inconvé- 
nients ou  les  dangers  des  émanations  qui  pro- 
"viennent  de  la  décomposition  putride.  Sans  porter 
aucunement  atteinte  au  respect  religieux  dont 
nous  aimons  à  entourer  les  morts,  on  pourrait 
adopter  des  systèmes  d'inbumation  bien  différents 
de  celui  d'aujourd'hui,  qui  assureraient  une  rapide 
destruction  des  cadavres  et  s'opposeraient  à  la 
rproduction  d'émanations  infectes  ou  de  miasmes 
dangereux.  Depuis  longtemps  il  n'est  plus  permis 
d'inhumer  dans  les  églises.  On  cherche  à  éloigner 
le  plus  possible  les  cimetières  des  centres  de 
population.  L'ancienne  coutume  de  la  crémation 
revient  timidement  en  faveur  :  peut-être  est-ce  le 
mode  d'inhumation  que  l'hygiène  fera  prévaloir 
dans  les  grandes  villes, 

Etablissements  insalubres.  —  La  plupart  des 
grands  établissements  industriels  sont  incom- 
modes ou  insalubres  pour  leurs  voisins,  à  cause 
du  bruit,  de  la  fumée,  des  odeurs,  des  vapeurs, 
des  poussières. 

Les  établissements  dangereux,  insalubres  ou  in- 
commodes ont  été  divisés  en  trois  classes,  et  l'on 
exige  pour  leur  exploitation  des  autorisations 
spéciales.  L'autorisation  n'est  accordée  qu'après 
une  enquête  suivie  d'un  rapport  du  conseil  de  sa- 
lubrité. Les  établissements  de  première  classe  sont 
ceux  qui  doivent  être  éloignés  des  habitations  par- 
ticulières, mais  qu'il  n'est  pas  nécessaire  d'exclure 
de  l'enceinte  des  villes.  Les  établissements  de 
seconde  c/cisse  sont  ceux  dont  l'éloignement  des 
habitations  n'est  pas  indispensable,  mais  dont  il 
importe  de  ne  permettre  la  formation  qu'après 
avoir  acquis  la  certitude  que  les  opérations  qu'on 
y  pratique  sont  exécutées  de  manière  à,  ne  causer 
aucun  dommage  aux  voisins.  Les  établissements 
de  troisième  classe  sont  ceux  qui  peuvent  rester, 
sans  inconvénient,  auprès  des  habitations,  mais 
<3ui  doivent  être  soumis  à  la  surveillance  de  la 
police. 

Subsistajices.  —  On  comprend  sous  ce  nom 
toutes  les  substances  employées  à  l'alimentation 
des  hommes.  Ce  sujet  touche  en  même  temps 
aux  plus  graves  questions  de  l'économie  politique 
€t  aux  plus  diflicilcs  problèmes  de  l'iiygièue.  Le 
développement,  la  santé,  la  vie  des  hommes  dé- 
pendent, avant  tout,  d'une  alimentation  suffisante, 
convenable  et  assurée.  Les  économistes  et  les 
hygiénistes  ont  reconnu  l'influence  constante 
qu'exercent  sur  les  naissances  et  sur  la  mortalité 
l'équilibre  des  subsistances,  la  cherté  des  vivres, 
l'abondance  ou  la  disette. 

Les  progrès  des  sciences  agricoles,  les  facilités 
apportées  à  l'échange  par  la  création  et  l'amélio- 
ration des  moyens  de  transport,  la  vulgarisation 
du  crédit,  les  traités  de  commerce,  favoriseront 
<ie  plus  en  plus  les  approvisionnements  réguliers 
et  ;\  bon  marché.  En  attendant  il  importe  d'éclairer 
les  populations  ouvrières  sur  la  valeur  hygiénique 
des  aliments  et  des  boissons.  La  même  somme 
bien  ou  mal  dépensée,  chaque  jour,  peut,  en  effet, 
procurer  une  nourriture  suffisante  ou  produire 
graduellement  l'inanition. 
_  Le_  devoir  de  l'Etat  et  des  autorités  locales  ne 
s  arrête  pas  aux  mesures  propres  à  rendre  impos- 
sibles les  disettes,  les  accaparements  et  même  les 
cours  trop  élevés  des  aliments  de  première  néces- 
sité. La  qualité  des  subsistances  mises  en  vente 
doit  être  strictement  surveillée  pour  éviter  les 
dangers  auxquels  exposeraient  la  cupidité  ou 
l'ignorance  des  vendeurs,  la  pauvreté  ou  l'inex- 
périence des  acheteurs.  Voilà  pourquoi  des  règle- 
ments spéciaux  régissent  la  vente  des  aliments  et 
des  boissons. 


Epidémies.  —  V.  ce  mot. 

Travail  des  enfants.  —  C'est  en  1841  que  la  loi 
s'est  occupée  pour  la  première  fois,  en  France, 
du  sort  des  enfants  qui,  malgré  leur  jeune  âge, 
étaient  utilisés  par  l'industrie  pour  une  foule  de 
travaux,  bien  souvent  au-dessus  de  leurs  forces,  et 
toujours  pour  un  temps  trop  prolongé.  Depuis 
cette  époque,  l'initiative  de  quelques  grands  ma- 
nufacturiers et  l'intervention  de  l'Etat  ont  considé- 
rablement amélioré  la  condition  des  enfants  dans 
les  villes  manufacturières.  Cependant  il  reste 
encore  beaucoup  à  faire  pour  donner  satisfaction 
aux  justes  réclamations  des  hygiénistes.  La  loi 
actuelle  laisse  encore  la  porte  ouverte  à  beaucoup 
d'abus,  et  môme  dans  son  observation  stricte  elle 
ne  préserve  pas  l'enfance  des  causes  d'étiolement 
et  d'abâtardissement  auxquelles  l'expose  le  travail 
des  ateliers. 

Vaccination.  —  Depuis  la  découverte  de  la  vac- 
cine le  gouvernement  s'est  efforcé  de  la  propager 
par  l'institution  du  Comité  central  de  vaccine,  de 
la  Société  centrale  de  vaccine,  puis  par  l'influence 
de  VAcademie  de  médecine.  11  s'en  faut  de  beau- 
coup toutefois  que  le  service  des  vaccinations 
décennales  soit  assuré  sur  notre  territoire.  Tout 
manque  pour  cela  :  le  vaccin  régulièrement  cul- 
tivé, l'argent  pour  payer  les  vaccinateurs.  Des 
mesures  fiscales  et  administratives  suffiraient  peut- 
être  pour  rendre  générale  la  pratique  de  la  vacci- 
nation et  des  revaccinations,  mais  il  faudrait  beau- 
coup de  temps.  Aussi  la  majorité  des  hygiénistes 
désirent  voir  voter  une  loi  actuellement  à  l'étude, 
qui  rendrait  la  vaccination  obligatoire.  A  moins 
que  l'on  ne  prouve,  en  effet,  que  la  vaccination 
n'a  pas  diminué  la  mortalité,  l'État  a  le  droit  et  le 
devoir  d'intervenir  dans  cette  question  comme 
dans  tout  ce  qui  concerne  les  maladies  infectieu- 
ses et  contagieuses,  sans  se  préoccuper  des  opi- 
nions personnelles  de  ceux  à  qui  il  prescrit  les 
mesures  sanitaires  en  vue  de  la  salubrité  publi- 
que. 

Statistique.  —  Pour  asseoir  la  science  de  l'hy- 
giène sur  des  bases  positives,  il  faut  appeler  à 
son  aide  la  statistique,  qui  seule  peut  fournir  des 
données  précises  sur  les  questions  de  population, 
de  subsistances,  de  climatologie,  de  maladies  en- 
démiques et  épidémiques,  les  systèmes  péniten- 
ciaires  et  d'assistance  publique,  etc.  Voili  pour- 
quoi on  a  institué  au  chef-lieu  de  chaque  canton 
une  commision  de  statistique  chargée  de  tenir  à. 
jour  des  tableaux  dressés  par  l'administration 
centrale. 

Population.  —  Les  lois  qui  régissent  les  nais- 
sances et  la  mortalité  intéressent  l'Iiygiène  autant 
que  l'économie  politique.  Cependant  il  ne  faut  pas 
faire  rentrer  dans  le  cadre  de  l'hygiène  publique 
les  théories  sur  le  principe  de  la  population  ou 
les  calculs  abstraits  de  probabilités.  L'hygiène 
n'emprunte  ses  chiffres  à  la  démographie  que  pour 
en  faire  une  application  pratique.  A  ce  point  de 
vue,  elle  est  obligée  do  rechercher  par  les  meil- 
leures méthodes  les  causes  qui  influencent  les 
mouvements  de  la  population,  afin  de  trouver  un 
remède  aux  anomalies  signalées  par  la  statistique. 
Les  travaux  récents  ont  sous  ce  rapport  une  va- 
leur bien  plus  grande  que  ceux  qui  ont  été  exé- 
cutés pendant  la  première  moitié  du  siècle. 

Cette  énumération  rapide  et  fort  incomplète 
suffit  pour  donner  une  idée  des  questions  qui 
sont  du  domaine   de  la  salubrité  publique. 

Si  l'on  compare  l'hygiène  de  nos  jours  i  celle 
d'il  y  a  cinquante  ans,  on  est  surpris  des  progrès 
accomplis  et  des  résultats  obtenus.  Mais  quand 
on  considère  ce  qui  reste  i  faire,  on  comprend 
qu'il  faut  être  modeste  pour  le  passé  et  ambi- 
tieux pour  l'avenir.  Au  fond  de  toute  question 
sociale  on  trouve  un  problème  d'hygiène.  Pour 
résoudre  ces  problèmes,  il  faut  le  concours  de 


SANG 


—  1983  — 


SANG 


tous  les  savoirs,  de  toutes  les  bonnes  volontés, 
de  toutes  les  autorités.  De  leur  solution  dépend, 
en  grande  partie,  la  grandeur  et  la  prospérité  de 
notre  pays.  [D'  Saffray.J 

SA^G.  —  Zoologie,  XXXIV.  —  Le  sang  est  le  mi- 
lieu intérieur  aux  dépens  duquel  se  nourrissent 
les  tissus. 

Dans  cette  république  dont  les  éléinents  anato- 
miques  sont  les  innombrables  citoyens,  le  sang  a 
pour  fonction  de  veiller  au  maintien  de  la  nutri- 
tion de  chaque  individu,  en  lui  apportant  les  ma- 
tériaux nécessaires  à  son  entretien,  le  pabulum 
vit^,  et  en  se  cbargeant  des  produits  devenus 
impropres  à  sa  vie,  qu'il  rejettera  aussitôt  au 
deliors. 

Nous  parlerons  ici  surtout  du  sang  rouge  des 
animaux  vertébrés,  sans  nous  appesantir  sur  ce 
liquide  tran.'sparent  et  plus  ou  moins  incolore  qui 
constitue  le  sang  des  animaux  inférieurs  et  se  rap- 
proche davantage  de  la  hjmphe  des  animaux  supé- 
rieurs. 

Contenu  dans  des  canaux  ou  vaisseaux  à  l'in- 
térieur desquels  il  circule  grâce  au  jeu  de  cette 
double  pompe  foulante  qui  est  le  cœur,  le  sang  ne 
tarde  pas  à  perdre  sa  fluidité  au  sortir  des  vais- 
seaux ;  quelques  minutes  après,  il  commence  déjà 
à  devenir  ferme,  il  se  coagule,  devient  sang  mort. 
Celui-ci  se  compose  d'une  masse  compacte,  rouge, 
assez  ferme,  que  l'on  nomme  caillai.  Douze  ou  qua- 
torze heures  après,  ce  caillot  se  contracte,  la  partie 
liquide  se  trouve  exprimée  sous  forme  de  sérum, 
liquide  limpide  ou  un  peu  opalin  dans  lequel 
flotte  le  caillot,  formé  en  majeure  partie  des  élé- 
ments solides  du  sang,  les  glolnilei. 

Voilà,  ce  qui  se  passe  lorsqu'on  abandonne  le 
sang  à  lui-même  ;  mais  cette  coagulation  si  ra- 
pide, que  l'on  voit  se  produire  en  moins  d'une 
minute  pour  le  sang  du  lapin,  n'apparaît  pas  lors- 
qu'on procède  à  son  battage  au  sortir  du  vaisseau. 
Si  l'on  vient  à  agiter  le  sang  avec  un  balai  ou  une 
baguette  pendant  qu'il  jaillit,  il  s'attache  h.  l'ins- 
trument des  filaments  blanchâtres,  et  le  sang  qui 
reste  ne  se  coagule  plus.  C'est  donc  à  cette  sub- 
stance filamenteuse,  nommée  fibrine,  qu'e,«t  duo 
la  coagulation  du  sang. 

Considérons  maintenant  le  sang  comme  un  tissu 
i  substance  intercellulaire  liquide  ;  nous  allons 
l'étudier  au  point  de  vue  pour  ainsi  dire  anato- 
mique. 

D'une  densité  variable  qui  oscille  entre  1,045  et 
1,075,  sa  chaleur  chez  l'homme  est  comprise  entre 
36  et  -39  degrés  centigrades  ;  sa  réaction  est  alca- 
line. Il  se  compose  de  deux  parties  bien  distinctes  : 
le  cruor,  qui  comprend  la  partie  solide,  les  glo- 
bules donnant  au  sang  sa  couleur  rouge  ;  le  liquor, 
qui  comprend  toute  la  partie  liquide  à  l'état  phy- 
siologique. Normalement  ces  deux  parties  sont  en 
quantité  sensibleinent  égale,  et  le  sang  peut  être 
défini  :  U7ie  certaine  masse  de  cruor  en  suspension 
dans  une  masse  égale  de  liquor.  Mais  on  comprend 
que  cette  dernière  partie  puisse  être  sujette  à  de 
nombreuses  causes  de  variation,  et  être  influencée 
par  exemple  par  l'état  de  diète  ou  de  digestion, 
sans  qu'il  en  résulte  néanmoins  un  état  patholo- 
gique, une  maladie.  Cela  tient  à  la  facilité  avec  la- 
quelle peut  se  reproduire  la  masse  liquide  du 
sang;  tout  le  monde  connaît  la  sensation  de  soif 
intense  qui  suit  une  grande  perte  de  sang,  une 
hémorrhagie.  Quant  à  la  masse  du  cruor,  elle  ne 
se  reforme  que  lentement,  et  la  diminution  con- 
sidérable des  globules  constitue  une  maladie  i  la- 
quelle les  médecins  ont  doiuié  le  nom  d'anémie. 
Telle  est  l'importance  des  globules,  que  dans  une 
hémorrhagie,  lorsque  la  perte  de  sang  atteint  une 
certaine  proportion,  la  vie  ne  peut  plus  être  en- 
tretenue dans  l'organisme  qui  en  est  le  siège,  si 
on  ne  procède  immédiatement  i  la  transfusion, 
c'est-à-dire  si  on  ne  fait  pénétrer  dans  la  circu- 


lation de  l'individu  anémié  une  certaine  quantité 
de  sang  retiré  à  un  animal  de  même  espèce. 

Dans  la  partie  solide  du  sang  on  ne  trouve 
donc  qu'une  seule  sorte  d'éléments  :  les  globules, 
que  l'on  distingue  en  globules  rouges  et  globules 
blancs,  auxquels  nous  ajouterons  les  granulations 
libres. 

A.  Globules  rouges.  Los  globules  rouges  forment 
la  plus  grande  partie  des  éléinents  solides  du  sang, 
puisqu'il  y  a  en  moyenne  300  globules  rouges  pour 
1  globule  blanc. 

Après  avoir  fait  une  légère  piqûre  i  l'extrémité 
du  doigt,  nous  recueillons  sur  une  lame  de  verre 
la  guttule  de  sang  qui  s'échappe,  et  nous  la  re- 
couvrons immédiatement  d'une  lamelle  bien  net- 
toyée qui  l'étalé  uniformément.  C'est  là  une  pré- 
paration microscopique  de  sang.  Si  nous  plaçons 
maintenant  sous  le  microscope  cette  préparation 
en  nous  servant  d'un  objectif  grossissant  500  ou 
GOO  fois,  nous  observerons  en  nombre  immense 
des  corpuscules  colorés  en  jaune  pâle,  qui  se 
présenteront  sous  différentes  formes. Les  uns,  fran- 
chement circulaires,  offrent  sur  leur  surface  des 


s  et  les  globules  blancs  du 
i  600  fuis. 


Fig.  1.  —  Les  globules 

1,  globule  rou^e,  vu  de  face."' 

2,  globule  rouge,  vu  de  profil. 

3,  globule  blanc. 


différences  de  réfringence  :  si  on  rapproche  l'ob- 
jectif, le  centre  est  brillant,  le  bord  obscur  ;  si  on 
éloigne  l'objectif,  le  contraire  se  produit,  le  bord 
devient  brillant  et  le  centre  obscur,  ce  qui  indique 
un  renflement  des  bords.  D'autres  corpuscules  pa- 
raissent plus  ou  moins  ovales  ;  d'autres  enfin,  plus 
colorés,  présentent  deux  renflements  arrondis,  ils 
ont  une  forme  en  bissac.  Mais  des  courants  vien- 
nent-ils à  s'établir  dans  la  préparation  ?  —  et  on  peut 
facilement  en  faire  naître  en  appuyant  légèrement 
sur  un  point  de  la^lamelle  —  on  voit  immédiate- 
ment qu'un  même  corpuscule,  dans  ses  mouve- 
ments, présente  les  divers  aspects  que  nous  ve- 
nons de  signaler,  et  qui  sont,dus  à  ses  change- 
gements  de  position  par  rapport  à  l'œil  de  l'obser- 
vateur. De  ces  trois  aspects  nous  déduirons  donc 
que  le  corpuscule  est  un  disque  renflé  sur  ses 
bords.  Tel  est  le  globule  rouge  du  sang  de  l'homme 
et  de  la  plupart  des  mammifères.  Continuons  à 
observer  la  préparation,  nous  remarquerons  que 
les  globules  rouges  paraissent  s'attirer  les  uns 
les  autres,  viennent  s'acculer  par  leurs  faces,  for- 
mant ainsi  des  piles  semblables  à  des  piles  d'ccus  ; 


SANG 


—  1984  — 


SANG 


nous  assistons  à  l'arrangement  en  piles  des  glo- 
bules. Si  nous  continuons  l'observation,  les  glo- 
bules, en  se  dessécliant,  se  déformeront  et  appa- 
raîtront crénelés  sur  leurs  bords. 

Envisagés  au  point  de  vue  de  leurs  dimensions, 
les  globules  rouges  ont,  chez  l'homme,  uniformé- 
ment une  épaisseur  de  un  millième  de  millimètre 
(0"™, 001 8),  et  un  diamètre  de  sept  millièmes  de  mil- 
limètre (0°'",007),  c'est-à-dire  presque  supérieure 
celui  des  plus  fins  canaux  de  la  circulation  ou  capil- 
luires  du  plus  étroit  calibre.  On  conçoit  donc 
que  pour  cheminer  dans  leur  intérieur,  les  glo- 
bules doivent  présenter  une  certaine  élasticité, 
pour  pouvoir  changer  momentanément  de  forme 
dans  CCS  canaux  étroits  qui  ne  leur  présentent  pas 
une  place  suftisanie;  c'est  au  reste  ce  que  l'on 
constate  aisément  dans  le  sang  en  circulation,  sur 
la  membrane  interdigitale  des  grenouilles. 


Fig.  2.  -  Vai: 
d'une  grenou 
des  glubuleâ 
blaacs. 


au  capillaire  de  la  meimbi-ane  natatoire 
;,  très  grossi,  montrant  le  cornant  central 
uges,  et  sur  les  bords  quelques  globules 


Fixons  de  nouveau  notre  préparation  microsco- 
pique de  sang;  à  côté  des  globules  rouges  propre- 
ment dits,  des  hématies,  nous  observerons  d'au- 
tres globules,  en  petite  quantité,  également  rouges, 
mais  sphériques,  ne  changeant  ni  de  forme  ni  de 
coloration. 

B.  Globules  blancs.  —  En  même  temps  que  les 
globules  colorés,  nous  remarquerons  des  corpus- 
cules incolores,  de  dimension  variable,  les  uns 
plus  petits,  les  autres  beaucoup  plus  gros  que  les 
globules  rouges,  présentant  sous  le  verre  du  mi- 
croscope une  forme  sphérique  qui  devient  irrégu- 
lière lorsque  les  hématies  commencent  à  se  met- 
tre en  piles.  Si  l'on  chauffe  légèrement  la  platine 
du  microscope,  ces  corpuscules  changent  de  forme, 
non  par  altération,  mais  par  mouvements  propres  ; 
ils  s'allongent,  rampent  et  se  moulent  sur  les 
corps  qui  se  trouvent  sur  leur  passage.  Ce  sont  les 
globule'  blancs,  cellules  lymphatiques  ou  leuco- 
cytes, les  seuls  éléments  figurés  du  sang  des  ani- 
maux inférieurs.  Chez  les  vertébrés  à  sany  froi'l, 
ces  mouvements  propres,  autrement  nommés 
mouvements  amihovies  des  globules  blancs,  appa- 
raissent à  la  température  ordinaire.  Nous  savons 
déjà  que  leur  nombre  est  beaucoup  moins  consi- 
dérable que  celui  des  globules  rouges  :  ou  trouve 
1  globule  blanc  pour  .300  rouges  au  moins. 

On  distingue  à  leur  intérieur,  au  lieu  d'une  masse 
homogène,  comme  pour  l'hématie,  un  nojau  et  des 
granulations  brillantes. 

C.  Granulations  libres.  —  Avec  les  globules 
blancs  et  les  globules  rouges,  nous  rencontrerons 
encore,  dans  la  préparation,  des  granulations  libres, 
on  quantité  considérable,  que  Zimmennann  iiotii- 
mait  vésicules  élémeyitaires,  et  qui  sont  les  héina- 
toblastes  (formateurs  d'hématies)  de  M.  Hayem. 
Ce  dernier  auteur  fait  jouer  à  ces  corpuscules  un 
rôle  déterminant  dans  la  coagulation  du  sang,  la 
formation  du  réticulum  fibrineux  qui  emprisonne 
les  globules  rouges  dans  le  caillot.  Ces  mêmes 
vésicules,  qui  ne  seraient  autres  que  les  leucucytes 
lie  Senimer  et  de  M.  Pouchet,  devraient  être  con- 
sidérées comme  l'état  jeune  des  hématies. 

Nous  avons  dit  au  commencement  que  les  seuls 
éléments  figurés  du  sang  sont  les  globules  et  les 
granulations  libres  ;  cependant,  dans  la  préparation 
que  nous  avons  sous  les  jeux,  outre  ces  éléments 
figurés,  au  bout  de  quelques  minutes  nous  voyons 
apparaître  des  filaments  s'étendant  en  divers  sens. 


et  qui  ne  sont  autres  que  la  fibrine  dont  nous 
avons  déjà  parlé  en  indiquant  le  moyen  de  l'ex- 
traire du  sang  par  le  battage  avec  un  balai  ou  une 
baguette.  On  est  aujourd'hui  généralement  d'ac- 
cord pour  attribuer  la  cause  do  la  solidification 
de  la  fibrine,  la  formation  du  réticulum  fibrineux, 
à  la  déformation  des  granulations  libres  ou  à  un 
ferment  sécrété  par  elles. 

CosiPosiTiOiN  CHiMiûUE  DU  SANG.  —  On  trouvo  dans 
le  sang  des  substances  provenant  de  trois  sources 
différentes. 

Celles  qui  sont  fournies  par  les  aliments,  et  qui 
pénètrent  dans  le  sang  par  deux  voies,  les  canaux 
lymphaligiies  et  les  canaux  veineux; 

Celles  que  lui  cèdent  les  tissus  par  diffusion  ; 

Celles  qui  naissent  dans  le  sang  lui-même  en 
vertu  d'actions  ou  processus  chimiques  intrinsè- 
ques. 

Ajoutons-y  l'eau  qui  constitue  la  plus  grande 
partie  de  la  masse  sanguine  (779  pour  1000)  et  se 
trouve  répartie  entre  le  cruor  et  le  liquor. 

Parmi  les  substances  qui  sont  fournies  par  les 
aliments,  en  dehors  des  sels  minéraux  (sels  de 
soude,  de  potasse,  de  chaux,  phosphates,  carbo- 
nates, fer,  etc.),  nous  rencontrons  les  matières 
albuminoides  (albumen,  blanc  d'œuf),  qui  portent 
aussi  le  nom  de  matières  plastiques,  parce  que  ce 
sont  elles  surtout  qui  sont  susceptibles  de  s'orga- 
niser et  de  constituer  les  parties  vivantes  de  l'éco- 
nomie. 

La  fibrine,  que  nous  avons  vu  jouer  un  rôle 
si  important  dans  la  coagulation  du  sang,  appar- 
tient à  ce  groupe,  où  on  la  rencontre  normale- 
ment non  pas  à  l'état  de  fibrine  proprement  dite, 
mais  décomposée  en  ses  éléments  constituants, 
le  filirinogéne  et  le  fihrino-plastiqne,  que  les  pro- 
grès de  la  physiologie,  depuis  Denis  (de  Coin- 
meri'y),  ont  pu  nous  montrer  isolément,  bien  qu'ils 
soient  confondus  et  dissous  à  la  faveur  de  l'alca- 
linité du  plasma  dans  le  sang  vivant. 

A  côté  du  fibrinogène  et  du  fibrino-plastique, 
nous  rencontrerons  la  caséine  dit  sérum,  des 
pepiones  que  l'on  peut  isoler  aujourd'hui,  et  qui 
ne  sont  que  des  matières  plastiques  ayaut  subi 
l'action  des  sucs  digestifs,  enfin  de  ra^4u";i«e  pro- 
prement dite,  sans  parler  de  la  matière  colorante 
du  sang  dont  nous  nous  occuperons  plus  loin. 

Après  les  sels  et  les  substances  albuminoides, 
nous  trouvons  les  ynatières  grasses  (cholesténne, 
sels  des  acides  gras,  cérébrine),  et  une  substance 
intermédiaire  aux  matières  albuminoides  et  aux 
matières  grasses,  la  lécithine  ou  graisse  phos- 
phorée  et  azotée,  bien  définie  actuellement. 

N'oublions  pas  les  matières  sucrées,  découvertes 
par  l'illustre  Cl.  Bernard,  qui  établit  du  même 
coup  le  rôle  prépondérant  que  jouent  ces  ma- 
tières dans  le  développement  et  la  vie  de  l'orga- 
nisme. 

Les  substances  que  les  tissus  cèdent  au  sang 
par  diffusion  ne  semblent  pas  devoir  être  consi- 
dérées comme  en  étant  les  matériaux  essentiels. 
Ce  sont  des  corps  qui  se  mêlent  au  sang,  le  tra- 
versent en  quelque  sorte,  et  tendent  à  s'échapper 
au  dehors. 

T-eU  sont  l'urée,  qui  résulie  d'un  travail  chimi- 
que de  la  nutrition,  et  doit  être  considérée  comme 
le  dernier  terme  d'oxydation  des  matières  albu- 
minoides; Vacide  unque  et  ses  sels  (acide  hippuri- 
que chez  les  herbivores),  qui  forment  la  base  des 
engrais  utilisés  sous  le  nom  de  guano. 

Toutes  ces  substances  sortent  du  sang  et  sont 
éliminées  par  les  rein^,  à  l'état  de  solution,  en 
mêtue  temps  que  d'autres  produits  excrémentitiels 
du  travail  nutritif,  comme  la  créatine,  la  créati- 
nine,  l'ihosite,  etc. 

Des  gaz  môme  sont  contenus  en  dissolution 
dans  le  sang.  L'ac/rff  carbonique  et  l'oxygène 
jouent  un  rôle  des  plus  importants  dans  le  travail 


SANG 


—  1985  — 


SANG 


physiologique  dont  cette  liumeur  est  un  des  princi- 
paux agents,  tandis  que  i'azote  y  reste  sans  emploi. 

Nous  avons  à  nous  occuper  en  dernier  lieu  des 
substances  qui  naissent  dans  le  sang  lui-même 
en  vertu  d'actions  ou  processus  chimiques  intrin- 
sèques. 

Parmi  ces  dernières,  peut-être  pourrons-nous 
placer  le  flbrinogène  et  le  fibrino-plastiquo  que 
nous  connaissons  déjà. 

Mais  de  toutes  ces  substances,  la  plus  remar- 
quable sans  contredit  est  cette  matière,  colorante 
que  nous  avons  signalée  dans  les  gloljulcs  et  dont 
la  fonction  physiologique  est  capitale  :  nous 
avons  nommé  l'/iumoylûl/ine. 

Un  physiologiste  nommé  RoUett  a  pu,  par  l'ap- 
plication d'un  froid  intense,  séparer  l'hémoglo- 
bine du  stroma  ou  squelette  du  globule  rouge,  et 
■a   donné  à  ce  stroma  le  nom  de  gloàutiiie.  Ainsi 


Fig.  3.  —  La  matière  colorante  du  sang  de  l'homme, 
ci-istallisée  (tlémogtobine). 

a,  Hémoglobine  en  i-hombes  allongés. 

0,  Hémoglobine  en  prismes  à  quatre  paas. 

isolée  et  obtenue  en  dissolution  d'un  beau  rouge, 

l'hémoglobine  ne  tarde   pas  à,  laisser  déposer  des 

cristaux  de  forme  variable  selon  les  espèces  animales. 

Au^point  de  vue    de  sa  constitution  chimique, 


riiémoglobino  est  une  substance  albuminoide  qui 
se  distingue  par  trois  propriétés  : 

Sa  proportion  de  fer  (0".42  p.  100); 

Son  aptitude  h  cristalliser; 

Sa  grande  capacité  d'oxydation. 

En  présence  des  alcalis,  l'hémoglobine  se  dé- 
double en  une  substance  albuminoide  et  en  hé- 
inatine  (colorée  en  rouge  foncé  ou  bleu  noir),  qui 
entraîne  avec  elle  le  fer  de  l'hémoglobine,  dont 
elle  se  distingue  encore  par  ses  caractères  spec- 
troscopiques. 

L'hématine  elle-même,  combinée  h  l'acide  chlor- 
liydrique,  donne  des  cristaux  d'hémme,  d'un 
brun  noirâtre,  faciles  à  obtenir  et  ayant  pour  cela 
une  grande  importance  en  médecine  légale  pour 
reconnaître  les  taches  de  sang. 

Telle  qu'on  l'obtient  au  moyen  d'agents  quel- 
conques, l'hémoglobine  retient  de  l'oxygène,  à 
l'état  de  faible  combinaison,  puisqu'il  peut  lui 
être  enlevé  par  les  agents  réducteurs,  qui  modi- 
fient par  cela  même  les  caractères  optiques  de 
notre  milieu  intérieur. 

C'est  à  une  branche  nouvelle  de  la  science,  la 
spectroscopie,  que  nous  devons  la  connaissance 
complète  des  propriétés  optiques  du  sang,  et 
l'influence  de  différents  gaz  ou  de  difl'érents 
composés  chimiques  sur  ces  propriétés  que  nous 
allons  maintenant  étudier. 

La  spectroscopie  du  sang  repose  sur  la  pro- 
priété que  possèdent  les  corps  colorés  d'absorber 
certaines  parties  du  spectre  que  l'on  obtient  par 
la  décomposition  et  la  dispersion  de  la  lumière 
blanche  au  moyen  du  prisme.  Un  corps  rouge, 
par  exemple,  interposé  sur  le  trajet  de  la  lumière 
soumise  à  la  dispersion,  absorbe  tous  les  rayons 
colorés  sauf  les  rouges,  et  c'est  précisément  pour 
cela  qu'il  nous  paraît  rouge.  Lorsque  le  corps 
interposé  ne  présente  pas  une  coloration  simple, 
il  arrête  seulement  quelques-uns  des  rayons  co- 
lorés, et,  en  examinant  avec  une  lunette  le  spectre 
reçu  sur  un  écran,  on  y  remarque  les  bandes 
obscures,  non  colorées,  que  l'on  nomme  bandes 
d'absorption. 

Plaçons  entre  le  foyer  lumineux  et  le  prisme 
une  solution  de  sang  artériel  ou  d'hémoglobine 
oxygénée,  et  observons  le  spectre  en  appliquant 
notre  œil  à  l'oculaire  du  spectroscope  :  nous  ne 
verrons  pas  le  spectre  lumineux  ordinaire,  mais 
un  spectre  présentant  deux  larges  baiules  obs- 
cures entre  les  raiis  D  et  E  de  Fraunliofer,  en 
même  temps  qu'une  teinte  sombre  s'étend  sur 
toute  la  partie  droite  du  spectre  à  partir  du 
bleu. 


A        B       r                D                        t                    "                                        G                                    M 

_ 

il         il 

1 

1 

il 

i 

Fig.  i.  —  Spectres  du  sang  artériel  et  du  sang  veineux. 

A,  Raies  dites  de  Fraunhofer. 

B,  Sang   artériel    ojygéuc    (deux  bandes   d'absorption  entre  les  raies    D   et  E  de  Frauniiofer,  c'esi-à-dii'e  dans 
jaune  du  spectre;. 

C,  Saog  veiueui,    sang  réduit  :  raie  de   réduction  près  de  la  raie  D  de  Fraunliofcr. 


C'est  là  le  spectre  du  sang  oxygéné,  de  l'oxy- 
hémorjtobine,  du  sang  artériel. 

Dans  la  solution,  faisons  pénétrer  un  corps  ré- 
ducteur quelconque,  du  sulfhydrate  d'arnrnonia- 
que,  par  extimple,  ou  un  courant  d'acide  carboni- 
sa Pakïib. 


que;  les  deux  raies  obscures  se  fondent  en  une 
seule,  dite  bnnd.e  de  réduction  de  Stukes,  du  nom 
du  savant  qui  l'a  découverte. 

C'est  là  le  spectre  du  sang  désoxygéné,  de  l'/ii- 
moglobine  réduite,  du  sang  veineux. 

125 


SANG 


1986  — 


SANG 


Dans  cette  solution  d'iiémoglobine  ainsi  réduite 
faisons  passer  un  courant  d'oxygène,  et  nous  ver- 
rons apparaître  de  nouveau  les  deux  bandes  d'ab- 
sorption de  i'oxyliémoglobine. 

Chose  étonnante,  si,  comme  l'a  trouvé  Cl.  Ber- 
nard, on  a  fait  passer  dans  la  solution  d'oxyliémo- 
globine  un  cour^mt  d'oxyde  de  carbone,  gaz  as- 
phyxiant qui  se  dégage  des  corps  en  ignition,  ce 
gaz  a  chassé  l'oxygène  sans  apporter  de  grands 
changements  aux  deux  bandes  d'absorpiion  que  les 
agents  réducteurs  ne  peuvent  plus  cependantaltérer. 

Il  est  facile  de  comprendre  l'intéroi  de  celte 
découverte  qui  permet  de  reconnaître  si  un  em- 
poisonnement a  eu  pour  cause  les  vapeurs  de 
charbon  ou  un  autre  élément  toxique. 

Disons  enfin  que  les  caractères  spectroscopiques 
du  sang  sont  précieux  en  raison  même  de  leur 
fixité,  car  le  spectre  du  sang  ne  se  confond  avec 
aucun  autre  et  peut  être  retrouvé  avec  du  sang 
desséché,  putréfié. 

Complétons  ce  résumé  des  propriétés  et  de  la 
composition  de  l'hémoglobine  en  ajoutant  qu'elle 
contient  encore  de  Vozum:  ou  oxygène  modifié. 

Sang  artériel.  Sang  vEiNEix.  Gaz  du  sang.  — 
Nous  venons  de  nommer  spectre  du  sang  artériel 
le  spectre  de  l'hémoglobine  oxygénée,  et  spectre 
du  sang  veineux  celui  de  l'hémogloliine  réduite. 
C'est  qu'en  effet,  le  sang,  au  contact  des  éléments 
anatoniiques,  a  laissé  réduire  son  hémoglobine, 
dans  l'économie,  et  ne  se  montre  jilus  dans  les 
veines  que  comme  saiig  noir,  en  partie  désoxygcné. 

Comment  s'opère  cette  oxydation,  cette  réduc- 
tion de  l'hémoglobine  ?  Quel  est  son  but  '? 

Considérons  de  nouveau  un  instant  les  élé- 
ments anatoniiques  comme  les  innombrables  ci- 
toyens d'une  république. Chaque  individu, enchaîné 
à  son  labeur,  remplissant  à  chaque  instant  sa  fonc- 
tion, ne  peut  aller  chercher  l'oxygène,  cet  excitant 
de  la  vie  dont  la  physiologie  générale  nous  ap- 
prend l'absolue  nécessité.  Aussi  existe-t-il  touie 
une  classe  de  citoyens  (les  ylobules  suiuiuins)  qui 
ont  pour  fonction  d'apporter  à  chaque  individu 
son  pabulum  vilœ. 

L'étude  de  la  circulation  enseigne  que  la  tota- 
lité du  sang,  à  chaque  révolution,  traverse  h'S 
poumons.  C'est  ici  que  le  globule  rouge  vient 
s'approvisionner,  c'est  ici  qu'il  vient  charger  son 
hémoglobine  qui  lui  sert  de  véhicule  pour  l'oxy- 
gène qu'il  distribuera  dans  sa  marche  à  travers 
ces  rues  élroites  et  tortueuses  qui  ont  reçu  le  nom 
de  vaisseaux  capillaires.  Mais  à  mesure  que  ce 
déchargement  s'effectue,  le  sang  prend  un  nou- 
veau chargement.  Il  ne  doit  pas  circuler  sans 
utilité  dans  les  veines,  ces  boulevards  extérieurs 
de  la  cité  :  l'in'activité  n'est  pas  tolérée  dans  celle 
république  laborieuse.  Le  sang,  en  passant  des  ca- 
pillaires dans  les  veines,  va  se  charger  d'acide 
carbonique;  ce  chargement  sera  conduit  aux  pou- 
mons, où  le  sang  s'en  débarrassera  pour  prendre 
une  nouvelle  quantilé  d'oxygène. 

Telle  est  la  fonction  respiratoire  du  sang,  qui 
s'opère  par  mutation  des  gaz  à  l'intérieur  de  l'or- 
ganisme. Le  perfeciionnement  des  procédés  de 
dosage  et  d'extraction  des  gaz  du  sang  permet 
aujourd'hui  de  constater,  à  chaque  instant  de  soji 
parcours,  la  richesse  du  sang  en  oxygène  ou  en 
acide  carbonique,  le  rapport  de  ces  deux  gaz,  et 
leur  répartition  entre  les  globules  et  le  liquor. 

On  a  pu  voir  ainsi  que  le  sang  artériel  est  plus 
riche  en  oxygène  que  le  sang  veineux,  plus  pauvre 
en  acide  carbonique  ;  luO  c.  c.  de  sang  artériel 
contiennent  15  à  20  c  c.  d'o.xygène,  25  à  85  c.  c. 
d'acide  carbonique;  100  c.  c.  de  sang  veineux  con- 
tiennent X  à  12  c.  c.  d'oxygène, as  à  47  c.  c.  d'acide 
carbonique.  Quant  à  la  proportion  de  l'azote,  elle 
ne  chajige  pas,  il  est  inerte.  Sous  l'influence  de 
conditions  étrangères  ou  propres  h  l'individu,  la 
richesse  en  gaz  du   liquide  sanguin  peut  varier. 


C'est  ainsi  que  M.  P.  Berta  montré  que  la  quan- 
t'té  des  gaz  du  sang  est  plus  considérable  si  on 
augmente  la  pression  barométrique.  L'oxygène 
peut  même  devenir  un  poison  mortel,  lorsque  sa 
tension  correspond  à  5  ou  (i  atmosphères  d'air, 
lorsqu'il  arrive  dans  le  sang  aux  proportions  de 
30  i  35  p.  lUO,  et  que,  l'hémoglobine  en  étant 
saturée,  ce  gaz  entre  en  dissolution  dans  le  plasma 
et  dans  les  tissus. 

Si  le  nombre  des  respirations  s'accroît,  l'acide 
carbonique  diminue  tandis  que  la  richesse  du 
sang  en  oxygène  augmente. 

Lorsque  la  température  de  l'animal  diminue, 
les  deux  gaz  diminuent  simultanément. 

Dans  Vasph/xie,  la  proportion  des  gaz  n'est  pas 
1.1  même,  suivant  que  l'asphyxie  est  due  à  une 
raréfaction  de  l'air  (aspfii/xie  des  aéronautes,  mal 
des  montagnes), o\x  au  séjour  dans  un  espace  clos. 

Dans  le  premier  cas,  l'acide  carbonique  diminue 
dans  le  sang,  tout  aussi  bien  que  l'oxygène,  mais 
dans  une  proportion  moindre;  la  mort  arrive  par 
insuffisance  d  oxygène. 

Dans  le  second  cas,  l'oxygène  diminue  jusqu'au, 
mais  la  quantité  d'acide  carbonique  augmente  et  la 
mort  arrive,  mêine  en  présence  de  l'oxygène, au  mo- 
ment où  les  alcalis  du  sang,  ainsi  que  l'a  démontré 
M,  P.  Bert,  étant  complètement  saturés  d'acide 
carbonique,  les  tissus  se  saturent  à  leur  tour. 

Cl.  Bernard  a  trouvé  que  l'activité  musculaire 
augmentait  la  quantité  d'acide  carbonique  dans 
le  sang  qui  sortait  du  muscle  en  contraction.  Dans 
ces  conditions,  le  muscle  rend  plus  d'acide  car- 
bonique qu'il  n'a  reçu  d'oxygène  au  même  mo- 
ment ;  le  contraire  se  passe  pendant  l'état  de 
repos  du  muscle  qui  emmagasine  alors  de  l'oxy- 
gène pour  l'utiliser  plus  tard. 

C'est  encore  à  Cl.  Bernard  qne  nous  devons  de 
connaître  le  mécanisme  de  la  toxicité  de  l'oxyde 
de  carbone.  Ce  gaz  chasse  l'oxygène  de  ses  com- 
binaisons avec  l'hémoglobine  et  le  remplace  vo- 
lume pour  volume. 

Quant  à  la  répartition  des  gaz  que  nous  venons 
d'éiudier  dans  les  globules  et  le  liquor,  on  a  déjà 
compris  par  ce  qui  précède  que  tout  ou  presque 
tout  l'oxygène  se  trouve  combiné  à  l'hémoglobine 
des  globules. 

L'acide  carbonique,  au  contraire,  réparti  entre 
les  globules  et  le  liquor,  est  en  plus  grande  quantité 
combiné  aux  alcalis  faibles  de  la  partie  liquide  du 
sang  icarbonates,  phosphates  bibasiques  de  soude). 

Mais  l'acide  carbonique  n'est  pas  le  seul  élé- 
ment important  du  liquor. 

.Nous  placerons  encore  au  premier  rang  le  sucre, 
dont  la  découverte,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  est 
due  à  Cl.  Bernard  qui  en  a  démontré  1  origine  et 
l'importance  physiologique. 

Formé  par  le  foie  qui,  dans  l'organisme  adulte, 
en  est  comme  l'atelier,  et  atelier  tellement  actif 
qu'on  le  considère  comme  le  foyer  principal  de  la 
chaleur,  il  passe  dans  les  artères  où  il  n'est  que 
charrié,  pour  être  utilisé  au  sein  des  tissus.  On  le 
trouve  en  moins  grande  quantité  dans  les  veines, 
et  son  importance  est  telle  que  sa  dispaiition  du 
sang  est  un  signe  fatal. 

D  un  autre  côté,  son  accumulation  ou  mieux  sa 
production  exagérée  donne  lieu  à  une  maladie  très 
grave,  le  diabète  ou  glycosurie. 

En  effet,  lorsqu'il  est  produit  en  trop  grande 
quantité,  le  sucre  passe  au  rang  des  substances 
nuisibles,  et,  comme  les  produits  excromentitiels  du 
travail  nutritif  (urée,  acideurique,  cholestérine,etc.) 
il  est  éliminé  par  les  reins,  éinonctoirs  naturels. 

Nous  terminons  ici  ce  court  résumé  des  notions 
absolument  exactes  que  nous  possédions  dans  1  état 
actuel  de  la  science. 

On  remarquera  qu'il  n'a  pas  été  question  jus- 
qu'ici de  snng  froiii  et  de  sangchaud,  bien  que  li5S 
auteurs  aient  cependant  voulu  tirer  de  la  tempo- 


SANG 


1987  — 


SANG 


rature  du  sang  un  caractère  distinctif  de  certaines 
classes  d'animaux. 

C'est  qu'en  effet,  au  point  do  vue  physiologique, 
il  n'y  a  aucune  différence  entre  le  sang  d'une  gre- 
nouille, par  exemple,  et  celui  d'un  oiseau.  S'il  est 
vrai  que  le  sang  de  la  grenouille  puisse  être  con- 
servé !x  0  degré  sans  perdre  ses  propriétés  physio- 
logiques, il  peut  aussi  acquérir  la  température  du 
milieu  ambiant  en  été,  et  devenir  sang  chaud. 
Cependant,  pour  tous  les  animauxsans  exception,  il 
existe  certaines  limites  de  calorification  du  sang  qui 
ne  peuvent  être  dépassées  sans  que  mort  s'en  suive. 

C'est  ainsi  qu'à  45  degrés  centigrades,  le  sang 
perd  subitement  sa  propriété  de  fixer  l'oxygène,  et 
l'animal  meurt  asphyxié. 

Quant  à  la  quantité  totale  du  sang,  nous  avons 
vu  que,  pour  ce  qui  regarde  le  liquor,  elle  est 
soumise  à  des  causes  multiples  de  grande  varia- 
tion. Cl.  Bernard  a  môme  vu,  chez  l'animal  que 
l'on  fait  passer  de  l'état  de  jeûne  prolongé  à  l'état 
d'alimentation  abondante ,  cette  quantité  varier 
pendant  la  digestion  du  simple  au  double. 

A  l'état  physiologique,  un  animal  a  en  moyenne 
une  quantité  de  sang  égale  au  dixième  du  poids 
de  son  corps. 

Une  autre  question  importante  est  encore  en 
litige  :  Quelle  est  la  vie  du  globule"?  où  nait-il? 
que  devient-il?  On  connaît  bien  son  origine  chez 
le  foetus  :  c'est  une  origine  purement  cellulaire, 
bien  étudiée  par  M.  Ranvier.  Jusqu'à  la  moitié  de 
la  vie  fœtale,  le  globule  du  sang  d'un  mammifère 
conserve  son  apparence  cellulaire,  il  est  pourvu 
d'un  no'jaii.  Mais  à  partir  de  ce  moment,  quelle 
est  sa  vie'?  se  forniK-t-il  partout  ou  existe-t-il  des 
organes  ateliers  de  globules'?  Le  l'oie,  la  rate  ont 
été  tour  à  tour  nocsidorés  comme  les  destructeurs 
et  comme  les  formateurs  des  globules  rouges. 
Les  uns  pensent  que  les  globules  rouges  ne  sont 
que   des   globules   blancs,    des    cellules   lym;dia- 


tiques  modifiées.  Les  globules  rouges,  d'après 
cette  théorie,  proviendraient  de  leucoci/tes  d'une 
certaine  espace  ;  tel  est  l'avis  de  M.  Ponchet.  Pour 
M.  Hayem.  les  hématoblastes  seraient  l'état  jeune 
dos  hématies. 

Ceci  dit,  sans  trancher  la  question,  examinons 
comparativement  les  caractères  du  sang  dans  la 
série  animale. 

.\.a  point  de  vue  physiologique,  nous  remarque- 
rons que,  chez  certains  animaux,  la  coagulation 
est  plus  lente  que  chez  d'autres. 

Ainsi,  tandis  que  chez  le  lapin  elle  est  très 
prompte,  elle  est  très  lente  chez  le  cheval,  à  tel 
point  que  les  globules  ont  le  temps  d'être  en- 
traînés à  la  partie  inférieure,  en  raison  de  leur 
poids  spécifique,  et  le  sérum  se  coagule  seul. 

Chez  les  poissons,  la  fibrine  se  redissout  après 
la  formation  du  caillot,  et  le  sang  redevient  liquide. 
Chez  les  mollusques  acépliales  (huUreJ,le  sang  ne 
se  coagule  pas. 

Chez  les  céphalopodes  fpoulpe),  le  caillot  formé 
est  très  peu  considérable. 

Chez  certains  crustacés  (crabe),  le  sang  se  prend 
en  une  gelée  tremblotante. 

Au  point  de  vue  chimique,  M.  P.  Bert  a  dé- 
couvert que,  dans  la  matière  colorante  du  sang  des 
céphalopodes,  le  fer  était  remplacé  par  le  cuivre. 

C'est  encore  M.  P.  Bert  qui  nous  a  appris  que 
l'albumine  dans  le  sang  des  mollusques  existait  en 
des  proportions  très  variables  (.3U  à  ô  millièmes  du 
poids  total  du  sang). 

La  comparaison  des  corpuscules  sanguins  au 
point  de  vue  anatomique  est  encore  bien  plus 
intéressante. 

Nous  distinguerons  les  globules  rouges  des 
mammifères.  Us   sont  tous  dépourvus  île  noi/aiix . 

Pour  l'immense  majorité  des  animaux  de  cette 
classe,  ils  sont  circulaires,  et  leur  dimension  n'est 
pas   en   rapport  avec  la  taille.  S'il  est  vrai  que  le 


Fig.  5.  —  Globules  saDguias  grossis, 

a,  globules  circulaires  du  saog  de  l'homme,  vus  sous  diflérents  aspects. 
6.  globules  elli[jtiqu 
c  et  rf,        — 


ng  de  chameau, 
des  oiâeaux. 

de  la  grenouille,  vus  par  la  tranche, 
du  protée. 

de  la  salamandre,  donl  un  a  déchiré  la  membrane  i 
de  la  lamproie. 


—  du  homard. 

—  de  la  limace. 

,  deux  leucocytes  ou  globules  blancs  du  sang  humain. 


globule  rouge  de  l'éléphant  ait  10  millièmes  de  mil- 
limètre (0">,iilO),  que  celui  de  l'homme  ait  U",II07, 
celui  du  cochon  d'Inde  0'°,001  ;  celui  de  la  baleine, 
qui  est  cependant  le  plus  gros  des  animaux,  a  les 
mêmes  dimensions  que  le  globule  rouge  de  l'homme. 

Seuls,  parmi  les  mammifères,  les  caméliens 
(chameau)  ont  des  globules  rouges  elliptiques.  Le 
globule  rouge  du  chameau  à  0™,0U8  de  longueur 
et  0°,UOi  de  largeur. 

En  second  lieu  viennent  les  globules  rouges 
munis  de  wyaux;  ils  sont  presque  tous  ellipti- 


ques; ceux  des  lamproies  cependant  sont  circulai  res. 

Los  globules  rouges  elliptiques  appartiennent  aux 
oiseaux,  aux  reptiles,  aux  batraciens,  aux  poissons. 

Les  plus  volumineux  sont  ceux  àa.  protée ,  ba- 
tracien qui  vit  dans  des  lacs  souterrains. 

Ses  globules  ont  0'°,05i  de  longueur  et  0",035  de 
largeur. 

Chez  les  invertébrés,  imus  ne  trouvons  plus  de 
corpuscules  cilorés  analogues  aux  globules  rou- 
gus  du  sang;  ce  sont  des  cellules  lymphatir/ues. 
douées  de  mouvements  propres,  nageant  dans  un 


SANTE 


—  1988  — 


SATIRE 


liquide  incolore,  d'autres  fois  bleuâtre  comme 
chez  les  colimaçons,  ou  devenant  rosé  dans  le  vide, 
comme  cela  se  passe  pour  le  sang  des  crustacés 
(crabe).  Ce  liquide  est  brun  chez  quelques  insec- 
tes; il  est  rouge  chez  certains  annélides  (siponcle), 
et  peut  alors  communiquer  sa  couleur  aux  cellu- 
les lymphatiques. 

De  cette  rapide  esquisse,  qui  nous  a  dévoilé  les 
analogies  et  les  différences  qui  existent  dans  la 
composition  du  liquide  sanguin  chez  les  animaux, 
nous  pouvons  tirer  cette  conclusion  : 

Les  animaux  dont  la  complexité  organique  ne 
permet  pas  aux  éléments  anatomiques  de  se 
pourvoir  dans  le  milieu,  extérieur  de  matériaux  de 
nutrition,  doivent  nécessairement  être  pourvus 
d'un  milieu  intérieur  ou  sang,  dont  les  éléments, 
essentiellement  mobiles, irontchercher  dans  le  mi- 
lieu extérieur  naturel  (air  introduit  dans  les  pou- 
mons) ou  modifié)  produits  de  la  di<?estion  intesti- 
nale) les  aliments  nécessaires  à  l'entretien  de  la  vie. 
Nous  ne  devons  pas  croire  pour  cela  h  des  di( 
férences  profondes  dansle  fonctionnement  vital  des 
éléments  cellulaires  suivant  qu'ils  appartiennent  à 
un  organisme  simple  ou  à  un  organisme  complexe. 
Toujours  la  vie  des  éléments  anatomiques  con- 
siste en  une  mutation,  un  échange. 

Harmonie  dans  la  fonction,  variation  dans  la 
manière  dont  s'accomplit  cette  fonction,  telle  est 
est  la  loi  générale  qui  régit  la  vie  des  cellules. 
(D'  M.  Laffont.J 
SA.VTÉ.  —  Hygiène, XVI.  —  La  santé  est  un  état 
de  notre  corps  caractérisé  par  le  fonctionnement 
régulier  et  concordant  de  tous  les  organes,  en 
harmonie  avec  le  milieu  où  nous  vivons.  Cet  état 
constitue  un  idéal  dont  nous  trouvons  peu  d'e.>Lem- 
ples,  surtout  chez  les  peuples  civilises  ;  mais  heu- 
reusement nous  sommes  organisés  de  telle  sorte 
que  nous  pouvons  nous  en  écarter  sensiblement 
sans  qne  notre  existence  se  trouve  compromise. 
Entre  la  santé  parfaite  et  la  désorganisation  qui 
produit  la  mort,  on  peut  établir  une  série  conven- 
tionnelle d'états  intermédiaires  commençant  à 
l'indisposition  et  finissant  à  la  maladie  grave  ou 
mortelle.  Le  langage  usuel  est  suffisamment  pré- 
cis: par  indisposition  l'on  entend  un  désordre 
peu  considérable  et  passager  des  fonctions;  par 
maladie,  un  désordre  profond  et  de  longue  durée. 
Au  point  de  vue  médical,  le  mot  maladie  implique, 
en  outre,  l'idée  de  lutte,  ouplutotderoactiondcs  or- 
ganes contre  une  cause  de  désordre  ou  de  destruction 
Pour  chaque  individu  la  santé  est  d'ailleurs  in- 
fluencée par  le  ttmpérament  et  la  constitution. 
Le  tempérament  résulte  de  la  prédominance 
fonctionnelle  de  certains  organes,  qui  détruit 
l'harmonie  générale,  accapare,  pour  ainsi  dire,  la 
vitalité  et  localise  les  impressions.  On  appelle 
constitution  l'ensemble  des  organes  considérés 
dans  leur  développement,  leur  activité,  leurs  rap- 
ports: c'est,  pour  ainsi  dire,  la  pliysionomio  de 
la  santé.  Lorsque  tous  les  organes  sont  bien  déve- 
loppés, régulièrement  actifs,  fonctionnent  harmo- 
nieusement, on  est  en  présence  d'une  constitution 
forte,  vigoureuse;  dans  le  cas  contraire,  elle  est 
faible,  délicate,  maladive. 

Outre  le  tempérament  et  la  constitution,  chacun 
possède  une  sorte  d'individualité  médicale  ou 
idiosyncrasie,  c'est-à-dire  une  disposition  particu- 
lière qui  modifie  l'impression  produite  par  les 
causes  de  maladie  et  celle  que  produisent  les  re- 
mèdes.Découvrir  et  mettre  en  action  cette  indi- 
vidualité médicale  constitue  pour  le  médecin  une 
difficulté  sérieuse  que  les  personnes  non  initiées 
sont  incapables  de  comprendre  et  d'apprécier; 
c'est  une  des  raisons  pour  lesquelles  on  doit,  au- 
tant que  possible,  confier  aux  seuls  médecins  le 
soin  de  conserver  ou  de  rétablir  la  santé. 

L'homme  n'étant  ni  un  simple  animal  ni  un  pur 
espritj  la  vie  n'est  complète,  normale,  régulière, 


qu'autant  que  le  corps  et  l'esprit,  ces  doux  asso- 
ciés inséparables,  agissent  pour  ainsi  dire  ins- 
tinctivement en  faveur  du  bien  commun. Le  corps 
ne  doit  pas,  dans  les  circonstances  ordinaires, 
s'apercevoir  qu'il  obéit  à  l'esprit,  et  l'esprit,  au- 
quel les  sens  transmettent  des  impressions,  doit 
les  recevoir  comme  si  elles  étaient  spontanées. 
Lorsque  cette  harmonie  de  fonctions  est  complète, 
le  corps  accomplit  automatiquement  toutes  les 
fonctions  purement  animales  et  se  trouve  prêt  à 
recevoir  la  moindre  impulsion  volontaire  de  l'àme  ; 
tandis  que  l'âme,  presque  inconsciente  de  la  vie 
végétative,  perçoit  avec  une  merveilleuse  délica- 
tesse les  impressions  du  monde  extérieur,  les  re- 
cherche, les  varie  à  son  gré,  ou  bien,  s'isolant  dans 
le  domaine  de  la  pensée,  arrive,  par  moment,  à 
n'avoir  plus  conscience  de  l'existence  du  corps. 

Tel  est  l'homme  dans  son  intégrité  native  qui 
constitue  l'état  idéal  de  santé.  Telles  sont  les  con- 
ditions dans  lesquelles  il  doit  s'efforcer  de  demeti- 
rer  poursuivre  sa  destination  sur  la  terre,  remplir 
ses  devoirs  et  accomplir  la  plus  grande  somme 
possible  de  bien. 

Quelques-uns,  mus  par  une  fausse  appréciation 
de  la  dignité  humaine,  croient  devoir  le  prendre 
de  haut  avec  le  corps,  traiter  celui-ci  en  infime 
subalterne.  Ils  négligent  de  pourvoir  régulière- 
ment à.  ses  besoins,  lui  imposent  des  tâches  exa- 
gérées, et  ne  tiennent  aucun  compte  des  avertis- 
sements qu'ils  reçoivent  sous  forme  de  lassitude, 
do  malaise,  de  douleurs,  de  maladie.  Evidemment 
cette  manière  d'agir  est  incompatible  avec  une 
bonne  santé. 

La  plupart  des  personnes  vouées  aux  profes- 
sions libérales  négligent  les  exercices  corporels, 
adoptent  une  nourriture  excitante,  retranchent 
des  heures  au  sommeil,  et,  contraignant  l'intelli; 
gence  à,  un  travail  excessif,  diminuent  la  vitalité 
des  organes,  produisent  une  surexcitation  du  cer- 
veau et  du  système  nerveux  et  détériorent  irrémé- 
diablement leur  santé  en  même  temps  qu'elles 
abrègent  leur  existence. 

D'autre  part,  ceux  qui  doivent  au  travail  manuel 
le  pain  quotidien,  ceux  dont  la  vie  s'épuise  en 
une  lutte  incessante  pour  subvenir  aux  besoins 
les  plus  pressants,  se  trouvent  forcés  de  deman- 
der au  corps  une  dépense  de  forces  exagérée,  pro- 
longée outre  mesure.  Dans  de  telles  conditions, 
l'esprit  n'est  appelé  k  Intervenir  que  dans  la  direc- 
tion plus  ou  moins  mécanique  du  travail.  Cet 
emploi  abusif  des  forces  physiques  a  pour  consé- 
quences fatales  l'affaiblissement  graduel,  l'étiole- 
ment,  et  hvre  le  corps  sans  défense  à  toutes  les 
causes  de  destruction. 

C'est  l'hygiène  qui  nous  enseigne  les  moyens  de 
conserver  la  santé,  source  de  toutes  nos  puissan- 
ces effectives,  qui  prolonge  notre  virilité,  épargne 
lesinfirmités  à  la  vieillesse,  et  retarde  la  mort  jus- 
qu'au terme  qui  lui  est  assigné  par  les  lois  de 
notre  nature.  [D'  Saffray.] 

SATIRE.  —  Littérature  et  style,  III.  —  Dans 
une  acception  très  générale,  le  mot  satire  s  ap- 
plique à  ><  tout  discours,  à  tout  écrit  qui  reprend, 
qui  raille.  »  (Littré).  A  l'entendre  ainsi,  la  satire 
comprendrait  à  peu  près  toute  la  littérature  :  il 
n'est  guère  possible  de  rencontrer  œuvre  de  vers 
ou  de  prose  où  elle  ne  soit  mêlée,  où  l'écrivam 
n'ait  eu  occasion  ou  ne  se  soit  principalement  pro- 
posé de  s'élever  contre  ce  qu'il  regarde  comme 
mauvais  et  contre  les  auteurs  do  ce  qu'il  regarde 
comme  mauvais.  On  pourrait  même  dépasser  les 
limites  des  littératures  et  retrouver  la  satire  dans 
les  arts  plastiques  :  c'en  est  une  terrible,  par 
exemple,  que  le  Jugement  dernier  de  Michel- 
An  "e  où  les  damnés  ne  sont  autres  que  les  en- 
nemis de  l'artiste;  satires  aussi,  et  très  curieuses 
satires,  toutes  ces  scènes  burlesques  ou  grossiè- 
res  que  le  moyen  âge  a  sculptées  sur  le  porche 


SATIRE 


1989  — 


SATIRE 


rt  jusqu'aii  sanctuaire  des  catliédrales.  A  tout  le 
moins,  le  Rcnre  satirique  ainsi  défini  s'étendrait 
h  un  certain  nombre  d'écrits,  tant  en  prose  qu'en 
vers,  qui  en  agrandiraient  considérablement  le  do- 
maine ;  en  prose,  par  exemple,  au  libelle  et  au 
pamphlet  et  à  toute  une  catégorie  de  romans, 
depuis  le  Sutyricon  de  Pétrone,  dans  la  langue 
latine,  jusqu'au  Giirr/aiitua  et  au  Pantnjjrtiel,  au 
Don  Qiiicliotte  de  Cervantes  et  aux  Voijages  de 
Gulliver;  en  vers,  sans  parler  de  toute  une  partie 
du  théâtre,  sans  parler  non  plus  des  sirventes,  et 
d'un  grand  nombre  de  romans-poèmes  du  moyen 
âge,  à  l'apologue,  à  l'épigramme  et  i  la  chanson. 
C'est  aux  dictionnaires  de  littérature  et  aux  ou- 
vrages spéciaux  qu'il  faut  s'adresser  pour  une  dé- 
finition de  tous  ces  genres. 

Mais  on  donne  ."pocialement  le  nom  de  satire 
b.  tout  K  ouvrage  en  vers,  fait  pour  censurer,  pour 
tourner  en  ridicule,  pour  châtier  les  vices,  les 
passions  déréglées,  les  sottises,  les.  impertinen- 
ces des  hommes,  »  ou  encore  «  à  certains  ou- 
vrages, ordinairement  mêlés  de  prose  et  de 
vers,  qui  sont  faits  dans  la  môme  intention.  » 
(Académie.)  C'est  de  ce  dernier  sens  que  vient  le 
nom  de  satire,  et  non,  comme  on  l'a  cru  quelque- 
fois, des  drames  satyrique^;  c'est-à-dire  des  pe- 
tites pièces  dont  les  principaux  personnages 
étaient  des  s':tyres,  et  que  l'on  donnait,  chez  les 
Grecs,  après  les  grandes  tragédies.  Le  mot  latin 
salira  ou  satura  veut  dire  proprement  pot-pourri, 
farcissure,  et  l'on  désignait  ainsi  primitivement 
h  Rome  une  sorte  de  pièce  dramatique,  mélangée 
de  musique,  de  paroles  et  même  de  danse;  cette 
satire  ne  se  développa  guère;  mais  le  nom  resta  et 
passa  â  la  satire  proprement  dite,  que  celle-ci  rap- 
pelât ou  non  la  forme  première  du  genre. 

On  comprend  que,  d'après  sa  définition,  la 
satire  peut  se  distinguer,  suivant  les  objets  aux- 
quels elle  s'attache,  en  plusieurs  types.  Il  y  a, 
par  exemple,  la  satire  politique,  comme,  de  notre 
temps,  les  lamhes,  d'Auguste  Barbier,  les  Chdti- 
liients,  de  Victor  Hugo  ;  la  satire  religieuse,  comme 
les  Tragiques,  d'Agrippa  d'Aubigné,  au  \\i°  siècle  ; 
la  satire  morale,  comme  celles  d'Horace,  deJuvé- 
nal  ou  de  Perse,  chez  les  Romains  ;  de  Régnier, 
de  Boileau,  au  xvii=  siècle  ;  la  satire  littéraire, 
comme  plusieurs  de  nos  satires  classiques,  par 
exemple,  la  neuvième  satire  de  Boileau. 

On  comprend  aussi  que,  suivant  l'époque  où  le 
poète  écrit,  suivant  le  milieu  où  il  vit,  suivant  son 
tempérament  et  la  nature  de  son  génie, la  satire  pren- 
ne des  allures  et  un  caractère  très  différents.  C'est 
le  poète  qui  parle  dans  la  satire  et  qui  parle  en  son 
nom  ;  la  satire  est,  en  ce  sens,  un  genre  de  poésie 
éminemment  personnel.  Dans  cette  neuvième  sa- 
tire, qui  est  adressée  «  à  son  esprit  »  et  qu'il 
intitule  n  Mon  Api.tocjie  »,  Boileau  a  tracé  ce 
qu'on  pourrait  appeler  les  règles  de  la  satire, 
telle  qu'il  la  comprenait,  comme  il  a  tracé  l'his- 
torique du  genre  dans  le  second  chant  de  YArt 
poétique.  Et  son  idéal,  il  faut  le  dire,  est  celui 
d'un  esprit  honnête,  mesuré,  ennemi  de  tout  excès: 

L'ardeur  de  se  montrer,  et  non  pas  de  médire, 
Arma  la  vérité  du  vers  de  la  satire. 

Cette  vérité  non  médisante,  qui  est  la  muse  da 
Boileau,  ira  bien  jusqu'à  stigmatiser  sans  scru- 
pule des  travers  d'esprit,  des  défauts  de  style; 
elle  dira  volontiers,  s'adressant  à  des  individus 
notoirement  décriés,  qu'il  faut  appeler  «  un 
chat  un  chat  et  Rolet  un  fripon  »;  quelque  jour 
même,  elle  se  risquera  assez  méchamment  à  tour- 
ner en  ridicule  la  vie   besoigncuse  d'un  CoUetet, 

r.rolti*  jusqu'à  l'échinc, 
Qui  va  chercher  son  pain  de  cuisine  en  cuisine  ; 

mais  ses  plus  grosses  critiques  ne  seront  d'or- 
tUnaire  que  des  critiques  générales,  et,  sauf  de 


bien  rares  exceptions,  elle  se  refusera  péremptoi- 
rement à  toute  malignité  capable  de  blesser  la 
réputation  morale  de  ceux  qu'elle  prend  à  partie 
sur  d'autres  points  : 

11  a  tort,  dira  l'un;  pourquoi  faut-il  qu'il  nomme? 

Attaquer  Chapelain!  ah!  c'est  un  si  bon  homme! 

Balzac  en  fait  l'éloRe  en  cent  endroits  divers. 

II  est  vrai,  s'il  m'eût  cru,  qu'il  n'eut  point  fait  de  vers. 

II  se  tue  à  rimer  ;  que  n'écril-il  en  prose? 

Yoilà  ce  que  l'on  dit.  Et  que  dis-je  autre  chose? 

En  blâmant  ses  écrits,  ai-je,  d'un  style  affreux. 

Distillé  sur  sa  vie  un  venin  dangereux? 

Ma  muse,  en  l'attaquant,  charitable  et  discrète. 

Sait  de  l'homme  d'honneur  distinguer  le  poète...,. 

Tel  est  l'idéal  de  Boileau  ;  mais  on  peut  dire 
que  cet  idéal  n'a  jamais  été  une  loi  que  pour  lui, 
et  que  ceux  qui  l'ont  précédé  comme  ceux  qui  l'ont 
suivi,  sauf  quelques  disciples  immédiats,  ne  se 
sont  jamais  crus  obligés  de  s'en  tenir  à  cette  discré- 
tion. Les  poètes,  d'ordinaire,  ne  se  piquent  pas 
de  tant  de  mesure,  et,  en  ce  qui  concerne  les  sa- 
tires, on  pourrait  (lire  sans  exagérer  que  les  plus 
belles  senties  plus  passionnées.  Kous  ne  pouvons 
juger  sur  les  quelques  vers  qui  nous  restent  les 
I  poésies  de  cet  Archiloque  qui  fut,  dit-on,  chez  les 
1  Grecs,  le  père  de  la  satire,  et  dont  les  vers  iambi- 
ques,  invejités  toutexprès  pourservirsavengeance, 
;  poussèrent  à  la  pendaison  Lycambès,  qui  n'avait 
'  point  voulu  être  lo  beau-père  du  poète,  et  Néo- 
bulé,  qui  avait  dédaigné  d'être  sa  femme.  Mais  on 
chercherait  vainement  la  modération,  par  exemple, 
dans  le  portrait  que  fait  Juvénal  de  Messaline  ou 
dans  celui  que  d'Aubigné  fait  de  Charles  IX,  ou 
encore  dans  certaines  strophes  que  Victor  Hugo  ne 
songe  certes  pas  à  renier  et  qui  sont  peut-être,  en 
effet,  malgré  leur  âpreté  singulière,  celles  où  l'on 
peut  le  mieux  sentir  toute  la  puissance  de  sa  verve. 
De  même,  le  poème  satirique  peut  se  plier  à 
toutes  les  formes  du  vers.  S'inspirant  d'Horace  et 
de  Juvénal,  notre  xvii"  siècle  a  écrit  ses  satires  en 
alexandrins,  qui  répondent  à  l'iiexamètre  latin. 
Mais  André  Chénier,  à  la  fin  du  xvin"  siècle,  et 
Auguste  Barbier,  après  1830,  ont  employé  pour 
leurs  satires  l'alexandrin  alternant  avec  un  vers 
de  huit  pieds,  rappelant  le  mètre  boiteux  d'Ar- 
chiloque.  C'est  dans  ce  mètre,  parexemple,  qu'est 
écrite  la  célèbre  allégorie  où  Auguste  Barbier  re- 
présente la  France  sous  la  figure  d'une  cavale 
que  Bonaparte  a  domptée  et  menée  quinze  ans  à 
la  guerre,  jusqu'à  ce  qu'elle  tombe  mourante  dans 
une  dernière  lutte,  en  entraînant  son  ca'valier  : 

0  Corse  aux  cheveux  plats,  que  ta  France  était  belle 

Au  grand  soleil  de  messidor  ! 
C'était  une  cavale  indomptable  et  rebelle. 

Sans  frein  d'acier  ni  rênes  d'or....  etc. 

Enfin,  Victor  Hugo,  dans  ses  Châtiments,  s.  em- 
ployé toute  espèce  de  rythmes. 

Ce  n'est  point  ici  le  lieu  de  f.iire  l'histoire  de 
la  satire,  soit  dans  l'antiquité,  soit  dans  les  temps 
modernes,  particulièrement  en  France.  On  pourra, 
dans  l'article  consacré  à  la  Littérature  française, 
en  suivre  la  trace  bien  marquée  à  travers  les  di- 
verses périodes  de  nos  annales  littéraires. 

Disons  seulement  ici  que  le  moyen  âge  ne  l'a 
point  connue  sous  la  forme  propre  qu'on  lui  attri- 
bue ordinairement.  La  veine  satirique  de  nos 
pères  s'épanche  d'abord  dans  des  couplets  chan- 
tés, dont  les  sirventes  de  la  poésie  provençale 
sont  les  principaux  modèles  ;  puis  dans  de  longs 
romans  rimes,  comme  le  roman  de  Renart,  comme 
la  seconde  partie  du  Roman  île  la  rose,  sous  la 
plume  vigoureuse  de  Jehan  de  Meung  ;  enfin  dans 
les  représentations  dramatiques,  les  farces,  les 
soties,  les  moralités,  les  mystères  mêmes.  Le 
XVI"  siècle  voit  paraître,  après  les  épigrammes  de 
Clément  Marol  et  de  Mellin  de  Saint-Golais,  les 
invectives,  souvent  illisibles,  mais  pleines  do  foi 


SAVON 


—  1990  — 


SAVON 


et  de  feu,  que  le  huguenot  d'Aubigiié,  grand-père 
de  madame  de  Maintenon,  accumule  dans  ses 
TiagHjnes  ;  puis  le  poème  des  politiques,  mClé 
de  prose  et  de  vers,  la  Satire  Menip),ce,  qui  fit 
plus,  a-t-on  dit,  pour  ruiner  la  Ligue  que  les  vic- 
toires d'Henri  IV. 

Le  xvii=  siècle  est  l'époque  de  la  satire  classique 
à  l'imitation  de  Juvénal  et  d'Horace,  d'Horace 
surtout.  Elle  y  est  représentée,  au  début,  par 
Matliurin  Régnier, 

De  l'immortel  Molière  immortel  devancier, 

a  dit  Alfred  de  Musset,  rendant  à  cet  aimable 
esprit  trop  oublié,  à  ce  conteur  de  récits  peu 
édifiants,  mais  pleins  d'originalité  et  de  vie,  une 
justice  que  Boileau  tout  le  premier  nelui  refusait 
pas;  puis  vient  Boileau  lui-même,  dont  on  a  es- 
sayé plus  liaut  de  résumer  la  poétique  pour  ce 
qui  concerne  les  satires. 

Si  l'on  excepte  le  poème  mordant  du  f«îi!veD;n- 
ble,  et  quelques  autres  du  même  genre,  il  n'y  a 
guère,  dans  les  œuvres  de  Voltaire,  dn  satires  pro- 
prement dites  ;  mais  ses  poésies  légères  sont 
pleines  de  traits  malicieux,  et  on  en  trouverait 
bien  plus  encore  dans  ses  écrits  en  prose,  dont 
les  plus  sérieux  et  les  plus  classiques  ne  sont 
peut-être  pas  les  plus  personnels.  Les  C)iigrammes 
de  Jean-Baptiste  Rousseau,  les  Philippiques  de 
Lagr.-inge-Chanccl,  ne  tiennent  pas  non  plus  direc- 
tement au  genre  satirique  ;  mais  Gilbert,  dans  la 
seconde  moitié  du  siècle,  et  les  deux  Cbénier, 
vers  la  fin,  ont  écrit,  sous  une  forme  neuve,  de 
véritables  satires. 

Nous  ne  voulons  citer  de  notre  siècle,  avec  la 
plupart  des  cliansons  de  Ecranger,  que  les  liumo- 
ristiques  boutades  de  Viennet;  la  Némésu  de 
Barthélémy,  qui  s'attira  un  jour,  de  la  part  du  La- 
martine, une  réplique  lyrique  restée  célèbre;  les 
Inmlies.  d'Auguste  Barbier,  et  les  Cluifiments,  de 
Victor  Hugo,  compb'ment  poétique  du  pamphlet  en 
prose  Napoléon  le  Petit,  écrit  par  l'auteur  exilé,  au 
lendemain  du  2  Décembre.     [Charles  Defodon.] 

SAVO>\  —  Chimie,  X.\IV.  —  Le  savon,  dont 
les  usages  sont  connus  de  tout  le  monde,  aurait 
été,  selon  l'auteur  latin  Pline,  inventé  chez  les 
Gaulois.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  sa  fabrica- 
tion ainsi  que  ses  usages  sont  fort  anciens.  Dans 
les  ruines  de  Pompéi,  on  a  retrouvé,  non  seule- 
ment du  savon  parfaitement  conservé,  mais  aussi 
tout  un  atelier  avec  ses  baquets  remplis  d'un 
savon  imparfaitement  fabriqué,  mais  conservé  tel 
qu'il  était  il  y  a  dix-huit  siècles  lorsque  la  ville  fut 
ensevelie  sous  les  cendres  du  Vésuve.  Au  moyen 
âge,  le  savon  est  souvent  employé  par  les  méde- 
cins arabes,  qui  étaient  les  véritables  chimi-tesde 
cette  épociue.  Les  premières  usines  pour  la  fabri- 
cation du  savon  furent  établies  à  Savone  en  Ita- 
lie, dans  le  pajs  de  Gênes:  certains  auteurs  pré- 
tendent même  que  c'est  dans  cette  ville  fort 
ancienne  que  le  savon  a  été  inventé  ;  en  tout  cas, 
Savone  était  renommé  pour  ses  savons  dès  le  mi- 
lieu du  xv  siècle.  Auji.urd'hui,  le  savon  se  fabri- 
que partout,  à  Marseille,  à  Rouen,  ^  Paris,  à 
Nantes,  à  Reims,  etc.  Marseille  en  fabrique  près 
de  100  millions  de  kilogrammes  par  an,  c'est-à- 
dire  les  deux  tiers  de  toute  la  production  de  la 
France.  On  trouve  aujourd'hui  des  savonneries 
dans  tous  les  pays  de  l'Europe  ;  mais  les  nations 
du  nord  fabriquent  surtout  des  savons  mous, 
comme  du  reste  les  \illes  du   nord  de  la  France. 

tabi-tcation  du  savon.  —  A  Marseille  et  dans 
tout  le  sud  de  l'Europe,  on  emploie  surtout  à  la 
fabrication  des  savons  des  huiles  d  olive  de  mé- 
diocre qualité,  puis  des  huiles  d'arachide  et  de 
sésame. 

On  fait  bouillir  Ihuile  dans  des  chaudières  en 
forme  de  troncs  de  cônes  renversés,  à  base  hé- 
misphérique,  après    l'avoir    mélangée   avec   une 


lessive  de  soude  ou  de  potasse  caustique;  la 
température  du  mélange  est  un  peu  au-dessus 
de  100°.  La  masse  forme  une  sorte  d'émulsion  blan- 
châtre i  laquelle  on  ajoute  de  la  lessive  jusqu'à  ce 
que  toute  l'huile  ait  été  saponifiée,  c'est-à-dire 
combinée  à  la  soude.  Cette  première  opération 
s'appelle  Vempâiage. 

La  matière,  parfaitement  homogène,  conserve 
trop  d'eau;  on  y  verse  alors  de  la  lessive  con- 
centrée marquant  de  30»  à  35°  à  l'aréomètre, 
puis  de  la  lessive  contenant  du  sel  marin  :  c'est 
là  le  relavgaye.  La  coc/(0)i,  c'est-à-dire  une  cuis- 
son nouvelle,  termine  ensuite  la  saponification 
complètement.  Le  savon,  insoluble  dans  l'excès 
de  lessive,  nage  à  la  surface  ;  on  soutire  le  li- 
quide, et  il  reste  une  masse  qui  durcit  par  le 
refroidissement. 

La  pâle  obtenue  par  le  refroidissement  est  redis- 
soute dans  un  douzième  de  son  poids  d'eau  chaude 
ou  d'une  lessive  de  soude  très  faible  ;  par  le  refroi- 
dissement et  le  repos,  elle  se  sépare  en  deux  par- 
ties: l'une,  colorée  pardes  produits  ferrugineux  que 
contenait  la  soude,  du  sulfure  de  fer  surtout,  se  dé- 
pose au  fond;  l'autre,  blanche,  reste  au-dessus. 
Celle-ci,  séparée  de  la  première,  donnera  le  savo7i 
blani-,  quand  on  la  coulera  dans  des  moules  ou 
mises.  Si,  au  contraire,  on  mélange  par  l'agitation, 
et  avant  le  refroidissement,  le  savon  ferrugineux 
qui  est  au  fond  avec  le  savon  blanc  liquide  qui 
surnase,  ou  aura  un  snvm  marbré  de  veines 
bleuâtres.  Le  savon  blanc  et  le  savon  marbré 
sont  des  savons  durs. 

Les  savons  mous  ou  savons  de  potasse  s'ob- 
tiennent par  la  saponification  des  huiles  de  che- 
nevis,  d'œilletle,  de  lin  avec  des  lessives  de  po- 
tasse. Ces  savons,  encore  plus  solublcs  dans  l'eau 
que  les  savons  durs,  contiennent  un  excès  d'al- 
cali; on  les  colore  en  vert,  quelquefois  en  noir, 
avec  de  la  noix  de  galle,  de  Campêcho  ou  du  sul- 
fate de  fer. 

Voici,  d'après  Thénard,  la  composition  moyenne 
des  savons  du  commerce  : 


1  potasse. . . . 


64,0 
30,0 


Composiliin  chimique  des  savons.  —  On  sait 
que  les  coips  gras  *,  c'est  à- dire  les  huiles,  les 
suifs,  et  les  graisses  de  toutes  sortes,  peuvent  se 
dédoubler,  en  présence  des  bases  métalliques,  en 
acides  gras  :  acide  sténriqijc,  oléique,  margari- 
que,  etc.,  et  en  un  principe  doux,  liquide,  appelé 
glycérine.  Ce  dédoublement  exige  l'intervention 
de  l'eau,  de  mê.nie  que  la  formation  des  éthers 
composés  par  l'action  des  acides  sur  les  alcools*. 
C'est  ce  qui  a  fait  considérer  les  corps  gras  comme 
des  éthers  composés  à  acides  gras  et  à  alcool  de 
glycérine.  Les  savons  formés  par  l'union  de  l'a- 
cide gras  à  un  alcali,  ou  à  de  l'oxyde  de  plomb 
(emplâtre),  doivent  être  considérés  comme  des 
sels  ou  comme  des  mélanges  de  sels  :  ce  sont  des 
mélanges  de  stéarate,  de  margarale,  âe  pa Imitai e 
et  à'oléute  de  soude  ou  de  potasse,  formés  par  la 
combinaison  de  l'une  de  ces  deux  bases  avec  les  aci- 
des stéariqne,  margarique,  pal'idlique  ,  oléique. 

Savons  divers.  —  Le  savon  de  toilette  se  fabri- 
que à  froid  ;  il  est  formé  de  produits  très  purs  et 
aromatisés  par  des  essences  :  le  plus  souvent  par 
de  la  nitrobenzine  qui  lui  donne  l'odeur  de  Va- 
mandc  amère  ;  c'est  pour  cela  qu'on  l'appelle  sa- 
von à  l'amn7ide  amère,  quoique  ordinairement  il 
n'en  contienne  pas  trace. 

Le  siivon  de  Windsor,  le  sav07i  au  bouquet,  le 
savo7i  à  la  rose  sont  des  savons  très  purs  et  aro- 
matisés. Les  savons  transparents  s'obtiennent  en 


SCANDINAVES  (ÉTATS)    —  191>l  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


dissolvant  du  savon  blanc  dans  de  l'alcool  place 
dans  la  cliaiidière  d'un  alambic.  Le  siivnn  amyq- 
dalin  ou  savon  médicinal  est  formé  de  10  parties 
de  soude  et  de  21  d'huile  d'amandes  douces.  Les 
substances  qui  servent  à  colorer  les  savons  sont 
le  plus  généralement  l'outremer,  les  ocres,  le  ver- 
millon, etc. 

On  appelle  savon  des  verriers  le  peroxyde  de 
manganèse  qu'on  emploie  dans  les  veireries  pour 
blanclilr  le  verre,  et  savnn  nnlurel  une  espèce 
d'argile  très  douce  employée  dans  les  moulins  à 
foulon.  Les  pharmaciens  vendent  sous  le  nom 
de  savon  végétal  une  pnudre  contenant  8  parties 
de  résine  et  1  partie  de  bicarbonate  de  potasse 
Dans  quelques  cas  on  ajoute  aussi  une  certaine 
quantité  de  résine  aux  savons  ordinaires  de  potasse 
pour  les  rendre  plus  durs. 

Les  savons,  conservant  en  partie  les  propriétés 
de  l'alcali  qu'ils  renferment,  dissolvent  les  corps 
gras  ;  c'est  li  le  principe  de  leurs  applications  au 
nettoyage  et  au  lavage  du  corps  et  au  blanchis- 
sage du  linge  et  des  vêtemenls.  Ils  sont  fort  so- 
lubles  dans  l'ean  chaude  et  dans  l'eau  bouillante, 
mais  insolubles  dans  l'eau  salée  ;  aussi  celle-ci 
les  précipite-t-cUe  de  leur  dissolution  sous  forme 
de  flocons  blancs.  La  plupart  des  oxydes  métalli 
ques,  principalement  la  chaux,  les  décomposent, 
les  acides  gras  formant  avec  ces  oxydes  des  savons 
insolubles.  C'est  pour  cela  que  les  eaux  chargées 
«■le  chaux,  comme  celles  des  puits  de  Paris,  no  sont 
pas  propres  au  blanchissage  du  linge. 

[Alfred  Jacquemart.] 
SCANDINAVES  (États).  —  SUÈnE,  NORVÈGE, 
D.iNE.MARK.  — GiOGBAPHiE.  — Géographie  géné- 
rale, XVI. —  Le  nom  de  Scandinavie,  c'est-à-dire 
•île  de  Scandie  ou  Scanie,  ne  s'appliquait  jadis  qu'à 
l'extrémité  méridionale  de  la  Suède,  au  sud  du  lac 
VVettorn  ;  mais  il  s'est  étendu  peu  à  peu  à  toute 
la  péninsule  que  la  mer  Baltique  et  le  golfe  de 
Botnie  séparent  de  l'Allemagne,  de  la  Russie  et 
de  la  Finlande.  Les  îles  Danoises  et  la  presqu'île 
qui  s'avance  entre  la  Baltique  et  la  mer  du  Nord 
à  l'orient  du  golfe  de  l'Elbe  appartiennent  égale- 
ment au  monde  Scandinave,  non  seulement  par  leur 
population,  mais  aussi  par  leurs  traits  géographi- 
ques. La  superficie  totale  des  trois  pays  Scandina- 
ves, dans  les  limites  actuelles  qui  leur  ont  été  tra- 
cées par  les  guerres  et  les  traités,  est  évaluée 
à7U7,i;i4  kilomètres  carrés,  dont  -38,238  pour  le 
Danemark,  316,i,9i  pour  la  Norvège,  -142, 20:(  pour 
la  Suède.  Sesfroniières  naturelles,  indiquées  par 
le  relief  du  sol,  donneraient  à  la  Scandinavie  une 
surface  plus  considérable.  Au  nord-est,  du  côté 
de  la  Russie,  la  ligne  de  séparation  qu'il  semblait 
convenable  de  choisir  est  celle  qui  du  Varanger- 
fjord  se  dirige  vers  le  golfe  de  Botnie  par  le  lac 
Enara  et  la  vallée  du  Kcrai  ;  mais  la  Russie,  plus 
puissante  que  ses  deux  voisines  de  l'ouest,  la  Suède 
et  la  Norvège,  a  modifié  la  frontière  à  son  profit, 
de  manière  à  enclaver  toute  la  Laponie  norvé- 
gienne et  à  s'avancer  jusqu'aux  montagnes  qui 
dominent  les  fjords  voisins  de  ïromsO.  Au  sud,  les 
dimensions  normales  du  territoire  Scandinave  ont 
été  également  réduites.  Les  trois  pédoncules  de 
la  presqu'île  danoise  sont  naturellement  séparés 
de  l'Allemagne  du  côté  de  la  mer  du  Nord  par  le 
cours  dol'Eider,  et  du  côté  de  la  Baltique  par  les 
sinuosités  de  la  Schlei.  Ces  limites  ont  été  fran- 
chies par  les  armées  allemandes,  et  la  frontière 
politique  a  été  reportée  beaucoup  plus  au  nord,  en 
un  pays  de  langue  danoise  appartenant  par  sa  for- 
mation géologique  et  par  ses  traits  géographiques 
au  monde  Scandinave. 

Le  plus  puissant  des  trois  Etats  du  Nord  fut 
longtemps  le  Danemark.  11  posséda  jadis  toutes  les 
côtes  méridionales  de  la  Baltique  jusqu'à  l'Ehsto- 
nie.  A  la  fin  du  xiv«  siècle,  il  se  mit  à  la  tête  de 
l'Union  Scandinave  par  le  traité  de  Kalmar,  et  jus- 


qu'en 1815  il  posséda  la  Norvège.  Avant  que  l'Al- 
lemagne ne  devînt  la  puissante  monarchie  mili- 
taire qu'elle  est  aujourd'hui,  le  Danemark  avait 
aussi  étendu  sa  domination  jusque  sur  le  terri- 
toire germanique.  En  outre,  les  Danois,  connus 
autrefois  comme  les  Norvégiens  et  les  Suédois  du 
Bohuslan  sous  le  nom  général  de  Normands,  pous- 
sèrent leurs  incursions  victorieuses  dans  les  Iles 
Britanniques,  en  France,  en  Sicile,  dans  le  Napo- 
litain, et,  de  l'autre  côté  de  l'Océan,  jusque  dans 
le  Nouveau-Monde,  découvert  par  eux  longtemps 
avant  Colomb.  Ce  qui  manqua  au  Danemark  pour 
qu'il  devînt  le  centre  d'un  vaste  empire,  c'est  la 
cohésion  géographique  de  ses  éléments  :  une  pé- 
ninsule, des  îles  éparses  ne  formaient  point  de 
noyau  autour  duquel  pussent  s'agréger  les  con- 
quêtes faites  au  dehors  ;  celles-ci  restaient  sans  lien, 
comme  les  contrées  mômes  d'où  s'étaient  élancées 
les  flottilles  des  conquérants. 

Au  point  de  vue  géologique,  on  peut  dire  que 
la  Scandinavie  est  la  plus  jeune  des  terres  de 
l'Europe,  celle  où  les  changements  do  relief  et 
de  contours  s'accomplissent  le  plus  fréquemment. 
Actuellement  presque  toute  la  Suède  et  la  Norvège 
s'élève  peu  à  peu  au-dessus  du  niveau  de  la  Bal- 
tique et  de  l'Atlantique  boréal.  Les  noms  de  lieux, 
les  ports  abandonnés  dans  l'intérieur,  les  restes 
d'édifices  construits  autrefois  sur  le  rivage,  les 
débris  de  bateaux  trouves  loin  de  la  mer,  enfin 
les  traditions  populaires  et  les  monuments  écrits, 
ne  peuvent  laisser  aucun  doute  sur  la  retraite  gra- 
duelle des  eaux  marines  le  long  des  côtes  de  la 
Scandinavie  du  nord.  Depuis  1731,  des  points  de 
repère  taillés  dansle  rocher  permettentdo  mesurer 
l'émersion  séculaire  des  rivages.  Ce  mouvement 
est  beaucoup  plus  rapide  à  l'extrémité  septen- 
trionale du  golfe  de  Botnie  que  sur  toutes  les 
autres  côtes  de  la  Suède  et  de  la  Norvège.  A 
Tornea,  le  soulèvement  est  évalué  à  l^.tiO  par 
siècle,  tandis  qu'il  n'est  plus  que  d'un  mètre  par  le 
travers  des  îles  d'Aland  et  que  plus  au  sud  il  di- 
minue peu  à  peu,  jusque  vers  Kalmar,  où  le  niveau 
de  la  terre  et  de  la  mer  ne  change  point.  C'est  là 
que  se  trouverait  l'axe  d'oscillation  de  la  pénin- 
sule, car  plus  au  sud  la  pointe  terminale  de  la 
Scanie  paraît  s'être  enfoncée  graduellement  sous 
les  eaux  de  la  Baltique.  Des  forêts  immergées  et 
des  couches  de  tourbe  que  l'on  trouve  sur  les 
fonds  marins  à  une  certaine  distance  des  plages  ac- 
tuelles et  où  l'on  a  recueilli  pourtant  divers  objets 
traviillés  par  l'homme,  permettent  de  croire  que 
depuis  le  ix"  siècle  de  l'ère  vulgaire  la  dépression 
a  été  de  4  à  5  mètres.  Le  Danemark  présente  un 
phénomène  analogue.  La  région  de  la  péninsule 
011  se  trouve  probablement  la  charnière  d'oscilla- 
lion  entre  l'aire  de  soulèvement  et  l'aire  d'affais- 
sement, passe  au  nord  de  la  frontière  politique 
cluelle,à  peu  près  dans  la  partie  la  plus  large  du 
Jylland  ou  Jutland  :  au  nord,  les  îlots  riverains  s 
rattachent  à  la  terre  ferme  ;  au  sud,  au  contraire, 
des  îles  s'engloutissent  dans  la  mer;  les  côtes  sont 
envahies,  et  le  Schlesvvig  déjà  si  étroit  se  rétrécit 
encore.  Sur  le  littoral  de  la  Norvège  le  mouvement 
d'oscillation  est  loin  de  présenter  la  même  régula- 
rité :  nulle  part  le  soulèvement  ne  s'est  fait  d'une 
manière  aussi  rapide  que  sur  les  bords  du  golfe  de 
Botnie,  et  môme,  en  certains  endroits,  il  semble 
qu'aucune  élévation  n'a  eu  lieu  depuis  des  siècles. 
D'ailleurs,  les  anciennes  berges  marines  ne  sont 
pas  absolument  parallèles  les  unes  aux  autres  ; 
elles  offrent  des  ondulations  et  des  plissements, 
qui  prouve  l'inégalité  do  la  poussée  intérieure 
sous  les  diverses  roches. 

Les  oscillations  du  sol,  qui  modifient  de  siècle 
en  siècle  la  forme  des  rivages,  ont  produit  aussi 
de  grands  changements  dans  l'intérieur  des  terres. 
11  est  certain  que  les  grands  lacs  de  la  Suède  cen- 
trale, le  Miilaren,  le  VVettern,  le  Wenern,  s'unis- 


SCANDINAVES  (ÉTATS)    —  1992  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


saient  jndis  en  détroit  entre  la  mer  du  Nord  et  la  | 
Baltique  :  des  plages  couvertes  de  coquillages  ma-  ! 
rins  des  espèces  encore  vivantes  en  sont  la  preuve. 
On    a   trouvé   des   huîtres   sur   les   bords  du   lac 
Slâlaren  et  en   beaucoup  d'autres  endroits  de  la 
Scandinavie  orientale,  indice  certain  que  des  mers 
ayant  au  moins  17  parties  de  sel  sur  mille  parties 
d'eau  baignaient   autrefois  les  rivages  de  la  con- 
trée; actuellement,  ces   mollusques  ne  peuvent 
vivre  même  dans  la  Balticiue,  dont  l'eau  ne  ren- 
ferme  pas    assez  de  particules  salines:  les  eaux 
océaniques  devaient   donc   affluer  de  l'ouest  en 
quantité  considérable  pour  donner  cette  forte  sa-  ! 
luro  à  des  mers  où  se  déversent  tant  de  courants 
d'eau  douce.  La  Scanie  était  alors  véritablement 
une  île,  peut-être  même  un  archipel.  Du  reste,  la 
Scandinavie    est,  de   tous    les  pays   d'Europe,    à 
l'exception  de  la  Finlande,  celui  qui  est  encore  le  , 
plus  recouvert  d'eau.  Les  lacs  et  les  étangs  occu- 
pent près  de  la  dixième  partie  du  territoire.  Il  est 
vrai  que  sur  le  versant  norvégien,  les  escarpe- ' 
ments  ont  trop  peu  de  largeur  pour  retenir  beau- 
coup de  lacs  dans  leurs  vasques  de  granit  ;  mais 
sur  le  versant  suédois,  des  bassins  emplis  d'eau 
parsèment  le  sol  en  multitude,  et  les  rivières  ne 
sont  que  dos  enchaînements  de   lacs;  leur  cours 
ast  inachevé  ;  elle  n'ont  pas  encore  eu  le  temps  de  j 
se  former  un  lit  régulier,  soit  en  emplissant  les 
lacs  de  leurs  alluvions,  soit  en   approfondissant  ' 
leur  lit  en  aval  des  réservoirs.  Dans  cette  période  j 
lacustre   qui   succéda  h  la   période   glaciaire,  la 
Scandinavie  a  gardé  toutes  les  inégalités  frustes 
de  son  relief  primitif;  les  dépressions  et  les  sail-  ] 
lies  alternent  en  un  désordre  apparent,  et,  de  bas- 
sin en  bassin,  les    fleuves  ont   ii   surmonter  des 
bancs  de  rochers  d'où  ils  descendent  en  rapides  et  j 
en  cascades.  Les  cataractes  de  la  Scandinavie  sont 
les  plus  remarquables  de  l'Europe  par  la  masse 
de  leurs  eaux.  Celle  du  Glommen,  que  traverse  le 
pont  du  chemin  de  fer  de  Goteborg  à  Christiania,  ' 
est  supérieure  en  masse  liquide  à  la  Garonne  eti  ] 
la  Loire  ;  ses  eaux,  évaluées  suivant  les  saisons  de  I 
Ili0à4000  mètres  cubes  par  seconde,  plongent  dans 
un   défilé,  d'une  hauteur  de    21  mètres.  D'autres 
cascades  ont  100, 200  et  même  26"  mètres  de  chute. 
Les  montagnes  de   la  Scandinavie    sont  recou- 
vertes de  neiges  persistantes,  dont  la  limite  infé- 
rieure varie  de  1200  h  I4(i0  mètres,  soit  environ 
1  200  mètres  au-dessous  de  la  croupe  la  plus  élevée 
des  monts  Scandinaves.  Les  névés  de  la  Norvège, 
alimentés    par    les    nuages    qu'apporte    le    vent 
d'ouest,  sont   de   beaucoup  les  plus  étendus  de 
tous  les  champs  de  neige  de  l'Europe  ;  mais  les 
glaciers  proprement  dits  du  pays  Scandinave  ne 
peuvent  se  comparer  b.  cenx  des  Alpes  :  la  cause 
en  est  h   la   forme  des  montagnes  norvégiennes, 
simples  contreforts  de  plateaux  réguliers,  échan- 
crés  de  distance  en  distance  par  des  ravines  d'où 
se    précipitent  les  neiges.  Mais  si  les  glaciers  ac- 
tuels de  la   Scandinavie  n'ont  plus  qu'une  faible 
importance    relative,  on   sait  qu'ils   descendaient 
autrefois  à  d'énormes  distances  do  leur  lieu  d'ori- 
gine. Partout, dans  la  contrée,  le   sol  a  garde  des 
traces   de   leur  passage.  La  Suède  et  la  Xorvège 
ne  sont  qu'une  faible  partie  de  l'espace  où  se  sont 
dispersées   glaces   et   pierres   du   Kjôlen   et    du 
Dovre.  La   Finlande,  un  tiers  de  la  Russie  d'Eu- 
rope, toute  l'Allemagne  du  Nord,  le  Danemark,  la 
Néerlande,  la  plus  grande  partie  de  l'Ecosse,  les 
Fâroer,  l'Islande  même,  sont  compris  dans  l'im- 
mense région  de  3à4  millions  de  kilomètres  carrés 
dont  les  terres  superficielles  sont  dues  pour  une 
grande  part  aux  débris  apportés  de  la  Scandinavie. 
A  l'exception  de  la  fosse  très  profonde  du  Skagor 
Rak,  qui  semble  avoir  été  un  fjord,  les  mers  ri- 
veraines   de   la    Scandinavie,  dont  la  profondeur 
moyenne  est  si  faible  en   comparaison   de  celle 
que  présente  l'Océan,  senties  lits  de  tous  ces  an- 


ciens glaciers,  et  même  en  quelques  endroits  on 
a  pu  en  reconnaître  des  traces  directes  au-dessous 
des  rives  actuelles. 

Outre  les  moraines  et  autres  amas  de  débris, 
qui  ont  été  transportés  ou  poussés  directement 
par  les  glaces,  on  remarque  aussi  en  Scandinavie 
des  levées  régulières,  de  hauteurs  diverses,  de 
5  h  COO  mètres,  qui  se  prolongent  presque  sans 
interruption  à  des  distances  considérables,  même 
sur  plus  d'un  degré  de  latitude  :  ce  sont  les  asai: 
On  pense  qu'ils  se  composent  de  matériaux  que 
les  glaces  ont  transportés  et  que  les  eaux  di's 
rivières  ont  repris  pour  les  changer  en  gravier 
et  en  sable.  Il  est  vrai  que  plusieurs  asai-,  no- 
tamment celui  que  l'on  voit  immédiatement  au 
nord  de  Stockholm,  sont  recouverts  de  coquilles 
marines,  des  mêmes  espèces  que  celles  de  la 
mer  Baltique  actuelle;  mais  ces  dépôts  coquiUiers 
sont  tout  à  fait  superficiels  et  se  sont  (ormes  lors 
d'un  abaissement  temporaire  du  sol  après  l'épo- 
que glaciaire.  L'asar  le  plus  connu  de  la  Scandi- 
navie est  celui  qui,  sous  divers  noms,  part  du  lit- 
toral baltique,  au  sud  de  Stockholm,  traverse 
cette  ville  et  va  finir  au  nord  d'Upsala. 

En  se  retirant,  les  places  de  la  Scandinavie  ont 
révélé  la  structure  primitive  de  la  péninsule  avec 
ses  prodigieuses  fissures,  presque  toutes  orientées, 
ainsi  que  l'a  démontré  Kjerulv,  suivant  des  lignes 
parallèles  qui  courent  les  unes  du  nord  au  sud, 
les  autres  de  l'ouest  à  l'est,  du  nord-ouest  au  sud- 
est  et  du  sud-est  au  sud-ouest.  Cassées  ainsi  en 
des  sens  différents,  les  régions  du  plateau  sont 
découpées  par  de  profondes  vallées  dans  les- 
quelles s'alignent,  se  ramiBent  ou  s'entrecroisent 
les  lacs  et  où  pénètre  le  labyrinthe  des  fjords. 
Au  premier  abord  ces  indentations  du  littoral 
ont  une  apparence  très  irrégulière  :  on  dirait 
que  la  côte  est  tailladée  comme  au  hasard  en 
un  dédale  inextricable.  Une  certaine  ordon- 
nance finit  par  se  révéler  dans  ce  réseau  d'allées 
marines.  Dans  l'ensemble  de  sa  ramure,  compa- 
rable par  la  forme  k  celle  d'un  chêne,  chaque 
fjord  est  formé  de  canaux  perpendiculaires,  ou  du. 
moins  brusquement  rattachés  les  uns  aux  autres, 
dont  l'orientation  générale  est  précisément  colle 
des  coupures  profondes  qui  séparent  les  massifs 
norvégiens.  L'architecture  générale  de  la  contrée 
se  retrouve  dans  les  creux  dos  fjords  aussi  bien 
que  dans  le  relief  des  montagnes  :  le  canal  conti- 
nue la  vallée  et  ne  forme  avec  elle  qu'une  seule 
et  même  lézarde;  d'autres  fentes  du  sol,  en  partie 
remplies  d'eau,  en  partie  émergées,  croisent  les 
premières,  et  la  contrée  se  trouve  ainsi  divisée  et 
subdivisée  en  d'innombrables  fragments  quadran- 
gulaires  ou  du  moins  régulièrement  taillés,  de- 
grandeur  inégale,  les  uns  en  terre  ferme,  les  au- 
tres partiellement  ou  complètement  entourés- 
d'eau,  plateaux,  péninsules,  massifs  insulaires. 
La  manière  dont  s'est  fracture  tout  le  faîte  Scan- 
dinave rappelle  le  fendillement  des  terres  humides 
qui  se  dessèchent  au  soleil. 

Il  est  impossible  do  calculer  le  développement 
réel  de  la  côte  norvégienne  en  suivant  toutes  les 
indentations  des  fjords  primaires  et  secondaires, 
car  il  faudrait  tenir  compte  également  do  tous 
les  détroits  qui  séparent  les  péninsules,  les  îles, 
les  îlots  :  la  longueur  seule  des  chenaux  de  na- 
vigation peut  être  évaluée  au  décuple  de  la  ligne 
extérieure  des  rivages,  soit  à  près  de  20  000  kilo- 
mètres. On  peut  dire  qu'il  existe  sur  toutes  les 
côtes  de  la  Norvège  une  sorte  de  mer  intérieure, 
sinon  pour  l'étendue  des  eaux,  du  moins  pour  les 
routes  maritimes,  et  c'est  en  elïet  en  dedans  du 
cordon  des  îlots  extérieurs  que  se  fait  presque 
tout  le  mouvement  du  cabotage  norvégien,  dont 
l'importance  est  si  considérable;  il  n'est  qu'un 
petit  nombre  de  parages  où  les  embarcations 
soient   obligées   do   se   hasarder  en   pleine   mer 


SCANDINAVES  (ÉTATS)     —  1903  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


pour  contourner  un  promontoire  :  une  de  ces 
saillies  est  le  cap  Stadt,  situé  h  l'angle  de  la  pénin- 
sule norvégienne,  entre  la  mer  du  Nord  propre- 
ment dite  et  l'Atlantique  boréal. 

L'orograpliio  sous -marine  des  côtes  de  la  Nor- 
vège ressemble  au  relief  extérieur  :  Ih  oix  les  ro- 
ches se  drossent  en  falaises  abruptes,  là  aussi 
elles  s'enfoncent  dans  la  mer  en  soudains  préci- 
pices. Au  pied  des  terrasses  du  Justedal,  chargées 
de  névés,  se  creuse  le  Sognefjord  dont  le  fond, 
près  de  l'embouchure,  est  à  l'Hi  mètres  au-des- 
sous de  la  surface;  l'écart  entre  les  points  les 
plus  élevés  et  les  plus  bas  n'est  guère  moindre 
de  4000  mètres  dans  cette  région  de  la  Scandi- 
navie. C'est  un  fait  des  plus  remarquables  que 
les  fjords  dépassent  en  profondeur  les  mers  qui 
s'étendent  au  large,  entre  la  Norvège  et  la  Grande- 
Bretagne.  Ce  fait  doit  être  attribué  à  l'action  des 
glaces  pendant  la  di'riiière  période  géologique  : 
tandis  qu'elles  cheminaient  sur  les  fonds  de  la 
mer  du  Nord  en  les  comblant  partiellement  de 
débris,  elles  emplissaient  étroitement  les  cassures 
du  littoral  et  en  maintenaient  la  forme  primitive. 
Mais  depuis  la  fin  de  la  période  glaciaire  un  tra- 
vail d'égalisation  s'accomplit,  et  les  cavités  des 
fjords  s'exhaussent  graduellement.  Les  eaux  flu- 
viales apportent  leurs  alluvions  et  les  déposent 
en  plages  unies  au  pied  des  montagnes,  tandis 
que  la  mer  étale  en  nappes  de  sable  ou  de  vase 
tous  les  débris  de  rochers  qu'elle  sape  de  ses 
vagues.  Sur  toute  la  convexité  des  côtes  méridio- 
nales de  la  Norvège,  presque  toutes  les  ancien- 
nes baies  du  littoral  ont  ainsi  disparu.  La  cause 
en  est  h  la  disparition  des  glaciers,  qui  ont  cessé 
d'exister  depuis  beaucoup  plus  longtemps  sur  les 
côtes  du  sud  que  sur  les  rives  de  l'ouest,  tour- 
nées vers  les  vents  pluvieux  de  l'Atlantique. 

Le  climat  de  la  Scandinavie  est  beaucoup  moins 
froid  que  celui  de  toutes  les  autres  contrées  du 
monde  situées  à  une  égale  distance  du  pôle.  La 
partie  septentrionale  de  la  Norvège  est  déjà  com- 
prise dans  la  zone  polaire  et  se  trouve  sous  la 
même  latitude  que  le  Groenland  septentrional  et 
que  le  détroit  de  Bering.  Tandis  que  dans  la 
grande  île  américaine  on  ne  voit  pas  un  seul  arbre, 
la  péninsule  européenne  a  de  hautes  forêts,  des 
vergers  de  pommiers,  de  poiriers,  de  pruniers,  de 
cerisiers,  même  des  vignes  cultivées  en  espalier 
sur  des  couches  d'engrais.  La  cause  de  ce  contraste 
des  climats  est  dans  la  marche  des  courants  mari- 
times et  atmosphériques.  Les  eaux  tièdes  venues 
des  mers  tropicales  viennent  frapper  les  côtes  de 
la  Norvège  et  fondre  les  glaces  de  ses  fjords,  et 
les  vents  du  sud-ouest  et  du  sud  portent  au  loin 
dans  l'intérieur  l'atmosphère  maritime.  C'est  ainsi 
que  tout  le  climat  se  trouve,  pour  ainsi  dire,  re- 
porté vers  le  nord  à  une  dizaine  de  degrés  plus 
loin  de  l'équateur  qu'on  ne  s'y  attendrait  d'après 
les  latitudes  :  flore  et  faune,  tout  prend  un  carac- 
tère plus  méridional  ;  la  zone  tempérée  pénètre 
au  loin  dans  un  territoire  qui  semblerait  devoir 
appartenir  à  la  zone  polaire.  C'est  aussi  grâce  aux 
vents  et  aux  courants  que  le  pays  a  pu  se  peupler 
de  millions  d'habiiants,  tandis  qu'à  égale  latitude, 
en  Amérique  et  en  Asie,  les  territoires  correspon- 
dants sont  absolument  déserts  ou  parcourus  seule- 
ment par  quelques  rares  chasseurs. 

Les  Scandinaves  des  trois  royaumes,  naturelle- 
ment groupés  en  plus  grand  nombre  dans  les  ré- 
gions méridionales,  appartiennent  à  diverses 
familles  de  la  race  germanique.  Danois,  Goths, 
Svear  ou  Suédois.  Los  Suédois  que  l'on  considère 
en  général  comme  représentant  le  type  national 
suédois  le  plus  pur  sont  1er,  Dalécarliens,  qui  vi- 
vent au  nord-ouest  de  Stockholm,  dans  le  bassin 
supérieur  du  Dal-elf.  Quant  aux  Danois,  il  est  pro- 
bable que  leur  type  le  moins  mélangé  doit  se  re- 
trouver en  Norvège.  Indépendamment  des  patois, 


le  langage  Scandinave  a  fini  par  se  diviser  en  trois- 
dialectes  :  l'islandais,  qui  a  gardé  les  ancienne* 
formes  ;  le  danois,  dont  le  norvégien  ne  diffèro- 
quo  par  de  faibles  détails;  le  suédois,  que  l'oiv 
parle  aussi,  de  l'autre  côté  de  la  Baltique,  sur  le 
littoral  de  la  Finlande.  Mais  au  nord  delà  pénin- 
sule vivent  encore  quelques  représentants  des  po- 
pulations anciennes  que  refoulèrent  les  Scandina- 
ves à  l'époque  de  leurs  invasions  :  ces  indigènes- 
sont  les  Lapons  ou  les  Sames,  ainsi  qu'ils  se  nom- 
ment eux-mêmes.  En  Suède  et  en  Norvège,  ils  sont 
au  nombre  d'environ  28,000  et  vivent  principale- 
ment dans  le  voisinage  des  côtes,  où  ils  s'occupent 
de  la  pèche  avec  les  Kuiinen  finlandais  et  les  Nor- 
végiens ou  Normands.  Les  Lapons  des  rennes 
sont  moins  nombreux,  car  il  leur  faut  de  très  vas- 
tes espaces  pour  leurs  troupeaux  :  pour  l'entretien 
d'un  seul  individu,  on  compte  au  moins  25  ren- 
nes, et  le  lichen,  une  fois  brouté.,  no  repousse  que- 
lentement.  Quelques  Lapons  s'occupent  aussi 
d'agriculture,  principalement  dans  le  bassin  du 
fleuve  Tornea.  On  répète  souvent,  sans  preuves 
que  le  nombre  des  Lapons  diminue.  C'eNt  le  con- 
traire qui  a  lieu.  Depuis  le  commencement  du 
siècle,  ils  ont  au  moins  triplé  ;  mais  s'ils  ne  dispa- 
raissent pas  directement,  ils  se  fondent  peu  à  peu 
par  les  croisements  avec  les  populations  environ- 
nantes. Les  Suédois  du  nord  se  laponisent,  tandis- 
que  les  Lapons  se  font  Scandinaves.  Les  écoles, 
obligatoires  dans  chaque  village,  sont  le  grand  élé- 
ment de  rapprochement  entre  les  deux  races.  Les 
enfants  lapons,  obligés  d'abandonner  le  campe- 
ment paternel,  contractent  parmi  les  civilisés  des 
habitudes  qu'ils  ne  peuvent  abandonner  plus  tard. 
Ils  ne  reprennent  pas  tous  la  vie  nomade  de  leurs- 
pères  et  continuent  do  vivre  parmi  les  Suédois, 
se  font  Suédois  eux-mêmes. 

L'ensemble  de  la  population  des  royaumes 
Scandinaves  peut  être  évalué  en  1881  à  un  peu 
plus  de  huit  millions  et  demi  d'habitants,  soit 
deux  millions  pour  le  Danemark,  deux  millions 
pour  la  Norvège  et  quatre  millions  et  demi  pour 
la  Suède.  L'accroissement  d'année  en  année  est 
assez  considérable,  non  par  l'immigration,  qui 
est  à  peu  près  nulle  et  qui  est  très  inférieure  à 
l'émigration,  mais  uniquement  par  le  surplus  des 
naissances  sur  les  morts  et  par  l'augmentation 
de  la  vie  moyenne.  En  Danemark,  la  natalité 
dépasse  annuellement  la  mortalité  des  deux  cin- 
quièmes :  en  Norvège,  la  proportion  est  encore 
plus  favorable  ;  de  tous  les  pays  du  continent,  il 
est  celui  qui  perd  le  moins  d'enfants  en  bas  âge 
et  où  la  vie  moyenne  est  la  plus  lorigue.  Il  y 
a  certainement  en  Scandinavie  une  amélioration 
de  la  race  contrastant  avec  la  détérioration  qui 
se  produit  en  d'autres  contrées  par  l'efl'et  de  la 
sélection  militaire.  La  taille  des  recrues  a  aug- 
menté de  18  millimètres  depuis  le  milieu  du 
siècle.  Do  même  que  dans  tous  les  pays  civili.sés, 
le  nombre  des  habitants  s'accroît  plus  rapide- 
ment dans  les  villes  que  dans  les  districts  ruraux, 
grâce  à  l'appel  du  commerce. 

Copenhague,  la  ville  la  plus  populeuse  de  la 
Scandinavie,  dans  l'île  de  Sjillland  ou  See- 
land,  n'a  pas  moins  de  250  1100  habitants, 
avec  son  vaste  faubourg  de  Frederiksberg.  Non 
seulement  elle  attire  la  population  comme  centre 
de  rudministratioM  et  siège  de  la  cour  du  royaume 
de  Danemark,  mais,  en  outre,  elle  est  admirable- 
ment située  au  point  de  vue  commercial  :  c'est  là 
que  se  croisent  le  chemin  de  la  Baltique  à  la  mer 
de  Nord  par  le  Sund  et  celui  de  l'Allemagne  à  la 
Suède  par  les  lies  danoises.  De  tous  les  détroits 
qui  font  communiquer  la  Baltique  et  le  Kattegat, 
nul  n'est  d'une  navigation  plus  facile  que  celui 
dont  le  chenal  passe  devant  Copenhague,  c'est-à- 
dire  devant  le  «  l'ort  des  Marchands  »,  car  tel 
est  le  sens  du  mot  Kjobenhavn.  Le  mouvement 


SCANDINAVES  (ÉTATS)     —  lî)94  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


du  port  comprend  plus  de  12CflO  navires  à  voiles 
et  bateaux  h  vapeur,  jaugeant  près  d'un  million 
de  tonnes  :  d'une  rive  h  l'autre  du  détroit,  les 
paquebots  à  vapeur  vont  et  viennent  incessam- 
ment comme  les  u  moucbcs  u  dans  Paris.  Aucune 
des  autres  villes  danoises  n'a  même  la  dixième 
partie  des  babitants  de  Copenhague.  Les  princi- 
pales sont  :  Odense,  cbef-lieu  de  l'île  de  Fjcn 
ou  Fiimie  ;  Aarbus,  Aalborg,  Randers,  Horsens, 
Fredericia,  Viborg.  dans  la  péninsule  de  Jylland. 
Dans  l'île  de  S.jalland,  celle  dont  Copenbague 
est  le  chef-lieu,  Roskilde,  qui  fut  jadis  la  capitale 
du  royaume,  et  Helsingôr  (Elseneur),  qui  com- 
mande l'endroit  le  plus  resserré  du  Sund,  peu- 
vent être  presque  considérés  comme  des  an- 
nexes de  Copenbague,  tant  les  communications 
sont  fréquentes  entre  ces  villes  et  la  métropole. 

Stockholm,  la  capitale  de  la  Suède,  est  bien 
inférieure  à  Copenbague  pour  le  nombre  des  habi- 
tants, qui  était  de  I700l!0  en  188»;  mais  il  faut  tenir 
compte  de  ce  fait,  que  la  ville  est  située  au  nord 
du  51)'  degré  de  latitude,  dans  une  région  dont 
les  abords  maritimes  sont  complètement  bloqués 
par  les  glaces  pendant  une  grande  partie  de  l'an- 
née. Stockholm  n'a  qu'un  rang  secondaire  parmi  Its 
cités  d'Europe,  mais  grâce  à  la  nature  qui  l'en- 
toure, aux  eaux  qui  la  baignent,  elle  n'a  que  peu 
d'égales  pour  la  beauté.  Elle  est  en  entier  bâtie 
sur  des  îles,  des  îlots,  des  péninsules,  que  ratta- 
chent des  ponts,  le  viaduc  d'un  chemin  de  fer  et 
des  lignes  d'omnibus  à  vapeur  portant  sans  cesse 
les  voyageurs  d'une  rive  à  l'autre.  Stockholm  est 
aussi  ville  de  musées  et  de  sociétés  savantes, 
mais  elle  n'a  qu'une  université  libre  :  la  princi- 
pale école  du  pays  est  au  nord,  dans  la  ville 
<i'Upsala,près  de  laquelle  s'élèvent  les  buttes  funé- 
raires qui  recouvrent,  dit  la  tradition,  les  corps 
des  trois  divinités  Scandinaves,  Odin.TboretFreya. 

Le  mouvement  de  la  navigation  est  très  considé- 
rable dans  les  ports  de  Stockoliu,  puisqu'il  s'é- 
lève à  plus  de  40  000  navires,  d'un  port  de  près 
de  3  millions  de  tonneaux;  mais  pendant  la  pé- 
riode des  glaces,  Stockholm  doit  envoyer  ses  den- 
rées et  ses  marchandises  à  travers  la  péninsule 
et  prendre  alors  pour  son  port  extérieur  le  havre 
de  Goteborg,  qui  fait,  d'ailleurs,  en  toute  saison 
un  commerce  très  important.  Cette  ville,  située  , 
sur  le  fleuve  Gota,  navigable  dans  la  partie  infé- 
rieure de  son  cours,  est  l'int'rmédiaire  naturel 
entre  Stockholm  et  toute  l'Europe  occidentale, 
surtout  l'Angleterre;  elle  est  aussi  le  lieu  d'es- 
cale naturel  entre  Copenhague  et  Christiania;  < 
en  ISsO.  sa  population  était  d'environ  75  000  habi- 
tants. Les  autres  cités  de  la  Suède  par  ordre  d'im- 
pirtance  sont  :  Malmiî,  près  de  la  pointe  nréridio- 
nale  de  la  péninsule  suédoise,  formant,  de  l'autre  1 
côté  du  Sund,  comme  le  faubourg  suédois  de  ' 
Copenhagui^;  Norrkôjiing  ou  le  «  Marché  du] 
Nord  )i,  ville  manufacturière  et  commerçante, 
que  l'on  appelle  souvent  le  ci  Manchester  de  la  ' 
Scandinavie  »  ;  Gefle,  au  nord  de  Stockholm,  le 
port  le  plus  actif  pour  l'exportatinn  des  bois; 
Carlskroiia,  port  qui  est  en  même  temps  l'arsenal 
du  royaume;  Jonkoping,  ville  de  l'intérieur,  â  la 
pointe  méridionale  du  lac  Wettern.  Parmi  les 
autres  villes  de  la  Suède,  on  mentionne  souvent, 
à  cause  des  événements  qui  s'y  sont  accomplis, 
les  petites  cités  de  Lund,  Ôrebro,  Helsingborg, 
Kalinar,  Landskrona.  'Wisby,  la  capitale  du  l'île 
Gotland,  est  une  ancienne  ville  hanséaiique, 
où  se  voient  encore  de  belles  ruines  d'édifices  du 
moyen  âge. 

Christiania,  la  capitale  de  la  Norvège,  est,  comme 
presque  toutes  les  autres  villes  du  royaume,  si- 
tuée au  bord  de  la  mer  et  fait  un  assez  grand 
commerce  par  ses  deux  ports,  anses  septentrio- 
nales d'un  fjord  qui  s'avance  au  loin  dans  la 
masse  de  la  péninsule  norvégienne  et  suédoise, 


parallèlement  aux  rivages  de  la  presqu'île  du  Jyl- 
land. Ville  de  trafic  et  d'industrie,  siège  de  l'uni- 
versité et  des  principaux  établissements  du  pays, 
Christiana  grandit  rapidement  et  contient,  avec  ses 
faubourgs,  une  population  de  plus  lOO^OliO  habi- 
tants. Un  chemin  de  fer  récemment  terminé  la 
rattache  par  un  col  élevé  à,  l'ancienne  capitale 
du  pays,  Trondhjem,  située  sur  la  côte  de  la 
Norvège  tournée  vers  l'Océan.  Bergen,  sur  la 
même  côte,  au  sud-ouest  do  Trondhjem,  n'a  ja- 
mais eu  le  titre  de  chef-lieu  du  royaume,  mais, 
par  l'importance  de  ses  échanges  et  de  sa  pêche, 
elle  fut  longtemps  la  première  de  toutes  les  villes 
norvégiennes.  Stavanger,  Drammen,  Christian- 
sand,  sont  aussi  des  ports  très  actifs,  surtout  pour 
l'armement  des  bateaux  de  pêche  et  l'expédition 
des  poissons  et  des  bois.  Sur  les  cotes  du  nord, 
TromsO  et  Hammerfest  ne  sont  que  des  petites 
villes,  mais  elles  sont  curieuses  par  leur  situation 
au  bord  des  mers  septentrionales,  bien  au  nord 
du  cercle  polaire.  Hammerfest  marque  l'estré- 
mité  boréale  de  l'arc  de  méridien  qui  se  prolonge 
jusqu'en  Turquie,  à  travers  la  Scandinavie,  la 
Finlande,  les  provinces  Baltiques,  la  Pologne, 
l'Austro-Hongrie,  sur  plus  de  26  degrés  de  la- 
titude. 

Dans  la  division  générale  du  travail,  on  peut 
dire  que  le  Danemark  représente  surtout  l'agri- 
culture, tandis  que  l'industrie  est  la  part  de  la 
Suède  et  le  commerce  celle  de  la  Norvège.  Les 
produits  agricoles  font  vivre  directement  les  trois 
cinquièmes  de  la  population  danoise,  quoique  plus 
d'un  tiers  de  la  contrée  se  compose  encore  de 
landes,  de  marais,  de  terres  incultes  ou  de  ja- 
chères. En  outre,  le  Danemark  exporte  une 
grande  quantité  de  ses  produits  en  Angleterre; 
tous  les  ports  danois  expédient  régulièrement  aux 
marchés  britanniques  des  légumes,  des  fruits,  du 
beurre,  des  céréales,  des  bestiaux.  Pays  de  gras- 
ses prairies,  le  Danemark  est,  de  toute.-.-  les  contrées 
d'Europe,  celle  qui  possède  proportionnellement  le 
plus  de  bêtes  à  cornes.  En  Suède,  l'agriculture  pro- 
prement dite  prendaussi  d'année  en  année  une  plus 
grande  importance;  toutefois  c'est  encore  l'exporta- 
tion des  bois  qui  représente  la  plus  grande  moitié 
des  ventes  de  la  Suède,  soit  1-30  millions  de  francs 
chaque  année.  Les  poutres,  les  planches,  les 
traverses,  les  étais  de  mines  sont  expédiés  des 
ports  du  golfe  de  Botnie  et  de  Goteborg,  surtout 
en  Angleterre,  mais  aussi  dans  le  reste  de  l'Eu- 
rope, au  Brésil,  au  cap  de  Bonne- espérance,  en 
Australie  et  jusque  dans  la  Nouvelle-Zélande.  Les 
Suédois  exportent  aussi  leurs  bois  en  parquets, 
en  meubles  et  en  objets  de  menuiserie  fine,  ainsi 
qu'en  allumettes.  On  sait  que,  pour  cette  der- 
nière industrie,  la  Suède  est  au  premier  rang  ; 
mais  le  bois  de  tremble,  qui  fournit  les  meilleures 
allumettes,  commence  ir  devenir  rare.  La  Suède  et 
la  Norvège  transforment  aussi  en  papier  d'énor- 
mes quaiitités  de  bois  ;  les  amas  de  sciures  de 
bois  qu'on  voyait  aux  abords  des  scieries  sont  ex- 
ploités maintenant  pour  se  changer  en  papier 
d'emballage,  de  livres  et  surtout  do  journaux. 

L'industrie  métallurgique  a  pris  aussi  une  assez 
grande  importance  en  Suède,  grâce  aux  giseinents 
d'excellents  minerais  que  possède  le  pays,  surtout 
en  Dalécarlie;  mais  le  précieux  minerai  de  Dan- 
nemora  et  d'autres  mines  a  relativement  diminué 
de  valeur  depuis  que  les  procédés  moderiies  ont 
permis  d'utiliser  des  minerais  de  qualités  infé- 
rieures. Les  cuivres  de  Falun,  extraits  d'un  mi- 
nerai assez  pauvre,  n'ont  plus  dans  l'industrie  sué- 
doise qu'une  faible  importance  ;  la  production  a 
diminué  des  neuf  dixièmes.  Des  veines  de  cuivre 
d'une  extrême  richesse,  qui  se  trouvent  dans  les 
montagnes  du  Finmark ,  au  nord  de  la  péninsule,  ne 
peuvent  être  sérieusement  exploitées  à  cause  de  la 
rigueur  du  climat.  Sous  ces  hautes  latitudes,  les 


SCANDINAVES  (ÉTATS)    —  1095  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


rares  liabitants  do  la  cûle  n'ont  d'aiitrosressources 
que  celles  de  la  pêche.  Aux  Lofoten  et  dans  le  Fin- 
mark,  la  capture  de  la  morue  occupe  plus  de  8(100 
bateaux  montés  par  ."î.'i  (lOO  hommes  environ,  et  l'on 
prend  plus  de  'm  millions  de  poissons  pendant  une 
bonne  saison  de  pêche.  Le  harens  a  maintenant 
moins  d'importance  que  la  morue  dans  l'économie 
générale  du  pays;  néanmoins  on  prend  encore 
dans  les  bonnes  années  jusqu'à  300  millions  de 
harengs  sur  les  côtes  de  la  Norvège.  Les  maque- 
reaux, les  saunions,  certaines  espèces  de  requins 
sont  aussi  poursuivis  activement  par  les  pêcheurs 
Scandinaves. 

Habitués  à  braver  la  mer,  les  pêcheurs  norvé- 
giens ne  craignent  pas  do  se  hasarder  au  loin  pour 
la  grande  navigation.  De  toutes  les  nations  dn 
monde,  nulle  n'a,  proportionnellement  au  nombre 
des  habitants,  une  marine  de  commerce  aussi 
considérable  que  la  Norvège  ;  elle  est  d'environ 
SOiJO  navires,  jaugeant  l,'i50,O00  tonnes.  Ensemble, 
les  trois  États  Scandinaves  ont  plus  de  15  000  na- 
vires, d'un  port  de  2,200,000  tonnes,  près  de 
trois  fois  plus  que  la  France.  La  plupart  des  habi- 
tants des  villi's,  au  lieu  de  placer  leurs  économies 
à  la  caisse  d'épargne  ou  dans  les  banques,  les 
emploient  dans  une  "  part  »  de  navire.  Pour  le 
commerce  intérieur,  la  Scandinavie  possède  aussi 
un  réseau  de  routes,  de  canaux  et  de  cliemiiis  de 
fer  très  considérable  relativement  à  la  population. 
On  sait  que  la  Suède  possède  dans  le  canal  de 
Gtita,  qui  traverse  la  péninsule  de  l'est  h  l'ouest, 
un  des  plus  beaux  travaux  d'art  de  l'Europe,  et, 
pour  les  chemins  de  fer,  la  Suède  est  la  seule 
contrée  de  l'Ancien  Monde  qui  ait  plus  de  1000 
kilomètres  de  voies  ferrées  par  million  d'indi- 
vidus. 

Au  point  de  vue  politique,  la  Scandinavie  se 
divise  en  trois  royaumes,  le  Danemark,  la  Suède 
et  la  Norvège  ;  mais  ces  deux  derniers,  ayant  le 
même  souverain,  ont  quelques  institutions  en 
commun,  et  à  certains  égards  peuvent  être  consi- 
dérés comme  formant  un  même  État.  Les  trois 
royaumes  ont  chacun  leurs  assemblées  délibéran- 
tes, le  Fulkething  et  le  Laudslhwg  en  Danemark, 
YOdelslking  et  le  Liigthing,  formant  ensemble  le 
Stortliin//,  en  Norvège,  et  en  Suède  le  Rt/csdng, 
également  composé  de  deux  Chambres. 

Les  divisions  administratives  des  trois  royaumes 
sont  les  suivantes  : 

Danemark. 


'  Norvège. 


DIVISIONS 

GliOGnAPlIIQUES. 

BA1LL1.\GES 

6    . 
o 

SJAILISD   ET   MOES 

Bouhhoim 

LAALANDKTFir.STE« 

Copenhague  (ville). 

—     (campagne) 

Frederiksborg  .... 

Holbœk 

k.  car. 
13 
12tl 
1.163 
IG24 
1472 
1669 
584 
1660 

nés 

1641 
2773 
1687 

3031 
24)3 
2i77 
2336 

3043 

hab. 
193  000 
111  400 

83  300 

90  iOO 
87  200 

100  100 
33  000 

92  400 
126  700 
117  800 

93  400 
63  300 

91  300 
87  800 

lUO  300 
132  300 
107  400 
79  300 
68  000 

SoiO 

Bornlioim 

iMaribo 

Hiôrring 

Aalborg 

Viborg 

1 

Vi'jle 

Iliiigkjobing 

liibt' . 

r  R  K  F  E  G  T  l:  R  E  S 


Ntiluiiics 

Lister  et  Jlanck 

Sla\anger  

Suudre-ilergeoli 

Bergeu  

Nurdre-Bergcnb 

R»nisdal 

Sundrt-Trondhi 
N'orrlrc-Trond|]j< 
Noritland 


PROVINCES 


Malmô 

Cliristianstad 

Ca.lskrona  iBlekingo; 

\Vi>\iii 

■l""k'M'iug 

Kal.i.a 

Liuk6|>in-    (nstcgo.laiidj. 

llalmstad  (iïallaiidj 

Mai-lestad 

Wenersborg 

GOlcborg  et  Bohus 

Wisby  (Golland) 

Stockholm 

Upsala 

N^kflping  (Sôdermanland) 
wVstcras  (Westmanland). 

Orcbro  (Narike) 

Carlstad  CWermlaud) 

Falun  (Stora  Kopparberg) 

Gefle 

Hcrnôsatid  (Westuorrlanil) 

ostersund   (Jemtland) 

Umea  (Wesierbotteu) 

Lulea  (Noirbotten) 


hab. 

343  074 
230  869 
134  005 

168  031 
193  113 
241  939 
268  S84 
133  988 
236  712 
288  903 
252  952 

54  964 
306  283 
107  )2t 
143  929 
126  753 
181  236 
268  531 
189  650 

169  194 
138  134 


[Elisée  Reclus.] 
SCANDINAVES  (États).  —  DANliMAIlU,  SUÈ- 
DE   NORVÈGE.  —  Histoire  et  Littéiiatibe.  — 
Histoire   générale,    X.XXHI  ;    Littératures   étran- 
gères, XX. 

L'antiquité  et  le  moyen  âge  des  trois  pays 
Scandinaves.  —  Dans  les  trois  royaumes  Scan- 
dinaves, l'époque  historique  commence  plus  tard 
que  dans  les  autres  pays  de  l'Europe.  C'est  seu- 
lement depuis   l'an  800  que    les   sources  histori- 

!  ques  deviennent  assez  certaines  pour  les  pays 
du  Nord   et  que  nous  pouvons  fixer  la  série   des 

i  rois.  Du  reste  nous  ne  sommes  pas  sans  docu- 
meiits  sur  la  haute  antiquité.  L'archéologie, 
science     cultivée    aujourd'hui   avec    prédilection 

I  dans  le  Nord,  nous  prête  son  secours.  Dans  les 


SCANDINAVES  (ÉTATS)     —  1996  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


tourbières,  dans  les  grands  tas  de  débris  culinai- 
res (kjœkkenniœddings),  dans  les  tertres  clevcs, 
anciennes  sépultures,  qui  se  trouvent  partout  dans 
les  plaines  du  Danemark,  et  très  souvent  sous  la 
charrue  du  laboureur,  on  rencontre  des  vestiges 
de  la  vie  des  premières  populations  Scandinaves. 
On  y  distingue  trois  âges,  l'âge  de  pierre,  l'âge 
de  bronze,  et  enfin,  vers  la  naissance  de  Jésus- 
Clirist,  l'époque  du  fer.  A  cette  dernière  époque 
appartiennent  aussi  les  grandes  pierres  qui  por- 
tent des  inscriptions  en  caractères  dits  runiques 
(de  ritne,  mot  Scandinave  signifiant  ktlre). 

Dès  ce  temps-là,  les  Scandinaves  avaient  des 
communications  avec  l'Est  de  l'Europe  ;  mais 
c'est  seulement  vers  l'époque  de  Cliarlemagne 
que  les  habitants  de  l'Europe  occidentale  appri- 
rent à  les  connaître.  Les  Danois  attaquèrent  les 
côtes  du  grand  empire,  et  les  Norvégiens  et  les 
Danois  firent  des  expéditions  en  Grande-Bretagne 
et  en  Irlande.  Vers  le  milieu  du  ix°  siècle,  ces 
corsaires  ou  riki»(/s  infestaient  toutes  les  mers, 
et  formaient  Je  grandes  armées  qui,  profitant  de 
la  discorde  au  sein  du  royaume  franc,  pénétraient 
jusque  dans  l'intérieur  des  terres  et  ravageaient 
les  villes.  Remontant  le  cours  de  l'Elbe,  du  Rhin, 
de  la  Seine,  de  la  Loire,  ils  rançonnèrent  Ham- 
bourg, Mayence,  Cologne,  Aix-la-Chapelle,  Nan- 
tes, Tours.  Paris  fut  souvent  visité  par  ces  auda- 
cieux guerriers;  le  grand  siège  de  8S5-886  est 
le  plus  célèbre.  Deux  fois  ils  pillèrent  les  cotes 
de_  l'E.spagne,  et  en  8i9-S61  ils  se  hasardèrent 
même  dans  la  Méditerranée.  Ils  hivernèrent  à 
l'embouchure  du  Rhône,  qu'ils  remontèrent  jus- 
qu'à Valence;  en  Italie,  ils  saccagèrent  Pise  et  les 
villes  voisines.  En  911,  Ch^irles  le  Simple  fut 
obligé  de  céder  la  Neustrie  à  Rollon,  chef  d'une 
armée  danoise  ;  le  pays  prit  le  nom  de  Norman- 
die, car,_dans  le  Sud,  Nonnan</s  ou  «  hommes  du 
Nord  »  était  le  nom  donné  aux  guerriers  Scandi- 
naves. En  Angleterre,  à  la  suite  de  leurs  attaques 
répétées,  le  roi  Alfred  leur  céda  tout  le  pays  au 
nord  et  à  l'est  d'une  ligne  tirée  de  l'embouchure 
de  la  Tamise  jusqu'à  Chester.  Les  îles  d'Ecosse 
furent  envahies  par  les  Norvégiens  qui  établirent 
aussi  des  royaumes  dans  les  villes  d'Irlande  (Du- 
blin, Waterford,  Limerick).  Les  fleuves  de  l'Europe 
orientale  furent  également  le  théâtre  des  exploits 
des  Scandinaves.  Rourik  et  ses  guerriers  sué- 
dois fondèrent  un  royaume  à  Novgorod,  plus  tard 
à  Kiev,  et  les  successeurs  do  ce  chef  régnèrent 
sur  plusieurs  peuples  slaves.  Beaucoup  de  Scan- 
dinaves passèrent  aussi  par  la  Russie  pour  entrer 
au  service  des  empereurs  grecs;  ils  formaient 
même  à  Constantinople  une  garde  spéciale  (les 
Varègues). 

Les  armes  par  lesquelles  les  Scandinaves  des 
trois  royaumes  du  Nord  conquirent  de  si  grands 
pays  et  devinrent  si  puissants,  c'étaient  surtout 
un  bravoure  incomparable,  l'obéissance  aveugle  à 
leur  chef,  la  fidélité  et  la  concorde  entre  cama- 
rades, qualités  peu  estimées  à  cette  époque  dans 
l'Ouest;  il  faut  y  ajouter  leur  hardiesse  comme 
marins  et  leur  connaissance  des  mers,  et  enfin 
une  grande  facilité  à  adopter  les  moeurs  étran- 
gères. Tout  cela  constitue  déjà  une  certaine  cul- 
ture; de  plus,  leurs  belles  armes,  leurs  riches 
vêtements  et  leur  noble  poésie,  conservée  dans  la 
littérature  postérieure,  prouvent  qu'ils  avaient  le 
sens  de  la  beauté  des  formes  et  des  couleurs,  et 
que  leur  esprit  s'intéressait  aux  pensées  poéti- 
ques ou  profondes.  Mais  leur  religion  était 
cruelle;  ils  sacrifiaient  à  leurs  divinités  sauvages 
Odin  _  et  Tlior,  et  croyaient  que  la  guerre  et  le 
sang  étaient  agréables  aux  dieux.  Au  ix' siècle  leurs 
communications  plus  fréquentes  avec  les  chrétiens 
commencèrent  h  répandre  parmi  eux  la  connais- 
sance du  christianisme.  Ansgar,  moine  de  Corbie 
près  d'Amiens,  plus  tard  de  Corvei  en  Westphalie, 


fut    l'apôtre    des    Scandinaves    (mort    en   8G5). 

C'est  avec  une  certaine  fierté  que  les  Scandina- 
ves d'aujourd'hui  se  rappellent  ces  temps  où  leurs 
ancêtres  dominaient  sur  un  quart  environ  de  l'Eu- 
rope. Ils  sont  les  fondateurs  de  l'État  Russe  ;  ils  ont 
restauré  le  faible  royaume  des  Anglo-Saxons,  ils 
ont  conquis  la  Normandie  qui  bientôt  allait  jouer 
un  si  grand  rôle  dans  l'histoire  européenne.  Il 
est  vrai  que  dans  ces  États  conquis  la  langue  et 
les  mœurs  des  colons  changèrent  bientôt  pour  de- 
venir celles  du  peuple  vaincu  ;  car,  ainsi  que  nous 
l'avons  dit,  les  Scandinaves  avaient  une  aptitude 
remarquable  à  changer  leur  manière  de  vivre  et 
à  s'assimiler  aux  étrangers.  Les  descendants  des' 
Suédois  en  Russie  parlèrent  la  langue  des  Slaves, 
et  ceux  des  Danois  en  Normandie  la  langue  fran- 
çaise ;  mais  ils  se  distinguèrent  toujours  par  le 
même  esprit  organisateur  et  conquérant,  actif  et 
aventureux.  Du  reste,  ces  colonies  furent  bientôt 
séparées  et  indépendantes  de  la  mère-patrie.  Il 
n'y  eut  qu'un  pays  qui,  pendant  un  plus  long 
temps,  resta  gouverné  par  les  rois  du  Nord,  sa- 
voir l'Angleterre.  Le  roi  Svend  à  la  barbe  four- 
chue (9S5-10U)  avait  entrepris  une  série  d'expé- 
ditions contre  l'Angleterre,  et  il  finit  par  la  con- 
quérir. A  la  mort  subite  de  ce  roi,  et  après  une 
nouvelle  invasion,  son  fils  Kanut  (1016-1035)  hé- 
rita du  pays,  et  quand  il  fut  devenu  aussi  roi  de 
Danemark  (1018)  et  eut  conquis  la  Norvège  (10'28), 
ces  trois  royaumes  se  trouvèrent  réunis  sous  son 
sceptre.  Prince  prudent  et  énergique,  il  gouverna 
son  vaste  empire  avec  fermeté  et  sagesse.  Il  intro- 
duisit définitivement  le  christianisme  en  Danemark. 
Après  la  mort  de  son  fils  Hardekanut  (1042),  l'An- 
gleterre   fut  séparée  du  Danemark  pour  toujours. 

Dans  la  haute  antiquité,  la  Norvège  était  divi- 
sée entre  un  grand  nombre  de  petits  rois  ;  Harald 
Haarfager  (aux  beaux  cheveux)  vainquit  tous  les 
autres  rois  et  créa  un  royaume  unique  (S72).  Ce 
système  parut  insupportable  à  l'esprit  fier  et  in- 
dépendant des  Norvégiens,  et  beaucoup  de  chefs 
préférèrent  s'expatrier.  Ils  firent  voile  vers  les  îles 
d'Ecosse,  et  les  Farder,  où  ils  s'établirent  ;  c'est  par 
eux  aussi  que  l'Islande  fut  découverte  (874).  Cette 
île  devint  l'asile  principal  des  mécontents,  et  ils 
y  constituèrent  une  république.  Les  colons  d'Is- 
lande conservaient  l'esprit  des  vikings,  et  firent 
de  nombreuses  expéditions  militaires  ou  commer- 
ciales; ils  découvrirent  et  colonisèrent  le  Groenland 
(98;î;,  et,  devanciers  de  Christophe  Colomb,  ils 
visitèrent  même  l'Amérique  (Nova  Scotia,  Mas- 
sachusetts, 1000).  Cette  république  islandaise 
fleurit  pendant  trois  siècles;  le  christianisme  fut 
adopté  à  l'assemblée  des  chefs  en  l'an  ItiOO,  et 
l'État  se  donna  des  lois  qui,  par  leur  netteté  et 
leur  sagacité  juridique,  appartiennent  aux  plus 
remarquables  du  moyen  âge  (Grâgâs,  vers  1100). 
Les  Islandais  aimaient  et  cultivaient  la  poésie  et 
l'histoire  (Voir  ci-dessous).  Mais  au  xiii'  siècle  des 
discordes  intestines  affaiblirent  l'État,  et  l'Ue  de- 
vint une  province  de  la  Norvège  (1202). 

Dans  ce  dernier  pays,  sous  les  descendants  de- 
Harald  Haarfager,  les  chrétiens  et  les  païens  furent 
souvent  en  lutte,  et  le  christianisme  se  propagea 
d'une  manière  moins  paisible  que  dans  les  deux. 
autres  pays  Scandinaves.  Le  roi  Olaf  (1015-1028) 
fut  un  des  princes  chrétiens  les  plus  zélés;  mais- 
sa  violence  lui  fit  beaucoup  d'ennemis,  et  il  futi 
chassé.  Il  s'enfuit  en  Russie,  mais  revint  bientôt  1 
avec  des  auxiliaires  suédois.  Les  paysans  se  réu-  | 
nirent  contre  lui,  et  dans  un  sanglant  combat  le 
roi  fut  tué  et  ses  troupes  battues  (1030).  Bientôt, 
après  on  parla  de  miracles  accomplis  sur  son) 
tombeau;  la  triste  mort  du  pieux  roi  émut  de  pi- 
ti^  l'imagination  populaire,  et  le  pape  le  mit  au 
rang  des  saints.  Ce  fut  le  premier  saint  des  Scan- 
dinaves, et  saint  Olaf  fut  honoré  partout  dans  le 
Nord  de  l'Europe. 


SCANDINAVES  (ÉTATS)    —  1997  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


Les  Scandinaves  auraient  pris  une  plus  grande 
part  aux  croisades  do  Palestine  s'ils  n'eussent  eu 
dans  les  pays  voisins  des  païens  à  combattre  et  un 
sol  à  conquérir  pour  le  christianisme.  Ainsi  Éric  le 
Saint,  roi  de  Suède  (1160-CO),  fit  une  expédition 
en  Kinlande  et  commença  ;\  y  planter  la  croix;  ses 
successeurs  achevèrent  au  xiiT  siècle  de  convertir 
les  Finlandais  et  de  conquérir  le  pays.  Les  Danois 
entreprirent  de  nombreuses  croisades  dans  les 
pays  du  sud  de  la  Baltique.  Ce  fut  une  seconde 
époque  do  grandeur,  pour  le  royaume  danois,  que 
celle  du  règne  de  Valdemar  I"  le  Grand  (1 157-1 182 1 
et  de  ses  fils  Kanut  VI  (lI8-2-r2ir>)  et  Valdemar  II 
le  Victorieux  (1202-1211).  Absalon,  archevêque  de 
Lund  en  Scanie  (car  autrefois  cette  province,  avec 
les  deux  provinces  voisines  de  llalland  et  de  Ble- 
kiiig,  faisaient  partie  du  Danemark),  i^tait  aussi  bon 
clerc  que  guerrier  audacieux.  Fidèle  ami  du  roi 
Valdemar  I",  il  quitta  la  chape  et  la  crosse  pour  se 
joindre  avec  ses  troupes  k  l'armée  du  roi  et  com- 
battre les  peuples  slaves  qui  pillaient  les  côies 
danoises.  L'île  de  Uiigen  fut  ainsi  conquise  et 
ses  liabitants  païens  baptisés;  une  grande  partie 
du  Mecklenbourg  et  de  la  Poméranie  obéit  au 
sceptre  danois.  Valdemar  II  fit  une  croisade  en 
Ehstonie  et  y  fonda  une  colonie  danoise  (Revalj. 
Mais  bientôt  après  il  fut  pris  en  trahison  par  le 
comte  Henri  de  Scliwerin  et  gardé  en  captivité  ; 
racheté  deux  ans  plus  tard,  il  voulut  se  venger, 
mais  fut  battu  à  Burnhœved  en  Holstein  (1227).  Il 
régna  ensuite  en  paix  et  promulgua  de  bonnes  lois. 
Mais  depuis  cette  époque  la  puissance  du  Danemark 
s'évanouit.et  au  XI  v'siècle  les  Allemands  dominèrent 
dans  une  grande  partie  du  pays,  jusqu'à,  ce  que  le 
roi  Valdemar  IV  Atterdag  {■<  nouveau  jour  »),  par 
son  habile  diplomatie  et  après  des  combats  heu- 
reux, eut  regagné  de  nouveau  les  provinces  sépa- 
rées du  royaume  (1340-1375).  Sa  fille  est  la  cé- 
lèbre princesse  Marguerite,  qui,  après  la  mort  de 
son  époux  Hakon,  roi  de  Norvège  (1380),  et  de  leur 
fils  Olaf  ;l.J87),  et  par  le  libre  choix  des  Suédois, 
réussit  à  réunir  les  trois  pays  Scandinaves  en  un 
seul  royaume  (union  de  K.almar,  1397).  Cette  union, 
sauf  quelques  courts  intervalles,  dura  jusqu'en 
1523.  Forte  et  prudente,  noble  et  pieuse,  la  reine 
Marguerite  sut  gouverner  sagement  les  trois  pays  ; 
elle  dompta  les  fières  résistances  des  nobles.  Mais 
ses  successeurs  se  montrèrent  faibles,  et  souvent 
des  troubles  s'élevèrent  en  Suèdi;,  surtout  sous 
les  rois  de  la  famille  d'Oldenbourg.  C'est  en  144») 
que  les  Danois,  après  la  mort  du  roi  Christophe, 
avaient  choisi  Chrisdern,  duc  d'Oldenbourg,  pour 
roi  de  Danemark  (1448-1481)  ;  ii  fut  l'aïeul  delà 
dynastie  qui  règne  encore  aujourd'hui  à  Copen- 
hague. Sous  son  petit-fils  Christiern  11  (1513-1523), 
la  Suède  se  détacha  définitivement.  Le  roi  avait 
entrepris  une  expédition  à  Stockholm  et  conquis 
la  ville  ;  pour  écraser  la  résistance  de  la  noblesse, 
qui  était  hostile  à  l'union,  il  fit  décapiter  quatre- 
vingt-dix  nobles.  Cet  acte  de  cruauté  et  de  mauvaise 
politique  enflamma  les  esprits;  un  noble  suédois, 
Gustave  Vasa,  se  mit  à  la  tête  des  paysans  révoltés. 
Après  la  fuite  des  troupes  danoises,  Gustave  fut  élu 
roi  de  Suède  (1523);  depuis  cette  époque  ce  pays 
a  donc  son  histoire  particulière.  En  Danemark,  le  roi 
Christiern  II  était  aimé  des  paysans  et  des  bour- 
geois, qu'il  avait  défendus  et  favorisés  par  de 
bonnes  lois;  mais  les  nobles  le  haïssaient.  Il  fut 
chassé,  malgré  l'appui  du  Tiers-État,  et  quand  en 
1531  il  essaya  de  reconquérir  la  Norvège,  il  fut  fait 
prisonnier.  Il  passa  dix-sept  ans  dans  une  dure 
captivité. 

Le  Danemark  et  la  Norvège  de  1523  à 
1814.  —  Les  rois  de  la  race  d  Oldenbourg  se 
sont  appelés  alternativement  Frédéric  et  Chris- 
tian ;  voici  la  série  des  rois  jusqu'à  nos  jours  : 
Frédéric  I,  1523-1533;  Christian  111,  1534-1559- 
FredencII,  1559-1588;   Christian  IV,   1588-1018; 


Frédéric  III,  1C48-II;70;  Cliristian  V,  I(i70-1609; 
Frédéric  IV,  1(;99-I730;  Christian  VI,  173U-174G; 
Frédéric  V,  I7i(i-nGG;  Christian  Vil,  176U-1808; 
Fréd.Tic  VI,  I80S-1839;  Christian  Vlll,  1839-1848; 
Frédéric  VII,  1848-1803  ;  Christian  LX.,  depuis  1863. 
Si  dauâ  cette  dynastie  on  ne  rencontre  que  peu  de 
rois  d'un  talent  extraordinaire,  on  peut  dire  qu'en 
général  ils  se  sont  distingués  par  la  bonté  et  la 
modération,  la  droiture  et  la  simplicité  ;  c'est  pour- 
quoi aussi  le  Danemark  n'a  jamais  connu  de  révo- 
lution populaire.  Nous  allons  résumer  l'histoire  de 
quelques-uns  de  ces  rois. 

Les  doctrines  de  Luther  se  répandirent  rapide- 
ment dans  le  Nord,  où  l'on  avait  mille  raisons 
de  se  plaindre  du  clergé  catholique.  Après  une 
guerre  acharnée  contre  les  paysans  et  les  Han- 
séatiques  qui  défendaient  la  cause  de  Christiern  II 
(I534-I53(i),  le  vainqueur  Christian  III,  son  cousin, 
fut  déclaré  roi,  et  à  la  diète  de  Copenhague  en 
1536  le  protestantisme  fut  introduit  définitive- 
ment; les  évêques  furent  emprisonnés  et  déposés, 
les  couvents  abolis.  Le  Danemark  n'a  jamais  connu 
les  guerres  religieuses  et  les  malheurs  qui  dans 
les  autres  pays  en  sont  résultés;  la  seconde  moitié 
du  xv!"  siècle  fut  une  époque  heureuse  pour  le 
Danemark  et  la  Norvège.  Le  royaume  fut  bien 
gouverné  par  des  rois  habiles,  assistés  par  une 
noblesse  patriotique  et  instruite ,  qui  comptait 
aussi  des  savants  célèbres,  comme  l'astronome 
Tycho-Brahé.  Mais  dès  ce  temps,  le  Danemark 
commença  cette  longue  série  de  guerres  contre 
la  Suède,  qui  rarement  lui  procura  des  avantages 
et  qui  affaiblit  les  deux  nations.  Les  causes  en 
furent  la  jalousie  et  la  crainte  que  donnaient  aux 
souverains  danois  le  pouvoir  croissant  de  la  Suède 
et  ses  conquêtes  sur  les  côces  méridionales  de  la 
Baltique  ;  puis  la  question  de  la  domination  de  la 
Baltique  et  du  péage  de  Sund,  c'est-à-dire  le  droit 
que  possédait  depuis  le  moyen  âge  le  roi  de  Dane- 
mark d'exiger  un  péage  de  tous  les  navires  qui 
traversaient  ce  détroit.  Cet  impôt,  qu'on  a  appelé 
la  mine  d'or  du  Danemark,  devait  naturellement 
gêner  la  Suède,  et  il  causa  des  guerres  continuelles 
avec  les  Hanséatiques,  les  Hollandais  et  les  Suédois. 
Dans  la  guerre  de  sept  ans(l.i03-l570)  sous  Frédé- 
ric II,  les  Danois  furent  le  plus  souvent  victorieux 
et  le  pays  n'éprouva  pas  de  pertes.  Mais  il  en  fut 
bientôt  autrement.  Christian  IV  était  doué  de  ta- 
lents remarquables;  il  dessina  lui-même  le  plan 
de  ses  beaux  châteaux  de  Rosenborg  et  de  Frede- 
riksborg;  c'était  un  travailleur  et  un  administra- 
teur infatigable,  mais  il  se  perdait  trop  daus  les 
détails,  et  il  manqua  de  perspicacité  en  politique. 
11  aida  les  protestants  en  Allemagne  dans  la  guerre 
de  Trente  ans  ;  mais  vaincu  à  Lutter  am  Baren- 
berg  |1(12>.),  et  poursuivi  par  Wallenstein,  il  se  vit 
forcé  de  conclure  la  paix  de  Liibeck,  cependant 
sans  perte  pour  lui  (1029).  Plus  tard  la  jalousie 
que  lui  donnèrent  les  victoires  des  Suédois  en 
Allemagne  lui  valut  une  nouvelle  guerre  (1643- 
1645)  ;  il  commanda  héroïquement  sa  flotte  au 
combat  victorieux  de  Colbergheide  (10'(4),  mais 
bientôt  après  les  Suédois  reprirent  l'avantage,  et 
la  paix  lui  coûta  quelques  provinces  orientales  de 
la  Norvège  et  les  lies  de  Gutland  et  OEsel  (1045). 
Trois  ans  plus  tard,  ce  roi  favori  de  la  nation 
mourut.  Bientôt  après  le  Danemark  eut  à  subir  de 
plus  grandes  pertes.  Le  belliqueux  roi  de  Suède 
Ciiarles  X  Gustave,  qui  faisait  la  guerre  en  Po- 
logne contre  Jean-Casimir,  envahit  le  Jutland. 
L'hiver  de  1657-lb5S  s'étant  trouvé  d'une  rigueur 
inouïe,  il  put  franchir  sur  la  glace  les  détroits 
jusqu'à  l'île  de  Seeland,  où  il  dicta  la  paix.  Mais 
l'arrogance  de  Charles  X  fit  recommencer  la  guerre  ; 
pendant  deux  ans  les  Danois  luttèrent  vaillam- 
ment. La  défense  courageuse  de  la  capitale,  que 
\';  roi  Frédéric  111,  préférant  «  mourir  dans  son 
nid    »,  ne  voulait  ni  quitter  ni  rendre,  sauva  le 


SCANDINAVES  (ÉTATS)    —  1998  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


pays.  Eiiflii,  après  la  mort  de  Cliarles  X,  la  paix 
fut  conclue  ;  le  Dauemaik perdit  les  trois  provinces 
d'outra-Sund. 

Pendant  ces  guerres,  la  noblesse  s'était  montrée 
peu  patriotique  et  très  égoïste,  et  les  bourgeois, 
d'autre  part,  s'étaient  distingués  par  leur  bra- 
voure et  leur  esprit  d'initiative.  A  la  diète  de  Co- 
penhague, en  IGb'i,  les  bourgeois,  d'accord  avec 
le  roi,  forcèrent  les  nobles  i  investir  le  roi  Fré- 
déric m  et  ses  successeurs  du  pouvoir  absolu  hé- 
réditaire. Le  Danemaik  devint  ainsi  une  monarchie 
absolue.  N'oanmoins  il  n'éclata  Jamais  de  conflit 
entre  le  roi  et  son  peuple. 

Au  commencement  du  xviii'  siècle,  les  Danois 
furent  deux  fois  en  guerre  avec  Charles  XII  de 
Suède  {V.  ci-dessous)  ;  mais  pendant  tout  le  reste 
du  siècle  le  pays  demeura  en  paix.  Sous  Chris- 
tian Vli,  le  ministre  Struensée  ilTiO-niS)  voulut 
réformer  l'Éiat,  comme  firent  Pombal  en  l'oriugal 
ou  Tanucci  à  Naples;  mais  il  fut  bientôt  em- 
prisonné, accusé  du  crime  de  lèse-majesté,  et 
décapité. 

Napoléon  a  exercé  une  influence  fatale  sur  le 
Danemark.  Déjà  en  1801,  l'Angleterre,  irritée  du 
traité  de  neutralité  armée  conclu  avec  la  Russie, 


Mais  les  Allemands  suscitèrent  toute  sorte  de  dif- 
ficultés. Enfin  en  18G.3,  la  diète  promulgua  une 
constitution  commune  pour  le  Danemark  et  le 
Sleswig;  la  Prusse  l'avait  approuvée.  Malheureu- 
sement, h  ce  moment  mourut  le  roi  Frédéric  VII, 
vivement  regretté  par  la  nation  :  elle  aimait  ce  roi 
patriotique  qui  avait  su  régner  conformément 
à  la  constitution.  Le  roi  Guillaume  de  Prusse  et 
son  ministre  Bismarck,  de  même  que  r.\utriche, 
trouvèrent  le  moment  favorable  pour  envahir  les 
duchés.  Les  Danois  se  défendirent  vaillamment  à 
Oversd,  Dybbel  (Diippel),  Als;  mais  la  luite  était 
impossible  contre  des  forces  supérieures  et  un 
ennemi  armé  du  fusil  i  aiguille. 

Par  la  paix  de  Vienne,  le  Danemark  céda 
les  trois  duchés  de  Sleswig,  de  Ho'stein  et  de 
Lauonbourg.  Mais  en  18ii6  les  vainqueurs  se 
brouillèrent  lorsqu'il  s'agit  do  partager  le  bu- 
tin, et  l'Autriche  fut  battue  par  les  Prussiens  ; 
à  la  paix  de  Prague,  après  Sadowa,  sur  l'initiative 
de  l'empereur  Napoléon,  il  fut  convenu  que  «  la 
partie  septentriojialo  du  Sleswig  serait  rétrocédée 
au  Danemark,  si  la  population  manifestait  par 
un  vote  libre  le  désir  d'être  réunie  à  ce  pays.  » 
Cotte  clause  n'a  jamais  été  exécutée.  L'Autriche, 


la  Suède  et  la  Prusse,  avait  envoyé  une  escadre  par  un  traité  signé  en  1878,  a  renoncé  à  toute  re 
contre  Copenhague  ;  mais  la  ville  se  défendit  vail-  vendication  à  ce  sujet.  Quand  le  Danemark  céda 
lammcnt,  et  ce  fut  seulement  la  conduite  peu  hu-  le  Sleswig  à  la  Prusse,  il  y  avait  19,1,000  habi- 
norable  de  l'amiral  Nelson  qui  sauva  sa  flotte.  ,  tants  qui  parlaient  le  danois  comme  langue  ma- 
Six  ans  plus  tard,  sans  déclaration  de  guerre,  ternelle  et  160,1)00  habitimts  qui  parlaient  l'alle- 
une  grande  flotte  anglaise  vint  attaquer  la  capitale,  j  mand;  maintenant  la  proportion  a  changé,  à  cause 
et,  après  un  bombardement,  le  commandant  fut  i  de  l'administration  des  Prussiens,  de  l'expulsion 
forcé  de  livrer  à  l'ennemi  toute  la  flotte  danoise,    ou  de  l'émigration  des  Danois. 

Le  roi  Frédéric  VI  se  vit  ainsi  contraint  do  |  La  Suède  depuis  1523  avec  la  Norvège  depuis 
prendre  part  avec  Napoléon  i  la  guerre  contre  1814.  —  Si  l'époque  glorieuse  de  l'histoire  du 
l'Angleterre.  Quand  en  18l3  les  Saxons  abandon-  |  Danemark  est  dans  le  moyen  âge, celle  de  laSuède 
nèrent  Napoléon  à  Leipzig,  le  Danemark  fut  le  |  est  dans  les  temps  modernes.  Le  roi  Gustave 
seul  pays  qui  partagea  ses  malheurs.  .\  la  paix  de  j  Vasa,  d'un  caractère  courageux  et  énergique,  gou- 
Kiel  (18Ii)  et  de  Vienne  (1815),  le  Danemark  dut  verna  avec  prudence;  sous  son  règne  ili2i-lJ60) 
céder  la  Norvège  k  la  Suède,  et  ne  roçut  en  com-  |  le  protestantisme  fut  introduit  en  Suède.  Ses  suc- 
pensation  que  le  petit  duché  de  Lauejibourg.         j  cesseurs  essayèrent  de  conquérir  les  pays  autour 

Le  Danemark  depuis  1814.  —  De  nouvelles  ,  du  golfe  de  Botnie,  et,  après  plusieurs  guerres 
guerres  surgirent  à  propos  des  limites  méridio-  heureuses,  la  Russie  fut  exclue  de  la  mer  et  la 
nales  du  Danemark,  qui  depuis  longtemps  étaient  Suède  acquit  l'Ingremanie,  l'Ehstonie  et  la  Livonie. 
le  point  faible  du  royaume.  Dans  l'antiquité,  le  ,  Ces  conquêtes  et  les  prétentions  des  rois  de  Po- 
duché  de  Sonderjylland  ^Julland  méridional),  plus  logne  à  la  couronne  de  Suède,  comme  descen- 
tard  nommé  SIebwig,  était  complètement  danois.  \  dants  de  la  famille  Vasa,  occasionnèrent  des  guer- 
C'est  seulement  depuis  le  xii'  siècle  que  les  Aile-  res  continuelles  avec  la  Pologne.  Gustave-Adolphe 
mands  s'y  établirent  en  plus  grand  nombre,  |  (161 1-1C.J2)  conclut  une  paix  tcmp  praire  avec  la 
comme  colons.  Au  xiv''  siècle  les  comtes  de  |  Pologne  pour  venir  à  l'aide  de  ses  coreligion- 
Holstein.  princes  indépendants  du  Danemark,  re-  ,  naires  en  Allemagne  (V.  Guerre  'le  Treille  An-'). 
curent  souvent  le  Sleswig  en  flef  comme  vassaux  |  Ses  victoires  donnèrent  au  protestantisme  cette 
du  roi  de  Danemark.  La  noblesse  du  Sleswig  et  du  prépondérance  dans  l'Europe  du  Nord  qu'il  a 
Holstein  élut  le  roi  Chrisiiern  I«'duc  de  ces  deux  gardée  jusqu'à  nos  jours.  Le  héros  suédois  tomba 
pays,  et  au  xv'  siècle  ses  successeurs,  les  rois  à  Lutzen  (1632'),  mais  la  guerre  se  continua  sous 
de  Danemark,  divisèrent  ces  pays  en  différents  d'excellents  généraux,  ses  élèves  dans  l'art  mili- 
fiefs  héréditaires  donnés  à  leurs  frères  ou  àleurs  taire,  et  sa  fille  Christine  Il63.'-I65i), par  la  paix  de 
parents.  Enfin  en  1121,  Frédéric  IV,  s'autorisant  VVestphalie,  acquit  une  partie  de  la  Poméranie, 
de  la  trahison  du  duc,  incorpora  le  Sleswig,  ,  Brème  et  Werden.  La  Suède  se  trouva  alors  une 
qui  depuis  cette  époque  devint  province  imraé-  des  grandes  puissances  de  l'Europe.  Mais  Chris- 
diate  du  royaume.  Dès  le  commencement  de  notre  tine  n'avait  pas  les  talents  nécessaires  au  gouver- 
siècle  il  se  forma  un  parti  qui  demanda  l'union  du  |  nement;  savante,  mais  capricieuse,  elle  abdiqua  et 
Sleswig  avec  le  Holstein.  Ce  parti,  dirigé  par  les  quitta  la  Suède.  La  fille  du  héros  tombé  pour  la 
princes  d  Angustenbourg,  trouva  un  appui  en  Héforme  mourut  catholique  à  Rime.  Son  cousin 
Allemagne,  où  l'on  prétendit  que  la  naiionalité  Charles  X  Gustave  (1654-1660]  hérita  de  sa  cou- 
allemande  se  trouvait  opprimée  dans  les  duchés,  ronne  :  ce  fut  un  souverain  d'humeur  conquérante, 
quoique  jusqu'à  cette  époque  elle  eût  été  la  plus  \  Nous  avons  déjà  vu  ses  succès  en  Danemark  et 
favorisée.  Après  la  révolution  de  février  lSi8  à  l'annexion  des  provinces  d  outre-Sund.  Son  fils 
Paris,  une  révolte  éclata,  et  le  roi  de  Prusse  Cliarles  XI  (1660-1697)  lutta  contre  le  Danemark  et 
Frédéric-Guillaume  IV  envahit  les  duchés.  Une  le  Brandebourg;  il  ne  dut  qu'à  son  alliance  avec 
guerre  s'en  suivit,  qui  dura  trois  ans  (lui 8- 1850)  ;  Louis  XIV  de  pouvoir  s'en  tirer  sans  trop  grandes 
les  Danois  eurent  presque  toujours  le  dessus  dans  pertes.  Son  successeur  Charles  XII  (1697-1718) 
les  rencontres  avec  les  Prussiens  et  les  révoltés,  voulut  rendre  à  la  SuÈde  sa  liaute  posiiion  en  Eu- 
de  sorte  que  les  duchés  furent  conservés  au  i  lope.  Il  vainiuit  les  Russes  à  iN'arva  (I7i'0|,  etcon- 
royaume.  En  1849,  le  roi  Frédéric  VU  avait,  par  traignit  Auguste  II,  électeur  de  Sue  et  roi  de  Po- 
un  acte  libre  de  sa  volonté,  accordé  une  consti- ,  logne,  à  céder  son  royaume  à. Sianis'as  Le -zczinski. 
tution  aux  autres  provinces  du  Danemark;  après  ,  Mais,  dans  l'intervalle,  le  tsar  Pierre  le  Grand 
a  guerre,  il  fallut  régler  la  position  des  duchés.  ,  avait  aguerri  son  armée,  et  Charles  XII,  vaincu  à 


SCANDINAVES  (ÉTATS)     —  1099  —     SCANDINAVES  (ÉTATS) 


l'oltava  (l'ÎOii),  sa  réfusia  cI'bz  les  Turcs.  Il  y 
passa  ciiKi  aiis,  au  bout  desquels  la  situation  pc- 
rilleuso  un  la  Suède  l'obligi'a  à  revenir.  Au  siège 
de  FreJerikssten  en  Norvège,  une  balle,  venue  de 
la  forteresse,  lui  fracassa  la  tempe  (171S).  La 
Suède  perdit  alors  ses  provinces  du  Sud  de  la 
Iialti(i\ii!,  mais  elle  garda  encore  la  Finlande.  Les 
trois  Charles  qui  s'étaient  succédé,  par  leur  pou- 
voir absolu  et  leur  amour  de  la  guerre,  avaient 
fini  par  appauvrir  et  amoindrir  le  pays;  un  clian- 
gement  dans  la  constitution  était  devenu  néces- 
saire. Pendant  l'époque  suivante  [ïépoque  de  li- 
berté, sous  Frédéric  de  Hesse,  n20-l"5l,  et 
Adolplie-Frédéric,  1751-1771),  les  députés  dos 
quatre  Etats  gouvernèrent  au  moyen  du  Conseil 
privé,  et  le  pouvoir  du  roi  fut  annulé.  Le  parti 
des  cliapenux,  qui  voulait  ralliance  avec  la  France, 
et  celui  des  ionneta,  qui  était  lié  avec  la  Russie, 
dominèrent  alternativement.  Ils  n'étaient  d'ac- 
cord que  sur  un  point,  celui  de  restreindre  de 
toutes  manières  le  pouvoir  du  roi.  Ce  système 
devint  impossible  à  la  longue.  Gustave  III  (1771- 
179'.'),  par  un  coup  d'Etat,  reconquit  le  pouvoir; 
l'administration  fut  réservée  au  roi,  et  il  partagea 
le  pouvoir  législatif  avec  la  diète  nationale.  Gus- 
tave favorisa  les  lettres  et  les  arts,  mais  sa  légè- 
reté et  sou  arrogance  créèrent  beaucoup  de  mé- 
contents. Une  conjuration  se  forma,  et  le  roi  l'ut  tué 
dans  un  bal  masqué  en  1792.  Son  fils  Gustave  IV 
(179*2- 18(19)  se  fit  remarquer  par  son  caractère 
entêté  et  bizarre  et  sa  liaine  contre  Napoléon. 
Après  la  campagne  de  1807  et  l'alliance  de  la 
lîussie  avec  Napoléon  iTilsit,  le  tsar  Alexandre  I" 
conquit  la  Finlande,  que  l'armée  suédoise,  presqvie 
abandonnée  par  le  gouvernement,  défendit  avec 
bravoure.  Le  roi  fut  détrôné  et  remplacé  par  son 
oncle,  Charles  XIII  (1809),  mais  à  la  paix  de  Fre- 
derikshamn  la  Finlande  fut  cédée  aux  Russes.  L'al- 
liance conclue  ensuite  avec  la  Russie  (18 12)  valut 
à  la  Suède  l'annexion  de  la  Norvège  en  1814  (Voir 
ci-dessus).  Quand,  avec  Charles  XIII,  la  dynastie 
des  Vasa  s'éteignit  (  1818),  Bernadette,  qui  dès  1809 
avait  été  élu  prince  héritier,  monta  sur  le  trône  sous 
le  nom  de  Charles-Jean  XIV  (1818-1844).  Depuis 
celte  épo(|ue,  la  Suède  n'a  pas  eu  de  guerres,  et  ses 
rois  Oscar  l'i'  (1S44-1S.S9),  Charles  XV  (1859-1872), 
Oscar  II  (depuis  1872),  ont  gouverné  les  deux 
royaumes  avec  prudence  et  modération.  En  Suède, 
la  constitution  surannée,  avec  des  chambres  pour 
les  quatri'  Etats  (paysans,  bourgeoisie,  noblesse  et 
clergé),  a  été  remplacée  par  une  constitution 
plus  moderne  qui  a  introduit  le  système  des  deux 
Chambres  (IHCGj.  La  constitution  libre  de  la  Nor- 
vège date  déjà  de  1814;  elle  ne  laisse  au  roi 
qu'un  veto  suspensif. 

Le  sentiment  hostile  qui  dans  les  siècles  passés 
s'était  manifesté  si  souvent  dans  les  guerres 
acharnées  des  nations  Scandinaves  l'une  contre 
l'autre,  a  tout  à  fait  disparu  et  a  fait  place  à  l'ami- 
tié et  à  la  concorde.  Dès  à  présent,  comme  l'a  dit 
Oscar  I",  la  guerre  entre  les  trois  nations  sœurs 
est  impossible.  Mille  rapports  sociaux,  la  commu- 
nication littéraire  et  industrielle  la  plus  vive,  une 
législation  c  vile  sans  grandes  différences,  et  des 
lois  uniformes  sur  plusieurs  points  (monnaie, 
lettres  de  change,  propriété  littéraire),  ont  créé 
pour  CHS  tiois  nations  une  unité  de  fait,  si  non 
politique. 

Littérature.  —  Dans  l'antiquité,  un  seul  lan- 
gage était  parlé  dans  le  Nord,  la  langue  danoise, 
dont  le  patois  moderne  de  l'I»  ande  se  rapproche 
le  plus  aujourd'hui.  De  cette  langue  sont  sorties 
les  langues  qu'on  parle  actuellement  dans  les 
pays  .^c.nilinaves,  le  danois-norvégien  et  le  sué- 
dois. Il  n'y  a  presque  i-as  de  différence  entre  le 
danois  et  le  norvégien;  mais  le  suédois  diffère  de 
l'un  et  de  l'auire,  et  cependant  un  Danois  on  un 
Norvégien  comorend  très  facilement  un  Suédois, 


et  vice  versn.  Comme  la  langue,  la  littérature  était 
commune  dans  l'antiquité.  JVIais  le  mérite  d'avoir 
conservé  cette  littérature,  unique  en  Europe,  ap- 
partient surtout  à  l'Islande  et  à  la  Norvège.  Remar- 
quables tout  d'abord  sont  les  deux  poètnes  mytho- 
logiques, les  i?rff/as.  On  y  retrouve  les  croyances 
des  Scandinaves  de  la  haute  antiquité.  Une  ima- 
gination vive  et  des  pensées  profondes,  un  esprit 
vaillant  et  sagace,  se  manifestent  dans  ces  poèmes, 
qui  tantôt  chantent  les  combats  dos  dieux,  tantôt 
expriment  des  vérités  morales.  Non  moins  inté- 
ressante est  la  littérature  des  sar/ns.  On  ne  peut 
pas  donner  une  idée  de  ces  derniers  écrits  par 
une  comparaison,  car  au  moyen  âge  nul  pays 
d'Europe  ne  nous  présente  des  romans  on  des  ré- 
cits historiques  qui,  avec  autant  de  détail  et  dans 
un  style  si  dramatique,  racontent  l'histoire  des 
rois,  dos  chefs,  des  grands  paysans.  Les  sagas 
viennent  presque  toutes  de  l'Islande,  où,  pendant 
les  longues  soirées  d'hiver,  les  paysans  autour  du 
feu  excellaient  à  raconter  ces  récits.  Vers  le  xiii'^ 
siècle  on  commença  ,\  écrire  ce  qu'on  avait  con- 
servé jusque-là.  par  la  mémoire.  Il  se  rencontre, 
parmi  les  sagas,  des  compositions  de  pure  fantai- 
sie ;  mais  les  plus  anciennes  et  les  plus  intéres- 
santes sont  celles  (|ui  racontent  l'histoii'e  des  rois 
ou  des  grands  chefs.  Il  y  en  a  beaucoup  qui  sont 
presque  entièrement  historiques  ;  dans  d'autres  la 
poésie  se  mêle  à  l'histoire  ;  mais  toujours  le  style, 
objectif,  marqué  par  la  simplicité  et  la  vigueur  de 
l'expression,  sait  captiver  le  lecteur.  —  Vers  l'an 
1200  vécut  l'historien  danois  Saxo  Grammaticus 
qui,  à  la  demande  de  l'archevêque  Absaloji,  a  écrit 
dans  uu  latin  classique  un  ouvrage  volumineux 
et  très  intéressant  sur  l'histoire  du  Danemark. 
C'est  la  source  capitale  pour  l'histoire  de  ce  pays 
au  comiuencemeut  du  moyen  âge. 

Au  moyen  âge,  la  poésie  lyrique  populaire  était 
en  pleine  floraison  dans  les  pays  du  Nord.  Les 
chn7isu)is  populaires  ou  chants  liéroïques  for- 
ment toute  une  littérature,  dans  laquelle  on  ne 
connaît  pas  un  seul  nom  d'auteur.  Les  sujets  de 
ces  chansons  sont  de  toutes  sortes;  tantôt  elles 
traitent  d'amour  heureux  et  malheureux,  tantôt 
des  êtres  merveilleux  dont  la  croyance  populaire 
peuplait  la  nature.  Quelques-unes  reproduisent 
des  traditions  des  teriips  païens,  et  un  assez  grand 
nombre  racontent  d'une  manière  saisissante  et 
naïve  des  exploits  historiques.  Beaucoup  de  ces 
chansons  n'ont  pas  été  surpassées  par  la  littéra- 
ture moderne. 

Au  xvii"  siècle,  c'est  plutôt  le  grand  savoir  que 
la  poésie  qu'on  cultive.  Mais  en  IB81  naquit  à  Ber- 
gen, en  Norvège,  Louis  Hoiberg,  qui  fut  pour  ainsi 
dire  le  père  de  la  littérature  Scandinave  moderne. 
Après  avoir  étudié  à  Copenhague  et  parcouru  plu- 
sieurs pays  pendant  sa  jeunesse,  il  revint  i  Co- 
penhague oii  il  fut  professeur  à  l'université.  Son 
premier  ouvrage  est  un  poème  héroï-comique  en 
alexandrins;  plus  tard  il  écrivit  des  comédies.  Ce 
sont  surtout  ces  comédies  qui  sont  dans  la  mé- 
moire de  chacun  et  qui  ont  laissé  une  empreinte 
ineffaçable  sur  la  culture  de  la  nation.  Il  touche 
par  sou  excellente  peinture  des  caractères,  par  sa 
bonne  humeur  inépuisable,  et  sa  satire  sans  ai- 
greur qui  ne  se  termine  jamais  par  une  disson- 
nance.  Si  .Molière  peint  la  vie  à  la  cour  ou  dans  la 
haute  bourgeoisie,  Hoiberg  préfère  les  portraits 
des  simples  bourgeois  et  des  paysans;  s'il  ne  pos- 
sède pas  l'esprit  poétique  de  Molière,  il  ne  lui  cède 
ni  en  gaîté  ni  en  richesse  d'invention  comique. 
Il  a  peint  son  temps  d'une  manière  si  vive,  qu'où 
a  dit  avec  raison  que  si  tous  les  autres  documents 
étaient  auéintis,  ses  comédies  suffiraient  pour  re- 
tracer le  tableau  de  son  époque.  Ses  pièces  de  théâ- 
tre forment  le  répertoire  habituel  de  la  scène  na- 
tionale i  Copenhague  et.  i  Christiania.  Du  reste 
Hoiberg  était  aussi  philosophe  et  historien  ;  ses 


SCANDINAVES  (ÉTATS)     —  2000  — 


SCHISMES 


-nombreux  ouvrages  contiennent  presque  toujours 
des  points  de  vue  nouveaux;  c'est  pourquoi  il  est 
devenu  dans  beaucoup  de  brandies  le  précepteur 
de  la  nation.  Son  roman.  Voyage  de  Nicolas Kliin 
dans  t'iiiteriew  de  la  terre,  a  été  lu  et  traduit 
dans  toute  l'Europe.  Holberg  mourut  en  1754. 
Une  nouvelle  époque  florissante  de  la  poésie 
commence  à  la  fiii  du  .wiii'  siècle.  Signalons  le 
Norvégien  VVessel,  auteur  de  poèmes  comiques, 
les  Danois  Evald  et  Baggesen,  poètes  lyriques,  et 
le  Suédois  Dellmann,  qui  a  chanté  la  gaité  et  le 
"vin;  ses  chansons  anacréontiques,  avec  leurs  bel- 
les mélodies,  que  l'auteur  composa  lui-même,  sont 
familières  à  tous  les  Scandinaves.  Le  plus  grand 
poète  danois  de  la  littérature  moderne  est  Adam 
OEhlenschlœser  (n"9-185ll).  Sa  riclie  imagination 
le  porta  aussi  facilement  clans  le  monde  oriental 
que  dans  la  sévère  antiquité  du  Nord  ;  dans  ses 
poésies  d'un  lyrisme  fervent,  dans  ses  épopées  ma- 
jestueuses, dans  ses  belles  tragédies  qui  sont  la 
gloire  du  théâtre  danois,  il  sait  partout  fasciner. 
Il  a  montré  à  l'imagination  des  voies  nouvelles  et 
a  fait  voir  le  premier  la  richesse  de  la  langue 
et  son  aptitude  pour  la  haute  poésie.  Le  grand 
poète  religieux  N.-F.-S.  Grundtvig  (I7S-Î-1SV2) 
tient  une  place  à  part  à  son  côté;  on  lui  doit  de 
belles  poésies  historiques,  et  surtout  un  grand 
nombre  de  psaumes  et  dliymnes.  Mais  OElilen- 
schlœger  est  le  père  de  la  poésie  danoise  mo- 
derne, et  après  lui  sont  venus  des  poètes  en 
grand  nombre.  Parmi  eux  nommons  l'esthéti- 
cien et  poète  J.-L.  Heiberg,  les  poètes  dramati- 
ques Hertz  et  Hostrup,  qui  continuèrent  l'œuvre 
•de  Holberg,  le  romancier  Blicher,  les  lyriques 
l^aludan-MuUer,  Winther,  Ingemann,  Hauch,  l'il- 
lustre H.-C.  Andersen  (1S0Ô-1.S75),  auteur  de  ces 
contes  qui  sont  lus  partout.  En  même  temps  le 
théâtre  royal  de  Copenhague  était  illustré  par 
beaucoup  de  grands  comédiens  qui  à  Paris  seule- 
ment eussent  trouve  leurs  rivaux. 

A  cette  époque  la  Norvège  eut  aussi  de  grands 
poètes,  comme  les  lyriques  Wergeland  et  Wel- 
liaven.  En  Suède  E.  Tegnér  (1782-1840;  composa 
des  poèmes  lyriques  et  épiques,  comme  la  f'ri- 
ihiofsaga  ou  saga  de  Frithiof,  qui  est  traduite  en 
plusieurs  langues. 

Mais  la  littérature  Scandinave  est  si  riche  dans 
notre  siècle  qu'il  est  difficile  de  signaler  les  meil- 
leurs auteurs.  Une  place  d'honneur  appartient  in- 
contestablement à  Runeberg,  pasteur  en  Finlande 
US04-1S77).  On  rencontre  rarement  chez  un  poète 
une  telle  simplicité  de  style,  une  telle  pureté  de 
forme,  jointes  à  tant  de  profondeur  et  de  jus- 
tesse dans  la  pensée.  Auteur  des  chansons  d'amour 
les  plus  gracieuses,  il  a  aussi  excellé  dans  l'épo- 
pée, par  exemple  dans  son  poème  sur  la  dernière 
guerre  malheureuse  des  Suédois  contre  les  Russes. 
Dans  la  littérature  contemporaine  du  \ord,aucun 
auteur  ne  peut  rivaliser  avec  les  poètes  norvégiens 
Bjornson  (né  en  lS.32j  et  Ibsen  (né  en  18"J8).  BjOrn- 
son  attira  l'attention  par  ses  beaux  contes  puisés 
dans  la  vie  des  paysans  ;  il  a  écrit  ensuite  des 
drames  modernes  d'une  actualité  saisissante,  qui 
sont  joués  partout  dans  le  Nord  et  en  Allemagne. 
Ibsen  est  un  penseur  profond,  qui  aime  à  traiter  des 
questions  morales  ou  religieuses  dans  des  poésies 
de  forme  dramatique.  Ses  poèmes,  ainsi  que  ses 
pièces  de  théâtre  dont  le  sujet  est  pris  dans  la  so- 
ciété contemporaine,  témoignent  d'une  profonde 
connaissance  du  cœur  humain.  L'annonce  d'une 
pièce  nouvelle  de  Bjôrnson  ou  d'Ibsen  fait  battre 
les  cœurs  partout  dans  le  iNord,  et  de  jour  en 
jour,  non  seulement  ces  poètes,  mais  toute  la  ri- 
che littérature  des  Scandinaves  devient  plus  con- 
nue à  l'étranger. 

Il  n'entre  pas  dans  notre  cadre  de  parler  avec 
détail  des  arts  et  des  sciences  dans  le  Nord  :  mais 
il  suflit  de  rappeler  les  noms  du  sculpteur  Tlior- 


waldscn.  du  physicien  OErstedt,  du  naturaliste 
Linné,  du  chimiste  Berzélius,  pour  montrer  que 
les  Scandinaves  ont  contiibué  dans  une  large  me- 
sure aux  progros  de  la  culture  artistique  et  scien- 
tifique. [Johannes  Steenstrup.] 

SCHISMES.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL. 
—  On  donne  le  nom  de  schisme,  dans  l'histoire 
de  l'Eglise,  à  une  scission  qui  n'a  pas  nécessaire- 
ment pour  motif  une  dissidence  sur  le  dogme,  et 
qui  peut  diviser  les  fidèles  sans  rompre  l'unité  de 
la  foi  ;  à  ce  titre,  le  schisme  se  distingue  de  l'hé- 
résie. Cependant,  il  arrive  le  plus  souvent  que  les 
schismatiques  sont  en  même  temps  hérétiques. 

Il  s'est  produit  dans  l'Eglise  chrétienne  deux 
schismes  principaux,  connus  sous  le  nom  de 
grand  schisme  d'Orient  et  de  grand  schisme  d'Oc- 
cident. 

Le  grand  scliisme  d'Orie/it  commença  SlU  milieu 
du  W  siècle,  b,  l'occasion  de  la  nomination  du 
savant  Photius  comme  patriarche  de  Constanti- 
nople  en  remplacement  d'Ignace, déposé  par  l'em- 
pereur Michel  l'Ivrogne  (8J7).  Le  pape  Nicolas  I" 
voulut  interposer  son  autorité  en  faveur  d'Ignace, 
et  anathéniatisa  Photius,  qui  répondit  en  anathé- 
matisant  le  pape.  A  l'avènement  de  l'empereur 
Basilele  Macédonien,  Ignace  fut  rétabli, et  le  neu- 
vième concile  œcuménique,  réuni  à  Constantino- 
ple  (8G'J),  condaunia  Photius.  Mais,  à  la  mort  d'I- 
gnace (S78),  Photius  redevint  patriarche  avec  l'as- 
sentiment de  l'empereur  Basile  ;  un  nouveau 
concile  lui  donna  raison,  et  le  pape  Jean  VIII  fit 
la  paix  avec  lui.  Léon  le  Philosophe,  successeur 
de  Basile,  déposa  de  nouveau  Photius  (886),  qui 
mourut  en  exil.  Toutefois  le  schisme  commencé 
devait  s'aggraver  encore  pour  devenir  bientôt  dé- 
finitif. La  rivalité  entre  Rome  et  Constantinople 
au  sujet  des  Bulgares  nouvellementconvertis  ;  cer- 
taines ditrérences  de  pratiques  (chez  les  Grecs, 
les  prêtres  pouvaient  se  marier,  l'office  se  disait 
en  langue  vulgaire,  la  communion  se  faisait  avec 
du  pain  levé,  1*  confirmation  n'avait  pas  lieu,  le 
baptême  se  pratiquait  par  immersion),  et  une  dif- 
férence de  dogme  (les  Grecs,  conservant  le  texte 
primitif  du  symbole  de  Nicée,  faisaient  procéder 
le  Saint-Esprit' du  Père  seulement,  tandis  que  les 
Latins,  le  faisant  procéder  du  Père  et  du  Fils, 
ajoutèrent  au  symbole  le  mot  FiUoque),  accen- 
tuèrent de  plus  en  plus  la  séparation,  qui  fut  con- 
sommée en  1054  par  le  patriarche  de  Constanti- 
nople Michel  Cerularius.  A  diverses  reprises,  des 
tentatives  de  rapprochement  entre  les  deux  Egli- 
ses eurent  lieu  ;  la  principale  est  celle  du  con- 
cile de  Florence  en  1439.  On  appelle  Grecs-U7iis 
ceux  des  chrétiens  d'Orient  qui  ont  adopté  la  for- 
mule d'union  décrétée  au  concile  de  Florence. 

Le  grand  scitisme  d'Occident  se  produisit  lors- 
qu'on 1378  eut  lieu  la  double  élection  d'Urbain  VI 
et  de  Clément  VU  comme  papes.  Clément,  qui  ré- 
sidait à  Avignon,  fut  reconnu  par  la  France, 
l'Espagne  et  l'Ecosse,  tandis  que  le  reste  de  l'Eu- 
rope catholique  reconnaissait  Urbain  et  le  siège 
de  Rome.  Clément  eut  pour  successeur  l'Espagnol 
Pierre  de  Luna,  qui  prit  le  nom  de  Benoit  XllI, 
tandis  qu'à  Rome,  après  Urbain  VI,  siégeaient 
tour  à  tour  Boniface  IX,  Innocent  VI  et  Gré- 
goire XII.  Le  concile  de  Pise,  convoqué  pour 
mettre  fin  à  cet  état  do  choses,  déposa  à  la  fois 
Benoit  XIII  et  Grégoire  XII,  et  donna  la  tiare  à 
Alexandre  V  (141)9)  ;  mais  les  deux  premiers  ayant 
refusé  de  se  soumettre,  il  y  eut  trois  papes  en 
présence,  Alexandre  V,  mort  l'année  suivante, 
eut  pour  successeur  Jean  XXIII.  Celui-ci  convoqua 
un  nouveau  concile  à, Constance  (1414).  Le  concile 
déposa  les  trois  papes  :  Grégoire  Xll  se  soumit  ; 
Jean  XXIII  voulut  résister,  mais  fut  jeté  en  pri- 
son et  finit  par  se  soumettre  aussi  ;  quant  à  Be- 
noit XIII,  retiré  en  Espagne,  il  persista  jusqu'à 
sa  mort  (1424)  à  se  regarder  comme  le  pontife  lé- 


SCIENCE 


2001  — 


SCIENCE 


giliiiio.  Martin  V  ayant  clc  clioisi  par  les  pères  1 
de  Constance  commechef  do  l'Eglise,  son  élection 
mit  tîn  iiu  schisme  pour  quelques  années.  A  sa 
mo[t  (liiil),  son  successeur  F.ugène  IV,  s'étant 
trouvé  en  conflit  avec  le  concile  do  Bàle,  fut  dé- 
posé par  les  pères  de  ce  concile,  qui  élurent 
Félix  V  (Amédce  de  Savoie),  tandis  que  les  con- 
ciles de  Fcrrare  et  de  Florence  se  prononçaient 
pour  Eugène  IV.  Enfin  Félix  V  abdiqua  (1448),  et 
le  schisme  se  trouva  termine. 

Chez  les  musulmans,  un  schisme  qui  dure  en- 
core aujourd'hui  s'est  formé  après  l'assassinat  du 
khalife  Ali,  gendre  de  Mahomet  (G6I).  Les  parti- 
sans de  la  dynastie  Ommiade  prirent  le  nom  de 
sunnitps,  du  mot  arabe  sunna  (tradition),  et  se 
regardèrent  comme  les  croyants  orthodoxes  ;  ils 
appelèrent  c/njites  (hérétiques)  les  partisans  d'Ali, 
qui  ne  reconnaissent  pas  les  trois  premiers  kha- 
lifes. Los  populations  musulmanes  de  l'empire 
turc  sont  en  très  grande  majorité  sunnites  ;  les 
chyites  se  trouvent  en  Perse  et  dans  une  partie 
de  l'Arabie. 

SCIENCE.  —  Etym.  :  de  sci're,  savoir  ;  scientiii, 
connaissance.  —  Signification  du  terme.  — Le  mot 
science  désigne  une  connaissance  générale,  c'est- 
à-dire  un  ensemble  de  connaissances  particulières 
liées  entre  elles.  Nous  pouvons  avoir  une  connais- 
sance ou  notion  particulière  d'un  objet,  d'un  fait, 
d'une  idée.  Cette  notion  isolée  n'est  pas  encore 
ta  science  ;  elle  en  est  un  élément.  Pour  qu'il  y  ait 
science  constituée,  il  faut  une  catégorie,  un  grou- 
pement de  ces  notions.  Gest  par  des  groupements 
de  ce  genre  que  l'histoire  nous  montre  que  toutes 
les  sciences  ont  été  formées.  c>  La  science  a  néces- 
sairement pour  but  de  déterminer  des  phénomènes 
les  uns  par  les  autres,  d'après  les  relations  qui  exis- 
tent entre  eux.  Toute  science  consiste  dans  la  coordi- 
nation des  faits  ;  si  les  diverses  observations  étaient 
entièrement  isolées,  il  n'y  aurait  pas  de  science.  i> 
(A.  Comte.)  Le  lien  établi  entre  les  notions  parti- 
culières doit  être  légitime,  naturel,  solide,  fondé 
sur  une  exacte  appréciation  de  leurs  rapports;  le 
principe  du  groupement,  rationnel  et  naturel, 
c'est-à-dire  vraiment  analogique.  On  a  alors  une 
science,  une  branche  de  science.  Telles  la  physi- 
que, la  chimie,  et  leurs  branches,  l'acoustique, 
l'optique,  la  chimie  minérale,  la  chimie  organi- 
que, etc. 

Mais  fréquemment,  au  lieu  de  cette  analogie 
foncière,  les  hommes  se  sont  décidés  à  rapprocher 
les  faits  d'après  des  analogies  apparentes,  fragiles, 
de  pure  convenance,  de  simple  commodité,  de 
préjugé.  De  là  tant  de  systèmes  décorés  du  nom 
de  science,  à  diverses  époques,  par  des  écrivains 
qui  savaient  leur  langue  et  n'en  abusaient  pas  en 
employant  ce  nom.  Co  furent  do  fausses  scie7ice!< 
(sciences  occultes),  lorsque  le  principe  fut  mani- 
festement erroné  :  telles  l'alchimie,  l'astrologie, 
la  cabale,  la  magie,  nécromancie  et  chiromancie. 
Ce  seront  de  simples  membres,  fragments  ou 
branches  de  sciences,  lorsque  le  principe  du  grou- 
pement sera  trop  restreint  (neurologie,  étude  des 
nerfs  eji  activité  et  en  repos).  Ce  seront  des  em- 
branchemejitsou  des  faisceaux  de  sciences,  lorsque 
le  principe  de  groupement  sera  au  contraire  trop 
étendu  (science  abstraite,  science  expérimentale); 
ce  seront  des  sciences  éphémères,  destinées  à 
disparaître  en  tant  que  corps  de  connaissance, 
lorsque  le  principe  qui  aura  décidé  du  rapproche- 
ment des  notions  élémentaires  aura  été  artificiel, 
et  n'aura  correspondu  qu'à  une  convenance  passa- 
gère ou  extérieure  à  l'objet  (science  du  blason, 
pharmacie,  athlétique  de  Bacon). 

Il  y  a  doiic  une  sorte  de  convention  de  langage 
qui  a  fait  que  le  nom  do  science  s'est  appliqué 
dans  le  cours  des  temps  et  s'applique  encore  dans 
le  présent  à  un  ensemble  quelconque  de  connais- 
sances bien  ou  mal  liées  entre  elles.  Le  principe 
2'  Partie. 


d'une  bonne  liaison  n'est  pas  fixé  et  il  ne  saurait 
l'être,  parce  qu'il  ne  peut  être  aperçu  qu'au  terme 
des  études  de  l'homme  et  non  pas  à  ses  débuts. 
La  perfection  consisterait  à  rapporter  les  unes  aux 
autres  les  notions  essentiellement  analogues.  Mais 
l'analogie,  la  ressemblance  et  la  dissemblance,  qui 
d'ailleurs  nous  sont  révélées  lentement  et  succes- 
sivement, sont  par  surcroît  relatives  à  un  certain 
point  de  vue,  de  sorte  que  l'on  est  ramené  au 
choix  du  point  de  vue,  au  choix  du  principe  di- 
recteur, c'est-à-dire  au  point  de  départ.  Or,  ce  qui 
caractérise  une  science,  c'est  ce  principe  d'après 
lequel  en  sont  groupés  les  éléments,  c'est-à-dire 
les  notions  particulières,  et  nous  voyons  précisé- 
ment que  ce  principe  n'est  pas  fixé  d'une  manière 
absolue.  Tantôt  il  est  tiré  de  la  nature  de  l'objet, 
et  l'on  réunit  par  exemple  sous  le  nom  de  zoo- 
logie l'ensemble  dos  notions  que  l'on  possède  sur 
les  objets  animés  ou  animaux.  On  appelle  bota- 
nique la  science  des  végétaux.  D'autres  fois  le 
principe  de  groupement  est  tiré  de  la  méthode 
qui  conduit  à  l'acquisition  des  connaissances  par- 
ticulières dont  on  envisage  l'ensemble  :  c'est  ainsi 
que  l'histologie  est  l'anatomie  étudiée  à  l'aide  du 
microscope  :  de  môme  la  physique  mathématique 
est  caractérisée  par  sa  méthode. 

On  comprend  par  là  l'indétermination  qui  rè- 
gne dans  l'énumération  et  le  dénombrement  des 
sciences  :  et  si  dans  la  suite  des  temps  on  a  pu 
en  voir  disparaître  quelqu'une  qui  sera  venue 
se  fondre  en  d'autres  ;  si  d'autre  part  nous  en 
voyons  se  dégager  et  surgir  de  nouvelles  (phy- 
siologie, chimie),  un  tel  double  mouvement  tient 
à  l'une  ou  l'autre  de  ces  deux  causes,  à  savoir 
que  l'on  a  aperçu  un  principe  d'analogie  ou  un 
rapport  nouveau  entre  des  notions  que  l'on  possé- 
dait déjà,  ou  que  l'on  a  acquis  des  notions  nou- 
velles. Les  sciences  sont  donc  comme  autant 
d'Etats  dont  les  frontières  ne  sont  pas  fixées.  Il  ne 
suffit  pas  de  dire  que  toutes  les  sciences  se  tou- 
chent :  disons  mieux,  elles  se  pénètrent  et  s'enche- 
vêtrent. Le  monde  des  notions  d'objet  et  de  fait 
est  comparable  à  l'état  de  l'Europe  pendant  la 
longue  période  d'enfantement  des  nationalités  ac- 
tuelles :  les  confins  se  déplacent,  les  barrières 
qu'on  croyait  inébranlables  et  qu'on  appelait  natu- 
rellos  tombent,  les  éléments  ethniques  sont  bal- 
lottés d'un  empire  à  un  autre.  De  même  aujourd'hui 
la  physique  devient  dans  quelques-unes  de  ses  par- 
ties une  forme  de  la  mécanique  atomique,  —  une 
partie  des  faits  chimiques  revient,  sous  le  nom  de 
thermochimie  ',  à  l'étude  physique  de  la  chaleur.  Il 
n'est  pas  nécessaire  de  multiplier  davantage  les 
exemples  pour  faire  comprendre  ce  qu'il  peut  y 
avoir  de  provisoire,  de  spécieux,  de  contingent, 
dans  la  délimitation  des  sciences.  La  vérité,  c'est 
que  les  connaissances  humaines  ne  sont  point 
rigoureusement  partagées  en  un  certain  nombre  de 
provinces  ou  sciences  particulières,  garanties  et  pro- 
tégées dans  leur  isolement  et  leur  autonomie  par 
le  pacte  éternellement  immuable  d'une  définition. 
Nous  avons  dû  insister  sur  la  mutabilité  et 
la  continuelle  fluctuation  qui  mélange,  rapproche 
et  éloigne  sans  cesse  les  faits  scientifiques. 
De  nouveaux  rapports,  de  nouvelles  différences 
sont  dévoilés  chaque  jour,  qui  obligent  à  séparer 
ou  réunir  les  faits  qui  précédemment  étaient 
réunis  ou  séparés.  La  distinction  des  sciences 
n'est  pas  fondée  sur  une  condition  essentielle 
et  immanente  dos  choses  connues,  mais  sur  la 
commodité  de  l'esprit  qui  connaît.  Cette  distinc- 
tion n'a  pas  de  réalité  extérieure  :  elle  n'est  pas 
profondément  inscrite  dans  la  nature  ;  et  de  fait, 
elle  varie  avec  l'état  de  nos  connaissances  et  le 
progrès  de  nos  idées.  Le  monde  (pour  no  parler 
que  des  sciences  de  la  nature)  n'est  pas  distribué 
d'une  manière  rigoureuse  en  différents  domaines 
qu'on  appellerait  physique,  chimie,  astronomie, 
12(! 


SCIENCE 


—  2002  — 


SCIENCE 


physiologie.  «  11  n'y  a  dans  la  nature  que  des 
phénomènes  régis  par  des  lois.  »  (Cl.  Bernard.)  Le 
monde  nous  offre  simplement  le  spectacle  de  phé- 
nomènes infiniment  nombreux  :  nous  classons  ces 
phénomènes,  nous  les  rapportons  à  quelqu'une 
do  ces  branches  de  connaissances  dont  notre  in- 
telligence bornée  a  dû  faire  des  catégories  pour 
les  mieux  embrasser.  Dans  ce  classement,  dans 
ce  groupement  des  faits,  l'esprit  intervient  avec 
l'insuffisance  actuelle  et  l'arbitraire  de  ses  points 
de  vue. 

Mais  aussitôt  après  avoir  montré  l'indétermina- 
tion et  le  caractère  provisoire  des  groupements 
qui  forment  les  sciences  particulières,  il  faut  pré- 
venir l'erreur  qui  exagérerait  l'incertitude  de  ces 
catégories.  Les  principes  d'après  lesquels  les 
faits  sont  aujourd'hui  distribués  en  sciences  par- 
ticulières, professées  dans  l'enseignement,  repré- 
sentées dans  les  académies,  ces  principes,  disons- 
nous,  peuvent  n'ôtre  pas  absolus  :  ils  ne  sont 
cependant  point  purement  artificiels  ou  arbitraires. 
On  classe  les  faits  naturels,  par  exemple,  d'après 
la  nature  de  leurs  objets,  ou  d'api  es  la  nature  de 
leur  méthode.  C'est  le  premier  de  ces  critériums, 
le  plus  imparfait  aussi,  qui  a  servi  à  constituer  ou 
au  moins  i»  nommer  la  plupart  des  sciences  de  la 
nature.  La  zoologie,  étude  des  animaux  ;  la  botani- 
que, ensemble  des  faits  relatifs  aux  plantes;  la 
géologie,  qui  revendique  les  documents  relatifs  à 
la  constitution  de  la  terre;  l'astronomie,  qui  s'oc- 
cupe des  corps  célestes,  sont  distinguées  par  la 
diversité  de  leurs  objets.  Cette  diversité  n'est  pas 
sans  doute  absolue  :  mais  elle  n'est  pas  une  pure 
convention  ou  le  résultat  d'un  caprice  de  l'esprit. 

Le  second  critérium  est  plus  parfait  et  tend 
chaque  jour  à  se  substituer  au  premier.  C'est 
ainsi,  par  exemple,  qu'il  s'est  fondé  une  science, 
pleine  de  promesses  et  déjà  riche  en  résultats,  la 
physiologie  générale,  qui  confond  dans  son  tlo- 
maine  les  objets  de  la  botanique  et  de  la  zoologie, 
rassemblant  les  phénomènes  essejitiels  présentés 
par  les  animaux  elles  plantes.  Ce  second  principe 
de  constitution  des  sciences,  qui  consiste  à  réunir 
les  faits  d'après  la  méthode  qui  conduit  h  les  ac- 
quérir, mériterait  la  préférence  sur  le  précédent, 
s'il  fallait  choisir  entre  eux.  et  il  faudrait  répéter 
encore,  après  Cl.  Bernard,  que  ce  qui  caractérise 
une  science  c'est  sa  méthode,  son  problème,  plutôt 
que  l'espèce  de  ses  objets.  Condorcet  a  pu  dire 
dans  le  même  sens  que  l'on  ne  doit  dater  l'origine 
d'une  science  que  du  temps  où  la  méthode  d'y  dé- 
couvrir la  vérité  a  été  développée.  En  fait,  la  plu- 
part des  sciences  physiques  sont  distinguées  d'après 
ce  principe,  physique,  chimie,  mécanique,  et  quel- 
ques sciences   naturelles,  histologie,  physiologie. 

Il  résulte  de  là  que  des  sciences  voisines  peuvent 
revendiquer  certains  territoires  litigieux.  Sur  bien 
des  points,  par  exemple,  la  zoologie  proprement  dite 
et  la  physiologie  se  pénètrent,  se  mélangent,  se  con- 
fondent; et  celle-ci  peut  avoir  quelquefois  la  pré- 
tention de  regarder  l'autre  comme  une  simple  en- 
clave. Mêmes  conditions  pour  la  botanique,  la 
physiologie  végétale  et  la  physique  végétale.  Mais 
cette  situation,  qui  peut  donner  lieu  à  des  discus- 
sions entre  savants,  i  des  disputes  de  préséance 
ou  d'attributions  dans  les  établissements  scienti- 
fiques, n'a  pas  d'autre  inconvénient,  et  doit  être 
supportée  puisqu'elle  est  inévitable  et  nécessitée 
par  l'ordre  des  choses. 

Caractères  (jénéraux  des  sciences.  —  L'ensem- 
ble de  toutes  les  sciences  constitue  ce  que  1  on 
nomme  u  la  science  n,  expression  qui  n'est  pas 
d'une  langue  très  pure,  mais  qui  est  fréquemment 
employée  dans  les  ouvrages  modernes.  On  entend 
par  là  la  connaissance  la  plus  générale  qui  résulte 
de  toutes  les  connaissances  particulières  qui  font 
les  diverses  sciences  spéciales.  Le  mot  exprime 
donc  l'état  de  la  connaissance  humaine,  au  mo- 


ment où  l'on  parle.  On  pourrait  dire,  d'une  autre 
façon,  que  c'est  la  science  des  sciences,  la  science 
générale,  la  philosophie.  C'est  dans  cette  acception 
très  étendue  que  les  anciens  Grecs  employaient  le 
mot  sophia,  que  nous  avons  traduit  par  sagesse, 
parce  qu'en  effet  l'omniscience  d'une  époque,  con- 
tenue dans  une  tête  bien  faite,  serait  la  Sagesse 
même.  Les  Grecs  employaient  encore  le  mot 
phitosopitia  avec  la  même  signification.  Ce  n'est 
pas  la  masse  indigeste  des  sciences  particulières 
coexistant  dans  une  même  cervelle,  qui  ferait  le  phi- 
losophe :  c'est  cette  masse,  où  chaque  notion  se- 
rait mise  en  ordre  k  sa  vraie  place,  et  dans  soti 
degré  convenable  de  lumière.  «  Il  n'y  a,  dit 
Littré,  do  science  générale  que  dans  la  considé- 
ration hiérarchique  des  sciences  particulières.  » 
Lorsque  dans  les  polémiques  de  chaque  jour  l'on 
repousse,  au  nom  de  la  science,  telle  ou  telle  doc- 
trine proposée  parquelqnes-uns,  on  entend  dire  par 
là  que  cette  doctrine  condamnée  est  en  contradic- 
tion avec  les  notions  particulières  ou  la  méthode  de 
quelque  science  spéciale  et  de  la  science  générale 
ou  philosophie  qui    les  résume  toutes. 

Le  but  de  la  science,  et  par  conséquent  de  toute 
science,  est  la  connaissance  de  la  vérité.  Elle 
ne  se  propose  directement  aucune  application  ; 
elle  ne  poursuit  pas  l'utile  :  elle  cherche  à  con- 
naître le  vriii.  Aussi  emploie-t-on  fréquemment  le 
mot  «  scientifique  »  pour  dire  simplement  quelque 
chose  de  précis,  d'exact,  de  vrni.  Que  par  surcroit 
la  connaissance  de  la  vérité  soit  féconde,  c'est  ce 
qui  ne  saurait  manquer  d'arriver,  puisque  c'est  un 
besoin  et  une  consolation  pour  l'homme  de  croire 
(lue  le  beau,  le  bien,  le  vrai  forment  une  indisso- 
luble trinité!  Les  sciences  ont  donc  pour  objet  la 
connaissance  désintéressée  et,  comme  on  l'a  dit, 
indifférente  ou  glaciale  de  la  vérité  :  elles  ont  pour 
résultat  l'avantage,  l'utilité,  le  progrès  de  l'homme. 

11  faut  ainsi  distinguer  le  but  immédiat  et  le  ré- 
sultat assuré,  mais  indirect,  des  efforts  du  savant. 
Si  le  but  immédiat  est  la  spéculation  pure,  le  ré- 
sultat lointain  est  l'application  utile.  La  fin  de 
toute  science  de  la  nature,  c'est  de  précoir  on 
Aa'jir.  «  Voilà,  dit  Cl.  Bernard  dans  un  langage 
plein  d'élévation,  voilà  en  définitive  pourquoi 
l'homme  s'acharne  à  la  recherche  pénible  des  vé- 
rités scientifiques.  Seul  de  tous  les  êtres  de  la 
création,  il  prévoit  ;  il  sait  sa  fin,  il  connaît  la  fa- 
talité de  sa  mort.  Et  quand  il  se  trouve  en  pré- 
sence de  la  nature,  il  obéit  à  la  loi  supérieure  de 
son  intelligence,  en  cherchant  à  prévoir  ou  à  maî- 
triser les  phénomènes  qui  éclatent  autour  de  lui. 
Prévision  et  actiori,  telles  sont  les  fonctions  de 
l'homme  en  présence  de  la  nature. 

o  L'homme  tend  à  son  but,  par  tous  les  moyens  ; 
il  s'adresse  à  tout  ce  qu'il  croit  pouvoir  l'en  rap- 
procher, et,  en  fin  de  compte,  à  la  science,  comme 
à  l'instrument  le  plus  sur  qu'il  ait  à  sa  portée. 
L'homme  a  cru  d'abord  à  la  magie,  à  la  sorcelle- 
rie •  plus  tard,  il  a  demandé  à  l'empirisme  la  puis- 
sance et  la  domination.  Et  après  avoir  ainsi  tâtonne 
dans  les  ténèbres  de  l'ignorance,  mieux  éclaire 
enfin,  il  s'adresse  à  la  science  pour  en  obtenir  la 
satisfaction  de  son  éternel  appétit. 

(t  Ainsi  par  les  sciences  pliysico-clumiques, 
l'homme  marche  à  la  conquête  de  la  nature  brute, 
de  la  nature  morte.  Déjà,  ses  progrès  ont  ete  si 
éclatants,  qu'il  ne  peut  pas  douter  du  résultat 
final.  C'est  par  les  sciences  que  l'homme  moderne 
se  lo^e,  se  vêtit,  se  nourrit,  s'éclaire  et  commu- 
nique avec  le  monde  et  avec  ses  semblables.  Il 
n'hésite  pas  à  croire  que  sa  domination  s  étendra, 
dans  un  lointain  avenir,  sinon  sur  tous  les  phéno- 
mènes de  la  nature  brute,  au  moins  sur  tous  ceux 
qui  sont  à  sa  portée.  Les  phénomènes  astronomi- 
ques défieront  toujours  l'intervention  de  l'homme, 
placés  qu'ils  sont  en  dehors  de  sa  main.  La  pi;é- 
vision  est  alors,  comme  l'a  dit  Laplace,  la   limite 


SCIENCE 


—  2003  — 


SCIENCE 


extrômo  do  la  puissance  et  le  terme  du  progrès. 
Quant  aux  sciences  terrestres  dont  l'objet  peut 
être  iitteint,  elles  ne  sont  pas  autre  chose  que 
l'oxorcice  rationnel  de  la  domination  de  l'iiomme 
sur  la  nature. 

«  En  est- il  de  la  physiologie  comme  de  ces  au- 
tres sciences?  La  science  qui  étudie  les  phénomè- 
nes de  la  vie  peut-elle  prétendre  aies  maîtriser? 
Se  propose-t-elle  de  subjuguer  la  nature  vivante 
comme  a  été  soumise  la  nature  morte? Nous  n'hé- 
sitons pas  à  répondre  affirmativement.  Partout,  le 
problème  est  le  même;  il  ne  sera  épuisé  que 
lorsque  l'action  rationnelle  et  scientifique  de 
l'homme  aura  été  couronnée  de  succès.  » 

Un  philosophe  de  notre  temps,  exagérant  en 
quelque  sorte  ces  espérances  lointaiiies,  a  écrit 
ces  mots:  n  Une  science  infinie  amènera  un  pouvoir 
infini.  »  (Renan.) 

Ainsi,  le  but  immédiat  de  la  science,  c'est  la 
connaissance  de  la  vérité;  son  profit  certain  et  le 
mobile  humain  de  sa  culture,  c'est  la  .prévision  et 
l'action,  c'est-iVdire  l'assujettissement  des  choses 
à  l'homme.  Quels  sont  ses  moyeni  d'action? 

Ces  moyens  varient  nécessairement  avec  l'ordre 
des  sciences  que  l'on  considère.  Nous  aurons  en 
vue  ici  celles  dont  le  but,  l'objet  et  la  méthode  ont 
Je  plus  do  clarté,  les  sciences  de  la  nature. 

Le  monde  ne  saurait  être  deviné  ;  aucune  réalité 
ne  saurait  être  établie  par  le  raisonnement,  comme 
le  dit  Littré.  C'est  \' observation  eiV e rpérimentatton 
qui  deviennent  les  seuls  instruments  de  la  con- 
naissance. On  a  distingué  les  sciences  en  sciences 
d'observation  et  sciences  expérimentales,  distinc- 
tion qui  suppose  d'abord  celle  de  l'observation 
d'avec  l'expérience.  Mais  cette  distinction  n'est 
pas  absolue.  L'observation  est  une  expérience  dont 
nous  ne  sommes  pas  maîtres  :  l'expérience  est  une 
observation  à  notre  portée  et  réglée  pour  ainsi 
dire  \  notre  convenance.  Il  n'y  a  là  qu'une  simple 
différence  de  degré.  «  L'expérimentation  n'est 
qu'un  degré  plus  avancé  de  l'observation  poussée 
plus  loin  au  moyen  d'artifices  particuliers.  »  (Cl. 
Bernard.) 

L'observation  et  l'expérience  nous  font  connaître 
les  causes  immcdiates  des  phénomènes.  Nous  di- 
sons causes  immédiates,  nous  ne  disons  point 
causes  preniièret.  Les  causes  premières  sont  hors 
de  la  science.  Newton  a  fait  remarquer  avec  raison 
que  a  l'homme  qui  cherche  les  causes  premières 
prouve  qu'il  n'est  pas  un  homme  de  science  ». 
«  La  science  positive,  dit  Berthelot,  ne  pour- 
suit ni  les  causes  premières,  ni  la  fin  des  cho- 
ses. Elle  poursuit  la  chaîne  des  relations  immé- 
diates des  faits,  n  Les  causes  immédiates  d'un 
phénomène  ne  sont  autre  chose  que  l'ensemble 
des  conditions  qui  en  provoquent  à  coup  sur  l'ap- 
parition et  le  développement.  Chaque  phénomène 
a  ses  conditions  déterminées,  son  déterminisme 
propre,  pour  parler  comme  Cl.  Bernard.  «  Les 
conditions  des  choses  sont  tout  ce  que  nous  en 
pouvons  connaître.  Dans  aucun  ordre  de  science 
nous  n'allons  au  deh\  de  cette  limite,  et  c'est  une 
pure  illusion  d'imaginer  qu'on  la  dépasse  et  qu'on 
puisse  saisir  l'essence  de  quelque  phénomène  que 
ce  soit.  »  Le  déterminisme  d'un  phénomène,  c'est 
l'ensemble  de  ses  conditions  matérielles,  c'est-à- 
dire  l'ensemble  des  circonstances  qui  entraînent 
son  existence.  «  Le  déterminisme  fait  connaître  les 
conditions  par  lesquelles  nous  pouvons  atteindre 
les  phénomènes,  les  supprimer,  les  produire  ou 
les  modifier.  Ce  principe  suffit  à  l'ambition  de  la 
science,  car,  au  fond,  il  révèle  les  rapports  entre 
les  phénomènes  et  leurs  conditiojis,  c'est-à-dire 
la  seule  et  vraie  causalité  immédiate  réelle  et 
accessible.  »  Le  procédé  des  sciences  de  la  na- 
ture est  de  fixer  ce  déterminisme  soit  par  l'expé- 
rience, soit  au  moyen  de  l'observation.  En  résumé, 
les  sciences  de  la  nature  cherchent  le  comment  et 


non  le  pourquoi  des  choses.  Elles  se  préoccupent 
de  savoir  n  comment  se  produisent  les  phénomè- 
nes et  non  pourquoi  ils  se  produisent.  »  L'accord 
sur  ce  point  est  universel:  mais  il  n'est  pas  très 
ancien.  Dans  toute  l'antiquité  et  jusqu'à  nos  jours, 
les  philosoplies  d'iojiie  Heraclite,  Démocrite, 
Anaxagore  et  Leucippe  ont  été  fréquemment  con- 
tredits et  combattus  précisément  pour  avoir  les 
premiers  compris  et  déclaré  que  la  poursuite  des 
causes  secondes  devait  être  substituée  à  la  vaine 
recherche  des  causes  premières. 

La  recherche  désintéressée  de  la  vérité,  le  re- 
noncement à  la  possession  des  causes  premières, 
voilà  déjà  deux  caractères  qui  appartiennent  à  la 
méthode  scientifique.  En  voici  d'autres  encore 
qui  compléteront  Jiotre  esquisse. 

C'est  d'abord  Vncooissement  constant  des  scien- 
ces, ou,  pour  parler  en  général,  do  la  science. 
Il  Les  sciences,  sans  bornes  comme  la  nature,  s'ac- 
croissent à  l'infini  par  les  travaux  des  générations 
successives,  u  a  dit  Pascal  dans  quelques  fragments 
qu'il  nous  a  laissés  d'un  Traité  du  vide,  u  Non 
seulement,  dit-il  ailleurs,  chacun  des  hommes 
s'avance  de  jour  en  jour  dans  les  sciences,  mais 
tous  les  hommes  ensemble  y  font  un  continuel 
progrès  à  mesure  que  l'univers  vieillit,  parce  que 
la  même  chose  arrive  dans  la  succession  des 
hommes  que  dans  les  âges  différents  d'un  particu- 
lier. »  En  face  de  la  science,  l'humanité  est  comme 
un  homme  qui  marche  vers  son  âge  mùr  et  qui 
acquiert  toujours  :  l'antiquité  est,  en  quelque 
sorte,  la  période  do  son  enfance  et  de  ses  pre- 
miers bégaiements.  Au  contraire,  dans  les  beaux- 
arts  ou  les  lettres,  on  ne  saisit  pas  cette  marche 
constante  en  avant.  Si  l'éclat  qu'ils  ont  jeté  dans 
le  passé  et  les  ombres  qui  les  ont  entourés  à  dos 
époques  plus  récentes  ne  suffisent  pas  à  démon- 
trer leur  décadence,  au  moins  on  est  détourné  de 
conclure  à  leur  perfectionnement  constant.  Ce 
progrès  continuel  reste  donc  un  nouveau  caractère 
significatif  des  sciences. 

La  raison  de  ce  progrès  constant,  c'est  que  les 
vérités  scientifiques  prennent  un  caractère  imper- 
sonneldès  qu'elles  sontacquises.  L'œuvre  du  savant 
qui  découvre  une  vérité  est  certes  tout  aussi  per- 
sonnelle que  l'œuvre  de  l'artiste.  Mais  une  fois  mise 
au  jour,  sa  découverte  cesse  d'être  sienne  :  elle 
tombe  dans  le  domaine  universel  :  elle  fait  partie  du 
fonds  commun,  du  patrimoine  do  l'humanité,  c'est 
une  pierre  indestructible  d'un  édifice  qui  toujours 
s'élève.  Cette  impersonnalité  est  en  quelque 
sorte  un  trait  nouveau  de  la  science  par  compa- 
raison avec  cet  autre  ordre  de  manifestations  de 
l'intelligence  qui  constitue  les  arts  et  les  lettres; 
ceux-ci  restent  toujours  des  manifestations  per- 
sonnelles, indépendantes  les  unes  des  autres, 
c'est-à-dire  ne  se  superposant  jamais  à  celles  des 
âges  précédents,  ne  s'y  reliant  point  pour  faire 
un  ensemble  harmonique,  une  construction  tou- 
jours en  progrès. 

Enfin,  la  science  ayant  pour  résultat  la  pos- 
session d'une  vérité,  sa  culture  laisse  dans  l'esprit 
la  satisfaction  qui  résulte  de  la  certitude.  Ainsi, 
le  savant  marche  à  la  certitude  :  mais  il  y  marche 
à  travers  le  doute.  Et  comme  pourune  vérité  qu'il 
acquiert,  il  y  en  a  cent  qu'il  poursuit  vainement, 
on  pourrait  dire  que  l'éiat  habituel  de  son  esprit 
est  le  doute,  le  doute  provisoire,  le  doute  voulu 
et  raisonné.  C'est  ici  un  trait  qui  caractérise 
l'homme  de  science  :  d'être  affirmatif  sur  un  très 
petit  nombre  de  choses  qu'il  connaît,  sceptique 
quant  à  l'immense  majorité  qu'il  ne  connaît  pas. 
Un  homme  qui  serait  très  affirmatif  sur  beaucoup 
de  choses,  qui  aurait  sur  un  grand  nombre  de 
points  des  opinions  décidées,  ne  serait  guère  con- 
forme au  type  d'un  bon  esprit  scientifique.  '<■  Le 
doute  est  l'oreiller  du  savant  "  ;  tout  au  contraire 
il    est   insupportable   aux   autres   hommes,    qui 


SCIENCE 


—  2004  — 


SCIENCE 


pour  échapper  à  ses  angoisses  acceptent  les  solu- 
tions toutes  faites  de  la  révélation,  ou  les  su- 
perstitions les  plus  irrationnelles.  La  science, 
elle,  ne  se  satisfait  pas  d'une  affirmation  gra- 
tuite ;  pour  nette  ou  consolante  que  soit  cette 
affirmation,  encore  faut-il,  pour  être  accueillie 
dans  l'ordre  scientifique,  que  sa  vérité  soit  dé- 
montrable ou  démontrée.  La  juste  défiance  scien- 
tifique ne  veut  pas  être  mise  en  défaut  :  elle  ne 
permet  pas  de  «  jurer  sur  la  parole  du  maître  »  ; 
en  d'autres  termes  elle  n'admet  pas  a  l'autorité  ». 
(i  La  science  n'est  point  fondée  sur  l'autorité  ;  car 
la  science,  selon  une  formule  de  Cambacérès,  n'est 
pas  une  croyance,  mais  une  expérience.  » 
Les  sciences  s'adressent  ainsi   à  la   faculté  la 


de  la  pile,  que  l'art  de  la  télégraphie  est  issu 
des  spéculations  purement  théoriques  d'Ampère 
sur  les  courants  et  les  aimants  ;  et  on  pour- 
rait ajouter  que  les  applications  de  l'électricité, 
qui  forment  tant  de  branches  de  l'art  industriel, 
étaient  toutes  contenues  en  germe  dans  les  expé- 
riences physiologiques  que  Galvani  poursuivait  en 
1794.  La  spéculation  scientifique  n'est  donc  ja- 
mais inutile  :  outre  sa  dignité  intellectuelle,  les 
applications  pratiques  qu'elle  peut  contenir  sont 
une  double  raison  qui  la  doit  rendre  honorable 
et  lui  assurer  le  respect  des  homm.es. 

Les  philosophes  ont  toujours  attaché  beaucoup 
d'importance  iv  la  classificati07i  des  connalssnnces 
humaines.  On  les  distingue  aujourd'hui  conimti- 


plus   sévère  de  l'homme,  à  la  raison.  Ei  comme    nément  en  sciences,   lettres   et   arts.    Cette   di- 
-•■  -  ■■  •  ■         visi-on  vaut  ce  que  valent  toutes  les  catégories  éta- 

blies dans  le  domaine  de  la  nature  :  elle  n'a  rien 
de  rigoureux  ni  d'essentiel.  C'est  le  cas  de  répéter 
avec  un  pliilosophe  contemporain  :  »  Mes  amis, 
il  n'y  a  qu'un  principe  absolu  ;  c'est  qu'il  n'y  a 
pas  de  principes  absolus.  »  Sans  remonter  bien 
loin  en  arrière,  nous  verrions  qu'au  moyen  âge, 
par  exemple,  le  domaine  des  connaissances  hu- 
maines, objet  d'enseignement  dans  les  écoles, 
était  divisé  autrement.  On  les  appelait  Arts  li- 
héruux,  et  l'on  en  distinguait  sept,  réunis  en 
deux  groupes  :  le  Trivium,  grammaire,  dialecti- 
que et  rhétorique  ;  le  Quadrivîum,  arithmétique, 
géométrie,  astronomie  et  musique.  Bacon,  au 
xvi"^  siècle,  essaya  d'en  faire  le  cens  et  le  dénom- 
brement et  de  les  coordonner  dans  un  système 
ou  arbre  encyclopédique  des  connaissances  hu- 
maines :  il  distinguait  les  connaissances  qui  se 
fondent  sur  la  mémoire,  celles  qui  se  fondent  sur 
la  raison,  et  celles  enfin  qui  reposent  sur  l'exer- 
cice de  l'imagination.  Les  sciences  proprement 
dites,  qui  nous  occupent  ici,  étaient  rangées  par- 
mi les  manifestations  de  la  raison  sous  le  nom 
commun  de  philosophie  ;  elles  se  subdivisaient 
en  science  de  Dieu,  sciences  de  la  nature,  et  scien- 
ces de  l'homme.  Dans  son  discours  préliminaire 
de  l'Encyclopédie,  d'Alembert  a  adopté  l'arbre 
encyclopédique  de  Bacon,  en  le  modifiant  très  peu 
dans  sa  distribution  générale.  Ces  tentatives, 
fort  à  la  mode  autrefois,  sont  maintenant  dédai- 
gnées et  traitées  comme  de  purs  exercices  d'une 
logique  maniaque.  Le  dédain  est  de  trop  :  '' suf- 
firait de  reprocher  à  ces  systèmes  leur  peu  d  uti- 
lité Ils  n'ont  en  efl'et  aucune  réalité  historique,  et 
n'expriment  pas  plus  la  marche  des  sciences  dans 
le  passé,  qu'ils  ne  permettent  d'en  préjuger  le 
développement    dans    l'avenir.    Contentons-nous 


l'homme  est  un  être  sensible  en  même  temps 
qu'un  être  raisonnable,  on  voit  assez  que  la  cul- 
ture scientifique  ne  prend  pas  l'homme  tout  en- 
tier ;  elle  lui  laisse  pour  l'éternelle  satisfaction 
de  la  sensibilité  la  culture  des  lettres  et  des  arts. 
Mais  par  un  certain  coté  les  lettres  et  les  arts  sont 
encore  des  applications  libres  dos  sciences  mêmes. 
C'est  précisément  le  rapport  des  sciences  avec 
les  arts  qu'il  nous  faut  maintenant  examiner  pour 
compléter  ce  tableau  de  la  méthode  scientifique. 
La  science,  avons-nous  dit,  poursuit  le  irai,  sans 
aucun  souci  de  l'utile,  c'est-à-dire  de  l'application. 
L'art  au  contraire  est  une  application.  La  spé- 
culation et  la  pratique  constituent  la  principale 
différence  des  arts  et  des  sciences.  Mais  il  arrive 
bien  souvent  que  la  spéculation  se  réunisse  îi  la 
pratique.  Il  n'y  a  point  d'art  libéral  et  surtout 
d'art  mécanique  qui  ne  contienne  un  peu  de 
science  :  il  y  a  peu  de  sciences  qui  n'aboutissent 
à  quelque  application,  c'est-à-dire  à  un  art.  L'a- 
griculture, par  exemple,  est  un  art  qui  dérive  de 
diverses  sciences,  la  botanique,  la  géologie,  la 
physique,  la  chimie  :  de  même,  la  médecine  est 
un  art  qui  met  à  contribution  la  plupart  des  scien- 
ces physiques  et  naturelles. 

Chaque  science  dérive  d'un  art  et  engendre  un 
art.  La  nécessité  de  mesurer  l'étendue  a  engendré 
la  géométrie  ;  la  nécessité  de  mesurer  le  temps 
a  été  le  point  de  départ  de  l'observation  astrono- 
mique ;  les  pratiques  de  la  construction  et  du  trans- 
port des  matériaux  ont  créé  la  mécanique.  Réci- 
proquement, les  sciences  ont  donné  origine  à  des 
arts  nouveaux  :  presque  tous  les  arts  industriels 
des  modernes  sortent  des  spéculations  scientifi- 
ques. 11  est  aussi  imprudent  d'affirmer  qu'une 
science  restera  sans  application  qu'impossible  de 
concevoir  un  système  d'application  où  la  science 
ne  s'introduirait  pas.  Dans  les  beaux-arts  même 
on  trouve  à  la  fois  la  chose  avec  le  nom,  car  l'on  y 
réserve  habituellement  le  nom  de  science  à  tout 
ce  qui  peut  se  réduire  en  règle  ou  en  préceptes. 
«  L'art  le  plus  idéal,  la  musique,  repose  sur  des 
sciences  telles  que  l'acoustique,  l'harmonie,  qui  ne 
le  cèdent  en  rien,  sous  le  rapport  de  la  précision 
et  de  l'aridité,  aux  mathématiques  pures  —  et  il  y 
repose  tellement  que,  sanselles,  l'homme  le  mieux 
doué  au  point  de  vue  musical  serait  incapable 
d'écrire  le  morceau  le  plus  vulgaire.  Les  combi- 
naisons stratégiques  et  tactiques  les  plus  auda- 
cieuses de  Napoléon  1°'  reposent  sur  la  science 
la  plus  consommée  de  tous  les  facteurs  qui 
pouvaient  influer  sur  le  succès.  »  (H.  Girard.) 
<<  Il  nous  suffit,  dit  d'Alembert,  d'avoir  trouvé 
quelquefois  un  avantage  réel  dans  certaines  con- 
naissances où  d'abord  nous  ne  l'avions  pas  soup- 
çonné, pour  nous  autoriser  à  regarder  toutes  les 
recherches  de  pure  curiosité  comme  pouvant  un 
jour  nous  être  utiles.  »  La  science  moderne  four- 
nit à  chaque  pas  des  exemples  de  découvertes 
dues  à  la  pure  spéculation,  qui  ont  enfanté 
des  arts  nouveaux.  C'est  ainsi  que  la  galvano- 
plastie  doit    son    existence    à   l'étude  physique 


donc  d'indiquer  la  division  universellement  ad- 
mise et  commune  des  sciences  en  sciences  pro- 
prement dites,  à  savoir  sciences  mathomatiques, 
sciences  physiques  et  sciences  naturiilles,  et  en 
sciences  philosophiques  et  historiques. 

Les  sciences  proprement  dites  font  la  matière 
de  l'enseignement  des  facultés  des  sciences.  Les 
sciences  philosophiques  et  historiques,  dans  I  or- 
ganisation de  notre  enseignement  français,  lont 
retour  aux  facultés  des  lettres.  , 

Actuellement,  au  point  de  vue  pedagogiqiie_,  les 
sciences  sont  divisées  en  trois  sections  :  mathéma- 
tiques, physiques  et  naturelles.  Au  point  de  vue 
philosophique,  ces  trois  sections  ne  forment  en 
somme  que  deux  catégories  distinctes  :  celle  des 
sciences  abstraites,  c'est-à-dire  des  sciences  ma- 
thématiques ;  celle  des  sciences  de  la  nature,  c  est- 
à-dire  physiques  et  naturelles.  Difléronce  de  but, 
de  méthode,  de  rôle  dans  l'éducation,  et  dans  le 
développement  de  l'esprit  humain,  d  influence 
dans  le  passé  et  dans  l'avenir,  tout  les  sépare. 

Caractères  differenlieU  des  sciences  phxjsiques 
et  naturelles  d'avec  les  sciences  mathématiques. 
—  L'objet  des  sciences  de  la  nature,  c  est  la  nature 
même   avec   ses    phénomènes  :  cet  objet  a   une 


SCIENCE 


—  2005 


SCIENCE 


réalité  extérieure.  L'objet  dos  sciences  matlicma- 
tiques  ou  abstraites,  ce  sont  les  idées  de  nombre 
et  d'étendue.  «  L'ensemble  do  tous  les  rapports 
nécessaires  qui  dérivent  de  la  nature  des  nombres 
forme  la  science  des  nombres,  Yalgorithmie.  L'en- 
semble des  rapports  nécessaires  qui  dérivent  de  la 
nature  de  l'étendue  forme  la  science  de  l'étendue, 
qu'on  appelle  aussi  géométrie.  Ces  deux  sciences 
réunies  constituent  les  matliématiques  pures.  » 
(Duhamel.)  Il  résulte  delà  que  les  mathématiques 
se  rattachent  au  monde  des  idées  ;  elles  sont  une 
forme  de  logique  ou  de  mctaiihysique,  et  l'on  peut 
observer  h  ce  propos,  comme  le  fait  H.  Girard,  que 
précisément  les  deux  plus  grandes  découvertes 
mathématiques  des  temps  modernes,  le  calcul 
infinitésimal  et  la  géométrie  analytique,  sont  dues 
îi  Leibnitz  et  à  Descartes,  tous  deux  métaphysi- 
ciens. Les  sciences  de  la  nature  replongent 
l'homme  plus  profondément  dans  le  monde  des 
réalités. 

La  méthode  ne  les  distingue  pas  moins.  Les 
sciences  mathématiques  n'emploient  qu'un  cer- 
tain nombre  de  faits  fondamentaux,  axiomes, 
définitions,  fixés  pour  ainsi.dire  par  avance.  Ce  qui 
caractérise  ces  sciences,  c'est  qu'i  partir  de  leur 
point  de  départ  elles  se  développent  par  les  com- 
binaisons successives  et  toujours  renouvelées  do 
ces  mêmes  faits;  en  sorte  que  la  mathématique 
est  la  science  des  formes  infinies  que  l'on  peut 
donner  à  l'expression  des  mômes  idées  fondamen- 
tales. Sa  culture  exige  ou  favorise  le  développe- 
ment, au  moins  dans  un  sens  particulier,  de  la 
réflexion  interne,  de  la  méditation,  des  plus  hautes 
facultés  d'abstraction. 

Les  sciences  naturelles  mettent  en  jeu  plus 
particulièrement  la  faculté  d'observation,  faculté 
éminemment  précieuse  qui  sera  développée  dans 
l'éducation  par  leur  culture  prépondérante.  Leurs 
matériaux  sont  pour  ainsi  dire  au  dehors  de  l'es- 
prit ;  et  celui-ci  doit  craindre  de  défigurer  leur  vérité 
objective  par  les  préjugés,  les  raisonnements,  les 
opérations  qui  lui  sont  propres.  La  méthode  est 
ici  de  ne  s'écarter  jamais  de  la  nature  ou  d'y 
revenir  dès  qu'on  l'a  quittée  un  moment,  ci  On 
saute  trop  vite,  disait  Bacon,  des  faits  particuliers 
aux  principes  généraux;  de  cette  manière  on  n'a 
que  des  notions  anticipées  de  la  nature.  Pour 
arriver  à  une  vraie  connaissance  do  la  nature,  il 
faut  faire  abnégation  de  ces  notions  et  commencer, 
tout  de  nouveau,  à  examiner  les  choses  en  elles- 
mêmes.  » 

On  distingue  quelquefois  encore  les  deux  or- 
dres de  sciences  d'après  leur  degré  de  certitude. 
Les  mathématiques  sont  dites  sciences  certaines, 
sciences  exactes.  11  y  a  peut-être  un  peu  d'exagé- 
ration à  les  opposer,  à  cet  égard,  trop  complote 
ment  aux  sciences  de  la  nature.  La  géométrie 
élémentaire,  considérée  comme  le  modèle  de  la 
perfection  scientifique  depuis  que  Platon  inscrivait 
sur  le  portique  de  l'Académie  :  «  Que  nul  n'entre 
ici  s'il  n'est  géomètre,  u  la  géométrie,  nous  le 
répétons,  a  ses  postulats  avoués  ou  dissimulés, 
des  prolégomènes  d'une  nullité  philosophique  sou 
vent  signalée,  des  démonstrations  presque  in 
exactes  comme  celle  qui  établit  qu'une  tangente  il 
la  circonférence  a  .un  seul  point  commun  avec 
colle-ci.  D'ailleurs,  comme  lo  fait  remarquer 
H.  Girard,  le  postulat  d'Euclide  laisse  subsister 
une  singulière  incertitude  rationnelle  dans  la 
théorie  des  parallèles,  qui  renferme  la  théorie 
de  la  similitude,  qui  contient  elle-même  l'évalua- 
tion des  distances  sidérales  et  terrestres;  on  peut 
croire,  que  le  fondement  réel  de  ces  théories  et  la 
seule  justification  de  leur  point  de  départ  consiste 
dans  la  vérification  expérimentale  fournie  par  les 
mesures  géodésiques.  Quelques  philosophes  ont 
essayé  ainsi,  non  sans  quelque  apparence  de  raison, 
d'établir  que  les  sciences  exactes   que  l'on  croit 


les  plus  certaines  ne  le  sont  pas  plus  que  les 
sciences  de  la  nature,  et  qu'elles  reçoivent  en  réa- 
lité de  l'expérience  los  fondements  de  la  certitude 
qu'on  croit  leur  être  inhérente.  «C'est,  dit  d'Alem- 
bert,  à  la  simplicité  do  leur  objet  qu'elles  sont 
principalement  redevables  de  leur  certitude.... 
L'algèbre,  la  géométrie  et  la  mécanique  sont  les 
seules  que  l'on  puisse  regarder  comme  marquées 
du  sceau  do  la  certitude.  Encore  y  a-t-il,  dans  la 
lumière  que  ces  sciences  présentent  à  notre  esprit, 
une  espèce  de  gradation  et  pour  ainsi  dire  de 
nuance  i\  observer,  o  Si  le  degré  de  certitude  tient 
i  la  complication  do  l'objet,  on  conçoit  qu'elle  dé- 
croisse successivement  on  passant  de  l'ordre  ma- 
thématique à  l'ordre  physique  et  de  là  à  l'ordre 
vital. 

La  marche  des  sciences  de  la  nature,  que  nous  ap- 
pellerons désormais  expérimentales,  n'est  pas  moins 
différente  de  la  marche  des  sciences  spéculati- 
ves, c'est-à-dire  matliématiques.  Dans  le  progrès 
des  sciences  de  la  nature  on  peut  distinguer  avec 
Auguste  Comte  trois  périodes  qui  correspondent 
précisément  aux  trois  époques  de  la  pensée  hu- 
maine, la  période  religieuse,  la  période  métapliy- 
sique,  la  période  scientifique.  Au  commencement 
on  s'explique  les  phénomènes  de  la  nature  par  les 
phénomènes  volontaires.  On  attribue  comme  raison 
aux  faits  la  volonté  d'agents  semblables  à  l'homme, 
ou  mieux  supérieurs  à  l'homme  par  leur  puissance, 
êtres  inconnus,  surnaturels,  dieux  en  un  mot.  Tout 
ce  qui  arrivait  sans  que  les  hommes  y  eussent  part 
eut  son  dieu.  Plus  tard,  dans  une  seconde  période, 
on  reconnaît  l'absurdité  de  ces  fables,  on  voit  que 
les  phénomènes  ont  une  constance  qui  ne  s'ac- 
corde guère  avec  l'arbitraire  de  la  volonté,  et  on 
les  attribue  à  une  cause  mal  déterminée,  force, 
principe,  essence,  expressions  abstraites  qui_  n'é- 
taient pas  des  êtres  réels,  mais  dont  on  raison- 
nait comme  si  elles  l'étaient,  comme  si  elle  eus- 
sent été,  selon  le  mot  de  Turgot,  de  nouvelles 
divinités  substituées  aux  anciennes,  ou,  selon  l'ex- 
pression de  Ravaisson,  des  copies  aff'aiblies  des 
causes  surnaturelles  des  premiers  âges.  Enfin, 
dans  la  troisième  période,  on  recherche  la  seule 
chose  qu'il  soit  possible  de  connaître,  c'est-à- 
dire  dans  quelles  circonstances  physiques  et 
observables  chaque  phénomène  se  produit,  on 
borne  toute  ambition  à  connaître  les  conditions 
déterminées  des  phénomènes,  leur  déterminisme 
comme  dit  Cl.  Bernard,  leurs  lois  naturelles 
selon  Ravaisson,  les  «  uniformités  naturelles  », 
comme  dit  Stuart  Mill  ;  et  cette  dernière  oxpres- 
sion  du  philosophe  anglais  est  peut-être  la  plus 
juste,  car  elle  indique  bien  que  le  seul  résultat 
réel  de  l'investigation  scientifique  est  de  nous 
apprendre  que  telle  chose  ayant  lieu,  telle  autre 
a  lieu  aussi. 

Il  résulte  de  là  que  l'on  peut  confondre  le  pro- 
grès des  sciences  naturelles  avec  la  marche 
mêmes  de  l'esprit  humain  dont  elles  sont  ainsi 
l'instrument,  l'arme  ou  l'outil.  Leur  destinée,  leur 
état  présent,  leur  histoire,  marque  les  destinées 
mêmes  de  l'esprit  humain.  «  J'avais  passé  long- 
temps dans  l'étude  des  sciences  abstraites,  dit 
Pascal  ;  quand  j'ai  commencé  l'étude  de  l'homme, 
j'ai  vu  que  ces  sciences  abstraites  ne  lui  sont  pas 
propres,  et  que  je  m'égarais  plus  do  ma  condition 
en  y  pénétrant,  que  les  autres  en  los  ignorant.  » 
C'est  par  cette  identification  complète  que  les 
sciences  naturelles  méritent  d'être,  au  détriment 
des  mathématiques,  appelées  et  considérées  comme 
les  sciences  par  excellence.  Bacon  a  compris  cette 
vérité,  et  c'est  pour  avoir  déclaré  que  los  vrais  fon- 
dements de  la  science  résident  dans  l'étude  de  la 
nature  que  le  souvenir  de  ce  grand  homme  vit 
dans  la  mémoire  de  la  postérité. 

Mais  s'il  en  est  ainsi,  si  véritablement  l'axe  de 
la  science   s'est   déplacé  et   si    aujourd'hui   les 


SCIENCE 


—  2006  — 


SCROFULARIEES 


sciences  de  la  nature  ont  remplacé  comme  instru- 1 
ment  de  progrès  les  sciences  abstraites  ou  scien- 
ces métaphysiques,  il  semble  qu'elles  devraient 
avoir  une  part  prépondérante  dans  l'éducation.  Il  i 
n'en  est  rien.  Dans  notre  pays,  jusqu'à  ces  der-  i 
nières  années,  le  préjugé  mathématique  a  do- 
miné, et  les  sciences  abstraites  ont  eu  la  part  | 
léonine  dans  l'enseignement.  Cette  erreur  serait  i 
funeste  si  elle  se  prolongeait  trop  longtemps. 
Trop  d'intelligences  sont  exclusivement  tournées  ; 
vers  les  sciences  spéculatives  ;  trop  d'esprits  dans 
nos  lycées  sont  dirigés  vers  un  ordre  do  travaux 
qui  n'aura  pas  pour  résultat  de  développer  les 
hautes  et  exceptionnelles  facultés  d'abstraction, 
mais  aura  certainement  pour  etiet  d'étioler  les 
précieuses  facultés  de  l'observation,  et  de  faire 
dos  sujets  qui,  sans  avoir  pris  la  haute  habitude 
de  regarder  en  eux-mêmes,  auront  perdu  celle  de 
regarder  au  dehors.  Cette  erreur  est  entrete- 
nue, il  ne  faut  pas  le  dissimuler,  par  le  régime 
traditionnel  et  indestructible  de  nos  grandes 
écoles,  particulièrement  l'Ecole  polytechnique  ou 
même  l'Ecole  normale,  fondées  en  un  temps  où  l'é- 
clat des  mathématiques  les  fit  identifier  à  tort 
avec  la  science  même  totale  et  absolue.  Il  y  a 
d'ailleurs  des  raisons  de  second  ordre  qui  entre- 
tiennent cet  état  de  choses  :  la  difficulté  de  ces 
sciences,  leur  sincérité  parfaite,  entendue  en  ce 
sens  qu'elles  ne  permettent  ni  à  pou  près,  ni  trom- 
perie et  qu'il  faut  vraiment  les  comprendre  pour 
les  apprendre,  tous  ces  caractères  en  font  des 
instruments  précieux  pour  le  classement  des  mé- 
rites. C'est  peut-être  parce  qu'elles  fournissent 
un  moyen  d'appréciation  ou  de  classement  com- 
mode, pour  les  examens,  facilitant  à  un  haut  de- 
gré la  besogne  du  juge,  qu'elles  conserveront  dans 
l'éducation  de  la  jeunesse  une  part  exorbitante. 
Raisons  infimes,  on  en  conviendra,  lorsqu'on  les 
met  en  balance  avec  les  devoirs  et  les  graves  res- 
ponsabilités imposées  par  cette  condition  si  im- 
portante de  la  vie  sociale,  l'éducation. 

Diviaion  des  sciences.  —  Les  sciences  spécula- 
tives et  naturelles  comprennent  un  grand  nombre 
de  branches  qu'on  ne  peut  faire  connaître  qu'en 
les  énumérant,  car,  ainsi  que  nous  l'avons  dit,  il 
n'y  a  rien  de  fixé  dans  leur  nombre,  leurs  limites, 
leurs  rapports.  On  pourrait  l'appeler  à  propos  des 
sciences  en  général  ce  que  A.  Comte  disait  d'un  de 
leurs  groupes  particulièrement  :  «Elles  n'ont  pas 
été  réellement  divisées  à  proprement  parler,c'est-à- 
dire  d'après  un  examen  direct  et  des  vues  raison- 
nées  ;  leurs  diverses  parties  se  sont  classées  à 
mesure  qu'elles  se  sont  formées,  d'après  l'époque 
de  leur  développement  historique,  sans  aucune 
coordination  réelle.  Il  en  a  été  dans  les  sciences 
comme  dans  la  plupart  des  grandes  villes  qui  se 
sont  formées  peu  à  peu  d'édifices  successivement 
accolés  les  uns  aux  autres  par  laps  de  temps,  et 
sans  se  rattacher  à  aucun  plan  primitif.  »  Le  pro- 
cédé par  énumération  est  donc  le  seul  qui  soit  ap- 
plicable ici.  Les  éléments  de  cette  énumération 
sont  variables  avec  les  temps  et  les  progros;  nous 
emprunterons  les  éléments  de  notre  recensement 
à  l'état  actuel  de  l'enseignement  supérieur  en 
France,  considérant  comme  occupant  une  place 
distincte  tout  système  de  connaissance  qui  est  re- 
présenté par  une  chaire  dans  l'un  des  grands  éta- 
blissements scientifiques,  tels  que  la  Sorbonne, 
le  Collège  de  France,  le  Muséum  d'histoire  natu- 
relle, le  Conservatoire  des  Arts  et  Métiers,  les 
grandes  écoles  de  l'Etat.  On  constituera  aiusi  la 
liste  suivante  : 

I.  Sciences  siATHÉM.iTiQUES. 
1°  MaOïémaiiques  pures  : 
Arithmétique. 

Algèbre  ou  analyse  (calcul  différentiel,  calcul 
intégral,  calcul  des  fonctions). 


Géométrie  ;élémentaire,  supérieure). 
2"  Miitlii.'Diutirjues  app/ir/uces. 

Mécanique  (statique,  cinématique,  dynamique, 

machines). 
Astronomie  (mécanique  céleste). 
Géométrie  descriptive  (stéréotomie, coupe  des 

pierres). 
Métrologie  (géodésie). 
Physique  mathématique. 
Calcul  des  probabilités. 

II.  Sciences  phïsiqces  et  naturelles. 
PhysUjue.  —  Pesanteur.  Hydrostatique. 
Étude  de  la  chaleur.  Magnétisme.    Électricité. 
Acoustique.  Optique.  Thermo-dynamique. 
Météorologie  (physique  du  globe). 
Chimie.  —  Chimie  minérale.  Chimie  organique. 
Thermo-chimie. 

Astronomie  plujsiqite. 
Sciences  natiirelies. 

1°   Zoologie     (Anthropologie.    Mammalogie. 
Ornithologie.  Erpétologie.    Entomologie. 
Malacologie!. 
Anatomie  (A.  comparée.  A.  descriptive.  A. 

générale.  Embryologie). 
Physiologie  {Ph.   comparée.  Ph.  générale. 

Ph.  humaine). 
Botanique  (Cryptogamie). 
Géologie. 
Minéralogie. 
2"  Sciences  naturelles  appliquées. 
Physique  végétale. 
Culture.  Économie  rurale. 
Sciences   médicales  :   Pathologie  interne  et 
externe.   Hygiène.  Thérapeutique.   Phar- 
macie. 
Zootechnie  et  art  vétérinaire. 

[A.  Dastrc.] 
SCnOFi:L.4RIÉUS.     —    Botanique,     Xl.\.     — 
Étym.  :  de  Scrofularia,  nom    latin  de    la  scrofu- 
laire. 

Définition.  —  Famille  de  plantes  angiospermes 
gamopétales  hypogynes  anisostémonées,  apparte- 
nant à  la  classe  des  Personées  de  Brongniart. 

IVous  rattacherons  aux  Scrofulariées  quelques- 
unes  des  autres  familles  de  la  classe  des  Perso- 
nées qui  s'en  rapprochent  le  plus  ;  ce  sont  les 
Vliiculariées,  les  Acanlliacées,  les  Bignoniacées, 
les  Orolicinchées. 

Caractères  botaniques  des  Scrofulariées.  — 
Les  graines  ont  un  tégument  fort  mince  ;  la  sur- 
face de  ce  tégument  semble  chagrinée,  elle  est 
formée  par  les  restes  des  cellules  épidermiques 
externes;  ces  cellules  recouvrent  une  mince  lame 
de  parenchyme  corné  qui  est  tout  ce  qui  reste 
des  téguments  de  l'ovule.  Sous  le  tégumejit  sé- 
minal, on  trouve  un  albumen  abondant,  envelop- 
pant complètement  l'embryon. 

La  racine  est  pivotante  ou  fasciculée;  chei 
quelques  espèces  demi-parasites  (mélampyre,  cu- 
fraise,  rhinanthe),  les  racines  présentent  des  su- 
çoirs qui  s'implantent  dans  les  racines  d'autres 
végétaux,  aux  dépens  desquels  elles  vivent. 

La  tige  est  herbacée  ou  ligneuse,  elle  est  quel- 
quefois velue,  et  quadrangulaire  comme  celle  des 
labiées.  Les  scrofulariées  de  nos  pays  sont  des 
herbes  annuelles  ou  bisannuelles,  et  quelquelois 
vivaces  ;  tantôt  leur  tige,  dressée,  se  ramifie,  comme 
celle  des  mufliers,  des  linaires;  tantôt  cette  tige 
extrêmement  courte  (plantes  bisannuelles)  donne 
une  hampe  florale,  simple  ou  ramifiée,  extrême- 
ment développée  et  cliargéo  de  fleurs  (digitale, 
molène).  D'autres  fois,  la  tige  rampe  h.  la  surface 
du  sol  et  émet,  à  l'aisselle  de  ses  feuilles,  des  inflo- 
rescences qui  se  dressent  verticalement  (véronique 
officinale).  —  Les  scrofulariées  exotiques  sont 
souvent  des  arbres  de  haute  taille,  comme  le 
Vaulomnia. 


SGROFULARIÉES         —  2007 


SCROFULARIEES 


Les  feinllc.i  sont  tantôt  altornes  et  tantùt  op- 
posées; elles  sont  toujours  simples,  dentées  et 
dépourvues  de  stipules;  parfois  leur  pétiole  est 
extrCmeniont  réduit.  Los  feuilles  qui  appartiennent 
à  l'iniloroscenco  sont  ordinairement  plus  petites 
que  celles  de  la  tige  ;  elles  passent  insensiblement 
aux  écailles  qui  protègent  les  fleurs  et  qui  sont 
souvent  diversement  colorées  (molampyre). 

Vinflorcsei'vce  est  une  grappe  simple  (digitale, 
linaire  commune,  muflier,  etc.),  ou  un  ensemble 
de  cymes  diversement  groupées. 

Les  fleurs  sont  liermaplirodites  et  irrégulières; 
leurs  verticilles  externes  sont  construits  sur  le 
type  cinq,  tandis  que  leurs  verticilles  intérieurs 
sont  construits  sur  le  type  deux.  Elles  présentent 
de  l'extérieur  à  l'intérieur  ; 

1"  Un  oa/ice  composé  de  cinq  sépales  inégaux, 
quelquefois  libres  et  souvent  soudes  entre  eux; 
ce  calice  persiste  après  la  floraison  et  protège  le 
fruit. 

2"  Une  corolle  gamopétale  irrégulière  variable 
de  forme.  Ordinairement  elle  est  à  deux  lèvres 
(muflier,  linaire,  mélampyre,  scrofulaire,  etc.). 
Cliez  la  digitale,  elle  a  la  forme  d'un  doigt  de 
gant,  d'où  le  nom  de  Gant  du  Hntre-Duni':  que 
l'on  donne  quelquefois  à  cette  plante.  On  y  dis- 
tingue toujours  cinq  divisions,  excepté  cljez  les 
véroniques,  où  il  n'y  en  a  que  quatre. 

3"  Un  androcée,  composé  do  quatre  étamines 
inégales,  dont  deux  plus  longues  et  doux  plus 
courtes,  ce  qui  s'exprime  en  disant  que  les  quatre 
étamines  sont  didijnames.  Quelquefois,  l'androcée 
se  réduit  à  deux  étamines  (véronique).  Les  filets 
des  étamines  adhèrent  à  la  corolle  par  leur  base. 
Jamais  le  nombre  dos  étamines  n'est  égal  à  celui 
des  lobes  de  la  corolle  ;  c'est  cette  parlicularité 
qui  fait  que  les  scrofulariées  sont  dites  anisosté- 
iifitiées. 

4"  Un  çiynécée  composé  de  deux  carpelles  sou- 
dés en  un  ovaire,  supère,  biloculaire,  surmonte 
d'un  style  terminé  par  un  stigmate  bifide.  Dans 
chaque  loge  de  l'ovaire,  il  y  a  de  nombreux  ovules 
anatropes. 

Le  fruit  est  sec  et  déhiscent;  c'est  une  capsule 
qui  s'ouvre  en  deux  valves  ;  ou  bien  trois  petites 
valves  (valvules)  se  soulèvent,  dans  le  voisinage 
de  son  sommet,  formant  ainsi  trois  orifices  par 
lesquels  s'écliappent  les  graines. 

Usages  des  Scrofulariées.  —  Quelques-unes 
sont  employées  en  médecine.  La  plus  importante 
de  toutes  est  la  Digitale  pourprée  [Gant  de  Notre- 
Dame),  dont  les  feuilles  renferment  un  principe 
vénéneux,  qu'on  a  nommé  diijitaline,  qui  a  pour 
principal  elfet  d'arrêter  les  battements  du  cœur. 
On  emploie  les  feuilles  de  digitale  pour  calmer 
et  régulariser  les  battements  du  cœur,  ce  qui  a 
valu  à  la  plante  le  nom  de  Quinqniîia  du  eœur  ;  on 
les  emploie  aussi  pour  augmenter  la  sécrétion 
urinaire  et  pour  provoquer  une  sueur  abondante. 
La  digitaline  que  l'on  retire  de  ces  feuilles  est 
une  substance  blanche  pulvérulente,  slernuta- 
toire  et  très  vénéneuse,  même  h  petite  dose,  de 
sorte  que  la  médecine  préfère  utiliser  les  feuilles 
réduites  en  poudre,  ou  la  teinture  alcoolique  pré- 
parée avec  ces  feuilles. 

La  Graliole  offlcinale  est  vénéneuse  aussi, 
quoique  un  peu  moins  que  la  digitale.  Les  gens 
de  la  campagne  l'emploient  pour  se  purger;  mais 
elle  occasionne  souvent  des  accidents  graves;  on 
l'appelle  vulgairement  lierbe  à  pauvre  homme. 

Les  fleurs  de  la  Uoléne  ou  Bouillon  btunc  sont 
employées  pour  calmer  la  toux. 

IS Eufraise  officinale,  la  Véronique  officinale. 
le  Ueccaiunga,  la  Grande  Scrofulaire  sont  aussi 
des  plantes  médicinales. 

Les  Mufliers,  les  Linaires,  en  particulier  la  Li- 
naria  cgmbalaria,  les  Digitales  sont  cultivées  dans 
les  jardins  comme  plantés  d'ornement. 


Famille  des  OnoiiANCHÉES.  —  Les  plantes  de 
cette  famille  difl'èrcnt  fort  peu  des  scrofulariées: 
leurs  caractères  botaniques  sont  presque  les 
mômes;  nous  ne  pouvons  signaler  que  deux  diffé- 
rences :  d'abord,  les  Orobanoiiées,  étant  toutes  pa- 
rasites, sont  entièrement  privées  de  chlorophylle, 
et  leurs  racines  sont  toutes  transformées  en  sortes 
de  suçoirs  qui  s'implantent  dans  les  racines  des 
végétaux  dont  elles  sont  les  parasites;  ensuite, 
leur  ovaire  à  deux  loges  présente  des  placentas 
pariétaux,  tandis  que  dans  l'ovaire  dos  scrofula- 
riées les  placentas  sont  axiles. 

Les  orobanchées  iOrobanclie,  Clandestine,  etc.) 
vivent  implantées  dans  les  racines  du  chanvre,  du 
maïs,  du  tabac,  de  la  fève,  du  sainfoin,  de  la  lu- 
zerne, du  trèfle,  etc.,  et  sont  un  véritable  fléau 
pour  l'agriculture.  Autrefois,  quelques-unes  d'en- 
tre elles  étaient  recherchées  comme  plantes  mé- 
dicinales. Aujourd'hui  toutes  sont  abandonnées  et 
avec  raison. 

Famille  des  Iîignoniacées.  —  Les  Bignoniacées 
diffèrent  dos  scrofulariées  par  leurs  graines  qui 
sont  dépourvues  d'albumen  quand  elles  sont  arri- 
vées à  maturité,  et  par  leurs  feuilles  toujours 
composées.  Toutes  les  bignoniacées  ont  quatre 
étamines  didynames.  Les  unes  sont  grimpantes 
ou  sarmenteuses;  les  autres  sont  des  arbres; 
un  petit  nombre  sont  herbacées  ;  elles  habitent 
les  régions  intertropicales,  surtout  l'Amérique. 
Nous  ne  les  utilisons  guère  que  comme  plantes 
d'ornement;  nous  citerons  le  Tcconin  radicuni, 
que  l'on  appelle  aussi  Jasmin  de  Virginie,  et  le 
Cat'ilpii.  Dans  l'Inde  on  cultive  le  Scsotne  pour 
ses  graines  dont  on  retire  une  huile  fort  recher- 
chée comme  aliment,  comme  médicament  et 
comme  cosmétique  ;  on  importe  en  France  une 
notable  quantité  de  graines  de  sésame  dont  l'huile 
est  utilisée  pour  la  fabrication  des  savons. 

Famille  des  Acanthacées.  —  Les  plantes  de 
cette  famille  diffèrent  des  scrofulariées  par  leurs 
graines  dépourvues  d'albumen,  leurs  fouilles  op- 
posées ou  verticiUces,  leurs  ovules  campylotropes; 
elles  habitent  les  régions  intertropicales;  presque 
toutes  sont  herbacées.  Dans  l'Inde,  quelques-unes 
sont  usitées  comme  médicinales  et  d'autres  comme 
tinctoriales. 

Famille  des    Utriculariées.   —  Elles  difl'èrcnt 
des  scrofulariées  : 
I"  Par  leurs  graines  dépourvues  d'albumen; 
2°  Par  leur  androcée  qui  ne  présente  jamais  que 
deux  étamines; 

3°  Par  leur  ovaire  uniloculaire  à  placenta  cen- 
tral libre. 

Les  Utriculariées  {Utriculnire,  Grasiette]  sont 
des  plantes  aquatiques,  vivant  complètement  sub- 
mergées [Utriculnire],  ou  bien  dans  les  marais. 

L' Utriculaire  doit  son  nom  aux  petites  vésicules 
que  présentent  ses  feuilles  et  qui  ont  pour  but 
de  ramener  la  plante  à  la  surface  de  l'eau  à 
l'époquo  de  la  floraison,  parce  que  la  fécondation 
de  ces  plantes,  comme  celle  de  toutes  les  phané- 
rogames, ne  peut  s'effectuer  que  dans  l'air.  Donc, 
au  moment  de  la  floraison,  les  petites  vésicules 
des  feuilles  de  l'utriculaire  qui,  jusqu'à  ce  mo- 
ment, avaient  été  pleines  d'une  sorte  de  mucus, 
sécrètent  de  l'air,  deviennent  de  véritables  vési- 
cules aériennes  et  portent  la  plante  jusqu'à  la 
surface  de  l'eau.  Ces  vésicules  sont  munies  d'un 
opercule  susceptible  de  se  soulever  pour  laisser 
échapper  le  mucus  refoulé  par  l'air  qui  s'accumule 
à  leur  intérieur.  Après  la  floraison,  l'air  est 
chassé  des  vésicules,  et  la  plante  retombe  au  fond 
de  l'eau. 

Les  feuilles  de  la  Grassetle  (Pmguicula  vul- 
gnris)  sont  légèrement  purgatives  et  utilisées  en 
Laponie  pour  faire  cailler  le  lait  des  rennes;  elles 
sont  vénéneuses  pour  les  moutons. 

[C.-E.  Bertrand.] 


SECONDAIRES  (TERRAINS)     —  2008  —     SECONDAIRES  (TERRAINS) 


SCULPTURE.  —  V.  au  SuppUment. 
SECONDAIRES  (TERRAINS).  —  Géologie,  VII. 
—  On  les  appelle  aussi  terrains  mésozciïques .  Ils 
ont  été  divisés  en  quatre  groupes  (l'inférieur  est 
parfois  rattaclié  actuellement  aux  terrains  pri- 
maires), sous  les  noms  de  terrain  permien,  trin- 
sique,  jurassique  et  crétacé.  Les  couches,  origi- 
nairement horizontales  ou  fort  peu  inclinées,  sont 
restées  dans  ces  conditions  dans  les  pays  de 
plaines  et  de  plateaux;  mais  dans  les  chaînes  de 
montagnes  elles  sont  souvent,  comme  celles  des 
terrains  plus  anciens,  relevées,  contournées,  plis- 
sées,  quelquefois  même  verticales. 

En  France  ces  terrains  contribuent  Ji  remplir  les 
grandes  dépressions  qui  existaient  après  le  dépùt 
et  le  bouleversementdes  terrains  primaires:  dansle 
nord,  le  bassin  de  Paris,  entre  l'Àrdenne,  le  noyau 
central  des  Vosges,  le  Plateau  central  et  la  Bre- 
tagne; dans  le  sud-ouest,  le  bassin  de  la  Gironde, 
entre  la  Bretagne,  le  Plateau  central  et  l'axe  cen- 
tral des  Pyrénées;  dans  l'est  et  le  sud-est,  le 
bassin  du  Rhône,  entre  le  Plateau  central  et  les 
divers  noyaux  des  Alpes,  des  Vosges  et  des 
Maures.  La  chaîne  du  Jura  n'existait  pas  alors  et 
n'a  été  formée  que  phis  tard  à  leurs  dépens. 
Des  communications  plus  ou  moins  larges  exis- 
taient entre  ces  trois  bassins  par  Dijon  et  au  N. 
des  Vosges,  par  Poitiers,  parCarcassonne. 

Comme  pour  tous  les  terrains  sédimentaires  ou 
neptuniens,  les  roches  sont  de  trois  sortes  prin-  1 
cipales  :  argileuses,  arénacées  et  calcaires.  Les 
arqiles  sont  le  plus  souvent  facilement  délayables 
dans  l'eau;  lorsqu'elles  sont  plus  ou  moins  endur- 
cies elles  forment  les  ari/ilites;  mélangées  avec 
des  calcaires  elles  donnent  les  marnes  qui  sont 
tendres  et  également  délayables,  et  qui  par  leur 
durcissement  forment  les  tnarnolites.  Les  sables 
restent  meubles  ou  donnent  des  grès  plus  ou 
moins  durs;  les  uns  et  les  autres  peuvent  être 
mélangés  avec  de  l'argile  ou  du  calcaire  ou  de  la 
marne  ;  les  grès  argileux  durs  sont  appelés  psam- 
mites  et  les  grès  marneux  durs  inacigno.  Les 
calcaires  sont  habituellement  jaunes-brunâtres 
ou  blancs,  tantôt  grossiers,  tantôt  compacts,  par- 
fois oolithiques  ou  à  grains  cristallins  occasionnés 
par  des  débris  de  corps  organisés  fossiles.  Les 
végétaux  enfouis  dans  les  argiles  ont  donné  par 
leur  décomposition  plus  ou  moins  complète  des 
charbons  bitumineux  ou  se  rapprocliant  davantage 
de  la  nature  du  bois,  les  ligniies. 

Dans  le  Languedoc  et  la  Provence  ou  région 
méditerranéenne,  les  calcaires  sont  généralement 
plus  compactes  et  plus  durs.  Dans  les  .\lpes  et 
les  Pyrénées,  les  diverses  sortes  de  roches 
prennent  les  caractères  minéralogiques  de  celles 
des  terrains  primaires;  aussi  ont-elles  été  pendant 
longtemps  rapportées  à  ceux-ci,  d'autant  plus 
facilement  que  les  fossiles  n'y  sont  pas  fréquents. 
Pendant  Y  époque  primaire  ou  de  transition,  notre 
globe  appartenait  aux  êtres  qui  vivent  dans  les  eaux, 
mais  surtout  aux  crustacés  et  aux  poissons;  pen- 
dant l'époque  secondaire,  il  va  appartenir  aux 
reptiles.  Les  êtres  de  cette  classe  revêtiront  des 
dimensions  étonnantes  et  se  multiplieront  singu- 
lièrement :  ils  seront  les  rois  de  la  terre.  Mais 
en  môme  temps  la  végétation  perdra  beaucoup  de 
sa  puissance. 

Terrain  permien.  —  Ce  terrain  a  été  nommé 
ainsi  parce  qu'il  est  très  développé  dans  le  gou- 
vernement de  Perm  en  Russie;  il  était  connu 
précédemment  sous  le  nom  de  terrairi  pénéen, 
c'est-à-dire  pauvre  (en  minerais  métalliques).  Quel- 
quefois il  est  appelé  dyas  parce  qu'il  se  divise  en 
deux  étages. 

Le  terrain  pénéen  de  la  Thuringe,  qui  a  été 
considéré  comme  le  type  de  ce  groupe,  est  formé 
par  trois  assises  où  dominent  successivement  les 
roches  quartzeuses,  scliisteuses  et  calcaires. 


L'assise  inférieure,  appelée  roth  todtliegende, 
est  formée  de  grès  et  de  poudingues  de  couleur 
rouge  et  sans  minerai  de  cuivre.  Les  fossiles  y 
sont  excessivement  rares.  L'assise  moyenne  est 
surtout  formée  par  le  kupferschi'fer,  ou  schiste 
marno-bitumineux,  noir,  imprégné  de  sulfures  de 
cuivre  et  de  fer  en  quantité  assez  notable  pour 
que  cent  parties  de  roche  donnent  quelquefois 
trois  parties  de  cuivre,  duquel  on  retire  environ 
1/2  pour  100  d'argent.  Cet  étage  est  très  remar- 
quable par  ses  fossiles,  dans  lesquels  figurent  le 
t'rolorosaurus  Speneri,  plusieurs  espèces  de  pois- 
sons, des  coquilles,  des  fucoîdes,  etc.  L'assise 
supérieure  est  surtout  formée  par  des  calcaires 
magnésiens,  bruns,  durs  et  friables,  dont  le  prin- 
cipal porte  le  nom  de  zechslein.  Il  renferme  des 
veines  et  des  grains  de  calcaire  cristallin  et  de 
gyjise,  des  sulfures  et  des  carbonates  do  cuivre. 
Il  se  distingue  des  autres  par  la  présence  de  fos- 
siles. L'espèce  la  plus  abondante  est  le  Productics 
/lorri'lus.  ^  _  - 

Dans  les  Vosges,  le  terrain  permien  se  divise 
en  deux  étages  bien  distincts  :  l'étage  inférieur 
ou  grès  rouge  est  formé  sur  plus  de  120  mètres 
d'épaisseur  par  des  conglomérats  porphyriques  sur 
lesquels  viennent  des  grès  grossiers  rouge-foncé 
à  taches  jaunes  ou  gris-bleuâtres  qui  alternent 
avec  des  schistes  argileux;  îi  la  partie  supérieure 
il  y  a  des  couches  subordonnées  de  calcaire  ma- 
gnésien grisâtre,  avec  noeuds  d'agate  rouge.  L'é- 
tage supérieur  ou  grès  des  Vosges  atteint  500  mè- 
tres d'épaisseur  à  Raon  l'Étape  ;  il  est  composé  de 
grès  grossiers,  le  plus  souvent  rouge-brique, 
quelquefois  violets  ou  jaunâtres,  qui  contiennent 
de  nombreux  galets  arrondis,  de  0'°,02  à  0°',20,  de 
quartzite  grossier  gris-rougeâtre,  de  quartz  blanc 
et  de  phtanite  noir  des  terrains  de  transition.  Il 
forme,  il  l'O.  du  massif  ancien  des  Vosges,  une 
rangée  continue  de  montagnes  à  couches  horizon- 
tales qui  se  réunissent  en  un  grand  plateau  de 
largeur  variable  atteignant  lOlO  mètres  au  Donon 
et  s' abaissant  de  manière  à  ne  plus  présenter  à 
Saverne  qu'une  altitude  de  428  mètres.  A  l'E.  et 
à  l'O.  ce  plateau  est  limité  par  des  failles  paral- 
lèles. Il  constitue  une  grande  partie  du  Sclnvarzwald 
ou  Forêt-Noire  à  l'est  de  la  vallée  du  Rhin. 

Le  terrain  permien  de  la  Russie  occupe  un 
espace  immense  dans  l'Est,  où  il  a  été  reconnu 
par  Murchison,  de  Verneuil  et  de  Keiserling.  Il 
forme  une  plaine  ondulée  et  ses  couches  viennent 
s'appuyer  sur  le  pied  de  l'Oural.  Il  est  composé 
de  grès  ordinairement  rouges,  de  calcaires  blancs 
et  grisâtres,  ainsi  que  de  grandes  masses  de  gypse 
blanc  et  de  sel  marin  qui  se  trouve  dans  la  partie 
inférieure.  Beaucoup  de  ces  grès  sont  assez  itn- 
prégnés  de  pyrite  cuivreuse  pour  être  exploités 
comme  minerai  de  cuivre.  Leur  altération  a  pro- 
duit les  belles  malachites  de  Russie  et  même  du 
cuivre  métallique. 

La  flore  permienne  no  présente  qu'une  sorte 
de  résidu  de  la  période  précédente  déjà  privée  de 
la  plupart  de  ses  genres  les  plus  caractéristiques 
et  rappelant  surtout  les  couches  les  plus  récentes 
du  terrain  houiller. 

Terrain  triasique.  —  Il  a  été  ainsi  nommé  parce 
qu'il  comprend  trois  étages  distincts,  le  grès  bi- 
garré, le  ?Husc/ie/An/A  (c'est-à-dire  .c  calcaire  à  co- 
quilles 11),  et  les  marnes  irisées.  Il  est  souvent  aussi 
appelé  terrain  salifère  ou  muriatifère,  à  cause  des 
gîtes  considérables  de  sel  gemme  qu'il  renferme. 
Le  grès  bigarré  est  un  grand  dépôt  do  grès  ar- 
gilifère,  avec  mica  argentin,  ayant  le  grain  plus  fin 
et  l'aspect  plus  terreux  que  le  grès  des  Vosges, 
dont  il  se  distingue  encore  par  l'absence  presque 
complète  des  galets  quartzeux  si  abondants,  et  la 
présence  d'empreintes  végétales  si  rares  dans  ce 
dernier.  Les  couleurs  y  sont  disposées  par  bandes 
parallèles.  Les  couches  inférieures  sont  épaisses, 


SECONDAIRES  (TERRAINS)    --  2009  —     SECONDAIRES  (TERRAINS) 

d'un  gris-rougcàtro  ou  jaunâtre,  le  plus  souvent 
d'un  rouge  amarante,  avec  quelques  paillettes  de 
mica,  dos  noyaux  aplatis  d'argile  bleu.ltre  ou  ver- 
dàtre  et  quelques  rares  galets  de  quartz  arraches 
probablement  au  grès  des  Vosges.  On  les  exploite 
partout  pour  pierres  de  taille  ;  c'est  de  Soulz-les- 
Bains  qu'on  a  extrait  les  pierres  à  bâtir  pour 
Strasbourg  et  sa  cathédrale  ;  les  couches  moyennes 
schistoîdes  assez  fortement  micacées  sont  bleues, 
jaunes  ou  rouge-amarante;  on  les  exploite  pour 
faire  des  meules  h  aiguiser.  A  Domptail  (Vosges), 
il  y  a  un  petit  lit  contenant  de  nombreux  moules  de 
coquilles  univalves  et  bivalves  ;  h  Soulz-les-Bains, 
ce  grès  renferme  un  grand  nombre  d'empreintes 
végétales.  Les  assises  supérieures,  très  micacées 
et  très  fissiles,  donnent  dos  dalles  pour  les  toi- 
tures et  le  pavage  ;  le  plus  souvent  cependant 
«lies  sont  friables,  i  feuillets  contournés,  et  passent 
à  des  argiles  sableuses  employées  pour  faire  des 
briques. 

Le  muschelknlk  se  compose  inférieurement  de 
calcaires  compactes  gris  de  fumée,  unis  ou  à.  vei- 
nules jaunes  ou  grises,  à  cassure  conchoîde, 
quelquefois  subgreiiue  ou  terreuse,  en  couches  de 
O^i'i  à  0",5  d'épaisseur,  séparées  par  des  lits  d'ar- 
gile ;  ils  contiennent  de  nombreux  fossiles,  surtout 
le  Terebratula  vulgaris  et  YEncrimis  moniUfor- 
mis  ;  il  y  a  aussi  des  lits  de  silex.  A  la  base  se 
trouvent  quelquefois  des  calcaires  magnésiens, 
tantôt  remplis  d'encrines  et  tantôt  subgrenus  sans 
fossiles;  à  Sierk,  il  y  a  des  couches  oolitliiques 
blanches.  La  partie  supérieure  est  formée  par  des 
argiles  feuilletées  grises,  jaunes  ou  vertes,  quel- 
quefois blanches,  employées  dans  les  faïenceries, 
alternant  avec  des  calcaires  gris-jaunâtre  à  cassure 
terreuse,  souvent  magnésiens,  avec  coquilles  et 
ossements  de  reptiles,  donnant  de  bonne  chaux 
hydraulique. 

Les  marnes  irisées  se  composent  d'alternances 
nombreuses  d'argiles  vertes,  gris-bleuàtre  ou  lie 
de  vin,  se  dilatant  à  l'air  en  fragments  anguleux 
non  schistoîdes.  Ci  et  là  il  y  a  de  minces  couches 
de  calcaire  grossier  caverneux.  Lin  peu  au-dessous 
il  y  a  des  lits  d'argile  noire  et  de  psammite  mi- 
cacé, rouge-amarante  ou  bleuâtre  avec  empreintes 
végétales,  au  milieu  desquels  il  y  a  à  Noroy 
(Vosges)  une  couche  de  (i^^TO  à.  1  mètre  de  lignite 
compacte  terne,  pyriteux,  donnant  lieu  à  quatre 
concessions,  d'une  étendue  de  10  204  hectares,  qui 
ontdonné,  on  1842,  3949iquintauxdecombustiblo. 
Dans  la  Haute-Saône  il  y  a  cinq  concessions  dont 
l'étendue  est  de  G919  hectares,  et  dont  la  produc- 
tion,   en   1842,  a  été    de   tiO  112    quintaux.    C'est 

également  dans   cette  partie    inférieure    que  se 

trouvent  les  couches  de  sel  gemme  qui  ont   été 

reconnues  au  nombre  de  douze  k  Vie  (Meurthe),  et 

dont  l'épaisseur  totale  est   de  75  mètres  sur  une 

épaisseur  traversée  de  110  mètres  (les  70  mètres 

supérieurs  n'en  renferment  pas).  Le  sel  est  gris 

ou  verdâtre,  rose  ou  blanchâtre,  le  plus  souvent 

compact,   quelquefois    fibreux.  Vie  et  Dieuze,  les 

deux  localités  principales  où  l'on  exploite  le  sel 

gemme,  se  trouvent  placés  au  milieu  d'un  bassin 

de  marnes  irisées,  limite  de  tous  côtés,   excepté 

h  l'ouest,  par  le  rauscheikak.  La  quantité   de  sel 

extraite  en  1842  d'une  mine  et  d'une  source  salée 

s'est  élevée   à   327  130  quintaux.  Dans  la  moitié 

supérieure,  il  y  a  aussi  quelquefois  des  amas  gyp- 

seux  et  des  nodules  siliceux. 
Le  terrain  triasique,   très  développé,  surtout  k 

l'ouest  des  Vosges,  paraît  y  atteindre  une  épaisseur 

moyenne  de  C.'>0  mètres,  savoir:  ■2;,0  mètres  pour 

le   grès  bigarré,  l.iO  mètres  pour  le  muschelkalk 

et  2.')0  mètres  pour  les   marnes  irisées  à  l'est  de 

la  Foret-Noire.   En  Wurtemberg  le  terrain  triasi- 

que  diffère  en  ce    qu'il   renferme  des   assises  de 

sel  gemme  au  sein  du  grès  bii;arré  et  du  mus- 
chelkalk, et  en  ce  que  l'étage  supérieur  est  formé 


par  des  psammitos  alternant  avec  des  argiles 
auquel  on  donne  le  nom  de  Keuper,  et  offre  des 
bancs  de  lignite  exploité  en  plusieurs  endroits. 
Le  terrain  triasique,  des  Vosges  surtout,  pré- 
sente de  nombreux  corps  organises  dans  certaines 
couches.  Le  grès  bigarré,  notamment  à  Soulz-les- 
Bains  et  à  Domptail,  a  présenté  cinquante  espè- 
ces :  des  sauriens  ;  des  poissons  ;  vingt-cinq 
mollusques,  vingt-deux  végétaux  ainsi  répartis  : 
huit  conifères,  cinq  monocotylédones,  six  fougè- 
res, et  trois  équisétacées.  Le  muschelkalk,  ex- 
trêmement riche  à  Lunéville,  y  offre  cent  qua- 
rante espèces  :  dix  sauriens,  trente-cinq  poissons, 
deux  crustacés  ;  quatre-vingts  mollusques  ;  six 
radiaires  ;  sept  végétaux.  Les  marnes  irisées  sont 
partout  très  pauvres;  on  n'y  connaît  que  sept  ou 
huit  espèces  de  mollusques. 

Dans  les  Pyréml'es,  le  terrain  triasique  se  trouve 
dans  la  partie  occidentale  de  la  chaîne,  dont  il 
forme  la  crête  :  il  constitue  aussi  une  bande  assez 
longue  à  Saint-Girons  (Ariège).  11  est  composé  à 
sa  partie  inférieure  de  poudingues  grossiers  à 
fragments  de  granité,  de  micaschiste,  de  quartz, 
de  phtanite  et  de  calcaire,  et  à  ciment  argilo-sa- 
blonneux  rouge.  Par-dessus  viennent  des  psam- 
mites  grisâtres  ou  jaunâtres,  le  plus  souvent 
rouge-brunâtre  avec  mica  blanc,  i  grains  fins 
quelquefois  grossiers  ;  ils  contiennent  des  couches 
intercalées  d'autres  psammites  schistoîdes  rouge 
brun  avec  mica  blanc  à  grains  très  fins.  Il  y  a 
aussi  quelques  couches  de  calcaire  compacte 
gris.  Dans  plusieurs  endroits  il  y  a  de  la  pyrite 
cuivreuse  disséminée  et  des  filons  do  fer  carbo- 
nate et  de  bai'yte  sulfatée. 

Sur  le  pourtour  des  Vosges  le  terrain  triasique 
forme  une  zone  continue  à  la  base  de  l'île  élevée 
formée  par  le  terrain  ancien  et  le  grès  des  Vosges. 
En  Lorraine,  il  forme  une  vaste  plaine  argileuse, 
humide,  à  couches  légèrement  inclinées  à  l'ouest, 
composée  de  proéminences  arrondies,  qui  atteint 
411  mètres  à  liitche  et  583  mètres  à  Bruyères  et 
qui  reste,  comme  on  voit,  de  beaucoup  inférieure 
au  plateau  du  grès  des  Vosges. 

Terrain  jurassique.  —  Le  terrain  jurassique, 
dont  la  partie  inférieure  porte  le  nom  de  lias,  a 
été  ainsi  nommé  parce  qu'il  forme  presque  h  lui 
seul  la  chaîne  du  Jura,  tant  en  Eranco  qu'en 
Suisse.  En  Angleterre  il  est  désigné  sons  le  nom 
de  terrain  oolithique,  par  suite  de  la  texture  con- 
crétionnée,  imitant  un  amas  d'œuls  de  poisson, 
que  possèdent  diverses  assises  calcaires.  Il  pré- 
sente des  compositions  et  des  apparences  bien 
différentes  :  d'une  part  dans  les  bassins  de  l'Eu- 
rope septentrionale,  où  les  calcaires  ont  des  cou- 
leurs claires  et  où  la  stratification  est  presque 
horizontale,  excepté  dans  le  Jura  ;  et  d'autre  part, 
dans  les  pays  dépendant  du  bassin  de  la  Méditer- 
ranée, où  les  calcaires  ont  des  couleurs  foncées 
et  où  la  stratification  est  fort  souvent  boulever- 
sée, il  est  divisé  en  quatre  étages  principaux,  le 
lias,  et  les  oolilhes  inférieure,  moyenne  et  supé- 
rieure. En  France  il  présente  une  disposition  très 
remarquable  par  rapport  au  groupe  primitif  du 
Plateau  central  et  h  la  plaine  tertiaire  du  bassin 
de  Paris.  Ces  deux  régions  sont  entourées  cha- 
cune d'une  ceinture  jurassique  à  peu  près  conti- 
nue qui  a  la  forme  d'un  8  ouvert  par  en  haut.  La 
boucle  inférieure  ou  méridionale  circonscrit  un 
massif  proéminent  principalement  granitique, 
tandis  que  la  boucle  supérieure  ou  septentrio- 
nale, formant  le  contour  d'un  bassin  dont  Paris 
occupo  le  centre,  est,  en  grande  partie,  plus 
élevée  que  le  remplissage  plus  récent  de  ce 
bassin. 

Le  lias  commence  par  le  calcaire  à  grypiiiles, 
formé  d'alternances  nombreuses  d'argiles  et  de 
calcaires  argileux,  gris-bleuâtre  ou  noirâtres,  don- 
nant d'excellente  chaux  hydraulique  et  contenant 


SECONDAIRES  (TERRAINS)     —2010—     SECONDAIRES  (TERRAINS) 


en  abondance  la  Gri/piien  arcuata  ;  sur  quel- 
ques points  il  y  a  de  la  baryte  sulfatée  dissé- 
minée. Entre  la  Saône  et  la  Loire,  au  contact 
du  terrain  primitif  du  Plateau  central,  il  y  a,  à  la 
base,  dos  arkoses  et  des  psaraniites  souvent  cal- 
caires. Au-dessus  viennent  les  argiles  et  marnes 
à  bclemmtes,  qui  sont  schisteuses,  gris-bleuàtre, 
micacées,  souvent  bitumineuses  et  pyriteuses, 
avec  rognons  de  calcaire  compacte  et  lits  de  cal- 
caire fibreux  ;  elles  sont  souvent  employées  pour 
l'amenderaent  des  prairies  ariiflciclles,  surtout 
après  leur  incinération.  Les  fossiles  sont  des 
ossements  de  Ptesiosaunis  et  d'I-s/it/iyosaiinis  et 
diverses   Bélemnites,  Ammonites,  Grypbées,  etc. 

Voolithe  infcrieuie  commence  par  des  calcaires 
grossiers,  jaunes,  roussàtres  ou  tacliés  (uo/illie  fer- 
rugineuse),  avec  des  Bélemnites,  Ammonites,  Téré- 
bratules,  etc.,  et  de  nombreux  Polypiers.  En  Bour- 
gogne, il  y  a  de  nombreux  débris  de  Penlucri-.us 
qui  ont  fait  donner  à  ce  terrain  le  nom  de  cakaire 
à  entioques.  A  Hayange  (Moselle  ,  on  exploite 
des  coucbes  argileuses  avec  de  nombreux  grains 
de  fer  liydroxydé  et  silicate  donnant  un  minerai 
employé  avec  avantage.  Au-dessus  viennent  des 
argiles  gris-verdàtrej  remplies  d'Uitrea  acumi- 
nata,  avec  bancs  de  calcaire  argileux,  puis  la 
<i  grande  oolitlie  »,  formée  de  calcaires  oulitbiques 
jaunàti-es  ou  bleuâtres  souvent  grenus,  avec  Tcre- 
bratulii  cUyona  et  quelques  autres  fossiles.  Dans 
les  Ardennes  ces  doux  derniers  étages  sont  rem- 
placés par  des  calcaires  blancs  compactes  ou  ooli- 
tUiques,  avec  diverses  espèces  de  iVérinées. 

h'oo/U/ie  mnyenne  commence  par  des  argiles 
fort  épaisses,  grises  ou  verdàlres,  exploitées  pour 
de  nombreuses  tuileries  et  pour  l'amendement 
des  terres,  alternant  inférieurement  avec  quel- 
ques lits  de  lumachelle  et  supérieurement  avec 
des  calcaires  marneux  jaunâtres,  ou  des  bancs 
d'une  roche  argilo-siliceuse  grise  à  fossiles  son- 
vent  silicifiés.  Dans  le  Jura  et  la  Bourgogne  orien- 
tale, il  y  a  des  noyaux  de  silex  ou  de  calcaire 
siliceux  appelés  duiilks  ou  iphériies.  Les  fos- 
siles souvent  abondants  et  siliceux  sont  les  sui- 
vants :  Plésiosaures,  Bélemnites,  Ammonites,  Gry- 
pliées.  Oursins,  etc.  A  la  base,  à  Is-sur-Tliil  et  k 
Chatillon  (Côte  d'Or),  à  Poix  (Ardennes),  il  y  a  des 
couches  de  fer  hydroxydé  oolithique  avec  de  nom- 
breux fossiles.  A  la  partie  supérieure,  on  exploite 
des  minerais  de  fer  semblables  h.  Launoy  (Arden- 
nes); les  fossiles  y  sont  siliceux  et  très  abondants. 
Au-dessus  vient  lu  calcaire  coi-olUeii  ou  coial-rag, 
formé  inférieurement  par  des  calcaires  oolithiques 
blanchâtres  renfermant  des  i4/>/û.nVi«s  et  des  Po- 
lypiers qui  les  forment  quelquefois  entièrement. 
Les  Polypiers  sont  au  nombre  de  plus  de  quatre- 
vingts  espèces.  La  partie  moyenne  est  formée  de 
nombreuses  alternances  de  calcaires  blancs,  soit 
compactes  ou  crayeux,  soit  oolithiques,  renfermant 
surtout  des  Nérinées.  La  partie  supérieure  est 
occupée  par  des  alternances  de  marnes  blanchâ- 
tres et  de  calcaires  compactes  souvent  remplis 
à'Exogiira  bruntuiana,  à'Astarte  miniina,  etc. 

L'oulit/ie  supéneure  commence  par  les  aigilei 
hhiiméridiennes,  qui  sont  grises  et  alternent  avec 
des  lits  de  lumachelle  presque  entièrement  for- 
més â'Exogyyu  virgula;  il  y  a  aussi  quelques 
couches  d'argile  bitumineuse  brune.  Au-dessus 
viennent  les  calcaires  poHlaiidiens,  qui  sont  com- 
pactes, quelquefois  à  oolithes  fines,  alternant  avec 
des  lits  de  marnes  blanches,  et  près  de  Bar-le- 
Duc  avec  quelques  couches  de  calcaire  magné- 
sien et  de  calcaire  jaunâtre  ù  oolithes  celluleuses. 
Les  fossiles  sont  surtout  des  mollusques. 

Dans  les  Alpes,  le  terrain  jurassique  a  un 
/'iicîe.f  particulier  qu'il  possède  aussi  dans  les 
Pyrénées.  Les  couches  qui  s'y  trouvent  ne  pa- 
raissent représenter  que  les  trois  étages  infé- 
rieurs ;  mais  on  n'y  reconnaît  pas  les  nombreuses 


subdivisions  qui  existent  dans  les  autres  régions, 
quoique  leur  ensemble  ait  souvent  plus  de 
1  5U0  mètres  d'épaisseur.  La  partie  inférieure,  qui 
correspond  au  lias,  se  compose  de  marnes  et  de 
calcaires  compactes  noirs  ou  gris  foncé  en  cou- 
ches très  épaisses,  avec  rognons  de  silex  noir, 
exploités  quelquefois  comme  marbre.  Au-dessus 
il  y  aune  longue  série  de  schistes  argilo-calcaires, 
de  marnes  et  de  calcaires,  noirs  ou  gris,  en  cou- 
ches peu  épaisses,  fréquemment  ondulées,  avec 
pyrite.  La  partie  supérieure  est  formée  par  une 
assise  do  calcaire  compacte  gris  foncé  de  80  mè- 
tres d'épaisseur,  qu'on  rapporte  au  coral-rag. 

Les  calcaires  des  divers  étages  présentent  de 
nombreux  accidents  ;  tantôt  ils  sont  cellulaires  à 
cavités  remplies  de  poussière  grise  argileuse,  et 
son t  appelés  carçîiezfte;  tantôt  ils  sont  magnésiens, 
et  tanlôt  encore  ils  sont  transformes  par  places 
en  anhydrite  et  en  gypse,  présentant  quelque- 
fois des  indices  de  slratiticalion  et  qu'on  ex- 
ploite sur  un  grand  nombre  de  points.  Le  sol 
offre  des  teintes  jaunes  ou  lie  de  vin  autour  de 
ces  amas  de  gypse,  qui  passent  insensiblement 
aux  roches   non  altérées. 

Les  caractères  paléontologiques  les  plus  appa- 
rents sont  relatifs  aux  vertébrés  et  aux  mollus- 
ques céphalopodes.  Les  premiers  sont  plus  variés 
que  dans  la  période  précédente  ;  on  trouve  de 
nombreux  reptiles,  dont  les  uns  sont  remarqua- 
bles par  leurs  formes  très  différentes  de  celles 
du  monde  actuel,  tels  que  les  Ichti/osaitres,  les 
Plészosuwei,  les  Ptérodactyles,  etc.  ;  d'autres  par 
une  taille  gigantesque,  comme  Ylgunnodon.  Quel- 
ques oiseaux  et  même  quelques  mammifères 
ont  déjà  apparu  à  cette  époque  ;  mais  les  rares 
fragments  de  cette  dernière  classe  appartiennent 
tous  à  l'ordre  des  didelplios  ;  on  n'a  encore  dé- 
couvert, dans  les  terrains  de  cette  période,  au- 
cune trace  do  mammifères  monodelphes. 

Les  caractères  essentiels  de  la  flore  du  lias 
sont  :  I"  la  grande  prédominance  des  Cycadées, 
déjà  bien  établie,  et  la  présence  de  genres  nom- 
breux dans  cette  famille,  et  surtout  des  Zamites 
et  J\'uso)ii(i;  2"  l'existence  parmi  les  fougères  de 
beaucoup  de  genres  à  nervures  réticulées,  qui  se 
montraient  à  peine,  et  sous  des  formes  peu  va- 
riées, dans  les  terrains  plus  anciens  :  tels  sont  les 
Camptopteris,  les  Thaumatopteris  et  les  Ph!e- 
bopteris. 

Les  formes  du  sol  occupé  par  le  terrain  jurassi- 
que sont  très  variées,  puisque  d'une  part  il  oc- 
cupe une  place  très  considérable  dans  les  cliaînes 
des  Alpes  et  du  Jura,  et  que  d'autre  part,  en 
assises  faiblement  inclinées,  il  forme  les  pla- 
teaux et  les,vallées  plus  ou  moins  profondes  de  la 
Lorraine,  de  la  Bourgogne,  du  Haut-Poitou  et  du 
Quercy.  Quant  à  la  végétation,  les  parties  cal- 
caires sont  employées  à  la  culture  des  céréales  ; 
les  parties  argileuses  donnent  des  prairies  ;  les 
parties  défectueuses  des  unes  et  des  autres  sont 
couvertes  de  bois. 

Terrain  crétacé.  —  Ce  terrain  a  été  ainsi 
nommé,  parce  qu'il  comprend  les  calcaires  ten- 
dres blancs  appelés  craie  en  Champagne  (Marne 
et  Aube)  ;  les  falaises  blanches  que  cette  roche 
forme  sur  les  rives  de  la  Manche  ont  aussi  occa- 
sionné le  nom  ii'Albion  donné  par  les  anciens  à 
celte  partie  de  l'Angleterre.  Il  présente  dans  le 
nord  et  le  midi  de  l'Europe  deux  faciès  corres- 
pondant h  ceux  du  terrain  jurassique.  En  France, 
il  forme  deux  bassins  :  celui  du  nord,  qui  com- 
prend la  Champagne  et  la  Neustrie,  et  celui  du 
sud,  comprenant  les  terrains  qui  dépendent  des 
bassins  hydrographiques  de  la  Garonne  et  du 
Uhône.  11  est  divisé  en  trois  étages  principaux:  le 
ncocomie/i,  ainsi  nommé  de  Xeuchàtel  (Seocomum) 
en  Suisse,  où  ce  terrain  a  été  observé  pour  la 
première  fois,  le  grés  vert,  et  la  craie. 


SECONDAIRES  (TERRAINS)     —2011  — 


SECRETION 


La  parties  ihi  bassin  do  la  Nousirio  située  h 
l'Est  d'une  ligjie  tirée  de  Nevers  à  l'embouchure 
de  la  Seine  prôsciito  les  trois  grands  étages 
crétacés. 

Le  ifiTam  néoconiien  forme  une  bindo  étroite 
qui  va  di;  l'Ornain  il  la  Loire,  de  Bar-le-Duc  à  San- 
cerro  (Clier\  L'assise  inférieure  commence  par 
des  sables  argileux  ot  ferrugineux  brunâtres,  peu 
épais  ;  au-dessus  vient  le  culcaii-e  à  spallangues, 
qui  est  grossier,  argileux,  jaunâtre,  en  couches 
continues  ou  en  grandes  amandes  séparées  par 
des  lits  de  marne  et  donnant  d'excelleiite  chaux. 
Les  fossiles  sont  très  abondants,  les  principaux 
sont  des  céphalopodes  et  des  mollusques.  Au- 
dessus  viennent  des  argiles  gris-bleuâtre  renfer- 
mant des  lits  de  lumaclielle.  Enfiji,  il  y  a  des 
argiles  et  des  sables  rouge-amarante,  jaunes  ou 
verts,  avec  ferhydroxydé  ooliihique,  exploité  dans 
la  Haute-Marne,  et  de  nombreux  rognons  de  1er 
o.xydé  rouge  compacte  avec  quelques  fossiles. 

Le  gros  vert  forme  une  bande  continue  de  l'Oise 
à  la  Loire,  do  Hirson  (Aisne)  à  Sancerre.  Il  se 
montre  ensuite  h  l'ouest  de  Beauvais  et  dans  le 
Bas-Boulonnais.  La  partie  inférieure  est  formée 
par  des  argiles  regardées  par  divers  géologues 
comme  formant  la  partie  supérieure  de  l'élage 
précédent  et  renfermant  des  fossiles  dont  les  plus 
abondants  et  les  plus  caractéristiques  sont  des 
Nautiles  et  des  Ammonites.  Elles  donnent  d'ex- 
cellentes tuiles  et  briques  dans  les  départements 
de  l'Aube  et  de  l'Yonne.  Au-dessus  vient  le  yyf's 
vert  proprement  dit,  formé  par  dessables  argileux 
chlorités,  d'un  vert  le  plus  souvent  noirâtre,  avec 
rognons  endurcis  noirs  de  même  nature  ou  ren- 
fermant souvent  du  phosphate  do  chaux  ;  ils  sont 
remplacés  en  certains  endroits  par  des  argiles 
grises  quelquefois  pyriteuses  et  dans  d'autres 
par  des  roches  siliceuses  jaunâtres  assez  fria- 
bles. A  la  base,  il  y  a  sur  certains  points  des 
minerais  de  fer  hydroxydé  en  grains  mélangé  de 
grains  do  quartz,  et  exploité  à  Grandpré  (Arden- 
nes)  et  à  ^'arcy  iHaute-Marne).  Au-dessus  vien- 
nent dos  argiles  grises  avec  rognons  de  marne 
endurcie  et  de  petits  cristaux  de  gypse,  em- 
ployés sur  un  grand  nombre  de  points  à  faire  des 
briques  et  des  poteries.  Les  fossiles  sont  très 
nombreux,  toujours  des  céphalopodes  et  des  mol- 
lusques. 

La  craie,  dans  sa  partie  iiiférieure,  est  formée 
par  des  calcaires  plus  ou  moins  endurcis,  argi- 
leux ou  sableux  ,  micacés ,  gris  jaunâtre  ou 
blancs,  très  fréquemment  chlorités,  en  général 
sans  silex.  Les  fossiles,  assez  abondants,  surtout 
à  Rouen,  sont  en  grande  partie  différents  des 
précédents,  quoique  appartenant  aux  mêmes  gen- 
res. Par-dessus  viejinent  des  calcaires  tantôt  fria- 
bles, blancs  à  grains  fins,  tantôt  grossiers,  cris- 
tallins, durs,  jaunâtres.  Souvent  les  bancs  sont 
séparés  par  des  lits  de  rognons  de  silex  gris  ou 
blond  plus  ou  moins  abondants  ;  dans  la  Champa- 
gne, la  craie  est  blanche,  friable,  sans  silex  ;  dans 
le  Nord,  elle  est  souvent  grossière  et  dure  et  coji- 
tient  peu  de  silex;  dans  ces  deux  pays  on  l'em- 
ploie pour  bâtir.  A  l'ouest  de  la  Seine,  elle  est 
assez  généralemejit  blanclie,  friable,  et  renferme 
de  gros  silex  blonds  très  nombreux,  et  très  em- 
ployés dans  les  constructions.  A  Meudon  et  à 
liougival  près  de  Paris,  elle  est  blanche,  et  con- 
tient des  silex  noirs  ;  elle  y  est  exploitée  pour  la 
fabrication  du  blanc  d'Espagne,  et  pour  celle  de  la 
chaux  hydraulique  qu'on  obtient  en  la  mélan- 
geant avec  de  l'argile.  Les  fossiles,  en  général  peu 
abondants,  sont  le  Mosasawus  Ho/[maimi,  des 
dents   de    poissons,   diverses  coquilles. 

La  plupart  des  géologues  rattachent  maintenant 
à  la  partie  tout  à  fait  supérieure  de  la  craie  un  dé- 
pôt marin  peu  épais,  calcaire  et  sableux,  le  calcaire 
pisohthique,  qui  est  formé  de  petits  dépôts  isolés 


de  calcaire  souvent  concrétionné,  jaunâtre,  ce  qui 
lui  a  valu  son  nom,  près  Epernay,  Paris,  Meulan  et 
Beauvais.  L'un  dos  fossiles  principaux  est  le  Àiau- 
tilus  daiiicua. 

Dans  le  bassin  du  Midi,  notamment  dans  la 
Provence  et  les  Alpes,  les  deux  étages  infé- 
rieurs sont  bien  développés.  Le  terrain  néoco- 
mien,  qui  a  plus  de  (.00  mètres  d'épaisseur  aux 
environs  do  Grenoble,  se  trouve  en  Languedoc, 
dans  la  Provence  et  dans  les  Alpes;  il  se  divise 
en  deux  grandes  assises.  L'inférieure  est  formée 
de  marnes  jaunes  ou  grises  associées  à  quelques 
bancs  de  grès  verdâlres,  et  contenant  i  Carsan 
(Gard)  des  lignites  exploités  sur  plusieurs  points  ; 
elles  renferment  des  amas  de  gypse  grentt, 
quelquefois  rouge,  exploité,  présentant  les  mû- 
mes accidents  de  gisement  que  ceux  des  terrains 
jurassiques.  Ces  marnes  alternent  avec  des  cal- 
caires tantôt  compactes,  jaunâtres  ou  bleuâtres, 
tantôt  grenus,  siliceux,  assez  souvent  oolithiques, 
qui  prédominent  à  la  partie  supérieure.  Les  fos- 
siles sont  très  abondants  dans  cette  assise  : 
Bélemnites,  Nautiles,  Ammonites,  Térébratu- 
les,   etc. 

L'assise  supérieure,  ou  calcaire  h  Dicérates  ou 
h  Cnprolina  ammonia,  se  compose  de  masses 
épaisses,  mal  stratifiées,  de  calcaire  grenu  blond 
ou  grisâtre,  associé  sur  quelques  points  i  des 
poudingues  calcaires.  Les  fossiles,  peu  fréquents 
et  difficiles  à  dégager,  sont  une  Bélemnite,  une 
Térébratule,  etc. 

Le  grès  vert  et  la  craie  inférieure  sont  compo- 
sés, dans  la  Provence  et  les  Alpes,  de  grès  ferru- 
gineux, de  marnes  bleuâtres  et  de  calcaires  mar- 
neux ou  grenus  souvent  sableux,  avec  grains  de 
clilorite  ;  souvent  même,  il  n'y  a  que  dos  sables 
ot  des  grès  verdâtres  friables  avec  silex,  pyrite, 
et  rognons  de  fer  hydroxydé.  Aux  fossiles  habi- 
tuels du  Nord  viennent  s'ajouter  quelques  fossiles 
spéciaux. 

Les  formes  du  sol  occupé  par  le  terrain  crétacé 
sont  très  variées,  puisqu'il  entre  dans  la  compo- 
sition soit  des  parties  basses  des  Pyrénées  et 
des  Alpes,  soit  de  la  Provence  et  du  Languedoc, 
soit  enfin  de  la  Neustrie  et  de  l'Aquitaine,  et  sur- 
tout de  la  Champagne.  La  végétation  est  aussi 
très  variée;  la  Champagne,  formée  par  la  craie, 
est  un  pays  sec  très  aride;  tandis  que  les  con- 
trées occupées  par  les  deux  étages  inférieurs 
sont  très  fertiles  et  donnent  d'excellents  pâtura- 
ges. Dans  les  Pyrénées  et  les  Alpes,  le  terrain 
crétacé  est  occupé  par  des  forêts  et  des  pâturages  ; 
dans  le  Languedoc  et  la  Provence,  le  soi,  assez  see 
et  stérile,  porte  de  nombreuses  plantations  d'oli- 
viers. |V.  Raulin.] 

SÉCBÉTIOIN.  —  Zoologie,  XXXllI.  —  La  sécré- 
tion est  le  phénomène  par  lequel  certains  principes, 
extraits  du  sang  au  moyen  d'appareils  appelés 
glandFS,  donnent  naissance  dans  celles-ci  S  des 
liquides  spéciaux,  utilisés  de  nouveau  par  l'orga- 
nisme. 

11  importe  avant  tout  d'établir  la  distinction 
entre  l'acte  de  la  sécrétion  et  celui  do  l'urination 
qui  n'est  qu'une  excrétion. 

Les  liquides  sécrétés  ne  sont  pas  rejetés  au 
dehors  comme  déchets,  mais  au  contraire  utilisés, 
tandis  que  l'urine  est  éliminée  et  composée  de 
substances  dont  l'organisme  se  débarrasse. 

A  travers  l'appareil  urinaire,  l'urine,  déjà  toute 
formée  dans  le  sang,  passe  comme  au  travers  d'un 
filtre  ;  elle  ne  s'y  forme  pas,  elle  s'y  accumule  pour 
être  expulsée. 

Un  liquide  sécrété  est  formé  de  principes  pui- 
sés dans  le  sang,  mais  qui,  mis  en  présence  dans  les 
glandes,  agissent  les  uns  sur  les  autres  pour  donner 
naissance  à  des  substances  nouvelles.  Celles-ci 
s'épanchent  des  glandes  sous  l'empire  de  certains 
excitants  et  dans  un  but  déterminé  :  c'est  ainsi,  par 


SECRETION 


2012  — 


SECRETION 


exemple,  qu'excité  par  la  vue  d'un  aliment,  pressé 
par  l'appétit,  l'homme  sent  le  fluide  salivaire 
(liquide  sécrété)  affluer  à  la  bouche  et  se  répan- 
dre en   abondance  sur    la  muqueuse    buccale.  On 


mammifères,  la  sécrétion  la  plus  importante  est 
sans  contredit  le  lait.  C'est  le  liquide  élaboré 
par  les  glandes  mammaires  sous  la  peau  de  la  poi- 
trine (mamelles  pectorales  des  bimanes,  des  qua- 


dit  vulgairement,  quand  ce  phénomène  se  produit,  i  drumanes  et  des  chiroptères),  sous  celle  du  ventre 


que  l'eau  vient  à  la  bouche. 


(mamelles  abdominales  dos  carnassiers,  etc.),  mais 


Conservant    la   salive    comme   exemple,    nous    pouvant  aussi  occuper  d'autres    régions  ;    c'est 


voyons  ce  liquide,  formé  dans  les  glandes  sali 
vaires,  utilisé  pendant  l'acte  digestif,  pnur  humec- 
ter les  parois  buccales,  pour  favoriser  la  per- 
ception des  saveurs,  et  pour  rendre  absorbables 
les  aliments,  les  féculents  qu'elle  transforme  en 
sucre. 

Toute    glande    est    formée  :    1'    d'une   trame 
fibreuse    représentant   ordinairement    un     repli 


ainsi  que  chez  les  kangurous  (marsupiaux),  les 
glandes  du  lait  sont  situées  un  peu  au-dessus  de 
la  région  du  pubis,  dans  l'intérieur  de  la  poche 
marsupiale;  que  chez  la  baleine  (cétacés),  elles  se 
trouvent  dans  le  voisinage  de  l'anus. 

Le  lait  est  un  aliment  complet,  et  tout  préparé 
pour  l'absorption  ;  il  n'exige  donc  aucune  dépense 
physiologique  de  la  part  de  l'appareil  de  la  diges- 


muqueux  en  cul-de-sac;  2°  de  cellules  recouvrant  \  tion  ;  il  contient  toujours  une  grande  quantité  d'eau- 
la  surface  libre  de  cette  membrane  et  analogues  !  plus  des  sels  en   dissolution,    du   sucre  solublo 


à  celles  qui  recouvrent  toutes  les  muqueuses 
(cellules  d'épithélîum)  ;  3°  de  vaisseaux  sanguins 
circulant  dans  l'épaisseur  de  la  trame  fibreuse. 

Le  liquide  sécrété  est  une  exsudation  du  sang 
s'eff'ectuant  à  travers  les  parois  des  vaisseaux 
sanguins,  traversant  la  trame  fibreuse,  et  se  di- 
rigeant à  travers  la  membrane  épithéliale  dans  la 
cavité  de  la  glande.  Au  contact  de  cette  membrane 
le  liquide  sécrété  s'élabore  :  lépitholium  exerce 
une  sélection  dans  les  éléments  du  sang,  sépare 
les  principes  qui  doivent  être  emmagasinés  par 
l'organe  sécréteur,  et  rejette  le  déchet  de  ce  tra- 
vail dans  les  vaisseaux  lymphatiques. 

Tels  sont  les  faits  propres  à  cette  fonction  ayant 
comme  siège,  non  pas  un  appareil,  mais  un  en- 
semble de  petits  appareils  disséminés  dans  les 
diverses  régions  de  l'organisme  et  constituant  le 
système  ylandulaire. 

Pour  comprendre  les  glandes,  quelle  que  soit  la 
forme  qu'elles  affectent,  il  suffit  de  concevoir  un 
repli  de  la  trame  fibreuse,  entraînant  l'épithélium 
de  façon  à  ce  que  celui-ci  en  tapisse  l'intérieur. 
Ce  repli  est  toujours  en  cul-de-sac  ;  ii  peut  Être 
simple  ou  bien  se  terminer  en  culs-de-sac  multi- 
ples, toujours  microscopiques.  Souvent  les  gland 


(lactose),  des  principes  azotés  (caséine),  et  de  la 
graisse  à  l'état  d'émulsion  (V.  Digestion). 

Sa  composition  varie  suivant  les  espèces;  celui 
de  la  vache  contient  en  moyenne,  sur  lOO  parties, 
4  à  5  parties  de  beurre  (matière  grasse), -i  de  ca- 
séine (substance  azotée),  4  de  sucre  de  lait,  0,5 
de  sel  marin,  ce  qui  représente  12  à  14  p.  100  de 
matières  solides  ;  quand  ce  liquide  est  frais,  sa 
réaction  est  légèrement  alcaline.  Nous  n'insiste- 
rons pas  davantage  ici  sur  les  propriétés  du  lait, 
dont  l'étude  a  été  faite  dans  un  autre  article  (V. 
Aliments). 

Plusieurs  mammifères  sécrètent  des  produits 
odorants  :  c'est  le  cas  des  civettes  (carnivores), 
des  castors  (rongeurs),  et  du  chevrotin  porte-musc 
(ruminant).  Rappelons  ces  deux  poches  qui,  chez 
le  cachalot,  sont  placées  au-dessous  de  la  peau 
de  la  tête,  reposent  dans  deux  dépressions  situées 
de  chaque  côté  de  la  voûte  crânienne,  et  sécrètent 
le  blanc  de  baleine. 

Quant  aux  glandes  comme  les  glandes  salivaires, 
les  follicules  gastriques,  le  pancréas,  la  rate,  la 
glande  pituitaire,  etc.,  nous  n'avons  pas  à  en  faire 
ici  une  étude  nouvelle  et  détaillée  (V.  Digestion). 


j ^  .„,.j„„.„ ^.^ _„ 11.  Oiseaux.  —  Ces  animaux  possèdent  les  prin- 

sont  dans  l'épaisseur  des  muqueuses,  mais  d'au-  ,  cipales  glandes  affectées  à  la  nutrition  générale 
très  fois  elles  forment  des  niasses  considérables  en  et  signalées  chez  les  mammifères,  mais  on  trouve 
dehors  de  tous  viscères,  masses  formées  par  l'en-  i  toujours  dans  difl'érentes  parties  de  leur  peau,  et 
semble  des  culs-de-sac  débouchant  tous  les  uns  j  principalement  au-dessus  du  coccyx,  des  glandes  \ 
dans  les  autres,  et  s'ouvrant  enfin  par  un  seul  sécrétant  une  matière  grasse,  et  surtout  deve- 
canal,  le  canal  cxcrétew  principal,  .'i  la  surface  j  loppées  chez  les  espèces  aquatiques.  L'oiseau  les 
de  la  muqueuse,  dont  la  glande  n'est  qu'un  repli,  i  pince  avec  son  bec  pour  en  faire  épancher  le  con- 
L'une  des  formes  glandulaires  les  plus  communes  tenu,  dont  il  lubréfie  la  surface  de  ses  plumes  ahn 
est  celle  de  la   glande  en  grappe.  Imaginez  une  I  de  les  lustrer  et  de  les  empêcher  d'être  mouillées. 


grappe  simple  ou  composée  de  grapillons,  à  élé 
ments  microscopiques  ;  que  les  grains  {acini,  —  nci- 
?ius  au  singulier)  soient  creux,  que  leurs  pédoncu- 
les, creux  aussi  {ca7wux  excréteurs),  y  débouchent 
et  aillent  d'autre  part  s'ouvrir  dans  la  queue  du 
grapillon  [canal  excréteur)  ou  dans  la  queue  prin- 
cipale de  la  grappe  [canal  excréteur  principal) 
canaliculée  eUe-même,  et  l'on  se  fera  une  idée 
assez  juste  de  la  glande  en  grappe  (Ex.:  glandes 
salivaires,  pancréas,  glandes  mammaires).  C'est 
autour  des  acini  que  viennent  se  rendre  les  vais- 
seaux sanguins  actifs  dans  la  sécrétion,  et  à  la  sur- 
face d'une  muqueuse  que  débouche  le  canal  excré- 
teur principal. 

Parfois,  l'appareil  de  sécrétion  peut  être  consti- 
tué par  des  éléments  clos  délimitant  une  cavité  : 
dans  ce  cas,  l'épithélium  en  tapisse  l'intérieur, 
et  les  vaisseaux  sanguins  viennent  ramper  sous 
la  paroi  de  la  vésicule,  constituée  par  la  trame 
fibreuse  (Ex.  :  amygdales,  rate,  péritoine,  péri- 
carde, plèvre). 

Les  glandes  peuvent  encore  affecter  la  forme  de 
tubes  simples  ou  composés.  (Ex.:  glandes  sudo- 
ripares,  follicules   gastriques,  glandes  à  mucus). 

Principales  sécrétions  dans  la  série  animale.  — 
I.  Mammifères.  Dans  l'ordre  des  bimanes  (homme) 
comme   dans    tous  les    ordres   de  la  classe   des 


Les  salanganes,  hirondelles  habitant  la  Chine  et 
l'archipel  Indien,  possèdent  dans  leur  ventricule 
succenturié  des  replis  glandulaires  sécrétant  un 
produit  particulier,  et  leur  servant  à  cimenter  les 
algues  et  fucus  qui  servent  à  la  confection  de 
leurs  nids.  Ce  produit  est  très  riche  en  matières 
azotées,  et  constitue  un  mets  rare  et  recherché  de 
certains  gourmets.  ,     , 

Les  œufs  ne  sont  aussi  que  des  produits  sécré- 
tés; ils  ne  sont  pas  propres  aux  oiseaux:  tous  les 
animaux  supérieurs,  même  les  vivipares,  sont  issus 
d'un  œuf;  mais,  chez  les  oiseaux,  la  solidité  de 
l'enveloppe  extérieure  est  remarquablo.  Après  que 
l'organe  producteur  des  œufs  a,  chez  la  poule, 
formé  le  vitellus  (jaune),  que  l'albumen  (blanc)  a 
été  sécrété  et  a  entouré  le  jaune,  que  le  blanc  a 
été  renfermé  dans  son  enveloppe  membraneuse,  le 
chorion,  l'œuf  est  arrivé  dans  la  chambre  coquil- 
liôre  et  se  revêt  de  son  enveloppe  solide,  la  co- 
quille. Celle-ci  est  un  produit  calcaire,  d'autant 
plus  résistant  que  l'animal  introduit  une  quantité 
plus  grande  de  carbonate  de  cliaux  dans  son  ali- 
mentation ;  l'os  de  seiche,  appelé  vulgairement  en 
core  biscuit  de  mer,  est  donné  aux  oiseaux  cap 
tifs,  afin  qu'ils  absorbent  le  principe  calcaire 
nécessaire  .'i  la  formation  de  la  coquille. 
111.  Reptiles,  Batuaciens  et  Poissons.  —  Che: 


SÉCRÉTION 


2013 


SEL  MARIN 


les  sorpents  à  voniii,  on  voit  on  arrière  de  l'œil,  1  voisins  do  la  bouche    et  constituant  les   filières, 
de  chaque  côté  do  la  tête,  une  fjlando  en  grappe    Chacune    dos    ouvertures  est  percée  de  plus  de 


sécrétant  le  venin.  Le  canal  collecteur  de  tout  le 
produit  de  chaque'  glande  vient  déboucher  i  la 
partie  supérieure  des  crochets  h.  venin,  et  nous 
savons  comment,  chez  ces  reptiles  malfaisants,  le 
venin  peut  êlre  raôlo  au  sang  de  leur  victime  et 
y  exercer  des  ravages  plus  ou  moins  néfastes. 

Le  crapaud  vert  ou  crapaud  de  joncs,  qui  se 
reconnaît  h  la  longueur  de  ses  doigts,  à  sa  cou- 
leur verte  et  h  la  ligne  médiane  jaune  parcourant 
son  dos  en  longueur,  a  des  glandes  au  niveau  du 
cou  sécrétant  ce  qu'on  nomme  le  veni?i  de  era- 
paicd.  C'est  un  liquide  fortement  acide  et  qui, 
placé  sur  la  peau  d'une  grenouille  ou  bien  ino- 
culé sous  celle  de  petits  animaux  comme  les 
cochons  d'Inde,  les  tue  rapidement;  mais  il  ne  pa- 
raît pas  redoutable  pour  l'Iiomme. 

Chez  beaucoup  de  poissons,  il  existe  une  poche 
allongée  pleine  de  gaz,  appelée  vessie  natatoire, 
placée  h  la  partie  supérieure  de  lacavité  viscérale, 
s'ouvrant  souvent  dans  l'œsophage  par  l'intermé- 
diaire d'un  canal  ;  nous  pouvons  considérer  aussi 
comme  des  appareils  de  sécrétion  les  organes 
électriques  des  torpilles  et  dos  gymnotes  ou 
anguilles  de  Surinam.  La  peau  de  beaucoup  do 
poissons  sécrète  abondamment  un  mucus  parti- 
culier. 

IV.  Invertébrés.  —  Les  mollusques  céphalopo- 
des ont  non  seulement  des  glandes  salivairos,  un 
foie  et  un  pancréas  rudimentaire,  mais  beaucoup 
d'entre  eux  (poulpe,  sèche)  possèdent  un  appareil 
de  sécrétion  connu  sous  le  nom  de  poche  à  encre, 
dont  le  canal  excréteur  vient  déboucher  près  de 
l'anus.  Le  produit  de  cette  glande,  quand  il  s'épan- 
che au  dehors,  trouble  l'eau  et  favorise  la  fuite 
de  l'animal. 

La  peau  de  tous  les  mollusques  est  recouverte 
d'une  substance  liquide  mais  gluante,  laissant  sa 
trace  sur  les  objets  que  l'animal  a  touchés  et  que 
nous  connaissons  bien  tous  ;  c'est  ce  liquide  qui 
humecte  la  peau  de  l'escargot  ;  mais  la  coquille 
est  certainement  la  sécrétion  la  plus  intéressante 
dans  cet  embranchement.  Elle  est  faite  de  subs- 
tance calcaire,  se  compose  d'une  série  de  dépôts 
superposés  h.  la  manière  d'écaillés  et  élaborés 
par  les  parois  du  manteau.  Externe  et  bivalve 
chez  les  mollusques  acéphalidiens  (privés  de 
tête  comme  les  huîtres),  elle  est  univalve  e',  externe 
chez  l'escargot  (mollusques  céphalidiens  de  la 
classe  des  gastéropodes)  et  souvent  interne  chez 
lessèches  (moUusquescéphalidiens  céphalopodes); 
c'est,  dans  cette  dernière  classe,  le  biscuit  de  mer 
dont  nous  avons  déji  parlé  plus  haut. 

Dans  la  classe  des  articulés,  on  trouve  i  signa- 
ler beaucoup  de  sécrétions  intéressantes. 

La  soie,  dont  la  chenille  du  bombyx  du  mû- 
rier fait  un  cocon  (V.  Ver  à  soie). 

La  cire,  dont  l'abeille  construit  les  gâteaux  al- 
véolés dans  lesquels  elle  place  son  miel,  et  ce 
miel  lui-même,  formé  par  le  mélange  du  suc 
provenant  des  nectaires  des  plantes  et  d'un 
fluide  particulier  sécrété  par  l'appareil  digestif 
de  l'insecte. 

Beaucoup  d'insectes  sont  pourvus,  dans  le  voi- 
sinage de  l'anus,  de  glandes  dites  anales  d'où 
suinte  un  liquide  particulier  pouvant  être  épan- 
ché volontairement  au  dehors.  C'est  ce  qui  est  fa- 
cile à  constater  pour  le  carabe  doré.  Prenez  ce 
bel  et  utile  insecte  avec  la  main,  immédiatement 
vous  voyez  couler  de  son  anus  un  liquide  brun 
dont  l'odeur  acre  et  forte  vous  répugne  :  c'est  le 
produit  de  ces  glandes  anales,  au  moyen  duquel 
il  cherche  à  se  défendre  contre  vous,  en  vous 
iiispirant  le  dégoût. 

La  toile  que  filent  certaines  araignées  et  qu'el- 
les tendent  afin  de  capturer  leurs  victimes  ailées 


inil  orifices  par  lesquels  sort  la  matière  textilo 
gluante  et  demi-liquide  ,  mais  qui  se  durcit  aus- 
sitôt en  autant  de  brins  d'ujie  extrême  ténuité 
que  l'animal  réunit  en  un  seul  fil.  Toutes  les 
araignées  ne  sécrètent  pas  la  substance  dont 
nous  venons  de  parler,  mais  toutes  ont  les  deux 
mandibules  terminées  par  un  ongle  acéré,  mobile 
et  traversé  longitudinalement  par  le  canal  excré- 
teur d'une  glande  située  i  la  base  de  l'appareil 
masticateur.  Le  liquide  que  sécrète  cet  organe 
est  venimeux  et  donne  lamortaux  proies  vivantes 
que  saisit  et  pique  l'araignée  avant  de  s'en 
nourrir. 

C'est  aussi  à  la  classe  des  arachnides  qu'ap- 
partiennent les  scorpions,  qui  peuvent  atteindre  15 
centimètres  dans  l'Afrique  et  les  Indes  Orien- 
tales ;  l'abdomen  allongé  de  ces  animaux  se  ter- 
mine par  un  crochet  creux  en  communication 
avec  un  venin,  et  perce  d'une  ouverture  par  la- 
quelle le  liquide  toxique  peut  s'épancher.  La  pi- 
qûre de  cet  appareil  cause  des  accidents  inflam- 
matoires plus  ou  moins  graves,  détermine  la  mort 
des  petits  animaux,  et  peut  êlre  aussi  funeste  pour 
l'homme. 

Certains  vers  de  la  famille  des  tubicoles  ont 
le  corps  renfermé  dans  un  tube  calcaire  sécrété 
par  la  peau.  Le  pied  solide,  composé  de  carbonate- 
do  chaux,  appelé  polypier,  qui  supporte  les  ani- 
malcules du  corail,  nous  présente  en  eux  l'exem- 
ple d'une  sécrétion  cutanée  chez  les  rayonnes. 

Enfin,  les  animaux  les  plus  simples,  ceux  qui 
sont  placés  aux  derniers  échelons  de  la  série  ani- 
male, dans  le  groupe  des  protozoaires,  et  sont 
constitués  par  une  petite  masse  de  substance  vi- 
vante desplus  simples,  peuvent  cependant  encore 
efl'ectuer  le  travail  de  la  sécrétion.  Un  grand  nom- 
bre de  rhizopodes  du  groupe  des  furatniniférei 
sont  renfermas  dans  un  test  calcaire  ou  siliceux, 
percé  d'un  nombre  variable  de  pores  livrant  pas- 
sage au  prolongement  de  leur  corps  qu'on  appelle 
des  pseudopodes. 

Quoique  microscopiques,  les  rhizopodes  testa- 
cés  sont  importants  ;  ils  peuplent  toutes  les  mers 
en  nombre  absolument  inimaginable,  et  dans  les 
plus  grandes  profondeurs  de  l'Océan,  le  sol  est 
recouvert  de  couches  souvent  profondes  composées 
de  leurs  dépouilles  solides.  Dans  un  grain  de 
craie,  de  la  dimension  d'une  pointe  d'aiguille, 
c'est  par  centaines  qu'il  faut  compter  les  coquil- 
les élégantes,  à  loges  simples  ou  multiples,  des 
rhizopodes  fossiles.  Les  couches  inférieures  des 
terrains  tertiaires  comprennent  des  assises  appe- 
lées calcaires  numniulitignes,  —  les  pyramides 
d'Egypte  en  sont  construites  partiellement,  —  et 
ces  calcaires  doivent  leurs  noms  aux  innombra- 
bles tests  calcaires  de  nummulites  (rhizopodes) 
dont  ils  sont  littéralement  farcis. 

Les  végétaux  aussi  ont  leurs  appareils  de  sé- 
crétion ;  on  les  appelle  souvent  même  des  glan- 
des; mais  il  n'y  a  pas  identité  parfaite  entre 
l'acte  sécréteur  des  animaux  et  cet  acte  dans  les 
végétaux.  [G.  l'hilippon.] 

SEL  MARI>'.  —  Chimie,  XVI.  —  Le  sel  marin 
ou  chlorure  de  sodium  est  un  des  corps  les  plus 
abondamment  répandus.  La  mer  en  contient  en- 
viron 3  p.  100.  On  peut  évaluer  ce  que  repré- 
sente cette  quantité  en  disant  que  si  tout  le  sel 
contenu  dans  la  mer  était  également  répandu 
h  la  surface  de  la  terre  ferme,  il  s'élèverait  à 
une  hauteur  d'environ  2  mètres.  On  rencontre  de 
nombreuses  sources  d'eau  salée  ou  saumâtre  et 
des  mines  de  sel  gemme,  dont  les  plus  célèbres 
existent  en  Pologne  et  en  Moravie.  Celle  do  Wie- 
liczka  est  la  plus  riche  que  l'on  connaisse.  L'ex- 
ploitation  a    3  kilomètres  do  long,  I  600  mètres 


est  tissée  avec  des  fils  sortis  do  4  ou  G  mamelons    de   large  et  300    de   hauteur.    Le    même  dépôt 


SEL  MARIN 


—  2014  — 


SELS 


s'étend  jusqu'à  200  lieues  de  long  et  40  de  large 
en  deçà  et  au-delà  des  monts  Carpathes.  Cetie 
mine  de  sel  gemme,  exploitée  depuis  six  cents 
ans,  est  d'une  magnificence  extraordinaire.  C'est 
toute  une  ville  souterraine ,  où  travaillent  plu- 
sieurs milliers  d'ouvriers.  Le  sel  qu'elle  contient 
est  très  pur  et  immédiatement  livré  au  com- 
merce. 

Quand  les  mines  donnent  un  produit  moins 
pur,  on  le  purifie  en  le  dissolvant  dans  l'eau  el 
l'on  se  trouve  alors  dans  les  mêmes  condilions 
que  quand  on  tire  le  sel  de  l'eau  de  la  mer. 
Dans  les  pays  chauds  où  l'évaporation  au  soleil 
est  rapide,  comme  au  sud  et  à  l'ouest  de  la 
France,  on  fait  arriver  l'eau  de  mer  sur  de  vas- 
tes terrains  plats  appelés  marais  salants.  Quand 
l'eau  s'est  évaporée  de  manière  à  contenir  plus 
d'un  tiers  de  sel,  celui-ci  se  dépose  et  cristallise 
en  cubes  ;  on  l'enlève  au  râteau  et  on  forme  sur 
le  bord  du  marais  des  meules  qui  s'y  ogouttent 
et  s'y  sèchent.  On  retire  ainsi  environ  SO  p.  100 
du  contenu  solide  de  l'eau  de  mer.  Ce  sel  est  tou- 
jours altéré  par  une  certaine  quantité  de  terre, 
et  est  gris  ou  rougeâtre  suivant  les  lieux.  La 
saveur  spéciale  du  sel  gris  et  le  projugé  qu'il 
sale  mieux  que  le  blanc  proviennent  de  ce  qu'il 
renferme  toujours  un  peu  de  chlorure  de  magné- 
sium. Dans  les  pays  plus  froids  qui  bordent  la 
mer  du  Nord,  on  compte  davantage  sur  l'action 
du  vent  pour  hâter  l'évaporation  ;  on  élève  arti- 
liciellement  l'eau  de  mer,  qu'on  fait  retomber 
sur  une  muraille  de  fascines  appelée  «'bâtiment 
de  graduation.  »  l'our  avoir  le  sel  tout  à  fait 
blanc,  on  le  redissout  dans  trois  fois  son  poids 
d'eau  et  on  l'évaporé  par  la  chaleur.  L'eau-mère 
des  marais  salants,  c'est-à-dire  celle  qui  reste 
après  l'extraction  de  la  plus  grande  partie  du  sel 
marin,  contient  un  grand  nombre  de  produits 
intéressants  qui  ont  été  le  point  de  départ  de 
bien  des  découvertes,  sulfate  de  suude,  magnésie, 
brome,  iode. 

Le  chlorure  de  sodium  est  incolore  quand  il  est 
pur,  inodore,  d'une  saveur  bien  connue.  Sa  trans- 
parence, quand  on  en  taille  dos  lames  dans  du 
sel  gemme  pur,  égale  celle  du  verre,  et  son  pou- 
voir diathermane  est  le  plus  grand  connu;  il 
laisse  passer  0,93  de  la  chaleur  rayonnante  de  toute 
provenance;  tandis  que  le  verre  le  plus  transpa- 
rent n'en  laisse  passer  quo  les  deux  tiers  dans 
les  meilleures  circonstances,  et  même  arrête 
presque  complètement  la  clialeur  obscure.  Le 
sel,  solnble  dans  trois  parties  d'eau,  est  presque 
insoluble  dans  l'alcool  anhydre;  l'alcool  en  con- 
tenant une  petite  quantité  brûle  avec  une  flamme 
d'une  couleur  jaune  que  l'on  considère  comme 
monochromatiquo.  Cela  est  dû  à  la  vapeur  du 
sodium  qui,  aux  hautes  températures,  donne  au 
spectroscope  les  deux  célèbres  raies  D. 

Si  le  sel  n'est  pas  le  meilleur  antiseptique, 
c'en  est  au  moins  un  excellent  et  le  seul  qui  con- 
vienne absolument  à  la  conservation  des  aliments. 
Aussi  l'usage  des  conserves  dans  la  saumure 
ou  au  sel  remonte-t-il  à  la  plus  haute  antiquité. 
Le  détail  des  précautions  varie,  mais  il  im- 
porte que  la  saumure  pénètre  bien  exactement 
toute  la  masse  ;  généralement,  avant  de  consom- 
mer ces  conserves,  on  les  fait  dessaler  par  une 
macération  de  quelques  heures  dans  l'eau  douce. 
On  a  fait  à  cette  alimentation  des  reproches  plus 
ou  moins  justifiés.  Les  marins,  dont  les  salaisons 
constituent  la  nourriture  principale,  parfois  unique, 
sont  atteints  du  scorbut  ;  mais  le  scorbut  résulte 
de  toute  alimentation  insuffisante  ou  exclusive. 
II  y  a  eu  fréquemment,  et  en  particulier  pendant 
le  siège  de  Paris,  des  salaisons  malsaines,  véné- 
neuses ;  cela  tenait  à  leur  préparation  défec- 
tueuse. Somme  toute,  les  salaisons  sont  d'excel- 
lents aliments  dont  il   faut  user  et  non  abuser. 


La  saumure,  qui  a  dissous  une  grande  quantité 
des  matières  nutritives  de  la  viande,  est  un  bon 
condiment  qui  remplace  avantageusement  le  sel 
pour  la  cuisson  des  aliments  frais. 

Le  sel  conserve  les  substances  animales  et 
végétales  à  cause  de  ses  propriétés  antiseptiques, 
c'est-à-dire  en  empêchant  le  développement  des 
germes  des  microbes  qui  existent  dans  ces  subs- 
tances et  tendent  à  leur  destruction.  Il  entrave  de 
même  la  vie  des  parasites  qui  peuplent  les  corps 
des  animaux  vivants.  A  ce  point  de  vue,  il  est 
aussi  nécessaire  que  les  aliments  eux-mêmes. 
Aussi,  comme  il  n'en  faut  que  quelques  grammes 
par  jour  à  chaque  personne,  tous  les  gouverne- 
ments ont-ils  trouvé  dans  le  monopole  du  sel 
une  source  de  revenus  et  souvent  un  moyen  d'op- 
pression. La  France  a  subi  la  gabelle,  et  ce  qui  nous 
en  reste  aujourd'hui,  l'impùt  du  sel,  est  un  des 
plus  durs  pour  la  classe  pauvre.  Les  douaniers, 
chargés  d'empêcher  la  contrebande  du  sel  dans 
les  régions  où  il  se  fabrique,  sont  en  guerre  ouverte 
avec  la  population,  et  il  en  résulte  chaque  année 
un  certain  nombre  de  meurtres  dans  l'un  ou 
l'autre  sens.  Le  moyen  âge,  si  ingénieux  en  fait 
de  tortures,  n'avait  pas  manqué  d'appliquer  la 
privation  du  sel  aux  victimes  de  la  tyrannie  reli- 
gieuse, et  c'était  sans  doute  l'un  des  supplices 
les  plus  atroces  à  cause  de  sa  durée.  Les  Hol- 
landais ont  jusqu'à  ces  derniers  temps  conservé, 
comme  aggravation  de  peine,  l'usage  de  nourrir 
sans  sel  les  malheureux  déportés  dans  leurs  colo- 
nies pénitentiaires  :  ces  infortunés  mouraient 
au  bout  de  quelques  années  dévorés  vivants  par 
les  helminthes. 

Comme  nous,  les  animaux  ont  besoin  de  sel. 
On  sait  avec  quel  plaisir  un  mouton  croque  une 
poignée  de  sel  ;  dans  quelques  étables  on  place 
un  gros  morceau  de  sel  compact  que  les  bes- 
tiaux viennent  lécher.  Mais  l'usage  du  sel  ne  se 
répand  pas  dans  nos  compagnes  comme  dans  les 
pays  où,  atïranchi  d'impôts,  il  se  vend  sept  ou 
huit  fois  moins  cher  qu'en  France.  Le  paysan 
n'aime  pas  à  faire  des  expériences,  et  n'a  pas 
confiance  dans  celles  des  autres,  quand  le  ha- 
sard les  lui  a  fait  connaître.  11  hésite  à  ache- 
ter du  sel  fort  cher  en  vue  d'une  augmentation 
de  produits  à  laquelle  il  croit  peu.  En  Angle- 
terre, des  industriels  ont  fait  d'immenses  fortu- 
nes en  vendant  comme  condiments  pour  les  bes- 
tiaux des  paquets  de  sel  pré/jaré,  dont  la  grande 
valeur  est  sans  doute  due  au  sel  plutôt  qu'à  la  pré- 
paration. On  recommande  le  sel  de  morue,  qui 
a  déjà  payé  les  droits  et  ne  peut  plus  servir  pour 
la  cuisine;  on  peut  l'avoir  à  bas  prix,  et  il  serait 
utile  d'en  mélanger  1  centième  au  fourrage  des 
bestiaux,  d'en  répandre  avec  les  engrais  quel- 
ques quintaux  par  hectare  d'herbages. 

Sans  avoir  la  connaissance  complète  de  son  uti- 
lité, les  peuples  anciens  ont  soupçonné  sa  haute 
valeur  et  l'ont  témoignée  par  cet  usage  si  ré- 
pandu de  symboliser  l'hospitalité  par  l'offre  du 
pain  et  du  sel.  [P.  Robin.] 

SELS.  —  Chimie,  XV.  —  L'acception  du  mot 
sel  (latin  sal)  a  subi  de  nombreuses  transforma- 
tions dans  l'histoire  de  la  chimie,  et  elle  n'est 
pas  encore  déterminée  d'une  manière  reconnue 
par  tous.  Le  premier  sel  fut  le  sel  marin.,  aujour- 
d'hui chlorure  de  sodium,  que  l'on  trouva  formé 
naturellement  par  l'évaporation  des  eaux  de  la 
mer  ou  de  lacs  salés  produite  dans  des  circons- 
tances spéciales.  Plus  tard  on  reconnut  dans  des 
fissures  de  terrains  argileux  un  autre  corps  cris- 
tallisé, soluble,  ayant  un  goût  comparable  de  loin 
à  celui  du  sel  de  la  mer;  ce  fut  l'alun.  Chose  re- 
marquable :  les  deux  premiers  sels  connus  sont 
des  corps  qui  n'appartiennent  aujourd'hui  qu'im- 
parfaitement à  la  classe  type  des  sels,  telle  qu'elle 
est   généralement    définie.   Plus  tard   les  subs- 


SELS 


—  201S  — 


SELS 


tancos  cristallisées,  solubles,  à  goût  spécial,  et  se 
trouvant  dans  la  nature,  se  multiplièrent  ;  tels 
sont  :  le  yiatinn  (carbonate  de  soude),  le  sel  de 
nifre  ou  sulpi'lrc  (azotate  de  potasse),  le  sel  de 
SedlUz  (sulfate  de  magnésie),  lèse/  admirable  de 
Glnuber  (sulfate  do  soude),  extrait  pour  la  pre- 
mière fois  par  ce  chimiste  des  eaux-mères  des  sa- 
lines. 

Ces  derniers  sont  véritablement  des  sels  suivant 
la  définition  de  Lavoisier.  Ce  savant  appelait  sel 
le  composé  formé  par  la  combinaison  d'un  acide 
et  d'une  base  ;  on  sait  qu'il  ne  donnait  le  nom  d'a- 
cides qu'i  des  composés  contenant  de  l'oxygène 
ou  au  moins  crus  tels  ;  pour  lui  les  sels  étaient  des 
composés  ternaires  oxygénés  ;  le  sel  marin  était  un 
muriate  de  soude,  et  l'acide  muriatique  le  premier 
composé  oxygéné  d'un  radical  non  isolé  dont  le 
second  était  l'acide  muriatique  oxygéné,  aujourd'hui 
le  chlore.  Quand  la  nature  de  ce  dernier  corps  eut 
été  déterminée  par  Gay-Lussac  et  Thénard,  il  se 
trouva  que  co  sel  le  plus  ancien  était  un  compcreé 
binaire  non  oxygéné,  donc  exclus  de  la'  nouvelle 
classe  des  sels.  On  l'y  fit  rentrer,  comme  on  put, 
en  créant  pour  lui  et  ses  congénères  le  groupe  des 
composés  haloîdes.  Ce  groupe  contient  les  chloru- 
res, les  bromures,  les  iodures,  les  fluorures.  D'au- 
tre part,  l'alun  fut  trouvé  contenir  du  sulfate  d'alu- 
mine combiné  en  proportion  définie  et  simple  à 
du  sulfate  de  potasse,  do  soude,  et  d'ammoniaque; 
puis  on  découvrit  d'autres  substances  inséparables 
de  l'alun,  où  lesulfate  alumineux  était  remplacé  par 
un  sulfate  do  chrome  ou  d'un  autre  corps.  "Voilà 
donc  forcément  une  classe  des  sels  doubles.  Ira- 
possible  alors  de  ne  pas  y  introduire  la  série  nom- 
breuse des  silicates  doubles,  triples.  Mais  tandis 
que  les  uns  ont  les  proportions  définies  et  sim- 
ples de  l'alun,  chez  d'autres,  chez  la  plupart,  ces 
proportions  deviennent  presque  indéterminables  ; 
les  analystes  sont  obligés  d'employer  pour  repré- 
senter leur  composition  des  formules  très  compli- 
quées, et  quelques-uns,  comme  Delafosse,  arrivent 
à  nier  la  composition  de  ces  silicates  en  proportions 
définies,  et  veulent  ne  considérer  la  silice  que 
comme  ayant  agi  en  véritable  dissolvant  d'oxydes 
aux  hautes  températures  ets'étant  figée  en  mélan- 
ge» plus  ou  moins  irréguliers  de  composés  isomor- 
phes. 

La  netteté  des  limites  de  la  classe  des  sels  est 
encore  diminuée  par  d'autres  causes.  Il  y  a  nom- 
bre de  composés  ternaires  oxygénés,  en  particu- 
lier ceux  qui  contiennent  de  l'eau,  auxquels  on 
éprouve  une  grande  répugnance  à  accorder  le  nom 
de  sels,  et  pourtant  l'acide  sulfurique  concentré, 
SO'",HO,  est,  si  l'on  se  conforme  à  la  stricte  lo- 
gique, uri  sulfate  de  protoxyde  d'hydrogène  j  l'a- 
cide azotique  ordinaire,  un  acide  bien  incontesté, 
Az05,3HO,  est  un  sel,  un  azotate  tribasique  ;  la 
potasse  caustique  est  un  sel,  un  oxyhydrate  de 
potasse.  Il  existe  un  composé  cristallisable  formé 
par  l'union  de  deux  oxydes  du  même  élément, 
d'iin  métalloïde,  l'azote  ;  on  l'appelle  souvent 
acide  hypoazotique,  bien  qu'il  n'existe  pas  d'hy- 
poazotate  ;  c'est  un  composé  binaire  qu'on  peut 
aussi  considérer  comme  un  sel,  2AzO*  =  AzO^, 
AzO',  d'autant  qu'il  existe  un  sulfate  de  la  même 
base,  les  cristaux  des  chambres  de  plomb  produits 
dans  la  fabrication  de  l'acide  sulfurique ,  AzS^O» 
—  Az03,2S03.  Il  y  a  du  reste  des  oxydes  dits  sa- 
M^'rv  '^"'""''^  l'oxyde  manganoso  -  manganique 
Mn^O*  =  MnO,  .MnO»,  qui  sont  des  sels  au  même 
titre  que  l'acide  hypoazotique. 

Il  existe  un  sulfate  d'ammoniaque,  tout  comme 
il  y  a  des  stjlfates  de  potasse  et  do  soude  :  c'est 
'^'"'^  ''""inioniaque^quoiqueétantun  corps  composé 
(AzH^.HO),  appartient  par  ses  propriétés  chimiques 
au  même  groupe  que  la  soude  et  la  potasse.  Mais 
•  ^i°™°,"'*f|ue  n'est  que  le  premier  d'un  nombre 
mhni  d  alcalis  organiques,  de  composition  encore 


plus  complexe  qu'elle,  formant  des  sels  incontes- 
tés avec  les  acides  inorganiques,  et  auSîi  avecd(îs 
acides  organiques  ou  mixtes  contenant  également 
plus  de  deux  éléments.  Enfin  des  chlorures  se 
combinent  entre  eux  en  proportions  définies  ou 
non  ;  de  même  des  sulfures,  des  iodures,  etc.  Il  a 
bien  fallu  admettre  les  chlorosels,  les  sulfosels, 
les  iodosels  sur  le  pied  d'égalité  avec  les  anciens 
sels  de  Lavoisier,  devenus  la  simple  subdivision 
des  oxysels.  Il  existe  encore  d'autres  combinai- 
sons aujourd'hui  relativement  peu  nombreuses  et 
peu  importantes,  des  composés  binaires  ayant 
comme  élément  commun,  non  plus  l'électro-né- 
gatif,  mais  l'élcctro-positif,  des  oxychlorures,  oxy- 
sulfures,  iodobromurcs;  et  (|ui  sait  jusqu'où  peut 
s'en  étendre  le  nombre'?  Quant  aux  coivibinaisons 
franchement  quaternaires  de  deux  composés  bi- 
naires n'ayant  aucun  élément  commun,  la  liste 
commencée  par  les  chlorures  hydratés  bien  cris- 
tallisés et  à  proportions  définies  u'en  est  très  pro- 
bablement pas  close.  C'est  ainsi  qu'en  étendant 
forcément  la  définition  des  sels  de  Lavoisier  aux 
composés  analogues,  en  maintenant  dans  leur 
classe  les  composés  auxquels  la  tradition  a  con- 
stitué une  sorte  de  droit,  on  arrive  à  comprendre 
dans  les  sels  toutes  les  combinaisons  chimiques 
possibles  ! 

Cette  introduction  critique  nous  a  paru  indis- 
pensable, d'abord  parce  qu'elle  n'énonce  que  des 
faits  vrais,  ensuite  parce  qu'elle  montre  le  danger 
qu'il  y  a  à  établir  des  théories  absolues  sur  un 
nombre  restreint  de  faits.  Il  est  rare  que  des  faits 
nouveaux  ne  viennent  pas  saper  un  édifice  pé- 
niblement établi,  et  cependant  l'esprit  de  routine 
le  maintient  au  prix  de  grands  efforts  perdus  pour 
la  découverte  de  faits  réels. 

Un  certain  nombre  de  chimistes,  qui  sont  tou- 
tefois encore  la  minorité  et  n'ont  pas  achevé  de 
conquérir  l'autorité  officielle,  laissent  de  côté 
toute  hypothèse  à  ptiuri  dans  la  constitution  des 
composés  chimiques.  L'école  ancienne  écrit  la 
formule  du  sulfate  de  potasse  KO.SO',  et  semble 
ainsi  indiquer  que  l'acide  et  la  base  y  existent  d'une 
manière  distincte;  la  réalité  est  que  le  corps 
nouveau,  le  sel,  n'a  généralement  rien  de  com- 
mun avec  ses  composants.  Il  est  donc  plus  ra- 
tionnel d'écrire,  sans  rien  préjuger,  cette  formule 
ainsi  :  KSO'*.  Pour  la  commodité  de  l'étude  et  des 
vues  d'ensemble,  on  réunit  les  composés  analo- 
gues, ceux  qui  ont  une  partie  commune  simple 
ou  composée.  Par  exemple  les  sulfates  de  soude, 
NaSO*,  d'ammoniaque  AzH^,SO*,  sont  des  sels  où 
le  sodium,  corps  simple,  l'ammonium,  corps  com- 
posé, se  sont  substitués  au  potassium  du  sulfate 
de  potasse.  Remplaçons  le  groupement  SO*  par 
Cl,  I,  S,  etc.  Nous  obtenons  les  chlorures,  iodures, 
sulfures  de  potassium.  Ainsi  l'on  passe,  par  voie 
de  substitution,  d'un  composé  à  un  autre,  et,  en 
môme  temps  qu'on  obtient  les  groupements,  les 
séries  que  donnait  la  théorie  ancienne,  on  en  ob- 
tient d'autres  qu'elle  excluait  ou  du  moins  ne  pré- 
voyait pas.  Oq  qui  s'oppose  au  triomphe  des  idées 
si  simples  et  si  fécondes  de  la  théorie  dite  unitaire 
par  opposition  à  la  théorie  dualistique  de  Lavoi- 
sier et  de  son  école,  c'est  le  langage  qui  ne  se 
transforme  pas  aussi  facilement  que  des  formules. 

Il  nous  reste  à  parler  des  généralités  énoncées 
par  des  chimistes  sur  la  neutralité  des  sels,  sur 
l'action  des  agents  physiques,  sur  celle  de  l'air,  de 
l'eau,  des  corps  simples,  des  acides,  des  bases,  sur 
les  actions  réciproques  de  ces  derniers.  Ces  géné- 
ralités sont  très  utiles  dans  la  pratique,  mais 
manquent  de  rigueur  absolue,  à  cause  du  défaut 
de  précision  de  la  classe  à  laquelle  elles  s'appli- 
quent et  de  certains  termes  employés.  ^ 

Quand  un  acide  et  une  base  forment  plusieurs 
combinaisons,  on  appelle  sel  neutre  celui  dans  le- 
quel les  propriétés  de  la  base  et  de  l'acide  se  ba- 


SELS 


—  2016 


SELS 


lancent  ou  se  détruisent  le  plus  complètement  ;  on  '  exemple  devient  verticale  h  1 SO",  point  de  fusion 
admit  d'abord  comme  sel  neutre  celui  qui  était  sans  '  de  l'azotate  anhydre;  d'autres  offrent  de  re- 
action sur  les  teintures  végétales  et  en  particulier  ,  marquables  exceptions  ;  celle  du  sel  marin  est 
ne  rougissait  pas  la  teinture  de  tournesol,  et  ne  ,  droite  et  horizontale,  ce  qui  indique  une  solubilité 
ramenait  pas  au  bleu  celle  qu'un  acide  avait  rou-  !  égale  à  toute  température  ;  celle  du  sulfate  de 
gie.  Tel  est  le  sulfate  do  potasse.  Mais  le  réactif  i  soude  présente  un  maximum  et  même  un  point  de 
coloré  ne  permet  pas  toujours  de  découvrir  le  sel  i  rebroussemenl  à  33 degrés.  Certains  sels, peut-être 
neutre.  Ainsi  le  sulfate  de  cuivre  rougit  le  tour-  [  tous  avec  des  précautions   convenables,  présen- 


nescl,  et  les  trois  carbonates  de  soude  le  bleuis- 
sent. Berzélius,  se  fondant  sur  la  composition  de 
quelques  sels  envisagés  comme  neutres,  établit 
pour  chaque  classe  la  condition  de  neutralité  sur 
le  rapport  de  l'oxygène  de  l'acide  h  celui  de  la 
base.  Pour  les  sulfates  ce  rapport  est  .'),  pour  les 
azotates  5,  pour  les  carbonates  2,  etc.  Le  sulfate  de 
cuivre  CuO.SQs,  le  sulfate  d'alumine  Al-O^SSO», 
la  carbonate  de  soude  NaO,C02_,  l'azotate  d'argent 
AgO,AzO°,  sont  des  sels  neutres.   Les   sels  sont 


tent  l'étrange  phénomène  de  la  sursaturation.  La 
dissolution,  se  refroidissant  dans  un  vase  qui  ne 
contient  pas  trace  de  sel  solide,  ne  cristallise  pas, 
bien  qu'elle  contienne  plus  de  sel  que  ne  l'indi- 
quent les  tables;  elle  esc  sursaturée.  La  présence 
d'un  atome  du  sel  solide  ou  peut-être  d'un  sel  iso- 
morphe suffit  pour  produire  une  cristallisation 
presque  instantanée. 

Généralement  l'air  contient  cet  atome,  de  sorte 
que  la  dissolution  sursaturée  dans  un  tube  fermé 


acides  ou  basiques  selon  qu'ils  contiennent  plus  se  prend  en  masse  aussitôt  qu'on  laisse  pénétrer 
d'acide  ou  de  base  que  le  sel  neutre  contenant  les  ■  l'air.  Mais,  comme  dans  les  expériences  de  M.  Pas- 
mêmes  éléments.  Mais  il  y  a  encore  des  cas  où  un  j  teur  sur  la  génération  spontanée,  avec  lesquelles 
genre  de  sels  ne  contient  aucune  espèce  sans  ac- 1  celles  de  la  sursaturation  ont  plus  d'une  analo- 
tion  sur  la  teinture  de  tournesol.  Comment  trou-  j  gie,  l'air  n'agit  que  comme  véhicule  de  parties 
ver  alors  le  rapport  de  Berzélius  qui  détermine  le  ;  solides  ;  car  si  l'on  fait  arriver  sur  la  dissolution 
sel  neutre  '?  Alors,  dit  un  auteur  qui  fait  foi,  on  a  .  de  l'air  qui  a  passé  h  travers  un  tube  assez  long  et 
recours  «  h  une  convention  qui  considère  comme  ,  tourmenté  pour  qu'il  y  ait  laissé  tous  les  corpus- 
sels  neutres  les  composés  les  plus  stables  ou  les  cules  solides  qui  y  étaient  suspendus,  il  ne  se  pro- 
plus usuels,  1)  c'est-à-dire  encore  une  fois  à  l'arbi-    doit  plus  de  cristallisation. 

traire,  source  de  divergences  entre  les  chimistes.  L'eau  se  combine  avec  certains  sels.  Par  esem- 
Les  sels  ont  une  densité  généralement  croissant  pie,  le  bisulfate  anhydre  de  soude,  2NaO,S03, 
avec  l'équivalent  du  métal  contenu.  La  plupart  j  absorbe  un  équivalent  d'eau  et  devient  un  vrai  sel 
sont  inodores,  ont  un  goût  dépendant  du  métal  j  double.  Le  plâtre  (sulfate  de  chaux),  le  bichlo- 
plutût  que  de  la  base.  Beaucoup  sont  incolores,  ,  rure  d'étain,  le  sulfate  de  cuivre  anhydre,  etc., 
quelques-uns  ont  une  coloration  qui  dépend  de  la  j  absorbent  de  l'eau  avec  dégagement  de  chaleur, 
base  plutôt  que  du  métal,  et  souvent  analogue  îi  1  Cette  eau,  disent  les  chimistes,  n'est  pas  de  l'eau 
celle  de  l'hydrate  de  la  base.  La  chaleur  agit  sur    combinée,  c'est  de  l'eau   de  cristallisation,  c'est 


les  sols  d'abord  pour  enlever  l'eau  de  cristallisa 
tion,  puis  celle  de  combinaison;  certains  sels  sont 
ensuite  fondus  et  décomposés.  Ces  modifications 


un  phénomène  d'hydratation.  Nous  donnons  ces 
mots  pour  ce  qu'ils  valent,  et  nous  ne  sommes 
pas  plus  capables  d'indiquer  la  distinction  entre 


sont  généralement  successives  et  ont  lieu  à  des  i  l'hydratation  en  proportions  définies  et  la  com 
températures  assez  bien  définies.  L'alun,  le  borax,  j  binaison,  que  les  chimistes  qui  l'ont  inventée, 
les  phosphates  alcalins,  le  sulfate  de  soude  offrent'  L'hydratation  d'un  sel  varie  avec  la  température 
sous  ce  rapport  de  curieux  exemples  dans  le  dé- 1  de  l'opération.  Ainsi  le  borax  prend  ]0  équiva- 
tail  desquels  nous  ne  pouvons  entrer.  lents  d'eau  à  0°,  et  5  seulement  de  40  à  50°.  Il 

La  lumière  agit  sur  quelques  sels  ;  ce  fait  est  le    est  des  sels,   carbonate  de  potasse,   chlorure  de 
point  de  départ  de  la  photographie.  calcium,  qui  absorbent  l'eau  de  l'air  :  on  les  dit 

L'électricité  décompose  les  sels.  Les  dissolu- ,  déliquescents;  d'autres  qui  lui  cèdent  la  leur,  se 
lions  des  sels  alcalins  traversés  par  le  courant  de  dessèchent  et  forment  une  poudre,  autrefois  ap- 
la  pile  se  décomposent;  l'alcali  se  rend  au  pôle  :  pelée  fleur:  on  les  dit  efflorescents. 
négatif,  l'acide  au  pôle  positif,  d'où  le  nom  d'élé-        Un  métal  décompose  le   sel  d'un 


meiit  électro-positif  donné  i  la  base,  d'électro-né' 
gatif  à  l'acide.  Quand  cette  expérience  est  faite, 
avec  du  sulfate  de  soude  colore  au  moyen  de  la 


autre  métal 
quand  il  a  plus  à'iiffinUé  que  lui  ponr  l'élément 
ou  le  composé  électro-négatif  auquel  ce  dernier 
est  combiné.  Affinité!  encore  un  mot  vague  dont 
teinture  de  dahlia  ou  de  chou  rouge,  dans  un  tube  I  la  science  moderne  ne  se  contente  plus.  Comment 
en  U,  le  milieu  du  tube  reste  violacé,  le  côté  né-  j  cette  affinité  se  mesure-t-elle  ?  Par  ses  résultats; 
gatif  devient  verl,  le  positif  rouge.  Elle  semble  une  mais  alors  l'énoncé  de  la  loi  repose  sur  un  cer- 
confirmation  éclatante  de  la  théorie  dualistique  de  I  cle  vicieux  ;  ce  n'est  plus  une  loi,  mais  une  sim- 
Lavoisier.  Mais  si  l'on  agit  sur  d'autres  sels  métal-  j  pie  collection  de  faits  sans  connexion  :  le  fer,  le 
liques  à  oxydedécomposable,  comme  le  sulfate  de  zinc,  décomposent  les  sels  de  cuivre,  de  plomb  ; 
cuivre,  les  sels  d'argent  ou  d'or,  ce  n'est  plus  '  ces  derniers  métaux  les  sels  d'argent,  de  mer- 
l'oxyde,  mais  le  métal  lui-même  qui  se  porte  au  i  cure,  etc. 

pôle  négatif,  tandis  qu'au  pôle    positif  se  rend  j      La  même  chose  peut  se    dire  de  l'action  ré- 
l'oxygène  et  l'acide,  ou  encore  le  corps  simple  ou    ciproque    des    sels    entre    eux,     dans   laquelle  ^ 
composé  combiné  avec  le  métal,  tel  que  chlore  ou    rentre  l'action  des   acides  hydratés,   sels    d'eau,- 
cyanogène.  Ces  expériences  sont  le  point  de  dé-  i  et  des   bases  hydratées,   hydrates  d'oxydes.  En 
part  d"e  la  galvanoplastie.  |  fait  '  de    généralités,    ce    qu'on     peut    dire    de 

L'eau  peut  agir  de  trois  manières  sur  les  sels  :  ■.  plus  net  est  ceci  :  Quand  on  mélange  deux  sels' 
les  dissoudre,  se  combiner  avec  eux,  les  décompo-  i  en  état  de  réagir,  c'est-à-dire  de  façon  que  l'un 
ser.  Les  sels  alcalins  sont  en  général  solubles.  Il  j  au  moins  soit  rendu  liquide  par  dissolution  ou 
est  théoriquement  intéressant  et  souvent  prati-  :  fusion,  il  peut  se  produire  certaines  quantités  de 
quement  utile  de  connaître  leur  solubilité  aux  di-  quatre  sels  par  une  répartition  convenable  des 
verses  températures.  On  connaît  la  quantité  d'un  !  bases  et  des  acides.  Si  par  une  cause  quelconque 
sel  dissoute  dans  100  parties  d'eau  à  une  tempe-  |  l'un  d'eux  s'élimine  au  fur  et  à  mesure  de  sa; 
rature  donnée  en  évaporant  à  sec  un  poids  connu  formation,  il  y  aura  tendance  à  formation  nou-! 
de  dissolution  concentrée  du  sel  à  ladite  tempe- 1  vello  de  ce  composé  jusqu'à  disparition  de  l'un' 
rature.  Les  résultats  pour  chaque  sel  s'expriment;  des  éléments  ou  des  deux  éléments  nécessaires, i 
à  l'aide  d'une  courbe  de  solubilité.  En  général  ces  •  Cela  détermine  la  nature  de  la  réaction.  Ber  | 
courbes  s'élèvent  rapidement;  celle  du  nitre  par  i  thollet  avait  énoncé  deux  lois,  cas  particuliers  dij 


SELS 


—  2017  — 


SENSIBILITE 


la  règle  précédente  et  en  général  d'une  grande 
utilité  pratique,  mais  difficiles  k  appliquer  dans 
certains  cas  spéciaux  : 

1»  Quand  on  mélange  deux  solutions  conte- 
nant chacune  un  équivalent  d'un  sel,  et  que  ces 
sols,  par  l'écliange  de  leurs  bases  et  de  leurs 
acides,  peuvent  former  un  sel  insoluble  dans 
les  conditions  de  l'expérience,  ce  sel  se  forme  et 
se  précipite. 

2°  Quand  on  mélange  par  équivalents  deux  sels 
qui,  par  l'échange  de  leurs  bases  et  de  leurs  aci- 
des, peuvent  former  un  composé  volatil  à  la  tem- 
pérature do  l'expérience,  ce  sel  se  forme  et  se 
volatilise. 

Exemples  de  la  première  loi  :  des  solutions  de 
sulfate  de  soude  et  de  nitrate  de  baryte  mélan- 
gées donnent  du  sulfate  de  baryte  insoluble  et  de 
l'azotate  de  soude  qui  restent  dissous.  Autre 
exemple  difficile  il  expliquer  d'après  la  loi  de 
BerthoUet  :  une  solution  étendue  de  carbonate  de 
potasse  et  un  lait  de  chaux  donnent  de  la  potasse 
caustique  et  du  carbonate  de  chaux  ;  mais  la  réac- 
tion n'a  plus  lieu  si  la  solution  est  concentrée,  bien 
que  la  potasse  caustique  y  soit  très  soluble,  et 
le  carbonate  de  chaux  insoluble.  —  Exemples  de 
la  deuxième  loi  :  l'acide  sulfurique  (sulfate  d'eau) 
et  l'azotate  de  potasse  donnent  k  chaud  du  sul- 
fate de  potasse  et  de  l'acide  azotique  (azo- 
tate d'eau)  ;  la  chaux  anliydre  et  le  chlorhydrate 
d'ammoniaque  donnent  du  chlorure  de  calcium, 
du  gaz  ammoniac  et  de  la  vapeur  d'eau.  On  voit 
que  dans  ce  dernier  cas  la  deuxième  loi  de  Ber- 
thollet  s'étend  b.  des  corps  qui  ne  sont  pas  des 
oxysels,  anciens  sels  de  Lavoisier,  mais  k  des 
oxydes,  h  des  chlorures  de  corps  composés. 

Les  grandes  lois  destinées  à  remplacer  les  pré- 
cédentes, très  souvent  incomplètes  et  d'une  pré- 
cision insuffisante,  sont  celles  que  fournit  la 
thermochimie  *.  Dans  cette  science  née  d'hier  et 
■dont  M.  Berthelot  est  le  véritable  créateur,  l'af- 
finité de  deux  corps  se  mesure  par  la  quantité 
de  chaleur  dégagée  par  leur  combinaison  ;  de 
sorte  qu'à  l'aide  d'un  certain  nombre  de  données 
et  d'une  méthode  de  calcul  sur  laquelle  nous  ne 
pouvons  insister  ici,  on  pourra  toujours,  étant 
-connus  les  poids  du  corps  en  présence  et  les 
conditions  de  l'expérience,  en  prévoir  le  résultat 
et  résoudre  un  problème  de  chimie  comme  un 
problème  de  mécanique. 

Nous  terminerons  cet  article  en  établissant  la 
synonymie  entre  quelques  noms  vulgaires  ou 
pharmaceutiques  de  sols  inorganiques  et  leurs 
noms  chimiques. 

Alun Sulfure  d'alumine  et  d'un  alcali. 

Sel  ammoniac Chlorhydrate  d'amaiouiaque. 

Sel  de  Berthollet Chloi-ate  de  potasse. 

Borax Borate  de  soude. 

Calomel Protochlorurc  de  mercure. 

Cendre  bleue Carbonate  de  cuivre. 

Céruse Carbonate  de  plomb. 

Couperose  blanche  {ou 

vitriol  blanc) Sulfate  de  zinc. 

Couperose  bleue  [ou  vi- 
triol bleu) Sulfate  de  eu iyre. 

Couperose  verte  {ou  vi- 
triol vert) Sulfate  de  fer. 

5e/  d'Epsom  ou  de  Sed- 

litz. Sulfate  de  magnésie. 

Flux  blanc Carbonate  de  potasse. 

Sel  de  Glauber Sulfate  de  soude. 

Liqueur  de  Libavius  ..  Blchlorure  détain. 

Natron Scsquicarbonate  de  soude. 

Nitre  ou  salpêtre Azotate  de  potasse. 

■Or  massif Bisulfure  d'étain 

Pier,  e  infernale Nitrate  d'ar<;ent. 

Plâtre.. Sulfate  de  chaux. 

Sublimé  corrosif. Bichlorure  de  mercure. 

Vert  de  Scheele Arsénile  de  cuivre. 

Sel     volaiil    d'Angle- 
terre. .  .U Carbonate  d'ammoniaque. 

'  [Paul  Uobin.] 

2'  l'AUTIE. 


SENS.  —  V.  Sensibilité.  —  V.  eu  outre  Tact, 
Oclurat,  Ouïe,  Vue. 

SE.NSIBILITÉ.  —  Zoologie  et  Physiologie, 
XXXVIII.  —  La  sensibilité  est  la  faculté  que  possède 
l'animal  de  percevoir  les  impressions  diverses  qui 
lui  viennent,  soit  des  objets  extérieurs,  soit  des 
profondeurs  mêmes  do  son  propre  organisme.  Nous 
écartons  de  cette  étude  certains  phénomènes, 
d'une  très  lointaine  analogie,  observés  chez  quel- 
ques plantes  {Dioiuca,  etc.).  L'homme  ne  saurait 
juger  des  sensations  de  ses  semblables  ou  de  celles 
des  animaux,  que  d'après  ce  qu'il  observe  et  sent 
en  lui-raôiue,  d'après  les  siennes  propres;  les 
mots  que  nous  venons  d'employer,  sentir,  per- 
cevoir, ont  donc  forcément  une  signification  qui 
ne  saurait  s'entendre  dos  fonctions  végétales.  L'a- 
nimal seul  possède  les  organes  spéciaux  par  les- 
quels se  manifeste  cette  faculté  caractéristique. 
Entre  tous  les  animaux,  l'homme  est  celui  qui 
possède,  dans  toute  sa  plénitude,  ce  mode  d'exis- 
tence refusé  aux  végétaux,  celui  qui  ressent  le 
plus  d'impressions  variées,  et  qui  est  le  mieux 
organisé  pour  les  différencier. 

En  effet,  l'appareil  sensitif  de  l'homme  occupe,  à 
peu  d'exceptions  près,  tous  les  points  de  l'organisme, 
et  il  n'y  a  pas  de  région  qui  ne  soit  munie  de  nerfs 
et  capable  de  sentir.  Mais  en  outre,  cet  appareil  pré- 
sente, h  la  surface  même  du  corps,  un  certain  nom- 
bre d'organes,  d'une  structure  particulière  (les 
organes  des  sens),  qui  perçoivent  chacun  un  ou 
plusieurs  des  attributs  des  corps  extérieurs. 

A  cette  division  do  l'appareil  correspond  une 
division  des  sensations.  Il  y  en  a  deux  grandes  ca- 
tégories, l'une,  celle  des  sensations  générales 
perçues  par  tous  les  nerfs  sensitifs  du  corps; 
l'autre,  celle  des  sensations  spéciales,  transmises 
par  les  organes  des  sens.  Les  premières  sont  va- 
gues, mal  définies,  et  ne  nous  donnent  sur  le 
siège  et  la  nature  de  la  cause  que  des  notions  in- 
certaines: la  douleur,  le  malaise,  la  faim,  sont 
des  types  de  ce  premier  genre.  Los  secondes  nous 
renseignent  sur  certains  caractères  précis  et  dé- 
terminés de  la  cause,  couleur,  température, 
forme,  etc.  Mais  il  ne  faudrait  pas  croire  qu'une 
différence  bien  tranchée  sépare  toujours  ces  deux 
catégories;  il  y  a  au  contraire,  de  l'une  à  l'autre, 
une  foule  de  transitions  et  d'intermédiaires. 

Les  sensations  générales  sont  infiniment  répan- 
dues. Tous  les  tissus,  avons-nous  dit,  possédant  des 
nerfs,  sont  par  suite  le  siège  de  ces  impressions. 
Les  surfaces  muqueuses,  digestive  ou  pulmonaire, 
sont  sensibles  au  contact  des  agents  étrangers  à 
l'organisme,  air  ou  aliments.  Les  muscles  sont  le 
siège  d'une  curieuse  sensation,  désignée  sous  le 
nom  de  sens  musculaires, qui  nous  renseigne  sur 
le  degré,  sur  l'énergie  de  la  contraction;  cest 
ainsi  que  nous  pouvons  apprécier  le  poids  d'un 
objet,  alors  môme  que  la  peau  de  la  mam  qm  le 
soulève  est  insensible:  nous  ne  l'apprécions,  nous 
ne  l'évaluons,  dans  ce  cas,  qu'au  degré  de  1  effort 
nécessaire,  c'est-à-dire  de  la  contraction  de  certains 
muscles.  La  fatigue,  les  courbatures,  ne  sont  autre 
chose  que  la  souffrance  du  muscle  épuisé,  sur- 
mené. Les  03,  les  glandes,  plus  pauvres  en  nerfs, 
possèdent  cependant  encore  une  sensibilité  rela- 
tive, et  la  maladie,  l'inflammation  par  exemple, 
peut  leur  prêter  une  richesse  passagère  de  senti- 
ment, jusqu'à  donner  lieu  à  d'atroces  douleurs. 
La  douleur  et  le  plaisir  physiques  rentrent  dans 
le  groupe  des  sensations  générales,  soit  que  nous 
ne  puissions  en  préciser  le  siège  (mal-être  de  la 
faiblesse,  de  la  fièvre,  plaisir  de  la  satiété,  etc.), 
soit  que,  le  siège  étant  précis,  nous  ne  puissions 
déterminer  la  cause  (douleurs  en  général). 

A  y  regarder  de  près,  on  constate  que  chacune 
de  nos   fonctions,  alimentation,  respiration,  etc., 
provoque,  si  elle  n'est  pas  accomplie,  des  sensa- 
tions générales  désagréables,  que  nous  désignons 
127 


SENSIBILITE 


—  2018  — 


SENSIBILITE 


«mis  des  noms  particuliers,  soif,  faim,  etc.,  ou  ,  du  trajet  nerveux,  fùt-elle  directement  exercée  sur 
Kou=  le  nom  commun  de  besoins  physiques  ;  elle  le  centre  récepteur  lui-même.  Ç  est  ainsi  qu  un 
rirovooue  en  revanche,  lorsqu'elle  est  satisfaite,  malade,  atteint  d'une  tumeur  cérébrale,  se  plai- 
des sensations  générales  agréables,  parfois  confu-  gnait  de  sentir  une  affreuse  odeur  de  tonnerre 
ses  et  obscures!  souvent  d'une  extrême  intonsiié.  vert.  Association  qm  semble  étrange  au  premier 
Il  semble  que  la  nature  ait  voulu  sans  cesse  avertir  abord,  et  qui  s  explique  cependant  le  plus  ai- 
l'animal  de  la  nécessité  d'accomplir  les  actes  in- 1  sèment  du  monde  :  chez  lui  les  trois  centres- 
disnensables  à  son  existence  propre,  ou  i  la  vie  cérébraux  de  l'odorat,  de  1  ouïe  et  de  la  vue,  irrite» 
de  l'espèce,  puis  le  récompenser  de  son  obéis-  par  la  lésion,  reportaient  i  1  oreille,  au  nez  et  à, 
sance  Ces  sensations  seraient,  k  ce  compte-li,  l'œil  les  sensations  qu  ils  éprouvaient.  Ces  per- 
Dour  nous,  comme  elles  le  sont  pour  les  animaux,  copiions  fausses,  ou  plutôt  ces  erreurs  de  siège- 
notre   meilleur  guide  dans  la  conduite  de   notre    sur  des  perceptions  réelles,  sont  le  fond  du  pheno- 


notre   meilleur  gi ,  ,-  ,„    ii     •     .• 

être  physique  :    mais  la  volonté  et  l'intelligence    mène  de  1  hallucination, 
interviennent  trop  souvent  ici  pour  fausser  cette  '      '""-*  ■'■>-=  "»  <^<"'     ''■ 


C'est  dans  ce  fait,    de  Yexlériorité  des    sensa- 


sensibililé  révélatrice,  pour  dépasser  le  juste  degré  j  lions,  qu'il  faut  chercher  la  clef  d'un  phénomène 
du  besoin  naturel,  parfois  même  pour  créer  un    curieux,    celui   àei  semaitons  associées.    Quanii 


besoin  nouveau   (gourmandise,   ivrognerie. 


une  sensation  très  intense  est  transmise  au  cer- 


Mais  ce  n'est  pas  seulement  la  fonction  voulue,  \  veau,  l'ébranlement  communique  aux  cellules  du 
et  dont  on  a  conscience,  qui  retentit  ainsi,  en  1  centre  cérébral  auquel  aboutit  le  nerf  se  propage^ 
plaisir  ou  en  peine,  sur  le  cerveaii  :  c'est  la  vie  en  quelque  sorte,  aux  cellules  d  un  centre  voisin, 
tout   eniière,  en  ses  différentes  et  dernières  par-    Ce  centre,  ainsi  excite    par  voisinage,   provoque- 


et  de  ces  tissus,  I  verions  s'il  avait  été  mis  en  jeu  par  les  nerls  qui 


c'est  là  le  sentiment  de  l'existence.  Quand  aucune 
discordance  ne  vient  troubler  cette  liarmonie, 
quand  tous  les  organes  «  ont  plaisir  •>  à  vivre,  que 
l'air  semble  pur  aux  poumons,  le  sang  riche  aux 
tissus,  qu'enfin  le  jeu  de  la  machine  entière  est 
aisé,  régulier  et  libre,  alors  se  produit  en  nous  la 
sensation  du  bien-iHre,  révélation  de  la  santé.  Au 
contraire,  un  trouble  apporté  à  l'équilibre  orga- 
nique se  traduit,  en  dehors  môme  des  douleurs 
locales,  par  le  malaise  général. 

Si  là  se  bornait  le  rôle  de  la  sensibilité, 
l'honlme  serait  simplement  un  être  qui  jouit  et 
qui  souffre.  Mais,  à  côté  des  sensations  de  peine 


bilic,  etc. 

Tels  sont,  envisagés  dans  leur  ensemble,  les 
phénomènes  physiologiques  de  la  sensibilité.  Très 
complexes,  très  variables  suivant  les  individus, 
les  races,  les  habitudes,  les  états  de  santé  ou  de 
maladie,  ils  se  résolvent  tous  en  un  type  com- 
mun et,  on  pourrait  dire,  en  un  schéma  unique  : 
l'ébranlement  d'un  organe  spécial  placé  en  un 
point  quelconque  du  corps  vivant,  et  la  propaga- 
tion de  cet  ébranlement  le  long  de  conducteurs 
nerveux  jusqu'aux  centres  percepteurs. 

(D'  E.  Pécaut.] 
SENSIBILITÉ.  —  Psychologie,  III,  VI.  —  La  sen- 
bilité  est  une  faculté  commune  à  l'animal  et  à 


sensations,   puisque   chacune  est   traitée    à  part    fait  élementau-e  de  sensibilité,  nous  verroi  s  en 
dans    un   article  séparé  (V.    Tuct,  Odorat,   0«i'e,    suite   ™nmient  se   développent  chez  lenf^^^^^^^^ 
Vue).  Nous  dirons  seulement  que  l'étude  du  dé-  [  chez  l'homme  les  phénomènes  qui  se  rattachent  i 
veloppemeni  embryonnaire  des  organes  révèle  ce  i  cette  faculté 
fait  intéressant  :  que   tous  les  appareils  des  sens  |      "^  ""'   '""  "^ 
dérivent  primitivement  de  la  peau.  Cette  commu- 


Toui  fait  de  sensibilité  est  d'abord  un  fait  con- 

cient    La  conscience  peut  être  vague,  indécise 

oit,  elle  accompag'- *"" 

Nous  ne  saurions 


analogie  physiologique?  Question  qui  n'a  pas  une  !  jours  les  faits  sensibles.  Nous  "«  f.''"' '""^,^'''"^'. 
bien  grande  portée,niais  que  nous  tranchons  affirma-  \  tre  la  sensibilité  inconsciente  ^O't  Pa^il«nt  qu^^^^^^ 
tivement.  Ou  peut  dire,  en  un  certain  sens,  que  :  ques  physiologistes.On  ne  peut  pas  plus  con  prenarc 
la  vue,  rouie,  l'odorat  et  le  goût,  ne  sont  que  des  ,  une  sensibilité  qui  ne  sent  pas,  qu  uiil  PÇ''^ee  qu. 
'       — .  o       '  -i  —      1,  ^„,  v_a,  nue  r.prtaines  Plantes,  la 


I  tacts  »  différents  :    nous  ne  pouvons,  en  effet, 
concevoir  que  des   actions  de  contact,  et  la  vue 


ne  pense  pas.  Il  est  vrai  que  certaines  plantes, 
sensiiive     par    exemple ,    par   les    mouvements 


l'odorat,  etc.,  ne  sauraient  consister  que  dans  l'é-  i  qu'elles  exécutent  au  contactdes  '=o.'P  ?  ^*"°^'? 
branlementde  l'appareil  nerveux  au  contact  d'un  ;  présentent  les  apparences  ^  "."'^J'r.' f^^^.^  ^'^"° 
corps  extérieur,  air,  éther,  aliments,  etc.  bilité,  que  ce  contact  f™'^^''^!' " ''"\*=  f '''S 

La  sensibilité  est  sujette  à  deux  sortes  d'erreurs,  il  est  bien  évident  que  ces  phenoujènes  ne  resu 
Les  premières  viennent  de  ce  que  les  sens  se  ,  tent  chez  les  végétaijx  que  d  un  mécanisme  aveu 
meuvent  entre  des  limites  infranchissables  :  l'o-  i  gle  et  inconscient.  Il  ne  vient  a  ' ';='P^".."'-. '' 
reiUepar  exemple  cesse  de  percevoir  les  sons,  !  sonne  d'attribuer  réellement  •»  f «^^"f  J"''»^  .^^'j',^ 
quand  le  nombre  des  vibrations  descend  au-des-  !  plaques  photograplnques  qu  on  '\»  f.'"^/^^"^^" 
sous  d'un  certain  chiffre,  ou  monte  au-dessus  ,  plaques  sensibles.  C  est  par  un  abu=  de  mots  tout 
d'un  chiffre  également  déterminé.  Au  delà  ou  en  i  semblable  qu'on  se  risque  à  parler  de  la  seusi 
deçà  de  ces  bornes,  encore  bien  qu'il  se  produise  ,  bilité  chez  les  plantes.  „„„„;k1oq   r'est 

des  sons,  c'est  pour  nous  le  silence.  C'est  ainsi  Le  second  caractère  des  faits  .sf/^'es  c  est 
encore  que  la  main  ne  différencie  que  les  tempe-  qu'ils  sont  affectifs,  c'est-à-dire  q" ''^/«'f '"""p^"'. 
_-. ' ■_._  -_»^_  „.,  ..  .,^„  j„..„  1,  «,>nc,-io,icp  un  nlaisir  OU  une  peine,  ne 


ratures  comprises  entre  0"  et  lO". 

La  seconde  source  d'erreurs  vient  de  ce  fait 
(dont  il  est  parle  à  l'article  Si/stème  nerveux), 
que  le  cerveau  reporte  à  l'extrémité  des  nerfs 
toute  excitation  exercée  sur  un  point  quelconque 


dans  la  conscience  un  plaisir  ou  une  pein 
nons  par  exemple  les  phénomènes  sensibles  qui 
résuhent  du  sens  de  la  vue.  Toute  seii.'ration  de 
nos  yeux,  à  l'origine  au  moins,  est  à  la  fcis  repe- 
sentalive  et  affective.  Lorsque  1  enfant  aperçoit  la 


SENSIBILITE 


—  -20I'J  — 


SENSIBILITE 


luinioi-o  d'uni'.  boHji;io,  en  môme  temps  qu'il  se  re- 
présente la  tlammo  dont  l'image  se  grave  dans  sa 
mémoire,  il  éprouve  un  plaisir  plus  ou  moins  vif. 
Lorsqu'on  lui  présente  la  serviette  qui  va  servir  ;\ 
le  dcbarljouiller,  :\  la  fois  il  reconnaît  l'objet  dé- 
sagréable, et  ressent  une  émotion  pénible  qui  se 
manifesle  parses  cris  et  par  ses  pleurs.  ISousseau, 
dans  VEinilc,  prétend  à  tort  que  chez  l'enfant 
toutes  les  sensations  sont  exclusivement  all'ectives. 
Ce  <|ui  est  vrai,  c'est  que,  au  début  de  la  vie,  la 
sensibilité,  avec  ses  impressions  de  plaiâir  ou  de 
peine,  l'oiiporte  dans  la  sensation  sur  la  représen- 
tation intellectuelle.  Mais  cette  représentation 
existe  déjà,  bien  que  vaguement  perrue.  l'on  à  peu, 
avec  le  progrès  de  l'âge,  c'est  elle  qui  dominera  la 
soiisibilité;  les  perceptions  deviendront  indiffé- 
rentes, c'est-à-dire  qu'elles  ne  seront  accompa- 
gnées d'aucun  plaisir  ni  d'aucune  peine  ;  elles 
nous  apporteront  purement  et  simplement  la  con- 
naissance do  l'objet. 

Quoiqu'il  en  soit,  ce  qui,  parmi  tousles  autres 
faits  do  la  conscience,  caractérise  les  faits  sensi- 
bles, c'est  qu'ils  sont  agréables  ou  désagréables. 
Le  plaisir  et  la  peine,  tel  est  le  pbénonièuo  es- 
sentiel de  la  sensibilité.  Reste  à.  en  expliquer  la 
nature  et  l'origine. 

D'après  certaitis  philosophes,  Kant  par  exemple, 
le  plaisir  serait  un  phénomène  négatif,  et  la  dou- 
leur seule  un  fait  positif.  C'était  déji  l'opinion  de 
Cardan,  qui  soutenait  que  le  plaisir  n'était  pas 
autre  chose  que  la  cessation  de  la  douleur.  Ce 
philosophe  original,  mettant  sa  théorie  en  prati- 
que, s'imposait  à  lui-même  des  douleurs  volon- 
taires afin  d'augmenter  le  nombre  de  ses  plai- 
sirs. 

On  ne  saurait  contester  sans  doute  que  le  plai- 
sir et  la  douleur  ne  soient  en  relation  étroite. 
Nombre  de  jouissances  ne  sontdes  jouissances  que 
parce  qu'elles  succèdent  à  des  privations.  La  dou- 
leur ressentie  avive  le  plaisir  qui  vient  après  elle. 
On  se  rappelle  l'apologue  de  Socrale.  qui  disait  : 
«  Le  plaisir  et  la  douleur  sont  inséparables:  Jupiter 
les  a  liés  l'un  h  l'autre  par  une  chaîne  d'or,  de 
telle  sorte  que  ces  deux  compagnons  se  suivent  à 
pou  de  distance.  » 

Il  n'en  est  pas  moins  certain  que  le  plaisir  ne 
dépend  pas  nécessaireiuent  de  la  douleur.  Toutes 
les  impressions  agréables  ne  sont  pas  précédées 
d'impressions  désagréables.  On  peut  éprouver  du 
plaisir  à  manger  quoiqu'on  n'ait  pas  souffert  de  la 
i'aim.  De  même  tous  les  besoins  naturels  satisfaits 
procurent  du  plaisir  sans  qu'ils  aient  été  assez 
vifs  pour  causer  de  la  douleur.  Remarquons  d'ail- 
leurs que  si  le  plaisir  résultait  seulement  de  la 
cessation  de  la  douleur,  on  ne  pourrait  éprouver 
deux  plaisirs  de  suite,  ce  qui  n'est  pas  conforme 
à  l'expérience. 

Il  no  faut  donc  pas  chercher  à.  expliquer  le  plai- 
sir par  la  douleur,  ni  la  douleur  par  le  plaisir.  La 
douleur  et  le  plaisir  sont  deux  phénomènes  éga- 
lement réels,  mais  contraires,  qui  proviennent  de 
deux  siluatioiis  dill'érentes  de  l'âme.  La  source  du 
plaisir,  c'est  une  activité  normale  et  modérée.  La 
douleur  dérive  au  contraire  de  tout  empêchement 
apporté  à  l'exercice  de  notre  activité,  ou  bien 
d'une  activité  surmenée  et  exagérée,  d'un  excès 
j        d'activité. 

Plusieurs  objections  ont  été  élevées  contre  cette 
théorie.  On  a  dit  que  l'inaction,  tout  aussi  bien 
que  laction,  pouvait  procurer  du  plaisir.  Mais  cette 
objection  n'est  pas  sérieuse.  Tout  le  monde  sait 
que  les  paresseux  s'ennuient;  s'il  en  est  qui  sem- 
blent satisfaits  et  heureux,  c'est  que  ce  sont  de 
faux  paresseux,  qui  n'ont  abandonné  un  travail  que 
pour  se  livrer  à  d'autres  occupations  pins  con- 
formesyii  leurs  goûts  et  plus  proportionnées  à 
leurs  ffrces.  Le  rêveur,  par  exemple,  qui  trouve 
un  clijrmo  infini  dans  ses  rêveries,  n'est  inactif 


qu'on  apparence  :  son  imagination  est  constam- 
nietit  en  jeu. 

Une  autre  objection  plus  sérieuse  est  tirée  de  ce 
fait  que  des  actes  analogues  déterminent  tantôt  du 
plaisir,  tantôt  de  la  peine.  Quand  on  in.'.nge  une 
orange,  fait  remarquer  Stuart  Mill,  on  éprouve 
une  sensation  agréable  :  rien  de  plus  désagréable, 
au  coiitraire,  (|mi'  lii'  gm'iti'i'  l:i  rlinbarbo.  Dans  les 

deux  cas  I'ihl:. iln  «"'H  '■'  '■"'  l'xriic'  de  la  même 

manière  ji.n-  un  mh'  :iriil  ■.  D  ,,!i  -,  hmu  i\\\c  les  effets 
produits  sont  dillV'njiil-. ,'  Il  snMit  phis  facile  sans 
doute  do  répondre  à  ci'tt^'  iiupsiion,  si  l'on  con- 
naissait mieux  le  mode  il  .niiuii  ili^s  nerfs  ùu  goût. 
Il  est.  probable  que  par  lems  (|ii,iliics  propres  la 
rhubarbe  et  l'orange inipressinnnent  dilléremmeni, 
les  nerfs,  que  l'une  gène  leur  action,  tandis  que 
l'autre  l'excite.  D'ailleurs  ce  n'est  pas  une  objec- 
tion de  détail  qui  peut  faire  rejeter  une  théorie 
vérifiée  et  justifiée  par  les  faits  dans  la  majorité 
des  cas. 

En  effet,  que  l'on  considère  l'enfant  ou  que  l'on 
considère  l'homme,  on  reconnaît  que  tous  les  plai- 
sirs résultent  d'une  activité  réglée,  toutes  les  pei- 
nes, d'une  activité  immodérée  ou  de  l'inac- 
tion. Les  enfants  dans  leurs  jeux  éprouvent  d'au- 
tant plus  de  plaisir  qu'ils  agissent  davantage.  Si 
la  chasse  et  les  diverses  sortes  de  sport  sont  des 
distractions  recherchées  par  les  hommes,  c'est 
qu'elles  permettent  le  déploiement  de  l'activité 
physique.  Ce  sont  les  calculs  et  les  combinaisons 
qui,  en  excitant  l'activité  intellectuelle,  rendent  in- 
téressants des  jeux  tels  que  les  cartes  et  les 
échecs. 

On  peut  donc  admettre  comme  définitivement 
établie  cette  vérité  psychologique  ijuo  le  plaisir 
résulte  de  l'activité,  que  «  le  bonheur,  comme  di- 
sait Voltaire,  est  dans  l'action,  «  et  les  pédago- 
gues auront  à  profiter  de  cette  théorie  pour  y  trou- 
ver la  règle  essentielle  du  travail  attrayant.  Mais 
la  sensibilité  se  manifeste  par  d'autres  faits  que  le 
plaisir  et  son  corrélatif,  la  douleur.  Ce  qui  la  ca- 
ractérise encore,  c'est  le  fait  de  rechercher  le 
plaisir  et  d'éviter  la  douleur  :  ce  qu'on  exprime 
d'habitude  en  disant  que  la  sensibilité  est  la  fa- 
culté d'aimer  et  do  hair.  Il  y  a  dans  la  conscience 
des  phénomènes  d'attraction  et  de  répulsion,  de 
désir  et  d'aversion.  Est-ce  le  plaisir  et  la  peine 
qui  sont  les  phénomènes  initiaux,  les  principes  de 
ces  inclinations  et  de  ces  antipathies,  ou  au  con- 
traire faut-il  voir  dans  ces  tendances  et  ces  aver- 
sions les  racines  du  plaisir  et  de  la  peine? 

Il  y  a  lieu  de  distinguer  ici  les  inclinations 
instinctives  et  innées,  antérieures  au  plaisir  et  à  la 
douleur,  et  les  inclinations  conscientes,  détermi- 
nées par  l'expérience  préalable  d'une  impression 
agréable  ou  désagréable.  Ainsi,  l'enfant,  la  pre- 
mière fois  qu'il  tète,  a  une  inclination  naturelle 
à  saisir  le  sein  de  sa  nourrice,  et  il  y  trouve  un 
plaisir  qu'il  no  soupçonnait  pas.  Mais  une  fois 
qu'il  a  expérimenté  ce  plaisir,  il  devient  capable 
de  le  désirer.  Le  désir  suppose  le  souvenir  du 
plaisir  ressenti,  et  de  même  l'aversion  implique 
la  mémoire  d'une  sensation  désagréable.  Ce  qui 
n'empêche  pas  la  sensibilité  d'aspirer  dès  l'abord 
et  sans  le  savoir  h  la  satisfaction  de  ses  divers  ap- 
pétits. On  ne  saurait  comprendre  la  thèse  des 
philosophes  qui  font  dériver  tous  les  phénomènes 
sensibles  d'un  plaisir  ou  dune  peine  antérieure- 
ment éprouvés.  11  n'y  a  que  les  inclinations  fac- 
tices, les  habitudes  artificielles  de  la  sensibilité 
qui  soient  de  cette  nature.  Tout  ce  qui  est  natu- 
rel dans  la  sensibilité  suppose  une  tendance  pri- 
mitive. L'âme  n'est  pas  plus  une  table  rase  au 
point  de  vue  de  la  sensibilité  qu'au  point  de  vue 
de  l'intelligence.  11  y  a  des  inclinations  innées 
comme  il  y  a  des  principes  innés  de  la  raison. 

La  sensibilité  est  donc   un  ensemble  d'inclina- 
tions, qui,  suivant  qu'elles  sont  favorisées  ou  con 


SENSIBILITE 


—  2020  — 


SENSIBILITE 


trariées  dans  leur  développement  et  leur  action, 
produisent  lo  plaisir  ou  la  douleur. 

Mais  ces  inclinations  sont  de  diverse  nature  et 
peuvent  être  distribuées  en  deux  grandes  caté- 
gories, les  unes  se  rattachant  à  la  sensibilité  phy- 
sique, les  autres  à  la  sensibilité  morale.  La  pre- 
mière a  pour  caractère  d'être  déterminée  direc- 
tement par  un  fait  matériel  :  le  plaisir  et  la  peine, 
dans  ce  cas,  se  localisent  dans  un  des  organes 
du  corps.  Tels  sont  les  phénomènes  de  brûlure, 
de  piqûre,  les  impressions  des  cinq  sens,  etc.  La 
sensibilité  morale,  au  contraire,  est  déterminée 
par  une  idée, par  un  phénomène  intellectuel,  et  les 
plaisirs  et  les  peines  auxquels  elle  donne  lieu  ne  sont 
pas  localisés  dans  une  partie  du  corps.  L'amitié,  la 
peur,  la  colère,  les  émotions  de  l'art,  sont  des  faits  de 
sensibilité  morale.  Sans  doute  ils  se  compliquent 
eux-mêmes  de  phénomènes  de  représentation 
sensible.  Le  plaisir  de  l'artiste  suppose  l'impres- 
sion visuelle  que  lo  tableau  ou  la  statue  laisse 
dans  les  yeux  :  mais  cette  représentation  maté- 
rielle de  l'objet  n'est  pas  la  cause  du  plaisir 
éprouvé.  En  effet,  un  paysan  et  un  homme  cultivé 
placés  devant  le  même  chef-d'œuvre  ne  sont  pas 
impressionnés  de  la  même  manière,  bien  que  la 
sensation  soit  la  même  pour  tous  deux.  L'un 
restera  presque  indifférent,  l'autre  sera  vraiment 
ému.  L'émotion  esthétique  ne  saurait  se  produire 
sans  un  certain  développement  d'idées  et  de  sou- 
venirs. 

Les  phénomènes  de  la  sensibilité  physique 
peuvent  eux-mêmes  se  répartir  en  plusieurs  caté- 
gories : 

1°  Les  sensations  de  la  vie  organique,  ou  se7i- 
sati07is  intemey,  qui  proviennent  dos  fonctions  et 
des  besoins  de  la  vie.  Voici,  d'après  le  psycho- 
logue anglais  Bain,  l'énumération  de  ces  sensa- 
tions :  1°  sensations  organiques  des  muscles  :  cou- 
pure, déchirure,  crampes,  fatigue  ;  2°  sensations 
des  nerfs  :  fatigue  nerveuse;  3"  sensations  de  la 
circulation  et  de  la  nutrition  :  faim,  soif,  nausées, 
dégoûts  ;  4°  sensations  de  la  respiration  :  suffoca- 
tion, etc.  ;  5°  sensations  intimes  de  chaleur  et  de 
froid,  frisson  ;  6"  sensations  électriques.»  L'ensem- 
ble de  toutes  ces  sensations  et  de  beaucoup  d'au- 
tres infiniment  petites  qui  murmurent  en  quelque 
sorte  dans  le  dernier  fond  de  nos  organes  vien- 
nent se  confondre  dans  une  sensation  générale, 
unique,  qui  accompagne  toute  notre  existence, 
qui  a  des  alternatives  de  force  et  de  faiblesse,  de 
clarté  et  d'obscurité,  qui  s'affaiblit  et  qui  s'éva- 
nouit presque  dans  le  sommeil,  qui  dort  dans 
l'enfant  et  s'endort  dans  le  vieillard  :  la  sensa- 
tion vitale.  »  (P.  Janet.) 

Aux  sensations  internes  doivent  se  rattacher 
aussi  celles  qui  résultent  des  appétits  :  le  besoin 
de  nourriture,  le  besoin  de  repos  ou  de  sommeil, 
l'instinct  do  reproduction. 

2°  La  seconde  classe  des  phénomènes  de  la 
sensibilité  physique  comprend  les  sensatiom 
e.rter/fs,  celles  qui  résultent  de  l'exercice  des 
cinq  sens  .•  les  plaisirs  du  goût,  de  l'odorat,  de  la 
vue,  de  l'ouie  et  du  toucher. 

La  sensibilité  morale  comprend,  elle  aussi,  un 
grand  nombre  d'inclinations,  les  unes  personnelles 
et  égoïstes,  les  autres  affectueuses  et  sociales, 
les  autres  enfin  qui  ont  pour  objets  le  vrai,  le 
beau  et  le  bien  (V.  pour  cette  classification  des 
inclinations  morales  les  articles  Inclinations  et 
Instinct). 

Cherchons  maintenant  selon  quel  ordre  d'évolu- 
tion la  sensibilité  se  manifeste  et  grandit  d'âge 
en  âge. 

C'est  une  question  de  savoir  si  l'enfant  débute 
dans  la  vie  par  une  impression  de  plaisir  ou  par 
une  impression  de  peine. Dans  son  livre  0«  pluisir  et 
fie  la  douleur,  M.  Francisque  Bouillier  affirme,  pour 
des  raisons  métaphysiques  surtout,  que  le  plaisir  doit 


précéder,  ne  fût-ce  que  d'un  instant  insaisissable, 
l'apparition  de  la  douleur.  A  supposer  que  cet 
ordre  de  préexistence  et  de  succession  soit  la  loi 
nécessaire  de  la  sensibilité,  il  faut  remarquer  que 
cola  n'engage  en  rien  et  ne  détermine  pas  la  na-. 
ture  de  la  première  impression  de  l'enfaiit.  La 
question  est  en  effet  réglée  dans  la  vie  infra- 
utérine,  et  l'enfant  n'attend  pas  de  naître  pour 
souffrir  ou  pour  jouir,  pour  ressentir  un  vague 
bien-être  ou  d'infiniment  petites  douleurs. 

On  a  prétendu  que  pour  un  des  sens  qui  se 
développent  les  premiers  cliez  l'enfant,  pour  le 
toucher,  l'enfant  éprouvait  de  bonne  heure  des 
impressions  désagréables,  qui  ont  pour  résultat 
de  le  faire  grimacer,  crier  :  mais  qu'on  ne  trou- 
vait point  trace  chez  lui  do  plaisir  tactile  avant 
l'âge  de  quelques  mois.  L'observation  est  juste, 
mais  il  faut  donner  la  raison  de  cette  différence 
apparente.  De  ce  que  les  impressions  agréables 
produites  par  la  chaude  douceur  du  sein,  par  le 
contact  d'une  étoffe  moelleuse  ou  d'une  main  ca- 
ressante, ne  se  manifestent  pas  chez  l'enfant,  il 
ne  faut  pas  en  conclure  qu'elles  n'existejit  pas  : 
c'est  l'expression  seule  qui  leur  manque.  La  dou- 
leur trouve  plus  tôt  que  le  plaisir  le  moyen  de 
s'exprimer,  et  il  est  facile  de  comprendre  les  rai- 
sons naturelles  de  cette  priorité.  L'expression  de 
la  douleur  est  une  expression  de  besoin  et  de 
nécessité,  parce  que  la  douleur,  anormale,  quoique 
fréquente,  provient  du  trouble  des  fonctions,  com- 
promet la  vie  et  la  santé,  et  par  suite  réclame  du 
secours.  Le  plaisir,  au  contraire,  correspondant  à 
un  état  sain  des  organes  et  à.  un  développement 
régulier  des  facultés,  n'aspire  pas  avec  la  même 
énergie  i  se  manifester  au  dehors  :  il  n'y  a  pas 
d'inconvénient  à  ce  qu'il  reste  latent,  et  l'expres- 
sion du  plaisir  est,  si  l'on  peut  ainsi  dire,  une 
expression  de  luxe  dont  l'enfant  peut  se  passer 
pendant  quelque  temps.  Voilà  pourquoi  le  rire 
et  le  sourire  ne  se  manifestent  que  longtemps 
après  les  cris. 

11  serait  trop  long  de  suivre  ici  pas  h  pas  l'évo- 
lution graduelle  de  la  sensibilité  enfantine  et  de 
rechercher  avec  détail  ce  que  le  nourrisson  aime 
et  n'aime  pas.  Ce  qui  est  à  noter,  c'est  que  la 
sensibilité  se  présente  de  très  bonne  heure  chez 
l'enfant  sous  ses  formes  les  plus  diverses  :  la 
crainte,  le  plus  souvent  causée  par  l'apparition 
d'un  objet  nouveau,  et  qui  ne  se  distingue  pas 
encore  nettement  de  l'étonneraent  et  de  la  sur- 
prise; la  jalousie,  qu'on  a  observée  dès  l'âge  de 
sept  mois;  la  colère,  plus  précoce  encore;  la  cu- 
riosité, qui  fait  que  vers  huit  ou  dix  moisun 
enfant  s'intéresse  déjà  à  des  objets  qui  n'ont 
aucun  rapport  avec  la  faim  ou  la  gourmandise  ; 
enfin  la  sympathie  et  l'antipathie,  qui  chez  l'en- 
fant ont  pour  objet  non  seulement  les  personnes 
humaines  et  les  animaux,  mais  les  choses  inani- 
mées. 

Ce  qui  est  remarquable  aussi,  c  est  que  la  sen- 
sibilité morale  ne  se  développe  qu'après  la  sensi- 
bilité physique.  Les  premières  sympathies  de 
l'enfant,  par  exemple,  ne  s'attachent  qu'aux  per- 
sonnes qui  lui  procurent  un  plaisir  sensible. 
L'enfant  do  trois  ans  ne  sourit  volontiers  qu'à  sa 
nourrice  et  à  sa  bonne,  à  la  première  parce 
qu'elle  lui  rappelle  les  douces  impressions  de 
l'allaitement,  à  la  seconde  parce  qu'elle  le  berce 
mollement.  L'habitude,  la  familiarité  jouent  aussi 
un  rùle  dans  le  développement  des  affections  nais- 
santes et  d'une  sensibilité  qui  s'effraie  de  tout  ce 
qui  est  nouveau,  inconnu.  Plus  tard,  lorsque,  aui 
plaisirs  du  goût,  du  contact  s'ajouteront  ceux  de 
la  vue  et  de  l'ouie,  la  sympathie  déterminée  par 
ces  nouvelles  sensations  agréables  se  portera  sur 
les  objets  colorés  ou  sonores,  sur  les  afuimaux 
par  exemple,  qui  par  la  grâce  de  leurs  .mouve- 
ments ou   la  vivacité    do   leurs   cris  donnent    à 


SERVAGE 


—  2021  — 


SERVAGE 


la  vue  et  à  l'ouio  de  l'enfant  l'occasion  de  s'exercer. 
La  sympathie  enfantine,  on  résumé,  suit  pas  à 
pas  les  manifestations  successives  du  plaisir  sen- 
sible. Ce  n'est  pas  une  raison  cependant  pour 
confondre  les  inclinations  synipatliiques  avec  les 
inclinations  égoïstes.  Aimer  les  autres  ne  sera 
jamais  la  même  chose  que  s'aimer  soi-même. 

L'étude  attentive  de  ces  progrès  lents  et  conti- 
nus de  la  sensibilité,  s'élevant  peu  à  peu  des 
plaisirs  les  plus  grossiers  des  sens  jusqu'aux 
émotions  les  plus  délicates  du  cœur,  c'est  la 
meilleure  réfutation  qu'on  puisse  opposer  à  l'er- 
reur des  pédagogues  qui,  comme  Rousseau, 
veulent  attendre  la  quinzième  année  pour  dévelop- 
per les  sentiments  moraux.  On  ne  saurait  trop  tôt 
cultiver  la  sensibilité  morale  de  l'enfant,  et  exer- 
cer dans  les  amitiés  enfantines,  dans  les  affections 
de  la  famille,  une  sensibilité  destinée  plus  tard 
h  s'éprendre  de  plus  grands  objets  encore.  Il  faut 
sur  ce  point  s'en  rapporter  h  la  nature,  à  l'ins- 
tinct, et  donner  cours,  dès  la  jeunesse,  aux  pre- 
mières émotions,  aux  premiers  élans  du  cœur.  L'é- 
ducation do  la  sensibilité  sera  d'abord  négative  : 
elle  se  contentera  d'écarter  tout  ce  qui  pourrait 
froisser,  comprimer  la  sensibilité  naissante.  Mais 
peu  h  peu  elle  deviendra  positive,  c'est-i-dire 
qu'elle  recherchera  toutes  les  occasions  d'exciter 
et  en  même  temps  de  régler  les  sentiments,  d'in- 
téresser les  plaisirs  de  l'enfant  aux  choses  bonnes 
et  belles.  [Gabriel  Compayré.] 

SERBIE.  —  Pour  la  géographie,  V.  Turquie  ; 
pour  l'histoire,  V.  Slaves. 

SERPENTS.  —  V.  Reptiles. 

SERVAGE.—  Histoire  générale,  XVIII.  —  Le 
servage,  condition  passagère  do  l'esclavage  à  la  li- 
berté, a  été  par  excellence  l'institution  du  moyen 
âge,  intermédiaire  entre  les  temps  antiques  et  les 
temps  à  venir.  Pourtant  ce  n'était  pas  une  institu- 
tion tout  à  fait  nouvelle  et  sans  précédents.  Sous 
des  noms  différents,  l'antiquité  avait  connu  et  par- 
tiellement pratiqué  le  principe  essentiel  du  ser- 
vage, qui  est  l'attachement  du  cultivateur  au  do- 
maine du  maître.  L'ilote  à  Sparte  n'était  qu'un 
tenancier  héréditaire;  à  Rome,  les  esclaves  rusti- 
ques, sous  un  régime  plus  précaire,  avaient  ce- 
pendant une  condition  analogue  ;  avec  les  animaux, 
les  outils,  ils  composaient  «  la  garniture  du  sol  »  ; 
«  on  les  vendait  avec  lui.et  on  ne  les  vendait  guère 
sans  lui  »  (Fustel  de  Coulanges),  bien  que  le 
maître  en  eût  la  faculté  ;  l'usage  ici  précédait  le 
droit.  Les  empereurs  Valentinien  et  Gratien  dé- 
fendirent même  au  iV^  siècle  «  de  vendre  sans  la 
terre  les  esclaves  des  campagnes.  »  A  côté  d'eux 
et  en  bien  plus  grand  nombre,  à  la  môme  époque, 
se  trouvaient  les  colons.  Cette  classe  comprenait 
et  finit  par  confondre  les  esclaves  inscrits  sur  les 
registres  du  cens  (censiti)  ;  les  affranchis  établis 
sur  les  domaines  de  leur  ancien  maître  devenu 
leur  patron  ;  les  fermiers  qui  cultivaient  le  sol 
d'autrui  moyennant  une  redevance  ;  les  colons 
proprement  dits,  libres  encore,  mais  unis  au  pro- 
priétaire et  au  sol  par  un  bail  héréditaire  ;  enfin 
les  prisonniers  barbares  établis  par  groupes  et 
quelquefois  par  tribus  sur  les  champs  en  friche 
de  la  frontière.  «  Ce  qui  caractérise  véritablement 
leur  situation,  c'est  que  le  sol  qu'ils  cultivaient 
ne  leur  appartenait  pas.  Ils  en  payaient  une  re- 
devance annuelle,  soit  en  fruits  soit  en  argent.  On 
ne  pouvait  jamais  les  chasser  de  la  terre  qu'ils 
occupaient,  et  ils  n'avaient  pas  non  plus  le  droit 
de  la  quitter.  »  (Fustel  de  Coulanges.)  Mais  ils 
étaient  en  même  temps  les  hommes  du  proprié- 
taire, et  celui-ci  choisissait  parmi  eux  les  soldats 
que  la  loi  lui  imposait  d'entretenir  aux  armées. 
Dans  la  Germanie  contemporaine  de  Tacite,  les 
mœuis,  eti    rendant  honorable  pour    ses   compa- 


champs.  Les  légendes  disaient  que  la  divinité  avait 
fait  naître  le  serf  «  au  teint  noir,  aux  mains  cal- 
leuses, au  dos  voûté  »  ;  sa  tâche  était  «  de  labourer 
les  champs,  do  creuser  les  tourbières,  de  garder 
les  chèvres  et  les  porcs.  »  Ainsi,  en  entrant  vio- 
lemment dans  la  société  roinaine,  les  Germains 
n'apportaient  aucune  institution  qui  pût  entraver 
la  transformation  déjJi  commencée  de  l'esclavage  ; 
et  le  trouble  qui  fut  le  preinier  résultat  de  leurs 
invasions  ne  pouvait  que  précipiter  la  décadence 
du  système  ancien. 

Dévelopjieinent  du  servaye.  —  En  effet,  quand 
César  était  entré  en  Gaule,  il  avait  trouvé  le  pays 
dans  un  état  de  transition  entre  le  régime  du  clan 
et  celui  de  l'Etat  constitué  sous  une  force  publi- 
que maltresse  et  reconnue.  L'instabilité  et  les 
dissensions  avaient  forcé  les  pauvres  à  rechercher 
un  patron  puissant  qui  les  nourrît  et  les  protégeât, 
mais  auquel  ils  se  donnaient  en  retour  tout  en- 
tiers. Suspendue  par  la  conquête  romaine,  cette 
évolution  sociale  reprit  son  cours  quand  s'éclipsa 
le  pouvoir  impérial.  «  Le  pauvre  se  met  sous  la 
dépendance  du  riche  pour  recevoir  de  lui  la  nour- 
riture et  pour  vivre  en  sûreté  sous  sa  protection.  » 
(St  Augustin.)  C'était  l'usage  ancien  sous  un  nom 
nouveau,  la  recommandât io7i.  <■  Le  patron  est 
leur  unique  souverain,  il  est  leur  roi  et  leur  loi... 
ils  ne  doivent  plus  regarder  qu'i  lui  et  n'espérer 
qu'en  lui.  »  (Fustel  de  Coulanges.)  Et  les  inva- 
sions, par  l'instabilité,  par  les  périls  incessants 
qu'elles  amenaient  avec  elles,  par  la  ruine  du 
pouvoir  impérial  qui  fut  leur  conséquence,  par 
les  institutions  même  de  la  Germanie  où  dès  long- 
temps le  patronage  était  en  vigueur,  eurent  pour 
conséquence  naturelle  l'extension  et  la  pratique 
générale  du  système  de  la  clientèle.  Au  ix«  siècle, 
l'évolution  était  arrivée  à  son  ternie  :  le  «  droit 
de  sauvement  ou  de  garde  «  était  établi  ;  le  sei- 
gneur devait  protéger  le  laboureur  et  celui-ci 
payait  une  redevance.  «  Je  vous  reçois  en  mou 
sauvement  et  défense  et  je  vous  promets  en> 
bonne  foi  de  vous  garder  vous  et  vos  biens,  ainsi 
que  doit  faire  un  bon  gardien  et  seigneur,  n- 
(Fustel  de  Coulanges.) 

En  même  temps  que  la  force  des  circonstances 
faisait  ainsi  déchoir  les  hommes  libres  dans  cette 
demi-servitude  que  l'établissement  détinitif  du 
système  féodal  devait  rendre  régulière  et  plu» 
lourde,  par  un  contre-coup  de  l'invasion,  l'escla- 
vage allait  se  trouver  adouci  par  la  transforma- 
tion de  l'esclave  industriel  et  domestique  en 
esclave  agriculteur.  L'absence  de  sécurité  avait 
peu  à  peu  ruiné  le  commerce,  et,  à  la  suite,  l'in- 
dustrie ;  la  terre  devenait  ainsi  l'unique  source 
de  richesses;  on  lui  appliqua  l'esclave,  seule  ma- 
chine qu'on  connût  alors  ;  et  la  classe  servile 
obtint  ainsi  une  condition  voisine  de  l'ancien  co- 
lonat.  et  de  la  recommandation  féodale.  Du  mé- 
lange des  deux  classes  et  de  la  confusion  des 
deux  régimes  résulta  le  servage. 

Caractère  du  servage.  —  Au  pied  du  donjon 
féodal,  protégé,  puis  écrasé  par  lui,  était  le  vil- 
lage, humble  et  pauvre,  peuplé  des  serfs,  labou- 
reurs, boulangers,  forgerons,  selliers,  etc.  Ils 
étaient  les  hommes  du  seigneur.  Us  en  atten- 
daient protection  ;  et  souvent  en  effet,  au  début 
des  temps  féodaux,  quand  la  cloche  do  l'église 
sonnait  le  tocsin  pour  annoncer  les  brigands  nor- 
mands, réfugies  sous  l'abri  du  château,  les  misé- 
rables paysans  y  avaient  trouvé  la  sécurité.  Ils  en 
devaient  aussi  attendre  justice.  Et  la  grande  salle 
baronniale  où  siégeait  solennellement  lo  suzerain, 
avec  son  sénéchal,  son  chancelier,  son  bailli,  ses 
écuyers,  était  pour  eux  pleine  de  craintes  :  car  la 
justice  du  maître  était  sans  aucune  garantie.  «  Le 
seigneur  peut  prendre  à  ses  serfs  tout  ce  qu'ils 


g]ions|'  le   service  domestique  du  chef,  écartaient    ont,  et  tenir  leurs  corps  en  prison  toutes  les  f 
l'esclJve  ou  tite  de  la  maison  pour  le  reléguer  aux  1  qu'il  lui  plaît,  soit  à  tort,  soit  à  droit  ;  et  il  n' 


fois 


SERVAGE 


2022  


SERVAGE 


tenu  d'en  repondre  à  personne,  fors  à  Dieu.  »  Et 
le  législateur  de  Saint-Louis,  Beaumanoir,  ajou- 
tait, en  parlant  au  seigneur  :  «  N'y  a  entre  toi  et 
ton  villain.juge  fors  Dieu.  »  Si  donc  le  soigneur 
avait  droit  de  liaute-justice,  il  pouvait  «  ravir, 
traîner,  pendre,  brûler,  enfouir,  écorclier,  muti- 
ler, et  tous  autres  moyens,  par  lesquels  mort 
naturelle  s'ensuit.  »  (Jean  Dcsmarets,  avocat  du 
roi  au  parlement  sous  Charles  V.)  Les  fourches 
patibulaires  élevées  au  devant  du  donjon  étaient 
le  signe  menaçant  de  cette  redoutable  préroga- 
tive ;  et  le  donjon  reposait  sur  des  caves  profon- 
des, où  l'on  descendait  les  prisonniers  au  moyen 
dune  corde  passée  sous  les  aisselles  (Monteil).  Or 
le  juge,  dans  l'application  de  ces  peines  terribles, 
instituées  pour  soutenir  ses  propres  droits,  n'é- 
tait guidé  que  par  les  coutumes  du  pays,  qui 
n'étaient  souvent  pas  rédigées. 

C'est  aussi  dans  la  salle  baronniale  que  le  serf 
venait  une  ou  deux  fois  l'an,  le  plus  souvent  à 
l'octave  de  Pâques  et  à  la  Saint-Micliel,  s'acquitter 
de  ses  redevances.  La  première,  la  plus  lourde, 
était  la  taille.  ••  Les  hommes  de  condition  servile 
sont  taillables  à  volonté  raisonnable,  une  fois  l'an, 
pour  payer  la  taille  à  eux  imposée...  Et  pour  im- 
poser la  taille  susdite,  le  seigneur  et  ses  commis 
doivent  appeler  deux  ou  trois  prudhommcs  (sages 
hommes)  tels  que  bon  leur  semblera,  pour  d'eux 
s'informer,  sommairement  et  sans  formes  judi- 
cielles.  des  facultés  desdits  hommes  et  femmes.  » 
(Guy  (joquille,  coutume  du  Nivernais.)  La  taille 
était  do  deux  sortes,  à  merci  ou  par  abonnement. 
Dans  le  premier  cas,  la  redevance  était  fixée  ar- 
bitrairement chaque  année  par  le  seigneur  ou  par 
son  bailli;  dans  le  second,  elle  était  déterminée  à 
l'avance,  et  toujours  la  même.  Le  n'iis-  était  l'im- 
pôt du  par  le  serf  pour  la  terre  qu'il  cultivait;  le 
chanipiivt  [campi  pars)  était  une  portion  do  la 
récolte,  qui  variait  selon  les  coutumes,  droit  de 
quart,  de  quint,  de  requint,  de  vingtain.  Quand, 
après  le  ban  publié,  le  laboureur  coupait  sa  ré- 
colte,il  devait  avertir  le  seigneur  pour  que  celui-ci 
fit  surveiller  par  un  agent  le  prélèvement  du 
champart.  Mais  le  serf  devait  transporter  les  ger- 
bes et  les  fruits  choisis  dans  les  granges  du  châ- 
teau. Les  nicùs  extraordinaires  étaient  payées 
dans  des  circonstances  déterminées,  pour  la  ran- 
çon du  suzerain  prisonnier,  pour  le  mariage  de 
sa  fille  aînée,  pour  l'admission  de  son  fils  dans  la 
chevalerie,  pour  son  départ  en  Terre-Sainte. 
Mais  il  y  avait  aussi  des  aides  régulières,  payées 
chaque  année  deux  fois,  à  Pâques  et  à  la  Saint- 
Michel.  Enfin  un  grand  nombre  de  seigneurs 
avaient  acheté  ou  arraché  aux  églises,  aux  cou- 
vents, le  droit  de  lever  la  dinie.  qui  prit  alors  le 
nom  de  dîme  inféodée  ou  seigneuriale.  L'n  concile 
de  Latran  avait  consacré  cet  usage  (1179).  Et 
quand  le  serf  ne  payait  pas  au  baron,  il  payait  à 
l'Eglise  les  grosses  dîmes  sur  les  blés,  les  vins,  le 
gros  bétail;  les  menues  dîmes  sur  les  moutons, 
les  peaux,  la  volaille,  la  laine,  le  lin;  la  dîme 
verte  sur  les  herbes  et  les  légumes;  la  dime  du 
poisson  au  bord  du  fleuve  et  de  la  mer.  Ainsi  les 
moines  de  Saint-Bcrtin  avaient  la  dîme  des  harengs 
qui  se  pêcliaient  k  Calais,  par  concession  du  pape 
Alexandre  III.  Quand  enfin  il  tenait  le  reste  des 
fruits  de  son  labeur,  le  seigneur  et  sa  suite  pou- 
vaient encore  les  arracher  et  les  consommer  en  un 
jour  de  passage.  Jamais  d'ailleurs  le  paysan  n'en 
pouvait  disposer  librement. 

En  effet,  il  devait  encore,  soumis  au  droit  de 
banalité,  moudre  son  grain,  cuire  son  pain,  pres- 
surer ses  raisins  ou  ses  olives  au  moulin,  au  four, 
au  pressoir  public,  banal,  construit  par  le  sei- 
gneur. En  outre,  pour  transporter  les  fruits  de 
son  champ  dans  ces  lieux  publics,  le  malheureux 
devait  payer  un  ou  plusieurs  péages,  au  passage 
des  routes,  aux  ponts  des  rivières,  aux  portos  de  la 


ville  (tonlieu).  Et  là,  sur  le  marché,  il  ne  pouvait 
mettre  en  vente,  avant  le  seigneur,  le  vin  de 
l'année  —  droit  de  bnni'in  —  ou  les  fruits  de  la 
récolte.  Par  le  droit  à'épavcs,  il  voyait  le  seigneur 
saisir  ses  bêtes   égarées,  ses  essaims  d'abeilles. 

Mais  dans  son  champ  môme,  loin  du  maiire, 
était-il  enfin  quitte  et  libre  '?  ti  Nous  reconnais- 
sons k  notre  gracieux  seigneur  le  ban  et  la  con- 
vocation ;  la  haute  forêt,  l'oiseau  dans  l'air,  le 
poisson  dans  l'eau  qui  coule,  la  bête  au  buisson, 
aussi  loin  que  le  gracieux  seigneur  pourra  la 
forcer.  »  Aussi  était-il  défendu  de  tirer  sur  les  pi- 
geons sous  peine  de  vingt  livres  parisis  d'amende, 
en  vertu  du  droit  féodal  de  colombier.  Détruire 
les  œufs  de  cailles,  de  perdrix,  entraînait  pour  la 
première  fois  cent  livres  d'amende,  pour  la  troi- 
sième le  fouet  et  le  bannissement.  Tendre  des 
lacets,  ou  chasser,  en  cas  de  récidive,  fut  un 
crime  puni  de  mort  en  vertu  des  lois  de  Henri  IV. 
Les  laboureurs  ne  pouvaient  posséder  de  chiens 
qu'ils  n'eussent  le  jarret  coupé  ou  ne  fussent  te- 
nus en  laisse  (ordonnance  de  ItilJO).  Sous  Louis  XI, 
a  dit  un  historien,  il  était  plus  dangereux  de  tuer 
un  cerf  qu'un  homme. 

Mais  les  fruits  du  sol,  le  gibier  des  forêts  n'é- 
taient pas  seuls  au  seigneur.  Celui-ci  prenait  en 
quelque  sorte  une  part  de  la  personne  du  serf 
en  usurpant  son  travail  par  l'institution  des  cor- 
vées, souvent  arbitraires,  à  merci,  cojnme  la  taille. 
Ainsi,  lorsque  l'abbé  de  Luxeuil  séjournait  dans 
sa  seigneurie,  les  paysans  baltaieut  l'étang,  la 
nuit,  en   chantant  : 

Pà.  renntte,  pâ  (paix,  grenouille,  paix), 
Vécy  l'abljé  que  Dieu  gà  (garde). 

L'existence  jusqu'au  xiv  siècle,  dans  plusieurs 
provinces,  d'une  corvée  plus  odieuse  encore,  de- 
venue célèbre  sous  le  nom  de  droit  du  seigneur, 
nous  est  attestée,  entre  autres  témoignages,  par 
un  jugement  de  la  sénéchaussée  de  Guyeinie, 
rendu  le  \'i  juillet  130'?,  contre  une  serve  qui 
avait  résisté  au  seigneur  de  Blanquefort. 

Quelquefois  encore,  la  famille  môme  pouvait  se 
trouver  brisée  par  les  droits  féodaux,  a  Si  le  serf 
appartient  à  plusieurs  seigneurs,  dit  la  coutume 
de  Troyes,  art.  'i,  le  fruit  se  partage  entre  eux 
pour  telle  part  et  portion  que  les  père  et  mère 
sont  leurs  homme  ou  femme  de  servitude.  » 

Heureusement  toutes  ces  misères  ne  pesaient 
pas  sur  tous  les  serfs  sans  exception.  Deux  clas- 
ses,celles  des  mainnwrialAes  et  des  i-itluins,  étaient 
favorisées.  Les  mainmortables  étaient  soumis  à 
une  rentefixe,  «  s'ils  ne  metïont  »,  dit  la  coutume. 
Cependant  ils  ne  peuvent  se  marier  sans  permis- 
sion du  seigneur;  si  leur  fiancée  appartient  à  un 
autre  maître,  ils  doivent  le  droit  de  f'ormariage 
(mariage  au  dehors),  et  leurs  enfants  seront  par- 
tagés entre  leurs  deux  seigneurs.  Enfin  leur  hé- 
ritage, en  tout  ou  en  partie,  revenait  au  seigneur, 
s'ils  n'avaient  pas  d'enfants,  si  leurs  enfants 
n'habitaient  pas  avec  eux.  Les  villains  ivillani, 
villici)  n'étaient  en  principe  que  des  tenanciers  hé- 
réditaires ;  mais,  faibles  et  isolés,  ils  étaient  im- 
puissants à  faire  respecter  leurs  droits,  et  ils  su- 
bissaient de  nombreuses  violences. 

Doit-on  donc  s'étonner  des  représailles,  d'ail- 
leurs peu  nombreuses,  que  l'excès  de  leurs  misères 
a  excitées  chez  les  paysans  révoltés  't  «  Nous 
sommes  hommes  comme  ils  sont,  »  s'écriaient  les 
serfs  de  Normandie  soulevés  au  temps  du  duc 
Richard  II  (997) .  "  Quand  .\ilam  labourait  et  qu'Eve 
filait,  où  donc  était  le  gentilhomme  ?  »  deman- 
daient les  Lollards  d',\ngletcrre  en  I;i80.  Lea 
Jacques  de  France,  en  13iS,  ne  brûlaient  les  châ- 
teaux et  no  massacraient  les  nobles  que  pour 
venger  les  chaumières  et  les  serfs.  Que  récla- 
maient enfin  les  paysans  d'Allemagne  en  1525 
dans  leurs  douze  articles  ?  «  A  tous,  les  oîseaui 


SERVAGE 


—  2023  —       SERVICE  MILITAIRE 


dans  l'air,  les  poissons  dans  les  fleuves  et  les  bêtes 
dans  les  forCts.  —  Plus  do  corvées  excessives.  — 
Qu'il  nous  soit  loisible  de  posséder  les  fonds  de 
Icn-e  et  d'en  vivre.  » 

Élahlisicmenl  du  servage  en  Europe.  —  Comme 
la  féodalité,  dont  il  était  une  pièce  essentielle, 
le  servage  fut  une  institution  générale  à  toute 
l'Europe  du  moyen  âge. 

En  Angleterre,  la  piraterie  entretint  longtemps 
le  commerce  de  l'homme,  qui  est  la  marciue  dis- 
tinctive  de  l'esclavage  (concile  de  Westminster, 
1  lO:!).  Mais  le  servage  était  en  même  temps  pra- 
tiqué. <i  II  n'est  pas  permis  au  maître  d'éloigner 
le  colon  de  sa  terre,  tant  que  celui-ci  remplit 
exactement  ses  obligations.  "  (Loi  d'Edouard  le 
(Confesseur,  art.  33.)  Le  Doomesday  Dook  éiiumère 
2U372  paysans  soumis  îi  des  servitudes  fixes  et 
déterminées,  S2U19  agriculteurs  sédentaires  qui 
ne  pouvaient  6tre  contraints  de  quitter  leurs 
terres  contre  leur  volonté,  et  108  407  villains  dont 
la  condition  plus  ou  moins  dure  était  analogue 
au  servage.  Mais  il  ne  compte  que  X'.iOi)0  esclaves 
proprement  dits.  Cependant  en  I.M4  Henri  VIII  et 
en  1574  Elisabeth  en  affranchissaient  encore. 

En  Espagne,  grâce  à  la  prédominance  du  clergé, 
l'esclavage  pur  s'adoucit  rapidement  sous  les  rois 
wisigoths.  Mais  la  guerre  pour  l'existence  contre 
les  musulmans,  en  multipliant  les  prisonniers, 
entretint  longtemps  la  servitude.  Cependant,  au 
XII"'  siècle,  les  chrétiens  au  moins  n'étaient  plus 
que  des  serfs  j  et  l'établissement  de  communautés 
agricoles  armées  et  dotées  de  privilèges  sur  les 
territoires  enlevés  aux  Maures  favorisait  singuliè- 
rement l'émancipation. 

En  Italie,  le  contact  de  l'Orient  et  la  haine  re- 
ligieuse contre  les  Grecs  et  les  musulmans  retarda 
longtemps  aussi  la  généralisation  du  servaa:e. 
Cependant  Roger  de  Sicile  au  xii«  siècle,  Frédé- 
ric II  au  .\iii°  protègent  dans  leurs  ordonnances 
de  nombreux  villains. 

Kn  Allemagne,  les  esclaves  étaient  encore  nom- 
breux au  XII'  siècle  :  «  leur  corps  était  à  leur 
seigneur  ;  on  les  donnait,  on  les  vendait,  on  les 
échangeait.  »  (Dom  Calmet,  lIistoi7-e  de  Lorraine, 
III.)  Mais  ces  esclaves,  comme  les  /ites  des  anciens 
Germains,  n'élaient  guère  que  des  agriculteurs, 
vendus  et  achetés  en  même  temps  que  le  sol 
même,  «  tam  possessiones  (juam  honines  »>,  les 
hommes  et  les  biens,  dit  une  charte  d'Alsace  du 
MU"  siècle.  En  1212,  la  constitution  de  l'empe- 
reur Frédéric  II  mentionne  expressément  le  serf 
réel. 

En  Piussie,  l'esclavage  domestique  était  encore 
pratiqué  au  wi'  siècle  ;  des  centaines  de  dvorovié, 
hommes  et  femmes,  encombraient  les  palais  des 
riches.  Mais  la  classe  agricole  était  composée  de 
fermiers  libres  et  surtout  de  paysans  inscrits  ou 
colons.  C'était  la  commune  ou  tnir  qui  possédait 
la  terre,  non  les  individus.  Mais  le  tsar  Féodor 
attacha  les  cultivateurs  à  la  glèbe  (1  j9S),  et  Pierre 
le  Grand  réduisit  à  l'uniforniitc  du  servage  toutes 
les  classes  agricoles,  en  même  temps  qu'il  es- 
sayait d'adoucir  l'esclavage  toujours  maintenu. 
"  Il  faut  vendre  les  esclaves  par  familles,  et  non 
plus  comme  des  têtes  de  bétail,  chose  qui  ne  se 
fait  pas  dans  le  monde  entier.  »  Mais  exaspérés 
de  leur  misère,  100  OUO  serfs  suivirent  Pougatchev 
(1773)  ;  comme  les  Jacques  ils  périrent  massacrés. 
Cependant  Catherine  II  distribuait  à  ses  favoris 
plus  de  150  (lOO  paysans  de  la  Couronne. 

Décadence  et  abolition  du  servage.  —  Ainsi  le 
servage  s'établissait  et  s'atrermissait  en  Piussie  au 
moment  où  on  l'attaquait  dans  le  reste  de  l'Europe. 
Déjà  en  France  la  classe  des  serfs  avait  vu  amélio- 
rer su  condition  douloureuse  par  la  substitution  de 
l'autorité  royale  aux  tyrannies  locales  des  seigneurs, 
par  lep  franchises  accordées  aux  villes  du  royaume, 
enfin    par   des    édits     d'émancii)ation      partielle, 


comme  celui  de  Philippe  le  Bel  h  l'égard  du  Lan- 
guedoc. Un  roi  même,  Louis  X  le  Hutin,  dans  un 
but  fiscal,  avait  proclamé  que  «  par  le  droit  de 
nature  tout  homme  doit  naître  franc  »,  et  invité, 
mais  sans  résultat,  les  serfs  à  se  racheter  de  leur 
servitude.  Mais  ce  n'est  qu'au  xviii'  siècle  que  les 
philosophes  dénoncèrent  les  monstrueux  abus  qui 
survivaient  des  temps  féodaux.  Et  sous  la  pression 
de  l'opinion  publique  européenne,  les  Bourbons 
à  Naples,  en  Toscane,  h  Parme,  en  Espagne, 
l'empereur  Joseph  II  en  Autriche,  en  Prusse  Fré- 
déric II  restreignaient  ou  abolissaient  le  servage. 
Enfin  en  1779  Necker  obtenait  de  Louis  XVI  l'é- 
mancipation des  serfs  du  domaine  royal.  Mais  le 
roi  n'avait  pas  osé  porter  le  dernier  coup  à  cette 
institution  du  moyen  âge. 

C'est  seulement  dans  la  glorieuse  nuit  du 
4  août  1789  que  fut  en  France  aboli  le  servage, 
avec  les  derniers  souvenirs  de  l'époque  féodale. 
L'Assemblée  constituante  était  agitée  profondé- 
ment par  les  nouvelles  des  provinces,  où  les 
paysans,  dressés  enfin  sur  les  sillons,  la  pioche 
en  main,  couraient  faire  la  guerre  aux  châteaux 
pour  donner  la  paix  aux  chaumières.  Loguen  de 
Kerengal,  en  costume  breton,  parut  à  la  tribune, 
n  Soyons  justes,  messieurs,  s'écria-t-il  ;  qu'on 
nous  apporte  ces  titres  qui  outragent  non  seule- 
ment la  pudeur,  mais  l'humanité  môme  ;  qu'on 
nous  apporte  ces  titi-es  qui  humilient  l'espèce 
humaine,  en  exigeant  que  des  hommes  soient 
attelés  à  une  charrette,  comme  les  animaux  du 
labourage  ;  ces  titres  qui  obligent  dos  hom.mes 
à  passer  les  nuits  h  battre  les  étangs  pour  empê- 
cher les  grenouilles  de  troubler  le  sommeil  de 
leurs  voluptueux  seigneurs.  Qui  do  nous  ne  ferait 
pas  un  bûcher  expiatoire  de  ces  infâmes  parche- 
mins ?  Que  les  lois  que  vous  allez  promulguer 
anéantissent  jusqu'aux  moindres  traces  les  droits 
de  servitude.  »  Et  après  l'abdicatien  volontaire 
de  tous  les  droits  et  privilèges  féodaux,  l'Assem- 
blée, à  l'unanimité,  proclamait  : 

L'abolition  de  la  quaUté  de  serf  et  de  la  main- 
morte sous  quelque  dénomination  qu'elle  existe  ; 

La  faculté  de  rembourser  les  droits  seigneu- 
riaux ; 

L'abolition  des  juridictions  seigneuriales; 

La  suppression  du  droit  exclusif  de  chasse,  de 
colombier,  de  garenne  ; 

Et,  en  un  mot,  l'égalité  civile  de  tous  les 
Français  par  l'abolition  des  privilèges  des  classes, 
des  provinces  et  des  villes. 

De  cette  nuit,  comme  de  la  journée  de 
Valmy,  Goethe  aurait  pu  dire  qu'elle  marquait  le 
commencement  d'une  ère  nouvelle  dans  l'histoire 
de  l'humanité. 

La  Piussie  même,  au  -xi-X"  siècle,  s'est  trouvée 
entraînée  dans  le  mouvement  général  de  progrès 
et  d'émancipation.  En  18G0,  elle  comptait  47  mil- 
lions 400  000  individus  non-libres.  Le  paysan, 
qui  légalement  possédait  la  terre,  était  à  son 
tour  possédé  par  le  noble.  «  Nos  dos  sont  au 
seigneur,  disait-il,  mais  la  terre  est  à  nous.  » 
L'acte  du  19  février  (3  mars)  ISGl  émancipa  les 
cultivateurs  et  leur  donna  une  partie  des  terres 
moyennant  une  indemnité  aux  seigneurs.  Mais  la 
Russie  souflre  encore  des  conséquences  du  ser- 
vage. Le  trouble  de  cette  liiiuidation  sociale 
est  au  fond  des  agitations  qui  la  travaillent  au- 
jourd'hui. Les  paysans  voudraient  la  terre  comme 
la  liberté,  sans  rachat.  [Paul  Schiifer.] 

SEUVICE  MILITAIRE.  —  Législation  usuelle, 

IV.    —    1.     PniNCIPE     GÉNÉRAL     DE      LA     LÉGISLATION 

ACTUELLE.  —  L'organisatioii  militaire  est  actuelle- 
ment réglée  par  la  loi  du  27  juillet  1872  sur  le 
recrutement  de  l'armée.  Cette  loi  pose  en  principe 
que  tout  homme  valide  peut  être  appelé  de  vingt 
à  (juarante  ans  à  faire  partie  de  l'armée  active  et 
des  réserves  ;  le  remplacement  est  supprimé  ;  tous 


SERVICE  MILITAIRE 


2024  —      SERVICE  MILITAIRE 


les  Français  sont  astreints  au  service  militaire  per-  ■ 
sonnel. 

2.  Tableac  be  recensement.  —  Cliaque  année  la 
liste  des  jeunes  gens  qui  sont  appelés  au  service 
militaire  est  dressée  dans  toute  la  France  par  les 
soins  du  maire  de  chaque  commune.  Le  maire 
doit  porter  sur  cette  liste,  ou  tableau  de  recen- 
sement, tous  les  jeunes  gens  ayant  atteint  dans 
l'année  précédente  l'âge  de  20  ans  et  ayant  leur 
domicile  légal  dans  la  commune.  Les  tableaux  de 
recensement  sont  publiés  et  affichés  dans  chaque 
commune  le  15  janvier  au  plus  tard  ;  un  avis,  éga- 
lement publié  et  affiché,  indique  le  jour  où  il 
sera  procédé  au  tirage  au  sort. 

Tirage  au  sort.  —  Le  tirage  au  sort  a  lieu  au 
chef-lieu  de  canton,  en  séance  publique,  en  pré- 
sence du  sous-préfet  assisté  des  maires  du  can- 
ton. Le  tableau  de  recensement  est  lu  h  haute 
voix  ;  les  jeunes  gens,  leurs  parents  ou  représen- 
tants sont  entendus  en  leurs  observations,  sur 
lesquelles  le  sous-préfet  statue  après  avoir  pris 
l'avis  des  maires.  Le  tableau  de  recensement  étant 
ainsi  définiuvement  arrêté,  chacun  des  jeunes 
gens,  appelé  dans  l'ordre  du  tableau,  prend  dans 
l'urne  un  numéro  qui  est  immédiatement  procla 
nié  et  inscrit  ;  les  parents  des  absents  ou  le  maire 
de  leur  commune  tirent  à  leur  place.  La  liste  par 
ordre  de  numéros  est  dressée  à  mesure  que  les 
numéros  sont  tirés  de  l'urne  ;  il  est  fait  mention 
des  motifs  d'exemption  et  de  dispense  que  les 
jeunes  gens  ont  à  faire  valoir.  Le  tirage  achevé, 
la  liste  est  lue,  arrêtée  et  signée  parle  sous-pré- 
fet et  les  maires  :  elle  est  ensuite  publiée  et  af- 
fichée dans  chaque  commune. 

3.  Exemptions.  —  L'exemption  complète  du 
service  militaire  n'existe  qu'au  profit  des  jeunes 
gens  que  leurs  infirmités  rendent  impropres  il 
tout  service  actif  ou  môme  auxiliaire  dans  l'armée. 
Les  jeunes  gens  qui,  au  moment  de  l'examen  de 
leur  classe  par  le  conseil  de  révision,  n'ont  pas  la 
taille  de  1  mètre  54  centimètres,  ou  sont  reconnus 
d'une  complexion  trop  faible  pour  un  service 
armé,  peuvent  être  ajournés  deux  années  de  suite, 
et  c'est  seulement  après  un  examen  définitif  fait 
la  seconde  année,  qu'ils  sont  classés  comme  pro- 
pres ou  impropres  au  service. 

Dispenses.  —  Si  l'obligation  du  service  militaire 
est  générale,  elle  ne  pèse  point  sur  tous  avec  la 
même  rigueur.  Des  raisons  d'humanité  ou  d'in- 
térêt général  ont  déterminé  la  loi  h  accorder  cer- 
taines dispenses  :  les  jeunes  gens  qui  profitent  de 
ces  dispenses  sont  exemptés  du  service  d'activité 
en  temps  de  paix,  mais  ils  doivent  en  temps  de 
guerre  reprendre  leur  place  dans  l'armée.  Ces 
dispenses  existent  au  profit  :  1°  de  l'aîné  d'or- 
phelins de  père  et  de  mère  ;  2°  du  fils  aîné  ou 
unique  d'une  femme  veuve,  d'un  père  aveugle 
ou  âgé  de  soixante-dix  ans  ;  3°  du  plus  âgé  de 
deux  frères  appelés  à  faire  partie  du  même  tirage 
si  le  plus  jeune  est  reconnu  propre  au  service  ; 
•4°  de  celui  dont  un  frère  sert  dans  l'armée  active; 
5°  de  celui  dont  un  frère  est  mort  en  activité  de 
service,  ou  a  été  réformé  ou  misa  la  retraite  pour 
infirmités  contractées  au  service. 

Engagement  décennul.  —  11  existe  également 
une  cause  do  dispense  au  profit  des  jeunes  gens 
qui  appartiennent  à  l'enseignement  primaire 
comme  instituteurs  ou  instituteurs  adjoints,  ou 
qui  se  préparent  à  la  carrière  de  l'enseignement 
dans  les  établissements  h  ce  destinés.  Pour  pro- 
fiter de  la  dispense,  ces  jeunes  gens  doivent  con- 
tracter devant  le  recteur,  avant  l'époque  du  tirage 
au  sort,  l'engagement  de  se  consacrer  pendant 
dix  ans  à  l'enseignement  et  réaliser  cet  engage- 
ment; s'ils  cessent,  avant  l'expiration  des  dix  an- 
nées, de  faire  partie,  du  corps  enseignant,  ils  sont 
astreints  à  l'obligation  du  service  militaire, 
coiume  s'ils  n'avaient  point  eu  de  dispense. 


Sursis  (l'appel.  —  Des  sursis  d'appel  motivés- 
par  les  nécessités  soit  do  l'apprentissage,  soit  de 
l'exploitation  agricole,  industrielle  ou  commer- 
ciale ^  laquelle  se  livrent  les  jeunes  gens,  peu- 
vent être  accordés  en  temps  de  paix  ;  le  sursis  est 
accordé  pour  un  an  et  peut  être  renouvelé  pour 
une  seconde  année.  A  l'expiration  du  sursis,  le 
jeune  homme  qui  l'a  obtenu  doit  accomplir  le 
temps  de  service  qui  lui  est  imposé  à  raison  du 
numéro  obtenu  par  lui  au  tirage.  Les  demandes 
de  sursis  sont  adressées  au  maire,  et  transmises  par 
lui  au  sous-préfet  ;  il  est  statué  sur  ces  demandes 
par  le  conseil  de  révision. 

Soutiens  de  famille.  —  Les  jeunes  gens  qui 
sont  les  soutiens  indispensables  de  leur  famille 
peuvent  être,  à  titre  provisoire,  dispensés  du  ser- 
vice ;  ils  sont  désignés  par  le  conseil  municipal 
de  la  commune  où  ils  sont  domiciliés  ;  la  liste 
est  présentée  au  conseil  de  révision.  Ces  dis- 
penses peuvent  être  accordées  dans  chaque  dé- 
partement à  concurrence  de  quatre  pour  cent  du 
nombre  des  jeunes  gens  reconnus  propres  au 
service. 

Conseils  de  révision.  —  Le  conseil  de  révision 
est  une  commission  chargée  de  statuer  sur  les 
réclamations  auxquelles  peuvent  donner  lieu  les 
opérations  du  tirage  au  sort  et  sur  les  causes 
d'exemption  ou  de  dispense.  Le  conseil  de  révi- 
sion se  transporte  dans  chaque  canton;  il  pro- 
cède avec  l'assistance  d'un  médecin  îi  l'examen 
des  jeunes  gens  compris  au  tableau  de  recense- 
ment; il  prononce  sur  les  causes  de  dispenses  : 
les  cas  de  dispenses  sont  jugés  sur  la  production 
de  documents  authentiques,  et  sur  les  certificats 
de  trois  pères  de  famille  domiciliés  dans  le  can- 
ton et  dont  les  fils  sont  soumis  à  l'appel.  Les 
opérations  du  conseil  de  révision  terminées,  la 
liste  cantonale  est  close.  Quand  les  listes  de  tous 
les  cantons  ont  été  arrêtées,  le  conseil  de  révision 
se  réunit  au  chef-lieu  du  département  et,  avec 
l'assistance  de  deux  membres  du  conseil  général, 
prononce  sur  les  demandes  de  sursis  d'appel  et 
de  dispenses  pour  soutiens  de  famille. 

4.  Registre  matriclle.  — 11  est  tenu  dans  cha- 
que département  un  registre,  dit  registre  matri- 
cule, sur  lequel  sont  portés  tous  les  jeunes  gens 
qui  n'ont  pas  été  déclarés  impropres  au  service. 
Ce  registre  mentionne  l'incorporation  de  chaque 
homme  inscrit,  ou  la  position  dans  laquelle  il  est 
laissé,  et  successivement  tous  les  changements 
qui  peuvent  survenir  dans  sa  situation.  Tout 
homme  inscrit  sur  le  registre  matricule  qui  chan- 
ge de  domicile  doit,  sous  peine  d'une  amende  et 
même  d'un  emprisonnement,  faire  une  déclara- 
tion tant  à  la  mairie  de  la  commune  qu'il  cesse 
d'habiter  qu'à  la  mairie  du  lieu  où  il  va  s'établir. 

5.  DuBiiE  DU  SERVICE.  —  L'obUgation  du  service 
militaire  existe  de  vingt  à  quarante  ans.  Dans 
cette  période  le  soldat  passe  successivement  dans 
l'armée  active,  dans  la  réserve  de  l'armée  active, 
dans  l'armée  territoriale,  et  enfin  dans  la  réserve 
de  l'armée  territoriale. 

Année  active.  —  La  durée  du  service  est  de 
cinq  ans  dans  l'armée  active;  toutefois  l'obligation 
de  servir  cinq  ans  n'est  imposée  qu'à  une  partie 
du  contingent.  Chaque  année  le  ministre  de  la 
guerre  fixe  une  portion  du  contingent  qui  ne  reste 
qu'un  an  sous  les  drapeaux;  les  jeunes  soldats 
qui  profitent  de  cette  réduction  sont  pris  dans 
l'ordre  des  numéros  en  commençant  par  les  der- 
niers. Les  militaires  de  cette  seconde  partie  du 
contingent  qui  justifient  d'une  instruction  suffi- 
sante peuvent  après  six  mois  être  renvoyés  dans 
leurs  foyers  ;  ceux  au  contraire  qui  ne  savent  pas 
lire  et  écrire  et  no  satisfont  pas  aux  examens  peu- 
vent être  maintenus  au  corps  une  seconde  année. 

Réserve  de  l'armée  active.  —  Après  les  cinq 
ans  de  service  dans  l'armée  active,  le  soldat  passe 


SERVICE  MILITAIRE       —  2025 


SHAKESPEARE 


dans  la  rôserve  de  l'armée  active,  dont  il  fait  partie 
pondant  <|uatrc  ans.  Les  hommes  faisant  partie 
de  la  réserve  peuvent  être  rappelés  par  décision 
du  ministre  de  la  guerre;  ils  sont  soumis  pendant 
le  temps  qu'ils  passent  dans  la  réserve  à  deux 
manœuvres,  dont  la  durée  ne  peut  dépasser 
quatre  semaines;  ils  peuvent  se  marier  sans  au- 
torisation, mais  ils  restent,  quoique  mariés,  sou- 
mis h  toutes  les  obligations  de  la  classe  à  laiiuello 
ils  appartiennent.  Les  hommes  de  la  réserve, 
pères  de  quatre  enfants  vivants,  passent  immédia- 
tement dans  l'armée  territoriale. 

Année  lerritorialc  et  réserve  de  l'armée  terri- 
toriale. —  De  la  réserve  de  l'armée  active,  le  sol- 
dat passe  dans  l'armée  territoriale  où  il  sert 
cinq  ans,  puis  dans  la  réserve  de  l'armée  territo- 
riale où  la  durée  du  service  est  de  six  années. 
L'armée  territoriale  a  une  organisation  spéciale 
par  région  ;  clic  peut  être  réunie  à  certaines 
périodes  pour  des  manœuvres  ou  exercices  ;  les 
hommes  de  l'armée  territoriale  ne  sont  soumis 
au  régime  militaire  qu'en  cas  de  rassemblement. 
La  mission  spéciale  de  l'armée  territoriale  et  de 
la  réserve  de  l'armée  territoriale  est  la  défense 
des  côtes  et  des  places-fortes. 

Engagements  et  rcngagenients.  —  Tout  Fran- 
çais peut  h  l'âge  de  dix-huit  ans  contracter  un 
engagement  volontaire;  jusqu'à  vingt  ans  il  doit 
justifier  du  consentement  de  ses  père  et  mère  ou 
de  son  tuteur  autorisé  par  le  conseil  de  famille. 
La  durée  de  l'engagement  est  de  cinq  ans.  Le 
militaire,  engagé  volontaire  ou  autre,  peut,  dans 
sa  dernière  année  de  service,  contracter  un  ren- 
gagement pour  deux  ans  au  moins  et  cinq  ans 
au  plus  ;  le  rengagement  peut  être  admis  pour 
les  caporaux  et  soldats  jusqu'.*!  vingt-neuf  ans, 
pour  les    sous-officiers    jusqu'à  trente-cinq  ans. 

Engagements  conditioimels  rJ'un  an.  —  Une 
réduction  notable  dans  le  temps  du  service  est 
accordée  aux  jeunes  gens  qui  se  destinent  aux 
carrières  libérales,  aux  fonctions  publiques,  au 
commerce  ou  à  l'industrie.  Les  jeunes  gens  qui 
ont  obtenu  les  diplômes  de  bachelier  ès-leltres  ou 
ès-sciences,  les  certificats  de  capacité  de  l'ensei- 
gnement secondaire  spécial,  qui  appartiennent 
aux  écoles  de  l'Etat,  telles  que  l'école  des  mi- 
nes, des  ponts  et  cliaussées,  l'école  centrale,  ou 
ceux  qui  ont  subi  un  examen  spécial  dont  le  pro- 
gramme est  déterminé  par  le  ministre  de  la 
guerre,  sont  admis  h  contracter  un  engagement 
conditionnel  d'un  an.  L'engagé  conditionnel  four- 
nit une  certaine  somme  pour  son  habillement, 
son  équipement,  son  entretien.  Il  est  incorporé 
dans  l'armée  et  soumis  à  toutes  les  obligations  du 
service.  A  l'expiration  de  l'année,  s'il  ne  satisfait 
pas  à  l'examen  de  sortie,  il  reste  une  seconde 
année  au  service.  Les  jeunes  gens  qui  ont  coii- 
iracté  l'engagement  conditionnel  peuvent  obtenir 
un  sursis  jusqu'à  l'âge  de  vingt-quatre  ans. 

C.  Recrutement  de  l'armée  de  mer.  —  Les  rè- 
gles que  nous  venons  de  parcourir  s'appliquent 
à  l'armée  de  mer,  infanterie  et  artillerie  de  ma- 
rine, comme  à  l'armée  de  terre.  Les  jeunes 
gens  auxquels  sont  échus  les  premiers  numéros 
sortis  au  tirage  au  sort  forment  le  contingent  de 
l'armée  de  mer. 

Inscriptwu  maritime.  —  Les  marins  de  la 
flotte,  les  maîtres  et  ouvriers  des  arsenaux  sont 
fournis  par  l'inscription  maritime.  Cette  institu- 
tion s'applique  à  tous  les  habitants  des  côtes,  qui 
se  livrent  à  la  navigation  et  à  la  pèche  ou  exer- 
cent une  profession  maritime.  Tous  ceux  qui 
font  partie  do  l'inscription  maritime  doivent  à  la 
marine  du  l'Etat  leurs  services  de  dix-huit  à  cin- 
quante ans  ;  ils  sont  divisés  en  quatre  classes 
appelées  successivement  et  par  ordre.  Comme 
compensation  de  ces  charges,  l'inscription  mari- 
ime  confère  certains  avantages  :  le  marin  inscrit 


n'est  pas  soumis  à  la  loi  du  recrutement  ;  après 
un  certain  temps  de  service,  il  peut  obtenir  une 
pension  ;  les  femmes  et  les  enfants  des  marins 
en  activité  de  service  sur  les  bâtiments  de  l'Etat 
ont  droit  à  des  secours.  [E.  Delacourtie.] 

Nous  donnerons  au  Supplément,  au  mot  Service 
»((7ï7ni/e,  l'indication  des  modifications  qui  auraient 
pu  se  produire  dans  la  loi  militaire,  surtout  en  ce 
qui  concerne  l'engagement  décennal  des  institu- 
teurs. 

SHAKESPEARE  (William).— Littératures  étran- 
gères, XV. —  Le  plus  grand  poète  de  l'Angleterre, 
un  des  deux  ou  trois  plus  grands  noms  de  l'his- 
toire littéraire  et  le  plus  complet  représentant  du 
génie  dramatique,  dont  les  autres  poètes  ne  pré- 
sentent généralement  qu'une  face.  En  France, 
Racine,  peintre  exquis  des  passions  humaines,  de 
l'amour  surtout,  complète  le  grand  Corneille, 
peintre  sublime  de  l'héroïsme  moral;  en  Allema- 
gne, pendant  que  Schiller  met  sur  la  scène  des 
images  de  l'humanité  embellie  ou  agrandie,  Gœthe 
s'applique  à  faire  du  monde  une  imitation  moins 
idéale,  plus  réelle;  et  dans  l'ancienne  Grèce, 
Sophocle  caractérisait  déjà  la  différence  qui  dis- 
tingue son  propre  talent  d'avec  celui  d'Euripide 
en  disant  :  «  J'ai  peint  les  hommes  tels  qu'ils  de- 
vraient être  ;  Euripide  les  peint  tels  qu'ils  sont.  » 
Ces  deux  tendances  parallèles,  la  vérité  et  la 
grandeur,  le  réel  et  l'idéal,  le  pathétique  et  le  su- 
blime, reparaissent  à  toutes  les  époques  princi- 
pales de  l'art  dramatique.  Mais  le  génie  de  Shake- 
speare unit  ce  qui  ailleurs  est  séparé.  Il  déborde 
tous  les  cadres  convenus,  il  échappe  à  toutes  les 
classificationsde  lapoétique  ordinaire.  Son  théâtre 
est  la  plus  vaste  représentation  qui  existe  non 
seulement  des  actions  et  des  passions,  des  crimes 
et  des  vertus  de  l'homme,  mais  des  pensées  que 
son  esprit  peut  concevoir,  des  rêves  que  son  ima- 
gination peut  former.  Rien  de  ce  qui  est  Immain 
ne  lui  est  étranger:  ce  vers  de  Térence,  dont  on 
abuse  parfois,  s'applique  à  Shakespeare  avec  une 
entière  exactitude.  Par  ce  caractère  d'universalité, 
le  poète  anglais  est  supérieur  à  un  autre  grand 
poète  dramatique,  à  l'Espagnol  Calderon,  dont  le 
théâtre,  rempli  d'ailleurs  de  beautés  magnifiques, 
a  généralement  une  couleur  un  peu  trop  nationale 
pour  toucher  et  intéresser  sans  préparation  le 
premier  homme  venu.  Assurément  l'homnie  ins- 
truit, surtout  s'il  est  versé  dans  la  connaissance 
du  xvi'  siècle  et  dans  celle  de  l'Angleterre,  com- 
prendra plus  profondément  que  l'ignorant  le  génie 
de  Shakespeare  ;  mais  l'intelligence  au  moins 
sommaire  des  chefs-d'œuvre  de  son  théâtre  est  ac- 
cordée à  tout  le  monde.  Comme  notre  Molière, 
Shakespeare  est  le  poète  non  d'une  nation  en  par- 
ticulier, mais  de  l'humanité.  Il  occupe  dans  la 
poésie  une  place  égale  à  celle  d'Homère;  Homère 
est  la  source  de  l'épopée  ;  Shakespeare  person- 
nifie le  genre  dramatique. 

Né  à  Stratford-sur-l'Avon  en  1.S64,  dans  une  fa- 
mille iiombreuse  et  pauvre,  William  Shakespeare 
fut  mis  d'assez  bonne  heure  à  l'école  ;  mais,  au 
bout  de  sept  ans,  il  en  fut  retiré  avant  d'avoir 
achevé  son  cours  régulier  d'études.  Il  se  maria  à 
dix-huit  ans  ;  à  vingt  et  un  ans,  il  était  déjà  père 
d'un  fils  et  de  deux  filles.  Il  alla  chercher  fortune 
à  Londres,  et  se  fit  à  la  fois  auteur  et  comédien. 
Doué  d'autant  d'habileté  pratique  que  d'imagina- 
tion, il  s'enrichit  à  ce  double  métier  et  mena  si 
bien  ses  affaires  que  vers  1610  il  put  se  retirer  du 
théâtre  dans  sa  ville  natale  de  Stratford,  pour  y 
jouir  de  l'existence  heureuse  et  tranquille  d'un 
petit  propriétaire  de  campagne,  jusqu'en  l'an- 
née Il;l(;  où  il  mourut.  Biographie  bien  insigni- 
fiante, d'où  se  dégage  pourtant  un  fait  remarqua- 
ble et  instructif  :  le  solide  bon  sens  de  ce  grand 
poète.  Le  monde  fantastique  où  son  génie  vivait 
no  lui  a  point  dérobé  la  vue  du  monde  positif,  et 


SHAKESPEARE 


2026  — 


SHAKESPEARE 


la  succession  éblouissante  des  images  qui  ont  passé  ' 
devant  son  œil  intérieur  ne  lui  a  jamais  fait  perdre  I 
l'équilibre  de  sa  raison.  L'exemple  de  cette  vie 
saine  et  normale  peut  nous  servir  à  réfuter  une 
théorie  h  la  mode  de  nos  jours,  où  l'homme  de 
génie  est  présenté  comme  une  victime  de  sa  propre 
imagination,  comme  un  être  qui  ne  s'appartient 
plus  parce  qu'un  dieu  habite  dans  son  sein,  dieu  ; 
insatiable  qui  exige  en  sacrifice  les  plus  nobles 
attributs  de  l'homme,  la  raison  et  même  la  mo- 
ralité. I 
Les  années  d'école  ne  sont  qu'une  introduction 
à  l'élude;  Shakespeare  n'était  pas  homme  b.  s'en 
faire  une  autre  idée,  lors  même  qu'il  aurait  con- 
duit régulièrement  ses  classes  jusqu'au  terme.  Sa 
véritable  instruction  se  lit  dans  le  commerce  du 
monde.  De  même  que  Molière,  comédien  comme 
lui,  il  connut  de  près  la  multitude  et  fréquenta  , 
la  cour  ;  subissant  ainsi  la  double  influence  du 
peuple,  avec  lequel  sa  profession  le  mettait  en  | 
contact,  et  do  la  société  élégante.  Il  apprit  aussi 
beaucoup  par  la  lecture  des  livres,  et,  sans  devenir  ! 
jamais  ce  que  les  Anglais  appellent  un  scholai;  , 
c'est-à-dire  un  savant  en  us,  il  fut  un  des  hommes  j 
les  plus  instruits,  les  plus  cultivés  de  son  temps,  i 
Il  appartenait  à  un  club  où  se  réunissait  la  fleur 
des  gens  d'esprit  et  des  gens  do  lettres,  entre  | 
autres  le  docte  poète  Ben  Jonson,  avec  lequel  il 
aimait  à  discuter.  [ 
Il  est  assez  difficile  de  classer  méthodiquement 
les  œuvres  d'un  poète  dont  le  génie  même,  comme 
nous  l'avons  dit,  échappe  à  toute  classification.  Il 
mit  sur  la  scène,  surtout  durant  sa  jeunesse,  de 
gaies  aventures  romanesques  ou  fantastiques, 
auxquelles  on  donne  le  nom  de  comédies,  et  parmi 
lesquelles  on  dislingue  le  Songe. d'une  nuit  n'été, 
Beaucoup  de  bruit  pour  rien.  Tout  est  bien  qui 
finit  bien,  Comme  il  vous  plaira,  Peines  d'amour 
perdues.  Les  Anglais  appellent /lis/oi'res  une  série 
de  pièces  de  théâtre  dont  le  sujet  est  emprunté 
à  l'histoire  de  l'Anglelerre,  et  qui  sont  désignées 
par  des  noms  de  rois  nationaux,  Le  roi  Jemi, 
Jiicliard  II,  Richard  III,  Heurt/  IV,  llenrtj  V, 
Henry  17,  etc.  Les  tragédies  proprement  dites 
sont  quatre  pièces  tirées  des  Vies  de  Plutarque  : 
Timon  d'Athènes,  Jules  César,  Antoine  et  Vléo- 
pntre,  Coriolan,  et  d'autres  pièces  dont  la  source 
est  tantôt  dans  les  légendes  du  moyen  âge,  tantôt 
dans  les  récits  des  conteurs  italiens  ou  français  de 
la  Renaissance  :  telles  sont  Roméo  et  Juliette,  Le 
roi  Lear,  Ol/iello,  Macbeth,  Hamlet  ;  ces  dernières 
sont  les  chefs-d'œuvre  de  Shakespeare.  Le  nom 
manque  pour  distinguer  certaines  pièces  qui  sont 
des  tragédies  avec  un  dénouement  heureux:  le 
Marchand  de  Venise,  Cymbetine, Mesure  pour  me- 
sure, le  Conte  d'Hiver,  la  Tempête.  On  les  classe 
tantôt  parmi  les  comédies,  tantôt  parmi  les  tra- 
gédies. Le  nom  de  drumes  pourrait  leur  être  ré- 
servé, si  malheureusement  on  n'en  faisait  pas  un 
abus  qui  ne  lui  permet  plus  de  rien  désigner  avec 
précision.  Aujourd'hui  le  mot  drames  au  moins 
trois  sens:  c'est  d'abord  le  nom  générique  de 
loute  pièce  de  théâtre;  c'est  aussi  l'espèce  de 
tragédie  qui  emprunte  ses  personnages  à  la  so- 
ciété bourgeoise:  on  l'applique  enfin  i  toutes  les 
tragédies  qui  n'observent  pas  les  règles  dites  clas- 
siques, à  savoir  les  unités  de  temps  et  de  lieu  et 
le  soin  d'exclure  tout  élément  comique  et  fami- 
lier. 

Dans  la  plupart  des  cas  Shakespeare  n'a  point 
observé  ces  règles;  mais,  remarquons- le  bien,  ce 
n'est  ni  par  ignorance,  ni  par  esprit  de  système. 
Avide  comme  il  l'était  de  lecture  et  d'instruction, 
mêlé  à  la  société  la  plus  polie  de  son  époque, 
ayant  ennn  pour  camarades  au  théâtre  de  véri- 
tables érudits, Shakespeare  savait  très  certainement 
tout  ce  qu'on  peut  dire  en  faveur  des  fameuses 
règles  de  la  tragédie  classique.  Et  il  leur  opposait 


si  peu  d'entètfment  systématique  qu'il  s'y  est 
quelquefois  conformer  les  unités  de  temps  et  de 
lieu  sont  observées  dans  la  Tempête  ;  Richard  II 
et  Macbeth  sont  des  pièces  entièrement  sérieuses, 
d'où  toute  familiarité  comique  est  bannie.  Si, 
dans  ces  trois  ouvrages,  le  poète  a  suivi  les  pré- 
tendues règles,  c'est  parce  que  le  sujet  le  com- 
portait, et  si  ailleurs  il  a  passé  outre,  c'est  aussi 
parce  que  le  sujet  ne  lui  semblait  pas  propre  à 
leur  application.  En  ce  qui  touche  la  forme  exté- 
rieure des  compositions  dramatiques,  il  n'a  rien 
inventé;  les  tragéJies  régulières  et  les  tragédies 
irrcgulières  existaient  concurremment  de  son 
temps.  Shakespeare  n'est  point  un  chef  d'école; 
l'esprit  doctrinaire  comme  l'esprit  révolutionnaire 
est  ce  qu'il  y  a  de  plus  étranger  à  son  génie.  Ni 
professeur,  ni  polémiste,  il  est  un  pur  poète  ;  sa 
seule  fonction  est  de  créer.  Outre  ses  pièces  de 
théâtre,  il  a  écrit  des  poèmes  proprement  dits  et 
des  sonnets  ;  mais  on  chercherait  en  vain  dans 
ses  œuvres  une  seule  ligne  de  préface  ou  de 
commentaire,  comme  en  ont  tant  fait,  par  exem- 
ple. Corneille  et  Victor  Hugo. 

Le  drame  romantique  ou  shakespearien,  à  la 
différence  du  drame  classique,  admet  sur  la  scène 
une  quantité  de  personnages,  mêle  volontiers  les 
styles,  les  tons  les  pins  divers,  change  fréquem- 
ment le  lieu  de  l'action  et  en  prolonge  indéfini- 
ment la  durée.  Cette  différence  de  forme  résulte 
d'une  différence  fondamentale  dans  l'objet  môme 
de  la  représentation.  Il  est  absurde  de  condam- 
ner l'une  ou  l'autre  forme,  comme  on  le  fait  encore 
si  souvent  par  ignorance  ;  il  faut  les  comprendre 
l'une  et  l'autre,  car  elles  ont  chacune  leur  beauté. 
Le  drame  classique  représente  un  instant  de  l'ac- 
tion court  et  décisif,  la  crise  suprême,  la  catastro- 
phe; de  là  vient  qu'il  se  précipite  à  pas  réguliers 
vers  le  dénouement  et  que  ses  qualités  principa- 
les sont  la  rapidité  et  la  concentration.  Mais  le 
drame  romantique  représente  l'histoire  entière 
d'une  passion,  les  circonstances  où  elle  est  née, 
son  développement  progressif,  ses  longues  luttes 
contre  la  volonté,  &nfm  sa  victoire  et  ses  consé- 
quences ultérieures;  de  là  la  marche  lente  de  ce 
drame  et  sa  vaste  étendue.  Tableau  complet  du 
monde  et  de  la  vie  humaine,  le  drame  shake- 
spearien afîectionne,  par  goût  de  la  réalité,  certains 
rapprocheiuents,  certaines  disparates,  que  le  drame 
classique  proscrit,  au  contraire,  au  nom  de  l'idéal. 

Aucun  poète  n'égale  Shakespeare  pour  le  nom- 
bre et  la  variété  des  caractères  qu'il  a  créés  ;  et 
ce  qui  n'est  pas  moins  merveilleux  que  sa  fécon- 
dité créatrice,  c'est  l'entière  impersonnalité  de  son 
théâtre,  qui  ne  contient  pas  la  moindre  révélation 
sur  lui-même,  sur  les  faits  de  sa  vie  ou  sur  ses 
sentiments  particuliers.  Rien  n'est  plus  rare  qu'une 
semblable  puissance  d'abstraction.  Ily  a  de  grands 
poètes  si  incapables  de  se  dé|)OuiUer  de  leur  ca- 
ractère personnel,  qu'il  reparait  dans  toutes 
leurs  créations,  un  peu  luonotones  à  cause  de 
cela  ;  mais  Shakespeare  est,  comme  on  l'a  dit, 
11  l'hoiTime  aux  dix  mille  âmes.  »  On  donne  sou- 
vent le  nom  â' objectivité  à  ce  talent  qu'ont  cer- 
tains auteurs,  et  Shakespeare  plus  que  personne, 
de  s'efi'acer  absolument  derrière  leurs  personna- 
ges, tandis  qu'on  appelle  écrivains  subjectifs  ceux 
qui  ne  peuvent  ou  ne  veulent  jamais  se  faire  ou- 
blier. La  poésie  lyrique  est  essentiellement  sub- 
jective, mais  la  poésie  dramatique  est  objective  par 
excellence;  elle  a  été  définie  de  la  manière  sui- 
vante par  Shakespeare  lui-même  dans  une  scène 
de  la  tragédie  d'Ilamlel,  où  paraissent  des  comé- 
diens :  «  Le  Imt  du  théâtre  est  de  présenter,  pour 
ainsi  dire,  un  miroir  à  la  nature,  de  montrer  à  la 
vertu  ses  propres  traits,  à  l'infamie  sa  propre 
image,  à  chaque  âge  et  à  chaque  transformation 
du  temps  sa  ligure  et  son  empreinte.  » 

Los  caractères  du  théâtre   de  Shakespeare  se 


SHAKESPEARE 


2027  — 


SHAKESPEARE 


distinsnent  do  coiix  du  tliràtro  classiqufi  par  une 
ricliessu  de  traits  individuels  qui  los  rsiid  moins 
logiques,  moins  siniplrs,  moins  uniformes,  mais 
qui  augmente  singulifTonicnt  leur  conrormitc  avi;c 
la  vie.  Si  dans  li'S  arts  du  dessin  le  profll  est  ce 
qui  donne  le  trait  fondamental  et  constant  de  la 
tigure  luunaine,  on  peut  dire  que  les  poètes  de  la 
tradition  classique  peignent  l'homme  de  prolil, 
tandis  que  Shakespeare  ose  le  peindre  de  face 
dans  la  vive  et  fuyante  mobilité  de  sa  physiono- 
mie. Ayant  plus  de  icimpsJi  sa  disposition  que  les 
poètes  réguliers,  et  faisant  toute  l'histoire  morale 
do  SC8  héros,  il  cherchait  moins  à  se  conformer 
au  précepte  d'Horace  sur  la  consistance  et  l'unité 
des  caractères  dramatiques  qu'il  re|)réscntercette 
i/iversité  ondnyimle  qui  est,  selon  Montaigne, 
l'ossonco  môme  de  notre  nature.  Les  passions  de 
l'ànie  considérées  d'une  façon  abstraite  paraissent 
toujours  les  mêmes  et  ne  sont  pas  extrêmement 
nombreuses:  cependant  les  indivirlus  passionnés 
sont  très  différents  les  uns  des  autres,  et  dans  la 
réalité  il  y  a  mille  manières  diverses' d'être  ja- 
loux, ambitieux,  amoureux,  avare,  cruel,  etc.  La 
plupart  des  poètes  commencent  par  concevoir  une 
passion  générale,  pure  idée  qu'ils  incarnent  en- 
suite dans  un  personnage  qui  devient  le  type  de 
cette  passion;  mais  ce  n'est  pas  ainsi  que  procède 
Sliakespeare.  Son  imagination  ne  voit  et  ne  crée 
que  des  individus,  qui  ont  bien  telle  ou  telle  pas- 
sion dominante,  mais  que  celle-ci  ne  suffit  point 
à  caractériser;  car  ils  ont,  .'i  côté  d'elle  et  indé- 
pendamment d'elle,  leur  caractère  original,  c'est- 
à-dire  li'ur  tempérament,  leur  humeur,  leur  race, 
leur  famille,  leur  genre  d'éducation,  leur  tour  par- 
ticulier d'esprit.  Othello,  par  exemple,  n'est  pas 
la  jalousie,  mais  un  certain  jaloux  ;  Timon  d'A- 
thènes et  Macbeth  ne  sont  pas  l'un  la  misanthro- 
pie et  l'autre  l'ambition  ;  ils  sont  un  certain  mi- 
santhrope et  un  certain  ambitieux.  ïroilus  est  un 
autre  jaloux,  tiès  ditlérent  d'Othello;  Richard  III 
est  un  autre  ambitieux  fort  peu  semblable  à.  Mac- 
beth. 

En  outre,  Shakespeare,  ne  resserrant  point  l'ac- 
tion dans  les  limites  étroites  de  la  catastrophe, 
fait  passer  graduellement  ses  caractères  à  travers 
une  succession  d'états  qui  les  révèle  tout  entiers 
peu  à  peu.  Tandis  que  les  personnages  du  théâtre 
classique  sont  posés  du  premier  coup  dans  leur 
attitude  définitive  et  ne  font  jusqu'au  dénouement 
(|ue  se  maintenir  tels  qu'ils  étaient  au  début,  on 
ne  connaît  bien  ceux  de  Shakespeare  que  lorsqu'on 
a  suivi  le  développement  complet  de  leur  rôle. 
Timon  d'Athènes  tombe  d'un  extrême  dans  un 
autre,  d'une  philanthropie  imprudente  et  folle 
dans  la  misanthropie  la  plus  eftrénée  ;  Othello  ne 
commence  pas  par  être  jaloux;  Macbeth  est  assez 
honnête  homme  d'abord,  et  c'est  sa  femme  qui 
lui  inspire  des  pensées  d'ambition. 

L'impersonnalité  ou,  pour  employer  un  ternie 
expliqué  tout  à  l'heure,  l'objectivité  étonnante  du 
théâtre  de  Shakespeare,  ne  permet  pas  de  rien 
conjecturer  sur  les  sentiments  politiques  et  reli- 
gieux du  poète.  Telle  était  la  hauteur  et  la 
liberté  de  son  esprit,  qu'il  planait  au-dessus  de 
tous  les  partis  et  de  toutes  les  sectes.  Deux 
grandes  idées  se  dégagent  de  ses  tragédies  avec 
une  égale  force  :  l'une  est  celle  de  la  liberté  mo- 
rale, en  vertu  de  laquelle  l'homme  est  l'artisan 
de  sa  propre  destinée,  l'auteur  du  mal  et  du  bien 
qui  lui  arrive  ;  l'autre  est  celle  de  la  fatalité  ter- 
rible, qui,  pesant  aussi  sur  l'homme  ici-bas, 
enveloppe  d'un  sombre  mystère  le  gouvernement 
divin  du  monde. 

Le  style  de  Shakespeare  est  luxuriant  d'images  ; 
Jes  aperçus  les  plus  pénétrants  sur  tous  les  pro- 
blèmes, qui   peuvent  faire   l'objet  des  méditations 


cesse  revenir  quand  on  essaie  de  caractériser  son 
génie  sont  ceux  qui  expriment  les  idées  do  ri- 
chesse et  de  profondeur.  Esprit  non  seulement 
élevé,  mais  transcendant,  Shakespeare  contemple 
l'existence  humaine  au  point  de  vue  de  l'éternité, 
indilTérent  aux  questions  qui  passionnent  les 
hommes,  détaché  même  de  ses  propres  ouvrages 
avec  la  sérénité  d'nn  créateur  auquel  la  production 
de  la  vie  semble  no  coi'iter  aucun  effort.  Sun  im- 
mense curiosité,  son  activité  infatigable  lui  a  fait 
parcourir  le  cercle  presque  entier  de  Ihistoire,  la 
Grèce  d'Homère  et  d'Alcibiade,  la  Rome  de  la 
llépublique  et  do  l'Empire,  les  contrées  plus  ou 
moins  fabuleuses  de  la  vieille  Europe  du  Nord,  le 
moyen  âge,  l'Ilalie,  l'Ecosse,  l'Angleterre  con- 
temporaine :  partout  il  a  peint  l'homme,  partout 
il  a  représenté  sous  la  diversité  innombrable  do» 
figures  individuelles  l'immuable  vérité  de  l'hu- 
maine nature.  Son  pinceau  impartial  n'exclut 
rien,  ne  préfère  rien;  aux  tableavix  héroïques  ou 
touchants  succèdent  des  caricatures  ;  son  incom- 
parable galerie  d'originaux  exhibe  les  grotesques 
les  plus  risiblos,  les  monstres  les  plus  effrayants, 
à  côié  des  plus  belles  images  de  la  vertu  virile, 
de  la  grâce  virginale  et  des  autres  perfections  de 
l'homme  et  de  la  femme.  Il  passe  avec  une  égale 
facilité  du  règne  de  la  matière  à  celui  de  l'esprit, 
de  Falstaff,  bouffon  cynique  et  ventru,  au  prince 
llamlet,  modèle  accompli  de  culture  intellectuelle 
et  morale.  Le  monde  réel  ne  lui  suffit  pas;  c'est 
dans  un  monde  idéal  et  fantastique  qu'il  a  placé 
la  scène  de  ses  plus  charmantes  comédies,  Comme 
U  vous  plaira,  le  i'onge  d'une  nuit  d'été  ;  et  dans 
deux  de  ses  chefs-d'œuvre  tragiques,  dans  Mac- 
Ijeth  et  dans  Hamlet,  il  a  fait  parler  et  agir  les 
puissances  surnaturelles  avec  une  force  de  vérité 
qu'aucun  poète  n'avait  su  atteindre  depuis  Eschyle 
et  que  depuis  Shakespeare  personne  n'a  retrouvée. 
Le  domaine  tristement  curieux  des  maladies  men- 
tales a  même  été  exploré  par  lui;  Le  roi  Lear, 
Homlet  et  Macbeth  décrivent  avec  une  pré- 
cision que  la  science  médicale  admire  les  phé- 
nomènes de  la  folie  et  de  l'hallucination .  Il  est 
rare  de  nos  jours  que  le  spectacle  des  misères 
humaines  ne  laisse  pas  dans  l'âme  du  penseur  une 
mélancolie  incurable  ;  Shakespeare ,  dans  son 
Homlet,  a  dépeint  supérieurement  ce  mal  moderne, 
mais  il  n'y  en  a  point  trace  dans  sa  propre  nature, 
et  l'inaltérable  sérénité  d'une  humeur  toujours 
gaie  et  joyeuse,  selon  la  tradition,  fait  ressembler 
ce  poète  extraordinaire  h  un  rejeton  robuste  de  la 
saine  antiquité. 

Si  le  génie  dramatique  de  Shakespeare  est  plus 
vaste,  plus  complet  que  celui  de  Corneille  et  de 
Racine,  il  ne  faudrait  pas  croire  cependant  que 
nos  poètes  français  ne  puissent  soutenir  avec  un 
si  grand  homme  la  comparaison  sur  aucun  point. 
Racine,  par  exemple,  étudie  mieux  que  Shakespeare 
les  caractères  do  femmes;  dans  l'analyse  de  l'a- 
mour et  du  cœur  féminin,  l'auteur  d'Andromaque, 
de  Bérénice,  de  Phèdre,  a  montré  une  finesse  mo- 
rale qoe  n'égale  pas  l'auteur  de  Roméo  et  Juliette 
avec  son  éblouissante  poésie.  Molière,  observa- 
teur profond  et  sérieux,  vaillant  soldat  du  bon 
sens  et  de  la  vérité,  est  un  émule  parfois  victo- 
rieux du  poète  anglais.  On  admire  i' humour  de 
Shakespeare,  cette  ironie  sans  amertume  qui  dans 
l'agitation  humaine  considérée  de  haut  ne  voit 
que  le  va-et-vient  amusant  d'une  procession  de 
marioimettes  et  qui  proclame  avec  un  sourire  que 
tout  est  vanité  ;  mais  on  éprouve  plus  d'estime  et 
plus  de  sympathie  pour  le  courage  utile  avec  le- 
quel Molière  a  fait  la  guerre  aux  vices  et  aux  ri- 
dicules de  son  siècle.  Le  comique  de  Molière  est 
toujours  solide  et  de  bon  aloi;  il  est  dans  les 
choses  mômes,  taudis  que  celui  de  Shakespeare, 


de  la  pfiilosophie  sont  semés  avec  profusion  dans    plus  superficiel,  ne  consiste  souvent  que  dans  des 
son  tliiiàtrc,  et   les  termes  auxquels  il  faut   sans  |  jeux   de   mots.  L'observation  de  la  nature  a  été 


SIGNES 


—  20i28  — 


SIGNES 


rpcomniandée  par  l'un  et  par  l'autre  poète  ;  mais 
Molière  est  demeuré  plus  constamment  fidèle  h 
son  propre  précopte  que  Shakespeare,  auquel  on 
a  pu  reprocher  d'avoir  fait  quelc|ues  concessions 
au  mauvais  goût  et  au  bel  esprit  de  ses  contem- 
porains. 

Ces  exemples  montrent  qu'il  n'est  pas  impossi- 
ble de  conserver  h.  nos  poètes  dramatiques  cer- 
tains avantages  dans  une  comparaison  avec  leur 
grand  rival  étranger.  Mais  les  parallèles  de  ce 
genre,  où  l'on  oppose  entre  eux  des  poètes  ap- 
partenant à  des  nationalités  et  à  des  époques  dif- 
férentes, sont  extrêmement  délicats  et  ne  doivent 
être  faits  qu'avec  des  précautions  infinies.  Autre- 
fois la  critique  française,  infatuée  des  chefs-d'œuvre 
récents  de  notre  littérature,  dédaigneuse  des  lit- 
tératures anciennes  et  étrangères  qu'elle  connais- 
sait à  peine,  reprochait  à  Shakespeare  ce  qu'elle 
appelait  sa  barbarie,  c'est-à-dire  les  différences 
naturelles  qui  font  de  lui  un  écrivain  tout  autre 
que  ceux  de  notre  période  classique.  On  tompre- 
nait  mal  en  ce  temps-là  qu'à  chaque  forme  de  la 
aociété  correspond  une  forme  particulière  de  l'art, 
et  qu'il  est  dans  la  logique  des  choses  que  le 
siècle  d'Elisabeth  n'ait  pas  eu  du  théâtre  la  même 
idée  que  celui  de  Louis  XIV.  Si  l'on  avait  été  plus 
instruit,  on  aurait  su  que  Shakespeare,  loin  de 
mériter  le  nom  de  barbare,  était  un  homme  très 
civilisé, en  progrès  sur  son  temps,  etque  ses  pièces 
ne  présentent  que  par  exception  les  violences 
et  les  grossièretés  qui  abondent  dans  celles  de  ses 
contemporains,  non  seulement  en  Angleterre, 
mais  en  France.  A  ce  blâme  inintelligent  nous  avons 
vu  succéder  une  injustice  contraire  :  on  a  exalté  i 
outre  mesure  le  génie  de  Shakespeare  et  on  lui  a 
sacrifie  sans  marchanderles  noms  les  plus  glorieux 
de  la  littérature  française.  Il  faut  soigneusement 
nous  garder  de  ces  deux  exagérations  opposées, 
qui  sont  une  preuve  égale  d'ignorance  ;  il  faut  re- 
placer chaque  grand  poète  dans  son  siècle,  dans 
sa  nation,  dans  son  milieu,  admettre  l'incontesta- 
ble fait  historique  de  la  diversité  dos  formes  de 
l'art,  élargir  continuellement  son  goût  par  l'étude, 
et  rendre  à  tout  ce  qui  est  beau  la  juste  admira- 
tion qui  lui  est  due.  Le  but  de  l'éducation  litté- 
raire n'est  point  de  fermer  avec  une  sévérité  cha- 
grine, c'est  au  contraire  d'ouvrir  et  de  multiplier 
les  sources  de  jouissance  pour  l'esprit. 

[Paul   Stapfer.] 

SIÈCLE.  —  V.  au  Supplément  les  mots  Siècle 
(seizième).  Siècle  (dix-septième).  Siècle  (dix-hui- 
tièmel.  Siècle  \dix-neuvième}.  Siècle  de  Périclès, 
Siècle  d'Aiiguste.  Siècle  de  Léon  X,  Siècle  de 
Louis  XIV. 

SIGNES,  SIGNAUX. —  Connaissances  usuelles,  I. 
—  Nous  réunissons,  sous  ce  mot,  tout  ce  qu'il 
peut  être  utile  de  faire  connaître  aux  enfants  sur 
les  moyens  les  plus  ordinairement  employés 
pour  représenter  extérieurement  ou  symboliser 
les  choses,  soit  dans  les  sciences,  les  arts,  l'indus- 
trie, soit  dans  le.s  usages  de  la  vie  commune,  soit 
enfin  dans  les  diiTérentes  manifestations  officielles 
de  nos  idées  et  de  nos  sentiments.  Le  signe,  ainsi 
compris,  touche  à  tout  et  se  retrouve  partout,  de- 
puis la  main  inscrite  sur  un  mur  pour  indiquer 
la  direction  d'un  sentier  ou  d'une  rue,  la  nou- 
velle lune  ou  la  pleine  lune  du  faiseur  d'alma- 
nachs,  jusqu'aux  emblèmes  les  plus  révérés  et  les 
plus  augustes  de  la  nationalité  ou  de  la  religion 
d'un  peuple. 

Afin  de  ne  pas  nous  perdre  dans  l'infinie  multi- 
plicité des  signes  de  toutes  sortes,  dont  il  faut  au 
moins  avoir  une  idée,  nous  les  partagerons  en 
groupes,  renvoyant  préalablement  le  lecteur  à  l'ar- 
ticle Abréviation,  dont  plusieurs  points  se  ratta- 
chent de  très  près  à  notre  sujet,  et  à  l'article  Hié- 
roglyphes, qui  leur  montrera  comment  un  dessin, 
comment  l'imitation  matérielle  d'un  objet  peut  se 


transformer  en  une  représentation  idéographique, 
c'est-à-dire  en  un  symbole  ou  un  emblème. 

Signes  i^sités  d.^ns  les  sciences.  — Mathémati- 
ques. —  Les  mathématiques,  outre  un  certain  nom- 
bre d'abréviations  *,  emploient  des  signes  dont  la 
plupart  sont  bien  connus  :  le  signe  de  l'addi- 
tion, +  ;  le  signe  de  la  soustraction,  — ;  le 
signe  de  la  multiplication,  X  ;  le  signe  de  la  divi- 
sion, qui  consiste  en  une  barre  horizontale  placée 
entre  les  deux  chilTres  qu'on  veut  diviser,  |  (dans 
l'algèbre,  la  multiplication  peut  s'indiquer  par  un 
point  placé  entre  les  lettres  représentant  les 
quantités  à  multiplier,  ou  simplement  par  la  jux- 
taposition de  ces  lettres  :  a.h  ou  ab;  la  division 
peut  aussi  s'indiquer  par  deux  points  placés  ver- 
ticalement entre  les  deux  lettres  qui  représentent 
les  quantités  à  diviser  :  a  :  4)  ;  le  signe  de  l'égalité, 
=  ;  les  signes  de  supériorité  ou  d'infériorité,  en 
usage  surtout  dans  l'algèbre,  >  et  <;«>&, 
a  <,  b  :  a  plus  grand  que  b,  a  plus  petit  que  6; 
le  signe  appelé  radical,  sJ ,  dont  on  se  sert  pour 
indiquer  qu'on  prend  la  racine  d'un  nombre,  en 
mettant  entre  les  branches  un  chilTre  qui  marque 
le  degré  de  la  racine  :  y/  '2",  c'est-à-dire  racine 
troisième  ou  cubique  de  27  ;  le  signe  oo  ,  qui  ex- 
prime l'infini.  Dans  l'algèbre,  le  chiffre  appelé 
coefficient  s'écrit  à  la  gauche  d'une  lettre  pour 
indiquer  combien  de  fois  la  quantité  qu'elle  re- 
présente doit  être  répétée  (3  n  =  a  -|-  n-l-  a),  et 
le  chiffre  appelé  exposant,  que  l'on  place  à  droite 
et  un  peu  au-dessus  d'une  lettre,  indique  combien 
de  fois  la  quantité  que  cette  lettre  représente  doit 
être  multipliée  par  elle-même  ou  prise  comme 
facteur  [a^  =  a  X  «  X  a).  Les  lettres  elles-mêmes, 
en  algèbre,  sont  des  signes;  on  emploie  les  pre- 
mières lettres  de  l'alphabet  pour  désigner  des 
quantités  connues,  et  l'on  réserve  les  troi-i  der- 
nières j,  !/  et  :  pour  désigner  les  inconnues  ;  n 
exprime  un  nombre  quelconque.  En  géométrie,  on 
se  sert  des  lettres  (des  lettres  majuscules)  pour  indi- 
quer les  sommets  et  les  cùtés  des  angles,  les  extré- 
mités et  les  points  d'intersection  ou  de  contact  des 
lignes,  les  centres  des  cercles,  les  foyers  des  el- 
lipses, etc.  La  lettre  grecque  it  sert  à  désigner  le 
rapport  du  diamètre  à  la  circonférence  du  cercle. 

Astronomie.  —  Les  astronomes  emploient  des 
signes  pour  désigner  les  astres,  notamment  les 
planètes,  les  signes  du  zodiaque,  les  phases  de  la 
lune,  etc. 

Voici  les  principaux  de  ces  signes  : 

Signes  du  zodiaque  : 

T,  le  Bélier;  tf,  le  Taureau;  D,  les  Gémeaux ^ 
S,  le  Cancer  ;  a  ,  le  Lion  ;  "U,  la  Vierge;  ii,  la 
Balance;  n\„  le  Scorpion;  v»,  le  Sagittaire;  %,  le 
Capricorne;  =,  le  Verseau;  K,  'es  Poissons. 

Planètes  :  ©  figure  le  Soleil;  $,  Mercure:  9,  Vé- 
nus; î,  la  Terre:  $,  la  Lune  :  d,  Mars  ;  f ,  Vesta; 
ij,  Junon;  Ç,  Cérès;  i ,  Pallas;  ^,  Jupiter; 
ï),  Saturne;  $,  Uranus;  'I*,  Neptune.  —  Pour  dé- 
signer les  planètes  télescopiques,  on  écrit  leur 
numéro  d'ordre  environné  d'un  cercle,  par  exem- 
ple [A  —  <^  signifie  nœud  ascendant;  5,  nœud 
descendant. 

Les  phases  de  la  lune  se  désignent  de  la  ma- 
nière suivante  : 

®  N.  L.,  nouvelle  lune;  —  î;  P.  Q.,  premier 
quartier;—  ®  P.  L.,  pleine  lune;  —  S  D.  Q., 
dernier  quartier. 

En  outre,  les  astronomes  désignent  chacune 
dos  étoiles  d'une  même  constellation  par  les  let- 
tres de  l'alphabet  grec,  en  attribuant  les  pre- 
mières lettres  aux  étoiles  les  plus  brillantes.  Les 
lettres  latines  et  les  chiffres  ordinaires  sont  em- 
ployés à  la  suite,  quand  le  nombre  des  astres  est 
trop  grand. 

Botanique.  —  Les  principaux  signes  qu'on  trouve 


SIGNES 


—  2029 


SIGNES 


ilans  les  livres  de  botanique  sont  les    suivants  : 

©,  signe  du  Soleil,  désigne  les  plantes  annuel- 
les" <;,  signe  de  Mars,  les  plantes  bisannuelles; 
'Jf.,  signe  de  Saturne,  les  plantes  ligneuses  (ar- 
bres, arbrisseaux)  ;  $,  signe  de  Vénus,  les  indivi- 
dus ou  fleurs  femelles  ;  î,  signe  de  Mars  (dont  la 
flèche,  au  lieu  d'être  inclinée,  est  placée  vertica- 
lement), les  individus  ou  fleurs  mâles;  •>:>.  signe 
de  IVlars  et  Vénus  réunis,  les  individus  ou  fleurs 
hermaphrodites;  o-o,  les  individus  ou  fleurs  qui, 
par  suite  d'avortement,  sont  privés  d'organes 
mâles  et  femelles,  c'est-à-dire  d'étamiiies  et  de 
pistils;  C,  volubile  i  gauche;  y,  volubile  à 
droite. 

Géof/raphie,  tofjographie,  etc.  —  Pour  ce  qui 
regarde  les  signes  topographiques,  la  repré- 
sentation figurée  du  terrain,  les  reliefs,  nous 
renvoyons  nos  lecteurs  à.  l'article  Cartogra- 
phie;   pour  ce  qui  regarde  les  représentations 

des  objets  qui  doivent  être  consignés  sur  un  plan, 
et  même  sur  une  carte  de  grande  dimension, 
marais,  forêts,  terres,  cultivées,  etc.,  '  nous  les 
renvoyons  h.  l'article  Lever  des  pleins;  ils  y 
trouveront  l'indication  des  signes  et  des  teintes 
conventionnelles  les  plus  ordinairement  employés. 

Bornons-nous  à  mentionner  les  signes,  d'ail- 
leurs bien  connus,  par  lesquels  on  indique,  sur 
les  cartes  de  grande  dimension,  les  divers  acci- 
dents de  la  géographie  politique.  Les  villes  ou- 
vertes se  présentent  ordinairement  par  un  hexa- 
gone ;  les  villes  fermées,  les  places-fortes  par 
une  étoile  à.  pointes  simulant  les  remparts.  Sou- 
vent, dans  les  cartes  de  petite  dimension  qui 
comprennent  la  représentation  graphique  de  tout 
un  grand  pays,  les  signes  qui  indiquent  les  villes 
se  bornent  h  de  petits  cercles,  triples,  doubles 
ou  simples,  suivant  l'importance  des  locahtés. 
Une  croix  surmontant  la  ville  indique  un  évèché  ; 
une  double  croix,  un  archevêché;  un  drapeau 
indique  un  chef-lieu  de  division  militaire  ;  une 
balance,  un  chef-lieu  de  cour  d'appel  ;  une  palme 
ou  deux  palmes  qui  se  joignent,  un  chef-lieu 
d'académie.  Deux  épées  croisées  rappellent  le 
lien  d'une  bataille  ;  quelquefois  deux  mains 
unies,   un  traité  de  paix. 

Signaux.  —  Il  y  a  toute  une  série  d'applica- 
tions scientifiques,  de  procédés  fondés  sur  la 
mécanique ,  la  physique ,  etc.,  qui  ont  pour 
objet  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  science  des 
signaux,  qui  permet  de  transmettre  au  loin  des 
avis,  des  nouvelles,  en  les  traduisant  maiérielle- 
nient  aux  yeux  par  des  procédés  de  convention. 
C'est  ainsi  qu'à,  l'entrée  des  ports  soumis  aux  va- 
riations de  la  marée,  des  mats  de  signaux  font 
connaître  aux  navires  en  rade,  par  le  moyen  d'un 
système  de  bouées  mobiles,  la  profondeur  de 
l'eau  dans  le  port.  Sur  les  chemins  de  fer,  il  y  a 
des  disques  mobiles,  des  appareils  de  formes  di- 
verses, qui,  par  la  position  verticale  ou  horizontale 
de  leurs  bras,  ou  soit  qu'ils  découvrent,  soit  qu'ils 
cachent  des  fanaux  blancs  ou  colorés,  indiquent, 
le  jour  comme  la  nuit,  si  la  voie  est  ouverte  ou 
fermée.  Avant  l'invention  de  la  télégraphie  élec- 
trique, les  télégraphes  aériens,  dont  l'origine 
remonte  jusqu'aux  temps  de  l'antiquité,  mais  qui 
furent  complètement  organisés  et  systématisés 
ehez  nous  par  Claude  Chappe  h  la  fin  du  siècle 
dernier,  couvrirent  notre  sol  de  tout  un  vaste 
ensemble  de  communications  h  longue  distance. 
Les  télégraphes  de  Chappe  étaient  placés  sur  le 
sommet  de  hauteurs  ou  de  monuments  élevés 
ordinairement  à  une  distance  de  trois  lieues 
l'un  de  l'autre;  ils  consistaient  principalement 
en  un  appareil  de  trois  pièces  se  mouvant 
sur  un  support,  décrivant,  par  leur  évolution 
simultanée  des  angles  différents  d'écartement 
et  de  direction,  et  pouvant  former  ainsi  VJG  figu- 
res, qui  représentaient  autant  de  signes.  A  cha- 


que station,  des  guetteurs  étaient  chargés 
d'exécuter  avec  des  manivelles  les  mouvements 
correspondants  aux  dépêches  qu'ils  recevaient, 
de  transmettre  ou  de  reproduire  immédiate- 
ment les  mouvements  qu'ils  voyaient  exécutés 
sur  le  télégraphe  le  plus  voisin.  La  télégraphie 
électrique  a  détrôné  la  télégraphie  aérienne. 
Toutefois  il  y  a  encore,  le  long  de  nos  cites, 
des  sémaphores ,  qui  sont  de  véritables  télé- 
graphes aériens,  et  dont  l'emploi  est  de  faire 
connaître  l'arrivée,  les  manœuvres  des  bâtiments 
venant  du  large  ,  naviguant  ou  croisant  h  la 
vue  des  eûtes  et  devant  les  ports.  Ces  sémapho- 
res communiquent  ordinairement,  soit  entre  eux, 
soit  avec  les  navires,  au  moyen  de  pavillons  de 
diverses  couleurs  qu'on  hisse  et  qu'on  baisse 
alternativement,  et  dont  les  positions  ou  les  cou- 
leurs forment  tout  un  système  de  signaux  dont 
l'emploi  est  fixé  par  une  sorte  de  Code  interna- 
tional. Enfin,  on  se  sert  dans  l'armée  d'appareils 
de  télégraphie,  dite  optique,  où  l'on  emploie, 
comme  moyens  de  transmission  des  signaux,  pen- 
dant le  jour,  la  lumière  même  du  soleil  concen- 
trée en  éclats  longs  ou  brefs,  suivant  un  système 
préalablement  déterminé  ;  pendant  la  nuit,  la  lu- 
mière d'une  lampe. 

Signes  usités  dans  les  aiits.  —  Symboles  et 
emblèmes.  —  Les  arts,  surtout  les  arts  plastiques, 
font  un  grand  usage  des  symboles  et  des  emblè- 
mes, deux  mots  qui,  dans  la  langue  ordinaire, 
sont  h.  peu  près  synonymes,  et  dont  le  sens  ne 
diffère  guère  que  par  une  nuance  souvent  insen- 
sible, le  premier  désignant  plutôt  quelque  chose 
de  traditionnel,  de  généralement  admis,  de  popu- 
laire, si  l'on  veut  ;  le  second  s' appliquant  surtout 
au  résultat  d'une  certaine  œuvre  et  d'une  créa- 
tion particulière.  «  Le  gouverjiail,  dit  Marmon- 
tel,  est  le  symbole  de  la  navigation  ;  les  poètes  et 
les  peintres  en  ont  fait  l'emblème  de  l'administra- 
tion d'un  Etat.  » 

Il  serait  bien  impossible  d'énumcrer  et  encore 
moins  d'expliquer  ici  tous  les  symboles  et  em- 
blèmes imaginés  ou  réalisés  par  Ibs  poètes  et  les 
artistes.  Nous  nous  contenterons  d'en  indiquer 
quelques-uns,  au  moyen  desquels  chacun  de  nos 
lecteurs,  en  trouvera  aisément  d'autres  dans 
sa  mémoire.  C'est  certainement  un  utile,  intéres- 
sant et  amusant  exercice  que  d'appeler  l'at- 
tention des  enfants,  à  l'occasion  d'une  lecture  ou 
de  quelque  circonstance  accidentelle,  sur  quelque 
symbole  facile  i  saisir,  de  leur  en  demander  l'expli- 
cation, de  leur  en  faire  rechercher  d'analogues.  On 
sait,  par  exemple,  que,  sur  les  tableaux,  les  mo- 
numents, telle  nation,  telle  partie  du  monde  se 
représente  par  une  figure  symbolique  d'homme 
ou  de  femme,  d'animal,  de  plante,  d'édifice,  etc. 
Ainsi,  un  sauvage  ayant  à  ses  pieds  un  crocodile 
personnifiera  l'Afrique  ;  l'Egypte  sera  figurée  par 
un  sphinx  et  une  pyramide;  le  Canada  par  un 
castor  ;  les  pays  d'Orient,  par  un  minaret  et  un 
palmier.  Il  y  a  de  ces  personnifications  qui  sont,  en 
quelque  sorte,  historiques  ;  une  tête  de  femme  coif- 
fée d'un  casque  avec  un  hibou  sur  le  cimier  sera 
l'image  d'Athènes  ;  une  louve  avec  deux  enfants 
sera  celle  do  Rome,  etc.  Les  saisons  ont  été 
mille  et  mille  fois  représentées,  le  printemps, 
sous  la  figure  d'une  jeune  fille  portant  des 
fleurs;  l'été,  sous  celle  d'enfants  cueillant  des 
épis  ;  l'automne,  comme  Une  nymphe  couronnée 
de  pampres  ;  l'hiver,  comme  une  vieille  femme 
qui,  suivant  le  vers  du  poète, 

Se  chauffe  avec  uo  feu  de  marbre  sou3  la  main. 

One  proue  de  vaisseau  qui  fend  les  flots  est  l'i- 
mage naturelle  de  la  marine;  une  grenade  d'où 
sortent  des  flammes,  ou  des  boulets  superposés, 
personnifient  la  guerre  ;  la  balance  ou  le  glaive  est 


SIGNES 


—  2030 


SIGNES 


l'image  de  la  justice;  le  sceptre,  de  la  royauté; 
un  calice  avec  une  hostie  est  l'emblème  de  la  foi 
catholique.  De  même,  le  coq  symbolise  la  vigi- 
lance ;  un  serpent  qui  se  mord  la  queue,  l'éternité  ; 
un  sablier  ailé,  une  horloge,  sont  l'emblème  du 
temps  ;  la  faux,  l'emblème  de  la  mort  ;  une 
tige  de  fleur  brisée,  une  colonne  tronquée,  celui 
dune  mort  prématurée.  11  y  a  des  fleurs  qui 
symbolisent  des  vertus,  des  passions,  des  goûts, 
comme  le  lys,  comme  la  violette  ;  il  y  a  des  cou- 
leurs qui  représentent  telles  dispositions  de 
l'àme,  comme  le  noir  qui  est  symbole  de  deuil  ; 
le  vert,  symbole  d'espérance.  La  langue  elle- 
même,  remarquons-le,  accepte  dans  ses  figures 
ces  persounificatioas  réalisées  par  l'imagination 
populaire  ou  par  l'invention  des  artiste--.  On  dira 
d'un  homme  impénétrable:  C'est  un  sphinx;  d'un 
ingrat  :  Quel  serpent  vous  avez  rcchautïé  dans 
votre  sein  !  etc. 

Signes  industhiels.  —  Signes  des  métiers  et  des 
professions  ;  enseignes,  marques  rie  fabrique,  etc. 
—  Le   marchand,  le   négociant,  l'industriel,    font 
usage  de  signes  extérieurs  soit  pour  faire  connai 
tre    leur   métier  ou  leur   profession,  soit  pour  en 
garantir  les  produits.  De  15,  par  exemple,  l'usage 
des  enseignes,  qui  consistent  le  plus  souvent  en 
écriteaux  portant,  avec  notre  nom,  l'indication  de  ce 
que  nous  faisons  ou  de  ce  que  nous  olïr  ons  au  pu- 
blic, mais    qui    sont  bien  souvent  aussi  ce  qu  on 
pourrait  appeler  des  enseignes  parlantes.  Ou  bien 
elles    sollicitent    l'attention  par   quelque  devise, 
par  quelque  attribut  que  nous  croyons  de  nature 
à  nous  concilier  l'estime  ou  la  bienveillance,  indi- 
quant, par  exemple,  les  vertus,  les  qualités  profes- 
sionnelles que    nous   prétendons  avoir;   ou   bien 
elles  nous  placent   sous  les  auspices  de  quelque 
personnage  révéré  ou  honorable,  de  quelque  évé- 
nement important  ;  ou  bien    elles  symbolisent  le 
métier,  la  profession  môme    par  un   emblème  ou 
par  quelque  marque  conventionnelle.  Qui  n'a  vu, 
dans  sa  ville  ou  dans  son  village,  cette   fameuse 
enseigne  de  savetier  ou  de  cordonnier  représentant 
un  lion  qui  s'acharne  sur  un  soulier,  avec  la  de- 
vise :  11  le  déchirera,  mais  il  ne  le  découdra  pas'? 
A  la  Bonne  Foi,  A  la  Confiance,  A  l'Exactitude,  Au 
Gagne-Petit,  Au  Bon  Marché,  sont  des  devises  que 
nous  rencontrons  sur  je  ne  sais  combien  de  bou- 
tiques, et  que  nous  devons  croire  véridiques  jus- 
qu'à preuve  du  contraire.  Le  Grand  Saint-André, 
le  Grand   Saint-Martin,    le    Grand  Frédéric,   qui 
ne  méritait  pas   chez    nous    tant   d'honneur,   le 
Petit    Caporal ,  les   Trois    Empereurs,    les    Qua- 
tre   Nations    servent     de   couveri,    souvent    pour 
des  raisons  qu'il    serait    bien    difficile   de    trou- 
ver, k    toutes    sortes  d'industries.    Les  hôtels  et 
les   anciennes    auberges    se     dénommaient   sou- 
vent,  autrefois   du  moins,  d'après  leur  situation 
ou  leurs  attributions  :  c'étaient  le  Cheval  Blanc, 
le  Cheval  Noir,  le  Chariot  d'Or,  le  Point  du  Jour, 
le    Soleil  Levant.   Silène    à    cheval  sur  un  ton- 
neau symbolise  merveilleusement  un   cabaret,  et 
le  roi  ou  le  dieu   Gambrinus,  avec  sa  choppe  de 
bière  mousseuse,  une  brasserie.  Rpmarquons  que 
ce    fut   seulement  à  la  fin   du   xviii»  siècle  qu'on 
eut    l'idée    de    distinguer,  dans    chaque   rue,  les 
maisons   par  des  nuinéros,  et  que  les  enseignes 
avaient  alors  plus  de  raison  d'être  qu'au,ourd  hui. 
Aussi   ne  se   bornait-on  pas  à   une  écriture  ou  a 
une  enluminure  pour   attirer  les   yeux   des    pas- 
sants ;  c'étaient  souvent  des  objets  en  nature  qui 
symbolisaient  la    profession:   le  perruquier  avait 
son  plat  à  barbe  en  cuivre  ;  l'épicier,  son    cercle 
de   chandelles;  le   charcutier,   ses    chapelets  de 
saucisses;  on  donne  encore  le  nom  de  bouchon  à 
une  auberge  de  bas  étage  :  c'est  que  les  établisse- 
ments de  ce  genre  avaient  pour  enseigne  un  bou- 
chon  de  branches  de  houx,   de  genévrier  ou  de 
sarments  de  vigne  : 


Vil  bouchon  de  houx  nous  arrête 
A  la  porte  d'un  cabaret, 

dit  Pierre  Dupont. 

Les  devantures  et  les  montres  des  boutiques  et 
des  magasins  ont  aujourd'hui  d'autres  moyens, 
beaucoup  plus  puissants,  pour  séduire  leur  clien- 
tèle, et  il  n'y  a  plus  guère  que  les  bureaux  de 
tabac  qui  aient  conservé  comme  signes  extérieurs 
leurs  carottes  symboliques,  et  aussi,  —  s'il  est 
permis  d'assimiler  ces  professions  h  des  industries, 
—  les  études  des  notaires,  huissiers  et  autres  of- 
ficiers civils  (jui  se  distinguent  par  leurs  panon- 
ceaux. 

En  revanche,  le  développement  de  l'industrie 
et  du  commerce  a  niuliiplié  les  marques  de  fabri- 
que, c'est-à-dire  l'empreinte  que  le  fabricanta  choi- 
sie pour  empêcher  de  confondre  ses  marchandises 
avec  celles  des  autres.  Cette  marque,  qui  est  la 
reproduction  d'une  devise,  d'une  enseigne,  d'un 
monogramme,  du  nom  même  du  fabricant,  etc., 
se  place  sur  l'en-tète  des  lettres  commerciales, 
sur  les  factures,  traites  et  effets,  sur  les  enve- 
loppes, paquets,  coli-,  etc.,  contenant  les  produits 
fabriqués,  et  elle  est  comme  la  garantie  de  l'au- 
thenticité de  ces  produits.  Toutes  les  maisons  de 
commerce  tant  soit  peu  importantes  ont  ainsi  leur 
marque,  dont  la  contrefaçon  est  punie  par  les  tri- 
bunaux. 

Signes  d'usage  commun.  —  Sir/nes  divers,  Lierez 
de  réféi-ences.  —  Notons  d'abord  un  certain  nom- 
bre de  signes  destinés  à  nous  donner  diverses 
indications  plus  ou  moins  utiles  dans  notre  vie  de 
tous  les  jours.  L'article  Ahréviutions  en  signale 
plusieurs,  nous  en  ajouterons  quelques  au- 
tres. 

Ainsi,  comme  nous  le  disions  en  commençant, 
une  main  inscrite  sur  un  mur  avec  un  doigt  indi- 
cateur nous  désigne  une  direction  ;  une  flèche 
nous  rend  le  môme  office  ;  c'est  d'après  sa  pointe 
que  nous  devons  marcher.  Les  girouettes  des  mai- 
sons donnent  la  direction  du  vent,  quelques-unes 
celles  des  points  cardinaux.  Les  écriteaux  signa- 
lent les  maisons  à  louer  ou  à  vendre  ;  dans  les 
villes,  ceux  qui  indiquent  les  appartements  qu'on 
loue  meublés  sont  ordinairement  sur  papier 
jaune.  Les  plaques  qui  sont  aussi  placées  sur 
les  maisons  sont  celles  des  compagnies  d'assu- 
rances. 

Les  livres  de  référence  et  de  renseignements 
généraux  contiennent  i  peu  près  tous  les  mêmes 
signes  conventionnels.  Voici  l'explication  de  ceux 
que  contient  l'un  des  plus  connus,  V Anuuuire- 
Alinaimclt  du  commerce  Dîd/l-Bottin. 

%,  Chevalier  de  la  Légion  d'honneur  ;  —  O.^, 
officier  de  la  Légion  d'honneur;  —  C.'ji^,  com- 
mandeur de  la  Légion  d'honneur;  —  G.O.^, 
grand-officier  de  la  Légion  d'honneur  ;  —  G.^, 
grand-croix  de  la  Légion  d'honneur;  les  lettres 
O,  A,  P  ou  B  placées  dans  un  cercle,  désignent 
une  médaille  d'or,  d'argent,  de  platine  ou  de 
bronze;  —  M. H.  mention  honorable;  — |gm 
grande  médaille  de  l'exposition  universelle;  — 
|Pi\l|  médaille  1"  classe  de  l'exposition  univer- 
selle; 1mh|,  mention  honorable  de  l'exposition 
universelle  ;  —  K,  bureau  de  poste  aux  lettres  ;  — 
un  cheval  ou  un  cor,  un  relais  de  poste  aux  che- 
vaux ;  —  une  locomotive,  une  gare  de  chemin  de 

fer;  |\C' ,  notable  commerçant;  — |k1'|, caisse 

d'épargne;   —   [M.P],   mont  de-piété  ;  etc. 

Les  bureaux  de  télégraphie  électrique  et  les  sta- 
tions de  chemin  de  fer  se  signalent  encore  de  cette 
façon  :  |tX!,  JSJ^- 

Voici  enfin  comment  on  désigne  les  décorations 
universitaires  :  —  A-p.  officier   d'académie;  — 
LïË,  officier  de  l'instruction  publique. 
"Uniformes,  costumes,  insignes,  nEcoitATio-NS.  — 


SIGNES 


—  2031 


SIGNES 


Lo  Mentor  Uc  TélénKtqiK;  oùt  voulu  quo  dans  le 
royaume  de  Saleiito  les  diflurentcs  classes  de  ci- 
toyens fussent  extérieurement  distinguées  par  la 
couleur,  l'ornementation  et  la  forme  de  leur 
habit.  Du  temps  de  Fénelon  et  jusqu'à  la  fin  du 
xviii'^  siècle,  les  mœurs,  sinon  la  loi,  établissaient 
ces  distinctions.  Chaque  classe  avait  son  costume. 
<i  Le  clergé,  dit  M.  Chéruel  (dans  son  Diction- 
naire hislorique  des  inslitutions  de  la  France, 
article  Habillement),  fidèle  h  ses  habitudes  tradi- 
tionnelles, avait  conservé,  avec  peu  de  change- 
ments, les  vêtements  du  moyen  âge.  La  noblesse 
portait  seule  les  costumes  éclatants,  dont  on  peut 
retracer  les  vicissitudes.  La  bourgeoisie  avait  des 
habillements  sans  broderie,  de  couleur  foncée,  et 
portait  le  manteau  noir  dans  les  solennités.  La 
magistrature,  les  universités,  les  dill'érents  corps 
de  l'armée,  quittaient  rarement  lo  costume  de 
leur  profession.  Jusqu'au  xvii»  siècle,  les  méde- 
cins ne  paraissaient  pas  en  public  sans  la  robe 
noire.  Il  en  était  de  môme  des  gens  de  justice  et 
des  professeurs  des  universités.  Les  marchands 
portaient  aussi  de  petites  robes  et  des  manteaux 
noirs,  lorsqu'ils  se  réunissaient  pour  quelque  cé- 
rémonie. Les  magistrats,  même  les  plus  éminents, 
ne  paraissaient  pas  à  la  cour  sans  le  signe  distlnc- 
tif  de  leur  profession,  n  Aujourd'hui  qu'en  Krance 
du  moins  il  n'y  a  plus  de  cour,  et  que  l'égalité 
civile,  conquise  par  la  Révolution,  a  nivelé  toutes 
les  conditions,  elles  se  confondent  toutes  aussi 
sous  le  même  vêtement.  Nous  pouvons  bien  avoir 
des  habits  de  travail  différents,  l'ouvrier  et  le 
paysan  peuvent  bien  pcrter  de  préférence  la 
blouse  tradllionnelle,  ce  ne  sont  plus  là  pour  au- 
cun d'eux  des  signes  distinctifs  de  classe.  Le  bon- 
net et  le  chapeau  ne  distinguent  pas  beaucoup 
plus  aujourd'hui  les  femmes  de  la  ville  de  nos 
paysannes.  Les  anciens  costumes  nationaux  et  les 
costumes  dits  de  pays  tendent  aussi  à  disparaître,  à 
mesure  que  les  communications  rapides  se  multi- 
plient sur  notre  sol.  Il  n'y  a  plus  guère  aujourd'hui 
que  deux  professions  qui  conservent  au  dehors  un 
mode  d'habillement  spécial,  le  clergé  et  l'armée  de 
terre  et  de  mer. Le  prêtre  séculier  a  gardé  sa  soutane, 
noire  pour  le  simple  ecclésiali(|ue,  violetK^  pour 
l'évoque  et  l'archevêque,  rouge  pour  les  cardinaux. 
Les  ordres  réguliers  des  deux  sexes  ont  leurs 
costumes  religieux.  Tout  le  monde  connaît  l'uni- 
forme de  nos  soldats  et  de  nos  officiers,  différent 
pour  l'iiifanterie,  la  cavalerie,  l'artillerie,  et  pour 
certains  corps  spéciaux  appartenant  à  chacun  de 
ces  trois  grands  ordres  de  troupes,  et  aussi  pour 
la  marine.  On  connaît  également,  et,  en  tout 
cas,  ce  n'est  pas  ici  que  nous  pourrions  entrer 
dans  ce  détail,  les  signes  distinctifs  de  chaque 
grade  de  sous-officiers  et  d'officiers. 

En  dehors  de  l'armée  et  du  clergé,  certaines 
professions  ont  un  costume  spécial  ou  au  moins 
des  signes  extérieurs  distinctifs  qu'elles  revêtent, 
soit  dans  certaines  occasions  soleimelles,  soit  dans 
l'exercice  même  de  leurs  fonctions,  qui  sont  en 
général  des  fonctions  publiques.  Ainsi,  les  mem- 
bres du  Parlement  portent  officiellement  une  sorte 
de  nœud  à  la  boutonnière;  les  représentants  du 
gouvernement,  préfets,  sous-préfets,  conseillers 
de  préfecture,  ont  un  habit  brodé,  l'écharpe  et  l'é- 
pée;  les  maires  en  fonctiojis,  les  commissaires  de 
police  en  fonctions  ont  l'écharpe;  les  juges  ont 
leurbarretie  et  leur  robe;  les  avocats,  les  membres 
de  l'université  appartenant  aux  facultés  et  k  l'en- 
seignement secondaire  ont  aussi  une  toque  et  une 
robe;  les  membres  de  l'Institut  ont  le  chapeau 
claque,  l'habit  brodé  de  vert  et  l'épée.  Les  con- 
suls, les  représentants  de  la  France  à,  l'étranger 
ont  aussi  un  costume  spécial. 

D'autres  signes  distinctifs  s'adressi'iit,  dans  nos 
sociétés  modernes,  non  plus  à  la  fonction,  à  la 
profession  ou  à  la  naissance,  mais  aux  services 


rendus  ou  au  mérite  reconnu  et  constaté  :  ce  sont 
les  décorations.  Il  y  on  a  à  peu  près  chez  toutes 
les  nations,  sauf  colles  dont  la  constitution  politi- 
que repose  sur  le  principe  de  la  démocratie  ab- 
solue, comme  la  Suisse,  par  exemple,  et  les 
Etats-Unis.  La  France  possède,  pour  sa  part, 
l'ordre  de  la  Légion  d'honneur,  avec  ses  grades 
successifs  de  chevalier,  d'officier,  de  comman- 
deur, de  grand-croix  et  de  grand-officier;  les 
décorations  universitaires  d'officier  d'académie  et 
d'officier  do  l'instruction  publique  ;  la  médaille  mi- 
litaire ;  les  médailles  commémoratives  de  certaines 
campagnes  (Crimée,  Italie,  Chine,  Mexique);  les 
médailles  de  Sainte-Hélène  pour  les  soldats  et  offi- 
ciers du  premier  Empire  ;  la  croix  de  Juillet, 
donnée  après  la  révolution  de  1830;  les  médailles 
d'honneur  pour  actes  de  dévouement;  les  médail- 
les décernées  dans  les  Expositions  industrielles  ou 
artistiques,  etc. 

Signes  de  religion  et  de  nationalité.  —  Cer- 
tains signes,  comme  nous  l'avons  dit,  peuvent  de- 
venir la  manifestation  extérieure  des  idées  et  des 
sentiments  d'un  peuple  ou  d'une  partie  de  l'hu- 
manité pour  une  suite  plus  ou  moins  longue  de 
générations,  et  dos  lors  ils  s'élèvent  à  la  hauteur 
d'institutions  sociales  ou  nationales. 

Tels  sont  les  signes  religieux,  emblèmes  de  la 
foi  et  témoignages  extérieurs  du  culte.  Ils  sont, 
en  général,  fort  nombreux,  dans  toutes  les  reli- 
gions ;  ils  comprennent,  en  etïet,  sans  parler  des 
édifices  mêmes  consacres  au  culte,  des  cérémonies 
et  des  rites  qu'on  y  accomplit,  les  ornements  qui 
servent  à  ces  cérémonies,  et  dont  la  plupart  soni 
des  emblèmes,  les  inuiges  plastiques  qui  repré- 
sentent les  traditions,  les  dogmes,  les  observan- 
ces de  chaque  religion.  Il  y  a  toute  une  science, 
la  symbolique,  que  constitue  l'étude  de  ces  sym- 
boles et  de  leur  sigiiification,  dont  la  pensée  pre- 
mière remonte  souvent  jusqu'aux  origines  mêmes 
des  races. 

Presque  toutes  les  religions  ont  d'ailleurs, 
en  dehors  de  la  multiplicité  et  de  la  diversité 
de  leurs  manifestations  extérieures,  une  sorte 
de  signe  suprême,  qui  en  est  comme  la  synthèse 
et  la  souveraiiie  expression  :  la  croix  dans  la 
religion  clirétienne  ;  le  croissant,  dans  la  reli- 
gion de  Mahomet,  etc. 

Il  en  est  de  même  pour  les  nationalités.  Elles 
ont  aussi  un  signe  qui  les  caractérise  et  qui  les 
représente  au  dehors  :  le  drapeau.  Chaque  nation 
a  le  sien,  et  il  n'en  est  pas  de  si  obscure  qui  no 
reg.irde  comme  une  sorte  d'objet  sacré  ce  symbole 
d'elle-même.  On  le  porte  avec  respect,  on  l'ar- 
bore sur  sa  maison  dans  toutes  les  occasions 
solennelles  ;  les  fonctionnaires  de  tout  ordre,  qui 
représentent  l'État,  les  édifices  publics,  les  voies 
publiques  aux  jours  de  fêle,  se  couvrent  de  ses 
couleurs;  et  en  temps  de  guerre,  sur  les  vais- 
seaux comme  dans  les  régiments,  c'est  à  son 
ombre  que  l'on  se  bat,  et  on  meurt  pour  le  dé- 
fendre. 

On  trouvera  dans  les  recueils  spéciaux  la  des- 
cription des  drapeaux,  des  pavillons  de  toutes  les 
naiions.  Le  nôtre  est  le  drapeau  ou  pavillon  tri- 
colore, bleu,  blanc  et  rouge,  qui  est  le  drapeau  de 
la  Révolution  française.  Il  a  été  blanc  depuis  le 
seizième  siècle  jusqu'à  cette  époque;  il  était  rede- 
venu blanc  sous  la  Restauration.  L'ancienne  ori- 
flamme, que  les  rois  de  France  allaient  prendre  h 
Saint-Denis,  était  d'étoffe  rouge,  fendue  en  bas  et 
suspendue  à  une  lance  dorée.  La  bannière  de 
Frajice,  que  l'on  portait  à  la  guerre,  à  coté  de 
l'oriflamme,  était  de  couleur  bleue  et  de  forme 
carrée,  semée  de  fleurs  du  lis  d'or  (Cuéiiuel,  ar- 
ticle Bnniiière). 

A  côté  du  drapeau,  il  faut  mentionner  la  co- 
carde, qui  se  porte  au  chapeau  et  reproduit  les 
couleurs  nationales  ;   elle   a   remplacé    l'écharpe. 


SILICE 


—  2032  — 


SILICE 


•qui  servait  jadis  de   sigae  de   parti   ou  de  rallie- 
ment. 

Souvent  la  hampe  du  drapeau  est  surmontée  d'un 
attribut,  que  l'on  détache,  en  quelque  sorte,  du  dra- 
peau même  pour  lui  faire  personnifier  soit  le  pays, 
soit  le  gouvernement  qui  le  représente.  L'empire, 
■i  l'imitation  des  Romains,  a  eu  ses  aigles;  le 
gouvernement  de  juillet  a  eu  le  coq  gaulois;  notre 
drapeau  français  est  actuellement  surmonté  d'un 
fer  de  lance.  On  s'est  encore  servi  d'une  person- 
nification analogue,  au  moyen  de  quelque  attribut 
spécial,  de  tel  ou  tel  régime  politique.  A  l'époque 
de  Napoléon  l",  on  reproduisait  sur  les  monu- 
ments les  abeilles  du  manteau  impérial;  le  gou- 
vernement de  la  Restauration  est  souvent  appelé 
le  gouvernement  des  fleurs  de  lis. 

Enfin  chaque  nation  a  ses  armes,  que  l'on  grave 
sur  des  écussons,  comme  faisaient  les  anciens 
chevaliers  et  les  familles  seigneuriales,  et  souvent 
on  désigne  la  nation  par  quelque  emblème  que 
présentent  ses  armes  :  on  dit  la  licorne  et  le 
léopard  d'Angleterre,  le  lion  belge,  l'aigle  à  deux 
têtes  de  Russie,  etc.,  etc.  Les  pièces  de  monnaie 
sont  frappées  aux  armes  de  la  nation  et  à  l'effigie 
du  souverain  :  les  nôtres  portent  aujourd'hui  un 
emblème  symbolisant  la  République.  Les  villes 
aussi  ont  ordinairement  des  armes,  qu'elles  se 
plaisent  à  reproduire  sur  leurs  monuments  pu- 
blics :  qui  ne  connaît  les  armes  de  la  ville  de 
Paris,  représentant  un  vaisseau  mù  par  des  rames, 
avec  cette  devise  qui  pourrait  être  celle  de  notre 
patrie  tout  entière  :  Fluctuât  nec  meryitur,  le 
flot  l'agite,  mais  ne  l'engloutit  point? 

[Charles  Defodon.] 
SILICE,  SILICIUM,  SILIC.\TES.  —  Chimie,  X. 
—  La  silice  ouacidesilicique,SiO',  est  l'oxyde  uni- 
que du  silicium  (Si)  ;  elle  est,  i  divers  états,  un  corps 
des  plus  répandus;  le  caractère  commun  à  ses  di- 
verses formes  naturelles  est  la  dureté  ;  elle  fait  feu 
au  briquet,  et  l'une  de  ses  variétés  est  la  pierre  à 
fusil.  La  densité  ordinaire  de  la  silice  compacte, 
2.6,  diminue  jusqu'à  devenir  moindre  que  1  dans 
certaines  variétés  poreuses.  Le  silex,  le  sable,  le 
quartz,  le  cristal  de  roche,  l'agate,  etc.,  sont  les 
principales  formes  de  la  silice  anhydre.  La  silice 
fond  au  chalumeau  oxy-hydrique  et  donne  alors 
un  verre  dur  et  transparent.  Elle  est  soluble  dans 
l'acide  fluorhydrique  et  donne  du  gaz  fluorure  de 
silicium  ou  bien  la  dissolution  du  lluorhydrate  de 
ce  composé  binaire,  suivant  que  l'action  a  lieu  i 
sec  ou  en  présence  de  l'eau.  Elle  se  dissout  dans 
un  alcali  en  fusion;  on  obtient  ainsi  un  silicate  po- 
lybasique,  verre  soluble,  dont  la  dissolution  s'ap- 
pelle liqueur  de  cailloux.  Les  acides  énergiques 
en  séparent  la  base,  et  il  reste  une  gelée  blanche  de 
silice,  soluble  à  froid  dans  les  solutions  alcalines  ; 
séchée,  elle  devient  insoluble. 

Disons  quelques  mots  des  diverses  variétés  na- 
turelles de  silice.  Le  quartz  est  la  forme  la  plus 
commune  do  la  silice  ;  il  est  infasible  au  chalu- 
meau, insoluble  dans  les  acides,  d'une  grande  du- 
reté. Le  quartz  hyalin  est  remarquable  par  sa 
transparence  et  sa  pureté.  Sa  densité  est  2.C5  ;  il 
est  incolore  ;  la  variété  colorée  en  violet  par  de 
l'oxyde  de  manganèse  est  l'améthyste  ;  celle  à  qui 
l'oxyde  de  fer  donne  une  teinte  jaune  est  appelée 
la  topaze  de  Bohème  ;  une  trace  de  bitume  produit 
le  quartz  enfumé.  Cette  substance  cristallise  dans 
le  système  du  rhomboèdre.  Les  faces  du  prisme 
sont  toujours  visibles,  et  le  sommet  présente  une 
pyramide  ayant  parfois  des  facettes  secondaires, 
non  symétriques  par  rapport  aux  angles  solides 
tronqués.  Cette  hémiodrie  est  liée  à  des  proprié- 
tés optiques  remarquables.  Des  plaques  de  quartz 
perpendiculaires  à  l'axe  dévient  le  plan  de  pola- 
risation et  colorent  la  lumière  polarisée  dans  un 
ordre  dépendant  de  l'épaisseur.  Le  quartz  est 
également  biréfringent,  et  cette  propriété  a  servi 


à  la  construction  de  la  lunette  à  double  image 
de  Rochon  qui  sert  à  mesurer  les  petits  angles.  Le 
quartz  hyalin  et  ses  variétés  tapissent  les  cavités 
(géodes)  des  roches  siliceuses  des  montagnes.  Les 
plus  beaux  gisements  sont  ceux  du  Valais  et  sur- 
tout de  Madagascar,  où  l'on  a  trouvé  des  cristaux 
ayant  jusqu'à  15  centimètres  de  largeur.  Le  quartz 
liyalin  était  autrefois  employé  à  faire  des  parures, 
mais  la  difficulté  du  travail  de  cette  substance  l'a 
fait  tomber  en  désuétude,  surtout  en  présence  du 
bon  marché  et  de  la  perfection  des  cristaux  arti- 
ficiels. Le  quartz  ordinaire,  qui  forme  des  roches 
entières,  ou  de  vastes  filons,  et  qui  compose  une 
moitié  des  roches  granitiques,  est  excellent  pour 
ferrer  les  routes. 

Le  silex,  silice  également  presque  pure,  est 
amorphe,  en  forme  de  rognons  irréguliers  répan- 
dus dans  diverses  roches  et  en  particulier  dans  la 
craie.  Il  est  infusible,  mais  la  grande  chaleur  le 
désagrège;  sa  cassure  est  écailleuse,  conchoîde,  à 
aspect  gras.  Le  silex  présente  parfois  des  couches 
de  couleurs  différentes  qui  montrent  sa  formation 
par  roulement  dans  des  eaux  siliceuses  et  sa 
croissance  du  centre  à  la  circonférence.  Les  belles 
variétés  constituent  la  calcédoine,  au  centre  de 
laquelle  se  trouvent  des  géodes  cristallines  qui 
indiquent  le  passage  au  quartz  hyalin. 

L'agate  se  rattache  à  la  calcédoine  par  une 
série  continue  de  variétés,  depuis  celles  qui  ont 
des  couches  concentriques  régulières  jusqu'à  celles 
dont  les  couleurs  élégamment  variées  et  mêlées  à 
des  parties  transparentes  sont  dispersées  dans  la 
masse  minérale  avec  une  sorte  de  désordre  produi- 
sant des  effets  très  remarquables.  Citons  l'exploi- 
tation d'Oberstein  (Prusse  rhénane),  qui  fournit 
tout  ce  qu'en  emploient  les  chimistes  pour  leurs 
mortiers  à  analyse. 

Revenons  maintenant  aux  variétés  les  plus  com- 
munes du  silex.  Le  silex  pyromaque,  ou  pierre  à 
fusil  a  des  cassures  à  bords  tranchants  qui  déta- 
chent de  l'acier  que  l'on  y  frotte  vivement  des 
particules  échauft'ées  au  point  de  prendre  feu  et 
d'allumer  des  substances  très  combustibles.  La 
pierre  à  fusil,  que  l'on  exploitait  il  y  a  un  demi- 
siècle  dans  plusieurs  départements,  a  perdu  pres- 
que toute  importance  depuis  l'introduction  des 
matières  explosives  par  percussion.  La  couleur 
ordinaire  du  silex  est  d'un  gris  jaunâtre  terne, 
transparent  ou  transluciJe  en  lames  minces. 
Quelques  variétés  sont  jaspées  de  rouge,  de  jaune, 
et  servent  à  l'ornementation. 

Le  silex  servit  aux  hommes  primitifs  à  faire  des 
instruments  tranchants;  les  haches,  les  couteaux 
préhistoriques  en  silex  sont  les  premiers  vestiges 
de  l'industrie  humaine. 

Le  silex  meulière,  à  aspect  spongieux,  sert  à  faire 
les  meules  de  moulin,  et  malgré  ses  imperfections 
n'a  pu  jusqu'à  présent  être  avantageusement  rem- 
placé. 

Le  silex  nectique,  que  l'on  trouve  dans  le  terrain 
parisien,  est  un  rognon  à  texture  lâche  et  poreuse 
au  point  de  flotter  sur  l'eau. 

Le  quartz  et  le  silex,  usés  par  fi'ottemont  par  le 
mouvement  de  la  mer,  ont  formé  du  sable.  Cette 
substance,  qui  conserve  en  partie  la  couleur  des 
minéraux  qui  lui  ont  donné  naissance,  est  plus  ou 
moins  mélangée  de  corps  étrangers,  d'argile,  etc. 
Soumis  aux  hautes  pressions  des  terrains  qui  se 
sont  déposés  au-dessus,  les  sables  se  sont  agglu- 
tinés et  ont  formé  les  grès.  Parfois  cette  concré- 
tion a  été  facilitée  par  des  substances  étrangères, 
solutions  calcaires  (grès  de  Fontainebleau)  ou  fer- 
reuses (grès  rouge,  grès  vosgien).  Les  grès  four- 
nissent d'excellentes  pierres  à  bâtir  et  des  meules 
à  aiguiser  les  outils. 

Le  silicium  se  présente  sous  trois  états,  comme 
ses  congénères  le  carbone  et  le  bore  :  état  amor- 
phe, graphoide  et  adamantin.  Son  existence  fut 


SILICE 


—  2033  — 


SINGES 


soupçonnée  par  Gny-Lussac  ot  Tliéiiard  ;  mais  il 
ne  fut  étudié  qu'en  1808  par  Berzélius.  Il  s'obtient 
en  attaquant  par  le  sodium  ou  l'aluminium  le 
fluosilicate  de  potasse.  C'est  un  corps  infusible, 
inatiaciuable  par  les  acides,  excepté  par  un  mé- 
lange d  acides  azotique  et  fluoiliydrique  ;  très  dur, 
surtout  sous  la  forme  adamantine.  H  n'offre  aucun 
intérêt  pratique. 

Les  silicates  sont  insolubles,  sauf  les  silicates 
alcalins  de  potasse  et  de  soude.  Ils  se  trouvent  en 
abondance  dans  la  nature  et  forment  une  très 
grande  partie  de  l'écorco  terrestre.  Les  acides 
concentrés  les  attaquent  plus  ou  moins  h  cliaud, 
surtout  l'acide  fluorbydrique.  Les  alcalis  et  les 
carbonates  alcalins  les  attaquent  également.  On 
les  obtient  en  chauffant  ensemble  la  silice  et  l'oxyde 
i,  lui  combiiier. 

Le  verre  *  est  un  silicate  alcalin  insoluble  dans 
lequel  entrent  en  proportion  variable  la  potasse, 
la  soude,  la  baryte,  la  cliauj,  le  manganèse,  le 
fer,  le  plomb.  Les  poteries  communes,  la  faïence, 
la  porcelaine  sont  des  silicates  alumineux  rendus 
solides  par  la  cuisson,  c'est-à-dire  par  le  ramol- 
lissement de  quelques-unes  de  leurs  particules 
qui  ont  servi  à  souder  Ihs  autres. 

Le  seul  silicate  à  considérer  ici  est  le  silicate 
soluble  de  potasse  ou  de  soude,  tii/ucur  de  cail- 
loux. M.  Kuhlmann,  de  Lille,  en  a,  dès  1841, 
montré  les  curieuses  applications.  Ce  corps  est  le 
vernis  par  excellence  des  corps  exposés  à  l'air. 
Il  sert  à  préserver  les  statues  de  calcaire,  ou  de 
marbre,  les  peintures  murales,  s'applique  au  pin- 
ceau ou  par  arrosage;  il  peut  remplacer  l'Iiuile  et 
l'essence  dans  la  peinture  avec  des  corps  inatta- 
quables par  les  alcalis  ;  il  est  utilisé  dans  l'im- 
pression des  étoffes  comme  fixatif;  il  sert  de  ci- 
ment pour  recoller  les  fragments  de  verre  et  de 
poteries. 

Les  silicates  naturels  offrent  un  très  grand  in- 
térêt scientifique.  Leur  étude  compose  peut-être 
la  moitié  de  la  minéralogie.  Leur  classification 
rationnelle  est  à  peu  près  impossible.  Les  formules 
à  l'aide  desquelles  les  minéralogistes  ont  essayé 
de  les  représenter  sont  souvent  d'une  complica- 
tion extrême,  et  grâce  aux  substitutions  dans  ces 
corps  des  bases  isomorphes  en  proportions  non 
définies,  on  est  souvent  obligé  d'indiquer  dans  les 
formules  un  simple  radical  théorique,  R,  composé 
d'un  mélange  de  radicaux  réels.  Delafusse  consi- 
déraitlossilicatos  comme  des  dissolutions  d'oxydes 
métalliques  figées  par  l'abaissement  de  tempéra- 
ture plutôt  que  comme  de  véritables  combinaisons 
chimiques.  La  silice,  qu'il  représente  par  SiO  et 
non  par  SiO^,  jouait  pour  lui  non  le  rôle  d'acide, 
mais  de  dissolvant  analogue  à  l'eau,  pouvant  rester 
en  proportion  non  définie  dans  le  corps  solidifié. 
On  distingue  généralement  4  ordres  de  sili- 
cates :  1°  les  silicates  alumincux,  2°  les  silicates 
non  alumineux,  3°  les  silicates  sulfurés,  4°  les 
silicates  chlorurés  ou  fluorés.  Les  tribus  de  ces 
ordres  ont  été  établies  à  l'aide  des  caractères  cris- 
tallographiques.  Pour  la  liste  même  incomplète 
des  silicates  catalogués  par  les  minéralogistes, 
nous  devons  renvoyer  aux  traités  spéciaux.  Si- 
gnalons seulement  dans  le  premier  ordre:  l'éme- 
raude.  les  micas  .M^O^  KO,LiO;SiO,  les  feldspath» 
A120^PiO,?!SiO,  ces  derniers  donnant  par  décompo- 
sition les  argiles,  les  kaolins.  Dans  le  deuxième 
ordre  nous  trouvons  le  talc  MgO,:iSiO,  la  serpen- 
*■--    (•2MgO,ÎSiO)-|-MgO,'<lHO,    l'écume    de   mer 


MgO,3SiO,HO.  Citons,  dans  le  troisième,  le  lapis- 
lazuh  A120^NaO,SiO,S;  dans  le  quatrième,  la  to- 
paze Al'FP-)-A1203,SiO. 

Les  micas,  les  feldspaths  sont  avec  le  quartz 
les  constituants  principaux  des  diverses  variétés 
de  granités  et  corps  congénères  qui  se  trouvent  i 
la  base  des  terrains  primitifs.  Le  mélange  des 
trois  corps  s'est  refroidi  et  a  cristallisé  avec  une 

2'  PARTIE. 


extrême  lenteur  dans  des  conditions  variables  de 
calme  et  do  pression,  d'où  les  variétés  de  compo- 
sition chimique  et  de  disposition  moléculaire.  Les 
granités  fournissent  les  matériaux  de  construction 
les  plus  parfaits.  Le  mica,  qui  se  trouve  parfois  en 
grandes  lames,  fut  sans  doute  la  première  vitre, 
et  l'on  devine  quelle  importance  dut  exercer  dans 
la  civilisation  primitive  cette  chose  aujourd'hui  si 
banale,  d'avoir  un  gite  laissant  pénétrei-  la  lumière 
du  jour  et  excluant  l'humidité,  le  froid,  le  Vent. 
Aujourd'hui  les  vitres  de  verre  ont  partout  sup- 
planté celles  de  mica;  cette  dernière  substance 
sert  à  faire  des  tubes  de  lampe  incassables  et  joue 
un  grand  rôle  dans  les  recherches  optiques.  Les 
leldspaths  sont  une  source  de  potasse,  consti- 
tuent le  vernis  de  la  porcelaine,  et  par  leur  dé- 
composition lente  par  l'air  et  l'humidité  produi- 
sent le  kaolin  et  les  argiles  qui  servent  à  la 
fabrication  de  la  porcelaine  et  des  poteries.  Le 
talc  ou  craie  de  Briançon  est  le  plus  tendre  des 
corps  solides;  il  se  laisse,  comme  le  plomb,  rayer 
par  l'ongle.  En  fragments,  il  sert  aux  tailleurs  !t 
marquer  les  étoffes.  C'est  pour  les  écoliers  un 
crayon  d'ardoise  supérieur  aux  baguettes  taillées 
dans  cette  dernière  substance.  Kn  poudre,  c'est  un 
lubréliant  de  premier  ordre;  les  gantiers,  les  cor- 
donniers l'emploient  pour  faciliter  le  premier 
usage  de  leurs  produits.  Il  remplace  avantageuse- 
ment le  savon  pour  faire  glisser  bois  sur  bois,  le 
suif  pour  faire  glisser  fer  sur  bois  ;  les  photogra- 
phes l'emploient  pour  tempérer  l'adhérence  du 
coUodion  au  verre,  les  stéréotypeurs  pour  que 
l'empreinte  se  détache  aisément,après  dessiccation, 
du  caractère  d'imprimerie.  C'est  une  substance 
très  avantageuse,  pas  assez  généralement  connue 
et  dont  l'usage  ne  peut  que  s'étendre.  La  serpen- 
tine est  une  pierre  très  abondante  dont  la  couleur 
dominante  est  le  vert  et  dont  les  belles  variétés 
sont  utilisées  pour  l'ornementation,  les  socles  de 
pendules  ou  de  statues.  Elle  est  généralement 
assez  tendre,  mais  on  en  rencontre  aussi  des 
échantillons  durcis  sans  doute  par  l'action  pro- 
longée de  la  chaleur;  c'est  cette  dernière  variété 
qui  a  servi  h  faire  les  premières  haches  en  pierre 
polie.  La  serpentine  se  trouve  parfois  traversée 
par  des  veines  calcaires  qui  lui  donnent  un  fort 
bel  aspect.  La  magnésite  ou  écume  de  mer  se 
taille,  se  sculpte  aisément;  on  en  fait  des  pipes, 
des  porte-cigares  élégants.  Du  lapis-lazuli  se  ti- 
rait autrefois  le  bleu  d'outremer,  substance  d'un 
prix  excessif,  aujourd'hui  supplanté  par  le  bleu 
Thénard  ou  cobalt,  aussi  beau  et  d'un  prix  modi- 
que. La  topaze  figure  parmi  les  pierres  précieu- 
ses; on  en  trouve  assez  abondamment  au  Brésil, 
en  Sibérie,  des  échantillons  médiocres;  les  échan- 
tillons de  choix  seuls  sont  appréciés.  Tantôt  elle' 
est  incolore,  le  plus  souvent  légèrement  jaunâtre, 
mais  elle  peut  avoir  toute  sorte  de  coloration  parla 
moindre  trace  d'oxyde  métallique.  On  en  trouve  de 
roses,  violettes,  orangées,  bleues.  Le  vulgaire  con- 
fond souvent  les  topazes  avec  les  diamants;  cette 
confusion  est  impossible  quand  on  trouve  la  to- 
paze cristallisée  en  cristaux  dérivant  du  prisme 
droit  i  base  rhombe,  tandis  que  le  diamant  dérive 
du  cube.  Elle  raie  le  verre  et  le  quartz,  mais  elle 
est  rayée  par  le  diamant  et  môme  par  le  corindon 
ou  l'émeri.Sa  densité,  3,50,  esta  peine  inférieure 
à  celle  du  diamant  de  quelques  centièmes. 

Il  existe  encore  bien  d'autres  pierres  précieuses 
appartenant  au  groupe  des  silicates,  tourmaline, 
Erenats,  etc..  sur  lesquelles  nous  ne  pouvons  insis- 
ter. [Paul  Robin.] 

SIMILITUDE.  —  V.  Polygones,  Polyèdres,  et 
Corps  ronds. 

SINGES.  —  Zoologie,  VI.  —  Les  Singes  consti- 
tuent, parmi  les  mammifères,  un  groupe  dont  la  va- 
leur a  été  diversement  appréciée  par  les  naturalis- 
tes. Tous  ceux,  en  effet,  qui  se  sont  attachés  exolu- 
12S 


SINGES 


—  2034  — 


SINGES 


sivement  aini  caractères  physiques  ont  été  frappés 
de  la  ressemblance  que  présentent  les  Singes  les 
plus  élevés  en  organisation  avec  l'espèce  humaine, 
et  par  suite  n'ont  pas  liésité  à  ranger  ces  animaux 
avec  l'homme  dans  un  même  ordre,  celui  des 
Primates.  Au  contraire,  ceux  qui  à  l'exemple  de 
M.  de  Blainville  se  sont  efforcés  de  tenir  compte, 
dans  leurs  classilicatlons,  des  différences  que 
présentent  les  êtres  vivants  sous  le  rapport  de  la 
perfection  physiologique,  ont  placé  l'homme  dans 
une  catégorie  à  part,  en  raison  de  sa  supériorité 
intellectuelle  incontestable,  et  ont  fait  descendre 
les  Singes  d'un  degré,  tout  en  les  maintenant  à  la 
tête  des  autres  mammifères.  En  adoptant  cette 
manière  de  voir,  on  a  souvent  appelé  les  Singes 
des  Qua'lrunia7ies  par  opposition  à  l'homme  qui 
est  Bimane;  mais  cette  dénomination,  qui  signi- 
fie littéralement  animaux  pourvus  de  quatre 
mains,  doit  être  détinitivcment  rejetée,  puisque 
d'une  part  elle  s'applique  à  d'autres  mammifères 
que  les  Singes,  et  que,  de  l'autre,  elle  ne  con- 
vient pas  à  ces  derniers  d'une  manière  absolue. 
En  effet,  chez  certainsmammifères  de  Madagascar, 
de  l'Afrique  tropicale  et  de  l'Asie  méridionale, 
les  extrémités  des  mem.bres  inférieurs  sont  em- 
ployées pour  la  préhension  concurremment  aux 
extrémités  des  membres  supérieurs  ou  même  de 
préférence  à  celles-ci,  absolument  comme  cela  a 
lieu  chez  les  Singes,  et,  d'un  autre  coté,  dans  ce 
dernier  groupe,  il  est  des  genres  cliez  lesquels 
les  membres  postérieurs  seuls  possèdent  des 
mains  bien  développées,  les  membres  supérieurs 
n'ayant  que  des  mains  mutilées,  complètement 
ou  presque  complètement  privées  de  pouce.  Il 
est  donc  préférable  de  donner  le  nom  d'ordre  des 
Simiens  au  groupe  constitué  par  les  Singes  pro- 
prement dits,  c'est-à-dire  par  cette  longue  série 
d'animaux  qui  habitent  les  régions  chaudes  et 
tempérées  des  deux  mondes  et  qui  se  rappro- 
chent plus  ou  moins  de  l'espèce  humaine  par  leur 
mode  de  développement,  par  leur  physionomie, 
par  leur  dentition,  parleur  régime,  etc. 

A  l'exception  de  quelques  espèces  de  grande 
taille  qui  restent  ordinairement  sur  le  sol,  dans 
les  forêts  épaisses,  ou  qui  fréquentent  les  ro- 
chers escarpés,  les  Singes  passent  la  plus  grande 
partie  de  leur  vie  sur  les  arbres  :  aussi  sont-ils 
spécialement  conformés  pour  grimper  et  pour 
sauter  de  branche  en  branche  ;  leur  corps  est  en 
général  svelte  et  élancé,  leurs  membres  sont  al- 
longés et  vigoureux,  et  leur  queue  se  termine 
quelquefois  par  une  partie  volubile  et  susceptible 
de  jouer  le  rôle  d'un  instrument  de  préhension 
ou  tout  au  moins  d'un  crochet  suspenseur. 

La  tête  des  Singes,  au  moins  dans  le  jeune  âge, 
affecte  une  forme  arrondie  ;  elle  est  presque  tou- 
jours surmontée  de  poils  touffus  qui  se  redressent 
en  toupet,  et  garnie  sur  les  côtés  de  poils  allongés 
qui  dessinent  des  favoris  ou  un  collier  de  barbe; 
mais  dans  toute  sa  portion  antérieure  elle  est 
dénudée  et  colorée  en  bleu,  en  lilas  ou  en  rose. 
Cette  face,  animée  par  des  yeux  brillants  et  singu- 
lièrement mobiles,  offre  avec  un  visage  humain 
une  ressemblance  assez  prononcée.  Toutefois, 
chez  les  singes  de  grande  taille,  qu'on  appelle 
des  Anthropomorphes  et  des  Cynocéphales,  par 
les  progrès  du  développement,  cette  analogie 
tend  à  s'effacer,  car  les  mâchoires  deviennent 
proéminentes,  ce  qui  fait  paraître  le  front  fuyant 
et  ce  qui  donne  à  la  physionomie  un  cachet  de 
bestialité  des  plus  accusés.  C'est  ainsi  qu'entre  la 
tête  d'un  Gorille  adulte  et  celle  d'un  jeune  indi- 
vidu de  la  même  espèce,  les  différences  sont  à 
peu  près  aussi  marquées  qu'entre  celle  d'un  en- 
fant et  celle  d'un  mammifère  carnassier  de  grande 
taille,  d'un  tigre  ou  d'un  lion. 

Les  oreilles  sont  latérales  chez  les  Singes  et 
Jeur  pavillon  est  tantôt  à  découvert,  comme  chez 


l'homme,  tantôt  abrité  sous  des  touffes  de  poils  ; 
le  nez  est  écrasé  à  la  base,  rarement  pointu,  plus 
souvent  épaté  à  l'e-^trémité,  avec  les  narines  sé- 
parées par  une  cloison  plus  ou  moins  large  qui  se 
prolonge  parfois  iriférieurement  de  manière  à  re- 
joindre le  bord  de  la  lèvre  supérieure.  Celle-ci  est 
assez  épaisse,  mais  très  mobile,  de  môme  que  la 
lèvre  inférieure  qui  en  s'avançant  peut  se  trans- 
former en  une  sorte  de  gobelet  pour  recevoir  la 
boisson  ou  les  aliments.  L'Orang-outan,  grand 
singe  de  l'ile  de  Bornéo,  offre  en  particulier  cette 
disposition. 

Le  corps  est  revêtu,  sur  la  plus  grande  partie 
de  sa  surface,  d'une  fourrure  plus  ou  moins  abon- 
dante dont  les  teintes  grises,  brunes,  noires, 
jaunes  ou  verdâtres  se  fondent  généralement  les 
unes  dans  les  autres  et  ne  sont  relevées  que  par 
les  nuances  vives  de  la  face  et  de  la  région  posté- 
rieure. Quelquefois  cependant,  comme  chez  cer- 
tains Colobes,  les  flancs  sont  ornés  de  longues 
franges  d'un  blanc  pur  qui  tranchent  vigoureuse- 
ment sur  le  reste  du  pelage.  En  arrière,  il  y  a 
presque  toujours  une  queue,  tantôt  très  touffue, 
tantôt  à  poils  ras,  et  dont  l'extrémité  est  souvent 
préhensile,  comme  nous  l'avons  dit. 

Contrairement  à  ce  qu'on  observe  dans  l'espèce 
humaine,  les  membres  antérieurs  sont  fréquem- 
ment plus  longs  que  les  membres  postérieurs,  et 
chez  rOrang,  de  même  que  chez  les  Gibbons, 
leurs  extrémités  arrivent  à  toucher  le  sol  quand 
l'animal  se  tient  dans  une  position  presque  ver- 
ticale. La  main,  ordinairement  très  effilée,  est 
moins  parfaite  que  celle  de  l'homme  et  ne  peut 
pas  se  mouler  aussi  facilement  que  celle-ci  sur 
les  objets  pour  en  apprécier  la  forme  et  la  tempé- 
rature ;  elle  est  donc  un  organe  du  toucher  assez 
médiocre  lors  même  que  le  pouce  atteint  un  déve- 
loppement normal.  Tous  les  doigts  sont  munis  d'on- 
gles aplatis,  sauf  chez  les  Ouistitis.  Chez  ces  der- 
niers Singes,  d'ailleurs,  le  pouce  des  mains  posté- 
rieures est  à  peine  opposable  aux  autres  doigts. 

Le  système  dentaire  des  Singes  offre  de  très 
grandes  similitudes  avec  celui  de  l'homme,  et  se 
compose  aussi  d'incisives,  de  canines  et  de  mo- 
laires qui,  dans  les  espèces  les  plus  élevées  en 
organisation,  arrivent  au  chiffre  total  de  32,  mais 
qui,  dans  les  Singes  américains,  atteignent  le 
nombre  de  36,  par  l'addition  d'une  molaire  sup- 
plémentaire de  chaque  côté  et  à  chaque  mâchoire. 
L'estomac  est  constitué  normalement  par  vine 
poche  unique;  mais,  chez  certains  Singes  qu'on 
appelle  des  Semnopithèques,  il  manifeste  une  cer- 
taine tendance  à  se  subdiviser  en  plusieurs  po- 
ches, comme  chez  les  Ruminants  :  cette  disposi- 
tion est  en  rapport  avec  le  régime  essentielle- 
ment végétal  des  Semnopithèques,  qui  d'ailleurs 
n'ont  pas,  à  la  manière  de  beaucoup  d'autres 
Singes,  les  joues  creusées  d'abajoues,  sortes  de 
réservoirs  où  peuvent  s'accumuler  des  fruits,  des 
grains  et  d'autres  aliments. 

Dans  son  ensemble  le  cerveau  des  Singes  est 
construit  sur  le  même  plan  que  celui  de  l'homme, 
mais  dans  ses  divers  éléments  il  présente  de 
nombreuses  modifications  qui  vont  en  s'accen- 
tuant  depuis  les  Anthropomorphes  jusqu'atJl 
Ouistitis.  Ces  derniers,  en  effet,  ont  les  hé- 
misphères presque  lisses,  tandis  que  les  Chim- 
panzés et  les  Orangs  ont  la  surface  du  cerveau 
marquée  de  nombreuses  circonvolutions.  En  rap- 
port avec  ces  différences  dans  l'aspect  de  la  masse 
cérébrale,  on  constate  chez  les  Singes  de  grandes 
variations  dans  le  degré  de  l'intelligence  et  la 
perfection  des  organes  des  sens.  Règle  générale, 
les  facultés  intellectuelles  des  Singes,  au  lieu  de 
se  développer  avec  l'âge,  restent  stationnaires  ou 
même  décroissent;  le  caractère,  d'enjoué,  devient 
fantasque,  et  les  instincts  brutaux,  assoupis  chez 
les  jeunes,  prennent  décidément  le  dessus  chez 


SINGES 


—  2035  — 


SINGES 


les  vieux  individus.  Toutes  les  personnes  qui  ont 
élevé  de  ces  animaux  en  captivité  ont  pu  se  con- 
vaincre de  ces  faits. 

La  vue,  l'ouïe,  l'odorat  ot  le  goût  s'exercent 
cliez  les  Simiens  à,  l'aide  des  mêmes  organes  que 
dans  l'espace  humaine;  quant  au  touclier,  il  est 
naturellement  moins  exquis,  puisque  les  mains 
ne  sont  pas  aussi  bien  conrormées  et  que  le  corps 
est  en  grande  partie  couvert  de  poils  ;  cependant, 
il  peut  s'clïecfuer  assci  bien,  non  seulement  par 
l'extrémité  des  doigts,  mais  par  le  bout  de  la 
queue  lorsque  celle-ci  est  préhensile,  par  les 
parties  dénudées  du  corps,  et  par  les  lèvres  qui 
sont  extrêmement  mobiles.  La  voix  est  plus  ou 
moins  puissante  et  possède  parfois  une  sonorité 
singulière,  grâce  à  des  réservoirs  aériens  qui  com- 
muniquent avec  le  larynx.  Chez  l'Orang,  par 
exemple,  il  y  a  sur  le  devant  de  la  gorge  deux 
énormes  sacs  qui  peuvent  se  prolonger  sur  toute 
la  partie  antérieure  de  la  poitrine  et  qui  servent 
à  renforcer  les  sons.  Chez  le  Gibbon  siamang, 
on  observe  quelque  chose  d'analogue,  et  chez 
l'Alouate  ou  Singe  hurleur  de  l'Amérique  méri- 
dionale, on  trouve  un  appareil  vocal  encore  plus 
compliqué. 

Les  anciens,  qui  ne  connaissaient  qu'une  faible 
partie  de  l'Afrique  et  de  l'Asie  et  qui  ne  soup- 
çonnaient pas  l'existence  du  continent  américain, 
n'avaient  évidemment  que  des  notions  très  im- 
parfaites sur  l'ordre  des  Simiens ,  et  ce  n'est 
guère  que  dans  le  courant  des  xvti'  et  xvui'  siè- 
cles que  des  renseignements  précis  sur  le  genre 
de  vie  et  la  distribution  géographique  des  Singes 
furent  recueillis  par  les  voyageurs  français,  anglais 
et  hollandais.  Cependant,  malgré  ces  données,  on 
continua  encore  pendant  un  certain  temps  à  se 
faire  une  idée  fausse  de  la  véritable  nature  de 
ces  animaux  et  de  leurs  affinités  zoologiques,  et 
l'on  confondit  volontiers  dans  un  môme  groupe, 
celui  des  Primates,  l'homme,  les  Singes,  les  Lé- 
muriens ou  Faux-Singes,  et  môme  les  Chauves- 
Souris.  Aujourd'hui,  il  n'en  est  plus  ainsi  et  tout 
le  monde  est  d'accord  sur  la  place  qu'il  convient 
d'assigner  aux  Singes  dans  la  série  zoologiqiie  et 
sur  les  grandes  divisions  qu'il  est  nécessaire  d'é- 
tablir parmi  eux.  On  partage  l'ordre  des  Simiens 
en  deux  grandes  caiégories,  qu'on  appelle  sous- 
ordres,  tribus  ou  familles  suivant  le  point  de  vue 
auquel  on  se  place,  et  qui  sont  certainement  des 
catégories  naturelles,  puisqu'elles  coïncident  ad- 
mirablement avec  la  distribution  géographique 
de  ces  mammifères.  Buffon  et  son  collaborateur 
Daubenton  ont.  en  effet,  reconnu  les  premiers  qu'il 
existe  des  différences  considérables,  sous  le  rap- 
port de  l'organisation  et  des  moeurs,  entre  les 
Singes  qui  habitent  le  sud  de  l'Asie,  l'Afrique  et 
le  midi  de  l'Europe,  et  ceux  qui  sont  propres  aux 
contrées  chaudes  de  l'Amérique,  puisque  les 
Singes  de  l'Ancien-Monde  ont  la  région  posté- 
rieure du  corps  dénudée  et  calleuse,  les  narines 
séparées  par  une  cloison  étroite,  le  nez  ocouné 
et  peu  saillant  (sauf  chez  le  Nasique  de  Bornéo  et 
le  Rhinopithèque  du  Tibet),  le  système  dentaire 
présentant  le  même  nombre  des  dents  (;)2)  et  la 
même  formule  que  clicz  l'homme,  tnndis  que  les 
Singes  du  Nouveau-Monde  sont  dépourvus  de 
callosités,  ont  les  narines  séparées  par  une 
large  cloison,  la  queue  longue  (sanf  chez  le  Bi-a- 
chyure),  souvent  prenante  et  volubile,  et  possè- 
dent en  général    3ii   dents,  quatre   de    plus    que 


de  Gibraltar  ou  Marjol  et  du  Sapajou,  tandis 
que  ceux  de  Catarrhiniens  et  de  l'iatyrrhiniens, 
tirés  du  grec,  font  allusion  à  la  disposition  de  la 
cloison  nasale,  étroite  chez  les  Singes  de  l'Ancien- 
Monde,  épaisse,  au  contraire,  chez  les  Singes  du 
Nuuveau-Monde. 

Chacune  de  ces  deux  grandes  catégories  de 
Simiens  se  subdivise  à  son  tour  en  un  certain 
nombre  de  groupes  secondaires.  Ainsi  parmi  les 
Pithéciens  ou  Catarrhiniens,  il  y  a  les  Anthropo- 
morphes, Singes  de  grande  taille,  ressemblant 
beaucoup  à  l'homme,  surtout  dans  le  jeune  âge, 
se  tenant  presque  constamment  sur  le  sol,  et 
cheminant  dans  une  posture  semi-verticale  ;  les 
Cynocéplutles,  qui  se  font  remarquer,  comme  leur 
nom  l'indique,  par  leur  museau  saillant  comme 
celui  d'un  chien  ;  les  Macaques,  qui  ont  pour  type 
le  Magot  de  Gibraltar  et  des  Etats  barbaresques; 
les  Semnopithèqiies ,  vénérés  des  Indous  ;  les 
Colobes,  couverts  d'une  longue  fourrure,  et  les 
Cercopithèques  ou  Guenons,  aux  formes  élégantes, 
au  pelage  orné  de  couleurs  vives.  De  même, 
parmi  les  Cébiens  ou  Platyrrhiniens  on  distingue 
les  Alounlcs  ou  Smqes-hurleitrs ;  les  Lngotriches, 
à  la  tète  globuleuse,  au  corps  trapu,  couvert 
d'une  épaisse  fourrure,  à  la  queue  longue,  poilue 
et  fortement  prenante  à  l'extrémité;  les  Atèles 
ou  Sinqes-araignées,  aux  formes  grêles,  aux  mains 
antérieures,  presque  entièrement  privées  de  pouce  ; 
les  Sagouins  ou  Cnllitriches,  au  pelage  doux  et 
bien  fourni,  à  la  queue  touffue,  à  peine  préhen- 
sile; les  Sakis  ou  Singes-renards,  et  les  Ouistitis, 
appelés  aussi  Singes-ours  ou  Singi'S -écureuils  à 
cause  de  leur  fourrure  laineuse  et  de  leur  petite 
taille. 

Nous  citerons,  dans  la  tribu  des  Anthropomor- 
phes :  1"  V('ranfj-outa7i,  qui  habite  les  îles  de 
Sumatra  et  de  Bornéo,  et  qui  se  distingue  par  sa 
têto  très  élargie,  au  moins  chez  les  mâles,  par  son 
corps  obèse,  couvert  de  poils,  d'un  brun  roux  sur 
les  flancs  et  presque  dénudé  sur  la  poitrine  et 
sur  l'abdomen,  par  ses  membres  antérieurs  beau- 
coup plus  longs  que  les  membres  postérieurs  ; 
■2°  le  Chimpanzé  ou  Troglodyte,  qui  vit  sur  la 
côte  occidentale  d'Afrique  et  qui  a  le  front  moins 
saillant  et  les  bras  plus  courts  que  l'Orang;  3°  le 
Gorille,  qui  se  trouve  dans  les  forêts  du  Gabon, 
et  qui  est  certainement  le  plus  grand  et  le  plus 
redoutable  des  Anthropomorphes;  4"  les  Gibbons, 
qui  ont  pour  patrie  la  région  indo-malaise  et  qui 
se  rapprochent  des  Orangs  par  leurs  membres 
antérieurs  démesurétiient  allongés  et  des  Chim- 
panzés par  leur  front  fuyant. 

Les  Cynocéphales,  à  l'époque  actuelle,  ne  se 
rencontrent  plus  que  sur  le  continent  africain,  où 
ils  vivent  en  troupes  sur  les  flancs  rocailleiix  des 
montagnes  ;  parmi  eux  figurent  les  Mandrilles  à 
la  face  hideuse,  les  Babouins,  le  Pnpinn  ordinaire, 
et  le  Papion  à  perruque,  qui  était  chez  les  anciens 
Egyptiens  le  symbole  du  dieu  Tôt  et  dont  l'image 
est  fréquemment  reproduite  dans  les  inscriptions 
hiéroglyphiques. 

Les  Macaques,  au  contraire,  occupent  une  vaste 
zone  qui  embrasse  le  sud  el  l'est  de  l'Asie,  les 
îles  de  la  Sonde,  Célèbes,  l'est  et  le  nord  de  l'Afri- 
que et  même  un  petit  coin  de  l'Europe  méridio- 
nale. Il  existe,  en  eflet,  sur  les  roches  de  Gibraltar 
quelques  représentants  de  ce  groupe  ;  ce  sont 
des  Macaques  sans  queue,  qu'on  appelle  des 
Magots  et  qui  sont  tout  à  fait   semblables  à  ceux 


l'espAce    humaine.  Ces  deux  grandes   catégories  !  qui  errent  dans  les  montagnes  de  l'Algérie  et  du 
de   Singes  sont  ordinairement  désignées   par  les  |  Maroc. 


noms  de  Pithéciens  et  de  Cédiens,  ou  de  Catar 
RiiiNiENS  et  de  PuTYiiRHiNieNs,  et  correspiindent 
d'une  part  aux  Singea,  Guenons  et  Babouins  de 
Buffon,  d'antre  part  aux  Sapajous  et  Sagouins  du 
même  auteur.  Les  noms  de  Pithéciens  et  de  Cé- 
biens sont  môme  dérivés  des  noms  latins  du  Singe 


Enfin,  les  Semnopithèques,  dont  on  connaît 
aujourd'hui  une  trentaine  d'espèces,  appartien- 
nent tous  îi  la  faune  indo-malaise,  tandis  que  les 
Colobes  et  les  Cercopithèques  sont  répandus  sur 
la  majeure  partie  du  continent  africain. 

Parmi  ces  Singes  de  l'Ancien-Monde,  il  en  est 


SINGES 


2036  — 


SIPHON 


un  grand  nombre  que  l'on  peut  voir  vivants  en 
Europe  :  IfS  jardins  zoologiques  acquièrent  de 
temps  en  temps  à  grands  frais  des  Antliiopomor- 
plies,  Gibbons,  Oraiigs,  Gonllea  et  Chimpanzés, 
qui  mallieureusement  ne  résistent  pas  longicmps 
à  la  rigueur  de  notre  climat;  ces  mêmes  éiablisse- 
menls  possèdent  presque  constamment  des  séries 
deCercopitlièques,deSomnopiibèques,deOolobes, 
et  même  quelques  Cynocéphales,  quoique  cenx-ci 
ne  se  recommandent  ni  par  la  beauté  de  leurs 
formes  ni  par  l'aménité  de  leur  caractère;  enfin 
les  bateleurs  choisissent  volontiers  les  Magots 
pour  en  faire  des  animaux  savants  qui  exécutent 
différents  tours  devant  le  public.  Les  Singes  du 
Nouveau-Monde  sont  encore  plus  recherchés,  h 
cause  de  la  douceur  de  leur  naturel;  les  Ouistius, 
les  Saimiris  prennent  place  dans  les  ?pparienici  ts 
à  côié  des  chiens  biclions  et  King-Cliarles,  tandis 
que  les  Sajous  ou  Sapajous  et  les  Atèles  peuplent 
les  ménageries. 

En  commençant  cet  article,  nous  avons  rappelé 
que  les  Singes  avaient  été  réunis,  sous  le  nom  de 
Quadrumanes,  à.  certains  mammifères  qui  leur 
ressemblent  beaucoup  et  qui  habitent  Madagascar 
et  certaines  contrées  de  l'Afrique  et  de  l'Asie. 
Ces  Mammifères,  ce  sont  les  Lémcriens.  qu  on 
appelle  aussi  les  Faux-Sivges,  pour  indiquer  que 
leurs  analogies  avec  les  Singes  sont  purement 
extérieures.  Les  recherches  de  MM.  Milue-Ed- 
wards  et  Grandidter  ont  démontré  en  effet  qu'il 
existe  des  dilTérences  considérables  entre  les 
Singes  et  les  Lémuriens  sous  le  triple  rapport  du 
développement,  de  la  structure  anatomii|ue  et  des 
mœurs,  et  qu'il  convient  dès  lors  de  créer  pour 
ces  derniers  animaux  un  ordre  particulier. 

En  tète  de  cet  ordre  des  Lémuriens  se  placent 
les  Indri^inés  qui,  à  l'état  adulte,  n'ont  à  la  mâ- 
choire que  quai  n  dents  incisifornies,  cinq  paires 
de  molaires  et  point  de  canines,  et  dont  les  mains 
postérieures  sont  munies  d'un  pouce  énormeet 
de  doigts  peu  mobiles.  Admirablement  conformées 
pour  saisir  une  bianche  avec  force,  ces  mains 
n'offrent  à  l'animal  que  des  points  d'appui  très 
incertains  dans  la  locomotion  terrestre.  Dans 
cette  tribu  des  Indrisinés  rentrent  VAvnhis  lani- 
gère ou  Moki  à  bourse  de  Sonnerai,  l'J/idris  ù 
courte  giieiie  et  les  Propithéques,  tous  propres  b 
la  grande  ile  de  .Madagascar.  C'est  li  aussi  que 
vivent  les  Hapaleniurs,  les  Upilémurs  et  les 
ilakis  ou  Lémuriens  proprement  dits,  dont  on 
connaît  plusieurs  espèces  et  qui  constituent  la 
tribu  des  Lémurinés.  En  revanche  les  Nycticèbes, 
qu'on  appelle  vulgairement  les  Lnis  paresseux 
à  cause  de  l'extrême  lenteur  de  leurs  mouve- 
ments, les  Pé'odictiques  ou  l'otlos.  et  les  Arcto- 
cel'BS,  sont  étrangers  à  Madagascar  et  habitent 
soit  le  Bengale,  la  Birmanie,  les  lies  de  la  Sonde 
et  les  Moluqucs,  soit  la  côte  occidentale  d'Afrique. 
Ce  sont  des  animaux  de  petite  taille,  à  la  tête 
globuleuse,  aux  yeux  très  développés,  ce  qui  dé- 
note immédiatement  des  habitudes  nocturnes. 
Plus  petits  encore  sont  les  Galayos.  qui  se  trouvent 
dans  l'ouest,  le  sud  et  l'est  de  l'Afrique,  et  les 
Chirogales,  qui  sont  confinés  à  Madagascar,  et  qui 
ont  à  peu  près  la  taille  d'un  rat  ou  d'un  écu- 
reuil. 

Enfin  dans  l'ordre  des  Lémuriens  doivent  encore 
être  rangés  deux  animaux  extrêmement  remar- 
quables par  la  singularité  de  leurs  formes  exté- 
rieures et  les  particularités  de  leur  structure  ana- 
tomique.  L'un  de  ces  animaux  est  le  Tarsier 
spedi'e,  l'autre  est  VAye-Aye.  Le  Tarsier  a  les 
deux  os  de  la  jambe,  le  péroné  et  le  tibia,  soudés 
l'un  à  l'autre,  le  tarse  démesurément  allongé,  le 
deuxième  et  le  troisième  orteils  plus  courts  que 
les  autres  doigts  et  termines  chacun  par  un  ongle 
en  forme  de  griffe.  La  tête  de  ce  petit  animal, 
dont  la  taille  est  inférieure  èi  celle  a'un  écureuil, 


est  amincie  en  avant,  éclairée  par  des  yeux  large- 
ment ouverts  et  surmontée  de  grandes  oreilles  ; 
le  corps  est  assez  svelte,  couvert  de  poils  fauves, 
la  queue  très  longue  et  très  grêle,  finissant  en 
houppp.  Essentiellement  noctambule,  le  Tarsier 
se  nourrit  d'insectes  qu  il  capture  avec  beaucoup 
d'adresse.  Il  se  trouve  à  Java,  à  Sumatra,  à  Bornéo, 
à  Célèbes,  aux  Philippines,  etc. 

Quant  à  l'Aye-Aye,  qu'on  désigne  scientifique- 
ment sous  le  nom  de  C/nromys,  il  est  de  la  gros- 
seur dun  Maki  ordinaire,  mais  parait  plus  robuste 
à  cause  de  la  longueur  et  de  la  rudesse  de  son 
pelage  et  du  volume  de  sa  queue  relevée  en  pa- 
nache. Sa  tête  est  arrondie,  surmontée  de  larges 
oreille-:,  et  animée  par  de  grands  yeux,  et  ses 
extrémités  antérieures  présentent  une  conforma- 
tion tout  à  fait  anormale,  le  pouce  n'étant  pas 
opposable  aux  autres  doigts  et  portant  comme 
ceux-ci  une  véritable  griffe,  le  doigt  médian  étant 
comme  desséché,  le  quatrième  doigt  un  peu  moins 
grêle  mais  encore  plus  long  que  le  précédent,  et 
le  cinquième  doigt  relativement  très  développé. 
L'Aye-Aye  habite  les  grandes  forêts  de  la  côte 
snd-est  de  Madagascar  et  doit  se  nourrir  princi- 
palement du  suc  mucilagineux  de  certaines 
plantes,  de  miel,  d'œufs,  et  peut-être  aussi  de 
larves  d'insectes.  Tout  récemment,  le  Muséum 
d'histoire  naturelle  a  reçu  de  M.  Humblot  plu- 
sieurs individus  vivants  de  cette  espèce  étrange, 
découverte  il  y  a  un  siècle  environ  par  le  célèbre 
naturaliste  Sonnerat.  [K-  Oustalet.J 

SIPHON.  —  Physique,  XIII.  —  Le  siphon  est  un 
tube  recourbé,  à  deux  branches  ordinairement 
inégales, employé  à  transvaser  les  liquides.  Quand 
le  tube  est  d'abord  rempli,  que  sa  plus  courte 
branche  plonge  dans  le  liquide  à  transvaser  et 
que  l'on  débouche  la  grande,  l'écoulement  a  lieu 
d'une  manière  continue.  Si  on  se  contente  de  le 
remplir  d'eau  et  de  le  tenir  verticalement  en  bou- 
chant la  grande  branche  avrc  le  doigt,  sitôt  que 
cette  branche  sera  ouverte,  tout  le  Iniuide  du  tube 
s'écoulera  comme  poussé  de  la  petite  branche 
vers  la  grande.  .  ,     .  j.  ,.x 

C'est  à  la  pression  atmosphérique  qu  est  du  1  é- 
coulement.  Cette  pression  est  capable  de  soulever 
l'eau  à  10  mètres  dans  un  tube  vide  à  la  partie  su- 
périeure. Si  l'on  suppose  une  cloison  au  point  e 
plus  élevé  du  siphon,  i.  la  coudure  du  tube,  a 
colonne  comprise  entre  celte  cloison  et  1  extrémité 
de  la  petite  branche  sera  non  seulement  soute- 
nue mais  pressée  contre  la  cloison  avec  une  force 
représentée  par  une  colonne  d'eau  dont  la  hauteur 
sera  la  différence  entre  10  mètres  et  la  hauteur 
verticale  de  la  petite  branche.  Il  en  sera  de  même 
de  la  colonne  contenue  dans  la  grande  branche  i 
lexlrémité  inférieure  de  laquelle  s  exerce  aussi 
la  pression  de  l'air.  Si  donc  la  cloison  est  mobile 
ou  si  à  sa  pla.  e  est  une  tranche  liquide,  celle-ci, 
sollicitée  par  deux  forces,  se  trouvera  poussée  par 
la  plus  grande.  Pour  préciser  l'explication,  admet- 
tons que  la  petite  branche  ait  1  mètre  de  long,  la 
grande  3  mètres,  la  force  agissante  de  la  petite 
branche  vers  la  grande  sera  le  poids  d  une  colonne 
d'eau  ayant  pour  surface  la  section  du  tube  et 
pour  hiuteur  verticale  10»,33--1  ou  9°'.33  la 
force  agissant  de  la  grande  branche  vers  la  pet  te 
n'aura  pour  valeur  que  10,33-3  ou  -"^^SS.  Entre 
ces  deux  poussées  inégales  e  ''q"'de  ,?"/'P^?" 
ne  peut  rester  en  repos  ;  il  s'écoule  par  1  extrémité 
de  la  grande  branche.  . 

Pour  qu'un  liquide  chemine  à  travers  un  siphon, 
il  faut  donc  deux  conditions  :  1"  le  siphon  doit 
être  rempli  du  liquide,  ou,  cotnme  «"^it  ordinai- 
rement, amorcé;  2°  l'oriHco  de  sortie  doit  être 
plus  bas  que  le  niveau  du  liquide  à  transvaser. 
Cela  suffit  dans  la  plupart  des  cas;  cependant 
lorsnue  le  tube  du  siphon  a  une  secuon  un  peu 
considérable,  il  faut  aussi  immerger  1  orihce  de  la 


SIPHON 


—  i037 


SIRENIENS 


:grande  branche ,  sans  quoi  l'air ,  divisant  la 
coloiiun  liquide,  monterait  en  liaut  du  tube  et 
le  sipl.on  n'étant  plus  amorcé  l'écoulement  ces- 
serait. 

(Tost  si  bien  la  pression  atmosphérique  qui  pro- 
voque l'écoulement  du  liquide  que  si  l'air  ne  pé- 
nèlre  pas  librement  au-dessus  du  liquide  à,  trans- 
vaser, le  siphon  cosse  de  fonctionner. 

La  petite  branche  ne  peut  donc  pas  avoir  plus 
de  10"", 33  s'il  s'agit  de  transvaser  de  l'eau,  pas 
plus  de  0,"G  si  l'on  veut  transvaser  du  mercure; 
sa  plus  grande  hauteur  possible  pour  un  liquide 
est  celle  à  laquelle  la  pression  de  l'air  tient  ce  li- 
quide dans  le  tube  de  Torricelli. 

On  emploie  plusieurs  moyens  pour  amorcer 
les  siphons  au  moment  de  les  mettre  en  marche. 
Le  plus  simple  consiste  à  plonger  le  siphon  ren- 
versé dans  un  bassin  d'eau  où  il  se  remplit  en 
quelques  secondes  ;  on  bouche  la  grande  branche 
avec  l(!  doigt  et  on  plonge  la  petite  dans  le  vase  à, 
vide.  On  se  contente  souvent  de  mettre  le  siphon 
■en  place  et  d'aspirer  l'air  par  l'extrémité  de  la 
grande  branche.  Mais  ce  procédé  expéditif  n'est 
applicable  qu'au  cas  où  le  liquide  n'est  ni  désa- 
gréable ni  dangereux.  Si  l'on  a  affaire  à  des  liqui- 
des corrosifs,  on  prend  un  siphon  dont  la  giande 
branche  est  munie  d'un  tube  latéral  ;  on  le  met  en 
place  dans  le  liquide  ;  on  bouche  le  bas  de  la 
grande  branche  et  on  aspire  par  le  tube  latéral. 
Dans  le  cas  où  les  siphons  ont  de  grandes  dimen- 
sions, on  fait  plonger  les  deux  extrémités;  et  pour 
les  amorcer  on  installe  à  leur  coudure  une  petite 
pompe  qui  aspire  l'air  intérieur  et  que  l'on  fait 
jouer  jusqu'à  ce  qu'elle  puise  de  l'eau  ;  on  ferme 
alors  sa  communication  avec  le  siphon  qui  reste 
amorcé.  L'amorcement  d'un  siphun  ordinaire  peut 
également  être  produit  par  iiisufflation  d'air  quand 
le  haut  du  vase  est  facile  i  fermer.  C'est  même  le 
procédé  que  l'on  emploie  le  plus  souvent  pour 
vider  les  touries  :  la  courte  branche  du  siphon  est 
fixée  à  demeure  dans  une  coiffe  de  caoutchouc  qui 
s'élargit  par  le  bas  pour  s'adapter  sur  le  col  du 
vase,  et  cette  coiffe  porte  un  petit  tube  latéral 
qui  sert  à  insuffler  l'air.  On  place  la  coiffe  sur  la 
tourie  pleine,  on  souffle  par  le  petit  tube  ;  l'air 
presse  sur  le  liquide,  le  fait  monter  dans  le  si- 
-phoii  qui  s'amorce  ainsi  et  peut  écouler  le  liquide 
tant  qu'on  laisse  ouverte  l'extrémité  de  la  grande 
■branche. 

Le  siphon  sert  très  utilement  dans  le  cas  où  il 
s'agit  de  transvaser  un  liquide  qui  repose  sur  un 
dépôt  boueux.  Il  sert  également  pour  faire  passer 
l'eau  d'un  réservoir  dans  un  autre  par  dessus  un 
obstacle  que  l'on  ne  peut  pas  trancher.  Il  permet 
de  réaliser  un  écoulement  intermittent  quand  il 
est  placé  dans  un  réservoir  et  qu'il  peut  débiter 
plus  deau  que  le  réservoir  n'en  reçoit  dans  le 
même  temps.  Le  verre  de  Tantale  est  un  exemple 
de  ce  dernier  cas.  Ce  verre  porte  un  siphon  dont 
la  petite  branche  ouvre  près  du  fond,  tandis  que  la 
grande  traverse  le  pied;  l'eau  versée  en  mince  filet 
dans  ce  vase  monte  peu  à  peu  dans  le  siphon,  et 
quand  elle  est  arrivée  à  la  coudure  du  lube  elle 
s'écoule.  Comme  l'orifice  dépense  plus  que  le  filet 
continu  alimejitant  le  vase  ne  fournit,  le  verre  se 
vide,  le  siphon  cesse  d'être  amorcé  et  l'écoule- 
ment par  le  pied  cesse  jusqu'à  ce  que  le  verre  se 
soit  rempli  de  nouveau  à  la  hauteur  de  la  coudure 
du  siphon.  Ce  petit  appareil  permet  de  compren- 
dre le  jeu  de  certaines  sources  naturelles  qui 
coulent  pendant  quelques  heures  ou  quelques 
jours,  s'arrêtent  un  certain  temps  et  recommen- 
cent à  couler  à  intervalles  réguliers.  Ces  fontaines 
intermittentes  reçoivent  l'eau  par  des  infiltrations 
dans  une  cavité  qui  ne  communique  à  l'extérieur 
que  par  un  canal  replié  en  forme  de  siphon. 
L'eau  s'y  amasse  peu  à  peu,  et  i|uand  son  niveau 
est  arrivé  à  la  hauteur  de  la  coudure  du  tubc-si- 


phnn,  l'écoulement  commence  et  le  réservoir  se 
vide.  Il  mettra  ensuite  un  certain  temps  à  se  rem- 
plir à  nouveau  pour  se  vider  une  nouvelle  fois  en 
peu  de  temps. 

Le  siphon  est  un  appareil  très  ancien:  les 
Egj-ptiens  l'employaient  plus  de  1700  ans  avant 
notre  ère,  ain^i  qu'en  témoignent  les  dessins 
retrouvés  sur  les  monuments  do  l'ancienne 
Egypte. 

bxpi'riences .  —  Amorcer  un  siphon  par  les  dif- 
férents moyens.  Remplir  à  demi  un  vase  d'eau,  y 
plonger  une  mèche  de  coton  qui  repose  sur  le 
bord  du  vase  et  retombe  à  l'extérieur  ;  cette  mèche 
fera  l'office  de  siphon  capillaire  pour  vider  lente- 
ment le  vase. 

[Haraucourt.] 

SlUÉMENS.  —  Zoologie  ,  XII.  —  Certains 
naturalistes  ont  pensé  que  les  poètes  de  l'antiquité 
n'avaient  pas  inventé  purement  et  simplement 
les  Sirènes,  ces  êtres  marins  qui  se  servaient  de 
leur  voix  mélodieuse  pour  attirer  dans  l'abîme  les 
malheureux  navigateurs,  mais  qu'ils  avaient  seu- 
lement tracé  le  portrait  singulièrement  flatté  de 
quelques  mammifères  qui  vivent  encore  aujour- 
d'hui dans  les  eaux  de  la  mer  Rouge,  de  l'Océan 
Indien  et  de  l'Océan  Atlantique.  En  conséquence 
ils  ont  donné  les  noms  de  Siréniens  et  de  Siré- 
nides  à  un  ordre  comprenant  les  animaux  qu'on 
appelle  vulgairement  Dugongs  et  Lamantins.  Mal- 
heureusement, d'autres  zoologistes  ont  appliqué 
également  le  nom  de  Siréniiles  à  un  petit  groupe 
de  batraciens  ayant  pour  type  la  Sirène  lacertine, 
et  d'autres  encore  ont  cojistitué  une  famille  des 
Sirènirlés  pour  divers  poissons,  tels  que  les  Lé- 
pidosirènes,  les  Protoptères  et  les  Ceratodas.De 
tout  cela  il  est  résulté  une  certaine  confusion. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nous  n'avons  à  nous  occuper 
ici  que  des  Dugongs ,  des  Lamantins  et  des 
Rhytines,  que  nous  nommerons  décidément  Si- 
rénieiu. 

Souvent  confondus  avec  les  Cétacés,  les  Siré- 
niens se  distinguent  cependant  de  ces  derniers 
mammifères  par  quelques  caractères  importants. 
En  effet,  si  les  Lamantins  et  les  Dugongs  sont, 
comme  les  Baleines  et  les  Cachalots,  conformés 
spécialement  pour  une  existence  aquatique,  si, 
par  la  forme  générale  de  leur  corps  et  pir  l'ab- 
sence de  membres  postérieurs,  ils  ressemblent 
également  aux  poissons,  tout  en  différant  de 
ceux-ci  par  la  disposition  de  leur  nageoire  cau- 
dale qui  est  transversale  et  non  pas  verticale,  ils 
ont  les  narines  ouvertes  sur  le  museau,  les  ma- 
melles situées  sur  la  poitrine  et  les  phalanges  des 
membres  antérieurs  au  nombre  de  cinq.  Au  con- 
traire les  Cétacés  ont  les  narines  percées  dans 
la  région  frontale,  les  mamelles  rejetées  sur 
l'abdomen  et  les  nageoires  latérales  soutenues 
d'ordinaire  par  un  assez  grand  nombre  de  rayons 
osseux.  D'autre  part,  chez  les  Dugongs,  le  coeur 
est  légèrement  bifide,  comme  si  les  moitiés  gauche 
et  droite  ne  s'étaient  pas  complètement  soudées, 
disposition  qu'on  n'observe  pas  chez  les  Cétacés. 
Enfin,  tandis  que  les  Baleines  et  les  Cachalots  se 
nourrissent  de  mollusques  et  d'autres  animaux  ma- 
rins de  tiès  petite  taille,  les  Dugongs  et  les  La- 
mantins broutent  les  algues,  les  fucus  et  les 
herbes  qui  ci'oissent  à  l'embouchure  des  grands 
fleuves,  dans  lesquels  ils  pénètrent  volontiers. 
Aussi  désignait-on  naguère  encore  les  Baleines  et 
les  Cachalots  sous  le  nom  de  Cétacés  carnivores, 
tandis  qu'on  appelait  Cétacés  hcrbioores  les  Du- 
gongs et  les  Lamantins. 

Jusqu'à  la  fin  du  siècle  dernier  trois  genres 
constituaient  l'ordre  des  Siréniens;  mais  aujour- 
d'hui les  Rhytines  [Rhytina  ou  Stelleria)  ont 
complètement  disparu  de  la  surface  du  globe, 
et  c'est  à  peine  si  elles  se  trouvent  représentées 
par  quelques   débris  dans  les  principaux  musées- 


SIRÉNIENS 


—  2038  — 


SLAVES 


de  l'Europe.  Heureusement  des  renseignements 
circonstanciés  sur  ces  animaux  étranges  nous  ont 
été  transmis  par  Steller,  naturaliste  russe  qui 
échoua,  vers  le  milieu  du  dixliuitième  siècle, 
dans  l'île  encore  inconnue  de  Behring,  et  fut 
forcé  d'y  séjourner  plusieurs  mois.  A  cette  époque 
les  Rhytines  étaient  encore  extrêmement  répan- 
dues dans  ces  parages  et  fournirent  à  Steller  et 
à  ses  compagnons  une  nourriture  abondante. 
C'étaient  des  mammifères  de  grande  taille,  attei- 
gnant jusqu'à  35  pieds  anglais  de  longueur,  et 
rappelant  beaucoup  les  Phoques  par  la  conforma- 
tion de  la  partie  antérieure  de  leur  corps.  Leur 
tête  se  terminait  en  avant  par  une  sorte  de 
mufle,  garni  de  soies  nombreuses,  et  se  confon- 
dait en  arrière  avec  le  corps  ;  leurs  yeux  étaient 
gros  comme  ceux  d'un  mouton  et  leurs  oreilles 
n'apparaissaient  pas  à  l'extérieur,  l'ouverture  du 
conduit  auditif  étant  cachée  par  les  poils  et  les 
saillies  de  la  peau.  Les  membres  antérieurs, 
complètement  transformés  en  nageoires,  n'offraient 
plus  de  traces  de  doigts,  et  portaient  en  dessous 
des  poils  serrés  comme  ceux  d'une  brosse.  Les 
flancs  étaient  arrondis,  et,  en  arrière,  le  corps, 
diminuant  brusquement  de  largeur,  était  muni 
d'une  nageoire  aplatie  et  dirigée  liorizontalement. 
Au  dire  de  Steller,  les  Rhytines  vivaient  en 
troupes  nombreuses  et  se  nourrissaient  d'herbes 
qu'elles  venaient  cueillir  le  long  du  rivage  ;  elles 
étaient  si  peu  farouches  qu'elles  se  laissaient  ap- 
procher sans  difficulté  et  frapper  à  coups  de 
harpon.  Leur  chair  était  très  savoureuse  et  leur 
graisse  avait  toutes  les  qualités  du  beurre.  Aussi 
n'est-il  pas  étonnant  que  les  pêcheurs  russes  et 
les  Kamtschadales  se  soient  livrés  activement  à  la 
chasse  de  ces  animaux  inofl'cnsifs.  En  peu  de 
temps  ils  en  détruisirent  des  milliers,  et  bientôt 
rfespèce  fut  entièrement  anéantie. 

Les  Lamantins  furent  placés  dans  le  même 
groupe  que  les  Phoques  non  seulement  par  Clu- 
sius,  mais  par  des  naturalistes  plus  récents,  et 
entre  autres  par  Lacépède.  C'est  G.  Cuvier  qui 
reconnut  le  premier  les  véritables  affinités  de  ces 
mammifères.  11  rangea  les  Phoques  et  les  Morses 
à  la  suite  des  Carnassiers  dans  le  groupe  des  Am- 
phibies *,  et  il  en  sépara  complètement  les  La- 
mantins qu'il  mit  avec  les  Dugongs  dans  le  groupe 
des  Cétacés  herbivores,  correspondant  b.  l'ordre 
actuel  des  Siréniens.  Les  Lamantins  atteignent  des 
dimensions  assez  fortes  :  ils  ont  la  tête  arrondie, 
le  museau  obtus  en  forme  de  groin,  le  corps  renflé 
en  avant,  atténué  en  arrière,  la  queue  aplatie  et 
ovalaire  ou  même  légèrement  pointue,  les  na- 
geoires antérieures  allongées,  très  mobiles  et  mu- 
nies encore  de  quelques  rudiments  d'ongles.  Leurs 
yeux  sont  aussi  petits  que  ceux  d'un  porc  et  leurs 
oreilles  s'ouvrent  à  l'extérieur  par  un  pcrtuis  caché 
sous  les  poils.  Leur  bouche  est  dépourvue  de  ca- 
nines et,  chez  l'adulte,  ne  possède  même  plus 
d'incisives,  mais  est  toujours  armée  de  huit  ou 
neuf  paires  de  molaires  à  chaque  mâchoire.  Sur 
la  plus  grande  partie  du  corps  la  peau  est  très 
épaisse,  presque  glabre,  et  colorée,  dans  l'animal 
vivant,  en  gris-bleuâtre. 

On  n'admet  généralement  dans  le  genre  Laman- 
tin ou  Manatus  que  trois  espèces,  dont  deux  sont 
américaines,  savoir  le  Lamantin  à  large  museau 
(il/,  latiroslrù),  des  Antilles  et  des  côtes  de  la 
Floride,  et  le  Lamantin  austral  {M.  australis),  de 
la  Guyane  et  du  Brésil,  tandis  que  la  troisième,  le 
Lamantin  du  Sénégal  (M.  senegalensis),  se  trouve, 
comme  son  nom  l'indique,  sur  les  côtes  et  â  l'em- 
bouchure des  grands  fleuves  de  la  Sénégambie.  De 
ces  trois  Lamantins,  le  second,  le  Lamantin  austral, 
est  de  beaucoup  le  plus  connu;  c'est  la  Sirène, 
le  Bœuf  marin,  la  Varlte  marine  des  anciens 
voyageurs.  Il  remonte  le  cours  de  l'Oyapock,  de 
1  '  Orénoque  et  de  l'Amazone,  et  se  trouve  même 


dans  les  lacs  herbeux  en  connexion  avec  ces  grands 
fleuves.  Les  Américains  prétendent  avoir  vu  de 
ces  animaux  qui  mesuraient  6  â  7  mètres  de  long 
sur  I  à  2  mètres  de  large  ;  mais  ce  sont  là  des  di- 
mensions exceptionnelles  que  n'ont  pas  d'ordi- 
naire les  Lamantins  capturés  sur  les  côtes  de  la 
Guyane.  Du  temps  de  Humboldt  il  n'était  pas 
rare  de  voir  jusqu'à  trois  mille  Lamantins  réunis 
dans  un  seul  lac;  mais  depuis  cette  époque  le 
nombre  de  ces  animaux  a  sensiblement  diminué, 
par  suite  de  la  guerre  impitoyable  qui  leur  a  été 
faite  par  les  indigènes  et  par  les  Européens.  La 
chair  du  Lamantin  est  en  effet  très  bonne  à  man- 
ger, et  peut  être  salée  et  conservée  comme  la 
viande  de  porc.  De  même  que  les  Rhytines  et  les 
Dugongs,  les  Lamantins  sont  des  êtres  très  doux 
et  très  sociables,  qui,  sans  être  doués  d'une  grande 
intelligence,  paraissent  néanmoins  susceptibles  de 
recevoir  une  certaine  éducation,  et  qui  pourraient 
sans  doute  être  élevés  en  captivité,  au  moins  dans 
leur  pays  natal,  et  donner,  comme  betail,às  sérieux 
profits.  Il  suffirait  de  leur  assigner  pour  domaine 
un  étang  assez  vaste  dont  les  berges  seraient  cou- 
vertes d'une  abondante  végétation.  Les  Lamantins 
ont  en  eiïet  des  habitudes  encore  plus  aquatiques 
que  les  Phoques  et  ils  ne  sortent  point  de  l'eau 
pour  prendre  leur  nourriture. 

Les  Dugongs  (Halicore)  se  trouvent  dans  la  mer 
Rouge,  dans  l'Océan  indien  et  dans  les  fleuves  qui 
s'y  jettent;  ils  se  distinguent  des  Lamantins  par 
la  forme  de  leur  nageoire  caudale,  décoiipée  eii 
croissant,  et  par  le  nombre  de  leurs  molaires  qui 
est  de  cinq  paires  au  plus  à  chaque  mâchoire. 
Ces  molaires  sont  d'ailleurs  pourvues  d'une  seule 
racine  et  presque  cylindriques,  comme  celles  de 
certains  Edentés.  Le  museau  des  Dugongs  est 
obtus,  aplati,  garni  de  soies  rudes,  et  surplombe 
l'ouverture  buccale  ;  leur  corps  est  massif  et  letirs 
nageoires  antérieures  ne  présentent  aucun  vestige 
d'ongles  dans  leur  portion  terminale. 

On  ne  connaît  que  deux  espèces  de  Dugong, 
VHalicure  dugong  ou  Dugong  ordinaire,  qui  se 
rencontre  depuis  les  îles  de  la  Sonde  jusqu'aux 
Philippines  et  à  la  Nouvelle  Guinée,  et  VHulicore 
ouslralis  ou  Dugong  austral,  qui  fréquente  les 
côtes  septentrionales  de  l'Australie.  L'espèce  vul- 
gaire est  d'un  gris  plombé  ou  bleuâtre  et  ne  dé- 
passe guère  5  mètres  de  long.  C'est  le  Nackhe  el 
Ijakr  [Chamelle  de  mer)  des  Arabes. 

D'un  naturel  stupide,  les  Dugongs  se  metivent 
en  général  avec  beaucoup  de  lenteur.  Ils  vivent 
en  troupes  nombreuses  et  se  nourrissent  principa- 
lement d'algues  marines.  Leur  chair,  pour  être 
mangeable,  doit  être  soumise  à  une  cuisson  pro- 
longée ;  leur  cuir  est  assez  résistant,  et  est  em- 
ployé par  les  Malais  et  les  Abyssins  pour  la  con- 
fection de  sandales,  qui  malheureusement  ne  peu- 
vent être  employées  que  par  les  temps  secs. 

Durant  la  période  tertiaire,  dans  les  mers  qui 
couvraient  alors  une  partie  de  nos  contrées,  vi- 
vaient des  animaux  du  même  groupe  que  les  La- 
mantins et  les  Dugongs,  qui  ont  été  appelés  Hali- 
Iherium  par  les  paléontologistes.     [E.  Oustalet.] 

SLAVKS  (PEtjPLEs).  —  Histoire  générale,  XXVII, 
XXXllI,  XXXIV.  —  Ce  Dictionnaire  a  consacré  des 
articles  spéciaux  à  la  Pologne  et  à  la  Russie.  Ce  sont 
les  deux  pays  slaves  qui  ont  joué  le  plus  grand  rôle 
dans  riiistoire;  mais  s'ils  dominent  les  destinées 
de  la  race  slave,  ils  sont  loin  de  la  représenter  tout 
entière.  Cette  race,  qui  occupe  la  plus  grande  partie 
de  l'Europe,  est  partagée  entre  un  grand  nombre 
d'Etats  différents;  en  dehors  de  la  Russie  et  de  la 
Pologne,  il  y  a  des  Slaves  dans  l'empire  allemand, 
dans  l'empire  d'Autriche,  dans  l'empire  ottoman, 
dans  les  principautés  indépendantes  ou  vassales 
de  Monténégro,  do  Serbie,  de  Bulgarie  et  de 
Roumélie.  Il  est  très  difficile  do  donner  une  statis- 
tique absolument  exacte  do  la  race  slave;  en  effet» 


SLAVES 


—  2039  — 


SLAVES 


saut  dans  les  Etats  absolument  indépendants 
comme  la  Russie,  la  Serbie,  le  Monténégro,  ou  la 
Bulgarie,  la  race  dominante  ne  se  soucie  en  aucune 
façon  d'établir  le  cliiffre  exact  de  la  race  dominée. 
Nous  nous  contenterons  de  la  statistique  approxi- 
mative des  peuples  slaves. 

On  peut  évaluer  le  nombre  total  dos  Russes  à 
GO  millions,  dont  40  millions  de  Grands  Russes  et 
20  millions  de  Russes  Blancs  et  Petits  Russes  im- 
proprement appelés  Russiens  (2  à  3  millions  de  ces 
Petits-Russes  débordent  en  Autriclie,  sur  l'ancienne 
province  polonaise  de  Galicie  et  dans  le  nord-est 
de  la  Hongrie),  Les  Polonais  proprement  dits  ne 
dépassent  guère  9  millions  ;  ils  sont  répartis  entre 
la  Russie  (5  à  6  millions), la  Prusse  (s  .'i  900000),  la 
Galicie  autrichienne  (moins  de  3  millions). 

On  trouve  dans  le  royaume  de  Saxe  et  en  Prusse 
environ  150  000  Vendes  ou  Serbes  de  Lusace.  Ce 
sont  les  descendants  d'un  peuple  connu  dans  notre 
histoire,  les  Sorabes,  contre  lesquels  lutta  Cbarle- 
magne.  Ce  peuple  appartenait  lui-même  à  la  grande 
famille  des  Shves  de  l'Elbe  ou  Slaves  Bàltiques,  qui 
occupaient  autrefois  toute  la  partie  orientale  de  la 
Prusse  actuelle  et  qui  ont  disparu  devant  la  con- 
quête allemande.  Les  noms  des  principales  villes 
de  l'Allemagne  dans  ces  régions  trahissent  encore 
aujourd'hui  l'origine  slave  de  ces  cités  (Berlin, 
Brandebourg,  Leipzig,  Dresde,  etc.).  Le  nom  du 
Brandebourg,  celui  de  la  Poméranie  ne  s'expli- 
quent que  par  des  étymologies  slaves.  La  nation 
bohétne  ou  tchèque  est  le  seul  peuple  slave  qui 
soit  compris  tout  entier  dans  l'empire  d  Autriche. 
Il  compte  plus  de  3  millions  de  Tchèques  dans  le 
royaume  de  Bohême,  et  1  SdOOOO  environ  en  Mo- 
ravie et  dans  la  Silésie  autrichienne.  Cette  nation 
est  remarquable  par  son  esprit  d'initiative  et  par 
sa  ténacité  ;  c'est  elle  qui, au  moyen  âge,  a  produit 
Jean  Huss  et  préludé  par  ses  luttes  religieuses  à 
la  réforme  de  Luther.  Ce  sont  ses  penseurs  et  ses 
poètes  qui  dans  notre  siècle  ont  les  premiers  émis 
l'idée  de  grouper  tous  les  peuples  slaves  en  un 
seul  faisceau  pour  lutter  avec  plus  de  succès 
contre  les  Allemands,  Il  y  a  dans  le  royaume  de  Bo- 
hême et  en  Moravie  environ  2  millions  d'Allemands 
qui.avec  l'instinct  de  domination  propre  à  leur  race, 
s'efforcent  d'annihiler  leurs  compatriotes  slaves  et 
de  faire  prévaloir  dans  la  vie  publique,  dans  l'ad- 
ministration et  dans  l'enseignement  la  culture  et  l'i- 
diome germanique.  Les  Tchèques  ont  su  résister  à 
ces  prétentions  avec  une  ténacité  digne  de  tous  les 
éloges.  D'autre  part  les  publicistes  allemands  n'hé- 
sitent pas  à  revendiquer  les  pays  de  la  couronne  de 
Bohême  pour  l'empire  allemand,  sous  prétexte 
qu'ils  en  ont  autrefois  fait  partie.  Les  efforts  des 
Tchèques  pour  maintenir  à  la  fois  l'intégrité  de 
l'Etat  autrichien  et  l'autonomie  de  leur  patrie 
sont  donc  tout  particulièrement  dignes  d'inté- 
rêt. A  la  famille  tchèque  se  rattache  par  l'idiome 
et  par  les  traditions  littéraires  le  petit  peuple 
slovaque,  qui  occupe  les  comitats  du  nord  de  la 
Hongrie,  Les  Slovaques  sont  au  nombre  de  2  à 
3  millions;  leur  condition  est  fort  pénible  ;  ils 
sont  sous  la  dépendance  des  Hongrois  ou  Magyars, 
qui  partaKcnt  avec  les  Allemands  la  direction  gé- 
nérale de  l'empire  d'Autriche  et  qui  visent  à  assi- 
miler ou  à  détruire  tous  les  peuples  d'une  autre 
race  que  la  leur.  Livrés  à  eux-mêmes,  les  Slova- 
ques n'ont  point  d'avenir  ;  ils  no  peuvent  mainte- 
nir leur  existence  qu'en  s' appuyant  sur  leurs  con- 
génères de  Bohème, 

Les  Slaves  que  nous  venons  d'énumércr  peuvent 
être  appelés  Slaves  du  nurd  par  rapport  aux  Slaves 
du  nndi  dont  ils  sont  séparés  par  les  Allemands  et 
les  Hongrois  Cette  séparation  a  été  fatale  à  toute  la 
race  ;  si  les  Slaves  avaient  formé  une  unité  géogra- 
phique, ils  auraient  eu  plus  de  cohésion  et  de  force 
pour  résister  à  leurs  ennemis.  Les  Slaves  du  sud 
comprennent  les    Slovènes,  les  Croato-Serbes  et 


les  Bulgares. Les  Slovènes  {Vi  à  1500  000)  occupent 
la  Styrie  méridionale,  la  Carniole,  la  Carinthieet 
l'Islrie,  Ils  sont  mêlés,  dans  ces  provinces,  à  des 
Allemands  ou  à  des  Italiens  contre  lesquels  ils  ont 
à  défendre  leur  existence  nationale.  Los  Croato- 
Serbes  (5  à  G  millions)  sont  partagés  en  une  foule 
de  groupes  politiques:  1°  les  Ci'oa/e.«,  dans  les 
doux  royaumes  do  Croatie  et  de  Slavonie,  annexe 
de  la  couronne  de  Hongrie  ;  2°  les  Dalmate^,  dans 
la  province  de  ce  nom,  qui  dépend  politiquement 
de  la  Cisleithanie  ;  3°  les  Serbes  dispersés  dans  le 
sud  de  la  Hongrie,  où  ils  ne  forment  pas  un  corps 
politique,  mais  simplement  une  corporation  reli- 
gieuse :  comme  les  Slovaques,  ils  ont  beaucoup  bt 
soufi'rir  de  l'intolérance  et  de  l'ambition  des  Hon- 
grois; i"  les  deux  principautés  serbes,  aujourd'hui 
absolument  indépendantes,  de  Serbie  (capitale 
Belgrade)  et  do  i/o/itoiejro  (capitale  Tsettinié); 
5"  les  Croates  et  les  Serbes  de  Hosnie  et  d'Herzé- 
govine actuellement  soumis  à  l'Autriche  et  à  la 
Turquie.  Les  deux  principautés  comptent  actuel- 
lement environ  nuOOOO  habitants.  Les  Serbes  et 
les  Croates  ne  forment  au  fond  qu'une  seule  na- 
tion ;  seulement  les  Ci;oate8  professent  la  religion 
catholique  romaine  et  célèbrent  leur  liturgie  en 
langue  latine.  Les  Serbes  professent  la  religion 
orthodoxe  et  célèbrent  leur  liturgie  en  langue 
slavonne  ;  cette  circonstance  contribue  à  les  rap- 
procher davantage  des  Russes  qui  sont  à  la  fois 
leurs  congénères  et  leurs  coreligionnaires.  Les 
Bulgares  appartiennent  également  h  la  religion 
orthodoxe.  On  évalue  leur  nombre  à  environ 
i  millions.  Ils  sont  actuellement  répartis  en  trois 
groupes  politiques  :  1°  la  principauté  indépen- 
(iante  de  Bulgarie,  créée  à  la  suite  du  traité  de 
San  Stefano  (capitale  Sofia);  2"  la  principauté  de 
Houmèlie,  vassale  de  la  Turquie  (capitale  Philippo- 
polis),  3°  les  Bulgares  restés  sous  la  domination 
immédiate  de  la  Perte.  Les  deux  premiers  grou- 
pes peuvent  dès  maintenant,  après  un  long  escla- 
vage, aspirer  à  des  destinées  meilleures  ;  le  dernier 
est  actuellement  opprimé  à  la  fois  par  les  Grecs 
et  les  Ottomans. 

Ainsi  qu'on  peut  en  juger  par  ce  tableau  sommai- 
re, la  destinée  des  peuples  slaves  —  la  Russie  ex- 
ceptée —  a  été  jusqu'ici  loin  d'être  enviable.  Ils 
ont  eu  autrefois  cependant  leurs  jours  d'indépen- 
dance et  de  gloire.  On  sait  ce  qu'a  été  la  Polo- 
gne; la  Bohême  a  formé  au  moyen  âge  un  royaurne 
important  et  qui  a  joué  un  grand  rôle  dans  l'his- 
toire politique  et  religieuse;  les  Bulgares  et  les 
Serbes  ont  formé  autrefois  deux  Etats  qui  ont 
tenu  tête  aux  empereurs  byzantins  et  n'ont  suc- 
combé que  sous  les  coups  de  l'invasion  ottomane. 
A  quelles  circonstances  faut-il  attribuer  l'état 
d'abaissement  et  de  misère  où  nous  voyons  les 
Slaves  réduits  aujourd'hui?  La  réponse  â  cette 
question  n'est  que  trop  facile;  il  faut  noter  d'a- 
bord le  caractère  anarchique  des  peuples  slaves, 
caractère  signalé  dès  le  début  de  leur  histoire 
par  les  historiens  byzantins.  Un  seul  Etat  slave, 
la  Russie,  a  .su  se  donner  une  organisation  puis- 
sante ;  mais  il  l'a  calquée  sur  le  despotisme  des 
Mongols. 

Les  autres  peuples  slaves  ont  passé  une  partie 
de  leur  existence  dans  des  luttes  intestines. 
Ils  sont  restés  formés  en  petits  groupes  et  n'ont 
pas  su  se  fondre  en  monarchies  un  peu  com- 
pactes. Ils  se  sont  établis  dans  des  régions  mal 
délimitées  et  n'ont  pas  su  s'emparer  de  la  mer 
qui  donne  la  puissance  et  la  vie  aux  petites  na- 
tions, témoin  la  Grèce  antique ,  ou  les  républi- 
ques italiennes.  Enfin,  pour  leur  malheur,  ils  ont 
puisé  la  religion  chrétienne  et  la  civilisation  à 
deux  sources  différentes.  Les  Russes,  les  Bulga- 
res et  les  Serbes  ont  été  convertis  par  Byzance  ; 
les  Croates,  les  Slovènes,  les  Tchèques  et  les  Po- 
lonais par  Rome.  Les  uns  ont  reçu  la  culture  la- 


SLAVES 


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SLAVES 


tine,  les  autres  la  culture  byzantine.  Ils  se  sont 
ignorés  les  uns  les  autres,  sont  restés  plus  ou 
moins  indifférents  à  leur  destinée  ou  niÈnie  ont 
usé  une  partie  de  leur  vigueur  dans  des  luttes 
fratricides.  Le  lamentable  conflit  de  la  Pologne  et 
de  la  Russie  ne  se  serait  sans  doute  jamais  pro- 
duit si  les  deux  peuples  avaient  appartenu  à  la 
même  religion.  Faute  de  solidarité,  les  Slaves 
ont  eu  le  mallienr  de  se  laisser  accabler  successi- 
vement perdes  ennemis  rapaces,  avides  de  domi- 
nation et  de  conquêtes,  les  Allemands,  les  Hon- 
grois, les  Turcs. 

Etant  donné  ces  circonstances,  il  faut  que  les 
nations  slaves  aient  été  douées  d'une  vitalité 
extraordinaire  pour  n'avoir  pas  succombé  dans 
les  luttes  qu'elles  ont  eu  à  soutenir  pour  l'exis- 
tence. Depuis  la  fin  du  siècle  dernier,  elles  ont 
affermi  cette  vitalité  par  une  série  d'efforts  géné- 
reux qui  ont  appelé  sur  elles  l'attention  de  l'Eu- 
rope et  qui  ont  eu  pour  résultat  presque  immé- 
diat une  amélioration  importante  dans  leur 
condiiion  matérielle  ou  morale.  Les  Slaves  d'Au- 
triclie,  guidés  par  les  Tchèques  de  Bolième,  ont 
obligé  la  monarchie  à  compter  avec  eux  et  com- 
mencent h  contrebalancer  avec  succès  la  prépon- 
dérance des  Allemands  et  des  Hongrois.  Les  Ser- 
bes de  Turquie ,  à  la  suite  d'une  lie\ireuse  ré- 
bellion ,  ont  fondé  une  principauté  importante 
qui  semble  devoir  être  le  Piémont  de  leur  race. 
Les  Bulgares  ont  préparé  par  de  sourdes  luttes 
l'affranchissement  qui  leur  a  été  apporté  par  la 
Russie  lors  de  la  dernière  guerre  d'Orient.  Dans 
cette  renaissance,  les  lettrés,  les  poètes,  les  pro- 
fesseurs ont  joué  un  grand  rùle.  Ce  sont  eux  qui 
ont  mis  en  avant  l'idée  du  pimsluvisnie,  c'est-à- 
dire  de  la  solidarité  politique  ou  morale  de  tous 
les  peuples  slaves.  Les  Allemands  prétendent 
étendre  leur  tutelle  sur  tous  les  pays  où  résonne 
l'idiome  germanique.  A  cette  théorie  allemande 
certains  Slaves  veulent  opposer  l'unité  de  leur  pro- 
pre race.  On  a  souvent  cru  que  le  panslavisme 
était  d'origine  russe.  C'est  une  erreur.  Ce  sont 
les  petits  peuples  slaves  qui  au  contraire  ont 
rêvé  une  grande  fédéralion  où  la  Russie  aurait 
naturellement  la  place  d'honneur.  Ils  ne  préten- 
dent pas  —  sauf  quelques  fanatiques  —  lui  sacri- 
fier leur  langue  et  leur  individualité.  Ils  lui 
demandent  simplement  de  les  protéger  contre 
l'ennemi  héréditaire,  quel  qu'il  soit,  Allemand, 
Turc  ou  Hongrois.  Ainsi  compris,  le  panslavisme, 
loin  d'être  un  danger  pour  l'Europe,  pourrait  être 
une  des  conditions  de  son  équilibre. 

A  l'expansion  de  la  race  germanique,  il  oppo- 
serait la  cohésion  de  la  race  slave  qui  devien- 
drait la  plus  solide  alliée  de  la  race  latine.  Pour 
que  les  peuples  slaves  arrivent  à  se  réunir 
ainsi  sous  l'égide  de  la  Russie,  il  faut  que  ce 
grand  empire  soit  doté  d'institutions  libérales  qui 
le  fassent  définitivement  entrer  dans  l'Europe 
moderne  ;  il  faut  aussi  qu'il  arrive  à  se  réconci- 
lier avec  la  Pologne,  sur  la  base  d'une  transac- 
tion équitable.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  mouvement 
de  renaissance  des  peuples  slaves  a  droit  i  toute 
notre  attention  et  à  toutes  nos  sympathies  ;  ils 
luttent  pour  une  cause  qui  est  bonne,  celle  de 
l'autonomie  poliiique,  de  la  liberté  morale  ;  ils 
s'inspirent  des  principes  de  notre  Révolution  ; 
ils  sont  nos  amis  dans  le  présent.  Ils  peuvent 
être  nos  allies  dans  l'avenir. 

A.  ces  considérations  générales  nous  devons 
ajouter  quelques  détails  spéciaux  sur  l'histoire  de 
ceux  des  peuples  slaves  qui  forment  encore  aujour- 
d'hui, en  dehors  de  l'empire  russe,  des  groupes 
politiques  un  peu  importants  :  les  Tchèques,  les 
Croates,  les  Serbes  et  les  Bulgares. 

Le-  Tclièrjues.  -  Les  Tchèques,  appelés  aussi  en 
français  Bohèmes,  apparaissent  dans  l'histoire  vers 
le  v«  ou  VI'  siècle  ;  ils  occupent  le  quadrilatère  formé 


par  les  monts  de  Bohême  et  luttent  victorieusement 
contre  les  Allemands;  ils  deviennent  chrétiens  et 
catholiques  vers  la  fin  du  ix'^  siècle;  vers  la  même 
époque  un  chef  morave  (c'est-à-dire  tchèque), 
Svatopluk,  forme  un  Etat  puissant  qui  disparait 
au  début  du  x'  siècle  sous  les  coups  de  l'invasion 
hongroise.  A  la  fin  du  xi'  siècle  un  duc  de 
Bohême  prend  le  titre  de  roi  ;  malgré  les  efforts 
de  l'empire  germanique,  la  Bohème  unie  à  la 
Moravie  maintient  son  indépendance.  En  1212, 
sous  Premysl-Otokar,  elle  repousse  les  Tartares 
devant  01mutz:Premys!-Otokar  II  il2i:i- 1278)  étend 
sa  domination  jusqu'à  l'Adriatique  ;  mais  il  ren- 
contre un  terrible  adversaire  dans  la  personne 
de  Rodolphe  de  Habsbourg  et  succombe  dans  la 
lutte  (V.  Autriche).  Au  xiv'  siècle,  sous  la  mai- 
son de  Luxembourg,  les  rois  de  Bohême  sont 
empereurs  d'Allemagne.  Charles  IV  fonde  à  Pra- 
gue (1348)  la  deuxième  université  d'Europe  après 
celle  de  Paris  et  fait  de  cette  capitale  une  cité 
magnifique.  Sous  son  successeur,  Jean  Huss  prê- 
che la  réforme  de  l'Eglise  et  s'efforce  de  restrein- 
dre l'influence  que  les  Allemands  ont  peu  à  peu 
conquise  dans  le  royaume.  11  est  brûlé  en  1415 
par  le  concile  de  Constance.  La  Bohême  se  pas- 
sionne pour  les  réformes  religieuses,  et  réclame 
la  communion  sous  les  deux  espèces  ;  les  chefs 
des  Hussites ,  Procope,  Zizka,  etc.,  tiennent  tête 
à  tout  l'empire  germanique.  Un  roi  sage,  Georges 
Podiebrad  (1458-1471),  réussit  à  rétablir  l'ordre 
moral  et  matériel.  En  1536  l'extinction  de  la 
dynastie  nationale  livre  la  couronne  de  Bohême 
aux  convoitises  de  la  maison  d'Autriche.  Les  sou- 
verains autrichiens  s'efforcent  de  supprimer  la 
liberté  religieuse  ;  la  révolte  des  états  de  Bohême 
en  1618  donne  le  signal  de  la  guerre  de  Trente 
ans.  La  Bohême  vaincue  est  livrée  aux  jésuites  et 
germanisée  pendant  les  xvii'  et  xviii'  siècles.  A 
dater  de  la  fin  du  xviii"  siècle,  elle  commence  à 
se  relever,  reconquiert  peu  à  peu  sa  langue  et 
son  individualité  et  prend  la  tête  du  mouvement 
slave  en  Autriche;  aujourd'hui,  elle  réclame  dans 
la  monarchie  la  reconnaissance  de  ses  droits 
historiques  et  une  situation  analogue  à  celle  qui  a 
été  faite  à  la  Hongrie. 

Les  Croates.  —  Établis  vers  638  dans  les 
régions  qu'ils  occupent  aujourd'hui,  les  Croates 
ont  été  sans  résistance  convertis  au  catholicisme  ; 
à  la  fin  du  x'  siècle,  un  de  leurs  princes  prit  le 
titre  de  roi;  à  la  fin  du  siècle  suivant,  la  Croatie 
fut  réunie  à  la  Hongrie;  mais  elle  a  toujours  con- 
servé le  titre  de  royaume  et  l'autonomie  nationale. 
Les  Serijes.  —  Comme  les  Croates,  les  Serbes 
se  sont  établis  au  vu"  siècle  dans  les  pays  qu'ils 
occupent  aujourd'hui,  mais  ils  se  sont  convertis 
à  la  religion  grecque  ou  orthodoxe  ;  ils  organisè- 
rent un  Etat  indépendant  dont  les  princes  prirent 
au  XI'  siècle  le  titre  de  rois.  La  dynastie  des  Ne- 
manias  (11j9-1369)  amena  l'Etat  serbe  à  un  haut 
degré  de  puissance  et  de  culture.  Il  atteignit  son 
apogée  sous  le  règne  du  tsar  ou  empereur  Dou- 
clian,  qui  réunit  sous  son  pouvoir  presque  toute 
la  péninsule  du  Balkan.  On  cite  encore  aujour- 
d'hui le  Code  de  ce  souverain.  Après  la  fameuse 
défaite  de  Kosovo  (1389),  où  le  sultan  Amurat  I" 
écrasa  l'armée  serbe,  la  Serbie  devint  tributaire 
des  Turcs.  Réduite  à  l'état  de  simple  province, 
elle  était  presque  oubliée  de  l'Europe  quand  une 
révolte  heureuse,  au  début  de  notre  siècle,  rendit 
la  liberté  à  une  partie  de  la  race  serbe.  La  dynas- 
tie des  Obrénovitch.  aujourd'hui  régnante,  semble 
destinée  à  grouper  plus  tard  sous  son  sceptre  les 
Serbes  non  encore  affranchis.  Mais  elle  doit  comp- 
ter avec  la  rivalité  de  l'Autriche.  —  Les  Serbes 
du  Monténégro,  grâce  à  leurs  noires  montngnes, 
sont  toujours  restés  indépendants. 

Les  liulgnres.  —  Leur  destinée  est  analogue  à 
celle  des  Serbes.  Les  Bulgares  primitifs  n'étaient 


SOCIETE 


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SOCIETE 


pas  d'origine  slave,  mais  ils  ont  été  slavisos  de 
bonne  liouro  ;  ils  ont  été  convertis  au  christia- 
nisme grec,  et  c'est  cliez  eux  qu'a  fleuri  (ix'  et 
X'  siècles)  la  première  littérature  slave-clirétienne  ; 
ils  ont  eu  des  rois  nationaux  jusqu':\  la  fin  du 
XIV'  siècle.  Opprimés  par  les  Ottomans,  ils  ont 
commencé  depuis  trente  ans  h  lutter  pour  leur 
autonomie  nationale  et  religieuse.  En  1877-18,  les 
armes  de  la  liussie  leur  sont  venues  en  aide,  et 
ils  ont  déjà  fondé  dmix  principautés,  l'une  tout  à 
fait  indépendante  (la  Bulgarie  proprement  dite), 
l'autre  vassale  de  la  Porte  (la  Boumélie  orientale). 
C'est  un  peuple  tenace,  laljorieux  et  sur  l'avenir 
duquel  on  [jeut  compter.  [Louis  Léger.] 

SOCIÉTÉ.  —  Connaissances  usuelles.  VI.  — 
L'Académie  définit  la  société  un  «  assemblage 
d'hommes  qui  sont  unis  par  la  nature  ou  par  des 
lois  »,  le  <i  commerce  que  les  hommes  réunis  ont  na- 
turellement les  uns  avec  les  autres  »  :  L'homme  est 
né  pour  la  société  ;  la  société  naturelle,  la  société 
civile  ;  être  le  fléau  de  la  société.  Dans  ce  sens, 
le  mot  société  peut  se  dire  de  certaines  espèces 
d'animaux  qui  vivent  rassemblés,  en  troupes  :  ces 
animaux  vivent  en  société.  Société  i<  signifie  aussi 
compagnie,  union  de  plusieurs  personnes  jointes 
pour  quelque  intérêt,  ou  pour  quelque  affaire,  et 
sous  de  certaines  conditions  »  :  une  société  de 
financiers,  de  commerçants,  etc.;  et  encore  «  com- 
pagnie de  gens  qui  s'assemblent  pour  vivre  selon 
les  règles  d'un  institut  religieux,  ou  pour  conférer 
ensemble  sur  certaines  sciences  »  :  la  Société  des 
Jésuites  (dans  ce  cas,  le  mot  Société  prend  une  S 
majuscule; ,  la  Société  royale  de  Londres,  etc.  Il 
y  a  de  même  des  sociétés  littéraires,  des  sociétés 
politiques,  des  sociétés  de  conversation,  de  jeUj 
de  plaisir.  Dans  une  acception  plus  générale,  so- 
ciété se  dit  II  des  rapports,  des  communications 
que  les  habitants  d'un  pays,  d'une  ville  ont  entre 
eux  pour  leurs  amusements,  pour  leurs  plaisirs»  : 
Il  n'y  a  point  de  société  dans  cette  ville  ;  le  ton  de 
la  société;  les  agréments  de  la  société.  Enfin  so- 
ciété se  dit  encore  ci  du  commerce  ordinaire,  ha- 
bituel que  l'on  a  avec  certaines  personnes  »  :  Je 
trouve  beaucoup  do  douceur,  d'agréments  dans  sa 
société  ;  il  est  d'une  bonne  société. 

Il  est  facile  de  rattacher  les  divers  sens  de  ce 
mot,  qui  découlent  naturellement  les  uns  des  au- 
tres, à  son  origine  latine,  dont  le  terme  premier 
est  socius,  fignifiant  compngnon,  lequel  a  lui- 
même  pour  collatéraux  des  radicaux  plus  anciens 
signifiant  ami,  amitié,  et,  d'autre  part,  .luiore. 

La  société,  entendue  comme  la  défijiit  d'abord 
l'Académie,  constitue,  presque  au  même  titre  que 
celui  de  notre  existence,  un  des  faits  primordiaux 
et  caractéristiques  de  l'espèce  humaine.  L'homme 
n'est  pas  fait  pour  vivre  seul,  il  est  fait  pour  vivre 
avec  ses  semblables,  pour  s'unir  à  eux,  s'associer 
h  eux;  l'homme  est  un  être  éminemment  sociable, 
«zôon  politikon,»  suivant  le  mot  d'Aristote. 

Il  est  extrêmement  important  de  donner  à  l'en- 
fant une  idée  juste  et  précise  de  cette  disposition 
fondamentale  de  notre  nature,  car  il  en  découle 
toutes  sortes  de  conséquences  qui  ne  peuvent 
manquer  d'avoir  une  grande  influence  sur  ses 
idées  et  ses  sentiments,  et,  par  suite,  sur  sa  con- 
duite dans  la  vie. 

Nous  allons  donc  chercher,  en  nous  plaçant  au 
point  de  vue  dis  explications  que  le  maître  doit 
sur  ce  sujet  donner  i  son  élève,  ce  que  c'est  que 
la  société  et  quelles  sont  les  raisons  d'être  de  la 
société  ;  quelles  sont,  d'après  cela,  les  conditions 
de  la  vie  en  société  ;  quelles  sont  en  outre  les  dif- 
férentes évolutions  des  sociétés,  telles  que  nous 
les  présente  l'histoire,  et  enfin  les  avantages  des 
sociétés  civilisées,  particulièrement  de  notre  so- 
ciété française  moderne. 

Nous  dirons  ensuite  quelques  mots,  toujours  au 
même  point  do  vue,  de  certaines  applications  à 


l'éducation  de  l'enfant  des  différentes  acceptions  du 
mot  société,  d'après  les  définitions  de  l'Académie. 
On  a  souvent  dit  que  l'homme  est  né  pour  la  so- 
ciété, et  on  en  a  donné  cette  preuve,  qu'il  est 
doué  de  la  parole.  La  vérité  est  que  la  parole  est 
le  résultat  même  de  la  vie  commune.  L'homme 
isolé  ne  parlerait  pas.  C'est  le  besoin  qu'a  éprouvé 
l'homme  de  se  grouper,  de  se  rapprocluT  de  ses 
semblables,  qui  l'a  poussé  il  se  servir  de  ces  élé- 
ments matériels  informes,  les  sons  et  les  articula- 
tions, à  les  associer,  à  les  combiner  pour  en  faire 
la  représentation  communicable  de  ses  pensées. 
Les  animaux  ont  dos  cris,  des  chants,  par  lesquels 
visiblement  ils  expriment  ce  qui  est  en  eux,  et  vi- 
siblement aussi  ils  transmettent  au  dehors,  jus- 
qu'à un  certain  point,  ce  qu  ils  éprouvent,  ce  qu'ils 
désirent,  ce  qui  leur  fait  peur,  etc.  Mais  combien 
ces  moyens  extérieurs  de  transmission  sont  infé- 
rieurs à  nos  mots,  à  nos  phrases,  à  nos  langues, 
sans  lesquelles  il  nous  semble  que  nous  ne  pour- 
rions pas  même  penser!  L'homme  isolé  ne  se  fût 
pas  beaucoup  élevé  au-dessus  d'eux. 

On  pourrait  encore  faire  remarquer  à  l'enfant 
qu'au  témoignage  de  l'histoire  jamais  on  n'a  trouvé 
l'homme  vivant  seul.  Il  y  a  toujours  eu,  il  y  a 
encore  des  sauvages  ;  l'homme  isolé  ne  se  trouve 
nulle  part.  Les  solitaires  de  la  Thébaide  n'ont  été 
que  des  exceptions  volontaires  fort  rares  ;  encore 
leur  solitude  n'était  pas  aussi  absolue  qu'elle  le 
semble;  dans  tous  les  cas,  ils  ne  prétendaient 
point  à  faire  race.  Les  Robinsons,  dont  on  lui  fait 
liie  les  très  amusantes  aventures,  ne  sont  Robin- 
sons  que  par  accident  ;  leur  histoire,  d'ailleurs, 
est  fort  arrangée  ;  les  vrais  Robinsons  —  il  s'en  est 
trouvé  quelques-uns  —  meurent  ou  deviennent  des 
brutes,  pour  peu  que  leur  isolement  se  prolonge. 
Ce  n'est  donc  point,  comme  on  l'a  imaginé,  par 
suite  d'une  sorte  d'accord,  de  contrat  réel  ou  tacite, 
que  les  hommes  se  sont  déterminés  à  vivre  en  so- 
ciété ;  l'état  de  société  est  pour  eux  l'état  naturel 
et  primordial.  L'homme  sauvage,  à  qui  volon- 
tiers certains  écrivains  auraient  reproché  d'avoir 
voulu  sortir  de  sa  sauvagerie,  d'avoir  quitté  pour 
l'état  social  un  soi-disant  état  de  nature  supérieur 
et  meilleur,  n'occupe  en  réalité  qu'un  degré  infime 
de  la  vie  en  commun:  mais  c'est  déjà  un  être  as- 
socié. La  société,  —  ne  nous  lassons  pas  de  le  re- 
dire, —  est  le  milieu  normal  où  l'Iiomnie  est  appelé 
à  vivre;  c'est  d'elle  et  d'elle  seule  que  lui  vien- 
nent non  seulement  ses  moyens  d'exister,  qui  ne 
seraient  sans  elle  qu'absolument  précaires  et  in- 
suffisants, mais  aussi  tout  ce  qu'il  peut  réaliser 
et  rêver  de  jouissance  et  de  grandeur. 

Seulement  ces  avantages  de  la  vie  en  société  ne 
frappent  pas  toujours  les  yeux  ;  il  en  est  d  eux 
comme  de  la  santé:  ils  nous  paraissent  si  naturels, 
que  nous  n'en  sentons  bien  le  prix  que  lorsqu'il 
nous  arrive  d'en  être  privés  ;  quelquefois  même 
nous  sommes  volontiers  disposés  à  les  méconnaî- 
tre, en  présence  surtout  de  quelques-unes  des 
obligations,  qui  sont  les  garanties  du  bien-être 
social,  mais  qui  ne  laissent  pas  de  nous  coûter 
cher.  Quand  le  percepteur  nous  adresse  notre 
feuille  de  contributions,  quand  le  maire  nous  in- 
vite à  venir  tirer  le  numéro  qui  nous  enverra  au 
régiment  pour  plusieurs  années,  au  risque  même 
parfois  de  n'en  jamais  revenir,  nous  ne  sentons 
alors  que  la  main  qui  pèse  sur  nous,  nous  ne  sen- 
tons pas  qu'en  même  temps  elle  nous  soulève  et 
nous  fait  marcher.  L'enlant,  en  particulier,  n'a 
aucune  idée  des  services  que  la  société  lui  rend  : 
il  faut  les  lui  faire  comprendre. 

Montrez- lui  tout  d'abord  la  place  qu'il  occupe 
dans  cette  première  société  naturelle,  qui  est  la 
famille.  Sauf  des  cas  heureusement  rares,  les 
bienfaits  qu'il  en  reçoit  sont  assez  près  de  lui 
pour  qu'il  n'y  soit  point  insensible.  A  tout  le 
moins,  le  pain  de  chaque  jour,  il  no   le    gagne 


SOCIETE 


2042  — 


SOCIÉTÉ 


point,  CB    sont   ses  parents  qui    le  gagnent  pour 
lui,  et   souvent  au  prix  de  quelles  peines!  Ajou- 
tez —  les  exemples  ne   seront,  que  trop  souvent  à 
votre  disposition  —  que  la  société  n'abandonne  point 
ceux  qui  sont  privés  de  famille;  elle  les  recueille 
et  elle  les  assiste  (V.  Assistance  publique  et  En- 
fants assistés  dans  la  I"  Partie);  elle  les  met  en 
état   de    vivre    honorablement.    Ajoutez    encore 
qu'à   lui-même,  à   lui  cbétif,  elle  reconnaît  des 
droits  ;  le  droit  d'être  nourri,  par  exemple  :   s'il 
ne  lui  était  pas  donné  le  nécessaire,  elle  intervien- 
drait,  en   pressant,  au  besoin,  sur   la  famille  ;  le 
droit  d'être  instruit  :   ce  n'est  pas  celui-li  peut- 
être   que  quant    à  présent  il  apprécie  le   mieux, 
mais  il   en    reconnaîtra    plus  tard    l'importance  ; 
elle  le  suit,  pour   le  protéger,  partout  où  il   lui 
plaît  d'aller;  il  n'a  que  ses  deux  bras  pour  se  dé- 
fendre, et  ils  sont  bien  faibles;  mais  il  y  a  à  chaque 
instant  près  de  lui  un  bon  et  puissant  génie  qui 
ne   souffrira  pas,    sans   revendiquer   de  terribles 
responsabilités,  qu'on  touche  à  un  clieveu  de  sa 
tête.  Tout  ce  qu'il  a  sur  lui,  tout  ce  qui  est  à  lui 
vient  d'elle,  et  il  n'est  pas  seulement  redevable  de 
son  bien-être  à  la  génération  dont  il  fait  partie, 
aux  milliers  et  aux  millions  d'hommes  qui  vivent 
en  même  temps  que  lui  et,  sans  qu'il  s'en  doute, 
sans  qu'ils  s'en  doutent  eux-mêmes  d'ailleurs,  tra- 
vaillent pour  lui;  il  en  est  redevable,  dans  la  vé- 
rité exacte  du  terme,  à  tout  le  passé  de  l'huma- 
nité. Sa  blouse  de  coton  ou  de  laine  a  peut-être 
poussé  dans  le  champ  d'un  planteur  do  l'Amérique 
du  Nord  ou   sur   le  dos   d'un  moulon  australien. 
Qu'il  juge  combien  de  mains  ont  dû  être  employées 
pour   l'amener   à  l'état   qui    lui   permet   de   s'en 
servir  ;    qu'il    aille  plus  loin   et  qu'il  comprenne 
que  le  moindre  métier  à  tisser  en  usage  de  notre 
temps  suppose  non  pas  seulement  la  découverte 
toute  moderne  de  la  vapeur,  mais  préalablement 
celle  du  fer  :  le  voilà  dès  lors  constitué  héritier 
des  inventions  des  premiers  âges.  Et  ainsi  de  tout 
le  reste.  Il  a  lu,  dans  l'histoire  du  plus  intéressant 
de    ces    Robitisons    dont    nous    parlions    tout    à 
l'heure,  tout  ce  qu'un  homme  peut  faire,  avec  une 
scie  et  une  hache  de  charpentier,  pour  reconsti- 
tuer à  son  bénéfice  les  éléments  indispensables  du 
bien-être  qu'un   isolement  momentané  lui  a  fait 
perdre.  Robinson,sur  son  île,  tient  encore  ainsi  à  la 
société  perfectionnée  où  il  a  vécu;  mais  réduisez- 
le  à  l'usage  de  ces  outils  informes,  quoique   déjà 
ingénieux,  qu'on  voit  dans  nos  musées  et  qui  at- 
testent le  passage  sur  notre  terre  des   premières 
générations   humaines  ;  descendez  encore    d'un 
degré,  réduisez-le  à  la  nécessité  d'inventer  seul  ces 
rudiments  d'outils,  et  vous  jugerez  de  sa  misère. 
C'est  par  des  leçons  de  ce  genre  que  l'institu- 
teur montrera  à  l'enfant  ce  que  la  société  fait  pour 
lui;  il  lui  indiquera   de  même  ce  qu'il  doit  faire 
pour  elle.  Peu  de  chose  d'effectif  assurément;  son 
impuissance  ne  lui  permet  guère  que  des  senti- 
ments, mais  c'est  quelque  chose  déjà  qu'il  ait  ces 
sentiments.  Sentiments  de  respect,  d'atfectionetde 
reconnaissance  envers  ses  parents,  qui  sont  pour 
lui,  comme  nous  l'avons  dit,    les  premiers  et  les 
plus  proches  représentants  de  la  société;  senti- 
ments analogues  à  l'égard  de  la  société  tout  en- 
tière,   qui   lui   fait  gratuitement  l'avance  de  ses 
bienfaits,  jusqu'à   ce  qu'il  puisse  l'en  rémunérer 
par  un  retour  de  services.  Si  l'enfant  se  sentait 
partie   intégrante   d'un   milieu  où  nous  sommes 
tous   solidaires    les    uns    des   autres,    il   semble 
qu'il    comprendrait    mieux    certains    devoirs    de 
morale  dont  on  exige  de  lui  dès   à  présent  l'ac- 
complissement volontaire,  ou  auxquels  on  le  pré- 
pare pour  la  suite.  Il  saisira  mieux,  par  exemple, 
pourquoi  on  l'oblige  au  travail,  quand  on  lui  aura 
fait  voir   que  tout  liorame   volontairement   inattif 
ou  incapable   est   une  non-valeur  dans  la  société. 
et  frustre,  par  conséquent,  la  société  de  la  paît 


de  travail  productif  pour  laquelle  elle  comptait 
sur  lui.  Plus  de  ces  fraudes,  de  ces  maraudages, 
de  ces  soustractions  au  détriment  de  l'Etat  qu'on 
se  permet  si  facilement,  dans  les  villes  comme 
dans  les  campagnes,  et  dont  les  enfants  sont 
souvent  les  dociles  instruments,  si  l'on  se  fait  de 
l'Eiat,  représentant  officiel  de  la  société,  la  juste 
idée  que  nous  tâcherons  d'en  donner  tout  à 
l'heure.  Votre  élève  comprendra  enfin  qu'on  ne 
doit  pas  lésiner  sur  l'impôt,  puisque  l'impôt,  pris 
dans  son  ensemble,  est  la  juste  rémunération  de 
services  rendus  ;  qu'on  ne  doit  pas  davantage 
lésiner  sur  l'impôt  du  sang,  s'il  sait  bien  ce  que 
c'est  que  la  patrie,  s'il  sait  qu'elle  a  le  droit, 
dans  les  cas  extrêmes,  de  réclamer  légitimement 
ce  dernier  sacrifice, 

L'histoire,  bien  comprise  aussi,  viendra  fort 
utilement  à  l'appui  do  vos  leçons  et  vous  permet- 
tra de  multiplier  les  exemples  qui  rendront  ce» 
leçons  saisissables. 

11  vous  sera  facile  de  montrer,  sans  grands 
mots  et  d'une  manière  concrète,  comment  se  for- 
ment les  sociétés  et  comment  elles  passent  par 
diverses  évolutions,  celles-ci  ne  sortant  pas  de 
l'état  sauvage,  celles-là  s'élevant  jusqu'à  un  cer- 
tain degré  de  civilisation  et  demeurant  ensuite 
stationnaires  ;  d'autres  enfin  —  les  meilleures  et 
les  mieux  douées  —  progressant  toujours  et 
prenant  la  tète  de  l'humanité. 

Dans  les  temps  anciens  comme  dans  les  temps 
modernes,  l'histoire  (ou  la  géogi'aphie  histori- 
que), nous  fait  voir  les  premiers  hommes  s'unis- 
sant  pour  concentrer  leurs  efforts  de  «  lutte  pour  la 
vie  »  sur  la  conquête  de  leur  nourriture  de  chaque 
jour;  ils  chassent  et  ils  pochent.  Mais  déjà  ces  pre- 
miers essais  de  soi:iété  sont  supérieurs  à  ceux  des 
espèces  animales  qui,  elles  aussi,  s'associent. 
L'homme  invente  des  engins  ;  il  fait  le  choix  des 
plantes  et  des  animaux  qui  s'approprient  le  mieux 
à  ses  besoins;  il  cultive  les  unes  et  domestique 
les  autres.  «  Le  premier,  dit  Rousseau,  qui,  ayant 
enclos  un  terrain,  s'avisa  de  dire  :  ceci  est  à 
moi,  et  trouva  des  gens  assez  simples  pour  le 
croire,  fut  le  vrai  fondateur  de  la  société  civile. 
Que  de  crimes,  de  meurtres,  que  de  misères  et 
d'horreurs  n'eut  point  épargnés  au  genre  humain 
celui  qui,  arrachant  le  pieu  ou  comblant  le 
fossé,  eût  crié  à  ses  semblables  :  Gardez-vous 
d'écouter  cet  imposteur  ;  vous  êtes  perdus  si 
vous  oubliez  que  les  fruits  sont  à  tous  et  que  la 
terre  n'est  à  personne.  »  Et  Pascal  :  «  Ce  chien  est 
à  moi,  disaient  ces  pauvres  enfants  ;  c'est  là  ma 
place  au  soleil.  Voilà  le  commencement  de  l'u- 
surpation de  la  terre.  »  N'en  déplaise  à  Rousseau 
et  à  Pascal,  le  premier  qui  s'avisa  de  dire  :  Ce 
champ  est  à  moi,  ce  chieji  est  à  moi,  avait  eu  là 
une  idée  très  légitime  et  très  féconde.  Les  fruits 
du  champ  qu'on  a  cultivé,  qu'on  a  transformé 
par  son  travail,  ne  sont  pas  à  tous,  et,  si  la  terre 
non  occupée  n'est  à  personne,  la  terre  occupée 
est  à  quelqu'un.  Les  pauvres  enfants  que  suppose 
Pascal  pouvaient  avec  raison  dire  que  ce  chien 
était  à  eux.  s'ils  l'avaient  soigné  et  nourri  et  si 
personne  avant  eux  n'avait  eu  à  le  réclamer 
comme  lui  appartenant.  Ils  avaient  créé  une 
propriété  (V.  ce  mot  dans  la  11=  Partie  ),  et  la  pro- 
priété est,  en  effet,  une  des  conditions  et  un  des 
fondements  de  la  société  civile. 

Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  la  seule.  Les  hommes  ne 
s'associent  pas  fortuitement  et  suivant  le  hasard  des 
circonstances.  L'histoire  nous  les  montre  encore 
se  groupant  d'après  les  affinités  do  race,  de 
langue,  de  manières  de  vivre,  d'habitudes,  de 
croyances  communes.  C'est  là  le  principe  des 
nationalités.  Ajoutez-y  une  longue  coliabitatioQ 
dans  un  certain  lieu,  la  participation  prolongée 
aux  mêmes  sentiments  et  aux  mêmes  actes, 
le  sentiment  d'intérêt  commun  résultant  de   si- 


SOCIÉTÉ 


—  2043  —     SOCIÉTÉ  (RÈGLE  DE) 


tuations  analogues,  la  conscience  d'une  unité 
qui  dure,  se  U'ansmet  et  se  perpétue  pendant 
une  loiiguo  suit<!  de  générations,  unité  sou- 
vent conquise,  défendue  et  maintenue  au  prix 
des  plus  grands  sacrifices,  et  vous  aurez  crée 
dans  une  association  d'Iiommcs  l'idée  de  la  patrie, 
qui  est  la  plus  complète  et  la  plus  haute  réalisa- 
tion do  la  société. 

On  conçoit  (|ue  l'individu  qui  fait  partie  d'une 
telle  association  a  le  droit  do  garder,  en  ce  qui 
le  concerne  personnellement,  toute  liberté  et 
toute  initiative,  qu'il  peut  penser  comme  il  veut, 
parler  comme  il  veut,  agir  comme  il  veut;  mais 
on  conçoit  aussi  que  sa  liberté  est  limitée  par 
celle  de  tous  les  autres  membres  de  l'association  ; 
on  conçoit  aussi  que,  pour  le  plus  grand  bien  de 
lui-mémo  et  des  autres,  chaque  membre  de  l'as- 
sociation soit  conduit  à  aliéner  une  part  de  son 
individualité.  Que,  ne  pouvant  dormir,  il  me 
prenne,  au  milieu  de  la  nuit,  l'envie  de  chanter, 
si  nul  ne  peut  m'entendre,  cola  ne  nuit  à  per- 
sonne; il  n'en  sera  pas  do  même,  si  je  réveille 
mes  voisins.  Mes  voisins  et  moi,  nous  avons  be- 
soin tous  les  jours  de  franchir  le  même  ruisseau  : 
si  nous  somnies  des  gens  entendus,  nous  nous  i 
cotiserons  pour  l'achat  en  commun  d'une  plan-  1 
che  qui  nous  puisse  servir  de  pont.    Et  encore 


amène.  Il  n'en  est  pas  moins  vrai  que  ce  progrès 
existe,  et  qu'il  se  dégage  de  l'histoire  bien  en- 
tendue une  manifestation  incontestable  de  pré- 
jugés vaincus  et  d'améliorations  accomplies  et  dé- 
finitives. 

Cette  marche  en  avant,  malgré  toutes  les  fau- 
tes que  nous  devrions  être  les  premiers  à  nous 
reprocher,  est  encore  plus  certaine  peut-être  pour 
notre  histoire  que  pour  aucune  autre,  et  il  ne 
faut,  par  exemple,  pour  s'en  convaincre,  que  lire, 
dans  ce  Dictionnaire,  le  commencement  de  l'ar- 
ticle Révulidion  française,  où  les  œuvres  de  la 
Révolution  sont  opposées  à  l'ancien  régime. 

Nul  doute  que  notre  situation  actuelle,  encore 
mal  assise,  d'ailleurs,  et  mal  limitée,  ne  puisse 
devenir  meilleure  ;  nul  doute  que  le  progrès  que 
nous  avons  réalisé  ne  puisse  être  le  point  de 
départ  da  progrès  nouveaux  et  indéfinis.  Mais 
le  progrès  d'une  société  dépend  évidemment  de 
la  valeur  individuelle  de  ceux  qui  la  composent, 
et  cette  valeur  elle-même  ne  pput  être  que  la 
conséquence  des  elTorts  de  chacun  vers  le  bien  et 
vers  le;  mieux  ;  c'est  la  conclusion  que  nous  vou- 
drions tirer  de  cette  étude;  c'est  aussi  celle  que, 
selon  nous ,  l'instituteur  devrait  tirer  des  études 
analogues  qu'il  sera  conduit  h  faire  dans  l'école. 
Il  ne   nous  reste  plus  que  quelques  références 


faudra-t-il,  pour  que  cela  suit  possible,  que  notre  i  •'  indiquer  au   sujet  des  différents  sens  du   mot 


planche,  par  exemple,  ne  nuise  pas  h  la  naviga 
tion  du  ruisseau  ;  faute  de  quoi,  nous  serons 
encore  obligés  de  nous  entendre  avec  d'autres. 

De  là,  dans  toutes  les  sociétés,  l'origine  de  ces 
dispositions  qui  ont  pour  objet  de  concilier  l'or- 
dre général  avec  la  liberté  de  l'individu,  de  faire 
servir  les  ressources  de  l'association  aux  besoins 
de  chacun  en  le,  limitant  les  uns  par  les  autres. 
De  là  la  loi,  de  là  les  pouvoirs  chargés  de  faire  et 
d'appliquer  la  loi,  de  réfréner  et  de  punir  ceux 
qui  la  violent.  De  là  encore  l'Etat  ou  le  gouver- 
nement, dont  la  véritable  formule,  dans  nos  so- 
ciétés modernes,  est,  d'une  part,  d'empêcher  ce 
qui  est  nuisible  à  la  société  en  laissant  aux  indi- 
vidus liberté  entière  sur  tout  le  reste,  et,  d'autre 
part,  de  faciliter  ce  qui  est  utile  à  la  société,  quand 
les  individus  ne  le  peuvent  faire.  Que  l'association 
elle-même  constitue  cet  Etat,  qu'elle  soit  elle-même 
la  source  de  ces  grands  pouvoirs  et,  par  conséquent, 
des  actes  qui  en  émanent  ;  qu'en  d'autres  ter- 
mes, elle  soit  souveraine,  et  qu'elle  exerce  sa  sou- 
veraineté, soit  directement,  soit  par  l'intermé- 
diaire de  mandataires  élus  ,  l'individu  alors 
deviendra  un  citoyen,  et  la  société  réalisera,  en 
matière  politique,  la  forme  la  plus  parfaite  qu'elle 
puisse  prendre. 

Mais  il  est  vrai  de  dire  qu'en  fait  cette  évo- 
lution n'a  jamais  été  accomplie  que  par  un  pe- 
tit nombre  de  nations,  que  celles-là  mêmes  n'y 
sont  arrivées  que  fort  tard,  et  qu'elles  en  ont 
acheté  bien  chèremejit  le  privilège.  Les  violen- 
ces, dont  il  ne  faut  point,  comme  Pascal,  Rous- 
seau et  bien  d'autres,  faire  retomber  exclusive- 
ment la  responsabilité  sur  certains  principes  fort 
légitimes  des  sociétés,  mais  qui  découlent  de 
l'ignorance  et  des  passions  humaines,  ont  eu,  mal- 
heureusenaent,  sur  la  formation  et  sur  l'existence  de 
ces  sociétés,  une  bien  plus  grande  action  que  le 
bon  sens,  la  logique  normale  des  choses,  et  l'in- 
lerôt  bien  entendu  des  individus  et  des  associa- 
tions. L'histoire  n'est,  hélas!  le  plus  souvent  que 
le  triste  tableau  des  œuvres  de  la  force  ;  inva- 
sions, conquêtes,  violation  à  main  armée  du 
droit  et  des  situations  acquises,  tel  est  le  spec- 
tacle le  plus  ordinaire  que  présentent  les  anna- 
les des  peuples  ;  il  n'en  est  aucun  qui  n'ait  souffert 
de  quelques-unes  de   ces  ignominies,   ou  qui  n'y 


Socifilé  autres  que  celui  que  nous  venons  de  déve- 
lopper. On  trouvera,  dans  la  I"  Partie,  au  mot 
Association,  des  renseignements  sur  différentes 
sociétés  qui  s'occupent  de  l'instruction  et  de  l'é- 
ducation populaires  ;  et,  dans  la  11=  Partie,  au 
mot  Acndéinie,  sur  la  principale  de  nos  sociétés 
littéraires ,  l'Académie  française.  Quant  à  cette 
acception  particulière  du  mot  société  désignant 
les  rapports  que  nous  avons  les  uns  avec  les 
autres  dans  la  vie  ordinaire,  rapports  qui  sont 
chez  nous,  pour  nous-mêmes  comme  pour  au- 
trui, une  source  de  devoirs  et  de  convenances  te- 
nant de  très  près  à  la  morale  proprement  dite, 
dont  la  pratique  enfin  nous  a  valu  auprès  des 
étrangers  une  réputation  séculaire  que  nous  de- 
vons tenir  à  conserver,  nous  renvoyons  les  lec- 
teurs au  mot  Usages.  [Charles  Defodon.] 

SOCIETE  (Règle  de).—  Arithmétique,  XLIV. 
—  Lorsque  plusieurs  personnes  s'associent  pour 
une  entreprise  industrielle  ou  pour  une  opération 
commerciale,  le  bénéfice  ou  la  perte  doivent  être 
répartis  entre  tous  les  associés,  en  tenant  compte 
(les  capitaux  que  chacun  d'eux  a  risqués  dans 
l'œuvre  commune  et  aussi  du  temps  pendant  le- 
quel ces  capitaux  y  ont  été  placés.  La  règle  de 
société  enseigne  à  faire  cette  répartition  d'une 
manière  équitable.  Cette  question  n'est  qu'une 
application  particulière  d'un  problème  connu  sous 
le  nom  de  partage  pro/jorlionnel,  problème  que 
nous  allons  d'abord  résoudre. 

I.  Partage  proportionnel.  —  Proposons-nous, 
par  exemple,  de  partager  le  nombre  42J  en  parties 
proportionnelles  aux  nombres  5,  7  et  8,  c'est-à- 
dire  en  parties  telles,  que  le  rapport  de  la  pre- 
mière à  la  seconde  soit  égal  au  rapport  de  5  à  7, 
que  le  rapport  de  la  première  à  la  troisième  soit 
égal  au  rapport  de  5  à  8,  et  enfin  que  le  rapport 
de  la  seconde  à  la  troisième  soit  égal  au  rapport 
de  7  à  8. 

1"  Solution.  —  J'ajoute  les  trois  nombres  .1,7 
et  8,  ce  qui  me  donne  20.  Si  l'on  demandait  de 
partager  20  en  parties  proportionnelles  aux  nom- 
bres 5,7  et  8,  les  parties  seraient  évidemment  ces 
nombres  eux-mêmes,  puisque  leur  somme  est 
égale  au  nombre  20  qu'il  s'agit  de  partager.  Si, 
au  lieu  de  20,  c'est  1  qu'on  veut  partager  propor- 
tionnellement aux   nombres  5,7  et  8,  les  parties 


au  participé,  et  c'est  ce  qui  peut  donner  une  ap-    seront  20  fois  plus  petites  que  dans  le  premier 
parence  de   raison  à  ceux  qui    se  complaisent  au    „„       ,  ,  .    .  5     7         8      „ 

mépris  du  progrès  que  la  civilisation  nroduit  etl"'i  leurs  valeurs  seront  donc  -,- et  .^-   En - 


progrès  que  la  civilisation  produit  et  ' 


SOCIÉTÉ  (RÈGLE  DE)       —  2044  —       SOCIÉTÉ  (RÈGLE  DE) 


tin,  si  le  nombre  à  partager  est  420  au  lieu  de  1, 
cliaque  partie  devien'lra  420  fois  plus  grande  ;  les 

5 
valeurs   de    ces   parties    seront    donc  —  x  420, 

.^X420,  rj^x420  ;  ou,  ce  qui  est  la  même  chose, 

420      ,       420  420 

2^X0,     — X7,      — X8. 

Le  tableau  suivant  résume  ce  raisonnement  : 


Nom 
part 
20 

irc 
ager. 

;)artie. 

2« 

partie. 

8 

1 

_5_ 
20" 

7 
20" 

8 

20 

420. 

420 
2l) 

X5.. 

420 
20 

X'i.. 

420 
20 

RÈGLE.  —  Pour  partager  un  nombre  propor- 
tionnellement à  des  nombres  donnés,  on  divise  le 
nombre  à  partnger  par  la  somme  des  nombres 
auxquels  les  parties  doivent  être  inoportionnelles, 
et  on  multiplie  le  quotient  trouvé  par  chacun  de 
ces  de  niers  nombres. 

2*  Solution.  —  Désignons  par  x,  y,  z,  les  trois 
parties  qu'il  faut  trouver.  Ort  aura  : 


ou  bien,  en  réunissant  toutes  ces  proportions  en 
une  suite  de  rapports  égaux  (V.  Proportions), 

5      7      5" 

Mais,  dans  une  suite  de  rapports  égauï,  le  rap- 
port de  la  somme  des  numérateurs  à  la  somme 
des  dénominateurs  est  égal  à  l'un  quelconque  des 
rapports  donnés  ;  on  a  donc  ici  : 


x  +  y  +  z 
■5  +  1  +  8" 


420. 
'  20' 


car  la  somme  des  trois  parties  x,  y,  z,  est 
au  nombre  à  partager,  420.  On  tire  de  là  : 

-X5, 


20 
420       , 

420 
'  20 


X8, 


324  proportionnellement  à  ces  nouveaux  nombres. 
Leur  somme  est  égale  à  18  ;  donc  les  quatre  par- 
ties sont  : 

^  X2=18X2=   36 

324 


X5=18X5=   90 


Total 324 

2'  Exemple.  —  Partager  le  nombre  528  en  par- 
ties proportionnelles  aux  fractions  -,  -,  -  et  --Je 

cherche  un  multiple  commun  des  dénominateurs, 
et  je  multiplie  les  quatre  fractions  par  ce  multi- 
ple commun  ;  j'aurai  ainsi  des  nombres  entiers 
qu'on  peut  substituer  aux  fractions  données.  Il  y 
a  avantage,  pour  la  simplicité  des  calculs,  à  choi- 
sir le  plus  petit  des  multiples  communs  ;  dans 
notre  exemple,  c'est  le  nombre  60.  Les  produits 
des  fractions  par  60  sont  ; 

-X60  =  4I,     |x60  =  4â, 

2x60  =  50,     7X60  =  24, 
0  5 

et  le  problème  est  ramené  \  partager  528  propor- 
tionnellement aux  nombres  entiers  40,  45,  50  et 
24.  La  somme  de  ces  nombres  étant  159,  les  quatre 
parties  sont: 


valeurs  identiques  à  celles  que  nous  avons  trou- 
vées par  la  première  méthode. 
En  faisant  les  calculs  indiqués,  on  trouve  : 

a;=)05,     î/=147,     ;  =  168; 

le  total  de  ces  trois  nombres  est  420,  ce  qui  four- 
nit une  vérification  des  calculs. 

Reuarole.  —  Si  l'on  multiplie  ou  si  l'on  divise 
par  un  même  nombre  les  nombres  auxquels  les 
parties  doivent  être  proportionnelles,  les  nouveaux 
nombres  auront  entre  eux  les  mêmes  rapports 
mutuels  que  les  nombres  primitifs  (V.  Rapports), 
et  par  conséquent,  pourront  leur  être  substitués. 
A  l'aide  de  cette  remarque,  on  pourra  souvent 
simplifier  l'application  de  la  règle  précédente. 

1"  Exemple.  —  Partager  le  nombre  324  en  par- 
ties proportionnelles  aux  nombres  140,  280,  350 
et  490.  —  Les  quatre  nombres  140,  280,  350  et 
490  admettent  70  pour  diviseur  commun  ;  en  les 
divisant  tous  par  70,  on  obtient  les  nombres  plus 
simples,  2,  4,  5  et  7,  et  on  est  ramené  à  partager 


159 

528 
159 


X  45  =  149,4340 
X  50  =  166,0377 


à  0,0001  près. 


^7  X24=    79,6981 


Total 528,0000 

II.  Applications.  —  Répartition  de  l'impôt  fon- 
cier. —  L'impôt  foncier  est  celui  qui  pèse  sur  les 
immeubles  de  toute  nature.  La  loi  de  finances 
fixe  chaque  année  le  montant  total  de  cet  impôt, 
et  il  faut  ensuite  le  répartir  entre  toutes  les  pro- 
priétés proportionnellement  à  leur  revenu.  Les 
revenus,  évalués  dans  chaque  localité  par  des  com- 
missaires désignés  à  cet  effet  et  assistés  d'agents 
des  contributions  directes,  sont  inscrits  dans  des 
registres  spéciaux  que  l'on  conserve  dans  chaque 
commune  et  dont  un  double  est  déposé  au  chef- 
lieu  du  département.  On  totalise  tous  ces  revenus, 
d'abord  par  commune,  puis  par  arrondissement 
et  par  département,  et  enfin  pour  toute  la  France. 
H  faut  alors,  d'après  la  règle  générale  des  par- 
tages proportionnels,"  diviser  le  montant  de  l'im- 
pôt par  le  iota'  des  revenus,  et  multiplier  ce  quo- 
tient, qu'on  appelle  le  centime  le  franc,  par  le 
revenu  de  chaque  parcelle,  pour  connaître  la  part 
d'impôt  qu'tlle  doit  supporter.  Le  centime  le  franc 
étant  calculé  une  fois  pour  toutes  avec  un  grand 
nombre  de  décimales,  on  dresse  des  tables  conte- 
nant les  produits  de  ce  nombre  constant  par  les 
9  premiers  nombres,  ou  même  par  les  99  premiers 
nombres,  et  c  est  i  l'aide  de  ces  tables  que  l'on 
calcule  les  produits  du  centime  le  franc  par  les 
revenus  de  toutes  les  parcelles.  En  réalité,  on 
fractionne  cette  gigantesque  répartition  :  on  rc- 


societp:  (règle  de) 


—  2045  — 


SOCIÉTÉ  (RÈGLE  DE) 


partit  (l'abord  l'impôt  entre  les  départements  prn- 
I  portionnellomont  à  leurs  revenus  ;  puis,  dans  clia- 
i|iin  département,  on  répartit  l'impôt  total  qu'il 
doit  payer  entre  les  divers  arrondissements  ;  la 
liart  de  chaque  arrondissement  est  répartie  de 
même  entre  toutes  les  communes  qu'il  contient, 
et  enfin  dans  chaque  commune,  la  répartition  se 
fait  entre  toutes  les  parcelles  du  sol  et  toutes  les 
maisons. 

Uépnriition  de  l'impôt  mobilier.  —  L'impôt  mo- 
bilier ou  impôt  sur  les  logements  se  répartit  ordi- 
nairement de  même  entre  tous  les  habitants  d'une 
commune  proportionnellement  à  la  valeur  locative 
des  lieux  (|u'ils  habitent;  seulement  le  centime  le 
franc  varie  d'une  commune  à,  une  autre.  Toute- 
fois, dans  un  certain  nombre  de  villes,  les  loyers 
inférieurs  à  un  chiffre  déterminé  sont  exempts  de 
l'impôt;  et  à  Paris,  les  loyers  sont  classés  suivant 
leur  importance  en  plusieurs  catégories,  et  le 
centime  le  franc  n'est  pas  le  même  pour  toutes  les 
catégories.  Les  avertissements  adressés  aux  con- 
tribuables au  commencement  de  l'année  donnent 
d'ailleurs  tous  les  renseignements  nécessaires 
pour  permettre  h  chacun  d'eux  de  calculer  la 
quote-part  d'impôt  qu'il  doit  payer. 

IIL  RÈGLE  DE  SOCIÉTÉ.  —  Lorsque  plusieurs  per- 
sonnes s'associent  pour  une  entreprise,  la  répar- 
tition du  bénéfice  ou  de  la  perte  entre  tous  les 
associés  est  encore  un  partage  proportionnel, 
comme  nous  allons  le  voir.  Il  y  a  dans  ces  sortes 
de  questions  deux  éléments  à  considérer  pour 
chaque  associé,  sa  mise  de  fonds  et  le  temps  pen- 
dant lequel  elle  est  restée  placée  dans  la  société. 
Si  toutes  les  mises  ont  été  placées  pendant  le 
même  ffm/is,  ou  si  les  mises,  toutes  égales,  ont 
été  placées  pendant  des  temps  différents,  on  a 
une  règle  de  société  simple;  si  les  mises  sont 
différentes  ainsi  que  les  temps,  la  règle  de  so- 
ciété est  composée. 

Dans  le  cas  de  la  règle  de  société  simple,  il 
paraît  équitable,  et  l'on  convient  ordinairement 
de  partager  le  bénéfice  ou  la  perte  proportion- 
nellement aux  mises  des  associés,  si  elles  ont 
été  placées  pendant  le  même  temps  ;  ou  dans 
le  cas  où  les  mises  sont  égales,  proportionnelle- 
ment aux  temps  pendant  lesquels  elles  sont 
restées  dans  l'association.  On  aura  donc  alors  un 
simple  partage  proportionnel  à  opérer. 

Exemple  :  Quatre  personnes  se  sont  associées 
pour  une  entreprise;  la  première  a  apporté 
UOOO  fr.  ;  la  seconde,  'iOdOUfr.  ;  la  troisième, 
250ii0  fr.  ;  et  la  quatrième,  18(100  fr.  Cette  entre- 
prise donne  un  bénéfice  total  de  19G32',7d  qu'on 
propose  de  répartir  entre  les  quatre  associés. 

Il  faut  partager  1963^',75  en  parties  proportion- 
nelles aux  nombres  U  000,  20  0U0,  25  000  et  18  000, 
ou  bien  aux  nombres  1000  fois  plus  petits,  14,  2o, 
15  et  18.  La  somme  de  ces  nombres  étant  17,  les 
quatre  parts  seront  : 


196.3-2',75 


19632'.75 

77 
19G32',75 

77 

19l!3-J',75 

77 


X  14  =  3509',  59 
X20  =  5099',42 


X25  =  6374','.;7 
X18  =  4589',47 


!x  O'.Ol  près 


Total 19fi32f,75 

Pour  calculer  ces   parts  à  0',0I  près,   il    faut 

d'abord    calculer   le   quotient  — '  ''''    avec  une 

approximation  décimale  telle,  qu'en  le  multipliant 
ensuite  par  les  nombres  14,  20,  25  et  18,  l'erreur 


de  chacun  de  ces  produits  soit  moindre  que  0,01  ; 
or,  le  plus  grand  des  multiplicateurs  est  moin- 
dre que  liiO  ;  donc  si  l'on  calcule  le  quotient  à 
0.0001  près, l'erreur  de  chaqueproduilacra  moindre 
que  0,0001  X  100  =  0,01.  C'est  ce  qui  a  été  fait  ici  : 
le  qiiotient  à  0,0001  près  est  254,9708  ;  on  a 
multiplié  ce  nombre  successivement  par  les  nom- 
bres 14,  20,  25  et  18;  puis  on  a  supprimé  les 
deux  dernières  décimales  de  tous  ces  produits 
en  forçant,  quand  il  y  avait  lieu,  la  dernière  dé- 
cimale conservée. 

Prenons  maijitenant  une  règle  de  société  com- 
posée. Nous  admettrons  alors  que"  les  parts  doi- 
vent être  proportionnelles  ."l  la  fois  aux  mises  et 
aux  temps  pendant  lesquels  elles  sont  restées 
placées  dans  l'association.  Il  est  aisé  de  conclure 
de  cette  convention  que  tes  parts  doivent  e'tre  pro- 
portionnelles aux  produits  qu'on  obtient  en  multi- 
pliant chaque  mise  par  le  t'-mps  pendunt  lequel 
elle  est  restée  ilans  V association.  Eu  effet,  consi- 
dérons un  associé,  dont  la  mise  est  de  40  000  fr., 
qui  l'a  laissée  pendant  cinq  ans  dans  la  société;  et 
imaginons  qu'un  autre  associé  ait  placé  une  mise 
cinq  fois  plus  forte,  c'est-à-dire  4n  000' X  5,  pen- 
dant un  temps  cinq  fois  plus  petit,  c'est-à-dire 
pendant  un  an  ;  ces  deux  associes  auraient  évi- 
demment des  parts  égales.  On  peut  donc  rempla- 
cer l'associé  qui  a  mis  40000  fr.  pendant  cinq  ans, 
par  un  associé  fictif  qui  aurait  place  40  000' X  5 
pendant  un  an  ;  et  il  en  sera  di^  même  de  tous 
les  autres.  On  ramène  ainsi  la  durée  du  place- 
ment à  être  la  même  pour  tous  les  associés^ 
chacune  des  mises  primitives  étant  remplacée  par 
le  produit  de  cette  mise  par  le  temps  ;  par  suite, 
les  parts  des  associés  sont  proportionnelles  aux 
produits  des  mises  parles  temps. 

On  peut  encore  arriver  à  ce  résultat  d'une  autre 
manière.  Considérons  deux  associés  : 

Le   l"  ayant  placé  5  000  fr.  pendant   15   mois, 

Le  2»  —  7  000  fr.       —         21      —  ; 

et  soient  x  et  .;/  les  parts  qu'ils  doivent  recevoir 
à  la  répartition.  Pour  comparer  ces  deux  parts, 
j'imagine  un  troisiè(no  associé  ayant  même  mise 
que  le  premier  et  l'ayant  placée  pendant  le  même 
temps  que  le  second,  j'appelle  s  la  part  qui  revien- 
drait à  cet  associé  fictif.  D'après  la  convention  faite 
au  début,  le  premier  et  le  troisième  associé,  dont 
les  mises  sont  égales,  ont  des  parts  proportion- 
nelles aux  durées  des  placements  ;  on  a  donc  : 

X  _  15 
ï"~2T' 

d'autre  part,  le  troisième  et  le  deuxième  associé, 
dont  les  mises  difl'érentes  ont  été  placées  pen- 
dant le  même  temps,  doivent  avoir  des  parts  pro- 
portionnelles à  leurs  mises;  donc: 

z  __  5000 
y  ~  7000* 

Multiplions  ces  deux  proportions  membre  à 
membre,  -  disparait,  et  il  vient: 

X       5000x15. 
^~  7000X21' 

C.    Q.   F.  D. 

Exemple.  —  Trois  associés  ont  rais  dans  une 
entreprise  : 

Le  premier,  5  000  fr.  pendant  2  ans  ; 

Le  second,  3  400  fr.  pendant  un  an  7  mois  ; 

Le  troisième,  4000  fr.  pendant  3  ans  2  mois; 
le  bénéfice  net  est  de  1  552  fr.  ;  combien  revient-il 
à  chaque  associé  ? 

Je  réduis  d'abord  en  mois  toutes  les  durées  de 
placement,  ce  qui  donne  2i  mois,  19  mois  et 
3S  mois  ;  puis  je  multiplie  chaque  mise  par  le  temps 
correspondant  : 


SOL  —  2046 

5000x24  =  120000, 
3400X19=  04600, 
4U00X  38  =152000. 

Il  faut  partager  1  552  fr.  en  parties  proportion- 
nelles aux  nombres  120000,  04600  et  I52ll(i0, 
ou  bien  aux  nombres  200  fois  plus  petits,  600, 
323  et  leo.  La  somme  de  ces  trois  nombres  est 
1C83  ;  donc  les  parts  sont  : 


SOL 


1552" 


X600  =  553',30 


-X323  =  29T,86  >  à  O'.Ol  près 


-  X"eO=700',81 


Total 1552',00 

Remarque.  —  Dans  les  grandes  sociétés  indus- 
trielles ou  commerciales,  comme  les  compagnies 
de  chemin  do  fer,  la  Banque  de  France,  le  Crédit 
foncier,  etc.,  le  capital  social  est  divisé  en  nrtions 
d'égale  valeur,  qui  se  vendent  à  la  Bourse.  Cha- 
que année,  après  l'inventaire,  les  bénéfices  sont 
partagés  également  entre  toutes  les  actions.  La 
somme  attribuée  à  chaque  action  s'appelle  le  di- 
vidende, et  s'obtient  simplement  en  divisant  le 
montant  du  bénéfice  par  le  nombre  des  actions; 
on  n'a  plus  alors  besoin  de  faire  une  règle  de 
société  pour  répartir  le  bénéfice  entre  les  action- 
naires. [H.  Bos.J 

SODIUM.  —  V.  Soude. 

SOIK.  —  V.  Ver  à  soie  et  Tissage. 

SOL  (Agriculture).  —  V.  Terres  arables. 

SOL  —  Hygiène,  VI.  —  Au-dessous  de  la  cou- 
che à'/iumus  constituée  par  un  détritus  de  matiè- 
res organiques  et  minérales,  on  rencontre  les 
éléments  minéralogiques  du  sol  provenant  de  la 
décomposition  des  roches.  Quelques  sols  se  sont 
formés  aux  dépens  des  roches  ignées  :  gra- 
nité, micaschites,  syénite,  etc.  ;  d'autres  aux  dé- 
pens des  terrains  ou  couches  de  sédiment.  Les 
roches  primitives,  décomposées  par  l'eau,  l'air  et 
les  autres  agents  naturels,  fournissent  des  galets, 
du  sable,  de  l'argile.  Les  masses  calcaires  se 
désagrègent  facilement  et  se  dissolvent  dans  les 
eaux  chargées  d'acide  carbonique.  Sur  les  débris 
en  partie  pulvérisés  des  roches,  entraînés  et  ni- 
velés par  les  cours  d'eau,  se  développent  d'abord 
quelques  plantes  qui  empruntent  plus  de  maté- 
riaux à  l'atmosphère  qu'au  sol  :  plus  tard,  leurs 
débris  forment  une  petite  quantité  d'humus  qui 
permet  la  croissance  de  végétaux  plus  variés. 

On  comprend  aisément  que  la  configuration 
du  sol  par  rapport  aux  grandes  masses  d'eau  et  à 
l'atmosphère  influe  sur  quelques-unes  de  ses  pro- 
priétés ou  modifie  ses  influencps.  Ainsi  les  rives 
d'un  fleuve  profondément  encaissé  se  trouvent 
dans  des  conditions  bien  différentes  de  celles  qui 
sont  sujettes  à  des  inondations  périodiques.  La 
forme  plus  ou  moins  découpée  des  continents 
modifie  leurs  conditions  climatériques.  Ainsi  l'I- 
talie, la  Grèce,  jouissent,  sur  de  vastes  étendues, 
d'un  climat  marin,  tandis  que  le  climat  continen- 
tal domine  en  Afrique,  dans  le  nord  de  l'Asie  et 
le  nord-est  de  l'Europe. 

De  même  les  ondulations  de  la  surface  du 
globe  dans  le  sens  vertical,  formant  des  monta- 
gnes, des  plateaux,  des  cordillères,  ont  une  in- 
fluence prépondérante  sur  la  température,  l'Im- 
midité,  les  pluies,  les  vents  et  les  orages. 

De  la  composition  du  sol  dépendent  plusieurs 
propriétés  qu'il  importe  de  connaître.  L'argile  et 
surtout  l'humus  absorbent  une  grande  quantité 
d'eau  qui  ne  s'évapore  que  très  lentement  à  la 
surface  et  ne  s'écoule  pas  dans  les  couches  pro- 
fondes si  elles  sont  perméables  :  celles-ci  n'ab- 


sorbent que  la  partie  des  pluies  qui  se  trouve  en 
surcroît  après  la  saturation  de  l'argile  et  de 
l'humus.  Notons,  d'ailleurs,  que  la  présence  dans 
le  sol  de  matières  déliquescentes  contribue  à 
maintenir  leur  fraîcheur. 

Dans  tous  les  pays  on  a  constaté  la  coïnci- 
dence des  maladies  paludéennes  avec  la  présence 
de  l'argile  ou  d'épaisses  couches  d'humus.  La 
Brennc,  la  plaine  du  Forez,  la  Bresse,  la  Solo- 
gne, ont  un  sol  argileux  :  on  sait  combien  y  sont 
communes  les  fièvres  intermittentes  et  les  autres 
affections  paludéennes.  Dans  le  département  de 
la  Charente-Inférieure,  les  fièvres  intermittentes 
cessent  partout  où  le  calcaire  remplace  l'argile  à 
la  surface  du  sol.  La  fièvre  jaune  et  le  choléra 
éclatent  rarement  dans  des  pays  sablonneux, 
tandis  qu'on  les  trouve  presque  en  permanence 
dans  certaines  régions  chaudes  caractérisées  par 
des  terres  limoneuses. 

L'état  de  la  surface  du  sol,  indépendamment 
de  sa  nature,  modifie  puissamment  ses  propriétés 
hygiéniques.  Il  convient  d'examiner,  à  cet  égard, 
l'état  de  nudité,  la  végétation  spontanée,  la  cul- 
ture, la  présence  ou  l'absence  des  forêts. 

Les  surfaces  dépourvues  de  végétation  sont,  en 
outre  des  régions  couvertes  de  glace,  des  déserts 
de  sable,  de  roches  ou  de  terrains  salés.  L'homme 
n'y  séjourne  pas,  faute  de  ressources,  et  leur 
traversée  ne  s'opère  jamais  sans  qu'il  s'y  trouve 
soumis  à  de  pénibles  épreuves  par  le  manque 
d'eau,  la  chaleur  du  jour  et  la  fraîcheur  de  la 
nuit,  la  réverbération  du  soleil  sur  les  roches 
calcaires,  l'action  suffocante  d'une  poussière  im- 
palpable. 

En  dehors  des  régions  polaires  et  des  cimes  gla- 
cées, la  terre  se  couvre  d'une  végétation  spontanée 
partout  où  la  roche  est  recouverte  d'une  mince 
couche  de  sol,  pourvu  que  la  rosée,  la  pluie  ou 
l'absorption  capillaire  fournissent  une  humidité 
suffisante.  Là  où  le  sol  est  couvert  d'une  végéta- 
tion moyenne,  l'homme  peut  d'ordinaire  vivre 
dans  des  conditions  normales,  h  moins  que  le  sol 
argileux,  limoneux  ou  trop  riche  en  humus  ne  re- 
cèle dans  son  humidité  des  germes  de  maladie. 
C'est  surtout  dans  les  pays  chauds,  remarquables 
par  une  végétation  luxuriante,  que  le  sol,  si  favo- 
rable au  développement  des  plantes,  se  montre 
inhospitalier  pour  l'homme. 

Grâce  à  sa  remarquable  faculté  d'acclimatement 
séculaire,  l'homme  conquiert  lentement,  par  la 
culture,  les  terres  marécageuses,  celles  qui  offrent 
le  plus  de  dangers.  Cependant  les  premiers  occu- 
pants succombent  presque  tous  à  la  tâche. 

Beaucoup  de  régions  aujourd'hui  stériles  of- 
fraient jadis  de  riches  cultures.  L'homme  en  a 
modifié  le  climat  par  des  déboisements  inconsi- 
dérés. La  destruction  des  forêts  a  eu  pour  consé- 
quence la  diminution  des  pluies.  De  plus,  l'eau 
s'écoulant  rapidement  sur  les  pentes  dénudées, 
les  cours  d'eau  ont  pris  un  régime  torrentiel  et 
demeurent  à  sec  pendant  une  partie  de  l'année. 
Les  déboisements  ont  encore  pour  conséquence 
d'imprimer  aux  saisons  de  fréquentes  irrégula- 
rités, et  d'agrandir  l'échelle  des  variations  ther- 
mométriques. 

Ces  données  générales  suffisent  pour  faire  com- 
prendre combien  il  importe,  dans  cliaque  localité, 
d'étudier  le  sol  pour  y  découvrir  les  causes  de 
maladie  qu'il  peut  receler  et  les  combattre  par 
les  moyens  que  fournit  la  science  moderne. 
L'hygiéniste  aura  soin  de  constater  si  le  sol  est 
argileux,  calcaire,  sili  eux  ou  sablonneux;  si  les 
productions  qu'on  en  retire  sont  susceptibles  de 
fournir  une  alimentation  suffisante  comme  quan- 
tité et  comme  qualité,  pour  les  hommes  et  pour 
les  animaux;  si  l'on  récolte  un  excédent  suffisant 
pour  donner  lieu  à  des  échanges,  source  du  bien- 
être;  si  les  cultures  ne  sont  pas  de  nature  à  corn- 


SOLANEES 


2047 


SOLANEES 


promettre  lasant<5  des  habitants,  par  elles-mêmes, 
ou  par  les  maiii|)Ulalioii3  auxquelles  elles  donnent 
lieu.  Ainsi  les  rizières,  inondées  par  des  irriga- 
tions, deviennent  des  foyers  de  maladies  palu- 
déennes; le  rouissage  du  lin  et  du  chanvre  cor- 
rompt les  marcs  et  les  cours  d'eau. 

Les  terres  peu  étendues,  environnées  ou  entre- 
coupées de  niasses  d'eau  en  évaporation,  offrent 
nécessairement  une  humidité  excessive  que  l'on 
ne  peut  combattre  qu'en  comblant  les  parties 
basses.  Dans  chaque  localité,  on  doit  disposer 
un  système  d'écoulement  des  eaux  et  d'irriga- 
tions proportionnel  à  la  qnaniité  moyenne  des 
pluies.  Pour  peu  qu'un  terrain  humide  soit  en 
pente,  il  est  facile  de  l'assainir  par  le  drainage. 

Sur  les  hautes  montagnes,  l'homme  souffre  des 
effets  de  la  diminution  de  pression  atmosphérique 
et  de  l'abaissement  de  la  température.  De  plus  il 
se  trouve  exposé  à  des  vents  fréquents  et  violents. 
Ces  causes  réunies  contribuent  à  développer 
l'asthme  et  les  maladies  du  cœur.  A  des  élévations 
moyennes,  ces  causes  de  maladie  disparaissent 
presque  complètement.  Les  vallées  étroites  et 
profondes  sont  presque  toujours  insalubres  parce 
que  le  soleil  n'y  a  pas  suffisamment  accès  et  que 
l'air  humide,  chargé  do  miasmes,  ne  se  renouvelle 
pas  régulièrement. 

Quant  aux  terres  bassps,  humides,  sillonnées 
par  des  cours  d'eau  mal  encaissés,  elles  sont 
aussi  dangereuses  que  les  marais  proprement  dits. 
Quelquefois  d'ailleurs,  une  couche  imperméable 
d'argile  se  trouve  couverte  d'une  couche  de  sable 
sec  à  la  surface,  mais  constamment  humide  à  la 
partie  inférieure.  Ce  terrain  d'apparence  trom- 
peuse peut  causer  des  fièvres  intermittentes 
comme  un  marécage  ou  une  alluvion  fluviale. 

L'étude  du  sol,  au  point  do  vue  hygiénique,  est 
intimement  liée  à  celle  du  climat  local  dont  le  sol 
est  un  facteur  important  à  tous  les  points  de  vue 
que  nous  avons  rapidement  énumérés. 

[D'  Saffray.] 

SOLANEES.  —  Botanique,  XX.  —  Etym.  :  De 
Solammi,  nom  latin  du  genre  Morelle,  auquel  ap- 
partient la  pomme  de  terre  (Solanum  tuberosum). 

Définition.  —  Les  Solanées  sont  des  plantes  ga- 
mopétales, hypogynes,  dont  le  nombre  des  étami- 
nes  est  égal  à  celui  des  pièces  de  la  corolle.  Leurs 
graines  nombreuses,  anatropes,  uni-tégumentées, 
sont  insérées  sur  une  sorte  de  placenta  central 
bilobé;  leur  ovaire  est  biloculaire. 

Caractères  botaniques.  —  Les  graines  des  so- 
lanées sont  petites,  réniformes.'à  surface  chagri- 
née. Leur  tégument  séminal  recouvre  un  embryon 
courbé,  presque  complètement  enveloppé  dans  un 
albumen  charnu,  huileux  ou  corné.  Lorsque  la 
courbure  de  l'embryon  est  faible,  on  dit  que  les 
graines  sont  rericml/ryées,  tandis  qu'on  appelle 
curvmhryées  les  solanées  dont  l'embryon  est 
fortement  courbé.  C'est  sur  ce  caractère  de  cour- 
bure plus  ou  moins  prononcée  de  l'embryon  qu'a 
été  fondée  la  division  des  solanées  en  deux  grou- 
pes :  les  solanées  rectembryées  et  les  solanées 
curvembryées. 

Les  racines  des  solanées  sont  fasciculées,  plus 
rarement  pivotantes. 

Les  tiges  des  solanées  sont  herbacées  dans  les 
pays  tempérés  {Nieotiana  taba'-um.Tabac  :  Pliysalis 
Àlkekengi,  coqueret  alkékenge;  Solanum  tubero- 
sum,  pomme  de  terre  ;  liatura  S/ramonium, 
pomme  épineuse  ou  stramoine).  Cette  tige  devient 
ligneuse  dans  les  pays  chauds  (So/ondra).  Excep- 
tionnellement, la  tige  des  solanées  des  pays  tem- 
pérés peut  devenir  arborescente  (I.i/cium  bnrUa- 
rvm,  Solanum  dulcamura  ou  douce  amère).  Chez 
les  Soliinum,  certaines  tiges  souterraines  sont 
transformées  en  réservoirs  de  matières  nutritives 
pour  la  plante  ;  ces  sortes  de  tiges  forment  ce 
que  l'on  appelle  des  tubercules;  c'est  là  l'origine 


des  tubercules  de  la  pomme  de  terre.  On  recon- 
naît \  première  vue  que  ces  tubenules  ne  sont 
que  des  tiges  transformées,  parce  que  leur  surface 
est  couverte  de  bourgeons  axillaires,  disposés  en 
une  spirale,  comme  les  appendices  à  l'aisselle 
desquels  ils  sont  nés. 

Les  /éiiilles  des  solanées  sont  alternes,  simples, 
plus  rarement  dentées,  pinnatilobées  ou  pennées. 
Dans  plusieurs  espèces  on  remarque  une  notable 
différence  entre  la  forme  des  feuilles  inférieures 
de  la  tige  et  la  forme  des  feuilles  supérieures  de 
cette  même  tige.  Cette  variation  dans  la  forme 
des  feuilles  d'une  même  plante  est  ce  que  l'on  ap- 
pelle la  polymorphose  des  feuilles.  Ainsi  chez  la 
jusquiame  (flyoscianiufi  nigi-r),  les  feuilles  infé- 
rieures de  la  tige  r.ont  pétiolées,  tandis  que  les 
feuilles  supérieures  sont  sessiles.  Dans  la  douce- 
amère,  où  toutes  les  feuilles  sont  pétiolées,  les 
feuilles  supérieures  sont  trilobées. 

Les  fleurs  des  solanées  sont  hermaphrodites; 
elles  sont  groupées  en  inflorescences  qui  sont  or- 
dinairement des  cymes  ou  dos  corymbes;  plus  ra- 
rement, elles  sont  solitaires  ou  géminées.  Les 
inflorescences  (corymbes)  de  la  douce-amère  sont 
opposées  aux  feuilles  au  lieu  de  se  trouver  à  l'ais- 
selle de  celles-ci.  Toutefois  cette  anomalie  n'est 
qu'apparente.  En  réalité,  chaque  inflorescence  est 
la  terminaison  d'une  branche,  de  telle  sorte  que 
la  plante  eût  cessé  de  s'accroître  dans  cette  direc- 
tion, si,  à  l'aisselle  de  la  dernière  feuille  de  cette 
branche  (feuille  qui,  dans  la  nature,  paraît  oppo- 
sée au  corymbe),  il  ne  fût  né  un  bourgeon  axil- 
laire.  Ce  bourgeon  prend  un  développement  égal 
à  celui  de  la  tige  qui  le  porte  et  peu  à  peu  semble 
prolonger  cette  tige  en  rejetant  de  côté  l'inflores- 
cence qui  en  est  la  véritable  terminaison. 

Les  fleurs  des  solanées  sont  régulières  ;  elles 
présentent,  de  l'extérieur  à  l'intérieur: 

1°  Un  calice  gamosépale,  ordinairement  à  cinq 
divisions;  ce  calice  persiste  après  la  floraisnn  ; 
dans  quelques  cas  môme,  il  est  accrescent,  c'est- 
à-dire  qu'il  prend,  après  la  floraison,  un  grand 
développement  et  sert  d'enveloppe  protectrice  au 
fruit  (coqueret)  ; 

2°  Une  corolle  gamopétale  à  cinq  divisions  ; 

.3°  Un  androcôe  composé  de  cinq  étamines  insé- 
rées sur  la  corolle  et  alternant  avec  les  lobes  de 
celle-ci  ;  le  nombre  des  étamines  est,  comme  on 
le  voit,  égal  à  celui  des  lobes  de  la  corolle;  c'est 
pour  cette  raison  que  les  fleurs  des  solanées 
sont  dites  isostétnonées;  les  anthèies  sont  intror- 
ses,  libres  ou  rapprochées  côte  à  côie  de  manière 
à  être  légèrement  cohérentes  et  à  former  un  tube 
que  traverse  le  style;  elles  ont  deux  loges  qui 
s'ouvrent  soit  par  une  fente  longitudinale  (jus- 
quiame,  tomate),  soit  par  un  pore  apical  (douce- 
amère,  pomme  de  terre); 

4°  Au  centre  de  la  fleur  est  lo  gynécée,  composé 
do  deux  carpelles  soudés  de  manière  à  former 
un  ovaire  à  deux  loges  surmonté  d'un  seul  style 
terminé  par  un  stigmate  simple  ou  bifide.  L'ovaire 
est  supère,  c'est-à-dire  inséré  au-dessus  des  ver- 
ticilles  externes  de  la  fleur  ;  ceux-ci  sont  dits 
hypogynes.  11  est  biloculaire.  Chaque  loge  de  l'o- 
vaire contient  de  nombreux  ovules  campylotropes 
unitégumentés.  Chez  quelques  genres  (Datura, 
Sola?ulra^,  l'ovaire  arrivé  à  maturité  semble  divisé 
en  quatre  loges,  par  suite  de  la  production  de 
deux  fausses  cloisons  qui  subdivisent  en  deux 
chacune  des  loges  primitives. 

Le  fruit  des  solanées  est  tantôt  sec  et  capsu- 
laii  e,  comme  dans  le  tabac,  et  d'autres  fois  charnu 
et  bacciforme,  comme  dans  les  pommes  de  terre, 
où  il  forme  ce  qu'on  appelle  vulgair.ment  les 
surleaux,  qui  dans  certains  pays  sont  donnés  en 
nourriture  aux  porcs,  dont  ils  favorisent  beaucoup 
l'engraissement.  A  la  maturité  les  fruits  capsu- 
laires  s'ouvrent  soit  par  des  valves  (tabac,  Datura), 


SOLANEES 


—  2048 


SOLANEES 


soit  par  des  opercules,  soit  plus  rarement  en  ma- 
nière de  pyxide. 
Usages  des  solanées.  —  I .  Plantes  comestibles. 

Parmi   les  solanées   les   plus  connues  comme 

plantes  comestibles,  nous  citerons  : 

l»  La  priiine  de  tene  {Solcmiim  tuherosum), 
cuUivée  pour  ses  tubercules  amylacés.  La  pomme 
de  terre  est  originaire  d'Amérique;  elle  fut  in- 
troduite en  Angleterre  en  l.îSti,  mais  elle  y  de- 
meura sans  usage,  parce  qu'on  crut  alors  que 
l'usage  de  son  tubercule  comme  aliment  pouvait 
provoquer  la  lèpre.  Dans  le  cours  du  .wiii"  siècle 
on  l'utilisa  cependant  pour  la  nourriluie  dfs  ani- 
maux. Parmenlier  eut  le  grand  mérite  d'intro- 
duire la  pomme  de  terre  en  France  et  de  savoir 
la  faire  accepter,  comme  un  aliment  très  sain, 
par  tout  le  monde,  pauvre  ou  riche.  Aujourd'hui 
la  pomme  de  terre  est  cultivée  sur  une  grande 
échelle  dans  l'Amérique  du  Nord  et  dans  toute 
l'Europe.  Les  tubercules  de  pomme  de  terre  ser- 
vent à  l'alimentation,  à  la  préparation  de  la  fé- 
cule, et  même  à  la  fabrication  de  l'alcool.  Toute- 
fois l'alcool  de  pomme  de  terre  a  le  grand 
inconvénient  de  contenir  une  proportion  très  no- 
table d'alcool  amylique;  or,  cet  alcool  amylique 
est  un  poison  violent,  qui  agit  à  la  longue  sur  le 
système  nerveux  et  trouble  les  facultés  intellec- 
tuelles en  provoquant  le  genre  de  maladie  men- 
tale que  l'on  désigne  sous  le  nom  de  d^lirium 
tremens.  Les  cas  nombreux  d'alcoolisme  signalés 
dans  les  asiles  d'aliénés  sont  dus  surtout  aux  cou- 
pages des  eaux  do-vie-dans  les  entrepôts,  où  il 
est  d'habitude  de  mêler  l'alcool  du  vin  avec  les 
alcools  de  betteraves,  de  grains  et  de  pommes  de 
terre.  Pour  extraire  la  fécule  des  pommes  de 
terre,  on  réduit  ces  tubercules  en  pulpe;  cette 
pulpe  est  traitée  par  l'eau  bouillante  ;  le  tout  est 
jeté  sur  un  tarais,  qui  laisse  passer  l'eau  et  la  fé- 
cule, et  qui  relient  le  reste  de  la  pulpe.  On  re- 
cueille suigneusement  les  eaux  de  lavage,  on  les 
laisse  reposer,  puis  on  décante.  Le  dépôt  est  lavé 
à  plusieurs  reprises  ;  on  le  sèche  ensuite  sur  des 
plaques  de  porcelaine  dégourdie  chauffées  par  un 
courant  de  vapeur  d'eau.  La  fécule  de  pomme  de 
terre  est  utilisée  pour  faire  des  potages  aux  jeu- 
nes enfants.  Elle  remplace  avec  avantage  la  poudre 
de  lycopode  dans  la  toilette" des  nouveau-nés.  La 
poudre  de  lycopode  du  commerce  est  presque 
toujours  falsifiée  par  des  produits  qui  s'altèrent 
rapidement  et  qui  en  rendent  l'usage  dangereux. 
Les  jeunes  tubercules  de  pomme  de  terre  con- 
tiennent, au  lieu  d'asparagine,  une  quantité 
souvent  très  notable  d'un  alcaloïde  particulier 
nommé  soUmine ;  les  propriétés  toxiques  de  cet 
alcaloïde  sont  suffisamment  énergiques  pour 
provoquer  des  accidents,  et  c'est  ainsi  que  l'on  a 
signalé,  dans  ces  derniers  temps,  plusieurs  cas 
d'empoisonnement  par  la  solanine,  à  la  suite  d'in- 
gestion de  très  jeunes  tubercules  de  pomme  de 
terre. 

Vers  18i5  apparut  pour  la  première  fois  sur  le 
continent  européen  la  maladie  connue  sous  le  nom 
de  maladie  des  pommes  de  terre.  Cette  maladie 
est  provoquée  par  un  champignon  parasite  de  la 
famille  des  Péronosporés,  que  l'on  a  nommé  le 
Peronospora  in/'extans.  En  quelques  années  le  dé- 
veloppement du  Peronospora  fut  tel  qu'il  menaça 
de  ruiner  la  culture  de  la  pomme  de  terre  et  qu'il 
provoqua  une  famine  terrible  dans  toute  la  Prusse 
orientale.  Si  l'on  examine  des  pommes  de  terre 
attaquées  par  le  Peronospora,  on  trouve  à  l'inté- 
rieur des  tissus  des  parties  aériennes  de  la  plante 
des  filaments  très  ténus  qui  perforent  la  surface 
des  éléments  cellulaires  et  émettent  dans  chaque 
cellule  une  sorte  de  suçoir.  La  parasite  absorbe 
par  ses  suçoirs  el  ne  tarde  pas  i  provoquer  l'é- 
puisement de  toutes  les  cellules  envahies.  Arrivé 
à  un  certain  étal  de  développement,  le  Peronospora 


émet  des  rameaux  nombreux  et  serrés  côte  à  côte, 
qui  provoquent  bientôt  la  déchirure  des  tissus 
superficiels  de  la  plante  nourrice.  Chacune  de  ces 
branches  s'allonge  en  un  tube  fructifère,  composé 
de  spores'  exogènes  placées  bout  à  bout.  Ces  spo- 
res exogènes  ou  conidies  peuvent  germer  immé- 
diatement ;  toutefois  cette  germination  demeure 
très  grêle  tant  que  le  parasite  ne  sent  pas  à  sa 
portée  la  plante  qui  doit  lui  servir  de  nourrice.  En 
revanche,  dès  qu'une  conidie  du  Peronospora  sent 
à  sa  portée  une  partie  des  tissus  de  sa  plante 
nourrice,  il  émet  des  prolongements  vigoureux. 
Cette  influence  h  distance  de  la  nourrice  sur  le 
parasite  a  conduit  certains  auteurs  à  admettre  que 
chaque  plante  vivante  laisse  exsuder  à  travers  ses 
membranes  certaines  substances  excrétées  très 
dilTusibles,  grâce  auxquelles  la  plante  parasite  peut 
facilement  reconnaître  la  présence  de  sa  nourrice 
dans  son  voisinage  immédiat.  Semé'S  sur  la  terre 
humide,  les  conidies  de  Peronospora  laissent 
échapper  un  grand  nombre  de  corps  agilos,  réni- 
formes,  biciliés  ;  l'un  de  ces  cils  est  antérieur 
pendant  la  marche  et  sert  de  gouvernail.  Ces  corps 
agiles  ou  zoospores  ne  tardent  pas  à  se  fixer  en  un 
point  de  la  surface  des  feuilles  des  pommes  de 
terre;  ils  rentrent  leurs  cils  dans  leur  masse  et 
s'entourent  d'une  membrane  de  cellulose.  Ce  tra- 
vail est  à  peine  achevé  que  le  corps  dissémina- 
teur  du  Peronospora  entre  en  gerinination.  A  cet 
efl'et  il  émet  un  tube  qui  perfore  la  membrane 
épidermique  des  feuilles  de  pommes  de  terre  et 
qui  se  ramifie  abondamiuent  dans  le  tissu  sous- 
jacent.  Toute  la  partie  du  Peron  spora  qui  de- 
meure extérieure  à  la  plante  nourrice  ne  tarde 
pas  à  périr.  Vers  la  fin  de  la  saison,  une  partie 
des  filaments  du  Peronospora  se  réfugie  dans  les 
tubercules,  et  ceux-ci  servent  involontairement  i 
la  dispersion  du  mal  dans  le  cours  de  l'année 
suivante.  Si  la  plante  nourrice  est  déjà  trop  affai- 
blie pour  donner  des  tubercules,  on  voit  fré- 
quemment les  filaments  Aa  l'eronospora  ùifestani 
se  renfler  h  leur  extrémité  et  donner  naissance  h 
de  très  gros  œufs.  Ceux-ci  sont  transformés  en 
embryons  par  l'action  du  contenu  protoplasmique 
de  petites  cellules  glandulaires  nommées  anthé- 
ridies.  Sitôt  après  leur  formation,  les  embryons  de 
Peronospora  s'entourent  d'une  coque  de  cellulose 
toute  couverte  de  grosses  verrues  arrondies.  Ces 
embryons  ainsi  enkystés  peuvent  séjourner  tout 
l'hiver  sur  la  terre  humide  ou  gelée,  sans  éprou- 
ver aucune  altération.  Au  retour  de  la  belle  sai- 
son, chacun  d'eux  change  de  peau  et  se  transforme 
en  un  grand  irômbre  de  zoospores  ou  cellules 
disséiuinatrices  agiles.  Après  les  premiers  rava- 
ges exercés  par  ie  Peronospora,  qui  avaient  com- 
promis sérieusement  la  culture  de  la  pomme  de 
terre  en  Europe,  il  s'est  établi  une  sorte  de  modus 
Vivendi  entre  le  parasite  et  sa  nourrice.  Chaque 
année,  une  certaine  quantité  de  pommes  de  terre  ' 
est  en  quelque  sorte  abandonnée  à  la  dévastation 
du  Peronospora,  et  cette  sorte  de  sacrifice  permet 
de  sauver'le  reste  de  la  récolte.  Les  années  hu- 
mides, étant  favorables  au  développement  du  Pe- 
ronospora,  soot  en  même  temps  celles  où  la  ré- 
colte de  pommes  de  terre  est  mauvaise  et  sont 
aussi  celles  où  la  plupart  des  tubercules  sont  at- 
teints par  le  parasite. 

Dans  ces  dernières  années,  les  cultures  de 
pommes  de  terre  de  l'Amérique  du  Nord  ont  pris 
une  extension  énorme.  Un  grand  nombre  de 
nouveaux  territoires ,  demeurés  jusqu'alors  en 
friche,  ont  été  mis  en  culture.  Il  en  est  ré- 
sulté une  dliTiinulion  correspondante  des  sola- 
nées indigènes,  dont  l'une,  le  Soli'ium  america- 
nuin,  a  presque  complètement  disparu.  Or  ce 
i^otanum  servait  de  nourriture  à  un  insecte  co- 
léoptère,  voisin  des  hanneions,  et  nommé  le 
Doryphora  decempunctuta.  Cet  insecte,  privé  de 


SOLANEES 


—  iUi'J 


SOLEIL 


sa    nourrituro  ordinaire,   a  d'abord    diminué  en  i  des   herbes  de  haute   taille,  originaires  d'Ame 
nombre  ;  h  un  certain  moment  mémo  il  était  de-    rique.  lilles  furent  apportées  de  l'Ile  de  Tabago 


venil' excessivement  rare.  C'est  alors  qu'il  se  jeta 
sur  la  pomme  de  terre.  11  s'acclimata  fort  bien  à 
ce  nouveau  régime.  Il  ne  tarda  pas  à  proliférer 
d'autant  plus  que  la  nourriture  était  plus  abon- 
dante. Il  se  multiplia  môme  tellement  qu'il  devint 
un  véritable  fléau  et  que  chaque  année  il  ravage 
coniplcHement  les  plantations  de  pommes  déterre 
de  rOliio,  de  l'Arkansas.  du  Wiscoiisin,  de  l'Ala- 
bania  et  de  l'État  de  New-York.  Chaque  année, 
le  Dufi/pliora  produit  de  dix  à  douze  générations. 
Les  jeunes  insectes,  se  nourrissant  exclusivement 
des  jeunes  fanes  de  pomme  de  terre,  privent  les 
plantes  de  leurs  parties  vertes,  et  celles-ci  ne 
tardent  pas  à  périr.  Les  larves  des  Dori/phora 
vivent  dans  le  sol  ;  leurs  métamorphoses  sont 
extrômement  rapides.  Jusqu'ici  la  présence  du 
Doryphoran'a  été  signalée  que  deuxfois  en  Europe. 
Grâce  à  d'énergiques  mesures  préventives,  il 
semble  qu'on  ait  détruit  le  mal  dès  son  appa- 
rition, mais  il  y  a  li  un  motif  très  sérieux  pour 
apporter  la  plus  grande  circonspection  dans  les 
importations  de  pommes  de  terre  étrangères.  (V. 
aussi  l'article  Pomme  de  terri;.) 

2°  V Aubergine,  —  L'aubergine  est  cultivée  dans 
les  jardins  du  midi  de  la  France  pour  ses  fruits 
charnus,  ovoïdes,  allongés,  comestibles.  On  les 
mange  confits  ou  farcis. 

3°  La  Tomate  (Sotunum  Lycnpersiciini).  La 
tomate  est  originaire  de  l'Amérique.  On  la  cul- 
tive dans  les  jardins  potagers  pour  ses  fruils 
charnus,  d'un  beau  rouge,  que  tout  le  monde 
connaît.  Le  fruit  de  la  tomate  sert  à  faire  des 
sauces  estimées,  et  très  souvent,  dans  le  midi  de 
la  France,  on  les  mange  farcis  ou  gratinés. 

4°  Le  Piment  des  jardins  [Cnpsicnm  annuum). 
—  On  cultive  cette  plante,  originaire  des  Indes, 
en  Afrique,  en  Amérique,  en  Espagne  et  dans  le 
midi  de  la  France.  On  cueille  ses  fruits  vers 
l'époque  de  leur  maturité  et  on  les  fait  confire 
dans  le  vinaigre.  Ils  remplacent  alors  les  corni- 
chons. Ce  sont  des  condiments  dont  les  peuples 
de  l'Europe  méridionale  font  nn  grand  usage. 
Les  piments  d'Europe  sont  infiniment  moins 
acres  que  ceux  de  l'Afrique  et  de  l'Amérique  tro- 
picales. 

IL  SoLANÉEs  MÉDICINALES.  —  Toutcs  les  Sola- 
nées,  à  l'exception  de  celles  que  nous  avons  citées 
comme  étant  comestibles,  sont  narcotiques  et  vé- 
néneuses au  plus  haut  point.  Cependant  quelques- 
unes  d'entre  elles  sont  usitées  comme  médica- 
ments. C'est  ainsi  que  dans  l'onguent  de  Popu- 
leum  entrent  les  feuilles  de  la  Jusquiame  noire 
et  celles  de  la  Belhuloue  officinale.  Les  feuil- 
les de  la  jusquiame  noire  et  colles  de  la  Mandra- 
gore entrent  dans  la  composition  du  Baume  tran- 
quille. Les  graines  de  la  jusquiame  noire  sont  un 
des  élémeius  constitutifs  des  pilules  de  Cyno- 
glosse.  Le  principe  actif  que  l'on  trouve  dans  la 
jusquiame  a  reçu  le  nom  A'Injosclainine  ;  celui  de 
la  belladone  a  reçu  le  nom  d'atro/nne.  L'un  et 
l'autre  dilatent  la  pupille  et  provoquent  des  con- 
vulsions tétaniques. 

Le  Physalis-Allœkenge  produit  des  baies  rouges 
enfermées  dans  un  calice  accrescent  vivement 
coloré  ;  ces  baies  ont  la  propriété  d'être  très  vive- 
ment laxalives.  Elles  font  partie  du  sirop  de  rhu- 
barbe composé. 

Nous  plaçons  le  Tabac  [Nicotiana  Tabacum)  à 
la  suite  des  plantes  médicinales,  parce  qu'on  l'a 
quelquefois  utilisé  comme  médicament.  Le  prin- 
cipe vénéneux  de  la  NîVo/(a«((,qu'on  nomme  nic-i- 
tine,  contracte  la  pupille  et  détermine  des  con- 
vulsions. Deux  espèces  de  Nicotianes,  la  Nirotiane 
tab'ic  et  la  Mcutiane  rustique,  sont  cultivées  en 
Europe  pour  la  fabrication  du  tabac  à  fumer,  du 
tabac  à  priser  et  des  cigares.  Les  nicotianes  sont 

2'  PARTIE. 


en    15(10  par  Jean  Nicot.  C'est  du  nom  do  Nicot 
qu'on   a   fait   le   nom    de   nicotiane.  Jean    Nicot 
ayant  offert  ii  Catherine  de  Médicis  une  boite  de 
tabac  à  priser,  on  appela  pendant  longtemps  les 
nicotianes    /lerbe   à   la  Reine.  Pour  préparer  le 
tabac,  on  récolte  les  feuilles,  puis  on  les  disjiose 
en  piles  en  les  arrosant  au  fur  et  h  mesure  avec 
de   l'eau  salée.  On  les   abandonne   pendant  deux 
ou  trois  jours.   Elles  fermentent.   Leur  albumine 
se   décompose,    et   donne  de  l'ammoniaque  qui 
réagit  sur  le  sel  à  base  de  nicotine  que  renferment 
les  fruilles.  L'acide  du  sel  s'unit  à  l'ammoniaque, 
et  la  nicotine  est  mise  en  liberté.  C'est  la  nico- 
tine qui  donne  au  tabac  son  odeur  caractéristique. 
Si  le   tabac  est  destiné  à  être   fumé,   on  le  fait 
sécher  aussitôt  après   la  première   fermentation, 
puis  on   le  hache.  Si  le  tabac  est  destiné  à  être 
prise,  on  doit,  quand  il  est  à  demi  sec,  l'arroser 
de  nouveau  afin  de  lui  faire  subir  une   nouvelle 
fermentation,  qui  a  pour  but  d'augmenter  la  pro- 
portion de  nicotine  qu'il  contient.  On  le  fait  alors 
sécher,  puis  on  le  pulvérise.  Les  ouvriers  employés 
dans  les  manufactures  de  tabac  ont  un  teint  gris 
terne  particulier  et  tout  5.  fait  caractéristique,  dû 
à  leur  empoisonnement  par  la  nicotine.  On  com- 
bat ces  empoisonnements  h  l'aide  de  préparations 
ferrugineuses.    Presque    toujours    le    tabac   agit 
comme  un  poison  sur  les  personnes  qui  n'en  font 
pas  journellement  usage.  Peu  i  peu  cependant  on 
s'y  habitue  ;  à  la  longue  pourtant  il  affaiblit  la 
mémoire  et  le  jugement. 

III.  SoLANÉES  ORNEMENTALES.  —  Los  principales 
Solanées  ornementales  sont  :  le  Datiiru  arbores- 
cent, le  Solandra,  le  Pétunia,  le  Tabac,  le  Fabiana 
et  VHahrotliumnus.  (C.-E.  Bertrand). 

SOLEIL.  —  Cosmographie,  VI.  —  Depuis  que 
Copcrnik  a  découvert  le  véritable  système  du 
monde  et  que  Kepler  et  Newton  ont  formulé  les 
lois  des  mouvements  des  corps  célestes  et  assigné 
la  cause  physique  de  ces  mouvements,  le  Soleil 
joue  en  astronomie  un  rô'e  capital. 

En  effet,  il  est  le  centre  autour  duquel  circii- 
lent  les  planètes  accompagnées  de  leurs  satelli- 
tes, ainsi  que  les  comètes.  Le  Soleil  est  relative- 
ment immobile  dans  le  groupe,  ou  du  moins  son 
centre  de  gravité  n'oscille  que  dans  un  espace 
étroit,  dont  les  limites  ne  dépassent  pas  son  pro- 
pre volume.  Toutes  les  orbites  planétaires  ou 
cométaires  de  forme  elliptique,  parabolique  ou 
hyperbolique,  ont  le  centre  du  Soleil  pour  foyer 
commun.  Leurs  plans  ne  coïncident  pas  entre 
eux;  mais  ceux  des  planètes  sont  en  général  peu 
inclinés  les  uns  sur  les  autres,  de  sorte  que  le 
monde  planétaire,  vu  de  l'espace  dans  la  direction 
de  l'un  de  ces  plans,  ofl'rirait  l'aspect  d'un  groupe 
do  petites  étoiles,  oscillant  de  part  et  d'autre 
d'une  étoile  centrale  beaucoup  plus  brillante  et 
plus  volumineuse  que  toutes  les  autres  :  les  pe- 
tites étoiles  seraient  les  planètes,  et  l'étoile  cen- 
trale le  Soleil.  . 

Les  dimensions  du  système  planétaire,  mesu- 
rées par  le  diamètre  de  l'orbite  de  Neptune,  la 
plus  éloignée  des  planètes  connues,  embrassent 
GO  fois  la  distance  du  Soleil  à  la  Terre.  Pour 
pouvoir  évaluer  ces  dimensions  en  mesures  con- 
nues, en  kilomètres  ou  en  lieues,  par  exemple, 
il  faut  connaître  cette  dernière  distance,  qui  a  été 
calculée  pour  la  première  fois  un  peu  exactement 
1  V  a  un  peu  plus  d'un  siècle,  lors  des  passages 
le  Venu*  sur  le  Sol-il  en   mH  et  en  HG'J.  Nous 


ne  pouvons  entr  t  ici  dans  les  détails  qui  seraient 
nécessaires  pour  faire  comprendre  comment  a 
pu  être  résolu  un  tel  problème,  comment  on  est 
arrivé  h  calculer  la  distance  du  Soleil.  Nous  nous 
bornerons  il  dire  que  c'est  un  problème  de  trian- 
gulation analogue  à  celui  que  résolvent  les  geo- 


SOLEIL 


—  2050  — 


SOLEIL 


mètres,  lorsque,  à  la  surface  de  la  Terre,  ils 
déterminent  la  distance  d'un  point  du  sol  à  un 
autre  point  situé  à  distance  ou  inaccessible. 
Ils  choisissent,  en  ce  cas,  une  base  AG  qu'ils 
mesurent  en  mètres  ;  des  deux  extrémités  ils  vi- 
sent le  point  inaccessible  B,  et  à  laide  d'un  gra- 
phomètro  mesurent  les  deux  angles  BAC  et  BCA 
ou  BCD.  L'angle  en  B,  qui  est  la   différence  du 


Fig.  1. 


Itistuiioe  d"uD  point  i 


ble:i  = 


dernier  et  du  premier  de  ces  angles,  se  nomme 
la  parallaxe  du  point  B  :  c'est  l'angle  sous  lequel 
un  observateur  posté  en  B  verrait  la  base  du 
triangle. 

La  parallaxe  du  Soleil  est  pareillement  l'angle 
sous  lequel  un  observateur  situé  au  centre  du 
Soleil  verrait  le  rayon  de  la  Terre.  La  mesure  de 
cet  élément  est  beaucoup  plus  difficile,  plus 
complexe  et  plus  délicate  que  celle  des  deux  an- 
gles à  la  base  du  triangle  ABC;  mais  le  principe 
de  la  mesure  est  le  même,  et  dès  lors  cela  suffit 
pour  faire  comprendre  aux  élèves  d'une  école  la 
possibilité  tout  au  moins  de  la  solution  du  pro- 
blème qui  consiste  à  calculer  la  distance  séparant 
la  Terre  du  Soleil. 

La  parallaxe  solaire  est  un  nombre  très  petit, 
environ  la  406'^  partie  d'un  degré,  d'où  il  suit  que 
la  distance  du  Soleil  est  très  gr.mde,  comparco 
aux  dimensions  de  la  Terre,  à  la  longueur  du 
rayon  équatorial  de  notre  planète.  Les  plus  ré- 
centes et  les  plus  exactes  déterminations  lui  don- 
nent une  valeur  de  8"8G. 

Il  en  résulte,  pour  la  distance  moyenne  du 
Soleil,  une  valeur  qui  équivaut  à  ?.3'2(HlO  rayons 
terrestres  environ.  Mesurée  en  kilomètres,  cette 
distance  est  de  148  500  OUO  kilomètres,  un  peu  plus 
de  37  millions  de  lieues,  nombres  qui,  comme 
on  vient  de  le  dire,  représentent  la  distance 
moyenne,  ou  encore  le  demi  grand  axe  de  l'or- 
bite de  la  Terre.  Cette  orbite  n'étant  pas  un  cer- 
cle, mais  une  ellipse,  la  distance  de  notre  pla- 
nète au  Soleil  varie,  pendant  tout  le  cours  de 
l'année,  entre  deux  limites  extrêmes  :  l'une,  la 
distance  maximum  ou  aphélie,  nlleinl  150  000  000 
kilomètres  ;  elle  correspond  à  peu  près  i  la  po- 
sition qu'occupe  la  Terre  vers  le  1"  juillet; 
l'autre,  la  disianca périhélie,  est  égale  à  14G00Û000 
kilomètres  et  correspond  aux  jours  voisins  du 
1"  janvier. 

Si  l'on  veut  se  faire  une  idée  de  l'énormité  de 
cette  distance,  on  n'a  qu'i  cherclier,  par  un  cal- 
Cul  facile,  le  temps  que  divers  mobiles  mettraient 
à  la  franchir.  Par  exemple,  la  lumière,  qui  se 
propage  à  raison  de  300  000  kilomètres  par  se- 
conde, met  8  minutes  15  secondes  i  venir  du  So- 
leil k  la  Terre,  quand  celle-ci  est  à  sa  moyenne 
distance.  Un  boulet  de  canon  de  12  kilogrammes, 
chassé  de  1  arme  par  une  charge  de  G  kilogram- 
mes do  poudre,  avec  une  vitesse  de  500  mètres 
pour  la  première  seconde,  mettrait  près  de  dix 
années  (il  ans  :i/4)  à  parvenir  au  Soleil  si  le  pro- 
jectile conservait  toujours  sa  vitesse  initiale.  En- 


fin, un  ti-ain  express  de  chemin  de  fer,  s'il  mar- 
chait, sans  s'arrêter,  à  la  vitesse  de  50  kilomètres 
par  heure,  n'arriverait  pas  au  Soleil  avant  331  an- 
nées I 

Les  lois  de  Kepler,  et  notamment  la  troisième 
qui  établit  le  rapport  existant  entre  les  dimen- 
sions des  orbites  des  planètes  et  les  durées  de 
leurs  révolutions,  nous  font  connaître  les  moyen- 
nes distances  do  ces  corps  au  Soleil,  quand  on 
les  rapporte  à  l'une  d'elles,  prise  pour  unité.  Il 
suffit  donc  que  cette  unité  ait  été  mesurée  pour 
qu'on  puisse  en  conclure  les  mesures  de  toutes 
les  autres  distances,  avec  une  approximation  qui 
dépend  naturellement  de  la  sienne  propre.  Voici 
le  tableau  qui  donne  ces  éléments  pour  les  huit 
planètes  principales  : 


Mprcuro . . 
Vénus.... 
La  Terre. 


relatives, 
0,3S7 


Uranus 19,183 

Ncptuoe 30.037 


770 
1115 
2850 
4460 


En  limitant  à  Neptune  les  dimensions  du  sys- 
tème planétaire,  on  voit,  comme  nous  le  disions 
plus  haut,  que  son  étendue  diamétrale  embrasse 
GO  fois  la  distance  du  Soleil  à  la  Terre,  ou,  si  l'on 
préfère,  près  de  neuf  milliards  de  kilomètres.  Un 
rayon  de  lumière  mettrait  donc  8  heures  un  quart 
h  traverser  de  part  en  part  notre  système  solaire. 

La  connaissance  de  la  parallaxe  du  Soleil  ne 
permet  pas  seulement  de  calculer  en  valeur  ab- 
solue les  dimensions  des  orbites  des  astres  qui 
font  partie  du  groupe  planétaire  ;  elle  conduit 
aussi  à  l'évaluation  des  dimensions  des  globes 
eux-mêmes,  à  celle  de  leurs  masses  comparées  à 
la  masse  de  la  Terre,  et  enfin  à  celle  de  leurs  den- 
sités respectives,  de  l'intensité  de  la  pesanteur  à 
la  surface  de  chacun  d'eux.  Nous  devons,  dans 
cet  article,  nous  borner  à  ce  qui  concerne  le  So- 
leil lui-môme. 

La  parallaxe  8''86  indique  sous  quel  angle  le 
rayon  équatorial  de  la  Terre  serait  vu  du  Soleil  ; 
le  double  de  ce  nombre,  ou  n"72,  mesure  donc 
le  diamètre  apparent  de  la  Terre,  pour  la  même 
distance.  Or,  le  diamètre  du  Soleil,  à  l'époque 
de  la  moyenne  distance  de  l'astre,  mesure  32  '3"G4 
ou  1923"U4.  On  en  conclut  aisément  le  rapport 
qui  existe  entre  le  diamètre  réel  du  Soleil  et  le 
diamètre  de  l'équateur  de  la  Terre  :  on  trouve 
que  le  premier  est  un  peu  plus  de  108  fois  et 
demie  aussi  grand  que  le  second. 

Ainsi  le  globe  solaire  est  une  sphère  dont  le 
rayon  a  092  000  kilomètres,  dont  la  circonférence 
mesure  4  350000  kilomètres,  et  dont  le  volume, 
si  on  l'évaluait  en  kilomètres  cubes,  dépasserait 
isno  quatrillions.  Comparé  au  volume  de  la  Terre, 
qui  a  plus  de  mille  milliards  de  kilomètres  cu- 
bes, le  volume  du  Soleil  ne  vaut  pas  moms  de 
1  ït'oOOO  globes  des  dimensions  du  nôtre. 

A  la  vérité,  la  Terre  n'est  pas  la  plus  volumi- 
neuse des  planètes  du  système,  puisque  Jupiter, 
Saturne  Uranus  et  Neptune  la  dépassent  de 
beaucoup  en  dimensions,  et  sont  respectivement 
à  peu  près  1400,  8G5,  ■;5  et  85  fois  aussi  grosses 
qu'elle:  Mais,  si  l'on  réunissait  tous  les  globes 
planétaires  et  tous  leurs  satellites  en  un  seu 
corps,  on  trouverait  encore  que  le  volume  du  Soleil 
équivaut  à  COO  fois  au  moins  le  volume  résultant 
de  cette  agglomération.  Pour  donner  enfin  une 
idée  de  l'immensité  de  cette  sphère  lumineuse, 
rappelons  que  la  Lune  est  éloignée  de  nous  de  GO 
ravons  terrestres,  environ  384  dOO  kilomètres,_et 
supposons  que  le  centre  du  Soleil  vienne  à  coin- 


I 


SOLEIL 


—  2031 


SOLEIL 


cider  avec  le  contre  de  la  Terre  :  dans  ces  con- 
ditions, la  surface  de  l'immense  globe  non  seule- 
ment dépasserait  l'orbito  lunaire  qu'elle  englobe- 
rnit'tout  entière,  mais  encore  s'élèverait  au-dessus 


de  plus  dos  trois  quarts,  c'est-à-dire  de  48  rayons 
terrestres. 

Joignons  à  ces  comparaisons  celle  des  distances 
respectives  des  astres,    et   nous   pourrons  nous 


Fig.  2.  —  Comparaison  des  d 


représenter  avec  quelque  exactitude  et  sans  trop 
d'efforts  d'imagination  les  rapports  vrais  des  po- 
sitions et  des  dimensions  du  Soleil,  de  la  Terre, 
et  des  autres  planètes,  le  système  planétaire  enfin 
dans  son  ensemble. 

Figurons  le  Soleil  sous  la  forme  d'une  sphère 
à'un  décimèlre  de  diamètre.  La  Terre  alors  sera 
moins  grosse  qu'un  grain  de  plomb  qui  aurait 
un  mililmélre  de  diamètre,  et  il  faudra,  pour  lui 
donner  sa  position  véritable,  reculer  ce  grain  à 
2I™,50  du  globe  solaire.  Donnons  maintenant  h.  la 
Terre  les  dimensions  des  globes  géograpliiques 
de  moyenne  grosseur,  soit  un  diamètre  de  30  cen- 
timètres. Dans  cette  liypotlièse,  le  Soleil  serait 
aussi  gros  qu'un  ballon  spliérique  qui,  posé  sur 
le  sol  du  parvis  de  Notre-Dame  de  Paris,  s'élève- 
rait à  moitié  de  la  hauteur  des  tours  de  l'édifice, 
c'est-à-dire  aurait  3'2°',57  de  diamètre.  Seulement, 
pour  donner  aux  deux  globes  leurs  positions 
relatives  vraies,  il  faudra  les  éloigner  l'un  de 
l'autre  de  près  de  3  kilomètres  et  demi. 

A  la  même  échelle,  Jupiter  serait  une  boule 
de  3°", 30  de  diamètre,  située  à  18  kilomètres  de 
distance,  et  Saturne,  dont  le  diamètre  atteindrait 
un  peu  moins  de  3  mètres,  devrait  être  rélégué  à 
33  kilomètres  du  globe  solaire. 

Newton,  en  démontrant  que  les  mouvements  de 
tous  les  corps  célestes  sont  régis  par  la  loi  de 
gravitation,  en  prouvant  que  cette  force  do  gra- 
vitation n'est  autre  chose  que  la  force  do  la  pe- 
santeur, a  permis  la  solution  d'un  problème  d'une 
haute  importance,  problème  qui  consiste  à  cal- 
culer les  masses  respectives  des  planètes  et  du 
Soleil.  Grâce  au  principe  de  cette  loi,  grâce  à  la 
précision  des  observations  astronomiques,  on  peut 
répondre  à  cette  question  dojit  l'énoiicé  provoque 
toujours  l'étonnement,  à  plus  juste  titre  encore 
que  la  question  de  la  mesure  des  distances 
célestes  : 

Combien  le  Soleil  phe-til  rie  fois  aulanl  que 
la  Ifi-re,  ou  qu'une  planète  quelconque? 

Nous  no  pouvons  ici  entrer  dans  les  détails  qui 


du  Soleil  à  celles  de  l'orbite  lunaire. 


seraient  nécessaires  pour  l'intelligence  de  la  ques- 
tion même  envisagée  à  un  point  de  vue  tout  à  fait 
élémentaire.  Nous  nous  contenterons  de  donner 
les  résultats  dans  le  tableau  suivant,  où  la  masse 
et  la  densité  de  la  Terre  sont  prises  pour  unités, 
et  où  les  corps  sont  rangés  dans  l'ordre  des 
masses  : 

'X^    Masses.  Dcnsitéi. 

Mercure 0,076         1,420 

Um-s 0,111         0,720 

Vénus 0,77S         0.887 

La  Terre 1,000         1,000 

Uraiius 16      •         «.216 

Neptune 18      »         0,211 

Saturne 91      »        0,195 

Jupiter -03      «         0,247 

Soleil 325,000      .1         0,251 

L'examen  de  ces  nombres  nous  montre  que,  si 
le  volume  du  Soleil  équivaut  à  plus  de  douze 
cent  mille  fois  celui  de  notre  planète,  sa  masse  (ou, 
si  l'on  veut,  son  poids),  est  bien  loin  d'atteindre  la 
même  proportion  :  elle  n'est  plus  que  325000  fois 
aussi  forte  que  la  masse  terrestre.  Aussi  la  densité 
du  Soleil  n'est  guère  plus  du  quart  de  la  densité  de 
la  Terre.  Comme  cette  dernière  est  environ  5  fois 
1/2  celle  de  l'eau,  il  en  résulte  que  la  matière  dont 
le  Soleil  est  formé  pèse  en  moyenne,  à  volume 
égal,  1  fois  et  4  dixièmes  autant  que  l'eau. 

Néanmoins  la  prépondérance  de  la  masse  so- 
laire sur  celles  des  autres  corps  du  système  est 
telle  encore  que,  si  l'on  additionne  toutes  les 
masses  des  planètes,  la  somme  équivaut  à  432  fois 
environ  la  masse  terrestre,  mais  ne  produit  en 
tout  que  la  "40"  partie  de  la  masse  du  Soleil. 

C'est  l'action  de  la  masse  solaire  qui  maintient 
toutes  les  planètes  dans  des  orbites  à  peu  près 
invariables  ;  combinée  avec  celle  de  la  masse  de 
la  Lune,  considérablement  plus  petite,  mais  beau- 
coup plus  rapprochée,  elle  détermine  à  la  surface 
des  océans  terrestres  les  mouvements  périodiques 
des  marées.  Sa  puissance  est  telle  que,  à  la  sur- 
face du  globe  solaire,  elle  agit  avec  une  intensité 


SOLEIL 


2052  — 


SOLEIL 


27  fois  aussi  grande  que  la  pesanteur  de  la  Terre 
à  la  surface  de  la  planète.  Un  corps  qui,  dans  la 
première  seconde  de  sa  chute,  parcourt  ici  4'",9 
environ,  à  la  surface  du  Soleil  tombe  de  134  mè- 
tres; un  corps  qui  tendrait  sur  la  Terre  un  ressort 
avec  la  force  d'un  poids  de  1  kilogramme,  trans- 
porté sur  le  Soleil  exercerait  une  pression  de 
27  kilogrammes. 

Telles  sont  les  données  géométriques  et  physi- 
ques que  l'astronomie  a  pu  recueillir  sur  le  globe 
du  Soleil.  Il  nous  reste  maintenant  h  dire  ce 
qu'elle  enseigne  sur  sa  constitution  pliysico- 
chimique  et  aussi  sur  ses  mouvements  propres. 

Le  Soleil  tourne  d'un  mouvement  uniforme  au- 
tour d'un  diamètre  ou  axe,  qui  conserve  dans 
l'espace  une  direction  invariable.  Sous  ce  rapport, 
il  ressemble  à  toutes  les  planètes  dont  la  surface 
a  pu  être  étudiée.  Mais  son  mouvement  de  rota- 
tion est  beaucoup  plus  lent  ;  il  s'effectue  en  effet 
à  peu  de  chose  près  en  25  jours  et  demi,  tandis 
que  la  rotation  de  Mars,  la  plus  lente  des  rota- 
tions planétaires,  est  de  24  heures  'il  minutes. 
La  Lune,  il  est  vrai,  n'effectue  son  mouvement 
qu'en  27  jours  7  heures. 

La  découverte  de  la  rotation  du  Soleil  remonte 
à  l'année  ICIl,  c'est-à-dire  à  l'époque  où  les  lu- 
nettes récemment  inventées  permirent  d'explorer 
le  ciel  et  les  astres,  qu'on  n'avait  jusqu'alors  ob- 
servés qu'à  l'œil  nu.  C'est  à  un  savant  hollandais, 
Jean  Fabricius,  qu'en  revient  l'honneur.  Peu 
après,  Galilée  reconnut,  comme  Fabricius,  la  pré- 
sence sur  la  surface  du  disque  du  Soleil  de  ta 
ches  sombres  qui  se  déplaçaient  du  bord  oriental 
au  bord  occidental.  Il  trouva  que  ces  accidents 
mettaient  environ  14  jours  à  parcourir  leur  tra- 


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-7 

fig.  3.  —  Mouvcmoiit  appuient  des  tadies  sur  le  disque  so- 
laire. (Dans  une  lunette  qui  renverse  les"  objets.) 

jectoire  apparente,  et  qu'après  avoir  disparu  pen- 
dant une  période  à  peu  près  égale,  elles  venaient 
faire  leur  réapparition  sur  le  bord  oriental  du 
Soleil.  La  durée  apparente  de  la  rotation  a  été 
depuis  fixée  à  27  jours  4  heures  en  moyenne, 
ce  qui  donne  à  peu  près  l'5  jours  pour  la  période 
de  la  rotation  réelle. 

Il  n'est  pas  inutile,  croyons-nous,  de  montrer 
la  raison  de  la  différence  que  nous  venons  de 
signaler  entre  la  durée  du  mouvement  apparent 
d'une  tache  solaire  et  la  durée  de  son  mouvement 
réel,  d'où  se  déduit  la  période  de  rotation  du 
Soleil. 

Considérons  (fig.  4)  une  tache  a  vue  au  centre 
du  disque  solaire  par  un  observateur  posté  sur  la 
Terre,  en  T.  Au  bout  d'un  peu  plus  de  27  jours, 
la  tache  accomplira  une  rotation  coiuplète,  c'est- 
à-dire  sera  entraînée  dans  le  sens  des  llèches  vers 
le  bord  occidental  où  elle  disparaîtra,  puis  repa- 
raîtra après  quatorze  jours  au  bord  oriental,  et 
enfin  ri-viendra  se  placer  au  centre  apparent.  Ce 
serait  au  même  point  a  si  la  Terre  pendant  tout 
ce  temps  était  restée  au  même  lieu  de  l'espace. 
Mais  en  réaliié,  en  27  jours  et  demi  la  Terre  a 
décrit  un  certain  arc,  et  de  T  elle  est  venue  se 


Fig.  4.  —  Explication  de  la  différence  entre  la  durée  de 
rotation  apparente  du  Soleil  et  la  durée  réelle. 

placer  en  T',  point  où  se  trouve  l'observateur 
lorsqu'il  constate  que  la  tache  est  revenue  au 
centre,  ayant  accompli  sa  rotation  apparente 
totale.  Mais  il  est  évident  que  la  tache  a  parcouru 
en  réalité  plus  d'une  circonférence  entière  à  la 
surface  du  Soleil,  c'est-à-dire  une  circonférence  -\- 
l'arc  an' .  La  rotation  apparente  a  donc  une  durée 
plus  grande  que  la  rotation  vraie,  et  un  calcul 
facile  permet  de  déduire  celle-ci  de  l'autre,  qu'on 
observe  directement. 

En  réalité,  le  Soleil  tourne  sur  lui-même  en  un 
peu  plus  de  25  jours.  Comme  les  taches  ne  don- 
nent pas  toutes  exactement  la  même  périjde,  parce 
que,  outre  leur  mouvement  d'ensemble,  elles  ont 
de  petits  mouvements  propres,  il  faut  préciser  et 
dire  que  la  rotation  à  l'équateur  du  Soleil  se  fait 
en  24  jours  2  heures.  Elle  est  île  25  jours  environ 
à  5°  de  latitude  nord  ou  sud;  à  15°  nord  elle  est 
de  25  jours  9  heures;  à  15°  sud,  de  25  jours 
n  heures.  Ces  résultats  font  déjà  prévoir  que  les 
taches  ne  sont  pas  des  accidents  fixes  à  la  surface 
du  Soleil,  et  nous  amènent  à  dire  quelques  mots 
sur  leur  nature  et  sur  la  constitution  physique  de 
l'immense  globe. 

Pour  éviter  de  longues  descriptions,  nous  re- 
produisons ici  (fig.  5  et  G)  quelques  figures  de  ta- 
ches solaires.  On  y  voit  une  partie  centrale,  noire 
ou  du  moins  beaucoup  plus  foncée  que  l'enveloppe, 
dont  la  teinte  est  grisâtre  :  à  celle-ci,  on  donne  le 
nom  de  péimmbi  e,  et  à  la  première  celui  de  nnymu 
Les  nombreuses  observations  recueillies  depuis 
IGll  jusqu'à  nos  jours  ont  donné  lieu  à  plusieurs 
hypothèses  sur  la  nature  des  taches.  Nous  ne  les 
énumérerons  même  point  et  nous  nous  bornerons 
à  dii-e  qu'aujourd'hui  les  astronomes  sont  à  peu  près 
unanimes  à  reconnaître  que  les  taches  sont  pro- 
duites par  des  dépressions  de  lenveloppe  bril- 
lante et  lumineuse  du  Soleil,  qu'on  nomme  la 
fikotnsphère.  Quelle  est  la  cause  ou  quelles  sont 
les  causes  de  ces  dépressions?  c'est  là  que  la  di- 
vergence des  opinii)ns  ne  permet  pas  encore  de 
répondre  avec  certitude. 

Mais  ce  qui  est  hors  de  toute  contestation,  C'\ 
sont  les  nombreuses  observations  qui  démontreni  ■ 

1»  Que  la  photosphère  ou  enveloppe  lumineus 


I 


SOLKIÎ- 


2053 


SOLKIL 


Fig.  5.  —  Taches  solaires.  Nojau  <;t  pcnombre. 


incandescente  du  Soleil  est  dans  un   état  perpé- 
tuel d'agitations  qui  se  traduisent  par  l'apparition 


de  taches,  les  unes  sombres  avec  noyaux  'et  pé- 
nombreSj  les  autres  plus  vives  au  contraire  que 


le  reste  du  disque,  et  qui  le  plus  souvent  se  trou- 
vent situées  sur  le  pourtour  extérieur  des  taclics 
(fig.  6).  On  donne  à  ces  taclies  brillantes  le  nom 
de  facules  ; 

i"  Que  le  globe  solaire  limité  par  la  photosplièra 
est  lui-même  enveloppé  d'une  couche  continue  de 
!;az  hydrogène  à  l'état  d'incandescence,  d'où  jail- 
lissent, sous  des  formes  très  variées,  des  jets  ou 
protubérances,  dont  la  hauteur  est  quelquefois 
(  norme,  dépassant  des  milliers  de  lieues.  On 
Il  ivait  d'abord  pu  observer  ces  protubérances 
que  dans  les  courts  instants  des  éclipses  totales 
de  Soleil,  alors  que  le  disque  est  recouvert  par  le 
limbe  obscur  de  la  lune.  Mais,  depuis  un  certain 
I  nombre  d'années,  une  méthode  nouvelle  d'obser- 
\ation,  qui  se  rattache  à  l'analyse  spectrale,  per- 
met d'observer  et  de  dessiner  en  tout  temps  les 
piotubcrances  sur  tout  le  contour  du  Soleil.  La 
couche  d'hydrogène  avec  ses  jets  accidentels  se 
nomme  la  chromosphère; 

3°  Enfin,  au  delà  de  la  cliromosphère,  les  as- 
tronomes ont  reconnu  l'existence  d'une  atmo- 
sphère beaucoup  plus  étendue  et  plus  rare,  qu'on 
nomme  la  couronne,  et  qui  entoure  le  Soleil  à  une 
distance  indéterminée  de  sa  surface. 


SoluU  du  Is  juillet  ISOU.  Prulubécauccs. 


Tels  sont  les  faits.  Quanta  la  cause  qui  produit  1  Heure  au  Soleil  et  l'attribuent  à  l'action  des  mas- 
les  taches,  certains  aslronomea  la  croient  exté- 1  ses  planétaires,    D'autres  considèrent  les  taclies 


SOLEIL 


—  20o4  — 


SOLIDES 


comme  formées  par  des  accumulations  de  ma- 1  nombreux,  pensent  que  les  taches,  comme  les  pro- 
tières  ou  scories,  des  morceaux  d'une  croûte  in-  tubérances,  sont  les  produits  des  mouvements  in- 
terne. D'autres    astronomes,  et  ce   sont  les  plus  I  testins  de  la  masse  fluide  dont  le  globe  entier  du 


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iig.  ï^.  —  Prolubérances  iijdrogenefs  du  bolcil. 


Soleil  serait  formé.  Un  de  nos  compatriotes  et 
contemporains,  M.  Paye,  assimile  les  taclies  aux 
tourbillons  de  notre  atmosphère  terrestre,  qui 
naîtraient  dans  les  couches  gazeuses  de  la  pho- 
tosphère de  la  même  manière  que  naissent  les 
cyclones. 

L'analyse  de  la  lumière  du  Soleil  par  le  prisme 
a  permis  de  reconnaître  la  nature  chimique  des 
substances  qui  composent  sa  masse  et  ses  enve- 
loppes. Nous  avons  dit  déjà  que  la  chromosphère 
et  les  protubérances  sont  en  grande  partie  consti- 
tuées par  de  l'hydrogène  incandescent.  Quant  à 
la  photosphère,  le  spectre  de  sa  lumière  indique 
l'existence  dans  sa  niasse  et  dans  celle  du  Soleil 
d'un  grand  nombre  de  corps  simples  terrestres, 
métalloidcs  ou  métaux.  Citons,  par  exemple,  le 
sodium,  le  magnésium,  le  fer,  l'aluminium,  le 
cuivre,  le  nickel,  le  cobalt,  etc.,  parmi  les  pre- 
miers; l'hydrogène,  probablement  aussi  l'oxygène, 
sont  les  seuls  métalloïdes  reconnus.  Cependant, 
dans  la  chromosphère,  la  présence  du  soufre,  du 
brome  a  été  constatée. 

Après  avoir  dit  quel  rôle  joue  le  Soleil  au  sein 
du  système  dont  il  est  le  corps  principal  et  pré- 
dominant, et  résumé  les  données  que  les  astro- 
nomes sont  parvenus  à  recueillir  sur  sa  constitu- 
tion physique,  il  nous  reste  à  indiquer  sommaire- 
ment quelle  est  sa  place  dans  l'Univers. 

Il  est  depuis  longtemps  démontré  que  le  Soleil 
est  une  étoile,  de  sorte  que,  s'il  était  reculé  dans 
l'espace  à  une  dislance  égale  à  celle  des  étoiles 
les  plus  rapprochées,  c'est-i-dire  à  200  001)  fois 
environ  sa  distance  à  la  Terre,  il  n'apparaîtrait  plus 
que  comme  un  point  lumineux,  dont  l'éclat  ne  dé- 
passerait guère  celui  des  étoiles  de  seconde  gran- 
deur. 

Le  Soleil  fait  partie  d'un  groupe,  d'un  amas  d'é- 
toiles très  nombreuses,  et  cet  amas  n'est  lui- 
même  qu'une  faible  partie  d'une  agglomération 
immense  qui  l'enveloppe  de  toutes  parts  :  la  zone 


lumineuse  connue  sous  le  nom  de  Voie  lactée  est 
la  trace  apparente,  dans  le  ciel,  de  cette  agglomé- 
ration que  nous  ne  voyons  pour  ainsi  dire  que 
par  sa  tranche  et  qui  comprend  des  millions  d'é- 
toiles. Au  sein  de  l'amas  stellaire  dont  il  fait  par- 
tie, le  Soleil  n'est  d'ailleurs  pas  immobile.  Il  se 
meut  avec  une  vitesse  comparable  aux  vitesses 
planétaires  dans  une  direction  qui,  pour  le  siècle 
actuel,  est  marquée  par  un  point  de  la  constella- 
tion d'Hercule.  Mais  son  mouvement  est  celui  de 
tous  les  astres  qui  gravitent  autour  de  lui  :  le  So- 
leil nous  entraîne  donc,  Terre^  Lune,  planètes  et 
comètes,  vers  des  régions  inconnues  du  ciel.  Peut- 
être  ce  mouvement  de  translation  changera-t-il  de 
direction  avec  le  temps;  et  alors  on  pourra  sans 
doute  déterminer  la  courbe  qu'il  décrit  dans  l'es- 
pace, la  durée  de  la  période  de  son  immense  ré- 
volution. [A.  Guillemin.] 

SOLIDES  (Propriétés  des).  —  Physique,  V. — 
Les  corps  solides  ont  pour  caractères  extérieurs 
une  forme  qui  leur  est  propre  et  qu'ils  conservent 
sans  altération  lorsqu'ils  sont  abandonnés  à  eux- 
mêmes,  la  résistance  qu'ils  opposent  à  la  division 
ou  à  la  rupture,  une  adhérence  entre  leurs  diffé- 
rentes parties  telle  qu'il  suffit  de  fixer  un  point 
quelconque  du  corps  pour  que  celui-ci  soit  fixé 
tout  entier.  Les  phénomènes  physiques  et  les 
combinaisons  chimiques  ont  fait  regarder  tous  les 
corps  comme  formés  do  particules  excessivement 
petites,  sans  contact  immédiat  entre  elles,  sépa- 
rées les  unes  des  autres  par  des  espaces  vides 
insaisissables  aux  sens,  mobiles  dans  l'étendue 
de  ces  petits  espaces  et  soumises  h  une  attraction 
qui  les  porte  les  unes  vers  les  autres  et  à  une 
répulsion  qui  les  éloigne  ;  ces  petites  parties  sont 
les  atomes  ou  molécules;  les  forces  qui  les  gou- 
vernent et  dont  le  caractère  est  de  ne  s'exercer 
qu'à  des  distances  excessivement  petites  sont  les 
forces  moléculaires.  Dans  les  solides,  ces  forces 
moléculaires  sont  puissantes  et  il  faut  une  action 


SOLIDES 


—  2055  — 


SOMMEIL 


extérieure  très  appréciable  pour  modifier  ou  rom- 
pre leur  cqnilibre. 

L'équilibre  moléculaire  peut  être  stable  ou 
instable,  comme  cela  arrive  pour  l'équilibre  du 
corps  lui-mCmo  soumis  à  l'action  des  forces  ordi- 
naires. 

S'il  est  stable  entre  certaines  limites,  une  force 
extérieure  convenablement  clioisie  pourra  le  dé- 
truire et  la  forme  du  corps  cliangera  momentané- 
ment; mais,  aussitôt  que  cessera  l'action  do  la 
cause  extérieure,  les  molécules  dérangées  repren- 
dront leur  position  première  et  le  corps  sa  forme 
primitive  ;  tel  un  ressort  d'acier  ployé  par  un  poids 
reprend  sa  forme  quand  cesse  l'action  du  poids  ; 
cette  propriété  constitue  l'élasticité  *. 

Si  l'équilibre  moléculaire  est  instable,  une 
force  extérieure  peut  déranger  les  molécules  assez 
pour  qu'elles  ne  reviennent  plus  k  leur  position 
primitive,  les  faire  glisser  les  unes  sur  les  autres, 
les  distribuer  dari^  un  autre  ordre,  leur  donner 
un  nouvel  état  d'équilibre.  Alors  les  corps  pré- 
sentent une  autre  forme  permanente  sans  cesser 
d'être  solides.  Cette  propriété  prend  le  nom  de 
ductilité. 

Enfin,  si  l'action  extérieure  est  plus  forte  que 
l'attraction  moléculaire,  la  rupture  se  produit. 

Il  y  a  donc  lieu  d'étudier  dans  les  corps  solides, 
après  l'élasticité,  les  propriétés  qui  dépendent  du 
déplacement  permanent  dos  molécules,  et  le  plus 
ou  moius  de  résistance  qu'ils  opposent  à  la  rup- 
ture. 

Ductilité.  —  D'une  manière  générale,  la  ductilité 
est  la  propriété  du  corps  solide  de  prendre  des 
formes  différentes  sans  cesser  de  former  un  tout 
continu.  Ainsi  le  fer  que  l'on  forge,  les  métaux 
que  l'on  étire  en  fils  ou  que  l'on  étend  en  lames, 
l'argile  que  l'on  façonne  de  mille  manières.  Dans 
une  acception  plus  restreinte,  on  réserve  souvent 
le  nom  de  ductilité  à  la  facilité  des  métaux  de 
8'étirer  en  fils  par  l'action  de  la  filière.  La  filière 
est  une  plaque  d'acier  percée  de  petits  trous  co- 
niques de  diamètre  différent.  On  engage  dans  un 
des  trous  1  extrémité  amincie  de  la  baguette  que 
l'on  veut  allonger  et  on  la  tire  fortement  de  l'au- 
tre côté.  On  répète  cette  opération  dans  des  trous 
de  plus  en  plus  petits  jusqu'à  ce  que  le  fil  soit 
arrivé  au  degré  de  ténuité  voulu.  Voici  l'ordre 
dans  lequel  se  placent  les  métaux  sous  le  rap- 
port de  la  facilité  qu'ils  présentent  de  se  réduire 
en  fils  fins  sans  se  rompre  sous  la  traction  qu'ils 
subissent  :  or,  platine,  argent,  fer,  cuivre,  étain 
et  plomb. 

Outre  le  passage  h  la  filière,  les  principaux 
moyens  de  modifier  la  forme  du  corps  sont  l'action 
du  marteau,  celle  du  laminoir,  la  flexion  et  la 
compression. 

On  donne  le  nom  de  malléabilité  à  la  propriété 
des  corps  de  s'étendre  en  lames  sans  se  déchirer 
sous  la  percussion  du  marteau  ou  la  pression  des 
laminoirs.  Ceux-ci  se  composent  de  deux  cylindres 
horizontaux  Ji  axes  parallèles  tournant  en  sens  in- 
verse et  laissant  entre  eux  un  petit  espace.  On 
y  engage  la  plaque  métallique  à  laminer,  qui  est 
entraînée  par  la  rotation  des  cylindres  et  qui  s'a- 
platit et  s'étale  dans  ce  passage.  Sous  le  rapport 
de  la  facilité  à  s'aplatir  au  laminoir,  les  métaux  se 
rangent  dans  l'ordre  suivant  :  or,  argent,  alumi- 
nium, cuivre,  étain,  platine,  plomb,   zinc,  fer. 

L'action  du  marteau  est  un  peu  différente  de 
celle  du  laminoir,  sans  doute  à  cause  des  chocs 
répétés  qu'elle  produit.  Ainsi  le  plomb  et  l'étain, 
qui  ne  viennent  qu'au  quatrième  rang  dans  l'ac- 
tion du  laminoir,  se  placent  au  premier  pour  la  fa- 
cilité de  s'amincir  sous  le  marteau.  C'est  au  moyen 
du  martelage  que  l'on  prépare  les  feuilles  d'or 
destinées  à  la  dorure.  Après  avoir  réduit  l'or  en 
lames  d'environ  1  millimètre  d'épaisseur  au  la- 
loinoir,  on  en  réunit  plusieurs  que  l'on  étend  par 


le  choc  du  marteau  sur  une  enclume  do  fer.  Après 
ce  premier  martelage,  on  superpose  les  f^euilles 
en  les  séparant  par  du  velin  et  on  les  bat  sur  un 
bloc  de  marbre  poli  ;  on  les  empile  enfin  entre  des 
feuilles  de  baudruche  pour  les  derniers  martela- 
ges. On  obtient  ainsi  des  feuilles  de  moins  d'un 
millième  de  millimètre  d'épaisseur. 

La  chaleur  modifie  beaucoup  la  malléabilité  de 
certains  métaux  et  d'une  manière  générale  la  duc- 
tilité de  beaucoup  do  corps.  Ainsi  le  zinc  est  peu 
malléable  h.  froid,  tandis  qu'il  s'étend  facilement 
k  la  température  de  130  !t  150  degrés.  Le  verre 
est  sans  aucune  ductilité  à  la  température  ordi- 
naire, et  il  se  laisse  étirer,  contourner,  souffler 
lorsqu'il  est  chauffé  au  rouge.  La  fabrication  des 
ustensiles   de  verre  repose  sur  cette  propriété. 

Les  actions  mécaniques  qui  provoquent  dans 
les  corps  solides  un  rapprochement  permanent 
des  molécules  ont  pour  effet  souvent  d'augmenter 
la  densité  du  corps  :  on  dit  alors  qu'il  y  a  écrouis- 
snge.  Les  métaux  écrouis  deviennent  plus  tenaces, 
plus  élastiques,  plus  durs  et  plus  cassants  ;  les 
anciens  donnaient  de  la  dureté  :\  leurs  armes  de 
bronze  en  les  écrouissant  au  marteau. 

Dureté  et  fraijilité.  —  Dans  le  langage  vulgaire 
le  mot  de  dureté  exprime  des  qualités  très  diffé- 
rentes :  on  l'applique  au  corps  qui  résiste  au  choc 
aussi  bien  qu'i  celui  qui  est  difficile  à  entamer, 
et  on  l'emploie  très  souvent  par  opposition  à  mou 
pour  diro  d'un  corps  qu'il  résiste  à  une  pression. 
Pour  le  physicien,  la  dureté  est  la  résistance 
qu'opposent  les  corps  à  être  rayés,  entamés,  usés 
par  d'autres.  Ainsi  l'acier,  qui  lime  le  fer,  est  plus 
dur  que  le  fer,  le  verre  est  plus  dur  que  l'acier  et 
le  diamant  est  plus  dur  que  le  verre;  c'est  le  plus 
dur  de  tous  les  corps  connus  ;  car  il  les  raye  tous 
sans  être  rayé  par  aucun. 

Les  corps  durs  sont  ordinairement  fragiles, 
c'est  à-dire  faciles  à  briser  par  le  choc;  le  verre  et 
le  diamant  en  sont  les  deux  exemples  les  plus 
saisissants. 

Les  causes  qui  modifient  la  structure  des  corps 
peuvent  en  augmenter  beaucoup  la  dureté;  telle 
est  la  trempe,  obtenue  par  le  refroidissement 
brusque  d'un  corps  chauffé,  qui  donne  tant  de 
dureté  à  l'acier  et  au  verre. 

Résistance  ù  ta  rupture.  Ténacité.  —  La  rupture 
d'un  solide  peut  être  amenée  de  diverses  maniè- 
res, par  le  choc,  par  un  effort  en  travers  de  la 
longueur  du  corps,  par  une  pression  qui  tend  à 
l'écraseraenl,  enfin  par  un  effort  qui  tire  dans  le 
sens  de  la  longueur.  C'est  i  la  résistance  opposéo 
dans  ce  dernier  cas  que  s'applique  plus  particu- 
lièrement le  nom  de  témicité. 

On  a  étudié  spécialement  la  ténacité  des  métaux 
ainsi  entendue,  en  les  réduisant  en  fils  et  en 
cherchant  quelle  charge  était  nécessaire  pour 
produire  la  rupture  du  fil  tendu.  On  a  constaté 
que  le  fer  est  le  plus  tenace  des  métaux.  Maison 
a  dû  étudier  également  avec  le  même  soin  la  ré- 
sistance des  différents  matériaux  de  construction 
sous  les  divers  efforts  qu'ils  subissent  et  avec  les 
formes  diverses  qu'on  leur  donne,  pour  connaître  le 
degré  de  sécurité  que  peut  présenter  leur  emploi. 
[Haraucourt.] 

SOMMEIL.  —  Hygiène,  XIIL—  Il  y  a  des  fonc- 
tions qui  s'accomplissent  sans  interruption  pen- 
dant toute  la  durée  de  la  vie.  Les  mouvements 
respiratoires,  les  battements  du  cœur,  ne  sauraient 
être  suspendus,  même  quelques  instants,  sans 
compromettre  l'existence.  Notons  toutefois  que 
même  ces  mouvements,  continus  en  apparence, 
comportent  des  temps  d'arrôt  très  courts  pendant 
lesquels  les  organes  se  trouvent  au  repos. 

Les  poumons  ne  cessent  jamais  de  se  distendre 
et  de  se  contracter  pour  aspirer  do  l'oxygène  et 
exhaler  de  l'acide  carbonique,  mais  entre  chaque 
mouvement  d'inspiration  et  d'expiration  on  note 


SOMMEIL 


2036  — 


SOMMEIL 


un  léger  temps  d'arrêt  pendant  lequel  se  reposent  ' 
les  muscles  et  les  nerfs  qui  produisent  ces  mou- 
vements. L'adulte  rr^plre  environ  dix-huit  fois  par 
minute:  on  peut  estimer  à  un  peu  plus  d'un  tiers 
de  seconde  le  temps  d'arrêt  entre  chaque  mouve- 
ment respiratoire,  de  sorte  que  les  poumons  se 
reposent  réellement  pendant  près  de  trois  heures 
par  jour.  Il  en  est  de  même  du  cœur,  dont  chaque 
battement  est  suivi  d'un  court  repos. 

L'usure  continuelle  de  nos  organes  ne  réclame 
pas  seulement  la  rénovation  de  leur  substance  par 
les  aliments.  La  vie  dépense  une  certaine  somme 
de  force  qui  ne  se  renouvelle  que  pendantle  repos 
partiel  ou  complet  des  organes  qui  l'ont  dépensée. 
Après  un  exercice  modéré  de  quatorze  à  seize 
heures,  pendant  lequel  l'intelligence  et  le  corps 
ont  agi  de  concert  pour  accomplir  les  travaux  de 
la  journée,  tous  les  sens  ayant  été  excités,  tous 
les  muscles  exercés,  toutes  les  facultés  tenues 
en  éveil,  nous  ressentons  un  besoin  général  de 
réparation.  Les  membres  réclament  impérieuse- 
ment le  repos;  ce  sont  les  muscles  qui  dorment 
les  premiers  ;  puis  les  yeux  se  ferment,  la  pensée 
disparaît  ou  se  transforme,  le  tact  s'émousse,  et 
l'ouïe  enfin,  dernière  sentinelle  qui  nous  tenait  en 
communication  avec  le  monde  extérieur,  cesse  de 
percevoir  les  sons  comme  dans  l'état  de  veille, 
tout  en  laissant  parvenir  au  cerveau  une  impres- 
sion plus  ou  moins  confuse.  La  volonté,  le  libre 
arbitre  disparaissent  pour  faire  place  à  des  actes 
instinctifs  ou  à  des  opérations  de  l'esprit  dont 
nous  n'avons  pas  conscience. 

Quelque  elTort  que  l'on  fasse  pour  résister  au 
besoin  de  sommeil,  on  ne  le  retarde,  on  ne  l'a- 
brège qu'au  prix  de  lésions  du  cerveau  et  des  or- 
ganes des  sens,  et  la  nature  finit  par  reprendre 
ses  droits. 

Tandis  que  la  vie  de  relation  cesse  graduelle- 
ment sous  l'influence  du  sommeil,  les  fonctions 
organiques  continuent  comme  dans  l'état  de  veille 
Quelques-unes  même  prennent  une  intensité  et 
une  régularité  plus  grandes.  La  réparation  des 
tissus  s'opère  dans  de  meilleures  conditions.  Ce 
n'est  plus  alors  le  cerveau  qui  préside  aux  mani- 
festations de  l'existence.  La  moelle  cpinière  prend 
le  premier  rôle,  les  phénomènes  vitaux  sont  spé- 
cialement sous  ta  dépendance:  tout  se  passe  au- 
tomatiquement. 

Dans  l'état  de  veille,  les  actes  automatiques 
s'efléctuent  le  plus  souvent  sans  éveiller  notre 
attention.  Nous  respirons  sans  le  vouloir,  sans  y 
penser,  sans  en  avoir  conscience  le  plus  souvent. 
La  moelle  épinière  suffit  pour  régler  le  mécanisme 
des  actions  organiques.  Dans  quelques  circons- 
tances, l'action  réflexe  de  ce  centre  nerveux  se  ma- 
nifeste même  par  des  mouvements  qui  sont  ordi- 
nairement volontaires.  Si  nous  posons  par  mégarde 
le  doigt  sur  un  corps  à  une  haute  température, 
une  impression  est  immédiatement  transmise  à  la 
moelle  épinière  et  au  cerveau.  La  moelle  la  res- 
sent d'abord  et,  par  action  réflexe,  fait  mouvoir  le 
bras  ou  la  main  pour  faire  cesser  la  sensation  de 
brûlure  dont  le  cerveau  n'a  été  averti  qu'un  peu 
plus  tard.  Pendant  le  sommeil  complet  du  cerveau, 
nous  pouvons  donc  accomplir  un  certain  nombre 
de  mouvements  réflexes,  automatiques,  auxquels 
préside  seule  la  moelle  épinière,  en  l'absence  de 
la  volonté  et  de  la  conscience. 

l'our  étudier  les  cfl'ets  du  sommeil  sur  la  circu- 
lation cérébrale,  on  enlève  à  un  animal  une  por- 
tion du  crâne  que  l'on  remplace  par  une  calotte 
de  verre.  On  remarque  que,  pendant  le  sommeil, 
la  surface  du  cerveau,  un  peu  affaissée,  est  blan- 
châtre, tandis  qu'elle  devient  rosée  au  moment  du 
réveil  ou  même  lorsque  l'animal  exécute  une  série 
de  mouvements  automatiques  qui  font  supposer 
chez  lui  l'état  de  rêve.  Il  résulte  de  cette  simple 
expérience  que   la  cause  immédiate  du  sommeil 


naturel,  physiologique,  consiste  en  une  anémie 
du  cerveau.  Aussi  l'on  provoque  le  sommeil  en 
comprimant  les  carotides,  ou  en  pratiquant  une 
forte  saignée.  11  est  vrai  qu'une  congestion  du 
cerveau  peut  produire  un  assoupissement  analogue 
au  sommeil  physiologique  ;  mais  dans  ce  cas  c'est 
la  pression  exercée  sur  les  nerfs  et  sur  la  masse 
cérébrale  qui  cause  la  torpeur,  que  l'on  confond 
avec  le  sommeil.  Le  repos  qui  en  résulte  n'est  pas 
réparateur,  et,  en  se  prolongeant,  il  met  en  danger 
l'existence. 

Le  sommeil  congestif,  premier  degré  de  l'apo- 
plexie, n'est  pas  réparateur  ;  c'est  celui  qui  résulte 
de  l'emploi  de  l'opium,  de  la  digestion  d'un  repas 
trop  copieux,  d'une  très  vive  excitation  cérébrale. 
Tout  ce  qui  excite  la  circulation  du  sang  dans  le 
cerveau,  digestion  pénible,  tête  basse,  émotion  ou 
préoccupation,  éloigne  le  bon  sommeil.  Il  faudrait 
pouvoir  déposer,  avec  ses  vêtements,  les  agitations 
de  la  vie. 

La  somnolence  est  un  sommeil  lourd  qui  affai- 
blit plutôt  qu'il  ne  repose,  parce  que  le  sang, 
affluant  trop  rapidement  au  cerveau,  y  cause  un 
commencement  de  congestion. 

Dans  le  summcl  complet,  le  véritable  sommeil 
physiologique,  il  y  a  abolition  absolue  de  la  cons- 
cience, inaction  des  facultés  de  l'esprit;  les  fonc- 
tions de  la  vie  organique  s'accomplissent  seules. 
Dans  le  sommeil  incomplet,  la  vie  de  relation  n'est 
pas  complètement  abolie,  le  cerveau  reçoit  quel- 
ques impressions  par  l'intermédiaire  des  sens  ; 
la  volonté  n'est  pas  entièrement  suspendue;  sans 
qu'il  y  ait  jugement  ni  sensation  bien  précise,  la 
mémoire  et  l'imagination  conservent  une  certaine 
activité  qui  se  révèle  sous  forme  de  rêve. 

Le  sumnumbulisine  est  une  variété  de  sommeil 
incomplet  dans  laquelle,  indépendamment  de  la 
mémoire  et  de  l'imagination,  la  volonté  reprend, 
en  partie,  son  actiou  sur  les  muscles.  Dans  cet 
état,  il  n'y  a  ni  perception  des  sensations  ni  ju- 
gement, mais  on  accomplit  une  série  d'actes  qui 
pourraient  faire  supposer  l'état  de  veille.  On  ap- 
pelle quelquefois  et  assez  justement  rnitomntisme 
ce  somnambulisme  naturel.  On  peut,  dans  cet  état, 
se  livrer  h  un  travail  manuel,  marcher, écrire,  ré- 
soudre des  problèmes,  noter  des  airs.  Au  réveil 
on  n'a  aucun  souvenir  de  ce  qui  s'est  passé. 

On  voit  que  le  sommeil  n'est  en  aucune  façon 
l'image  de  la  mort,  comme  on  le  répète  par  rou- 
tine en  vers  et  en  prose.  Pendant  l'immobilité  des 
membres,  les  poumons  fonctionnent,,  le  cœur  bat, 
le  sang  circule,  les  intestins  digèrent,  les  glandes 
sécrètent  et  les  tissus  profitent  du  repos  pour  se 
nourrir  à  l'aise,  se  reconstruire  en  silence.  Plus  la 
dépense  de  force,  plus  la  perte  de  substance  aura 
été  considérable  pendant  la  veille,  plus  long  devra 
être  le  repos  rénovateur  du  sommeil.  Si  les  mus- 
cles ont  fatigué  beaucoup  plus  que  le  cerveau, 
leur  repos  sera  plus  long.  On  peut  dire  que  les 
muscles  dorment  pour  leur  compte  lorsqu'ils  se 
trouvent  dans  un  état  de  repos  absolu,  même 
lorsque  le  cerveau  ne  participe  pas  au  sommeil. 
Ce  fait  est  surtout  remarquable  chez  les  animaux  : 
un  repos  de  cinq  à  six  heures  suffit  au  cheval 
pour  récupérer  sa  force  musculaire.  De  là  le  bien- 
être  que  l'on  éprouve,  après  un  exercice  violent, 
mais  peu  prolongé,  à  s'étendre  de  façon  que  les 
muscles  se  trouvent  soulagés  de  tout  efl"ort.  Pen- 
dant qu'ils  dorment,  l'esprit  peut  continuer  do 
veiller  sans  fatigue,  jusqu'à  ce  que  le  cerveau  lui- 
même  ait  dépensé  la  somme  de  force,  usé  la 
quantité  de  matière  qui  exigent  réparation  et  ap- 
pellent le  sommeil  cérébral  :  de  même,  après  un 
travail  intellectuel  excessif,  on  éprouve  le  besoin, 
pour  rétablir  l'équilibre,  de  fatiguer  les  muscles 
tandis  que  le  cerveau  se  repose  dans  la  lêverie. 

11  y  a  donc  lieu,  surtout  au  point  de  vue  de 
l'hygiène,  d'établir  une  distinction  entre  le  som» 


SOMMEIL 


—  2037  — 


SOUDE 


meil  des  muscifs  et  ctlui  du  cerveau.  Bien  peu 
d'hommes  équilibrent  suflisamment  le  travail  du 
corps  et  de  l'intelligence  pour  qu'ils  nécessitent 
co  besoin  égal  de  repos  qui  favorise  le  sommeil  et 
nous  permet  d'en  retirer  le  plus  grand  profit.  Le 
paysan  qui  fatigue  surtout  ses  muscles  n'a  pas 
besoin  de  dormir  aussi  longtemps  que  le  citadin 
dont  la  tCtc  travaille  davantage. 

La  vie  se  ralentit  pendant  le  sommeil  ;  la  com- 
bustion est  moins  active,  ce  qui  cause  un  abaisse- 
ment notable  de  température  et  nécessite  des 
précautions  pour  maintenir  la  cltalcur  du  rorps. 
En  mCnie  temps,  l'assimilation  est  plus  énergique, 
de  siirte  que  l'on  se  trouve  dans  une  condition 
plus  favorable  i,  l'absorption  des  effluves,  des 
miasmes  dangereux.  Dans  les  temps  d'épidémie 
de  fièvre  jaune,  de  clioléra,  on  évite  souvent  la 
maladie  si  l'on  peut,  chaque  soir,  aller  dormir 
dans  un  endroit  élevé  et  sain.  Il  suffit  de  dormir 
près  d'un  marécage  pour  absorber  le  poison  de  la 
fièvre  paludéenne. 

Pour  les  enfants  au  berceau  le  temps  se  passe 
à  manger  et  à  dormir.  Dans  l'enfance  et  la  jeu- 
nesse, l'organisme  dépense  pour  la  croissance  et 
le  développement  des  tissus  une  quantité  considé- 
rable de  force,  et  de  plus  l'on  éprouve  un  besoin 
continuel  d'exercice  et  de  mouvement.  Il  est  donc 
naturel  que  le  besoin  d'un  long  sommeil  soit  im- 
périeux. Retrancher  du  sommeil  à  cet  âge,  c'est 
compromettre  la  santé  et  abréger  stirement  la  vie. 

A  mesure  que  l'on  avance  en  âge  on  peut,  sans 
inconvénient,  diminuer  la  quantité  de  sommeil, 
pourvu  que  les  travaux  manuels  ou  intellectuels 
soient  maintenus  dans  de  justes  limites.  Chez  les 


impossible  de  fixer  de  règles  à  cet  égard.  On 
peut  dire  toutefois  qu'en  moyenne,  celui  qui 
se  livre  à  des  occupations  normales  auxquelles 
participent  le  corps  et  l'esprit  a  besoin  de  dormir 
environ  huit  heures.  Mais  il  faut  compter  huit 
heures  de  sommeil  effectif  et  déduire  les  inter- 
valles de  veille  et  de  simple  somnolence.  En  dor- 
mant habituellement  plus  de  dix  heures,  on  donne 
une  trop  grande  part  à  la  vie  végétative,  le  corps 
s'alourdit,  se  charge  de  graisse;  1  appétit  décroît, 
l'intelligence  s'éniousse,  le  tempéranietit  devient 
lymphatique  ou  apoplectique.  Oeci  ne  s'applique 
pas,  bien  entendu,  aux  malades,  aux  convales- 
cents, pour  qui  le  sommeil  prolongé  est  indispen- 
sable. 

Beaucoup  de  gens,  surtout  parmi  ceux  qui  exer- 
cent une  profession  libérale,  pensent  faire  un 
excellent  calcul  en  diminuant  le  temps  normal  du 
sommeil.  Il  est  certain  que  deux  heures  gagnées 
ainsi  chaque  jour  représentent,  au  bout  de  qua- 
rante ans,  trois  ans  et  quatre  mois  de  vie  active; 
mais  le  résultat  final  tourne  toujours  contre  ces 
prévisions.  Les  heures  dérobées  au  sommeil  n'al- 
longent pas  la  vie;  elles  l'abrègent  et  préparent 
des  infirmités  pour  une  vieillesse  anticipée,  tandis 
qu'un  sommeil  suffisant,  régulier,  contribue  par- 
faitement à  assurer  une  saine  et  longue  exis- 
tence. 

L'insomnie  est  à  peu  près  inconnue  de  ceux 
qui  vivent  conformément  aux  lois  de  la  nature  ; 
elle  résulte  de  la  maladie,  de  la  surexcitation 
nerveuse,  de  l'habitude  des  veilles.  Pour  l'éviter 
ou  la  combattre,  il  suffit  d'éiiuilibrer  le  travail  ou 
l'exercice  du  corps  et  de  l'esprit,  do  ne  point  sur- 


vieillards,  les  dépenses  de  force  étant  moindres,    charger  l'estomac,  de   mener  une  vie  régulière  et 


le  besoin    de  sommeil   diminue   sans  affecter   la 
santé. 

En  général,  les  femmes  dorment  plus  longtemps 
que  les  hommes.  Elles  ont,  il  est  vrai,  moins  de 
dépenses  de  force  à  réparer,  mais  leur  nature  plus 
délicate  exige  une  réparation  plus  lente. 

Les  personnes  robustes,  fortes  et  sanguines 
n'ont  pas  besoin  d'un  sommeil  aussi  prolongé  que 
les  individus  faibles,  nerveux  et  irritables.  Cepen- 
dant, les  personnes  d'un  tempérament  sanguin 
sont  disposées  à  un  sommeil  lourd  et  profond  qui 
annonce  un  état  maladif,  la  pléthore,  et  contre 
lequel  il  importe  de  réagir  par  l'exercice  et  le 
régime.  Le  sommeil  prolongé  est  une  cause  d'o- 
bésité, et  celle-ci  devient  à  son  tour  une  incitation 
au  sommeil.  C'est  encore  à  l'exercice  et  au  régime 
approprié  que  l'on  doit  recourir  pour  éviter  cet 
inconvénient  ou  pour  y  remédier. 

L'habitude  exerce  certainement  une  influence 
sur  le  besoin  de  dormir  ;  mais,  à  part  quelques 
exceptions  individuelles  (idiosyncrasies^  que  l'on 
ne  peut  expliquer,  chaque  individu  a  besoin  d'un 
minimum  de  sommeil  dont  on  ne  peut  rien  re- 
trancher sans  diminuer  l'énergie  de  certaines 
fonctions,  la  résistance  aux  maladies,  et  sans 
causer  \  la  longue  une  détérioration  de  la  santé 
qui  se  traduit,  sinon  par  des  maladies,  du  moins 
par  l'abrègement  de  la  vie. 

Il  n'est  pas  indifférent  de  dormir  le  jour  ou  la 
nuit.  On  note  presque  toujours  quelque  dérange- 
ment de  la  santé  chez  les  personnes  qui  sont  obli- 
gées par  leur  profession  de  dormir  le  jour  et  de 
travailler  la  nuit.  Le  sommeil  de  jour  est  toujours 
plus  ou  moins  troublé,  et,  d'autre  part, ceux  qui  con- 
sacrent la  journée  au  sommeil  se  trouvent  privés, 
pendant  les  heures  de  travail,  de  l'influence  bien- 
faisante do  la  lumière  solaire.  L'anémie  avec 
toutes  ses  Cdmplications  doit  être  la  conséquence 
de  cette  manière  de  vivre. 

Le  sommeil  devant  être  proportionnel  aux  per- 
tes,  on    comprend  que   sa  durée  doit  varier  avec 


d'assurer,  vers  le  soir,  le  calme  du  cerveau.  Quaiit 
aux  narcotiques,  il  n'en  faut  user  qu'après  avoir 
vainement  recouru  aux  moyens  hygiéniques,  et  en 
cesser  l'usage  dès  que  l'habitude  de  l'insomnie 
se  trouve  suffisamment  rompue.  Excepté  dans  les 
cas  de  maladie,  il  est  très  rare,  d'ailleurs,  que 
les  mesures  hygiéniqui'S  n'assurent  pas  un  som- 
meil régulier  et  complètement  réparateur. 

[D'  Safl-ray.] 
SOUDE,  SODIUM.  —  Chimie,  X'VI.  —  Aux 
époques  les  plus  anciennes,  un  homme  à  l'esprit 
observateur  plus  développé  que  celui  de  ses 
contemporains  dut  un  jour  remarquer  combien 
les  eaux  des  lacs  du  Fezzan  lavaient  plus  com- 
plètement son  corps  ou  ses  vêtements  que  l'eau 
de  toute  autre  provenance  ;  sans  doute,  il  aper- 
çut au  bord  de  ces  lacs  une  matière  pulvérulente, 
un  peu  onctueuse,  abandonnée  par  les  eaux  dont 
le  niveau  s'abaissait.  11  expérimenta  sur  cette 
poudre  blanche  et  vit  qu'elle  donnait  à  toute 
autre  eau  les  propriétés  de  celle  qui  l'avait  aban- 
donnée. 

Le  natron,  le  premier  carbonate  de  soude, 
était  trouvé.  Mais  il  était  rare,  difficile  à  se  pro- 
curer, donc  coûteux,  et  ce  grand  élément  de 
propreté  fut  le  lot  d'un  petit  nombre.  L'expé- 
rience qui  fit  trouver  par  le  lavage  des  cendres 
uue  substance  de  propriétés  analogues,  était  plus 
compliquée  et  ne  vint  sans  doute  que  plus  tard, 
aussi  bien  pour  les  plantes  terrestres  qui  four- 
nissent la  potasse  brute  (carbonate)  que  pour  les 
plantes  marines  qui  fournissent  la  soude.  Dès  ce 
moiuent,  potasse  et  soude  devinrent  des  objets 
usuels.  On  put  nettoyer  réellement  les  toisons 
d'animaux,  on  fit  du  savon,  du  verre.  Mais  il 
était  réservé  à  notre  époque  de  science  aussi 
bien  théorique  que  pratique  d'aller  chercher  la 
soude  là  où  elle  se  trouve  en  quantité  inépuisa- 
ble, dans  le  sel  marin  *.  Alors  que  la  France  était 
menacée  de  tous  côtés  par  les  gouvernements 
voisins,  qui    voulaient    y   étouffer   la  Hévolution, 


les  saisons,   les    climats,    l'exercice,    les   travaux    elle   dut   par  de    nouveaux    moyens    se   procurer 
intellectuels,   le  régime  alimentaire.  Il  est  donc    chez  elle  les  matériaux  que  le  connnerce  étran- 


SOUDE 


—  2058 


SOUDE 


ger  lui  fournissait  autrefois.  On  apprit  i.  faire  du 
salpêtre  avec  les  plâtras,  du  soufre  avec  les  pyri- 
tes ;  lin  médecin  français,  Leblanc,  indiriua,  pour 
faire  la  soude,  le  procédé  suivi  aujourd'hui  pour 
en  obtenir  plus  de  100  millions  de  kilogrammes 
en  France  seulement.  Le  sel  marin  est  trans- 
formé par  l'acide  sulfurique  en  .sulfate  de  soude 
et  dégage  de  l'acide  clilorbydrique  utilise  par 
d'autres  industries.  Le  sulfate  de  soude  purifié  par 
cristallisation  est  mélangé  avec  son  poids  de  car 
bonaie  de  cliaux  et  un  tiers  de  cbarbon,  etcliauifé 
dans  un  fourneau  à  réverbère.  Il  en  résulte  un 
mélange  de  carbonate  de  soude  et  de  sulfure  de 
calcium.  Le  lessivage  de  cette  masse  est  une 
opération  délicate  ;  il  faut  éviter  de  dissoudre 
le  sulfure  de  calcium  qui,  en  présence  du  car- 
bonate de  soude,  donnerait  lieu  à  une  doulde 
décomposition  qui  reproduirait  les  corps  primi- 
tifs. On  opère  par  lessivages  successifs  à  l'eau 
froide.  Le  produit  obtenu  par  évaporation  est  la 
coude  brute,  carbonate  anhydre.  Plus  générale- 
ment on  le  fait  recristalliser;  il  conserve  alors 
10  équivalents  d'eau  etconstitue  le  sel  ou  les  cris- 
taux de  soude.  Il  sert  aux  blanchissages,  aux 
nettoyages  de  toute  nature,  dans  les  verreries, 
les  savonneries,  les  teintureries. 

Soude  caustique.  —  Elle  s'obtient  du  carbonate 
de  soude  comme  la  potasse  de  son  carbonate,  et 
de  même  on  peut  la  purifier  à  l'alcool.  Comme  la 
potasse,  elle  retient  un  équivalent  d'eau  combiné. 
D'un  prix  moins  élevé  à  poids  égal,  et  mieux  en- 
core en  tenant  compte  de  son  équivalent,  elle  a 
remplacé  la  potasse  dans  presque  toutes  les  ap- 
plications. 

Carijimntes  de  soude.  —  Il  en  existe  trois.  Nous 
avons  parlé  des  deux  premiers,  le  carbonate  neutre, 
NaOCUMOHO,  le  sesquicarbonate  ou  natron, 
2NaO:3CO-,.3HO,  qu'on  peut  obtenir  artificiel- 
lement par  le  mélange  des  deux  autres  et  qui 
n'a  plus  d'ailleurs  aucune  importance.  Reste  à 
parler  du  bicarbonate,  NaO'.'CO^.HO.  Il  s'ob- 
tient en  faisant  passer  un  excès  d'acide  carboni- 
que dans  une  dissolution  ou  à  travers  les  cris- 
taux de  carbonate  de  soude.  Chauffé  à  une 
température  modérée,  il  perd  ce  second  équiva- 
lent d'acide.  Ce  corps  est  le  principal  agent  de 
médication  alcaline.  C'est  à  lui  que  les  eaux  de 
Vichy  doivent  leurs  propriétés  thérapeutiques.  On 
en  fabrique  aussi  artificiellement  une  grande 
quantité  dans  cette  localité,  en  utilisant  les  déga- 
gements naturels  d'acide  carbonique.  Il  sert  à  la 
préparation  domestique  des  breuvages  carboniques. 
Un  mélange  intime  de  4  parties  d'acide  tar- 
trique  et  de  5  parties  de  bicarbonate  de  soude 
donne  immédiatement,  en  présence  de  l'eau,  du 
tartrate  neutre  de  soude,  laxatif  léger,  et  de  l'a- 
cide carbonique.  Ce  mélange,  additionné  de  son 
poids  au  moins  de  sacre,  pour  assurer  la  conser- 
vation du  produit  en  tempérant  l'action  lente  des 
deux  corps  même  à  l'état  sec,  constitue  une  pou- 
dre gazeuse  qui  permet  de  préparer  immédiate- 
ment en  été  des  boissons  très  rafraîchissantes. 
Mélangé  à  son  poids  au  moins  de  farine,  il  cons- 
titue le  biiking  jiowder  dont  les  Anglais  font  un 
usage  constant  pour  rendre  les  pâtisseries  plus 
légères  et  plus  digestes,  et  dont  l'usage  ne  peut 
que  s'étendre. 

Le  sulfate  de  soude  s'obtient  artificiellement 
par  l'action  de  l'acide  sulfurique  sur  le  chlorure 
de  sodium  ou  tout  autre  sel  de  soude.  On  l'ob- 
tient aussi  par  la  cristallisation  à  basse  torapé- 
rature  des  eaux  mères  des  salines.  11  a  déjà  été 
parlé,  à  l'article  Sels,  des  phénomènes  remarqua- 
bles que  présente  la  solubilité  du  sulfate  de 
soude  et  la  sursaturation  de  ses  dissolutions. 
Ces  propriétés  lui  firent  donner  le  nom 'de  sel 
admirable  par  le  chimiste  Glauber,  qui  le  distin- 
gua le  premier  au  xvii'  siècle. 


h'azotnle  de  soude  forme  des  bancs  considéra- 
bles au  Chili  et  au  Pérou.  C'est  un  corps  légère- 
mer.t  déliquescent,  très  soluble,  qui  ne  peut  rem- 
placer l'azotate  de  potasse  pour  la  fabrication  de 
la  poudre,  mais  qui  sert  à  le  préparer  par  double 
décomposition  avec  le  chlorure  de  potassium.  On 
l'emploie  également  pour  la  préparation  de  l'acide 
azotique.  Enfin  c'est  un  agent  fertilisant  azoté  qui 
entre  dans  la  composition  des  engrais  artifi- 
ciels. 

Il  existe  encore  une  nombreuse  série  de  sels  de 
soude  sans  importance  pratique,  sauf  quelques- 
uns  dont  il  a  déjà  été  question  ailleurs  :  le  silicate 
de  soude  (verre  soluble),  le  borate  de  soude  ou 
borax;  il  ne  nous  reste  à  citer  que  l'hyposulfite  de 
soude,  qui  est  devenu,  par  sa  propriété  de  dissou- 
dre les  sels  d'argent  insolubles  dans  l'eau,  l'un 
des  réactifs  les  plus  utiles  aux  photographes.  Ce 
sel  cristallise  bien,  et  est  très  soluble  dans  l'eau. 
On  l'obtient  soit  en  faisant  bouillir  de  la  fleur  de 
soufre  avec  le  sulfite  neutre  de  soude,  soit  en  trai- 
tant le  sulfure  de  sodium  par  l'acide  sulfureux. 

Les  réactions  qui  permettent  de  reconnaître  les 
sels  de  soude  sont  toutes  négatives,  sauf  une.  Ces 
sels  sont  précipités  par  une  dissolution  d'antimo- 
niate  de  potasse,  l'antimoniate  de  soude  étant  beau- 
coup moins  soluble  que  lui.  Ajoutons  que,  placés 
dans  une  flamme,  ils  la  colorent  en  jaune,  tandis  que 
les  sels  de  potasse,  les  seuls  avec  lesquels  on  pour- 
rait les  confondre,  la  colorent  en  rose. 

Sodium,  —  Lavoisier,  remarquant  que  les  pro- 
priétés des  oxydes  métalliques  de  fer,  de  cuivre, 
de  plomb  étaient  analogues  à  celles  des  alcalis 
fixes  et  dos  terres*,  émit  l'hypothèse  que  ceux-ci 
étaient  également  des  oxydes  métalliques;  mais 
il  ne  réussit  pas  à  en  isoler  le  radical.  En  1807, 
llumplirey  Davy  soumit  la  potasse  et  la  soude  à 
l'action  de  la  pile  électrique  que  Volta  venait  de 
découvrir  et  entrevit  les  métaux  cherchés.  Pour 
en  avoir  une  quantité  appréciable,  il  fallut  que  la 
riche  Angleterre  fil  une  souscription  nationale 
pour  offrir  au  professeur  une  batterie  électrique 
suffisante.  C'est  avec  l'appareil  fourni  par  l'en- 
thousiasme d'une  nation  que  Davy  obtint  quel- 
ques globules  de  potassium  et  de  sodium.  Il 
plaçait  la  potasse  ou  la  soude  sur  l'électrode  po- 
sitif, y  creusait  une  cavité  contenant  du  mercure 
dans  lequel  plongeait  l'électrode  négatif.  Le 
métal  décomposé  s'alliait  au  mercure  que  l'on 
chassait  ensuite  par  la  chaleur.  Le  grand  électri- 
cien, Faraday,  assistait,  encore  enfant,  à  ces  expé- 
riences et  contemplait  ces  précieux  globules  va- 
lant plusieurs  fois  leur  poids  d'or.  Soixante  ans 
après,  au  comble  de  la  gloire,  il  sautait  de  joie  en 
voyant  à  l'usine  de  Nanterre  le  même  métal  couler 
dans  de  vastes  appareils  qu'il  fallait  manier  aveo 
une  grue,  et  se  fabriquer  à  moins  de  10  fr.  le  kilo. 
Gay-Lussac  et  Tliénard  avaient  réussi  à  obtenir 
du  potassium,  et  plus  difficilement  du  sodium 
en  décomposant  par  le  fer  les  oxydes  de  ces  corps. 
Plus  tard  Brunner  réussit  à  décomposer  par  le 
charbon  la  potasse  et  la  soude.  Donnez  et  Maresca, 
les  premiers,  surent  donner  au  condensateur  une 
forme  aplatie  convenable  pour  diminuer  la  sur- 
face de  contact  de  l'oxyde  de  carbone  et  du  métal, 
et  éviter  uno  décomposition  en  sens  inverse. 
M.  Sainte-Claire  Deville  fit  par  quelques  modifica- 
tions de  cet  appareil  de  laboratoire  un  appareil  de 
grande  industrie. 

Tant  que  le  sodium  fut  d'un  prix  très  élevé, 
il  fut  sans  usage  industriel.  Depuis  que  son  prix 
est  bas,  il  est  devenu  par  excellence  le  corps  élec- 
tro-positif; il  sert  à  enlever  l'oxygène  ou  le  chlore 
aux  corps  qui  ne  peuvent  être  décomposés  autre- 
ment, et  permet  d'obtenir  l'aluminium  et  autres 
métaux.  Comme  le  potassium,  il  décompose  l'eau 
à  la  température  ordinaire,  mais  n'enflamme 
l'hydrogène  dégagé  que  s'il  est  fixe  sur  un  corps 


SOUFRE 


2039 


SOUFRE 


solide  on  placé  sur  un  liquide  aqueux  assez  vis- 
queux. Sa  flamme  est  jaune,  ce  qui  le  distingue 
du  potassium.  Le  sodium  qu'on  vient  de  couper 
a  l'éclat  métallique  do  l'argent,  mais  il  se  ternit 
immédiatement  à  l'air.  Sa  densité  est  0,97,  Il  fond 
à  90"  et  bout  au  rouge. 

L'équivalent  du  sodium  est  23,  tandis  que  celui 
du  potassium  est  :i9;  il  y  a  donc  tout  avaiiiago  i 
employer  le  premier  corps  et  ses  composés,  qui 
sont  en  outre  presque  toujours  meilleur  marché 
que  les  composés  potassiques.  [P.  Robin.] 

SOL'FRIi.  —  Chimie,  VI.  —  Le  soufre  est  un 
corps  simple,  jaune,  très  abondant,  isolé  ou  com- 
biné. Densité  2.  Très  mauvais  conducteur  de  la 
chaleur  et  très  friable.  Un  morceau  que  l'on  tient 
à  la  main  fait  entendre  des  craquements  résul- 
tant de  l'inégale  dilatation  de  sa  masse  et  des 
petites  ruptures  qui  en  résultent.  Il  s'électrise 
aisément  par  le  frottement,  fond  h  111'',  bout 
vers  4Gt)°,  cristallise  par  voie  sèche  et  par  voie 
humide.  Le  soufre  est  insoluble  dans  l'eau,  mais 
soluble  dans  diverses  huiles  grasses  ou  essentiel- 
les et  surtout  dans  le  sulfure  de  carbone.  L'éva- 
poration  de  ces  dissolutions  l'abandonne  en  octaè- 
dres du  quatrième  système.  Si  on  laisse  refroidir 
le  soufre  fondu,  la  surface  extérieure  se  fige  la 
première.  En  perçant  cette  croûte  et  faisant 
écouler  le  soufre  encore  liquide,  on  voit  l'intérieur 
tapissé  d'une  magiiifique  géode  de  cristaux  du 
cinquième  système.  Ces  cristaux,  d'abord  translu- 
cides, deviennent  opaques  en  se  transformant  dans 
les  petits  octaèdres  précédents  qui  sont  la  forme 
d'équilibre  des  molécules  du  soufre.  La  fusion  de 
ce  corps  présente  une  série  de  phénomènes 
exceptionnels  qui  révèlent  des  changements  d'é- 
tat moléculaire  remarquables.  D'abord  liquide 
clair,  il  devient,  i  mesure  (|ue  la  température  s'é- 
lève, foncé  et  visqueux  au  point  de  ne  pouvoir 
se  verser  à  200°,  puis  redevient  liquide  encore 
plus  foncé.  Versé  alors  dans  l'eau,  il  reste  mou, 
élastique,  peut  s'étirer  en  fils.  Au  bout  de  quel- 
que temps,  il  redevient  jaune  ,  opaque  et  fria- 
ble. Cette  transformation  s'opère  très  rapidement 
dans  de  l'eau  voisine  de  son  point  d'cbullition 
avec  un  dégagement  de  chaleur  qui  achève  de 
faire  bouillir  l'eau.  Le  soufre  brûle  dans  l'oxygène, 
dans  l'air,  dans  le  chlore. 

Le  soufre  se  trouve  en  quantités  inépuisables 
dans  les  pays  volcaniques.  La  France  en  cou 
somme  environ  .30  millions  de  kilogrammes  par  an 
qu'elle  tire  presque  en  totalité  de  Sicile,  mais 
qu'elle  pourrait  tirer  àunprixà  peine  supérieur  de 
la  pyrilc  de  fer  qui  en  contient  près  de  fao  p.  100. 
Le  soufre  sert  à  la  fabrication  de  l'acide  sulfuri- 
que,  des  allumettes  chimiques  ;  on  l'emploie 
pour  combattre  le  développement  de  l'oïdium  qui 
produit  la  maladie  de  la  vigne.  Le  soufrage  de  la 
vigne  se  fait  en  projetant  le  soufre  en  fleurs  sur 
la  plante  à  l'aide  d'un  soufflet. 

Le  soufre  existe  à  l'état  libre  dans  les  terrains 
volcaniques,  mélangé  h  de  la  terre.  On  le  purifie 
à  l'aide  d'une  distillation  grossière  dans  des  pots 
de  grès,  qui  lui  laisse  encore  3  p.  100  d'impuretés. 
Une  seconde  distillation  bien  réglée  le  purifie 
complètement.  Quand  le  récipient  est  h  plus  de 
110",  le  soufre  s'y  condense  à  l'état  liquide;  on  le 
coule  alors  dans  des  moules  cylindriques  en 
bois  et  il  constitue  le  soufre  en  canons.  Si  le  ré 
cipient  est  vaste  et  froid,  la  vapeur  se  condense 
en  petites  sphères  creuses  qui  sont  la  fleur 
soufre. 

Le  soufre  ne  forme  pas  moins  de  sept  combi- 
naisons avec  l'oxygène.  Deux  seulement  ont  un 
intérêt  pratique,  l'acide  sulfureux  et  l'acide  sulfu- 
rique. 

Acide  sulfiimix.  —  L'acide  sulfureux  se  forme 
quand  le  soufre  brûle  dans  l'oxygène  ou  dans 
l'air.   C'est  un  gaz  incolore,   d'une  odeur   suffo 


cantc  caractéristique.  Il  se  liquéfie  vers —  15",  et 
produit,  en  se  volatilisant,  un  abaissement  de 
température  excessif,  surtout  si  l'on  accélère  l'é- 
vaporation  par  le  mouvement  ou  l'épuisement  de 
l'air.  L'acide  sulfureux  éteint  les  corps  en  com- 
bustion, d'où  l'usage  de  jeter  du  sotifro  dans  les 
cheminées  dont  la  suie  s'est  enflammée  et  de 
fermer  ausslLùt  l'ouverture  inférieure.  L'acide 
sulfureux  contient  juste  poids  égaux  de  soufre  et 
d'oxygène  :  sa  formule  est  SO^.  11  absorbe  lente- 
ment l'oxygène  en  présence  de  l'humidité.  Cette 
absorption  est  facilitée  par  la  présence  des  com- 
posés o.xygénés  d'azote. 

On  l'obtient  dans  les  laboratoires  en  attaquant 
un  métal  des  séries  du  cuivre  et  de  l'argent  par 
l'acide  sulfurique  bouillant,  dans  l'industrie  par 
la  combustion  du  soufre.  L'acide  sulfureux  sert 
au  blanchiment  des  matières  d'origine  animale, 
laine,  soie,  à  l'assainissement  de  lieux  infectes,  à 
la  préparation  des  sulfites  et  surtout  de  l'acide 
sulfurique. 

L'acide  sulfureux  a  été  employé  contre  certai- 
nes alTections  de  la  peau.  On  lui  préfère  aujour- 
d'hui les  préparations  au  soufre,  dont  l'oxydation 
lente  produit  plus  sûrement  le  même  effet. 

Acide  sulfurique.  —  On  a  dit  de  plusieurs 
substances  que  le  degré  de  leur  consommation 
peut  servir  de  mesure  à  l'industrie  d'un  pays. 
Cette  parole  est  surtout  vraie  de  l'acide  sulfuri- 
que. Il  n'est,  en  effet,  pas  une  profession  qui  n'en 
fasse  usage  directement  ou  indirectement.  In- 
connu des  anciens,  entrevu  par  les  alchimistes, 
il  fut  pour  la  première  fois  fabriqué  en  quantité 
appréciable  au  milieu  du  xv"  siècle  par  Bazile 
Valentin,  en  distillant  le  vitriol  vert,  d'où  le  nom 
d'esprit  de  vitriol,  d'acide  vitriolique;  mais  il  n'y 
a  pas  un  siècle  et  demi  que  l'on  a  créé  en  An- 
gleterre la  première  usine  où  on  l'ait  fabriqué 
en  grand,  par  des  procédés  différant  peu  do  ceux 
qu'on  emploie  aujourd'hui. 

On  connaît  trois  formes  d'acide  sulfurique.  La 
première,  l'acide  anhydre,  est  une  curiosité  de  la- 
boratoire qu'on  obtient  dans  des  appareils  tout 
en  verre  parla  distillation  du  sulfate  de  for  ou  du 
bisulfate  de  soude  absolument  secs.  C'est  un 
corps  d'une  avidité  excessive  pour  l'eau,  que  l'on 
ne  peut  conserver  que  dans  les  ballons  scellés  où 
on  l'a  produit,  cristallisant  i  la  température  ordi- 
naire en  fines  aiguilles. 

L'acide  de  Nordliausen  est  une  dissolution  de 
ce  derjiier  dans  l'acide  hydraté,  obtenu  par  la 
distillation  des  mômes  sulfates  avec  des  précau- 
tions moins  minutieuses.  Son  seul  usage,  assez 
important  d'ailleurs,  est  d'être  le  dissolvant  de 
l'indigo. 

Mais  l'acide  dont  on  parle  surtout  est  l'acide  sul- 
furique du  commerce,  SO\HO,  acide  monohydraté 
ou  concentré.  C'est  un  corps  liquide  huileux,  in- 
colore quand  il  est  pur,  souvent  légèrement  bruni 
par  des  matières  organiques  qu'il  a  carbonisées. 
Il  est  inodore;  la  saveur  de  ce  corps,  même  dilué 
dans  1000 parties  d'eau,  est  fortement  acide;  con- 
centré, il  désorganise  immédiatement  les  ma- 
tières végétales  et  animales. 

Sa  densité  est  I,K42  ;  il  bout  à  325°,  se  congèle 
à  — 34°.  L'acide  sulfurique  concentré  est  presque 
aussi  avide  d'eau  que  l'acide  anhydre.  La  pierre 
ponce  imbibée  d'acide  sulfurique  sert  à  dessé- 
cher le  gaz. 

L'acide  sulfurique  se  dissocie  au  rouge  en  acide 
sulfureux  et  oxygène. 

On  l'obtient  en  faisant  arriver  dans  de  vastes 
chambres  de  plomb,  ayant  une  capacité  de  plu- 
sieurs centaines  de  mètres  cubes,  de  l'acide 
sulfureux,  do  la  vapeur  d'eau  et  de  l'air.  Cela 
suffirait  i  la  rigueur,  mais  on  active  la  réaction 
en  faisant  intervenir  une  petite  quantité  de  com- 
posé azoté  oxygéné,  soit  du  bioxyde  d'azote,  par 


SOUFRE 


—  2060  — 


SOUFRE 


exemple  ;  au  contact  de  l'air  celui-ci  se  trans- 
forme en  acide  hypoazotique,  et  ce  dernier  à  son 
tour  cède  à  l'acide  sulfureux  une  partie  de  son 
oxygène.  Tliéoritiuement,  une  trace  de  composé 
azoté  suffirait  ;  mais,  comme  toujours,  il  y  a  des 
pertes,  et  il  faut  en  fournir  constamment  une  pe- 
tite (luanlité  que  la  pratique  indique.  L'acide  sul- 
fureux s'obtient  par  la  combustion  du  soufre  ;  la 
chaleur  dégagée  par  cette  combustion  sert  à  va- 
poriser de  l'eau  et  à  produire  l'oxyde  d'azote. 

Nous  ne  pouvons  donner  ici  une  idée  de  toute 
l'harmonie  de  l'opération.  Disons  seulement  que 
l'acide  sulfurique,  contenant  un  excès  tantôt  d'a- 
cide sulfureux,  tantôt  de  composé  azoté,  arrive, 
après  plusieurs  retours  et  mélanges  intimes  sur 
du  coke,  à  sortir  de  l'appareil  dans  un  état  de  pu- 
reté remarquable,  mais  très  dilué.  On  le  concentre 
dans  des  vases  de  plomb  jusqu'à  ce  qu'il  marque 
CO  à  l'aréomètre  de  Baume,  puis  dans  des  cornues 
de  platine  jusqu'à  GC.  Cette  opération  est  con- 
tinue, un  filet  d'acide  dilué  entre  constamment 
dans  l'appareil  et  il  en  sort  constamment  un  acide 
concentré.  L'acide  s'emploie  rarement  à  cet  état 
de  concentration;  on  le  prépare  cependant  ainsi 
afin  d'éviter  un  inutile  transport  d'eau  et  pour 
empêcher  les  ruptures  des  vases  que  pourrait 
produire  en  hiver  un  acide  plus  dilué.  IC  kilos 
de  soufre  produisent  environ  50  kilos  d'acide. 
L'acide  sulfurique  est  employé  dans  toutes  les  in- 
dustries comme  le  plus  puissant  agent  de  transfor- 
mation. La  France  en  consomme  annuellement 
70  millions  de  kilos;  une  seule  labrique  anglaise 
en  produit  8  millions. 

Chloruies  de  soufre.  —  Le  soufre  forme  avec  le 
chlore  deux  combinaisons  correspondant  aux  aci- 
des sulfureux  et  sullurique.  Ces  deux  corps,  obte- 
nus à  chaud  par  combinaison  directe,  sonlvolaiils, 
décomposables  par  l'eau  en  acide  chlorhydrique 
et  en  acide  sulfureux  ou  sulfurique.  Ils  dissol- 
vent le  soufre,  mais  n'ont  pas  d'importance  pra- 
tique. 

Viodure  de  soufre  a  des  propriétés  analogues  ; 
on  l'a  utilisé  en  pharmacie. 

Sulfures.  — Le  soufie  forme  avec  la  plupart  des 
autres  corps  des  combinaisons  dont  il  est  l'élément 
électro-négatif. 

L'hydrogène  sulfuré  ou  acide  sulfliydrique  est 
un  gaz  incolore,  ayant  l'odeur  d'œufs  pourris. 
Sa  formule  est  SH,  sa  densité  1,191.  Il  brûle  en 
produisant  de  l'acide  sulfureux  et  de  l'eau,  ou  en 
déposant  du  soufre  si  la  quantité  d'oxygène  est 
insuffisante.  Il  est  assez  solublo  dans  l'eau,  se 
liquéfie  à  une  pression  de  40  atmosphères.  Sa  disso- 
lution, réactif  des  plus  employés  dans  les  labora- 
toires, s'oxyde  rapidement  h.  l'air,  se  trouble  par 
le  dépôt  du  soufre  et  perd  par  suite  son  odeur  et 
ses  propriétés.  En  présence  des  corps  poreux,  son 
oxydation  devient  plus  complète,  ce  qui  explique 
la  destruction  rapide  du  linge  employé  pour  les 
bains  sulfureux.  L'acide  sulfureux  't  le  sulfure 
d'hydrogène,  mélangés  dans  les  proportions  de  1 
à  2,  donnent  immédiatement  lieu  à  de  l'eau  et  à 
du  soufre.  Cette  réaction,  qui  explique  le  phéno- 
mène des  fumerolles  accompagnées  de  dépôts  na- 
turels de  soufre  pulvérulent,  peut  être  utilisée 
pour  l'extraction  du  soufre  des  pyrites.  Dans  les 
laboratoires,  l'hydrogène  sulfuré  se  prépare  en 
faisant  agir  un  acide  fort  sur  un  sulfure,  soit 
acide  chlorhydrique  et  sulfure  d'anti.moine,  soit 
acide  sulfurique  et  sulfure  de  fer.  C'est  un  gaz 
très  délétère  auquel  sont  dus  les  accidents  si  fré- 
quents des  fosses  d'aisances. 

Les  sulfures  méialliques  ont  une  grande  impor- 
tance méiailurgique.  Le  plus  grand  nombre  des 
minerais  métalliques  sont  des  sulfures.  Dans  les 
laboratoires,  les  dissolutions  métalliques  se  dis- 
tinguent le  plus  souvent  par  les  propriétés  des 
sulfures  que  l'on  obtient  par  précipitation  à  l'aide 


de  l'hydrogène  sulfuré  ou  du  sulfliydrate  d'am- 
moniaque. 

Les  sulfures  peuvent  s'obtenir  par  combinaison 
directe,  sauf  ceux  de  zinc,  d'argent,  d'or  et  de 
platine.  La  combinaison  s'effectue  généralement 
avec  dégagement  de  chaleur. 

Si  l'on  chautfe  vers  21100°  dans  un  tube  deux 
parties  de  cuivre  et  une  de  soufre,  la  combinaison 
se  fait  avec  dégagement  de  lumière  ;  avec  du 
plomb,  la  chaleur  dégagée  peut  fondre  le  ballon; 
avec  du  mercure,  il  se  produit  une  explosion.  On 
peut  obtenir  du  sulfure  de  mercure  en  triturant 
ensemble  du  mercure  et  du  soufre  humecté.  Un 
mélange  mouillé  de  fleur  de  soufre  et  de  limaille 
de  fer  se  combine  avec  un  dégagement  de  chaleur 
suffisant  pour  vaporiser  très  vivement  l'eau.  Si 
l'on  ref  ouvre  ce  mclange  avec  de  la  terre,  celle-ci 
est  soulevée.  Lémery  avait  cru  trouver  ainsi  l'ex- 
plication des  volcans;  d'où  le  nom  de  volcan  de 
Lémery  donné  à  cette  expérience  classique. 
Comme  les  composés  oxygénés,  les  sulfures  peu- 
vent jouer  le  rùlo  de  bases,  d'acides,  être  neu- 
tres, indifférents  ou  salins.  Leur  couleur  est  sou- 
vent caractéristique.  Il  y  a  un  sulfure  d'arsenic 
et  un  sulfure  de  cadmium  jaunes  ;  le  sulfure 
de  manganèse  est  rose  ;  celui  de  mercure,  le 
vcnnillo?i.  est  rouge  ;  les  sulfures  alcalins  sont 
blancs  ou  incolores  ;  la  plupart  sont  noirs  ;  un 
grand  nombre  de  sulfures  naturels  ont  l'éclat 
métallique.  La  pyrite,  bisulfure  de  fer,  se  pré- 
sente souvent  en  cubes  jaune  d'or  qui  l'ont  fait 
bien  des  fois  prendre  par  des  naïfs  pour  un 
minerai  aurifère.  Quelques  sulfures  sont  vola- 
tils. En  général  les  polysulfures  perdent  par  la 
chaleur  une  partie  de  leur  soufre,  mais  il  n'y  a 
que  les  métaux  de  la  dernière  série  dont  les  sul- 
fures soient  entièrement  décomposables  par  la 
chaleur.  L'oxygène  agit  sur  beaucoup  de  sulfu- 
res; les  sulfures  poreux  huinides  se  transforment 
souvent  lentement  en  sulfates. 

A  chaud  les  sulfures  se  grillent  et  se  transfor- 
ment en  oxydes  et  acide  sulfureux.  Les  sulfures 
alcalins  sont  seuls  solubles  dans  l'eau, et  s'y  décom- 
posent lentement  par  l'action  de  l'acide  carboni- 
que de  l'air,  d'où  leur  odeur  d'hydrogène  sulfuré. 
Les  caractères  communs  des  sulfures  sont  de 
donner  de  l'acide  sulfureux  par  le  grillage  à 
l'air  et  de  l'hydrogène  sulfuré  par  l'action  des 
acides. 

Les  sulfates  sont  les  combinaisons  d'acide  sul- 
furique et  d'une  base.  On  admet,  d'après  Berze- 
lius,  comme  sulfates  neutres  ceux  dans  lesquels 
le  rapport  de  l'oxygène  de  l'acide  à  celui  de  la 
base  est  3.  Il  y  a  des  sulfates  basiques  à  divers 
degrés,  et  des  bisulfates.  Ceux  de  la  première 
section  et  de  magnésie  sont  indécomposables  par 
la  chaleur  seule.  Les  autres  dégagent  de  l'a- 
cide sulfureux  et  de  l'oxygène,  parfois  de  l'acide 
sulfurique  anhydre,  et  se  transforment  en  oxy- 
des ou  en  oxysulfures.  Les  acides  borique  et  si- 
licique  en  chassent  l'acide  sulfurique,  confor- 
mément aux  lois  de  Berthollet.  En  général,  les 
sulfates  sont  solubles.  Ceux  de  baryie,  de  plomb, 
de  strontiane,  de  chaux,  d'argent,  ne  le  sont  pas 
ou  très  peu,  et  de  plus  en  plus  dans  l'ordre  in- 
diqué. La  nature  en  fournit  un  certain  nombre 
employés  dans  les  arts  ou  la  médecine,  les  sulfa- 
tes de  chaux,  de  baryte,  de  strontiane,  de  soude, 
de  magnésie,  l'alun,  les  sulfates  de  fer,  de  cuivre  ; 
ces  derniers  sont  aussi  préparés  artificioUement 
par  le  grillage  des  sulfures.  On  peut  préparer  les 
sulfates  par  l'action  de  l'acide  sulfurique  sur  les 
bases  ou  les  sels  à  acide  plus  volatils,  les  car- 
bonates, les  sulfures,  les  chlorures.  Les  sulfates 
insolubles  peuvent  s'obtenir  par  double  décompo- 
sition. La  propriété  caractéristique  des  sulfates 
est  de  donner  par  les  sels  de  baryie  un  précipité 
insoluble  dans  les  acides.  Les  sulfates  étant  en 


I 


SOULEVEMENTS 


2061  — 


SOULÈVEMENTS 


général  solublos.  sont  employi'^s  pour  donner  do 
la  solubilité  aux  bases,  et  sont  utilisés  pour  les 
propriétés  de  ces  bases,  plutôt  que  comme  sul- 
fates, exemple  :  le  sulfate  de  cliaux  comme  agent 
fertilisant,  les  sulfates  de  cuivre  et  de  fer  pour 
chauler  les  blés,  le  sulfate  de  quinine  comme 
fébrifuge,  le  sulfate  de  magnésie  comme  pur- 
gatif. [P.  Robin.J 

SOULÈVEMENTS.  —  Géologie,  III.  —  Ce  mot 
s'applique  en  géologie  : 

1°  A  un  fait,  consistant  dans  l'exhaussement 
de  certaines  parties  du  sol  par  rapport  aux 
autres  ; 

2°  A  toute  une  doctrine  dont  l'auteur  est  Elie 
de  Beaumont  et  qui,  après  avoir  été  certaine- 
ment comprise  d'une  manière  défectueuse,  sem- 
ble néanmoins  de  nature  à  rendre  des  services 
variés. 

Au  premier  point  do  vue,  nous  n'aurons  pas 
grand'cliose  à  dire,  le  fait  des  soulèvements  su- 
bits {tremblements  de  terre)  et  des  soulèvements 
lents  (bossellements  généraux)  entrant  plus  na- 
turellement dans  le  cadre  d'autres  articles  ;  il 
faudra,  au  contraire,  nous  étendre  un  peu  plus 
sur  la  doctrine. 

Néanmoins,  nous  ne  pouvons  nous  dispenser, 
en  commençant,  de  faire  remarquer  que  la  cause 
même  des  phénomènes  dynamiques  en  question 
est  unique  et  réside  dans  les  régions  les  plus 
profondes  de  la  terre.  Elle  consiste  dans  le  retrait 
ceniripète,  conséquence  du  refroidissement  spon- 
tané de  notre  globe. 

En  effet,  le  premier  résultat  de  ce  refroidisse- 
ment a  été  sur  la  terre,  comme  il  est  actuelle- 
ment sur  le  soleil,  la  concrétion  d'une  enveloppe 
solide,  comparable  pour  sa  minceur  relative  à  la 
pellicule  d'une  bulle  de  savon,  et  qui  est  devenue 
le  point  de  départ  d'un  double  système  de  dé- 
pôts. A  l'extérieur  se  sont  superposés  les  maté- 
riaux abandonnés  par  l'atmosphère  au  fur  et  à 
mesure  de  son  refroidissement;  en  dedans  l'en- 
veloppe primitive  a  reçu  le  placage  successif  des 
substances  qui  passent  les  unes  après  les  autres 
de  la  forme  fluide  à  l'état  solide. 

Or,  la  perte  de  chaleur  constamment  éprouvée 
par  le  noyau  intérieur  a  eu  pour  effet  d'écarter 
de  la  coque  solide  le  noyau  fluide  qui  la  sou- 
tenait tout  d'abord.  Dans  la  situation  d'une 
construction  dont  le  sol  serait  miné,  l'enveloppe, 
portant  à  faux,  s'est  affaissée  par  place  et,  par 
une  réaction  nécessaire,  les  régions  voisines  ont 
subi  une  surélévation  proportionnée.  Ces  déni- 
vellations produisant  des  cassures,  les  masses 
fondues  internes  se  sont  insinuées  par  ces  so- 
lutions de  continuité.  Elles  ont  ainsi  alimenté 
des  éruptions  semblables  i  beaucoup  d'égards  à 
celles  de  nos  volcans  actuels  et  dont  la  substance 
constitue,  dans  certains  cas,  l'axe  et  comme  l'os- 
sature des  chaînes  do  montagnes. 

Les  faits  de  ce  genre  sont  visibles  de  toutes 
parts  et  leur  interprétation  est  d'autant  plus  cer- 
taine que  l'expérience  a  pu  dans  certains  cas  les 
reproduire.  C'est  ainsi,  pour  n'en  citer  qu'un  seul 
exemple,  que  M.  Alphonse  Favre,  en  imitant  la 
contraction  de  la  croûte  terrestre  sur  l'élasticité 
d'une  feuille  de  caoutchouc,  a  fait  subir  à  des 
couches  d'argile  superposées  à  ce  caoutchouc 
toutes  les  inflexions  des  roches  dont  se  composent 
les  chaînes  de  montagnes. 

Cela  posé,  nous  avons  ce  qu'il  faut  pour  com- 
prendre la  doctrine  des  soulèvements.  Déjà  nous 
venons  de  remarquer  que  les  montagnes  ne  sont 
pas  isolées  :  elles  forment  des  citaines.  Elie  de 
Beaumont  va  plus  loin  et  montre  que  les  chaînes 
forment  des  systèmes. 

Il  ne  se  boine  pas  h  signaler  le  fait,  il  l'expli- 
que, ou  plutôt,  il  part  do  consilérations  théori- 
ques pour  conclure  que  le   fait  est   absolument 


nécessaire.  C'est  ici  que  se  place  la  critique  que 
la  première  phrase  de  cet  article  a  pu  faire  pré- 
voir. Elie  de  Beaumont,  imbu  des  méthodes  ma- 
thématiques, a  eu  le  tort  de  vouloir  introduire 
dans  une  question  d'histoire  naturelle  des  consi- 
dérations absolument  géométriques.  Comme  des 
naturalistes  l'auraient  prévu,  le  résultat  fut  une 
théorie  ingénieuse,  élégante,  comme  disent  les 
algébristes,  mais  qui  ne  représente  les  phéno- 
mènes naturels  que  d'une  manière  fort  incom- 
plète. 

Elie  de  Beaumont  raisonne,  en  effet,  comme  si 
le  globe  terrestre  était  un  sphéroïde  parfaite- 
ment homogène,  et  il  se  demande  quel  sera  le 
résultat  de  son  refroidissemoiit  parfaitement  ré- 
gulier. 

Il  trouve  que  ces  crevasses,  dont  nous  venons 
d'indiquer  l'ouverture,  ne  s'établiront  pas  dans 
des  directions  quelconques.  Leur  direction  sera 
réglée  d'une  manière  absolue  pour  la  forme  même 
du  sphéroïde  planétaire.  Elles  s'entre-croiseront 
sous  des  angles  parfaitement  définis  et,  en  s'en- 
tre-croisant  ainsi,  elles  délimiteront  à  la  surface 
de  la  terre  les  mailles  d'un  réseau  géométrique- 
ment régulier. 

Ce  réseau,  l'auteur  le  soumet  à  une  étude 
complète  et  il  trouve  que  ses  mailles  auront 
nécessairement  la  forme  de  pentagones  :  le  penta- 
gone étant  de  tous  les  polygones  réguliers  sus- 
ceptibles de  diviser  exactement  la  surface  sphé- 
rique  celui  qui  pour  une  surface  donnée  présente 
le  plus  grand  périmètre. 

Or.  il  semble  qu'ici  une  simple  remarque  au- 
rait dû  inviter  l'auteur  i  faire  usage  de  grande 
prudence  dans  ses  déductions.  Sur  le  plan,  c'est 
l'hexagone  régulier  qui  jouit  des  propriétés  que 
possède  le  pentagone  sur  la  sphère  ;  aussi  les  mê- 
[  mes  géomètres-naturalistes  ont-ils  posé  en  principe 
j  que  le  retrait  des  nappes  planes  do  basalte  doit 
les  diviser  en  colonnades  hexagonales.  Or,  qu'on 
'  visite  de  pareilles  colonnades,  et  il  n'en  manque 
pas  depuis  la  France  centrale  jusqu'en  Irlande,  et 
l'on  verra  que  les  prismes  hexagonaux  sont  de  très 
I  rares  exceptions.  Les  colonnes  ont  toutes  les  for- 
mes possibles,  et  la  même  colonne  considérée  à 
diverses  hauteurs  prend  successivement  des  con- 
j  tours  différents. 

Mais  l'influence  des  idées  géométriques  est  si 
.  forte  (lue  les  livres  classiques  continuent  de  dé- 
'  montrer  pourquoi  les  prismes  de  basalte  sont 
j  toujours  h  six  pans,  et  que  les  excursionnistes  ne 
I  ramassent  guère  sur  le  terrain  que  les  échantil- 
lons, fort  rares,  qui  satisfont  par  hasard  aux  con- 
ditions théoriques. 

Eh  bien,  pour  le  réseau  pentagonal  il  en  fut 
exactement  de  môme.  Après  avoir  démontré  que 
j  les  chaînes  de  montagnes  doivent  dessiner  à  la  sur- 
face  du  globe  un  réseau  à  mailles  régulières,  Elie 
I  de  Beaumont  a  passé  sa  vie  en  tentatives  infruc- 
j  tueuses  pour  -plier  la  nature  à  ses  vues. 

Pas  plus  que  les  basaltes  ne  sont  à  six  pans, les 
I  montagnes  ne  dessinent  des  pentagones  4  la  sur- 
,  face  du  globe.  Mais  il  ne  faut  pas  en  conclure  que 
'  les  principes  géométriques  invoqués  soient  faux. 
Seulement  ni  le  basalte,  ni  surtout  le  globe  ne  sont 
des   masses  homogènes.  La  loi  simple    invoquée 
par  le  géomètre   est  profondément  modifiée    en 
chaque  point  par  les  causes  locales,  et  c'est  en 
pure  perte  qu'on  tente  de  représenter  par  des  for- 
mules rationnelles  les  phénomènes  toujours  com- 
plexes de  la  nature. 

Il  n'en  reste  pas  moins  que  l'idée  des  systèmes 
de  sonlèveywnis  est  très  féconde  et  doit  être  re- 
tenue. Eli"  est  fort  importante  surtout  en  ce  qui 
concerne  l'histoire  du  foyer  d'activité  que  la  terre 
recèle  dans  ses  profondeurs. 

A  l'origine,  on  lui  a  attribué  un  autre  genre 
encore  d'intérêt  dont  les  progrès   de   la  science 


SOULÈVEMENTS 


20G2  — 


SOUSTUAGTION 


l'ont  également  dépouillé,  mais  qu'il  faut  men- 
tionner. Il  s'agit  de  la  délimitation  des  périodes 
géologiques. 

Tout  le  monde  sait  que  l'illustre  Georges  Cuvier 
a  écrit  un  ouvrage  intitule  Discours  sur  les  ré- 
tolutions  du  (/lobe,  qui  dans  son  temps  fut 
comme  l'évangile  de  la  science.  L'idée  qui  y  do- 
mine est  que  l'histoire  de  la  terre  se  compose 
d'une  série  de  périodes  caractérisées  chacune  par 
une  faune  et  par  une  flore  spéciale  et  qui  sont 
séparées  les  unes  des  autres  par  une  révolution, 
c'est-à-dire  par  un  cataclysme  qui  a  fait  table  rase 
de  toute  la  nature  organisée  pour  la  remplacer 
par  une  autre.  Or  quelle  est  la  cause  de  ces  révo- 
lutions? 

La  production  brusque  d'un  système  de  cassure 
et  la  subite  sortie  des  montagnes  correspondan- 
tes répondait  h  tous  les  besoins  d'une  manière 
inespérée.  Ce  fut  son  triomphe. 

Oui,  mais  voili  que  ce  qui  était  si  vrai  du  temps 
de  Cuvier  que  la  moindre  objection  semblait  une 
hérésie,  est  démontré  aujourd'hui  parfaitement 
inexact.  Les  révolutions  du  globe  Ji'ont  jamais 
existé  que  dans  l'imagination  de  savants  induits 
en  erreur  par  une  tradition  où  toute  saine  chro- 
nologie est  méconnue.  L'histoire  de  la  terre  appa- 
raît, à  U  suite  des  recherches  innombrables  qu'elle 
a  motivées,  comme  une  magistrale  et  lente  évolu- 
tion. Les  espèces  organiques,  comparables  à  chacun 
des  individus  qui  les  composent,  sont  nées  à  leur 
heure,  se  sont  développées,  ont  atteint  ensuite  la 
période  de  décrépitude  et  se  sont  éteintes  en  vertu 
des  causes  mêmes  qui  déterminaient  la  prospé- 
rité de  leurs  concurrents. 

Dès  lors  les  brusques  dénivellations  amenant  à 
leur  suite  les  cataclysmes  cuviériens  n'avaient 
plus  de  raison  d'être,  et,  en  effet,  il  est  impossible 
de  persister  à  croire  que  le  soulèvement  des 
chaînes  montagneuses  ait  été  subit,  comparable, 
suivant  une  expression  jadis  consacrée,  «  à  la  crois- 
sance des  champignons.  »  Chaque  cliainc  est  le  ré- 
sultat d'une  série  d'actions  peu  considérables,  qui, 
s'ajoutant  sur  une  même  ligne  de  fraction,  ont 
exhaussé  lentement  le  sol  et  lentement  déplacé 
le  bassin  des  mers. 

Comme  on  le  voit,  les  progrès  de  la  science  ont 
considérablement  diminué  l'importance  do  la  doc- 
trine d'Elie  de  Beaumont.  Cependant  ils  ont  laissé 
intact  un  grand  fait  mis  en  lumière  par  les  travaux 
de  l'illustre  géologue.  U  consiste  en  ce  que  tous 
les  soulèvements  n'ont  pas  le  même  âge,  et  il  sup- 
pose par  conséquent  que  l'on  sait  évaluer  l'âge 
géologique  de  chacun  d'eux. 

La  méthode  qui  permet  d'arriver  h  cette  notion 
est  d'ailleurs  très  simple:  on  cherche  à  détermi- 
ner l'âge  des  couches  qui  ont  participé  au  mouve- 
ment d'exhaussement,  et  l'on  est  sur  que  le  sys- 
tème des  montagnes  considérées  est  plus  récent  que 
ces  couches.  Un  détermine  de  même  l'âge  des 
couches  qui  se  sont  disposées  au  voisinage,  aussi- 
tôt que  possible  après  le  soulèvement.  L'âge 
de  celui-ci  est  compris  entre  les  deux  précé- 
dents. ,        ,  .  j         r. 

Un  exemple  nous  fera  bien  comprendre.  Dans 
une  partie  de  la  chaîne  des  Pyrénées,  le  terrain 
inférieur  (terrain  nummulitiquc)  a  été  élevé  à  une 
grande  hauteur,  liais  au  pied  de  la  chaîne  les 
couches  miocènes  sont  restées  parfaitement  iio- 
rizontales.  L'âge  de  cette  portion  de  chaîne  est 
donc  tertiaire  et  compris  entre  l'éocène  et  le  mio- 
cène. Nous  disons  de  cette  portion,  car  il  s'en  faut 
que  toute  la  chaîne  se  soit  produite  à  la  môme 
époque.  Dans  les  Alpes,  par  exemple,  on  arrive 
à  déterminer  toute  une  succession  de  soulève- 
ments, auxquels  les  montagnes  doivent  leur  re- 
lief actuel. 

A  la  tin  de  sa  laborieuse  carrière.  Elle  de  Beau- 
mont  a  réuni  dans  un  ouvrage  d'ensemble  l'âge 


des  principaux  systèmes  de  montagnes.  Il  con- 
vient, en  terminant  cet  article,  d'indiquer  quel- 
ques-uns d'entre  eux. 

Entre  le  talschiste  pliylladiforme  et  le  ter- 
rain cambrien  se  place  le  si/stème  des  coltines 
de  la  Vendée;  collines  qui  sont  les  restes  de 
hautes  montagnes  réduites,  par  l'usure  prolongée 
depuis  une  si  haute  antiquité,  à  l'état  de  reliefs 
fort  atténués,  mais  où  l'on  retrouve  tous  les  carac- 
tères distinctifs  des  sommets  les  plus  considé- 
rables. 

Après  le  cambrien  viennent  successivement 
les  systèmes  du  Finistère  et  du  Morbihan  ;  en- 
tre le  silurien  et  le  dcvonien,  le  système  du 
Westmoreland  et  du  Hundsruck  ;  après  le  cal- 
caire carbonifère,  le  soulèvement  des  ballons  des 
Vosges  et  des  collines  du  Bocage  ;  après  le 
miUstone  gritt,  le  système  du  Forez;  entre  le 
terrain  houiller  et  le  terrain  permien,  le  sys- 
tème du  nord  de  l'Angleterre  ;  après  le  zecli- 
stein,  le  système  du  sud  du  pays  de  Galles  ; 
après  le  grès  vosgien,  le  système  du  Rhin  ;  entre 
le  trias  et  le  lias,  le  système  du  Thuringerwald  ; 
entre  le  jurassique  et  le  crétacé,  le  système  de 
la  Cùte-d'Or  ;  entre  les  grès  verts  et  la  craie,  le 
mont  Viso;  à  la  base  du  tertiaire,  les  Pyrénées, 
ainsi  que  nous  l'avons  déjà  dit;  peu  après,  le 
système  de  la  Corse  et  de  la  Sardaigne  ;  durant 
l'époque  miocène,  les  systèmes  de  l'île  de  Wight 
et  du  Sancerrois  ;  entre  le  miocène  et  le  plio- 
cène, une  partie  du  soulèvement  des  Alpes,  qui 
s'est  continué  jusqu'à  la  fin  du  terrain  tertiaire. 
Pendant  l'époque  quaternaire,  le  système  du  Té- 
nare  et  de  l'Etna,  et  le  système  des  Andes. 

Enfin,  des  observations  toutes  récentes  ont 
prouvé  qu'à  la  Nouvelle-Zélande  un  système 
de  montagnes  commence  à  se  soulever  le  long 
d'une  longue  faille  dont  la  dénivellation  s'ac- 
centue par  des  tremblements  de  terre  successifs. 
[Stanislas  Meunier.] 

SOUSTRACTION.  —  Arithmétique,  V.  —  Pour 
comparer  doux  règles  AB  et  CD,  on  les  appli- 
que l'une  contre  l'autre  de  telle  sorte  qu'elles 
aient  une  extrémité  commune,  puis  on  marque 
le  point  E  de  AB  auquel  correspond  l'autre  extré- 
mité D  de  CD  ;   la  disUnce  EB  est  la  différence 


entre  AB  et  CD  ;  c'est  ce  qui  resterait  de  AB  si 
l'on  coupait  dans  AB  une  petite  règle  égale  à  CD, 
ou  bien  encore,  c'est  ce  qu'il  faudrait  ajouter  à  la 
plus  petite  règle  pour  qu'elle  devînt  égale  i, 
l'autre. 

Si  l'on  mesure  la  distance  EB  avec  un  mètre  di- 
visé en  millimètres,  on  trouvera  directement  le 
nombre  de  millimètres  que  renferme  cette  diffé- 
rence. 

Mais  la  marche  précédente,  facile  à  suivre 
lorsqu'il  s'agit  de  deux  règles,  n'est  pas  applica- 
ble à  toutes  les  longueurs  ;  il  serait  impossible 
de  mesurer  ainsi  la  différence  de  longueur  de 
deux  murs,  la  différence  de  hauteur  de  deux  mai- 
[sons;  nous  allons  voir  qu'il  suffit  de  mesurer 
'  avec  le  mètre  la  hauteur  AB  de  la  première  maj- 
'  son,  puis  la  hauteur  CD  do  la  seconde,  et  en  fai- 
'  sant  un  petit  calcul  sur  les  nombres  ainsi  obte- 
nus, en  faisant  une  soustraction,  nous  obtiendrons 
la  différence  des  hauteurs  des  deux  édifices  sans 
avoir  besoin  de  les  placer  l'un  près  de  l'autre. 
Si  nous  trouvons,  par  exemple,  que  AB  ren- 
ferme 15  mètres  et  que  CD  n'en  renferme  que  12. 
'  nous  chercherons  combien  il  faut  ajouter  de 
]  mètres  à  12  mètres  pour  obtenir  15;  il  est  clair 
I  qu'il  en  faut  3;  nous  dirons  donc  que  la  différence 


SOUSTRACTION 


—  2063  — 


SOUSTRACTION 


des  deux  Iiauteurs  est  3  mètres,  et  nous  écrirons 
en  abrégé  ; 

15">— 12'»  =  3n>, 

ce  qui  s'énonce  ainsi  : 

Quinze  moins  douze  est  égal  h  trois. 

Le  signe  —  (moins)  est  le  signe  de  la  sous- 
traction. Si  nous  avions  à  retranclier  Vl  francs  de 
15  francs,  nous  trouverions  encore  3  francs  ;  si  de 
15  kilogrammes  nous  devions  on  retrancher  12, 
il  nous  resterait  encore  3  kilogrammes  ;  la  diffé- 
rence est  toujours  représentée  par  le  même  nom- 
bre d'unités,  si  les  nombres  que  l'on  obtient  en 
mesurant  les  deux  grandeurs  île  me'me  espèce 
restent  les  mômes,  quelle  que  soit  d'ailleurs  la 
nature  de  cette  grandeur.  On  est  ainsi  conduit  à 
la  soustraction  de  deux  nombres  abstraits,  c'est- 
à-dire  de  deux  nombres  considérés  indépendam- 
ment de  la  grandeur  dont  ils  sont  la  mesure,  et 
les  définitions  suivantes  se  présentent  naturelle- 
ment à  l'esprit  des  enfants  ;  en  les  apprenant 
par  cœur,  ils  sauront  ce  qu'ils  disent  : 

DÉFINITION.  —  La  soustractiou  a  pour  but,  étant 
(tonnés  deux  nombres,  de  trouver  combien  il 
faut  ajouter  d'unités  au  plus  petit  pour  obtenir 
te  plus  grand. 

On  peut  dire  encore  :  La  soustraction  a  pour 
but,  connaissant  la  somme  de  deux  nombres  et 
Fun  de  ces  nombres,  de  trouver  l'autre.  Ce  der- 
nier s'appelle  reste,  excès  ou  différence. 

i"  CAS.  —  Le  plus  petit  nombre  n'a  qu'un 
chiffre,  et  le  plus  grand  7ie  le  sur-passe  pat  de  plus 
de  neuf. 

Soit,  par  exemple,  h.  trouver  la  différence  7  —  3  ; 
on  voit,  d'après  la  table  d'addition,  que  c'est  la 
nombre  4  qui,  ajouté  à  3,  donne  7  ;  il  suffit  de  sa- 
voir sa  table  d'addition  par  cœur. 

On  pourrait  aussi  ôter  de  7  toutes  les  unités 
Qui  sont  dans  3  et  dire  :  de  7  ûtez  1  il  reste  G, 
ae  6  ôtez  1  il  reste  5,  de  5  ôtez  1  il  reste  4  :  la 
différence  cherchée  est  4.  —  Cette  manière  de 
compter  sur  ses  doigts  ne  doit  être  employée 
que  pour  les  enfants  qui  commencent. 

2*  CAS.  —  Soustraction  de  deux  nombres  de 
plusiews  chiffres  lorsque  chaque  chiffre  du  petit 
nombre  est  moindre  que  le  chiffre  correspondant 
de  l'autre. 

Soit  à  retrancher  372  de  80G  :  il  suffit  de  dé- 
composer ces  deux  nombres  en  leurs  unités  da 
différents  ordres  : 

896  =  8  cent,  -f  9  diz.  -f  6  unités, 
372  =  3  cent.  +  7  diz.  -j-  2  unités  ; 

on  retranche  ensuite  les  unités  des  unités, 

0  —  2  =  4; 
les  dizaines  des  dizaines, 

9  —  7=2; 

les  centaines  des  centaines, 

8—3  =  5; 

le  reste  renfermera  donc  5  centaines,  2  dizaines 
et  4  unités,  il  sera  524  et  l'on  écrira: 

896  —  372  =  524. 

Pour  faire  facilement  ces  soustractions  partiel- 
les, on  dispose  les  deux  nombres  de  manière  que 
les  unités  de  même  ordre  soient  dans  la  même  co- 
lonne verticale,  et  l'on  est  conduit  ainsi  à  la  règle 
pratique  suivante  : 

RÈGLE  piiATiguE.  —  On  écrit  te  nom'.re  à  sous- 
traire sous  le  grand  nombre  de  manière  que  les 
unités  de  mémo  ordre  se  correspondent,  et  on  sou- 
ligne. Alors  on  ôte  les  imités  des  unités,  les  dizai- 
nes des  dizaines,  etc.;  les  restes  partiels  écrits  au- 


dessous  forment  la  différence  des  deux  nombres 
proposée. 
On  dispose  ainsi  le  calcul  : 

896    somme 

372    nombre  connu 

5"i4    reste. 

3'  CAS.  —  Quelques-uns  des  chiffres  du  nombre 
à  soustraire  sont  plus  grands  que  leurs  correspon- 
dants dans  la  somme. 

Soit  à  faire  la  soustraction 

54807—26738. 

On  ne  peut  retrancher  S  unités  de  7  unités 
G  mille  de  4  mille  ;  la  marche  précédente  est 
donc  en  défaut,  et  l'on  s'appuie  sur  le  principe 
suivant  : 

Principe.  —  La  différence  de  deux  nombres  ne 
change  pas  lorsque  l  on  augmente  également  cha- 
cun d'eux. 

Ainsi  8  — 5  =  3,  et  si  l'on  ajoute  4  à  chacun  des 
nombres  8  et  S,  l'on  a  encore  12  — 9=3;  ce  qui 
revient  à  dire  qu'entre  5  heures  du  matin  c't  8  heu- 
res du  matm,  il  y  a  le  même  intervalle  de  temps 
qu'entre  9  heures  et  midi.  —  On  peut  aussi  met- 
tre ce  principe  en  évidence  à  l'aide  de  deux  mè- 
tres brisés  dont  on  déploie  k  la  fois  le  môme 
nombre  de  décimètres. 

Pour  faire  la  soustraction  posée  plus  haut 
nous  dirons  (en  nous  appuyant  sur  le  principe 
précédent)  : 

54807     somme 
26738     nombre  connu 
28uuy    reste. 

Comme  on  ne  peut  ôter  8  de  7,  augmentons  la 
nombre  supérieur  de  dix  unités,  ou  d'une  dizaine' 
la  soustraction  deviendra  possible  et  nous  dirons 
K  8  de  17  reste  9.  a 

Mais  puisque  le  nombre  supérieur  a  été  aug- 
menté d'une  dizaine,  nous  devons,  pour  ne  pas 
altérer  la  différence,  ajouter  aussi  uno  dizaine  au 
nombre  inférieur  et  nous  dirons  «  4  de  0  » 
Comme  cette  soustraction  est  encore  impossible, 
on  augmentera  ce  zéro  de  dix  dizaines,  et  l'on 
dira  «  4  de  10  reste  G;  «  puis,  pour  compen- 
ser, on  augmente  le  nombre  inférieur  d'une  cen- 
taine, ce  que  l'on  fait  en  disant  «  S  do  8  i-esta 
0.  1)  Continuant,  il  faudra  dire  «  G  de  15  reste  8, 
3  de  5  reste  2.  a  Ainsi  la  différence  cherchée  est 
28UG9,  et  l'on  écrit  : 

54807  — 2C738  =  280G9. 

Remarque.  —  Dans  la  pratique  on  se  dispense 
de  répéter  le  mot  rate  à  chaque  soustraction 
partielle  :  voici  les  seuls  mots  qu'il  faut  laisser 
prononcer  à  l'élève  ;  8  de  17,  9  ;  4  de  10,  6  •  8  da 
>«,  0;  6  de  14,  8;  3  de  5,  2. 

RÈGLE  rnATiQUE.  —  Dans  le  cas  général,  on 
suit  la  même  marche  que  dans  le  premier  cns' 
arrivé  à  une  soustraction  partielle  impossible' 
on  augmente  par  la  pensée  le  chiffre  supérieur 
de  dix  unités  de  son  ordre  et,  dans  la  soustrac- 
tion partielle  qui  suit,  on  augmente  d'une  unité 
le  chiffre  inférieur. 

Preuve.  —  Pour  vérifier  une  soustraction,  il 
faut  ajouter  le  reste  au  petit  nombre  ;  on  doit 
retrouver  le  grand  nombre  si  l'opération  est 
bien  faite.  —  Cette  addition  se  fait  sans  rien 
écrire;  ajoutant  de  bas  en  haut,  on  dit,  pour  véri- 
fier la  .soustraction  précédente  :  9  et  8  font  17  • 
7  et  3  font  10,  etc.  ' 

On  doit  commencer  la  soustraction  par  la 
droite;  en  effet,  en  la  commençant  par  la  gauche, 
lorsque  le  chiffre  à  soustraire  est  plus  grand  que 
celui  placé  au-dessus,  on  augmenterait  bien  ce 
dernier  chiffre  de  dix,  mais,  pour  établir  la  com- 


SPIRALE 


SPIRALE 


pensation,  il    faudrait  changer   un    chiffre    déjà  ]  que   la  pointe   d'un   crayon  soit  attachée  à  cette 
écrit.  extrémité,  et   qu'en  tenant  le  crayon  à  la  main, 

Complément  d'un  nombre.  —  On  appelle  com-  ' 
plément  d'un  nombre  la  différence  entre  ce  nom- 
bre et  la  puissance  de  10  immédiatement  supé- 
rieure. Ainsi  le  complément  de  7â8  est  : 

1000—758  =  212; 

celui  de  987  928  est  : 

100001)0  —  987928=12072. 

Pour  prendre  le  complf-ment  d'un  nombre,  on 
retranelœ  de  9  tous  les  :hiffres  du  nombre  en  par- 
tant de  la  gauche,  et  le  dernier  à  droite  doit  être 
retranché  de  10;  il  est  facile  d'écrire  ainsi  le 
complément  d'un  nombre  tout  en  énonçant  ce 
nombre. 

Soustraction  par  complément.  —  Pour  retran- 
cher d'un  premier  nombre  un  second  nombre,  il 
Euflit  d'ajouter  au  premier  le  complément  du 
second  ;  mais  il  faut  avoir  soin  d'enlever  du  ré- 
sultat la  puissance  de  10  qui  a  servi  i  prendre  le 
complément.  Soit,  par  exemple,  b.  faire  la  sous- 
traction 

8745367  —987928; 

on   remplacera  cette  indication  de  calcul  par  la 
suivante  : 

8745.3G7  +  12072-1000000, 
ou 

8757439  —  lOOOuOO  =  7757439. 

En  effet,  si,  au  lieu  de  retrancher  987928,  on 
retranche  inoOOuO,  on  retranche  r,'072  de  trop; 
le  résultat  77458367  est  dont  trop  faible  de  1ï072, 
et  il  faut  ajouter  12072  au  nombre  774583G7.  Cette 
soustraction  est  commode  lorsqu'on  a  un  compte  à 
régler  :  on  a  reçu  certaines  sommes,  on  en  a  dépensé 
d'autres  ;  au  lieu  de  faire  le  total  des  recettes  et 
d'autre  part  le  total  des  dépenses,  puis  de  retran- 
cher le  second  total  du  premier,  on  peut  dresser  un 
seul  tableau  de  calcul  et  faire  une  seule  addition 
en  inscrivant  non  pas  les  dépenses,  mais  leurs 
compléments.  Supposons,  par  exemple,  que  la 
liste  des  recettes  soit  : 

76789,  43227, 

et  celle  des  dépenses  : 

98567,  9387,  589. 

On  fera  l'addition 

76789 
43227 

1433 

613 

411 

122473 

Mais  il  faut  retrancher 

lOOOOO-l- 10000 -f-  1000=111000 

puisqu'on  a  pris  3  compléments,  et  le  reste  cher- 
ché est 

11473. 

Si  les  chiffres  des  nombres  à  retrancher  sont 
voisins  de  10,  le  calcul  est  rapide,  et  certains  pro- 
cédés de  calcul  mental  très  expéditifs  ne  sont 
autre  chose  que  la  soustraction  complémentaire. 
[E.  Burat.j 

SI'llÈRE.  —  V.  Corps  ronds. 

Sl'UCTIlE  SOLAIUE.  —  V.  Lumière. 

SPIRALE.  —  Géométrie,  XIV.  —  Etym.  :  du 
latin  spi'a,  enroulement.  —  I.  Considérons  un  fil 
enroulé  un  nombre  indéfini  de  fois  sur  une  cir- 
conlcrence  Abc  (fig.  ),  comme  sur  une  bobine,  et 
ayant   son    extrémité  au  point  A.  Si  on  imagine 


on  déroule  le  fil,  en  le  tenant  constamment  tendu, 
comme  la  figure  le  montre  dans  les  positions  AB, 
mM,  cC,  la  pointe  décrit,  à  partir  du  point  A  de 
la  circonférence,  une  courbe  A15MCD....,  qui  n'est 
liinilée  que  par  l'étendue  du  fil  :  celte  courbe  est 
ce  qu'on  nomme  une  spirale. 

La  spirale  est  donc  une  courbe  plane  engen- 
drée par  un  point  mobile  qui  se  meut  autour 
d'un  point  fixe  et  qui  en  tnéme  temps  s'en  éloigne 
de  plus  en  plus. 

L'architecture  fait  un  emploi  assez  fréquent  de 
cette  courbe  pour  l'ornementation;  on  en  trouve 
un  exemple  remarquable  dans  la  grille  du  sanc- 
tuaire de  Notre-Dame  de  Paris. 

La  construction  de  la  spirale  d'un  mouvement 
continu  par  le  déroulement  d'un  fil  est  peu  prati- 
cable, quand  il  s'agit  de  tracer  lo  plan  de  la 
fi;;uro  sur  le  papier.  On  compose  alors  cette 
courbe  d'arcs  de  cercle  consécutifs  décrits  avec 
des  rayons  qui  vont  en  grandivsant  et  ayant  pour 
centres  les  sommets  d'un  polygone  régulier  qu'on 
substitue  à  la  circonférence. 
Soit  par  exemple  l'hexagone  régulier  A6erfe/'(fig.2). 


On  prolonge  les  côtés  tous  dans  le  même  sens. 
Du  sommet  b  pris  pour  centre  avec  le  côté  iA 
pour  rayon  on  décrit  l'arc  AB;  du  centre  e  avec 
cB  pour  rayon,  l'arc  BC  ;  du  centre  d  avec  rfC 
pour  rayon,  l'arc  CD  ;  du  centre  e  avec  eD  pour 
rayon,  l'arc  DE  ;  du  centre  /"  avec  /E  pour  rayon, 
l'arc  EF  ;  du  centre  A  avec  AF  pour  r.iyoii,  l'arc 
FG  ;  du  sommet  b  pris  une  seconde  fois  pour 
centre  avec  le  rayon  4G,  l'arc  G.M.  On  continue 
ainsi,  en  prenant  toujours  pour  centres  les  som- 
mets du  polygone  régulier. 

L'arc  de  spirale  allant  du  point  A  au  point  G 
fait  une  révolution  complète  autour  du  point 
fixe  ;  on  le  nomme  spire.  La  deuxième  spire  qui 
commence  en  G  se  termine  i  la  rencontre  de  la 


SPIRALE 


—  2005  — 


SPIRALE 


droite  iiid(5finie  AAG  ;  les  autres  spires  auraient 
de  mémo  leurs  dHux  extrémités  sur  le  prolonge- 
ment indélini  du  côté  iA  du  polygone. 

On  voit  facilement  que  les  rayons  des  divers 
arcs  décrits  successivement  h  partir  du  premier 
sont  égaux  à  1  fois,  2  fois,  3  fois....,  le  côté  du 
polygone  et  que  le  rayon  qui  décrit  le  sixième  arc 
de  la  première  spire  est  égal  au  périmètre  même 
du  polygone.  En  outre  chacun  des  arcs  dont  se 
compose  la  spirale,  quel  que  soit  le  nombre  des 
spires,  est  égal  à  On  degrés. 

On  n'est  pas  obligé  d'employer  exclusivement 
l'hexagone  régulier  pour  tracer  la  spirale  ;  on 
peut  prendre  un  polygone  régulier  d'un  nombre 
quelconque  de  côtés  en  répétant  le  même  mode 
de  construction.  La  figure  3  présente  une  spirale 


construite   :\   l'aide  d'un  carré.   On  peut   même 
remplacer  le   polygone  par  une  simple  droite  de 


longueur  donnée  AB,  comme  le  montre  la  figure  i. 
Les  deux  extrémités  A  et  13  sont  alternativement 
les  centres  des  arcs  successifs,  qui  dans  ce  ca§ 
sont  tous  des  demi-circonférences. 

Obskiivatiojj.  —  On  peut  établir  des  relations 
diverses  (tntre  le  mouvement  de  révolution  et  la 
mouvement  do  translation  du  point  mobile  géné- 
rateur de  la  spirale;  suivant  la  loi  qui  est  imposée 
;'i  ce  double  mouvement,  la  courbe  possède  des 
propriétés  différentes  et  varie  un  peu  dans  sa 
forme.  Telles  sont  la  spirale  d'Archimède,  la  spi- 
rale liyperbolique,  la  spirale  logarithmique.  La 
construction  de  ces  courbes,  ne  pouvant  être  effec- 
tuée que  point  par  point,  ne  présente  pas  assez 
d'utilité  pratique  pour  qu'elle  puisse  avoir  place 
dans  cet  article.  Nous  exposerons  au  contraire  le 
tracé  d'une  autre  genre  de  spirale  qu'on  nomme 
volute  ionUiue. 

II.  Vulnte  ionique.  —  Cette  spirale  se  voit  sou 
vent  sous  la  forme  de  deux  filets  saillants,  placés 
symétriquement  h  droite  et  ;\  gauche  sur  les  cha- 
piteaux qui  surmontent  les  colonnes  dans  certains 
édifices. 

La  construction  de  la  volute  diffère  un  peu  de 
relie  de  la  spirale,  parce  qu'elle  est  subordonnée 
à  la  position  que  doivent  avoir  sur  le  chapiteau  le 
centre  de  la  petite  circonférence  qu'on  nomme 
n-il  de  la  volute  et  le  point  où  la  courbe  doit  se 
raccorder  avec  un  filet  horizontal  rectiligne  tracé 
à  la  partie  supérieure  du  chapiteau. 

Soit  0  le  point  pris  pour  centre  de  l'oeil 
i'Iîg.  3)  et  A  le  point  supérieur  où  doit  se  termi- 
ner la  volute  :  la  droite  OA  sera  verticale  sur  le 
chapiteau.  On  divise  cette  droite  en  9  parlies 
égales  (8-+- 1  parties),  et  d'un  rayon  015,  égal  i  la 
9°   partie   de  OA,  on   décrit  une  circonférence. 


Fig.  5. 


(Pour  plus  de  clarté  elle  est  reproduite  avec  de  |  diamètre  vertical  BD,  et  on  tire  les  cordes  BC,  CD, 
plus  grandes  dimensions  dans  la  figure  6.)  On  DE  et  BE,  ce  qui  forme  un  carré  inscrit.  On  joint 
mène   le  diamètre  CE  (fig.  G)  perpendiculaire  au  i  ensuite  par  deux  droites  les  milieux  des  côtés  op- 

2"  Partie.  130 


SPORES 


—  2066 


SPORES 


posés  de  ce  carré  ;  on  divise  en  trois  parties  égales 
les   quatre    parties  de  ces   droites    à   partir   du 


centre  O,  et  on  numérote  les  points  de  division, 
en  commençant  par  les  extrémités  de  ces  droites  : 
1,2,3, '(.... 12. 

On  tire  vers  la  gauche  les  droites  indéfinies  1-2, 
5-G,  9-10  ;  vers  la  droite  de  la  figure  les  droites 
indéfinies  11-12,  7-8,  3-4  ;  et  de  haut  en  bas  les 
droites  indéfinies  2-3,  6-7,  10-11.  Puis  on  tire  au- 
dessus  les  droites  4-5,  8-6. 

Du  point  I  pris  pour  centre  (fig.  5),  et  avec  un 
rayon  égal  à  la  distance  de  ce  point  au  point  A, 
on  décrit  un  arc  AF  terminé  h  la  rencontre  de  la 
droite  1-2  ;  du  centre  2,  avec  la  distance  2F  pour 
rayon,  l'arc  FG  terminé  à  la  rencontre  de  la  ver- 
ticale 2-3  ;  du  centre  3,  avec  la  distance  .3G  pour 
rayon,  l'arc  GH  terminé  à  la  rencontre  de  l'hori- 
zontale 3-4  ;  du  centre  4,  avec  la  distance  4H  pour 
rayon,  l'arc  Hl  terminé  à  la  rencontre  de  la  droite 
indéfinie  4-5  ;  du  centre  5,  avec  la  distance  51 
pour  rayon,  l'arc  IK  terminé  à  la  rencontre  de 
l'horizontale  5-G.  On  continue  ainsi,  comme  le 
montre  la  figure,  et  le  douzième  arc,  qui  a  le 
point  12  pour  centre,  vient  se  raccorder  sensible- 
ment en  S  avec  l'œil  de  la  volute. 

On  pourrait  aussi  construire  une  volute  avec 
un  autre  polygone  régulier,  par  exemple  avec  un 
hexagone.  Mais,  faute  de  place,  nous  ne  pouvons 
expliquer  ici  la  façon  de  procéder  dans  ce  mode  de 
construction.  [G.  Bovier-Lapierre.j 

SPORES.  —  Botanique,  XXVII-XXXVIII.  — 
Etym.  :  du  grec  sporon,  qui  signifie  germe.  —  On 
désigne  sous  le  nom  général  de  sp' ce  toute  cellule 
servant  à  la  dissémination  d'un  végétal  cryptogame  *, 
fougère,  mousse  *,  algue  ou  champignon  *.  Une  spore 
consiste  essentiellement  en  une  petite  masse  de 
matière  albuminoîde  vivante  ou  protoplasma,  re- 
vêtue d'une  coque  ou  membrane  de  cellulose 
d'autant  plus  épaisse  et  plus  imperméable  que  la 
spore  a  plus  à  redouter  l'action  de  l'air,  celle  de 
la  lumière  et  celle  de  l'eau.  La  spore  est  donc 
une  sorte  de  kyste  chargé  de  disséminer  les  vé- 
gétaux qui  en  sont  pourvus  dans  le  milieu  qui 
les  entoure.  Fréquemment  aussi  la  dissémina- 
tion des  cryptogames  par  spore  leur  donne  le 
moyen  de  changer  de  milieu. 

Lorsqu'une  plante  cryptogame  produit  plu-, 
sieurs  sortes  de  spores,  on  désigne  généralement 
sous  le  nom  de  macrospores  les  spores  les  plus 
grosses,  et  sous  le  nom  de  microspores  colles  qui 
sont  de  petite  taille. 

Toutes  les  fois  que  la  dispersion  des  végétaux 
cryptogames  doit  se  faire  dans  l'air,  leurs  spores 
se  présentent  avec  la  structure  que  nous  avons 
indiquée,  la  paroi  de  la  spore  étant  plus  ou  moins 
ornée   selon    le   genre   et   l'espèce    considérée. 


Lorsque,  au  contraire,  la  dispersion  des  spores 
doit  se  faire  dans  l'eau,  on  voit  fréquemment  les 
spores  ordinaires  des  cryptogames  perdre  leur 
membrane  protectrice  de  cellulose  et  se  réduire 
îi  une  simple  masse  protoplasniique  nue.  Cette 
dilïéri'nce  de  vestiture  de  la  spore  selon  le  mi- 
lieu dans  lequel  se  fait  la  dipcrsion  montre  bien 
tiue  la  membrane  de  la  spore  n'est  point  quelque 
chose  d'essentiel  pour  celle-ci.  Cette  membrane 
n'est  qu'une  sorte  de  vêtement  destiné  à  proté- 
ger la  matière  protoplasmique  vivante  contre  les 
influences  destructrices  du  milieu  dans  lequel  s'o- 
père la  dispersion  des  spores.  Parfois  la  membrane 
des  spores  qui  en  sont  pourvues  se  partage  en 
deux  couches  ;  l'une,  extérieure,  est  fortement 
colorée,  très  résistante,  imperméable  .\  l'eau  :  on 
la  nomme  épispore  ;  l'autre,  intérieure,  est  inco- 
lore, élastique,  flexible,  perméable  à  l'eau  :  on  la 
nomme  endospore.  Au  moment  du  développe- 
ment des  spores,  en  général  l'épispore  se  brise, 
tandis  que  l'endospore,  extensible  et  perméable, 
fait  hernie  à  travers  les  déchirures  de  l'endospore 
et  se  prolonge  en  des  sortes  de  tubes  grêles  que 
l'on  désigne  d'une  manière  générale  sous  le  nom 
d'hyphes. 

Dans  les  cas  où  la  dispersion  des  spores  se  fait 
dans  l'eau,  comme  c'est  le  cas  le  plus  fréquent 
pour  les  algues,  nous  avons  vu  que  la  plupart  des 
spores  ordniaires  sont  nues.  Certaines  d'entre  elles 
présentent  parfois  deux  pôles  :  l'un,  appelé  pôle 
postérieur,  presque  toujours  vivement  coloré  en 
vert  ou  en  rouge;  l'autre,  antérieur  et  incolore. 
Très  souvent  alors  on  voit  partir  de  ce  pôle  inco- 
lore un  ou  plusieurs  prolongements  très  fins, 
flexibles,  toujours  agités  d'un  mouvement  ondula- 
toire très  marqué.  Ces  prolongements  protoplas- 
miques  mobiles  des  spores  sont  ce  que  l'on 
appelle  des  cils  vibratiles.  Le  nombre  de  ces  cils 
des  spores  est  très  constant  dans  un  groupe  de 
plantes  déterminées.  Il  en  est  de  même  de  leur 
position  et  de  leur  mode  d'implantation.  Ainsi, 
il  y  a  toujours  deux  cils  à  la  partie  antérieure 
des  spores  des  sphéroplécs,  petites  algues  vertes 
et  rouges  qui  vivent  dans  les  mares  à  fond  sa- 
bleux bien  exposées  au  soleil.  Il  y  a,  au  contraire, 
quatre  cils  à  la  partie  antérieure  des  spores  des 
Hijdrodiclyons  ou  réseaux  d'eau.  Il  y  a  une  cou- 
ronne de  cils  vibratiles  autour  du  pôle  incolore 
des  spores  des  Œdogonium,  petites  algues  très 
communes  en  été  à,  la  surface  de  toutes  les  ma- 
res herbeuses.  Dans  les  vaucheries,  petites  algues 
vertes  qui  se  développent  très  fréquemment  à  la 
surface  des  pots  à  fleurs  un  peu  négligés  quoique 
bien  arrosés,  les  spores  sont  entièrement  revêtues 
sur  toute  leur  surface  de  très  petits  cils  vibrati- 
les. Toutes  les  spores  dont  nous  venons  de  parler 
sont  fortement  colorées  en  lert  à  leur  partie 
postérieure,  ainsi  nommée  parce  qu'elle  est  tou- 
jours en  arrière  pendant  le  mouvement  de  la 
spore.  Les  cils  vibratiles  de  la  spore  font,  en 
efl'et,  l'office  de  rames  :  ils  frappent  l'eau,  et  la 
spore  avance  dans  ce  liquide  en  tourbillonnant 
sans  cesse  autour  de  son  axe.  Dans  tous  ces 
exemples  le  pôle  incolore,  pi'de  antérieur  ou 
rostre,  est  toujours  en  avant  pendant  la  marche 
de  la  spore.  Chez  les  Peronospora,  les  Cystopus, 
champignons  parasites  le  premier  de  la  pomme 
de  terre,  le  second  des  rosiers  et  des  oignons 
auxquels  il  donne  la  maladie  du  blanc  ou  du 
meunier,  les  spores  agiles  sont  incolores,  ré- 
niformes  au  lieu  d'être  ovoides  ou  sphériques 
comme  dans  les  plantes  que  nous  avions  citées 
tout  d'abord.  Ces  spores  présentent  chacune  deux 
cils  qui  sont  fixés  sur  la  spore  vers  le  point  où 
elle  se  courbe.  Do  ces  deux  cils  vibratiles,  l'un 
est  très  flexible,  très  agile  ;  il  est  plus  court  que 
l'autre  et  se  dirige  en  avant  pendant  la  marche  ; 
on  l'appelle  le  cil  antérieur.  Le  second  cil   est 


SPORES 


2067  — 


SPORES 


presque  rigide,  droit;  il  est  toujours  dirigé  en 
arrière  pendant  la  marclie.  (je  dernier  cil  se  com- 
porte comme  une  sorto  de  gouvernail  cliargé  de 
diriger  la  marche,  tandis  que  le  cil  antérieur  agit 
à  la  manière  d'un  organe  moteur,  d'une  sorte 
d'hélice.  Cet  exem|ile  nous  montre  une  très  cu- 
rieuse localisation  de  fonctions  on  même  temps 
<iu"un  très  haut  degré  de  division  du  travail 
physiologique.  Des  deux  cils  d'une  spore  agile, 
l'un  est  une  hélice  motrice,  exclusivement  affectée 
;\  son  rôle  de  propulseur,  l'autre  est  un  gouver- 
nail chargé  de  diriger  la  marche. 

Dans  les  champignons  que  l'on  appelle  Myxo- 
mycètes, sur  la  nature  végétale  desquels  on  a 
longtemps  hésité  à  se  prononcer  parce  qu'ils  se 
présentent  sous  l'aspect  do  plaques  écumeuses 
gluantes  contractiles  à  la  surface  des  vieux  bois 
tombés  en  pourriture,  on  trouve  des  spores  qui, 
mises  dans  l'eau,  s'ouvrent  et  laissent  échapper 
yno  petite  masse  protoplasmique  incolore,  con- 
tractile, dont  la  forme  varie  &.  chaque  instant  et 
qui  ressemble  complètement  aux  animaux  que  l'on 
désigne  sous  le  nom  A'Amibes.  On  appelle  ces 
corps  des  Myxonmihes.  Grâce  à  lour  cootractilité, 
ils  se  déplacent  dans  l'eau,  rampent  à  la  surface 
des  lames  de  verre  sur  lesquelles  on  les  dépose 
pour  les  observer.  Ces  myxoamibes  ne  sont  autre 
chose  qu'une  forme  particulière  des  spores  agiles 
dont  nous  parlons.  Les  myxoamibes  peuvent  se 
partager  en  deux  brusquement,  sans  motif  appa- 
rent, et  chacune  des  parties  s'en  va  de  son  côté 
sans  s'inquiéter  de  sa  moitié.  Parfois  les  myxoa- 
mibes sont  pourvus  d'un  prolongement  rigide  très 
fin,  incolore,  qui  rappelle  un  cil  vibratile  ;  mais  la 
rigidité  de  ce  prolongement  le  distingue  immédia- 
tement des  cils  vibratiles  ordinaires.  On  appelle 
ce  prolongement  un  flcigellum.  Dans  le  mou- 
vement des  myxoamibes  pourvus  de  flagella,  le 
flagellum  est  toujours  antérieur  pendant  le  mou- 
vement. Chaque  myxoamibo  peut,  lorsque  l'eau 
vient  à  faire  défaut,  rentrer  dans  son  sein  son 
flagellum  s'il  en  possédait  un,  puis  se  revêtir  d'une 
coque  de  cellulose  qu'il  secrète.  On  appelle  mi- 
croki/stes  ces  spores  spéciales  des  myxomycètes. 
Quand  l'eau  revient  en  abondance,  ces  microkys- 
tes déchirent  leur  paroi  et  le  myxoamibo  est  re- 
mis en  liberté.  Lorsque  plusieurs  myxoamibes 
vivent  ensemble  dans  une  même  goutte  d'eau,  il 
arrive  un  moment  où  tous  les  myxoamibes  se  fon- 
dent en  une  seule  masse  gélatineuse  gluante, 
contractile  et  mobile  à  la  surface  des  corps.  On 
appelle  plasmodws  ces  masses  muqueuses  for- 
mées par  la  fusion  des  spores  nommées  myxoa- 
mibes. Les  plasmodies  représentent  l'appareil  vé- 
gétatif des  myxomycètes. 

Dans  les  Monobltpharis,  petits  champignons 
aquatiques  qui  vivent  sur  le  bois  pourri  et  sur 
les  poissons  morts  ou  très  malades,  certaines 
spores  rappellent  beaucoup  les  myxoamibes,  mais 
leur  flagellum  est  postérieur  pendant  la  marche 
de  la  spore  amiboïde.  Les  MonMepiiaris  possè- 
dent d'autres  spores  qui  présentent  une  tête 
ovoïde  ou  triangulaire  terminée  postérieurement 
par  un  long  flagellum.  Dans  les  Cliytridinées,trè3 
petits  champignons  parasites  qui  vivent  aux  dé- 
pens des  Monohlepharifi,  des  saprolégniées  et  des 
diatomées,  tous  végétaux  aquatiques,  les  spores  se 
présentent  sous  la  forme  de  petits  bâtonnets  pro- 
toplasmiques  nus,  légèrement  courbés  en  crois- 
sant. Ces  spores  ont  un  seul  cil  rigide  postérieur 
pendant  la  marche. 
Très  fréquemment  i  la  surface  des  spores,  près 


quand  il  s'agit  des  spores  que  quand  il  s'agit  des 
animaux. 

On  désigne  d'une  manière  générale  sous  le  nom 
do  zoospùres  toutes  les  spores  agiles.  On  ajoute  au 
mot  zoospore  les  préfixes  macro  et  micro  pour 
désigner  des  zoospores  de  grande  et  de  petite 
taille,  lorsque  la  plante  considérée  posséda  plu- 
sieurs sortes  de  zoospores. 

Dans  ce  qui  précède,  nous  avons  vu  les  spores 
disséminées  soit  par  l'air,  soit  par  l'eau,  et  dans 
ce  dernier  cas  nous  avons  vu  une  catégorie  spé- 
ciale de  spores  acquérir  une  grande  puissance  de 
dispersion  grâce  ii  des  organes  moteurs  spéciaux. 
La.dispersion  des  spores  dans  l'air  est  souvent  fa- 
vorisée par  la  débiscence  avec  élasticité  dos  sacs 
dans  lesquels  les  spon's  ont  pris  naissance.  Dans 
les  hépatiques,  sortes  de  végétaux  assez  sembla- 
bles h,  des   mousses  et  dont  les  types   les  plus 
communs  sont  les  Marrhnnti'i,  qui  poussent  entre 
les  pavés  des   cours  humides  ou  sur  les  pots  de 
fleurs  des  serres,   la   dispersion   des  spores   est 
provoquée  par  des  filaments  solides  contractiles 
que  l'on  appelle   élitcre-i  et  qui  sont  mêlés  en 
grand  nombre  aux  spores.  Dans  les  Ei/nisetum  ou 
prêles  {Queues  de  clieval),  chaque  spore  est  pour- 
vue  de   quatre    palettes  très  liygroscopiques  qui 
s'enroulent  et  se  déroulent  violemment  sous  l'in- 
fluence des   moindres  variations  de  l'état  hygro- 
métrique de  l'air;   grâce  au  mouvement  de  ces 
palettes,  les  spores  A' Equisetum  peuvent  se  dis- 
perser à  une  très  grande  distance.  On  peut  faci- 
lement rendre  un  nombreux  auditoire  témoin  de 
cette  dispersion  des  spores  à'Equisetum.  On  prend 
une  feuille  de  papii^r  blanc  bien  glacé;  sur  colle- 
ci  on   dépose  un   épi  bien  mur  à'EijuisetNûi  :  les 
sacs  sporifères  de  l'épi  s'ouvrent,  laissent  échap- 
per les  spores  qui  forment  bientôt  une  poussière 
verte  à  la  surface  du  papier.  On  enlève  l'épi,  puis, 
en  approchant  et  en    écartant   très  doucement  la 
main  de  la  poussière  verte,  on  voit  celle-ci  s'agiter 
et  danser  violemment.  Dans  les  myxomycètes  ou 
champignons  muqueux,  la  dispersion  dos  spores 
est  assurée  par  un  réseau  hygroscopique  de  fila- 
ments cellulosiens  oxtrêmement  fins.  On  appelle 
ce  réseau  capitlilium.  Au  moment  de  la  maturité 
du  sac  sporifère,  les  spores  et  le  capillilium  sont 
enfermés  dans  le  sac.  Sous  l'influence  de  l'humi- 
dité  aussi   bien   que  par  une  dessiccation   trop 
grande,  le  sac  sporifère  se  déchire,  le  capillitium 
se  détend  comme  un  ressort  violemment  compri- 
mé et  projette  au  loin  les  spores.  Les  variations  de 
l'humidité  de  l'air  ambiant  provoquent  pendant 
un  temps  très  long  la  contraction  et  la  dilatation 
du  capillitium  distendu,  de  sorte  que  môme  après 
sa  première  distension  ce   réseau  sert  encore  h 
disperser   les    quelques  spores   qui   ont  pu  de- 
meurer adhérentes  à  ses  iliaments.  Dans  les  li- 
chens,  très   souvent   les  spores   sont   mises   en 
liberté  au  moment  dos  grandes  pluies.  Les  spores 
de  ces  végétaux  sont  en  effet  enfermées  dans  des 
sacs  sporifères  bourrés  de  spores,  qui  sont  comme 
noyées  au  sein  d'une  masse  cornée  incolore  que 
l'on  regarde  comme  une  sorte  d'exsudat  cellulo- 
sique sécrété  par  les  spores  au  moment  de  leur 
formation.   Lorsque   cet   exsudât   cellulosique   a- 
subi   un  certain  degré  de  dessiccation,  il  devient 
capable  d'absorber  des  quantités  énormes  d'eau 
en  se  transformant  on  mucilage.  L'eau  est  d'ail- 
leurs absorbée  par  l'exsudat  desséché  avec  une 
rapidité  très   grande.   Lorsque  la  pluie  vient  à 
tomber  sur  la  surface  des   sacs   sporifères   des 
lichens,  l'eau  pénètre  par  endosmose  à  travers  la 


du  point  d'attache  des  cils  vibratiles,  on  observe  1  paroi  des  sacs';  elle  arrive  à  l'exsudat  desséché 
un  globule  pnnctiforme  vivement  coloré  en  rouge,  qui  entoure  les  spores,  celui-ci  se  gonfle,  distond 
Ce  point  rouge  existe  fréquemment  chez  les  ani-  outre  mesure  la  paroi  du  sac  sporifère,  qui  éclate 
maux  infusnires.  On  l'a  comparé  darjs  ces  êtres  à  enfin  en  projetant  au  loin  les  spores  des  lichens, 
une  sorte  d'œil,  d'où  le  nom  de  poiiit  oculiforme  Toutes  les  spores  dont  nous  venons  do  parler 
par  lequel  on  le   désigne  quelquefois,  aussi  bien    ont  comme  caractère  commun  d'avoir  pris  nais- 


SPORES 


—  2068  — 


SPORES 


sance  dans  un  sac  sporifère.  Quelle  que  soit  la 
valeur  morpliologique  de  ces  diverses  sortes  de 
spores,  on  désigne  sous  le  nom  spécial  de  sporange 
le  sac  uni-cellulaire  ou  pluri-cellulaire  au  sein 
duquel  elles  ont  pris  naissance.  On  ajoute  au  mot 
sporange  les  préfixes  niacru  et  micro  selon  que  les 
spores  produites  par  le  sporange  sont  des  macro- 
spores ou  des  niicrospores. 

Dans  les  cryptogames  vasculaires,  les  épithè- 
tcs  de  macrosporanges  et  de  microsporanges,  de 
macrospores  et  de  microspores  correspondent  à 
des  dill'érences  de  rôle  qu'il  est  important  de 
signaler.  Dans  les  sélaginelloes,  les  isoétées,  les 
marsiléacées,  les  salviniées,  on  trouve  en  effet 
deux  sortes  de  sporanges,  les  macrosporanges  et 
les  microsporanges.  Lorsque  l'on  vient  à  faire 
germer  les  macrnspores  et  les  microspores,  on 
obtient  des  expansions  lamelleuses  verdàtres  que 
Ton  appelle  prothalles  et  à  la  surface  desquelles 
se  développent  dans  un  cas  les  arc/iegones  (pro- 
thalles issus  de  macrospores),  dans  l'autre  cas  les 
anthérirlies  {sur  les  prothalles  issus  des  microspo- 
res). Jamais  dans  ces  plantes  un  même  proihalle 
ne  porte  les  deux  séiies  d'organes.  A  la  différence 
de  forme  et  de  taille  des  macrospnres  et  des  mi- 
crospores correspond  donc  une  différence  dans  le 
rôle  pliysiologique  des  parties.  Dans  les  fougères, 
les  équisétacées,  les  lycopndiées.  les  opliioglos- 
sées,  les  tmcsiptéridées,  où  il  n'y  a  qu'une  seule 
espèce  de  spore,  le  protlialle  qui  en  naît  à  la  ger- 
mination porte  simultanément  les  antliéridies  et 
les  arcliégones.  Dans  ces  derniers  végétaux  la 
différenciation  physiologique  que  nous  avons  con- 
statée chez  les  sélaginellées,  les  marsiléacées,  etc., 
n'a  pas  eu  lieu.  Lorsque  les  spores  produites  dans 
le  sporange  sont  agiles,  ciliées  ou  amiboides,  le 
sporange  prend  le  nom  de  zoosporange.  On  ajoute, 
s'il  y  a  lieu,  au  mot  zoosporange  les  préfixes  ma- 
cro et  micro. 

On  appille  spores  endogènes  les  spores  qui 
prennent  naissance  dans  les  sporanees.  Passons 
brièvement  en  revue  la  valeur  nior|iholngique  et 
le  rôle  des  diverses  sortes  de  spores  endogènes 
dans  les  principaux  groupes  de  cryptoganies.'^Chei 
tous  les  cryptogames  vasculaires,  les  spores  en- 
dogènes prennent  naissance  dans  un  sac  dont  la 
paroi  est  primitivement  formée  de  trois  rangs  de 
cellules.  A  l'époque  de  la  maturité  des  spores, 
celles-ci  sont  libres  dans  le  sporange,  dont  la 
paroi  est  alors  réduite  à  une  seule  couche  de 
grandes  cellules  épidermiques.  Dans  les  fougères 
proprement  dites  on  remarque  que  certaines  des 
cellules  superficielles  des  sporanges  ont  épaissi 
les  parois  des  cellules  constituantes  en  forme  d  U, 
la  convexité  de  l'U  étant  vers  la  face  profonde  oiî 
interne  de  ces  cellules.  L'enseiiible  de  toutes  ces 
cellules  épaissies  forme  ce  que  l'on  appelle  r«!i- 
neau  c/asi/?»?  du  sporange;  c'est  cet  anneau  élas- 
tique qui  provoque  la  déchirure  du  sporange;  il 
est  d'autant  plus  développé  que  les  fougères  sont 
plus  récentes  ;  ainsi  l'anneau  du  sporange  présente 
son  maximum  de  développement  chez  les  fougères 
polypodiacées  (polypode,  fougère  mâle,  fougère 
femelle,  ceterach),  qui  sont  apparues  à  l'époque 
jurassique,  tandis  que  cet  anneau  est  nul  chez 
les  fougères  marattiées,  qui  ont  eu  leur  maximum 
de  développement  à  l'époque  houillère.  En  revan- 
che, chez  ces  marattiées  dont  l'origine  remonte  si 
haut  dans  l'histoire  du  globe,  les  parois  des  cel- 
lules du  sporange,  au  lieu  d'être  minces,  faciles  h. 
déchirer,  étaient  au  contraire  presque  ligneuses. 
L'anneau  élastique  n'existe  que  sur  les  sporanges 
des  fougères.  Les  parois  des  sporanges  des  autres 
cryptogames  vasculaires  rappellent  plus  ou  moins 
les  parois  des  sporanges  des  marattiées.  Dans  les 
fougères,  les  sporanges  sont  généralement  grou- 
pés plusieurs  cOie  à  côte  ;  on  appille  so>  e  un  amas 
,  o  ^.,_,„„„j,  ^^  fougères.  On  appelle  indmie  les  I 


replis  de  la  surface  de  la  plante  qui  protègent  les 
soies.  Les  sporanges  des  fougères  proprement 
dites  ne  sont  que  des  poils  transformés  de  la  sur- 
face de  la  plante.  Ils  apparaissent  généralement 
sous  la  surface  de  leurs  grandes  frondes.  Dans  les 
ophioglossées,  le  sporange  s'enfonce  dans  l'épais- 
seur des  tissus  des  frondes.  Chez  les  équisétacées, 
les  sporanges  naissent  par  groupes  de  six  sur  de 
petites  frondes  transformées  en  une  sorte  de  clou 
iclypéole,;  ces  clous  sont  eux-mêmes  réunis  en 
grand  nombre  à  l'extrémité  des  tiges,  où  ils  for- 
ment des  épis  plus  ou  moins  longs  selon  les  es- 
pèces. Chez  les  lycopodiées  et  les  sélaginellées, 
les  sporanges  naissent  solitaires  sur  les  feuilles; 
ces  appendices  sporifères  sont,  eux  aussi,  groupés 
en  épis  terminaux.  Chez  les  tmési|itcridées,  les 
sporanges  sont  groupés  par  deux  ou  par  trois,  les 
groupes  de  sporanges  étant  fort  éloignés  les  uns 
des  autres.  Chez  les  marsiléacées,  les  salviniées, 
les  isoétées,  les  sporanges  forment  psr  leur  réu- 
nion des  sortes  de  fruits  très  compliqués,  dans  le 
détail  de  la  structure  desquels  nous  ne  pouvons 
entrer  ici.  Lorsqu'on  sème  les  spores  d'un  cryp- 
togame vasculaire,  au  bout  d'un  temps  plus  ou 
moins  long  ces  spores  germent  et  produisent  de 
petites  lames  cellulaires  verdàtres,  fixées  au  sol 
par  des  crampons  ou  rhizoïdes,  ou  exceptionnelle- 
ment maintenues  nageantes  à  la  surface  de  l'eau, 
comme  dans  les  Snlvinin.  Nous  avons  dit  plus 
haut  que  ces  lamelles,  issues  de  la  germination 
des  spores,  étaient  des  prothalles  à  la  surface  des- 
quels on  voyait  apparaître  les  anthéridies  et  les 
archégones.  Les  prothalles  vivent  généralement  à 
la  surface  de  la  terre  mouillée,  exceptionnelle- 
ment à  la  surface  de  l'eau  (Saliiiiiia)  ou  cachées 
sous  la  surface  du  sol  (ophioglosse,  liotrycliium, 
Lycr'podhim).  Nous  avons  signalé  la  localisation  que 
l'on  remarque  relativement  h  la  distribution  des 
anthéridies  et  des  archégones  sur  les  prothalles, 
selon  que  ces  parties  proviennent  d'une  seule  ou 
de  deux  spores.  Les  anthéridies  produisent  de 
petits  corps  en  forme  de  ruban,  contournés  en 
hélices  et  couverts  de  cils  vibratiles;  ces  corps 
sont  appelés  anthérozoïdes;  ils  nagent  dans  l'eau 
en  tourbillonnant  autour  de  leur  axe  avec  une  ra- 
pidité souvent  vertigineuse.  Souvent  on  remarque 
à  la  partie  postérieure  des  anthérozoïdes  une  sorte 
d'ampoule  dans  laquelle  sont  emmagasinés  quel- 
ques grains  d'amidon.  Ces  grains  d'amidon  sont 
destinés  à  assurer  une  certaine  quantité  de  ma- 
tière nutritive  à  l'anthérozoïde.  Accidentellement 
la  vésicule  postérieure  d'un  anthérozoïde  peut  se 
détacher  du  corps  de  celui-ci  sans  que  ce  dernier 
en  paraisse  sensiblement  gêné.  Les  anthérozoïdes, 
après  avoir  nagé  dans  l'eau  qui  baigne  les  anthé- 
ridies et  les  archégones,  pénètrent  dans  l'intérieur 
de  ces  dernières  et  agissent  sur  l'oosphère  qui  y 
est  cachée.  Les  archégones,  en  effet,  sont  des 
sortes  de  bouteilles  au  fond  desquelles  s'est  pro- 
duite une  cellule  nue  ou  spore  spéciale  de  très 
grosse  taille,  que  l'on  appelle  un  wf.  une  oo- 
sphère. Lorsque  l'oosphère  a  subi  l'action  des  an- 
thérozoïdes, elle  devient  une  oospore,  c'est-à- 
dire  qu'elle  se  revêt  d'une  coque  épaisse,  puis 
se  cloisonne  et  se  transforme  en  une  jeune 
plante.  Si  nous  résumons  la  succession  des  phé- 
nomènes que  nous  venons  de  raconter,  on  aurait  : 
1°  la  plante,  2°  la  spore,  3°  le  prothalle,  4°  l'oo- 
sporcà-la  plante. Nous  voyons  par  li  que  la  spore 
est  intermédiaire  entre  la  plante  et  le  prothalle, 
c'est-à-dire  le  support  des  anthéridies  et  des  ar- 
chégones. Or  la  plante  est  terrestre,  tandis  que  le 
proihalle  est  aquatique  ;  les  spores  se  montrent 
donc  comme  un  moyen  pour  la  plante  d'assurer 
sa  reproduction  en  lui  permettant  d'aller  chercher 
l'eau  dentelle  a  besoin  pour  accomplir  ce  phéno- 
mène. , 
Dans  les  mousses,  les  sphaignes  et  les  liépa- 


SPORES 


—  2069 


SPORES 


tiqups,  les  spores  se  l'ornuiiit  dans  un  sac  de 
forme  souvent  très  élégante  que  l'on  appelle  le 
fruit  de  ces  végétaux.  La  structure  anatomlque 
do  ce  sac  est  ries  plus  compliquées.  Sa  partie 
supérieure  se  détache  d'ordinaire  à  la  manière 
d'un  couvercle.  On  appelle  ce  couvercle  opercule, 
et  l'on  nomme  pcrislome  le  bord  du  sac  sporifère. 
Le  fruit  des  mousses  ou  sporange  de  ces  végé- 
taux est  porté  par  un  long  pédiccllo  grêle  qui  est 
enchâssé  inférieurement  à  l'extrémité  d'une  brin- 
dille de  la  mousse.  Si  nous  avions  assisté  ii  la 
formation  de  ce  fruit  des  mousses,  voici  ce  que 
nous  eussions  vu  se  produire.  A  l'extrémité  d'une 
branche  de  la  mousse  eussent  apparu  les  arché- 
gones  et  lus  antliéridies,  et  lorsque  les  anthé- 
rozoïdes auraient  accompli  leur  action  sur  les 
oosphères  des  archégonos,nous  les  eussions  vues 


se  changer  en  oospores  et  celles-ci  à  leur  tour  se 
seraient  transformées  sous  nos  yeux  en  sporanges 
ou  en  fruits.  Si  alors  on  sème  des  spores  de 
mousse,  on  en  voit  naître  un  filament  grêle,  véri- 
table liypha,  que  les  bryologues  (savants  qui 
étudient  spécialement  les  mousses)  appellent 
protonema.  Ce  protonema  se  tixe  au  sol  par  des 
rhizoïdes;  il  est  verdâtre;  en  se  développant,  il 
donne  naissance  directement  et  de  distance  en 
distance  à  des  sortes  de  bourgeons  qui  produi- 
sent ce  que  nous  appelon.5  un  pied  de  mousse, 
et  c'est  sur  ce  pied  de  mousse  que  nous  eussions 
vu  se  reproduire  les  antliéridies  et  les  archégones. 
Résumons  ce  cycle  en  le  mettant  en  regard  de 
celui  qui  représente  l'évolution  d'un  crypto- 
game vasculaire  ;  nous  aurons  le  tableau  ci- 
contre  : 


Kvolution  de  la  mousse 


Fruit  ou  sporang* 


Protonema  et  mousse  avec  arché- 
gone  et  anthéridie. 


Fruit  issu  du  développement 
de  l'oosporc. 


Evolution    du   i-rypto 
game  vasculaire. 


Planti'     issue    du    diliveloppe- 
ment  de  l'oosporc. 


On  voit  par  la  seule  inspection  de  ce  tableau 
que  ce  que  l'on  appelle  la  mousse  correspond 
morphologiquement  à  ce  que  l'on  appelle  pro- 
thalle chez  les  cryptogames  vasculaires,  c'est-i- 
dire  que  chez  les  mousses  la  plante  toute  jeune 
encore  se  transforme  tout  entière  en  un  sac  à 
spores  ou  sporange. 

Par  exception,  les  characées,  dont  le  type  est 
le  genre  l  luira  ou  Charagne,  ainsi  nommé  h  cause 
de  l'odeur  nauséabonde  que  ces  plantes  répan- 
dent, sont  dépourvues  de  spores.  On  appelle  ici, 
avec  plus  de  sens  que  chez  les  mousses  et  les 
cryptogames  vasculaires,  oospore  le  résultat  de 
l'action  des  anthérozoïdes  sur  l'oosphère  d'un 
archogone.  Sitôt  après  sa  formation,  l'oospore 
s'entoure  d'une  coque  très  épaisse  fortement 
colorée  en  rouge  et  recouverte  d'un  rang  de  cel- 
lules protectrices  enroulées  en  hélices  autour  de 
l'oospore  enkystée.  En  cet  état,  l'oospore  est  ce 
<|ue  l'on  appelle  vulgairement  une  graine  de  Cliara. 
La  graine  de  Chara  est  donc  formée  d'une  cellule 
disséminatrice  entourée  de  sa  coqne  protectrice  ; 
c'est  donc  une  spore  dans  le  sens  général  que 
nous  attribuons  h  ce  mot.  Pour  rappeler  l'origine 
et  la  nature  spéciale  de  cette  spore,  qui  doit  son 
existence  à  l'action  de  l'antliérozoîde  sur  l'œuf 
ou  l'oosphère  cachée  au  fond  de  l'archégone,  on 
l'a  appelée  oospore  ou  ceuf-spor?.Le  terme  oospore 
est  une  expression  très  générale  ;  il  désigne  tou- 
jours une  spore  endogène  ou  exogène  qui  doit  son 
origine  à  l'action  des  anthérozoïdes  d'une  plante 
sur  ses  oosphères. 

Dans  les  algues,  en  effet,  il  arrive  souvent  que 
les  oosphères  sont  mises  en  liberté  et  qu'elles 
nagent  librement  dans  l'eau  ;  cela  se  voit  fort 
bien  chej  les  fucus,  et  il  est  facile  même,  à  1: 
loupe,  de  distinguer  ces  corps  sur  les  terminai 


jusqu'à  la  reproduction  de  nouvelles  oospores. 
Chez  les  Algues  on  nomme  souvent  chronispore_ 
ou  spore  durable  dos  spores  qui  doivent  ou  qui 
peuvent  conserver  pendant  très  longtemps  leur 
faculté  germinative  et  plus  particulièrement  celles 
d'entre  elles  qui  normalement  n'entrent  en  ger- 
mination qu'après  avoir  subi  un  long  temps  de 
repos.  Souvent  les  chronispores  doivent  subir  une 
dessiccation  complète,  un  ensevelissement  au  l'ac- 
tion de  la  gelée,  avant  de  pouvoir  reprendre  leur 
développement. 

Chez  les  bactéries  les  spores  durables  portent 
plus  particulièrement  le  nom  de  corpuscules 
germes  ou  de  r/ermes.  La  petitesse  do  ces  germes 
est  excessive,  j^  h  j^L_  àe  millimètre.  On  con- 
çoit dès  lors  que  leur  présence  échappe  facilement 
à  l'observateur,  et,  comme  leur  nombre  est  pro- 
digieux, on  comprend  sans  peine  que  leur  appa- 
rition en  grand  nombre  au  sein  lio^i  liqueurs  en 
apparence  les  plus  pures  ait  il'iu;i''  nii^^aiice  i, 
l'idée  de  leur  production  par  l.  r,,i  i  [lonta- 
iiée.  Ces  corpuscules,  germes  lU'-  iiir;  :h's,  ré- 
sistent facilement  i  une  temp'-MMiuic  de  140° 
dans  de  l'air  sec,  et  à  une  température  de  110" 
dans  de  l'eau  salée.  Il  ost  donc  extrêmement  dif- 
(icilo  de  se  mettre  k  l'abri  de  ces  ôires,  qui  sont 
les  agents  actifs  de  toutes  les  décompositions  et 
de  toutes  nos  maladies  contagieuses. 

Chez  les  diatomées,  petites  algues  unicellu- 
laires  revêtues  d'une  carapace  siliceuse,  qui,  par 
leur  accumulation  en  nombre  prodigieux,  ont 
donné  naissance  aux  tripolis,  on  donne  quelque- 
fois le  nom  d'auxospores  aux  spores  durables.  Ce 
même  nom  d'auxospore  est  aussi  appliqué  indiffé- 
remment aux  oospores  de  ces  petits  êtres. 

La  grande  majorité  des  cryptogames  cellulaires 
sans  chlorophylle,    que  l'on    désigne    habituelle- 


sons  verruqueuses  des  frondes  de  ces  végétaux,  nient  sous  le    nom  de  champignons,  présentent  à 

Si,  comme  c'est  le  cas  pour  les  fucus,  les  oosphè-  pextrémité    de    certains  de    leurs  filaments  des 

res  nageantes  sont  rencontrées  par  les  anthéro-  spores  qui   n'ont  jamais  été  enfermées  dans  un 

-zoides  de  ces  plantes,  il  se  forme  des  oospores.  sporange  :  on  désigLio  d'une  manière  générale  ces 

Celles-ci  n'ayant  jamais  été  enfermées  dans  une  spores  exogènes  sous  le  nom  de  conidies.  Les  co- 

archégone,  on  dit  qu'elles  sont  d'origine  exogène,  nidies  sont  dhas  septées  ou  cloisonnées  \oriqno 

par  opposilion  h  celles  qui  séjournent  et  prennent  1^,^  ruasse  est  partagée  en  un  certain  nombre  de 

naissance    dans    une    archégone.   Ces   dernières  cellules  par  des  cloisons  cellulosiques  radiales  eu 

oosports  sont  dites  endogènes.  Il  convient,  dans  transversales.  Dans  les  urédinées,    dont   le  type 

toute  description  d'un  cryptogame,  de  faire  corn-  gjj  ig  „p„re  Vuccinie,  qui  provoque  la  maladie 

mencer  l'histoire  de  la  plante  considérée  k  l'oos-  jg^  céréales  connue    sous  le   nom  de  rouille  des 
pore  et  de  poursuivre  le  cycle  de  cette  histoire  |  qrayninées,  on  appelle  urédospores  les  conidies  or- 


SPORES 


2070 


SQUELETTE 


dinaires,  et  téleutospores  des  conidies  septées  à 
parois  très  épaisses  qui  jouent  ici  le  rôle  de  spores 
durables  ou  de  chroiiispores.  Dans  les  hyméno- 
niycèies  ou  cliampignons  h.  chapeaux,  dont  le  type 
est  l'Agaric  champêtre  ou  champignon  de  couche, 
les  conidies  affectent  une  disposition  spéciale  qui 
les  fait  désigner  par  le  nom  particulier  de  hasi- 
diosjiore.  Ces  basidiospores  naissent  en  effet  au 
nombre  de  quatre  à  la  partie  supérieure  d'une 
grande  cellule  des  lames  du  chapeau.  Cette 
grande  cellulu  a  reçu  le  nom  de  baside.  Les  qua- 
tre spores  qui  se  forment  à  son  sommet  sont  rat- 
tachées à  la  cellule  basilaire  par  un  très  petit 
pédicelle  nommé  stérir/mati-  ;  aussi,  après  la  ma- 
turité des  spores,  le  sommet  de  la  baside  est-il 
surmonté  de  quatre  petites  cornes  pointues  qui 
sont  les  reste»  des  stérigmates. 

Dans  les  champignons  discomycètes,  dont  le 
type  est  la  Ptzize,  dans  les  champignons  pyre- 
nomycètes,  dont  le  type  est  le  Claiiceps  purpu- 
rea,  vulgairement  nommé  ergot  de  seigle,  dans 
les  urédinées  et  dans  les  lichens,  on  trouve 
deux  sortes  de  spores  exogènes  qui  diffèrent  tou- 
tes deux  des  conidies,  parce  que  les  filaments 
sur  lesquels  elles  naissent  sont  groupés  en  des 
sortes  de  fruits  ou  de  conceptacles  sous  la  sur- 
face du  champignon.  Les  premières  de  ces  nou- 
velles spores  exogènes  ont  la  forme  de  bâton- 
nets ;  semées  sur  la  terre  humide  ou  sur  les 
écorces,  elles  germent  très  difficilement.  Pendant 
de  longues  années  on  a  cru  qu'à  l'exemple  des 
anthérozoïdes,  cos  spores  ne  germaient  pas  ;  c'est 
pourquoi  beaucoup  d'auteurs  les  ont  regardées 
comme  représentant  les  anthérozoïdes  des  cham- 
pignons chez  lesquels  on  les  trouve.  On  a  appelé 
ces  spores  spéciales  des  spi-nnaties,  et  l'on  a 
nommé  spermogonies  les  conceptacles  ou  fruits 
dans  lesquels  elles  prennent  naissance.  Dans  ces 
dernières  années,  M.  Maxime  Cornu  a  réussi  à 
obtenir  la  germination  des  spermaties  de  plu- 
sieurs champignons  ;  aussi  aujourd'hui  admet-on 
généralement  que  les  spermaties  ne  sont  qu'une 
forme  des  spores  durables. 

On  désigne  généralement  sous  le  nom  de 
slylospores  les  spores  exogènes  analogues  aux 
conidies,  nées  dans  des  cavités  ouvertes  ou 
cryptes  creusées  dans  la  surface  des  champi- 
gnons. Chez  les  urédinées,  les  stylospores  sont 
désignées  sous  le  nom  d'œcidtospores;  cela  tient 
à  ce  que  l'on  faisait  jadis  une  catégorie  spéciale 
de  spores  avec  les  spores  du  genre  j-Ecidium, 
dont  l'une  des  espèces,  JEcidium  berberis,  vit 
sur  l'épine-vinette.  Or,  on  a  reconnu,  grâce  aux 
beaux  travaux  de  MM.  Tulasne  et  de  Bary,  que 
VJEcidium  berberis  n'était  qu'une  phase  de  la 
vie  de  la  puccinie  ou  rouille  des  graminées  ;  le 
genre  jEcidium  a  disparu,  mais  la  qualification 
d'secidiospore  a  persisté  ;  elle  est  encore  très  ré- 
pandue. En  général,  les  stylospores  sont  carac- 
térisées par  la  puissance  de  leur  coque  pro- 
tectrice. 

Dans  l'ensemble  des  champignons  que  les  bo- 
tanistes désignent  sous  la  dénomination  commune 
d'ascomycètes,  on  trouve  des  sporanges  spéciaux 
nommés  astives  ou  ttièques,  qui  proviennent  du 
développement  direct  de  leurs  oospores.  On  ap- 
pelle ascospores,  tliécospores  ou  spores  endogènes 
les  spores  nées  dans  ces  sporanges.  Ces  ascospo- 
res correspondent  presque  complètement  aux 
spores  des  mousses.  Chez  les  lichens,  on  appelle 
apothécies  les  conceptacles  ou  fruits  formés  par 
les  thèques.  Les  apothécies  contiennent,  outre 
les  thèques  et  mêlées  avec  elles,  des  cellules 
Stériles  que  l'on  nomme  poraphyses.  Ces  para- 
physes  ont  pour  rôles  principaux  : 

1°  De  nourrir  les  thèques  pendant  leur  dévelop- 
pement ; 

2°  De  protéger  les  thèques  ; 


3°  D'en  provoquer  la  déhiscence  et  par  suite 
l'émission  des  ascopores  en  se  gonflant  sous  l'ac- 
tion de  l'eau. 

On  appelle  sclérote  une  forme  particulière  di* 
corps  disséminateur,  qui  se  produit  par  le  peloton- 
nenient  de  filaments  mycélicns  ou  d'hyphes  chez 
les  champignons.  Ces  sclérotes  se  produisent  fré- 
quemment chez  les  myxomycètes.  Chez  les  mu- 
corinées,  dont  les  principaux  types  vivent  à  la 
surface  du  crottin  de  cheval,  où  ils  forment  de 
fiiies  moisissures,  les  sc'érotes  sont  réduits  à  une 
seule  cellule,  véritable  spore,  sorte  de  spore  dura- 
ble à  laquelle,  vu  l'épaisseur  de  sa  paroi,  on 
donne  le  nom  de  chlamydospore . 

Dans  les  floridées  ou  algues  marines  roses  et 
rouges,  on  trouve  une  nature  spéciale  de  spores  : 
ce  sont  des  spores  qui  naissent  toujours  par 
quatre  dans  chaque  sporange.  On  a  nommé  ces 
spores  des  tétraspores.  Dans  ces  mêmes  flori- 
dées, sitôt  après  sa  formation  l'oospore  se  trans- 
forme en  une  masse  de  cellules  disséminatrices- 
ou  spores.  Les  assemblages  formés  par  l'agglo- 
mération des  spores  et  par  les  enveloppes  qui  les 
protègent  forment  des  sortes  de  fruits,  que  l'on 
désigne  par  les  noms  de  favetle,  do  céramide,  de 
coccidie.  [C.-E.  Bertrand.] 

SOUELETTE.  —  Zoologie, XXXVI.  —  On  donne 
le  nom  de  squelette  i  cette  charpente  solide, 
formée  de  pièces  diversement  agencées  et  reliées 
entre  elles,  qui  se  nomment  les  os,  et  qui,  chez 
les  animaux  supérieurs,  forment  avec  les  muscles 
l'appareil  du  mouvement.  L'être  inférieur,  dé- 
pourvu de  parties  dures,  se  meut  cependant,  mais 
d'une  façon  toute  rudimentaire  :  chez  lui  les  mus- 
cles, attachés  directement  à  la  peau,  modifient, 
par  leur  contraction,  la  forme  du  corps  entier,  et 
par  là  arrivent  à  le  mouvoir.  Au  contraire,  chez 
les  animaux  pourvus  d'un  squelette,  les  muscles 
s'attachent  sur  les  pièces,  ou,  comme  on  dit,  sur 
les  leviers  osseux  et,  les  mouvant  en  divers  sens, 
ils  font  exécuter  à  l'animal  des  mouvements  par- 
tiels, ou  des  mouvements  de  translation  totale. 

Le  squelette  est  donc,  avant  tout,  un  organe 
de  mouvement.  Mais  il  constitue  aussi  un  appareil 
de  protection,  à  l'abri  duquel  les  viscères,  cer- 
veau, cœur,  poumons,  etc.,  échappent  aux  vio- 
lences extérieures,  prennent  un  développement 
caractéristique  et  assurent  à  l'animal  une  vie 
plus  parfaite  et  plus  haute.  Enfin  c'est  le  squelette 
qui  dessine  et  fixe  la  forme  et  lo  type  du  corps. 
—  Ainsi,  sans  squelette,  il  n'y  a  pas  de  forme  fixe  ; 
le  mouvement  est  vague,  incertain,  sans  liberté, 
précision  ni  puissance  ;  la  vie  est  bornée  à  la  nu- 
trition. Au  contraire,  dès  que  se  montrent  les 
parties  dures,  apparaît  une  vie  supérieure.  La 
locomotion,  le  mouvement  précis,  aisé,  étendu  et 
puissant,  des  rapports  multipliés  avec  le  monde 
extérieur,  un  système  nerveux  mieux  abrité,  plus 
délicat,  plus  parfait,  des  fonctions  plus  distinctes 
et  plus  complexes,  la  vie  de  relation  couronnant 
la  vie  nutritive,  enfin  une  forme  arrêtée  et  carac- 
téristique, tels  sont  les  avantages  que  le  sque- 
lette confère  à  l'animal.  On  ne  s'étonnera  donc 
pas  que  les  naturalistes  en  aient  fait  comme  la 
base  de  leur  classification,  et  qu'ils  aient  partagé 
tous  les  animaux  en  deux  classes,  les  Vertébrés  et 
les  Invertébrés,  suivant  qu'ils  possèdent  des  os  ou 
n'en  possèdent  pas. 

Les  vertébrés  seuls  possèdent  un  squelette  os- 
seux. Cependant  chez  certains  invertébrés,  les 
insectes,  les  crustacés,  par  exemple,  il  existe  aussi 
une  charpente  dure  et  rigide,  servant  de  point 
d'attache  aux  muscles,  et  d'appareil  de  protection 
aux  viscères.  Mais  ce  squelette  est  extérieur,  situé 
à  la  surface  du  corps  et  ne  consiste  qu'en  une 
modification  de  la  peau. 

Nous  allons  d'abord  examiner  la  composition 
et  la  disposition  du  squelette,  tel  qu'il  se  montre 


SQUELETTE 


—  2071  — 


SQUELETTE 


chez  le  proniior  des  vertébrés,  cliez  l'homme,  et 
nous  dirons  ensuite  quelques  mots  do  ses  modi- 
fications à  travers  l'écliolle  animale. 

De  quoi  se  compose  un  us?  Lorsqu'on  le  fait 
macérer  quelque  temps  dans  un  acide  énergique, 
on  voit  qu'il  ne  reste  plus  qu'une  matière  grise, 
demi-transparente,  gélatineuse,  molle,  flexible, 
qui  a  conserve  la  forme  de  l'os.  L'acide  a  dissous 
ce  qui  donnait  à  l'os  sa  rigidité  et  son  opacité, 
c'est-à-dire  les  sels  calcaires  (carbonate  et  surtout 


phosphate  do  chaux)  ;  il  ne  reste  que  la  partie  or- 
ganique, non  minérale,  c'est-à-dire  le  cartilage. 
Un  03  n'est  donc  qu'un  cartilage,  envalii  et  comme 
incrusté  de  sels  do  chaux.  (D'après  les  recherches 
de  Bcrzelius,  il  y  a  environ  33,30  pour  100  (de 
substance  animale,  et  60,70  de  matière  minérale.) 
Chez  le  fœtus,  en  effet,  à  l'époque  où  naissent 
et  se  forment  les  organes,  le  système  osseux  est 
tout  d'abord  un  appareil  cartilagineux  (à  l'excep- 
tion de  quelques  os  fort  peu  nombreux).  Puis  la 


Rn^ne.st 


substance  pierreuse  apparaît  en  des  points  déter- 
minés, toujours  les  mêmes  pour  chaque  os,  qui 
peu  à  peu  s'étendent  et  envaliisseju  de  plus  en 
plus  la  pièce  cartilagineuse.  Ce  travail  d'ossifica- 
tion est  pour  ainsi  dire  à  peine  commencé  à  la 
naissance;  il  continue  et  dure  jusqu'à  l'arrêt  du 
développement  organique,  c'est-à-dire  jusqu'à 
l'âge  adulte.  Mais  à  ce  moment  la  substance  des 
os  ne  reste  pas  station  naire;  elle  est  dans  un  état 
constant  de  réparation  et  de  destruction  jusque 
vers  l'âge  de  35  à  4i  ans.  Des  expériences  célè- 
bres, fondées  sur  la  propriété  que  possède  la 
garance,  mêlée  aux  aliments,  de  colorer  les  os  en 
rouge,  ont  montré  que,  tandis  que  la  partie  cen- 


trale de  l'os  se  détruit,  la  partie  périphérique  se 
régénère  sans  cesse.  A  partir  de  40  à  45  ans,  le 
mouvement  de  régénération  de  la  surface  s'arrête, 
la  destruction  centrale  continue  seule;  le  centre 
des  os  va  se  creusant,  se  raréfiant  toujours  plus, 
et  ainsi  s'explique  la  fragilité  des  os  chez  les 
vieillards.  On  attribuait  autrefois  la  fragilité  08- 
sruse  de  cet  âge  à  l'augmentation  de  la  propor- 
tion des  sels  de  chaux.  «  En  accumulant  dans 
nos  os,  disait  Bichat,  une  substance  étrangère  à 
la  vie,  la  nature  semble  les  préparer  à  la  mort.  » 
Il  est  prouvé  aujourd'hui  que  cette  augmi^ntation 
n'existe  pas,  et  que  si  1  âge  introduit  (|Uclquo 
changement  i  la  composition  chimique  de  l'os, 


SQUELETTE 


—  2072  — 


SQUELETTE 


c'est  plutôt  en  diminuant  la  quantité  de  substance 
minérale. 

Le  tissu  osseux,  ainsi  formé  de  matières  orga- 
niques et  minérales,  affecte  des  dispositions  va- 
riées. Tantôt  il  est  serré,  dense,  compacte  -,  tantôt  il 
est  lâche,  spongieux,  formé  de  grandes  cellules.  Les 
03  qui  n'ont  qu'un  petit  volume,  et  qui  doivent  pré- 
senter une  grande  solidité,  sont  entièrement  for- 
més de  tissu  compacte.  Tels  sont  les  os  plais  qui 
recouvrent  les  viscères  (côtes,  bassin,  etc.).  Mais 
d'autres  os,  d'un  volume  plus  grand,  auraient  un 
poids  trop  considérable  si  toute  leur  épaisseur 
était  dense  et  serrée  :  ceux-là  n'ont  de  compacte 
que  la  surface  ;  leur  tissu  devient  lâche  et  cellu- 
laire à  quelques  millimètres  de  la  périphérie,  et 
le  centre  de  l'os  est  creusé  d'un  long  et  large 
canal  qui  loge  un  organe  graisseux,  la  moelle. 
Tels  sont  les  os  lont/s.  ou  os  des  membres,  vérita- 
bles colonnes  creuses,  à  la  fois  solides  et  légères. 
Entre  ces  deux  variétés  d'os  se  placent  les  os 
couris  (vertèbres,  os  du  crâne),  formés  presque 
entièrement  de  tissu  spongieux,  cellulaire,  à  peine 
recouverts  d'une  mince  pellicule  compacte. 

Le  développement  des  os  obéit  à  des  lois  dé- 
terminées, dont  quelques-unes  présentent  pour 
le  physiologiste  et  pour  le  médecin  un  très  grand 
intérêt.  Citons-en  une,  la  loi  de  sijmétrie,  due 
aux  savantes  recherches  de  M.  Serres  : 

Tout  os  médirm  est  d'abord  double.  C'est-à- 
dire  que  tout  os  occupant  le  milieu  de  l'axe  du 
corps,  et  présentant  deux  moitiés  symétriques 
(par  exemple  l'os  du  front,  celui  de  la  mâchoire 
inférieure,!,  est  formé,  chez  le  fœtus,  do  deux  os 
semblables,  symétriques,  naissant  chacun  d'un 
point  d'ossification  distinct,  qui  peu  à  peu  se  dé- 
veloppent, se  rapprochent,  puis  se  soudent  l'un 
il  l'autre.  Il  y  a  donc,  au  début  de  la  vie,  deux 
frontaux,  deux  maxillaires  inférieurs,  etc. 

Les  os  s'unissent,  ou,  comme  on  dit,  s'articulent 
entre  eux  de  façons  très  diverses,  suivant  que 
l'articulation  doit  unir  invariablement  les  pièces 
osseuses  (os  du  crâne),  ou  leur  permettre  des 
mouvements  plus  ou  moins  ctendns  (articulations 
du  coude,  du  genou,  de  la  mâchoire). 

Les  articulations  immobiles  ont  lieu  par  en- 
grenage des  os  (sutures  du  crâne)  ou  par  simple 
juxtaposition  adhérente. 

Les  articulations  mobiles  présentent  bien  des 
variétés.  Mais  d'une  façon  générale,  dans  ces  arti- 
culations, lesos  se  touchent  parune  surface  lisse, 
encroûtée  de  cartilage,  perpétuellement  lubréfiée 
et  comme  huilée  par  la  synovie;  des  ligaments 
multipliés  maintiennent  ces  surfaces  osseuses  en 
contact  l'une  avec  l'autre  et  les  empêchent  de  s'a- 
bandonner. Uentorse  est  la  distension  violente 
de  ces  ligaments  ;  la  luxation  est  leur  rupture, 
amenant  la  séparation  des  surfaces  articulaires. 

La  sy7iovie,  qui   lubréfie  les  articulations  et  en 


détaché  à  moitié  de  l'os,  renversé  et  fixé  parmi  les 
muscles,  reproduit  par  sa  face  profonde  un  os  de 
même  figure  que  ce  lambeau.  Bien  plus  :  ce 
lambeau,  complètement  détaclié,  et  fixé  au  milieu 
des  parties  molles  d'un  autre  animal  de  même 
esphc,  donne  lieu  au  même  phénomène  et  régé- 
nère un  os  {Expérience  de  L.  Ollier). 

Abordons  maintenant  la  description  du  squelette 
humain  et  commençons  par  en  donner  une  idée 
d'ensemble. 

Ce  squelette  forme  un  tout  continu,  dont  toutes 
les  parties  se  tiennent.  L'axe  de  cette  charpente 
est  une  longue  et  solide  colonne,  la  colonne  ver- 
téljrale  qui  présente  à  chacune  de  ces  extrémités 
un  renflement  considérable  :  en  haut  le  a-âne,  en 
bas  le  bassin. 

Le  milieu  de  cette  colonne  supporte  une  sorte 
de  cage,  le  Ihornr,  forme  par  les  24  côtes,  le 
sternum,  les  clavicides  et  les  omoplates. 

Quatre  longs  prolongements,  les  membres, 
partent  de  cette  colonne.  Les  deux  membres 
supérieurs  partent  du  thorax,  les  deux  autres  du 
bassin.  Le  membre  supérieur  et  le  membre  infé- 
rieur sont  construits  sur  un  type  analogue  et 
formés  d'un  même  nombre  de  parties  symé- 
triques. 

Chacun  d'eux  peut  se  diviser  en  trois  segmenta. 
Le  premier  segment  ne  comprend  qu'un  os  unique, 
mais  énorme  [humérus  pour  le  bras,  fémur  pour 
la  cuisse).  Le  second  segment  en  comprend  deux 
plus  petits  {radius  et  cubitus  pour  l'avant-bras, 
tibia  et  péroné  pour  la  jambe).  Enfin,  dans  le 
troisième  segment  [ynain,  pied),  les  os  sont  très 
petits  et  très  nombreux. 

On  voit  par  cet  exposé  succinct  que  le  squelette 
est  symétrique,  c'est-à-dire  absolument  divisible, 
sur  un  plan  vertical  antéro-postérieur,  en  deux 
moitiés  semblables.  Le  poids  de  tout  l'appareil 
osseux,  chez  l'homme  adulte,  est  d'environ  5  à  6 
kilogrammes. 

Passons  maintenant  à  l'étude  rapide  de  chaque 
pièce  isolée  du  système,  eii  commençant  par  la  tête. 

La  tête  se  compose  de  deux  parties,  le  ci'dne  et 
la  face.  Le  crâne  est  une  boite  ovalaire,  formée 
de  huit  os,  et  renfermant  le  cerveau  et  le  cerve- 
let (V.  Si/sième  nerveux).  Ces  huit  os  sont  :  en 
avant  le  frontal,  en  haut  les  deux  pariétaux,  sur 
les  cotés  les  deux  temporaux,  dans  l'épaisseur 
desquels  est  logé  l'appareil  auditif  (V.  Ouie), 
en  arrière  Voccipital,  en  bas  Yelhmoïde  et  le 
sphénoïde.  L'agencement  de  ces  diverses  pièces 
est  admirablement  disposé  en  vue  de  la  solidité  et 
de  la  résistance  de  la  boîte  ;  les  coups,  les  chocs 
se  décomposent  à  travers  ces  sutures  enchevê- 
trées et  perdent  ainsi  leur  violence. 

La  base  du  crâne  est  percée  d'un  large  trou, 
qui  se  superpose  au  canal  des  vertèbres,  et  per- 
met à  la  moelle  d'entrer  dans  la  cavité  cérébrale 


assure  le  jeu  parfait,  est  renfermée  dans  une  po-  I  pour  y  former  le  cerveau.  De  chaque  côté  de  ce 
Che,  appelée  bourse  synoviale,  qui  entoure  la  I  trou  est  une  surface  un  peu  convexe  qui  unit  le 
jointure  de  tous  les  côtés  :  de  cette  disposition  '  crâne  à  la  première  vertèbre;  la  tête  est  ainsi 
résulte  un  fait  remarquable;  cette  bourse  étant  posée  presque  en  équilibre  sur  la  colonne  ;  tou- 
parfaitement  vide  d'air,  les  surfaces  osseuses  ne  :  tefois  la  moitié  antérieure,  alourdie  par  la  face, 
peuvent  s'écarter  sans  laisser  le  vide  entre  elles,  I  tend  à  l'incliner  en  avant:  disposition  corrigée 
et  par  suite  sans  être  ramenées  l'une  contre  l'au-  j  par  les  puissants  muscles  de  la  nuque,  qui  re- 
tre  par  toute  la  force  de  la  pression  atmosphéri-  |  dressent  la  tête  et  lui  donnent  sa  fierté  d'allure 
que  ambiante.  La  pression  barométrique  contribue  ■  caractéristique. 

ainsi  pour  une  large  part  à  la  solidité  des  articu-  La  face  est  formée  par  la  réunion  de  U  os, 
lations.  tous  immobiles  les  uns  sur  "les  attires  à  l'excep- 

La  surface  des  os  est  toujours  recouverte  d'une  \  tion  d'un  seul,  le  maxillaire  inférieur.  Le  maxii- 
membrane  fibreuse  qui  leur  est  étroitement  laire  supérieur,  articulé  avec  le  frontal,  forme 
adhérente,  le  périoste,  sur  lequel  s'attachent  ;  avec  lui  la  cavité  de  Vorbite.  Le  nez,  dans  le 
les  extrémités  des  muscles  ou  tendons.  Cette  '  squelette,  est  une  cavité,  plutôt  qu'un  appen- 
membrane,  d'une  épaisseur  inégale,  proportion-  ;  dice  :  cette  Cavité  on  fosses  nasales,  très  étendue, 
nelle  en  général  au  volume  de  l'os,  possède  la  !  est  séparée  de  la  bouche  par  la  voûte  palatine. 
propriété  de  régénérer  sans  cesse  l'os,  et  lui  as-  Les  dent  maxillaires  sont  creusés  sur  leurs 
sure  par  là,  au  sein  des  parties  molles,  une  vie  bords  de  nombreuses  cavités,  ou  alvéoles,  conte- 
indépendante.    Un    lambeau  de    périoste   vivant,  '  nant  les  dents. 


SQUELETTE 


—  2073 


SQUELETTE 


Enfin  il  faut  considérer  comnin  une  dépendance 
de  la  face  le  petit  os  hyoïde,  qui  supporte  la  base 
de  la  langue  et  soutient  le  larynx. 

Au  moment  de  la  naissance,  l(!s  os  de  la  voûte 
crânienne,  inconiplètenient  ossifiés,  sont  séparés 
par  de  larges  espaces  membraneux,  les  f'onla- 
nellcs,  qui  disparaissent  vers  la  deuxième  ou  troi- 
sième année. 

Le  crâne  présente  dans  sa  forme  et  dans  son 
volume  de  notables  variétés  chez  les  différents 
peuples,  comme  l'ont  établi  les  reclierches  de 
Blumenbacli,  de  Sœmmering,  etc.,  et  de  nos 
jours  celles  de  l'école  moderne  d'anthropologie. 
L'étude  comparée  des  crânes  est  en  effet  l'un  des 
fondements,  et  le   principal,    de   l'anthropologie. 

Le  crâne  étant  assez  exactement  moulé  sur  le 
cerveau,  on  a  attaché  une  grande  importance  Ji 
l'étude  de  ses  moindres  détails  extérieurs  (phré- 
nologio  de  Gall,  crâniologie).  On  s'est  également 
préoccupé  de  ses  exactes  dimensions  :  de  là  di- 
verses mesures  imaginées  pour  cet  objet  :  la  plus 
ancienne,  proposée  par  Camper  sous  le  nom 
d'mii/le  fiiciat,  indique  le  rapport  entre  le  volume 
de  la  face  et  celui  du  crâne.  Cet  angle  est 
formé  de  deux  lignes  partant  toutes  deux  des 
incisives  supérieures,  et  aboutissant  l'une  au 
milieu  du  front,  l'autre  au  conduit  auditif.  Il  est, 
chez  l'Européen,  de  80  à  85%  de  73"  dans  la  race 
mongole,  et  de  70°  chez  les  noirs.  Une  des  plus 
intéressantes  conclusions  de  ces  études  de  men- 
suration est  qu'à  travers  l'échelle  animale  ou  les 
races  humaines,  le  crâne  et  la  face  sont  dans  un 
rapport  inverso  do  développement;  l'un  n'aug- 
mente qu'aux  dépens  de  l'autre  ;  en  d'autres  ter- 
mes la  face  diminue  avec  l'accroissement  de  l'in- 
telligence. 

La  partie  la  plus  importante  du  tronc,  celle  qui 
sert  de  soutien  à  toutes  les  autres,  est  la  colonne 
vertébrale.  C'est  une  tige  osseuse,  occupant  la 
ligne  médiane  et  postérieure  du  corps,  et  compo- 
sée de  '24  petits  os  appelés  verlèhies.  Chaque 
vertèbre  représente  une' sorte  de  disque  épais, 
percé  d'un  large  trou  [tiou  verlébnd).  Les  deux 
faces  de  ce  disque  sont  parallèles  et  horizontales, 
et  s'articulent  solidement  avec  la  vertèbre  infé- 
rieure et  avec  la  supérieure.  Ce  disque  est  en 
outre  muni  de  saillies  ou  apophyses  dont  la  prin- 
cipale, se  dirigeant  horizontalement  en  arrière, 
offre  un  puissant  levier  aux  muscles  du  dos  et  du 
cou,  et  leur  permet  de  redresser  et  de  mouvoir 
toute  la  colonne  tirée  en  avant  par  le  poids  du 
corps  et  des  viscères.  D'autres  saillies  consolident 
l'articulation  ou  offrent  aux  côtes  une  surface  ar- 
ticulaire . 

La  superposition  de  tous  les  trous  vertébraux 
forme  un  long  canal,  où  se  loge  la  moelle;  entre 
chaque  vertèbre  est  ménagé  de  chaque  coté  un 
espace  libre  par  où  s'échappent  de  la  moelle  les 
nerfs  qui  se  répandent  dans  tout  le  corps. 

La  première  vertèbre,  nommée  l'atlas,  très  mo- 
bile sur  la  seconde,  supporte  la  tête.  Elle  pivote 
comme  un  anneau  autour  d'une  saillie  verticale 
qui  s'élève  de  la  seconde  vertèbre  ou  axis.  Ces 
deux  os  sont  faiblement  unis  l'un  à  l'autre,  afin 
d'être  plus  mobiles  :  à  l'état  normal,  la  tête  pe- 
sant sur  l'atlas  tend  plutôt  à  le  réunir  à  l'axis 
qu'à  l'en  séparer,  et  cette  faiblesse  de  lien  n'a 
pas  d'inconvénients.  Il  en  est  tout  autrement 
quand  la  tête  supporte  le  poids  du  corps,  dans  la 
pendaison  par  exemple  :  ces  deux  vertèbres  se  sé- 
parent, se  luxent  et  rompent  la  moelle,  amenant 
ainsi  une  mort  instantanée. 

Les  sept  premières  vertèbres  sont  appelées 
cervicales,  et  jouissent  d'une  assez  grande  mobi- 
lité en  rapport  avec  les  mouvements  variés  que 
doit  exécuter  la  tête. 

Les  douze  suivantes,  vertèbres  dorsales,  por- 
tent chacune  une  paire  d'arcs  osseux  recourbés 


et  très  larges,  les  côtes,  qui  forment  avec  le  ster- 
num la  caye  thorarir/ue,  ou  poitrine,  contenant  le 
cœur  et  les  poumons.  Les  eûtes,  au  nombre  de 
ri  de  chaque  côté,  se  continuent  en  avant  par 
une  tige  cartilagineuse.  Les  cartilages  des  sept 
premières  paires  de  côtes  s'unissent  au  sternum, 
os  impair  et  médian  qui  complète  et  ferme  la 
cage.  Les  cinq  dernières  paires,  qui  n'arrivent 
pas   au  sternum,  se  nomment  les  fausses-côtes. 

Les  cinq  dernières  vertèbres,  larges,  solide- 
ment unies,  se  nomment  lombaires.  Elles  se  con- 
tinuent par  un  appendice,  formé  de  deux  pièces, 
le  sacrum  et  le  cnccyx,  dans  lequel  il  ne  faut 
voir  que  des  vertèbres  soudées  entre  elles  et  un 
peu  modifiées  dans  leur  forme. 

La  colonne  vertébrale  n'atteint  son  complet 
développement  que  vers  trente  ans.  Plus  longue 
chez  l'homme  que  chez  la  femme,  elle  est  verti- 
cale, mais  non  rectiligne,  et  présente  quatre  cour- 
bures alternatives,  convexe  au  cou,  concave  au 
dos,  convexe  aux  lombes,  concave  dans  le  bassin. 

Sur  la  cage  thoraciquo  se  fixent  les  membres 
supérieurs.  Un  premier  appareil  composé  de  deux 
os,  l'omoplate  et  la  clavicule,  leur  sert  de  base  et 
comme  de  socle. 

h'omop/ate,  os  large  et  plat,  s'applique  en  ar- 
rière sur  les  côtes  supérieures.  Il  présente  en 
haut  une  large  cavité  qui  reçoit  la  tête  de  l'hu- 
mérus. Fixé  contre  le  tliorax  par  la  masse  des 
muscles  du  dos  et  de  l'épaule,  au  sein  de  laquelle 
il  est  enfoui,  cet  os  s'articule  en  avant  avec  la 
clavicule,  petite  pièce  osseuse  qui,  s' appuyant  sur 
le  sternum  et  la  première  côte,  maintient  écar- 
tées les  deux  omoplates,  c'est-à-dire  les  deux 
épaules. 

Le  premier  segment  du  membre  supérieur,  le 
bras,  est  formé  d'un  seul  os,  l'humérus,  longue  et 
forte  tige  osseuse,  dont  l'extrémité  supérieure, 
arrondie,  tourne  dans  la  cavité  de  l'omoplate, 
tandis  que  l'inférieure,  creusée  d'une  sorte  de 
gorge  de  poulie,  reçoit  l'un  des  os  de  lavant-bras, 
le  cubitus. 

L'avant-bras  présente  en  effet  deux  os,  le 
cubitus  et  le  radius,  placés  parallèlement  à  côté 
l'un  de  l'autre.  Le  cubitus  s'articulo  en  haut 
avec  la  poulie  de  l'humérus  et  en  bas  n'arrive 
pas  jusqu'à  la  main.  Le  radius,  au  contraire,  ar- 
ticulé en  bas  avec  la  main,  n'arrive  pas  en  haut 
jusqu'à  l'humérus.  Le  point  important  des  rapporta 
de  ces  deux  os  est  que  le  radius,  qui  porte  la 
main,  peut  tourner  autour  du  cubitus  comme  au- 
tour d'un  pivot,  et  donner  lieu  à  deux  mouvements 
de  la  main,  l'un  la  supination  (paume  en  haut), 
l'autre  la.  pronation  (paume  en  bas). 

Le  dernier  segment,  la  main,  se  compose  de 
trois  parties  :  le  poignet  ou  carpe,  formé  de  deux 
rangées,  composées  chacune  de  quati-e  petits  os, 
très  solidement  unis  entre  eux,  —  le  métacarpe, 
constitué  par  une  seule  rangée  de  cinq  petits  os 
longs,  dont  l'un,  qui  porte  le  pouce,  est  indépen- 
dant et  mobile,  —  enfin  les  doigts,  dont  chacun 
comprend  trois  petits  os  longs  i,à  l'exception  du 
pouce  qui  n'en  possède  que  deux)  appelés  les 
phalanges. 

Rappelons  ici  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut, 
à  savoir  qu'à  mesure  quo  l'on  s'éloigne  du  tronc, 
les  divers  segments  deviennent  plus  courts,  et 
les  os  do  ces  segments  plus  nombreux.  Le  ré- 
sultat se  comprend  aisément  :  à  mesure  qu'on  se 
rapproche  de  l'extrémité  du  membre,  les  articu- 
lations se  multiplient,  permettant  à  la  forme  et 
à  la  position  du  membre  de  varier  à  l'infini  pour 
s'accommoder  à  celles  des  objets  à  saisir.  Au 
contraire,  les  grands  os  du  bras  et  de  l'avant- 
bras,  énormes  levirrs  à  mouvements  étendus, 
permettent  de  porter  rapidement  ou  violemment  la 
main  partout  où  elle  est  nécessaire. 

Le  membre  inférieur  présente  avec  celui-ci  la 


SQUELETTE 


—  2074  — 


SQUELETTE 


Dlus  erandp  analogie.  Comme  le  bras,   la   cuisse  [  et  de  la  jambe,  de  la  main  et  du  pied.  Les  diffé- 
reDOàc  sur  une  première  pièce  osseuse,  la  hanche,  i  rences  superficielles  tiennent  uniquement  à  la  di- 

_  "  _.^  ;.:  v 1 .,,.  ^o  i'^.^.,i.io  •  «.Mo  oQt  fm-miio    vprsité  dc  destination.  Organe  de  preliension,  le 

membre  supérieur  est  plus  léger,  plus  mobile,  se 
plie  plus  aisément  aux  mille  injonctions  de  la  vo- 
lonté. Appareil  de  sustentation  et  de  locomotion, 
le  membre  abdominal  l'emporte  sur  le  précédent 
en  solidité  d'attacbes,  en  volume,  mais  il  jouit  en 
revancbe  d'une  mobilité  plus  restreinte. 

Maintenant  que  nous  connaissons  le  squelette 
dans  chacune  de  ses  parties,  il  nous  reste  à  dire 
quelques  mots  de  la  manière  dont  elles  fonction- 
nent, en  d'autres  termes  à  parler  de  l' action  des 
muscles  sur  les  os. 

Tous  les  muscles  sont  fixés  au  squelotte  par 
leurs  deux  extrémités  (à  de  très  rares  exceptions 
près).  Un  muscle,  en  se  contractant,  ne  l'ait  donc 
autre  chose  que  rapprocher  deux  os  l'un  de  l'au- 
tre, et  naturellement,  il  prend  appui  sur  l'os  le 
plus  résistant  pour  entraîner  le  plus  mobile.  Or 


qui  est  ici  l'analogue  de  l'épaule  :  elle  est  formée 
de  trois  os,  distincts  dans  les  premières  années 
de  la  vie,  mais  qui  se  soudent  ensuite  pour  ne 
former  qu'un  os  unique,  l'os  ilirique,  ou  os  coxnl. 
Cet  os,  plat  et  très  large,  solidement  attaché  en 
arrière  au  sactum,  forme  avec  celui  du  c6ié  op- 
posé une  sorte  de  vaste  ceinture  osseuse,  de 
forme  un  peu  conique,  à  base  supérieure,  qu'on 
nomme  le  basin,  et  qui  loge  la  partie  inférieure 
du  tube  digestif  et  les  organes  génito-urinaires. 
Plus  large  et  plus  évasé  chez  la  femme,  cette 
différence  s'explique  par  la  nécessité  de  contenir 
l'utérus  pendant  la  grossesse.  Le  bassin  termine 
en  bas  le  tronc  :  il  est  situé  entre  la  colonne 
vertébrale,  qui  porte  sur  sa  partie  postérieure, 
et  les  fémurs,  qui  s'attachent  à  ses  parties  laté- 
rales :  disposition  importante  en  vertu  de  la- 
quelle le  bassin   offre  au   centre  de   gravité   une 


large  base  de  sustentation,    et  qui  a  en  outre  ce  ;  nous  avons  vu  que  les  os  sont   d'autant  plus  mo- 
résultat  de  décomposer  et  d'amoindrir  les  contre-    biles  qu'ils  sont  plus  éloignes  du  tronc.  11  suit  de 

■  ■  là  qu'un  muscle  entraine  toujours  celui  des  deux 
os  auxquels  il  s'attache  qui  est  le  plus  distant  du 
centre  du  corps  ;  aussi  les  muscles  destinés  à 
mouvoir  un  os  s'étendent-ils  toujours  de  cet  os 
vers  le  tronc  :  les  muscles  destinés  à  mou- 
voir le  pied  sont  situés  sur  la  jambe;  ceux  qui 
doivent  fléchir  la  jambe  occupent  la  cuisse  ;  ceux 
qui  fléchissent  la  cuisse  s'attachent  au  bassin,  etc. 
permet  à  la  jambe  de  se  plier  en  arrière  ou  de  II  est  évident  que  l'énergie  d'un  mouvement 
s'étendre  dans  le  sens  antéro-postcrieur.  Un  petit    dépend    surtout    du   volume   ou    du   no'"''™   des 


__  nposer 
coups  de  la  marche,  de  la  course,  du  saut  et  de  la 
chute. 

Un  seul  os,  le  fémur,  le  plus  long  et  le  plus 
volumineux  du  squelette,  forme  la  cuisse.  Son 
extrémité  supérieure,  coudée  et  arrondie,  tourne 
dans  une  cavité  que  lui  offre  l'os  coxal,  de  façon 
à  laisser  la  cuisse  se  mouvoir  en  tous  sens.  L'ex- 
trémité inférieure,  renflée,  repose  sur  le  tibia,  et 


os  plat,  la  rolue,  protège  en  avant  l'articulation 
du  genou  et  augmente  la  puissance  des  muscles 
qui  étendent  la  jambe  sur  la  cuisse,  en  rendant 
plus  oblique  leur  insertion  sur  le  tibia. 

Deux  os  forment  la  jambe  ;  l'un  solide,  épais 
et  rectiligne,  le  tibia,  situé  en  dedans;  il  porte  le 
fémur,  et  s'appuie  sur  le  pied.  Le  second,  grêle, 
flexible,  appelé  le  péroné,  ne  sert  qu'i  maintenir 
le  pied  et  à  l'empêcher  de  glisser  en  dehors.  Cet 
os,  analogue  au  radius,  ne  tourne  pas  sur  le 
tibia,  mais  lui  est  invariablement  fixe.  Le  pied, 
en  effet,  base  de  sustentation,  a  besoin  avant  tout 
de  solidité  :  les  mouvements  variés  lui  sont  inu- 
tiles ;  et  une  mobilité  analogue  i  celle  de  la 
main  lui  serait  dangereuse. 

Comme  la  main,  le  pied  se  compose  de  trois 
parties,  le  Inrse,  le  métatarse  et  les  doigta,  par- 
faitement analogues  aux  parties  similaires  de  la 
main. 

Sept  os  composent  le  tarse;  l'un,  Vasfragale, 
élevé  au-dessus  des  autres,  arrondi  en  forme  de 
poulie,  s'eniboite  dans  la  mortaise  que  lui  offrent 
le  tibia  et  le  péroné,  et  forme  avec  eux  l'articu- 
lation du  cou-de-pied.  Il  repose  sur  l'os  du  talon. 
le  cakanéum,  qui  se  prolonge  en  arrière,  pré- 
sentant un  puissant  levier  aux  muscles  du  mol- 
let ;  ces  muscles,  en  effet,  étendent  le  pied  sur 
la  jambe,  ou  en  d'autres  termes,  soulèvent  h  eux 
seuls  le  poids  du  corps  tout  entier,  ce  qui  ex- 
plique la  longueur,  la  saillie  et  la  solidité  du 
calcanéum.  Les  autres  os,  le  scaphoït/e,  le  cu- 
boide  et  les  trois  cunéiformes,  complètent  le 
tars". 

Le  métatarse  se  compose,  comme  le  métacarpe, 
de  cinq  petits  os  longs  ;  mais  celui  qui  porte  le 
gros  orteil  est  aussi  peu  mobile  que  les  autres. 

Enfin,  les  doigts  comptent  le  mêine  nombre  de 
phalanges  qu'à  la  main,  mais  plus  courtes,  plus 
plus  grosses  et  moins  mobiles. 

L'analogie  des  membres  thoracique  et  abdomi- 
nal, entrevue  par  Vic(|-d'Azyr,  a  été  confirmée 
par  les  belles  recherches  de  Flourens,  de  Martins, 
de  Geoffroy  Saint-Hilaire,  etc.  Ces  savants  ont 
montré  la  ressemblance  et  la  symétrie  exacte,  ;\ 
travers  les  différences  apparentes,  de  l'épaule  et 
du  bassin,  du  bras  et  de  la  cuisse,  de  l'avant-bras 


muscles  qui  le  provoquent.  Mais  elle  dépend 
aussi  de  la  façon  dont  le  muscle  s'attache,  ou 
comme  on  dit,  s'insère  à  l'ns.  L'énergie  a'ioi  mou- 
vement est  d'autant  plus  faible  que  l'insertion 
du  muscle  sw  l'os  mobile  est  plus  obligne.  Cette 
loi  se  comprend  d'elle-même  :  par  exemple,  le 
muscle  biceps,  qui  s'attache  d'une  part  au  bras 
et  de  l'autre  h  l'avant-bras,  perd,  au  début  du 
mouvement  de  flexion,  les  trois  quarts  de  la  force 
employée,  parce  qu'il  s'insère  très  obliquement  h. 
l'avant-bras.  Mais  i  mesure  que  la  flexion  s'accen- 
tue et  que  le  muscle  devient  plus  perpendicu- 
laire à  l'os  mobile,  la  force  du  mouvement  aug- 
mente. Presque  tous  nos  muscles  s'insèrent  très 
obliquement  sur  les  os,  d'une  manière  par  con- 
séquent peu  avantageuse  à  l'énergie  du  début 
du  mouvement. 

Nous  avons  déjîi  dit  que  les  os  ne  sont  que  des  ap- 
pareils mécaniques  identiques  aux  leviers,  dont 
ils  présentent  les  trois  variétés.  (V.  1  article 
Mécanique,  p.  12S0.) 

Le  levier  du  premier  genre  est  assez  fréquent 
dans  l'économie  :  par  exemple,  lorsque  la  tête 
est  en  équilibre  sur  la  colonne  vertébrale,  sollici- 
tée en  avant  par  le  poids  de  la  face,  maintenue 
en  arrière  par  les  muscles  de  la  nuque,  elle  re- 
présente un  levier  de  ce  genre,  dans  lequel  e 
point  d'appui  est  placé   entre  la  résistance  et  la 

Le  levier  du  deuxième  genre  se  rencontre  daiis 
l'articulation  du  cou-de-pied,  lorsqu'on  soulève  e 
poids  total  du  corps  en  se  dressant  sur  la  pointe 
du  pied,  ce  qui  a  lieu  dans  la  marche  à  chaque  pas, 
quand  le  membre  inférieur  va  se  détacher  du  sol 
pour  osciller  et  se  porter  au  devant  dc  1  autre,  bn 
ce  cas,  le  point  d'appui  est  fourni  par  la  pomte  du 
pied,  appliquée  au  sol.  La  puissance  est  représen- 
tée par  les  muscles  du  mollet,  qui  s  insèrent  au 
bout  du  talon  (calcanéum).  Enfin,  la  résistance, 
c'est-;Vdire  le  poids  du  corps,  transmis  par  le  tibia, 
se  trouve  appliquée  sur  l'astragale,  cest-à-ûire 
entre  le  point  d'appui  et  le  point  d  application 
de  la  puissance.  Remarquons  qu'en  ce  genre  Qe 
levier  le  bras  de  levier  de  la  puissance  est  beati- 
coup  plus  long  que  celui  de  la  résistance,  disposi- 
tion éminemment  avantageuse  qui  fait  que  la  force 


SQUELETTE 


—  2075 


STIMULANTS 


déployée  par  les  muscles  du  mollet  n'a  pas  besoin 
d'égaler  le  poids  du  corps  pour  pouvoir  la  soule- 
ver. 

Enfin,  le  levier  du  troisième  genre  est  de  beau- 
coup le  plus  répandu  ;  c'est  lui  qui  préside  à 
presque  tous  les  mouvements  partiels  ou  d'en- 
semble, particulièrement  à  ceux  de  flexion  ou 
d'extension.  L'articulation  du  coude  en  est  un 
exemple  enire  autres.  Le  muscle  biceps,  repré- 
sentant la  puissance,  s'attaciie  sur  le  radius,  un 
peu  au-dessous  de  l'articulation.  Le  point  d'ap- 
pui est  fourni  par  l'articulation  même,  et  la  ré- 
sistance consiste  dans  le  poids  que  soulève  la 
main.  Le  bras  de  la  puissance  est  ici  plus  court 
que  celui  de  la  résistance,  de  sorte  que  l'énergie 
de  la  coiitraction  doit  toujours  être  supérieure 
h  l'obstacle  vaincu.  Mais,  en  compensation,  l'ex- 
trémité (lu  levier,  la  main,  par  exemple,  parcourt 
un  chemin  bien  plus  long.  Le  mouvement  rega- 
gne en  étendue  ce  qu'il  a  perdu  en  force. 

Il  convient,  pour  terminer  cette  étude,  de  jeter 
un  coup  d'œil  sur  les  modifications  du  squelette 
dans  les  diflerentes  classes  des  vertébrés. 

Ce  nom  seul  de  Vertèbres  indique  tout  d'abord 
que,  parmi  les  diverses  pièces  de  la  charpente 
osseuse,  la  colonne  vertébrale  est  celle  qui  per- 
siste avec  le  moins  de  variations.  Les  membres 
abdominaux  peuvent  manquer  chez  certaines 
espèces  aquatiques,  les  membres  thoraciques 
chez  certains  animaux  terrestres,  les  côtes  font 
défaut  chez  la  grenouille,  le  sternum  chez  les  ser- 
pents, etc.  Mais  la  longue  tige  creuse  qui  ren- 
ferme cet  organe  capital,  le  système  nerveux, 
reste  constante,  et  demeure  comme  la  caractéris- 
tique de  l'embranchement. 

Et  cependant,  à  travers  tant  de  variations,  la 
nature  ne  se  départit  que  le  moins  possible  du 
plan  général  qu'elle  a  adopté,  et,  par  de  légers 
changements  de  forme  ou  de  proportions,  elle 
plie  parfois  ce  plan  unique  aux  destinations  les 
plus  diverses.  Le  bras  de  l'homme,  la  patte  d'un 
écureuil,  la  nageoire  d'un  phoque,  l'aile  d'une 
cliauve-souris,  présentent  exactement  le  même 
nombre  d'os  et  le  même  agencement  de  ces  os. 

Dans  la  classe  des  Mammifères,  les  doigts  di- 
minuent et  la  clavicule  disparaît  chez  les  espèces 
dont  les  membres  ne  servent  qui  la  course.  On 
peut,  chez  quelques  espèces  (dauphins,  baleines), 
voir  manquer  absolument  les  membres  abdomi- 
naux. Enfin  le  nombre  des  vertèbres  dorsales  ou 
caudales  est  sujet  à  de  légères  variations. 

Chez  les  Oiseaux,  le  squelette  est  infiniment 
plus  léger,  presque  tous  les  os  étant  creusés  de 
cavités  pleines  d'air.  La  tête  est  très  mobile  sur 
de  nombreuses  vertèbres  cervicales.  Les  vertèbi-es 
dorsales,  point  d'appui  du  vol,  sont  au  contraire 
fixées  les  unes  sur  les  autres.  Les  deux  clavicules 
sont  soudées  en  avant.  L'aile  renferme  à  peu  près 
les  mêmes  os  qu'un  membre  supérieur  de  mam- 
mifère. L'os  de  la  hanclie  est  très  développé, 
comme  il  doit  l'être  chez  un  bipède.  Un  seul  os 
représente  le   tarse  et  le  métatarse. 

Le  squelette  des  Reptiles  présente  d'infinies  va- 
riations ;  tous  les  os,  à  l'exception  de  la  tète  et  des 
vertèbres,  peuvent  manquer  tour  :\  tour. 

Quant  aux  Poissoiis,  nous  ne  pouvons  entrer 
dans  le  détail  de  leur  anatomie  osseuse.  Nous  di- 
rons seulement  que,  chez  certains  d'entre  eux,  le 
squelette  peut  être  absolument  cartilagineux, 
(requin,  raie?,  chez  d'autres  même  tout  à  fait 
membraneux,  presque  inconsistant  (laniproiej. 

Enfin  les  ISatraeiens  présentent  cette  particu- 
larité que  le  thorax  est  chez  eux  incomplet,  les 
côtes  faisant  entièrement  ou  presque  entièrement 
défaut  :  ce  qui  modifie  leur  mode  respiratoire,  et 
les  oblige  à  waler  de  l'air,  au  lieu  de  Vaspirer. 
Avec  la  dernière  classe  des  vertébrés  disparaît  le 
squelette  proprement  dit,   la   charpente  osseuse 


intérieure.  Toutefois  les  premiers  invertébrés  ne 
sont  pas  encore  dos  animaux  uniquement  compo- 
sés de  parties  molles.  Los  Insectes,  les  Crustacés, 
sans  posséder  d'os  il  proprement  parler,  sont 
pourvus  d'une  armature  extérieure  résistante  et 
solide,  qui  n'est  que  la  peau  modifiée  et  durcie. 
Ce  squelette  extérieur  remplit  les  mêmes  rôles 
(lue  le  squelette  des  vertébrés,  prête  attache  aux 
muscles,  protège  les  viscères,  et  assure  la  forme 
de  l'animal. 

Mais  cette  carapace  elle-même  disparait  à  son 
tour,  et  l'on  entre  alors  dans  un  monde  inférieur 
et  rudiraentaire,  d'oij  la  forme  et  la  consistance 
sont  également  absentes.  [D'  E.  Pécaut.] 

STIMULANTS.  —  Hygiène,  XII.  —  Les  hom- 
mes de  tous  les  climats,  de  tous  les  pays,  saiiva- 
ges  ou  civilisés,  semblent  éprouver  le  besoin  ins- 
tinctif de  substances  que  l'on  désigne  sous  les 
noms  d'excitants  ou  de  stitnulcmts.  Aussitôt  que 
l'expérience  leur  a  révélé  l'existence  et  les  pro- 
priétés d'un  agent  de  cette  nature,  ils  en  ont 
adopté  l'usage.  A  mesure  que  les  relations  et  les- 
échanges  sont  devenus  plus  faciles,  les  peuples 
se  sont  emprunté  les  produits  spéciaux  de  cha- 
que pays,  de  sorte  qu'aujourd'hui  les  stimulants 
de  toute  sorte  tendent  à  se  faire  partout  concur- 
rence. Il  en  est  résulté  quo  le  même  individu 
fait  usage  de  plusieurs  stimulants  alternative- 
ment ou  à  l'état  de  combinaison. 

On  se  ferait  facilement  une  idée  du  rôle  des 
substances  stimulantes,  si  l'on  n'avait  pas  sovis 
les  yeux  des  chiffres  aussi  exacts  qu'il  est  possi- 
ble de  les  établir  aujourd'hui. 

Voici,  par  ordre  d'importance  numérique,  celles 
dont  on  consomme  le  plus  : 

Le  kava,  employé  par  environ  1,000,000  de 
Polynésiens.  .  . 

Le  coca,  mâché  par  les  Indiens  de  la  Bolivie 
et  du  Pérou,  formant  une  population  d'envi- 
ron 10000000  d'individus. 

Le  maté,  pris  en  infusion  par  une  population 
de  15  000  000  d'Indiens,  dans  le  Paraguay,  le 
Brésil  et  la  république  Argentine. 

Le  bétel,  mâché  par  les  Malais,  des  Indous  et 
des  Chinois,  au  nombre  d'environ  100  noi)  000. 

Le  café,  usité  en  infusion  dans  une  grande 
partie  de  l'ancien  monde  et  une  portion  considé- 
rable de  l'Amérique  et  de  l'Océanie,  compte  à 
peu  près  500000  000  de  consommateurs. 

Le  haschisch  réclame  environ  30iH)00000  d'a- 
deptes en  Perse,  en  Turquie,  dans  l'Inde  et  dans 
le  nord  de  l'Afrique. 

L'opium  est  fumé  par  400  000  000  d'hommes, 
dans  l'Inde,  la  Perse,  la  Turquie  et  la  Chine. 

Le  thé  a  suivi  un  peu  partout  le  café  :  recher- 
ché surtout  en  Angleterre,  aux  Etats-Unis,  en- 
P.ussie,  il  forme  en  outre  l.i  boisson  populaire  de 
la  Chine  et  du  Japon.  Les  populations  qui  l'em- 
ploient forment  un  total  d'au  moins  500  000  000. 
L'alcool  règne  sur  une  population  d'environ 
COO  000  000  d'individus,  dans  tous  les  pays,  excepté 
ceux  soumis  à  la  religion  musulmane,  qui  en  pro- 
hibe l'usage. 

Le  tabac  a  fait  la  conquête  du  monde  depuis 
la  découverte  de  l'Amérique;  il  est  prisé,  chiqué 
ou  fumé  par  des  populations  évaluées  i  900000  000 
d'individus. 

Ces  chiffres,  bien  que  puisés  aux  meilleures 
sources,  ne  sont  pas,  bien  entendu,  d'une  exacti- 
tude rigoureuse.  De  plus,  ils  embrassent  la  po- 
pulation entière  chez  laquelle  le  stimulant  est  en 
usage.  Or  il  faut  éliminer,  pour  arriver  au  chif- 
fre réel  dos  consommateurs,  la  presque  totalité 
des  enfants  et  la  grande  majorité  des  femmes. 

Nous  consacrons  aux  principaux  stimulants  ou 
excitants  en  usage  chez  nous,  l'alcool,  le  café  et 
le  tabac,  des  articles  spéciaux.  Nous  ne  parle- 
rons   ici    que   d'une   manière   générale   de   l'in- 


STIMULANTS 


—  ao^e  — 


STIMULANTS 


fluence  des  stimulants  sur  la  santé  et  sur  la  vie 
humaine. 

Les  siatistiquGS  démontrent  que  l'abus  des  sti- 
mulants augmente  dans  une  effrayante  proportion 
les  cas  do  paralysie,  de  folie,  de  suicide,  de  cri- 
mes contre  les  personnes.  Leur  usage,  à  tous 
degrés,  entraîne  des  maladies  du  corps  et  des 
troubles  de  l'intelligence.  Ils  figurent  au  premier 
rang  parmi  les  causes  qui  abrègent  la  vie  liu- 
niaine  et  produisent  les  dégénérescences  hérédi- 
taires. 

L'habilude  de  voir  tout  le  monde  faire  usage 
de  stimulants,  leur  innocuité  apparente,  le  plai- 
sir sensuel  qu'ils  procurent  nous  empêche  d'ap- 
précier leurs  ravages.  Montaigne  a  dit  :  a  Tout  le 
mal,  chez  nous,  vient  d'ânerie.  »  Le  mot  peut 
s'appliquer  à  tiut.  Nous  avons  fait  des  drogues 
stimulantes,  enivrantes,  nos  commensaux  ;  nous 
leur  attribuons  une  part  de  notre  santé,  de  notre 
belle  humeur,  de  notre  esprit,  voire  même  de  notre 
aiTectivité  ;  il  faut  vraiment  être  bien  sur  de  soi 
pour  dénoncer  ces  ennemis  intimes;  ce  n'est 
que  par  des  preuves  irrécusables  que  l'on  peut 
espérer  convaincre  ceux  à  qui  l'on  conseille  de 
renier  ce  qu'ils  ont  adoré.  C'est  la  tâche  de  l'hy- 
giène. 

Il  lui  appartient  de  montrer  les  dangers  qui 
accompagnent  toujours  les  excitants  et  de  .signa- 
ler comment  on  peut  remplacer  ces  agents  de 
destruction  p.ar  des  moyens  naturels,  élevés,  uti- 
les, de  satisfaire  chez  l'homme,  à  tout  âge,  les 
besoins  matériels,  le  penchant  pour  le  plaisir  et 
la  tendance  vers  l'idéal. 

Dans  le  principe, c'est  toujours  comme  pis-aller 
que  l'on  recourt  aux  stimulants.  On  y  est  conduit 
d'oidinairo  par  un  besoin  pliysique,  un  instinct, 
résultant  d'un  dé-ordre  des  fonctions  :  ainsi  l'ali- 
mentation insnffisante  conduit  tout  naturellement 
à  l'usage  d"  l'alcool.  Celui-ci  devient  souvent,  il 
est  vrai,  l'aliment  de  la  paresse  et  de  la  débauche  ; 
mais,  dans  un  très  grand  nombre  de  cas,  c'est  l'a- 
limentation insuffisante  qui  amène  une  lutte  iné- 
gale entre  le  pain  et  l'alcool,  entre  le  bien-êtro  et 
l'ivrognerie. 

Supposez  un  ouvrier  sobre,  rangé,  fort  contre 
les  exemples  et  les  invitations  de  ses  camarades, 
—  il  y  en  a  beaucoup  comme  cela,  —  obligé  de 
nourrir  une  famille  nombreuse  avec  un  faible  sa- 
laire. Arrive  l'hiver:  la  dépense,  déjà,  réduite  au 
minimum,  augmente  un  peu  pour  le  chauffage  et 
l'éclairage  ;  il  faut  retrancher  sur  la  nourriture 
déjà  insuffisante  et  se  priver  du  vêtement  chaud 
que  réclame  la  saison.  Un  matin,  à  l'atelier,  il  se 
sent  faible.  Un  camarade  qui  le  voit  moins  vif  à 
l'ouvrage  l'invite  à  prendre  un  petit  verre  «  pour 
se  donner  de  la  force  et  se  réchauffer.  »  Le  petit 
verre,  c'est  le  coup  de  fouet  au  cheval  :  il  produit 
le  coup  de  col  ier.  Demain,  on  en  prendra  un 
autre,  — toujours  pour  le  bon  motif;  — puis  il  en 

faudra  deux  par  jour,    trois,  quatre L'ouvrier 

deviendra  buveur  d'eau-de-vie.  C'est  faute  de  pain 
et  de  viande  qu'il  en  est  venu  là.  Et  maintenant  il 
n'a  plus  d'appétit,  même  pour  sa  maigre  pitance, 
de  sorte  qu'il  est  condamné  à  boire  encore  pour 
ne  pas  mourir  d'inanition  ;  il  se  tue  par  l'alcool 
pour  ne  pas  mourir  de  faim,  et  il  arrive  à  dépen- 
ser en  alcool  bien  plus  qu'il  ne  faudrait  pour  ache- 
ter le  surcroît  d'aliments  qui  lui  a  fait  défaut.  Et 
cet  homme  jauni,  desséché,  tremblant,  débile,  dont 
vous  vous  éloignez  avec  dégoût,  a  laissé  dans  sa 
mansarde  une  famille  ;  l'argent  a  manqué,  la  ma- 
ladie est  venue,  tous  sont  dispersés  par  l'assis- 
tance publique,  en  attendant  que  le  père  entre  à 
l'Hôtel-Dieu,  dans  un  asile  d'aliénés  ou  dans  une 
prison. 

La  tempérance  ne  peut  régner  que  là  où  exis- 
tent la  vie  de  famille,  un  coulort  relatif  qui  permet 
le  respect  de  soi  et  des  siens,  une  alimentation 


suffisamment  réparatrice,  une  instruction  moyenne 
qui  ouvre  l'esprit  aux  distractions  d'un  ordre  élevé. 
Répétons  que  l'instruction  la  plus  élémentaire  de- 
vrait accorder  une  large  place  a  l'hygiène,  —  cette 
scicMice  que  nous  trouvons  au  fond  de  toutes  les 
questions  sociales,  —  afin  de  remplacer  les  ba- 
nales déclamations  par  des  préceptes  bien  définis, 
expliqués  par  des  exemples  familiers. 

Le  premier  adversaire  que  nous  devions  oppo- 
ser aux  excitants,  c'est  l'éducation,  qui  fait  les 
mœurs;  et  pour  auxiliaires  nous  lui  donnerons  la 
loi,  qui  les  sauvegarde. 

Pour  demeurer  dans  le  domaine  de  l'hygiène  et 
arriver  à  des  conclusions  pratiques,  essayons,  pre- 
nant les  choses  comme  elles  sont,  de  tracer  la 
voie  pour  des  améliorations  successives,  les  seules 
que  l'on  puisse  raisonnablement  espérer. 

L'homme  se  tue,  en  grande  partie,  par  l'usage 
des  stimulants  :  comment  remédier  à  ce  suicide 
en  masse?  Parmi  les  stimulants,  il  y  en  a  qui 
sont  particulièrement  dangereux  ;  de  ce  noiubre 
sont  l'alcool  et  le  tabac.  Ne  pourrait-on  pas 
s'en  déshabituer  graduellement  par  voie  de 
substitution  ?  Oji  préparerait  des  tabacs  peu  fer- 
mentes et  appauvris  en  nicotine.  Le  vin,  la  bière, 
le  cidre,  remplaceraient  l'alcool  ;  plus  tard,  le 
café,  le  thé,  le  maté  se  substitueraient  au  vin  ; 
enfin  on  remplacerait  sans  effort  des  infusions  de 
plus  en  plus  légères  de  ces  plantes  par  d'autres 
infusions  -implement  aromatiques  ou  par  de  l'eau 
pure.  Notez  que  cette  substitution  s'établit  d'elle- 
même  d;ins  bien  des  cas;  ainsi,  parmi  les  soldats 
qui  reçoivent  une  ration  jimrnalière  de  café,  un 
bon  nombre  n'éprouvent  plus  le  besoin  de  boire 
de  l'eau-de-vie. 

La  contagion  de  l'exemple,  même  restreinte  par 
l'absence  d'attrait  sensuel,  entraînerait  rapide- 
ment, surtout  sous  l'influence  directrice  des 
femmes.  Par  un  heureux  retour,  on  verrait  aban- 
donner une  dangereuse  forfanterie  et  faire  con- 
sister le  point  d'honneur  à  être  sobre. 

lUais  la  sobriété  est  une  résultante.  Nous  avons 
vu  que  l'homme  s'en  écarte  à  la  poursuite  d'un 
élément  de  bien-être  qui  lui  fait  défaut.  C'est  un 
point  qu'il  ne  faut  jamais  perdre  de  vue  toutes  les 
lois  que  l'on  cherche  à  modérer  ou  à  supprimer 
l'usage  des  excitants.  Pour  ramener  l'homme 
moral  à  sa  condition  normale,  comriiencez  par  as- 
surer les  conditions  régulières  de  sa  vie  physique: 
et,  en  étudiant  la  question,  vous  serez  surpris  de 
voir  combien  l'alimentation  influe  sur  la  morale. 
Depuis  que  l'on  répète  le  conseil  :  «  On  esprit 
sain  dans  un  corps  sain,  »  on  n'insiste  pas  assez 
sur  les  rapports  qui  s'établissent  entre  l'esprit  et 
un  estomac  à  jeun.  Le  pain  quotidien,  la  ration 
alimentaire  d'entretien  et  de  travail,  voilà  ce  qu'il 
faut  assurer  avant  tout.  Le  corps  bien  nourri 
n'appellera  pas  à  son  secours  les  excitants  pour 
tromper  la  faim,  galvaniser  les  muscles,  produire 
une  chaleur  éphémère,  ou  émousser  les  sourdes 
douleurs  de  l'inanition. 

Mais  ce  n'est  pas  tout.  Si  le  travail  manuel 
n'y  pourvoit  pas  assez,  le  besoin  d'activité  phy- 
sioue —  qu'engourdissaient  les  excitants  —  trou- 
vera dans  l'exercice  rationnel  ou  dans  les  jeux 
une  légitime  satisfaction.  L'esprit  et  le  cœur 
ont  soif  d'émotions,  d'impressions,  d'épanche- 
ments  :  tout  cela  existe  dans  la  vie  de  famille, 
les  plaisirs  du  foyer,  les  amitiés  honnêtes.  Nous 
admettons  qu'il  y  a  en  outre  chez  l'homme,  dans 
toutes  les  conditions,  quelque  chose  qui  l'attire 
vers  l'inconnu,  sentiment  religieux,  aspiration 
vers  l'idéal.  A  quelque  degré  que  ces  sentiments 
existent,  ils  sont  naturels,  et,  faute  d'aliment,  ils 
dévient,  se  transforment,  se  pervertissent,  ou 
plutôt  prennent  le  change  et  s'é.^arent  dans  les 
illusions  décevantes  des  ijiébriants.  A  ce  danger 
opposons  un  sens  moral  affermi  par  l'éducation  et 


STUAllT 


2077  — 


STYLE 


par  l'exemple,  un  sentiment  élevé  du  bien  et  du 
biiau  développé  par  les  livres,  les  théâtres,  les 
iiiivres  d'art. 

Il  n'y  a  rien  dans  tout  cela  qui  ressemble  h  des 
iilopies.  Ce  no  sont  pas  les  bonnes  volontés  qui 
Iniit  défaut,  mais  l'ensemble  dans  l'effort.  Nous 
souffrons  ions  d'un  mal  chronique,  héréditaire  et 
l'nrouragé  par  le  fisc,  propagé  par  l'éducation  et 
Irfi  mœurs,  réglementé  par  les  lois.  Nous  ne  de- 
mandons pas  mieux  que  do  guérir,  mais  il  manque 
une  direction  venant  d'en  haut  pour  opérer  gra- 
duellement l(^s  réformes,  et  une  sanction  delà  loi 
pour  contraindre,  dans  une  cerlaine  mesure,  ceu.\ 
(|U0  n'entraînerait  pas  l'exemple. 

Aussi  longtemps  que  l'homme  usera  d'excitants, 
>-:i  régénération  physique,  morale  et  intellectuelle 
'Irmeurera  impossible;  il  lui  faudra  se  résigner  à 
Il  iiL'  vie  courte,  maladive  et  tourmentée.  11  ne  tient 
i|u'à  lui  de  revenir  au  type  normal,  de  rentrer 
'lins  les  voies  de  sa  destination  et  d'atteindre  la 
longévité  de  sa  race  :  il  y  arrivera  par  les  moyens 
i|Uo  nous  venons  de  passer  en  revue.  Heureux  le 
|irnple  qui,  rompant  avec  les  préjugés  de  la  rou- 
tine, aura  le  courage  d'entreprendre  cette  croisade 
contre  les  drogues  empoisonneuses,  pour  fonder 
sur  l'hygiène  sa  force  et  sa  grandeur!  Pourquoi  la 
France,  à  qui  le  monde  doit  tant  de  nobles  initia- 
tives, ne  prendrait-elle  pas  en  main  cette  cause  de 
riiumaiiité?  [D' Satiray.] 

STl'.VRT.  —  Histoire  générale,  XXVIII.  — 
Nom  d'une  famille  royale  qui  a  régné  sur  l'Ecosse 
d'abord,  depuis  1370  jusqu'au  moiuent  de  la  réu- 
nion de  ce  pays  à  l'Angleterre,  et  qui  a  fourni 
ensuite  h  la  Grande-Bretagne,  pendant  le  xvn°  siè- 
cle, quatre  souverains.  Le  comte  Walter  Stuart 
avait  épousé  la  sœur  du  roi  d'Ecosse  David  II 
Bruce;  celui-ci,  étant  mort  sans  héritier  ;  1-370), 
laissa  la  couronne  à  son  neveu  Robert  Stuart,  fils 
de  Walter,  devenu  le  premier  roi  de  la  dynastie 
des  Stuarts  sous  le  nom  de  Robert  II.  Son  cin- 
quième successeur,  Jacques  IV,  épousa  en  1603 
Marguerite,  fille  du  roi  d'Angleterre  Henri  Vil; 
c'est  de  ce  mariage  que  ses  descendants  tirèrent 
leurs  prétentions  à  la  couronne  d'Angleterre.  Le 
fils  de  Jacques  IV.  Jacques  V  (monté  sur  le  trône 
en  1513),  épousa  une  princesse  française,  Marie 
de  Guise,  et  fut  le  père  de  la  célèbre  Marie  Smart, 
qui,  après  avoir  régné  en  France  comme  épouse 
de  François  II,  retourna  en  Ecosse,  s'y  maria  i 
lord  Darniey,  fut  chassée  par  ses  sujets,  retenue 
en  prison  par  la  reine  d'Angleterre  Elisabeth,  et 
mourut,  sur  l'cchafaud  (V.  Mari''  Stwni).  Le  fils 
de  Marie  Stuart  et  de  Darniey,  roi  d'Ecosse  depuis 
1563  sous  le  nom  de  Jacques  VI,  devint  roi  d'An- 
gleterre il  la  mort  d'Elisabeth  en  1U03,  sous  le 
nom  de  Jacques  I"  (V.  Jacques  I").  Son  fils  et 
successeur  Charles  I"  perdit  la  couronne  et  la  vie 
à  la  suite  de  la  révolution  d'Angleterre  (V.  Ch^n-- 
Ics  ly),  et  l'on  put  croire  un  moment  que  la  dy- 
nastie des  Stuarts  avait  définitivement  cessé  de 
régner.  La  veuve  de  Charles  I",  Henriette  de 
France,  fille  d'Henri  IV,  s'était  réfugiée  auprès 
de  Louis  XIV;  sa  fille,  la  célèbre  princesse  Hen- 
riette d'Angleterre,  épousa  le  duc  d'Orléans,  frère 
de  Louis  XIV  :  la  reine  d'Angleterre  mourut  en 
1669,  et  la  duchesse  d'Orléans  en  1670;  Bossuet 
prononça  leur  oraison  funèbre  à  toutçs  deux.  Ce- 
pendant la  dynastie  des  Stuarts  avait  été  restau- 
rée en  Angleterre  par  Monk  en  1660  :  les  deux  fils 
de  Charles  I",  Charles  II  et  Jacques  II,  régnèrent 
successivement  (V.  Char/es  II  et  Jacques  H).  La 
révolution  de  16S8,  qui  chassa  Jacques  II,  marqua 
la  déchéance  définitive  des  Stuarts.  Il  est  vrai 
que  Guillaume  III  avait  épousé  une  fille  de  Jac- 
ques il,  Marie,  et  qu'après  lui  ce  fut  une  autre 
fille  du  roi  déchu,  Anne  Stuart,  qui  porta  la  cou- 
ronne d'Angleterre  (17ii2-ni4);  mais  Anne  était 
une  princesse  protestante,  elle  avait  épousé  un 


prince  danois,  et  sa  politique,  diamétralement 
opposée  aux  traditions  de  sa  famille,  fut  la  conti- 
nuation de  la  politique  nouvelle  inaugurée  par 
Guillaume  III.  Louis  XIV  avait  donné  un  asile  à 
Jacques  II;  lorsque  celui-ci  mourut  (1701), 
Louis  XIV,  en  guerre  avec  Guillaume  III,  recon- 
nut le  titre  do  roi  d'Angleterre  au  (ils  de  Jac- 
ques II,  qui  prit  le  nom  de  Jacques  III  et  qui  est 
plus  connu  >ous  le  nom  de  chevulier  de  ^aint- 
Georges.  Deux  soulèveiuents  eurent  lieu  en  Ecosse 
en  faveur  de  ce  prétendant  après  la  mort  de  la 
reine  Anne,  en  1715  et  en  1716,  mais  sans  résul- 
tat. En  17-io,  le  fils  du  chevalier  de  Saint-Georges, 
le  prince  Charles-Edouard,  tenta  un  débarque- 
ment en  Ecosse  ;  il  remporta  d'abord  des  succès, 
mais  fut  battu  à  Culloden  (1740).  Il  mourut  à 
Florence  en  17S8,  et  avec  lui  s'éteignit  la  race 
des  Stuarts. 

STYLE.  —  Littérature  et  style,  V.  — -  Défini- 
tions et  considévfituins  préliminaires.  —  Dans  son 
acception  la  plus  simple,  celle  qui  doit  nous 
préoccuper  avant  tout,  quand  il  s'agit  d'enseigne- 
ment populaire,  le  style  n'est  autre  chose  que  la 
manière  d'exprimer  sa  pensée,  de  façon  ."i  être 
compris.  C'est  par  métonymie  que  ce  mot  est  ar- 
rivé à  avoir  cette  signification  ;  il  désignait  à  l'o- 
rigine (en  grec  stylos,  en  latin  sli/lns)  le  poinçon 
dont  les  anciens  se  servaient  pour  tracer  leurs 
pensées  sur  la  cire  des  tablettes.  Nous  ne  le  con- 
fondions pas  complètement  avec  le  mot  rloculion, 
qui  s'applique  plutôt  à  la  parole  qu'aux  écrits  (en 
latin  etO'Utio,  de  eloqui,  parler),  et  qui  appartient 
à  la  rhétorique  proprement  dite. 

Mais  il  y  a  du  mot  style  une  autre  acception, 
dont  il  convient  de  tenir  compte.  D'habitude,  on 
n'écrit  pas  seulement  pour  être  compris,  pour  no- 
ter des  faits  et  des  idées  ;  le  plus  souvent,  on 
veut  encore  produire  une  impression  sur  l'esprit 
du  lecteur,  on  veut  lui  plaire,  lui  faire  partager 
une  conviction,  un  sentiment;  on  marque  alors 
son  style  d'un  cachet  personnel.  D'ailleurs  les  in- 
fluences les  plus  diverses  modifient  le  style,  qui 
varie  selon  les  qualités  d'esprit  ou  de  cœur,  le  carac- 
tère, l'humeur,  le  tempérament  de  chacun,  selon  les 
climats,  le  génie  national,  le  génie  de  la  langue, 
le  sujet  que  l'on  traite.  On  pourrait  presque  dire 
qu'il  y  a  autant  de  styles  que  d'écrivains.  Le  style 
est  alors,  selon  des  définitions  célèbres,  le  mou- 
vement que  l'on  met  dans  ses  pensées,  il  est  la 
marque  de  la  personnalité,  il  est  «  l'homme 
même  ». 

Pour  tout  concilier,  disons  que  le  style  est  la 
manière  personnelle  dont  chacun  exprime,  au 
moyen  de  la  langue  commune,  ce  qu'il  sait,  ce 
qu'il  pense,  et  ce  qu'il  sent. 

Mais  cette  langue  commune,  il  faut  avoir  ap- 
pris à  s'en  servir,  cet  art  de  l'expression  (car  c'est 
à  la  fuis  un  art  et  un  don  naturel),  il  faut  en  avoir 
approfondi  les  secrets;  il  est  donc  une  partie 
mécanique  de  cet  art  qui  demande  une  étude  spé- 
ciale. Voilà  pourquoi  nous  considérons  le  style 
isolément,  et  le  séparons  un  instant  de  la  pensée, 
sans  la  perdre  jamais  de  vue. 

Quand  Boileau  a  dit  : 

Ce  que  l'on  ronçoit  bien  s'énonce  dairoment, 
Et  les  mots  pour  le  dire  arrivent  aisément, 

il  n'écrivait  pas  pour  des  écoliers;  lui-même  a  dii 
éprouver  souvent  qu'il  n'était  pas  si  facile  de  s'ex- 
primer avec  clarté,  et  que  la  pensée  plus  d'une 
fois  avait  à  courir  après  le  mot  juste  ou  expres- 
sif; ne  lui  est-il  pas  arrivé  de  ne  rencontrer  qu'au 
coin  d'un  bois  la  rime  qui  le  fuyait'?  Il  y  a  un  tra- 
vail de  la  forme,  un  apprentissage  du  style,  un 
soin  particulier  de  la  phrase  que  nous  devons 
polir,  et  que  nous  présenterons  ensuite  à  la 
pensée  comme  un  miroir  où  elle  se  reconnaîtra, 
si  nous   avons   réussi  :  car  le  bon  style  n'existe 


STYLE 


—  2078  — 


STYLE 


«u'à  la  condition  de  la  reproduire  fidèlement.  (  Les  ^jzH'es*  soit  de  mots,  soit  de  pensées,  four- 
Les  préceptes  théoriques,  la  lecture,  les  exer-  nissent  au  style  les  moyens  de  donner  Ji  1  ex- 
cices  de  rédaction  et  de  composition  concourent  à  \  pression  plus  de  force  et  d  agrément  ;  elles  sont 
former  le  style.  C'est  ;\  ces  trois  sources  que  nous  !  souvent  le  langage  de  la  passion  et  de  1  imagi- 
Duiserons  pour  l'enseignement  primaire,  mais  en  ;  nation. 

procédant  avec  méthode,  en  tenantcompte  de  l'âge  '  Dans  l'enseignement  primaire,  nous  nous  préoc- 
de  nos  élèves  du  développement  de  leurs  facultés  ]  cuperons  avant  tout  des  qualités  générales  du 
intellectuelles  du  but  et  de  la  durée  de  leurs  style  :  mais  à  l'occasion,  surtout  dans  Ips  cours  su- 
i^^Jgg  :  périeurs,  nous  ne  craindrons  pas  de  faire  valoir, 

I  PnÉCEPTES  THÉoniQUES.  —  Nous  commençons  parmi  les  qualités  particulières,  celles  qui  seront 
caria  théorie,  parce  qu'elle  a  l'avantage  de  montrer  le  plus  à  la  portée  de  nos  élevés,  celles  qui  pour- 
aux  maîtres  le  but  vers  lequel  ils  doivent  aclie-  i  ront  les  inviter  à  orner  leur  jeune  style,  et  leur 
miner  leurs  élèves;  mais  il  est  bien  entendu  que    faciliter  l'expression  d'un  sentiment.  _ 


miner    IKUrS    eicvca,     maio     IL    .^ov   w.v...    y-      , 

dans  les  classes  elle  ne  saurait  précéder  la  pra- 
tique. Elle  définit  le  style,  elle  montre  comment 
il  dépend  de  la  pensée  et  de  l'ordre  do  nos  idées, 
elle  passe  en  revue  toutes  les  qualités  générales 
ou  particulières  qui  en  sont  l'essence  ou  en  font 
le  mérite,  tous  les  moyens  d'exprimer  sa  pensée, 
<le  convaincre  la  raison,  de  toucher  '"  ""'"-  ^^ 
frapper  rima^;ination. 


II.  Li  LECTL'RE.  —  Pour  former  le  style,  la  lec- 
ture est  le  plus  puissant  auxiliaire  de  la  plume  : 


Quiconque  a  h 

Peut  avoir  beaucoup 


ip  lu 


a  pensée,    Or  ici,  comme  ailleurs,  il  s'agit  de  beaucoup  rete- 

cceur,  de    nir:  le  style  dépend  d'abord  de  l'observation  et  de 

l'imitation.  Nous  parlons  non  seulement  de  la  lec- 


ipuer  l'ima"ination.  I  limitation.  iNous  parions  non  seuiemBui.  "^  "»  '=v- 

Les  aunlités  qénérales  sont  celles  dont  on  ne  \  ture  courante,  mais  encore  et  surtout  de  la  lec- 
neut  guère  concevoir  qu'il  soit  possible  de  se  pas-  ;  ture  réfléchie,  expliquée  par  le  maître  avec  mé- 
ser  •  auiconnue  écrit,  même  sans  autre  prétention  ,  thode  et  avec  le  dessein  arrête  de  n  appeler  jamais 
flue  de  se  faire  comprendre,  doit  viser  h.  la  clar-  ;  l'atteniiou  des  enfants  que  sur  ce  qui  peut  avoir 
té    à  la  correction  et  à  la  précision.  pour  eux  un  profit  certain  et  immodia  .  Selon  les 

I  a  rinrté  est  en  ouelque  sorte  la  transparence  âges  et  les  degrés  de  1  enseignement,  il  leur  e.xpii- 
de  la  pensée  à  travers  les  mots  ;  la  correction  q^era  le  sens  des  mots,  dont  ils  doivent  avant  tout 
consiste  i  n'emnlover  que  les  termes  et  les  cens-  faire  provision,  les  constructions  et  la  suite  des 
tructions  consTés  pa?  l'usage  et  la  grammaire  ;  phrases  ;  H  fera  valoir  dans  ^'^\^]^à^^'^! ^^^{.^'Z 
il  ne  faut  pas  la  confondre  avec  la  pureté,  qui  i  lites  générales  ou  particulières  du  sty  .  Q"  "s  oe 
évite  les  moindres  taches;  la  précision  n'emploie  yront  chercher  à  sa>similer;  il  cultivera  leur 
que  les  termes  nécessaires  à'^l'expression  de  la  I  goût,  leur  inspirera  l'admiration,  élèvera  eurs 
Densée-elle  retranche  (en  latin  pr^c «/«•-,  couper  âmes,  et  à  la  chaleur  comraunicative  et  vivUiante 
?asTtout  ce  qui  est  de  trop.  On  voit  quel  lien  unit  .  des  plus  nobles  écrits  fera  éclore  dans  leur  esprit 
cestrolsquaiilés  essentielles:  l'incorrection  et  la  les  germes  latents  des  idées  et  des  sentiments 
diifusion  ne  sauraient  engendrer  qu'obscurité.         personnels,  en  même  temps  qu  il  leur  lera  conce- 

On  range  encore  parmi  les  qualités  générales  voir  la  beauté  idéale  de  la  forme, 
du  stvle  la  noôtesse,  le  naturel,  la  variété,  Vliar-  m.  Des  exercices  de  rédaction.  -  Même  or- 
mo7'/r  qui  nous  seniblent  appartenir  plutôt  à  la  dre,  même  gradation  pour  les  exercices  de  redac- 
caté.'o'rie  des  qualités  particulières.  Reconnaissons  tion  et  de  composition.  Dans  nos  classes,  la  pius 
ceoendint  que  le  style  le  plus  modeste  doit  avoir  large  part  doit  être  faite  d'abord  aux  exercices  de 
un^ecer  aine  dignité,  et  éviter  les  termes  bas  :  i  langue  française  Puisque,  pour  exprimer  une 
une  certaine  ui„.  ii  ,  pensée,  il  faut  savoir  avant  tout  trouvnr  les  mots 

Le  style  le  moins  noble  a  pourtant  sa  iiol>losso.  j  |jj.(jp^gg_  arranger  ces  mots  en  forme  de  proposi- 

11  Hoit  fuir  aussi  «  des  mauvais  sons  le  concours  '  tiens,  et  les  propositions  en  forme  do  plirases,  le 
Ltn^  „  nour  ne    oas  Tomber  dans  le    ridicule.  I  premier  travail  sera  nécessairemen    plus  g^nima- 

vent  le  dernier  effort  de  1  art. 

C'est  par  les  qualités  particulières  que  se  ma- 
nifeste cette  empreinte  personnelle  dont  les  mieux 
doués,  même  parmi  les  écoliers,  marquent  leurs 
écrits.  Elles  varient  selon  les  sujets,  et  se  ratta- 
chent ù.  la  division  du  style  en  trois  styles  prin- 
cipaux, le  style  simple,  le  tempéré,  et  le  sublime 
Le  style  simple  comporte  la  concision,  le  naUtrel, 
\3.nàivetc,  la  familiarité  ;  au  style  tempère  appar- 
tiennent Yélégance,  la  richesse,  la  finesse,  la  déli- 
catesse :  le  style  sublime  réclame  1  énergie,  la  véhé- 
mence, la  magrdficence.  Nous  renvoyons  aux  nom- 
breux traites  de  rhétorique  et  de  style  pour  la 
définition  de   ces  qualités,  et  pour  les   exemples. 

Ce  n'est  pas  assez  de  connaître  et  de  posséder 
les  qualités  diverses  du  style,  il  faut  savoir  les 
fondre  ensemble,  les  assortir  dans  nos  écrits,^  de 
façon  i  éviter  l'uniformité,  d'où  naît  1  ennui:  c  est 
le  mérite  de  la  variété.  Chaque  genre  de  littéra- 
ture, chaque  sujet,  a  son  style  propre,  sa  couleur; 
à  ce  point  de  vue  le  style  est  ou  poétique,  ou  ora- 
toire, ou  historique,  ou  philosophique,  ou  scien- 
titique:  la  cotn-enance  nous  apprend  à  choisir,  et 
à  teindre  le  langage  des  couleurs  du  sujet,  hnhn 
il  est  une  harmonie  particulière  qui  aide  à  pein- 
dre la  pensée,  et  ne  contribue  pas  peu  au  charme 
des  écrits. 


U  UUiUli     la    iiaïuïi   <J  uii    .JUJ.-V j- 

truire  un  ensemble  qui  ait  un  commencement,  un 
milieu  et  une  fin.  . 

Nous  apprendrons  donc  successivement  a  nos 
élèves,  en  multipliant  les  exercices  appropries  à 
leur  âge  et  à  leur  degré  de  force,  à  étudier  les 
mots  isolément,  :\  en  reconnaître  la  valeur  propre 
et  l'acception  la  plus  commune,  la  généalogie,  la 
famille,  la  dérivation,  à  se  rendre  compte  des  di- 
versités et  des  nuances  de  sens  qui  résultent  de 
l'emploi  des  termes  simples  ou  composes,  propres 
ou  figurés,  des  synonymes,  etc.  Puis  ils  passeront 
à  l'étude  de  la  proposition,  du  sujet,  du  verbe,  de 
l'attribut  avec  leurs  compléments;  ils  seront  ini- 
tiés aux  divers  procédés  de  coordination  et  de  su- 
bordination des  propositions  ;  alors  ils  pourront 
composer  une  phrase  avec  des  mots  et  des  propo- 
sitions donnés,  ajouter  eux-mêmes  des  adjectits, 
des  compléments,  changer  les  singuliers  en  plu- 
riels et  réciproquement,  transformer  les  genres, 
les  personnes,  les  temps,  les  modes,  placer  mots 
et  propositions  dans  l'ordre  logique,  et  se  lami- 
liariser  déjà  avec   les  inversions  qui  ne  larderont 
pas  à  se  présenter  d'elles-mêmes.  Quand  Us  au- 
ront un  vocabulaire  assez  riche  (la  lecture  et  les 
leçons   de    choses    le   leur  donneront),  quand  Us 
auront  bien  conçu  ce  que  c'est  qu'une  phrase,  et 
auront  déjà  assoupli  leur  style  par  ces  premiers 


SUCRE 


—  2079  — 


SUCRE 


exercices,  nous  leur  apprendrons  à  traiter  de  pe- 
tits sujets  empruntés  à  la  vie,  commune,  à  ce  qui 
se  passe  sous  leurs  yeux,  à  ce  qui  les  entoure  et 
les  int(5rcsse  directement.  Ils  auront  plusieurs 
phrases  ;\  composer,  à  enchaîner,  h  conduire  jus- 
qu'à une  conclusion  :  la  nécessite  de  l'étude  du 
pla7i  se  fera  sentir  ;  le  style  sera  l'ordre  qu'ils 
mettront  dans  leurs  idées,  dans  la  succession  des 
phrases.  La  correction  do  ces  premiers  devoirs 
tendra  surtout  à  leur  recommander  la  clarté,  la 
pureté,  la  précision,  et  i  leur  signaler,  comme  des 
écueils,  les  défauts  contraires,  l'obscurité,  l'im- 
propriété des  termes,  les  constructions  vicieuses, 
la  diffusion. 

Plus  avancés  et  plus  expérimentés,  nous  nous 
préoccuperons  des  qualités  particulières  ;  nous 
leur  ferons  étudier  ce  qu'on  appelle  les  lotirs  de 
plirase  qui  animent  le  style,  préviennent  la  mono- 
tonie, et  impriment  aux  écrits  ce  mouvement 
dont  parle  Buffon.  Ce  sera  le  lieu  de  leur  parler 
des  figures  de  grammaire  et  de  pensées,  de  les 
familiariser  notajnment  avec  l'interrogation,  l'ex- 
clamation, l'inversion,  etc. ,  de  leur  faife  distin- 
guer le  style  coupé  du  style  pcrwi/ique,  et  de  leur 
apprendre  à  construire  des  péria/es.  Ils  pourront 
ensuite  aborder  des  compositions  d'un  ordre  plus 
relevé,  et  marquer  leur  style  d'un  certain  carac- 
tère de  personnalité. 

Mais  prenons  garde  ici  de  trop  exciter  chez  eux 
le  désir  de  briller,  en  se  parant  des  richesses 
d'autrui,  et  d'abuser  des  grands  effets,  en  imitant 
peu  judicieusement  tout  ce  qui  aurait  frappé  leur 
imagination;  le  clinquant,  l'affectation,  l'emphase 
ne  manqueraient  pas  de  nuire  à  cette  clarté  (]ue 
nous  recherchons  avant  tout  pour  eux,  à  ces  ha- 
bitudes de  simplicité  et  de  sincérité  que  notre  de- 
voir est  de  leur  inculquer.  Ils  ne  se  paieront  pas 
de  mots  et  de  figures  ;  ils  ne  se  mettront  pas  en 
quête  du  merveilleux;  ils  réfléchiront,  ils  ratta- 
cheront l'expression  à  la  pensée  par  le  lien  le 
plus  étroit  ;  une  sage  disposition  réglera  le  mou- 
vement de  leur  stylo,  et  si,  après  un  début  sans 
prétention  et  sans  fracas,  la  chaleur  se  répand 
dans  leurs  écrits,  ce  sera  celle  qui  résulte  de  la 
possession  du  sujet  et  d'une  sensibilité  naturelle. 
[C.  de  Lostalot.] 

SUBSTANTIF.  —  V.  Nom. 

SrCRK.  —  Chimie,  XXII.  —Historique.  — Lesa- 
cre,dont  tout  le  monde  fait  usage  aujourd'hui,  coù- 
taitencore  in  francs  lalivre  il  y  a  quatre-vingts  ans  ; 
les  ouvriers  et  les  paysans  ne  s'en  servaient  que 
comme  d'un  médicament.  Aujourd'hui  ce  précieux 
aliment  est  à  la  portée  de  toutes  les  bourses,  aussi 
la  consommation  en  est-elle  prodigieuse,  et  l'in- 
dustrie sucrière  est  certainement  l'une  des  plus 
importantes  de  notre  époque.  Quoique  l'usage  du 
sucre  ne  se  soit  popularisé  que  dans  ce  siècle, 
néanmoins  cette  substance  était  connue  depuis 
fort  longtemps.  Le  sucre  extrait  de  la  canne  pa- 
rait en  Grèce  après  l'expédition  d'Alexandre  dans 
l'Inde,  où  il  était  employé  comme  médicament  de 
temps  immémorial.  On  l'appelait  sel  indien  ou 
saccharon  ;  les  Romains  en  ontUïi  saccha7-um.  Le 
sucre  raffiné  nous  vient  des  Arabes  et  peut-être 
des  Cliinois.  C'est  après  les  premières  croisades 
qu'on  rencontre  le  sucre  dans  l'Europe  occiden- 
tale; il  venait  probablement  de  l'Asie-Mineure  où 
il  était  en  usage  depuis  une  haute  antiquité.  Dans 
une  ordonnance  royale  de  1353,  il  est  question  de 
sucre  raffiné  :  on  l'y  appelle  cafetin.  A  cotte  époque 
et  pendant  plus  d'un  siècle  encore,  ce  «  médica- 
ment »  venait  de  l'Inde,  de  Chypre,  de  lihode,  de 
Candie.  Au  xv"  siècle  la  canne  fut  introduite  dans 
l'île  de  Madère  par  dom  Henri,  régent  de  Portugal  ; 
elle  y  réussit.  Bientôt  les  Espagnols  en  essaient  la 
culture  aux  (  anaries,  puis  à  Murcie  et  en  Andalou- 
sie. Des  tentatives  de  culture  de  canne  faites  en 
Provence  et  dans  diverses  parties  du  midi  do  la 


France  ne  réussirent  point;  aussi,  sous  Henri  IV, 
on  achetait  encore  le  sucre  à  l'once  chez  les  phar- 
niaciens.  A  la  fin  du  xvii"  siècle,  nos  colonies  de 
Saint-Christoplie,de  la  Guadeloupe,  et  des  Antilles 
peuvent  suffire  h  la  consommation  de,  la  France, 
qui,  en  1700,  est  de  un  million  de  kilogrammes 
par  an. 

C'est  vers  1605  que  notre  célèbre  agronome 
Olivier  de  Serre  signala  l'existence  du  sucre  dans 
la  racine  de  betterave  :  mais  il  faut  ajouter  tout 
de  suite  que  c'est  IVIargraf,  chimiste  allemand, 
qui  le  premier  put  l'en  extraire  en  trailant  les 
betteraves  écrasées  par  l'alcool  bouillant.  Le  mé- 
moire d.ins  lequel  il  décrit  les  expériences  chimi- 
ques faites  dnns  le  dessein  de  tirer  un  vciitable 
sucre  'te  diverses  plaides  qui  croiiseiit  dam  nos 
contrées  date  de  lHî>.  Les  plantes  auxquelles 
l'auteur  fait  allusion  sont  surtout  la  betterave,  la 
carotte  et  le  chervis.  «  Leurs  racines  découpées 
en  tranches  minces  et  desséchées,  dit-il,  ont  non 
seulement  un  goût  fort  doux,  mais  encore  elles 
montrent  pour  l'ordinaire,  surtout  au  microscope, 
des  particules  blanches  et  cristallines  qui  tiennent 
de  la  forme  du  sucre.  » 

Margraf,  trouvant  son  procédé  d'extraction  par 
l'alcool  trop  coûteux,  le  remplaça  par  le  ràpage 
et  la  compression;  il  réussit  h  obtenir  de  la  bette- 
rave blanche  un  sucre  semblable  au  meilleur  sucre 
jaunâtre  de  Saint-Thomas. 

La  découverte  de  Margraf  fut  oubliée,  et  la  re- 
cherche d'un  sucre  indigène  ne  fut  reprise  que 
lors  du  blocus  continental,  lorsqu"  la  France  se 
trouva  subitement  privée  de  la  ressource  du  sucre 
colonial. 

En  IHI2,  et  d'après  les  ordres  de  Napoléon, 
100  000  arpents  de  bonne  terre  furent  livrés  à  la 
culture  de  la  betterave  ;  la  chute  de  l'empire  fail- 
lit tuer  cette  industrie  naissante,  qui  ne  put  réel- 
lement se  développer  qu';'i  partir  de  1.S30.  -aujour- 
d'hui le  sucre  de  betterave,  qui  est  excessivement 
bon  marché,  a  pres(|ue  complètement  supplanté  le 
sucre  de  canne  dans  la  consommation  de  l'Europe 
et  de  l'Amérique  du  Nord. 

En  Europe,  on  le  fabrique  surtout  en  France, 
en  Allemagne,  en  Belgique  et  en  Autriche. 

E.xtraction  du  ntcre  de  canne.  —  La  canne  à 
sucre  est  une  plante  bisannuelle  de  la' famille  des 
graminées.  C'est  une  espèce  de  grand  roseau  de 
3  i"!  6  mètres  de  hauteur.  La  tige  est  coupée  de 
10  en  10  centimètres  par  des  nœuds,  d'où  partent 
des  feuilles  longues  de  1  mètre.  C'est  dans  la 
partie  spongieuse  entre  ces  noeuds  que  se  trouve 
le  sucre  lout  formé.  La  canne  h.  sucre  pousse  sur- 
tout dans  la  zone  torride,  mais  sa  culture  a  pu 
réussir  jusqu'au  40'  degré  de  latitude.  Quand  elle 
est  mûre,  au  bout  de  dix  ou  douze  mois,  la  tige, 
fort  cassante,  est  d'un  blanc  jaunâtre. 

On  distingue  trois  espèces  de  canne  :  la  créole, 
qu'on  cultive  surtout  aux  Antilles  ;  la  canne 
d'Otahiti,  introduite  en  Amérique  à  la  fin  du 
xviii'  siècle;  et  la  canne  violette,  qu'on  cultive 
surtout  dans  les  environs  de  Batavia.  D'après  le 
savant  chimiste  Péligot,  la  canne  contient,  quand 
elle  est  fraîche,  sur  JOO  parties: 


Sucre  et  autres  matières  solubles 
Ligneux 


18,0 


lUO.O 


Pour  en  extraire  le  sucre,  on  enlève  la  flèche; 
puis  les  tiges,  coupées  par  le  pied,  sont  écrasées 
entre  trois  gros  cylindres  en  fonte  disposés  hori- 
zontalement. On  en  retire  ainsi  60  p.  100  de  suc 
appelé  vesou.  Le  résidu  ou  hngasses  est  desséché, 
puis  employé  comme  combustible. 

Le  vesou,  qui  fermenterait  rapidement,  est 
chauffé  â  (jO"  avec  un  peu  de  chaux  ;  il  se  forme  à 
la  surface  une  écume  impure  qu'on  enlève  succès- 


SUCRE 


—  2080  — 


SUCRE 


sivetnent,  et  le  jus  clarifié  est  concentré  jusqu'à  ce 
qu'il  marque  25°  à  l'aréomètre.  On  le  filtre  alors  il 
travers  une  étoffe  de  laine,  puis  on  l'amène,  en 
le  cliauffant  dans  des  chaudières  spéciales,  à  l'état 
de  sirop  très  épais  ;  il  est  alors  introduit  dans  de 
larges  bassines  ou  rafraicliissoirs,  ensuite  dans 
des  caisses  percées  de  trous  bmjchés;  là  on  l'a- 
gite, et  il  cristallise  en  petits  cristaux  imprégnés 
de  sirop;  on  débouche  les  trous,  et  le  sirop  s'é- 
coule épais  et  brun:  c'est  la  mélasse.  La  masse 
cristallisée  est  livrée  au  commerce  ou  à  la  raffine- 
rie sous  le  nom  de  >«■  re  brut  ou  c  ssmiade.  La 
mélasse  contient  de  60  à  (iâ  p.  lOn  de  sucre  cris- 
tallisable,  VI  à  U  do  sucre  incristallisalile,  15  d'eau 
et  9  de  matières  diverses,  minérales  et  mucilagi- 
neuses.  Elle  est  employée  par  les  pauvres  gens 
aux  mêmes  usages  que  le  sucre,  mais  la  plus 
grande  partie  sert  à  faire  le  rhum  par  fermenta- 
tion et  distillation. 

Extraction  du  sucre  de  betterave.  —  La  bette- 
rave la  plus  cultivée  pour  la  fabrication  du  sucre 
est  la  betterave  blanche  à  collet  rose,  dite  de  Si- 
lésie. 

D'après  M.  Péligot,  elle  renferme  : 


Sucre 

Albumine.... 
Tissu  ligneux. 


2,5 
100,0 


Elle  est  donc  en  moyenne  moins  riche  en  sucre 
que  la  canne;  du  reste  le  rendement  diminue 
après  l'arrachage  ;  il  est  donc  indispensable  de 
procéder  le  plus  vite  possible  à  l'extraction  du 
sucre  après  la  récolte. 

Les  betteraves,  lavées  etdébarrasséesde  leurs  ra- 
dicules chevelues,  sont  déchirées  par  des  râpes 
cylindriques  animées  d'un  mouvement  de  rotation 
très  rapide;  la  pulpe  est  aussitôt  introduite  dans 
des  sacs  en  laine  qu'on  superpose  en  les  séparant 
par  des  claies  d'osier  pour  les  soumettre  à  une 
forte  compression  au  moyen  d'une  puissante  presse 
hydraulique.  On  en  obtient  ainsi  T.'i  h  SI) p.  100  de 
jus.  lin  grand  fabricant  français,  M.  Linard,  qui 
depuis  quelques  années  a  apporté  de  nombrenx 
perfectionnements  à  l'extraction  du  sucre  do  bette- 
rave, a  eu  l'idée,  pour  éviter  la  plus  grande  partie 
des  frais  de  transport  et  opérer  plus  rapidement, 
d'effectuer  le  ràpage  et  l'extraction  du  jus  sur 
place,  c'est-à-dire  au  centre  même  de  l'exploita- 
tion agricole.  De  puissantes  pompes  d'aspiration 
l'amènent  ensuite  rapidement  à  la  sucrerie  par  des 
tuyaux  métalliques  souterrains  qui  réunissent  les 
deux  établissements.  Quelques  grandes  usines  du 
Nord,  de  l'Aisne  et  de  Seine-et-Marne  fonction- 
nent ainsi  actuellement;  mais  il  est  bii-n  évident 
qu'un  pareil  système  ne  peut  être  appliqué  qu'à 
des  sucreries  alimentées  par  une  culture  de  bet- 
teraves importante  et  tout  à  fait  rapprochée  de 
l'usine  de  fabrication. 

Le  jus  de  betterave  s'altère  facilement;  il  faut 
le  soumettre  immédiatempnt  à  la  de/<'C«(/o;!,  opé- 
ration qui  consiste  à  le  chauffer  à  la  vapeur  vers 
95"  dans  des  chaudières  à  double  fond,  avec  de  la 
chaux,  dans  la  proportion  de  300  à  nOO  grammes 
par  hectolitre  de  jus.  La  chaux  neutralise  les 
acides  et  se  combine  avec  les  matières  organiques 
fermentescibles  qui  auraient  pu  provoquer  la 
transformation  du  sucre.  Un  excès  de  chaux  se 
combine  au  sucre  en  formant  un  véritable  sucrate 
ou  saccharate  de  chaux,  qu'on  décompose  par  un 
courant  d'acide  carbonique  lancé  à  travers  le  jus  ; 
celui-ci  est  alors  filtré  en  passant  sur  du  noir 
animal  en  grains,  disposé  dans  de  grands  cylin- 
dres en  tôle  à  double  fond  appelés  filtres  Drum- 
mond.  On  procède  ensuite  à  la  cuite  dans  des 
chaudières  spéciales  où  l'évaporation  se  fait  dans 
le  vide  à  une  température  de  75°  à  80°. 


Quand  le  sirop  indique  49°  à  l'aréomètre,  il 
est  introduit  dans  un  rafraichissoir  et  agité 
jusqu'à  ce  qu'il  commence  à  grener,  c'est-à-dire 
à  cristalliser.  Il  est  ensuite  introduit  dans  des 
formes  coniques  en  terre  cuite  ou  en  cuivre 
étamé,  percées  d'un  trou  bouché  au  sommet  et 
renversées.  La  cristallisation  s'opère  à  une  tem- 
pérature maintenue  à  35°.  On  enlève  le  bouchon, 
les  mélasses  s'écoulent  dans  des  pots  placés  sous 
le  sommet  du  cône,  et  le  sucre  brut  ou  casso- 
nade est  séché  dans  une  éluve.  Les  molasses 
mélangées  à  un  peu  d'eau  sont  filtrées  de  nouveau 
sur  du  charbon,  et  après  une  nouvelle  cuite 
donnent  du  sucre  de  second  jet  et  même  de  troi- 
sième jet.  Aujourd'hui,  l'égouttage  et  le  blanchi- 
ment s'opèrent  rapidement  au  moyen  d'un  hydro- 
extracteur,  employé  depuis  longtemps  pour  la 
dessiccation  des  étoffes.  Cet  appareil,  appelé 
diable  ou  toupie,  consiste  en  une  cage  métal- 
lique pouvant  tourner  très  rapidement  autour 
d'un  axe  central.  Les  parois  latérales  en  sont 
percées,  et  c'est  par  ces  trous  que  s'écoule  le 
sirop  lancé  vers  la  périphérie  de  la  cage  par  la 
force  centrifuge  résultant  de  la  rotation  rapide 
de  la  masse. 

Raffinarie  du  sucre.  —  La  cassonade  n'est  pas 
complètetiient  blanche  ;  elle  relient  des  traces  de 
mélasse  et  jusqu'à  3  ou  4  p.  100  de  matières 
étrangères;;  c'est  pour  obtenir  du  sucre  parfaite- 
ment pur  qu'on  la  soumet  au  raffinage.  Pour  cela 
on  la  dissout  dans  un  tiers  de  son  poids  d'eau 
dans  une  chaudière  à  double  fond,  on  y  projette 
5  p.  100  de  noir  animal  fin  et,  lorsque  l'ébullition 
est  en  train,  1/2  p.  100  de  sang  de  bœuf.  Celuixi 
se  coagule  et  rassemble  avec  lui  sous  forme  d'é- 
cume toutes  les  matières  étrangères. 

On  filtre  le  sirop  clarifié  dans  des  filtres  Taylor, 
constitut's  par  (les  caisses  doublées  di'  cuivre,  à 
double  fond  et  dans  lesquelles  sont  tendus  verti- 
calement des  sacs  en  coton-peluche  qui  consti- 
tuent les  filtres.  Le  liquide  est  introduit  dans 
l'intervalle  des  sacs,  filtre  dans  ceux-ci  de  dehors 
en  dedans  et  s'écoule  par  leur  partie  inférieure 
dans  le  double  fond  des  caisses.  Le  sirop  n'est  pas 
encore  complètement  incolore,  aussi  est-il  filtré 
de  nouveau  sur  du  noir  animal  en  grains  dans  les 
filtres  Drummond;  il  est  ensuite  cuit  jusqu'à  ce 
qu'il  marque  30°  à  l'aréomètre,  puis  enfin  place 
dans  les  formes  où  la  cristallisation  s'opère  pen- 
dant qu'on  l'agite  avec  des  spatules  en  bois.  Apres 
24  heures  on  ouvre  les  trous  des  formes  et 
l'égouttage  commence  pour  durer  plusieurs  jours. 
On  procède  ensuite  au  ferrage  ou  au  clairçage. 
Dans  le  premier  cas,  après  avoir  enlevé  la 
couche  supérieure  du  sucre,  on  remplit  la  forme 
avec  une  couche  d'argile  blanche  mouillée  dont 
l'eau  descendant  dans  le  pain  enlèvera,  en  le  li- 
quéfiant, le  sirop  coloré  qui  peut  y  rester  encore; 
puis  on  enlève  la  couche  d'argile,  on  bouche  le 
trou  de  la  partie  inférieure  de  la  forme  et  on 
verse  par  le  haut  un  sirop  de  sucre  blanc  qui 
remplira  les  vides  formés  dans  le  pain.  Dans  le 
ras  du  clairçage  on  remplace  la  bouillie  argileuse 
par  un  sirop  de  sucre  blanc.  Aujourd  hui  on 
arrive  à  avoir  des  sucres  de  premier  jet  si  blancs 
qu  ils  n'ont  pas  besoin  d'être  raffinés. 

Sucre  candi.  —  On  donne  le;  nom  de  sucre 
candi  à  de  gros  cristaux  quelquefois  presque 
blancs,  souvent  jaunâtres,  obtenus  en  tendant  de 
fils  dans  du  sirop  marquant  37°  à  l'aréomètre  et 
exposé  pendant  plusieurs  jours  à  une  tempéra- 
ture de  30°.  ,  , 

Propriétés  du  sucre.  -  Le  sucre  possède  une 
saveur  que  tout  le  inonde  connaît  et  qu'on  appelle 
sucrée.  Le  sucre  ne  se  dissout  ni  dans  1  ether  ni 
dans  l'alccnl  froid,  mais  se  dissout  dans  l/.>  de 
son  poids  d'eau  froide  en  formant  du  sirop  suvple. 
Chauffé  à  1U0°,  le  sucre  fond  en  un  liquide  trans- 


SUCRE 


—  2081 


SUCBE 


parent,  collant;  on  se  refroidissant,  celui-ci  donne 
le  sucre  d'orgi',  qui  i  la  lojigue  redevient  sucre 
cristallisé;  au  doli  de  ICO"  le  sucre  perd  do  l'eau, 
devient  brun,  a  une  odeur  et  une  saveur  particu- 
lière :  c'est  lo  caramel. 

Si  on  continue  à  élever  la  température,  le  sucre 
se  décompose  complètement;  il  s'en  dégage  une 
fumée  épaisse,  en  partie  combustible,  contenant 
de  l'oau,  de  l'oxyde  de  carbone,  de  l'acide  carbo- 
nique, du  gaz  des  marais,  de  l'acétone,  de  l'acide 
acétique,  etc.,  et  il  donne  un  résidu  noir  brillant 
fort  léger  :  c'est  du  charbon  h  peu  prés  pur;  pen- 
dant la  calcination,  il  se  répand  une  odeur  carac- 
téristique dite  de  sU':re  brûlé. 

Le  sucre  pur  ne  fermente  point,  mais  sous 
l'action  des  divers  ferments,  levure  de  bière,  ma- 
tières fermentescibles  des  fruits,  il  subit  diverses 
fermentations  dont  la  plus  importante  est  sa 
transformation  en  alcojl  et  en  acide  carbonique. 

AdiiM  (les  acid'-s  S'if  le  .sucre.  —  Les  acides 
étendus  tranforment  le  sucre  en  sucre  dit  inter- 
verti, parce  (|u'au  lieu  de  dévier  le  plan  de  polari- 
sation de  la  lumière  i  droite,  il  le  dévie  îi  gauche. 
L'ébuUition  prolongée  du  sucre  avec  les  acides 
le  transforme  complètement  et  la  liqueur  brunit. 
L'acide  sulfuriiiue  concentré  carbonise  le  sucre  en 
donnant  un  dégagement  d'acide  sulfureux. 

L'acide  azotique  concentré  le  transforme  en 
acide  oxalique  (acide  des  oseilles). 

Action  des  bU'CS.  —  Nous  avons  déjà  dit  que  le 
sucre  peut  se  combiner  à  la  chaux  en  formant  de 
vérilablos  sels  ou  sucrâtes;  il  peut  aussi  se  com- 
biner à  la  potasse,  à  la  soude  et  à  la  baryte;  ainsi, 
en  versant  une  solution  bouillante  de  baryte  dans 
dans  do  l'eau  firtement  sucrée,  on  obtient  une 
masse  cristalline  de  sucrato  de  baryte. 
Le  sucre  se  combine  aussi  avec  le  sel  marin. 
Divtrses  esjièjis  de  sucre.  —  Tout  ce  que  nous 
venons  de  dire  s'applique  aux  sucres  de  canne  et 
de  betterave,  qui  ont  la  même  formule  chimi- 
que :  C2''H220--,  et  sont  absolument  identiques 
avec  le  sucre  de  carotte,  d'érable,  de  navet,  de 
figue,  de  bouleau,  etc.  Mais  on  connaît,  en  outre 
de  ce  sucre  dit  sucre  ordinaire,  des  substances 
de  saveur  plus  ou  moins  fortement  sucrée  et 
ayant  beaucoup  d'analogies  avec  le  sucre  par 
leurs  formules  et  leurs  propriétés  chimiques  ;  tels 
goDt  : 

1°  Le  ou  la  glucose  ou  glycose,  appelé  encore 
sucre  de  fécule,  qui  a  pour  formule  C'^H'-O'^ 
(V.  Fécule).  On  le  rencontre  dans  beaucoup  de 
fruits;  c'est  lui  qui  recouvre  les  raisins,  les  figues, 
les  prunes  sèches.  Il  est  moins  sucré  que  le  sucre  : 
on  le  prépare  industriellement  par  l'action  des 
acides  étendus  sur  l'amidon  . 

2°  Le  lactose  ou  sucre  de  lait  :  c'est  lui  qui  par 
la  fermentation  donne  l'acide  lactique,  principe 
acide  du  petit-lait.  11  a  pour  formule  C24H-*0^*  ;  on 
l'obtient  facilement  en  cristaux  ;  il  a  une  saveur 
fraîche  faiblement  sucrée  et  croque  sous  la  dent  ; 
on  l'emploie  en  médecine. 

3°  Le  sucre  incristnUisaiie.  Ce  sucre  a  pour 
formule  C'^Hi^O'^;  il  existe  tout  formé  dans  les 
pommes,  les  poires,  le  miel,  le  jus  d'oignon,  et 
presque  dans   tous  les  fruits   acidulés  et  sucrés. 


Tous  ces  sucres  sont  susceptibles  de  fermenter 
en  présence  de  la  levure  de  bière  ;  mais  ceux  qui 
ont  la  composition  C"H2202-  se  transforment  d'a- 
bord en  glucose. 

Saccliariinétrie.  —  On  donne  ce  nom  aux  mé- 
thodes et  aux  procédés  employés  pour  rechercher 
la  quantité  do  sucre  qui  se  trouve  dans  une  li- 
queur sucrée  quelconque.  Sans  entrer  dans  aucun 
détail,  nous  dirons  qu'on  emploie  deux  méthodes: 
la  méthode  optique  et  la  méthode  chimique.  La 
première  repose  sur  la  déviation  que  le  glucose 
fait  éprouver  au  plan  de  polari.sation  de  la  lu- 
mière; cette  déviation  est  dans  un  rapport  connu 
avec  la  quantité  de  sucre  qui  se  trouve  dans  la 
liqueur,  et  on  la  mesure  au  moyen  d'appareils 
appelés  saccliarimètres.  Quand  il  s'agit  du  sucre 
ordinaire,  il  faut  d'abord  le  convertir  en  glucose 
par  une  ébullition  prolongée  avec  de  l'acide  sul- 
furique  étendu. 

La  méthode  chimique  repose  sur  ce  fait,  que  le 
glucose  chauffé  avec  une  liqueur  bleue  de  tartrate 
double  de  potasse  et  de  cuivre  la  décolore  et  en 
précipite  l'oxyde  rouge  de  cuivre.  On  se  sert  de  li- 
queurs essayées  et  titrées. 

Consommation  du  sucre.  Statistique.  —  Le 
sucre  de  canne  ou  de  betterave  est  aujourd'hui 
une  substance  alimentaire  de  la  plus  grande  im- 
portance ;  cependant,  c'est  un  aliment  incomplet, 
et  seul,  de  même  que  toutes  les  matières  non 
azotées,  il  ne  peut  pas  entretenir  la  vie.  On  ra- 
conte que  le  médecin  anglais  Stark  est  mort  d'a- 
voir fait  un  usage  immodéré  du  sucre.  Pris  avec 
abus,  il  peut  donner  le  scorbut  et  produire  des 
ulcérations  sur  les  muqueuses  de  la  bouche  ; 
cependant  les  nègres,  qui  s'en  nourrissent  exclu- 
sivement au  moment  de  la  récolte  de  la  canne,  se 
portent  généralement  très  bien  à  cette  saison-là. 
Tous  les  animaux  l'aiment;  il  semble  ne  causer 
aucun  accident  au  chien,  môme  pris  en  excès  ; 
d'après  Chossat,  le  sucre  favorise  la  formation  de 
la  graisse,  et  à  la  longue  diminue  l'appétit.  Pris  en 
excès  d'un  seul  coup.  Il  peut  amener  une  doulou- 
reuse indigestion,  D'après  l'hygiéniste  Michel 
Lévy,  c'est  un  aliment  qui  pris  avec  mesure  con- 
vient à  tous  les  âges,  il  tous  les  tempéraments  et 
à  tous  les  climats.  Le  sucre  sert  aussi  à  la  prépa- 
ration d'un  grand  nombre  de  liqueurs  de  table, 
et  de  produits  économiques  ;  enfin,  les  mélasses 
de  sucre  de  canne  servent  à  la  fabrication  du 
rhum,  et  celles  du  sucre  de  betterave  à  la  fabrica- 
tion des  eaux-de-vie  communes. 

Nous  avons  dit  plus  haut  que,  vers  1700,  la 
consommation  du  sucre  en  France  était  à  peu  près 
de  un  million  de  kilogrammes.  Les  chiffres  sui- 
vants en  montreront  l'augmentation  rapide  et 
toujours  croissante  jusqu'à  nos  jours: 
En  1812  la  France  consommait  8  millions  de  ki- 
logrammes de  sucre. 

En  1817 37  millions. 

En  I8:U C"        — 

En   1850 120        — 

En   1859 185        — 


Aujourd'hui,  la  consommation  française  est  de 

^.„, plus  de  250  raillions.  En  Angleterre,  en  Hollande, 

Comme  le  glucose,  il  dévie  à  gauche  le  plan  de  en  Belgique,  en  Suisse,  la  consommation  est 
polarisation  de  la  lumière,  tandis  que  le  sucre  de  encore  beaucoup  plus  forte  qu'en  France  ;  aiix 
lait  le  dévie  à  droite  comme  lo  sucre  ordinaire.  Etats-Unis,  on  consomme,  en  moyenne,  trois  fois 
Dans  diverses  circonstances,  action  des  acides  autant  do,  sucre  par  tête  qu'en  Franco.  Au  Brésil 
étendus,  action  prolojigée  de  la  chaleur,  le  sucre  et  à  la  Havane,  pays  de  production  par  excel- 
ordinairu  peut  se  transformer  en  sucre  incristal-  lence,  la  proportion  est  encore  plus  grande, 
lisable.  Depuis   quelque   vingt  ans,    la    culture   de  la 

4-  Le  mél.ilo'ie.  Ce  sucre,  étudié  par  M.  Ber-  betterave  et  la  fabrication  du  sucre  ont  pris  un 
thelot,  a  pour  formule  (;2''H22022  ;  il  se  rencontre  développement  considérable  en  Franco  :  le  Pas- 
daus  la  manne  do  différentes  espèces  û'Eucali//)-  de-Caluis,  le  Nord,  l'Aisno,  l'Oise,  Seine-et-Marno, 
tw:  de  l'Australie.  On  l'on  extrait  facilement  on  les  Ardennes,  etc.,  se  sont  couverts  do  sucreries; 
traitant  la  manne  par  l'eau  chaude  et  eu  laissant  il  en  est  résulté  un  véritable  encoral)rement 
évaporer.  1  sur  les  marchés  ;  le  prix  s'est  considérablement 

2»  Partie.  131 


SUISSE 


—  2082  — 


SUISSE 


abaissé:  il  est  actuollemcnt  de  O'.eO  le  demi-kilo- 
gramme en  détail  à  Paris  ;  de  là,  les  souffrances 
de  l'industrie  sucrière  et  la  disparition  d'un 
certain  nombre  de  fabriques.  I.a  concurrence  al- 
lemande sur  les  marchés  de  l'Angleterre  a  aussi 
contribué  à  qet  état  de  choses  qui  semble  vouloir 
s'améliorer. 

Nous  terminerons  par  quelques  cliilTres  inté- 
ressants qui  nous  sont  donnés  par  la  statistique 
ofiicielle  du  ministère  de  l'agriculture  et  corres- 
pondent à  l'année  1817. 

En  ISIT,  la  production  totale  du  sucre  indigène 
a  été  pour  la  France  de  3  60.3  51-3  quintaux  mé- 
triques, représentant  une  valeur  de  i08;iOit7.54 
francs,  et  a\ant  donné  en  mélasses  1510091 
quintaux  métriques,  représentant  une  valeur  de 
n  5949.)!  francs. 

Les  départements  qui  ont  le  plus  contribué  à 
cette  production  sont  dans  l'ordre  de  l'impor- 
tance : 

Le  Nord,  qui  a  produit  plus  de  934  000  quintaux. 

L'Aisne,  plus  de 790000        — 

Le  Pas-de-Calais,  plus  de...  5i;4  000        — 

La  Somme,  plus  de 3140i0        — 

Le  reste  a  été  produit  par  Seine-et-Marne,  les 
Ardenups,  Seine-et-Oise,  Saône- et-Loire,  la  Côte- 
dOr,  etc. 

Dans  le  Nord,  le  nombre  des  sucreries  est  de 
159,  occupant  ÏO  000  ouvriers. 

Dans  l'Aisne,  il  est  de  84,  en  occupant  10000. 

Dans  le  Pas-de-Calais,  il  est  de  97,  occupant 
10000  ouvriers. 

En  18"7,  on  comptait,  en  France,  507  sucreries 
occupant  GOUOO  ouvriers,  et  35  raffineries  en  oc- 
cupant 7  580. 

C'est  dans  la  Seine  qu'il  y  a  le  plus  de  raffine- 
ries. On  y  en  compte  9,  et  S  dans  la  Loire-Inférieure, 
S  dans  le  Nord,  4  dans  les  Bouclies-du-Rliôiie  et 
4  dans  la  Gironde.  [A.  Jacquemart.] 

SUÈDE.  —  'V.  Scandinaves  (Etals). 

SUISSE  (GÉOGRAPHIE).  —  Géographie  générale. 
—  L  GÉOGRAPHIE  PHYSIQUE.  —  Situation.  —  La 
Suisse  est  située  un  pou  au  nord  du  45°  paral- 
lèle septentrional,  enire  le  45"50'  et  le  47°4S'  de 
latitude;  sa  longitude  est  comprise  entre  le  3°36' 
et  le  S'O'  est  de  Paris.  Elle  est  bornée  à  l'est 
par  l'Autriclic,  au  sud  par  lltalie  et  la  France, 
à  l'ouest  par  la  France,  et  au  nord  par  l'empire 
germanique  (Alsace,  Baden,  Wurtemberg.  Bavièie). 
C'est  la  contrée  la  plus  élevée  de  I  Europe  :  les 
différences  de  niveau  entre  les  points  les  plus 
rapprochés  y  sont  quelquefois  considérables,  et, 
tandis  que  les  parties  les  plus  basses,  comme  les 
rives  du  lac  Majeur  ou  les  bords  du  Rhin,  à  Bàle, 
n'ont  pas  3'  0  mèires  au-dessus  du  niveau  do  la 
mer,  plusieurs  pics  des  Alpes  dépassent  4e0U  mè- 
tres, et  la  cime  la  plus  élevée  du  mont  Rose,  le 
pic  Dufour,  atteint  une  hauteur  de  4,038  mètres. 
On  trouve  des  villes  à  une  élévation  de  plus  de 
700  nièires,  et  même  à  1200  mètres  les  villages 
ne  sont  pas  rares.  Plus  haut  il  n'y  a  que  des 
liameaux  et  des  habitations  isolées. 

Orographie  —  Le  sol  suisse  se  divise  en  trois 
zones  principales:  les  Alpes,  le  Jura,  et,  entre  les 
deux,  la  plaine  suisse.  Cette  dernière  comprend 
la  partie  sud-ouest  du  plateau  qui  s'étend  depuis 
le  passage  du  Rhône  au-dessous  de  Genève  jus- 
iiu'au  défilé  du  Danube  près  de  Passau.  Klle  est 
bornée  au  sud  ouest  par  lo  lac  de  Genève,  au 
nord-est  par  celui  de  Constance. 

Les  Alpes.  —  Les  Alpes  suisses  se  divisent  en 
■  Hautes-Alp'S  ei  Basses-A/pi-s. 

Les  premières  ont  comme  point  central  le  massif 
du  Saint-Goiliard,  où  naissent  le  Rhin,  le  Rhône, 
la  Reuss  et  le  Tessin,  et  d'où  se  détachent  six 
chaînes  d'.>  montagnes,  deux  courant  à  l'ouest,  les 
Alpes  Valaisanncs  et  les  Alpes  Bernoises,  deux  h 
l'est,  les  Alpes  Grisonnes  et  les  Alpes  Glaronnai- 


ses,  une  au  nord,  les  Alpes  Surènes  ou  d'Uri,  et 
une  au  sud,  les  Alpes  du  Tessin. 

Les  somtiiités  les  plus  remarquables  des  Hautes- 
Alpes  sont  :  le  mont  Rose  et  le  mont  Cervin 
A.  Valaisannes),  la  Jungfrau,  le  Finsteraarhorn 
et  le  Wetterliorn  (A.  Bernoises),  le  massif  de  la 
Bernina  (A.  Grisonnes),  le  'litlis  (A.  d'Uri)  et  le 
Tœdi  (A.  Glaronnaises). 

Les  Basses-Alpes  forment  quatre  chaînes  sépa- 
rées par  des  vallées  :  les  Alpes  Fribuurgeoises 
avec  le  Vatiil  Noir  et  le  Moléson  ;  celles  de  Lu- 
cerne,  avec  le  mont  Pilate  ;  celles  de  Schwytz,  avec 
le  Rigi  ;  et  celles  d'Appcnzell,  avec  le  Sentis. 

Glaciers.  —  Les  sommets  des  Alpes  soirt  cou- 
verts de  neiges  éternelles.  Plus  de  COO  glaciers 
en  descendent  lentement  comme  des  fleuves  de 
glace  dans  les  vallons  inférieurs  jusqu'à  moins  de 
1  '200  mètres;  quelques-uns  n'ont  qu'une  lieue  de 
longueur,  tandis  que  la  plupart  ont  six  à  sept 
lieues  sur  plus  d'une  lieue  de  largeur.  Les  plus 
intéressants  et  en  même  temps  les  plus  faciles  à 
visiter  sont  ceux  de  Grindehvald  et  de  Rosenlaui 
(Berne),  du  Rhône  (Valais),  du  Rosegg  et  du 
Morterasch  (Grisons).  Le  plus  grand  est  le  glacier 
d'Ale'.sch  (Valais). 

Pa-siiges  di-s  Alpes.  —  Les  Alpes  renferment 
de  nombreux  cols,  dont  plusieurs  ont  été  utilisés 
pour  l'établissement  de  magnifiques  routes  carros- 
sables. Les  plus  importants  sont  ceux  du  Go- 
thard,  traversé  par  un  chemin  de  fer  construit  à 
frais  communs  par  la  Suisse,  lltalie  et  l'Alle- 
magne ;  du  Simplon,  sur  lequel  on  projette  éga- 
lement l'établissement  d'une  voie  ferrée;  du  Ber- 
nardin, du  Spliigen,  du  Maloja,  de  la  liernina,  du 
Julier,  du  Lukmanier,  de  la  Fourka,  de  l'Oberalp. 
Un  grand  nombre  de  passages  et  de  sentiers  ne 
sont  pratical'les  qu'en  été,  pour  les  piétons  et  les 
bêtes  de  somme.  Les  plus  remarquables  parmi 
ceux  ci  sont  ceux  du  Grand  Saint-Bernard,  du  mont 
Cervin,  du  Sanetsch,  de  la  Gemmi,  du  Grimsel, 
du  Susten,  des  Surènes,  du  Septimer.  Sur  la  plu- 
part, des  hospices  ou  des  lieux  de  refuge  offrent 
aux  voyageurs  surpris  par  la  tempête  un  asile  sou- 
vent nécessaire. 

La  plaine  suisse.  —  Le  plateau  suisse  a  une 
longueur  de  340  kilomètres  :  il  est  étroit,  inégal, 
entrecoupé  de  collines  et  de  coteaux,  baigné  par 
des  lacs  et  arrosé  par  de  nombreuses  rivières 
dont  quelques-unes  sont  navigables.  C'est  un 
pays  varié,  avec  de  belles  prairies,  des  champs 
fertiles,  de  rich^'s  vignobles,  et  qui  est  habité  par 
une  population  laborieuse  répandue  dans  une 
multitude  de  villes  et  de  villages  qu'entourent 
des  foré' s  d'arbres  fruitiers.  A  l'ouest,  le  plateau 
est  coupé  par  le  Jorat,  chaîne  de  hauteurs  qui 
relie  l-s  Alpes  au  Jura. 

Le  Juha.  —  Le  Jura  forme  un  demi-cercle  à 
l'ouest  et  au  nord  de  la  Suisse,  depuis  le  fort  de 
l'Ecluse,  où  le  Rhô'ie  le  sépare  des  Alpes,  jus- 
qu'au confluent  de  l'Aar  et  du  Rhin.  Il  se  compose 
de  chaînes  parallèles,  courtes,  étroites,  entre 
lesquelles  s'étendent  un  grand  nombre  de  vallées 
dont  les  eaux  s'échappent  par  des  cluses  ou  gor- 
ges. Les  sommités  les  plus  remarquables  de  celte 
chaîne  sont  la  Dôle,  le  Chasseron,  le  Creu.x  du 
Van,  le  Chasserai  et  le  VVeissenstein. 

Hydrographie.  —  Fleuv-s  et  lirières.  —  C'est 
du  massif  du  Saint-Gothard  que  sortent  les  princi- 
paux cours  d'eau  de  la  Suisse  pour  porter  leurs 
eaux  aux  mers  qui  servent  de  limites  à  l'Europe: 
à  la  m^r  du  Nord  par  le  Rhin,  à  la  Méditerranée 
par  le  Rhône,  à  l'Adriatique  par  le  Tessin  et  à  la 
mer  Noire  par  rinn. 

Les  quatre  cinquièmes  des  fleuves  et  rivières  de 
la  Suisse  appartiennent  au  bassin  du  Rliii.  Ce 
fleuve  est  forme  de  trois  bras,  dont  le  principal, 
le  Rhin  antérieur,  naît  dans  un  petit  lue,  près  du 
mont  Badus  (.Grisons),  à  utic  altitude  de  Til    raè- 


SUISSIS 


^083 


SUISSE 


trcs  ;  le  IVIiiii  poslcrifiur,  grossi  de  l'Albula,  re- 
joint le  lîliin  arilcricur  à  Taniins  ;  le  fleuve  se  di- 
rige alors  vers  le  lac  do  Constance  et  reçoit  à  sa 
gauche  la  Taniina,  venant  du  canton  de  Suint- 
Gall,  k  sa  droite  la  Landquart,  qui  traverse  le 
Prtettigau,  et  l'Ill  sortant  du  territoire  autrichien. 
Il  quino  le  lac  de  Constance  à  sa  partie  nord-ouest, 
et  forme  pri's  de  Schaffhouse  la  plus  belle  cata- 
racte de  l'Diirope.  De  là  son  cours  tortueux,  grossi 
des  eaux  ilo  la  Thur,  de  la  Glait.  de  la  Tœss,  de 
l'Aar,  et  de  la  Birse,  suit  la  direction  de  l'ouest, 
dessinant  sur  une  longueur  d'environ  113  kilomè- 
tres la  limite  nord  de  la  Suisse,  dont  il  quitte 
brusquement  le  territoire  à  Bàle, 

VAur  est  en  Suisse  le  plus  grand  affluent  ou 
plutôt  la  seconde  source  du  Rhin.  Il  alimente  les 
lacs  de  Brienz  et  de  Thoune  et  reçoit  les  eaux  de 
plusieurs  grandes  rivières:  la  Sarine,  qui  vient  du 
col  de  Sanetsch  ;  lOrbe,  qui  traverse  le  lac  de 
Neuchâtel,  et,  sous  le  nom  de  Thièle,  relie  ce  lac 
avec  celui  de  Bienne  ;  la  Uroie,  qui  se' jette  dans 
le  lac  de  Morat  ;  la  Reuss,  quia  sa  source  au  Saint- 
Gothard  et  qui  traverse  le  lac  des  Qualre-Cantons  ; 
la  Linth,  qui  vient  du  Tœdi  et  traverse  les  lacs  de 
Wallenstadt  et  de  Zurich,  d'où  elle  sort  sous  le 
nom  de  Limmat. 

Le  Rhâ'in  naît  au  glacier  du  même  nom,  au- 
dessous  de  la  Furka,  parcourt  le  Valais,  donne  ses 
eaux  au  Léman,  sort  de  ce  lac  à  Genève  et  reçoit 
au-dessous  do  cette  ville  l'Arve  à  sa  descente  de 
la  vallée  de  Chamounix.  C'est  le  plus  rapide  des 
fleuves  de  l'Europe  et  celui  qui  Cause  le  plus  de 
ravages  par  ses  débordements. 

Le  Doiihs,  qui  ne  fait  que  toucher  la  Suisse  en 
passant,  forme  entre  la  France  et  le  canton  de 
Neuchâtel  le  joli  lac  des  Brenets.  C'est  un  affluent 
de  1.1  Saône. 

Le  Tessin,  le  plus  grand  affluent  suisse  du  Pô, 
sort  du  col  de  Nûffencn,  dans  le  massif  du  Saint- 
Gothard;  il  arrose  le  canton  du  Tessin,  où  il  réu- 
nit les  eaux  de  .35  glaciers,  et  se  rend  au  lac  Ma- 
jeur, qui  reçoit  les  eaux  du  lac  de  Lugano. 

h'Inn,  un  des  plus  grands  affluents  du  Danube, 
est  le  seul  qui  ait  sa  source  en  Suisse.  Il  sort  d'un 
petit  lac  près  du  Septimer,  en  forme  quatre  au- 
tres dans  la  partie  supérieure  de  l'Engadine,  re- 
çoit l'eau  des  glaciers  du  côté  nord  des  pics  de  la 
Bernina,  et  api  es  avuir  coulé  à  travers  les  Gri- 
sons, quitte  le  territoire  suisse  i  Finsterraûnz. 

Lacs.  —  On  compte  en  Suisse  sept  grands  lacs, 
une  douzaine  de  grandeur  moyenne  et  environ 
cent  vingt  lacs  plus  petits.  Les  plus  remarquables 
sont,  à  l'ouest  :  le  Léman,  ou  lac  de  Genève,  en 
forme  de  croissant,  en  face  des  cimes  neigeuses 
du  Mont-Blanc  et  des  Alpes  de  Savoie  (lOi  kilo- 
mètres de  longueur  i  sa  rive  nord  et  8.'')  seulement 
àsarive  sud;  plus  grande  largeur,  14  kilomètres); 
le  lac  de  Neuchâtel,  celui  de  Bienne  avec  l'Ile  de 
Saint-Pierre,  retraite  de  J.-J.  Rousseau,  et  celui  de 
Morat,  reliés  tous  trois  par  des  rivières  navi- 
gables. 

A  l'est  :  le  lac  de  Zurich,  tout  encadré  do  villes 
et  de  riches  villages;  le  lac  de  VVallenstadt,  joint 
au  précèdent  par  le  canal  de  la  Lintli  ;  le  lac  de 
Constance  ou  mer  de  Souabe,  en  allemand  C /- 
tiensee  (78  kilom.  de  longueur  et  IG  de  largeur), 
avec  de  nombreux  ports  de  commerce. 

Au  centre  :  le  lac  des  Quatre-Cantons  ou  de  Lu- 
cerne,  avec  quatre  grands  golfes,  un  des  plus  pit- 
toresques do  la  Suisse;  ses  bords  sont,  le  berceau 
de  l'indépendance  helvétique  ;  le  lac  de  Zoug,  au 
pied  du  Rigi  ;  ceux  do  Brienz  et  de  Tlioune,  dans 
i'Obcrland  bernois. 

Au  sud  :  le  lac  Majeur,  dont  la  partie  septen- 
trionale seulement  appartient  à  la  Suisse,  et  le  lac 
de  Lugano,  paitagé  aussi  entre  la  Suisse  et  l'Ita- 
lie, et  dont  la  forme  sinueuse  rappelle  le  lac  des 
Quatre-Cantons. 


Climat.  —  Le  climat,  en  général  doux  et  tem- 
péré, varie  h  l'inlini,  suivant  l'élévation  et  la  na- 
ture du  sol,  et  suivant  que  la  direction  dos  monta- 
gnes et  des  vallées  les  expose  aux  vents  chauds  du 
sud  ou  aux  vents  froids  du  nord.  On  tiouve  en 
Suisse  toutes  les  variélés  de  végétation  des  lati- 
tudes des  plus  diverses,  et  on  peut  y  passer  en 
quelques  heures,  tant  dans  le  Jura  i|ue  dans  les 
Alpes,  du  climat  de  la  Sicile  à  celui  de  la  Lapo- 
nie.  Un  vent  caractéristique  est  le  fœhn,  que  l'on 
croit  venir  du  désert  de  Sahara  :  après  avoir  tra- 
versé les  Alpes,  il  se  précipite  avec  fuiie  dans  les 
vallées  du  Rhône,  de  l'Atir,  do  la  Reuss,  de  la 
Linth  et  du  Rhin,  si  ton  ihlc  c|ui.,  dans  plusieurs 
localités,  on  interdit  pend.mt  (|ii  il  sdullle  défaire 
du  fou  môme  à  l'iniérieiii  des  h.iljiiiiiiins.  Il  rend 
l'air  qu'il  pénètre  chaml,  luurd  et  éioufl'ant,  et 
fond  avec  une  rapidité  incroyable  d'énorme-'  amas 
de  neige  et  de  glace.  Pour  beaucoup  de  vallées  il 
est  la  condition  du  printet^ps,  comme,  en  au- 
tomne, dans  la  plaine,  celle  de  la  maturité  des 
raisins.  Si  ce  vent  n'atteignait  pas  la  Suisse,  bien 
des  vallées  seraient  sans  été  et  sans  vie  et  se 
convertiraient  bientôt  en  glaciers.  Les  autres 
vents  dominants  stnit  celui  du  nord-est,  qu'on 
nomme  la  bise,  froid  et  sec,  et  celui  du  sud- 
ouest,  généralement  accompagné  de  pluie.  Lejo- 
ran,  vent  local  du  nord-ouest,  règne  au  pied  du 
Jura. 

II.  GlïOfiRAPHIE  POLITIQUE.  —  Les  cantons.  — 
La  Confédération  suisse  est  forni'e  de  vin^i-deux 
cantons.  Trois  de  ces  cantons,  Bâle,  lintinwald  et 
Appcnzell,  sont  divisés  en  deux  dinni  cantons  in- 
dopendants l'un  de  l'autre  :  le  nombre  total  des 
Etats  suisses  est  donc  de  vingi-cin(i.  Plusieurs  des 
cantons  dont  le  territoire  a  queli|ue  étendue  sont 
subdivisés  administrativemetit  en  préfectures. 

Dans  les  docuinenls  ofticiels,  les  cantons  sont 
énumérés  dans  l'ordre  que  leur  assigne  la  date  de 
leur  entrée  dans  la  Confédération.  Nous  les  grou- 
perons ci-dessous  d'après  leur  distribution  géo- 
graphique. 

1.  RÉGION  DU  Sud-Ouest  et  de  l'Ouest.  — 
1.  Genève  (101  595  hab.),  sur  les  deux  rives  de 
l'extrémité  occidentale  du  Léman  ou  lar  de  Ge- 
nève. !;hef-lieu  Genève,  la  seconde  ville  de  laSuisse 
(50  UOO  hab.).  sur  le  Rhône,  à  sa  sortie  du  Léman. 

2.  Ka«rf(238  7:i(i  hab.),  dans  la  ]ilaine,  les  Alpes 
et  le  Jura.  Cltef-lieu  Lausanne  (.iU.niiO  hab.),  sur 
la  rive  N.  du  Léman.  Au  bord  du  môme  lac  sont 
Nyon,  Rolle,  Morges,  Vevey  ;  dans  la  vallée  infé- 
rieure du  Rhône,  Aigle  ;  dans  la  plaine,  Payerne 
et  Avenches;  au  pied  du  Jura.  Yverdon,  à  l'extré- 
mité S.-O.  du  lac  de  Neuchâtel. 

3.  Vnlms  (lOll  2i(;  liab.),  dans  les  Alpes.  Chef- 
lieu  Sion,  sur  la  rive  droite  du  Rhône.  Le  Valais 
comprend  la  vallée  supérieure  du  Rhône,  de  la 
Fourka  à  Saint-Maurice,  et  la  rive  gauchedu  fleuve, 
de  Saint- Maurice  à,  son  embouchure  dans  le  Lé- 
man, ainsi  que  les  vallées  latérales. 

>i.  Frihourg  (11')  4t)0  hab.),  arrosé  par  la  Sarine, 
et  s'étendant  entre  les.  Alpes  et  les  lacs  du  Neu- 
châtel et  de  Morat.  Chef-lieuFriboufg(l  1  5tl0hab.), 
sur  la  Sarine  ;  au  pied  des  Alpes,  Gruyère, 
Bulle,  Romont;  sur  le  lac  de  Morat,  Morat. 

5.  Neuchdiel  {Vi3  Tiï  hab.),  dans  le  Jura.  Chef- 
lieu  Neuchâtel  (l5C(i(i  hab.),  sur  le  lac  du  même 
nom.  Dans  les  montagnes,  la  Chaux-de-Fonds 
(2'J  OtiO  hab.),  le  Locle  (in  500  hab.)  ;  dans  le  Val- 
de-Travcrs,  Fleurior. 

Ces  cinq  cantons,  avec  ui:e  partie  de  celui  de, 
Berne,  forment  la  Suisse  française.  Toutefois, 
dans  la  partie  nord-est  du  Valais  et  dans  la  |)artiu 
est  du   canton  de  Fribourg,  on  p-rlo   l'alleinand. 

II.     RÉGION     DU    CENTIIE     ET    DU     NoKdOuksT.     -- 

I  G.    Berne   (512  IG'i    hab.),   le    plus  populeux   dos 

cantons   suisses,   qui    s'étend  à   la  fois   dans  les 

1  Alpes  (Oberlandi,  dans  la  plaine  et  dans  le  Jtira. 


SUISSE 


—  2084  — 


SUISSE 


Chef-lieu  Berne  (44  000  liab.),  sur  l'Aar,  siège 
des  autorités  fédérales  ;  dans  la  vallée  de  l'Emme, 
Burgdorf  et  Langnau  ;  au  pied  des  Alpes,  Tlioune 
et  Brionz,  sur  les  lacs  du  même  nom;  au  pied  du 
Jnra,  Bienne,  à  l'extrémité  N.-E.  du  lac  du 
même  nom  ;  dans  le  Jura,  Saint-Imier,  Delémont, 
Porrentruy.  —  Les  liabitants  du  Jura  bernois  ap- 
partiennent, par  leur  langue  et  leur  caractère,  à 
la  Suisse  française. 

7.  Soli'iire  f-O  4'.'4  liab.),  dans  le  Jura  et  sur  les 
bords  de  l'Aar.  Clief-lieu  Soleure,  sur  l'Aar;  sur 
le  même  fleuve,  au  N.-E.,  Olten. 

8.  Biile-Canipar/ne  (b9 'i'I  hab.),  demi-canton, 
comprenant  tout  le  territoire  de  l'ancien  canton 
de  Bâle,  moins  la  ville  de  Bâle  elle-même.  Clief- 
lieu  Liestal. 

9.  Brtle-VUte  (65  '"1  hab.),  demi-canton.  Chef- 
lieu  Bâle  (Gl  300  hab.},  la  plus  grande  ville  de  la 
Suisse,  sur  le  Rhin. 

10.  Aryovii:  (I'.I8  (;4ô  hab.),  entièrement  dans  la 
plaine,  et  arrosé  par  l'Aar,  la  Reuss  et  la  Limmat, 
qui  s'y  unissent  pour  se  jeter  dans  le  Rhin.  Chef- 
lieu,  A^rau,  sur  l'Aar;  Zofingue,  Lenzbourg  ;  sur 
la  Limmat,  Baiicn. 

11.  Luceri.e  (134  816  hab.),  dans  les  Basses- 
Alpes  et  dans  la  plaine.  Chef-lieu  Lucerne 
(n  800  hab.),  sur  le  lac  des  Quatre-Cantons,  h  la 
sortie  de  la  Reuss  ;  Sempach,  sur  le  lac  du  même 
nom. 

12.  Zo^cg  (22  991  hab),  dans  la  plaine.  Chef-lieu 
Zoug,  sur  le  lac  du  même  nom. 

13.  Sclivtjtz  (51  235  hab.  i,  dans  les  Basses-Alpes, 
entre  le  lac  des  Quatre-Cantons  et  le  lac  de  Zu- 
rich. Chef-lieu,  Schwytz,  au  pied  des  Mythen. 

14.  Ihiierwald-Nv/wa/d  (Il  >,i92  hah.;,  demi- 
canton,  dans  les  Basses-Alpes,  baigné  par  cette 
partie  du  lac  des  Quatre-Cantons  qui  porte  le 
nom  de  lac  d'Alpnach.  Chef-lieu  Stanz. 

15.  Vntcrwa.d-Oiwutd  (15  356  hab.),  demi- 
canton,  dans  le«  Hautes-Alpes.  Chef-lieu  Sarnen, 
sur  le  lac  du  même  nom. 

16.  Vri  (23  094  hab.),  dans  les  Hautes-Alpes, 
formé  par  la  vallée  de  la  Reuss,  du  Saint-Gothard 
au  lac  des  Quatre-Cantons.  Chef-lieu  Altorf. 

Tous  les  cantons  de  cette  région  sont  des  can- 
tons allemands  ;  toutefois,  comme  nous  l'avons 
dit,  la  partie  du  canton  de  Berne  située  dans  le 
Jura,  et  qui  formait  autrefois  l'évêché  de  Bâle, 
est  habitée  par  une  population  française. 

Les  cantons  d'Uri,  de  Schwytz  et  d'Unterwald 
portent  le  nom  de  Suisse  primitive,  et  au^si  de 
canl07ts  forestiers  (Waldstslten);  ce  sont  ces  trois 
cantons  qui  fondèrent  la  Confédération  à  laquelle 
s'adjoignirent  successivement  tous  les  autres,  et 
c'est  Schwytz  qui  lui  donna  son  nom. 

III.  BÉGIOX  DD   NOUD-EST    ET   DE   l'EST.    —    17.  Zu~ 

rich  en:  576  hab.j  ,  dans  la  plaine.  Chef-lieu 
Zurich  (2.1  000  liab.),  sur  le  lac  du  même  nom,  à 
la  sortie  de  la  Limmat,  la  ville  la  plus  importante 
de  la  Suisse  allemande,  quoiqu'elle  ne  soit  pas 
la  plus  peuplée  ;  Meilen,  Horgen,  sur  le  lac  de 
Zurich  ;  Winterthour  (13  600  hab.),  dans  la  partie 
orientale  du  canton. 

18.  Thiirgovie  (99  552  hab.),  dans  la  plaine,  à 
rO.  du  lac  de  Constance.  Chef-lieu  Fraucnfeld. 

19.  Schrffkouse  (38  348  liab.\  au  N.  du  Rhin. 
Chef-lieu  Schaffhouse  (il  800  hab.'l,  sur  le  Rhin. 

20.  Sainl-uall  (210  491  hab.',  dans  les  Basses- 
Alpes,  à  l'O.  du  Rhin.  Chef-lieu  Saint-Gall 
(21  400  hab.);  Rorschach,  sur  le  lac  de  Constance  ; 
VValk-nstadt,  sur  le  lac  du  même  nom. 

21.  Appenzell  Rhoites-Extérieures  (51  9  8  hab), 
demi-canton,  enclavé  dans  le  canton  de  Saint-Gall. 
Cbef-lieu  Hérisau  (Il  OjOhab.). 

22.  Apiemctl  Rhodes-lntérieuri's  (12  8il  hab.), 
demi-ranion,  enclavé  dans  le  demi -canton  d'Ap- 
penzcU  Rhudes-Exiérieures.  Chef-lieu  Appen- 
zell. 


23.  Claris  (.34  213  hab.),  dans  les  Alpes,  formé 
par  la  vallée  de  la  Linth.  Chef-lieu  Claris. 

Tous  les  cantons  de  cette  région  sont  des  can- 
tons allemands. 

IV.  RtGiox  DU  Sud-Est.  —  24.  Grisons  (94  991), 
dans  les  Alpes,  celui  des  cantons  suisses  dont  la 
superficie  est  le  plus  considérable;  il  comprend 
les  vallées  du  Rhin  antérieur,  de  Rhin  postérieur, 
de  l'Albula  (Davos),  de  la  Landquart  (Prsettigau), 
de  l'inn  (Engadine).  Chef-lieu  Coire,  sur  la  Pies- 
sur,  affluent  du  Rhiu;  Dissenlis,  sur  le  Rhin  an- 
térieur. 

25.  Tessi?!  (130  777),  sur  le  versant  S.  des  Alpes, 
et  formé  presque  en  entier  par  la  vallée  du  'Tes- 
sin.  Chef-lieu  Bellinzona,  sur  le  Tessin  ;  Locarno, 
sur  le  lac  Majeur;  Lugano,  sur  le  lac  du  même 
nom. 

Le  canton  du  Tessin  et  une  partie  de  celui  des 
Grisons  (val  de  Misocco)  forment  la  Suisse  ita- 
lienne. Dans  les  hautes  vallées  des  Grisons  on 
parle  les  dialectes  romancheetladin  ;  dans  le  reste 
du  canton,  l'allemand. 

La  population.  —  La  population  totale  de  la 
Suisse  était,  d'après  le  recensement  officiel  du 
1"  décembre  1880,  de  2  84G  102  habitants. 

L'émigration  pour  les  pays  d'outre-mer  a  été 
en  1879  de  4  288  personnes,  et  en  1880  elle  a 
atteint  le  chiffre  de  7  225.  D'un  autre  côté,  l'aug- 
mentation de  la  population  pendant  les  dix  der- 
nières années  a  été  en  moyenne  de  16 '.'49  têtes 
par  an.  La  Suisse  est  le  pays  de  l'Europe  qui 
compte  dans  sa  population  le  plus  grand  nombre 
d'étrangers  {h  peu  près  5  p.  100);  mais  un  nom- 
bre à  peu  près  égal  de  Suisses  sont  répandus  dans 
les  autres  pays  comme  précepteurs,  industriels  et 
commerçants. 

La  population  de  la  Suisse  appartient,  sous  le 
rapport  de  la  langue,  aux  trois  principales  na- 
tions de  l'Europe  centrale,  et  l'on  distingue  ainsi 
une  Suisse  allemande,  une  Suisse  française  et 
une  Suisse  italienne.  A  cette  dernière  so  ratta- 
che la  population  romanclie  des  Grisons.  L'alle- 
mand est  la  langue  d'environ  les  trois  quarts  de  la 
Suisse.  La  Suisse  française  ou  romande  comprend 
les  cantons  de  Genève,  Vaud  et  Neuchâtel,  les 
trois  quarts  de  celui  de  Fribourg,  les  deux  tiers 
du  Valais  et  la  partie  du  canton  de  Berne  située 
dans  le  Jura.  L'italien  règne  dans  le  Tessin  et 
dans  les  vallées  méridionales  des  Grisons. 

Les  trois  cinquièmes  des  Suisses  sont  protes- 
tants, les  deux  autres  cinquièmes  sont  catholiques. 
On  trouve  en  outre  un  petit  nombre  de  Juifs  dont 
la  plupart  habitent  le  canton  d'Argovie. 

III.    GÉOGRArniE  AGRICOLE   ET    ODUSTRIELLE.  — 

La  superficie  totale  de  la  Suisse  est  de  41  3i)0  kil. 
carrés,  dont  7  714  sont  occupés  par  des  forêts, 
305  par  des  vignobles  et  21  618  par  des  champs, 
jardins  et  pâturages.  La  proportion  entre  le  sol 
productif  et  le  sol  improductif  varie  considérable- 
ment suivant  les  cantons:  tandis  que  le  sol  impro- 
ductif ne  représente  dans  le  canton  d'Appcnzell 
Rhodes-Extérieures  que  le  2.69  p.  lOi),  dans  celui 
de  Bâle-Campagne  que  le  3.80  p.  100  de  la  super- 
ficie totale,  il  représente  dans  le  canton  d'Uri 
55.60,  dans  le  Valais  54.07,  dans  les  Grisons  46.39 
p.  IfiO  de  cette  superficie. 

D'après  une  estimation  approximative,  le  sol  de  la 
Suisse  qui  se  prête  à  la  culture  proprement  dite  ne 
forme  que  15  p.  100  de  la  superficie  totale.  Aussi 
le  pays  est-il  loin  de  produire  de  quoi  suffire  à  sa 
consommation.  Le  bétail  constitue  une  de  ses  prin- 
cipales richesses  ;  les  vaches  de  la  Gruyère,  noires 
ou  tachetées  de  noir,  celles  du  Simmcntlial  (Ober- 
land bernois),  rouges  ou  tachetées  de  rouge,  elles 
vaches  de  Schwytz,  brunes,  moins  grandes,  mais 
meilleures  laitières  que  les  préccileiites,  sont  très 
recherchées  pour  l'exportation.  Une  partie  nota- 
ble  de   la   population,  surtout  dans  _les  cantons 


SUISSE 


—  2085 


SUISSE 


alpestres,  vit  presque  oxchisivoment  de  l'élève  du 
bétail  et  de  ses  produits  en  Uiil,  beurre  et  fro- 
mage. La  Suisse  a,  exporté  en  1880  207  189  quin- 
taux métriques  de  fromage,  et  92  393  de  lait  con- 
densé. On  olève  en  Suisse  beaucoup  de  poules, 
oies  et  canards.  L'apiculture  ou  élève  des 
abeilles  est  florissante  dans  les  cantons  da  Va- 
lais, de  Berne,  de  Lucerne  et  du  Tessin.  On 
élève  le  ver  à  soie  dans  les  vallées  du  sud  des 
Alpes  et  même  dans  quelques  parties  du  nord  de 
la  Suisse. 

Les  rivières  et  les  lacs  sont  riches  en  pois- 
sons, mais  cependant  moins  qu'autrefois.  Les 
forêts,  qui,  dans  plusieurs  cantons,  sont  très 
bien  entretenues,  fournissent,  outre  le  com- 
bustible, de  magnifiques  bois  de  marine  et  de 
construction.  Il  en  a  été  exporté  en  1880  pour 
plus  de  8  millions  de  francs. 

L'agriculture  est  en  honneur  et  livre  des  pro- 
duits considérables  ;  cependant  il  n'y  a  guère  que 
six  cantons  qui  produisent  assez  ',de  blé  pour 
leurs  besoins.  L'importation  des  céréales  en  1880 
a  été  de  3,S"0093  quintaux  métriques,  représen- 
tant une  valeur  d'environ  110  millions  de  francs. 
La  France  figure  dans  cette  importation  pour 
1300  048  quintaux. 

La  vigne  est,  avec  le  blé,  la  principale  culture  : 
elle  est  cultivée  dans  presque  tous  les  cantons  et 
réussit  sur  le  plateau  jusqu'à  000  mètres  au- 
dessus  de  la  mer,  en  Valais  et  dans  le  Tessin 
jusqu'à  700  mètres  et  même  au  delà.  Les  meil- 
leurs vins  sont  ceux  do  Neucliàtel,  du  Valais,  des 
Grisons  et  de  Vaud.  Malgré  cela  le  vin  fait  l'ob- 
jet d'une  importation  considérable:  il  en  est  entre 
en  Suisse  en  1880  1  04698-2  quintaux  métriques, 
dont  479  782  ont  été  fournis  par  la  France.  Les 
pommes  de  terre,  cultivées  partout  en  Suisse, 
y  sont  de  bonne  qualité  et  constituent  une  par- 
tie importante  de  la  nourriture  de  toutes  les 
classes  de  la  population.  Ce  qui  prouve  combien 
la  Suisse  est  tributaire  de  l'étranger  pour  son 
alimentation,  c'est  que,  même  pour  cet  article, 
l'importation  dépasse  considérablement  l'exporta- 
tion (en  1880  de  271  18?  quintaux).  Il  n'y  a  pas 
de  pays  où  la  culture  des  arbres  fruitiers  ait 
atteint  un  degré  de  développement  aussi  considé- 
rable que  dans  le  nord  de  la  Suisse  ;  la  Thurgo- 
vie,  en  particulier,  est  comme  une  forêt  de  pom- 
miers et  de  poiriers,  dont  les  fruits  servent  à 
faire  da  cidre  et  de  l'eau-de-vie.  Le  chanvre  et  le 
lin  sont  cultivés  presque  partout  ;  le  tabac  l'est 
essentiellement  dans  les  cantons  de  Vaud  et  de 
Fribourg,  mais  sa  culture  commence  à  s'intro- 
duire dans  plusieurs  autres  parties  do  la  Suisse. 

Le  pays  est  pauvre  en  mines.  La  houille,  ce 
combustible  précieux  qui  est  l'âme  de  l'industrie, 
ne  s'y  trouve  qu'en  quantité  insignifiante.  On  en 
a  importé  en  1880(10331)18  quintaux  métriques. 
On  exploite  du  fer  en  Valais,  dans  le  canton  de 
Saint-Gall  et  surtout  dans  le  Jura  bernois,  dont  le 
fersidérolilhi(iueest  unpruduit  très  apprécié  ;  mais 
l'exploitation  de  ce  minerai  est  bien  insuffisante 
pour  les  besoins.  11  en  est  de  même  du  sel 
que  fournissent  h-s  salines  de  Bex  (Vaud),  de 
Schweizerhalle  (Bâle),  et  de  Rheinfelden  (Argo- 
vie).  Le  Val-de-'Travers  possède  de  riches  mines 
d'asphalte  et  produit  du  ciment  qui  égale  en 
qualité  celui  de  Portland. 

Aucun  pays  n'a,  en  proportion  de  son  étendue, 
un  nombre  aussi  prodigieux  de  sources  minérales 
que  la  Suisse,  On  en  compte  plus  de  600.  Ici  des 
eaux,  trop  chaudes  pour  qu'on  puisse  y  tenir 
la  main,  sortent  du  pied  d'un  glacier  :  là  elles 
jaillissent  dans  les  cavernes  profoodes  et  obscu- 
res des  ruchers  ;  ailleurs  dans  les  plaines  ou 
même,  comme  à  Lavey  et  à  Baden,  au  milieu  d'un 
fleuve.  Les  stations  d'eaux  thermales  les  plus 
fréquentées   sont  :  Saint-Moritz  et  Tarasp  [Gri- 


sons), Ragatz  (Saint-Galli,  Schinznach,  Baden  et 
Uheinfelden  (Argovie),  Loueclie  (Valais),  VVeis- 
senbourg  et  le  Gurnigel  (Berne),  etc. 

L'industrie  manufacturière  est  très  développée, 
et  la  Suisse  est  devenue,  pour  certains  articles, 
une  rivale  de  l'Angleterre,  malgré  les  difficultés 
provenant  de  son  manque  de  houille  et  de  sa  posi- 
tion au  centre  de  l'Europe,  loin  des  ports  qui  lui 
amènent  les  matières  premières,  et  loin  des  pays 
qui  lui  servent  de  débouchés.  Les  trois  industries 
principales  sont  :  les  tissus  de  coton  et  les  bro- 
deries dans  les  cantons  de  Zurich,  Argovie, 
Glaris,  Saint-Gall  et  Appenzell;  les  étoffes  et  ru- 
bans rie  soie  à  Zurich,  rivale  de  Lyon,  à  Bâle  et 
dans  les  cantons  de  Berne,  Schaffhouse,  Argovie, 
Glaris,  Tliurgovie  et  Grisons  ;  l'industrie  liorlo- 
gère,  qui  a  son  centre  dans  le  Jura  neuchàtelois 
et  à  Genève,  et  qui  s'est  aussi  répandue  dans  les 
cantons  voisins  de  Berne,  Solenre  et  Vaud.  Cette 
branche  importante  de  l'activité  industrielle  de  la 
Suisse  produit  annuellement  plus  de  200  000  mon- 
tres dont  la  valeur  dépasse  cent  millions  de 
francs.  La  fabrication  des  boîtes  à  musique  se 
rattache  à  celle  des  montres;  on  en  fabrique  sur- 
tout à  Genève  et  dans  le  district  vaudois  de 
Sainte-Croix,  qui  fournit  à  lui  seul  annuellement 
environ  100  000  de  ces  instruments  d'agrément. 
La  bijouterie  de  Genève  est  aussi  liée  à  l'indus- 
trie horlogère.  Il  faut  encore  mentionner  l'indus- 
trie des  laines,  florissant  dans  les  cantons  de 
Zurich,  Berne  et  Glaris;  celle  du  lin,  qui  a  son 
siège  principal  dans  l'F.mmenthal  bernois;  le 
tressage  de  la  paille  et  des  crins  en  Argovie,  à 
Fribourg  et  à  Lucerne;  la  construction  de  ma- 
cliines  dans  un  grand  nombre  de  cantons,  les 
tanneries  dont  la  Suisse  possède  environ  500,  et 
plusieurs  branches  d'industrie  secondaires,  telles 
que  la  fabrication  d'instruments  de  mathémati- 
ques et  do  physique  à  Aarau,  Zurich  et  Berne; 
les  fabriques  de  pianos  à  Zurich  ot  Berne;  de 
parquets  dans  le  Valais,  à  Fribourg,  Berne  ot  Lu- 
cerne; la  sculpture  du  bois  dans  l'Oberlajid  ber- 
nois ;  les  excellentes  papeteries  de  Bâle,  Zurich, 
Argovie,  Soleure,  Vaud,  Genève,  Neuchàtel  et 
autres  localités,  et  enfin  les  poteries  des  cantons 
do  Schaffhouse,  Tessin  et  Berne.  La  fabrica- 
tion de  la  céramique  a  été  reprise  il  y  a  quelques 
années  avec  succès,  à  Heimberg,  près  de  Thoune, 
grâce  à  l'initiative  du  gouvernement  bernois,  et 
les  produits  de  cette  industrie  sont  répandus  sur 
tous  les  grands  marchés  de  l'Europe. 

Le  commerce  international  et  de  transit  est 
favorisé  par  d'excellentes  voies  de  communica- 
tion, par  des  lacs,  des  canaux,  des  chaussées  su- 
perbes, de  nombreuses  routes  de  montagnes,  un 
réseau  de  chemins  de  fer  qui  va  tous  les  jours  se 
complétant;  enfin  une  organisation  postale  et  un 
ensemble  de  lignes  télégraphiques  qui  desservent 
jusqu'aux  plus  petites  localités  du  pays. 

La  Suisse  compte  environ  35  banques  d'émis- 
sion avec  un  capital  versé  de  108  raillions,  et  qui 
émettent  des  billets  de  banque  environ  pour  la 
même  somme.  Quelques-unes  seulement  de  ces 
institutions  sont  des  établissements  d'État,  orga- 
nisés par  les  cantons.  Une  loi  fédérale,  récemment 
votée,  les  place  sous  le  contrôle  de  la  Confédéra- 
tion. Il  existe  également  en  Suisse  un  très  grand 
nombre  de  caisses  d'épargne. 

IV.  INSTITUTIONS  POLITIQUES  ET  ADMINISTRATI- 
VES. —  Développement  historique.  —  L'alliance 
que  les  cantons  d'Un,  de  Scliwytzet  d'Onteiwald 
formèrent  entre  eux,  en  1291,  estlabase  ctlepoint 
de  départ  de  la  Confédération  suisse.  Depuis  lors, 
jusqu'à  la  fin  du  siècle  passé,  la  Snis-^c  fut  une 
simple  allianre  d'Etats  souverains,  ligués  pour  se 
prêter  mutuellement  secours  contre  l'otran^er  au 
dehors  et  les  insurrections  au  dedans,  n'ayant  on 
commun  que  le  strict  nécessaire  pour  atteindra 


SUISSE 


2086  — 


SUISSE 


Co  but,  et  conservant  d'ailleurs  une  pleine  indé- 
pendance. La  Diète,  composée  de  représentants 
des  cantons,  était  moins  une  assemblée  délibé- 
rante qu'un  congrès  de  souverains,  où  les  affaires 
so  décidaient  par  voie  de  contrat  et  à  l'unanimité, 
bien  plus  qu'à  la  majorité  des  voix. 

En  1798,  à  la  suite  de  l'invasion  frança'se,  cet 
état  de  choses  fut  violemment  remplacé  par  la 
République  helvétique  une  et  indivisible,  gouver- 
née par  un  Directoire  exécutif  et  dans  laquelle  un 
Sénat  et  un  Grand  Conseil,  composés  des  représrn-  ] 
tants  des  cantons,  exerçaient  le  pouvoir  législatif,  i 
Pour  la  première  fois  en  Suisse,  on  proclamait  la  I 
souveraineté  du  peuple  avec  l'égalité  des  droits, 
la  séparation  des  pouvoirs,  les  droits  de  la  con- 
science, l'égaliié  des  citoyens,  la  liberté  de  la 
presse,  et  la  liberté  d'industrie,  de  commerce  et 
do  circulation  ;  le  rachat  des  droits  féodaux  était 
consacre,  l'impôt  étendu  à  tous,  la  publicité  in- 
troduite dans  les  conseils.  La  République  helvé- 
îiqi'C  ayant  disparu  après  cinq  ans  de  guerre 
civile,  la  Suisse  accepta  de  Napoléon  Bonaparte 
une  constitution  connue  sous  le  nom  d'Acte  de 
médiation,  qui  tenait  le  milieu  entre  l'ancienne 
organisation  de  la  Suisse  et  l'unitarisme  helvéti- 
que. Puis  vint  le  Pacte  de  1815,  qui,  inférieur  à 
l'Acte  de  médiation,  au  point  de  vue  de  l'unité  na- 
tionale comme  à  celui  des  droits  des  citoyens, 
établissait  une  Confédération  de  2Î  cantons.  L'an- 
cienne Diète  d'avant  1798  reparaissait  avec  son 
cortège  d'instructions,  de  protocoles  ouverts  et 
de  référendum,  qui  entravaient  la  marche  des 
délibérations  et  ajournaient,  pendant  des  années 
entières,  la  solution  des  questions  les  plus  im- 
portantes. Chaque  canton  avait  le  même  droit  de 
représentation  en  Diète,  sans  égard  à  l'étendue  de 
son  territoire  et  au  chiffre  de  sa  population.  Plus 
de  garantie  en  faveur  des  droits  des  citoyens;  la 
Suisse  redevenait  une  confédération  d'Etats  souve- 
rains et  perdait  à  peu  près  complètement  le  ca- 
ractère d'un  Etat  fédératif. 

C'est  de  la  Constitution  de  1848,  fruit  de  la 
u'ierre  du  Sondej'bund,  que  date  l'organisation 
|iolitique  actuelle  de  la  Suisse.  Une  tentative  de  la 
rr-viser,  pour  y  introduire  le  principe  de  l'unité 
lie  législation  civile  et  pénale,  a  échoué  en  1872. 
l'ji  revanche  une  revision,  adoptée  deux  ans  plus 
t:;vd,  a  centralisé  l'organisation  militaire,  aug- 
menté les  droits  de  la  Confédération  dans  le  do- 
maine de  la  législation  civile  et  de  l'instruction 
publique,  et  étendu  les  droits  individuels  et  poli- 
tiques des  citoyens. 

Etat  politique  actuel.  —  La  confédéb.\tio.n.  — 
La  Suisse  est  un  Etat  fédératif,  dont  les  membres 
(eantons;sont  subordonnés  .^un  pouvoir  central  élu 
par  la  nation,  considérée  dans  sa  généralité.  Précé- 
demment la  Confédération  n'avait  que  la  pan  de 
souveraineté  quechaquecanton  avaitbien  voulu  lui 
abandonner  :  aujourd'hui  c'est  elle  qui  décide 
de  la  part  d'indépendance  qu'il  lui  convient  de 
laissera  chaque  canton.  Elle  a  pour  but  d'assurer 
l'indépendance  de  la  patrie  contre  l'étranger,  de 
maintenir  la  tranquillité  et  l'ordre  à  l'intérieur, 
de  protéger  la  liberté  et  les  droits  des  confédérés 
et  d'accroître  leur  prospérité  commune.  Elle  a 
seule  lé  droit  de  déclarer  la  guerre  et  de  conclure 
la  paix  et  de  faire,  avec  les  Etats  étrangers,  des 
alliances  et  des  traités.  C'est  à  elle  qu'appartient 
le  droit  de  disposer  de  l'armée,  ainsi  ijue  du  ma- 
tériel_  de  guerre  :  les  lois  sur  l'organisation  de 
l'armée  émanent  d'elle.  Rentrent  exclusivement 
dans  ses  attributions;  la  législation  sur  la  cons- 
truction et  l'exploitation  des  cliemins  de  fer,  sur 
le  système  monétaire  et  celui  des  poids  et  mesu- 
res (la  Suisse  possède  le  système  métrique  et 
décimal  fiançais  ;  la  régale  des  monnaies  ainsi  que 
la  législation  sur  l'émission  et  le  reniboursoment 
des  billets  de  banque;  la  fabrication  etla  vente  de 


la  poudre  de  guerre,  les  péages,  les  postes  et  té- 
légraphes. Elle  a  le  droit  de  créer,  outre  l'Ecole 
polytechnique  existante,  une- université  fédérale 
et  d'autres  établissements  d'instruction  publique. 
Elle  a  le  droit  de  haute  surveillance  sur  la  police 
des  endiguements  et  des  forêts  dans  les  régions 
élevées.  Elle  peut  ordonner,  à  ses  frais,  ou  encou- 
rager par  des  subsides,  les  travaux  publics  qui  in- 
téressent la  Suisse  ou  une  partie  considérable  du 
pays;  elle  exerce  la  haute  surveillance  sur  les 
mutes  et  les  ponts  dont  le  n'aintien  l'intéresse,  et 
elle  peut  statuer  des  dispositions  législatives  pour 
régler  l'exercice  de  la  pèche  et  de  la  chasse  et 
pour  protéger  les  oiseaux  utiles  à  l'agriculture  et 
à  la  sylviculture.  Elle  peut  statuer  des  prescrip- 
tions sur  le  travail  dans  les  fabriques  et  sur  les 
opérations  des  agences  d'émigration  et  ries  entre- 
prises d'assurances  non  instituées  par  l'Etat.  La 
législation  sur  la  capacité  civile,  sur  le  droit  des 
obligations,  sur  le  droit  commercial  et  le  droit  de 
change,  sur  la  propriété  littéraire  et  artistique,  est 
de  son  ressort.  La  loi  fédéiale  détermine  h  quelle 
législation  et  à  quelle  juridiction  sont  soumis  les 
Suisses  établis  dans  un  autre  canton  que  leur  can- 
ton d'origine;  elle  fixe  les  limites  dans  lesquelles 
un  citoyen  suisse  peut  être  privé  de  ses  droits 
politiques.  La  Confédération  prend  les  mesures  de 
police  sanitaire  contre  les  épidémies  et  les  épi- 
zooties  qui  offrent  un  danger  général.  Elle  fixe  les 
conditions  auxquelles  les  étrangers  peuvent  être 
naturalisés.  Enlin  elle  a  le  droit  de  renvoyer  du 
territoire  suisse  les  étrangers  qui  compromettent 
la  sûreté  intérieure  ou  extérieure  du  pays. 

Principe'  du  droit  puh  ic.  —  Il  ne  peut  être 
conclu  de  capitulations  militaires  (c'est-à-dire  de 
traités  par  lesquels  les  cantons  suisses  s'enga- 
geaient autrefois  à  fournir  à  des  puissances  étran- 
gères des  troupes  mercenaires).  Les  magistrats  et 
fonctionnaires  fédéraux  ne  peuvent  recevoir  d'un 
gouvernement  étranger  ni  pensions,  ni  traite- 
ments, ni  titres,  présents  ou  décorations.  La  Con- 
fédération n'a  pas  le  droit  d'entretenir  des  troupes 
permanentes.  Aucun  canton  ne  peut  avoir  plus 
de  ;UI0  hommes  de  troupes  perm:.nentes  ^11  n'en 
existe  du  reste  pas).  Si  des  différends  viennent  à 
s'élever  entre  cantons,  ceux-ci  doivent  s'abstenir 
de  toute  voie  de  fait  et  se  soumettre  à  la  décision 
qui  sera  prise  sur  ces  différends,  conformément 
aux  prescriptions  fédérales.  Les  maisons  de  jeu 
sont  interdites. 

Droits  garantis  aux  citmjens.  —  Tous  les  Suisses 
sont  égaiix  devant  la  loi.  La  Confédération  garantit 
la  liberté  et  les  droits  du  peuple,  les  droits  cons- 
tituiionnels  des  citoyens,  ainsi  que  les  droits  et 
attributions  que  le  peuple  a  conférés  aux  autorités. 
Elle  gaiantit  la  liberté  de  la  presse,  le  droit  d'as- 
sociation et  de  pétitien,  la  liberté  de  commerce  et 
d'industrie,  et  le  droit  de  libre  établissement. 
Tout  cilo,\en  d'un  canton  est  citoyen  suisse,  et 
jouit  au  lieu  de  son  domicile  de  tous  les  droits 
des  citoyens  du  canton.  L'inviolabilité  du  secret 
des  lettres  et  télégrammes  eslgarantie.  Nul  ne  peut 
être  distrait  de  son  juge  naturel;  il  no  peut  être 
établi  de  tribunaux  extraordinaires.  La  contrainte 
par  corps  est  abolie.  Les  peines  corporelles  le 
sont  également,  et  la  peine  de  mort  no  peut  être 
prononcée  pour  délit  politique  Le  droit  aii  ma- 
riage est  placé  sous  la  protection  de  la  Confédéra- 
tion. Aucun  empêchement  au  mariage  ne  peut  êti-e 
fondé  sur  des  motifs  confessionnels,  sur  "l'indi- 
gence des  époux,  sur  leur  conduite  ou  quelque 
autre  motif  de  police  que  ce  soit. 

Dis/  ositions  spécialfs  pour  le  maintien  de  ta 
pnix  confissionnelle.  —  La  libené  de  conscience 
et  de  croyance  est  inviolable.  Nul  ne  peut  être 
coniraint  de  faire  partie  d'une  association  reli- 
gieuse, de  suivre  un  enseignement  religieux,  ni 
encourir  des  peines,  de  quelque  nature  qu'elles 


SUISSE 


—  2087 


SUISSE 


soient,  pour  cause  d'opinion  religieuse.  La  per- 
sonne qui  exerce  l'aulorité  paternelle  ou  tulélairo 
a  le  droit  de  disposer  de  l'éiliicalion  religieuse  des 
enfants  jusqu'à  seize  ans  révolus  ;  les  écoles  publi- 
ques doivefit  pouvoir  être  fréquentées  par  les 
adhérents  de  tontes  les  confessions,  sans  qu'ils 
aient  h  souffrir  d'aucune  façon  dans  leur  liberté 
de  conscience  ou  de  croyance.  L'instruction  pri- 
maire, qui  est  obligatoire  et,  dans  les  écoles  pu- 
bliques, gratuite,  doit  ôtre  placée  exclusivement 
sous  la  direciion  de  l'autorité  civile. 

L'exercice  des  droits  civils  et  politiques  ne  peut 
être  restreint  par  des  prescriptions  ou  des  condi- 
tions de  nature  ecclésiastique  ou  religieuse, 
quelles  qu'elles  soient.  Nul  ne  peut  pour  cause 
d'opinion  religieuse  s'alTrancliir  de  l'accomplisse- 
ment d'un  devoir  civique.  Nul  n'est  tenu  de  payer 
des  impôls  dont  le  produit  est  spécialement  affecté 
aux  frais  proprement  dits  d'une  communauté  re- 
ligieuse à  laquelle  il  n'appartient  pas. 

Le  libre  exercice  des  cultes  est  garanti  dans  les 
limites  compatibles  avec  l'ordre  public  et  les 
bonnes  mœurs.  Les  cantons  et  la  Confédération 
peuvent  prendre  les  mesures  nécessaires  pour  le 
maintien  de  l'ordre  public  et  do  la  paix  entre  les 
membres  des  diverses  communautés  religieuses, 
ainsi  que  contre  les  empiéfements  des  autorités 
ecclésiastiques  sur  les  droits  des  citoyens  et  de 
l'Etat.  Il  ne  peut  être  érigé  d'évêché  sur  le  terri- 
toire suisse  sans  l'approbation  de  la  Confédération. 
Toute  juridiction  ecclésiastique  est  abolie.  L'ordre 
desJésuites  et  les  sociétés  qui  lui  sont  affiliées  ne 
peuvent  ôtre  reçus  dans  aucune  partie  de  la  Suisse, 
et  toute  action  dans  l'église  et  dans  l'école  est  in- 
terdite à.  leurs  membres.  Cette  interdiction  peut 
s'étendre  aussi  k  d'autres  ordres  religieux  dont 
l'action  est  dangereuse  pour  l'Etat,  ou  trouble  la 
paix  entre  les  confessions.  Il  est  interdit  de  fon- 
der de  nouveaux  couvents  ou  ordres  religieux  et 
de  rétablir  ceux  qui  ont  été  supprimés.  L'état  civil 
et  la  tenue  des  registres  qui  s'y  rapportent  est  du 
ressort  des  autorités  civiles.  Le  droit  de  disposer 
des  lieux  de  sépulture  appartient  à  l'autorité  civile. 
Autorités  fédérales.  —  Le  pouvoir  ti'gislatif  fé- 
déral est  exercé  par  l'Assemblée  fédérale,  qui  est 
divisée  en  deux  Cliambros  : 

1°  Le  Conseil  national,  représentant  la  nation 
dans  son  ensemble,  et  qui  se  compose  de  députés 
élus  pour  trois  ans  directement  par  le  peuple, 
dans  la  proportion  d'un  député  pour  20uOO  âmes 
de  population  (tout  Suisse  âgé  de  20  ans  est 
électeur,  tout  électeur  laïque  est  éligible)  ; 

2"  Le  Conseil  des  Etats,  nommé  par  les  can- 
tons, qui,  sans  égard  à  leur  étendue,  y  sont  tous 
également  représentés  par  deux  membres.  Dans 
plusieurs  cantons,  les  députés  au  Conseil  des 
Etats  sont  nommés  par  le  Grand  Conseil  canto- 
nal, dans  d'autres  directement  par  le  peuple; 
chaque  canton  détermine  la  durée  du  mandat  de 
ses  dépuiés. 

Les  attributions  et  compétences  de  chacune  de 
ces  deux  Chambres  sont  exactement  les  mômes  : 
il  faut  leur  accord  pour  l'adoption  do  toute  loi  ou 
mesure  législative  quelconque.  Outre  les  attribu- 
tions de  tout  pouvoir  législatif,  les  Chambres  ont 
seules  le  droit  de  disposer  de  l'armée  fédérale, 
de  déclarer  la  guerre  ou  de  conclure  la  paix.  Pour 
les  élections  constitutionnelles,  savoir  l'élection 
du  Conseil  fédéral  et  du  chancelier,  du  tribunal 
fédéral,,  du  général  en  chef  de  l'armée,  ainsi  que 
pour  l'exercice  du  droit  de  grâce  et  les  conflits  de 
compétence  entre  autorités  fédérales,  les  deux 
Chambres  se  réunissent  en  Assemblée  fédérale, 
sous  la  présidence  du  président  du  Conseil  na- 
tional. 

Le  pouvoir  exi-CKtif  fédér.tl  est  exercé  par  le 
Conseil  fédéral,  composé  de  sept  lueiubres,  nom- 
més par  l'Assemblée  fédérale  puur  trois  an»,  parmi 


les  citoyens  éligibles  au  Conseil  national.  On  ne 
peut  choisir  plus  d'un  membre  du  Conseil  fédéral 
dans  le  môme  canton.  Le  président  et  le  vice- 
président  de  la  Confédération  sont  nommés  pour 
un  an,  par  l'Assenrblée  fédérale,  entre  les  mem- 
bres du  Conseil  fédéral.  Ils  ne  sont  pas  immédia- 
tement rééligibles. 

Le  siège  du  gouvernement  et  des  Chambres  est 
h  Berne,  où  sont  également  fixés  le  Bureau  inter- 
national de  l'Union  postale  universelle  et  celui  de 
l'Union  télégraphique. 

Le  pouvoir  judiciaire  fédéral  est  confié  au  tri- 
liunal  fédéral,  (|ui  siège  â  Lausanne  :  il  se  com- 
pose de  neuf  membres  et  d'autant  de  suppléants, 
nommés  pour  six  ans  par  l'Assemblée  fédérale. 
Lfs  trois  langues  y  sont  représentées.  Son  pré- 
sident et  son  vice-président  sont  désignés  ppur 
deux  ans  par  l'Assmiibléo  fédérale.  Ses  attribu- 
tions, en  matière  civile,  sont  en  général  les  diffé- 
rends entre  la  Confédération  et  les  cantons,  ceux 
entre  les  cantons,  les  procès  contre  la  Confédéra- 
tion si  la  valeur  du  litige  atteint  3  000  fr.;  ceux  qui 
se  rattachent  h  l'application  des  lois  fédérales.  Il 
connaît  des  conflits  de  compétence  entre  les  au- 
torités fédérales  et  les  autorités  cantonales,  et  des 
différends  entre  cantons  en  matière  do  droit  pu- 
blic, ainsi  que  des  recours  dos  citoyens  pour  la 
violation  de  droits  constitutionnels.  Il  statue  sur 
les  demandes  d'extradition  formulées  par  les  gou- 
vernements éti-angers.  En  matière  pénale  il  con- 
naît, avec  l'assistance  d'un  jury,  des  crimes  et 
délits  politiques  qui  sont  la  cause  ou  la  suite  de 
troubles  ayant  occasionné  une  intervention  fédé- 
rale et  en  général  de  tous  les  crimes  et  délits 
prévus  par  le  code  pénal  fédéral. 

Référendum  et  revision  de  la  Constitution.  — 
Les  lois  volées  par  les  Chambres  sont  soumises  à 
l'adoption  ou  au  rejet  du  peuple,  si  la  demande  en 
est  faite  par  30  000  citoyens  actifs  ou  par  8  can- 
tons. Il  en  est  de  même  des  arrêtés  fédéraux  qui 
sont  d'une  portée  générale  et  qui  n'ont  pas  un 
caractère  d'urgence. 

La  constitution  fédérale  peut  être  revisée  en 
tout  temps.  Lorsqu'une  des  Chambres  décrète 
cette  revision  et  que  l'autre  Chambre  n'y  consent 
pas,  ou  bien  lorsque  60  nOO  citoyens  actifs  la  de- 
mandent, la  quesiion  est  soumise  au  peuple  ;  s'il 
se  prononce  pour  l'alfirmative,  les  deux  Chambres 
sont  renouvelées  pour  procéder  à  la  revision.  La 
constitution  revisée  doit  être  soumise  à  l'.iccepta- 
tion  du  peuple  dans  son  ensemble  et  à  celle  de 
chacun  des  cantons.  Le  résultat  de  la  votation 
populaire  dans  chaque  canton  est  considéré  comme 
le  vote  de  l'État.  Il  faut  donc,  pour  que  la  coiisti- 
tution  nouvelle  soit  valablement  acceptée,  qu'elle 
ait  réuni  non  seulement  la  majorité  des  suf- 
frages de  l'ensemble  des  votants,  mais  encore 
la  majorité  des  suffrages  dans  la  moitié  des  can- 
tons plus  un. 

Ori/anisation  militaire.  —  Tout  Suisse  est  tenu 
au  service  militaire  depuis  l'âge  de  19  ans  révo- 
lus jusqu'à  lâge  de  44  ans  révolus.  Les  militaires 
qui,  par  suite  du  service  fédéral,  perdent  leur 
vie  ou  voient  leur  santé  altéré«  d'une  manière 
permanente,  ont  droit  à  des  secours  de  la  Confé- 
dération pour  eux  ou  pour  leur  famille,  s'ils  sont 
dans  le  besoin.  Les  hommes  exemptés  du  service 
pour  une  cause  quelconque  sont  soumis  à  une 
taxe  militaire  annuelle,  dans  la  fixation  de  laquelle 
il  est  tenu  compte  de  leur  fortune  ou  de  leurs 
ressources.  Chaque  soldat  reçoit  uratuitement  ses 
premiers  effets  d'armement,  d'équipement  et  d'ha- 
billement; les  armes  restent  entre  les  mains  du 
soldat. 

Les  enfants,  depuis  l'âge  de  10  ans  jusqu'il  leur 
sortie  de  l'école  priiuaire,  doivent  suivre  des 
cours  de  gymnastique  préparatoire  au  service  mi- 
litaire,   qui  sont   suivis   en   outre  par  tous  les 


SUISSE 


2088 


SUISSE 


jeunes  gens  jusqu'à  l'âge  de  20  ans:  pour  les  deux  I  Zurich  entretiennent  chacun  une  université, 
dernières  années,  la  Confédération  peut  y  join-  Vaud  et  Neuchâtel  une  académie.  La  plupart  des 
dre  des  exercices  de  tir.  Dans  la  règle,  ces  cours    cantons  ont  des  écoles  secondaires  et  supérieures 


sont  donnés  par  les  instituteurs  qui  reçoivent 
l'instruclion  nécessaire  à  cet  effet.  A  1  Ecol«  poly- 
teclinique  fédérale  ont  lieu  des  cours  spéci.nix 
pour  l'enseignement  des  sciences  militaires.  L'ins- 
truction des  recrues  dure  de  45  à  61)  jours  suivant 
l'arme.  Chaque  corps  est  appelé  tous  les  deux  ans 
à  un  cours  de  répétition  de  i4  à  IS  jours,  et  toutes 
les  années  à  une  inspection  ou  h  un  service  de  tir, 
puis  de  temps  à  autre  à  un  rassemblement  de 
troupes.  Il  se  tient  en  outre  chaque  année  de 
nombreuses  écoles  spéciales  pour  l'instruction  des 
sous-officiers  et  des  officiers.  L'armée  est  formée 
de  8  divisions,  subdivisées  en  brigades,  régiments 
et  compagnies.  Au  1"  janvier  18sl,  l'efTectif  de 
l'armée  était  le  suivant  : 

Elite  (de  20  à  32  ans). 

Etat-major 770 

IllCanterie 'H  ^-7 

Artillerie 10  371 

Génie 1371 

Cavalerie -  y70 

Troupes  sanitaires 1  :»;jS 

Troupes  d'administration 'i'-'O 


Lœfidwehr  (de  32  à  -W  an? 


Etat-major » 

Infanterie 

Artillerie 

Génie 

Cavalerie 

Troupes  sanitaires.. . . 
Troupes  d'admiui9trati( 


On  ne  nomme  un  général  en  chef  qu'en  cas  de 
mise  sur  pied  de  guerre  de  plusieurs  divisions; 
ses  fonctions  ne  durent  que  jusqu'au  licencie- 
ment des  troupes. 

l'iiiances.  —  Les  recettes  de  la  Confédération 
ont  été  en  1S80  de  fr.  43  511  84.S  ;  les  dépenses,  de 
fr.  41  038  22s  ;  excédent  des  recettes  fr.  1  473  G20. 
Les  principales  recettes  sont  :  taxe  militaire, 
fr.  1  i20  OOU  (ce  n'est  que  la  moitié  de  la  taxe,  dont 
les  cantons  reçoivent  l'autre  muitié;  :  péages, 
fr.  17  211482;  postes.fr.  155134.30;  télégraphes, 
fr  2  373  54(i.  Les  principales  dépenses  ont  été  :  tra- 
vaux publics,  fr.  2  6i7  667  ;  militaire,  fr:  14  151  49S  ; 
postes,  fr.  13  501574;  télégraphes,  fr.  1  812  COG. 

Les  cantons.  —  Les  cantons  ontconservé  toutes 
lesattributions  du  pouvoir  public  ot  toutes  les  bran- 
ches de  l'administration  qui  n'ont  pas  été  absor- 
bées par  la  Confédér.ition.  Chacun  d'eux  est  un 
petit  Etat  avec  sa  constitution  et  sa  législation  par- 
ticulières, son  pouvoir  législatif  ouCrand  Conseil, 
élu  par  le  peuple  ;  son  pouvoir  exécutif  ou  Conseil 


pour  les  deux  sexes  ;  Genève,  Neuchâtel  et  Zurich 
ont  un  observatoire  astronomique,  et  Berne  un 
observatoire  physique  et  météorologique.  L'in- 
struction primaire,  très  développée  dans  la  plu- 
part des  cantons,  laisse  à  désirer  dans  d'autres  : 
les  examens  que  l'on  fait  subir  annuellement  aux 
recrues  fournissent,  h  cet  égard,  un  contrôle  pré- 
cieux. Dans  chaque  localité  l'administration  et 
l'organisation  des  écoles  sont  confiées  à  une  com- 
mission d'éducation,  nommée  soit  directement  par 
les  électeurs,  soit,  dans  les  grands  centres,  par 
les  autorités  de  la  commune. 

Les  dépenses  des  cantons  en  187G  ont  été  de 
fr.  43972357,  dont  11065  751  pour  les  travaux  pu- 
blics ;  S  232  985  pour  l'instruction  ;  2  81)5  971  pour 
les  cultes;  2  159  779  pour  l'assistance  publique; 
3  673  6.')2  pour  la  législation  et  l'administration  ; 
2  779  606  pour  les  tribunaux  ;  2  fi955i;i  pour  la  po- 
lice ;  1  077  387  pour  les  établissements  péniten- 
tiaires ;  2  16103:i  pour  le  militaire.  Les  dépenses 
sont  couvertes  par  le  produit  de  la  fortune  des 
cantons,  des  régales,  et  des  impôts  que  chacun 
d'eux  fixe  comme  il  l'entend. 

Deux  cantons,  Fribourg  et  Tessin,  sont  des  dé- 
mocraties purement  représentatives,  où  le  peuple 
délègue  tous  ses  pouvoirs  à  un  Grand  Conseil. 
Dans  les  autres,  la  participation  du  peuple  à  la 
législation  s'exerce  sous  les  formes  suivantes  : 
1°  l.andsgemeinden  : 

Le  peuple  entier,  réuni  en  assemblée  générale  sur 
la  place  publique  délibère  et  vote  sur  les  lois,  et 
nomme  les  magistrats  et  fonctionnaires  :  Uri, 
Obwald,  Nidwald,  Claris  et  les  deux  Appenzell. 
2°  Référendum  obligatoire  : 
Toutes  les  lois  et  les  arrêtés  législatifs  sont 
soumis  au  vote  du  peuple  :  Zurich,  Berne, 
Schwytz,  Soleure,  Bâle-Campagne, Grisons,  Argovie 
et  Thurgovie. 

3°  Référendum  facultatif  : 
Toute  loi  ou  arrêté  doit  être  soumis  \  la  sanc- 
tion du  peuple,  si  un  certain  nombre  de  citoyens 
le  demande,  ou  si  le  Grand  Conseil  le  décide: 
Lucerne,  Zoug,  Bàle-ViUe,  Schaffhouse,  Saint-Ga!l, 
Neuchâtel  et  Genève. 
4°  Référendum  financier  : 

Les  dépenses   extraordinaires  doivent  être  sou- 
mises au  peuple  :  Vaud  et  Valais. 
5"  Initiative  : 

lîn  nombre  déterminé  d'électeurs  peut  deman- 
der l'élaboration,  la  modification  ou  l'abrogation 
d'une  loi  ;  la  question  doit  être  soumise  au  peuple  : 
Zug,  Zurich,  Scliwytz,  Soleure,  Bâle-Villo,  Bâle- 
Campagne,  Argovie,  Thurgovie,  Vaud  et  Schaff- 
house. 
6°  Droit  de  révocation  : 

Le  peuple  a  le  droit  de  révoquer  en  tout  temps 
ses   autorités    (pouvoir  législatif  et   exécutif)  ;  la 


d'Etat,  tantôt  élu    par   le  peuple,   tantôt  nommé 

par    le    Grand  Conseil  ;    son    pouvoir  judiciaire,  1  question    est    soumise    à  la   votation    populaire, 

dont  les  membres  sont,    dans   certains  cantons,  |  si  un  certain  noiiibre  de  j;itoyens  1      ' ''"  " 

tous  élus  par  le  peuple,  dans  d'autres,  nommés 
en  partie  par  le  Grand  Conseil.  Comme  trois 
cantons,  Appenzell.   Bâle    et   Untervvald,  forment 


mande 
np:ignc,  Schaff- 


cliacun  deux  demi-cantons  (Appenzell  Rhodes-In- 
térieures et  Rhodes-Extérieures  ;  Bàle-Ville  et 
Eâlo-Campagne  ;  Cbwald  et  Nidwald),  il  n'y  a  pas 
en  Suisse  moins  de  25  Etats,  avec  autant  de  rpua- 
ges  politiques  et  administratifs  complets,  sans 
compter  la  Confédération. 

Les  principales  branches  d'activité  des  cantons 
sont  : 

La  législation  pénale  et  civile  (cette  dernière 
sauf  les  parties  remises  à  la  Confédération)  et  l'ad- 
ministration de  la  justice,  la  police,  les  travaux 
publics,  les  cultes,  etc.  ; 

L'instruclion  publique  :  Bâlo,  Berne,  Genève  et 


Berne,  Lucerne,  Soleure,  Bâie-Can 
house,  Argovie  et  Thurgovie. 

Chaque  commune  est  organisée  en  petit  comme 
l'Etat  :  démocratie  pure  ou  représentative  ;  le 
pouvoir  délibérant  est  exercé  tantôt  par  l'assem- 
blée des  électeurs  municipaux,  tantôt  par  un  con- 
seil général  élu  ",  l'administration  municipale  est 
remise  dans  certains  cantons  aux  mains  d'un 
syndic  ou  d'un  président  de  commune  élu,  dans 
les  autres  à  celles  d'un  conseil  municipal  élu  par 
le  conseil  général  ou  par  rassombloo  communale. 
[Euuène  Bcrel.] 

SUISSK    (histoibe).  —  Histoire  générale,  .\XII. 

—  I.  Des  origines  jusq^.  "à   l'invasion  ç,erinain©. 

—  l'u/u/uliOUf    iiiclu.ylcrtques,    —    Il    n'ist    pas 
possible  de  déterminer  à  quelle  époque  le  pays 


SUISSE 


—  2089  — 


SUISSE 


que  l'on  nomnio  aujourd'lini  la  Suisse  a  été  peu- 
plé, mais  les  reclierches  faites  depuis  un  quart  de 
siècle  par  les  antliropologistes  semblent  établir 
qu'il  est  habité  depuis  lo  moment  où  la  race 
liuuKiinc  commença  b.  paraître  en  Hurope.  Outre 
les  vestiges  de  l'existenco  de  l'Iiommo  durant  la 
période  glaciaire  (ustensiles  et  armes  en  pierre, 
en  silex,  en  os  et  en  corne),  qui  ont  été  recueillis 
dans  des  cavernes,  où  ils  se  trouvaient  enfouis 
avec  des  ossements  d'animaux  (mammoutli,  ours, 
renne,  rljinocéros,  etc.),  on  a  découvert  dans  pres- 
que tous  les  lacs  de  la  Suisse  de  très  anciens  éta- 
blisscnieiits  bâtis  sur  pilotis,  qui  démontrent  l'exis- 
tence dans  les  âges  préhistoriques  d'une  population 
nombreuse  déjà  et  parvenue  i  un  certain  degré 
de  civilisation.  On  admet  généralement  qu'elle 
appartenait  à  la  race  indo-européenne  l't  était  un 
rameau  de  la  grande  souclio  gallo-celtique,  qui, 
avant  d'être  repoussée  par  les  Romains  et  les 
tribus  germaniques,  habitait  presque  tout  l'Ouest 
et  le  centre  de  l'Europe., 

Lei   Helvètes.  —  C'est  seulement  à  partir    du 
u=   siècle  avant  J.-C.    que  les  géographes  et  les 
historiens  commencent  à  faire  mention  des  Celtes 
de    la    Suisse.    Une     multitude    de    peuplades 
diverses  occupaient  alors  le  pays  :  les  Allobroges 
(dans  le  canton  de  Genève),  les  Séquanes  (à  Neu- 
cliâtel  et  le  long  du  lac  de  Bienne) ,  les  Rauraques 
(à  Bâle)  ;  puis,  dans  le  massif  des  Alpes  grisonnes, 
jusqu'aux  lacs  de  Zoug,  de  Zurich  et  de  Constance, 
les   Rhétiens,  ancêtres   suivant  les   uns,  descen- 
dants suivant  les  autres,  des  Étrusques  d'Italie  ; 
dans    les  Alpes   valaisanes,  des  tribus   d'origine 
inconnue,  les  Bibères,   les  Péragres,  les  Manto- 
nans  et  les  Séduniens  ;  enfin  la  plus  importante 
•de  ces  peuplades,   les    Helvètes,  qui   ont  donné 
leur  nom  à  l'Helvétie  et  qui  occupaient  la  Suisse 
centrale    et    l'Allemagne     méridionale    jusqu'au 
Mein.  Lors  de  la   grande  migration    des  peuples 
gr'rmaniques,  les  Helvètes  se  joignirent  aux  (tim- 
bres et  aux  Teutons  et  ravagèrent  avec  eux  pendant 
plusieurs   années   le  midi  de  la  Gaule  et  lo  nord 
de  l'Italie.  Sous  la   conduite  de  leur  jeune  chef 
Divicun,  ils  défirent  complètement,  près  d'Agen 
sur  la  Garonne  (107  ans  avant  J.-C),  une  armée 
romaine  commandée  par  le  consul  L.  Cassius  et 
son  lieutenant  Pison,  aïeul  de  la  femme  de  César, 
€t  firent  passer  les    légionnaires  sous   le   joug. 
Après  l'extermination  des  Cimbres  par  Marius,  les 
Helvètes  rentrèrent  dans  leur  pays.  Ils  en  sortirent 
environ  cinquante  ans  plus  tard,  sous  la  conduite 
du  môme  Divicon,  après  avoir  incendié  leurs  villes 
et  leurs  villages,  pour  aller  chercher  en  Gaule  des 
cieux  plus  cléments  et  un  sol  plus  fertile.  César 
raconte,   dans  le   premier  livre  de  ses  Commen- 
.  taires,  comment  il  réussit   à  les  arrêter  et  com- 
ment il  vengea  l'honneur  des  armes  romaines  en 
détruisant   à   liibracte  (Mont-Beuvrais,   à  l'ouest 
d'Autun,  5S  ans  avant  J.-C.)  la  plus  grande  partie 
do   la  nation  helvète.  Les    survivants,  au  nombre 
d'environ  lO'J  000,  furent  renvoyés  dans  leur  pays 
pour   défendre,    comme    alliés    des   Uomains,   la 
fiontière  du  Rhin  contre  les  Germains.  Quelque 
temps  après,  les  habitants  du  Valais  furent  soumis 
par  un  lieutenant  de  César,  et  quarante  ans  plus 
tard  les  sauvages  Rhétiens,  ayant  été  à  leur  tour 
réduits  par  Dj-usus  et  Tibère,  tous   les  pays  qui 
constituent  la  Suisse  actuelle  reconnurent  la  do- 
mination romaine. 

L'Helvétie  sous  les  Bomains.  —  L'Helvétie  fut 
bieniûi  soumise  au  même  régime  que  les  autres 
provinces  de  I  empire.  De  nombreuses  colonies  y 
apportc'i'ent  la  lang'  e,  la  religion,  les  mœurs  et 
la  civih^aiion  des  Romains.  L'agriculture  se  per- 
feclio|iii-j,  un  l'éscau  de  routes  sillonna  le  pays, 
le  reliant  avec  la  méiropole  par  de  nombreux  pas- 
sages à  travers  lus. Alpes.  Des  cités  opulentes 
étalèrent  le  luxe  des  maîtres  de  l'univers,  tandis 


que  des  flottilles  sur  les  lacs  et  une  série  de 
forteresses  assuraient  la  défense  des  frontières  de 
l'empire.  Le  chef-lieu  de  l'Helvétie  était  Aventi- 
cum  (Avenches),  au  bord  du  lac  de  Morat.  Cette 
ville,  où  siégeait  un  sénat,  avait  un  amphithéâtre, 
un  théâtre,  un  arc  de  triomphe,  une  école  publi- 
que d'athlètes,  des  corps  de  métiers,  et  une 
académie  avec  des  professeurs  romains.  La  prin- 
cipale place  d'armes  était  Vindonissaj  au  confluent 
de  l'Aar,  de  la  Reuss  et  de  laLimmat. 

Pendant  deux  ou  trois  siècles  l'histoire  de  l'Hel- 
vétie se  confond  avec  celle  de  l'empire  romain, 
dont  elle  partage  le  sort,  en  proie  aux  exactions 
de  toute  nature  sous  les  mauvais  empereurs,  dé- 
chirée parla  guerre  civile  dans  les  luttes  de  com- 
pétition au  trône,  et,  après  avoir  joui  sous  Ves- 
pasien  (originaire  d'Aventicum)  et  ses  successeurs 
de  80  années  de  tranquillité  et  de  prospérité,  li- 
vrée aux  incursions  des  Germains,  qui  portaient 
partout  le  pillage,  l'incendie  et  la  dévastation.  A 
la  fin  de  cette  période,  la  population  indigène 
s'était  si  bien  amalgamée  avec  l'élément  romain 
que  le  nom  même  des  Helvétiens  disparaît  de 
l'histoire. 

Intrncludion  du  chrislianisme.  —  Il  est  proba- 
ble que  la  religion  chrétienne  pénétra  parmi  les 
Helvétiens  dès  les  premiers  siècles  do  l'Eglise, 
comme  dans  les  autres  provinces  de  l'empire. 
Bientôt  il  y  eut  des  évêchés  dans  les  grandes 
villes,  Aventicum,  Genève,  Vindonissa,  Coire,  etc. 
La  nouvelle  croyance  fut  surtout  propagée  par  les 
soldats  des  légions  qui,  si  l'on  en  croit  la  tradi- 
tion, fournirent,  pendant  les  persécutions  des 
empereurs  romains,  de  nombreux  martyrs,  saint 
Maurice  et  la  légion  thébaine  à  Saint-Maurice, 
Ursus  et  Victor  à  Soleure,  qui  payèrent  de  leur 
vie  leur  refus  de  sacrifier  aux  dieux. 

Les  inviisions  —  A  partir  de  la  seconde  moitié 
du  11°  siècle,  l'Helvétie  fut  atteinte  par  les  gran- 
des invasions  d'outre-Rhin  qui  sont  le  trait 
dominant  de  cette  époque.  La  lutte  dura  près  de 
trois  siècles,  durant  lesquels  les  pays  qui  forment 
la  Suisse  actuelle  furent  tour  â  tour  saccagés  par 
les  envahisseurs,  à  tel  point  que  cette  contrée 
naguère  si  florissante  est  appelée  par  les  géogra- 
phes contemporains  :  «  le  désort  des  Helvétiens.  n 
Au  commencement  du  y"  siècle,  les  Allemanes, 
dont  la  première  incursion  en  Helvétie  re- 
monte à  l'an  IGÎ  de  l'ère  actuelle,  s'établirent 
dans  la  zone  située  entre  le  Neckar  et  l'Aar,  qui 
comprend  le  nord  et  l'est  de  ce  pays  ;  les  Bur- 
gondes  occupèrent  celle  qui  s'étend  du  Jura  à. 
la  Méditerranée,  puis  de  l'Aar  jusqu'aux  sour- 
ces du  Rhône,  et  comprend  l'Helvétie  occidentale; 
les  Ostrogoths  s'emparèrent  de  l'Italie  supérieure 
et  de  la  Rhétie.  C'est  là  le  point  de  départ  de  la 
diversité  de  langue  et  de  nationalité  qui  caracté- 
rise encore  aujourd'hui  les  populations  réunies 
sous  le  nom  de  Confédération  suisse.  Les  AUe- 
manes  prirent  possession  du  territoire  en  conqué- 
rants ;  ils  exterminèrent  ou  soumirent  les  habi- 
tants et,  anéantissant  les  derniers  vestiges  de  la 
civilisation  romaine,  conservèrent  intacts  leurs 
coutumes  et  leur  langage.  Les  Ostrogoths  ne 
laissèrent  pas  de  traces  durables  de  leur  passage 
dans  la  Rhétie,  où  leur  langue  s'efl"ara  complète- 
ment devant  les  idiomes  d'origine  italique  qui 
sont  encore  parlés  dans  l'Oborland  grison  et  dans 
l'Engailine.  Les  Burgondcs,  déjà  convertis  au 
christianisme  arien,  avaient  été  reçus  en  Helvétie 
comme  un  peuple  ami  ;  ils  s'allièrent  aux  popu- 
lations indigènes,  auxquelles  ils  finirent  par  faire 
accepter  leurs  lois,  mais  dont  ils  adoptèrent  le 
langage.  C'est  du  mélange  de  lenr  langue  avec 
celle  des  Romains  que  sont  résultés  les  divers 
patois  de  la  Suisse  romande  ou  fi'ançuise. 

H.    La  Suisse  au  moyen  âge.   —    domination 
fmnque.  —   A    la    fin  du  v"   siècle    et   dans   la 


SUISSE 


2090  — 


SUISSE 


première  moitié  du  vi'^,  les  victoires  de  Clovis 
et  de  ses  successeurs  sur  les  Burgoiides,  sur  les 
A  llemanes  et  les  Oslrogotlis  firent  passer  sous  la 
domination  des  Francs  les  diverses  races  du  sol 
helvétique. 

Sous  les  Mérovingiens,  à  l'occasion  des  nom- 
breux partages  qui  eurent  lieu  dans  l'empire  des 
Francs,  le  nord  et  l'est  de  l'Helvétie  apparte- 
naient habituellement  au  royaume  d'Austrasie. 
et  l'ouest   au  royaume  de  Bourgogne  ;  de  là  des 


traits.  Berne,  Zûricli,  Fribourg,  Soleure,  Schaff- 
house  et  d'autres  villes  moins  importantes  obtin- 
rent à  cette  occasion  d'être  déclarées  villes  impé- 
riales. 

Luîtes  des  Walifstûsltfii  avec  la  m'iisnn  d'Au- 
ti-i'  he.  —  Les  Waldstaeiten  ou  localités  forestières 
(Uri,  Scliwytz,  Unterwald)  obtinrent  aussi  en  1240 
des  lettres  de  franchise;  mais  celles-ci  ne  furent 
pas  reconnues  par  l'empereur  Rodolphe  de  Habs- 
bourg, dont  la  maison  avait  exercé  la  charge  d'a- 


luttes  fréquentes  entre  les  deux  races  allemande    voué  de  l'empire  sur  ces  pays,  et  qui   prétendait 


et  romane.  Pendant  cette  période,  les  contrées 
habitées  par  les  Allemanes  furent  converties  au 
christianisme.  Parmi  les  missionnaires  (|ui  contri- 
buèrent à  le  propager,  on  cite  Fridolin.  patron 
de  Claris,  Gallns,  qui  a  donné  son  nom  à  Saint- 
Gall,  et  Coloraban,  tous  trois  venus  d'Irlande.  On 
leur  doit  la  création  de  nombreux  monastères, 
dont  les  habiianis,  voués  à  la  fois  au  défrichement 
des  terres  et  à  la  culture  des  lettres,  furent  pen- 
dant un  certaiii  temps  les  pionniers  de  la  civili- 
sation. C'est  également  à  la  domination  franque 
que  remonte  l'établissement  en  Suisse  du  régime 
féodal.  Sous  les  premiers  Carlovingiens  et  notam- 
ment sous  Charlemagne,  le  pays  participa  au 
mouvement  civilisateur  que  le  grand  empereur 
avait  imprimé  à  ses  immenses  Etats,  et  jouit  des 
bienfaits  de  la  paix  ;  mais  à  sa  mort,  il  fut  partagé 
entre  ses  successeurs.  La  Suisse  alleniande  ac- 
tuelle, avec  la  Rhétie  de  Coire,  échut  à  Louis  le 
Cermanique,  tandis  que  la  Suisse  occidentale  et 
le  Valais  furent  dévolus  à  Lothaire  (traité  de 
Verdun,  843).  Après  avoir  appartenu  depuis  8T.I 
à  la  Bourgogne  ci^jurane  ou  royaume  d'Arles,  ces 
dernières  provinces  devinrent,  sous  Rodolphe  1'' 
de  Siraettlingen,  le  noyau  de  la  Bourgogne  trans- 
jurane;  mais  le  dernier  roi  de  Bourgogne,  Rodol- 
phe III,  ayant  transmis  la  totalité  de  ses  Etats  à 
l'empereur  Conrad  II  le  Salique,  l'Helvétie  romane 
se  trouva,  en  10:U,  réunie  de  nouveau  avec  l'AUe- 
manie  et  la  Rhétie  sous  le  sceptre  des  empereurs 
d'Allemagne. 

L'Helvétie  soiis  les  premiers  empereurs  alle- 
man'ls.  —  L'histoire  du  Saint-Ecnpire  romain 
d'Allemagne,  à  celte  époque  et  dans  les  quelques 


les  traiter  comme  une  possession  héréditaire  de 
sa  famille.  A  la  mort  de  cet  empereur,  Uri, 
Schwytz  et  Unterwald,  redoutant  l'ambition  de 
son  lils  Albert,  chef  de  la  maison  d'Autriche, 
conclurent  (T'  août  i2;ll)  une  alliance  perpétuelle, 
type  de  toutes  celles  qui  suivirent.  Ils  s'enga- 
geaient à  s'assister  contre  quiconque  ferait  vio- 
lence à  l'un  d'entre  eux,  à  n'accepter  aucun  juge 
qui  eût  acheté  son  emploi,  qui  ne  fûl  pas  du  pays 
ou  n'y  habiiàt  pas,  à  s'en  remettre  pour  toutes  les 
contestations  entre  confédérés  à  la  décision  d'un 
tribunal  arbitral  composé  des  hommes  les  plus 
expérimentés.  Tel  fut  le  fondement  do  la  Confé- 
dération suisse  ;  elle  n'avait  pas  pour  but  d'acqué- 
rir de  nouveaux  droits,  mais  de  protéger  des 
droits  existants. 

A  son  avènement  au  trône  impérial  .  (1298), 
Albert  d'Autriche  ne  confii'ma  pas  les  franchises 
des  Waldst.ftten,  et,  sans  s'arroger  ouvertement 
la  souveraineté,  il  attribua  à  la  maison  d'Autriche 
le  choix  des  baillis  impériaux.  Ces  officiers  affec- 
tèrent d'agir  au  nom  de  l'Autriche  et  exaspérèrent 
la  population  par  leur  conduite  tyrannique.  L'al- 
liance de  1291  fut  renouvelée  au  Giûili,  les  baillis 
furent  chassés  en  1308  et  leurs  châteaux  détruits. 

Le  peuple  suisse  vénère  encore  dans  les  héros 
de  cette  époque,  Guillaume  Tell,  Walther  Filrst, 
Melchthal  et  Stauffacher,  les  fondateurs  de  son 
indépendance  et  de  sa  liberté. 

Le  successeur  d'Albert,  l'empereur  Henri  VII 
de  Luxembourg,  confirma  les  franchises  des 
"Waldstselten  et  leur  accorda  le  privilège  de  ne 
pouvoir  être  cités  devant  ancun  autre  tribunal 
que  celui  de  l'empire.  Dans  la   guerre  de  comp  ' 


siècles  qui  suivent,  offre  le  spectacle  d'une  lutte  ,  tition  entre  Louis  de  Rivière  et  Frédéric  le  Beau, 
permanente  entre  les  divers  éléments  de  la  so-  duc  d'Autriche,  les  Waldstœttcn  prirent  parti 
ciété    féodale.     En    Suisse    particulièrement,    les  ,  pour  le  premier.  I.éopold  d'Autriche  les  ayant  en 


comtes  reconnaissaient  bien  nominalement  l'auto 
rite  de  l'empereur,  mais  de  fait  ils  se  compor- 
taient en  seigneurs  indépendants,  prenaient  le 
nom  de  leurs  châteaux,  et  obligeaient  les  liommes 
libres  du  voisinage  à  leur  rendre  hommage.  Une 
foule  de  petits  dynastes,  toujours  en  guerre  les 
uns  avec  les  autres  pour  agrandir  leurs  posses- 
sions et  leurs  usurpations,  ravageaient  le  pays 
et  opprimaient  les  populations.  Pendant  la  guerre 
des  investitures,  l'empereur  Henri  IV,  qui  iprou- 
vait  le  besoin  de  se  faire  des  partisans,  remit  en 
fief  la  Suisse  allemande  au  duc  de  Zœhringen, 
qui  ne  tarda  pas  à  y  joindre  le  rectorat  de  la 
Bourgogne  helvétique.  Sous  l'administraiion  des 
Zsehringen.  le  peuple  vit  des  jours  plus  heu- 
reux. Ils  tinrent  la  noblesse  en  respect,  favorisè- 
rent les  villes,  en  créèrent  plusieurs,  entre  autres 
Fribourg  (W; 8 1  et  Borne  (1191),  et  développèrent 
l'industrie  et  le  commerce.  Les  croisades  com- 
mençaient aussi  à  débarrasser  le  pays  de  quel- 
ques-uns de  ses  tyranneaux,  et  fournissaient  aux 
communautés  et  aux  individus  l'occasion  d'acqué- 
rir des  libertés  et  des  franchises.  A  l'extinction 
des  ducs  de  Zaeliringen  (1218),  le  rectorat  de 
Bourgogne  fit  retour  à  l'empire,  ainsi  que  les 
fiefs  impériaux  qu'ils  possédaient  dans  la  Suisse 
orientale.  L'empereur  Frédéric  II  se  garda  bien 
de  leur  donner  un  successeur;  il  se  hâta  au  con- 
traire de  replacer  soi;s  l'autorité  immédiate  de 
l'empire  les  villes  et  pays  qui  en  avaient  été  dis- 


vahis  à  la  tête  d'une  nombreuse  année,  ils  la 
taillèrent  en  pièces  à  Morgarten  (Ifi  novembre 
1315),  et  renouvelèrent  le  9  décembre  de  la  même 
année  à  Brnnnen  leur  alliance  perpétuelle. 

Ce  traité,  dont  une  disposition  nouvelle  portait 
qu'aucune  des  parties  contractantes  n'accepterait, 
sans  l'assentiment  des  autres,  la  souveraineté 
d'un  prince  étranger,  fut  approuvé  par  l'empe- 
reur Louis  de  Bavière,  qui  confirma  les  chartes 
de  ses  prédécesseurs,  et  affranchit  les  serfs  et  les 
terres  que  la  maison  d'Autriche  possédait  dans  les 
trois  pays. 

Ligue  îles  VIIl  cantom.  Anêantissemetit  de  la 
puissance  de  l'Autriche  en  Suisse.  —  En  1332  la 
ville  de  Lucerne  entra  dans  l'alliance;  celle-ci 
s'accrut  encore  en  I3.il  de  Zurich,  en  1352  de 
Claris  et  de  Zoug,  et  l'année  suivante  de  Berne, 
qui  avait  déjà  consolidé  son  indépendance,  en 
anéantissant  sur  le  champ  de  bataille  de  Laupen 
(133tl)  une  partie  de  la  noblesse  bourguignonne 
liguée  contre  elle.  Après  les  luttes  pour  l'indé- 
pendance contre  la  maison  d'.\utricho,  qui  furent 
signalées  dans  le  xiV  siècle  par  les  batailles  de 
Serapach  (Ujuil.  13SG)  et  de  NœfeU  (0  avril  13S8), 
les  confédoiés  entreprirent  dans  le  siècle  suivant 
des  guerres  de  conquêtes.  En  Ulii  ils  enlevèrent 
le  pays  d'Argovi.e  à  l'archiduc  Frédéric,  mis  au 
ban  de  l'Eglise  et  de  l'empire  par  lo  concile  de 
Constance  et  en  firent  un  pays  sujet  sous  le  nom 
de  «  bailliage  commun  ». 


SUISSE 


—  2091  — 


SUISSE 


Lo  partage,  do  la  succession  du  dernier  comte 
do  Togïenbuurp;,  morl  sans  enfants,  donna  liou  i 
une  longue  guerre  civile  (I  i.l(;-l4r>l)),  la  ville  de 
Zurich  ayant  jefusé  de  se  soumettre  à  un  juge- 
ment arbitral  qui  attribuait  à  Scliwytz  des  terri- 
toires revendiqués  pir  elle,  et  s'élant  alliée  avec 
l'Autriche  contre  ses  confédérés.  C'est  de  cette 
lutte,  où  Sclivvytzjoua  le  principal  rôle,  que  date 
la  désignation  de  Suisses,  appli<iuée  aux  cantons 
eu  guerre  avec  Zurich,  mais  qui  fut  bientôt 
étendue  à  la  nation  tout  entière.  C'est  aussi  k  cette 
occasiou  que  les  Suisses  se  trouvèrent  pour  la 
première  fois  en  contact  avec  la  France.  Empêché 
de  secourir  Zurich,  l'empereur  avait  intéressé  à 
sa  cause  le  roi  de  France  Charles  VII,  qui  envoya 
contre  les  Suisses  une  armée  de  3L)000  merce- 
naires, dits  Armagnacs,  commandée  par  le  Dau 
pliin  Louis  iLouis  XI).  1500  confédérés  vinrent 
lui  barrer  le  passage  et  lui  livrèrent  h  Saint- 
.lacques  sur  la  Birse  (près  Bile),  le  Ï6  aoiit  1144, 
une  bataille  acharnée,  qui  ne  se  termina  que  par 
leur  extermination  complète.  Plein  de  respect 
pour  la  bravoure  de  ses  adversaires,  le  Dauphin 
signa  la  même  année  avec  la  Ligue  suisse,  h 
Eusisheim,  une  paix  qui  fut  suivie  en  1452  d'un 
traité  dans  lequel  les  Suisses  sont  appelés  pour 
la  première  fois  n  les  cantons  de  la  vieille  Ligue 
di'  la  Haute-Allemagne,  »  et  qui  fut  la  base  de 
toutes  leurs  alliances  subséquentes  avec  la 
France. 

La  guerre  avec  Zurich,  une  guerre  atroce, 
comme  toutes  les  luttes  civiles,  se  termina  en 
lioO.  Zurich  renonça  Ji  son  alliance  avec  l'Autri- 
che. Bientôt  après  (14K()),  à  l'instigation  du  pape 
q\ii  venait  d'excommunier  l'archiduc  d'Autriche 
Sigismond,  les  confédérés  s'emparèrent  de  la  Timr- 
govie,  et  la  convertirent  en  bailliage  commun  ; 
et  en  li61,  Sigismond  ayant  vendu  aux  Zuricois 
ses  droits  de  souveraineté  sur  la  ville  de  Winter- 
tliour,  il  ne  resta  à  l'Autriche,  de  toutes  ses  pos- 
sessions en  Suisse,  que  le  Frickthal,  qu'elle  a 
conservé  jusqu'en  1802. 

Deux  conventions  des  confédérés,  qui  prennent 
place  h,  cette  période,  méritent  d'être  mention- 
nées. La  première,  le  Pfaff'enbrief,  ou  code  des 
prêtres,  du  7  octobre  iSTo,  destinée  à  réprimer 
les  empiétements  des  ecclésiastiques,  restreint 
leurs  immunités,  et  interdit  l'intervention  de  ju- 
ridictions étrangères,  spécialement  de  juridictions 
ecclésiastiques.  C'est  la  base  du  droit  public 
suisse  en  ce  qui  concerne  les  rapports  de  l'E- 
glise et  de  l'Etat.  La  seconde,  connue  sous  le 
nom  de  Convenant  de  Sempach,  du  10  juillet 
1303,  est  le  seul  exemple,  dans  les  temps  féo- 
daux, d'une  loi  de  discipline  militaire  faiie  dans 
l'intérêt  de  l'humanité.  En  voici  les  passages  les 
plus  importants  : 

«  Nul  ne  doit  commencer  sans  nécessité  et  par 
caprice  une  guerre  générale  ou  privée.  Lorsque 
nous  marcherons  ensemble  ou  séparément  contre 
l'ennemi,  chacun  se  rangpra  sous  sa  bannière 
et  couibattra  autour  d'elln,  en  brave,  selon  la 
coutume  de  nos  ancêtres.  Celui  qui  abandonne- 
rait sa  bannière  ou  s'en  éloignerait  pour  pénétrer 
de  force  dans  une  maison  et  y  commettre  quel- 
que attentat,  s'il  est  convaincu  par  deux  témoins 
honorables,  sera  arrêté  par  le  gouvernement  dont 
il  relève,  et  puni  par  le  juge  de  son  ressort  dans 
sa  personne  et  ses  biens  pour  servir  d  exemple 
aux  autres.  Celui  qui,  dans  un  combat  ou  dans 
une  attaque,  reçoit  une  contusion,  un  coup  d'épée 
ou  de  lance,  ou  quelque  autre  blessure  qui  lo 
mette  hors  d'état  d'être  en  aide  à  lui-même  ou  à 
l'armée,  doit  néanmoins  ne  pas  fuir,  mais  rester 
avec  ses  compagnons  d'armes  jusqu'à  la  fin  du 
danger.  On  défendra  le  champ  de  bataille  et  on 
harcèlera  l'i-nnemi  jusqu'au  dernier  moment. 
Comme  l'ennemi   aurait  souffert   bien  davantage 


h  Sempach,  si  l'on  s'était  moins  pressé  de  se 
livrer  au  pillago,  et  qu'il  aurait  pu  profiter  do 
ce  moment  pour  se  rallier,  personne  h  l'avenir  ne 
se  jettera  sur  le  butin  avant  que  les  chefs  n'aient 
donné  le  signal  du  pillage.  Chacun  leur  remettra 
fidèlement  tout  ce  qu'il  aura  trouvé.  Ils  partage- 
ront le  butin,  d'après  la  force  des  contingi-nts, 
entre  tous  ceux  qui  auront  pris  part  à  l'action. 
Puisque  le  Dieu  tout-puissant  a  déclaré  les  églises 
ses  demeures,  et  qu'il  a  accompli  le  salut  du 
genre  humain  par  une  femme,  notre  volonté  est 
qu'aucun  des  nôtres  n'ait  la  témérité  de  forcer, 
piller,  dévaster,  incendier  un  couvent,  une  église 
ou  une  chapelle,  ou  d'attaquer  à  main  armée, 
blesser  ou  frapper  une  femme  ou  une  fille.  Il 
est  cependant  permis  de  poursuivre  l'ennemi  jus- 
que dans  les  églises,  et  de  sévir  contre  les  femmes 
qui  nous  attaquent  ou  crient  si  fort  qu'il  pourrait 
en  résulter  un  préjudice  pour  nos  armes.  Ainsi 
fait  et  juré  devant  notre  dicte,  à  Zurich,  le 
10  juillet  de  la  troisième  année  après  l'an  treize 
cent  quatre-vingt-dix.  » 

Guerres  de  Bourgor/ne,  guerre  dt  Soualji;  et 
sépnration  d'avec  l'Empire  oUemand.  —  Les 
journées  de  Sempach,  Najfels,  Saint-Jacques 
avaient  fait  connaître  en  Europe  la  République 
militaire  des  Suisses.  Leur  nom  était  devenu 
glorieux  et  respecté.  Des  puissances  de  second 
et  même  de  premier  ordre,  l'Empire,  la  Bourgo- 
gne, la  France,  la  Savoie,  Milan,  Florence,  ne 
dédaignaient  pas  de  solliciter  leur  alliance,  et  une 
foule  de  villes  et  de  petits  Etais  de  la  Haute- 
Allemagne  se  mettaient  sous  leur  protection. 
Mais  en  même  temps,  ils  avaient  pris  goût  au  mé- 
tier des  armes  et  épousaient  avec  ardeur  le  parti 
de  quiconque  offrait  de  payer  leurs  services. 
C'est  l'origine  des  services  mercenaires,  une  des 
plaies  les  plus  hideuses  de  l'ancienne  Confédéra- 
tion. Déjà  au  commencement  du  xv"  siècle,  on 
trouve  des  Suisses  à  la  solde  de  plusieurs  puis- 
sances. Pendant  la  guerre  du  Bien  public  (1465), 
l'année  de  Louis  XI  et  celle  des  seigneurs  coalisés 
contre  lui,  sous  le  commandement  du  comte  de 
Charolais,  connu  plus  tard  sous  le  nom  de  Charles 
le  Téméraire,  comptaient  chacune  un  corps  de 
Suisses  armés  de  piques  de  18  pieds  de  long. 
Depuis  cette  époque  jusqu'au  xix'^  siècle,  le  ser- 
vice étranger,  avec  ses  conséquences,  la  corrup- 
tion du  peuple  et  la  vénalité  des  magistrats, 
exerça  une  influence  prépondérante  sur  l'histoire 
et  les  destinées  de  la  nation  suisse. 

En  l4(iS,  la  guerre  recommença  avec  l'Autri- 
che. 15U00  confédérés  appelés  au  secours  de  leurs 
alliés  des  villes  de  Mulhouse  et  Schaffhouse, 
menacées  par  la  noblesse  de  Souabe,  vinrent 
mettre  le  siège  devant  Waldshut.  Los  Bernois, 
en  politiques  habiles,  désiraient  l'annexion  de  cette 
importante  place  d'armes,  qui  leur  eîit  procuré  la 
possession  du  Fricktlial  et  de  la  Forêt-Noire.  Mais 
de  petites  considérations  et  la  vénalité  firent 
échouer  leurs  projets  Le  duc  Sigismond  obtint  la 
paix  moyennant  10  nOO  florms  qu'il  s'engagea  à 
payer  aux  Suisses.  Sigismond  se  procura  cet  ar- 
gent auprès  de  Charles  le  Téméraire,  qui  lui 
prêta  50  000  écus,  moyennant  hypothèque  sur 
l'Alsace,  le  Sundgau,  le  Urisgau  et  la  Forêt- 
Noire,  et  qui  s'engagea  à  le  garantir  contre  toute 
attaque  de  la  part  des  confédérés. 

Maître  des  Pays-Bas,  de  la  Franche-Comté 
et  des  territoires  remis  en  hypothèque  par  le 
duc  d'Autriche,  Charles  le  'l'éniéraire,  duc  de 
Bourgogne,  éiait  alors  le  prince  le  plus  puissant 
de  la  chrétienté.  Il  projetait  de  fonder  entre 
l'Empire  et  la  France  un  royaume  comprenant 
les  bassins  du  Khôno  et  du  lihin,  et  négociait  à 
ce  sujet  avec  l'empereur  Frédéric  II!,  auquel  il 
offrait  la  main  de  sa  fille  unique  pour  son  fils 
Maximllien.  Son  ambition  le  faisait  redouter  de 


SUISSE 


—  2092  — 


SUISSE 


ses  voisins.  Louis  XI  eut  l'idée  de  so  servir  des 
Suisses  pour  briser  sa  puissance.  Grâce  ;\  son  or 
et  à  la  vénalité  d'un  certain  nombre  d'hommes 
d'Etat  suisses,  il  eut  bientôt  constitué  à  Berne, 
Pt  dans  d'autres  cantons,  un  parti  dévoué  à  ses 
intérêts.  Vn  traité  do  neutralité  réciproque  fut 
signé  entre  la  France  et  les  cantons,  en  iiin, 
pour  le  cas  d'une  guerre  avec  la  Bourgogne.  Il 
fut  suivi  en  1474  d'une  alliance  offensive  et 
défensive.  Les  parties  se  promettaient  aide  et 
secours  :  le  roi  payait  les  guerriers  suisses 
4  1/2  florins  par  mois.  Il  s'engageait  à  payer  sa 
vie  durant  ;\  chaque  canton,  ainsi  qti'Ji  Fribourg 
et  à  Soleure,  une  somme  de  2000  livres  par  an, 
et,  à  défaut  de  secours  d'hommes,  à  leur  payer 
20  000  livres  par  quart  d'année,  pendant  la  durée 
de  la  guerre.  Ce  traité,  dont  les  termes  furent 
arrêtés  le  10  mars  1474,  ne  fnt  définitivement 
conclu  que  le  26  octobre.  Dans  l'intervallej 
Louis  XI  avait  réussi  à  réconcilier  les  Suisses 
avec  leur  ennemi  séculaire,  l'Autriclie,  et  à  faire 
entrer  celle-ci  dans  la  coalition  contre  le  duc 
Charles.  Du  .30  mars  au  3  avril,  dans  la  ville  de 
Constance,  trois  traités  importants  furent  signés  : 
1"  les  préliminaires  d'une  paix  perpctnelle  entre 
Sigismond  d'Antriche  et  les  confédérés,  aux- 
quels on  garantissait  les  territoires  conquis  par 
eux  sur  l'Autriche  ;  2°  une  alliance  de  dix  ans 
entre  les  Suisses  et  la  Basse-Ligue  d'Allemagne  ; 
.3°  une  alliance  analogue  entre  Sigismond  et  la 
Basse-Ligue,  qui  allait  aussitôt  fournir  les  som- 
mes nécessaires  pour  rembourser  Charles  de 
Bourgogne.  Les  circonstances  servaient  admira- 
blement les  projets  de  Louis  XI.  Le  duc  Charles 
avait  confié  le  gouvernement  des  terres  hypothé- 
quées d'Alsace  au  bailli  Hagenbach,  dont  la 
tyrannie  avait  exaspéré  les  populations  et  qui 
avait,  à  plusieurs  reprises,  vexé  les  Suisses.  Dès 
que  Sigismond  eut  dénoncé  le  remboursement  de 
sa  dette,  une  insurrection  populaire  éclata,  Ha- 
genbach fnt  saisi  et  condamné  .\  mort  par  un 
tribunal  dans  lequel  si  geaient  des  députés  de 
Bernoet  deLucerne  (4  mai  li"4).  Cliarles  furieux 
envoya  des  troupes  ravager  l'Alsace  ;  lui-même 
guerroyait  en  Allemagne  contre  l'archevêque 
de  Cologne,  ce  qui  lui  valut  une  déclaration  de 
guerre  de  l'Empire.  Frédéric  III  somma,  le  9  oc- 
tobre, les  Suisses,  en  leur  qualité  de  membres 
du  Saint-Empire  romain,  de  fournir  leur  contin- 
gent, et  les  villes  de  la  Basse-Ligue  et  Sigismond, 
irrités  des  ravages  que  les  Bourguignons  commet- 
taient en  Alsace,  sollicitèrent  avec  une  égale  ar- 
deur le  secours  des  confédérés.  Cela  leva  les  hé- 
sitations qui  s'opposaient  encore  à  la  signature 
du  traité  d'alliance  avec  Louis  XI.  Ce  traité  con- 
clu, une  armée  de  LSiOO  hommes,  composée  des 
contingents  des  cantons  et  de  leurs  nouveaux 
allies,  les  Autrichiens,  alla  mettre  le  siège  devant 
Héiicourt,  place-forte  de  la  Franche- Comté.  Une 
armée  bourguignonne  qui  essaya  de  faire  lever 
le  siège  fut  mise  en  complète  déroute  (13  nov.); 
Héricourt  se  rendit.  L'année  suivante,  les  Bernois 
et  les  Fribourgeois  firent  de  nombreuses  incur- 
sions dans  la  Franche-Comté,  et  s'emparèrent  de 
Grandson  et  des  terres  que  possédait  dans  la  con- 
trée la  maisoii  bourguignonne  do  Chàlons,  ainsi 
que  de  la  plus  grande  partie  des  villes  du  pays 
de  Vaud,  alors  savoyard.  Les  Haut-Valaisans,  as- 
sistés des  Bernois,  s'emparèrent  du  Bas-Valais 
qui  appartenait  aussi  à  lu  Savoie. 

Ces  événements  n'é. aient  que  le  prélude  d'une 
guerre  bien  plus  terrible  dans  laquelle  l'existence 
même  de  la  Suisse  allait  être  mise  en  jeu  par  le 
fait  de  quelques  intrigants  vendus  au  roi  de 
Fiance,  i.nnis  XI  sut  faire  échouer  une  tentative 
de  rcci.nciliaiinn  cime  les  Suisses  et  Charles  le 
Ténu  relire.  Mais  en  mêiue  tenjps  il  faisait  la 
pau  avec   ce   dernier    qui,  réconcilié  également 


avec  l'empereur  et  l'Autriche,  ne  songeait  plus 
qu'à  se  venger  des  Suisses.  A  la  tête  d'une 
brillante  armée,  le  duc  de  Bourgogne  franchit 
le  Jura  et  reprit  Grandson.  Les  Suisses  vin- 
rent l'y  attaquer,  le  battirent  à  plate  couture  et 
s'emparèrent  de  son  camp  et  de  ses  immenses 
richesses  {i  mars  14701.  Trois  mois  plus  tard,  une 
nouvelle  armée  bourguignonne  éprouvait  le  même 
sort  sous  les  murs  de  llorat  {i'i  juin).  Enfin,  le 
.5  janvier  de  l'année  suivante,  les  Suisses,  appelés 
au  secours  de  leur  allié  Eené  de  Lorraine,  que 
Charles  avait  dépouillé  de  ses  États,  faisaient  de- 
vant Nancy  éprouver  au  duc  do  Bourgogne  une 
nouvelle  défaite,  où  il  pecdait  i  la  fois  la  couronne 
et  la  vie. 

Fécondes  en  résultats  généraux,  les  victoires 
des  Suisses  sur  le  duc  de  Bourgogne  n'eurent  pas 
pour  eux-mêmes  d'aussi  heureuses  conséquences. 
Auparavant,  dit  un  historien,  la  vénalité  n'avait 
atteint  que  les  chefs  et  une  partie  de  la  nation; 
l'or  de  Grandson,  mesuré  Ji  plein  chapeau  par  les 
soldats,  corrompit  la  masse  elle-même.  Louis  XI, 
qui  avait  allumé  la  guerre,  en  recueillit  tous  les 
fruits.  Il  occupa  une  partie  de  la  Bourgogne,  en 
même  temps  qu'il  s'attacha  h  diviser  les  confé- 
dérés dont  il  redoutait  l'intervention  on  Franche- 
Comté.  Berne  aurait  désiré  garder  cette  province, 
qui  demandait  elle-même  h  être  reçue  dans  l'al- 
liance helvétique;  mais  les  confédérés  ne  surent 
pas  inieux  s'entendre  qu'ils  ne  l'avaient  fait 
neuf  ans  auparavant  à  Waldsbut,  et  une  ambassade 
française  n'eut  pas  de  peine  à  leur  faire  accepter 
un  tiaité  par  lequel,  luoyennant  la  promesse 
d'une  somme  d'argent,  ils  renonçaient  à  toute 
prétention  sur  la  Franche-Comté.  Le  partage  du 
butin  de  guerre  suscita  des  dissensions  violentes 
entre  les  villes  et  les  campagnes,  et  h  une  diète 
ti-nue  i  Stanz  en  1181,  cilles-ci  s'opposant  obsti- 
nément à  l'admission  de  Fribourg  et  de  Soleure 
dc.ns  la  Confédération,  les  partis  exaspérés  allaient 
en  venir  aux  mains,  quand  l'intervention  d'un  soli- 
taire vénéré,  le  frère  Xicolas  do  Elue,  réussit  à 
réconcilier  les  confédérés  :  Fribourg  et  Soleure 
lui  durent  leur  admission  dans  la  Confédéra- 
tion. 

A  la  fin  du  xv*  siècle,  les  confédérés  eurent 
encore  h  soutenir  une  guerre  qui  fut  décisive 
au  point  de  vue  de  leur  situation  vis-à-vis  de 
l'empire  d'Allemagne.  Quoique  les  liens  qui 
rattachaient  la  Suisse  h  cet  empire  se  fussent 
considérablement  relâchés,  les  confédérés  se  con- 
sidéraient toujours  comme  lui  appartenant.  Ils 
faisaient  confirmer  leurs  privilèges  par  l'empe- 
reur, et  au  début  des  guerres  de  Bourgogne  ils 
avaient  combattu  comme  membres  de  l'empire; 
mais  i  la  fin  de  ce  siècle,  l'empereur  Maximilicn, 
chef  de  la  maison  d'Antriche,  ayant  voulu  sou- 
mettre les  Suisses  à  la  juridiction  et  aux  contri- 
butions de  l'empire,  les  confédérés  n'hésitèrent 
pas  à  repousser  de  telles  exigences.  La  guerre  de 
Sonahe,  ainsi  nommée  du  nom  de  la  Ligue  qui 
défendit  la  cause  de  l'empereur  contre  les  confé- 
dérés, éclata  en  I4S9.  Elle  eut  pour  théâtre  le 
canton  des  Grisons,  le  Tyrol,  le  Vorarlberg  et  la 
Souabe,  les  bords  du  lac  de  Constance  et  du  Rhin 
et  les  vallées  du  Jura.  Une  multitude  do  villes, 
châteaux  et  villages  furent  détruits;  des  contréesp 
entières  devinrent  incultes:  une  misère  afi'reuse 
s'abattit  sur  les  malheureuses  populations.  'Vaincu; 
dans  toutes  les  rencontres  et  dans  six  batailles,! 
l'eiiipereur  renonça  à  se>  prétentiims;  la  paix  fut] 
signée  à  Bàle,  en  li!)'.).  La  conséi|uence  en  fut  laj 
séparation  complète  de  fait,  sinon  île  droit,  de  lai 
Suisse  d'avec  l'Allemagne,  et  l'entrée  do  Bâle  et| 
de  Schaffhouse  dans  la  Confédération  (IfiOi). 

Cnenei  ii'lt"/ie.  Allianc-:';  avec  m  Frai, ce.  L 
Co  fëi/crato"  des  XIII  cantuns.  —  C'est  encore  1 
France  qui  décida,  vers  la  fin  du  xv'  et  au  com 


SUISSE 


2093  — 


SUISSE 


menccmpnt  du  xvi'  siècle,  les  confédérés  à  inter- 
venir dans  la  guerre  d'Italie  que  soutenaient  les 
uns  contre  les  autres  lo  pape  et  la  republique  de 
Venise,  le  duc  de  Milan,  l'empereur,  la  Fiance  et 
l'Espagne.  Ils  y  prirent  part  d'aboi-d  comme  auxi- 
liaires il  la  solde  de  la,  France,  plus  tard  comme 
allies  du  pape,  et  enfin  comme  Éiat  indépendant. 
Ils  montrèrent  de  nouveau,  dans  cette  guerre, 
les  éminentes  qualités  militaires  qui  les  caracté- 
risaient, surtout  dans  le  combat  de  Novare,  en 
1513,  où  ils  battirent  l'armée  française.  Mais  ils 
ne  poursuivaient  dans  ce  vaste  conilit  aucun  plan 
bien  défini,  et  tandis  qu'ils  avaient  la  prétention 
d'intervenir  en  Lombardie,  comme  pouvoir  pré- 
pondérant, ils  succombaient,  dans  leur  propre 
pays,  aux  intrigues  des  États  voisins.  Ceux-ci,  en 
effet,  aclietaicnt  cliez  eux  des  partisans  b,  pi-ix 
d'argent  el  réussissaient  ainsi  h  se  créer  une 
influence  décisive  dans  la  Confédération.  L'indi- 
gnation causée  par  le  système  des  pensions, 
spécialement  par  les  intrigues  des  agents  de  la 
France,  provoqua  des  soulèvements  populaires 
dont  plusieurs  magistrats  furent  les  victimes.  Un 
plan  d'invasion  de  la  France  par  l'empereur,  l'An- 
gleterre, l'Aragon  et  les  Suisses  réunis,  fut 
accueilli  avec  transport  par  la  Diète  de  Zurich 
(1"  août  1513),  et  pendant  que  les  Anglais  dé- 
barquaient il  Calais  et  que  les  Aragonais  enva- 
hissaient la  Navarre,  20  OUO  confédérés,  aux(|uels 
se  joignirent  quelques  milliers  do  cavaliers 
impériaux,  traversèrent  la  Franche  Comte  et  vin- 
rent mettre  le  siège  devant  Dijon  :  mais  lii  les 
chefs  se  laissèrent  corrompre  par  La  TrémouiUe, 
gouverneur  de  la  ville.  Ils  signèrent  la  paix,  sur 
la  promesse  d'une  somme  de  400  000  écus,  et 
rentrèrent  chez  eux.  Deux  ans  plus  tard,  Français 
et  Suisses  se  retrouvaient  en  présence  dans  les 
plaines  de  la  Lombardie.  François  l"',  qui  venait 
de  passer  les  Alpes  pour  reconquérir  le  duché  de 
Milan,  chercha  d'abord  ii  gagner  les  Suisses,  qui 
signèrent  avec  lui,  le  8  septembre  1515,  à  Galle- 
rate,  un  traité  par  lequel  le  roi  s'engageait  à  leur 
payer  30  OOO  écus  pour  les  frais  de  la  guerre, 
300  000  autres  pour  leurs  possessions  italiennes 
et  les  400  000  écus  promis  à  Dijon.  Les  cantons 
accordaient  au  roi  le  droit  de  lever  des  troupes 
chez  eux,  moyennant  une  pension  annuelle  à 
chacun  des  Étals.  Déjii  une  partie  de  l'armée 
suisse  reprenait  le  chemin  des  montagnes,  lors- 
qu'un nouveau  corps  de  troupes  descendit  le 
Gothard,  conduit  parle  cardinal  Schinner.  ennemi 
acharné  des  Français.  Grâce  à  un  stratagème  de 
ce  dernier,  les  Suisses,  rompant  la  paix,  se  ruè- 
rent sur  l'armée  française  il  Marignan.  La  bataille 
dura  deux  jours  fl3  et  14  sept.  I.M5).  L'arrivée 
d'une  année  vénitienne  obligea  les  Suisses  à 
abandonner,  pour  la  première  fois,  le  champ  de 
bataille.  La  Dièie  décréta  une  levée  de  30  000  hom- 
mes :  mais,  de  leur  coté,  les  chefs  suisses,  agents 
de  la  France,  ayant  réussi  ii  eniôler  un  nombre 
considéi'able  de  soldats  au  service  de  cette  der- 
nière, on  vit  de  nouveau,  en  1510,  dans  les 
plaines  de  l'Italie,  le  spectacle  des  confédérés 
combattant  les  uns  contre  les  autres.  Enfin  l'in- 
fluence française  l'emporta,  et,  le  2'J  novembre 
de  la  morne  année,  le  vainqueur  de  Marignan 
signait  avec  la  Confédération  un  traité  de  paix 
perpétuelle.  Il  lui  assurait  les  mômes  avantages 
financiers  que  par  le  traité  de  Gallerate  :  en  re- 
vanche les  Suisses  s'engageaient  il  fournir  au  roi 
des  levées  qui  ne  devaient  pas  être  moindres  do 
6  (fOO  ni  dépasser  IG  000  hommes,  on  temps  de 
guerre.  Depuis  ce  moment,  incorporés  aux  armées 
françaises,  les  Suisses  sont  réduits  au  rang  de 
simples  mercenaires,  et  n'interviennent  plus 
comme  nation  dans  les  guerres  étrangères.  Au  rôle 
d'arbitres  de  I  Italie  et  de  la  politique  européenne, 
que   leur    avaient  valu  leurs  victoires,   succède 


celui  do  champions  et  de  promoteurs  de  la  gran- 
deur et  du  despotisme  dos  rois  de  France.  Le 
seul  résultat  que  la  Suisse  relira  des  guerres 
d'Italie  fut  la  conquête  de  la  Levantine,  de  la  'Val- 
teline  et  de  Chiavenna,  dont  la  France  lui  garan- 
tissait la  possession.  Ces  doux  derniers  pays  furent 
ajoutes  aux  Grisons;  la  Levantine  devint  sujette 
du  canton  dUri,  et  forma  plus  tard  le  Tussin 
actuel. 

Le  pays  d'Appenzell  avait  conquis  son  indépen- 
dance au  commencement  du  xv=  siècle,  contre  les 
abbés  de  Saint-Gall  et  les  Autrichiens.  11  fut  reçu, 
en  1513,  dans  l'alliance  helvétique,  connue  depuis 
lors  sous  le  nom  de  Ligue  des  XllI  cantons,  qu'elle 
conserva  jusqu  en  119a.  La  CoirfédéraUon  suisse 
comprenait  en  outre  : 

1"  Des  alliés  perpétuels,  qui  avaient  le  droit  de 
s«  faire  représenter  dans  les  Diètes,  ou  réunions 
des  députes  dos  cantons,  mais  n'avaient  pas  voix 
délibécative.  C'étaient  :  l'abbé  do  Saint-Gall,  les 
villes  de  Saint-Gall,  Bienne,  de  Mulhouse,  de  Rott- 
weil  (en  Souabe),  de  Genève;  les  lignes  des  Gri- 
sons; le  Valais,  le  comte  deNeuohâtel  et  Valangin, 
et  l'évéclié  de  Bàlo; 

2°  Des  pays  sujets,  ordinairement  possédés  en 
commun  par  plusieurs  cantons  et  appelés  alors 
bailliages  communs:  c'étaient  Badon  et  les  bail- 
liages libres  en  Argovie,  la  Thurgnvie,  le  Rhein- 
thal,  la  Levantine,  la  ville  de   Happerschwyl,  etc. 

111.  La  GonfàdèratiDn  des  XIII  cantons.  — La 
Réforme,  et  la  rcuction  cat/io  iqae.  Rtconnais- 
sance  de  l'indé/jeuiance  d-  la  Suisse.  —  Le  com- 
mencement du  XVI'  siècle  vit  se  produire  en 
Suisse,  comme  dans  les  pays  voisins,  un  grave 
événement,  qui  devait  exercer  sur  leur  destinée  la 
plus  grande  influence,  la  Réforme,  provoquée  par 
les  désordres  du  clergé  et  le  trafic  des  indulgen- 
ces. Elle  fut  d'abord  pi-êchée  ii  Zurich,  puis  à 
Berne,  Bàle,  Scliafl'house,  Saint-Gall,  Appenzell, 
et  de  là  dans  les  pays  placés  sous  la  souveraineté 
fédérale.  Le  grand  réformateur  suisse,  Ulrich 
Zwingli,  avait  été  curé  à  Giaris  ;  il  avait  pris  part 
en  qualité  d'aumônier  aux  campagnes  do  Novare 
et  de  Marignan.  C'est  à  Einsiedeln,  où  il  était  pré- 
dicateur, qu'il  commença  à  tonner  contre  les 
abus  et  les  superstitions  de  l'Eglise.  Sa  réputa- 
tion le  fit  appeler  à  Zurich.  Il  y  prêcha  l'évangile, 
et  ne  tarda  pas  à  entraîner  cetie  ville  dans  le 
parti  de  la  Réforme,  qui,  il  la  même  époque,  était 
aussi  acceptée  dans  plusieurs  cantons,  spéciale- 
ment h  Berne  et  à  Bàle.  Réformateur  politique 
autant  que  religieux,  Zwingli  s'élevait  avec  force 
contre  la  corruption  des  mœurs,  les  pensions 
étrangères,  les  services  mercenaires,  et,  le  premier, 
il  eut  l'idée  de  donner  aux  cantons  suisses  une 
constitution  commune,  analogue  à  celle  qu'ils  ac- 
ceptèrent trois  cents  ans  plus  tard,  de  mettre  un 
terme  à  la  prépondérance  anormale  des  petits 
cantons  et  de  donner  aux  grands  une  position 
plus  en  relation  avec  leur  importance  et  leur  de- 
gré supérieur  de  civilisation.  On  ne  doit  doue 
pas  s'étonner  que  ses  idées,  tant  religieuses  que 
politiques,  aient  rencontré  une  vive  opposition 
dans  les  cantons  primitifs,  auxquels  se  joignirent 
Fribourg  et  le  Valais.  Un  colloque  réuni  à  Baden, 
et  dans  lequel  les  prédicateurs  des  deux  partis 
exposèrent  leurs  principes  devant  les  députés 
des  cantons,  ne  fit  que  rendre  plus  profonde  la 
scission  entre  les  confédérés.  Zurich  contracta 
avec  Constance  une  alliance,  dans  laquelle  entrè- 
rent successivement  Berne,  Saint-Gall,  Bile, 
Bienne  et  Mulhouse.  Les  cinq  cantons  primitifs, 
de  leur  côté,  organisèrent  une  ligue  séparée  et 
s'allieront  avec  l'archiduc' Ferdinand,  roi  do  Hon- 
grie, principal  appui  du  parti  catholique  en 
Allemagne.  Avant  qu'on  n'eu  vînt  aux  mains,  la 
médiation  dos  cantons  neutres  réussit  à  faire  si- 
gner h  Steinhauseii  un  traité  qui  reçut  le  nom  de 


SUISSE 


—  2094  — 


SUISSE 


paix  publique  {Landfrie(len).ï\  consacrait  la  com- 
plète égalilé  poliiique  des  deux  cultes  chrétiens 
et  le  droit  pour  chaque  canton  de  conserver 
sa  religion  ou  d'en  changer.  Dans  les  pays  sujets, 
chaque  paroisse  était  libre  de  clioisir  son  culte. 
L'alliance  avec  le  roi  Ferdinand  fut  déclarée  dis- 
soute. 

Cette  convention  confirma  la  Réforme  partout  où 
elle  s'était  introduite.  Dans  les  pays  sujets,  elle 
détermina  un  mouvement  très  caractérisé  en  sa 
faveur.  Mais  le  zèle  de  Zvvingli  pour  propager  la 
religion  nouvelle  provoqua,  de  la  part  des  cantons 
catholiques,  des  réclamations  auxquelles  Znrich 
répondit  en  rompant  toute  relation  avec  eux,  leur 
interdisant  l'entrée  de  ses  marchés.  Les  petits 
cantons  coururent  aux  armes  et,  le  11  octobre  1 53 1 , 
8  000  catholiques  mettaient  en  déroute,  à  Cappel, 
1  500  Zuricois,  i  la  tête  desquels  se  trouvait  Zwin- 
gli,  qui  fut  tué  dans  cette  rencontre. 

Battus  une  seconde  fois  sur  le  Gubel,  et  d'ail- 
leurs abandonnés  par  leurs  alliés,  les  Zurirois 
demandèrent  la  paix,  qui  fut  signée  à  Daeniken 
(Zoug).Les  suites  de  cette  guerre  lurent  désastreu- 
ses pour  la  Réforme.  Les  cinq  cantons  rétablirent 
par  la  force  le  catholicisme  dans  beaucoup  de 
contrées  qui  l'avaient  abjuré  ;  Soleure,  mis  par  les 
vainqueurs  dans  l'altcrtiative  de  payer  SOO  écus 
de  frais  de  guerre  ou  de  proscrire  le  culte  réformé, 
prit  ce  deriiier  parti.  C'est  à  cette  occasion  que 
les  catholi<|ues  et  les  réformés  soleurois  en  étant 
venus  aux  mains,  l'avoyer  A'icolasWengi,  l'un  des 
chefs  du  parti  catholique,  mais,  avant  tout,  sin- 
cère patriote,  se  plaça  devant  la  bouche  dos  ca- 
nons et  réussit  par  là  à  arrêter  l'effusion  du  sang. 
Les  guerres  religieuses  en  Suisse,  comme  ailleurs, 
ont  produit  assez  d'horreurs  pour  c|u'il  soit  doux 
de  pouvoir  signaler  dans  cette  effroyable  période 
un  trait  de  patriotisme  et  d'humanité. 

L'échec  subi  par  la  Réforme  dans  la  Suisse 
centrale  fut  compensé  et  au  delà,  par  les  progrès 
qu'elle  faisait  il  la  même  époque  dans  la  région 
qui  l'ut  depuis  la  Suisse  occidemale.  Déjà  eit 
1519,  Genève,  pour  se  d.  fendre  contre  les  ducs  de 
Savoie  qui  cherchaient  à  laniiexer  à  leurs  Etats, 
avait  signé  avec  Fribourg  un  traité  d'alliance  ; 
mais  le  duc  porta  plainte  auprès  des  confédérés,  et 
Fribourg  dut  abandonner  Genève,  qui  fut  occupée 
par  les  Savoyards.  Quelques  années  plus  tard,  le 
parti  patriote  genevois,  connu  sous  la  désignation 
d'E'dgitenol^  (confédérés),  d'où  l'on  fit  ensuite  le 
nom  de  Huguenot,  l'ayant  emporté  de  nouveau, 
Genève  foriiia,  le  12  mars  I5'-'B,  non  plus  seule- 
ment avec  Fribourg,  iBais  aussi  avec  Berne,  une  al- 
liance qui  devint  le  fondement  de  l'indépendance 
de  cette  cité  et  de  soti  union  à  la  Suisse.  Malgré 
l'intervention  de  Charles-Quint,  Berne  et  Fri- 
bourg, appuyés  par  François  1",  levèrent  une  ar- 
mée de  15  0  0  hommes  qui  délivra  Genève  et 
força  le  duc  de  Savoie  à  signer  les  traités  de  paix 
de  Saint  Julien  et  de  Payerne  (15:i0),  par  lesi|uels 
il  s'engageait  à  respecter  l'indépendance  de  Ge- 
nève, donnant  à  Berne  et  à  Fribourg  le  pays  de 
'Vaud  en  hypothèque,  comme  garantie  de  sa  pro- 
messe. 

Aussitôt  après  avoir  embrassé  la  Réforme,  Berne 
avait  songé  à  l'introduire  dans  ses  possessions 
d'Aigle,  dans  les  bailliages  communs  d'Orbe,  d'K- 
chalicns,  Grandson  et  Morat,  à  Neucliàt-1,  Lati- 
sanne  et  Genève,  en  un  mot  dans  toute  l'Helvéïie 
romande.  Il  y  envoya  un  réformateur  français, 
Guillaume  Farel,  qui,  avec  l'aide  de  Pierre  Viret, 
d'Antoine  Froment,  et  plus  tard  de  Calvin,  réussit 
à  gagner  à  peu  près  tout  ce  pays  à  la  Réfoi me, 
grâce  un  peu  à  l'appui  efficace  de  Berne,  qui  fai- 
sait occuper  militairement  les  localités  récalci- 
trantes. 

Genève,  en  embrassant  la  Réforme,  abolit  le 
pouvoir  de  son  évèque  et  se  constitua  eu  républi- 


que indépendante.  Fribourg  l'abandonna  aussitôt, 
et  le  duc  de  Savoie,  appuyé  par  Cliarlos-Quint, 
chercha  de  nouveau  à  s'en  emparer.  Appelés  à  son 
secours,  les  Bernois  hésitèrent,  mais  voyant  Fran- 
çois l"  disposé  h  secourir  la  ville,  ils  se  ravisè- 
rent, déclarèrent  la  guerre  à  la  Savoie,  et  s'emparè- 
rent de  ses  possessions  voisines  du  Léman  (Vaud, 
(;hablais,  Gex',  ainsi  que  de  celles  de  l'évoque  de 
Lausanne  il53'i).  A  partir  de  ce  moment,  le  pays 
de  Vaud,  devenu  sujet  de  Berne,  fut  gouverné 
par  des  baillis  bernois  qui  y  exercèrent  une  dure 
oppression  jusqu  à  la  fin  du  xviii'  siècle.  Genève, 
sauvée  par  Berne  d'un  péril  imminent,  avait  con- 
servé son  indépendance;  mais  bientôt  elle  perdit 
SCS  libertés  intérieures  et  dev  nt,  sous  le  réiiime 
tyrannique  de  Calvm,  le  foyer  d'un  protestantisme 
très  rigide  et  d'un  formalisme  sans  pareil. 

La  réacti'in,  à  peu  près  générale,  qui  se  pro- 
duisit en  Europe  pendant  la  deuxième  moitié  du 
XVI'  siècle  en  faveur  du  cathnlicistne,  eut  son  con- 
tre-coup en  Suisse.  Berne  se  vit  obligé,  par  le 
traité  de  Lausanne  (1564),  de  restituer  à  la  Sa- 
voie la  rive  gauche  du  lac  de  Genève,  ainsi 
que  le  pays  de  Gex.  La  Réforme  fut  extirpée  de 
plusieurs  cantons  et  pays  sujets;  les  jésuites  vin- 
rent s'établir  dans  les  cantons  catholiques,  et  une 
nonciature  permanente  fut  créée  en  1586  dans  la 
Confédération.  Alors  la  réaction  marclia  rapide- 
ment :  Genève  et  les  Grisons  virent  repousser, 
pour  cause  d'hérésie,  leur  demande  d'aiiniission 
dans  la  ligue  helvétique;  Mulhouse  et  Strasbourg 
furent  abandonnées  par  les  petits  cantons  et  ne 
conservèrent  de  relations  qu'avec  les  Étals  protes- 
tants. Dans  l'Appenzell,  on  arriva  à  une  sépara- 
tion complète  entre  les  réformés  et  les  catholi- 
ques et  à  la  division  du  pays  en  deux  demi-can- 
tons. Sous  l'influence  du  cardinal  Borromée,  l'a- 
gent le  plus  actif  de  la  réaction  religieuse  en 
Suisse,  les  cantons  catliolii|ues  formèrent,  en 
l.iS6,  la  ligue  Borromée  ou  ligue  d'Or,  par  la- 
quelle ils  renoncèrent  à  leur  indépendance  en 
matière  do  foi.  Cette  alliance  était  déclarée  supé- 
rieure ktonie  autre,  même  par  conséquent  à  l'al- 
liance perpétuelle  qui  unissait  tous  les  confédé- 
rés. L'année  suivante,  Philippe  11  d'Espagne 
entrait  dans  cette  ligue.  Il  y  eut  dès  lors  en  ([uel- 
que  sorte  deux  confédérations,  unies  entre  elles 
par  un  lien  qui  al  ait  se  relâ''hant  chaque  jonr. 

Une  nouvelle  guerre  éclata  en  158;)  entre  Berne 
et  la  Savoie  qui  cherchait  à  reprendre  le  pays  de 
Vaud.  Une  armée  bernoise  s'empara  du  Cliablais, 
mais  le  parti  de  la  paix  ayant  prévalu  dans  les 
conseils  de  la  cté,  le  gouvernement  bernois  con- 
clut à  JVyon  un  traité  par  letiuel  il  abandonnait 
Genève  et  s'engageait  même  à  aider  le  duc  de 
Savoie  à  en  reprendre  possession.  L'indignation 
populaire  empêcha  l'exécution  de  cette  clause; 
Genève  n'en  fut  pas  moins  abandonnée,  et  au- 
rait succomlié  sans  l'appui  que  lui  prêta  le  roi 
de  France  Henri  IV.  Quelques  années  plus  tard, 
dans  la  nuit  du  11  au  12  décembre  160.',  une  ar- 
mée savoyarde  s'approcha  secrètement  de  Genève 
et  tenta  d'en  escalader  les  murailles,  lléveillés  en 
sursaut,  les  citoyens  coururent  aux  armes  et  re- 
poussèrent l'enjiemi.  Le  souvenir  de  l'escalade  est 
célébré  tous  les  ans  à  Genève  par  une  fête  popu- 
laire. Cette  guerre  se  termina  par  la  paix  de 
Saint-.lulien  (1603),  qui  garantit  l'indépendance  de 
Genève. 

L'histoire  de  la  Suisse,  dans  la  première  par- 
tie du  xvii"  siècle  n'est  qu'une  longue  série  de 
conflits  religieux  ou  politiques,  caus'é.»  par  le  fa- 
natisme, l'esprit  de  parti  ou  les  intrigues  do  la 
Franco,  dont  les  ambassa  unirs  allaient  ju<qu';'i 
s'arroger  l.edroitdeconvoi|tier  desdièteset  àompô- 
clier  la  réception  dos  envoyés  des  autres  puissan- 
ces.Tnutefois  les  Suisses  eurentassez  de  bon  sens 
lot  de  patriotisme  pour  observer,  comme  Etat,  une 


SUISSE 


—  2095  — 


SUISSE 


stricte  neutralité  dans  la  guerre  do  Trente  Ans  '  et  du  commencement  du  xviii»,  auxquelles 
qui  désola  lAlleniagne,  et  pour  rester  sourds  aux  la  Suisse  fut  indiieclement  mêlée,  par  les  raer- 
siiUicitalions  que  les  puissatices  engagées  dans  ce  cenaires  qu'elle  entretenait  à  la  solde  de  tou- 
conllii  adr-essaient  h  leurs  coreligionnaires.  Grâce  j  tes  les  puissances  en  lutte,  compromirent  plus 
à  l'iiabilelé  du  bourgmestre  Wettsteiii  de  Bàlo,  la  ^  d'une  fois  l'existence  de  la  Conf'doration.  sans 
Confédéraiion  suisse  fut  comprise  dans  la  paix  ,  parvenir  à  y  ramener  l'union.  Après  avuir  donné 
de  Westplialie,  qui  termina  coite  guerre  en  lU'iS,  le  specl:icle  de  la  première  lutte  religieuse  issue 
et  sa  complète  indépeniiance  de  l'empire  aile-  :  de  la  Kéformo,  la  Suisse  devait  être  le  tliéitre  de 
mand  fut  alors  solennellement  reconnue.  la  dernière,  la  seconde  guerre  do  Vilm«rgen.  Le 

Ciiici-ri'  des  pfnjsans,  —  Les  longues  guerres  du  prétexte  en  fut  les  persécutions  incessantes  de 
wi' siècle  avaient  aggravé  partout  la  position  déjà  '  l'abbé  de  Saint  Gall  contre  les  réformés  du  Tog- 
si  misérablo  du  peuple.  En  Suisse,  la  populaiion  ,  genbourg.  Celte  fois  l'avantage  resta  au  parti 
des  campagnes  était  écrasée  de  charges,  dîmes,  '  protestant;  le  ■J.'i  juillet  17r2,  les  Bernois  rempor- 
cens,  droits  féodaux  de  toute  espèce,  et  dans  les  ,  tèrent  k  Vilmergon  une  victoire  décisive  sur  l'ar- 
cantons  aristocratiques,  comme  lierne,  Fribourg,  mée  des  cinq  cantons  caUioliques.  La  paix  fut 
Soli.'ure  et  Lucrne,  les  villes  afftcliaient  la  préien-  signée  à  Aarau,  mais  elle  faillit  être  désastreuse 
tion  do  soumettre  la  campagne  au  régime  du  pou-  pour  la  Confédéraiion.  Louis  XIV,  blessé  de  son 
voir  absolu.  A  ces  causes  de  méconientement  se  ^  échec  dans  la  succession  de  Neuchàiel,  et  habile 
joignait  un  malaise  gt-néral  provenant  de  la  dépré-  à  profiler  de  toutes  les  circonstances  qui  pouvaient 
dation  de  la  propriété  foncière,  de  l'augmen-  [  maintenir  l'intluence  française  au  sein  de  la  Con- 
tation  des  impots  et  de  la  réduction  du  taux  des  ^  fédération,  sut  exploiter  le  ressentiment  des  can- 
monnaies.  Une  révolte  générale  eut  lieu  en  lG.i3,  |  tons  catholiques.  Son  ambassadeur  Du  Luc  les 
dans  les  cantons  de  Lucerne,  de  Berne,  Soleure  et  ^  amena  à,  signer,  en  1715,  un  nouveau  traité  séparé 
Bâle:  plus  de  :tO  000  insurges  prirent  les  armes,  et  d'alliance  dans  lequel  ils  lui  reconnurent  le 
un  corps  de  20  0(ln  hommes  vint  menacer  Berne,  droit  d'intervenir  dans  leurs  divisions  intérieures, 
Les  gouvernements  surent  amuser  les  révoltés  et  comme  protecteur,  pour  assnrer  au  besoin  par  la 
les  diviser  par  des  négociations  et  des  promisses,  force  des  armes  le  droit  public  étab  i  au  sein  de 
et  vaincus  dans  trois  rencontres,  à  Wohleiiscliwyl,  la  Confédération.  Ce  traité  contenait  des  articles 
Gislikoii  et  Herzogcnbuchsee,  les  paysajis  se  dis-  '  secrets  (renfermés  dans  une  petite  boîte,  Driickii, 
persèrent.  Les  gouvernements  aristocratiques  se  de  \!>  le  nom  de  Dfûclitibiinl  donné  à  cette  allian- 
monlrèrent  aussi  cruels  après  la  victoire  qu'ils  ^  ce),  aux  termes  desquels  les  parties  contractantes 
avaient,  été  lâches  dans  le  danger.  Leur  vengeance  stipnlaient  le  rétablissement  du  catholicisme  et 
s'exerça  sur  plusieurs  centaines  d'individus,  et  il  l'anéantissemeiit  des  conditions  défavorables  im- 
y  eut  4S  exécutions  capitales.  Les  chefs  furent  posées  par  la  dernière  paix  aux  vaincus  de  Vil- 
traités  de  la  manière  la  plus  ignominieuse  :  le  \  mergen.  Heureusement  la  mort  de  Louis  XIV  fit 
plus  marquant,  Leuenberger,  qui  avait  fait  preuve  :  cesser  les  dangers  que  le  Drùcklibund  eiit  pu 
d'une  extrême  modération,  fut  décapité,  après  faire  courir  à  la  Suisse.  Les  cantons  catholiques 
avoir  été  mis  à  la  torture,  et  son  cadavre  fut  vécurent  dès  lors  d'une  existence  tout  à  fait  h 
écartelo.  i  part,  sans  soutenir  presque  aucune  relation  avec 

Noune/les  guerres  de  religion.  —  Les  persécu-  Zurich  et  Berne, 
lions  atroces  exercées  dans  le  canton  de  Sclivvytz  ^  .En  1777,  la  Confédération  fit  avec  le  roi 
contre  des  réfoimés  poussèrent  Zurich  i  déclarer  ,  Louis  XVI  une  nouvelle  alliance  défensive  pour 
de  nouveau  la  guerre  aux  cantons  primitifs  au  |  cinquante  années.  Les  stipulations  menaçantes 
nom  des  cantons  protestants.  Une  armée  bernoise  pour  le  repos  et  l'indépendance  de  la  Suisse  en 
s'étant  laissé  sui  prendre  et  battre  à  Vilmergeu  furent  soigneusement  écartées. 
(IG5G),  et,  de  leur  coté,  les  Zuncois  ayant  éclioué  ,  Monveiiients  populaires  contre  l'oligarchie  au 
dans  le  siè^e  de  Rapperschwyl  qu'étaient  venus  xYtii"  .--iècle.  —  Pendant  une  notable  partie  du 
défendre  quelques  centaines  a'Espagnols,  les  ré-  |  xviiii=  siècle,  la  Confédération  jouit  d'un  repos 
formés  durent  subir  une  paix  qui  ne  produisit  quelle  n'avait  pas  encore  connu  et  qui  lui  per- 
dans  les  cœurs  aucun  sentiment  de  conciliation,  mtt  de  donner  un  grand  essor  au  développe- 
A  l'extérieur,  la  Suisse  subissait  l'iiifluence  que  ,  ment  de  l'agriculture  et  de  la  vie  intellectuelle. 
Louis  XIV  exerçait  sur  une  grande  partie  de  |  Cotte  période  fut  cependant  marquée  par  des 
l'Europe.  Les  anciens  traités  d'alliancu  avec  la  troubles  intérieurs.  En  17^3,  le  niaj  ir  Davel,  un 
France  furent  renouvelés  et  considérablement  j  d''S  héros  de  la  dernière  guerre  de  Vilmer"en 
étendus,  ce  qui  n'empêchapas  Louis  XIV  de  faire  tenta  d'affranchir  le  pays  de  Vaud  du  joug  des 
occuper,  par  des  troupes  suisses  à  sa  solde,  la  ,  Bernois  :  il  paya  de  sa  têle  son  entreprise.  A 
FrancheXomté,    possession  espagnole,    qui  était    Berne   même,  des  citoyens   se  conjurèrent    pour 


placée,  depuis  les  guerres  de  Bourgogne,  sous  la 
protection  de  la  Confédération.  La  Uièle  protesta 
contre  la  violation  du  traité,  mais  le  grand  roi  ne 
tint  aucun  compte  de  cette  protestation  :  les  capi- 
taines suisses  obéissaient  plus  docilement  à  ses 
ordres  qu'à  ceux  de  leur  pays.  Plus  tard  Louis  XIV 
ayant,  au  mépris  des  traités,  annexé  Strasbourg, 
alliée  des  Suisses,  et  fait  construire  la  forteresse 
de  lluningue  presque  aux  portes  de  liâle,  les  con- 
fédérés organisèrent  un  système  militaire  de  dé- 
fense dirigé  contre  la  France,  et,  dans  un  procès 
au  sujet  de  la  succession  à  la  souveraineté  de 
Neucliâtel,  employèrent  toute  leur  influence  à 
faire  pencher  ia  balajice  en  faveur  du  roi  de  Prusse 
à  l'exclusion  des  prélendants  français. 

Lors  de  la  révocation  de  l'Édit  de  Nantes  (iGSà), 
6  1 000  protestants  français  vinrent  chercher  un 
refûgi;  en  Suisse.  Us  s'établirent  principalement  à 
Genève,  ;i  iWucliâiel  et  dans  le  pays  de  Vaud, 
où  Berne  leur  accorda  une  large  hospitalité. 

Les  grandes    guerres  de  la  lin  du  xvii°   siècle 


renverser  l'oligarchie  et  remettre  le  gouvernement 
aux  mains  de  la  bourgeoisie  ;  leur.s  chefs,  les  pa- 
triotes Henzi,  Fueler  et  Vernier,  périrent  do  la 
main  du  bourreau.  A  Genève,  oii  les  esprits 
étaient  surexcités  par  les  écrits  de  J.-J.  Rous- 
seau, une  révolution  ayant  renversé  le  gouverne- 
ment, 301.0  Français,  GOOO  Bernois  et  'A  Oi  Sardes 
entrèrent  dans  la  ville  et  y  rétablirent  le  gouver- 
nement aristocratique  (17S2).  C'esi  également  une 
intervention  bernoise  qui  aida  le  gouvernement 
oligarchiiiuo  de  Fribourg  à  réprimer  une  insurrec- 
tion menaçante  des  paysans,  dont  le  chef,  Nicolas 
Chenaux,  périt  assassiné  par  un  des  siens.  Tous 
ces  mouvements  témoignaient  de  l'existence  d'as- 
piralions  à  un  état  de  choses  meilleur  au  point 
de  vue  politique  et  social.  Dos  troubles  de  mémo 
nature,  mais  d'un  intérêt  secondaire,  éclatèrent 
dans  plusieurs  districts  (évêché  de  Bàle,  Levan- 
tine, Einsidlen),  où  les  sujets,  mal  gouvernes, 
privés  de  leurs  droits,  se  soulevèrent  contre  des 
maîtres   oppresseurs  et  jaloux  do  leur  autorité. 


SUISSE 


—  2096  — 


SUISSE 


Enfin  des  querelles  de  partis  non  politiques  ou  de 
simples  rivalités  de  familles,  suscitées  pour  la 
plupart  par  les  intrigues  des  puissances  étran- 
gères, ou  le  partage  des  pensions,  agitèrent  plu- 
sieurs cantons,  entre  autres  Appenzell,  Zoug,  Lu- 
cerne,  Schwylz  et  un  pays  allié,  les  Grisons, 
provoquant  partout  des  actes  de  barbarie,  qui 
Jettent  Ir  plus  triste  jour  sur  cette  époque. 

C'est  ainsi,  au  milieu  de  luttes  de  toute  nature, 
de  rivalités  do  familles,  de  mouvements  popu- 
laires et  révolutionnaires,  précurseurs  d'un  nou- 
vel état  de  choses,  que  la  Confédération  suisse 
atteignit  la  fin  du  xviii"  siècle,  sans  prévoir  que 
les  nombreux  germes  de  dissolution  qu'elle  por- 
tait en  elle  allaient  amener  sa  chute. 

Dissolution  de  la  confédération  des  XIII  can- 
tons. —  Les  principes  de  la  Kévolution  française 
trouvèrent  un  puissant  écho  dans  plusieurs  can- 
tons. Des  insurrections  eurent  lieu  dans  le 
Valais  et  à  Zurich,  mais  elles  furent  prompte- 
ment  et  énergiquement  réprimées.  A  Saint-Gall, 
le  peuple  se  souleva,  chassa  l'abbé,  et  se  déclara 
indépendant.  La  Valieline,  opprimée  par  les  Gri- 
sous, réclama  la  protection  de  liouai>arte  qui 
venait  de  chasser  les  Autrichiens  de  l'Italie.  Le 
général  français  conseillait  aux  Grisons  d'accor- 
der k  leurs  sujets  l'égalité  des  droits  :  sur  leur 
refus  opiniâtre,  il  engagea  les  habitants  de  la 
Valteline,  de  Bormio  et  de  Chiavenna  à  s'unir  à 
la  république  cisalpine.  Peu  de  jours  après,  l'an- 
nexion était  faite,  et  c'est  ainsi  que  la  Suisse 
perdit  cette  province,  en  même  temps  qu'au  nord 
la  France  lui  enlevait  momentanément  une  autre 
frontière  naturelle  en  occupant  l'Ërguel  et  le  Val 
de  Moutier,  possessions  de  l'évêiiue  de  liàle.  A 
l'instigation  de  Bonaparte,  le  Directoire  avait  ré- 
solu d'envahir  et  de  révolutionner  la  Suisse.  L'oc- 
casion se  présenta  d'elle-même.  En  janvier  Uas, 
les  patriotes  vaudois  se  soulevèrent  contre  la  ty- 
rannie bernoise,  et  Berne  ayant  refusé  de  leur 
accorder  les  droits  qu'ils  réclamaient,  ils  procla- 
mèrent leur  indépendance  et  se  constituèrent  en 
république  léraanique  en  se  plaçant  sous  la  pro- 
tection de  la  république  française.  Deux  armées 
françaises  envahirent  la  Suisse,  l'une  par  Soleure, 
qui  ne  résista  pas,  l'autre  par  le  pays  de  Vaud.  Aban- 
donné par  ses  confédérés,  divisé  en  deux  partis 
dont  l'un  demandait  la  paix  à  tout  prix,  le  gou- 
vernement de  Berne  se  décida  à  la  défense  lors- 
qu'il était  trop  tard  pour  l'organiser.  Après  une 
lutte  héroïque  i  Fraubrunnen  et  au  Grauholz, 
Berne  capitula  devant  l'armée  de  Schauenbourg 
le  5  mars  1798.  Le  même  jour,  à  Neueneck,  la 
dernière  armée  bernoise  mettait  on  déroute  les 
troupes  du  général  Brune,  composées  en  partie 
de  miliciens  vaudois  :  les  vainqueurs  eurent  le 
désespoir  d'apprendre,  sur  le  champ  de  bataille, 
la  reddition  de  leur  capitale.  La  chute  de  Berne 
entraîna  celle  de  la  Confédération.  Déjà  la  révo- 
lution avait  partout  accompli  son  œuvre,  et  l'on 
peut  dire  qu'avant  même  les  combats  de  Frau- 
brunnen, du  Grauholz  et  de  Neueneck,  la  vieille 
Suisse  avait  vécu.  Après  la  victoire,  les  agents  du 
Directoire  pillèrent  les  caisses  publiques,  dépouil- 
lèrent les  arsenaux  et  imposèrent  de  lourdes 
contributions  aux  vaincus.  Un  historien  français, 
Lanfrey,  estime  à  41  millions  ce  qui  fut  pris  à 
Berne  seulement. 

IV.  La  Suisse  au  XIX»  siècle.  —  La  République 
helvétique.  —La  Suisse  fut  organisée  en  républi- 
que démocratique  et  unitaire,  et  reçut  une  consti- 
tution qui  avait  été  élaborée  h  Paris  par  les  patriotes 
Laharpe,  de  Vaud,  et  Ochs,  de  Bàle.  Les  privilèges 
des  anciennes  oligarchies  disparurent,  les  popu- 
lations des  campagnes  furent  émancipées,  les  ter- 
ritoires sujets  furent  placés  sur  un  pied  d'égalité 
avec  h'Urs  maîtres  de  la  veille. 
La  république  helvétique  fut  divisée  en  22  can- 


tons à  peu  près  égaux  en  territoire  :  Zurich, 
Berne,  Lucerne,  Uri,  Schwytz,  Dnterwald,  Zoug, 
Bâle,  ScliafThouse,  Thurgovie,  Sentis  (Appenzell, 
Saint-Gall,  Bas-Toggenbourg,  Bas-Rlieintlial),Linth 
(Claris,  la  Marche,  Rapperschwyl,  Gaster,  Sar- 
gans,  Haut-Toggenbonrgl,  Rhétie,  llelllnzona, 
Lugano,  Valais,  Léman,  Sarine-el-Broie  (Fribourg, 
Payerne,  Avenche),  Oberland,  Argovie,  Soleure, 
et  Baden.  Plus  tard  Uri,  Schwytz,  Unterwald  et 
Zou;.'  furent  réunis  en  un  seul  canton,  celui  des 
Waklstaîtten.  Le  territoire  suisse  se  trouva  dimi- 
nué de  Mulhouse,  de  l'évèché  de  Bàle  et  de  Ge- 
nève, annexés  à  la  France,  de  Neuchâlel,  et  pen- 
dant une  année  des  Grisons. 

Le  pouvoir  législatif  était  confié  à  deux  conseils  : 
le  Sénat  et  le  Grand  Conseil.  Le  Sénat,  de  i  mem- 
bres par  canton,  acceptait  ou  rejetait  les  déci- 
sions du  Grand  Conseil.  Celui-ci  comptait  8  mem- 
bre par  canton.  Le  pouvoir  exécutif  appartenait  à 
un  Directoire  de  6  membres.  Cette  autorité  propo- 
sait seule  les  lois,  que  les  deux  conseils  accep- 
taient ou  rejetaient.  Les  différentes  branches  de 
l'administration  constituaient  des  ministères.  Un 
tribunal  suprême  exerçait  l'autorité  judiciaire  su- 
périeure. 

La  constitution  nouvelle  réalisait  incontestable- 
ment un  grand  progrès  sur  l'éiat  antérieur,  mais 
elle  avait  le  tort  d'être  imposée  par  l'étranger  et 
de  ne  tenir  compte  ni  des  habitudes  ni  des  idées 
de  la  plus  grande  partie  des  populations.  Celles 
des  petits  cantons  alpestres  entre  autres  ne  s'y 
soumirent  qu'après  avoir,  dans  une  lutte  suprême 
où  elles  déployèrent  une  valeur  digne  des  jours 
les  plus  glorieux  de  leur  histoire,  été  écrasées  par 
des  armées  françaises. 

En  n99,  la  Suisse  devint  le  théâtre  de  la 
guerre  entre  les  armées  russes  et  autrichiennes, 
d'une  part,  et  celles  de  la  république  française,  de 
l'autre.  A  cette  épreuve  se  joignaient  des  troubles 
politiques  presque  continuels.  En  cinq  ans  il  y 
eut  quatre  coups  d'Etat  et  autant  de  changements 
du  pacte  fondamental.  Dans  l'automne  de  1S02, 
les  troupes  françaises  ayant  quitté  le  territoire 
suisse  en  vertu  du  traité  d'Amiens,  une  partie 
de  la  population  se  souleva  contre  le  gouverne- 
ment helvétique,  et  Bonaparte,  alors  premier  con- 
sul, saisit  cette  occasion  pour  se  poser  en  mé- 
diateur. 

L'Acte  de  médiation.  —  Bonaparte  envoya  des 
troupes  en  Suisse  et  convoqua  en  mémo  temps, 
i  Paris,  60  députés  de  tout  le  pays  pour  arrêter, 
sous  ses  auspices,  une  nouvelle  constitution, 
qu'il  imposa  à  la  Suisse,  sous  le  titre  d'Acte  de 
'nédiation. 

Les  cantons,  dont  le  nombre  fut  fixé  à  19, 
reçuienl  les  noms  et  les  limites  qu'ils  ont  gardés 
depuis  ,  sauf  quelques  remaniements  de  détail)  ; 
ce  furent,  par  ordre  alphabétique  :  Appenzell, 
Arifovie,  Bàle,  Berne,  Fribourg,  Claris,  Grisons, 
Lucerne,  Saint-Gall,  Schatfhouse,  Schwytz,  So- 
leure, Tessin,  Thurgovie,  Unterwîild,  Uri,  Vaud, 
Zong,  et  Zurich. 

La  Suisse  se  trouvait  diminuée  du  Valais,  orga- 
nisé d'abord  en  république  indépendante,  pour 
être  plus  tard  annexé  à  la  France. 

Chaque  canton  avait  une  constitution  particu- 
lière :  la  démocratie  pure  dans  les  cantons  \ 
landsgemeinden  et  dans  les  Grisons  ;  la  démo- 
cratie représentative  dans  les  anciens  pays  sujets, 
Argovie,  Thurgovie,  Saint-Gall,  Vaud  et  Tessin, 
et  des  constitutions  plus  ou  moins  aristocrati- 
(Tiues  dans  les  autres  cantons.  Chaque  canton  avait 
une  voix  à  la  Diète  ;  les  cantons  ayant  plus  de 
lO'ï  '00  âmes  de  population  avaient  deux  voix.  La 
Diète  se  réunissait  une  fois  par  an  :  Fribourg, 
Berne,  Soleure,  Zurich  et  Lucerne  servaient  à 
tour  de  rôle  de  lieu  de  réunion.  Le  bourgmestre 
ou  avoyer  du  canton  où  la  Diète  siégeait,  et  qui 


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—  2097 


SUISSE 


était  alors  canton-directour,  était  président  do  la 
Diète  et  portait  le  litre  do  laiidamman  de  la  Saissc. 

Les  dix  années  que  dura  le  régime  de  l'Acte  de 
médiation  furent  pour  la  Suisse  une  époque  de 
repos,  et,  h  certains  égards,  de  progrès,  mais 
aussi  d'asservissement.  En  réalité,  elle  dépondait 
politiquement  de  la  France,  lui  ayant  éio  rattachée 
par  une  alliance  défensive  et  devant  lui  fournir 
un  contingent  militaire  de  lo  000  hommes.  Plus 
tard  même  elle  dut  se  soumettre  aux  mesures 
prises  contre  l'Angleterre,  sous  le  nom  de  sys- 
tème du  blocus  continental.  En  ISOC,  Napoléon  se 
fit  céder  par  la  Prusse  la  principauté  de  Neuchâlel, 
qu'il  donna  en  apanage  au  maréchal  Benhier  :  en 
ISIO  il  lit  occuper  le  Tessin  par  ses  troupes  et 
ses   douaniers. 

Pactede  1815.  —  L'Acte  de  médiation  ne  devait 
pas  survivre  à  la  chute  de  l'empire.  A  la  fin  de 
1815,  les  puissances  alliées  déclarèrent  qu'elles 
ne  se  croyaient  point  tenues  de  respecter  une 
neutralité  purement  nominale,  et  à  la  fin  de  la 
guerre  elles  invitèrent  la  Suisse  à  se  donner 
une  constitution  nouvelle.  La  réaction  relevait 
partout  la  tète.  A  Berne,  les  patriciens,  qui 
s'étaient  emparés  du  pouvoir,  réclamaient  la  pos- 
session de  Vaud  et  do  l'Argovie;  Uri  revendiquait 
ses  droits  de  souveraineté  sur  la  Levantine.  La 
Suisse  se  trouvait  divisée  en  deux  camps  :  l'un 
voulait  le  retour  à  la  Confédération  des  treize  an- 
ciens cantons,  avec  pays  sujets  et  Étais  alliés  ; 
l'autre  le  maintien  de  la  Confédération  nouvelle  et 
des  principes  fondamentaux  consacrés  par  l'Acte  de 
médiation.  Les  deux  partis  eurent  un  moment 
leurs  Diètes  séparées ,  le  premier  à  Lucerne,  le 
second  à  Zurich.  Il  fallut  l'intervention  des  puis- 
sances alliées,  réunies  en  congrès  à  Vienne,  pour 
obliger  les  cantons  réactionnaires  à  envoyer  leurs 
députés  à  la  Diète  de  Zurich.  Alors  commencè- 
rent, dans  la  Longue  Diète  (avril  18U-aoùt 
1815)  les  travaux  d'élaboration  d'un  nouvel  acte 
constitutionnel  :  le  Pacte  fédéral  do  1815.  Ce  fut 
une  œuvre  laborieuse  et  qui  fut  plus  d'une  fois 
sur  le  point  d'échouer,  la  plupart  des  cantons 
n'entendant  accepter  aucune  restriction  aux  prin- 
cipes de  la  souveraineté  cantonale  et  ne  voulant 
rien  sacrifier  au  bien  général.  Une  fois  élaboré, 
le  projet  de  Pacte  fut  soumis  à  la  sanction  du 
congrès  de  Vienne.  Comme  en  général  il  consa- 
crait l'état  de  choses  existant,  les  partisans  de 
l'ancienne  confédération  s'efforcèrent  de  le  faire 
rejeter  par  les  puissances.  Mieux  inspirées,  ces 
dernières  lui  donnèrent  leur  approbation.  Les  can- 
tons l'adoptèrent  à  leur  tour  :  cependant  il  fallut 
une  intervention  fédérale  pour  obliger  le  Nidwald 
b.  s'y  soumettre. 

Le  nombre  des  cantons  était  porté  à  22  par  l'ad- 
jonction du  Valais,  de  Genève  et  de  Neuchàtel, 
qui  était  rentré  sous  la  domination  des  rois  de 
Prusse,  et  conservait  sa  cojistitution  monarchique. 
Quelques  communes  françaises  et  savoyardes  furent 
annexées  à  Genève;  Berne  reçut  l'évêché  de  Bàle. 

La  Suisse  fut  régie  par  le  Pacte  de  1815  jus- 
qu'en 1848.  Pendant  les  quinze  premières  années, 
elle  subit,  comme  la  plupart  des  autres  Etats, 
1  influence  des  idées  réactionnaires.  Le  seul  pro- 
grès à  constater  dans  les  institutions  est  une  amé- 
lioration notable  do  l'organisation  militaire.  Cette 
PpJ'O'ie,  en  revanche,  vit  surgir  dans  les  esprits 
!  Idée  d  une  nationalité  commune,  dont  une  ma- 
nifestation fut  la  reconstitution  de  la  Société 
d  utilité  pubhque,  née  dans  le  siècle  précédent, 
et  la  création  de  nombreuses  associations  patrio- 
tiques et  savantes,  qui,  réunissant  sous  le  drapeau 
lederal  les  hommes  les  plus  généreux  et  les  plus 
ardents  de  toutes  les  parties  de  la  Suisse,  les 
Uabituèrent  à  étendre  au  delà  des  limites  de  leur 
canton  l'idée  de  la  patrie.  C'est  aussi  de  celte 
période   que  date   l'institution  des  tirs  fédéraux 

2'  PARTIE. 


(1824), ces grandscomices  populaires  qui  ont  exercé 
une  influence  incontestable  sur  la  régénération 
politique  du  pays.  Cet  éveil  de  l'espiit  public  coïn- 
cidait avec  le  développement  do  l'instruction,  pro- 
voqué par  les  écoles  célèbres  fondées  par  Pesta- 
lozzi  à  Yverdon,  par  Fellenberg  à  Hofwyl,  par  le 
Père  Girard  i  Fribourg  ;  avec  de  grands  progrès 
matériels,  tels  que  la  canalisation  de  la  Linth,due 
à  Conrad  Escher,  de  Zurich  ;  avec  l'établissement 
des  premières  maisons  pénitenciaires,  et  l'appa- 
rition des  bateaux  à  vapeur  sur  les  lacs  ;  mais 
c'est  aussi  i  cette  période  que  remonte  la  réappa- 
rition en  Suisse  des  jésuites  (i  Fribourg  et  en 
Valais),  et  avec  eux  le  renouvellement  des  luttes 
confessionnelles. 
Le   contre-coup  de   la  révolution    française  de 

1830  se  fit  sentir  très  vivement  en  Suisse.  Dans 
l'espace  de  quelques  mois,  la  majorité  des  cantons 
modifièrent  leur  constitution  dans  le  sens  démo- 
cratique :  chez  les  uns,  le  mouvement  fut  paci- 
fique, chez  d'autres  il  doinia  lieu  k  des  collisions 
sanglantes  et  revêtit  le  caractère  d'une  véritable 
révolution  (insurrection  républicaine  à  Neuchàtel, 

1831  ;  séparation  du  canton  de  Bàle  en  deux  demi- 
cantons,  183;').  On  vit  surgir  alors  une  grande  pen- 
sée, celle  de  la  revision  du  Pacte.  Un  projet  fut 
élaboré  par  une  commission  de  la  Diète,  dont  le 
rapporteur  était  ,1e  célèbre  Rossi.  11  offrait  une 
sorte  de  compromis  entre  la  Confédération  d'Etats, 
établir  par  le  Pacte  de  1815,  et  1  Etat  fédératif, 
désiré  par  tous  les  progressistes.  Ce  projet  ne 
fut  pas  adopté,  par  suite  do  l'opposition  de  quel- 
ques cantons,  et  la  Suisse  se  retrouva  plongée 
plus  que  jamais  dans  une  phase  do  dissensions 
politiques  qui  eurent  pour  conséquence  immé- 
diate une  rupture  presque  complète  entre  les 
cantons  libéraux  et  leurs  adversaires.  Les  pre- 
miers, h  leur  tète  Berne,  Zurich,  Argovie,  s'étant 
garantis  mutuellement  leur  constitution  revisée 
qu'ils  considéraient  comme  menacée,  les  autres 
formèrent  une  alliance  séparée,  la  Ligue  de  Sar- 
nen,  en  vue  de  s'opposer  à  toute  revision  du 
Pacte  fédéral.  Enhardis  par  l'échec  des  libéraux 
lors  du  projet  Rossi,  les  cantons  de  la  Ligue  de 
Sarnen  prirent  les  armes.  La  Diète  intervint 
énergiquemont.  et  la  Ligue  fut  dissoute  (1833). 

Aux  troubles  intérieurs  s'ajoutaient  les  dangers 
venant  de  l'extérieur.  La  Suisse  était  devenue  le 
rendez-vous  d'un  nombre  considérable  de  réfu''ié3 
politiques  de  diverses  nationalités,  chassés  de 
leur  pays  par  la  réaction  qui  avait  suivi  les  mou- 
vements révolutionnaires  de  1B,30.  Beaucoup  abu- 
sèrent de  l'hospitalité  qui  leur  était  donnée,  et 
suscitèrent  à  la  Suisse  des  réclamations  mena- 
çantes de  la  part  des  nations  étrangères.  Les  dif- 
ficultés les  plus  graves  surgirent  du  côté  de  la 
France,  à  l'occasion  de  l'asile  que  le  prince  Louis- 
Napoléon  (plus  tard  Napoléon  III)  avait  trouvé 
en  Thurgovie.  Le  gouvernement  de  Louis-Phi- 
lippe réclamait  son  éloignement,  et,  pour  ap- 
puyer ses  exigences,  réunit  sur  la  frontière  suisse 
une  armée  de  30  OnO  hommes,  sous  les  ordres 
du  général  Aymard,  chargé,  comme  il  le  disait 
dans  une  proclamation  à  ses  troupes,  de  «  mettre 
à  la  raison  de  turbulents  voisins  «.  Ses  menaces 
ne  firent  que  surexciter  le  sentiment  national, 
et,  sans  attendre  une  décision  de  la  Diète,  les 
cantons  de  Vaud  et  de  Genève  mirent  toute 
leur  population  valide  sous  les  armes,  pour  la  dé- 
fense de  la  frontière.  La  guerre  fut  évitée  par  le 
départ  volontaire  du  prince  Louis-Napoléon.  Mais 
la  conduite  de  Vaud  et  de  Genève  provoqua,  dans 
toute  la  Suisse,  une  explosion  d'enthousiasme  : 
des  drapeaux  d'honneur  lurent  donnés  aux  milices 
de  ces  cantons,  et  une  médaille  d'or  perpétua  le 
souvenir  de  la  conduite  courageuse  de  leurs  dé- 
putés b.  la  Diète,  Rigaud  et  Monnard,  proclamés 
les  gardiens  de  l'honneur  national. 

132 


SUISSE 


2098  — 


SUISSE 


Guerre  du  So7ulerbu)i'l.  Régi'nérntion  de  In  Suisse. 
Comtilutio'i  di-  1S48.  —  La  dernière  partie  de  cette 
période  est  remplie  dans  les  cantons,  comme  dans 
la  Confédération,  par  de  nouvelles  luttes  religieu- 
ses, provoquées  par  les  menées  du  parti  ultramon- 
tain.  En  Isll,  à  la  suite  de  troubles  dont  le  signal 
était  parti  des  couvents,  le  canton  d'Argovie  dé- 
créta la  suppres>iou  de  ces  établissements  sur 
son  territoire.  Les  cantons  catlioliques  protestè- 
rent en  se  fondant  sur  l'article  li  du  Pacte  de  1815 
qui  garantissait  l'existence  des  couvents,  et  leur 
protestation  fut  appuyée  par  l'empereur  d'Autri- 
che. Sommé  par  la  Diète  de  rétablir  tous  les 
couvents  supprimés,  le  canton  d'Argovie  s'y  re- 
fusa et  se  borna  au  rétablissement  des  couvents 
de  femmes.  Sous  la  pression  de  l'opiniin  publi- 
que, la  Diète  se  déclara  satisfaite,  et  raya  cette 
question  de  son  ordre  du  jour;  mais  les  cantons 
catholiques  organisèrent,  à  partir  de  ce  moment, 
une  nouvelle  ligue  de  défense,  connue  sous  le 
nom  de  Sonderbim/.  Cette  ligue  comprenait  les 
sept  cantons  de  Fribourg,  Lucerne,  liri,  Scliwytz, 
Untenvald,  Zoug  et  Valais.  En  même  temps  Lu- 
cerne  se  donnait  une  nouvelle  constitution,  et, 
pour  mieux  afficher  l'esprit  théocratique  qui  l'a- 
vait inspirée,  décidait  que  les  articles  en  seraient 
soumis  au  pape.  Une  proposition  formulée  en 
Diète  par  le  promoteur  de  la  suppression  des  cou- 
vents argoviens,  Augustin  Relier,  d'expulser  de  la 
Suisse  les  jésuites  dont  les  missions  surexci- 
taient au  plus  haut  degré  le  fanatisme  du  peuple 
des  campagnes,  n'eut  d'autre  effet  que  de  provo- 
quer, de  la  part  du  Grand  Conseil  de  Lucerne,  un 
décret  rappelant  formellement  les  jésuites  dans 
ce  canton,  malgré  l'opposition  presque  una- 
nime du  clergé  lucernois.  L'indignation  l'ut  à  son 
comble.  Des  corps-francs  s'organisèrent  à  Bàle- 
Canipagne,  Argovie  et  Soleure,  pour  appuyer  un 
soulèvement  des  libéraux  ii  Lucerne.  Celte  tenta- 
tive avoria,  et  la  Diète  ayant  rendu  un  arrêté  in- 
terdisant la  formation  des  corps-francs,  des  mani- 
festations populaires  y  répondirent  dans  tous  les 
cantons  libéraux  pour  demander  l'expulsion  des 
jésuites.  Une  nouvelle  levée  de  corps-francs  s'or- 
ganisa dans  ces  cantons,  sous  les  yeux  et  avec  le 
concours  des  autorités;  mal  dirigée,  l'expédition 
ne  put  prendre  Lucerne  et  n'aboutit  qu'à  une 
sanglante  défaite.  L'opinion  libérale  n'en  fut  que 
plus  surexcitée,  et  dans  plusieurs  cantons,  entre 
autres  Vaud  et  Genève,  des  mouvements  popu- 
laires amenèrent  la  chute  du  gouvernement  local 
et  un  revirement  politique  qui  donna  en  Diète  une 
majorité  décisive  aux  adversaires  du  Sonderbund 
et  des  jésuites.  Le  UO  juillet  1847,  douze  cantons 
et  deux  demi-cantons  déclarèrent  dans  celte  as- 
semblée que  le  maintien  du  Sonderbund  était  in- 
compatible avec  le  l'acte,  et  enjoignirent  aux 
cantons  qui  le  composaient  de  .suspendre  leurs 
armements.  Le  .3  septembre,  la  Diète  prononçait 
l'expulsion  des  jésuites,  et  le  4  novembre  elle  dé- 
cidait que  le  décret  de  dissolution  du  Sonderbund 
serait  exécuté  par  les  armes.  Appuyés  par  les 
puissances  étrangères,  spécialement  par  la  France 
et  l'Autriche,  les  cantons  du  Sonderbund  s'étaient 
organisés  pour  la  lutte  ;  mais  dès  le  13  novembre 
l'armée  fédérale,  commandée  par  le  général  Du- 
four.-  s'emparait  de  Fribourg,  et  onze  jours  plus 
tard,  OiOOU  hommes  et  2su  bouches  à  feu  mar- 
chaient sur  Lucerne.  La  Diète,  informée,  par  l'en- 
voyé anglais  Robert  Peel,  que  les  cabinets  fiançais 
et  autrichien  s'étaient  mis  d'accord  pour  opérer 
une  intervention  armée  en  laveur  du  Sonderbund, 
et  que  la  menace  du  gouvernement  anglais  de 
tombarder  Toulon  et  Trieste  arrêtait  seule  ces 
puissances,  avait  donné  l'ordre  au  général  Dufour 
den  finir  au  plus  tôt.  Les  deux  armées  se  ren- 
contrèrent à  Gislik'.n.  L'avaniage  resta  aux  fédé- 
raux, qui  occupèrent  Lucerne.  Les  autres  cantons 


sonderbundiens  capitulèrent  les  uns  après  les 
autres. 

Trois  mois  plus  tard  (I"  mars  18481,  une  ré- 
volution populaire  détruisait  à  Neuchâtel  l'auto- 
rité du  rui  de  Prusse,  et  transformait  ce  canton 
en  république. 

Dès  le  !()  aoiït  1847,  la  Diète  avait  voté  la  revi- 
sion du  Pacte  de  1815.  Le  12  septembre  1848,  la 
nouvelle  constitution  fédérale  était  acceptée  par 
le  peuiile  suisse  à  une  grande  majorité,  et  le  i2 
septembre  la  Diète  se  sépara  avec  la  gloire  d'avoir 
sauvé  la  Confédération  et  de  l'avoir  dotée  d'une 
constitution  démocratique  vraiment  nationale. 
(V.  plus  haut  Institutions  politiqies,  p.  20S5.) 

La  Suisse  depuis  1848.  —  A  partir  de  ce  mo- 
ment commence  pour  la  Suisse  une  ère  nouvelle. 
La  nation  est  constituée,  et  le  peuple  a  désor- 
mais une  existence  indépendante  des  cantons  ; 
à  côté  et  au-dessus  de  l'indigénat  cantonal  appa- 
raît le  droit  de  cité  suisse,  qui  va  gagner  en 
importance  à  mesure  que  les  institutions  fédé- 
rales se  développent,  élargissant  chaque  jour  le 
cercle  des  idées  et  des  intérêts  communs  à  tous 
les  confédérés.  Les  changements  continuels  que 
le  jeu  des  institutions  démocratiques  amène 
dans  les  cantons  n'ont  plus  sur  l'ensemble  qu'une 
influence  secondaire  et  indirecte.  Vis-à-vis  de  l'é- 
tranger, la  Suisse  ne  forme  plus  qu'un  Etat  homo- 
gène, que  son  organisation  intérieure  soustrait  à 
leur  influence  et  qui  se  sent  assez  fort  pour  faire 
respecter  son  indépendance  et  sa   neutralité. 

En  185(;,  à  la  suite  d'une  émeute  royaliste  à 
Neuchâtel,  le  roi  de  Prusse  revendiqua  ses  droits 
sur  ce  pays  et  menaça  de  les  faire  valoir  par  la 
force  des  armes.  La  Suisse  entière  se  leva  comme 
un  seul  homme,  et  le  parfait  accord  du  peuple  et 
des  autorités,  tout  en  montrant  combien  l'idée  de 
l'union  nationale  avait  fait  de  progrès,  contribua 
à  la  solution  pacifique  de  cette  affaire,  qui  se  ter- 
mina par  le  désistement  du  roi  de  Prusse  de  ses 
prétentions,  moyennant  l'élargissement  des  pri- 
sonniers royalistes.  Un  mouvement  analogue 
d'opinion  se  produisit  lors  de  la  guerre  franco- 
allemande  en  1870.  Grâce  à  l'attitude  énergique 
du  gouvernement  fédéral,  qui  mit  l'armée  sur  le 
pied  de  guerre  et  occupa  immédiatement  les 
frontières,  la  neutralité  de  la  Suisse  ne  fut  pas 
violée,  et  celle-ci  put  sans  être  inquiétée  donner 
asile  à  une  armée  française  de  80  OUU  hommes  qui 
s'était  réfugiée  sur  son  territoire. 

La  proclamation  du  dogme  de  l'infaillibilité  du 
pape  ranima,  en  Suisse  comme  ailleurs,  des  dis- 
sensions religieuses.  Plusieurs  cantons  interdi- 
rent la  promulgation  des  décrets  du  concile  du 
Vatican.  Dans  le  diocèse  de  Bâle,  qui  comprend 
Berne,  Soleure,  Bâle,  Argovie,  Thurgovie,  Lucerne 
et  Zoug,  l'évêque  Lâchât  ayant  contrevenu  à  cette 
défense,  les  cinq  premiers  cantons  le  destituèrent, 
et,  dans  le  Jura  bernois,  09  curés,  ayant  déclaré 
ne  pas  reconnaître  cette  mesure,  furent  destitués 
à  leur  tour.  Les  catholiques  libéraux  se  constituè- 
rent en  église  particulière  et  se  donnèrent,  dans 
la  personne  du  curé  Herzog,  un  évoque  qui  fut 
reconnu  par  tous  les  cantons  libéraux.  Dans  le 
diocèse  de  Lausanne  et  Genève,  le  curé  Merrail- 
lod,  voulant  détacher  ce  dernier  canton  du  dio- 
cèse et  s'en  faire  nommer  évoque,  échoua  con- 
tre la  résistance  des  autorités  genevoises.  Le 
pape  le  nomma  alors  vicaire-général,  maigre  je 
refus  du  gouvernement  suisse  d'autoriser  la 
création  de  cet  olfice.  Devant  cette  violation  fla- 
grante des  règles  du  droit  des  gens,  le  gouverne- 
ment fédéral  n'hésita  pas  à  faire  expulser  le  nou- 
veau vicaire-général,  sans  égard  à  sa  qiialité  de 
citoyen  suisse,  dont  il  se  couvrait  pour  violer  les 
lois  et  la  souveraineté  de  son  pays  (17  fév.  1873). 
Quelques  mois  après,  le  pape  ayant  publié  une 
encyclique  oflfensante  pour  les  autorités  léderales 


SUISSE 


—  2099  — 


et  attentatoire  à  leurs  droits,  la  Siiis'îe  y  répondit 
en  renvoyant  le  nonce  et  en  rompant  toute  relation 
avec  le  Saint-Siège. 

Déj'i  en  180.=.,  le  besoin  d'une  revision  de  la  consti- 
tution (le  1818  avait  surgi  dans  le  sens  d'une  exten- 
sion des  compétences  de  la  Confédération  et  des 
droits  garantis  aux  citoyens.  Un  projet  de  revision 
ayant  été  adopté  par  l'Assemblée  feilérale  un  seul 
article  en  fut  accepté  lors  de  la  votatio'n  popu- 
laire, celui  qui  étendait  aux  Suisses  de  toute 
croyance  le  droit  de  libre  établissement,  nui  jus- 
qu'alors n'était  pas  garanti  aux  Israélites.  En  1811 
cédant  à  un  mouvement  de  l'opinion  qui  avait 
pris  pour  devise  «  un  droit,  un  peuple,  une  ar- 
mée, 1)  l'Assemblée  fédérale  élabora  un  nouveau 
projet  de  constitution,  qui  donnait  satisfaction  à 
cette  tendance  tout  en  maintenant  l'existence  des 
cantons,  réduits  à  un  rôle  presque  exclusivement 
adimnistraiif  Ce  projet,  qui  répondait  aux  aspi- 
rations libérales  et  tenait  compte  des  besoins  ré- 
sultant des  conditions  et  des  exio-ences  de  la 
vie  moderne,  échoua  dnvant  la  coaliuon  des  can- 
tonalistes  de  la  Suisse  romande  avec  les  ultramnn- 
tains  et  les  conservateurs  (187-.').  L'Assemblée  fé- 
dérale se  remit  à  l'œuvre  et  adopta  un  nouveau 
projet,  qui  diffère  do  précédent  en  ce  qu'il  laisse 
aux  cantons  la  législation  sur  le  droit  des  per- 
sonnes et  sur  lo  droit  pénal,  et  qui,  en  revanche 
accentue  la  souveraineté  et  la  suprématie  de  l'Etat 
fédéral  en  matière  religieuse.  Ses  dispositions  à 
cet  égard,  entrant  dans  tous  les  détails  de  la  vie 
forment  un  véritable  code  destiné  à  soustraire 
Ihtat  et  ses  mstitutions  aux  inHuences  ecclésias- 
tiques et  à  protéger  les  citoyens  contre  les  em- 
piétements et  les  prétentions  de  l'Eglise  Cette 
constitution  a  été  acceptée  par  le  peuple  et  les 
cantons  le  19  avril  I87i.  Depuis,  une  coalition 
momentanée  des  cantonalistes  et  des  ultramon- 
tains  en  a  fait  reviser  un  article  qui  interdisait 
la  peine  de  mort. 

La  période  de  18i8  à  1872  est  incontestable- 
ment la  plus  belle  de  l'histoire  suisse  L'éna- 
nouissement  de  l'idée  nationale,  l'amélioration 
gra.luelle  des  institutions  y  marchent  de  pair 
avec  des  progrès  matériels  et  intellectuels  et  un 
développement  de  la  prospérité  publique  sans 
exemple.  ^ 

La  Suisse  occupe  aujourd'hui  parmi  les  nations 
une  place  mode.ste,  mais  honorable,  représentant 
à  un  plus  haut  degré  que  toute  autre  le  principe 
de  la  souveraineté  du  peuple,  vivant  en  paix  avec 
f|'  ZT"'  "'  '■,?'''::^^"'  ■«  programme  dU  socié- 
tés modernes  :  l'ordre  dans  la  liberté. 

y.  Sciences,  lettres  et  beaux-arts  —  Le  nre- 
mier  centre  de  culture  en  suisse,  après  l'invasion 
germaine,  fut  l'abbaye  de  Saint-G.,11,  qui,  pendlnt 
es  i.x=  et  X'  siècles,  fut  un  foyer  de  lomiè.es  nour 
es  p,.ys  allemands.  Sa  bibliothèque,  fondée  vers 

râbles  de "l'p  "*""'  '^''"  ''""'^'^'^^  P'"^  ™"3idé- 
râbles  do  1  Europe. 

Au  xv«  siècle,  c'est  Bâle  qui  devint  le  foyer 
Vn  ,1™  ''  f"''"}Mnea  et  littéraires  de  la  Suisse, 
nh  o  y  lut    inaugurée  une  université  dont  la 

?ln  le' H  M  '"f  .™i""  fut.  dans  le  siècle  sui- 
vant, le   Hollandais  Erasme,  l'esprit  le  plus   élé- 

famèu  'le^l"'  ''"'^"'  "=  P'"=  ^''"=">le  e?  le  plus 
laiiieur  de  son  temps 

C'est  au   Bâiois  d-'stein   et  à    son    ingénieux 

compatriote  Elle   de   Laufen    que    revie   t    "hon- 

mene  eTZv"'"'  '^  '"'^''^  '^^  '^  P'-'-'^"«  '-p"'" 
sanïda,,  H  "."'i"-^L'««  ensuite  cet  art  nais- 
sant   dans   la   capitale  de    la   France    n47m     lo 

vrin"e'M^'\'^p"^^^p'"«'="Suts-f"tu^^^ 

L-art  fvnn  ''■'    "^"^    '<*    '^='"»"   de  Lucerne. 

ïltZZ  1  '^■"erbach  et  dos  Froben  de  Bâle 
éditeurs  des  œuvres  d'Erasme.  Los  beaux-ar  s 
favorises  par  les  richesses  et  le  luxe,  Sage  de  ■ 


SUPERSTITIONS 


Grandson  et  des  guerres  mercenaires,  suivirent 
le  progrè»  des  sciences  et  des  lettres.  Le  xv«  siè- 
cle vit  s  élever  une  foule  de  monuments,  églises 
hôtels  de  villes,  statues,  fontaines  et  odinces  pu- 
blics et  privés  de  tout  genre. 

La  peinture,  cultivée  à  Bâle,  à  Berne,  à  Lu- 
cerne  à  Fribourg.  avait  pour  représentant  le 
plus  illu.stie  llans  Holbein  de  Bàle,  le  chef  de 
I  école  allemande. 

Au  xvi^  siècle  les  études  classiques  furent  fa- 
vorisées par  Zwingli  et  Calvin,  qui  exercèrent,  l'un 
comme  l'autre,  une  grande  inlluence  sur  le  déve- 
loppement de  leur  langoe.  De  nombreux  chroni- 
queurs, entre  autres  Bullinger  et  Tschudi  expo- 
saient l'histoire,  la  géographie  et  la  constitution 
du  pays.  Le  naturaliste  Conrad  Gessner,  de  Zurich 
le  Pline  de  l'Allemagne,  jouissait  d'une  réputation 
universelle.  L'art  le  plus  noi-issant  du  siècle,  avec 
I  orfèvrerie  et  la  céramique,  fut  la  peinture  sur 
verre,  dans  laquelle  les  artistes  suisses  s'étaient 
rendus  fameux  bien  au  delà  de  leurs  frontières 
Le  xviic  et  lo  wm'  siècles  produisirent  toute  une 
pléiade  de  Suisses  illustres  dans  les  lettres  et 
dans  les  sciences  :  les  frères  Bernouilli  do  Bâle 
inventeurs  du  calcul  différentiel  et  intégral  et 
leur  disciple  Léonard  Eulcr-  qui,  le  premier, 'ré- 
duisit en  corps  de  science  I  architecture  navale 
et  la  manœuvre  dos  vaisseaux  ;  Albert  de  Haller 
poète  et  naturaliste,  que  son  siècle  appelait  lé 
grand  Halleri  les  deux  critiques  zuricois  Bodmer 
et  lireitinger,  et  leurs  compatriotes  Salomon 
Gessner.  le  poète  idyllique,  Lavater,  le  créateur 
de  la  physiognonoinie,  Pestalozzi,  le  père  de  l'en- 
fance malheureuse  et  de  l'éducation  populaire. 
Parmi  les  historiens,  il  faut  citer  Jean  de  Muller, 
auteur  d'une  histoire  universelle  et  d'une  histoire 
suisse.  La  Suisse  romande,  où  naquit  J.-J.  Rous- 
seau, où  l'Anglais  Gibbon  écrivit  son  immortel 
ouvrage  sur  la  décadence  de  l'empire  romain, 
où  Diderot  et  d'Alembert  faisaient  imprimer  leur 
Encyclopédie,  fournissait  aussi  plusieurs  hom- 
mes remarquables  :  le  Neucliâielois  Vattel,  l'au- 
teur du  Droit  des  gens  ;  Necker,  ministre  des 
finances  de  Louis  XVI,  le  père  de  M^^  de  Stacl  • 
Clavière  et  Etienne  Dumont,  les  collaborateurs  de 
Mirabeau;  les  savants  Charles  Bonnet  et  Horace 
de  Saussure,  qui  le  premier  fit  l'ascension  du 
mont  Blanc. 

Au  xix=  siècle,  on  peut  citer  les  noms  des  his- 
toriens Sismondi  et  Zscliokke,  des  romanciers 
Bitzius  (Jeremias  Gotthell)  et  Tœppfer,  du  littéra- 
teur Viiiet,  du  baron  de  Jomiiii,  écrivain  militaire 
distingué,  des  peintres  Lénpold  Robert  et  Ca- 
lante, des  statuaires  Pradier  et  Vêla,  du  musi- 
cien Niedermeyer,  du  grand  botaniste  de  Can- 
doUe,  etdu  naturaliste  Agassiz,  mori  en  Amérique. 
[Eugène  Borel.  1 
SUPERLATIF.  —  V.  Degré  ,1e  comparaison. 
SUI'KIISTITIONS.  — Connaissances  usuelles,  X. 
—  Le  mot  superstition  (de  radicaux  latios  dont  le 
sens  est  se  tenir  au-dessus-,  /iroiéf/er;  d'où  l'idée 
de  crainte  des  dieux,  du  respect  de  leur  protection, 
pt;ise  en  mauvaise  part)  est  ainsi  défini  par  l'Aca- 
démie :  La  superstition  est  une  o  fausse  idée  que 
l'on  a  de  certaines  pratiques  de  religion  aux- 
quelles on  s'attache  avec  trop  de  crainte  oti  trop 
du  confiince  »  ;  il  se  dit  aussi  «  des  pratiques 
superstitieuses  »,  et  encore  «  du  vain  présage 
qu'on  tire  de  certains  accidents  qui  sont  purement 
fortuits.  » 

La  superstition,  d'après  ces  définitions,  tient  de 
très  près  à  la  religion;  elle  est  à  la  religion 
comme  l'a  dit  Voltaire,  n  ce  que  l'astrologie  est 
k  l'astronomie,  la  fille  très  folle  d'une  mère  très 
sage.  »  Elle  naît,  en  effet,  comme  la  religion,  de 
ce  sentiment  de  l'au  d-la,  de  cette  préocc°upation 
de  nos  destinées  soit  antérieures,  soit  ultiirieures 
à  la  vie  présente,  des  liens  qui  unissent  notre 


SUPERSTITIONS 


2100  — 


SUPERSTITIONS 


individu  tant  à  l'ensemble  des  êtres  qu'à  leurs 
causes  dernières  et  suprêmes,  qui  constitue  sans 
contredit  un  des  éléments  de  la  nature  humaine. 
Mais  au  lieu  de  s'adresser,  pour  savoir  ce  qu'il 
est  possible  de  savoir  sur  ces  grands  mystères, 
soit  h  la  raison  et  à  l'expérience,  soit  à  l'ensemble 
des  dogmes  reconnus  par  les  églises,  c'est  aux 
fantaisies  de  l'imagination  que  la  superstition  de- 
mande ses  révélations,  quand  sa  croyance  ne 
•'appuie  pas  sur  des  traditions  que  les  générations 
se  transmettent,  plus  ou  moins  déformées  et  défi- 
gurées, à  travers  les  âges.  La  religion,  représentée 
par  les  églises  orthodoxes  et  par  leurs  apologistes 
les  plus  autorisés,  s'est  toujours  défendue  de  la 
superstition.  L'Église  catholique,  par  exemple, 
peut  montrer  un  grand  nombre  de  canons  de  ses 
conciles  anatliématisant  les  croyances  et  les  pra- 
tiques qu'elle  reconnaît  comme  superstitieuses. 
II  y  a  de  curieux  écrits  émanant  des  évêques,  qui 
montrent  qu'en  plein  moyen  âge,  c'est-à-dire  en 
pleine  floraison  des  idées  superstitieuses,  l'Eglise 
réprouvait  ces  aberrations,  où  elle  ne  pouvait  voir, 
fort  justement  d'ailleurs,  que  des  restes  encore 
vivants  du  paganisme  populaire.  C'est  ainsi  que 
M.  Chéruel,  dans  son  Dictionnaire  liislorique  des 
institutions,  mœurs  et  coutumes  de  la  Frarn-e,  cite 
un  passage  très  sensé  contre  les  superstitions, 
extrait  d'une  vie  de  saint  Éloi,  écrite  au  vu'  siè- 
cle par  saint  Ouen,  archevêque  de  Rouen  :  <i  Je 
vous  conjure,  dit  le  saint  aux  fidèles,  de  fuir  les 
usages  sacrilèges  des  païens.  ,\e  consultez  ni  les 
devins,  ni  les  sorciers,  ni  les  magiciens,  ni  les 
enchanteurs  ;  ne  les  interrogez  jamais,  ni  dans 
vos  maladies,  ni  dans  aucune  circonstance  Celui 
qui  commet  ce  péché  perd  aussitôt  la  grâce  du 
baptême.  N'observez  ni  les  augures  ni  les  éter- 
numents  ;  ne  vous  arrêtez  pas  pour  écouter  le 
chant  des  oiseaux  ;  mais,  soit  que  vous  entrepreniez 
un  voyage  ou  toute  autre  chose,  signez-vous  au 
nom  du  Christ;  récitez,  avec  fol  et  dévotion,  le 
symbole  et  l'oraison  donilnlcalej  et  rien  ne  pourra 
vous  nuire.  Que  nul  chrétien  ne  remarque  le  jour 
où  il  sort  ni  celui  où  il  rentre  ;  car  Dieu  a  fait 
tous  les  jours  égaux.  Que  personne  ne  fasse 
attention  au  jour  ou  à  la  lune  pour  commencer 
une  entreprise.  11  est  interdit  de  se  livrer,  aux 
calendes  de  janvier  fl"  janvier),  h  des  pratiques 
ridicules  et  criminelles,  de  prolonger  les  festiiis 
pendant  la  nuit  et  de  boire  avec  excès  ;  fuyez,  à 
îa  fêle  de  sahu  Jean  et  des  antres  saints,  les 
danses,  les  sortilèges  et  les  cérémonies  diaboli- 
ques. Que  personne  n'invoque  les  démons,  Nep- 
tune, Diane,  Minerve,  ou  les  génies.  Évitez  les 
temples,  les  pierres,  les  sources  ou  les  arbres 
coiisacrés  aux  démons.  N'allumez  pas  de  lampes 
dans  les  carrefours;  n'y  faites  pas  de  vœux.  Que 
personne  ne  suspende  des  amulettes  au  cou  des 
hommes  ou  des  animaux  ;  lors  même  que  les 
clercs  les  béniraient,  évitez  ces  objets,  qui  ne  sont 
pas  un  remède  du  Chiist,  mais  un  poison  du 
diable.  Ne  faites  ni  lustrations  ni  enchantements; 
ne  faites  point  passer  vos  troupeaux  par  un  arbre 
creux  ou  par  une  fosse  ;  ce  serait,  en  quelque 
sorte,  les  consacrer  au  démon.  Qu'aucune  femme 
ne  suspende  à  son  cou  des  sachets  d'ambre  ; 
qu'elle  n'Invoque  point  Minerve  avant  de  travailler 
la  toile,  mais  qu'elle  implore  la  grâce  du  Christ, 
et  qu'elle  se  confie  de  tout  son  cœur  en  la  vertu 
de  son  nom.  SI  la  lune  vient  à  s'obscurcir,  ne 
poussez  point  de  cris;  c'est  par  la  volonté  de 
Dieu  qu'elle  subit  des  éclipses  à  certaines  époques. 
Que  personne  ne  craigne  d'entreprendre  un  tra- 
vail à  la  nouvelle  lune;  Dieu  a  fait  la  lune  pour 
marquer  les  temps,  pour  éclairer  l'obscurité  des 
nuits,  et  non  pour  mettre  obstacle  aux  travaux 
ou  pour  frapper  l'homme,  ainsi  que  le  pensent  les 
insensés,  qui  regardent  comme  tourmentés  par 
la  lune  ceux   qu'agite  le  démon.  »  Au  point  de 


vue  scientifique  moderne,  il  y  aurait  encore  bien 
à  reprendre  dans  ces  paroles  du  pieux  arche- 
vêque; mais  il  n'en  défend  pas  moins  le  bon  sens, 
au  nom  de  la  religion  elle-même,  et  sa  doctrine 
ne  dilTère  pas  de  celle  de  Pascal,  lorsqu'au 
xvii'  siècle  11  écrivait  dans  ses  Pensées  :  «  La 
piété  est  différente  de  la  superstition;  soutenir  la 
piété  jusqu'à  la  superstition,  c'est  la  détruire.  » 
Mais  il  est  des  époques  où,  par  suite  de  raisons 
et  de  circonstances  qui  ne  rentrent  pas  dans  notre 
sujet,  l'opinion  de  Pascal  ne  semble  pas  partagée, 
au  moins  en  fait,  par  la  masse  des  pratiquants, 
et  où  l'on  dotme  trop  de  raison  à  cette  singulière 
doctrine  que  formulait  Joseph  de  Maistre  en  di- 
sant :  "  Je  crois  que  la  superstition  est  un  ou- 
vrage avancé  de  la  religion,  qu'il  ne  faut  pas 
détruire,  car  il  n'est  pas  bon  qu'on  puisse  sans 
obstacle  venir  jusqu'au  pied  du  mur,  en  mesurer 
la  hauteur  et  planter  les  échelles.  » 

Quoi  qu'on  puisse  penser  de  ces  théories,  que 
notre  époque  contemporaine  ne  voit  que  trop  sou- 
vent mettre  en  pratique,  on  peut  remarquer 
qu'historiquement  elles  sont  à  tout  le  moins  nou- 
velles, l'Église  voyant  dans  les  superstitions, 
qu'elle-même  ne  patronnait  pas,  une  atteinte  à 
son  autorité,  et,  au  temps  où  le  bras  séculier  se 
faisait  l'exécuteur  de  ses  liautes  œuvres,  confon- 
dant traditionnellement  les  superstitieux  avec  ses 
pires  ennemis  et  les  condamnant  comme  les  héré- 
tiques. Pendant  de  longs  siècles,  on  a  questionné, 
emprisonné  et  biûlé  les  sorciers  ou  prétendus 
tels,  par  centaines  quelquefois  ;  il  y  a  des  procès 
de  sorciers  qui  sont  restés  célèbres,  ceux  de 
Gauifrédy,  par  exemple,  et  d'Urbain  Grandier,  au 
xvii"'  siècle;  en  1750,  le  jésuite  Girard  faillit  en- 
core être  brùié  vif  par  arrêt  du  parlement  de 
Provence  pour  avoir  ensorcelé,  disait-on,  la  belle 
La  Cadière,  sa  pénitente  ;  et,  cette  même  année, 
à  Wurtzbourg,  on  brûla  en  grande  cérémonie 
une  religieuse  de  famille  noble,  pour  avoir, 
de  son  propre  aveu,  pratic|ué  diverses  sor- 
celleries à  l'effet  de  donner  la  mort  à  plusieurs 
personnes,  lesquelles,  d'ailleurs,  avaient  résisté  à 
la  puissance  de  son  art.  On  ne  brûle  plus  aujour- 
d'hui les  sorciers,  ni  autres  prùneurs  de  supers- 
tition ;  l'article  479  du  Code  pénal  se  contenta 
d'infliger  une  amende  légère  aux  gens  qui  font 
métier  de  deviner,  de  pronostiquer  ou  d'expliquer 
les  songes;  encore  est-il  rare  qu'on  inflige  ces 
peines,  sauf  dans  le  cas  d'escroquerie. 

La  sorcellerie  et  les  autres  superstitions  sont 
rentrées  dans  le  domaine  de  la  science  ;  elle  en 
explique  l'origine  et,  ce  qui  est  plus  dilficile,  elle- 
essaie  d'en  préserver  ou  d  en  guérir  les  gens. 
C'est  une  tâche  qui  peut  et  qui  doit  souvent  reve- 
nir aux  instituteurs;  nous  y  insisterons  particu- 
lièrement à  ce  point  de  vue. 

L'article  Légendes  de  ce  Dictionnaire  montre 
comment  les  croyances  superstitieuses  naissent, 
prennent  corps,  se  transmettent,  remontant  bien 
souvent  à  une  haute  antiquité,  ayant  quelquefois 
traversé,  satis  s'y  perdre,  l'orthodoxie  de  plusieurs 
cultes,  sans  cesse  vivifiées  et  renouvelées  par 
l'Imagination  populaire.  A  ce  titre,  comme  le 
remarque  l'auteur  de  l'article,  elles  sont  extrê- 
mement curieuses  pour  l'histoire;  elles  sont  aussi 
extrêmement  Intéressantes  pour  le  poète  ;  étranges 
parfois  jusqu'à  la  bizarrerie,  parfois  aussi  char- 
mantes ou  terribles  sous  leur  forme  spontanée, 
elles  ont  servi  de  fond  aux  plus  beaux  chefs-d'œu- 
vre littéraires,  ne  fût-ce  que  Fuust  ou  Don  Juan. 
Elles  n'en  sont  pas  moins  dangereuses  pour  ceux 
qui  y  volent  la  seule  chose  qu'elles  ne  puissent 
avoir,  c'est-à-dire  une  véiitablc  réalité.  Supersti- 
tion vient  d'ignorance,  et  toute  ignorance  est 
mauvaise.  C'est  faute  de  connaître  les  faits  que 
le  superstitieux  en  explique  surnaturellement  les- 
circonstances  et  les   causes.  11   ne    faut  pas    que 


SUPERSTITIONS         —  2101  —    SURFACES  COURBES 


l'instituteur  craigne  de  reprendre  au  xix*  siècle 
le  rôle  de  saint  Ouen  au  vu',  en  serrant  de  plus 
près  la  vérité  que  saint  Ouen  ne  le  pouvait  faire. 
La  tâche,  d'ailleurs,  n'est  pas  plus  facile.  L'igno- 
rance sur  laquelle  s'appuie  le  superstitieux  est 
une  ignorance  intéressée  :  c'est  pour  la  sauve- 
garde ou  l'amélioration  de  ce  qu'il  a  de  plus  pré- 
cieux, de  ce  qu'il  regarde  comme  ie  plus  envia- 
ble, sa  vie,  sa  santé,  sa  fortune,  la  satisfaction 
d'une  passion  ou  d'un  désir,  que  le  superstitieux 
consulte  les  sorts,  se  fait  dire  la  bonne  aventure, 
s'enquiert  de  ses  rêves,  redoute  tel  ou  tel  présage, 
boit  de  telle  eau  ou  invoque  tel  saint,  s'adresse  h 
la  somnambule  ou  k  ceux  qui  o  disent  des  paro- 
les »,  fait  tourner,  au  besoin,  des  tables  ou  des 
chapeaux,  et  évoque  môme  les  esprits,  qui  ne  se 
montrent  pas  moins  dociles  à  nos  modernes  spi- 
rites  que  jadis  à  Ulysse,  à  Enée,  ou  au  roi  Saiil 
■cliez  la  pytlionisse  d'Endor.  Il  faut  que,  dans 
l'école  et  même  au  delà,  l'instituteur  prenne 
€orps  à  corps  ces  fausses  croyances,  qui  ne  se 
bornent  pas  toujours  à  la  sottise,  qui  peuvent 
aller  à  la  méchanceté,  et  dont  les  pratiques,  dans 
bien  des  cas,  donnent  lieu  i  de  fâcheux  accidents  : 
le  jeteur  de  «orts  n'est  pas  le  plus  souvent  —  les 
tribunaux  l'ont  montré  —  un  croyant  naïf  qui  se 
croit  un  droit  surnaturel  de  vie  ou  de  mort  sur 
les  bêles  d'autrui,  et  il  arrive  plus  d'une  fois  à  la 
«  sorcière  »  ou  au  <>  rebouteux  «  d'estropier  pour 
la  vie,  de  faire  même  soi  tir  de  ce  monde  le  pa- 
tient blessé  ou  la  pauvre  femme  en  couches. 

Il  faut  en  appeler  au  bon  sens.  Le  simple  fait 
suffira  parfois  à  prouver  aux  intéressés  qu'il  n'ar- 
rive pas  toujours  malheur  à  ceux  qui  ont  renversé 
une  salière  ou  se, sont  trouvés  treize  à  table.  A 
ceux  qui  craignent  de  commencer  une  affaire  ou 
de  conclure  un  marché  le  vendredi,  sous  prétexte 
que  cela  porte  malheur,  faites  observer  qu'en 
général,  dans  tout  marché  ou  dans  toute  affaire, 
à  moins  d'échange  pur  et  simple,  il  y  a  perdant  et 
gagnant,  et  que,  par  conséquent,  le  vendredi, 
jour  de  malheur  pour  l'un,  est  par  là  même  jour 
■heureux  pour  l'autre.  Ajoutez  —  ce  sera  le  cas  — 
que  les  mauvaises  affaires  et  les  mauvais  marchés 
sont  surtout  ceux  pour  lesquels  on  a  manqué  de 
prudence,  de  prévoyance,  voire  de  bonne  foi. 
Vous  guérirez  peut-être  ceux  qui  croient  que  les 
hiboux  sont  des  messagers  de  mort,  en  leur  fai- 
sant voir  que  s'il  en  est  ainsi,  comme  les  hiboux 
se  tiennent  d'ordinaire  dans  des  endroits  isolés 
où  personne  ne  peut  mourir,  ils  sont  singulière- 
ment infidèles  à  leur  ministère;  vous  pourrez 
<lire  aussi  en  passant  que  les  hiboux  valent  mieux 
que  leur  réputation,  et  qu'ils  font  bonne  besogne 
de  mangeurs  de  rats  et  autres  bêtes  malfaisantes. 
A  tel  qui  redoutera  les  pies  ou  les  corneilles, 
comme  faisaient  déjà  les  anciens,  contez,  si  vous 
voulez,  cette  malice  d'Esope,  que  vous  trouverez 
dans  sa  vie  traduite  par  La  Fontaine  du  texte 
grec  de  Planude.  Esope,  qui  était  esclave,  deman- 
dait à  son  maître  la  liberté  ;  Xanthus  la  lui  refusait, 
ajoutant  que,  «  si  toutefois  les  Dieux  l'ordonnaient 
ainsi,  il  y  consentait  :  partant  qu'il  prît  garde  au 
premier  présage  qu'il  aurait  sortant  du  logis  ;  s'il 
était  heureux,  et  que,  par  exemple,  deux  cor- 
neilles se  présentassent  à  sa  vue,  la  liberté  lui 
serait  donnée;  s'il  n'en  voyait  qu'une,  qu'il  ne  se 
lassât  point  d'être  esclave...  A  peine  Esope  fut-il 
hors,  qu'il  aperçut  deux  corneilles  sur  un  arbre. 
Il  en  alla  avertir  son  maître,  qui  voulut  voir  lui- 
même  s'il  disait  vrai.  Tandis  que  Xanthus  venait, 
l'une  des  corneilles  s'envola.  >.  Me  tromperas-tu 
toujours?  dit-il  à  Esope  :  qu'on  lui  donne  les 
étrivières.  »  L'ordre  fut  exécuté.  Pendant  le  sup- 
plice du  pauvre  Esope,  on  vint  inviter  Xanthus  à 
un  repas  :  il  promit  qu'il  s'y  trouverait.  «  Hélas  ! 
s'écria  Esope,  les  présages  sont  bien  menteurs  ! 
jmoi  qui   ai    vu  deux   corneilles,  je  suis  battu; 


mon  maître,  qui  n'en  a  vu  qu'une,  est  prié  da 
noces.  »  Xanthus  rit  du  mot  d'Esope,  mais  il  ne 
lui  rendit  pas  la  liberté.  » 

Il  faut,  en  définitive,  combattre  la  superstition, 
comme  on  combat  tous  les  préjugés  et  toutes  le» 
erreurs,  par  des  raisonnements  justes,  s'il  y  a  lieu, 
surtout  par  l'observation  directe  et  précise  des 
faits.  Il  n'y  a  plus  de  sciences  occultes  depuis 
qu'il  y  a  des  sciences  véritables  ;  les  alchimistes 
du  grand  œuvre  n'en  sont  plus  aujourd'hui  à  vou- 
loir transformer  les  corps  naturels,  mais  le  chi- 
miste a  tiré  de  chacun,  par  une  exacte  analyse, 
plus  de  merveilleux  efl'ets  que  n'en  avaient  pu 
imaginer  les  plus  audacieuses  rêveries  de  leurs 
devanciers  ;  il  n'y  a  plus  do  sorciers  ni  de  sor- 
cières depuis  qu'il  y  a  des  médecins  dignes  de  ce 
nom,  qui  ne  prennent  pas  les  hystériques,  les 
épileptiques  et  les  fous  pour  des  possédés  et  des 
démoniaques.  Les  faiseurs  de  prédictions  sont  au- 
jourd'hui d'honnêtes  astronomes,  travaillant,  aux 
frais  de  l'Etat,  dans  les  observatoires  ou  au  bu- 
reau des  longitudes;  les  magiciens  sont  d  indus- 
trieux savants,  qui  inventent  les  prodiges  de  la 
télégraphie,  de  la  téléphonie,  ou  d'amusants  pres- 
tidigitateurs, qui  sont  les  premiers  à  rire  de  leur» 
miracles.  Pour  croire  aujourd'hui  que  les  furoUe» 
sont  des  gnomes,  qu'on  se  guérit  d'une  fracture 
ou  d'une  luxation  avec  des  formules,  et  que  le» 
comètes  annoncent  la  guerre,  il  faut  être  un  igno- 
rant ou  un  charlatan  :  l'école  a  pour  mission  de 
diminuer  le  nombre  des  uns  et  d'empêcher  la 
succès  des  autres. 

Nous  signalerons  aux  instituteurs  comme  une 
excellente  lecture  à  faire,  soit  pour  eux-mêmes, 
soit  dans  les  cours  supérieurs  de  leurs  classes  ou 
dans  les  classes  d'adultes,  les  chapitres  XIX  et 
XX  de  la  troisième  partie  de  la  Logique  de  Port- 
Royal,  ayant  pour  titre,  le  premier  :  Des  diverses 
manières  de  mal  raisonner,  que  l'on  appelle  so- 
phisrnes,  et  le  second  :  Des  mauvais  raisonne- 
ments que  l'on  commet  dans  la  vie  civile  et  dans 
/es  discours  ordinaires.  Ils  y  trouveront,  dans  un 
langage  très  simple  et  très  net,  l'énumération 
d'un  grand  nombre  de  fausses  idées  qui  sont  de 
cours  ordinaire,  ainsi  que  les  moyens  d'y  répondre. 
Nous  leur  recommandons  aussi  la  page  bien  con- 
nue de  Fontenelle,  ayant  pour  titre  La  Dent  d'or, 
qui  se  trouve  dans  un  grand  nombre  do  recueils. 
C'est  une  critique  très  sensée  et  très  fine  de  ce» 
idées  préconçues  qu'on  érige  si  facilement  en  sys- 
tèmes et  qui  tombent  au  moindre  contact  de  l'ex- 
périence. [Charles  Defodon.] 

SURFACES    COURBES.   —    Géométrie,   XXV- 

XXVI.  —  DÉFINITION  UE  L\  SURFACE  COUBBE.  —  DanS 

un  grand  nombre  d'ouvrages  classiques,  on  définit 
la  surface  en  disant  que  c'est  la  limite  qui  sépare 
«H  corps  du  reste  de  l'espace.  Il  en  résulte  qu'on 
ne  pourrait  pas  concevoir  une  surface  séparée  d'un 
corps,  tandis  que  le  contraire  arrive  continuelle- 
ment dans  l'étude  de  la  géométrie.  Cette  défini- 
tion no  paraît  donc  pas  avoir  une  clarté  suffisante 
pour  un  enseignement  élémentaire.  Aussi  dirons- 
nous  de  préférence  :  oti  appelle  surface  une  éten- 
due considérée  en  longueur  et  en  largeur,  sans 
qu'on  fasse  attention  à  l'épaisseur,  par  exemple 
la  surface  d'une  table,  d'un  mur,  d  une  colonne. 

Une  feuille  de  papier  aussi  mince  que  possible, 
comme  le  papier  mou,  peut  donner  une  idée  d'une 
surface  indépendante  d'un  corps,  et  cette  repré- 
sentation sera  d'autant  moins  imparfaite  que 
l'épaisseur  du  papier  se  trouvera  plus  petite. 

Si  cette  feuille  de  papier  est  parfaitement  ten- 
due en  tous  sens  comme  dans  un  cadre,  la  sur- 
face est  plane.  Si  elle  a  toute  autre  forme,  la  sur- 
face est  courbe.  On  définit  la  surface  plane  en  di- 
sant :  C'est  une  surface  telle  qu'une  ligne  droite 
qui  y  est  appliquée  dans  un  sens  quelconque  a 
tous  ses  points  en  contact  avec  elle. 


SURFACES  COURBES  —2102—  SURFACES  COURBES 


On  appelle  surface  courbe  toute  surface  qui  n'est 
ni  plane,  ni  composée  de  surfaces  planas.  Telle  est 
la  surface  (l'un  tuyau,  d'une  boule,  d'un  enton- 
noir, d'un  caillou  roulé 

Il  ne  sera  point  inutile  d'entrer  dans  quelques 
explications,  pour  que  les  élèves  arrivent  h  avoir 
une  notion  juste  de  ce  qu'on  enti'nd  par  surface 
courbe.  Prenant  comme  exemple  celle  d'une 
boule,  on  imagine  qu'elle  soit  découpée  en  un 
nombre  extrêmement  grand  de  parties  égales,  de 
forme  carrée  pour  plus  de  simplicité;  plus  ces 
carrés  sont  nombreux,  plus  ils  tendent  à  avoir 
leur  surface  plane.  Si  l'on  suppose  ensuite  qu'on 
enlève  ces  carrés  élémentaires,  et  qu'on  les  dis- 
pose les  uns  à  côté  dos  autres  sur  une  surface 
plane,  ils  en  couvriront  une  certaine  portion  qui 
différera  d'tutant  moins  de  la  surface  courbe  que 
les  carrés  seront  plus  pi-tits.  C'est  celle  portion  de 
surface  plane  qui  représentera  sous  une  forme 
plus  simple  l'étendue  de  la  surface  courbe. 

Il  y  a  plusieurs  genres  de  surfaces  courbes; 
mais  trois  seulement  entrent  dans  le  cadre  de 
la  géométrie  élémentaire.  Ce  sont  :  la  surface 
cylindrique,  la  surface  coiiique  et  la  surface  splié- 
rigue. 

I.  Surface  cylindrique.  —  On  appelle  surface 
cylindrique  la  surface  engendrée  par  une  droite 
indéfinie  GG'  (flg.  i),  qui  se  meut  le   long  d'une 


Fig.  1. 

ligne  courbe  quelconque  mn,  en  restant  toujours 
parallèle  à  sa  direction  première.  La  droite  est  la 
génératrice  de  la  surface,  et  la  courbe  qui  lègle 
son  mouvement  est  la  directrice.  Nous  prendrons 
ici  pour  directrice  une  courbe  plane  fermée,  la 
génératrice  étant  perpendiculaire  à  son  plan.  Si 
on  regarde  la  courbe  comme  composée  d'une  in- 
finité de  côtés  infiniment  petits,  la  surface  cylindri- 
que se  trouvera  composée  d'une  infinité  de  faces 
planes  infiniment  étroites,  comme  la  surface  laté- 
rale d'un  prisme  droit.  Or  on  peut  imaginer  que 
la  seconde  de  ces  faces  soit  rabattue  sur  le  plan  de 
la  première,  la  troisième  sur  le  plan  des  deux 
autres,  de  la  même  manière  que  les  feuilles  d'un 
paravent  qu'on  déplierait  en  ligne  droite,  et  ainsi 
de  suite.  De  là  il  résulte  qu'une  surface  cylindri 
que  peut  être  transformée  sans  altération  en  une 
surface  plane  :  c'est  ce  qu'on  exprime  en  disant 
<jU3  cette  surface  est  dévetoppahte. 

Si  on  prolonge  indéfiniment  dans  les  deux  sens 
une  de  ces  faces  planes  infiniment  étroites,  ce 
plan  indéfini  ne  touclie  la  surface  cylindrique  que 
le  long  d'une  génératrice  :  ce  plan  est  dit  tangent 
à  la  suiface  cylindrique. 

D'après  ce  qui  précède,  la  surface  cylindrique 
n'est  autre  nu'une  surface  prismatique  ayant  pour 
aces  latérales  des  rectangles  indéfinis  en  lon- 
gueur, mais  infiniment  étroits.  Par  conséquent 
les  sections  faites  dans  une  surface  cylindrique 
par  des  plans  p-rallèles  sont  des  courbes  égales. 

Cylindre.  —  On  appelle  cylindre  le  volume 
compris  eiuie  une  surface  cylindrique  et  deux 
sections  parallèles  faites  dans'cette  surface.  Ces 
sections  sont  les  Ouses  du  cjlindre. 


Quand  les  bases  sont  perpendiculaires  à  la  gé- 
nératrice, le  cylindre  est  droit;  dans  ce  cas  11 
est  circulaire,  s'il  a  pour  base  un  cercle;  ellipti- 
que, s'il  a  pour  base  une  ellipse. 

La  surface  cylindrique  circulaire  se  montre 
dans  la  voûte  des  tunnels  de  chemins  de  fer  ou 
des  aqueducs  souterrains;  la  surface  cylindrique 
elliptique  est  celle  des  ponts  à  voûte  surbaissée. 

Cylindre  circulaire  droit.  —  Dans  la  géomé- 
trie élémentaire  on  étudie  particulièrement  la 
cylindre  circulaire  droit.  C'est  de  celui-là  qu'il  est 
question,  quand  on  le  nomme  simplement  cylin- 
dre, sans  autre  dénomination  particulière. 

On  peut  en  donner  la  définition  suivante  :  le 
cylindre  est  un  volume  emiendré  par  la  révolu- 
tion d'un  rectangle  ABCD  lourna^d  ai't'Ur  de 
l'un  rie  ses  côtés  AB  qui  reste  fixe  i,\.  la  fig.  1  de 
l'article  Corps  ronds,  p.  âl'î). 

Le  côté  fixe  est  Vaxe  ou  la  hauteur  du  cylindre  ; 
le  côté  CD,  qui  lui  est  parallèle,  décrit  la  surface 
courbe  ou  suiface  latérale  du  cylindre  ;  les  côtés 
égaux  BC  et  AD,  perpendiculaires  à  l'axe,  décri- 
vent les  cercles  qui  sont  les  bases  du  cylindre. 

Le  cylindre  peut  être  assimilé  à  un  prisme  ré- 
gulier dont  les  faces  latérales  seraient  des  rec- 
tangles infiniment  nombreux  et  infiniment  étroits. 
C'est  ce  que   montre  la  figure  2.  Si  on  imagine 


qu'on  double  indéfiniment  le  nombre  des  côtés  du 
prisme  régulier  inscrit  dans  le  cylindre  qui  a  pour 
base  le  cercle  ABCDEF,  le  prisme  difl"ère  d'au- 
tant moins  du  cylindre  que  le  nombre  de  ses  faces 
latérales  devient  plus  grand. 

Si  on  fend  le  cylindre  le  long  d'une  généra- 
trice A' A  ifig.  2),  et  qu'on  développe  sa  surface 
latérale,  elle  se  transforme  en  un  rectangle  d'une 
hauteur  égale  à  celle  du  cylindre  et  ayant  pour 
base  une  droite  égale  à  la  circonférence  rectifiée 
du  cylindre. 

Réciproquement  on  peut  former  un  cylindre  en 
enroulant  un  rectangle  de  manière  à  amener  deux 
côtés  opposés  l'un  sur  l'autre,  de  manière  que 
les  deux  autres  côtés  forment  des  cercles  égaux. 

Resiarque.  —  Les  trois  points  de  vue  sous  les- 
quels nous  venons  d'envisager  le  cylindre  circu- 
laire droit  serapportent  à  trois  modes  de  construc- 
tion usités  dans  les  arts.  Le  potier  pratique  le 
premier  pour  modeler  un  cylindre  creux  en  terre; 
le  charpentier  opère  d'après  le  second,  pour  trans- 
former en  un  rouleau  une  pièce  de  bois  prisma- 
tique ;  c'est  d'après  le  troisième  que  le  boisselier 
et  le  ferblantier  fabriquent  des  vases  cylindri- 
ques en  bois,  en  tôle  ou  en  fer-blanc. 

Les  mesures  efl'ectives  de  capacité  ont  reçu  la 
forme  cylindrique,  qui  est  plus  commode  que  la 
forme  cubi'que.  Les  mesures  en  bois  pour  les 
grains,  le  charbon,  etc.,  ont  une  profondeur  égale 
à  leur  diamètre;  celles  qui  sont  en  étain  et  ser- 
vent à  la  mesure  du  vin,  de  l'alcool,  etc.,  ont  une 
profondeur  double  de  leur  diamètre;  enfin  celles 
qui  sont  destinées  à  la  mesure  du  lait  et  de  l'huile 
sont  en  fer-blanc  et  ont  une  profondeur  égale  à 
leur  diamètre. 


1 


SURFACES  COURBES  —2103—  SURFACES  COURBES 


MESunE  ni!  i.\  surface  latéualk  du  cylindhe.  — 
Pour  cuniiailre  ii  surface  latérale  d'un  ci/nnrlre, 
il  suffit  de  multiplier  sa  hauteur  par  la  circonfé- 
rence lie  sn  hase. 

On  vient  do  voir  en  effet  que  cette  surface  n'est 
autre  que  celle  d'un  rectangle  do  môme  liautenr 
que  le  cylindre  et  dont  la  base  est  le  développe- 
ment rectiligno  de  la  circonférence. 

Si  donc  on  désigne  par  A  etila  hauteur  et  le  rayon 
d'un  cylindre,  sa  surface  latérale  S  sera  exprimée 
par  la  formule  suivante  : 

S  =  2uï-X/i. 

Pour  avoir  la  surface  totale,  il  n'y  a  qu'à  ajou- 
ter h  la  surface  latérale  le  double  de  la  surface 
du  cercle  de  base. 

SlMfLlTUDE     DE     DEUX    CYLINDRES.    —    Malgré  ICUr 

ressemblance  de  forme,  deux  cylindres  ne  sont 
pas  toujours  semblables  au  point  de  vue  de  la 
géométrie.  On  appelle  c/lindres  semhlablrs  deux 
cylindres  dont  les  hauteurs  S07>t  proportionnelles 
aux  r^njoiis  des  bases. 

Tels  sont,  par  exemple,  deux  cylindres  dans 
lesquels  la  hauteur  et  le  rayon  de  l'un  seraient 
triples  de  la  hauteur  et  du  rayon  de  l'autre,  ou 
deux  cylindres  dont  les  hauteurs  seraient  doubles 
de  leurs  diamètres. 

Le  ra/ip'irt  'les  surfaces  latérales  de  deux  cy- 
lindres semblables  est  égal  au  cirré  du  rapport 
des  haut-icrs  nu  au  carré  du  rapport  des  rayons. 

En  effet  soit  S  et  S'  les  surfaces  latérales  de 
deux  cylindres  dont  les  hauteurs  sont  h  et  h'  et 
les  rayons  r  et  )•'.  On  a  pour  leurs  surfaces  : 

S  =2Tt!-  Xh, 
S'  =  27tr'X/''- 

En  divisant  ces  deux  égalités  membre  h  mem- 
bre, afin  d'avoir  le  rapport  des  surfaces,  on 
obtient  : 

S       '•       /< 

s        )•       h 

Crie  rapport  des  rayons-,  étant  égal  au  rap- 

,      ,  /'  .     ■ 

port  des  hauteurs  -,,  on  peut  écrire  : 

S        r        r         /r\i 

ou 

S'     /.'  ^  h'  -  [h'J  ' 

ce  qui  est  précisément  l'énoncé  du  théorème. 

Remarque.  —  Le  rapport  des  surfaces  totales  de 
deux  cylindres  (y  compris  celles  des  deux  bases) 
est  aussi  le  même  que  pour  les  surfaces  latérales. 

En    effet,    supposons    que    le   rayon    de    l'un 
2 
soit  -  du  rayon  de  l'autre,  la  surface  latérale  du 

4 
plus  petit  sera  -  de   la   surface  latérale   du  plus 

grand.   Or  la  surface  du  cercle  du  premier  est 

aussi  -  de  la  surface  du  cercle  du  second.  Le  rapport 


surfaces  latérales. 

Sections  places  d'un  cylindre.  —  1°  Toute  sec- 
tion faite  dans  un  cylindre  par  un  plan  perpen- 
diculaire à  l'axe  est  un  cercle  égal  au  cercle  de 
base. 

2°  La  section  faite  par  un  plan  oblique  à  l'axe 
est  une  ellipse  (fig.  3).  Nous  nous  bornons  h  énon- 
cer ce  tait,  sans  en  donner  la  démonstration  j  nous 


indiquerons  seulement  un  moyen  facile  de  réa- 
liser cette  section.   Il  suflit   do   mettre  de   l'eau 


dans  un  verre  b,  boire  cylindrique.  Dans  la  posi- 
tion ordinaire  du  verre,  la  surface  de  l'eau  est 
une  section  plane  perpendiculaire  à  l'axe  du  verre, 
c'est  un  cercle.  Si  on  incline  le  verre  avec  la  main, 
le  plan  de  la  surface  présente  une  ellipse  plus  ou 
moins  allongée. 

Intersection  de  deux  cylindres.  —  Quoique 
celte  question  appartienne  spécialement  ù  la  géo- 
métrie descriptive,  nous  en  dirons  quelques  mots 
à  cause  do  ses  fréquentes  applications  dans  les 
arts. 

Deux  cuUndres  de  me'me  rnt/on  dont  les  axes  se 
rencoidrent  se  coupent  suivant  une  ellipse. 

C'est  ce  qui  se  produit  à  la  rencontre  de  deux 


tuyaux,  assemblés  comme  dans  les  figures  3<,  [S 
et  6. 


La  rencontre  de  deux  surfaces  cylindriques  se 
montre  aussi  dans  les  voûtes  de  divers  édifices 
tels  que  plusieurs  cathédrales,  ou  certains  arcs- 
de-triomphe. 

II.  Surface  conique.  —  On  appelle  surface  co- 
nique la  surface  engendrée  par  une  droite  indé- 
fiuie  SG  (fig.   7),  qui  se   meut  sur  une  courbe 


SURFACES  COURBES     —  2104  —     SURFACES  COURBES 


Fig.  7. 

quelconque,  en  passant  constamment  par  un  point 
fixe  S. 

Si  on  regarde  la  courbe  directrice  comme  com- 
posée d'un  nombre  infiniment  grand  de  cùtés  in- 
finiment petits,  la  surface  conique  se  trouvera 
composée  d'une  infinité  de  faces  angulaires  infini- 
ment étroites,  comme  la  surface  latérale  d'une 
pyramide.  Or  si  on  imagine  que  la  seconde  de  ces 
faces  soit  rabattue  sur  le  plan  de  la  première,  la 
troisième  sur  le  plan  des  deux  autres,  et  ainsi  de 
suite,  on  voit  que  la  surface  conique  est  aussi 
développable,  comme  la  surface  cylindrique. 

Si  l'on  prolonge  indéfiniment  le  plan  d'une  de 
ces  faces  infiniment  étroites,  le  plan  ainsi  obtenu 
est  dit  plan  tntgenl  à  la  surface  conique.  Il  la 
touclie  le  long  dune  génératrice. 

CôxE.  —  On  nomme  cône  le  volume  compris 
entre  la  surface  conique  et  la  section  faite  dans 
cette  surface  par  un  plan    fig    8  et  :i;. 


Kig.  s  cl  9. 


CÔNE  cinct-LAinE  onoiT.  —  Un  cône  qui  a  pour 
base  un  cercle  et  dont  le  sommet  se  trouve  sur  la 
droite  perpendiculaire  à  la  base  en  son  centre  est 
un  COUP  lirciilnive  droit .  C'est  ce  cône  qu'on  étu- 
die dan*,  la  géométrie  élémentaire;  il  est  désigné 
seulement  par  le  nom  de  cône.  On  peut  en  don- 
ner la  définition  suivante  :  le  cône  est  un  volume 
engendré  par  la  révolution  d'un  triangle  rec- 
tangle tournant  autour  de  l'un  des  côtés  de  l'angle 
droit. 

Le  côté  fixe  AB  {V.  la  fig.  î  de  l'article  Corps 
ronds,  p.  5r,')  est  Vaxe  ou  la  hauteur  du  cône  ; 
le  côté  BC,  qui  lui  est  perpendiculaire,  décrit  le 
cercle  de  base  ;  l'bypoténusc  AC  décrit  la  surface 
latérale  ou  surface  courbe.  L'Iiypoténuse,  qui  est 
la  génératrice  de  cette  surface,  est  aussi  appelée 
iipothème  du  cône. 

Le  cône  peut  être  assimilé  à  une  pyramide 
régulière,  qui  aurait  pour  base  un  polygone  régu- 
lier, d'une  infinité  de  côtés  infiniment  petits  et 
dont  les  faces  latérales  seraient  des  triangles 
isoscèles  égaux,  infiniment  étroits  à  leur  base. 
C'est  ce  que  montre  la  figure  10,  si  l'on  suppose 
qu'on  augmente  indéfiniment  le  nombre  des  côtés 
de  la  base  de  la  pyramide  régulière  inscrite  dans 
le  cône  SAD. 

Si_  on  fend  la  surface  du  cône  le  long  d'une 
génératrice  SA.  elle  se  développe  suivant  un  sec- 
teur circulaire  SAUA  (fig.  II  ,  dont  le  rayon  est 


Fig.  10. 
égal  à  l'apothème  du  cône  et  dont  l'arc  est  égal 


Fig.  U. 

en  longueur  à  la  circonférence  de  la  base  du 
cône. 

Mesure  de  la  surface  latérale  du  cône.  — 
La  surface  latérale  d'un  cône  est  égale  nu  demi- 
produit  de  son  apothème  par  la  circonférence  de 
sa  base. 

Cela  résulte  de  la  mesure  de  la  surface  du  sec- 
teur circulaire  dans  lequel  se  transfonne  la  sur- 
face latérale  du  cône  dans  son  développement. 

Cette  mesure  peut  se  déduire  aussi  de  celle  de 
la  surface  latérale  d'une  pyramide  régulière. 

Similitude  de  deux  cônes.  —  On  nomme  cônes 
semblables  deux  cônes  dont  /es  hauteurs  sont 
proportionnelles   aux  rayons  des  bases. 

Les  triangles  rectangles  générateurs  des  deux 
cônes  semblables  sont  eux-mômes  semblables.  Il 
résulte  de  lîi  que  deux  cônes  semblables  peuvent 
s'emboîter  exactement  l'un  sur  l'autre  par  leur 
sommet;  leurs  surfaces  latérales  coïncident  et  la 
circonférence  de  base  du  plus  petit  se  trouve  alors 
parallèle  à  la  circonférence  de  base  du  second. 
Tels  sont  les  deux  cônes  ADE  et  ABC  de  la 
figure  2  de  l'article  Corps  rowls. 

Le  rapport  des  surfaces  latérales  de  deux  cônes 
semblables  est  égal  au  oirrc  du  rapport  de  leurs 
rayons,  ou  au  carré  du  rapport  de  leurs  hau- 
teurs. 

En  effet,  soit  S  et  S'  les  surfaces  de  deux 
cônes  semblables  dont  les  apothèmes  sont  a  et  a', 
les  hauteurs  h  et  h'  et  les  rayons  des  bases  r 
et  »•'. 

On  a  pour  leurs  surfaces  latérales  : 

S  =TtrXa. 
S'  =  Ty  xo'. 

En  divisant  les  deux  égalités  membre  à  mem- 
bre, on  obtient  : 

S      )•      a 

:r.=  -,y<-.' 


Or,  le  rapport  -,  étant  égal  au  rapport  j-,  et  au 


rapport  -,i  on  peut  écrire  ; 


SURFACES  COURBES 


2103 


SURFACES  COURBES 


■       r'      r       V/ 


ce  qui  est  l'énoncé  du  théorème. 

Tronc  ue  cône.  —  Toute  section  faite  dans  un 
cône  par  un  plan  perpendiculaire  h  l'axe  est  un 
cercle.  Si  la  section  est  à  égale  distance  du 
sommet  et  de  la  base,  la  circonférence  de  la  sec- 
tion est  égale  à  la  moitié  de  la  circonférence  de 
la  base,  et  la  surface  de  la  section  n'est  que 
le  quart  de  celle  de  la  base. 

On  nomme  tronc  de  cône  eu  cône  tronqué  la 
portion  de  cône  comprise  entre  sa  base  et 
une  section  parallèle  à  cette  base.  Telle  est  la 
portion  do  cône  comprise  entre  le  cercle  BC  et 
le  cercle  parallèle  DE. 

En  considérant  les  figures  Ifl  et  II,,  on  recon- 
naît facilement  que  la  surface  latérale  d'un  cône 
tronqué  se  développe  en  un  trapèze  circulaire 
compris  entre  deux  arcs  concentriques  A'D'A'  et 
ADA  égaux  aux  circonférences  des  bases  du  cône 
tronqué,  et  limité  h  droite  et  à  gauche  par  deux 
droites  égales  à  l'apothème  du  cône  tronqué. 

Mesure  de  la  surface  latérale  ou  cô.ne  tron- 
CUÉ.  —  La  surface  latérale  d'un  cône  tronqué  est 
égale  au  produit  df  son  apothème  par  la  demi- 
summe  des  circonférences  des  bases. 

En  effet,  si  on  mène  dans  le  secleur  circulaire 
SADA  (fig.  11)  un  grand  nombre  de  raj'ons,  tels 
SA,  SG,  SD,  etc.,  le  trapèze  circulaire  A'AUAA', 
qui  est  le  développement  de  la  surface  latérale 
du  cône  tronqué,  se  trouve  décomposé  en  un 
grand  nombre  de  trapèzes  circulaires  ayant  tous 
pour  hauteur  l'apolliènie  du  cône  tronqué  et  dont  les 
bases  sont  des  arcs  qui  tendent  à  se  confondre  avec 
leurs  cordes,  à  mesure  qu'ils  deviennent  plus 
petits.  Or,  la  surface  de  chacun  de  ces  trapèzes 
élémentaires  serait  égale  à  l'apothème  multiplié 
par  la  demi-somme  des  deux  bases  ;  donc  la  sur- 
face de  la  somme  de  tous  ces  trapèzes  sera  égale 
au  produit  de  lapotlième  multiplié  par  la  demi- 
somme  des  bases,  c'est-'i-dire  par  la  demi-somme 
des  circonférnnces  des  hases  du  cône  tronqué. 

La  forme  du  cùno  tronqué  se  présente  plus 
souvent  que  celle  du  cône  lui-même  ;  c'est  celle 
d'un  abat-jour  de  lampe,  d'un  seau,  d'une  cuve  dont 
le  fond  n'a  pas  le  même  diamètre  que  l'ouverture. 

Nous  alloiis  montrer  comment  on  peut  le  cons- 
truire, quand  l'apothème  est  donné  ainsi  que  les 
diamètres  des  bases. 

Construction  du  cône  tronqdé.  —  Supposons 
que  le  diamètre  d  de  la  plus  grande  base  ait 
48  centimètres,  le  diamètre  rf'  de  la  plus  petite  32, 
et  l'apothème  40. 

La  question  revient  Ji  construire  le  développe- 
ment A'ADAA'  (fig.  11)  de  la  surface  latérale  du 
cône  tronqué,  et  pour  cela,  il  faut  calculer  le 
rayon  SA  et  le  nombre  de  degrés  de  l'angle  du 
secteur  ASA. 

Or,  on  a  d'abord  les  égalités  suivantes  : 

arc  A  A  =7trf,      ^  SA_       arc  A  A 
arc  A'A'  =  ':td',   ^    SA'"~  arc  A'A'' 

On  en  tire  la  proportion  : 
SA  _rf_ 
SA'  ~  (/' 
De  cette  proportion  on  déduit  : 

SA >l_  SA  _      d 

SA-SA'~c<-d'   ""  kk'~  d-d' 

Avec  cotte  dernière  proportion  on  obtient  : 


SA  =  AA'X 


-,  =  40  X 


48  —  32 


On  trouve  ainsi  SA  =  120  centimètres; 
SA'  =  130  —  40  =  80  centimètres. 

Cherchons  maintenant  le  nombre  de  degrés  de 
l'angle  du  sectenr. 

La  circonférence  ayant  pour  rayon  SA  serait 
égale  à  SirX  l"-!0;  elle  contient  3(50°, 

j     .  •     .  ■        360° 

Un  arc  de  1  centimètre  aurait --• 

2iix  120 
L'arc  ADA  est  égal  ;i7rx48. 
Le  nombre  de  degrés  qu'il  contient  est  donc  : 


360" 


300  X  48 


27tX  120 


=  'I2'> 


2X1-20 

Sections  planes  du  cône.  —  Nous  avons  déj^  vu 
que  la  section  du  cône  par  un  plan  perpendiculaire 
i  l'axe  est  un  cercle.  Lorsque  le  plan  sécant  est 
oblique  à  l'axe,  la  courbe  d'intersection  varie, 
suivant  l'inclination  du  plan  sécant  par  rapport  à 
l'axe. 

Considérons  un   cône  se  prolongeant  indéfini- 
ment des  deux  côtés  du  sommet,  et  formant  ainsi 
un  double  cône  dont  les  deux  parties  sont  nom- 
mées nappes. 
Si  le  plan  sécant  traverse  l'une  des  deux  nap- 

[  pes  seulement,  la  courbe  est  une  ellipse. 

Si  le  plan  sécant  est  parallèle  à  une  généra- 
trice, il  ne  coupe  qu'une  nappe  et  la  courbe  est 

!  une  parabole. 

1  Si  le  plan  sécant  coupe  les  deux  nappes  h  la 
fois,  la  courbe  se  compose  de  deux  branches  qui 
s'ouvrent  indéfiniment  :  c'est  une  hi/perbvle. 

\      C'est  pour  cette  raison  que  l'ellipse,  la  para- 

j  bole  et   l'hyperbole   sont  appelées  sections  coni- 

!  ques  (V.  Courbes  iisicelles,  Ellipse,  Parabole). 
III.  Surface  sphérique.  —  La  surface  sptiérique 
est  la  surface   engendrée   par  la  révolution  d'une 
demi-circonférence  tournant  autour  du  diamètre 

j  qui  reste  fixe. 

I  Le  volume  limité  par  cette  surface  est  appelé 
sphère.  On  emploie  habituellement  le  mot  sphère 
pour  désigner  la  surface  sphérique  elle-même. 
Nous  renvoyons  à  l'article  Corps  ronds  pour  les 
définitions  de  certaines  lignes  qui  se  rapportent 
à  la  sphère.  On  trouvera  au  môme  article  la  dé- 
monstration dn  théorème  suivant  :  Toule  section 
faite  dans  une  sphère  pur  un  plan  est  un  cercle. 
On  appelle  pôles  d'un  cei-Clc  de  la  sphère  les 
extrémités  du  diamètre  de  la  splièro  qui  est  per- 
pendiculaire au  plan  du  ce  cercle.  Par  exemple,  le 
diamètre  VV  (fig.  Iv)  étant  perpendiculaire  au  cer- 
cle EG  et  au  cercle  AD.  les  points  P  et  P'  sont  les 
pôles  de  ces  deux  cercles  parallèles. 


Le  cercle  qui  passe  par  le  centre  de  la  sphère 
est  le  plus  grand;  pour  cette  raison  on  le  nomme 
grand  cercle.  11  divise  la  sphère  en  deux  parties 
égales. 

Deux  grands  cercles  se  coupent  en  deux  par- 
ties égales;  leur  droite  d'intersection  est  un  dia- 
mètre de  la  sphère. 


SURFACES   COURBES     —  2106  —     SURFACES  COURBES 


Le  grand  cercle  jouit  d'une  autre  propriété  im- 
portante, c'est  que  d'un  point  à  un  nuire  sur  la 
sp/iére  l'arc  de  grand  cercle  est  le  plus  court  che- 
min. 

Le  pôle  d'un  cercle  est  également  distant  de 
tous  les.  points  de  la  circonférence  de  ce  cercle  ; 
cette  propricto  permet  de  décrire  un  cercle  sur 
la  spiière.  On  place  la  pointe  du  compas  au 
pôle  P;  puis  avec  une  ouverture  quelconque 
on  décrit  au  moyen  de  l'autre  pointe  une  circon- 
férence AD  ou  une  circonférence  EG,  au^si  faci- 
lement que  sur  un  plan.  Seulement  on  se  sort 
dans  ce  cas  pour  plus  de  commodité  d'un  compas 
dont  les  deux  brandies  sont  recourbées. 

C'est  surtout  dans  la  construction  des  globes 
terrestres  que  se  fait  l'application  la  plus  inté- 
ressante du  tracé  des  cercles  sur  la  surface  d'une 
sphère.  Pour  efTi'Ctuer  cette  construction,  il  faut 
d'abord  savoir  trouver  le  rayon. 

DÉTERMINEn    LE    RAYON   d'uNE  SPHF.RE    DONNÉE.    — 

On    place,  en    un  point  quelconque  P  pris   pour 
pôle  (fig.  1.3),  la  pointe  d'un  compas,  et  on  décrit 


Fig.  13  et  14. 

avec  une  ouverture  arbitraire  un  cercle  ABD. 
Sur  sa  circonférence  on  marque  trois  points 
A,  B,  D  ;  on  prend  leurs  distances  à  l'aide  du  corn 
pas,  et  avec  ces  trois  distances  on  construit  sur 
une  feuille  de  papiT  le  triangle  abd  (fig.  14).  On 
circonscrit  à  ce  triangle  une  circonférence  qui 
est  précisément  égale  à  la  circonférence  ABD 
tracée  sur  la  sphère.  On  connaît  ainsi  le  r.iyon 
AC  de  ce  cercle,  c'est-^-dire  l'un  des  côtés  de 
l'angle  droit  du  triangle  rectangle  ACP.  Sur  uc  et 
au  point  e  ou  mène  une  perpendiculaire,  et  du 
point  "  pris  pour  centre  on  décrit  avec  le  rayon 
égal  à  la  distance  polaire  PA  un  arc  qui  coupe  la 
perpendiculaire  au  point  p.  On  tire  la  droite  ap; 
on  mène  np'  perpendiculaire  à  ap,  et  la  droite  pu, 
hypoténuse  du  triangle  rectangle  pop',  est  le  dia- 
mètre de  la  sphère. 

En  décrivant  ensuite  sur  pp'  pris  pour  diamètre 
paep',  on  a  la  circonférence  d'un  grand  cercle  de 
la  sphère. 

DÉCRIKE     SUR    LA    SPHÈnE     UNE    CIRCONFÉRENCE    DE 

GRAND  CERCLE.  —  Ou  prend  une  ouverture  de 
compas  égale  i  la  corde  i  e  (fig.  14)  qui  sous-tend 
le  quart  de  la  circonférence  d'un  grand  cercle, 
puis  posant  la  pointo  du  compas  au  point  P  choisi 
comme  pôle  (fig.  1','),  on  décrit  la  circojiférence 
EFG.  Le  plan  de  cette  circonférence  passerait 
par  le  centre  de  la  sphère. 
Trouver  sur  une  sphère  le  point  où  aboutit  le 

DIAMÈTRE     partant     d'uN    POINT     DONNÉ.    —    Soit    P 

(fig.  12)  le  point  qui  est  diamétralement  opposé  au 
point  donné.  On  décrit  du  point  P  pris  pour  pôle, 
comme  on  vient  de  l'indiquer,  un  grand  cercle 
EFG;  puis  en  conservant  la  même  ouverture  de 
compas  égale  à  la  corde  EP,  qui  sous-tend  le 
quart  de  la  circonférence  du  grand  cercle,  on  dé- 
crit de  deux  points  quelconques  E  et  F  do  cette 
circonférence  deux  arcs  qui  se  coupent  :  le  point 
d'intersection  P'  est  le  point  cherché.  Les  points  P 
et  P'  sont  les  pôles  du  grand  cercle  EFG. 
Construction  des  cercles  d'un  globe  terrestre. 


—  Ce  qui  précède  indique  suffisamment  comment 
on  peut  tracer  sur  la  surface  d'une  sphère  les 
méridiens,  l'équateur  et  les  parallèles,  pour  en 
faire  un  globe  terrestre.  Après  avoir  trouvé  le 
diamètre  de  la  sphère,  on  prend  sur  sa  surface  un 
point  P  pour  pôle  (fig.  12;  ;  de  ce  point  on  décrit 
le  grand  cercle  liFG  qui  sera  l'équateur  ;  puis  on 
construit  l'autre  pôle  P'.  On  divise  cette  circonfé- 
rence en  quatre  parties  égales,  au|moyen  de  l'ou- 
verture de  compas  qui  a  servi  à  U  défrire;  puis 
chacun  des  quatre  arcs  en  'JO  parties  égales  :  l'é- 
quateur est  ainsi  partagé  en  degrés.  En  plaçant 
successivement  la  pointe  du  compas  sur  les  divers 
points  de  division,  on  décrit  avec  une  ouverture 
égale  à  la  distance  PE  des  cercles  qui  se  croisent 
tous  aux  pôles  P  et  P' ;  ce  sont  les  méridiens, 
l'our  tracer  les  parallèles  on  divise  le  quart  de 
méridien  PE  en  90  degrés  ;  puis  en  posant  la 
pointe  du  compas  au  pôle  P  on  décrit  des  cercles 
avec  des  ouvertures  de  compas  égales  à  la  dis- 
tance du  pôle  P  à  chacun  des  points  de  division 
do  l'arc  PAE.  On  répète  les  mêmes  constructions 
avec  le  pôle  P'  de  l'autre  côlé  de  l'équateur  EFG. 

l\emaique.  —  L'axe  l'P'  étant  perpendiculaire 
à  l'équateur  EFG,  il  est  bon  d'observer  que  les 
divers  méridiens  menés  par  cet  axe  sont  tous  per- 
pendiculaires au  plan  de  l'équateur.  Par  consé- 
quent, l'angle  de  deux  demi-méridiens  est  mesuré 
par  l'arc  d'équatcur  qu'ils  interceptent  entre  eux. 

Mesure  he  la  surface  sphérique.  —  La  circon- 
férence étant  la  ligne  avec  laquelle  tend  à  sa 
confondre  le  périmèire  d'un  polygone  régulier 
inscrit,  à  mesure  que  le  nombre  dos  côtés  aug- 
mente indéfiniment,  et  la  surface  sphérique  étant 
engendrée  par  la  révolution  d'une  demi-circon- 
férence tournant  autour  de  son  diamètre,  on  ar- 
rivera à  la  mesure  de  la  surface  sphérique  en 
cherchant  à  évaluer  la  surface  engendrée  par  la 
révolution  d'une  portion  du  périmètre  d'un  poly- 
gone régulier  inscrit  dans  un  cercle. 

Soit  donc  ABC.DFG  (fig.  la)  un  demi-polygone 
régulier  inscrit  dans  un  cercle  qui  a  0  pour  centre 
et  O.A  pour  rayon,  et  supposons  que  la  figure 
tourne  autour  du  diamètre  AG. 


Fig.  13. 

Menons  les  apothèmes  OK,OI,OM...  etc.,  et 
abaissons  sur  l'axe  AG  les  perpendiculaires  KK', 
BB',  ir,  etc. 

l"  Le  côté  AB  décrit  la  surface  latérale  d'un 
cône  qui  a  pour  mesure  le  produit  de  son  apo- 
thème multiplié  par  la  demi-circonférence  de  sa 
base.  Or  la  droite  KK'  étant  égale  à  la  moitié  de 
BB',  la  circonférence  qui  aurait  pour  rayon  KK', 
c'est-à-dire  2it  X  KK',  est  égale  à  la  moitié  de  la 


SURFACES  COURBES  —  2107  —  SURFACES  COURBES 


circonfércnci!  de  la  base  dont  le  rayon  est  BB'.  On 
a  donc  : 

surf.  AB  =  2Tr.KR'x  AB. 

Chorclions  pour  cette  suifare  une  expression 
qui  soit  indépendante  des  côtés  du  polygone  ins- 
crit. Les  doux  triangles  rectangles  ABB'  et  OKK' 
sont  semblables,  comme  ayant  leurs  côtés  res- 
pectivement perpendiculaires;  leurs  côtés  homo- 
logues sont  donc  proportionnels  et  donnent  la  pro- 
portion : 

AB       AB' 


On  en  déduit  : 


UK      KK' 


KK'XAB  =  OKXAB'. 

En  remplaçant  dans  l'expression  de  la  surface 
que  décrit  AB  le  produit  KK'xAB  par  le  produit 
égal  OKx  AB',  on  obtient  : 

surf.  AB  =  27t  X  OK  X  AB'.   , 
Ce  résultat  signifie  que  la  surface  engendrée  par 
le  côté  AB  est  égale  à   la  circnnférence  inscrite 
dans  le  polyno/ie  régulier  multipliée  par  la  projec- 
tion de  ce  coté  sur  l'axe. 

Ce  résultat  s'applique  à  tout  autre  côté.  En 
effet  la  surface  engendrée  par  le  côté  BC  est  la 
surface  latérale  d'un  cône  tronqué,  qui  est  égale 
au  produit  de  son  apothème  BC  par  la  demi- 
somme  des  circonférences  qui  ont  pour  rayon  CC 
et  BB'.  Mais  dans  le  trapèze  BCC'B'  la  droiie  H'  est 
égale  à  la  demi-somme  des  deux  bases  CD'  et  BB'; 
la  demi-somme  dos  circonférences  des  bases  est 
donc  égale  à  la  circonférence  qui  aurait  II'  pour 
rayon.  On  a  par  conséquent  : 

surf.  BC=  -Jn  X  H' X  BC. 

Abaissons  BH  perpendiculaire  sur  CC  Les 
triangles  rectangles  Bl.H  et  OU',  ayant  leurs  côtés 
respectivement  perpendiculaires,  sont  semblables 
et  donnent  la  proportion  : 


On  en  déduit  : 


BC 

or 


BH 

''  11' 


irxBC  =  OlxBH 
irxBC  =  OlXB'C'. 


On  a  donc  : 


surf.  BC  =  27i:  X  01 X  B'C. 

Ainsi  la  surface  engendrée  par  une  portion  du 
périmètre  d'un  polygone  régulier  inscrit  dans  im 
cercle,  tournant  autour  d'un  aie  mené  dans  son 
plan  par  son  centre  et  par  un  sommet,  est  égale 
au  produit  de  la  circonférence  inscrite  dans  ce 
cercle  multiplié  par  la  projection  de  celte  portion 
du  périméire  sur  l'nxe. 

Il  en  sera  toiljours  ainsi,  quel  que  soit  le  nom- 
bre des  côtés  du  polygone  régulier  inscrit,  et  par 
conséquent  quand  on  supposera  que  ce  nombre 
est  intiniment  grand.  A  ce  moment  le  périmètre 
du  polygone  régulier  inscrit  et  la  circonférence 
inscrite  dans  ce  polygone  se  confondent  avec  la 
première  circonférence,  et  la  surface  engendrée 
par  le  périmètre  du  polygone  régulier  se  confond 
avec  la  surface  sphérique  qui  a  pour  diamètre 
AG. 

De  là  résulte  le  théorème  suivant  :  la  surface  de 
la  sphère  ev<  égale  ou  produit  de  In  circonférence 
d'un  grand   cercle   multipliée  par  son  diamètre. 

Cette  surface  peut  être  exprimée  plus  simple- 
ment. En  effet,  soit  r  le  rayon  ;  la  circonférence 
d'un  grand  cercle  est  i-nr,  et  on  a  : 

surf.  sph.  =27trx2c  =  47iï''. 


Ainsi  la  surface  d'une  sphère  est  égale  au  qua- 
druple (le  la  surface  d'un  cercle  qui  aurait  le 
même  rayon. 

Rkmadoie.  —  Le  rapport  des  surfaces  de  deux 
sphères  est  égiil  au  carré  du  rapport  de  leurt 
rayons. 

En  effet  soit  r  et  )•'  les  rayons  des  deux  sphères 
dont  les  surfaces  sont  S  et  S'.  On  aura  : 


par  suite  : 

S  =  47r.  2 
S'  =  4jt/2 

S 
S' 

4Tti-'        r2 
471-'"  —  r'i  - 

Exemple.  —  Si  les  rayons  de  deux  sphères  sont 

l'un  -  de  l'autre,  la  surface  la  plus  petite  sera  - 

de  celle  de  la  plus  grande. 

3 
Par  exemple  le  rayon  de  la  lune  est  les  —   de 

celui  de  la  terre  ;  la  surface  de  la  lune  n'est  par 

i) 
conséquent  que   les— q-  de  celle  delà  terre. 

Surface  de  la  zone.  —  On  appelle  Z'ne  une 
portion  de  surface  sphérique  comprise  entre  deux 
plans  parallèles.  Telle  est  la  zone  comprise  entra 


Fig.  16. 

les  cercles  parallèles  AA'  et  BB'  (fig.  16).  Ces 
cercles  sont  les  bases  de  la  zone. 

La  portion  de  surface  sphérique  BMB'  située 
au-dessus  du  cercle  BB'  et  qui  a  la  forme  d'una 
calotte,  est  aussi  appelée  zone. 

Une  zone  peut  èire  regardée  comme  engendrés 
par  un  arc  BCD  tournant  autour  du  diamètra 
AG  (fig.  15).  D'après  ce  qui  a  été  expliqué  précé- 
demment, on  voit  que  la  surface  d'one  zone  est 
égide  au  produit  de  la  circonférence  d'un  grand 
cercle  de  la  sphère  multipliée  par  la  liatiteur  de  la 
zone. 

La  même  règle  s'applique  à  la  surface  de  la 
calotte  sphérique. 

Remarque.  —  Les  surfaces  de  deux  zones  d'une 
même  spUère  sont  proportionnelles  à  leurs  hau- 
teurs, pnisque  chacune  est  égale  au  produit  de  la 
circonférence  d'un  grand  cercle  multipliée  par  la 
hauteur. 

Par  conséquent,  pour  diviser  la  surface  de  la 
sphère  en  zones  équivalentes,  il  suflit  de  diviser 
un  diamètre  en  parties  égales  et  de  mener  par  le» 
points  de  division  des  cercles  perpendiculaires  à 
ce  diamètre. 

Zones  terrestres.  —  La  surface  de  la  terre  est 
divisée  en  cinq  zones  : 

La  zone  torride,  comprise  entre  les  deux  cer- 
cles nommés  tropiques,  parallèles  à  l'équateur, 
dont  ils  sont  séparés  par  une  distance  de 
23°2T  ';. 

Les  deux  zones  glaciales,  comprises  entre  la 
pôle  et  le  cercle  polaire,  qui  en  est  distant  da 
2:j"2T!,. 

Les   deux   zones    tompérées,    comprises    dans 


SURFACES  COURBES      —  2108  — 


chaque  hémisphère,  entre  le  tropique  et  le  cercle 
polaire,  qui  sont  séparés  par  une  distance  de 
43",5'. 

A  l'aide  de  la  trigonométrie,  on  peut  calculer 
les  hauteurs  de  ces  zones  par  rapport  au  dia- 
mètre de  la  terre  et  par  suite  l'étendue  de  leur 
surface  par  rapport  à  la  surface  totale  de  la  terre. 
On  trouve  les  résultats  suivants  : 

Zone  torride,  0,40. 

Chaque  zone  tempérée,  0,26; 

Chaque  zone  glaciale,  0,04; 

Plan  tangent  a  la  sphère.  —  On  a  vu  que 
l'intersection  de  la  sphère  par  un  plan  est  un 
cercle.  Soit  donc  PP'  (fig.  1"2)  le  diamètre  per- 
pendiculaire au  plan  sécant.  Lorsque  ce  plan 
s'éloigne  du  centre  0,  le  cercle  d'intersection  di- 
minue indéfiniment,  et  il  se  réduit  au  point  P 
quand  le  plan  passe  par  l'extrémité  P  du  diamètre. 
Le  plan  est  alors  dit  plan  tangent  à  la  sphère.  Il 
n'a  qu'un  point  commun  avec  la  surface  splié- 
rique. 

Intersection  de  deo\  sphères.  —  La  ligne  d'in- 
tersection des  surfaces  de   deux  sphères  est  uue 


SYNCOPE 


Fig.  17. 

circonférence  dont  te  plan  est  perpendiculaire  à 
la  droite  menée  par  les  centres  des  deux  sphères. 

En  effet  considérons  les  deux  circonférences  O 
et  O'  (fi?,  n)  qui  se  coupent;  la  droite  des  cen- 
tres 00'  est  perpendiculaire  au  milieu  de  la 
corde  AB  qui  unit  les  deux  points  d'intersec- 
tion. 

Si  on  suppose  que  les  deux  circonférences  tour- 
nent autour  de  l'axe  00',  elles  engendrent  deux 
surfaces  sphériques.  La  corde  AB  restant  cons- 
tamment perpendiculaire  en  son  milieu  à  l'axe 
OC,  décrit  un  cercle  perpendiculaire  à  00',  et  les 
eitrémités  A  et  B  décrivent  une  circonférence  qui 
€stla  ligne  d'intersection  des  deux  surfaces  sphé- 
riques. 

Si  les  centres  des  deux  sphères  s'éloignent  de 
plus  en  plus  l'un  de  l'autre,  le  cercle  d'intersec- 
tion diminue  indéfiniment  et  reste  toujours  tra- 
versé en  son  centre  par  la  droite  des  centres  des 
sphères.  Il  finit  par  se  réduire  à  un  point  :  les 
deux  sphères  sont  alors  tangentes  (fig.  18). 


CoNE  tangent  a  la  sphère.  —  Les  droites  tan- 
gentes à  la  sphère  menées  d'un  point  extérieur 
fiirment  un  cône  circulaire  droit  gui  touche  la 
sphère  par  une  circonférence  dont  le  centre  est  sur 
l'axe  du  cône. 

En  effet  soit  la  droite  PC  (fig.  19)  tangente  à 
la  circonférence  ACB.  Si  on  fait  tourner  la 
figure  autour  du  diamètre  dont  le  prolongement 
passe  par   le  point  P,  la  demi-circonférence  ACB 


Fig.  19. 


engendre  la  surface  sphérique,  et  en  même  temps 
la  tangente  PC  engendre  un  cône  ayant  son  axe 
sur  PO,  et  qui  touche  la  sphère  le  long  de  la 
circonférence  que  décrit  le  point  de  contact  C. 

Ainsi  les  tangentes  menées  d'un  môme  point  à 
la  surface  d'une  sphère  et  limitées  aux  points  de 
contact  sont  toutes  égales. 

[G.  Bovier-Lapierre.] 

SY>COPE.  —  Hygiène,  XVI.  —  La  syncope  ou 
évanouissement  consiste  dans  la  suspension  mo- 
mentanée de  l'action  du  cœur  avec  interruption 
de  la  respiration,  des  sensations  et  des  mouve- 
ments volontaires. 

On  confond  souvent  la  syncope  avec  la  simple 
défaillance,  que  les  médecins  nomment  «  lipo- 
thymie. »  Mais  celle-ci  se  distingue  de  la  syncope 
vraie  par  la  continuation  de  l'action  du  cœur  pen- 
dant que  les  mouvements  et  la  respiration  se 
trouvent  suspendus. 

La  syncope  diffère  de  l'apoplexie  et  de  l'as- 
phyxie par  l'ordre  dans  lequel  se  succèdent  les 
phénomènes.  Dans  l'apoplexie,  l'action  du  cerveau 
est  suspendue  la  première;  dans  l'asphyxie,  les 
premiers  troubles  affectent  la  respiration. 

La  cause  physiologique  de  la  syncope  consiste 
en  un  affaiblissement  de  l'action  du  cœur.  Ses 
contractions  n'étant  plus  assez  énergiques,  le  sang 
cesse  d'affluer  suffisamment  au  cerveau  dont  les 
fonctions  s'arrêtent,  ce  qui  interrompt  du  même 
coup  la  respiration,  la  voix  et  le  mouvement. 

La  personne  qui  tombe  en  syncope  se  trouve 
subitement  privée  de  sentiment  et  de  mouvement. 
Tout  le  corps  devient  pâle.  La  peau,  froide,  se 
couvre  de  sueur.  Les  membres,  restés  souples, 
sont  parfois  agités  de  quelques  mouvements 
convulsifs,  mais  le  plus  souvent  ils  demeurent 
inertes.  La  respiration  cesse  presque  en  même 
temps  que  la  circulation.  Le  pouls  est  insensible, 
mais  un  examen  attentif  laisse  percevoir  de  fai- 
bles battements  du  cœur. 

La  syncope  ne  dure  ordinairement  que  quel- 
ques minutes  ;  souvent  elle  cesse  au  bout  de  quel- 
ques secondes.  Peu  à  peu  les  fonctions  reprennent 
leur  cours  et  le  sujet  semble  sortir  d'un  profond 
sommeil. 

La  syncope  survient  quelquefois  brusquement, 
mais  le  plus  souvent  elle  est  précédée  par  divers 
accidents  tels  que  :  nausées,  bâillements,  anxiété, 
malaise,  vertiges,  obscurcissement  de  la  vue,  tin- 
tements d'oreilles.  Dès  que  ces  prodromes  appa- 
raissent, il  est  prudent  de  prendre  la  position  ho- 
rizontale :  cette  précaution  peut  suffire  pour 
prévenir  la  crise  complète. 

La  syncope  n'est  un  symptôme  alarmant  que 
lorsqu'elle  résulte  d'une  maladie  chronique.  Les 
cas  accidentels  n'offrent,  d'ordinaire,  aucune  gra- 
vité. Parfois  même  elle  constitue  un  accident 
heureux.  Ainsi,  dans  les  cas  d'hémorrhagie  par 
suite  de  blessures  ou  d'opérations  chirurgicales, 
la  syncope,  arrêtant  l'action  du  cœur,  permet  la 


SYNCOPE 


—  2109  — 


SYNONYMES 


formation  dn  caillots  solides  qui  s'opposent  ensuite 
à  la  sortie  du  liquide.  Les  noyés  qui  sont  tombés 
en  syncope  par  frayeur  ou  par  l'action  subite  du 
froid  revicniieni  bien  plus  facilement  à  la  vie  après 
une  immersion  prolongée,  que  ceux  chez  qui  la 
circulation  a  continué  pendant  quelque  temps.  Le 
sang  ne  s'étant  pas  trouvé  vicié  excite  bien  plus 
efficacement  le  cerveau  et  les  organes  respiratoin's 
dès  que  l'on  réchauffe  le  noyé  et  que  l'on  établit 
la  respiration  artificielle. 

Les  causes  les  plus  fréquentes  de  la  syncope 
sont  :  les  maladies  du  cœur,  l'anémie,  les  pertes 
de  sang,  les  afl'ections  pulmonaires  qui  entravent 
la  respiration  ;  la  fatigue  excessive,  l'indigestion, 
la  douleur  vive,  les  violentes  émotions. 

Chez  les  sujets  prédisposés,  les  causes  les  plus 
insignifiantes  suffisent  pour  produire  l'accident. 
On  a  vu  des  personnes  tomber  en  syncope  à  la 
vue  d'une  souris,  d'une  araignée,  d'un  crapaud, 
d'un  serpent,  d'une  plaie;  en  respirant  une  odeur 
désagréable  ;  en  entendant  une  détonation  inat- 
tendue, etc.,  etc.  L'impression  brusque  du  froid 
ou  de  la  chaleur,  la  viciation  de  l'air  dans  les 
salles  de  réunion,  la  faim,  les  chagrins,  une  joie 
soudaine,  etc.,  sont  autant  de  causes  de  syncope 
pour  les  personnes  affaiblies  par  la  vie  urbaine  et 
par  le  manque  d'exercice  régulier  au  grand  air. 
■Tout  ce  qui  produit  l'anémie  prédispose  à  la  syn- 
cope. Or  toute  infraction  prolongée  des  lois  de 
riiygiène  amène  fatalement  l'anémie  avec  son  cor- 
tège de  maladies  et  d'accidents  contre  lesquels  on 
emploie  en  vain  le  fer,  le  quinquina  et  les  dro- 
gues annoncées  par  la  réclame.  L'exercice  régu- 
lier au  grand  air,  au  soleil,  le  travail  manuel,  les 
repas  et  le  sommeil  à  heures  fixes,  l'absence  de 
surexcitations  sensuelles,  tels  sont  les  remèdes 
préventifs  de  l'anémie  et  des  syncopes. 

Dans  la  faiblesse  et  dans  la  syncope  les  soins  à 
donner  sont  les  mômes  :  enlever  tout  ce  qui  peut 
comprimer  le  corps  et  gêner  la  circulation  ;  placer 
le  sujet  dans  la  position  horizoniale,  avec  la  tète 
un  peu  plus  basse  que  le  corps  afin  d'y  faire  affluer 
le  sang.  Cette  simple  précaution  suffit  souvent 
pour  faire  cesser  l'accident.  Kn  tout  cas  on  pro- 
cède à  des  frictions  sèches  sur  les  tempes,  la  poi- 
trine, le  long  de  la  colonne  vertébrale,  puis  sur 
les  membres  que  l'on  élève  un  peu  alternative- 
ment pour  faire  refluer  le  sang  vers  le  cœur.  La 
projection  d'eau  Iroide  sur  le  visage  et  la  poitrine 
est  utile  à  la  condition  d'essuyer  rapidement  et  de 
frictionner  les  parties  chaque  fois  qu'elles  ont  été 
mouillées.  En  môme  temps,  on  fait  respirer  du 
vinaigre,  de  l'eau  de  Cologne  ou  de  la  plume 
brûlée.  Enfin,  on  peut  recourir  à  un  lavement 
d'eau  salée  avec  un  peu  de  vinaigre. 

Dès  que  le  malade  revient  i  lui  il  faut,  sans  lui 
permettre  de  se  lever,  lui  faire  prendre  une  bois- 
son aromatique  chaude  avec  un  peu  de  cognac, 
ou  du  vin  chaud  sucré. 

La  syncope  est  assez  fréquemment  causée  par 
l'imitation  et  peut  dès  lors  devenir  épidémique 
dans  un  certain  milieu,  comme  une  école,  une 
église,  etc.  Cette  syncope  crnivulsive  diffère  peu 
de  celle  dont  nous  venons  de  parler.  Elle  est  or- 
dinairement précédée  de  malaise,  d'étourdisse- 
ments,  de  vertige.  La  perte  de  connaissance  est 
accompagnée  d'étoulfement  et  de  spasme  de  la 
gorge.  L'attaque,  qui  peut  se  renouveler  plusieurs 
fois  par  jour,  se  termine  par  quelques  instants 
de  stupeur  ou  de  sommeil.  Quelquefois  la  perte 
de  connaissance  n'est  pas  complète  et  le  malade, 
incapable  d'agir,  entend  ce  qui  se  passe  autour 
de  lui. 

A  Paris  et  dans  d'autres  grandes  villes,  on  ob- 
serve assez  fréquemment  cette  variété  de  syncope, 
surtout  chez  les  jeunes  filles  de  dix  à  quinze  ans 
plus  ou  moins  anémiques.  L'attaque  de  l'une  d'elles 
entraine  d'ordinaire  celle  de  dix  à  quinze  autres 


quand  elles  se  trouvent  réunies  dans  un  local  peu 
ventilé,  et  spécialement  pendant  les  exercices  re- 
ligieux. 

L'enfant  sujet  à  ces  attaques  doit  être  isolé  pen- 
dant quelque  temps,  soumis  à  uii  bon  régime 
hygiénique,  auquel  on  fera  bien  de  joindre,  pour 
l'effet  moral,  une  potion  anodine  dont  on  lui  fera 
attendre  une  sûre  guérison.  Quant  à  l'imitation 
involonlaire,  les  moyens  moraux  ont  toujours  une 
grande  influence  pour  la  prévenir.  Aussi,  tout  en 
recourant  aux  mesures  hygiéniques  convenables, 
ventilation,  absence  de  fatigue  corporelle  et  de- 
contention  d'esprit,  on  fera  bien  d'user  d'intimi- 
dation et  de  menacer  d'une  punition  sévère  les 
sujets  qui  n'auraient  pas  la  force  de  caractère  suf- 
fisante pour  résister  à  l'impression  nerveuse.  Il 
faudrait,  toutefois,  expliquer  que  la  volonté  suffit 
pour  empêcher  ces  accidents  par  imitation  et  que 
la  punition  ne  s'adresse  qu'à  l'apathie  qui  empê- 
che de  réagir.  Cela  demande  par  conséquent  du 
tact,  de  la  fermeté  et  en  même  temps  beaucoup 
d'indulgence.  (D'  Saffray.] 

SYNONYMES.  —  Grammaire,  XXII.  —  Syno- 
nyme vient  de  deux  mots  grecs,  sxjn,  avec,  et 
Oiiyma,  nom,  c'est-i-dire  mot  qui  sert  à  nommer 
avec  d'autres,  qui  a  la  même  signification  qu'un 
autre.  D'après  l'élymologie,  il  semblerait  qu'on 
ne  peut  qualifier  de  synonymes  que  les  mots  qui 
ont  absolument  le  môme  sens  ;  mais  il  n'y  a  de 
synonymes  parfaits  dans  aucune  langue,  et  les 
rapports  de,  signification  qui  les  unissent  sont 
bien  souvent  plus  apparents  que  réels. 

On  appelle  donc  synonymes  des  mots  dont  le 
sens  a  de  grands  rapports,  avec  des  différences 
légères,  quoique  réelles. 

Il  ne  faut  pas  confondre  les  synonymes  avec  les 
Iwtnonymes  *  ;  ces  derniers,  semblables  pour  la 
forme  ou  pour  le  son,  diffèrent  par  le  sens  ;  les 
premiers,  différant  pour  la  forme,  ont  une  grande 
ressemblance  de  sens. 

On  divise  ordinairement  les  synonymes  en  deux 
classes  : 

1»  Ceux  qui  ont  des  racines  identiques. 

2°  Ceux  qui  ont  des  racines  différentes. 

1°  Ceux  qui  ont  des  racines  identiques  ont  né- 
cessairement un  fond  commun  de  signification  ; 
mais  les  préfixes  et  les  suffixes,  ou  quelque  au- 
tre circonstance  grammaticale,  établissent  entre 
eux  des  nuances  qu'il  est  facile  de  distinguer. 
Ainsi  abuser  et  mésuser  sont  synonymes  ;  mais 
l'un  veut  dire  user  d'une  chose  avec  excès,  l'autre 
en  faire  un  mauvais  usage  ;  différence  marquée 
par  les  préfixes  ab  et  mes. 

Délicieux  et  délectable  sont  synonymes  ;  mais 
l'un  veut  dire  plein  de  délices,  l'autre  qni  en  peut 
causer;  différence  marquée  par  les  suffixes  eux 
et  able. 

Souvent  le  même  nom  ajoute  une  acception 
de  plus  à  son  sens  primitif,  grâce  à  un  change- 
ment de  nombre  :  la  dignité,  les  dignités  ;  la 
boulé,  les  bontés;  ou  à  un  simple  déplacement  de 
l'adjectif  :  un  homme  brave,  un  brave  homme  ; 
un  homme  honnête,  un  honnête  homme,  etc. 

Enfin  une  foule  de  verbes  présentent  de  légères 
différences  de  sens  selon  qu'ils  sont  employés 
avec  la  préposition  à  ou  la  préposition  de.  Exem- 
ple :  commencer  à,  commencer  de  ;  forcer  à,  for- 
cer de,  etc. 

2»  Les  synonymes  qui  ont  des  racines  différen- 
tes sont  naturellement  ceux  qui  présentent  les 
différences  de  sens  les  plus  tranchées,  llaine, 
aversion,  anlipalbie,  répugnance  sont  quatre  ter- 
mes qui  renferment  l'idée  d'un  mouvement  de 
l'âme  contre  ce  qui  l'affecte  désagréablement. 
Mais  la  haine  est  le  terme  le  plus  fort;  c'est  un 
sentiment  qui  nous  porte  non  seulement  à  repous- 
ser celui  qui  en  est  l'objet,  mais  encore  à  lui  dé- 
sirer ou  à.  lui  faire  du  mal  ;  Vaversion  fait  qu'on 


SYNTAXE 


—  2110  — 


SYNTAXE 


évite  les  gens,  qu'on  s'en  détourne  (arertere,  dé- 
tourner) ;  Vaiitif.alhie  fait  qu'on  ne  les  trouve  pas 
aimables  ;  la  réj'Ugnance  empêche  qu'on  ne  fasse 
les  choses  de  bonne  grâce. 

Alialtie,  démolir,  renverser,  ruiner,  détruire 
sont  sjnonynies,  mais,  en  remontant  à  leur  signi- 
fication primitive,  on  voit  que  chacun  de  ces 
mots  ajoute  une  idée  paniculière  à  l'idée  géné- 
rale de  luire  tomber.  Ainsi  abidlre,  c'est  jeter  à 
bas;  liéntolir,  c'en  jeter  à  bas  un'  constriictinn  ; 
renverse ,  c'est  maître  à  l'envers  ou  sur  le  côté  ; 
rui"er,  c'est  faire  tomber  par  morcenux;  dé- 
truire, c'est  faire  (lis)tarailre  ce  qui  avait  élé 
agencé,  construit.  On  voit  par  cette  courte  élude 
qu'il  n'y  a  pas  à  vrai  dire  de  synonymes,  car  il 
n'y  a  jamais  identité  de  signification  entre  les 
mois  réputés  tels.  Ils  ont  entre  eux  le  même  rap- 
port que  les  variétés  d'une  même  couleur.  Au  pre- 
mier coup  d'œil  et  à  distance,  ils  semblent  tous 
se  confondre,  tant  sont  légères  les  nuances  qui 
les  séparent;  mais,  en  y  regardant  de  près,  on 
aperçoit  bien  vite  quelques  traits  qui  permettent 
de  les  disiinguer. 

L'étiidfi  dos  synonymes  ne  saurait  être  trop  re- 
commandée dans  nos  écoles.  Nous  avons  vu  que 
pour  reconnaître  les  légères  différences  qui  les 
distinguent,  il  fallait  remonter  à  l'origine  des 
mots,  e.\aminor  la  racine,  apprécier  la  valeur  des 
préfixes  et  des  suffixes,  passer  du  sens  propre  au 
sens  figuré,  et  réciproquement.  Cet  exercice  ne 
fera-t-il  pas  mieux  connaître  la  valeur  des  mots 
que  le  dictionnaire  auquel  la  nécessité  seule  fait 
recourir  ? 

L'influence  de  cette  étude  est  aussi  très  grande 
sur  le  style;  elle  nous  révèle,  pour  exprimer  nos 
pensées,  di-s  moyens  dont  nous  ignorions  la  va- 
leur; elle  nous  rend  plus  délicats  sur  le  choix  des 
termes  et  augmente  la  clarté  du  discours  en  écar- 
tant les  à-peu-près,  en  les  remplaçant  par  des 
mois  propres  et  précis. 

Auteurs  à  consulter  :  Girard,  Dictionnaire  des  syna- 
nym'-s ;  Guizot,  l/'Cioiiiiaire  des  synonymes  ;  et  surtout 
B.  Lafjye,  Dictionnaire  des  synonymjs. 

[J.  Dussouchet.] 

SYNTAXE.  —  Grammaire,  XXlll.  —  Syntaxe 
vient  du  mot  gvec  syntaxis,  qui  veut  dire  arrange- 
ment; c'est  cette  partie  de  la  grammaire  qui 
étudie  la  manière  d'arranger,  d'assembler  les 
mots  en  phrases. 

Phrase  vient  du  mot  grec  phrasis,  expression 
d'une  pensée. 

Nous  ne  pouvons  exprimer  une  pensée  ou 
énoncer  un  jugement  sans  faire  ce  qu'on  appelle 
une  proposuiûii.  Quand  nous  disons  :  Dieu  est 
tout-puissant  ;  l'eiifant  aime  ses  p'irmts,  chacune 
de  ces  phrases  forme  une  pri'position. 

La  proposition  peut  être  simple,  comme  dans 
DifU  aime  tes  homtnes,  ou  composéi-,  comme  dans 
Dieu,  qui  est  clément,  aime  les  h.ommes.  Celte 
dernière  proposition  est  dite  composée,  parce 
qu'à  la  proposition  principale  (Dieu  aime  les 
homm-'S)  vient  s'ajouter  une  proposition  secon- 
daire (qui  est  clément). 

La  syntaxe  se  divise  donc  en  deux  parties  :  la 
première  apprend  à  assembler  deux  ou  plusieurs 
mots  pour  en  former  une  proposition  simple;  la 
seconde  à  assembler  deux  ou  plusieurs  proposi- 
tions simples  pour  en  former  une  proposition 
composée. 

Ces  deux  parties  de  la  syntaxe  sont  appelées, 
la  première,  syntaxe  des  muls ;  la  seconde,  si/7i- 
taxe  des  propositio  is. 

1°  SYNTAXE  DES  MOTS- —  Nous  avons  dit  qu'on 
ne  peut  exprimer  une  pensée  sans  faire  ce  qu'on 
appelle  une  proposition.  Toute  proposition  ren- 
ferme trois  termes  :  le  sujet,  le  verbe,  Vattribut 
Quand  nous  disons,  par  exemple,  l'homme  est 
bon,   nous  attribuons  b.   l'êlre  appelé  h  :mme   la 


qualité  de  bon;  nous  affirmons  que  l'homme  pos- 
sède cette  qualité.  Le  mot  bon,  qui  désigne  la 
qualité  que  nous  attribuons  à  l'homme,  est  dit 
pour  celte  raison  attribut;  le  mot  est,  qui  nous 
sert  à  affirmer  que  cette  qualité  de  bun  existe 
dans  l'homme,  est  dit  verbe;  enfin  l'homme,  dont 
nous  avons  affirmé  qu'il  possédait  la  qualité  mar- 
quée par  l'attribut,  est  appelé  sujet. 

Ainsi  le  sujet  de  la  proposition  est  ce  dont  on 
affirme  quelque  chose;  le  verbe  est  le  mot  qui 
marqup  cette  aftirmation,  et  l'attribut  est  ce  que 
l'on  affirme  exister  dans  le  sujet. 

Dans  toute  proposition,  le  verbe  et  l'attribut 
s'accordent  avec  le  sujet,  c'est-à-dire  qu'ils 
prennent  le  nombre,  le  geni'e  ou  la  personne  du 
sujet  auquel  ils  se  rapportent. Quand  nous  disons  : 
l'eau  est  chaude,  le  verbe  est  à  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  et  l'adjectifau  féminin  du  même 
nombre,  parce  que  les  deux  mots  est  et  chaude  se 
rapportent  à  un  même  sujet,  l'eau,  qui  est  du 
genre  féminin  et  du  singulier. 

Si  l'on  compare  la  proposition  à  une  petite 
troupe  de  soldats,  on  peut  dire  que  le  sujet  en 
est  le  chef,  et  que  le  verbe  et  l'atlribut  recon- 
naissent son  autorité  et  portent  un  costume  à  ses 
couleurs.  Nous  devons  donc  commencer  la  syn- 
taxe par  l'étude  des  règles  suivant  lesquelles  a 
lieu  cet  a'iord  des  différents  mots  entre  eux, 
quand  on  veut  les  réunir  pour  en  former  une 
proiosition. 

Quand  nous  disons  l'eau  est  chaude,  le  mot 
eau  n'indique  encore  qu'une  idée  très  vague  : 
nous  savons  que  ce  qui  est  chaud,  c'est  l'eau,  non 
l'air  ou  la  terre,  mais  nous  ne  savons  pas  si  c'est 
l'eau  du  lac,  par  exemple,  ou  l'eau  de  la  carafe. 
Si,  pour  rendre  plus  précise  cette  idée,  nous 
disons  :  l'emi  de  lu  baignai' e  est  ch'iide,  le  mot 
baignoire,  qui  \'\en\, compléter,  éclaircir  le  moieail 
auquel  il  se  rapporte,  est  dit  pour  celte  raison 
son  complément.  Pour  exprimer  une  idée  à  l'aide 
de  mots  réunis  en  proposiiion,  il  faut  donc  savoir 
comment  on  peut  rendre  cette  idée  plus  ou  moins 
nette  en  ajoutant  à  la  proposition  un  ou  plusieurs 
compléments  qni  l'éclaircissejit  ou  la  précisent. 

La  syntaxe  des  mots  a  donc  pour  double  but 
de  fixer  pour  chacune  des  dix  parties  du  discours 
toutes  les  règles  qui  concernent  l'accord  ou  le 
com/ilémetit. 

Nous  allons  passer  en  revue  les  dix  parties  du 
discours,  en  donnant  pour  chacune  d'elles  les 
règles  les  plus  importantes. 

1.  Nom  ou  substantif.  —  1°  Accord.  —  Quand 
deux  &ub>taniir3  désignent  la  même  personne  ou 
la  njème  chose,  le  second  s  accorde  avec  le  pre- 
mier en  genre  et  en  nombre  :  La  reine-mère.  Les 
>oldars  Inbournirs.  Turenne  est  u7i  hn-os.  Jeanne 
n'Arij  est  une  liéroine. 

2°  CoMPLÉME.NT.  —  Il  faut  Soigneusement  dis- 
tinguer le  cas  où  le  nom  et  son  complén)ent  sont 
unis  par  l'article  .du.  de  la,  des)  de  celui  où  ils 
le  soiit  par  la  préposition  de:  un  jin/ais  de  roi  et 
/f  patiiis  i)v  roi  n'expriment  point  la  même  idée  : 
la  première  expression  est  générale  et  désigne  un 
palais  qui  e^l  d'aspect  vraiment  rcyal  (cette  mai- 
son eit  un  V!-ui  palais  de  toî)  ;  la  seconde  phrase 
au  contraire  est  très  précise  et  détermine  à  qui 
appariimt  le  paln'is  (cette  maison  est  le  palais  do 
roi). 

Lorsque  deux  noms  exigent  après  eux  la  même 
préposition,  ils  peuvent  avoir  le  même  complé- 
ment, lix.  :  Son  ardeur  et  son  applicidion  au  tra- 
vail (parce  que  ar'ieur  et  application  demandent 
également  la  préposition  à). 

Mais  on  ne  dira  pas  :  Son  d'vraiement  et  son 
obéissance  pouk  S'ii  mnitre.  Il  faut  donner  à 
chaque  mot  le  complément  qui  lui  convient  et 
dire  :  Son  ilévovement  POl'H  son  muilre  et  son 
obdissance  envers  lui. 


SYNTAXE 


—  2H1  — 


SYNTAXE 


L'emploi  d'un  iinm  au  siiiguliiir  ou  au  pluripl 
après  uiiB  prcposiuon  dopend  uni(|uement  de  la 
pensée.  Il  faut  donc  examiner  si  le  complément 
du  substantif  renferme  oui  ou  non  l'idén  du  plu- 
riel. Ainsi  l'on  dira  :  marchand  de  lait  (qui  vend 
du  lait],  mais  marchand  de  pommas  (qui  vend 
des  poiiim'-sj; —  un  fruit  i  7101/au  (qui  a  tm 
noyau),  mais  un  fruit  h  pCfins  (qui  a  despé/ins)  ; 
—  un  peintre  rempli  do  talent  (qui  a  uti  yrand 
talent),  mais  une  jeune  fille  remplie  de  talents 
(qui  possède  plusieurs  t'ileJits  d'agrément,  etc.). 

II.  Article.  —  Nous  avons  vu  que  l'article  dé- 
fini se  place  devant  les  noms  communs  pris  dans 
un  sens  déterminé.  Ex.  :  «  Le  chant  du  rossignol 
est  beau.  » 

Mais  on  ne  met  pas  d'article  devant  les  noms 
pris  dans  un  sens  indéterminé.  Ex.  :  Une  table  de 
marbre,  un  homme  sa7ts  talent,  une  page  d'his- 
toire. 

Quand  l'article  se  rapporte  à.  deux  noms  au  sin- 
gulier, il  doit  être  répété  devant  chacun  d'eux  : 
ie  père  et  la  mère.  Cependant  il  ne  se  répète  pas 
dans  quelques  locutions  telles  que:  les  arts  et  mé- 
tiers, les  ponis  et  chaussées,  etc. 

Quand  plusieurs  adjectifs  unis  par  et  se  rappor- 
tent à  un  seul  et  même  nom,  il  faut  répéter  l'ar- 
ticle, si  les  adjectifs  servent  à  qualifier  des  per- 
sonnes ou  des  choses  différentes  :  «  /'histoire 
ancienne  et  la  moderne,  a  non  «  ^histoire  an- 
cienne et  moderne.  » 

Mais  l'on  dira  correctement  :  u  le  brave  et  illus- 
tre Turenne,  »  pjrce  que  les  deux  adjectifs  qua- 
lifient la  même  personne. 

Du,  de  la,  rfe»  s'emploient  avant  les  noms  pris 
dans  un  sens  partitif,  c'est  à-dire  désignant  une 
partie  d'un  tout  :  «  Donnez-cuoi  du  pain.  J'ai 
mangé  des  pommes.  » 

Quand  le  nom  est  précédé  d'un  adjectif,  l'arti- 
cle se  remplace  par  la  préposiiiun  île:  n  Je  majjge 
de  bon  pain.  »  Excepté  quand  l'adjectif  forme  avec 
le  substajuif  une  sorte  de  nom  composé:  des  jeunes 
gens,  des  bons  mois,  etc. 

Quand  l'adjectif  suit  le  nom,  l'article  persiste. 
Ex.  :  «  Je  mange  du  pain  excellent.  » 

Devant  les  adverbes  p'us,  moini  et  mieux,  on 
emploie  te,  la.  les,  quand  il  y  a  comparaison.  Ex.  : 
«  La  rose  est  a  plus  belle  des  fleurs.  —  Les  ga- 
zelles sont  tes  plus  agiles  des  quadrupèdes,  u 

Mais  le  reste  invariable,  lorsqu'on  veut  expri- 
mer une  qualiié  portée  au  plus  haut  degré,  sans 
aucune  idée  de  comparaison  :  «  C  tte  rivière  n'a 
pas  débordé,  même  quand  elle  a  été  le  plus 
haute.  » 

Le  est  encore  invariable  devant;  plw),  minux, 
mo!«s,  lorsque  ces  mots  sont  suivis  d'un  autre  ad- 
verbe ou  employés  seuls:  m  C'est  elle  qui  a  ré- 
pondu le  plus  adroitement.  C'est  la  rose  que 
j'aime  le  mieur.  » 

III.  Adjectif  —  Nous  avons  vu  que  l'adjectif  qui 
se  rapporte  à  deux  ou  plusieurs  noms  de  différents 
genres  se  met  au  masculin  pluriel  ;  cette  règle 
souffre  quelques  exceptions. 

1°  Après  deux  noms  séparés  par  la  conjonction 
ou,  l'adjectif  s'accorde  avec  le  dernier  nom  quand 
il  ne  qualifie  réellement  que  ce  dernier.  Ex.  :  u  Les 
colonnes  se  construisent  en  bois  ou  en  pierre  très 
dure.  >; 

2°  Quand  deux  ou  plusieurs  noms  marquent  une 
gradation  et  qu'on  veut  spécialement  fixer  l'atten- 
tion sur  le  dernier,  un  doinie  à  l'adjectif  le  genre 
et  le  nombre  de  ce  dernier  nom  .  «  i:ondé  montra 
à  Rocioy  un  courage,  un  sang-froid,  une  audace 
etojiiioide.  u 

Lorsqu'un  adjectif  est  composé  de  deux  adjectifs 
(ou  d  un  ailjeciif  et  d'un  participe)  réunis  par  un 
trait  d'union,  les  deux  parties  s'accordent  avec  le 
nom  :  des  poires  ai'/res-douces. 

Il  faut  excepter  mort,  qui  reste  toujours  inva- 


riable dans  les  adjectifs  composés  :  une  brebis 
ï)(oc<-née. 

Mais  si  le  premier  de  ces  adjectifs  est  employé 
adverbialement,  il  ne  varie  point,  étant  dès  lors 
un  véritable  adverbe  :  «  L'herbe  est  très  clair- 
semée  (c'est-à-dire  très  clairement  semée)  ;  ces 
personnages  étaient  court-yèiw»  (c'est-à-dire  cour- 
tement  vêtus)  ;  une  fille  nouveau-i\às  (c'est-à-dire 
nourellement  née).  » 

Les  adjectifs  employés  adverbialement  no  peu- 
vent point  s'accorder  avec  le  nom:  «  Elles  chan- 
tent juste;  cette  fleur  sent  bon,  n  etc. 

lÎEMAllQUES  suit   L'ACCOnO    DE    Ql  ELQUES    ADJKCTIFS. 

—  L'adjectif  nu,  dans  les  locutions  telles  que  : 
nu-pieds,  ?i!;-tête,  etc.,  est  invariable  et  s'unit  au 
nom  par  un  trait  d'union.  Dans  tout  autre  cas  il 
s'accorde  avec  lui  en  genre  et  en  nombre:  Les 
pieds  nus  ;  la  tête  nne  ;  la  îzwe-propriété. 

L'adjectif  demi,  placé  devant  le  nnm,  est  inva- 
riable et  s'unit  avec  lui  par  un  trait  d'union  :  Une 
rfemi-livre,  une  rfemi-heure.  Placé  après  le  nom, 
il  s'accorde  en  genre,  mais  garde  toujours  le  sin- 
gulier: Une  livre  et  demie;  àeux  heures  et  ilernie. 

—  Demi  employé  comme  nom  est  du  masculin  : 
«  Deux  demis'  valent  un  entier;  .1  mais  quand-ce 
mot  signifie  la  muiiié  de  l'Iieure,  il  est  du  fémi- 
nin: «  Cette  horloge  sonne  les  demies.  « 

L'adjectif /■!?«  (défunt),  placé  avant  l'.irtide,  est 
invariable  :  Feu  la  reine.  l'Iacé  après  l'article  ou 
un  adjectif  déterminatif,  il  s'accorde  en  genre  et 
en  nombre  avec  le  nom  :  la  feue  reine  ;  votre  feue 
mère. 

Les  deux  participes  ci-joint,  ci-inclw!  peuvent 
être  considérés  comme  adjectifs  :  ils  restent  inva- 
riables : 

1°  Au  commencement  de  la  phrase  :  «  Ci-joint 
la  lettre  de  notre  père  ;  ci-inclus  les  pièces  du 
contrat.  >i 

T  Au  milieu  de  la  phrase,  quand  le  nom  qui 
suit  est  employé  sans  article  ou  sans  adjectif  dé- 
terminatif: u  Vous  trouverez  ci-jomt  copie  de  sa 
lettre.  » 

Dans  tout  autre  cas,  il  y  a  accord  :  «  Les  pièces 
ci  jointes  sont  précieuses.  Vous  trouverez  ci-jointe 
notre  copie,  d 

Franc,  dans  franc  de  port,  est  invariable  lors- 
qu'il précède  le  substantif:  «  Vous  recevrez  franc 
lie  port  la  lettre  que  je  vous  envoie.»  Placé  après 
le  substantif,  il  s'accorde:  «  Cette  lettre  est,  fran- 
che lie  part.  » 

Possible,  précédé  de  le  plus,  le  moins,  le 
mii-iix,  etc.,  forme  une  locution  adverbiale  et  reste 
invariable  :  «  11  a  rassemblé  le  plus  de  Vivras  pos- 
sible. » 

Les  substantifs  employés  accidentellement 
comme  adjectifs  pour  désigner  la  couleur  restent 
invariables  :  Des  étoffes  noisette  ;  des  robes  olive. 

Deux  adjectifs  réunis  pour  désigner  la  couleur 
restent  invariables  :  Des  cheveux  châtain  clair, 
des  yeux  bleu  foncé. 

Adjectifs  POSSESSIFS. —  Les  adjectifs  possessifs  se 
répètent  devant  tous  les  noms  qu'ils  déterminent  : 
«  i\lo7i  repos,  mon  bonheur  semblait  être  affermi.  » 

Les  adjectifs  possessifs  mon,  ton,  son,  etc.,  se 
remplacent  par  l'article  quand  il  s'agit  d'une  chose 
inséparable  de  la  personne,  et  quand  le  sons  de 
la  phrase  indique  clairement  le  possesseur.  Ex.  : 
«  J'ai  la  jambe  enflée,  j'ai  mal  à  la  tête  »  {et  non 
pas  mil  jambe,  ma  tête). 

Mais  il  faut  dire  :  «  Il  a  perdu  sa  fortune,  »  parce 
que  foriune  n'exprime  point  une  chose  insépara- 
ble de  la  personne. 

Quand  le  possesseur  est  indiqué  par  le  pronom 
réfléchi  .%«>,  l'article  est  do  rigueur  à  la  place  de 
l'adjectif  posses-.if.  Ainsi  l'on  peut  dire  également  : 
«  11  arrache  ses  cheveux,  »  ou  «  Il  s'arrache  les 
cheveux.  »  La  seconde  forme  est  préférable. 

Quand   l'objet  possédé  appartient  à  une  per- 


SYNTAXE 


—  2112  — 


SYNTAXE 


sonne,  et  même  à  un  être  inanimé,  on  emploie 
son,  sa,  ses  :  «  J'aime  Henri,  mais  je  connais  ses 
défauts.  »  —  Dans  tous  les  autres  cas,  en  emploie 
ordinairement  en  suivi  de  l'article  défini  :  «  Si  je 
vous  parle  de  ces  fruits,  c'est  que  j'en  connais  la 
saveur.  » 

Le  nom  de  l'objet  possédé  précédé  de  leur  se 
met  tantôt  au  singulier,  tantôt  au  pluriel,  selon 
que  le  nom  contient  l'idée  de  singulier  ou  de  plu- 
riel. Exemple  :  n  Ces  deux  jeunes  gens  ont  perdu 
leur  père  >>  (ils  sont  frères,  autrement  on  écrirait 
leurs  fiéres).  «  Les  villageois  sortent  de  leurs  mai- 
sons ï  [les  ?iiaiso?is  d'eux).  «  Mon  père  et  ma  mère 
sortent  de  leur  maison  «  [h  muUoii  d'eux). 

Adjectifs  indéfinis.  — Choque  étant  un  adjectif 
et  chacun  étant  un  pronom,  on  ne  doit  point  em- 
ployer chaque  sans  le  faire  suivre  d'un  nom  : 
«  Chaque  pays  a  ses  usages.  «  Il  ne  faut  donc  pas 
dire  :  «  Ces  fruits  valent  un  franc  chaque,  n  mais 
ce  un  franc  chacun.  » 

Même  est  adjectif  ou  adverbe.  Il  est  adjectif  et 
par  conséquent  variable,  lorsqu'il  se  rapporte  à 
un  nom  ou  à  un  pronom  :  Les  mêmes  hommes, 
les  hommes  enx-thémes.  —  Même  est  adverbe  et 
par  conséquent  invariable  quand  il  modifie  un 
verbe  ou  un  adjectif  :  et  Les  mères  aiment  même 
les  défauts  de  leurs  enfants.  Le  citoyen  doit 
obéir  aux  lois  me'we  injustes.  »  —  Même  est  en- 
core adverbe  quand  il  est  placé  après  plusieurs 
substantifs  :  «  Les  vieillards,  les  femmes,  les  en- 
fants tnême  furent  égorgés.  » 

On  distinguait  autrefois  même  adjectif  de  même 
adverbe  en  mettant  un  s  i  ce  dernier.  Corneille  a 
écrit  : 

Ici  dispensez-moi  du  récit  des  blaspàrmes 
Qu'ils  ODt  vomis  tous  deux  contre  Jupiter  mentes. 

Quelque  est  adjectif  ou  adverbe.  Il  est  adjectif 
et  par  conséquent  variable  quand  il  se  rapporte  à 
un  nom  :  quelques  hommes,  quelques  bonnes 
mères.  —  Quelque  est  adverbe  et  par  conséquent 
invariable  quand  il  moditie  un  adjectif,  un  parti- 
cipe ou  un  adverbe.  Il  a,  dans  ces  cas,  le  sens  de 
si  :  «  Quelque  puissants  que  soient  vos  ennemis  ; 
quelque  grands  que  vous  soyez  »  (c'est-à-dire  si 
puissants  que,...  si  grands  que...).  —  Quelque  est 
encore  adverbe,  et  par  conséquent  invariable, 
quand  il  est  suivi  d'un  nom  de  nombre.  Il  a,  dans 
ce  cas,  le  sens  d'environ,  à  peu  prés  :  «  J'ai  ren- 
contré quelque  vingt  personnes.  Il  vivait  quelque 
cent  ans  avant  J.-C.  »  (c'est-à-dire  environ  vingt 
personnes,  à  peu  près  cent  ans).  —  H  ne  faut  pas 
confondre  quelque  avec  la  locution  quel  que,  qui 
s'écrit  en  deux  mots  et  est  toujours  suivie  d'un 
verbe  au  subjonctif:»  Çue/ çîie  soit  votre  bonheur  ; 
quelles  (yu'aient  été  vos  infortunes.  »  Quel  s'ac- 
corde, dans  ce  cas,  avec  le  nom  auquel  il  se  rap- 
porte. 

Tout  est  adjectif  ou  adverbe.  Il  est  adjectif  et 
par  conï-équent  variable  quand  il  se  rapporte  à  un 
nom  ou  à  un  pronom  :  «  Toute  femme  ;  je  les  ai  tous 
vus  ;  toute  honnête  personne.  »  —  Tout  est  adverbe 
et  par  conséquent  invariable  quand  il  modifie  un 
adjectif,  un  participe  ou  un  adverbe.  Il  a,  dans  ce 
cas,  le  sens  do  quelque,  tout  à  fuit  :  «  Tout  utile 
qu'elle  est,  la  richesse  ne  fait  pas  lu  bonheur  u 
(C'est-à-dire  quelque  utile  que,  etc.).  «  Ces 
mères  sont  tout  heureuses  des  succès  do  leurs 
fils  )i  (c'est-à-dire  tout  à  fait  heureuses).  Cepen- 
dant, devant  un  adjectif  ou  un  participe  commen- 
çant par  une  consonne  ou  une  h  aspirée,  tout 
prend  l'accord  :  «  Elle  est  toute  surprise  ;  elles 
éiaient  toutes  honteuses.  »  —  Tout,  suivi  de  l'ad- 
jectif autre,  varie  quand  il  se  rapporte  à  un  sub- 
stantif exprimé  ou  sous-entendu  :  <t  Demandez- 
moi  toute  «H^/'e  chose  ;^ouiea«(;'e  eût  été  effrayée  » 

(c'est-à-dire  toute  chose  autre toute  femme 

autre).  Mais  il  reste  invariable  quand  il  se  rap- 


porte à  l'adjectif  auti-e  et  qu'il  est  précédé  ou 
suivi  de  un,  une  :  «  Londres  est  tout  autre  chose 
que  Paris  »  (c'est-à-dire  une  chose  tout  à  fait 
autre),  u  Donnez-moi  une  tout  autre  réponse. 
Vous  méritez  tout  une  autre  fortune.  »  Dans  ces 
trois  cas,  tout  signifie  tout  à  fait,  —  Tout  est 
encore  invariable  dans  les  locations;  a  Tout  Rome, 
(oî(M  ienne»;  il  y  a  ici  accord  par  syllepse  :  «  Tout 
le  peuple  de  Rome.  » 

Complément  de  l'adjectif.  — ■  Quand  deux  ad- 
jectifs veulent  après  eux  la  môme  préposition,  ils 
peuvent  avoir  le  môme  complément;  ainsi  l'on 
peut  dire  :  «  Ce  fils  est  utile  et  cher  à  sa  mère,  » 
parce  qu'on  dit  :  être  utile  à  quoiqu'un,  être 
cher  à  quelqu'un.  Mais  on  ne  pourrait  dire  :  «  Ce 
fils  est  uttle  et  chéri  de  sa  mère,  »  parce  qu'on 
ne  dit  pas  être  utile  de  quelqu'un.  Il  faut  dans  ce 
cas  développer  la  proposition  et  dire  :  «  Ce  fils  est 
utile  à  sa  mère  et  il  en  est  chéri.  » 

IV.  Pronom.  —  Pronoms  personnels.  —  Quand 
le  pronom  remplace  deux  ou  plusieurs  noms  de 
personnes  grammaticalement  différentes,  il  se  met 
à  la  première  personne,  s'il  y  en  a  une,  sinon  il  se 
met  à  la  deuxième  ;  Vous,  lui  el  moi,  nous  sommes 
fort  âgés,  toi  et  lui,  r'ous  êtes  malheureux.  » 

OnsEUVATioNS  SUR  l'emploi  de  certains  pronoms. 
—  Quand  le  pronom  le  représente  un  nom,  il 
s'accorde  toujours  avec  ce  nom  :  «  Êtes-vous  la 
malade?  Je  la  suis.  Êtes-vous  les  soldats  qui  ont 
battu  l'ennemi?  Nous  les  sommes.  » 

Le  pronom  le  reste  invariable  quand  il  repré- 
sente un  adjectif  ou  un  nom  pris  adjectivement. 
Ex.  :  «  Êtes-vous  malade?  Je  le  suis.  Êtes-vous 
reine?  Je  le  suis.  Êtes-vous  mères?  Nous  le 
sommes.  >>  Dans  ce  dernier  cas,  le  signifie  cela  : 
Êtes-vous  malade?  Je  le  suis  (c'est-à-dire  je  suis 
cela,  maladie). 

L'explication  de  cette  règle  réside  dans  le  sens 
du  mot  employé  et  peut  se  résumer  de  la  manière 
suivante  :  quand  le  représente  une  qualité  (comme 
mère),  ou  un  état  (comme  malade),  il  est  inva- 
riable :  «  Êtes-vous  mère  ?  Je  le  suis  ;  »  mais  il 
est  variable  quand  il  représente  la  personne  qui 
possède  cet  état  ou  cette  qualité  :  «  Êtes-vous  la 
mère  de  cet  enfant  ?  Je  la  suis.  « 

Lorsqu'on  parle  des  animaux  ou  des  choses,  il 
faut  se  servir  de  préférence  des  pronoms  en,  y 
et  non  des  pronoms  de  lui,  d'elle,  d'eux,  à  lui,  à 
elle  :  Cet  arbre  est  grand,  on  en  ferait  un  màt. 
Cette  chaise  est  cassée,  j'y  ferai  remettre  un 
pied  (et  non  je  lui  ferai  remettre  un  pied). 

On  appelle  se,  soi,  pronom  refléctii,  parce  qu'il 
rappelle  toujours  le  sujet  de  la  proposition.  Soi 
s'emploie  au  lieu  de  lui,  elle  : 

r  Après  un  pronom  indéfini  [on,  chacun,  per- 
sonne, etc.).  Ex.  :  «  On  ne  doit  jamais  parler  de 
soi.  Chacun  vit  pour  soi.  >■  . 

2°  Après  un  verbe  impersonnel  ou  un  infinitif. 
Ex.  «  :  11  faut  penser  à  soi.  Etre  toujours  content 
de  soi  est  une  sottise.  » 

3°  Après  un  nom  de  chose  au  singulier  :  «  Cette 
faute  entraîne  après  soi  des  regrets.  »  Si  le  nom 
est  au  pluriel,  on  ne  peut  employer  soi  :  «  Ces 
fautes  entraînent  après  elles  des  regrets  »  (et  non 
entraînent  après  soi'i.  .    , 

Soi  s'emploie  même  après  un  sujet  détermine, 
lorsqu'on  veut  éviter  une  équivoque.  Ex.  :  «L'avare 
qui  a  un  fils  prodigue  n'amasse  ni  pour  soi,  ni 
pour  lui.  »  (Le  pronom  lui  répété  rendrait  le  sens 
très  obscur.) 

Pronoms  indéfinis.  —  Le  pronom  on  est  ordi- 
nairement du  masculin  singulier  ;  mais  lorsqu  il 
désigne  une  femme,  l'adjectif  qui  s'y  rapporte  se 
met  au  féminin.  Ex.  :  «  A  votre  âge,  ma  fille,  on 
est  bien  curieuse.  » 

Le  pronom  chacun  veut  après  lui  tantôt  son,  sa, 
ses,  tantôt  leur,  leurs.  C'/iacdîi  s'emploie  avoc  son, 
sa,  ses  : 


SYNTAXE 


—  2113  — 


SYNTAXE 


1"  F^oi-squ'il  est  sujet  du  verbe.  Ex.  :  «  Cluicun 
•doit  parler  à  son  tour.  » 

2°  Lorsqu'il  est  placé  après  le  complément  du 
■verbe  ou  lorsqu'il  n'y  a  point  de  complément. 
Ex.  :  «  Remettez  ces  livres-là  chw:un  h  sa  place. 
■Les  animaux  sont  vêtus  chacun  selon  ses  be- 
soins. »  —  Cliaciin  s'emploie  avec  leur,  leurs, 
quand  il  est  placé  avant  lo  complément  direct. 
Ex.  :  Il  Les  abeilles  bâtissent  chacune  leur  cel- 
lule. Les  langues  ont  chacune  leurs  bizarreries. 
Les  juges  ont  donné  chacun  leur  avis.  <> 

La  locution  l'un  l'autre  exprime  la  réciprocité 
et  prend  les  deux  genres  et  les  deux  nombres. 
Ex.  :  Il  Ils  s'aimaient  les  uns  les  autres.  Elles  se 
nuisent  let  unes  aux  autrt's.  » 

L'tm  et  l'autre  n'expriment  point  la  réciprocité, 
mais  simplement  l'idée  de  deux  ou  de  plusieurs 
personnes,  de  deux  ou  de  plusieurs  cboses. 
'Placés  devant  un  nom,  ils  sont  adjectifs  et  s'accor- 
dent avec  le  nom  :  «  J'ai  parcouru  l'une  et  l'autre 
ïégion.  11 

Tel  employé  comme  pronom  a  le  sens  de  celui. 
Ex.  :  Tel  qui  rit  vendredi,  dimanche  pleurera,  u 
V.  Verbe.  —  1°  Accord.  —  Tout  verbe  s'accorde 
en  nombre  et  en  personne  avec  son  sujet  :  «  Les 
liommes  sont  mortels.  Les  enfants  sont  ignorants. 
Le  courage  est  une  venu,  n 

Il  en  est  de  môme  quand  le  sujet  vient  après  : 
Il  Alors  parlent  lesliirondelles.  » 

Quand  le  sujet  est  un  nom  collectif,  le  verbe  se 
met  au  singulier  si  l'on  adopte  pour  sujet  le  nom 
collectif,  par  exemple  nuée,  dans  :  «  Une  nuée  de 
sauterelles  obscurcit  l'air,  u  II  se  met  au  con- 
traire au  pluriel  si  l'on  adopte  pour  sujet  le  com- 
plément du  nom  collectif,  par  exemple  barbare-/, 
dans  :  «  Une  nuée  de  barbares  désolèrent  le 
pays.  » 

Après  la  plupart,  1-'  plus  r/raiid  nombre,  une 
infinité  de,  etc.,  le  verbe  s'accurde  toujours  avec 
le  Complément  de  ces  collectifs,  que  ce  complé- 
ment soii  exprimé  ou  sous-eniendu.  Ex.  :  «  La 
plupart  des  gens  ne  /b«<  réflexion  sur  rien.  La 
plupart  écriwnt  ce  nom  de  telle  manière.  » 

Après  les  adverbes  de  quantité  beaucoup,  peu, 
moins,  assez,  trop,  etc.,  suivis  d'un  pluriel,  le 
verbe  ne  s'accorde  jamais  avec  l'adverbe,  mais 
toujours  avec  le  nom  :  «  Beaucoup  de  persunnes 
ignorenl  la  gravité  de  cette  affaire.  Peu  de  gens 
supportent  la  coiuradiction.  » 

Plus  d'un  veut  le  verbe  au  singulier,  bien  que 
•ce  mot  éveille  l'idée  du  pluriel.  Ex.  :  «  Plus  d'un 
brave  monlit  la  poussière.  • 

Le  verbe  se  met  au  singulier  après  plusieurs 
sujets  : 

1°  Lorsque  les  sujets  forment  une  énumération 
ou  une  gradation  :  a  Un  regard,  une  parole,  un 
serrement  île  main  suffit  pour  relever  le  courage 
du  mallienreux.  » 

2°  Lorsque  rénumération  est  résumée  par  un 
mot,  tel  que  chacun,  rien,  tout,  etc.  Ex.  :  «  Un 
souffle,  une  ombre,  un  rien,  tout  lui  donnait  la 
fièvre.  11 

3°  Lorsque  Ikb  sujets  sont  unis  par  comme,  ainsi 
■que,  de  même  que,  etc.  Ex.  :  «  La  vérité,  comme 
la  lumière,  est  inaltérable.  » 

Le  verbe  se  met  ordinairement  au  pluriel  après 
•deux  sujets  unis  par  ni  ou  par  ou.  Ex  :  «  Ni 
lor  ni  la  grandeur  ne  nous  rendent  heureux.  Le 
courage  ou  le  bonlieur  ont  pu  faire  des  liéros.  » 
Mais  si  l'idée  qu'exprime  le  verbe  ne  peut  être 
attribuée  quà  l'un  des  deux  sujets,  le  verbe  se 
met  au  singulier.  Ex.:  ■..Ni  Pierre  ni  l'aulne  sera 
premier  dans  cette  composition.  Cornuille  ou  lia- 
cine  est  1  auteur  de  ces  vers.  » 

Le  verbe  étr"  précédé  de  ce  [c'est,  c'était,  etc.) 
reste  au  singulier  quand  il  e>t  suivi  d'un  ou  de 
plusieurs  noms  au  singulier,  ou  bien  d'un  pronom 
<le  la  première  ou  de  la  seconde  personne  du  plu- 

2"   PARTIE. 


riel  :  «  C est  la  pluie  ei  le  brouillard  qui  attristent 
l'Angleterre.  C'est  nous  qui  sommes  les  vrais  cou- 
pable-». C'est  vous  qui  auriez  dû  venir,  u 

Quand  ces  noms  sont  au  pluriel,  ou  quand  ces 
pronoms  sont  îi  la  troisième  personne  du  pluriel, 
le  verbe  être  se  met  au  pluriel  :  «  Ce  sont  les  Ro- 
mains qui  ont  conquis  le  monde.  Ce  sont  eux  qui 
ont  construit  ces  aqueducs.  » 

Cependant  le  verbe  cire,  quoique  suivi  d'un 
pronom  de  la  troisième  personne  du  pluriel,  se 
met  au  singulier  :  1"  Lorsqu'on  veut  éviter  certai- 
nes formes  désagréables,  telles  que  sont-ce,  se- 
ront-ce,  furent-ce  :  ainsi  l'on  dira  :  n  Sera-ce  nos 
amis  qui  nous  tireront  d'affaire  'I  •  2'  Dans  la  lo 
cution  si  ce  n'est  :  «  .Si  ce  ?i'est  eux,  quels  hom  - 
mes  eussent  osé  l'entreprendre?  » 

Les  verbes  impersonnels  (ou  employés  comme 
tels)  restent  invariables,  lors  même  qu'ils  sont 
suivis  d'un  nom  au  pluriel  :  «  H  tomba  des  mil- 
liers de  grêlons  ;  il  vint  plusieurs  personnes.  » 
Les  verbes  impersonnels  peuvent  s'employer  à 
la  troisième  persoime  du  pluriel  dans  un  sens 
figuré  :  «  Les  traits  pleuvent  ;  les  canons  ton- 
nent. 11 

L'un  et  l'auh-e,  employé  comme  sujet,  veut  le 
verbe  au  pluriel  :  a  L'un  et  l'autre  sont  morts.  » 
Mais  l'un  ou  l'autre,  ni  l'un  ni  l'autre  veulent  le 
verbe  au  singulier  :  «  L'un  ou  l'autre  a  raison  ; 
ni  l'un  ni  l'autre  ne  remportera  la  victoire.  » 

Lorsqu'un  verbe  a  pour  sujet  le  pronom  qui,  il 
s'accorde  en  nombre  et  en  personne  avec  ce  pro- 
nom, qui  prend  lui-même  le  nombre  et  la  per- 
sonne de  son  antécédent  :  «  C'est  moi  qui  vous  le 
dis,  qui  suis  votre  grand'mère.  » 

2°  CoMPi.iiMENT  DU  VERBE.  —  Deux  OU  plusicuFS 
verbes  peuvent  avoir  un  complément  commun, 
si  ces  verbes  n'exigent  pas  des  compléments  de 
nature  différente  :  «  L'enfant  doit  cliérlr  et  res- 
pecter ses  parents.  » 

Dans  cette  phrase,  parents  peut  servir  de  com- 
plément h  la  fois  aux  deux  verbes  chérir  et  res- 
pecter, parce  qu'on  dit  chérir  quelqu'un,  respecter 
quelqu'un. 

Mais  avec  un  verbe  tel  qu'oéeV»-,  par  exemple, 
qui  veut  un  complément  indirect  (nbéir  à  quel- 
qu'un),on  ne  pourrait  em|iloyer  parents  sans  pré- 
position comme  complément  commun.  Ainsi  l'on 
ne  dira  pas  :  «  L'enfant  doit  obéir  et  respecti^r  ses 
parents  ;  »  il  est  alors  nécessaire  d'exprimer  les 
deux  compléments  en  disant  :  «  L'enfant  doit  rés- 
pecti-r  ses  parents  et  leur  obéir,  u 

Quand  un  verbe  a  deux  ou  plusieurs  complé- 
ments, ces  compléments  doivent  être  de  môme 
nature  ;  on  dira  correctement:  u  II  aime  à  chanter 
et  à  di'ssiner,  «  ou  «  il  aime  le  chant  et  le  deisin  ;  » 
mais  on  ne  peut  dire  :  «  11  aime  le  chant  etàdes- 
siner.  »  ,,         ^    . 

Un  verbe  ne  peut  avoir  deux  compléments  in- 
directs, quand  le  second  ne  fait  que  répéter  le 
premier.  Il  ne  faut  donc  pas  dire  :  «  C'est  à  vous 
à  qui  je  parle,  c'est  de  vous  dont  il  s'agit,  •>  mais 
bien  :  «  C'est  à  vous  que  je  parle,  c'est  de  vous 
qu'il  s'agit,  »  ou  «  c'est  vous  à  qui  je  parle,  c'est 
vous  d<mt  il  s'agit.  »  ... 

Môme  remarque  pour  l'adverbe  de  lieu  ou  ;  on 
ne  dit  pas  :  «  C'est  ici  oit  il  demeure,  c'est  là  où 
je  vais,  »  mais  :  u  C'est  ici  çu'il  demeure,  c'est  là. 
que  je  vais.  «  , ,.   « 

Remarijue  sur  l'emploi  de  l  infinitif.  —  Linh- 
nitif  peut  se  rapporter,  soit  au  sujet  :  «  Le  désir  de 
vaincre  le  poussait  aux  combats;»  soit  au  régime  : 
Il  II  travaillait  par  désir   (/e  c^ff^ee.  11 

Le  sujet  du  verbe  i  l'infinitif  doit  être  le  même 
que  celui  du  verbe  de  la  proposition  principale  : 
I.  Cet  enfant  s'accoutume  à  dormir  pendant  le 
jour  ;  11  accoutume  et  dormir  ont  le  même  sujet. 
Mais  on  ne  peut  pas  dire  :  «  On  les  renvoya  sans 
avoir  mungé  ;  »  car  celui  qui  renvoie  et  ceux  (fui 
I  :!■! 


SYNTAXE 


—  2114  — 


SYNTAXE 


n'ont  pas  mfngé  sont  des  personnes  distinctes  ; 
il  faut  donc  exprimer  clairement  ces  deux  sujets, 
et  dire  :  i  On  les  renvoya  sans  qu'i7i-  eusseytt 
manç/c,  •>  ou  donner  à  la  proposition  composée 
un  seul  sujet  par  l'emploi  du  passif;  «  lis  furent 
renvoyés  sans  ai'OîV  mange.  » 

(Pour  l'emploi  des  temps  et  des  modes,  voyez 
la  Syntaxe  des  pbopositions.) 

\I.  Participe.  —  Le  participe  peut  occuper 
trois  places  différentes  dans  la  proposition  :  1"  Il 
peut  se  rapporter  au  sujet  :  u  L'honum-,  poussé 
par  la  faim,  devient  criminel  ;  »  2»  Il  peut  se  rap- 
porter au  complément  :  «  Plaignons  Vliomme 
tombé  dans  le  vice  ;  »  3°  Il  peut,  en  apparence,  ne 
se  rapporter  ni  au  sujet,  ni  au  régime  :  «  Tout 
étant  fini,  nous  nous  séparâmes,  u  On  l'appelle 
dans  ce  dernier  cas  participe  absolu.  Ou.ind  le 
participe  se  rapporte  au  sujet  et  que  celui-ci  pré- 
cède, on  ne  doit  pas  répéter  le  sujet  devant  le 
verbe.  Il  r:î  faut  donc  pas  dire  :  «  L'enfant,  ayant 
mangé  des  mets  empoisonnés,  il  mourut  sur-le- 
champ  ;  "  mais  :  "  L'enfant,  aynnt  mangé  des 
mets  empoisonnés,  mourut  sur-le-cliamp.  » 

Le  participe  doit  toujours  se  rapporter  claire- 
ment à  un  mot  exprimé  dans  la  phrase.  Ainsi 
Von  ne  dira  pas  :  "  En  vi^vs  accordant  cette  faveur, 
c'est  me  procurer  un  véritable  plaisir  ;  »  mais  : 
«  En  vous  accoriiant  cette  faveur,  je  me  procure 
un  véritable  plaisir.  » 

VII.  Adverbe.  —  On  supprime  pas  et  point, 
quand  la  plirase  renferme  une  expression  telle 
que  nul,  pcrs'inne,  jainais,  etc.,  dont  le  sens  est 
négatif  :  n  Je  ne  yois  personne  ;  il  ne  y'ient  jamais  ; 
nul  ne  l'écoute.  » 

Lorsque  l'idée  exprimée  par  deux  verbes  qui 
se  suivent  est  négative,  l'emploi  de  ne  est  soumis 
à  la  règle  suivante  :  1°  Quand  }ie  se  trouve  dans 
le  premier  membre  de  phrase,  on  le  supprime  dans 
le  second.  Il  faut  donc  dire  :  «  Il  n'agit  pas  autre- 
ment qu'il  parle,  »  et  non  :  «  Il  n'agit  pas  autre- 
ment qu'il  ne  parle  ;  »  2°  Quand  ue  manque  au 
premier  membre  de  phrase,  on  le  met  dans  le 
second  :  «  J'î  crains  qu'il  ;ie  vienne.  » 

On  emploie  ne  devant  le  second  verbe  :  1°  Après 
les  mots  qui  marquent  l'appréhension  ou  la  crainte, 
tels  que  les  verbes  appréhender,  avoir  peur, 
prendre  garde,  craindre,  emijérher,  etc.  Ex.  : 
«  Craignez  qu'on  ne  lui  parle.  Prends  garde  qu'il 
ne  sorte  ;  "  ou  après  les  locutions  cunjonctives  de 
trainte  que,  de  peur  que,  etc.  :  «  Taisez-vous,  de 
peur  qu'on  ne  vous  entende.  » 

2°  Apres  un  comparatif  d'infériorité  ou  de  su- 
périorité :  n  II  est  plus  savant  que  vous  ne  pensez. 
Il  est  moins  riche  qu'on  ne  croit.  » 

On  euppiime  ne  devant  le  second  verbe  : 
1"  Après  un  verbe  accompagné  d'une  négation. 
Ex.  :  «  Je  7ie  crains  pas  qu'il  vienne.  » 

2°  Après  défendre  :  «  Il  défendit  qu'aucun  étran- 
ger entrât  dans  la  ville.  » 

V  Après  les  locutions  avant  que,  sans  que  : 
«  J'irai  le  voir  nrant  qu''i\  parte;  je  ne  puis  parler 
fans  qu'on  m'interrompe,  u 

Après  e-  pcci^er,  douter,  nier,  disconveiir,  con- 
tester, pris  négativement,  on  peut  employer  ne. 
Ex.  :  Il  On  ne  peut  douter  que  les  pôles  7ie  soient 
couverts  de  glace,  o 

VIU.  Préposition.  —  Nous  n'avons  pas  d'obser- 
vation nouvelle  à  faire  sur  l'emploi  des  préposi- 
tions (V.    Préposition). 

IX.  Conjonction.  —  La  conjonction  ni  sert  à 
réunir  : 

V  Deux  propositions  négatives  :  o  II  ne  boit  ni 
ne  mange.  » 

2°  Deux  propositions  dépendant  d'une  proposi- 
tion négative  :  «  Je  ne  crois  pas  qu'il  vienne,  ni 
même  qu'il  pense  i  venir.  » 

Ki  s'emploie  aussi  îi  la  place  de  pas  ;  par 
exemple  :  «  II  n'est  ni  bon  ni  mauvais.  » 


La  conjonction  que  s'emploie  souvent  : 

1°  A  la  place  des  locutions  conjonctives  :  afin 
que,  sans  que,  depuis  que.  etc.  :  f  Venez  que  je 
vous  le  montre.  Je  ne  puis  parler  çu'il  ne  m  inter- 
rompe. » 

'2'  Pour  éviter  la  répétition  des  conjonctions 
comme,  quand  et  si  :  «  Comme  il  était  tard  et 
qu'on  craignait  la  chute  du  jour,  on  battit  en  re- 
traite. Quand  on  est  jeune  et  qu'on  se  porte  bien, 
on  doit  travailler.  Si  vous  le  rencontrez,  et  çu'il 
vous  aborde,  ne  dites  rien.  » 

2'  SYNTAXE  DES  PFOPOSITIONS,  —  La  première 
partie  de  la  syntaxe  nous  a  appris  à  assembler 
deux  ou  plusieurs  mots  pour  en  former  une  pro- 
posilion  simple;  la  seconde  nous  apprendra  à 
réunir  deux  ou  plusieurs  propositions  simples 
pour  en  former  une  proposition  cmposée. 

Il  n'y  a  que  deux  manières  de  réunir  les  propo- 
sitions simples  pour  en  former  une  proposition 
composée  : 

Ou  bien  les  propositions  simples  restent  indé- 
pendantes, et  l'on  se  borne,  soit  à  les  placer  l'une 
à  côté  de  l'autre  {Je  suis  venu,  j'ai  vu,  fai  vaincu), 
soit  à  les  réunir  par  une  conjonction  (Ma  mère 
est  juite  et  sa  bonté  est  extrême). 

Ou  bien  l'une  des  propositions  sia>ples  dépend 
de  l'autre,  lui  est  soumise,  ou,  comme  on  dit, 
subordonnée,  et  on  obtient  alors  une  proposition 
composée  de  deux  propositions  simples,  l'une 
principale,  l'autre  dépendante  :  «  L'homme  sait 
que  l'âme  est  immortelle  «  est  une  proposition 
composée  de  deux  propositions  simples,  l'homme 
sait,  et  l'orne  est  immortelle  ;  mais  la  seconde  dé- 
pend de  la  première,  qui  est  dite  propositiOD 
principale. 

Nous  avons  vu  que  toute  proposition  renferma 
trois  termes  :  le  sujet,  le  verbe,  l'attrifiut. 

Le  sujet  est  dit  -.  1"  si7nple,  quand  il  n'y  en  a 
qu'un  {['h'imme  est  mortel)  ;  2°  mnl/iple,  quand 
il  y  en  a  plusieurs  (le  loup  et  le  chie7i  ont  une 
origine  commune)  ;  3°  complexe,  quand  il  a  un 
complément  (l'herbe  du  jardin  est  verte)  ;  y  in- 
complexe, quand  il  n'a  pas  de  complément  (l'herbe 
est  verte). 

L'attribut  est  dit  :  1"  sit7iple,  quand  il  n'y  en  a 
qu'un  (l'homme  est  mortel);  2°  7nult'ple,  quand  il 
y  en  a  plusieurs  (il  est  grand  et  fort)  ;  3°  cu7nplexe, 
quand  il  a  un  complément  (il  est  i7icapable  de 
marcher)  ;  4°  incomplexe,  quand  il  n'a  pas  de 
complément  (il  est  incapable). 

On  compte  ordinairement  dans  une  phrase  au- 
tant de  propositions  qu'il  y  a  de  verbes.  Dan» 
cette  phrase  :  «  Quand  il  ui-riva,  son  fils  se  jeta 
dans  ses  bras,  »  il  y  a  deux  propositions,  parce 
qu'il  y  a  deux  verbes. 

Mais  dans  certaines  phrases  qui  ne  renferment 
qu'un  verbe  au  subjonctif  :  "  Que  Dieu  vous  as- 
siste! '>  ou  à  l'impératif  :  <i  Allez!  »  ou  sous  forme 
inierrogaiive.  ti  Qui  a  dit  cela?  »  il  y  a  toujours 
un  indicatif  sous-entendu  :  «  Je  désirr  que  Dieu 
vous  a-.^isle;je  veux  que  vous  alliez;  je  de/>in/ide 
qui  a  iiit  cela  ».  .... 

Dans  ce  cas,  la  proposition  est  dite  ellipti- 
que, c'esl-à-dire  présentant  une  ellipse  (suppres- 
sion d'un  ou  de  plusieurs  mots). 

Il  en  est  do  même  quand,  pour  rendre  le  dis- 
cours plus  riipide,  on  supprime  l'un  des  verbes 
de  la  proposition  composée  :  «  Je  l'aime  conmie 
mon  fi'ére  »  (c'est-à-dire  comme  j'ai7tie  mon 
frère). 

Nous  avons  dit  que  les  propositions  sont  ou 
principales  ou  dépendantes . 

Le  verbe  de  la  proposition  principale  est  tou- 
jours au  mode  i/idieatif,  parce  que  l'indicatif  est 
le  mode  qui  affirme  et  que  toute  proposition  prin- 
cipale a  pour  but  d  affirmer  (juclque  chose. 
Ex.  :  >  J'fspi^re  que  vous  viendrez  ;  •  j'espère, 
proposition  principale,  est  à  l'indicatif. 


I 


SYNTAXE 


—  2H5  — 


SYNTAXE 


Tout  verbe  à  un  autre  mode  que  l'indicatif 
appartlOiit  à  une  proposition  dépendante  ou  su- 
bordonnée. Dans  cette  plirase  :  u  Je  doute  que 
vous  veinez  »  ,  que  vus  veniez,  qui  est  au  modo 
subjonciif,  l'orme  la  proposition  dépendante. 

Propositions  dépendantes  ou  subordonnées.  — 
Au  point  de  vue  du  sens,  les  propositions  subor- 
données sont  de  deux  sortes  : 

1°  Les  unes  sont  indispensables  à  la  proposi- 
tion principale  pour  en  compléter  le  sens. 
Ex.  :  «  Il  faudra  que  votis  veniez  nous  voir.  » 
La  proposition  subordonnée  que  vous  veniez 
nous  voir  donne  h  l'ensemble  de  la  proposition 
son  véritable  sens,  complète  en  un  mot  la  propo- 
sition, d'où  son  nom  de  proposition  subordonnée 
complélive. 

2°  Les  autres  se  bornent  à  modifier  la  pro- 
position principale  en  énonçant  quelque  circon- 
stance accessoire,  par  exemple,  le  temps,  le  lieu, 
la  cause  :  «  J'irai  quand  vous  serez^  à  Paris. 
Venez  me  voir,  lorsque  vous  irez  à  la  campagne.  » 
Quand  vaut  serez  à  Paris,  lorsque  vous  irez  à  la 
campagne,  propositions  dépondantes  qui  modifient 
la  proposition  principale  par  diverses  circons- 
tances secondaires  de  temps  ou  de  lieu,  sont  dites 
pour  cette  raison  propositions  subordonnées  cir- 
constancielles. 

Au  point  de  vue  de  la  forme,  la  langue  fran- 
çaise crée  des  propositions  dépendantes  et  les 
unit  à  la  proposition  principale  de  doux  manières 
différentes. 

La  proposition  dépendante  est  formée  :  1°  soit 
à  l'aide  d'une  conjonction  :  u  Je  sais  que  mon 
père  est  bon  ;  «  2°  soit  à  l'aide  d'un  pronom  rela- 
tif: «  Aimez  la  main  7(12  vous  protège.  >i 

On  a  donc  réparti  en  deux  classes  les  proposi- 
tions dépendantes  ou  subordonnées,  en  leur  don- 
nant respectivement  les  noms  de  propositions 
conjonctives  et  propositions  relatives.  Nous  allons 
les  passer  brièvement  en  revue 

Propositions  conjonctives.  —  On  appelle  propo- 
sition conjoncttne  toute  proposition  dépondante 
unie  :\  la  proposition  principale  par  une  conjonc- 
tion :  «  J'espère  que  vous  viendrez.  »  Que  vous 
viendrez,  uni  à  j'espère  par  la  conjonction  que, 
est  une  proposition  conjonctive. 

Le  verbe  de  la  proposition  dépendante  se  met 
ordinairement  à  l'indicatif  après  une  conjonction 
simple  :  „  Je  viendrai  quand  il  vous  p/aira.  Je  le 
ferai  si  vous  voulez.  J'agirai  comme  il  vous 
plaira;  «  taudis  qu'il  se  met  au  subjonctif  après 
une  locution  conjonctive  :  u  Je  me  lève  >,vant 
qui\  fasse  jour.  U  marche  bien  quoique 
soit  boueux.  Retenez-le  de  peur  qu  il  ne  s'eu 
aille.  1)  ' 

Mais  cette  règle  n'est  point  absolue,  et  elle 
comporte  un  certain  nombre  d'exceptions  que 
nous  devons  indiquer. 

Les  locutions  conjonctives  qui  suivent  veulent 
toujours  après  elles  l'indicatif  :  A  mt-sure  que 
'iin,i  que,  attendu  que,  ansn  bi^n  que,  aussitôt 
que,  autant  que,  de  même  que,  ,lepuis  que,  dès 
que,  da,a„tque.  non  ,dus  'que  ouïe  qui,  paice 
que,  pendant  que,  tandis  que,  tan:  que,  ou  que. 
Kx.  :  «  11  avance  a  mesure  que  vous  reculez.  Il 
partira  aussitôt  que  vous  serez  parti.  Je  l'ai  re- 
connu dès  que  je  l'ai  aperçu,  »  etc. 
«„^''rf/l'J,./'r""''"'  conjonctives  :  de  manière 
sinon  que  te  ement  que,  se  construisent  taiitô 
avec  1  indicatif,  tantôt  avec  le  subjonctif 

1  biles  se  construisent  avec  l'indicatif  quand 
la  pbrase  exprime  un  fait  positif,  certain  :  ,.  Cet 
enfant  s  est  conduit  de  telle  sorte  que  tous  ses  pa- 
rents sont  contents.  •  ^ 
nnînH'"!!''^!'"  «construisent  avec  le  subjonctif 
nmM  h"^  "''  "P"""""  ""  f^i'  douteux  il  qui 
pourrait  bien  ne  pas  avoir  lieu.  Ex.  :  «  faites  e/i 


sorte  qu'il  vienne.  Conduisez-vous  de  telle  sorte 
que  tout  le  monde  soit  content  do  vous.  » 

Les  locutions  conjonctives  qui  suivent  veulent 
toujours  après  elles  le  subjonctif  :  afin  que,  à 
moins  que,  tivnnt  que,  en  cas  que,  bien  que,  de 
peur  que,  de  crainte  que,  jusqu'à  ce  que,  loin 
que,  non  que,  pour  que,  pourvu  que,  sans  que, 
pour  peu  que,  S'iit  que,  supposé  que,  quoique. 
Ex.  :  «  J'irai  le  voir  avaiit  qu'il  parte.  La  terre  ue 
s'épuise  jamais,  pourvu  qu'on  siche  la  cultiver. 
Je  lirai  jusqu'à  ce  que  vous  veniez.  » 

On  se  sert  encore  du  subjonctif  après  la  con- 
jonction que  employée  pour  si  ou  pour  l'une  des 
locutions  conjonctives  mentionnées  ci-dessus. 
Ex  :  Il  Venez,  que  je  vous  i/iss  la  chose  »  (c'est-à- 
dire  :  pour  que  je  vous  dise),  a  Si  Charles  venait 
en  France  et  quil  passât  par  Paris,  je  serais  bien 
heureux  »  (c'est-à-dire  :  et  s'il  passait  par  Paris). 

Lorsque  deux  propositions  sont  unies  par  la 
conjonction  que,  le  second  verbe  se  met  tantôt 
au  subjonctif,  tantôt  à  l'indicatif,  selon  l'idée 
exprimée  par  le  premier  verbe. 

On  emploie  le  subjonctif  :  1»  Après  les  verbes 
qui  expriment  le  doute,  le  désir,  la  crainte,  la 
surprise,  la  supposition,  la  volonté.  Ex.  :  u  Je 
doute  qic'il  sache  sa  leçon.  Je  désire  qu"il  vienne. 
Je  craiiis  qu"il  ne  parte.  Je  suis  surpris  que  vous 
xoi/ez  arrivé.  Je  suppose  qu'il  lise  ce  livre.  Je  veux 
qu'il  sorte.  » 

2"  Après  les  verbes  employés  interrogativement 
ou  accompagnés  dune  négation.  Ex.:  Croyez-vous 
qu'il  parte  ?  Pensez-vous  qu'il  vienne  ?  Je  ne  pré- 
tends pas  qu"il  sorte.  Je  ne  présume  pas  qu'il  soit 
arrivé.  « 

3"  Après  les  verbes  impersonnels  il  faut,  il  im- 
porte, il  convient,  il  est  possible,  etc.,  et  en  géné- 
ral après  tous  ceux  qui  expriment  la  volonté,  la 
supposition,  le  doute.  Ex.  :  «  Il  faut  (//'il  vienne. 
U  tyyiporte  qu'il  soit  ici.  Il  convient  qu''il  sorte.  Il 
est  possible  qu'il  dorme,  »  etc. 

Mais  on  emploie  l'indicatif  même  après  les  ver- 
bes qui  expriment  la  supposition,  la  volonté,  lors- 
qu'on considère  la  chose  dont  il  s'agit  comme 
très  probable.  Ex.  :  '<  Je  suppose  q'i"\l  lit  le  livre 
que  vous  lui  avez  prêté.  Je  préteuds  qu'il  est  là.  » 

La  règle  est  la  même  après  un  verbe  conjugué 
interrogativement  ou  accompagné  d'une  négation, 
lorsqu'on  considère  la  chose  dont  il  s'agit  comme 
certaine  ou  très  probable.  Ainsi  l'on  dira:  «  Croyez- 
vous  que  l'âme  est  immortelle?  »  parce  que  celui 
qui  parle  regarde  comme  certaine  l'immortalité  de 
l'àme.  Si  l'on  disait  :  "  Croyez-vous  que  l'âme 
soit  imniorti'lle  '!  »  la  phrase  exprimerait  un  doute 
de  la  part  de  celui  qui  parle. 

On  emploie  encore  l'indicatif  après  les  verbes 
impersonnels,  tels  que  il  est  clair,  qui  expriment 
la  certitude,  la  probabilité.  Ex.:  «  Il  est  certain 
que  la  terre  se  meut  dans  l'espace.  Il  est  clair  que 
deux  et  deux  font  quatre.  Il  est  probable  que  le 
ciel  Béctaircira.  » 

La  négaiiiin  détruisant  la  certitude  ou  la  proba- 
bilité, les  mêmes  verbes  conjugués  négativement 
veulent  après  eux  le  subjonctif.  Ex.  :  «  Il  n'est  pas 
certain  que  la  terre  se  meuve  dans  l'espace.  Il  n'est 
pas  proliable  que  le  ciel  s'éc/aircisse.  » 

En  résumé,  si  l'on  considère  comme  certain  et 
positif  ce  qui  est  exprimé  dans  la  proposition  subor- 
donnée, lo  verbe  de  cette  proposition  se  met  à 
lindicatif.  Si  l'on  considère  comme  douteux  ou 
simplement  possible  ce  qui  est  exprimé  dans  la 
propiisitiun  suburdonnoe,  le  verbe  de  cette  pro- 
position se  mot  au  subjonctif. 

emploi  de.  temps  du  suhjonctif-  —  ^0U3  avons 
vu  dans  «(uel  cas  le  verbe  de  la  proposition  dépen- 
dante se  mot  au  subjonctif;  il  nous  reste  à  indi- 
(pier  à  quel  temps  du  mode  subjonctif  on  doit 
mettre  ce  verbe. 
L'emploi  des  temps  du  subjonctif  dépend  uni- 


SYNTAXE 


—  211G  —     SYNTHÈSE  CHIMIQUE 


quemcnt  de  l'idée  qu'on  veut  exprimer;  la  seule 
règle  k  suivre  est  donc  celle-ci  ;  voyez  à  quel  temps 
de  l'indicatif  ou  du  conditionnel  vous  mettriez  le 
second  verbe  si  la  phrase  exigeait  l'un  de  ces 
deux  modes,  et  mettez  le  temps  correspondant 
du  subjonctif. 

1°  Le  présent  du  subjonctif  correspond  au 
présent  et  au  futur  de  l'indicatif. 

2°  L'imparfait  du  subjonctif  correspond  à  l'im- 
parfait de  lindicatif  et  au  présent  du  conditionnel. 
3°  Le  parfait  du  subjonctif  correspond  au  par- 
fait défini,  au  parfait  indéfini  et  au  futur  antérieur. 
i"  Le  plus-que-parfait  du  subjonctif  correspond 
au  plus-que-parfaii  do  l'indicatif  et  au  parfait  du 
conditionnel. 

Il  n'y  a  pas  de  règle  moins  sûre  en  français, 
témoin  les  exemples  suivants  tirés  de  nos  auteurs 
classiques. 

Emploi  du  présent  du  subjonctif.  1°  Après  un 
présent  :  «  Il  fnut  que  je  sorte.  »  —  2°  Après  un 
passé  :  «  Les  Romains  de  ce  siècle  n'ont  pas  eu 
un  seul  poète  qui  vaille  la  peino  d'être  cité,  n  — 
3°  Après  un  futur  :  n  II  faudra  que  je  parle.  « 
—  4°  Après  un  conditionnel  :  «  Qui  pourrait 
douter  qu'il  soit  liomme  de  bien?  » 

Emploi  de  l'imparfait  du  subjonctif  :  1°  Après 
un  présent  :  "  Vrois-tu  que  je  ne  connusse  pas 
à  fond  tous  les  sentiments  de  mon  père.  »  — 
2°  Après  un  passé  :  «  Mentor  voulait  des  jeux  qui 
amusassent.  »  —  3°  Après  un  futur  :  <t  Je  ne 
nierai  pas  qu'il  fut  homme  de  mérite.  »  —  i"  Après 
un  conditionnel  :  «  Il  faudrait  que  j'écrivisse 
maintenant.  » 

Emploi  du  parfait  du  subjonctif  :  1°  Après  un 
présent  :  «  Crois-tu  que  dans  son  cœur  il  ait  juré 
sa  mort?  »  —  Après  un  passé  :  «  Je  n'«î  jamais 
(;"OMi'^  personne  qui  m'ait  assez  aimé  pour  me 
dire  la  vérité,  n  —  3°  Après  un  futur  :  ï  On  ne 
croira  pas  qu'il  ait  j-éussi.  »  —  i"  Après  un  con- 
ditionnel :  ce  Qui  croirnit  que  cette  pièce  ait  eu 
trois  cents  représentations?  » 

Emploi  du  plus-que-parfait  du  subjonctif  : 
1°  Après  un  présent  :  n  Je  doute  qu'il  ei'tt  réussi 
mieux  que  vous.  »  —  2°  Après  un  passé  :  «  l'igno- 
rais qu'il  fiit  arrivé,  i)  —  3"  Après  un  futur  :  «  Je 
douterai  toujours  qu'il  eiîf  riiussi  mieux  que 
vous.  >!  —  4°  Après  un  conditionnel  :  «Je  voudrais 
seulement  que  vous  l'eussiez  connu.  » 

Ces  exemples  nous  montrent  que  l'emploi  des 
temps  du  subjonctif  dépend  uniquement  de  l'idée 
qu'on  veut  exprimer;  voici  cependant  doux  règles 
qui  sont  applicables  dans  un  grand  nombre  de  cas: 
Si  le  verbe  de  la  proposition  principale  est  au 
présent  ou  au  futur  de  l'indicatif,  le  verbe  de  la 
proposition  dépendante  se  met  : 

1°  Au  présent  du  subjonctif  quand  l'action  est 
encore  à  faire  :  «  Je  défends  qu'il  vienne.  Je 
défendrai  qu'il  vienne.  » 

2'  Au  parfait  du  subjonctif,  quand  l'action  est 
déjà  faite  :  n  Je  doute  que  vous  ayez  pu  le  faire. 
Je  douterai  toujours  que  vous  ayez  pu  le  faire.  >> 
Si  le  verbe  de  la  proposition  principale  est  à 
l'un  des  temps  du  passé  ou  du  conditionnel,  le 
verbe  de  la  proposition  dépendante  se  met  à 
l'imparfait  du  subjonctif  quand  l'action  est  encore 
à.  faire  :  «  Je  voulais  qu'il  vint.  Je  voudrais  qu'il 
vint.  » 

Le  verbe  se  met  au  plus-que-parfait  du  sub- 
jonctif quand  l'action  est  déjà  faite  :  «  Je  ne  savais 
pas  que  vous  eussiez  déjà  étudié  ce  livre  si  com- 
plètement. Je  n'aurais  pas  voulu  qu'il  eût  fait 
cette  déclaration.  » 
Ces  rtgles  ne  souffrent  qu'une  exception  : 
Quand  la  pliraso  exprime  l'idée  d'une  condi- 
tion, on  se  sert  du  présent,  de  l'imparfait  ou  du 
plus-que-parfait,  selon  le  temps  do  la  proposition 
conditionnelle.  Ex.  :  n  Je  ne  crois  pas  qu'il  le 
fusse,   si  on  le  lui  défend.  Je  ne  crois  pas  qu'il  | 


le  fit,  si  on  le  lui  défendait.  Je  ne  croirai  jamais 
qu'il  Veut  fait,  si  on  le  lui  avait  défendu.  » 

Propositions  relatives.  —  On  appelle  proposi- 
tion relative  toute  proposition  dépendante  unie 
à  la  proposition  principale  par  un  pronom  rela- 
tif :  a  Craignons  Dieu  qui  nous  punit.  J'aime 
l'enfant  qui  est  courageux.  »  Qui  nous  punit, 
qui  est  courageux,  sont  des  propositions  relatives. 
Après  un  relatif,  dans  les  phrases  qui  expri- 
ment la  volonté,  le  désir,  le  doute,  la  négation, 
l'interrogation,  le  verbe  de  la  proposition  dépen- 
dante se  met  au  subjonctif  :  «  Je  veux  un  serviteur 
qui  m'oliéisse.  Connaissez-vous  quelqu'un  qui 
soit  vraiment  heureux?  » 

La  règle  est  la  même  pour  l'adverbe  oii  :  Ex.  : 
«  /jWe;dansune  retraite  oiiyoussoyez  tranquille.  » 
Le  verbe  dépendant  se  met  également  au 
subjonctif  quand  le  relatif  est  précédé  du  mot 
seul  ou  d'un  superlatif  :  «  Votre  frère  est  le  seul  qui 
soit  habile.  Il  est  l'homme  le  plus  adroit  que  je 
C07maisse.  » 

Ces  deux  règles  ne  souffrent  d'exception  qu'au 
cas  où  le  verbe  de  la  proposition  dépendante 
renferme  une  affirmation  absolue  :  «  J'ai  trouvé 
un  serviteur  qui  m'ohéit.  Achetez  tous  les  meil- 
leurs vins  que  vous  trouverez.  Allez  dans  cette 
retraite  oii  vous  serez  tranquille.  » 

[J.  Dussouchet.] 
SYNTHÈSE  CHIMIQUE.  —  Chimie.  Prélimi- 
naires. —  Définition.  —  La  synthèse  est  une  opé- 
ration inverse  de  l'analyse.  Tandis  que  l'analyse  a 
pour  effet  de  décomposer  un  corps  en  ses  cléments, 
la  synthèse  reproduit  le  corps  composé  par  l'union 
de  ces  éléments.  Cette  union  peut  être  effectuée 
(l'une  manière  directe  et  immédiate  :  telle  est  la 
formation  de  l'eau  par  la  combustion  de  l'hydro- 
gène dans  l'oxygène  : 

H-fO  =  HO; 
ou  par  des  procédés  indirects  :  telle  est  la  prépa- 
ration de  l'eau  oxygénée  HO^. 

La  synthèse  joue  un  rôle  dans  le  plus  grand 
nombre  des  réactions  chimiques,  et  elle  a  été 
employée  en  réalité,  bien  que  d'une  manière  sou- 
vent inconsciente,  dès  l'origine  de  la  science,  par 
les  alchimistes.  Mais  l'introduction  des  méthodes 
synthétiques  dans  la  chimie  organique  est  toute 
récente,  en  raison  des  difficultés  plus  grandes 
qu'elle  y  présente  :  on  en  avait  même  pendant 
longtemps  contesté  la  possibilité,  d'après  cette 
opinion  longtemps  accréditée  que  les  composés 
organiques  étaient  formés  par  l'intervention  de  la 
force  vitale,  opposée  aux  forces  physico-chimiques. 
Nous  allons  donc  parler  d'abord  de  la  synthèse 
des  composés  minéraux,  puis  de  la  synthèse  des 
composés  organiques. 

Synthèse  des  composés  minéraux.  —  Afin  de 
montrer  le  rôle  de  la  synthèse  en  chimie  minérale, 
rappelons  les  recherches  qui  ont  été  effectuées 
pour  établir  la  composition  de  l'eau. 

Volta,  en  1778,  h  la  suite  de  ses  expériences  sur 
l'électricité,  constata  que  l'hydrogène,  pendant  sa 
combustion,  consomme  un  certain  volume  d  oxy- 
gène. Mais  h  cette  époque,  on  ignorait  encore  que 
le  produit  de  la  combustion  de  l'hydrogène  fût  de 
l'eau.  ,      , 

La  première  observation  de  ce  fait  est  due  a 
Cavendish  en  1781.  A  cette  époque  dominent  les 
idées  de  Stalil,  et  Watt,  en  1783,  reprenant  I  obser- 
vation do  Cavendish,  en  conclut  que  l'eau  est  un 
composé  d'hydrogène  avec  la  matière  impondu- 
rable  désignée  sous  le  nom  de  phlogistique. 

Presque  aussitôt  Lavoisier  et  Laplace,  par  de-; 
expériences  rigoureuses,  établissent  la  composition 
do  l'eau  en  en  opérant  la  synthèse  par  la  com- 
bustion directe  de  l'hydrogène  dans  l' oxygène,  et 
cette  syntlièse  est  une  des  premières  où  les  pouls 
des  composants  sont  comparés  au  poids  du  com- 


SYNTHÈSE  CHIMIQUE    —  2117  —     SYNTHÈSE  CHIMIQUE 


posé,  et  oii  ce  dernier  est  trouvé  égal  à  la  somme 
des  premiers. 

Celte  expérience  célèbre  est  immédiatement 
répétée  parMonge,  puis  reprise  par  Lavoisier  lui- 
môme,  avec  le  concours  de  Meusnier.  Lavoisier 
en  contrùle  les  résultats  par  une  méthode  analy- 
tique, en  décomposant  l'eau  par  le  fer  chauffé  au 
rouge,  et  la  composition  de  l'eau  est  ainsi  déter- 
minée avec  une  grande  approximation.  Il  ne  reste 
plus  qu'à  perfectionner  les  méthodes. 

Humboldt  et  Gay-Lussac  reprennent  en  1805 
la  métliode  endiométrique  inventée  par  Volta,  et 
fixent  d'une  manière  définitive  la  composition  de 
l'eau  en  volume,  dans  le  rapport  de  2  vol.  d'hy- 
drogène pour  1  d'oxygène. 

Enfin  cette  méthode,  aussi  parfaite  que  possible 
pour  la  détermination  de  la  composition  de  l'eau 
en  volume,  est  contrôlée  par  une  méthode  suscep- 
tible de  mesures  plus  précises,  et  dans  laquelle 
la  composition  de  l'eau  est  déterminée  par  des 
pesées.  Le  principe  de  cette  méthode,  fondée 
sur  la  réduction  de  l'oxyde  de  cuivre  par  l'hydro- 
gène avec  formation  d'eau,  a  été  indiqué  par 
Berzélius.  Il  est  adopté  en  1843  par  Dumas  qui  se 
place  dans  des  conditions  de  précision  abso- 
lue. 

En  général,  la  détermination  de  la  composition 
des  corps  par  la  synthèse  peut  être  faite  soit  par 
la  comparaison  des  poids,  soit  par  celle  des  vo- 
lumes gazeux  des  composants  et  des  composés, 
volumes  qui  sont  entre  eux  dans  des  rapports 
simples  et  dès  lors  faciles  à  apercevoir. 

Dans  le  cas  de  l'eau,  par  exemple,  ce  rapport 
est  celui  de  2  vol.  d'hydrogène  pour  1  vol. 
d'oxygène,  lesquels  forment  2  volumes  de  vapeur 
d'eau. 

Ces  exemples  suffisent 'pour  montrer  le  rôle  de 
la  synthèse  dans  la  détermination  de  la  composi- 
tion des  corps  de  la  chimie  minérale. 

Synthèse  rfe.i  composes  organiques.  —  La  chimie 
organique  n'est  autre  chose  que  la  chimie  des 
composés  du  carbone  ;  il  est  dès  lors  naturel  de 
chercher  à  y  appliquer  les  mômes  méthodes  que 
dans  la  chimie  générale.  Cependant  les  essais 
faits  dans  cette  voie  demeurèrent  pSidant  long- 
temps stériles,  et  on  expliqua  cette  stérilité  par 
des  raisonnements  à  priori.  Cela  tenait  i  ce  que 
le  plus  grand  nombre  des  composés  organiques 
connus  autrefois  étant  produits  par  des  ôtros  or- 
ganisés, soit  végétaux,  soit  animaux,  on  supposait 
que  la  force  vitale  devait  intervenir  dans  leur 
formation. 

Bufîon  disait  :  «  Il  existe  une  matière  organique 
animée,  universellement  répandue  dans  toutes 
les  substances  animales  ou  vésétales.  qui  sert 
également"  à  leur  nutrition,  k  leur  développement 
et  à  leur  reproduction.  »  Il  y  a  trente  ans,  Ber- 
zélius écrivait  encore  :  a  Daiis  la  nature  vivante, 
les  éléments  paraissent  obéir  h  des  lois  tout 
autres  que  dans  la  nature  inorganique  ;  les  pro- 
duits qui  résultent  de  l'action  réciproque  de  ces 
éléments  diffèrent  donc  de  ceux  que  nous  présente 
la  nature  inorganique;  si  l'on  parvenait  à  trouver 
la  cause  de  cette  difl'érence,  on  aurait  la  clef  de 
la  théorie  de  la  chimie  organique;  mais  cette 
théorie  est  tellement  cachée  que  nous  n'avons 
aucun  espoir  de  la  découvrir,  du  moins  quant  à 
présent.  >. 

La  synthèse  de  l'urée,  principe  cristallisable 
contenu  dans  l'urine  humaine,  avait  été  cepen- 
dant réalisée  dès  1827  par  Wohlor,  mais  cette 
formation,  réalisée  par  un  procédé  spécial  et  qui 
n'était  applicable  b.  aucun  autre  corps,  fut  regar- 
dée comme  un  fait  exceptionnel,  incafiable  de 
servir  de  base  à  des  méthodes  générales.  En 
184G,  Gerhardt  écrivait  :  u  Le  chimiste  fait  tout 
l'oppose  de  la  nature  vivante.  Il  brûle,  détruit, 
opère  par  analyse;  la  force  vitale  seule  opère  par 


synthèse,  elle  reconstruit  l'édifice  abattu  par  les 
forces  chimiques.  » 

Aujourd'hui  cependant  la  synthèse  d'une  mul- 
titude de  composés  naturels,  et  des  plus  com- 
plexes, est  un  fait  accompli,  les  méthodes  générales 
ont  été  découvertes,  et  l'on  peut  dire  que  la 
chimie  organique  est  réellement  fondée  sur  les 
mémos  notions  que  la  chimie  minérale.  C'est  à 
M.  Berthelotque  revient  la  gloire  d'avoir  renversé 
d'une  manière  définitive  ces  barrières,  et  démon- 
tré par  des  expériences  décisives  l'identité  des  lois 
et  des  méthodes  qui  caractérisent  les  deux  branches 
de  la  chimie. 

Le  nombre  des  synthèses  aujourd'hui  effectuées 
est  immense;  elles  comprennent  les  principaux 
carbures  d'hydrogène:  acétylène,  gaz  oléfiant,  gaz 
des  marais,  benzine,  naphtaline,  etc.;  les  alcools 
fondamentaux:  alcool  ordinaire,  alcool  méthylique, 
glycol,  glycérine;  les  éthers  et  les  corps  gras  qui 
en  dérivent;  les  aldéhydes,  tels  que  l'essence 
d'amandes  amères,  l'essence  de  cannelle,  le  cam- 
phre, etc.  ;  les  acides  forniiquo,  acétique,  buty- 
rique, oxalique,  malique,  tartrique,  citrique,  dont 
l'importance  est  si  grande  dans  les  végétaux  et 
les  animaux;  les  matières  azotées,  neutres  ou 
alcalines,  les  plus  diverses  ;  les  matières  colo- 
rantes, tant  naturelles  (alizarine,  indigo)  qu'arti- 
ficielles (produits  du  goudron  de  houille).  Bref,  la 
science  et  l'industrie  doivent  à  la  synthèse  leurs 
plus  brillantes  découvertes. 

Une  remarque  importante  esta  faire  ici  :  la  syn- 
thèse organique  a  pour  but  de  reproduire  les  ma- 
tières constitutives  des  êtres  vivants;  mais  elle  ne 
peut  prétendre  à  la  production  d'êtres  organisés, 
par  exemple  à  l'état  de  cellules  ou  do  fibres. 

Donnons  une  idée  générale  de  la  marche  suivie 
dans  la  reconstitution  des  substances  organiques, 
si  variées  par  le  nombre  et  l'arrangement  de  leurs 
parties,  bien  que  leurs  éléments  soient  seulement 
au  nombre  de  quatre  :  le  carbone,  l'hydrogène, 
l'oxygène  et  l'azote. 

Il  s'agit  de  construire  do  toutes  pièces  les  com- 
posés naturels,  en  partant  de  leurs  éléments,  de 
trouver  des  méthodes  générales  qui  permettent  de 
passer  d'une  synthèse  i  une  autre,  en  partant  des 
corps  les  plus  simples  pour  arriver  aux  corps  les 
plus  compliqués.  C'est  vers  l'accomplissement  de 
cette  œuvre  que  tendent  la  plupart  des  recher- 
ches faites  journellement  en  chimie  organique. 

Les  éléments  essentiels  qui  constituent  les  com- 
posés organiques  sont,  nous  l'avons  dit,  le  carbone, 
l'oxygène,  l'hydrogène  et  l'azote.  Il  s'agit  d'abord 
de  former  les  composés  les  plus  simples,  ceux  qui 
ne  contiennent  que  les  deux  premiers  éléments, 
c'est-à-dire  les  carbures  d'hydrogène.  Nous  allons 
voir  d'abord  comment  on  peut  en  produire  la  for- 
mation, puis  comment  on  peut  passer  de  la  syn- 
thèse des  combinaisons  binaires  du  carbone  et  de 
l'hydrogène  îi  celle  des  combinaisons  ternaires  et 
quaternaires  pouvant  contenir  les  quatre  élé- 
ments. 

L'union  du  carbone  avec  l'hydrogène  peut  être 
produite  directement. 

Cette  union  directe  du  carbone  avec  l'hydrogène, 
regardée  pendant  longtemps  comme  impossible, 
s'accomplit  en  efl"et  sous  l'influence  de  l'arc  élec- 
trique :  des  charbons  étant  portés  à  l'incandes- 
cence par  un  courant  électrique  dans  une  atmo- 
sphère d'hydrogène,  il  se  produit  un  premier 
carbure  d'hydrogène,  \'ncétytène,  formé  à  atomes 
égaux,  c'est-à-dire  suivant  les  rapports  les  plus 
simples.  Cette  mémorable  synthèse,  exécutée  par 
M.  Berthelot  en  MH'i,  permet  de  reproduire  syn- 
thétiquemenl  les  autres  carbures  d'hydrogène,  et 
les  autres  composés  organiques. 

La  synthèse  totale  de  l'acétylène  conduit  en  effet 
à  celle  des  carbures  fondamentaux  tels  que  le  gaz 
oléfiant,  son  hydrure,  le  gaz  des  marais, et  la  benzine. 


SYSTÈME  MÉTRIQUE      —  :2118  —      SYSTÈME  MÉTRIQUE 


Puis  ces   premiers   carbures  combinés  entre  eux 
reproduisent  tous  les  autres  carbures. 

La  syniiièse  des  carbures  d'Iiydrogène  étant 
réalisée  il  est  facile  de  les  changer  en  composés 
ternaires,  formés  de  carbone,  d  hydrogène  et  d'oxy- 
gène. Tels  sont  les  alcools,  formés  par  l'union  des 
éléments  de  l'eau  avec  lescarbures,  uu  par  la  subs- 
titution des  éléments  de  l'eau  à  l'hydrogène  dans 
ces  mêmes  carbures,  double  réaction  qui  a  conduit 
d'abord  M.  Berthelot  à  la  synthèse  de  l'alcool 
ordinaire,  et  à  celle  do  l'alcool  méthyliiue,  et 
cela  h  l'aide  de  méthodes  générales  applicables  à 
la  synthèse  des  autres  alcuols. 

Les  carbures  par  oxydation  directe  ou  médiate 
fournissent  également  les  aldéliydes  :  c'est  ainsi 
que  le  toluène  a  produit  l'essence  d'amandes 
amèrcs,  produit  que  l'industrie  fabrique  aujour- 
d'hui sur  une  grande  échelle. 

L'oxydation  plus  profonde  des  carbures,  et  celle 
des  alcools,  engendrent  à  leur  tour  les  acides  : 
l'acide  acétique  et  l'acide  oxalique  dérivent  ainsi  de 
l'acétylène. 

En  combinant  les  carbures  avec  les  acides,  ou  en 
substituant  dans  un  alcool  un  acide  aux  éléments 
de  l'eau,  on  obtient  les  éthers  composés,  nouvelle 
classe  de  corps  dont  un  grand  nombre  se  trouve 
dans  la  nature,  et  dont  la  théorie  permet  de  con- 
cevoir un   nombre  infini. 

Nous  citerons  comme  exemple  les  corps  gras 
naturels,  huiles,  beurres,  graisses,  qui  sont  des 
éthers  constitués  par  la  combinaison  des  acides 
avec  un  alcool  particulier,  la  glycérine. 

«  Ainsi,  la  synthèse  étend  ses  conquêtes  depuis 
les  éléments  jusqu'au  domaine  des  substances  les 
plus  compliquées,  sans  que  l'on  puisse  assigner 
de  limite  à  ses  progrès.  Si  l'on  envisage  par  la 
pensée  la  multitude  presque  infinie  des  composés 
organiques,  depuis  les  corps  que  l'art  sait  repro- 
duire, tels  que  les  carbures,  IhS  alcools  et  leurs 
dérivés,  jusqu'à  ceux  qui  n'existent  que  dans  la 
nature,  tels  que  les  maiières  sucrées  et  les  prin- 
cipes azotés  d'origine  animale,  on  passe  d'un  terme 
à  l'autre  par  des  degrés  insensibles,  et  l'on  n'aper- 
çoit plus  de  barrière  absolue  et  tranchée,  que  l'on 
puisse  redouter,  avec  quelque  apparence  de  cer- 
titude, de  trouver  infranchissable.  On  peut  donc 
affirmer  que  la  chimie  organique  est  désormais 
assise  sur  la  même  base  expérimentale  que  la 
chimie  minérale.  Dans  ces  deux  sciences,  la  syn- 
thèse aussi  bien  que  l'analyse  résultent  du  jeu  des 
mêmes  forces,  appliquées  aux  mômes  éléments.  » 
(Berthelot,  la  Sipithése  chimique.)  [A.  Villiers.] 
SYSTÈME  MÉTUiyUE.  —Arithmétique,  XXVI- 
XXXV.  —  Etym.  :  métrique,  qui  concerne  les 
mesures,  du  grec  viélron,  mesure  ;  plus  spécia- 
lement, qui  se  rattache  au  mètre,  unité  fondai 
mentale. 

I-  CONSIDÉRATIONS  GÉNÉRALES,  —  Mesurer  une 
grandeur,  telle  qu'une  longueur,  un  poids,  etc. , 
c'est  la  com|)arer  i  une  grandeur  bien  connue. 
—  Vui'iié  est  la  grandeur  à  laquelle  on  rapporte 
des  grandeurs  de  même  espèce.  —  La  mesure  des 
grandeurs  permet  de  les  évaluer  en  nonibi  e  ; 
on  dit,  par  exemple,  qu'une  longvieur  vaut  trois 
mètres  et  un  poids  sept  kilograuimes. 

Il  suffit  qu'une  grandeur  soit  bien  déterminée, 
et  fixe  pour  qu'elle  puisse  servir  d'unité.  —  11 
faut  naturellement  des  unités  spéciales  pour  cha- 
que catégorie  de  grandeur.  —  11  n'est  pas  indis- 
pensable de  rattacher  les  unes  aux  autres  les  uni- 
tés de  nature  différente,  ni  même,  à  la  rigueur, 
celles  de  même  espèce. 

La  reflexion  et  l'expérience  font  connaître  les 
condiliom  d'un  Ion  C' semble  de  mesures.  Nous 
allons  passer  en  revue  les  plus  importantes  de  ces 
conditions,  et  justifier  ainsi  l'excellence  des  me- 
sures métriques. 
1"  Vnitcs  parfaitement  définies  et  fixes,  —  Les 


anciennes  mesures  de  longueur  se  déduisaient 
des  dimensions  du  corps  humain  (toises,  cou- 
dées, mains,  pouces,  doigts,  etc.)  ou  des  dimen- 
sions de  certains  temples.  Ces  bases  étaient  va- 
gues et  variables,  les  modèles  n'en  étaient  pas 
arrêtés.  On  a  pu  dire  que,  sous  l'ancien  régimCi 
il  y  avait  autant  d'arpents  et  de  boisseaux  que  de 
villages.  —  Le  mètre,  fraction  déterminée  de  la 
circonférence  terrestre,  estune  longueur  précise, 
immuable,  indépendante  du  temps  et  des  na- 
tions. <i  On  retrouverait  le  mètre,  dit  Arago, 
quand  même  des  tremblements  de  terre,  des  ca- 
taclysmes épouvantables  viendraient  à  bouleverser 
notre  planète  et  à  détruire  les  étalons  prototypes 
religieusement  conservés  aux  Archives.  >>  (Nous 
verrons,  dans  la  suite,  que  ces  assertions  sont  un 
peu  trop  absolues.) 

2°  Unités  d'espéi-es  différentes  liées  entre  elle.':. 
—  La  géométrie  rainène  la  mesure  des  surfaces 
et  des  volumes  à  la  mesure  de  certaines  lon- 
gueurs, qu'on  appelle  les  dimensions  de  ces  figu- 
res. Les  règles  simples  qu'on  établit  supposent 
qu'on  prend  pour  unités  les  carrés  et  les  cubes 
construits  sur  l'unité  linéaire.  —  On  se  servait 
autrefois  de  la  toise  carrée  et  de  la  toise  cube, 
avant  de  connaître  le  mètre  carré  et  le  mètre 
cube.  —  Il  y  a  plus,  les  unités  de  poids  et  de 
monnaie  dérivent  aussi  du  mètre,  quoique  moins 
directement.  On  pourrait  à  la  rigueur,  avec  les 
monnaies,  peser  les  corps  et  mesurer  les  longueurs. 
Nos  mesures  s'enchaînent  ainsi  complètement  et 
leur  ensemble  mérite  le  nom  de  si/stéme. 

3°  Unités  assez  nombreuses  pour  chaque  espèce 
de  grandeur.  —  Il  convient  de  rapporter  chaque 
grandeur  particulière  à  une  unité  proportionnée, 
parce  que  l'esprit  ne  voit  clairement  et  rapide- 
ment que  les  nombres  ordinaires,  ni  trop  grands 
ni  trop  petits.  De  Ik  l'utilité  d'unités  secondaires, 
substituées  souvent  à  l'unité  principale.  —  Nous 
avons  actuellement  des  multiples  et  des  sous- 
multiples  de  chaque  unité;  la  plupart  sont  des 
instruments  effectifs  de  mesurage,  tandis  que 
les  auires  ne  sont  pas  fabriqués  (huit  règles 
pour  les  longueurs,  treize  vases  pour  les  capaci- 
tés, vingt-quatre  poids   et  quatorze  monnaies). 

4°  Unités  de  même  nature  liées  simplement.  — 
Dans  l'ancien  système,  l'échelle  était  parfois 
bizarre  et  variable  d'un  genre  d'unité  h  un  autre 
(exemple  :  les  longueurs  et  les  poids).  De  là  le 
calcul  des  nombres  complexes,  assez  pénible,  mal- 
gré les  simplifications  provenant  des  diviseurs 
de  douze.  —  Les  unités  nouvelles  procèdent 
toutes  de  dix  en  dix,  comme  notre  système  de 
numération.  Les  grandeurs  s'expriment  par  suite 
en  nombres  décimaux,  aussi  faciles  à  combiner 
que  les  entiers.  Les  changements  d'unité  se  tra- 
duisent par  un  simple  déplacement  de  la  vir- 
gule. —  On  comprend  pourquoi  le  système  nié- 
trique  s'appelle  aussi  système  décimal  dss  p()ids 
et  mesures.  (On  avait  môme  proposé  de  diviser 
décimalement  le  temps,  jour  de  vingC  heures, 
heure  de  cent  minutes,  etc.,  et  le  cercle  en  cent 
grades  de  cent  minutes  chacun,  etc.) 

5"  Nomenclature  expressive  et  ne  comprenant 
qu'un  i^etit  nombre  de  mots.  —  Les  mesures  an- 
térieures portaient  des  noms  très  variés  et  n'in- 
diquant pas  les  rapports,  qu'il  fallait  retenir  à 
pan.  —  Nous  n'avons  maintenant  que  six  mesures 
principales,  le  mètre,  l'are,  le  litie,  le  kilogramme 
et  le  franc;  à  ces  six  mots  il  suffit  de  joindre  sept 
abréviations,  tirées  du  grec  et  du  latin,  pour  com- 
poser h  s  noms  dos  multiples  et  des  sous-multl- 
ples.  Déca  signifie  dix,  hecio  cent,  kiij  mille  et 
mi/ria  dix  mille;  d^'t  signifie  dixième,  centi  cen- 
tième et  mi//t  millième.  Dès  qu'on  parle  du  dé- 
camètre et  du  décimètre,  chacun  se  rappelle 
qu'il  s'agit  de  dix  mètres  et  du  dixième  dii  mètre. 
—  Cependant,  quelque  commode  que   soit  la  no- 


SYSTEME  MÉTRIQUE 


2119  —     SYSTÈME  MÉTRIQUE 


menclature  précédente,  elle  n'est  pas  essentielle 
au  système  métrique,  qui  réside  dans  les  cltoses  et 
non  dans  les  mots. 

6°  Mcsiiivs  obligatoires  et  soigneusement  con- 
trôlées. —  Depuis  ISiO,  les  mesures  métrii|ues 
sont  définitivement  imposées  par  la  loi,  sur  tout  le 
territoire  français,  et  les  dénominations  mêmes  des 
anciennes  mesures  sont  proliibées.  Les  instruments 
de  mesure  sont  conformes  h  des  modèles  dont  les 
règlements  précisent  la  valeur,  les  dimensions, 
la  forme  et  la  substance.  Sur  ces  mesures  sont 
inscrits  non  seulement  le  nom  de  la  mesure 
mais  encore  celui  du  fabricant  responsable,  et 
cesinstrumentssontsoumis  àun  contrôle  au  début, 
puis  à  un  contrôle  périodique,  faits  par  des  véri- 
ficateurs des  poids  et  mesures.  —  Notre  système 
justifie  la  qualification  de  système  légat  des  poids 
et  mesures. 

7°  Système  offrant  un  carnctère  international. 
—  Base  ne  dépendant  d'aucune  nationalité  parti- 
culière, puisqu'elle  est  prise  dans  la  nature.  Or- 
ganisation par  dos  savants  de  tous  les  pays,  qui 
ont  signé  les  rapports  et  se  sont  distribué  cent 
douze  des  mètres  nouveaux.  Mots  provenant  d'une 
langue  morte,  du  grec  ou  du  latin.  «  Si  la  mé- 
tnolre  des  travaux  venait  à  s'effacer,  dit  Laplace, 
si  les  résultats  seuls  en  étaient  conserves,  ils 
n'offriraient  rien  qui  piit  faire  connaître  quelle 
nation  en  a  eu  l'idée,  en  a  suivi  l'exécution.  »  — 
L'adoption  par  tous  les  peuples  des  mêmes  me- 
sures faciliterait  grandement  les  relations  com- 
merciales et  scientifiques.  Le  système  métrique 
■est  déjà,  adopté,  entier,  ment  ou  parliellement. 
ipar  les  pays  suivants  :  Belgique,  Hollande.  Espa- 
■gne,  Portugal,  Grèce,  Allemagne,  Danemark. 
Mexique,  Brésil,  Républiques  de  l'Amérique  du 
Sud,  Egypte,  etc.  Ajoutons  que  dans  les  États 
anglais  et  dans  les  Etats-Unis  l'usage  de  nos 
mesures  est  facultatif. 

!'■  HISTORIQUE,  —  Cliarlemagne  substitua  aux 
mesures  remanies  le  pied-de-roi  ou  pied-de-Paris, 
emprunté  aux  Arabes,  et  les  dérivés  de  cette 
longueur.  Il  chercha  à  répandre  dans  son  vaste 
empire  ces  unités  qui  devaient  durer  dix  siècles, 
mais  en  s'aliérant  et  en  se  compliquant  beaucoup. 
^  Les  Etats  généraux  réclamèrent  mainte  fois 
l'ordre  dans  les  poids  et  les  monnaies. 

Louis  XI,  François  1"  et  Louis  XIV  tentèrent 
en  vain,  dans  leurs  édits  royaux,  d'imposer  par- 
tout les  mesures  de  Paris. 

A  l'occasion  de  la  mesure  du  méridien  par  Pi- 
card, <i  on  fit  en  16CS,  dit  Saigoy,  une  toise  en 
fer  portant  une  arête  à  chaque  bout,  et  on  la  fixa 
au  bas  du  grand  escalier  du  Chàtelet,  pour  ser- 
vir de  régulateur  au  commerce  et  à  la  jus- 
tice. » 

La  toise  qui,  après  avoir  été  comparée  à  celle 
du  Chàtelet,  avait  été  employée  dans  les  mesures 
méridiennes  du  Pérou,  par  Bouguor  et  La  Conda- 
niine,  servit  à  son  tour  d'étalon,  et  quatre-vingt 
modèles  en  furent  expédiés  aux  parlements  de 
Fpance  et  aux  astronomes  étrangers.  C'était  un 
premier  pas  vers  l'unirormité,  et  bientôt  la  toise 
du  Pérou,  comme  on  l'appelait,  servit  à  l'étalon- 
nage du  mètre. 

Parmi  les  réformes  urgentes  demandées  dans 
les  cahiers  de  1789,  on  retrouve  sans  cesse  celle 
des  poids  et  mesures  :  on  les  veut  «  simples  et 
les  mêmes  dans  tout  le  pays.  » 
_  Le  8  mai  noo,  sur  la  proposition  de  Talleyrand, 
1  Assemlilée  constituante  engagea  les  rois  de  France 
et  d'Angleterre  à  se  concerter  pour  adopter  la 
même  unité.  Cette  mesure  (par  exemple,  la 
longueur  du  pendule  à  seconde,  proposée  autre- 
fois par  Picard)  eût  élé  fixée  par  une  commission 
composée,  en  nombre  égal,  d'académiciens  de 
Pans  et  de  membres  de  la  Société  royale  de 
Londres. 


L'Académie  dos  sciences  discuta  seule  la  ques- 
tion, et  sa  commission  (Borda,  Lagrange,  Laplace, 
Monge  et  Lavoisior)  rejeta  le  pendule  «  pour  ne 
pas  mêler  i.  une  question  de  longueur  des  consi- 
dérations de  mouvement  et  de  temps,  »  et  elle 
proposa  la  dix-millionnièmo  partie  du  quart  du  mé- 
ridien. La  tra'lition  attribue  à  Laplace  la  concep- 
tion de  l'ensemble  du  système,  h  IJorda  le  plan  des 
opérations  géodésiques,  et  à  Lavoisier  le  kilo- 
gramme. 

Le  IS  mars  n!ll,  un  décret  de  l'Assemblée 
constituante  adopta  la  circonférence  terrestre 
comme  base  et  prescrivit  les  travaux  nécessaires. 
<i  Prendre  pour  unité  de  longueur  usuelle  la  dix- 
millionième  partie  du  quart  du  méridien  et  rap- 
porter la  pesanteur  do  tous  les  corps  à  celle  de 
l'eau  distillée,  en  reliant  par  l'échelle  décimale 
toutes  les  mesures  principales  aux  mesures  plus 
grandes  ou  plus  petites.  » 

Dès  1792,  Delambre  et  Mécliain  furent  chargés, 
parleurs  collègues  de  l'Académie  des  sciences,  de 
mesurer  l'arc  de  Duiikerque  .'i  Barcelone,  en  Espa- 
gne, qui  comprend  dix  degrés  environ.  La  trian- 
gulation s'appuya  sur  deux  bases,  près  de  Molun 
et  de  Perpignan.  Aux  mesui-os  directes  devait  suc- 
céder un  long  travail  de  comparaison  aux  mesures 
antérieures,  de  réductions  et  de  calculs.  Sans  at- 
tendre la  fin  de  ce  travail,  l'Académii  calcula  pro- 
visoirement le  mètre  d'après  les  observations  an- 
ciennes, "  avec  une  exactitude  suffisante  pour  tous 
les  besoins  de  la  société;  d'autre  part  elle  avait  dé- 
terminé, par  des  expériences  précises,  la  lon- 
gueur du  pendule  à  seconde  et  le  poi."-  d'un  centi- 
mètre cube  d'eau  distillée  :  c'étaien  t  les  éléments  de 
toutes  les  autres  mesures.  Les  observations  nou- 
velles ne  pouvaient  apporter  à  leurs  valeurs  que 
des  corrections  insensibles.  "  (Biot.) 

Dans  sa  séance  du  P'aoiit  1793,  laConvention, sur 
un  rapport  présenté  par  Arbogast  au  nom  du  Comité 
d'instruction  publique,  vota  l'établissement  au  sys- 
tème métrique  dans  toute  l'éiendue  de  la  Républi- 
que. Toutefois,  le  système  ne  fut  rendn  obligatoire 
que  par  le  décret  du  18  germinal  an  111  (7  avril 
179,")).  Ce  décret  fixa  définitivement  la  nomencla- 
ture ;  il  y  est  dit  que  «  l'étalon  sera  une  règle 
de  plaiine,  exécutée  avec  la  plus  grande  précision 
d'après  les  expériences  et  les  observations  de  la 
commission.  On  les  déposera  près  le  Corps  légis- 
latif, ainsi  que  le  procès-verbal  des  opérations  qui 
auront  servi  à  le  déterminer.  » 

Une  commission  générale  de  trente-deux  mein- 
bres,  tant  français  qu'étrangers,  avait  été  chargée 
des  calculs  définitifs. 

Le  4  messidor  an  VII  (22  juin  1799),  cette  com- 
mission,  par  l'organe  de  sesr.ipporteurs,  le  Hollan- 
dais Swiden  et  le  Suisse  Trallès,  aimonça  aux 
deux  conseils  législatifs  de  la  République  que  le 
quart  du  méridien  valait  5  130  740  toises,  d'où  se 
déduisait  la  longueur  du  mètre.  Les  deux  délé- 
gués présentèrent  aussi  les  étalons  du  mètre  et 
du  kilogramme,  en  platine;  la  règle  doit  être  prisa 
à  zéro  et  le  poids  cylindrique  doit  être  pesé  dans 
le  vide.  "  Ces  deux  proiotijpes  furent,  le  même 
jour,  placés  chacun  dans  une  boito  fermant  k 
clef,  et  déposés  aux  Arcliives  do  la  République 
dans  la  double  armoire  en  fer,  fermant  à  quatre 
clefs.  » 

Sous  le  Consulat,  la  loi  du  2  novembre  1801  se 
borna  à  autoriser  l'usage  des  nouvelles  mesures 
de  préférence  aux  anciennes;  et  sous  l'Empire, 
le  décret  rétrograde  du  12  février  1812  organisa 
un  système  mixte  et  bâtard,  qui  devait  retarder 
de  vingt-cinq  ans  l'avènement  du  vrai  système 
métrique.  Il  y  eut  une  toise  métrique,  une  livre 
métrique,  etc. 

Enfin,  la  loi  célèbre  du  4  juillet  1K37,  reprenant 
les  traditions  de  la  Révolution,  remit  en  vigueur  lo 
système  métrique  pur,  et  prohiba,  non  seulement 


SYSTÈME  METRIQUE 


2120 


SYSTÈME   METRIQUE 


l'emploi  de  toutes  les  anciennes  mesures,  mais 
même  leurs  dénominations. 

Depuis  le  1"  janvier  1840,  le  système  est  im- 
posé par  la  loi  à  tous  les  citoyens  français,  et  les 
délinquants  sont  punis  de  l'amende  ou  de  la  pri- 
son. 

En  18G9,  l'Académie  des  sciences  de  Saint- 
Pétersbourg  proposa  une  révision  européenne 
du  mètre.  Delambre,  disait-elle,  a  adopte  un 
aplatissement  de  la  terre  un  peu  trop  faible,  et 
en  outre  une  erreur  matérielle  s'est  glissée  dans 
les  calculs  de  réduction.  L'Allemand  Bessel,  dis- 
cutant toutes  les  mesures  du  méridien,  et  en 
particulier  celles  de  Biol  et  Arago  (1808),  a  trouvé 
5  131  180  toises  au  lieu  de  5131)140  toises;  le 
nombre  fondamental  du  système  métrique  est 
ainsi  trop  petit  de  440  toises.  De  plus,  le  kilo- 
gramme doit  être  rapporté  à  zéro,  non  h  4°.  Il  est 
regrettable,  ajoutait  l'Académie  de  Saint-Péters- 
bourg, que  les  nouvelles  mesures  ne  soient  pas 
établies  par  des  savants  de  toutes  les  nations, 
travaillant  en  commun.  Les  étalons  envoyés  de 
Paris  aux  gouvernements  étrangers  sont  imparfaits, 
ils  sont  relevés  sur  le  mètre  du  Conservatoire 
des  arts  et  métiers  et  non  sur  celui  des  Archives, 
et  par  des  procédés  qu'il  faudrait  perfectionner. 
—  A  ces  critiques,  l'Académie  des  sciences  de  Paris 
répondit  que  la  différence  entre  les  nombres  de 
Debmbre  et  de  Bessel  était  assez  légère,  que  tout 
nombre  nouveau  devrait  d'ailleurs  être  modifié 
plus  tard  par  suite  des  progrès  de  la  science  :  or 
on  ne  peut  pas  changer  de  mètre  à  chaque  siècle. 
Des  savants  de  tous  les  pays  ont  collaboré 
avec  les  savants  français,  et  l'unité  qu'ils  ont 
arrêtée  ensemble  peut  être  transmi.se  très  exacte- 
ment.—  A  la  suite  de  cet  échange  d'observations, 
les  deux  Académies  se  mirent  d'accord  pour  de- 
mander la  réunion  d'un  Congrès  du  mètre,  devant 
étudier  la  question  des  mesures  et  de  leurs  meil- 
leurs étalons. 

La  première  réunion  à  Paris  du  Coni/rès  inter- 
national du  mètre  ayant  été  interrompue  par  la 
guerre,  une  seconde  réunion  eut  lieu  en  1S72. 
Vingt  États  y  furent  représentés.  Il  fut  résolu 
qu'on  ne  ferait  pas  une  nouvelle  mesure  du  mé- 
ridien ;  que  le  mètre  et  le  kilogramme  actuels 
seraient  perpétués  tels  quels  ;  que  les  étalons 
seraient  en  platine  iridié,  de  102  centimètres  pour 
limiter  le  mi'nre  à  deux  traits,  etc. 

En  1873,  les  chimistes  Deville  et  Debray  coti- 
lèrent,  à  une  température  dépassant  '2000°,  les 
premiers  mètres  internationaux,  à  l'Ecole  normale 
supérieure.  Ces  mètres  ont  la  même  valeur  scien- 
tifique, sinon  historique,  que  le  prototype  des 
Archives,  qu'ils  reproduisent  parfaitement,  et  ils 
font  loi  à  l'étranger. 

III.  EXPOSÉ  DU  SYSTÈME.  —  1°  Longueurs.  — 
L'unité  principale  s'appelle  le  mètre,  et  c'est  la 
dix-millionième  partie  du  quart  du  méridien 
terrestre. 

Une  règle  en  platine,  déposée  aux  Archives, 
donne,  à  la  température  de  la  glace  fondante,  la 
longueur  exacte  du  mètre,  et  d'autres  étalons  en 
cuivre  et  en  acier  se  trouvent  dans  les  bureaux 
de  vérification. 

Les  unités  secondaires  de  longueur  sont  les 
multiples  et  les  sous-multiples  suivants  du  mètre  : 
décamètre  ou  dix  mètres,  hectomètre  ou  cent 
niètres.  kilomètre  ou  mille  mètres,  myriamètre  ou 
dix  mille  mètres  ;  décimètre  ou  dixième  du  mè- 
tre, centimètre  ou  centième  du  mètre,  millimètre 
ou  millième  du  mètre. 

Les  unités  de  longueur  sont  ainsi  de  dix  en  dix 
fois  plus  grandes  ou  plus  petites. 

Les  grandes  distances  s'évaluent  en  myriamè- 
tres  et  en  kilomètres,  qui  sont  qualifiés  d'unités 
itinéraires  (de  latin  iter,  chemin).  Les  dimen- 
sions des  champs  s'expriment  en  décamètres  et 


en  mètres  et  celles  des  appartements  en  mè- 
tres et  en  décimètres.  Le  centimètre  et  le  milli- 
mètre  servent  pour  les  longueurs  plus  petites. 

On  indique,  comme  il  suit,  en  abrégé  les  noms 
des  unités  de  longueur,  à  partir  du  millimètre  : 
mm.,  cm,  dm.,  m..  Dm.,  Hm.,  Km.,  Mm.  Ces 
indications  s'écrivent  en  petits  caractères  J»  la 
suite  du  nombre,  en  haut  et  à  droite,  et  il  en 
est  de  même  pour  les  abréviations  des  autres 
unités  métriques.  Trois  mètres  quarante-deux 
centimètres  se  notent  ainsi:  3"',4'J. 

Les  mesures  effectives  ou  instruments  sont  le 
décamètre  sous  forme  de  chaîne  d'arpenteur  ou 
de  ruban  en  acier,  le  double  mètre  et  le  mètre 
en  forme  de  règles,  le  double  décimètre  et  le  dé- 
cimètre, réglettes  à  biseau  subdivisées  en  centi- 
mètres. 

Le  mesurage  des  longueurs  se  fait  en  portant 
plusieurs  fois  l'instrument  bout  à  bout  (géomé- 
trie, métrage  et  levé  des  plans). 

La  largeur  de  la  main  d'un  homme  est  d'un 
décimètre  environ  et  celle  d'un  doigt  de  2  cen- 
timètres. —  Quatre  pas  ordinaires  font  3  mètres. 

Il  ne  faut  pas  confondre  la  lieue  métrique  de 
4  kilomètres  avec  les  lieues  plus  grandes  de  25 
et  de  20  au  degré. 

La  longueur  du  pendule  battant  la  seconde,  à 
Paris,  est  de  n»,99i. 

Les  physiciens,  en  s'aidant  du  vernier,  de  la 
vis  micrométrique  et  de  la  loupe,  apprécient  jus- 
qu'aux dixièmes  et  aux  centièmes  de  millimètre. 

Exercices.  —  1°  Des  pointes  ont  chacune  3'^™  \  ; 
combien  de  douzaijies  de  ces  pointes  pourra-t-on 
découper  dans  18™  de  fil  de  fer. 

2°  Un  globe  géographique  a  \°',20  de  tour  et  la 
distance  de  deux  villes  est  représentée  sur  ce 
globe  par  un  arc  de  528"";  calculer  la  distance 
réelle  de  ces  deux  villes. 

2°  Surfaces.  —  Les  diverses  unités  de  surface 
sont  les  carrés  ayant  pour  côtés  les  unités  de 
longueur. 

L'unité  principale  est  le  mètre  carré,  qui  est 
le  cvirré  d'un  mètre  de  côté. 

Les  unités  secondaires  sont  le  décamètre  carré 
ou  carré  d'un  décamètre  de  côté,  le  décimètre 
carré  ou  carré  d'un  décimètre  de  côté,  etc.  Les 
définitions  des  autres  unités  sont  analogues. 

On  démontre  r\ne  ch'i que  taùté  carrée  vautcmT 
fois  l'unité  carrée  imm'diatemc'it  inférieure.  C'est 
une  conséquence  de  ce  théorème  de  géométrie  : 
Les  aires  de  deux  polygones  semblables  sont 
entre  elles  comme  les  carrés  des  côtés  homolo- 
gues. Pour  établir  directement  que  le  décimètre 
carré,  par  exemple,  contient  cent  centimètres 
carrés,  il  suffit  de  diviser  chaque  côté  du  premier 
carrés  en  dix  parties  égales  et  de  joindre  les 
points  correspondants  :  on  a  ainsi  dix  rangées  for- 
mées chacune  de  dix  des  carrés  partiels,  ce  qui 
fait  en  tout  cent  centimètres  carrés. 

L'étendue  des  continents  et  des  pays  s'exprime 
en  myriamètres  carrés  et  en  kilomètres  carrés, 
qu'on  appelle  mesures  topngrapliiques  (du  grec 
topo<:,\ieu).  Les  champs  s'évaluent  en  hectomètres 
carrés  et  décamètres  carrés  (qui  portent  alors 
les  noms  d'hectares  et  d'ares),  la  superficie  des 
appartements  en  mètres  carrés,  une  feuille  de 
papier  en  décimètres  carrés  et  enfin  la  section 
d'une  barre  ou  d'un  fil  métallique  en  centimètres 
carrés  et  en  millimètres  carrés.  —  11  est  bien 
entendu  que,  lorsqu'on  parle  d'une  surface  d'un 
mètre  carré,  la  surface  peut  avoir  une  forme 
quelconque,  tout  on  étant  équivalenie  au  carré 
d'un  mètre  de  côté. 

Carré  s'abrège  àl'aide  de  la  lettre  q .,  d'après  la 
vieille  orthographe  quarré  et  pour  ne  pas  con- 
fondre avec  cube.  Les  abréviations  sont  par  suite, 
en  commençant  par  le  millimètre  carré,  mmq., 
cmq.,  dmq.,  mq.,  Dmq.,  Hmq.,  Kmq.,et  Mmq.  — 


SYSTÈME  MÉTRIQUE      —  2121  —      SYSTÈME  MÉTRIQUE 


Il  ne  faut  pas  indiquer  mètre  carré  ainsi  :  m*. 

Trois  mètres  carrés  doux  décimètres  carrés 
s'écrivent  3""i,0?,  parce  que  le  décimètre  carré 
est  le  contième  (et  non  le  dixième)  du  mètre 
carré. 

On  ne  réalise  pas  les  mesures  de  surface  :  les 
marchands  ne  vendent  pas  de  mètres  carrés  en 
bois,  en  carton  ou  en  toute  autre  substance, 
parce  que  l'évaluation  des  surfaces  se  ramène  J» 
celles  des  longueurs.  Ainsi  la  géométrie  nous  ap- 
prend que  Taire  d'un  rectangle  est  égal  au  pro- 
duit de  sa  base  par  sa  hauteur,  etc. 

Lorsque  les  unités  de  surface  sont  appliqués  à 
la  mesure  des  champs,  elles  s'appellrnt  mesures 
agraires  (du  latin  arjer,  champ),  et  elles  portent 
des  noms  spéciaux. 

h' lire  (du  latin  area,  aire)  est  un  décamètre 
carré. 

L'hectare  vaut  cent  ares  et  le  centiare  est  le  cen- 
tième de  l'are. 

On  voit  que  l'hectare,  comprenant  cent  ares  ou 
cent  décamètres  carrés,  est  équivalent  ît  l'hecto- 
mètre carré.  Pour  une  raison  analogue,  centiare 
est  synonyme  de  mètre  carré.  Les  autres  multiples 
de  l'are  n'ont  pas  reçu  de  noms  particuliers, 
parce  que  ce  ne  sont  pas  des  carrés  ayant  pour 
côtés  des  dérivés  décimaux  du  mètre. 

3  hectares  3'J  ares  8  centiares  s'écrivent  en 
abrégé  3i>'  ZT  8". 

Pour  calculer  l'étendue  d'un  champ,  on  mesure 
ses  dimensions  par  les  procédés  et  avec  les  ins- 
truments du  levé  des  plans.  L'art  de  mesurer  les 
champs  porte  le  nom  à'arpetitage. 

ExEiiciCEs.  —  1°  Un  tapissier  a  besoin  de  31", 50 
de  percale  large  de  l",?);  on  lui  propose  de  lui 
livrer  de  la  percale  n'ayant  que  85="  de  large  ; 
quelle  longueur  lui  en  faudra-t-il? 

2°  En  mesurant  un  terrain,  on  a  trouvé  Hi^SS" 
51",  mais  on  s'est  aperçu  ensuite  que  le  décamè- 
tre employé  était  trop  court  de  3'^"'  ;  calculer  la 
superficie  exacte. 

3°  'Volumes.  —  Les  unités  de  volume  sont 
les  cubes  ayant  pour  côtés  les  unités  de  longueur. 

Le  mètre  culie  est  le  cube  d'un  mètre  de  côté. 
—  De  même,  le  décimètre  cube,  le  décamètre 
cube,  etc.,  sont  les  cubes  d'un  décimètre,  d'un 
décamètre,  etc.,  de  côté. 

On  prouve  que  chnque  unité  cubique  vaut 
MILLE  fois  l'unité  cuttiqu"  immédiatement  infé- 
rieure. Il  suffit  de  se  rappeler  que  les  volumes  do 
deux  polyèdres  semblables  sont  proportionnels 
aux  cubes  de  leurs  côtés  homologues.  Pour  éta- 
blir, sans  invoquer  le  théorème  précédent,  que  le 
mètre  cube,  par  exemple,  contient  mille  décimè- 
tres cubes,  on  imagine  une  capacité  cubique  d'un 
mètre  de  côté.  On  sait  que  le  fond,  qui  est  un 
mètre  carré,  vaut  cent  décimètres  carrés  ;  sur 
chaque  décimètre  carré,  on  pose  un  décimètre 
cube.  On  a  ainsi  une  première  couche  de  cent  dé- 
cimètres cubes,  et  on  peut  superposer  cent  cou- 
ches pareilles  dans  le  mètre  cube;  ce  qui  fait  dix 
fois  cent  ou  mille  décimètres  cubes. 

La  quantité  d'air  contenue  dans  un  appartement 
est  donnée  en  mètres  cubes  et  fractions  du  mètre 
cube.  On  proportionne  l'unité  choisie  au  volume 
à  évaluer.  —  Il  est  clair  qu'en  disant  qu'un  corps 
a  un  mètre  cube  de  volume,  par  exemple,  on  n'af- 
firme rien  sur  sa  forme,  quipeutêtre  quelconque. 

Abréviations  :  mmc,  me,  dmc,  me,  Dmc, 
Hmc,  Kmc.  —  Ne  pas  se  servir  de  la  notation  m^, 
pour  mètre  cube. 

3  mètres  cubes  2  décimètres  cubes  s'écrivent 
.3"%  005,  parce  que  le  décimètre  cube  est  le  mil- 
lième du  mètre  cube. 

On  ne  confectionne  pas  de  mesures  effectives 
de  volume,  excepté  pour  l'explication  aux  élèves. 
Pour  évaluer  les  volumes  en  mètres  cubes,  déci- 
mètres cubes,  on  mesure  certaines  longueurs  et 


on  termine  par  le  calcul.  On  a  établi  par  exemple, 
en  géométrie,  que  le  volume  d'un  paralléli|)i- 
pède  rectangle  est  égal  au  produit  de  ses  trois- 
aimensions. 

Le  bois  de  chauffage  se  vend  d'après  son  poids 
ou  d'après  son  volume.  Dans  ce  dernier  cas,  la 
mesure  pour  le  bois  est  le  stère  (du  grec  stéréos, 
solide)  ;  c'est  le  mètre  cube  sous  un  autre  nom. 

Du  stère  dérivent  le  décastère  ou  dix  stères,  et 
le  décistère  ou  dixième  du  stère. 

On  empile  les  bûches  dans  un  cadre  en  bois, 
composé  d'une  sole  horizontale  d'un  mètre  et  de 
deux  montants  verticaux,  soutenus  par  des  contre- 
fiches  inclinées.  —  Si  les  bûches  ont  juste  un 
mètre  de  long,  on  les  entasse  jusqu'à  un  mètre 
de  hauteur  ;  dans  le  cas  contraire,  la  hauteur 
doit  être  calculée  de  façon  que  le  produit  de  cette 
hauteur  par  la  longueur  des  bûches  soit  égal  i 
l'unité. 

Les  liquides  et  les  matières  sèches  (blé,  graines. 
charbon,  etc.),  n'ont  pas  une  forme  propre  et 
permanente,  ils  prennent  celles  des  vases  qui  les 
contiennent.  Aussi  se  sert-on,  pour  trouver  leur 
volume,  de  mesures  fie  capacité  qui  sont  des  vases 
de  contenances  métriques. 

L'unité  principale  de  capacité  est  le  litre  (du 
bas  latin  litrn,  nom  d'une  mesure),  qui  est  équi- 
valent au  décimètre  cube. 

Les  multiples  et  les  sous-multiples  du  litre  sont 
le  décalitre  (Dl.)  ou  dix  litres,  l'Iiectolitre  (Hl.) 
ou  cent  litres,  le  kilolitre  ou  mille  litres,  le  déci- 
litre (dl.)  ou  dixième  du  litre,  le  centilitre  (cl.) 
ou  centième  du  litre,  et  le  millilitre  ou  millième 
de  litre. —  Les  doubles  et  les  moitiés  des  mesures 
précédentes  sont  aussi  autorisés  par  la  loi. 

On  donne  aux  mesures  de  capacité  la  forme 
de  cylindres,  pour  faciliter  le  nettoyage  et  dimi- 
nuer la  déformation.  Ces  instruments  sont  a\i 
nombre  de  treize,  du  centilitre  à  l'hectolitre.  — 
Pour  les  liquides,  les  vases  cylindriques  ontîi  l'in- 
térieur une  hauteur  double  du  diamètre.  Ils  ne 
doivent  pas  contenir  moins  de  82  centièmes  d'é- 
tain  contre  18  de  plomb  :  l'étain  seul  serait  trop 
cassant  et  le  plomb  seul  serait  vénéneux.  —  Pour 
le  lait  et  l'huile,  les  cylindres  sont  en  fer-blanc  et 
la  hauteur  est  égale  au  diamètre.  —  Knfin,  pour 
les  grains,  les  cylindres  sont  en  bois,  de  hauteur 
intérieure  égale  au  diamètre,  et  ces  boisseaux  sont 
bordés  ou  ferrés. 

Exercices.  —  I"  Des  bûches  de  I^.U  de  long 
forment  un  tas  de  1™,IC  de  haut  et  3'",  de  large; 
combien  a-t-on  ainsi  de  stères'? 

2°  Des  pavés  ont  chacun  18,  21  et  2Î=">  et  il 
faut  en  empiler  10  000  sur  un  terrain  rectangu- 
laire, dont  la  base  égale  la  hauteur,  pour  attein- 
dre 2"°  de  haut.  Calculer  les  dimensions  du  ter- 
rain. 

4°  Poids.  —  L'unité  de  poids  est  le  gramme 
(du  grec  grmnma,  nom  d'un  poids).  On  appelle 
gramme  le  poids  d'un  centimètre  cube  d'eau  dis- 
tillée, prise  à  son  maximum  de  densité  et  pesée 
dans  le  vide. 

On  justifie  par  les  remarques  suivantes  les  con- 
ditions énoncées  dans  la  définition  du  gramme. 
L'eau  est  le  liquide  universellement  répandu  ; 
elle  est  chimiquement  pure  lorsqu'elle  est  distil- 
lée ;  elle  a  le  plus  grand  poids  sous  le  môme  vo- 
lume i  4°  du  thermomètre  centigrade  ;  enfin,  en 
la  pesant  dans  le  vide,  on  évite  la  perte  de  poids 
que  tous  les  corps  subissent  dans  l'air,  d'après  le 
principe  d'Archimède. 

Les  unités  de  poids  procèdent  de  dix  en  dix;  ce 
sont,  outre  le  gramme,  le  décagramme  {Dg.1  ou 
dix  grammes,'  l'hectogramme  (Hg.)  ou  cent  gram- 
mes, le  kilogramme  (Kg.)  ou  mille  grammes,  le 
myriagramme  (Mg.)  ou  dix  mille  grammes,  le  dé- 
cigramme  (dg.)  ou  dixième  du  gramme,  le  centi- 
gramme  (,cg.)   ou  centième    du   gramme,   et  le 


SYSTÈME  MÉTRIQUE     —  2122  —     SYSTÈME  METRIQUE 


milligramme  (mg.)  ou  millième  du  gramme.  — 
La  loi  autorise  en  outre  les  doubles  et  les  moi- 
tiés. 

Le  quintal  métrique  est  un  poids  de  cent  kilo- 
grammes et  le  ionnenu  de  mer  vaut  mille  kilo- 
grammes. (Lorsqu'on  parle  d'un  vaisseau  de  cent 
tonneaux,  on  entend  qu'il  peut  porter  cent  mille 
kilogrammes  ) 

Le  kilogramme  est  l'unité  usuelle  du  commerce  ; 
on  se  sert  aussi  de  l'hectogramme  et  du  déca- 
gramme.  Quant  aux  poids  plus  peiits,  gramme, 
décigramme,  etc.,  ils  ne  sont  usités  que  par  les 
orfèvres,  les  pharmaciens,  les  chimistes,  etc. 

11  y  a  24  unités  de  poids  effectives.  —  Les  gros 
poids,  de  .^0  kilogrammes  au  demi-hectogramme, 
sont  en  fonte  de  fer,  et  ils  affectent  la  forme  de 
de  troncs  de  pyramide  rectangulaire.  —  Les  poids 
moyens,  de  2U  kilogrammes  au  gramme,  sont  des 
cylindres  en  laiton,  dont  la  hauteur  égale  le  dia- 
mètre et  qui  sont  surmontés  d'un  boulon.  —  Enfin 
les  petits  poiils,  de  5  décigrarames  au  milli- 
gramme, sont  des  lames  en  laiton  ou  en  argent,  à 
coin  relevé. 

On  opère  le  pesage  à  l'aide  des  balances,  dont 
on  construit  des  modèles  variés. 

Exercices.  —  1»  Une  bouteille  pleine  d'eau  pèse 
l'*,-34î  et  vide  elle  pèse  18  •";  quelle  est  la  capa- 
cité de  la  bouteille'? 

2°  Une  feuille  d'étain  pèse  308^  et  elle  a  SS'^"  de 
large  sur  1"35  de  long  ;  calculer  l'épaisseur  de 
cette  feuille,  sachant  que  la  densité  de  l'étain  est 
7,3. 

£>•  Monnaies.  —  L'unité  monétaire  est  le  franc. 
Le  franc  est  une  pièce  d'argent  pesant  cinq  grammes 
et  au  titre  de  0,1). 

Les  multiples  du  franc  n'ont  pas  de  noms  parti- 


culiers et  on  se  borne  à  dire  dix  francs,  cent 
francs,  etc.  Les  sous-multiples  devraient  s'appe- 
ler décifranc  et  centifranc,  mais  ces  mots  sont 
remplacés  par  décime  et  centime.  (L'expression 
décime  n'est  guère  employée  que  dans  l'enregis- 
trement et  le  timbre.) 

Des  monnaies  en  argent  pur  s'useraient  trop 
vite,  un  peu  de  cuivre  les  durcit,  et  la  proportion 
d'un  dixième  a  l'avantage  d'ôtre  décimale  et  de 
donner  une  dureté  suffisante. 

Depuis  une  quinzaine  d'années,  on  a  abaissé  légè- 
rement le  titre  des  monnaies  d'argent  sauf  pour 
la  pièce  de  cinq  francs),  et  le  titre  actuel  est 
0,835. 

Les  monnaies  d'or  sont  alliées  d'un  dixième  de 
cuivre,  et  elles  valent  à  poids  égal  quinze  fois  et 
demi  plus  que  celles  d'argent. 

Enfin  les  monnaies  de  bronze  sont  formées  de 
95  parties  en  poids  de  cuivre,  \  d'étain  et  1  de 
zinc,  et  ces  monnaies  valent  vingt  fois  moins  que 
celles  d'argent,  à  poids  égal. 

Toutes  ces  pièces  sont  cylindriques,  d'une 
épaisseur  et  d'un  diamètre  fixés  par  la  loi. 

Les  frais  de  monnayage  sont  de  G  fr.  "0  et  de 
1  fr.  50  par  kilogramme  de  monnaie  d'or  et  d'ar- 
gent. —  Les  kilogrammes  d  or  pur  et  d'argent 
pur  valent  respectivement  343"  fr.  et  220  fr.  56, 
comme  on  peut  le  calculer  d'après  le  poids  et  le 
litre  des  monnairs. 

20»  pièces  de  1  fr.  en  argent  pèsent  1  kilo- 
gramme, et  155  pièces  d'or  de  20  francs  pèsent 
aussi  1  kilogramme. 

On  a  la  longueur  du  mètre  en  plaçant  bout  à 
bout  27  pièces  de  cinq  francs  et  celle  du  déci- 
mètre en  plaçant  de  même  2  pièces  de  deux 
francs  et  deux  pièces  d'un  franc. 


Tableau   des  monnaies   françaises. 


NATURE 

POIDS 

TITRE 

"-"-" 

millimètres. 
35 
28 
21 
19 
17 

/  i  00  francs 
l     30    - 
Or '     20 

grammes. 

32,25806 
t6,l290i 
6,«31fit 
3,2i580 
f,6129C 

millièmes. 
1 
1 

2 
3 

millièmes. 
900 
id. 
id. 
id. 
id. 

millièmes. 

id". 
id. 
id. 
id. 

\'lz 

[        5  franco 

Argent \       1     _ 

jO.ÔO     — 
1 0,20    — 

ÎO 

2,30 
1 

3 

5 
5 

7 
10 

900 
S35 
id. 
id. 
id. 

2 
3 

id. 

id. 

id. 

37 
27 
23 
13 
16 

/     10  cent. 
Bronze |       \    — 

30 

20 
15 

(Consulter  la  notice  sur  la  fabrication  dos  mon- 
naies et  le  texte  de  la  convention  monétaire, 
dans  l'Annuaire  du  bureau  des  longitudes.) 

ExiRciCES.  —  1°  Quel  serait,  au  change  des 
monnaies,  la  valeur  d'un  bijou  en  or  pesant  bs  et  au 
titre  de  0,750? 

2°  Pour  payer  1I58',50  en  poids  égaux  de  mon- 
naie d'or,  d  argent  et  de  bronze,  combien  faudra- 
t-il  de  pièces  de  5'  d'argent  et  d'or  et  de  mon- 
naie de  bronze  7 

3°  Un  marchand  a  acheté  18"%483  de  charbon, 
à  1  ,45  1  hectolitre  pesant  8:;''«/jO;  il  paie  en  outre 


pour  le  transport  2  %  du  prix  d'achat.  Combien 
le  marchand  gagne-t-il  sur  le  tout,  en  revendant 
ce  charbon  2'. 85  le  quintal? 

IV.  INDICATIONS  PÉDAGOGIQUES,  —  La  plus  mo- 
deste de  nos  écoles  est  pcjurvue  des  intrumentS 
de  mesure.  Les  instituteurs  popularisent  active- 
ment le  système  métrique,  aussi  indispensable 
aux  agriculteurs  et  aux  commerçants  qu'aux  sa- 
vanls. 

Les  enfants,  dès  qu'ils  commencent  à  compter, 
font  connaissance  avec  le  mètre,  le  kilogramme  et 
le  franc,  qu'on  se  garde  bien  de  leur  définir  :  11 


SYSTÈME  NERVEUX       —  2123 


SYSTEME  NERVEUX 


suffit  qu'ils  Ips  voient  et  qu'ils  les  manient.  Quel  '  le   cylinilrnxe   :  il  est  entoure   d'une  substance 


plaisir  pour  eux  de  mesurer,  de  peser  les  objets 
et  de  compter  la  monnaie  !  Ils  apprécient  bienlôt 
les  longueurs  à  simple  vue  et  les  poids  à  la  main, 
et  on  leur  fait  vérifier  leur  dire. 

Vers  la  fin  des  études  primaires,  les  mesures 
sont  définies  et  explinuées  d'une  manière  suivie, 
mais  sans  détails  minutieux  et  techniques.  Les 
écoliers,  frappés  par  la  décomposition  (opérée  sous 
leurs  yeux)  du  mèire  carré  et  du  mètre  cube, 
ne  se  trompent  plus  sur  les  rapports  des  unités 
carrées  et  cubiques.  Ils  font  à  propos  des  mesures 
beaucoup  de  petits  problèmes  variés  et  (iratiques. 
Dans  les  écoles  normales,  le  système  métri- 
que doit  être  exposé  avec  précision  et  raisonné  à 
fond.  Il  est  bon  que  les  élèves-maîtres  connais- 
sent riiistoiro  sommaire  du  .système,  qu'ils  lisent 
la  loi  de  1H37  et  ses  annexes,  et  qu'ils  consultent 
un  traité  de  la  vérification  des  poids  et  mesures. 
L'ordre  suivi  dans  le  présent  article  est  l'ordre 
final,  et  il  suppose  déjà  acquise  lentement  la  con- 
naissance générale  des  mesures  métriques. 

[A.  Rehière.] 


raisseuse,  grenue  (myéline),  laquelle  est  elle- 
niômo  protégée  par  une  enveloppe  extérieure 
(gaîne  do  Scbwann)  :  la  myéline  et  la  gaine  peu- 
vent manquer,  mais  le  cylindraxe  ne  manque 
jamais. 

Ces  tubes  nerveux  s'unissant,  s'accolant  les  uns 
aux  autres,  s'ent.ourant  d'une  enveloppe  com- 
mune, constituent  les  filets  nerveux  ou  nerfs, 
visibles  à  l'œil  nu.  C'est  ainsi,  pour  user  d'une 
comparaison,  que  les  câbles  sous-marins  sont 
formés  de  plusieurs  conducteurs  métalliques  pro- 
tégés par  une  même  gaine  do  gulta-perclia.  Le 
tube  nerveux  est  bien  en  efl"et  un  sipiple  conduc- 
teur, k  travers  lequcls  voyage,  comme  nous  le 
verrons,  soit  l'impression  (sensibilité),  soit  l'inci- 
tation motrice  (mouvement).  Prenant  son  origine 
dans  une  cellule  nerveuse,  il  aboutit,  soit  dans 
une  cellule  voisine,  soit  dans  un  appareil  spécial 
et  terminal  (organes  des  sens,  plaques  motrices). 
11  ne  sert  qu'à  établir  la  communication  entre  la 
cellule  et  une  autre  cellule,  ou  entre  la  cellule  et 
un  organe  de  sensibilité  ou  de  mouvement.  Re- 


SYSTEME  >'EnVErX.  —  Zoologie,  XXXVII.  —  présentons-nous,  pour  continuer  la  comparaison 
L'animal,  d'après  Cuvier,  possède,  entre  autres  précédente,  la  cellule  comme  une  sorte  do  bureau 
attributs  caractéristiques,  la  faculté  de  sentir,  et  télégraphique,  bureau  d'arrivée  ou  d'envoi,  et  le 
celle  de  se  mouvoir  volontairement.  Plongé  dans  tube  nerveux  comme  le  fil  qui  relie  la  sUtion  aux 
le  monde  des  objets  extérieurs,  il  en  reçoit,  par  stations  voisines  ou  éloignées.  De  là  cette  conclu- 
ses  appareils  de  sensation,  des  impressions  in-  I  sion  capitale  :  la  cellule  est  le  véritable  organe 
cessantes,  et  il  réagit  sur  ces  objets  par  ses  nerveux,  le  seul  actif;  la  fibre  nerveuse  n'a  qu'un 
appareils  de  mouvement.  L'organe  commun  rôle  tout  passif  de  conductibilité. 
de  ces  deux  facultés  est  le  si/slème  nerveitx  ;  il  Telle  est,  brièvement  résumée,  la  composition 
se  retrouve,  complet  ou  rudinien taire,  chez  tous  intime  du  système  nerveux.  Examinons-en  la  dis- 
les  animaux,  à   l'exception  toutefois  de  quelques  I  position  anatomique. 


classes  de  zoophyies  placées  aux  derniers  éche 
Ions  du  règne,  aux  confins  du  monde  végétal. 

Ce  n'est  pas  tout  :  à  ces  deux  catégories  de 
phénomènes,  il  convient  d'en  ajouter  une  troi- 
sième, dont  le  système  nerveux  est  le  siège,  et 
l'instrument  de  manifestation  :  nous  voulons  par- 
ler des  pfiénomènes  intellectuels  (perception, 
pensée,  mémoire,  instincts,  etc.),  qui,  à  des 
degrés  infiniment  variables,  depuis  la  pensée 
humaine  jusqu'à  l'obscur  instinct  des  êtres  infé- 
rieurs, sont,  au  même  titre  que  la  sensibilité  et 
le  mouvement,  caractéristiques  de  l'animal. 

Nous  étudierons  d'abord  le  système  nerveux  tel 
qu'il  se  montra  chez  l'homme,  sous  sa  forme  la 
plus  complexe  et  la  plus  parfaite  :  quelques 
brèves  considérations  nous  suffiront  ensuite  à 
indiquer  ses  modifications  à  travers  l'échelle 
animale. 

Quand  on  examine  la  structure  histologique  du 
tissu  nerveux,  on  voit  que  l'élément  fondamental 
est  la  cellule  nerveuse.  C'est  un  globule  irrégu- 
lier, petit  (quelques  centièmes  de  millimètre  de 
diamètre',  possédant  un  noyau  et  probjblement 
une  enveloppe  :  il  est,  en  général,  muni  d'un  ou 
de  plusieurs  prolongements,  sortes  de  libres  dé- 
liées, ténues,  souvent  fort  longues,  appelées /îi/es 


f  D 

f'^'  1.  —  Coupn  d'un  tube  nerveux. 
A,  gaine  de  Schwann  ;  C,  cylindraxe;  D,  myéline. 


nerveuses  (m  tubes.  Ces  fibres  sont  constituées  par 
très  grèlo,  qui  est 
I  et  que  l'on  nomme 


un   axe,    ou   cordon   central,  très   grèlo,   qui   est 
1  élément  essentiel  de  la  fibre, 


Envisagé  dans  son  ensemble,  le  système  nerveux 
apparaît  composé  de  deux  parties  :  l'une  centrale, 
occupant  l'axe  du  corps,  logée  dans  ce  long  canal 
osseux  que  forment,  en  s'ajoutant  les  unes  aux 
autres,  les  cavités  vertébrales  et  la  boîte  crâ- 
nienne :  c'est  Yaxe  cérébrn-s/iinal  :  l'autre  partie, 
périphérique,  les  nerfs,  filets  nerveux  qui  se  dé- 
tachent de  cet  axe  tout  le  long  de  son  trajet,  et 
vont  porter  partout  la  sensibilité  et  le  mouve- 
ment. Exaininons  ces  deux  parties  l'une  après 
l'autre. 

ISuxe  cérébro-spinal  (encore  appelé  centres 
nerveur)  compiend  la  moelle,  logée  dans  les  ver- 
tèbres, et  Vencéiittale  (cerveau  et  cervelet),  en- 
fermé dans  lo  crâne  :  il  est  constitué  par  des 
cellules  et  des  tubes  nerveux,  mais  ces  deux  élé- 
ments sont  répartis  de  maiiièro  à  donner  lieu  à 
deux  substances  parfaitement  diverses  de  struc- 
ture et  d'attributions  :  lune,  la  sub'tr.nce  grise, 
formée  surtout  de  cellules,  l'autre,  la  substance 
blanche,  de  beaucoup  la  plus  abondante,  et  ne 
possédant  que  des  tubes.  De  ces  deux  substances, 
la  grise,  seule  active,  préside  à  la  sensibilité,  au 
mouvement,  à  l'inielligence;  la  blanche,  en  raison 
même  de  sa  structure,  ne  joue  qu'un  rôle  passif. 
Dans  la  moelle,  c'est  la  substance  blanclie  qui 
entoure  et  recouvre  la  seconde  :  dans  l'encé- 
phale, c'est,  au  contraire,  la  substance  grise  qui 
occupe  la  surface,  à  l'exception  de  certains  points 
centraux,  disposés  sous  forme  d'îlots  gris,  sur 
lesquels  nous  reviendrons. 

Le  cerveau  est  la  portion  antérieure  et  supé- 
rieure de  l'encéphale,  et  il  occupe  toute  la  partie 
supérieure  du  crâne,  de  l'occiput  au  front.  Une 
scissure  profonde  le  divise  en  deux  moitiés  dis- 
tinctes, généralement  symétriques,  appelées  liémi- 
splières cér'briiux, compViiemenl  séparées  l'une  de 
l'autre,  sauf  en  leur  milieu,  où  elles  sont  réunies 
par  une  sorte  de  large  lame  de  substance  blanche 
[corps  C'il'ux).  La  surface  du  cerveau,  composée 
de  substance  grise,  n'est  pas  lisse,  mais  creusée 
de  sillons,  hérissée  de  saillies  cylindroïiles, 
flexucnses,  les  circonvnlutions,  qui  semblent  avoir 
pour  objet  do  multiplier  la  surl'ace  grise,  active, 


SYSTÈME  NERVEUX 


2124 


SYSTÈME  NERVEUX 


du  cerveau,  et  dont  le  nombre  est,  par  suite, 
proportionnel  à  l'intelligence  de  l'animal.  Nulles 
chez  les  poissons,  les  reptiles,  les  oiseaux  rudi- 
mentaires  chez  beaucoup  de  mammifères,  se  ilo- 
veloppant  et  s'accusant  à  mesure  qu'on  remonie 
l'échelle  et  qu'on  approche  do  l'homme,  mieux 
dessinées  chez  l'éléphant  et  le  singe,  elles  attei- 
gnent leur  plus  haut  point  de  complexité  chez 
l'homme  adulte.  Enfin  chacun  des  deux  hémis- 
phères est  divise,  par  deux  sillons  creusés  sur  sa 
face  inférieure,  en  trois  lobes,  antérieur,  moyen, 
et  postérieur. 

Le  cerveau  n'est  pas  isolé,  il  se  continue  avec 
la  moelle  et  le  cervelet.  Il  tient  à  la  moelle  par 
deux  gros  faisceaux  de  substance  blanche  {les  pé- 
doncules ccrébruux),  qui  s'épanouissent,  pour 
ainsi  dire,  dans  chaque  hémisphère,  comme  les 
tiges  d'une  gerbe  mal  liée,  divergent  de  tous 
côtés,  et  constituent  la  masse  môme  de  ces  hé- 
misphères et  la  lame  blanche  qui  les  unit.  Mais 
le  trait  fondamental  de  la  structure  intérieure  du 
cerveau  est  l'existence  d'une  grande  cavité  cen- 
trale, divisée  par  des  cloisons  en  trois  cavités 
plus  petites  [ventricules  cérébraux)  ;  ces  cavités 
communiquent  entre  elles,  et  communiquent  avec 
une  cavité  analogue  creusée  dans  le  cervelet,  et 
avec  un  canal  long  et  délié  qui  traverse  toute  li 
moelle  de  haut  en  bas.  Tout  le  système  nerveux 
central  est  donc  percé  d'une  cavité  unique,  étroite 
dans  la  moelle,  s'élargissant  dans  l'encéphale. 

Le  cervelet,  placé  en  arrière  et  au-dessons  du 
cerveau,  n'ayant  guère  que  le  tiers  du  volume 
de  cet  organe,  est  Ini  aussi  divisé  en  deux  hé  ni- 
sphères  par  une  profonde  rainure  verticale.  Sa 
surface,  formée  de  substance  grise,  présente  des 
sillons  circulaires,  parallèles,  et  fort  nombreux. 
Comme  le  cerveau,  il  est  formé  d'une  masse  blau- 
che  centrale,  qui  l'unit  d'une  façon  remarquable 
au  cerveau  et  à  la  moelle  :  chaque  moitié  du 
cervelet  envoie  en  effet  trois  prolongements  di- 
vergeants; les  deux  premiers,  pédoncules  cérchel- 
teux  supérieurs,  se  portent  vers  le  centre  des 
hémisphères  cérébraux;  les  deux  derniers  des 
cendent  obliquement  vers  la  moelle  (pédoncule, 
cérébelleux  inférieurs).  Enfin  les  deux  moyens 
s'unissent  l'nn  i  l'autre,  formant  ainsi  une  sorte 
de  bague  blanche  (protubérunce  annulaire)  qui 
embrasse  la  moelle  et  s'unit  i  elle. 

Nous  venons  de  décrire  sommairement  Vencé- 
phale.  Nous  allons  faire  de  même  pour  la  moelle. 
Etendue,  comme  une  longue  colonne,  du  cer- 
veau h  la  première  vertèbre  lombaire,  la  mnrile 
a  la  forme  d'un  cylindre  légèrement  aplati,  diùsé 
en  deux  moitiés  symétriques  par  deux  sillons 
verticaux,  l'un  antérieur,  l'autre  postérieur.  Un 
long  canal  est  creusé  au  centre  de  cette  colonne 
nerveuse,  communicant  avec  les  cavités  encépha- 
liques. Un  sillon  vertical  peu  profond  est  situé 
de  chaque  côté  du  grand  sillon  postérieur,  subdi- 
visant ainsi  chacune  des  moitiés  de  la  moelle  en 
deux  colonnes  plus  petites,  ou  cordons,  cordon 
antérieur,  cordon  postérieur.  Disons  tout  de  suite, 
quitte  h  y  revenir,  que  les  nerfs  naissent  de  la 
moelle  par  deux  racines,  l'une  antérieure,  motrice, 
qui  s'enfonce  au  milieu  du  cordon  antérieur,  l'au- 
tre postérieure,  sensitive,  qui  pénètre  dans  le 
sillon  latéral,  au  point  de  séparation  des  deux 
cordons. 

La  moelle,  à  l'inverse  de  l'encéphale,  est  for- 
mée de  substance  blanche  à  la  surface,  de  sub- 
stance grise  au  centre.  Cette  dernière  forme,  du 
haut  en  bas  de  la  moelle,  une  longue  colonne  bi- 
zarrement cannelée,  dont  la  coupe  horizontale 
représenterait  k  peu  près  les  deux  moitiés  d'un  X 
reliées  par  une  barre.  Les  quatre  sommets  de  l'X 
se  iiomment  les  cornes  de  la  moelle. 

L'extrémité  supérieure  de  la  moelle  s'engage, 
ainsi  que  nous  l'avons  vu,  sous  la  bague  blanche 


]  dont  l'entoure  le  cervelet.  Au  voisinage  de  ce 
point  elle  se  renfle  :  les  deux  cordons  antérieurs 
forment  chacun  deux  masses  globuleuses,  ovoïdes 
ipi/raniides  antérieures  et  olives)  ;  les  deux  cor- 
dons postérieurs  portent  aussi  chacun  un  renfle- 
ment semblable  (pi/ramides  postérieures).  Ces 
quatre  renflements,  composés,  ne  l'oublions  pas, 
de  substance  blanche,  vont  former  la  masse 
blanche  de  l'encéphale.  En  efl"et.  les  fibres  des 
pyramides  postérieures  se  rendent  au  cervelet; 
les  fibres  des  quatre  renflements  antérieurs  s'en- 
gagent sous  l'anneau  de  la  protubérance,  qu'elle* 
contribuent  à  former,  continuent  leur  trajet, 
forment  les  pédoncules  cérébraux,  et  vont  s'épa- 
nouir dans  les  hémisphères  du  cerveau. 

Mais  la  particularité  la  plus  frappante  de  la 
disposition  de  ces  parties,  celle  qui  est  la  plus 
féconde  en  conséquences  de  tout  ordre,  est  ce 
qu'on  nomme  Y  entrecroisement  des  pi/ramides 
antérieures  :  une  partie,  en  effet,  des  fibres  qui 
les  constituent  s'entrecroisent  sur  la  ligne  mé- 
diane, formant  une  sorte  de  natte,  les  droites 
allant  à  gauche  et  les  gauches  à  droite.  De  là 
cette  conséquence  :  le  cerveau  est  relié  à  la 
moelle,  par  elle  aux  nerfs,  par  les  nerfs  au  corps, 
de  telle  sort"    que    la  moitié  droite  du  corps  cor- 


Fij;.  2.  -  Schéma  des  crntros  iienoux. 
A,  circonvolutions  cérébrales  ;  B,  B,  couches  optiques, 
corps  strié  ;  F,  substance  blanche  du  cerveau  ;  d,  protu- 
bérance annulaire  ;  f,  circonvolutions  du  cervelet  ;  D, 
colonne  ^ise  centrale  de  la  moelle  ;  b,  racines  antérieures 
motrices  des  nerfs  rachidiens;c,  leurs  racines  postérieures 
munies  de  leurs  ganglions  ;  a,  nerfs  crâniens. 

respondra  à  l'hémisphère  gauche  du  cerveau,  et  ré- 
ciproquement. Il  faut  toutefois  excepter  de  cette 


SYSTÈME  NERVEUX 


2125  —   SYSTÈME  NERVEUX 


alternance  les  régions  que  dessort  un  nerf  ayant 
son  origine  au-dessus  de  l'entrocrolsemeut.  Point 
capital  de  la  disposition  des  centres  nerveux,  et 
qui  en  modifie   profondément  le   fonctionnement. 

Il  nous  reste  h  voir  comment  se  comporte  la 
colonne  grise  de  la  moelle.  Uappeloiis-nous  que, 
dans  cet  organe,  elle  entoure  ce  long  canal  longi- 
tudinal dont  nous  avons  parlé,  et  que  ce  canal 
s'élargit  pour  former  successivement  les  quatre 
ventricules  encéphaliques.  Eh  bien,  l'axe  gris 
l'accompagne  jusqu'au  bout  :  il  s'élargit  et  s'étale 
en  lame  pour  former  le  plnncher  du  quatrième 
ventricule,  se  rétrécit  pour  pénétri^r  dans  le  cer- 
veau, et  se  dilate  encore  pour  tapisser  les  parois 
latérales  du  ventricule  moyen.  Il  se  termine  là  : 
mais  deux  îlots  considérables  de  substance  grise, 
les  coucltes  optiqws  et  le  corps  strie,  occupent  le 
centre  des  hémisphères,  et  un  ilôt  semblable  est 
situé  au  centre  du  cervelet. 

Nous  pouvons  dès  i  présent  embrasser  d'un 
seul  regard  l'ensemble  de  la  structure, do  l'axe 
cérébro-spinal  :  nous  voyons  la  substance  blan- 
che, passive,  simplement  conductrice,  monter, 
entourant  l'axe  gris  de  la  moelle,  et  se  dilater 
dans  l'encéphale  ;  nous  voyons  la  substance  grise, 
active,  occuper  le  centre  du  système  sous  la  forme 
d'une  longue  tige  creuse,  qui  s'inHécliit  et  s'élar- 
git dans  le  cerveau,  recouvrir  la  surface  entière 
de  l'encéphale  et  enfin  former  en  trois  points 
centraux  un  amas  de  cellules  grises. 

Passons  maintenant  i  la  description  rapide  delà 
seconde  partie,  partie  périphérique,  du  système, 
les  nerfs.  Les  nerfs,  véritables  conducteurs  qui 
se  détachent  de  l'axe  central  que  nous  venons 
de  décrire  et  se  ramifient  à  l'infini  dans  le  corps 
entier,  sont  de  trois  catégories. 


Les  uns,  nerfs  scnsitifs  ou  centripètes,  appor- 
tent aux  centres  les  sensations  perçues  par  les 
ort;anes  des  sens.  Les  autres,  nerfs  moteurs  ou 
centrifuges,  apportent  des  centres  aux  muscles 
les  iiicitations,  ou  pour  ainsi  parler,  les  ordres  de 
mouvement.  Le  troisième  groupe  est  celui  des 
nerfs  mixtes,  beaucoup  plus  nombreux,  qui  sont 
à  la  fois  sensitifs  et  moteurs;  ils  sont  constitués 
par  un  inextricable  mélange  de  fibres  de  l'un  et 
de  l'autre  ordre,  centripètes  et  centrifuges. 

Les  nerfs,  tous  disposes  par  couples  symétri- 
ques desservant  des  régions  symétriques,  forment 
quarante-trois  paires  nerveuses.  Douze  de  ces 
paires,  dites  crâniennes,  naissent  des  prolonge- 
ments de  la  moelle  dans  le  crâne.  Sans  les  énu- 
mérer  toutes,  citon  s,  parmi  celles-là,  les  nerfs  ni f  ac- 
tifs, optiques,  acoustiques,  nerfs  de  sensibilité  dite 
spéciale,  et  les  nerfs  pneumogastriques,  nerfs 
mixtos  qui  président  aux  fonctions  du  cœur,  des 
poumons  et  de  l'estomac. 

Les  trente  et  une  autre  paires  sont  dites  rachi- 
diennes.  Elles  sont  toutes  mixtes,  naissent  de  la 
moelle  proprement  dite  et  distribuent  le  mouve- 
ment et  la  sensibilité  au  tronc  et  aux  membres. 
Chacun  de  ces  nerfs  naît  de  la  moelle  par  deux 
racines  :  l'une  antérieure,  mince,  est  motrice  ;  si 
on  la  coupe,  on  frappe  de  paralysie  la  légion  des- 
servie par  ce  nerf;  l'autre,  postérieure,  grosse, 
munie  d'un  gros  ganglion  gris,  est  sensitive  ;  sa 
section  frappe  d'insensibilité  la  région  innervée. 
Ces  racines,  soit  antérieures  soit  postérieures, 
cheminent  dans  les  cordons  blancs  de  la  moelle, 
qu'elles  constituent,  puis  aboutissent  à  l'axe  gris, 
les  unes  aux  cornes  postérieures,  les  autres  aux 
cornes  antérieures,  et  sont,  par  cet  axe,  en  rela- 
tion avec  l'encéphale. 


A,  cordon  postériei 


F,  ganglion  de  la  racine  postérieure  ;  J,  canal  central  de  la 


postérieure;  D,  racine  antérieure j 


Quant  à  la  terminaison  des  nerfs,  nous  avons 
peu  de  choses  à  en  dire.  La  description  de  l'extré- 
mité des  nerfs  sensitifs  est  faite  aux  articles  Vue, 
Ouïe,  Odorat,  Tact,  etc.  Le  trait  commun  à  la 
termmaison  de  ces  nerfs,  tel  qu'il  se  révèle  à 
travers  de  profondes  différences  déforme,  est  que 
le  filet  nerveux  sensitif  aboutit  toujours  à  une 
cellule.  Quel  que  soit  le  sens  dont  il  s'agit,  un  or- 
gane cellulaire  est  donc  toujours  le  véritable  or- 
gane du  sens,  celui  qui  reçoit  l'impression  et  la 
transmet  au  nerf  conducteur. 


Les  nerfs  moteurs  se  terminent  dans  les  mus- 
cles striés  et  dans  les  muscles  lisses.  Le  mode  de 
terminaison  des  nerfs  dans  ces  derniers  muscles 
nous  est  encore  inconnu,  ou  peu  s'en  faut.  Quant 
aux  nerfs  des  muscles  striés,  on  les  voit  se  rami- 
fier, et  abandonner  un  rameau  à  chacun  des  fais- 
ceaux du  muscle  ;  ce  rameau  nerveux  pénètre 
dans  le  muscle  en  perdant  sa  myéline  et  sa  gaine; 
le  cylindraxe  seul  entre  donc  dans  le  faisceau,  et 
se  termine  par  un  épanouissement  en  forme  de 
plaque  {plaques  motrices).   Ces  plaques  termina- 


SYSTÈME  NERVEUX 


2126  —       SYSTÈME  NERVEUX 


les  représentent  donc  l'organe  par  lequel  le  nerf 
s'applique  directement  à  la  fibre  contractile  et 
agit  sur  elle. 

Enfin  il  est  un  dernier  appareil  dont  l'étude 
complétera  la  description  du  système  nerveux  : 
c'est  le  grand  sympathique. 

Ce  nom  singuliers'appliqueà  une  double  cliaîne 
de  ganglions  nerveux,  ou  amas  de  cellules,  dispo- 
ses le  long  de  la  colonne  vertébrale,  unis  entre 
eux  par  des  filets  nerveux,  et  unis  par  d'autres 
filets  à  la  moelle.  De  cette  double  cliainR  ganglion- 
naires partent  d'innombrables  nerfs  sensitifs  ou 
moteurs  apportant  i  tous  les  viscères  (foie,  cœur, 
intestins,  etc.)  la  sensibilité  et  le  mouvement. 
Mais  le  point  capital  des  fonctions  du  grand  sym- 
pathique, comme  nous  le  verrons  plus  loin,  est 
qu'il  envoie  des  nerfs  moteurs  à  tous  les  vais- 
seaux sanguins  :  ces  nerfs,  dits  vaso-m"teurs,  vont 
se  perdre  dans  la  tunique  musculaire  des  vais- 
seaux, et  en  commandent  le  resserrement  ou  la 
dilatation. 

Nous  voici  parvenu  au  terme  de  l'étude  des- 
criptive du  système  nerveux.  Il  nous  reste  à  mon- 
trer le  mécanisme  de  son  fonctionnement  physio- 
logique. 

L'ensemble  de  la  physiologie  nerveuse  a  été 
traité  à  l'article  Physiologie.  Nous  conseillons  au 
lecteur  de  s'y  reporter,  et  de  bien  se  pénétrer  de 
la  description  de  certains  points  particuliers,  tels 
que  le  mouvement  réflexe  par  exemple  :  il  lui 
sera  ainsi  plus  aisé  de  comprendre  ce  que  nous 
allons  ajouter  sur  la  physiologie  spéciale  des  dif- 
férentes parties. 

Le  cerveau  est  le  siège  des  phénomènes  de 
perception,  de  volonié  et  de  pensée. 

Aucune  sensation  n'est  perçue  que  si  elle  arrive 
jusqu'aux  cellules  cérébrales.  Si  l'on  coupe  la 
moelle,  une  sensation  peut  fort  bien  cheminer  par 
un  des  nerfs  rachidiens  situés  au-dessous  du  ni- 
veau de  la  section,  et  peut  même  se  réflécliir  en 
une  incitation  motrice  :  mais  elle  n'est  pas  perçue, 
parce  que  les  communications  avec  le  cerveau 
sont  coupées.  Le  cerveau  est  donc  l'organe  sensi- 
tif  proprement  dit,  du  moins  l'organe  des  sen- 
sations perçues  :  sensations  spéciales,  venues  des 
sens  spéciaux,  odeurs,  saveurs,  sons,  etc.,  ou 
générales,  douleurs,  malaises,  faim,  etc.  C'est  le 
cerveau  qui  perçoit,  entre  autres,  cette  curieuse 
et  indéfinissable  impression  (ou  collection  d'im- 
pressions), que  l'on  nomme  le  sentiment  de 
l'exi'te'ire,  inaperçue  en  général,  mais  forte  et 
pénible  dans  les  malaises  morbides. 

Remarquons  que  le  cerveau  reporte  toujours 
l'oricino  d'une  sensation  à  l'extrémité  terminale 
du  nerf  qui  la  lui  transmet,  alors  même  que  le 
siège  vrai  en  est  sur  un  point  quelconque  du  tra- 
jet du  nerf.  Chacun  sait  que  les  amputes  souffrent 
parfois  de  la  main  ou  du  pied  qu'ils  n'ont  plus. 
(Pour  le  dire  en  passant,  c'est  dans  ce  fait,  c'est 
dans  Vfûtériorilé  des  sensations,  qu'il  faut  cher- 
cher la  clef  du  phénomène  de   l'hallucination.) 

L'incitation  motrice  est,  avec  les  phénomènes 
intellectuels,  le  grand  et  admirable  mystère  de 
la  physiologie  cérébrale.  Sans  doute,  dans  le  mou- 
vement réfiexe,  nous  avons  de  la  peine  à  com- 
prendre qu'une  sensation  puisse  u  se  réfléchir  » 
et  provoquer  un  mouvement  ;  mais  enfin,  si  le  mé- 
canisme de  cette  transformation  nous  échappe,  ce 
mouvement  a  une  cause  extérieure,  et  nous  le 
concevons  tant  bien  que  mal  Au  contraire  nous 
admirons,  sans  pouvoir  en  concevoir  d'explication, 
ce  fait  merveilleux  d'une  incitation  libre,  indépen- 
dante, volontaire,  née  d'elle-même.  Le  cerveau  est 
l'organe  unique  rie  ces  incitations  :  la  moelle  peut 
provo(|uer  des  raouvemenis,  mais  non  par  elle- 
même  ;  elle  ne  le  fait  qu'en  vertu  d'une  cause 
extérieure  préalable,  d'une  sensation.  L'animal 
auquel  ou  enlève  le  cerveau  est  privé  de  volonté, 


devient  le  jouet  du  mouvement  réflexe,  c'est-à- 
dire  des  sensations  ;  il  se  meut,  parfois  il  se  nour- 
rit et  vit  :  mais  à  condition  que  des  sensations 
appropriées  viennent  provoquer  les  mouvements 
qui  le  font  avancer,  respirer,   etc. 

Ici  se  place  l'observation  d'un  fait  remarquable  : 
la  transformation,  par  l'habitude,  d'un  mouve- 
ment volontaire  en  un  mouvement  réflexe,  ou, 
ce  qui  revient  au  même,  d'un  mouvement  d'ori- 
gine cérébrale  en  un  mouvement  d'origine  médul- 
laire. Citons  un  exemple  entre  mille,  celui  de  la 
marche  :  l'enfant  qui  apprend  à  marcher  meut 
péniblement  ses  membres  et  assure  son  équilibre 
par  une  série  de  mouvements  volontaires  appro- 
priés. Peu  à  peu,  ces  mouvements  se  régulari- 
sent, et  l'intervention  de  la  volonté  devient  de 
moins  en  moins  active;  elle  cesse  enfin  au  mo- 
ment où  l'habitude  est  tout  à  fait  acquise  :  la 
marche  n'est  plus  dès  lors  qu'un  mouvement  ré- 
flexe, dont  l'origine  est  une  sensation,  celle  du 
sol  sous  nos  pas  ;  cela  est  si  vrai,  que  quand  cer- 
taines lésions  nerveuses,  frappant  le  pied  d'insen- 
sibilité, suppriment  la  sensntion  du  sol,  la  marche 
devient  impossible.  L'habitude  physique  n'est 
donc  que  la  substitution,  à  l'inciiation  motrice 
voulue  et  pénible,  d'un  mécanisme  instantané, 
sur,  fatal  pour  ainsi  dire,  celui  du  réflexe,  et  l'on 
pourrait  dire  qu'en  matière  de  mouvements,  l'é- 
ducation de  l'exécutant  n'est  que  l'éducation  de 
la  moelle. 

Remarquons  cependant  que,  si  invétérée  qui 
soit  l'habitude,  la  volonté  reste  libre  de  sortir  de 
son  repos  et  d'intervenir  :  nous  marchons,  nous 
respirons  automatiquement  :  mais  nous  pouvons 
instantanén>ent  faire,  de  chacun  de  ces  actes,  un 
acte  voulu,  le  ralentir,  ou  le  presser,  ou  le  cesser 
Cl  à  volo7ité  ». 

(Rappelons  ici  que,  d'une  façon  générale,  le 
cerveau  est  relié  au  reste  du  corps  par  des  con- 
ducteurs croisés,  en  sorte  que  c'est  l'hémisphère 
gauche  qui  commande  les  mouvements  de  la  moitié 
droite  du  corps,  et  réciproquement.) 

Quant  à  la  troisième  catégorie  de  phénomènes 
dont  le  cerveau  est  le  siège  (intelligence,  pensée, 
mémoire,  instincts,  etc.),  ils  échappent  à  la  portée 
de  cet  article  pour  entrer  dans  le  domaine  de  la 
psychologie  :  c'est  en  ce  point  en  effet  que  les 
deux  sciences,  physiologie  et  psychologie,  vien- 
nent en  contact  et  confondent  leurs  limites.  Nous 
n'avons  pas  à  entrer  ici  dans  le  débat  des  doc- 
trines, à  prendre  parti  pour  l'une  ni  l'autre  des 
hypothèses  qui  se  partagent  les  esprits.  En  dehors 
de  ces  hypothèses,  un  fait  s  impose  à  tout  le 
monde  et  il  suffit  de  le  constater  :  c'est  le  cer- 
veau qui  est  le  théâtre  et  l'instrument  de  ces 
manifestations  supérieures  de  la  vie.  Elles  sont, 
entre  tous  les  phénomènes  cérébraux,  les  plus 
nobles  et  les  plus  mystérieux,  ceux  qui  font  l'ani-  - 
mal  supérieur  au  plus  merveill-ux  organisme  \ 
végétal,  et  donnent  i  l'homme,  au  sein  do  la 
nature,  sa  vrai  royauté,  intellectuelle  et  morale. 

Il  ne  suffit  pas  de  savoir  que  le  cerveau  est 
l'organe  do  ces  diverses  facultés,  perception, 
mouvement  volontaire,  etc.  :  on  devait  se  préoc- 
cuper de  décomposer,  en  quelque  sorte,  ses  fonc- 
tions, et  de  recherclier  le  siège,  la  localisation, 
de  chacune.  On  sait  que  Gall  fonda  sur  cette  idée 
un  système  entier  de  phrénologie.  dont  la  science 
moderne  n'a  rien  laissé  subsister.  C"pendant  la 
belle  et  récente  découverte  de  Broca,  détermi- 
nant le  siège  de  la  faculté  du  langige  dans  une 
région  très  limitée  du  lobe  fronial  gauche,  est 
venue  réveiller  l'ardeur  des  recherches  et  ranimer 
les  espérances.  Citons,  parmi  d'innombrables  tra- 
vaux, ceux  de  Charcot  et  de  Ferrier  ;  la  méthode 
de  recherche  est  double  :  d'une  part  l'expérimen- 
tation sur  les  animaux,  d'autre  pirt,  l'observation 
clinique  des  troubles  apportés  aux  fonctions  céré- 


SYSTÈME  NERVEUX       —  ->127  —       SYSTÈxAIE  NERVEUX 


braies  par  telle  ou  tello  lésion  locale  du  cerveau 
malade.  De  vraies  cartes  cérébrales  ont  été  dres- 
sées, indiiiuaiil  la  place  des  centres  moteurs  des 
diverses  régions,  et  des  centres  sensibles  de  la 
vue,  de  l'ouic,  etc.  Mais  il  n'est  pas  une  de  ces 
localisations,  h  part  celle  de  Broca,  qui  n'ait  ren- 
contré des  objections,  en  sorte  que  sur  ce  point, 
rion  n'est  encore  acquis  h  la  science  eu  fait  de  ré- 
sultat précis  et  incontestable. 

Le  cervelet  ne  prend  aucune  part  aux  fonctions 
intellectuelles  proprement  dites,  et  ses  fonctions 
propres  restent  fort  obscures  :  toutefois  les  expé- 
riences de  Flourens  semblent  démontrer  qu'il  est 
l'organe  coordinateur  des  mouvements  :  par  exem- 
ple, c'est  le  cervelet  qui  coordonne,  en  une  loco- 
motion harmonieuse  et  réglée,  les  mouvements 
volontaires  des  quatre  membres,  mouvements  qui 
ont  d'ailleurs  leur  origine  dans  le  cerveau. 

La  moelle  joue  un  double  rôle  pliysiologique  : 
celui  de   conducteur,  et  celui  de  centre  nerveux. 

Le  premier  nous  est  déjà  connu  :  la  nloelle  est 
comme  le  grand  conducteur  télégraphique  abou- 
tissant d'une  part  au  cerveau,  et  d'autre  part 
donnant  naissance  i  tous  les  fils  du  réseau.  A  y 
bien  regarder,  elle  représente  la  réunion  de  deux 
conducteurs  distincts  :  l'un  est  cetitripète,  il 
reçoit,  par  les  racines  seiisitives  ou  postérieures 
des  nerfs,  les  sensations  et  les  amène  au  cerveau  ; 
l'autre,  centrifuge,  conduit  les  excitations  motri- 
ces du  cerveau  jusqu'aux  racines  antérieures  et 
motrices  des  nerfs.  Ainsi,  tout  le  long  de  la  co- 
lonne médullaire,  un  double  et  incessant  courant 
est  établi  :  l'un  ascendant,  postérieur,  celui  des 
sensations  ;  l'autre  descendant,  antérieur,  celui 
des  ordres  de  mouvement. 

Mais  là  ne  se  bornent  pas  les  fonctions  de  la 
moelle.  Nous  avons  vu  les  racines  motrices  et 
sensiiives  des  nerfs  aboutir  les  unes  et  les  autres 
à  la  substance  grise  centrale  de  la  moelle.  Des 
cellules  actives  établissent  donc  entre  les  deux 
ordres  de  nerfs  une  étroite  connexion.  Dans  ces 
cellules  s'opère  la  mystérieuse  transformation 
de  l'impression  sensible  en  mouvement  réflexe. 
Ce  genre  de  mouvement  (dout  le  mécanisme  est 
décrit  à  l'article  P/ii/siologie)  est  sans  contredit 
de  beaucoup  le  plus  nombreux  :  citons  en  quelques 
exemples.  Les  battements  du  cœur  ont  pour  ori- 
gine une  sensation,  celle  du  sang  au  contact  des 
parois  de  l'organe  :  privé  et  vidé  de  sang,  le  cœur 
cessedebattre  ;  quelques  gouttes  de  sangraniment 
ses  pulsations.  Le  mouvement  rythmique  de  la 
respiration  naît  de  l'impression  produite  par  l'air 
sur  les  vésiculi's  pulmonaires.  La  rougeur,  la 
pâleur,  1  éternuemcnt,  etc.,  sont  autant  de  ré- 
flexes. Enfin,  il  est  toute  une  classe  d'innombra- 
bles mouvements  de  ce  genre  qui  s'opèrent  en 
nous  k  noire  insu  ;  ce  sont  les  phénomèmes  de 
sécrétion  :  les  glandes  salivaires,  pur  exemple,  ou 
les  glandes  stomacales,  ne  sécrètent  leurs  sucs 
qu'eu  vertu  d  une  sensation  appropriée,  celle  des 
aliments  arrivant  au  contact  de  la  langue,  et  de 
l'estomac.  Le  jeu  intime  de  la  plupart  de  nos 
orgaiïes  est  donc  soustrait,  par  le  mécanisme  du 
réflexe,  à  l'empire  de  la  volonté,  et  même  à  la 
perception  ;  la  moelle  et  ses  dépendances  le  rè- 
glent et  le  gouvernent  à  notre  insu,  enlevant 
la  plupart  des  fonctions  vitales  à  l'intervention 
volontaire,  et  par  li  aux  périls  des  intermittences 
do  cette  volonté,  au  danger  des  dis  mêlions. 

Le  système  i^rattd  'ij'iij/ntliique  avait  Imigtemps 
été  considéré  comme  un  système  indépendant, 
présidant  à  Ini  seul  aux  fonctions  de  la  vie  orga- 
nique. Les  recherches  modernes,  celles  de  Claude 
Bernard  entre  autres,  ont  montré  qu'il  n'en  est 
rien,  et  que  le  grand  sympathique  no  saurait 
agir  comme  centre  nerveux;  il  n'est  qu'une  an- 
nexe de  la  moelle,  et  c'est  à  cet  organe  qu'il 
emprunte  sa   force.  Ses  filets  nerveux  ne  possè- 


dent donc  pas  de  propriétés  spéciales  ;  un  seul 
point  les  différencie  des  filets  rachidiens  :  la  vo- 
lonté n'a  pas  d'action  sur  eux  ;  tous  les  mouve- 
ments accomplis  dans  le  domaine  de  ces  nerfs 
sont  involontaires.  Ce  sont  des  réflexes.  Hemar- 
quuns  ici  qu'un  acte  réflexe,  avec  ces  deux  pha- 
ses (sensation,  puis  mouvement),  peut  avoir  pour 
théâtre  deux  nerfs  centripète  et  centrifuge  du 
sympathique,  ou  bien  voyager  d'abord  le  long  d'un 
filet  sensitif  de  ce  système  et  revenir  le  long  d'un 
filet  moteur  de  la  moelle;  ou  inversement  partir 
d'uii  nerf  médullaire  et  revenir  par  un  nerf  sym- 
pathique :  il  peut,  en  d'autres  termes,  s'opérer 
tout  entier  dant  l'un  ou  dans  l'autre  système,  ou 
i  la  fois  dans  tous  les  doux,  liemarquons  encore 
que  les  mouvements  commandés  par  les  nerfs 
sympathiques  sont  très  lents  à  .se  produire  :  ce 
qui  tient  i  la  nature  des  muscles  qu'il  innerve 
(muscles  lisses)  et  aussi  à  la  nature  de  ses  fibres 
nerveuses. 

Mais  le  rùle  capital  du  sympathique  est  de  prési- 
der, par  sus  filets  vaso-moteurs,  à  la  dilatation  ou 
au  resserrement  des  vaisseaux  sangniiis.  Si  l'on 
excite  par  l'électricité  un  de  ces  filets  nerveux, 
on  voit  les  vaisseaux  duninuer  de  calibre,  la  cir- 
culation se  ralentir,  les  tissus  pâlir;  si  on  le 
coupe,  les  vaisseaux  paralysés  se  laissent  dilater, 
le  sang  afflue,  les  tissus  sont  congestionnés. 
Comment  se  fait-il  qu'à  l'état  normal  les  vais- 
seaux ne  soient  ni  contractés  ni  paralysés,  et 
qu'il  y  ait  une  demi-contraction  constante  de  leur 
tunique'?  Le  sympathique  est-il  donc  en  perpé- 
tuelle activité  nerveuse  '?  Point  obscur  sur  lequel 
rien  n'est  encore  démontré.  Mais  le  fait  impor- 
tant, c'est  que  par  ses  nerfs  innombrables,  le  sym- 
pathique préside  à  la  distribution  du  sang  dans 
le  corps  entier  :  or  do  l'afflux  du  sang  dépend 
l'activité  nutritive  et  fonctionnelle  des  tissus.  Le 
sympathique  est  donc  le  grand  régulateur  de  la 
circulation,  et  par  là  il  règle  l'apport  nutritif,  la 
production  de  la  chaleur  animale,  les  sécrétions, 
en  d'autres  termes  le  phénomène  même  de  la  via 
des  organes  en  ce  qu'il  a  de  plus  intime. 

Certains  agents  physiques  ou  chimiques  modi- 
fient le  pouvoir  réflexe  des  centres  nerveux  :  le 
froid,  la  morphine,  par  exemple,  le  modèrent  et 
l'endorment  ;  que  cette  action  modératrice  soit 
poussée  trop  loin,  et,  les  réflexes  indispensa- 
bles à  la  vie  s'arrètant,  la  mort  survient.  D'au- 
tres agents,  la  chaleur,  la  strychnine,  augmen- 
tent au  contraire  les  facultés  réflexes  de  la  moelle. 
Les  travaux  de  Claude  Bernard  ont  montré  que  le 
curare  anéantit  les  facultés  des  nerfs  moteurs,  et 
là  encore  la  mort  survient  par  l'impossibilité  et 
la  disparition  des  mouvements  respiratoires  et 
circulatoires.  D'autres  substances,  telles  que  le 
chloroforme  et  l'éther,  partent  leur  action  sur  les 
centres  cérébraux  eux-mêmes  et  suppriment  la 
perception  et  le  mouvement  volontaire. 

On  a  cherché,  pour  la  moelle  comme  pour  la 
cerveau,  à  localiser  les  divers  réflexes  dans  des. 
régions  spéciales.  Les  localisations  do  la  partie 
supérieure  de  la  moelle  sont  les  seules  certaines. 
Nous  citerons  seulement  celles  qui  appartiennent 
à  une  partie  du  bulbe,  au  plancher  du  ventricule 
cérébelleux  ou  quatrième  ventricule  :  là  sont  les 
contres  des  mouvements  de  déglutition,  de  masti- 
cation, etc.;  là  surtout  est  le  centre  des  mouve- 
ments respiratoires,  ou  nœud  vital,  dont  la  lésion 
amène  une  mort  foudroyante. 

Quant  à  la  physiologie  des  nerfs,  nous  n'avons 
pas  à  la  traiter  à  part  ;  elle  est  comprise  tout 
entière  dans  l'étude  que  nous  venons  de  faire  des 
fonctions  des  centres.  Pour  plus  de  détails  on  se 
reportera  soit  aux  articles  dos  sens  spéciaux  [Tact, 
Vue.  etc.),  soit  à  l'article  Sensi/jilité. 

Ou  s'est  demandj  avec  quelle  vitesse  chomine, 
le  long  des  nerfs,  l'iaflux  nerveux  (sensation   ou 


SYSTÈME   NERVEUX       —  2128  — 


TABAC 


incitation  motrice).  Nous  ne  pouvons  entrer  dans 
le  détail  des  curieuses  expériences  qui  ont  permis 
de  déterminer  cette  vitesse  :  nous  dirons  seule- 
ment qu'elle  ne  dépasse  pas  trente  mètres  par  se- 
conde ;  elle  est  donc  relativement  modérée,  et 
hors  de  toute  comparaison  avec  la  vitesse  électri- 
que ou  lumineuse.  "  Prompt  comme  la  pensée  » 
est,  au  sens  strict  et  mathématique,  une  locutioa 
fort  peu  exacte  si  elle  prétend  donner  l'idée  d'ujie 
très  grande  rapidité. 

Tels  sont,  en  abrégé,  la  disposition  et  le  rôle, 
chez  l'homme,  du  système  nerveux.  Appareil 
d'une  complication  merveilleuse,  il  sert  à  relier 
toutes  les  partiesde  l'empire  organique  à  celle  en 
qui  réside  le  gouvernement  vital  :  présent  par- 
tout par  les  filets  innombrables  de  son  réseau,  il 
avertit  à  chaque  instant  le  pouvoir  central  de  ce 
qui  se  passe  sur  chaque  point  du  territoire  l't 
porte  aus>i  partout  les  ordres  émanés  du  centre. 
Far  lui  les  vies  distinctes  de  toutes  les  parties 
s'unissent,  se  confédèrent,  se  confondent  en  une 
seule  vie  :  par  lui,  l'ordre  et  l'harmonie  régnent 
dans  la  machine  vivante  ;  par  lui  enfin  cette  ma- 
chine prend  conscience  de  sa  propre  vie  et  la  di- 
rige à  son  gré. 

Nous  n'ajouterons  plus  que  quelques  mots,  pour 
passer  rapidement  en  revue  les  modifications  du 
système  nerveux  à  mesure  qu'on  descend  dans 
l'échelle  animale. 

Chez  les  mammifères,  les  oiseaux,  les  reptiles  et 
les  poissons,  le  type  général  reste  sensiblement 
celui  que  nous  venons  d'étudier,  et  reproduit  les 
mêmes  grandes  divisions,  cerveau,  cervelet, 
moelle,  etc.  Mais  chez  les  oiseaux,  le  cerveau  a 
perdu  ses  circonvolutions.  Sa  surface  est  lisse  ;  et 
à  mesure  qu'on  passe  des  oiseaux  aux  reptiles  et 
de  ceux-ci  aux  batraciens  et  aux  poissons,  la  divi- 
sion de  l'axe  cérébro-spinal  en  ses  trois  parties 
devient  moins  nette,  le  cerveau  et  le  cervelet 
n'ayant  plus  que  des  proportions  fort  exiguës. 

A  partir  des  insectes,  la  simplitication  est  en- 
core plus  marquée  :  l'axe  nerveux  est  représeuté 
par  une  double  chaîne  de  ganglions,  reliés  entre 


eux  par  des  filets  longitudinaux  :  les  deux  gan- 
glions céphaliques  sont  les  plus  grands  et  fournis- 
sent les  nerfs  de  la  vue  et  des  antennes  (toucher). 
Chez  les  crustacés,  la  disposition  est  la  même, 
sauf  dans  quelques  groupes  supérieurs  où  tous 
les  ganglions  sont  réunis  en  une  seule  masse  cen- 
trale. 

Dans  les  annélirtes,  la  chaîne  est  souvent  sim- 
ple, fort  menue.  Enfin,  parmi  les  zoophytes,  les 
uns  ne  nous  offrent  plus  que  des  vestiges  d'appa- 
reil nerveux  ;  chez  les  autres  cet  appareil  parait 
manquer  totalement. 

A  mesure  que  l'anatoraie  du  système  nerveux 
se  simplifie  et  devient  plus  rudimentaire,  la  phy- 
siologie se  simplifie  aussi,  au  point  de  ne 
plus  pouvoir  se  décomposer  en  fonctions  spé- 
ciales. L'intelligence  proprement  dite,  en  tant 
qu'elle  se  sépare  de  l'instinct,  diminue  avec  la 
complication  des  circonvolutions,  et  surtout  avec 
le  volume  de  l'encéphale.  Bientôt  il  semble  que 
l'instinct  subsiste  seul  ou  presque  seul.  Mais 
l'instinct  lui-même  s'amoindrit  et  s'efface  ;  les 
dernières  classes  d'animaux  ne  nous  offrent  plus 
qu'une  vie  presque  végétative,  d'où  le  phénomène 
intellectuel  a  disparu  sans  laisser  de  traces. 

La  sensibilité  et  la  motricité  semblent  subsister 
jusqu'au  bout.  Remarquons  seulement  que  les 
organes  de  ces  deux  facultés  ne  sont  plus  sépa- 
rables  chez  les  animaux  inférieurs.  Le  long  cor- 
don nerveux  de  l'annélide  possède,  dans  toutes 
ses  parties,  les  mêmes  propriétés  :  si  l'on  coupe 
l'animal  en  plusieurs  tronçons,  chaque  fragment 
continue  isolément  à  sentir  et  à  se  mouvoir. 

Ainsi,  à  mesure  que  l'on  descend  les  degrés  de 
l'échelle,  on  voit  le  merveilleux  appareil  par  le- 
quel l'animal  manifeste  ses  fonctions  caractéristi- 
ques perdre  peu  à  pou  ses  complications,  et  se 
restreindre  k  un  type  de  plus  en  plus  rudimen- 
taire :  on  le  voit  enfin,  par  des  transitions  insen- 
sibles, atteindre  ce  dernier  degré  de  simplicité  au 
delà  ducjuel  l'être  vivant  a  perdu  ses  caractères 
d'animal  et  doit  se  ranger  dans  le  monde  des  vé- 
gétaux. [D'  E.  Pécaut.l 


TABAC.  —  Hygiène,  XII.  —  Le  tabac  est  une 
plante  de  la  famille  des  Solanées  (V.  Solanées, 
p.  204:1.  V.  aussi  Plnnles  industrielles,  p.  luli)). 

En  France,  le  tabac  est  livré  à  la  consommation 
par  la  régie  sous  dift'érentes  formes  : 

1°  Le  tabac  à  priser  ou  râpé  ; 

T  Le  tabac  i  chiquer,  ou  rùles  ; 

3"  Le  tabac  à  fumer,  qui  comprend  le  scafer- 
lati ou  caporal,  et  les  cigares. 

La  variété  dite  de  cojttine  est  formée  de  qualités 
inférieures.  Les  fouilles  de  tabac  subissent  des 
préparations  différentes  pour  chaque  forme  com- 
merciale. Cependant  toutes  les  sortes  sont  mouil- 
lées et  entassées  de  manière  à  y  développer  ujie 
fermentation  qui  développe  l'aronie  et  donne  nais- 
sance à  divers  produits  volatiles  parmi  lesquels 
domine   l'ammoniaque. 

La  fermentation  et  les  manipulations  que  l'on 
fait  subir  au  tabac  tendent  d'ailleurs  h  diminuer 
la  proportion  de  nicotine  qu'il  renferme.  La  nico- 
tine est  un  poison  volatil  des  plus  violents  :  une 
goutte  tue  un  chien  de  moyenne  taille  :  l'homme 
succombe  à  une  dose  de  '  à  8  gouttes. 

Voici  quelle  est  la  proportion  moyenne  de  nico- 
tine contenue  dans  les  variétés  de  tabac  les  plus 
usitées  : 

Tabacs  du  Lot 8  0/0 

—  du  Lût-.l-UarunnL'.. 7   — 

—  |de   Viiginic 1    —, 


Tabacs  du  Kentucky 6  0/0 

—  d'ille-et- Vilaine 6   — 

—  du  Nord 6    — 

—  du  Pas-de-Calais S  — 

—  du   Brésil.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'.'..'.".'...'.'...  2  — 

—  de  la  Havane 2  — 

—  de  Hongrie,  moins  de 1  — 

—  de  Grèce              —       1  — 

—  de  Turquie         —       1  — 

Après  le  sel,  le  tabac  est  la  substance  dont  on 
fuit  le  plus  généralement  usage.  On  estime  sa  con- 
sommation totale  à  :)(M), 000,001)  do  kilogrammes.  F.n 
France  elle  est  d'environ  32,000,000  de  kilogram- 
mes. Or,  100  kilogrammes  de  tabac  indigène  payes 
aux  cultivateurs,  par  la  Direction  générale,  au  prix 
de  90  à  100  francs,  sont  revendus  par  la  régie  "00 
ou  800  francs  ;  ce  qui  produit  pour  le  trésor  une 
magnifique  source  de  revenus.  Mais  la  culture  du 
tabac,  en  France,  enlève  à  l'agriculture  2'.', 000  hec- 
tares d'excellentes  terres  et  I7,0ll0  ouvriers. 

A  Paris  la  dépense  en  tabac  est  d'environ 
500,000  francs  par  jour,  c  est  à-dire  qu'elle  repré- 
sente une  somme  suffisante  pour  fournir  du  pain 
à  toute  la  population.  Notons  d'ailleurs  que  l'im- 
pôt du  tabac  pèse  surtout  sur  les  classes  pauvres. 
Dans  les  familles  d  ouvriers,  on  prélève  au  moins 
100  francs  par  an  pour  se  procurer  ce  poisun 
onéreux,  et  l'on  diminue  d'autant  la  quantité 
d'aliments  réparateurs. 


TABAC 


2129 


TABAC 


On  voit  par  cet  aperçu  combien  los  questions 
économic|ues  sont  étroitement  liées  aux  questions 
d'Iiysiène. 

Si  le  tabac  a  été  violemment  attaqué,  depuis 
son  introduction  dans  le  vieux  monde,  il  a  ou 
aussi,  il  a  encore  des  défenseurs  convaincus. 

Interrogez  un  fumeur  sybarite,  et  voici  ce  qu'il 
vous  dira  :  La  fnmco  du  tabac  me  cause  une  sé- 
rie de  sensations  agréables,  d'abord  assez  confu- 
ses, mais  que  l'on  pourrait  exprimer  par  une  plus 
grande  facilité  de  vivre,  avec  prédominance  de 
la  vie  cérébrale.  Le  moi  sensitif  et  intellectuel 
semble  moins  comprimé  dans  sa  demeure  ;  les 
sensations,  un  peu  émoussées  il  est  vrai,  devien- 
nent plus  pénétrantes  :  on  dirait  qu'elles  partici- 
pent de  la  nature  des  sentiments  ;  l'esprit  devient 
plus  réceptif,  l'imagination  se  développe,  et  les 
mots  arrivent  comme  d'eux-mêmes  pour  peindre 
les  images  qui  se  succèdent  vives  et  rapides  ;  la 
vie  terre  à  terre  a  disparu,  je  suis  sur  une  autre 
scène,  je  me  laisse  aller  aux  rêveries  fantaisistes, 
je  me  souviens,  je  combine,  je  crée,  en  un  mot 
je  vis  dans  l'idéal.  Toutes  réserves  faites  pour  ce 
qui  est  do  ce  genre  d'idéal,  vous  pourriez  répon- 
dre à  ce  fumeur  délicat  :  L'excitation  des  centres 
nerveux  dont  vous  nous  avez  décrit  les  symptômes 
les  oblige  à  une  dépense  de  force,  à  une  usure 
proportionnelle  à  leur  activité;  après  un  certain 
temps,  il  survient  une  réaction  qui  se  traduit  par 
un  peu  de  langueur,  d'apatliie,  de  lassitude  ;  l'i- 
déal disparaît,  le  réel  impressionne  peu;  il  y  a 
engourdissement,  atonie,  paresse,  mélancolie  ;  à 
l'exaltation  des  puissances  et  des  facultés  suc- 
cède une  déchéance  momentanée.  Après  une  pé- 
riode de  réparation,  votre  organisme  reprend  son 
état  normal,  d'où  vous  pourrez  le  faire  sortir 
encore  par  le  même  moyen.  Seulement,  en  vertu 
d'une  loi  très  sage  et  très  utile  de  notre  nature, 
toute  impression  répétée  à  un  court  intervalle 
srinousse;  nous  en  avons  de  moins  en  moins 
ciiiiscience,  de  sorte  que,  pour  produire  chaque 
fois  une  sensation  d'intensité  égale,  l'impression 
doit  augmenter  chaque  fois  d'énergie.  Celui  qui 
fume  pour  penser,  pour  sentir,  pour  combiner, 
pour  créer,  se  condamne  à  produire  chaque  jour 
une  quantité  croissante  de  fumée.  Là  n'est  pas  le 
plus  grand  mal  ;  le  vrai  péril,  pour  ce  qui  con- 
cerne l'intelligence,  le  voici  :  toutes  nos  fonctions 
sont  susceptibles  d'habitudes.  Si  vous  accoutumez 
vot'O  cerveau  à  n'entrer  en  activité  que  sous  l'in- 
fluence de  stimulants,  il  refusera  de  le  faire  lors- 
que vous  l'en  priverez  :  vous  passerez  votre  exis- 
tence dans  des  alternatives  d'excitation  et  de 
demi-stupeur,  et  vous  ne  pourrez  secouer  la  tor- 
peur envahissante  des  périodes  de  réaction  que 
par  une  nouvelle  dose  de  la  drogue  enivrante.  De 
plus,  en  vertu  de  la  solidarité  des  organes  et  des 
fonctions,  il  arrive  bientôt  que  le  corps  réclame 
une  excitation  factice  pour  l'accomplissement  des 
actes  naturellement  automatiques.  Le  fumeur  a 
besoin  de  fumer  pour  se  donner  de  l'appélit,  puis 
il  fume  pour  faciliter  la  digestion  :  il  fume  encore 
pour  accomplir  les  fonctions  les  moins  idéales. 
L'usage  du  tabac  peut,  au  premier  abord,  pa- 
raître assez  innocent  ;  il  s'est  répandu  sous  des 
formes  qui  n'éveillent  ni  crainte  ni  grande  répu- 
gnance :  il  prend  même  volontiers  des  airs  comme 

■  il  faut.  Ses  efforts  sont  assez  insidieux  pour 
échapper  h  l'observation  ordinaire  ;  c'est  un  en- 
nemi intime  dont  on  ne  se  défie  que  quand  il  est 
trop  tard  pour  remédier  au  m:il  qu'il  a  causé. 

Bon  nombre  d'hygiénistes  conciliants  se  décla- 
rent prêts  k  tolérer  l'usais"'  du  tabac,  pourvu  que 

'  l'on  évite  l'abus.  Nous  avons  montré  (V.  SH- 
mulunts]  le  danger  de  cette  concession.  Une  fois 
l'u.sage  admis  et  permis,  comment  empèclier  l'as- 
suétude qui  énifjusse  les  sensations  et  conduit 
fatalement  à  l'abus? 

I  2'  Paiitie. 


Des  travaux  aussi  sérieux  qu'intéressants  prou- 
vent que  le  tabac  nuit  aux  occupations  intellec- 
tuelles, et  les  statistiques  des  aliénistos  démon- 
trent qu'on  peut  lui  imputer  une  part  dans  l'aug- 
mentation des  maladies  mentales. 

Il  est  bien  connu  que  le  tabac  altère  et  contri- 
bue indirectement  ii  propager  l'ivrognerie.  Mais, 
comme  compensation,  on  a  allégué  en  sa  faveur 
qu'il  diminue  le  besoin  d'alimentation.  Cette  re- 
marque est  fondée  sur  une  observation  incom- 
plète des  faits.  11  est  certain  que  le  fumeur  sup- 
porte plus  facilement  la  privation  de  nourriture 
quand  il  peut  satisfaire  son  habitude  favorite. 
Pour  lui  la  sensation  de  la  faim  s'émonsse  sous 
l'action  de  la  nicotine.  Mais  il  faut  bien  se  garder 
de  confondre  la  sensation  de  la  faim,  le  besoin  de 
manger,  avec  le  besoin  de  réparation  produit  par 
la  vie  et  par  l'exercice.  Aucune  substance  ne  dimi- 
nue la  perte  éprouvée  par  le  corps  pour  mainte- 
nir sa  chaleur  propre  et  pour  produire  du  travail. 
Bi  on  arrive,  par  un  moyen  factice,  à.  diminuer 
les  sensations  qui  correspondent  au  besoin  de 
réparation,  on  évite  une  souffrance  actuelle,  mais 
on  s'en  prépare  de  bien  plus  cruelles  causées 
par  la  nutrition  insuffisante  et  son  cortège  de 
maladies. 

Les  hygiénistes  de  tous  les  pays  sont  d'accord 
pour  reconnaître  les  inconvénients  sociaux  et  mo- 
raux et  les  dangers  auxquels  expose  l'usage  du 
tabac.  Une  société  s'est  fondée  en  Franco  en  18GS 
pour  prémunir  contre  ces  dangers.  Elle  a  été  au- 
torisée sous  le  nom  à' Association  française  contre 
l'abus  du  tabac. 

Le  texte  de  la  circulaire  rédigée  par  le  bureau 
de  cette  association  expose  le  but  qu'elle  veut  at- 
teindre, et  les  moyens  d'action  qu'elle  se  propose 
de  mettre  en  usage  : 

<i  La  science  et  l'expérience  ont  démontré  que 
l'abus  du  tabac  exerce  une  funeste  influence  sur 
la  santé  publique.  Il  est  aujourd'hui  reconnu  que 
les  maladies  mentales,  les  paralysies  générales,  les 
affections  cancéreuses  des  lèvres,  de  la  bouche  et 
de  l'estomac,  les  troubles  de  la  digestion,  de  la  vi- 
sion, etc.,  augmentejit  dans  des  proportions  qui 
coïncident  avec  la  consommation  du  tabac. 

'i  II  est  également  prouvé  que  l'abus  du  tabac 
contribue  au  relâchement  des  liens  de  la  famille  et 
porte  atteinte  aux  intérêts  moraux  de  la  société. 

«  Après  une  sérieuse  enquête,  M.  le  docteur 
Jolly,  membre  de  l'Académie  de  médecine,  résume 
sa  pensée  en  ces  termes  : 

«  Les  déplorables  effets  du  tabac,  au  double  point 
u  do  vue  hygiénique  et  social,  sont  tels,  que  je 
«  voudrais  pouvoir  me  les  dissimuler  à  moi- 
te môme,  et  que  j'ose  à  peine  les  faire  connaître, 
n  tant  ils  sont  affligeants,  tant  j'en  demeure  con- 
II  fondu  I  » 

«  C'est  pour  combattre  une  telle  calamité  qu'un 
comité  d'organisation,  composé  de  médecins, 
d'hygiénistes  et  de  philanthropes,  s'est  constitué 
en  association  ayant  pour  but  de  prémunir  toutes 
les  classes  de  la  société,  tous  les  âges,  et  princi- 
palement la  jeunesse,  contre  les  dangers  du  ta- 
bac. 

«  Tout  le  monde  est  intéressé  au  succès  de  l'as- 
sociation :  le  fumeur,  qui  s'est  créé  un  besoin 
onéreux  et  compromettant  pour  sa  santé  ;  celui 
qui,  s'abstenant  de  fumer,  est  incommodé  par  l'o- 
deur du  tabac;  le  riche,  que  ses  loisirs  exposent 
plus  encore  aux  effets  d'une  habitude  gênante  et 
souvent  irrésistible;  l'ouvrier  qui,  pour  fumer  et 
boire,  prive  souvent  du  nécessaire  sa  femme  et 
ses  enfants  ;  le  pauvre,  qui  est  tourmenté  par  une 
passion  qu'il  ne  peut  satisfaire;  la  mère  de  fa- 
mille, qui  gémit  (le  voir  ses  fils  s'abandonner  h  un 
abus  portant  à  l'intempérance  et  à  l'oisiveté  ;  la 
jeune  fille  qui,  après  une  union,  objet  do  tous  ses 
vœux,  verra  son  mari  désortcr  le  foyer  cojijugal 
134 


TACT 


2130 


TACT 


pour  se  retirer  dans  le  fumoir,  dans  les  estaminets 
ou  ailleurs. 

t(  Est-il  besoin  d'ajouter  que  le  tabac  est  cause 
d'un  grand  nombre  d'incendies,  d'explosions,  de 
catastrophes  et  d'accidents  graves  ?  qu'il  occa- 
sionne cliaque  année,  en  France,  un  préjudice 
matériel  de  plus  de  trois  cents  millions  de  francs?» 

Cette  association  rend  d'importants  services  par 
les  conférences  et  les  publications  qu'elle  encou- 
rage. Mais  ses  efforts  resteront  impuissants  tant 
que  le  gouvernement  ne  consentira  pas  à  prendre 
en  main  cette  question  d'iiygiène  publique  :  la 
suppression  du  tabac,  il  faudra  sans  doute  les 
efforts  combinés  des  hygiénistes  et  des  économis- 
tes pour  démontrer  qu'en  somme  l'Etat  aurait 
tout  à  gagner  à  cette  mesure,  malgré  la  perte 
temporaire  que  subirait  le  trésor.  Mais  même  en 
supposant  que  la  suppression  du  revenu  de  la 
régie  constituât  une  perte  sèclie,  il  n'y  aurait  pas 
à  hésiter  en  présence  des  arguments  si  concluants 
des  hygiénistes. 

En  attendant  la  suppression  absolue,  le  gouver- 
nement pourrait  d'ailleurs  atténuer  dans  une  large 
mesure  les  conséquences  fâcheuses  de  l'usage  du 
tabac  en  ne  livrant  à  la  consommation  que  des 
produits  à  peu  près  complètement  privés  de  nico- 
tine. [D'  Saffray.] 

TACT.  —  Zoologie,  XXXVIII.  —  Le  tact^  ou  tou- 
cher, est  un  sens  mixte  qui  nous  révèle  en  même 
temps:  1°  la  tempcralure  des  corps  ;  '2°  le  degré  de 
pj-ession  que  ces  corps  exercent  sur  nos  téguments. 

L'organe  de  ce  sens  comprend  toute  l'étendue 
de  la  peau,  et  une  partie  des  muqueuses.  Comme 
il  n'a  pas  été  consacré  d'article  spécial  au  sens  du 
(joût,  nous  étudierons  successivement  le  tact  pro- 
prement dit,  et  le  goût,  dont  la  langue  est  le  siège 
unique.  Nous  terminerons  par  quelques  considé- 
rations complémentaires  sur  les  fonctions  et  l'hy- 
giène de  la  peau  *. 

On  sait  que  la  peau  et  les  muqueuses  se  com- 
posent de  deux  parties  distinctes,  l'une  profonde, 
le  derme,  l'autre  superficielle,  épiilerine  pour  la 
peau,  éfiith-liurn  pnur  les  muqueuses.  Cette  se- 
conde partie  semble  absolument  indispensable 
pour  le  toucher.  Ses  fines  saillies,  que  l'on  nomme 
les  papille»,  sont  en  quelque  sorte  le  vrai  siège 
de  cette  f.iculté;  plus  ces  papilles  sont  nombreu- 
ses, développées,  finement  recouvertes  d'épiderme, 
plus  cette  faculté  est  exquise.  Certaines  produc- 
tions de  la  peau,  par  cela  seul  qu'elles  dérivent 
de  cet  organe,  jouissent  de  la  même  sensibilité 
tactile;  tels  sont  les  poils  qui,  chez  les  félins,  gar- 
nissent l'extrémité  du  museau;  tels  sont  les  ten- 
tacules cornés  des  insectes,  etc. 

Examinons  le  détail  de  cet  organe  spécial, la  pa- 
pille, en  qui  réside  le  toucher.  Et  tout  d'abord  di- 
sons qu'il  y  a  des  papilles  nerveuses,  contenant 
des  vaisseaux  et  des  nerfs,  et  des  papilles  vascu- 
laires  qui  ne  renferment  que  des  vaisseaux;  ces 
dernières,  malgré  l'analogie  de  leur  conformation 
extérieure,  n'ont  rien  à  faire  avec  le  tact,  et  nous 
les  laisserons  de  coté. 

Une  papille  nerveuse  est  une  saillie  da  derme, 
que  recouvre  et  coiffe  l'épiderme  ;  ce  prolon- 
gement, qui  a  en  quelque  sorte  la  forme  de  l'ex- 
trémité d'un  doigt,  est  d'un  volume  variable,  mais 
toujours  très  petit.  C'est  dans  lepaisseur  du  derme 
qui  remplit  la  papille  que  le  nerf  sensitif  vient  se 
terminer  par  un  appareil  dont  la  forme  et  la  struc- 
ture varient  suivant  les  papilles  et  les  régions. 
D'une  façon  générale,  cet  appareil  est  toujours 
constiiué  par  un  renflement  de  la  substance  du 
nerf  :  le  renflement  est  tantôt  asiîez  régulièrement 
arrondi  (corpuscules  de  Krause),  tantôt  conique 
(corpuscules  de  Meissner).  Que  ces  corpuscules 
soient  détruits,  que  les  nerfs  qui  viennent  y  abou- 
tir soient  coupés,  et  les  papilles  sont  frappées 
d  insensibilité,  dégénèrent,  et  se  transforment  eji 


une  petite  masse  graisseuse.  Les  malades  qui  on* 
été  atteints  de  paralysie  de  la  sensibilité  présen" 
tent  la  même  altération  du  derme;  chez  eux  les 
papilles  ne  fonctionnent  plus,  subissent  la  mort 
graisseu.=e,  et,  à  la  place  des  corpuscules,  ne  ren- 
ferment plus  que  des  gouttelettes  huileuses.  Par 
là,  il  est  démontré  que  ces  corpuscules  sont  bien 
les  organes  du  tact. 

Il  faut  ajouter  que  dans  bien  des  régions  du 
corps,  mais  surtout  dans  l'épaisseur  de  la  trame 
du  derme,  et  dans  le  tissu  conjonctif  sous-cutané, 
on  trouve  des  organes  d'une  parfaite  analogie, 
mais  d'un  volume  plus  considérable,  et  qui  sont 
régulièrement  appendus  aux  filets  nerveux  comme 
les  grains  de  raisin  à  une  grappe.  Ces  petites 
masses  nerveuses,  très  visibles  à  l'œil  nu,  senties 
corpuscidei  d-.  Pacini.  Comme  les  organes  des 
papilles,  ces  corpuscules  renferment  l'extrémité 
terminale  des  nerfs  sensitifs  qui  les  portent.  On 
a  beaucoup  discuté  sur  leurs  fonctions.  Si  on  les 
trouve  à  la  main  et  aux  doigts,  il  faut  avouer  qu'on 
les  observe  aussi  en  des  régions  toutes  différen- 
tes, notamment  dans  les  articulations,  dans  le 
mésentère,  etc.  :  certains  physiologistes  ont  vu 
dans  cette  distribution  un  motif  de  douter  de 
leurs  fonctions  tactiles.  Aujourd'hui  on  s'accorde 
à  leur  reconnaître  ces  fonctions  ;  dans  les  articu- 
lations ils  servent  à  nous  faire  connaître  le  degré 
de  pression  des  os  les  uns  sur  les  autres,  ou  des 
muscles  sur  les  os;  dans  le  mésentère,  ils  nous 
renseignent  sur  la  pression  subie  par  les  viscères 
abdominaux;  enfin  à  la  peau,  ils  perçoivent  les 
pressions  extérieures. 

Le  sens  du  toucher  est  d'autant  plus  développé 
et  délicat  que  la  région  considérée  est  plus  riche- 
ment munie  de  nerfs  et  de  corpuscules  nerveux. 
La  pointe  de  la  langue,  le  bout  des  doigts,  les  lè- 
vres, la  plante  du  pied  sont  les  points  du  corps  où 
le  tact  s'exerce  avec  le  plus  de  perfection. 

De  nombreuses  et  curionses  expériences  ont  per- 
mis de  comparer  exactement  les  diverses  régions 
du  corps  au  point  de  vue  de  leurs  facultés  tactiles. 
L'instrument  dont  on  se  sert  dans  ces  recherches 
est  une  sorte  de  compas,  dit  compas  de  Weber  ; 
on  en  applique  les  pointes  sur  les  régions  à  étudier 
et  on  détermine  par  tâtonnements  successifs 
quel  écartemeni  il  faut  donner  à  ces  pointes  pour 
qu'elles  soient  perçues  séparément.  C'est  amsi 
qu'à  l'extrémité  de  la  langue,  il  suffit,  poiir  pro- 
voquer cette  double  perception,  d'un  millimètre 
d'écart;  à  la  paume  de  la  main,  il  faut  2  milli- 
mètres ;  il  en  faut  r2  au  dos  de  la  main  ;  la  peau 
des  épaules,  de  la  poitrine,  du  ventre,  du  dos  sur- 
tout demande  un  écart  de  4,  5  et  même  6  centi- 
mètres. , 

En  promenant  lentement  le  compas  sur  la  peau, 
on  détermine  ce  que  l'on  nomme  les  cercles  de 
sensation,  c'est-i-dire  les  cercles  où  la  sensation 
des  deux  pointes  se  confond  en  une  seule.  Il  re- 
suite de  ce  que  nous  venons  de  dire  que  ces  cer- 
cles sont  de  surfaces  très  variables,  très  petits  à  la 
langue,  par  exemple,  et  très  larges  au  dos.  On  pour- 
rait croire  que  chacun  de  ces  cercles  a  pour  centre 
un  seul  corpuscule  du  tact,  qui  transmet  et  con- 
fond en  une  seule  les  deux  sensations  ;  il  n  en  est 
rien.  Un  seul  de  ces  cercles  peut  comprendre  jus- 
qu'à douze  de  ces  corpuscules,  c'est-i-dire  au  moins 
douze  filets  nerveux.  La  confusion  s  opère  donc, 
non  dans  l'extrémité  terminale  et  cutanée  des 
nerfs,  mais  dans  les  centres  nerveux  eux-mêmes. 
Ainsi  s'explique  le  l'ait  que  l'habuode  et  la  volonté 
puissent  faire  en  quelque  sorte  1  educatmn  de  la 
neau,  et  en  augmenter  la  délicatesse  tactile. 

Onant  à  la  peau  des  membres,  de  noinbreuses 
et  natientes  recherches  ont  conduit  à  formuler 
celte  loi  générale,  que  la  sensibilité  à  la  pression 
augmente  à  mesure  qu'on  s'éloigne  du  tronc.  En. 
d'autres  termes,  plus  le  segment  considère  estmo-| 


TACT 


—  2131 


TACT 


bile,  plus  il  est  sensible  :  c'est  qu'en  effet,  plus  |  la  localisation  tactile.  La  fameuse  expérience 
une  région  jouit  do  mouvements  étendus,  plus  elle  j  d'Aristote  montre,  mieux  que  nulle  description,  le 
doit  être  à  même  do  tirer  de  ces  mouvements,  et  i  mécanisme  de  ce  genre  d'erreurs.  Si  l'on  croise 
de  son  contact  avec  les  corps  extérieurs,  les  reii-  l'index  et  le  médius  dune  même  main,  en  les  fai- 
scigaoments  nécessaires.  Les  extrémités  digitales,  I  sant  passer  l'un  par  dessus  l'autre,  et  que,  entre 
placées  à  l'extrémité  du  plus  mobile  des  leviers    les  bouts  des  doigts  ainsi  croisés,  on  place  une 


osseux,  sont  aussi  par  excellence  l'organe  du  tact, 
celui  dont  nous  usons  le  plus  souvent. 

De  la  sensation  de  pression  se  tirent,  pour  nous, 
une  foule  do  renseignements  variés  et  précis,  que 
l'habitude  nous  conduit  à  prendre  pour  des  sen- 
sations spéciales.  Ainsi,  selon  que  la  pression  est 
plus  ou  moins  uniforme,  nous  jugeons  que  la  sur- 
face d'un  corps  est  lisse  ou  rugueuse,  plane  ou 
ronde,  etc.  Le  degré  d'intensité  de  la  pression 
nous  fait  apprécier  la  dureté  ou  la  mollesse  de  ce 


petite  boulette  de  pain,  on  a  immédiatement  la 
sensation  de  deux  boulettes  séparées.  L'explica- 
tion est  simple;  on  caresse  cette  boulette  avec  les 
côtés  des  deux  doigts  qui  ne  se  correspondent 
pas  habituellement,  qui  sont  au  contraire  habituel- 
lement éloignés  l'une  de  l'autre;  en  sorte  que 
l'on  est  accoutumé  à.  reporter  à  deux  objets  diffé- 
rents les  sensations  qui  frappent  à  la  fois  les  côtés 
en  question  de  ces  deux  doigts. 

Et  cependant,  en  dépit  de   ces  confusions  fata- 


corps,  c'est-à-dire  sa  consistance  ;  et  c'est  ainsi  i  les,  en  dépit  de  l'obscurité  des  notions  que  nous 
que,  les  yeux  fermés,  nous  jugeons  si  un  corps  est  |  donne  parfois  le  tact,  et  des  erreurs  auxquelles  ce 
solide  ou  liquide,  grand  ou  petit,  pulvérulent  ou  '  sflns  est  sujet,  à  quel  degré  d'exquise  dolici/.<«sse 
en  fragmenis,  etc.  Enfin  c'est  aussi  l'intensité  de  ,  l'habitude,  dirigée  par  la  volonté  et  l'intelligence, 
la  pression  qui  nous  donne  la  notion  du  poids,  i  ne  peut-elle  pas  l'amener  I  L'aveugie,  qui  lit  du 
Mais  il  faut  ajouter  que  cette  notion  dérive  en  bout  du  doigt,  ou  qui  perçoit  dans  le  silence  ab- 
même  temps  d'un  autre  genre  de  sensations,  dont  solu  le  voisinage  d'un  obstacle,  offre  un  exemple  de 
il  est  parlé  à  l'article  Sensiliilité,  les  sensations  la  merveilleuse  transformation  d'un  organe  im- 
musculaires,  qui  nous  renseignent  sur  le  degré  |  parfait,  presque  grossier,  en  un  instrument  admi- 
d'énergie  des  contractions  de  nos  muscles.  rablement  sensible  et  comme  «  clairvoyant  ». 

Le  genre  et  le  degré  de  pression  ne  sont  pas  |  L'organe  du  tact  ne  perçoit  pas  seulement  la 
les  seuls  renseignements  que  nous  tirions  du  température  et  la  pression.  Il  perçoit  encore  la 
tact.  Nous  apprécions,  outre  la  forme,  la  consis-  [  douleur.  Faut-il  voir  dans  la  douleur  une  sirte  de 
tance,  l'étendue  et  le  poids  des  corps,  leur  tem-  j  troisième  sensibilité?  Ou  bien  n'est-olle  que  l'in- 
pêrature.  tensité  extrême,  excessive,  des  deux  autres  ordres 

Toute  la  surface  du  corps  est  sensible  à  la  !  de  sensations'?  La  question  n'est  pas  encore  tran- 
chaleur,  mais  non  également.  Les  lèvres,  les  j  chée.  Toutefois,  la  plupart  des  faits  observés  sem- 
•doigts,  les  joues  et  surtout  le  dos  de  la  main  pos-  \  blent  donner  raison  à  la  première  hypothèse.  De 


sèdejit  au  plus  haut  degré  cette  faculté.  C'est  à 
l'aide  du  dos  de  la  main,  et  non  de  la  paume,  que 
nous  jugeons  habituellement  do  la  chaleur  d'un 
corps  vivajit,  de  la  pluie  qui  tombe,  etc.  Les  lieux 
d'élection  de  la  sensibilité  tactile  ne  sont  donc 
pas  les  mômes  suivant  qu'il  s'agit  de  la  tempéra- 
ture ou  de  la  pression. 

Pour  que  cette  faculté  entre  en  jeu,  il  faut  que 
les  températures  appréciées  soient  comprises 
entre  0°  et  70»  :  en  deçà  ou  au  delà  de  ces  li- 
mites les   sensatioiis   de    froid   ou  de   chaud   se 


ces  faits,  le  plus  important  est  celui  de  Vanalijésie, 
ou  insensibilité  h.  la  douleur,  qui  s'observe  alors 
même  que  la  température  et  la  pression  sont  en- 
core perçues.  Il  semblerait  donc  que,  suivant  l'o- 
pinion de  BroHfu-Séquard,  les  trois  genres  de  sen- 
sibilité soient  distincts,  indépendants,  et  possè- 
dent chacun  ses  appareils  et  ses  conducteurs 
propres,  qui  peuvent  être  isolément  atteints  ou 
respectés  par  la  maladie. 

Telles  sont,  dans  leur  ensemble,  les  particula- 
rités les  plus  remarquables   que   présentent  les 


transforment  en  douleur.  Encore   est-ce  entre  30"    fonctions  tactiles  de  la  peau. 


et  40"  que  nous  pouvons  le  plus  délicatement  ap 
précier  les  variations  de  température.  Ce  qui  re- 
vient à  dire  que  nous  apprécions  mieux  les  degrés 
de  chaleur  qui  se  rapprochent  de  notre  propre 
limite  thermique  (37"). 

Chose  curieuse,  l'étendue  de  la  région  explora- 
trice n'est  pas  indifférente  à  l'exactitude  de  l'ob- 
servation. Un  doigt  plongé  dans  un  liquide  à  30" 
donne  l'idée  d'une  chaleur  moins  forte  que  la 
main  entière  dans  un  liquide  à  25°  seulement 
(Kuss). 

Ajoutons  enfin  que,  dans  bien  des  cas,  ces  deux 
genres  de  sensibilité,  l'une  à  la  pi'cssion  (poids, 
forme,  consistance,  étendue),  l'autre  à  la  tempé- 
rature, se  mêlent  et  se  brouillentpour  nous  égarer  : 
de  deux  objets  également  pesants,  le  plus  froid 
nous  semble  le  plus  lourd  :  de  deux  objets  d'é- 
gale température,  le  plus  lisse  nous  semble  le 
plus  froid,  etc. 

Beaucoup  d'erreurs  du  tact  proviennent  de  ce 
phénomène,  commun  à  toutes  les  sensations,  et 
que  nous  avons  décrit  sous  le  nom  à.' extériorité 
(V.  Système  nerveux  et  Senuljihté)  :  quel  que  soit 
le  point  du  nerf  impressionné,  la  sensation  est 
reportée  à  l'extrémité  terminale  de  ce  nerf.  Les 
malades  auquels  la  rhinoplastie  a  refait  un  nez  à 
l'aide  de  la  peau  du  front,  reportent  au  front 
toutes  les  sensations,  tous  les  chocs  qui  viennent 
frapper  leur  nouvel  appendice  nasal.  Les  amputés 
souffrent  du  pied  ou  de  la  main  qu'ils  n'ont 
plus,  etc. 

Une  autre  cause  d'erreur  est  ce  qu'on  a  appelé 


Tout  autres  sont  les  fonctions  de  la  muqueuse 
delà  langue,  dont  nous  allons  parler,  et  qui  cons- 
tituent un  sens  spécial,  le  sens  du  yoùl. 

Le  GOUT.  —  Ce  sens  n'a  pas  le  caractère  de  spé- 
cialité que  présentent  l'ouïe,  l'œil,  l'odorat,  etc. 
Les  notions  qu'il  nous  fournit,  tout  en  rentrant 
malaisément  parmi  les  notions  do  la  sensiijilité 
générale,  se  rangent  plus  malaisément  encore 
parmi  les  sensations  spéciales  :  la  preuve  on  est 
que  l'on  divise  généralement  les  saveurs  en  agréa- 
bles et  désagréatjles. 

La  vérité  est  que  la  langue  jouit  à  la  fois  d'une 
double  sensibilité,  l'une  généralo,  l'autre  spéciale, 
et  que  les  saveurs  sont  les  unes  des  sensations 
vraiment  gustatives,  les  autres  de  pures  sensa- 
tions tactiles. 

Parmi  les  nombreuses  saveurs  que  l'on  aénumé- 
rées,  la  plupart  sont  très  vagues.  Il  est  évident  par 
exemple  que  les  saveurs  dites  «  alcooliques  », 
«  empyreumatiques  »,  «  aromati(|ues  »,  etc.,  re- 
lèvent autant  de  l'odorat  que  du  guùt.  Elles  sont 
inaperçues  quand,  pour  une  cause  ou  pour  une 
autre,  l'odorat  ne  fonctionne  pas  :  une  personne 
enrliumée  ne  peut  pas  déguster  de  vin  ;  oti  fait 
plus  aisément  avaler  aux  enfants  certains  remèdes 
désagréables  en  leur  bouchant  le  nez,  etc. 

Les  saveurs  farineuses,  les  saveurs  Qomineuses, 
les  saveurs  fraîches  ne  sont  très  évidemment  que 
des  impressions  tactiles:  les  premières  sont  la 
sensation  toute  mécanique  d'un  corps  pulvéru- 
lent en  contact  avec  l'épithéliurn  ;  les  seconclos  se 
révèlent  par  l'impression  d'une  cansistancc  molle. 


TACT 


—  2132  — 


TACT 


pâteuse;  quant  aux  troisièmes,  elles  ne  sont  que 
la  perception  d'un  simple  refioidissement,  dû  à  la 
dissolution  ou  à  l'évaporiition  rapides  de  certains 
corps.  Les  saveurs  ocres,  taiiniques,  etc.,  sont  une 
véiitable  douleur,  causée  par  1  impression  sur  la 
muqueuse  d'une  substance  qui  la  détruit  et  la 
corrode. 

Entre  ces  sensations  purement  générales,  tac- 
tiles, et  les  sensations  (justatiee^,  peuvent  se  ran- 
ger, à  titre  d'intermédiaire  et  de  transition,  les 
saveurs  dites  salées,  nicalines  et  acides.  Ces  impres- 
sions, en  eft'et,  ne  sont  pas  perçues  par  la  [leau, 
même  excoriée,  du  moins  pas  nettement.  En  outre 
elles  prennent  naissance  sous  l'influence  du  cou- 
rant galvanique,  ce  qui  semblerait  les  ranger  plu- 
tôt parmi  les  sensations  gusiatives. 

Celte  élimination  graduelle  nous  conduit  à  ne 
reconnaître  comme  appartenant  incontestable- 
ment au  goût,  et  au  froùt  seul,  que  deux  sensa- 
tions :  celle  du  doux  et  celle  de  Vumer.  Les 
.seuls  corps  véritablement  sapvles  sont  les  corps 
sucrés  et  les  corps  amers  (sucre,  miel,  colo- 
quinte). Rien  ici  ne  peut  se  rapproclier  de  la  sen- 
sibilité tactile;  il  s'agit  bien  d'une  fonction  à  part, 
d'un  sens  particulier,  et  ces  deux  saveurs  suffi.«ont 
ù  elles  seules  à  rendre  légitime  la  place  que  le 
goût  occupe  parmi  les  organes  des  sens  spéciaux. 
Quelles  sont  les  parties  de  la  bouche  qui  sont 
le  siège  de  la  gustation  ?  De  nombreuses  expé- 
riences ont  permis  d'affirmer  que  la  langue  en 
est  le  siège  exclusif.  Les  locutions  populaires  qui 
attribuent  ce  rôle  au  palais  sont  des  expressions 
parfaitement  en  desaccord  avec  les  faits.  La  vé- 
rité, c'est  qu'en  général  nous  triturons  les  subs- 
tances afin  de  les  mieux  goûter  :  le  palais  nous 
oflrant  une  surface  dure  et  rigide,  nous  les  écra- 
sons entre  la  langue  et  la  voûte  palatine,  multi- 
pliant par  là  les  points  de  contact  et  de  gusta- 
tion ;  mais  encore  une  fois  ce  rôle  du  palais  est 
un  rôle  purement  mécanique. 

En  poussant  plus  loin  la  recherche  du  siège 
exact  du  goût,  en  touchant  la  langue  à  l'aide  d'un 
pinceau  imbibé  de  substances  sapides,  en  la  re- 
couvrant d'une  gaîne  de  baudruche  qui  ne  laisse 
k  découvert  que  les  points  observés,  enfin  en 
s'entourant  dns  précautions  les  plus  minutieuses, 
en  arrive  à  reconnaître  que  certaines  parties 
seulement,  et  non  l'organe  entier,  ont  un  rôle 
actif  dans  la  gustation.  La  partie  antérieure  du 
dos  de  la  langue,  et  toute  sa  surface  inférieure, 
sont  inactives.  Les  sensations  gustatives  ont  pour 
siège  unique  la  base  de  la  langue,  c'est-à-dire  la 
partie  qui  correspond  à  l'isthme  du  gosier.  C'est 
donc  à  l'endroit  où  s'opère  le  réflexe  de  la  déglu- 
tition, sur  le  seuil  même  où  s'arrête  l'empire  de 
la  volonté  et  où  ciimmence  le  domaine  de  l'acte 
involontaire,  que  siège  le  goût  :  véritable  «  por- 
tier »,  suivant  la  remarquable  image  de  Jean 
Macé,  qui  ouvre  ou  ferme  aux  substances  la 
porte  au  delà  de  laquelle  elles  cesseraient  de 
nous  appartenir,  et  ne  pourraient  plus  être  reje- 
tées. 

C'est  en  effet  dans  cette  région  que  se  trouvent 
situées  des  papilles  spéciales,  les  unes  semblables 
à  de  vérital'les  champignons,  à  court  pédicule,  à 
tête  arrondie,  les  autres  en  forme  de  larges  ca- 
lices, situées  chacune  dans  une  petite  excavation 
de  la  muqueuse,  et  qui  toutes  contiennent  les 
nerfs  condurteurs  des  sensations  gustatives.  Les 
papilles  caliciformes,  régulièrement  disposées, 
forment,  sur  la  base  de  la  langue,  la  figure  con- 
nue sous  le  nom  de  V  lingual. 

Pour  que  les  corps  sapides  soient  perçus,  il 
faut  qu'ils  soient  dissous.  C'est  pour  cela  que  la 
salivation  s'artive  dans  la  gusiation  :  c'est  pour 
cola  encore  que  la  vue  ou  môme  l'idée  d'un  mets 
appétis.>^ant  lait  venir  «  l'eau  à  la  bouche  ».  Il 
faut,  en  effet,   que   les  molécules   sapides  pénè- 


trent dans  la  trame  de  la  muqueuse  et  arrivent 
au  contact  des  nerfs  des  papilles.  Il  n'est  même 
pas  besoin  que  le  corps  sapide  pénètre  par  la 
surface  linguale,  pourvu  qu'il  soit  charrié  jusqu'à 
ces  nerfs.  Ainsi,  quand  on  injecte  du  lait  dans  le 
torrent  sanguin  d'un  chien,  on  le  voit  se  passer 
la  langue  sur  les  lèvres;  quand  on  lui  injecte  de 
la  coloquinte  dans  les  veines,  on  le  voit  baver,  et 
essuyer  ses  mâchoiies.  Dans  les  deux  cas,  l'ani- 
mal a  perçu  les  saveurs,  l'une  sucrée,  l'autre 
amère.  Ainsi  encore,  dans  l'ictère  ou  jaunisse, 
quand  la  bile  a  envahi  les  tissus  et  le  sang,  on 
éprouve  une  forte  saveur  bilieuse,  amère,  encore 
que  la  langue  soit  souvent  fort  nette.  Peu  im- 
porte donc  la  voie  par  laquelle  pénètre  le  corps- 
sapide,  qu'il  vienne  de  l'extérieur  ou  de  l'inté- 
rieur. La  seule  condition  nécessaire  est  qu'il  soit 
dissous.  C'est  pour  cela  que  la  glande  maxillaire, 
très  développée  chez  les  carnivores,  n'existe  pas 
chez  les  granivores.  Ces  animaux  qui  avalent  sans 
goûter  n'ont  pas  besoin  de  dissoudre  leurs  ali- 
ments. Les  fonctions  de  cette  glande  sont  si  in- 
dispensables à  la  gustation  que  Claude  liernard 
avait  proposé  de  la  regarder  comme  essentielle- 
ment associée  aux  autres  organes  du  goût. 

Nous  terminerons  cette  brève  étude  par  quel- 
ques considérations  sur  l'organe  du  tact,  la  peau  *. 

La  prodigieuse  richesse  nerveuse  de  la  peau, 
l'énorme  étendue  de  cet  organe,  donnent  à  la 
moindre  altération  de  ses  fonctions  un  dangereux 
retentissement  sur  l'équilibre  organique  tout  en- 
tier. C'est  en  effet  par  la  peau  que  le  système 
nerveux,  cet  appareil  du  a  si  délicat  mécanisme 
en  qui  réside  le  gouvernement  et  la  régulation 
suprême  de  la  vie,  vient  s'exposer  directement,  et 
sur  une  très  large  surface,  aux  agents  et  aux  in- 
fluences extérieures.  Dès  lors  on  conçoit  aisément 
que  des  lésions  de  la  peau  puissent  entraîner  des 
troubles  nerveux  plus  ou  moins  graves,  depuis 
l'insomnie  et  les  névralgies,  jusqu'au  délire, 
aux  convulsions,  à  l'épilepsie,  etc.  (fièvres  énipli- 
ves,  brûlures  graves,  etc.).  On  conçoit  également 
comment  tel  agent  physique,  l'eau,  par  exemple, 
froide  ou  chaude,  peut,  en  n'atteignant  que  la 
peau,  avoir  une  action  calmante  ou  tonique  sur 
tout  le  système  nerveux,  et  par  là  sur  l'orga- 
nisme entier. 

Rappelons-nous,  d'ailleurs,  qu'en  dehors  de  ses 
fonctions  d'organe  tactile,  la  peau  remplit  dans  la 
physiologie  de  l'animal  deux  rôles  d'égale  im- 
portance. 

Le  premier  est  celui  du  régulateur  de  la  cha- 
leur animale.  Des  millions  de  glandes,  cachées 
dans  la  trame  du  derme,  versent  à  la  surface  du 
corps  un  litre  environ  de  sueur  par  24  heures.  L'é- 
vaporation  incessante  de  cette  couche  d'humidité^ 
amène  un  refroidissement  qui  vient  contrebalan- 
cer dans  une  mesure  variable  la  chaleur  produite 
par  les  combustions  des  tissus,  ^lai^  telle  est  l'ad- 
mirable graduation  de  celte  production  liquide, 
qu'elle  maintient,  comme  on  sait,  en  tout  état  de 
cause,  la  chaleur  humaine  au  chilTre  invariable 
de  SI".  Quelles  que  soient  les  variations  du  cli- 
mat, ou  do  1  alimentation,  ou  de  l'e^iercice,  au 
pôle  comme  à  l'équateur,  chez  le  gros  mangeur 
du  nord,  comme  chez  le  sobre  habitant  de  l'Inde, 
après  une  course  rapide,  comme  au  réveil  mati- 
nal, la  peau  gradue  l'intensité  de  sa  fonction  et 
du  refroidissement  épiderinique,  de  façon  à  main- 
tenir constant  ce  chiffre  seul  compatible  avec  la 
santé.  Cette  fonction  capitale  cesse-t-elle  de  s'ac- 
complir, ce  mécanisme  délicat  n'a-t-il  plus  sa 
précision  habituelle,  la  chaleur  s'élève,  et  la  fiè- 
vre éclate.  La  peau  est  donc  par  excellence  le 
régulateur  de  la  combustion,  c'est-à-dire  de  la  vie 
en  son  plus  intime  phénomène. 

En  second  lieu,  la  ju-au  est  le  siège  de  phéno- 
mènes respiratoires  d'une  intensité  considérable  :. 


TARTRE 


—  2133  — 


TARTRE 


elle  respire  comme  le  poumon,  c'est-à-dire  qu'il  y 
a  absorption  d'eau  et  exhalation  d'acide  carboni- 
que ;  ccttH  exhalation  varie  entre  les  chiffres  de  10 
et  de  12  litres  par  24  heures.  Le  tégument  ex- 
terne a  d'ailleurs  d'étroites  relations  avec  le  cen- 
tre respiratoire  :  il  est  le  point  de  départ  du 
ri'/lexe  (V.  l'/iysiologie)  de  la  respiration.  C'est 
la  peau  qu  i  nous  permet  de  respirer  dans  le  sommeil , 
dans  la  distraction,  en  général  dans  tout  le  cours 
de  notre  vie,  à  part  les  occasions  exceptionnelles 
où  nous  faisons  de  la  respiration  un  acte  volon- 
taire. Un  animal  dont  la  peau  est  enduite  de 
goudron  se  refroidit  et  meurt  d'asphyxie,  encore 
bien  que  ses  voies  respiratoires  soient  libres  et 
ouvertes.  Il  est  arrivé  parfois  qu'un  homme  tombé 
dans  une  cuve  d'eau  bouillante,  et  retiré  aussi- 
tôt, présentait  une  brûlure  superficielle  de  toute 
la  surface  do  son  corps,  brûlure  peu  grave  en 
elle-même.  Dans  ces  cas,  on  a  vu  la  mort  se 
produire  par  un  étrange  mécanisme  :  la.  peau,  su- 
perficiellement détruite,  ne  fournissait  plus  au 
réflexe  respiratoire  le  point  de  départ  indispen- 
sable, et  le  malheureux  ne  respirait  plus  que 
par  saccades,  et  par  un  acte  de  volonté  ;  nul 
sommeil,  nul  instant  de  distraction  possibles  ; 
bientôt  la  lassitude  survenait,  augmentait,  deve- 
nait toute-puissante,  et  l'asphyxie  amenait  la 
mort. 

Il  suffit  de  ce  rapide  résumé  des  fonctions  de 
la  peau  pour  montrer  quel  intérêt  capital  s'atta- 
che à  la  santé  parfaite  de  cet  organe. 

H  faut  d'abord  que  la  peau  soit  maintenue 
dans  un  état  de  propreté  parfaite,  et  qu'elle  soit 
constamment  débarrassée  de  l'accumulation  des 
débris  épithéliaux,  des  résidus  de  la  sueur,  et  des 
poussières  accumulées  ;  cette  propreté  est  une 
condition  mécanique  indispensable  au  libre  écou- 
lement de  la  sueur.  Des  ablutions  fréquentes  doi- 
vent assurercette  condition.  Un  bain  touslesqninze 
jours,  même  s'il  est  possible  toutes  les  semaines, 
est  nécessaire.  Encore  faut-il  multiplier  ces 
ablutions  pour  les  parties  du  corps  où  les  glandes 
sudoripares  sont  plus  nombreuses,  pour  les  pieds, 
par  exemple. 

Il  ne  suffit  pas  de  nettoyer  la  peau,  il  faut  la 
tonifier,  et  par  elle,  agir  d'une  façon  à  la  fois  for- 
tifiante et  calmante  sur  le  système  nerveux.  On  y 
réussit  par  l'emploi  prolongé  de  l'eau  frnide. 
L'hydrothérapie,  lorsqu'il  n'y  a  pas  de  contre- 
indication  dans  une  faiblesse  particulière  de  la 
poitrine  ou  de  tout  autre  organe,  est  l'un  des 
plus  sûrs  et  des  plus  puissants  moyens  de  fonder 
et  d'entretenir  la  santé  générale.  Elle  est  trop  rare- 
ment employée  dans  notre  pays.  Elle  devrait,  sous 
la  forme  d'ablutions  quotidiennes  de  tout  le  corps, 
entrer  dans  nos  mœurs  nationales,  et  dans  l'hy- 
giène de  la  famille,  comme  elle  est  entrée,  par 
exemple,  dans  les  habitudes  anglaises.  Elle  doit, 
en  tout  cas,  entrer  largement  dans  l'hygiène  sco- 
laire, où  elle  sera  particulièrement  utile  pour  réa- 
gir contre  l'excès  de  fatigue  nerveuse  et  de  tension 
cérébrale.  [D'  E.  Pécaut.] 

TARTRE  ET  ACIDE  TARTRIQUE.  —  Chi- 
mie, XMII. —  Le  tartre  est  une  substance  saline, 
impure,  plus  ou  moins  colorée  en  rouge,  et  qui  se 
dépose  en  croûtes  sur  les  parois  des  cuves  où 
fermente  le  vin  ou  encore  dans  les  tonneaux  où  il 
séjourne.  Le  tartre  colore  des  vins  rouges  ne  dif- 
fère du  tartre  incolore  des  vins  blancs  que  par  la 
matière  colorante  qu'il  contient  en  plus. 

Comi.osition.  —  En  mil,  le  célèbre  chimiste 
suédois  Scheele  découvrit  dans  le  tartre  un  acide 
particulier,  qu'on  a  appelé  acide  tartriqne,  et  qui 
s'y  trouve  combiné  à  la  potasse,  à  l'alumine,  à, 
l'oxyde  de  for  et  à  la  chaux.  Le  tartre  est  un  mé- 
lange en  proportions  un  peu  variables  de  bitar- 
irate  de  potasse,  de  tartrale  d'alumine,  de  tartrate 
de  fer  et  de  tartrate  de  chaux.  Le  bitartrate   de 


potasse,  appelé  encore  tartrate  acide  de  potasse, 
on    constitue    la    plus   grande  partie. 

Le  tartre  purifié  par  une  série  de  cristallisations 
s'appelle  crème  de  tarife;  c'est  alors  du  bitartrate 
de  potasse  pur,  qui  a  pour  formule  GSH^KO'^. 

Propriété!!.  —  Ce  sel  se  présente  en  beaux  cris- 
taux durs  qui  croquent  sous  la  dent.  Ils  ont  une 
saveur  acidulée,  rougissent  fortement  le  tourne- 
sol, se  dissolvent  même  dans  l'eau  froide,  mais  sont 
insolubles  dans  l'alcool.  Le  bitartrate  de  potasse 
en  dissolution  dans  l'eau  peut  dissoudre  certains 
oxydes  métalliques  en  formant  des  tartrates  dou- 
bles, c'est-à-dire  à  deux  bases  différentes,  h'éiné- 
tiqu",  appelé  encore  tartre  stibié,  est  un  tartrate 
double  de  potasse  et  d'antimoine.  Le  sel  de  Sei- 
gnette,  appelé  ainsi  du  nom  du  pharmacien  qui  l'a 
décomert  en  1G72,  est  un  tartrate  double  de  po- 
tasse et  de  soude. 

Les  cristaux  de  la  cfême  de  tartre  sont  des  pris- 
mes obliques  dont  les  angles  et  les  arêtes  longi- 
tudinales sont  tronqués.  Ils  se  décomposent  par 
la  calcination  en  donnant  une  vapeur  acide  et  en 
laissant  pour  résidu  un  mélange  noir  de  carbonate 
de  potasse  et  de  charbon,  appelé  /lux  nnir  et  qui 
sert  à  la  préparation  du  potassium  ;  si  avant  la  cal- 
cination on  l'a  mélangé  à  un  peu  d'azotate  de  po- 
tasse, le  résidu  sera  blanc,  on  l'appelle  alors  flux 
blimc. 

Acide  tartriqne.  —  L'acide  tartrique  a  pour  for- 
mule C'H°0'2;  comme  nous  l'avons  dit,  il  a  d'abord 
été  découvert  par  Scheele  dans  le  tartre,  mais  il 
existe  aussi  libre  ou  combiné  à  la  potasse  dans  un 
grand  nombre  de  végétaux,  par  exemple  dans  les 
cornichons,  les  raùres,  les  ananas,  les  baies  de 
sorbier,  les  pommes  de  terre,  les  topinambours,  le 
poivre  noir,  etc. 

Préparation  et  propriétés.  —  Pour  préparer  l'a- 
cide tartrique,  on  met  de  la  craie  dans  une  dis- 
solution de  crème  de  tartre  dans  l'eau  bouillante; 
il  y  a  effervescence,  il  se  forme  du  tartrate  de 
chaux  insoluble  qui  se  dépose,  et  du  tartrate  neu- 
tre de  potasse  qui  reste  dissous.  Le  tartrate  de 
chaux  délayé  dans  l'eau  après  la  filtration  est 
traiié  par  l'acide  sulfurique  étendu.  Il  se  forme 
du  sulfate  de  chaux  insoluble,  et  la  liqueur  ren- 
ferme l'acide  tartrique  qui,  après  filtration,  se  dé- 
pose en  gros  cristaux  prismatiques  obliques, 
quand  la  liqueur  a  été  amenée  à  la  consistance 
sirupeuse.  Ces  cristaux  se  conservent  à  l'air,  mais 
la  dissolution  aqueuse  d'acide  tartrique  se  re- 
couvre à  la  longue  de  moisissures.  L'acide  tar- 
trique se  dissout  dans  la  moitié  de  son  poids  d'eau 
froide;  il  est  encore  plus  soluble  dans  l'eau  bouil- 
lante; il  se  dissout  aussi  dans  l'alcool. 

L'acide  tartrique  fond  vers  180°;  cliauffé  sur  une 
lame  de  platine,  il  se  boursoufle,  brûle  et  donne 
une  odeur  do  caramel.  L'acide  sulfurique  concen- 
tré et  à  chaud  le  détruit  en  donnant  de  l'oxyde 
de  carbone  et  de  l'acide  sulfureux.  L'acide  azotique 
l'oxyde  et  le  transforme  en  acide  oxalique. 

La  chaux,  la  baryte,  la  stroniiane  sont  précipi- 
tés par  l'acide  tartrique  en  donnant  des  tartrates 
insolubles.  Dans  les  solutions  très  concentrées  des 
sels  de  potasse,  l'acide  tartrique  donne  un  préci- 
pité blanc  caractéristique  qui  ne  devient  visible 
que  par  l'agitation. 

Action  de  l'acide  tartrique  sur  In  lumière  pola- 
risée. —  L'acide  tartrique  dont  nous  venons  de 
parlera  la  propriété,  découverte  par  Biot,  de  dé- 
vier à  droite  le  plan  de  polarisation  de  la  lumière. 

En  1S22,  M.  Kestner,  industriel  àTliann,  décou 
vrit  dans  le  tartre  des  raisins  des  Vosges  un  acide 
tartrique  ayant  des  propriétés  différentes  do 
l'acide  tartrique  connu,  quoique  ayant  la  même 
composition  ;  il  l'appela  paratartrique  ou  racémi- 
que.  Cet  acide  n'exerce  aucune  action  sur  la  lu- 
mière polarisée,  ne  dévie  le  plan  de  polarisation 
ni  à  droite  ni  à  gauche.  M.  Pasteur  ayant  préparé 


TARTRE 


—  2134  — 


TEINTURE 


avec  l'acide  paratratrique  un  sel  à  deux  bases,  la  '  grammes  cliez  les  enfants.  Les  malades  cmpoi- 
soude  (H  l'ammoniaque,  put  examiner  au  micros-  sonnés  sentent  un  goût  métallique,  ont  des  vomis- 
cope  les  cristaux  de  ce  sel,  et  il  reconnut  que  les  sements,  des  coliques,  des  selles  copieuses.  La 
uns  présentaient  !a  dissjmétrie  qu'on  a  appelée  face  est  altérée,  la  peau  froide,  la  respiration  dif- 
hémiédrie  droite,  et  \ps  3iUlres\'hémiéd>-ie  gauc/ic  ;  ficile  ;  bientôt  surviennent  des  vertiges,  des 
il  put  les  séparer  mécaniquement  et  constata  que  crampes,  des  convulsions,  des  syncopes,  puis  la 
conformément  Ji  la   loi  d  Herschell,  les  premiers    mort. 

dévient  à  droite  le  plan  de  polarisation,  tandis  Usages  df  l'acide  taririque  et  des  fartiates.  — 
que  les  derniers  le  dévient  à  gauclie.  Des  uns  il  On  consomme  une  grande  quantité  d'acide  tartri- 
put  extraire  un  acide  analogue  à  l'acide  ordinaire,  que  dans  l'indiennerie  comme  rongeant  (V.  Tein- 
l'acide  lirait,  des  autres  un  acide  qui  fut  appelé  tiire).  On  l'emploie  aussi  dans  la  fabrication  de 
acide  gauclie  parce  qu'il  dévie  à  gauche  le  plan  de  l'eau  de  selz  qu'on  fabrique  soi-même  avec  les  ap- 
polarisation.  En  mélangeant  ces  deux  acides  à  poids  '  pareils  gazogènes  des  ménages.  On  introduit  dans 
égaux,  M.  Pasteur  put,  conformément  h  sa  pré-  ^  la  partie  inléi'ieure  du  sipbon  un  mélange  d'acide 
vision,  constater  que  le  produit  n'avait  aucune  tartrique  et  de  bicarbonate  de  soude;  l'acide  car- 
action  slii  la  lumière  polarisée  et  présentait  toutes  bonique  déplacé  par  l'acide  tartrique  se  dissout 
les  propriétés  de  l'acide  paratartrique.  !  sous  sa  propre  pression  dans  l'eau  qui  occupe  la 

M.  Pasteur  a  pu  préparer  l'ncide  (artrir/ve  gau-  \  partie  supérieure  de  l'appareil.  L'acide  tartrique 
che  de  la  manière  suivante  :  il  soumet  l'acide  pa-  sert  aussi  à  la  préparation  de  la  limonade  tartri- 
ratartrique  à  l'action  des  spores  d'un  végétal  mi-  '  que  et  du  sirop  tartrique  employés  comme  tem- 
lioscopique    appelé    le   Pénicillium  glauciim.   Ce  !  pérants. 

ferment  détruit  l'acide  droit,  et  au  fur  et  à  me-  j  Le  tartre  purifié  sert  à  la  préparation  de  l'acide 
sure  qu'il  agit,  on  voit  apparaître  dans  la  liqueur  '  tartrique  et  des  tarifâtes  ;  il  est  aussi  employé 
convenablement  disposée  pour  cela  le  pouvoir  comme  mordant  en  teinture  ;  on  l'emploie  encore 
rotatoire  gauche.  i  comme  laxatif,  en  l'introduisant  à  la  dose  de  15  à 

M.  Pasteur  est  arrivé  à  transformer  Vncide  20  grammes  dans  une  limonade  quelconque  ou 
droit  et  X'wide  gauche  en  acide  paratartrique;  bien  dans  du  bouillon  aux  lierbes.  Le  lartrate  de 
pour  cela  il  prépare  un  tartrale  de  ciiichonitie  potasse  et  de  fer  e.st  une  préparation  ferrugi- 
qu'il  cbaufTe  pendant  5  ou  6  heures  à  170°.  Il  neuse  excellente  i  la  dose  de  25  centigrammes.  On 
traite  ensuite  la  masse  par  l'eau  bouillante  et-  peut  le  prendre  dans  du  vin.  [A.  Jacquemart.] 
précipite  la  solution  par  le  chlorure  de  calcium  j  TKIINTl'RE.  —  Chimie,  XXVI.  —  La  teinture 
qui  doune  du  paratarlrate  de  ch:iux  insoluble.  est  l'ensemble  des  procédés  par  lesquels  l'indus- 
La  distillation  sèche  de  l'acide  tartrique  donne  trie  fixe  les  couleurs  sur  les  tissus  ou  sur  les  ma- 
naissance  à  deux  zc\àe^ py7-ogénes  :  l'acide  pî/ioî'fl-  '  lières  textiles  avec  lesquelles  on  fera  ces  tissus. 
cémiqve  et  l'acide  pyrotartrigne,  qui  sont  accom-  L'art  de  la  teinture  exige  des  connaissances  nom- 
pognés  de  nombreux  produits  secondaires  (W'urtz).  '  breuses  et  variées.  Nous  n'en  pouvons  donner  ici 
'liirtrates.  —  L'acide  tartrique  peut  former  avec  qu'une  très  courte  et  très  incomplète  descrip- 
les  bases  deux  séries   de   tartrates  ;  les  tnrtrates    tion. 

neutres  et  les  ta>  trates  acides.  Les  pn  miers  ren-  Historique.  —  Les  petiples  primitifs  aiment  les 
ferment  deux  équivalents  de  métal  pour  un  d'à-  couleurs  les  plus  vives,  comme  le  rouge,  l'écar- 
cide,  tandis  que  les  seconds  n'en  contiennent  [  late.  Dans  les  écrits  de  l'antiquité  on  parle  sou- 
qu'uii.ll  peut  se  faire  que  les  deux  équivalents  de  vent  d'étoffes  teintes  en  pourpre;  l'art  de  teindre 
Dictai  soient  formés  par  deux  métaux  différents,  !  était  fort  répandu  à  Tjt  et  à  Sidon.  Du  temps  des 
comme  dans  les  émêtigiies;  dans  ce  cas-là  les;  Romains,  Karbonue  avait  des  ateliers  de  teinture 
sels  s'api  ellent  des  larlrates  douilles.  en    pourpre    d'origine    phénicienne    ou   carthagi- 

lai  tiate  double  de  potasse  et  d'antimoine  noise,  et  il  y  avait  des  pêcheries  de  pourpre  sur 
(cniétique,  tartre  stitié.)  —Ce  médicament,  dont  les  côtes  de  la  Méditerranée  et  môme  de  l'Atlanti- 
11  est  pour  la  première  fois  fait  mention  à  la  :  que  en  difl'érents  endroits.  La  pourpre  est  tirée 
fin  du  xv«  siècle,  par  Basile  Valentin,  a  pour  j  d'une  espèce  de  mollusque, le /'(«■//«ca /a//i//«s,  qui 
formule  C'H*;Sb02  K0i2-f  HO.  Pour  le  préparer,  '  vit  surtout  dans    la   Méditerranée.   On   préparait 


I 


on  fait  bouillir,  dans  100  parties  d'eau,  JO  parties 
d'oxyde  d'antimoine  avec  12  de  crème  de  tartre, 
en  renouvelant  leau  à  mesure  qu'elle  s'évapore. 
Au  bout  d'une  heure  on  filtre,  l'émétique  se 
dépose  par  refroidissement. 

L'émétique  peut  être  obtenu  en  cristaux  octaé- 
driques,  à  base  rhombe,  transparents,  mais  deve- 
nant opaques  en  perdant  de  l'eau.  Chauffes  à  280", 
les  cristaux  se  déshydratent  de  nouveau  et  se 
détruisent.  Au  rouge  en  vase  clos,  l'émétique  dé- 
truit laisse  pour  résidu  un  alliage  d'antimoine  et 
de  potassium  mélangé  à  du  charbon.  Cette  masse 
noire  prend  ftu,  détone  et  lance  des  étincelles 
quand  on  y  projette  un  peu  d'eau. 

Lémétique  se  dissout  dans  14  fois  son  poids 
d'eau  froide  et  2  fois  son  poids  d'eau  bouillante. 

L'ne  infusion  de   noix  de  galle  précipite  l'cmc- 

quetn  flocons  blancs. 

Une  lame  d'étain  qu'on  y  plonge  se  recouvre 
d'un  dépôt  noir  d'antimoine. 

A  petite  dose,  l'émétique  agit  comme  vomitif.  Si 
les  doses  sont  répétées,  l'organisme  s'y  habitue 
et  peut  en  supporter  de  plus  fortes.  On  l'em- 
ploie en  pastilles  pour  faire  expectorer  et  pour 
calmer  la  toux;  il  constitue  aussi  la  base  de 
certains  lOchs. 

A  forte  dose,  l'émétique  est  un  poison  qui  peut 
amener  la  mort,  même  à  la  dose  de  10  et  5  ccnti- 


aussi  une  pourpre  dite  végétale  avec  la  garance 
et  le  bleu  de  pastel  et  qui  était  le  violet  pourpre. 
D'après  Pline,  non  seulement  les  Egyptiens  se 
servaient  de  couleurs,  mais  ils  savaient  les  fixer 
et  connaissaient  l'usage  des  mordants. 

Matières  (olo>-antes.  —  Nous  avons  donné  à 
l'article  Coloriantes  {Matières)  des  indications  sur 
les  principales  substances  qui  servent  i  la  tein- 
ture, telles  que  la  cochenille,  la  garance,  le  car- 
thame,  l'indigo,  l'aniline  et  ses  dérivés,  etc.  Nous 
y  renvoyons  le  lecteur. 

On  appelle  lagues  en  teinture  des  combinai- 
sons de  matières  colorantes  avec  des  oxydes 
métalliques  comme  l'alumine,  l'oxyde  d'étain;  le 
ton  des  laques  est  plus  vif  que  celui  de  la  ma- 
tière colorante,  et  c'est  ordinairement  à  l'état  de 
loques  qu'on  la  fixe  sur  les  tissus.  D'après 
M.  Chevreul,  la  teinture  résulte  non  d'une  com- 
binaison chimique  avec  le  tissu,  mais  d'une  adhé- 
rence plus  ou  moins  profonde  résultant  de  l'ab- 
sorption de  la  matière  colorante  par  le  tissu  :  ce 
serait  une  espèce  d'nffinilé  capillaire,  n'offrant 
pas  les  caractères  des  combinaisons  définies 
[\ .  Combinaison).  C'est  une  action  semblable  qui 
doit  se  passer  dans  l'action  décolorante  du  noir 
animal,  puisqu'on  peut  lui  reprendre  la  matière 
colorante  par  des  lavages  alcalins. 

Le  chlore,  l'acide  sulfureux  ont  un  pouvoir  dé- 


TEINTURE 


—  2135  — 


TELEGRAPHE 


colorant  qui  fait  employer  le  chlore  pour  le  blan- 
cliinieiit  lies  cliifTons,  l'acide  sulfureux  pour  blan- 
chir la  laine,  la  soie,  les  chapeaux  de  paille. 

La  rosée  agit  sur  certaines  matières  colorantes 
en  les  détruisant  plus  ou  moins  rapidement.  Le 
blanchiment  de  la  toile  que  l'on  étend  dans  la 
prairie  est  dû  à  cette  action,  dont  la  véritable 
cause  est  probablement  dans  l'ozone  dissous  dans 
la  rosée  (V.  O.tygéni'). 

Comme  dernier  exemple  de  décoloration,  citons 
cette  expérience  de  M.  Pcrsoz  :  dans  unedissohiiion 
de  matières  colorantes  on  plonge  les  racines  d'une 
balsamine;  le  liquide  absorbé  est  décoloré  parles 
racines  et  on  le  voit  circuler  incolore  dans  les 
vaisseaux  ;  mais  lorsqu'il  arrive  dans  les  pétales, 
en  contact  avec  l'air,  il  reprend  sa  couleur  pri- 
mitive. 

Purification  et  préparation  des  matières  textiles. 
—  Il  n'y  a  guère  que  les  poils  végétaux,  comme  le 
coton,  qu'on  puisse  teindre  sans  une  préparation 
préalable.  Le  lin,  le  chanvre,  la  laine,  l'a  soie  por- 
tent à  leur  surface  des  matières  diverses  qu'il 
faut  enlever  pour  que  l'adhérence  puisse  avoir 
lieu  entre  la  libre  textile  et  la  matière  colo- 
rante. 

On  enlève  les  matières  grasses  du  lin  et  du 
chanvre  par  le  rouissage,  espèce  de  putréfaction 
de  la  matière  grasse. 

La  laine  contient  une  matière  organique  azotée 
et  des  matières  grasses  dont  le  mélange  constitue 
le  suint  et  qui  peuvent  représenter  jusqu'à  52  0/0 
de  son  poids. 

Le  désuintage  des  laines  se  fait  en  les  traitant 
par  une  lessive  alcaline  qui  enlève  les  corps  gras 
en  les  saponifiant. 

La  soie  est  surtout  recouverte  d'une  matière 
résineuse  et  d'une  matière  gommeuse  dont  on  la 
débarrasse  par  le  décreusage. 

On  la  fait  bouillir  dans  l'eau,  qui  enlève  la  ma- 
tière gommeuse,  puis  l'action  des  alcalis  et  un 
lavage  dans  une  eau  savonneuse  enlève  la  matière 
résineuse  et  ce  qui  peut  rester  de  matière  étran- 
gère quelconque.  Après  h'S  opérations  dont  nous 
venons  de  parler,  il  est  encore  nécessaire  de  blan- 
chir les  étofl'es,  soit  par  le  chlore,  soit  par  l'acide 
sulfureux,  soit  par  l'action  de  la  rosée  sur  le  pré. 

Mordants.  —  Rarement  la  teinture  se  fait  sans 
l'intervention  d'une  substance  chimique  quelcon- 
que. Cela  peut  avoir  lieu  quand  la  matière  colo- 
rante peut  se  déposer  en  naissant,  comme  dans  la 
teinture  de  la  soie  par  le  carthame,  la  teinture  à 
la  cuve  d'indigo.  Mais  généralement  le  tissu  no 
fixe  pas  la  matiè"e  colorante  dissoute  sans  l'inter- 
médiaire d'une  substance,  appelée  mordant,  qui 
se  combine  avec  la  matière  colorante  en  même 
temps  qu'elle  se  lixe  par  adhérence  avec  le  tissu. 
Les  mordants  les  plus  employés  sont  :  l'alun  de 
potasse,  l'alun  ammoniacal,  le  sulfate  et  l'acétate 
d'alumine.  Ils  sont  appliqués  à  des  températures 
qui  varient  avec  les  tissus.  La  laine  est  alunée  h. 
chaud  et  pendant  24  heures. 

L'acétate  d'alumine  est  surtout  employé  dans 
les  fabriques  d'indienne.  Pour  les  teintures  fon- 
cées, on  emploie  comme  mordant  l'acétate  de 
fer. 

Le  mordant  d'étain  ou  protochlorure  d'étain 
sert    pour  teindre    en    rouge   avec  la  cochenille. 

Impression  sur  tissus.  —  L'impression  sur  tissu 
est  une  véritable  peinture.  L'étoffe  est  d'abord 
soumise  au  rasage,  qui  a  pour  but  d'enlever  tous 
les  petits  filaments  qui  la  recouvrent.  Cela  se 
fait  avec  une  tondeuse,  machine  composée  d'un 
cylindre  armé  de  couteaux  disposés  en  hélice;  le 
grillage,  qui  pour  la  laine  doit  précéder  le  ra- 
sai/e,  consiste  à  faire  passer  les  étoffes  sur  des 
rouleaux  suffisamment  chauffés.  Dans  l'impres- 
sion, la  matière  colorante  doit  être  épaissie,  ainsi 
que  les  mordants,  avec  de  l'argile  ou  des  gommes  ; 


on  les  applique  ensuite  sur  le  viann,  par  places,  sin 
moyen  de  planches  ou  cylindres  gravés.  Cela  se 
fait  de  doux  manières  :  par  l'impression  genre 
teinture  et  par  l'impression  genre  application. 

L'impression  genre  tiinture  se  fait  en  déposant 
sur  l'étoffe  les  mordants  épaissis  sur  <les  points 
déterminés  et  en  trempant  ensuite  l'étoffe  dans 
le  bain  colorant  ;  la  teinture  ne  prend  qu'aux 
places  où  le  mordant  a  été  déposé. 

Dans  l'impri'ssion  genre  application,  le  rouleau 
dépose  on  même  tejupsle  mordant  et  la  couleur; 
le  fixage  se  fait  en  soumettant  l'étoffe  h  une  tem- 
pérature de  100°  avec  des  rouleaux  chauffés  b.  la 
vapeur.  A  Rouen  et  en  Alsace,  et  maintenant 
dans  les  Vosges  où  se  sont  transportées  plu- 
sieurs usines  du  Haut-Rhin,  on  imprime  avec 
des  matières  insolubles  qu'on  fixe  sur  l'étoffe 
au  moyen  de  l'albumine  extraite  pour  cet 
usage  du  sang  provenant  des  abattoirs.  On  em- 
ploie aussi  le  gluten  :  c'est  cette  substance  qui 
la  première,  il  y  a  une  vingtaine  d'années,  a  été 
substituée  au  blanc  d'ceuf.  C'est  ainsi  qu'on  fixe  le 
bleu  dit  d'outre-mer,  puis  l'oxyde  vert  de  chrome, 
et  enfin  le  charbon  que  les  teinturiers  emploient 
pour  teindre  en  noir  ou  en  gris. 

L'impression  sur  tissus  constitue  une  industrie 
do  premier  ordre  en  France  et  en  Europe.  Ses 
principaux  centres  sont  Rouen,  Mulhouse,  Thann, 
Paris,  Manchester,  Londres,  Glasgow,  Bàle , 
Barcelone,  Vienne.  Quelques  usines  alsaciennes 
ont  émigré  depuis  dix  ans  et  se  sont  éta- 
blies .'i  Epinal  et  dans  divers  points  des  Vos- 
ges ;  elles  semblent,  en  ce  moment,  devoir 
prendre  une  très  grande  extension,  et  rendre 
ainsi  à  notre  pays  la  primauté  de  l'indiennerie 
que  la  perte  du  Haut-Rhin  paraissait  lui  avoir 
enlevée  pour  longtemps.  Autrefois  l'impression 
ne  se  faisait  que  sur  l'indieime,  mais  aujour- 
d'hui elle  se  fait  sur  toute  espèce  d'étoffe  et  de 
tissus. 

L'impression  sur  étoffe  est  fort  ancienne  ;  elle 
nous  vient  de  l'Inde,  de  \h  le  nom  d'indienne  donné 
aux  tissus  de  coton  sur  lesquels  on  l'a  d'abord 
exclusivement  appliquée.  Les  indiennes  ont  été 
introduites  en  Europe  par  les  Portugais  vers  la 
fin  du  XV*  siècle. 

Les  premières  manufactures  s'élevèrent  en  An- 
gleterre, en  Hollande  et  en  Suisse;  en  1746, 
Kcechlin  et  Dolfuss  élevèrent  les  premières  usines 
à  Mulhouse,  qui  devait  être  le  centre  de  l'indus- 
trie alsacienne.  En  1759,  Oberkampf  fonda  la  pre- 
mière fabrique  en  France,  celle  de  Jouy  (Seine-et- 
OiseJ.    _  [Alfred  Jacquemart.] 

TÉLÉGRAPIIli:.  —Connaissances  usuelles, VII. 

—  Etym.  :  du  grec  télé,  de  loin,  et  'jraphein,  écrire. 

—  Nous  trouverions  certainement  le  principe,  l'é- 
lément de  la  télégraphie  chez  les  peuples  les  plus 
primitifs,  s'il  existait  des  documents  rappelant  les 
mœurs  et  coutumes  de  ces  peuples.  Nul  doute  en 
effet  que  du  jour  où  il  exista  des  relations  familia- 
les ou  sociales  entre  les  hommes,  l'idée  dut  venir 
à  tels  ou  tels  d'entre  eux  d'attacher  un  sens  à  des 
signaux  perçus  i  distance  et  formulant  un  avis 
convenu,  annonçant  une  nouvelle  prévue  ou  es- 
pérée. Chaque  jour  encore  nous  avons  l'exemple 
de  ce  que  put  être  cette  correspondance;  ca- 
chaque  jour  il  arrive  que  toiles  ou  telles  per- 
sonnes, qui  doivent  à  un  moment  donné  se  trouver 
les  unes  par  rapport  aux  autres  hors  do  la  portée  de 
la  parole,  conviennent  qu'un  geste  fait,  qu'un  objet 
montré  ou  placé  de  quelque  manière  ait  telle  ou 
telle  signification  pour  ceux  qui  l'apercevront.  A 
la  vérité,  c'est  li  beaucoup  plus  encore  une  sim- 
ple prolongation  de  l'effet  de  la  parole,  qu'une  té- 
légraphie proprement  dite.  La  première  mention 
signiticative  d'une  correspondance  télégraphique 
se  trouve  dans  une  tragédie  d'Eschyle,  .igamem- 
71011.  Au  début  de  la  pièce,  un  garde  est  en  vedette 


TELEGRAPHE 


—  2136  — 


TELEGRAPHE 


sur  la  terrasse  du  palais  d'Agamomnon,  et  il  se 
plaint,  non  sans  raison,  nous  senible-t-il,  d'attendre 
depuis  dix  ans,  c'est-à-dire  depuis  que  l'illustre 
roi  d'Argos  son  maître  est  parti  pour  le  siège  de 
Troie,  le  signal  qui  doit  annoncer  la  prise  de  cette 
ville.  Ce  signal,  qui  n'est  autre  qu'un  feu  allumé 
sur  une  montagne  bornant  l'horizon,  le  garde  l'a- 
perçoit, et  il  court  en  avertir  la  reine.  Celle-ci  an- 
nonce la  grande  nouvelle  au  peuple,  qui  lui  de- 
mande à  quel  n:oment  l'événement  s'est  accompli. 
Il  Cette  nuit  même,  »  répond  la  reine.  Grande  sur- 
prise des  citoyens,  carTroie  est  distante  d'au  moins 
cent  lieues,  et  il  n'est  pas  dans  l'ordre  des  choses 
possibles  qu'un  message  ait  pu  franchir  en  aussi 
peu  de  temps  une  pareille  distance.  Alors  la  reine 
explique  comme  quoi,  lors  du  départ  de  son  époux, 
il  avait  été  convenu  entre  lui  et  elle  qu'il  l'instrui- 
rait de  la  prise  de  Troie  aussiiôt  qu'elle  aurait 
lieu,  à  l'aide  de  feux  que  des  soldats,  apostés 
d'avance  à  cet  effet,  allumeraient  de  montagne  en 
montagne,  à  partir  du  mont  Ida,  voisin  de  la  ville 
assiégée,  jusqu'au  mont  Arachné.  dont  le  sommet 
peut  être  vu  de  la  terrasse  du  palais  d'Argos. 

L'idée  d'Eschyle  ne  tomba  pas,  paraît-il,  dans 
l'oubli,  car  environ  deux  cents  ans  plus  tard,  les 
ingénieurs  d'un  des  successeurs  d'Alexandre  re- 
prirent son  système  pour  le  perfectionner.  Ils 
imaginèrent  de  diviser  les  lettres  de  l'alphabet  en 
groupes  correspondant  Ji  des  fanaux  plus  ou  moins 
nombreux,  que  des  sentinelles,  placées  de  distance 
en  distance,  élevaient  ou  abaissaient  dans  un  ordre 
convenu. 

Les  Carthaginois  avaient  construit  sur  le  littoral 
de  l'Afrique,  puis  sur  celui  de  l'Espagne  quand  ils 
eurent  conquis  ce  pays,  des  suites  de  tours  desti 
nées  à  transmettre  des  signaux  h  combinaisons  mo- 
difiables, qui  constituaient  par  conséquent  un  véri- 
table langage.  Les  Romains  ne  manquèrent  pas 
d'emprunter  aux  Carthaginois  ce  système  de  com- 
munication. On  peut  voir  un  des  postes  télégraphi- 
ques qu'iis  établirent  successivement  sur  toute 
l'étendue  de  l'empire  figuré  sur  les  bas-reliefs  de 
la  colonne  Trajane,  et  l'on  voit  encore  dans  l'an- 
cienne Gaule,  devenue  province  romaine,  notam- 
ment à  Bellcgarde,  Arles,  Uzès,  dans  la  vallée  de 
Luchon,  plusieurs  des  tours  ayant  servi  à  la  trans- 
mission des  signaux  en  temps  de  guerre.  Nous 
savons  d'autre  part  que  les  Gaulois,  nos  ancêtres, 
avaient  eux  aussi  un  mode  de  correspondance  fort 
expéditif,  auquel  ils  employaient,  pense-t-on,  ou 
des  feux,  ou  des  crieurs;  car  l'histoire  rapporte 
que  lors  de  la  prise  d'une  de  leurs  principales 
villes  par  les  Romains,  ils  en  firent  savoir  la  nou- 
velle à  plus  de  quatre-vingts  lieues  en  moins  de 
trois  heures. 

Bien  loin  des  Gaulois  et  des  Romains,  dans  ce 
grand  empire  de  l'exlrême  Asie,  dont  les  peuples 
d'Occident  ignoraient  alors  l'état  de  civilisation 
avancée,  en  Chine,  il  y  a  quelque  deux  mille  ans, 
sur  cette  fameuse  gtande  muraille  que  les  fils  du 
Ciel  avaient  fait  constiuire  comme  obstacle  ."i  l'in- 
vasion des  Tartares,  on  avait  placé  par  intervalle 
des  tours  qui  étaient  dites  o  fumec,  parce  qu'on 
y  faisait  des  signaux  à  l'aide  de  fourneaux  il  plu- 
sieurs issues  où  l'on  brûlait  la  fiente  dune  espèce 
do  loup,  qui  donne  pendant  la  combustion  une 
fumée  très  noire.  Des  tours  semblables  étaient  aussi 
placées  le  long  des  côtes  pour  l'appel  des  troupes  en 
cas  de  débarquement  des  pirates  japonais  ;  ces 
divers  postes  télégraphiques  existent  encore,  mais 
ils  ne  méritent  plus  leur  premier  nom,  car  on  a 
cessé  d'y  faire  du  feu,  et  (lartaut  delà  fumée,  de- 
puis que  certaine  impératrice,  voyageant  avec  son 
époux  et  voulant  s'amuser  à  transmettre  des  si- 
gnaux, répandit  sans  s'en  douter  la  nouvelle  de  la 
mort  de  l'enipereur.  Les  signaux  ont  été  faits  de-  1 
puis  à  l'aide  de  fanaux  pendant  la  nuit,  et  de 
drapeaux  pendant  le  jour.  1 


Ainsi,  aux  deux  extrémités  des  continents  connus 
des  anciens,  fonctionnaient  il  y  a  une  vingtaine  de 
siècles  de  véritables  lignes  télégraphiques:  il 
semblerait  donc  normal  que  chez  nous,  comme  au 
sein  du  (  éleste  Empire,  l'usage  .s'en  fût  continué  ; 
mais  en  Europe  nul  peuple  de  l'ère  moderne  ne  se 
trouva  pour  faire  valoir  cet  ingénieux,  cet  utile 
héritage  de  l'antiquité.  Ce  n'est  qu'il  la  fin  du 
xvii'  siècle  qu'ont  lieu  de  nouveaux  essais  de  té- 
légraphie, qui  tous  laissent  supposer  de  la  part  de 
leurs  auteurs  ou  l'ignorance  ou  le  dédain  absolu  de 
ce  qu'avaient  fait  les  anciens.  A  deux  Français  qui 
furent  contemporains  revient  l'honneur  de  cette 
tentative.  C'est  d'abord  le  physicien  Amontons, 
dont  l'invention  se  trouve  mentionnée  dans  l'é- 
loge que  Fontonclle  fit  de  lui  après  sa  mort.  Le 
système  imaginé  par  Amontons  fut  expérimenté 
une  fois  devant  le  Dauphin,  fils  de  Louis  XIV,  une 
autre  fuis  devant  la  Daupliine,  mais  on  ne  passa 
pas  à  l'application.  C'était,  paraît-il,  à  l'aide  de 
guetteurs  munis  de  lunettes  d'apiiroche  et  placés 
les  uns  par  rapport  aux  autres  i  une  distance  re- 
lative il  la  portée  de  ces  lunettes,  qu'.^montons 
pensait  faire  circuler  des  signaux,  qui  étaient  au- 
tant de  lettres  de  l'alphabet,  et  qui  devaient  être 
transmis  de  Paris  à  Rome,  par  exemple,  presque 
en  aussi  peu  de  temps  qu'il  en  fallait  pour  les 
faire.  Nous  ne  savons  rien  du  mode  de  production 
des  signaux.  On  a  aussi  gardé  le  souvenir  d'une 
invention  qu'avait  faite  cenain  commissaire  de 
la  marine  à  Arles,  nommé  Guillaume  Marcel,  qui 
se  faisait  fort  de  transmettre  aussi  bien  de  nuit 
que  de  jour  un  message  à  de  grandes  distances 
aussi  rapidement  qu'on  pouvait  l'écrire.  Des  expé- 
riences furent  faites,  dont  un  procès-verbal  cons- 
tata les  heureux  résultats  sans  donner  toutefois 
aucun  détail  des  appareils  ni  du  système.  Et  il 
n'en  est  rien  venu  jusqu'à  nous,  car  l'inventeur 
ayant  il  maintes  reprises  sollicité  la  faveur  de  re- 
nouveler ses  expériences  devant  le  roi  ou  devant 
les  ministres,  et  ne  recevant  aucune  réponse,  fut 
pris  d'un  accès  de  désespoir  dans  lequel  il  brisa 
ses  machines  et  brûla  les  descriptions  qu'il  en 
avait  faites. 

En  1684,  le  célèbre  géomètre  et  physicien  an- 
glais Robert  Hooke  imagina  un  mode  de  trans- 
mission de  signaux  à  l'aide  de  planches  noires 
prenant  diverses  positions  au  bout  d'un  mât  :  et 
c'est  là  qu'il  faut  voir  l'origine  des  services  dits 
sémophoriques  généralement  établis  aujnurd'hui 
le  long  des  côtes  et  à  l'entrée  dos  ports,  pour 
communiquer  avec  les  navires  venant  du  large. 

Entre  temps  l'on  avait,  non  pas  découvert,  mais 
étudié  attentivement  les  phénomènes  électriques 
que  les  anciens  n'avaient  fait  qu'entrevoir,  et 
comme  l'on  avait  constaté  1  extrême  rapidité  avec 
laquelle  le  fluide  électrique  se  propageait,  l'idée 
dut  tout  naturellement  venir  à  plusieurs  physiciens 
d'utiliser  cette  faculté  pour  la  transmission  des 
messages.  Mais  l'on  ne  connaissait  que  l'électri- 
cité dite  bien  improprement  statique,  obtenue  par 
frottement,  et  quelque  ingénieuses  que  fussent 
les  dispositions  imaginées  à  l'effet  de  la  rendre 
messagère  de  la  pensée  humaine,  on  fut  surtout 
arrêté  dans  les  applications  usuelles  par  la  diffi- 
culté d'isoler  convenablement  les  fils  conducteurs. 

A  l'époque  où  ces  essais  infructueux  étaient 
tentés,  le  hasard  avait  fait  que  trois  enfants,  trois 
frères  du  nom  de  Chappe,  étaient  placés  en  pen- 
sion, l'un  au  séminaire  d'Angers,  les  deux  autres 
dans  une  institution  dont  les  fenêtres,  à  la  dis- 
tance de  trois  ou  quatre  kilomètres,  faisaient  face 
à  celles  du  séminaire.  Le  jeune  séminariste  aimait 
beaucoup  ses  frères  dont  il  n'avait  jamais  été 
séparé  ;  il  imagina,  pour  rester  en  correspondance 
fréquente  avec  eux,  d'établir  à  une  fenêtre  du  sé- 
minaire certain  appareil  composé  d'une  grande 
règle  de  bois  blanc  pouvant  tourner  sur  un  pivot 


TELEGRAPHE 


—  2137  — 


TELEGRAPHE 


central  et  portant  h  chaque  bout  une  ri'gle  éga- 
lement pivotante,  dont  les  divers  mouvements 
constitueraient  autant  de  signaux  que  les  autres 
enfants  observeraient  h  l'aide  d'une  petite  lunette 
d'approclie  et  traduiraient  d'après  un  vocabulaire 
convenu.  1,'ossai  réussit  îi  merveille.  Une  ma- 
chine semblable  fut  placée  h  la  fenêtre  du  pen- 
sionnat, et,  tant  que  dura  leur  séparation,  les  trois 
frères  purent  converser  avec  la  plus  grande  faci- 
lité. Cela  se  passait  vers  \1V>.  Dix-neuf  ans  plus 
tard,  au  temps  où  les  armées  de  la  République 
étaient  occupées  à  reprendre  les  places  frontières 
dont  les  coalisés  s'étaient  emparés,  le  1"  sep- 
tembre 1794,  comme  la  Convention  venait  d'en- 
trer en  séance,  le  représentant  Carnot  monta  à  la 
tribune  pour  lire  une  dépêche  qui,  remarqua-t-il, 
était  partie  de  Lille  quekjiœ^  yninutes  auparavant 
et  faisait  savoir  ;\  l'assemblée  que  le  matin 
même  la  ville  de  Condé  avait  été  restituée  à  la 
République.  De  longs  applaudissements  saluèrent 
non  seulement  l'annonce  de  cet  événement,  mais 
encore  les  éclatants  débuts  d'un  nouveau  système 
de  communication  rapide,  qui,  récemment  établi 
par  ordre  do  la  Convention  entre  Paris  et  Lille, 
inaugurait  ses  services  par  l'annonce  d'une  vic- 
toire. Or,  ce  système  n'était  autre  que  l'applica- 
tion à  un  service  public  du  moyen  dont  le  ci- 
devant  séminariste  d'Angers  s'était  jadis  servi 
pour  correspondre  avec  ses  frères  ;  mais  avec 
cette  différence  qu'au  lieu  d'une  transmission 
immédiate  des  signaux  entre  les  deux  points  ex- 
trêmes, un  certain  nombre  de  stations  intermé- 
diaires, placées  au  sommet  d'autant  de  pavillons  à, 
portée  de  vue  d'une  lunette,  les  répétaient  suc- 
cessivement. De  Paris  Ji  Lille,  pour  une  distance 
d'environ  CO  lieues,  ces  pavillons  étaient  au  nom- 
bre de  vingt-deux  et  il  ne  fallait  pas  plus  de  deux 
minutes  pour  que  le  signal  partant  de  l'une  des 
extrémités  de  la  ligne  parvînt  à  l'autre  extrémité. 
A  la  pointe  de  ces  pavillons,  dans  la  paroi  des- 
quels étaient  fixées  des  lunettes  braquées  dans 
les  deux  sens  sur  le  pavillon  le  plus  voisin,  se 
dressait  l'appareil  à  signaux  qui,  analogue  Ji  celui 
du  séminaire,  était  formé  d'une  grande  planche 
longue,  pivotante,appeléere3'i/a/eM;',et  do  deux  pe- 
tites nommées  ailes  pouvant  évoluer  k  chaque  bout 
delapremière.  L'appareil  extérieur  était  commandé 
par  un  appareil  intérieur,  prenant  tout  d'abord 
les  positions  voulues  et  agissan  sur  d'autres 
par  un  système  de  chaînettes  et  de  poulies. 
L'employé,  toujours  guettant  chaque  pavillon  à 
l'aide  de  ses  deux  lunettes,  jû-enaii  d'une  part  le 
signal  qu'il  répétait  aussitôt,  et  il  n'en  prenait  et 
répétait  un  nouveau  qu'après  s'être  assuré  que 
le  précédent  avait  été  vu  et  répété  par  le  pavillon 
suivant.  Parla  combinaison  des  diverses  positions 
que  pouvaient  prendre  les  trois  planches,  on  obte- 
nait environ  deux  cents  (19G)  signes  différents, 
dont  la  moitié  avait  été  réservée  pour  traduire 
conventionnelloment  les  ordres  ou  avertissements 
nécessaires  au  service  de  la  ligne.  Les  autres  si- 
gnaux étaient  affectés  aux  dépèches,  mais  on  ne 
les  employait  pas  alphabétiquement,  car  chaque 
signe  exigeait  un  temps  relativement  trop  long 
pour  qu'on  eût  pu  songer  h  procéder  par  lettre 
successive.  Claude  Chappe  avait  imaginé  de  dres- 
ser un  vocabulaire  contenant  autant  de  pages 
qu'il  y  avait  de  signaux  disponibles  pour  la  cor- 
respondance, chacune  de  ces  pages  avait  à  son 
tour  autant  de  mots  ou  de  phrases  toutes  faites, 
ce  qui  faisait  un  total  d'environ  neuf  ou  dix  mille 
mots  ou  phrases  les  plus  usuels.  Chaque  mot  ou 
phrase  h  transmettre  n'exigeait  que  deux  si- 
gnaux, l'un  indiquant  la  page,  l'autre  celui  des 
mots  ou  celle  des  phrases  dont  on  avait  voulu  se 
servir  :  ce  qui  n'empêchait  pas  que  pour  la  tra- 
duction d'une  locution  ou  d'un  nom  imprévu  l'on 
ne  put  indiquer  par  un    signal    réservé  que  la 


traduction  devenait  accidentellement  alphabé- 
tique. 

Tel  était  en  principe  le  mode  de  correspondance 
du  télégraphe  Chappe  ou  télégraphe  aérien  qui, 
adopté  chez  nous  en  1793,  puis  successivement 
par  la  plupart  des  nations  européennes,  a  été  le 
seul  appareil  télégraphique  usité  en  France 
pendant  près  de  soixante  années.  Quelque  ingé- 
nieux que  fût  ce  système,  quelques  services  qu'il 
pût  rendre,  on  pouvait  h  bon  droit  lui  reprocher 
les  nombreuses  interruptions  de  fonctionnement 
inhérentes  à  son  principe  même,  car  outre  qu'il 
suffisait  de  la  moindre  brume  pour  faire  obstacle 
à  toute  transmission  des  signaux  aériens,  encore 
fallait-il  admettre  le  repos  normal  et  obligé 
qu'amenait  cliaque  retour  des  heures  nocturnes. 
D'une  expérience  d'un  demi-siècle,  il  résultait, 
d'après  les  rapports  officiels,  que  le  télégraphe 
aérien,  une  saison  compensant  l'autre,  ne  pouvait 
fournir  qu'une  moyenne  de  six  heures  de  travail 
par  jour.  Et  si  nous  disons  moyenne,  il  s'en  suit 
que  nous  opposons  aux  belles  périodes  atmosphé- 
riques des  mois  d'été,  les  périodes  automnales  et 
hivernales  durant  lesquelles  des  semaines  se  pas- 
saient sans  qu'il  fût  possible  de  transmettre  le 
moindre  signal.  Donc  le  télégraphe  Chappe.  fort 
applaudi  h  ses  débuts,  laissait  h  désirer,  et  très 
évidemment  il  n'avait  pas  dit  le  dernier  mot  de 
la  télégraphie. 

Kn  iSOO,  une  grande  découverte  avait  été  faite 
qui  allait  ouvrir  une  nouvelle  et  féconde  voie  aux 
chercheurs. Le  physicien  Volta avait  imaginé  \a.pi.le 
éleclriquf.  (V.  Electricitc,  p.  6.ii8)  qui,  au  lieu  du 
fluide  à,  extrême  tension  émanant  de  la  machine  'a 
frottement,et  dont  il  était  presque  impossible  d'iso- 
ler parfaitement  les  omdmleurs,  fit  connaître  ce 
qu'on  appela  le  courant  électrique  ou  l'électricité 
dynamique  qui,  ayant  beaucoup  moins  de  tendance 
à  la  déperdition,  peut  être  aisément  conduite  \  de 
grandes  distances  à  l'aide  de  fils  métalliques  dont 
il  est  relativement  facile  d'obtenir  l'isolement. 
Encore  qu'on  pût  pressentir  qu'il  y  avait  li  un 
agent  utilisable  pour  la  transmission  des  messages, 
ridée  pratique  d'un  mode  d'application  devait  se 
faire  attendre  jusqu'au  jour  où  deux  illustres  phy- 
siciens, OErstedt  d'une  part,  Arago  de  l'autre, 
eurent,  en  étudiant  attentivement  les  effets  de 
lappareil  inventé  par  Volta,  signalé  deux  remar- 
quables phénomènes  jusque-l.<i  restés  inaperçus. 
OErstedt  constata  que  lorsqu'un  fil  conduisant  le 
courant  est  présenté  Si  une  boussole,  l'aiguille 
aimantée,  cessant  d'obéir  à  la  force  mystérieuse 
qui  la  place  en  croix  avec  la  ligne  équatoriale, 
se  trouve  aussitôt  influencée  par  le  courant  élec- 
trique et  se  place  de  manière  à  croiser  le  fil 
conducteur.  On  ne  tarda  pas  à  reconnaître  en 
outre  que  dans  son  mouvement  de  déviation  l'ai- 
guille aimantée  sait  reconnaître  un  certain  sens 
au  courant,  et  placer,  par  exemple,  sa  pointe  nord 
tantôt  à  droite,  tantôt  à  gauche  du  fil  conductenr, 
selon  qu'il  amènera  l'un  ou  l'autre  des  deux 
fluides  émanant  des  pôles  de  la  pile.  Sur  ce  pre- 
mier principe  fut  presque  aussitôt  proposé  l'éta- 
blissement d'un  système  de  correspondance  i 
l'aide  d'autant  de  fils  qu'il  y  a  de  lettres  de  l'al- 
phabet, dans  lesquels  on  ferait  successivement 
passer  le  courant  qui  s'en  irait  \  l'autre  extrémité 
de  la  ligne  dévier  autant  d'aiguilles  portant  les 
lettres.  C'était,  en  vérité,  compliquer  singulière- 
ment les  choses,  mais  l'idée  simple  est  rarement 
celle  qui  s'offre  la  première;  et  nous  en  avons  ici 
la  preuve  très  manifeste,  car  après  la  remartiuable 
observation  d'OErstedt,  il  nous  faut  attendre  dix-huit 
ans  avant  de  voir  le  grand  physicien  anglais  Wheat- 
stone  proposer  et  faire  adopter  d'enthousiamc,  pour 
le  service  des  chemins  de  fer,  son  télégraphe  h  cinq 
aiguilles,  donnant  dix  positions  différentes  qui, 
représentant  les  dix    chifl'res,  permettent  de  cor- 


TELEGRAPHE 


2138 


TELEGRAPHE 


respondre  en  se  servant  du  numéro  d'ordre  al- 
pliabptique  de  chaqui'  lettre.  Un  jour,  mais  après 
un  long  usage  du  télégraplie  à  cinq  aiguilles  et 
par  conséquent  icinq  fils  conducteurs,  l'inventeur 
s'aperçoit  qu'il  peut  réduire  à  deux  le  nombre  des 
aiguilles  et  des  fils.  Deux  aiguilles  ne  donnent  plus, 
à  la  vérité,  que  quatre  positions  différentes,  mais 
en  combinant  les  coups  de  l'aiguille  droite  avec 
ceux  de  l'aiguille  gauclie,  on  arrive  cependant  h 
traduire  toutes  les  lettres  sans  employer  pour 
aucune  plus  de  quatre  coups  d'aiguille.  Il  y  a  pro- 
grès, et  l'adoption  de  ce  système  (1844)  semble 
d'autant  plus  conven-.ible  qu'il  va  permettre  de 
faire  répéter  à  l'électricité  une  grande  partie  des 
signaux  du  système  Cliappe.  On  installe  donc  chez 
nous  le  télégraphe  h  deux  aiguilles.  Quelque 
temps  après,  Wheatstone  reconnaît  et  démontre 
qu'on  peut  obtenir  des  résultats  tout  aussi  rapides 
et  aussi  pratiques  en  n'employant  qu'une  seule 
aiguille  et  par  conséquent  un  seul  fil.  l'Ius  que 
deux  positions  :  coup  à  droite  et  coup  à  gauche, 
mais,  encore  par  combinaison  des  coups,  il  n'en 
faut  jamais  plus  de  quatre  pour  traduire  une 
lettre.  Voilà  comment  l'on  finit  par  où  l'on  aurait 
dû  ou  pu  commencer.  Trop  tard  d'ailleurs  arriva 
cette  dernière  simplification  :  le  télégraphe  à  une 
seule  aiguille  ne  fit  que  naître  et  disparaître.  Dans 
l'intervalle  un  tout  autre  système  s'était  imposé, 
ayant  pour  principe  une  observation  d'Arago  qui, 
en  répétant  l'expérience  d'OErsiedt,  avait  constaté 
que  le  courant  électrique  passant  près  d'un  objet 
de  fer  doux  communique  à  celui-ci  une  aimanta- 
tion qu'il  perd  aussitôt  que  le  courant  ne  passe 
plus.  Ainsi  fut  découvert  ce  qu'on  appela  l'clec- 
tro-aimnnl.  c'est-à-dire  une  pièce  de  fer  doux  — 
et  non  d'acier  —  recourbée  en  fer  Ji  cheval,  autour 
des  branches  de  laquelle  le  fil  conducteur  recou- 
vert de  .soie,  substance  isolante,  s'enroule  un  grand 
nombre  de  fois  à  l'effet  de  multiplier  les  effets 
du  courant.  Quand  le  courant  circule  dans  ces 
spires,  le  fer  doux  acquiert  une  puissance  magné- 
tique énergique,  qui  disparait,  s'annihile  dès  que 
le  courant  est  interrompu.  Soit  donc  un  fil  mé- 
tallique partant  d'une  pile  électrique,  tendu  par 
exemple  de  Paris  à  Lyon,  où  il  va  se  rattacher  aux 
spires  d'un  électro-aimant.  Etant  à  Paris,  nous 
savons  que  tant  que  nous  laisserons  le  courant 
engendré  par  la  pile  passer  dans  un  fil,  l'électro- 
aimant  do  Lyon  aura  la  vertu  magnétique,  laquelle 
a  pour  effet  d'attirer  un  morceau  de  fer  placé  à  sa 
portée,  etprêtàêtre  ramené  en  arrière  par  un  res- 
sort dès  que  le  courant  est  interrompu.  Les  choses 
étant  disposées  ainsi,  il  est  évident  que  nous  qui 
opérons  à  Paris,  nous  sommes  en  état  de  produire 
à  volonté,  là-bas,  à  Lyon,  un  mouvement  de  va-et- 
vient.  Et  quand  un  mécanicien  dispose  d'un  mou- 
vement de  ce  genre,  n'a-t-il  pas  le  principe  de  tous 
les  mouvements  imaginables? 

Quoi  qu'il  en  soit,  l'importante  découverte  d'A- 
rago ayant  été  faite  peu  après  celle  d'OErstedt, 
c'est-à-dire  vers  1821,  un  certain  nombre  d'années 
devaient  encore  s'écouler  avant  que  germât  l'idée 
pratique  qui  allait  en  permettre  l'application. 
Ce  ne  fut  qu'en  1837  qu'un  professeur  de  pein- 
ture américain,  Samuel  Morse,  —  qui  cependant 
affirme  on  avoir  conçu  le  plan  dès  1832  —  fit  fonc- 
tionner aux  Etats-lli}is  un  système  de  télégraphe 
ayant  l'électro-aimant  pour  organe  agissant.  Cette 
fois,  du  reste,  il  est  à  remarquer  que  l'idée  pre- 
mière fut  d'une  telle  simplicité  qu'à  l'heure  ac- 
tuelle l'appareil  Morse  est  devenu  d'usage  pres- 
que universel  sans  qu'il  ait  été  presque  rien 
changé  à  sa  disposition  originale.  Imaginons  à 
l'une  et  à  l'autre  extrémité  de  la  ligne  un  dévi- 
doir garni  d'une  longue  bande  de  papier  i\\i\  se 
déroule,  ici  et  là,  avec  la  môme  vitesse,  par  l'ef- 
fet d'un  poids  tirant  sur  le  dévidoir.  Au-dessus 
de  cette  bande  de  papier  est  placé  un  poinçon, 


ou  un  porte-craj-on  monté  à  pivot,  qui  peut  ou 
s'abaisser  de  façon  à  traîner  en  laissant  sa  trace 
sur  le  papier,  ou  se  relever  pour  le  laisser  passer 
sans  y  rien  marquer.  Ce  stylo  traçant  est  com- 
mandé par  l'armature  ou  plaque  de  f  r  qui  peut 
être  attirée  par  l'électro-aimant.  Et  c'est  tout.  Si 
maintenant  nous  plaçons  sur  le  passage  du  cou- 
rant ce  que  nous  appellerons  le  manipulateur, 
c'est-à-dire  une  petite  poignée  à  l'aide  de  la- 
quelle, en  y  appuyant  la  main,  nous  fermerons  le 
circuit  qui  sera  interrompu  dès  que  nous  n'ap- 
puierons plus,  il  est  évident  que  quand  nous  ap- 
puierons sur  la  poignée,  le  courant  passant  dans 
le  fil  conducteur,  et  animant  l'électro-aimant,  aux 
deux  extrémités  de  la  ligne,  les  'tyles,  poinçons 
ou  crayons,  traîneront  sur  la  bande  de  |iapier  et  y 
marqueront  soit  de  simples  points  si  nous  n'avons 
fait  qu'abaisser  rapidement  la  poignée,  soit  des 
traits  prolongés  si  nous  avons  maintenu  la  poi- 
gnée abaissée  plus  longtemps.  Et  voilà  la  corres- 
pondance établie  ;  bien  entendu  en  donnant, 
comme  d'ailleurs  pour  toutes  les  écritures,  une 
valeur  alphabétique  conventionnelle  aux  divers 
groupes  de  points  et  de  traits  que  nous  aurons 
produits,  et  qui,  par  la  possibilité  des  combinai- 
sons, ne  comporteront  jamais  plus  de  quatre  mar- 
ques pour  une  lettre. 

Voici  l'alphabet  télégraphique  du  système  Morse 
usité  en  France:  k-im  B»— »  =  «C^««— • 
D  _..E>    F..-i.Gi.-..  II   ••-•   !•• 

0___P.  — —  •(;!--  —  •—  P<-  — -S... 
T-  U  ••-  V  .---—  X---—  Y  _._  — 

Il  va  de  soi  que  tout  se  réduisant  à  une  simple 
question  alphabétique,  les  employés  chargés  de 
manœuvrer  les  appareils  Morse  arrivent  en  très 
peu  de  temps  à  se  servir  de  cette  écriture  aussi 
facilement  que  des  caractères  usuels.  Cela  n'em- 
pêcha pas  de  songer  à  établir  une  correspondance 
en  lettres  connues,  et  le  problème  en  lut  très  heu- 
reusement résolu  par  l'inventeur  môme  des  télé- 
graphes à  ai;;uille,  Wheatstone,  qui  n'eut  pour  cela 
qu'à  transformer,  comme  fit  Watt  pour  la  machine 
à  vapeur,  le  mouvement  de  va-et-vient  en  mouve- 
ment de  rotation. 

L'armature  de  l'électro-aimant  commande  un 
levier  crochu  qui,  à  chacun  de  ses  mouvements, 
frappe  sur  une  roue  dentée  qu'il  fait  tourner,  et 
au  pivot  de  laquelle  est  adaptée  une  aiguille  mar- 
chant devant  un  cadran  où  sont  marquées  les 
lettres  de  l'alphabet.  Chaque  passage  ou  inter- 
ruption du  courant  fait,  en  conséquence,  avancer 
l'aiguille  d'une  lettre.  Pour  correspondre,  il  siiffit 
de  convenir  qu'on  ne  lira  que  les  lettres  sur  les- 
quelles l'aiguille  s'arrêtera  un  instant,  après  avoir 
passé  rapidement  devant  les  au'res  lettres.  C  est 
ce  qu'on  appelle  le  télégraphe  à  cadran,  générale- 
ment employé  aujourd'hui  pour  le  service  de 
nos  li''nes  de  chemins  de  fer,  où  il  importe  que 
sans  apprentissage  préalable  le  premier  agent 
venu  puisse  manœuvrer  les  appareils  et  trans- 
mettre ou  recevoir  un  avis.  Enfin,  voici  le  sys- 
tème Hughes,  ou  télégraphe  imprimant,  qui,  au 
départ  comme  à  l'arrivée,  donne  la  dépêche  tra- 
duite en  caractères  typographiques.  Là  encore 
l'électro-aimant  est  l'agent  principal  de  transmis- 
sion, mais  avec  adjonction  de  mouvements  a  hor- 
logerie en  parfaite  concordance  de  rapidité,  qui, 
à  chaque  bout  do  la  ligne,  commandent  une 
roue  portant  les  caractères  en  relief,  laquelle  se 
trouve  arrêtée  lorsque  la  lettre  à  imprimer  passe 
devant  le  papier  qui  se  déroule  :  système  trùs 
compliqué  en  somme,  mais  fort  apprécie  pour  la 
uromplitude  avec  laquelle  il  opère. 
'  Ou  le  voit,  tous  les    effets  désirables  pour  la 


TELEGRAPHE 


—  2139 


TEMPÉRAMENT 


correspondance  peuvent  ôlre  obtenus  aujourd'hui 
par  la  vi'rtu  ihi  conranl  électrique  qui  se  meut 
avec  la  vilesse  d'environ  quatye-viiHjt  mille  kilo- 
mètres fi  la  seconde  ;  ce  qui  rend  absolument  inap- 
préciable pour  nous  le  temps  nécessaire  i  la 
transmission  proprement  dite  d'un  signal  électri- 
que, quelle  quo  soit  la  distance  à  laquelle  il  s'agit 
de  la  faire  parvenir.  Nons  pouvons  dire  qu'il  y  a 
réellement  instantanéité,  les  retards  ne  résultant, 
pour  les  grands  parcours,  que  de  la  nécessité  de 
traduction  ou  de  transfert  des  dépêches  d'une 
ligne  à  l'antre. 

Chacun  sait  qu'aujourd'hui  tous  les  principaux 
lieux  habites  du  globe  sont  reliés  entre  eux  par 
des  conducteurs  métalliques,  tout  simplement 
formés  de  lils  soutenus  le  long  des  routes,  des 
voies  ferrées,  par  des  poteaux  garnis  de  godets 
de  porcelaine  établissant  l'isolement  aux  points 
de  support;  pcuir  la  traversée  des  tunnels  ou  le 
passage  intôrieur  des  villes,  les  fils,  recouverts  de 
gutta-percha,  substance  isolante,  sont  attacliés  aux 
voûtes  ou  pl.icés  dans  des  tranchées  souterraines; 
enfin,  quand  il  s'agit  de  faire  communiquer  deux 
terres  séparées  par  la  mer,  on  immerge  un  câble 
au  cœur  duquel  sont  réunis  un  certain  nombre 
de  fils  conducteurs  recouverts  de  gutta-percha, 
dont  l'ensemble  est  protégé  par  des  épaisseurs  de 
fils  goudronnés,  enveloppés  à  leur  tour  par  des 
torsades  de  fils  de  fer.  La  première  tentative 
de  ce  genre,  qui  présenta  de  grandes  difficultés, 
fut  la  pose  du  câble  réunissant  Douvres  .'i  Calais. 
On  dut  s'y  reprendre  à  plusieurs  fois  avant 
d'avoir  établi  la  communication  qui,  datant  do 
1851,  n'a  plus  été  interrompue.  Mêmes  échecs 
quand  on  songea  k  réunir  l'Europe  et  l'Amérique. 
En  180fi,  cette  prodigieuse  opération  fut  enfin 
menée  à  bien  ;  aujourd'hui  plusieurs  câbles  relient 
les  deux  continents,  et  il  n'est  plus  maintenant  de 
distance  transocéanienne  qui  ne  semble  possible  ii 
franchir.  [Eugène  MuUer.] 

Voici  quelques  renseignements  statistiques  sur 
le  développement  actuel  de  la  télégraphie  élec 
trique  dans  les  divers  pays  du  globe  : 


Belgique i  .S37 


Grande-Brel  agne 1 , 

Allemagne i. 

Luxembourg i. 

Pavs-Bas 1. 

France ). 

Turquie l 


Dan 

Italie 

Autriche-Honj;!- 


Bulsaric. 
Es|)afcne. 
Seibie... 
NorvèL-e  . 


Algéri,;.. 
Elats-Uni! 
Guatémali 
Russie... 
Indes  ang 
Costa  Kic: 

Tunis 

Egypte... 
Japon . . . . 
Mexique. 
Australie. 


Orange. 


Canada... 
Brésil.... 
Yen*^zuéla. 
Paraguay. 


Dépêches  télégraphiques  par  cent  habitants: 

Australie 153 

Suisse 93 

Grande-Bretagne 67 

Pays-Bas 67 

Belgique 59 

Danemark 48 

France 3'} 

Norvège 37 

Allemagne 37 

Canada 31 

Luxembourg 29 

Autriche-Hongrie 22 


Italie.. 
Suède. 
Grèce. 
Turquii 


19 

16 

Portugal 15 

République  Arj;entiiic 12 

Algérie  ut  Tunisie 12 

Espagne 12 

Serbie 10 

Uruguay 9 

Perse 3 

Russie 8 

Chili 7 


Indes  néeilanda 


TEMPÉRAMENT.  —  Hygiène,  I.  —  11^  est  im- 

poriant  de  ne  pas  confondre  la  constitution  avec 
le  tempi-rament.  Ce  sont  deux  facteurs  importants 
de  l'organisation  individuelle,  qui  s'empruntent 
certains  caractères  sans  cesser  d'être  bien  dis- 
tincts. 

On  entend  par  constitution  l'ensemble  des  cir- 
constances et  le  mode  de  fonctionnement  des  or- 
ganes qui  déterminent  l'énergie  des  forces  physi- 
ques ;  tandis  que  le  tempérament  affecte  plus 
spécialement  les  forces  vitales.  De  plus,  la  cons- 
titution est  fondée  sur  des  caractères  antérieurs  à, 
ceux  qui  déterminent  et  modifient  le  tempéra- 
ment. 

On  juge  et  l'on  classe  simplement  la  constitu- 
tion d'après  le  résultat  général  au  point  de  vue 
de  la  force  ou  de  la  faiblesse.  Souvent  il  existe 
un  accord  remarquable  entre  la  constitution  et  le 
tempérament.  Ainsi,  chez  beaucoup  de  personnes 
sanguines,  les  formes  sont  développées,  les  orga- 
nes robustes,  les  muscles  éner-gi(iues.^  Mais  ce 
n'est  pas  toujours  le  cas,  et  alors  l'iiygiène  inter- 
vient très  utilement  pour  rétablir  l'harmonie  ou 
pour  pallier  par  le  tempérament  les  désavantages 
de  la  constitution. 

L'hygiène  intervient  d'ailleurs  très  utilement 
pour  modifier,  sinon  la  constitution  dans  son  en- 
semble, du  moins  colle  de  certains  organes.  Ainsi 
la  gymnastique  des  poumons  suffit  pour  faire  dis- 
paraître une  faiblesse  constitutionnelle  de  ces  or- 
ganes. 

M.  Littrô  définit  le  tempérament  :  «  le  résultat 
général,  pour  l'organisme,  de  la  prédominance  d'ac- 
tion d'un  organe  ou  d'un  systè:iie.  »  Il  ne  faut  pas 
séparer  du  tempérament  i'idiosyncrnsie,  c'est-i- 
dire  la  disposition  spéciale  pour  chaque  individu 
à  être  impressionné  par  les  agents  extérieurs. 

Les  divisions  adoptées  pour  les  tempéraments 
sont  évidemment  arbitraires,  car  la  nature  diffé- 
rencie les  êtres  par  une  série  de  nuances  insensi- 
bles. Aussi  ne  faut-il  pas  attacher  une  trop  grande 
importance  au  nombre  de  tempéraments  adopté 
pour  la  facilité  des  oxpliculions. 


TEMPÉRAMENT 


—  2140  — 


TEMPERAMENT 


Les  physiologistes  et  les  hygiénistes  prennent 
pour  terme  de  comparaison  un  tempérament 
idéal,  ou  plutôt  une  constitution  si  bien  équilibrée 
qu'elle  ne  permet  pas  de  distinguer  un  tempéra- 
ment spécial.  Chez  l'homme  répondant  à  ce  type 
aucun  organe  ou  système  d'organes  ne  prédomine. 
Le  mécanisme  animal  est  réglé  et  équilibré  de 
telle  forte  qu'aucune  partie  n'appelle  spécialement 
l'attention  ;  la  santé  parfaite  résulte  de  cet  état. 

On  admet  quatre  tempéraments  types  :  le  san- 
guin, le  nerveux,  le  bilieux,  le  b/niphatique.  Les 
autres  n'en  sont  que  desi  dérivés. 

Tempérament  snnyuin.  —  Les  individus  doués 
de  ce  tempérament  offrent  une  physionomie  ani- 
mée, un  regard  vif,  des  mouvements  ngiles,  un 
pouls  rapide  mais  régulier.  Les  fonctions  digesti- 
ves  sont  faciles  ;  la  transpiration  abondante  rend 
l'urine  un  peu  rare.  La  poitrine  est  très  dévelop- 
pée, convexe  à  la  partie  antérieure,  tandis  que 
l'abdomen  est  court  et  effacé.  Au  moral  les  gens 
sanguins  sont  généralement  francs,  courageux  ; 
ils  jouissent  d'une  bonne  mémoire,  d'une  riche 
imagination,  et  se  montrent  enclins  aux  plaisirs. 
Chez  eux  la  quantité  de  sang  est  considérable,  le 
coeur  et  les  gros  vaisseaux  présentent  un  volume 
et  une  force  en  rapport  avec  l'énergie  de  la  cir- 
culation. L'excitation  nerveuse  agit  rapidement 
sur  la  circulation,  qui  varie  au  gré  des  impressions 
reçues. 

Ce  tempérament  sanguin  est  peut-être  le  plus 
compatible  avec  la  perfection  de  la  beauté  et  de 
la  santé.  L'hygiène  des  lymphatiques  consistera 
naturellement  à  acquérir  autant  que  possible  les 
qualités  de  ce  tempérament,  par  l'augmentation 
des  globules  sanguins,  l'exercice,  etc.  ;  tandis 
que  les  personnes  chez  qui  le  tempérament  san- 
guin arrive  aux  limites  de  la  pléthore  obtiendront 
une  modification  avantageuse  en  se  soumettant 
aux  conditions  qui  produisent  ou  entretiennent  le 
tempérament  lymphatique  :  vie  sédentaire,  ali- 
mentation végétale,  boissons  aqueuses  abondan- 
tes, vie  régulière  et  calme. 

Les  personnes  sanguines  qui  ne  se  prémunis- 
sent pas  par  l'hygiène  contre  la  pléthore  qui  les 
menace  au  moindre  écart,  s'exposent  aux  conges- 
tions et  à  l'apoplexie.  Dans  l'état  normal,  le  sang 
contient  0,V11  de  globules;  ce  chiffre  peut  s'éle- 
ver sans  danger  jusqu'à  0,13.ï  :  au-delà  commence 
la  pléthore.  Dans  l'anémie  il  peut  tomber  par- 
fois à  0,OSO.  Chez  les  individus  sanguins,  les 
maladies  prennent  la  forme  franclienient  aiguë 
tendant  à  la  guérison  spontanée,  et  la  convales- 
cence dure  peu. 

Tempérnmeiit  nerveux.  —  Voici  ce  qui  distin- 
gue d'ordinaire  les  personnes  douées  de  ce  tem- 
pérament :  taille  un  peu  élevée,  corps  maigre, 
teint  peu  coloré,  souvent  blafard  ou  jaunâtre,  peau 
sèche  qui  communique  à  la  main  une  chaleur 
acre  et  mordicante  ;  mouvements  brusques, 
physionomie  expressive  et  mobile,  sensations 
vives  mais  fugaces,  sommeil  léger  et  agité.  L'ap- 
pétit est  médiocre,  la  digestion  lente,  les  goûts, 
en  fait  d'aliments,  varient  d'une  façon  capricieuse. 
Le  faible  développement  des  muscles  rend  les 
gens  nerveux  incapables  d'un  effort  prolongé.  Chez 
eux  il  y  a  désaccord  constant  entre  l'excitabilité 
qui  pousse  au  mouvement  et  la  contractilité  mus- 
culaire qui  exige  des  fibres  robustes.  Les  habitu- 
des sédentaires,  le  travail  intellectuel,  lexcitation 
des  sens,  augmentent  d'ailleurs  ce  contraste.  Il  y 
a  souvent  une  constipation  opiniâtre  accompagnée 
de  flatuosités. 

C'est  parmi  les  sujets  nerveux  que  l'on  rencon- 
tre d'ordinaire  l'esprit  le  plus  vif,  les  conceptions 
les  plus  élevées;  mais  aussi  leurs  pensées  et  leurs 
productions  offrent  trop  souvent  un  caractère 
emporté,  saccadé,  incompatible  avec  l'exercice 
continu  du  raisonnement  scientifique.  Ils  s'émeu- 


vent et  se  passionnent  aisément.  Leur  sensibilité 
exagérée  devient  une  source  d'ébranlements  conti- 
nuels sous  l'impression  du  plaisir  ou  de  la  peine. 
Il  en  résulte  fréquemment  des  désordres  intellec- 
tuels et  moraux,  auxquels  se  joignent  des  mala- 
dies dites  nerveuses,  aussi  complexes  dans  leur 
nature  «leurs  manifestations  que  difficiles  à  gué- 
rir après  leur  complet  développement.  Mais,  par 
contre,  les  sujetsnerveux  jouissent  d'une  résistance 
organique  remarquable  dans  les  épidémies,  les 
fatigues,  les  épreuves  qui  s'adressent  à  l'homme 
physique  et  moral. 

Pour  prévenir  les  maux  trop  nombreux  aux- 
quels prédispose  le  tempérament  nerveux,  l'hy- 
giène prescritdes  aliments  reconstituants  mais  peu 
excitants;  le  régime  lacté;  l'usage  très  modéré 
du  vin,  l'abstention  des  boissons  alcooliques  ou 
excitantes  comme  le  thé,  le  café;  le  sommeil  pro- 
longé, l'exercice  régulier,  les  travaux  manuels. 
L'hygiène  morale  a  le  plus  souvent  une  part  pré- 
pondérante dans  cette  médecine  préventive.  Il  faut 
soustraire  l'esprit  et  les  sens  aux  excitations  de 
toute  sorte,  par  des  occupations  bien  réglées,  des 
lectures  sérieuses,  des  distractions  exemptes  de 
danger.  Notons  que  pour  les  jeunes  filles  les  tra- 
vaux à  l'aiguille  ne  constituent  pas  une  occupa- 
tion favorable,  parce  qu'ils  laissent  le  champ  libre 
à  l'imagination. 

Tempérament  bilieux.  —  Les  personnes  douées 
de  ce  tempérament  ont  la  peau  sèche,  foncée,  les 
cheveux  crépus,  bruns  ou  noirs.  Les  muscles  sont 
peu  développés,  mais  robustes.  L'appétit  est  vif, 
la  digestion  facile  et  rapide,  mais  une  prédisposi- 
tion à  la  constipation  nécessite  un  régime  spé- 
cial. Les  sécrétions  sont  ordinairement  acres  et 
l'haleine  partici|ie  de  ce  défaut. 

Ce  tempérament,  qui  se  développe  à  partir  de  la 
puberté,  est  plus  commun  chez  l'homme  que  chez 
la  femme.  Il  prédispose  aux  travaux  de  longue 
haleine,  aux  grandes  entreprises.  Chez  les  sujets 
bilieux,  l'imagination  vive  est  accompagnée  d'une 
volonté  ferme  et  d'une  forte  intelligence.  Ce  tem- 
pérament serait  des  plus  enviables,  s'il  n'était 
exposé  à  subir  des  modifications  fâcheuses  par 
suite  des  circonstances  où  se  trouvent  entraînés 
ceux  qui  le  possèdent.  L'exagération  du  tempéra- 
ment bilieux  produit  en  effet  le  tempérament  cofe- 
rique.  qui  semble  résulter  d'une  vive  sensibilité 
unie  à  une  grande  énergie,  tandis  que  le  tempé- 
rament h;istérique  proviendrait  d'une  sensibilité 
égale  accompagnée  de  faiblesse.  Chez  les  coléri- 
ques, les  passions  sont  fortes,  tenaces,  souvent 
terribles. 

Quelquefois  le  tempérament  bilieux  devient 
atrabilaire,  ce  qui  entraîne  d'ordinaire  une  dé- 
pravation morale  d'où  résultent  des  excès  et  des 
crimes.  Les  hommes  de  ce  tempérament  font 
d'ordinaire  plus  de  mal  que  de  bien.  Ils  sont  am- 
bitieux, égoïstes,  et  sacrifient  tout  à  leurs  passions. 
César  avait  raison  de  dire  en  parlant  de  ses  fu- 
turs assassins  :  "  Je  ne  crains  rien  des  hommes 
à  embonpoint  et  à  belle  chevelure  ;  je  redoute 
bien  plus  ces  hommes  au  teint  jaunâtre  et  à  la 
face  maigre.  »  C'est  parmi  les  atrabilaires  que  se 
recrutent  le  plus  grand  nombre  de  scélérats.  _ 

Ces  considérations  montrent  que  les  tempéra- 
ments bilieux  exigent,  de  bonne  heure,  des  pré- 
cautions spéciales,  une  éducation  et  une  hygiène 
appropriée.  Au  lieu  d'encourager,  comme  on  le 
fait  trop  souvent,  les  prédispositions  hasardeuses 
de  ce  tempérament,  il  faudrait  que  l'éducation 
eût  pour  but  constant  de  modérer  l'impétuosité 
des  aspirations,  la  fougue  des  passions  naissantes. 
Pour  cela,  un  régime  hygiénique  modérateur  est 
indispensable. 

Tempérament  lymphatique.  —  Il  est  caractérisé 
par  des  chairs  molles,  des  tissus  làclies  infiltrés 
de  graisse,  des  gangUons  très  développés,  un  sang 


I 


TEMPERAMENT 


—  ai/il  — 


TEMPERATUUE 


peu  riche  en  (Ibriiio  et  en  globules,  difficilement 
organisalilc  et  très  apte  à  produire  des  infiltra- 
tions. L'organisme  semble  élaborer  moins  facile- 
ment le  sang  que  les  liquides  blancs  :  mucus, 
sérum,  lymplie,  etc.  C'est  le  tempérament  ordi- 
naire de  l'enfance  et  du  sexe  féminin,  surtout 
dans  les  villes.  11  est  toujours  accompagné  d'un 
peu  d'anémie  et  prédispose  à  la  diminution  mala- 
dive du  nombre  des  globules  de  sang. 

Les  lymphatiques  offrent  une  taille  trop  élevée 
ou  trop  petite,  peu  d'harmonie  dans  les  formes, 
des  os  volumineux,  des  extrémités  très  dévelop- 
pées, une  peau  lisse,  mince,  incolore,  sillonnée 
de  veines  dilatées,  des  cheveux  rouges,  blonds  ou 
châtain  clair,  qui  tombent  de  bonne  heure  ;  des 
lèvres,  des  paupières  pâles,  des  dents  mauvaises 
ou  bleuâtres.  Tous  ces  signes  indiquent  une  in- 
fériorité de  l'individu  ou  de  la  race. 

Les  sujets  doués  de  ce  tempérament  sont  parti- 
culièrement sujets  aux  maladies  chroniques. 
Même  lorsque  leur  santé  parait  normale,  on  peut 
les  considérer  comme  des  malades  au  profit  des- 
quels doit  s'exercer  la  médecine  préventive.  Les 
résultats  que  l'on  obtient  chez  eux  sont  d'ailleurs 
des  plus  remarquables.  Leur  nature  se  plie  aisé- 
ment aux  modifications  qui  sont  du  domaine  de 
l'hygiène. 

Les  lymphatiques  doivent  écarter,  autant  que 
possible,  de  leur  régime  alimentaire  le  laitage, 
les  farineux,  les  mucilagineux.  Ils  ont  besoin 
d'une  nourriture  très  réparatrice  et  stimulante  : 
pain  de  blé  dur,  viande,  épices  et  liqueurs  fer- 
mentées.  11  leur  faut  une  occupation  active  de 
l'esprit  et  du  corps  qui  tienne  tontes  les  puissances 
en  éveil,  le  grand  air,  la  lumière  du  soleil.  Ainsi 
l'on  combattra  la  prédisposition  aux  scrofules  et 
à  la  fiolysarcie  ou  obésité.  Contre  celle-ci  l'hy- 
giène est  toute  puissante,  à  part  quelques  cas 
chez  lesquels  l'accumulation  de  la  graisse  est 
aussi  inexplicable  qu'elle  semble  irrémédiable. 
Pour  faire  disparaître  cette  infirmité,  source 
d'afl'aiblissement,  d'apatliie  physique  et  morale, et 
cause  de  plusieurs  maladies  incurables,  il  sufHt 
de  se  soumettre  à  un  régime  alimentaire  très 
strict  et  à  un  entraînement  régulier.  Le  régime 
consiste  à  réduire  au  minimum  les  aliments  gras, 
féculents  et  sucrés,  ainsi  que  les  boissons,  et 
surtout  les  alcooliques.  L'entraînement  comprend 
la  réduction  des  heures  de  sommeil,  l'exercice 
régulier,  les  travaux  manuels  qui  mt-ttent  en  jeu 
tous  les  muscles,  les  frictions  et  le  massage.  Ces 
moyens  combinés  suffisent  pour  réduire  sans  au- 
cun danger  le  poids  des  sujets  d'environ  500  gram- 
mes par  semaine. 

Les  grandes  divisions  établies  par  les  médecins 
et  les  hygiénistes  pour  classer  les  tempéraments 
sont  certainement  utiles.  Mais  le  mélange  conti- 
nuel des  races,  les  variations  introduites  dans 
l'espèce  humaine  par  la  vie  civilisée,  les  mala- 
dies, etc.,  produisent  nécessairement  une  fusion 
des  tempéraments;  de  sorte  qu'en  étudiant  un 
individu,  dans  les  villes  surtout,  on  trouve  rare- 
ment chez  lui  les  caractères  d'un  type  bien  tran- 
ché. En  réalité,  on  rencontre  le  plus  souvent, 
chez  l'homme  civilisé,  des  tempéraments  mixtes, 
ce  qui  complique  leur  étude  et  l'application  des 
règles  hygiéniques.  Nous  savons  en  outre  (|ue 
l'individualité  médicale  ou  idiosyncrasie  vient  en- 
core, pour  chacun,  ajouter  de  nouvelles  dif- 
ficultés. 

Quelques  auteurs  ont  voulu  augmenter  le  nom- 
bre des  grandes  divisions  généralement  adoptées. 
Ainsi  Ion  a  proposé  de  former  un  type  spécial  du 
tempérament  miltincnliqiie,  qui  semble  résulter 
d'une  combinaison  des  types  bilieux  et  nerveux. 
On  pourrait  toutefois  le  considérer  comme  une 
sorte  de  disposition  maladive,  ordinairement  héré- 
diiaire.  Les  sujets  chez  lesquels  on  lo  trouve  bien 


développé  sont  de  haute  taille,  avec  les  muscles 
grêles  mais  bien  dessinés;  la  démarche  est  lente; 
la  peau  lisse  ;  la  physionomie  triste  et  inquiète  ne 
manque  pas  d'énergie  passagère  ;  le  regard  est 
timide  ou  fixe.  Ces  malades  souHrent  d'une  sensi- 
bilité exagérée  qui  les  rend  rêveurs,  taciturnes, 
méfiants.  Leurs  afl'ections  et  leurs  antipathies  se 
développent  vivement,  mais  restent  concentrées. 
Cependant  une  extrême  mobilité  d'impression  en 
fait  souvent  changer  l'objet.  Les  mélancoliques 
sont  alternativement  les  pins  heureux  et  les  plus 
malheureux  des  hommes  :  ils  voient  tout  en  rose 
ou  tout  en  noir.  Ce  tempérament  est  cplui  d'un 
grand  nombre  de  savants,  de  poètes  et  d'artistes. 
Souvent  il  se  reflète  dans  leurs  œuvres,  mais  il 
arrive  fréquemment  qu'elles  offrent  un  type  tout 
opposé.  11  conduit  à  1  liypocondrie,  i  la  lypémanie 
et  au  suicide. 

Le  mélancolique  doit  mener  une  vie  active,  au 
grand  air,  s'entourer  de  compagnons  aimables, 
éviter  la  solitude,  les  lectures  romanesques,  et 
chercher  dans  la  vie  de  famille  les  joies  et  les 
devoirs  qui  seront  son  salut. 

Même  dans  les  cas  les  moins  favorables,  l'hy- 
giène peut  beaucoup  pour  modifier  les  constitu- 
tions et  les  tempéraments.  11  est  peu  d'individus 
qu'elle  no  puisse  amener  à  un  état  do  santé  com- 
patible avec  une  vie  longue  et  heureuse.  Chacun 
apporte  en  naissant  une  constitution  et  un  tem- 
pérament héréditaires,  mais  il  appartient  ,\  l'hy- 
giène de  les  transformer  en  une  constitution,  en 
un  tempérament  acquis.  Elle  travaille  ainsi  effica- 
cement à  l'amélinration  des  individus  et  au  per- 
fectionnement de  l'espèce.  [D'  Saffray.j 

TEiMi'ÉRATUltE.  —  Météorologie,  1-lV,  et 
XIV-XIX.  —  La  température  d'un  corps  est  expri- 
mée par  le  degré  de  chaleur  ou  de  froid  auquel 
ce  corps  est  parvenu  ;  elle  est  mesurée  par  le 
thermomètre. 

Température  <le  Pair.  —  La  température  de  l'air 
est  difficile  à  évaluer  d'une  manière  précise  à 
cause  de  la  faiblH  densité  des  gaz  et  de  la  facilité 
avec  laquelle  ils  se  laissent  Iraverser  par  des 
rayons  de  chaleur  de  toute  origine.  Un  même 
thermomètre  placé  à  l'air  libre  marquera  des  de- 
grés très  différents  suivant  qu'il  recevra  directe- 
ment les  rayons  solaires  ou  qu'il  en  sera  abrité 
par  un  écran  même  étroit.  La  température  propre 
de  l'air  est  cependant  à  pou  près  exactement  la 
même  dans  les  deux  cas;  mais  les  rayons  solaires 
qui  traversent  l'air  presque  sans  l'échautler,  sur- 
tout dans  un  trajet  aussi  court,  sont  au  contraire 
arrêtés  par  le  thermomètre  qu'ils  échauffent.  Le 
même  effet  est  produit  sur  un  objet  quelconque 
et  sur  notre  corps  en  particulier.  Un  effet  analo- 
gue, bien  que  moins  marqué,  se  produit  encore 
à  l'ombre  même,  quand  on  y  est  exposé  aux  rayons 
qui  émanent  des  divers  objets  terrestres  directe- 
ment éclairés  par    le  soleil. 

Pour  soustraire  un  thermomètre  à  ces  rayons, 
il  faut  d'une  part  l'écarter  des  objets  fortement 
éclairés,  ou  ayant  une  température  notablement 
différente  de  celle  de  l'air  qu'on  veut  évaluer;  il 
faut  de  plus  augmenter,  artificiellement  au  be- 
soin, la  vitesse  de  l'air  qui  entoure  le  thermomè- 
tre. C'est  ce  dernier  but  que  Arago  se  proposait 
d'atteindre  en  prescrivant  de  tourner  son  thermo- 
mètre en  fronde,  et  c'est  ce  que  font  avec  soin 
parmi  les  météorologistes  modernes  ceux  qui  se 
préoccupent  exclusivement  de  la  température 
propre  de  l'air. 

Cette  dernière  donnée  offre  un  réel  intérêt  au 
point  de  vue  de  la  météorologie  pure  ;  au  point  de 
vue  de  la  météorologie  appliquée  elle  en  offre  un 
moins  grand,  parce  que  l'homme,  les  animaux  et 
les  plaiites  sont  impressionnés  par  l'air  avec  toutes 
les  radiations  qui  le  traversent  et  non  par  la  seule 
température  propre  de  ce  gaz. 


TEMPÉRATURE    —  2142  —    TEMPÉRATURE 


La  température  de  l'air  est  chose  extrêmement 
variable  d'un  point  à  l'autre  au  même  moment,  ou 
d'un  moment  à  l'autre  en  un  môme  point.  Les 
objets  qui  recouvrent  la  terre  ont  des  degrés  de 
chaleur  inégaux  suivant  leur  nature  ou  leur  si- 
tuation à  l'ombre  ou  au  soleil  ;  et  l'air  qui  a  passé 
à  leur  surface  pariicipe  plus  ou  moins  de  leur 
échauffement.  Il  ne  faut  pas  trop  s'attacher  à  ces 
influences  tout  accidenielles  et  locales,  sauf  dans 
les  cas  où  elles  peuvent  être  dommageables.  Il 
importe  au  contraire  de  suivre  les  variations  géné- 
rales de  la  température  de  l'air  en  un  même  point, 
parce  qu'elles  sont  par  leur  succession  un  des  clé- 
ments caractéristiques  des  divers  climats,  qu'elles 
règlent  la  marche  de  nos  récoltes  et  qu'elles  in- 
fluent sur  notre  bien  être  et  notre  santé. 

L'homme,  par  son  incessante  production  de  cha- 
leur interne  ,  peut  résister  aux  plus  grands  froids. 
Ces  froids  mêmes,  quand  ils  ne  dépassent  pas  cer- 
taines limites  d'intensité  ou  de  durée,  sont  un 
des  stimulants  les  plus  utiles  de  son  aciivité.  Chez 
les  plantes,  cette  production  de  chaleur  vitale, 
sans  être  absolument  nulle,  est  sans  iiiflueiice 
appréciable  sur  leur  température,  qui  suit  de  près 
celle  du  thermomètre  semblablement  placé.  Quand 
ce  thermomètre  descend  au-dessous  d'un  certain 
degré,  variable  avec  la  plante,  la  végétation  est 
suspendue  ou  définitivement  arrôiée. 

L'homme,  par  sa  transpiration  interne  ou  ex- 
terne, peut  adoucir  l'influence  dune  température 
extérieure  trop  élevée  ;  mais  ses  ressources  sont 
plus  bornées  contre  la  chaleur  que  contre  le  froid, 
et  la  température  de  ses  organes  ne  peut  guère 
s'élever  au-dessus  de  +  lu  degrés,  de  même  qu'elle 
ne  peut  guère  descendre  au-dessous  de  —  ■14  de- 
gros  sans  danger  pour  sa  vie.  L'activité  vitale  d'une 
plante  augmente  en  proportioii  de  sa  température; 
il  existe  cependant  pour  chacune  d'elles  un  degré 
de  chaleur  au  delà  de  laquelle  la  végétation  surex- 
citée ne  tarde  pas  à  périr.  Ces  deux  limites  ex- 
trêmes de  la  végétation,  ainsi  que  la  température 
intermédiaire  la  plus  favorable  à  son  développe- 
ment, sont  également  utiles  à  connaître. 

Vdi-iatioif,  diurnes  de  la  température.  —  La 
température  de  l'air  change  avec  les  heures  du 
jour;  pendant  les  temps  clairs,  elle  passe  par  un 
minimum  un  peu  avant  le  lever  du  soleil  ;  elle 
passe  par  un  maximum  après  midi,  de  midi  à 
3  heures  suivant  les  saisons.  L'intervalle  thermo- 
métrique qui  sépare  ces  extrêmes  est  très  faible 
dans  les  pays  brumeux  du  Nord,  surtout  dans  la 
saison  froide;  il  monte  progressivement  dans  la 
saison  chaude,  et  à  mesure  que  l'on  pénètre  vers 
le  midi  dans  les  régions  où  le  ciel  est  le  plus 
pur.  Sous  l'anneau  de  nuages  équatorial,  il  faiblit 
de  nouveau  :  le  minimum  s'élève  et  le  maximum 
s'abaisse.  L'ascension  sur  de  hautes  montagnes 
produit  l'effet  d'une  épuration  du  ciel,  et  l'on  a  vu 
dans  les  Alpes  des  faucheurs  faucher  le  matin  de 
l'herbe  couverte  de  gelée  blanche  et  continuer 
leur  travail  dans  le  jour  sous  une  chaleur  de 
30  degrés.  Le  rayonnement  nocturne  peut  pro- 
duire de  la  glace  en  été  sur  les  plateaux  élevés  de 
l'Inde  où  la  chaleur  est  difficile  à  supporter  pen- 
dant le  jour.  On  ne  sera  donc  pas  surpris  si  on 
trouve  dans  les  fossés  de  Cherbourg  des  plantes 
sauvages  qui  ne  se  rencontrent  pas  en  liberté 
dans  les  environs  de  Montpellier.  Ici  elles  sont 
tuées  par  les  gelées  de  l'hiver  et  du  printemps 
sous  un  ciel  clair  ;  là  au  contraire  les  gelées  sont 
faibles,  parce  que  le  ciel  d'hiver  y  est  générale- 
ment couvert  ou  brumeux. 

Variations  annuelles  de  la  température.  — 
Elles  sont  généralement  très  faibles  dans  les  ré- 
gions équatoiiales  où  la  variation  diurne  est  le 
plus  fortement  accentuée.  Dans  ces  régions  les 
saisons  ne  se  partagent  pas  en  froide  et  chaude, 
mais  plutôt    en    sèche    et  pluvieuse.  A  mesure 


qu'on  remonte  vers  les  pôles,  les  saisons  ther- 
mométriques se  difforenrient  de  plus  en  plus, 
moins  encore  par  la  diminution  d'intensité  des 
chaleurs  que  par  la  brièveté  de  leur  durée,  par  l'al- 
longement de  l'hiver  et  par  l'aggravation  des  froids 
de  cette  saison.  A  Moscou  la  chaleur  de  l'été 
monte  en  moyenne  au  mémo  degré  qu'à  Paris; 
mais  le  froid  en  hiver  y  descend  à  12  ou  15  de- 
grés |ilus  bas.  Rien  ne  supplée  à  la  longueur 
des  nuits  dans  les  hautes  latitudes,  si  ce  n'est 
la  mer  dans  les  régions  où  affluent  les  courants 
chauds  de  l'Océan.  L'Irlande,  l'Ecosse,  les  Hébri- 
des, les  Slietland,  les  fàroer,  jouissent  d'un  climat 
relativement  tempéré  en  hiver,  comme  les  îles 
de  la  Manche.  New-York,  bien  que  placé  près 
de  la  mer,  a  un  été  très  chaud  et  un  hiver  plus 
rude  que  Paris,  parce  que  son  atmosphère  n'est 
pas  réchauffée  en  hiver,  rafraîchie  en  été,  par 
les  grands  courants  marins. 

Températures  inoyennes.  —  La  température 
moyenne  d'un  jour  devrait  être  la  moyenne  des 
températures  de  chacune  des  vingt-quatre  heures 
qui  composent  ce  jour.Elle  serait  encore  plus  exac- 
tement donnée  par  la  courbe  thermométrique 
tracée  par  un  bon  enregistreur  automatique.  Le 
plus  souvent  on  se  contente  de  la  moyenne  de 
trois  ou  quatre  observations  faites  à  des  heures 
choisies,  telles  que  6  heures  du  matin  et  du 
soir,  midi  et  minuit.  Pendant  une  longue  suite 
d'années  on  s'est  contenté  à  l'Observatoire  de 
Paris  de  prendre  la  moyenne  des  minimum  et 
maximum  thermométriques  de  chaque  jour.  Ces 
dernières  moyennes  sont  assez  loin  d'être  in- 
dividuellement exactes  ;  mais  les  écarts  se  com- 
pensent assez  bien  dans  un  mois  pour  ne  plus 
laisser  qu'une  erreur  en  plus  de  deux  ou  trois 
dixièmes  de  degré.  Pour  se  rattacher  à  UJie  série 
d'observations  déjà  très  longue,  l'Observatoire  de 
Montsouris  continue  à  suivre  cet  usagedans  les 
applications  qu'il  fait  de  la  météorologie  à  l'agri- 
culture et  à  l'hygiène. 

Des  températures  moyennes  de  chaque  jour  on 
peut  aisément  déduire  les  températures  moyen- 
nes d'un  mots,  d'une  saison,  d'une  atinée. 

Isothermes.  —  On  connaît  assez  bien  la  tempé- 
rature moyenne  annuelle  d'un  grand  nombre  de 
points  de  la  surface  du  globe.  De  Humboldt  a  ins- 
crit sur  une  carte  des  deux  hémisphères  la  tem- 
pérature moyejine  annuelle  de  chaque  lieu,  puis 
il  a  joint  par  une  même  ligne  tous  les  points 
ayant  même  température  moyenne.  Les  lignes 
aiiisi  construites,  avec  un  degré  d'approximation 
que  l'avenir  permettra  d'élever  de  plus  en  plus, 
se  nomment  isothermes,  mot  tiré  de  deux  mots 
grecs  signifiant  égale  chaleur. 

L'inspection  de  la  carte  des  isothermes  montre 
que  les  questions  de  latitude  n'interviennent  pas 
seules  dans  la  répartition  do  la  chaleur  à  la  sur- 
face du  globe.  La  partie  occidentale  de  l'Europe 
est  beaucoup  mieux  partagée  sous  ce  rapport 
que  sa  partie  orientale,  et  la  différence  est  d'au- 
tant plus  fortement  accusée  qu'on  remonte  plus 
haut  vers  le  pùle.  Le  môme  effet  se  remarque 
dans  l'Amérique  du  Nord,  dont  les  côtes  occiden- 
tales sont  plus  chaudes,  surtout  en  hiver,  que 
les  côtes  orientales,  à  latitude  égale. 

En  ce  qui  concerne  l'Europe  en  particulier,  l'i- 
sotherme de  1U°  traverse  le  sud  de  l'Irlande,  passe 
près  de  Londres,  puis  de  là  s'incline  vers  le  midi 
en  traversant  la  Belgique,  la  Bavière,  l'Autriche 
et  le  nord  de  la  mer  Noire.  Les  isotliertnes  de 
5°  et  de  0°  atteignent  à  des  latitudes  proportion- 
nellement plus  grandes  encore  sur  les  côtes  occi- 
dentales de  l'Europe  que  dans  l'iiitérieur  du  con- 
tinent. Ce  réchauffement  de  nos  côtes  est  le 
résultat  exclusif  des  pranils  courajits  du  Gulf- 
streani  qui  y  sont  portés  pir  les  vonts  et  remon- 
teut  en  les  suivant  jUM^u'au  delà  du  cap  Nord. 


TEMPÉRATURE 


—  2143  — 


TEMPÉRATURE 


Diro  Bculcmciil  que  l'Irlande  et  la  Cnmoe 
ont  la  mime  température  moyenne  serait  don- 
ner une  iiloo  bien  inexacte  de  leurs  climats  si 
diflcrciits.  Aussi,  au  lieu  de  s'en  tenir  aux  tempé- 
ratures moyennes  annuelles,  a-ton  comparé  deux 
saisons  opposées,  l'Iiiver  et  l'été.  On  appelle  iso- 
c/ii"iràfs  les  courbes  d'égale  température  moyenne 
de  l'hiver;  on  appelle  courbes  isolhères  les  cour- 
bes d'égale  température  moyenne  do  l'été. 

L'abaissement  des  isocliimènes  vers  le  midi,  à 
mesure  qu'elles  pénètrent  dans  l'intérieur  de 
l'Europe,  est  extrêmement  rapide,  surtout  vers  les 
côtes.  C'est  ainsi  que  l'isochimène  de  0°  passe 
dans  le  sud  do  l'Islande,  traverse  très  oblique- 
ment le  midi  de  la  Suède,  le  Danemark,  l'Alle- 
magne et  passe  au-dessous  de  la  Crimée;  que 
l'isocliimène  de  5°  traverse  l'Irlande,  le  sud-ouest 
de  l'Angleterre,  l'ouest  de  la  France,  le  nord  de 
l'Italie,  la  Turquie  et  passe  un  peu  dans  le  nord 
de  Constantinople.  L'action  réchau  Tante  du  Gulf- 
stream  est  donc  ici  très  fortement  accusée,  sur- 
tout pendant  certains  hivers  tiodes  en  même 
temps  que  pluvieux  sous  l'action  des  vents 
marins. 

Si  nous  passons  à  l'été,  les  courbes  isothères 
nous  présentent  un  tout  autre  spectacle.  L'iso- 
Ihère  +  10°  longe  l'isochimène  0°  en  dessous  de 
l'Islande.  Dans  ce  pays,  la  différence  des  tempé- 
ratures moyennes  de  l'été  et  de  l'hiver  est  donc 
de  lO"  seulement:  c'est  un  climat  marin.  Mais  en 
arrivant  sur  la  Norvège,  ces  deux  lignes  se  sépa- 
rent, et  tandis  que  l'isochimène  de  0"  descend 
brusquement  vers  le  sud,  l'isothère  de  10°  re- 
monte vers  le  nord.  Dans  l'est  de  l'Europe  elles 
sont  séparées  par  la  presque  totalité  de  la  Russie. 
A  Tromsû,  au  nord  de  la  Norvège,  nous  voyons  se 
couper  les  lignes  isothère   -I-  10°   et    isochimène 


—  i°.  La  dilTéronco  entre  l'été  et  l'hiver  est  déjà 
de  15°.  De  l'ouest  de  la  France  au  nord  de  la  mer 
Caspienne,  l'isotlière  -4-20°  coupe  successive- 
ment les  isochimènes  h°,  0°,  —  5°,  —  10°,  en  sorte 
qtie  les  différences  entre  les  températures  moyen- 
nes de  l'été  et  de  l'hiver  montent  successivement 
de  15°  à  20°,  à  25°  et  à  30°.  La  dissemblance  des 
climats  est  profonde. 

Les  plantes  qui  redoutent  les  gelées  de  l'hiver, 
telles  que  le  hguier,  le  grenadier,  pourront  se 
maintenir  en  pleine  terre  sur  les  côtes  occidenta- 
les de  l'Europe  à  des  latitudes  beaucoup  plus  hau- 
tes que  dans  l'intérieur  du  continent.  Mais  il  en 
est  qui,  tout  en  craignant  moins  les  gelées,  veulent 
de  la  chaleur  et  de  la  lumière  pour  mûrir;  telles 
sont  la  vigne,  le  mais.  On  les  retrouve  sur  les 
bords  du  Rhin,  à  une  assez  grande  distance  au 
nord  de  la  Loire,  qui  forme  à  peu  près  leur  li- 
mite septentrionale  dans  l'ouest  de  la  France. 
Ces  cultures  suivent  donc  les  isothères  sans  se 
préoccuper  beaucoup  des  isochimènes.  Cela  se 
comprend  aisément  pour  le  maïs,  qui  est  une 
plante  annuelle  que  l'on  sème  après  les  gelées. 
Mais  si  la  vigne  avant  le  réveil  de  ses  bourgeons 
peut  impunément  subir  de  grands  froids,  elle 
devient  très  sensible  à  l.i  gelée  dès  que  ceux-ci 
commencent  à  se  gonfler,  et  la  récolte  qu'on  en 
tire  devient  très  précaire  près  des  limites  que  les 
isothères  assignent  à  sa  culture. 

Au  reste,  à.  côté  de  la  question  de  chaleur  s'en 
trouve  une  autre  qui  n'a,  jusqu'ici,  été  l'objet 
que  do  mesures  trop  peu  nombreuses  eu  égard  à 
son  degré  d'importance  :  c'est  la  question  d'éclai- 
rement.  La  température  arrivée  à  un  certain  degré 
permet  k  la  plante  de  parcourir  les  diverses 
phases  de  sa  végétation  et  elle  règle  la  durée  de 
ces  phases;  mais  par  elle-même  elle  est  impuis- 
sante k  nourrir  la  plante  en  lui  permettant  de 
puiser  dans  le  sol  et  dans  l'air  les  matériaux  de 
ses  produits  et  de  se  les  assimiler.  C'est  la  lu- 
mière  seule,  ou  les  radiations  directes  ou  diffu- 


sées du  soleil,  qui  accomplissent  en   elle  cet  of- 
fice ;  or  on  n'a  jamais  efflcacement  songé  à  tracer 
sur  le  sol  les  courbes  d'égal  éclairement   comme 
on  y  a  tracé  les  courbes  d'égale  température.  Un 
des  éléments   essentiels  des  climats  nous  échap- 
perait donc  entièrement,  si  les  lignes  isothères,  en 
s'élevant  vers  le  nord  il   mesure  qu'on    s'éloigne 
des  côtes  ouest  de  l'Europe,  ne  nous  faisaient  entre- 
voir que  la  pureté  du  ciel  en  été  s'accroît  en  gé- 
néral à.  mesure  qu'on  pénètre  plus  avant  dans  les 
terres.    C'est  Ik  une  indication  générale  que  des 
mesures  directes  rendraient  plus  précise  et   plus 
utile.    A  mesure    que    l'on  s'élève    sur  de  hauts 
plateaux,    la   température   baisse,  mais    le   degré 
d'éclaireraent  augmente  ;  la  végétation  change  de 
caractère  ;    les  mêmes     plantes    se    modifient   de 
manière  k  parcourir  plus  rapidement  le  cycle  de 
leur  végétation  ;  leurs    couleurs  sont  plus    vives, 
leur  arôme  plus  pénétrant.  En  Norvège  la  culture 
profitable  du    froment  ne  remonte  pas   très    haut 
vers  le  nord.  Elle  a  déjà  disparu  depuis  longtemps 
d'une  manière  k  peu  près  complète  quand  k  Lyn- 
den,  sous    le    70'^    parallèle,  on    rencontre    une 
sorte   d'oasis   abritée  des  vents   marins   par    des 
montagnes  élevées,  dans  laquelle  le  ciel  est  gé- 
néralement pur  en  été,  et  dans  laquelle  aussi  on 
fait  encore  de  bonnes  récoltes  de  blé.  L\  le  soleil 
ne  quitte    guère   l'horizon  en    été  ;    la  terre   est 
dégelée,  labourée,  ensemencée  vers  le  15  juin  et 
k  la  fin  d'août  la  céréale  est   coupée.   Ces  blés 
sont  riches  en  amidon,  pauvres  en   gluten  :  c'est 
le  contraire  des    blés  d'Afrique. 

Variations  de  la  température  avec  la  hauteur. 
—  Dans  tous  les  climats  et  dans  tous  les  temps, 
le  degré  de  chaleur  baisse  plus  ou  moins  rapide- 
ment quand  on  monte  plus  haut  au-dessus  du  ni- 
veau de  la  mer.  Si  on  s'élève  verticalement  dans 
l'air,  la  diminution  de  température  est  générale- 
ment de  1  degré  par  loO,  150  ou  200  mètres  d'é- 
lévation, suivant  le  degré  d'humidité.  Quand  c'est 
le  sol  lui-même  qui  monte,  l'effet  est  semblable 
en  moyenne,  mais  des  influences  d'heure  et  d'o- 
rientation donnent  naissance  k  des  variations  lo- 
cales très  sensibles.  En  règle  générale,  le  ciel  est 
plus  pur  sur  les  hauts  plateaux  que  dans  la  plaine; 
les  différences  entre  les  températures  minima 
de  la  nuit  et  maxima  du  jour  y  seront  donc  égale- 
ment plus  accentuées.  Et  comme  c'est  le  sol  sur- 
tout qui  se  refroidit  et  s'échauffe  directement 
pour  transmettre  consécutivement  sa  variation  de 
température  k  l'air  ambiant,  des  courants  d'air 
froid  tendront  à  descendre  la  nuit  des  montagnes 
et  des  courants  d'air  chaud  tendront  au  contraire 
à  s'élever  sur  leurs  flancs  pendant  le  jour. 

Nous  remarquerons  toutefois  que  l'air  en  mon- 
tant se  dilate  par  le  seul  effet  de  sa  diminution 
de  pression.  Quand  un  gaz  se  dilate  sous  l'action 
de  la  chaleur,  on  peut  faire  de  celle-ci  deux  parts, 
l'une  qui  dilate  le  gaz  sans  changer  sa  tempéra- 
ture, l'autre  qui  échauffe  le  gaz  sans  le  dilater. 
Quand  la  dilatation  du  gaz  a  lieu  sans  addition  de 
chaleur  et  par  simple  effet  de  la  diminution  de  la 
pression  qu'il  supporte,  il  faut  encore  k  ce  gaz  sa 
chaleur  de  dilatation;  et  si  on  ne  la  lui  donne  pas 
du  dehors,  il  la  prend  k  lui-môme,  sa  température 
baisse.  Telle  est  en  résumé  la  principale  cause  du 
froid  des  hautes  régions  de  l'air.  L'air  cliaud  des 
plaines  peut  y  être  porté  par  les  vents,  il  y  arrive 
rafraîchi  par  le  fait  même  de  son  ascension. 
L'air  froid  des  hautes  régions  peut  être  k  son 
tour  abaissé  vers  la  plaine  ;  il  y  revient  réchauffé 
par  le  fait  même  de  sa  descente  et  de  la  contrac- 
tion qu'il  subit  pendant  son  abaissement.  11  peut 
y  revenir  même  beaucoup  plus  chaud  qu'il  n'en 
était  parti.  Prenons  par  exemple  un  air  porté  à 
20  degrés  dans  la  plaine  et  chargé  d'une  assez 
forte  proportion  do  vapeur  d'eau.  Par  l'influence 
de  cette  vapeur  dont  la  capacité  calorifique  est 


TEMPERATURE 


—  2144  — 


TEMPERATURE 


notablement  plus  grande  que  celle  du  gaz  sec,  son 
refroidissemeut  sera  ralenti.  Supposons  que  ce 
refroidissement  soit  seulement  de  1  degré  par  '20U 
mètres  d'élévation.  A  2uiiU  mètres  de  hauteur  au- 
dessus  de  son  point  de  départ,  sa  températui'e  se 
serait  abaissée  de  20°  à  10°  s'il  n'y  avait  pas  de 
condensatiou  de  vapeur.  A  3000  mètres  sa  tem- 
pérature serait  de  5°  dans  la  même  liypotbèso.Dans 
ces  conditions,  au  retour,  il  se  réchauffera  do  1  de- 
gré par  2U0  mètres  de  descente  ;  il  reviendra  dcmc 
à  son  point  de  départ  avec  la  température  iniiiale 
de  20  degrés.  Mais  pendant  sa  course  ascendaiite 
et  par  l'effet  de  l'abaissement  do  température  qui 
en  est  la  conséquence,  une  partie  de  sa  vapeur 
aura  pu  se  condenser  eu  nuages  et  en  pluie. 
Toute  condensation  de  vapeur  amène  un  dégage- 
ment de  chaleur  latente  qui  sera  mise  à  profil  par 
l'air,  de  telle  sorte  que,  à  partir  du  moment  où  la 
condensation  commence,  l'air  montant  se  refroidira 
moins  vite  qu'il  ne  l'a  fait  jusqu'alors.  Au  lieu 
d'arriver  à  3000  mètres  avec  la  température  de  5", 
il  y  parviendra  avec  une  température  moins  basse, 
de  S"  ou  10°  par  exemple.  Rien  d'ailleurs  ne  sera 
changé  au  retour,  si  l'air  garde  toute  sa  va- 
peur condensée.  A  la  descente,  cette  vapeur  con- 
densée disparaîtra  peu  à  peu  en  reprenant  la  cha- 
leur qu'elle  avait  dégagée,  le  récliauffement  de  l'air 
sera  d'abord  lent,  puis  il  s'accélérera  quand  toute 
trace  de  nuage  aura  disparu  et,  finalement,  il  re- 
viendra à  la  plaine  avec  sa  température  première 
de  20".  11  en  sera  autrement  si  le  nuage  se  résout 
en  pluie.  L'eau  tombée  est  perdue  pour  l'air  qui 
n'en  garde  pas  moins  la  clialeur  supplémentaire 
provenant  de  la  condensation  de  la  vapeur.  Cette 
chaleur  ne  sera  plus  restituée  à  la  descente  et, 
de  plus,  l'air  moins  riclie  en  vapeur  se  réchauffera 
plus  vite  en  descendant  qu'il  ne  se  refroidissait  à 
la  montée.  Cet  air  reviendra  donc  à  la  plaine 
plus  sec  et  en  même  temps  plus  chaud  qu'au  dé- 
part. Tel  est  le  résultat  que  présente  le  fœhn  des 
Alpes.  Un  vent  du  sud  ou  sud-ouest  tiède  et  hu- 
mide gravit  les  flancs  méridionaux  des  Alpes;  il 
dépose  à  leurs  sommets  des  pluies  ou  des  nei- 
ges; et  si  le  sol  trop  froid  ne  lui  enlève  pas  trop 
de  chaleur  par  son  contact,  l'air  descend  les  ver- 
sants nord  plus  sec  et  plus  chaud  qu'i  l'ascen- 
sion. On  dit  que  ce  vent  est  une  continuation  du 
sirocco  d'Afrique.  C'est  un  préjugé  analogue  à 
celui  de  la  lune  rousse  :  l'effet  est  local  et  le  dé- 
sert d'Afrique  n'y  est  pour  rien. 

A  côié  des  influences  d'altitude  se  placent  les 
influences  de  latitude  ;  celles  des  continents  et 
des  mers. 

En  toute  saison,  la  température  baisse  quand 
on  marche  du  midi  vers  le  nord.  En  hiver  la  mer 
est  plus  chaude  que  le  continent;  l'inverse  a  lieu 
pendant  les  chaleurs  de  l'été.  Les  lieux  antérieu- 
rement traversés  par  le  vent  influent  donc  sur  sa 
température  dans  l'endroit  où  il  souffle. 

Tent/jeraturi;  n'u  sol.  —  La  température  de  la 
surface  du  sol  est  presque  toujours  en  avance  sur 
celle  do  l'air  :  celle-ci  se  règle  sur  celle-là  de 
plus  ou  moins  près.  11  ne  faut  pas  oublier,  toute- 
fois, qu'en  raison  de  son  extrême  mobilité  et  des 
variations  de  densité  résultant  de  sa  température 
et  de  son  humidité,  l'air  échauffé  ou  refroidi  en 
un  point  est  bientôt  transporté  en  un  autre  point 
dont  les  conditions  sont  dift'érentes.  De  là  des 
irrégularités  locales  apparentes  qui  masquent 
souvent  l'effet  général  sans  l'altérer  dans  son  en- 
semble. 

Sous  l'action  du  rayonnement  nocturne,  les 
objets  terrestres,  et  suitout  les  feuilles  ou  brin- 
dilles drs  végétaux,  peuvent  descendre  de  plu- 
sieurs degrés  plus  bas  que  la  température  de 
l'air;  aussi  la  gelée  blanche  peut-elle  sévir  sur  ces 
objets  sans  que  le  tliermomètre  abrité  descende 
même  à  zéro  degré.  11  convient  donc  de  joindre  au 


thermomètre  à  minima  de  l'air  un  second  ther- 
momètre couché  sur  un  sol  gazonné,  au  niveau 
du  gazon,  dans  un  lieu  éloigné  do  tout  obstacle 
pouvant  gêner  son  rayonnement  nocturne. 

Par  contre,  la  température  de  la  surface  du 
sol  exposé  au  soleil  peut  s'élever,  pendant  le 
jour,  i  un  degré  beaucoup  plus  haut  que  celle  du 
thermomètre  abrité.  C'est  ainsi  que  le  15  juillet 
1881,  le  thermomètre  abrité  marquant  3G°C  au 
maximum,  le  thermomètre  couché  sur  le  gazon 
sans  abri  atteignait  50°ô.  C'est  une  température 
que  beaucoup  de  plantes  supportent  difficile- 
ment. Ajoutons  qu'un  aussi  grand  écart  entre  la 
température  de  l'air  et  celle  du  sol  gazonné  ne 
peut  se  produire  que  sous  l'influence  d'un  calme 
presque  absolu  de  l'air  ;  il  diminue  sensiblement 
sous  l'action  des  moindres  brises. 

L'oscillation  diurne  de  la  température,  exagé- 
rée à  la  surface  du  sol  par  la  pureté  du  ciel,  s'af- 
faiblit rapidement  à  mesure  qu'on  pénètre  dans 
sa  profondeur.  A  un  mètre  elle  devient  déjà  presque 
nulle.  A  2j  ou  30  mètres  l'oscillation  annuelle  est 
elle-même  presque  insensible. 

Les  froids  de  l'hiver  comme  les  chaleurs  de 
l'été  se  propagent  très  lentement  au  travers  de  la 
couche  arable.  La  gelée  ne  progresse  guère  dans 
le  sol  avec  une  vitesse  supérieure  à  1  ou  2  centi- 
mètres par  jour  moyen,  et  quand  le  sol  est  cou- 
vert de  neige  la  transmission  du  froid  est  encore 
plus  lente.  L'obstacle  est  le  même  pour  la  cha- 
leur solaire,  surtout  quand  la  neige  d'une  grande 
blancheur  réverbère  les  rayons  du  jour. 

Température  des  végétaux.  —  A  de  très  rares 
exceptions  près,  aucun  végétal  ne  dégage  assez 
de  chaleur  pour  avoir  une  température  indivi- 
duelle. Celle  qu'il  possède  à  un  moment  donné 
dépend  de  la  température  de  l'air,  du  rayonne- 
ment nocturne  ou  diurne,  de  l'afflux  de  la  sève 
prise  au  sol  avec  sa  température,  de  l'activité  de 
la  transpiration  cutanée  qui  rejette  dans  l'atmo- 
sphère sous  forme  de  vapeur  l'eau  prise  au  sol 
par  les  racines.  Cette  fonction  de  transpiration 
des  plantes  n'a  lieu  que  pendant  le  jour  et  sous  l'in- 
fluence des  rayons  lumineux  ;  mais  son  activité 
change  dans  des  proportions  énormes  suivant  que 
les  racines  plongent  dans  un  sol  sec  ou  humide 
et  qu'elles  y  puisent  peu  ou  beaucoup  d'eau. 
Chaque  kilog.  d'eau  transpirée  absorbe  la  cha- 
leur nécessaire  pour  élever  de  1  degré  environ 
000  kilog.  d'eau,  et  un  champ  cultivé  bien  arrosé 
peut  évaporer  par  jour  jusqu'à  làOUdO  ou  200000 
kiiog.  d'eau,  alors  qu'il  n'ira  pas  au  dixième  de  ce 
nombre  s'il  est  sec,  et  surtout  s'il  est  nu  ou  en 
jachère.  Aussi  les  pays  irrigués  ou  arrosés  par 
les  pluies  sont-ils  toujours  plus  frais  que  les 
autres. 

Influence  de  la  température  sur  la  végétation. 
—  La  chaleur  augmente  l'activité  de  la  végétation 
jusqu'à  Uiie  certaine  limite  de  température  varia- 
ble avec  la  plante  et  au  delà  de  laquelle  cette 
plante  périclite  ou  meurt.  Au-dessous  d'un  cer- 
tain degré  do  froid,  variable  également  avec  la 
plante,  celle-ci  cesse  de  croître  et  d'assimiler.  A 
un  degré  plus  bas  encore  la  plante  périt.  On  dit 
alors  qu'elle  a  gelé;  mais  il  est  un  assez  grand 
nombre  de  végétaux  qui  meurent  par  insuffisance  de 
chaleur  avant  que  leur  température  soit  descendue 
même  à  zéro  degré.  Pour  les  plantes  comme 
pour  les  animaux,  la  mort  par  le  froid  est  donc 
un  fait  d'ordre  physiologique  et  non  purement 
physique. 

Dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie  des 
plantes,  la  durée  de  leur  végétation  annuelle  est 
avant  tout  une  question  de  te.npératuro,  à  moins 
que  l'eau  ou  la  lumière  no  leur  fasse  défaut.  Il 
en  est  ainsi  pour  les  plantes  à  fruit  ou  à  graine 
de  nos  cultures  courantes  et  particulièrement 
pour  les  céréales  et  la  vigne.   Ce    qu'il   faudrait 


TEMPERATURE 


—  2145 


TEMPERATURE 


■connaîtrfi  pour  Iiîs  applications  que  l'on  peut  faire  i  surtout  si  ce  froid  relatif  est  un  peu  durable.  Les 
de  cette  loi  f>;(5norale,  c'est  la  toniporature  môme  épis  des  maîtresses  tiges  ayant  avorté  par  vice 
plante  vivant  en    plein  air  et  au  soleil.  Gé-    de  floraison,  les  liges   secondaires  qui  fleurissent 


néraicment  on  se  borne  en  météorologie  à  l'ob- 
servation des  températures  il  l'oinbre  ;  les  compa- 
raisons sont  donc  seulement  approximatives.  Mais 
■comme  la  température  de  l'air  est  la  conséquence 
de  celles  par  lesquelles  passent  le  sol  et  les  végé- 
taux qui  le  roc  luvrent,  on  peut  encore,  faute  de 
mieux,  la  prendre,  dans  un  examen  d'ensemble, 
pour  mesure  proportionnelle  des  au  très.  C'est  ce  que 


plus  tard  et  sont  généralement  étouffées  par  les 
autres  dans  les  blés  bien  garnis,  peuvent,  dans 
une  certaine  mesure,  suppléer  aux  premières  ; 
mais,  dans  ce  cas,  la  floraison  est  longue,  inégale, 
et  le  produit  resie  maigre.  La  pluie,  au  contraire, 
ne  paraît  exercer  qu'une  influence  très  douteuse 
sur  la  floraison.  La  fécondation  du  grain  s'opère 
à  buis  clos  ;  elle  est  déji  faite  quand  l'étamine, 


nous  faisons  dans  les  deux  exemples  qui  suivent,  i  ce  qu'on  nomme  improprement  la  fleur,  apparaît 

Froment.  —  Le  germe  du  grain  de  blé  entre  en  •  au  debors. 
mouvement,  d'après  M.  de  Gasparin,  quand  avec  j  La  quatrième  phase  ou  maturité  du  grain  a  lieu 
l'humidité  nécessaire  il  subit  uno  température  |  généralement  quand  la  somme  des  températures 
qui  dépasse  .S».  11  perce  l'épiderme  du  grain  quand  i  moyennes  diurnes  est  de  815"  depuis  la  floraison, 
la  somme  des  températures  moyennes  des  jours  ou  de  '2315°  depuis  lus  semailles.  Ce  résultat  ar- 
écoulés  depuis  les  semailles  est  voisine  de  85°;  sa  j  rive  en  moyenne  à  Paris  45  ou  46  jours  après  la 
tigelle  sort  de  terre  peu  de  jours  après.  La  durée  j  floraison.    Les   écarts   peuvent   s'élever  i 


<Je  cette  phase  de  germination  peut  varier,  dans 
nos  pays,  de  4  à  1 00  jours. 

Le  grain  do  blé  sec  résiste  très  bien  à  la  gelée  ; 
le  blé  en  herbe  peut  également  supporter  des 
froids  assez  vifs;  mais  le  germe  naissant  périt  à 
aine  température  peu  inférieure  b,  zéro.  Il  en  ré- 
sulte que  si  des  gelées  un  peu  vives  et  prolongées 
surviennent  pondant  la  période   de  germination, 


6  jours  en  moins  ou  en  plus,  suivant  la  tempéra- 
ture. 

En  observant  la  marche  des  températures  moyen- 
nes diurnes,  on  peut  donc  presque  jour  par  jour 
calculer  les  progrès  de  la  végétation  du  blé,  con- 
naître son  degré  de  retard  ou  d'avance,  et  pré- 
voir l'époque  de  la  moisson,  mais  non  la  valeur 
de  la  récolte.  Si,  en  effet,  la  durée  de  la  végéta- 


les blés  sortent  clairs.  C'est  le  cas  ordinaire  dans  tion  est  surtout  une  question  de  chaleur,  son  pro- 
nos  pays  quand  la  germination  des  blés  d'automne  duit  est  une  question  de  lumière,  parce  ([ue  la 
s'attarde  par  l'efl'et  des  froids  qui  surviennent.  '  lumière  est  l'agent  de  l'assimilation  et  de  la 
La  sécheresse  au  contraire  peut  entraver  la  ger-  '  production  des  matériaux  dont  se  nourrit  le,  grain, 
raination  du  grain  sans  nuire  à  son  germe.  j      11  est  fort  diflicile  d'apprécier  avec  quelque  exac- 

Une  seconde  phase  importante  de  la  végétation  titude  le  degré  d'éclairement  du  ciel  d'après  l'esti- 
du  blé  est  celle  que  M.  de  Gasparin  nomme  mation  de  la  masse  de  nuages  qui  le  couvrent 
(lécurtation  et  qu'il  faitcoincider  avec  le  tallagedu  plus  ou  moins  complètement.  Il  faut  y  employer 
pied.  La  tige  commence  à  peine  à  (aller  que,  si  on  un  instrument  particulier,  qu'on  nomme  actino- 
l'ouvre  et  qu'on  la  porte  sous  une  bonne  loupe,  on  J  mètre.  Celui  dont  on  fait  usage  à  Montsouris  et 
y  voit  déjii  le  rudiment  de  l'épi  présentant  sur  ses  dans  divers  observatoires  d'Europe  consiste  en 
bords  des  nodosités  naissantes  à  chacune  desquel-  deux  thermomètres  il  boule,  renfermés  chacun 
les  correspondra  un  épillet.  Le  nombre  de  ces  dans  un  tube  à  boule  de  cristal,  dans  l'intérieur 
nodosités  se  limite  bientôt  par  le  sommet  du  duquel  on  a  fait  le  vide.  Le  réservoir  de  l'un  des 
cône  :  c'est  la  décurtation.  Dès  qu'elle  s'est  ,  thermomètres  est  noirci  au  noir  de  fumée,  le  ré- 
produite, le  nombre  maximum  d'épillets  à  l'épi  se  '  servoir  de  l'autre  est  nu  et  brillant.  (Jes  doux  ins- 
trouve  limité.  Le  nombre  des  grains  il  l'épi  peut  I  truments  étant  placés  côte  il  côte  il  l'air  libre  dans 
diminuer  ultérieurement  par  l'avortement  plus  '  un  lieu  bien  découvert,  ils  doivent  marchin' exac- 
ou  moins  complet  des  épillets  ;  le  rendement  ne  i  tement  -d'accord  pendant  la  nuit  et  dans  l'obseu- 
peut  plus  monter  au  delii  d'un  certain  chiffre  que  '  rite,  mais,  dès  que  le  jour  apparaît  et  tant  qu'il 
par  les  progros  du  tallage.  '  dure,  le  thermomètre  noirs'élève  au-dessus  du  ther- 

Le  tallage  et  la  décurtation  se  produisent  lors-  '  niomètre  nu.  L'écart  peut  monter  en  hiver  ou  en 
que  la  somme  des  températures  moyennes  des  '  été  à  15,  16  ou  17".  Cet  écart  est  proportionnel  au 
jours  écoulés  est  d'environ  555°  depuis  la  germi-  degré  d'éclairement  qu'on  veut  mesurer.  Il  change 
nation  ou  de  640°  depuis  les  semailles.  Toutefois,  '  touiofois  avec  l'instrument  employé  en  raison  de 
dans  cette  somme,  on  ne  doit  pas  compter  les  j  différences  de  construction  souvent  peu  appré- 
jours  dont  la  température  moyenne  est  inférieure  I  ciables.  La  comparaison  de  chaque  instrument 
à  6°,  d'après  M.  Hervé-Mangon.  Dans  les  semis  avec  un  actinomètre  type  permet  de  r.iitacher  à. 
d'automne  des  environs  de  Paris,  la  durée  totale  ,  la  môme  unité,  InO,  toutes  les  indications. 
de  ces  deux  phases  peut,  suivant  li  date  des  se-  Les  blés  arrivés  il  maturité  ont  reçu  chaque' 
mis  et  les  allures  de  l'hiver,  varier  de  05  il  près  année  la  même  somme  de  chaleur,  mais  ils  n'ont 
de  200  jouis.  Le  tallage  qui  a  lieu  avant  la  fin  des  I  pas  reçu  la  même  somme  de  lumière.  La  moyenne 
grands  froids  do  l'hiver  laisse  le  blé  exposé  à  des  de  6  années,  de  1814  à  1880,  il  Paris,  donjie  les 
dangers.  An  moment  du  tallage,  en  effet,  le  blé  j  résultats  suivants: 
craint  la  gelée  qui  peut  tuer  l'épi  naissant  malgré 
ses  enveloppes  protectrices.  La  récolte  en  souf- 
frira, bien  que  le  mal  puisse  être  en  partie  réparé 
par  les  progrès  du  tallage. 

La  troisième  phase  de  la  végétation  du  blé,  sa 
floraison,  a  lieu  par  une  température  moyenne  de 
16°.  Mais,  ici  encore,  l'arrivée  do  cette  phase  est 
bien  moins  déterminée  par  la  température  ac- 
tuelle que  par  l'accumulation  des  températures 
antérieures.  La  floraison  survient  en  général  dans 
les  environs  de  Paris  quand  la  somme  des  tem- 
pératures moyennes  des  jours  écoulés  est  de  860° 
depuis  le  tallage  ou  de  1500»  depuis  les  semailles, 
en  négligeant  les  jours  dont  la  température 
moyenne  est  inférieure  il  6°.  Aune  température 
moyenne  de  l:i"  la  floraison  peut  encore  être 
bonne;  au-dessous  elle  est  très  compromise, 
2'  Partie. 


les  dcgi 
jusqa 


ar.tinométnques  depuis  la  germination 
30»  Jour  après  la  floraison. 

Semis  du  I"  octobre 4980" 

—  15        —       SI70 

_  1"  novembre 5491 

—  13        —       5043 

Le  semis  le  moins  bien  partagé  est  celui  du 
1°'  octobre;  celui  du  15  octobre  l'est  davantage; 
mais  les  plus  favorisés  par  la  lumière  sont  ceux 
de  novembre.  Ce  sont  les  meilleurs  pour  Paris 
quand  l'hiver  n'est  pas  trop  hâtif.  La  nature  du 
sol  peut  obliger  ii  choisir  une  date  qui  no  soit 
pas  la  meilleure  pour  la  lumière,  comme  la  diver- 
sité des  climats  peut  changer  des  rapports  du  ta- 
bleau précédent. 

Si  pour  chaque  année  nous  prenons  la  moyenne 

135 


TEMPERATURE    —  2146  — 


TEMPERATURE 


des  divers  semis,  nous  arrivons  aux  résultats  sui- 
vants : 


Sommes  des  degre's  actinométriques  moyens. 


Année. 

1"  intcrv. 

2»  interv. 

3" intery. 

Tolal 

)874 

1444 

3002 

U78 

5924 

1875 

1425 

2766 

1247 

5438 

1876 

1Û80 

3093 

1502 

6675 

1878 

926 

2222 

1275 

4423 

1879 

1360 

2630 

1283 

6263 

1880 

1319 

2735 

1250 

5304 

Le  premier  intervalle  va  de  la  germination  à  la 
décurtation  :  1874,  puis  1875,  sont  les  années  les 
mieux  partagées,  1876  et  1878  celles  qui  le  sont 
le  moins  bien. 

Le  second  intervalle  va  de  la  décurtation  à  la 
floraison.  18"(;  prend  la  tête;  mais  1874  la  suit  de 
très  près,  et  la  différence  91°  ne  compense  pas 
l'excédent  présenté  par  le  premier  intervalle  de 
1874  sur  celui  de  187G. 

Le  troisième  intervalle  comprend  les  30  jours 
qui  ont  suivi  la  floraison.  Dans  les  derniers  jours 
de  la  maturation,  les  blés  jaunes  et  presque  secs 
n'utilisent  plus  la  lumière.  187G  a  encore  l'avan- 
tage sur  18i  1.  Si  on  prend  le  total  d'éclairement 
des  trois  intervalles,  on  trouve  que  l'année 
1874  se  trouve  au  premier  rang.  C'est  une  grande 
année  pour  les  produits  de  la  terre.  Ensuite  vient 
l'année  1876,  qui  est  en  retard  pour  l'éclairement 
du  premier  intervalle,  mais  qui  rattrape  une 
partie  de  ce  retard  dans  les  intervalles  deuxième 
et  troisième,  plus  importants  que  le  premier. 
1876  est  également  une  année  de  grand  rende- 
ment en  froment.  L'année  1878  est  la  plus  pauvre 
en  lumière  ;  1879,puis  I8S(>,  se  relèvent  successive- 
ment, et  l'année  1881  présente  une  sonmie  de  lu- 
mière supérieure  même  à  1874,  du  moins  pour 
Paris. 

Afin  de  compléter  ces  renseignements,  nous 
donnons  ci-dessous  les  rendements  moyens  de  la 
ferme  de  Bessay  (Eure-et-Loir),  exprimés  en 
liectolitres  de  blé  à  l'hectare  : 

Années. 


1874 
(875 
1876 
1877 
1878 
1379 


La  supériorité  du  rendement  de  1876  sur  celui 
de  1874  tient,  d'une  part,  à  la  supériorité  de  l'é- 
clairement dans  les  deux  intervalles  '.>  et  3  et, 
d'autre  part,  à  une  plus  grande  somme  de  pluie 
en  1876  qu'en  1874,  ainsi  que  le  montrent  les 
chifl'res  suivants  : 


Eclairement 

Rendement 

à  Paris. 

à  Bessay. 

59Î4 

28,5 

;438 

22 

b675 

30 

» 

27 

4483 

18,5 

5263 

12,8 

Pluies  moyennes  par  jour. 

Innées.     1"  phase.       2«  phase.     3' phase.  4»  phase. 
1«74             1,19                    0,75               0,78  1  T« 

1*76  2,97  1,36  0,99  1.44 

Les  années  pluvieuses  sont  de  mauvaises  années 
en  céréales,  parce  quelles  manquent  de  lumière 
et  non  parce  qu'elles  ont  trop  d'eau,  sauf  aux 
époques  des  semailles  et  de  la  moisson.  Dans  les 
temps  ou  les  pays  de  sécheresse,  l'eau  donnée  par 
irrigation  est  une  grande  ressource  et  d'un  grand 
produit. 

L'année  1877  a  été  placée  dans  des  conditions 
anormales  par  les  fortes  gelées  de  mars  qui  ont 
saisi  des  blés  à  l'époque  de  la  décurtation;  ces  ge- 
lées pai  uissent  avoir  été  moins  ressenties  à  Bessay 
qu'i  Palis,  soit  par  elles-mêmes,  soit  en  raison  d 


de  la  gêne  qui  en  est  résultée  dans  les  semailles. 
yiyne.  —  La  végétation  de  la  vigne  est  beaucoup 
plus  complexe  que  celle  des  céréales.  Ici,  le  travail 
s'arrête  i  la  production  du  grain  ;  là  il  se  partage- 
entre  le  fruit  et  le  bois,  et  la  qualité  du  produit 
s'améliorejusqu'auxdernii-rsjoursde  la  végétation. 
La  première  phase,  l'ouverture  des  bourgeons, 
commence  en  mai  quand  la  température  moyenne 
atteint  11°  ou  12°  d'une  manière  un  peu  durable. 
Le  fruit  existe  déjà  en  germe  ;  son  abondance 
dépend  de  l'état  du  bois  à  la  fin  de  l'année  précé- 
dente ;  il  est  alors  très  sensible  à  la  gelée,  qui 
peut  anéantir  en  une  seule  nuit  les  plus  belles 
espérances. 

La  seconde  phase,  la  floraison,  survient  quand 
la  somme  des  températures  moyennes  des  jours 
écoulés  depuis  l'ouverture  du  bourgeon  est  d'en- 
viron 465".  L'intervalle  varie  de  25  à  32  jours  en 
temps  normal.  Lu  floraison  est  encore  bonne  par 
une  température  moyenne  de  15°  ou  1(1°.  Au-des- 
sous elle  est  compromise.  La  pluie  ne  paraît, 
avoir  qu'une  influence  très  faible,  et  la  coulure 
nous  semble  due  surtout  à  une  chaleur  et  à  un- 
degré  de  lumière  insuffisants. 

La  troisième  phase,  la  maturité  du  raisin,, 
aurait  lieu  quand  la  somme  des  températures^ 
moyennes  diurnes  s'élèverait  à  1925°  depuis  la 
floraison.  Mais,  d'après  M.  de  Gasparin,  le  raisin 
cesserait  de  mûrir  quand  la  température  moyenne 
diurne  descend  au-dessous  de  12°, 5.  Cette  limite  a 
été  dépassée  en  1877  et  en  1879,  qui  ont  donné  de 
mauvaises  vendanges. 

Le  raisin  avant  sa  maturité  contient  peu  de 
sucre  et  beaucoup  d'acide.  La  combustion  de 
l'acide  et  la  formation  du  sucre  dépendent  sur- 
tout de  l'éclairement  des  derniers  jours  sous  l'in- 
fluence d'une  bonne  chaleur.  Dans  nos  pays  tem- 
pérés, c'est  toujours  une  faute  de  ramasser  les 
rameaux  autour  de  leurs  tuteurs;  on  prive  ainsi/ 
la  vigne  d'une  partie  notable  de  la  lumière  qui 
servirait  à  préparer  la  bonne  maturité  du  fruit 
de  l'année  et  celle  du  bois  qui  donnera  la  récolte 
suivante. 

Voici  comme  exemple  l'éclairement  total  de  la 
végétation  de  la  vigne,  ainsi  que  la  température 
et  l'éclairement  moyens  des  vingt  derniers  jours, 
comparés  aux  quantités  du  sucre  et  d'acide  con- 
tenus dans  le  moût: 


jâciim 

BMEKT 

Températare 

Années. 

Tota'l. 

Moyen 

moyenne. 

1873 

5868- 

30",2 

16", 1 

1S74 

5887 

57  ,6 

16  ,0 

18:5 

.'728 

40  ,6 

17,4 

1876 

5427 

27,7 

16  .2 

1877 

5883 

30  ,4 

11  ,9 

1878 

5403 

25,5 

13  ,3 

1879 

5388 

26,1 

11  .5 

18$« 

5433 

25,5 

14  ,9 

6,4 


1877  et  1879  sont  deux  années  de  mauvais  vin. 
L'éclairement  de  1877  est  très  bon  et  le  sucre  du 
moût  s'y  élève  à  186,  mais  la  maturité  a  été  incom- 
plète par  suite  de  la  basse  température  moyenne 
des  vingt  derniers  jours.  L'acidité  s'y  élève  à  8,7. 
L'année  1879  est  encore  plus  mauvaise;  l'éclaire- 
ment y  est  très  laible  au  total  ;  il  est  faible 
dans  les  derniers  jours  et  la  température  finale 
est  encore  plus  basse  qu'en  1877.  L'acidité  du. 
nioiit  y  est  de  !i,5.  Le  moût  le  moins  chargé  d'a- 
cide est  celui  de  1875,  année  où  l'éclairement 
moyen  et  la  température  moyenne  des  vingt  der- 
niers jours  sont  le  plus  élevés. 

L'année  18X0  a  donné  de  bon  vin,  non  pas  que 
les  conditions  météorologiques  fussent  très  bon- 
nes, mais  la  récolte  était  très  faible  généralement. 
Le  travail  de  la  vigne  a  donc  porté   presque  ex- 


la  date  cfl'tclive  des  semailles.  La  récolte  de  18711    clusivement  sur  le  bois,   qui   s'est   refait   en  très 
a  été  très  inégale  à  cause  des  pluies  d'automne  et  |  grande  partie  et  nous  a  préparé  pour   1881  une 


TEMPÊTE 


—  2147  — 


récolte  abondante  dans  les  environs  do  Paris 
Uiou  des  points  de  météorologie  agricole  encore 
obscurs  pour  nous  pourraient  sans  peine  être 
élucidés  dans  nos  campagnes  si,  au  lieu  de  se 
contenter  de  dresser  des  tableaux  d'observation 
sans  profit  direct  pour  eux,  les  observateurs  y 
joignaient  la  comparaison  des  effets  produits  sur 
nos  récoltes.  L'intérêt  de  leur  travail  en  serait 
singulièrement  accru  pour  eux-mêmes  sans  nuire 
en  rien  au  travail  d'ensemble  toujours  plus  loin- 
'^"'-        .  IMarié-Davv.l 

TEMPETIî.  -  Météorologie,  V-VI.  -  Perturba- 
tion de  latmosplière  caraciorisée  par  des  vents 
plus  ou  moins  violents,  et  presque  toujours  ac- 
compagnée de  pluies  ou  de  neiges  abondantes. 
Quand  elle  a  une  faible  intensité,  on  lui  donne 
le  nom  de  bourrasque.  Le  ajclone  de  l'Atlantique 
et  les  typhons  des  Indes  sont  au  contraire  remar- 
quables par  leur  extrême  violence.  Toutes  ces 
tempêtes  ou  bourrasques  ont  un  caractère  com- 
mun, qu  elles  tirent  de  la  forme  de  la  terre  et  de 
sa  rotation  autour  de  son  axe  :  l'air,  à  la  surface 
du  sol,  y  est  animé  d'un  mouvement  de  rotation 
autour  d  un  axe  plus  ou  moins  vertical,  en  même 
temps  qu'il  converge  et  tend  à  s'élever  vers  le 
centre  de  la  rotation.  Le  sens  do  la  rotation  est 
toujours  le  même  dans  l'hémisplière  nord  ;  il  est 
inverse,  contraire  au  mouvement  des  aiguilles 
dune  montre  sur  son  cadran  :  il  a  lieu  du  nord 
vers  le  sud  en  passant  par  l'ouest  et  du  sud  vers 
le  nord  en  passant  par  l'est.  Dans  l'hémisphère 
sud,  la  rotation  se  fait  toujours  dans  un  sens  con- 
traire, le  sens  direct,  celui  des  aiguilles  d'une 
montre  sur  son  cadran  :  elle  a  lieu  du  sud  vers  le 
nord  par  l'ouest  et  du  nord  vers  le  sud  par  l'est 

bn  chaque  heu  du  globe  nous  ne  voyons  qu'une 
partie  très  restreinte  de  la  tempête  générale  qui 
passe  dans  nos  parages  ;  le  vent  qu'elle  soulève 
semble  tourner  dans  une  direction  opposée  au 
sens  indiqué  de  la  rotation  de  l'ensemble  :  c'est 
le  résultat  du  mouvement  de  translation  de  l'ouest 
vers  lest  dont  les  tempêtes  sont  généralement 
animées  à  la  surface  de  l'Europe. 

Les  cycloyus  de  l'Atlantique  nord  sont  consti- 
tues par  une  masse  d'air  considérable  animée 
d  un  mouvement  de  rotation  rapide  autour  d'un 
axe  à  peu  près  vertical.  De  là  leur  nom  de  cyclone 
d  un  mot  grec  qui  signifie  cercle.  Ce  sont  d'immen- 
ses tourbillons  de  vent  dont  nos  tnmibes  sont  un 
spécimen  de  dimensions  relativement  très  res- 
treintes. Ils  prennent  naissance  entre  l'équateur 
et  le  tropique  nord,  à  une  latitude  sensiblement 
égale  à  celle  de  la  zone  des  calmes  qui  sépare  les 
alizés  du  sud  et  du  nord,  i  l'époque  où  cette  zone 
tend  à  rétrograder  vers  le  sud  à  la  suite  du 
soleil. 

Une  fois  formé,  le  cyclone  remonte  d'abord  au 
nord-ouest  vers  les  Antilles,  en  longeant  à  dis- 
tance les  côtes  de  l'Amérique  ;  puis  sa  trajectoire 
s  inllechit  comme  celle  du  Gulf-siream  pour  re- 
monter vers  le  nord-est,  encore  à  distance  des 
Côtes  de  1  Amérique  du  Nord  dont  il  se  détache 
hnalement  avant  d'atteindre  la  laiitude  de  Terre- 
Neuve  ;  il  incline  alors  de  plus  en  plus  vers  l'est 
comme  le  Gulf-stream,  et  traverse  l'Atlantique 
pour  sevir  sur  l'Europe  qu'il  parcourt  dais  la  di- 
rection générale  de  l'ouest  à  l'est.  Pendant  ce 
long  ti-ajet,  le  disque  tournant  prend  de  plus  en 
plus  d  extension  et,  quand  il  atteint  l'Euronp  son 
rayon  a  do  700  à  1000  kilomètres.  En  même  temps 
énergie  de  sa  rot.ition  diminue  peu  à  peu  et  nos 
tempêtes  d  Europe  les  plus  violentes  ne  peuvent 
donner  qu  une  pâle  image  des  tempêtes  cycloni- 
ques  des  Antilles.  Une  partie  de  nos  plus  fortes 
tempêtes  d  Europe  ont  ainsi  une  ori-ine  tropi- 
cale ;  mais  la  plupart  de  nos  penurbations  atmo- 
sphériques ont  une  origine  moins  lointaine 
Les  cyclones  de  l'océan  Pacifique,  qui  naissent 


TEMPÊTE 


dans  l'hémisphère  austral  et  longent  6,  distance 
les  côtes  africaines,  obéissent  i  des  lois  sembla- 
bles ;  le  sens  de  leur  rotation  et  de  leur  progres- 
sion est  seulement  renversé.  Les  typhons  des 
Indes,  qui  sont  également  des  cyclones,  ont  un 
mode  de  progression  moins  bien  défini  en  raison 
de  la  configuration  des  côtes  indiennes.  Il  en  est 
cependant  qui  naissent  un  peu  plus  dans  l'est  et 
qui  suivent  le  cours  du  Kuro-Siwo,  analogue  au 
Gulf-stream,  en  longeant  les  côtes  de  la  Chine 
et  du  Ja[ion  avant  de  se  porter  dans  l'est  vers  les 
côtes  do  l'Amérique  du  Nord. 

Les  tempêtes,  ou  les  bourrasques  moins  inten- 
ses, qui  traversent  fréquemment  l'Europe  ont  des 
origines  très  diverses.  Un  petit  nombre  des  plus 
violentes  ne  sont  que  la  continuation  des  cyclo- 
nes des  Antilles  ;  d'autres  semblent  se  former 
dans  les  parages  des  Açores  ;  d  autres  nous  vien- 
nent de  l'Amérique  du  Nord,  dont  elles  ont  tra- 
versé plus  ou  moins  complètement  le  territoire 
de  l'ouest  à  l'est  ;  d'autres  encore  semblent  se 
former  dans  le  voisinage  de  Terre-Neuve,  ou  de 
l'Islande.  Un  très  petit  nombre  parait  avoir  une 
origine  plus  rapprochée  de  nos  côtes.  Toutes  se 
propagent  dans  le  sens  général  de  l'ouest  à  l'est, 
ce  qui  donne  un  intérêt  particulier  aux  avis  qui 
nous  sont  transmis  d'Amérique. 

Leur  mode  de  formation  est  mal  connu  et  sans 
doute  variable  de  l'une  à  l'autre.  Toute  condensa- 
tion de  vapeur  un  peu  étendue  amène  une  con- 
vergence de  l'air  pris  au  nord  et  au  midi,  à  l'est 
et  à  l'ouest  du  lieu  de  condensation.  L'inégalité 
de  vitesse  des  divers  parallèles  du  globe  faisant 
incliner  vers  l'est  l'air  venu  du  sud  et  vers  l'ouest 
l'air  venu  du  nord,  le  mouvement  tournant  se 
produit  inévitablement.  Ces  condensations  sont 
fréquentes  sur  le  bord  septentrional  du  Gulf- 
stream,  dans,  sa  partie  dirigée  vers  le  Canada, 
Terre-Neuve,  le  Groenland,  l'Islande. 

L'air  du  disque  tournant  d  un  cyclone  ou  d'une 
bourrasque  ne  décrit  pas  un  cercle  exactement  ; 
sa  vitesse  est  oblique  au  rayon  et  converge  vers  le 
centre  ;  de  plus,  cet  air  monte  progressivoment, 
en  sorte  que  la  trajectoire  de  chaque  molécule  est 
une  sorte  de  spirale  assez  compliquée.  L'appel 
de  l'air  est  dû  au  mouvement  centrifuge  qui  naît 
de  toute  rotation  et  qui,  dans  l'atmosphère,  se 
manifeste  li  oùla  rotation  est  la  plus  libre  et  la  plus 
active.  L'air  en  effet  no  peut  s'éloigner  de  l'axe  en  un 
point  que  s'il  y  alfiue  en  un  autre.  Le  balancement 
entre  l'entrée  et  la  sortie  est  réglé  par  les  résis- 
tances qui,  au  maximum  à  la  surface  du  sol,  s'af- 
faiblissent à  mesure  qu'on  atteint  les  régions 
moyennes  de  l'air.  Le  baromètre,  la  pluie,  et  les 
girouettes  nous  renseignent  sur  le  sens  du  mouve- 
ment en  chaque  point. 

Le  baromètre  est  le  plus  bas  au  centre  du  mou- 
vement tournant.  Cette  diminution  do  pression  de 
l'air  vers  le  centre  est  le  résultat  de  la  force  cen- 
trifuge née  de  la  rotation  ;  elle  produit  l'ascension 
de  l'air  autour  de  l'axe  et  l'appel  de  l'air  de  la  cir- 
conférence vers  le  centre  il  la  surface  du  globe. 
L'air,  en  montant,  se  refroidit  graduellement  par 
le  fait  de  sa  dilatation  par  diminution  de  pres- 
sion; quand  il  est  un  peu  humide  au  début,  il 
atteint  rapidement  son  point  de  rosée  :  en  conti- 
nuant .\  monter,  il  se  débarrasse  d'une  partie  de 
sa  vapeur,  d'où  les  nuages  et  les  pluies  ou  neiges. 
(;es  pluies  sont  abondantes  autour  de  l'axe  de  ro- 
tation, surtout  du  côté  méridional  et  antérieur. 

Si  le  mouvement  de  l'air  tournant  est  centripète 
en  bas  et  ascendant  vers  le  centre,  il  est  centri- 
fuge à  une  certaine  hauteur  et  descendant  sur  le 
pourtour.  Ici,  la  composante  verticale  de  la  vitesse, 
s'ajoutanl  à  l'accroissement  de  masse  de  l'air, 
donne  lieu  au  bourrelet  do  hautes  pressions  ba- 
rométriques qui  entoure  la  dépression  centrale. 
L'air  qui  se  comprime  par  sa  descente  s'échauffe 


TEMPÊTE 


—  2148  — 


TEMPETE 


et  se  dessèche,  en  ce  sens  que  son  degré  hygro- 
métrique s'^ibaisse.  Il  fait  cliaud  et  beau  temps 
surtout  sur  la  partie  antérieure  et  méridionale  du 
pourtour  du  disque  tournant.  La  latitude  à  la- 
quelle est  pris  l'air  qui  afflue  en  un  point  influe 
d'ailleurs  sur  sa  température  en  ce  point,  ainsi 
que  la  consommation  de  chaleur  du  sol  qui  résulte 
de  l'évaporation  de  l'eau  des  phies. 

On  doit  comprendre,  i  la  suiie  des  considéra- 
tions précédentes,  la  série  des  cfTets  qui  se  suc- 
cèdent lors  du  passage  d'une  bourrasque  ou  tem- 
pête en  un  point  de  la  France  ou  de  l'Europe, 
cette  bourrasque  progressant  de  l'ouest  à  l'est  dans 
son  ensemble.  Le  baromètre  monte,  le  ciel  tend  à 
s'éclaircir  avant  qu'on  soit  entré  dans  le  cercle 
d'action  de  la  bourrasque  ;  puis  le  baromètre  com- 
mence îi  baisser,  le  ciel  se  nettoie  complètement 
et  la  chaleur  monte  :  on  entre  dans  le  mouvement 
et  le  vent  souffle  du  sud  ou  sud-est.  Bientôt,  le  ba- 
romètre continuant  à  baisser,  le  ciel  se  couvre,  le 
vent  incline  au  sud  ou  sud-ouest.  La  pluie  sur- 
vient, le  thermomètre  baisse,  le  vent  incline  au  sud- 
ouest  ou  à  l'ouest.  Le  baromètre  arrivant  vers  son 
point  le  plus  bas,  le  ciel  s'éclaircit  de  nouveau; 
le  vent  tombe  souvent  pendant  que  le  baromètre 
passe  par  son  nninimum.  Puis  le  baromètre  re- 
commence à  remonter;  le  vent  incline  à  l'ouest  ou 
au  nord-ouest,  en  reprenant  de  l'intensité,  et  la  pluie 
reparaît.  Le  baromètre  continuant  à  monter  et  le 
vent  à  tourner  vers  le  nord-ouest,  la  température 
continue  à  descendre  jusqu'à  ce  qu'on  sorte  du 
cercle  d'action  de  la  tempête  pour  rentrer  dans  les 
conditions  normales  ou  entrer  dans  le  cercle  d'ac- 
tion d'une  seconde  bourrasque. 

Nous  avons  supposé  dans  ce  qui  précède  que  le 
centre  de  la  tempête  a  passé  près  de  nous  dans  le 
nord.  A  mesure  qu'on  s'éloigne  de  cette  trajectoire 
du  côté  du  sud,  la  baisse  barométrique  est  moins 
rapide  et  profonde;  les  deux  rencontres  de  la  zone 
circulaire  des  pluies  se  rapprochent;  elles  finis- 
sent par  se  confondre  ou  même  ne  se  traduisent 
plus  que  par  l'apparition  des  nuages  et  un  chan- 
gement appréciable  de  la  température. 

Si,  au  lieu  d'être  placé  dans  le  sud  de  la  trajec- 
toire du  centre  du  mouvement  tournant,  on  est 
dans  le  nord,  les  changements  barométriques  sont 
les  mêmes  à  l'intensité  près;  le  sens  de  la  rota- 
tion du  vent  est  renversé  et  se  fait  par  le  nord- 
est  au  lieu  d'avoir  lieu  par  le  sud-ouest;  ces 
vents  d'est  et  nord- est  sont  d'ailleurs  faibles, 
parce  que  les  vitesses  de  rotation  et  de  translation 
sont  de  sens  contraire  et  se  retranchent,  tandis 
qu'elles  s'ajoutent  pour  les  vents  d'ouest.  Nous 
remarquerons  toutefois  que  les  bourrasques  qui 
ont  traversé  le  nord  dans  le  sens  général  de  l'ouest 
à  l'est,  peuvent  revenir  sur  le  midi  dans  le  sens 
général  de  l'est  à  l'ouest.  Ce  sont  alors  les  vents 
d'est  et  nord-est  qui  ont  le  maximum  d'inten- 
sité. Les  conditions  locales  peuvent  d'ailleurs  mo- 
difier sensiblement  ces  divers  effets. 

La  direction  d'où  souffle  le  vent  n'en  indique 
donc  pas  l'origine.  Une  tempête  qui  se  propage 
dans  le  courant  équatorial  du  sud-ouest,  peut  y 
soulever  des  vents  de  toute  direction  autour  du 
centre,  et  ces  directions  diverses,  se  combinant 
avec  la  vitesse  de  translation,  donnent  pour  nous 
des  vents  qui  ne  font  que  rappeler  la  rotation 
première,  quand  les  deux  vitesses  de  rotation  et 
de  translation  sont  de  même  ordre,  ainsi  qu'il 
arrive  d'ordinaire  en  Europe. 

Le  sirocco  d'Afrique  est  un  vent  du  sud  ou  sud- 
sud-ouest;  généralement  il  progresse  de  l'ouest 
à  l'est.  11  appartient  alors  à  un  mouvement  tour- 
billonnant de  l'air  qui  progresse  lui-même  sur  le 
nord  de  l'Afrique  dans  le  sens  de  l'ouest  à  l'est. 
Dans  le  midi  de  la  France  on  attribue  assez  com- 
munément à  une  extension  du  sirocco  la  chaleur 
étouffante  qui   y  accompagne  les  vents  du  sud. 


Ce  vent  est  chaud,  et  de  plus  il  a  pris  sur  la  mer 
une  humidité  qu'un  semblable  vent  n'a  pas  en 
Afrique.  Un  voni  du  sud  qui  régnerait  sur  l'Al- 
géiie  n'atteindrait  pas  la  France,  En  traversant 
la  Méditerranée,  il  inclinerait  do  plus  en  plus 
vers  l'est  et  se  porterait  sur  l'Italie.  Quand  le 
vent  du  sud  ou  sud-ouest  règne  sur  la  Provence, 
l'Afrique  du  nord  est  souverjt  parcourue  par  des 
vents  du  nord.  Quant  aux  poussières  que  les 
pluies  déposent  en  divers  points  de  la  Sicilf,  de 
l'Italie,  de  la  France  môme,  et  qu'on  croit  venues 
du  grand  désert,  nous  remarquerons  d'abord 
qu'elles  n'apportent  avec  elles  aucun  certificat 
d'origine,  et  qu'on  en  a  vu  tomber  sur  la  Côte- 
d'Or  deux  ou  trois  jours  avant  qu'elles  arrivent 
sur  la  Sicile.  Toutes  les  tempêtes  soulèvent  des 
poussières  d'un  sol  desséché,  et  lés  terres  les 
plus  éloignées  peuvent  présenter  le  môme  as- 
pect et  fournir  les  mêmes  éléments  sous  le  mi- 
croscope. 

Nous  avons  dit  ailleurs  un  mot  àafœhn  des  Alpes, 
que  l'on  considère  aussi,  en  raison  de  sa  tempé- 
rature élevée,  comme  un  prolongement  du  si- 
rocco d'Afrique  (V.  Température).  Ce  sont  là 
autant  de  préjugés.  Même  en  dehors  des  dévia- 
tions que  leur  impriment  les  inégalités  du  sol, 
les  vents  ne  se  propagent  pas  en  ligne  droite,  et 
les  plus  violents  d'entre  eux  ont  une  origine  rela- 
tivement pou  lointaine. 

La  circulation  générale  de  l'atmosphère  peut 
transporter  vers  les  pôles  de  l'air  échauffé  dans  les 
régions  équatoriales  ou,  réciproquement,  rame- 
ner vers  réquateur  l'air  rafraîchi  des  régions 
tempérées.  Cette  circulation  à  large  envergure 
(V.  Courants  aériens)  est  toujours  lente  et  pai- 
sible dans  son  ensemble.  Elle  don.ne  leurs  allures 
à  nos  saisons,  suivant  que  nous  sommes  acciden- 
tellement placés  dans  le  prolongement  du  cou- 
rant équatorial  qui  nous  vient  de  l'ouest  par 
l'Atlantique,  ou  bien  que  nous  sommes  dans  le 
courant  de  retour  qui  nous  vient  soit  des  hautes 
régions  de  l'atmosphère,  auquel  cas  le  vent  est 
faible  et  de  direction  variable,  l'air  sec  et  chaud  en 
été,  froid  en  hiver  ;  soit  des  hautes  latitudes,  auquel 
cas  le  vent  est  plus  fort,  de  direction  plus  accen- 
tuée vers  le  nord-est,  et  reste  généralement  sec  en 
étant  frais  en  été  et  très  piquant  en  hiver.  Mais 
sur  ce  courant  équatorial  aux  masses  tranquilles 
naissent  et  se  propagent  des  mouvements  tour- 
nants, qui  superposent  leur  circulation  propre  à 
celle  du  courant  au  milieu  duquel  elles  sont  for- 
mées, et  donnent  aux  vents  et  à  l'état  du  ciel  les 
incessantes  variations  qu'on  remarque  dans  nos 
régions  tempérées. 

A  côté  des  influences  générales  que  nous  ve- 
nons de  résumer,  se  placent  des  influences  tou- 
tes locales,  telles  que  celles  qui  donnent  naissance 
aux  brises  de  terre  ou  de  mer,  de  vallées  ou  de 
montagnes  ;  telles  encore  que  celles  qui  résul- 
tent des  saillies  montagneuses  du  sol  ou  de  l'o- 
rientation de  leurs  pentes  (V.  Température,  Cou- 
rants aériens,  Météoro(jnosie). 

Les  orages  accompagnent,  même  en  hiver,  les 
grandes  tempêtes  tournantes,  surtout  celles  qui 
entrent  les  premières  dans  une  atmosphère  calme 
depuis  quelques  semaines.  A  mesure  qu'on  pé- 
nètre plus  avant  dans  la  saison  chaude,  les  mou- 
vements tournants  dans  lesquels  ils  se  produisent 
deviennent  de  plus  en  plus  faibles.  Les  orages 
locaux  nés  sur  place  sont  extrêmement  rares,  et 
chaque  canton  les  voit  venir  du  canton  qui  le 
précède  dans  l'ouest  ou  le  sud-ouest.  En  réalité, 
les  zones  traversées  par  l'orage  ont  quelquefois 
plusieurs  centaines  de  lieues  de  longueur  sur  une 
largeur  relativement  faible.  Ce  n'est  certainement 
pas  le  même  nuage  orageu-x  qui  parcourt  ces 
longs  espaces  ;  c'est  le  môme  disque  tournant 
qui  s'y  propage  avec  sa  zone  semi-circulaire  sur 


TEMPS 


2149  — 


TEMPS 


laquelle  les  nuages  orageux  se  renouvellent  sans 
cesse.  Cette  zone,  dans  sa  progression  vers  l'est, 
est  généralement  coupée  en  deux  de  ses  points 
par  un  môme  canton  sur  lequel  sévissent  alors 
deux  orages  successifs  appartenant  au  même 
disque  tournant.  De  l'un  à  l'autre  orage,  le  vent 
a  tourné  alors  du  sud-ouest  vers  le  nord-ouest. 
.Mais  un  do  ces  orages  peut  donner  lieu  à  un 
mouvement  circulaire  plus  circonscrit  qui  voyage 
avec  le  disque  tournant  sur  lequel  il  s'est  formé. 
C'est  une  trombe  dévastant  le  pays  sur  une 
bande  longue  et  étroite  légèrement  contournée 
vers  le  nord. 

Il  ne  faudrait  pas  conclure  de  ce  qui  précède 
que  le  mouvement  tournant  de  l'air  soit  la  cause 
indispensable  des  orages.  Ceux-ci  résultent  du 
mouvement  ascensionnel  de  l'air  et  des  nuages 
qu'il  produit.  Le  mouvement  tournajit  favorise 
l'ascension  de  l'air;  mais  celle-ci  peut  avoir  lieu 
sans  lui.  Les  orages  sont  incessants  dans  l'an- 
neau de  nuages  de  la  zone  équatoriale  des 
grands  océans  ;  ils  sont  assez  fréquents  au  sommet 
des  montagnes  élevées  formant  un  pic  isolé  dans 
la  plaine  (V.  Or^f/fs).  [Marié-Davy.] 

TEMl'S.  —  Grammaire,  XII.  —  La  durée  se 
divise  naturellement,  pour  cbacun  de  nous,  en 
deux  grandes  périodes,  que  sépare  cet  Instant 
dont  Bolleau  a  si  bien  décrit  la  fuite  rapide  : 
"  Le  moment 'Âi  je pntle  est  déjà  loin  de  moi.  » 
Tout  le  temps  qui  s'est  écoulé  avant  ce  moment 
delà  parole,  se  nomme  le  pa\sé ;  tout  le  temps 
qui  doit  le  suivre,  s'appelle  le  futur;  et  cet  ins- 
tant lui-môme,  dont  le  déplacement  accroît  sans 
cesse  le  domaine  du  passé  en  entamant  l'avenir, 
se  nomme  le  présent. 

Passe,  présent,  futtcr,  voilà  donc  les  grandes 
divisions  que  l'on  peut  établir  dans  cette  succes- 
sio}i  des  phénomènes  que  l'on  appelle  le  temps. 

Dans  le  système  des  langues  Indo-européennes, 
et,  par  conséquent,  dans  la  langue  française,  le 
verbe  a  la  propriété  d'Indiquer,  d'une  manière 
générale,  à  quelle  époque  de  la  durée  s'est  accom- 
plie l'action  qu'il  exprime.  Les  formes  de  la  con- 
jugaison qui  servent  à  l'expression  de  cette  Idée, 
constituent /es  temps. 

On  comprendra  très  facilement  le  procédé  à 
l'aide  duquel  la  notion  du  temps  s'est  Introduite 
dans  le  vei-be,  si  l'on  considère,  par  exemple,  le 
futur  français  i'aiinerai,  ou  le  conditionnel,  j'«(- 
merais. 

La  première  de  ces  formes,  i'aimerai,  se  com- 
pose de  deux  parties,  dont  l'une,  l'infinitif  aimer, 
est  dérivée  de  la  forme  latine  correspondante 
amare,  tandis  '|ue  l'autre,  ai,  est  empruntée  au 
présent  de  l'indicatif  de  l'auxiliaire  avoir  :  de  sorte 
que  le  terme  «  j'aimerai  ■>  n'est  à  vrai  dire  que 
la   locution  •■  j'ai  à  niiner  «  légèrement  modifiée. 

Il  en  est  de  môme  de  "  j'aimerais,  »  qui  n'est 
que  la  combinaison  de  l'infinitif  aimer  avec  l'im- 
parfait de  l'indicatif  «  j'avais  n  contracté  :  ce  qui 
explique  d'ailleurs  pourquoi  le  modo  que  nons 
appelons  conditionnel  équivaut  à  l'imparfait  du 
futur  dans  une  foule  de  phrases  pareilles  à  celle- 
ci;  «  Je  tow^protnettaii  que  je  viemliais  »,  où  le 
prétendu  coiidltlonncl  n'est  qu'un  imparfait  du 
futur,  comme  le  démontre  le  simple  rapproche- 
ment de  la  phrase  suivante  :  «  Je  vous  promets 
que  je  viendiai.  « 

En  grec  et  en  latin,  l'Indication  du  temps  se 
fait  par  un  procédé  absolument  identique  ;  seu- 
lement, l'auxiliaire  s'intercale  ordinairement,  dans 
ces  langues,  entre  le  radical  verbal  et  les  autres 
suffixes  qui  constituent  le  radical  temporel.  Ainsi, 
je  délierai  se  dit,  en  grec,  tysô,  expression  com- 
posée dans  laquelle  l'analyse  nous  montre  :  I"  le 
radical  verbal  ly,  qui  exprime  l'idée  de  délier  ; 
2°  un»',  emprunté  au  futur  de  l'auxiliaire  qui  si- 
gnifie être  en  grec.  Quant  à  Vu  qui  suit,  c'est  tout 


simplement  une  lettre  de  liaison,  qui  s'est  allon- 
gée pour  compenser  la  chute  de  la  désinence 
personnelle  mi,  correspondant  à  moi  ou  je,  et 
caractérisant  la  première  personne   du  singulier. 

C'est  ainsi  qu'en  latin  amnvi  (j'ai  aimé),  par- 
fait du  verbe  amo,  est  l'oriné  du  radical  verbal 
ariw,  qui  exprime  l'idée  d'aimer,  et  de  fui,  par- 
fait de  l'auxiliaire  qui  signifie  être  ;  c'est  oiicore 
ainsi  que  le  plusque-parfalt  amnveram  (j'avais 
aimé)  est  formé  du  môme  radical  ama,  et  de 
fui  —  eram,  qui  sont  le  parfait  et  l'Imparfait  do 
ce  môme  auxiliaire. 

La  synthèse  est  très  étroite,  on  le  voit,  dans 
les  deux  lansuos  classiques.  Cependant,  le  grec 
et  le  latin  ont,  comme  le  français,  des  formes  où 
l'auxiliaire,  au  lieu  d'être  inséré  dans  le  radical 
temporel,  est  ju-rlaposé,  et  pincé  après  oa  avant 
le  verbe  suivant  les  exigences  de  l'euphonie. Telles 
sont  les  formes  amatus  sitn,  eu  latin,  pephiléuie- 
nos  ïi,  en  grec,  où  sim  et  ô  sont  des  auxiliaires. 
Ces  formes  analytiques  ont  servi  de  mod  les  aux 
temps  que  nous  formons  en  français  à  l'aide  d'a- 
voir ut  d'être,  isolés  ou  combinés,  comme  dans  les 
expressions  «  que  nous  soi/ous  aimés,  que  nous 
aijons  été  aimés.  » 

C'était  trop  peu  cependant  que  de  pouvoir  ex- 
primer, à  l'aide  des  formes  verbales,  ces  deux 
grandes  divisions  du  temps,  le  passé  et  le  futur, 
ainsi  que  le  moment  de  la  parole,  qui  les  sépare. 
Pour  donner  au  langage  plus  de  clarté  et  de  pré- 
cision, on  ajouta,  à  ces  trois  temps  principaux, 
les  temps  second'itres,  ainsi  nommés  parce  qu'ils 
ne  sont  qu'une  subdivision  des  premiers. 

Nous  n'Insisterons  pas  sur  la  manière  dont  ils 
furent  formés  ;  on  y  inséra  naturellement  l'auxi- 
liaire que  renfermait  le  temps  principal;  mais, 
pour  mieux  marquer  l'idée  de  passé  ou  d'antério- 
rité, on  plaça,  avant  leur  radical,  un  préfixe  si- 
gnifiant autrefois  ou  jadis.  Ces  éléments,  soudés 
en  quelque  sorte  par  la  rapidité  de  la  prononcia- 
tion, constituèrent  des  tpmps  absolument  pareils 
aux  premiers.  Tel  est  l'imparfait,  temps  secon- 
daire du  présent,  et  ainsi  nommé  parce  que  l'ac- 
tion qu'il  exprime  s'accomplissait  encore  et,  par 
conséquent,  était  imparfaite  quand  une  autre 
s'est  produite.  Ex.  :  «  i' écrivais  quand  vous  êtes 
entré.  » 

Ici,  les  deux  actes  sont  simultanés,  et  l'impar- 
fait se  rattache  naturellement  au  présent,  puis- 
que le  fait  qu'il  exprime  itail  présent  au  moment 
où  l'autre  fait  s'est  accompli. 

Le  passé,  en  grec,  a  trois  formes  :  l'aoriste, 
ou  passé  indéfini,  le  parfait,  et  le  plus-que- 
par  fait.  , 

Le  latin  n'a,  pour  exprimer  le  passe,  que  le 
parfait  et  le  plus-que-par fail. 

La  langue  française,  outre  le  passé  défini,  qui 
correspond  à  l'aoriste  des  Grecs,  et  le  passé  indé- 
fini, qui  correspond  au  parfait,  a  encore  le  passé 
antérieur  et  lo  plus-que-parfait. 

On  pourra  s'étonner  que  le  temps  qui  s'appelle 
indéfini  en  grec  se  nomme  défini  en  français. 
Pour  se  rendre  compte  de  cette  anomalie  appa- 
rente, il  suffit  do  remarquer  la  différence  du  pomt 
do  vue  où  se  sont  placés  les  grammairiens  qui  ont 
donne  au  même  temps  deux  appellations  con- 
traires. Les  grammairiens  anciens,  considérant 
que  ce  temps  est  de  sa  nature  indéfini,  l'ont  ap- 
pelé aoriste,  parce  qu'ds  l'envisageaient  absolu- 
ment, c'ist-à-dlre,  sans  aucun  rapport  avec  les 
mots  qui  le  complètent.  Les  modernes,  au  con- 
traire, remarquant  que  ce  temps  est  toujours  ac- 
compagné d'un  complémeiit  circonstanciel  qui  le 
détermine,  l'ont  appelé  pour  cette  raison  défini, 
parce  qu'il  est  en  réalité  défini  dans  la  proposi- 
tion, bien  qu'il  soit  indéfini  par  lui-mônie. 

Ex.  :  Je  vins  h  Paris  la  semaine  dernière. 

Le  passé   indexai,  comme  le  parfait  des  lan- 


TEMPS 


—  2150  — 


TEMPS 


gucs  classiques,  exprime  qu'une  action  est  faite, 
sans  indiquer  les  circonstances  qui  en  accompa- 
gnent l'accomplissement.  Ex.  :  J'ai  fini  mon 
devoir;  j'ai  lu  ce  livre. 

Lo  passé  antérieur,  comme  le  fait  comprendre 
son  nom,  indique  que  l'action  qu'il  exprime  en  a 
précédé  une  autre.  Ex.  :  A  peine  j'eus  parlé  que 
mon  père  arriva. 

Quant  au  plus-que-pnrfail.  il  sert  à  indiquer 
qu'un  acte  était  tout  à  fait  accompli  quand  un 
autre  s'est  produit.  Ex.  :  J'avais  appris  ma  leçon 
quand  la  classe  commença. 

Le  futur  a  un  temps  secondaire,  qui  marque 
qu'une  action  sera  déjà  faite  quand  une  autre  se 
produira.  Ex.  ;  J'aurai  fini  quand  vous  viendrez. 
On  appelle  pour  cette  raison  ce  temps  le  futur 
antérieur,  c'est-à-dire,  le  (Mm  qui  précédera  un 
second  futur. 

Tous  les  temps  dont  se  compose  la  conjugaison 
française  sont  indiqués  dans  le  tableau  suivant  : 


TEMPS  PnI^•CIPAUX 


r 


Passé  aolérieur 
Plus-que-parfait 


Temps        seco 
Imparfait 


Futur  aatiérieur 


Tous  ces  temps  peuvent  se  présenter  sous  des 
formes  différentes,  que  l'on  appelle  leurs  modes 
ou  manières  d'être.  Ceux  qui  prennent  les  for- 
mes les  plus  nombreuses  sont  le  passé  et  le 
présent,  qui  passent  par  les  six  modes  (V.  Modes). 

EXERCICE-.  —  La  conjugaison  joue,  dans  la  lan- 
gue, un  rôle  si  considérable,  qu'on  ne  saurait  faire 
trop  d'efforts  pour  rendre  familière  aux  élèves  la 
notion  des  temps,  ainsi  que  leur  emploi  dans  le 
discours. 

Les  maîtres  veilleront  tout  d'abord  h  ce  qu'il  ne 
se  produise  dans  l'esprit  des  élèves  aucune  con- 
fusion entre  les  temps  et  les  modes.  Ils  s'attache- 
ront à  faire  bien  comprendre  aux  enfants  que,  si 
un  homme  peut  s'habiller  suivant  des  modes  dif- 
férentes sans  cesser  pour  cela  d'être  toujours  le 
même  homme,  le  mêmetemps  peut  aussi,  sans  chan- 
ger de  nature,  revêtir  des  formes  très  différentes. 

Les  maîtres  ne  laisseront  donc  jamais  passer, 
sans  les  rectifier,  ces  fautes  qui  échappent  si  sou- 
vent aux  élèves  :  a  Ce  verbe  est  à  Vindicatif,  au 

subjonctif,  à  l'i7idicatif  présent Ils  exigeront 

toujours,  mais  surtout  dans  les  premières  années, 
des  indications  complètes  et  exactes.  Ainsi,  l'élève 
de^Ta  dire  :  <i  J'aime  est  au  présent  du  mode 
indicatif;  j'aurais  aimé  est  au  passé  du  mode 
conditiunnei,  »  etc.  On  ne  doit  pas  craindre  de 
prendre  ici  trop  de  précautions. 

Les  exercices  oraux  et  écrits  contribueront 
d'ailleurs  plus  efficacement  que  les  théories 
même  les  plus  claires  à  familiariser  les  élèves  avec 
la  notion  et  l'emploi  des  temps.  On  ne  saurait  trop 
multiplier  les  premiers,  ni  user  des  seconds  avec 
trop  de  mesure.  Les  interrogations  ont  l'avantage 
de  tenir  toujours  en  éveil  l'attention  des  enfants; 
chacun  d'eux  s'efforce  de  trouver  avant  les  autres 
la  forme  convenable ,  et  une  vive  émulation 
anime  ainsi  toute  la  classe,  qui  fait,  dans  un  temps 
donné,  beaucoup  plus  de  progrès  que  si  l'on  em- 
ploie les  exercices  écrits. 

On  ne  saurait  trop  se  garder  surtout  de  donner 
à  conjuguer  des  verbes  tout  entiers  :  aucun  travail 
n'ennuie  davantage  les  élèves.  Quel  maître  ne  les 
a  pas  surpris,  préoccupés  avant  tout  de  se  dissi- 
muler la  muroionie  de  ce  dc\oir,  et  remplissant 
machinalement  les  colonnes  de  leur  cahier, 
tantôt  de  la  série  des  radicaux,  taniôt  de  la  série 
des  terminaisons,  sans  consulter  d'autre  guide 
que  leur  caprice  ?  Quel   fruit  pieuvent-ils  retirer  I 


dun  semblable  passe-temps?  Sans  doute,  il  faut 
que  les  élèves  soient  exerces  à  conjuguer  par 
écrit,  puisque  l'orthographe  n'apparaît  pas  assez 
dans  les  exercices  oraux.  Mais,  au  lieu  de  faire 
conjuguer  sans  réffexion  des  séries  interminables 
de  verbes,  pourquoi  ne  demanderait-on  pas  deux 
personnes  seulement  de  chaque  temps  ?  Quand  un 
enfant  écrira  «  il  aime,  ils  aiment,  —  il  aimait, 
i/s  aimaient,  ,,  son  esprit  sera  forcément  frappé 
de  la  différence  que  présentent  la  troisième  per- 
sonne du  singulier  et  la  troisième  du  pluriel  :  il 
aura  appris  quelque  chose. 

On  peut  aussi  exercer  les  enfants  à  remplacer 
le  pluriel  par  le  singulier  et  le  singulier  par  le 
pluriel,  ou  à  faire  passer  un  même  temps  par  les 
différents  modes  qu'il  peut  prendre,  sur  ce  mo- 
dèle ; 

Temps  présent  : 
Je  chante, 
Je  chanterais, 
Chante, 
Que  je  chante, 
Chanter, 
Chantant. 

Cet  exercice  montrerait  aux  élèves,  et  beaucoup 
plus  clairement  que  toutes  les  leçons,  que  les  mo- 
des ne  sont  en  réalité  que  les  différentes  maniè- 
res d  être  de  chaque  temps,  et  substituerait  à 
toutes  les  abstractions  dont  ces  formes  ont  été  la 
cause,  une  notion  précise,  tirée  d'un  fuit  qui  frappe 
les  moins  clairvoyants. 

Nous  avons  réservé  pour  la  fin  un  genre  d'exer- 
cice très  attrayant  et  que  nous  avons  toujours  vu 
employer  avec  beaucoup  de  succès.  Le  maître 
choisit  une  petite  anecdote,  un  petit  portrait,  une 
description  courte;  après  en  avoir  retranché  toutes 
les  propositions  qui  ne  pourraient  pas  être  modi- 
hees  facilement  par  les  élèves,  il  dicte  ce  texte 
et  en  fait  mettre  les  verbes  à  tel  temps  qu'il  lui 
plaît,  d  1  aide  de  certaines  modifications  dont  nous 
allons_donner  ici  quelques  exemples. 

Modèles  d'exercices  sur  le  verbe  avoir. 
l'ane. 
Présent  de  l'indicatif.  —  1"  Es.  Écrives  les  dnes  et 
nutluz  au  pluriel,  dans  l'exercice  suivant,  les  mots  qui 
lie  peuvent  rester  au  singulier. 

Sans  doute  l'dne  n'a  point  la  noblesse  du  che- 
val ;  mais  il  a  ses  qualités.  L'âne  a  la  patience,  il 
a  la  sobriété  en  partage.  Il  a  enfin  toutes  les 
qualités  de  sa  nature  ;  et,  s'î'^n'a  pas  le  premier  rang 
dans  nos  fermes,  il  a  certainement  le  second.  //  a 
même  la  jambe  plus  sèche  et  plus  nette  que  le  che- 
val. Dans  sa  première  jeunesse,  il  a  de  la  légè- 
reté et  de  la  gentillesse.  Il  a  en  outre  l'œil  bon,  le 
pied  sur,  l'oreille  excellente.  Sans  doute,  il  n'a 
pas  la  majestueuse  allure  du  chevcd ;  mais  il  n'a 
pas  non  plus  les  mêmes  besoins.  En  un  mot,  il  a 
son  utilité,  et,  pour  cette  raison,  il  a  droit  à  tous 
nos  égards.  (D'après  Biffon.) 


2»  Ex.  Mettez  l'exercice  précédent  à  la  : 
singulier  du  présent  de  l'indicatif.  Ecrive; 
disait  à  son  âne  :  Si  tu.  n'as  point  la  noble 
tu...,  etc. 


personne  du 
:  Un  fermier 
fc  du  cheval, 


3'  Ex.  Mettez  l'exercice  précédent  à  la  2»  personne  du 
pluriel  du  même  temps.  Ecrivez  :  Des  fermiers  disaient 
à  leurs  ânes  :  Si  vous  n'avez  pas....  etc. 

Mettez   le  même   exercice   à  la    1"  personne  du 


'J" 


,  etc. 
■sonne  du  pluriel. 


singulier.  Ecrivez  :  Un  âne  disait  : 

5-   Ex.  Même  exercice    à  la    1" 

Ecrirez  :  Des  ânes  disaient  :  Si  nout 

Exercices  sur  la  V  conjugaison. 
Voici  un  exercice  que  l'on  pourra  faire  passer 
par  beaucoup  de  temps  : 

■  du  présent 


TEMPS 

I.F,  CHIEN  FAIT  SON  ÉLOGE. 


2151  — 


"EMPS 


Indépendamment  de  la  beauté  de  la  forme,  j  m 
toutes  les  qualités  qui  attirent  les  regards  de 
riiomme.  Fidèle  à  mo^i  maître,  je  rumpe  h.  ses 
pieds,  je  le  consulte,  je  le  supplie.  Je  7i'ai  pas,  il 
est  vrai,  comme  Vhnmnie,  les  lumières  de  la  rai- 
son ;  mais  je  suis  docile  et  constant  dans  mes  af- 
fections. Moins  seiisilile  h  la  colère  qu'aux  bons 
sentiments,  je  caresse  la  main  qui  me  frappe;  7e 
ne  lui  oppose  que  la  plainte,  et  je  la  désarme  par 
ma  patience  et  ma  soumission.  (D'après  Buffon.) 

Mettez  cet  exercice  aux  autres  personnes  du  présent. 
Ex.  :  lo  Les    chiens    font  leur   éloge.  Ecrivez  :  Indépen- 


iridépendatnment...    tu 


dan^nient...  nou 
Ex.    : 

Ex.  :  3°  Ecrivez  :  0  chiens,  indépendamment...  vous 
avez...,  etc. 

Ex.  :  4»  Ecrivez  :  Indépendamment...  le  chieù   a...,  etc. 

Ex.  :  5»  Ecrivez:  Indépendamment...  les  chiens  ont...,  etc. 

Imparfait  de  l'indicatif.  —  Mettez  les  verbes  à  la 
t'°  personne.  Un  chien  raconte  ce  qu'il  ét.ait  autrefois. 
Ecrivez  :  Indépendamment  de  la  beauté,  j'avais  autre- 
fois..., etc. 

Voici  un  exercice  d'un  autre  genre  : 

LA  CONSIGNE. 

1"  Ex.  Mettez  les  verbes  entre  parenthèses  au  futur. 

tt  Mon  ami,  dit  un  jour  un  général  à  un  brave 
soldat,  tu  [grimpes)  à  la  muraille.  La  sentinelle 
(crie)  Qui  vive?  tu  ne  (souffles)  mot.  Elle  (crie)  en- 
■core  Qui  vive?  tu  ne  (bouges)  pas.  Due  troi- 
sième fois,  elle  (donande)  Qui  vive?  Pendant  tout 
ce  temps,  tu  [arrives)  au  haut  de  la  muraille. 
La  sentinelle  (tire)  sur  toi,  elle  te  (manque). 
Tu  (tires)  à  ton  tour,  tu  la  (tues);  les  ennemis 
\:[entourcnt\  ;  mais  nous  (plaçons)  des  échelles, 
nous  (moidons),  nous  te  (snuwons),  et  la  ville  {est) 
prise.  »  —  Tout  arriva  comme  l'avait  dit  le  géné- 
ral. 

i°  Ex.  Mettez  les  verbes  au  pluriel  et  h.  la  même  personne 
du  futur.  Ecrivez  :  Mes  amis,  vous  grimperez...,  etc. 

3°  Ex.  Faites  pour  le  conditionnel  les  mêmes  exercices 
<iue  pour  le  futur. 

Exercices  sur  les  verbes  en  cer  et  en  ger. 

Les  temps  les  plus  difficiles  sont  Vimparfait  de 
l'i'idicatif,  le  passé  défini  et  l'imparfait  du  subjonc- 
tif. Nous  allons  donner  un  texte  qui  se  prête  à 
plusieurs  exercices  : 


L  ENFANT  BIEN  ELEVE. 
1*^  Ex.  Mettez  les  verbes  soulignés  au  ï 


f  défini. 


Un  enfant  bien  élevé  devance  toujours  les  dé- 
sirs de  ses  parents,  et  il  s'efforce  constamment  de 
satisfaire  ses  maîtres.  Il  ne  les  afflige  point  par 
sa  paresse;  il  corrige  ses  défauts.  Il  n'agace  point 
ses  camarades;  il  ne  les  menace  point;  il  ne  les 
dérange  jamais.  En  un  mot,  il  n'exerce  point  la 
patience  de  ses  condisciples,  et  il  dirige  sa  con- 
duite de  manière  à,  mériter  l'affection  de  tous  ceux 
qui  l'entourent. 

'2"  Ex.  :  Mettez  les  verbes  i\  la  I"  personne  du  singulier 
ihi  même  temps,  et  écrivez  :  Enfant  bien  élevé,  je  deoancai 
^toujours  et  je  m'e/for...,  etc. 

3"  Ex.  ;  Mettez  les  verbes  à  la  1"  per.sonne  du  pluriel  du 
même  temps,  et  écrivez  :  Enfants  bien  élevés,  nous  dcuan- 
rallies...,  et  nous  nous  effor...,  etc. 

4»  Ex.  :  Mettez  les  vorlies  à  la  2°  personne  du  sinçnlier 
du  passé  défini,  et  écrivez  :  Enfant  bien  élevé,  lu  deoan- 
ças...  toujours  et  tu  t'i'lfiy,\...  etc. 

S»  Ex.  :  Mettez  les  verbes  '.  la  a"  personne  du  pluriel  du 
même  temps,  et  écrive/.  :  îjil-tits  bien  élevés  vous  deran... 
toujours...  et  vous  vous  a/fa,-...,  rie. 

0»  Ex.  :  .Mettez  :  «  /;  falluil  ■>  .levant  chaque  phrase,  et 
mettez  les  verbes  soulignés  4  [l'imparfait  du  subjonctif. 


IV. 'z  :  //  fallnil  qu'un  enfant...  devançai...  et  f/u'il  s'ef- 
fiircàl. 

7"  Ex.;  Ecrivez  :  «  /(  fallait  »  devant  chaque  phrase,  et 
mettez  les  verbes  à  la  3°  personne  du  pluriel.  Ecrivez  :  Il 
fallait  que  des  enfants  bien  élevés  devançassent...  et 
qiCih  s-e/for... 

Pour  introduire  de  la  variété  d,an3  ces  exercices, 
on  pourra  écrire  au  tableau  noir,  divisé  en  deux 
colonnes,  un  certain  nombre  de  verbes  et  les 
compléments  qui  leur  conviennent.  Los  élèves  de- 
vront réunir  ces  éléments  dans  do  petites  pbrasos, 
en  mettant  les  verbes  au  temps,  au  mode,  et  à  la 
personne  que  leur  indiquera  un  modèle.  Exem- 
ples : 
Choisissez  dans  la  colonne   de  droite  un  complément  qui 

convienne  A  chacun  des  verbes  de  la  colonne  de  gauche, 

et  imitez  les  modèles  suivants  : 

1"  modèle  :  Nous  corrigeons  la  dictée. 

Manger.   —    Effacer. 

—  Tracer.   —    Froncer. 

—  Forger.  —  Corriger. 

—  Enfoncer.  ^   Amor- 
cer. 


Dessin.   —  Tache.  — 
Sourcil.  —  Clef.  —  Pieu. 

—  Hameçon.   —  Fruit. 

—  Dictée. 


Encourager.  —  Juger. 

—  Soulager.  —  Lancer. 

—  Percer.   —    Rédiger. 

—  Infliger.  —  Exaucer. 


Infortune.—  Coupable. 
—  Trou.  —  Désir.  —Pu- 
nition. —  Elève.—  Pier- 
re. —  Lettre. 


V  modèle  ;  Nous  exerçâmes  la  raéiuoiro. 

3'  modèle  :  Il  fallait  hier  que  je  corrigeasse  le 
devoir.  .    , 

i'  modèle  :  Il  fallait  autrefois  qu'il  exerçât  la 
mémoire. 

On  donnera,  naturellement,  comme  modèles  les 
temps  et  les  modes  qui  présentent  quelque  par- 
ticularité. 

On  donnera  aussi  aux  élèves  des  exercices  ou 
plusieurs  verbes,  présentant  ou  non  des  particu- 
larités, seront  réunis.  Ex.  : 

Exercices  de  récapitulation  sur  la  \"  conjugaison. 

LE  PERROQUET. 

1"  Ex.  Ecrivez  :  les  Perroquets,  et  mettez  ce  morceau 
au  pluriel. 

Non  seulement  le  perroquet  a  la  facilité  d'i- 
miter la  voix  de  l'homme  ;  il  seinhh  encore  en 
avoir  le  désir.  Il  le  manifeste  par  son  atten- 
tion à  écouter,  par  l'étude  à  laquelle  il  se  livre 
pour  répéter,  et  il  renouvelle  ret  effort  à  tout 
instant  :  car  il  bégaye,  il  gazouille  souvent  quel- 
qu'une des  syllabes  qu'il  a  entendues,  et  il  cher- 
che à  prendre  le  dessus  de  la  voix  qui  frappe  son 
oreille,  en  faisant  éclater  la  sienne. 

(D'après  Buffon.) 

2°  Ex.  Mettez  les  verbes  à  la  3«  personne  du  sing.  du 
passé  défini.  —  Modélb  ;  Le  perroquet  eut...  il  sembla... 

3'  Ex.  Mettez  les  verbes  1  la  1"  personne  du  pluriel  du 
présent  de  l'indicatif.  Ecrivez  :  Nous,  perroquets,  nous 
avons  la  facilité...,  etc.  ,     .  ,  , 

4»  Ex.  Mettez  les  verbes  à  la  3"  personne  du  pluriel  du 
futur  simple.  Ecrivez  ;  JVort  seulement  les  perroquets  au- 
ront..., etc.  ,      .       ï-      j 

5»  Ex.  Mettez  les  verbes  à  la  3'  personne  du  singulier  du 
conditionnel  présent.  Ecrivez  :  Non  saUemeiit  le  perroquet 
aurait....  etc.  .     ■  ,    , 

S»  Ex.  Mettez  les  verbes  à  la  3'  personne  du  pluriel  du 
conditionnel  présent.  Ecrivez  :  Non  seulement  les  perro- 
quets auraient...,  etc. 

Exercices  sur  la  2=  conjugaison. 


1"  Ex.  Mettez  au  pluriel  les  mots  en  italique. 

La  chèvre  fournit  du  lait,  et  son  poil  un  peu 
rude  affermit  les  étoffes.  Elle  est  plus  /e'/(?i'e  et 
moins  timide  que  la  brebis;  elle  gravit  les  co- 
teaux; e//e  bondit  sur  la  pointe  des  rochers; 


TEMPS  (MESURE  DU)      —  2152  —       TEMPS  (MESURE  DU) 


elle  franchit  les  torrents  et  choisit  de  préférence 
pour  SCS  ébats  les  lieux  escarpés  ou  le  tjord  des 
précipices.  (D'après  Buffon.) 

2'  Es.  La  chèvre  fait  ■;on  portrait.  Ecrivpz  :  Je  fnnr- 
ni.s^...,  etc..  et    mettez  les  verbes   au  présent  de  riridic.ilil. 

"'  El.  Les    chèvres    font    leur    portrait.   Ecriiez  :  Kous 


fourr 


ssons 


,  etc. 


4"  Ex.  Ecrivez  :  0  chèvre,   tu    fournis...,  et  mettez   I 
Tcrbes  .i  la  I"  personne  du  pluriel. 

5»  Ex.  Ecrivez  :  0  chèvres,   vous  fournissez...,  et  mett 
les  vertes  i  la  2"  pcr.sonne  du  pluriel. 

nèmes  exercices  à  l'imparfait  do  l'indicatif. 


Faites  le 


Enfin,  on  pourra  réunir,  dans  le  même  mor- 
ceau, des  verbes  appartenant  à  des  conjugaisons 
différentes.  Ces  exercices  serviront  de  récapitula- 
tion. Ex.  : 

Exercice  de  récapitulation  sur  la  \"  et  la  2«  con- 
jugaison. 
Mettez  au  pluriel  les  mots  en  italique. 

Quelle  diversité  dans  les  cris  que  pousse  la 
béte  ! 

Le  coursier  hennit,  le  bœuf  heiigle  ou  mugit,  le 
chien  ahi.ie,  le  cochon  grogne,  le  mouton  bêle,  le 
chat  miaule,  te  coq  chante,  la  poule  caquette  it 
glousse,  le  poulet  piaule,  le  lion  rugit,  le  loup 
hurle,  le  renard  glapit,  le  cerf  bi-ame,  la  tourte- 
relle roucoule,  la  corneille  croasse,  la  grenouille 


Les  instituteurs  trouveront  facilement  le  moyen 
de  varier  encore  la  forme  de  ces  devoirs. 

[C.  Rouzé.] 

TESirs  (Mesure  du).  —  Arithmétique,  XXXVI; 
Connaissances  usuelles,  VIII.  —  l.  Unités  de 
temps.  —  L'unité  fondamentale  dans  la  mesure 
du  temps  est  le  Jota:  Nous  n'avons  pas  à  expli- 
quer ici  la  définition  astronomique  de  sa  du- 
rée (V.  Jour)  ;  nous  nous  bornerons  à  dire  que 
dans  le  langage  ordinaire  cette  unité  est  le  temps 
qui  s'écoule  entre  deux  passages  consécutifs  du 
soleil  au  méridien.  Il  comprend  deux  parties, 
colle  pendant  laquelle  nous  jouissons  de  la  lu- 
micro  du  soleil  et  qui  porte  spécialement  le  nom 
de  jour,  l'.iutre  pendant  laquelle  nous  sommes 
privés  de  la  lumière  de  cet  astre  et  qui  est  nommée 
la  nuit.  Ces  deux  parties,  qui  sont  cliacune  de 
grandeur  varioble,  ont  une  durée  totale  cons- 
tante. 

Le  jour  se  divise  en  24  heures;  l'heure  à  son 
tour  se  divise  en  60  parties  égales  nommées  »iint/(es, 
et  la  minute  en  (iO  parties  égales  nommées  se- 
condes. La  seconde  est  une  unité  assez  petite 
pour  qu'il  soit  absolument  inutile  de  parler  d'une 
subdivision  que  certains  auteurs  font  connaître 
sous  le  nom  de  tierce. 

Dans  les  calculs  on  désigne  ces  unités  par  la 
lettre  initiale  de  leur  nom,  qui  se  place  au-des- 
sus du  nombre  et  un  peu  à  droite.  Par  exemple 
pour  5  heures  8  minutes  et  12  secondes,  on  écrit 
5'  8°  UK 

Il  faut  éviter  d'employer  pour  les  minutes  et 
les  secondes  de  temps  les  signes  adoptés  pour 
les  minutes  et  les  secondes  de  la  circonférence. 
L  expression  s' 12'  désigne  S  minutes  12  secondes 
de  circonférence  etnon  8  minutes  12  secondes  de 
temps. 

Comme  unités  plus  grandes  que  le  jour,  on 
emploie  Vannée  et  le  mois.  On  peut  voir  aux  ar- 
ticles Calendrier,  Année  et  Mois  l'origine  et  la 
vraie  durée  de  ces  deux  périodes.  Nous  dirons 
seulement  ici  que  l'année  civile,  c'est-à-dire  l'an- 
née dans  le  sens  vulgaire,  a  3C5  jours,  et  que  ce 
nombre  est  le  nombre  entier  de  jours  contenus 
dans  le  temps  que  met  la  terre  pour  accomplir 


sa  révolution  autour  du  soleil.  La  fraction  quî 
complète  la  durée  do  cette  révolution  est  à  peu 
près  d'un  quart  de  jour,  ce  qui  fait  un  jour  tous- 
les  quatre  ans.  De  là  vient  que  chaque  quatrième 
année  reçoit  un  jour  de  plus,  36(;  au  lieu  de  365  : 
c'est  ce  qu'on  appelle  année  bissextile. 

Les  douze  mois  de  l'année  n'ont  pas  des  nom- 
bres de  jours  égaux.  Le  premier  et  le  dernier, 
janvier  et  décembre,  et  les  deux  mois  consécutifs 
du  milieu,  juillet  et  août,  ont  31  jours,  ainsi  que 
les  trois  mois  de  mars,  mai  et  octobre.  Les  au- 
tres ont  30  jours,  excepté  février  qui  a  28  jours 
dans  les  années  communes  et  29  dans  les  années 
bissextiles. 

Dans  les  questions  relatives  aux  intérêts,  on  a 
adopté  l'usage  de  compter  l'année  comme  ayant 
seulement  360  jours  et  chaque  mois  30.  Il  en  ré- 
sulte des  simplifications  importantes  dans  les 
calculs. 

2.  Nombres  complexes.  —  Les  unités  de  temps, 
n'étant  pas  assujetties  à  la  subdivision  décimale, 
n'entrent  pas  dans  le  système  métrique.  Les  nom- 
bres qui  expriment  des  unités  de  temps  appartien- 
nent à  la  catégorie  des  nombres  complexes.  Tel 
est  par  exemple  le  nombre  7  heures  i5  minutes 
28  secondes. 

On  donne  la  même  dénomination  aux  nombres 
qui  expriment  les  anciennes  mesures,  par  exem- 
ple : 

3  livres  7  onces  5  gros; 

5  toises  4  pieds  6  pouces  7  lignes. 

Les  nombres  complexes  ne  sont  autre  chose  que 
des  nombres  fractionnaires  dans  lesquels  le  déno- 
minateur est  remplacé  par  un  nom  particulier,  qui 
a  été  donné  à  l'unité  fractionnaire.  Ainsi  la  mi- 
nute est  la  60'  partie  de  l'heure  ;  la  seconde 
est  la  60'  partie  de  la  minute  et  la  3600'  partie  de 
l'heure  ;  par  conséquent  3  heures  7  minutes 
13  secondes   sont  la  même   chose  que  3  heures 

^  d'heure  et  jiij;  d'heure. 

Les  calculs  sur  les  nombres  complexes  ne  sont 
pas  aussi  commodes  que  sur  les  nombres  qui  ex- 
priment des  unités  décimales.  Cependant  il  suf- 
fira de  quelques  exemples  pour  lever  toute  diffi- 
culté dans  chacune  des  quatre  opérations  fonda- 
mentales. 

3.  Addition.  —  Problème  I.  Un  homme,  ayant 
rempli  sa  lampe  d'huile,  l'a  tenue  allumée  le 
\"  jour  pendant  3'  54™  29'  ;  le  2'  jour  pendant 
4"  12""  26»  ;  le  S'  jour  pendant  2'  27"»  31»  ;  après 
quoi  la  lampe  s'est  trouvée  vide.  Combien  de 
temps  a  duré  l'éclairnge  fourni   parcelle  huile? 

Après  avoir  disposé  les  nombres  comme  dans 
toutes  les  additions,  on  fait  d'abord  la  somme  des 
unités  les  plus  petites.  On  trouve  ici  86  pour  la 
somme  des  trois  nombres  de  secondes.  Ces  86 
secondes  font  1  minute  et  26  secondes.  On  écrit 
26"  sous  la  colonne  des  secondes,  et  on  ajoute 
1  minute  aux  trois  nombres  de  minutes  de  la 
2*  colonne.  On  trouve  pour  la  somme  91  minii- 
tes,  ce  qui  fait  1  heure  et  34  minutes.  Onécrit 
34"  sous  la  colonne  des  minutes  et  on  additionne 
1  heure  avec  les  trois  nombres  d'heures  de  la 
3«  colonne.  Le  total  est  10  heures,  que  l'on  écrit 
au-dessous. 

L'opération  est  représentée  par  le  tableau  sui- 
vant : 


Sh 

hi" 

29' 

i 

12 

26 

2 

27 

31 

4.  Soustraction.  —  Pkoblême  2.  Trouver  com- 
bien de  temps  la  lampe  du  problème  précédent  est 


TEMPS  (MESURE  DU)       —  2133 


TEMPS  (MESURE  DU) 


restée  nllutiide  le  second  Jour  de  plus  qtie  le  pre- 
mier. 


Du  nombre ■i''     IS" 

Il  s'agit  de  retranclior    3'    54" 


Ne  pouvant  ôter  29"  de  2C",  on  prend  sur  les 
12'"  du  1"  nombre  1"'  qui  vaut  60^;  on  ajoute  ces 
GO'  aux  2(i',  ce  qui  en  fait  86,  et  on  ôte  2!)  de  8(;  ; 
il  reste  5T",  que  l'on  écrit  au-dessous  de  la  co- 
lonne des  minutes. 

On  a  ensuite  h  retrancher  54""  de  11"".  Pour 
effectuer  celte  soustraction,  on  prend  sur  les  4' 
du  1*'  nombi'C  I'  qui  vaut  60""  ;  on  ajoute  00"  à 
11",  ce  qui  fait  71"",  et  de  71  on  relrancbe  5i  ; 
on  écrit  le  reste,  H",  au-dessous  de  la  colonne  des 
minutes.  Enfin  on  ôte  S'  de  3',  ce  qui  donne  un 
reste  nul  pour  les  heures. 

L'opération  est  représentée  dans  le  tableau  sui- 
vant : 


Nombres  proposés. 

4'     12»     26' 
3      54      29 

0'    n»    hV 


Nombres  modifié?. 

3"     71™     86- 
3       54       29 

0'     17°    5T 


5.  Mxiltiplicntion.  —  Problème  3.  V astronomie 
nous  apprend  qu'entre  le  moment  où  commence 
la  nouvelle  lune  et  le  moment  oii  arrive  la  nou- 
velle lune  suivante  il  y  a  id  jours  12  heures  44  mi- 
nutes. Trouver  au  tout  de  combien  de  temps 
arrivera  la  4'  nouielle  lune. 

Le  temps  demandé  sera  égal  à  3  fois  l'intervalle 
de  temps  qui  sépare  deux  nouvelles  lunes  con- 
sécutives ;  on  le  trouvera  donc  en  multipliant 
par  3  le  nombre  complexe  29J  12'  44™.  Voici  le 
tableau  de  l'opération  : 

29i    12'    44°> 


88J     14'     12" 


On  multiplie  d'abord  44™  par  3,  ce  qui  donne 
132""  ou  2'  et  r.'™  ;  on  écrit  12™  et  on  retient  2''. 
On  multiplie  lï'  par  3,  ce  qui  donne  30';  on 
ajoute  à  ce  produit  les  2'  retenues  sur  le  produit 
précédent,  ce  qui  fait  38' ou  1  jour  et  14'.  On 
multiplie  ensuite  29i  par  3,  ce  qui  donne  87i,  et 
en  y  ajoutant  Ij  retenu  sur  le  produit  précédent 
on  a  881. 

Le  temps  cherché  est  donc  88j  14'  12". 

Remarque.  —  La  multiplication  précédente  n'a 
pas  présenté  d'autres  difficultés  qu'une  addition, 
parce  que  le  multiplicateur  est  un  nombre  en- 
tier. Mais  il  peut  arriver  que  le  multiplicateur 
soit  lui-même  un  nombre  complexe,  comme  dans 
le  problème  suivant. 

Pkoblème  4.  —  Une  lampe  brûle  158  grammes 
d'huile  pur  heure  ;  combien  en  brûlerait-elle  pen- 
dant 3  heures  18  minules  et  25  secondes  ? 

On  peut  suivre  deux  méthodes  pour  effectuer 
la  multiplicaiion. 

1"  methude.  —  On  convertit  d'abord  le  temps 
en  un  nombre  exprimant  les  unités  de  temps  de 
la  plus  petite  espèce.  On  a  ainsi  : 

1'  =  GO"  =  fiO'  X  00  =  3600'. 

3l'18™25'=  360U»x  3  +  60»  X  18  -f  25'  =  11905». 

La  question  revient  alors  à  celle-ci  :  une  lampe 
brûle  U8  grammi-s  dhuile  en  3600  secondes; 
combien  en  brùlera-t-elle  en  11905  secondes? 

Le  poids  de  l'huile  brûlée  en  1»  serait  -^• 
oOOO 
Le  poids  brûlé  en  11905»  sera  : 


2"  méthode.  —  On  cherche  séparément  les 
quantités  d'huile  brûlées  pendant  chacune  des 
trois  parties  qui  composent  le  temps  donné,  et  on 
eti  fait  ensuite  le  total.  Voici  la  marche  à  sui- 
vre. 

D'abord  en  3  heures  la  quantité  d'huile  est  : 

15SS-X  3  =  474". 

La  quantité  d'huile  brûlée  en  18  minutes  se- 
J_8 
60 

plier  158  par  18  et  de  diviser  le  produit  par  60. 
Maison  opère  autrement.  On  décompose  18™  en 
15"',  qui  sont  le  quart  de  l'iteure,  et  en  3™,  qui 
sont  la  .'.'  partie  de  15™. 

La  quantité  d'huile  brûlée  en  15"  est  le  quart 
de  158",  c'est-à-dire  3'.)e',5. 

La  quantité  brûlée  en  3"  est  la  5"  partie  de 
3'J",5,  c'est-à-dire  7«',9. 

Pour  avoir  la  quantité  brûlée  en  25  secondes, 
on  décompose  ce  nombre  en  20  secondes  qui 
sont  le  tiers  de  la  minute  et  par  conséiiuent  le 
9"  de  3™,  et  5'  qui  sont  le  quart  de  211*. 

La  quantité  d  huile  brûlée  en  20'  sera  le  9°  de 
7",9  c'est-à-dire  0'",877. 

La  quantité  brûlée  en  5'  sera  le  quart  de  0^',877, 
c'est-à-dire  0S',21'J. 

Il  ne  reste  plus  qu'à  additionner  les  diverses 
quantités  d  huile  ainsi  obtenues. 

Ces  opérations  sont  représentées  dans  le  ta- 
bleau suivant  : 

3'  18™  25' 


1.58X11905 


=  522",497. 


3' 474" 

15™ 39  ,5 

3"' 7  ,9 

2U'î 0  ,8777 

5^ 0  ,2191 

Total 522i!',4971 

Observation.  —  Cette  seconde  méthode,  qui' 
parait  plus  longue  que  la  première,  est  en  réalité 
la  plus  naturelle;  c'est  la  marche  que  suit  ins- 
tinctivement, dans  toutes  les  questions  analogues, 
celui  qui,  n'ayant  pas  étudié  les  théories  de  l'a- 
rithmétique, en  est  réduit  aux  indications  seules 
de  son  bon  sens. 

La  décomposition  de  18™  et  de  25'  en  parties 
telles  que  la  1"  partie  se  trouve  une  fraction 
simple  de  18™  et  la  2'  une  fraction  simple  de 
la  1",  que  la  1"  des  deux  parties  de  25'  se 
trouve  une  fraction  simple  de  3™,  et  la  2'  par- 
tie une  fraction  simple  de  la  I",  est  appelée 
décomposition  en  parties  aliquotes.  On  nomme 
donc  parties  alic|U0tes  d'un  nombre  des  par- 
ties de  ce  nombre  telles  que  chacune  est  con- 
tenue un  nombre  entier  de  fois  dans  la  précé- 
dente. 

6.  Diiision.  —  Problème  5.  On  a  laissé  un 
bec  de  gaz  allumé  pendant  9  heures  38  minutes 
et  42  Si  coudes.  Le  lendemain  il  n'est  resté  allumé 
que  pendant  un  temp^  5  l'ois  moindre  ;  calculer 
ce  temps  en  heures,  minutes  et  secondes. 

Il  s'agit  de  diviser  9'  38™  42'  par  5. 

D'abord  la  5"  partie  de  !)'  est  1'.  Il  reste  4'  que 
l'on  convertit  en  minutes,  en  multipliant  60  par  4, 
ce  qui  fait  240™  ;  à  ce  nombre  on  ajoute  les  38™ 
et  on  obtient  278™  à  diviser  par  5.  Le  quotient 
est  55™,  et  il  reste  3™  que  l'on  convertit  en  se- 
condes. On  a  ainsi  18Û'-f  42'ou  222»  à  diviser 
par  5;  on  trouve  pour  quotient  41", 4. 

Le  temps  cherché  est  donc  I'  55™  44», 'i. 

On  peut,  disposer  l'opération  de  la  manière 
suivante  : 


TEMPS  (MESURE  DU) 

5 


9h     38»     42» 
4X60  =  240" 
38 


l"  65"  4  4',  4 


2'  reste 3X60=180' 

42 

232> 
22 
20 


0 

Remarque.  —  Il  peut  arriver  que  le  diviseur 
soit  un  nombre  complexe  comme  dans  le  problème 
suivant. 

Problème  6.  —  Dans  une  usine  on  a  compté 
qu'une  roue  mise  en  mouvement  par  ta  la/jeur  a 
fait  2435  tours  en  I  heure  23  minutes  27  secondes. 
Combien  fait-elle  de  tours  par  minute? 

On  convertit  le  temps  en  unités  de  la  plu 
petite  espèce,  en  secondes.  On  a  ainsi  : 

1'  23""  27»  =  3600»  +  60»  X  23  +  27»  =  5007». 

On  divise  2435  par  5007,  ce  qui  donne  le  nom- 
bre de  tours  fait  par  seconde;  on  multiplie  en- 
suite le  quotient  par  60  pour  avoir  le  nombre  de 
tours  faits  par  minute.  On  trouve  pour  le  nom- 
bre de  tours  : 


2134  —       TÉRÉBINTHACÉES 


A  parcourt  en  -  de  jour  —  de  C  ;  en  1  jour    il 
3 
parcourrait—  de  C; 

B  parcourt  en  -  c 
4 
4 

il  parcourrait 

1461  de  C. 
Chaque  jour  A  devance  B  d'une  fraction   de  C 
égale  à  : 


2435x60      140100 
5007 


=  29. 


La  roue  fait  29  tours  par  minute. 

7.  Observation  générale.  —  Nous  terminerons 
cet  article  par  quelques  recommandations  im- 
portantes : 

1°  D'abord,  dans  les  problèmes  relatifs  aux  nom- 
bres complexes,  plus  encore  que  dans  les  autres, 
on  doit  disposer  le  raisonnement  et  l'indication 
des  opérations  avec  l'ordre  le  plus  méthodique. 
Il  faut  y  apporter  en  même  temps  la  plus  grande 
clarté,  en  indiquant  toujours  le  nom  de  l'unité 
exprimée  par  chaque  nombre.  C'est  une  précau- 
tion qui  est  généralement  trop  négligée  dans  les 
écoles,  comme  on  s'en  aperçoit  dans  les  exa- 
mens pour  le  certificat  d  études  primaires  et  le 
brevet  de  capacité  ; 

2°  Quand  un  problème  présente  des  nombres 
d'heures  accompagnés  d'une  fraction  ordinaire, 
le  plus  souvent  les  élèves  s'empressent  de  tout 
convertir  en  minutes,  ce  qui  amène  des  nombres 
assez  forts,  et  augmente  par  conséquent  la  lon- 
gueur des  calculs  et  les  chances  d'erreur.  Ils 
ne  doivent  jamais  oublier  de  prendre  au  con- 
traire les  nombres  les  moins  forts  possible  dans 
les  transformations  qu'il  est  nécessaire  de  faire 
subir  aux  données  du  problème.  Nous  traiterons 
comme  exemple  le  problème  suivant  : 

Problème  7.  —  Un  mobile  A  et  un  mobile  B 
sont  au  même  point  d'une  circonférence  sur  la- 
quelle ils  se  meuvent  dans  te  même  sens  d'un 
mouvement    uniforme.  Le  n,obile  A   la  parcourt 

en   27   jours   -  et  le  mobile  B  en  365  jours   -■ 

Trouver  au  bout  de  combien  de  temps  les   deux 
mobiles  A  et  B  se  rencontreront  de  nouveau. 
(Brevet  de  2*  ordre,  aspirants.  —  Nancy,  1876). 


Au  lieu   de  convertir   les  fractions  -  et  -   de 

jour  avec  les  nombres  de  jours  en  minutes,   il 
est  préférable  de   conserver  le  jour  pour  unité, 
en  raisonnant  de  la  manière  suivante. 
On  a  d'abord  : 


83J 


146IJ 


SC5J7  = 
Où'  4  ^ 

Pour  abréger,  désignons  la  circonférence  par  C. 


jour  -— -  de  C  ;  en   1  jour 


14U1 


4505 
8-.:x  HOl  ^  119802' 


Pour  arriver  à  atteindre  B,  c'est-à-dire  à  gagner 
une  avance  d'une  circonférence  sur  lui    il  faudra 
à  A  autant  de  jours  que  cette  fraction  decirconfé-  \i 
rence  est  contenue  de  fois  dans  la  circonférence 
entière.  Ce  nombre  de  jours  sera: 

,:42^,=il2^^  =  29i,54. 


119!>02 


4505 


Nous  n'avons  pas  besoin  d'expliquer  comment 
on  convertirait  en  minutes  et  secondes  la  frac- 
tion décimale  de  jour.       (G.  Bovier-Lapierre.j 

TÉllÉItlXTIIACEES.  —  Botanique,  XXIII.  — 
Etym.  :  de  Tcrcbinlhe,  nom  vulgaire  du  Pistacia 
terebiuthus.  (Cet  arbre  produit  une  térébenthine 
qui  a  été  usitée  pendant  longtemps  en  médecine.) 

Définition.  —  Les  Térébinthacées  sont  des  dia- 
lypétales  hypogynes  à  fleurs  régulières  et  à  calice 
persistant.  Elles  forment,  avec  plusieurs  autres 
familles  voisines,  parmi  lesquelles  nous  citerons 
seulement  les  Rutacées,  la  classe  des  Térébinthi- 
NÉES  de  Brongniart. 

Caractères  botaniques.  —  Les  graines  des  Té- 
rébinthacées sont  pourvues  d'un  tégument  mem- 
braneux fort  mince.  L'embryon,  assez  volumineux, 
I  n'a  pas  d'autre  matière  nutritive  de  réserve  que 
celle  qui  est  enfermée  dans  ses  cotylédons,  l'al- 
bumen ayant  été  complètement  absorbé  pendant 
la  maturation  de  la  graine. 

La  racine  est  pivotante. 

La  tige  est  ligneuse  et  fort  ramifiée;  les  plantes 
de  cette  famille  sont  en  effet  des  arbustes  ou  des 
ai'bres  élevés. 

Les  feuilles  sont  alternes,  excepté  chez  le  genre 
Bonea,  où  elles  sont  opposées.  Elles  sont  toujours 
dépourvues  de  stipules.  Tantôt  elles  sont  simples 
et  entières  (iaaiet,  Anacunlium  occidentale),  \.a.ii- 
tot  elles  sont  teruées,  c'est-à-dire  à  trois  folioles 
(snmac  vénéneux),  tantôt  enfin  elles  sont  imparl 
pennées  avec  de  nombreuses  folioles  (sumac  des 
corroyeurs,  pistachier,  prunier  d'Espagne). 

Les  fleurs  sont  hermaphrodites  chez  un  certainB* 
nombre  d'espèces  ;    chez   d'autres,  telles   que  le 
sumac  des  corroyeurs.  on  trouve  dans  une  même   * 
inflorescence  des  fleurs   exclusivement   mâles  ovl 
exclusivement  femelles,  mêlées  de  quelques  fleuri    * 
hermaphrodites  ;  ce  que    l'on   exprime  en  disant   it 
que    les  inflorescences   sont  polygames-dioiques 
chez  les  pistachiers  les  fleurs  sont  dioîques.  Lef 
inflorescences   sont    généralement  des   épis,    def 
grappes  ou  des  panicules.  Chaque  fleur  présenu 
de  l'extérieur  à  l'intérieur: 

1°  Un  calice  gamosépale  à  trois  ou  cinq  divi- 
sions ;  ce  calice  persiste  toujours  après  la  floral 
son,  souvent  il  est  accrescent  et  sert  d'enveloppe 
protectrice  au  fruit. 

2°  Une  corolle  dialypctale  à  trois  ou  cinq  péta 
les  insérés  sur  un  disque  annulaire;  chez  le  genr, 
Pista'^hier  la  corolle  fait  défaut.  I 

3°  Un  androcée  composé  d'étamines  en  nombr' 
égal  au  nombre  des  pétales,  ou  bien  en  nombr 
double  ;  chez  quelques  espèces  un  certain  nombr 
d'étamines  sont  stériles  ;  chez  le  prunier  d'Es 
pagne,  il    n'y    a  qu'une  étamine  sur  cinq  ;   che 


H. 


i 


TÉRÉBINTHACÉES       —  2155  —       TÉRÉBINTHACÉES 


['Anacnrdium  occidentale  il  n'y  en  a  qu'une  fertile 
sur  dix. 

i"  Au  centre  de  la  fleur  (lorsqu'elle  est  Iicrma- 
plirodilc)  on  trouve  le  gynécée,  composé  de  trois 
ou  cinq  carpelles  ordinairement  soudés,  mais 
quoiquefois  distincts,  et  d'autres  fois  réduits  à,  un 
seul  par  l'avortement  de  tous  les  autres.  Chaque 
loge  de  l'ovaire  no  renferme  qu'un  seul  ovule  ana- 
trope  ;  l'ovaire  est  surmonté  d'autant  de  styles 
qu'il  y  a  de  carpelles  ;  chaque  style  se  termine  par 
un  stigmate. 

Dans  le  cas  d'une  fleur  unisexuée,  le  gynécée 
fait  défaut  si  la  fleur  est  mâle,  ou  bien  au  con- 
traire c'est  l'andi'océc  qui  fait  défaut  si  la  fleur  est 
femelle. 

Le  fruit  est  ordinairement  une  drupe  ;  il  est  sou- 
vent entouré  b,  sa  base  par  la  cupule  réceptacu- 
laire  ;  quelquefois  môme,  comme  dans  le  genre 
Anacardium,  cette  cupule  réceptaculaire  prend 
un  volume  énorme  et  devient  pyriforme  et  char- 
nue ;  celle  de  V Anacardium  occidentale  est  co- 
mestible et  désignée  sous  le  nom  de  Pomme  d'a- 
cajou. 

Usages  des  Térébinthacées.  —  I.  TÉRÉBiNTHA- 
ctEs  ALLMtMAniES.  —  Certaines  plantes  de  celte 
famille  donnent  des  fruits   comestibles;  ce  sont: 

1°  he  Fiiux  Poivrier  {Schi7ius  molle),  arbuite  de 
l'Amérique  tropicale. 

2°  Le  Sumac  des  corroijeurs  [Rhus  coriaria), 
arbuste  de  la  région  méditerranéenne. 

3"  Le  Manguier  [Manyifera  i7i(lica),  arbre  origi- 
naire des  Indes  orientales  et  cultivé  aux  Antilles 
pour  sa  drupe  dont  le  goût  est  très  parfumé  ; 
mais,  comme  elle  est  en  même  temps  acidulé,  elle 
devient  purgative  si  on  en  abuse. 

■l»  Le  Prunier  d'Espagne  [Sp^mlias  purpuren), 
arbre  originaire  des  Antilles,  et  cultivé  en  Es- 
pagne. 

5°  Le  Spondias  dulcis,  culûvé  dans  les  îles  des 
Amis  et  de  la  Société. 

Les  fruits  d'une  autre  Térébinthacée,  le  Spnn- 
\dias  birrea,  servent  à  fabriquer  une  liqueur  spiri- 
tueuse  fort  estimée  des  nègres  de  la  Sénégambie. 

Au  Chili,  ce  sont  les  graines  du  Duvana  depen- 
dens  que  les  indigènes  emploient  à  la  préparation 
d'une  boisson  fermentée. 

Le  Pistachier  [Pislacia  vera),  arbre  originaire  de 
la  Perse  et  de  la  Syrie,  est  cultivé  dans  toute  la 
région  méditerranéenne  pour  ses  graines  parfu- 
mées, dont  on  fait  un  grand  usage  dans  la  con- 
[fiserie. 

Les  fleurs  et  les  fruits  du  Rhus  typtnna,  arbris- 
seau de  l'Amérique  septentrionale,  servent  à 
augmenter  l'acidité  du  vinaigre  :  c'est  pour  cette 
raison  qu'on  donne  vulgairement  à  cet  arbre  le 
nom  de  Vinin'grier. 

.      IL  TÉRÉBINTHACÉES    MÉDICINALES.  —  LeS  SUbstan- 

jCes  que  les  Térébinthacées  fournissent  à  la  mé- 
(decine  consistent  surtout  en  résines  ;  il  n'y  en  a 
,que  trois  chez  les(|uelles  on  utilise  une  des  parties 
jde  la  plante;  ce  sont: 

ij  l"  Le  Fusiet  {Rhus  cotiims),  arbrisseau  de  l'Eu- 
(ropc  méridionale  dont  l'écorce  est  quelquefois 
jusitée  comme  fébrifuge. 

I  2°  Le  Sumac  vénéneux  [Rhus  toxicodendron), 
arbrisseau  de  l'Amérique  boréale  dont  les  feuilles 
.servent  à  préparer  un  extrait  ordonné  contre  cer- 
i;taines  aflections  cutanées.  Le  suc  de  ces  feuil- 
ilcs  fraîches  renferme  un  principe  acre,  volatil, 
extrêmement  vénéneux,  capable  de  déterminer 
iUn  érysipèle  du  visage  ou  des  brûlures  cuisantes 
isur  les  mains  ;  mais,  comme  il  est  volatil,  on  peut 
en  débarrasser  les  feuilles  en  les  soumettant  i  une 
température  suffisamment  élevée. 
,  3°  VAmicurilium  oucidenlaie,  dont  le  fruit, 
.nommé  noix  d'acajou,  donne  plusieurs  extraits; 
,  ,on  les  emploie  contre  les  cors  aux  pieds  et  les 
.ulcères. 


Los  Térébinthacées  qui  produisent  des  résines 
sont: 

1°  Le  Lrntisque  [Pistacia  lenliscus),  qui  laisse 
écouler  de  son  écorce  une  résine  nommée  mastic 
h.  cause  de  l'usage  que  l'on  en  fait  en  Orient 
comme  masticatoire  :  cette  résine,  tonique  et  as- 
tringente, parfume  l'haleine  et  fortifie  les  genci- 
ves. Pour  l'obtenir,  on  fait,  dans  le  courant  de 
l'été,  de  nombreuses  incisions  au  tronc  et  aux 
grosses  branches  de  l'arbre  ;  elle  s'écoule  sous  la 
forme  d'un  liquide,  puis  elle  se  durcit  peu  à  peu 
au  contact  (le  l'air  et  se  figo  sous  forme  de  larmes. 
Le  lentisque  est  cultivé  en  Orient  et  particulière- 
ment dans  l'île  de  Chio.  Il  est  acclimaté  en  Pro- 
vence et  dans  le  midi  de  l'Europe  ;  mais  dans  ces 
dernières  localités  il  ne  donne  pas  de  mastic, 
probablement  parce  que  le  climat  n'y  est  pas 
assez  chaud. 

2°  Le  Pistachier  atlantique,  arbre  des  États- 
Unis,  qui  atteint  plus  de  vingt  mètres  de  haut  et 
dont  le  tronc  peut  avoir  un  mètre  de  diamètre; 
il  donne  un  mastic  tout  à  fait  semblable  à  celui 
du  lentisque. 

3°  Le  Térébinthe,  arbre  qui  croît  spontanément 
dans  l'île  de  Chio  et  dans  la  Barbarie;  il  laisse 
écouler  de  son  écorce  un  suc  résineux  nommé 
térébenthine,  qui  a  été  pendant  longtemps  la  téré- 
benthine la  plus  estimée  du  commerce.  Pour 
recueillir  cette  térébenthine,  il  suffit  de  placer  au 
pied  de  l'arbre  de  grandes  pierres  plates  sur  les- 
quelles cette  substance  tombe  au  fur  et  à  mesure 
qu'elle  s'écoule  des  fissures  naturelles  de  l'écorce 
ou  des  incisions  qu'on  y  a  pratiquées.  Cette 
résine  se  rapproche  beaucoup  du  mastic,  de  sorte 
qu'on  a  souvent  proposé  de  substituer  le  mastic 
à  la  térébenthine;  car  chaque  térébinthe  ne 
donne  qu'une  très  faible  quantité  de  térébenthine 
d.ins  une  année.  La  térébenthine,  de  même  que  le 
mastic,  est  entièrement  soluble  dans  l'éiher;  elle 
se  dissout  dans  l'alcool  avec  un  léger  résidu.  Le 
commerce  emploie  de  préféience  les  résines  des 
conifères  *,  qui  sont  beaucoup  plus  abondantes  et 
par  conséquent  d'un  prix  moins  élevé. 

4°  Le  Buswetlia  tliurifera,  arbre  de  l'Inde  et 
du  Bengale  qui  laisse  écouler  de  son  écorce  une 
résine  nommée  encens  ou  uliban.  L'encens  d'Ara- 
liie  provient  probablement  de  .la  même  espèce  ou 
d'une  espèce  très  voisine.  Dans  l'antiquité,  on 
brûlait  de  l'encens  dans  les  temples  pour  dissimii- 
ler  les  émanations  désagréables  provenant  des  ani- 
maux offerts  en  sacrifice  à  la  Divinité.  De  nos 
jours  on  en  brûle  encore  dans  les  églises  consa- 
crées au  culte  catholique  ;  cet  usage  est  un  souve- 
nir des  pratiques  religieuses  des  Hébreux. 

5°  L'icira  guyaneitsis.  Cet  iciquier  de  la  Guyane 
donne  aussi  de  l'encens. 

C  Le  Canarium  commune,  de  l'île  Ceylan,  qui 
produit  la  résine  élémi. 

'"  VElaphrium  elemiferum,  du  Mexique,  qui 
donne  une  résine  identique  à  Vclémi. 

8°  Les  lialsaino  lendrom  de  l'Arabie  Heureuse. 
Il  y  en  a  deux  espèces,  qui  laissent  écouler  de 
leur  écorce  une  sorte  de  térébenthine  d'odeur 
suave,  que  l'on  nomme  buum-i  de  Judée,  baume 
lie  la  Mecque,  baume  de  Giléad.  Une  goutte  de 
baume  de  la  Mecque  liquide,  que  l'on  fait  tomber 
dans  un  vase  plein  d'eau,  pénètre  dans  le  liquide 
jusqu'à  une  certaine  profondeur,  puis  remonte  à 
la  surface  et  s'y  étale  immédiatement  et  complète- 
ment en  une  couche  uniforme;  si  l'on  attend  quel- 
ques instants,  l'essence  que  renferme  ce  baume 
s'évapore  et  la  couche  formée  h  la  surface  de  l'eau 
devient  assez  solide  pour  qu'on  puisse  l'enlever 
en  une  seule  masse  consistante.  Ce  baume  se 
dissout  entièrement  dans  l'éthor,  tout  comme  le 
mastic  et  la  térébenthine,  et  laisse  dans  l'alcool 
un  léger  dépôt. 
9°  L'kica  altissima  d'Amérique.  11  laisse  écou- 


TÉRÉBINTHACÉES       —  2156  — 


TERRAINS 


1er  une  résine  connue  dans  le  commerce  sous  le 
nom  de  gomne  carana,  qui  remplace  tout  à  fait 
le  baume  de  Giléad. 

10°  Le  nalsamodendron  Africanwn.  Sa  résine 
est  vendue  dans  le  commerce  sous  le  nom  de 
bdellium. 

11°  Le  BaUamorlencIron  Myrrho,  arbrisseau  épi- 
neux de  l'Arabie  et  de  l'Abyssinie.  Il  laisse  écou- 
ler de  son  écorce  une  gomme-résine  connue,  dès 
la  plus  haute  antiquité,  sous  le  nom  de  myrr/ie. 
La  myrrbe  était  une  des  substances  aromatiques 
qui  entraient  dans  la  composition  de  l'imile  sainte 
des  Hébreux.  Pour  les  Grecs,  l'arbre  qui  donne  la 
myrrhe  tirait  son  nom  de  Myrrha,  la  mère  d'Ado- 
nis, que  les  dieux  compatissants  avaient  changée 
en  arbre;  quant  à  la  myrrhe  elle-même,  c'étaient 
les  pleurs  de  cette  mère  désolée.  La  myrrhe  se 
trouve  dans  le  commerce  sous  forme  de  larmes 
pesantes,  rougeâtres,  semi-transparentes,  fragiles 
et  à  cassure  luisante. 

JII.     TÉRÉBINTHACÉES     INDCSTRIEILES.     —     1°     Les 

feuilles  du  Sumac  des  corroyeurs,  desséchées,  puis 
pulvérisées   et   passées  au  tamis,  fournissent  un 
tan   très  usité    pour  l'apprêt  du  maroquin.  Elles 
peuvent  aussi  servir  à  la  teinture. 
2°  Le  bois  du  Ftutet  est  reclierché  des  tour 


empêcher  la  chute  des  cheveux  et  conserver  une- 
chevelure  abondante. 

4°  Le  Pegamim  harmalo,  qui  croît  dans  lea- 
terres  sablonneuses  de  la  région  méditerranéenne. 
L'odeur  de  cette  plante  est  repoussante  ;  sa  saveur 
est  acre  et  amère.  Les  Turcs  emploient  seS' 
graines  comme  condiment.  Ils  tirent  de  la  planta' 
une  matière  tinctoriale  d'un  très  beau  rouge. 

5°  Le  Giiyac  officinul.  C'est  un  arbre  très  élevé, 
dont  le  tronc  peut  atteindre  un  mètre  de  dia-i 
mètre;  mais  sa  croissance  est  très  lente.  Il  croît 
dans  les  Antilles,  principalement  à  la  Jamaïque, 
à  Saint-Domingue,  et  à  Cuba.  Ses  feuilles  sont 
opposées,  pennées,  sans  foliole  médiane  impaire, 
La  partie  du  gayac  la  plus  estimée  est  son  bois, 
A  froid  ce  bois  ne  répand  pas  d'odeur  sensible, 
mais,  lorsqu'on  le  râpe,  il  prend  une  légère  odeu^ 
balsamique;  sa  poussière  fait  éternuer.  La  râpurr 
a  une  odeur  acre  qui  prend  à  la  gorge  ;  elle  de->i 
vient  verdàtre  au  contact  de  l'air  ou  lorsqu'on' 
l'expose  îi  l'action  des  vapeurs  nitreuses.  Le*' 
propriétés  du  bois  de  gayac  sont  dues  à  la-; 
gomme-résine  dont  ce  bois  est  imprégné.  On  peut 
obtenir  la  résine  de  gayac  soit  en  traitant  1» 
ràpure  du  bois  de  gayac  par  l'alcool  rectifié,  soit 
directement  lorsque    l'arbre  vient  d'être  abattu. 


neurs  et  des  tabletiers  à  cause  de  ses  couleurs  |  Dans  ce  second  procédé,  on  débite  l'arbre  en  ba- 
variées.  Cependant  il  est  encore  plus  usité  pour  ches  d'environ  50  centimètres;  chaque  bûche- 
teindre  les  étoffes  en  jaune  orangé.  Toutefois  la  ]  est  percée  d'un  trou  suivant  son  axe  au  moyeij 
couleur  qu'il  produit  s'altère  facih-ment  et  on  est  ,  d'une  forte  tarière;  elle  présente  ainsi  un  canal 
obligé  de  la  mêler  Ji  une  couleur  plus  fixe  qui  ,  central.  Toutes  ces  bûches  sont  passées  au  feu;, 
ordinairement  en  modifie  la  teinte.  la  résine  vient   se  condenser  dans  le   canal  cen- 

3°  Certains  Rl.us  de  l'Inde  et  de  la  Chine  four-  tral  et,  en  opérant  convenablement,  on  peut  la  re- 
nisscnt  un  suc  vénéneux  avec  lequel  on  fabrique  cueillir  dans  une  calebasse.  La  résine  de  gayac 
les  laques  de  Chine.  Une  espèce  très  voisine  croît  du  commerce  est  en  grosses  masses  d'un  brun 
en  Amérique  et  son  suc  sert  aux  mêmes  usa-  verdàtre,  friable,  se  colorant  en  vert  intens» 
ges.  sous   l'action    de  la  lumière  ;  cette  résine  se  ra- 

4°  Le  suc  du    nhus  Ymiix,  arbrisseau  du  Ja-    mollit  sous  la  dent;  sa  saveur,  d'abordpeu  sensi- 


pon,  sert  à  fabriquer  le  vernis  du  Japon. 

b°  C'est  avec  le  suc  du  fruit  d'une  térébintha- 
cée  que  l'on  fabrique  l'encre  noire  qui  sert  à 
marquer  le  linge  et  qui  est  indélébile. 

6°  C'est  du  Melanoirhœa  usitutissima  que  l'on 
extrait  le  vei-nis  7ioir. 

1°  On  cultive  au  Japon  le  Rhns  succedanea  ou 
arbre  à  cire,  à  cause  de  ses  graines  dont  on 
extrait  un  suif  employé  à  la  fabrication  des  chan- 
delles et  bougies.  Pour  obtenir  ce  suif,  on  pile  les 
graines,  on  les  fait  bouillir  dans  l'eau,  puis  on  les 
soumet  à  l'action  d'une  presse.  Il  s'écoule  une 
substance  grasse  qui,  en  se  refroidissant,  prend  la 
consistance  du  suif. 

IV.    TÉl:ÉBINTHACÉES   ORNEMENTALES.    —  NoUS  leS 

citerons  seulement  ;  ce  sont  :  Le  Simwc  de  Vir- 
gi?iie,  le  Sumac  glabre,  le  Fustet,  le  Siwtoc  des 
corroyeurs,  le  Vinaigrier,  le  Vernis  du  Japon  {lihus 
ver7iîx]. 

FamiUe  deè  Eutacées.  —  Etym.  :  de  Huta,  nom 
latin  do  la  l'ue.  —  Définilion  :  Dialypétales  hypo- 
gynes,  à  fleurs  régulières,  à  calice  persistant, 
appartenant  à  la  classe  des  Térébinthinées. 

Caractèrfs  BOTANIQUES.  —  Elles  diffèrent  des 
Térébinlhacées  surtout  en  ce  que  leurs  fleurs 
sont  toujours  hermaphrodites:  en  ce  que  la  co- 
rolle est  quelquefois  gamopétale  ;  en  ce  que  les 
carpelles  du  gynécée  sont  toujours  soudés,  et 
parce  qu'il  y  a  toujours  deux  ovules  dans  chaque 
loge  de  l'ovaire. 

Usages  des  butacées.  —  Les  Rutacées  les  plus 
usitées  sont  : 

1°  La  iî'.e  indigène. 

2°  La  Rue  d'Espagne,  qui  possède  une  âcreté 
telle  qu'elle  peut  être  rangée  dans  le  groupe  des 
méiJicaments  violents;  elle  peut  provoquer  des 
pustules  ulcéreuses  sur  la  peau  des  personnes 
qui  la  cueillent. 

3°  VUaplopliylhim  tubcrculatttm,  qui  croit  en 
Egypte  et  sert  dans  ce  pays  à  faire  une  eau  pour 


ble,se  change  bientôt  en  une  âcreté  brûlante  doat 
l'action  se  porte  sur  le  gosier.  Pulvérisée  ou 
exposée  au  feu,  elle  répand  une  odeur  bien  serh- 
sible  de  benjoin.  La  résine  de  gayac  est  tn^^ 
usitée  en  pharmacie. 

A  la  suite  des  Rutacées  nous  devons  encore 
citer  deux  plantes  que  l'on  range  aujourd'hui 
dans  la  famille  des  Simari'uées  et  qui  sont  fré- 
quemment employées;  ce  son 

1°  Les  Ailanics,  qui  sont  surtout  usités  comme 
plantes  ornementales  sur  les  promenades  pu- 
bliques. 

2°  Les  Quassiii,  qui  fournissent  h  la  pharmac» 
un  principe  immédiat  d'une  grande  amertume. 
[C.-E.  Rertrand.^ 
TERRAINS  (classification  des).  —  Géologie,  ÎII 
—  11  y  a  un  ou  deux  siècles  à  peine,  le  sol  étal 
un  sujet  d'études  encore  inconnu  des  naturaliste; 
et  même  des  voyageurs;  il  semblait  qu'il  n'exista 
pas  ;  on  ne  recueillait  et  on  n'examinait  que  le 
matières  utiles  ou  remarquables  par  leurs  appa 
rences  extérieures.  Des  deux  grands  naturaliste 
dont  le  nom  domine  le  dix-huitième  siècle 
Linné  ne  poussa  pas  ses  investigations  au  del 
de  la  minér.dogie,  encore  dans  l'enfance  par  suit 
de  l'absence  des  connaissances  chimiques;  ( 
Buffon  n'étudia  guère  le  règne  minéral  que  pot) 
y  chercher  des  preuves  i  l'appui  de  sa  théon 
de  la  terre.  ,  . 

Il  était  réservé  à  Guottard  de  poser  les  vcriti 
blos  bases  de  la  géognosie  ;  en  n4i;,  au  momei 
où  Buffon  écrit  la  Théorie  de  la  terre,  il  Ut 
l'Académie  des  sciences  son  travail  si  remarquab 
intitulé  :  Mémmre  et  carte  nmiéralogir/ues  sur 
nature  et  la  situation  des  terrains  qui  traverse., 
la  France  et  C.inqtelerre.  «  Je  me  suis  propos 
dit-il  (Mém.  de  lAcad.  d"s  scietices  pour  174. 
p.  5Gi),  de  faire  voir  par  cette  carte  qu'il  y  a  ui 
certaine  régularité  dans  la  distribution  qui  a  C\ 
faite  des   pierres,    des  métaux  et   de  la   plup; 


ÏEIUIAINS 


2157  — 


TliRRAINS 


drs  autres  fossiles  ;  on  ne  trouve  pas  indifférem- 
moiit  dans  toutes  sortes  do  pays  telle  ou  telle 
pierre,  tel  ou  tel  méfal  ;  mais  il  y  a  de  ces  pays  où 
il  est  enlièrriiunit  impossible  do  trouver  des  car- 
rières ou  des  miiios  de  ces  pierres  ou  de  ces  mé- 
taux, tandis  qu'elles  sont  très  fréquentes  dans 
d'autres  et  que,  s'il  ne  s'y  en  trouvait  pas, 
on  aurait  plus  sujet  d'espérer  d'y  en  ren- 
contrer qu'autre  part.  »  Il  traça  sur  ses  deux 
cartes  trois  bandes  continues  entourant  à  la  fois 
Paris  et  Londres.  La  plus  intérieure,  ou  bande 
sableuse,  correspond  aux  terrains  tertiaires  ;  la 
moyenne,  ou  bande  marneuse,  correspond  assez 
bien  au  terrain  crétacé  ;  la  plus-  extérieure,  ou 
blinde  sc/iisleuse  ou  métuUique,  comprend  tous  les 
terrains  plus  anciens.  L'idée  de  Guettard,  d'une 

Sortéo  si  immense,  fut  complètement  méconnue 
e  ses  contemporains,  peut-être  parce  que  son 
auteur  était,  et  resta  toujours  trop  en  arrière  de 
Linné  et  de  Buffon,  dans  ses  travaux  sur  les  corps 
organisés. Guettard  neparaîtpas  avoir  jamais  songé 
à  reclierclier  l'âge  relatif  des  différents  terrains 
qu'il  avait  recoinius. 

La  première  classification  ayant  une  véritable 
importance  est  celle  qui  a  été  proposée  à  la  fin 
■du  dernier  siècle  par  Werner,  d'après  l'étude  dé- 
taillée qu'il  avait  faite  du  sol  de  la  Saxe.  L'au- 
teurappliqua  aux  grandes  divisions  qu'ilavaitrecon- 
nues  dans  les  terrains  stratifiés  des  noms  allemands 
qui  furent  adoptés  en  Suède  et  assez  vite  traduits 
en  français  et  transportés  en  Angleterre  et  en 
Italie,  les  seuls  pays  où  les  études  géologiques 
■eussent  alors  pris  naissance.  Werner  avait  établi 
les  quatre  groupes  suivants  :  terrains  primitifs, 
terrains  de  transition,  terrains  .^ecoJidaires,  et 
ierraini  d'alluvion,  auxquels  vers  1807  Al.  Bron- 
gniart,  d'après  l'étude  des  environs  de  Paris, 
ajouta  un  groupe  nouveau  précédant  celui  des 
terrains  d'alluvion.  les  terrains  tertiaires.  Depuis 
plus  de  soixante  ans,  presque  tous  les  géologues 
sont  d'accord  pour  admettre  ces  cinq  grandes 
divisions  fondamentales,  auxquelles  cependant  de 
nouveaux  noms  sont  parfois  donnés.  Ainsi  les  ler- 
raiyis  df  transidon  ont  reçu  aussi  le  nom  de  ter- 
rains primaires,  et  les  terrains  d'alluvion  celui  de 
terrains  quaternaires.  Au  point  de  vue  des  carac- 
ti'-'res  zoologiques,  on  a  distingué  les  terrains  en 
azoïques  (sans  animaux),  patéozoïqiies  (h  faune 
ancienne),  mésozotques  (à  faune  intermédiaire),  et 
csenozfïque<  (à  faune  récente). 

Quant  aux  m.itériaux  non  stratifiés,  massifs  et 
d'origine  ignée,  ils  ont  été  répartis  en  cinq  grou- 
pes contemporains  des  précédents  ou  à  peu  près,  et 
sont  généralement  désignés  par  le  nom  de  la 
roche  qui  y  joue  le  rôle  principal. 


Volcans  moderues. 

Basalte,  trachyte. 
Diorite,  serpentine. 
Porphyre. 

Granités. 


STRATIFIES 

5.  Terrains  d'alluvion ,  de 
transport,  ililuviens. 
quaternaires,     moder- 

4.  Terrains  tertiaires,  caeno- 

zoïques. 
3.  Terrains  secondaires,  mé- 
ȕques. 


S.  Te: 


transitu 


paie 


1.  Terrains    primitifs,    cris- 
tallophylliens,azoiques. 

Les  quatre  groupes  supérieurs,  qui  renferment 
des  corps  organisés  fossiles,  sont  très  fréquem- 
ment désignés  sous  le  nom  collectif  de  terrains 
neptuniens  (de  Neptune,  dieu  de  la  mer),  parce 
qu'ils  ont  été  formés  dans  le  sein  des  eaux.  Le 
groupe  inférieur,  réuni  aux  roches  massives,  donne 
avec  celles-ci  un  autre  ensemble  souvent  dési- 
gné sous  le  nom  de  terrains  plutoniens  (de  Pluton, 
dieu  des  enfers),  parce  que  ces  terrains  ont  été 


formés  sous  l'influence  de  la  haute  température 
qui  règne  dans  l'intérieur  du  globe. 

Lorsqu'on  étudie  les  montagnes  qui  forinent  des 
chaînes  plus  ou  moins  étendues,  comme  les 
Vosges,  les  Alpes  ou  les  Pyrénées,  on  voit  qu'elles 
sont,  au  moins  on  partie,  formées  par  le  redres- 
sement d'assises  qui  sont  souvent  horizontales  ou 
faiblement  inclinées  dans  les  plaines  ou  les  pla- 
teaux avoisinants.  Les  assises  ont  sur  les  flancs 
des  directions  semblables  k  celle  de  la  chaîne 
elle-même  ou  très  rapprochées,  et  depuis  long- 
temps M.  Boue  et  L.  de  Buch  ont  fait  remarquer 
que  les  directions  sont  peu  nombreuses  dans  une 
c  Irée  même  fort  étendue,  et  que  chacune  a  été 
produite  à  une  époque  géologique  déterminée,  et 
aussi  que  dans  des  contrées  éloignées  les  unes 
des  autres  les  chaînes  qui  ont  une  même  direc- 
tion ont  été  formées  simultanément.  Ces  vues  ont 
été  développées  et  étendues  à  la  surface  entière 
de  la  terre  par  Elle  de  Beaumont. 

L'étude  de  l'écorce  terrestre  amène  à  reconnaî- 
tre qu'il  s'y  est  passé  à  certaines  époques  des 
phénomènes  qui  sont  sans  analogues  aujourd'hui. 
Ces  phénomènes  ont  donné  lieu  à  des  faits  extrê- 
mement remarquables  dont  les  principaux 
sont  : 

1°  La  discordance  de  stratification  des  assises 
de  terrain,  sur  de  grandes  étendues; 

2°  La  formation  des  chaînes  de  montagnes  ; 
3"  Le  changement  de  configuration   des  terres 
découvertes  et  le  déplacement  des  masses  d'eau, à 
chaque  grande  période  géologique; 

4"  La  destruction  des  êtres  qui  vivaient  pendant 
la  formation  d'un  terrain  et  leur  remplacement 
par  d'autres  espèces  pendant  le  dépOt  du  terrain 
suivant. 

S'il  y  avait  sur  la  surface  du  globe  un  lieu  qui 
eût  conservé  des  traces  de  toute  la  série  des  ter- 
rains, et  qu'en  cet  endroit  une  dislocation  im- 
mense eût  coupé  toutes  les  couches,  de  manière 
à  présenter  à  l'observateur  la  totalité  de  leurs 
tranches,  on  aurait  dans  cette  cnupe  les  moyens 
de  reconnaître  toute  la  suite  des  terrains  stratifiés, 
di'puis  les  plus  anciens  jusqu'aux  plus  modernes. 
Une  pareille  section  n'existe  pas  ;  mais  on  peut  la 
reconstruire  théoriquement,  en  réunissant  et  en 
comparant  des  coupes  partielles.  On  a  des  moyens 
de  reconnaître  les  terrains  qui  sont  contemporains. 
Ces  terrains  servent  de  jalons^  et  tel  pays  fournira 
la  coupe  des  terrains  supérieurs,  tel  autre  celle 
des  terrains  profonds,  un  troisième  comblera  les 
lacunes  et  rectifiera  ou  complétera  les  autres.  Les 
géologues  sont  ainsi  parvenus  h  dresser  un  tableau 
général  de  la  superposition  des  couches,  dans 
l'ordre  de  leur  apparition,  qui  représente  la  série 
de  tous  les  terrains  successifs. 

L'étude  détaillée  des  cinq  groupes  précédem- 
ment indiqués  a  amené  l'établissement  de  subdi- 
visions de  second  et  de  troisième  ordre,  qui  sont 
données  dans  le  tableau  suivant  pour  les  terrains 
neptuniens  seulement,  les  terrains  plutoniens  ne 
se  prêtant  pas  à  des  subdivisions  bien  nombreuses. 
Les  subdivisions  de  second  ordre  sont  au  nombre  de 
quatre  pour  les  terrains  primaires  ou  de  transi- 
tion, de  quatre  aussi  pour  les  terrains  secondai- 
res, et  de  trois  pour  les  terrains  tertiaires.  Leurs 
dénominations  sont  empruntées  au  pays  où  elles 
se  montrent  bien  développées,  ou  dues  ;i  la  pré- 
sence de  quelque  minéral  particulier  ;  pour  les 
terrains  tertiaires,  elles  indiquent  qu'ils  renfer- 
ment peu,  médiocrement,  ou  beaucoup  d'espèces 
vivantes. 

Ce  tableau  présente  enfin  l'indication  des  qua- 
torze principaux  systèmes  de  montagnes  dont 
l'époque  de  formation  a  coïncidé  avec  les  grands 
changements  qui  ont  établi  les  lignes  de  sépara- 
tion entre  les  divers  terrains.  (V.  Soulèvements.) 


TERRE 


—  2158    - 


TERRE 


TERRAINS  STRATIFIÉS. 

"  >=  (  Alluvions. 

;  g  \                   Ténare,  Etna,  Vésuve.  N.  5°  0. 

g  3  J  Diiuvînm. 

^2  '             Chaîne  principale  des  Alpes.  E.  16°  N. 

„  /  T.  tertiaire  supérieur  ou  T.  pliocène. 

£  g  l  Alpes  occidentales.  N.  26"  E. 

3  5  't.  tertiaire  moyen  ou  T.  miocène. 

S  I  J  Pyrénées  et  Apennins.  E.  18°  S. 

H  »  /  T.  tertiaire  inférieur  ou  T.  éocène. 

*■  \  Mont  Viso.  N.  N.-Û. 

!  Craie. 
Greensand. 
T.  néocomien  ou  Wealdien, 


T.  jurassiq 
ooliltliqu 


T.  permien 
ou  pénéen 


'  Oolithe  supérieure. 
Oolitlie  moyenne. 

Cdte-d'Or.  C.  40°  N. 
Oolitlie  inférieure. 
Lias. 

Thttringerwald.  E.  40»  S. 

Marnes  irisées. 
Muschelkalk. 
Grès  bigarré. 

Rhin.  N.  21»  E. 

Grès  des  Vosges. 

Pays-Bas.  E.  5»  N. 
Zecbstein. 
Grès  rouge. 
Nord  de  l\ingteterre.  N.  5» 

T.  houillcr. 

Fores.  N.  15°  0. 
Mlllstone  prit. 
Calcaiie  carbonifère. 

Ballons  et  Bocage.  E.  15°  S 


Westmoi-eland  et  Eundsruck.  E.  25°  N. 
T.  silurien. 

Finistère.  E.  22»  N. 
T.  cambrien. 

fV.  Raulin.] 

TERRE.  —  Cosmographie,  VII.  —  Nous  allons 
résumer  et  compléter  dans  cet  article  les  notions 
de  cosmographie  qui  intéressent  notre  globe  con- 
sidéré au  double  point  de  vue  astronomique  et 
physique  ;  nous  renvoyons  pour  le  surplus  aux 
articles .4 'inee,  Calendrier,  Glot/e(Conslitittiûn  du), 
Planètes,  Jour,  .s'aiSo?!s,  etc. 

On  sait  que  la  Terre  a  un  mouvement  de  rota- 
tion uniforme  autour  de  la  ligne  de  ses  pôles,  et 
que  la  durée  exacte  d'une  rotation  complète  est  de 
vingt-trois  heures  cinquante-six  minutes  et  quatre 
secondes  de  temps  moyen  :  c'est  la  durée  du  jojir 
sidéral,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  celle  du 
jour  solaire.  Maintenant,  la  durée  du  jour  sidéral  est- 
elle  absolument  invariable,  comme  Laplace  croyait 
pouvoir  le  conclure  des  observations  astronomi- 
ques anciennes  et  modernes,  comparées  ?  Delau- 
nay  a  prouvé  le  contraire.  La  rotation  terrestre 
Bubit  un  ralentissement  causé  par  la  réaction  de 
la  masse  de  la  Lune  sur  les  protubérances  liquides 
des  marées.  Ce  ralentissement  est  d'une  extrême 
lenteur,  puisqu'il  ne  faudrait  pas  moins  de  cent 
mille  années  pour  augmenter  d'une  secmide  la 
durée  du  jour  sidéral.  En  dehors  des  questions  de 
théorie,  il  est  donc  permis  de  considéier  comme 
invariable  la  durée  de  la  rotation  terrestre,  laquelle 
sert  de  base  à  la  mesure  du  temps. 

Un  autre  élément  très  important  de  la  rotation 
terrestre,  est  la  position  de  l'axe  autour  duquel 
elle  s'effectue.  Cet  axe  est  incliné  sur  le  plan  de 
l'orbite  de  la  Terre  :  l'angle  qui  mesure  cette  in- 
clinaison est  aujourd'hui  de  66°, 3.3'  environ,  de 
sorte  que  l'équateur  est  incliné  lui-même  de 
23°, 2T  sur  le  même  plan  :  c'est  ce  qu'on  nomme 
Xobliquiié  de  iécliptique.  De  cet  élément  et  du 
mouvement  annuel  de  translation  de  la  Terre 
résultent  les  variations   qui   se  succèdent,  d'un 


bout  de  l'année  à  l'autre,  dans  les  durées  relati- 
ves des  jours  et  des  nuits,  ainsi  que  dans  les  hau- 
teurs méridiennes  du  soleil  au-dessus  de  chaque 
horizon.  Les  saisons  et  les  climats  dépendent  donc 
de  l'obliquité  de  l'écliptique  qui  varie  lentement 
avec  les  siècles  :  elle  diminue  actuellement  de 
0",5  par  siècle.  Quand  cette  diminution  aura  at- 
teint 1°,20',  c'est-à-dire  dans  9  600  ans  au  moins, 
l'obliquité  deviendra  stationnaire,  puis  elle  repren- 
dra une  marche  croissante. 

L'axe  de  rotation  de  la  Terre  reste  à  peu 
près  parallèle  à  lui-même,  de  sorte  qu'il  coupe 
le  ciel  en  deux  points  opposés,  les  pôles  cé- 
lestes, en  apparence  immobiles,  autour  desquels 
parait  s'effectuer  le  mouvement  diurne  des  étoiles. 
Si  ce  parallélisme  était  rigoureux,  les  équinoxes 
seraient  toujours  les  deux  mômes  points  de  l'or- 
bite terrestre,  et  la  durée  de  l'armée  tropique  se- 
rait exactement  égale  à  celle  de  l'année  sidérale. 
Nous  avons  vu  que  cette  égalité  n'a  pas  lieu. 
L'année  tropique  est  plus  courte  que  l'année  sidé- 
rale, parce  que  la  Terre  revient  à  un  même 
équinoxe  un  peu  plus  tôt  qu'elle  ne  revient  à  la 
même  étoile.  Ce  phénomène,  connu  sous  le  nom 
de  ),récession  des  équinoies.vlent  d'un  mouvement 
de  l'axe  de  la  Terre,  qui  fait  décrire  un  angle  de 
50", 2  par  an  à  cet  axe  autour  de  l'axe  de  l'écli- 
ptique. En  26  000  années  environ,  la  révolution  est 
complète.  Il  résulte  de  là  que  les  pôles  célestes 
changent  peu  à  peu  de  position  parmi  les  étoiles. 
L'étoile  qu'on  nomme  aujourd'hui  la  Polaire,  parce 
qu'elle  est  très  voisine  du  pôle  céleste  boréal,  va 
actuellement  en  se  rapprochant  de  ce  pôle.  Cette 
diminution  de  distance  continuera  pendant  deux 
siècles  et  demi  environ.  Le  pôle  s'éloignera  en- 
suite de  la  polaire,  et  dans  13  OOU  ans  il  se  trou- 
vera près  de  la  belle  étoile  Feya  de  la  Lyre,  à  47" 
de  la  polaire  actuelle.  C'est  par  l'effet  de  la  pré- 
cession des  équinoxes  que  les  constellations  zodia- 
cales ont  peu  à  peu  cessé  de  correspondre  aux 
mêmes  époques  de  l'année  que  du  temps  des  an- 
ciens. Il  y  a  2  0011  ans,  à  l'époque  où  vivait  l'astro- 
nome Hipparque,  le  Soleil  se  trouvait,  à  l'équinoxe 
du  printemps,  dans  la  constellation  ou  dans  le 
signe  du  Bélier.  Aujourd'hui,  au  même  équinoxe, 
on  dit  toujours  qu'il  est  dans  le  signe  zodiacal  du 
Bélier;  mais,  en  réalité,  il  est  à  27°  de  distance 
dans  la  constellation  des  Poissons. 

Il  y  a  un  autre  mouvement  périodique  de  l'axe 
terrestre,  beaucoup  plus  court  (18  ans  2/3)  que  la 
précession  :  on  l'appelle  la  nutation  (balancement). 
Ces  mouvements  S(int  dus  l'un  et  l'autre  à  l'action 
de  la  gravitation  de  la  Lune  et  du  Soleil  sur  notre 
planète,  ou  plus  exactement  à  l'action  de  leurs 
masses  sur  le  renflement  équatorial  de  la  Terre.  Si 
ce  renflement  n'existait  pas  (et  on  a  pu  voira  l'arti- 
cle Glolie  qu'il  est  la  conséquence  du  mouvement 
de  rotation  et  de  la  force  centrifuge  que  ce  mou- 
vement développe),  ni  la  précession  ni  la  nutation 
n'existeraient,  et  l'axe  terrestre  conserverait  dans 
l'espace  une  direction  invariable  ;  les  révolutions 
des  saisons  se  feraient  toujours  aux  mômes  points 
de  l'orbite  terrestre. 

Si  le  mouvement  de  rotation  de  notre  globe  est 
troublé  par  les  réactions  qu'exercent  le  Soleil  et  la 
Lune,  soit  sur  les  protubérances  des  marées,  soit 
sur  la  protubérance  bien  autrement  considérable 
du  renflemeiit  équatorial,  son  mouvement  annuel 
de  translation  subit  aussi  des  perturbations  im- 
portantes. ,    c  ,  ., 

La  Terre  décrit  une  ellipse  autour  du  Soleil,  et 
le  centre  de  ce  dernier  corps  occupe,  avons-nous 
vu,  l'un  des  foyers  de  la  courbe.  Un  élément  est 
invariable  dans  cette  courbe,  c'est  la  dimension 
du  grand  axe,  ou,  ce  qui  revient  au  même,  la  dis- 
tance moyenne  de  la  planète  au  Soleil.  Dès  lors  la 
durée  de  la  révolution  est  elle-même  invariable. 
Mais  ce  qui  ne  l'est  pas,  c'est,  d'une  part,  la  po- 


TERRE 


—  2159  — 


TERRE 


sition  du  grand  axo,  de  l'autre,  la  grandeur  do  1 
l'cxcentriciu'.  Le  /térihi-lie,  qui  est  le  point  du 
grand  axe  où  la  Terre  est  h  sa  plus  petite  distance 
du  Soleil,  a  un  mouvement  qui  s'cfl'ectue  en  sens 
contraire  du  mouvement  de  précession  des  cqui- 
noxes.  Actuellement,  le  pcriliélie  se  trouve  il  10° 
il  peu  près  du  solstice  de  l'hiver  boréal  ;  vers  l'an 
12r>0  de  noire  ère  ces  deux  points  coïncidaient, 
de  sorte  que  l'époque  du  jour  le  plus  court  sur 
notre  hémisphère  était  aussi  celle  où  le  Soleil 
était  le  plus  voisin  de  nous;  le  solstice  d'été  cor- 
respondait alors  à  l'aphélie.  Cette  circonstance 
contribuait  donc  à  rendre  nos  hivers  moins  rudes 
et  nos  élés  moins  chauds,  et  le  contraire  arrivait 
pour  les  hahiiants  de  l'hémisphère  austral.  Par  le 
fait  de  la  combinaison  du  mouvement  du  périhélie 
et  du  mouvement  contraire  de  la  précession  des 
équinoxes,  le  périhélie  va  en  s'éloignant  du  sol- 
stice d'hiver  ;  il  se  trouvera  coïncider  avec  le 
solstice  d'été  au  bout  d'un  intervalle  d'environ 
10  500  ans,  c'est-à-dire  vers  l'an  11  750.  Vers  le  milieu 
de  cette  période,  ce  sera  l'équinoxe  du  printemps 
de  l'hémisphère  boréal  qui  se  trouvera  en  coïnci- 
dence avec  le  périhélie  :  alors  l'hiver  et  le  prin- 
temps auront  même  durée  et  seront  les  deux  sai- 
sons les  plus  courtes  ;  l'été  et  l'automne  seront 
pareillement  égaux  et  plus  longs. 

Ces  lentes  révolutions  modiKent  évidemment  la 
distribution  de  la  lumière  et  de  la  chaleur  sur  la 
Terre,  suivant  les  saisons,  et  pour  les  deux  hémi- 
sphères en  sens  opposé.  Mais  il  est,  i  ce  point  de 
vue,  uno  variation  beaucoup  plus  importante, 
c'est  celle  de  l'excentricité  de  l'orbite  de  la  Terre, 
c'est-à-dire  du  rapport  qui  existe  entre  l'excès  du 
demi  grand  axe  sur  la  distance  périhélie  et  ce 
grand  axe  même.  Si  l'on  prend  pour  unité  le  demi 
grand  axe,  ou  la  distance  moyenne  du  Soleil  à  la 
Terre,  voici  quelles  sont  les  distances  périhélie  et 
aphélie  : 

Dislance  périhélie 0,9832 

Distance  aphélie 1,0168 

La  première  est  inférieure  !i  la  distance  moyenne 
et  la  seconde  surpasse  cette  quantité  de  0,0168. 
C'est  ce  nombre  qu'on  nomme  \'exce7itrii:ité. 

L'excentricité  est  la  mesure  du  plus  ou  moins 
grand  allongement  de  la  courbe  elliptique  ;  plus 
elle  est  grande,  plus  l'ellipse  diffère  du  cercle  ; 
plus  elle  est  petite,  plus  la  courbe  approche  de  la 
forme  circulaire. 

Or  l'excentricité  de  l'orbite  terrestre  varie  dans 
la  suite  des  siècles,  avec  une  excessive  lenteur,  il 
est  vrai,  mais  dans  des  limites  assez  considérables, 
puisque,  de  la  valeur  actuelle  qui  est  0,0168,  elle 
peut  atteindre  un  maximum  égal  à  0,0717,  plus 
de  quatre  fois  supérieur.  On  a  calculé  qu'elle  a  at- 
teint son  dernier  maximum  il  y  a  environ  210  000 
années  ;  elle  décroîtra  encore  pendant  24  000  ans 
pour  croître  de  nouveau.  La  cause  de  ces  chan- 
gements est  dans  l'action  des  planètes  Jupiter  et 
Saturne,  et  aussi  de  Vénus  et  de  Mars. 

Nous  mentionnons  ici  ces  modifications  lentes 
des  éléments  astronomiques  de  notre  planète  pour 
deux  raisons  ;  d'abord,  pour  montrer  par  des 
exemples  comment  s'exerce  la  loi  de  gravitation 
qui  régit  tous  les  corps  du  monde  solaire,  com- 
ment les  masses  des  corps  s'influencent  réci- 
proquement par  le  fait  des  incessants  changements 
de  distances  qui  résultent  de  leurs  mouvements 
propres.  Ensuite,  pour  faire  voir  le  lien  qui  peut 
exister  entre  ces  variations  et  celles  que  le  globe 
terrestre  a  pu  et  pourra  subir  dans  sa  constitu- 
tion, son  climat,  etc.  Les  géologues  ont  constaté 
qu'il  y  a  eu,  dans  les  époques  qui  ont  précédé  la 
nôire  de  quelques  centaines  de  milliers  d'années 
(époques  relativement  récentes  pour  l'hisioire  du 
passé  delà  Terre),  des  périodes  do  refroidissement 
sans   lesquelles  il  serait  impossible  d'expliquer 


l'immense  extension  qu'ont  eue  les  glaciers  dans 
les  diverses  parties  du  monde.  Or  les  mouvements 
du  périhclio  et  de  la  précession  des  équinoxes, 
et  surtout  les  variations  de  l'excentricité,  permet- 
tent de  rendre  compte  des  phénomènes  des  pé- 
riodes glaciaires,  des  alternatives  de  leur  appari- 
tion et  de  leur  disparition.  Des  étés  très  chauds  et 
très  courts,  des  hivers  très  longs  et  très  froids, 
par  leur  succession  sur  un  même  hémisphère, 
rendent  compte  à  la  fois  et  de  ^exces^ive  abon- 
dance de  l'évaporation  pendant  les  saisons  esti- 
vales, et  de  la  condensation  des  vapeurs  sous 
forme  de  neiges  pendant  les  saisons  hivernales.  De 
là  le  phénomène  de  la  formation  des  glaciers  et 
de  leur  immense  extension  sur  certaines  régions 
des  continents  actuels. 

On  sait  que  la  Terre  a  la  forme  d'un  ellipsoïde 
aplati  aux  deux  pôles  de  rotation,  ou  renflé  à  l'é- 
quateur.  Nous  avons  vu  que  la  valeur  moyenne 
de  l'aplatissement  est  l/29'.l.  Cette  valeur  résulte 
de  nombreuses  mesures  géodésiques  faites  dans 
le  sens  des  méridiens  et  dans  le  sens  des  paral- 
lèles. La  Terre  n'étant  pas  sphérique,  les  divers 
points  de  sa  surface  ne  sont  pas  à  la  môme  dis- 
tance de  son  centre  de  figure  ou  de  gravité  ;  il 
résulte  de  là  que  l'intensité  de  la  pesanteur  est 
variable  avec  la  latitude  :  elle  va  en  croissant  de 
l'équateur  au  pôle.  Un  corps,  d'une  masse  inva- 
l  riable,  qu'on  transporterait  de  l'équateur  à  des  la- 
titudes  de  plus  en  plus  éloignées,  exercerait  sur 
un  ressort  donné  une  pression  de  plus  en  plus 
lorte,  par  le  fait  de  l'accroissement  d'intensité  de 
la  pesanteur  terrestre.  11  y  a  une  seconde  cause 
qui  modifie  cette  pression  dans  le  môme  sens, 
c'est  la  force  centrifuge  développée  par  le  mouve- 
ment de  rotation  de  la  Terre,  mouvement  dont 
la  rapidité  va  en  augmentant  à  mesure  qu'on  se 
rapproche  de  l'équateur.  Un  moyen  de  constater 
ces  variations  est  l'emploi  du  pendule.  On  a  con- 
staté par  l'expérience  que  la  longueur  du  pendule 
qui  bat  les  secondes  croit  avec  la  latitude,  ou 
bien,  ce  qui  revient  au  même,  qu'un  pendule  do 
longueur  invariable  oscille  plus  rapidement  à 
mesure  qu'on  l'éloigné  de  l'équateur. 

La  conclusion  de  toutes  les  recherches  faites 
par  ces  diverses  méthodes  sur  la  forme  du  globe 
terrestre,  c'est,  comme  nous  l'avons  dit,  que  ce 
globe  n'est  pas  sphérique  ;  que  les  divers  méri- 
diens ne  sont  pas  des  cercles,  mais  des  ellipses 
ayant  toutes  le  même  petit  axe,  qui  est  l'axe  des 
pôles.  A  la  vérité,  il  y  a  des  inégalités  entre  ces 
ellipses  mêmes,  de  sorte  que  les  parallèles,  qui 
devraient  être  des  cercles  dans  l'hypothèse  d'un 
ellipsoïde  régulier  ou  de  révolution,  sont  eux- 
mêmes  irréguliers.  Il  parait  que  l'équateur  aausst 
une  forme  elliptique,  beaucoup  moins  prononcée, 
il  est  vrai,  que  celle  des  méridiens. 

Quelles  que  soient  les  irrégularités  dont  nous 
venons  de  parler,  elles  sont,  relativement  aux  di- 
mensions du  globe  terrestre,  très  peu  sensibles.  La 
Terre,  vue  de  l'espace,  comme  nous  voyons  au  té- 
lescope les  planètes  les  plus  rapprochées,  semble- 
rait sphériquo  ;  il  faudrait  des  mesures  très  délicates 
pour  constater  et  à  plus  forte  raison  pour  mesurer 
son  aplatissement.  Quant  aux  aspérités  formées 
par  les  continents,  par  les  plus  grosses  chaînes  de 
montagnes,  elles  disparaîtraient  à  peu  près  abso- 
lument :  les  continents  et  les  mers  ne  se  distin- 
gueraient que  par  une  différence  de  teinte,  par 
l'inégalité  d'éclat  de  surfaces  douées  de  pouvoirs 
réfléchissants  très  inégaux. 

Les  dimensions  et  la  forme  du  sphéroïde  ter- 
restre étant  connues,  on  peut  en  déduire  son  vo- 
lume :  on  trouve  ainsi  qu'il  renferme  1  079  540 
millions  de  kilomètres  cubes  .  Si  l'on  connaissait 
le  poids  spécifique  moyen  de  la  matière  qui  le 
compose,  une  simple  jnultiplication  donnerait  le 
poids  total  du  globe.  Mais,  par  expérience,  on  ne 


TERRE 


2160  — 


TERRE 


peut,  connaître  que  celui  des  couclies  du  sol  jus- 
qu'aux profondeurs  où  a  permis  d'atteindre  l'ex- 
ploitation minière.  Pour  en  conclure  la  densité 
moyenne  de  la  Terre,  il  a  fallu  employer  des  mé- 
thodes qui  ne  peuvent  être  exposées  ici  r  les  unes 
sont  fondées  ■sur  la  déviation  que  produit  l'attrac- 
tion d'une  masse  montagneuse  sur  un  fil  à  plomb 
qu'on  porte  successivement  au  nord  ou  au  sud  de 
la  montagne  ;  les  autres  sur  la  différence  entre  le 
nom'ore  des  oscillations  qu'effectue  un  pendule 
de  longueur  invariable,  si  on  le  porte  du  pied 
d'une  montagne  au  sommet,  ou  du  niveau  du  sol 
au  fond  d'un  puits  de  mines.  Les  diverses  expé- 
riences faites  à  différentes  reprises  par  ces  mé- 
thodes et  par  d'autres  encore,  s'accordent  à  donner 
le  nombre  ,S.5U  comme  représentant  la  densité 
moyenne  du  globe  terrestre,  celle  de  l'eau  étant 
prise  pour  unité. 

11  résulte  de  là  que  si  l'on  pesait,  parties  par 
parties,  toute  la  matière  dont  se  compose  la 
■Terre  et  qu'on  additionnât  tous  ces  résultats  par- 
tiels, on  trouverait  environ  six  millions  de  mil- 
liards de  tonnes  de  mille  kilogrammes.  Nous 
avons  vu  à  l'article  Soleil  que  ce  dernier  corps 
pèse  32,1  UOO  fois  autant  que  la  Terre. 

Un  autre  élément  important  do  la  constitution 
physique  de  notre  globe,  c'est  sa  température. 
Trois  sources  principales  concourent  à  donner  à 
la  Terre  la  chaleur  d'où  résulte  sa  température  : 
c'est,  en  premier  lieu,  celle  que  le  Soleil  rayonne 
incessamment  dans  l'espace;  puis  vient  celle  de 
l'espace  même,  c'est-à-dire  celle  qui  provient  du 
rayonnement  de  tout  le  reste  de  l'univers  abstrac- 
tion faite  du  Soleil  ;  enfin  vient  la  chaleur  interne 
propre  à  la  masse  même  du  globe  terrestre.  La 
température  do  l'espace,  quoique  très  basse  pro- 
bablement (d'après  Pouillet  elle  ne  dépasserait 
pas  li2"  au-dessous  de  zéro^,  contribue  à  donner  à 
la  planète  une  chaleur  fondamentale,  indépen- 
dante de  la  chaleur  du  Soleil  et  de  la  chaleur 
propre  que  sa  masse  intérieure  a  conservée.  Quant 
à  la  chaleur  du  Soleil,  dont  l'influence  est  si  con- 
sidérable sur  les  phénomènes  de  la  vie  végétale 
et  animale  à  la  surface  de  la  Terre,  dont  les  va- 
riations selon  les  latitudes,  aux  diverses  époques 
de  l'année,  constituent  l'infinie  variété  des  saisons 
et  des  climats,  Fourier  a  prouvé  qu'elle  ne  peut 
rendre  compte  de  l'accroissement  de  température 
qu'on  observe  dans  les  couches  du  sol,  à  mesure 
qu'on  pénètre  plus  profondément  au-dessous  du 
point  où  règne  une  température  invariable. 

Cette  chaleur  interne  de  la  Terre,  qui  va  en 
croissant  du  point  dont  nous  parlons,  à  raison  de 
1°  centigrade  par  ■  0  à  33  mètres  de  profondeur, 
est  donc,  selon  toute  vraisemblance,  une  chaleur 
d'origine.  Mais  les  savants  sont  divisés  sur  la 
question  de  savoir  si  la  Ici  de  l'accroissement  est 
proportionnelle  ou  non  à  la  profondeur  :  ils  diffè- 
rent aussi  de  vues  sur  les  effets  qui  doivent  ré- 
sulter de  cet  accroissement.  En  admettant  que 
cet  accroissement  soit  indéfini,  on  trouverait,  à  40 
ou  50  kilomètres  de  profondeur,  une  température 
telle  que  les  matériaux  les  plus  réfractaires  se- 
raient à  l'état  de  fusion  incandescente.  Dans  cette 
hypothèse,  le  noyau  de  la  Terre,  sauf  une  mince 
pellicule  de  5  i  kilomètres,  serait  donc  à  l'état  fluide. 
D'autres  savants  ne  croient  pas  que  la  partie  so- 
lidifiée du  globe  soit  aussi  mince  :  ils  évaluent 
l'épaisseur  de  la  croûte  au  quart  et  même  au  tiers 
du  rayon  terrestre.  Mais  les  uns  et  les  autres 
s'accordent  à  considérer  la  chaleur  intérieure  de 
la  Terre  comme  due  à  un  état  de  fluidité  primi- 
tive, état  qui  est  admis  par  les  géologues  et  qui 
s'accorde  bien  d'ailleurs  avec  la  forme  ellipsoï- 
dale du  globe. 

Entre  l'époque  actuelle  et  celle  où  la  masse 
tout  entière  de  le  Terre  était  fluide,  où  a  com- 
mencé, sous  l'influence  d'un  refroidissement  gra- 


duel et  continu,  la  solidification  de  la  première 
couche  extérieure,  combien  s'est-il  écoulé  de  cen- 
taines de  mille,  de  millions  de  siècles'?  Il  est  im- 
possible sans  doute  de  répondre  à  celle  question. 
Tout  ce  que  l'on  peut  dire,  c'est  que  cet  immense 
intervalle  de  temps,  nécessaire  pour  l'explication 
des  formations  géologiques,  pour  la  succession  des 
époques  qui  caractérisent  les  dépôts  des  diverses 
couches  primaires,  secondaires,  tertiaires  et  qua- 
ternaires, n'est  cependant  qu'une  fraction  de  l'his- 
toire ancienne  de  notre  planète.  Celte  histoire,  dans 
son  ensemble,  ne  forme  qu'un  des  chapitres  de  celle 
qui  raconterait  la  formation  intégrale  du  monde  so- 
laire. Or,  cette  dernière  a  été  ébauchée  par  l'un  des 
plus  grands  astronomes  des  temps  modernes.  Nous 
ne  pouvons  mieux  terminer  cet  aperçu  sommaire 
qu'en  exposant  ici,  dans  ses  lignes  principales,  la 
magnifique  synthèse  due  au  génie  de  Laplace,  en 
indiquant  ensuite  les  modifications  que  les  progrès 
de  la  science  y  ont  apportées. 

Voici  d'abord  le  résumé  de  la  théorie  ou,  en 
employant  l'expression  sous  laquelle  cette  théorie 
est  connue  dans  la  science,  de  la  cosmogonie  de 
Lap'iice. 

Si  l'on  remonte  par  la  pensée  à  une  époque 
éloignée  do  la  notre  par  une  série  énorme 
de  siècles,  le  monde  solaire  tout  entier,  ou,  plus 
exactement,  toute  la  matière  qui  en  forme  aujour- 
d'hui les  divers  groupes,  existait  à  l'état  purement 
gazeux,  ou,  si  l'on  veut,  sous  la  forme  d'une  im- 
mense nébuleuse,  extraordinairement  diffuse,  ne 
présentant  aucun  indice  de  condensation.  Dans  un 
tel  état,  les  molécules  de  la  nébulosité  sont  assez 
éloignées  les  unes  des  autres  pour  que  la  force 
répulsive  dont  elles  sont  douées  annule  entière- 
ment la  force  attractive  qui,  les  faisant  graviter 
les  unes  vers  les  autres,  tendrait  sans  cela  à  les 
réunir  en  groupes. 

Mais  les  siècles  s'écoulent,  la  nébuleuse  se  re- 
froidit peu  à  peu  en  rayonnant  incessamment 
dans  l'espace;  l'action  de  la  force  répulsive  dimi- 
nue, et  celle  de  l'attraction  peut  s'exercer  de  plus 
en  plus;  elle  condense  et  rapproche  en  un  ou  plu- 
sieurs centres  les  diverses  parties  de  la  nébulosité 
diffuse. 

La  nébuleuse  solaire  a  donc  dû  finir  par  présen- 
ter l'aspect  d'un  noyau  lumineux  enveloppé  à  une 
grande  distance  d'une  sorte  d'atmosphère  gazeuse, 
de  forme  à  peu  près  sphérique.  Telles  nous  ap- 
paraissent dans  l'espace  les  étoiles  nébuleuses  : 
on  sait,  en  effet,  que  les  astronomes  considèrent 
ces  derniers  systètnes  comme  irréductibles  en 
étoiles,  ou  si  l'on  veut  comme  des  soleils  simples, 
doubles  ou  multiples,  environnés  d'une  nébulo- 
sité réelle,  soit  lumineuse  par  elle-même,  soit 
illuminée  par  l'astre  central. 

A  cette  période  de  sa  formation,  le  Soleil  exis- 
tait seul  encore;  les  planètes  et  leurs  satellites 
restaient  confondues  dans  le  sein  do  l'atmosphère. 
Mais  la  masse  entière  était  douée  d'un  mouve- 
ment de  rotation  qui  entraînait  dans  un  même 
sens,  soit  les  molécules  du  noyau,  soit  celles  de 
la  nébulosité.  A  un  moment  donné,  les  limites  de 
celte  dernière  dépendaient  de  la  distance  à  la- 
quelle la  force  centrifuge,  due  au  mouvement  de 
rotation,  était  en  équilibre  avec  la  force  centrale  ' 
de  gravitation.  Ces  limites  changeaient  elles-mêmes 
et  se  rapprochaient  nécessairement  du  centre, 
sous  l'inliuence  d'un  refroidissement  continu,  qui 
avait  pour  conséquence  la  diminution  de  volume 
de  la  nébulosité.  De  li,  1  abandon  d'une  zone  de 
vapeur  condensée,  à  la  distance  des  limites  pri- 
mitives. 

Peu  à  peu  l'atmosphère  céleste  dut  abandonner 
ainsi  une  série  de  zones  de  vapeur  de  plus  en 
plus  rapprochées  du  centre,  les  unes  et  les  au- 
tres se  trouvant  à  fort  peu  près  dans  le  plan  de 
l'équateur  général,  c'ost-à-dire  où,  pour  la  vitesse 


TEHRES 


2161  — 


TERRES 


■du  moiivoment   de  rotation,    la  força   coiitrifuge 
était  naturelleiiioul  pr(5poiiil6raiite. 

Co  sont  ces  zones  qui  ont  donne  naissanco  aux 
.planètes  isoliios  ou  aux  groupes  do  planètes  et 
d'astéroïdes. 

Pour  qu'il  en  fût  autrement,  ponr  que  les  zones 
dotacliéos  de  la  Jiobuleuse  générale  eussent  con- 
servé la  forme  d'anneaux  concentriciues  au  Soleil, 
il  aurait  fallu  qu'un  équilibre  parfait  eût  continué 
d'exister  entre  les  diverses  molécules  composant 
ces  anneaux.  Mais  c'eût  été  là,  selon  l'expression 
de  Laplace,  un  grand  liasard. 

Les  aiuieaux  se  divisèrent,  et  les  débris  les 
plus  considérables,  attirant  et  s'aggrégeant  les 
autres,  formèrent  de  nouveaux  centres  ou  noyaux 
nébuleux.  Ce  qu'il  importe  maintenant  île  remar- 
<}uer,  c'est  que  chacun  d'eux  dut  être  animé  de 
deux  mouvements  simultanés,  l'un  de  rotation 
autour  de  son  propre  centre,  l'autre  de  translation 
autour  du  centre  commun.  De  plus,  comme  ces 
deux  mouvements  n'étaient  que  la  continuation 
du  mouvement  antérieur  général,  leur  Sens  resta 
le  même  que  celui  de  la  rotation  de  tout  le  sys- 
tème ou  du  noyau  solaire. 

Les  planètes  une  fois  formées,  on  comprend 
parfaitement  comment  ces  nébuleuses  partielles, 
sembLibles  à  la  nébulosité  totale,  purent  donner 
lieu  à  la  naissance  de  nouveaux  corps  gravitant 
et  tournant  autour  de  chacune  d'elles;  telle  est 
l'origine  des  satellites. 

Laplace  explique  alors  comment  les  satellites 
ne  formèrent  plus  de  satellites  nouveaux,  et  pour- 
quoi ces  corps  secondaires  présentent  la  même 
face  à  la  planète  autour  de  laquelle  ils  gravitent; 
c'est  que  la  faible  dislance,  donnant  à  l'attraction 
de  celle-ci  une  influence  prépondérante,  les  spliè- 
res  composant  les  satellites,  encore  à  l'état  fluide, 
s'allongèrent  vers  le  centre  de  la  planète  :  et  il  en 
résulta  pour  le  mouvement  de  rotation  une  durée 
pres((ue  identique  à  celle  de  leur  mouvement  de 
révolution.  Après  un  certain  nombre  d'oscillations, 
ces  durées  devinrent  rigoureusement  égales. 

Au  lieu  de  supposer,  comme  l'a  fait  Laplace, 
que  la  nébuleuse  primitive  qui  a  donné  naissance 
au  Sol'il,  puis  aux  planètes  et  à  leurs  satellites, 
s'est  condensée  en  un  seul  noyau  central,  quel- 
ques astronomes  pensent  que  cette  nébuleuse 
avait,  dès  l'origine,  plusieurs  centres  de  conden- 
sation. D'api'ès  M.  Faye,  l'immense  température 
dont  ces  noyaux  ont  été  doués  et  qui  est  encore 
le  partage  de  la  masse  solaire  centrale,  n'existait 
pas  à  l'origine  :  c'est  la  conversion  en  chaleur  de 
la  force  de  gravitation  qui  peu  à  peu  lui  donna 
naissanco.  Mais  quelles  que  soient  les  différences 
qui  existent  entre  la  cosmogonie  proposée  par 
Laplace,  et  les  théories  qui  en  ont  modifié  les  dé- 
tails, il  y  a  cela  de  commun  entre  elles,  c'est  que 
toutes  admettent  la  fluidité  piimitive  des  planètes 
et  notamment  celle  de  la  Terre,  à  une  époque 
prodigieusement  éloignée  de  l'époque  actuelle. 
Ainsi  l'astronomie,  la  physique  et  la  géologie  s'ac- 
cordent dans  la  môme  manière  de  concevoir  les 
origines  de  notre  planète.  [A.  Guillemin.] 

l'Elut  lis.  —  Chimie,  XVIL  —  Les  cliimistes 
ont  donné  le  nom  de  ten-es  à  un  grand  nombre 
de  produits  extraits  de  la  terre,  pulvérulents,  in- 
solubles ou  peu  solubles,  ayant  les  couleurs  diffé- 
rentes que  présente  la  terre  en  divers  points,  et 
aussi  à  des  préparations  artificielles  ayant  con- 
servé l'apparence  de  la  terre.  Dans  sa  classification, 
Layoisier  avait  donné  ce  nom  à  des  corps  alcalins 
qu'il  .supposa,  avec  grande  raison,  être  des  oxydes 
de  métaux,  dits  terreux.  Les  principales  terres 
alcalines  sont  la  chaux,  la  baryte,  la  strontiane,  la 
magnésie,  l'alumine.  Tous  ces  corps  sont  blancs, 
plus  denses  que  l'eau:  aucun  ;igcnt  physique  ne 
;  les  altère.  B        i    J     i 

';     Les  trois  premiers  sont  assez  solubles  dans  l'eau, 

2'   PARTIE. 


à.  laquelle  ils  communiquent  une  réaction  franche 
mont  alcaline.  Leurs  dissolutions  se  troublent  en 
présence  de  l'acide  carbonique  et  forment  des 
carbonates.  L'absorption  de  ce  gaz  par  l'eau  de 
chaux  ou  de  baryte  offre  un  moyen  de  dosage  du 
carbone,  utilisé  en  chimie  organique.  Ces  trois  corps 
absorbent  l'eau  avec  yrand  dégagement  de  cha- 
leur, et,  une  fois  hydratés,  retiennent  un  équiva- 
lent d'eau  qui  ne  peut  être  chassé  par  la  chaleur 
seule. 

La  magnésie  est  aussi  très  légèrement  soluble 
dans  l'eau,  mais,  contrairement  i  la  baryte,  elle 
l'est  plus  dans  l'eau  froide  que  dans  l'eau  chaude. 
Elle  absorbe  très  lentement  l'acide  carbonique. 

Ces  quatre  corps  peuvent  être  obtenus  par  les 
calcinations  des  carbonates  naturels  ou  artificiels. 
Dans  ces  conditions,  la  magnésie  obtenue  est  très 
légère.  Ce  procédé  est  utilisé  pour  obtenir  indus- 
triellement la  chaux,  et  la  décomposition  de  son 
carbonate  est  facilitée  par  les  courants  gazeux 
produits  par  la  combustion  du  bois  ou  de  la 
houille  avec  lesquels  il  est  mêlé.  On  obtient  la  ba- 
ryte et  la  strontiane  en  décomposant,  de  préfé- 
rence par  la  chaleur,  leurs  azotates,  composés 
beaucoup  moins  stables;  on  agit  de  même  quand 
on  veut  avoir  de  la  chaux  très  pure  ou  de  la  ma- 
gnésie très  compacte. 

L'alumine  se  rapproche  de  la  magnésie  par  l'ap- 
parenie  extérieure,  mais  en  réalité  elle  devrait 
être  placée,  pour  ses  propriétés  chimiques,  i  côté 
dos  sesquioxydes  de  fer,  de  chrome,  de  manga- 
nèse, bases  peu  énergiques.  Ses  propriétés  diffè- 
rent de  celles  des  quatre  autres  terres  avec  les- 
quelles on  l'étudié  ordinairement.  Obtenue  par 
précipitation  d'un  de  ses  sels  par  l'ammoniaque, 
elle  a  l'aspect  gélatineux  et  retient  une  grande 
quantité  d'eau  qu'elle  perd  en  majeure  partie  par 
dessiccation  à  l'air  libre  ou  par  la  chaleur.  Elle  ne 
forme  pas  de  carbonate,  ne  se  combine  aisément 
qu'aux  acides  énergiques  en  jouant  le  rôle  de  base 
faible. 

Les  métaux  des  terres  basiques  furent,  comme  le 
potassium  et  le  sodium,  d'abord  obtenus  en  décom- 
posant par  la  pile  un  de  leurs  composés.  Celui  qui 
réussit  le  mieux  est  le  chlorure  fondu.  Le  calcium, 
fe  bari/um,  le  slruntium  sont  sans  intérêt.  Le 
magnésium  et  Vuluminiam  s'oblieiinent  indus- 
triellement en  décomposant  à  une  haute  tempé- 
rature, par  le  sodium,  les  chlorures  doubles  de  ces 
métaux  et  de  sodium,  et  parfois,  pour  l'aluminium, 
le  fluorure  naturel  ou   cryolithe. 

Le  magnésium  en  fils  ou  rubans  brûle  aisément 
avec  une  lumière  qui  rappelle  la  lumière  électri- 
que, et  qui  permet  d'obtenir  des  photographies 
de  nuit.  11  est  précieux  et  son  usage  s'étendra 
chaque  fois  qu'il  s'agira  d'obtenir  pour  un  temps 
assez  court  une  lumière  très  intense.  Pour  des 
temps  considérables  la  lumière  électrique  et  celle 
de  Diummond  seraient  plus  économiques.  Le 
magnésium  tient  par  son  altérabilité  le  milieu 
entre  les  métaux  alcalins  et  les  métaux  usuels. 

L'aluminium  au  contraire  est  d'une  grande  inal- 
térabilité, soit  à  l'air  sec  ou  humide,  soit  à  la  cha- 
leur. Les  composés  chlorurés,  sel  marin,  acido 
chloihydrique,  sont  ceux  ([ui  ont  le  plus  d'action 
sur  lui.  Produit  d'abord  en  globules,  en  1827,  par 
Wohler,  il  a  été  obtenu  par  H.  Sainte-Claire  De- 
ville  en  masses  coiisid  râbles  et  i  un  prix  relative- 
ment bas,  une  centaine  de  francs  le  kilog.  Lors  de 
sa  première  fabrication  en  grand,  vers  ISUh,  il  fut 
l'objet  d'une  grande  vogue  pour  la  fabrication  des 
bijoux.  Cette  vogue  s'éteignit  rapidement  d'une 
manière  complète;  il  en  résulta  pour  ce  métal 
une  défaveur  imméritée.  Il  est  certain  ([u'il  re- 
conquerra la  grande  place  que  lui  assignent  dans 
les  arts  et  l'industrie  ses  propriétés  remarquables. 
Le  plus  léger  de  tous  les  métaux,  sa  densité  est 
il  peu  près  celle  du  verre;  il  est  huit  fois  moins 
IJC 


TERRES 


—  2162  — 


TERRES 


rtpnse  que  le  platine,  dont  il  a  l'apparence  exté- 
rieure. 11  se  travaille  aisément  par  fusion,  re- 
poussé, cisèlement.  Son  brillant  et  son  mat,  moins 
beaux  peut-être  que  ceux  do  l'argent,  no  sont  pas 
noii'cis,  comme  clicz  ce  dernier  métal,  par  les 
vapeurs  sulfurées,  et  parle  moindre  attouclienient. 
Dans  les  circonstances  ordinaires,  ils  sont  prati- 
quement inaltérables.  L'aluminium  est  donc  le 
métal  blanc  de  premier  choix  pour  les  œuvres 
d'art  et  dans  toules  les  circonstances  où  la  légè- 
reté est  désirable.  En  étudiant  ses  alliages,  .\I.  De- 
bray  en  a  trouvé  un  qui  possède  égalemiirt  dos 
propriétés  qui  lui  assurent  un  graud  développe- 
ment. Le  bronze  d'aluminium  (aluminium  I, 
cuivre  9)  est  beau  comme  l'or,  et  dans  la  pratique 
ordinaire  inaltérable  comme  lui.  Il  a  presque  la 
densilé  du  cuivre,  il  est  plus  tenace  que  le  meil- 
leur acier.  Il  se  travaille  aussi  très  aisément.  C'est 
donc  le  métal  jaune  des  fuiures  œuvres  d'an,  le 
métal  de  choix  des  appareils  qui  doivent  être  inal- 
térables, résistants  et  légers. 

Donnons  quelques  détails  sur  les  sels  terreux, 
en  laissant  de  côté  ceux  de  cLaux  dont  il  a  déjà 
été  question  ailleurs  (V.  Chaux). 

Les  sels  de  baryle,  comme  leur  base,  sont  d'une 
densité  remarquable  ;  d'où  leur  nom  (en  grec  : 
barys.  lourd). 

Le  carbojiate  est  insoluble  dans  l'eau  ordinaire, 
soluble  dans  l'eau  carbonique.  Le  sulfate  est  le 
plus  insoluble  des  corps  blancs  pulvérulents.  Ces 
deux  sels  se  trouvent  à  l'éiat  naturel  et  sont  les 
sources  de  baryte.  Le  premier  fournit  aisément  les 
divers  sels  en  changeant  son  acide  carbonique 
pour  un  acide  plu^  énergique.  On  peut  aussi  les 
obtenir  du  second,  transformé  en  sulfure  par  la 
calcination  avec  du  charbon.  L'azotate  de  baryte 
sert  à  la  fabrication  des  feux  de  Bengale  vert-pâle. 
Le  chlorure  de  baryum  est  un  antiseptique,  excel- 
lent conservateur  des  préparations  à  la  glycérine 
et  à  la  gélatine,  dont  les  arts  it  la  science  com- 
mencent \  tirer  bon  parti.  On  obtient  d'ailleurs 
toute  la  série  des  sels,  dont  la  plupart  n'ont 
qu'un  intérêt  théorique.  Ils  sont  tous  vénéneux, 
précipitables  par  les  carbotiatcs  et  les  sulfates  so- 
iubles.  Dissociés  dans  une  flamme,  ils  la  colorent 
en  vert.  La  baryte  entre  dans  la  compositioti  d'un 
verre  très  fusible,  aimé  des  chimistes.  Le  sulfate 
lie  baryte  précipité  est  une  couleur  blanche,  qui 
couvre  moins  que  le  carbonate  de  plomb,  mais 
ne  s'altère  pas. 

Presque  tout  ce  qu'on  a  dit  des  sels  de  baryte 
s'applique  à  ceux  de  sfriiilinrie.  Signalons  les  dif- 
férences. Le  sulfate  est  un  peu  moins  insolu- 
ble. De  l'eau  agitée  avec  ce  sulfate  en  dissout 
assez  pour  donner  un  léger  nuage.  Les  sels  de 
stroniiane  dissociés  dans  une  flamme  la  colorent 
en  rouge,  et  l'azotate  sert  à  faire  les  bengales 
rouges. 

Les  raies  fournies  par  les  flammes  du  baryum 
et  du  strontium  au  speclroscope  sont  des  plus 
remarquables  et  des  plus  caractéristiques. 

La  magnésie  caustique  peu  calcinée  et  la  ma- 
gnésie précipitée  sont  les  antidotes  lecnmmajidés 
dans  les  cas  d'empoisonnement  par  les  acides,  et 
en  particiiliiT  par  l'acide  arsénioux.  Tous  les  sels 
de  magnésie  sont  en  elTet  purgatifs  mais  non  vé- 
néneux. Le  sulfate  est  un  produit  naturel  qui  s'ex- 
trait des  eaux-mères  dos  salines,  se  trouve  en 
abondance  dans  les  eaux  médicinales  naturelles  de 
Sedliiz  et  d'Epsom,  d'où  les  noms  souvent  donnés 
à  ce  sel.  Le  carbonate  ou  plutôt  l'hydrocarbonate 
s'obtient  en  précijiitant  ce  sulfate  par  un  carbo- 
nate alcalin.  Sa  composition  varie  suivant  les  con- 
ditions et  surtout  la  température  de  l'expérience. 
Ce  produit  très  léger  constitue  la  magnésie  blan- 
clie  des  pharmaciens.  A  part  le  citrate  de  magné 
sie,  ou  limonade  purgative  de  Royer,  les  autre» 
sels  de  cette  base  n'ont  pas  d'importance  pratique. 


Les  sels  de  magnésie  sont  précipités  en  partis 
par  l'ammoniaque.  Une  partie  forme  un  sel  dou- 
ble sohible  que  l'ammoniaque  ne  précipite  pas.  Le 
carbonate  ammoniacal  ne  la  précipite  pas.  Les  au- 
tres alcalis  et  carbonates  solubles  y  forment  uit 
précipité  soinble  dans  le  sel  ammoniac. 

Valumine  précipitée  par  l'ammoniaque  d'une 
dissolution  d'un  de  ses  sels  a  l'aspect  gélatineux; 
elle  coniicnt  une  grande  quantité  d'eau;  on  peut 
l'obtenir  anhy  Ire  en  calcinant  ce  précipité,  ou 
mieux  le  double  sulfate  d'alumine  et  d'ammo- 
niaque. L'alumine  calcinée  a  peu  d'aftinité  pour 
les  acides;  elle  peut  absorber  jusqu'à  15  p.  100 
d'eau  hygrométrique  que  la  chaleur  rou^e  seule 
peut  chasser.  Elle  fond  au  chalumeau  oxyhydrique 
en  dormant  un  produit  excessivement  dur.  L'alu- 
mine hydratée  fornte  avec  les  bases  des  combinai- 
sons faciles  à  décomposer;  elle  absorbe  les  ma- 
tières colorantes  en  (ormant  avec  elles  des  laque» 
utilisées  dans  la  peinture  et  l'impression  de» 
papiers  peints.  A  l'état  naturel,  l'alumine  consti- 
tue le  corindon,  l'émeri,  le  minéral  le  plus  dur 
après  le  diamant.  (  olorés  par  des  traces  d'oxydes- 
métalliques,  les  beaux  éclianlillons  sont  des  pier- 
res précieuses,  le  rubis  rouge  de  feu,  la  topa2e 
orientale  jaune,  le  saphir  oriental  bleu,  l'anié- 
thyste  orientale  pourpre.  Sa  densité  est  4. 

Les  sels  d'alumine  les  plus  importants  sont  les 
aluns,  sulfates  doubles  d'alumine  et  d'un  alcali^ 
dont  la  formule  générale  est  : 

RO.SO'  +  AI^033S03  -f  24HO. 

L'alun  est  le  type  d'une  nombreuse  classe  dé- 
composés isomorplies.  Dans  les  aluns  proprement; 
dits  la  base  H  peut  être  la  potasse,  la  soude», 
l'ammoniaque,  lalilliinc,  etc.;  mais  il  existe ausstv 
toute  une  série  de  composés  improprement  appe- 
lés aluns,  où  l'alumine  est  remplacée  aussi  par 
des  sesquioxydes  de  chrome,  de  fer,  de  m.inga- 
nèse  ;  enfin  à  l'acide  sulfuiique  lui-même  peuvent 
se  substituer  les  acides  isomorphes,  sélénique,, 
tellurique.  Il  existe  des  aluns  naturels  impurs,, 
mais  le  plus  souvent  on  exploite  des  sulfates 
alumino-lerreux  effloiescents  sur  des  pyrites  mé- 
langées d'argile,  et  se  décomposant  lentement  i 
l'air  humide.  Ces  corps  sont  purifiés  par  cris- 
tallisation, alliés  à  des  sulfates  alcalins.  L'ainn  de 
potasse  s'obtient  en  magnifiques  cristaux  du  \" 
système,  ordinairement  cube  tronqué  par  les. 
faces  de  l'octaèdre  ;  cette  forme  s'obtient  très- 
pure  dans  une  dissolution  acide,  tandis  que  le 
cube  s'obtient  dans  les  dissolutions  alcalines. 

L'alun  ciiaulîé  fond,  puis  perd  par  parties  suc- 
cessives son  eau  de  cristallisation;  à  la  fin.  cette 
opération  s'accompagne  comme  pour  le  borax 
d'un  boursouflement  remarquable;  à  une  plus 
haute  température,  le  sulfate  d'alnmine  se  dé- 
compose, et  l'alumine  reste  mélangée  au  sulfate 
de  potasse.  L'alun  ammoniacal  laisse  de  l'albumine 
pure. 

Les  aluns  sont  utilisés  en  médecine  comme  as- 
tringents, l'alun  calciné  même  comme  causti- 
que. Ils  sont  employés  pour  les  teintures,  le 
mégissage  des  peaux,  la  clarification  des  eaux 
bourbeuses. 

L'emploi  de  l'alun  est  moins  rationnel  que  celui- 
du  sulfate  d'alumine,  qui  le  remplace  souvent  au- 
jourd'hui dans  l'industrie.  Ce  dernier  s'obtient 
comme  les  aluns,  mais  en  évitant  l'addition  des. 
sulfates  alcalins,  et  aussi  par  l'action  lente  de 
l'acide  sulfurique  sur  les  argiles. 

Le  chlorure  d'aluminium  est  obtenu  à  l'état  i 
anhydre  en  traitant  par  le  chlore  un  mélange 
poreux  d'alumine  et  de  charbon.  Ce  corps  est 
très  avide  d'eau,  l'ne  fois  qu'il  en  a  absorbé,  il 
ne  l'abandonne  plus  lolalenient;  chauffé,  le  chlo-  ' 
ruro  hydraté  dégage  de  l'acide  chlorhydrique  et. 
laisse  de  lalumine.  En  ajoutant  du  sol  à  ce  mé-  ^ 


TERRES  ARABLES 


—  2163  —   TERRES  ARABLES 


lange,  on  obtient  lo  clilorure  doublu  qui  sert  à  la 
préparation  (Ih   l'aluminium. 

Un  fluorure  naturel  d'aluminium  et  do  sodium, 
la  cryolitlie,  <|ui  se  trouve  au  Groenland,  a  aussi 
servi  à  la  préparation  de  l'aluminium.  On  en  a 
queliiuefois  aussi,  au  début,  préparé  arlificielle- 
mont  dans  ce  but. 

L'acétate  d'alumine  est  un  antiseptique  de  pre- 
mier ordre,  dans  une  dissolution  duquel  on  a 
recommandé  do  tremper,  après  usage,  les  linges 
des  personnes  atteintes  d'affections  contagieuses, 
afin  de  détruire  les  germes  qui  pourraient  se 
trouver  dans  ces  linges.  Celte  dissolution  s'ob- 
tient en  mélangeant  de  l'alun  et  de  l'acétate  de 
plomb  ;  il  se  forme  du  sulfate  de  plomb  inso- 
luble, et  il  reste  de  l'acétaie  d'alumine  en  dis- 
solution. 

Les  sels  d'alumine  ont  une  saveur  douceâtre, 
astringente  ;  la  potasse  y  produit  un  précipité 
soluble  dans  un  excès  de  réactif.  L'ammoniaque 
en  précipite  aussi  l'alumine,  mais  no  peut  redis- 
soudre le  précipité. 

On  a  vu,  i  l'article  Silice,  qu'il  existe  un  grand 
nombre  de  siliialcs  alumineux.  Ceuv  qui  se  dé- 
composent par  l'action  lente  de  l'air,  de  l'eau,  par 
les  désagrégations  produites  par  les  cbangenients 
de  température,  abandonnent  les  silicates  alca- 
lins, et  laissent  des  silicates  d'alumine  plus  ou 
moins  purs,  argile,  glaise,  kaolin,  utilisés  pour  le 
modelage  et  la  fabrication  de  la  porcelaine  et  des 
poteries. 

Nous  terminerons  cet  article  en  citant  quel- 
ques-unes des  terres  non  alcalines  employées 
dans  l'industrie  : 

Terre  d'Arménie,  argile  ocreuse. 

Terre  bleue,  argile  colorée  par  de  l'oxyde  do 
cuivre. 

Terre  d'Ambre  ou  d'Ombre,  argile  très  colorée 
en  brun  qui  se  trouve  en  Ombrie. 

Terre  do  Sieniie,  ocre  jaune  très  fine  qui  rougit 
par  la  calcination.  [Paul  Robin.] 

TEllKES  ARABLES.  —  Agriculture,  I.  —  La 
terre  arable  est  la  couclie  superficielle  du  sol,  dans 
laquelle  se  développent  les  racines  des  plantes  cul- 
tivées. On  a  fait  parfois  une  distinction  subtile 
entre  le  sol  végétal,  dans  lequel  se  répandent  les 
racines,  et  le  sol  arable  formé  par  la  couche  que 
remuent  les  instruments  de  culture.  Mais,  dans  la 
réalité  des  choses,  cette  distinction  n'existe  pas; 
car  un  grand  uonibre  de  plantes  projettent  leurs 
racines  bien  au-dessous  de  la  couche  atteinte  par 
les  instruments,  et  d'un  autre  côté,  la  limite  assi- 
gnée k  celle-ci  est  purement  arbitraire,  car  elle 
dépend  des  soins  de  culture  ciui,  suivant  les 
exploitations,  varient  dans  de  très  grandes  pro- 
portions. La  connaissance  de  la  terre  arable  est 
de  la  plus  haute  importance  pour  l'agriculteur, 
car  elle  exerci;  une  très  grande  influence  sur  le 
rendement  des  récoltes,  et  de  sa  nature  même  dé- 
pend souvent  le  mode  d'exploitation  qui  doit  être 
adopté. 

Formation  des  terres  arables.  —  La  terre  arable 
est  fortnée  par  la  réduction  en  fragtnents  plus  ou 
moins  ténus  des  roches  qui  forment  l'écorce  ter- 
restre, et  par  le  mélange,  avec  ces  fragments,  des 
débris  organiques  provenant  de  la  décomposition 
des  plantes.  Elle  peut  être  formée  sur  place  ou 
par  transport.  Dans  les  deux  cas,  il  y  a,  dans  la 
plupart  des  circonstatices.  non  S'-uieraent  modi- 
fication physique,  mais  encore  changement  dans 
la  composition  cliimique.  C'est  sous  l'influence 
soit  des  agents  météoriques,  soit  des  eaux,  que  ce 
double  phénomène  se  produit. 

Lorsque  la  terre  végétale  s'est  formée  surplace, 
au-dessous  de  la  couche  superficielle,  la  roche  est 
délitée  en  pierres  qui  deviennent  de  plus  en  plus 
jrosses,  jusqu'à  ce  qu'on  arrive  a  la  roche  pure,  à 
une  profondeur  plus  ou  moins  grande  suivant  la 


facilité  avec  laquelle  cette  roche  se  laisse  péné- 
trer par  les  agents  extérieurs  et  surtout  par  l'eau. 
Dans  ce  cas,  le  sous-sol,  c'est-à-dire  la  couche  qui 
succède  immédiatement  à  la  terre  arable,  est  de 
même  nature  que  celle-ci. 

Au  contraire,  lorsque  la  terre  arable  est  une 
terre  de  transport.  Il  arrive  le  plus  souvent  que  le 
sous-sol  est  de  nature  différente,  parfois  même 
tout  à  faitopposée.  Les  terres  de  transport,  qu'elles 
appartiennent  aux  alluvions  anciennes  ou  aux  al- 
luvions  modernes,  résultent,  en  effet,  des  dépôts 
formés,  à  des  époques  diverses,  par  les  courants 
d'eau  qui  ont  sillonné  en  tous  sens  le  globe  ter- 
restre. Le  nombre  de  ces  terres  de  transport  est 
extrêmetiient  considérable  :  on  en  trouve  dans 
toutes  les  régions  en  des  couches  d'une  épais- 
seur très  variable,  superposées  à  toutes  les  for- 
mations géologiques.  On  comprend  dès  lors  le 
rôle  important  que  jouent  les  recherches  de  géo- 
logie dans  la  connaissance  des  terres  arables. 

La  différence  d'origine  implique  une  très  grande 
diversité  dans  la  composition  des  terres  arables. 
Toutefois  les  élétnetits  principaux  qui  les  consti- 
tuent sont  presque  constamment  les  mêmes,  et 
c'est  surtout  dans  leurs  proportions  relatives  que 
se  trouvent  les  différences.  Ces  éléments  sont  l'ar- 
gile, la  silice,  la  chaux,  et  enfin  la  matière  orga- 
nique ou  humus. 

L'argile,  qu'il  est  facile  de  distinguer  par  sa 
propriété  de  faire  une  pâte  liante  avec  l'eau  et  de 
se  durcir  sous  l'action  de  la  chaleur,  est  formée 
par  une  combinaison  de  Si  pour  lOU  de  silice, 
33  d'alumine  et  lô  d'eau.  Oti  la  rencontre  dan« 
presque  toutes  les  formations  géologiques;  elle 
absorbe  une  grande  quantité  d'eau  et  devient  im- 
perméable quand  elle  eji  est  saturée;  elle  emma- 
gasine aussi  les  substances  solubles,  et  les  dégage 
quand  elle  est  émiettée. 

La  silice  se  rencontre  dans  le  sol  sous  diverses 
formes:  tantôt  pure  et  à  l'état  de  quartz,  insolu- 
ble dans  l'eau  ;  tantôt  sous  forme  de  silicates,  on 
combinaison  avec  la  potasse,  le  fer,  la  soude; 
tantôt  enfin  sous  la  forme  d'une  poudre  très  fine 
provenant  de  la  décomposition  de  ces  silicates. 
Sous  forme  de  quartz,  la  silice  constitue  ce  que 
l'on  appelle  le  sable,  qui  peut  être  plus  ou  moins 
gros;  ([uatid  il  est  très  fin,  il  absorbe  jusqu'à  30 
pour  100  d'eau  ;  s'il  est  grossier,  il  n'eti  absorbe 
pas  plus  de  20  pour  luO.  Le  sable  laisse  facile- 
ment filtrer  les  substances  solubles,  et  à  ce  point 
de  vue  ses  caractères  sont  diamétraletnetit  oppo- 
sés à  ceux  de  l'argile. 

Le  calcaire  est  l'ensemble  des  cotnbinaisons , 
terreuses  dans  lesquelles  la  chaux  joue  le  rôle  de 
base.  Leur  caractère  essetitiel  est  qu'elles  font 
effervescence  sous  l'action  des  acides  ;  mais  leur 
composition  varie  dans  de  très  grandes  propor- 
tions. Le  calcaire  est  un  principe  essentiellement 
utile  à  la  végétation  des  plantes  cultivées.  Sa  pré- 
sence dans  les  sols  puretnent  siliceux  ou  sableux 
leur  donne  de  la  consistance;  aux  terres  argileu- 
ses, il  communique  la  propriété  de  se  diviser  sous 
l'action  de  l'humidité,  et  de  laisser  filtrer  l'eau 
surabondante,  en  môme  temps  qu'il  corrige  leur 
tendance  à  se  durcir  sous  l'action  de  la  séclieres.se. 

A  côté  de  ces  principes  minéraux  qui  sont  con- 
sidérés comme  les  éléments  constitutifs  des  terres 
arables,  <|uelques  autres  jouent  un  rôle  dans  la  vé- 
gétation. Ce  sont,  d'après  les  connaissances  actuel- 
les surce  sujet:  le  manganèse,  le  fer,  la  potasse, 
la  soude,  les  phosphates,  etc.  Quoique  do  moindre 
imponance,  ces  éléments  sont  cependant  asseï 
actifs  dans  la  végétation  pour  que  leur  absence 
puisse  empêcher  un  sol  de  porter  telles  ou  telles 
plantes. 

La  matière  organique  qui,  sous  le  nom  généri- 
que d'Iiunius,  est  formée  par  les  détritus  des  or- 
ganes des  plantes    qui  ont  poussé  sur  lo  sol,  se 


TERRES  ARABLES 


2164  —   TERRES  ARABLES 


trouve  dans  celui-ci  en  proportions  variables  ;  elle 
est  surtout  considérable  dans  les  défrichements 
d'anciennes  foi-êts  oud«  landes  restées  longtemps 
sans  culture.  L'avantage  de  ces  matières  organi- 
ques est  multiple  :  «  C'est  par  la  déconipositioa  des 
résidus  d'origine  organique,  dit  M.  Dehérain,  que 
se  forment  les  nitrates  et  les  sels  ammoniacaux 
qui  fournissent  aux  plantes  l'azote  nécessaire  à  la 
formation  de  leurs  matières  albuminoides.  C'est 
encore  au  moment  de  l'oxydation  de  l'iiuraus  que 
se  produit  l'acide  carbonique  qui  amène  aux 
plantes  le  pliosphate  de  chaux  que  l'on  rencontre 
dans  leurs  tissus.  C'est  l'humus  qui  est  l'agent  de 
la  fixation  de  l'azote  atmosphérique.  Enfin  les 
terres  riches  en  humus  retiennent  l'eau  beaucoup 
plus  facilement  que  celles  qui  en  sont  dépour- 
vues, et  pendant  les  sécheresses  se  couvrent  de 
récoltes  beaucoup  plus  abondantes  que  celles 
qu'on  pourrait  obtenir  de  terres  privées  d'hu- 
mus. »  Toutefois,  il  faut  ajouter  que  si  les  terres 
humifères  sont  généralement  meubles,  il  faut 
craindre  un  excès  d'humus  qui  est  défavorable  à 
la  végétation  des  plantes  utiles. 

Classificatio)!  îles  terres  ambles.  —  On  a  essayé 
souvent  d'établir  des  classifications  qui  permettent 
de  distinguer,  par  des  caractères  précis,  les  diver- 
ses sortes  de  terres  arables.  De  tous  temps,  les 
agriculteurs  praticiens  ont  classé  les  terrains  sui- 
vant la  résistance  qu'ils  offrent  au  travail  de  la 
charrue.  Les  terres  fortes  et  les  terres  très  lé- 
gères sont  les  deux  ternies  extrêmes  de  cette  clas- 
sification. Mais  ce  caractère  est  tout  à  fait  insuf- 
fisant pour  servir  de  base  i  une  véritable  nomen- 
clature des  terres  arables.  Les  agronomes  ont 
donc  cherché  d'autres  bases  de  classification.il  en 
est  résulté  diverses  nomenclatures  des  sols:  les 
unes  ayant  pour  base  les  propriétés  physiques, 
les  autres  s'appuyant  sur  leurs  caractères  chimi- 
ques. L'une  et  l'autre  méthode  ont  une  importance 
réelle  pour  les  agriculteurs;  il  convient  d'en  indi- 
quer sommairement  les  résultats. 

Les  caractères  qui  peuvent  servir  au  classement 
des  sols,  au  point  de  vue  physique,  ont  été  dé- 
terminés comme  il  suit,  de  la  manière  la  plus 
claire,  par  .M.  Paul  de  Gaspariu  :  la  continuité,  la 
ténacité  et  l'immobilité. 

Le  sol  est  toujours  composé  de  deux  parties  : 
l'une  réduite  en  poudre  très  fine  ou  impalpable, 
l'autre  formée  par  des  fragments  plus  ou  moins 
gros.  Lorsque  la  proportion  de  ces  deux  parties 
est  telle  que  l'impalpable  atteint  ou  dépasse  le 
volume  de  la  partie  palpable,  le  sol  doit  être  consi- 
déré comme  continu  ;  dans  le  cas  contraire,  il  est 
discontinu.  —  La  ténacité  est  le  caractère  des  sols 
dans  lesquels  domine  l'argile,  de  telle  sorte  que, 
sous  1  influence  de  la  sécheresse,  ils  se  pren- 
nent en  Uiie  masse  très  dure,  très  difficile  à  atta- 
quer avec  les  instruments.  —  A  ce  caractèi-e  vient 
se  joindre  parfois  le  troisième,  celui  de  l'immobi- 
lité, qui  est  réalisé  lorsque,  dans  un  mélange  de 
calcaire  et  d'argile,  le  volume  de  calcaire  est  suf- 
fisant pour  excéder  les  vides  de  l'argile;  alors  il 
sfl  produit  un  phénomène  de  continuité  qui  para- 
lyse les  effets  de  la  contraction  ou  de  la  dilatation 
de  l'argile.  —  Ces  trois  caractères  ont  pour  con- 
traires la  discontinuité,  la  friabilité  et  la  mobilité. 

En  dehors  de  ces  caractères  primordiaux,  il  faut 
tenir  compte  du  lot  pierreux,  qui  est  plus  ou 
moins  important  dans  toute  terre  arable.  La  clas- 
sification se  fait  en  éliminant  cette  partie,  ce  qui 
ne  change  pas  d'une  manière  sensible  la  compo- 
sition du  sol  au  point  de  vue  des  éléments  qui  le 
forment  et  de  leurs  proportions  respectives. 
Mais,  au  point  de  vue  économique,  la  détermina- 
tion exacte  du  lot  pierreux  a  la  plus  grande  im- 
portance; en  effet,  celui-ci  étant  inerte,  il  occupe 
dans  le  sol  la  place  de  parties  actives,  et  la  fer- 
tilité de  celui-ci  est   diiniauée    d'autant.    Ainsi 


deux  terres  qui,  toutes  choses  égales  d'ailleurs, 
contiendraient,  l'une  40  p.  100  de  pierres,  l'autre 
10  p.  100  seulement,  seraient  par  cela  même, 
au  point  de  vue  de  la  fertilité,  dans  le  rapport  de 
50  i  'JO.  Il  faut  ajouter  que  si  les  pierres  sont 
gênantes  pour  les  travaux  de  culture,  elles  sont 
le  plus  souvent  sans  influence  sur  la  ténacité  du 
sol  ;  b.  ce  point  de  vue.  dans  presque  toutes  les 
terres  arables,  leur  rôle  est  de  faible  importance. 
Seulement  la  densité  de  la  terre  est  augmentée 
par  la  présence  des  pierres,  et  il  faut  plus  d'ef- 
forts pour  en  soulever  ou  en  transporter  un  même 
volume. 

Il  est  enfin  une  dernière  qualité  physique  du 
sol,  variable  à  divers  degrés,  qui  doit  être  signa- 
lée ■  c'est  son  pouvoir  absorbant,  qui  est  parfai- 
tement décrit  par  .M.  Dehérain,  dans  les  termes 
qui  suivent  :  «  Plusieurs  des  principes  les  plus 
'  utiles  aux  végétaux,  susceptibles  d'être  retenus 
dans  le  sol,  n'y  circulent  qu'en  dissolution  très 
étendue  :  l'ammoniaque,  la  potasse,  l'acide  phos- 
phorique  sont  facilement  absorbés  par  les  sols 
qui  no  sont  pas  absolument  dépourvus  d'humus, 
mais  il  n'en  est  plus  de  même  pour  les  nitrates, 
qui  filtrent  au  travers  de  la  terre  arable  sans  que 
la  concentration  de  la  dissolution  soit  sensible- 
ment modifiée.  L'analyse  des  eaux  de  drainage 
confirme  pleinement  les  données  précédentes;  si 
on  y  rencontre  souvent  des  nitrates,  on  n'y 
trouve  que  rarement  de  la  potasse,  de  l'acide 
phosphorique,  de  l'ammoniaque.  C'est  ce  qui 
apparaît  avec  une  grande  netteté  dans  les  nom- 
breuses analyses  des  eaux  d'égout  employées  en 
Angleterre  aux  irrigations  :  on  reconnaît  que  ces 
eaux,  chargées  d'ammoniaque  quand  elles  arrivent 
à  la  surface  du  sol,  ne  renferment  plus  que  des  ni- 
trates quand  elles  ont  traversé  la  couche  arable  pour 
arriver  jusqu'aux  drains.  »  Les  terres  possèdent 
d'autant  plus  ce  pouvoir  absorbant  qu'elles  ren- 
ferment une  plus  grande  proportion  d'argile. 
Ajoutons,  d'ailleurs,  que  ce  pouvoir  absorbant 
amène  souvent  des  mécomptes  dans  l'emploi  des 
eno-rais,  car  il  supprime  l'action  fertilisante  d'une 
certaine  proportion  de  principes  utiles  qui  sont 
entraînés  dans  les  couches  profondes  du  sous-sol. 
C'est  surtout  sur  les  engrais  salins  que  cette 
action  se  fait  particulièrement  sentir. 

Les  trois  caractères  qui  peuvent  servir  de  base 
k  la  classification  physique  des  terres  arables 
permettent  d'en  établir  la  nomenclature  suivante  : 

1°  Terrains  discontinus,  renfermant  plus  do  70 
pour  100  de  sable.  .\  cette  catégorie  appartiennent 
les  sols  sablonneux,  les  terres  légères,  et  à  la 
hniite  ce  que  l'on  appelle  les  terres  franches. 

2°  Terrains  friables,  immobiles,  coiitinus,  ren- 
fermant plus  de  "0  p.  100  de  carbonate  de  chaux. 
Ce  sont  les  terres  calcaires. 

:3"  Terrains  tenaces,  immobiles,  continus,  ren- 
fermant de  30  à  -0  p.  100  de  sable  et  de  aO  à  70 
de  carbonate  de  chaux.  Ce  sont  les  sols  argilo- 
calcaires,  les  terres  marneuses,  les  terres  fortes 
calcaires.  . 

4°  Terrains  tenaces,  mobiles,  continus,  renfer- 
mant de  .30  à  70  de  sable,  et  moins  de  30  p.  100 
de  carbonate  de  chaux.  Ce  sont  les  sols  argileux, 
les  terres  fortes  siliceuses,  les  terres  argilo-sili- 
ceuses.  ,.  .  .         ,  , 

Dans  chacune  de  ces  quatre  divisions,  les  sols 
se  comportent  différemment  sous  l'action  de  l'eau. 
Les  sols  de  la  première  catégorie  se  laissent 
complètement  traverser  par  l'eau;  ils  sont  donc. 
naturellement  draines  et  frais,  car  l'humidité  se 
conserve  en  adhérant  aux  parties  sablonneuses. — 
Les  terres  de  la  deuxième  division  demeurent 
stériles,  lorsqu'il  n'y  a  pas  un  transit  continuel 
de  l'humidité  soit  atmosphérique,  soit  souter- 
raine :  mais  sous  l'action  de  l'eau,  elles  sont 
d'une  grande   fertilité.  —  Les  terres  de  la  troi- 


TERRES  ARAHLES 


2165  —     TERTIAIRES  (TERRAINS) 


sième  division  présentent  une  grande  richesse 
minérale;  elles  absorbent  facilement  l'iivimidité, 
mais  elles  présentent  le  danger  d'être  rapidement 
saturées,  de  sorte  que,  dans  les  saisons  pluvieu- 
ses, il  y  en  a  un  excès  nuisible  en  contact  avec 
les  racines  des  plantes.  —  Knfin  la  quatrième  divi- 
sion,  qui  cimiporte  des  sels  très  rielies,  est  celle 
qui  a  le  plus  à  craindre  de  l'iiuraidité,  surtout 
lorsque  le  sous-sol  est  argileux  ;  ces  sols  deman- 
dent le  plus  souvent  à  ôtro  drainés,  assainis,  la- 
bourés profoiidonient,  de  manière  à  contrebalancer 
les  effets  de  leur  imperméabilité. 

Il  ressort  de  ces  détails  que  c'est  surtout  dans 
une  sorte  de  pondération  du  sable  et  de  l'argile, 
dans  lenr  mélange  en  des  proportions  convena- 
bles, que  réside  la  richesse  de  la  terre  arable. 
C'est  pourquoi  les  terres  de  la  quatrième  division 
formée  par  M.  de  Gasparin  peuvent  être  consi- 
dérées, au  point  de  vue  agricole,  comme  supé- 
rieures à  celles  des  autres  catégories. 

L'étude  de  U  classification  chimique  des  terres 
arables  se  présente  sous  deux  aspects  différents 


res  arables  sont  extrêmement  variables.  Les  ex- 
trêmes paraissent  s'établir  entre  K»  grammes 
d'azote  combiné  par  kilogramme  de  terre  dans  le 
terreau  des  jardiniers,  et  un  demi-gramme  ou 
môme  moins  dans  les  terres  les  pins  pauvres 
sous  ce  rapport.  —  Quant  h  la  potasse,  elle  se 
trouve  presque  toujours  d.ins  le  sol  en  (|uanlité3 
suffisantes  pour  la  plupart  des  plantes  cultivées; 
c'est  dans  les  terres  granitiques  qu'elle  se  ren- 
contre en  plus  grande  abondance.  —  Enfin,  en  ce 
qui  concerne  la  chaux,  il  y  a,  dans  sa  répartition 
dans  les  diverses  natures  de  terres,  des  inégalités 
très  grandes  ;  elle  forme  la  plus  grande  partie  de 
certains  sols,  tandis  que  d'autres  n'en  contien- 
nent presque  pas.  C'est  l'affaire  du  cultivateur 
habile  que  de  modifier,  par  des  amendements  ap- 
propriés, les  excès  ou  les  défauts  qui  viennent 
d'être  signalés. 

Fertilité  îles  terres  arables.  —  Un  sol  fertile 
est  celui  qui,  soumis  à  une  culture  ration- 
nelle, donne,  pour  les  plantes  cultivées,  d'une 
manière    permanente,    des    rendements  très  éle- 


l'influence  de  la  composition  du  sol  sur  sa  cousis-  :  vés.  Suivant  que,  dans   le  sol,  les  éléments  con- 
tance,    et   celle    de  sa  richesse  au  point    de  vue  j  stitutifs   seront  répartis  proponionnellement  aux 


de  l'alimentation  des  végétaux  cultivés 


besoins   des    plantes,    ou   que    l'un    prédominera 


L'élude  qui  vient  d'être  faite  de  la  classification  aux  dépens  des  autres,  le  sol  sera  fertile  ou  sté- 
physiqup  répond  au  premier  de  ces  points  de  rile.  Il  n'y  aurait  pas  davantage  à  ajouter  ici,  si 
vue.  Mais  lorsqu'il  s'agit  de  la  classification  au  '  des  causes  extérieures  n'exerçaient  une  action 
point  de  vue  de  l'alimentation  des  plantes,  le  directe  sur  les  terres  arables, 
principal  intérêt  s'attaclie  à  des  éléments  qui  sont  \  Au  premier  rang,  il  faut  placer  le  climat,  dé- 
très  disséminés  dans  le  sol.  En  effet,  un  des  buts  J  terminé  par  la  chaleur,  la  lumière,  les  pluies, 
principaux  de  l'art  agricole  est  de  suppléer,  par  ^  On  comprend,  d'après  les  explications  données 
une  répartition  convenable  et   le   choix    bien  fait  ;  plus   haut,    que    ces    agents   extérieurs    exercent 


des  engrais,  à  la  rareté  ou  à  l'absence  des  clé 
ments  organiques  ou  inorganiques  qui,  soit  di- 
rectement, soit  indirectement,  servent  au  déve- 
loppement do  la  vie  végétale.  La  plupart  des 
substances  qui  alimentent  les   plantes  sont  fou 


une  action  différente  suivant  la  nature  des  sols. 
—  L'épaisseur  de  la  couche  arable  influe  aussi 
beaucoup  sur  sa  fertilité  ;  deux  terres  de  com- 
position analogue,  mais  de  profondeur  différente, 
se  comporteront  autrement,   surtout   lorsqu'on  y 


nies  par  les  liquides  traversant  le  sol,  par  l'at-  ,  sèmera  ou  plantera  des  plantes  k  racines  ploti- 
mosphère  ou  parles  engrais.  Quant  au  sol,  outre  géant  profondément  dans  le  sol;  les  bons  culti- 
qu'il  sert  de  réceptacle  à  la  plante,  il  doit  lui  '  vateurs  clierchent  à  augtnenter,  par  des  labours 
fournir  les  éléments  fixes  qui  entrent  d'une  ma-  qui  attaquent  peu  h  peu  le  sous-sol  et  le  mêlent 
niére  courante  dans  la  composition  du  squelette  à  la  couche  arable,  la  profondeur  de  celle-ci,  lors- 
des  végétaux,  principalement  dans  les  graines  qui  '  qu'elle  n'est  pas  suffisante.  —  Enfin,  le  sol  peut 


doivent  les  reproduire. 


être  rendu   stérile  par   la   présence   de   principes 


Les  principaux  éléments  nécessaires  à  la  végé-  !  nuisibles:  ceux  dont  l'action  est  le  plus  apprécia- 
tation,  et  que  la  terre  arable  ne  renferme  qu'en  ble  sont  les  chlorures  et  surtout  le  sel  marin  ; 
proportions  très  faibles,  sont  l'azote,  l'acide  l'influence  du  sel  marin  est  sensible  dans  les 
phosphorique,  la  chaux  et  la  potasse.  Pour  déter- i  terres  conquises  sur  la  mer,  et  que  l'on  veut 
miner  quel  est  celui  de  ces  principes  qui  doit ,  mettre  en  culture;  il  faut  avoir  alors  recours  au 
servir  de  base  k  une  classification,  il  faut  encore  '  dessalement  pour  les  rendre  productives, 
avoir  recours  aux  travaux  de  M.  Paul  de  Gaspa-  ,  Les  opérations  par  lesquelles  l'agriculture  peut 
rin.  11  ré-ulte  de  ses  recherches  que  le  dosage  agir  sur  la  nature  des  terres  arables  sont  multi- 
en  acide  phosphorique  est  ce  caractère.  Pjr  l'c- 1  pies.  Tout  d'abord,  il  faut  signaler  les  amende- 
tude  comparée  des  terres  arables,  il  est  arrivé  à!  ments  et  les  engrais  qui  obvienlau  défaut  de  princi- 
cette  conclusion  qu'un  tableau  d'analyses  bien  pes  constituants.  Certaines  terres,  trop  humides, 
faites,  ordonnées  d'après  le  dosage  en  acide  phos- ^  doivent  être  assainies,  desséchées  nu  drainées; 
phorique,  apprend  en  un  seul  coup  d'oeil  toutes  |  d'autres,  trop  sèches,  ont  besoin  qu'on  leur  apporte, 
les  qualités  physiques  et  alimentaires  du  sol.  Il  par  divers  travaux,  l'humidité  nécessaire  à  la  végé- 
forme  ainsi  quatre  catégories  déterres  arables  j  tation  ;  dans  ce  cas,  il  faut  avoir  recours  aux  irriga- 
j'      i.  1.  J  .-  --.J    „i        ,  -  f  tiens.  Ailleurs,  il  faut  transformer  un  sol  caillou- 


d'après  le  dosage  en  acide  phosphorique  : 


Terres  pauvres,   renfermant  moins  de    1/2   mil-    teux;  c'est  par  le  colmatage,  ou  l'apport  d'un  sol 


lième  d'acide  phosphorique  ; 


nouveau,  qu'on   peut  obtenir  ce  résultat.  Ce  sont 


Terres  moyennement  riches,  qui  renferment  de  ,  autant  de  séries  d'opérations  répondant  à   la  di- 


1/2  à  I  millième  d'acide  phosphoriqu 


versité  des  circonstances  dans  lesquelles  le  culti- 


_  Terres  riches,  qui  renferment  1   à  2  millièmes    vateur  est  appelé  à  exercer  son  industrie, 


d'acide  phosphorique  ; 

Terres   t'es   riches,    qui  en  renferment  2  mil- 
lièmes ou  davantage 


[Henry  Sagnier.] 
TEKTI.AIKES  (TEnBAiNs).  —  Géologie,  VIII.  — 
On   les  appelle  aussi  terrains  csenozoigues.  Ils  ont 


Il  existe  en  effet  quelques  terres  très  riches,  par  '  été  divisés  par  un  illustre  géologue  anglais,  Ch 
exemple  des  sols  volcaniques,  dans  lesquelles  [  Lyoll,  en  trois  étages  qu'il  a  dénommés  en  se  fon- 
l'analyse  constate  jusqu'à  G  millièmes  d'acide  dant  sur  la  proportion  d'espèces  de  mollusques  que 
phosphorique.    Les   terrains  granitiques    sont   au  !  l'on  croyait  encore  vivantes  en  1831  :étageinlérieur, 


bas  de  l'échelle;  ils  ne   contiennent  presque  ja- 
mais I    millième  d'acide    phosphorique.  Dans  les 
^rrea  pauvres  en  acide  phosphorique,  on  obvie  à 
ce  défaut  par  des  engrais  phosphatés. 
Les  proportions  d'azote  que  renferment  les  ter- 


éocène,  u  aurore  du  récent";  étagemoyen,  mincène, 
«  moyennement  de  récent  »  ;  étage  supérieur,  plio- 
cène, "  davantage  de  récent.  >i  En  Franco,  Aie.  d'Or- 
bigny  a  établi  des  subdivisions  plus  nombreuses  en 
partageant  l'éûcène  on  Suessiuniea  et  Parisien,  la 


TERTIAIRES  (TERRAINS)     —  2166  —     TERTIAIRES  (TERRAINS) 


miocène  en  Tongricn  et  Fn/unien  ;  et  en  restituant 
au  pliocène  le  nom  de  Sub-Apennin.  En  Allemagne 
ces  terrains  sont  divisés  en  deux  grands  grou- 
pes :  le  terrain  itummiilitirjtc,  inférieur,  en  cou- 
ches souvent  redressées  dans  les  Alpes,  et  le  ter- 
rain néugéne,  supérieur,  correspondant  aux  étages 
miocène  et  pliocène,  et  qui  est  liabituellement 
horizontal. 

Les  terrains  tertiaires,  en  couclies  originaire- 
ment horizoniales  ou  fort  peu  inclinées,  sont  res- 
tés tels  dans  les  pays  de  plaines  et  de  plateaux  ; 
mais  sur  les  flancs  des  cliaines  de  montagnes 
ils  sont  souvent,  pour  l'étage  inférieur,  relevés, 
contournés,  quelquefois  même  verticaux,  comme 
les  terrains  secondaires. 

Tandis  que  dans  les  terrains  secondaires  on 
rencontre  peu  souvent  des  dépôts  formés  dans  les 
eaux  douces,  ceux-ci  au  contraire  sont  fréquents 
dans  les  terrains  tertiaires;  dans  beaticoup  de 
bassins  il  y  a  de  grandes  assises  alternativement 
marines  et  d'eau  douce  ;  et  dans  plusieurs  les 
dépôts  sont  exclusivement  d'eau  douce,  ayant 
été  formés  dans  des  nappes  d'eau  analogues 
aux  grands  lacs  de  l'Amérique  du  Nord.  Comme 
pour  tous  les  terrains  sodimentaires  ou  neptu- 
nicns,  les  roches  sont  de  trois  sortes  principales  : 
argileuses,  arénacées  et  calcaires,  et  il  n'y  a  rien 
à  ajouter  à  ce  qui  a  déjà  été  dit  à  ce  sujet  pour  les 
terrains  seconilaires  (p.  2008). 

La  période  tertiaire  n'a  pas  été  aussi  longue 
que  la  période  secondaire,  et  ne  présente  pas,  à 
beaucoup  près,  autant  de  variété  dans  ses  ter- 
rains. Ses  couclies  inférieures  se  lient,  dans  quel- 
ques pays,  d'assez  près  aux  terrains  supérieurs  de 
la  craie;  ses  formations  les  plus  récentes  ne  sont 
pas  toujours  faciles  il  bien  ilistingui-r  de  celles  de 
la  période  diluvienne.  Ses  caractères  paléontologi- 
ques  principaux  sont  de  ne  présenter  aucune  am- 
monite et  de  renfernipr  des  faunes  abondantes  de 
mammifères  monodelplies,  ce  qui  la  distingue 
clairement  de  la  période  secondaire.  Ces  mammi- 
fères diffèrent  souvent  de  ceux  de  la  période  mo- 
derne par  des  caraclèrcs  assez  importants  pour 
qu'on  ait  dû  en  former  de  nouveaux  genres.  Ainsi 
les  Piilieothei'ium,  les  Anoplvthnii'm,  les  llino- 
tkurium,  etc.,  ne  vivaient  pas  avant  cette  époque 
et  ne  lui  ont  pas  survécu.  D'autres  genres,  au  con- 
traire, sont  semblables  à  ceux  d'aujourd'hui,  et  les 
espèces  seules  dillcrent.  Les  oiseaux,  les  reptiles, 
les  poissons  et  les  animaux  inférieurs  de  cette 
période  sont,  en  général,  plutôt  des  espèces  que 
des  genres  perdus. 

En  France  ces  terrains  achèvent  de  remplir  les 
dépressions  qui  existaient  après  le  dépôt  et  le 
bouleversement  des  terrains  secondaires;  ils  sont 
répartis  en  quatre  bassins  :  celui  du  nord  ou  de 
Paris,  auquel  se  rattachent  les  dépôts  de  la  Lima- 
gne  ;  celui  du  sud-ouest,  ou  de  la  Gironde  ;  ce- 
lui du  sud-est,  ou  du  Uliône;  et  celui  du  nord-est, 
ou  de  l'Alsace.  Deux  seulement,  ceux  de  Paris  et 
de  la  Gironde,  étaient  en  communication  directe 
par  des  lagunes. 

Bnssin  du  tiordou  de  Paris.  —  Il  s'étend  sur- 
tout dans  la  Nousirie,  la  Limagne,  la  plaine  de 
Monlbrison,  et  comprend  en  outre  divers  petits 
dépôts  au  sud  ouest  de  celle-ci.  La  Neuslrie  no  pro- 
sente que  les  terrains  éocène  et  miocnie,  formés 
d'alternances  de  couches  marines  et  d'eau  douce. 

Le  terrain  éocène  présente  successivement  :  rLes 
sables  fie  Brac/ieuT,  dans  lesquels  près  de  Reims 
Be  trouve  le  calcaire  d'eau  douce  de  Rilly  à  gran- 
des physes;  -.o  L'nrgile  plastique,  formée  inférieu- 
rement  d  argiles  blanches,  ronges  ou  grises,  rem- 
placées entre  le  Loing  et  l'Yonne,  ainsi  qu'à 
Beauniont-sur  Oise,  par  des  amas  de  cailloux  rou- 
lés et  de  poudiiigues  formés  aux  dépens  des  silex 
de  la  craie;  par  dessus  viennent  des  sables  fau- 
ves, contenant  àleur  base,  surtout  dans  la  Marne, 


l'Aisne  et  l'Oise,  des  ligiiites  pyriteux,  exploités 
pour  en  extraire  de  l'alun  et  du  sulfate  de  fer. 
Les  fossiles  sont  assez  nombreux  dans  cet  étage; 
c'est  là  qu'ont  été  trouvés  les  plus  anciens  mam- 
mifires  de  la  France,  les  Palœoqi'-n  jirimsvns, 
Viverra  untiqua,  des  Anthracot/ierium,  Lophio- 
don,  des  tortues,  des  crocodiles,  VO  liea  Èello- 
vaciiiii,  etc.  ;3"  Les  iah/es  glanconi/éres,  oui  sont 
verdàtres  et  renferment  une  grande  quantité  de 
petites  nummulites,  et  autres  fossiles;  i'  Le  cal- 
caire gi  oss'er  rempli  d'abord  de  Niinumilit'^s  Icevi- 
gaia,  puis  le  Ciitcaire  grossier  ordinaire,  chhirité  et 
verdâtre  inférieurement,  et  dont  la  partie  moyenne 
donne  d'excellentes  pierres  à  bâtir.  Dans  les  par- 
ties où  il  est  friable,  on  y  trouve  plus  de  8o0  mol- 
lusques et  radiaires  matins  décrits  par  Lamarik  et 
Deshayes  ;  une  des  plus  grandes  esppces  est  le 
Ceriihiion  giganteum.  11  y  a  aussi  qi  elqu<'S  co- 
quilles d'eau  douce,  des  ossements  de  Lophi"flon, 
de  crocodile  ;  la  partie  supérieure  est  formée  par 
des  marnes  et  des  calcaires  compactes  presque 
sans  fossiles.  Le  calcaire  grossier  luanque  au  sud 
du  parallèle  de  Paris  ;  il  est  bien  développé  dans 
l'espace  compris  entre  Laon,  Epernay,  Paris, 
Evreuxet  Beauvais,  où  son  épaisseur  moyenne  est 
d'environ  40  mètres;  à"  Les  sables  et  i,rèi  de 
Deaiichamp,  qui  sont  un  vaste  dépôt  de  sables  ma- 
rins blancs  ou  verdàtres,  avec  rognons  et  bancs 
de  grès  souvent  calcaires,  renfermant  plus  de 
350  mollusques  et  radiaires  ;  ce  dépôt  accompa- 
gne presque  tottjours  le  calcaire  grossier;  6°  Le 
calcaire  siliceux  de  Saint-Ouen,  commençant  un 
ensemble  de  dépôts  d'eau  douce  qui  se  continue  par 
les  marnes  ggpsifères  :  ci-l\es-ci  renfiTment  deux 
ou  trois  amas  de  gypse  saccharoide  blanchâtre,  dont 
le  supérieur  a  20  mètres  d'épaisseur,  et  dans  les- 
quels ont  été  trouvés  ces  nombreux  ossements 
dont  la  restauration  a  tant  contribué  à  la  gloire 
deCuvier;ils  appartiennent  à  une  chauve-souris, 
5  carnassiers,  2  rongeurs,  "  Palseotheriuin ,  G  Ano- 
plotherium,  :j  Xiphod'in,  I  Cliu'ri'polamus,  1  Ada- 
pis.  I  sarigue,  9  oiseaux,  2  tortues,  1  crocodile  et 
7  poissons.  Cet  ensemble  se  termine  par  un  banc 
de  marne  verte  qui  renferme  les  masses  de  silex 
exploitées  pour  pierres  à  meules  à  la  Ferté-sous- 
Jouarre,  Montmirail  et  Houlbec  (Eure);  il  ne  se 
trouve  que  dans  l'espace  compris  entre  Reims, 
Moniargis  et  Evreux. 

Le  terrain  miocène,  qui  existe  seulement  dans 
la  partie  S.O.,  est  forme  inférieureiuent,  dans 
un  layon  de  100  à  120  kilotn.  de  Paris  :  ';"  Par 
les  sables  et  grès  de  Fontainebleau,  à  la  base 
desquels  sont  des  argiles  sableuses  jaunes  et 
verdàtres  avec  côtes  de  lamantin  et  nombreux 
Ostrea  longirostris  et  0.  cyalhuln  ;  les  sables 
sont  blancs,  rarement  jaunâtres,  très  purs,  con- 
tenant à  leur  partie  supérieure  des  bancs,  ou 
mieux  des  rognons  allongés  de  grès  quelquefois 
calcarifères  ou  lustrés,  employés  au  pavage  de 
Paris.  C'est  dans  ces  sables  que  se  trouvent  les 
cristaux  de  calcaire  quartzifère  appelés  grès  cris- 
lalliscs  de  Fontuiti'  bteau;S-  Par  les  inenlièrcs  de 
SUntmiirency.  dépôt  d'eau  douce  com|iosé  dans  la 
partie  N.-E.  d'argiles  rouges  plus  ou  moins  sa- 
bleuses, à  grains  de  quartz,  contenant  de  gros 
rognons  de  lueulières  plus  ou  moins  calcaires,  sou- 
vent fossilifères,  exploitées  pour  pierres  à  meules 
aux  Molières  (Seine-ei-Oise).  Au  S.  d'une  ligne 
tirée  de  Montereau  à  Dreux  ce  dépôt  est  remplacé 
par  les  calcaires  de  la  Beauce,  qui  sont  compactes, 
souvent  concrétionnés,  à  tubulures,  alternant  irré- 
gulièrement avec  des  marnes  blanches;  à  Argen- 
ton  (Indre),  on  y  a  trouvé  2  l'alœvlherium,  5  Lo- 
plitodo7i,  I  Anoplûiherium,  I  crocodile,  I  tortue; 
U"  Enfin,  par  le  dépôt  marin  des  f'alun^  de  la  Tou- 
raine  et  de  l'Anjou,  qui  forme,  de  Blois  au  delà 
d'Angers,  sur  l.iO  kil  de  longueur  et  sur  7ll  de 
largeur,  une  multitude  de  laïubeaux  clair-semés, 


TERTIAIRES  (TERRAINS)     —  2167  —     TERTIAIRES  (TERRAINS) 


•on  g6n<5ral  peu  étnndus,  composés  dans  les  envi- 
rons do  Blois  01  de  Tours  d'arpiles  et  do  sablos 
>;r()ssiors,  arfjilcux,  l'onformant  do  nombreux  mol- 
Uisquee  Ht  polypiers  souvent  roulés.  Dans  les  en- 
virons de  Saùniur  et  d'Angers,  ce  sont  des  cal- 
caires grossiers  et  des  conjjloniérats  de  coquilles 
€t  do  polypiers  non  roulés,  appartenant  à  plus  de 
300  espf^ces  et  souvent  encore  h  la  place  où  ils 
vivaient.  On  y  a  découvert  ri  espèces  d«  Maslo- 
don,  llippo/'iiinmiix,  H/iuwccros,  Uinolhe'iitm, 
Equus,  Ùi-rviis,  des  côtes  de  lamantin  silicifiéos, 
des  crocodiles,  dos  tortues,  des  dents  de  squale,  etc. 

La  Limagno  ne  prcsBjite  que  des  dépôts  exclu- 
sivement lacustres,  qui  atteignent  plus  de  3.i(l  mè- 
tres d'épaisseur  dans  les  environs  de  Clermont  et 
représentent  sans  doute  renscmbledu  terrain  ter- 
tiaire.Dans  la  plaine  de  l'Allier,  il  y  a,  à  la  base,  des 
«rgiles  rouges  avec  grains  de  quartz  qui  prédomi- 
nent sur  les  bords  du  bassin  et  donnent  dos  ar- 
roses plus  ou  moins  dures.  Au-dessus,  dans  la 
partie  centrale,  il  y  a  des  marnes  et  des  argiles  ver- 
dâtres  ou  blanches  alternant  avec  des  lits  de  cal 
Caire  compacte.  A  la  partie  supérieure  ce  sont  des 
calcaires  jaunàti'cs,  le  plus  souvent  concrétionnés, 
avec  paludinos,  tubes  de  phryganes,  ossements 
de  niiininiifères  et  d'oiseaux,  etc. 

liassni  du  xuil-ouest  ou  de  la  Girnnde.  —  Los 
couclies  tertiaires,  encore  liorizon  taies  dans  la  partie 
centrale,  ont  été  bouleversées  à  plusieurs  reprises, 
au  fur  et  à  mesure  de  leur  dépôt  dans  la  chaîne 
des  Pyrénées,  et  beaucoup  mcjins  fortement  le 
long  du  Plateau  central,  excepté  en  regard  des  Cor- 
bières,  où  les  couches  même  tertiaires  moyennes 
sont  parfois  presque  verticales.  A  lE.  du  mé- 
ridien d'Agen,  les  dépôts  sont  exclusivement 
d'eau  douce.  Des  formations  marines  (existent 
presque  seules  dans  la  partie  S.-O.  qui  dépend 
du  bassin  de  l'Adour.  La  bande  intermédiaire,  de 
l'embouchure  de  la  Gironde  h  'larbes,  présente  au 
contraire  une  série  de  formations  alternativement 
marines  et  d'eau  douce,  auxquelles  il  faut  rap- 
porter les  dépôts,  soit  d'eau  douce,  soit  marins, 
des  deux  autres  parties. 

Le  terrain  éocène  comprend  quatre  assises  dans 
la  partie  se|)tentrionale  :  1"  Les  sablfs  de  Roi/nn 
à  Uslren  (yiiiOula,  qui  renferment  aussi  des  num- 
mulitCB.  et  i|ui  commencent  par  des  calcaiies 
grossiers  à  oursins  ;  ï"  Le  calcaire  grossier  de 
Blaye  et  du  Méduc,  dont  les  fossiles  sont  en  partie 
identiques  avec  ceux  du  calcaire  grossier  de  Paris; 
3°  La  molasse  du  Fronsadiiis.  composée  d'argiles  et 
de  sables  gris-verdàtre  et  bleuâtre,  sans  fossiles 
marins,  donnant  par  places  des  roches  solides. 
Dans  quelques  localités  elle  renferme  plusieurs 
Paléeol/ierium  identiques  avec  ceux  des  gypses  de 
Paris,  ou  les  Rhinocéros  nnnutut  et  Anthracù- 
theriuin  ma//7ium  et  minutum;  une  modification 
est  le  grès  de  Bergerac,  autrefois  employé  au  pa- 
vage de  Bordeaux.  Au  N.  d'une  ligne  allant  de 
Blaye  à  Bergerac  et  Caussade,  les  couches  argi- 
leuses disparaissent  et  les  sables  passent  aux 
sables  de  la  i>aintonge  et  du  feriuord,  qui  sont 
grossiers,  rougeâtres,  et  renferment  les  minerais 
de  fer  des  bords  de  la  Lémance  et  ceux  de  man- 
ganèse de  Thiviers;  au  S.  d'une  ligne  tirée  de 
Blaye  à  Libourne,  la  molasse  prend  des  fossiles 
marins  et  admet  dans  son  intérieur  les  grands 
dépôts  lenticulaires  du  calcaire  grossier  de  Bourg  ; 
4°  Le  cnlciihe  d  eau  douce  blanc  du  Périgord  et 
de  l'Albigeois,  qui  parfois  renferme  des  rognons 
de  silex,  donnant  les  pierres  à  meules'des  en- 
virons de  Bergerac  et  d  Eymet. 

Dans  la  bordure  méridionale  de  l'Aquitaine  et 
les  parties  basses  des  I^yrénées,  la  partie  inférieure 
delà  formation  tertiaire  est  constituée  parle  ter- 
rain ntwimnlitique.  qui  a  été  longtemps  regardé 
comme  la  partie  supérieure  du  terrain  crétacé.  A 
Biarritz,  où  il  a  au  moins  1060  mètres  d'épaisseur, 


il  se  divise  en  quatre  assises  :  1°  les  calcaires  et 
grès  i  nummulites  ;  2"  les  marnes  et  calcaires  .'i 
Serpula  spiruL-ea;  l!»  les  grès  et  calcaires  à  Eupa- 
tagus  orniitus  ;  4"  enfin  les  grès  et  calcaires  à 
operculines.  Des  calcaires  comp.icles,  noirâtres,  ^ 
nummulites,  représentent  cet  ensemble  au  som- 
met du  Mont-Perdo,  h.  :i3.'i2  mètres  d'altitude. 

Le  terrain  niio'ène  inférieur  comprend  trois  as- 
sises :  h"  Le  calcaire  g'  ossier  de  Saint-Macaire,  ca- 
ractérisé par  les  Nnlica  crnssntina  et  Turbo  Pnrkin- 
soni.  et  qui  présente  il  sa  base  des  argiles  à  Ostrra 
longirostris.  Dans  les  environs  de  Dax  il  est  rem- 
placé par  des  argiles  ou  falun  bleu  de  Gnas,  ren- 
fermant les  mêmes  fossiles  ;  G'  La  mnlnsse 
mniienne  de  l'Ageniiis  et  sup'vieure  de  l'Albi- 
geois, renfermant  des  fossiles  exclusivement 
d'eau  douce  ol  présentant  souvent  des  couches  do 
cailloux  et  de  poudingucs  :  'i"  Le  calcaire  d'eau 
d'Uce  gris  de  tAgi-nais,  qui  forme  un  des  meil 
leui'S  horizons  géognosliques  de  l'Aquitaine.  —  Cet 
ensemble,  au  pied  des  P\rénées,  est  représenté 
par  l'assise  puissante  du  ]>oudingiie  île  Palassou, 
h  gros  éléments  calcaires  alternant  avec  des  cou- 
ches de  grès  souvent  marneux,  le  plus  souvent 
sans  fossiles;  quand  on  approche  de  Carcassonne, 
les  cailloux  disparaissent  et  il  ne  reste  plus  que  des 
molasses  tendres  ou  dures,  donnant  alors  le  grès 
de  Carcassoimesi  employé  dans  les  constructions. 

Le  terrain  miocène  supérieur  comprend  deux 
assises  :  8°  Le  faluti  de  Bazin,  formé  par  des  sa- 
bles grossiers  à  coquilles  marines  et  polypiers, 
qui  renferme  le  gros  banc  à'Ostren  unitata  si- 
gnalé il  y  a  un  siècle  et  demi  â  Sainte-Croix  du 
Mont;  il  passe  an  calcaire  grossier  à  Cerî/AiMm 
/lictum  de  Saint-Justin  (Landes);  à  l'est  d'Agen 
et  de  Coi'.dom,  il  n'y  a  plus  que  des  alternances 
argileuses  et  sableuses  d'eau  douce,  formant  la 
volasse  inférieure  de  l'Armagnac;  9"  Le  calcaire 
d'eau  douce  faune  de  l'Armngniic,  en  général  ar- 
gileux, tendre,  fragile,  bigarré  de  jaune  et  de 
b'anr,  renfermant  beaucoup  d'Hélix,  et  le  célèbre 
gîte  ossifère  de  Sansan  (Gers),  dans  lequel  Lar- 
tot  a  découvert  un  si  grand  nombre  de  mammi- 
fères et  autres  vertébrés,  notamment,  en  IsSf),  le 
premier  singe  fossile,  Prutopitlieciis  antiquus, 
découverte  que  Cuvier,  mort  en  1»32,  ne  croyait 
pas  possible. 

Le  terrain  pliocène  comprend  deux  assises:  10°  Le 
falun  de  Salli-s,  formé  par  des  sables  coquilliers 
à  Ostrra  dassissima,  renfermant  h.  Mont-de-Mar- 
saii  des  calcaires  sableux  plus  ou  moins  grossiers 
k  Ciirdiiii  Jouanneti,  et  passant  près  de  Dax  soit 
.\  des  molasses  à  échinodermes,  soit  à  des  marnes 
dites  fulun  bleude  Sauhrigues  ;  11"  Enfin,  le  sable 
des  Landes,  qui  est  blanchâtre  et  assez  pur,  très 
rarement  consolidé  en  grès,  comme  près  de  Vil- 
landraut  et  de  Sore,  et  renfermant  plus  souvent 
près  de  la  surface  des  grès  ferrugineux  dits  alios. 
A  l'est  de  la  Gélize  ces  grès  passent  à  la  molasse 
supérieure  de  l'Armagnac,  formée  par  dos  sables 
et  argiles  jaune-verdàtre  à  nodules  calcaires,  qui, 
à  Sansan  et  à  Simorre,  renferment  de  nouveaux 
mammifères  des  genres  Rhinocéros,  Mastodon, 
Diiiùtherium,  etc. 

Rassm  du  sud-est  ou  du  Rhône.  —  L'étage  éo- 
cène ne  se  montre  sous  la  forme  de  calcaire  à  num- 
muliles  que  dans  les  Alpes,  où  il  constitue  un  dé- 
pôt très  étendu,  épais  de  plus  de  100  mètres;  à  la 
partie  inférieure  il  y  a  des  calcaires  compactes  ou 
marneux  noirâtres,  et  par  dessus  des  alternances 
de  marnes  scliisloides,  de  grès  verdâlres,  et  de 
macignos  renfermant  des  fossiles  dont  plusieurs 
se  ra|)porteot  à  des  espèces  tongriennes. 

Dans  la  Provence,  on  rencontre  deux  grands 
étages  successifs  presque  exclusivement  d'eau 
douce:  l"Le  terrain  à  ligniti-s,  qui  commence  par 
des  marnes  et  des  calcaires  griset  se  continue  par 
un   enrjemble  de  marnes  et  de  calcaires  marneux 


THEATRE 


2168  — 


THEATRE 


rouges  ou  bigarrés,  de  200  mètres  d'épaisseur, 
renfermant  17  couclips  de  lignite  de  CnjOS  h  1  mè- 
tre, exploitées  surtout  à  Fuveau  et  à  Gardanne, 
où  elles  ont  donné  plus  de  SOO.OOO  quintaux  de 
combustible  en  1848  et  2  millions  en  1X64.  A  la 
partie  supérieure,  il  y  a  des  marnes  et  des  calcaires 
bigarres  ou  rougeâtres,  passant  à  des  grès  et  h  des 
poudingues  calcaires  donnant  le  marbre  dit  brèche 
d'Alep  ou  du  Tolonet  (M.  Matliéron  pense  que 
cette  partie  seule  appartient  au  terrain  éocène,  et 
que  tout  ce  qui  est  inférieur  est  un  représentant 
à  peu  près  lacustre  de  la  partie  supérieure  du 
terrain  crétacé)  ; 

2°  Le  terrain  à  gypse  d'Aix,  qui  présente  d'a- 
bord des  macignos  et  des  grès  dans  lesquels  à 
Gargas  on  trouve  les  Palxot/ierinm,  etc.,  dos  gyp- 
ses de  Paris;  puis  de  puissantes  couches  de  mar- 
nes et  calcaires  marneux  jaunâtres  avec  cristaux 
et  bancs  de  gypse  grenu,  jaunâtre  ;  en  outre  des 
mollusques  terrestres  on  fluviatiles,  Marcel  de 
Serres  y  a  découvert  plus  de  200  insectes,  et  M.  de 
Saporta  plus  de  300  végétaux. 
Viennent  ensuite  : 

3°  Lamo/o.sse  coqicillière,  qui  commence  par  des 
marnes  et  des  macignos  bleus  ou  jaunâtres  et  se 
termine  par  des  calcaires  marins  tendres  très  cc- 
quilliers,  dont  les  espèces  sont  en  partie  les  mêmes 
que  celles  des  faluns  du  sud-ouest.  C'est  dans  les 
assises  supérieures  qu'en  1613  fut  découvert  en 
Daupbiné  un  squelette  de  mastodonte,  qui  fut  mon- 
tré en  France  et  en  Allemagne  comme  étant  le 
squelette  du  roi  gaulois  Teutobocchus  ;  cette  su- 
percherie fut  démontrée  seulement  en  1832  par 
de  Blainville; 

4°  Le  terrain  lacustre  supérieur,  formé  i  Mfr- 
seille  par  des  marnes  schisteuses,  des  calcaires 
compactes  et  des  tufs  calcaires.        [V.  Raulin.] 

TEXTILES.  —  V.  Piailles  industrielles  et  Tis- 
sage. 

THEATRE.  —  Littérature  et  style,  III.  —  Il  faut 
grouper  autour  de  cet  article  ceux  qui,  dans  ce 
Dictionnaire,  se  rapportent  au  genre  dramatique 
et  aux  principaux  auteurs  dramatiques  ;  ainsi  les 
articles  Dramatique  (Genre)  et  Drame,  Comé- 
die, Tragédie; une  partie  de  l'article  Grcceip.  911) 
et  de  l'article  Latine  (Liltéruturc i  ;  dans  l'ariicle 
Littérature  française,  le  paragraplie  ayant  pour 
titre  :  mystères,  moralités,  farces  ;  d'autre  part, 
les  articles  Cirnei.'le,  Molière. Racine,  i'o/taire; 
pour  les  littératures  étrangères,  l'ariicle  Sha- 
hespeare,  et,  dans  les  articles  Atlrmngnc  (au  sup- 
plément), Angleterre  (au  supplément),  Espagne, 
Italie,  etc.,  la  partie  consacrée  au  théâtre. 
V.  aussi  1  article  qui  suit  :  Théâtre  classique. 

Dans  le  présent  article,  nous  réunirons  tous  les 
renseignements  qu'il  nous  parait  nécessaire  que 
l'instituteur  connaisse  pour  faire  comprendre  aux 
élèves  ce  que  c'est  qu'une  pièce  de  théâtre  et 
l'importance  littéraire  du  genre  dramatique;  nous 
en  résumerons  aussi  l'historique  général,  pour  en 
montrer  les  différentes  formes,  celles  surtout  qui 
se  sont  manifestées  par  des  productions  hors  ligne, 
particulièrement  dans  notre  langue,  nous  bornant 
à  nous  réforer,  toutes  les  fois  qu'il  y  aura  lieu, 
aux  articles  que  nous  avons  cités. 

Le  genre  dramatique  diffère  essentiellement 
de  tous  les  autres  genres  littéraires.  Dans  l'épo- 
pée, par  exemple,  ou  dans  le  roman,  le  poète,  l'é- 
crivain racoiilent  des  faits;  dans  l'ode,  dans  l'élé- 
gie, la  satire,  dans  toutes  les  poésies  qu'on  peut 
appeler  personnelles,  le  poète  parle  en  son  nom, 
il  exprime  les  sentiments  qu'il  éprouve  et  qu'il 
veut  faire  partager  ;  les  uns  et  les  autres  ont  be- 
soin de  l'intermédiaire  d'un  livre;  c'est  à  l'oreille 
qu'ils  s'adressent  et  rien  qu'à  l'oreille.  Une  œuvre 
dramatique  est  faite,  au  contraire,  pour  être  re- 
présentée. Non  seulement  le  poète  ne  parle  pas 
en  son  nom,  mais  il  disparaît  entièrement  ;  il  nous 


met  sous  les  yeux  des  individus  vivants,  des  ac- 
teurs, qui  sont  censés  être  les  personnages,  his- 
toriques ou  autres,  dont  il  veut  nous  faire  connaî- 
tre la  vie,  les  actions,  les  idées  et  les  sentiments  ; 
ces  acteurs  parlent  et  agissent  devant  nous  comme 
s'ils  étaient,  en  réalité,  ceux  qu'ils  imitent  ;  nous 
les  voyons  et  nous  les  entendons  ;  nos  oreilles  et 
nos  yeux  sont  intéressés  tout  à  la  fois.  Nous  pou- 
vons bien,  si  cela  nous  convient,  lire  une  pièce 
de  théâtre,  sans  la  voir  représenter,  mais  il  n'en 
est  pas  moins  vrai  que  ce  n'est  pas  pour  être  lue 
ainsi  que  le  poète  l'a  composée  ;  quand  nous  la 
lisons,  nous  devons  nous  imaginer  une  sorte  de 
représentation  fictive. 

L'œuvre  dramatique  répond  ainsi  à  un  des  pen- 
chants les  plus  puissants  et  les  plus  universels^ 
de  notre  nature,  le  penchant  à  l'imitation.  Nous 
ne  nous  contentons  pas  de  nos  propres  actes,  de 
ceux  que  nous  accomplissons  pour  satisfaire  â  nos 
besoins,  pour  nous  acquitter  de  nos  devoirs,  de 
nos  obligations  sociales  ou  professionnelles;  nous 
aimons  à  nous  dérober  par  instants  aux  réalités,  à 
nous  faire  d'emprunt  une  vie  qui  n'est  pas  la  nô- 
tre. C'est  ce  qui  fait  le  plus  grand  attrait  des  jeux, 
des  danses,  de  la  plupart  des  cérémonies  publiques 
ou  particulières.  Les  enfants,  plus  encore  que  le» 
hommes,  ont  une  facilité  merveilleuse  à  se  dé- 
doubler en  quelque  sorte,  à  se  faire  autres  qu'ils 
ne  sont,  plus  grands,  plus  forts,  meilleurs  ou 
pires,  pires  surtout.  Voyez  les  petites  filles  jouer 
à  la  maman  ou  à  la  maîtresse  d'école,  à  grand 
renfort  de  gronderies.,.  de  pensums  et  de  rete- 
nues. Voyez  les  petits  garçons  jouer  au  voleur  et 
au  gendarme,  au  Prussien  et,  dans  ces  derniers 
temps,  au  Kroumir,  un  bâton,  une  baguette  à  la 
main  en  guise  de  fusil  ou  d'épée  :  combat  à  mort, 
pourvu  qu'on  ne  tape  pas  sur  les  doigts!  Au 
fond,  ces  jeux  d'enfants,  auxquels  on  peut  assi- 
miler, pour  les  grandes  personnes,  les  mascara- 
des, les  cortèges  historiques,  etc.,  etc.,  ce  ne- 
sont  pas  autre  chose  que  des  drames,  en  prenant 
ici  ce  mot  dans  son  sens  le  plus  étendu.  Seulement, 
le  drame  littéraire,  mis  en  œuvre  par  de  longues 
suites  de  générations,  a  été  plus  ou  moins  régle- 
menté, et,  parmi  les  actions  qu'il  imite,  il  choisit 
d'ordinaire  les  plus  intéressantes. 

Aux  époques  civilisées,  les  œuvres  dramatiques, 
quel  qu'en  soit  l'objet,  se  représentent  ou,  comme 
on  dit,  se  jownt  d'ordinaire  dans  une  salle  de 
spectacle  ou  sur  un  théâtre  {de  deux  radicaux,  le 
premier  latin,  le  second  grec,  qui  veulent  dire 
voir,  regarder),  et  c'est  pour  cela  qu'on  se  sert 
souvent  du  mot  théâtre  pour  désigner  le  genre 
dramatique  :  ■<  j'aime  le  théâtre,  je  raffole  du  théâ- 
tre, »  ou  l'ensemble  des  œuvres  dramatiques  d'un 
auteur  :  «  le  théâtre  de  Corneille,  le  théâtre  de 
Schiller.  »  Un  théâtre  se  compose  de  deux  pariies,- 
l'une  réservée  aux  acteurs  et  où  se  trouve  la  scène, 
sur  laquelle  paraissent  les  personnages,  l'aiitre 
pour  les  spectateurs;  ces  deux  parties  sont  sépa- 
rées par  un  rideau  qui  se  baissait,  chez  les  an- 
ciens, du  plafond  au  sol,  pour  laisser  voir  la 
scène  ;  qui  se  lève,  chez  les  modernes,  du  sol  au 
plafond.  On  dispose  sur  la  scène  des  décors  qui 
représentent  le  lieu  ou  les  lieux  où  est  censée  se 
passer  l'action  dramatique,  la  pièce  de  théâtre. 
Quand  cette  action  admet  le  concours  de  la  musi- 
que, les  musiciens  sont  placés  dans  l'oi-chestre 
(d'un  radical  grec  qui  veut  dire  dai.ser,  parce  que, 
chez  les  Grecs,  la  partie  antérieure  de  la  scène 
était  destinée  aux  danses  exécutées  par  le  chœur), 
un  peu  au-dessous  de  la  scène,  devant  les  pre- 
miers rangs  des  spectateurs.  Avant  que  la  pièce 
ne  soit  commencée  et  aussitôt  qu'elle  est  finie,  le 
rideau  est  baissé.  Dans  la  durée  d'une  pièce,  et  i. 
la  volonté  du  poète,  soit  qu'il  juge  à  propos  de 
reposer  l'attention  des  spectateurs,  soit  quil  y 
ait  lieu  de  changer   les  décors,   le  rideau   peut 


THEATRE 


—  2169 


THEATRE 


être  bais'îô  monipntanément.  L'intervalle  entre  le 
lever  et  le  baisser  du  rideau  s'appelle  note.  Il  y  a 
des  pièces  en  un  acte,  en  deux,  ou  trois  actes  ; 
les  plus  longues  sont  ordinairement  en  cinq  actes. 
Quelquefois  les  actes  eux-mêmes  sont  coupés  par 
des  repos  très  courts,  motives  par  un  change- 
ment do  dérors,  et  pendant  lesquels  on  baisse  un 
rideau  auxiliaire  différent  de  celui  qui  marque  le 
repos  de  l'acte  ;  cette  coupure  de  l'acte  s'appelle 
talileau.  Knfin,  toutes  les  fois  que,  dans  le  cours 
de  la  pièce,  il  y  a  changement  de  personnages, 
on  compte,  en  prenant  le  mot  dans  un  sens  autre 
que  celui  que  nous  avons  indiqué  lout  à  l'Iieure, 
autant  do  schies  différentes.  C'est  là  ce  qu'on 
peut  appeler  la  constitution  matérielle  d'une 
œuvre  dramatique. 

Quant  au  fond  même  de  ces  œuvres,  le  poète, 
avons-nous  dit,  s'attache  à  le  choisir  de  façon  à 
produire  en  nous  l'intérêt.  C'est  la  vie  de  nos 
semblables  qu'il  veut  mettre  sous  nos  yeux,  ce 
sont  leurs  idées,  leurs  sentiments,  leprs  actions. 
Naturellement,  il  cherchera  à  écarter  de  cette  re- 
présentation tout  ce  qu'il  peut  y  avoir  de  commun 
et  de  banal  ;  naturellement  aussi,  il  corrigera  la 
vie  ordinaire,  qui  présente,  en  général,  môme 
dans  les  circonstances  les  plus  importantes,  quel- 
que chose  de  détaché  et  de  décousu,  en  concen- 
trant les  faits  qui  concourent  à  un  même  événe- 
ment, en  les  dégageant  de  toutes  les  circonstan- 
ces inutilement  accessoires;  naturellement, 
encore,  pour  faire  mieux  saillir  celles  des  circons- 
tances qu'il  tient  surtout  à  mettre  en  lumière, 
il  les  grossira  sans  les  exagérer,  procédant  par 
traits,  par  mouvements,  par  secousses  logique- 
ment préparées.  L'œuvre  dramatique  étant  né- 
cessairement circonscrite  dans  d'étroites  limites 
de  temps,  en  général  la  duri'C  d'une  soirée  ou 
d'un  après-midi,  il  est  tenu  par  dessus  tout  à  la 
clarté,  dont  l'unité  d'action  est  le  plus  sûr  moyen  ; 
ce  sera  donc  à  l'expression  d'un  seul  fait  domi- 
nant que  devront  concourir  tous  les  détails,  si 
nombreux  et  si  compliqués  qu'ils  puissent  être, 
et  tout  l'art  de  l'auteur  devra  consister,  d'abord 
dans  une  exposition  qui  nous  mette  bien  au  cou- 
rant de  ce  qui  va  se  passer,  ensuite  dans  le  dé- 
veloppement de  jiérijjéties  découlant  de  l'exposi- 
tion et  s'enchaînant  les  unes  les  autres,  capables 
d'exciter  et  de  soutenir  la  curiosité,  enfin  dans 
un  dénimement  qui  termine  l'action  et  qui  nous 
laisse  sous  une  impression,  celle  qui  est  l'objet 
même  de  la  pièce. 

Dans  ces  conditions,  qui  répondent  à  la  na- 
ture de  notre  esprit,  surtout  quand  nous  som- 
mes réunis  ;\  d'autres,  quand  l'effet  de  nos  émo- 
tions personnelles  se  multiplie  et  s'augmente  en 
quelque  sorte  par  la  contagion  d'un  effet  sembla- 
ble que  nous  voyons  se  produire  dans  une  foule 
plus  ou  moins  nombreuse,  nous  laissons  volontiers 
toute  liberté  au  poète.  Il  peut  choisir  ses  actions 
et  ses  personnages  dans  toutes  les  périodes  de 
l'histoire,  dans  tous  les  rangs  de  la  société,  qu'il 
s'agisse  d'une  société  antérieure  à  la  nôtre  ou  au- 
tre que  la  nôtre,  ou  de  notre  propre  société  con- 
temporaine, et  même  dans  les  catégories  imagi- 
naires d'un  surnaturel  de  tradition  ou  de  la  pure 
fantaisie.  Ce  n'est  pas,  tant  s'en  faut,  la  vérité  des 
réalités  que  nous  demandons  au  poète  dramati- 
que, c'est  la  vraisemblance,  la  concordance  logi- 
que des  idées,  des  sentiments  et  des  actes  dans 
tel  milieu  qu'il  aura  choisi.  Nous  sommes,  pourvu 
qu'on  nous  plaise,  si  disposés  à  nous  faire  illu- 
sion devant  un  rideau  de  théâtre,  que  nous  ac- 
ceptons comme  possibles  les  situations  et  les  fa- 
çons d'être  les  plus  antipathiques  à  la  pratique 
ordinaire  des  choNes,  comme,  par  exemple,  des 
héros  et  des  héroïnes  d'un  autre  âge  qui  n'agis- 
âent  qu'en  chantant  :  c'est  ainsi  que  procède  l'o- 
péra, qui  est  un  drame  musical,  ce  qu'on  appelle 


le  drame  lyrique,  ou  qui  entremêle,  suivant  les 
cas,  le  chant  et  les  paroles,  comme  dans  l'opéra- 
romique. 

Dans  ces  conditions  aussi,  nous  permettons  au 
poète  de  faire  naître  en  nous  toutes  sortes  d'é- 
motions, qu'elles  doivent  se  traduire  par  le  fou 
rire  que  provoquent  la  bouffonnerie  et  le  grotes- 
que, par  les  franches  expansions  de  la  bonne  hu- 
meur, la  délicate  jouissance  de  l'esprit  applaudis- 
sant à  un  mot  malin  ou  souscrivant  à  une  finesse, 
ou  par  lenthousiasme  de  l'admiration,  les  larmes 
de  la  sympathie  et  de  la  pitié,  le  serrement  de 
cœur  et  le  sanglot  de  l'anxiété  et  de  la  terreur. 
Plaisir,  dans  ce  cas,  bien  singulier,  et  tenant 
étrangement  à  la  douleur.  C'est  un  des  traits  de 
notre  nature.  Qu'il  nous  arrive,  dans  la  vie 
réelle,  d'être  témoins  d'un  grand  malheur,  d'un 
fait  terrifiant,  d'un  accident  douloureux,  nous  en 
souffrons  véritablement,  et  faisons  tous  nos  ef- 
forts pour  nous  y  dérober.  Au  théâtre,  au  con- 
traire, nous  recherchons  volontiers  la  représenta- 
tion de  ces  mêmes  sujets  d'épouvante  ou  de  dou- 
leur, qui  nous  placent  en  dehors  et  le  plus 
souvent  au-dessus  de  notre  situation  ordinaire, 
qui  excitent  en  nous  le  sentiment  désintéressé  de 
la  sympathie,  et  nous  émeuvent  fortement,  mais 
passagèrement,  l'idée  de  fiction,  qui  ne  nous 
abandonne  jamais ,  quelle  que  soit  la  puis- 
sance de  notre  illusion,  tempérant  ce  que  leur 
réalité  pourrait  avoir  de  pénible  et  de  poignant. 
Le  théâtre,  d'ailleurs,  admet,  dans  sa  pratique 
ordinaire,  certains  ménagements  qui  relèguent 
hors  de  la  scène  les  détails  odieux  et  repoussants  ; 
il  admet  aussi  des  conventions  traditionnelles  qui 
adoucissent  l'effet  excessif  de  ceux  que  le  poète 
ne  peut  soustraire  aux  yeux  du  spectateur.  Le 
bon  goût  d'un  public  véritablement  civilisé  se  dé- 
tourne spontanément  de  telles  nu  telles  pièces 
trop  «  naturalistes  »,  pour  prendie  le  mot  du  jour, 
et  il  faut  rejeter  en  dehors  de  l'art  dramatique, 
parmi  les  aberrations  d'une  société  dégradée  ou 
encore  barbare,  non  seulement  les  abominables 
spectacles  des  amphithéâtres  romains  dont  le 
sang  humain  faisait  les  frais,  mais  encore  ces 
courses  de  taureaux,  ces  combats  de  coqs,  uni- 
quement faits,  quoi  qu'on  en  dise,  i)Our  la  salis- 
faction  d'une  curiosité  malsaine  ou  d'une  ignoble 
cruauté. 

Il  a  été  dit  à  l'article  Drame  comment,  dans  nos 
littératures  classiques,  et  en  particulier  dans  la 
nôtre,  le  genre  dramatique  a  été  partagé  en  trois 
divisions,  suivant  le  genre  d'émotiojis  que  le  poète 
s'attache  à  produire  dans  l'esprit  et  dans  l'âme  des 
spectateurs  :  le  drame  sérieux  ou  tragique,  la  tra- 
gédie (d'un  mot  grec  qui  signifie  Imuc,  parce  qu'un 
bouc,  dit-on,  fut  le  prix  des  premiers  chœurs  tra- 
giques chez  les  Athéniens);  le  drame  plaisant  ou 
bouffon,  la  comédie  (d'un  mot  grec  signifiant  ré- 
/uuissinice,  gala);  et  le  drame  mixte,  unissant  le 
plaisant  et  le  sérieux,  auquel  on  a  donné  le  nom 
de  tragi-comédie,  do  «  comédie  larmoyante»,  et 
qui,  tendant  de  plus  en  plus  à  prédominer  aujour- 
d'hui, est  le  plus  souvent  désigné  sous  le  simple 
nom  de  drame.  Le  théâtre  lyrique  (du  mot  /yîv.l'un 
des  principaux  instruments  des  anciens  Gi|ecs), 
c'est-â-dire  celui  qui  admet  l'emploi  de  la  musique, 
parole  chantée,  orchestration,  comprend  les  mê- 
mes divisions  ;  il  y  a  de  grands  opéras  sérieux  et 
tragiques,  il  y  a  nos  opéras-comiques,  nos  opé- 
rettes et  les  opéras-boutTes  des  Italiens  ;  il  y  a 
enfin  de  grandes  cotnpositions  musicales  faites 
pour  le  théâtre,  comme,  par  exemple,  le  Don  Juan 
de  Mozart,  qui  sont  de  véritables  drames,  dans 
l'acception  moderne  du  mot. 

Les  œuvres  dramatiques,  quelle  qu'en  soit  la 
forme,  puisent  leur  principal  intérêt  dans  l'ana- 
lyse et  la  peinture  des  sentiments,  surtout  des 
sentiments  exaltés  de  l'âme  humaine,  c'est-à-dire 


THEATRE 


2170  — 


THEATRE 


des  passions,  soit  qu'elles  se  bornent,  à  en  mon- 
trer l'effpt,  soit  qu'elles  les  opposent  les  unes  aux 
autres  dans  un  môme  individu  ou  dans  des  indi- 
vidus différents,  soit  encore  qu'elles  les  mettent 
aux  prises  avec  le  devoir  ou  quelque  grand  intérêt, 
Koit  enfin,  comme  c'est  l'objet  propre  de  la  co- 
médie, qu'elles  les  tournent  en  ridicule.  Présciilés 
avec  art,  ces  tableaux  ont  une  grande  influence 
sur  les  niasses.  Aussi  le  tliéâire  a-t-il  toujours  été 
regardé  comme  un  puissant  moyen  d'éducation 
populaire.  Il  a  été,  à  ce  titre,  très  violeiunient 
attaqué,  comme  pouvant  aussi  devenir  un  agent 
pernicieux  de  corruption  et  d'immoralité.  I/Égiise, 
dès  le  nioyen-,ige  et  surtout  dans  les  temps  mo- 
dernes, a  souvent  répiotivé  les  représentations 
théâtrales  ;  Eossuet,  après  saint  Thomas,  s'élève, 
dans  ses  Maximes  et  rëflej  ions  sur  In  Cumédie  (  1C94), 
contre  les  séductions  de  l'art  dramatique,  et  il  a 
des  mots  cruels  pour  notre  grand  Molière,  «  ce 
poète  comédien  recevant,  sur  la  scène  même,  la 
dernière  atteinte  de  la  maladie  dont  il  mourut  peu 
d'heures  après,  et  passant  des  plaisantiTies  du 
théâtre,  parmi  lesquelles  il  rendit  presque  le  der- 
nier soupir,  au  tribunal  de  Celui  qui  dit  ;  "  Mal- 
•1  heur  h  vous  qui  riez,  car  vous  pleurerez.  »  Dans 
un  esprit  tout  dilTérent,  Rousseau,  l'auteur  incon- 
séquent de  Narcisie  et  àuDfvin  iln  riltage.  a  écrit 
sa  Lettre  sur  les  Sjiectoclis  (U.SS),  où  il  ne  se 
montre  guère,  à  son  point  de  vue  de  philosophe, 
moins  sévère  que  Bosstiet,  et  où,  lui  aussi,  il  mal- 
mène Molière,  dont  il  ne  respecte  pas  luème  le 
Hisantliro/iC.  Il  est  certaiti  que  le  théâtre  p°ut 
avoir  ses  dangers  et  ses  excès.  Il  y  a  des  passions 
qu'il  no  faut  pas  exalter,  il  y  en  a  qu'il  ne  faut 
pas  montrer  indistinctement  à  tout  le  monde.  Ce 
serait,  toutefois,  se  faire  une  bien  fausse  idée  de 
la  nature  humaine  que  de  croire  qu'on  puisse, 
sans  soulever  un  sentiment  instinctif  d'horreur  ou 
de  dégoût,  professer  le  mal  dans  des  œuvres 
dont  la  destination  directe  est  d'être  représentées 
devant  une  foule.  Le  mal  révolte  en  public  celui 
même  qu'il  séduirait  individuellement.  Et  les  au- 
teurs le  savent  bien,  car  ils  ont,  en  général,  grand 
soin  de  présenter,  à  la  fin  des  pièces,  contraire- 
ment, hélas,  à  ce  qui  se  passe  trop  souvent  dans 
la  réalité,  le  crime  puni  ou  humilié,  la  vertu  jus- 
tifiée et  récompensée.  Si,  à  certains  âges  et  dans 
certaines  circonstances,  l'influence  de  telles  ou 
telles  oeuvres  dramatiques  peut  n'être  pas  sans 
inconvénients:  s'il  en  est,  d'autre  part,  que  per 
sonne  ne  peut  approuver  ni  au  point  de  vue  du 
goût,  ni  au  point  de  vue  de  la  morale,  il  n'en  faut 
pas  moins,  en  général,  appliquer  au  théâtre  ce 
que  M"""  de  Staël  disait  du  livre,  qui  ti'est  pas, 
suivant  elle,  «  bon  oti  mauvais  par  c-  qu'il  ensei- 
gne, mais  parce  qu'il  inspire.  "Et  il  est  certain 
qu'en  définitive  c'est  une  inspiration  élevée  et 
fortifiante  i|u'on  puise  dans  les  grandes  œuvres, nous 
ne  dirons  pas  seulement  de  Corneille  ou  de  Schil- 
ler, qui  visent  â  l'honneur  et  à  la  vertu,  mais  de 
Shakespeare,  de  Gœthe,  de  Racine  et  des  autres 
écrivains  de  théâtre  qui  se  sont  suttout  proposé 
l'analyse  des  passions.  Quant  à  la  cotnédie  et  aux 
œuvres  dramatiques  fondées  sur  le  ridicule,  voici 
ce  qu'en  dit,  très  judicieusement,  suivant  nous,  le 
docteur  Blair  (dans  ses  excellentes  Leçons  de  rhé- 
torique et  de  belles-lettres)  :  "  La  comédie,  consi- 
déiée  comme  une  représentation  satirique  des 
folies  et  des  imperfections  des  hommes,  est  un 
genre  de  composition  très  moral  et  très  utile,  dans 
la  nature  et  le  plan  général  de  laquelle  la  cen- 
sure n'a  rien  i  repretidre.  Polir  les  mœurs  des 
hommes,  appeler  leur  attention  sur  les  bienséances 
qu'ils  doivent  observer,  rendre  surtout  le  vice  ri- 
dicule, c'est  être  véritablement  utile  à  la  société. 
La  plupart  des  vices  résistent  moins  au  ridicule 
qu'auxarguments  solides  et  auxatlaques  sérieuses. 
Mais  il  fat  convenir,  d'un  autre   côté,  que  c'est 


une  arme  difficile  â  manier,  qui,  dans  une  main 
maladroite  ou  mal  intentionnée,  peut  être  aussi 
fatale  qu'elle  eût  été  utile  dans  une  main  sage  et 
expérimentée  ;  car  le  ridicule  n'est  pas,  comme 
on  l'a  dit  quelquefois,  la  véritable  pierre  de  touche 
de  la  vérité.  Il  peut,  au  contraire,  nous  séduire  et 
nous  tromper  par  les  couleurs  qu'il  donne  aux 
objets;  et  il  est  souvent  plus  difficile  de  juger  si 
ces  couleurs  sont  naturelles  ou  fausses,  que  de 
distinguer  l'erreur  do  la  vérité.  Des  auteurs  co- 
miques ont  trop  souvent  poussé  la  licence  jusqu'à 
couvrir  de  ridicule  les  caractères  et  les  objets  qui 
le  méritaient  le  moins.  Mais  ce  n'est  pas  â  la  co- 
médie même  qu'il  faut  en  faire  le  reproche,  on 
n'en  doit  accuser  que  la  dépravation. de  ces  écri- 
vains. Dans  la  main  d'un  auteur  sans  mœurs  et 
sans  probité,  la  coinédie  peut  devenir  un  instru- 
ment de  corruption  ;  dans  celle  d'un  homme  ver- 
tueux, elle  sera  un  amusement,  non  spuleiuent 
innocent  et  gai.  mais  encort!  louable  et  utile.  » 
Et  Blair  ajoute,  à  l'honneur  de  notre  nation  et  de 
notre  langue  :  "  La  comédie  française  est  une 
excellente  école  de  mœurs,  tandis  que  la  comédie 
anglaise  ne  fut  que  trop  souvent  l'école  du  vice.» 
^Traduction  Quénot,  'J'  vol.,  p.  2tiO.) 

D'après  ce  que  nous  avons  dit  de  la  nature  du 
genre  dramatique,  il  est  facile  de  conclure  â  l'uni- 
versalité, en  quelque  sorte  spontanée,  des  œuvres 
qui  s'y  rapportent.  On  retrouve,  en  effet,  le  drame 
à  toutes  les  époques,  dans  toutes  les  langues  et 
dans  toutes  les  littératures.  On  le  retrouve  même, 
sous  une  foî-me  populaire,  anonyme,  on  pourrait 
dire  col'eciive,  chez  des  peuples  qui  n'ont  point 
de  littérature,  qui  ne  sont  jamais  sortis  de  la  vie 
sauvage  ou  demi-sauvage.  Il  est  un  des  éléments 
des  grandes  manifestations  nationales  ou  reli- 
gieuses de  ces   peuples. 

Tel  aussi,  en  général,  il  se  présente  à  l'origine, 
dans  1  histoire  des  littératures  classiques,  se  dé- 
gageant peu  h  peu,  soit  des  liturgies  mythiques, 
soit  du  programme  plus  ou  moins  officiel  des 
solennités  populaires,  sous  l'impulsion  particu- 
lière de  quelque  grand  mouvement  d'opinion,  ou 
par  l'initiative  d'un  poète  do  génie,  qui  le  fait 
sien  et  lui  donne  une  forme,  que  les  'générations 
suivantes  modifieront  et  compléteront.  C'est  ainsi 
que  nous  voyons,  dans  la  Grèce  ancienne,  la  tra- 
gédie et  la  comédie  (V.  ces  deux  mots)  sortir 
l'une  et  l'autre  des  fêtes  de  Bacchus,  la  première 
n'étant  que  le  développement  du  dithyrambe  dans 
lequel  on  cltantait  les  louanges  du  dieu,  la  se- 
conde, la  mise  en  action  d'une  mascarade  tradi- 
tionnelle,qui  était  comme  l'accompagnement  popu- 
laire de  ces  fêtes. 

Les  noms  de  Thespis,  de  Susarion,  marquent 
diverses  étapes  sur  la  route  qui  mène_  des 
premières  manifestations  incohérentes  et  incon- 
scientes du  drame  comique,  jusqu'à  Cratinos,  Eu- 
polis,  et  surtout  Aristophane,  qui  parviennent  à  Itii 
donner  une  forme  individuelle  et  littéraire.  Et.  H 
en  est  de  même  de  la  tragédie,  dont  l'érudition 
moderne  a  pu  suivre  l'évolution  et  les  transforma- 
tions successives,  si  magnifiquement  complétées 
et.  on  peut  le  dire,  terminées  par  les  grands  noms 
d'Eschyle,  de  Sopliocle  et  d'Euripide. 

La  littérature  latine,  qui,  sur  beaucoup  de 
points,  est  utie  littérature  de  reflet,  suggérée  et 
inspirée  par  celle  des  Grecs,  ti'a  de  véritablement 
national,  au  point  de  vue  du  théâtre,  que  ses  co- 
médies,et,  citez  les  Romains  comme  chez  les  Grecs, 
les  farces  populaires,  les  alellanis  et  les  chants 
fescennii.s,  otit  précédé  les  œuvres  classiques 
des  Plaute  et  desTérence. 

Boileau  a  écrit  dans  l'.Vrt  poétique  : 

Ch'-z  nos  dévots  aïeux  le  théâtre  abhorré 
Fut  longtemps  dans  la  France  un  pl:il>ii-  ignoré. 
De  pèlerins,  dit-on,  une  troupe  grossière 
En  public  à  Paris  y  monta  la  première, 


THÉÂTRE  —  -2m 


THÉÂTRE    CLASSIQUE 


Ef,  sottement  zé'ée  en  sa  simplit 

J.iua  les  saints,  la  Vierge  et  Die 

Le  savoir,  à  la  fin  dissipant  l'ign 

Fit  voir  de  ce  projet  la  dévote  iniprudenee. 

On  ch;L'<sa  ces  docleurs  prêctiant  sans  mission; 

On  vit  renailrc  Hector,  Ândromaque,  llion.... 

Boileau  travestit  ici,  en  l'écrivant  comme  on 
l'enlondait  au  xvii"  siècle,  tout  un  grand  chapitre 
do  notre  liisioiie  littéraire  au  moyen  âge.  Il  eût 
él6  bien  extraordinaire  qu'une  nation  comme  lu 
nôtre,  très  vive  dans  l'expression  extérieure  de 
ce  qu'elle  éprouve,  facilement  passionnée  pour 
les  divertissements  publics,  eût,  pendant  plusieurs 
siècles,  «  abliorré  »  le  tboâtre.  Elle  ne  l'abborra 
point:  seulement,  comme  cela  était  naturel,  elle 
s'en  fit  un  à  sa  manière,  conforme  au  milieu  où 
elle  vivait,  à  ses  idées,  à  ses  goiits,  à  ses  senti- 
ments. Religieuse  et  guerrière,  elle  eut  pour 
ttiéâlre  les  joules  et  tournois,  représentation  des 
duels  et  dus  batailles;  elle  eut  surtout  les  mys- 
tères, les  tnirwlps  (V.  Littériiture  f'rw.çaise),  où 
elle  joua,  en  effet,  par  piété  et  par  piété  très 
sincère,  Dieu,  la  Vierge  et  les  saints,  les  églises 
ou  les  parvis  des  églises  lui  servant  à  l'origine  de 
salles  de  spectacle,  et  le  clergé  lui-même  se  mê- 
lant à  ses  acteurs.  On  a  montré,  dans  ce  Diction- 
naire, comment,  i.  ces  premières  manifestations 
complètement  spontanées,  succédèrent  diverses 
tentatives  d'organisation  par  le  moyen  des  con- 
fréries; comiTient  aussi  le  domaine  du  mystère 
s'agrandit,  les  soties,  les  moralités,  les  farces, 
c'est-à-dire  des  actions  dramatiques  d'un  carac- 
tère inoins  exclusif,  s'y  ajoutant  h  la  longue  et 
finissant  p  ir  s'y  substituer.  Mais,  dès  le  xv'  siè- 
cle, l'Église,  le  Parlement,  la  Sorbonne,  la  royauté 
elle-même,  que  l'esprit  satirique  des  faiseurs  de 
pièces  ne  ménageait  pas,  s'unirent  contre  les  con- 
fréries dramatiques.  Cliassées  par  des  édits,  elles 
durent  quitter  Paris  et  les  grandes  villes  ;  mais 
elles  ne  disparurent  pas  complètement;  les  trou- 
pes errantes,  telles  que  celles  que  dépeint  Scar- 
ron  dans  son  Roman  coDiique,  en  conservèrent 
les  traditions,  dont  Molière,  qui  fut  lui-même 
comédien  errant,  s'inspira  certainement  dans  plu- 
sieurs de  ses  farces  ;  et  peut-être  en  faut-il  voir 
les  derniers  vestiges  sur  les  tréteaux  de  ces  ba- 
raipies  foraines,  qui  représentent  encore  de  nos 
jours,  d'après  des  formules  souvent  fort  ancien- 
nes, la  Barbe-Bleue,  Geneviève  de  Brabant,  ou  la 
Tentation  de  saint  Antoine. 

La  Renaissance,  au  xvi»  siècle,  acheva  de  trans- 
former ce  vieux  théâtre  national  en  un  théâtre 
savant;  on  vit  renaître,  comme  dit  Boileau,  Hec- 
tor, Andromaque,  llion,  et  les  Jodelle,  les  Gar- 
nier,  les  Montclirestien  préparèrent  la  voie  aux 
Corneille  et  aux  Racine.  Il  n'en  est  pas  moins 
vrai  que  cette  invasion  des  héros  et  des  héroïnes 
antiques  a  donné  à  notre  littérature  dramatique 
du  xvii"  siècle  un  caractère  d'emprunt  qui  la  rend 
difficilement  saisis^ablo  i  quiconque  n'a  pas  reçu 
cette  éducation  classique  qui  en  avait  formé  les 
plus  illustres  représentants.  Malgré  toute  la  puis- 
sance du  génie  do  Corneille  et  de  Racine,  il  faut 
un  certain  effort  à  nos  générations  modernes  pour 
prendre  plaisir  à  leurs  fables,  pour  retrouver,  sous 
le  masque  du  personnage  grec  et  romain, 
l'homme  de  leur  temps,  qu'ils  peignaient  quand 
même  et  qnasi  à  leur  insu,  et  aussi  l'homme  de 
tous  les  temps,  avec  ce  fond  éternel  d'idées  et  de 
sentiments  qui  constitue  comme  l'unité  idéale  de 
notre  espèce. 

Encore  si  ce  retour  tout  artificiel  i  l'antiquité 
avait  eu  seulement  pour  etTet  de  ramener  sur  notre 
scène  française  les  Thésée,  les  Pyrrhus,  les  Néron 
ou  les  Horace,  qui,  en  définitive,  y  font  grande 
figure,  au  détriment,  il  est  vrai,  de  nos  héros  na- 
tionaux, qui  les  auraient  bien  valus  ;  mais  notre 
scène  elle-même  s'est  matériellement  formée  sur 


le  moule  de  l'antiquité,  si  bien  que,  d'après  Ho- 
race, nos  pièces,  comme  les  pièces  latines,  n'ont 
di'i  avoir,  sauf  rare  exception,  ni  plus  ni  moins  de 
cinq  actes,  et  qu'il  a  fallu,  selon  Aristotc,  et  un 
Aristute  de  convention,  accepter,  deux  siècles  du- 
rant, la  fameuse  règle  des  trois  unités  : 

Qu'en  nn  lieu,  qu'en  un  jour,  un  seul  f;iit  accompli 
Tienne  jusqu'à  la  fin  le  théâtre  rempli. 

Après  les  grands  génies  du  xvii'  siècle,  toute  la 
foule  do  leurs  imitateurs  s'est  rigoureusement 
conformée  à  ces  exigences,  et  dans  un  genre 
littéraire  qui  réclame  peut-être  plus  que  tout 
autre  l'originalité,  l'indépendance  et  une  grande 
liberté  d'allures,  il  en  est  résulté  une  monotonie 
désespérante,  à  laquelle  Voltaire  lui-même,  si 
hardi  sur  d'autres  points,  n'a  pas  échappé.  L'ar- 
ticle sur  le  genre  dramatique  montre  comment, 
de  nos  jours,  on  est  revenu  i  une  conception  plus 
juste  et  plus  large  des  véritables  conditions  de 
l'art  dramatique.  Il  n'a  pas  lallu  moins,  chez  nous, 
pour  en  venir  là,  qu'une  révolution  politique,  qui 
a  profondément  modifié  nos  idées  sur  les  hommes 
et  sur  les  choses,  étendu,  au  point  de  vue  litté- 
raire comme  au  point  de  vue  scientifique,  notre 
cercle  d'observation,  et  accoutumé  notre  esprit  à 
considérer  la  littérature  d'un  peuple  comme  une 
partie  intégrante  de  son  développement  social  et 
moral. 

Moins  profondément  touchées  que  nous  par  ce 
mouvement  littéraire  qui  date  de  la  Renaissance 
et  qui  a  eu  sa  grande  expansion  à  notre  époque 
classique  du  siècle  de  Louis  XIV,  la  plu|iart  des 
autres  nations  modernes  ont  gardé  dans  leurs  pr(3- 
ductions  dramatiques  quolqne  chose  de  plus  inti- 
mement et  profondément  national.  L'élude  des 
principales  œuvres  des  maîtres  italiens,  espagnols,, 
anglais  et  allemands  n'entre  pas,  d'ailleurs,  dans 
le  cadre  de  cet  article  ;  nous  renvoyons,  pour  cette 
élude,  aux  articles  spéciaux  que  nous  avons  indi- 
qués. [Charles  Defodon.) 

TIIÉ.VTRE  CLASSIQUE.  —  Littérature  et  style, 
m.  —  On  appelle  théâtre  classique  le  recueil 
des  meilleures  pièces  de  théâtre  destinées  à  être 
étudiées  dans  les  classes,  à  servir,  par  consé- 
quent, à  l'éducation  et  à  l'instruction  des  enfants 
et  des  jeunes  gens.  Jusqu'ici,  on  peut  le  dire, 
l'étude  du  théâtre  classique  a  été  à  peu  près  ex- 
clusivement réservée  à  l'enseignement  secon- 
daire, aux  élèves  des  lycées  et  des  collèges.  Et 
cela  se  comprend,  l'âge  de  la  plupart  des  élèves 
de  nos  écoles  primaires  n'admettant  jj;uère  un 
genre  de  lectures  si  relevé  et  auquel  il  faut  être 
préparé  par  d'autres  études,  soit  historiques,  soit 
littéraires.  11  n'en  sera  plus  de  même  si, 
comme  il  faut  bien  l'espérer,  l'enseignement  pri- 
maire supérieur  se  propage  et  se  multiplie  ;  l'en- 
seignement secondaire  spécial,  qui  n'est,  au  bout 
du  compte,  au  moins  dans  les  cours  élémentaires, 
qu'une  forme  particulière  et  déterminée  de  l'en- 
seignement primaire  supérieur,  prescrit  avec  raison, 
dans  ses  programmes,  l'étude  des  principaux  chefs- 
d'œuvre  de  notre  littérature  dramatique;  le  pro- 
gramme des  écoles  normales  et  celui  de  l'examen 
pour  le  brevet  supérieur,  tels  qu'ils  viennent  d'être 
formulés  par  de  récentes  mesures  administratives, 
l'ont  de  cette  étude  une  nécessité;  et  enfin  on  ne 
comprendrait  pas  que  l'instituteur  do  notre  temps, 
qui  doit  être  un  homme  instruit  et  un  homme  de 
goût,  n'.'ùt  pas  au  moins  une  idée  exacte  et  précise 
de  ces  belles  œuvres  littéraires  qui  agrandissent 
l'esprit  et  élèvent  les  sentiments,  ^ans  parler  de 
toutes  les  ressources  qu'elle  peuvent  fournir  à 
l'enseignement. 

Nous  essaierons  donc  d'apprécier,  dans  une 
série  de  notices,  les  principales  pièces  du  théâtre 
classique  français,  particulièrement,  bien  enten- 
du, de  cette  grande  époque  du  xvii"  siècle,  où  se 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     -  2172  -     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


sont  rencontrés  les  plus  rares  génies  dramatiques  I 
qui  aient  illustré  notre  littérature  :  Corneille, 
Raiine  et  Molière.  Ces  notices  n'auront  pas,  tant 
s'en  faut,  pour  objet  de  dispenser  de  la  lecture 
des  pièces  elles- mômes;  ce  qui  serait  le  plus 
mauvais  service  qu'elles  pussent  rendre;  elles  la 
supposeront,  au  contraire,  ce  qui  nous  permettra 
d'abréger.  Elles  n'auront  pas  davantage  pour  objet 
de  formuler  impérativement  sur  la  valeur  de  cbaque 
œuvre  un  jugement  ou  une  opinion;  ce  doit  être 
là  le  travail  personnel  et  c'est  en  même  temps  le 
grand  plaisir  du  lecteur  lui-même  ;  la  littérature 
ne  s'apprend  pas,  on  la  goûte,  on  en  jouit,  et  tous 
les  jugements  d'écolo,  toutes  les  doctrines  de  com- 
mande qu'on  peut  trouver  dans  les  livres  ne  valent 
pas  la  moindre  impression  personnelle,  l'émotion 
spontanée  et  vraie  qu'on  aura  sentie  en  présence 
d'une  scène  du  Cid,il'lfthigénv!  ou  du  Misanthropp. 
Nous  voulons  seulem.eni  faciliter  l'étude  du  maî- 
tre, soit  pour  lui-môme,  soit  en  vue  de  son  école, 
en  lui  donnant  un  certain  nombre  de  renseigne- 
ments sur  les  origines  et  la  donnée  du  sujet,  sur 
telles  ou  telles  circonstances  de  milieu,  d'épo- 
que, etc.,  qui  éclairent  la  pièce  ;  nous  signalerons 
en  outre  le  caractère  général  de  celle-ci  et  les 
points  les  plus  saillants. 

TRAGÉDIE 


CornrDIe.  —  Le  Cid  (10361.  —  Comme  il  a  été 
dit  à  l'articbi  Cnrneille,  le  Cid,  qui  est  la  première 
grande  œuvre  dramatique  de  Corneille,   parut  en 
1630,  presque  au  lendemain  de  la  prise  de  Corbie. 
Lepiemier  chef-d'œuvre  de  notre  théâtre  national 
n'est  point   (V.  l'article  qui  précède)  emprunté  !i 
notre  histoire  nationale,  qu'on  ne  connaissait  guère 
au  XVII'  siècle.  Bien  que  l'Espagne  fût  notre  enne- 
mie, sa   littérature  chevaler.sque  avait  alors  une 
grande  influence,  et  Corneille,  pour  sa  part,  y  prit 
tous  les  sujets   tragiques  qu'il  n'emprunta  pas   à 
l'antiquité.  Le  Cid,  qui  s'appelait  Rodrigue  Diaz  de 
Bivar,  est  un  héros  castillan  du  xr  siècle  ;  il  se 
signala  par  ses  exploits  sous  les  règnes  de  Ferdi- 
nand, Sanche  II  et  Alphonse  VI,  rois  de  Léon  et 
de  Caslille.    Disgracié  sous   Alphonse   VI,  il   ras- 
sembla, dans  sa  retraite,  ses  vassaux  et  ses  amis, 
marcha  contre  les  Maures,    s'empara   de  Tolède, 
de  Valence,  et  regagna  ainsi  la  confiance   du  roi. 
Les   rois    maures   qu'il  avait   vaincus   lui  avaient 
décerné   le   titre    de  Seul  oii  Cid,  qui   veut  dire 
seigneur;  on  le  surnomma  aussi  Campeador,  mot , 
qui  parait  signifier  le  héros  des  camps.  Tel  est  le  , 
Cid  de  l'histoire  ;  mais  la  légende  a  ajouté  à  sa  vie 
toutes   soites   d'aventures    romanesques;    elle   a 
imaginé,  en   particulier,    que,  dans  sa  jeunesse, 
pour  veng  T  un  affront  fait  à  son  vieux  père  don  | 
Diètiue,  il  avait  été  forcé  de  se  battre  en  duel  avec 
le  comte  de  Gormas,  père  de  la  belle  Chimène,  qu'il 
aimait.    Cette  aventure,  chantée   sous  différentes 
formes  par  les  poètes  espagnols,  venait,  en  1615, 
d'inspirer  à  Guillen  ou  Guilhem  de   Castro  une 
sorie    de    drame    narratif,    où   il   développait  les 
principaux  épisodes  de  la  jeunesse  du  Cid  :  c'est 
là  que  Corneille  a  puisé.  Ce  que  Guillen  de  Cas- 
tro  présentait    en    tableaux,    destinés    surtout   à 
frapper    les    yeux,   Corneille  l'a  resserré  et   rac- 
courci, l'adaptant  aux  exigences  de  la  scène  fran- 
çaise, soumise  à  la  loi  des  trois  unités.  Il  a  sur- 
tout transformé  le  drame  espagnol  en  y  introdui- 
sant une  grande  et  magnifique  idée  morale,  celle 
de  la  lutte  de  la  passion  la  plus  ardente  et  la  plus 
exallée,  l'amour  de  Rodrigue  pour  Chimène  et  de 
Chiinèno  pour  Rodrigue,  contre  le  devoir  d'hon- 
neur qui  force  Rodrigue,  pour  venger   sou  père, 
it  tuer  le  père  de  Chimène,  et  Chimène  à  pour- 
suivre Rodrigue,  tout  en  ne  pouvant  se  défendre 
de  l'admirer  et  de  l'aimer.  Toute  la  pièce  française 
est  là.  Si   l'on   en  retranche  un   rôle  accessoire, 


celui  de  l'infante  dona  Urraque,  qui  tient  si  peu  à 
l'action  que  sur  le  théâtre  on  le  supprime  d'ordi- 
naire tous  les  développements  ont  pour  objet  de 
mettre  en  relief  l'héroïsme  des  deux  généreux 
amants,  et  le  rideau  tombe  sur  ces  paroles  du  roi 
don  Fornand,  qui  remettent  à  un  avenir  lointain  le 
dénouement  moralement  impossible  de  cette  situa- 
tion extraordinaire  : 

Laisse  faire  le  temps,  la  vaillance  et  ton  roi. 
A  part  le  hors-d'œuvre  que  nous  avons  signalé, 
à  partquelques  subtilités  et  quelques  exagérations, 
dont  Corneille  ne  se  débarrassa  jamais,  et  qui  ne 
feront,  au  contraire,  que  s'accroître  dans  ses  œu- 
vres ultérieures,  jusqu'à   finir   par  y  étouffer  le 
raisonnable  et  le  naturel,  tout  est  beau,  tout  est 
grand,  tout  est  naïvement  et  largement  jeune  dans 
I  ce  premier  élan  d'un  génie  qui  s'ignorait  encore, 
'  que  les  applaudissements  n'avaient  pas  gâte,  que 
1  la  contradiction  n'avait  pas  poussé  à  l'entêtement 
i  et  au  système.  S'il  y  a  lieu,  toutefois,  de  faire  un 
!  choix  entre  les  plus  remarquables  parties  du  drame, 
celles  qu'il   faudrait  citer  de  préférence   sont  la 
1  scène   où  don    Diègue  réclame    contre  le  comte 
le  secours  de  son  fils  (acte  I,  scène  v)  ;  celle  où 
Rodrigtie  provoque  le  père    de  Chimène  (acte  11, 
scène  ii)  ;  les  deux  entretiens  de  Rodrigue  avec 
Chimène   (acte  III,  scène  iv   et   acte  V,  scène  i)  ; 
c'est  dans  la  première  de  ces  deux  scènes  que  se 
trouvent  ces   accents  de  tendresse  délicate,  rares 
chez  un  poète  comme  Corneille,  et  que  '  on  a  pu 
comparer  aux  plus  beaux  passages  correspondants 
du  Romeu  et  Juliette  de  Shakespeare  : 

Rodrigue,  qui  l'eût  cru?  -  Chimène,  q.ii  l'cûl  dit?... 
_  Que  uotre  heui-  fùl  si  i.roche  et  si  lot  se  perdu? 
La  seconde,  bien  que  renouvelant  la  situation, 
est  peut-être  plus  belle  encore.  La  main  de  Chi- 
mène est  promise  à  celui  qui  aura  vaincu  pour 
elle.  Contre  don  Sanche,  contre  le  champion  de 
Chimène,  Rodrigue  ne  se  défendra  pas.  1  le  lui 
dit,  et  elle  sait  bien  qu'il  le  fera  comiue  il  le  dit. 
C'en  est  trop  pour  la  malheureuse  ;  elle  ne  veut 
pas,  quoi  quelle  ait  dû  faire,  que  Rodrigue  meure  ; 
elle  ne  veut  pas  surtout  être  la  femme  d  un  autre. 
Et  c'est  alors  qu'elle  jette  ce  cri  qui  révèle  si 
admirablement  toutes  les  angoisses  de  son  anie  . 


vainqueur  d'un  coml.at  dont  r.himêne  est  le  prix. 
Adieu  :  ce  mot  lâché  me  fait  rougir  de  honte. 
Enfin    le  célèbre  récit  de  la  défaite  des  Maures 
(acte  IV,  scène  m)  est  un  véritable  clief-d  œuvre 
d'éloquence  militaire;  «  on  y  entend,  dit  fort  jus- 
tement M.  Gustave  Merlet  {Htudes  littéraires  sur 
le<  classiques  français  de  la  rhétorique  et  du.  bac- 
calauréat es  lettres),  comme  le  chant  du  clairon.  . 
Sur  le  succès  qu'obiint  le  Cid  lors  de  son  appa- 
rition et  sur  l'opposition,  en   quelque  sorte  ofh- 
cielle,  que  souleva  ce  succès,  V.  1  article  Cornei'le. 
Horace  (103;i).  -  Horace  est   le  poème  du  pa- 
triotisme. Il  a  été  inspiré  à  Corneille  par  quelques 
pages  du  premier  livre  des  Décades  de  Tiie-Live. 
La  légende  que  conte  Tite-Live  est  bien  connue 
Sous  îe  règue  de  Tullus  Hosliliu.i,  Rome  étant  ea 
guerre  avec  Albe,  trois   frères  romains,  du  nom 
d'Horace,  combattirent  pour  leur  patrie  contre  troi» 
frères  albains.  du  nom  de  Curiace,  choisis  comme 
champions  de  la  ville  d'Albe,  pour  décider  lequel 
des  deux  peuples  commanderait  à   1  autre.   Ui.ux 
des  lloraces  furent  tués  au  commencement  du  com- 
bat   et  les  trois  Curiaces  furent  inégalement  bles- 
sés. Alors  le  troisième  Horace  f«i|'",V'"=  '  ^Veurs 
puis,  voyant  que  les  Curiaces,  affaiblis  par  leurs 
blessures,  ne   pouvaient   le  suivre  qu  à  "»«<;"- 
taine  distance  les  uns  des  autres  il  ''Cvint  sur  eux 
et  les  tua  successivement.  L'un  des  ""«'^.^"""«^^ 
était  fiancé  à   Camille,  sœur  d  Horace  ;  "'"  «  fe* 
reuroches    de    Camille,    qui   pleurait  son    hai  çé, 
1  Horace  la  tua  en  rentrant  dans  Rome.  On  le  défera 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2173  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


auxjuRos,  qui  le  condamneront  à  mort:  mais  il  on 
a|)p(^la  au  pBiiplo  qui,  sur  l'éloquent  plaidoyer  de 
son  vieux  pèri-,  l'obligea  seulement,  comme  meur- 
trier, ,'i  passer  sous  le  joug.  C'est  cette  sauvage 
histoire  que  Corneille  a  prise  pour  tl)6me,  se  bor- 
nant ;"i  y  ajouter,  pour  compliquer  et  pour  complé- 
ter l'iiitérÈt.  que  Sabine,  sœur  des  Curiaces,  est 
mariée  il  l'ainé  des  Horacus;  et,  d'autre  part,  pour 
simplifiiT  l'action,  ne  faisant  paraître  sur  la  scène 
que  l'aîné  de  chacune  des  deux  familles.  Enfin,  le 
récit  du  combat,  qui  est,  naturellement,  tout  d'une 
haleine  dans  Tite-Live,  est  coupé  dans  la  pièce  fran- 
çaise, et  rapporté  au  vieil  Horace  par  deux  per- 
sonnes difl'érentes,  afin  de  ménager  des  péripéties. 
Pour  tout  le  reste.  Corneille  i  suivi  Ïite-Live,  si 
bien  qu'on  a  pu  dire  justement  qu'il  y  a  trois 
drames  dans  son  drame  :  Horace  (.liampion  de 
Rome  et  vainqueur,  Horace  meurtrier  de  sa  sœur 
Camille,  Horace  défendu  par  son  père  et  absous, 
non  par  le  peuple,  —  les  bienséances  du  théâtre 
français  au  xvii'  siècle  ne  permettaient  pas  de 
produire  une  foule  sur  la  scène,  —  mais  par  le 
roi. 

Tout  l'intérêt  est  dans  l'analyse  des  caractères. 
Celui  du  vieil  Horace  est  connu  par  des  traits  qui 
seront  éternellement  cités.  Quand  on  vient  lui 
apprendre  que  ses  trois  tils  sont  choisis  pour  sou- 
tenir la  cause  de  Rome,  et  que  leurs  adversaires 
sont  des  amis,  des  alliés  à  sa  famille,  entouré  de 
Sabine  et  de  Camille  qui  pleurent,  il  a  lui-même 
les  larmes  aux  yeux  ;  mais  le  citoyen  l'emporte  : 

Faites  votre  devoir,  et  laissez  faire  aux  dieux. 

Plus  tard,  trompé  par  le  récit  incomplet  du  com- 
bat, qui  lui  a  fait  croire  que  son  fils  aîné  a  trahi, 
en  s'enfujant,  la  cause  de  Rome,  lorsqu'on  cher- 
che devant  lui  à  excuser  cette  fuite  honteuse  : 

Que  voulluz-vous  qu'il  fitcoutie  trois?  —  Qu'il  mourut! 
s'écrie-t-il,  et  ce  cri  du  patriotisme  est  un  des 
plus  sublimes  clans  d'héroïsme  que  jamais  poèta 
ait  inventés. 

A  ce  même  point  de  vue  du  patriotisme,  il  n'y 
a  peut-être  dans  aucun  théâtre  une  scène  plus 
hautement  tragique  que  celle  oïl  Horace  et  Cu- 
riace  viennent  d'apprendre  le  choix  qu'ont  fait 
d'eux  leurs  concitoyens  (acte  H,  scène  ml.  L'âpre 
vertu  d'Horace  est  tellement  désintéressée  cju'elle 
en  parait  presque  barbare  ;  celle  de  Guriace  est 
plus  humaine  : 

Àlbe  vous  a  nommé,  je  ne  vous  connais  plus. 

—  Je  vous  cunuais  cucure,  et  c'est  ce  qui  me  tue. 

Que  l'on  joigne  à  ces  beautés  les  célèbres  impréca- 
tions de  Camille  ^acte  IV,  scène  v),  peut-être,  au 
gré  de  notre  goùl  moderne,  un  peu  trop  poussées  à 
l'effet  ;  joignez-y  ejicure,  au  cinquième  acte,  le 
plaidoyer  du  vieil  Horace  pour  son  fils  (scène  m), 
admirablement  traduit  de  Tite-Live,  et  l'on  com- 
prendra l'enthousiasme  qui  accueillit,  au  moment 
de  son  apparition,  le  deuxième  chef-d'œuvre  de 
Corneille. 

Cinna  (IGSO).  —  Ciiina  est  une  pièce  toute  po- 
litique, on  pourrait  dire  toute  monarchique.  La 
donnée  en  a  été  fournie  i  Corneille  par  un  passage 
du  traité  de  Sénèque  sur  la  clémence,  dans  lequel 
le  philosophe  latin  raconte  qu'un  certain  Cinna, 
fils  d'une  petite-fille  de  Pompée,  conspira  contre 
Auguste,  quoiqu'il  eût  été  personnellement  com- 
blé de  ses  bienfaits,  et  que  l'empereur,  sur  l'in- 
tervention de  sa  femme  Livie,  lui  pardonna.  C'est 
d'après  cette  donnée  que  Corneille  a  bâti  sa  fable, 
imitant  quelques-uns  des  développements  de  Sé- 
nèque, par  exemple,  dans  le  monologue  d'Auguste 
au  quatrième  acte  (scène  ii)  : 

Mais  quoi  1  toujours  du  sang  et  toujours  des  supplicesl... 

Il  l'a    imité  aussi  dans  la  grande  scène  de   la 


réconciliation  et  du  pardon  (acte  V,  scène  i),  qui 
commence  par  ces  vers  connus: 

Prends  un  sièpe,  Cinna.  prends,  et,  sur  toute  chose, 
Oljserve  exactement  la  loi  que  je  l'impose...,  etc. 

On  retrouve  dans  le  texte  de  Sénèque  la  pre- 
mière idée  du  célèbre  trait  : 


Soyons  î 


s,  Ciun 


est  moi  qui  t'en  convit 


Mais  Corneille  a  singulièrement  modifié  le  fond 
emprunté  h  Sénèque.  A  cùté  do  Cinna,  il  place  un 
autre  conspirateur,  Maxime,  qu'il  suppose,  comme 
Cinna,  devenu  lo  favori  d'Auguste,  et,  pour  les 
inspirer  et  les  pousser  tous  les  deux,  une  femme, 
Emilie,  fille  de  Toranius,  jadis  tuteur  d'Auguste 
et  proscrit  par  lui  durant  le  triumvirat.  Auguste 
traite  Emilie  en  fille  adoptive,  mais,  malgré  tous 
les  bienfaits  de  l'empereur,  Emilie,  Cinna  et  Maxi- 
me, sous  son  propre  toit,  s'unissent  pour  l'assas- 
siner. Heureusement  pour  Auguste,  Cinna  prétend 
i  la  main  d'Emilie  ;  Maxime  est  secrètement  jaloux 
de  lui,  et  il  se  décide,  sur  les  conseils  de  l'affran- 
chi Euphorbe,  à  trahir  ses  complices,  ce  qui  donne 
lieu  il  l'acte  de  clémence  par  lequel  se  dénoue  la 
pièce. 

Toute  cette  basse  et  assez  vulgaire  intrigue  est 
singulièrement  relevée  par  les  caractères  des  prin- 
cipaux personnages,  Cinna,  Emilie  et  surtout  Au- 
guste. 

Cinna  est  jeune  et  sincère  ;  il  sent  tout  l'odieux 
de  sa  conduite  en  présence  de  la  confiance  géné- 
reuse d'Auguste,  mais  il  se  jette  aveuglément  dans 
le  crime  pour  mériter  l'amour  d'Emiliu  : 

Vous  me  faites  priser  ce  qui  me  déshonore; 
Vous  me  faites  haïr  ce  que  mon  àme  adore  ; 
1      Vous  me  faites  répandre  un  sau;j  pour  qui  je  dois 
Exposer  tout  le  mien  et  raille  et  mille  fois  ; 
Vous  le  vuulez,  j'y  cours,  ma  parole  est  donnée; 
Mais  ma  main,  aussitôt  coiilro  mon  sein  luupiiée, 
Aux  mânes  d'un  tel  prince  immolant  votre  amant, 
A  mon  crime  forcé  joindra  mon  châtiment... 

(Acte  lit,  scène  iv.) 

Emilie  est  une  sorte  de  Frondeuse  à  l'instar  de 
M""  de  Longueville  ou  de  la  duchesse  de  Che- 
vrensc;  si  l'on  veut  même,  une  Charlotte  Corday, 
à  qui  le  souvenir  de  son  père  et  l'amour  des  prin- 
cipes républicai[is  détruits  par  Auguste  ont  mis 
le  poignard  à  la  main.  C'est  ainsi  qu'elle  justifie, 
avec  une  incontestable  grandeur,  son  ingratitude 
h.  l'égard  de  son  bienfaiteur  : 

Il  peut  faire  trembler  la  terre  sous  ses  pas. 
Mettre  nu  i  oi  hors  du  Iroiie  et  douuer  ses   Etats, 
De  ses  proscriplious  rouj^ir  la  terre  cl  l'oude. 
Et  changer  a  sou  gré  l'ordre  de  tout  le  monde  ; 
Mais  le  cœur  d'Emilie  est  hors  de  son  pouvoir. 

(Acte  lu,  scène  iv.) 
Hautaine  et  amère  devant  Maxime,  dont  elle  a 
deviné  la  trahison  (acte  IV,  scène  v),  elle  ne  l'est 
pas  moins  devant  Auguste,  quand  le  complot  est 
découvert  (acte  V,  scène  ii),  et  ses  seiuiments 
semblent  alors  si  vrais  et  si  profonds  que  sa  tar- 
dive conversion,  peut-être  nécessaire  pour  le  plus 
grand  bien  du  dénouement,  nous  laisse  malgré 
nous  un  peu  incrédules. 

Maxime,  dont  l'intervention  était  peut-être  né- 
cessaire aussi  pour  le  dénouement,  n'est  ni  assez 
passionnément  épris  d'Emilie  pour  qu'on  s'attache 
!i  son  amour,  ni  assez  profondément  hypocrite  pour 
que  sa  trahison  excite  la  terreur.  Son  indécision 
et  ses  revirements  no  sont  ni  expliqués  ni  intéres- 
sants. Corneille  eût  également  bien  fait  de  laisser 
à  Sénèque  lo  rêle  de  l'impératrice  Livie,  venant 
conseiller  à  son  époux  une  générosité  qui  eût 
été  plus  entière,  venant  de  lui-même. 

(Juoi  qu'il  en  soit,  tout  le  beau  rôle  est  pour 
Auguste,  dont  Corneille  a  ici  tracé  un  portrait 
assurément  beaucoup  trop  llatté.  C'est  pour  lui 
l'idéal  de  la   grandeur,  un   Louis   XIV    anticipé, 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2174  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


avec  je  ne  sais  quel  haut  sentiment  du  vide  de  la 
grandeur  même  : 

L'ambition  déplaît  quand  elle  est  assouvie, 
D'une  contraire  ardeur  son  ardeur  est  suivie, 
Et  comme  notre  esprit,  jusqu'ai  dernier  soupir, 
Toujours  vers  quelque  objet  pousse  quelque  désir, 
Il  se  ramène  en  soi.  n'ayant  plus  où  se  prendre, 
£t,  moulé    sur    le   faîte,    il   aspire   à   descendre. 
(Acte  II,  scène  i.) 

A  cette  élévation  de  laponsée  Auguste  joint  aussi 
celle  des  sentiments  : 

Je  suis  maître  de  moi  comme  de  l'univers. 

(Acte  V,  scèue  iii.) 

C'est  une  véritable  apothéose  de  la  majesté  du 
souverain. 

Aussi  bien,  d'ailleurs,  pour  mieux  faire  valoir 
cette  idée,  qui  ressort  de  toute  sa  pièce,  Corneille, 
dans  une  de  ces  scènes  qu'il  affectionnait  et  qui 
étaient  fort  au  goût  de  son  temps,  a-t-il  iiitroduit, 
sous  la  forme  d'une  sorte  de  conseil  tenu  entre 
Auguste,  Cinna  et  Maxime,  toute  une  consultation 
politique  sur  les  avantages  respnctils  da  la  répu- 
blique et  de  la  monarchie  (acte  II,  scène  i).  C'est 
dans  le  cours  de  cette  discussioji  que  Ciiina,  qui 
tient  pour  la  monarchie,  prononce  ce  vers  si 
connu,  que  ne  ratifierait  point,  quoique  la  ques- 
tion s'agite  encore,  l'immense  majorité  de  notre 
société  contemporaine  : 

Le  pire  des  États,  c'est  l'Etat  populaire. 

Polyeuote  (1640).  —  Un  passage  obscur  d'une 
Vie  des  saints,  comme  il  est  dit  à  l'article  Cor- 
neille, suggéra  à  l'auteur  du  Cii/,  d'Horace  et  de 
Cinnii  l'idée  d'une  pièce  à  laquelle  l'impression 
des  discussions  théologiques  de  son  temps  entre 
jansénistes  et  jésuites  ne  fut  pas  sans  doute  étran- 
gère, et  par  laquelle  le  poète  se  rattachait,  sans 
s'en  douter,  aux  traditions  séculaires  de  la  partie 
sérieuse  du  vieux  théâtre  national.  Le  martyre  de 
saint  Polyeucte  eût  été  accepté  au  moyen  âge 
comme  un  véritable  mystère  ;  mais  Corneille  en 
a  su  faire  une  pièce  moderne  par  l'ordonnance, 
les  situations  et  le  sentiment. 

Rien  de  plus  synipailiique,  par  exemple,  que  le 
personnage  de  Pauline,  tel  que  l'a  conçu  Cor- 
neille. Pauline  est  avant  tout  et  par  dessus  tout 
une  honnête  femme.  Son  héroïsme  est  celui  du 
dévouement  dans  l'état  de  mariage  et  de  la  fidélité 
conjugale.  C'est  un  idéal,  au  premier  abord,  très 
terre  à  terre  et,  qu'on  nous  permette  le  mot,  très 
bourgeois,  mais  que  Corneille  a  su  porter  jus- 
qu'aux plus  hautes  extrémités  de  la  venu  et  du 
sacrifice,  en  plaçant  Pauline  dans  une  situation 
extraordinaire  et  en  lui  donnant  une  ànie  digne 
de  cette  situation.  Mariée  par  obéissance  plutôt  que 
par  suite  d'une  vive  inclinaiion,  n'ayant  point  à 
rougir  d'un  premier  sentiment  plus  doux  et  plus 
tendre  dont  elle  a  été  la  première  à  faire  confi- 
dence à  son  époux,  fidèlement  attachée  à  Polyeucte, 
elle  sent  en  quelque  sorte  croître  l'affection  sin- 
cère qu'elle  a  pour  lui,  à  mesure  aussi  que  croit 
son  estime,  smi  admiration  et  son  enihousiasme 
pour  une  venu  et  une  grandeur  qu'elle  comprend, 
quoiqu'il  lui  en  coûte. 

Seigneur,  de  vos  bontés  il  faut  que  je  l'obtienne  : 
Elle  a  trop  de  vertus  pour  n'être  pas  cbrêtienne, 

dit  Polyeucte;  et,  en  effet,  chrétienne  ou  non, 
elle  s'est  portée  comme  naturellement  au  même 
degré  de  vertu  et  de  désintéressement  idéal  que 
le  martyr. 

Elle  l'aime  d'autant  plus  qu'elle  le  sent  plus 
près  de  lui  échapper  : 

Mon  Polyeucte  touche  à  sou  heure  deruiere. 

Et  l'on  comprend  que,  cette  heure  venus,  elle 
veuille  lui  appartenir,  par  delà   la  mort,  en   ac- 


ceptant, d'enthousiasme,  la  foi  religieuse  qui  l'a 
fait  si  grand  : 


De  ce  bieoheureu 


,  je  crois,  je  suis  désabusée 


baptisée. 
(Acte  V,  scène  v.) 


Quant  à  Polyeucte.  c'est  le  croyant,  que  la  vi- 
sion des  choses  divines  détache  à  un  tel  point  des 
choses  de  ce  monde,  qu'il  finirait  peut  être  par 
ne  plus  exciter  de  notre  part  une  pitié  et  une 
sympathie  dont  il  ne  semble  avoir  aucun  besoin 
ni  aucun  désir,  si  l'on  ne  saisissait  au  fond  de  son 
être  cet  ardent  amour  de  la  vérité,  contemplée 
et  po'iséilée,  amour  qui,  lui  aussi,  poussé  à 
l'extrême,  peut  devenir  une  réelle  passion,  la 
plus  pure  peut-être  et  la  plus  haute  de  toutes. 
C'est  cette  foi  passionnée  qui  lui  dicte  ses  actes 
et  lui  inspire  ses  plus  belles  paroles,  dout  plu- 
sieurs sont  vraiment  sublimes  : 

Je  n'adore  qu'un  Dieu,  maître  de  l'univers. 
Sous  qui  tremblent  le  ciel,  la  terre  et  les  enfers, 
(.\cte  y,  scène  m.) 
et,  à  la  fin  de  la  scène  : 


Où  le  conduisez-v 


'  —  A  la  mort.  —  A  la  gloire  ! 


A  côté  de  ces  deux  p-rsonnages,  qui  font  pres- 
que à  eux  seuls  tout  le  drame.  Corneille  a  placé  le 
caractère,  un  peu  effacé,  bien  que  sympathique, 
de  Sévère,  et  aussi  celui  de  Félix,  assi;z  vulgaire 
ei  assez  poltron,  attaché  surtout  à  ses  intérêts, 
et  dont  la  conversion  finale  se  comprend  beau- 
coup moins  que  celle  de  sa  fille  ;  l'action  surna- 
turelle de  la  grâce  se  substitue  ici,  dans  la  pen- 
sée de  Corneille,  aux  mobiles  ordinaires  de  l'hu- 
manité; mais  il  n'y  a,  au  théâtre,  que  ceux-1^ 
dont  nous  puissions  être  touchés. 

Fontenelle  a  dit  de  Po/j/eucic-a  Je  crois  qu'après 
avoir  atteint  jusqu'à  Cinna,  Corneille  s'est  élevé 
jusqu'à  Po/i/'-ucte,  au-dessus  duquel  il  n'y  a  plus 
rien.  »  Rien,  voulait-il  dire,  dans  le  reste  du 
théâtre  tragique  français;  rien,  à  tout  le  moins, 
dans  le  reste  du  théâtre  de  Corneille  lui-même  : 
Polyeucte  marque  le  pomt  culminant  de  son 
génie. 

Pompée  (1641).  —  C'est  à  cette  pièce  que  com- 
mence ce  qu'on  pourrait  appeler  la  seconde  ma- 
nière de  Corneille  :  choix  de  sujets  moins  propres 
à  la  scène,  complication  de  l'intrigue,  prédomi- 
nance de  la  subtilité,  de  la  logique  à  outrance  sur 
l'expression  spontanée  et  émue  des  sentiments 
vrais;  ce  que  M.  Cousin  a  justement  appelé  le 
ton  cornélien  ne  se  soutenant  plus  que  par  inter- 
valles, pour  dégénérer  trop  souvent  ni\  prose  dé- 
clamatoire; la  simplicité  iransforméo  en  trivialité, 
le  grand  et  le  noble  en  démesuré,  en  étrange  et 
en  romanesque. 

Pompée,  qui  avait  eu  pour  premier  titre  La 
moit  de  Pompée,  est,  en  effet,  ce  qu'on  pourrait 
appeler  une  étude  historique  sou»  forim'.  de 
drame  —  il  y  en  a  ainsi  plusieurs  dans  Corneille  — 
dont  le  sujet  est  la  mort  de  Pompée,  présentée 
par  Corneille  à  l'aide  d'un  récit,  et  toutes  les 
conséquences  qui  s'ensuivirent.  Les  circonstances 
de  cetie  mort  sont  bien  connues.  Après  Pliarsale, 
Pompée  avait  voulu  se  retirer  en  Egypte,  comptant 
qu'il  serait  bien  reçu  par  le  roi  Ptolémée.  Mais 
les  ministres  de  Ptolémée,  peu  soucieux  d'accueillir 
ce  vaincu,  envoyèrent  à  sa  rencontre  une  barque, 
sous  prétexte  de  le  conduire  au  roi.  A  peine  y 
était  il  descendu  qu'on  l'assassina,  sous  lus  yeux 
mûmes  de  sa  femme  Cornclie  et  de  son  fils  Sextus, 
qui,  de  leur  gilère,  le  virent  périr.  (;esar  avait 
suivi  Pompée  comme  à  la  pistn.  A  son  arrivée, 
on  lui  présenta  la  tête  de  son  rival;  il  ilOiourna 
les  yeux  avec  horreur.  De  là  toute  une  série  de 
complications.  Sentant  qu'ils  ne  pouvaient  compter 
sur  le  prix  de  leur  crime,  les  ministres  de  Pto- 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2175 


THEATRE  CLASSIQUE 


Icniée  conspirèrent  contre  Ci^sar.  César,  de  son 
côlô,  séduit  par  les  charmes  lie  la  sœur  du  roi. 
la  fameuse,  Oléopàtre,  chercha  à  l'établir  sur  le 
trône,  au  détriment  du  roi  lui-môme.  Il  y  eut 
guerre  dans  Alexandrie,  dont  une  parlie  brûla, 
avec  la  bibliothèque.  A  la  fin,  la  vicioire  resia  aux 
Romains,  Ptolcmée  se  noya  dans  lo  Nil,  et  Cléo- 
pâtre  devint  reine.  Corneille,  en  ajustant  tous  ces 
événements  aux  convenances  du  tliéàire,  s'est 
in.splré  ile.s  divers  écrivains  qui  les  ont  racontés, 
particulièrement  de  Plutarquo,  et  aussi  du  poète 
latin  Lucain,  qui  les  a  chantés  dans  sa  l'/mrsale, 
non  sans  une  certaine  grandeur,  mais  avec  grand 
renfort  d'antithèses  et  de  mois  à  eflfet.  Il  a, 
d'ailleurs,  supposé,  contrairement  aux  données 
liistori(|Ucs,  que  la  veuve  de  l'oinpce,  Cornélie, 
avait  éié  l'aile  prisonnière  après  la  mort  de  son 
époux;  dans  le  palais  de  l'iolémée,  entre  César 
qu'elle  hait  en  Romaine  et  les  ténébreux  complots 
qui  se  dressent  traîtreusement  contre  son  ennemi, 
il  lui  a  prêté  un  rôle  d'héroisme  et  de  générosité 
saisissante,  bien  que  tant  soit  peu  déclamatoire; 
le  cri  qu'elle  pousse  au  quatrième  acte  (scène  iv)  : 
César,  prends  ganle  à  toi, 

est  un  très  beau  coup  de  théâtre,  et  il  y  a  des 
traits  vigoureux  dans  la  scène  du  dénouement 
(acte  V,  scène  ivj,  qui  commence  ainsi  : 


César,  tiens-moi  parole,  et  i 


nds  mes  gale 


Quant  au  caractère  de  Cléopàtre,  on  peut  dire 
que  Corneille  n'y  a  rien  compris,  et  on  ne  peut 
s'empêcher  de  sourire  à  tous  les  soins  C|u'il  prend 
pour  sauvegarder  la  grandeur  et  la  dignité  do  la 
lulure  maîtresse  d'Antoine. 

Rodogune  (IC4(i).  —  Un  historien  qui  n'est 
guère  coriim  que  des  érudits,  Appien,  a  fourni 
à  Corneille  le  sujet  de  lloi/oi/tine,  «  princesse  des 
Partîtes,  n  suivant  le  titre  qu'il  lui  donne,  —  et 
il  faut  t)ien  avouer  que  c'est  une  assez  singulière 
idée  d'avoir  été  chercher  un  thêmo  dramatique 
dans  les  annales  d'un  peuple  aussi  éloigne  de  nous. 
Sans  compter  qu'en  soi  la  noire  intrigue  de  palais  qui 
fait  le  fond  de /((/ojHne  n'a  rien  de  bien  intéressant. 
Cette  liaine  de  deux  femmes  ([ui  veulent  par  les 
mêmes  moyens  se  débarrasser  l'une  de  l'autre  ne 
saurait  guère  iiuus  attacher  à  Rodogune  plus  qu'il 
Cloopàlre  ou  :\  Cléopàire  plus  qu'il  Rodogune,  et 
l'amour  nn  peu  banal  de  deux  jumeaux  pour  une 
môme  femme  ne  relevé  pas  beaucoup  les  déve- 
loppements compliques  et  plus  ou  moins  invrai- 
semblables des  quatre  premiers  actes.  La  pièce 
ne  s'échauffi!  qu'au  cinquième,  aux  accents  pas- 
sionnés et  pre»quo  sauvages  de  l'iinplacable  Cléo- 
pàtre : 

Tombe  sur  moi  le  ciel,  pourvu  que  je  me  venge  ! 

Elle  s'est  déjà  vengée,  en  assassinant  son  mari, 
qui  avait,  aimé  Rodogune.  Pour  atteindre  de  nou- 
veau sa  rivale,  que  défend  maintenant  l'amour  de 
ses  deux  fils,  elle  vient  de  faire  poignarder  l'un, 
et  elle  va  empoisonner  l'autre,  quand,  sur  un  cri 
de  Rodogune  : 

Cttte  c.iupc:  est  suspecte,  elle  vient  de  la  reine, 

se    sentant    soupçonnée    et   perdue,    elle    prend 
elle-mèine  le  poison 

A  la  scène  surtout,  ce  dénouement  imprévu  est 
d'ijri  grand  effet.  Comme  le  feront  plus  tard  l'A- 
grippine  et  l'Allialie  de  Racine,  Cléopàtre,  en  mou- 
rant, maudit  son  fils  : 


Va,  Il 

n 

e  Vi 

ni  en  i 

rappeler 

à  la 

Itia  h: 

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•  est 

trop  li 

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int  > 

o,r  rég, 

er 

ma  rit  aie 

eu  ir 

Je  t'ai  défait  d'un  pcre,  et  d'un  frère  et  de  moi  : 
Puisse  le  ciel  tous  deux  vous  prendre  pour  victimes, 
Et  laisser  clioir  sur  vous  les  peines  do  uies  crimes. 

Roi/oguiic  était,  dit-on.  celle  de  ses  pièces  que 
Corneille  aimait  le  plus;  malgré  tout  l'éclat  de  ce 
cinquième  aelc,  la  postérité  n'a  point  partagé 
cette  prédilection. 

Nicomède  ( I ll.'>2) .  —  Nicomède,  dont  le  cadre  a 
été  fourni  à  Corneille  par  quelques  lignes  de 
Justin,  peut  être  considéré  comme  une  de  ces 
études  dramatiques  de  politique  et  d'histoire  que 
nous  avons  s'gnalées.  C'est  le  tableau  d'une  des 
nombreuses  royautés  qui  s'étaient  formées  des 
débris  de  l'empire  d' Alexandre,  et  qui  ont  subsisté 
tant  bien  que  mal  jns(|u'à  ce  que  la  puissante  ré- 
publique romaine  vint  les  absorber  dans  son  unité 
insatiable  et  démesurée.  Corneille  nous  présente 
la  llilhynie  au  moment  où  Rome,  sous  couleur 
de  la  pacifier,  commence  Ji  s'en  assurer  la  posses- 
sion, en  réduisant  à  l'impuissance  ses  souverains 
nationaux.  Le  vieux  roi  l'rusias,  qui  a  livré  Anni- 
bal,  tremble  de  peur  sur  son  trône,  pour  peu  qu'il 
entende  quelque  mot  mal  sonnant  à  l'endroit  de 
ses  protecteurs  : 

Ahl  ne  me  brouillez  point  aicc  U  republinuel 

Attale,  son  second  fils,  a  été  envoyé  en  otage  à 
Rome,  et  il  en  est  revenu  tout  romain  de  cœur, 
noble,  d'ailleurs,  et  capable  d'un  enthousiasme 
généreux.  Laodice,  reine  d'Arménie,  et  surtout  le 
fils  aîné  de  Pnisias,  Nicomède,  forment  le  parti 
des  opposants.  Ce  Nicomède,  le  héros  de  la  pièce, 
a  bien  quelque  chose  d'outrecuidant  et  de  ma- 
tamore, qui  gale  un  peu  son  liéroisme  ;  mais,  en, 
présence  de  l'ambassadeur  de  Rome,  se  sentant 
entouré  de  toutes  sortes  de  petites  passions  à  qui 
son  mérite  fait  ombrage  et  fort  peu  soucieuses  de 
leur  dignité,  ce  fier  élève  d'Aiinibal  traduit  son 
mépris  par  des  traits  ironiques,  qui,  s'ils  déro- 
gent, comme  on  l'a  dit,  au  ton  de  la  tragédie, 
n'en  sont  pas  moins  empreints  d'une  énergie 
âpre  et  singulière,  (^'est  là,  dans  l'œuvre  de  Cor- 
neille, un  côté  nouveau  et  original,  si  original  et 
si  nouveau,  qu'on  a  pu  y  trouver  le  type  précur- 
seur et  en  quelque  sorte  la  forme  iiremière  des 
drames  encore  récenis  de  notre  théâtre  roman- 
tique. Hernani  et  Ruy-Blas  peuvent,  au  moins 
par  quelques  points,  se  réclamer  de  Nicomède. 
C'est,  dans  tous  les  cas,  une  des  plus  belles  trou- 
vailles de  Corneille  que  la  scène  où  il  met  en 
présence,  à  côté  du  tremblant  Prusias,  Nicomède 
et  Flaminius,  le  fils  d'un  des  vaincus  do  la  se- 
conde guerre  punitine.  Flaminius  a  toute  la  hau- 
teur que  peut  suggérer  la  conscience  do  la  force 
triomphante,  et,  quand  Nicomède  parle  (acte  II, 
scène  m)  des  bords  de  l'Hollespont,  des  bords 
de  la  mer  Egée,  du  «  reste  de  l'Asie  »,  que  soa 
épéc  et  celle  de  son  frère  pimnaieut  défendre, 
n  Rome,  répond  fièrement  Flaminius,  prend  tout 
ce  reste  en  sa  protection.  »  Mais  la  réplique  de 
Nicomède  est  écrasante  : 


i''% 


101  e  sur  ce  point  les  volontés  du 

pLUt-êtie  qu'un  jcur  je  dépcndr 
ous  V. >iisiil,,r,  l'eir.l  de  ces  n 


i  de  moi. 


Vous  p.iui 
Prépaie  ' 
DispM>.  I  1 
Et,  s.  fl.H 
Nous  poui 


1  liic  de  Trasiméne... 


Laodice,  qui  aime  Nicomède,  parle  volontiers- 
sur  le  môme  ton  ;  Flaminius  ne  réussit  pas  mieux 
avec  elle  qu'avec  Nicomède  iiiiund  il  fait  Taloir  la. 
puissance  du  Rome  .acte  III,  scène  m;  : 

r.arihagc  étant  détruite,   Antiochus  déf.dl, 
Kicn  de  nus  volontés  ne  peut  troubler  l'elTcl  ; 


THÉÂTRE  CLASSIQUE 


2176 


THEATRE  CLASSIQUE 


Tout  fléchit  sur  la  terre,  el  tout  tre 
Et  Rome  est  aujourd'liui  la  maili-cs: 
—  La  maîtresse  du  monde!  Ah!  voi 
S'il  ne  s'en  fallait  pas  l'Ai  inéoie  et  i 


fer 


•  l'onde, 
;  peur 


Le  cinquième  acte,  surchargé  d'iiicidfiiits  roma- 
nesques, et  qui  finit  par  un  embrassement  général, 
conclut  faiblement  ce  beau  drame,  ce  dernier 
mot,  nous  1  ;  répétons,  pouvant  presque  s'enten- 
dre ici  à  la  façon  moderne. 

■Cttcinp.  —  Andromaque  (IG07).  —  Corneille 
avait  soixante  et  un  ajis,  ei  il  ne  donnait  plus  au 
théâtre  q\i'Agésilas  et  Attila,  lorsque  Racine,  à 
vingt-huit  ans,  y  produisit  son  premier  chef- 
d'œnvre,  Andromaque. 

Nous  entrons  avec  Andromaque  dans  un 
monde  dramatique  nouveau;  nous  laissons  le 
monde  de  la  vertu,  de  l'honneur,  du  patriotisme, 
de  l'héroïsme  sous  toutes  ses  formes;  nous  sommes 
dans  le  monde  de  la  passion,  et  de  la  passion  la  plus 
agissante,  la  plus  décevante  et  la  plus  troublée, 
la  plus  violente  aussi  au  besoin,  la  passion  do  l'a- 
mour. Tout  ce  que  cette  passion  peut  suggérer  de 
sentiments  et  do  mouvements  à  la  fois  instinctifs 
et  réfléchis,  délicats  et  abandonnés,  d'apparence 
désordonnée  et  logiquement  contradictoires.  Ra- 
cine le  saisit  et  l'exprime  dans  une  langue  qui 
lui  appartient  et  dont  il  est  admirabh'ment  mailre, 
mélodieuse,  quoique  peu  sonore,  très  élégante  et 
très  raflinée,  mais  voilant  ■^es  liardios'irs  sous  les 
dehors  de  la  simplicité  et  de  la  sobriété.  Si  l'on 
en  excepte  quelques  traces,  cparses  el  rares,  des 
quintessences  de  bel  esprit  qui  furent  le  travers 
de  son  temps,  quelques  traces  aussi  de  ce  goût 
particulier  pour  le  romanesque  qui  lui  faisait  lire, 
à  Port-Royal ,  le  texte  grec  des  Amours  de 
Théagène  et  do  Chariclée,  Racine  est  déjà,  dans 
Andromiique,  le  a  poète  parfait  »  que  deux  siècles 
littéraires  entiers,  au  grand  détriment  de  leur 
pensée,  de  leur  goût  et  de  leur  style,  ne  se  las- 
seront pas  d'imiter.  Suivant  le  mot  très  juste  d'un 
de  nos  critiques  contemporains,  la  poésie  drama- 
tique française  sera  non  seulement  fixée,  mais 
Huée  aprèsRacine  (Voir,  p.  1783,  la  citation  de  Paul 
Albert). 

Mais  elle  est  vivante  dans  son  œuvre.  Il  prend 
ses  personnages  i  l'antiquité.  Ceux  à.' Andromaque 
lui  viennent  de  Virgile  et  d'Euripide;  mais  il  les 
transforme  sur  les  données  du  milieu  où  il  vit 
lui-même  et  de  ses  propres  sentiments.  Il  fau- 
drait, par  exemple,  lire  presque  page  pour  page 
VAndromaque  d'Euripide  et  celle  de  Racine, 
pour  en  sentir  la  différence.  •<  L'Andromaque  de 
Racine,  a  dit  justement  et  ingénieusement  Saint- 
Marc  Girardin,  est  prisonnière,  mais  elle  est 
honorée  et  respectée  ;  elle  a  une  confidente,  tan- 
dis que  l'Andromaque  antique  n'a  qu'une  com- 
pagne d'esclavage;  elle  est  reine  à  la  cour  de 
Pyrrhus,  comme  Jacques  II  était  roi  Ji  Saint- 
Germain,  parce  que,  dans  les  idées  modernes, 
les  rois,  môme  détrônés,  gardent  leur  rang  ; 
Pyrrhus  enfin,  malgré  la  violence  de  son  amour, 
est  un  maître  discret  et  respectueu.x,  qui  adore 
sa  captive,  mais  qui  croirait  s'avilir,  s'il  usait 
contre  elle  des  droits  de  l'esclavage  antique. 
Andromaque,  de  son  côté,  trouve  ce  respect  tout 
naturel.  L'esclave  antique  avoue,  en  baissant 
les  yeux,  (|u'elle  a  subi  l'amour  de  son  maitre  ; 
l'Andromaque  moderne  s'offense  à  l'idée  de  ne  pas 
rester  fidèle  à  la  mémoire  d'Hector,  et  elle  reluse 

la  main   de   Pyrrhus »   Une  civilisation    plus 

haute  que  la  civilisation  antique  a  passé  par  li, 
donnant  à  la  femme,  avec  la  conscience  plus  com- 
plète di'  sa  dignité,  plus  d'indépendance  effective. 
De  la  délicatesse  donc  et  de  la  pureté  dans  les 
sentiments,  mais  la  tyr;mnic  de  la  passion,  non 
plus,  comme  dans  Corneille,  combattue  et  réfré- 
née, mais  dominante  et  maîtresse,  chez  Pyrrhus 
jusqu'au  point  d'oublier  qu'il  est  le  fils  d'Achille, 


chez  Hermione  jusqu'à  la  fureur  jalouse,  chez 
Oreste  jusqu'à  l'assassinat  et  à  la  folie.  Il  est 
vrai  qu'elle  ne  règne  et  domine  qu'à  la  condition 
de  se  torturer  par  son  excès  même,  le  désospoir 
ou  la  jalousie.  Quoi  qu'il  en  soit,  l'idéal  dramati- 
que s'est  abaissé,  et  il  sera  ainsi  à  peu  près  sans 
exception  dans  toutes  les  pièces  de  Racine.  Il 
s'est  resserré  aussi  et  presque  uniquement  con- 
centré dans  une  seule  passion  ;  mais  l'analyse  er. 
est  poussée  si  profondément  que  sur  ce  point 
peut-être  il  n'a  jamais  été  donné  à  personne  d'al- 
ler au-delà.  Dans  Andromaque,  la  scène  entre 
Pyrrhus  et  Phénix  (acte  II,  scène  v),  celle  entre 
Pyrrhus  et  Andromaque  (acte  III,  scène  vi),  et 
enfin  la  célèbre  scène  du  dénouement  entre  Pyr- 
rhus et  Hermione  (acte  V,  scène  m),  sont,  à  cet 
égard,  de  véritables  chefs-d'oeuvre.  La  vérité  en 
est  si  vive  que,  dans  cette  poésie  classique  de 
Racine,  l'idée  de  noblesse  et  de  dignité  inhérente 
au  genre  tragique,  tel  qu'il  l'a  compris  et  for- 
mulé, s'oublie  et  s'efface.  C'est  ainsi  que  Pyrrhus 
dit  à  Phénix,  qui  le  presse  de  renoncer  à  voir 
Andromaque  : 

N'oD,  je  n'ai  pas  bien  dit  tout  ce  qu'il  faut  lui  dire  ; 
.Ma  coière  à  ses  yeui  n'  a  paru  qu'a  demi  ; 
Elle  ignore  à  quel  poiutje  suis  sun  euaemi. 
Rciournous-y... 

Retournons-y,  c'est  le  cri  de  la  passion  incon- 
sciente :  est-il  tragique  ou  comique  'f 

Hlus  tard,  quand  Andromaque,  craignant  pour  la 
vie  de  son  rils,  se  jette  aux  pieds  de  Pyrrhus,  et 
lui  adresse  dans  sa  douleur  qunlques  mots  qui  ont 
presque  l'air  d'être  tendres,  Pyrrhus  congédie  son 
confident  : 

Va  m'attendre,  PUœuix? 

N'est-ce  pas  là  de  la  comédie? 

En  dehors  de  ces  scènes,  qu'il  faut  étudier  poui* 
les  bien  sentir,  la  tirade  à  effet  des  «  fureurs  d'O- 
reste  »  (acte  V,  scène  v)  est  un  des  morceaux  les 
plus  renommés  de  notre  théâtre. 

Britannious  i.Ut)9\  —  Britarinirus  est  une  tra- 
gédie de  donnée  cornélienne.  Inspiré  par  le  récit 
de  'l'acite,  au  treizième  livre  des  Annales,  Racine 
a  voulu  représenti-r  les  débuts  de  Néron  dans  le 
crime,  «  le  monstre  naissant  »,  comme  il  le  dit 
dans  la  première  de  ses  préfaces,  .autour  du  mons- 
tre. Racine  a  liabilement  groupé  tous  les  person- 
nages qui  agissent  sur  lui,  et  dont  l'influence,  en 
bien  ou  en  mal,  va  précipiter  la  crise  décisive  : 
Agrippine,  sa  mère,  à  qui  il  doit  l'eiupire  et  qui  lo 
tient  encore  sous  sa  tutelle  ;  son  bon  et  son  mau- 
vais génie,  Burrhus,  le  collègue  do  Sénè(iue,  et 
l'affranchi  Narcisse,  qui,  pour  se  rendre  heureux, 
perd  volontiers  les  misérables;  Britannicus  enfin, 
le  propre  fils  de  Claude,  celui  qui,  sans  Agrippine, 
aurait  dû  être  l'empereur,  et  Junie,  sa  fiancée, 
dont  Néron  devient  jaloux.  Entre  ces  divers,  agents 
qui  calment  tour  à  tour  ou  excitent  ses  convoi- 
tisi'S,  Néron  demeure  quelque  temps  incertain  et 
irrésolu  ;  mais  il  a  comme  des  cris  qui  trahissent 
ses  fureurs  prochaines  : 
J'embiasse  mou  rival,  uiais  c'est  pour  l'étoutler. 

C'est  en  vain  qu'Agrippine  (acte  IV,  scène  II) 
lui  rappelle,  dans  un  développement  qu'on  peut 
rapprocher  de  tout  ce  que  Corjieille  a  fait  de  plus 
saillant  en  ce  genre,  tous  les  services  politiques 
qu'elle  lui  a  rendus.  Néron  redouta  sa   luère  : 

Mua  géuie  étouQé  tremble  devant  le  sien  ; 

(Acte  II,  scène  il.) 

mais  il  élude  son  autorité  par  d'hypocrites  pro- 
testations. C'est  en  vain  aussi  ciuo  Burrhus,  qui 
représente  dans  cette  pièce  l'honnêteté  et  la  con- 
science, ri'traçant  aux  yeux  de  l'empereur  le  spec- 
tacle touchant  des  premières  années  de  sou  règne 


THÉÂTRE   CLASSIQUE 


2177  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


(acte  IV,  scène  iii\  semble  être  parvenu  à  raviver 
eji  lui  quelque  éiincelle  de  bons  sentiments.  Nar- 
cisse, dans  une  scène  maîtresse  (acte  IV,  scène  iv), 
détruit  et  brise  pièce  à  pièce,  avec  une  habileté 
qui  l'a  fait  comparer  au  lago  de  Shakespeare,  l'œu- 
vre d'Agrippine  et  celle  de  liurrhus,  en  faisant 
appel  à  sa  vanité  : 

Agrippiuc,  seigneur,  se  l'était  bien  promis... 
et  à  sa  crédulité  intéressée  ; 

Buri'lius  ne  pense  pas,  seigneur,    tout  ce  qu'il  dit...; 

ai  bien  que,  quand  Néron  s'écrie,  à  la  fin  de  la 
scène  : 
Viens,  Narcisse  ;  allons  voir  ce  que  nous  devons  faire, 

on  sent  qu'il  est  tout  entier  et  à  tout  jamais  con- 
quis po'ir  le  mal. 


Britannicus,  comme  on  le  voit,  n'est  pas  le  prin- 
cipal personnage  de  la  pièce  ;  mais  son  amour 
pour  Junie  en  est  le  pivot  et  le  ressort  ;  et  c'est 
sa  mort  (acte  V,  scène  vj  qui  la  dénoue.  Lui- 
même,  d'ailleurs,  est  intéressant  ;  sa  fierté  et  sa 
sincérité  eu  face  de  son  rival  (acte  111.  scène  vni) 
contrastent,  à  son  grand  honneur,  avec  la  dupli- 
cité cauteleuse  et  violente  de  Néron.  Junie  est  in- 
téressante au  même  titre,  principalement  dans  la 
scène  où  elle  est  épiée  par  Néron,  caché  derrière 
une  tapisserie  (acte  II,  scène  vi),  et  que  certains 
critiques,  plus  classiques  que  le  poète  classique 
par  excellence,  ont  reprochée  h  Racine  comme  un 
moyen  indigne  de  la  tragédie.  Elle  se  fait  vestale 
au  dénouement,  pour  se  dérober  à  Néron,  comme, 
au  xvu*  siècle,  on  entrait  en  religion  pour  échap- 
per aux  Orages  du  monde. 

Voltaire  appelle  Britannicus-  n  la  pièce  des  con- 
naisseurs 11  ;  elle  l'est  par  l'originalité  des  carac- 
tères ;  elle  l'est  aussi  par  l'agencement  et  la  suc- 
cession des  scènes,  par  un  mouvement  continu, 
qui,  sans  que  rien  languisse  et  se  ralentisse  ja- 
mais, conduit  savamment  le  spectateur  jusqu'au 
coup  d'éclat  final. 

Iphigénie  en  Aulide  (1GÎ4).  —  Avec  /phigénie  et 
avec  f/ièi/ce,  dont  nous  allons  parler  tout  à  l'heure, 
nous  rentrons  dans  les  sujets  euipruntés  aux  tra- 
ditions léa;endaires  des  Grecs.  C'est  une  des  plus 
belles  pièces  d'Euripide  que  Racine,  dans  ////u- 
géiiie,  a  appropriée  à  la  scène  française.  Comme 
il  le  dit  lui-même  dans  sa  préface,  les  passages 
que  ses  contemporains  applaudirent  le  plus,  il 
les  a  pris  à  son  modèle,  et  l'on  peut  même  ajou- 
ter que,  dans  son  ensemble,  si  séduisante  que  soit 
la  copie,  elle  est  encore  restée  au-dessous  de 
l'original.  Plus  près  des  événements  qui  forment 
le  sujet  d  Iphnjénie,  appartenant  à  une  civilisation 
moins  policée  et  moins  raffinée,  Euripide  a  com- 
pris son  sujet  plus  naturellement  et  plus  simple- 
ment, ne  prêtant  pas  i  ses  héros  des  idées  et  des 
sentiments  qui  jurent,  quoi  qu'on  puisse  faire, 
avec  la  réalité  barbare  et  atroce  d'uu  sacrifice 
humain. 

C'est  ainsi  qu'il  n'y  a  pas  trace  d'amour  dans  le 
poète  grec,  (-'est  bien  sous  le  prétexte  do  la  marier 
à  Achille  qu'Agamemnon  fait  venir  sa  fille;  mais 
celui-ci  ne  la  connaît  même  pas.  Quand  le  secret 
d'Agamemnon  est  découverl,  Achille  s'irrite  seule- 
ment de  l'abus  qu'on  a  fait  de  son  nom  ;  sur  la 
prière  de  Clytemnestre,  il  consent  à  se  faire  le 
défenseur  d'iphigénie,  mais  c'est  par  pitié,  et  non 
par  un  sentiment  plus  tendre.  Do  son  coté,  l'iphi- 
génie  d'Euripide,  moins  soumise  tout  d'abord  et 
moins  résignée  que  celle  de  liacme,  supplie  .son 
père  de  l'épargner,  car  elle  aime  la  vie  :  o  Ne  me 
fais  pas  mourir  avant  le  temps;  il  est  si  doux  de 
voir  la  lumière  I  Ne  me  fais  point  descendre  dans 
les  demeures  souterraines.  »  Elle  tient  dans  ses 


faible  défenseur  pour  tes  amis;  viens  cependant 
mêler  tes  larmes  aux  miennes,  supplie  notre 
père  de  laisser  vivre  ta  sœur.  Les  enfants  eux- 
mêmes  ont  un  sentiment  du  malhenr.  Vois,  ô  mon 
père,  sans  parler  il  te  supplie.  Ah!  épargne-moi, 
prends  pitié  de  ma  vie.  Oui,  nous  que  tu  aimes, 
tous  deux  nous  te  supplions,  lui  faiblo  enfant,  et 
moi  déjà  grande.  D'un  mot  je  résume  tout  mon 
discours,  et  tu  céderas  :  rien  d'aussi  doux  aux 
mortels  que  de  voir  la  lumière  ;  dans  les  demeures 
souterraines,  tout  est  néant.  Insensé  qui  souhaite 
de  mourir  :  une  vie  malheureuse  est  encore  pré- 
féi-able  à  une  mort  glorieuse.  »  (Traduction  de 
MM.  Th.  Fix  et  Ph.  Lebas.)  C'est  li  le  premier 
mouvement  d'iphigénie;  mais  bientôt  elle  accep- 
tera la  pensée  de  cette  mort  glorieuse  qui  lui 
avait  répugné  d'abord.  Elle  se  sacrifiera  pour  son 
pays,  elle  sera  la  «  libératrice  de  la  Grèce.  » 
Achille  dès  lors  ne  s'oppose  plus  à  ce  <|u'elle 
meure,  puisqu'elle  s'est  spontanément  dévouée, 
sans  vouloir  lutter  contre  les  dieux,  qui  sont  plus 
forts  qu'elle;  il  se  contentera  de  l'accompagner 
à  l'autel,  prêt  à  la  défendre  de  nouveau,  si  elle 
revenait  sur  sa  parole.  Au  dénouement,  conformé- 
ment à  la  légende,  Diane  substitue  une  biche  à 
Iphigénie. 

Racine  a  enchéri  sur  cette  donnée.  Iphigénie  et 
Achille  sont  déjà  fiancés;  Eriphyle,  dont  la  mort 
doit  sauver  Iphigénie,  est  elle-même  éprise  d'A- 
chille. Les  scènes  de  galanterie  et  de  petite  ja- 
lousie qui  résultent  de  cette  situation  ne  sont 
certainement  pas  les  meilleures  de  la  pièce. 
Achille,  d'autre  part,  et  Agamemnon  ont  des  dis- 
putes de  dignité  et  de  grandeur  chevaleresque 
qu'on  ne  comprend  pas  bien  à  deux  pas  de  l'autel 
où  une  femme  va  être  immolée.  11  convient 
d'ajouter  qu'en  présence  d'une  légende  que  les 
siècles  ont  consacrée,  le  spectateur  se  prête 
aussi  volontiers  que  la  fait  le  poète  lui-même  à 
des  invraisemblances  qu'atténue  la  vision  loin- 
laine  et  le  convenu  accepté  des  faits.  Transfigu- 
rée, elle  aussi,  et  reflétant,  comme  on  l'a  bien 
des  fois  remarqué,  tout  ce  que  la  civilisation  mo- 
derne et  chrétienne  a  pu  ajouter  aux  héroïnes  de 
l'antiquité  de  grâce  déconte  et  réservée,  d  éléva- 
tion et  de  mesure  dans  la  volonté  et  les  sentiments, 
l'ipliigénie  de  Racine  est  aussi  touchante  dans  sa 
soumission,  où  la  supplication  parait  à  peine 
(acte  IV,  scène  iv),  que  l'Iphigénie  grecque  qui  se 
laisse  aller  simplement  et  sans  réticence,  devant 
un  père  qui  est  un  bourreau,  à  cette  peur  de  mou- 
rir, à  ce  regret  d'une  vie  heureuse,  si  spontanés 
et  si  naturels.  Elle  a  de  moins  que  celle-ci  l'idée 
du  sacrifice  à  une  cause  nationale.  Clytemnestre  a 
subi  une  moindre  métamorphose;  liacine  l'a  à  peu 
près  prise  telle  qu'Euripide  la  lui  donnait.  Agamem- 
non, tout  naturellement,  se  souvient  davantage, 
dans  la  pièce  de  Racine,  qu'il  est  la  roi  des  rois; 
il  a,  en  présence  d'Achille  (acte  IV,  scène  iv),  de» 
accents  de  grandeur  hautaine  qui  sentent  leur 
XVII'  siècle  : 

desseins. 


Seigneur,  je  ne  rends  point  connple  de  mei 
Hd  aile  ignore  eocor  mes  ordres  souverains  ; 
Et,  quand  il  sera  temps  qu'elle  eu  soil  informée. 
Vous  apprendrez  son  sort  :  j'en  instruirai  1  année. 

Achille  lui-môme  est  intéressant,  une  fois  ac- 
cepté son  rôle  d'amoureux.  Entin  le  récit  d'Ulysse 
au  dénouement  (acte  V,  scène  vi)  est  un  des  beaux 
morceaux  narratifs  de  notre  théâtre. 

Phèdre  {\(i',^)■  —  C'est  encore  à  Euripide  que 
Racine  a  emprunté  le  sujet  de  celte  pièce,  dont 
nous  no  dirons  que  deux  mots.  Dans  ï'Hipiolyle 
d'Euripide,  le  héros  principal  est  Hippolyto  lui- 
même,  dont  le  type  religieux  et  mystique  n'aurait 
DU  BUèreêtre  compris  sur  une  scène  moderne.  Après 


bras  son  jeune  frère  Oreste,  encore  en  bas  âge;  |  un  prologue  d'ouveriure,  Euripide  fait  paraître  sur 

elle  le  fait  intervenir  :  «  O  mon  frère,  tu  es  un  |  la  scène  Hippoly  te  rentrant  do  la  chasse,  suivi  d  une 

2«  Partie.  137 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2178  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


troupe  de  compagnons  qui  chantent  un  hymne  en 
l'honneur  de  Diane.  Lui-même  s'avanc.H  vers  la  sta- 
tue de  la  déesse,  et  lui  posn  sur  la  iftte  une  cou- 
ronne de  feuillage,  en  faisant  l'éloge  de  la  Pudeur. 
Un  de  ses  compagnons  lui  montre  une  statue  de 
Vénus,  et  lui  dit  que  toutes  les  divinités  ont  droit 
aux  hommages  des  mortels.  Hippolyte  lépond  que 
c'est  là  une  déesse  qu'il  ne  salui'  que  de  loin,  et 
il  ajoute  sur  le  conipie  de  Venus  d'autres  propos 
qui  ne  sont  rien  moins  c|ue  courtois.  On  conçoit 
que  pour  un  pareil  liéros  il  ne  saurait  être  ques- 
tion d'une  Aricie,  et  qu'il  eut  bien  mal  supporté 
les  conseils,  d'ailleurs  fort  singuliers  dans  la  bou- 
che d'un  gouverneur,  que  Théramène  adresse  à 
son  élève.  Dans  la  pièce  grecque  comme  dans  celle 
de  Racine,  Hippolyte  est  victime  de  la  passion 
coupable  de  Plièdre,  mais  il  ne  lui  parle  même 
pas  ;  c  est  la  nourrice  de  Phèdre  qui  vient  lui 
révéler  le  fatal  secret,  dont  il  va  mourir.  Quand, 
maudit  par  son  père,  blessé  par  le  monstre  ma- 
rin qu'a  envoyé  Neptune,  on  le  rapporte  san- 
glant sur  la  scène,  Diane  apparaît  et  lui  pro- 
met pour  le  consoler  que  les  vierges  de  ïrézène 
rendront  à  sa  mémoire  d'éternels  honneurs. 

Ce  n'est  pas  Hippolyte,  c'est  Phè  ire  qui  rem- 
plit à  elle  seule  toute  la  pièce  de  Racine  ;  les 
autres  personnages  ne  servent  qu'à  concourir  à 
l'analyse  et  au  développement  de  sa  passion  et 
de  ses  remords.  Nulle  part  Racine  n'a  mieux  em- 
ployé à  dérouler,  comme  on  l'a  dit.  les  replis 
d'une  âme  délicate,  ardente  et  malade,  toute  la 
curiosité  pénétrante  de  son  observation  psycho- 
logique; nulle  part  non  plus  sa  langue  n'a  été 
plus  douce,  plus  ferme,  plus  mélodieusement 
•poétique  : 

Dieux,  que  ne  suis-je  assise  à  l'ombre  des  forêts  I 
Quand  pi»urrai-jc,  au  travers  d'une  noble  pouss.ere, 
Suivre  de  l'œil  un  cliar  fuyant  dans  la  carrière  ? 

^Acte  1,  scène  m.} 
Et  plus  loin  : 

Ariiine,  ma  sœur,  de  quel  amour  blessée 
Vous  moui  ûtes  aui  bords  où  vous  fûtes  laissée... 

La  célèbre  scène  où  Phèdre  laisse,  comme  mal- 
gré elle,  échapper  son  secret  devant  Hippolyte 
(acte  II,  scène  v),  celle  où,  venant  d'apprendre 
qu'Aricie  est  sa  rivale,  elle  exhale  devant  OEiione 
sa  douleur  et  son  désespoir  (acte  IV,  scène  vi), 
justifient  amplement  ces  vers  de  Boileau  rassu- 
rant son  ami  contre  les  préventions  injustes  de 
ses  contemporains  : 

Eti  !  qui  voyant  un  jour  la  douleur  vertueuse 
De  Phedie  malgré  soi  iierfide,  incestueuse, 
D'un  si  noble  travail  justement  étonné, 
Ne  béni  1  a  d'abord  le  siècle  fortuné 
Qui,  reudu  plus  faïu.'ui  par  tes  illustres  veilles. 
Vit  nailre  sous  ta  main  ces  pompeuses  merveilles! 
(Epilre  Vil.) 

Le  célèbre  récit  de  Théramène,  qui  conclut  la 
pièce  (acte  V,  scène  vl),  est  partout  cité,  et  il 
doit  l'être,  en  effet,  comme  l'un  des  spécimens 
les  plus  caractéristiques  de  la  poésie  narrative  et 
descriptive,  telle  qu'on  la  comprenait  au  xvti*  siè- 
cle ;  mais,  outre  que,  par  sa  longueur  m  cessaire, 
il  parait,  quoi  qu'on  fasse,  bien  froid  à  la  scène, 
la  poésie  moderne  de  nos  jours  nous  a  accoutu- 
mes, quand  il  s'agit  d'œuvres  de  ce  genre,  à  des 
tableaux  plus  précis  et  plus  vivants,  comme  à  un 
rythme  plus  souple,  plus  mouvementé  et  plus 
sonore. 

Esther  (1689)  et  Athalie  (I6SI).  —  Ces  deux 
pièces  sont  trop  connues  pour  qu'il  soit  besoin 
(le  les  analyser  longuement  ici.  Il  en  a  d'ailleurs 
été  plusieurs  fois  question  dans  différents  articles 
de  ce  Dictionnaire,  notamment  à  l'article  Ricine. 

Rappelons  seulement  que,  par  une  lieureuse 
innovation  que  comportait  le  sujet  à'Estlier  et 
(HAllialie,  et  aussi  le  public  et  les  acteurs  spé- 


ciaux auxquels  elles  étaient  destinées,  Ricine  a  été 
conduit  à  prendre  dans  le  théâtre  grec  et  à  trans- 
porter sur  notre  scène  des  chœurs  dont  le  chant 
est  siiutenu  par  des  instruments,  qui  participent 
à  l'action  et  en  marquent  certains  repos,  ajoutant 
la  musique  au  charme  des  beaux  vers,  et  formant 
ainsi  le  trait  d'union  entre  la  tragédie  et  le  drame 
lyrique. 

11  sera  bon,  en  lisant  Esther,  d'en  comparer  le 
texte  à  celui  de  l'Ecriture,  ne  fût-ce  que  pour 
observer  comment  Racine  s'y  est  pris  pour  accom- 
moder son  sujet  aux  bienséances  de  la  scène.  On 
a  bien  souvent  fait  remarquer,  dans  différents  pas- 
sages d'Either,  de  transparentes  allusions  à  des 
événements  familiers  aux  contemporains  de  Ra- 
cine; nous  n'y  insisterons  pas.  On  a  fait  remar- 
quer de  même  que,  sur  bien  des  points,  Esther 
contient  comme  en  germe  A tlialie,  qa' \m!t,n,  par 
exemple,  se  retrouve  dans  Maihan  et  Mardochée 
dans  Joad.  On  a  enfin  critiqué,  et,  selon  nous, 
très  justement,  le  dénouement  à' h'alher,  pour  le- 
quel fiacine  s'e-'t.  d'ailleurs,  conformé  aux  don- 
nées bibliques.  Quand  Aman  se  jette  aux  pieds 
d'Esther,  il  n'a  nulle  idée  de  lui  faire  violence,  il 
la  supplie  d  intercéder  pour  lui  auprès  d'Assuérus  : 

Daignez  d'un  roi  terrible  apaiser  le  courroux  ; 
Sauvez  Aman,  qui  tremble  à  vos  sacres  genoux. 

Elle  n'aurait  donc  qu'un  mot  à  dire  pour  «  sau- 
ver Aman  »,  lorsque  le  roi  se  méprend  sur  les 
intentions  de  son  ancien  favori  : 


Quoi  !  le  traître 


vous  porte  ses  mains  b.irdies  î 


Elle  ne  dit  point  ce  mot,  et  c'est  tant  pis  pour 
son  caractère. 

Quant  à  At'ialie,  on  a,  depuis  deux  siècles, 
épuisé,  et  en  toute  justice,  les  formules  de  l'ad- 
miration pour  montrer  comment  Racine  avait  su 
tirer  d'un  obscur  passage  des  Puralipoménes 
(Livre  II,  chapitres  xsii  et  xxiri),  sans  amour, 
sans  intrigue,  sans  autre  élément  que  la  passion 
religieuse,  le  plus  étonnant  chef-d'œuvre  de  l'art 
classique.  Joad  en  est,  sans  contredit,  le  principal 
héros.  Inutile  d'insister  sur  cette  profondeur  de 
foi,  qui,  d  une  part,  le  conduira  à  l'enthousiasme 
du  prophète,  et  de  l'autre  ne  le  fera  pas  reculer, 
pour  l'accomplissement  d'un  devoir  qu'il_  regarde 
comme  sacré,  devant  la  préméditation  d'un  guet- 
apeiis. 

Les  traits  de  cette  croyance  inspirée  sont  dans 
toutes  les  mémoires  : 

Celui  qui  ra'  t  un  frein  à  la  fureur  des  flots 
Sait  aussi  des  méchants  arrêter  les  complots. 
Soumis  avec  respect  a  sa  %olou  lé  sainte. 
Je  crains  uieu,  cher  Abner,  et  n'ai  point  d  autre  crainte. 
(Acte  1,  scène  i.) 

Et,  quand  il  prépare  son  complot  contre  Athalie  : 
Voilà  donc  quels  vengeurs  s'arratnl  pour  ta  querelle, 
Des  piètres,  des  enfants,  o  Sagesse  éternelle  I 
Mais    SI  tu  les  soutiens,  qui  peut  les  ébranler? 

Le  morceau  tout  entier  (acte  III,  scène  vu)  est 
delà  plus  liante  éloquence.  Mais,  au  dénouement, 
Joad  entraine  Athalie  dans  un  piège,  comme  elle 
le  dit  elle-même,  en  attribuant  à  Abner  ce  qui  est 
l'œuvre  du  grand-prêtre;  quels  que  puissent  être 
le  désiméressement  et  la  hauteur  de  ses  motifs, 
il  n'en  a  pas  moins  eu  recours  au  procédé  qui  ré- 
pugne le  plu.  à  notre  loyauté  française,  et  tout 
l'art  de  Raiiiie  ne  peut  empêcher  que  le  reproche 
de  traîtrise  ne  tombe  à  la  lois  sur  lui  et  sur 
1'  1.  impiioyable  Dieu  »  dont  il  se  proclame  le 
ministre.  Athalie  paraît,  de  son  côté,  moins  mé- 
chante peut  être  que  ne  l'aurait  voulu  Racine.  Ses 
crimes  qui  s^mt  antérieurs  au  drame,  nous  frap- 
pent m' lins  que  s  m  audace  et  ce  je  ne  sais  quoi 
de  hardi  et  de  brave  qui  semble  dominer  son  ca- 


THÉATRE^GLASSIQUE     —  2179  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


ractère  ;  elle  est  aussi,  si  l'on  peut  dire,  très 
femme,  quand  elle  raconte  le  songe  qui  l'agite 
(acte  II,  scène  v),  et  dans  son  entreiien  avec  Joas, 
et  cela  est  fort  loin  de  nous  tourner  contre  elle  ; 
aussi  ne  serions-nous  pas  très  éloignés  d'être  de 
son  parti,  lorsque,  Abner  attestant  Dieu  qu'il  n'est 
pour  rien  ilans  la  trahison  de  Joad,  elle  lui  crie 
(acte  V,  scène  v)  : 

Laisse-là  ton  Dieu,  traître, 
Et  irenge-moi.... 

Abner  représente,  dans  la  pièce,  la  raison  et  le 
bon  sens  généreux.  Avec  moins  d'oclai.  et  moins 
d'ampleur,  il  joue  auprès  il'Atlialie  le  même  rôle 
que  liurrlius  auprès  de  Néron,  comme  Matlian, 
avec  l'hypocrisie  religieuse  en  plus,  joue  celui  de 
Narcisse.  La  scène  où  Mathaii  et  Abiior  sont  en 
présence  (acte  II,  scène  v,  vers  la  tin)  n'est  pas, 
quoiqu'il  s'agisse  de  personnages  de  second  plan, 
la  moins  intéressante  do  la  pièce.  Au  sujet  d'une 
autre  scène,  celle  de  Matlian  avec  Nabal  (acte  III, 
scène  m),  peut-èire  est-il  permis  de.  s'étonner 
qu'un  homme  aussi  liabile  et  aussi  maître  de  soi 
que  le  poète  représente  Mathan,  fasse  de  lui- 
même  un  portrait  si  peu  flatté  el  si  cru.  C'est  de 
la  forfanterie,  sans  doute,  mais  dont  on  ne  voit 
pas  bien  l'objet  ;  d'ordinaire,  les  ambitieux  ne  sont 
pas  prodigues  de  confidences,  et  il  est  rare  aussi 
que,  l'amour  propre  aidant,  on  s'avoue  si  naïve- 
ment à  soi-même  qu'on  est  un  menteur  et  un  scé- 
lérat. 

L'intervention  d'un  enfant,  toute  naturelle  dans 
une  pièce  ilestinée  ^  être  interprétée  par  de  toutes 
jeunes  filles,  n'en  était  pas  moins,  au  temps  de 
Racine,  une  hardiesse  dramatique,  heureusement 
justifiée  par  tout  l'intérêt  que  donnent  à  l'action 
la  situation  respective  d'Athalie  et  de  Joas  et  l'in- 
génuité de  celui-ci.  La  belle  scène  entre  la  reine 
et  le  petit  Joas  (acte  II,  scène  vu)  est  imitée  d'une 
scène  analogue  de  Hou,  d'Euripide. 

Josabeth.  enfin,  est  charmante  ;  sa  tendresse 
pour  l'enfant  qu'elle  a  sauvé,  ses  inquiétudes 
toutes  maternelles,  contrastent  admirablement 
avec  l'âpre  fermeté  de  Joad  (Voir  surtout  acte  1, 
scène  ii;,  ce  qui  ne  l'empêche  pas,  d'ailleurs,  d'être 
digne  et  fière  devant  Aihalie  (acte  II,  scène  vu)  : 

Tout  vous  a  réussi.  Que  Dieu  voie,  et  nuus  juge  I 

Voltaire. —  Les  ouvrages  poétiques  de  Voltaire 
ne  sont  point  ce  qu'il  a  fait  de  mieux,  bien  qu'il 
s'y  soit  essayé  dans  tous  les  genres.  En  prose,  il 
est  créateur  :  en  vers,  et  en  particulier  dans  ses 
tragédies,  il  suit  la  tradition  du  xvii'  siècle,  se 
rattachant  de  préférence  à  l'école  de  Racine,  sans 
avoir  ni  la  profondeur  d'analyse  psychologique,  ni 
d'autre  part  la  pureté,  la  sobriété,  l'élégance  con- 
tinue de  son  modèle.  11  lui  prend  la  forme  exté- 
rieure de  son  théâtre,  en  quoi,  d'ailleurs,  il  fait 
comme  tous  les  autres  poètes  dramatiques  du 
xviii'  siècle  ;  il  lui  prend  aussi  son  langage  poé- 
tique, en  rallongeant  souvent  et  en  l'allanguissant, 
en  se  contentant  d'à  peu  près,  <<  dans  la  I  ngue  la 
plus  rebelle  aux  choses  ébauchées,  »  pour  nous 
servir  d'une  expression  très  juste  de  M.  Nisard.  Ce 
n'est  pas  que  le  théâtre  de  Voltaire  manque  com- 
plètement d'originalité.  Plusieurs  de  ses  tragédies 
ont  eu  de  son  temps  un  très  grand  succès  et  ont 
mérité  de  rester  classiques.  Elles  le  doivent,  en 
dépit  des  faiblesses  que  nous  venons  de  signaler, 
à  des  sujets  bien  truuvés  et  bien  conduits,  où  la 
curiosité  et  l'émotion  sont  mises  en  jeu  par  des 
situations  fortes,  par  des  coups  de  théâtre  où  il  y 
a  une  part  pour  les  yeux. 

Ce  sont  là.  touieTois.  des  conditions  inférieures 
d'intérêt,  si  l'on  se  reporte  à  l'idéal  plus  élevé  et 
plus  sévère  de  nos  grands  tragiques  ;  et  les  dé- 
licats lui  reprochent,  non  sans  quelque  exagéra 
tien  de  s'être pluiùi  adressé  aux  nerfs  qu  à  l'esprit. 


C'est  au  moins  une  chose  curieuse  que  de  voir 
ce  disciple  de  Corneille  et  de  Racine  ouvrir  la 
voie,  sans  s'en  douter,  à  ce  qu'on  pourrait  appe- 
ler la  tragédie  populaire,  et.  sous  ses  allures 
classiques,  introduire  au  théâtre  les  procédés 
dont  useront  et  abuseront  nos  drames  et  nos  mé- 
lodrames modernes.  Ce  qui  caractérise  encore  les 
pièces  de  Voltaire,  c'est  <iuo,  ne  se  tenant  pas, 
commeses  devanciers,  à  une  conception  purement 
artistique  du  drame,  au  simple  et  unique  déve- 
loppement d'une  situ.ition  ou  d'un  caractère,  il 
s'en  sert  souvent  comme  d  un  moyen  de  propa- 
gande pour  ses  tliéories  et  ses  opinions,  transfor- 
mant ainsi  le  théâtr  ■  en  une  espèce  de  chaire 
ou  d'école.  Ceneser.ui  pnint  là  encore  pour  nous 
un  bien  grave  snj(!i  dr  reproche,  si,  dans  certaines 
pièces  aumoins,  la  Unse  pliiliJSopliii|ue  ne  faisait 
tort  au  drame  lui-même  :  c'est  ainsi,  par  exem- 
ple, que  dans  Mahomet,  puor  miMirer,  suivant 
sou  idée  favorite,  que  touie  religion  est  impos- 
ture, il  ne  voit  dans  son  héros,  contrairement  à  la 
vérité  historique  et  humaine,  qu'un  hypocrite 
conscient,  et  dans  les  scctatrurs  du  prophète  que 
des  fanatiques  aveuglés.  «  Mahomet  tel  que  le 
peint  Voltaire,  dit  à  ce  su  et  M.  Geruzez,  loin  de 
convaincre  et  de  conquérir  la  moitié  du  monde, 
n'aurait  pas  entraîné  à  sa  suite  un  seul  chamelier, 
ni  dominé  la  moindre  des  bourgades  de  l'Asie.  » 
Nous  étudierons  parmi  les  tragédies  de  Voliaire, 
trois  des  plus  connues  : /aï' e.  Aizire  et  Mérope. 
Zaïre  (ITaî)  —  Dans  Zaïre,  qui,  comme  Voltaire 
se  plaît  souvent  à  le  rappeler,  a  lait  couler  tant  de 
larmes,  nous  allons  retrouver  louies  les  conditions 
de  la  poétique  du  maître. 

Le  sujet  en  est  fort  intéressant  ;  il  est  tiré  —  et 
il  faut  en  savoir  grand  gré  à  Voltaire,  —  de  notre 
liisioire  nationale  ;  c'est  nn  épisode,  complète- 
ment imaginaire  il  est  vrai,  de  la  (période  des  croi- 
sades ;  le  monde  chréiien  y  est  mis  en  présence 
du  monde  musulman,  peut-être  avec  la  secrète 
pensée  de  faire  voir  que,  dans  l'un  comme  dans 
l'autre,  toutes  les  délicatesses  et  toutes  les  vertus 
sont  également  possibles,  et  que  nos  sentiments, 
même  les  meilleurs,  ne  tiennent  pas  exclusive- 
ment à  la  religion  que  nous  professons.  C'est  au 
moins  cette  pensée  qu'indique,  au  commencement 
de  la  pièce,  la  tendre  et  raisonneuse  Zaïre  (acte  I, 
scène  i)  : 

J'eusse  été  près  du  Gange  rscla-ve  des  faux  dieux, 
r.hi  eiienne  dans  Paris,  musuituaue  eo  ces  lieux. 
L'instructiou  fait  tout... 

Est-il  besoin  de  montrer  que  l'intérêt  tient  beau- 
coup moins  aux  caractères  qu'aux  situations  ? 
Zaïre,  placée  entre  son  amour  et  la  religion  de 
son  père,  est  assurément  fort  toucliante,  mais 
combien  peu  personnelle,  si  vous  la  comparez, 
par  exemple,  à  une  Pa  iline  ou  même  à  une  Iplii- 
gonie  I  Oiosinane,  très  galant,  beaucoup  t,rop  ga- 
l,int  sans  doute  pour  un  musulman,  à  la  fin  de  la 
pièce  devient  jaloux.  Il  faudrait  lire  \'Ou,eUo  de 
Shakespeare,  dont  Voltaire  s'est  inspiré  peut-être, 
pour  voir  combien  il  est  resté  au  dessous  de  cette 
puissante  gradation  de  souffrance  ei  de  haine  qui 
fait  un  meurtrier  du  mari  de  Desdémone.  Tout 
cela  n'empêche  pas  qu'il  n'y  ait  guère  dans  notre 
théâtre  de  plus  belle  scène  que  celle  qui  fait  ap- 
paraître le  vieux  Lusignan,  sortant,  presque 
aveugle,  du  cachot  où,  depuis  vingt  ans,  il  té- 
moigne de  sa  foi,  reconnaissant  son  fils  et  sa  fille 
à  des  marques  matériel  les,  une  blessure,  une  croix, 
dont  le  moyen  use  nous  ferait  aujourd'hui  sourire, 
et.  en  la  personne  de  Zaïre,  «  dérobant  son  sang  à 
l'infidélité  »  (acte  11,  scène  m),  l'eu  de  dénoue- 
ments aussi  qui  soient  plus  saisissants  pour  les 
nerfs  comme  pour  leci]eur,quocelui  cùOrosma.ie, 
trompé  par  les  paroles  équivoquesde  Z  lire,  lâcher 
che  dans  l'obscurité  etla  poignarde  en  plein  théâtre 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     -  2180  -     THEATRE  CLASSIQUE 


Mallieurcusement,  aujourd'hui  surtout  que  rien 
ne  nous  attache  aux  élégances  convenut^s  du 
drame  classique,  les  traits  et  les  morceaux  d  éclat 
dont  la  pièce  est  renipliu  ne  suffisent  plus  pour 
nous  faire  passer  sur  la  mollesse  générale  d'une 
langue  qui  ressemble  si  peu  à  la  prose  liardie  et 
vivante  de  VEssai  sur  les  mœws,  du  Didionninre 
vhilosoihique,  ou  même  du  Siècle  de  Li'Uis  XIV. 
Il  a  manqué  à  Voltaire  un  Bnileau  pour  lui  ap- 
prendre, ^  lui  aussi,  à  faire  difficilement  des  vers 
faciles.  Mais,  à  une  telle  école,  serait-il  resté 
Voltaire? 

Alzire  (1737).  —  Ahire,  ou  les  Américains,  est 
encore  un  beau  sujet  dramatique:  la  conquête  du 
nouveau  monde,  dont  l'histoire,  d'ailleurs,  est 
passablement  défigurée,  lopposition  de  la  civili- 
sation et  de  ce  qu'on  appelait  au  xviti'  siècle  l'état 
de  nature  ;  et  une  belle  thèse  philosophique,  la 
guerre  au  fanatisme  religieux.  Dans  la  bouche  de 
Zamore,  son  héros  de  l'état  de  nature,  Voltaire  a 
placé  une  sanglante  satire  du  fanatisme  de  ces 
singuliers  chrétiens,  les  compagnons  de  Cortez  et 
de  Pizarre,  dont  la  cruauté,  que  Ihisiuire  atteste, 
est  une  honte  pour  leur  race  Vaincu  et  empri- 
sonné, Zamore  vient  d'être  rendu  à  la  liberté  par 
un  Espagnol,  Alvarez,  le  sagCj  l'esprit  tolérant  de 
la  pièce. 

Tu  parais  Espagnol,  et  ta  sais  pardonner  1 
lui  dit  Zamore  (acte  II,  scène  ii).  Et,  quand  Alva- 
rez explique  que  c'est  au  nom  de  Dieu  et  de  sa 
religion  qu'il  pardonne,  l'étonnement  de  Zamore 
redouble  : 

Dieu  7  la  religion  ?  Quoi  !   ces  tyrans  cruels, 

Monstres  désaliéiés  dans  le  sang  d.s  morlels, 

Qui  dépeuplent  la  terre,  et  dont  la  baibane 

En  ïaste  solitude  a  change  ma  patrie. 

Dont  l'inràuie  avarice  est  la  suprêra.;  loi. 

Mon  père,  ils  n'i.nt  donc  pas  le  même  Dieu  que  loi  7 

—  Ils  ont  le  même  Uieu,  mon  fils,  mais  ils  l'outragent, 

répond  Alvarès,  et  celte  haute  affirmation  du  prin- 
cipe chrétien,  ramené  à  ses  sources  originelles, 
semble  être  l'idée  dominante  à' Alzire.  C'est  cette 
même  idée  qu'expriment  encore,  au  dénouement 
(acte  V,  scène  viij,  les  paroles  souvent  citées  de 
Gusman,  dont  la  conversion  in  exlre?nis  à  l'hu- 
manité et  à  la  clémence  a  un  peu  trop,  d'ailleurs, 
le  même  défaut  que  celle  de  Félix  dans  Polyeucte: 


d'un  noble  et  délicat  sentiment,  l'amour  maternel. 
Le  caractère  de  Mérope  est  peut-être  le  seul  de 
tout  son  théâtre  tragique  qui  rappelle,  au  moins 
par  inslants,  les  analyses  de  Racine.  11  y  a  quelque 
chose  des  pressentiments  d'Athalie  interrogeant 
Joas  dans  la  scène  où  Mérope  interroge,  elle  aussi, 
Egisthe,  qui  n'est  encore  pour  elle  qu'un  étranger 
(acte  II,  scène  ii)  : 


Te  le  dit 
Sa  voix  E 


i-je.  hélas  1  tandis  qu'il  m'a  parlé, 
attendrissait,  tout  mon  cœur  s'est  troublé... 


servons  coniia 


la  différence  : 
t  Id  \eugeauce, 


Des  dieui  que  nous 
Les  tiens  t'ont  comn 
Et  le  mien,  quand  t 
M'ordooue  de  te  plaindre  et  de  le  paidouuer. 

Mérope  (17  4-3).  —  Mérope  est  une  légende  de  la 
mythologie  grecque,  qu'Euripide  avait  mise  sur  la 
scène,  et  la  péripétie  principale,  de  son  drame,  la 
reconnaissance  de  la  mère  et  du  fils,  ne  manquait 
jamais,  au  dire  de  Pluiarque,  d'exciicr  parmi  les 
spectateurs  un  frémissement  universel;  malheu- 
reusement, le  texte  d'Euripide  n'est  pas  parvenu 
jusqu'à  nous.  Au  xvii=  et  a'u  xviii'  siècle,  ce 
même  sujet  avait  été  plusieurs  fois  essayé  en 
Italie,  en  Angleterre  et  en  France.  En  1713,  un 
Italien,  Maffei  fit  jouer  à  Vérone  une  Mirope  dont 
Voltaire  s'inspira,  et  qu'il  a  imitée  dans  plusieurs 
de  ses  plus  belles  tcènes.  Après  Voltaire,  à  la  fin 
du  xviii"  siècle,  Alfieri  a  repris  encore  la  donnée 
de  Mérope.  Ceite  donnée  était  de  celles  qui  de- 
vaient, comme  naturellement,  séduire  Voltaire 
elle  est  romanesque  et  théâtrale;  elle  donne  faci- 
lement lieu  à  des  mouvements  et  à  des  efieis, 
auxquels  Voltaire  n'a  pas  manqué.  11  en  a  fait, 
d'ailleurs,  renonçant  h  ses  préoccupations  ordi- 
naires de  polémique  religieuse  ou  philosophique, 
un  pur  dran:e  classique,  d'ordonnance  rigoureuse 
et  sévère,  où,  chose  rare  pour  son  temps,  l'amour 
n'entre  point,  où  tout  est  donné  exclusivement 
aux  développements  d'une  action  terrible,  et  aussi 


La  scène  où  Narbas  dérouvre  à  la  reine  le 
secret  de  la  naissance  d  Egisthe  (acte  III, 
scène  iv|,  et  celle  où  la  mère  embrasse  son  fils 
devant  Polyphonie  (acle  IV,  scène  ii),  produisent 
aujourd'hui  sur  nous  une  moindre  impression  que 
des  scènes  analogues  n'en  produisaient  jadis  sur 
le  théâtre  d'Athènes,  parce  que  nous  sommes 
tant  soit  peu  blasés  sur  ces  effets  dramatiques. 
Mais  il  n'en  faut  pas  moins  rendre  justice  à  la 
vérité  des  sentiinenls  de  Mérope,  que  la  violence 
!  des  coups  de  théâtre  ne  dénature  point  et  qui 
I  restent  très  touchants,  soit  qu'elle  s'adresse  au 
tyran,  soit  qu'elle  fasse  retour  vers  son  fils  : 
Je  suis  sa  mère.  Hélas  !  son  amour  m'a  trahie. 
Très  naturel  aussi  ce  changement  qui  s'opère, 
après  leur  reconnaissance  mutuelle,  dans  Egisthe 
et  dans  Mérope,  la  mère  devenant  aussi  timide  que 
le  fils  devient  audjcieux.  C'est  que  Mérope,  telle 
que  Voltaire  l'a  comprise,  est  mère  et  n'est  que 
cela:  tout  pour  Egisthe,  pourvu  qu'il  vive;  au 
rebours  de  l'ancienne  légende,  elle  aimerait  mieux 
le  voir  esclave  que  mort.  «  Il  n'en  sera  pas  ainsi 
d  Egisthe,  remarque  M.  Saint-Marc  Girardin  :  il 
faut  qu'il  se  venge,  il  tient  plus  à  régner  qu'à 
vivre.  »  Et  c'est  par  là  qu'il  nous  intéresse. 

Quant  à  Polyphonie,  il  faut  bien  dire  que  son 
personnage  rentre  un  peu  trop  dans  les  conven- 
tions traditionnelles  que  comporte  un  théâtre 
déjà  vieilli,  comme  1  était  le  ihiâtre  classique  du 
XMii' siècle.  Ce  tyran  est,  en  vérité,  trop  naïve- 
ment tyran  ;  outre  qu'il  menace  plus  qu'il  n'agit, 
lorsqu'il  lui  serait  très  facile  d  agir,  il  parle  de  ses 
méfaits,  de  ses  attentats  et  de  ses  crimes,  comme 
un  autre  parlerait  de  ses  bonnes  actions,  et,  quand 
il  s'agit  d'en  ajouter  un  nouveau  à  la  liste  de  ceux 
dont  il  se  confesse  si  volontiers,  cela  ne  paraît 
pas  lui  coûter  beaucoup  : 


Ehbi( 


!  encor  ce  crime,  il  m'est  trop  nécessaire. 
(Acte  1,  scène  IV.) 


II  est,  d'ailleurs,  de  son  temps  par  son  peu  de 
respect  pour  des  préjugés  que  Voltaire  tout  le 
premier  enseignait  au  parterre  à  regarder  en 
face  ;  c'est  lui  cjui  prononce  ces  vers,  tant  de  fois 
répétés  depuis  : 


Le  premier  qui  fut  i 
Qui  sert  bien  son  p 


i  fut  un  soldat  heureux  ; 
s  n'a  pas  besoin  d'aieux. 


Comme  Iphigénie,  comme  Phèdre,  Mérope  se 
termine  par  un  récit  (acte  V,  scène  vi)  trop 
peu  sobre  de  délai  s,  au  moins  dans  sa  dei^ 
nière  partie,  et  qui  se  substitue  à  cette  action 
des  foules  que  notre  théâire  plus  libre  trouverait 
aujourd'hui  moyen  de  mettre  plus  dramatique- 
ment sous  les  yeux  mêmes  du  spectateur. 

Ajoutons  que  Mérope,  que  Voltaire  garda  cinq. 
ans  en  portefeuille,  n'est  pas.  en  beaucoup  d'en- 
droits, d'une  langue  plus  châtiée  et  plus  ferme 
que  celle  de  Znire  qu'il  improvisa  en  vingt-deux 
jours. Les  c.  horribles  »,  les  .  aflreux  »,les  <>  mons- 
tres »  les  «  tyrans  »  reviennent  trop  souvent 
dans  l'a  bouche  de  ses  héros,  qui  se  permettent 
aussi,  sans  grand  scrupule,  les  vers  traînants,  les 
périphrases  pompeuses  et  vides,  voire  les  expres- 
sions impropres.  M.  Nisard  reproche  à  Voltaire 
d'avoir,  comme  poète,  «  manqué  de  conscience  «, 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2181  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


et  cette  acr.iisation  sévère  se  justifierait  trop  aisé- 
mont.  Le  vrai  Voltaire,  comme  nou^  l'avons  dit, 
c'est  le  Voltaire  passioniiô,  et  il  n'a  jamaLs  été 
véritablement  passionné  qu'en  prose,  regardant  le 
théâtre  comme  une  sorte  de  brillant  exercice  de 
collège,  on  comme  un  moyen  de  réputation,  d'au- 
torité et  de  propagande.] 

COMÉDIE, 

Carnrillo.  —  Le  Menteur  (1643).  —  Au  début 
de  la  comédie  classique  nous  trouvons  Corneille, 
comme  nous  l'avons  trouvé  au  début  de  la  tragédie. 
Le  Menteur,  qui  parut  dans  l'iiiver  de  lG4:i  à 
1644,  entre  Pompée  et  Ho'Jogune,  est  tiré  d'une 
pièce  espagnole  d'Alarcon,  la  Verdad  soxpecliosa. 
Du  liàblnur  castillan  Corneille  n'a  pas  fait,  comme 
on  eût  pu  le  croire,  un  hâbleur  gascon.  Son 
Dorante  est,  suivant  le  terme  encore  d'usase  au 
XVII"  siècle,  un  écolier,  que  son  père  a  envoyé 
de  Paris  à  Poitiers  pour  étudier  le  droit,  et  qui 
en  revient  très  jeune,  très  novice,  honnête  au 
fond.  Entrant  dans  un  monde  nouveau  pour  lui, 
•et  où  il  aspire  à  faire  figure,  il  ment,  il  ment  avec 
ce  terrible  aplomb  qui  sert  souvent  à  déguiser 
la  timidité  ei  la  gaucherie,  il  mont  par  vanité,  il 
ment  par  embarras,  il  ment  par  nécessité,  une 
première  bourde  ayant  besoin  d'être  soutenue 
par  UTie  autre  ;  mais  on  sent  bien  qu'il  n'y  a  en 
lui  ni  corruption  ni  hypocrisie,  et  qu'après  la  rude 
leçon  que  Goronte  lui  a  infligée,  ec  aussi  à  l'école 
plus  douce  de  Lucrèce,  il  se  corrigera  d'un  simple 
travers  de  jeunesse  et  de  circonstance. 

Ce  n'est  donc  pas  un  caractère  d'une  grande 
profondeur  que  celui  de  Dorante;  la  pièce  n'en 
est  pas  moins  gaie  et  agréable.  Les  inven- 
tions de  Dorante,  celle  du  concert  sur  l'eau 
{acte  I,  scène  v),  colle  du  faux  mariage  de  Poi- 
tiers (acte  II,  scène  v),  etc.,  sont  plaisamment 
imaginées.  Plus  plaisantes  encore  les  scènes  en- 
tre Dorante  et  son  valet  Cliton,  à  qui  il  fait  la 
théorie  de  ses  «  menteries  »  et  en  explique  le 
pourquoi  : 

0  le  beau  complimenta  charmer  une  dame, 
De  lui  dire  d'abord  :  «  J'apporte  à  vos  beautés' 

"  Un  crfiur  nouveau  veDU  des  universités » 

(Acte  I,  scène  vi.) 


A  la  fin,  le  valet  en  vient  à  un  tel  point  d'in- 
crédulité à  l'endroit  des  paroles  de  son  maître, 
que,  ne  sachant  plus  distinguer  le  vrai  du  faux,  il 
lui  demande  de  le  inettre  au  fait  (acte  III,  scène  v), 
suivant  l'occurrence  : 


De  grâce,  dites-n 


vous  allez  mentit 


La  scène  maîtresse  est  celle  où  Géronte,  à  qui 
Dorante  en  a  donné  à  garder  tout  aussi  bien 
qu'aux  autres,  l'interpelle  sévèrement  au  nom  de 
sonanioriié  paternelle  et  le  fait  rougirde  ses  men- 
songes (acte  V,  scène  m)  :  on  retrouve  là,  comme 
le  remaniue  \  oltaire,  la  même  main  qui  peignit  le 
vieil    Hi.race  et  don   Dièguo  :  la  dignité  offensée 


citoyens  eux-mêmes,  réunis  en  une  sorte  de  jury, 
et  auxquels  on  donnait,  pour  remplir  ces  fonctions, 
une  rémunération  quotidienne  de  trois  oboles.  On 
devine  quel  moyen  d'influence  et  aussi  de  corrup- 
tion pouvait  être  entre  les  mains  des  démagogues 
cette  sorte  de  sportnie.  Aussi  ne  s'en  faisaient- 
ils  pas  fautp,  et  en  particulier  Cléon,  le  grandad- 
vorsaire  d'Aristophane,  celui  qu'il  avait  déjà,  atta- 
qué dans  plusieurs  autres  pièces.  Sous  le  nom  de 
Philocléon  (ami  de  Cléon;,  Aristophane  person- 
nifie les  juges  mercenaires  et  asservis  aux  déma- 
gOEues.  11  fait  de  ce  personnage  une  sorte  d'im- 
bécile, entêté  de  son  métier,  que  son  fils  Bdély- 
cléon  (ennemi  de  Cléon)  fait  garder  à  vue  par  ses 
deux  esclaves  Sosias  et  Xanihias,  et  que  les  autres 
juges  ses  collègues,  sous  la  figure  de  «  guêpes» 
aux  dards  acérés,  tentent  de  dérober  à  cette  sur- 
veillance. Pour  donner  le  change  à  la  manie  de 
Philocléon,  Bdélycléon  le  détermine  à  se  consti- 
tner  en  juge  domestique,  et  il  lui  fait  juger  le 
procès  du  chien  Labès,  lequel  a  soustrait  et  mangé 
tout  un  fromage  de  Sicile  (autre  allusion  politique 
au  général  Lâchés  qui,  dans  l'expédition  contre  la 
Sicile,  était  accusé  de  s'être  laissé  corrompre  à 
prix  d'or).  A  la  fin,  Philocléon,  peu  soucieux  de 
sa  dignité  de  juge,  se  livre  à  toutes  sortes  d'excen- 
tricités fort  peu  édifiantes  ;  le  chœur  des  guêpes 
ne  se  montre  pas  beaucoup  plus  scrupuleux  que 
lui,  et  fait  cause  commune  avec  Bdélycléon  et  avec 
les  ennemis  des  démagogues. 

Il  y  a  loin  de  là,  comme  on  le  voit,  à  Perrin 
Dandin  et  à  Chicaneau  ;  Racine,  comme  il  le  dit 
lui-môme,  doit  à  Aristophane,  dont  les  Gw^pes  ne 
sont  certes  pas  la  meilleure  pièce,  «  le  juge  qui 
saute  par  les  fenêtres,  le  chien  criminel  et  les 
larmes  de  sa  famille;  »  tout  le  reste  lui  appartient. 
Ce  reste  n'est,  d'ailleurs,  qu'un  badinage,  dont  I« 
côté  le  plus  sérieux  est  la  critique  très  forte  et 
très  mordante  de  la  manie  de  plaider,  très  répan- 
due au  wii''  siècle,  et  aussi  celle  du  personnel 
ordinaire  des  tribunaux  d'alors,  surtout  des  avo- 
cats et  des  juges. 

Cette  dernière  partie  de  la  satire  est,  à  dessein 
sans  doute,  pousséejusqu'à  la  caricature  ;  Racin« 
ne  s'attaquant,  bien  entendu,  ni  à  messieurs  du 
parlement,  ni  aux  autres  gros  bonnets  de  la  haute 
magistrature.  En  se  limitant  à  ce  point  de  vue, 
et  à  la  condition  de  n'y  pas  vouloir  trouver  autre 
chose  que  ce  que  Racine  lui-même  avait  voulu 
mettre  dans  une  pièce  destinée  d'abord  aux  far- 
ceurs de  Scaramouche  et  du  théâtre  des  Italiens, 
\i:i  Plaideurs  iastitienl  l'honneur  qu'on  leur  fait 
de  les  considérer  comme  une  pièce  classique.  La 
scène  du  procès  du  chien  (acte  III,  scène  m)  n'est 
qu'une  spirituelle  bouffonnerie;  le  juge  Dandin, 
l'Intimé  et  Petit-J^an  ne  sont  que  grotesques; 
mais  la  comte>se  de  Pimbesche,  dont  le  nom  est 
resté  dans  la  langue  pour  désigner  une  femme 
impertinente  et  acariâtre.et  le  plaideur  Chicaneau, 
sont,  comme  on  dit  aujourd'hui,  des  créations,  et 
des  créations  très  vivantes,  quoique  très  rapide- 
ment et  très  légèrement  esquissées.    Il  n'est   pas 


de  Géronte  trouve  des   accents   i|ue  rappelleront  jusqu'aux   deux    amoureux  qui  n'échappent,   eux 

plus  tard  ceux  de    don    Louis  apostrophant   don  aussi,  Léandre  par  la  bonne  inine  de  sa  jeunesse, 

Juan  dans  la  pièce  de  Molière  (acte  IV,  scène  vi),  Isabelle  par  son   ingénuité  malicieuse,  aux  types 

et  tjui  ont,   d'ailleurs,  près  de  celui  qui   en  est  convenus  de  la  comédie.  Indirectement  et  en  paS' 


l'objet,  meilleur  succès 

Kocine.— Les  Plaideurs  (IC68).  —  C'est  une  co- 
médie grecque  d'Aristophane,  les  Guêpes,  qui 
a  ftjurni  à  Riiclne  la  première  idée  des  Plaideurs. 
Mais  les  deux  pièces  ne  se  ressemblent  guère. 
Comme  dans  presque  toutes  les  comédies  d'Aris- 
tophane, il  faut  voir  dans  te  Guêpes  une  satire 
et  une  satire  directe  do  l'état  politique  de  son 
temps.  Au  nom  du  parti  aristocratique,  auquel  il 
appartenait,  il  y  flagelle  l'institution,  en  effet,  ul- 
tra-démocrati(iue,  des  juges  d'Athènes,  lesquels, 
sauf  ceux  de   l'Aréopage,  n'étaient  autres  que  les 


sant,  cette  dernière  donne  à  son  temps,  en  la  per- 
sonne du  vieux  juge,  une  leçon  d'humanité.  Quand 
Dandin,  pour  se  rendre  aimable,  lui  offre  d'aller 
voir  «  donner  la  question  >>  (acte  III,  scène  iv), 
comme  Thomas  Diafoirus  offrira,  quatre  ans  plus 
tard,  à  Angélique  (dans  le  Malade  imaginaire, 
acte  11,  scène  vi),  d'assister,  <i  pour  se  divertir,  à  la 
dissection  d'une  femme»  : 
né  !  monsieur,   peut-on  voir  souffrir  des  malheureux  ? 

répond  Isabelle. 
Du  juge   Dandin,   des  Plaideurs,  on  pourrait 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2182  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


rapproclier  le  juge  Bridoison,  du  Mariage  de  Fi- 
ga)'",  et  se  souvenir  que  c'est  dans  la  bouche  de 
ce  dernier,  en  qui  s'ericarnc  si  brutalement  tout 
ce  que  pouvaient  avoir  d'insulfisant  les  magistrats 
de  l'ancien  régime,  que  Beaumarchais  a  voulu 
mettre  son  fameux  couplet: 

Tout  finît  par  des  rhansons, 

et  cela  à  cinq  ans  de  la  Révolution.  Ce  rapproche- 
ment pourrait  donner  aux  critiques  de  Racine  une 
portée  que  Racine,  d'ailleurs,  tout  le  premier, 
ne  leur  supposait  certainement  pas. 

inolièri-.  —  Malgré  le  Menteur  et  les  Plaideurs, 
il  faut  d'abord  constater  hautement  que  le  seul 
créateur  de  la  grande  comédie  en  France,  c'est 
Molière.  Nous  renvoyons  à  l'article  Mutié'e  de  ce 
Dictionnaire  pour  la  biographie  du  poète  et  aussi 
pour  un  jugement  général  sur  son  œuvre.  Nos 
analyses  porteront,  d'une  part,  sur  les  pièces  où, 
en  dehors  de  celles  qui  sont  consacrées  à  l'ex- 
position ou  i  la  défense  de  son  propre  système 
dramatique.  Molière  a  introduit  quelque  question 
littéraire,  /ev  Précieuses  ridii:ule',  le  Bourgeois 
geiiti  homme  et  un  chef-d'œuvre  :  les  Femmes  sa- 
vante; et  ensuite  sur  ses  auires  grands  chefs -d'oeu- 
vre :  le  Mis(int''rope,  le  Tartuie  et  ''Avare. 

Les  Précieuses  ridicules  (IB.S9).  —  Quand  Mo- 
lière donjia  \vs,  Précieuses  riiliciiles,  il  avait  trente- 
sept  ans  ;  il  arrivait  à  Paris,  où  sa  place,  comme 
auteur  et  comme  acteni',  allait  désormais  être 
marquée  ;  cette  première  attai|ue  contre  les  tra- 
vers littéraires  de  son  temps  fut  pour  lui  un  coup 
de  maître.  Il  faut,  pour  en  comprendre  la  portée, 
se  replacer  d'imagination  dans  le  milieu  même 
où  Molière  vivait.  Les  pédants  et  les  pédantes 
d'esprit  ne  sont  guère  de  notre  époque,  tourmen- 
tée d'autres  vanités;  la  pédanterie,  le  goût  du 
raffinement,  de  la  subtilité,  de  l'affectation 
quintessenciée  dans  les  manières  et  dans  la  lan- 
gue fut,  au  contraire,  un  des  travers  du  xvii'  siè- 
cle, qui  le  prit  à  l'tspagne  et  à  l'Italie,  dans  les 
romans  à  la  mode,  dans  l'esprit  même  de  sa  so- 
ciété volontiers  disposée  au  romanesque  et  à  l'ex- 
traordinaire, jusqu'à  ce  que  Louis  \1V  lui  eut 
imposé,  avec  une  politesse  plus  sûre,  une  moyenne 
inconte.'tablement  moins  originale  d  idées  et  de 
sentiments.  Les  n  précieuses  »  ont  été,  à  l'origine, 
des  femmes  de  la  plus  haute  condition,  qui  se 
livraient  au  plaisir  du  bel  esprit,  et  se  piquaient 
en  toutes  choses  de  bon  goût  et  de  délicatesse. 
Telle  fut  la   célèbre  société  de   l'Hôtel   de   Rai 


comte,  de  cette  demi-lune  que  nous  emportâmes 
sur  les  ennemis  au  siège  d'Airas?  —  Que  veux-tu 
dire  avec  ta  demt-lune?  C'était  bien  une  lune 
tout  entière.  »  'Scène  xii.l  Et  comme  ces  «  pec- 
ques  provinciales  »,  «  ambigu  de  précieuse  et  de 
cotiuette  »,  gobent  bien  l'hameçon,  et  qu'on  est 
aise  de  les  voir  bafouer,  elles  et  toutes  les  sot- 
tises qui  leur  ont  tourné  la  têle!  «  Allez  vous 
cacher,  vilaines;  allez  vous  cacher  pour  jamais. 
Et  vous,  qui  êtes  cause  de  leur  folie,  sottes  bille- 
vesées, pernicieux  amusements  des  esprits  oisifs, 
romans,  vers,  chansons,  sonnets  et  sonnettes, 
puissiez-vous  être  à  tous  les  diables!  » 
(Scène  xix.) 

Mais  les  Pré'ieuses  ridicules  ne  sont,  pour 
ainsi  dire,  que  la  prpface  des   Femmes  savantes. 

Le  Bourgeois  gentilhomme  (1670).  —Molière, 
dans  le  Bnurgeois  gentillwmiiie,  tourne  en  ridicule 
un  travers  fort  commun  de  son  temps,  et,  sous 
des  formes  diverses,  fort  commun  dans  tous  les 
temps,  cet  effet  de  la  vanité  qui  porte  les  gens 
à  vouloir  paraître  plus  qu  ils  ne  sont,  à  vouloir 
sortir  de  leur  condition  et  de  leur  état  naturel. 

La  Fontaine  (dans  sa  fable  de  la  i-renouille  qui 
veut  se  faire  aussi  grosse  que  le  liœuf)  le  disait 
presque  au  même  moment  que  Molière  : 

les  s^raods  seigneurs. 


Tout  bourgeois  veut  bâtir  c 

Tout  petit  prince  a  des  an 

Tout  marquis  veut  avoi 


bassade 


M.  Jourdain  a  de  quoi  bâtir  comme  un  grand 
seigneur;  mais  cela  ne  lui  suffit  point;  il  vou- 
drait être  grand  seigneur  lui-même  ;  ne  le  pou- 
vant à  une  époque  où  la  noblesse  est  encore  une 
caste,  il  s'en  donne  du  moins  toutes  les  apparen- 
ces, et  la  pièce  n'est  que  le  développement  de 
toutes  les  folies  qu'il  imagine  pour  en  venir  là. 
On  a  voulu  voir  dans  cette  donnée  une  sorte  de 
méconnaissance  des  légitimes  aspirations  de  ce 
tiers-état,  qui  constituait,  à  tout  prendre,  la  plus 
saine  partie  de  la  nation,  mêtne  au  xvit'  siècle,  et 
dont  l'honnêteté  éclairée  et  les  efforts  persévé- 
rant*, d'où  devait  sortir,  au  siècle  suivant,  la  ré- 
volution Je  nxn,  ne  méritaient  pas,  dit-on,  d'être 
ainsi  ridiculisés  C'est  une  singulière  prétention 
que  d'exiger  que  Molière  ait  prévu  les  choses 
de  si  loin  ;  mais,  d'autre  part,  si  l'on  veut  cher- 
cher dans  le  bourgeois  qentilhomme  une  juste 
représentation  du  tiers-état,  ce  n'est  point  à 
M.  Jourdain  qu'il  faut  s'adresser,  tnais  bien  plu- 
tôt à  l'hontiète  Cléonte  ou  Ji  M""  Jourdain 
bouillet,   où   le   nom   même  do    précieuses   corn-    elle-même,   le   vrai  type,  aujourd  hui   perdu  ou  à 


mença  à  se  produire.  Ce  n'est  point  à  celles-là 
que  s'en  prend  Molière  ;  il  a  soin  de  le  dire  dans 
sa  préface,  distinguant,  comme  il  le  fera  plus 
tard  pour  les  vrais  et  les  faux  dévots,  ce  qu'il 
appelle  «  les  vraies  précieuses  »  de  celles  «  qui 
les  imitent  mal  ».  Et,  en  effet,  depuis  longtemps 
déjà,  au  moment  où  Molière  écrivait,  il  s'était 
formé,  à  côté  de  l'hôtel  de  Rambouillet  un  peu 
délaissé  et  qui  ^e  ferma  en  I66ô,  d'autres  cercles 
bien  plus  mêlés,  où  l'ingéniosité  déjà  dange- 
reuse des  II  belles  compagnies  »  finissait  par  en 
arriver  à  ce  jargon  incompréhensible  dont  Molière 
s'est  si  bien  moqué.  De  Paris  la  "  préciosité  •■  ga 
gnait  les  provinces,  d'où  il  fait  venir  Cathos 
et  Madelon,  et  s'il  est  vrai,  comme  on  l'a  dit, 
que  ceux  mêmes  qui  poussaient  à  ces  excentri- 
cités aietit  été  ramenés  par  les  Pré'ieusi-s  i  idicu- 
Its  à  la  discrétion  et  à  la  mesure,  ce  serait,  sur 
ce  point,  un  véritable  service  que  Molière  aurait 
rendu  au  bon  sens  français. 

II  est  CHi'idin  que,  pour  nous,  qui  ne  péchons 
plus  par  les  niônies  défauts,  la  pièce  a  un  peu 
vieilli,  et  pourtant  quelle  puissance  de  vie  et 
quelle  verve  saine  et  joyeuse  dans  les  facétieuses 
(Tiasconnades  de  M  le  marquis  de  Mascarille  et  de 
M.  le  vicomte  de  JodeletI  —  «  Te  souvient-il,  vi- 


peu  près,  de  l'ancienne  marchande  de  la  rue  Saint- 
Denis,  et  dont  le  ferme  bon  sens  se  défend  si 
bien  contre  toutes  les  tentations  où  M.  Jourdain 
succombe.  (Voir  sa  réponse  à  M  Jnurdain  au  sujet 
du  mariage  de  sa  fille,  acte  III,  scène  xii.)  Notons, 
d'ailleurs,  que  si  les  ridicules  de  M.  Jourdain  de- 
vaientêtre  portés  au  compte  de  laiiourgeoisie,dont 
Molière  sortait  comme  lui  il  faudrait  voir  dans  le 
honteux  personnage  de  Dorante,  et  dans  le  per- 
sonnage plus  effacé,  mais  quelque  pu  équivoque, 
de  Dorimène,  une  bien  autre  satii  e  de  la  noblesse. 
Elle  n'a  certes  pas  le  plus  beau  rôle  datis  le  liour- 
geois  genlillioinme,  et  la  bourgeoise,  M^'  Jour- 
dain, ne  se  gêne  pas  pour  otre  fort  justement 
leur  fait  au  grand  seigneur  et  à  la  grande  dame  : 
(i  Je  n'ai  que  faire  de  lunettes,  monsieur,  et  je 
vois  assez  clair;  il  y  a  longiotnps  que  je  sens  les 
choses,  et  je  ne  suis  pas  une  bête.  Cela  est  fort 
vilain  à  vous,  pour  un  grand  seigiieur,  de  prêter 
la  main,  comme  vous  faites,  aux  sottises  de  mon 
mari.  El  vous,  madame,  pour  une  grande  dame, 
cela  n'est  ni  beau  ni  hoiuiête  à  vous  de  mettre  la 
dissetision  dans  un  ménage,  et  de  souffrir  que 
mon  mari  soit  amoureux  de  vous...  » 

En  définitive-  M.  Jourdain  est  un  sot  glorieux, 
et  sa  sottise  n'atteint  que  lui.  Il  n'a,  dans  cette 


I 


TIIÉATIIE  CLASSIQUE     —  2183  —     THÉÂTRE  CLASSIQUE 


sottisp,  qu'un  seul  point  par  lequel  il  puisse  quel- 
que peu  nou<i  intéresser,  le  sentiment  do  son 
ignorance,  u  Que  voulez-vous  apprendre?  lui  dit 
son  maître  de  philosophie  (acte  II,  scène  vi).  — 
Tout  ce  que  je  pourrai;  car  j'ai  toutes  les  envies 
du  monde  d'être  savant,  et  j'enrage  que  mon  père 
et  ma  mère  ne  m'aient  pas  fait  bien  étudier  dans 
toutes  les  sciences  quand  j'étais  jeune.  —  Ce  sen- 
timent est  raisonnable;  narn,  siiw  doc'rina,  vt'f" 
est  qi'dsi  morlis  ioiago.  Vous  entendez  cela,  et 
vous  savez  le  latin  sans  doute?  —  Oui;  mais 
faites  comme  si  je  ne  le  savais  pas;  expliquez-nmi 
ce  que  cela  veut  dire.  —  Cela  veut  dire  que,  sans 
la  science,  la  vie  est  presi|ue  une  imatre  de  la 
mort.  —  Ce  latin-là  a  raison.  »  Certainement,  il  a 
raison,  et  il  faut  savoir  g'é  au  pauvre  homme 
de  le  comprendre.  Il  y  revient  encore  un  peu  plus 
loin,  et  d  une  manière  presque  louchante  dans  sa 
bonne  foi  naïve,  en  présence  de  sa  femme  et  de 
sa  servante  Nicole  (acte  III,  scène  iii)  :  a  N'ircz- 
vous  point,  lui  dit  M™°  Jourdain,  l'un  de  ces 
jours  au  collège  vous  faire  donner  le  fouet,  à  votre 
t'Aol  —  Pourquoi  non?  Plût  h  Dieu  l'avoir  tout  k 
l'heure  le  fouet,  devant  tout  le  monde,  et  savoir 
ce  qu'on  apprend  au  collège  !  »  Et  c'est  Jt  la  suite 
de  ce  mot  que,  pour  preuve  du  savoir  qu'il  a  doji 
acquis,  il  liur  fait  sa  fameuse  leçon  sur  la  prose 
et  les  vers  et  sur  la  manière  de  prononcer  Ù. 

C'est  vraiment  dommage  qu'il  soit  si  sot.  Il  l'est 
jusqu'à  se  prôler,  pour  dénouer  la  pièce,  !i  la  plus 
invraisemlilable,  mais  à  la  plus  désopilante  bouf- 
Xonnerie  que  jamais  Molière  ait  imaginée,  et  dont 
on  trouverait  à  peine  le  pendant  dans  quelque 
folle  iiTiagination  de  Rabelais  ou  d'Aristophane. 
Reproche  qui  vaudra  à  Molière  d'avoir  fini  par 
Tabarin  ce  qui  commençait  par  Térence;  les  di'ux 
siècles  qu'a  fait  rire  M.Jourdain  déguisé  en  mama- 
mouchi,  et  ceux  qu'il  fera  rire  encore,  l'absoudront 
toujimrs  d'avoir  dérogé,  à  de  si  joyeuses  conditions. 

Les  Femmes  savantes  (16■2^.  —  Molière,  dans 
■les  Fetnmus  savant- ~,  qui  sont  tout  entières  de  sa 
grande  manière,  reprend  la  thèse  des  PrécieuS'  s 
ridicules  contre  la  pédanterie  des  femmes,  mais 
en  la  complétant  et  en  l'élargissant.  Les  Précieuses 
ridicules  ne  sont  i'  ridicules  »  que  de  manières  et 
de  langage;  c'est  à  l'abus  même  du  savoir,  c  est 
au  faux  savoir,  au  savoir  vaniteux  que  Molière 
s'en  prend  ici.  Et  il  ne  l'attaque  pas  seulement 
dans  les  Philaminic,  les  Aimande  et  les  liélise.  il 
l'attaque  aussi  dans  les  méchants  auteurs,  les  Tris- 
SOtin  et  les  Vadius,  qui  pullulaient  au  xvii"  siècle, 
comme  ils  pullulent  dans  tous  les  temps  ;  qui 
n'étaient  pas  toujours,  quoi  que  nous  en  pui^sions 
juger  aujourd'hui,  ni  les  moins  renommés,  ni 
les  moins  en  faveur,  ni  les  moins  bien  rentes,  et 
dont  il  avait  plus  d'une  fois  rencontré  sur  sa  route 
la  sourde  opposition  ou  l'inimitié  haineuse. 

A  côté  de  ces  caractères  de  pédants,  principa- 
lement à  côté  de  ceux  des  «  femmes  savantes  », 
Molière  en  a  placé  d'autres  qui  servent  à  les 
mettre  en  relief,  soit  qu'ils  représentent  un  excès 
contraire,  soit  qu'ils  idéalisent  la  mesure  et  le 
sage  tempérament  que  le  poète  veut  faire  préva- 
loir. C'est  ainsi  que  Philaminte,  qui  ne  se  pique 
pas  moins  de  mener  son  ménage  que  de  s'en- 
tendre en  belle  littérature,  a  pour  mari  le  bon- 
homme Chrysale,  avocat  très  hardi,  quand  il 
parle  à  sa  sœur,  de  la  simplicité  du  vieux  temps, 
et  contempteur  décidé  des  nouveautés  susceptibb-s 
de  tourner  au  détriment  de  la  n  guenille  qui  lai 
est  clière  »  : 

Je  vis  de  bonne  soupe,  et  non  de  beau  lanfrage. 

Vaujîelas  n'apprend  point  ;i  bien  faire  un  pot.ige  ; 

Et  Maitterbe  et  Balzac,  si  savants  en  beaux  mots, 

En  cuisine  peut-être  auraient  été  des  sots. 

C'est  dans  le  môme  esprit  que  la  philosophe  et 
revêche  Armande  a,  pour  ainsi  dire,  comme 
contre-partie  sa  plus  jeune  sœur  Henriette,   dis- 


crète, réservée,  qui  ne  sait  pas  le  grec,  surtout 
quand  il  s'agit  de  se  dérober  à  un  Vadius,  et  dont 
toute  la  grâce  charmante  n'est  qu'une  sorte  de 
fine  fleur  de  bon  sens  et  de  raison.  <:'est  la  vraie 
héroïne  des  Femmes  savnniis.  Spirituelle,  mor- 
dante au  besoin  à  l'égard  d'Armande  qui  la 
dédaigne  tout  en  la  jalousant,  et  du  triste  Trissoiin 
à  qui  on  la  destine  malgré  elle,  elle  est  capable  en 
même  temps  de  toutes  les  délicatesses  du  cœur. 
Elle  dit  à  son  père,  par  exemple,  dont  elle  ne 
connaît  que  trop  la  faiblesse  : 

Soyez  ferme  h  vouloir  re  que  vous  souhaitez, 
El  ne  vous  laissez  point  séiiuirc  à  vos  bontjs. 

(Acte  V,  scène  iij. 

En  présence  de  la  fausse  nouvelle  qui  dévoile 
si  heureusement,  au  dénouement,  l'ime  de  Tris- 
sotin  et  celle  de  Clitandre,  la  raison  d'Henrintte, 
qui  lui  fait  voir,  malgré  sa  jeunesse,  la  nécessité 
de  se  garder  contre  les  difficultés  de  la  vie,  l'é- 
lève, comme  naturellement,  à  la 
(acte  V,  scène  v)  ; 

Je  sais  le  peu  de  bien  que  vous  avez,  Clitandre, 
Et  je  TOUS  ai  toujours  souhaité  pour  époux, 
torsquen  satisfaisant  à  mes  vœux  les  plus  doux, 
hymen  ajustait  vos  affaires; 


ehéri 


cicstii 


assez,  dans  cette  extrémité. 
Pour  ne  vous  charger  point  de  notre  adversité. 

Et  elle  ajoute,  quand  Clitandre  se  récrie  au  nom 
de  l'afToction  qu'il  a  pour  elle: 

L'amour,  dans  son  transjiort,  parle  toujours  ainsi. 
Des  retours  importuns  évitons  le  souci. 
Rien  n'use,  tant  l'ardeur  de  ee  nœud  qui  nous  lie 
Que  les  fâcheux  besoins  des  choses  de  la  vie... 

La  vraie  philosophe,  c'est  ici  celle  qui  se  pique 
le  moins  de  l'être. 

Les  Feiiiiiies  savantes  agitent,  comme  on  le  voit, 
la  question  i-i  importante  de  l'instruction  qui  con- 
vient aux  femmes.  Est-ce  à  Chrysale  qu'il  faut 
demander  sur  ce  point  le  sentiment  véiitable  de 
.Molière  ?  faut-il  croire  que  ce  juste  esprit  veuille, 
comme  le  bonhomme, 

Que  la  capacité  ile  leur  esprit  se  hausse 

A  connaître  un  pourpoint  d'avec  un  haut-de-cliausse?    " 

Il  y  a  plutôt  lieu  de  penser  que,  de  concert  avec 
Clitandre  (acte  l,  scène  m  ,  les  femmes  doc- 
teurs n'étaient  pninl  de  son  goiit,  —  il  n'eût  pas 
fait  sans  cela  sa  pièce,  —  mais  qu'aussi  c'est  lui- 
même  qui  parle  lorsqu'il  fait  dire  à àon  personnage: 

Je  consens  qu'une  femme  ait  des  clartés  de  tout; 
Mais  je  ut  lui  veux  point  fa  passion  choquante 


De  1 


cndr 


nte  aBn  d'étn 


Et  j'aime  que  suuven 
Efle  sache  ignorer  fes 
De  son  élude  enfin  je 
Et  qu'elfe  ait  du  sav< 
Sans  citer  fes  auteur 
Et  clouer  de  l'esprit  à 


chos, 


,  qu'elfe 


elfes 


1  fait, 


cache. 
•  qu'on  fe  sache. 


linifres  propos. 


C'est  là  ce  que  Fénelon  exprimait  aussi  de  son 
côté  en  disant  ([u'il  doit  y  avoir  pour  les  femmes 
Il  une  pudeur  sur  la  science,  presque  aussi  déli- 
cate que  celle  qu'inspire  l'horreur  du  vice.  » 
(Eitncaton  des  tilles,  chapitre  vu.)  Cette  modes- 
lie  est  de  tous  les  temps,  et  elfe  n'exclut  dans 
aucun,  et  p.iriicufièrement  dnns  le  nôtre,  la  cul- 
Itire  nécessaire  à  une  inielligence  qui  n'est  point 
inférieure  à  celle  de  1  homme,  et  qui  a  besoin, 
elle  au'^si.  de  s'élever,  par  la  connaissance  du  vrai, 
à  l'exacte  conscience  de  ses  droits  et  de  ses  devoirs. 
Inutile  d'ajouter  ((ue  notre  rapide  analyse  n'a 
même  pu  mentionner,  dans  les  Femmes  savantes, 
fies  scènes  qui  sont  populaires,  comme  celle  où 
Philaminte  renvoie  sa  servante  Martine  (acte  II, 
scène  vi),  qui  a  insulté  son  oreille 

Par  l'impnipriété  d'un  mot  sauvage  et  bas 
Qu'en  termes  décisifs  condamne  Yaugelas, 


THEATRE  CLASSIQUE  -2184-  THÉÂTRE  CLASSIQUE 


et  comme  aussi  celles  qui  remplissent  le  trnisièmv, 
acu-,  cù  ']  iiisotin  récite  sts  vers  etoùil  se  dispute 
avec  Vadius. 

Le  Misanthrope  (1G66).  —  On  a  dit  bien  souvent 
que  le  Misanlhroi^e  est,  dans  le  thcâire  de  Mo- 
lière, comme  Brii anniciis  d  ns  le  théâtre  de  Ra- 
cine, la  pièce  des  connaisseurs.  C'est  dans  toiis 
les  cas  celle  dont  la  structure  est  assnronient  la 
plus  étonnante.  Molièie  a  trouvé  le  moyen  de  s  y 
passer  d'action.  C'est  une  pièce  où,  suivant  l'ex- 
pression de  M.  Nisard,  <>  l'on  n'agit  qu'en  par- 
lant )j.  Elle  est  toute  dans  les  caractères,  on  pour- 
rait presque  dire  dans  un  seul  caractère,  celui 
d'Alcestc  le  misanthrope. 

Ce  titre  même  de  misanthrope  est  une  sorte 
d'énigme.  La  misanthropie,  c'est  la  haine  des  hom- 
mes, et  il  semblerait  bien  que  ce  sentinient  de 
sceptique  ou  de  désespéré  ne  peut  servir  de  su- 
jet à  une  comédie.  Molière  a  pensé  le  contraire 
pourtant  :  c'est  que  son  Alceste  n'est  pas  misan- 
thrope de  la  façon  qu'on  pourrait  le  croire.  Il  est 
jeune,  riche,  quoiqu'une  part  de  son  bien  Soit  en- 
gagée dans  un  ..rocès;  il  est  de  haute  condition; 
trois  jeunes  femmes  ne  sont  point  insensibles  aux 
soins  qu'il  leur  rend  ou  qu'il  pourrait  leur  rendre  : 
il  n'y  a  rien  dans  tout  cela  qui  puisse  pousser  un 
homme  à  détester  ses  semblables.  Pourquoi  donc 
les  déteste-t-il  !  Pour  un  très  noble  motif,  comme 
il  s'en  explique  avec  son  ami  Philinle  (acte  I, 
scène  i).  Il  hait  tous  les  hommes, 

Les  uns,  parce  qu'ils  sont  méchants  et  malfaisants, 
Et  li's  autres,  pour  être  aux  méchants  complaisants 
Et  n'avoir  pas  pour  eu\  ces  haines  vi^nurcuscs 
Que  doit  donner  le  vice  aux  âmes  vertueuses. 

Alceste  est  donc  misanthrope  par  vertu  ou  par 
amour  de  la  vertu.  Mais,  s'il  en  est  ainsi,  et  que 
Molière  lasse  rire  d'Alceste,  il  aura  donc  fait  rire 
d'un  homme  vertueux  et  tourné  la  vertu  en  ridi- 
cule ?  C'est  ce  que  lui  ont  reproché  des  critiques 
qui  n'étaient  pas  les  premiers  venus,  Jean-Jacques 
Rousseau,  par  exemple,  dans  sa  Lelbe  sur  les 
speitai-les.  On  a  dit  que  Molière  ne  se  connaissait 
pas  en  vertu  ;  que,  par  amour  exagéré  de  la  mesure 
et  des  convenances,  il  avait  sacrifié  le  vrai  sage, 
Alceste,  au  sage  suivant  le  monde,  Philinte,  le- 
quel n'est  au  fond  qn'un  égoïste  :o  Ce  Philinte  est 
le  sage  de  la  pièce,  dit  Jean-Jacques  Rousseau, un 
de  ces  honnêtes  gens  du  grand  monde  dont  les 
maximes  ressemblent  beaucoup  à  celles  des  fri- 
pons ;  de  ces  gens  si  doux,  si  modérés,  qui  trou- 
vent toujours  que  tout  va  bien,  parce  qu'ils  ont 
intérêt  que  rien  n'aille  mieux  ;  qui  sont  toujours 
contents  de  tout  le  monde,  parce  qu'ils  ne  se 
soucient  de  personne;  qui,  autour  d'une  bonne 
table,  soutiennent  qu'il  n'est  pas  vrai  que  le  peu- 
ple ait  faim  ;  qui,  le  gousset  bien  garni,  trouvent 
fort  mauvais  qu'on  déclaïue  en  fjveur  des  pauvres; 
qui,  de  leur  maison  bien  fermée,  verraient  voler, 
piller,  égorger,  massacrer  tout  le  genre  humain 
sans  se  plaindre,  attendu  que  Dieu  les  a  doués 
d'une  douceur  très  méritoire  à  supporter  les  mal- 
heurs dautrui.  »  Ce  portr.iit  est  de  main  de  mal 
tre,  mais  est-ce  bien  celui  de  Philinte  ?  Il  est  bien 
vrai  qu'en  théorie  au  moins  il  se  montre  cent  fois 
plus  véritablement  misanthrope  qu'Alcesle,  lui 
dont  l'esprit  n'est  pas  plus  offensé 

De  voir  un  homme  fourbe,  injuste,  intéressé. 
Que  de   voir  des  vaulouis  attanié»  de  carnage. 
Des  siifges  malfaisaols,  et  des  loups  pleins  de  rage. 

Il  est  vrai  encore  qu'au  dénouement  il  profite 
de  l'erreur  d'Aleste  qui  n'a  pas  su  rec  'nnaître 
l'affection  d'Eliante.  Mais,  s'il  était  le  triste  per- 
sonnage que  représente  Rousseau,  il  ne  serait  pas 
l'ami  d'Alceste  ;  comme  tel  du  moins,  et  c'est  le 
seul  rôle  que  lui  donne  Molière,  il  n'a  rien  à  se 
reprocher;  d'un  bout  à  l'autre  de  la  pièce,  il  ne 
cesse  de  témoigner   à  Alceste  son  estime   et  sa 


sympathie,  et  son  caractère  se  relève  par  là. 
La  vérité  est  que  ni  Philinte  ni  Alceste  lui-même 
ne  sont  pour  Molière  des  types  de  venu  absolue. 
Ce  serait,  n'est-il  pas  vrai?  se  faire  une  singulière 
idée  de  la  vertu  que  de  supposer  qu'elle  doive 
rendre  insociables  ceux  qui  en  font  profession.  Al- 
ceste est  jeune  et  enthousiaste;  il  a  l'âme  droite  et 
le  cœur  Jiaut  ;  s'il  hait  les  hommes,  ce  n'est  pas 
qu'il  les  méprise  à  la  façon  de  l'hilinte,  exagéré 
dans  son  sens  comme  Alceste  l'est  dans  le  sien. 
Mais  enfin  il  y  a  bien  un  peu  d'orgueil  dans  cette 
sévérité  qui  ne  fait  exception  de  personne  et  qui 
n'a  point  elle  même  donné  ses  preuves.  Or,  c'est 
sur  cet  orgueil  que  Molière  appelle  le  sourire,  en 
le  mettant  anx  prises  avec  des  situations  qui  en 
compromettront  l'intégrité,  en  lui  imposant,  qui 
pis  est,  l'humiliation  d'une  passion  qu'il  n'a  pas  su 
vaincre  et  qui  est  indigne  de  lui. 

Vous  croyez  èlre  donc  aimé  d'elle  ?  —  Oui,  parbleu  ! 
Je  ne  l'aimerais  pas  si  je  ne  croyais  l'être. 

C'est  là  une  pure  illusion  ;  il  l'aimera  quand 
même,  et  bien  malavisé  celui  qui  pourrait  lui  en 
vouloir;  il  en  sera  d'ailleurs  assez  cruellement 
puni.  Mais,  encore  une  fois,  ce  n'est  certainement 
pas  un  acte  de  venu,  ce  n'est  pas  même,  comme 
le  lui  fait  observer  Philinte,  un  acte  de  bon  sens 
que  de  s'éprendre  d'une  Célimène.  Remarquons 
encore  que  jamais  —  et  c'est  là  le  grand  art  de 
Molière  —  Alceste  n'est  ridicule  dans  le  véritable 
sens  du  mot.  Là  môme  où  il  nous  fait  rire,  nous 
sommes  pour  lui,  nous  voudrions  faire  comme  lui. 

Dans  la  fameuse  scène  du  sonnet  'acte  I.  scè- 
ne II),  qui  ne  donne  raison  à  son  bon  goût  et,  en 
fin  de  compte,  à  sa  franchise?  Ce  qui  nous  fait 
rire,  c'est  que  nous  sentons  qu'il  est  pris,  en  pré- 
sence de  son  ami  Philinte,  entre  la  rigueur  ab- 
solue des  principes  qu'il  s'est  faits  et  ses  senti- 
ments instinctifs  d'homme  du  monde,  dont  il  lui 
coûte  de  se  départir  ;  et  c'est  ce  qui  rend  si  amu- 
sants ses  Je  ne  ilis  pas  celn,  qui  sont  comme  au- 
tant de  biais  qu'il  fait  prendre  d'abord  à  sa  cons- 
cience, jusiju'à  ce  qu'elle  éclate  dans  un  cri  final, 
qui  lui  vaudra  peut-être  un  bon  coup  d  épée.  Nous 
sommes  encore  avec  lui  dans  la  scène  non  moins 
fameuse  des  portraits  (acte  II,  scène  v),  malgré 
ce  qu'il  peut  y  avoir  de  vrai  dans  la  remarque 
de  Philinte  : 

Mais  pourquoi  pour  ces  gens  un  intérêt  si  grand  ? 
Vous  qui  cuudamDcriez  ce  qu'en  eux  on  reprend  ; 

de  vrai  aussi  dans  les  railleries  si  incisives  de  Cé- 
limène : 

Eh  I  ne  faut-il  pas  bien  que  monsieur  contredise? 
A  la  commune  voix  veut-on  qu'il  se  réduise, 
Et  qu'il  ne  fasse  pas  éclater  en  tous  lieux 
L'esprit  contrariant  qu'il  a  reçu  des  cieui  ? 

Mais  sa  rude  franchise,  qui  nous  est  si  sympathi  • 
que,  n'en  a  pas  moins  ses  côtés  risibles;  lorsque 
poussé  à  bout,  il  s'écrie  : 

Par  la  sambleu,  messieurs,  je  ne  croyais  pas  être 
Si  plaisant  que  je  suis, 

il  ne  se  doute  pas,  en  effet,  qu'il  est  plaisant,  et 
c'est  ce  qui  fait  l'originalité  du  caractère  que  lui  a 
prêté  Molière. 

Au  cinquième  acte  toutefois,  quand  Alceste 
reste  seul  en  face  de  Célimène  humiliée  et  aban- 
donnée, la  comédie,  quoi  qu'ait  l'ait  Molière,  est 
bien  près  de  tourner  au  drame.  Alceste  aime  en- 
core Célimène,  et  une  dernière  fois  il  lui  offre  son 
cœur,  si  elle  consent  à  être  à  lui  et  à  renoncer 
pour  lui  à  tout  le  reste  du  monde.  Heureusement 
pour  Alceste,  elle  ne  sait  pas  se  mettre  à  la  hau- 
teur de  cet  honnête  homme  : 

La  solitude  effraie  une  âme  de  vingt  ans. 

Je  ne  sens  point  la  mienni'  assez  grande,  assez  forte, 

Pour  me  résoudre  à  prendre  un  dessein  de  la  sorte. 


THÉÂTRE  CLASSIQUE     —  2183 


THEATRE   CLASSIQUE 


Et  elle  s'enfuit,  laissant  Alceste  le  coeur  déchiré  '  viendrait  bien  vite  S,  ne  plus  pouvoir  plaindre  celui 
et  les  spectateurs  bien  portés  à  répandre  avec  lui  «  qui  verrait  mourir  frère,  enfants,  mère  et  femme, 
de  vraies  larmes.  Il   faut  qu'une  dernière  boutade  i  qu'il  s'en  soucierait  «  autant  que  de  cela  »  (acte  I, 


du  misanthrope  les  ramène  au  ton  de  la  comédie  : 

Tralii  de  toittos  parts,  acnablé  d'injiistires, 

Je  v.ii-  sortir  d'un  gouffre  où  triomphent  les  vices, 

Et  chercher  sur  la  terre  un  endroit  écarté 

Où  d  èti-e  homme  d'honneur  on  ait  la  libellé. 

Qu'il  y  aille  quant  à  présent,  c'est  possible,  mais 
il  n'y  restera  pas  longtemps;  il  n'y  a  pas  dans  ce 
cœur  si  jiune  l'étoffe  d'un  anachorète.  Il  reviendra 
dans  le  monde,  auquel  il  ne  rend  pas  assez  pleine 
justice,  et  il  s'y  mêlera  certainement  à  tout  ce  qu'il 
coniient  de  meilleur.  11  tâchera  surtout  d'y  éviter 
désormais  le  vui.sinage  des  Céliniène,  et  de  ne  pas 
laisser  passer  près  de  lui  les  RIijnte  ou  les  Hen- 
riette sans  les  voir  et  les  apprécier.  Que  si  cela  ne 
lui  arrive  pas,  que  si,  de  plus,  comme  cela  n'est  que 
trop  probable,  il  se  trouve  encore  en  contact  forcé 
avec  des  personnages  mesquins  ou  vaniteux  et 
plus  égoïstes  que  Philinte,  il  en  souffrira  sans 
douie,  mais,  par  l'apaisement  qu'amène  le  temps, 
par  le  souvenir  des  niau\  endurés  et  l'expérience 
acquise,  il  parviendra  enfin  à  la  vertu  qui  lui  man- 
que le  plus,  Ji  cette  suprême  vertu  sociale  et  hu- 
maine de  la  bienveillance,  car  les  âmes  nobles  ne 
s'aigrissent  point  :  il  sera  alors  ciimplètement 
vertueux,  et  il  ne  sera  plus  «  le  misanthrope  ". 

11  y  aurait  encore  à  relever,  dans  la  pièce  de 
Molière,  bien  des  détails  intéressants  ;  à  lui  seul, 
par  exemple,  le  caractère  de  Cclimène  mériterait 
toute  une  étude  ;  bornons-nous  à  indiquer,  avec  la 
scène  des  portraits  dont  nous  avons  déjà  parlé, 
celle  où  Molière  met  en  présence  Arsinoé  et  Céli- 
mène,  la  prude  et  la  coquette,  pour  la  plus  grande 
édification  des  spectateurs. 

Le  Tartufe  (I0i>4-I6(n).  —  Le  Tartufe  (ou  le 
^a'^u/Ze,  suivant  l'orthographe  des  premières  édi- 
tions) est  la  plus  célèbre  pièce  de  Molière;  c'est!  taria,  petite  marmite;  c'est  en  effet  dans  une 
aussi  celle  qui,  quand  on  l'a  lue,  demande  le  moins  i  marmite  que  l'avare  de  Plante  cache  son  trésor) 
d'explications.  Sauf  peut-être  une  scène,  char-  i  Je  type  d'un  avare  burlesque,  le  cadre  de  sa  co- 
rnante d'ailleurs,  de  dépit  amoureux  (acte  II,  '  rnédie, quelques  proposdevalets,ridéedeplnsieurs 
scène  iv;,  comme  il  s'en  trouve  plusieurs  dans  le  1  situations  plaisantes,  et  il  s'est  approprié  le  tout, 
théâtre  de  Molière,  l'action  est  vive  et  pressé'^  ;  I  en  cliangeant  d'ailleurs  complètement  la  fable,  et 
les  situations  sont  d'une  admirable  clarté,  et  il  y  I  en  substituant  au  gros  sel  romain  la  fine  fleur  des 
en  a  de  très  hardies  ;  il  en    est  de  moine  des  ca-    saillies  gauloises. 

ractères  ;  tous  ces  personnages,  à  quelque  degré  l|  n'est  peut-être  pas,  dans  tout  son  répertoire, 
qu'ils  appartiennent  au  drame,  Djmis,  Dorine,  de  pièce  où  il  ait  imaginé,  pour  servir,  soit  d'ac- 
raadame  Periielle,  vivent,  comme  on  dit,  d  une  vie  |  compagnement,  soit,  comme  on  dit,  de  repoussoir, 
intense  ;  il  n'est  pas  jusqu'à  M.  Loyal,  l'exempt  j  à  son  personnage  d'Harpagon,  plus  de  situations 
qui  «  (  xécute  »  pour  M.  Tartufe,  dont  la  physio-  I  amusantes,  plus  de  types  faits  pour  le  rire,  plus 
nomîe  doucereuse  ne  s'élève,  en  quelques  coups  '  de  finesse  et  plus  de  bons  mots.  Les  scènes,  par 
de  crayon,  à  la  hauteur  d'un  type  personnel.  C'est,  !  exemple,  entre  Harpagon  et  La  Flè'he  (acte  1, 
naturellement.  Tartufe  qui  domine  tout  le  reste;  !  scène  m),  entre  Harpagon  et  maître  Jacques 
le  nom  môme  de  ce  faux  dévot  est  resté  dans  la  '  (acte  III,  scène  v),  celle  où  La  Flèche  présente  k 
langue  pour  désigner  la  forme  la  plus  basse  et  la  !  CIcante  le  détail  des  singuliers  <i  rogatons  »  que 
plus  odieuse  de  l'Iiypocrisie;  depuis  le  moment,  si  ,  son  prêteur  l'oblige  à  prendre  en  sus  de  l'argent 
bien  préparé,  de  son  entrée  en  scène,  jusqu'à  son  I  comptant  (acte  II,  scène  i),  celle  encore  où  Fro- 
châtimem  final,  il  n'y  a  pas  un  de  ses  mots  et  un  [  sine,  la  n  femme  d'intrigue  »,  use  vraiment  toute 
de  ses  actes  qui  ne  portent  et  ne  concourent  ai  son  éloquence  pour  tirer  quelques  sous  du  «chien 
l'effet  dii  plus  habile  rôle  comique  qui  ait  jamais  I  de  vilain  »  qui  reste  ferme  à  toutes  ses  attaques 
été  mis  à  la  scène.  On  a  accusé  Molière  d'avoir  I  (acte  H.  scène  vi),  sont  des  plus  vives  et  des  plus 
voulu,  dans  sa  personne,  faire  le  procès  à  la  vraie  charmantes.  Harpagon  est  lui-même,  qu'on  nous 
piété;  il  faudrait  pour  cela  qu'elle  se  distinguât  '  passe  le  mot,  bien  drôle,  avec  son  fameux  <i  sans 
bien  peu  de  l'autre,  et  c'est  ce  que  n'ont  pas  assez  i  dot  »  (acte  1,  scène  vu),  qui  répond  à  tout,  et  dans 
vu  peut-être  les  détracteurs  quand  même  de  la]  |e  non  moins  fameux  monologue  (acte  IV,  scène  vu), 
pièce.  Si,  dans  certaines  scènes  du  Don  Juan,  on  j  où  il  veut  faire  pendre  tout  le  monde,  quitte, 
a  pu   lui  prêter  sur  ce  point  quelques  intentions  !  s'il  ne  retrouve  pas   son  argent,  à  se  pendre  lui- 


scène  VI).  Le  mot  que, suivant  un  procédé  familier 
à  Molière,  il  oppose,  en  y  insistant,  à  l'indifférence 
taquine  de  sa  servante  :  «  El  Tartufe  ?  »  (acte  I, 
scène  iv)  est  aus>i  populaire  que  le  «  Je  ne  iiis  pas 
cela  11  du  Misanthrope  et  le  «  Sans  dot  »  de  \' Avare. 
Elmire,  pour  une  honnête  femme,  a  un  rôle 
difficile  (acte  IV,  scène  v),  la  trahison,  comme 
nous  l'avons  dit  à  propos  d  Alhalie,  étant  toujours 
odieuse,  même  avec  Tartufe  pour  objet  ;  mais 
Molière  a  su  lui  donner  tout  ce  que  sa  situation 
pouvait  comporter  de  palliatif  en  nous  rendant 
témoin  de  l'effort  qu'elle  lui  coûte  et  en  nous 
ôtant  d'ailleurs  pour  l'hypocrite  toute  possibilité 
de  commisération. 

On  a  encore  remarqué  que  le  dénouement  du 
Tartufe  n'est  pas  un  vrai  dénouement;  c'était  du 
moins  le  seul  possible  pour  que  la  comédie  res- 
tât comédie,  et  surtout,  à  l'époque  où  Molière  la 
donna,  pour  qu'elle  pût  paraître  sur  le  théâtre. 
L'Avare  (166-)-  —  "  il  y  a  des  gens,  dit  La 
Bruyère,  qui  sont  mal  couchés,  mal  habillés  et 
plus  mal  nourris;  qui  essuient  les  rigueurs  des 
saisons,  qui  se  privent  eu.t-mcmes  de  la  société 
des  hommes,  et  passent  leurs  jours  dans  la  so- 
litude; qui  souffrent  du  présent,  du  passé  et  de 
l'avenir;  dont  la  vie  est  comme  une  pénitence 
continuelle,  et  qui  ont  ainsi  trouvé  le  secret 
d'aller  à  leur  perte  par  le  chemin  le  plus  péni- 
ble :  ce  sont  les  avares.  «  C'est  assez  dire  que 
l'avarice  est  une  passion  triste,  se  prêtant  bien 
plutôt  aux  sombres  développements  d'un  roman 
cnmme  VHug  nie  Giandet  de  notre  Balzac,  ou  d'un 
drame  comme  le  Marclumd  de  Venise  de  Shake- 
speare, qu'aux  gaîtés  traditionnelles  de  la  comédie. 
Molière  s'y  est  pourtant  risqué.  Il  a  demandé  au 
théâtre  des  Latins,  à  VAulutnria  de  Plante  (aulu- 


douteuses,  ici  du  moins  sa  pensée  est  parfaitement 
visible,  et  il  n'est  point  besoin,  pour  le  disculper, 
d'avoir  recours  à  la  fameuse  tirade  de  Cléante 
(acte  I,  scène  v)  : 

Il  est  de  faux  dévots  ainsi  que  de  faux  braves. 

Orgon,  après  Tartufe,  est  le  personnage  le  plus 
en  relief;  lui-même,  sans  le  vouloir,  est  déjà  plus 


même  après,  et  il  serait  difficile  de  rien  trouver 
de  plus  amusant  que  le  singulier  quiproquo  dos 
0  beaux  yeux  de  sa  cassette  »  (acte  V,  scène  m). 
Mais,  quoi  qu'ait  fait  Molière,  il  reste  dans  sa 
donnée  un  fond  de  tristesse,  tenant  à  la  nature 
même  de  la  passion  qui  est  en  jeu,  et  que  tout  son 
art  n'a  pu  surmonter.  On  peine  à  voir  Harpagon 

... ,  ._ ,, ... .  ^ ^j_  , et  Cléante  se  jetant  l'un  à  l'autre  des  sarcasmes, 

d'à  moitié  «  tartufe  »;  encore  un  peu,  et  on  en  !  qu'ils  ne  méritent  que  trop,  le  père  pour  sa  la- 


THERMOGHIMIE 


—  2186  — 


THERMOGHIMIE 


drerie,  le  fils  pour  sa  prodigalité  (acte  TI,  scènes  ii 
et  II!)  ;  on  ne  peine  pas  moins  i  voir  Harpagon  se 
faire  le  rival  de  son  (ils  tendre  des  pièges  i  sa 
bonne  foi  pour  lui  extoi'qu.jr  le  secrei  de  son 
affection  (acte  IV,  scènes  m,  iv  etv),  et  s'attirer, 
de  la  part  de  Cléante,  en  retour  d'une  malédic- 
tion qui  n'eût  jamais  dû  soriir  de  ses  lèvres,  cette 
impertinente  réponse  :  «  Je  n'ai  que  faire  de  vos 
dons  ».  Ceci  soit  dit  sans  aller  ju'iiiu'à  prétendre, 
comme  certains  critiquas,  que  Molière  ait  voulu 
faire  outrage  aux  plu^  nobles  affections  et  aux  plus 
sacrés  devoirs  de  la  famille,  puisque,  en  délinitive,  j 
tous  les  pères  ne  ressemblent  pas  à  Harpagon  ni 
tous  les  tils  à  Cléante,  (Ctiarles  Defodcn.J 

THKR»1()C!IIMIE.  —  Chimie,  préliminain-s.  —  ] 
Les  quantités  de  chaleur  dégagées  dans  les  réac-  , 
lions  chitniques  mesurent  le  travail  accompli  par  les  ^ 
affinités,  c'est-à-dire  par  les  forces  moléculaires  , 
qui  déterminent  les  combinaisons  et  les  décompo-  j 
sitions  ;  de  même  que  les  quantités  de  chaleur 
disparues  dans  une  machine  fournissent  la  me- 
sure des  travaux  sensibles  accomplis  par  cette  ma- 
chine. 1 

Un  même  principe  général,  celui  de  l'oquiva- 
lenco  des  forces  naturelles  et  de  leur  réduction 
h  la  chaleur,  prise  comme  mesure  commune  à 
toutes  ces  forces,  préside  donc  à  la  mécanique 
physique  et  h  la  mécanique  chimique.  C'est  ' 
ainsi  que  cette  dernière  science  se  trouve  repo- 
ser sur  la  thermochimie.  '    | 

Pour  mieux  concevoir  l'origine  de  la  chaleur  , 
dégagée  et  son  importance,  examinons  de  plus 
près  la  constitution  des  corps,  telle  que  les  no- 
tions scientifiques  actuelles  permettent  de  la  j 
concevoir. 

Un   corps  solide,  liquide    ou  gazeux   peut  être  ' 
regardé  comme  formé  de  molécules  distinctes, exé-  j 
Cutant  un  certain  nombre  de  mnuvenH'nts,  d'am- 
plitude et  de  vitesse  variables  suivant  la  tempéra- 
ture. Ces  mouvements  sont  de  trois  sortes  :  mou-  . 
vements  de  vibration,  de  rot  'tion  et  de  translation,  j 
spécialement  sensibles  pour  les  molécules  gazeu- 
ses.   Lorsque   deux   corps    simples   se  combinent  , 
directement  pour  foriU'ir  un  composé  unique,    il 
en   résulte   en   général    une    c "naine    perte    de 
force   vive,    et    une   certaine    modification    dans 
l'arrangement     primitif     des    molécules.     De    là 
suit  une    perte  d'énergie,  qui   se  traduit  par  un 
dégagement   de    chaleur.   L'inverse    a   lieu    dans 
la  plupart  des  décompositions;  c'est  pourquoi  l'é- 
nergie nécessaire  à  celles-ci  doit  être  fournie  par 
une  source  extérieure,  telle    que   réchauffement 
du  système  ou  son  électrisalion. 

Pré'  isons  par  quelques  exemples.  Soient  le 
chlore  et  l'hydrogone  ;  ces  deux  taz  s'unissent  à 
volumes  égaux  pour  former  de  l'acide  chlorliydri- 
que,  corps  également  gazeux,  et  occupant  un 
volume  égal  à  la  somme  dos  deux  composants. 
La  chaleur  dégagée  est  due  d'ailleurs  entière- 
ment au  travail  chimique  accompli  dans  la  com- 
binaison :  car  celle-ci  n'est  accompagnée  par  au- 
cun changement  d'état  physique,  susceptible  de 
produire  de  la  chaleur. 

Or,  la  combinaison  des  deux  gaz,  à  équivalents 
égaux,  c'est-à-dire  dans  la  proportion  d'un  gramme 
d'hydrogène  par  35,5  grammes  de  chlore,  dégage 
22,0i0  calories,  quantité  de  chaleur  susceptible 
de  porter  de  o»  à  1"  •.i2  0iin  grammes  d'eau.  En 
multipliant  ce  chiffre  par  l'équivalent  mécanique 
de  la  chaleur,  c'est-à-dire  par  iib,  ce  qui  fait 
9350  00  ,on  aie  nombre  de  kilogrammes susce|iti- 
ble  d'être  élevé  à  1  mètre  de  liauteur,  par  suite  du 
travail  chimique  produit  par  la  combinaison  à 
équivalents  égaux  du  chlore  et  de  l'hydrogène,  ce 
dernier  pris  sous  le  poids  d'un  gramme. 

C'est  précisément  en  vertu  d'un  travail  chimi- 
que analogue  développé  par  la  combinaison  du 
charbou  avec  l'oxygène  de  l'air  que  marchent  les 


machines  à  vapeur,  source  principale  du  travail 
mécanique  dans  l'industrie. 

On  voit  par  là  la  signification  de  la  chaleur 
dégagée  dans  les  phénomènes  chimiques.  Mais 
l'étude  de  cette  chaleur  n'est  pas  seulement  inté- 
ressante au  point  de  vue  de  son  application  à  l'in- 
dustrie et  aux  machines  ;  elle  fournit  aussi  la 
loi  qui  permi't  de  prévoir  le  sens  et  la  nature 
des  réactions  chimiques  elles-mêmes  ;  réactions 
dont  la  connaissance  était  purement  empirique 
jusqu'à  ces  dernières  années. 

Les  premiers  travaux  de  thermochimie  ont  été 
exécutés  par  Laplace  et  Lavoisier  dès  nSi).  Mais 
les  appareils  et  les  méthodes  qu'ils  employèrent 
manquaient  de  précisiun.  En  ISll)  parurent  les 
travaux  de  Dulong  et  Petit,  qui  découvrirent  la 
relation  théorique  existant  entre  les  chaleurs  spé- 
cifiques des  principaux  corps  simples;  puis  plu- 
sieurs mémoires  de  Neumann  (1831),  de  Wœstyn 
(1804Î,  et  les  beaux  travaux  de  Regnault  sur  les 
chaleurs  spécifiques  des  corps  sous  les  trois  états, 
travaux  effectués  avec  la  plus  grande  précision. 
Les  recherches  de  Favre  et  Silbermann  et  celles 
d'AndrevvsetdeM.'l'homsen  multiplièrent  les  déter- 
minations numériques  ;  mais  c'est  à  M.  Berthelot 
qu'est  due  la  découverte  des  lois  qui  rattachent  la 
prévision  des-  phénomèmes  chimiques  à  la  con- 
naissanci'  de  la  chaleur  dégagée  et  qui  s  int  desti- 
nées à  changer  profoiidoinent  le  caractère  de 
l'enseignement  de  la  chimie. 

Les  principes  de  la  thermochimie  peuvent  être 
ramenés  à  trois  lois  fondamentales  que  nous 
nous  bornerons  à  énoncer,  le  cadre  de  cet  ou- 
Viage  ne  nous  permettant  pas  de  les  développer. 

1°  Principe  des  travaux  moléculaires.  —  La 
quantité  de  chaleur  dégngre  dans  une  réaction 
quekonqu--  mesure  lu  somme  d'-'S  iravaur.  chimi- 
ques et  fi^iysiqnes  accomplis  dans  cette  réaction. 

Ce  principe  est  fondé  sur  la  concordance  cons- 
tante de  ses  conséquences  avec  les  résultats 
observés. 

Il  fournit   la   mesure  des  affinités   chimiques. 

2°  Principe  de  l'éouivalence  cai.ohipique  des 
transformations  chimiques,  autrfmknt  dit  :  prin-; 

CIPE     DE     l'eTAT    initial    ET    DE  l'ÉTAT    FINAL.    —    Si 

un  si/stém'  lie  corps  simples  ou  composés,  pris 
dans  des  coidili^ns  déterminées,  éprouve  des 
changements  physiq>es  nu  chimiques  capables  de 
l'amener  à  un  noucet  ét'it,  sa-is  donner  lieu  à 
aucu'i  effet  mécnique  extérieur  tiu  système,  la 
quantité  de  ch'deur  degngée  ou  alisurbée  par 
i'r/fet  de  ces  changements  'iépend  uniqwment  de 
l'ét'it  initial  et  de  l'état  fi  .al  du  système  ;  elle 
e>t  la  même,  qnells  que  soient  la  nature  et  la 
suite  des  états  intermédiaires. 

Les  deux  principes  précédents  servent  à  définir 
la  grandeur  relative  des  affinités.  Le  principe  sui- 
vant permet  de  prévoir  les  phénomènes  chimi- 
que, c'est-à-dire  les  actions  réciproques  des  corps, 
dès  que  l'on  sait  les  conditions  propres  de  l'exis- 
tence de  chacun  d'eux,   envisage   isolément. 

3°  Principe  du  travail  maximum.  —  Tout  chan- 
gemed  chimique  accompli  sms  l'intervention 
d'une  énergie  éirangè'C  tend  vers  tu  production 
du  corps  ou  du  système  de  iorps  qui  dégage  le 
plus  de  chaleur,  _     . 

Considérons,  par  exemple,  les  combinaisons 
des  corps  halogènes,  chlore,  brome,  iode,  et  de 
l'hydrogène  ;  et  le  déplacement  réciproque  de  ces 
éléments.  Ils  s'unissent  à  l'hydrogène  avec  des 
I  dégagements  de  chaleur  bien  différents.  En  effet, 
1  gramme  d'hydrogène  combiné  au  chlore  pour 
1  former  de  l'acide  chlorhydrique  gazeux,  dégage 
H-  22,000"',  tandis  que  l'unidii  du  même  poids 
I  d'hydrogène  avec  le  brome  gazeux  p^iur  former 
i  du  gaz  bromhydrii|ue  dégage  -+-  13,500'",  la  moi- 
,  tic  environ  ;  enfin  l'union  do  l'hydrogène  et 
1  de  l'iode  gazeux  absorbe  0,800"',  Il  résulte  de  ces 


THKRMOCHIMIE 


—  2187 


THERMOMETRE 


chiffres  que  lo  clilorn  doit  décomposer  le  gaz  iod-  1  TIIIînMOMÈTBIÎ.  —  Pliysique,  XIV.  —Le  ther- 
hydi-iqui^  en  d(!gaf;(!ant  22,8110"'  :  c'est  en  effet  ce  tiiomrirr  est  un  appareil  desiiné  à  constator  la 
que  l'expérience  vérifie  aussitôt.  Le  brome  doit  température  des  corps  et  ses  varialinns;  c'est  un 
également    décomposer   l'acide   iodliydrique  :    ce  ]  indicateur  disposé  de  manière  ."i  rendre  très  sen- 


que  l'expérience  vérifie  également.  Enfin  le  chlore 
doitdécomposcr  et  décomposa  en  offei  le  gaz  brom- 
hydiiqueen  dégageant  22,000  —  13,500=  8, iOO  ca- 
lories. 

Toutes  ces  conséquences  sont  vérifiées  par  des 
expériences  depuis  longiemps  classiques,  mais 
dont  la  théorie  n'avait  pas  été  donnée  avant  les 
découvertes  de  la  ihermoclumie. 

Des  applications  analogues  peuvent  être  faites 
dans  tous  les  déplacements  rceipro(|ues  des  corps 
simples,  métalloidesoumétaux,  qui  peuvents'effec- 
tuer  en  cliimie. 

Considérons  un  exemple  de  déplacement  d'une 
base  par  une  autre. 

La  potasse,  en  se  combinant  ;\  l'acide  chlorhy- 
driqui-,  dégage  une  quantité  de  chaUuir  supérieure 
à  celle  qui  correspond  il  la  combinaison  de  l'oxyde 
de  mercure  avec  le  même  acide.  La  différence  est 
égale  h  4,3nO  calories  pour  les  deux  corps  dis- 
sous ;  et  on  vérifie  (|ue  la  putasse  déplace  en  effet 


sible,  et  par  suite  très  facile  \  observer  avec  ri- 
gueur, l'un  des  effets  que  la  chaleur  peut  produire; 
parmi  ces  effet,s,  les  phénomènes  de  variation  de 
volumes  fournissent  un  moyen  de  comparaison  à 
la  fois  général  et  fécond;  c'est  donc  lu  dilatation 
que  l'on  observe,  parce  que  l'on  peut  aisément  la 
mesurer  avec  exactitude;  elle  sert  de  base  aux 
thermomètres. 

Les  anciens  connaissaient  les  phénomènes  de  la 
dilatation;  ils  on  avaient  môme  profité  pour  pro- 
duire quelques  curieux  effeis,  mais  ils  n'avaient 
pas  d'appareils  où  ils  pussent  l'observer  iv'guliè- 
rement  II  faut  arriver  an  xvi"  siècle  pour  on  trou- 
ver un  imaginé  par  Drebbel,  et  au  milieu  dn  xvii°, 
vers  16Gn,  pour  trouver  le  premier  thermomètre 
des  académiciens  de  Florence,  fondé  sur  la  dilata- 
bilité des  liquides.  L'instrument  do  ces  savants 
consistait  en  une  sphère  soudée  à  un  tube  étroit 
et  contenant  de  l'alcool  coloré  ;  porté  d'un  milieu 
dans  un    autre  plus  chaud,  il  marquait  la  dil 


l'oxyde  de  morcuro  précisément  avec  ce  dégage-    tion  plus  grande  éprouvée  par  le  liquide  que  par 


ment  de  chaleur,  da.ib  une  dissolution  de  chlorure 
de  mercure.  Ici  l'oxyde  de  mercure  est  précipité; 
mais  un  déplacement  analo:;ue,  d'une  base  soluble 
par  une  base  soluble,  également  prévn  par  la 
thermoehimie,  s'opère  même  dans  les  dissolutions, 
sans  aucune  séparation  par  volatilité  ou  insolubi- 
lité ;  par  exemple,  lorS(|u'on  traite  une  solution 
étendue  de  chlorliydratc  d'ammoniaque  par  la 
soude,  tout  l'ammoniaque  est  déplacé  avec  déga- 
gement de  chaleur,  et  la  soude  demeure  entière- 
ment unie  à  l'acide  chlorhydrique. 

L'ensemble  de  ces  notions  nouvelles  a  été  déve- 
loppé par  M.  Berthelot  dans  un  ouvrage  intitulé  : 
Essai  de  méca'àqtie  chimique  foii'lée  sur  tn  ther- 
mochintie,  ouvrage  dont  nous  allons  reproduire 
la  conclusioji  en  la  résumant  : 

«  C'est  ainsi  que  le  principe  du  travail  maximum 
se  vérifie  par  l'étude  des  phénomènes  fondamen- 
taux de  la  chimie.  Le  tableau  général  des  actions 
chimiques  des  corps  se  trouve  ramené  par  là  àuno 
règle  unique  de  statique  moléculaire.  La  chimie 
des  espèces,  des  séries  et  des  constructions  symbo- 
liques, qui  a  formé  juse|u'ici  presque  toute  la 
science,  est  reje'ée  sur  le  second  plan  par  la  chi- 
mie plus  tcénéralo  des  forces  et  dos  mécanismes  : 
c'est  en  effet  celle-ci  qui  doit  dominer  celle-là, 
car  elle  lui  fournit  les  règles  et  la  mesure  de  ses 
ictions. 

Il  La  matière  multiforme  dont  la  chimie  étudie  la 
diversité  obéit  aux  lois  d'une  mécani(|ue  commune, 
et  qui  est  la  même  pnur  les  particules  invisibles 
des  cristaux  et  des  cellules  que  pour  les  organes 
sensibles  des  machines  proprement  dites.  Au  point 
de  vue  mécanique,  deux  doiuiées  fondamentales 
caractérisent  cette  diversité  en  apparence  indéfi- 
nie des  substances  chimiques,  savoir  :  la  masse 
des  particules  élémentaires,  c'^st-à-dire  leur  équi- 
valent, et  la  nature  de  leurs  mouvements.  La  con- 
naissance de  ces  deux  données  doit  suffire  pour 
tout  expliquer.  Voilà  ce  qui  justifie  l'importance 
de  la  thermoehimie.  Le  but  qu'elle  poursuit  est 
d'autant  plus  haut  que,  par  une  telle  évolution,  la 
chimie  tend  à  soriir  de  l'ordre  des  sciences  des- 
criptives, pour  rattacher  ses  principes  et  ses  pro- 
blèmes à  ceux  des  sciences  purement  physiques  et 
mathémati({ues.  Elle  se  rapproche  ainsi  de  plus 
en  plus  de  cette  conception  idéale,  poursuivie 
depuis  tant  d'années  par  les  efforts  des  savants  et 
des  philosophes, et  dans  laquelle  toutes  les  spécu- 
lations et  toutes  les  découvertes  concourent  vers 
l'uniié  de  la  loi  universelle  des  mouvements  et  des 
forces  naturelles.  »  {Essai  de  mécanique  chimi/ue, 
t.  II,  p.  ToO.)  [A.  villiers.] 


l'enveloppe  ;  on  voyait  le  niveau  s'élever  et  accu- 
ser ainsi  l'augmentation  de  température. 

Presque  tous  les  corps  sont  propres  à  servir  de 
thermomètres,  puisque  presque  tous  se  dilatent 
régulièrement  par  la  chaleur  entre  certaines  li- 
mites. On  peut  donc  prendre  comme  corps  iher- 
mométrique  un  solide,  un  liquide  ou  un  gaz. 

Les  solides,  à  cause  de  leur  faible  dilatation,  pré- 
sentent un  avantage  s'il  s'agit  d'évaluer  de  très 
grandes  variations  de  température  ;  mais  ils  ont 
l'inconvénient  de  n'être  pas  toujours  ass''z  homo- 
gènes pour  que  deux  échantillons  différents  puis- 
sent être  suffisamment  comparables. 

Les  gaz  conviennent  très  bien  pour  les  faibles 
écarts  de  température  et  pour  les  températures 
élevées;  comme  ils  se  dilatent  environ  150  fois 
plus  que  leur  enveloppe,  ils  sont  comparables  en- 
tre eux  ;  mais  leur  manipulation  est  assez  délicate, 
aussi  réserve-t-on  les  thermomètres  à  gaz  pour  les 
expériences  précises. 

Restent  les  lii|uides  ;  on  les  emploie  presque 
exclusivement  pour  les  températures  moyennes  et 
pour  les  usages  ordinaires  ;  ils  offrent  l'avantag", 
de  pouvoir  être  enfermés  dans  des  vases  trans- 
parents où  il  est  facile  de  suivre  et  de  mesurer  les 
variations  do  leur  volume. 

Quel  que  soit  le  corps  dont  on  ait  fait  choix,  la 
condition  fondamentale  à  réaliser  c'est  d'avoir  des 
appareils  comparables  entre  eux,  qui,  dans  les  mê- 
mes circonstances,  donnent  les  mêmes  indications. 
Les  académiciens  de  Florence  n'avaient  rien 
trouvé  de  mieux  que  de  construire  tous  leurs  ther- 
momètres d'après  un  même  étalon  qu'ils  repro- 
duisaient aussi  fidèlement  que  possible  ;  il  est  à 
peine  besoin  de  faire  remarquer  qu  on  ne  pou- 
vait obtenir  par  ce  moyen  qu'une  grossière  ap- 
proximation. 

L'identité  absolue  n'est  pas  indispensable  pour 
obtenir  des  appareils  comparables;  il  ~ufHt  de  les 
graduer  d'après  certaines  règles  fixes  faciles  à  re- 
tinir  ou  à  retrouver.  Déjà  eu  IG9.,  Renaldi,  phy- 
sicien de  Pavie,  proposait  de  marquer  sur  tous  les 
thermomètres  les  points  de  !a  glace  fondante  et 
de  l'eau  bouillante  et  de  diviser  l'intervalle  en  un 
nombre  convenu  de  parties  égales  :  c'est  ce  (|ne 
l'on  fait  aujourd'hui  La  fusion  de  la  glace  l'ébul- 
lition  de  l'eau  sont  des  conditions  calorifiques  in- 
variables; elles  définissent  des  conditions  d'é- 
chauffemen^  fixes  et  déterminées.  F.ntre  ces  limites, 
un  même  Corps  se  dilate  toujours  d'une  même  frac- 
tion de  son  volume;  la  portion  de  la  tige  com- 
prise entre  ces  deux  points  est  donc  pour  tous  les 
thermomètres  unefraction  constante  du  volume  du 


THERMOMETRE 


—  ^188  — 


THERMOMETRE 


Téservoir.  Quant  au  nombre  de  divisions  ou  de  de- 
grés que  l'on  y  pratique,  il  est  variable  avec  la 
convention  îi  laquelle  on  s'est  arrêté,  de  là  l'exis- 
tence de  plusieurs  échelles  tliermométriques  dif- 
férenies,  mais  facilement  comparables  entre  elles. 

1.  Thermomètres  solides.  —  L'emploi  des  soli- 
des comme  corps  ihormomotriques  est  limité  à  la 
construction  d'instruments  servant  k  apprécier 
gross  èrenient,  pour  les  besoins  de  lapraticiue  in- 
dustrielle, des  températures  élevées.  Le  pijrornè- 
tre  fie  Wedgwood  et  le  l hfimomèire  (le  Urèg'el 
sont  les  deux  types  de  ces  appareils.  Le  premier 
est  formé  d'une  plaque  métallique  qui  porte  deux 
rainures  de  largeur  décroissante  dont  l'une  est  la 
continuation  de  I  autre.  On  prépare  de  petits  cy- 
lindres d'argile  qui,  avant  d'être  chauffés,  ne  pénè- 
trent dans  la  rainure  que  jusqu'à  une  division 
initiale  marquée  zéro  On  chauffe  l'un  d'entre  eux 
à  la  température  que  l'on  veut  évaluer;  il  subit 
un  retrait  permanent  :  après  le  refroidissement,  on 
l'introduit  dans  la  rainure  et  on  observe  la  divi- 
sion à  laquelle  il  s'arrête  ;  on  a  ainsi  la  tempéra- 
ture à  une  grossière  approximation. 

1-e  thermomètre  de  Bréguet  est  fondé  sur  l'i- 
négale dilatation  do  deux  ou  plusieurs  lames  mé- 
talliques soudées  suivant  leur  longueur.  Trois 
rubans  de  platine,  d'argent  et  d'or  ont  été  soudés 
et  tournés  en  spirale;  une  extrémité  est  fixe, 
l'autre  supporte  une  aiguille  mobile  sur  un  ca- 
dran. Si  la  température  augmente,  l'un  des  rubans 
se  dilatant  plus  que  l'autre,  la  forme  de  la  spirale 
change  et  l'aiguille  s'avance  sur  le  cadran.  L'appa- 
reil est  d'une  grande  sensibilité  qui  le  rend  pré- 
cieux dans  certaines  circonstances.  On  en  a  pu  faire 
un  appareil  enregistreur. 

2.  Thermomètres  à  liquides.  —  Ces  thermomè- 
tres seraiBiit  rigoureusement  comparables  entre 
eux  si  l'on  observait  les  volumes  absolus  des  li- 
quides. Mais  d'ordinaire  on  n'observe  que  les  vo- 
lumes apparents.  On  ne  peut  donc  à  priori  re- 
garder comme  entièrement  comparables  les  indi- 
cations d'instruments  construits  avec  le  même  li- 
quide renfermé  dans  des  enveloppes  plus  ou 
moins  différentes.  Mais  la  dilatation  de  l'enve- 
loppe solide  est  une  fraction  assez  petite  de  la  di- 
latation du  liquide  pour  que  son  influence  puisse 
être  négligée  dans  les  observations  ordinaires.  La 
commodité  des  thermomètres  à  lii|uides  est  telle 
«ju'on  ne  saurait  en  abandonner  l'usage,  même 
dans  les  recherches  les  plus  précises;  on  les  com- 
pare alors  à  un  thermomètre  à  air  pris  pour  éta- 
lon, et  on  donne  ainsi  un  sens  tout  à  fait  précis 
aux  indications  fournies  par  chacun  d'eux. 

Parmi  les  liquides,  le  mercure  est  celui  que  l'on 
préfère  à  cause  de  la  facilité  de  l'obtenir  pur,  de 
la  Commodité  de  suivre  ses  variations  de  volume 
dans  la  tige  de  l'instrument,  et  de  l'étendue  de  ses 
indications.  On  emploie  aussi  l'alcool  rougi,  pour 
les  températures  inférieures  à  6il°  et  surtout  pour 
les  températures  basses  qui  congèleraient  le  mer- 
care. 

11  nous  faut  décrire  succinctement  la  construc- 
tion de  ces  deux  appareils. 

A.  Ther,i,omHre  à  mercure.  —  La  construc- 
tion d'un  thermomètre  à  mercure  comprend  qua- 
tre opérations  distinctes  :  1°  le  choix  du  tube  et  le 
remplissage  ;  2°  le  règlement  de  la  course  de 
l'appareil;  3°  la  détermination  des  points  fixes; 
4»  la  construction  de  l'échelle. 

1°  Le  tube  est  choisi  capillaire,  autant  que 
possible  bien  calibré,  c'est-à-dire  présentant  un 
diamètre  sensiblement  constant  sur  une  longueur 
d'un  à  deux  décimètres.  On  y  souffle  ou  l'on  y 
soude  un  réservoir  à  une  extrémité  et  une  am- 
poule à  pointe   effilée  à  l'autre. 

Pour  y  introduire  du  mercure,  on  chauffe  l'am- 
poule sur  une  lampe  à  alcool,  puis  on  plonge  la 
pointe  effilée  dans  le  mercure,  et  le  liquide  monte 


sous  l'action  de  la  pression  atmosphérique  à  la- 
quelle ne  fait  plus  équil  bre  l'air  de  l'ampoule  qui 
en  se  refroidissant  a  diminué  de  volume  et  de 
pression.  On  retourne  l'appareil,  le  mercure  ne 
descend  pas  à  cause  de  la  capillarité  du  tube.  On 
chauffe  le  réservoir,  une  partie  de  l'air  qu'il  con- 
tient s'échappe,  et,  si  on  cesse  de  chauffer,  le  li- 
quide pressé  par  l'atmosphère  descend  d;ins  la 
tige  et  occupe  une  partie  du  réservoir.  Quand 
celui-ci  est  aux  trois  quarts  rempli,  on  dispose  le 
tube  sur  une  grille  légèrement  inclinée  et  à  l'aide 
de  charbons  allumés  on  chauffe  le  réservoir,  la  tige 
et  l'ampoule,  jusqu'à  l'éljullition  du  mercure. 
Lorsqu'on  suppose  que  les  vapeurs  mercurielles 
ont  chassé  tout  l'air  qui  restait  encore  dans  le  tube, 
on  redresse  celui-ci  qui  se  remplit  entièrement 
en  se  refroidissant. 

2°  Régler  la  course  de  l'appareil,  c'est  y  laisser 
la  quantité  de  liquide  convenable  suivant  les  indi- 
cations liraiies  que  l'on  désire  à  l'instrument.  Il 
est  facile  de  comprendre  que  si  à  la  température 
ordinaire  la  tiae  du  thermomètre  est  presque 
pleine  l'instrument  ne  pourra  pas  indiquer  des 
températures  élevées;  qu'au  contraire,  il  ne  pourra 
marquer  les  températures  basses  si  on  ne  laisse 
pas  assez  de  liquide  dans  le  tube.  On  règle  la 
course  partâtonnements.  On  place  l'apiiareil  suc- 
cessivement à  deux  températures  différentes  et 
l'on  note  les  points  où  s'arrête  la  colonne  mercu- 
rielle  ;  on  peut  alors  savoir  approximativement  le 
nombre  total  de  degrés  que  le  thermomètre  pourra 
marquer,  ft  on  ajoute  du  liquide  ou  l'on  en  retire 
du  tube  suivant  la  position  que  l'on  se  propose 
de  donner  au  zéro. 

Cette  opération  finie,  on  détache  l'ampoule  et 
on  ferme  le  tube. 

.3°  Pour  que  les  thermomètres  soient  compara- 
bles ,  qu'ils  donnent  les  mêmes  indications 
dans  les  mêmes  circonstances,  on  a  choisi 
deux  points  fixes  faciles  à  retrouver  en  tout 
temps  et  en  tout  lieu.  Le  premier  est  la 
température  de  la  glace  qui  fond,  et  le  second 
celle  de  l'eau  bouillante  sous  la  pression  baro- 
métrique de  "60  millimètres. 

Le  premier  point  fixe  est  marqué  zéro  (0)  et  le 
second  cent  (li  0). 

4°  L'intervalle  est  divisé  en  cent  parties  dont  cha- 
cune porte  le  nom  de  degré.  Le  degré  centigrade 
est  donc  la  centième  partie  de  la  dilatation  qu'é- 
prouve une  masse  de  mercure  quand  on  la  fait  pas- 
ser de  la  température  de  la  glace  fondante  à  celle 
de  l'eau  bouillante;  voilà  sa  viaie  signitication. 

Il  y  d'autres  éclielles  thermonp'triques  que  l'é- 
chelle centigrade,  la  plus  employée  en  France  au- 
jourd'hui. 

Réaumur  a  marqué  80  dans  l'eau  bouillante, 
de  sorte  que  la  valeur  de  80  degrés  de  son  ther- 
momètre est  la  même  que  celle  de  100  degrés  cen- 
tigrades. 

En  Angleterre  et  en  Amérique  l'échelle  la  plU8 
fréquemment  employée  est  celle  de  Fahrenheit,  où 
les  deux  points  fixes  indiqués  précédemment  sont 
marqués,  l'un  32,  l'autre  212,  ce  qui  met  entre 
eux  180  divisions  ou  degrés.  Un  degré  Fahrenheit 

est  donc  — ,  ou  plus    simplement  -  du    degré 

centigrade.  Cette  notion  suffit  pour  exprimer  la 
môme  température  dans  l'une  ou  l'autre  des  gra- 
duations. 

La  concordance  absolue  de  deux  appareils  thep- 
mométriques  construits  avec  le  même  liquide 
n'est  rigoureusement  réalisée  que  si  les  deux 
enveloppes  se  dilatent  également. 

11  résulte  des  expériences  de  M.  Regnanlt  que 
les  inégalités  dues  aux  différences  de  dilatation 
des  enveloppes  faites  avec  des  verres  de  diffé- 
rentes constitutions  sont  négligeables  jusqu'à  la 
température  de  300  degrés.  On  peut  donc  consi- 


TllERMOMÈTllE 


—  218'J  — 


TIERS-KTAT 


déror  les  thermomètres  k  mercure,  à  réservoir 
do  vorro,  comme  comparables  pour  U  plupart  des 
expâriBiices  où  ils  pc^uvent  servir. 

Il  faut  cependant  faire  une  réserve  :  on  a  trouvé 
que  le  zéro  s'élève  un  peu  dans  les  thermomètres 
faits  depuis  queUiue  temps.  On  attribue  ce  résul- 
tat il  un  travail  moléculaire,  une  sorte  de  trempe 
que  subit  le  verre  quand  il  a  été  chauffé  et  qu'il 
est  presque  subitement  refroidi  par  l'air.  La  con- 
naissance de  ce  fait  oblige  à  reclierclier  quel  est  le 
déplacement  du  zéro  dans  l'appareil  que  l'on  vent 
employer  &  une  constatation  précise  de  la  tempé- 
rature et  à  en  tenir  compte  dans  les  résultats 
trouvés. 

Le  thermomètre  à  mercure  peut  donner  les 
températures  jusqu'à  340°,  pas  au-dessus  parce 
que  le  liquide  approche  de  son  point  d'ébullition  ; 
au-dessous  du  zéro  il  peut  aller  jusqu'à  0"  et 
pas  beaucoup  pins  bas  parce  quu  le  liquide  est 
près  de  son  pnint  de  congélaùon  et  qu'alors  sa 
dilatation  devient  irrégulière.  On  se  sert  pour 
les  températures  basses  du  thermomètre  à  alcool, 
ce  liquide  offrant  l'avantage  de  ne  se  congeler  à 
aucune  des  plus  basses  températures  que  nous 
savons  produire. 

B.  Thermomètre  à  alcool.  —  L'instrument  a  la 
même  forme  que  le  précédent;  le  liquide  est  l'al- 
cool rougi  par  l'orseille. 

Le  remplissage  du  tube  est  analogue,  bien  que 
plus  simple,  car  on  peut  sans  crainte  faire  bouillir, 
pour  chasser  l'air,  une  petite  quanlité  d'alcool  déjà 
arrivée  dans  le  réservoir.  S'il  reste  une  petite 
bulle  d'air  à  la  jonction  du  réservoir  et  du  tube, 
on  la  fait  disparaître  en  animant  le  tube  d'un 
mouvement  de  rotation.  Le  règlement  de  la 
course  est  le  même,  aussi  la  fixation  du  point 
zéro.  On  ne  peut  songer  à  marquer  le  point  lOn, 
puisque  l'alcool  bout  avant  cette  température  ;  on 
marque  donc  un  second  point  par  comparaison 
avec  un  bon  thermomètre  à  mercure. 

Sensibttitr  des  Iherniomètres.  —  Que  le  thermo- 
mètre soit  à  alcool  ou  à  mercure,  il  faut  que  l'ins- 
trument se  mette  rapidement  en  équilibre  de 
température  avec  le  milieu  ambiant,  et  il  le  fera 
d'autant  plus  vile  que  son  réservoir  aura  un  plus 
petit  volume.  D'autre  part,  il  indiquera  d'autant 
mieux  les  variations  de  la  température  que  ses 
degrés  seront  plus  grands,  c'est-à-dire  que  la  sec- 
tion de  la  tige  sera  plus  faible  par  rapport  au  vo- 
lume du  réservoir. 

Lorsqu'on  veut  obtenir  à  la  fois  ces  deux  résul- 
tats, on  emploie  des  réservoirs  de  très  petites 
dimensions  et  des  tiges  excessivement  fines  ;  oti  a 
alors  desappareils  réunissant  la  double  sensibilité, 
capables  d'indiquer  les  petites  fractions  de  degrés 
et  de  les  indiquer  très  promptement. 

3.  Thermomètres  à  gaz.  —  Quand  on  emploie, 
pour  mesurer  la  température,  un  gaz  contenu  dans 
une  enveloppe  de  verre,  la  dilatation  de  l'enveloppe, 
qui  est  toujours  au  moins  cent  cinquante  fois  in- 
férieure à  (elle  du  gaz  lui-même,  ne  peut  exercer 
sur  les  indications  du  thermomètre  qu'une  in- 
fluence plus  faible  que  les  erreurs  inévitables  des 
expériences.  Il  en  rcsulie  que  divers  thermomètres 
construits  avec  un  même  gaz  et  des  enveloppes 
diverses  ne  dilïèrent  pas  sensiblement  dans  leurs 
indications.  C'est  ce  précieux  avantage  qui  a  con- 
duit les  physiciens  à  faire  du  thermomètre  à  air 
sec  le  thermomètre  étalon. 

Tout  appareil  propre  à  l'étude  de  la  dilatation 
de  l'air  peut  servir  de  tliermomètre,si  l'on  connaît 
le  coefficient  de  dilatation  du  gaz.  Il  suffit  de 
donner  au  réservoir  une  forme  qui  rende  facile 
l'établissement  de  l'équilibre  calorifique  entre 
l'air  et  le  corps  dont  on  veut  mesurer  la  tempé- 
rature. Uulong  a  adopté  la  forme  cylindrique,  qui 
est  d'un  usage  commode  et  qui  a  éle  fréquemment 
employée  depuis. 


Pour  les  hautes  températures,  M.  H.  Sainte- 
Claire  Devillo  a  employé  un  thermomètre  à  va- 
peur d'iode.  Le  réservoir  est  un  ballon  de  porce- 
laine à  col  effilé  que  l'on  place,  après  y  avoir 
introduit  de  l'iode,  dans  l'enceinte  dont  on  veut 
déterminer  la  température;  on  le  ferme  au  chalu- 
meau oxyhj  drique  quand  les  vapeurs  d'iode  cessent 
de  se  dégager.  Los  posées  de  l'appareil  plein  de 
vapeur,  plein  d'air,  plein  d'eau,  et  la  rorniaissance 
du  coefficient  de  dilatation  do  la  porcelaine,  per- 
mettent de  déterminer  la  température. 

Le  maniement  de  ces  appareils  no  peut  être 
fait  que  par  des  mains  exercées;  aussi  leur  em- 
ploi n'est-il  pas  sorti  des  laboratoires  de  recher- 
ches précises. 

Tous  les  thermomètres  à  mercure  construits 
avec  soi)i  s'accordent  très  sensiblement  avec  le 
thermomètre  à  air  au-dessous  de  loU"  ;  vers  200" 
ils  avancent  d'un  demi  -  degré  à  ?  degrés,  vers 
3(1(1"  de  4  à  (i  degrés.  On  les  emploie  donc  exclu- 
sivement, même  dans  les  n^cherclies  précises,  au- 
dessous  de  KIO  degrés;  au-dessus,  il  devient  né- 
cessaire de  les  comparer  au  thermomètre  à  air,. 
à  moins  qu'une  approximation  d'un  ou  deux  degrés 
ne  soit  Siiffi>ante. 

4.  Thermomètres  à  maxima  et  luinima.  —  Il  est 
souvent  nécessaire  de  connaître  la  pins  haute  et 
la  plus  basse  température  d'un  milieu,  comme 
l'air  atmusphérique  par  exemple,  dans  un  inter- 
valle de  temps  déterminé.  Un  des  moyens  con- 
siste à  faire  avec  les  thermomètres  ordinaires  un 
très  grand  nombre  d'observations  ;  mais  il  est  le 
plus  souvent  impraticable.  Pour  obtenir  facile- 
ment ce  résultat,  on  a  construit  des  appareils  dont 
les  uns  donnent  la  température  la  plus  élevée  et 
les  autres  la  température  la  plus  bas.se  qu'il  a 
fait  dans  le  milieu  où  ilsonl  été  placés.  Le  prin- 
cipe commun  de  ces  appareils,  c'est  de  laisser  un 
index  au  point  le  plus  élevé  ou  le  plus  bas  qu'ils 
ont  marqué  pendant  le  temps  où  ils  sont  restés 
en  place  ;  ou  bien  encore  de  permettre  de  retrou- 
ver facilement  les  températures  maximum  ou 
minimum  qu'ils  ont  atteintes.  La  forme  en  est 
très  variable:  les  deux  types  principaux  sont  les 
thermomètres  à  déversement  de  Walferdin  et  le 
double  thermomètre  de  Rutherford.  Celui-ci  est 
le  plus  sijnpie.  Le  thermomètre  à  maxima  est  à 
mercure,  et  la  colonne  liquide  pousse  devant  elle 
un  index  de  fer  qu'elle  abandonne  et  que  l'on  re- 
trouve lors  de  l'observation  au  point  le  plus  éloi- 
gné du  réservoir  où  elle  est  parvenue.  Le  thermo- 
mètre à  minima  est  à  alcool,  et  le  liquide  refoule 
vers  le  réservoir  en  se  coniractant  un  index  d'émail 
qu'il  laisse  en  place  si  la  température  vient  à 
augmenter  ultérieurement. 

(;es  deux  appareils  sont  parfois  réunis  en  un 
seul  sur  lequel  on  peut  lire  les  deux  indications 
que  l'on  cherche. 

Ils  sont,  à  côté  des  thermomètres  ordinaires, 
d'un  usage  courant  dans  les  observations  météo- 
rologiques. [Haraucouit.l 

TIliRS-É TAT.  —  Histoire  de  France,  XXXVIII- 
XL.  -  L'origine  de  ce  nom,  appli(|ué  en  France, 
sous  les  rois  de  la  troisième  race,  au  peuple  des 
villes  et  des  campagnes,  remonte  aux  premières 
réunions  dos  Etats-généraux.  Le  clergé  et  la  no- 
blesse avaient  été  pendant  longtemps  les  deux 
seules  classes  qui  eussent  été  admises  à  prendre 
une  part,  assez  restreinte  d'ailleurs,  au  gouver- 
nement général  du  royaume.  Lorsque  l'hilippe  le 
Bel,  en  KiO"2,  voulut  opposer  aux  prétentions  du 
pape  l'autorité  îles  décisions  d'une  assemblée  na- 
tionale, il  convoqua  non  seulement  les  représen- 
tants de  ces  deux  étals  ou  ordres,  mais  encore 
ceux  d'un  certain  nombre  de  villes,  qui  formèrent, 
à  partir  de  ce  moment,  un  troisième  ordre,  un 
Ti>-rs-Etat. 

Nous  avons  inditjué,  à  l'article  Communes,  com- 


TIERS-ETAT 


—  2190  — 


TIGE 


ment  la  population  uibaine  s'était  peu  à  peu 
émancipée  de  la  domination  des  seigneurs  féo- 
daux, et  était  arrivée  à  constitupr  une  puissance 
sur  laquelle  la  royauté  jugea  utile  de  s'appuyer. 
L'admission  de  ses  députés  au\  Etats-gcncraux 
accrut  promplement  son  influence.  Un  demi-siècle 
à  peine  après  Philippe  le  liel,  la  bourgeoisie 
essayait  déji  de  mettre  la  royauté  en  tutelle  (Etats- 
généraux  de  1357),  et  de  faire  gouverner  la 
î'rance  par  les  représentants  de  la  nation;  mais  la 
tenta' ive  d'Etienne  Marcel,  qui  eût  transformé  la 
royauté  absolue  en  une  sorte  de  monarcliie  consti- 
tntionnelle,  écliona  (V.  Gucrede  Cent  ar^s,  p.  9ÎI), 
et  le  Tiers  Etat  fut  rejeté  pour  plusieurs  siècles 
au  rang  de  classe  inférieure,  admise  pour  la 
forme  seulement  à  présenter  de  loin  en  loin  ses 
doléances,  lorsque  le  souverain  trouvait  avanta- 
geux à  sa  politique  de  convoquer  les  représen- 
tants des  trois  ordres. 

Pendant  tout  le  xiV  siècle  et  la  plus  grande 
partie  du  xV,  les  députés  des  honnis  viHes  furent 
seuls  appelés  aux  Etats-généraux  :  le  Tiers-Etat 
n'éiait  encore  qu'une  fraction  privilégiée  de  la 
bourgeoisie  ;  les  habitants  des  villes  qui  n'avaient 
pas  reçu  le  droit  d'envoyer  des  députés  aux  Etats, 
et  le  peuple  des  campagnes,  restaient  privés  de 
représentation.  Ce  fut  en  14S4  seulement,  sous  la 
régence  d'Anne  de  Beaujeu,  que  les  députés  des 
campagnes  et  des  petites  villes  furent  admis"  à 
siéger  :  à  partir  de  ce  moment,  le  TiersEtai  com- 
prend réellement  tout  ce  qui,  en  France,  n'est  ni 
prêtre  ni  noble,  c'est-à-dire  toute  la  masse  de  la 
nation. 

Nous  n'avons  pas  à  raconter  l'histoire  du  Tiers- 
Etat  dans  les  trois  siècles  qui  suivent  :  ce  serait 
refaire  l'histoire  de  France.  Qu'il  nous  suffise  de 
renvoyer  à  l'article  Fraive,  et  aux  nombreux  arti- 
cles spériaux,  parmi  lesquels  nous  indiquerons  en 
particulier:  Etnts-Généraux,  Parlements,  Hewiis- 
sance,  Héfomie.  Henri  IV,  Hi'helieu,  Louis  XIV. 
Les  progrès  de  l'industrie  et  du  commerce,  l'accu- 
mulation des  capitaux  entre  les  mains  de  la  bour- 
geoisie, finirent  par  assurer  au  Tiers-Eiat  la  force 
véiitable,  en  dépit  des  formes  politiques  exté- 
rieures qui  restaient  celles  de  la  monarchie  abso- 
lue ;  la  pliilosophie  da  xvui*  siècle,  les  théo- 
ries de  Rousseau  vinrent  donner  conscience  à 
l'opinion  publique  de  l'état  réel  des  choses,  et 
alors  une  révolution  fut  inévitable.  Un  beau  jour, 
Ciiamlort  éclaira  cette  situation  d'un  mot  célèbre  : 
11  Qu'est-ce  qne  le  Tiers-Etat  ?  Tout.  —  Qu'a-t-il 
été  jusqu'ici  dans  l'ordre  politique  ?  Rien.  —  Que 
demande-t-il  ?A  être  quelque  chose.  »  Sieyès 
fit  du  mot  de  Chamfort  un  pamphlet,  qui  servit  de 
programme  aux  élections  des  Etats-généraux 
de  ns9. 

Cependant,  la  Constituante  de  17S0  alla  plus  loin; 
elle  ne  se  contenta  pas  d'assurer  au  Tiers-Etat 
une  part  du  pouvoir  politique,  elle  abolit  les  ordres 
eux-mêmes,  et,  au  lieu  de  trois  Elats  ayant  cha- 
cun ses  privilèges,  il  n'y  eut  plus  qu'une  nation. 
Mais  aussitôt,  par  une  contradiction  qu'expliquent 
le.s  doctrines  politiques  de  la  majorité  des  consti- 
tuants, elle  rétablit,  sous  une  autre  forme,  les 
distinctions  qu'elle  venait  d'effacer,  en  partageant 
la  nation  en  deux  classes,  celle  des  citoyens  actifs 
et  celle  des  citoyens  passifs,  et  en  attachant  la 
qualité  de  cilo\en  actif  au  paiement  d'un  cens. 
C'était  faire  une  France  bourgeoise,  non  une  France 
démocratique.  Aussi  le  système  de  la  Constituante 
ne  dura-l-il  pas.  Au  lendemaiti  de  la  chute  de  la 
royauté,  le  11  août  I';',r2,  l'Assemblée  législative 
complétait  lœuvie  de  la  Révolution  en  abolissant 
la  di.stiiiction  entre  citoyens  actifs  et  citoyens  pas- 
sifs :  la  Convention  nationale  fut  élue  par  le  suf- 
frage universel. 

I.e"  conditions  de  cens  furent  rétablies  sous  les 
régimes  qui  suivirent  :  Directoire,  Consulat,  Em- 


pire, Restauration,  Monarcliie  de  Juillet  (V.  Con- 
stitutions);  et  il  se  trouva  des  théoriciens  pour 
chercher,  dans  l'histoire  du  Tiers-Etat,  une  justi- 
fication i  cet  accaparetnent  du  pouvoir  politique 
par  la  bourgeoisie.  Mais  le  suffrage  universel 
triompha  de  nouveau  par  la  révolution  de  1848, 
et,  avec  lui,  le  principe  de  la  souveraineté  du 
peuple,  seul  terme  définitif  auquel  pussent  tendre 
les  luttes  soutenues  dans  le  passé  par  ie  Tiers- 
Etat  pour  la  liberté  de  tous. 

TIGE.  —  Botanique,  VI- VII.  —  Etyra.  :  du  latin 
tibia.  —  Définition  et  nomenclature  de  la  tige.  — 
On  désigtie  sous  le  tiom  de  tige,  chez  les  végé- 
taux phanérogames,  le  résultat  du  développement 
de  l'axe  de  la  gemtnuleet  de  ses  ramifications. 
Cet  axe  se  dirigeant  généralement  dans  l'air  alors 
que  la  racine  s'enfonce  dans  le  sol,  on  définit 
souvent  la  tige  en  disant  que  c'est  la  partie  de 
l'axe  de  la  plante  croissant  en  sens  inverse  de  la 
racine,  c'est-à-dire  dans  l'air;  cette  partie  pouvant 
se  ramifier  un  plus  ou  moins  grand  nomhre  de 
fois  suivant  les  espèces.  Dans  toute  la  pretnière 
partie  de  cet  article,  nous  ne  parlerons  de  la  tige 
que  chez  les  végétaux  phanérogatnes,  c'est-à-dire 
chez  les  végétaux  à  fleurs  visibles  nu  mieux  chez 
les  vét/élaux  ci  lep'  O'tuction  nérienne. 

Si  nous  dépouillons  une  graine  de  melon,  en  ger- 
mination, de  son  enveloppe  protectrice,  nous  re- 
luarquons  que  l'embryon  protégé  par  cette  coque 
comprend  un  corps  central,  cylindriiiue,  nommé 
tiyelle  ou  axe  hijpocutylé.  Le  nom  d'axe  liypoco- 
tylé,  qui  ne  préjuge  rien,  est  préférable  à  celui  de 
tigelle;  ce  dernier  semble  itidiquer  en  effet  que 
l'axe  hypocotylé  représente,  dans  l'ombryon,  la 
tige  de  la  plante  adulte;  cette  idée  est  absolu- 
ment fausse,  l'axe  hypocotylé  est  la  terminaison 
inférieure  du  corps  de  l'embryon.  Il  se  prolonge 
très  fréc|uemment  par  un  fiiatnent  très  fin  qui 
servait,  lors  du  développement  de  l'etnbryon,  k 
fixer  ce  dernier  sur  la  plante  mère,  et  qui  ser- 
vait en  même  temps  d'organe  spécial  d'absorp- 
tion des  matières  nutritives  que  la  plante  mère 
avait  accumulées  autoar  de  son  embryon. 

Longtemps  avant  la  maturité  de  la  graine,  la 
plupart  des  suspenseurs,  n'ayant  plus  de  raison 
d'être,  s'atropiiient  et  se  dessèchent;  aussi  dans 
beaucoup  d'embryons  arrivés  à  maturité,  ce  corps 
n'existe-t-il  que  comme  une  masse  minime,  telle- 
ment atrophiée  parfois  qu'il  est  fort  difficile  de  la 
mettre  en  évidence.  On  trouve  des  suspenseurs 
bien  développés  dans  des  embryons  prêts  à  en- 
trer en  germination,  chez  les  pin<,  les  sapins,  les 
raisins  de  mer  (E/.hedra),  l'arbre  aux  quarante 
écus  {Ginku\  les  ifs,  les  orchidées,  les  oro- 
banches,  le  gui.  On  donne  généralement  le  nom 
de  riidicule  à  la  partie  de  la  tigelle  sur  laquelle 
s'insère  le  suspenscur.  On  nomme  coti/lédons  les 
expansions  foliacées  nées  sur  les  flancs  de  la  ré- 
gion  supérieure  de  l'axe  hypocotylé.  Selon  le  nom-  1 
bre  des  cotylédons,  on  partage  les  plantes  phané-  i 
rogames  en  Monuadi/lédonees  et  Dicotylédonées. 
Cette  subdivision  a  un  grand  intérêt,  parce  que  ce 
caractère,  en  apparence  si  simple,  du  nombre  des 
cotylédons,  marche  toujours  de  pair  avec  des 
différences  considérables  de  l'organisation  géné- 
rale des  êtres  qui  présentent  l'une  ou  l'autre  dispo- 
sition. 

A  la  partie  supérieure  de  l'axe  hypocotylé, 
abrité  par  les  cotylédons,  se  trouve  un  bourgeon 
qu'on  appelle  la  nemmule.  Ce  bourgeon  com- 
prend une  partie  centrale  axilo  insérée  inférieu- 
rement  sur  l'axe  hypocotylé,  teriniiiée  supérieu- 
rement par  un  cône  mousse,  et  dont  la  surface 
est  presque  complètement  recouverte  par  des 
expansions  latérales,  très  régulièrement  disposées, 
d'autant  plus  jeunes  et  d'autant  moins  dévelop- 
pées qu'on  s'approche  davantage  du  sommet  du 
cône.  L'axe  du  cône,  en  s'allongeant,  deviendra  la 


TIGE 


—  2191  — 


TIGE 


tige  principal''  ;  les  expansions  latérales,  en  se 
développant,  fourniront  les  feuilles  ou  appendices 
primaires  de  la  tign  principale.  On  nomme  point 
de  véip'tition  la  partie  de  la  tige  principale  par 
laquelle  la  tige  croit  eji  longueur  et  où  se  forment 
sans  cesse  du  nouveaux  appejidices.  Les  appen- 
dices de  la  lige  sont  caractérisés  par  ce  fait  qu'ils 
présentent  un  seul  plan  de  symétrie  qui  passe 
toujours,  du  moins  au  moment  de  leur  apparii.ion, 
par  l'axe  géométriciue  de  la  tige  qui  les  porte. 
On  nomme  aisselle  l'angle  formé  par  la  tige  avec 
la  base  do  chacune  de  ses  feuilles.  Dans  cette 
aisselle  et  dans  le  plan  de  symétrie  de  la  fi'uille, 
on  trouve  généralement  un  point  de  végétation 
présentant  très  sensiblement  la  même  organisa- 
tion que  celui  qui  termine  la  tige  principale;  la 
seule  dilTérence  consiste  parfois  dans  un  moindre 
développement  des  points  de  végétation  nés  dans 
l'aisselle  des  feuilles,  et  dans  une  insertion  dif- 
férente de  ces  points  de  végétation  axillairfs  sur 
la  tige  principale  qui  les  porte  Chaque  point  do 
végétation  axillaire  peut  produire  un  bourgeon  ; 
il  suffit  pour  cela  que  ses  appendices  les  plus 
inférieurs  se  développent  quelque  peu  et  l'enve- 
loppent. En  cet  état,  les  points  de  végétation 
axillaires  peuvent  ou  bien  se  développer  immédia- 
tement, ou  bien  se  développer  à  une  époque  plus 
tardive,  ou  bien  même  s'atrophier. 

On  nomme  b'iurytons  donnants  ceux  des  points 
de  végétation  de  la  tige  qui  ne  se  développent 
qu'après  un  long  temps  de  repos.  Aces  bourgeons 
dormants  on  oppose  quelquefois  les  tiO'u geons 
adventifs.  On  désigne  sous  le  nom  de  bouiyeons 
adveiilifs  des  poiiUs  de  végétation  qui  apparais- 
sent n'importe  où  et  sans  ordre  à  la  surface  de  la 
tige.  Dans  l'aisselle  de  cha(|ue  feuille,  il  peut  ap- 
paraître plusieurs  bourgeons  axillaires.  Ces  bour- 
geons sont  toujours  régulièrement  disposés  de 
part  et  d'autre  du  plan  de  symétrie  de  la  feuille 
à  l'aisselle  de  laquelle  ils  sont  nés.  Toutes  les 
dispositions  que  ces  bourgeojis  peuvent  affecter  se 
ramènent  à  deux  :  la  première  est  caractérisée 
par  ce  fait  que  le  premier  bourgeon  axillaire  ap- 
paru dans  l'aisselle  de  la  feuille  a  son  axe  géo- 
métrique dans  le  plan  médian  delà  feuille  ;  tandis 
que  dans  la  seconde  disposition  deux  bourgeons 
symétriques  l'un  de  l'autre  apparaissent  simulta- 
nément, des  l'origine,  de  chaque  côté  du  plan  mé- 
dian. Dans  un  grand  nombre  de  phanérogames, 
les  bourgeons  axillaires  de  la  tige  principale  ne 
se  développent  pour  ainsi  dire  pas.  En  s'accrois- 
sant,  celte  tige  ne  tarde  pas  à  perdre  ses  appen- 
dices de  bas  en  haut,  et  quand  elle  est  quelque 
peu  avancée  en  âge,  elle  représente  souvient  une 
colonne  cylindrique  terminée  supérieurement  par 
un  bouquet  de  feuilles,  comme  cela  se  voit  chez 
les  palmiers,  ou  bien  terminée  par  une  ramifica- 
tion plus  ou  moins  abondante  nommée  cime,  com- 
me cela  se  voit  chez  les  arbres  dicotylédones  de 
nos  pays.  Dans  le  premier  cas,  celle  tige  a  reçu 
des  botanistes  descripteurs  le  nom  de  stipe  ;  dans 
le  second  cas,  elle  porte  le  nom  de  tronc.  Ainsi 
on  dira  le  stipe  d'un   palmier,  le  troncd'un  chône. 

On  appelle «teii(<  le  point  d'atlache  d'une  feuille 
sur  la  tige  ;  on  appelle  entre-nœud  l'intervalle 
qui  sépare  l'insertion  de  deux  feuilles  succes- 
sives ;  on  nomme  nœud  vital  le  point  d'insertion 
des  cotylédons  au  sommet  de  l'axe  hypocolylé. 

Tout  ce  que  nous  avons  dit  des  appendices  pri- 
maires de  la  tige  principale,  de  son  bourgeon  ter- 
minal, et  de  ses  bourgeons  latéraux,  nous  pourrions 
le  répéter  pour  les  axes  provenant  du  développe- 
ment de  la  partie  centrale  des  bourgeons  axil- 
laires. Pour  distinguer  de  la  tige  principale  ces 
axes  nés  dans  l'aisselle  des  feuilles  de  cette  tige, 
nous  appelons  ces  derniers  axes  secondaires  ou  de 
second  ordre.  Ces  tiges  de  second  ordre  diffè- 
rent toujours  de  la  tige  principale  qui   les  porte 


par  leur  insertion.  Les  tiges  provenant  du  déve- 
loppement des  bourgeons  axillaires  nés  dans  l'ais- 
selli^  des  appendices  de  second  ordre,  formeront 
les  liges  de  troisiènn'  ordre.  On  pnurrait  conti- 
nuer ainsi  indéfiniment.  L'ensemble  de  toutes 
ces  tiges  :  lige  principale,  tigt'S  de  second  et  de 
iroisiéme  ordre,  etc.,  régulièrement  développées 
comme  il  vient  d'être  dit,  forme  ce  que  l'on  nom- 
me la  ramifiriiiion  homogène  nonmile  de  lu  lige. 
Du  degré  de  développement  relatif,  tant  en  lon- 
gueur qu'en  diamètre,  des  tiges  des  divers  ordres, 
dépend  la  physionomie  de  la  charpente  de  la 
plante,  ce  que  l'on  nomme  son  /lOi-t.  Les  princi- 
paux types  de  ports  des  plantrs  SDot  :  1"  la  forme 
pyramidale,  que  l'on  nbiirni  lorsque  chaque  ordre 
de  rameaux  prend  un  dévelnppemi'nt  d'autant 
moindre  que  son  degré  est  plus  élevé;  2°  la  for- 
me fas  igiiie,  qui  a  pour  type  le  peuplier  d'I- 
talie ;  c'est  une  forme  pyramidale  dont  les  rameaux 
se  relèvent  vers  la  tige  principale  ;  3°  la  for- 
me pli'uretfe,  dans  laquelle  les  rameaux  de  troi- 
sième et  de  quatrième  ordre  se  dirigent  vers  le 
sol  j  le  type  de  cette  forme  peut  être  pris  dans  le 
Sophorii  pleureur;  4»  la  (orme  tombnn'e,  qui  a  pour 
typele  Sa/i-r  liabyl"7iica,  dont  les  rameaux  grêles, 
longs  et  flexibles  s'inclinent  vers  le  sol  sous  leur 
propre  poids. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  des  stipesdes  pal- 
mi'TS  qui  ne  se  ramifiant  pas,  sinon  peut-être  vers 
leur  partie  supérieure  à  l'époque  de  leur  florai- 
son. 

On  désigne  parfois  sous  le  nom  de  chnume  des 
tiges  particulières  renflées  aux  nœuds,  peu  rami- 
fiées ou  ne  portant  que  des  tiges  de  second  ordre 
très  grêles.  En  général,  ces  tiges  sont  creuses  in- 
térieurement ;  leur  cavité  centrale  est  cependant 
interrompue  à  chaque  nœud  par  des  sortes  de 
di.iphi-agmes  ou  de  planchers  dont  la  structure  est 
parfois  très  compliquée  Les  plantes  à  chaume 
sont  généralement  herbacées;  les  bambous  seuls 
en  repré-entent  la  forme  arhorescente. 

On  désigne  sous  le  nom  de  tionc,  de  bronches, 
de  i-amenux,  de  rn'inl  es,  de  ramules  les  divers 
ordres  de  ramification  d'une  tige  principale;  les 
noms  de  ramilles  et  de  ramules  désignant  les  plus 
petites  ramifications,  les  mots  de  branches  et  de 
rameaux  désignant  les  ramifications  intermédiaires 
entre  le  tronc  et  les  ramilles.  On  désigne  par  le 
nom  de  pousse  ou  de  scion  une  pousse  d'ordre 
quelconque.  On  appelle  œil  ou  yeinmi'  un  bour- 
geon quelcomiue.  Ces  dernières  expressions  sont 
usitées  plus  fréquemment  en  arboriculture  qu'en 
botanique  proprement  dite.  On  appelle  coulants, 
stulo7is,  ou  di  ageants  des  tiges  élancées  partant 
d'une  souche  et  rampant  à  la  surface  du  sol  au- 
quel elles  se  fixent  de  distance  en  distance  par 
des  racines. 

Les  nppendires  iirimaires  de  la  tige  ou  feuilles 
ne  sont  point  dispersés  au  hasard  sur  la  surface 
de  cet  organe.  Lorsque  les  feuilles  sont  insérées 
plusieurs  ensemble  au  même  niveau,  on  dit  qu'elles 
sont  vertiidllées;  chaque  région  nodale  porte  alors 
plusiimrs  feuilles,  et  les  feuilles  des  régions  nodalas 
successives  alternent  régulièrement,  c'est-à-dire 
que  les  feuilles  de  chaque  verticille  sont  dans  le 
p  an  bissecteur  de  l'angle  formé  par  deux  feuilles 
consécutives  du  nœud  précé'Ient  et  du  noeud 
suivant.  Les  nombres  d'appendices  réunis  en  ver- 
ticille que  l'on  rencontre  le  plus  Iréquemment 
sont:  deux,  trois,  cinq,  huit,  treize,  etc.,  ou  des 
multiples  de  ces  nombres.  On  remarquera  que, 
dans  la  série  que  nous  venons  de  donner,  chaque 
terme,  à  partir  du  troisième,  est  la  somme  des 
deux  termes  qui  le  précèdent  immédiatement. 

On  désigne  généralement  sous  le  nom  de 
feuilles  opposées  les  feuilles  verticillées  par 
deux. 

On  désigne   sous   le    nom  de  feuilles  alternes 


TIGE 


2192  — 


TIGE 


toutes  les  feuilles  qui   ne  sont  ni  verticillées,  ni 


le  nombre,  sont  toutes  disposées  sur  la  surface  d 
la  tige  S'-loii  une  ligne  spirale  qui  les  relie  toutes. 

Ou  désigne  par  le  nom  de  spiral"  génératrice 
l'hélice  qui  passe  par  tous  les  points  d'insertion 
des  appenHices  d'une  tige,  dans  l'ordre  môme  où 
ces  appendices  sont  nés  sur  la  surface  de  cette 
tige. 

On  appelle  spirale  secondair'^  des  spires  qui  ne 
contiennent  qu'un  certain  nombre  des  appendices 
de  la  tige. 

On  nomme  orttiostiquex  des  lignes  parallèles  à 
l'axe  de  la  tige,  tracées  sur  sa  surface,  et  qui  con- 
tiennent un  certain  nombre  d'apppndices.  Quel 
que  soit  le  nombre  des  appendices  que  rencontre 
la  spire  génératrice  d'une  seule  tige,  on  trouve 
toujours  facilement  deux  appendices  situés  sur 
la  mémo  oriliostiiioe.  Si  l'on  compte  alors  le 
nombre  des  appendices  situés  sur  la  spire  géné- 
ratrice entre  l-»s  deux  appendices  d'une  môme 
ortliostique  et  qu'on  compare  cm  nombre  au  nom- 
bre des  tours  que  la  spire  génératrice  a  dii  dé- 
crire, autour  de  la  tige  pour  passer  du  premier 
appendice  au  second,  on  forme  une  fraction  que 
l'on  appelle  cyc  e  d'-dternance  ou  angle  de  diver- 
gence de  la  distribution  des  appendices  sur  la 
tige.  Le  numérateur  du  cycle  iiidii|ue  toujours  le 
nombre  des  tours  faits  par  la  spire  génératrice 
dans  lintervalle  qui  sépare  les  deux  feuilles  con 


force,  provenant  l'un  et  l'autre  d'une  segmentation 
du  cône  végétatifde  la  tige.  Cette  dernière  disposi- 
tion est  très  rare  ;  on  la  voit  pourtant  cliez  les  Pipéra- 
cées,  les  Ampélidées,  etc.  On  désigne  parfois  sous 
le  nom  de  ramification  dichotomique  la  disposition 
que  l'on  obtieiu  lorsque  deux  bnurgi-ons  axillaires 
opposHs  d'une  tige  à  croissance  définie  et  à  f  uilles 
verticillées  se  développent  avec  une  grande  force. 
Très  souvent  alors,  cliac|iie  tig'  se  termine  par 
une  fleur  ;  l'ensemble  de  cette  ramification  est  sou- 
vent désigné  sous  le  nom  d'inflorescence  en  cyme. 
On  désigne  sous  le  nom  de  tiges  volubilfs  des 
tiges  capables  de  s'enrouler  autour  de  certains 
supports.  Entre  la  tigf  élancée  verticalement  dans 
l'air  et  la  tige  volubile,  on  trouve  les  lig'S  sar- 
menteuses,  comme  celles  de  la  vigne  et  du  jonc  à 
canne  ('  alamux  Rutntig),  les  tiges  i/nmp'intes, 
comme  cilles  du  lierre,  ces  dernières  s'aiiacliant 
aux  corps  sur  lesquels  elles  s'élèvent  par  des 
appareils  désignés  sous  le  nom  de  crampons  wlhé- 

Slfi. 

On  appelle  clndode  de  tige  ou  fasciation  de 
tigns  un  certain  nombre  de  liges  reliées  entre 
elles  par  un  tissu  commun.  On  voit  des  exemples 
de  claJodes  chez  les  Phyllocladus,  les  Cactus,  les 
Echinocaclus,\es  Opuntia  ou  figuiers  de  Barbarie, 
les  Epiphyllum,  les  Euphorbes  grasses,  les  Sta- 
peha.  etc. 

Structure  de  la  tige.  —  1.  Tige  des  Dicoti/lédones. 
—  Au  début,  le  tissu  de  la  tige  est  constitué  par 
des  éléments  tous  semblables  entre  eux,  ceux  de 


sécutives   d'une     même   orthostique.    On     prend  ,  la  surface  extérieure  se  laissant  seulement  distin- 
comme    dénominateur    du    cycle    le   i.o:iibre    des  j  guer  les  uns  des  autres  parce  qu'ils  se  cloisonnent 


appendices  comp.is  sur  l'arc  despire  génératrice 
qui  sépare  le  premier  et  le  second  appendice 
d'une  orthostique  déterminée. 

On  définit  quelquefois  l'angle  de  divergence  ou 
le  cycle  d'une  tige:  l'écart  angulaire  apparent  des 
plans  de  symétrie  de  deux  de  ces  appendices  con- 
sécutifs dans  le  temps.  L'angle  de  divergence  est 
généralement  exprimé  par  l'un  des  termes  de  la 
série:  i,  4,  |,  |.  etc.  On  remarque  facilement  que 
chacun  des  termes  de  cette  série,  k  partir  du  troi- 
sième, s'obtient  en  formant  la  somme  des  numé- 
rateurs et  la  somme  des  dénominateurs  des  deux 
cycles  précédant  celui  que  l'on  forme. 

Exceptionnellement  les  cycles  peuvent  appar- 
tenir à  l'une  des  séries  commençant  par  |  et  |  ou 
par  I  et  1. 

Selon  l'angle  de  divergence  de  deux  appendices 
d'une  lige,  la  plante  sera  dite  d'apparence  dextre 
ou  i  enroulement  sénestre.  Dans  ce  dernier  cas, 
l'enroulement  apparent  de  l'hélice  .se  dirige  veis 
la  gauche.  La  nécessité  de  déterminer  le  sens  de 
l'enroulement  de  la  spire  ginératrice  d'une  lige 
chargée  de  feuilles  alternes  nous  conduit  à  dé- 
terminer une  fois  pour  toutes  la  position  qu'il 
faut  assigner  à  un  observateur  qui  doit  juger  de 
l'orientation  d  une  tige. 

Pour  juger  do  l'orientation  d'une  tige,  nous 
supposerons  l'observateur  placé  dans  l'axe  de  cette 
tige,  la  tête  tournée  vers  le  point  de  végétation 


toujours  perpendiciilairement  à  la  surface  exté- 
rieure de  la  lige.  Ce  tissu  extérieur  a  reçu  le  nom 
de  dermatogène  ;  en  vieillissant,  il  devient  l' épi- 
derme  (V.  Tissus  végétauj:). 

Un  peu  plus  tard,  le  tissu  intérieur  ou  méris- 
tème  primitif  montre  une  zone  d'éléments  plus 
petits  à  parois  très  minces  que  l'on  désigne  sous 
le  nom  de  procambium  ou  de  zone  génératrice. 
Cette  zone  se  partage  en  îlots  qui  ont  reçu  le  nom 
de  faisceiiux.  A  ce  moment,  la  tige  dicotylédona 
présente  : 

Au  cent'B,  un  tissu  parenchymateux  qu'on  ap- 
pelle la  moelle  ; 

A  la  périphérie,  limitée  extérieurement  par  l'é- 
piderme,  un  tissu  parenchymateux  qu'on  appelle 
écorce  primordiale  ou  écorce  primaire,  l'écorce  et 
la  moelle  étant  réunies  par  les  rayons  primaires 
qui  séparent  les  faisceaux.  Dans  ces  dernières 
années,  M.  Van  Tieghem  a  nommé  tissu  conjonc- 
ti/'  externe  l'écorce  primaire  ;  tis^u  conjonctif  in- 
terne l'ensemble  de  la  moelle  et  des  rayons  pri- 
maires ;  et  emlodrine  ou  assise  protectrice  la  ran- 
gée de  cellules  qui  séparent  l'écorce  primaire  des 
faisceaux. 

Un  peu  plus  tard,  on  voit  s'établir  dans  les 
faisceaux  une  zone  d'épaississement  que  l'on  nom- 
me zone  C'imbia/e  ou  cambium.  Vers  le  temps  où 
ce  travail  s'accomplit,  les  éléments  des  faisceaux 
qui  bordent  la  moelle  se  transforment  en  trachées. 
L'ensemble  de  tous  ces  amas   trachéens  forme  ce 


les  pieds  à  l'opposé,  et   regardant   un   appendice  |  que,  l'on  a  appelé  Vélui  médalldii'e,  dont  le  nom- 
oue  l'on  a  pris  comme  point  de  départ.  On  assigne  ,  bre  des  angles  égale  celui  des  faisceaux  primaires 


à  cet  appendice    le  numéro  1.   L'observateur  juge 
de    la  droite   et  de  la  gauche   de  la  lige     par  sa 
droite  et  sa  gauche. 
Lorsque   le  bourgeon   placé  à  l'extrémité  d'une 


qui  ont  pris  part  i  sa  formation.  Clia(|ue  zone  cam- 
biale engendre  du  bois  vers  le  centre  do  la  tige 
et  du  liber  vers  la  périphérie  de  cette  tige.  Le 
liber   est  caractérisé  par   des   cellules    grillagées 


tige  s'éteint  régulièrement,  on  dit  que  l'accroisse-  \  dont  le  développement  est  centrifuge;  le  bois  est 
ment  île  la  tige  est  limité  ou  défini  ;  il  est  indé-  |  caractérisé  par  des  fibres  ligneuses  et  des  vais- 
fini  dans  le  cas  contraire  ;  et  si  chaque  tige  est  seaux  dont  le  développement  est  centripète.  Cha- 
plus  importante  dans  la  plante  développée  que  les  que  zone  cambiale  engendre  ainsi  une  certaine 
rameaux  latéraux  qui  en  partent,  on  dit  i|ue  sa  ra-  ,  quantité  de  bois  et  de  liber  primaires.  Lorsque  la 
mification  est  monopodique.  Par  opposition  h  cette  i  lige  dicotylédonée  doit  conserver  une  consistance 
ramification  monopodiqiie,  on  désigne  sous  le  nom  herbacée,  sa  structure  ne  présente  pas  d'auHe 
de  ramification  dichotomique  le  lait  du  partage  ,  parlii  ularite.  Lorsque  la  lige  dicotylédonée  doit 
d'une  tige  eu  deux  rameaux  originairement  d'égale  I  prendre  une  consistance  ligneuse  et  durer  un  long 


TIGE 


21'J3  — 


TlGIi 


temps  ,  elle  ne  garde  la  structure  que  nous  venons 
(le  décrire  que  pendant  le  cours  de  sa  première 
année;  la  si'Conde  année,  cliaque  zone  cambiale 
vient  ajouter  au  faisceau  dont  elle  fait  partie  une 
zone  de  bois  vers  l'intérieur  et  une  zojje  de  liber 
vers  l'extérieur.  Ce  bois  et  ce  liber  secondaires 
sont  caractérisés,  le  premier  par  des  fibres  li- 
gneuses et  des  vaisseaux  ligneux,  le  second  par 
des  cellules  };rillagées  compli(|uécs,  dos  fibres  li- 
bériennes et  du  larencliyme  libérien. 

Chacune  des  années  qni  s'ajouteront  :\  la  seconde 
année  produira  dans  chacun  des  faisceaux  pri- 
ni:iircs  une  zone  de  bnis  secondaire  contre  le  bois 
déjà  formé,  et  une  zone  de  liber  secondaire  contre 
le  liber  existant.  Le  bois  formé  depuis  très  long- 
temps a  reçu  le  nom  de  cœun/K  ùuis  nu  (/urnme'i, 
tandis  que  le  bois  nouvellement  formé  s'appelle 
aubier.  Dans  les  essences  forestières  comme  le 
chêne,  l'ébénier,  l'acajou,  etc.,  le  duramen  se 
dislingue  h  première  vue  de  l'aubier  par  une  co- 
loration et  une  consistance  très  différentes. 

L'accroissement  des  faisceaux  d'une  tige  provo- 
que nécessairement  l'accroissement  de  cette  tige 
en  diamètre,  et  comme  l'enveloppe  première  de 
cet  organe  ne  peut  s'étendie  indéfiniment,  il  se 
produit  des  crevasses  dans  l'écorce  primaire  su- 
perticielle  de  la  tige.  Un  tissu  protecteur  nommé 
liège  ou  suber  se  développe  à  peu  de  distauce  de 
cette  surface  par  l'activité  d'une  zone  géjiératrice 
spéciale  que  l'on  appelle  ordinairement  l'assise 
pheltogène  ;  tout  ce  qui  est  compris  eji  dehors  du 
liège  s'appelle  r/ii/tiiioiiie.  Lorsque  la  masse  de 
rhytidome  est  très  petite,  on  lui  donne  le  nom  de 
lenticel/e.  Jadis,  on  a  attribué  aux  lenticelles  un 
rôle  très  important  pour  la  respiration  des  plantes 
et  pour  l'émission  des  racines.  Aujourd  bui  on  se 
borjie  à  considérer  les  lenticelles  comme  de  très 
petites  plaques  de  rhytidome  dans  lesquelles  la 
plante  accumule  les  pioduits  qu'elle  excrète  en 
abondance.  La  plupart  des  arbres  conservent  les 
couches  de  rhytidome  et  acquièrent  ainsi  un  re- 
vêtement protecteur  extrêmement  puissant.  Les 
couches  de  liège  qui  engetjdrent  ce  rhytidome 
apparaissent  dans  tous  les  tissus  compris  entre  la 
zone  cambiale  et  l'épiderme  de  la  tige.  D'autres 
fois,  le  rhytidome  s'exfolie  au  fur  et  à  mesure  de 
sa  formation,  comme  cela  se  voit  dans  les  platanes 
dont  l'écorce  conserve  par  cela  même  une  très 
grande  minceur.  Un  petit  nombre  de  plantes, 
comme  le  chêne,  l'orme,  l'aristoloche,  ont  acquis, 
sous  l'influence  de  la  culture  ou  de  conditions  spé- 
ciales qui  nous  sont  encore  peu  connues,  la  fa- 
culté d'hypenrophier  considérablement  leur  assise 
subéreuse.  Cette  disposition  est  l'origine  du  liège 
que  l'on  tire  du  Chêne-liège  en  Algérie  et  en  Por- 
tugal. Cette  production  exagérée  de  tissu  subéreux 
de  la  part  du  chène-liège  peut  être  considérée  pour 
la  plante  comme  une  sorte  de  maladie  tout  à  fait 
comparable  à  celle  qui  produit  le  sucre  de  canne 
dans  la  betterave  à  sucre  et  le  diabète  chez  les 
animaux. 

En  résumé,  une   tige   dicotylédono  normale  ré- 
gulièrement constituée  nous  présente  du  centre  à 
la  périphérie  : 
1°  La  moelle  ; 
2°  L'étui  médullaire  ; 
3*  Le  bois  primaire; 

4°  La   puissante  assise  de  bois  secondaire  par- 
tagée en  zones  concentriques  dont   chacune  indi- 
que une  période  de  végétation  correspondant  très 
souvent  à  une  année  entière  ; 
5°  La  zone  cambiale  ; 

0°  Une  épaisseur  très  variable  de  liber  secon- 
daire ; 

""  Lorsque  la  décortication  s'est  déjà  produite 
uti  certain  nombre  de  fois,  l'assise  subéreuse,  li- 
mitée intérieurement  par  son  assise  phellogène. 
La  couche  ligneuse  est  partagée  par  des  rayons 

2«  PARTIE. 


qui  vont  depuis  la  moelle  jusqu'à  l'assise  phello- 
gène. Nous  avons  décrit  plus  haut  l'origine  de  ces 
rayons  primaires. 

Dans  l'intérieur  de  chaque  faisceau,  on  trouve 
des  bandes  parenchymateuses  qui  s'étendent  à  la 
fois  dans  le  liber  secondaire  et  dans  le  bois  se- 
condaire, et  (|ue  l'on  appelle  rayons  srcorul'iires  ou 
rni/ons  de  faisceauv..  Ces  derniers  sont  d'autant 
plus  étendus  (|u'ils  se  sont  formés  à  une  époque 
moins  avancée  de  la  vie  du  faisceau.  L'existence 
de  tous  ces.  rayons  et  en  particulier  des  rayons 
secnndaires  a  été  considérée  pendant  longtemps 
(nus  à  is.iO)  comme  caractéristique  des  végétaux 
dicotylédones. 

Depuis  18511  même,  des  auteurs  importants  ont 
encore  eu  recours  à  ce  caractère,  pour  juger  du 
degré  d'anomalie  de  certaines  tiges  dicoiylédojiées. 
Toute  cette  structure  des  tiges  types  des  Dicoty- 
lédonées  peut  se  schématiser  dans  les  figures  que 
Hugo  von  Molli  en  a  données  dans  son  magnifique 
ouvrage  intitulé  :  De  structura  p'Uniarum  anato- 
mica. 

Tige  des  Dicotylédones  anormales.  —  Dans  un 
certain  nombre  de  Dicotylédones,  la  structure  de 
la  tige,  au  lieu  de  conserver  la  simplicité  (jue  nous 
venons  de  décrire  dans  la  page  qui  précède,  pré- 
sente certaines  complications  que  nous  croyons 
devoir  indiquer  brièvement.  Nous  résumerons  ces 
anomalies  sous  divers  paragraphes  : 

1°  Dans  les  Gnétacées,  nous  trouvons  un  cer- 
tain nombre  de  cercles  concentriques  furmés  par 
des  couches  alternatives  de  bois  et  de  liber  qui  se 
succèdent  en  alternant  régulièrement  du  centre  à 
la  périphérie.  Les  cercles  ligneux  et  libériens 
extérieurs  aux  premiers  sont  composés  exclusive- 
ment d'éléments  secondaires.  —  Cette  même  dispo- 
sition se  retrouve  dans  les  vieilles  tiges  de  Cgcas, 
et  aussi  dans  les  Cycudoiylons  de  la  période  llouil- 
lère. 

2°  Dans  les  Bauldnia,  les  Caulolrctns,  les  Me- 
nispernium,  on  trouve  une  organisation  de  la  tige 
qui  rappelle  celle  des  Gnetum,  mais  localisée 
sur  un  seul  côté  de  cette  tige.  De  là  résultent 
pour  ces  tiges  des  formes  en  rubans  plus  ou  oioina 
gondolés. 

3°  Dans  les  liryones,  nous  trouvons,  entre  l'étui 
médullaire  et  la  moelle,  une  couche  libérienne 
très  puissante  qui  est  séparée  de  l'étui  médul- 
laire par  une  zone  cambiale  plus  ou  moins  épaisse. 
Ce  nouveau  genre  d'anomalie  nous  conduit  à  celle 
du  Tecoma  radicans,  où  la  zone  cambiale  inté- 
rieure de  la  Hryone  produit  fréquemment  une 
couche  puissante  de  bois  secondaire  entre  le  liber 
intérieur  et  l'étui  médullaire.  Nous  trouvons  dans 
les  Solanées,  les  Asclépiadées,  les  Composées,  des 
dispositions  analogues  à  celles  du  Tecomu  radicans, 
quoique  moins  accentuées. 

4°  Dans  les  Sigillaires  et  les  Poroxylo?i,  ainsi 
que  dans  la  partie  libre  des  faisceaux  foliaires  des 
Cycadées  actuelles  et  de  beaucoup  de  Gnéta- 
cées houillères  ,  le  système  ligneux  secon- 
daire intérieur  du  Tecoma  est  représenté  par  do 
grands  vaisseaux  scalariformes  qui  rappellent 
assez  bien  les  éléments  ligneux  des  fougères. 
Dans  ces  plantes  le  système  libérien  intérieur  est 
fort  peu  développé;  de  plus  il  est  écrasé  de  très 
bonne  heure  et  transformé  en  une  masse  de  pa- 
renchyme corné. 

6°  Dans  les  Ilignonia  proprement  dits,  on  voit 
fréquemment  les  productions  ligneuses  secon- 
daires se  produire  en  des  points  symétriquement 
disposés  du  contour  de  la  tige,  avec  une  moindre 
intensité  que  sur  le  reste  du  contour.  Par  contre  en 
ces  mêmes  points  le  liber  secondaire  acquiert  une 
très  grande  puissance,  de  sorte  que  dans  la  tige 
très  avancée  eu  âge  il  semble  s'enfoncer  comme 
des  coins  de  bois.  Fréquemment  on  a  rapporté 
à  cette  luônie  anomalie  des  iHgiio/tia  celle  que 
138 


TIGE 


2194 


TIGE 


nous  présentent  les  orties,  où  l'on  trouve  régiiliè- 
lement  disposées  sur  la  section  de  la  tige  des  alter- 
nances d'éléments  h  parois  épaissies  (|ue  l'on  peut 
regarder,  soit  comme  du  bois,  soit  comme  du 
liber  durci,  et  d'éléments  à  parois  minces. 

6°  Dans  les  Nyctaginées  les  Mélastomacées,  les 
Chénopodées,  les  Goodoaiacces,  on  trouve  au  cen- 
tre de  la  tige  un  certain  nombre  de  petits  fais- 
ceaux épars  très  grêles,  bien  isolés  les  uns  des 
autres,  dont  chacun  présente,  du  C'  ntre  à  la  péri 
phérie,  des  trachées,  des  éléments  ligneux  pri- 
maires, une  zone  cambiale  et  une  masse  libé- 
rienne. Plus  extérieurement,  on  remarque  une 
assise  continue,  sans  interposition  de  rayons  mé- 
dullaires primaires  ou  secondaires^  d  éléments 
fibreux  à  parois  épaissies  que  l'on  a  considérés 
comme  des  éléments  ligneux  à  parois  secondaires 
à  cause  surtout  des  gros  vaisseaux  qu'on  y  re- 
marque de  distance  en  distance.  Au  milieu  de 
cette  puissante  assise  ligneuse,  on  remarque  des 
ilôts  plus  ou  moins  volumineux,  mais  toujours  bien 
circonscrits,  d'éléments  libériens  secondaires  fort 
petits  et  à  parois  minces. 

't°  Dans  les  Aralia.  dans  les  Bégonia,  surtout 
dans  les  diverses  variétés  du  B-fioiiia  iliscolor, 
dans  bon  nombre  de  Composées,  dans  les  Ricins, 
les  Ombellifères,  on  trouve  à  chaque  nœud  une 
sorte  de  plancher  orné  de  faisceaux  abondamment 
ramifiés  qui  y  forment  comme  un  lacis  inextrica- 
ble. Parfois  des  faisceaux  traversent  toute  l'éten- 
due des  entre-Mceuds  de  ces  tiges;  mais  ils  diffè- 
rent complètement  des  faisceaux  médullaires  que 
nous  avons  signalés  chez  les  Nyctaginées,  en  ce 
que  ces  faisceaux  présentent  une  structure  émi- 
nemment variable  qui  consiste  ordinairement  en 
une  masse  libérienne  voisine  du  centre  de  la 
tige,  une  zone  cambiale,  et  une  masse  de  bois 
primaire,  cette  dernière  étant  plus  extérieure  que 
la  zone  cambiale.  Mais  dans  l'étendue  d'un  entre- 
nœud, la  structure  de  ces  faisceaux  peut  varier 
du  tout  au  tout;  certains  d'entre  eux  perdent  en 
effet,  dans  l'étendue  de  ce  parcours,  leur  bois, 
leur  liber  et  même  leur  zone  cambiale;  ils  ne 
sont  plus  alors  représentés  que  par  des  amas  de 
cellules  cristalligènes  (Bégonia)  ou  par  de  petites 
glandes  résinifères  (Aralin). 

8°  Dans  les  Calycanthées,  on  trouve,  i  l'exté- 
rieur du  cercle  ordinaire  des  faisceaux  de  la  tige, 
un  certain  nombre  de  faisceaux  qui  ont  leur  bois 
en  dehors  et  leur  liber  compris  entre  ce  bois  ex- 
térieur et  le  liber  extérieur  du  cercle  ordinaire 
des  faisceaux. 

9"  Dans  les  Crassulacées,  on  trouve  fréquem- 
ment, comme  dans  les  Calycanihées,  un  cercle  de 
faisceaux  extérieurs  compris  entre  le  cercle  ordi- 
naire des  faisceaux  et  la  périphérie  de  la  tige. 
Mais  dans  la  plupart  des  cas,  chacun  de  ces 
faisceaux  consiste  en  une  masse  ligneuse  pourvue 
de  trachées,  entourée  concentriquement  par  une 
épaisse  couche  libérienne. 

10°  Dans  les  Sapindacées,  on  trouve  l'organisa- 
tion que  nous  avons  signalée  dans  les  Calycan- 
thées et  dans  les  Crassulacées;  mais  chacun  des 
massifs  de   faisceaux  de  leur  tige  peut  présenter 


quels  on  ne  retrouve  plus  rien  de  comparable 
aux  éléments  ligneux  et  libériens  des  tiges  pré- 
cédemment décrites. 

II.  Tige  ries  MnnncotiiJéilones.  —  Hugo  von  Mohl, 
le  célèbre  botaniste  allemand  qui  le  premier  a 
étudié  l'anatomie  comparée  des  tiges  monuco- 
tylédonées,  a  pris  comme  type  de  la  structure 
anatomiquo  de  ces  plantes  celle  de  la  tige  des 
palmiers.  Cette  structure  peut  se  résumer  ainsi  : 
Au  sein  d'une  masse  volumineuse  de  tissu  mé- 
dullaire circulent  des  faisceaux  qui,  partant  de  la 
feuille,  s'avancent  en  descendant  jusque  vers  le 
cenire'de  la  tige,  puis  qui  s'inflccliisseiU  vers  la 
périphérie  de  la  tige  où  ils  vont  bientôt  se  perdre 
sur  la  face  extérieure  d'autres  faisceaux  en  tout 
semblables  à  eux,  mais  qui  se  rendent  à  des 
feuilles  plus  anciennes  et  par  conséquent  situées 
plus  bas  que  la  feuille  à  laquelle  eux-mêmes  se 
rendent;  chemin  faisant,  la  structure  de  chacun 
des  faisceaux  dont  nous  venons  de  parler  peut 
présenter  de  notables  variations,  surtout  au  point 
de  vue  du  développement  numérique  de  leurs 
éléments  ligneux  et  libériens  caractérisés.  Dans 
la  région  moyenne  de  sa  course,  cliaque  fais- 
ceau de  la  tige  du  palmier  présente  de  l'intérieur 
de  la  tige  à  l'extcrieur  : 

1°  Des  trachées;  _ 

S-  Des  éléments  ligneux  primaires  dont  plu- 
sieurs sont  à  leiat  de  grands  vaisseaux  rayes; 

3°  Une  zone  cambiale;  la  durée  dactiviie  de 
cette  zone  cambiale  est  extrêmement  faible  en 
général,  et  cette  particularité  a  valu  aux  faisceaux 
des  Monocotylédonées,  qui  ne  présentent  guère 
d'accroissement  secondaire  sensible,  le  nom  de 
faisceaux  fermés;  ,  .■„ii„ 

4»  Une  assise  libérienne  composée  essentielle- 
ment de  cellules  grillagées  très  simples,  que  Hugo 
von  Mohl  désignait  sous  le  nom  de  vaisseaux  pro- 
nre«  Plusieurs  auteurs  ont  souvent  rattache  aux 
faisceaux  des  tiges  monocotylédonées  une  gaine 
formée  d'éléments  fibreux  ii  parois  épaissies  qui^ 
l'on  désigne  aujourd  hui  sous  le  nom  de  fibres 
mécaniques,  et  qui  servent  à  protéger  le  laisceau 
contre  les  pressions  extérieures  qui  peuvent  1  at- 
teindre, surtout  en  régularisant  et  en  amoindris- 
sant ce^  pressions.  Parfois  ces  éléments  mécani- 
ques ont  été  assimiles  aux  véritables  fibres 
libériennes;  elles  peuvent  du  reste  ent|èremeiu 
remplacer  ces  dernières,  et  c  est  ainsi  que  le 
,^7ou Tin  de  la  Nouvelle-Hollande  est  produit 
iar  les  fibres  mécaniques  des  faisceaux  du  Pho,- 

""LomiuTles  faisceaux  d'une  tige  de  palmier 
sont  su'r  le  point  d'entrer  dans  la  feuille  à  la- 
quelle ils  se  rendent,  leur  gaine  mécanique  est 
généralement  peu  caractérisée;  en  revanche  eurs 
éléments  ligneux  et  libériens  primaires  sont  ex- 
Uêmement  développés.  Vers  la  terminaison  infé- 
rieure des  faisceaux  de  la  tige,  la  gaine  mécanique 
de  chaque  faisceau  devient  très  puissante  alors 
que  lei  éléments  ligneux  et  libériens  de  ces 
faisceaux  sont  extrêmement  réduits  comme  nom. 
bre  et  comme  intensité  de  développement,  si  ta-., 
est  que  l'on  puisse  désigner  so"^/".»"". '*,,=;^; 
„.f»Vi..,.ir,n  nlus  OU  moins  grande  des  trachée^ 


isolément    la  structure  que  nous   avons   signalée  !  ractérisation   plus  ou  1"°'"^  .8''*", ''.    ^^.,^:x.„  i',, 
comme  caractérisant  la  tige  entière  des   G„tt:m.    et  des  cellules  grillagées  qui  sont,  la  P™™'ere^^^ 

11°  Dans  un  grand  nombre  de  tiges  aquatiques,  '  type  des  éléments  ligneux  piimaiie., 
comme  dans  celles  d'Hippuris,  d'Hottonia,  deMi/-    le  type  des  éléments  "aériens  prima.ie». 
riopinjltum,  de  Caliilrœhe,  et  dans  quelques  tiges        Pour  expliquer   cette   "^gaïasuion  paiticuiier 
souterraines,  comme  celles  de  VAdoxu,  on  trouve,  I  de  la  lige  des  palmiers,  Hugo  von  «'O"' ^" 

3   trachées  et    qu'au  début,  lorganisatioi.   de  la   tige  de    Mono 

urement  par    cotylédones  était  en  tout  se.mb'able  i  celle  de  1 

iens  tiee  des  Dicotylédones  ;  mais  tandis  que  la  zoni 

-  •  gfi  éiatrice  était  pour  ainsi  dire  absorbée  dans   a 

production  des  faisceaux  ?",'"»'"•««,  de  U^tige^des 


au  centre  de  la  tige,  un  mélange  de 
à'éléments  libériens  entouré  extérie 
une  épaisse  couche  d'éléments  libériens 

12°  Dans  ceriaiiies  tiges  aquatiques  plus  dégra- 
dées que  les  précédentes,  comme  celle  de  Cera- 
tophyllum,  la  région  centrale  des  tiges  ordinaires 
n'est  plus  représentée  que  par  quelques  petits 
éléments  allongés  à  parois  très  minces,  dans  les- 


bicotylédonées,  cette  zone  ge!''^^?^  '^^  P',[.'^';,'i'„', 
fournissait  aux  Monocotylédonées  de  ouveaux 
faisceaux  qui  se  rendaient  dans  les  appendices 


TIGE 


—  2195  — 


TIGE 


au  fur  et  h  mesure  do  leur  apparition.  Ce  modo 
do  développninent,  qui  no  persiste  que  pendant 
un  temps  très  Court  cliez  la  grande  majorité  des 
palmiers,  aurait  une  durée  pour  ainsi  dire  indéfl- 
nio  chez  Ihs  Dracœna,  les  Yucca,  les  CatoilruCin, 
nionocotylédonées  dont  la  tige  peut  croître  en 
épaisseur  et  atteindre  parfois  une  taille  gigan- 
tesque, ciimnie  celle  du  célèbre  Dragonnier 
d'Orotava  dont  il  a  été  question  à  l'aniclo  Man'j- 
cotytédùnées. 

Dans  un  grand  nombre  de  tiges  souterraines 
des  Monocotylodonées,  M.  de  Bary  a  crn  recon- 
naître une  organisation  sensiblement  différente 
de  celle  que  Hugo  von  Molli  avait  trouvée  pour  les 
palmiers  et  que,  par  une  généralisation  trop  hâ- 
tive, ce  savant  regardait  comme  caractéristique 
de  toutes  les  Monocotylédonées.  M.  de  Bary  a 
remarqué  que  les  tiges  souterraines  de  bon  nom- 
bre de  Monocotylédonées  présentent  deux  ordres 
de  faisceaux.  Les  uns,  qu'il  appelle  colUdeiuiux, 
présentent  la  constitution  ordinaire  des  faisceaux 
que  nous  avon.s  signalée  dans  les  tiges  aériennes 
des  palmiers.  Ce  nom  leur  vient  de  ca  que  leurs 
masses  ligneuse  et  libérienne  sont  placées  l'une 
derrière  l'autre,  sans  mélange  d'éléments,  sur  un 
rayon  qui  va  du  centre  de  la  tige  au  centre  de  la 
figure  du  faisceau.  Le  bois  de  ces  faisceaux  est 
toujours  plus  près  du  centre  de  la  tige  que  leur 
liber.  Ces  faisceaux  collatéraux  se  rendent  tous 
dans  les  feuilles. 

Outre  les  faisceaux  collatéraux,  on  remarque 
dans  la  tige  d'autres  faisceaux  qtie  l'on  nomme 
concentriques,  parce  qu'ils  consistent  essentielle- 
ment en  une  couronne  d'éléments  ligneux  qui 
entoure  une  masse  centrale  d'éléments  libé- 
riens. 

Très  souvent  les  faisceaux  collatéraux  viennent 
se  fondre  dans  ces  faisceaux  concentriques,  et  ces 
derniers  s'unissent  fréquemment  à  des  faisceaux 
de  même  nature  qu'eux.  Très  généralement  dans 
les  rhizomes  de  monocotylédonées,  on  trouve  la 
structure  que  nous  venons  de  décrire.  Toutefois 
par  dégradation,  sous  l'influence  du  parasitisme 
ou  de  la  vie  aquatique,  cette  structure  générale 
peut  être  très  fortement  simplifiée.  On  voit  alors 
se  reproduire  des  formes  comme  celles  que  nous 
avons  signalées  dans  les  Hottonia  aijuatiques,  les 
Adoxa,  les  Ceratopliyllum,  parmi  les  Dicotylé- 
doiiées. 

U.  de  Bary  a  rangé  les  Potamogelons  et  les  Zo- 
slères^  dans  une  catégorie  spéciale  de  ti^es  mono- 
cotylédonées, qui  seraient  anormales  en  ce  sens 
que  le  système  de  leurs  faisceaux  forme  une  co- 
lonne centrale  pleine,  dont  les  éléments  ligneux 
sont  gélifiés  peu  de  temps  après  leur  apparition. 
Au  niveau  de  chaque  nœud,  on  voit  partir  un  cer- 
tain nombre  de  faisceaux  (|ui  se  rendent  dans  les 
feuilles  de  ce  nœud;  il  n'y  a  par  conséquent  Ih. 
rien  de  comparable  au  parcours  et  h  1  organisa- 
lion  des  faisceaux  que  nous  avons  décrits  dans  la 
lige  ordinaire  des  palmiers. 

Dans  un  grand  nombre  de  ieȔna,  plantes  aqua- 
tiques flottantes,  le  système  des  faisceaux  de  la 
tige  ne  se  dillérencie  ni  en  bois,  ni  en  liber.  Les 
faisceaux  de  ces  tiges  de  Lemna  peuvent  être  re- 
gardés comme  la  limite  extrême  de  la  dégradation 
de  la  structure  des  tiges  des  Monocotylédonées. 

M.  de  Bary  range  dans  cette  caiégorie  à  part 
les  tiges  ou  chaumes  des  Graminées  et  des  tiy- 
.péracées,  ipii  présentent  dans  leurs  régions  no- 
dales  des  lacis  de  faisceaux  bien  caractérisés. 

IIL  Tige  <les  Ci-yptogames  vascutrnres.  —  A 
1  époque  ou  Hugo  von  MohI  exposa  la  structure  de 
ialige  telle  que  nous  venons  de  la  f.dre  connaître, 
une  étude  ■iommaire  de  cette  partie  chez  les  Cryp- 
togames vasculaires  y  Ht  reconnaître  divers  types 
cent  nous  devons  dire  un  mot. 

Dans  les  Lycopodiacées,  la  tige  présente  un  seul 


faisceau  fibro-vasculaire  composé  d'une  bande 
centrale  d'éléments  ligneux  entourée  de  tontes 
parts  par  des  éléments lihériens.  Ca  dispositif  est 
réalisé  dans  la  plupart  des  Sélaginclles  ;  chez 
queli|ues  autres  Solaginelles,  de  plus  grande  taille 
que  lesprécédimtes,  on  trouve  plusieurs  faisceaux 
parallèles  entre  eux,  dont  l'organis  iiion  rappelle 
celle  du  faisce.iu  uniqu;  que  nous  avons  signalé 
plus  haut. Ces  divers  faisceaux  sont  isolés  les  uns 
des  autres  au  sein  d'une  niasse  de  tissu  médul- 
laire. La  surface  di;  ces  liges  e-i  presque  exclu- 
sivement formée  do  tissu  mécanique.  Dans  les 
Lycopodes,  il  semble  qne  nous  ayons  au  centre 
de  la  tige,  réunis  en  une  seu  e  m  isse,  un  certain 
nombre  de  faisceaux  de  Sélaginclles;  tel  est  du 
moins  le  cas  des  Lycopodes  rampant*.  Dans  les 
Lycopndes  dressés,  nous  trouvons  phitùt  un  mas- 
sif libro-vasculaire  central,  composé  de  bandes 
rayonnant  de  la  périphérie  vers  le  centre  du 
faisceau  ;  les  éléments  les  plus  extérieurs  de 
ces  bandes  consistent  en  très  petites  trachées, 
et  les  éléments  les  plus  internes  en  vaisseaux 
scalariformes.  Dans  le  ti^su  fondamental  qui 
entoure  le  système  fibro-vasculaire  des  Lycopo- 
des dressés  ou  arborescents,  on  remarque  par- 
lois  des  racines  adventives  à  faisceaux  cour- 
bés, qui  sont  absolument  caractéristiques  de  ces 
plantes. 

Les  Tniésiptéridées  et  les  P.tilotum  ont  une  tige 
qui  rappelle  un  peu,  mais  de  bien  loin,  celle  des 
Lycopucies  dressés. 

Dans  les  Isoétées,  le  système  fibro-vasculaire  des 
tigps  précédentes  est  représenté  par  une  masse  de 
trachées  courtes  bilobées.  Cette  masse  de  trachées 
est  entourée  de  toutes  parts  par  une  assise  libé- 
rienne formée,  elle  aussi,  d'éléments  parenchyma- 
teux  très  courts.  Le  tissu  médullaire  qui  entoure 
ce  système  présente  vers  sa  région  extérieure  une 
puissante  assise  aiuylil'ère  qui  est  séparée  de  la 
surface  libre  de  cette  tige  par  une  assise  épaisse 
de  liège  qui  provoque  do  très  bonne  heure  la 
décortication  des  parties  superficielles  de  cette 
tige.  Seule  parmi  les  Lycopodiacées,  la  tige  des 
Isoétées  est  transformée  en  un  tubercule  court  dont 
la  surface  extérieure  se  dépouille  de  très  bonne 
heure  de  son  revêtement  primitif, 

Dans  les  Marsiiéacées,  la  tige  adulte  présente 
à  son  centre  un  ma.ssif  de  cellules  ;i  parois  forte- 
ment épaissies,  sclériliées.  Autour,  une  première 
couche  de  liber  ;  puis,  plus  extérieurement,  une 
couronne  d'éléments  ligneux  dans  laquelle  les 
éléments  ligneux  et  libériens  sont  mêlés  comme 
au  hasard  ;  plus  extérieurement  encore,  nous  trou- 
vons une  seconde  couche  libérieiiue  qui  sépare  le 
buis  d'une  assise  de  cellules,  à  section  rectan- 
gulaire, à  parois  fortement  épaissies  et  fortement 
sclérifioes.  Les  tissus  superliciels  de  cotte  tige 
sont  composés  de  cellules  à  parois  minces. 

Dans  les  Salviniées,  qui  sont  des  plantes  aqua- 
tiques très  grêles,  le  grand  développement  du 
système  fibro-vasculaire  des  Marsiiéacées  subit  de 
très  grandes  réductions.  Il  ne  reste  plus  au  cen- 
tre de  la  lige  qu'un  mélange  do  quelques  trachées 
très  fines  et  de  cellules  grillagées.  Le  tissu  fon- 
damental qni  enveloppe  ce  système  de  faisceaux 
est  creusé  de  grandes  lacunes  qui  servent  à  la 
plante  d'organes  natatoires. 

Dans  les  Fougères,  on  trouve  un  certain  nom- 
bre de  massifs  fibro-vasculaires,  composés  essen- 
tiellement d'éléments  ligneux  qui  forment  le  cen- 
tre de  cliacun  d'eux,  et  d'une  assise  libérienne 
enveloppant  do  toutes  parts  la  masse  ligneuse. 
Presque  tous  les  massifs  fibro-vasculairos  sont 
protégés  par  une  gaine  mécanique  ou  par  un 
étui  formé  de  fibres  mécaniques  i  parois  très 
fortement  épaissies.  Lo  reste  du  tissu  des  tiges 
de  Fougères  consiste  on  une  sono  de  masse  de 
tissu    médullaire  gorgé  d'amidon.  Les    faisceaux 


TIGE 


2596 


TIGE 


des  Fougères  contractent  entre  eux  de  très  nom- 
breuses anastomoses,  de  teile  sorte  que  leur 
étude  est  rendue  extrêmement  difficile  par  leur 
marche  sinueuse.  Même  chez  les  Fougères  ar- 
borescentes, les  faisceaux  de  la  tige  de  ces  plantes 
ne  semblent  prendre  aucun  accroissement  secon- 
daire. 

Dans  les  Equifetum,  la  tige  présente  une  orga- 
nisation très  spéciale.  Dans  l'intervalle  de  deux 
collerettes,  on  trouve  au  c<  ntre  de  la  tige  une 
lacune  (lacune  centrale)  entourée  par  une  niasse 
do  tissu  médullaiie,  à  la  périphérie  de  laquelle 
on  remarque  un  certain  nombre  de  faisceaux. 
Chaque  faisceau  présente  à  sa  partie  intime 
une  lacune  que  l'on  appelle  lacmie  essenlielk. 
Extérieurement  cette  lacune  est  bordi^e  par  une 
niasse  libérienne  interposée  entre  deux  massifs 
ligneux  formés  exclusivement  de  trachées  et  de 
vaisseaux  annelés.  Extérieurement  au  massif  cen- 
tral dont  nous  venons  de  donner  la  description, 
on  trouve  un  tissu  fondamental  cieusé  de  glan- 
des lacunes  que  l'on  qualifie  de  vallécuiaires, 
parce  qu'elles  correspondent  aux  vallécules  qni 
séparent  les  côtes  saillantes  de  la  surface  de  la 
tige  de  ces  végétaux.  Chacune  de  ces  cotes  est 
renforcée  par  une  masse  de  tissu  collenchyma- 
tcux,  à  parois  brillantes.  Les  espaces  sous-épi- 
derniiques  laissés  libres  entre  les  massifs  collen- 
chymateux,  c'est-à-dire  dans  les  régions  des 
vallécules,  sont  tapissés  de  parenchyme  herbacé. 
Cette  description  sommaire  des  principales  ti- 
ges des  Cryptogames  vasculaires  montre  la  très 
grande  variété  de  types  de  structure  que  l'on 
est  expose  à  rencontrer  dans  la  tige  de  ces  vé- 
gétaux. 

Outre  cette  variété  de  structure,  les  tiges  des 
Cryptogames  vasculaires  sont  caractérisées  parleur 
mode  de  ramification,  qui,  à  l'état  normal,  est  pres- 
que toujours  dichotomique  et  extra-uxillaire. 

IV.  Tige  des  Cryptogames  allulaiies.  —  Les 
Mousses  et  leurs  congénères  immédiats,  les  Sphai- 
gnes  et  les  Hépatiques,  sont  les  smiles  plantes 
parmi  les  Cryptogames  cellulaires  dans  lesquelles 
on  puisse  trouver  un  organe  qui  soit  comparable 
h  la  tige. 

Dans  la  tige  des  Mousses  les  plus  élevées  en 
organisation  et  les  plus  compliquées,  on  trouve 
au  centre  un  faisceau  ou  plutôt  un  massif  d'élé- 
ments îi  parois  minces,  que  l'on  regarde  comme 
étant  l'homologue  des  faisceaux  des  tiges  que 
nous  avons  vues  précédemment.  Quant  au  tissu 
extérieur  qui  enveloppe  ce  fjisceau.il  rappelle  tout 
à  fait  ce  que  nous  avons  déjà  rencontré  chez  les 
Sélaginelles  et  les  Lycopodes. 

On  applique  encore  parfois  le  nom  do  tige  h. 
une  sorte  de  colonne  centrale  que  Ion  constate 
chez  les  C/mi-a,  chez  quelques  Floridées,  chez  les 
Corallines.  Ces  soi-disant  tiges  sont  composées  de 
grandes  cellules  très  larges  et  très  longues  que  l'on 
appelle  souvent  des  si/'/tons.  Il  n'y  a  rien  dans 
l'organisation  de  ces  dernières  tiges  qui  puisse 
lappeler,  même  de  très  loin,  les  faisceaux  pour- 
tant si  dégradés  dont  nous  avons  signalé  l'exis- 
tence chez  les  Muscinées. 

Nouvelle  théorie  de  la  tige.  —  Il  y  a  quelques 
années,  une  nouvelle  théorie  de  la  tige  a  été  pro- 
posée, et  jusqu'ici  cette  théorie  a  rendu  compte  de 
tous  les  faits  connus.  Elle  est  duc  à  l'auteur  du 
présent  article  ;  comme  elle  est  appelée  à  jouer 
un  rôle  très  important  dans  lanatomie  végétale, 
nous  croyons  devoir  la  résumer  brièvement  comme 
il  suit. 

L'auteur  de  cette  théorie  suppose  connu  l'en- 
semble des  règles  de  développement  des  fais- 
ceaux (V.   Tissus  végétaux).  Il  délinit  la  tige  : 

Un  axe  dont  les  faisceaux  primaires  sont  mo- 
noccniros;  le  centre  de  développement  de  chacun 
des  faisceaux  de  la  tige  est  compris  entre  le  cen- 


tre de  figure  de  cette  tige  et  le  centre  du  faisceau, - 
et  sur  la  droite  qui  joint  ces  deux  points.  Le  plan 
de  symétrie  des  appendices  primaires  de  la  tige 
passe,  à  l'origine  au  moins,  par  l'axe  de  cette 
tige.  .         ,     . 

Définie  comme  ci-dessus,  la  tige  n  existe  que 
chez   les  Phanérogames;  elle  existe  chez  toutes. 

Lorsque  la  tige  se  dégrade  sous  l'influence  de 
la  vie  aciuatique,  ou  de  la  vie  humicole,  ou  de  la 
vie  souterraine,  les  différents  faisceaux  de  la  tige 
se  rapprochent  de  l'axe  de  cette  tige  et  par  là 
même  se  rapprochent  les  uns  des  autres.  Très 
o-énéralement,  en  même  temps  que  ces  faisceaux 
se  rapprochent,  ils  diminuent  comme  nombre  et 
comme  quantité  de  leurs  éléments  ligneux  et  li- 
bériens. Ce  rapprochement  des  faisceaux  d'une 
tige  de  son  axe  de  figure  rend  compte  de  la  struc- 
ture des  tiges  A'Hutloiàa,  a'Hippiiris,  de  l-î/no- 
/  hyllutiu  de  Cullitndie,  d'AdoMi.  Dans  ces  der- 
nières plantes,  le  rapprochement  des  faisceaux  de 
l'axe  de  la  tige  est  poussé  tellement  loin  que  les 
centres  de  développement  des  divers  faisceaux 
viennent  presque  coïncider  avec  le  centre  de  figure 
de  la  lige.  .  ... 

Très  fréquemment,  la  vie  aquatique  entraînant 
la  gélification  des  éléments  ligtieux,  ceux-ci  sont 
remplacés  par  des  lacunes;  il  semble  alors  que 
le  système  des  faisceaux  de  la  tige  se  réduise  à 
une  masse  libérienne  criblée  de  lacunes  dans 
lesquelles  on  trouve  accidentellement  quelques 
débris  de  trachées. 

Celte  nouvelle  disposition  nous  permet  de  nous 
rendre  comi.te  des  tiges  de  Potaraogétons,  de  Zo- 
stères,  de  Cevaiophyilwn,  à'Helodea,  de  iSajns. 

Dans  les  Lemmi,  aucune  différenciation  en  élé- 
ments ligneux  et  libériens  ne  vient  frapper  le 
système  des  faisceaux  de  la  tige,  qui  reste  loute- 
sa  vie  à  l'état  ,,rocambv,l.  La  structure  de  la  tige 
des  Lemna  est  la  pl.is  dégradée  que  Ion  con- 
naisse parmi  les  Piianérogames  actuels. 

La  tige  normale  des  Phanérogames  se  montre 
complètement  développée  chez  les  Jecomn,  les 
Solauées,  les  Bryones,  les  Siç/illana  et  les  Po- 
roxylons.  Ce  mode  de  développement  est  carac- 
térisé par  une  formation  abondante  d  éléments 
ligneux  et  libériens  secondaires  aussi  bien  vers 
l'extérieur  que  vers  l'intérieur  de  la  tige  One 
simpliticaiion  de  cette  manière  delre  s  observe 
lorsqu'il  y  a  suppression  presque  complète  du 
déve  oppement  secondaire  intérieur  des  faisceaux 
primaires  de  la  lige;  comme  cela  s'ob.erve  dans- 
les  faisceaux  pres.iue  toujours  grêles  des  ligrs  de 
Monocotylédonées  et  dans  les  faisceaux  à  dévelop- 
pement secondaire  exclusivement  extérieur  de  la 

■es  grande  majorité  des  tiges  de  Phanerogames- 
arboiescentes,   lorsque  leurs  faisceaux  sont  peu 

"Ta'^struaure  de  toutes  les  Lianes  :  Gnétacées, 
Cycadées,  Ménispermécs,  Légumineuses,  bapin- 
dacées,  Nyctagénées,  et  Monocotylédonées  a  tiges 
croissant  en  diamètre,  est  expliquée  par  la  p.o- 
duction  d'une  masse  extérieure  de  tissu  fonda- 
menul  secondaire  dans  laquelle  J«  d^;«  °PP«  "" 
plus  ou  moins  grand  nombre  de  faisceaux  secon- 
daii^s  c'est-A-dfre  composés  exclusivement  d'une 
zone  cambiale  produisant  du  bois  secondaire  et 
du  liber  secondaire.  ,       „         ■„   „»  /io= 

Les  tiges  comme  celles  des  Begoma  et  des 
Irnlu,  mil  sont  caractérisées  par  l'existence  de 
laisceanx  médullaires  à  bois  primaire  extérieur  «t 
à  liber  plus  près  du  centre,  sont  expliquées 
parce  que  ces  faisceaux  médullaires  "•appa''"e>,- 
ent  pas  à  la  tige  où  on  les  rencontre;  ce  ne  sont 
nu"  des  p  olongements  des  faisceaux  des  bour- 
geons axilîdres  "de  la  tige  qui  viennent  s  insérer 
lur  la  face  interne  des  faisceaux  de  cette  tige 
obéissant  ainsi  à  la  règle  des  anastomoses  entre 
faisceaux  d'âges  difl'érenls.  Ces  laisceaux  medul- 


TIGE 


—  219T  — 


TIGE 


iaires  so  présentent  dès  lors  avec  leur  orienta- 
tion d'insertion,  et  cette  remarque  suffit  à  expli- 
quer tontes  les  orientations  et  toutes  les  réduc- 
tions qu'ils  peuvent  présenter. 

Dans  les  Calycantliéos,  les  Légumineuses  à 
feiiillcs  fortement  stipulées,  les  faisceaux  exté- 
rieurs qui  se  présentent  avec  une  orientation 
id('ini(|»o  il  celle  des  faisceaux  médullaires  des 
l'.egcnia  et  des  Aralia  ne  sont  que  des  fais- 
ceaux stipulaires. 

Dans  ce  mode  d'exposition  de  la  structure  de 
!a  lige,  on  remarquera  combien  peu,  au  point  de 
vue  général,  on  attache  d'importance  aux  pro-  i 
ductiuns  secondaires  des  diflérents  faisceaux,  et 
en  outre  que  l'on  n'établit  aucune  différence  en- 
ire  la  structure  de  la  tige  des  Dicotylédonées  et 
celle  de  la  tige  des  Monocotylédonées. 

En  ce  qui  concerne  le  parcours  des  faisceaux 
dans  les  tiges,  cette  question  n'a  été  étudiée  que 
pour  le  cas  très  simple  où  tous  les  faisceaux  d'une 
tige  se  rendent  dans  ses  appendices,  et  où  cha- 
que appendice  ne  reçoit  qu'un  seul  faisceau. 
Deux  cas  peuvent  se  prcsenier  :  ou  bien  tous  les 
faisceaux  jouent  le  même  rôle  au  môme  niveau 
(disposition  verticillée),  ou  bien  les  appendices 
jouent  le  même  rôle,  mais  à  des  niveaux  diffé- 
rents (disposition  spiralée).  Lorsque  tous  les 
faisceaux  d'une  tige  jouent  le  même  rôle  au  même 
niveau,  si  leurs  rapports  avec  les  faisceaux  voi- 
sins i  droite  et  Ji  gauclie  sont  les  mêmes,  nous 
avons  la  véritable  disposition  verticillée  ;  le 
nombre  des  faisceaux  est  alors  de  3,  3,  5,  8,  l-l, 
",'I,  etc.,  et  chaque  faisceau  résulte  de  la  fusion  de 
deux  branches  de  même  âge  issues  l'une  et  l'au- 
tre des  flancs  droit  et  gauche  de  deux  faisceaux 
placés  plus  bas  que  celui  que  nous  considérons 
et  à  égale  distance  de  lui. 

Dans  la  disposition  des  faisceaux  que  nous 
avons  qualifiée  de  spiralée,  Is  nombre  des  fais- 
ceaux existants  qui  sortent  dans  les  appendices, 
situés  entre  deux  appendices  pris  sur  une  même 
'.irlhostique,  est  2,  il,  5,  S,  1:J....F.  Ces  différents 
faisceaux  sont  reliés  entre  eux  et  forment  des 
sortes  de  lignes  spirales  qui  s'enroulent  autour 
de  la  lige.  Les  nombres  de  ces  lignes  spirales,  qui 
correspondent  aux  nombres  de  faisceaux  cités  plus 
haut,  sont  1,  2,  S,  5,  8,  13....  S.  Nous  appellerons 
cycle  le  rapport  de  l'excès  du  nombre  des  faisceaux 
sur  le  nombre  des  spires,  au  nombre  total  des 
faisceaux.  Kn  désignant  par  F  le  nombre  des  fais- 
ceaux et  par  S  le  nombre  des  spires  correspon- 
dantes, le  cycle,  défini  comme  il  vient  d'être  dit, 

F  — S 
a  pour  expression  générale  — = — .  D'où  les  cycles 

que  l'on  obtient  en  formant  la  série  successive  des 

cycles  sont  :  |,  |,  |,  l  ^,  ^....      ~     .  Si    l'on 

pratique  une  section  transversale  d'une  semblable 
tige,  lorsque  son  enroulement  est  dextre  (c'est-à- 
dire  lorsqu'il  a  lieu  vers  la  droite  d'un  observateur 
situé  au  centre  de  la  tige),  on  a  remarqué  que  le 
faisceau  situé  à  la  droite  d'un  faisceau  pris  pour 
origine  a  comme  numéro  1  -)-  S,  le  faisceau  origine 

portant  le  numéro  1,  et  le  cycle  étant  — - — .Le 


F 

;i™e  faisceau  à  droite  de  l'origine  a  comme  nu- 
méro I  +  («  —  1)  S  —  8F,  5  étant  un  nombre  en- 
tier et  ÔF  étant  le  plus  grand  multiple  de  F  qu'on 
puisse  retrancher  de  1  -H  (?(  —  1)  S.  Ce  numéro 
indique,  pour  le  faisceau  qui  le  porte,  que  ce 
faisceau  sortira  dans  l'appendice  ayant  le  même 
numéro,  le  faisceau  1  sortant  dans  le  premier  ap- 
pendice que  l'on  rencontre  en  s'élevant  le  long  de 
l'axe  de  la  tige. 

On  remarque  en  formant  le  tableau  des  diffé- 
rents cycles  que  nous  avons  énumérés  ci-dessus, 
•que,  pour  une  même  plante  supposée  dextre,  selon 


que  son  cycle  aura  telle  ou  telle  valeur,  la  spire 
génératrice  qui  passe  par  l'insertion  de  tout'-s  ses 
feuilles  semble  s'enrouler  tantôt  vers  la  droite  et 
tantôt  vers  la  gauche,  de  telle  sorte  que  l'appa- 
rence extérieure  de  l'enroulement  de  la  spire  gé- 
nératrice d'une  tige  ne  permet  pas  toujours  de 
juger  de  l'enroulement  véritable  des  faisceaux  de 
celle-ci. 

Un  faisceau  quelconque  d'une  tige  spiralée 
possède  toujours  une   marche  en  zig-zag  qui  est 

régie  par  la  loi  suivante.  Si  — = —  représente  le 

cycle  de  la  tige  que  nous  étudions,  le  faisceau  x 
de  cette  tige  supposée  dextre  qui  sort  dans  l'ap- 
pendice x  naît  sur  le  flanc  droit  du  faisceau  qui  a 
pour  numéro  a;  —  S,  et  sitôt  né,  il  se  dirige  vers 
la  droite  juscju'à  ce  qu'il  rencontre  le  flanc  gauche 
du  faisceau  qui  a  pour  numéro  x  —  (F  —  S). 
Alors  ce  même  faisceau  x  revient  vers  la  gauche, 
puis  au  bout  d'un  certain  temps  retourne  vers  la 
droite,  et  les  ondulations  de  cette  course  en  ziij-zag, 
si  différente  de  la  course  verticale  que  l'on  suppo- 
sait naguère  aux  faisceaux,  se  répètent  un  certain 
nombre  de  fois.  A  chai|ue  changement  de  direction, 
ce  faisceau  x  rencontre  un  autre  faisceau  ;  et  pour 
déterminer  à  l'avance  le  numéro  de  chacun  des 
faisceaux  que  peut  toucher  le  faisceau  x  dans  sa 
course  sinueuse,  il  suffit  de  retrancher  F  —  S  de 
S,  puis  d'ôter  de  x  l'excès  de  F  —  S  sur  le  reste 
que  l'on  vient  de  calculer;  c'est-îi-dire  que  l'on 
retranchera  chaque  fois  de  x  la  différence  des 
deux  derniers  restes  obtenus. 

Les  règles  que  nous  venons  d'exposer  four- 
nissent d'un  seul  coup  tous  les  renseignements 
désirables  sur  l'anatomie  de  la  tige.  On  remarque 
comme  conclusion  de  celte  étude  que  les  plantes 
spiralées  sont  dextres  ou  sénestres;  elles  sont 
dextres  quand  leurs  faisceaux,  sitôt  nés,  se  diri- 
gent vers  la  droite;  elles  sont  sénestres  dans  le 
cas  contraire. 

Les  plantes  dextres  et  les  plantes  sénestres 
peuvent  se  montreravec  une  apparence  extérieure 
indifféremment  dextre  ou  sonestre  Les  limites  de 
torsion  vers  la  gauche  pour  chacune  d'elles  sont 
13"°ôl'  et  120";  I3T'ôl'  étant  un  maximum  et  120° 
un  minimum.  Les  limites  de  torsion  vers  la  droite 
sont  144°,  qui  est  un  maximum,  et  l'n°5r,  qui  est 
un  minimum.  De  la  symétrie  des  plantes  dextres 
et  sénestres,  surtout  dans  leurs  limites  de  torsion 
vers  la  droite  ou  vers  la  gauche,  nous  arrivons  à 
cette  conclusion  que  la  cause  déterminante  de  ces 
deux  sortes  de  tige,  c'est  le  mouvement  de  rota- 
tion de  la  terre  autour  de  son  axe;  car  la  lumière 
seule  peut  provoquer  la  torsion  des  plantes  en  ra- 
lentissant l'accroissement  sur  la  lace  de  la  tige  qui 
est  la  plus  éclairée.  Si,  en  effet,  on  se  reporte  à 
une  époque  géologique  ancienne,  on  voit  que  toutes 
les  plantes  phanérogames  sont  verticillées  (Sigil- 
laires,  Calamodendrons,  Cordaîtes). 

Dans  ce  qui  précède,  cette  nouvelle  théorie  de 
la  tige  s'est  exclusivement  occupée  de  la  struc- 
ture des  Phanérogames.  Pour  rendre  compte  de 
la  structure  des  Cryptogames  vasculaires,  nous 
remarquons  que  l'organe  qui  représente  la  tige 
chez  ces  végétaux  doit  être  défini  :  Un  axe  dont 
les  faisceaux  primaires  sont  tous  bicentres.  Les 
centres  de  développement  de  chacun  de  ces  fais- 
ceaux sont  symétriquement  disposés  de  part  et 
d'autre  de  la  droite  qui  joint  leur  centre  de  figure 
au  entre  de  figure  de  l'organe.  Enfin  la  ramifica- 
tion de  ces  sortes  de  tiges  est  exogène,  et  extra- 
axillaire.  Les  différences  que  contient  cette  défini- 
tion, comparée  à  la  définition  de  la  tige  des 
l'hanérogames,  sont  telles  que  l'auteur  a  cru  de- 
voir renoncer  à  l'emploi  du  mot  ((7c  pour  désigner 
ces  organes,  si  différents  à  tous  égards  des  tiges 
ordinaires  des  Phanérogames  ;  il  a  choisi  le  nom 
de  stipes  pour  les  désigner,  et  a  assigné  aux  stipes 


TIGE 


—  2198 


TIGE 


la  définition  ci-dessus.  Les  siipes,  définis  de  ceite 
manière ,  existent  cliez  tous  les  Cryptogames 
vasculaires;  ils  n'existent  que  chez  ces  vé- 
gétaux. 

Voici  de  quelle  manière  notre  tliéorie  rend 
compte  de  la  structure  si  variée  des  divers 
stipes  : 

1°  Dans  les  Psilolum  et  les  Tmésipléris,  le  stipe 
ne  présente  qu'un  seul  faisceau  bicentre.  Les  di- 
verses brandies  provenant  de  la  ramification  suc- 
cessive de  ce  stipe,  au  lieu  de  s'isoler  les  unes  des 
autres  dès  leur  point  d'insertion,  demeurent  unies 
entre  elles  et  forment  une  véritable  fiiscialion  ; 
de  là,  l'aspect  de  faisceau  polycentro  affecté  par  le 
système  des  faisceaux  dans  certaines  régions  de 
la  partie  aérienne  du  stipe  de  ces  végétaux. 

2°  Les  Sélaginelles  n'ont,  elles  aussi,  qu'an 
seul  faisceau  bicentre  dans  leur  stipe  ;  mais  ce 
faisceau  bicentre  peut  se  diviser,  comme  dans 
la  Selagineita  denticinatu,  ou  se  compliquer  de  pro- 
ductions secondaire-^  spéciales  dues  à  l'influence 
de  ce  que  l'on  appelle  les  /lorte  rachies  de  Cfs  vé- 
gétaux, comme  dans  \aSelagi)iella  arlorca.  Excep- 
tionnellement certaines  Sélaginelles,  comme  la  Se- 
lagini-lla  Lijatlii,  présentent  dans  leur  partie 
aérienne  des  fuscinlions  de  stipes  si'mblablos  à 
ceux  de  la  Selayinella  denticulata  et  dans  leur  par- 
tie souterraine  des  fasciations  de  siipea  compa- 
rables à  ceux  de  la  Selnginella  arhinea. 

3"  Dans  la  nature  actuelle,  les  Lycopodes  sont 
les  seuls  êtres  cliez  lesquels  le  stipe  présentant 
plusieurs  faisceaux  bicentres,  ces  divers  fai-ceaux 
aient  mêm^  centre  de  figure,  lequel  centre  de 
figure  commun  coïncide  nécessairement  avec  le 
centre  de  figure  du  stipe.  Le  stipe  de  nos  Lyco- 
podes actuels,  quel  que  soit  son  degré  de  compli- 
cation apparent,  ne   possèfle  que  deux  faisceaux. 

4°  Dans  les  Sphénopliyllees,  dont  les  Salviyiin 
sont  les  seuls  repi  ésentants  dans  la  nature  actuelle, 
représentants  du  reste  absolument  dégradés,  le 
stipe  pré>ente  encore  plusieurs  faisceaux  bicen- 
tres, dont  les  centres  de  figure  ne  coïncident  plus 
cette  fois  avec  le  centre  de  figure  du  stipe,  mais 
sont  au  contraire  symétriquement  disposés  autour 
de  ui.  Dans  lesS«/î;î«îa  et  les  S/'ht-nopliy/Ucm.  le 
stipe  ne  présente  que  trois  faisceaux.  Dans  les 
Opliioglosses,  le  stipe  ne  présente  que  d>'ux  de  ces 
faisceaux.  Dans  les  Marsiléacées  proprement 
dites,  le  stipe  possède  quatre  faisceaux. 

5"  Les  stipes  des  Fougères  et  des  Equisétacées 
sont  dns  fasciations  de  stipes  dont  chacun  possède 
plusieurs  faisceaux  bicentres.  —  Les  lecteurs  qui 
désireraient  avoir  plus  de  détails  sur  ce  sujet  trou- 
veront toutes  ces  théories  exposées  iti  extenso 
dans  les  «  Archives  botaniques  du  nord  de  la 
France  ». 

Physiologie  de  la  tige.  —  D'une  manière  géné- 
rale, la  tige  doit  être  considérée  comme  le  support 
des  parties  vertes  de  la  plante,  support  qui  est 
en  même  temps  cliargé  de  disperser  et  d'écarter 
CCS  parties  dans  l'espace  ;  de  plus  la  tige  est  le 
réservoir  commun  qui  a  pour  mission  de  mettre 
en  communication  les  diverses  parties  de  la  plante  ; 
c'est  ainsi  que  les  matières  absorbées  par  les  ra- 
cines se  rendent  dans  la  tige  et  sont  distribuées 
de  lîi  dans  les  diverses  feuilles,  et  que,  d'autre 
part,  les  produits  immédiats  élaborés  dans  les 
feuilles  et  d'une  manière  générale  dans  les  parties 
vertes  de  la  plante  rentrent  dans  la  tige,  d'où  ils 
sont  expédiés  Vfrs  les  points  en  voie  d'accroisse- 
ment et  vers  les  réservoirs  nutritifs.  Le  transport 
de  l'eau  et  des  matières  dissoutes  absorbées  par 
la  racine  se  fait  à  travers  les  éléments  ligneux,  en 
pariiculicr  à  travers  les  vaisseaux  de  la  tige. 
Quant  aux  principes  élaborés,  ils  circulent  dans  la 
tige  h  travers  les  cellules  grillagées  du  liber  de 
ces  divers  laisceaux.  Du  calibre  des  vaisseaux  li- 
gneux d'une  tige,  il  est  donc  possible  de  prendre 


une  idée   de    l'intensité  du   courant   liquide    qui  | 

traverse  la  plante.  A  l'article  Vèqé'nl,  où  nous 
devons  exposer  la  physiologie  générale  des  végé- 
tau.t,  nous  montrei'ons  à  quelles  conséquences 
pratiques  conduit  l'étude  des  vaisseaux  des  diffé- 
rentes tiges.  I 

La  tige  peut  servir  d'organe  de  réserve;  presque 
toujours  alors  elle  sert  en  même  temps  d'organe 
de  dissémination.  Les  tiges  ainsi  transformées  ont 
reçu  le  nom  de  tubercules  ;  elles  comprennent 
toutes  un  tissu  gorgé  de  matières  nutritives,  tissu 
amylifère.  tissu  nutritif,  tissu  saccharifère,  et 
quelques  points  de  végétation  vulgairement  nom- 
més les  ijeux  du  iuheixute.  La  réserve  nutritive 
totale  accumulée  dans  un  tubercule  est  générale- 
ment beaucoup  plus  grande  que  la  somme  des 
quantités  de  nourriture  nécessaire  au  développe- 
ment de  chacun  des  yeux  du  tuberrule.  Chaque 
œil  et  la  portion  du  tissu  nutritif  qui  l'avoisine 
peut  d'ailleurs  être  complètement  détaché  dii 
reste  du  tubercule  et  planté  séparément;  il  four- 
nit un  nouveau  pied  de  plante  qui  est  tout  aussi 
précoce  et  tout  aussi  vigoureux  que  si  l'oeil  quV 
lui  a  donné  naissance  n'avait  point  été  isolé.  Très 
généralement  une  tige  transformée  en  tubercule 
comprend  une  très  large  moelle  centrale,  des 
faisceaux  périphériques  très  peu  développés,  une 
couche  épaisse  de  parenchyme  fondamental  ex- 
terne et  une  couche  extérieure  de  tissu  subéreux. 
La  pomme  de  terre  est  un  exemple  de  tiges 
transformées  en  tubercules.  Presque  toujours  la 
matière  de  réserve  emmagasinée  par  la  plante 
dans  ses  tubercules  est  de  l'amidon.  Très  rare- 
ment c'est  de  Vinulme  ou  du  sucre,  et  plus  rare- 
ment encore  des  malières  goynmeuses.  Lorsque  la. 
réserve  nutritive  ecnmagasinée  dans  un  tubercule 
est  de  l'amidon,  cet  amidon  est  rendu  soluble  aa 
moment  de  la  végétation  de  l'œil  du  tubercule 
par  un  ferment  spécial  nommé  diastase;  ce  fer- 
ment est  soluble  dans  1  eau,  et  un  gramme  d» 
diastase  suffit  à  transformer  en  sucre  200  à 
300  grammes  d'amidon. 

Les  rhizomes  ou  tiges  souterraines  rampantes  de 
certaines  plantes  ne  sont  qu'une  forme  spéciale 
des  tubercules.  Leur  physiologie  est  absolument 
celle  de  ces  derniers. 

Dans  quelques  plantes,  certaines  tiges  demeu- 
rent courtes,  globuleuses,  presque  tuberculeuses; 
mais  leur  point  de  végétaiion  terminal  est  géné- 
ralement entouré  de  gi'osses  écailles  charnues  qui 
sont  pour  la  plupart  transformées  en  organes  de 
réserve.  Ces  sortes  de  tubercules  ;\  écailles  char- 
nues forment  ce  que  l'on  appelle  des  bulbes;  ces 
bulbes  sont  dits  tuniques  quand  leurs  écailles 
embrassent  tout  le  pourtour  de  la  tige,  à  laquelle 
on  donne  alors  le  nom  de  plateau.  Les  bulbes 
sont  dits  écailleux  quand  leur  insertion  sur  le  pla- 
teau est  peu  étendue. 

La  tige  peut  servir  d'organe  de  natation.  Pour 
remplir  ce  rôle,  elle  produit  dans  son  tissu  fonda- 
mental un  grand  nombre  de  lacunes,  qui  tantôt 
communiquent  largement  entre  elles  dans  toute 
retendue  de  la  plante,  et  qui  d'autres  fois  sont 
séparées  les  unes  des  autres  par  des  cloisons  de 
parenchyme  étoile.  La  tige  peut  encore  servir 
d'appareil  préhenseur  (tiges volubilessurlesquelles 
nous  aurons  occasion  de  revenir  h  l'article  Véijé- 
tal).  Plus  rarement,  comme  dans  les  Coral- 
lorliiza,  les  Psilolum,  elle  joue  le  rôle  d'appareil 
absorbant,  c'est-à-dire  de  racine. 

En  s'aplatissant  et  en  se  fasciant,  la  tige  peut 
jouer  le  rôle  de  feuilles  et  plus  généralement 
d'une  surface  verte. 

Par  l'atrophie  de  son  point  de  végétation  et  lo 

durcissement  général  de  tous   ses  cléments,  elle 

se  trouve  fréquemment  fansformée  en  épines,  et 

sert  alors  d'organe  de  défense  'Prunus  spinosa)^ 

[C.-E.  Bertrand.] 


TISSAGE 


21!)9  — 


TISSAGE 


TISSAGE.  —  Connaissances  usuelles,  II-V.  — 
Los  tochnologistos  qui  chepclionl  il  remonter  \ 
l'origine  djs  inventions  s'accordent  généralement 
pour  faire  lionneur  des  principi's  du  tissage  h 
l'araignée,  qui  aurait  montré  Ji  l'iionime  par  ses 
travaux  ingénieux  et  patients  l'art  do  produire 
avec  cette  clioso  si  tenue,  si  déliée,  si  fragile, 
qui  s'appelle  un  fil,  cette  clmsc  souple  et  résis- 
tante en  étendue  qui  s'appellf,  une  toile.  Fort 
bien  !  mais  l'araignée  portait  en  elle  son  fil  tout 
fait,  tandis  que  l'homme  dut  le  faire,  et  nous  cher- 
cherions on  vain,  cioyons-nous,  l'animal  qui  fut  le 
maître  de  l'homme  en  l'art  du  filage  proprement 
dit. 

D'ailleurs,  si  les  résultats  du  travail  de  l'arai- 
gnée ont  pu  donner  h  l'hmînni'  l'iil/i'  ili^  la  toile, 
du  tissu,  nous  savons  (|in'  n'ii'  |i"iiii'  niivrière, 
si  habile  qu'elle  soit  par  riNsiiiiri,  nVinpluii'.  au- 
cun des  procédés  que  rijoinnu'  a  il'-|]uis  mis  en 
usage  pour  arriver  au  même  but,  et  dont  il  f.iut 
bel  et  bien  faire  honneur  h  son  propre  génie  in- 
dustrieux. L'araignée,  filandière  nca.  et  incons- 
ciente dans  l'acte  de  cette  pro  Inction,  dispose 
d'un  fil  englué  qui  adhère  par  le  seul  fait  du  con- 
tact. Il  en  est  de  même  d'ailleurs  do  tous  les  fils 
dont  un  certain  nombre  d'insectes  se  servent  soit 
pour  former  le  nid  où  ils  déposent  leurs  oeufs,  soit 
pour  s'enveloppt'r  eux-mêmes,  quand  vient  l'épo- 
que de  la  métcimo-phose.  Le  tissage  de  raraigii.ée 
et  des  insectes  dont  nous  venons  de  parler  se 
fait,  quelle  qu'en  soit  l'ordoniKuico,  par  simple 
contact  et  superposition  des  fil.s,  aussitôt  soudés 
l'un  il  l'autre  [lar  la  glu  dont  ils  sont  imprégnés, 
tandis  que  le  tissage  humain  se  fait  esseniielle- 
ment  par  entre-croisement  et  interposition  des 
fils  :  ce  qui  dill'érencie  du  tout  au  tout  le  prin- 
cipe du  travail.  Mieux  vaut  donc,  pensons-nous, 
si  tant  est  que  1  on  tienne  ii  chercher  le  point  de 
départ  de  l'industrie  textile  de  1  hmiime,  croire 
que  l'idéo  première  du  tissu  résulta  pour  lui  du 
tressement  des  branchages,  des  joncs  ou  des  ro- 
seaux d'Oit  il  forma  presque  tout  naturellement 
la  première  natte  ou  la  première  claie. 

Il  y  a,  techniquement  parlant,  deux  familles  do 
tissus  qui  sont  bien  distinctes  par  la  diversité  dn 
procédé  fondamental  de  fjbricatinn,  cl  qui,  autant 
que  nous  pouvons  croire,  datent  d'aussi  loin  l'une 
que  l'autre,  car  nous  les  trouvons  simultanément 
indiquées  dans  les  pins  anciens  documents  hisio- 
riques  :  l'un  de  ces  groupes  a  pour  type  ce  quo 
nous  appelons  le  tricot,  produit  le  plus  souvent 
par  l'entrelacement  d'un  seul  fil  se  déroulant  à 
mesure  du  travail  pour  se  rattacher  ou  se  re- 
nouer avec  lui-même.  L'autre  groupe  est  celui 
des  éiQlps  eji  général,  produites  par  un  ensemble 
de  fils  tendus  parallèlement,  qui  reçoivent  le  nom 
de  chaîne,  et  avec  lesquels  s'entre-croisent  d  une 
façon  plus  ou  moins  régulière  un  ou  plusieurs  fils 
flottants  ([ui,  eux  aussi,  se  déroulent  à  mesure 
du  travail,  et  reçoivent  le  nom  de  tram-'.  iVous 
ne  nous  occuperons  ici  que  des  ouvrages  apparte- 
nant au  second  groupe,  qui  semblent  avoir  acca- 
paré pour  eux  seuls  d'une  matiière  exclusive  le 
nom  de  tissus,  auquel,  il  tout  prendre,  ont  droit 
aussi  les  produits  du  feutrarje.  Nous  nous  en 
tenons  donc  aux  travaux  de  tissage  proprement 
<lits,  tels  que  les  comprend  le  langage  usuel. 

Deux  sortes  de  fils  sont  employés  pour  le  tis- 
■'ige  :  ceux  qu'on  obtient  en  tordant  ensemble 
ncc  plus  ou  moins  d'art  les  brins  d'une  matière 
végétale  ou  animale  il  la  fois  souple  et  résistant"^, 
comme  le  coton,  le  chanvre,  le  Un  et  divers  poils 
d'animaux  ;  et  ceux  qu'ont  filés,  par  agglutination 
d'une  substance  qui  sort  fluide  de  leur  corps, 
certains  insectes  que  nous  dépouillons  il  notre 
profit  des  travaux  auxquels  ils  s'étaient  livrés 
dans  un  tout  autre  but  que  celui  de  fournir  des 
matériaux    à   l'industrie   humaine   :   la    soie    du 


bombyx  du  mûrier  est  le  plus  connu,  le  plus  em- 
ployé do  ces  fils  naturels 

Étant  donnés  ces  fils  de  provenance  diverse,  c'est 
en  les  entre-croisantdans  un  ordre  régulier,  métho- 
dique, quo  l'on  produit  ce  tissu  élémentaire, 
nommé  toile,  qui  est  le  type  par  excellence  de 
tous  les  tissus  dits  unis.  Si  nous  prônons  un 
morceau  de  grosse  toile  et  l'examinons  minu- 
tieusement, en  armant  au  besoin  notre  œil  d'une 
loupe,  quelle  disposition  générale  remarquons- 
nous?  Que  chacun  des  fils  do  la  tramo  passe  par 
dessus  un  fil  de  la  ch.aîne  qu'il  croise  il  angle  droit, 
puis  par  dessous  le  fil  suivant,  pour  ren;onter  par 
d  'Ssns,  puis  se  glisser  encore  par  dessous,  et  ainsi 
de  suite  ;  cetto  inarche  étant  réciproquement  sui- 
vie  par  tous  les  HIs,  il  en  résulte  que  l'entrelace- 
ment des  fils  qui  prorlnit  la  toile  est  réglé  selon  un 
ordre  unique  et  constant.  Si  maintenant  nous  fai- 
sons porter  notre  examen  sur  un  morceau  de  cette 
grosse  .seri/e  qui  sert  il  faire  les  houppelandes  des 
rnuliers.  ou  de  ce  trinl'is  dont  on  fait  les  panta- 
lons d'écurie  des  militaires,  nous  verrons  que, 
au  lieu  de  se  chevaucher  un  par  un.  les  fils,  dans 
tel  ou  tel  sens,  se  chevauchent  deux  par  denx  ; 
nousremar(iuerons  d'ailleurs  quo  l'aspect  général 
du  tissu  est  modifié  par  ce  changement  de  dispo- 
sition: car  pendant  que  le  grain  du  premier  échan- 
tillon nous  a  oITert  l'aspfct  d'un  damier  à  cases 
régulières,  symétriques  dans  toutes  les  directions, 
l'aspect  du  second,  au  contraire,  nous  rappelle 
celui  d'un  cai'relage  obtenu  avec  des  briques 
ayant  une  longueur  double  de  leur  largeur,  et 
qui  seraient  posées  l'une  dans  un  sens,  l'autre 
dans  l'autre.  C'est  le  type  de  toutes  les  étulfes  dites 
coi  ées  ou  fuçon-iiei,  par  opposition  au  premier 
type  qui,  répetons  le,  est  celui  des  étoiles  dites 
U'iies.  Tout  l'art  du  tissage  consiste  donc  il  faire 
ou  que  les  fils  s'entrelacent  généralem"iit  un  il 
un,  ce  qui  donne  une  étoffe  d'un  aspect  .absolu- 
ment symétrique  dans  ses  moindres  détails,  ou 
bien  il  faire  que  cet  ordre  primitif  soit  interverti 
sur  toute  l'étendue  ou  sur  quelques  points  parti- 
culiers du  travail,  ce  qui  donne  une  élotTe  dont 
l'a~pect  est  plm  ou  moins  diversifié  Or,  si  simple 
qu'il  l'énoncé  puisse  paraîtie  cette  théorie,  elle 
na  o,is  moins,  depuis  que  lo  monde  est  monde, 
nus  bien  des  cerveaux  de  praticiens  il  la  torture. 
Il  est  olémentairement  facile  en  effet  de  produire 
ces  divers  entre-croisements,  comme  simple  opé- 
ration uénionstrative.  C'e-t  ce  que  font  tous  les 
jours  les  ravaudeuses  de  linge  :  quand  elles  re- 
prennent de.i  e/airs,  comme  elles  disent,  c'est  de 
la  tuile  il  l'aiguille  qu'elles  lissent  dans  les  lacu- 
nes do  la  toile  au  métier  ;  mais  autre  chose  est 
d'obtenir  en  grand,  et  rlans  des  conditions  relati- 
vement économiques,  les  divers  lissus  qui  peu- 
vent résulter  dos  diverses  combinaisons  de  fils. 
Voyons  donc,  tout  d'abord,  comment  opère,  de 
toute  antiiiuité  sans  doute,  l'anisan  connu  sou 
le  nom  de  tisserand,  qui  fabrique  la  toile  unie. 

Son  métier  est  un  solide  bâtis  de  bois  ayant 
forme  d'un  carré  long.  A  .-haque  extrémité  est  un 
rouleau  horizontalement  fixé  à  pivots  aux  mon- 
.tants  du  métier.  Les  fils  qui  doivent  former  ce 
que  nous  avons  déjà,  appelé  la  chaîne,  et  qui  sont 
eu  nombre  suffisant  pour  que,  rangés  parallèle- 
ment, leur  ensemble  ait  la  largeur  qu'on  veut 
donner  au  tissu,  ces  Ris  vont  de  lun  ii  l'autre 
des  deux  rouleaux  :  ainsi  se  trouve  disposé  l'élé- 
ment longitudinal  do  l'étoffe,  c'est-à-dire  que  la 
chaîne  est  tendue.  Reste  il  faire  quo  les  fils  ou  plu- 
tôt le  fil  du  sens  do  largeur  enire-croise  les  pre- 
miers, dans  l'ordre  voulu.  C'est  ce  que  lo  tisserand 
obtiendra,  non  pas  à  l'aide  d'une  aiguille  commo  la 
ravau  leiise,  mais  on  se  servant  d'un  petit  instrua 
ment  qui  a  la  forme  d'un  baCelet  pointu  des  deua 
bouts,  et  qu'on  nomme  navette  (du  latin  nauis^ 
bateauj.   La  navette,  qui  a  un  espace  creux  dans 


TISSAGE 


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TISSAGE 


son  milieu,  porte  une  petite  bobine,  sur  laquelle 
est  enroule  le  fil  de  trame,  qui  devra  se  dévider 
à  mesure  qu'on  fera  passer  la  navette  entre  les 
fils  de  la  chaîne. 

Tout  le  mécanisme,  fort  simple  d'ailleurs,  du 
métier  detisscrand  a  pour  butdassurer  un  passage 
convenable  au  fll  de  trame  que  déroule  la  navette. 
Les  montants  du  métier  portent  suspendus  à 
une  corde,  qui  est  à  cheval  sur  une  poulie,  deux 
larges  peiyni's  dont  les  dents,  au  lieu  d'être  ou- 
vertes d  un  Coté  comme  dans  un  peigne  à  che- 
veux, sont  fermées  des  deux  bouts.  Ces  peignes  on 
plutôt  ces  i^ses,  pnnr  les  appeler  de  leur  nnra 
technique,  sont  delà  largeur  de  l'étoffe  h  fabriquer, 
peuvent  monter  ou  descendre  alternativement 
selon  que  l'on  tire  l'un  ou  l'autre  par  le  bas:  la 
descente  de  l'un  motivant  l'ascension  de  l'autre 
par  un  mouvement  de  bascule  analogue  :'i  ce  qui 
se  passe  quand  on  remonte  une  horloge  à  poids. 
Chaque  dent  des  lisses  porte  au  centre  un  petit 
anneau;  et  entre  les  dents  reste  un  petit  espace 
libre  dans  toute  la  hauteur  du  peigne.  A  travers 
ces  lisses  passent  les  fils  qui  panetit  d'un  des 
rouleaux  pour  aller  sur  l'autre  ;  mais  de  façon  à 
ce  que  alternativement  un  fil  sur  deux  entre  da'is 
l'anneau  tandis  que  son  voisin  reste  dans  l'espace 
intermédiaire,  et  que  celui  qui  passe  dans  l'espace 
intermédiaire  du  premier  peigne  soit  ensuite  en- 
gagé dans  l'anneau  du  second  peigne.  Les  choses 
étant  disposées  ainsi,  on  comprend  sans  peine 
que  quand  les  lisses  s'élèveront  ou  s'abaisseront, 
chacune  d'elles  élèvera  ou  abaissera  avec  elle  la 
moitié  des  fils  composant  l'ensemble  de  la  chaîne. 
Séparées,  divisées  de  la  sorte,  les  denx  nappes  de 
fils  devront  par  conséquent  furmer  entre  elles  un 
angle  aigu,  comme  feraient  les  deux  branches 
d'une  longue  charnière  ou  d'une  paire  de  ciseaux. 
Pour  imprimer  aux  lisses  leur  mouvement  alter- 
natif et  contraire,  le  tisserand  se  sert  de  ses 
pieds,  qu'il  pose  l'un  aprè^  lauire  sur  deux  mar- 
ches commandant  resptciivenient  l'une  des  deux 
lisses  par  une  corde  correspondante. 

L'angle  étant  ouvert,  le  tisserand  lance  vive. 
ment  sa  navette,  de  droite  à  gauche  par  exemple, 
dans  l'espace  ménagé  entre  les  deux  nappes  de 
fils.  En  courant,  la  navette  laisse  un  hl.  Puis 
l'ouvrier  appuie  du  pied  sur  celle  des  deux  mar- 
ches qui  commande  à  la  lisse  alors  relevée  ;  celle- 
ci  s'abaisse  pendant  que  l'autre  se  relève.  Les 
fils  qui  formaient  la  nappe  supérieure  tout  l'i 
l'heure  forment  maintenant  la  nappe  inl'crieure; 
dans  ce  mouvement  de  bascule,  le  fil  laissé 
par  la  navette  s'est  trouvé  pris  par  l'entre- 
eroisB'nent  des  fils  de  la  chaîne.  Alors  la  navette 
est  lancée  de  nouveau,  retournant  sur  elle-même, 
c'est-à-dire  allant  de  gauche  à  droite  ;  nouveau  fi! 
laissé.  Puis  les  lisses  basculent  encore,  puis  la 
navette  recommence  son  parcours.  Et  conlinuelle- 
ment  ainsi...  Ajoutons  que  le  tisserand  a  devant 
lui  un  troisième  peigne  à  dents  régulières  et  sans 
anneaux,  engagé  dans  un  cadre  lourd.  Ce  peigne, 
qui  est  également  suspendu  aux  bâtis  du  métier, 
de  façon  à  pouvoir  osciller  sur  lui-même,  reçoit 
le  nom  de  buttant.  Ce  nom  s'explic|ue  par  la 
fonction  môme  de  cet  organe,  avec  lequel  l'ouvrier 
bat  ou  frappe  pour  serrer  le  travail  du  tissu. 
Nous  connaissons  maintenant  le  procédé  de  fa- 
brication de  toutes  les  étoffes  dites  unies,  depuis 
la  grosse  toile  à  bâche  ou  à  voile  jusqu'à  la  plus 
fine  mousseline,  depuis  le  plus  riche  taffetas  de 
soie  jusqu'au  vulgaire  pudou  à  deux  centimes  le 
mètre. 

Notons  cependant  que  beaucoup  de  tissus  d'as- 
pect varié  peuvent  être  dus  au  tissage  à  entre- 
croisement régulier  et  parfaitement  symétrique. 
Ce  sont  ceux  dans  la  fabrication  dos(|uels  on  a 
fait  intervenir  des  fils  teints  de  diverses  couleurs, 
combinés  de  manière  à   produire   ce  que  les  in- 


dustriels appellent  des  dispositions,  comme  par 
exemple  dans  les  étoffes  diies  écosse^ifes.  Tout 
d'abord,  pour  la  fabrication  de  ces  étoffes,  il  y  a 
un  travail  préparatoire  dit  d'ow'/issage,  qui  con- 
siste à  placer  sur  le  rouleau  de  chaîne  les  fils 
colorés  dans  un  ordre  voulu  et  indiqué.  Au  tis- 
sage, ensuite,  le  tisserand  emploie  snccessivement 
plusieurs  navettes  portant  chacune  un  fil  de  cou- 
leur diflerente.  11  doHue  tant  de  coups  avec 
l'une,  tant  de  coups  avec  l'autre  ;  et  sans  qu'il  soit 
rien  changé  à  la  marche  du  métier  quant  aux 
mouvements  des  lisses  dirigeant  les  fils  tle  chaîne, 
ni  aux  allées  et  venues  des  navettes  déposant  le 
fil  de  trame,  l'étoffe  obtenue  n'offre  pas  moins 
aux  yeux  un  d'Sam  qui  la  différencie  de  l'étoffe 
unie,  pour  laquelle  on  n'a  employé  que  des  fils 
teints  d'une  seule  nuance. 

Revenons  maintenant  à  notre  second  type  de 
tissus,  où,  comme  nous  l'avons  ohservé,  les  fils 
ne  s'entrelacpnt  plus  dans  un  ordre  aussi  absolu- 
ment symétrique,  et  où  nous  avons  vu  par  exem- 
ple que  des  fils  clievauchaieut  deux  par  doux. 
Imaginons,  pour  commencer,  un  métier  de  tisse- 
rand qui,  au  lieu  d'avoir  deux  lisses  seulement,  en 
aura  trois  :  chacune  de  ces  trois  lisses  Comman- 
dera au  tiers  des  fils.  Qii'arrivera-t-il,  si  à  chaque 
coup  de  navetie  nous  ne  faisons  monter  qu'une 
seule  des  trois  lisses?  que  l'angle  où  s'engage  la 
navette  sera  formé  d'une  nappe  supérieure  com- 
prenant nn  tiers  des  flis  de  la  chaîne,  et  d'une 
nappe  inférieure  en  comprenant  les  deux  autres 
tiers.  Et  si,  la  navette  passée,  nous  rabaissons 
cette  lisse  pour  en  faire  monter  une  autre,  le  fil 
laissé  par  la  navette  ne  seraemprisonné  que  par  un 
sur  trois  des  fils  qui  forment  la  chaîne  au  lieu  de 
l'être  par  un  sur  deux  II  passera  donc  par-dessus 
deux  fils  avant  qu'un  fil  le  recouvre.  De  là  cet 
aspect  non  régulier  que  nous  remarquons  dans 
la  serge  et  dans  le  treillis.  Et  si  au  lieu  de  donner 
au  métier  trois  lisses  commandant  par  tiers  les 
fils  de  la  chaiiie,  nous  en  mettons  quatre,  cinq, 
dix,  douze,  les  commandant  par  quart,  par  cin- 
quième, par  dixième,  par  douzième,  en  les  fai- 
sant successivement  s'abaisser  ou  se  relever 
d'après  un  ordre  éiudié,  il  est  évident  que  nous 
pourrons  obtenir  dans  l'entre-croisement  des  fils 
de  chaîne  et  di-s  fils  de  trame  un  certain  nom- 
bre de  combinaisons  qui  donneront  à  l'ctofîe  un 
aspect  particulier.  C'est  exclusivement  ainsi, 
d'ailleurs,  (|ue  furent  longtemps  obtenui'S  certaines 
étoffes  mivragées,  dont  nous  citerons  pour  exem- 
ple le  linge  de  table  dit  à  petits  damiers,  à  œil  de 
per'/rix.  et  des  Idinàge^dils  k  grains. 

On  voit  que  tout  l'art  du  façonnement  des 
étofl'es  consiste  à  cacher  plus  on  moins  de  fils 
longitudinaux  avec  les  fils  latiiudinaux,  et  vice 
versa,  selon  le  dessin  que  l'on  veut  former  ;  en 
d'autres  termes,  il  s'agit  simplement  de  taire  que 
lors  du  passage  de  la  navette  tels  ou  tels  des  fils 
de  Ict  chaîne  soient  levés  ou  abaisses,  pour  que  le 
fll  que  laisse  la  navette  qui  va  et  vient  les  cou- 
vre ou  en  soit  couvert.  Ni  plus  ni  moins. 

Il  semblerait  donc  qu'en  multipli^mt  à  l'infini  la 
nombre  des  lisses,  et  en  combinant,  en  réglant  le 
mouvement  des  pédales  qui  Ks  commandent, 
il  doit  être  possible  d'obtenir  des  étoffes  de 
tous  les  aspects  et  de  toutes  les  contextures, 
reproduisant  tous  les  dessins  qui  sont  tradui- 
sibles  par  l'entre-croisement  de  fils  de  même 
nuance  ou  teints  de  diverses  couleurs.  En  théo- 
rie, rien  de  plus  rationnel;  mais  il  n'en  est  pas 
de  même  dans  la  pratique.  N'oublions  pas  que  le 
tisseur  doit  faire  manoeuvrer  les  tisses  en  appuyant 
successivement  le  pied  sur  les  diverses  pédales 
qui  les  commandent.  A  grand  renfort  d'attention 
il  arrivera  peut-être  à  manoeuvrer  ainsi  jusqu'à 
douze,  quinze  ou  vingt  de  ces  pédales  dans  l'ordre 
voulu;  mais  rem^irquons  d'abord  que  chaque  coup 


TISSAGE 


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TISSAGE 


do  navotto  et  de  lisse  n'avance  le  travail  que  de 
l'épaissiMir  d'un  (il;  il  nous  sera  ensuite  facile  de 
reconnaître,  par  l'examen  de  quelques  étofl'es  ou- 
vrac;(5es,  qu'il  y  a  des  dessins  dont  le  sujet,  la  dis- 
position exacte  ne  se  répète  qu'à  une  distance  de 
trente,  ciTiiiuante,  cent,  mille,  deux  mille  fils.  Il 
faudrait  donc  adapter  au  métier  trente,  cinquante, 
cent,  mille,  deux  mille  lisses,  et  autant  de  pédales 
pour  les  commander  Outre  que  ce  serait  là  une 
proini6ro  impossibilité  matérielle,  il  tombe  sous 
le  sens  que  le  pied,  ou  môme  l'œil  de  l'ouvrier,  ne 
saurait,ne  pourrait  se  reconnaiire  dans  cette  forêt 
de  leviers.  On  n'a  doncjamais  pu  songer  à  multi- 
plier beaucoup  le  nombre  des  lisses  et  des  péda- 
les ;  et  l(mgicmps,  bien  longtemps  il  s'en  est  suivi 
que  la  fabrication  courante  des  étoffes  ouvragées 
a  dû  restreindre  le  champ  de  ses  prétentions  en 
limitant  l'étendue  du  dessin  à  reproduire,  do  telle 
sorte  qu'il  ne  comportât  qu'un  nombre  borné. de 
coups  de  navette  entre  deux  retours  à  la  môme 
disposition  ou  combinaison  des  flis. 

Toatefois,à  dos  époques  de  beaucoup  antérieures 
à  la  merveilleuse  invention  qui,  au  commence- 
ment de  notre  siècle,  est  venue  changer  du  tout 
au  tout  l'art  du  tissage  façonné,  nous  trouvons 
des  étoffes  ouvragées  qui, portant  des  dessins  lonqs, 
semblent  n'avoir  pu  être  fabriquées  qu'à  l'aide  d'un 
nombre  considérable  de  lisses  et  de  pédales.  Ces 
tissus  qui,  vu  la  délicatesse  et  la  lenteur  de  leur 
production,  restaient  toujours  d'un  prix  fort  élevé, 
étaient  fabriqués  sur  des  métiers  dits  à  la  tire. 
Ce  métier  était  ainsi  nornmé  parce  que,  à  chaque 
coup  de  navette  que  donnait  le  tisseur,  un  ou 
même  plusieurs  servants  du  métier,  enfants,  fem- 
mes, vieillaÊ'ds,  étaient  chargés  de  tirer  des  cor- 
des ou  lacs  disposes  de  façon  à  commander  tels 
ou  tels  fils  de  la  chaîne  qui  devaient  être  levés. 
Les  tireurs  de  lacs  avaient  devant  eux  un  indica- 
teur qu'ils  lisaient  en  quelque  sorte  à  chaque 
coup  de  navette,  et  ils  tiraient  des  lacs  en  consé- 
quence des  indications.  Outre  que  les  fonctions 
de  tireur  de  lacs  exigeaient  de  la  part  de  celui  qui 
les  remplissait  une  attention  soutenue,  car  il  de- 
vait observer  à  la  fois  son  indicateur  et  les  mou- 
vements de  l'ouvrier  tisseur,  cet  utile  auxiliaire 
devait  encore,  par  suite  d'une  disposition  malheu- 
reuse, nous  serions  tenté  de  dire  inhumaine  du 
métier,  opérer  les  efforts  qu'exigeait  le  tirage  des 
cordes  en  gardant  les  plus  gônantes  ou  fatigan  ■ 
tes  postures  :  aussi  dans  les  centres  industriels 
qui,  comme  Lyon  par  exemple,  produisaient  les 
riches,  les  magnifiques  étoffes  façonnées,  comptait- 
on  une  majorité  de  personnes  contrefaites  parmi 
les  tireurs  de  lacs  qui  étaient  presque  tous  au 
moins  d'une  santé  chétive. 

Enfin  Jacquard  vint,  qui,  reprenant  et  perfec- 
tionnant, dit-on,  une  idée  d'abord  émise  par  Vau- 
canson,  ouvrit  pour  le  tissage  d^s  étoffes  ouvragées 
une  ère  de  progrès  inouïs;  car  non-seulement  son 
invention  réduisit  à  la  plus  grande  simplicité  le 
mécanisme  de  inouveiueiit  des  fils  de  chaîne,  mais 
encore  permit  de  réaliser  toutes  sortes  de  combi- 
naisons qui  restaient  impossibles  môme  par  la 
plus  grande  complication  du  métier  à  la  tire; 
tout  cela,  bien  entendu,  en  rendant  le  travail  beau- 
coup plus  rapide  et  plus  économique,  puisque  du 
même  coup  la  suppression  des  tireurs  de  lacs 
réduisait  le  personnel  employé  à  la  manœuvre  du 
métier  et  débarrassait  l'opération  de  cette  le'twe 
incessante  de  l'indicateur  qui  en  ralentissait  sin- 
gulièrement la  marche. 

A  bien  prendre,  l'invention  de  Jacquard  est,  com- 
me la  plupart  dos  grandes  inventioiis,  d'une  sim- 
plicité en  quelque  sorte  élémentaire  ;  mais  elle 
est  beaucoup  moins  facile  à  déciire  qu'à  compren- 
dre avec  un  appareil  sous  les  yeux.  Nous  essaie- 
rons tnutelois  d'en  exposer  aussi  clairement  que 
possible  les  dispositions,  et  peut-être  réussirons- 


nous  à  en  faire  concevoir  le  mécanisme  à  ceux  de 
nos  lecteurs  qui  voudront  bien  lire  attentivement 
les  lignes  suivantes. 

Jac<|nard  a  imaginé  de  placer  au-dessus  des  mé- 
tiers nm'  boîte  sans  fond,  ni  couvercle,  ou  plutôt 
nu  large  cadre  à  l'intérieur  duquel  sont  rangées 
verticalement  par  lignes,  comme  dos  l'usées  dans 
une  caisse  d'artilice,  autant  do  baguettes  de  mé- 
tal, recourbées  en  crochet  par  le  haut,  qu'il  y  a  de 
fils  à  la  chaîne  de  l'étoffe  ;  chacune  de  ces  baguet- 
tes correspond  à  l'un  de  ces  fils  par  une  corde- 
lette qui  porte  un  anneau  où  s'engage  le  til,  et 
qu'un  petit  contre-poids  maintient  tendue.  Dans 
la  caisse,  devant  les  lignes  de  baguettes,  un  peu 
Cil  contrebas  des  crochets  qui  les  terminent, sont 
placées  des  lames  reliées  par  un  bout,  qui  s'élèvent 
toutes  ensemble  par  le  fait  d'un  levier  que  com- 
mande l'unique  marche  ou  pédale  du  métier.  Ces 
lames,  en  s'elevant,  peuvent  s'engager  dans  les 
crochets  et  par  conséquent  soulever  les  bagtettes 
qui,  par  suite,  souièveront  les  fils  de  la  chaîne 
auxcpiels  elles  correspondent.  Mais  tous  les  fils 
ne  devant  pas  être  soulevés  à  la  fois,  il  fallait 
faire  en  sorte  que  les  lames  en  s'elevant  ne  s'en- 
gageassent pas  dans  tous  les  crochets. 

Mais  tous  les  crochets  sont  susceptibles  d'être 
dérangés,  repoussés  pour  échapper  au  soulève- 
ment des  lames,  et  voici  comment  :  à  chaque 
baguette  verticale  est  attachée,  dans  la  caisse 
même,  une  tige  de  fer  verticale  dont  le  bout 
sort  un  pou  de  la  partie  supérieure  de  la  caisse. 
A  l'endroit  où  les  bouts  de  ces  tiges  se  présen- 
tent en  bataillon  serré,  vient,  à  chaque  pulsation 
du  métier,  battre  un  bloc  de  bois  quadrangulaire» 
percé  sur  ses  quatre  faces  d'autant  de  trous,  cor- 
respondant exactement,  aux  tiges,  qui  peuvent  y 
pénétrer.  A  chaque  coup  do  navette  donc,  toutes 
les  tiges  pénétreraient  dans  les  trous  du  bloc  si 
rien  ne  s'interposait.  Mais  à  chaque  coup  de  na- 
vette vient  s'interposer  sur  le  bloc  une  feuille  de 
carton  qui  a  été  percée  de  plus  ou  moins  de  trous 
correspondant  en  même  temps  aux  trous  du  bloc 
et  h  telles  ou  telles  des  tiges  de  fer.  Alors,  par- 
tout où  les  tiges  rencontrent  un  vide  elles  pénè- 
trent dans  le  bloc,  et  les  baguettes  verticales  aiix- 
quelles  elles  correspondent  n'étant  pas  dérangées 
de  leur  position  normale,  sont  enlevées  par  la 
lame,  et  les  fils  de  chaîne  que  ces  baguettes  com- 
mandent sont  soulevés  ;  tandis  que  si  les  bouts 
de  tiges  portent  sur  un  endroit  plein  du  carton, 
j  ils  font  dévier,  reculer  la  baguette  verticale,  dont 
le  crochet  échappe  la  lame  qui  monte  :  et  ce  sont 
autant  de  fils  dL  chaîne  qui  ne  so  trouvent  pas 
'  soulevés. 

A  chaque  coup  de  navette  la  feuille  de  carton 
change,  parle  fait  d'un  quart  d'évolution  du  bloc 
qui  la  présente,  ce  qui  permet  d'en  augmenter  le 
nombre  à  volonté,  et  par  conséquent  de  produire 
toutes  les  combinaisons  d'entre-croisement  imagi- 
nables sans  s'inquiéter  trop  de  la  limgwiif  du 
dessin,  l'ourcertainos  étolTes  richement  ornemen- 
tées, on  emploie  quelquefois  jusqu'à  plusieurs  mil- 
liers de  cartons  :  mais  eu  moyenne  c'est  par  cen- 
taines qu'on  les  compte. 

Une  fois  l'appareil  Jacquard  installé  sur  un  mé- 
tier, tout  se  réduit  donc  à  percer  convenablement, 
selon  le  dessiii  qu'on  veut  produire,  autant  de 
feuilles  de  carton  que  l'ouvrier  doit  donner  de 
coups  de  navette  avant  que  la  même  combinaison 
de  fils  so  représente  dans  le  tissu  qu'il  exécute. 

L'artisan  chargé  de  percer  les  cartons  s'appelle 
le  liseur  :  il  opère  guidé  par  une  mise  en  ca7-ie, 
c'esl-à  dire  par  une  traduction  du  dessin  à  repro- 
duire, faite  sur  un  papier  quadrillé  qui  est  analo- 
gue, k  celui  où  se  peignent  les  modèles  de  broderie, 
et  dont  chaque  ligne  correspond  à  un  fil  du  futur 
tissu. 

Si  nous  avons  su  faire  comprendre  le  système 


TISSUS 


—  220-2  — 


TISSUS 


de  Jacquard,  on  doit  voir  quelles  immenses  res- 
sources il  a  fournies  aux  arts  textiles,  qui.  depuis 
que  cette  invention  est  connue,  ont  d'ailleurs  réa- 
lisé tout  un  monde  de  merveilles.  Simple  et  sûr, 
facile  et  expéditif.le  sytcmo  Jaci|uard  a  Été  peu  à  peu 
appliquée  tous  les  genres  de  tissage  qui  n'ont  pas 
pour  but  de  produire  une  étoffe  absolument  unie. 
Pendant  que  sur  le  bloc  de  tel  métier  donnant 
l'étoffe  à  dessins  magnifiques,  les  cartons  percés 
se  succéderont  en  nombre  infini,  sur  tel  autre 
métier  donnant  le  simple  tissu  croisé  ou  légère- 
ment ouvragé  on  n'en  verra  que  quelques-uns, 
dispensant  le  tisseur  de  toute  manœuvre  des  pé- 
dales, qui,  si  simple  ou  régulière  fût-elle,  ne  lais- 
sait pas  de  compliquer  et  de  retarder  singulière- 
ment le  travail. 

Avons-nous  besoin  de  faire  remarquer  que  quel- 
que magnifiques  résultats  que  puisse  donner  par 
lui-même  le  système  Jacquard  en  tant  que  favori- 
sant les  combinaisons  que  nous  serions  tentés  d'ap- 
peler matérielles  du  tissage,  c'est  généralement 
en  y  adjoignant  la  puissante  ressource  des  com- 
binaisons de  nuances  qu'on  obtient  les  plus 
somptueux  tissus  de  grand  luxe,  aussi  bien  que 
les  innombrables  et  très  économiques  étoffes  de 
pure  fantaisie  qui  sont  aujourd'liui  accessibles  à 
toutes  les  bourses. 

Aujourd'hui  d'ailleurs  presque  partout,  au  moins 
pour  les  tissus  de  grande  consommation,  au  tissage 
à  la  main  s'e-t  substitué  le  tissage  automatique, 
qui  accélère  beaucoup  la  production,  mais  qui  n'a 
rien  changé  aux  principes  normaux  de  l'opération. 
Pour  ôtre  mû  par  la  vapeur  au  lieu  de  l'être  par 
le  tisserand,  le  métier  n'a  perdu  aucun  de  ses  or- 
ganes primitifs  et  essentiels.  C'est  toujours  une 
chaîne  dont  les  fils  sont  soulevés  dans  l'ordre  vou- 
lu, toujours  une  navette  qui  passe  en  déroulant 
la  trame,  toujours  un  battant  qui  frappe  pour 
Eerrer  l'entre-croisement  des  fils. 

Nous  ne  saurions  énumérer  ici  les  diverses  sor- 
tes de  produits  qui  sont  dus  à  l'industrie  textile 
en  général,  et  qui  tons  peuvent  être  ramenés  à 
l'un  des  deux  groupes  que  nous  avons  d'abord  si- 
gnalés; nous  devons  cependant  mentionner  à  part 
certains  tissus  qui,  sur  un  premier  examen,  sem- 
bleraient n'appartenir  à  aucune  de  ces  catégories: 
nous  voulonsparler  du  velours,  pelucheset  autres 
étoffes  poilues.  Pour  la  production  du  velours  le 
métier  reçoit  deux  chaines  que  les  lisses  manœu- 
vrent simultanément.  L'une  de  ces  chaînes  sert 
au  tissage  proprement  dit  et  forme  le  corps  de 
l'étoffe  en  s'entrc-croisant  avec  la  trame  ;  l'autre 
se  replie  en  boucles,  autour  d'une  petite  tige  de 
métal  qu'à  cliaque  coup  de  navette  l'ouvrier 
glisse  sou*  les  fils  soulevés.  Si,  la  tige  retirée,  on 
laisse  la  boucle  formée,  on  a  ce  qu'on  appelle  de 
l'épingle;  on  la  fend  dans  toute  sa  largeur  à  l'aide 
d'un  petit  rasoir  qu'on  fait  courir  sur  la  lige  restée 
dans  la  boucle,  quand  on  veut  avoir  du  velours  or- 
dinaire, dont  le  ),oil  se  trouve  ainsi  formé  d'une 
multitude  de  petits  pinceaux  rapprocliés  et  de 
même  longueur.  Notons  que  dans  le  velours  de 
coton,  si  employé  pour  les  vêtements  populaires, 
c'est  non  une  chaîne,  mais  une  trame  spéciale  qui 
produit  les  boucles  ou  cannelures,  que  l'on  fend 
ensuite  en  longueur  à  l'aide  d'une  sorte  d'épée, 
pour  avoir  le  poil.  L'étoffe  pelucheuse  qui  sert 
à  fabriquer  les  chapeaux  dits  de  soie  est  un  satin 
i  double  chaîne,  La  seconde  chaîne,  tissée  en/Zo/- 
lage,  est  aussi  coupée  par  un  procédé  particulier, 
et  ainsi  des  autres  tissus  analogues. 

[Eugène  Muller."] 

TISSUS.  —Zoologie, XXXI.  —  Les  phénomènes 
de  la  vie  apparaissent  tout  d'abord  à  l'observateur 
comme  se  divisant  en  deux  catégories:  les  uns, 
superficiels,  pour  ainsi  dire,  et  qui  frappent  d'a- 
bord le  regard,  appartiennent  à  la  physique  et  à  la 
cliimie,  c'est-à-dire  en  dernière  analyse  à  la  mé- 


canique, et  ne  diffèrent  en  rien  de  ceux  que  pré- 
sentent les  corps  bruts.  Par  exemple  la  respiration 
et  la  production  de  la  chaleur  organique  sont 
identiques  aux  combustions  de  nos  foyers.  Les 
autres,  au  contraire,  plus  intimes,  plus  caractéris- 
tiques de  la  vie,  semblent  ressortir  \  un  ordre 
spécial,  étranger  aux  lois  physico-chimiques.  Cette 
distinction  n'est  qu'apparente;  une  observation 
plus  attentive  et  une  vue  plus  profonde  de  la  vie 
nous  révèlent  que  l'empire  de  ces  lois  est  aussi 
absolu  dans  le  domaine  de  la  physiologie  que  dans 
le  monde  inorganique  :  pas  de  phénomène  qui  ne 
soit  un  phénomène  de  mécanique.  Mais  un  trait 
distingue  pourtant  le  monde  de  la  vie  :  c'est  que 
ces  phénomènes,  identiques  à  ceux  que  présen- 
tent les  corps  inorganisés,  sont  ici  piovoqués  et 
dirigés  par  un  principe  et  par  une  direction  spé- 
ciales. i<  Le  corps,  a  dit  excellemment  M.  Paul 
Bert.  esl  le  verre  du  chimiste  ;  mais  la  vin  est  le 
chimiste  même  qui  pré/^are  la  conditions  des 
phé'iomé?ies .  »  Et  sans  entrer  ici  dans  le  débat 
des  doctrines  et  des  hypothèses,  nous  tenons  sim- 
plement, au  début  de  cette  étude,  à  bien  marquer 
que  cette  direction  cachée  est  le  propre  de  la  vie, 
encore  bien  qu'elle  ne  se  révèle  qu'à  travers  les 
lois  de  la  mécanique  générale. 

Cette  propriété  caractéristique  appartient  à  la 
matière  organisée  et  n'appartient  qu'à  elle,  sous 
quelque  forme  qu'elle  se  présente.  ' 

Ces  formes  sont  nombreuses.  En  procédant  du 
simple  au  composé,  le  premier  degré  d'organisa- 
tion, la  forme  la  plus  rudimentaire  do  la  matière 
vivante  est  celle  que  l'on  nomme  la  su''Stance  no>i 
fiijurée  :  ici  pas  de  forme,  pas  de  granulations, 
rien,  pour  ainsi  dire,  que  le  suOstratum  élémen- 
taire de  la  vie.  Au  second  degré,  cette  substance, 
d'informe  et  d'amorphe,  est  devenue  figurée  ;  elle 
présente  quelques  stries,  ou  qu'-lques  granulations 
dune  prodigieuse  finesse.  Mais  ce  n'est  encore  là 
qu'un  état  passager,  une  forme  transitoire.  La  vie 
réelle,  avec  la  complexité  de  ses  phénomènes,  ne 
commence  qu'à  la  cel  u'e.  La  cellule  est  la  base  de 
toute  organisation,  l'élément  primordial  de  tous 
les  corps  vivants  ;  c'est  en  quelque  sorte  la  véri- 
table unité  anatomique.  Tout  organisme  vivant 
n'e  t  qu'tine  agglomération  de  cellules. 

Ainsi  l'élément  anatomique  proprement  dit  est 
un  élément  cellulaire.  Le  groupeutent,  la  juxta- 
position de  cellules,  d'une  seule  espèce  ou  de  plu- 
sieurs espèces  diverses,  forme  un  tissu.  Pour 
étudier  chaque  tissu  séparément,  dans  sa  struc- 
ture et  dans  sa  physiologie,  nous  sommes  donc 
conduits  à  étudier  la  ou  les  cellules  qui  le  consti- 
tuent. 

Disons  d'abord  un  mot  de  la  cellule  en  général. 
Une  cellule  parfaite  est  formée  de  plusieurs 
parties  distinctes,  au  nombre  de  trois:  1°  une 
membrane  limitante,  ou  membrane  d'enveloppe, 
très  mince  et  parfois  difficile  à  apercevoir  ;  1°  un 
contenu  protoplasmiquc,  granuleux,  3°  une  petite 
masse  centrale  ou  noi/au. 

Ainsi  formé,  cet  élément  anatomique  manifeste 
sa  vie  par  divers  phénomènes  :  d'abord  par  la  nu- 
trition. 11  se  nourrit  par  endosmose,  mais  une  en- 
dosmose qui  n'a  rien  de  fatal,  dirigée  par  un  certain 
choix,  acceptant  telle  substance  et  en  repoussant 
d'autres.  Ensuite,  par  la  reproduction  ;  des  cellules 
nouvelles  naissent  de  la  segmeniation  successive 
du  contenu  de  la  cellule  more.  Enlin  par  ses  fonc- 
tions; c'est  ainsi  que  la  cellule  nerveuse  sert  à  la 
fonction  do  sentir  ou  de  penser,  que  la  cellule 
musculaire  se  contracte,  que  la  cellule  glandulaire 
sécrète,  etc.  Ajoutons  que  la  cellule  ne  fonctionne 
qu'un  temps  variable,  puisqu'elle  se  transforme, 
meurt  et  disparaît,  remplacée  par  uue  cellule  plus 
jeune. 

Ces  considérations  générales  étaient  nécessaires 
pour  établir  au  début  de  cette  étude  les  propriétés 


11 


TISSUS 


2i03  — 


TISSUS 


communos  h  tous  les  cléments  anatomiques,  com- 
munes |iai'  conséquent  à  tous  les  tissus. 

Entriin^  maintenant  dans  l'étude  particulièro  de 
chaque  tissu.  .Nous  en  compterons  si\  :  le  tissu 
nerreu.r,  le  lissit  osseux,  le  tissu  musculuire,  le 
tissu  l'fiillirliat,  le  tissu  conjonctif.  et  le  sayit/. 

1°  Tissu  nerviîi  x.  —  Nous  renvoyons  le  lecteur 
à  l'article  Si/sirme  uerveur,  où  il  trouvera  suf- 
fisamment détaillées  la  structure  anatomique  et 
les  propriétés  de  ce  tissu. 

2»  Tissu  o.sseu.x.  —  Nous  avons  dit,  àl'ariicleSf/îje- 
lette,  que  le  squelette  csseux  est  la  transforma- 
tion calcaire  du  squelette  cartilagineux  du  fœtus. 
Ceci  nous  amène  à  considérer  d'abord  le  cartilage. 

Le  cartilage  se  compose  de  deux  clémenis: 
1°  une  cellule,  la  cellule  i-artitnginense  ou  clion- 
droplaste,  spliérique  ou  polyédrique,  très  volumi- 
neuse (1/10  de  mm.',  et  possédant  un  noyau; 
3"  une  substance  intercellulaire  firisâtrc,  tantôt 
amorphe,  tantôt  fibreuse,  toujours  dure,  élastique 
et  résistante.  Particularité  inqjortante,  le  cartilaue 
ne  possède  ni  vaisseaux  ni  nerfs,  et  se.  nourrit 
par  imbibition.  Traitée  par  l'eau  bouillante,  la 
substance  intercellulaire  se  dissout,  et  se  trans- 
forme en  cliondrine  et  en  gélatine,  tandis  que  les 
cellules  résistent,  manifestant  ainsi  une  nature 
chimique  différente. 

Comment  s'opère  la  transformation  du  cartilage 
en  os'?  On  voit  d'abord  les  cellules  cartilagineuses 
ou  chondroplastes  se  ranger  en  séries  régulières 
aux  environs  du  point  où  va  naître  l'os.  Bientôt, 
en  co  point,  apparaît  la  substance  fondamentale, 
calcaire,  de  l'os,  qui  s'avance  par  traînées  entre 
les  chondroplastes,  envahissant  la  substance  du 
cartilage.  A  ce  moment,  les  chondroplastes,  noyés 
dans  la  masse  calcaire,  se  rétrécissent,  se  rident, 
se  munissent  do  prolongements  déliés  qui  vont 
se  ramifier  et  s'anastomoser  avec  les  prolonge- 
ments des  cellules  voisines:  cette  transformation 
crée  la  cellule  osseuse,  ou  oHéobluste.  Dès  lors 
l'os  est  formé.  Il  possède  ses  deux  éléments  fon- 
damentaux, l'ostooblaste.  ou  cellule  osseuse,  petite, 
irrégnlière,  munie  de  libres  ténues  et  creuses,  et 
la  substance  osseuse,  intercellulaire.  Bientôt,  en 
certains  points,  cette  substance  se  résorbe,  dispa- 
raît, créant  de  longs  trajets  sinueux,  où  se  logent 
les  vaisseaux  nourriciers  de  l'os. 

Lorsqu'on  examine  au  microscope  une  coupe 
enlevée  à  un  os  encore  frais,  on  est  frappé  de 
l'ordre  dans  lequel  sont  rangés  les  ostéoblastes  : 
ils  sont  disposés  en  lignes  concentriques  autour 
d'une  sorte  de  trou  noir,  qui  n'est  autre  chose  que 
la  coupe  d'un  canalicule  sanguin  (canaux  de 
Havers). 

On  verra,  en  se  reportant  h  l'article  Squelette, 
quelle  est  la  composition  chimique  du  tissu  os- 
seux. On  trouvera  IJi  .lussi  la  description  des  trois 
variétés  do  structure  osseuse  :  compacte,  spon- 
gieuse et  réUculiiire  :  nous  n'avons  donc  pas  il 
revenir  sur  ces  points  déjà  traités,  non  plus  que 
sur  le  rôle  du  périoste,  suffisamment  décrit  dans 
le  mémo  article.  Disons  seulement  que  la  moelle. 
contenue  dans  le  corps  des  os  longs,  est  consti- 
tuée par  deux  éléments  bien  distincts,  mais  dont 
les  proportions  sont  dans  un  rapport  variable 
d'abord  des  cellules  propres,  nommées  les  médul- 
locales,  grandes,  sphériques,  munies  d'un  noyau; 
ensuite  des  vésicules  remplies  de  graisse  liqui- 
de. 

;)°  Tissu  MUSCULAIRE.  —  Le  tissu  musculaire  se 
présente  sous  deux  formes  bien  différentes,  et  qui 
doivent  être  étudiées  à  part.  Les  muscles  en  effet 
sont  de  deux  ordres  :  les  muscles  lisses,  ou  mus- 
cles de  la  vie  organique,  et  les  muscles  striés,  ou 
muscles  de  la  vie  de  relation. 

A.  Musrli-s  lisses.  —  Ces  muscles  sont  placés 
dans  les  parois  des  viscères  (vessie,  intestins,  uté- 
rus, poumons,  etc.)   ou  dans   les   canaux  qui   y 


aboutissent  (bronches,  vaisseaux  sanguins,  ure- 
tères, urètlire,  canal  cholédoque,  etc.).  Ils 
contribuent  à  former  les  appareils  de  la  di- 
gestion, de  la  sécrétion  urinaire,  de  la  circula- 
tion, et  enlin  les  conduits  excréteurs  des  glan- 
des. Leur  physiologie  est  toute  spéciale.  Ils 
forment  en  effet  un  ensemble  d'organes  contrac- 
tiles, dont  la  contraction  n'est  point  soumise  à 
l'empire  de  la  volonté  ;  ils  fonctionnent  automati- 
quement, en  vertu  d'un  mécanisme  unique,  celui 
du  mouvement  réflexe.  Ils  constituent  dans  l'or- 
ganisme animal  un  domaine  soustrait  au  gouver- 
nement du  moi,  étranger  à  la  vie  volontaire  et, 
dans  une  large  mesure,  k  la  conscience,  dont  les 
(onctions  ne  peuvent  être  ni  provoquées,  ni  en- 
rayées par  la  volition,  mais  sont  réglées  par  un 
mécanisme  spécial.  La  bouchée  de  pain  qui  a 
franchi  l'isihme  du  gosier  écliappe  désormais  à 
notre  empire,  et,  de  ce  moment  jusqu'à  celui  où 
elle  sera  éliminée  de  notre  tube  digestif,  elle  exé- 
cute un  long  voyage  dont  chaque  étape  est  déter- 
minée en  deliors  de  notre  vouloir,  et  sur  le  trajet 
ou  la  rapidité  duquel  nous  ne  pouvons  influer  en 
rien. 

Les  muscles  lisses  sont  uniquement  constitués 
par  des  fibres  contractiles.  Ces  fibres  se  présen- 
tent sous  la  forme  de  cellules  ovales  extrêmement 
allongées,  aplaties,  d'une  longueur  qui  varie  en- 
tre 0""",0.>  et  l)min,'20,  et  d'une  largeur  cinq  fois 
moindre.  Ces  cellules,  p<âles  et  munies  d'un  noyau 
ovnide,  se  juxtaposent  pour  former  les  faisceaux 
du  muscle. 

Chacune  de  ces  fibres,  prise  isolément,  possède 
kl  propriété  de  se  contracter,  c'est-à-aire  de  pas- 
ser de  sa  forme  allongée  et  mince  h  la  forme  ren- 
flée et  courte.  La  limace  (|ui  se  gonfle  et  se  rac- 
courcit, puis  s'allonge  en  s'amincissant,  repré- 
sent ■  assez  bien  le  mécanisme  de  la  contraction 
do  la  fihre-cellule. 

Mais  ce  qui  est  à  noter  c'est  que,  dans  la  fibre 
lisse,  le  passage  de  la  forme  n"  I  à  la  forme  n°  2 
n'est  pas  subit,  comme  dans  la  fibre  striée,  niais 
au  contraire  extrêmement  lent.  La  contraction 
d'un  muscle  lisse  demande  donc  toujours  un  cer- 
tain temps  pour  s'opérer. 

B.  Muscles  striés.  —  Ces  muscles,  situés  pour 
la  plupart  à  la  surface  de  l'organisme,  sont  les 
organes  actifs  de  la  Irjcomation.  Ils  sont  en  général 
groupes  et  disposés  autour  des  leviers  osseux, 
s'attachent  à  ces  leviers,  et  les  meuvent  en  sens 
divers  en  se  contractant  tour  à  tour.  Us  entrent 
en  mouvement  sous  l'influence  de  la  volonté,  aux 
ordres  de  laquelle  ils  obéissent  avec  une  rapidité 
instantanée. 

Un  muscle  strié  se  présente  sous  la  forme  de 
faisceaux  de  fibres.  Chacune  de  ces  fibres,  habi- 
tuellement prismatique,  est  contenue  dans  une 
gaine  transparente  (sarcolomme).  IWais  ce  qui 
frappe  tout  d'abin-d,  c'est  l'apparence  s^-iVf  de  la 
fibre  :  elle  est  comme  composée  de  disques  alter- 
nativement sombres  et  clairs  empiles  l'un  sur 
l'autre.  tUe  possède  la  propriété  de  se  con- 
tracter, c'est-à-dire  de  se  raccourcir  en  se  renflant, 
et  communi(|ue  cette  contractilité  aux  faisceaux  et 
au  muscle  tout  entier. 

Le  muscle  s'use,  comme  tout  organe,  lorsqu'il 
fonctionne,  c'est-à-dire  lorsqu'il  se  contracte  : 
mais  il  s'alimente,  il  se  nourrit  pendant  qu'il  ne 
se  contracte  pas.  C'est  ainsi,  par  exemple,  que  le 
cœur  se  repose  et  se  nourrit  1"2  heures  sur  ;24, 
dans  l'intervalle  de  chaque  contraction. 

Dans  l'atrophie  des  muscles,  dans  la  paraly- 
sie, etc.,  la  fibre  constitutive  se  résorbe,  subit  la 
dégénération  graisseuse,  et  il  ne  reste  plus  que 
l'enveloppe,  le  sarcolomme.  vide  et  chitTonné. 

L'étude  de  la  physiologie  musculaire  est  do- 
minée par  ce  fait  capital  que  le  muscle  peut 
changer  de  forme  et  se  prése^nter  sous  doux  états 


TISSUS 


2204 


TISSUS 


difforents,  le  premier  appelé  généralement  état 
<le  repos,  où  le  muscle  est  détendu  et  mince,  le 
second,  état  actif,  oùil  est  renflé,  raccourci,  con- 
Iradé. 

Examinons  d'abord  les  phénomènes  physiques 
et  chimiques  qui  s'opèrent  dans  le  muscle  au  re- 
pos, pendant  l'état  que  nous  nommerons  l'état 
n°  1. 

Que  l'on  ne  se  représente  pas  cet  état  comme 
absolument  inerte  et  passif.  Loin  de  K\  :  le  mus- 
cle jouit  alors  d'une  grande  tonicité,  ou  mieux 
d'un"  grande  élasticité  En  d'aulres  termes  un 
muscle  soi-disant  nu  repos,  si  détendu  qu'il  sem- 
ble, est  encore  éiiré  au  delà  de  sa  longui'ur  natu- 
relle, et  si  l'on  conpait  l'un  de  ses  tindons,  on  le 
verrait  subir  une  rétraction  légère.  Celte  tonicité 
ressemble  exactement  à  celle  d'une  bande  élasti- 
que légèrement  tendue,  et  ne  doit  pas  être  con- 
fondu", avec  la  contractilité,  dont  nous  parlerons 
plus  bas. 

Sous  cette  forme  n"  1,  le  muscle  vit  et  s'alimente; 
sa  composition  chimique  e^t  dans  un  état  de  per- 
pétuel changement.  Il  absorbe  de  l'oxygène  et  dé- 
gage de  l'acide  carbonique,  en  un  mot  il  respire. 
Détaché  de  l'os  et  placé  sous  une  cloclie,  il  conti- 
nue à  manifester  ce  phénomène  respiratoire  par 
l'altération  graduelle  de  l'atiuosphèi-e  de  la  cloche 
qui  s'appauvrit  et  se  vicie.  Cette  nutrition  et  cette 
desassimilation  du  muscle  au  repos  e^t  attestée, 
sur  l'animal  vivant,  par  la  différence  de  couleur  et 
de  coinposition  entre  le  sang  artériel  qui  entre 
dans  le  muscle,  et  le  sang  veineux  qui  en  sort  : 
ce  dernier  est  moins  rouge,  plus  pauvre  en  oxy- 
gène, et  contient  un  peu  d'acide  carbonique. 

Nous  allons  voir  ces  divers  phénomènes  se  mo- 
difier quand  le  muscle  passe  à  l'état  de  contrac- 
tion. 

Le  muscle,  dans  cet  état  n"  î,  a  perdu  les  5/6 


noir.  Au  contraire,  quand  aucune  contraction 
musculaire  n'a  lieu  (syncope,  sommeil,  etc.),  le 
sang  veineux  revient  presque  rouge. 

On  voit  l'importance  du  travail  musculaire  sur 
les  phénomènes  intimes  de  la  respiration.  C'est 
surtout  le  muscle  qui  est  le  théâtre  de  la  trans- 
formation de  l'oxygène  et  du  carbone  en  acide 
carbonique,  et  de  l'élimination  de  ce  dernier.  En 
ce  sens,  on  peut  dire  que  pour  «  respirer  »  il  ne 
suffit  pas  d'aspirer  de  l'air  mais  qu'il  faut  utiliser 
cet  air,  et,  pour  cela,  faire  travailler  la  masse 
muscjlaire.  De  là  l'utilité  de  l'exercice  et  de  la 
gymnastique,  naturelle  ou  artificielle,  pour  entre- 
tenir ce  mouvement  de  régénération  et  de  des- 
truction perpétuelles  qui  n'est  autre  chose  que  la 
vie.  Parla  encore  s'explique  ce  qu'on  a  appelé  la 
«  douleur  de  l'immobilité  »  et  le  besoin  absolu 
(mêine  pendant  le  sommeil  ou  la  distraction)  de 
changer  de  position  ou  de  place,  sous  peine  de 
donner  aux  muscles,  qui  ne  respirent  plus  suf- 
fisamment, un  commencement  d'asphyxie. 

Quels  sont  les  matériaux  dans  lesquels  le  muscle 
puise  le  carbone  nécessaire  à  sa  combustion  ?  On 
avait  cru  longtemps  qu'il  les  puisait  dans  les  ali- 
ments que  Liebig  a  qualifiés  de /j/as'îi/î'es,  e'est-à- 
dire  dans  les  aliments  a/izimtnoidfs  (viandes),  et 
nullement  dans  les  hydrocarbures  (sucres,  grais- 
ses, alcools),  dont  la  combustion  paraissait  spécia- 
lement destinée  à  fournir  la  chaleur  animale. 

Les  travaux  de  Tyndall,  de  Rumford ,  de 
Mayer,  etc.,  sur  les  équivalents  mécaniques  de  la 
chaleur,  inspirèrent  des  doutes  sur  la  théorie  de 
Liebig.  Ces  travaux  en  efl'et  montrèrent  que  cha- 
leur et  travail  sent  une  même  chose,  ou  du  moins 
deux  choses  équivalentes,  et  qui  peuvent  se  trans- 
former l'une  en  l'autre.  Or  le  muscle  n'est 
qu'une  machine,  mais  une  machine  plus  parfaite 
que  les  autres,  qui  transforme  en  travail  la  cha- 


de  sa  longueur  primitive:  en  revanche,  il  est  gros,  !  letir  produite.  Le  travail  musculaire  n'éiant  que 
renflé,  globuleux.  C'est  là  ce  que  l'on  constate  de  la  chaleur  transformée,  il  était  natiirel  de  pen- 
ur  un  muscle  dont  l'une  des  extrémités  est  déta-    ser  que  pour  le  produire,  le  muscle  dépense,  non 


chée  de  l'os,  et  qui  est  libre,  par  suite,  de  se  ré- 
tracter au  maximum.  Si  l'on  palpe  ce  muscle,  on 
est  surpris  de  le  trouver  très  mou,  et  pnrf'aite- 
ment  élnstiq-e,  c'est-à-dire  facile  à  étirer,  mais 
revenant   exactement    à   sa  dimension    première 


sa  propre  substance,  mais  bien  les  aliments  hy- 
drocarbonés, véritables  sources  de  la  chaleur,  et 
qu'il  n'est,  en  somme,  que  le  théâtre  où  ces  ali- 
ments viennent  se  brûler  pour  produire  chaleur 
et  travail  :  exactement  comme  la  locomotive  brûle 


Pourtant  nous   observons  sur  nous-mêmes  qu'un  j  son  charbon  pour  produire  du  mouvement. 


muscle  contracté  (le  biceps  par  exemple)  est  très 


_^ Des  expériences  directes  etcélobres  confirmèrent 

dur,  et  résiste  à  la  tractiôn.'^C'est  que  sur  l'ani- ]  de  point  en  point  cette  vue  remarquablement 
mal  vivant,  le  muscle  n'est  pas  libre  d'atteindre  profonde  de  la  physiologie  animale.  Il  est  aujour- 
son  maximum  de  rétraction  (les  5/6  de  sa  Ion-  d'hui  acquis  à  la  science  que  la  masse  musculaire 
gueur)  ;  ses  attaches  osseuses  lui  permettent  tout  consomme,  non  de  la  viande,  mais  des  sucres  et 
au  plus  un  raccourcissement  de  1/6  ou  2/6;  en  un  ;  des  graisses  :  les  herbivores,  qui  ne  s'alimentent 
mol.  pendant  la  vie,  l'état  n°  2  n'est  jamais  par-  '  que  d'hydrocarbures,  possèdent  une  musculature 
faitement  réalisé,  et  le  muscle  est  violenté,  étiré,  \  plus  puissante  que  celle  des  carnivores.  L  oiseau 
tomme  nous  avons  vu  qu'il  l'est  aussi  dans  l'état  ,  granivore  est  relativement  plus  agile  et  plus  fort 
n"  1  :  il  est  semblable  à  un  câble  do  caoutchouc  !  que  l'oiseau  de  proie;  enfin  parmi  les  insectes, 
fortement  tendu.  —  En  d'autres  termes,  dans  '  dans  une  même  famille,  ceux  qui  vivent  d  aliments  i 
l'état  n"  1  parfait,  comme  dans  l'état  n»  2  parfait,  j  sucrés  jouissent  d'une  incroyable  rapidité  de 
le  muscle  serait  vraiment  inerte,  passif  :  mais  il  mouvements,  comparés  à  ceux  qui  vivent  en  pa- 
ne   peut   jamais  réaliser  parfaitement  ces  formes    rasites.  Un  Anglais.  Harting,  sétant  mis  au  régime 

....      de  lidO  grammes  de  viande  par  jour,  presque  sans 

hydrocarbures,  était  arrivé  a  un  point  extrême  de 
faiblesse  musculaire. 

Ces  intéressantes  recherches  mènent  à  une  con- 
clusion pratique  qui    se    révèle  d'elle-même  :  il 


sur  l'animal  vivant;  il  faudrait  pour  qu'il  le  pût 
que  l'une  de  ses  extrémités  fût  détachée  de  l'os. 
Sur  le  vivant  au  contraire,  il  est  actif  par  sa  ré- 
sistance même  à  la  violence  exercée  sur  lui.  Dans 
l'un  des  cas,  cette  résistance  est  facile  et  constante 


puissante  et  intermittente  et  se  nomme  contrac- 
tilité. 

La  différence  chimique  n'est  pas  moins  grande 
entre  l'éiat  n"  1  et  l'état  n°  "J.  Nous  avons  vu  que 


et  se   nomnîe    tonicité,    dans  le   second,   elle   est    faut  augmenter,  dans  le  régime,  la  proportion  de 

graisses,  de  sucres  et  d'alcools,  à  mesure  que  le 
travail  musculaire  augmente  :  au  contraire,  il  faut 
la  diminuer   quand   les   muscles  sont  peu  actifs, 

^._ ., ...  .j__    sous  peine  de  voir  ces  aliments  .s'accumuler  dans 

dans  le  prëmier.l'a  conïbùstïon  "s'effectue,  quele  ^  lorganismeel  produire  de  graves  désordres  (goutte, 
muscle  brûle   son   oxygène    et   dégage   de  l'acide  j  diabète).  _  ^^ 

carbonique.  Cette  respiration  s'opère  également  à  La  propriété  de  passer  de  l'état  n°  1  à  1  état  iv  '^ 
l'état  de  contraction,  mais  avec  une  énorme  inten-  \  constitue  la  vraie  caractéristique  du  muscle,  sa 
hiié.  Le  muscle  «  (iin  travaille  »  consomme  une  \  véritable  activité  fonctionnelle.  Elle  se  manileste 
grande  quantité  d'oxygène,  et  le  sang  veineux  qui  sous  l'influence  d'irritants  de  diverses  natures  : 
vient  de   le  traverser   est  presque   entièrement  ]  l'excitant   physiologique  représenté    par   linllux 


TISSUS 


2-205 


TISSUS 


1101  veux  ost  (iviiiiiinmeiit  le  plus  froc|iient  do  tons. 
I.rs  .■\('ii,Mil>  i-Zi'inii/iirs  sont  très  noiiibruux  (am- 
iniiiii  i'iu  ,  M  i(l.',,  lii^cs,  etc.).  lînfin  parmi  lus 
r^fiii.ii.  lu/fii/iif.i,  il  l'.iut  citer  en  premier  lieu 
IViIcciriciiu  ;  puis  lu  clioc,  la  piqûre,  le  piiice- 
uinit,  etc. 

Si  l'un  quelconque  do  ces  excitants  agit  brus- 
c|\ioinont,  on  voit  le  iiiuscle  se  contracter  brus- 
iinuniont  aussi,  puis  revenir  à  sa  forme  première. 
Jlais  si  l'excitant  agit  par  secousses  répétées  et 
rapides,  le  muscle  n'a  pas  le  temps  de  revenir  à 
cette  forme  entre  cliaque  secousse  ;  au  moment 
'lù  il  y  revient,  une  nouvelle  secous-iO  le  frappe 
rt  le  remet  en  contraction,  en  sorte  que  le  iims- 
i  11'  ainsi  excité  resti'  ou  du  moins  a  l'air  de  rester 
iiiiuracté.  Pour  obtenii'  ce  résultat,  il  faut  au 
iiinins  30  oxcilations  par  seconde.  Il  est  doncpro- 
iiable  que  cliez  l'animal  vivant  le  muscle  ne  se 
in.iintient  en  contraction  que  par  une  série  de 
secousses  fusionnées.  Et  en  effet,  si  l'on  aus- 
culte le  muscle  on  cet  état,  on  entend  un  bruit, 
le  fjruit  ou  Ion  musculaire,  dont  la  hauteur  cor- 
respond h,  peu  près  à  :J0  vibrations  par  seconde. 
Si  l'on  rend  plus  énergique  encore  la  contrac- 
tion du  muscle,  en  rendant  plus  rapides  les  excita- 
tions, le  bruitmusculaires'élève,  devientplus  aigu. 
C'est  ce  qu'on  peut  vérifier  aisément  eu  écoutant 
sur  soi-même,  dans  le  silence  de  la  nuit,  le  ton 
du  masséter^muscle  masticateur);  si  l'on  seri'e  de 
plus  en  plus  les  mâchoires,  ce  bruit  peut  s'élever 
d'une  quinte. 

Le  muscle  au  repos  possède  une  forte  réaction 
alcaline.  Quand  il  travaille,  il  se  charge  d'acides. 
Cette  acidité,  trop  longtemps  prolongée.  Unirait 
par  coaguler  la  Hbrine  du  muscle  ei  en  détruire 
les  propriétés;  un  sentiment  de  fatigue,  des 
crampes,  révèlent,  pendant  la  vie,  ce  danger  et 
l'écartent.  Mais  après  la  mort,  les  acides  accumu- 
lés déterminent  cette  coagulation  et  provoquent 
ainsi  le    phénomène  de    la   rigidité  ciiduvériijue. 

Quelle  est  la  nature  intime^du  phénomène  de  la 
contraction  ?  De  quelle  façon  s'o|ière  t-il  dans  l'é- 
lément analomique,  dans  la  fibre-cellule  du  mus- 
cle? La  lumière  est  loin  d'être  faite  sur  ce  point. 
Deux  théories  sont  en  présence.  L'une  est  celle 
du  professeur  Rouget,  qui  a  expérimenté  sur  le 
pédicule  contractile  des  vorticeiles  :  d'après  lui 
la  fibre  musculaire  est  un  vrai  ressort  en  spi- 
rale Il  qui,  iictiveinent  distendu  pendant  l'état 
d»?  repos,  revient  passivement  sur  lui-même  au 
moment  delà  contraction.  »  La  contraciilité  n'est 
donc  pour  lui  qu'une  élasticité  toute  passive  ; 
l'activité  du  muscle  consiste  h  la  combattre  et  i 
étendre  ses  fibres  à  l'état  faussement  appelé  «  de 
repos.  »  —  Cette  théorie,  briUammeul  soutenue, 
nous  paraît  en  contradiction  avec  les  phénomènes 
chimiques  dont  il  a  été  question  plus  haut,  et 
qui  montrent  bien  que  le  muscle  deptinse  et  res- 
pire (c'es'.-à-dire  travaille)  quand  il  se  contracte 
et  uon  caand  il  est  étendu.  —  La  seconde  théo- 
rie, à.  laquelle  nous  donnons  la  préférence,  est 
celle  de  Marey;  d'après  l'éniinent  expéiimenta- 
teur,  le  contenu  semi-liquide  de  la  fibre  serait  le 
siège  d'une  série  d'ondes  qui  la  gonflent  en  la 
raccourcissant.  Cette  «  oiule  musculaire  n  mar- 
cherait à  la  vitesse,  fort  peu  considérable,  de 
1  mètre  par  seconde. 

On  trouvera,  à  l'article  Squelette,  quelques 
détails  sur  les  mécanismes  divers  à  l'aide  des- 
quels les  muscles  meuvent  les  pièces  osseuses 
auxquelles  ils  s'attachent. 

4"  Tissu  ÉPiTuÉLiAi..  —  Les  épithéliums  sont 
des  membranes  très  minces,  et  constiluées  uni- 
quement par  des  éléments  globulaires  (peau,  sé- 
reuses et  muqueuses)  ;  ou  bleu  ils  forment  des 
amas  de  cellules,  comme  ceux  qui  constituent  le 
parencliyme  des  glandes.  —  Pour  parler  plus 
exactement,   les    épithéliums    forment   t'jus    les 


organes  de  sécréliou,  suit  que  ces  organes  s'éta- 
lent en  membranes,  comme  les  téguments  ex- 
terne et  interne,  soit  qu'ils  forment  un  tissu 
épais,  comme  les  glandes.  En  outre  on  trouve  de 
l'épiihélium  dans  les  vaisseaux,  soit  sanguins, 
soit  lymphatiques. 

L'éléineiu  anatomique  qui  constitue  ce  tissu, 
la  cellule  épiUicliale,  apparaît  dès  les  premiers 
temps  de  la  vie  intra-utérine  dans  le  feuillet 
externe  et  dans  le  feuillet  interne  du  blasto- 
derme. Il  naît  alors  et  se  multiplie  par  un  méca- 
nisme fréquent  dans  la  physiologie  Cellulaire, 
celui  de  la  scissiparité  :  une  prii'mière  cellule 
se  sesmento,  et  chacun  de  ces  segments  devient 
une  cellule  complète,  puis  chacune  des  nouvel- 
les cellules  subit  à  son  tour  le  môme  cliangement 
et  donne  naissance  à  de  nouveaux  éléments,  et 
ainsi  de  suite  i\  l'inlini. 

Cepen.iant,  remarquons  qu'il  y  a  un  autre  mode- 
de  reproduction  de»  cellules  épithéli.iles  :  c'est 
celui  qui  se  produit  pour  remplacer  les  cellules 
mortes  qui  tombent  sans  cesse,  aussi  bien  pendant 
la  vie  intra-utérine  que  dans  la  vie  adulte,  ù  la 
surface  du  derme  ou  de  la  muqueuse  intestinale. 
C'est  en  efl'et  le  propre  de  ces  élémenis  de  tom- 
ber lorsque,  arrivés  à  leur  état  de  complet  déve- 
loppement, ils  cessent  de  se  nourrir;  et  ils  sont 
aussitôt  remplacés  par  des  cellules  nouvelles. 
Ce  mode  de  reproduction  est  dit  par  prolifé- 
ration nucléaire;  on  voit  se  former  une  couche 
de  petits  noyaux  qui  peu  à  peu  s'entourent  de 
blastème,  et  finissent  par  se  munir  d'une  mem- 
brane d  enveloppe,  constituant  ainsi  des  cellules 
complètes. 

La  cellule  épithéliale  varie  de  forme  suivant 
l'organe  que  l'on  considère. 

Les  séreuseï  (péritoine,  plèvre,  etc.)  sont  for- 
mées de  cellules  polyédriques,  plates,  munies  d'un 
noyau,  et  formant  par  leur  juxtaposition  une  véri- 
table mosaïque. 

L'épitliélium  de  la  peau  est  aussi  formé  de  cel- 
lules plates,  mais  ces  cellules  n'occupent  que  la. 
couche  superficielle,  et  elles  sont  mnrtes,  dures, 
cornées,  imperméables.  Au  fur  et  à  mesure  qu'el- 
les tombent,  elles  sont  remplacées  par  des  cellu- 
les de  la  couche  profonde.  Ces  dernières  sont 
globulaires,  molles  et  vivantes;  elles  forment  ce 
(|u'on  appelle  le  réseau  de  Malpic/hi.  Ce  sont 
elles  qui  contiennent  ces  granulations  colorées 
de  pigment,  qui  varient  avec  les  races,  et  donnent 
à  la  peau  sa  couleur  caractéristique,  blanche, 
jaune,  noire  ou  rouge. 

Dans  les  muqueuses,  l'épitliélium  des  premières 
voies  digestives  et  respiratoires  (bouche,  larynx,, 
œsophage)  présente  les  mômes  caracières  qu'à  la 
peau  :  cellules  plates  il  la  surface,  arrondies 
dans  les  couches  profondes  ;  mais  la  couche  plate 
superficielle  n'est,  jamais  cornée  ;  elle  est  tou- 
jours molle,  humide,  perméable.  Si  l'on  pénétra 
plus  loin  dans  l'appareil  respiratoire  ou  dans  le 
tube  digestif,  et  que  l'on  considère,  soit  les  bron- 
ches, soit  l'intestin  et  ses  annexes,  on  trouve  un 
épithélium  tout  différent,  formé  de  longues  cellu- 
les prismatiques  h  cinq  ou  six  pans,  dont  le  ca- 
ractère le  plus  frappant  est  d'être  munies  de  Ci/i 
vibratiles.  Ces  cils,  qui  garnissent  la  surface  iibre 
de  la  muqueuse,  sont  agités  d'onduiatiuns  perpé- 
tuelles et  très  rapides  (260  à  la  seconde)  qui  se 
prolongent  niénie  quelque  temps  après  la  mort. 
Ces  mouvements  s'opèrent  de  façon  à  chasser  tou- 
jours dans  le  môme  sens  les  mucosités  qui  bai- 
gnent la  surface  de  la  membrane.  Chose  remar- 
quable, les  anesthésiques,  élher,  chloroforme, 
endorment,  arrêtent  les  vibrations  des  cils. 

Enfin,  dans  le  système  glandulaire,  les  cellules 
appartiennent  presque  toujours  à.  l'espèce  spliéii- 
que  qui  forme  les  couches  profondes  de  la  peau. 

Telles   sont,  esquissées  à,  grands  traits,  les  va- 


TISSUS 


2206  —      TISSUS  VÉGÉTAUX 


ri  et  es  de  structure  du  tissu  épitliélial.  Quel  est 
maiiitt'iiant  son  rôle  physiologi(|ue  ?  Ce  rôle,  dans 
sa  généraliié,  peut  se  résumer  d'un  mot.  Les  épi- 
théiitims  iirèsiiient  aux  éclunujeu  entre  le  niilitu 
vionnt  et  lemili'-u  extérieur. 

Tantôt  cet  échange  a  lieu  de  dehors  en  dedans 
et  se  ncmme  Vubsorpiion  ;  tantôt  au  contraire  il  a 
lieu  de  dedans  en  dehors,  et  il  constitue,  suivant 
qu'il  s'iigii  de  liquides  ou  de  gaz,  la  secréfinn  et 
Vexhal  tio7i  Et  ici  encore,  nous  rappelons  l'idée 
que  nous  avons  exposée  au  début  de  cet  article, 
et  qui  nous  guide  à  travers  l'étude  des  propriétés 
phy-inlogiqiies  des  tissus.  Ces  échanges  s'opèrent 
en  vertu  des  lois  de  l'endosmose  et  de  l'exosraose, 
qui  gouvernent  les  réactions  des  substances  vivan- 
tes comme  celles  des  corps  bruts  :  mais  ils  ne  sont 
nullement  fntiils,  comme  ils  le  sont  dans  le  monde 
incii'ganisé  ;  ils  s'opèrent  en  vertu  d'un  choix  dé- 
terminé, et  ce  choix  varie  avec  l'organe  que  l'on 
considère.  C'est  cette  liberté  d'action,  cette  déter- 
mination spéciale,  qui  constitue  la  spécialité  fonc- 
tionnelle, et  donne  à  chaque  organe  son  rôle  pro- 
pre, oitat,  encore  bien  que  ce  rôle  ne  soit  que 
l'application  rigoureuse  d'une  loi  purement  phy- 
sico-chimique. 

5°  Tissu  coNjONCTiF.  —  Ce  qui  caractérise  ce 
tissu,  c'est  que,  ne  possédant  presque  pas  d'ac- 
tivité physiologique,  il  ne  joue  dans  l'organisme 
qu'un  rôle  tout  mécanique,  un  rôle  de  soutène- 
ment, de  remplissage.  11  se  rencontre  à  peu  près 
sur  tous  les  points  du  corps,  sous  forme  de  mem- 
brane mince,  ou  massé  en  faisceaux  plus  ou  moins 
épais.  C'est  lui  qui  unit  ensemble  les  diverses 
parties  d'un  organe,  ou  cet  organe  à  l'organe 
voisin.  On  pourrait  considérer  le  corps  comme 
une  vaste  masse  de  tissu  conjonciif  au  sein  de 
laquelle  sont  nichés,  noyés  tous  les-autres  tissus 
animaux.  A  lui  seul  il  constitue  les  aponévroses, 
les  tendons,  les  ligaments,  le  péiioste,  la  dure- 
mère,  la  pie-mèie,  la  coque  de  l'œil,  etc.  Revêtu 
de  couches  épithéliales  plus  ou  moins  nombreu- 
ses, il  forme  la  trame  solide  de  la  peau,  des  mu- 
i|ueuses,  des  séreuses,  des  glandes,  de  leurs  ca- 
naux, et  de  tous  les  vaisseaux  du  corps,  soit 
anguiiis,  soit  lymphatiques. 

L'examen  microscopique  montre  que  l'élément 
aiiatomiquc  du  tissu  conjonctif,  est,  à  l'origine  de 
ce  tissu,  une  cellule  particulière,  que  l'on  nomme 
le  ?iO(/««  eiubri.oplaslique  :  ce  noyau  est  sphéri- 
que,  et  large  de  4  à  6  millièmes  de  millimètre. 
On  les  trouve  en  cet  état  dans  les  bourgeons 
charnus  des  plaies.  Ces  éléments  sont  de  la  plus 
grande  importance  en  ce  qu'ils  peuvent,  en  se  mo- 
diiiant,  donner  lieu  à  des  formes  nouvelles  fort 
différentes  du  tissu  conjonctif.  C'est  leur  hyper- 
genèse  qui  constitue  la  granulation  grise  ou  tu- 
hercule  du  poumon,  et  les  diverses  tumeurs  can- 
céreuses. C'est  à  l'état  de  noyaux  embryoplastiques 
qu'apparaissent  chez  le  fœtus  les  moignons  des 
membres. 

Voici  comment  ces  éléments  donnent  naissance 
aux  libres  du  tissu  conjonctif  :  il  se  forme  autour 
ilu  noyau  embryoplastique  un  amas  de  substance 
hyaline  (c'est-à-dire  vitrée)  qui  Huit  par  le  circons- 
crire et  lui  former  comme  un  corps  de  cellule  ; 
bientôt  cette  substance,  s'accumulant  davantage 
en  certains  points,  forme  deux,  ou  trois,  ou  qua- 
tre prolongements.  Quand  il  n'y  en  a  que  deux, 
la  cellule  est  dite  fusiforme  ;  quand  il  y  en  a 
davantage,  elle  se  nomme  cellule  étoilée.  De  cha- 
que angle  de  ces  étoiles  partent  des  fibres  qui 
vont  s'anastomoser  avec  les  fibres  des  cellules  voi- 
sines, et  celte  intrication  constitue  le  réseau  du 
tissu  conjonciif  Ces  fibres,  extrêmement  ténues, 
n'ont  que  1  à  2  millièmes  de  millimètre  de  dia- 
mètre :  elles  sont  parfaitement  inextensibles,  de 
sorte  que  le  tissu  conjonctif  ne  l'est  pas  non  plus. 

Ces  cellules  sont  susceptibles   de   se   remplir 


d'huile,  et  d'augmenter  ainsi  do  dimensions  :  c'est 
ce  qui  se  produit  cliaque  fois  que  l'animal  en- 
graisse. Une  cellule  ainsi  devenue  huileuse  est 
morte,  inaciive,  ne  produit  plus  de  fibres  Dans 
l'amaigrissement  au  contraire,  l'huile  se  résorbe, 
la  paroi  cellulaire  se  ride,  et  il  ne  reste  plus  que 
le  cadavre  de  la  ceilule. 

Au  milieu  de  la  trame  du  tissu  conjonctif,  les 
phénomènes  de  nutrition  sont  à  peine  marqués. 
Nul  autre  tissu  n'est  aussi  pauvre  en  vaisseaux  et 
en  nerfs.  La  simple  diffusion  du  liquide  nutritif, 
échappé  de  vaisseaux  plus  ou  moins  éloignés, 
suffit  à  l'entretien  des  fibres  conjonctives  :  elles 
se  nourrissent  par  imbibition. 

6"  Tissu  SANGDiN  (V.  Sanfj].     [D'  E.  Pécaut.] 

TISSL'S  VIÔGÉTAUX.  —  Botanique,  U.  —  Dé- 
finitiiiii.  —  On  appelle  lissu  en  botanique  un 
assemblage  de  cellules  nées  les  unes  des  autres 
par  voie  de  division  et  ayant  une  règle  commune 
d'accroissement.  Par  opposition  à  ces  véritables 
tissus,  on  désigne  sous  le  nom  de  faux  tissus  ou 
de  pseudo-lis 'US  des  assemblages  de  cellules  qui 
n'ont  aucun  rapport  entre  elles.  Comme  exemple 
de  ces  pseudo-tissus,  nous  devons  citer  le  thalle 
des  algues  nommét'S  Rési-attx  d'eau  ou  Hydrodic- 
lions  et  les  plasmodies  des  Myxomycètes.  Dans  les 
Hydrodiciiées  en  effet,  le  contenu  d'une  première 
cellule  se  partage  en  un  grand  nombre  d'éléments 
dont  cliarun  consiste  en  une  cellule  pourvue  de 
deux  cils  viliraliles  antérieurs  et  n'a  aucun  rapport 
appréciable  avec  les  cellules  voisines.  A  cet  état,  la 
cellule  d'Hydrodiction  que  nous  avons  considérée 
ressemble  complètement  à  une  glande  disséraina- 
trice  ordinaire;  chacun  des  éléments  de  cette 
glande  y  parait  indépendant  de  ses  voisins;  et 
comme  plus  tard  toutes  les  cellules  ciliées  se  ras- 
semblent en  masse  pour  former  un  nouveau  Ré- 
seau d'eau,  on  ne  peut  dire  que  les  cellules  qui 
se  mettent  en  rapport  entre  elles  forment  quelque 
chose  de  comparable  au  tissu  que  nous  voyons  se 
produire  par  la  division  répétée  d'une  cellule 
mère. 

Dans  les  Myxomycètes,  la  formation  du  pseudo- 
tissu qi  'on  appelle  plasmodie  est  encore  plus 
nette,  s'il  se  peut,  que  dans  les  Hydrodiciiées.  Dans 
les  Myxomycètes,  en  effet,  un  certain  nombre  de 
cellules  isolées,  sans  aucun  lien  de  parenté,  se 
rencontrant  par  hasard,  se  fusionnent  en  une 
seule  masse  que  l'on  appelle  plasmodie.  Dans  une 
plasmodie,  les  diverses  cellules  constituantes  ne 
se  laissent  plus  distinguer  les  unes  des  autres, 
de  sorte  que  l'on  a  affaire  dans  ce  cas  il  un  pseu- 
do-tissu dont  les  divers  éléments  ne  peuvent  être 
distingués  les  uns  des  autres. 

Caractères  des  tissus.  —  L  Hypha.  —  On  dé- 
signe sous  le  nom  d'hi/pha  le  tissu  formé  par 
une  cellule  qui  se  cloisonne  toujours  parallèle- 
ment à  une  direction  déterminée.  Nous  trouvons 
cette  nature  particulière  de  tissu  dans  les  végétaux 
les  moins  élevés  en  organisation,  c'est-;\-dire  dans 
les  Algues,  les  Champignons,  les  Lichens,  les 
Characées.  Fréquemment  les  hyplias  se  désarti- 
culent, et  chacun  des  éléments  de  chapelet  qui  en 
résultent  croit  pour  son  propre  compte,  sans  souci 
du  son  des  articles  voisins.  Dans  la  grande  ma- 
jorité des  liyplias,  le  procédé  de  dissémination 
que  nous  venons  d'indiquer  est  remplacé  par  une 
ramificalion  de  l'hypha.  Tantôt  cette  ramification 
s'opère  par  un  partage  en  deux  segments  longitu- 
dinaux égaux  de  la  cellule  terminale  de  l'hypha; 
tantôt,  au  contraire,  cette  ramification  se  proilnit 
par  dos  expansions  latérales  de  chacun  des  élé- 
ments de  l'hypha.  On  désigne  sous  le  nom  de 
dicliotomie  le  premier  mode  de  ramification  ;  on 
désigne  sous  le  nom  de  monopodie  le  second 
mode  de  ramification.  Dans  les  ramifications  di- 
chotomiques d'un  hypha,  aussi  bien  que  dans  ses 
ramifications  monopodiques,  il  arrive  souvent  que 


TISSUS  VÉGÉTAUX      —  2207  —      TISSUS   VÉGÉTAUX 


les  diverses  brandies  do  la  ramification  ne  se  dé- 
veloppent pas  touies  avec  l'intensité  qui  corres- 
pond i\  leur  âge.  Très  fréquemment  alors,  les 
brandies  volumineuses  s'ajoutent  pour  ainsi  dire 
bout  il  bout,  do  manière  à  former  une  sorte  de 
corps  entrai  sur  lequel  tout  le  reste  vient  s'insé- 
rer. On  dit  alors  que  le  corps  central  est  un  corps 
sympodiquo,  c'est-à-dire  qu'il  est  formé  de  pièces 
d'âge  dillcrent.  Ce  synipode  est  qualifié  d'Iiéli- 
çoîdo  lorsque  l'atropliie  qui  frappe  les  diver- 
ses parties  de  la  ramification  se  fait  alternati- 
vement vers  la  droite  et  vers  la  gauclie.  On  dit 
que  le  sympode  est  scorpioidé,  quand  l'atrophie 
des  diverses  brandies  de  la  ramification  a  lieu 
toujours  du  même  cùié. 

II.  Thai,le.  —  On  appelle  tlialle  le  tissu  tjui 
résulte  du  cloisonnement  d'une  cellule  primitive 
qui  s'est  cloisonnée  en  différenls  sens.  Le  point 
de  départ  du  llialle  peut  donc  être,  au  début,  de 
tous  points  comparable  à  un  liyplia.  Dans  un 
thalle,  l'accroissement  peut  se  faire  ou  .bien  par 
toute  la  surface  du  thalle,  ou  bien  dans  une  partie 
plus  ou  moins  localisée  de  la  surface  de  ce  thalle 
Lorsque  le  thalle  affecte  la  forme  d'un  corps  cy- 
lindrique, fréquemment  1  accroissement  de  ce 
thalle  est  exclusivement  concentré  dans  ses  ré- 
gions extrêmes.  On  désigne  sous  le  nom  de 
points  de  végétation  les  parties  du  thalle  dans 
lesquelles  l'accroissement  se  trouve  localisé.  Cotte 
localisation  de  raccroissement  du  thalle  dans  ses 
points  de  végétation  n'exclut  pas  absolutuent 
pour  tout  le  reste  du  thalle  la  possibilité  de  s'ac- 
croître pour  sou  propre  compte  ei  de  concourir 
par  cela  même  pour  une  part  plus  ou  moins  im- 
portante à  l'accroissement  général  de  ce  thalle. 
On  désigne  sous  le  nom  d'intercalaire  ce  second 
mode  de  croissance  des  tlialles;  il  est  caractérisé 
par  ce  fait  qu'il  se  produit  seulement  dans  les 
éléments  du  thalle  alors  que  ceux-ci  sont  déjJi 
complètement  caractérisés.  En  général  aussi, 
les  divisions  des  éléments  du  tlialle  qui  en 
sont  le  siège  ne  se  sesiucnient  que  dans  une 
seule  direction  à  la  fois.  On  donne  le  nom  de 
méristéme  primitif  â  tous  les  tissus  dans  lesquels 
les  cellules  se  divisent  simultanément  dans  les 
diverses  directions  de  l'espace.  Les  points  de  vé- 
gétation des  thalles  sont  forinés  de  méristèmo 
primitif.  Selon  les  plantes,  il  est  possible  do  rat- 
tacher tout  le  niéristème  primitif  de  chacun  de 
leurs  points  de  végétation  k  une  cellule  unique 
nommée  CfHuU;  mère  ou  cellule  iipicnte,  ou  à  un 
massif  de  cellules  que  l'on  peut  appeler  cellules 
initiales.  Certaines  cellules  mères  de  méristème 
primitif  sont  exposées  à  nu  à  l'extrémité  de  leurs 
points  de  végétation.  D'autres,  au  contraire,  sont 
plus  ou  moins  profondément  enfoncées  dans  la 
masse  de  ce  niéristème  primitif. 

m.  Faisceau.  —  Tout  point  de  végétation  d'une 
plante  phanérogame  ou  d'une  plante  crypto- 
game vasculaire  présente  une  masse  de  mé- 
ristème primitif  dont  la  surface  extérieure  est 
formée  d'éléments  qui  habituellement  ne  se  cloi- 
sonnent que  perpendiculairement  à  la  surface 
extérieure  de  la  plante.  On  donne  à  ce  tissu 
superficiel,  qui  n'est  ([u'une  modification  locale  du 
niéristème  primitif,  le  nom  de  dermntogènc.  Les 
éléments  du  dermatogène,  en  vieillissajit,  forment 
l'épiderme  de  la  plante.  Quant  au  méristème  pri- 
mitif, certains  de  ses  éléments,  qui  sont  le  siège 
d'un  accroissement  plus  considérable  que  les 
autres,  se  cloisonnent  plus  abondamment;  ces  ré- 
gions du  niéristème  primitif  où  le  cloisonnement 
est  plus  intense  sont  donc  des  régions  de  maxi- 
mum d'accroissement:  elles  sont  toujours  faciles 
à  reconiiaitre  à  première  vue  à  leurs  éléments 
plus  petits.  On  appellera /ir/i^crtuj  les  parties  du 
méristème  primitif  dans  lesquelles  li  segmenta- 
lion  se  localise.  Ces  régions  sont  au  début  carac- 


térisées par  de  petites  cellules  à  parois  minces, 
transparentes.  On  dit  alors  que  les  faisceaux  sont  à 
l'étal  iirocmnfjial.  Toute  la  portion  du  méristème 
primitif  comprise  entre  l'épiderme  fondamental  et 
les  faisceaux  a  reçu  le  nom  de  tissu  f  mlamenlol. 

Les  régions  du  méristème  primitif  où  se  for- 
ment les  faisceaux  étant  celles  où  la  croissance  a 
la  plus  grande  inlrnsiié,  on  conçoit  sans  peine 
que  ces  régions  |>rovoquent,  sur  la  surface  des 
points  de  végétation,  des  mamelons,  des  lignes 
saillantes  dont  chacune  correspond  à  un  faisceau 
intérieur.  Ci's  lignes  saillantes  de  la  surface  du 
point  de  végétation  peuvent  être  regardées  comme 
les  parties  de  la  surface  de  cette  plante  qui  crois- 
sent le  plus  vile,  si  bien  qu'entre  ces  lignes  de 
maximum  d'accroissement  de  la  surface,  caractéri- 
sées par  des  lignes  saillantes,  et  les  lignes  de 
maximum  d'accroissement  du  méristème  primitif 
caractérisées  par  les  faisceaux,  il  y  a  pour  ainsi 
dire  correspondance  complète,  tellement  qu'on 
peut  substituer  à  l'étude  des  unes  l'étude  des  au- 
tres, et  vice-versa.  Ceci  nous  montre  la  grande 
importance  qu'il  faut  attacher  à  l'étude  des  fais- 
ceaux ;  car,  tandis  que  les  lignes  saillantes  de  la 
surface  d'une  plante  sont  exposées  à  disparaître 
([uand  la  plante  avance  en  âge,  les  faisceaux  con- 
servent toujours  dans  leurs  rapports  leur  orien- 
tation, leur  symétrie,  la  trace  de  ce  qui  a  été  pri- 
mitivement. 

Certains  faisceaux  conservent  toute  leur  vie  l'état 
procambial  (faisceau  de  la  racine  des  Lennia, 
faisceau  de  la  tige  des  Lemna).  Plus  ordinaire- 
ment, dans  chaque  faisceau,  nous  voyons  se  pro- 
duire, peu  de  temps  après  sa  formation,  une  diffé- 
renciation de  ses  éléments  constituants.  Cette 
différenciation  est  double  ;  elle  donne  naissance 
simultanément  à  deux  tissus,  l'un  le  bois,  l'autre 
le  liber.  Le  bois  ou  tissu  ligneux  a  comme  élé- 
ment caractéristique  la  traché'\  Le  liber  ou  tissu 
libérien  est  caractérisé  par  les  cellules  f/rillar/ées. 

Une  trachée  consiste  en  une  cellule  à  parois 
primitivement  très  minées;  en  vieillissant,  la  pa- 
roi de  cette  cellule  s'épaissit  selon  certaines  lignes 
spirales  qui  font  saillie  dans  son  intérieur.  On 
appelle  s/iiricule  la  spire  saillante  que  l'on  re- 
marque dans  les  trachées;  celte  spire  est  pleine; 
son  rôle  est  d'imprimer  à  la  colonne  d'eau  qui 
circule  dans  les  trachées  un  mouvement  en  hé- 
lice ([Ui  diminue  très  sensiblement  le  frottement 
de  l'eau  qui  circule  dans  l'intérieur  de  ces  élé- 
ments. Selon  la  distribution  de  la  spire  à  la  sur- 
face de  la  trachée,  selon  la  largeur  de  cette  spire 
et  selon  le  nombre  des  spires  d'une  trachée,  on 
obtient  les  diverses  formes  de  la  trachée.  Lorsque 
deux  trachées  sont  placées  bout  il  bout,  en  géné- 
ral la  cloison  qui  les  séparait  à  l'origine  se  per- 
fore en  avançant  en  âge.  et  les  trachées  s'ajoutent 
ainsi  bout  à  bout  pour  former  de  très  longs  tubes 
ou  vaisseaux  spiraux.  —  Les  principales  modifica- 
tions de  la  trachée  sont  :  les  vaisseaux  annelés, 
les  vaisseaux  rayés,  les  vaisseaux  scalariformes, 
les  vaisseaux  réticulés,  les  vaisseaux  ponctués,  les 
fibres  ligneuses,  les  fibres  aréolées,  le  parenchyme 
ligneux.  On  obtient  des  vaisseaux  toutes  les  fois 
que  des  éléments  ligneux  placés  bout  ii  bout  sont 
mis  en  communication  entre  eux  p:ir  la  perfora- 
tion des  cloisons  transversales  qui  séparaient  leurs 
cavités.  On  obtient  du  parenchyme  ligneux  toutes 
les  fois  que  des  éléments  ligneux  se  cloisonnent 
perpendiculairement  i  leur  plus  grande  lon- 
gueur. 

La  cellule  grillagée  est  à  l'origine  une  cellule 
i  parois  minces  que  rien  ne  distingue  il  cette  épo- 
que d'une  cellule  ligneuse.  Un  peu  plus  tard,  on 
voit  se  dessiner  sur  les  parois  de  cette  cellule  de 
grandes  ponctuations  ;  en  ces  points  la  paroi  ac- 
quiert moins  d'épaisseur  que  dans  le  reste  de 
son    étendue.  Bientôt   après  se  dessine  dans  la 


TISSUS  VÉGÉTAUX 


2208  —       TISSUS  VÉGÉTAUX 


CPiitre  de  figure  du  faisceau.  Les  cellules  grilla- 
gées de  ce  faisceau  licxaceiitre  sont  placées  entre 
les  lames  ligneuses  rajonnantes  ;  ce  sont  en  effet 
ces  points  qui  seuls  ne  seront  jamais  atteints  par 
la    différenciation    ligneuse.    Cet  exemple    suffit, 


ponctuation  que  nous  venons  de  voir  se  former  un 

réseau  très  coniplitiué  dans  les  plantes  modernes, 

très  simple   dans  les  plantes  anciennes  (chez  les 

Gymuospormes   et  chez   les  Cryptogames   vascu- 

lairesi.  Les  régions  amincies  de  cette  ponctu;ition 

réticulée  se  perforent  peu  k  peu,  pendant  i|ue  la  1  croyons-nous,  pour  faire  comprendre  les  deux  lois 

ponctuation  se  recouvre  d'une  plaque   gomineuse  |  -         -        ■ 

nommée  épiclèihi-e.  Des  traînées  de  matière  vivante 

(protoplasma)  traversent  les  deux  épiclèthres  qui 

recouvrent  la  ponctuation,  et  mettent  directement 

en  rapport  le  contiMiu  des  cellules  que   sépare  la 

cloison  perforée.  Les  ponctuations  spéciales  mu- 
nies d'cpiclèlhres  que  nous  menons  de  décrire 
sont  appelées  cribles  ou  grillug'S;  d'où  le  nom  de 
cellules  grillagées  ou  de  cellules  criblouses,  ou 
encore  de  cellules  criblées,  donné  à  ces  éléments. 
Les  principales  rnodiflcalioiis  des  cellules  gril- 
lagées sont  obtenues  par  l'épaississemcnt  général 
des  parois  de  ces  éléments,  et  par  leur  cloison- 
nement. Dans  le  premier  cas,  nous  avons  aft'aire 
aux  fibres  libériennes  qui  ont  été  pendant  très 
longtemps  considérées  comme  caractéristiques  du 
tissu  libérien.  Dans  le  second  cas,  nous  avons  le 
parenchyme  libérien,  sorte  de  tissu  de  réserve 
qui  joue  •  dans  la  région  libérienne  du  faisceau 
le  même  rôle  que  le  parenchyme  ligneux  joue 
dans  le  bois  du  faisceau. 

Les  cellules  grillagées  sont  les  canaux  par  les- 
quels les  matières  assimilées  sont  transportées 
des  points  de  production  jusque  vers  les  parties 
en  voie  d'accroissement  et  vers  les  réservoirs  où 
les  matières  nutritives  s'accumulent  en  vue  de 
développements  ultérieurs 


Tous  les   éléments  d'un  faisceau  qui  ne   se  ca-  |  proches. 


que  nous  avons  énoncées  ci-dessus. 

On  appelle  bois  primaire  et  liber  primaire  le 
bois  et  le  liber  que  nous  venons  de  voir  se  for- 
mer dans  les  faisceaux. 

Certains  faisceaux  peuvent  présenter  un  déve- 
loppement secondaire  ;  ce  développement  est 
provoqué  par  l'apparition  de  cloisons,  toutes 
parallèles  à  une  direction  déterminée,  qui  se  dé- 
veloppent dans  les  régions  des  faisceaux  qui  sont 
restées  à  l'état  procanibial.  On  appelle  zones 
cniibialis  ces  tissus  dont  les  cellules  se  divisent 
toutes  dans  la  même  direction.  La  position  et  le 
mode  de  fonctionnement  des  zones  cambiales  sont 
soumis  à  deux  règles  qui  [leuvent  s'énoncer  ainsi, 
dès  qu'on  sait  que  les  produits  de  l'aciiviié  d'une 
zone  cambiale  sont  toujours  des  éléments  ligneux  i 
et  des  éléments  libériens  dont,  les  premiers  ont 
reçu  le  nom  de  bois  secondaire  et  les  seconds  le 
nom  de  liber  secondaire. 

3°  Loi  de  position  des  zones  cambiides.  Toute 
zone  cambiale  qui  apparaît  dans  un  faisceau  se 
trouve  placée  entre  le  bois  et  le  liber  de  ce  fais- 
ceau. 

4°  Loi  de  fonctioiinement  d'-s  zones  cambiales. 
Toute  zone  cambiale  d'un  faisceau  produit  du 
bois  secondaire  vers  le  buis  existant  et  du  liber 
secondaire  vers  les   cellules  grillagées   les  plus 


ractérisent  ni  comme  éléments  ligneux,  m  comme 
éléments  libériens,  ont  reçu  le  nom  de  fibres  pri- 
mitives. La  plupart  du  temps  ces  fibres  primitives 
conservent  l'aspect  de  cellules  procambiales,  et, 
comme  alors  elles  ressemblent  beaucoup  aux  élé- 
ments libériens  et  qu'elles  les  remplacent  souvent, 
on  les  rapporte  paifois  au  tissu  libérien.  .  _  . 

On  appelle  cc7ilre  de  fiyuie  de  la  section  trans-  j  le   liber  primaires  sont  sépares,  d  après   ce    que 
ersale  d'un  faisceau,   le  centre  géométrique  de  i  nous   avons    vu,   par  quelques    fibres   piimiiives. 


Appliquons  ces  deux  lois  h  un  exemple.  Une 
jeune  racine  de  chêne  présente  un  seul  fais- 
ceau penlacentre,  c'est-à-dire  à  cinq  centres  de 
développement  disposés  et  organisés  comme  nous 
l'avons  dit  pour  \'0/chis.  Entre  les  massifs  ligneux 
primaires  de  ce  laisceau,  on  trouve  les  ilôts  libé- 
riens primaires  des  cellules  grillagées.  Le  bois  et 


la  figure  do  la  section  de  ce  faisceau 


C'est  au    sein    des  fibres  primitives    qui  bordent 


On  appelle  centres  lie  dif/éienciotion  ligneuse  intérieurement  chaque  massif  de  cellules  grilla- 
d'un  faisceau,  les  points  de  ce  faisceau  où  appa-  gées,  et  qui  l'isolent  du  bois  primaire,  que  nous 
rais^enl  ses  premières  trachées.  —  Un  faisceau  voyons  apparaître  les  divisions  parallèles  qui  les 
sera  dit  monocentre  ([uand  il  ne  présentera  qu'un  ;  transforment  en  zone  cambiale.  Nous  avons  donc 
soûl  centre  de  dilTérenciation  ligneuse;  un  fais-  là  cinq  arcs  cambiaux  interposés  entre  les  cinq 
ceau  sera  dit  bicentre  quand  il  présentera  deux  bandes  ligneuses  et  les  cinq  îlots  libériens.  Cha- 
centres  de  différenciation  ;  et  plus  généralement  .  cune  de  ces  zones  cambiales  produira  du  bois 
il  sera  dit  polycentre  quand  il  présentera  plu-  i  secondaire  vers  le  bois  existant,  c'est-à-dire  vers 
sieurs'  centres  de  différenciation.  {  l'intérieur  du  faisceau    primaire,   et  du  liber^  se- 

Lois  du  faisceau.  —  1°  Loi  de  différenciation  I  condaire  contre  l'îlot  Ubérien  primaire  qu'elle 
licineuse  Dans  un  faisceau,  quel  que  soit  le  nom- |  borde.  Ce  second  exemple  suffit,  croyons-nous, 
bre  de  ses  centres  de  différenciation  ligneuse,  les  ,  pour  bien  faire  comprendre  la  pertée  des  deux 
éléments  ligneux  se  caractérisent  de  chacun  des  ,  dernières  lois  que  nous  avons  formulées, 
centres  de  différenciation  vers  le  centre  de  ligure  1  Très  fréquemment  on  voit  apparaître  des  zones 
du  faisceau  Les  éléments  ligneux  qui  se  forment  cambiales  dans  certaines  parties  du  tissu  fonda- 
ainsi  sont  d'autant  plus  volumineux  et  d'autant  ,  mental.  Il  e-t  souvent  possible  de  raltaclier  ces 
plus  difl'erents   de  la  trachée   qu'ils  apparaissent  "  '  i.:.i„.  ,i„.  r..,.         „ 


plus  près  du  centre  de  figure  du  laisceau. 

•l"  Loi-  de  position    liljèro-ligneuse.   Dans    un 


zones  cambiales  aux  zones  cambiales  des  faisceaux 
primaires    que     nous    venons     d'étudier.    Alors 
„- .,  l'orientation  du  bois  et  du  liber  secondaire  four- 

faisceau'  quel'què  soit   le  nombre  de  ses  centres    nis  par  ces  zones  cambiales  apparues  dans  le  tissu 
de  différenciation  ligneuse,  les  cellules  grillagées  ■  fondamental  sont  celles  du    bois  et  du    liber   se- 

■      """  i  condaires  des  zones  cambiales  des  faisceaux  pn- 

maiies  dont  elles  sont  la  continuation.  On  appelle 
néanmoins  faisceaux  secondaires  ces  massifs  isolés 
en  apparence  et  compo.sés  dune  zone  cambiale, 
de  bois  secondaire  et  de  liber  secondaire. 


sont   le    plus  loin  possible  des  lames  de  difi'éren 
dation  ligneuse.  . 

Prenons  un  exemple.  Dans  un  faisceau  poly- 
centre (à  six  centres  ou  hexacentre  comme  celui 
d'une  racine  dOrchis),  on  trouve,  six  lames  de 
bois  dont  les  points  d'origine  sont  à  la  périphérie 
du  faisceau,  et  dont  la  formation  a  eu  lieu  de  la 


Il  est  un  cas  où  les  faisceaux  secondaires  appa- 
raissent complètement  indépendants  des  faisceaux 


périphérie  dti  faisceau  vers  le  centre  de  celui-ci.  ,  primaires.  C'est  le  cas  où,  par  suite  d'un  acci- 
Les  éléments  de  ces  lames  ligneuses  consistent,  à  la  dent,  une  ouverture  vient  à  se  produire  au  sein 
périphérie,  en  trachées  très  grêles;  pins  inté- |  dos  tissus  de  la  plante.  Dans  ce  cas,  des  tissus  se- 
rieuiement  elles    sont   formées   de   vaisseaux   li-    condaires  cicatriciels  se  développent  autour  di!  la 


rieuien -- 

gneux  d'autant  plus   gros    et  d'autant  plus  diffe-  i  blessure,  et  c'est  au  sein  de 

rents  de   la  trachée  type  qu'on  est  plus  près  du  ,  qu'on  voit  se  former  des  faisceaux  que  l'on  quali- 


tissus  nouveaux 


.TISSUS  VÉGÉTAUX 


:2200 


TISSUS  VÉGÉTAUX 


fie  do  secondaires  parce  qu'ils  sont  formés  d'une 
zone  cambiale,  do  bois  secondaire  et  de  liber  se- 
condaire ;  mais  ces  derniers  diffèrent  complète- 
ment de  ceux  dont  il  est  question  plus  iiaut,  parce 
qu'il  n'ont  originellement  aucun  rapport  avec  les 
faisceaux  primaires  existants.  Ces  nouveaux  fais- 
ceaux secondaires  sont  soumis  à  la  loi  suivante  : 
5«  La  zone  cambiale  de  tout  faisceau  secondaire 
dépendant  d'une  surface  libre  produit  du  liber 
secondaire  entre  elle  et  la  surface  libre,  et  du 
bois  secondaire  plus  éloigné  de  la  surface  libre 
qu'elle-même,  par  conséquent  de  telle  façon  que 
cette  zone  cambiale  soit  comprise  entre  le  bois 
qu'elle  produit  et  la  surface  libre. 

La  surface  libre  dont  nous  parlons  ici  peut 
être  constituée  non  seulement  par  une  ouverture 
accidentelle  ou  constante,  mais  par  une  mortifi- 
cation locale  de  certains  tissus,  et  aussi  par  une 
décortication  de  la  surface  d'un  organe. 

Lorsciue  les  productions  secondaires  ne  s'éta- 
blissent dans  un  faisceau  que  concurremment  Ji 
une  déformation  de  la  surface  extérieure  de  la 
plante,  on  voit  apparaître  dans  ce  faisceau  de 
nouvelles  lignes  de  différenciation  ligneuse.  Ceci 
ne  peut  avoir  lieu  que  si  le  faisceau  modifié  est 
encore  jeune.  Ces  nouvelles  formations  ligneuses 
s'établissent  dans  la  partie  du  jeune  faisceau  qui 
n'est  pas  encore  différenciée  en  bois  et  en  liber. 
Ces  nouvelles  lames  ligneuses  se  différencient 
conformément  h  la  loi  de  difféienoiation  ligneuse 
que  nous  avons  énoncée  pour  les  productions 
primaires.  —  Des  îlots  libériens  s'établissent  en- 
tre ces  nouvelles  lames  ligneuses  et  les  anciennes, 
conformément  il  la  règle  de  différenciation  libéro- 
ligneuse.  Ces  formationssecondaires  spéciales  ne  se 
rencontrent  <|ue  chez  les  végétaux  cryptogames  vas- 
culaires,  tandis  que  les  productions  secondaires  ci- 
dessus  sont  caractéristiques  des  végétaux  phanéro- 
games. 

Les  productions  secondaires  des  faisceaux  des 
Cryptogames  ne  se  différencient  en  rien  des  pro- 
ductions primaires  de  ces  mêmes  faisceaux.  —  Les 
productions  libériennes  secondaires  des  faisceaux 
îles  Phanérogames  différent  de  leurs  productions 
libériennes  primaires  par  leur  plus  grand  vo- 
lume, et  par  un  faciès  à  part.  Ainsi  les  cellules 
grillagées  secondaires  sont  généralement  beau- 
coup plus  complexes  que  les  cellules  grillagées 
primitives.  Quant  au  bois  secondaire  des  Phané- 
rogames, il  se  distingue  de  leur  bois  primaire  par 
l'absence  presque  constante  de  trachées  types,  ou 
vaisseaux  spirales  proprement  dits. 

Rap/jorls  des  faisceaux  entre  eux  et  tenninuisnn 
des  faisceaux.  —  11  y  a  lieu  de  distinguer,  dans 
l'étude  de  ces  rapports,  différents  cas  ((ue  nous 
résumerons  comme  il  suit  dans  le  tableau  ci- 
.dessous  : 


A,  Les  faisceau 


apport  so 

I  1)  d, 


faisi 


I  plu- 


2)  réunion  de  plusieurs  faisceaux 
eu  un  seul. 

3)  auastumoses  de  faisceaux  bout 
à  bout  ou  l.tei'al'Uieiit. 

1)  division  d'uu  i'aisceau  eu  piu- 


6.  tous  sont  po- 
lycentres 


B.  Les  faisceaux 


b.    faisceaux 
lycentres 


réuuion  de  plus 
;u  un  seul, 
anastomoses  de: 


>  faisceaux 


1)  avec   faisceaux  monocentres 

2)  avec  faisceaux  polycentres. 


1)  avec  faisceaux  polycentres. 

2)  avec  faisceaux   monoceatres 


Quand  un  faisceau  monocentre  se  divise,  c'est 
presque  toujours  en  donnant  naissance  .simultané- 
ment à  deux,  trois  ou  cinq  branches  ;  le  centre 
de  développement  ligneux  du  faisceau  origine  est 
alors  représenté  par  deux,  trois,  ou  cinq  trachées 
primitives  placées  côte  à  côte  sur  un  même  rang. 
Cette  manière  d'être  rappelle  la  disposition  des 
centres  de  différenciation  des  faisceaux  monocen- 
tres très  larges  dès  l'origine.  De  chacune  des  2, 
3,  ;>  premières  trachées  part,  se  dirigeant  vers  le 
centre  de  ligure  du  faisceau,  une  lame  ligneuse 
séparée  do  ses  voisines  par  une  masse  de  tissu 
parenchymateux  provenant  du  cloisonnement  des 
fibres  primitives.  A  mesure  qu'on  s'avance  le  long 
du  faisceau,  chacun  de  ses  rayons  parenchymateux 
s'élargit  beaucoup  dans  sa  partie  libérienne,  t?t  ces 
lames  ligneuses  simulent  alors  les  rayons  d'un 
éventail.  Plus  loin  encore,  le  tissu  parenchyma- 
teux passant  insensiblement  au  tissu  fondamental, 
le  faisceau  primitif  est  partagé  en  deux,  trois, 
cinq  branches  q\ii  se  montrent  comme  autant  de 
faisceaux  monocentres  plus  grêles  que  le  premier. 
Los  éléments  trachéens  passent  du  faisceau  uni- 
que ."i  ses  divisions,  sans  interposition  de  trachées 
courtes.  Toute  celte  disposition  se  traduit  exté- 
rieurement sur  la  surface  de  la  plante,  parce 
qu'une  ligne  saillante  se  continue  par  plusieurs 
autres  plus  faibles  qu'elle. 

Inversement,  lorsque  deux,  trois,  ou  cinq  fais- 
ceaux monocentres  s'unissent  en  un  seul,  nous 
voyons  les  différents  faisceaux  élémentaires  se 
rapprocher  les  uns  des  autres  et  prendre  peu  à 
peu  l'aspect  et  la  place  d'un  faisceau  monocentre 
large. 

Lorsque  deux  faisceaux  monocentres  de  même 
âge  s'anastomosent,  ou  bien  Us  se  reunissent  bout 
à,  bout,  ou  bien  la  rencontre  se  fait  latéralement. 
Dans  le  premier  cas,  les  deux  faisceaux  qui  s'a- 
nastomosent se  placent  de  telle  manière  que  les 
éléments  du  premier  semblent  le  prolongement 
direct  des  éléments  du  second;  tel  est  le  cas  dos 
faisceaux  des  bords  des  feuilles  à  nervures  réti- 
culées. Dans  le  second  cas,  chaque  faisceau  se 
comporte  cuminr  s'il  était  seul;  il  conserve  son 
orientation  et  sa  structure;  toutefois,  dans  la  ré- 
gion de  contact,  toutes  les  lames  ligneuses  inté- 
rieures des  faisceaux  anastotnosés  ne  se  forment 
pas.  Si,  comme  il  arrive  souvent  dans  les  rhizo- 
mes des  Monocotylédonées,  deux,  trois,  cinq  fais- 
ceaux monocentres  s'anastomosent  simultanément, 
chaque  faisceau  se  comporte  encore  comme  s'il 
était  seul,  à  cela  près  que  dans  les  régions  de 
contact,  les  éléments  des  lames  ligneuses  qui  se- 
raient intérieures  ne  se  caractérisent  pas.  Ces 
régions  anastomotiques  se  présentent  comme  for- 
mées d'une  lame  circulaire  ligneuse,  à  contours 
plus  ou  moins  lobés,  entourant  une  masse  centrale 
do  liber,  et  séparées  du  tissu  fondamental  par 
linéiques  rangs  do  fibres  primitives.  Les  anciens 
auteurs  appelaient  ces  régions  anastomotiques  : 
laisceaux  composés  ou  faisceaux  concentriques, 
les  opposant  aux  parties  libres  des  mêmes  fais- 
ceaux qu'ils  appelaient  faisceaux  simples  ou  fais- 
ceaux collatéraux.  —  Les  règles  que  nous  venons 
de  développer  pour  l'anastomose  des  faisceaux 
monocentres  s'appliquent  encore  aux  faisceaux 
bicentres,  qu'ils  s'anastomosent  bout  à  bout  ou  la- 
téralement. 

Seuls  parmi  les  faisceaux  polycentres,  les  fais- 
ceaux bicentres  peuvent  se  diviser.  Lorsqu'un 
faisceau  bicentre  se  divise,  il  s'élargit,  sa  masse 
ligneuse  se  partage  en  deux  branches  qui  s'écar- 
tiMit  rapidement  l'une  de  l'autre  et  dont  chacune 
produit  de  nouvelles  trachées  snr  son  bord  inté- 
rieur. Ces  nouvelles  trachées  s'appuient  inférieu- 
rement  sur  une  masse  de  trachées  globuleuses  qui 
s'est  formée  dans  le  bois  du  faisceau  origine  au 
point  où  il  se  bifurque.  Le  liber  qui  entoure  le 
139 


TISSUS  VEGETAUX 


2210  —      TISSUS  VÉGÉTAUX 


bois  suit  ce  dernier  dans  toutes  ses  évolutions.  — 
Si  deux  faisceaux  bicentres  s'unissent  pour  en 
former  un  seul,  il  suffit  de  répéter  les  pliénomè- 
nes  que  nous  venons  de  décrire,  mais  dans  un 
ordre  inverse. 

Les  rapports  des  faisceaux  d'âge  différent  s'éta- 
blissent toujours  par  l'intermédiaire  de  trachées 
très  courtes,  globuleuses,  dont  l'ensemble  forme 
ce  que  l'on  appelle,  à  cause  de  son  rôle  physiolo- 
gique, un  diaphragme  nquifère.  Le  diaphragme 
aquifère  qui  réunit  les  masses  ligneuses  de  deux 
faisceaux  d'âge  différent  est  placé  à  la  ba^e  du 
faisceau  né  le  dernier  ;  l'importance  au  point  de 
vue  morphologique  de  la  présence  d'un  diapln  agme 
entre  deux  faisceaux  d'organes  distincts  ou  entre 
les  faisceaux  d'un  organe  en  apparence  unique 
est  capitale.  La  présence  d'un  diaphragme  entre 
deux  faisceaux  à  l'origine  de  l'un  d'eux  nous 
dit  que  ce  dernier  s'est  formé  postérieurement  à 
l'autre,  qu'entre  les  deux  s'est  produit  un  temps 
d'arrêt,  et  que  dès  lors  l'organe  qui  reçoit  le  fais- 
ceau le  plus  jeune  a  été  produit  sur  l'organe  qui 
reçoit  le  faisceau  le  plus  âgé,  par  un  point  de  vé- 
gétation développé  en  nn  point  de  sa  surface.  En 
dehors  de  la  présence  d'un  diaphragme  aquifère 
entre  la  base  du  faisceau  né  le  dernier  et  le  fais- 
ceau sur  lequel  celui-ci  s'insère,  la  seule  règle  gé- 
nérale qui  semble  présider  aux  rapports  de  fais- 
ceaux d'âge  différent,  c'est  rét:iblisseraentdu  plus 
grand  nombre  possible  de  contacts  tracliéens  en- 
tre les  faisceaux  de  l'organe  primaire  et  ceux  de 
l'organe  secondaire.  MaHieuieusement  l'étude  de 
ces  contacts  est  encore  très  incomplète. 

IV.  Tissu  FONDAMENTAL.  —  Le  tissu  fondamental 
dans  lequel  sont  plongés  les  faisceaux  que  nous 
venons  d'étudier  consiste  généralement  en  une 
masse  de  cellules  volumineuses  sphériques  ou  po- 
lyédriques à  parois  minces.  On  désigne  par  le 
nom  àepiirenchijii.eXtiS  tissus  ainsi  organisés.  On 
appelle  moelle  la  portion  du  tissu  fondamental  qui 
est  comprise  entre  les  faisceaux  d'un  organeprès 
du  centre  de  cet  organe.  M.  Van  ïieghem  dési- 
gne fiéiiuemment  la  moelle  par  le  nom  de  tissu 
conjonciif  interne,  mais  ce  nom  est  mauvais,  car,  si 
dans  les  tiges  le  nom  de  tissu  conjonctif  désigne 
le  tissu  fondamenlal,  dans  les  racines  ce  tissu 
conjonctif  interne  de  jM.  Van  Tieghem  désigne  les 
fibres  primitives  qui  dans  les  faisceaux  séparent 
les  éléments  ligneux  et  libériens  caractérisés.  Le 
tissu  fondamental  compris  entre  les  faisceaux 
d'un  organe  et  son  épiderme  a  reçu  le  nom  de 
tissu  fondamental  externe  ou  d'écorce  primaire. 
Il  convient  puui-tant  d'éviter  le  plus  possible  d'em- 
ployer le  mot  écorce,  pacce  que  les  divers  anieurs 
emploient  cette  expression  dans  les  sens  les  plus 
différents. 

Les  éléments  du  tissu  fondamental  sont  très 
fréquemment  le  siège  d'un  dépôt  de  cellulose  qui 
a  pour  effet  d'augmenter  beaucoup  l'épaisseur  de 
leurs  parois.  On  dit  qu'il  y  a  sclérification  quand 
il  y  a  ainsi  opaississement  des  parois  des  éléments 
du  tissu  fondamental.  Chaque  cellule  à  parois 
épaissies  prend  alors  le  nom  de  sclèrite.  En  se 
scléritiant  un  grand  nombre  de  cellules  se  défor- 
ment, parce  que  l'élongation  ou  l'accroissement  de 
leurs  parois  n'a  pas  la  même  intensité  dans  les 
diverses  directions.  Beaucoup  de  ces  cellules  sclé- 
rifiées  ainsi  modiflées  prennent  l'aspect  d'étoiles 
à  branches  ramifiées  parfois  très  longues,  comme 
cela  se  voit  chez  les  Aroidées  et  leurs  proches  pa- 
rents les  Nymphéacées.  Chez  les  Nympliéacées,  la 
plupart  des  sclérites  sont  dissociées  presque 
complètement  des  éléments  cellulaires  qui  les  en- 
tourent ;  elles  sont  entourées  presque  de  toutes 
parts  par  une  lacune,  et  comme  les  diverses  lacu- 
nes du  ti.ssu  des  Nipnphea  s'ajustent  bout  à  bout 
pour  former  de  vastes  canaux  à  travers  lesquels 
l'air  circule  librement,  les    sclériies   accrochées 


aux  parois  de  ces  canaux  font  saillie  dans  leur 
intérieur  et  ressemblent  à  des  sortes  de  poils  étoi- 
les qui  lapissent  toute  la  paroi  du  canal.  Ces  sclé- 
rites des  Nympliéacees  sont  désignées  par  beaucoup 
d'auteurs  sous  le  nom  de  poils  intérieurs.  Lorsque 
les  cellules  sclérifiées  prennent  l'aspect  de  longues 
fibres  brillantes,  pointues  à  leurs  deux  extrémités, 
on  les  désigne  d'une  manière  générale  par  le  nom 
de  fibres  mécaniques  ;  les  amas  de  fibres  mécani- 
ques sont  nommés  faisceaux  ou  gaines  mécani- 
ques. Certains  auteurs  désignent  par  les  noms  de 
fibres  hypodermiques,  faisceaux  de  fibres  hypo- 
dermiques, les  fibres  mécaniques  et  les  faisceaux 
de  fibres  mécaniques  qui  se  trouvent  placés  dan» 
le  vu  sinage  de  l'épiderme  d'un  organe.  Les  fais- 
ceaux de  fibres  mécaniques  jouent  un  rôle  très 
important  dans  la  physiologie  de  la  plante.  Toutes 
les  fois  qu'une  gaine  mécanique  est  placée  à  proxi- 
mité d'un  faisceau,  elle  le  protège  contre  les  va- 
riations brusques  de  la  pression  que  l'air  des  lacu- 
nes de  la  plante  exerce  sur  son  liber  (V.  Végé- 
tal.) Presque  toujours,  en  plus  lie  leur  rôle  d'ap- 
pareil de  protection,  les  gaines  mécaniques  jouent 
le  rôle  de  points  d'attache  pour  les  tissus  mous. 
Elles  représentent  dans  la  plante  les  pièces 
solides  sur  lesquelles  tout  le  reste  est  attaché, 
quelque  chose  comme  le  squelette  intérieur  d'un 
animal  verlébré.  M.  Schwendener  a  fait  l'étude 
mécanique  des  principaux  systèmes  de  gaines  mé- 
caniques, et  il  est  arrivé  i  cette  conclusion  qu'en 
dehors  des  parties  à  protéger  spécialement,  comme 
la  surface  do  la  plante,  comme  le  liber  des  fais- 
ceaux d'un  organe,  les  gaines  mécaniques  sont 
toujours  placées  le  long  des  lignes  de  maximum 
de  résistance  de  la  plante. 

Les  éléments  du  tissu  fondamental  sont  sujets 
à  éprouver  quelques  autres  variations  dont  nous 
devons  dire  un  mot.  Les  parois  des  cellules  de  ce 
tissu  peuvent  subir  une  sorte  de  gélification  qui 
demeure  plus  ou  moins  localisée  ;  ou  qualifie 
de  coUenchynie  les  régions  ainsi  modifiées.  On 
qualifie  de  fibreuses  certaines  cellules  du  tissu 
fondamental  dont  la  paroi  présente  des  épaissis- 
semenis  spirales  ;  ce  nom  est  très  mauvais,  parce 
que  quand  on  désigne  sousle  nom  de  lissu  fibreux 
un  massif  de  cellules  fibreuses,  on  peut  hésiter  et 
on  hésite  souvent  pour  savoir  s'il  est  question 
d'un  massif  d'éléments  allongés  en  fibres,  ou  d'un 
massif  de  cellules  à  parois  portant  dessinées  en 
relief  des  lignes  spirales. 

De  même  que  les  faisceaux  sont  le  siège  de 
productions  secondaires  dans  certains  cas,  de 
même  le  tissu  fondamental  peut  avoir  une  origine 
différente  de  l'origine  que  nous  lui  avons  assignée 
plus  haut.  Nous  appellerons  tissu  fhndnmeiilal 
primaire  ou  tissu  fuiidnmeutal  lonlcoun  la  partie 
du  méristème  primitil'd'un  organe  qui  ne  se  trans- 
forme ni  en  faisceau  ni  en  épiderme.  Dans  ce 
tissu  fondamental  on  voit  parfois  apparaître  des 
cloisons  toutes  parallèles  entre  elles  ;  le  résultat 
de  ces  divisions  répétées  n'est  ni  du  bois  secon- 
daire ni  du  liber  secondaire,  de  telle  sorte  que 
nous  r.'avons  pas  affaire  dans  ce  cas  aux  faisceaux 
secondaires  dont  nous  avons  parlé.  On  des^igne, 
dans  ces  cas  spéciaux,  par  le  nom  de  cambi forme 
le  tissu  qui  est  le  siège  de  ces  divisions  toutes 
parallèles  entre  elles.  Un  cambiforme  en  se  divi- 
sant peut  produire  deux  tissus  différents  que  1  on 
désigne  sous  les  noms  de  tissu  fondamental  ie- 
•  0':daire  et  de  Itége.On  convient  de  reserver  tou- 
jours le  nom  de  liège  à  la  partie  formée  entre  le 
cambiforme  et  la  surface  libre  de  la  plante,  et  de 
réserver  le  nom  de  tissu  fondamental  secondaire 
au  tissu  qui  est  plus  éloigné  de  la  surface  libre 
que  le  cambiforme.  —  Le  cambiforme  est  le  tissu 
cicatriciel  par  excellence  ;  il  ai/paraît  autour  de  la 
surface  de  toutes  les  plaies,  il  isole  les  tissus  mor- 
tifiés, où  qu'ils  soient  dans  la  plante,  en  les  en- 


TISSUS  VEGETAUX 


2211  — 


TRAGEDIE 


globant  comme  un  manchon.  Les  carabiformes 
apparaissent  n'importe  où,  dans  le  tissu  fondamen- 
tal primaire,  dans  les  faisceaux,  ou  môme  dans 
l'épiderme.  On  dit  qu'un  cambiforme  est  double 
quand  il  produit  simultanément  du  tissu  fonda- 
mental secondaire  et  du  liège.  Un  cambiforme  est 
dit  pheHii/un  quand  il  produit  du  liège  ;  il  est  dit 
fondamental  quand  il  produit  du  tissu  fondamen- 
tal secondaire.  —  Un  cambiforme  peut  n'être  que 
plielliqueou  fondamental. 

Le  tissu  fondamental  secondaire  peut  présenter 
tous  les  aspects  et  tons  les  caractères  que  nous 
avons  signalés  pour  le  tissu  fondamental  primaire. 
Très  fré(|uemment,  par  exemple,  il  se  charge  de 
chlorophylle,  dont  la  présence  constitue  près  de  la 
surface  de  la  plante  une  assise  verte  que  l'on  ap- 
pelait autrefois  la  coache  herbacée  ou  encore  le 
suber  herbacé. 

Le  liège  se  montre  très  généralement  comme 
formé  de  cellules  i.  sections  rectangulaires,  à 
parois  minces  sèches,  fortmiient  im|iré*n6es  de 
matières  résineuses  et  froi|UiMnnient  colorées 
en  brun  roux.  11  est  plus  rare  de  trouver  les  élé- 
ments du  liège  transformés  en  sclérites  par  l'épais- 
sissemiMit  de  leurs  parois.  Dans  certaines  condi- 
tions spéciales,  la  couche  subéreuse  peut  prendre 
une  très  grande  épaisseur  (chêne-liège,  orme  su- 
béreux, aristoloche  subéreuse).  Très  pende  temps 
après  leur  formation,  la  plupart  des  cellules  subé- 
reuses perdent  leur  contenu  liquide  et  le  rempla- 
cent par  de  l'air  et  des  matières  excrétées,  telles 
que  cristaux  d'oxalate  de  chaux,  résines,  huiles, 
cellulose.  Le  liège  limite  la  surface  de  toutes  les 
plaies  qui  se  rencontrent  dans  une  plante.  11  joue 
à  tous  égards  le  rôle  de  l'épiderme  ;  c'est,  avant 
tout,  un  tissu  protecteur.  Dans  un  petit  nombre 
de  cas,  les  éléments  du  liège  peuvent  présenter 
sur  la  surface  de  leurs  parois  des  épaississements 
spirales  rappelant  beaucoup  ceux  que  nous  avons 
signalés  dans  les  cellules  Hbreuscs. 

Dans  un  grand  nombre  de  plantes,  on  voit  cer- 
tains éléments  se  cloisonner  comme  s'ils  allaient 
produire  un  cambiforme  phellique.  En  général,  le 
centre  du  groupe  d'éléments  qui  sont  le  siège  de 
ce  cloisonnement  se  dissocie,  et  il  se  forme  une 
lacune  ou  un  canal  central.  Les  cellules  qui  bor- 
dent la  cavité  de  la  lacune,  qui  sont  du  liège  d'a- 
près ce  qui  précède  si  on  leur  applique  la  règle 
de  formation  des  produits  subéreux,  au  lieu  de 
prendre  I  aspect  de  liège,  se  transforment  en  cel- 
lules sôcréiantos  et  deviennent  l'épilliélium  sé- 
créteur de  la  glande  dont  la  lacune  est  le  canal 
intérieur.  Toute  glande  pourvue  dn  canal  a  l'ori- 
gine ci-dessus,  en  quelque  point  qu'elle  apparaisse 
chez  les  végétaux  vasculairi'S.  Les  épiiholiums  sé- 
créteurs des  végétaux  sont  donc  des  tissus  subé- 
reux modifiés.  Il  y  a  là  un  emiiruiit  orgiiiif|Ue  fait 
par  l'appareil  excréteur  général  à  l'appareil  pro- 
tecteur. 

Dans  quelques  cas  fort  peu  nombreux,  le  liège 
peut  être  transformé  en  réservoir  pour  les  ma- 
tières alimentaires  accumulées  par  la  plante  dans 
son  sein.  Presque  toujours,  alors,  ce  liège  dévoyé 
de  son  rôle  est  rejeté,  décortiqué,  dès  qu'il  a  rem- 
pli le  rôle  accidentel  qui  lui  était  assigné.  Dans 
ce  cas,  c'est  l'appareil  de  réserve  qui  fait  un  em- 
prunt à  l'appareil  protecteur.  Quand  on  y  réfléchit, 
ce  cas  est  beaucoup  moins  différent  de  celui  qui 
précède  qu  il  ne  le  semble  au  premier  abord,  car 
entre  les  cellules  sécrétantes  d'une  glande  et  les 
cellules  de  réserve  d'un  réservoir  amylifère,  il  n'y 
a^  d'antre  différence  que  la  matière  spéciale  qui 
s'accumule  dans  la  cellule. 

EriuuRME.  —  L'épiderme,  avons-nous  dit,  est  ca- 
ractérisé (larlecioisonnemenideses  cellulesqui  se 
fait  toujours  perpendiculairement  à  la  surface  ex- 
térieure de  la  plante.  Par  suite  môme  de  leur 
situation,  les  cellules  épidermiques  ont  une  paroi 


extérieure  en  contact  direct  avec  l'air.  Cette  paroi 
est  toujours  fortement  imprégnée  do  matières  ré- 
sineuses qui  la  rendent  imperméable.  —  On  dé- 
signe sons  le  nom  de  cuticule  la  pellicule  que  l'on 
peut  détacher  de  la  surface  des  cellules  épider- 
miques qui  ont  subi  la  macération  dans  l'eau.  L» 
cuticule  est  une  membrajie  ou  kyste  dont  l'épais 
seur  est  très  variable  selon  les  plantes  et  selon 
les  organes.  Dans  une  cuticule,  il  est  possible,  i 
un  grossissement  considérable,  d'observer  différen- 
tes couches  d'inégales  propriétés:  ce  sont  les  cou- 
ches cuticulaires  de  l'épiderme. 

Les  cellules  épidermiques  émettent  fréquem- 
ment des  prolongements  extérieurs  que  l'on  nomme 
poils.  Un  poil  est  dit  siin/ile  quand  il  ne  comprend 
qu'une  seule  rangée  de  cellules.  Il  est  dit  com/iosé 
dans  le  cas  contraire.  Il  est  dit  glanduleux  quand 
il  contient  une  glande  ou  quand  il  est  eji  rapport 
avec  une  glande.  D'après  leurs  formes,  les  poils 
ont  reçu  différents  noms  quil  serait  trop  long 
d'cnumérer  et  dont  beaucoup  disent  par  eux- 
mêmes  leur  signilication,  comme  poils  ccailleux, 
|ioils  peltés,  poils  en  écusson.  —  La  présence  des 
poilsest  un  des  caractères  distinctifs  de  l'épiderme. 
Un  cambiforme  phellique  peut  se  développer 
dans  les  cellules  épidermiques.  On  dit  alors  que 
l'épiderme  est  multiple,  bien  qu'il  n'y  ait  là  que 
le  fait  du  renforcement  de  l'épiderme  par  une  lame 
subéreuse. 

Parfois  les  cloisons  des  cellules  épidermiques 
dirigées  perpendiculairement  à  la  surface  de  la 
plante  se  dédoublent,  et  une  ouverture  est  pro- 
duite dans  la  surface  épidermique  do  la  plante. 
Très  fréquemment,  ces  ouvertures,  qui  se  produi- 
sent spontanément  et  régulièrement  daps  l'épi- 
derme de  certains  végétaux,  se  bordent  sur  tout 
leur  pourtour  de  cellules  subéreuses  qui  limitent 
pour  ainsi  dire  la  déchirure  produite.  Le  plus  or- 
dinairement, deux  cellules  suffisent  pour  limiter 
chaque  ouverture.  On  désigne  sous  le  nom  de 
slomale  chacun  des  petits  appareils  que  nous  ve- 
nons de  décrire.  L'orifice  a  reçu  le  nom  d'ostiole; 
la  dépression  qui  surmonte  l'orifice  est  Vonli- 
ctiamhre,  les  cellules  de  bordure  sont  les  cellules 
stoinntinues,  la  cavité  dans  laquelle  l'ostiole  dé- 
bouche intérieurement  est  la  chambre  stomatique. 
Les  stomates  caractérisent  l'épiderme  au  même 
titre  que  les  poils.  Les  stomates  ont  comme  rôle 
de  mettre  directement  en  rapport  l'atmosphère 
dos  lacunes  de  la  plante  avec  l'air.  C'est  par  ces 
orifices  que  se  fait  l'échange  de  gaz  entre  la  plante 
et  lair,  ainsi  que  la  transpiration  végétale  (V.  Vé- 
rjctal\ 

Certains  organes,  comme  les  racines,  n'ont  ja- 
mais d'épiderme.  Leur  surface  est  toujours  for- 
mée par  un  tissu  subéreux.  —  On  nomme  pilo- 
r/iize  le  tissu  provenant  de  l'exfoliation  de  la  couche 
subéreuse  superficielle  des  racines. 

Rhylid'imi!.  —  On  désigne  sous  ce  nom  l'en- 
semble des  tissus  mortifiés  qu'une  lame  de  liège 
détache  d'un  organe  ou  isole  du  reste  de  l'organe. 
Par  suite  même  de  la  moit  rapide  des  éléments 
subéreux,  la  partie  isolée,  se  trouvant  privée  de 
tonte  alimentation,  ne  tarde  pas  à  périr.  On  ap- 
pelle exfoliation  ou  décorlicalion  la  chute  des 
tissus  isolés  d'un  organe  par  une  couche  subé- 
reuse. [C.-E.  Bertrand. J 

TONSEUnE.  —  V.  Foudre. 

TOUCIIIil».  —  V.  Tact. 

TUAGÉDIE.  —  Littérature  et  style,  IlL  —  Les 
élémeuls  de  la  question  littéraire  qui  répond  à  ce 
titre  se  trouvent  en  grande  partie  aux  articles 
Dramatique  [Genre),  Ttidcilre,  Théâtre  classique, 
Corneill'',  lincine.  Voltaire,  et  aussi  à  l'article 
Comédh:  et  à  l'article  Littérature  française. 

iVous  nous  bornerons  ici  à  donner  une  défini- 
tion, aussi  exacte  que  possible,  de  la  tragédie,  et 
i  tracer  rapidement  l'historique  du  genre. 


TRAGEDIE 


2212  


TRAGEDIE 


Suivant  l'Académie,  la  tragédie  est  «  une  pièce 
de  tliéâtre  qui  offre  une  action  importante,  des 
personnages  illustres,  qui  est  propre  à  exciter  la 
terreur  ou  la  pitié,  et  qui  se  termine  ordinaire- 
ment par  un  événement  funeste,  n 

L'origine  du  mot,  comme  il  a  été  dit,  est  grec- 
que. La  tragédie,  c'est  le  chant- du  bouc  (tragos, 
bouc;  fidé,  chant),  c'est-à-dire  le  chant  qui  ac- 
compagnait le  sacrifice  du  bouc,  finon,  comme  l'a 
dit  Boileau,  celui  dont  un  bouc  était  le  prix.  Et 
ce  terme  même  ainsi  entendu  nous  fait  connaître 
le  caractère  primitif,  tout  religieux,  on  pourrait 
dire  tout  liturgique  de  la  tragédie  chez  les  Grecs. 
Elle  fait,  à  sa  naissance,  partie  des  cérémonies 
sacrées,  elle  est  elle-même  un  des  éléments  du 
culte.  "  Un  chœur  chanté  en  l'iionneur  de  Bac- 
chus  (Dionysos),  dit  M.  Vapereau  [Dictionnaire 
des  littératiire~s,  article  Trai/édie),  un  monologue, 
puis  un  dialogue  jeté  dans  ce  chœur,  pour  mieux 
représenter  une  action  liée  à  la  légende  mytholo- 
gique :  voilJi  le  chant  du  bouc,  «  voiii  ce  qui  va 
Être  la  tragédie.  Peu  à  peu  Bacchus  disparaît  ;  à 
côté  de  sa  légende  mythique  il  s'en  iniroduit 
d'autres;  les  actions  des  hommes,  plus  immédia- 
ément  intéressantes  que  celles  des  dieux,  pren- 
nent la  place  réservée  d'abord  exclusivement  aux 
personnages  divins  :  le  poète,  empruntant  ses  thè- 
mes aux  antiques  données  des  traditions  nationales, 
chante  les  premières  luttes  des  hommes  pour 
la  vie,  poétisées  et  symbolisées;  il  attribuera  au 
destin  aveugle  les  impitoyables  effets  des  forces 
trop  puissantes  de  la  nature;  l'activité  morale, 
l'effort  énergique  des  volontés,  et  des  volontés  les 
plus  hautes,  seront  niis  aux  prises  avec  la  fatalité 
attribuée  h  l'omnipotence  divine;  l'homme  enlin. 
et  ce  sera  le  dernier  progrès,  sera  représenté  en 
opposition  avocriiomme  lui-même,  et  la  lutte  des 
passions  et  des  volontés  deviendra  le  dernier  et 
inépuisable  sujet  du  drame,  qui  de  mythique  est 
ainsi  devenu  humain.  Sans  parler  des  poètes  plus 
anciens,  dont  l'œuvre  archaïque  et  probablement 
fort  rudimentaire  n'est  pas  parvenue  jusqu'à  nous, 
Eschyle,  avec  Prométhée;  Sophocle,  avec  (ffidipe 
et  Electre  ;  Euripide,  avec  Alceste  et  Iphigénie  — 
nous  ne  nommons,  bien  entendu,  que  quelques 
types  caractéristiques  —  personnifient  dans  leur 
perfection  ces  trois  phases  successives  de  la  tra- 
gédie chez  les  Grecs.  Elle  leur  appartient  tout 
entière,  c'est  une  création  de  leur  race  et  de  leur 
pays,  et  si,  dans  leur  histoire  même,  elle  s'arrêta 
en  quelque  sorte  brusquement,  après  avoir  pro- 
duit ses  chefs-d'œuvre,  ils  peuvent  néanmoins  la 
revendiquer  comme  un  genre  qui  leur  appartient 
et  qui  n'appartient  qu'à  eux  (V.  Grèce,  lettres 
et  arts) . 

Les  Romains,  au  point  de  vue  de  la  tragédie 
comme  à  beaucoup  d'autres  —  V.  Latine  [Litté- 
rature) —  n'ont  eu  que  ce  qu'on  pourrait  appeli-r 
une  littérature  de  seconde  main.  Leurs  anciens 
poètes,  ceux  de  la  période  de  formation,  Na?vius, 
Ennius,  Pacuvius,  Attius,  ne  firent  que  traduire 
les  poètes  grecs;  leurs  ouvrages  sont  perdus, 
d'ailleurs,  et  nous  n'en  pouvons  juger,  les  pièces 
de  Sénèque  le  tragique  sont  des  déclamations 
d'école  plutôt  que  de  vraies  pièces  de  théâtre; 
notre  Corneille  cependant  y  a  puisé  et  peut-être 
trop  puisé. 

L'article  2'hédtre  montre  comment  la  tragédie 
s'introduisit  chez  nous,  comme  une  imitation  de 
l'antiquité,  à  l'époque  et  sous  l'influence  des  poè- 
tes savants  de  la  Renaissance.  On  aurait  mau- 
vaise grâce  à  regretter  cette  importation  étrangère 
d'un  genre  qui  est  représenté  par  des  noms 
comme  ceux  de  Corneille,  de  Racine,  de  Voltaire, 
et  qui  nous  a  valu  des  chefs-d'œuvre  comme  le 
Cid.  Cimia,  Horace  et  Poli/eucle,  comme  Hrilun- 
nicus,  l'iièilre  et  Athalie,  même  comme  Zaïre  et 
comme  Mérope.    Il   n'en   est  pas  moins  vrai    que 


notre  tragédie  classique  a  toujours  eu,  même  chez 
les  plus  grands  poètes  qui  l'ont  si  admirablement 
maniée,  quelque  chose  de  factice,  de  convenu  et 
d'emprunté,  dont  le  cadre  trop  étroit  a  toujours 
plus  gêné  i|u'il  n'a  servi  leur  génie.  C'est  à  son 
corps  défendant  que  Corneille  s'emprisonne  dans 
les  règles  des  cinq  actes  et  des  trois  unités,  que 
les  Grecs  eux-mêmes  n'ont  jamais  connues.  Racine 
s'en  accommode  mieux  ;  mais  Voltaire  qui,  dans 
sa  pratique  théâtrale,  y  est  encore  resté  trop  fidèle, 
a  marqué  quelque  part  tout  ce  que  la  tragédie 
française  avait  de  convenu  et  d'artificiel,  au  point 
que  son  principal  mérite  semblait  être  celui  de  la 
difficulté  vaincue.  «  C'est,  dit-il,  une  entreprise  si 
difficile  d'assembler  dans  un  même  lieu  des  héros 
de  l'antiquité,  de  les  faire  parler  en  vers  français, 
de  ne  leur  faire  jamais  dire  que  ce  qu'ils  ont  dû 
dire,  de  ne  les  faire  entrer  et  sortir  qu'à  propos,  de 
faire  verser  des  larmes  pour  eux,  de  leur  prêter 
un  langage  enchanteur  qui  ne  soit  ni  ampoulé, 
ni  familier,  d'être  toujours  décent  et  toujours  in- 
téressant, qu'un  tel  ouvrage  est  un  prodige,  et 
qu'il  faut  s'étonner  qu'il  y  ait  en  France  vingt 
prodiges  de  cette  espèce.  »  On  ne  saurait  faire 
plus  spirituellement  le  procès  au  genre. 

A  un  point  de  vue  qui  n'est  pas  exclusivement 
celui  du  mérite  littéraire,  mais  qui  a  bien  aussi 
son  importance  historique  et  morale,  il  y  a  encore 
un  autre  reproche  à  faire  à  la  tragédie  classique  : 
c'est  celui  d'avoir  trop  longtemps  détourne  nos 
poètes,  pour  la  plus  grande  gloire  de  héros  an- 
tiques dont  nous  nous  serions  fort  bien  passés, 
d'étudier  nos  propres  héros,  et  do  chercher  leur 
inspiration  aux  sources  de  notre  histoire  natio- 
nale. 

Les  autres  nations  modernes  —  et  nous  devrions 
être  jaloux  de  ce  privilège  —  n'ont  pas  cherché 
hors  d'elles-mêmes  le  sujet  de  leurs  grandes  œu- 
vres dramatiques,  ou  elles  no  l'ont  fait  qu'acci- 
dentellement; et  c'est  ainsi  que  leur  théâtre  a  pu 
devenir  sans  effort  un  incontestable  élément  de 
leur  nationalité,  au  besoin  une  école  de  patrio- 
tisme; notre  théâtre  classique,  si  grand  qu'il  soit, 
n'en  est  pas  là,  surtout  quant  à  la  tragédie  ;  tout 
au  moins  celles  des  œuvres  nationales  qu'ont 
essayées  de  temps  à  autre  quelques  poètes  de 
bonne  intention  ne  sont,  malheureusement,  pas 
parmi  les  meilleures.  Ni  les  Duguesclin,  ni  les 
Bayard  n'ont  encore  trouvé  un  interprète  dra- 
matique digne  de  leur  mérite  et  de  leur  gloire, 
et  il  a  fallu  qu'un  étranger,  un  Allemand,  mit  sur 
la  scène  notre  Jeanne  d'Arc. 

Les  chefs-d'œuvre  de   la  tragédie  française   et 
les  poètes  auteurs  de  ces  chefs-d'œuvre  sont  étu- 
diés à   part  dans  ce  Dictionnaire  ;    on  trouvera 
également,  à  l'article   Littérature  française,  des  j 
renseignements  très  suffisants  sur   les   écrivains 
d'ordre  secondaire  qui,   de  Jodelle  à  notre  temps, 
ont  alimenté  le  répertoire  tragique  de  nos  grands  i 
théâtres.  Nous  n'avons  pas  à  y  revenir  ici.  Aussi  j 
bien,  d'ailleurs,  est-ce  dans  ces  poètes  secondai- 
res qu'à  part  quelques  heureuses   exceptions,  on 
sentirait  le  mortel  ennui  qui  s'attache  comme  na- 
turellement à  des   œuvres  toutes   de  convention! 
et  de  tradition  d'école  ;  où,  sous  des  noms  diffé- 
rents, on  retrouve  les  mêmes  situations,  les  mê-l 
mes  sentiments,  exprimés  dans  une  même  languoi 
vague,  incolore,  pompeuse,  et  qui  semble  de  parti |] 
prisse  défendre  de  toute  personnalité  et  de  toute! 
originalité.   Nos  libertés    modernes   ont  fini   pari 
faire   bonne  justice  d'une  tradition   qui   n'a  pas! 
dure  moins  de  deux  siècles  ;  nos  poètes  les  pluaj 
classiques  d'aujourd'hui  n'acceptent  les  ancienne8| 
règles  qu'autant  qu'elles  leur  paraissent  conveniri 
au  développement   normal    de    leurs  données,  eti 
nous  ne  leur  demandons  plus   de  se  conformer  àl 
la  poétique  d'Aristote,  mais  de  nous  émouvoir,  del 
nous  élever,  de  nous  instruire  par  tous  lesmoyensT 


TRAITES 


2213  — 


TRAITES 


qu'il  leur  plaira.  El  ce  sont  là,  incontestablement, 
de  plus  favorables  conditions  pour  le  talent  et  pour 
le  génie.  [Cliarles  Defodon.] 

TUAITIÎS.  —  Histoire  générale,  XXXIX-XL  ; 
Histoire  de  France,  XXXVIII-XL.  —  Nous  rappe- 
lons ci-dessous  la  date  et  la  signification  des  prin- 
cipaux traités  tant  de  l'histoiri!  générale  que  de 
l'histoire  do  France,  en  indiquant  entre  parenthèses 
la  page  du  Dictionnaire  où  l'on  trouvera  les  détails 
nécessaires. 

HISTOIRE  ANCIENNE. 

Vers  l'an  449  avant  J.-C.  —  Traité  dit  de  Cimon, 
entre  Athènes  et  la  l'erse,  qui  garantit  l'indépen- 
dance des  tirées  d'Asie  {p.  904). 

387.  —Traité  d'Antalcidas,  qui  remet  les  Grecs 
d'Asie  sous  la  domination  du  roi  de  Perse  (p.OOG). 

240.  —  Traite  entre  Home  et  Carthago,  mettant 
fin  à  la  première  guerre  punique,  et  abandonnant 
la  Sicile  aux  Fiomains  (p.  1931). 

201.  —  Nouveau  traité  entre  Rome  et  Carthage, 
mettant  fin  à  la  seconde  guerre  punique,  et  impo- 
sant à  Carthage  l'obligation  de  ne  faire  aucune 
guerre  sans  la  permission  de  Fiome  (p.  193'.!). 

43.  —Traité  du  Reno  (Rhenus),  par  lequel  Oc- 
tave, Antoine  et  Lépidus  constituent  le  second 
triumvirat  fp.  1938). 

o'.i.  —  Traité  de  Brindes,  qui  donne  h  Octave 
l'Occident  eti'i.  Antoine  l'Orient  (p.  1939). 

MOYEN  AGE- 

.'iS"  après  J.-C.  —  Traité  d'Andclot,  entre  Cliil- 
debort  et  Contran,  garantissant  aux  leudes  l'héré- 
dité des  bénéfices  Ip,   1289). 

843.  —  Traité  de  Verdun,  qui  partage  l'empire 
carlovingien  entre  Lothaire,  Louis  le  Germanique 
et  Charle.s  le  Chauve  (p.  3"."i). 

911.  —  Traité  de  Saint-Clair-sur-Epte,  par  lequel 
Charles  le  Simple  cède  la  Neustrie  aux  Normands 
(p.  1420). 

1 122.  —  Traité  ou  concordat  de  Worms,  qui  met 
fin  à  la  querelle  des  investitures  (p.  91). 

1183.  —  Traité  de  Constance,  entre  les  villes 
italiennes  et  Fempereur  Frédéric  Barberousse 
(p.  46C). 

1259.  —  Traité  d'Abbeville,  entre  saint  Louis  et 
Henri  111,  par  lequel  le  roi  de  France  rend  volon- 
tairement au  roi  d'Angleterre  une  partie  des  pro- 
vinces françaises  du  sud-ouest  (p.  1204). 

13G0.  — Traité  de  Broligny,  qui  termine  la  pre- 
mière partie  de  la  guerre  de  Cent  ans  (p.  922). 

139".  —  Traité  ou  union  de  Calmar,  qui  réunit 
les  trois  royaumes  Scandinaves  sous  le  sceptre  de 
Marguerite  de  Danemark  (p.  199"). 

1420.  —  Traité  de  Troyes,  qui  assure  à  Henri  V 
de  Lancastre  la  succession  de  Charles  VI  (p.  923). 

1435.  —  Traité  d'Arras,  par  lequel  le  duc  de 
Bourgogne,  Philippe  le  Bon,  se  sépare  des  Anglais 
et  s'allie  à  Charles  Vil   p.  924). 

1466.  —  Traité  de  Thorn,  entre  la  Pologne  et 
l'Ordre  teutonique  ;  la  Prusse  occidentale  est  an- 
nexée à  la  Pologne,  la  Prusse  orientale  devient 
vassale  de  ce  royaume  (p.  1757). 

1468.  —  Traité  de  Péronne,  imposé  à  Louis  XI 
par  Cliarles  le  Téméraire  (p.  1207). 

TEMPS  MODERNES- 

1516.  —  Traité  de  paix  perpétuelle  entre  Fran- 
çois I"  et  les  Suisses  (p.  2093). 

1526.  —  Traité  de  Madrid,  par  lequel  François  I"' 
s'engage  à  céder  la  Bourgogne  i  Charles-Quint 
(p.  831). 

15V9.  —  Traité  de  Cambrai  ou  Paix  des  Dames, 
qui  termine  la  seconde  guerre  entre  François  I" 
et  Charles-Quint  (p.  834j. 


1538.  —  Traité  de  Nice,  terminant  la  troisième 
guerre  entre  François  1"  et  Cliarles-Quint  (p.  831). 

154'i.  —  Traite  de  Crespy,  qui  met  fin  aux 
guerres  entre  François  1"  et  Charles-Quint  (p. 
83  n. 

1555.  —  Traité  ou  Paix  de  7-elif/ion  d'Augsbourg, 
par  lequel  Charles-Quint  accorde  la  liberté  de  con- 
science aux  protestants  (p.  1812). 

1559.  —  Traité  de  Cateau-Cambrésis,  qui  ter- 
mine les  guerres  d'Italie  {p.  92i;). 

1579.  —  Traité  ou  union  d'Utrecht,  par  lequel 
se  constitue  la  republique  des  Sept  Provinces-Unies 
ip.   1538). 

1598.  —  Traité  de  Vervins,  entre  Henri  IV  et 
Philippe  II,  confirmant  celui  de  Cateau-Cambrésis 
(p.  955). 

1629  —  Traité  d'Alais,  qui  enlève  aux  réformés 
français  leurs  privilèges  politiques  (p.  1918). 

1648.  —  Traité  de  VVeslphalie,  qui  termine  la 
guerre  de  Trente  ans  :  premier  traité  international 
fixant  les  bases  de  l'équilibre  européen   (p.  931). 

1659.  —  Traité  des  Pyrénées,  entre  Louis  XIV 
et  Philippe  IV  (p.  r2(i9). 

166S.  —  Traité  d'Aix-la-Chapelle,  qui  termine 
la  guerre  de  Flandre  (p.  1210). 

1078.  —  Traité  de  Nimègue,  qui  termine  la 
guerre  de  Hollande  (p.  1211). 

1(;97._  Traité  de  Ryswick,  qui  termine  la  guerre 
de  la  ligue  d'Augsbourg  (p.  1211). 

1699.  —  Traité  de  Ciirlovitz  ,  entre  la  Turquie, 
l'Autriche,  la  Pologne,  la  Russie  et  Venise  (pp.  984 
et  16i6). 

1713.  —  Traité  d'Utrecht,  qui  termine  la  guerre 
de  la  succession  d'Espagne  et  remplace  le  traite 
de  Westphalie  comme  base  du  droit  européen 
(pp.  933  et  1212). 

1738.  —  Traité  de  Vienne,  qui  termine  la  guerre 
de  la  succession  de  Pologne  fp.  934). 

jTiS.  —  Traité  d'Aix-la-Chapelle,  qui  termine 
la  guerre  de  la  succession  d'Autriche  fp   93ll). 

17G3.  —  Traités  de  Paris  et  d'Hubertsbourg,  qui 
terminent  la  guerre  de  Sept  ans  (p.  939). 

1714.  —  Traité  de  Kainardji,  entre  la  Turquie  et 
Catherine  II  (p.  1972). 

nS3.  —  Traité  de  Versailles,  qui  assure  l  indé- 
pendance des  Etats-Unis  d'Amérique  (p.  9il). 

1791.  _  Traité  de  Pilnitz  contre  la  Révolution 
française,  conclu  entre  l'empereur  Léopold  II  et  le 
roi  de  Prusse  Frédéric-Guillaume  II  (p.  1882). 

1792.  —  Traité  de  Jassy,  entre  la  Turquie  et 
Catherine  II  (p.  1972). 

]7;15,  —  Traités  de  Râle,  par  lesquels  la  Prusse 
et  l'Espagne  font  la  paix  avec  la  France  (p.  1914). 

1797.  —Traité  de  Campo-Formio  entre  la  France 
et  l'Autriche  (pp.  597   et  1  ;87). 

1801.  —  Traité  de  Lunéville  entre  la  France  et 
l'Autriche  (pp.  504  et  1387). 

180.'.  —  Traité  d'Amiens  entre  la  France  et 
l'Angleterre  (pp.  504  et  1387).  . 

1814.  —  Traité  de  Paris,  entre  Louis  XVIII  et 
les  alliés  fp.  1217). 

1815.  —  Traités  de  Vienne  et  de  Pans  (pp.  93, 
1217,  1759).  .         ,        , 

1829.  _  Traité  d'Andrinople,  qui  arrête  les 
Russes  aux  portes  de  Gnnstantinople  fp.   1975). 

1841.  _  Traité  des  détroits,  relatif  à  laquestion 
d'Orient  (p.  12i9). 

185(;.  —  Traité  de  Paris,  qui  met  fin  à  la  guerre 
d'Orient  (p.  942). 

18,S9.  —  Traité  de  Villafranca,  qui  termine  la 
guerre  d'Italie  (p.  9'i3). 

18(;,;.  _  Traités  de  Prague  et  de  Vienne,  par 
lesquels  l'Autriche  cesse  de  faire  partie  de  FAlle- 
magne,  et  cède  la  Vcnétie  à  l'Italie  (pp.  94  et 
1080).  .        , 

1871.  —  Traité  de  Francfort,  qui  termine  la 
guerre  entre  la  France  et  l'Allemagne  (pp.  94 
et  1760). 


TRANSFORMISME 


—  2214  — 


TRANSFORMISME 


187S.  —  Traité  de  San-Stefano,  entre  la  Russie 
et  la  Turquie,  et  traité  de  Berlin,  réglant  la  ques- 
tion d'Oi-ient  (p.  11)70). 

TRANSFOBMISME.  —  Zoologie,  III;  Botani- 
que, I.  —  L'idée  que  les  formes  vivantes  ac- 
tuelles n'ont  cessé  de  se  transformer  depuis  l'ap- 
parition de  la  vie  sur  le  globe  jusqu'à  nos  jours, 
est  une  idée  ancienne,  bien  qu'elle  n'ait  reçu  que 
depuis  vmgt  ans  environ  une  forme  vraiment  scien- 
tifique. 

Sans  remonter  jusqu'à  l'antiquité,  où  on  pour- 
rait trouver  de  vagues  indications  relatives  à  une 
croyance  à  la  mutabilité  des  formes  vivantes,  Bacon, 
dans  sa  Nova  Atlmitis,  recommande  de  tenter  la 
métamorphose  des  organes  et  de  reclierclier  ex- 
périmentalement, en  les  faisantvarier  elles-mêmes, 
comment  les  espèces  se  sont  diversifiées  et  multi- 
pliées. Pascal  croit  que  les  êtres  vivants  n'étaient 
dans  leur  piincipe  que  des  individus  informes  et 
ambigus  dont  les  circonstances  au  milieu  desquelles 
ils  vivaient  ont  décidé  originairement  la  constitu- 
tion. 

Etienne-François  Geoffroy,  mort  en  1731,  traitait 
dans  sa  thèse  inaugurale  cette  question  :  ■■  L'homme 
a-t-il  commencé  par  être  ver?  »  Le  problème  de 
l'origine  des  êtres  vivants  était  donc  posé  bien 
avant  notre  époque.  On  ne  pouvait  poser  celui  de 
l'origine  des  espèces  avant  le  xviii'  siècle,  par  la 
bonne  raison  que  l'espèce  n'avait  jusqu'alors  reçu 
aucune  définition  précise  et  qu'il  ne  pouvait,  par 
conséquent,  être  question  de  savoir  si  elle  était  fixe 
ou  variable.  On  doit  considérer  Linné  comme 
le  naturaliste  qui  a  le  plus  fait  pour  imposer  la 
croyance  à  l'existence  d'une  série  de  formes  absolu- 
ment constantes,  se  perpétuant  depuis  l'origine  des 
temps.  0  Nous  comptons,  dit-il,  autant  d'espèces 
qu'il  est  sorti  de  couples  des  mains  du  Créateur.  » 
Définir  ainsi  l'espèce,  c'était  affirmer  hautement 
son  invariabilité.  Ciivier,  créateur  de  la  paléonto- 
logie, dut  modifier  les  vues  de  Linné  ;  il  démontra 
que  nombre  d'espèces  avaient  disparu  depuis  l'ori- 
gine des  temps,  mais  il  admit,  comme  Linné,  que 
colles  qui  restaient  étaient  immuables.  Les  natu- 
ralistes qui  soutiennent  aujourd'hui  cette  opinion 
donnent  au  mot  "  immuable  »  un  sens  que  nous 
aurons  à  définir. 

Malgré  l'influence  énorme  qu'exercèrent  sur  la 
science  Linné  et  Cuvicr,  l'opinion  que  les  formes  vi- 
vantes se  modifiaient  peu  à  peu  sous  des  influences 
diverses,  de  manière  à  ne  pouvoir  plus  être  ratta- 
chées au  même  type  spécifique,  conserva  dans  la 
science  d'illustres  partisans.  Ce  fut  la  base  même 
de  la  doctrine  de  Lamarck,  qui  consacra  à  la  dé- 
velopper un  ouvrage  mémorable,  la  Pliilosonhie 
:oo/ouiijue  ;  ce  fut  aussi  l'opinion  d'Etienne  Geof- 
froy-Saint-Hilaire  ;  mais  les  théories  de  ces  deux 
grands  hommes  différaient  entre  elles  par  quel- 
ques points  essentiels.  Lamarck  admettait  la  gé- 
nération spontanée  ;  il  pensait  que  des  êtres  vi- 
vants pouvaient  naître  sans  parents,  que  ces  êtres, 
d'abord  fort  simples,  mais  aptes  à  se  perfection- 
ner, étaient  l'origine  dé  tout  ce  qui  vit.  La  géné- 
lation  spontanée  s'exerçait  de  deux  façons,  ou  sur 
la  matière  inerte,  ou  sur  des  substances  prove- 
tiant  d'êtres  animés  déjà  par  la  vie.  Dans  le  pre- 
mier cas,  il  se  formait  des  organismes  de  très 
petites  dimensions  et  tout  à  fait  inférieurs  ;  dans 
ie  second,  des  organismes  plus  volumineux  et 
moins  imparfaits,  tels  que  les  helminthes  et  les 
autres  parasites  du  corps  des  animaux,  parasites 
dont  l'origine  était  inconnue  au  temps  de  La- 
narcket  dont  quelques  personnes  attribuaient,  il 
y  a  peu  de  temps  encore,  la  formation  aux  hu- 
meurs de  l'organisme.  Les  milieux  variables  où 
l'animal  était  appelé  à  vivre,  les  mouvements  lia- 
hituels  que  son  mode  d'existence  lui  imposait,  les 
efforts  mêmes  qu'il  faisait  pour  atteindre  ci'rlains 
résultats,  modifiaient  peu  à  peu  son  organisation. 


et  chaque  modification  nouvelle,  si  petite  qu'elle 
fût,  étant  transmise  par  voie  d'hérédité,  les  espè- 
ces s'éloignaient  de  plus  en  plus  de  leur  type  pri- 
mitif pour  n'y  revenir  jamais. 

GeofTroy-Saint-Hilaire  n'avait  pas  besoin  de  mo- 
difications aussi  profondes  pour  expliquer  l'origine 
des  êtres  vivants.  Une  idée  à  la  démonstration  de 
laquelle  il  consacra  toute  sa  vie  dominait  toute  sa 
doctrine.  Pour  lui,  les  animaux  étaient  tous  con- 
struits sur  le  même  type,  possédaient  tous  les 
mêmes  organes,  semblableinent  placés,  et  ne  difi'é- 
raient  que  par  le  nombre  des  parties  qui  les  com- 
posaient et  les  dimensions  relatives  de  leurs 
organes.  Cette  imili;  de  p'an  de  composition 
supposait  évidemment  que  tous  les  êtres  vivants 
avaient  été  créés  complexes  ;  leur  plan  de  struc- 
ture était  demeuré  le  même  et  n'avait  été  modifié 
que  dans  les  détails.  Ces  modifications,  Geoffroy 
les  attribuait  à  l'action  toute-puissante  du  milieu 
extérieur,  sans  s'expliquer  sur  les  procédés  parti- 
culiers qui  permettaient  aux  milieux  d'exercer  leur 
influence.  Il  supposait,  d'ailleurs,  que  cette  in- 
fluence avait  été  assez  grande,  non  seulement  pour 
tirer  les  crocodiles  actuels  des  grands  reptiles  de 
la  période  secondaire,  mais  encore  pour  faire  sortir 
le  type  oiseau  du  type  reptile. 

Les  systèmes  de  Lamarck  et  de  Geoffroy  avaient 
chacun  des  cotés  faibles.  Personne  n'admet  plus 
aujourd'liui  les  générations  spontanées  :  la  vie 
ieide  eni/enlre  la  vie  ;  si  les  habitudes  et  les  rai- 
lieux  ont  sur  l'organisme  une  action  bien  réelle, 
on  ne  saurait  faire  entrer  en  ligne  de  compte, 
avec  Lamarck,  pour  expliquer  le  long  cou  de 
la  girafe,  par  exemple,  le  désir  fréquent  éprouvé 
par  ranimai  d'atteindre  les  hautes  feuilles  des  ar- 
bres. D'autre  part,  l'unité  de  plan  de  composition 
du  règne  animal,  que  Geofl'roy  croyait  pouvoir 
conclure  de  ses  recherches  sur  les  animaux  ver- 
tébrés, ne  s'étend  pas  au-delà  de  cet  embranche- 
ments du  règne  animal.  Les  points  faibles  de  ces 
deux  doctrines,  rapidement  pénétrés  par  le  génie 
de  Cuvier,  jetèrent  le  discrédit  sur  l'ensemble  des 
idées  de  leurs  auteurs,  et  il  ne  fut  guère  question 
jusque  vers  ISôti  de  la  possibilité  d'une  modifica- 
tion graduelle  des  formes  vivantes. 

Avant  cette  époque,  tout  en  admettant  l'action 
modificatrice  des  milieux,  les  partisans  du  trans- 
formisme n'avaient  jamais  expliqué  d'une  façon 
précise  les  causes  du  renouvellement  graduel  des 
êtres  vivants.  Pourquoi  les  formes  anciennes  se 
sont-elles  éteintes  et  ont-elles  été  remplacées  par 
d'autres  ?  Pourquoi  celles-ci  semblent-elles,  en 
général,  plus  parfaites  que  celles  qui  les  ont  pré- 
cédées'? Pourquoi,  au  lieu  de  se  mélanger  de  tou- 
tes façons,  les  modifications  diverses  issues  d'une 
même  souche  se  perpétuent-elles  en  présentant 
un  degré  de  fixité  relative  qui  peut  faire  illusion 
et  faire  croire  à  une  fixité  absolue  'i  C'étaient  là 
des  questions  auxquelles  nulle  réponse  n'avait  été 
faite.  Ch.  Darwin,  dans  un  ouvrage  capital,  ['Ori- 
gine lies  espèces,  et  A.  R.  Wallace  y  répondirent  pres- 
que en  même  temps  d'une  manière  inattendue.- 
Un  district  donné  ne  contenant  qu'une  quantité 
de  nourriture  déterminée,  tous  les  animaux  qui 
l'habitent  entrent  en  lutte  pour  se  partager  les 
aliments  dès  que  la  quantité  de  ceux-ci  n'est  plus 
(|ue  juste  suffisante  pour  les  nourrir  tous.  Cette 
l,itle  pour  la  i  ie  est  d'autant  plus  âpre  qu'elle  a 
lieu  entre  animaux  plus  voisins  :  le  triomphe, 
c'est-à-dire  la  prolongation  de  l'existence,  n'est 
pas  un  simple  accident  ;  il  est  nécessairement  le 
partage  des  mieux  doués  ;  ceux-ci  sont  donc  l'ob- 
jet d'un  choix  qui  se  fait  en  quelque  sorte  de  lui- 
même,  dune  sélection  nallirelle  grâce  à  laquelle 
ils  deviennent  les  principaux  reproducteurs  de 
leur  espèce.  Mais  la  sélection  est  elle-même  le  ré- 
sultat de  quelque  variation  avantageuse  qui  a 
amené  le  triomphe  dans  la  lutte  pour   la  vie  de 


TRANSFORMISME        —  2215  —        TRANSFORMISME 


l'individu  clioisi.  Ces  variations  sont  transmises  par 
ce  dernier  h  son  descendant  :  elles  s'accentuent  à 
cliaque  g(in(^ration,  siiparant  de  plus  en  plus  la  race 
privilégiée  de  l'espace  mère,  qui  finit  par  disparaître 
dans  les  localités  où  la  lutte  est  le  plus  ardente. 
Le  type  dérivé,  ainsi  isolé,  s'accentue  de  plus 
en  plus,  et  il  devient  finalement  incapable  de  re- 
venir à  la  sourlie  dont  il  s'est  détaché  et  do  se 
mélanger  avec  elle. 

Darwin  a  complété  l'exposé  de  sa  doctrine  dans 
de  nombreux  ouvrages.  S'appuyant  sur  ce  qu'un 
grand  nombre  d'animaux  sont  évidemment  char- 
més par  les  couleurs  brillantes,  le  chant  harmo- 
nieux, ou  même  par  les  mouvements  élégants  de 
leurs  semblables ,  Darwin  attribue  ;\  toutes  ces 
séductions  une  part  dans  le  choix  des  individus 
reproducteurs.  Cette  sélection  se.rnel/e  aunit, 
pense-t-il,  fortement  contribué  au  développement 
de  tout  ce  qui  semble,  dans  le  régne  animal,  du 
ressort  de  l'esthétique. 

La  sélection  naturelle  et  la  sélection  semelle  ne 
sont  pas  simplement  des  liypothèses  :  tout  le 
monde  est  d'accord  pour  en  reconnaître  la  réalité. 
Mais  on  diffère  à  leur  égard  sur  deux  points  :  les 
ons  soutiejinent  que  si  elles  peuvent  contribuer 
à  développer  et  à  conserver  des  caractères  nou- 
veaux, elles  ne  sauraient  conduire  deux  races  is- 
sues d'une  même  souche  à  s'éloigner  au  point  de 
former  deux  espèces  distinctes  ;  d'autres  pensent 
<]u'on  ne  saurait  les  considérer  comme  les  seuls 
cléments  modificateurs,  et  demandent  quelles  sont 
les  causes  premières  des  variations  qu'elles  con- 
sacrent, quelles  sont  les  causes  des  différences  si 
profondes  que  l'on  observe  entre  les  animaux, 
différences  telles  que  chez  les  uns  les  parties  du 
corps  rayonnent  ai.iour  d'un  centre,  tandis  que 
chez  les  autres  elles  sont  disposées  en  série 
rectiligne  ? 

La  première  de  ces  objections  suppose  qu'on  ait 
trouvé  un  caractère  distinctif  bien  net  de  l'espèce  ; 
nous  verrons  tout  à  l'heure  ce  qui  en  est.  Quant 
à  la  seconde,  Darwin  a  admis  les  variations  sans 
se  préoccuper  de  leurs  causes,  et,  expliquant  la 
formation  des  espèces  dans  un  groupe  donné,  n'a 
pas  cherché  à  reconnaître  l'origine  des  grands 
types  du  règne  animal.  Il  faut,  en  efTPt,  pour  pé- 
nétrer plus  profondément  dans  le  mécanisme  de 
la  formation  de  ces  types,  avoir  recours  h  un  autre 
principe  que  celui  de  la  lutte  pour  l'existence,  qui 
lui  est,  en  apparence,  opposé,  et  qu'on  peut  appeler 
le  pri?icipe  d'associafion. 

■Tous  les  êtres  organisés  sont  des  sociétés  de 
particules  vivantes,  jouissant  les  unes  par  rapport 
aux  autres  d'une  certaine  indépendance.  Ces  ])ar- 
ticules,  qu'on  appelle  d'une  manière  générali;  des 
plnstide.i,  ou,  en  forçant  la  signification  de  ce  der- 
nier mot,  des  cellules,  peuvent  être  transplantées 
d'un  individu  à  un  autre,  comme  cela  a  lieu  dans 
les  greffes  animales  ou  végétales,  et  continuer  à 
vivre  malgré  cela  ;  elles  témoignent  ainsi  qun  leur 
•existence  n'est  nullement  liée  d'une  façon  indis- 
soluble à  celle  de  l'individu  qu'elles  contribuent 
à  constituer,  et  ne  l'est  pas  davantage  à  celle  des 
plastidcs  ou  cellules  qui  les  avoisinent.  Cette  con- 
stitution se  retrouve  chez  les  animaux  lesplussim- 
ples  aussi  bien  que  chez  l'homme  ;  seulement, 
dans  les  formes  inférieures,  le  nombre  des  plas- 
tides  associés  diminue,  et  l'on  arrive  enfin  :\  des 
•êtres  qui  ne  sont  formés  que  d'un  seul  plastide. 
•Les  plaslidea,  étant  les  éléments  constituants  des 
animaux  et  des  végétaux,  sont  souvent  désignés 
•sous  le  nom  d'éléments  anatomiques. 

Les  plastides  se  nourrissent,  grandissent  et  meu- 
vent, vivent  en  un  mot  exactement  comme  les 
*tres  qu'ils  constituent  ;  ils  ne  dépassent  que  fort 
rarement  dans  leurs  dimensions  quelques  dixièmes 
de  millimètre,  et  se  divisent,  dès  que  cette  taille 
<;st  atteinte,  soit  en  deux, soit  en  plusieurs  parties. 


Il  peut  alors  se  présenter  deux  cas  :  nu  bien  les 
parties  nées  les  unes  des  autres  se  séparent  immé- 
diatement, ou  bien  elles  demeurent  unies.  Dans 
le  premier  cas,  les  plastides  successivement  formés, 
demeurant  toujours  isolés,  ne  produisent  que  des 
organismes  monocellulaires  tels  que  les  monores, 
beaucoup  de  rluzopodes,  d'infusoires,  d'algues  et 
de  champignons  microscopiques.  Dans  le  second 
cas,  un  organisme  complexe  se  constitue:  il  pré- 
sente généralement  une  forme  déterminée  ;  les 
éléments  anatomiques  qui  le  composent  prennent 
des  formes  et  des  fonctions  différentes,  et  le  plas- 
tide qui  leur  a  servi  de  point  de  départ  commun 
n'est  autre  chose  que  ce  qu'on  appelle  un  œuf. 
Beaucoup  d'épongés,  de  polypes,  de  vers  ne  s'élè- 
vent pas  au-dessus  de  ce  degré  d'organisation.  Mais 
la  plupart  de  ces  organismes  simples  possèdent 
une  importante  propriété  :  lorsqu'ils  ont  atteint 
une  certaine  taille,  au  lieu  de  continuer  à  grandir, 
ils  produisent,  sur  une  partie  de  leur  corps,  par 
une  siirte  de  bourgeonnement,  un  individu  sem- 
blable à  eux-mèmos  qui  pi'ut  se  détacher  et  vivre 
d'une  vie  indépendante.  Ce  mode  de  re|)roduction, 
que  l'on  observe  d'une  manière  très  générale  chez 
les  animaux  inférieurs  et  chez  les  plantes,  concur- 
remment avec  la  génération  sexuée,  est  ce  qu'on 
appelle  la  reproduction  pur  tjourgeonnement,  la 
reproduction  par  division,  la  génération  agame, 
ou  d'un  seul  mot,  la  métagénèse. 

La  métagénèse  s'exerce  de  deux  façons  diffé- 
rentes. Dans  les  organismes  fixés,  les  nouveaux 
individus  peuvent  se  produire  en  un  point  quel- 
conque du  corps  de  leur  parent  :  c'est  ce  qu'on 
observe  chez  les  hydres  d'eau  douce,  chez  tous 
les  polypes  marins,  chez  les  éponges,  etc.,  et  aussi 
chez  les  végétaux.  Dans  les  organismes  libres,  et 
notamment  chez  ceux  qui  rampent  sur  le  sol,  c'est 
seulement  à  la  partie  postérieure  du  corps  que  se  for- 
ment les  nouveaux  individus,  dontl'eiisemblepeut 
ainsi  constituer  des  chaînes  plus  ou  moins  allongées. 
Il  peut  encore  arriver,  dans  les  doux  cas,  que  les 
individus  nés  les  uns  des  autres  par  métagénèse 
S'^  séparent  dès  que  leurs  principaux  organes  se 
sont  formés,  ou  bien  qu'ils  dcmimrent  unis  : 
dans  le  premier  cas  ,  toute  évolution  ultérieure 
se  trouve  arrêtée.  Dans  le  secojid ,  les  individus 
qui  demeurent  associés  prennent  le  plus  souvent 
des  fofictions  et  des  aspects  différents  :  les  uns 
deviennent  des  individus  nourriciers  ,  d'autres 
(les  iniliuidiis  prélieiisem's,  d'autres  des  individus 
ri'i  ro'hicteurs.  Comme  l'avait  signalé  M.  Milne- 
lîdwardsdès  I8'.'6,  il  se  fait  ainsi  entre  ces  différents 
individus  une  division  du  travail  physiulogiijue 
nécessaire  à  l'existence  de  la  colonie,  et  des 
•  changes  s'établissent  entre  les  divers  individus 
associés;  tous  profitent,  comme  dans  les  sociétés 
humaines,  du  travail  de  chacun.  Mais  cette  divi- 
sion du  travail  et  les  échanges  qui  en  résultent 
établissent  nécessairement  un  lien  éiroit,  une  so- 
lidarité de  plus  en  plus  grande  entre  les  mem- 
bres d'une  même  société,  d'une  mémo  colonie  ; 
cette  colonie  nous  apparaît  alors  comme  un  tout 
indivisible,  comme  un  individu  d'ordre  supérieur. 
Les  siphonophores  sont  ainsi  tout  à  la  fuis  des 
individus  autonomes  et  des  colonies  de  polypes 
hydraires,  les  pyrosomcs  des  colonies  di;  tuniciers, 
les  ténias  ou  vers  solitaires  des  colonies  de  tré- 
matodes,  etc. 

Les  colonies  fixées,  étant  composées  d'individus 
irrégulièrement  placés  les  uns  par  rapport  aux 
autres,  sont  très  souvent  arborescentes.  Que  les 
individus  constituant  un  môme  rameau  soient 
amenés,  p.ir  une  cause  quelconque,  i  se  rapprocher 
les  uns  des  autres  :  de  même  que  chez  les  végé- 
taux les  feuilles  ainsi  rapprochées  constituetit  UQ 
organe  rayoïmé,  la  fleur,  de  même  ces  individus 
formeront  un  organisme  rayonné  qui  pourra  de- 
meurer adhérent  à  la  colonie  ou  s'en  séparer.  On 


TRANSFORMISME        —  2216 


TRANSFORMISME 


trouve  tous  les  Intermc^diaires  entre  ces  cas  ex- 
trêmes dans  les  colonies  de  polypes  liydraires,  et 
les  animaux  rayonnes  formés  par  ce  procédé  sont 
les  méduses  et  les  polypes  coralUaives.  Les  étoi- 
les de  mer,  les  oursins  et  les  autres  échinodermes 
ont  une  origine  analogue,  mais  dont  la  trace  est 
aujourd'liui,  nous  verrons  bientôt  pourquoi,  en 
grande  partie  effacée.  Les  animaux  rayonnes  sont 
donc  des  organismes  composés  formés  sur  des 
colonies  arborescentes  à  la  manière  des  fleurs  sur 
les  végétaux. 

Les  colonies  libres  dont  les  individus  sent  pla- 
cés bout  à  bout  et  que  l'on  peut,  pour  cette  raison, 
appeler  des  colonies  linéaires,  subissent  un  autre 
genre  de  modification.  Ainsi  que  le  faisait  remar- 
quer, dans  ses  cours  de  lS65,M.deLacaze-Dulliicrs, 
la  solidarité  naît  plus  facilement  que  partout 
ailleurs  dans  de  telles  colonies.  Le  premier  indi- 
vidu iormé,  celui  qui  produit  tous  les  autres  par 
métagcnèse,  se  spécialise  de  manière  à  garder 
pour  lui  la  bouche  et  les  organes  des  sens,  dont 
on  retrouve  cependant  des  traces  sur  ses  compa- 
gnons dans  un  assez  grand  nombre  de  cas.  Seul 
ou  associé  à  quelques  individus  qui  le  suivent 
immédiatement,  il  constitue  ce  que  nous  sommes 
convenus  d'appeler  une  tète.  Tous  les  vers  an- 
nclés,  tous  les  ani.Tiaux  articulés  doivent  leur  ori- 
gine à  de  semblables  colonies,  et  beaucoup  d'entre 
eux  naissent  encore  réduits  à  leur  premier  anneau, 
réduits  à  leur  tète  ;  chez  les  vers  annelés,  ce  pre- 
mier individu  est  la  larve  connue  sous  le  nom  de 
trochosphère  ;  chez  les  animaux  articulés,  c'est  le 
nauplius,  forme  larvaire  commune  !i  tous  les  crus- 
tacés inférieurs  et  à  quelques-uns  des  plus  élevés. 
Des  découvertes  récentes  ont  montré  que  les  ver- 
tébrés eux-mêmes  sont  des  animaux  formés  de 
segments  placés  bout  h  bout,  et  peuvent,  en  con- 
séquence, être  rattachés  à  ce  genre  de  colonies. 

Dans  toutes  les  colonies  où  s'établit  ainsi  une 
solidarité  plus  ou  moins  étroite,  dans  toutes  les 
colonies  qui  s'indii-idualisent,  on  observe  un  fait 
constant.  La  métagéiièse  tend  à  se  produire  de 
plus  en  plus  tôt;  elle  arrive  même  à  se  manifester 
avant  que  le  premier  individu  formé  ait  quitté  les 
enveloppes  de  l'œuf;  flnaleniont,  l'œuf  produit 
directement  non  plus  le  premier  individu  d'une 
colonie,  mais  la  colonie  tout  entière  avec  ses  ca- 
ractères définitifs.  On  peut  suivre  toutes  les  pliases 
de  ce  phénomène,  que  nous  désignerons  sous  le 
nom  d'accélération  métagcnésiqiie,  dans  les  colo- 
nies de  polypes  hydraires,  où  il  conduit  h  la  for- 
mation directe,  dans  l'œuf,  de  méduses  qui  n'ont 
jamais  été  fixées  ;  chez  les  échinodermes,  où  la 
phase  fixée  est  généralement  sautée,  la  forme  libre 
apparaissant  d'emblée  ;  chez  les  ascidies  composées, 
chez  les  vers  annelés,  chez  les  crustacés.  On  est 
ainsi  amené  i  s'expliquer  comment  les  insectes 
sortent  de  l'œuf  avec  tous  leurs  anneaux,  et  à 
rendre  compte  des  traits  généraux  du  développe- 
ment des  animaux  vertébrés. 

Ce  pliènomène  de  l'accélération  métagénésique, 
dont  nous  pouvons  constater  encore  les  effets  à 
divers  degrés,  explique  et  précise  le  sens  de  cette 
proposition  générale  énoncée  par  Fritz  Jluller,  et 
qui  a  donné  à  l'embryogénie,  dans  ces  derniers 
temps,  tine  importance  exceptionnelle  :  Vemljnjn- 
gcnie  d'un  animal  donné  n'est  que  la  répétition 
brève  et  rapide  des  phases  qu'a  traversées  son  es- 
pèce, itepiiis  l'origine  des  temps, pour  arriver  à  sa 
forme  actuelle. 

La  théorie  que  nous  venons  de  résumer  indique 
pourquoi  il  existe  des  animaux  rayonnes,  pourquoi 
il  existe  des  animaux  articulés,  et  contient  une  ex- 
plication générale  des  phénomènes  embryogéni- 
ques.  Elle  est  fondée  sur  une  conception  de  l'indivi- 
dualité développée  déjà  en  1831  par  Dugès  dans 
son  Mémoire  sur  la  conformité  orgnnique,  modi- 
fiée par  Hteckel  dans  sa  Morphologie  générale  des 


organismes,  et  à  laquelle  nous  avons  donné  une 
forme  et  des  développements  nouveaux  dans  notre 
ouvrage,  les  Colonies  animales  et  lu  foi  motion  des 
organismes.  Elle  comble  à  beaucoup  d'égards  les 
lacunes  que  la  théorie  de  la  sélection  naturelle 
laissait  dans  l'explication  de  l'évolution  graduelle 
des  êtres  vivants.  Elle  n'est  pas  indissolublement 
liée  au  sort  du  transformisme,  elle  groupe  un 
grand  nombre  de  faits  indépendamment  de  toute 
hypothèse  sur  l'origine  des  êtres  viNants  ;  mais 
l'évolution  du  règne  animal  étant  admise,  elle  in- 
dique les  voies  nécessaires  que  cette  évolution 
a  suivies  et  montre  quels  sont  les  êtres  entre 
lesquels  il  est  possible  de  trouver  des  liens  de  pa- 
renté. 

Mais  une  question  se  pose  maintenant.  Si  les 
êtres  vivants  ont  subi  des  transformations,  on  doit 
pouvoir  établir  à  l'aide  des  débris  des  animaux 
fossiles  les  étapes  successives  qu'a  présentées  leur 
évolution.  Cette  étude  a  déjà  fourni  des  résultats 
généraux  intéressants;  nous  allons  essayer  de  ré- 
sumer rapidement  ceux  qui  sont  relatifs  aux  ver- 
tébrés. 

Les  oiseaux  forment  dans  la  nature  actuelle  un 
groupe  complètement  isolé,  et  l'on  ne  pouvait 
avoir,  il  y  a  quelques  années  encore,  aucune  don- 
née positive  sur  leurs  origines.  La  forme  de  leur 
crâne,  l'absence  de  dents  à  leurs  mâchoires,  leur 
bec,  la  brièveté  de  leur  queue  remplacée  par  un 
croupion,  la  constitution  du  squelette  de  leurs 
pattes,  leurs  ailes,  leurs  plumes  en  faisaient  des 
êtres  tout  à  fait  à  part.  La  découverte  dans  les 
schistes  de  Solenhofen  d'un  oiseau,  r.4rc/i<ïo/j/«7/j;, 
pourvu  d'une  longue  queue,  semblable  à  celle 
d'un  lézard,  étonna  beaucoup  ;  on  a  depuis  retrou- 
vé le  squelette  presque  entier  de  cet  oiseau  :  la 
charpente  de  ses  ailes  est  celle  de  véritables  pat- 
tes terminées  par  des  doigts  munis  d'ongles;  ses 
mâchoires  présentent  des  traces  de  dents,  et  plu- 
sieurs autres  partiesde  son  squelette  l'auraient  fait 
sans  aucun  doute  considérer  comme  un  lézard  s'il 
n'avait  été  trouvé  muni  de  plumes.  On  a  découvert 
dans  les  couches  de  la  craie  d'Amérique  d'autres 
espèces  d'oiseaux  pourvus  de  dents,  tels  quel'/cA- 
tliyiirnis  et  VHnsperoryiii .Pa.rxm  les  reptiles  vrais, 
les  Ptérodactyles,  qui  avaient  des  ailes  membra- 
neuses, présentent  plusieurs  caractères  que  l'on 
ne  retrouve  que  chez  les  oiseaux,  et  le  groupe 
entier  des  Dinosauriens,  dont  les  uns  étaient  relati- 
vement petits,  comme  les  Lœlaps,  tandis  que  d'au- 
tres, tels  que  les  Iguanodon,  avaient  une  taille  gi- 
gantesque, est  formé  d'animaux  qui,  sans  pouvoir 
voler,  marchaient  debout  sur  leurs  pattes  de  der- 
rière à  la  façon  des  oiseaux,  et  dont  le  bassin  présen- 
tait les  traits  caractéristiques  de  celui  de  ces  der- 
niers. Les  deux  groupes  des  oiseaux  et  des  rep- 
tiles se  rapprochent  donc  considérablement,  et  il 
devient  vraisemblable  que  les  premiers  sont  issus 
des  seconds. 

L'origine  des  premiers  mammifères  est  demeu- 
rée à  peu  près  complètement  inconnue  ;  mais  dans 
l'étendue  de  cet  ordre,  qui  paraît  s'être  épanoui 
surtout  pendant  la  période  tertiaire,  les  passages 
les  plus  gradués  ont  été  trouvés  entre  les  diver- 
ses familles.  Les  Adapis  sont,  par  exemple,  inter- 
médiaires entre  les  lémuriens  et  les  pachydermes. 
Dans  ce  dernier  groupe,  on  possède  une  série  de 
formes  qui  s'échelonnent  graduellement  des  Pa- 
lœotheriiim  aux  Ancliitlieriuin  et  aux  tapirs  d'une 
part,  aux  llipparion  et  aux  chevaux  de  l'autre.  Des 
pachydermes,  le  passage  aux  ruminants  s'établit 
d'une  façon  également  insensible  :  les  CsenoVie- 
rinm  présentent  des  caractères  qui  peuvent  faire 
hésiter  sur  leur  véritable  place,  et  des  liens  mul- 
tiples unissent  les  ruuiinants  et  les  porcins. 

Dans  l'ordre  des  carnassiers,  les  recherches- 
faites  à  St-Gérand  le  Puy  et  dans  les  phospho- 
rites  du  Quercy  ont  donné  à  M.  Filhol  des  résul- 


! 


TRANSFORMISME 


—  2^17  — 


TRANSFORMISME 


tats  analosiics.  Ce  savant  a  pu  établir  qu'il  a  existé 
unf!i'aiii'  iioiiihri!  de  formfs  intermédiaires  entre 
les  iiurs  II  l.'s  cliiens,  les  chiens  et  les  civettes,  les 
civeiiis  rt  lus  Ijyèiies,  les  civettes  et  les  martres, 
les  niarircs  l't  les  chats. 

11  est  bien  (liflicile  de  contester  que  l'hypothèse 
du  tniiisliirniisnie  rond  parfaitement  compte  de 
la  nniltiplicilé  des  liens  que  l'étude  des  animaux 
fossiles  nous  révèle.  Dans  quelques  cas  on  a  pu  aller 
plus  loin,  et  suivre  la  généalogie  d'une  espèce  dé- 
terminée. 

On  pr'ut  donc  considérer  comme  rendue  extrê- 
mement probable  par  la  paléontologie  l'hypotlièse 
que  les  formes  vivantes  actuelles  descendent  de 
formes  fossiles  difl'érentes  qui  ont  aujourd'hui  dis- 
paru. 

Doit-on  admettre  d'ailleurs  que  les  animaux 
étaient  autrefois  plus  variables  qu'aujourd'hui? 
Clela  n'est  pas  nécessaire.  I,n  nniUipliiité  des  for- 
mes diverses  que  nous  ont  fournies  nos  animaux 
domestiques  témoigne  que  les  êtres  vivants  ont 
encore  conservé  une  grande  mobilité  do.formes.On 
l'ait,  il  est  vrai,  remarquer  que  si  ces  êtres  nous  ont 
fourni  des  races  nombreuses,  ils  n'ont  produit  au- 
cune espèce  nouvelle,  et  qu'il  en  est  de  même  pour 
les  espèces  sauvages.  Il  est  donc  essentiel  de  re- 
chercher ce  qu'on  entend  par  espèce  et  par  race. 
Quand  les  animaux  d'espèces  différentes  s'accou- 
plent entre  eux,  leur  union  est  souvent  inféconde; 
quand  elle  est  féconde,  les  hybrides  qui  en  naissent 
sont  ordinairement  stériles  lorsqu'on  les  unit  en- 
tre eux  ;  s'ils  sont  féconds,  leur  progéniture,  au 
lieu  de  présenter  des  caractères  intermédiaires 
aux  deux  espèces,  varie  d'une  façon  désordonnée 
et  finit  par  revenir  à  l'une  d'elles. 

Quand  deux  individus  de  race  différente,  mais 
de  môme  espèce,  s'unissent  entre  eux,  leur  union 
est  féconde  ;  il  en  naît  des  métis  indéfiniment 
féconds,  et  dont  la  progéniture  peut  conserver  les 
caractères  intermédiaires  de  leurs  parents. 

On  remarquera  combien  ces  distinctions  sont 
délicates.  Entre  des  hybrides  indéfiniment  féconds, 
comme  ceux  qui  proviennent  des  lièvres  et  des  la- 
pins,et  de  simples  métis.la  seule  différence  est  dans 
le  retour  au  type  lapin  et  au  type  lièvre  que  l'on  cons- 
tate au  bout  de  quelques  générations.  Sans  recher- 
cher si  ce  retour  ne  pourrait  pas  être  empêché,  s'il 
ne  tient  pas  aux  conditions  de  milieu,  par  exemple, 
il  y  a  lieu  de  rappeler,  comme  l'a  établi  M.  t^anson 
pour  nos  animaux  domestiques,  que  la  variation 
désordonnée  et  le  retour  aux  types  primitifs  s'ob- 
servent dans  tous  les  croisements  d'individus  de 
race  différente,  à  ce  point  que  les  races  intermédiai- 
res ne  peuvent  se  conserver.  Cela  fait  disparaître 
toute  différence  physiologique  entre  les  races  et 
l'espèce.  De  plus,  de  bons  observateurs.  Riitimeyei' 
entre  autres,  soutiennent  que  nos  bœufs  et  nos 
chiens  proviennent  de  plusieurs  espèces  sauvages 
qui,  réduites  séparément  à  la  domesticité,  se  se- 
raient ensuite  complètement  fusionnées  :  inverse- 
ment, on  affirme  que  le  chat  domestique  du  Para- 
guay, issu  de  noire  chat  domestique,  ne  donne  plus 
avec  lui  de  produits  féconds  ;  notre  lapin  sauvage 
porté  îi  l'île  de  Porto-Santo,  au  xV  siècle,  ne  peut 
plus  s'unir  aux  lapins  européens  ;  il  en  est  de  mê- 
me du  cochon  d'Inde  d'Europe  et  de  la  souche  de- 
meurée sauvage  au  Brésil.  Si  ces  faits  sont  bien  con- 
statés, ils  corroborent  l'absence  do  toute  distinction 
physiologique  entre  la  race  et  l'espèce  ;  mais  nous 
avons  déjà  vu  que  le  caractère  de  l'espèce  tiré  des 
croisements  ne  saurait  subsister  devant  les  obser- 
vations récentes. 

Les  races,  maintenues  dans  certaines  conditions 
constantes,  préservées  de  tout  mélange  entre  elles, 
peuvent  donc  s'élever  au  rang  d'espèces.  Les  con- 
ditions d'isolement  qui  favorisent  cette  transfor- 
mation se  trouvent  particulièrement  réalisées 
dans  les  îles  et  dans  les  lacs.  On  constate,  en  effet, 


que  dans  toutes  les  îles  de  quelque  étendue,  dans 
tous  les  lacs  quelque  peu  considérables,  il  existe 
des  espèces  particulières.  Mais  ce  n'est  pas  seule- 
ment dans  ces  conditions  que  se  forment  les  es- 
pèces nouvelles,  et  dans  ses  études  sur  la 
distribution  géographique  des  animaux  des  ré- 
gions australes,  M.  Alph.  Milne-Edvvards  a  pu  re- 
constituer la  généalogie  des  diverses  espèces  do 
manchots,  qui  sont  des  oiseaux  à  ailes  rudi- 
meniaires.  La  même  chose  a  été  faite  pour  les 
phoques. 

La  science  est  donc  en  possession  d'un  ensemble 
considérable  de  faits  qui  s'expliquent  aisément  en 
admettant  que  les  formes  vivantes  peuvent  se 
modifier  profondément  et  produire  des  séries  d'es- 
pèces liées  généalogiquement  les  unes  aux  autres. 
Mais  cette  évolution  s'accomplit  suivant  des  loi& 
déterminées.  Toutes  les  transformations  ne  sont 
pas  possibles. 

Il  serait  absurde  de  croire  que  le  transformisme 
suppose  qu'un  oiseau  ait  pu  jamais  devenir  mam- 
mifère ou  qu'un  vertébré  ait  pu  provenir  d'un 
mollusque;  l'anatomie  comparée  et  l'embryogénie, 
unies  ii  la  considération  des  conditions  d'existence 
et  à  la  paléontologie,  ont  permis  d'établir  assez, 
nettement  quelles  sont  les  séries  de  formes  entre 
lesquelles  il  a  pu  exister  un  lien  généalogique  et 
que  l'on  peut  supposer  issues  de  parents  communs. 
Il  serait  plus  absurde  encore  de  croire  que  le 
transformisme  admette  la  possibilité  de  la  méta- 
morphose subite  d'une  espèce  dans  une  autre.  Ces 
changements  demandent  du  temps,  et  nous  igno- 
rons combien.  Sans  doute  dans  cette  grande  doc- 
trine de  nombreuses  obscurités  subsistent  encore; 
mais  c'est  h  l'avenir  de  le^  faire  disparaître,  et  ce 
que  nous  venons  de  dire  snflit  à  montrer  combien 
sont  actuellement  solides  ses  bases  scientifiques, 
[lidmond  Perrier.] 

TRArÈZli:.  —  V.  Polygones. 

TRAVAIL.  —  Hygiène,  XIII.  —  Chaque  mou- 
vement de  la  machine  humaine  nécessite  une 
force.  Or  la  force  n'existe  toute  faite  nulle  part, 
il  faut  la  produire,  c'est-à-dire  y  employer  quel- 
que chose.  Dans  la  machine  à  vapeur,  nous  brû- 
lons de  la  houille  dont  la  chaleur  se  transforme 
en  force  mécanique  :  dans  une  machine  bien 
construite,  la  quantité  de  force  obtenue  est  pro- 
portionnelle au  poids  de  combustible  employé. 
Dans  le  corps  humain,  la  production  de  la  force 
résulte  aussi  d'une  combustion,  mais  le  combusti- 
ble commence  par  s'incorporer  au  mécanisme,  de 
sorte  que,  dans  chaque  partie  de  notre  corps, 
c'est  l'instrument  qui  se  consuine  à  mesure  qu'il 
a^it.  Il  ne  s'use  pas  seulement  à  la  surface, 
comme  les  outils  de  nos  ateliers  ;  c'est  toute  sa 
substance,  toute  sa  masse  qui  se  décompose  et  se 
brûle. 

Mais  cette  usure  de  l'outil  humain  par  le  tra- 
vail n'est  qu'une  accélération  de  l'usure  conti- 
nuelle qui  constitue  son  existence  même.  Vivre, 
c'est  s'user,  c'est  brûler.  Travailler,  exercer  les  or- 
ganes, c'est  vivre  un  peu  plus  fort,  s'user  plus 
vite,  brûler  plus  activement.  La  vie  ne  continue 
que  par  le  remplacement  de  chaque  molécule  dis- 
parue :  la  vie  rendue  plus  active  par  l'exercice, 
par  le  travail,  exige  un  remplacement  plus  rapide, 
une  consommation  d'aliments  proportionnelle  à  la 
quantité  de  tissus  dépensée,  de  chaleur  produite, 
de  force  obtenue. 

Après  avoir  consominé  la  quantité  d'aliments 
combustibles  et  plastiques  nécessaire  à  l'entretien 
de  la  vie,  c'est-à-dire  une  ration  d' entretien,  nous 
devons  donc  y  ajouter  une  ration  de  travail  pro- 
portionnelli^  à  la  force  mécanique  dont  nous  vou- 
lons disposer.  Faute  de  cette  précaution,  nous 
emploierons  coiiim(!  source  de  force  une  partie 
de  nos  tissus,  muscles,  graisse,  et  au  bout  de 
très  peu  de  teiups  la  portion  dont  ils  peuvent  dis- 


TRAVAIL 


2218  — 


TRAVAIL 


poser  impunément  se  trouvant  épuisée,  nous  en 
serons  averiis  par  la  fatigue,  la  faiblesse,  la  dou- 
leur, l'impuissance. 

Les  mécanismes  les  plus  parfaits  créés  par 
l'homme  se  détériorent  par  l'effet  des  agents  ex- 
térieurs, s  ils  demeurent  inaclifs;  s'ils  fonction- 
nent, ils  se  détruisent  graduellement  par  l'usure 
des  matériaux.  La  machine  humaine,  au  contraire, 
se  renouvelant  à  cliaque  instant  dans  tout  son 
en.semble,  conserve  indéfiniment  ses  puissances. 
Bien  plus,  l'activité  régulière  de  sa  rénovation 
assure  la  plénitude  de  sa  force  et  la  continuité 
presque  indéfinie  de  son  existence.  Pour  elle,  tra- 
vailler, c'est  gagner  en  puissance,  en  précision 
et  en  durée. 

Tels  sont  les  principes  qui  régissent  les  ques- 
tions de  l'exercice  et  du  travail.  Faute  de  s'en 
bien  pénétrer  et  de  les  mettre  régulièrement  en 
pratique,  la  plupart  des  hommes  restent  fort  au- 
dessous  du  développement  normal  de  leurs  forces 
corporelles,  intellectuelles  et  morales.  Combien 
se  rendent  compte  même  de  ce  que  l'exercice 
régulier,  systématique  et  harmonieux  de  nos  fa- 
cultés produirait  de  bien  pour  l'individu  et  pour 
les  collectivités? 

Ne  considérons,  pour  le  moment,  que  la  force 
physique.  Tout  muscle  exercé  augmente  en  vo- 
lume, en  densité,  en  énergie.  La  gymnastique 
raisonnée,  Venlminemenl,  produisent  ce  résultat 
chez  tout  homme  sain.  Quelques  sujets  sont  doués 
d'une  disposition  spéciale  à  cet  accroissement 
graduel  des  forces  sous  la  double  influence  d'un 
exercice  progressif  ou  bien  soutenu  et  d'un  régime 
suffisamment  réparateur,  l'armi  ceux-là  se  recru- 
taient les  anciens  athlètes.  Ce  sont  eux  qui  four- 
nissent encore  les  lutteurs,  les  boxeurs,  les  her- 
cules des  exhibitions  publiques.  De  tout  temps 
les  Anglais  ont  excellé  dans  l'art  de  développer  la 
force  musculaire.  C'est  chez  eux  qu'on  a  vu  les 
phénomènes  les  plus  remarquables. 

L'exercice  systématique,  le  travail  régulier  au- 
quel participe  tout  le  corps,  entretiennent  l'éner- 
gie vitale,  la  prompte  élimination  des  résidus  de 
nos  organes  et  leur  parfaite  rénovation,  la  lucidité 
de  l'esprit,  la  sûreté  du  jugement,  la  moralité 
des  habitudes,  la  délicatesse  des  impressions. 
Dans  quelque  condition  qu'il  soit  placé,  l'homme 
se  trouve  donc  préparé  à  bien  remplir  sa  tâche 
et  à  jouir  pleinement  du  bienfait  de  la  vie.  Il  est 
entendu  qu'il  doit  se  borner  au  développement 
normal  des  formes  et  des  forces  du  corps,  sans  se 
proposer  de  devenir  un  hercule.  iVIais  il  est  bon 
qu'il  ail  en  réserve  un  certain  excédent  de  puis- 
sance pour  les  cas  imprévus,  pour  les  cmps  de 
collier,  les  efl'orts  que  la  volonté  n'exigerait  pas 
impunément  d'un  corps  mal  préparé.  Tout  excès  de 
travail  est  suivi  d'une  réaction  pendant  laquelle 
le  corps,  privé  de  ses  matériaux  combustibles,  se 
refroidit  aisément,  se  trouve  sans  défense  contre 
les  intempéries,  absorbe  facilement  les  miasmes 
dangereux.  C'est  ainsi  que  la  fatigue  prédispose 
à  la  maladie.  On  a  vu  des  régiments  entiers, 
hommes  et  chevaux,  succomber  en  même  temps 
aux  suites  d'une  marche  forcée. 

Toutefois,  s'il  fallait  choisir  entre  l'excès  de  tra- 
vail et  l'excès  do  paresse  corporelle,  il  vaudrait 
mieux  courir  les  chances  mauvaises  d'un  exercice 
immodéré  que  celles  d'une  complète  inertie.  Le 
savant,  l'homme  de  cabinet,  qui  passe  s:i  vie  dans 
un  fauteuil,  semble  à  l'abri  de  tout  péril,  et  des- 
tiné à  la  plus  longue  carrière.  Il  n'en  est  rien  ce- 
pendant. Le  manque  d'exercice  émousse  l'appétit, 
atrophie  les  muscles,  appauvrit  le  sang,  diminue 
la  chaleur  vitale,  et  cause  l'accumulation  des  ré- 
sidus organiques.  Telle  est  l'origine  de  maladies 
de  plus  en  plus  envahissantes,  la  gravelle,  la 
goutte,  la  chlorose,  la  phtisie  pulmonaire.  S'il 
échappe    à  ces  maladies,  l'homme  sédentaire  est 


frappé  d'une  sénilité  précoce,  tandis  que  les 
grands  travailleurs  ont  beaucoup  de  chances  d'ar- 
river à  un  âge  fort  avancé  exempts  des  infirmités 
ordinaires  de  la  vieillesse. 

Regardez  autour  de  vous,  interrogez  tout  vieil- 
lard il  la  démarche  assurée,  au  regard  clair,  à 
l'esprit  lucide,  il  vous  dira  que  sa  vie  a  été  consa- 
crée au  travail,  au  devoir,  et  qu'il  jouit  de  la 
vieillesse  comme  d'une  récompense  des  jours 
bien  remplis. 

Oui,  le  travail  prolonge  la  vie,  il  en  fait  sup- 
porter les  épreuves  et  apprécier  les  bienfaits,  il 
lui  prépare  dans  l'avenir  des  horizons  illimités  de 
bien-être  et  aplanit  la  voie  que  suivra  l'humanité 
triomphante  marchant  à  la  conquête  de  ses  desti- 
nées. Le  siècle  qui  va  s'ouvrir  pourra  prendre 
pour  devise  ce  mot  qui  n'était  qu'une  prophétie 
dans  la  bouche  de  Louis  XIV  :  «  C'est  par  le  tra- 
vail qu'on  règne.  >>  Selon  demandait  qu'il  fût 
permis  de  livrer  aux  tribunaux  l'homme  qui  ne 
travaille  pas  ;  Montesquieu  formulait  le  même 
vœu  en  ces  termes  :  «  Il  faudrait  que  les  lois 
cherchassput  à  ôter  tous  les  moyens  de  vivre  sans 
travail.  »  Notre  temps  dit  à  tous  :  Travaillez  pour 
maintenir  une  âme  saine  dans  un  corps  sain,  pour 
jouir  d'une  longue  et  féconde  virilité  suivie  d'une 
heureuse  vieillesse,  travaillez  pour  gotiter  le  bon- 
heur de  vivre,  la  satisfaction  du  devoir  accompli, 
travaillez  pour  assurer  autour  de  vous  le  bien-être, 
la  moralité,  la  vertu. 

Franklin  a  dit  :  «  Celui  qui  ne  fait  rien  est  bien 
près  de  mal  faire,  n  L'oisiveté  est  la  grande  tenta- 
trice. Elle  énerve  le  corps  et  l'âme,  et  quand  ils 
sont  assez  affaiblis  elle  les  corrompt.  Aussi  le  tra- 
vail, qui  donne  la  santé,  la  longévité,  le  bien-être, 
assure  encore  la  moralité  sans  laquelle  tous  les 
autres  biens  ne  nous  sauraient  procurer  ni  le 
contentement  intérieur  ni  l'estime  de  nos  sembla- 
bles. 

Mais  si  le  travail  modéré  est  une  garantie  de 
santé  et  de  longévité,  il  faut  reconnaître  que  le 
travail  exagéré  auquel  sont  soumis  un  grand  nom- 
bre d'ouvriers  compromet  leur  santé  et  abrège 
leur  vie.  Le  travail  prolongé  et  pénible  des  ate- 
liers, dans  un  air  confiné,  chargé  de  poussière  ou 
saturé  de  vapeurs  nuisibles,  contribue  largement 
à  produire  chez  les  ouvriers  ce  que  l'on  appelle  la 
ttn^ére  phtjsi'jlo:/ir/ue.  A  Liverpool,  l'une  des 
villes  manufacturières  les  moins  favorisées  au 
point  de  vue  des  conditions  du  travail  et  des  res- 
sources hygiéniques,  la  \ie  moyenne  n'est  pas  de 
2G  ans. 

Le  travail  intellectuel,  même  excessif,  offre  rare- 
ment des  inconvénients  aussi  graves  que  le  tra- 
vail manuel.  Cela  tient  en  partie  aux  habitudes 
hygiéniques  des  personnes  qui  s'y  livrent. 
L'homme  d'étude,  obligé  à  une  vie  sédentaire, 
n'ayant  pas  besoin  d'une  nourriture  très  répara- 
trice, est  moins  éprouvé  par  la  gène  que  le  tra- 
vailleur qui  use  ses  muscles.  De  plus,  ses  occu- 
pations le  tiennent  à  l'abri  des  intempéries  et  ses 
habitudes  régulières  le  préservent  dos  excès.  Il 
faut  d'ailleurs  reconnaître  que  la  très  grande 
majorité  des  personnes  qui  gagnent  leur  vie  par 
un  travail  intellectuel  occupent  des  positions  qui 
les  mettent  au-dessus  du  besoin  :  ce  sont,  en  quel- 
que sorte,  des  privilégiés. 

Les  conditions  anti-hygiéniques  du  travail  in- 
tellectuel sont:  l'inaction,  la  contention  d'esprit, 
les  veilles,  l'air  confiné,  l'immobililé  pendant  la 
digestion,  l'isolement. 

La  contention  d'esprit  produit  une  congestion 
du  cerveau  qui,  à  la  longue,  prédispose  aux  mala- 
dies cérébrales.  Cette  déviation  du  sang  vers  le 
cerveau  compromet  l'exercice  des  fonctions  de 
nutrition.  La  suractivité  cérébrale  trouble  la  di- 
gestion, et  l'estomac  se  venge  en  faisant  sentir  au 
cerveau  combien  il  le  lient  sous  sa  dépendance  : 


TRAVAIL  DES  FORGES 


2219  —     TRAVAIL  DES  FORCES 


une  mauvaise  digestion  entrave  l'essor  de  la 
pensée. 

Le  manque  d'exercice  musculaire,  la  position 
assise,  produisent  cliez  les  gens  de  lettres,  les 
professeurs,  les  savants,  une  prédisposition  à  ia 
ccmsiipation,  aux  liomorrhoides,  aux  maladies 
des  reins  et  de  la  vessie.  Les  névralgies  faciales 
et  la  migraine  se  joignent  souvent  à.  toutes  ces 
misères. 

I.e  remède  est  simple,  et  plus  pratique  qu'on 
ne  le  croit  d'ordinaire.  Il  faudrait  que  les  per- 
sonnes adonnées  aux  travaux  intellectuels  eussent 
la  volonté  do  limiter  le  nombre  d'heures  de  travail 
cérébral  et  de  rétablir  par  l'exercice  musculaire 
l'équilibre  des  fonctions. 

Ceux  môme  qui  semblent  placés  dans  les  condi- 
tions les  plus  défavorables  peuvent  beaucoup  pour 
améliorer  leur  hygiène.  Voici  une  série  de  petits 
moyens  qui  produisent  de  grands  résultats  :  re- 
nouveler souvent  l'air  du  cabinet  de  travail;  écrire 
alternativement  assis  et  debout;  lire  en  marchant; 
passer  fréquemment  d'un  travail  de  composition  h 
un  travail  de  préparation  ;  suspendre'  le  travail 
cliaque  demi-heure  pour  exécuter  quelques  inspi- 
rations profondes  et  faire  quelques  mouvements 
actifs;  sortir  quelque  temps  après  les  repas  et 
surtout  avant  de  se  mettre  au  lit. 

A  ceux  q\i'un  zelo  généreux  et  une  vocation  ir- 
résistible poussent  à  un  excès  de  travail,  nous 
dirons  :  Si  vous  voulez  assurer  h  ceux  qui  doivent 
en  profiter  tout  le  fruit  de  vos  etTorts,  ménagez- 
vous  afin  de  produire  pendant  de  longues  années; 
ne  vous  exposez  pas  à  laisser  votre  œuvre  incom- 
plète en  vous  astreignant  il  une  existence  con- 
traire aux  lois  de  l'hygiène.  [D'  Saffray.] 

ÏKAV.VIL  Dli.s  FoaClîS.  —(V.  l'article  iVèca- 
nique).  —  I.  Travail  mécanique.  —  Les  forces  sont 
employées  dans  les  arts  à  vaincre  des  résistances, 
et  l'on  dit  qu'il  y  a  travail  toutes  les  fois  qu'une 
force  surmonte  une  résistance  qui  se  renouvelle 
à  chaque  instant  tandis  que  son  point  d'application 
se  déplace  ;  c'est  ce  qui  arrive  lorsqu'on  élève  un 
fardeau,  lorsque  l'on  rabote  une  planche. 

Le  travail  industriel  se  paie  toujours  propor- 
ticnnellemenl  au  produit  de  la  résistance  vaincue 
liar  le  chemin  qu'a  décrit  son  point  d'application  : 
ainsi  l'on  admet  que  le  travail  qui  consiste  à  éle- 
ver 100  '!■■  d'eau  à  10  mètres  est  égal  à  10  fois  le 
travail  nécessaire  pour  élever  100'=  d'eau  à  un 
mètre  et  est  égal  à  lOOii  fois  celui  qui  corres- 
pond à  VelévatioH  d'un  kilugramme  à  un  mètre 
(te  hauteur. 

C'est  ce  dernier  travail  que  l'on  prend  pour 
unité  On  appelle  kilogrammètre  (abréviation  1  k;"") 
le  travail  nécessaire  pour  élever  à  un  mètre  un 
poids  d'un  kilogramme.  Afin  d'avoir  des  nombres 
plus  petits  quand  on  évalue  le  travail  des  machi- 
nes qui  est,  en  général,  continu,  on  se  sert  d'une 
autre  unité  :  on  appelle  clievul-vapeur  un  travail 
de  75  kilogrammètres  par  seconde.  Par  exemple 
si,  dans  une  mine,  une  machine  élève  1500 '=  de 
charbon  à  une  hauteur  de  300  ■",  en  dix  minutes, 
le  travail  utile  de  cette  machine  est,  pendant  ce 
temps,  égal  à  : 

1'"°  X  1500  X  300=  450000'5»', 

et  pendant  une  seconde  il  est  de  : 
4.S000ii'i"° 

— =750'»" 

liuu 

Ce  travail  évalué  en  chevaux-vapeur  sera  donc  : 

750 

70  ' 

et  l'on  dira  que  la  machine  est  de  la  force  de  dix 
chevaux-vapeur. 

Il  est  bon  de  dire  que  cette  expression,  cheval- 
vapeur,  n'a  aucun  rapport   direct  avec  le  travail 


=  10, 


réellement  développé  par  les  chevaux  attelés  à 
un  manège,  letiuel  ne  s'élève  guère  qu'à  40  ou 
50  kilogrammètres. 

Uéfinitio\  nu  thavaiî.  o'cne  force  constante. 
—  Le  travail  d'une  force  F  (notation  abrégée  ^F) 
est  le  produit  du  nombre  qui  mesure  l'intensité 
de  cette  force  par  le  chemin  qu'elle  fait  parcou- 
rir, dans  sn  direction  propre,  à  son  point  d'appli- 
cation. 

I"  Si  ce  point  se  déplace  dans  la  direction  même 
de  la  force  et  décrit  un  chemin  e,  on  a  : 
jF  =  l'5™XFXe. 

2°  Si  le  point  d'application  de  la  force  se  dé- 
place sur  une  circonférence  Ji  laquelle  la  force  est 
toujours  tangente,  on  obtient  le  travail  pour  chaque 
tour  en  multipliant  la  longueur  de  la  circonférence 
par  l'intensité  de  la  force.  —  Ce  cas  se  présente 
dans  les  manèges  :  un  cheval  est  attelé  à  une 
pièce  de  bois  encastrée  dans  un  arbre  vertical,  il 
suit  une  piste  circulaire  et  fait  prendre  à  l'arbre 
un  mouvement  de  rotation.  Pour  évaluer  le  tra- 
vail de  ce  moteur,  di^composons  la  circonfé- 
rence 2TrR  eu  arcs  AB,  BC,  CD, très  petits  et 

sensiblement  rectilignes;  si  nous  désignons  par  F 
l'effort  moyen  du  cheval, nous  aurons  pour  les  tra- 
vaux partiels  qui  correspondent  à  ces  divers  élé- 
ments : 

FXAB,FxBC,FxCD 

et  leur  somme  sera  : 

F  (AB -f  BG  +  CD -f )=27iUF. 

Application.  —  Un  cheval  attelé  h  un  manège 
travaille  8  heures  par  jour  en  exerçant  un  efl'ort 
moyen  de  45  k"";  il  fait  7  tours  en  S  minutes  sur 
une  piste  de  4  ^  de  rayon.  Calculer  le  travail  eli'ec- 
tué  par  jour. 

Ici, 

F=45,  2jtRF  =  0,28X4X45, 
et  comme   le  nombre  de  tours   effectué   dans  un 
jour  est  : 

7X8X  y=  50X20  =  1120, 

le  travail  cherché  est  : 

l»e»  XG,23  X  ISO  X  1120=  1266048'^" 

Cas  on  le  point  d'applicatios  ne  se  meut  pas 
DANS  LA  dibection  MÊME  DE  LA  FORCE.  —  Lorsqu'un 
point  matériel  est  sollicité  par  plusieurs  forces, 
la  direction  de  son  déplacement  diffère  do  la  direc- 
tion de  chacune  d'elles.  Soit  F  l'une  quelconque 


de  ces  forces;  le  déplacement  A  A'  de  son  point 
d'application  peut  être  décomposé  en  deux  autres, 
l'un  Aa  suivant  AB,  l'autre  «A'  suivant  la  direc- 
tion perpendiculaire.  La  force  F  ne  tend  pas  à 
produire  le  déplacement  a\'  qui  est  dû  aux  au- 
tres forces  dont  nous  n'avons  pas  à  nous  occuper, 
son  travail  est  simplement  : 

Aa  X  F  =  AA'  X  cos  BAB'  x  F  ; 

de  là  cette  définition  : 

Le  travail  d'une  force  dont  le  peint  d'applica- 
tion ne  se  déplace  pas  dans  la  même  direction  que 


TRAVAIL  DES  FORCES 


2220 


TRAVAIL  DES   FORGES 


la  force  est  égal  «  soji  intensité  multipliée  pur  la 
projection  du  chemin  parcouru  sur  la  direction  de 
cette  [orce. 

Dans  la  figure  précédente,  la  projection  Aa  du 
déplacement  tombe  sur  AB,  et  l'on  considère  le 
travail    de    la    force  comme  positif;  dans  la   sui- 


Fi;:. 


vante,  Aa  tombe  sur  le  prolongement  de  AB,  et 
le  travail  de  la  force  est  considéré  comme  né- 
gatif. 

Si  l'on  désigne  par  F'  la  projection  de  la  force  F 
sur  AA',  l'on  a  ; 

AB'  =  AB  cosBAB', 
ou  : 

F'=F  C0S2, 

et  par  conséquent  : 

EF  =  r'xAA'; 

on  peut  donc  dire  aussi  que  le  travail  d'une  force 
dont  le  point  d'application  ne  se  déplace  pas  dans 
sa  direction  propre  est  égal  au  produit  du  chemin 
parcouru  par  la  projection  de  ta  force  sur  la  di- 
rection de  ce  chemin. 

Remarque.  —  La  formule  : 

(1)    ;.F  =  FxcXcosa, 

dans  laquelle  e  représente  l'espace  AA'  parcouru 
par  le  point  d'application  de  la  force  F,  représente 
toujours  pour  sa  grandeur  et  pour  son  signe  la 
valeur  du  travail  de  la  force  F  :  si  l'angle  a  est 
aigu,  cosa  est  positif,  Aa  tombe  sur  la  direction 
même  de  la  force  F,  le  travail  de  F  est  positif 
comme  le  produit  e  F  cosa.  —  Si  au  contraire 
l'ajigle  a  est  olitus,  cosa  est  négatif;  mais  ka 
tombe  alors  sur  le  prolongement  de  F  et  le  travail 
de  cette  force  est  négatif,  il  a  donc  encore  le 
même  signe  que  cosa.  — Si  l'angle  a  est  égal 
à  90",  cosa  est  égal  à  zéro;  le  produit  e  F  cosa 
est  donc  nul  et  représente  encore  le  travail  de  F.  I 
—  Enfin  si  l'angle  a  est  égal  à  1S0°,  son  cosinus 
est  égal  à  1  ;  l'on  a  dans  ce  cas  : 
'fcF  =  — exF; 

On  voit  donc  que  la  formule  (1)  est  générale. 

Application  autbavaii,  de  la  pesanteur  pendant 
LA  CHUTis  d'un  CORPS.  —  Soit  ABCD  la  courbe  par- 
courue par  le  poids  P;  projetons  tous  les  points  de 


arc  très  petit  ab  de  sa  trajectoire,  le  travail  élé- 
mentaire correspondant  est  P  X  "'A',  et  en  ajoutant 
tous  ces  travaux  élémentaires  on  voit  que  de  A 
en  B  le  travail  de  la  pesanteur  est  : 

PxAB'; 

de  B  en  C  ce  travail  négatif  est  représenté  par  : 

—  PxB'C; 

enfin  de  C  en  D  il  est  positif  et  égal  à  : 

PxC'D'; 

le  travail  total  est  par  conséquent  : 

P  (AB'  —  B'C  -f-C'D')  =  P  X  AD'. 

Le  travail  delà  pesanteur  pendantla chute  d'un 
corps  ne  dépend  donc  que  de  la  distance  verticale 
des  deux  points  extrêmes  A  et  D  de  la  trajectoire. 
—  Si  le  point  matériel  pesant  revient  en  un  point 
ayant  même  cote  que  le  point  de  départ,  le  tra- 
vail de  la  pesanteur  est  nul. 

Travail  d'une  force  variable.  —  Si  la  force 
varie  d'intensité,  on  appelle  travail  élémentaire 
de  cette  force  le  produit  de  son  intensité  supposée 
constante  pendant  un  temps  très  court,  par  le 
petit  chemin  que  décrit,  pendant  cet  intervalle, 
son  point  d'application. 

Désignons  par  F,  F',  F"  les  intensités  de  la  force 

variable  aux  époques  très  rapprochées  t,  t',t" ; 

par  e,  e',  e"  les  chemins  parcourus  par  le  point 
d'application  pendant  les  intervalles  de  temps  très 
petits  t' — /,  t"  -t',  i'" — t"...;  les  travaux  élémentai- 
res de  ces  forces,  que  nous  supposerons  constantes 
pendant  ces  intervalles,  seront  : 


Fxe,    F'xe',     F"  xe",. 


et  le  travail  total  sera  la  limite  vers  laquelle  ten- 
dra la  somme  des  travaux  élémentaires. 


Fe  +  F'e'-fFV'-t-  , 


quand  t' — t,  I" — t',  t'" — /",....  tendront  vers  zéro. 

Nous  allons  montrer  l'existence  de  cette  limite 
et  la  méthode  graphique  que  l'on  peut  suivre 
pour  la  calculer. 

Proposition.  —  Si  l'on  prend  pour  abscisses  d^une 
rourbe  les  chemins  parcourus  par  le  poiyit  d'ap- 
p/icntion  d'une  force  variable,  et  pour  ordonnées 
les  intensités  de  cette  force,  le  travail  de  cette 
force  pendant  un  certain  temps  peut  être  repré- 
senté par  l'aire  comprise  entre  la  courbe,  l'axe  des 
abscisses,  et  les  deux  ordoiinées  gui  correspondent 
au  conunencement  et  à  la  fin  de  l'intervalle. 

Déynonstration.  —  Soit  (fig.  4)  : 

AB  =  ^,    BG=<?',     CD  =  e"... 

A.V  =  F     BB'=F',     CC'=F",... 

t'—t=i"  —  l'  =  t"'  —  t"  =  ...     1>, 

l'on  aura  : 

Fe  =  ABA'A",  F'e'  =  BCB'B",  F"e'  =  CDG'C"... 


et  l'aire  de  la  somme  des  rectangles  sera  représen- 


cette  courbe  sur  la  verticale  AD'  menée  par  le    tée  par  le  même  nombre  que  la  somme  des  tra- 
point  de  départ  A  ;   lorsque  le  mobile  décrit  un  j  vaux    élémentaires    obtenus    en   supposant   que 


! 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2221 


TRAVAIL  DES   FORCES 


l'inteiisito  do  Ui  force,  reste  constante  pendant  une 
seconde.  Si  l'on  suppose  que  cotte  intensité  ne 
reste  constante  que  pendant  un  quart  de  seconde, 
l(!  travail  total  correspondant  sera  représenté  par 
le  même  nombre  que  la  somme  des  aires  : 
AA'mw"  +  mp  rn'p"  +  •  •  • 

Or  il  est  clair  que  la  somme  de  ces  aires  a  pour 
limite  l'aire  curviligne  AA'B'C'D'E'EA  ;  le  travail 
total  de  la  force  F  a  donc  pour  expression  celle 
môme  aire.  On  peut  donc  l'évaluer  approximati- 
vement par  la  formule  de  Simpson,  ou  mieux  en- 
core à  l'aide  do  la  formule  de  Poncelet. 

On  peut  encore  l'obtenir  en  découpant  le  con- 
tour AA'E'EA  dessiné  sur  une  feuille  de  papier 
bien  homogène  et  en  pesant  i  moins  de  un  milli- 
gramme près  la  surface  ainsi  obtenue.  Soit  P  ce 
poids  et  ;)  le  poids  d'un  décimètre  carré  du  même 
papier  ;  l'aire  de  cette  surface  curviligne  expri- 
mée en  décimètres  carrés  sera  — . 
P 

Appliciition.  —  Un  cylindre  vertical  a  O^jTO 
de  diamètre  et  renferme  un  piston  mobile  sous 
lequel  se  trouve  de  l'air  îi  5  atmosphères  qui  occupe 
une  hauteur  AB  égale  à  0'",4U;  le  piston  monte 
et  le  gaz  se  détend.  Quel  est  le  travail  transmis 
au  piston  par  l'air  comprimé  lorsque  cet  air  occu- 
pera dans  le  cylindre  une  hauteur  AC  égale  b. 
1  mètre? 

La  surface  du  piston  évaluée  en  mètres  carrés 
est: 

S=-7cxO,3à^ 

et  la  pression  exercée  sur  ce  piston  par  de  l'air  à 
.'>  atmosphères  serait  : 

P  =  lOOOO'^X  1,033  X  5  X  S 

puisque   la   pression  d'une  atmosphère    sur   un 
centimètre  carré  est  l'i'.OSS. 

Mais  la  pression  diminue  en  môme  temps  que 
le  volume  augmente;  si  nous  divisons  la  hau- 
teur BC  en  six  parties  égales  h  0">,1,  et  si  nous 


substituons  à  la  détente  progressive  une  détente 
brusque  chaque  fois  que  le  piston  aura  parcouru 
O'",!,  les  pressions  seront: 

*"  r, 


XP 


Comme  nous  supposons  que,  pendant  chaque  frac" 
tion  de  la  course,  la  pression  reste  toujours  égale 
à  la  pression  initiale,  nous  obtiendrons  pour 
limite  supérieure  du  travail  cherché  : 


;o,i 


PXO 


••G 


+r  + 


9/ 


(1)  Px  0,4X0,906. 

Si  nous  avions  supposé  que  pendant  chaque 
fraction  de  la  course  la  pression  reste  toujours 
égale  à  la  pression  finale,  nous  aurions  obtenu 
pour  limiie  inférieure  du  travail  total  : 

PxO,40x(ixl  +  ...+l  +  i;), 

ou  : 

(UJ  p  X0,40  X  0,846. 

En  prenant  la  moyenne  des  résultats  (1)  et  (2), 
nous  aurons  avec  une  grande  approximation  : 

T  =  PxO,40XO,921, 
ou  : 

T  =  l'^OaS  XtX352  X  5  X  0,40x0,921, 
c'esl-à-diro  : 

T  =  7323''=»'. 

Effort  moyen.  —  Souvent  une  force,  quoique 
variable,  reste  cependant  comprise  dans  des  li- 
mites assez  peu  éloignées,  et  il  est  commode  de 
remplacer  cette  force  variable  par  une  force  fic- 
tive constante  dirigée  suivant  la  tangente  à  la  tra- 
jectoire du  mobile.  —  Cette  force  fictive  est  Vfffurt 
iiioi/en.  On  obtient  son  intensité  en  divisant  le 
travail  total  de  la  force  variable  par  le  chemin 
total  qu'a  décrit  soii  point  d'application.  Soit  F  la 
force  variable,  e  le  chemin  parcouru  par  le  mobile 
sur  la  trajectoire,  et  F'  l'elTort  moyen,  on  a  : 
r'e=  iF 
d'où: 

F'=îl. 

e 

Ayant  ainsi  défini  le  travail  d'une  force,  nous 
arrivons  à  plusieurs  propositions  importantes  fort 
utiles  dans  les  applications. 

Proposition  l.  —  Si  p!iis'i-iirxforrff  [•',!<", F"  ,so7if 
appliquées  à  un  mèinr  l'i'i ni  "^nn'nr/  A  ,  la  somme 
algébrique  de  leurt,  tr  .m  ■.!■  ri,: m  /ir^m  r .,  pour  un 
dé/ilaceuient  très  petit  ,ie  leur  pond  d'applieation, 
est  érjale  au  travail  élémentaire  de  leur  résul- 
tante R. 

Démonstration.  —  Menons  par  le  point  d'appli- 


Fig.  c. 


cation  A  une  ligne  AB  égale  et  parallèle  à  F,  par  B 

40  une  ligne  égale  et  parallèle  k  !•',  etc.;  nous  for- 

Tj^X  P  nierons    ainsi  un    contour   polygonal  ABCDE,  et 

nous  savons  que  la  droite  AE  qui  ferme    ce  con- 

etles  travaux  élémentaires  correspondants  seront  :    tour  représente  la  résultante. 

Soit   AA'   le  chemin  élémentaire  décrit   par  le 


40, 


PX0,1,     —  PxO,l 


xPxO.I. 


point  d'application  A  de  toutes  ces  forces,  et  AX 
la  direction   de   ce  déplacement;  soit  a,  a',  a"... 


TRAVAIL  DES  FORGES     —  2-: 

les  angles  formés  avec  AX  par  F,F',F"...  et  a  l'angle 
de  la  résultante  avec  la  même  direction  :  proje- 
tons le  contour  ABCDE  sur  AX,  nous  aurons, 
quels  que  soient  les  angles  : 

AE  cosa  =  Fcos  a  +  F'cosa' 4-F"cosa", 

ou  : 

Rcosa^F  cosa  +  F'  cos  a'  +  . . .  ; 

multiplions  par  AA'  les  deux  membres  de  cette 
égalité,  nous  aurons  : 
R.AA'  cosa^F.  AA'.  cosa-4-  F'AA'.  cosa'  +■  •  • 

Or  les  divers  termes  de  cette  égalité  représentent 
le  travail  élémentaire  des  forces  R,F,F',F"....  ; 
nous  aurons  donc,  en  désignant  ce  travail  élé- 
mentaire par  la  notation  abrégée  je  : 

Proposition  11.  —  Lorsque  le  chemin  élémen- 
taire décrit  par  le  point  d'application  d'une  force 
résulte  d'  plusieurs  mouuemenis  simultanés,  le 
travail  élémentaire  de  celte  force  ilans  le  mou- 
vement résultant  est  égal  à  ta  somme  algébrique  des 
travaux  élémentaires  de  cette  même  force  dans 
chacun  d'S  mouvemenls  composants. 

Lémonsi  ration.  —  Soit  A  A'  le  déplacement  du 
point  d'application  do  la  force  F;  supposons  qu'il 


Fig.  7. 

résulte  des  trois  déplacements  AB,  BC,  ('.A'  qui  font 
avec  F  les  angles  a,  a',  a";  soit  a  l'angle  de  A  A' 
avec  cette  même  direction;  le  théorème  des  pro- 
jections nous  donnera  : 

A  A' cos  a  =  AB  cosa -|-BG  cos  a'  +CA'  cosa", 

et  en  multipliant  par  F  les  deux  membres  de  cette 

égalité,  nous  aurons  : 

F.A\'cosa  =  F.ABcosa-l-F.BCcosa'-l-F.C/Vcosa". 

Or  le  premier  membre  est  le  travail  élémentaire 
de  la  force  F  dans  le  mouvement  résultant,  et  les 
termes  du  second  membre  représentent. le  travail 
élémentaire  de  cette  même  force  dans  les  mouve- 
ments composants;  le  théorème  est  donc  dé- 
montré. 

Proposition  111.  —  Deux  forces  égales  rt  di- 
rectement opposfen,  appliquées  à  un  p'dnt  ma- 
tériel, ont  des  travaux  élémentaires  égaux  et  de 
signes  conlmirts. 

Démonslration.  —  Soit  F  l'intensité  de  l'une 
des  forces,  a  l'angle  qu'elle  fait  avec  la  direction 
du  petit  chemin  e,  décrit  par  son  point  d'applica- 
tion; l'autre  force  fera  avec  la  même  direction 
un  angle  égal  à  ISU°  —  a.  Le  travail  élémentaire 
de  la  première  force  sera  : 

Fxexcosi, 
et  celui  de  la  seconde  : 

Fxex  cos(180  — a)=  — Fxexcos  a; 

comme  l'on  a  pour  la  somme  des  travaux  des 
deux  forces  : 

F.  e.  cosa — F.  e.cosa^O, 

la  proposition  est  démontrée. 

Proposition  IV.  —  Si  deux  forces  égales  et  di- 
rectement opposées  sont  appliquées  aux  extrémités 
d'une  di  oite  rigide  et  inextensible,  la  somme  al- 


22  —     TRAVAIL  DES  FORCES 

géhrique  de  leurs  tnivatix  élémentaires  pour  un 
très  petit  déplacement  de  cette  droite  est  égale  à 
zéro . 

Démonstration.  —  Soit  F  et  F'  deux  forces 
égales  et  opposées  appliquées  aux  extrémités  de 
la   droite    AB   qui  a  la  même  direction  que  les 


forces  ;  si  AB  se  déplace  en  A'B',  on  peut  pro- 
duire ce  déplacement  par  doux  mouvements  simul- 
tanés :  en  transportant  d'abord  AB  parallèlement  h 
elle-même  en  A'ù,  puis  en  faisan  t  tourner  A'ô  autour 
du  point  A'  et  faisant  décrire  ainsi  au  point  b  l'arc 
de  cercle  AB'.  Le  travail  élémentaire  de  la  force  F' 
quand  son  point  d'applicatioii  viendra  de  B  en  B' 
sera  égal  (prop.  II)  à  la  somme  des  travaux  élé- 
mentaires dûs  aux  déplacements  B6  et  6B',  c'est-à- 
dire  à  : 
F' X  4BC0S  (180°  -  iBA)  -f-  F' x  iB'  x  cosB'ôA'  ; 

mais  B'6.V  est  un  angle  droit,  son   cosinus  est 
nul  et  le  travail  élémentaire  de  F"  se  réduit  à  : 

F'XiBXcos(180°-iBA)  =  — F'xABxcoséBA; 

d'ailleurs  le  travail  élémentaire  de  F  est  : 

FxAA'cosA'AF; 

la  somme  des  deux  travaux  élémentaires  des  for- 
ces F  et  F'  est  donc  : 

F  X  AA'  X  cos  A'.iF  —  F'  X  AB  x  cos  ABA, 

et  cette  somme  est  nulle  puisque  l'on  a  : 

F=r',      AA'=6B,      A'AF  =  ABA. 

RéLiproqiietnent  :  si  deux  f't-ces  F  et  F",  ap- 
pliquées en  deux  points  A  et  B  d'un  corps  solide 
libre  (lig.  9),  ont  des  travaux  égaux  et  île  signes 
contraires  pour  to'd  déplacement  très  petit  ducurps, 
ces  forces  sont  égales  et  directement  oppos-^es. 


En  effet,  faisons  tourner  le  corps  autour  du 
point  A,  le  travail  de  F,  qui  est  appliquée  on  ce 
poiiii,  sera  nul;  or  la  somme  des  travaux  de  F 
et  de  F"  est  nulle  par  hypothèse,  l'on  aura  donc 
aussi  : 

Se  F"  =  0. 

Mais  les  déplacements  du  point  B  ne  peuvent 
avoir  lieu  que  sur  une  sphère  dont  A  est  le  centre  j 
donc  F"  est  dirigée  normalement  à  cette  surface 
et  passe  par  le  point  A.  On  démontrorait  de  la 


TRAVAIL  DES  FORGES     —  2223  —    TRAVAIL  DES  FORCES 


nifiiiiR  nianièro  que  F  passe  parle  point  B;  par  con- 
siSqueiu  F  et  F"  sont  directcmeiu  opposées.  De 
plus,  ces  forces  sont  égales  ;  déplaçons  en  effet  le 
eoi'ps  suivant  la  droito  AB  :  A  viendra  en  A',  B  on 
B',  et  les  déplacements  AA'  et  BB'  seront  égaux. 
Comme  la  somme  des  travaux  est  égale  à  zéro, 
nous  aurons  : 


AA'xF  = 


-  Bit' X  F",  on  F: 


-F" 


Conséquence.  —  Pour  que  deux  forces  appli- 
quées ;\  un  corps  solide  se  fassent  équilibre,  il 
faut  et  il  snlïit  que  la  somme  de  leurs  travaux 
élémentaires  soit  égale  à  zéro. 

Phoposition  V.  —  Lorsqu'on  transporte  une 
force  a/i/i/iqtcé'-  à  un  corps  solide  e7t  un  point  de 
su  i/iridion  inonriablemeni  lié  au  premier,  son 
travail  elrmeidnire  ne  change  pas. 

Dénionslrali'n.  -  Soit  F  une  force  appliquée 
au  point  A  d'un  corps  solide;  transpoi'tons-la  au 
point  B  silué  sur  sa  direction  et  lié  invariable- 
ment au  point  A,  et  démontrons  que  l'on  a  : 

En  elTct,  soit  F"  une  force  égale  et  contraire  i  F', 
nous  aurons,  d'après  la  proposition  III  : 

JeF'  =  -s,F"; 
mais,  d'après  la  proposition  IV, 

ZeF  =  —  leF"  ; 
nous  aurons  donc  : 

ôer=i:.eF'. 

Remarque.  —  Les  propositions  précédentes  per- 
mettent d'énoncer  très  simplement  les  conditions 
d'équilibre  d'un  système  de  forces  appliquées  à 
un  corps  solide. 

1 1  -  Principe  des  vitesses  virtuelles  ou  des  tra- 
vaiix  virtuels.  —  On  appelle  déplacement  virtuel 
d'un  point  lout  déplacement  très  petit  de  ce  point 
compatible  avec  les  liaisons  du  système  dont  le 
point  matériel  fait  partie.  Ce  déplacement  peut 
différer  du  déplacement  réel  que  va  prendre  le 
point  matériel  sous  l'action  des  forces.  Le  prin- 
cipe des  vitesses  virtuelles  a  été  entrevu  par  Ga- 
lilée, mais  c'est  Lagrange  qui  l'a  établi  d'une 
maiiièri'  générale. 

TutoiiioMii.  —  Pour  que  plusieurs  forces  se  fas- 
sent équilibre  sur  un  corps  solide  libre,  il  faut  et 
il  suffit  que  la  somme  ulqébriqne  des  travanx 
élémentaires  de  ces  forces  soit  ég'ile  à  zéro  pour 
un  déplacement  quelconque  du  corps. 

Démonstration.  —  Pour  réduire  les  forces 
F,  F',  F". ..  ap|)liquces  ;i  un  corps  solide  à  trois, 
puis  à  deux  résultantes  Hj  et  lîj  (V.  article  Mé- 
canique), les  seules  opérations  que  l'on  effectue 
sont  des  compositions  ou  des  décompositions  de 
forces  et  des  transports  de  ces  forces  en  des 
points  situes  sur  leur  direction  et  liés  invaria- 
blement avec  les  points  d'application  primitifs. 
Or  il  résulte  des  propositions  i  et  V  (pie  ces  opé- 
rations n'allèrent  pas  la  sotnmo  des  travaux  élé- 
mentaires de  F,  de  F',  de  F"...  ;  on  aura  donc: 
J.F  +  je  F'  +  5.  F"+...=  i:,  R,  +  c.«Rs; 

mais,  pour  l'équilibre  (proposition  IV),  il  faut  et 
il  suffit  que  la  somme  des  travaux  de  li,  et  de  lij 
soit  égale  à  zéro  ;  donc  pour  l'équilibre  il  faut  et 
il  suflit  que  l'on  ait  : 

S.  F  +  î,  F'4-5cF"+...=0. 

lieniarque.  —  Si  le  corps  n'est  pas  libre,  s'il  est 
assujetti  à  tourner,  par  exemple,  autour  d'un  point 
fixe,  ou  d'un  axe  fixe,  le  même  énoncé  convient 
encore.  En  effet,  nous  avons  vu  qu'un  pareil  corps 
peut  être  assimilé  à  un  corps  libre,  pourvu  que 
l'on  ajoute  aux  forces  appliquées  les  réactions 
du  point  lixo  ou  de  l'axe  fixe.  Mais  la  somme  des 


travaux  do  ces  réactions  est  nulle,  puisque  leurs 
points  d'application  ne  se  déplacent  pas;  il  faut 
donc  encore  ici,  pour  l'équilibre,  que  la  somme 
des  travaux  élémentaires  des  forces  appliquées 
au  corps  soit  égale  à  zéro. 

Pour  déduire  de  ce  principe  les  six  équations 
d'équilibre  des  forces  appliquées  en  différents 
points  d'un  corps  solide,  nous  établirons  d'abord 
les  deux  proposiiions  préliminaires  suivantes,  re- 
latives aux  travaux  des  forces  :  1°  dans  le  cas  où 
le  corps  est  animé  d'un  mouvement  de  transla- 
tion ;  2°  dans  le  cas  où  le  corps  est  animé  d'un 
mouvement  de  rotation    autour  d'un  axe. 

Prufosiïion  I.  —  Le  travail  élémentaire  d'un 
si/stème  de  forces  applii/uées  à  un  corps  animé 
d'un  mnuvenient  de  tj-anslatiun  est  égal  à  l'élé- 
ment de  chemin  décrit  par  un  point  q-elconque 
du  système  muliiplié  par  la  snmme  des  projec- 
tions, sur  la  direction  du  déplacement,  de  toutes 
les  forces  extérieures . 

Démonstration.  —  Soit  F,  F',  F"...  les  force» 
appliquées  aux  points  A,  B,  C...,  et  désignons  par 
AA',  BB',  ce...  les  déplacements  égaux  et  paral- 
lèles que  subissent  ces  points  d'application; 
nous  aurons,  en  désignant  par  a.  a',  a"...  les 
angles  de  F,  F',  F"  avec  la  direction  des  dépla- 
cements : 

Je  F  =  AA'xFxcosa,    Je  F'=BB'xF'Xcosa'... 

et  la  somme  do  ces  travaux  peui  s'écrire  : 

AA'(Fcosa  +  F'  ces  a' -f- F"  cosa"'-|-. . .), 

ce  qui  n'est  autre  chose  que  la  traduction  algé- 
brique de  l'énoncé  ci-dessus. 

l'noposiTioN  H.  —  Si  un  corpi  est  animé  d'un 
mouvement  ilc  rotation  autour  d'un  axe,  la 
suiiiaïc  dc^  Iniruur  cl  )nciilaires  de  toutes  les 
força  api./ii/u,''  s  es/  c>pdf  ii  l'arc  très  petit  que 
dect'il  un  paint  xiluc  a  ]'"  de  distaure  de  l'axe 
multiplié  pur  la  somme  ul'/ebrique  des  moments 
des  forces  par  rapport  à  cet  axe. 

Démonstration.  —  Soit  O  le  pied  de   l'axe  qui 


Fie.  10. 

est  perpendiculaire  au  plaji  do  la  figure,  A  un 
point  quelconque   du    corps  qui  se   projette  en  a 

le  plan  do    la  figure  et    F  la   force    appliquée 

„..  ce  point;  décomposons-la  en  deux  autres, 
l'une  P  perpendiculaire  ii  l'axe,  qui  se  projettera 
en  vraie  grandeur  suivant  aP,  l'autre  Q  parallèle 
à  cet  axe.  Il  est  clair  que  le  travail  élémentaire 
de  cette  dernière  force  Q  est  nul  puisqu'il  est 
perpendiculaire  au  déplacement  du  poijit  A  ;  le 
travail  de  F  se  réduit  donc  à  celui  do  P  ;  or  ce 
dernier  a  pour  expression  : 

Je  P  =  P  X  ««'  X  cos  Pau'  ; 
nous  aurons  donc  aussi  : 

gc  F=  P  X  aa'  X  cos  V(.a' 

Soit  maintenant  .s  l'arc  décrit    par   un  point  situé 
à  1""  de  distance  de  l'axe,  nous  aurons  : 
aa'  =Oaxi 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2224 


TRAVAIL  DES  FORGES 


et  par  suite  : 

£c  F  =  P  X  Oa  X  cos  Pan'  x  s. 

Abaissons  01  perpendiculaire  sur  aP,  il  est  clair 
(jue  : 

01  =  Oa  X cos  aOI  =  Oa  cos  Paa'  ; 
par  coiiséquont, 

j.F  =  PxOIX«i 

mais  PXOI  n'est  autre  cliose  que  le  moment  de 
F  par  rapport  à  l'axe  ;  nous  aurons  donc  : 

Zc  F=MFxs, 
et  en  faisant  la  somme  de  ces  travaux  : 
cxF  +  îcF'  +  ---  =[M{F)  +M(F')  +  ...\xs. 

PnoBLÈME.  —  Déduire  du  principe  des  vitesses 
virtuelles  li'S  six  équations  auxquelles  iloivent  ■■•a- 
tisfaire  les  fo'  ces  appliquées  à  un  corps  solide 
libre  pour  qu'il  i/  «il  équilibre. 

Solution.  —  Rapportons  le  corps  à  trois  axes 
rectangulaires  oi,  oy,  oz,  et  attribuons  au  corps 
\ni  mouvement  virtuel  de  translation  parallèle  à 
ox  dans  lequel  cha(|ue  point  subira  un  déplace- 
ment e;  la  somme  des  travaux  élémentaires  sera  : 
e(F  cosa  +  F'  cos  a'  -f  . ..) 

ou  bien  en  désignant  par  X,  X', . ..  les  composantes 
des  forces  parallèles  i  ox: 

e(X+X'+...)=eIX. 

Mais  d'après  le  théorème  des  vitesses  virtuelles, 
cette  somme  de  travaux  élémentaires  est  nulle,  et 
comme  e  est  dilTérent  de  zéro,  il  faut  que  l'on  ait: 

(I)    -x  =  o 

Nous  aurons  deux  équations  analogues, 

(3)     ÏY  =  0, 
(3j     IZ  =  0, 

si  nous  donnons  au  corps  d'abord  im  déplacement 
suivant  oy,  puis  un  déplacement  suivant  o;. 

Attribuons  maintenant  au  corps  un  mouvement 
virtuel  de  rotation  autour  de  l'axe  ox  ;  la  somme 
des  travaux  des  fnrcos  aura  pour  expression  : 

[M„xF  +  MoxF'+...]Xs 
s  représentant  l'arc  très  petit  décrit  dans  ce  mou- 
vement de  rotation  par  un  point  situé  h  l"'  de 
distance  de  l'axe;  mais  cette  somme  de  travaux 
doit  être  nulle,  d'après  le  tliéorème  des  vitesses 
virtuelles  ;  on  aura  donc,  puisque  i'  n'est  pas  nul: 

AMF)-fMox(F')-f  ...  =  0, 
ce  que  l'on  écrit  d'une  manière  abrégée  : 

(4)  i:m<,x{F)=o. 

On  aurait  deux  équations  analogues  en  attri- 
buant au  corps  un  nmuvement  de  rotation  autour 
de  l'axe  oy,  puis  un  mouvement  de  rotation  au- 
tour de  oz  : 

(5)  XM„„(F)  =  0 
(G)     vm„,(F)  =  0. 

Ce  sont  précisément  les  équations  que  nous  avons 
trouvées  (article  Mécanique)  en  écrivant  que  les 
résultantes  partielles  R]  et  Bj  sont  égales  et  direc- 
tement opposées.  On  les  énonce  ainsi  :  //  fout  et 
il  su/ fit,  pour  l'équilibre  d'un  corps  solide  libre, 
que  la  somme  algébrique  des  projections  des  forces 
sur  trois  axes  rectangulaires  soit  nulle  sépa- 
rément piur  rhacun  de  ces  axes,  et  que  la  somme 
algébrique  des  moments  de  ces  forces  par  rapport 
à  ces  mêmes  axes  soit  latlte  séparément  pour  cha- 
cun d'eux. 

Hemarque.  —  Si  l'on  attribuait  au  corps  un 
autre  mouvement  virtuel   quelconque,   la  somme 


des  travaux  virtuels  qui  correspondraient  à  ce 
nouveau  déplacement  serait  nulle  dès  l'instant  que 
les  forces  F,  F',  F",  satisfont  aux  six  équations  pré- 
cédentes. En  effet,  ce  nouveau  déplacement,  quel 
qu'il  soit,  peut  être  considéré  comme  résultant 
d'une  translation  et  d'une  rotation  autour  d'un 
certain  axe.  Or,  l'on  démontre  :  1°  qu'une  transla- 
tion suivant  une  direction  quelconque  est  toujours 
la  résultante  de  trois  translations  suivant  les  axes 
ox.  oy,  oz  ;  2"  qu'une  rotation  autour  d'un  axe 
quelconque  est  le  mouvement  résultant  de  trois 
rotations  autour  des  axes  ox,  oi/,  oz;  on  voit 
donc  qu'un  déplacement  quelconque  du  corps 
peut  être  considéré  comme  le  mouvement  résul- 
tant de  trois  translations  suivant  les  axes  et  de 
trois  rotations  autour  de  ces  axes.  La  somme 
des  travaux  de  toutes  les  forces  F,  F',  F",...  dans 
le  nouveau  mouvement  virtuel  considéré,  s'obtien- 
dra donc  en  ajoutant  les  travaux  élémentaires  qui 
correspondent  b,  ces  six  mouvements  composants. 
Lorsque  ces  travaux  élémentaires  sont  tous  les 
six  séparément  nuls,  leur  somme  l'est  également  ; 
ceci  revient  à  dire  que  dès  l'instant  que  les  six 
équations  ci-dessus  sont  satisfaites,  on  peut  être 
assuré  que  la  somme  des  travaux  virtuels  des 
forces,  pour  un  nouveau  déplaceiuent  quelconque 
du  corps,  spra  nulle  d'elle-même  et  que  le  corps 
sera  en  équilibre.  Les  conditions  d'équilibre  ne 
sont,  donc  pas  eu  nombre  infini  et  se  réduisent 
k  six. 

111.  Equation  du  travail.  —  Nous  admettrons  ici 
conmie  connu  tout,  ce  qui  regarde  le  mouvement 
uniforme  et  Ir  mnuvemcnt  varié  ;  nous  rappelle- 
rons seulement  que,  dans  le  mouvement  unifor- 
me, on  a  les  formules  : 

v  =  vo-{-wt,    e^vot  -\--ivl- 

dans  lesquelles  ti„  est  la  vitesse  initiale,  v  la  vi- 
tesse à  une  époque  quelconque,  et  w  l'accélé- 
ration. 

Nous  admettrons,  de  plus,  cette  proposition  : 
Deux  firces  F  et  F'  sont  entre  elles  comme  les 
mcélérations  ni  et  w'  qu'elles  font  subir  à  wi 
même  point  matériel  en  agissant  pendant  l'unité 
de  temps  et 'l'une  manière  constante;  ceci  Te\iei\t. 
à  écrire  la  proportion  : 


F'  w' 

Si  l'une  des  forces  F'  est  le  poids  du  corps  P, 
l'accélération  w'  est  égale  à  g  ((/  =  9'",81),  et  la 
proportion  précédente  peut  s'écrire  : 

F       «)         F        P 
-  =  — ,  ou — =  -. 

P       g  w        g 

Définition  de  la  masse  d'un  corps.    —  Le  rap- 
F 
port —  est  donc  constant   pour  le    même  corps, 

quelle  que  soit  la  force  F,  et  a  pour  valeur  le  quo- 
tient du  nombre  qui  représente  le  poids  du  corps 
(exprimé  en  kilogrammes)  par  0,81.  Ce  quotient 
invariable  pour  un  même  corps  s'appelle  masse  du 
corps,  et  cette  définition,  dont  on  pourrait  fort 
bien  se  passer  du  reste,  permet  d'abréger  les 
énoncés. 
On  écrit  toujours  : 

P 
ni  =  -• 

0 

Force  vive.  Puissance  vive.  —  On  appelle  force 
vive  d'un  point  matériel  en  mouvement  le  produit 
de  sa  masse  m  par  le  carré  de  sa  vitesse  v  :  ainsi 
l'expression    algébrique   de    la    force    vive  est  ; 


mv^  (force  vive). 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2225 


TRAVAIL  DES  FORCES 


Comme  c'est  la  moitié  de  ce  produit  f|iii  rovient 
il  chaque  institut  dans  les  calculs  do  mécanique, 
M.  Bellangei-  a  proposé  la  dénomination  de  puis- 
sance vive  à  l'expression: 

-  mv^  {puissance  vivej 

Nous    adopterons  cette  définition  en  appelant, 
dans  ce  qui  suit,  puissmice  vive  le  produit  : 


=  P  X 


2r? 


qui  est  le  produit  du  poids  du  corps  par  la  hau- 
teur de  cluite  correspondant  ;\  la  vitesse  v. 

PnoposiTioN  I.  —  Loisfju'une  force  coiisLantn  F 
agit  sur  un  point  matériel  partant  du  repos,  son 
travail,  au  bout  d'un  certain  temps  t,  est  numéri- 
quement égal  à  la  puissance  vive  que  possède  le 
mobile  à  l'époque  t. 

Démonsiration.  —  On  a  les  équations: 


'  =  v:t,  c  =  -vjt-,  w  =  g  '■ 


qui  donnent  : 


(1)    "  =  ?iî''.       (3)';= 


i  g  It^ 


Si  entre  les  équations  (l)et  (2)  on    élimine  /,  il 
vient  : 

g  F  ^^   /P\2           1,2          „2          p 

l  ï>        \FJ         gi       2g       F 


puissmice  vire  ilcpuis  la  position  initiale  jusf/u'i'i 
la  pnsilion  finale  que  l'on  considère. 

Démonstrtilion.  —  Soit  R  la  résultante  des  for- 
ces F,  F',  F",  d'intensités  variables,  qui  sollicitent 
le  point  matériel  ;  nous  diviserons  la  trajectoire 
en  éléments  très  petits,  et  pendant  que  le  mobile 
parcourt  chaque  élément  de  la  courbe  nous  pour- 
rons supposer  R  comme  constante.  Décomposons 
la  force  R  en  deux  autres,  l'une,  N,  normale  à  l'élé- 
ment de  la  trajectoire,  l'autre  Q  dirigée  suivant 
cet  élément  ;  comme  le  travail  de  N  est  nul,  le 
travail   de  R   se  réduit  h  celui  de   Q.  Soit   r„    la 

vitesse  initiale,  D  la  vitesse  finale,  et  «',«",  i'"' Un  , 

les  vitesses  à  la  fin  du  premier  petit  mouvement,  à 

la  fin    du  second ;  soit  de  plus  m  la  masse  du 

point  matériel,  ^fous  aurons  pour  le  premier  élé- 
ment du  travail  : 


pour  le  second  : 


pour  le  troisième  : 


•  mv'"'  —  -  tau"^. 


(3)     Fe=ï-'xP=.^ 


m!)  2 


Tomme  le  premier  membre  de  cette  équation  (3) 
l'est  autre  chose  que  le  travail  de  la  force  F,  l'é- 
iMiicé  précédent  est  vérifié. 

l'iiOPOsrnoN  II.  —  Lorsqu'une  force  constante 
li'jH  sur  un  point  matériel  dans  la  direction  de 
XII  vitesse  initiale,  son  travail  est  numériquement 
égal  à  la  puissance  vive  finale  du  mobile  diminuée 
de  sa  puissance  vive  initiale,  ou,  ce  qui  revient  au 
même,  à  la  variation  de  la  puissance  vive  du 
■mobile. 
Démonsiration.  — On  a  les  équations: 

I  F 

v  =  Vo  -^wt,    e  =  Va  t-\-  -  wt-,    w^gr^i 

ou: 

F  1     F 

v  =  v^+  g~-  t,   e=Vot+YJ-^tK 

bi  l'on  élimine  t  entre  ces  équations  on  a  : 

(v  —  v„  )m 
t  = n ) 


pour  le  dernier  : 

1        ,      1        2 

-  »ui2  — -  mv  • 
•l  ■!        " 

Ajoutant  toutes  ces  différences,  on  voit    que  les 
tenues 


■  mv',  -  mv  '-, 


(v  —  Vo  )m 
F 


+  :t?XfI("-^'''H 


m  ri  T 

5=  p  («  -  M  )|  (i'o  -1- 2  ("  —  ^o)U 


Par  conséquent  : 


»  "'   /    n  2 

■=2  F^"        "»'• 


disparaissent,  et  l'on  a  pour  l'expression  du  tra- 
vail total  de  la  résultante  R: 

Comme  le  travail  de  R  est  égal  à  la  somme  des 
travaux  des  composantes  F,  F',  F",  la  proposition 
est  démontrée. 

Proposition  IV.  —  Lorsqu'un  corps  solide, soumis 
à  des  forces  quelconques  F,  F',  F"...,  se  meut  d'une 
manière  quelconque  dans  l'espa':e,  la  somme  algé- 
brique des  travaux  de  toutes  les  forces  appt'iquées 
équivaut  à  la  variation  totale  de  la  somme  des 
puissances  vives  de  tous  les  points  du  corps. 

Démonstratio7i.  —  Soit  m  la  masse  d'un  des  points 
matériels  A,  îio  sa  vitesse  initiale,  v  sa  vitesse 
finale,  R  la  résultante  de  toutes  les  forces  qui 
sont  appliquées  au  point  A  et  dont  le  travail  est 
égal  à  la  somme  des  travaux  des  composantes;  on 
aura  : 

„       1        ,       1        2 
jR  =  -  mv-  —  ^  '""o» 

Chacun  dos  points  du  système  fournira  une  équa- 
tion analogue: 

gR'  =  -  m'v'-  —  ^  '"'^'l't 


■  ce  qui  démontre  la  proposition. 

Proposition  111.  —  Lorsqu'un  point  matériel  se 
mi-ut  d'une  manière  quelconque  datis  l'espace  sous 
l'action  d'un  nombre  quelconque  de  forces  varia- 
bles, le  trnvail  total  des  forces  appliquées  éqzti- 
vaut  numériquement  à  la  variation  totale  de  la 

i'  P/IITIE. 


On  aura  donc  on  les  ajoutant: 

s,r=y^lmv^~y:^mvi- 

le  signe  Z  du  premier  membre  signifie  :  somme  de 
travaux  analogues  au  travail  total  de  F,  et  le 
signe  S  du  second  membre  indique  qu'il  faut 
ajouter  les  puissances  vives  de  tous  les  points  du 
corps. 

l'iO 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2226  -     TRAVAIL  DES  FORCES 


IV.  Cas  particuUers.  —  L'équation  du  travail  se 
simplifie  lorsque  le  système  matériel  considéré 
est  animé  d'un  mouvement  de  translation  recti- 
ligne,  ou  d'un  mouvement  de  rotation  autour  d'un 
axe  ;  ce  sont  les  mouvements  les  plus  fréquem- 
ment employés  dans  les  macliines. 

Pbopositiun  I.  —  Si  iinsijilème  de  points  maté- 
riels fst  animé  d'un  mouwment  de  translation,  la 
somme  des  travaux  des  forces  extérieures  équi- 
vaut au  poids  total  du  système  mulliplié  par  la 
différence  des  hauteurs  de  cliute  correspondantes 
aux  vitesses  extrêmes  de  l'un  quelconque  des  points 
considérés. 

Démonstration.  —  Dans  un  mouvement  de 
translation,  tous  les  points  matériels  décrivent 
pendant  un  temps  très  petit  des  éléments  égaux 
et  parallèles;  les  vitesses  de  ces  éléments  ii  un 
instant  quelconque  sont  donc  toutes  égales.  Soit 
V  la  vitesse  finale  de  l'un  d'eux,  p,  p',  p",.-  leurs 
poids  ;  la  somme  des  puissances  vives  finales 
sera  : 


(P  +  P'  +  P"  +  ■■■)><  ^■ 


=  PX 


2y 


P  désignant  le  poids  total  du  corps. 

Soit  de  même  t'a  la  vitesse  initiale  de  l'un  des 
points  matériels,  la  somme  des  puissances  vives 
initiales  sera  : 


et  l'on  aura 


^9 


Comme   ^  est  la  hauteur  de  chute  qui  donnerait 

au  corps  la  vitesse  v,  l'énoncé  précédent  est  dé- 
montré. On  peut  dire  aussi  que  le  second  mem- 
bre est  égal  à  la  moitié  de  la  masse  totale  du 
système  multipliée  par  la  différence  des  carrés  des 
■vitesses  extrêmes. 

Proposition  II.  —  Si  un  système  de  points  ma- 
tériels e^t  animé  d'un  mouvemeyit  de  rotntion  au- 
tour d'un  axe  fixe,  la  somme  des  travaux  des  forces 
extérieures  équivaut  à  la  différetice  des  carrés 
des  vitesses  angulaires  extrêmes  multipliée  par 
h  moment  d'inei  lie  du  corps.  Un  appelle  moment 
dinertœ  la  somme  des  produits  obtenus  en  multi- 
pliant la  masse  de  chaque  point  matériel  par  le 
carré  de  sa  distance  à  l  axe  de  rotation. 

Démonstration.  —  Soit  encore  p,  p',  p"...,  les 
poids  des  points  matériels,  leurs  masses  m,  m', 

m" seront". 

P        p'       p". 

V    T     s' 

soit  de  plus  wo  et  M  les  vitesses  angulaires  extrê- 
mes ;  en  désignant  par  r  la  distance  du  point  consi- 
déré à  l'axe  de  rotation  nous  aurons  : 

V  =  oir, 
et  l'expression  de  la  puissance  vivo    de   ce  point 
deviendra  : 

P^-  •  5    0. 

i'J       2 
la  somme  des  puissances  vives  finales  du  système 
sera  donc  : 

-  miah-^  4-  2  m'œ^r'^  -[-. .  ■ 

ou,  en  mettant^  ufi  en  facteur  commun, 

-  ma-  [mri  +  m'r'^  -f  m"r"-  +.■■] 

La  quantité  entre  parenthèses,  qui  est  la  som- 
me des  produits  obtenus  en  multipliant  la  masse 


de  chaque  point    par  le    carré    de    sa   distance 
l'axe,  s'appelle  moment  d'inertie  du  corps;  si  on  la 
désigne   par   I,   on  a   pour  la   somme   des   puis- 
sances vives  finales  : 

loo^xl. 

On  aurait  de  même  pour  la  somme  des  puissances 
vives  initiales  : 

et  par  suite  l'équation  du  travail  se  réduit  à  : 

La  détermination  du  moment  d'inertie  d'un 
corps  défini  géométriquement  est  une  question 
de  calcul  qui  n'offre  pas  de  grandes  difficultés; 
on  trouve  les  moments  d'inertie  d'une  tige,  d'un 
triangle,  d'un  rectangle,  d'nn  cercle,  d'une  cou- 
ronne circulaire,  d'un  parallélipipède,  d'un  cône, 
d'une  sphère,  dans  les  aide-méiuoire  do  mécanique 
pratique. 

Proposition  III.  —  Lorsqu'un  système  de  points 
matériels  se  meut  sous  la  seule  action  de  lu  pesan- 
teur, la  variation  de  la  somme  des  puissances 
vives  des  différents  points  est  égale  au  poids  du 
corps  multiplié  par  la  hauteur  verticale  dont  le 
centre  de  gravité  s'est  abaissé. 

Démonsltalion.  —  Soit  Ao,  A'o,  A"u...  les  posi- 


tions initiales  des  points  considérés;  //o,  A'o,  /l'V- 
leurs  distances  initiales  :\  un  plan  horizontal  de 
comparaison  MN  ;  soit  de  plus  A,  A',  A '....leurs 
positions  finales,  et/-,  h',  /."...  leurs  distances  finales 
au  même  plan  JIN;  désignons  par  p,p,p  ....  leurs 
noids  par  Go  et  G  les  positions  extrêmes  du 
centré  de  gravité,  et  par  Ho  et  H  la  distance  ini- 
tiale et  la  distance  finale  de  ce  centre  de  gravite 
au  plan  horizontal  de  comparaison  MN  ;  soit  enfin  P 
le  poiJs  total  du  système. 

D'après  ce  qui  a  été  vu  ci-dessus,  les  travaux  de 
la  peslinteur  sur  les  différents  points  matériels 
ont  pouf  expressions  : 

p{h-ho),    p'(h'-h'),     p    "{h"-h"),... 
et  leur  somme,  ou  le  travail  total  de  la  pesanteur, 

Z={P>'+P'J''+P"'i'  +  ---\ 
—  (pAo -!-;■/' 0 -f- y/'  o-t-.--) 

Mais  la  première  somme  est,  en  vertu  du  théo- 
rème des  moments, 

ph  +p'h'  -\-p"h"  +  . . 
et  la  seconde  est: 

jj/io  -t-  p''t'o  -\-p"l^"ô  4-  • 
On  a  donc  en  substituant: 


.  =PH 


..  =  PHu 


5=P(U-Ho)=y' 


1-  V 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2227  —     TRAVAIL  DES  FORCES 


Consi'(jiiences.  —  1°  Si  le  contre  de  gravitd  s'a- 
baisse, la  somme  dos  puissances  vives  augmente. 

2°  Si  le  contre  do  gravitù  s'élève,  la  somme  dos 
puissances  vives  diminue. 

3°  Si  lo  centre  de  gravité  revient  il  la  même 
hauteur,  la  somme  des  puissances  vives  a  repris 
sa  première  valeur. 

V,  Applications  de  l'équation  du  travail  au 
mouvement  uniforme  d'un  corps  solide.  —  Cllor- 
clions  les  rel.itiiHis  qui  doivent  exister  entre  les 
forces  appli(iuées  à  un  corps  solide  anime  d'un 
mouvement  uniforme  de  translation  reciiligne  ou 
bien  d'un  mouvement  de  rotation  autour  d'un  axe; 
ce  sont  les  mouvements  dont  sont  animées  pres- 
que toujours  les  pièces  des  macliines. 

Proposition  I.  —  Lorsqu'un  cor/)s  solvh  est 
animé  d'un  hiouvument  de  Irahslntion  recti/igne 
et  uniforiw,  la  .\0)n»ie  a/i/cljrii/ue  des  composantes 
des  foires  extérieures-  parallèlement  à  la  direc- 
tion du  moupcinent  est  nulle  d'elle-même. 

Démonstration.  —  Puisiiue  chaque  point  maté- 
riel a  une  vitesse  constante,  la  somm'e  totale  des 
ptlissances  vives  a  une  valeur  constante  pendant 
toute  la  durée  du  mouvement;  sa  variation  est 
donc  nulle,  et  par  conséquent  la  somme  des  tra- 
vaux des  forces  extérieures  sera  également  nulle 
pendant  toute  la  durée  du  mouvement. 

Décomposons  chacune  des  forces  appliquées  au 
corps  en  deux  autres,  l'une  X,  ayant  la  direction 
du  mouvement  roctiligne  dont  le  corps  est  animé; 
l'autre  N,  perpendiculaire  à  la  première  :  le  tra- 
vail do  chacune  des  forces  N  est  juil,  et  il  ne  res- 
tera plus  h  considérer  que  la  somme  des  travaux 
des  forces  X  pendant  le  temps  t  que  l'on  consi- 
dère. Soit  V  lu  vitesse  du  mouvement  de  transla- 
tion, vt  sera  le  déplacement  de  chacun  dos  points 
d'application  des  forces  X,  et  la  somme  de  leurs 
travaux  sera  : 

t)<(x  +  x'-i-x"  +  ...); 

or  cette   somme  doit  être  nulle,    on   doit  donc 
avoir: 

\-\-X'  -\-\"+...=0. 

Pnopo5iTiON  II.  —  Lorsqu'un  corps  solide  est 
animé  d'un  mouvement  de  rotntion  uniforme  au- 
tour d'un  axe  fixe,  la  somme  algébrique  îles  mo- 
ments des  forces  extérieures  par  rapport  à  cet 
axe  est  nulle  d'elle-même. 

Démonstration.  —  Chaque  point  matériel  du 
système  ayant  une  vitesse  constante,  la  variation 
de  la  somme  des  puissances  vives  est  nulle; 
l'équation  du  travail  montre  immédiatement  que 
la  somme  des  travaux  des  forces  extérieures  doit 
être  nulle  d'elle-même.  Mais  nous  avons  vu 
que  cette  somme  des  travaux  effectués  en  une  se- 
conde est  égale  à  la  vitesse  angulaire  de  rotation 
multipliée  par  la  somme  algébriciue  des  moments 
des  forces  par  rapport  i  l'axe  ;  nous  devons  donc 
avoir: 

Mox(F)-1-MoT(F')-t-...=0. 

Remarque  importante.  —  On  voit  par  ce  qui 
précède  que  les  conditions  d'équilibre  des  forces 
qui  sollicitent  un  corps  animé  d'un  mouvement 
uniforme  sont  les  mêmes  que  celles  d'un  système 
de  forces  qui,  agissant  sur  un  corps,  le  tiennent  en 
repos.  —  On  devait  le  prévoir.  En  effet  les  forces 
agissent  sur  un  corps  en  mouvement  comme  si  le 
corps  était  en  repos;  c'est  un  principe  expérimen- 
tal qui  sert  de  base  i  la  mécanique.  Il  en  résulte 
que  si  un  système  de  forces  est  en  équilibre  sur 
un  corps  en  repos,  elles  se  feront  encore  équilibre 
sur  ce  corps  solide  animé  d'un  mouvement  quel- 
conque ;  elles  n'altéreront  donc  pas  le  mouvement 
primitivement  imprimé  au  corps.  La  réciproque 
est  vraie  :  lorsqu'un  système  de  forces  appliquées 
à  un  corps  en  mouvement  n'altère  pas  ce  mouve- 
ment,  c'est   qu'il   est  incapable  de  produire  lui-  ■ 


môme  un  mouvement;  si  donc  on  l'applique  à  un 
corps  en  repos,  il  ne  pourra  le  faire  mouvoir;  ces 
forces  tiendront  donc  en  {quilibre  le  corps  solide. 

(Iai.ci;!.  be  la  variatio.n  iie  vitesse  dans  le 
mouvement  ijnifoiiméme.nt  vahié. 

PiioPosiTioiv  I.  —  L'accélération  dans  le  mou- 
vement de  translation  reclilii/7ie  uniformément 
varié  d'un  corps  solide  sollicité  par  des  forces, 
a  pour  valeur  l'accélération  g  due  à  la  peianteur 
iiiulti/iHiJe  par  le  rapport  entre  la  somme  des  com- 
posantes de  tintes  les  forces  extérieures  dans  la 
d'ireclion  du  inouverwnt  et  le  poids  total  du  corps. 

Démonstration.  —  Nous  avons  vu  que,  dans  le 
cas  d'un  mouvement  de  translation,  la  variation 
de    la  sommo    des    puissances    vives   est   : 

et  que  la  somme  des  travaux  des  forces  F  est 
égale  au  chemin  e  décrit  par  un  point  du  système 
multiplie  par  la  somme  des  projections  des  forces 
sur  la  direction  du  déplacement,  ce  qui  revient  à 
écrire  : 

(2)     Ss(F')  =  (X  +  X'  +  X"-l-...)?. 

Or,  le  mouvement  étant  uniformément  accéléré, 
on  a: 

v=Co  -ftu/, 
par  suite  : 

1)2—  vl=2v^wt  4-  «;2/2, 
ou  : 

v^  —  v^  =  Zuj{Vo  l-{-l  wl"-); 


mais  l'on  a  : 


e  =  Vo  <  +  -    ivi-; 


le  second  membre  de  (1)  se  réduit  donc  à: 


et  l'on  a  l'équation  : 

(X-l-X'+X"  +  ...ie=: 


=?x 


X  -f-'X'  -t-  X"  -f-  .  . . 


PnorosiTioN  II.  —  Lorsqu'un  corps  solide  qui 
tourne  autour  d'un  axe  fixe  est  animé  d  un 
mouvement  uniformément  varié,  la  variation  de 
vitesse  angulaire  a  pour  valeur  la  somme  des 
moments  dfS  forces  extérieures  par  rapport  à 
cet  axe,  divisée  pnr  le  moment  d'inertie  du  corps 
par  rapport  au  même  axe. 

Démonstration.—  Nous  avons  vu  (§  IV,  proposi- 
tion n)  que  l'équation  du  travail  se  réduit  dans  ce 
casa: 

(I)      2g(F)=l  I    (<o2-o.^; 
et  §  II,  proposition  ii,  que  : 

(•2)   Sî(F)=s.i:Mox(F), 

s  étant  l'arc  décrit  dans  le  temps  t  à  partir  de  la 
position  initiale  par  un  point  situé  à  un  mètre  de 
distance  de  l'axe.  NoUs  allons  transformer  le  se- 
cond membre  de  l'éiiuation  (1),  puis,  écrivant 
qu'il  est  égal  au  second  membre  de  (2),  nous 
aurons  la  relation  cherchée. 
Soit  y  l'accélération  angulaire,  nous  avons- 

et  par  conséquent  : 

0,2— uù  =  2y.  w.  i-J->'  (», 


TRAVAIL  DES  FORCES     —  2228  —     TRAVAIL  DES   FORCES 


ou,  menant  Ij  en  facteur  : 
Mais  il  est  bien  clair  que 

S  =  Oit  +  -jt'-, 

l'équation  (1)  peut  donc  s'écrire: 
SS(F)  =  I.J.^, 
et  l'équation  du  travail  fournit  la  relation  : 

I.;.s=s.  IiMm(F). 
On  en  déduit: 


J  =- 


SM  fF) 
1 


VI.  Principe  de  la  transmission  du  travail 
dans  ies  maciiines.  —  Si  l'on  considère  les  ma- 
cliines  au  point  de  vue  du  travail  qu'elles  effec- 
tuent, on  peut  dire  qu'(«i''  mac/une  est  un  si/stème 
maturiel  renfermant  un  ou  plusieurs  points  fixes 
et  destini;  à  transmettre  le  travail  des  forces. 

Définitions.  —  Parmi  les  forces  qui  agissent 
sur  une  machine,  on  distingue  :  V  les  forces  mo- 
trices, qui  tendent  à  augmenter  la  viiesse  de  leurs 
points  d'application  ;  elles  sont  dirigées  dans  le 
sens  du  mouvement,  ou  bien  font  un  angle  aigu 
avec  la  direction  de  ce  mouvement  ;  2°  les  forces 
résistantes,  qui  tendent  i  diminuer  la  vitesse  de 
leur  point  d'application  ;  elles  sont  directement 
opposées  au  mouvement,  ou  bien  font  un  angle 
aigu  avec  sa  direction. 

Ainsi  lorsqu'une  force  Q  fait  monter  un  corps 
le  long  d'un  plan  incliné,  elle  agit  comme  force 
motrice,  tandis  que  le  poids  P  du  corps  est  la  résis- 
tance. Le  frottement  qui  se  développe  au  contact 
des  deux  surfaces  doit  aussi  compter  comme  force 
résistante. 

On  voit  par  cet  exemple  que  les  forces  résis- 
tantes sont  de  deux  sortes  :  1°  les  résistances  utiles, 
celles  qu'on  a  pour  but  de  vaincre  ;  2°  les  résis- 
tances passives,  telles  que  le  frottement,  la  résis- 
tance de  l'air  ou  de  l'eau. 

Le  travail  de  la  force  motrice,  ou  la  somme  des 
travaux  des  forces  motrices,  est  appelé  travail 
moteur;  dans  le  calcul  on  le  considère  comme 
positif. 

Le  travail  de  la  résistance  ou  la  somme  des 
travaux  des  résistances  est  appelé  travail  résis- 
tant ;  dans  le  calcul  on  le  regarde  comme  négatif. 
Le  travail  résistant  se  compose  du  travail  utile  et 
du  travail  des  résistances  passives. 

Principe  de  la  transmission  du  travail.  —  Lors- 
que le  mouvement  d'une  machine  est  uniforme,  le 
travail  moteur  t'dal  effectué  pendant  un  certain 
temps  est  égal  au  travail  résistant  total  corres- 
pondant au  même  intervalle  de  temps. 

Ce  principe  est  une  conséquence  de  l'équation 
du  travail  ;  soit  j  m  le  travail  total  des  forces  mo- 
trices, Z'  '«  travail  résistant,  tu  le  travail  utile, 
£/  le  travail  des  résistances  passives,  on  a  : 

ô"i  =  £'*  ^^  S"  "i  Sr 
Ainsi  lo  travail  moteur  est  toujours  plus  grand 
que  le  travail  utile,  et  l'on  a  : 

Définilion.  —  0?i  appelle  rendement  d'une  ma- 
chine le  rapport  du  travail  utile  au  travail  mo- 
teur; le  rendement  d'une  machine  surpasse  rare- 
ment (1,80,  et  il  est  presque  toujours  inférieur 
à  cette  limite. 

Ce  qu'on  gagne  en  force  07i  le  ;  erd  en  vitesse. 
Maigre  cette  perte  de  travail  qu'entraîne  toujours 
l'usage   des  machines  les  plus  parfaites,  les  mi- 


cliines  n'en  sont  pas  moins  utiles,   parfois   même 
indispensables. 

Considérons  une  machine   qui  n'utiliserait  que 

les  r  du    travail  moteur  ;  soit  Q  la   résistance  à 

vaincre,  e  le  chemin  décrit  par  son  point  d'appli- 
cation, on  aura  : 

Comme  l'on  peut  faire  varier  à  volonté  l'un 
des  deux  facteurs  Q  et  e,  on  voit  qu'avec  cette 
machine  on  pourra  surmonter  une  résistance 
considérable  en  faisant  décrire  à  son  point  d'ap- 
plication un  chemin  très  petit;  ou  bien,  inverse- 
ment, faire  parcourir  au  point  d'application  d'une 
résistance  très  faible  un  cliemin  très  long.  Ainsi 
dans  le  treuil  des  carriers,  sur  le  petit  cylindre  la 
corde  s'enroule  très  lentement,  mais  elle  sert 
à  élever  un  poids  considérable  ;  avec  un  palan 
équipé  il  six  brins,  il  passe  6  mètres  de  corde 
entre  les  mains  des  hommes  de  la  manœuvre 
tandis  que  le  poids  ne  monte  que  de  1  mètre; 
mais  une  force  de  traction  de  100  ■■"  fait  mon- 
ter un  poids  de  600  '«. 

Le  problème  du  mouvement  perpétuel  est  im- 
possible. —  Il  s'agit  en  effet  de  trouver  une  ma- 
chine qui,  une  fois  mise  en  mouvement,  puisse 
toujours  fonctionner  en  produisant  une  certaine 
quantité  de  travail  utile  supérieure  au  travail  mo- 
teur nécessaire  pour  la  mise  en  train  ;  en  d'au- 
tres termes,  il  faut  trouver  un  appareil  qui  soit 
lui-même  un  moteur  et  puisse  se  passer  de  la 
puissance  motrice  de  l'homme,  d'une  chuted'eau, 
du  vent  ou  de  la  vapeur. 

D'après  ce  qui  précède,  un  pareil  problème  est 
impossible,  puisqu'une  machine  n'augmente  pas 
la  quantité  de  travail  fournie  par  le  moteur;  loin 
de  là,  elle  la  diminue,  puisque  les  résistances  pas- 
sives que  son  mouvement  développe  nécessaire- 
ment en  absorbent  une  partie  très  notable. 

Ainsi,  l'on  ne  peut  créer  de  toutes  pièces  de 
la  force  motrice,  et  l'on  doit  se  contenter  d'utili- 
ser le  mieux  possible  le  travail  des  moteurs  en 
évitant  les  chocs,  les  changements  brusques  de 
vitesse,  et  en  cherchant  h.  diminuer  les  pertes  de 
travail  dues  aux  résistances  passives. 

Les  cliocs  sunt  une  perte  de  travail,  il  faut  les 
éviter  dans  les  mnctiines.  —  En  effet,  remarquons 
d'abord  que  si  l'on  tend  un  ressort  d'une  élasti- 
cité parfaite,  ce  ressort  restitue,  en  reprenant  sa 
forme  primitive,  tout  le  travail  moteur  employé 
d'abord  pour  le  fléchir  ;  mais  s'il  ne  revient  pas  à 
son  état  primitif,  une  portion  du  travail  moteur 
n'est  pas  restituée  et  sert  seulement  i  opérer  la 
déformation  permanente  du  ressort. 

D'autre  part,  les  chocs  ou  secousses  dévelop- 
pent des  pressions  considérables  et  produisent, 
par  suite,  des  déformations  permanentes;  il  faut 
donc  les  éviter  et  employer  pour  les  pièces  des 
machines  des  corps  h  la  fois  raides  et  élastiques. 
C'est,  du  reste,  ce  que  l'on  fait  toujours:  la  plu- 
part des  outils  sont  en  acier  trempé  ;  ils  ont  une 
forme  et  des  dimensions  telles  qu'ils  s'émoussent 
ou  fléchissent  très  peu  sous  l'action  des  résistan- 
ces qu'ils  ont  h  vaincre.  Non  seulement  des  ou- 
tils en  fer  doux,  en  cuivre,  en  plomb,  travaille- 
raient fort  mal  et  exigeraient  de  fréquentes  ré- 
parations, mais  ils  consommeraient  en  pure  perte 
beaucoup  de  travail  mécanique. 

La  notion  du  travail  dans  les  machines  nous  a 
permis  d'exposer  assez  simplement  quelques-uns 
des  principes  fondamentaux  de  la  dgnamir/ue;  cet 
exposé  forme  le  complément  nécessaire  du  résumé 
de  statique  inséré  k  l'article  Mécanique.  Le  général 
Poncelet  eut,  le  premier,  l'idée  de  présenter  la 
dynamique  de  cette  manière  pour  la  rendre  plus 
accessible  aux  constructeurs    et    aux   personnes 


TRIGONOMETRIE 


2^29  — 


TRIGONOMETRIE 


dont  les  connaissances  malhdmatiquos  ne  sont  pas 
Iros  l'iiMulues.  [E.  Uurat.] 

TIlKMlîLEMEINT  DIÎ  TERRE.  —  V.  Vo/cans. 

TKIAiNGLE.,—  V.  Polygones. 

TRKiOA'OMÉTRIE.  —  ï.  Objet  de  la  trigono- 
métrie. -  La  gcométrie  apprend  comment  on 
peut  construire  un  triangle  au  moyen  de  trois  de 
.ses  six  olcments,  pourvu  que  parmi  ces  trois  clé- 
ments il  y  ait  au  moins  un  côté.  Considérons  par 
exemple  un  terrain  triangulaire  que  nous  désigne- 
rons par  A'13'C'.  Après  avoir  mesuré  à  la  chaîne  le 
cùté  li'C  et  au  grapliomètre  les  angles  B'  et  C  ad- 
jacents h  C't  côté,  on  tire  sur  le  papier  une  droite 
ISG  (fig.  1)  contenant  autant  de  millimètres  qu'on 
a  trouve  de  mètres  dans  B'C;  on  fait  à  ses  extré- 
mités Ji  l'aide  du  rapporteur  les  angles  B  et  G 
égaux  à  ceux  du  terrain  :  on  obtient  ainsi  un 
triangle  ABC  qui  est  semblable  h.  celui  du  terrain. 
(V.  l'article  Polygonea  semlt/nOtei,  p.  ICG'J.)  A 
l'aide  de  ce  triangle,  on  peut  connaître  les  lon- 
gueurs des  deux  côtés  A'B'  et  A'C  ;  car  elles  con- 
tiennent autant  de  mètres  qu'il  y  a  de  millimètres 
dans  AB  et  dans  AC.  De  môme  en  menant  la  hau- 
teur du  sommet  A  sur  la  base  BC,  on  connaîtrait 
la  hauteur  correspondante  sur  le  terrain,  et  en 
multipliant  cette  hauteur  par  la  moitié  de  la  base, 
on  obtiendrait  la  surface  du  terrain.  Malheureuse- 
ment ces  constructions  ne  sauraient  être  aussi 
exactes  que  faciles  à  tracer,  soit  Ji  cause  des  erreurs 
inévitables  commises  avec  l'emploi  de  la  règle  et 
surtout  du  rapporteur,  soit  h  cause  des  variations 
qu'éprouve  l'étendue  du  papier  sous  l'influence 
de  l'iiumidité  do  l'air. 

On  a  donc  cherché  h  déterminer  par  le  calcul 
algébrique  les  trois  autres  parties  du  triangle; 
c'est  ce  qu'on  appelle  résoudre  un  triangle.  Tel 
est  l'objet  de  la  Trigonométrie. 

La  résolution  d'un  triangle  dépend  des  rela- 
tions qui  existent  entre  les  angles  et  les  côtés  qui 
leur  sont  opposés.  On  sait  bien  que  dans  tout 
triangle,  le  plus  grand  côté  est  opposé  au  plus 
grand  angle  ;  mais  si  un  angle  A  est  double,  triple 
d'un  autre  angle  B,  le  côté  opposé  à  l'angle  A 
n'est  pas  double,  triple  du  côté  opposé  à  l'angle  B. 
C'est  ce  que  montre  clairement  le  triangle  isoscèle 
rectangle  ABC  (fig.  1),  où  l'angle  droit  A  est  dou- 
ble de  chacun  des  angles  égaux  B  et  C,  et  où  le 
côté  BC,  moindre  que  AB  -|-  AC,  est  par  suite  moin- 
dre que  '2BA. 

Ainsi,  le  rapport  de  deux  côtés  d'un  triangle 
n'est  point  égal  au  rapport  des  angles  qui  leur  sont 
opposés.  La  relation  qui  existe  entre  les  côtés  et 
les  angles  d'un  triangle  ne  pont  donc  pas  s'ex- 
primer directement;  on  y  est  parvenu  par  l'inter- 
médiaire de  certaines  lignes  qui  dépendent  des 
angles  et  qui,  pour  cette  raison,  portent  le  nom 
de  lignes  trigonométriques. 

2. De  la  métliode  suivie  dans  cet  article.  —  Nous 
nous  proposons  ici  de  suivre  le  chemin  qui  conduira 


Fig.  1. 

le  plus  directement  et  le  plus  simplement  possi- 
ble à  l'objet  spécial  de  la  trigonométrie,  en  ayant 
soin  de  montrer  à  chaque  pas  les  applications 
utiles,  pour  ôter  à  cette  étude  l'aridité  qu'on  lui 
reproche,  et  en  laissant  à  l'écart  tout  ce  qui  n'est 
pas  indispensable  pour  atteindre  notre  but,  afin 
de  décharger  cette  étude  d'une  multitude  de  for- 
mules qui  l'encombrent. 


Il  est  inulilo  de  répéter  ici  ce  qui  a  été  ensei- 
gné dans  la  gcométrie  sur  la  mesure  de  l'angle 
au  moyen  de  l'arc  intercepté  entre  ses  côtés  et 
décrit  d'un  rayon  quelconque  avec  son  sommet 
pour  centre.  Nous  dirons  seulement  que  nous  em- 
ploierons indifféremment  arc  pour  angle,  et  qu'en 
outre  nous  nous  bornerons  aux  angles  des  trian- 
gles, c'est-ii-diro  aux  angles  qui  ne  dépassent  pas 
deux  angles  droits. 

^.  Lignes  trigonométriques.  —  Dans  un  cercle 
décrit  d'un  rayon  quelconque  (fig.  2),  tirons  deux 


diamètres  rectangulaires  AA'  et  BB'  ;  i.  partir  du 
point  A  prenons  l'arc  AM  ;  puis  menons  de  M  la 
droite  MP  et  en  A  la  droite  AT  perpendiculaires 
toutes  deux  sur  O  A,  et  tirons  le  rayon  OM  prolongé 
jusqu'à  sa  rencontre  avec  AT. 

La  perpendiculaire  MP  est  le  siwis  de  l'angle 
AOM  ou  de  l'arc  AM;  la  droite  AT  en  est  la  tan- 
gente, et  la  droite  OT  la  sécante. 

Mais  l'arc  n»i  indique  la  mesure  de  l'angle  AOM 
aussi  bien  que  l'arc  AM,  et  si  on  fait  les  mêmes 
constructions  que  pour  l'arc  AM,  la  perpendicu- 
laire mp  sera  aussi  le  sinus  de  l'angle  AO.M,  la 
droite  at  sera  la  tangente  et  ol  la  sécante.  On 
voit  par  \k  que  pour  déterminer  les  trois  lignes 
trigonométriques  de  l'angle,  il  faudrait  en  môme 
temps  indiquer  le  rayon  qui  a  servi  à  décrire 
l'arc.  Cela  cependant  n'est  point  nécessaire. 

En  effet,  les  deux  triangles  rectangles  sembla- 
bles Oinp  et  OMP  donnent  la  proportion  : 
mp      Om        mp       MP 
MP""ÔM  °"  Ôwi~C)M" 

Cette  proportion  montre  que  le  rapport  entre 
le  sinus  mp  de  l'arc  am  et  son  rayon  0»i  est 
égal  au  rapport  entre  le  sinus  MP  de  l'arc  AM  et 
son  rayon  OM.  Par  exemple,  si  mp  était  les  0,"  du 
rayon  Om,  MP  serait  aussi  les  0,7  du  rayon  OM. 

Il  on  est  de  même  pour  le  rapport  entre  la 
tangente  et  le  rayon,  pour  le  rapport  entre  la  sé- 
cante et  le  rayon.  Le  nombre  qui  exprime  la 
grandeur  de  chacune  de  ces  trois  lignes  trigo- 
nométriques par  rapport  au  rayon,  gui  est  ainsi 
prix  pour  unité,  reste  constant  pour  un  môme 
angle  quel  que  soit  le  layon. 

De  \h.  la  définition  suivante  des  trois  lignes 
trigonométriques  : 

1°  Le  SINUS  d'un  angle  ou  d'un  arc  est  le  nombre 
qui  exprime  le  rapport  e.xistant  entre  ht  perpen- 
diculaire abaissée  d'une  extrémité  de  i'urc  sur 
le  rayon  mené  à  l'autre  extrémité  et  la  longueur 
du  rayon  ; 

2°  La  TANGENTE  d'wi  angle  ou  d'un  arc  est  le 
nombre  qui  exprime  le  rapport  existant  entre 
la  portion  de  tangente  menée  depuis  l'origine  de 
l'arc  Jusqu'à  sa  rencontre  avec  le  prolongement 
du  rayon  qui  passe  par  l'autre  extrémité  et  la 
longueur  du  rayon  ; 

3"   La  sÉcANTii   d'un  angle  ou  d'un  arc  est  le 


TRIGONOMETRIE 


—  2230  — 


TRIGONOMETRIE 


nombre  gui  exprime  le  rapport  existant  entre  In' 
droite  me'v'e  itu  centre  par  la  seeomle  extrémité 
de  l'arc  jusqu'à  la  rencontre  de.  la  tangente  et  la 
longueur  du  nnjon. 

Ôbseiivation.  —  Il  importe  de  bien  retenir  que 
le  rayon  est  tout  S  fait  indéterminé,  et  que  les 
nombres  qui  indiquent  les  valeurs  du  sinus,  de 
la  tangente  et  de  la  sécante  sont  des  nombres 
abstraits  et  n'expriment  jamais  des  unités  con- 
crètes de  longueur.  Quand  on  dit,  par  exemple, 

quG  le  sinus  d'un  angle  x  est  égal  à  -i  cela  si- 
gnifie que  sa  longueur  est  3  fois  le  quart  de  la 
longueur  du  rayon,  quel  que  soit  ce  rayon. 

Nous  désignerons  par  les  abréviations  suivan- 
tes les  trois  lignes  trigonométriques  d'un  angle 
ou  arc  X  : 

sin  x;  tg  x ;  séc  x. 

Nous  avons  maintenant  h  étudier  les  variations 
de  grandeur  de  ces  lignes,  quand  l'angle  varie 
depuis  lio  jusqu'à  18u°. 

4.  Sinus.  —  1°  Remarquons  d'abord  que  le  sinus 
d'un  arc  est  égal  à  la  moit'é  di-  la  corde  qui 
sous-tend  un  arc  (double.  En  cfTct,  si  l'on  prolonge 
au-dessous  de  OA  (fig.  3)  la  perpendiculaire 
MP,  qui  est  le  sinus  de  l'arc  AH,  on  voit  que  la 


[Fig.  3. 

corde  MN, double  du  sinus,  sous-tend  l'arc  MAN, 
double  de  l'arc  AM. 

C'est  cette  propriété  qui  a  donné  naissance  au 
mot  sinus  ;  ce  nom  est  une  abréviation  (s.  ins.)  du 
terme  latin  semi-iiiscripia,  qui  signifie  demi-corde 
inscrite  dans  le  cercle. 

2°  A  partir  du  point  A,  qui  sera  toujours  l'or!- 
gine  de  nos  arcs,  considérons  un  arc  d'abord 
trf^s  petit.  Il  est  facile  de  voir  que  son  sinus 
est  lui-même  très  petit,  qu'il  va  en  grandissant  à 
mesure  que  l'arc  augmente  et  qu'enfin  le  sinus 
est  égal  au  rayon  OB,  lorsque  l'arc  est  devenu 
égal  à  90°. 

Si  l'arc  augmente  au-delii  de  90°,  le  sinus  dimi- 
nue, en  passant  par  les  mêmes  valeurs  qu'il  avait 
prises  de  0°  à  90";  enfin,  quand  l'arc  est  devenu 
l'arc  ABA'  égal  à  18o",  son  sinus  se  réduit  h  un 
point. 

Nous  écrirons  donc  : 


sin  0°  =  0;  sin  90°  =  )  ;  sin  1S0° 


=  0. 


3°  Sinus  de  deux  arcs  suppLF.MENTAinEs.  —  Sup- 
posons la  corde  MM'  parallèle  à  AA',  les  arcs 
AM  et  ABM'  sont  supplémentaires  ;  leurs  sinus 
MP  et  M'M' sont  égaux  ;  ils  sont  représentés  tous 
deux  par  OQ. 

Donc  deux  arcs  supplémentaires  ont  les  mém's 
sinu^t. 

Si  on  désigne  par  a  un  arc  moindre  que  90», 
l'arc  supplémentaire  sera  iSU^-a  et  on  aura  : 

sin  (180°  —  a)  =  sin  a. 

Nota.  —  La  figure  3,  qui  représente  toutes  les 
lignes  trigonométriques,  est  appelée  cercle  trigono- 
métrique.  Il  importe  qu'on  la  grave  dans  sa  mé- 
moire, telle  qu'elle  est  tracée  ici. 


4"    VaLEIKS    des    sinus     de    Cl'ELOrES    ANGLES.     — 

A  l'aide  ilu  principe  cité  au  commencement  de  ce 
paragrapbe,  il  est  facile  de  connaître  les  sinus  des 
angles  de  30",  00°  et  4.S"  ;  car  ils  sont  les  moitiés 
des  cordes  qui  sous-tendentles  arcs  doubles,  c'est- 
à-dire  les  arcs  de  (;0°,  120°  et  90°. 

On  sait  par  la  géométrie  (V.  l'article  Polygones 
réguliers)  qu'en  prenant  le  rayon  pour  unité,  on  a  : 

corde  00°  =  1;  corde  120"  =  V^;  corde  90"  =  Vi- 

Il  en  résulte  donc  : 

sin  30"  =  ^;  sinC0°  =  iv'^;  sin4;)°  =  .y\/2. 

Par  exemple,  en  extrayant  la  racine  carrée  de  2, 

on  trouve  :  -  \'2  =  0,707  ;   le  sinus  de   45°   est 

donc  égal  à  707  fois  la  1000»  partie  du  rayon, 
quel  que  soit  le  rayon. 

6.  Tangente.  —  1"  Il  suffit  de  regarder  le  cercle 
trigonomclrii|ue  (fig.  3)  pour  voir  que  si  l'arc  est 
très  petit,  sa  tangente  est  très  petite,  qu'elle 
grandit  à  mesure  que  l'arc  augmente,  et  enfin  que 
pour  un  arc  AB  égal  à  9u",  le  point  de  rencontre 
de  la  tangente  et  de  la  sécante  se  trouve  à  une 
distance  infiniment  grande,  puisque  ces  deux 
droites  sont  devenues  parallèles. 

Si  l'arc  AM  a  45°,  le  triangle  rectangle  AOT  est 
isoscèle  ;  car  l'angle  AOT  et  l'angle  ATO  sont 
chacun  égaux  à  45°,  et  le  côté  AT  est  égal  au 
côté  AO;  la  tangente  est  donc  égale  au  rayon. 

On  peut  donc  écrire  : 

tg0°=  0;  tg  45"=  1;  tg90"  =  =î. 

2°  Faisons  grandir  l'arc  au  delà  de  90°  et  soit 
par  exemple  l'arc  ABU'.  La  droiie  menée  par  le 
centre  O  et  la  deuxième  extrémité  M'  de  l'arc  ren- 
contre la  tangente  menée  par  l'origine  A  au-des- 
sous de  ce  point;  la  tangente  de  l'arc  ABM'  est 
donc  AT'.  Mais  il  est  indispensable  d'indiquer 
qu'elle  a  une  position  directement  contraire  à 
celle  qu'avait  la  tangente  pour  un  arc  moindre 
que  90°.  On  indique  cette  opposition  de  direction 
en  donnant  le  signe  -f-  à  la  tangente  qui  se  trouve 
au-dessus  du  point  A  et  le  signe  —  à  la  tangente 
qui  se  trouve  au  dessous. 

Ainsi  la  tangente  d'un  angle  aigu  est  positive; 
la  tangente  d'un  angle  obtus  est  négative. 

A  mesure  que  l'arc  grandit  au  delà  de  90°,  sa 
tangente  diminue  en  valeur  absolue,  et  à  18(1°  elle 
se  réduit  à  zéro.  A  90"  la  tangente  est  tout  à  la  fois 
égale  à  -1-  ce  et  à  —  co. 

,3°  En  considérant  les  deux  arcs  supplémentaires 
AM  et  ABM',  il  est  facile  de  voir  par  l'égalité  des 
triangles  rectangles  OAT  et  OAT'_  que  leurs  tan- 
gentes AT  et  .\T'  sont  égales  et  ne  diffèrent  que 
par  les  signes.  Ainsi  deur.  arcs  suppkmeni aires 
ont  des  tangentes  égales,  mais  de  signes  con- 
traires. 

C'est  ce  qu'on  écrit  ainsi  ; 

tg  (180  — «)  =  — tga. 

C.  Sécante.  —  1°  Si  un  arc  commençant  à  l'ori- 
gine A  est  infiniment  petit,  sa  sécante  est  le 
rayon  0.\.  A  mesure  que  l'arc  grandit,  la  sécante 
augmente,  et  enfin  pour  un  arc  AB  égal  à  90° 
la  sécante  est  infir.io  comme  la  tangente.  On  a 
donc  : 

séc  0°  =  1  ;  séc;)0"  =  co. 

Pour  un  arc  AM  do  45°,  les  deux  côtés  AO  et  AT 
du  triangle  AOT  sont  égaux  au  rayon.  On  a 
donc  : 

OT2  =  OA2-4-.\T»=2; 

d'où  séc  45°  =  y  2- 


TRIGONOMÉTRIE         —  2231  — 

Faisons  grandir  l'arc  au-(l(;lîi  do  90»  et   soit 


TRIGONOMETRIE 


par  ('M'inplo  l'arc  ABM'.  La  sécante,  qui  part  ton- 
joni-s  (In  contro  O,  no  passo  plus  par  la  deuxième 
l'xtréiniio  M'  de  l'arc  pour  rencontrer  la  tangente 
menée  il  l'origine  A,  comme  cela  avait  lieu  pour 
l'arc  AM  ;  elle  prend  une  direction  toute  contraire. 
On  indiquera  cette  opposition  de  direction  en  lui 
donnant  le  signe  — ,  tandis  que  la  sécante  de  l'arc 
moindre  que  'J0°  prend  le  signe  +. 

Si  l'arc,  continue  à  grandir  au-deli  de  ABM',  la 
sécante  reste  négative  et  diminue  en  valeur  ab- 
solue. Enfin  pour  l'arc  AIÎA'  égal  il  180°,  elle  est 
égale  au  rayon  OA  pris  avec  le  signe  —  . 

On  a  donc  :    séc  180"  =  —  l. 

3°  En  considérant  les  arcs  supplémentaires  AM 
et  ABM',  on  reconnaît  que  leurs  sécantes  OT  et 
OT'  sont  égales;  mais  la  première  a  le  signe  +  et 
la  seconde  doit  prendre  le  signe  —  . 

Donc  deux  arcs  supplémentaires  ont  leurs  sé- 
cnnles  égnles  mais  de  signes  eontraires. 

On  a  donc  :     séc  (IHO-ft)  ^  —  séc  a. 

Observation.  —  Pour  éviter  toute  confusion,  il 
importe  de  bien  se  rapppler  que  la  sécante  d'un 
angle  obtus  ne  prend  pas  le  signe  —  parce  qu'elle 
est  au-dessous  du  rayon  OA,  comme  la  tangente 
de  l'angle  obtus,  mais  uniquement  parce  qu'au 
lieu  de  passer  par  la  deuxième  extrémité  de  l'arc 
pour  rencontrer  la  tangente,  elle  doit  se  diriger  à 
l'opposé. 

1 .  Lignes  trigonométriques  des  arcs  complé- 
mentaires. —  1°  Outre  le  sinus,  la  tangente  et  la 
sécante,  il  y  a  encore  trois  autreslignes  trigonomé- 
triques, qui  sont:  le  cusintis,  la  cotangente  et  la 
cosécaiHe. 

Le  connus,  la  cotangente  et  la  cosécante  d'un  arc 
sont  le  sinus,  la  tangente  et  la  sécante  du  complé- 
ment (le  cet  arc. 

Si  donc  on  désigne  par  a  un  arc,  on  aura  : 

cos  a  =  sin  (9n">— «), 

cotga=  tg(;10"  — o). 

coséc  a  =  séc  (yO"  —  a). 

Quand  un  arc  est  supérieur  îi  !)0°,  on  prend 
pour  son  complément  l'excès  de  cet  arc  sur  90"  : 
ce  complément  est  alors  uu  arc  soustractif,  c'esl- 
ii-dirc  un  arc  négatif. 

2°  Origine  des  arcs  complémentaires.  —  Le 
point  A  (fig.  3)  étant  l'origine  dos  arcs,  on  prend 
le  point  B  pour  origine  des  arcs  complémentaires  ; 
par  exemple  l'arc  BM  est  le  complément  de 
l'arc  AM. 
A  l'inspection  de  la  figure,  on  a  : 

cos  AM=sin  IiM  =  MQ  =  0P, 
cotg  A  M  =tg  BM  =  BS, 
coséc  AM  =  séc  U.M  =  OS. 

Le  cosinus  de  AM  étant  égal  i  01>,  on  voit  que 
le  cosinus  d'un  arc  e-t  égal  à  la  distance  du 
centre  au  pied  du  si7ius  do  cet  arc.  Il  est  plus 
commode  de  considérer  le  cosinus  dans  cette  po- 
sition sur  le  diamètre  AA'. 

8.  Variations  des  lignes  complémentaires.  — 
1°  Pour  un  arc  infiniment  petit  commençant  à 
l'origine  A,  le  cosinus  est  égal  au  rayon  OA;  la 
cotangente  et  de  la  sécante  sont  infinies,  puisque 
la  direction  de  BS  et  celle  de  OA  sont  parallèles. 
On  a  donc  : 

cos  0°  =  sin  90°  =  1, 
cotg  (1°  =  tg  90"  =  oo  , 
coséc  0°  =  séc  9U°  =  =o  . 

A  mesure  que  l'arc  grandit  ii  partir  de  A,  le  pied  T 
du  sinus  MP  se  rapproche  du  centre,  et  par  con 


cos  00°  =  sin  0°=  0, 

cotg  90°  =  tg  0°  =  0, 

coséc  90°  =  séc  0°  =  I . 

Si  l'on   construit   la  figure  en  prenant  l'arc  A  M 

égal  il  4i°,  on  voit  que  le  sinus  est  égal  au  cosinus, 

la  tangente  à  la  cotangente,  la  sécante  à  la  cosé- 

2°  Considérons  un  arc  plus  grand  que  OB", 
ABM'  par  exemple.  Son  cosinus  est  OP';  mais 
comme  il  est  à  gauche  du  centre  sur  le  diamè- 
tre AA',  tandis  <iuo  pour  les  arcs  moindres  que 
90°  il  est  il  droite,  on  lui  donnera  le  signe  —,  et 
au  cosinus  qui  est  à  droite  du  centre  le  signe  -h- 

La  cotangente  est  lib'.  Se  trouvant  placée  il  gau- 
che du  point  B,  tandis  que  pour  les  arcs  moindres 
que  9U°  elle  est  ii  droite,  elle  prend  le  signe  —  , 
et  la  cotangente  qui  est  il  droite  de  B  prend  le 
signe +■  „„,  „ 

La  cosécante  de  l'arc  ABM  est  OS  ;  pour  aller 
rencontrer  la  cotangente  elle  passe  par  la  deuxième 
extrémité  M'  de  l'arc,  comme  dans  le  cas  où 
l'arc  est  moindre  que  90".  Il  n'y  a  donc  pas  il  lui 
donner  le  signe  —  ;  elle  reste  positive.  _ 

En  résumé,  quand  l'arc  grandit  depuis  90°  jus- 
qu'il 180°,  le  cosinus  a  le  signe  —  ,  et  varie  de- 
puis 0  jusqu'à  —  I  ;  lacotangente  a  le  signe  —  ,  et 
varie  depuis  0  jusqu'il  —  =»  ;  la  cosécante  est  po- 
sitive et  varie  depuis  1  jusqu'il  +  «=  ; 

3°  Pour  deux  arcs  supplémentaires  AM  et  ABM, 
on  voit  que  les  cosinus  sont  égaux  et_  de 
signes  contraires,  que  les  cotangentes  sont  éga- 
les et  de  signes  contraires,  et  que  les  cosécantes 
sont  égales  avec  le  même  signe. 

C'est  ce  qu'on  exprime  ainsi  : 

cos  (180°  — n)  =—  cos  a, 
cotg  (180°  —  «)=--  cotgn, 
coséc  (180°  —  a)  =  coséc  a. 

Remarque  générale.  —  Entre  0°  et  180°  le  sinus 
et  le  cosinus  prennent  des  valeurs  qui  varient  de  0 
h  1  et  de  0  à  —  1  ;  la  tangente  et  la  cotangente  va- 
rient de  0  à  4-  oo  et  de  II  il  —  =o  ;  la  sécante  et  la 
cosécrinte  varient  de  1  à  -4-   c»  et  de  —  1  .\  —  œ . 

9.  Etant  donnée  une  ligne  trigonomêtrique, 
construire  l'angle  correspondant.  —  1"  SiNi'S.  — 
Supposons    que    le    sinus    d'un    angle    soit  égal 

il  -,  c'est-ii-diro  à  trois  fois  le  quart  du  rayon.  On 
décrit  un  cercle  d'un  rayon  quelconque  (fig.  3)  ; 
on  y  trace  deux  diamètres  rectangulaires  A  A  et 
BB';  puis  sur  OB  on  porte  ii  partir  du  centre 
une  longueur  OQ  égale  à  3  fois  le  quart  dii 
layon  et  par  le  point  Q  on  mène  la  corde  MM 
parallèle  à  A'A.  Les  deux  arcs  AM  et  ABM  ainsi 
déterminés  ont  le  sinus  Jonné  ;  h  ce  sinus  cor- 
respondent les  doux  angles  supplémentaires  AOM 
et  AOM'. 


2°  Cosinus. 


—   Soit  un  cosinus  égal  à  —    -. 


On  prend  ii  gauche  du  centre  0  (fig.  3)  sur  OA' 
une  longueur  OP  égale  il  deux  fois  le  tiers  du 
rayon  ;  en  P'  on  élève  une  perpendiculaire  sur  OA 
jusqu'il  la  rencontre  de  la  circonférence  en  M  ; 
l'arc  ABM'  est  l'arc  correspondant  et  l'angle  AOM 
est  l'angle  demandé.  .     ,     ^   ,  , 

30  Tangente.  —  Soit  une  tangente  égale  il  1,5. 
Après  avoir  décrit  un  cercle  de  rayon  quelconque 
et  tracé  deux  diamètres  rectangulaires  AA'  et 
BB'  (fig.  4),  on  mène  par  A  une  tangente  indéfi- 
nie •  on  y  porte  à  partir  de  A  une  longueur  AT 
égale  il  15  fois  la  10'  parti»  du  rayon,  et  on 
ne  la   droite   OT.    L'arc   AM    correspond  à  la 


au  sinus  ivii-  se  rapprocnu  uu  ceimc,  et  yo.i   i-uu-     mco   .»    — ■      ,.        ■ 

séquent  le  cosinus  diminue;  l'extrémité  S  delà    tansente    donnée,    et    1  angle   AOM   est    1  angle 


cotangente   et  de  la  sécante  se  rapproche  de  B 
enfin    quand   l'arc   est   devenu   AB  égal  à  90°,  ' 


cherché. 

Si  la  tangente  donnée  était  ■ 


1,5,  on  porteraitla 


00  lus  e    la  cotangente  se  rédursent'à  ^éro  et  la    longueur  égale  aux  l5dixièmesdurayon  au-dessous 
cosécante  est  égale  au  rayon  OB.  On  a  donc  :  '  de  A  en  AT.  En  tirant  ensuite  une  droite  par  T 


TRIGONOMETRIE 


—  2232 


TRIGONOMETRIE 


et  par  0,  on  aurait  l'arc  ABM'  et  par  suite  l'angle 
obtus  AOjr  pour  l'angle  demandé. 


4°  CoTAKGFNTE.  —  Soit  Une   cotangente  égale 

—  2.   Ayant  tracé    dans  un   cercle  quelconque 

fig.  5)  les  deux  diamètres  rectangulaires  AA'   et 


tga  = 


cos  a 


BB',  on  mène  par  B  une  tangente  indéfinie;  on 
y  porte  à  partir  de  B  et  à  gauche  une  longueur 
BS'  égale  à  deux  fois  le  rayon  et  on  tire  la  droite 
OS'.  L'arc  ABM'  correspond  à  la  cotangente  don- 
née, et  l'angle  AOM'  est  l'angle  cherché. 

Si  la  cotangente  était  égale  K  +  2,  on  aurait 
porté  sa  longueur  à  droite  en  BS  ;  nn  aurait  eu 
alors  l'arc  AM  et  par  suite  l'angle  AOM. 

5°  SÉCANTE.  —  Soit  une  sécante  égale  à  2. 
Avec  une  ouverture  de  compas  égale  au  double 
du  rayon  du  cercle  tracé  (fig.  4)  on  décrit  un 
arc  qui  coupe  en  deux  points  T  et  T'  la  tangente 
menée  en  A;  on  tire  la  droite  OT  et  on  trouve 
l'arc  AM  et  par  conséquent  l'angle  AOM. 

Si  la  sécante  avait  été  égale  à  —  2,  on  aurait 
mené  une  droite  du  point  T'  par  le  centre  O  ; 
dans  ce  cas  c'est  l'arc  ABM'  qui  correspond  i  la 
sécante  donnée  et  par  suite  l'angle   obtus  AOM'. 

6°  CosÉCANTE.  —  Avec  une  ouverture  de  com- 
pas égale  à  la  cosécante  donnée  (fig.  5),  on  dé- 
crit un  arc  qui  coupe  en  deux  points  S  et  S'  la 
tangente  menée  par  le  point  B,  et  on  tire  les  droi- 
tes OS  et  OS'.  On  a  alors  les  deux  arcs  AM  et 
ABM',  et  par  suite  les  deux  angles  AOM  et  AOM' 
pour  les  angles  cherchés. 

10.  Relations  entre  les  lignes  trigonométri- 
ques  d'un  même  arc.  —  1°  Quel  que  soit  un  arc, 
AM  par  exemple  ifig.  3),  le  sinus  MP,  le  cosinus 
OP  forment  touiours  avec  le  rayon  un  triangle 
rectangle  OPM.  On  a  donc,  d'après  le  théorème  de 
Pythagore  : 

MP2+OP2  =  OM'-, 

ou  en  désignant  l'arc  par  a  : 

sin'a  -}-cos-  a=  1. 
2°  Des  triangles  semblables  OAT  et  OMP   on 
tire: 

AT^OA  tgg   ^     1 

MP      OP  sin  a      cos  a 


3"  Des  triangles  rectangles  semblables  OBS  et 
OMQ  on  tire  : 

BS  _0B  cotg  a  _     1 

QM       OQ  cos  a       sin  a 


d'où 


cotgn  =  - 


cos  a 


4°  Des  triangles  rectangles  OAT  et   OPM  on 
tire  : 

OT_OA  séc  a         1 

ÔM  ~  ÔP    °"    "ï  cos  a 


d'où  : 


seca  = 


1 
cos  a 


5"  Des  triangles  rectangles  OBS  et  OQM  on 
tire  : 

OS  _0B  coséca  _     1 

ÔM~CÏQ      °"  r  ~  sni  a 

d'où  : 

cosécn  =  —. — . 
sm  a 

Si  au  lieu  de  l'arc  AM  on  prend  l'arc  AM' 
plus  grand  que  90°,  on  obtient  exactement  les 
mêmes  résultats  ;  mais  il  faut  avoir  soin  de  don- 
ner son  signe  à  chaque  ligne. 

Pour  mieux  graver  ces  relations  dans  la  mé- 
moire, nous  les  réunissons  dans  le  tableau 
suivant  : 


sinî  a+  cos2a=  1, 

(1) 

sin  a 

tg  a  = ) 

^          cos  a  ' 

Ci) 

cos  a 
cotg  a  =  — —  , 
sni  a  ' 

(3) 

séc  a  =  ) 

cos  a 

W 

cosec  a  =  —. 

(5) 

En  multipliant  membre  h.  membre  les  égali- 
tés (2)  et  (3),  on  obtient  : 

tgacotg  a  =  I.  (C) 

égalité  importante   qu'il   faut  ne  pas  perdre   de 
vue. 

Nota.  —  Pour  abréger  il  est  d'usage  d'omettre 
le  signe  de  la  multiplication  entre  deux  lignes  tri- 
gonométriques  : 

tg  a  cotg  a,  pour  :  tg  n  x  cotg  a. 

11.  Calcul  des  lignes  trigonométriques  d'un 
arc  au  moyen  de  l'une  d'elles.  —  Au  moyen  de 
la  formule  (I),  on  peut  calculer  le  sinus  ou  le  co- 
sinus d'un  arc,  quand  l'une  de  ces  deux  lignes  est 
donnée.  A  l'aide  du  sinus  et  du  cosinus,  on  ob- 
tient ensuite  les  quatre  autres  Ugnes,  d'après  les 
formules  (2),  (3),  (4),  (5). 

Cherchons  par  exemple  les  lignes  trigonomé- 
triques de  l'angle  de  30°. 

On  a  d'abord  :  sin  30°  =  -• 

De  la  formule  (1),  on  tire  : 


cos  30°  =  y/i  —  sin«30° 


^J'-Hi 


.=  W3. 


TRIGONOMETRIE 


cos  M"       1 


\3 


t,f;;!0"  = 

^V:.- 

L'égalitù  (:i)  donne  : 

1 

cotg30°  =  - 

v';^ 
1 

L'ogalitô  (i)  doMDR  : 

* 

sec  30°  = ^— 

cos  3u° 

1 

V3 


scc30°=rV3- 


L'cgalito  (5)  donne: 
coséc  30»  = 


RcMAnQiJF,.  —  Quelle  que  soit  la  ligne  trigono- 
métrique  donnée,  on  peut  en  déduire  aussi  aisé- 
ment les  cinq  autres.  Ce  sont  l.'i  des  exercices 
faciles  d'algèbre  que  nous  laissons  au  lecteur, 
mais  auxquels  nous  ne  nous  arrêterons  pas,  parce 
qu'ils  n'ont  pas  d'utilité  directe  pour  le  but  spé- 
cial que  nous  nous  sommes  proposé  dans  ce  tra- 
vail :  la  résolution  des  triangles. 

12.  Idée  sommaire  de  la  construction  des  ta- 
bles trigonométriques.  —  On  a  déjà  vu  comment 
des  propriétés  des  polygones  réguliers  inscrits 
on  a  pu  tirer  les  valeurs  dos  sinus  de  quelques 
angles,  et  en  dernier  lieu  comment  la  valeur  du 
sinus  permet  de  trouver  les  valeurs  des  autres 
lignes  irigonométriques.  Mais  cela  serait  insuffi- 
sant; la  résolution  des  triangles  exige  que  l'on 
connaisse  les  lignes  de  tous  les  angles  de  0°  à  90°, 
au  moins  de  minute  en  minute.  Quant  aux  an- 
gles obtus,  leurs  lignes  trigonométriques  sont 
celles  des  angles  aigus  supplémentaires  avec 
des  signes  contraires,  excepté  le  sinus  et  la  cosé- 
cante  qui  no  changent  pas  de  signe. 

Nous  n'avons  pas  h  exposer  ici  la  théorie  de  la 
détermination  des  valeurs  des  lignes  trigonomé- 
triques de  tous  les  angles  ;  il  suffira  que  nous  en 
donnions  une  idée  très  succincte. 

Pour  cela  nous  ferons  d'abord  observer  que 
plus  un  arc  est  petit,  plus  est  faible  la  différence 
qu'il  y  a  entre  la  longueur  de  cet  arc  et  celle  de 
son  sinus.  Or,  la  longueur  de  la  demi-circonfé- 
rence, quand  le  rayon  est  pris  pour  unité,  est 
exprimco  par  le  nombre  : 

ir  =  3, 141592  653  589Î93 

On  aura  donc  ; 


—  2233  —        TRIGONOMÉTRIE 

ce  qui  signifie  quo  le  sinus  do  1'  est  environ  égal 
i  29  fois  la  lOOflO'  partie  du  rayon  de  la  circon- 
férence, quel  que  soit  ce  rayon. 

Au  moyen  de  la  formule  (1),  on  obtiendra  par 
des  calculs  assez  laborieux  : 

cos  1'  =  0,999  909  9570. 

Au  moyen  d'nnc  division  on  connaîtra  la  taa- 
gente  et  la  cotangente  de  l'arc  do  1'. 

A  l'aide  do  formules  que  nous  aurons  l'occa- 
sion d'étudier  plus  loin,  on  pout  trouver  le  sinus 
et  le  cosinus  d'arcs  doubles,  triples,  quadru- 
ples, etc.,  c'est-à-dire  les  arcs  des  nombres  entiers 
successifs  de  minutes. 

En  outre,  les  calculs  trigonométriques  devant 
être  faits,  pour  plus  do  facilité,  par  les  logarithmes, 
on  a  dû  chercher  les  logarithmes  des  sinus,  des 
cosinus,  tangentes  et  cotangentes.  On  les  a  ins- 
crits en  colonnes  vis-îi-vis  des  angles  correspon- 
dants :  c'est  en  cela  que  consistent  les  tables  tri- 
gonométrifjiies. 

13.  Disposition  et  usage  des  tables.  —  1°  Dans 
certaines  tables  les  logarithmes  ont  sept  décimales  ; 
dans  d'autres  elles  n'en  ont  que  cinq.  Ces  der- 
nières suffisent  très  bien  pour  les  opérations  or- 
dinaires de  la  trigonométrie;  c'est  de  celles-là 
que  nous  allons  parler,  en  nous  servant  de  l'édi- 
tion de  Dupuis. 

Elles  contiennent  les  logarithmes  des  sinus,, 
cosinus,  taugeiitcs  et  cotangentes  des  arcs  de  mi- 
nute en  minute  à  partir  de  0°  jusiiu'à  !)0°.  Los 
sécantes  et  cosécantos  ne  s'y  trouvent  pas,  parce 
qu'on  en  fait  peu  usage.  De  0°  à  45°  le  nombre 
des  degrés  est  au  haut  dé  la  page  en  dehors  du 
cadre,  et  les  minuti'sse  trouvent  dans  la  premièra 
colonne  5,  gauche,  surmontée  d'ailleurs  du  signe  ' 
des  minutes.  Do  45°  à  90°  le  nombre  des  degrés 
est  au  bas  de  la  page  en  dehors  du  cadre,  et  les 
minutes  se  lisent  de  bas  en  haut  dans  la  premiers 
colonne  à  droite. 

Les  deux  angles  qui  figurent  sur  la  même  ligne, 
et  qui  sont  comptés  l'un  de  haut  en  bas  et  l'autro 
de  bas  en  haut,  sont  complémentaires.  Cela  expli- 
que pourquoi  la  môme  colonne  porto  à  une  des 
de  ses  extrémités  la  désignation  sinus  et  îi  l'autre 
la  désignation  cosinus  ou  tangente  et  cotangente. 
Le  sinus  d'un  angle  compté  de  haut  en  bas  est 
précisément  le  cosinus  de  l'angle  complémontaire 
qui  compté  de  bas  en  haut  se  trouve  sur  la  môme 
ligne. 

Dans  les  colonnes  Sz'n.,  Cos.,  Tang.  et  Cotg.,  on 
a  laissé  en  blanc  la  caractéristique  et  la  première 
décimale  des  logarithmes  pour  tous  les  logarithmes 
suivants  où  elles  se  répètent.  Ainsi  on  lira  : 


En  effectuant  la  division,  on  trouve  : 
arc  1' =  0,000  290  888  208. 

Si  on  prend  cette  valeur  de  l'arc  de  1'  pour  celle 
du  sinus  de  1',  on  ne  commettra  qu'une  erreur 
assez  faible.  Or,  on  démontre  que  la  différence 
entre  l'arc  et  son  sinus  est  mniyidre  que  le  (juart 
du  culje  de  l'arc.  En  appliquant  ce  principe  à 
l'arc  de  1',  on  trouve  quela  difl'érence  entre  cet  arc 
et  son  sinus  ne  commence  qu'au-delidc  la  U'  dé- 
cimale. On  aura  donc  ; 

Bin  I' =0,000  290888  21, 


log  sin  39°  1'=  1,79903, 
log  tg  39°  2' =  1,90889, 
log  cotg  ;i9°  3'  =  0,09086. 

D'après  ces  explications  on  n'aura  aucune  dif- 
ficulté h.  trouver  dans  ces  tables  le  logarithme 
d'une  ligne  trigonométrique  d'un  angle  donné  en 
degrés  et  minutes  seulement. 

11°  On  voit  encore  dans  le  cadre  de  chaque  page 
trois  colonnes  surmontées  de  la  lettre  D  (initiale 
du  mot  différence).  Les  nombres  qu'elles  con- 
tiennent sont  les  difi'érences  qu'il  y  a  entre  les 
deux  logarithmes  consécutifs  de  la  colonne  qui 
n'en  est  séparée  que  par  un  simple  filet  do  haut 
en  bas. 

Les  différences  sont  les  mêmes  pour  les  log. 
tangentes  et  les  log.  cotangentes.  Il  est  facile 
d'en  trouver  la  raison. 

En  eflet,  soient  doux  angles  a  et  h.  On  a,  d'après 
la  fornuilo  (G)  : 

tgn  X  colgffl  =  1, 
tga  X  cotg  4=  1. 


TRIGONOMETRIE         —  2234  — 


TRIGONOMETRIE 


et  en  prenant  les  logaritlimcs  : 

lofç  tg  Q  +  log  cotg  n  =  0, 

log  tg  6+log  cotg  A  =  0, 
ou  : 

log  tga^ — log  cotgff, 

log  tg  i  =  —  log  cotg  é. 

En  retranchant  l'iniG  de  l'autre  ces  deux  der- 
nières égalités,  on  obtient  : 

log  tg  a  —  log  tg  i  =  log  cotg  b  —  log  cotg  a. 

Ce  qui  montre  que  la  différence  entre  les  loga- 
rithmes des  tangentes  de  deux  angles  est  la  même 
que  celle  qu'il  y  a  entre  les  logarithmes  de  leurs 
cotangentcs. 

111°  C'est  k  l'aide  des  différences  inscrites  dans 
les  colonnes  D  qu'on  peut  obtenir  le  logarithme 
d'une  ligue  pour  un  angle  contenant  des  se- 
condes. 

Soit  par  exemple  à  chercher: 

log  sin  39°25'14". 

On  prend  d'abord  le  logarithme  en  négligeant  les 
secondes.  On  trouve  ainsi  : 

log  sin  39»  ,'5' =  7,80274 

et  la  différence  entre  ce  logarithme  et  ceiui  qui 
correspond  à  ;i9">2(>'  est  IC.  Pour  connaître  l'aug- 
mentadon  qu'il  faut  donner  au  logarithme 
1,  80274  afin  d'avoir  celui  qui  correspond  k  l'angle 
de  30°  25,1  i",  on  raisonne  ainsi  : 

Si  l'angle  de  39°  25'  augmentait  de  1',  c'est-à- 
dire  de  Gu",  son  log.  sin.  augmenterait  de  IG. 

Pour  une  augmentation  de  l",  le  logarithme 
augmenterait  de  la  (iO"  partie  do  Ki. 

Pour  une  augmentation  de  U"  le  logarithme 
augmentera  de  li  fois  la  UO'  partie  de  IG,  c'est-à- 


dire  de 


X  H. 


Mais  ce  petit  calcul  se  trouve  tout  fait  dans 
les  petites  tables  qui  sont  placées  en  marge  en 
dehors  du  cadre. 

En  tète  est  la  différence  des  deux  logarithmes 
consécutifs.  Au-dessous  à  gauche  sont  les  nom- 
bres entiers  de  secondes  de  I  à  9  :  à  droite  vis  à- 
vis  sont  les  parties  de  la  différence  correspondant 
à  ces  nombres  de  spcondes.  On  les  multiplie  par 
10  pour  avoir  les  parties  correspondant  aux  dizai- 
nes de  secondes. 

Ainsi  pour  l'exemple  précédent  on  trouve  : 

Différence  tabulaire     IG. 

pour  10" 2,7 

pour  4" 1,07 

pour  14" 3,77 

On  prendra  4  en  négligeatit  la  partie  décimale, 
puisque  le  chiffre  qui  suit  est  plus  fort  que  5.  On 
obtient  donc  : 

log  sin  39°25'14'=  r,80278. 

Observation.  —  Il  ne  faut  pas  perdre  de  vue 
que,  pour  le  cosinus  et  la  cotangente,  le  loga- 
rithme pris  dans  la  table  doit  diminuer  de  la  quan- 
tité correspondante  à  l'augmentation  du  nombre 
de  secondes. 

IV°  Nous  avons  maintenant  à  résoudre  le  pro- 
blème inverse  :  éla?it  donne  le  logarithme  d'une 
ligue  trirjonométrique,  trouver  l'œvjle  correspon- 
dtint. 

Si  le  logarithme  se  trouve  dans  la  table,  il  n'y 
a  aucune  difficulté  à  lire  l'angle  cherché. 

Soit  par  exemple  :  log  tg  x  =  0,0^'5I8. 
_  L'angle  est  supérieur  à  4.S°,  puisque  la  caractéris- 
tique du  logarithme  n'est  pas  négative.  En  lisant 
de  bas  en  haut,  on  trouve  que  l'angle  x  est  égal  à 
50°  35'.  ^  ^ 


Mais  cela  n'arrive  que  rarement.  Soit  par  exem- 
ple :  log  sin  x  =  r,7il9;!l. 

_  Le  log.  sin.  qui  en  approche  le  plus  est 
1,79918,  qui  correspond  à  39°  2',  et  la  différence 
entre  ce  logarithme  et  le  logarithme  donné  est  13; 
l'angle  cherché  égale  donc  30°  2'  et  un  certain 
nombre  de  secondes  qu'il  s'agit  de  trouver. 

Pour  cela  on  répète  le  raisonnement  déjà  fait 
plus  haut.  D'abord  la  différence  entre  le  loga- 
rithme r,79918_  et  le  suivant  de  la  table  est  16. 
Si  le  log.  1,79918  augmentait  de  16,  l'angle 
de  3U°  2'  augmenterait  de  GO". 

Si  le  log.  augmentait  de  1,  l'angle  augmenterait 
de  la  IC"'  partie  de  60". 

Le  logarithme  augmentant  de  13,  l'angle  aug- 
mentera de  13  fois  la  16"  partie  de  60",  c'est-à- 

dire  de . 

IG 

Ce  petit  calcul  est  encore  tout  fait  dans 
les  petites  tables  placées  on  marge  en  dehors  du 
cadre.  Au-dessous  de  la  différence  16,  on  cher- 
che dans  la  colonne  de  droite  le  nombre  qui 
multiplie  par  10  s'approche  le  plus  de  13;  c'est 
10,7  qui  correspond  à  40".  De  lu, 7  à  13  il  y  a 
encore  2,1  qui  dans  la  colonne  correspond  à  8". 
L'augmentation  à  donner  à  l'angle  est  ainsi 
de  4  s". 

On  a  doncx  =  39°  2'  48". 

Remarques.  —  1°  La  proportionnalité  admise  en- 
tre les  accroissements  du  sinus  et  de  la  tangente 
et  ceux  de  l'angle  n'est  pas  rigoureusement  vraie  ; 
mais  l'erreur  qui  en  résulte  n'affecte  pas  la  5«  dé- 
cimale du  logarithme  pour  les  sinus  des  angles 
supérieurs  à  1°30',  les  cosinus  des  angles  infé- 
rieurs à  S8°30',  pour  la  tangente  et  la  cotangente 
des  angles  compris  entre  1-30'  et  88"3Û'; 

'.'»  Les  diverses  lignes  trigonométriques  ne  don- 
nent pas  toutes  le  même  degré  d'exactitude  dans 
la  détermination  de  l'angle. 

En  effet,  considérons  deux  arcs  AM  et  AN  (fig.  G) 
ayant  entre  eux  une  différence  MN  de  1°,  et  deux 


Tig.  6. 

arcs  AM'  et  AN'  différant  aussi  de  1°,  mais  très  voi- 
sins de  '.1(1°.  Tirons  les  cordes  M'N'  et  MN  et  les 
droites  N'I'  et  NI  perpendiculaires  aux  sinus  M'P' 
et  MP.  L'angle  M'N'I'  est  moindre  que  l'angle  MNI, 
et  il  devient  de  plus  en  plus  petit  h  mesure  que  le 
point  M'  est  plus  voisin  du  point  B  ;  la  différence 
MT  des  sinus  des  deux  arcs  AM'  et  .\.IV'  est  donc 
d'autant  plus  petite  que  ces  arcs  diffèrent  moins 
de  90°.  Par  suite  la  différence  di's  logarithmes  de 
ces  deux  sinus  peut  être  assez  faible  pour  qu'elle 
ne  commence  qn'au  delà  de  la  b"  décimale.  Alors 
le  même  logarithme  peut  correspondre  à  plu- 
sieurs angles  consécutifs.  C'est  ce  qui  se  pré- 
sente pour  les  angles  de  88°T,  88°S',  8S°9'  pour 
lesijuels  on  trouve  dans  les  tables  le  même  log, 
sin.  qui  est  1,  9!I977. 

La   môme    chose  arrive'  pour   le    cosinus  des 
arcs  très   petits  ;  mais  les   tangentes   et    cotan- 


TRIGONOMÉTIIIE         -  2233  -        TRIGONOMETUIE 


gentps  n'offroiit  pas  le  niftme  défaut.  On  doit 
donc,  ([UiiiKi  cela  est  possible,  détunuiner  de  pré- 
férence nii  angle  à  l'aide  do  la  tangente  ou  de  la 
cota  n  go  rite. 

I  i.  Belations  entre  les  côtés  et  les  angles  d'un 
triangle  rectangle.  —  Selon  l'usage  nous  désigne- 
rons toujours  les  eûtes  d'un  triangle  par  les  let- 
tres minuscules  semblables  aux  lettres  majuscules 
placées  aux  sommets  des  angles  opposés,  et  dans 
le  triangle  rectangle  la  lettre  A  sera  affectée 
spécialement  à  l'angle  droit. 

1"  Rappelons  d'abord  les  deux  relations  suivan- 
tes fournies  par  la  géométrie  : 


-G  =  90° 


m 


2"  Dans  tout  triangle  rectangle,  chaque  côté  rie 
l'angle  droit  est  égal  a  Ihypoiénuse  multipliée 
parle  sinus  de  l'angle  op/josé  à  ce  côté  ou  pur  le 
cosinus  de  l'am/U  adjac-nt  à  ce  côté. 

En  effet,  dans  le  triangle  rectangle  ABC  (fig.  7) 
décriTons  du  sommet  C  pris  pour  centre  et  avec 


l'hypoténuse  CB  pour  rayon  l'arc  BD  terminé  au 
prolongement  du  coié  GA. 

Le  rapport  entre  la  perpendiculaire  BA  et  le 
rayon  est  précisément  le  sinus  de  l'angle  C.  On  a 
donc  ; 


d'où  : 


C^ 


!  sinG,    ou   t'=sinC, 


c=  n  sin  G.  (8) 

Comme  les  angles  B  et  C  sont  complémentaires, 
sin  C  est  égal  à  cos  B,  et  on  a  : 

c  =  flCosB.  (9) 

On  aurait  do  même  : 

é  =  n  sin  B  ;     b  =  cos  C. 

S°  Dans  tout  triangle  rectangle  chaque  côté 
de  l'nngle  droit  est  égal  à  l  autre  côté  multiplié 
par  la  t'Oigeiitcd'-  l'angle  opposé  au  premier  côté, 
ou  par  la  culangente  de  l'angle  adjacent. 

Pour   le  démontrer,  décrivons  du  sommet    C, 


dans  le  triangle  rectangle  ABC  (flg.  8),  et  avec  CA 
pour  rayon,  l'arc  AM. 

Le  rapport  outre  la  droite  BA,  tangente  en  A,  et 
le  rayon  CA,  est  la  tangente  de  l'angle  G.  On  a 
<Ionc  : 

^^     'îC,    ou    r=tgC, 


d'où  : 


CA 


=  4tgC. 


(10) 


Les  angles  B  et  C  étant  complémentaires,  on  a  : 
tgC  =  cotgB, 
et  par  suite  : 

c  =  6cotgB.  (11) 

On  aurait  de  même  : 

6  =  ctgB;    4=ccotgG. 

15.   Résolution   du  triangle  rectangle.   —  Un 

triangle  rectangle  est  déterminé,  i|uand  on  con- 
naît un  côté  et  l'un  des  deux  angles  aigus,  ou 
bien  deux  côtés.  De  là  résultent  quatre  cas  où  les 
données  sont  : 

1°  L'hypoténuse  et  un  angle  aigu  ; 

2°  Un  côté  de  l'angle  droit  et  un  angle  aigu  ; 

3""  Les  deux  côtés  de  l'angle  droit  ; 

4°  L'hypoténuse  et  un  côté  de  l'angle  droit. 

Pkemiek  cas.  —  Résoudre  un  triangle  rectan- 
gle, en  connaissant  l'hypoténuse  et  un  angle 
aigu . 

Données  :  a  et  B.  -  ■  Inconnues  G,  b  et  c. 

On  a  pour  déterminer  les  inconnues  ■ 
C  =  90"— B, 
é  =  «sinB, 
c  =  rt  cos  B. 

Exemple.  —  Données  : 

n  =  91m,86; 
B  =  63°  24'  45". 

CALCUL   DE    C. 
C^QO»  — B 

90°  =  89°  5'.)'  <iO" 
B=(i:t°  2i'  45" 


C=2(i°35'  15". 

CALCUL    DE    b. 


b^a  fin  B 

log  b=  loga-l-log  sin  B. 
loga:=  i_,'j7"08 
log  sin  B=  1,95140 
log  6=  1,92851 

8482 50 

08. 4 

6=84">,828. 

CALCUL    DE     C. 

c  =  acos  B 
log  c  =  logrt  +  log  cos  B. 
log  a  =1,97  708 
log  cos  B=  1,6.5085. 
log  c  =  1,62793. 
4245 88 


05 


c  =  4;m_,ijj. 

Deuxième   cas.    —  Résoudre   tin    triangle  rec- 
tangle, en  connaissant  un  côté  de  l'angle  droit 
et  l'un  des  cojgles  aigus. 
Données  :  c  et  B.  —  Inconnues  :  C,  n  et  b. 
On  a  pour  déterminer  les  inconnues  : 
C=90°  — B, 
</  =ctgB, 


c  =  a  cos  B,  d'où  a  = 


cosB 


Pour  appliquer  les  logarithmes,  on  a  : 
log6  =  loKC  +  log  tgB; 
log  a  =  loge—  log  cosB. 

Exemple.  —  Données  :  c  =  68"", 42. 

B=52°36'  14". 


TRlGONOxMETRlE 


C  =  3T'23'4G" 
«  =  U2n',66. 


—  223G  —         TRIGONOiMÉTRIE 

Pour   le   démontrer,  menons  dans  le   triangle 


Troisième  ca5.  —  Résoudre  un  triangle  rec- 
tangle en  connaissant  Us  deux  côtés  de  l'angle 
droit. 

Données  :  4  et  c.  —  Inconnues  B,  G  et  a. 

Calcul  des  angles.  —  On  a  : 

*  =  ctgB,  d'oùtgB  =  -: 


c  =  6  tgC,   d'oùtgC=-. 
6 

Calcul  de  a.  —  De  l'égalité  b  =  a  sin  B,  on 
tire  : 

b 
sin  B  ■ 

Pour  appliquer  les  logarithmes,  on  a  : 
log  tg  B  =  logè  —  loge; 
log  tg  C  =  log  e  —  log  II. 
log  a  =  log  A  —  log  sin  B. 

Exemple.  —  Données  : 


a=  ■ 


A=3Sm,Ci 


On  trouvera  : 


B  =  54°  3i'4n", 
C  =  3.=.»2V  11", 
a  =  4';  ",4 16. 

QuATiiii:ME  CAS.  —  Résou'/re  iiti  triangle  rectan- 
gle, en  cnnnaissaut  l'hypoténuse  et  uncoléde  l'an- 
gle droit. 

Données  :  a  et  ê.  —  Inconnues  :  c,  B  et  C. 

Calcul  de  c.  —  L'égalité  a^^  b-  -\-  c-  donne  : 

e-^a'--b\  d'où  c=y;;^rr^. 

Pour  rendre  cette  expression  propre  au  calcul 
logaritlimique,  il  faut  se  rappeler  que  la  diffé- 
rence des  carrés  de  deux  quantités  est  le  produit 
de  la  somme  de  ces  quantités  multipliée  par  leur 
différence.  On  a  donc  : 

a'  — i2  =  (a+4)x(a-6). 

En  substituant  cette  expression  sous  le  radical, 
on  obtient  pour  calculer  le  côté  c  : 


•--\[a-^b)xia-b). 

On  calcule  donc  d'abord  la  somme  a  -f-  b,  puis  la 
différence  a  —  i,  et  en  les  mettant  sous  le  radical, 
on  a  par  l'emploi  des  logarithmes  : 

l02/o-t-i)+lnc;V,-4) 

logc^  ■ -• 

2 

Calcul  des  angles.  —  On  a  : 

é  =  ctgl!,  d'oùtgB  =  -, 
c 

c  =  b  tgC,  d'où  tgG  =  7, 


comme  au  3«  cas. 
Exemple.  —  Données  : 


On  trouvera  : 


o  =  56m,427, 
i  =  32°,74I. 

c  =  45"i,9ô7; 
B=3d°  :'8'  3"; 
0  =  64°  31'  57". 


IG.  Relations  entre  les  côtés  et  les  angles  d'un 
triangle  quelconque. 

1°  Uans  tout  iriangle  les  côtés  sont  proportion- 
nels auj:  sinus  des  angles  opposés. 


ABC  (fig.   9)   la  hauteur  CP.  Les    deux  triangles 
rectangles  ACP  et  BCP  donnent  : 

CP=ACsinA=6sinA; 
CP=BG  sinB  =  nsinB. 

De  ces  deux  égalités  on  tire  : 

a  sinB=  A  sin  A, 
ou  : 

a b_ 

sin.\     sinB' 

ce  qui  est  l'énoncé  du  théorème. 
A  cette  relation  il  faut  joindre  la  suivante  : 
A  +  B  4-  C  =  180». 

Remarque.  —  Si  la  hauteur  tombait  hors  du 
triangle,  comme  dans  la  figure  10,  la  démonstra- 
tion n'en  serait  pas  modifiée.  En  effet  on  a 
d'abord  CP  =  CA  sin  CAP  ;  mais  l'angle  CAP 
étant  le  supplément  de  l'angle  CAB,  c'est-à-dire 
de  l'angle  A  du  triangle,  le  sinus  do  CAP  est  égal 
à  sin  CAB  ou  sin  A  ;  on  aurait  encore  CP  =  A  sin  A. 

'1°  Dans  tout  triangle  le  carré  d'un  côté  est  égal 
à  In  somme  des  carrés  des  deux  autres  côtés 
moins  le  double  produit  de  ces  deux  côtés  multi- 
plié par  le  cosimts  de  l'angle  compris  entre  eux. 

En  effet,  rappelons  d'abord  ce  théorème  de  géo- 
métrie :  dans  tout  triangle  le  carré  d'un  côté  est  égal 
à  la  somme  dos  carrés  des  deux  autres  cotés  plus  le 
double  produit  de  l'un  de  ces  deux  côtés  multiplié 
par  la  projection  de  l'autre  côté  sur  lui,  si  l'angle 
opposé  au  premier  côté  est  obtus,  et  moins  ce 
double  produit,  si  l'angle  opposé  au  premier  côté 
est  aigu. 

Soit  d'abord  l'angle  aigu  A  dans  le  triangle  ABC 
(fig.  9).  On  aura  d'après  ce  théorème  : 

a2  =  A2-j-c2  — 2cxAP. 

Or  le  triangle  rectangle  ACP  donne  : 

AP  =  AC  cos  A  =  A  cos  A. 

En  substituant  cette  valeur  à  AP,  on  trouve  : 

a-=t,--\-c-  —  2A;  cos.i. 

Lorsque   l'angle   A   est  obtus,    comme    dans    la 


figure  10,  le  produit  2Ac  cos  A  a  encore  le  signe  — . 
En  ellet,  d'après  le  théorème  rappelé  plus  haut, 
ou  a  : 

a2  =  A2+c5-f2cxAP. 
Or  le  triangle  rectangle  CAP  donne  : 
AP  =  AC  cos  PAC  =  A  cos  PAC. 
Mais   comme  l'angle   PAC  est  le  supplément  de 


TRIGONOMETRIE 


—  2237 


TRIGONOMÉTRIE 


l'aiipile  A  (l'angle  CAI5',  du  trmnKlu,  lo  cosinus  do 
PAC  est  épal  au  cosinus  de  A  ju'is  avec  le  signe  — . 
On  a  donc  : 

cos  P  AC  =  —  CCS  A,  et  AP  =  —  4  ces  A, 

et  oufiii  : 

«a  =  42  +  c2+2c  X  (_  ij  cos  A), 
ou  : 

a2=is-f  (;2— 34ccosA. 

REMAiiQitE.  —  Il  est  bon  d'observer  que  dans  le 
cas  où  l'angle  A  est  obtus,  Ihc  cos  A  est  négatif, 
et  par  conséquent  retrancher  2Ac  cos  A  de  h-  -]-  c- 
revient  ;\  augmenter  6-  -|-  c^  de  la  valeur  absolue 
du  produit  2éc  cos  A. 

Les  relations  qui  existent  entre  les  côtés  et  les 
angles  d'un  triangle  quelconque  se  présentent 
donc  ici  sous  deux  formes  résumées  dans  les  for- 
mules suivantes  : 


siiiA      smB      sinC     } 
A+B-(-C=lSÛ°     ) 

a2  =  42_(.c2_24t-  cos  A 
c2  =  a-  -t-  c-  —  '>ar  cos  B 
c2  =  «2  _(_  42  _  3  „4  cos  c 


(12) 


(13) 


17.  Résolution  d'un  triangle  quelconqpie.  — 
Oolte  question  présente  quatre  cas  correspondant 
aux  quatre  cas  de  la  construction  d'un  triangle. 
Ou  connaît  : 

r  un  cùté  et  deux  angles; 

2°  lieux  cotés  et  l'angle  opposé  à  l'un  d'eux; 

S"  deux  côtés  et  l'angle  compris  entre  eux; 

i"  les  trois  côtés. 

PREMIER  CAS.  —  Itésoudre  un  triangle  dans  le- 
quel on  connaît  un  tôti  el  tieiix  angles. 

Données  :  a,  A,  B.  —  Inconnues  :  C,  6,  c. 

Calcul  de  l'angle  C.  —  On  a  : 

C=  1SÛ°  — (A+B). 

Calcul  des  côtés,  —  On  a  : 


-r—5=- — ri     dou     b  = 
sinB      sni  V 

7  sin  B 

SinA  ' 

siaC       sinA                    ~ 

a  sin  G 
SinA 

Exemple.  —  On  donna  : 

a  =  109i",4S; 
A  =  47'':i6'2i", 
B  =  75°lo'a2". 
Calcul  de  C. 

C=1S0"  — (A  +  B) 
A=    47°3G'24" 
B=   75»  10' 32" 

A+B=  12-.!°  62' 50" 

180°=  ngosD'uo" 

d'où        II: 


a  sin  B 


c=  5;° 

Calcul  de  b.  —  On  a 
b      _ 
sin  B  im  A'  '  sinA 

log  i  =  loga  +  log3inB  — logsinA. 

loga=  2,03933, 

log  sin  B=r,98.'>5(>. 

2,OJ483 

log  sin  A  =1,16837 

logé  =  2,15«46 

14  33 •;■■, 

07....    TT 


*=H3'".37. 


Calcul  de  c.  —  On  a  : 


d'où 


in  G 


sin    G         sin  A    '  sin  A 

liigc  =  logaH-logsia  C  — log  sin  A. 
log  a  =2,03933 
log  sinC=l,92417 


1,90350 

:sin  A=~1,8GS37. 

log  a  =  2,0951 3 

1244....     482 


«  =  124"',49. 

Deuxième  cas.  —  Résoudre  tin  triangle,  en  co7i- 
naissant   deux   côtés    et   l'angle    opposé  à    l'un 
d'eux. 
Données  :  a,  b,  A.  —  Inconnues  :  c,  B,  C. 
Calcul  de  B.  —  On  a  : 

fi     ^     a         (j'(,f,si„3    __4sinA 
siuB      sinA  ~      a 

Calcul  de  C.  —  On  a  :  G  =  isO'  —  (A  -f  B;. 
Calcul  de  c.  —  On  a  : 

c c  y  ,        f?  sin  C 

sin  C  sin  A  sin  A  ' 

Obseiivation.  —  L'angle  B  est  déterminé  au 
moyen  de  son  sinus.  Or  à  un  même  sinus  corres- 
pondent deux  angles  supplémentaires.  Les  tables 
donnent  l'angle  aigu  B;  appelons  ii'  l'angle  obtus 
supplémentaire. 

Soit  A  >  90°.  L'angle  aigu  B  seul  convient  à  la 
question.  Il  n'y  a  qu'une  solution;  mais  il  faut 
pour  cela  que  1«  côté  a  opposé  à  l'angle  A  soit  plus 
grand  que  le  côté  b. 

Soit  A  <  90".  Si  a  est  plus  grand  que  é, 
l'angle  B  doit  être  moindre  que  A;  par  conséquent 
il  n'y  a  qu'une  solution,  celle  dans  laquelle  B  est 
aigu. 

Si  avec  A  <  90»,  le  côté  a  est  plus  petit  que  le 
cùté  A,  l'angle  B  devant  être  plus  grand  que 
l'angle  A,  le  problème  admet  l'angle  B  aigu  et 
l'angle  B'  obtus,  ce  qui  fait  doux  solutions.  Mais 
pour  qu'elles  existent,  il  faut  que  la  valeur  de 
sin  B  ne  surpasse  pas  l'unité,  ce  qui  revient  i 
dire  qu'on  doit  avoir  : 

A  sin  A  ^, 

<i,    oua>6smA' 

(Voir  la  construction  du  triangle,  article  Po/(/(70?îe^, 
page  1659). 

Exemple.  —  On  donne  : 

a  =  G4Œ,2,S; 
A  =  -5'",34; 
A  =  30°  24' 14". 

On  trouvera  deux  solutions  : 


B  =  44°  5'  iG". 
G  =  99°  29'  0". 
c  =  10G™,79. 

1"  solution. 

B'  =  135'>  54' 14". 


C'=     7°  40' 32". 
c'=  14'»,471. 


InoisiÈME  CAS.  —  Résoudre  un  triangle,  en  con- 
n'iûsant  deux  côtes  et  l'angle  compris  entre  eux. 

QuATiuKME  CAS.  —  Résoudre  un  triangle,  en  con- 
naissuid  les  trois  côtés. 

Si  l'on  essaie  de  résoudre  ces  deux  cas  à  l'aide 


TRIGONOMETRIE 


—  2238  — 


TRIGONOMETRIE 


des  formules  (I3),  on  obtient  pour  le  troisième  cas  : 


'^^\a--i-b-  —  -iuti  cosC, 
et  pour  le  quatrième  cas  : 

02  +  i2  — c« 

ces  C  = r—, • 

2«6 

Ces  résultats  ne  se  prêtent  pas  au  calcul  loga- 
rithmique. 

Si  l'on  veut  employer  les  formules  (12),  on  ren- 
contre des  difficultés  de  calcul  provenant  de  ce 
que  les  angles  y  entrent  sous  deux  formes  : 
avec  leur  valeur  naturelle  et  avec  leurs  sinus. 

Nous  sommes  donc  obligés  de  clierclier  d'autres 
formules  plus  simples,  d'autres  instruments  de 
calcul  plus  faciles  à  manier.  Pour  les  découvrir 
nous  avons  à  résoudre  successivement  les  pro- 
blèmes suivants. 

18.  Premier  problème.  —  Etant  donnés  les  si- 
nus et  cosvius_  de  deux  arcs,  trouve)-  les  sinus  et 
cosinus  de  la  somme  et  de  la  différence  de  ces 
arcs. 

Désignons  par  a  l'arc  AM  (fig.  11),  par  b  les 


Or,  des  triangles  semblables  OQR  et  OMH  on 
cos  6 


Fig.  11. 

arcs  égaux  MN  et  MN';  nous  aurons  : 

AN  =  a-|-é;    AN'=a— 6, 

Tirons  NP,  MH,  N'P'  et  QR  perpendiculaires  à  OA  ; 
QS  et  N'S'  parallèles  à  OA.  Le  rayon  OM  est  per- 
pendiculaire au  milieu  de  la  corde  NN'.  On  a 
alors,  en  prenant  le  rayon  pour  unité  : 

MH  =  sin  n  ;  OH  =  cos  a  ; 

Q!S[  =  QN'  =  sin*;  OQ  =  cosi; 

NP  =  sin  a-t-i);   0\>  =  cos  (a -i- (,)  ; 
N'P' =  sin  (a— 6);   OP'  =  cosia  — A). 

1°  Nous  avons  d'abord  : 

sin  {a-|-6)  =  SP-f-S\  =  QR  +  SN. 

Des    triangles    semblables    OQR    et   OMH    on 
tire  : 

QR_OQ  QR^  _  cos  /j 

JÏH  ~  OM'    ""^   sin  a  "~     l     ' 
d'où  : 

QR  =  sin  a  cos  b. 

Des  triangles  semblables  NSQ  et  OMH  on  tire  : 
NS  _  NQ  NS    _  sin  b 

OH^ÏÏM'   °"  cos  a         r' 
d'où  : 

NS  =  sin  b  cos  a. 

On  obtient  donc  : 

sin  {a  +  b)  =  sin  a  cos  i  4-  sin  4  cos  a. 
2°  Nous  avons  en  second  lieu  : 
sin  (a  —  6)  =  N'P'  =  QR  —  QS'  =  QR  —  NS. 
Cette  égalité  devient  donc  : 

sin  (a  —  b)  ^  sin  a  cos  A  —  sin  A  cos  a. 
3°  Nous  avons  aussi  : 
cos  [a-h  b)  =  OP  =  OR  —  PR  =  OR  —  SQ. 


OR_OQ  _0R 

0H~0M'  °"  cosa~     1    ' 

d'où  : 

OR  =  cos  a  cos  b. 

Des  triangles  semblables  NSQ  et  O.MH  on  tire 
aussi  : 

SQ  _  NQ  SQ_  ^  sin  b 

MH  ~  OM'  °"  sin  a  "~      1     ' 
d'où  : 

SQ  =  sin  a  sin  A. 

On  obtient  donc  : 

cos  (a  +  b)  =  cos  a  cos  A  —  ein  a  sin  A. 
4°  Enfin  nous  avons: 

cos  (a  —  A)  =  OP'  =  OR  +  S'N'  =  OR  -1-  SQ. 
Cette  égalité  devient  donc  : 

cos  {a  —  A)  =  cos  a  cos  A  -+-  sin  a  sin  A. 
Pour  que  ces  quatre  formules  se  gravent  mieux 
dans  la  mémoire,   nous   les  réunissons  dans  la 
tableau  suivant  : 
sin  ;«  -I-  A)  =  sin  a  cos  A  -(-  sin  A  cos  a.  (U) 
sin  [n  —  A)  =  sin  a  cos  A  —  sin  A  cos  a.  (16) 
cos  (a  +  A)  =  cos  a  cos  A  —  sin  a  sin  A.  (IG) 
cos  {a  —  b)  =  cos  a  cos  A  +  sin  a  sin  A.  (17) 

Deixiême  problème.  —  Etant  donnés  le  sinus  et 
le  coiinus  d'un  arc,  trouver  le  sinus  et  le  cosinus 
de  l'arc  double. 

il  suffit  de  supposer  l'arc  A  égal  à  l'arc  a  dans 
les  formules  i^Uj  et  (IC).  On  trouve  ainsi  : 
sin  2  rt  =  2  sin  a  cos  a.  (18) 

cos  2  a  =  cos"  a  —  sin'^o.      (19) 

NoTi.  —  Il  est  utile  qu'on  s'habitue  à  expri 
mer  en  langage  ordinaire  ces  formules,  do 
que  celles  qui  vont  suivre.  La  formule  (IS),  pai 
exemple,  se  traduit  ainsi  :  le  si?ius  du  double  d'u 
arc  est  égal  au  double  du  sinus  de  cet  arc  )nul 
tiplié  par  son  cosinus. 

Troisième  tboblème.  —  Etant  donné  le  cosinu. 
d'un  arc,  trouver  le  sinus  et  le  cosinus  de  la  moi 
tié  de  cet  arc. 

En  remplaçant  a  par -dans  l'égalité  (19),  on  a 

a        . 
cos  a  =  cos'-  ç  —  sin^ 

A  cotte  équation  qui  contient  les  deux  incon 
nues  du  problème,  cos-  et  sin  -îOn  joint  l'équa 
tion  suivante  fournie  par  l'égalité  (1)  : 

o   «      .         ■     5    " 

1  =  cos-  -  1-  sin»  -  • 

En  les  ajoutant  membre  i  membre,  on  obtient 

1  -1-  cos  a  =  2  cos'  -  • 

En  retranchant  la  première  de  la  deuxième  oi 
obtient  : 

1  —  cos  n  =  2  sin' 

Enfin,  en  divisant  les  deux  membres  de  ce! 
deux  nouvelli's  équations  par  2  et  en  extrayaai 
ensuite  la  racine  carroc,  on  Irouve  : 


i20) 


TIUGONOMETRIE         —  2; 

l;r.M.\i;ni'E.  —  L';iiiglc  d'un  ti'iangle  étant  tou- 
jours  nioiiuli'c    (juc  ISO",   l'anglR  -  est     nioindi-e 

quo  0(1",  i;t  pai'  conséquent  son  cosinus  est  posi- 
tif; c'est  pour  cette  raison  qu'on  ne  met  pas  ici 
lo  double  signe  ±  devant  le  radical. 

QuATiiiiiHK  Puoni.ÈME.  —  Transformer  en  un 
produit  la  somme  et  la  différence  de  deux  iinus 
et  de  deux  cosinus. 

En  additionnant  membre  h  membre  les  égalités 
^l'l)  et  (15),  on  obtient: 

sin  («  +  i)  +  sin  {a  —  i)  =  2  sin  a  cos  b. 

En  retranchant  l'égalité  (15)  de  l'égalité  (14),  on 
obtient  : 

sin  (n  H-  /;)  —  sin  [a  —  i)  =  2  sin  6  cos  a. 

En  additionnant  membre  ;i  membre  les  égalités 
(lu)  et  (17),  on  obtient  : 

cos  {a  +  b)  ■}-  cos  {a  —  &)  =  2cos  a  cos  b. 

En  retranchant  (IG)  de  (1"),  on  obtient  : 

cos  {a  —  b)  —  cos  (n  -t-  i)  =  2sin  a  sin  b. 

Mais  pour  rendre  plus  facile  l'emploi  dos  formu- 
les ainsi  obtenues,  désignons  par  p  la  somme 
n  +  6  et  par  g  la  différence  a  —  b.  On  aura  : 

a  +  b  =  p 
a  —  i  =  q. 

On  en  tire  par  addition  et  par  soustraction  : 

En  substituant  ces  valeurs  à  a  et  à  4  dans  ces 
formules,  on  a  : 

p  +  7        p—  1 


5'J  —         TRIGOrs'ÛMKTRIE 

Enfin,  si    on  remplace   cotg 

d'après  la  formule  (C),  on  trouve  : 

tg  '-i±-' 
sni  ;)  +  sm  q  'i 


un  p  —  sm  q 


.l'-'l 


tg'-^ 


(26) 


sm  p  -t-  sin  q  =  2sin  -— p^  cos  ' 

sm  p  —  sm  q  =  2sin      _      cos  — 

p  -\-  Q         V 

cos  »  +  cos  7  =  2cos cos  — 

2 

cos  q  —  cos  ;j  =  2sin  -JlH  si,i  Ps 


(22) 

(•H) 
(25) 


La  première  de  ces  quatre  formules  signifie  que 
la  somme  des  sinus  de  deux  arcs  est  eqate  au  dou- 
ble produit  du  sinus  de  In  demi-somme  de  res  arcs 
multipliée  par  le  cosinus  de  leur  demi-différence. 

Nous  laissons  au  lecteur  le  soin  d'énoncer  les 
autres. 

Remaiîque.  —  Si  l'on  avait  à  transformer  en  un 
produit  la  somme  ou  la  dill'orence  d'un  sinus  et 
d'un  cosinus,  on  remplacerait  le  cosinus  par 
le  sinus  du  complément  de  son  arc;  on  serait 
ainsi  ramené  au  cas  précédent. 

Cinquième  problème.  —  Trouver  une  expression 
simple  du  rapport  qu'il  y  a  entre  la  somme 
des  sinus  de  deux  arcs  et  la  différence  de  ces 
sinus. 

Pour  cela  on  divise  membre  h  membre  les  éga- 
lités (22^  et  (23),  ce  qui  donne  : 

•    V  +  1         P  —  q 


Sin  p  —  sin  r/ 


J'-'l  . 


Le  deuxième  membre  est  égal  à  : 

v_±n 


cos 


•X 


V  -  'I 


1  ou  tg 


X  cotg  ' 


Ainsi  le  rapport  entre  ta  somme  des  sinus  de 
deux  arcs  et  la  différence  de  les  sinus  est  égal  au 
rapport  qu'il  i/  a  entre  la  tangente  de  la  demi- 
somme  des  deu-x  arcs  et  la  tangente  de  leur 
demi-différence. 

Nous  avons  maintenant  les  moyens  de  résoudre 
les  doux  derniers  cas  des  triangles. 

!'■)■  Résoudre  un  triangle  en  connaissant  deux 
côtés  et  l'angle  compiûs  entre  eux. 

Données  ;  a,  i  et  C.  —  Inconimes  :  A,  B  et  c. 

Calcul  des  angles.  —  On  aura  d'abord  la  somme 
des  deux  angles  A  et  B  par  la  relation  : 
A-l-B  =  180°— C. 

Il  s'agit  de  connaître  leur  différence.  Pour  cela 
on  remplace,  dans  la  formule  (2G),  les  arcsp  et  q 
par  les  angles  A  et  B,  ce  qui  donne  : 
j„Aj-B 

"       2        _  sin  A  -I-  sin  B 
A  —  B       sin  A  —  sin  B* 

Il  reste  à  en  éliminer  les  sinus,  en  substituant 
au  deuxième  membre  une  valeur  exprimée  en 
fonction  des  cotés  donnés  a  et  b. 

La  formule  (12)  donne  : 


a      _      b 
sin  A       siu  li 


sin  A 


Or,  dans  toute  proportion,  le  rapport  entre  la 
somme  des   deux  premiers  termes  et  leur  diffé- 
rence  est  égal   au    rapport  entre    la   somme  des 
deux  derniers  et  leur  différence. 
La  dernière  proportion  donne  donc  : 

a  -\-  h sin  A  -|-  sin  B 

a  —  b 


A  —  sin  B 


On  obtient  par  suite  : 


=       2            a  +  b 

A  - a~  a  —b 
tg   — ^— 

De  li  on  tire  : 

A  —  R            A-t-B       a  - 

tg    — ; =  tg ; —  X 

°        2                      2            a  H 

-  6 

-  b 

Cette  égalité  fera  connaître  h  l'aide  dos  tables  la 
demi-différence  des  angles  A  et  B;  or  on  connaît 
déji  leur  demi-somme.  Pour  avoir  le  plus  grand.  A, 
on  ajoutera  la  différence  h  la  demi-somme  ;  pour 
avoir  le  plus  petit,  Ij,  on  retranchera  la  demi- 
différence  de  la  demi-somme. 
Calcul  du  coté  c.  —  On  a  : 


sin  C       sin  A  ' 


Q  ou    c=  ■ 


a  sin  C 


Exemple.  —  Données  : 

C  =  îl"  25'  14"; 
a  =  2I5'",,'JG; 
b  =  18.3"', 47. 
On  trouvera  : 

A  =  G'".''.'Î.S'  12"; 
B  =  4i»  51/  34"; 


TRIGONOMETRIE 


2240 


TRIGONOMETRIE 


Quatrième  cas.  —  Etant  donnés  les  trois   côtés 
d'iin  friaiir/le,  calculer  ses  anrjles. 
V  Db  la'formule  (13)  : 

a-  =  A'^  -4-  c2  —  Vjc  cos  A, 
on  lire  : 

l,i  +  c2  — r/5 


En  portant  cette  valeur   de  cos  A  dans  l'éga- 
lité (20), 


En  réduisant  1  au  dénominateur  'îbc  et  on  effec- 
tuant la  soubtraction  indiquée,  on  obtient  : 


|-\/^ 


Or  le  trinôme  24c  —  b-  —  c^  est  la  même  chose 
,|Q(3  —  (1/2  -)-  c-  —  26c),  c'est-à-dire  que  le  carré 
de  {h — c)  précédé  du  signe  —  ;  par  conséquent  le 
numérateur  placé  sous  le  radical  peut  s'écrire 
ainsi  : 

«2  —  (6  _  cf. 

Or  cette  différence  des  carrés  des  quantités  a 
et  b—c  est  égale  à  la  somme  de  ces  deux  quantités 
multipliée  par  leur  différence  ;  on  a  donc  : 

n%—  [b  —  c}  =  [a  +  b  —  c)[a  —  b  ■{-  c), 

et  par  conséquent  : 

sin  ^  =  V lE±mniE±±jl. 
2       V  ibc 

Après  qu'on  a  calculé  les  deux  facteurs  [a  -\-  b  —  c) 
et  (ri  —  i  +  '•)  au  moven  d'une  addition  et 
d'une  soustraction,  on  met  ces  valeurs  sous  le 
radical,  et  l'expression  se. calcule  alors  par  loga- 
rithmes. Mais  on  lui  donne  une  forme  plus  sim- 
ple, en  y  introduisant  le  périmètre  du  triangle. 

Pour  cela  on  désigne  le  demi-périmètre  par  p, 
ce  qui  donne  : 

a  +  6  -t-  c  =  2p . 

On  en  tire  ensuite  : 


a  -  6-t-c 


:  îp  —  2c=  2(;>  —  c), 
:  2p  —  26  =  i{p  —  h). 


On  substitue  ces  valeurs  sous  le  radical,  et  on 
supprime  le  facteur  2  qui  se  trouve  commun  au 
numérateur  et  au  dénominateur.  En  répétant  les 
mêmes  transformations  pour  les  deux  autres  an- 
gles, on  trouve  : 


sin    S.=  .    /U'-al'p-  C)     i,,.^ 

V  "g 

sin  g  =>/p^  ")(?>-*)     j 

2°  Si  on  porte  la  valeur  ci-dessus  de  cos  A  dans 
régalité  (;n, 

rns-^  =  t/l"+y^^S 


on   trouve,  en  répétant    les  moines  transforma- 
tions: 


y         ne 

,/PJPS 

V        al 


:.(2S) 


-^_£) 

*       ; 

A  A 

3°  Enfin  en  divisant  sin  —  par  cos  --,  et  fai- 
sant la  même  chose  pour  les  deux  aatres  angles, 
on  obtient  :  


'p  -  <:) 


p  Ip  —  ") 

5       /(p  -  »;  ip  -  c) 

2      V        plp-b) 

(p  -  b) 


'2 


.(29) 


p  jj  -  c) 

Remarque.  —  On  doit  chercher  séparément 
chacun  des  trois  angles  du  triangle  à  l'aide  des 
formules,  afin  qu'en  faisant  leur  somme  on  ait 
une  vérification  de  l'exactitude  des  résultats. 

Or  dans  ce  calcul  il  faut  préférer  l'emploi  de 
la  tangente,  comme  on  l'a  déji  expliqué.  En  outre 
il  y  a  ici  un  autre  avantage,  celui  du  n'employer 
que  quatre  logarithmes,  tandis  qu'avec  les  for- 
mules qui  donnent  les  sinus  on  en  aurait  six  à 
chercher  et  sept  avec  celles  qui  donnent  les  co- 
sinus. 

On  commence  par  calculer  le  périmètre  2/;,  puis 
le  demi-périmètre  p,  et  enfin  les  trois  autres  fac- 
teurs {j}—a),  (p — /j),  (/j-cj.En  face  ou  au-dessous 
on  écrit  leurs  logarithmes,  et  c'est  alois  qu'on 
applique  les  formules.  Faute  d'espace,  nous  nous 
bornerons  à  indiquer  ce  calcul. 

Exemple.  —  On  donne  les  côtés  : 
n  =    G4"',258 
6  =    r,G    ,174 
c  =    47    ,942 

On  trouve:    2 p  =  HiS    ,374 


P  = 
p  —  a  = 
p  —  6  = 
p  —  c  = 

log  p  = 
log  (p  —  a)  = 
log  (p  —  6)  = 
log  (p   —  c)  = 


187 
9  ,929 
18  ,013 
■S    ,245 

1,92525 
1,29949 
l,4173(i 
1,55925 


Calcul  de  -^.  —  On  a  par  les  formules  (29)  : 

A       loj;(p-M-}-log(/i-c1-[lo^p-flH-   ;)-«)] 


Log  'b  2 

i 

log  (p  —  6)  =  1,44736.  log 
log  (p  —  e)  =  l,."..i9V5.  log 

P 

=  1,92525. 
—  a)  =  1.29949. 

3,iHi6lil, 
3,22i74. 

3,22474. 

2  log  tg  -  =  1,78187. 

log  tg    ô=  lT8909i. 

37°52' 73. 

49" 21. 

'^  =  37"5'2'49".                   1 

On  trouvera  pour  les  deux  autres  angles  ; 
6  =  57°  55' 21" 
C;  =  4U°  19'  OU". 


TRIGONOMETRII 


2241   — 


TROUBADOURS 


50.  Surface  du  triangle.  —  La  trigonom(?trie 
fournit  des  rornuiU^s  très  utiles  pour  lo  calcul  de 
la  surface  d'un  triangle. 

1°  Lu  siir/iii-c  </'uii  trinng/e  est  égale  an  demi- 
produit  (/('  </fii.i:  côtés  multiplié  par  le  sinus  de 
Cunijli:  compris  entre  eux. 


Fig.  12. 

Pour  le  démontrer,  tirons  la  hauteur  AD  {fig.  12) 
dans  le  triangle  ABC,  et  soit  S  sa  surface.  On 
aura  : 

^;  _  CC><AD  _  n  X  AD 

Mais  le  triangle  rectangle  ADC  donne  : 
AD  =  ACsinC  =  AsinC. 
On  a  donc,  en  substituant  cette  valeur  à  AD  : 
ab  sin  C 


s=: 


(30) 


2°  Ln  surface  d'un  triangle  est  égale  au  carré 
d'un  côté  multiplié  par  le  produit  des  sinus  des 
deux  angles  adjacents  à  ce  côté  et  divisé  par  le 
double  du  sinus  de  l'angle  opposé. 

En  efl'et,  on  a  : 

«  b        ,,  .     ,       n  sin  B 

- — r  =  -■ — s  )  d  ou   b=  — 

sni  A      «ni  B  sin  A  ■ 

Si    on  porte  cette  valeur  à  la  place  do  b  dans  la 
formule  ^;iOi,  on  trouve  : 


S  = 


a-  sin  B  sin  C 


(31) 


2sin  A 

3°  Exi'ression  de  la  surface  en  fonction  des 
trois  ci'ilés. 

De  l'égalité  (30)  il  faut  éliminer  l'angle  C.  Or 
d'après  la  formule  (18)  on  a,  en  regardant  l'angle  C 
comme  le  double  de  -  : 


C 


sin  C  =  2sin  -  cos  - 
2  2 


Les  formules  (27)  et  (28)  donnent  aussi  : 


5in-=t  /(P-a)(p 
^       V  ^ 


)  (P  -  b) . 


H^ 


^  =  ,  /p(p-c 


En  multipliant    ces    deux    égalités    membre   à 
membre  et  en  doublant  le  produit,  on  obtient  : 


,.c  =  .^Ui,zIlliE^     V/- 


sin 
ou  : 


at> 


2       — ^-^^-^— — ^— _— 

^'"  ^  "^ÏÏZ-V;^  (P  -  o)  (p  -  A)  (2'  -  c) 

En  remplaçant  sin  C  par  cette  valeur  dans  l'éga- 
lité (30)  et  en  simplifiant,  on  trouve  : 

^  ^  Vp  (P  -  a)  {p  —  b)(p  —  c)     ('^2) 

Remarque.  —  Si  dans  un  quadrilatère  on  mène 
les  deux  diagonales  et  qu'on  les  mesure  ainsi  que 
1  angle  qu'elles  font  entre  elles,  le  quadrilatère 
se  trouve  décomposé  en  quatre  triangles.  Si  on 
évalue  les   surfaces  de   ces  triangles,  d'après    la 

2'  PARTIE. 


formule  (30),  en  prenant  l'angle  des  deux  diagona- 
les, on  trouve  par  l'addition  des  triangles  que 
la  surface  du  quadrilatère  est  égale  an  d-mi- 
prodnU  des  dn(.T,  diagonales  multiplié  par  le  ùnus 
de  l'angle  qu'elles  font  entre  elles. 

21.  C'est  surtout  dans  la  mesure  des  hauteurs 
et  des  distances  entre  dos  points  inaccessibles 
que  les  formules  trigonométriques  fournissent 
les  applications  les  plus  importantes.  Nous  n'avons 
pas  de  place  pour  en  parler  ici;  nos  lecteurs 
trouveront  ces  questions  exposées  avec  les  détails 
suffisants  dans  tous  les  traités  de  trigonométrie. 

Nous  sommes  arrivé  au  terme  que  nous  nous 
étions  fixé;  nous  serions  heureux  si  dans  ce  mo- 
deste travail  nous  avions  roussi  à  mettre  les  cal- 
culs trigonométriques  à  la  portée  de  tous  les  in- 
stituteurs. [G.  Bovier-Lapierre.] 

TROUBADOURS.  —  Littérature  française,  II. 
—  La  langue  provençale  ou  langue  d'oc  fut  la 
première  parmi  les  langues  romanes  qui  fut  cul- 
tivée et  eut  une  littérature.  Née  vers  le  x«  siècle, 
cette  littérature  brilla  un  moment  d'un  vif  éclat; 
ses  poètes,  les  troubadours,  servirent  de  modèles 
aux  Italiens  et  aux  Espagnols,  aux  trouvères  de  la 
France  du  Nord  et  aux  minnosinger  de  l'Allema- 
gne. Mais,  au  xiii"  siècle,  les  luttes  religieuses, 
l'Inquisition  et  l'invasion  des  croisés  de  Simon  de 
Montfort  portèrent  un  coup  mortel  à  la  poésie 
provençale  :  les  troubadours  se  turent,  et  la  langue 
d'oc  tomba  au  rang  des  patois. 

Les  troubadours  n'étaient  pas,  comme  on  se 
le  fis;ure  quelquefois,  des  aventuriers  qui  cou- 
raient de* ville  en  ville,  de  château  en  château, 
lo  rebec  ou  la  guitare  en  bandoulière,  gagnant 
leur  vie  à  amuser  les  seigneurs  par  leurs  chan- 
sons. C'était  là  le  métier  qu'exerçaient  les  jon- 
gleurs, chanteurs  et  déclamateurs  qui  étaient  aux 
troubadours  ce  que  les  acteurs  sont  aux  auteurs 
dramatiques.  Les  troubadours,  dont  le  nom  veut 
dire  trouveur  (du  verbe  provençal  trobar),  étaient 
des  chevaliers,  souvent  de  puissants  seigneurs, 
des  ecclésiastiques,  des  princes,  qui  consacraient 
leurs  loisirs  à  la  culture  de  la  «  gaie  science  » 
(el  gai  saber),  et  s'illustraient  par  leurs  compo- 
sitions poétiques.  Ils  ne  se  contentaient  pas  de 
chanter  leur  dame;  la  plupart  d'entre  eux  se  mêlè- 
rent activement  aux  événements  politiques  con- 
temporains, et  exercèrent  une  puissante  influence 
sur  l'opinion,  u  Us  avaient  pris  l'habitude  de  dis- 
tribuer l'éloge  et  le  blâme,  se  faisant  parfois  les 
interprètes  des  passions  de  la  foule  avec  une 
liberté  extraordinaire.  Ils  ont  réellement  posé  d'un 
grand  poids  dans  les  actes  de  leur  temps;  ils  ont 
surtout  secondé  la  prédication  religieuse  en  fa- 
veur des  croisades  en  Orient.  »  CVapereau.) 

On  connaît  les  noms  de  plus  de  trois  cents 
troubadours  ;  un  choix  de  leurs  œuvres  a  été  pu- 
blic par  Raynouard  en  six  volumes.  Parmi  les 
plus  remarquables,  nous  citerons  Arnaud  Daniel 
(xii"  siècle),  l'illustre  troubadour  du  Périgord; 
Bertrand  de  Born,  vicomte  de  Hautefort,  dont  les 
poésies  enflammées  poussèrent  les  fils  de  Henri  II 
Plantagenet  à  la  révolte  contre  leur  père  ;  Pierre 
Vidal,  de  Toulouse,  qui,  après  une  existence 
aventureuse,  obligé  de  s'exiler,  prit  la  croix  et 
suivit  le  marquis  de  Montferrat  en  Palestine; 
Folquet  ou  Foulques  de  Marseille,  qui  débuta  par 
des  poésies  galantes,  puis  devint  évêque  de  Tou- 
louse et  se  signala  par  son  ardeur  à  combattre 
les  Albigeois  ;  enfin  l'Italien  Sordello  de  Man- 
tone,  qui  avait  adopté  la  langue  provençale,  ainsi 
qu'un  certain  nombre  de  ses  compatriotes,  et  qui 
composa  des  satires  pleines  de  vigueur  et  de 
hardiesse.  Dante  était  un  grand  adm'raieur  de  la 
poésie  provençale;  aussi  a-t-il  donné  une  place 
à  la  plupart  de  ces  troubadours  dans  sa  Di- 
vine Comédie.  Dans  le  Purgatoire,  il  fait  dire 
à  Virgile,   on  parlant   d'Arnaud    Daniel  :  «   Colui 

m 


TROUBADOURS         —  2242  — 


TUDOR 


que  voici  surpasse  tous  les  poètes  de  son  pays  par 
ses  cliaiUs  d'amour  et  par  ses  proses  de  roman.  » 
Au  38'  clianl  de  l'Enfer,  le  poète  rencontre  Ber- 
trand de  Born,  qui  porte  i  la  main  sa  tète  coupée, 
en  punition  do  l'inimitié  qu'il  a  excitée  entre  un 
père  et  ses  fils.  Foulques  de  Marseille  figure  dans 
le  Paradis,  parmi  les  bienheureux.  Quant  à  Sor- 
dello,  Dante  le  trouve  à  l'entrée  du  Purgatoire, 
et  le  compare  à  un  lion  qui  se  repose  calme  dans 
sa  force.  .         „  ,  .        ,,., 

Parmi  les  princes  qui  se  firent  gloire  d  être 
rangés  au  nombre  des  troubadours,  il  faut  citer 
deux  membres  de  la  famille  royale  des  Plantage- 
nets  :  Éléonore  de  Guyenne,  épouse  de  Henri  II, 
et  Richard  Cœur-de-lion,  son  fils.  On  a  conserve 
le  texte  d'une  chanson  en  langue  provençale  com- 
posée, dit-on,  par  le  roi  Richard  pendant  sa  capti- 
vité en  Autriche  ;  en  voici  les  ûeux  premiers  cou- 
plets : 

Ja  nul  hom  proz  non  dira  sa  razon 
Adreilamen,  se  oime  hom  doulen  non; 
Mas  per  conort  pot  el  faire  canson. 
Prou  hai  d'amicz,  ma  paure  son  li  don! 
Honta  j  auran  se  por  ma  reliczon 

Sony  fach  dos  hivers  prer. 
Or  sachan  ben  miei  Iiora  et  miei  baron. 
Angles,  Norman,  Pejtavin  et  Gascon, 
Quyeunon  hai  jasi  pat 


Fa 


i  lai^ 


tas  yeu 
Mas  su'uy  do's  hivers  pr 


oii  non. 


Traduction  :  «  Nul  homme  prisonnier  ne  dira 
sa  raison  droitement,  sinon  en  homrte  dolent 
(c'est-à-dire  :  le  langage  naturel  du  prisonnier 
est  la  plainte);  mais  par  effort  il  peut  faire  une 
chanson.  J'ai  beauconp  d'amis,  mais  pauvres  sont 
leurs  dons;  honte  ils  auront  si  pour  (faute  de) 
ma   rançon  (je)    suis  fait  deux  hivers   prisonnier. 

Or,  sachent  bien  mes  hommes  et  mes  barons. 

Anglais,  Normands,  Poitevins  et  Gascons,  que  je 
n'ai  pas  si  pauvre  compagnon  que  pour  avoir 
(argent)  je  laissasse  en  prison  ;  faire  reproche, 
certes  je  ne  veux  pas,  mais  (je)  suis  deux  hivers 
prisonnier.  » 

Les  compositions  lyriques  des  troubadours  sont 
les  unes  des  chansons  d'amour  remarquables  par 
leur  grâce,  mais  où  l'on  trouve  déjà  quelquefois 
cette  subtilité  et  ce  mauvais  goût  qui  gâtent  les 
vers  de  Pétrarque,  leur  imitateur;  les  autres,  des 
chants  guerriers  ou  des  déclamations  satiriques 
connus  sous  le  nom  de  siviv7ites.  Les  sirventes 
les  plus  célèbres  sont  ceux  de  Bertrand  de  Born 
et  de  Sordello,  remarquables  par  la  véhémence 
de  l'invective  et  l'ardeur  passionnée  de  leur 
verve  belliqueuse.  Il  y  avait  aussi  des  pièces  ap- 
pelées tensons  (de  cont-ntvi,  dispute),  sorte  de  dia- 
logue entre  deux  interlocuteurs  soutenant  des 
opinions  opposées,  débats  rimes  sur  quehine  ques- 
tion touchant  ordinairement  à  la  chevalerie  ou  à 
l'amour 


pays  d'Europe  fut,  à  ses  débuts,  une  imitation  de 
celle  des  troubadours.  En  Angleterre,  ce  sont  les 
rois  Plantagenets  qui  la  mettent  à  la  mode.  En 
Italie,  on  compte,  au  xii'  et  au  xiii=  .Mècle,  une  tren- 
taine de  poètes  qui  ont  adopté  la  langue  d'oc, 
comme  Sordello  de  Mantoue  ;  et  c'est  la  Provence 
c|ui  transmet  aux  Italiens  les  romans  de  chevalerie 
dont  s'inspireront  plus  tard  Koiardo  et  Arioste.  En 
Espagne,  on  voit  se  fonder  à  Barcelone  et  à  Tortose 
des  Académies  de  la  gaie  science  ;  et  les  trouba- 
dours provençaux  pénètrent  jusque  dans  les  cours 
de  Castille  et  de  Portugal.  Enfin  les  minnesinger 
d'Allemagne  traduisent  les  épopées  provençales. 
Quant  aux  ti-ouvères  de  la  France  du  nord,  leur 
nom  indique  assez  leur  parenté  avec  les  poètes 
de  la  langue  d'oc. 

Les  Provençaux  donnèrent  l'impulsion  ;  mais  les 
diverses  nationalités  trouvèrent  bien  vite  leur  voie 
propre,  et,  cessant  d'imiter,  créèrent  des  littéra- 
tures originales,  robustes  et  ciipables  d'un  long  dé- 
veloppement; tandis  que  la  poésie  de  la  langue 
d'oc,  née  la  première,  ne  fut  plus,  à  partir 
du  XIII'  siècle,  qu'un  brillant  souvenir. 

TROUVÈRES.  —  V.  Litléi-ature  française,   p. 

Tl'DOR .  —  Histoire  générale,  XX-XXII,  XXVIIl. 

—  Nom  d  une  famille  qui  a  régné  sur  l'Angle- 
terre de  1485  à  1603,  et  qui  lui  a  donné  cinq  sou- 
verains. C'est  sous  cette  dynastie  que  se  constitue 
la  monarchie  absolue  :  la  sanglante  guerre  des 
Deux-Roses  a  épuisé  l'aristocratie,  Henri  VII  en 
profite  pour  fortifier  l'autorité  royale  ;  Henri  VIII, 
non  content  d'exercer  la  domination  temporelle,  y 
ajoute  la  souveraineté  spirituelle  en  se  proclamant 
chef  de  l'Eglise  d'Angleterre  ;  sous  Elisabeth,  le 
pouvoir  royal  atteint  son  apogée,  etla  grande  reine 
pourrait  dire  comme  Louis  XIV  :  «  L'Etat,  cest 
moi.  »  Mais  la  nation  revendiquera  ses  droits  sous 
les  Stuarts.  „      .    „    , 

Henri  -VU  (1485-1500).  —  Henri  Tudor,  sei- 
gneur gallois,  descendait  de  la  maison  de  Lancas- 
tre  par  les  femmes  :  son  père,  Edmond  Tudor, 
comte  de  Ricliniond,  avait  épousé  Marguerite 
de  Beaufort,  pctite-nièce  du  roi  Henri  IV.  Il 
vivait  en  exil  lorsque  éclata  une  révolte  contre 
l'usurpateur  Ricliard  III  (V.  PlnnlaijeneleX,  Guerre 
des  Deiix-Hoses);  Henri  Tudor  débarqua  dans  le 
pays  de  Galles  à  la  tête  d'une  petite  troupe  de 
partisans,  rencontra  Richard  III  à  Bosworth,  et  le 
vainquit  (1485).  llichard  ayant  été  tue  dans  la 
bataille,  Henri  Tudor  n'eut  pas  de  peine  h  se  faire 
reconnaître  comme  roi;  et,  pour  mettre  fin  à  la 
querelle  des  deux  maisons  rivales,  il  épousa,  lui 
l'héritier  des  Lancastre  ,  Elisabeth ,  fille  d  E- 
douard  IV,  héritière  d'York.  A  deux  reprises,  des 
imposteurs,  se  faisant  passer  pour  des  princes  de 
la  maison  d'York,  essayèrent  de  soulever  le  peu- 
ple contre  lui;  mais  ils  furent  vaincus.  Le  gouver- 
nement du  nouveau  souverain  fut  despotique  ;  la 
noblesse  n'était  plus  assez  forte  pour  lui  résister. 


noDiesse  n  eiaii  iJiuo  aoovo  .„..,^  ,..•-.  ■----.„„■ 
Sais  ce  n'est  pas  seulement  la  poésie  lyrique    et  la  bourgeoisie  n'aurait  pas  n,i^^^^^ 
qui  a  été  cultivée  par  les  troubadours:  les  grandes    tète  à  l'autorité  roy^  «   "en"  ^  '^^  ^^^^^^^^ 
compositions  épiques    ne   leur   sont   pas   ''estoes  ,  la  puissance  de  1  arisocra.e  en  e^ 
étrangères.   Ainsi     Arnaud  Daniel  avait  écrit  un    gneurs    le   droit   ^e   '"amtenance     c  est^ 
roman  d'aventures,  Lancelot  du  La,,  dont  l'origi-  !  droit  d'avoir  une  ="-""^6  à  «»^  ^"^  PaHcment    'e 
nal  ne  s'est  pas  conservé,  mais  dont   on   possède  ,  leva  des  impots  ,f  "'^  ,3"  f  ^^^i'^/^V'i^'/i^Va  h 
une  traduction  allemande  faite  k  la  fin  du  xn=  siècle,    pour  y°'^%J"^'';fh,^,^"%'^chT  nommé    pa?    e 
Le    minnesinger    Wolfram   d'Eschenbach   àécUvo  ,,  Chambre  elod'-.    '"b^na    spécial    non  ne    par  ^e 
avoir  imité  .es  poèmes  de  l'erceval  et  de  THurel    roi  et  qui  aval   le  P»»^,"''  ^,^^°X  L  soustraire  à 
de  poèmes  sur  le  même  sujet,  écrits  en  proven-  !  procès  qu'il  plaisait  au  souverain  de  soustraire  a 
çal.  Enfin  on  a  les  textes  provençaux  des  poèmes  '  la  juridiction  du  ju^y-  .  , 

de  Ferabras,  de  G,rar,i  de  [ioussil/o,,,  et  de  «^^  despotisme  assura  du  moins  au  pays  m 
plusieurs  autres  encore.  Ainsi  les  chansons  de  paix  intérieure  ^Près  '  '  ornble  gt^^r  e  c  v.le  qu 
gestes,  les  romans  rie  la  Table  Ronde  appartiennent  :  avait  désole  1  Angleterre  P*  "^a^t  tn  nte  ans^  m 
f  la  France  du  midi  aussi  bien  qu'à  celle  du  nord,  ;  dustrie  et  le  ^«'""^«^^f  Prouver^es  ma  Uimes  à 
et  il  est  probable  que,  dans  ce  domaine  comme  le  moment  des  grandes  ^«^""^"ilal  et  Tel-Ès 
dans  les  autres,  c'es't  le  midi  qui  a  été  l'initiateur,  l'imitation  des  souvera  ns  du  Portugal  e  de  l^s 
Nous  avons  déjà  dit  que    li  poésie  des  autres  |  pagne,  Henri  VU  voulut  aussi  chcicher  un  chemin 


TUDOR 


—  :2243  — 


TUDOR 


pour  aller  aux  Indes  ;  il  organisa  à  cet  effet  l'ex- 
pédiiion  de  Jean  Cabot,  qui  découvrit  le  Canada 
{141IS). 

Henri  VU  donna  sa  fille  Marguerite  en  mariage 
au  roi  d'Iicosso  Jacques  IV  ;  c'est  cette  alliance 
avec  les  Stuarts  qui  devait  amener  en  IUU3  l'union 
dos  couronnes  d'Angleterre  et  d'Ecosse  sur  une 
seule  tête.  11  mourut  en  1509. 

La  politique  étrangère  de  Henri  VU  consista  à 
se  faire  contre  la  France  l'allié  de  Maximilien 
d'Autriche  et  de  Ferdinand  le  (Catholique.  En  14112, 
il  avait  débarqué  i  Calais  avec  une  armée,  pour 
s'opposer  h  la  réunion  de  la  Bretagne  ;  mais 
Charles  VUI  acheta  sa  retraite  au  prix  de  '145  000 
écus  d'or. 

Henri  vm  (1309-1547).  —  Henri  VU  avait  fait 
épouser  à  son  flls,  qui  lui  succéda  sous  le  nom  de 
Henri  VIII,  une  tille  de  Ferdinand  le  Catholique, 
Catherine  d'Aragon.  Ce  mariage  devait  resserrer 
les  liens  qui  unissaient  l'Angleterre  à  l'Espagne 
et  à  l'Autriche.  Néanmoins,  à  plusieurs  reprises, 
Henri  VUI  se  rapprocha  de  la  France,  selon  les 
nécessités  de  sa  politique  capricieuse,  et  on  le 
trouve  allié,  tantôt  à  Charles-Quint,  tantôt  à 
François  1". 

Au  début  de  son  règne,  Henri  VIII  entre  dans 
la  Sainte-Ligue  organisée  par  le  pape  contre 
Louis  XII,  et  envahit  la  France  (bataille  de  Gui- 
negate  ou  Journée  des  éperons,  1513);  son  beau- 
frère,  le  roi  d'Ecosse  Jacques  IV,  s'allie  par 
contre  à  la  France  et  veut  envahir  l'Angleterre  : 
mais  il  est  battu  et  tué  à  Flowden.  La  paix  est 
conclue  l'année  suivante  à  Londres,  et  le  vieux 
Louis  XII,  qui  venait  de  perdre  sa  femme  Anne 
de  Bretagne,  épouse  une  sœur  de  Henri  VUI. 
L'avènement  de  François  I"  ne  troubla  pas  d'a- 
bord le  maintien  de  la  paix;  mais  après  l'entrevue 
du  camp  du  Drap-d'Or  (15'2u).  où  la  vanité  du 
roi  d'Angleterre  lut  blessée,  celui-ci  se  rejeta  du 
côté  de  Charles-Quint,  dont  il  demeura  l'allié 
jusque  après  Pavie  ;  alors,  trouvant  que  l'empe- 
reur devenait  trop  puissant,  il  se  rapprocha  de 
nouveau  de,  la  France. 

Sur  ces  entrefaites,  Henri  VUI  voulut  faire  an- 
nuler son  mariage  avec  Catherine  d'Aragon,  afin 
de  pouvoir  épouser  Anne  Boleyn  [Ib'i'ij.  Le  pape, 
alors  prisonnier  de  Charles-Quint,  refusa  de  con- 
sentir au  divorce.  Après  quatre  années  de  négo- 
ciations inutiles,  Henri  se  décida  à  rojnpre  avec 
Rome,  et  se  fit  proclamer  chef  de  l'Eglise  d'Angle- 
terre par  un  Parlement  docile  (15:n).  Il  épousa 
alors  Anne  Boleyn.  et  répondit  à  l'exconnnunica- 
tion  lancée  contre  lui  par  des  mesures  tyrajini- 
ques  et  sanguinaires.  Des  milliers  de  victimes 
lurent  envoyées  Ji  l'échafaud  ou  au  bûcher  sous 
prétexte  de  trahison  ou  d'hérésie  :  la  plus  illustre 
est  le  célèbre  chancelier  Thomas  Morus,  décapité 
en  1535.  Les  biens  des  couvents  furent  confisqués, 
et  enrichirent  la  couronne.  Bientôt,  accusant  Anne 
Boleyn  d'adultère,  le  roi  lui  fit  traneher  la  tête 
(1530),  et  épousa  aussitôt  une  troisième  femme, 
Jeanne  Seymour,  qui  mourut  en  couches  l'année 
suivante.  Cependant  la  nouvelle  Eglise  instituée 
par  Henri  VUI  n'avait  pas  encore  de  credo  :  le 
bill  des  six  articles  (i;i3y)  lui  en  donna  un,  et 
proscrivit  également  les  croyances  des  catholiques 
et  celles  des  luthériens.  En  liio,  Henri  avait 
épousé  Anne  de  Clèves,  qu'il  répudia  la  même 
année;  une  cinquième  femme,  Callierine  Howard, 
prit  sa  place,  mais  pour  mouiir  bientôt  après 
sur  l'échafaud  comme  Anne  Boleyn  llo4'2).  En 
même  temps,  le  roi  d'Angleterre  s'allie  de  nou- 
veau à  Charles-Quint,  et  combine  avec  lui  une 
invasion  de  la  France.  Il  débarque  à  Calais  en 
1544,  et  fait  le  siège  de  Boulogne  :  ce  ne  lut  qu'eu 

11516  qu'il  consentit  à  traiter  moyennant  une  in- 
demnité de  2  millions.  Il  mourut  l'année  suivante. 
Il  avait  encore  épousé,  en  1543,  une  sixième  femme. 


Catherine  Parr,  que  la  mort  de  son  époux  sauva 
de  l'échafaud  où  il  s'apprêtait  à  la  faire  monter 
comme  hérétique. 

Edouard  -VI  (1547-15'.3).  —  Fils  d'Henri  VIH  et 
de  Jeanne  Seymour,  Edouard  VI  n'avait  qne  dix 
ans  à  la  mort  de  son  pore.  Son  oncle  le  duc  de 
Somerset,  chargé  d'abord  de  la  régence,  favorisa 
les  calvinistes.  La  rupture  de  l'Angleterre  avec 
Rome,  qui  n'avait  profité  encore  qu'au  despotisme 
royal,  allait  prendre  un  caractère  nouveau  par  la 
prédication  de  Pierre  M  iriyr  et  d'autres  disciples 
de  Calvin.  Cranmer.  l'archevêque  de  Cantorbéry, 
créature  de  Henri  VIII,  autorisa  le  mariage  dos 
prêtres  en  donnant  lui-même  l'exemple,  et  introdui- 
sit une  nouvelle  liturgie.  Le  régent  Somerset  fut  ren- 
versé en  1549  par  Warwick  ;  mais  celui-ci  suivit  la 
même  politique,  et,  lorsque  Edouard  VI  mourut 
en  155'i,  la  réforme  religieuse  avait  gagné  b,  sa 
cause  la  masse  du  peuple  anglais. 

L'ordre  de  succession  appelait  au  trône,  après 
Edouard,  sa  sœur  ainée  Marie,  fille  de  Catherine 
d'Aragon.  Mais  Marie  était  catholique  ;  aussi 
Warwick  avait-il  résolu  de  l'écarter.  Il  fit  procla- 
mer reine  sa  belle-fille  lady  Jane  Grey,  petite- 
fille  de  cette  sœur  de  Henri  VIII  qui  avait  épousé 
le  roi  de  France  Louis  XII,  et  qui  s'était  remariée 
plus  tard  au  duc  de  Suffolk.  Mais  le  règne  de 
l'infortunée  Jane  Grey  ne  dura  que  dix  jours. 
Marie  Tudor  rallia  promptement  autour  d'elle  de 
nombreux  partisans;  sa  rivale  fut  abandonnée  de 
tous  :  Warwick  paya  de  sa  tête  son  audacieuse 
tentative,  et  Jane  Grey,  d'abord  tenue  en  prison, 
fut  exécutée  l'année  suivante  avec  son  père  et 
son  mari. 

Marie  (I.S5.3-I.i5S).  —  De  même  q\ie  Henri  VIII 
avait  pu  créer  une  Eglise  nouvelle  sans  rencontrer 
de  résislance,  Marie  'l'udor,  qui  restaura  le  catholi- 
cisme, ne  trouva  qu'obéissance  dans  le  Parlement; 
et,  sanguinaire  comme  son  père,  elle  versa  des  flots 
de  sang  pour  tenter  de  détruire  l'œuvre  des  deux 
règnes  précédents.  Son  mariage  avec  Philippe  II 
d  Espagne  (1554)  faisait  rentrer  politiquement 
l'Angleterre  dans  le  concert  des  puissances  catho- 
liques ;  la  nouvelle  liturgie  fut  abolie,  l'archevê- 
que Cranmer  mourut  sur  le  bûcher,  et  le  légat 
du  pape  prononça,  avec  la  sanction  du  Parlement, 
la  réconciliation  de  l'Angleterre  avec  le  Saint- 
Siège.  Mais  Marie  n'obtint  de  son  peuple  qu'une 
soumission  extérieure;  elle  no  réussit  pas  à  ex- 
tirper les  doctrines  religieuses  prêchées  par  les 
réformateurs.  Entraînée  par  Philippe  11  dans  une 
guerre  contre  la  France,  elle  y  perdit  Calais;  et 
le  chagrin  que  lui  causa  ce  revers  hâta  sa  mort 
(16.58). 

Elisabeth  (I558-1G03).  —  Fille  d  Anne  Boleyn, 
Elisabeth  avait  dû,  sous  Marie,  abjurer  le  protes- 
tantisme. A  la  mort  de  sa  sœur,  elle  fut  reconnue 
reine  sans  opposition  sérieuse;  la  protestation  da 
Marie  Stuart,  qui  prétendait  que  la  couronne 
d'Angleterre  lui  revenait  comme  descendante  de 
Marguerite,  fille  de  Henri  VII,  et  qui  traitait  Eli- 
sabeth de  fille  illégitime  parce  que  le  mariage 
d'Anne  Boleyn  n'avait  pas  été  reconnu  par  le  pape, 
n'eut  pas  d'écho  dans  le  peuple  anglais  :  mais 
cette  protestation  devait  plus  tard  coûter  la  vie  à 
son  auteur. 

L'attitude  d'Elisabeth,  dans  la  question  reli- 
gieuse, fut  d'abord  équivoque.  Après  d'assez  lon- 
gues hésitations,  elle  se  prononça  enfin  contre 
Rome,  et  le  Parlement,  instrument  toujours  servile 
de  la  volonté  royale,  lui  donna,  comme  à  son  pore, 
le  titre  de  chef  spirituel  de  l'Église  d'Angleterre 
(155!)).  Trois  ans  plus  tard  (laG'2),  le  bill  det 
trente-neuf  articles  fixa  définitivement  l'organisa- 
tion et  les  croyances  de  l'Eglise  anglicane  (V.  /(c- 
t  forme,  p.  1813).  Energique  et  intelligente,  en 
même  temps  qu'orgueilleuse  et  profondément  dis- 
1  simulée,   Elisabeth    allait    régner    on   souveraine 


TURQUIE 


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TURQUIE 


absolue  sur  un  peuple  que  son  père  et  son  grand- 
père  avaient  façonné  à  l'obéissance,  et  qu'elle  sut 
d'ailleurs  intéresser  à  sa  propre  grandeur,  en 
confondant  sa  cause  avec  celle  de  l'indépendance 
nationale  et  de  la  réforme  religieuse.  KUe  s'en- 
toura d'iionimes  dévoués  et  habiles,  dont  les  deux 
principaux  furent  Robert  Dudley,  comte  de  Lei- 
cester,  qui  resta  son  favori  tant  qu'il  vécut,  et 
William  Cecil  (lord  Burleigli),  qui  fut  quarante 
ans  son  premier  ministre.  «  Sachant  garder  ceux 
qu'elle  avait  su  choisir,  elle  fut  toujours  bien 
servie.  Elle  ne  permit  pas  à  ses  favoris  de  devenir 
un  seul  moment  ses  maîtres,  et  ses  ministres  les 
plus  expérimentés  ne  furent  jamais  que  ses  utiles 
instruments.  En  toute  rencontre,  elle  rechercha 
les  conseils  et  se  réserva  les  décisions.  Sa  volonté, 
uniquement  dirigée  par  le  calcul  et  par  l'intérêt, 
fut  quelquefois  lente,  souvent  audacieuse,  tou- 
jours souveraine,  w  (Mignet). 

L'Angleterre  atteignit,  sous  Elisabeth,  un  haut 
degré  de  prospérité.  Sa  marine  s'était  développée, 
et  disputait  déjà  la  domination  des  mers  à  l'Es- 
pagne, dont  elle  allait  détruire  les  flottes.  L'in- 
dustrie était  florissante,  la  population  des  villes 
s'enrichissait.  D'autre  part,  le  souffle  de  la  Renais- 
sance se  faisait  sentir,  et  les  lettres  étaient  culti- 
vées par  Spenser,  Sidney,  Ben  Jonson,  Shake- 
speare ■*  (V.  Angïelerre,  littérature,  au  Supplé- 
ment). 

Lorsqu'en  \'M&  Marie  Stuart,  chassée  d'Ecosse, 
se  réfugia  en  Angleterre  (V.  Marie  Stuart),  Eli- 
sabeth jugea  qu'il  fallait  profiter  de  la  destinée  qui 
lui  livrait  son  ennemie  :  elle  retint  Marie  en  capti- 
vité, et  réussit  à  faire  dominer  en  Ecosse  sa  propre 
influence  pendant  les  régences  successives  de 
Murray,  de  Lennox,  de  Mar  et  de  Morton.  Mais 
Philippe  II,  qui  rêvait  la  restauration  du  catholi- 
cisme dans  touie  l'Europe,  fomenta  complots  sur 
complots  contre  Elisabeth,  avec  la  connivence  de 
Marie  Stuart  prisonnière  (lôCi),  15"U,  l.i12,  1584, 
158C).  Tous  ces  complots  échouèrent.  Elisabeth  y 
répoiidait  en  envoyant  des  secours  aux  insurgés 
des  Provinces-Unies  et  aux  prolestants  français, 
en  faisant  capturer  les  galions  espagnols  par  ses 
corsaires. 

Toutefois,  après  la  conspiration  de  lôSG,  elle  ré- 
solut de  se  débarrasser  de  sa  dangereuse  rivale  : 
un  procès  fut  intenté  à  l'ex-reine  d'Ecosse,  qui 
péril  sur  l'échafaud  en  1587.  Pour  venger  Marie 
Stuart,  et  surtout  pour  abattre  en  Elisabeth  un 
redoutable  adversaire  du  catholicisme,  Philippe  11 
envoya  contre  l'Angleterre  Vinvinciljle  Armada, 
qui  lut  détruite  par  les  tempêles  (1588);  les  vais- 
seaux anglais  demeurèrent  maîtres  de  la  mer,  et 
portèrent  à  leur  tour  le  ravage  sur  les  côtes  d'Es- 
pagne. En  même  temps  Philippe  II  était  vaincu 
aussi  dans  les  Pays-Bas  et  en  France.  La  politique 
d'Elisabeth  triomphait. 

Toutefois  les  dernières  années  de  ce  règne 
furent  tristes.  En  vieillissant,  Elisabeth  devenait 
de  plus  en  plus  tyrannique  et  soupçonneuse.  Elle 
persécuta  avec  acharnement  les  dissidents,  qui 
refusaient  de  se  rattacher  à  l'Eglise  anglicane,  et 
dont  le  nombre  grandissait  tous  les  jours.  La  Cham- 
bre étoilée  fut  son  principal  instrument  de  gou- 
vernement. Le  Parlement  n'était  plus  convoque 
que  pour  la  forme.  Ln  favori  de  la  reine,  le  comte 
d'Essex,  qui  avait  succédé  i  Leicester,  se  vit 
disgracier  :  il  pensa  alors  que  la  désaffection  du 
peuple  rendrait  possible  un  soulèvement,  et  pro- 
voqua une  émeute  à  Londres.  Arrêté,  il  fut  exé- 
cuté (1601).  Elisabeth  conçut  un  profond  chagrin 
de  cet  événement,  et  mourut  bientôt  après  (IUn3). 
laissant  la  couroime  d'Angleterre  au  roi  d'Ecosse 
Jac(|ues  VI,  lîls  de  Marie  Stuart, et  son  plus  proche 
héritier. 

■I  l'RCS.  —  V.  Turquie. 

TURQUIE   (Géoghaphie).   —  Géographie  géné- 


rale, XVIII.  —  Notions  préliminaires.  —  Ps'ous 
décrirons  dans  cet  article  l'ensemble  des  pays 
d'Europe  qui,  jusqu'à  ces  dernières  années,  ont 
fait  partie  de  l'empire  du  sultan,  soit  comme 
possessions  immédiates,  soit  comme  pays  tribu- 
taires, et  nous  dirons  ensuite  la  situation  poli- 
tique que  les  traités  ont  faite  à  chacun  d'eux  de- 
puis la  dernière  guerre. 

t^itiiution,  forme,  limites.  —  Avec  le  royaume 
de  Grèce,  affranchi  depuis  un  demi-siècle,  la 
Turquie  d'Europe  occupait  la  plus  orientale  des 
trois  péninsules  que  l'Europe  forme  au  S.  On 
l'appelle  péninszile  des  Balkans,  du  non)  de  la 
chaîne  de  montagnes  qui  la  traverse  en  partie  de 
l'O.  à  l'E.,  jusque  sur  les  rives  de  la  mer 
Noire. 

Prise  isolément,  la  Turquie  forme  un  trapèze 
assez  régulier  limité,  au  N.,  par  le  cours  de 
la  Save,  celui  du  Danube,  et  la  partie  méridio- 
nale des  Carpalhes,  ou  Alpes  de  "Transylvanie;  à 
l'E.,  par  la  mer  .YoiVe,  et  à  l'O.  par  la  mer 
Adriatique;  au  S.  enfin,  par  les  détroits  de 
Constantinople  et  des  Dardanelles,  la  mer  de 
Marmara,  Y  Archipel  et  la  [routière  grecque. 

Toutefois  il  faut  remarquer  que  ces  limites 
comprendraient  la  Dalmatie  et  une  partie  de  la 
Croatie  qui  font  partie  depuis  longtemps  de  l'em- 
pire d'Autriche,  tandis  qu'elles  laissent  en  de- 
hors la  Moldavie.  Celle-ci  s'avance  au  N.  entre 
les  Carpathes,  qui  la  séparent  de  la  Transylvanie 
autrichienne,  et  le  Pruth,  dont  la  rive  orientale 
appartient  à  la  Bessarabie  russe. 

Frontières.  —  L'empire  russe,  au  N.-E.  ;  r<?m- 
pire austro-hongrois,  au  N.  etauN.-O.,  le  royaume 
(le  Grèce,  au  S.,  voilà  les  trois  États  voisins  de 
la  Turquie. 

Elle  est  séparée  du  premier  par  le  cours  du 
Pruth  et  la  branche  septentrionale  du  Danube  ou 
bouche  de  Kilia.  Les  Carpathes,  le  Danube,  la 
Save  et  son  tributaire  ITnna,  et  les  Alpes  Di- 
nariques,  lui  servent  de  frontière  avec  l'empire 
austro-hongrois.  Enfin  on  vient  de  fixer  tout  récem- 
ment la  ligne  de  séparation  avec  la  Grèce  à  la 
vallée  de  la  Selembria,  qui  débouche  dans  le 
golfe  de  Salonique  entre  le  mont  Olympe  et  le 
Kissovo  (ancien  Pélion),  et  à  celle  de  l'Arta,  qui 
naît  dans  la  chaîne  du  Pinde,  près  de  la  source 
de  la  Selembria,  et  finit  dans  l'Adriatique,  au  golfe 
d'Arta. 

Géographie  physique.  —  Hydrographie.  —  Da- 
uute.  —  La  iMr/iuljc  est  le  principal  fleuve  qui  ar- 
rose la  Turquie.  Par  l'abondance  de  ses  eaux,  il 
est  le  premier  de  tous  les  fleuves  d'Europe.  C'est 
il  Belgrade,  où  il  se  grossit  par  la  droite  de  la 
Save,  un  de  ses  affluents  les  plus  considérables, 
que  le  Danube  entre  sur  le  territoire  turc.  La 
forteresse  de  Belgrade  a  longtemps  été  occupée  par 
les  troupes  ottomanes,  mais  elle  été  évacuée  par 
elles  et  remise  aux  Serbes  plusieurs  années  avant 
la  guerre  qui  a  amené  l'émancipation  définitive  de 
la  principauté. 

De  Belgrade  à  Orsova,  la  rive  gauche  du  fleuve 
est  hongroise,  la  rive  droite  appartient  à  la  Serbie. 
De  ce  côté,  le  fleuve  passe  à  Sémendria,  et  reçoit 
la  Morava,  dont  le  bassin  occupe  la  principauté 
presque  entière  ;  puis  il  s'engage  dans  un  long 
défilé  rempli  d'écutils  et  de  rapides,  où  il  -s'est 
ouvert  une  route  entre  les  Alpes  do  Transylvanie 
et  celles  de  Serbie  ;  c'est  le  fameux  passage  des- 
Portes  de  fer.  Les  couches  géologiques  qui  se 
retrouvent  semblables  sur  l'une  et  l'autre  rive, 
de  même  que  les  falaises  anglaises  de  Douvres 
correspondent  à 'celles  de  Calais  sur  le  côté 
opposé  du  détroit,  montrent  qu'ici  les  eaux  du 
fleuve,  et  là  les  eaux  de  la  mer,  ont  opéré  la  rup- 
ture. 

A  partir  des  Portes  de  fer,  le  Danube  sépare  la 
Valachie,  sur  sa  rive  gauche,  de  la  Serbie,  sur  Sfc 


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TURQUIE 


rive  droitp.  U  se  recourbe  en  même  temps  au  sud. 
Le  Timok,  son  affluent  de  di'oito,  sépare  la  Ser- 
bie de  la  Bulgarie.  La  première  ville  bulgare 
••qu'on  trouve  siir  les  bords  du  fleuve,  c'est  Viddin. 
De  môme  que  Nicopoli,  Sistova,  Roustchouk, 
Silistrie  qui  lui  font  suite,  Viddin  était  une  place 
forte  et  servait  aux  Turcs  à  défendre  le  pas- 
sage du  Danube  contre  les  arracos  d'invasion  ve- 
nues de  Russie.  Une  des  conditions  des  derniers 
traites  a  été  le  démantèlement  de  toutes  ces  for- 
teresses. 

De  Viddin  A  Silistrie,  le  Danube  coule  de  l'ouest 
à  l'est  ;  gagnant  et  empiétant  sans  cesse  sur  sa 
rive  droite,  comme  tous  les  fleuves  de  l'iiémisphère 
nord,  il  abandonne  de  plus  en  plus  la  rive  vala- 
que,  basse,  nivelée  par  les  eaux,  couverte  de 
marécages  et  de  vieux  lits  du  fleuve  délaissés,  et 
ronge  le  pied  des  collines  bulgares.  De  ce  côté,  il 
reçoit  Vhker,  qui,  descendu  du  bassin  élevé  de 
Sopliia,  capitale  de  la  Bulgarie,  traverse  par  une 
faille  la  chaîne  principale  des  Balkans.  En  aval 
do  risker  débouche  le  Vid,  sur  les  bords  duquel 
Plevna  a  acquis  pendant  la  dernière  guerre  une 
grande  célébrité  par  l'héroique  résistance  qu'Os- 
luan-Paclia  y  a  opposée  aux  Russes.  Enfin  entre 
Sistova  et  Roustchouk,  le  Danube  reçoit  le  Jantra, 
descendu  des  Balkans  comme  le  Vid,  et  qui  arrose 
Tirnova,  capitale  historique  et  métropole  reli- 
gieuse des  Bulgares. 

Par  la  rive  valaque,  le  Danube  reçoit  VAluta, 
qui,  née  en  Transylvanie,  traverse  par  une  brè- 
che les  Alpes  de  Transylvanie  ou  Carpathes  méri- 
dionales, sépare  la  Petite  Valachie,  à  l'ouest,  de 
la  Grande  Valachie,  b.  l'est,  et  finit  dans  le  fleuve 
à  peu  près  vis-à-vis  de  Nicopoli.  L'Argisch,  qui 
reçoit  la  Dumbovitza,  rivière  de  Bukarest,  finit 
dans  le  fleuve  entre  Giurgévo,  port  de  Bukarest 
sur  le  Danube,  qui  fait  vis-îi-vis  h  Roustchouk,  et 
Silistrie. 

A  partir  de  cette  dernière  ville,  devant  laquelle 
les  armes  russes  ont  échoué  en  1854,  le  Danube 
entre  tout  h.  fait  en  Valachie.  Il  est  repoussé  au 
nord  par  les  collines  de  la  Dobroudja,  qui  s'élèvent 
entre  le  fleuve  et  la  mer  Noire,  et  reçoit,  par  la 
gauche,  le  Sérelh  qui  sépare  la  Valachie  de  la 
Moldavie,  et  le  Priit/i  qui  sert  de  frontière  entre 
la  Moldavie  et  la  Bessarabie  russe.  Entre  ces 
deux  derniers  confluents  se  trouve  Galatz,  le  port 
le  plus  important  de  l'estuaire  du  Danube,  la 
-ville  la  plus  populeuse  assise  sur  ses  bords  depuis 
Pesth.  C'est  à  Galatz  que  siège  la  commission  eu- 
ropéenne chargée  de  faire  exécuter  h  l'embouchure 
du  Danube  les  travaux  utiles  à  la  navigation,  d'ar- 
rêter les  règlements  nécessaires,  de  percevoir 
les  droits,  en  un  mot  de  faire  la  police  du 
fleuve. 

A  partir  de  Galatz,  le  Danube  tourne  une  der- 
nière fois  h  l'est,  et  ne  tarde  pas  Ji  se  partager 
en  plusieurs  branches.  La  plus  importante  par 
le  volume  de  ses  eaux  est  la  branche  de  Ki/ia  au 
nord  ;  mais  la  seule  accessible  à  la  navigation  ma- 
ritime depuis  les  derniers  travaux  exécutés  est 
celle  de  Soulina,  au  centre.  La  bouche  de  Saint- 
Georges,  au  sud,  est  presque  aussi  considérable  que 
celle  de  Kilia.  Toutes  offrent  une  barre  formée 
par  les  apports  du  fleuve.  On  a  calculé  que  le 
Danube  charrie  k  lui  seul  une  fois  et  demie 
autant  d'eau  que  tous  les  fleuves  de  France  réu- 
nis, et  que  ses  apports  annuels  suffiraient  à  recou- 
vrir un  espace  de  G  kilomètres  carrés  sur  une 
épaisseur  de  10  mètres.  Peu  h  peu  ces  troubles 
comblent  les  lacs  de  la  rive  gauche,  font  progres- 
ser le  delta  du  fleuve  du  côté  de  la  mer,  empiè- 
tent enfin  sur  les  lagunes  aalécs  qui  régnent  tout 
le  long  do  la  mer  Noire,  depuis  l'embouchure  du 
Dniepr   jusqu'au   pied   des    Balkans. 

Le  cours  de  la  Snve,  dans  la  partie  où  il  sert 
•de  limite  entre  la  Bosnie  turque  et  la  Slavonie 


autrichienne,  ressemble  à  celui  du  Danube  entre 
la  Bulgarie  et  la  Valachie.  Sur  la  rive  gauche 
s'étendent  les  marais;  sur  la  rive  droite,  au  con- 
traire, s'élèvent  les  montagnes  de  Bosnie.  Les 
principaux  cours  d'eau  descendant  de  ce  côté 
sont  :  l'Unna,  qui  sépare  la  Croatie  turque  de  la 
Croatie  autrichienne,  la  Bosna,  qui  vient  de  Sé- 
rajévo,  capitale  de  la  Bosnie,  le  Drin,  qui  sert  de 
frontière  entre  la  Bosnie  et  la  Serbie. 

Le  Danube  est  le  seul  cours  d'eau  important 
que  la  Turquie  envoie  îi  la  mer  Noire.  La  mer  de 
Marmara  ne  reçoit  que  des  ruisseaux. 

Bassin  de  l'Archipel.  —  Du  côté  de  la  mer  Egée 
ou  Archipel  tombent  la  Maritza  ou  Hèbre  des  an- 
ciens, la  Slrouina,  le  Vardar  et  la  Selembria. 

La  Maritza  naît  au  pied  du  Rilo-Dagh  (dagh, 
en  turc,  veut  dire  montagne),  mont  de  3  000  mè- 
tres qui  s'élève  au  S.  et  près  de  Sophia,  et  sert 
de  point  d'attache  entre  les  Balkans  et  le  Despoto- 
Dagh  ou  Rhodope,  qui  s'avance  au  S.-E.  entre  la 
Thrace  et  la  Macédoine.  Coulant  d'abord  à  l'E. 
parallèlement  au  Danube,  la  Maritza  passe  k  Phi- 
lippopoli,  dont  le  nom  rappelle  le  père  d'Alexan- 
dre le  Grand,  roi  de  Macédoine,  et  qui  est  ré- 
cemment devenue  la  capitale  de  la  province 
autonome  de  Roumélie  orientale.  A  Andrinople, 
capitale  de  la  Thrace  et  principale  ville  indus- 
trielle du  centre  de  la  Turquie,  la  Maritza  se  re- 
courbe au  S.  et  vient  finir  dans  l'Archipel  à 
Enos. 

La  Sirouma,  dont  la  source  est  voisnie  de  celle 
de  la  Maritza,  coule  sur  le  versant  0.  du  Des- 
poto-Dagh  et  arrive  directement  dans  le  golfe 
d'Orfano,  au-dessus  duquel  elle  forme  le  lac  de 
Tachyno. 

Le'  Vardar,  qui  finit  dans  le  golfe  de  Salonique, 
il  peu  de  distance  de  cette  grande  ville,  offre  une 
importance  particulière  parce  que  sa  vallée,  re- 
montant par  Uscup  et  Pristina  vers  Novi-Bazar, 
ofl're  la  route  la  plus  directe  entre  la  Bosnie  ou 
l'empire  d'Autriche  et  les  mers  du  Levant. 

La  Selembria  (jadis  \ePénée),  nouvelle  frontière 
avec  la  Grèce,  parcourt  près  de  son  embouchure 
une  vallée  délicieuse  ;  c'est  la  vallée  de  Tempe 
des  auteurs  anciens. 

Bassin  de  la  mer  Adriatique.  —  Du  côté  de  la 
mer  Adriatique,  les  fleuves,  nés  près  de  la  mer, 
mais  arrêtés  dans  leur  écoulement  par  les  chaînes 
de  montagnes  parallèles  au  rivage,  suivent  la 
direction  de  ces  chaînes  jusqu'à  ce  qu'ils  trou- 
vent un  passage,  et  traversent  les  obstacles  par 
des  gorges  et  des  cascades,  quand  ils  ne  dis- 
paraissent pas  dans  des  gouffres  souterrains, 
comme  il  y  en  a  tant  dans  le  Jura  et  les  autres 
montagnes  calcaires.  Les  principaux  de  ces  cours 
d'eau  sont  la  Narenta,  qui  passe  à  Mostar,  capitale 
de  l'Herzégovine,  puis  le  Urin,  qui  se  forme  delà 
réunion  du  Drin  blanc  et  du  Drin  noir.  Le  pre- 
mier court  du  N.  au  H.,  passe  à  Prisrend,  la 
cité  la  plus  populeuse  de  l'Albanie,  et  tourne  à 
rO.  avant  de  .se  réunir  au  Drin  noir.  Celui-ci 
sert  d'écoulement  au  lac  d'Ochridu,  et  descend 
au  N.  Les  deux  Drins  réunis  passent  à  Scu- 
tari,  capitale  de  l'Albanie  septentrionale,  com- 
muniquent avec  le  lac  qui  porte  le  nom  de  cette 
ville,  et  débouchent  dans  l'Adriatique  près  du  port 
de  Dulcigno,  en  possession  duquel  les  Monténé- 
grins ont  été  mis  en  1S80  à  la  suite  d'une  dé- 
monstration navale  exécutée  par  les  flottes  des 
principales  puissances  européennes. 

Obogbaphie:.  —  Alpes  Dinanques.  —  C'est  par 
les  Alpes  Dinariques,  qui  forment  la  frontière  entre 
la  Croatie  et  la  Dalmatie,  que  le  système  orogra- 
phique de  la  péninsule  des  Balkans  se  rattache  à 
celui  des  Alpes.  Des  chaînes  parallèles  entre  elles 
comiue  celles  du  Jura,  et  courant  du  N.-O.  au 
S.-E.  comme  le  rivage  de  la  mer  Adriatique,  cou- 
vrent la  plus  grande  partie  de  l'Herzégovine  et  du 


TURQUIE 


2-'46  — 


TURQUIE 


Monténégro.  C'est  là,  sur  les  confins  du  Monté- 
négro et  du  sandjak  de  JNovi-Bazar,  que  s'élèvent 
les  |)lus  hautes  cimes  de  la  péninsule,  le  Dormi- 
tor  jusqu'ici  réputé  inaccessible,  et  le  Kom  dont 
la  cime  atteint  près  de  3  000  mètres.  Les  vallées 
enclievêtrées  et  sans  issue  du  Monténégro  ont 
permis  aux  habitants  d'y  maintenir  toujours  leur 
indépendance  vis-à-vis  des  Turcs,  et  les  vallées 
allongées  en  forme  de  couloirs,  qui  conduisent 
seules  de  la  Turquie  méridionale  dans  la  Bosnie 
et  l'Herzégovine,  ont  favorisé  les  révoltes  do  ces 
pays,  peuplés  de  Slaves,  contre  le  gouvernement 
ottoman  Depuis  ces  dernières  années,  l'empe- 
reur d'Autriche  a  été  chargé  de  faire  occuper 
militairement  ces  provinces,  ce  qui  équivaut  à 
une  annexion.  11  s'est  réservé  le  droit  d'oc- 
cuper aussi  le  sandjak  de  Novi-liazar,  laissé  no- 
minalement au  sultan,  et  qui  sépare  la  princi- 
pauté do  Serbie  de  celle  de  Monténégro.  C'est 
par  là  que  doit  passer  le  grand  chemin  de  fer 
international  de  Vienne  à  Salonique. 

Le  si/stème  du  Pinde  et  le  Skhnr-Dngh.  — 
Entre  le  Kom  et  les  Balkans  des  environs  de  So- 
pliia  s'étend  un  plateau  élevé,  qui  est  le  principal 
nœud  orographique  de  la  péninsule.  C'est  de  là 
que  descendent  à  la  fois  :  la  Morava  et  son  af- 
fluent ribar,  vers  le  N.  ;  l'I^ker,  au  N.-E.  ;  la 
Maritza,  à  \'V,.  ;  la  Strouma  et  le  Vardar,  au  S.  ; 
le  Drin,  à  l'O.  De  là  aussi  rayonnent  les  monts 
Diiiariqucs,  au  i\.-0.  ;  les  montagne':  de  Serbie, 
au  N.-E.  qui  vont  rejoindre  les  Alpes  de  Tran- 
sylvanie sur  la  rive  opposée  du  Danube;  le  Skliar- 
Dagh,  qui  borde  le  plateau  au  S.  et  le  rattache, 
du  côté  de  l'E.,  aux  Ballimn  et  au  Hespolo-Harjh  ; 
et  enfin  le  système  du  Pimle,  au  S.,  qui  couvre 
de  ses  ramifications  l'Albanie  et  va  former  la  char- 
pente principale  des  montagnes  de  la  Grèce. 

Les  montagnes  de  l'Albanie  forment  une  foule 
de  citadelles  naturelles  qui  offrent  autant  de  points 
d'appui  aux  tribus  hostiles  et  aux  pachas  rivaux  les 
uns  des  autres.  Ce  pays  est  encore  soumis  à  une 
véritable  féodalité. 

Toute  la  partie  occidentale  de  la  Turquie  :  la 
Bosnie,  la  Serbie,  l'Herzégovine,  le  Monténégro, 
'Albanie,  est  en  réalité  couverte  de  montagnes. 
La  Thessalie  offrait  une  plaine  qui  vient  d'être 
cédée  à  la  Grèce. 

Les  liaikans.  —  La  partie  orientale  de  la  Turquie, 
au  sud  des  Balkans,  est  aussi  très  accidentée.  Ces 
montagnes  tournent  leur  pente  la  plus  rapide  du 
côté  du  S.,  et  n'ouvrent  de  ce  coté  qu'un  nombre 
restreint  de  passages  souvent  disputés  et  théâtres 
de  luttes  sanglantes.  Du  côté  du  K.,  au  con- 
traire, les  Balkajis  forment  une  série  de  terrasses 
qui  s'abaissent  graduellement  à  travers  la  Bulgarie 
jusque  sur  le  bord  du  Danube. 

Les  Cai'palhes.  —  C'est  au  N.  de  ce  fleuve, 
entre  sa  rive  gauche  et  le  pied  des  Carpathes,  que 
s'étend  la  plus  grande  plaine  de  Turquie,  qui 
forme  aujourd'hui  le  royaume  de  Roumanie.  La 
pente  en  est  dirigée  au  S.-E.,  et  c'est  aussi  la  direc- 
tion que  suivent  les  rivières  ou  torrents  descen- 
dant des  monlagnes  escarpées  des  Carpathes. 
Hautes  de  2  à  3000  mètres,  ceiles-ci  ne  sont  pour 
ainsi  dire  pas  abordées  par  les  hommes.  La  fron- 
tière n'y  est  même  pas  jalonnée  entre  l'Autriche 
et  la  Roumanie.  C'est  le  domaine  des  ours  que  les 
Tsiganes  valaques  vont  capturerpour  les  promener 
à  travers  l'Europe.  Et  cependant  ce  rempart  est 
traversé  par  plusieurs  torrents  et  le  sera  bientôt 
aussi  par  plusieurs  voies  ferrées. 

CÔTES  ET  ILES.  —  Le  littoral  de  la  mer  Noirr, 
aux  bouches  du  Danube,  est,  comme  nous  l'avons 
dit,  couvert  de  marécages.  On  n'y  trouve  que  le 
port  de  Soulina,  à  l'extrémité  de  la  bouche  mé- 
diane du  Danube.  En  descendant  la  côie  au  S., 
on  trouve  le  port  do  Kustendjé,  où  le  poète  latin 
Ovide   fut  envoyé  en    exil;   ce  port  a  l'avantage 


d'être  le  plus  rapproché  du  cours  du  Danube 
avant  le  grand  coude  qu'il  fait  au  N.,  et  un  che- 
min de  fer,  le  premier  construit  dans  la  péninsule, 
rattache  Kusicndjé  à  ce  point  du  fleuve,  Tcherna- 
vodo.  A  Mangalia  finit  le  territoire  roumain  et  com- 
nipnce  la  Bulgarie.  C  est  de  cette  principauté  que 
fait  partie  Varna,  le  meilleur  port  de  la  Turquie 
sur  la  mer  Noire  ;  il  est  aussi  relié  par  un  chemin 
de  fer  avec  le  Danube  à  Roustchouk.  Le  cap 
Emineh  marque  la  fin  des  Balkans  du  côté  de  la 
mer.  Au  S.  de  ce  point,  on  remarque  le  petit 
golfe  de  Bourga^i,  puis  le  littoral,  jusqu'ici  dirigé 
du  N.  au  S.,  se  recourbe  au  S.-E. 

Le  détroit  de  Constantinople,  qui  rattache  la 
mer  Noire  à  la  mer  de  Marmara,  est  un  véritable 
fleuve  large  sur  plusieurs  points  de  quelques  cen- 
taines de  mètres  seulement.  Par  leur  constitution 
géologique,  les  collines  qui  portent  la  Hyzancr 
des  anciens,  la  Conitantinople  des  chrétiens,  la 
Stamtiiut  des  Turcs,  appartiennent  à  l'Asie  et 
diffèrent  de  leurs  voisines  de  l'Europe.  Un  cou- 
rant traverse  constamment  le  Bosphore  et  porte 
les  eaux  plus  douces  et  plus  légères  de  la  mer 
Noire  dans  la  Méditerranée  aux  eaux  plus  salées 
et  plus  denses.  Un  autre  courant  plus  profond 
ramène  au  contraire  une  partie  de  celles-ci  dans 
la  mer  Noire. 

Constantinople  jouit  d'une  position  unique  au 
monde,  car,  en  même  temps  qu'elle  commande  la 
route  maritime,  elle  se  trouve  sur  l'isthme  à  peine 
interrompu  qui  rattache  l'Europe  à  l'Asie.  Con- 
stantinople sur  la  rive  européenne,  Scutari  sur 
la  rive  asiatique,  ne  forment  qu'une  seule  et  même 
ville,  et  d'ici  à  quelques  années  peut-être  on  les 
reliera  ensemble  par  quelque  grand  pont  jeté  de 
l'une  à  l'autre. 

Rodosto,  sur  la  mer  de  Marmara.,  est  trop  rap- 
proché de  Constantinople  pour  avoir  grande  im- 
portance. 

Gallipoli,  à  l'entrée  des  Dardanelles,  jouit  des 
mêmes  avantages  que  Constantinople  du  côté  du 
Bosphore.  Le  détroit  des  Dardanelles,  l'/Ze/fespon^ 
des  anciens,  est  plus  long  et  plus  large  que  celui 
de  Constantinople.  Comme  ce  dernier,  il  est  par- 
couru par  des  courants  rapides,  qui  rétablissent 
sans  cesse  l'équilibre  des  eaux  entre  les  deux  mers 
que  le  détroit  réunit.  En  été,  la  mer  de  Marmara 
envoie  des  eaux  à  la  Méditerranée  soumise  à  une 
évaporation  très  active.  En  hiver,  quand  les  eaux 
de  la  mer  Noire  se  couvrent  de  glaces,  ce  sont 
celles  de  la  Méditerranée  qui  entrent  dans  la  mer 
de  Marmara,  la  réchauffent,  y  désagrègent  les  gla- 
çons et  entraînent  la  déb.àcle  dans  les  Dardanelles. 
Les  Dardanelles  ne  sont  franchies  par  aucun  pont 
fixe,  mais  dans  l'antiquité  Xerxès  en  avait  fait 
établir  un  pour  le  passage  de  son  armée,  de  même 
que  Darius  l'avait  fait  sur  le  Bosphore  pour  con- 
duire ses  troupes  contre  les  Scythes. 

Gallipoli  commande  une  étroite  péninsule  res- 
serrée entre  les  Dardanelles  et  le  i/olfe  de  Saros 
qui  s'ouvre  sur  ['Archipel.  C'est  cette  péninsule 
(l'ancienne  Chetsonèse  de  Thrace)  qui  servit  de 
première  place  d'armes  aux  Turcs  quand  ils  entrè- 
rent en  Europe,  cent  ans  avant  de  devenir  maîtres 
de  Constantinople. 
Audeli  du  golfe  de  Saros,  la  côte  de  l'Archipel 


vient  marécageuse.  Enos,  près  de  l'embouchure 

la  Maritza,   n'est  salubre  que   parce  qu'on  l'a 

bâtie  sur  une  acropole  élevée;  aussi  n'a-t-elle  pu 

devenir  le  terme  du  chemin  de  fer  de  la  Maritza, 

qui  aboutit  au  havre  voisin  de  Dédé-Agatch. 

Au  delà  de  l'ile  de  Tluisos,  montagneuse  comme 
toutes  cell 'S  de  l'Arcliipel,  s'ouvre  le  golfe  d'Or- 
phann,  avec  les  ports  de  Kavala  et  d'Orphano, 
ce  dernier  voisin  de  l'embouchure  de  la  Strouma. 

Les  Iles  de  Samothrace,  Imhro  et  Lemno,  ratta- 
chées administrativement  à  la  Turquie  d'Asie, 
mais  appartenant  par  luur  situation  géographique 


TURQUIE 


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TURQUIE 


b.  l'Europo,  siirsissorit  rte  rArc1iip(!l  outre  la  Clier- 
sonèse  do  Tlit^ico  l't  Tluisos  dont  elles  partagent 
l'aspect  ot  la  nalure.  Les  vignes,  les  oliviers,  les 
pâturages  foriiiont  leurs  ressources.  Autrefois  on 
y  exploitait  des  marbres  et  de  l'or. 

Le  golfe  d'Orphano,  au  N.-E.,  et  celui  de  Sa- 
lonique,  h  l'O..  limitent  la  curieuse  péninsule 
de  Ckalcidique.  Elle  se  termine  sur  la  mer  par 
trois  péninsules  secondaires  allongées  comme  les 
trois  doigts  de  la  main.  La  plus  orientale,  ratta- 
chée au  continent  par  un  istlinio  assez  étroit  pour 
que  Xerxés  l'ait  fait  jadis  couper  par  un  canal  ou- 
vert à  ses  navires,  est  terminée  par  le  mo/;/  At/ios, 
qui  dresse  sa  cime  à  2  000  mètres  au-dessus  des 
Ilots.  Cette  péninsule  est  la  propriété  exclusive  de 
moines  grecs  qui  y  vivent  au  nombre  de  2  000  en- 
viron dans  plusieurs  couvents.  Le  niontAtlios  s'ap- 
pelle aussi  Monte-Santo  à  cause  de  ses  édifices  re- 
ligieux. C'est  le  nom  qu'a  pris  le  golfe  suivant, 
entre  la  presqu'île  du  mont  Atlios  et  la  presqu'île 
centrale,  l'ancienne  Sit/ionie.  La  troisi^îme  pres- 
qu'île (l'ancienne  P((//é«e)  et  le  golfe  intermédiaire 
portent  le  nom  de  Caisundria. 

Enfin  on  trouve  Salonique,  le  premier  port  de 
la  Turquie  d'Europe  après  Constantinople,  et  qui  la 
dépassera  peut-être  même  quelque  jour  pour  le 
traflcentre  l'Europe  centrale  et  le  Lovant. 

Du  côté  de  la  mer  Adriatique,  les  côtes  de  la 
péninsule  appartiennent  pour  la  plus  grande  par- 
tie à  r.iutriciie;  cependant  le  Monténégro,  jusque- 
là  confiné  dans  ses  montagnes,  a  obtenu  les  deux 
ports  d'Antivari  et  de  Dulcigno.  Plus  au  S., 
Durazzo  sert  aux  relations  de  l'Albanie  avec  l'Ita- 
lie, Aulona  est  le  point  d'attache  du  câble  télé- 
graphique qui  relie  l'Italie  à  la  Turquie.  Entre 
Aulona  et  Corfou  se  dressent  les  escarpements 
très  élevés  des  monts  de  la  Chimère,  fertiles  en 
orages.  Enfin  l'révésa,  à  l'entrée  du  golfe  d'Arta, 
marque  la  nouvelle  frontière  entre  l'Albanie  restée 
au  sultan  et  le  royaume  de  Grèce. 

Ile  de  Chète.  —  C'est  plutôt  par  les  possessions 
asiatiques  de  la  Turquie  que  la  Crète  se  rattache 
à  sa  métropole;  mais  elle  est  regardée  comme  fai- 
sant partie  de  l'Europe,  c'est  pourquoi  nous  la 
décrivons  ici.  C'est  une  île  allongée  dajis  le  sens 
de  l'O.  à  l'E.,  et  couverte  de  hautes  montagnes 
dont  la  cime  culminante,  le  mont  Ida,  atteint  2  500 
mètres. 

Elle  était  beaucoup  plus  prospère  dans  l'anti- 
quité, grà-e  ."i  sa  position  intermédiaire  entre  la 
Grèce,  la  Pliénicie  et  l'Egypte.  Au  moyen  âge,  elle 
fut  aussi,  sous  le  nom  de  Ca/irfie,  une  des  posses- 
sions les  plus  précieuses  de  Venise  dans  la  Médi- 
terranée. L'administration  turque  l'a  ruinée,  d'au- 
tant plus  que  sa  population  helléni(iue  supporte 
plus  impatiemment  le  joug  ottoman.  Les  oliviers, 
les  vignes  pourraient  y  donner  de  superbes  pro- 
duits. Les  orangers  y  réussissent  également.  Plu- 
sieurs autres  espèces  précieuses  sont  groupées 
chacune  dans  un  canton  particulier  :  ici  les  chênes 
à  vallonnée,  li  les  cyprès,  ailleurs  les  caroubiers, 
puis  les  chênes  verts,  les  pins  pignons. 

La  capitale  de  l'Ile  est  /a  Canèe. 

Clisht.  —  Par  sa  latitude  méridionale,  par  ses 
altitudes  et  ses  expositions  diverses,  la  Turquie 
est  apte  à  réunir  les  productions  les  plus  variées. 
Toutefois  sa  position  avancée  vers  l'Orient,  et  le 
manque  d'abris  contre  les  vents  descendus  du  pôle 
nord,  rendent  son  nXimM  continental.  La  mer  Noire 
charrie  des  glaces  pendant  l'hiver,  et  il  neige  de 
temps  en  temps  i  Constantinople,  sous  la  latitude 
de  rSaples.  En  retour  l'été  y  est  fort  chaud,  et  la 
fièvre  règne  dans  les  pays  marécageux  qui  bor- 
dent le  Danube  ou  le  littoral  de  l'Archipel.  La 
peste  sévit  parfois  h  Constantinople. 

Géographie  agricole  et  industrielle.  —  Ar/ricul- 
tare.  —  L'agriculture  est  dans  un  état  déplorable 
en  Turquie  à  cause  du  régime  qui  a  longtemps 


pesé  sur  le  pays.  La  terre  pourrait  donner  Qj 
tout  presque  sans  effort,  mais  quel  motif  eût 
stimulé  le  zèle  des  laboureurs  dans  un  pays  où  le 
fisc  et  les  vexations  des  pachas  los  privaient  pres- 
que ontiôrement  du  fruit  de  leurs  peines? 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  Roumanie,  la  Bulgarie,  la 
vallée  delà  Maritza,  la  Thessalie  sont  d'excellentes 
terres  à  céréales,  et  les  ports  du  Danube  expédient, 
comme  ceux  de  la  mer  Noire  et  la  Hongrie,  une 
partie  des  grains  qui  manquent  .^  l'Europe  occi- 
dentale. La  Turquie  est  le  pays  du  maïs  ou  hU 
de  Turquie,  qui  entre  en  grande  quantité  dans 
l'alimentation  locale.  La  Thrace  renferme  de  vé- 
ritables forêts  de  mûriers,  qui  servent  à  élever  des 
versa  soie  dont  les  cocons  sont  expédiés  aux  fila- 
tures de  France  ou  d'Italie.  Le  coton,  le  tabac,  la 
garance  réussissent  i  merveille  dans  la  Macédoine. 
Los  bords  de  la  Maritza  produisent  d'excellents 
vins.  Les  côtes  et  les  ilos  de  l'Archipel  donnent, 
comme  la  Grèce,  des  olives  et  dos  raisins,  dont 
on  pourrait  tirer  de  meilleurs  produits.  On  trouve 
en  Roumanie  de  bons  vignobles.  La  Serbie  donne 
aussi  des  céréales,  mais  elle  expédie  surtout  les 
porcs  qui  s'élèvent  eji  grands  troupeaux  dans  ses 
forêts  de  chênes. 

Le  Monténégro  et  l'Albanie  sont  presque  entière- 
ment livrés  au  régime  pastoral,  le  seul  dont  s'ac- 
commodent leurs  belliqueux  habitants,  et  ils  appro- 
visionnent Trieste  et  les  côtes  de  l'Adriatique  des 
moutons  et  des  chèvres  qui  broutent  sur  leurs 
montagnes. 

Industrie.  —  L'industrie  est  aussi  très  peu  dé- 
veloppée en  Turquie.  On  y  fabrique  des  armes, 
dos  vêtements  brodés,  dos  objets  de  sellerie,  des 
bijoux,  dont  les  Turcs,  comme  les  Albanais,  sont 
très  fiers  et  aiment  à  se  parer.  La  teinture  en 
rouge  d'Andrinoplo  est  réputée  pour  sa  solidité, 
les  tapis  turcs  pour  leur  moelleuse  épaisseur.  Mais 
il  n'y  a  de  grandes  manufactures  que  près  de 
Constantinople,  de  Salonique  et  de  quelques  gran- 
des villes,  et  elles  sont  entre  les  mains  d'étran- 
gers. Grecs,  Français,  Italiens  ou  Anglais.  Les 
minerais  métalliques,  très  abondants  en  Serbie, 
en  Roumanie  ot  en  Macédoine,  sont  entièrement 
délaissés.  Les  fleuves  de  ce  dernier  pays  roulaient 
des  paillettes  d'or,  à  ce  que  nous  rapportent  les 
auteurs  de  l'antiquité;  on  n'en  recueille  plus  au- 
jourdhui.  Ailleurs  on  pourrait  exploiter  de  l'ar- 
gent, du  plomb,  du  cuivre,  du  zinc,  etc. 

Commerce.  —  Cependant  la  Turquie  fait  avec 
le  dehors  un  certain  commerce.  Les  céréales  en 
forment  le  principal  élément,  avec  la  soie,  les  lai- 
nes, le  tabac,  les  matières  tinctoriales,  le  cotor. 
Les  échanges  s'opèrent  dans  des  foires  encorf 
très  fréquentées,  puis  par  les  lignes  régulières  de 
navigation  qui  relient  Constantinople  avec  les  di- 
vers ports  de  la  mer  Nuire,  los  échelles  du  Levant, 
les  ports  de  Grèce,  de  l'Atlriatique,  et  de  la  Médi- 
terranée occidentale. 

Chemins  de  fer.  —  Les  chemins  de  fer  com 
mencent  aussi  à  sillonner  la  Turquie.  Nous  avons 
déjà  parlé  de  ceux  qui,  partant  de  Salonique,  doi- 
vent relier  ce  port  avec  l'Autriche,  et  des  lignes 
qui  rattachent  Kustendjé  et  Varna,  sur  la  mer 
Noire,  à  Tchernavoda  et  à  Roustchouk,  sur  le 
Danube.  Constantinople  est  rattachée  à  la  ligne  qui 
suit  le  cours  de  la  Maritza  depuis  son  embouchure, 
passe  par  Andrinople  et  remonte  jusqu'aux  dé- 
filés par  où  l'on  pénètre  dans  la  Bulgarie,  près 
de  Sophia.  Cette  ligne  traversera  sans  doute  bien- 
tôt la  Serbie,  et  formera  la  voie  la  plus  directe  en- 
tre Constantinople  et  Belgrade.  Elle  projette  au 
N.  un  embranchement  qui  se  dirige  vers  les 
Balkans  ot  rattachera  Constantinople  et  Andrinople 
à  Roustchouk. 

Mais  c'est  la  Roumanie  qui,  de  tous  les  États  de 
la  péninsule,  olïre  sous  ce  rapport  la  situation  la 
plus  avancée.   Bukarest  communique  avec  Giur- 


TURQUIE 


2248  — 


TURQUIE 


gévo,  son  escale  sur  le  Danube.  Cette  même  ca- 
pitale est  reliée  par  deux  lignes  avec  la  Hongrie: 
la  première,  traversant  les  Carpallies  aux  Portes 
de  fer,  se  dirige  sur  Temesvar;  la  deuxième  va  îi 
Cronstadt  en  Transylvanie.  Un  autre  chemin  de 
fer  partant  de  Bukarest  se  dirige  sur  Galatz  vers 
le  delta  du  Danube,  et  franchit  le  Pruth  pour  attein- 
dre Kichenev,  en  Bessarabie,  et  Odessa.  De  Galatz, 
une  autre  branche  traverse  toute  la  Moldavie  et  se 
rattache  par  la  Bukovine  et  la  Galicie  aux  chemins 
de  fer  de  l'Autriche,  de  la  Pologne  et  de  la  Russie. 
Enfin  cette  même  ligne  projette  i  l'E.  sur  Jassy, 
capitale  de  la  Moldavie,  un  embranchement  qui 
traverse  aussi  le  Pruth  et  atteint  Bender  et  Odessa. 
C'est  la  voie  la  plus  directe  entre  l'Europe  occi- 
dentale et  ce  grand  port.  C'est  une  des  plus  ra- 
pides quand  on  part  de  Londres  ou  de  Paris  pour 
atteindre  Constantinople. 

Géographie  politique.  —  Ethnographie.  —  La 
diversité  des  races  qui  habitent  la  péninsule  des 
Balkans  a  préparé  son  morcellement  politique  pour 
le  jour  où  leur  maître  commun  ne  serait  plus  assez 
fort,  par  lui-même  ou  par  ses  alliés,  pour  mainte- 
nir sa  domination. 

Ser/jes .  —  Au  N.-O.  de  la  péninsule,  la 
Serbie,  la  Bosnie,  l'Herzégovine,  le  Monténégro 
sont  habités  par  des  Serbes  de  race  slave,  comme 
les  pays  voisins  de  l'empire  d'Autriche,  la  Croatie 
et  l'Esclavonie.  On  évaluait  le  nombre  de  ces 
Serbes  à  1  800  000  environ  en  IS78. 

Roumains.  —  A  l'E.  des  Serbes,  sur  la  rive 
gauche  du  Danube,  habitent  les  Houmains.  Ceux- 
ci,  au  nombre  de  4  millions  et  demi  dans  les  limi- 
tes du  royaume  de  Roumanie,  formeraient  un 
groupe  compact  deux  fois  aussi  nombreux,  si  on 
comptait  les  Roumains  de  la  Bessarabie  russe  et 
ceux  de  la  Transylvanie  autrichienne.  2  ou  300  0(10 
autres  Roumains  sont  disséminés  dans  le  reste  de 
la  Turquie.  Par  leur  nom,  qui  rappelle  celui  des 
anciens  dominateurs  du  monde,  par  leur  langue 
et  leurs  traditions,  les  Roumains  sont  un  peuple 
latin,  comme  les  Français,  les  Italiens  et  les  Espa- 
gnols. Leur  véritable  origine  est  moins  claire,  et 
on  ignore  s'ils  descendent  des  Daces  civilisés  par 
les  Romains,  ou  de  légionnaires  conduits  de  Rome 
dans  ces  régions.  En  tous  cas,  le  souvenir  de 
Trajan  est  pour  les  Roumains  une  sorte  de  culte, 
et  il  n'est  pas  un  ouvrage  ancien  de  quelque  im- 
portance, pont,  aqueduc,  forteresse,  qui  ne  porte 
dans  le  pays  le  nom  de  ce  grand  ciupereur. 

Bulgares.  —  Au  centre  de.  la  péninsule,  au  S. 
du  Danube  et  sur  les  deux  versants  des  Balkans, 
habitent  les  Bulgares,  au  nombre  de  4  à  ô  mil- 
lions. Bien  dilTérents  de  leurs  ancêtres  partis  des 
bords  du  Volga,  qui  étaient  Touraniens  comme  les 
Finnois  et  les  Tartares  et  ont  laissé  la  réputation 
de  sinistres  ravageurs,  les  Bulgares  se  sont  peu  à 
peuslavisés,  et  aujourd'hui  ils  sont  les  travailleurs 
les  plus  robustes  et  les  plus  actifs  de  toute  la 
Turquie.  Ce  sont  les  Bulgares  qui  font  la  moisson 
dans  leur  propre  pays  et  chez  leurs  voisins. 

Albanais.  —  Les  Albanais,  qui  occupent  les 
montagnes  du  S.-E.  de  la  Turquie,  appartien- 
nent à  cette  race  des  anciens  Pélasges  qui  peu- 
plèrent la  Grèce  antique.  Le  métier  des  armes  est 
celui  qu'ils  préfèrent,  et  ils  vont  en  assez  grand 
nombre  servir,  sous  le  nom  à'Arnaules,  dans  les 
armées  étrangères.  Dans  leur  pays,  ils  se  nom- 
ment Chkipétars  ou  gens  des  rocher.s,  à  cause  des 
montagnes  qui  couvrent  l'Albanie.  Mais  ils  se  di- 
visent en  deux  branches  rivales,  se  détestant  l'une 
l'autre  et  sans  cesse  en  hostilité  :  les  Guègues, 
au  N.,  et  les  Tosques  au  S.  On  compte  plus 
de  catholiques  latins  parmi  les  premiers,  plus  de 
catholiques  grecs  parmi  les  seconds.  La  majorité 
des  Albanais  s'est  du  reste  convertie,  au  moins 
en  apparence,  i  l'islamisme,  pour  jouir  des  avan- 
tages laissés  par  les  Ottomans  à  leurs  coreligion- 


naires,   Ils  peuvent   être    en   tout  1    million   et 
demi. 

Grecs.  —  C'est  aussi  le  nombre  des  Grecs  qui 
habitent  surtout  les  ports  du  littoral  de  l'Archipel. 
Ils  sont,  en  outre,  200  000  en  Crète. 

Les  Grecs  ont  été  longtemps  très  influents  à 
Constantinople,  dans  le  quartier  du  Phanar.  Les 
Phanarioies  étaient  chargés  par  les  sultans  de 
l'administration  des  populations  chrétiennes  de 
l'empire,  valaques  ou  autres. 

Arméniens.  —  Les  Arméniens  partagent  avec 
les  Grecs  le  monopole  du  commerce  et  des  afl'ai- 
res.  Ils  sont  400,000,  dont  la  moitié  habite  Con- 
stantinople. 

Turcs.  ■ —  Les  vrais  Ottomans  ne  sont  que 
1500  000  en  Turquie,  et  ne  forment  de  groupe 
un  peu  compact  qu'entre  le  Danube,  les  Balkans 
et  la  mer  Noire,  i  la  hauteur  de  Roustchouk  et 
de  Varna. 

Autres  races  diverses.  —  hOO 000  Jni fs ,  habitant 
surtout  la  Moldavie,  300  000  Tsiganes  (en  Vala- 
chie  principalement),  100  000  Tcherkesses  émigrés 
des  contrées  du  Caucase  depuis  la  conquête  de 
leur  pays  par  les  Russes,  50  000  Frattcs  (Fran- 
çais ou  Italiens),  complètent  la  population  de  la 
Turquie  d'Europe,  au  point  de  vue  ethnolo- 
gique. 

Religio7XS.  —  La  plupart  de  ces  habitants  ap- 
partiennent aux  diverses  confessions  de  la  religion 
grecque  orientale,  mais  chacune  des  nationalités 
se  rend  de  plus  en  plus  indépendante  du  patriar- 
che de  Constantinople  pour  former  une  Eglise 
nationale.  C'est  sous  cette  forme  que  les  Bulga- 
res se  sont  tout  d'abord  groupés. 

En  dehors  de  la  Roumanie,  presque  exclusive- 
ment peuplée  par  des  Grecs  orthodoxes,  le  resta 
de  la  Turquie  comprend  7  millions  de  catholi- 
ques grecs  ;  450  000  catholiques  latins  fournis  par 
les  Serbes,  les  Albanais,  les  Francs  ;  400  000  catho- 
liques arméniens,  et  3  millions  et  demi  de  musul- 
mans appartenant  à  la  pure  race  turque,  ou  bien 
Seibes  et  Albanais  convertis. 

Division  politique.  —  Depuis  les  derniers  trai- 
tés imposés  à  la  Porte  ottomane,  la  Roumanie 
forme  un  royaume  indépendant,  la  Serbie  et  le 
Monténégro  des  principautés  également  indépen- 
dantes, la  Bulgarie  une  principauté  tributaire  du 
sultan,  la  Roumélie  orientale  une  province  auto- 
nome, dont  le  gouverneur  est  nommé  par  le 
sultan,  mais  dont  les  habitants,  en  grande  partie 
bulgares,  jouissent  de  privilèges  concédés  à  la 
demande  des  puissances,  en  attendant  qu'ils 
soient  réunis  à  leurs  frères  de  race  du  versant 
nord  des  Balkans.  La  Bosnie  eiï Herzégovine,  i\ec 
le  sandjak  de  Novi-Bazar,  sont  occupés  militai- 
rement par  les  troupes  austro-hongroises.  Une 
partie  de  la  Tliessalie  et  de  l'Epire  vieni  d'être 
cédée  à  la  Grèce.  Il  ne  reste  au  sultan,  comme 
possessions  immédiates  en  Europe,  qu'une  bande 
de  terrain  bordant  l'Archipel  et  s'étendant  de  la 
mer  Noire  à  l'Adriatique. 

Possessio7is  immédiates  du  sultan.  —  Ces  pos- 
sessions, avant  les  cessions  faites  h  la  Grèce,  étaient 
(y  compris  la  Crète  et  les  lies  européennes  de  l'Ar- 
chipelj  d'une  superficie  de  180000  kil.  carrés 
environ,  et  leur  population  approximative  de 
5  millions  d'habitants.  Elles  comprennent,  avec 
l'Albanie  et  la  partie  septentrionale  de  la  Theasa- 
lie,  ce  qu'on  nomme  la  Roumélie.  Car,  pour  les 
Orientaux,  le  pays  compris  entre  l'Archipel,  les 
Balkans  et  la  mer  Noire  est  toujours  le  pays  des 
Romains  :  c'est  là  que  le  croissant  a  définitive- 
ment triomphé  de  la  croix  et  détruit  l'empire 
romain  par  la  conquête  de  Constantinople. 

Malgré  toutes  les  constitutions  octroyées  à  ses 
sujets,  le  sultan  est  réellement  souverain  absolu; 
bien  plus,  pour  les  centaines  de  millions  de  mu- 
sulmans qui  habitent  l'Asie  et  l'Afrique,  le  sul- 


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lan,  ou  Grand  Soisnpur,  est  le  représentant  de 
Dion  sur  la  terre,  et  leur  légitime  cliof  spirituel. 
Mais  les  ordres  du  sultan  sont  loin  d'être  par- 
tout exécutes,  eu  Albanie  notamment,  où  les 
habitants  presque  constamment  soulevés  ne  sont 
généralement  domptés  que  grâce  à  leurs  divi- 
sions intestines  et  en  opposant  les  clans  rivaux 
les  uns  aux  autres. 

Pour  l'administration,  les  possessions  immé- 
diates du  sultan  forment  en  Europe  5  vilayets  ou 
gouvernements  généraux  :  Cunstantinople  avec  sa 
banlieue  forme  le  I"';  puis  viennent  la  Tbrace, 
chef-lieu  Andrinople  ;  la  Macédoine,  chef-lieu 
Snlonique  ;  la  Haute-Macédoine  et  l'Albanie  sep- 
tentrionale, chef-lieu  Monastir;  l'Epire  et  la  Thes- 
salie,  chef-lieu  Janina. 

Ces  divisions,  toutes  conventionnelles,  ont  du 
reste  souvent  changé. 

On  ne  connaît  pas  exactement  la  population  de 
Constantinopte.  On  l'évalue  h  GOO  000  âmes,  dont 
un  tiers  de  Turcs,  des  Arméniens  en  nombre  à 
peu  près  égal,  le  reste  composé  de  Grecs,  de 
Francs  et  de  représentants  de  tous  les  pays  de 
l'Europe.  Aux  Turcs  d'Europe  se  mélangent  du 
reste  des  Égyptiens,  des  Syriaques,  des  Levantins 
•de  toutes  sortes,  que  le  commerce  ou  un  but  reli- 
gieux attirent  dans  la  célèbre  cité.  Assise  sur  le 
Bosphore,  partagée  en  deux  par  la  baie  de  la 
Corne-d'Or,  Constantinople  est  une  des  plus  bel- 
les villes  du  monde.  On  en  admire  les  palais,  les 
mosquées  avec  leurs  dômes  et  leurs  minarets; 
la  plus  célèbre  est  l'ancienne  église  de  Sainte- 
Sophie.  L'oeil  se  promène  avec  délices  sur  les 
belles  rives  du  Bospliore  se  développant  en  har- 
monieux contours,  sur  les  voiles  qui  en  sillonnent 
les  eaux,  sur  les  kiosques  et  les  pavillons  qui  s'y 
reflètent  et  les  arbres  qui  les  couvrent  de  leurs 
ombrages. 

Salû7iiqtie  renferme  80  000  habitants,  Andri- 
nople 60  000,  Prisrend,  en  Albanie,  dans  la  haute 
vallée  du  Drin  blanc,  près  de  50  000,  Monastir, 
40  000,  Scutari,  capitale  de  l'Albanie  septentrio- 
nale, 35  000,  et  Janina,  au  sud  de  l'Albanie,  25  000. 

Roumélie  orientale.  —  La  Roumélie  orientale 
ne  porte  pas  un  nom  en  rapport  avec  sa  situation 
géographique,  mais  on  a  sans  doute  voulu  l'appe- 
ler Houniélie  pour  la  séparer  plus  nettement  de 
la  Bulgarie  à  laquelle  sa  population  la  rattacherait. 
Elle  est  limitée  au  N.  par  la  grande  chaîne  des 
Balkans,  k  1  E.,  par  la  mer  Noire.  Elle  s'appuie 
au  Despoto-Dagh  au  S.-O.,  mais  une  limite 
conventionnelle,  passant  au  N.  d'Andrinople,  la 
sépare  au  S.  de  la  Roumélie  turque.  Plidi/ipo- 
poli,  sur  la  Maritza,  capitale  de  la  Roumélie 
orientale,  est  une  ville  de  yOOOO  habitants.  Bour- 
gas  est  le  port  principal  de  la  province;  Kaznnlik, 
sur  la  pente  des  Balkans,  a  la  spécialité  de  cultiver 
une  grande  quantité  de  roses  dont  on  fabrique 
une  essence,  objet  d'un  grand  commerce. 

La  Roumélie  orientale  a  une  étendue  de 
35  000  kil.  carrés  et  800  000  habitants. 

Bulgarie.  —  La  Bulgarie  est  plus  peuplée  rela- 
tivement que  les  pays  précédents.  On  y  compte 
près  de  2  millions  d'habitants  sur  C'iOiiO  kil.  de 
superficie.  Elle  est  limitée,  au  N.,  par  le  Da- 
nube, depuis  le  confluent  du  Timok  jusqu'à  Si- 
listrie,  et  par  une  ligne  conventionnelle  qui  la 
sépare  de  la  Dobroudja  roumaine,  depuis  Silistrie 
jusqu'à  Mangalia,  sur  la  mer  Noire;  elle  s'étend  â 
l'E.  jusqu'à  la  mer  Nuire,  au  S.,  jusqu'aux 
Balkans  ;  elle  comprend ,  au  S.-O.  ,  le  haut 
bassin  de  Sophia  et  les  sources  de  la  Strouma, 
afnuent  de  1  Archipel.  Le  Timok  la|  sépare  à  l'O. 
de  la  principauté  de  Serbie.  Sop/tia,  capitale  de 
la  Bulgarie,  n'a  que  20  000  habitants,  de  même  que 
lirnova,  l'ancienne  capitale,  et  Varna,  le  princi- 
pal port,  Viddin,  Sislova,  Silistrie,  qui  se  succèdent 
le  long  du  Danube.  Les  villes  les  plus  populeuses 


sont  Romtchùidc  (25  000  habit.),  sur  le  Danube, 
et  Chounda,  l'ancienne  place  d'armes  de  l'armée 
ottomane,  entre  Uoustchouk  et  Varna  (40  000  hab.). 
La  Bulgarie  forme  une  principauté  héréditaire 
et  constitutionnelle  sous  la  souveraineté  de  la 
Sublime-Porte.  Le  prince,  élu  par  l'Assemblée 
nationale,  vient  de  se  faire  corjférer  des  pouvoirs 
dictatoriaux,  pour  organiser  cet  État  qui  n'a  encore 
fait  qu'un  usage  bien  court  du  régime  parlemen- 
taire. 

Provinces  occupées  par  les  Autrichiens.  —  La 
Bosnie  est  limitée  au  N.  par  la  Save,  à  l'E.  et  à 
l'O.  par  ses  deux  affluents,  la  Drina  et  l'Unna. 
L'Herzégovine  occupe  le  bassin  de  la  Narenta.  Le 
sandjak  de  Novi-Bazar  forme  un  territoire  al- 
longé du  N.-O.  au  S.-E.,  et  resserré  entre  la 
Serbie  et  le  Monténégro.  Ces  trois  provinces 
réunies  couvrent  une  superficie  de  C0  500  kil. 
carrés  et  renferment  1 .300  000  habitants.  Sérnjevo, 
la  capitale  de  la  Bosnie ,  est  une  ville  de 
50  000  habitants  ;  Mostar,  en  Herzégovine,  en 
compte  M  000. 

C'est  en  Herzégovine  qu'a  commencé  en  1875 
le  premier  soulèvement  dont  les  conséquences, 
en  se  déroulant  successivement,  ont  amené  l'état 
aciuel  de  la  péninsule. 

Monténégro.  —  Le  Monténégro  ne  formait 
jusqu'à  la  dernière  guerre  qu'un  État  composé  de 
vallées  en  cuvettes,  comme  les  alvéoles  d'une 
ruche  d'abeilles,  et  sans  communication  avec  l'ex- 
térieur. C'est  en  grande  partie  pour  se  créer  un 
débouché  vers  la  mer  que  les  Monténégrins  ont 
soutenu  presque  constamment  des  luttes  qui  ont 
rendu  leur  caractère  plus  belliqueux  que  celui 
des  Serbes,  leurs  frères  de  race.  Aujourd'hui 
enfin,  ils  ont  leurs  ports  de  mer,  et  leur  terri- 
toire, fortement  agrandi,  s'étend  sur  9  500  kilom. 
carrés,  peuplés  de  250  000  habitants.  Les  princi- 
pales localités,  telles  que  Celtigne,  résidence  du 
prince  et  du  Sénat,  ne  sont  que  des  villages; 
Podgoritza,  ancienne  place  forte  de  l'Albanie,  ré- 
cemment cédée  au  Monténégro,  est  une  ville  de 
6  000  habitants. 

Serbie.  —  La  Serbie  forme  une  principauté  in- 
dépendante depuis  le  traité  de  Berlin,  en  1878. 
Elle  est  soumise  au  régime  parlementaire  et  le 
suffrage  y  est  à  peu  près  universel.  Sous  ce  rap- 
port, c'est,  de  tous  les  Etats  de  la  péninsule,  celui 
qui  se  rapproche  le  plus  de  la  constitution  de  notre 
pays.  Agrandie  par  le  môme  traité  de  Berlin,  la 
Serbie  couvre  maintenant  près  de  50,000  kilomè- 
tres carrés,  peuplés  de  1,70(1,000  habitantsenviron. 
Belgrade,  sa  capitale,  en  renferme  30,0li0.  Sémen- 
dria  est  ensuite  le  port  le  plus  important  de  la 
principauté  sur  le  Danube.  Dans  le  haut  bassin  de 
la  Morava,  la  Serbie  a  récemment  acquis  l'impor- 
tante ville  de  Nissa. 

Roumanie.  —  La  Roumanie  a  été  formée,  il  y  a 
vingt-cinq  ans,  parla  réunion  des  deux  principau- 
tés de  Valachie  et  de  Moldavie.  Déclarée  indépen- 
dante au  traité  de  Berlin,  elle  est  devenue,  depuis 
peu,  un  royaume.  C'est,  de  toute  la  péninsule, 
l'Etat  où  la  population  spécifique  est  le  plus  dense 
(41  habitants  par  kilomètre  carré),  en  tout 
5  400  000  habitants  sur  KlOOdO  kilomètres  carrés. 
La  Roumanie  fait,  Ju  reste,  des  progrès  rapides. 
Pays  essentiellement  agricole,  elle  expédie  chaque 
année  pour  100  ou  200  millions  de  blé.  Son 
exportation  a  doublé  en  dix  ans.  Elle  pour- 
rait en  outre  fournir  du  vin,  des  métaux,  du  pé- 
trole à  peine  exploité  jusqu'ici.  Les  pêcheries  du 
Danube  sont  riches  en  esturgeons. 

Le  roi  de  Roumanie  gouverne  avec  deux  cliam- 
bres,  non  pas  résultant  du  suffrage  universel,  mais 
choisies  surtout  par  les  propriétaires.  Bukarest, 
la  capitale,  n'était  naguère  qu'un  grand  village  ; 
aujourd'hui,  elle  est  en  train  de  devenir  une  vraie 
capitale;  sa  population   est  de  250  OUO  habitants 


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environ.  Jassy,  la  capitale  de  la  Moldavie,  a  un 
aspect  plus  oriental  ;  elle  renferme  90  001)  habi- 
tants. Giiliitz  f80  001)  habitants),  Braïl>i  (30  0110  ha- 
bitantsl,  doivent  leur  importance  à  leur  commerce 
par  le  Danube. 

Possessinyts  des  Turcs  hurs  île  l'Europe.  —  VAsie 
Mineure,  YAnatolie,  une  partie  de  l'Arménie,  la 
Syrie,  les  pays  du  Tigre  et  de  VEupkrate  appar- 
tiennent nominalement  au  sultan.  Bien  des  peuples 
nomades,  comme  les  Kurdes,  y  vivent  réellement 
indépendants.  La  France  exerce  une  sorte  de  pro- 
tectorat sur  les  chrétiens  de  Syrie.  L'Angleterre 
s'est  fait  déclarer  protectrice  de  toutes  les  posses- 
sions ottomanes  en  Asie,  pour  arrêter  de  ce  coté 
les  progrès  des  Russes  ;  elle  est  entrée  en  pos- 
session de  Chypre  pour  occuper  cette  forte  posi- 
tion i  l'extrémité  de  la  Méditerranée.  Le  khédive 
ou  vice-roi  d'Egypte  est  aussi  censé  dépendre  du 
sultan  avec  toutes  ses  possessions;  cette  suzerai- 
neté s'est  affirmée  par  l'emploi  de  troupes  égyp- 
tiennes dans  les  armées  ottomanes  petidant.  la  der- 
nière guerre,  et  par  la  déposition  du  dernier  kliédive. 
VHediaz  et  YYèmcti,  sur  la  cùte  occidentale  de 
l'Arabie,  le  Lalisa,  à  l'E.  de  cette  péninsule,  sont 
considérés  comme  possessions  turques.  Tripoli, 
au  nord  de  l'Afrique,  est  aussi  un  vilayetturc.  et, 
tout  dernièrement,  le  sultan  revendiquait  aussi  la 
suzeraineté  de  Tunis,  non  admise  par  la  France. 
On  voit  que  toutes  ces  possessions  sont  plus 
nominales  que  réelles,  [G.  Meissas  ] 

TimOUIE  (HiSTOinE).  —  Histoire  générale, 
XX- XXVI,  XXXI V.  —  Origine  des  Turcs.  — 
Nous  ne  savons  rien  de  bien  précis  sur  les  origines 
des  Turcs.  Descendent-ils  des  Targitaos  d  Héro- 
dote ou  des  Togharma  de  l'Ecriture?  Se  sont-ils 
confondus  jadis  avec  les  Scythes  ou  avec  les 
Partîtes  ?  Képondent-ils  aux  peuples  que  les 
Byzantins  ont  désignés  parfois  sous  le  nom  d'Ou- 
gres(Oiiigours  de  Klaproth)?  Toutes  ces  questions 
restent  encore  irrésolues.  Il  parait  certain  ce- 
pendant que  dans  une  antiquité  très  haute  les 
Turcs  quittèrent  les  régions  montagneuses  de 
l'Altai  pour  se  fixer  dans  les  plaines  que  nous 
appelons  Turkostan,  et  que  les  anciens  Perses 
ont  appelées  Touran.  Etablis  au  N.  de  l'Iran, 
ces  peuples  nomades  entrèrent  en  lutte  contre 
les  peuples  aryens  du  midi,  qui  s'adonnaietit  à 
l'agriculture.  C'est  au  milieu  de  ces  luttes  fort 
obscures  que  les  tribus  turques  grandirent,  se 
fortifièrent,  et  finirent  par  former  trois  groupes 
principaux  :  Oghouzes,  Seldjoukides  et  Osman- 
lis  ou  Ottomans.  C'est  surtout  ce  dernier  peuple 
qu'on  désigne  en  Occident  sous  le  nom   de  Turcs. 

1°  Les  Oghoti:es,établis  entre  le  Sihoun  et  l'A  mou- 
Daria,  luttèrent  longtemps  contre  les  Sassanides 
de  Perse.  Ils  ne  se  convertirent  à  l'Islam  que  dans 
le  courant  du  x'  siècle.  Plus  tard  ils  abandonnè- 
rentleurs  cantonnements  primitifs.  LeklianBoghra 
domina  Kashgar  et  Bokhara  (vers  !l9!i).  Mais,  un 
demi-siècle  après,  cette  famille  de  khans  Oghouzes 
se    fondait   dans   celle  des  khans  Seldjoukides. 

2°  Les  Sel  ijoukid''s  se  sont  de  bonne  heure 
convertis  à  l'Islam.  Soldats  redoutables,  ils  for- 
maient fréquemment  la  garde  des  khalifes,  si  tùt 
jrnpuissants,  de  Bagdad.  Pendant  près  de  trois 
siècles,  ce  peuple,  conservateur  des  anciens  usa- 
ges et  attaché  d'une  façon  très  étroite  et  très 
profonde  aux  pratiques  musulmanes,  resta  soumis 
à  cinq  dynasties  établies  à  Fars,  Kerman,  Damas, 
Alep  et  Roum.  Le  représentant  le  plus  célèbre 
de  cette  race  fut  Togrul-Beg  (xi"  siècle).  Il  fut 
proclamé  par  le  khalife  "  protecteur  des  mu- 
sulmans »  et  maiire  absolu  des  pays  sur  les- 
quels s'étendait  sa  domination.  Son  successeur, 
Alp  Arslan,  fut  un  conquérant  et  un  organisa- 
teur ;  il  s'empara  de  Césarée,  de  l'Arménie,  de  la 
Phrygie,  où  il  fit  prisonnier  l'empereur  byzantin 
Romain  Diogène.  A  la  mort  d'Alp-Arslan  (1072) 


l'empire  seldjoukide  s'étendait  de  la  Caspienne  à 
la  Méditerranée  et  de  la  Kazarie  à  l'Yénien . 
Des  écoles  avaient  été  fondées  à  Ispahan,  Nischa- 
bur,  Balk,  Hérat,  Bagdad,  Mossoul. 

Cet  empire  était  trop  étendu  et  renfermait  des 
peuples  trop  divers  pour  pouvoir  subsister  long- 
temps. Avec  Malek-Shah,  les  désordres  commen- 
cèrent. Après  Sandjar,  le  dernier  des  fils  de 
Malek  (xii'  siècle),  l'empire  fut  partagé  entre  les 
princes  des  Gliourides,  du  Khovaresm,  et  des 
Atabeks.  Les  querelles  intestines,  les  longues 
luttes  contre  les  croisés  d'Occident,  les  invasions 
des  Mogols  conduits  par  Djengiz-Khan  et  Hola- 
kou,  détruisirent  en  Asie  Mineure  la  puissance 
des  Seldjoukides.  Leur  dynastie  royale  s'éteignit 
en  13u7,  et  l'empire  se  morcela  en  une  dizaine 
de  petits  Etats,  qui  ont  définitivement  disparu 
au  xiv«  siècle. 

3"  Les  Osmanlis.  —  Les  débuts  des  Osmanlis 
avaient  été  modestes.  Dans  les  premières  années 
du  XIII'  siècle,  un  khan  des  Oghouzes,  du  nom  de 
Soliman,  poussé  en  avant  par  les  cavaliers  de 
Djengiz-Khan,  s'était  établi  en  Arméiiie,  près 
d'Erzendjan.  En  1231,  après  la  mort  de  Djengiz, 
la  tribu  de  Soliman  reprit  le  chemin  de  sa  patrie. 
Près  du  château  de  Djaber,  sur  l'Euphrate,  Soliman 
mourut.  Son  filsOrtogruI  s'établit  dans  le  Sourmel- 
Tschoukour  (région  d'Erzeroum).  Plus  tard,  il  re- 
çut d'un  sultan  seldjoukide  la  région  de  l'Ermeni- 
Dagh,  qui  domine  la  vallée  du  Sakariah  ;  chef 
mercenaire  à  la  solde' dos  Seldjoukides.  adver- 
saire des  Grecs  auxquels  il  enleva  Karadjahissar, 
Ortogrul  reçut  en  récompense  de  ses  services  le 
district  d'Eskischer  iDouglée),  qui  prit  le  nom  de 
Sultan-OEni. 

Les  Orientaux  ont  volontiers  embelli  de  légendes 
cette  histoire  primitive  des  Osmanlis.  Ortogrul 
avait  une  fois  passé  la  nuit  à  lire  lo  Coran,  lors- 
que devant  lui  se  dressa  un  inconnu  aux  formes 
divines  :  «  Puisque  tu  as  lu  avec  tant  de  zèle 
ma  parole  éternelle,  dit  l'apparition,  tes  enfants  el- 
les enfants  de  tes  enfants  seront  honorés  de  généra- 
tion en  génération.  nOsman,  fils  d'Ortogrul,  eut  aussi 
un  songe  miraculeux.  Après  avoir  épousé  la  belle 
Malkatoum,  il  rêva  que  de  son  nombril  sortait  un 
arbre  gigantesque,  dont  les  rameaux  verdoyants 
abritaient  des  plaines  immenses  aux  riches  mois- 
sons, des  montagnes  ans  sommets  élevés,  des 
mers  chargées  de  navires,  des  villes  innombra- 
bles aux  minarets  dorés.  Les  fils  d'Osman,  maîtres 
de  l'Asie  Mineure,  de  la  mer  Noire,  du  Bosphore 
et  des  Balkans,  construisant  leur  sérail  auprès 
des  minarets  sacrés  de  Sainte-Sophie,  ont  réalisé 
le  rêve  grandiose  de  leur  ancêtre. 

En  1289,  Osman  reçoit  les  insignes  du  princi- 
pat,  un  drapeau,  une  timbale,  une  queue  de 
cheval  ;  bientôt  il  fait  dire  la  prière  en  son 
nom,  et  s'accorde  à  lui-même  le  (Iroit  de  battre 
monnaie.  Il  bat  les  Grecs  à  Nicomédie  (I3li|). 
C'est  le  temps  où  tombe  le  pouvoir  des  Seld- 
joukides :  les  Osmanlis  en  sont  les  héritiers  na- 
turels. Sous  Orklian  (1326-1300),  ils  s'emparent 
de  Brousse,  de  Nicée,  de  Chio  :  du  rivage  asiati- 
que du  Bosphore,  ils  contemplent  l'Europe  qui 
les  attire,  Constantinople,  cette  seconde  Rome, 
qui  fascine  les  sultans  ambitieux.  En  13li7,  ils 
débarquent  en  Thrace,  et  bientôt  on  compte  di.x- 
sept  invasions  dans  ce  riche  pays  1  L'Asie  Mi- 
neure, assouplie  par  vingt  siècles  de  profonde 
servitude,  se  soumettra  sans  peine  aux  Osman- 
lis. Mais  l'Enropo  ne  fera-t-elle  anr.iine  résistance'? 

Formation  de  l'empire  des  Osmanlis  en  Europe 
au  XIV"  et  au  X'V"  siècle.  —  Le  nouvel  ennemi  qui 
allait  continuer  sur  la  terre  d'Europe  l'histoire 
lamentable  dos  invasions,  paraissait  autrement 
redoutable  que  les  Slaves  de  Serbie,  les  Ma- 
gyars de  Hongrie  ou  les  Huns  du  Kaptchak. 
Pendant  plus  d'un  siècle,  les  Ottomans  ont  à  leur 


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tôtB  à(>.s  sultans  fort  remarquables,  à  la  fois  lù^is- 
laleurs  Rt  soldats.  Orklian  n'est  pas  seulement 
un  général  lioureux  :  on  l'a  appelé  avec  raison  le 
Numa  (les  Orientaux.  Il  organise  le  gouvernement 
dont  le  siillan  sera  désormais  le  chef  absolu.  Les 
idées  si  profondomentreligieuses  de  llslam,  mêlées 
h  l'esprit  militaire,  avaient  jadis  donné  aux  Arabes 
une  vigueur  inattendue.  Ces  deux  sentiments  sont 
de  nouveau  confondus  et  exaltés.  Rien  de  plus 
mystique  ni  de  plus  conforme  aux  idées  orientales 
que  l'organisation  politique  des  Osmanlis  au 
xiV  siècle.  L'Etat,  désigné  sous  le  nom  de  Porte, 
est  figuré  comme  une  tente,  qui  repose  sur  quatre 
colonnes.  La  première  comprend  les  vizirs  (mi- 
nistres), kadiaskers  (juges  d'armée),  deftordars 
(agents  en  chef  des  finances),  et  nischandgis  (secré- 
taires de  l'Etat)  ;  la  deuxième  se  compose  dfS  agas 
de  l'armée  ;  la  troisième,  des  agas  de  la  cour  ;  la 
quatrième,  dos  ulémas  on  légistes.  L'armée,  très 
fortement  constituée,  comprend  les  limarliou  tima- 
riots,  sorte  de  cavalerie  féodale,  les  ?ipahi  ou 
spahis,  cavaliers  armes  de  la  lance,  les  janissaires 
(yeni-tcheni,  nouveaux  soldats)  qui  vont  épou- 
vanter l'Europe.  L'ambassadeur  Busbeck  Cwi' siè- 
cle) parlera  plus  tard  avec  éloge  de  la  discipline 
sévère  de  cette  infanterie,  des  casernes  sembla- 
bles à  des  couvents,  où  le  janissaire  mène  une 
existence  sévère,  partagée  entre  la  prière  et 
l'exercice  des  armes.  Détail  étrange  :  ces  janis- 
saires étaient  le  plus  souvent  recrutés  parmi  les 
enfants  enlevés  à  la  guerre,  et  convertis  violem- 
ment à  l'Islam  !  La  force  de  l'empire,  selon  la 
remarque  de  l'ambassadeur  vénitien  Barbare,  a 
reposé  sur  «  des  esclaves  mahométans  nés  dans 
la  foi  chrétienne.  »  Pendant  longtemps,  l'infan- 
terie turque  n'a  eu  qu'une  rivale,  l'infanterie 
suisse,  qui  s'est  formée  Ma  même  époque. 

En  face  de  cet  organisme  politique  très  simple, 
pouvant  facilement  s'implanter  dans  n'importe 
quel  pays;  en  face  de  cette  armée  si  redoutable, 
l'Europe  était  absolument  h  découvert.  La  pres- 
qu'île des  Balkans,  au  S.  du  bas  Danube,  avec 
ses  hautes  montagnes  et  ses  vallées  profondes, 
est  comme  un  bastion  avancé  et  un  boulevard 
inexpugnable  de  l'Europe  vers  l'Orient.  Mais  rien 
ne  pourrait  donner  la  mesure  du  désordre  qui 
désolait  ce  malheureux  pays.  Là  se  pressaient  des 
populations  d'origines  diverses,  Slaves,  Valaques, 
Albanais,  Bulgares,  etc.  Les  uns  étaient  venus 
poussés  par  des  mouvements  inconnus  de  peu- 
ples; d'autres,  on  ne  sait  par  quels  marchés  bi- 
zarres, avaient  été  transplantés  par  les  empe- 
reursmêmes  sur  le  territoire  de  l'empire  byzantin  : 
tels  ces  14,0110  Turcs  que  l'empereur  Théophile 
avait  transportés  en  Macédoine.  Chacun  de  ces 
peuples  visait  à  rompre  les  liens,  très  relâchés 
d'ailleurs,  qui  le  rattachaient  à  l'Empire.  Le  plus 
souvent  le  succès  couronnait  leurs  efl'orts.  Ainsi 
s'étaient  formés  les  États  barbares  de  Bulgarie, 
Grande  Valacliie,  Croatie,  Serbie,  hier  tributaires, 
aujourd'hui  alliés,  demain  adversaires  victorieux 
de  l'empereur.  Après  deux  siècles  d'empiétements 
tour  à  tour  bruyants  et  silencieux,  ils  avaient 
comme  mangé  les  terres  de  l'Empire.  Au  xvi'  siè- 
cle, l'empereur  n'était  obéi  qu'à  Sélymbrie,  Héra- 
clée  et  Salonique!  Consiantinoplo  était  devenue 
frontière. 

Tous  ces  peuples  unis  auraient  eu  grand'peine 
à  résister  aux  Turcs.  Mais  ils  ne  pouvaient  pas 
être  unis.  La  religion  avait  élevé  entre  eux  des 
barrières  infranchissables.  Les  orthodoxes  grecs 
exécraient  les  catholiques  latins,  assez  nombreux, 
surtout  en  Albanie.  Les  scènes  scandaleuses  qui 
éclatèrent  au  concile  de  Fcrrarc  (1438)  montrent 
assez  que  l'accord  était  impossible. 

Enfin,  une  sorte  de  fatalité  semblait  peser  sur 
cette  population  «  byzantine  »  qui  finissait  par 
n'avoir  plus  de  grec  que  le  nom.  Le  pressenti- 


ment confus  d'une  chute  irrémédiable  travaillait 
le  peuple  de  Constantinople.  Des  légendes  sinis- 
tres annonçaient  partout  la  chute  de  1  Empire.  Les 
peuples  (|ui  se  croient  perdus  sont  des  peuples 
condamnés. 

L'empire  byzantin  a  cessé  d'exister  cent  ans 
avant  la  chute  de  Constantinople.  En  13.')!),  l'occu- 
pation d'Andrinoplo  et  du  bassin  de  la  Maritza 
par  lo  sultan  Mourad  I"  décidait  militairement  la 
lutte  en  faveur  des  Ottomans.  L'occupation  des 
Balkans,  la  conquête  des  pays  danubiens,  Bulga- 
rie ef  Bosnie,  n'étaient  plus  qu'une  question  de 
temps.  Les  princes  d'origine  slave  sentirent  quel 
danger  les  menaçait;  il  n'était  plus  temps.  Écrasés 
à  Kossovo  (1389),  ils  assistèrent  impuissants  à  la 
conquête  de  l'Atiique  et  do  l'Eubée  sousBajazetI", 
à  la  défaite  des  Occidentaux  à  Nicopolis  (1394).  Le 
sultan  devenait  le  protecteur  des  empereurs, 
comme  il  l'avait  jadis  été  du  khalife.  Jamais  prince 
Osmanli  n'avait  été  plus  puissant  que  Bajazet. 
(I  L'arbre  de  sa  fortune,  écrit  le  byzantin  Ducas, 
rompait  sous  les  fruits  qui  naissaient  chaque  jour 
au  citant  varié  des  oiseaux.  >,  L'arrivée  des  Mogols 
de  Timour,  l'invasion  de  l'Asie  Mineure,  le  coup  de 
foudre  d'Angora  (140'2),  la  captivité  du  sultan,  com- 
promirent un  instant  la  puissance  ottomane.  Mais 
les  orages  passent  vite  dans  les  pays  d'Orient. 
Timour  périt  en  I40j;  ses  trente-sept  fils  ou 
petits-fils  émiettèrent  son  empire.  Les  princes 
Osmanlis  reprirent  courage.  Mourad  II  osa  assié- 
ger Constantinople  (l-iï2);  huit  ans  plus  tard  il 
prit  Salonique.  Les  avant-postes  turcs  menaçaient 
désormais  la  Corne-d'Or. 

Deux  hommes  luttèrent  alors  contre  les  Otto- 
mans, Hunyad  et  Scanderbcg  (Georges  Casti-iote). 
L'un  était  Hongrois,  l'autre  Albanais.  Leurs  inté- 
rêts étaient  divers;  le  seul  point  commun  de  leur 
politique  était  leur  ambition  passionnée  et  exclu- 
sive. Il  ne  faut  donc  pas  voir  dans  ces  deux 
hommes  des  défenseurs  ardents  de  l'indépen- 
dance nationale.  Ils  n'étaient  pas  davantage  de 
farouches  adversaires  des  Turcs.  Scanderbeg 
avait  longtemps  vécu  parmi  eux;  il  ne  vit  jamais 
dans  sa  belle  résistance  de  Croia  qu'un  moyen 
d'arracher  au  sultan  le  titre  tant  désiré  de  prince 
d'Emathie.  Les  succès  de  Scanderbeg  n'eurent 
pour  résultat  que  l'indépendance  du  Monténégro. 
Pendant  la  «  longue  campagne  »  de  Bulgarie, 
avant  comme  après  Varna(1444),  où  il  fut  écrasé, 
Hunyad  no  songea  jamais  à  fermer  aux  Ottomans 
le  chemin  de  Constantinople.  Un  officier  hon- 
grois pointa,  dit-on,  le  premier  cajion  sur  la  ville. 
Iluiiyad  a  pu  songer  sérieusetnent  à  fonder  un 
royaume  danubien.  Il  ne  pouvait  le  faire  sans 
l'assentiment,  et,  au  besoin,  sans  l'alliance  des 
Turcs. 

Les  Turcs  entrèrent  à  Constantinople  en  1453. 
Cet  événement  était  prévu  depuis  longtemps  en 
Orient.  Parmi  les  chrétiens,  beaucoup  étaient 
favorables  aux  Ottomans  qui  furent,  on  ce  temps 
surtout,  moins  durs  qu'on  ne  pourrait  le  croire. 
Les  Grecs,  astreints  seulement  à  payer  le  charaz, 
ou  tribut  de  vie,  restèrent  volontiers  dans  les 
grandes  villes,  où  ils  continuèrent  à  s'enrichir  par 
le  commerce.  Le  sultan  Mahomet  II  avait  eu  soin 
d'assurer  par  un  firman  leurs  privilèges  religieux. 
En  général,  les  questions  de  politiiiue  locale  fu- 
rent traitées  par  les  Turcs  sans  passion  et  avec 
libéralisme. 

Mais  leur  présence  h  Constantinople  introduisait 
dans  la  politique  de  l'Europe  des  questions  nouvel- 
les et  terriblement  compliquées.  Les  maîtres  de 
Constantinople  ont  toujours  voulu  posséder  aussi 
la  presqu'île  tout  entière,  et,  sur  larive  droite  du  Da- 
nube, la  région  que  les  Romains  avaientjadis  colo- 
nisée sous  le  nom  de  Dacie.  La  Roumanie  est, 
logiquement,  le  boulevard  avancé  de  la  presqu'île 
des  Balkans,  car  un  fleuve  n'est  jamais  pour  une 


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armi'e  un  olistacli?  de  preraio.r  ordre.  La  conr|u6te 
do  l.-i  V;ilaclii(!  (,1402)  et  de  la  Bosnie  (  I  iOÎJ  furent 
les   ronséquences  do  la    prise  de  Constantinopic. 

],'l'Aii'i)po,  i  son  tour,  admettrait-elle  la_  forma- 
lion,  violente  après  tout,  d'un  grand  État,  et 
d'un  Élat  musulman  ?  La  religion  et  la  polilique 
étaient  également  intéressées.  Le  pape  Pie  II 
dut  renoncer  Ji  la  crois.-ide  qu'il  rêvait  (14(14). 
L'empereur  Frédéric  III  ne  fut  pas  plus  heureux. 
Les  Allemands  le  pourchassaient  de  ville  en  ville; 
la  Hongrie  obéissait  Ji  Mathias  Corvin,  la  Bohème 
il  Podiebrad.  Les  doux  mondes  germanique  et 
slave  étaient  en  travail  de  révolution.  Les  Turcs 
en  profitèrent  :  dans  l'Archipel,  ils  s'étaient  heur- 
tés aux  Vénitiens.  Pour  les  atteindre  plus  sûre- 
ment, ils  envahissent  la  Carinthie,  la  Styrio,  la 
Carniole,  le  Frioul  (1477).  Do  la  mer  Noire  au 
fond  de  l'Adriatique  on  se  bat,  on  Hongrie  (1479), 
à  Otrantc  (1480),  h  Rhodes,  où  les  Turcs  sont 
repoussés  (1181)  la  dernière  année  du  règne  de 
Mahomet  II.  La  Bessarabie  et  la  Croatie  sont 
occupées  (I481-l48();,  puis  Lépante,  Coron,  Mo- 
don,  enlevées  aux  Vénitiens  (14i)9).  Dans  le  même 
temps  les  guerres  d'Ilalic  mettaient  aux  prises  les 
grandes  nations  de  l'Occident.  Les  lieureux  suc- 
cesseurs d'Osman  avaient  délinilivoment  pris 
piod  en  Europe. 

Apogée  de  la  puissance  musulmane  au  XVI*  siè- 
cle. La  Porte  entre  dans  le  concert  européen. 
—  Deux  séries  de  faits  parallèles  ont  concouru  à 
la  grandeur  des  Ottomans  au  xvi"  siècle.  Par  leur 
forte  organisation  militaire,  ils  ont  pu  tenir  en 
échec  l'Kurope  clirélienne.  Do  plus  ils  ont  solide- 
ment otiibli  leur  domination  en  Asie  et  en  Afrique, 
dans  des  pays  où  l'Islam  comptait  déji  de  nom- 
breux adeptes.  Ces  régions  orientales  furent  pour 
les  sultans  comme  des  réservoirs  d'hommes,  où 
l'on  put  largement  puiser  des  armées  dévouées 
jusqu'au  fanatisme.  Los  guerres  de  Hongrie  au- 
î'aieiit  été  impossibles  sans  la  conquête  définitive 
do  l'Asie  Mineur 


ger  (1534),  de  Chypre  sous  Sélim  II  (1,170),  donnait 
aux  Turcs  l'empire  de  la  Méditerranée  orientale.  La 
bataille  de  Lépante ,'gagnée  par  les  Espagnols,  mit 
brusquement  un  terme  à  ces  succès  incessants 
(1571).  Mais,  contenus  sur  mer,  les  Turcs  no  conti- 
nuèrent pas  moins  l'occupation  systématique  des 
pays  danubiens.  Ils  organisaient  la  Bosnie  et  les 
territoires  au  delà  de  l'Unna  (1579),  affermissaient 
leur  autorité  dans  la  Moldo-Valacliie  (1538,  1574- 
1594),  et  prétendaient  même  imposer  au  roi  de 
Pologne  Sigismond  l'obligation  de  payer  tribut 
(1588)1  En  Hongrie,  profitant  des  troubles  qui 
précédèrent  la  guerre  de  Trente  ans,  ils  interve- 
naient sans  mesure  dans  les  luttes  dos  partis. 
En  Transylvanie,  ils  soutenaient  tantôt  Bathory, 
qu'ils  appelaient  cependant  le  u  roi  fou  »,  tantôt 
Bethicn  Gabor.  Le  traité  de  Sitvatorok,  signé  en 
1G06  avec  l'empire  Allemand,  ne  ramena  pas  la 
Porte  à  une  saine  appréciation  de  la  situation  ço- 
litique.  Le  muphti  refusa  toute  sanction  à  ce  traité 
par  lequel  les  Turcs  renonçaient  à  intervenir  dans 
la  Transylvanie  et  dans  la  Hongrie.  Une  période 
nouvelle  allait  commencer  dans  l'histoire  des 
Ottomans. 

Origine  de  la  question  d'Orient.  Démêlés  des 
Ottomans  avec  les  Autrichiens,  les  Polonais  et 
les  Russes.  —  La  prrsq'.i'îli^  des  llalkans  est,  gOO- 
graphiquement,  mal  conformée.  De  trois  eûtes, 
la  mer  lui  donne  des  limites  naturelles.  Mais  vers 
le  IV.  O.,  la  Save  et  la  Drave,  affluents  du  Danube, 
sont  de  grands  chemins  ouverts  au  cœur  do 
l'Allemagne  méridionale.  Au  N.-E.  du  Danube 
s'étendent  des  plaines  basses  que  rien  ne  sépare 
des  steppes  de  Russie  et  de  Pologne;  enfermée 
dans  un  quadrilatère  de  montagnes,  la  Transylva- 
nie, vers  rO.,  est  comme  un  réduit  fortifié  de 
la  Moldo-Valacliie  ;  Klausenburg  et  Hermanstadt 
sont  les  postes  avancés  de  Bucharest.  Où  linit 
donc  la  presqu'île  des  Balkans'?  Question  délicate 
que  les  Turcs  voulurent  résoudre  à  leur  profit. 
Enfin   dans  ces   pays  ouverts  vivent  des  peuples 


Il  faut  considérer  en  outre  que  l'établissement    d'origines  très   diverses.   Magyars,    parents   des 


de  la  puissance  ottomane  dans  les  lieux  consacrés 
par  la  mémoire  du  prophète  ou  par  les  souvenirs 
des  premiers  temps  de  l'Islam  devait  apporter  au 
sultanat  une  force  nouvelle.  Après  la  défaite  des 
Mamelouks  à  Alop  (1517),  à  Gaza  (1518)  et  au  Oiire, 
le  Soudan  d'Egypte,  dernier  successeur  des  khali- 
fes, transmit  au  sultan  Séliin  1'^'  le  titre  d'Imam 
et  l'étendard  du  Prophète.  Celte  transmission  de 
l'autorité  religieuse  au  plus  grand  souverain  du 
monde  musulman  est  un  fait  très  considérable. 
Entre  Constantinople  et  les  croyants  orthodoxes 
se  nouèrent  des  liens  que  le  temps  a  encore  res- 
.serrés.  Dieu  semblait  bénir  son  nouveau  lieute- 
nant, vainqueur  des  Persans  schism.atiquos  Ji 
'l'auris  (1514),  maître  de  la  Syrie,  do  l'ÉgypK!,  de 
l'Arabie  et  de  la  Mecque  (1518-1519). 

Ce  fut  alors  un  moment  solennel  dans  l'histoire 
des  musulmans.  Tous  les  peuples  orthodoxes,  quelle 
que  fût  leur  origine,  se  confondirent  dans  une 
même  foi  politique  et  religieusoi  Arabes  et  Turcs, 
Syriens  et  Africains  concoururent  avec  une  ar- 
deur égale  b.  élever  le  triple  édifice  militaire,  po- 
litique et  littéraire  auquel  Soliman  II,  le  Miii/iitfi- 
quc,  le  Léfjisliitcar,  le  Conquérant,  a  attaché  son 
nom.  Maîtres  de  Belgrade  (15'i  I  ),  les  'furcs  menacent 
le  bassin  moyen  du  Danube  ;  ils  envahisstMit  la 
Hongrie,  et  interviennent  pour  longtemps  dans 
les  alïaircs  de  ce  pays  (Mohacz  15'JG,  Eszeck 
I5:t(;,  ISudc,  1541).  Adversaire  de  Charles-Quint, 
le  sultan  conclut  avec  la  Eranco  les  capitulations 
fameuses  i]ui  somhlcnt  donner  aux  Turcs  droit 
de  cité  en  Europe  (1535,  154S,  1554).  A  Toulon  et 
à  Naplcs,  à  ces  dernières  dates,  les  flottes  franco- 
turques  unissent  leurs  pavillons  1  La  Turquie  de- 
vient en  efl'et  une  grande  puissance  maritime.  La 
prise  doUhodos  (15'r.'),  de  Tunis,  de  Tripoli  etd'Al- 


Turcs,  Roumains,  Slaves,  Allemands,  Russes, 
Tatars,  tous  gens  profondément  divisés  par  la 
race,  la  religion,  la  langue,  indifTérents  d'ailleurs 
au  gouvernemc'nt  qui  les  régira,  mais  toujours 
mal  disposés  pour  le  gouvernement  qui  les  régit. 
Au  xvii"  siècle,  le  peuple  qui  voulait  vraiment  do- 
miner la  presqu'île  des  Balkans  devait  étendre  au 
moins  sa  suzeraineté  sur  l'Autriche-Hongrie,  la 
Pologne,  la  Russie.  C'était  une  œuvre  surhumaine. 
Elle  a  tenté  les  Turcs.  Elle  les  a  tués  aussi, 
car  la  guerre  appelle  la  guerre,  et  les  Ottninans, 
môme  soutenus  par  les  Magyars,  ne  peuvent  pas 
tenir  tète  aux  masses  innombrables  du  monde  slave 
et  germanique. 

La  question  d'Orient  est  arrivée  à  l'état  aigu  le 
jour  où  monta  au  pouvoir  le  premier  des  Kiuperli, 
cette  héroïque  famille  de  vizirs  qui  ont  présidé 
pendant  un  demi-siècle  aux  destinées  de  l'empire 
Ottoman  (1056).  Une  guerre  maritime  contre  Ve- 
nise fut  énergiquemeut  conduite.  Le  15  septembre 
1604,  Ahmed  Kiuperli  fit  proclamer  dans  le  camp 
turc  Michel  Apaifi  prince  de  Transylvanie.  Alors 
commence  une  guerre  qui  n'est  pas  encore  termi- 
née aujourd'hui.  La  double  intervention  de  la 
France  i  Saint-Gothard  (ICtii)  et  à  Candie  (IG69) 
n'arrêta  point  les  Turcs.  Profitant  des  embarras 
que  causaient  i  l'empereur  Léopold  les  troubles 
de  Hongrie,  ils  se  jettent  sur  la  Pologne,  éner- 
giquement  défendue  par  Jean  Sobieski  (paix  de 
Suravno,  1676).  Mais  ces  guerres  dans  un  pays 
éloigné  étaient  impopulaires.  Le  divan  préférait 
la  lutte  contre  l'Autriche,  et  la  France  encoura- 
geait ces  desseins  belliqueux.  Dans  l'année  1681, 
une  coalition  générale  unit  aux  Turcs  contre  Loo- 
pold  les  Transylvains,  Moldaves,  Valaques  et  les  Co- 
saques do  l'Ukraine.  C'était  le  temps  où  Louis  XIV 


TURQUIE 


—  2253  — 


TURQUIE 


opérait  ses  conquêtes  en  pleine  paix.  Jamais  l'Em- 
pire n'avait  ct6  plus  sérieusement  menacd.  Le 
Hongrois  Tekcli  soulevait  ses  compatriotes  et  pu- 
bliait son  célèbre  pamphlet,  les  Cent  griefs  des 
Bonijrois  contre  les  Allemanils.  Il  écrivait  sur  son 
drapeau  o  Diou  et  Patrie  »,  et  il  Pest  opérait  sa 
jonction  avec  Ibraliim-Pacliii.  L'émoi  était  grand 
en  Allemagne.  Louis  MV  faisait  le  blocus  de 
Luxembourg,  il  avait  organisé  des  camps  en  Al- 
sace, sur  la  Sarre,  en  Flandre  et  sur  la  Saône. 
K  Nous  avons  deux  ennemis  irréconciliables,  écrit- 
on  alors  en  Allemagne,  les  Turcs  d'uji  côté  et  la 
France  de  l'autre;  l'un  est  le  bourreau,  l'autre 
la  torture.  >■  Et  ailleurs  :  «  Prions  Dieu  du  fond 
de  notre  âme  qu'il  veuille  bénir  les  armes  do 
l'empereur  et  de  ses  alliés,  et  que  par  sa  bonne 
et  grande  miséricorde  il  lui  plaise  d'exiirper  et 
chasser  le  Grand  Turc  de  devant  Vienne  et  ail- 
leurs, et  aussi  de  délivrer  notre  pays  du  petit 
Turc  français  qui  nous  saccage  et  nous  ruine 
par  le  fer  et  par  le  fu!  »  [La  cour  de  France 
lurhaniscc,  brochure.!  Jean  Sobieski  sauva  Vienne 
assiégée  par  Kara-Mustapha  llUsS).  Sauver  les 
Habsbourg,  n'était-ce  pas  pour  un  Polonais  de 
l'imprudence   plus   encore  que  de  la  générosité? 

Les  graves  complicalions  qui  surgissaient  alors 
dans  l'Occident  (guerre  de  la  ligue  d'Augsbourg. 
succession  d'Espagne)  laissaient  les  Ottomans 
livrés  à  eux-mêmes.  Ils  furent  battus  à  Mohacz 
par  les  Autrichiens,  à  Navarin  par  les  Véni- 
tiens (IG87).  Tekeli  fut  expulsé  de  la  Hongrie, 
qu'on  noya  dans  le  sang.  La  bataille  de  Slanke- 
men,  où  fut  tué  le  dernier  des  grands  Kiuperli, 
consomma  la  défaite  des  Turcs.  Ils  restaient  pour- 
tant pleins  de  courage,  lorsque,  après  la  mort 
d'Ahmed  II  (lfi95),  le  sultan  Mustapha  II  publia 
son  hattichérif  laconique  :  «  Je  persiste  i  mar- 
cher! »  Mais  toutes  les  puissances  voisines.  Po- 
lonais, Russes  avec  Pierre  le  Grand,  Autrichiens 
avec  le  prince  Eugène,  accouraient  à  la  curée. 
Après  la  bataille  de  Zeuta  (1G97)  et  la  prise  d'Azov 
par  les  PiUsses,  il  fallut  traiter.  On  signa  alors  le 
traité  de  Carlovitz  ^1008-99).  L'Autriche  recou- 
vrait la  Transylvanie,  donnée  i  Michel  II  Apaffi, 
Venise  obtenait  le  statu  quo  dans  l'Archipel,  la 
Pologne  gardait  Kaminiec,  et  la  Russie  Azov. 

Les  Ottomans  comptaient  désormais  un  ennemi 
de  plus,  les  Russes,  qui  voulaient  occuper  lescôtes 
de  la  mer  Noire,  et  qui  dcji  tournaient  leurs  regards 
vers  le  Danube.  Dés  17In,  Pierre  le  Grand  signait 
avec  Cantemir,  hospodar  de  Valachie,  le  traité  de 
Sluzk,  qui  mettait  ce  prince  sous  la  protection  de 
la  Russie.  La  guerre  était  inévitable  ;  Charles  XII 
do  Suède  poussait  le  divan  à  la  déclarer  :  elle 
aboutit  à  la  défaite  des  Russes  à  Falczi  (l'Ili. 
Pierre  le  Grand,  fait  prisonnier,  recouvra  la  li- 
berté en  rendant  Azov,  en  rasant  les  forteresses 
du  Don,  et  en  renonçant  à  toute  suzeraineté  sur 
les  Cosaques. 

Cette  guerre  est  à  peine  finie,  que  la  Porte  re- 
commence la  lutte  contre  Venise,  dont  l'at- 
titude dans  l'Archipel  manquait  de  correction 
(1714).  En  Occident,  la  guerre  d'Espagne  éiait 
terminée.  La  cour  de  Vienne  fit  aussitôt  cause 
commune  avec  les  Vénitiens.  Écrasés  à  Peter- 
wardin  (1716),  à  Belgrade  (1717),  les  Turcs  si- 
gnent le  traité  de  Passarovitz  (1718).  Ils  rendaient 
à  l'Autrichç  Belgrade  et  Teniesvar,  et  laissaient 
à  la  Moldo-Valachie  une  indépendance  à  peu  près 
complète.  C'était  assurément  un  grand  succès  pour 
la  maison  de  Habsbourg. 

L'opinion  se  répandit  désormais  en  Europe  que 
la  "l'urquie,  tombée  dans  une  décadence  complète, 
était  une  proie  offerte  au  plus  cynique  ou  au 
plus  audacieux.  Pour  des  prétextes  futiles,  la 
Russie,  qui  convoitait  la  Crimée,  déclare  la  guerre 
à  la  Porte  (1736).  Les  Autrichiens  se  joignirent 
aux  Russes.  Mais  la  campagne  fut  fort  dure.  Les 


Autrichiens  furent  honteusement  battus  en  Vala- 
chie, les  généraux  russes  furent  obliges  de  déci- 
mi^r  leurs  soldats  épouvantés  du  courage  héroïque 
des  Turcs.  Grâce  k  l'intervention  de  l'ambassa- 
deur français,  la  paix  fut  signée  à  Belgrade  (17-39). 
L'Autriche  restituait  cette  ville,  et  la  Save  devait 
servir  de  frontière  entre  l'Empire  et  la  Porte.  La 
ville  d'.\zov  éiait  démantelée,  mais  la  Turquie  ne 
maintenait  plus  un  article  important  du  traité  de 
1711j  qui  interdisait  aux  Russes  d'intervenir  en 
Pologne. 

Ce  traité  était  désastreux  pour  les  Autrichiens, 
mais  il  laissait  intactes  les  prétentions  des  Russes. 
La  politique  française  manquait  décidément  de 
prévoyance.  Loin  tl'arrôter  l'extension  trop  rapide 
de  la  Russie  et  de  la  Prusse,  elle  abandonnait  aux 
uns  la  Suède  (1721,  1743),  aux  autres  la  Pologne, 
sans  prévoir  que  la  ruine  de  ces  deux  États  en- 
traînerait fatalement  la  ruine  de  1  empire  Ottoman. 
D'ailleurs  dans  les  cours  occidentales  on  avait  en 
général  des  idées  peu  justes  sur  les  graves  pro- 
blèmes qui  s'agitaient  alors  dans  l'Europe  orien- 
tale. Le  ministre  français  Choiseul  refusait  de 
croire  à  la  vitalité  et  à  l'avenir  des  <>  Moscoviies  »  ; 
d'autre  part  il  s'exagérait  singulièrement  la  puis- 
sance de  la  Turquie,  affaiblie  par  deux  siècles  de 
luttes  et  par  un  gouvernement  essentiellement 
stationnaire,  qui  n'avait  fait  aucun  progrès  sérieux 
de])Uis  deux  cents  ans.  En  I7GS,  la  Franco  poussa 
la  Turquie  k  la  guerre,  sans  se  préoccuper  de 
rt-ntenle  secrète  qui  unissait  déjà  les  cabinets  de 
Saint-Pétersbourg,  de  Vienne  et  de  Eeilin.  Les 
Russes  battirent  les  Turcs  à  Choczim,  à  Azov 
(1709),  àBender  et  àTchesmé  (1770)  ;  la  Crimée 
était  envahie,  l'Albanie  et  la  Grèce  s'agitaient  ; 
enfin,  aux  débuts  du  règne  d'Abdul  Hamid,  les 
Turcs  étaient  obliges  de  signer  le  traité  de  Kaï- 
nardji  (1774).  La  Porte  reconnaissait  l'indépen- 
dance des  Petits  Tatars,  ouvrait  au  commerce 
russe  les  mers  de  l'empire  Ottoman,  et  acceptait 
le  protectorat  de  la  Russie  sur  les  chrétiens  de 
Moldavie  et  de  Valachie.  C'était  le  prélude  du  dé- 
membrement de  l'empire. 

Désormais  l'Autriche  seule  pouvait  s'opposer 
aux  desseins  ambitieux  de  la  Russie.  Mais  Joseph  II 
s'était  empressé  de  faire  alliance  avec  l'impéra- 
trice Catlierine,  qui  promettait  à  ce  rêveur  Rome 
et  l'Italie,  si  on  abandonnait  aux  Russes  Constan- 
tinoplo  et  la  Grèce  !  La  Crimée  fut  envahie  et 
annexée  ;\  l'empire  Russe  (17S3-17SÔ).  Le  Divan 
éleva  des  protestations  qui  ne  furent  entendues 
que  de  la  Suède,  réduite  Inentôt  à  l'impuissance 
(traité  de  Varéla,  179U).  Malgré  leur  énergie,  les 
Turcs  furent  partout  battus,  à  Fokczani  parles  Aus- 
tro-Russes (1789),  sur  le  Danube  par  les  Russes, 
à  (ielgrade  et  à  Rukarcst  par  les  Autrichiens.  L'An- 
gleterre et  la  Prusse  s'émurent  enfin.  On  profita 
de  la  mort  du  belliqueux  Joseph  II  (17901  pour 
faire  signer  à  Léopold  le  traité  de  Sistovo.  Les 
Autrichiens  rendirent  Belgrade  et  toutes  leurs 
conquêtes.  Quant  à  la  Russie,  elle  ne  consentit  à 
traiter  que  deux  ans  plus  tard  à  Jassy  (179.').  Elle 
gardait  Oksakov  et  le  territoire  compris  outre  le 
Bug  et  le  Dniestr,  où  grandit  bientôt  l'importante 
ville  d'Odessa.  Les  Russes  tenaient  désormais  la 
Bessarabie.  Maîtres  de  la  mer  d'Azov,  de  la  Crimée 
et  de  tout  le  territoire  jusqu'à  la  région  danu- 
bienne, allaient-ils  devenir  enfin  les  suzerains  ab- 
solus de  lamer  Noire  ? 

En  résumé,  à  la  fin  du  xviii=  siècle,  la  Turquie 
n'avait  été  sérieusement  entamée  que  par  les 
Russes  ;  encore  gardait-elle  comme  position  avan- 
cée au  delà  du  Danube  laMoldavie  et  la  Valachie. 
En  face  de  l'Autriche  elle  gardait  sa  bonne  fron- 
tière de  Croatie  et  de  Serbie,  suffisamment  dé- 
fendue par  le  fossé  de  la  Save,  la  citadelle  de 
Belgrade  et  les  montagnes  escarpées  de  Bosnie  et 
d'Herzégovine.  Mais  les  plus  grands   dangers  al- 


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TURQUIE 


laient  venir  désormais  moins  du  dehors  que  de 
l'intérieur  de  l'empire.  Les  Turcs  avaient  cons- 
tamment respecté  les  coutumes,  la  langue,  la  re- 
ligion des  naiionalités  sujettes.  Ces  nationalités 
resteraient-elles  éternellement  muettes,  alors 
qu'un  souffle  puissant  de  patriotisme  et  de  li- 
berté passait  sur  la  vieille  Europe  et  la  précipitait 
vers  des  destinées  nouvelles? 

Affaiblissement  progressif  de  la  Turquie  au 
XIX»  siècle.  —  La  question  d'Orient  actuelle  et 
le  traité  de  Berlin.  -  On  voit  par  les  détails  qui 
précèdent  que  U  «  question  d'Orient  »  est  bien 
antérieure  au  XL'i"  siècle.  Mais,  au  siècle  dernier, 
elle  était  peu  compliquée.  Elle  ne  s'agitait  sérieu- 
sement qu'entre  la  Turquie  d'une  part,  l'Autriche 
et  la  Russie  de  l'autre.  Les  événemenls  qui  se 
sont  accomplis  depuis  ce  temps  ont  si  bien  con- 
fondu les  intérêts  des  divers  Ëtats,  que  de  local  le 
débat  est  devenu  européen.  La  France,  l'Angle- 
terre, l'Allemagne,  l'Italie  même  ont  cru  devoir 
intervenir.  Entin  les  natiojialités  si  longtemps  as- 
sujetties se  sont  tout  à  coup  éprises  de  l'indé- 
pendance. Grecs,  Serbes,  Roumains,  Égyptiens, 
Bulgares  se  sont  soulevés  contre  les  anciens  con- 
quérants. Des  sympathies  ardentes  pour  ces  peu- 
ples sont  venues  se  mêler  aux  intérêts  plus  âpres 
de  la  politique.  Dans  cette  question  si  gr.ave  et  dé- 
sormais si  confuse,  la  religion  môme  et  la  philoso- 
phie gouvernementale  ont  fait  entendre  leurs  voix. 
Les  orthodoxes  grecs  et  les  amis  du  panslavisme 
pouvaient-ils  se  désintéresser  d'un  débat  qui  tou- 
che si  profondément  des  Slaves  et  des  orthodoxes 
grecs  'l 

La  première  solution  proposée  au  xix'  siècle 
date  de  1807  (traité  de  Tilsitt).  Elle  était  brutale 
et  impraticable.  Napoléon  i"  aurait  laissé  à  la 
Russie  la  Moldavie,  la  Valacliie  et  la  Bulgarie.  Il 
aurait  pris  pour  la  France  l'Albanie  et  la  Morée. 
L'année  suivante,  à  Erfurt  (iSus),  il  ne  voulait 
plus  céder  la  Bulgarie.  En  réaliié,  il  ne  voulait 
pas  démembrer  en  faveur  de  la  Russie  un  Etat  j 
qu'il  appelait  lui-même  «  notre  plus  ancien  allié  n. 
Dès  les  premières  années  de  ce  siècle,  une  vive 
agitation  s'était  manifestée  parmi  les  populations 
chrétiennes.  En  1800,  en  Serbie,  Georges  Czerni 
proclama  l'indépendance,  et  organisa  un  gouver- 
nement qui  dura  jusqu'en  1812.  Trois  ans  plus 
tard,  Milosh  Obrenovitch  proclamait  la  ijiierre 
sainte;  il  prit  le  titre  de  prince  (ISI"),  et  fit 
reconnaître  par  les  puissances  l'autonomie  de  la 
Serbie,  sous  la  suzeraineté  de  la  Porte  (traité 
d'Andrinople,  ISÎO). 

A  la  même  époque,  les  Grecs,  soutenus  plus 
encore  que  les  Serbes  par  les  sympalhies  de 
l'Europe  et  surtout  de  la  Russie,  luttaient  éner- 
giquement  pour  l'indépendance  (1S20-18"23).  Le 
sultan  Mahmoud  (1809-l8:!y)  aurait  voulu  par  des 
réformes  politiques  et  militaires  arrêter  la  déca- 
dence si  rapide  de  l'empire.  Mais  il  restait  im- 
puissant contre  l'indiscipline  des  janissaires  dé- 
générés et  contre  lesprit  étroit  et  réactionnaire 
du  corps  des  ulémas.  La  faiblesse  de  la  Porte 
était  alors  extrême.  Violentée  par  un  officier  al- 
banais, Méhémet-Ali,  qui  avait  ramassé  dans  le 
.sang  des  mameluks  son  titre  de  vice-roi  (1S05, 
181  r,  l'Egypte  musulmane  échappait  à  l'autorité 
directe  du  sultan.  Le  général  égyptien  Ibrahim 
joignit  cependant  ses  troupes  à  celles  de  Mahmoud 
pour  réduire  la  Morée  (1824).  Mais  que  faire 
contre  les  prétentions  du  tsar  Nicolas  qui  récla- 
mait le  protectorat  des  Moldo-Valaques,  l'autono- 
mie des  Serbes,  et  le  libre  passage  des  Dardanelles 
pour  les  vaisseaux  russ'^s  (conférences  d'Acker- 
man,  18'JGl?  Le  traité  de  Londres  (1827),  qui  unis- 
sait à  la  Russie  la  France  et  l'Angleterre,  aug- 
menta justement  les  inquiétudes  de  la  Porte.  La 
llntte  turqui'  fut  anéantie  à  Navarin  (I827j.  Die- 
hitch  passa  le  Danube,  francliit  les  Balkans  et  ar- 


riva jusqu'à  Andrinople.  Paskevitcb  prit  Kars  et 
Erzeroum.  Le  traité  d'Andrinople  (182'J)  coClta  à 
la  Turquie  les  lies  situées  aux  bouches  du  Da- 
nube, Poli  sur  la  mer  Noire,  la  Grèce  indépen- 
dante au  S.  des  golfes  d'Arta  et  de  Volo,  la 
Serbie  organisée  en  province  vassale,  la  Moldavie 
et  la  Valachie  gouvernées  par  des  liospodars  nom- 
més à  vie  et  soumis  à  l'influence  russe.  Enfin 
une  indemnité  de  guerre  de  119  millions  achevait 
la  ruine  financière  de  1  Etat  ottoman. 

Le  monde  musulman  fut  alors  en  pleine  dislo- 
cation. A  Constantinople,  les  janissaires  se  soulè- 
vent contre  le  sultan,  et  sont  supprimés.  En  Tu- 
nisie, Sidi-Houssein-Bey  imite  l'exemple  de  son 
aïeul  Hamoudah,  qui  par  un  coup  d'Etat  s'était 
rendu  indépendant  en  1811.  Enfin  l'ambitieux 
Méhémet-.\li  déclare  la  guerre  au  sultan.  Son  fils 
Ibrahim  bat  les  Turcs  i  Konieh  (1832),  et  arrache 
la  Syrie  h  Mahmoud  (traité  de  Kutaieh,  I83.5j.  Le 
sultan  affolé  signe  avec  la  Russie  le  traité  d  linkiar- 
Skelessi  qui  donnait  en  réalité  la  mer  Noire  aux 
Russes  (1833). 

L'ambition  du  tsar,  qui  se  considérait  comme 
le  prolecteur  naturel  de  tous  les  chrétiens  d  O- 
rient,  la  politique  faible  et  contradictoire  de  la 
France,  qui  applaudissait  aux  empiétements  de 
Mohémet-Ali  (bataille  do  Nezib,  1839),  tont  en  se 
prononçant  pour  l'intégrité  de  l'empire  Ottoman; 
les  agissements  de  M.  de  Metternich  et  de  lord 
Palmerston,  qui  aboutissaient  au  traité  de  Lon- 
dres (1840),  excluaient  la  France  du  concert 
européen,  et  exposaient  l'Europe  aux  dangers 
d'une  guerre  générale;  la  formation  de  sectes  et 
de  sociétés  secrètes  dans  l'Islam  ;  la  lutte,  en 
Turquie  même,  des  progressistes  et  des  arriérés 
(jeune  et  vieille  Turquie),  la  mort  de  Mahmoud 
enfin  et  l'avènement  d'un  sultan  de  seize  ans, 
Abdul-Medjid,  tout  semblait  menacer  l'empire 
Oitoman  d'un  efi'royable  cataclysme.  La  formation 
du  ministère  très  pacifique  de  M.  Guizot,  en 
France  (29  oct.  1840),  le  découragement  de  Méhé- 
met-Ali qu'affaiblissaient  l'âge  et  la  maladie,  la 
jalousie  réciproque  de  l'Angleterre  et  de  la  Rus- 
sie, terminèrent  heureusement  le  conflit.  Les  puis- 
sances se  réconcilièrent  avec  la  France  (deuxième 
traité  de  Londres,  1841),  et  une  convention  spé- 
ciale assura  à  la  famille  de  Méhémet-Ali  la  pos- 
session héréditaire  de  l'Egypte;  enfin  le  traité  des 
Détroits  ferma  les  Dardam-Ues  à  tout  vaisseau  de 
guerre  qui  n'aurait  pas  un  laissez-passer  du  saltao. 
Douze  ans  plus  tard,  la  Russie,  peu  satisfaite 
des  règlements  de  1841,  assuma  la  responsabilité 
d'une  guerre  nouvelle,  en  envahissant  les  princi- 
pautés de  Moldavie  et  de  Valachie  (juillet  1853). 
L'Angleterre,  la  France  et  le  Piémont  se  portèrent 
garants  de  l'intégrité  de  l'empire  Oitoman.  La 
campagne  de  Grimée,  durant  laquelle  les  Turcs 
se  montrèrent  braves  soldats  (siège  de  Silistrie), 
aboutit,  après  la  mort  du  tsar  Nicolas  (1855),  au 
traité  (le  Paris  (ISofi).  La  Russie  restituait  une 
partie  de  la  Bessarabie  qui  fut  annexée  à  la  Mol- 
davie ;  elle  renonçait  à  son  droit  exclusif  de  pro- 
tection en  Moldavie  et  en  Valachie;  la  mer  Noire 
était  déclarée  neutre,  et  ouverte  à  tous  les  navires 
de  commerce.  Un  an  plus  tard,  les  principautés 
de  Moldavie  et  de  Valachie  furent  réunies  sous  le 
nom  de  Roumanie.  La  convention  du  19  août  1858 
assura  l'indépendance  du  nouvel  État. 

La  France  avait  joué  un  grand  rôle  dans  lerè- 
gleraent  de  la  question  d'Orient.  Nos  désastres 
ont  permis  i  la  Russie  de  déchirer  le  traité  de 
18.M1.  La  conférence  de  Londrrs  (1S:1),  en  ren- 
dant aux  Russes  le  droit  d'entretenir  une  marine 
de  guerre  dans  la  mer  Noire,  ravivait  les  plus 
chères  espérances  des  catholiques  grecs.  La  Bos- 
nie et  l'Herzégovine  se  soulevèrent  (lS7;i),  puis  le 
Monténégro  et  la  Serbie  que  soutenaient  les 
Russe-;  (1876).   La   Russie  i  son  tour  intcrvinfet 


USAGES 


2233  — 


USAGES 


recommença  la  campagm;  de  1820.  La  magnifique 
résistanci!  des  Turcs  en  Asie  et  surtout  à  Plevna 
et  dans  les  Balkans  (Cliipka),  a  témoigné  qu'ils  ont 
conservé  les  qualités  militaires  de  leurs  ancêtres. 
Mais  les  finances  étaient  épuisées,  les  soldats 
sans  souliers  et  sans  pain  ;  enfin  de  misérables 
querelles  portaient  la  trahison  dans  les  camps  et 
le  crime  jusque  dans  le  palais  impérial. 

Le  traité  do  San-Stefano  et  Ja  conférence  de 
Berlin  ont  réglé  l'état  actuel  de  l'Orient.  La 
Russie  rectifie  ses  frontières  d'Asie  en  prenant 
Kars  et  Batoum.  Elle  prend  la  Bessarabie  rou- 
maine {9i.S9'j9  hectares  avec  l.SOOliO  habitants). 
La  Roumanie  obtient  en  échange  la  Dobroutcha, 
terminée  vers  le  sud  par  une  ligne  conventionnelle 
entre  Silistrie  et  Mangalia,  et  son  prince  a  pris 
récemment  le  titre  de  roi.  La  Serbie  et  le  Monté- 
négro reçoivent  l'antonomio  complète,  avec  quel- 
ques rectifications  de  frontières.  La  Bulgarie  est 
organisée  en  principauté  vassale  de  la  Porte,  comme 
le  furent  jadis  la  Moldavie  et  la  Valachie.  La  pro- 
vince de  Roumélie  orientale  est  soumise  h  une 
organisation  spéciale  sous  le  contrôle  de  la  Russie. 
Des  cessions  importantes  de  territoire  sont  faites 
k  la  Grèce.  Enfin,  la  Bosnie  et  l'Herzégovine  sont 
occupées  par  les  Autrichiens. 

En  résumé,  depuis  le  commencement  du  siècle, 
la  Porte  ottomane  a  perdu,  en  tout  ou  en  partie, 
l'autorité  sur  la  Grèce  et  les  îles,  le  Monténégro 
(en  réalité  toujours  indépendant),  la  Bosnie,  l'Her- 
zégovine, la  Serbie,  la  Roumanie,  la  Bulgarie,  soit 
près  de  9  millions  de  sujets.  En  Afrique,  elle 
n'exerce  plus  qu'une  autorité  indirecte  sur  l'E- 
gypte, et  elle  a  perdu  Tunis  (1881). 

Devant  ces  pertes  si  considérables,  en  présence 
des  agitations  causées  depuis  deux  ans  par  les 
Grecs  mécontents  du  traité  de  Berlin,  devons-nous 
conclure  que  l'empire  Ottoman  est  condamné,  et 
que  notre  siècle  verra  la  fin  du  «  vieil  homme  » 
dont  l'existence  a  été  si  souvent  menacée  '?  Nous 


oublions  trop,  en  Occident,  que  le  sultan  n'est  pas 
seulement  le  chef  d'un  Etat  plus  ou  moins  grand, 
appelé  Turquie.  11  est  avant  tout  le  chef  sacré  de 
l'orthodoxie  musulmane.  Depuis  vingt  ans,  une 
renaissance  religieuse  s'opère  dans  l'Islam,  sem- 
blable à  la  grande  renaissance  catholique  du 
xvii"  siècle.  Les  forces,  jadis  éparses,  du  monde 
musulman  sont  aujourd'hui  groupées  en  un  fais- 
ceau solide.  Le  point  central,  d'où  part  le  mot 
d'ordre  et  vers  lequel  tendent  les  efTorts,  c'est 
Constantinople.  Pour  le  musulman  orthodoxe,  la 
caractère  religieux  du  khalife  se  ccnfond  avec  le 
titre  politique  du  sultan.  Mémo  expulsé  de  Cons- 
tantinople, le  11  commandeur  des  croyants  »  no  res- 
terait pas  moins  le  chef  vénéré  d'une  religion  dont 
les  adoptes  sont  répandus  aujourd'iiui  à  travers 
l'Afrique,  l'Asie  et  les  archipels  océaniens,  des 
bords  de  l'Atlantique  aux  rivages  du  Pacifique. 
Sur  cette  vaste  étendue  de  terres,  les  discordes 
religieuses  se  sont  apaisées.  Un  mouvement 
«  panislamique  »  vient  de  commencer.  Nous  en 
voyons  aujourd'hui  les  premiers  résultats.  Mais 
en  verrons-nous  la  fin  '?  'I  outes  les  confréries  reli- 
gieuses, si  nombreuses  dans  l'Islam,  sont  désor- 
mais en  communion  directe  avec  le  sultan.  Elles 
afTectent,  en  apparence,  de  ne  s'occuper  que 
d'intérêts  religieux.  En  réalité,  elles  se  mêlent 
ardemment  aux  luttes  du  jour,  depuis  qu'Abdul- 
Hamid  a  fait  de  son  titre  et  de  ses  privilèges  de 
khalife  la  base  d'une  politique  essentiellement 
panislamique.  Sans  doute,  la  presqu'île  des  Bal- 
kans ne  restera  pas  éternellement  le  théâtre  où 
s'agitera  tau  question  d'Orient  u.Mais  cette  ques- 
tion se  représentera,  de  longues  années  encore  et 
sous  des  faces  diverses,  partout  où  les  chrétiens 
sont  on  contact  avec  des  populations  musulmanes, 
au  Sénégal,  en  Algérie,  en  Tunisie,  dans  l'Inde, 
et  jusque  dans  les  archipels  océaniens. 

[L.-G.  Gourraigne.] 
TYPOGRArUIE.  —  V.  Imprimerie. 


u 


USAGES.  —  Connaissances  usuelles,  X.  — 
L'Académie  définit  ainsi  fe  mot  usage  :  "  coutume, 
pratique  reçue.  «  Liitré  remarque  qu'il  y  a  une 
nuance  entre  les  deux  mots  coutume  et  usage. 
11  Suivant  l'étymologie  propre  b.  chacun  de  ces 
mots,  dit-il,  usage  exprime  la  manière  d'user,  de 
se  servir  des  choses  de  la  vie  ;  et  coutume,  les  ha- 
bitudes que  l'on  a  de  faire  telle  ou  telle  chose,  n 
Mais,  ajoute- t-il,  «  on  dit  indistinctement  :  c'est  la 
coutume,  ou  c'est  l'usage.  » 

Les  usages  ou  les  coutumes,  puisque  le  sens  des 
deux  mots  est  à.  peu  près  identique,  sont  des  ha- 
bitudes générales  qui  ont  été  acceptées  par  tout  un 
pays,  toute  une  nation,  toute  une  race.  Ils  entrent 
pour  beaucoup  dans  ses  mœurs,  et  caractérisent, 
pour  ainsi  dire,  sa  vie  entière,  intérieure  et  exté- 
rieure, d'une  suite  plus  ou  moins  longue  de  gé- 
lations.  Do  peuple  à  peuple,  de  région  à  région, 
même  de  province  à  province,  —  l'histoire  et  la 
géographie  en  font  foi,  -  tout  diffère,  et  souvent 
dans  des  proportions  considérables  :  les  croyances 
religieuses,  les  constitutions  politiques,  la  langue, 
les  relations  de  fjmille  et  de  société,  le  costume, 
le  régime  de  vie.  L'ignorant,  l'enfant  en  particu- 
lier, s'étonne,  s'offense  de  cette  diversité.  Tout  ce 
qui  n'est  pas  conforme  à  son  propre  usage,  tout 
ce  qui  ne  se  fait  pas  comme  il  fait  ou  comme  il 
voitfaire  lui-même,  lui  paraît  mauvais  ou  ridicule. 
Il  faut  que  l'instituteur  réagisse  contre  cotte  dis- 
position trop  naturelle,  qui  n'est  qu'une  des  mille 
formes  de  l'amour-propre. 


...  Mes  petils  sont  mignons, 
Beaui,  bien  faits,  et  jolis  sur  tous  feurs  compagnons, 
dit  le  hibou,  en  parlant  de  ses  petits,  laids  comme 
des  petits  de  hibou.  Il  faut  d'abord  montrer  ."i  l'en- 
fant que,  sous  cette  diversité  infinie,  se  trouve  une 
communauté  d'idées  et  de  sentiments  qui  fait 
que,  malgré  tout,  notre  espèce  est  une,  et  qu'il 
n'y  a  que  des  différences  de  degré  entre  tous  ceux 
qui  ont  comme  nous  l'honneur  d'être  des  hommos. 
Le  Mandingue,  le  lolof,  le  misérable  habitant  de 
la  Terro  do  Feu,  ne  ressemblent  guère,  cela  est 
certain,  à  nos  compatriotes  policés  et  civilisés,  mais 
le  Mandingue  ou  le  lolof  se  cacheront  comme  le 
Français  pour  tuer  ou  voler  leur  prochain,  parce 
qu'ils  ont  les  uns  et  les  autres  quelque  chose  qui 
leur  fait  connaître  ce  qui  est  mal  ;  comme  le  Fran- 
çais aussi,  le  lolof  et  le  Mandingue  se  jetteront 
dans  l'eau  d'un  torrent  ou  dans  les  flammes  d'un 
incendie  pour  sauver  leur  enfant  ou  leur  ami, 
parce  qu'ils  ont  de  même  la  conscience  du  bien. 
Il  faut  montrer  ensuite  que  ces  usages  si  diffé- 
rents peuvent  le  plus  souvent  s'expliquer  par  des 
raisons  très  naturelles  ou  très  respectables.  Les 
uns  sont,  d'ordinaire,  imposés  en  (|uelque  sorte 
par  des  nécessités  de  climat,  de  situation  ;  les  au- 
tres viennent  de  traditions  que  les  générations  se 
transmettent  comme  un  héritage  ;  beaucoup  sont 
des  indices  de  croyance  ou  de  race.  Il  est  peu  de 
costumes  plus  bizarres  en  apparence  que  celui  des 
Laiions  ou  des  Esquimaux,  et  nul  de  nous  ne  vou- 
drait goiiter  à  la  cuisine   de  ces  pauvres  gens  ; 


USAGES 


—  2236  — 


USAGES 


c'est  cependant  le  seul  costume  et  le  seul  régime 
alimentaire  i;ui  puissent  leur  permettre  de  vivre 
dans  les  âpres  soliiudes  du  pùle.  A  une  aulre  ex- 
trémité du  globe,  le  long  vêlement  de  laine  de  l'A- 
rabe est  le  mieux  approprié  à  l'ardent  soleil  de  ses 
déserts  ;  le  turban  oriental  est  un  signe  extérieur 
do  la  religion  de  Mahomet;  et  le  Chinois,  qui  émi- 
gré aujourd'hui  dans  toutes  les  parties  du  monde, 
uerenonce  nulle  part  à  lalongue  iresse  de  cheveux 
qui  pend  desa  tète  rasée,  parcequ'il  y  voit  le  signe 
extérieur  de  la  patrie  absente  et  d'une  nationalité 
qu'il  ne  veut  pas  perdre.  On  expliquerait  de  même 
une  infinité  d'autres  usages,  qui  cessent,  ainsi 
compris,  de  paraître  singuliers;  et  ce  ne  sera  pas 
le  moindre  résultat  de  l'étude  bien  entendue  du 
monde  et  des  peuples  que  d'iiispirer  h  l'enfant  le 
respect  des  manières  d'être  d'autrui  dans  ce  qu'el- 
les ont  de  respectable,  et,  dans  tous  les  cas,  un 
esprit  élevé  de  sympathie  et  de  bienveillance  pour 
tout  ce  qui  n'est  point  semblable  à  lui.  <c  On  n'of- 
fense jamais  plus  les  hommes,  a  dit  Montesquieu, 
que  lorsqu'on  choque  leurs  cérémonies  et  leurs 
usages,  »  et,  en  définitive,  les  hommes  ont  le  plus 
souvent  raison,  puisque  le  plus  souvent  ces  céré- 
monies et  ces  usages  tiennent  au  fond  même  de 
leur  vie  d'individus  ou  de  peuples. 

11  y  a  lieu  toutefois  de  distinguer,  tant  pour  les 
autres  que  pour  nous-mêmes.  S'il  est  un  fond  com- 
mun d'usages  que  nous  devons  respecter  et  gar- 
der quand  même,  il  en  est  aussi  d'autres  qui  tien- 
nent seulement  à  telle  forme  particulière  de 
l'existence  d'une  nation,  qui  marquent,  si  l'on 
veut,  telle  période  de  cette  existence,  mais  qui  doi- 
vent cesser  dès  qu'elle  a  pris  fin,  et  que  la  nation 
s'est  élevée  à  une  vie  plus  haute.  Le  maintien  opi- 
niâtre et  déraisonnable  d'un  usage  qui  n'a  plus  sa 
raison  d'être  peut  être  un  obstacle  au  progrès, 
•i  C'est,  dit  très  justement  Condillac,  le  sort  des 
usages  établis  de  subsister  encore  après  que  les 
besoins  qui  les  ont  fait  naître  ont  cessé.  >i  On  a  sou- 
vent cité  cette  plaisante  anecdote  d'une  sentinelle 
placée  depuis  un  temps  immémorial  devant  une 
porte  intérieure  du  palais  de  Versailles.  Un  jour, 
on  se  demanda  pourquoi  on  mettait  li  cette  senti- 
nelle, puisque  les  autres  portes  n'en  avaient  point, 
et  l'on  reconnut,  après  information,  que  la  senti- 
nelle avait  été  mise  à  un  moment  où  la  porte  ve- 
nait d'être  repeinte,  pour  prévenir  contre  les  ta- 
ches ceux  qui  viendraient  il  passer.  La  consigne 
n'ayant  pas  été  levée  le  lendemain  ni  les  jours 
suivants,  on  avait  continuel  envoyer  la  sentinelle, 
et  cela  durait  ainsi  depuis  une  vingtaine  d'années. 
Il  y  a  beaucoup  de  ces  sentinelies-lù  dans  notre  his- 
toire, et  probablement  aussi  dans  l'histoire  des  au- 
tres peuples.  Cela  s'est  toujours  fait  de  cette 
façon,  donc  cela  doit  continuer  à  se  faire  de  cette 
façon,  est  une  formule  de  raisonnement  et  aussi 
une  manière  de  vivre  familière  à  beaucoup  de  gens. 
C'est  de  \h  que  naît  l'esprit  de  routine,  qu'on  nous 
a  tant  reproché,  qui  nous  empêche  d'accepter,  par 
crainte  de  la  nouveauté,  les  améliorations  les  plus 
légitimes.  Entre  cette  ténacité  rétrograde  qui 
n'admet  rien,  et  l'esprit  de  versatilité  et  de  témé- 
rité, qui  fait  table  rase  de  tout,  il  y  a  la  mesure 
qu'indique  le  bon  sens,  et  à  laquelle  l'instituteur 
doit,  dès  l'école,  accoutumer  son  élève.  "  J'avais, 
dit  Descartes,  un  extrême  désir  d'apprendre  à  dis- 
tinguer le  vrai  d'avec  le  faux,  pour  voir  clair  en 
mes  actions  et  marcher  avec  assurance  en  cette 
vie.  Il  est  vrai  que,  pendant  que  je  ne  faisais  que 
considérer  les  mœurs  des  autres  hommes,  je  n'y 
trouvais  guère  de  quoi  m'assurer...  En  sorte  que 
le  plus  grand  profit  que  j'en  retirais  était  que, 
voyant  plusieurs  choses  qui,  bien  qu'elles  nous 
semblent  fort  extravagantes  et  ridicules,  ne  lais- 
sent pas  d'être  communément  reçues  et  approu- 
vées par  d'autres  grands  peuples,  j'apprenais  à  ne 
rien  croire  trop  fermement  de  ce  qui  ne  m'avait 


été  persuadé  que  par  l'exemple  et  parla  coutume; 
et  ainsi  je  me  délivrais  peu  à  peu  de  beaucoup 
d'erreurs  qui  peuvent  offusquer  notre  lumière 
naturelle  et  nous  rendre  moins  capables  d'enten- 
dre raison.  »  Et  ce  grand  esprit,  si  ferme  et  si 
hardi,  se  résout,  pour  tout  ce  qu'il  ne  peut  pas 
mettre  à  l'épreuve  de  son  jugement  personnel,  à 
ne  choisir,  dit-il,  «  entre  plusieurs  opinions  éga- 
lement reçues,  que  les  plus  modérées,  tant  h  cause 
que  ce  sont  toujours  les  plus  commodes  pour  la 
pratique,  et  vraisemblablement  les  meilleures,  tout 
excès  ayant  coutume  d'être  mauvais,  comme  aussi 
afin  de  me  détourner  moins  du  vrai  chemin,  en 
cas  que  je  faillisse,  que  si,  ayant  choisi  l'un  des 
extrêmes,  c'eut  été  l'autre  qu'il  eût  fallu  suivre.  » 
[Discours  de  la  Méthod-;,  \"  et  3«  parties.) 

Cette  mesure,  que  réclame  Descartes,  est  surtout 
nécessaire  à  l'égard  de  cette  partie  de  nos  usages 
qu'on  appelle  les  modes,  et  il  y  a  des  modes  en 
tout,  te  Une  chose  folle,  dit  la  Bruyère,  et  qui  dé- 
couvre bien  notre  petitesse,  c'est  l'assujettisse- 
ment aux  modes,  quand  on  l'étend  à  ce  qui  con- 
cerne le  goût,  le  vivre,  la  santé  et  la  conscience.  » 
La  conscience  !  c'est  bien  Uv  ce  qu'a  dit  la  Bruyère. 
Et,  en  effet,  il  n'y  a  pas  seulement  une  mode 
pour  les  habits  et  les  toilettes;  i  l'égard  de 
celle-l.\,  la  Bruyère  donne  un  conseil  qui  doit 
être,  dans  quelque  condition  que  l'on  puisse  se 
trouver,  la  règle  de  toute  personne  sage  :  «  Il  y 
a,  dit-il,  autant  de  faiblesse  à  fuir  la  mode  qu'à 
l'affecter.  »  Mais  on  peut  dire  qu'il  est  aussi  une 
mode  pour  la  conscience,  cette  mode  îi  laquelle 
on  obéit  en  voulant  faire  comme  les  autres,  ra- 
rement comme  ceux  qui  font  bien;  qui  pousse, 
par  exemple,  le  petit  enfant  de  l'école  k  fumer  en 
cachette  comme  son  camarade  plus  grand;  l'ap- 
prenti à  jurer,  h.  sacrer,  à  mettre  sa  casquette  sur 
l'oreille  comme  l'ouvrier;  l'ouvrier  lui-même...  ce 
hème  pourrait  aller  loin.  «  Un  dévot,  dit  la 
Bruyère  —  il  entend  ici  le  faux  dévot  —  est  celui 
qui,  sous  un  roi  atliée,  serait  athée.  >>  Justifiant 
cette  ironie,  bon  nombre  de  ceux  pour  qui  la 
Bruyère  écrivait  au  temps  de  Louis  XIV  vieilli 
sont  devenus  les  roués  de  la  Régence,  et  on 
pourrait  suivre  ainsi,  aux  difl'érentes  étapes  de 
notre  nation,  l'action  de  la  mode  sur  les  mœurs. 
A  rencontre  de  ce  travers,  qui  est,  hélas  !  de  toutes 
les  époques,  il  faut  conclure,  comme  la  Bruyère, 
à  la  fin  du  beau  chapitre  auquel  nous  avons  em- 
prunté ces  citations  (chapitre  xiii,  De  la  mode)  : 
Cl  Ghaiiue  heure  en  soi,  comme  à  notre  égard,  est 
unique  :  est-elle  écoulée  une  fois,  elle  a  péri  en- 
tièrement, les  millions  de  siècles  ne  la  ramèneront 
pas.  Les  jours,  les  mois,  les  années,  s'enfoncent 
et  se  perdent  sans  retour  dans  l'abîme  des  temps. 
Le  temps  même  sera  détruit  :  ce  n'est  qu'un 
point  dans  les  espaces  immenses  de  l'éternité,  et 
il  sera  efi'acé.  Il  y  a  de  légères  et  frivoles  circon- 
stances du  temps  qui  ne  sont  point  stables,  qui 
passent,  et  que  j'appelle  des  modes,  la  grandeur, 
la  faveur,  les  richesses,  la  puissance,  l'autorité, 
lindépendance,  le  plaisir,  les  joies,  la  superfluité. 
Que  deviendront  ces  modes,  quand  le  temps  même 
aura  disparu?  La  vertu  seule,  si  peu  i  la  mode, 
va  au  delà  des  temps.  » 

Parmi  les  usages,  ceux  sur  lesquels  il  convient 
le  plus  d'édifier  l'enfant,  do  lui  donner  des  idées 
justes  et  des  sentiments  vrais,  sont  ce  que  l'on 
peut  appeler  les  usages  de  sociabilité,  de  civilité, 
qui  règlent  les  rapports  de  famille,  d'amitié,  d'al- 
liance, et  les  rapports  plus  généraux  que  nous 
devons  avoir  avec  nos  voisins,  avec  nos  compa- 
triotes, même  avec  tous  les  autres  hommes.  L'ar- 
ticle Ciuil  U,  dans  la  I'"  Paiitie  de  ce  Dictionnaire, 
l'article  Socieli',  dans  la  II',  font  connaître  ces 
rapports  dans  leur  ensemble,  et  le  premier  de 
ces  deux  articles  renvoie,  pour  les  détails,  à  des 
ouvrages  spéciaux.  Nous   insisterons  ici   sur  la 


USAGES 


—  2257  — 


usages; 


voulu  ;  il  le  fut  presque,  par  le  maréclial  de  la 
Fcuillado.  Aussi  les  actes  les  plus  ordinaires  de  sa 
vie  empruntaient  au  caract6re  môme  dont  il  se 
croyait  revêtu  je  ne  sais  quoi  de  sacre;  dans  sa 
conviction  profonde,  comme  le  remarque  M.  Taino 
dans  son  livre  sur  ['Ancien  régime,  manger,  boire, 
se  lever,  se  coucher,  c'était  faire  acte  quasi 
divin;  c'étïit,  en  quelque  sorte,  «  officier».  Mais 
les  traditions  s'effacèrent  peu  à  peu.  Il  paraît  que, 
sous  Louis  XVI,  il  ne  se  faisait  plus  o  de  ces  si- 
lences à  entendre  marclier  une  fourmi,  »  selon 
l'expression  de  Saint-Simon.  «  Sire,  disait  le  ma- 
réchal de  Ricliolieu,  sous  Louis  XIV,  on  n'osait 
dire  mot;  sous  Louis  XV,  on  parlait  tout  bas  ; 
sous  Votre  Majesté,  on  parle  haut.  >i  Quelques 
années  plus  tard,  on  devait  parler  bien  plus  haut 
encore  ;  la  Révolution  décapitait  la  vieille  royauté 
en  la  personne  de  «  Louis  Capet  »  ;  dans  sa  passion 
d'égalité,  elle  détruisait  tout  ce  que  cette  royauté 
avait  le  plus  respecté,  jusqu'aux  titres  de  dignité 
et  de  noblesse,  jusqu'à  la  particule  nobiliaire, 
substituant  aux  habits  de  cour  la  carmagnole  et 
le  bonnet  rouge,  substituant  le  tutoiement  soi-di- 
sant républicain  aux  formules  qui  avaient  servi 
comme  de  démarcation  infranchissable  entre  les 
classes  privilégiées  et  celles  qui  ne  l'étaient  pas. 
D'autres  temps,  d'autres  mœurs  nous  ont  rame- 
nés un  peu  en  deçà  de  cette  brutalité,  que  notre 
caractère  ni  notre  langue  ne  comportaient  pas,  et 
nous  nous  sommes  aperçus  qu'il  n'est  pas  absolu- 
ment nécessaire  d'être  emphatiques,  voire  gros- 
siers, pour  être  libres. 

Appelons-Dous  messieurs^  et  soyons  citoyens, 

a-t-on  dit  fort  justement  ;  c'est-à-dire  ayons  la  po- 
litesse du  langage  et  des  manières,  qui  ne  doit 
être  autre  chose  que  l'expression  exacte  de  la  po- 
litesse des  mœurs.  <c  Lacivilité,  ditSaint-Evremond, 
est  un  jargon  établi  par  les  hommes  pour  cacher 
leurs  mauvais  sentiments;  n  elle  est  encore, selon 
Fléchier,  o  un  commerce  continuel  de  mensonges 
ingénieux.  »  C'est  là  confondre  l'abus  avec  la  légi- 
time pratique  d'une  vertu  —  nous  irons  volontiers 
jusqu'à  ce  mot  —  qui  est  la  condition  môme  de  la 
sociabilité.  Bien  plus  judicieusement  La  Bruyère 
remarque  «  qu'avec  de  la  vertu,  la  capacité  et  une 
bonne  conduite,  on  peut  être  insupportable.  » 
C'est  presque  le  cas  du  Misantlirope  de  Molière. 
«  Les  manières,  que  l'on  néglige  comme  de  petites 
choses,  ajoute  encore  La  Bruyère,  sont  souvent 
ce  qui  fait  que  les  hommes  décident  de  vous  en 
bien  ou  en  miil.»  Et,  en  effet,  faute  de  meilleures 
preuves,  ils  y  sont  bien  obligés;  et,  s'ils  se  trom- 
pent en  cela,  ce  n'est  poiiUla  faute  des  manières, 
mais  de  ceux  qui,  rendant  hommage  à  leur  légitime 
influence,  s'en  servent  souvent  comme  d'un 
masque  pour  paraître  autres  qu'ils  ne  sont.  Ne  pas 
couvrir  la  voix  du  voisin  dans  un  cercle  ou  une 
compagnie,  donner  ou  rendre  le  salut  à  ceux  à  qui 
nous  le  devons;  s'arrêter  pour  céder  le  pas  ou  le 
haut  du  pavé  à  une  femme,  à  un  vieillard  ;  leur 
laisser  les  fauteuils  et  se  contenter  d'une  chaise  ; 
s'asseoir  décemment  et  convenablement,  et  ne  pas 
s'étendre  sur  un  divan  ou  sur  un  siège;  ne  pas 
s'approcher  de  la  cheminée  de  manière  à  empêcher 
les  autres  de  se  chauiïer;  ne  pas  interrompre 
ceux  qui  parlent  devant  vous  ou  avec  vous  ;  ne 
pas  mettre  de  brusquerie  dans  les  discussions  ; 
éviter  toute  apparence  d'incongruité,  de  malpro- 
preté :  voilà,  entre  bien  d'autres,  des  actes  qui 
témoignent  de  cette  justesse  dans  l'esprit  et  de 
cette  bienveillance  dans  les  sentiments  sans  les- 
quels il  ne  saurait  y  avoir  de  bonnes  relations  so- 
ciales.   C'est  là  qu'est  la   véritable  civilité    et  la 


nécessité  qu'il  y  a,  selon  nous,  à  instruire  l'en- 
fant, dès  les  premières  années,  sur  ses  obligations 
de  civilité,  à  préparer  en  lui  ce  que  l'on  appelle, 
d'un  terme  très  expressif,  l'homme  d'usage, 
l'homme  de  bon  usage.  On  sait  que  Rousseau,  — 
pour  cause  peut-être,  —  ne  tenait  pas  beaucoup  à 
<-ette  préparation  :  u  Gardez-vous  surtout,  dit-il, 
de  donner  à  l'enfant  de  vaines  formulés  de  poli- 
tesse, qui  lui  servent  au  besoin  de  paroles  ma- 
giques pour  soumettre  à  ses  volontés  tout  ce  qui 
l'entoure,  et  obtenir  à  l'instant  ce  qui  lui  plaît. 
Dans  l'éducation  façonnière  des  riches,  on  ne 
manque  jamais  do  les  rendre  poliment  impérieux, 
en  leur  prescrivant  les  termes  dont  ils  doivent  se 
servir  pour  que  personne  n'ose  leur  résister  : 
leurs  cnfaats  n'ont  ni  tons  ni  tours  suppliants; 
ils  sont  aussi  arrogants,  môme  plus,  quand  ils 
prient  que  quand  ils  commandent,  comme  étant 
bien  plus  sûrs  d'être  obéis.  On  voit  d'abord  que 
s'il  vous  plait  signifie  dans  leur  bouche  //  me 
plait,  et  queye  vous  prie  signifie  7e  vous  ordonna. 
Admirable  politesse,  qui  n'aboutit  pour  eux  qu'à 
changer  le  sens  des  mots,  et  à  ne  pouvoir  jamais 
parler  autrement  qu'avec  empire!  Quant  à  moi, 
qui  crains  moins  qu'Emile  ne  soit  grossier  qu'ar- 
rogant, j'aime  beaucoup  mieux  qu'il  dise  en 
priant  :  faites  cela,  qu'en  commandant  -.je  vous 
prie.  Ce  n'est  pas  le  terme  dont  il  se  sert  qui 
m'importe,  mais  bien  l'acception  qu'il  y  joint.  » 
(Emile,  livre  II.) 

C'est  là  une  de  ces  sorties  à  côté,  comme  il  n'y 
en  a  que  trop  dans  VEmile.  Sans  doute  on  peut 
abuser  des  formules  de  politesse,  comme  on 
abuse  de  tout  en  éducation.  Un  enfant  répond  à 
sa  mère,  qui  lui  refuse  ce  qu'il  désirait  :  «  J'avais 

dit  pourtant  :  s'i/  vous  plait.  »  C'est   qu'on  lui    a 

faussé  les  idées,  en  lui  laissant  croire  qu'il  suffit, 

pour  obtenir  ce  qu'on  demande,   de  le  demander 

poliment.  Sans   renoncer  le   moins  du  monde  à 

une    autorité   bien   entendue,   sans   imposer   non 

plus  une  humiliation  servile,  les   parents  et  les 

maîtres  peuvent  parfaitement  enseigner  à  l'enfant 

l'usage  de  procédés  qui  ne  sont  autre  chose  que 

la  reconnaissance  de  sa  situation  réelle  à  l'égard 

des  autres.  Lui,  qui  n'a  que  le  droit  de  vivre,  lui 

qui  dépend,  en  quelque  sorte,  de   la  société  tout 

entière,  est  tenu  plus  que  personne  de  rendre  à 

chacun  en  égards,  en   déférence,   en   respect,  ce 

qui  lui  est  dû.  Et  cela,  une  fois  bien  compris,  est 

un  excellent  apprentissage  pour  toute  la  suite  de 

sa  vie,  puisqu'il  aura  toujoui-s   des    su|)érieurs, 

quelque  haut  état  qu'il  atteigne.  La  civilité,  et  ce 

qui  en  est  comme  la  fine  fleur,  la  politesse,  de- 
vraient être  considérées,  dans  nos  sociétés  démo- 
cratiques, comme  partie  intégrante  de  la  morale. 

Elles  sont,  en  effet,  la  manifestation  extérieure  de 

sentiments  qui  forment  comme  la  base  de  toute 

civilisation  vraiment  digne  de  ce  nom,  le  respect 

de  soi-même  et  le   respect  des   autres.  C'est  la 

juste  notion  de  ce  que  nous  sommes,   de   ce   qui 

nous  est  dû  et  en  même  temps  de  ce  que  nous 

devons  à  autrui,  qui  doit  régler  nos  rapports  avec 

nos  semblables  selon  leur   âge,  leur  sexe,  leur 

situation. 
Les  sociétés  anciennes  ont  eu  une  autre  forme 

et  un   autre  principe  de  civilité  et  de  politesse; 

elles  ont  eu  l'étiquette,  le  cérémonial,  procédant 

de  cette  pensée  que  ceux  qui  gouvernent,  que  ceux 
qui  possèdent  la  souveraineté,  quelle  qu'en  soit 
la  source,  et  aussi  les  mandataires  du  souverain, 
sont  en  quelque  sorte  des  émanations  de  la  Divi- 
nité, et  ont  droit  comme  tels  à  des  honneurs  d'une 
nature  toute  particulière,  qui  les  distinguent  du 
reste  des  hommes.  Nul  plus  que  le  roi  Louis  XIV 

n'éleva  au-dessus  de  toute  proportion  humaine  cet  !  véritable  politesse,  beaucoup  plus  ([uo  dans  la 
idéal  du  droit  divin  monarchique,  qu'il  représen-  manière  de  rompre  son  pain,  de  tenir  sa  cuiller 
tuil  d'ailleurs  avec  une  solennelle  dignité.  Il  eût  1  ou  de  mettre  sa  serviette.  Nos  pères,  ainsi  que  le 
été,  dans  toute  la  force  du  terme,  adore, s'il  l'avait  '  rappelle  l'article  sur  la  Civilité  dans  la  I"  Paiitie 
2°  Pauïie,  142 


VACCINATION  —  2258  — 


VACCINATION 


du  Dictionnaire,  avaient  de  ces  raffinements.  En 
notre  temps  de  n  naturalisme  »,  nous  péclierions 
bien  plutôt,  hclas  !  par  l'excès  contraire.  Une  dame 
est  en  chemin  de  fer;  un  monsieur  prend  place 
à  côté  d'elle,  un  cigare  allumé  entre  les  doigts, 
et  dit  à  la  dame  :  «  Le  cigare  ne  vous  incommode 
pas?  — Je  n'en  sais  rien,  monsieur,  répond-elle  : 
on  n'a  jamais  fumé  devant  moi.  »  Voilà  une  leçon 


délicate  et  fine,  comme  nous  en  aurions,  avouons- 
le,  trop  souvent  besoin  pour  nous  rappeler  aux 
vraies  convenances,  qui  ne  sont,  encore  une  fois, 
(|ue  la  reconnaissance  des  égards  mutuels  que 
nous  MOUS  devons.  C'est  là  la  civilité,  et  la  bonne  ; 
honnête,  et  non  puérile,  à  moins  qu'on  n'entende 
par  là  que  c'est  à  la  jeunesse  qu'elle  convient  sur- 
tout. [Cliarles  Defodon.] 


VACCINATION.  —  Hygiène,  XVII.  —  Cette 
question,  ancienne  déjà,  n'a  rien  perdu  de  son 
importance  ni  de  son  actualité.  S'il  est  vrai,  comme 
le  disait  lord  Beaconsfield,  que  l'améliojation  de 
la  santé  du  peuple  prime  tons  les  autres  pro- 
blèmes sociaux,  on  ne  s'étonnera  pas  de  voir  la 
question  de  la  vaccination  à  l'ordre  du  jour  dans 
les  congrès  d'hygiène  (Bruxelles,  Paris,  'lurinj, 
dans  les  assemblées  législatives,  les  sociétés  d'hy- 
giène et  les  académies.  L'ennemi  est  toujours  là, 
menaçant,  sévissant  autour  de  nous  :  il  importe  de 
le  surveiller  sans  cesse,  de  le  tenir  en  échec  en 
attendant  sa  complète  destruction. 

Les  discussions  scientifiques  suscitées  récem- 
ment, dans  tout  le  monde  civilisé,  au  sujet  de  la 
variole  et  de  la  vaccination,  ont  révélé  ou  plutôt 
affirmé  l'existence  d'une  opposition  assez  bruyante, 
composée  d'un  petit  nombre  d'hommes  convaincus 
sans  doute,  mais  dont  la  conviction  devrait  être 
plus  éclairée.  Celte  minorité  a  rendu  de  grands 
services  à  la  cause  qu'elle  combat.  Elle  a  obligé 
les  défenseurs  de  celle-ci  à  réviser  les  travaux  an- 
ciens, à  les  soumettre  aux  épreuves  des  procédés 
scientifiques  actuels,  à  rassembler  les  éléments  de 
nouvelles  statistiques  :  elle  a  signalé  les  omissions, 
mis  en  lumière  les  défaillances,  réveillé  l'esprit 
public  qui  s'oubliait  dans  une  fausse  sécurité. 
_  On  appelle  vaccination  une  opération  qui  con- 
siste à  inoculer  le  virus  vaccin.  L'inoculation  con- 
siste à  introduire  artificiellement  dans  l'économie, 
par  piqûre  ou  autrement,  le  principe  matériel,  le 
vil-us  d'une  maladie  contagieuse.  On  appelle  vac- 
cin (de  vacca,  vache)  une  humeur  virulente  re- 
cueillie primitivement  sur  des  pustules  qui  sur- 
viennent aux  mamelles  des  vaches  alTectées  d'une 
maladie  éruptive  nommée  vitriole  des  vaches,  pi- 
cote, cow-pux,  etc.  Ce  virus  est  doué  d  une  pro- 
priété antivariolique,  c'est-à-dire  qu'une  fois  intro 
duit  dans  l'économie,  il  préserve  de  la  variole  ou 
petite  vérole. 

La  variole  est  une  maladie  générale  fébrile  ac- 
compagnée d'éruption  pustuleuse.  On  n'a  géné- 
ralement qu'une  fois  cette  maladie,  comme  la 
fièvre  jaune,  la  peste  d'Orient,  la  fièvre  typhoïde, 
la  rougeole,  la  scarlatine,  etc.  La  variole  est  quel- 
quefois sporadique,  c'est-à-dire  limitée  à  un  seul 
ou  à  un  petit  groupe  d'individus,  mais  souvent 
elle  devient  épidémique.  C'est  une  afl'ection  con- 
tagieuse et  miasmatique,  c'est-à-dire  inoculable 
par  contact  et  transmissible  à  distance  par  l'air. 

La  variole  a  été  le  fléau  le  plus  terrible  de  l'hu- 
manité. Elle  a  existé  de  temps  immémorial  dans 
l'Inde  et  dans  la  Chine.  On  doit  lui  attribuer  plu- 
sieurs épidémies  mal  désignées,  entre  autres  la 
peste  d'Antonin  (1C5-18U).  Elle  sévit  en  Arabie  en 
572.  En  640  Omar  l'introduisit  en  Egypte  par  son 
armée.  De  là  le  fléau  fut  transporté  par  les  Sarra- 
sins en  Espagne,  en  Sicile,  à  ^aples.  Grégoire  de 
Tours  mentionne  sa  première  apparition  en  France 
Van  .'i80.  Les  croisades  l'cparpillèrent  dans  toute 
l'Europe.  Ferjiand  Cortcz  liiUroduisit  auMexiqu.; 
d'où  elle  envahit  toute  l'Amérique. 

L'épidémie  de  ICH  lit  le  tour  du  monde.  Celle 


de  1720  tua  à  Paris  seulement  20000  personnes. 
Dans  l'Inde,  l'épidémie  de  1850  atteignit  un  dou- 
zième de  la  population. 

Autrefois,  en  Europe,  un  tiers  des  nouveau-nés 
était  atteint  tôt  ou  tard.  La  mortalité  était  de 
1  sur  ;!  atteints  pour  la  première  enfance,  et  de 
1  sur  8  sur  la  totalité  des  personnes  frappées.  La 
variole  figurait  pour  10  pour  100  dans  l'ensemble 
des  décès. 

En  IKG.T,  nous  avons  eu,  en  France,  25  993  su- 
jets atteints  de  la  variole,  dont  4  lUG  morts  et 
4  989  infirmes.  En  1872  nous  n'avons  pas  eu  moins 
de  200  000  morts,  et  l'épidémie  a  rayonné  de  la 
France  dans  toute  l'Europe.  En  1879  il  >  a  eu  850 
victimes;  et  l'année  suivante  environ  2  400.  Nous 
avons  donc  raison  de  dire  que  l'ennemi  ne  nous 
laisse  point  de  trêve,  et  que  contre  lui  a  rien  n'est 
fait  quand  il  reste  à  faire.  » 

C'est  en  Asie,  au  foyer  originaire  de  la  variole, 
que  l'on  a  découvert  et  mis  en  praticiue  linocu- 
lation  préservatrice.  Depuis  les  temps  les  pliis 
reculés  on  inoculait  en  Circassie,  et  même  parfois 
en  Grèce,  le  virus  variolique.  On  avait  remarqué 
que  les  sujets  atteints  une  fois  de  la  variole  étaient 
à  peu  près  assurés  contre  la  récidive.  L'idée  vint 
de  donner  volontairement  la  maladie  sous  une 
forme  bénigne,  pour  assurer  contre  l'invasion 
d'une  forme  mortelle.  Pour  cela,  on  choisissait 
du  virus  sur  des  sujets  atteints  de  variole  dis- 
crète, atténuée  naturellement,  et  on  l'inoculait 
par  le  moyen  de  piqùies. 

L'inoculation  variolique  fut  importée  à  Constan- 
tinople  en  1673,  et  son  usage  se  répandit  rapide- 
ment. En  1716,  lady  Wortiey  Montague  ayant  ac- 
compagné à  Constantinople  son  mari  nommé 
ambassadeur  d'Angleterre  près  de  la  Porte,  fit 
inoculer  son  fils.  A  son  retour  en  Angleterre  (1718), 
elle  se  dévoua  avec  succès  à  la  vulgarisation  du 
procédé  oriental,  qui  fut  bientôt  adopté  par  un 
grand  nombre  de  médecins. 

Quelque  précaution  que  l'on  prît  de  choisir  un 
virus  aussi  faible  que  possible,  la  variolisation 
oiTrait  toujours  un  certain  danger.  11  mourait,  en 
moyenne,  1  sujet  sur  200  soumis  à  l'inocula- 
tion. 

Malgré  l'exemple  de  l'Angleterre,  la  variolisa- 
tion ne  fut  autorisée  en  France  qu'en  1704. 

Nous  venons  de  voir  que  la  variolisation  iioiis 
l'ut  importée  d'Asie.  Nous  aurions  pu  recevoir 
longtemps  auparavant,  de  l'Inde,  un  procédé  de 
préservation  bien  supérieur,  celui  que  l'on  emploie 
exclusivement  aujourd  hui  sous  le  nom  de  vacci- 
nation. Le  virus  vaccin  était  employé  dans  l'Inde 
dès  la  plus  haute  antiquité.  Le  hasard  en  avait 
sans  doute  fait  découvrir  les  propriéios  aux  ber- 
gers hinilons,  comme  il  les  fit  observer  bien  des 
siècles  plus  tard  aux  bergers  européens.  Quoi 
qu'il  en  soit,  les  médecins  de  l'Inde  s'emparèrent 
de  la  découverte  :  ils  inoculèrent  à  l'homme  le 
vaccin  animal  recueilli  sur  les  mamelles  de  la  va- 
che, puis  pratiquèrent  l'inoculation  do  bras  a 
b]-as.  La  preuve  de  la  haute  antiquité  de  ce  pro- 
cédé, nous  la  trouvons  dans  le  texte  suivant  de  l'un 


I 


VACCINATION 


—  2259  — 


VACCINATION 


des  Védas  ou  livros  sacrés  de  l'Inde,  qui  a  pour 
titre  Saciai/a  yranilumi,  et  qui  fut  écrii  par  le 
sage  Danouaniara  ou  Danavandri,  qui  fut  le  père 
de  la  médecine  dans  ce  pays  : 

«  Preni'Z  du  fluide  des  pustules  du  pis  d'une  va- 
che, ou  bien  du  bras,  entre  l'épaule  et  le  coude, 
d'un  Otre  humain;  recueillez  le  sur  la  pointe 
d'une  lancette,  et  introduisez  le  dans  le  bras, 
nu  même  endroit,  en  mClant  le  fluide  avec  le 
sang  ;  la  fièvre  do  la  variole  sera  produite. 
Cette  maladie  sera  alors  très  douce  comme  l'ani- 
anal  dont  elle  sort.  Elle  ne  pourra  inspirer  au- 
cune crainte  et  n'exige  point  de  remède  :  on  peut 
accorder  au  patient  le  régime  qu'il  désire.  On 
peut  se  borner  à  une  seule  piqûre  ou  en  prati- 
quer jusqu'à  six.  La  pustule  est  parfaite  quand 
elle  est  d'une  boiine  couleur,  remplie  d'un  liquide 
clair,  et  environnée  d'un  cercle  rouge.  Il  y  a  une 
fièvre  légère  d'un  ou  deux  jours  :  quelquefois  un 
léger  accès  de  froid,  un  gonflement  sous  l'aisselle 
et  d'autres  symptômes;  mais  tous  d'une  nature 
bénigne  et  sans  danger.  » 

L'iisculape  hindou  ayant  reçu  les  honneurs 
divins,  il  y  eut  obligation  et  piété  à  recourir  au 
remède  qu'il  avait  décrit  avec  tant  de  précision. 

Les  Anglais,  maîtres  de  l'Hindoustan,  n'avaient 
donc  qu'à  regarder  autour  d'eux  pour  apprendre 
le  secret  traditionnel  de  la  vaccination,  dont  le  pro- 
cédé opératoire  avait  toutefois  un  peu  cliangé:  les 
Hindous  modernes  trempaient  un  fil  dans  le  vaccin, 
le  passaient  dans  une  aiguille  et  le  conservaient 
pour  l'introduire  entre  cuir  et  chair  dans  la  partie 
supérieure  du  bras.  Mais  les  Anglais  ne  l'ont  pas 
fait;  et  c'est  à  un  Français  qu'ils  ont  emprunté 
Vidée  que  d'ailleurs  ils  furent  les  premiers  à 
mettre  en  pratique  et.  à  propager  en  Europe. 

Vers  1784  vivait  à  Massilargues,  près  Lunel,  un 
ministre  protestant  nommé  Rabaut,  que  l'on  dési- 
gnait sous  le  nom  de  Rabaut-Pomier,  pour  le  dis- 
tinguer de  son  frère,  le  fameux  conventionnel  Ra- 
baut-Saint-Etienne.  11  avait  entendu  dire  par  les 
pâtres  qtie  les  personnes  qui  s'inoculaient  par  ha- 
sard la  picole  des  vaches  Ji'étaient  jamais  atteintes 
de  la  variole.  L'inoculation  variolitiue  était  alors  [ 
en  pleine  (aveur.  Rabaut  pensa  que,  si  l'on  rem- 
plaçait le  virus  variollque  par  le  virus  de  la  picote 
(virus  vaccin),  on  obtiendrait  une  préservation 
•efficace  sans  courir  les  dangr-rs  de  l'inoculation 
variolique.  11  communiqua  ses  idées  à  deux  Anglais 
qui  venaient  habituellement  passer  l'hiver  à  Mont- 
pellier :  c'étaient  M.  Ireland,  négociant  de  Bristol, 
et  le  D'  Pugh,  de  Londres.  M.  Pugh  promit  de 
faire  part  de  cette  idée  à  un  médecin  de  ses  amis 
nommé  Jenner,  qui  s'occupait  beaucoup  d'inocu- 
lation. Il  tint  parole.  Jenner  savait  qu'en  Angle- 
terre, comme  en  France,  les  personnes  occupées 
à  traire  les  vaches  s'inoculaient  parfois  le  cow-fjox 
ou  picote,  et  qu'il  en  résultait  —  disait-on  — 
\me  immunité  contre  la  variole.  Le  conseil  de 
Rabaui  lui  fit  faire  une  première  expérience  le 
14  mai  1796.  Ce  fut  une  vachère,  Sarah  Nelmes, 
qui  fournit  le  vaccin  transmis  au  jeune  Pliilps, 
âgé  do  huit  ans.  Pour  vérifier  si  la  vaccination 
avait  réussi,  Jenner  essaya  deux  fois  à  quelques 
semaines,  puis  à  quelques  mois  d'intervalle,  d'ino- 
culer de  nouveau  virus  vaccin  à  son  sujet,  mais  il 
se  montra  réfiactaire,  et  le  savant  médecin  en 
conclut  que  l'expérience  était  probante.  En  1T.I8 
il  publia  un  premier  mémoire  sur  la  vaccination, 
mais  sans  mentionner  le  nom  de  son  inspirateur. 
Celui-ci  se  contenta,  plus  tard,  de  faire  certifier 
par  M.  Ireland  la  part  qui  lui  revenait  dans  les 
travaux  de  Jenner.  Sans  rien  retrancherdes  justes 
hommages  accordés  au  médecin  anglais,  habituons- 
nous  à  associi  r  à  son  nom  celui  du  modeste  pas- 
teur Rabaut. 

Les  médecins  français  mirent  peu  d'empresse- 
Jnent  à  répéter  les  expériences    de    Jeûner;  les 


premiers  essais  furent  faits  eu  1800  par  un  comité 
qui  vaccina  trente  enfants. 

Avant  de  décrire  le  procédé  opératoire  et  les 
résultats  de  la  vaccination,  nous  devons  expliquer 
ce  que  l'on  sait  aujourd'hui  sur  la  nature  du  vaccin. 

La  maladie  des  vaches  nommée  coio-;)f<3;  (variole 
de  la  vache)  en  Angleterre,  a  reçu  en  France  les 
noms  de  vaccine,  picote,  vanole,  vérole  des  vaches. 
La  maladie  se  manifeste  surtout  par  une  éruption 
de  pustules  sur  le  pis  et  les  trayons.  On  compte 
parfois  quinze  à  vingt  pustules  dont  la  grosseur 
varie  depuis  le  diamètre  d'une  lentille  jusqu'à  ce- 
lui d'une  pièce  de  cinquante  centimes.  'Vers  le 
troisième  jour  le  centre  de  la  pustule  se  déprime, 
une  aréole  enflammée  l'entoure  et  grandit  avec 
elle  jusque  vers  le  dixième  jour.  En  môme  temps 
on  constate  la  sensibilité  douloureuse,  le  gonfle- 
ment des  parties  affectées,  le  manque  d'appétit, 
la  fièvre;  le  lait  perd  de  sa  qualité,  diminue  de 
quantité  ou  même  se  tant.  A  partir  du  dixième 
jour,  on  voit  se  former,  au  centre  des  pustules,  des 
croiites  qui  tombent  du  dix-imitième  au  vingt- 
quatrième  jour,  laissant  à  leur  place  des  ulcères 
souvent  difficiles  à  guérir.  Il  est  très  important  de 
vulgariser  ces  connaissances  sommaires  sur  la  vac- 
cine, afin  d'obtenir  le  signalement  de  tous  les  cas 
qui  se  présentent. 

Cette  variole  des  vaches  n'est  point  identique  à 
la  variole  humaine.  Si  l'on  inocule  à  la  vache  le 
virus  varioleux  humain,  il  ne  lui  donne  point  la 
vaccine,  mais  conserve  son  individualité  ;et  après 
plusieurs  cultures  ou  inoculations  sur  la  vache,  il 
reproduit  chez  l'homme  la  variole  avec  tous  ses 
dangers.  La  vache  n'a  donc  pas  reçu  de  l'homme 
sa  maladie.  Mais  on  a  tout  lieu  de  croire  qu'elle  la 
tient  du  cheval. 

On  connaît,  en  effet,  une  variole  du  cheval 
(horse-pox  en  anglais;  analogue  à  Cidlede  la  vache, 
qui  se  manifeste  par  des  symptômes  généraux  et 
par  une  éruption  pustuleuse.  C'est  une  variété 
de  la  maladie  communément  appelée  eaux  aux 
jnmhes,  ou  javurd  (de  l'italien  giavar'lo).  En 
plusieurs  occasions  on  a  inoculé  à  l'homme  le  vi- 
rus équin  (ducheval),  etl'on  a  obtenu  des  pustules 
parfaitement  semblables  à  celles  de  ia  vaccine, 
qui  ont  produit  la  même  immunité  contre  la  va- 
riole et  contre  les  revaccinations  à  court  délai. 
De  plus,  on  a  inoculé  à  la  vache  le  virus  équin 
et  l'on  a  constaté  chez  elle  le  développement  ré- 
gulier de  la  vaccine  dont  les  pustules  ont  effica- 
cement servi  à  la  vaccination  humaine.  De  cet  en- 
semble de  faits  on  est  déjà  autorisé  à  conclure  que 
la  vacci7ie  et  Véquine  [hoisc-pix,  javard  varioli- 
que) sont  identiques;  ou  du  moins  (|ue  la  maladie 
de  la  vache  provient  du  cheval  par  inoculation  ac- 
cidentelle. Il  est  à  remarquer  d'ailleurs  que  l'on 
a  surtout  observé  la  vaccine  là  où  les  mêmes  per- 
sonnes soignaient  les  chevaux  et  les  vaches  et 
servaient,  sans  le  savoir,  d'intermédiaire  pour  l'i- 
noculation. 

Ces  faits  sont  d'une  importance  capitale  pour 
l'avenir  de  la  vaccination  Ils  permettent  d'espérer 
l'extinction  complète  de  la  variole  par  un  préser- 
vatif énergique,  de  source  inattaquable,  et  facile 
à  renouveler. 

La  variole  spontanée  du  cheval  est  une  maladie 
fébrile  accompagnée  d'une  éruption  au\  naseaux, 
aux  lèvres,  aux  cuisses,  aux  extrémités  des  mem- 
bres et  au  pli  du  paturon.  Le  D'  Carro.  pro  laga- 
teur  de  la  vaccination  en  Autriche,  a  vacciné  un 
enfant  avec  du  virus  équin  et  a  envoyé  dans  I  Inde 
le  contenu  des  pustules  développées  sur  son  bras: 
telle  est  la  provenance  du  vaccin  moderne  aujour- 
d'hui employé  dans  la  patrie  originaire  de  la  vacci- 
nation. 

Avant  de  décrire  la  vaccination  et  ses  résultats 
immédiats,  dissipons  en  linéiques  mots  des  pré- 
jugés qui  ont  cours  dans  les  familles  relativement 


VACCINATION 


2260 


VACCINATION 


à  cette  petite  opération.  Il  importe,  surtout  en 
temps  d'épidémie,  de  vacciner  les  enfants  dès  leur 
naissance,  car  la  variole  naturelle  attaque  princi- 
palement les  enfants  en  bas  âge.  Dans  les  pays  où 
la  vaccine  est  inconnue  ou  peu  pratiquée,  la  ma- 
ladie atteint  peu  d'adultes.  C'est  dans  les  pays  où 
la  jeune  génération  se  trouve  préservée  que  l'on 
voit  le,  fléau  sévir  principalement  sur  les  person- 
nes qui  ont  négligé  la  revaccination.  Pendant  les 
épidémies  on  a  calculé  que  les  enfants  âgés  de 
moins  d'un  an  figurent  pour  un  q:2inzième  des 
décès.  Il  y  a  tout  avantage  à  vacciner  pendant  la 
première  semaine,  l'enfant  se  trouvant  alors  sous 
la  surveillance  naturelle  du  médecin.  On  n'a  re- 
connu à  cette  pratique  aucun  inconvénient. 

On  croit  généralement  qu'il  faut  éviter  de  vac- 
ciner en  été  et  en  hiver  :  l'expérience  enseigne 
que  la  vaccination  réussit  également  bien  dans 
toutes  les  saisons,  tant  pour  son  innocuité  que 
pour  son  efficacité.  La  vaccination  non  interrom- 
pue présente  d'ailleurs  l'avantage  d'alimenter  les 
sources  de  vaccin,  ce  qui  permet  d'en  avoir  tou- 
jours sous  la  main  dans  les  conditions  désirables. 

Si  l'on  vaccine  les  enfants  de  bonne  heure,  on 
n'a  pas  à,  s'inquiéter  des  crises  ou  périodes  de  la 
dentition.  Mais,  quand  on  a  négligé  ce  soin,  la  den- 
tition ne  doit  pas  faire  retarder  plus  longtemps  si 
l'on  a  quelque  raison  de  craindre  l'infection.  En 
tout  cas  on  doit  procéder  à  l'opération  aussitôt 
après  l'évolution  d'une  crise  dentaire. 

La  grossesse  et  l'allaitement  ne  sont  pas  des 
empêchements  à  la  vaccination  ou  à  la  revaccina- 
tion. 

La  vieillesse  n'est  point  un  préservatif  pour  les 
personnes  qui  n'ont  pas  été  vaccinées  et  revacci- 
nées. 

La  vaccination  est  une  opération  si  simple  que 
la  loi,  voulant  favoriser  la  diffusion  de  la  vaccine 
dans  les  campagnes,  a  autorisé  les  sages-femmes 
à  la  pratiquer.  Il  suffit,  en  etfet,  do  tenir  la  lan- 
cette la  pointe  en  bas,  de  manière  h  faire  écouler 
le  vaccin  vers  la  pointe,  et  de  la  faire  pénétrer 
sous  l'épiderme,  sans  aller  assez  profondément 
pour  faire  sortirdu  sang  qui  entraînerait  le  vaccin. 
Rien  de  plus  facile  assurément.  Mais  cela  ne  suffit 
pas.  Il  faut  d'abord,  si  l'on  vaccine  de  bras  h.  bras 
ou  si  l'on  recueille  soi-même  d'avance  le  vaccin, 
juger,  e«  ùade  coimaissnnce  de  cause,  la  santé 
de  l'enfant  vaccinifère  et  celle  de  ses  parents  ; 
puis  surveiller  le  développement  des  pustules  vac- 
cinales pour  s'assurer  de  leur  qualité  et  ne  pas 
les  confondre  avec  les  pustules  défausse  vaccine. 
Evidemment  ces  obligations  dépassent  de  beaucoup 
la  compétence  des  sages-femmes  et  rentrent  dans 
celle  des  médecins. 

Voici,  en  résumé,  ce  que  l'on  constate  après  une 
vaccination  pratiquée  dans  de  bonnes  conditions. 
Le  premier  jour  il  se  manifeste,  au  lieu  de  la  pi- 
qûre, une  petite  rougeur  qui  s'efi'ace  bientôt.  Le 
quatrième  jour  on  voit  paraître  une  petite  élevure 
rouge  qui  s'élève  en  pointe  le  cinquième  jour,  s'é- 
largit en  pustule  pendant  le  sixième,  et  se  creuse, 
se  déprime  au  contre,  le  septième  jour.  Le  hui- 
tième jour  la  pustule  s'entoure  d'une  aréole  en- 
flammée qui  s'accroît  le  neuvième  j"Ur  et  atteint 
4  à  5  centimètres  de  diamètre.  Au  dixième  jour, 
l'aréole  commence  à  disparaître.  La  pustule  sè- 
che vers  le  onzième  jour,  et  du  quinzième  au 
vingtième  la  croûte  tombe,  laissant  à  sa  place  une 
cicatrice  profonde  brunâtre,  plissée,  qui  plus  tard 
devient  d'un  blanc  nacré. 

Le  cinquième  jour  après  l'inoculation  on  remar- 
que déjà  ([Uelques  désordres  dans  la  santé  de  l'en- 
fant, surtout  si  les  piqûres  ont  été  nombreuses. 
Tout  se  borne  d'ailleurs  à  un  peu  de  diarrhée  ou 
d'abattemejit  et  de  mauvaise  humeur.  Vers  la  fin 
du  huitième  jour,  lorsque  les  ganglions  de  l'aisselle 
commencent  à  s  engorger  et  que  l'aréole  s'étend, 


on  note  un  mouvement  fébrile  ;  c'est  la  fièvre  vac- 
cinale, qui  dure  deux  ou  trois  jours. 

Si  l'on  opère  avec  du  vaccin  énergique  pris  sur 
la  vache  ou  soumis  à  un  petit  nombre  de  trans- 
plantations, tous  les  phénomènes  s'accentuent,  la 
pustule  est  plus  large,  le  liquide  plus  opalin,  l'a- 
réole plus  étendue.  La  fièvre  acquiert  une  inten- 
sité considérable.  La  croûte  sèche  ne  tombe  que 
du  vingtième  au  vingt-deuxième  jour. 

Quelquefois,  au  lieu  de  cette  vaccine  vraie  et 
l'réseruutive,  il  ne  se  développe  qu'une  fausse  vac- 
cine de  nul  efl'et.  Voici  alors  ce  que  l'on  observe. 
Le  lendemain  ou  le  surlendemain  des  piqûres 
il  se  forme  des  pustules  inégales,  en  pointe  dès 
leur  apparition,  sans  dépression  centrale,  jaunâtres 
au  sommet,  s'ouvrant  à  la  moindre  pression.  Elles 
se  dessèchent  du  troisième  au  cinquième  jour, 
mais  restent  toujours  un  peu  humides. 

Entre  ces  deux  degrés,  l'un  préservatif,  l'autre 
négatif,  on  constate  quelquefois  la  formation  de 
pustules  qui  ressemblent  assez  h  celles  de  la  vac- 
cine vraie,  mais  offrent  des  caractères  trop  bénins 
et  sèchent  vers  le  quatorzième  ou  quinzième  jour  : 
ce  sont  les  vaccinellesou  vanoloidet.  Elles  ne  pré- 
servent pas  sûrement  de  la  variole. 

Les  premiers  vaccinateurs  pensaient  qu'une 
seule  piqûre  suffisait  pourvu  qu'elle  produisît  une 
pustule  parfaite  :  cependant  Jimner  conseillait 
d'en  faire  deux  sur  chaque  bras  afin  de  mieux  as- 
surer le  succès.  Notons  d'ailleurs  que  le  vaccin 
était  alors  dans  sa  force  originelle.  On  fait  ordi- 
nairement de  quatre  à  six  piqûres.  Peut-être  se- 
rait-il avantageux  de  les  multiplier,  surtout  quand 
on  emploie  du  vaccin  souvejit  transplanté  :  une 
statistique  américaine  semble  le  prouver. 

Constatons  maintenant  les  résultats  obtenus  par 
la  vaccination.  En  Europe,  au  siècle  dernier,  la 
variole  tuait  un  douzième  de  la  population  :  quel- 
ques auteurs  disent  un  dixième. 

Le  tableau  suivant  montre  la  mortalité  annuelle 
moyenne  sur  un  million  d'habitants  avant  et  après 
l'introduction  de  la  vaccine  : 

Avant.       Après. 

B.isse-Aulrichc 2,484  380 

Triesle 14,046  182 

Bi.hème 2,174  215 

Moravie 5,402  255 

Silésie  auU-ichieuue....       5,812  198 

Berlin 3,422  176 

Suède 2,050  \m 

CopeoUajjue 3,li8  286 

Cette  statistique,  qui  s'arrête  à  1850,  est  plus 
que  confirmée  par  celles  qu'on  a  dressées  depuis 
cette  époque. 

Autrefois,  en  Europe,  on  comptait  I  décès  par 
variole  sur  10  morts  ;  aujourd'hui,  c'est  seulement 
1  sur  environ  2  400. 

De  1S68  à  1873  la  proportion  de  décès  par  la 
variole,  calculée  par  millions  d'habitants,  a  été  la 
suivante  : 

Prusse 5,767 

Pays-Bas 5,721 

Angleterre 2.376 

Bavière ^'"'^ 

Ecosse • J.534 

Suèae '■■'•'» 

Ce  ne  peut  être  par  l'effet  du  hasard  que  les  pays- 
où  la  vaccination  était  obligatoire  (Angleterre,  Ba- 
vière Ecosse,  Suède),  ont  relativementpeusouffertr  i 
tandis  que  les  contrées  mal  vaccinées,  comme  les 
Pays-Bas,  la  Prusse,  —  et  malheureusement  la 
France,  —  ont  été  cruellement  éprouvées.  Dans  les 
Pays-Gas  et  à  Berlin,  on  a,  d'ailleurs,  constaté 
que  c'est  la  partie  de  la  population  comprenant 
le  moins  d'individus  vaccinés  qui  a  fourni  le  plus 
de  victimes.  Notons  que  plusieurs  des  années  com- 
prises dans  cet  intervalle  ont  été  marquées  par 


VACCINATION 


2261  — 


VACCINATION 


;lo3  épidémies  de  variole  dans  ces  divers  pays,  ce 
qui  augmente  la  valeur  des  rosullats  constatés. 

L'insuffisance  du  service  de  statistique  en  France 
ne  nous  permet  pas  d'établir  la  proportion  décrois- 
sante de  mortalité  pour  la  variole.  Mais  nous  sa- 
vons qu'avant  la  vaccination,  sur  100  cas  de  cécité, 
35  provenaient  de  cette  maladie.  Aujourd'hui,  la 
proportion  absolue  est  réduite  à  -3  ou  4  pour  100, 
et  tous  les  cas  de  cécité  par  suite  do  variole  ont 
été  constatés  sur  des  sujets  non  vaccinés  ou  qui 
n'offraient  pas  de  garanties  d'une  bonne  vaccina- 
tion. En  somme,  le  nombre  des  aveugles,  chez 
nous,  a  diminué  d'un  quart,  et  la  surdité  est  no- 
tablement réduite  depuis  l'introduction  de  la  vac- 
cine. 

IJe  1799  à  1816,  les  épidémies  de  variole  ayant 
disparu,  on  crut  que  la  vaccination  avait  déjà,  triom- 
phé du  fléau.  Mais,  en  18IG,  on  constata  des  cas 
do  variole  chez  des  sujets  vaccinés  ;  puis  sévirent 
(1818-1824)  de  terribles  épidémies  qui  proavèrent 
que  la  vaccine  ne  constituait  pas  un  préservatif 
absolu.  Elle  eut  alors  ses  détracteurs  acharnés 
comme  elle  avait  eu  ses  partisans  enthousiastes. 

On  avait  trop  demandé  à  la  vaccination.  En  efifet, 
la  variole  même  ne  préserve  pas  absolument  contre 
ses  atteintes  futures.  Dans  une  épidémie  du  Wur- 
temberg, sur  634  varioleux  on  a  compté  .39  réci- 
dives, dont  4  suivies  de  mort  ;  à  Copenhague,  il  y 
a  eu  153  récidives,  dont  31  suivies  de  mort, 
sur  958  varioles. 

Il  est  constant  aujourd'hui  que  la  variole  ne 
proserve  contre  son  propre  retour  et  ne  rend 
l'éfractaire  b.  la  vaccine  que  pour  un  temps  limité. 
Serait-il  juste  de  demander  à  la  vaccine  une  im- 
munité plus  probable  ou  plus  prolongée  '? 

Dans  un  rapport  h  l'Académie  sur  un  concours 
pour  le  prix  Monthyon,  le  D'  Serres  a  résumé 
ainsi  la  question  :  La  vertu  préservative  de  la 
vaccine  est  absolue  pour  le  plus  grand  nombre 
des  vaccinés  et  temporaire  pour  le  plus  petit  nom- 
bre ;  chez  ces  derniers  même,  elle  est  presque 
absolue  jusqu'à  l'adolescence  ;  la  variole  atteint 
rarement  les  vaccinés  avant  l'âge  de  10  à  Vi  ans  ; 
c'est  h  partir  de  cette  époque  et  jusqu'à  30  et  35 
ans  qu'ils  y  sont  principalement  exposés  ;  outre 
sa  vertu  préservative,  la  vaccine  introduit  dans 
l'organisation  une  propriété  qui  atténue  les  sym- 
ptômes de  la  variole,  en  abrège  la  durée  ou  en 
diminue  considérablement  la  gravité  ;  la  revacci- 
nation est  le  seul  moyen  d'épreuve  que  la  science 
possède  pour  distinguer  les  vacciiiés  qui  sont  dé- 
titiitivement  préservés  de  ceux  qui  ne  le  sont 
qu'à  des  degrés  plus  ou  moins  prononcés. 

Les  médecins  de  tous  les  pays  s'accordent  à  re- 
connaître l'exactitude  de  ces  conclusions.  Aussi  la 
revaccination  est-elle  devenue  obligatoire  en  Alle- 
magne pour  les  élèves  des  écoles  publiques  et 
privées  âgés  de  12  ans;  en  Grèce  pendant  les  épi- 
démies ;  en  Russie  et  en  France  dans  l'armée  au 
moment  de  l'incorporation. 

On  peut  classer  comme  il  suit  les  succès  de  re- 
vaccination :  jusqu'à  10  ans,  11  p.  100:  de  lia 
15  ans,  12  p.  100;  de  16  à  'JO  ans,  19  p.  100  ;  de 
21  à  25  ans,  24  p.   100  ;  de  26  à  30  ans,  17  p.  100. 

Les  revaccinations  doivent  avoir  lieu  aux  épo- 
ques suivantes  :  10  ans,  20  ans  et  40  ans.  Il  peut 
se  faire  qu'elles  soient  inutiles,  mais,  en  tout  cas, 
elles  serviront  de  pierre  de  touche  et  inspireront 
une  sécurité  bien  fondée.  En  temps  d'épidémie 
ou  lorsque  l'on  est  exposé  spécialement  à  la  con- 
tagion, on  fera  bien,  d'ailleurs,  de  ne  pas  attendre 
ces  dates  un  peu  arbitraires.  Trop  de  sécurité  ne 
saurait  nuire,  et,  l'opération  étant  tout  à  fait  inof- 
fensive, on  doit  mettre  toutes  les  chances  de  son 
côté. 

En  1853,  on  a  pratiqué  en  Prusse  44652  revac- 
cinations. Sur  ce  nombre,  32612  individus  seule- 
ment portaient  des  cicatrices  vaccinales  suffisantes  ; 


la  revaccination  réussit  dans  la  proportion  de  69 
pour  100.  Par  conséquent,  plus  de  la  moitié  des 
revaccinés  se  trouvaient  sujets  à  la  variole. 

11  est  impossible  d'affirmer  combien  d'années 
peut  durer  la  vertu  préservative  du  vaccin,  parce 
que,  indépendamment  de  l'aptitude  individuelle 
et  des  variations  de  virulence  des  germes  de  la 
petite  vérole,  on  ne  connaît  jamais  la  valeur,  la 
force  du  vaccin  employé.  Mais,  toutes  choses  égales 
d'ailleurs,  à  mesure  que  le  vaccin  s'éloigne  de  sou 
origine,  qu'il  résulte  d'un  plus  grand  nombre  de 
transplantations,  il  perd  une  partie  de  ses  qua- 
lités. Il  importe  aussi  de  remarquer  que  l'on  re- 
cueille souvent  du  vaccin  sur  des  pustules  trop 
vieilles.  C'est  au  sixième  ou  .lu  septième  jour  qu'il 
a  le  plus  d'énergie  :  au  dizième  jour,  la  virulence 
a  disparu . 

Des  exemples  fournis  par  d'autres  virus  per- 
mettent de  conclure,  par  analogie,  à  l'atténuation 
graduelle  du  vaccin  en  proportion  du  nombre  de 
transplantations.  Les  récentes  découvertes  de 
M.  Pasteur  sur  les  virus  du  charbon,  du  choléra 
des  poules  et  bien  d'autres,  ont  singulièrement 
éclairé  la  question.  Dernièrement,  le  D'  Mégnin 
présentait  à  la  So'^iété  de  biologie  des  dessins  re- 
présentant le  microbe  (petit  être)  du  cow-pox  et 
celui  du  liorse-pox  tels  qu'on  les  voit  au  micro- 
copc.  Le  virus  équin,  cultivé  sur  la  vache,  renfer- 
me des  microbes  qui  mesurent  un  dix  millième 
de  millimètre  de  diamètre,etquise  multiplient  avec 
une  rapidité  extraordinaire  :  le  virus  humain  eu 
tubes  renferme  un  nombre  moindre  de  microbes, 
plus  petits  d'un  cinquième  et  qui  se  multiplient 
très  lentement.  Voilà  sans  doute  une  des  raisons 
pour  lesquelles  le  horse-pox  et  le  com-pox,  pris  à 
la  source  ou  après  un  petit  nombre  de  transplan- 
tations, se  montrent  beaucoup  plus  énergiques 
que  le  vaccin  ordinairement  employé.  On  sait 
d'ailleurs  qu'au  bout  d'un  certain  temps  le  virus 
vaccinal  conservé  perd  ses  propriétés.  Cela  vient 
de  ce  que  le  microbe  spécial,  qui  s'est  momifié 
par  la  dessiccation,  n'est  plus  apte  à  revivre  après 
un  trop  long  sommeil. 

On  a  essayé  de  rendre  son  énergie  au  vaccin 
invétéré,  c'est-à-dire  dégénéré  par  les  transplan- 
tations, en  le  cultivant  sur  des  génisses.  Il  a  sem- 
blé parfois  que,  sur  ce  terrain,  il  tendait  Ji  re- 
prendre une  partie  de  ses  propriétés  originaires. 
Tout  récemment,  M.  Pasteur,  après  avoir  atténué 
un  vil-us  par  des  cultures  systématiques,  a  réussi 
à  lui  rendre  sa  virulence  par  une  série  d'inocula- 
tions, de  transplantations  sur  des  êtres  trop  faibles 
pour  réagir  contre  lui.  Quoi  qu'il  en  soit,  la  réno- 
vation du  vaccin  sur  la  génisse  n'est  pas  encore 
suffisamment  prouvée.  Et,  le  fijt-elle,nous  ne  sau- 
rions encourager  ce  moyen  qui  prête  (on  ne  l'a  que 
trop  vu)  au  charlatanisme  et  à  la  spéculation  illi- 
cite. Le  plus  souvent,  on  livre  ainsi,  sous  le  nom 
de  vaccin  de  génisse,  qui  devrait  être  Aa  cow-pox, 
un  vaccin  d'enfant  simpleinent  transplanté  et  affai- 
bli une  fois  de  plus.  Il  est  certain,  d'ailleurs,  que 
dans  les  conditions  ordinaires,  la  transplantation 
du  vaccin,  de  vache  à  vache,  l'atténue  comme 
celles  qui  ont  l'homme  pour  intermédiaire. 

Pour  renouveler  sûrement  —  et  honnêtement 
—  le  vaccin,  il  n'y  a  qu'un  moyen,  celui  qu'a  adopté 
l'année  dernière  la  Société  française  d'hygiène.  Un 
vétérinaire  ayant  signalé  la  présence  à  Paris  d'un 
cheval  atteint  de  horse-pox,  le  virus  recueilli  sur 
ses  pustules  a  été  inoculé  à  des  vaches  qui  ont 
ainsi  contracté  le  cow-pox  et  fourni  de  vrai  vaccin 
originaire.  Ce  vaccin,  cultivé  sur  des  génisses 
et  transplanté  surdes  enfants,  a  permis  de  renou- 
veler le  virus  et  de  lui  assurer  —  pour  quelque 
temps  —  des  propriétés  énergiques. 

Les  adversaires  de  la  vaccination  répètent  tous 
ces  deux  accusations  :  l'opération  peut  introduire 
à   la  fois  dans  le  sang  le  virus  préservateur  et 


VACCINATION 


2262  


VALERIANEES 


d'autres  virus  contagieux  très  redoutables  ;  —  la 
vaccination  afVaiblit  l'individu  et  le  prédispose  à 
d'autres  maladies,  de  sorte  que  l'avantage  n'est 
([u'apparent. 

Il  importe  que  le  public  soit  édifié  sur  la  valeur 
de  ces  deux  arguments. 

S'il  est  vrai  que  la  vaccination  expose  à  l'inocu- 
lation dautres  maladies  contagieuses,  elle  pour- 
rait devenir  une  calamité  publique.  lUais  en  An- 
gleterre, où  les  statistiques  sont  bien  faites,  les 
mcdecini  n'ont  pas  encore  reconnu  d'infection  de 
ce  genre  produite  par  la  vaccination  :  il  en  est  de 
même  en  Suède,  dans  le  Hanovre,  la  Hesse,  le 
Nassau  et  le  Wurtemberg.  La  France  et  l'Italie,  par 
contre,  ont  eu  à  déplorer  des  cas  d'infection  à  la 
suite  de  vaccinations  faites  trop  légèrement,  sans 
vérifier  la  source  du  vaccin.  Chez  nous,  on  connaît 
hO  cas  qui  ont  produit  un  total  de  750  infections. 
Voilà  le  nombre  à  mettre  en  comparaison  de  cent 
millions  de  vaccinés.  Hâtons-nous  toutefois  de  re- 
connaître que  ces  cas  malheureux  simt  imputables 
à  ceux  qui  ont  procédé  aux  vaccinations  sans  pren- 
dre les  précautions  nécessaires,  et  que  l'on  peut 
toujours  se  mettre  à  l'abri  de  pareille  éventualité. 

Le  second  argument  consiste  en  une  supposition 
sans  preuves  à  l'appui.  Elle  vise  surtout  la  fièvre 
typhoïde,  la  phtisie,  les  scrofules,  les  dartres. 
Celles-ci  sont  parfois  contagieuses,  mais  on  ne 
connaît  pas  de  cas  d'inoculation.  La  scrofule  ne 
se  transmet  que  par  hérédité.  Les  progrès  de  la 
phtisie  paraissent  surtout  imputables  i  l'affaiblis- 
sement des  constitutions  sous  l'influence  d'une 
mauvaise  hygiène  :  l'hérédité  multiplie  rapidement 
le  nombre  des  sujets  prédisposés,  (juantù  la  fièvre 
typhoïde,  dont  la  variole  ne  préserve  pas,  ce  n'est 
point  une  maladie  nouvelle,  mais  elle  est  rendue 
fréquente  par  l'encombrement  des  grandes  agglo- 
mérations et  disséminée  faute  de  précautions  né- 
cessaires. 

Aux  allégations  des  antivaccinateurs  la  statis- 
tique répond  d  une  façon  victorieuse.  Depuis  la 
vaccine,  la  longévité  a  augmenté  graduellement 
dans  tous  les  pays  où  elle  est  généralement  pra- 
tiquée, et  pour  les  vaccinés  pendant  les  premiers 
mois,  la  vie  moyenne  s'est  allongée  de  trois 
années.  Autrefois,  l'Angleterre  perdait  annuelle- 
ment 3000  varioleux  par  chaque  million  d'Iiabi- 
larils.  Après  la  vulgarisation  de  la  vaccine,  le 
chiffre  s'abaisse  i  770;  puis  à  340  sous  le  régime 
de  la  vàCc^nMion  gratuite  ;  enûn,  de  1854  à  18  3, 
sous  le  régime  de  la  gratuité  et  de  Vobliqation, 
la  proportion  a  été  de  171.  Ce  rapport  de  171  à  3  000 
ou  de  1  à  16  mesure  l'économie  de  vie  humaine 
réaJisée  en  Angleterre,  où  cependant  la  loi  n'est 
pas  encore  appliquée  avec  la  rigueur  désirable. 
La  vaccination  obligatoire  en  France  économi- 
serait chaque  année   la  perte  de  30U00  individus. 

L'obligation  existe  déjà  dans  une  partie  de  l'Eu- 
rope. La  Bavière  donna  l'exemple  en  1807.  11  fut 
suivi  par  laSuède  en  1816.  parl'Angleterreen  18li7. 
En  Autriche,  en  Italie,  dans  les  Pays-Bas,  la  loi  se 
borne  à  favoriser  la  vaccination  et  la  rend  seule- 
ment obligatoire  pour  ladmission  dans  les  écoles, 
lors  de  l'incoriioration  à  l'armée,  etc.  En  Suisse, 
l'ohligation  existe  pour  presque  tous  les  cantons. 
En  Allemagne,  une  loi  de  1874  s'applique  à  tous  ' 
les  États  de  l'empire,  dont  quelques-uns  avaient  | 
déjà  pris  des  mesures  plus  ou  moins  complètes.  ' 
Cette  loi  prescrit  la  vaccination  de  tout  enfant  ' 
avant  l'accomplissement  de  sa  seconde  année,  à 
moins  d'une  attestation  médicale  portant  qu'il  a  eu 
1»  variole.  Les  vaccinations  infructueuses  doivent 
être  renouvelées  l'année  suivante.  L'enfant  vacciné 
doit  être  présenté  du  sixième  au  huitième  jour  au 
yaccinateur  chargé  de  délivrer  les  certificats.  Les 
iiifractions  sont  passibles  d'amendes  qui  peuvent 
s'élever  à  6'2  francs  ou  d'un  emprisonnement  de 
un  à  trois  jours.  Les  négligences  dans  la  pratique 


de  la  vaccination  encourent  une  amende  pouvant 
s'élever  à  b2."i  francs. 

Cet  exposé  succinct  montre  combien  nous  som- 
mes en  retard.  Aussi  l'immetise  majorité  des  mé- 
decins et  du  public  a-t-elle  accueilli  avec  joie  la 
proposition  de  loi  du  Dr  LiouviUe  tendant  à  ren- 
dre obligatoires  la  vaccination  et  la  revaccination. 
Cette  proposition  de  loi,  prise  en  considération 
par  la  Chambre  après  avis  conforme  de  la  com- 
mission d'initiative,  a  été  renvoyée  à  l'Académie 
de  médecine,  et,  le  3  mai  dernier  (1881).  l'Acadé- 
mie a  voté  à  une  très  grande  majorité  le  prin- 
cipe de  la  vaccination  obligatoire  et  celui  des  re- 
vacciiîations  iiuposées  par  mesures  administra- 
tives. 

Nous  avons  vu  se  reproduire  chez  nous,  au  sujet 
de  ce  projet  de  loi,  tous  les  arguments  si  facile- 
ment battus  en  brèche  dans  d'autres  pays  ;  inuti- 
lité finale  de  la  vaccination  i|ui  déplace  seulement 
la  mortalité  ;  dangers  possibles  d'infection  d'une 
autre  terrible  maladie.  Puis  on  a  soulevé  aussi  la 
question  de  liberté.  L'obligation,  a-ton  dit,  est 
attentatoire  à  la  liberté  du  père  de  famille.  En  An- 
gleterre, où  le  respect  de  la  liberté  individuelle 
est  poussé  jusqu'au  scrupule,  cette  considération 
n'a  pas  fait  hésiter  les  législateurs.  Quelles  que 
soient,  en  effet,  vos  idées  personnelles  —  si  vous 
êtes  compétent  —  sur  la  vaccination,  vous  n'avez 
pas  le  droit  d'exposer  votre  enfant  à  mourir  pour 
vos  idées  :  sa  mon  serait  un  homicide  par  omis- 
sion. Et  quant  à  vous  même,  votre  liberté  d'avoir 
la  variole  est  limitée  et  combattue  par  le  droit  de 
vos  voisins  de  n'en  être  point  infectés   par  vous. 

Quelques  opposants  ont  mis  en  avant  l'insuffi- 
sance des  ressources  actuelles  comme  personnel 
et  comme  vaccin.  Qu'ils  se  rassurent.  Une  fois  le 
principe  de  l'obligation  établi  par  la  loi,  tout  se 
résoudra  en  questions  adniinistiatives  et  finan- 
cières. Le  personnel  de  médecins  vaccinateurs  ne 
manquera  pas.  Outre  la  gratuité  pour  les  indi- 
gents, il  serait  bon  d'établir  des  indemnités  pour 
ceux  à  qui  les  formalités  causeraient  un  dommage, 
cause  ordinaire  de  négligence. 

Quant  à  l'approvisionnement  de  bon  vaccin,  il 
suffirait,  pour  l'assurer,  de  donner  des  primes  aux 
enfants  vaccinifères  bien  choisis,  et  surtout  d'of- 
frir des  récompenses  suffisantes  pour  le  signale- 
ment des  cas  de  horse-po.x  et  de  cow-pox  spon- 
tanés. Ces  cas  sont  beaucoup  plus  nombreux  qu'on 
ne  le  croit  généralement,  et  grâce  à  eux,  on  pour- 
rait établir  dans  chaque  département  une  culture 
de  vaccin  animal  toujours  renouvelé. 

Tels  sont  les  résultats  que  nous  pouvons  atten- 
dre de  la  lui  Liouville.  Sa  mise  en  pratique  sera 
un  bienfait  public.  Elle  conservera  de  nombreuses 
existences  à  la  patrie  et  contribuera  à  donner 
un  nouvel  essor  à  l'accroissement  de  la  popula- 
tion. 

V.  aussi  l'article  Vaccination  dans  la  I"  Pautie. 
[D'  Saffray.] 

VALÉRIAKÉES.  —  Botanique,  XIX-XXI.  — 
Etyra.  :  Du  nom  du  genre  ValvrinjKi  (valériane). 

Dcfii'ition.  —  Famille  de  plantes  dicotylédo- 
néos  gamopétales  épigynes,  formant,  avec  les 
Dipsacéeset  les  Caprifoliacées,  la  classe  des  Loni- 
cÉniNÉES  de  Brongniart. 

Caractères  botaniques.  —  La  graine  des  Valé- 
rianées  possède  un  tégument  séminal  extrême- 
ment mince,  presque  nul  ;  elle  est  protégée  sur- 
tout par  les  parois  du  fruit,  dans  lequel  elle  reste 
enlermée  jusc|u'au  moment  de  sa  germination. 
Sous  le  tégument  se  trouve  l'embryon,  droit,  appli- 
qué sur  un  albumen  fort  réduit,  presque  nul. 

Les  ni'  ines  sont  grêles,  fasciculées. 

La  tige  est  herbacée  et  annuelle  ;  ou  bien  elle 
présente  un  rhizome  qui  hiberne  chaque  année  et  i: 
émet  au  printemps  de  nouvelles  pousses  aérien-  ; 
nés  ;  dans   ce  cas,  les  plantes  sont  vivaces.  Ce 


VALÉRIANEES 


—  2263 


VALÉRIANEES 


rliizomo  ou  .towlie  des  Valérianées  est  odorant  et 
reclierclio  pai-  la  pliarmacie. 

Les  fniilles  sont  opposées  ;  elles  sont  simples 
etentières,  ou  (luelquefois  pinnatifides.  Celles  de 
la  partie  inférieure  de  la  tige,  appelées  rnilicales, 
sont  ordinairement  si  rapprochées  qu'elles  sem- 
blent former  un  fai-ceau,  d"où  le  nom  de  feuilles 
/'nsciculées  sous  lequel  on  les  désigne  le  plus 
souvent. 

Lo  pétiole  assez  court  est  toujours  dilaté. 

Les  flcw  s  sont  hermaphrodites,  quelquefois 
diclines,  parce  que  les  élaniines  de  cirtaincs  fleurs 
et  le  pistil  de  certaines  autres  ne  se  développent 
pas.  Elles  sont  disposées  en  cymes  ou  eu  co- 
rynibes. 

Chaque  fleur  présente  de  l'extérieur  i,  l'inté- 
rieur : 

1°  Un  calice  épigyne  gamosépale,  dont  le  bord 
présente  tantôt  une  dent,  tantôt  truis,  et  tantôt 
quatre.  Quelquefois  (Centianihe)  ce  calice  e>t 
transformé  en  soies  plumeuses  qui  sont  roulées 
sur  elles-mêmes  avant  la  floraison,  puis  se  dérou- 
lent et  forment  une  aigrette  qui  a  pour  but  de 
favoriser  la  dissémination  du  fruit  (dissémination 
par  le  vent) ; 

'1°  Une  corolle  gamopétale,  infundibuliforme, 
insérée  sur  un  disque  qui  couronne  l'ovaire.  Cette 
corolle  est  ordinairement  irrégulière  ;  son  tube 
présente  quelquefois  à  sa  base  une  bosse  i  Valf- 
liane)  ou  un  éperon  creux  [Centranthe).  Le  limbe 
(le  la  corolle  est  ordinairement  à  cinq  lobes; 

;î°  Un  androcée  composé  d'un  nombre  d'éta- 
mines  variable;  le  nombre  normal  semble  être 
cinq;  cependant  il  se  trouve  presque  toujours 
réduit  Ji  quatre  par  l'avortement  de  l'une  d'elles; 
et  quelquefois  il  est  réduit  i  trois  ou  à  deux  ou 
même  à  une.  (Le  Centranthe  a  une  étamine,  le 
I''édiii  en  a  deux,  la  Valériane  en  a  trois.)  Ces 
étamines  sont  insérées  sur  le  tube  de  la  corolle. 
lueurs  filets  sont  allongés,  leurs  anthères  sont 
introrses,  à  deux  loges  à  déhiscence  longitudinale  ; 

4"  Au  centre  de  la  fleur  se  trouve  le  style  uni- 
que, terminé  par  un  stigmate  bifide  ou  trifide.  Ce 
style  surmonte  un  ovaire  infère  à  trois  loges,  dont 
une  seule  est  fertile  et  renferme  un  seul  ovule 
unitégumenté  etanatrope.  Le  nucelle  de  cet  ovule 
se  détruit  de  très  bonne  heure,  parce  que  le  sac 
embryonnaire  fait  saillie  dans  le  micropyle  et 
s'avance  à  la  rencontre  du  boyau  pollinique. 

Le  fruit  est  sec  et  indéhiscent  ;  du  reste  la  dé- 
liiscenco  serait  ici  complètement  inutile,  puisque 
ce  fruit  ne  renferme  jamais  qu'une  seule  graine. 

Usages  des 'Valêrianées.  —  Une  seule  des  plan- 
tes de  celte  famille  est  comestible,  c'est  la  Miiche 
(doucette,  boursette.  salade  de  blé),  dont  les  jeu- 
nes feuilles  se  mangent  en  salade  en  automne  et 
an  printemps.  Son  Jiom  scientifique  est  Vuléria- 
liclle  ;  Aen\  espèces  sont  comestibles. 

Les  autres  Valêrianées  ont  été  employées  en  mé- 
decine; elles  entrent  encore  dans  la  composition 
de  quelques  médicaments  ;  ce  sont  : 

1°  La  Va/érii  ne  o//icinale,  dont  la  racine  est 
très  odorante;  son  odeur  plaît  particulièrement 
aux  chats  (|Ui  se  roulent  dessus  et  en  mangent 
même  avec  délices.  On  extrait  de  cette  racine  une 
essence  très  odorante,  usitée  autrefois  comme  an- 
tispasmodique ; 

■.!°  La  Vtilérinne  fini  ou  nard  de  Crète,  dont  la 
rarine  a  les  propriétés  de  la  Valériane  officinale, 
m.nis  à  un  moindre  degré; 

:i"  Le  Nard  celtique  (Valerinna  ce/tica),  petite 
plante  des  montagnes  du  Tyrol  et  de  la  Suisse, 
rerlierchée  pour  sa  souche.  Cette  souche  a  en 
eftet  des  propriétés  actives;  elle  entre  dans  la 
composition  de  l'électuaire  nommé  thériaque.  Les 
Turcs  en  font  un  grand  usage  pour  aromatiser 
leurs  bains  ; 

'i'   Le  Nard  indien,    qui  est  la   souche   d'une 


valériance  de  l'Inde,  souche  très  recherchée  dans 
l'Inde  comme  médicament  et  comme  parfum.  Ce 
nard  indien  n'est  pas  autre  chose  que  le  Spica- 
naid  des  anciens,  dont  les  dames  romaines  fai- 
saient un  fort  grand  usage  comme  parfum.  L'es- 
pèce qui  possède  cette  souche  n'est  pas  encore 
parfaitement  connue. 

La  Valériane  Phu  et  le  Cenlrnnlhus  ruber, 
nommé  vulgairement  Valériane  rouge,  sont  cul- 
tivés dans  les  jardins  comme  plantes  ornemen- 
tales. 

Famille  des  Dipsacées.  —  Carnclères  botani- 
ques. —  Les  Dipsiicées  diffèrent  des  Valêrianées 
par  les  caractères  suivants  : 

Leurs  graines  possèdent  un  albumen  abondant 
au  milieu  duquel  se  trouve  l'embryon. 

Leur  inflorescence  est  toujours  un  capitule. 

Leur  corolle  ne  présente  jamais  ni  bosse  ni 
éperon. 

Leurs  étamines  sont  toujours  au  nombre  de 
quatre. 

Leur  ovaire  est  toujours  uniloculaire. 

Usages  des  Dipsacées.  —  1°  Les  Scabieuses 
(feuilles  et  fleurs)  sont  usitées  comme  sudoriflques 
contre  les  maladies  de  la  peau  ; 

2°  Les  capitules  de  la  Cardère  cultivée,  nommée 
vulgairement  Ch  irdun  à  fou/on,  ou  Chardon  des 
b'inne/i'-rs  (Dp^a' us  fullonum),  sont  pourvus  de 
paillettes  très  serrées,  dures,  et  terminés  en  cro- 
chet à  leurs  extrémités.  Ils  servent  à  carder  les 
tissus  de  laine  et  ceux  de  coton. 

Les  Scabieuses  sont  cultivées  comme  plantes 
ornementales. 

Famille  des  Caprifoliacées.  —  Caractères  bn- 
lnniqne<.  —  Les  plantes  de  la  famille  des  Capri- 
foliacées diffèrent  de  celles  de  la  famille  des  Valê- 
rianées par  les  caractères  suivants  : 

Leurs  graines  sont  pourvues  d'un  albuinen 
abondant  qui  enveloppe  l'embryon. 

Leur  tige  est  souvent  ligneuse. 

Le  nombre  normal  des  étamines  est  cinq  ;  il  y  en 
a  rarement  quatre. 

Leur  ovaire  a  de  deux  à  cinq  loRes. 

L'ovaire  du  chèvrefeuille  a  trois  loges  fertiles, 
ainsi  que  celui  du  sureau;  l'ovaire  du  Si/mphon- 
ccirpus  est  à  quatre  loges,  dont  deux  seulement 
sont  fertiles.  L'ovaire  de  la  viorne  est  à  deux  loges 
dont  une  seule  est  fertile. 

Chaque  loge  de  l'ovaire  renferme  deux  ovules 
ou  deux  rangées  d'ovules. 

Le  fruit  est  une  baie  qui  parait  souvent  uni- 
loculaire, i  cause  de  la  destruction  des  cloisons 
de  lovaire,  destruction  qui  se  produit  pendant  la 
maturation. 

Usiiqfs  des  Caprifoliacées.  —  1°  Le  Chèvre- 
feuille des  jardins.  Ses  fleurs  ont  une  odeur  très 
agréable  ;  elles  sont  usitées  comme  sudoriflques 
et  calmantes. 

2°  Le  Si'reau  commun  {Sambiicus  nigra).  Ses 
fleurs  sont  sudoriflques  ;  on  les  emploie  comme 
telles  contre  la  morsure  de  la  vipère  ;  on  en  extrait 
un  hydrolat;  elles  servent  aussi  à  donner  à  cer- 
tains vins  le  parfum  du  nmscat.  On  prépare  avec 
les  baies  du  sureau  un  extrait  que  l'on  nomme 
roh  de  sureau  et  qui  est  purgatif  à  la  dose  do  12 
à  15  grammes.  L'écorce  de  sureau  est  aussi  usi- 
tée comme  purgative  contre  l'hydropisie.  On  ré- 
colte pour  cet  usage  l'écorce  des  jeunes  branches, 
après  la  chute  des  feuilles,  quand  son  épiderme 
est  devenu  gris  et  tuberculeux.  On  enlève  cet 
épiderme  en  le  raclant  avec  un  couteau,  de  ma- 
nière à  avoir  seulement  l'écorce  que  l'on  fait 
sécher. 

3°  Les  fleurs  et  les  baies  de  VHiéble  (Sambucus 
ebuus)  servent  aux  mêmes  usages  que  celles  du 
sureau  noir.  Ces  deux  sureaux  diffèrent  l'un  de 
r.iutro  eu  ce  que  le  sureau  noir  est  un  arbuste 
vivace,   tandis  que  le    ureai;  hièble  possède  une 


VAPEURS 


—  2264  — 


VAPEURS 


souche  souterraine  seule  vivace,  qui  donne  chaque 
année  des  tiges  herbacées  annuelles. 

4°  Dans  les  forêts  de  la  Suède  croit  une  herbe 
toujours  verte  dédiée  à  Linné  ;  c'est  !a  Luinsa 
hornalis;  sa  tige  et  ses  feuilles  sont  sudorifiques. 

Les  chèvrefeuilles,  les  sureaux  sont  cultivés 
comme  plantes  ornementales,  à  cause  do  leur  port, 
et  à  cause  de  l'odeur  agréable  que  leurs  fleurs 
répandent  le  soir  après  le  coucher  du  soleil. 

[C.-E.  Bertrand.] 
VAPEURS.  —  Physique,  XVII.  —  Le  nom  de 
vapeur  a  été  employé  longtemps  pour  désigner 
exclusivement  les  fluides  aériformes  provenant 
de  la  transformation  des  liquides,  et  dans  le  lan- 
gage vulgaire  il  conserve  encore  cette  significa- 
tion ;  c'est  ainsi  que  l'on  dit  la  vapeur  d'eau, 
d'alcool,  d'éther.  Mais,  pour  le  physicien,  vapeur 
est  synonyme  de  gaz  ;  l'une  ou  l'autre  de  ces 
deux  expressions  désigne  l'état  aériforme  de  la 
matière,  qu'elle  provienne  ou  non  d'un  corps  ha- 
bituellement liquide.  Tant  que  l'on  n'a  pas  su 
amener  les  gaz  à  l'état  liquide,  aussi  générale- 
ment qu'on  pouvait  faire  passer  les  liquides  à  l'é- 
tat gazeux,  on  a  pu  établir  quelques  différences 
entre  les  gaz  permanents  et  les  vapeurs  provenant 
des  liquides.  Mais  cette  distinction  n'a  plus  de 
raison  d'être  :  tout  liquide  placé  dans  des  condi- 
tions convenables  se  transforme  en  vapeur  ou  gaz, 
et  il  n'y  a  pas  de  gaz  ou  de  vapeur  qui  ne  puisse 
Ji  un  moment  donné  redevenir  un  liquide. 

Certains  corps  solides  se  transforment  directe- 
ment en  vapeurs  :  tels  sont  notamment  le  cam- 
phre et  l'iode  :  le  premier,  abandonné  à  l'air,  perd 
rapidement  de  son  poids,  et  le  second,  léi^èrement 
chauffé,  donne  un  gaz  d'une  très  belle  couleur 
violette. 

Mais  le  mode  le  plus  ordinaire  de  la  génération 
des  vapeurs,  c'est  la  transformation  des  liquides. 
L'eau  exposée  à  l'air  sous  une  grande  surface 
diminue  assez  rapidement  de  poids,  et  peut  même 
disparaître  entièrement  dans  l'air  en  vapeur  invi- 
sible. Il  en  est  de  même  de  la  plupart  des  autres 
liquides  ;  et  si  quelques-uns,  comme  le  mercure 
et  l'acide  sulfurique,  ne  donnent  pas  de  vapeurs  i 
la  température  de  zéro,  ils  peuvent  en  donner 
à  une  température  plus  élevée.  D'une  manière 
générale,  un  liquide  donne  d'autant  plus  de  va- 
peurs qu'il  est  plus  ciiaud  et  que  la  pression  de 
l'atmosphère  qui  est  au-dessus  de  lui  est  plus 
faible. 

La  plupart  des  liquides  se  transforment  instan- 
tanément en  vapeurs  dans  le  vide. 

Pour  prouver  cette  importante  proposition,  on 
se  sert  du  vide  barométrique.  On  fait  deux  baro- 
mètres plongeant  dans  la  même  cuvette;  le  pre- 
mier restera  intact  et  le  second  servira  à  l'élude 
de  la  vapeur  d'un  liquide,  l'éther  par  exemple. 
On  introduit  donc  dans  ce  dernier  un  peu  d'éther 
qui  en  vertu  de  sa  faible  densité  monte  au-dessus 
du  mercure  et  arrive  dans  la  chambre  barométri- 
que. On  voit  alors  la  colonne  mercurielle  bais- 
ser :  l'éther,  en  arrivant  dans  le  vide,  s'est  instan- 
tanément changé  en  vapeur,  et  cette  vapeur  presse 
sur  le  mercure  comme  le  ferait  un  gaz  quelcon- 
que; elle  aune  force  clristiijue  facile  à  estimer  par 
la  différence  de  hauteur  des  deux  colonnes  baro- 
métriques. 

Cette  expérience  répétée  avec  l'alcool  et  avec 
l'eau  donne  des  résultats  analogues,  seulement 
la  dépression  du  mercure  est  plus  faible  pour 
l'alcool  que  pour  l'éther,  plus  faible  pour  l'eau 
que  pour  l'alcool  ;  en  d'autres  termes,  la  force 
élastique  de  la  vapeur  d'eau  est  moindre  que  celle 
de  la  vapeur  d'alcool,  et  celle-ci  moindre  que  celle 
de  la  vapeur  d'eiher. 

La  force  élastique  d'une  vapeur  suit-ello  les 
mêmes  variations  que  la  force  élastique  d'un  gaz, 
obéit-elle  comme    cette  dernière  à  la  loi  de  Ma- 


riette ?  C'est  ce  que  l'expérience  seule  peut  ap- 
prendre. On  fait  deux  baromètres.  Dans  l'un  on 
introduit  assez  d'éther  pour  qu'il  en  reste  une 
couche  liquide  sur  la  colonne  mercurielle  dépri- 
mée par  la  vapeur.  Dans  l'autre  on  fait  passer 
assez  peu  d'éther  pour  que  le  tout  se  vaporise. On 
constate  d'abord  que  la  force  élastique  est  moin- 
dre dans  le  dernier  tube  que  dans  le  premier. 
Ajoute-t-on  de  l'éther  dans  chacun  d'eux,  la  dé- 
pression du  mercure  reste  la  même  dans  le  pre- 
mier tube  ;  le  liquide  ajouté  est  venu  se  joindre 
au  liquide  existant,  mais  la  quantité  de  vapeur 
n'a  pas  augmenté  ;  l'espace  en  contenait  tout  ce 
qu'il  en  peut  tenir  à  la  température  où  l'on  a 
opéré;  cet  espace  est  satiné.  Dans  le  second,  au 
contraire,  le  liquide  ajouté  se  change  en  vapeur 
et  la  dépression  du  mercure  augmenie,  et  cela  se 
produit  tant  qu'il  ne  reste  pas  au  contact  de  la 
vapeur  un  peu  de  son  liquide  générateur;  alors, 
quand  ce  tube  contient  au-dessus  de  sa  colonne 
mercurielle  un  pou  d'éther  non  vaporisé,  la  dé- 
pression est  la  même  que  dans  l'autre. 

On  tire  de  cette  expérience  les  conséquences 
suivantes  :  c'est  qu'une  vapeur,  suivant  sa  quan- 
tité, peut  saturer  ou  non  un  espace  donné;  que 
dans  le  cas  do  non-saturation,  la  force  élastique 
est  moindre  ;  que  cette  force  élastique  prend  sa 
plus  grande  valeur  pour  la  température  à  laquelle 
on  opère,  quand  la  vapeur  sature  l'espace  et 
qu'elle  est  en  contact  avec  son  liquide  générateur. 
Une  vapeur  non  saturante  est  de  tous  points  un 
gaz;  elle  obéit  àlaloi  de  Mariette;  mais,  une  fois 
qu'elle  atteint  son  point  de  saturation,  elle  cesse 
de  ressembler  aux  gaz,  elle  prend  une  force  élasti- 
que ou,  comme  on  dit.  une  tension  maximum^  que 
rien  ne  lui  fera  dépasser;  la  moindre  compression, 
en  diminuant  son  volume,  lui  fait  alors  prendre 
l'état  liquide. 

Pour  un  même  liquide,  la  tension  maximum  de 
la  vapeur  est  toujours  la  même  à  la  même  tempé- 
rature ;  mais  elle  croit  très  rapidement  à  mesure 
que  la  température  s'élève. 

La  connaissance  des  tensions  maxima  de  la 
vapeur  d'rau  aux  diverses  températures  a  une 
grande  importance  dans  les  applications  :  aussi 
a-t-elle  donné  lieu  à  de  nombreuses  recherches 
commencées  par  Dalton  et  continuées  par  Ke- 
gnault. 

Voici  les  principaux  résultats  trouvés  : 


On  voit  par  ce  tableau  que  la  force  élastique  de 
la  vapeur  d'eau  croit  très  rapidement  avec  la 
température  ;  qu'elle  est  égale  à  la  pression  nor- 
male de  TCO  millimètres  à  10U°,  à  deux  atmosphè- 
res vers  \ÏV,  à  trois  atmosphères  vors  131°,  à 
dix  atmosphères  vers  180°. 

Les  physiciens  ont  aussi  déterminé  les  tensions 
maxima  des  vapeurs  d'un  certain  nombre  d'au- 
tres liquides,  tels  que  l'alcool  et  l'éther,  l'acide 


VEGETAL 


—  2263  — 


VEGETAL 


sulfureux  fit  l'amnioniaque  ;  nous  ii'on  reprodui- 
sons pas  ici  les  nombres  qu'on  trouvera  dans  les 
traités  spc'^ciaux. 

Mélanges  de.i  i/az  cl  des  vapeur.'!.  —  Lorsqu'on 
introduit  un  liquide  dans  un  espace  contenant 
lin  gaz,  le  liquide  se  transforme  en  vapeur  ;  sa 
vaporisation  n'est  pas  instantanée  comme  dans 
le  vide;  elle  est  plus  lente,  mais  linalemonl  l'es- 
|iace  se  sature  de  vapeur,  absolument  comme  s'il 
avait  été  vide;  et  la  vapeur  prend  sa  tension 
maximum  pour  la  température  à  laquelle  on 
opère.  H  résulte  de  ce  fait,  démontré  d'abord  par 
Gay-Lussac,  que  la  pression  d'un  mélange  de 
gaz  et  de  vapeur  est  égale  à  la  somme  des  pressions 
du  gaz  et  de  la  vapeur  considérés  isolément.  Si  donc 
la  vapeur  sature  l'espace,  que  par  suite  on  con- 
naisse sa  force  élastique,  on  peut  obtenir  celle  du 
gaz  en  relrancliant,  de  la  pression  du  mélange,  la 
pression  de  la  vapeur. 

C'est  le  cas  de  l'air  ou  d'un  gaz  plus  ou  moins 
mélangé  d'humidilé  ou  do  vapeur  d  eau,  et  dont  il 
importe  de  connaître  la  pression  si  l'on  a  besoin 
de  calculer  exactement  son  poids. 

Le  mélange  d'air  et  de  vapeur  d'eau  existe 
constamment  dans  l'atmosphère;  l'étude  de  ses 
variations,  de  ses  changements,  des  phénomènes 
qui  y  prennent  naissance,  est  une  des  parties  im- 
portantes de  la  météorologie. 

Liquéfacli'ju  îles  vapeurs  ou  des  gaz.  —  Avant 
de  pouvoir  amener  une  vapeur  h  l'état  liquide,  il 
faut  faire  en  sorte  que  cette  vapeur  arrive  d'a- 
bord à  son  point  de  saturation;  on  obtient  ce 
résultat,  soit  en  diminuant  le  volume  qu'elle 
occupe,  soit  en  la  refroidissant  sans  changement  de 
volume.  Dans  le  premier  cas,  on  augmente  peu 
à  peu  la  force  élastique  et  on  l'amène  àôlrc  égale 
h  la  tension  maximum  de  la  vapeur  pour  la  tem- 
pérature à  laquelle  on  opère.  Dans  le  second,  en 
diminuant  la  température,  on  diminue  la  tension 
que  doit  avoir  la  vapeur  pour  saturer  l'espace  et 
on  finit  par  rendre  la  saturation  possible,  si  faible 
qu'ait  été  d'abord  la  foice  élastique  primitive  de  la 
vapeur.  Une  fois  la  saturation  obtenue,  si  l'on 
diminue  le  volume  ou  la  température,  une  par- 
tie de  plus  en  plus  grande  de  vapeur  passera  à 
l'état  liquide. 

Si  donc  un  gaz  n'est  autre  chose  qu'une  vapeur 
plus  ou  moins  éloignée  de  son  point  de  satura- 
tion, on  devra  pouvoir  l'amener  à  l'état  liquide, 
en  lui  faisant  subir  une  forte  compression,  ou  un 
refroidissement  intense,  ou  en  employant  les 
deux  moyens  simultanément.  C'est  h  l'aide  de  ces 
trois  procodés,  du  dernier  surtout,  que  l'on  est 
parvenu  à  liquéfier  tous  les  gaz  ;  et  les  cinq  qui 
avaient  longtemps  résisté,  et  que  l'on  considérait 
comme  des  gaz  permanents,  ont  satisfait  à  la  règle 
aussitôt  qu'on  a  su  produire,  en  même  temps 
qu'une  très  forte  pression,  un  refroidissement  très 
grand  et  très  brusque  emprunté  à  la  dépense  de 
chaleur  dont  a  besoin  un  gaz  très  comprimé  qu'on 
laisse  brusquement  se  dilater.       [Haraucourt.l 

VÉGÉTAL.  —  Botanique,  I.  —  Caractères 
lies  végétaux.  —  Les  végétaux  sont  des  êtres  vi- 
vants pourvus  de  pigments  colorés,  à  la  faveur 
desquels  ils  décomposent  l'acide  carbonique  dont 
il.s  fixent  le  carbone.  Ils  ne  possèdent  qu'une  sen- 
sibilité très  vague,  diffuse.  Fixés  par  un  point  de 
leur  surface,  ils  ne  se  déplacent  que  très  peu 
tians  le  milieu  où  ils  vivent,  et  ne  semblent  subir 
que  les  actions  lentes,  graduées,  qui  ne  sont  pas 
trop  intenses,  mais  dont  la  durée,  en  revanche, 
est  assez  grande.  Les  végétaux  puisent  tous 
leurs  aliments,  à  l'exception  du  carbone,  dans  le 
sol  ou  dans  le  milieu  qui  les  baigne.  Tous  ces 
aliments  sont  dissous  dans  l'eau  que  ces  êtres 
absorbent  en  très  grande  quantité.  La  durée  de 
l'existence  de  l'individu  est  extrêmement  longue 
chez  presque  tous  les  végétaux. 


Pris  en  soi,  aucun  dos  caractères  ci-dessus 
n'est  absolu  et  ne  peut  s'appliquer  exactement  h 
tous  les  végétaux.  Chacun  d'eux  comporte  des 
exceptions  qui  restreignent  sa  généralité  et  qui 
établissent  entre  les  végétaux  et  les  animaux, 
c'est-i  dire  entre  les  deux  grandes  divisions  des 
êtres  vivants,  des  transitions  plus  ou  moins  mé- 
nagées. Ceci  tient  à  ce  que  les  végétaux  ont  été 
constitués  originairement  par  un  groupe  d'êtres 
vivants  qui  n'étaient  autres  qu'une  classe  d'ani- 
maux qui  s'est  peu  Ji  peu  habituée  aux  condi- 
tions particulières  de  la  vie  végétale.  Cette  des- 
cendance des  végétaux,  qui  les  fait  résulter  de 
la  transformation  d'un  groupe  d'animaux  placé 
dans  des  conditions  de  vie  spéciales,  permet  de 
comprendre  très  facilement  comment  ceux  de  ces 
êtres  qui  ont  subi  dans  dos  temps  modernes  des 
dégradations  importantes,  ont  repris  plus  ou  moins 
les  caractères  généraux  de  la  vie  des  animaux  les 
plus  inférieurs.  Il  y  a  \h  un  fait  d'atavisme  ou,  si 
l'on  préfère,  un  retour  à  l'état  ancestral.  C'est 
ainsi  que  le  pigment,  qui  caractérise  les  végétaux, 
fait  souvent  défaut  dans  ceux  de  ces  êtres  qui 
vivent  en  parasites.  Ces  végétaux  parasites  trou- 
vent dans  l'être  qui  les  nourrit  le  carbone  dont  ils 
ont  besoin  pour  leur  développement;  dès  lors 
ils  cessent  de  décomposer  l'acide  carbonique 
de  l'air  sous  l'inlluenco  de  la  lumière  solaire  ; 
leur  fonction  chlorophyllienne  a  donc  disparu  ; 
jour  et  nuit  leur  respiration  se  traduit  par  une 
absorption  d'oxygène  et  une  exhalation  d'acide 
carbonique.  Ces  plantes  vivent  donc  à  la  manière 
des  animaux.  Beaucoup  d'entre  elles,  en  effet, 
produisent  directement  des  matières  analogues  k 
l'urée,  ou  même  du  carbonate  d'ammoniaque,  qui 
n'est  autre  chose  que  do  l'urée  ammoniacale 
oxydée. 

Plusieurs  végétaux  très  inférieurs  possèdent 
une  motilité  au  moins  aussi  grande  que  celle  de 
plusieurs  animaux  inférieurs.  Ainsi  un  très  grand 
nombre  de  petites  algues  nommées  diatomées  na- 
gent dans  l'eau  et  s'y  déplacent  en  tous  sens. 
D'autres  petites  algues,  appelées  volvocinées,  pos- 
sèdent toute  leur  vie  une  très  grande  agilité,  et 
on  les  voit  courir  dans  l'eau  aussi  vite  qu'une 
paramécie  ou  qu'un  rotifère.  Beaucoup  de  bacté- 
ries sont  mobilrs,  témoin  la  bactérie  du  charbon, 
celle  de  la  fièvre  récurrente,  et  le  spiro-monas 
qui  vit  dans  l'eau  de  mer  de  la  baie  de  Copen- 
hague. 

Les  plus  singuliers  peut-être  de  ces  végétaux 
doués  de  mouvements  propres,  ce  sont  les  cham- 
pignons muqueux  nommés  myxomycètes,  dont  le 
type  le  plus  commun  est  l'.Ellinliiim  septicum  ou 
fleur  de  tan,  qui  se  développe  à  la  surface  delà 
tannée  du  mois  de  mai  au  mois  de  septembre. 

Ces  champignons  muqueux  forment  de  grandes 
plaques  glaireuses  à  la  surface  des  corps  dont  ils 
se  nourrissent  ou  dans  l'intérieur  des(juels  ils 
sont  enfermés,  et  ils  s'y  déplacent  en  émettant 
dans  la  direction  où  ils  veulent  aller  des  prolon- 
gements contractiles  nommés  pseudopodes.  Ces 
champignons  muqueux  se  nourrissent  comme  les 
animaux  inférieurs  en  englobant  dans  leur  sein 
les  matières  alimentaires  solides  dont  ils  se  nour- 
rissent. Cet  exemple  des  champignons  muqueux 
nous  montre,  en  môme  temps  que  des  végétaux 
doués  do  mouvements  propres,  des  végétaux  qui 
englobent  les  corps  solides  dont  ils  veulent  se 
nourrir,  qui  digèrent  ces  corps  et  qui  en  rejettent 
les  résidus,  tout  comme  le  font  des  animaux  déjîi 
fort  élevés  en  organisation. 

A  l'article  Classifications,  on  a  fait  connaître 
les  principales  divisions  que  les  naturalistes  ont 
établies  dans  les  végétaux;  ces  êtres  étant  consi- 
dérés comme  formant  un  groupe  équivalent  aux 
animaux,  bien  qu'en  réalité  ils  n'en  soient  qu'une 
subdivision.    A    l'article    P/tijsiologie,  il    n'a  été 


VEGETAL 


2266  — 


VEGETAL 


traité  que  de  la  pliysinlogie  animale.  L'impor- 
tance si  grande  du  nmde  de  vie  des  végétaux 
nous  engage  à  donner  ici  un  résumé  succinct  de 
la  physiidorjie  véffrtnle  Nous  le  ferons  suivre  de 
quelques  notions  Ap  paléontologie  végétale, elA'yin 
tableau  de  la  di'Irilivtion  géographique  des  végé- 
taux à  l'époque  actuelle. 

PHYSIOLOGIE    VÉGÉTALE. 


La  pl)ysiologie  végétale  s'occupe  des  fonctions 
des  végétaux  et  des  organes  au  moyen  desquels 
ces  fonctions  s'exécutent.  Un  assemblage  d'orga- 
nes concourant  tous  à  l'accomplissement  d'une 
fonclion  déterminée  forme  ce  que  l'on  appelle  un 
appareil  de  cette  fonction.  Les  végétaux  sont  des 
êtres  trop  peu  différenciés  morphologiquement 
pour  qu'une  fonction  déterminée  soit  constamment 
attribuée  5  une  même  partie  du  corps  de  la  plante. 
Chez  eux,  beaucoup  plus  fréquemment  nue  chez  les 
animaux,  nous  sommes  exposés  à  rencontrer  d'S 
emprunts  physiologiques  et  des  substitutions  or 
ganiques.  La  division  du  travail  physiologique  est 
toujours  très  peu  accentuée  chez  les  végétaux. 
Cette  faible  localisation  s'accorde  d'ailleurs  avec 
la  facilité  de  substitution  qui  caractérise  les  tis- 
sus végétaux. 

Les  fonctions  de  la  plante  ont  en  vue  les  unes 
la  conservation  de  l'individu,  les  autres  la  conser- 
vation de  l'espèce,  d'autres  encore  la  mise  en 
rapport  de  l'individu  végétal  avec  le  milieu  am- 
biant et  les  êtres  qui  l'entourent.  .\  l'article 
Fleur,  nous  avons  fait  connaître  la  manière 
dont  l'individu  végétal  assure  la  conservation  de 
sa  race  ;  nous  ne  reviendrons  pas  sur  ce  sujet. 
Nous  nous  bornerons  à  ce  qui  concerne  la  conser- 
vation de  l'individu  végétal  et  la  mise  en  rapport 
de  cet  individu  avec  le  milieu  qui  l'entoure  et  les 
êtres  qu'il  y  peut  rencontrer.  L'ensemble  des 
fonctions  au  moyen  desquelles  la  plante  assure 
la  conservation  de  son  individu  forme  ce  que  l'on 
appelle  les  fonctions  fie  initrition.  Celles  qui 
assurent  la  mise  en  rapport  de  l'être  végétal  avec 
le  milieu  qui  l'entoure  et  avec  les  autres  êtres 
sont  appelées  fonctions  de  relation. 

Los  fonctions  de  nutrition  comprennent  :  1°  l'ai- 
sor/itioTi,  c  est-à-dire  la  manière  dont  l'être  végétal 
puise  dans  le  milieu  qui  l'entoure  les  substances 
nécessaires ,i  l'entretien  de  sa  vie;  2° la  circulation, 
c'est-à-dire  la  distribution  dans  toutes  les  parties 
de  l'être  végétal  des  matières  absorbées  rendues 
assimilables  ;  3°  I  assimilation  ou  la  manière  dont 
l'être  trans''orme  en  sa  propre  substance  les  ma- 
tériaux distribués  par  la  circulation;  4°  enfin 
Yexrrétion,  c'est-à-dire  le  rejet  des  matériaux 
devenus  inutiles  ou  même  nuisibles  par  suite  de 
l'exercice  de  la  vie. 

Les  fondions  de  relation  ne  comprennent  que  la 
sensih'lité,  la  molilité  et  les  procédés  de  défeme 
que  l'individu  végétal  peut  employer  pour  mettre 
sa  vie  à  l'abri  des  attaques  de  ses  ennemis. 

Fonctions  de  nutrition.  —  I  Absorption.  — 
1.  Ahsury  lonilts  liquiiies.  —  Les  plantes  n'absor- 
bent en  général  que  des  solutions  aqueuses  extrê- 
mement diluées.  Ct-tte  absorption  se  fait  par  en- 
dnsiiio^e,  à  la  surface  des  poils  radicaux  qui 
coiivrent  l'extn'mité  jeune  des  racines  en  voie 
d'allongement.  Pour  montrer  que  les  racines  ab- 
sorbent l'eau  qui  les  baigne,  on  peut  plonger 
dans  un  vase  plein  d'eau  le  système  radical  d'une 
plante  bien  vivante,  élevée  dans  l'eau  depuis  long- 
temps de  manière  à  avoir  la  surface  de  ses  racines 
absolument  intacte.  On  verse  une  couche  d'huile 
à  la  surface  de  l'eau  où  plongent  les  racines,  de 
manière  à  empêcher  la  disparition  de  cette  eau 
par  évaporation.  Or,  l'eau  disparaît  rapidement  si 
la  plante  est  bien  éclairée.  Nous  devons  donc 
admettre  que  l'eau  entre  dans  la  plante  par  la  sur- 


face des  racines,  c'est-.'i-dire  que  les  plantes  absor- 
bent l'eau.  Pour  juger  de  la  rapidité  de  cette  ab 
sorplion  dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie, 
M.  Vesque  a  eu  l'idéo  de  placer  le  bassin  plein 
d'eau  dans  lequel  vivait  la  plante  que  nous  étu- 
diions tout  à  l'heure,  sur  l'un  des  plateaux  d'une 
balance  sensible  à  I  centigramme  (c'est-à-dire 
que  cette  balance  oscille  dès  qu'une  différence  de 
1  centigramme  existe  entre  les  poids  placés  dans 
chacun  des  plateaux).  Or,  lorsqu'une  oscillation  de 
la  balance  se  produit,  cette  oscillation  ferme  un 
circuit  électrique  et,  par  un  mécanisme  qu'il  serait 
trop  long  de  décrire,  au  même  instant  un  poids 
de  I  centigramme  est  placé  dans  le  plateau  de  la 
balance  qui  était  le  moins  chargé.  On  constate 
ainsi  qu'une  plante  verte  dont  la  surface  atteint 
"iOO  centimètres  carrés  peut  absorber  jusqu'à  un 
liti'e  d'eau  pur  jour. 

Pour  étudier  de  plus  près  les  phénomènes  de 
l'absorption  chez  les  végétaux  ordinaires,  iVI.  Vesque 
enracine  ceux-ci  dans  un  tube  fermé  aux  deux  bouts 
et  traversé  par  un  courant  d'eau  ou  dételles  solu- 
tionsaqueusessalinesappropriécs  que  l'onveutétu- 
(lier.  Un  tube  courbé  à  angle  droit,  dont  la  grande 
branche  est  horizontale  et  divisée  en  millimètres 
cubes  d'eau,  permet  à  l'excès  de  liquide  de  s'é- 
chapper. Ce  liquide  peut  être  recueilli  et  titré.  Un 
robinet,  placé  sur  le  tuyau  d'arrivée  du  courant 
liquide,  permet  d'interrompre  ce  courant.  Au 
moyen  de  cet  appareil,  M.  Vesque  a  pu  constater  : 
1"  Que  les  racines  des  plantes  absorbent  de 
l'eau  ; 

3°  Que  la  quantité  d'eau  absorbée  par  les  plan- 
tes dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie  est  en 
rapport  direct  avec,'  l'intensité  de  la  transpiration 
végi'tale  pendant  le  même  temps; 

.3°  Que  l'absorption  de  l'eau  ne  commence  pour 
une  plante  déterminée  qu'à  partir  d'une  tempéra- 
ture déterminée  ; 

4°  Que  l'absorption  de  l'eau  s'accélère  quand 
la  température  vient  à  s'élever; 

5"  Que  l'absorption  de  l'eau  atteint  son  maxi- 
mum à  une  température  déterminée  pour  chaque 
plante  ; 

6°  Qu'au  delà  de  cette  température,  la  plus 
favorable  de  toutes,  l'absorption  diminue  quand 
la  température  continue  à  s'élever,  et  que  bientôt 
même  une  nouvelle  élévation  de  température 
arrête  l'absorption,  la  rend  irrégulière  et  fait  pé- 
rir la  plante  ; 

7°  Qu'un  refroidissement  brusque  d'une  plante 
en  activité,  même  pendant  un  temps  très  court, 
peut  arrêter  complètement  l'absorption  ; 

8°  Qu'une  augmentation  de  l'intensité  de  la  lu- 
mière agit  sur  la  plante  comme  une  augmentation 
de  l'intensité  calorifique;  de  telle  sorte  que,  pour 
la  plante,  le  mouvement  lumineux  et  l'énergie 
calorifique  sont  absolument  équivalents. 

Outre  ces  faits  relatifs  à  l'absorption  de  l'eau 
pure,  M.  Vesque  a  encore  constaté  : 

9°  Que  les  plantes  absorbent  les  solutions  sali- 
nes aqueuses  très  étendues  ; 

10"  Que,  pour  chaque  substance  saline,  la  solu- 
tion aqueuse  la  plus  favorable  à  la  plante  a  un 
titre  déterminé  pour  chaque  plante,  lequel  titre 
est  toujours  de  l'ordre  des  millièmes.  Par  consé- 
quent les  plantes  possèdent  réellement  une  fa- 
culté d'absorption  élective  dont  il  ne  faut  jamais 
dépasser  le  maximum  sous  peine  de  les  faire  périr  ; 
11°  Qu'une  plante  prend  son  maximum  d'acti- 
vité absorbante  à  une  température  donnée,  lors- 
qu'on fait  agir  successivement  et  très  rapidement 
sur  elle  des  courants  alternatifs  d'eau  pure  et  de 
solutions  saliues   voisines  de  leur   maximum   de 


concentration. 

Ce  résumé  des  expériences  de  M.  Vesque  et  des 
conclusions  qui  en  découlent  permet  de  compren- 
dre comment  un  grand  nombre  de  plantes  peuvent 


VEGETAL 


2:>(.7  — 


VEGETAL 


se  dévoloppor  complètement,  en  puisant  leur  nour- 
l'iture  exclusivement  dans  des  milieux  artificiels; 
ce  qui  a  permis  de  reconnaître  que  les  seuls  élé- 
ments réellement  nécessaires  à  l'alimentation  de  la 
majorité  des  plantes  sont  l'acide  carbonique,  l'eau, 
l'aciile  pliospliorique,  l'acide  sulfurique,  l'ammo- 
niaque, la  cliaux,  la  potasse,  l'oxyde  de  fer,  la 
magnésie.  Depuis  lors,  on  a  reconnu  que  certai- 
nes plantes  exigent,  pour  se  développer  complète- 
ment dans  des  liqueurs  artificielles,  que  ces  li- 
queurs contiennent  déjà  des  composés  organiques 
comme  l'alcool,  le  sucre,  la  gomme,  l'acide  lar- 
trique,  le  tannin;  enfin,  pour  un  plus  petit  nombre 
d'autres  plantes,  il  n'a  été  possible  de  les  cultiver 
qu'à  la  condition  de  les  semer  sur  des  êtres  vi- 
vants, animaux  ou  végétaux.  Les  végétaux  qui  ne 
vivent  qu'en  empruntant  leurs  aliments  aux  êtres 
vivants  sont  dits  paraxites  ou f.arasitesjiécesiaires . 
Le  parasitisme  nécessaire  estoppo&énn  parasitisme 
fui-ullatif.  Un  être  est  doué  de  parasitisme  facul- 
tatif quand  il  se  développe  indifféremment  aux 
dépens  d'un  être  vivant  et  aux  dépens  d'un  mi- 
lieu nutritif  artificiel  ou  susceptible  d'être  repro- 
duit artificiellement.  Quant  au  mode  de  vie  des 
plantes  ordinaires,  il  n'a  pas  reçu  de  nom  particu- 
lier. 

Les  liqueurs  salines  pénètrent  dans  les  plantes 
ordinaires  par  voie  d'endosmose.  Ce  travail  est  lo- 
calisé sur  les  parties  jeunes  des  racines,  fraiclie- 
ment  mises  à  nu  par  suite  de  la  chute  de  leur 
coiffe  protectrice.  Le  travail  endosmotique  au 
moyen  duquel  la  plante  puise  les  solutions  salines 
qu'elle  trouve  dans  le  sol  est  des  plus  énergiques, 
grâce  à  la  constitution  du  li(|uide  protoplasmique 
qui  baigne  les  parois  perméables  de  la  partie  jeune 
des  racines.  L'eau  qui  a  pénétré  dans  la  plante  en 
traversant  sa  surface  perméable  esi  amenée  dans 
le  voisinage  de  l'appareil  aquifère;  elle  y  pénètre 
sous  l'influence  de  l'énergique  succion  qu'exerce 
cet  appareil.  L'appareil  aquifère  de  la  plante  est 
ainsi  nommé  parce  qu'il  a  pour  rôle  de  distribuer 
ou  de  porter  l'eau  des  points  d'absorption  de  ce 
liquide  jusqu'aux  organes  de  transpiration  de  la 
plante.  L'appareil  aquifère  des  plantes  consiste  en 
de  très  petits  tubes  ou  vaisseaux  dont  le  diamètre 
moyen  est  d'environ  3  centièmes  de  millimètre. 
La  puissance  capillaire  de  ces  tubes,  que  l'on  qua- 
lifie souvent  de  ligneux,  est  très  grande,  si  grande 
qu'elle  suffit  à  elle  seule  à  soulever  l'eau  à  une 
distance  considérable  du  sol.  Chacun  sait  en  effet 
que,  si  l'on  plonge  l'extrémité  d'un  tube  de  verre 
très  fin  dans  un  vase  plein  d'eau  alcoolisée,  le  li- 
quide s'élève  dans  le  tube  au-dessus  de  son  niveau 
dans  le  vase  à  une  hauteur  d'autant  plus  grande 
que  le  tube  de  verre  est  plus  étroit.  Ce  phéno- 
mène de  l'ascension  en  quelque  sorte  spontanée 
des  liquides  mouillants  dans  les  tubes  étroits  est 
ce  que  l'on  appelle  la  capillarité.  La  puissance  ca- 
pillaire de  ces  tubes  très  fins  croit  en  raison  in- 
verse des  quatrièmes  puissances  des  diamètres  des 
tubes  étudiés.  L'action  capillaire  des  tubes  végé- 
taux attire  et  élève  l'eau  qui  a  pénétré  dans  les  li- 
queurs albumineuses  qui  baignent  les  parois  soli- 
des des  très  jeunes  éléments  actifs  de  la  racine. 
La  puissance  absorbante  de  l'appareil  aquifère  des 
plantes  est  ordinairement  accrue  par  ce  fait  quecet 
appareil  est  en  communication  constante  avec  des 
organes  poreux  très  perméables,  dans  lesquels  la 
transpiration  est  extrêmement  active.  Cette  trans- 
piration, à  défaut  de  la  capillarité,  suffirait  à  pro- 
voquer l'ascension  de  l'eau  dans  l'appareil  aqui- 
fère jusqu'au  sommet  des  plantes  les  plus  hautes.  Si 
on  vient  à  couper  un  pied  de  vigne  an  moment  où 
son  appareil  aquifère  est  en  pleine  activité,  et  si, 
au  moyen  d'une  calotte  en  caoutchouc,  on  met 
la  section  qui  vient  d'être  faite  en  communica- 
tion avec  un  manomètre,  on  voit  ce  manomètre 
accuserune  pression  qui  peut  s'élever  jusqu'à  deux 


et  trois  atmosphères.  L'eau  qui  a  pénétré  dans  la 
plante  par  la  surface  des  racines,  qui,  de  là,  a  pé- 
nétré dans  l'appareil  aquifère,  grâce  à  la  succion 
énergique  de  ce  dernier,  est  donc  élevée,  par  cette 
succion  môme,  depuis  l'extrémité  des  racines  les 
plus  déliées  jusqu'aux  feuilles  les  plus  élevées.  Il 
est  facile  de  donner  une  idée  de  cetie  action  que 
les  feuilles  placées  à  l'extrémité  de  la  plante  exer- 
cent sur  son  absorption  :  il  suffit,  en  effet,  de  pla- 
cer une  mèche  de  coton  cardé  dans  un  tube  de 
verre  très  long,  les  deux  extrémités  de  la  mèche 
dépassant  les  extrémités  du  tube.  L'une  des  extré- 
mités du  tube  est  plongée  dans  un  bassin  plein 
d'eau;  ce  liquide  pénètre  peu  àpeu  dans  la  mèche, 
traverse  ainsi  le  tube  dans  toute  sa  longueur,  et  se 
répand  dans  l'atmosphère  sous  forme  de  vapeur 
par  l'extrémité  supérieure  de  la  mèche  de  coton. 
Si  l'on  a  pris  soin  de  verser  une  mince  couche 
d'huile  sur  la  surface  de  l'eau  contenue  dans  le 
bassin,  de  manière  à  empêcher  toute  évaporation 
de  l'eau  qu'il  contient,  on  voit  néanmoins  disparaî- 
tre toute  cette  eau  :  elle  s'est  échappée  peu  à  peu 
par  l'extrémité  libre  de  la  mèche  de  coton. 

Si  l'on  examine  au  microscope  la  surface  lon- 
gitudinale des  tubes  ou  vaisseaux  de  l'appareil 
aquifère  d'une  plante,  on  remarque,  dans  leur  in- 
térieur, des  sortes  d'hélicesou  de  spires  saillantes, 
dont  la -présence  a  fait  donner  à  beaucoup  d'entre 
eux  le  nom  de  trachi^es  ou  de  vaisseaux  spirales. 
Pour  faire  comprendre  l'utilité  de  cette  disposition, 
nous  devons  rappeler  brièvement  quelques  expé- 
riences de  mécanique.  Si  un  homme  place  une 
pièce  de  vin  sur  un  traîneau,  il  aura  beaucoup  de 
peine  à  faire  glisser  ce  fardeau  le  long  d^  la  route 
où  il  veut  le  déplacer.  C'est  que  le  traîneau  frotte, 
en  glissant,  le  long  de  la  route,  et  que  le  frottement 
de  glissement  provoque  toujours  une  perte  consi- 
dérable d'énergie.  Si,  au  contraire,  notre  homme 
avait  placé  sa  pièce  de  vin  sur  un  baquet  à  deux 
roues,  il  l'eût  facilement  déplacée,  en  faisant  rou- 
ler la  voiture  le  long  de  laroute;  le  frottement  de 
roulement,  développé  dans  ce  cas,  n'étant  qu'une 
fraction  minime  du  frottement  de  glissement  dé- 
veloppé dans  le  cas  où  la  pièce  était  déplacée  au 
moyen  d'un  traîneau.  On  juge  très  souvent  de 
l'intensité  des  frottements  qui  s'exercent  entre 
différents  corps  en  mouvement,  en  mesurant  la 
quantité  de  chaleur  développée  par  ces  frotte- 
ments. Chacun  connaît  cette  expérience  d'enfant 
dans  laquelle  on  s'amuse  à  frotter  très  rapide- 
ment la  tête  d'un  bouton  de  métal  contre  un  mor- 
ceau de  bois:  si  on  vient  à  appliquer  ensuite  le 
bouton  sur  le  dos  de  la  main,  un  s  aperçoit  que  le 
métal  est  devenu  brûlant.  Par  un  pro  édc  analogue 
le  physicien  Joule  a  réussi  5  faire  bouillir  de  l'eau. 
(\  .Vliaieur).  Bréguet  ayant  imaginé  de  faire  tourner 
très  rapidement  un  cylindre  plein  en  plomb,  à  la  sur- 
face duquel  était  gravée  en  creux  une  spire,  dans 
un  cylindre  creux  du  même  métal  dont  la  surface 
intérieure  portait  en  relief  une  hélice  saillante  s'a- 
daptant  exactement  à  l'hélice  creuse  placée  sur  le 
cylindre  plein,  reconnut  qu'il  n'y  avait  pas  d'é- 
chauffement  sensible  dans  cet  appareil,  quelle  que 
fût  la  rapidité  du  mouvement  imprimé.  Ceci  re- 
vient à  dire  que,  dans  l'appareil  de  Brégnet,  le 
mouvement  en  hélice  s'opère  presque  sans  frotte- 
ment. L'hélice  saillante  quel'on  remarque  dans  les 
tubes  de  l'appareil  aquifère  des  végétaux  imprime 
à  la  colonne  liquide  qui  les  traversa  un  mouve- 
ment en  hélice,  et  par  ce  moyen  l'eau  s'élève  dans 
la  plante  presque  sans   frottement. 

Sur  le  trajet  des  vaisseaux  de  l'appareil  aqui- 
fère des  végétaux,  on  rencontre  souvent  des  sor- 
tes de  réservoirs  formés  de  cavités  dunt  l'in- 
térieur est  partagé  en  un  très  grand  numbre  de 
chambres.  Les  alvéoles  du  réservoir  communi- 
quant par  de  très  larges  pores,  le  courant  liciuide 
que  ces  vaisseaux  amènent  dans  les  réservoirs  y 


VEGETAL 


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VEGETAL 


est  brisé  par  les  nombrouses  cloisons  de  ces 
alvéoles.  De  plus,  l'eau  s'accumule  dans  cha- 
cune de  ces  chambres.  Les  réservoirs  de  l'ap- 
pareil aquifère  ont  donc  pour  premières  fonctions 
de  modérer  le  courant  liquide  qui  traverse  la 
plante  et  de  constituer  dans  cette  plante  une  ré- 
serve d'eau.  Cette  eau  mise  en  réserve  sera  uti- 
lisée par  la  plante  toutes  les  fois  que,  sa  transpi- 
ration étant  très  intense,  l'absorption  de  cette 
plante  ne  compensera  plus  sa  déperdition.  Les 
réservoirs  aquifères  sont  donc  de  véritables  régu- 
lateurs tout  à  fait  comparables  aux  ampoules  que 
les  hydrauliciens  disposent  le  long  de  leurs  tnyaux 
de  conduite.  Les  tubes  de  l'appareil  aquifère  des 
plantes  sont  souvent  entourés  par  des  éléments 
fibreux  à  parois  solides  nommés  fibres  ligneuses. 
Presque  toujours  ces  fibres  font  l'office  de  réser- 
voir; toutefois  la  réserve  d'eau  qu'elles  contiennent 
n'est  livrée  à  la  consommation  qu'après  celle  des 
réservoirs  aquifères  proprement  dits.  L'ensemble 
des  vaisseaux,  des  réservoirs  aquifères  et  des  fibres 
forme  le  tissu  ligneux  vulgairement  nommé  bois. 
Chaque  plante  règle  elle-même  la  quantité  d'élé- 
ments ligneux  dont  elle  a  besoin  aux  divers  ins- 
tants de  sa  vie  pour  équilibrer  son  absorption  et 
sa  transpiration,  c'est-à-dire  sa  recette  et  sa  dé- 
pense liquide.  Il  y  a  déjà  longtemps  que  Pioujou 
et  Grolous  ont  reconnu  que  la  section  totale  de  la 
partie  ligneuse  d'une  tige  est  plus  grande  que  la 
somme  dos  sections  des  parties  ligneuses  des 
branches  qui  en  émanent,  et  des  racines  qui  y  ar- 
rivent; absolument  comme  la  section  principale 
d'une  conduite  d'eau  est  plus  grande  que  la 
somme  des  sections  qui  l'alimentent,  et  de  celles 
qui  servent  à  la  vider.  Depuis  lors  on  a  reconnu 
également  que  la  différence  des  pressions  exercées 
par  le  liquide  de  l'appareil  aquifère  des  végétaux, 
en  deux  points  de  cet  appareil,  est  égale  à  la  pres- 
sion qu'exercerait  une  colonne  verticale  du  uième 
liquide  dont  la  hauteur  serait  égale  à  la  différence 
des  niveaux  des  deux  points  observés.  Tout  se  passe 
comme  si,  entre  les  deux  points  observés,  il  n'y 
avait  qu'une  colonne  liquide  continue  sans  inter- 
position de  parois  solides.  Pour  apprécier  la  quan- 
tité d'eau  qui  peut  traverser  une  plante  à  un  mo- 
ment donné  et  pendant  un  temps  déterminé,  on 
coupe  souvent  un  rameau  de  la  plante  et  on  re- 
cueille le  liquide  qui  s'échappe  par  les  petits  orifi- 
ces des  vaisseaux  que  l'on  vient  de  trancher.  Tou- 
tefois cette  méthode  n'est  applicable  que  lorsque  la 
quantité  de  liquide  émise  dans  un  temps  donné  est 
très  grande.  M.  Vesque,  en  se  servant  de  la  formule 
de  Poiseuille  qui  règle  l'écoulement  des  liquides 
dans  les  tubes  capillaires,  a  dressé,  o  priori,  parle 
calcul,  un  tableau  des  conditions  qu'une  plante 
doit  remplir  pour  cojiserver  l'eau,  ou  pour  laisser 
écouler  ce  liquide.  11  a  reconnu  ainsi,  puisa  véri- 
fié par  l'expérience,  que,  toutes  choses  étant  égales 
d'ailleurs  : 

1°  Une  plante  retient  d'autant  mieux  l'eau  que 
ses  vaisseaux  sont  plus  longs  (type  des  végétaux 
on  lianes)  ; 

2°  Une  plante  relient  d'autant  mieux  l'eau  que 
ses  vaisseaux  sont  plus  étroits,  même  lorsque  leur 
nombre  augmente  (type  des  bruyères  et  des  plan- 
tes à  feuillage  éricacéen)  ; 

3°  Une  plante  retient  d'autant  mieux  l'eau  que  la 
surface  de  ses  racines  est  plus  petite.  Presque 
toujoiirs  alors  la  surface  transpiratoire  de  la  plante 
est  très  faible,  et  de  nombreux  canaux  gommeux 
viennent  augmenter  la  puissance  de  ses  réservoirs 
aquifères.  Une  peau  épaisse  réduit  autant  que 
possible  la  transpiration  de  ces  êtres,  dont  les 
types  sont  les  plantes  grasses,  et  les  plantes  de  ri- 
vage ou  plantes  échevelées.  Daus  ces  dernières, 
les  racines  s'allongent  beaucoup,  obligées  qu'elles 
sont  de  se  fixer  dans  les  sables  qui  bordent  les 
côtes   près  desquelles    elles   croissent;   mais   la 


partie  perméable  de  ces  racines  est  extrêmement 
réduite. 

2.  Absorption  des  gaz.  —  Si  l'on  vient  à  échauf- 
fer un  corps  poreux,  humide,  comme  une  pipe  de 
terre  bourrée  de  kaolin  mouillé  et  fermée  avec  du 
plâtre,  on  voit  se  dégager  par  l'extrémité  libre  du 
tuyau  un  courant  de  gaz  que  l'on  reconnaît  être 
de  l'air:  on  recueille  ce  gaz  dans  une  éprouvette 
sur  la  cuve  à  eau.  Cette  expérience  s'explique  en 
remarquant  que  la  perte  de  vapeur  d'eau  éprouvée 
par  le  corps  poreux  lorsqu'on  l'échauffé  provoque 
la  rentrée  dans  l'intérieur  de  ce  corps  d'une  cer- 
taine quantité  d'air;  on  peut  voir,  en  effet,  que, 
pour  faire  pénétrer  1  cejuimètre  cube  d'air  dans 
le  corps  poreux,  il  faut  que  celui-ci  perde  60 
centimètres  cubes  de  vapeur  d'eau.  Tout  corps  po- 
reux humide  chauffé,  par  cela  seul  qu'il  perd  de 
la  vapeur  d'eau,  sera  traversé  par  un  courant 
d'air;  cet  air  s'accumulera  dans  son  intérieur  avec 
une  pression  qui  pourra  atteindre  deux  et  trois 
atmosphères.  M.  Merget,  l'auteur  de  cette  expé- 
rience, a  reconnu  que,  si  au  lieu  d'un  corps  poreux 
humide  inerte,  on  prend  une  feuille,  dont  le  pé- 
tiole est  creusé  de  larges  canaux  aérifères,  on 
voit,  lorsqu'on  échauffe  cette  fouille,  un  courant 
de  gaz  qui  la  traverse  et  s'échappe  par  la  section 
de  son  pétiole.  La  transpiration  végétale,  ou  le 
rejet  à  l'état  de  vapeur  dans  l'atmosphère  ambiante 
de  l'eau  absorbée,  provoque  donc  l'entrée  dans 
l'intérieur  de  la  plante  de  l'air  extérieur.  Si  l'on 
remplace  réchauffement  de  la  feuille  par  une 
augmentation  de  l'éclairement  de  celle-ci,  on  re- 
connaît encore  que  la  lumière  agit  comme  la  cha- 
leur, si  bien  que  l'éclairement  ou  réchauffement 
d'une  feuille  produisent  sur  la  plante  le  même 
résultat, savoir:  l'entrée  des  gaz  dans  la  plante. Si 
l'on  vient  à  réunir  deux  feuilles  de  nénuphar  par 
un  tuyau  de  caoutchouc,  que  l'une  de  ces  feuilles 
vivement  éclairée  ou  échauffée  soit  recouverte  par 
une  cloche  pleine  d'air,  alors  que  la  seconde  est 
recouverte  par  une  cloche  remplie  d'eau  et  enve- 
loppée de  papier  noir,  on  voit  l'air  disparaître  peu 
à  peu  dans  la  première  cloclie,  et  s'accumuler 
dans  la  seconde.  L'échauffement  peut  ici,  comme 
dans  le  cas  précédent,  être  remplacé  par  un 
éclairement  plus  intense.  La  conclusion  de  cette 
expérience,  due  encore  à  M.  Merget,  c'est  que,  dans 
une  plante,  un  courant  de  gaz  pénètre  par  ses 
parties  les  plus  échauffées  ou  les  plus  éclairées,  et 
se  dirige  delà,  à  travers  la  plante, vers  les  parties 
les  plus  froides  ou  les  moins  éclairées.  Dans 
l'expérience  ci-dessus,  on  peut  remplacer  le  tube 
de  caoutchouc  par  le  morceau  de  tige  qui  unit  les 
deux  feuilles  ;  l'expérience  réussit  encore  pourvu 
que  l'on  ait  soin  de  boucher  préalablement  toutes 
les  blessures  accidentelles  qui  peuvent  exister  sur 
cette  tige.  L'entrée  des  gaz  dans  la  plante,  condi-  ; 
tion  première  de  leur  absorption  dans  cette 
plante,  dépend  donc  entièrement  de  la  transpira- 
tion véf^étale.  Les  lois  qui  règlent  la  transpiration 
des  plantes  ont  été  énoncées  à  l'article  Feuille; 
nous  les  résumons  ici: 

1°  Pour  une  plante  déterminée,  la  transpiration 
ne  commence  qu'à  une  température  déterminée  ; 

2°  A  partir  de  cette  température  minima,  la 
transpiration  s'accélère  à  mesure  que  la  tempéra- 
ture s'élève; 

3"  L'accélération  ci-dessus  atteint  son  maximum 
à  une  température  déterminée  nommée  optimum, 
variable  d'une  plante  à  l'autre  ; 

i»  Toute  nouvelle  élévation  de  température_  au- 
dessus  de  Yo/itimum  ralentit  la  transpiration; 
bientôt  on  rencontre  un  maximum  do  tempéra- 
ture au  delà  duquel  tout  nouvel  échauffement  fait 
mourir  la  plante  ; 

,i°Tout  refroidissement  brusque,  en  agissant  sur 
la  plante  môme  pendant  un  temps  très  court, 
trouble  sa  transpiration,  peut  même  l'arrêter,  et  il  « 


I 


VEGin'AL 


—  22G9  — 


VEGETAL 


l'aut  alors  plusieurs  liourfis  à  la  plante  pour  re- 
pvendro  sus  conditions  normales  de  vie  ; 

(i°  Toute  augmentation  d'éclairement  agit  sur  la 
plante  comme  une  élévation  de  température. 

Ces  lois  qui  régissent  la  transpiration  végétale 
règlent  par  cola  même  l'entrée  et  par  suite  l'ab- 
sorption des  gaz  par  la  plante.  Les  règles  ci-des- 
sus s'appli(|uent  aussi  aux  plantes  aquatiques  non 
mouillées  ;  toutes  ces  plantes  sont  e'u  effet  pour- 
vues d'une  couche  cuticulaire  superficielle,  très 
fortement  imprégnée  de  matières  grasses  et  de 
matières  résineuses,  qui  font  que  l'eau  ne  peut 
pas  toucher  la  surface  de  la  plante,  en  y  adhé- 
rant. A  la  faveur  du  vide  qui  existe  entre  l'eau  et 
la  plante,  il  se  forme  autour  de  celle-ci  une  atmo- 
sphère de  contact  facilement  reconnaissable  par 
l'éclat  argenté  qu'elle  détermine  à  la  surface  de  la 
plante.  Tout  se  passe  alors  entre  cette  atmosphère 
et  la  plante  comme  si  la  plante  était  b.  l'air  libre, 
sans  orifices  spéciaux  pour  l'entrée  des  gaz. 
Lorsqu'au  contraire  la  plante  aquatique  est 
mouillée  par  l'eau,  ce  qui  va  toujours  d'accord 
avec  une  surface  gélatineuse,  gluante,  semblable 
à  celle  des  fucus,  des  ulves,  et  des  autres  algues, 
les  gaz  ne  pénètrent  dans  la  plante  qu'à  la  condi- 
tion d  être  dissous  dans  l'eau,  et  l'absorption  des 
gaz  se  fait  alors  comme  celle  des  autres  matières 
dissoutes.  Dans  les  parties  jeunes  d'une  plante,  la 
transpiration  étant  diffuse  sur  toute  l'étendue  de 
sa  surface,  les  gaz  pénètrent  dans  la  plante  par 
toute  l'étendue  de  cette  surface  perméable.  Il  est 
facile  de  le  montrer  en  enveloppant  une  de  ces 
parties  jeunes  d'une  feuille  de  papier  imbibé  do 
protochlorure  de  palladium.  Ce  papier  sensible, 
fraîchement  préparé,  est  d'un  jaune  pâle;  il  noircit 
sous  l'action  de  la  vapeur  d'eau  ;  c'est  encore  à. 
M.  Merget  qu'on  doit  l'indication  de  ce  précieux 
réactif.  Dans  les  piaules  développées,  on  remarque 
à  la  surface  des  feuilles  de  très  petits  orifices 
nommés  stomates,  bordés  sur  tout  leur  pourtour 
de  tissu  cicatriciel.  C'est  par  ces  stomates  que  la 
vapeur  d'eau  sort  de  la  plante  pour  se  répandre 
dans  l'air  ;  il  est  facile  de  le  montrer  grâce  au  pa- 
pier sensibilisé  parle  protochlorure  de  palladium. 
C'est  par  ces  mômes  stomates  que  les  gaz  de  l'at- 
mosphère pénètrent  dans  la  plante.  Merget  a 
montré  qu'il  en  était  réellement  ainsi  en  employant 
la  méthode  dite  des  intoxications  mercurielles. 
Ayant  remarqué  que  les  vapeurs  mercurielles  sont 
insolubles  dans  les  liquides  de  l'économie  végé- 
tale, et  qu'elles  ne  peuvent  traverser  les  mem- 
branes imprégnées  de  caoutchouc,  Merget  appli- 
que des  lames  do  cuivre  ou  de  zinc  amalgamé  sur 
les  parties  d'une  feuille  chargées  de  stomates,  en 
ayant  soin  d'interposer  entre  cette  lame  amal- 
gamée et  la  feuille  quehiues  doubles  de  papier 
Joseph  non  collé  ;  de  l'autre  côté  de  la  feuille,  on 
dispose  une  feuille  de  papier  imprégné  d'azotate 
d'argent  ammoniacal,  qui  noircit  là  où  les  vapeurs 
mercurielles  l'atteignent.  Dans  ces  conditions,  on 
reconnaît  que  le  papier  argenté  ne  noircit  qu'en 
face  des  stomates.  Comme  les  vapeurs  mercurielles 
n'ont  pu  pénétrer  dans  la  plante  et  circuler  dans 
son  intérieur  qu'à  travers  les  orifices  libres,  on 
est  conduit  à  la  conclusion  que  nous  avons 
énoncée  en  commençant  cet  exposé.  Les  gaz  pénè- 
trent donc  dans  la  plante  sous  l'influence  de  la 
transpiration;  nous  savons  qu'Us  s'y  déplacent,  et 
c'est  dans  le  trajet  qu'ils  parcourent  de  leur  point 
d'entrée  à  leur  point  de  sortie  qu'ils  sont  absorbés 
et  modifiés.  L'absorption  des  gaz  et  leur  rejet  a 
souvent  reçu  le  nom  de  respiration  végétale.  En 
définitive,  cette  fonction  n'est  qu'une  manière 
d'être  de  l'absorption  et  de  l'excrétion  des  subs- 
tances gazeuses  chez  les  végétaux. 

Lorsqu'une  plante  plongée  dans  une  masse 
gazeuse  du  composition  connue  est  tenue  à  l'abri 
de  U  lumière,  on  remarque  : 


r  Que  la  plante  ne  peut  vivre  sans  la  présence 
de  l'oxygène; 

'1°  Que  la  pression  de  l'oxygène  dans  le  mélange 
gazeux  qui  baigne  la  plante  doit  être  voisine  de 
1/5  d'atmosphère  ; 

3°  Que  la  plante  exhale  de  l'acide  carbonique; 

4"  Que  la  quantité  d'acide  carbonique  exhalée 
par  une  plante  en  pleine  activité  est  très  voisine  de 
la  quantité  d'oxygène  qu'elle  absorbe  pendant  le 
môme  temps. 

La  respiration  végétale  est  donc  la  même  en 
tout  point  que  la  respiration  animale.  Tant  qu'on 
tient  la  plante  verte  dans  l'obscurité,  ou  à  quelque 
moment  que  ce  soit  pour  une  plante  sans  chloro- 
phylle, la  respiration  végétale  est  telle  que  nous 
venons  de  la  décrire.  Mais  si  l'on  éclaire  une  plante 
verte,  on  voit  s'y  manifester  une  propriété  qui  est 
presque  exclusivement  l'apanage  des  êtres  végé- 
taux :  c'est  la  fonction  chlorophyllienne. 

On  désigne  sous  le  nom  de  chlorophylle  un  pig- 
ment vert  soluble  dans  l'alcool,  l'éther,  le  sulfure 
de  carbone,  les  huiles  légères  de  pétrole,  que  l'on 
trouve  dans  presque  toutes  les  parties  vertes  des 
végétaux,  l'our  extraire  la  chlorophylle  des  plantes, 
on  broie  des  feuilles  vertes  avec  du  sable  ;  la  masse 
est  lavée  à  l'alcool  faible  (5j°)  ;  on  la  soumet  à  une 
pression  énergique,  puis  on  la  laisse  digérer  dans 
de  l'alcool  à  9D".  On  obtient  une  belle  solution 
verte  très  dichroique,  qui  paraît  verte  par  trans- 
parence et  rouge-sang  par  réflexion.  La  solution 
alcoolique  obtenue  n'est  pas  une  solution  de  chlo- 
rophylle pure.  Il  faut,  pour  purifier  la  chlorophylle, 
laisser  la  solution  alcoolique  en  contact  avec  du 
noir  animal  ;  ce  dernier  absorbe  les  matières  co- 
lorantes. En  le  lavant  avec  de  l'éther  ou  de  l'huile 
légère  de  pétrole,  on  redissout  seulement  la  chlo- 
rophylle. En  reprenant  le  noir  animal  par  l'alcool 
bouillant,  on  redissout  dans  l'alcool  une  matière 
colorante  jaune  nommée  pliycoxanthine. 

Dans  les  plantes  supérieures,  la  chlorophylle, 
mêlée  à  la  pliycoxanthine,  se  trouve  localisée  dans 
de  petites  masses  de  protoplasma  très  denses. Ces 
grains  protoplasmiques  pigmentés  sont  nommés 
grains  de  chlorophylle;  ce  sont  des  masses  impré- 
gnées de  matières  colorantes,  dont  la  structure  est 
des  plus  complexes.  Dans  les  plantes  inférieures, 
la  chlorophylle  peut  colorer  des  sortes  de  rubans, 
ou  d'étoiles  de  formes  très  diverses  ;  elle  peut  même 
être  diffusée  à  travers  toute  la  masse  vivante  sans 
distinction.  La  chlorophylle  estalors  dite  atnorphe. 

La  chlorophylle  absorbe  certains  rayons  lumi- 
neux et  en  laisse  passer  quelques  autres.  Si  l'on 
fait  passer  un  rayon  de  lumière  à  travers  une  so- 
lution de  chlorophylle  et  qu'on  analyse  à  l'aide  du 
prisme  la  lumière  qui  a  traversé  cette  liqueur,  on 
remarque  que  le  spectre  obtenu  présente  de 
larges  bandes  noires  dans  le  rouge,  le  jaune,  et 
toute  la  partie  du  spectre  qui  s'étend  au  delà  du 
bleu.  Les  rayons  que  la  chlorophylle  absorbe 
sont  employés  par  la  plante: 

1"  A  assurer  la  transpiration; 

2°  A  accomplir  la  synthèse  de  l'amidon  soluble; 

3°  A  produire  des  matières  albuminoïdes. 

La  synthèse  des  matières  organiques  ci-dessus, 
amidon  soluble  et  matières  albuminoïdes,  assure 
à  la  plante  les  produits  immédiats  dont  elle  a  be- 
soin pour  son  alimentation;  c'est  la  forme  que 
sont  obligées  de  prendre  les  matières  minérales 
pour  être  assimilées  par  la  plante. 

Le  carbone  nécessaire  à  la  production  dos 
principes  immédiats  qu'exige  la  nutrition  des 
plantes  vertes  est  tout  entier  emprunté  à  l'acide 
carbonique  qui  se  trouve  dans  l'air  atmosphé- 
rique. L'air  atmosphérique  ne  contenant  que 
j^  d'acide  carbonique,  on  conçoit  la  quantité 
d'air  qui  doit  traverser  une  plante  pour  lui  four- 
nir le  carbone  dont  elle  a  besoin.  Or,  si  l'on  plonge 
une  plante   verte   dans   une  atmosphère  ciiarijée 


VEGETAL 


—  2270  — 


VEGETAL 


d'acide  carbonique  et  qu'on  expose  l'appareil  à 
l'action  des  rcijons  solaires,  on  leconnait  qu'après 
quelques  heures  tout  l'acide  carbonique  a  disparu 
et  a  été  remplacé  par  de  l'oxygène.  Pendant  le 
jour,  la  plante  \erle  exliale  donc  de  l'oxygène  au 
lieu  d'acide  carbonique.  Alors  la  plante  absorbe 
cnergiquement  le  carbone  dont  elle  a  besoin  ;  le 
résidu  de  celle  absorption  est  l'oxygène.  On  con- 
çoit que,  pendant  cette  période  de  sa  vie,  la  res- 
piration de  la  plante  ,  c'est-à-dire  l'absorption 
d'oxygène  et  le  rejet  d'acide  carbonique,  cesse 
d'être  visible.  En  réalité,  la  plante  respire  toujours 
de  la  même  façon;  mais  pendant  le  jour,  grâce  à 
l'action  do  la  lumière  sur  la  chloropljylle.  elle  dé- 
compfise  en  outre  de  l'acide  carbonique  et  rejette  de 
l'oxygène.  Ce  dernier  pliétioinène,  nommé  lonction 
chloropliyllienne,  masque  le  premier  pendant  la 
journée.  L'un  et  l'autre  font  partie  des  pliénomènes 
de  nutrition.  L'alternance  régulière  des  émissions 
d'acide  carbonique  et  d'oxygène  parles  plantes,  se- 
lon qu'elles  sont  dans  l'obscurité  ou  qu'elles  sont 
éclairées,  est  connue  depuis  près  d'un  siècle.  On 
l'expliquait  en  disant  que  les  plantes  vertes  possé- 
daient ujie  double  respiration,  l'une  de  jour,  l'autre 
de  nuit.  On  a  reconnu  depuis  que  l'on  avait 
affaire  simplement  à  deux  phases  successives  de 
la  nutrition  d'un  môme  être. 

Les  règles  qui  régissent  la  transpiration  végé- 
tale régissent  par  cela  même  la  respiration  végé- 
tale et  la  fonction  chlorophyllienne.  Pendant  que 
la  plante  est  éclairée,  on  remarque  que  les  grains 
de  chlorophylle  sont  appliqués  contre  la  face  des 
cellules  éclairées,  pourvu  toutefois  que  la  lumière 
reçue  ne  soit  pas  trop  intense.  Si  la  lumière  reçue 
est  très  intense,  on  si  la  plante  est  placée  à  l'obs- 
curité, la  chlorophylle  s'amasse  le  long  des  parois 
des  cellules  qui  sotit  parallèles  à  la  direction  des 
rayons  lumineux.  Si  l'on  expérimente  sur  les 
petites  algues  unicellulaires  vertes,  auxquelles 
leur  forme  en  croissant  a  fait  donner  le  nom  de 
clostci-ies,  on  remarque  que,  tant  que  la  lumière 
est  trop  faible,  ces  êtres  s'approchent  de  la  source 
lumineuse;  au  contraire  ils  s'en  éloignent  quand 
ils  sont  soumis  à  l'action  d'une  lumière  trop  in- 
tense. Ces  êtres  peuvent  donc  en  quelque  sorte 
régler  d'eux-mêmes  la  quantité  de  lumière  néces- 
saire au  bon  fonctionnement  de  leur  vie. 

On  désigne  sous  le  nom  d'/ié  iûtro]dsme  l'action 
que  la  lumière  exerce  sur  les  plantes;  nous  nous 
contenions  pour  le  moment  de  signaler  cette 
action,  sans  laquelle  toute  absorption  du  carbone 
est  impossible  à  la  plante;  nous  y  reviendrons  à 
l'occasion  de  la  sensibilité  des  plantes,  dont  nous 
parlerons  en  traitant  des  rapports  des  êtres  végé- 
taux avec  le  milieu  qui  les  entoure. 

On  ne  sait  rien  de  précis  sur  la  manière  dont 
s'opère  ^lans  ses  détails  la  synthèse  des  produits 
immédiats  destinés  à  la  nutrition  de  la  plante,  lors- 
que s'efl'eciuel  union  de  l'eau,  de  l'acide  carbonique 
et  des  parties  azotées  au  sein  de  la  ntatière  vivante 
excitée  par  les  vibrations  lumineuses  que  la  chlo- 
rophylle absorbe  pendant  le  jour.  Ces  produits  se 
forment  pourtant,  et,  parmi  les  résidus  immédiats 
de  l'opération,  nous  voyons  sortir  de  la  plante,  à 
l'étal  de  gaz,  la  vapeur  d'eau,  l'azote  et  l'oxygène. 

Dans  tout  ce  qui  précède,  nous  venons  de  voir 
l'absorption  des  matières  alimentaires  simples  à 
l'aide  desquelh  s  les  plantes  vertes  donnent  nais- 
sance aux  matières  assimilables  dont  elles  ont 
besoin  pour  assurer  leur  nutrition.  Si  la  plante 
était  parasite  et  incolore,  elle  puiserait  directe 
ment  dans  sa  plante  nourrice  les  matières  assimi- 
lables qui  lui  sont  nécessaires.  Tout  peut  en  défi- 
nitive se  lamener  à  ce  que  nous  voyons  se  produit e 
chez  les  plantes  vertes. 

L'endosmose,  la  capillarité  et  la  transpiration 
introduisent  dans  la  plante  l'eau  et  les  matières 
salines   solubles  ,   a/otates,    phosphates,    carbo 


nates,  sulfates,  chlorures,  oxydes,  dont  la  plante  a 
besoin.  Celte  liqueur  aqueuse  arrive  dans  les  par- 
ties vertes  de  la  plante  et  là  se  concentre  de  plus 
en  plus.  Grâce  à  la  transpiration  qui  se  produit, 
l'air  pénètre  dans  la  plante  et  lui  donne  l'oxygène 
libre  et  l'acide  carbonique  dont  elle  a  besoin.  Sous 
l'influence  de  la  lumière,  grâce  à  la  chlorophylle, 
il  y  a  production  de  matières  assimilables,  amidon 
et  albumine  solubles. 

II.  CiRciJLATioN.  —  Les  produits  immédiats  assi- 
milables fabriqués  dans  les  parties  vertes  des  plan- 
tes vivantes  sont  distribués  par  toute  la  plante  au 
moyen  de  la  circulation.  Dans  les  plantes  unicellu- 
laires, il  n'est  pas  possible  de  distinguer  la  circula- 
tion du  brassage  général  dû  au  mouvement  du  pro- 
toplasma de  la  cellule.  Dans  les  végétaux  formés  de 
cellules  closes,  la  circulation  se  réduit  à  une  sorte 
d'osmose  qui  se  transmet  de  proche  en  proche 
depuis  le  point  où  les  matières  assimilables  se 
sont  produites  jusqu'aux  points  où  elles  doivent 
être  utilisées  pour  l'édification  de  parties  nou- 
velles, ou  jusqu'aux  points  où  elles  doivent  s'accu- 
muler dans  des  réservoirs  disposés  ad  hoc.  Dans 
les  plantes  supérieures  ,  la  circulation  des  ma- 
tières assimilables  se  fait  des  parties  vertes  au 
reste  de  l'organisme  dans  un  tissu  spécial  dépen- 
dant des  faisceaux  (V.  TissUs  végétaux),  que  l'on 
nomme  liber,  parce  que  quelquefois  sa  masse 
séchée  se  laisse  séparer  en  feuillets  compara- 
bles aux  feuillets  d'un  livre.  C'est  toujours  à 
travers  les  cellules  grillagées  du  liber  que  se  fait 
la  circulation  des  fluides  végétaux  chargés  de  ma- 
tières assimilables.  La  circulation  des  fluides  vé- 
gétaux à  travers  les  tissus  libériens  est  toujours 
très  lente;  souvent,  en  effet,  l'amidon  soluble  se 
précipite  en  grains  qui  ne  peuvent  traverser  les  1 
grillages  qui  barrent  de  distance  en  distance  la 
longueur  des  cellules  grillagées.  Pour  passer d  une 
cellule  à  la  suivante,  l'amidon  est  obligé  de  se 
dissoudre;  il  traverse  la  plaque  perforée  qui  sé- 
pare les  cavités  des  cellules  grillagées  placées  bout 
à  bout,  puis  se  précipite  de  nouveau  à  l'état  solide 
de  l'autre  côté  du  grillage  qu'il  vient  de  franchir. 
L'intensité  du  travail  mécanique  développé  par  la 
circulation  des  fluides  végétaux  au  sein  du  liber  a 
été  mesurée  par  M.  Vesque  dans  quelques  plantes. 
Cet  auteur  a  trouvé  que  ce  travail  pouvait  s'élever 
jusqu'à  celui  que  pourrait  donner  une  force  cons- 
tante équivalente  à  un  tiers  d'élément  de  pile 
Daniell  grand  module.  M.  Merget  a  reconnu  que 
la  circulation  des  fluides  végétaux  dans  le  liber  de 
ces  êtres  est  sunoui  assurée  par  le  courant  gazeux 
dont  chaque  plante  est  le  siège.  Prenons  une 
feuille  de  h'icnsei^stka  bien  vivante.  Au  moment  où 
on  détache  la  feuille  de  la  tige,  on  voit  s'écouler  par  j 
la  plaie  qui  vient  d'être  faite  à  la  feuille  un  liquide 
blanc  que  l'on  nomme  le  lait  ou  le  latex  de  la 
plante.  Ce  latex  comrété  à  l'air  fournit  le  caout- 
chouc. Admettons  pour  un  moment  que  ce  lait  du 
caoutchouc  représente  le  fluide  nourricier  qui 
remplit  le  liber  des  végétaux.  Lorsque  le  liquide 
a  cessé  de  s'écouler  par  la  plaie,  plongeons  la 
plaie  dans  un  verre  plein  d'eau  fraîche,  bien  lim- 
pide, puis  faisons  tomber  un  rayon  de  soleil  sur 
la  feuille.  On  voit  bientôt  un  courant  de  bulles 
de  gaz  qui  se  dégage  par  la  plaie,  puis  le  liquide 
recommence  à  couler,  et  il  continue  do  couler  au- 
tant de  tem|)S  que  le  courant  gazeux  continue  de 
se  dégager.  L'écoulement  du  gaz  dans  la  plante,  de 
ses  parties  chaudes  et  éclairées  vers  ses  points  les 
plus  froids  et  les  plus  obscurs,  provoque  la  circu- 
lation de  ses  fluides  nourriciers  dans  la  même  di- 
rection, (.omme,  à  chaque  instant  du  jour,  l'écou- 
lement des  gaz  dans  la  plante  se  trouve  modifié, 
les  fluides  de  l'organisme  végétal  sont  répartis 
dans  toutes  les  directions.  Ou  désigne  souvent 
sous  les  noms  de  sève  descendante  ou  de  srve  cla- 
boiée  les  fluides  végétaux  chargés  de  substance» 


VEGETAL 


—  2^71  — 


VEGETAL 


assimilables  qui  vont  des  parties  vertes,  leur  point  ' 
de  fabricalioii,  vers  les  points  en  voie  d'édification 
et  vers  les  réservoirs  où  la  plante  accumule  les 
matériaux  do  son  éditicaiion  future.  On  conçoit 
facilement  comment  les  gaz,  en  s'écoulaut  dans  la 
plante,  provoc^uent  le  déplacement  de  ses  fluides 
organiiines.  Si  cuniplexe  que  soit  l'organisation 
d'une  plante  vasculaire,  on  peut  la  résumer  en  ces 
termes  ;  Uiie  plante  comprend  :  1°  une  enveloppe 
superficielle  épidermique  rigide,  perforée  seule- 
mentde  distance  eu  distance;  2»  un  certain  nombre 
débandes  longitudinales  rigides,  formées  de  tubes 
capillaires  à  travers  lesquels  l'eau  s'élève  du  sol 
aux  parties  vertes;  3»  entre  ces  colonnes,  dont 
l'ensemlilc  forme  une  sorte  de  noyau  central  solide, 
et  l'épiderme,  on  trouve  un  tissu  mou  très  lâche, 
abondamment  creusé  de  très  larges  lacunes.  L'air 
circule  dans  ce  manclion  perméable  entre  l'épi- 
derme et  le  noyau  solide  formé  par  les  colonnes 
rigides.  Mais  l'air  qui  circule  ainsi  arrive  i  chaque 
instant  avec  des  pressions  très  dillérentes,  car  k 
chaque  instant  la  transpiration  des  parties  vertes, 
par  lesquelles  l'air  pénètre  dans  la  plante,  varie  ;  on 
peut  dès  lors  assimiler  la  circulation  de  l'air  dans  le 
manchon  perméable  où  il  se  déplace  à  une  suite 
d'ondes  qui  tour  i  tour  pressent  plus  ou  moins 
la  surface  de  la  colonne  centrale.  Or,  les  masses 
libériennes  de  la  plante  sont  toujours  placées  à  la 
surface  de  sa  colonne  centrale.  Comme  les  tissus 
libériens  sont  toujours  assez  mous,  ils  se  défor- 
ment sous  les  pi'essions  qu'ils  snbissent,  et  le  li- 
quide qui  les  gorge  est  oblige  de  se  déplacer  dans 
le  sens  même  où  les  ondes  gazeuses  se  déplacent. 
Parfois,  pour  atténuer  et  régulariser  l'effet  produit 
par  la  propagation  des  ondes  gazeuses  sur  les 
tissus  libérions,  on  voit  s'interposer  entre  le  liber 
et  la  couche  perméable  des  sortes  de  lames  élas- 
tiques qui  amortissent  le  choc  et  régularisent 
l'effet  produit,  en  le  répartissant  sur  une  plus 
grande  étendue  dans  un  temps  plus  long. 

Au  printemps,  très  souvent  on  voit  l'appareil 
aquifère  prêter  aide  et  main-forte  à  l'appareil  cir- 
culatoire. C'est  qu'alors  une  masse  considérable 
de  matériaux  devant  être  transportée  des  maga- 
sins de  réserve  aux  points  d'édification  des  parties 
en  voie  de  développement  et  d'accroissement,  les 
fluides  végétaux  sont  transportés  parles  vaisseaux 
du  bois.  C'est  là  un  emprunt  qui  n'est  jamais  que 
temporaire  et  accidentel,  et  qui  très  souvent  pro- 
voque la  mort  du  tissu  ligneux. 

111  et  IV.  Assimilation  et  excbétion.  —  L'oxy- 
gène de  l'air,  agissant  sur  les  matières  de  l'orga- 
nisme, les  brûle  et  donne  naissance  à  des  matières 
excrétées  dont  le  degré  d'oxydation  peut  varier 
beaucoup.  Les  végétaux  étant  formés  pour  la  plus 
grande  partie  de  leur  poids  de  carbone,  d'hydro- 
gène, d'oxygène  et  d'azote,  l'oxygène  libre,  agis- 
sant sur  ces  êtres,  produit  comme  résidus  d'oxy- 
dation : 

1°  De  la  vapeur  d'eau  qui  est  rejetée  avec  les 
gaz  sortants.  Cette  vapeur  d'eau,  due  à  l'action  de 
l'oxygène  sur  la  plante,  doit  être  bien  distinguée 
de  la  vapeur  d'eau  due  à  la  transpiration  végétale; 

2°  De  l'acide  carbonique.  Ce  gaz  est  encore  re- 
jeté avec  les  gaz  sortants  de  la  plante.  Très 
souvent  l'acide  carbonique  est  remplacé  dans  les 
plantes  par  un  produit  moins  forteiuent  oxydé, 
l'acide  oxalique,  lin  général,  l'acide  oxalique  reste 
dans  la  plante,  mais  il  s'y  combine  à  la  chaux  et 
forme  de  l'oxalate  de  chaux; 

3"  De  l'asparagine.  Cette  substance  demeure 
dans  la  plante,  mais,  au  fur  et  à  mesure  qu'elle 
se  produit  dans  les  conditions  ordinaires  de  la  vie, 
elle  se  transforme  en  chlorophylle  et  en  matière 
,  albuminoide.  Pendant  ce  dédoublement,  il  y  a  sou- 
vent production  de  résines,  d'huiles.  Cette  utili- 
saiion  immédiate  de  l'asparagine  fait  que  sa  for- 
mation n'a  pas  été  observée  dans  un  grand  nombre 


de  plantes.  Cependant,  si  on  place  une  plante 
verte  à  l'obscurité,  on  y  reconnaît  bientôt  la  pré- 
■sence  d'asparagine.  L'asparagine  disparaît  dès  que 
la  plante  exposée  h  la  luiuière  verdit  :  ceci  s'ac- 
corde bien  avec  ce  fait  que  c'est  au  dédoublement 
de  l'asparagine  qu'est  due  la  pioduction  de  la 
chlorophylle.  La  chlorophylle  ne  se  formant  dans 
les  plantes  que  sous  l'aclion  de  la  lumière,  ou 
trouvera  de  l'asparagine  libre  partout  où  la  ma- 
tière végétale  vivra  à  l'abri  de  la  lumière  ou  dans 
une  lumière  formée  des  rayons  qui  traversent  les 
solutions  chlorophylliennes  sans  être  absorbés. 
Toutefois,  on  a  remarqué  que  la  quantité  de  lu 
mière  suffisante  pour  provoquer  la  formation  de 
la  chlorophylle  dans  une  plante  étiolée  ou  élevée 
à  l'abri  de  la  lumière,  est  insuffisante  pour  per- 
mettre à  la  plante  de  vivre. 

Nous  n'avons  pas  h  nous  inquiéter  de  ce  que 
deviennent  l'eau  et  l'acide  carbonique  excrétés  ; 
ils  sont  balayés  par  le  courant  d'air  qui  traverse  la 
plante.  Nous  avons  vu  que  l'asparagine  était  uti- 
lisée pour  la  production  de  l'albumine,  base  pre- 
mière du  protoplasma,  et  pour  la  production  de  la 
chlorophylle  ;  il  reste  donc  a  savoir  ce  que  devien- 
nent l'oxalate  de  chaux  et  les  produits  secondai- 
res du  dédoublement  de  l'asparagine. 

L'oxalate  de  chaux  s'accumule  dans  les  plantes 
k  l'état  de  cristaux,  La  forme  des  cristaux  d'oxa- 
late  de  chaux  varie  selon  la  nature  chimique 
du  milieu  au  sein  duquel  ils  se  forment.  Ce  sont 
des  aiguilles  allongées  nommées  vaphides  dans 
les  solutions  sucrées,  de  i/ros  cristaux  dans  les 
solutions  :icides  autres  que  les  solutions  d'acidt; 
oxalique,  des  niiicles  cristal  Unes  dans  les  solu- 
tiuns  alliuminew^es.  C'est  à  M,  Vesque  qu'on  doit 
la  connaissance  de  ces  faits  de  polymorphisme  de 
l'oxalate  de  chaux  et  la  raison  d'être  de  ce  poly- 
morphisme. Les  cellules  dans  lesquelles  l'oxalate 
de  chaux  s'accumule  sont  nommées  glandes  ou 
cellules  cristalligènes.  Exceptionnellement,  l'oxa- 
late de  chaux,  s'oxydant  après  sa  formation,  donne 
du  carbouate  de  chaux.  Le  fait  se  produit  surtout 
dans  les  plantes  marines.  Le  plus  ordinairement,  le 
carbonate  de  chaux  des  plantes  est  amorphe  comme 
la  silice  qui  imprègne  souvent  les  membranes  vé- 
gétales. On  trouve  le  carbonate  de  chaux  aux  lieu 
et  place  de  l'oxalate  de  chaux,  dans  les  characées, 
les  morées,  les  mercuriales,  les  algues  dites  en- 
croûtées ou  corallines. 

Les  dérivés  secondaires  immédiats  de  l'aspara- 
gine, tels  que  l'huile  et  les  matières  résineuses, 
sont  excrétés  par  des  glandes  dont  la  structure 
est  des  plus  variables  :  réduites  à  une  cellule  dans 
beaucoup  de  cas,  ailleurs  formées  d'un  épithéliuni 
glandulaire  et  d'une  cavité  ou  canal  qui  peut  s'ou- 
vrir il  la  surface  de  la  plante  et  déverser  son  con- 
tenu au  dehors.  Dans  le  premier  cas,  quand  la 
glande  est  unicellulaire,  si  la  cellule  est  tant  soit 
peu  allongée,  on  la  nomme  lalicifére.  On  la 
nomme  encore  laticifère  si  elle  s'abouche  avec 
d'autres  cellules  de  même  nature  qu'elle,  de  ma- 
nière i  former  un  canal  grêle  plus  ou  moins  ra- 
meux  et  tortueux.  Lorsque  la  glande  présente  un 
épithelium  glandulaire  bien  caraciérisé  et  un 
canal,  il  arrive  souvent  que  la  glande  est  limitée 
extérieurement  par  une  couche  d'éléments  pro- 
tecteurs de  nature  hypodermique.  Dans  les  coni- 
fères, on  trouv''  des  glandes  résinifères  très  déve- 
loppées qui  peuvent  servir  de  types  pour  ces 
glandes  parfaites  ou  canaliculées  des  végétaux. 
Parfois,  mais  assez  exceptionnellement  dans  les 
plantes  actuelles,  l'épilhélium  sécréteur  d'une 
glande  se  gélifie  complètement  et  se  transforme 
en  une  masse  gomraeuse.  Le  fait  était  beaucoup 
plus  fréquent  à  l'époque  houillère,  où  presque 
toutes  les  plantes  sont  pourvues  de  canaux  k 
gomme.  L'eau  combinée  à  la  gomme  est  mise  en 
réserve  dans  les  canaux  gommeux  pour  le  cas  où 


VEGETAL 


227:i  — 


VEGETAL 


la  plante  en  aurait  besoin.  En  généi-al,  quand  les 
glandes  excrétrices  d'une  plante  s'ouvrent  à  sa 
surface,  elles  sont  disposées  en  vue  d'attirer 
près  des  organes  reproducteurs  de  la  plante  les 
insectes  qui  doivent  transporter  le  pollen  des 
étamines  sur  le  pistil.  Plus  rarement,  ces  glandes 
extérieures  ou  qui  s'ouvrent  h  l'extérieur  sont 
transformées  en  organes  do  défense,  comme  les 
poils  urticants  des  orties,  les  poils  des  drosera 
et  des  dionœa,  les  urnes  des  népenthès,  des  sar- 
racenia,  des  utriculaires,  des  céphalotus.  Tous 
ces  organes  glandulaires  ne  sont  point,  comme  on 
l'a  imaginé  dans  ces  dernières  années,  des  orga- 
nes au  moyen  desquels  la  plante  se  nourrit  de 
substances  animales  digérées,  mais  des  appareils 
au  moyen  desquels  la  plante  se  défend  contre  ses 
enneniis.  Les  latex,  les  résines,  les  huiles  essen- 
tielles sont  donc  des  matières  rejetces,  excrétées, 
que  la  plante  réutilise  parfois  à  la  suite  d'une 
adaptation  spéciale. 

Dans  les  plantes  incolores,  l'asparagine  est  rem- 
placée soit  par  de  l'urée,  soit  par  des  matières 
analogues,  telles  que  des  urées  composées  ou 
alcaloïdes  ;  parmi  ces  matières  analogues  h  l'urée, 
et  la  représentant  chez  les  végétaux,  nous  citerons 
la  strychnine,  la  fangine,  la  brucine,  la  mor- 
phine, etc.  Ces  substances  excrétées  sont,  pour  la 
plupart,  des  substances  très  vénéneuses.  Elles 
servent  à  la  plante  de  moyen  de  défense  contre 
ses  ennemis.  Si  l'on  excepte  les  champignons,  les 
alcaloïdes  sont  généralement  plus  énergiques  chez 
les  plantes  des  régions  chaudes  du  globe  que  chez 
celles  qui  sont  originaires  des  pays  lempérés.  Très 
fréquemment,  les  produits  cxcrémentitiels  de  la 
plante  sont  accumulés  par  celle-ci  dans  les  tissus 
(|Ui  vont  être  rejetés  lors  de  la  décorticalion  ou 
dans  les  enveloppes  tégumentaires  de  la  graine, 
de  manière  h  assurer  au  germe  une  protection 
suffisante.  (V.  Graines.) 

Nous  ne  pouvons  quitter  l'excrétion  végétale 
sans  dire  un  mot  de  la  constitution  des  réserves 
nutritives  des  plantes.  Il  y  a  déjà  longtemps  qu'on 
sait  que,  si  l'on  place  un  vase  de  terre  poreuse  con- 
tenant de  l'eau  pure  dans  un  bassin  contenant 
une  solution  de  sulfate  de  cuivre,  le  sulfate  de 
cuivre  traverse  le  vase  poreux  et  on  le  retrouve 
après  quelques  heures  dans  l'eau  de  ce  vase. 
Ajoutons  un  peu  d'eau  de  baryte  dans  l'eau  du 
vase  poreux,  le  sulfate  de  cuivre  qu'il  contient  est 
transformé  en  sulfate  de  baryte  et  en  oxyde  de 
cuivre  ;  le  sulfate  de  baryte  et  l'oxyde  de  cuivre, 
étant  tous  deux  insolubles,  se  précipitent  dans 
le  vase  poreux.  Après  quelques  heures,  on  consta- 
terait qu'une  nouvelle  quantité  de  sulfate  de  cui- 
vre a  pénétré  du  bassin  dans  l'intérieur  du  vase 
poreux.  Ajoutons  une  nouvelle  quantité  d'eau  de 
baryte,  nous  augmentons  la  quantité  du  précipité 
formé  dans  le  vase  poreux.  En  continuant  de 
procéder  comme  il  vient  d'être  dit,  on  reconnaîtra 
bient6t  : 

1°  Que  l'on  peut,  par  ce  procédé,  épuiser  une 
solution  saline  du  sel  qu'elle  contient  ; 

"2°  Que  l'on  peut  accumuler  dans  un  corps  po- 
reux les  éléments  d'un  corps  déterminé  dans  une 
proportion  infiniment  plus  grande  que  celle  où  il 
est  dans  le  milieu  qui  baigne  le  corps  où  s'est  faite 
l'accumulation. 

Depuis  longtemps  ces  deux  conséquences  ont 
permis  de  comprendre  de  quelle  manière  les 
iodures  et  les  bromures  s'accumulent  dans  les 
plantes  marines,  alors  qu'ils  sont  en  si  infimes 
proportions  dans  l'eau  de  mer.  Ce  sont  des  phé- 
nomènes tout  à  fait  comparables  à.  ceux-là  qui 
produisent  des  accumulations  de  matières  alimen- 
taires de  réserve  dans  l'intérieur  des  plantes.  Lors- 
que l'amidon  soluble  arrive  dans  les  cellules  où 
il  doit  séjourner,  il  se  précipite  sous  la  forme  de 
grains  d'amidon  insolubles.  Chacun  de  ces  grains 


d'amidon  s'accroît  par  intussusception  et,  par  là, 
diffère  complètement  de  l'accroissement  des  cris- 
taux ordinaires  qui  augmentent  de  volume  dans 
leurs  solutions  mères  par  l'adjonction  de  parties 
nouvelles  qui  se  déposent  sur  leur  surface, 
de  telle  sorte  qu'en  nourrissant  un  cristal  dans 
des  solutions  polychromes,  on  peut  former  une 
masse  où  l'on  voit  les  diverses  couches  se  su- 
perposer dans  l'ordre  même  des  bains  qui  ont 
servi  à  nourrir  le  cristal.  Grâce  aux  transforma- 
tions qui  peuvent  frapper  l'amidon  insoluble  sous 
l'influence  des  matières  que  l'on  nomme  ferments 
solubles,  l'amidon  insoluble  peut  produire  de 
l'amidon  soluble,  de  la  dextrine,  de  la  gomme, 
de  la  cellulose,  du  sucre  de  canne,  du  glucose, 
du  tannin,  de  l'huile  grasse,  des  huiles  essen- 
tielles, de  l'inuline.  Lorsque  la  réserve  alimen- 
taire doit  se  faire  en  présence  d'une  grande 
quantité  d'eau,  elle  consiste  toujours  en  inuline, 
en  amidon  ou  eu  sucre  de  canne.  Quand  la  ré- 
serve nutritive  se  constitue  en  présence  d'une 
moindre  quantité  d'eau,  elle  peut  encore  consis- 
ter en  amidon  ;  mais  très  souvent  elle  consiste  en 
huile  libre  ou  combinée  avec  de  l'albumine  sous 
la  forme  bien  connue  de  grains  d'aleurone  ;  l'al- 
bumine mise  en  réserve  peut  affecter  la  forme  de 
corps  cristallisés  auxquels  on  donne  le  nom  de 
cristalloides.  Ces  sortes  de  réserves  nutritives, 
faites  à  l'abri  de  l'eau,  ont  pour  but  de  condenser, 
sous  un  très  petit  volume,  une  grande  quantité 
de  matières  alimentaires  de  réserve.  On  trouve 
ces  sortes  de  réserves  dans  les  graines,  où  les 
téguments  séminaux  les  tiennent  à  I  abri  de  l'hu- 
niidiié  pendant  le  temps  de  la  mauvaise  saison. 
Très  souvent,  dans  ces  réserves,  l'amidon  ou 
l'hydrate  de  carbone  est  remplacé  par  de  la  cel- 
lulose très  peu  hydratée.  Dans  la  plante  vivante, 
la  réserve  nutritive  se  présente  sous  la  forme  de 
grains  d'amidon,  d'amidon  soluble  et  de  goutte- 
lettes d'huile.  Les  grains  d'amidon  se  montrent 
dans  les  grains  de  chlorophylle,  l'amidon  soluble 
et  les  gouttelettes  d'huile  sont  dispersés  au  sein 
du  protoplasma  vivant.  Ces  trois  matières  corres- 
pondent à  la  graisse  des  animaux.  Dans  les  plantes 
incolores,  la  réserve  nutritive  ne  coiitient  jamais 
d'amidon  ;  les  hydrates  de  carbone  ne  sont  repré- 
sentés chez  ces  ètros  que  par  du  sucre  et  de  la 
cellulose  ;  les  matières  grasses  y  sont  représen- 
tées par  des  gouttelettes  huileuses.  Les  matières 
azotées  consistent  en  cristalloides  et  en  albumine 
soluble  amorphe. 

Fonctions  de  relation.  —  1.  Sensibilité.  —  La 
sensibilité  des  végétaux  est  toujours  extrême- 
ment vague  ;  elle  ne  se  manifeste  généralement 
que  sous  l'action  de  causes  de  longue  durée  et 
dont  l'énergie  n'est  pas  trop  grande.  Etudions 
successivement  la  sensibilité  des  plantes  à  l'action 
de  la  lumière,  à  l'action  de  la  chaleur,  à  l'action 
de  causes  inécani(|ues  parmi  lesquelles  nous  met- 
trons au  premier  rang  la  pesanteur. 

Nous  avons  dit  qu'on  nomme  héliotropisme  la 
sensibilité  d'une  plante  ou  dune  partie  de  plante 
à  l'action  de  la  lumière.  Lorsque  la  partie  sensible 
à  l'action  de  la  lumière  tend  à  se  rapprocher  de 
la  source  lumineuse,  l'héliotropisme  est  dit  con- 
vergent ou  positif.  L'héliotropisme  est  divergent 
ou  négatif  dans  le  cas  opposé,  c'est-à-dire  quand: 
la  partie  sensible  semble  fuir  la  lumière.  D'une 
manière  générale,  les  tiges  et  les  parties  vertes  de 
la  plante  sont  positivement  héliotropiques.  Chacun 
connaît  la  tendance  des  plantes  d'appartement  à 
se  diriger  vers  les  fenêtres  dont  elles  reçoivent  la 
lumière.  Les  racines  et  la  plupart  des  organes 
souterrains  sont  négativement  héliotropiques,  c'estr! 
à-dire  qu'elles  semblent  fuir  la  lumière.  Le  sigD^ 
de  l'héliotropisme  est  une  question  de  degré  d^ns 
la  sensibilité  des  parties  étudiées  à  l'actio.'  des 
rayons  lumineux.  Ainsi  pour  une  partie  quelcon- 


I 


VEGETAL 


2273 


'VÉGÉTAL 


que  (l'une  plante  placée  suffisamment  loin  de  la 
source  lumineuse,  on  constate  qu'elle  est  toujours 
douée  d'iiéliotropisme  positif.  En  approcliant  l'ob- 
jet de  la  source  lumineuse,  on  trouve  un  point  où 
sot]  liéliotropisme  est  maximum.  Plus  près  encore, 
l'héliotropisme  positif  de  l'objet  diminue  ;  en  un 
certain  point  encore  plus  voisin  de  la  s'ôTlrce, 
l'Iiéliotropisnie  de  l'objet  est  nul.  Plus  près  encore 
de  la  source,  l'Iiéliolropisme  de  l'objet  devient  né- 
gatif. Nous  savons  que  cette  variation  dans  l'ho- 
liotropisme,  alliée  au  mouvement  des  granules 
chlorophylliens,  permet  à  la  plante  de  régula- 
riser en  quelque  sorte  sa  vie  et  de  l'amener  au- 
tant que  possible  près  des  conditions  où  elle 
s'exerce  le  plus  favorablement. 

Il  ne  faut  pas  confondre  la  sensibilité  des  plantes 
à  l'action  de  la  lumière  avec  la  nécessité  pour  la 
,plante  de  recevoir  de  la  lumière  pour  se  dévelop- 
per. Pour  montrer  que  la  lumière  est  indispensa- 
ble au  développement  d'une  plante,  on  peut  élever 
des  plantes  dans  la  chambre  obscure,  dans  la  lu- 
mière blanche,  dans  les  lumières  colorées  obtenues 
soit  au  moyen  d'un  prisme,  soit  au  moyen  de  so- 
lutions colorées  placées  entre  des  glaces  à  faces 
parallèles.  On  a  reconnu,  en  procédant  de  la 
sorte  : 

1°  Que  pour  les  plantes  pourvues  d'une  abon- 
dante réserve  nutritive,  la  lumière  n'est  pas  in- 
dispensable au  développement  de  la  plante; 

î"  Que  si  la  plante  est  verte,  il  faut,  pour  qu'elle 
puisse  poursuivre  son  développement,  lui  fournir 
de  la  lumière", 

.3°  Que  le  maximum  de  développement  des 
plantes  a  lieu  dans  la  lumière  jaune,  c'est-à-dire 
là  où  se  trouvent  réunis  une  grande  quantité  de 
rayons  calorifiques  et  de  rayons  lumineux; 

4<'  Que  le  minimum  de  développement  des  plan- 
tes a  lieu  dans  la  lumière  qui  a  traversé  une  so- 
lution concentrée  de  chlorophylle. 

On  désigne  sous  le  nom  de  tliermolropisme  la 
sensibilité  des  plantes  à  l'action  do  la  chaleur. 
Tout  ce  que  nous  avons  dit  au  sujet  de  la  sensi- 
bilité des  plantes  à  l'action  de  la  lumière,  nous 
pourrions  le  répéter  pour  la  sensibilité  des  plantes 
à  l'action  de  la  chaleur.  Il  y  a  de  même  un  thor- 
aiotropisme  positif,  un  thermotropisme  négatif,  et 
cela  pour  tous  les  organes  des  plantes. 

Il  faut  de  même  distinguer  très  soigneusement 
le  thermotropisme  ou  sensibilité  des  plantes  à 
l'action  de  la  chaleur,  de  la  chaleur  nécessaire 
pour  assurer  le  développement  d'une  plante. 

L»  lumière  et  la  chaleur,  agissant  sur  une  plante, 
ne  protoquent  sa  courbure  dans  la  direction  do  la 
source  qu'ap,-ès  un  certain  temps  d'exposition.  Si, 

■  alors  que  le  mouvement  de  courbure  n'est  pas 
encore  commence  aprt.,  „„  certain  temps  d'expo- 
sition d'une  plante  à  la  Iumifcr«,  on  vient  à  ren- 
verser le  procédé  déclairement,  on  reconnaît  que 
la  plante  se  courbe    néanmoins  dans  la  première 

■  direction.  L'effet  produit  se  manifeste  donc  même 


do  la  terre  ;  les  racines  et  les  tiges  de  ces  plantes 
ne  se  dirigent  plus  alors  selon  la  verticale.  On 
peut  ainsi  montrer  que  pour  le  géotropisme,  comme 
pour  l'héliotropisme  et  le  thermotropisme,  il  y  a 
pour  chaque  partie  d'une  plante  un  instant  où  il  est 
maximum,  un  instant  où  il  est  positif,  un  instant 
où  il  est  négatif.  Pour  faire  voir  l'existence  du 
géotropisme  et  la  manière  dont  on  peut  l'annu- 
ler, Knight  a  constaté  qu'il  suffit  do  placer  des 
plantes  en  germination  dans  des  appareils  animés 
d'un  mouvement  de  rotation,  les  uns  se  déplaçant 
dans  un  plan  vertical,  les  autres  dans  un  plan 
horizontal.  Si  le  mouvement  de  rotation  de  ces 
appareils  est  suffisamment  rapide,  les  plantes 
s'orientent  seulement  sous  l'influence  de  la  rotation 
de  l'appareil  où  elles  sont  placées. 

II   et   III.     lIuTILITÉ   ET    PROCÉDÉS   DE    DÉFENSE.  — 

Les  autres  manifestations  do  la  vie  de  relation 
chez  les  plantes  sont,  avons-nous  dit,  la  motilité 
fit  les  organes  de  défense.  D'une  manière  géné- 
rale, la  motilité  n'existe  que  dans  un  peiit  nom- 
bre de  plantes,  et  seulement  chez  des  plantes 
d'une  organisation  très  simple  ou  très  dégradée. 
Dans  les  champignons  muqueux  que  nous  avons 
déjà  désignés  sous  le  nom  de  myxomycètes,  l'être 
tout  entier  consiste  en  une  sorte  de  gelée  contrac- 
tile douée  d'un  grand  pouvoir  héliotropique  néga- 
tif, c'est-à-dire  qu'en  toute  occasion  fe  végétal  fuit 
la  lumière.  Il  est  possible,  en  disposant  convena- 
blement l'expérience,  de  faire  parcourir  une  dis- 
tance de  huit  à  dix  centimètres  par  jour  à  l'un  de 
ces  cfiampignons. 

Les  myxomycètes  se  déplacent  à  la  manière  des 
amibes  ;  leur  substance  semble  s'écouler  dans  la 
direction  où  l'être  veut  avancer;  ils  émettent  dans 
cette  direction  des  prolonsemeuts  ou  pseudo- 
podes, qui  peuvent  à  tout  instant  se  rétracter 
dans  la  masse  de  l'être.  Le  corps  du  myxomy- 
cète  suit  le  pseudopode.  On  donne  à  ce  mouve- 
ment particulier,  que  les  myxomycètes  partagent 
en  commun  avec  les  amibes,  le  nom  de  mou- 
vement amiboide.  Dans  les  spores  émises  par  un 
grand  nombre  de  myxomycètes,  nous  voyons  la  pro- 
priété motrice  se  localiser  dans  un  appareil  spécial 
nommé  cil  vibratile  (V.  Spore).  Chaque  spore  pos- 
sède bien  encore  le  mouvement  amiboide,  et  grâce 
à  cette  propriété  peut  se  déplacer  en  rampant  à  la 
surface  des  parois  des  vases  où  on  la  cultive  ; 
mais  lorsque  la  spore  veut  se  déplacer  à  travers  le 
li(|Uide  où  elle  baigne,  elle  se  sert  du  cil  qui  la 
prolonge  antérieurement.  Le  mouvement  ciliaire 
peut  être  assimilé  au  mouvement  que  l'hélice  d'un 
navire  imprime  au  bâtiment  qui  en  est  pourvu. 
Pour  un  être  déterminé,  le  mouvement  de  ses  cils 
vibratiles  a  toujours  lieu  dans  le  même  sens.  Lors- 
que les  cils  vibratiles  d'un  être  acquièrent  une 
très  grande  longueur,  plusieurs  d'entre  eux  cessent 
d'être  des  organes  locomoteurs  pour  devenir  des 
sortes  d'organes  directeurs  du  mouvement.  Us 
deviennent  alors  fermes  et  rigides;  on  les  nomme 


après  qu'on  a  supprimé  la  cause.  Les  courbures  !  flagella.  Ce  sont  des  sortes   de  gouvernails  dont 
produites  sous  l  influence  de  la  lumière  et  de  la  '  '  ■       .       - 

chaleur  dans  les  organes  des  plantes  ne  se  l'ont 
sentir  que  dans  celles  de  leurs  parties  qui  sont 
en  voie  d'accroissement. 

On  nomme  yé  ti-opisme  l'action  de  la  pesanteur 
sur  les  plantes.  On  distingue  un  géotropisme  po- 
■sitif,  qui  a  pour  effet  de  courber  les  parties  vers 
le  sol,  et  un  géotropisme  négatif,  qui  a  pour  efTet 
de  courber  les  parties  vers  le  ciel.  Dans  les  con- 
ditions ordinaires  de  la  vie,  les  racines  sont  forte- 
tneut  douées  de  géotropisme  positif  ;  les  tiges  qui 
s'élèvent  verticalement  dans  l'air  sont  fortement 
douées  de  géotropisme  négatif.  Le  géotropisme  est 
dû  uniquement  à  l'attraction  de  la  terre  sur  les 
parties  des  plantes.  En  plaçant  des  plantes  en  ger- 
mination sur  des  roues  verticales  et  horizontales, 
on  détruit  partiellement  l'influence  de  l'attraction 
2'  Paiitie. 


la  plante  se  sert  pour  donnera  sa  marclio  plus  de 
rectitude  et  plus  d'assurance.  Dans  les  algues  dési- 
gnées sous  le  nom  de  volvocinées,  l'être  tout  entier 
consiste  en  une  réunion  de  cellules  agglutinées  les 
unesauxautres  parunesortede  gelée  transparente. 
Chaque  cellule  possède  deux  longs  cils  vibi'atiles 
sans  cesse  en  mouvement,  de  telle  .sorte  que  la 
masse  entière  est  animée  d'un  mouvement  rapide 
de  rotation  au  moyen  duquel  l'être  tout  entier  se 
déplace  dans  l'eau.  Il  est  facile  de  trouver  une  de 
ces  algues  dans  les  eaux  de  pluie  qui  séjournent 
dans  les  creux  des  pierres  calcaires  à  l'entrée  de 
l'hiver  ou  au  commencement  du  printemps. 

Chez  les  saproléguiées,  champignons  aquatiiiues 

qui    vivent  sur  les  mouches  et  sur   les  poissons 

morts,  cliai|ue  zoospore  est  réniformo  et  pourvue 

de  deux  cils  vibratiles  :  l'un  antérieur,  mobile,  qui 

113 


YEGETAL 


—  2274  — 


VEGETAL 


pst  lin  véritable  appareil  locomoteur  ;  l'autre  pos- 
térieur, rigide,  est  un  flagellum  qui  sert  à  gou- 
verner la  marche  de  la  zoospore.  Des  deux  cils 
vibi ailles  de  la  zoosporc,  cliacun  semble  ici  s'êlre 
spécialisé  en  vue  d'une  fonction  différente;  l'un 
est  demeuré  moteur,  alors  que  l'autre  est  devenu 
org.ine  de  direction.  Dans  les  chytridinées,  autre 
groupe  de  champignons  aquatiques  qui  vivent  en 
parasites  aux  dépens  des  saprolégniées  dont  ils 
sont  dérivés,  les  cils  vibratiles  se  réduisent  h  un 
seul  qui  ne  sert  plus  qu'à,  diriger  le  mouvement. 
Le  corps  mobile  se  déplace  au  moyen  de  mouve- 
ments amiboïdcs,  le  flagellum  dirige  la  marche.  A 
mesure  qu'on  s'élève  dans  la  série  des  êtres  végé- 
taux, la  propriété  motrice  semble  se  localiser  de 
plus  en  plus  ;  généralement  elle  se  concentre  tout 
entière  dans  les  anthérozoïdes  des  plantes.  Dans 
ce  cas,  l'organe  mobile  consiste  en  une  sorte  de 
ruban  ou  de  fil  courbé  en  hélice,  et  pourvu  de  cils 
vibratiles. 

Dans  les  plantes  supérieures,  la  masse  proto- 
plasmique  vivante  étant  enfermée  dans  des  cham- 
bres ou  cellules  i,  parois  rigides,  la  propriété 
motrice  des  diverses  parties  de  l'être  végétal 
ne  s'accuse  plus  que  par  les  déplacements  gé- 
néraux que  nous  avons  vus  se  produire  sous  les 
noms  d'hélioiropisme,  de  géotropisme  et  de  tlier- 
motropisme.  Exceptionnellement,  la  faculté  mo- 
trice réapparaît  dans  certaines  parties  de  ces 
plantes  qui  acquièrent  alors  une  irritabilité  très 
grande.  Chacun  a  entendu  parler  de  la  sensi- 
tive  {Mimosa  purlica)  :  on  sait  que  quand  on 
vient  à  toucher  très  légèrement  les  folioles  de 
cette  plante,  celles-ci  se  ferment,  la  feuille  qui  les 
porle  s'abaisse  et  prend  une  physionomie  que  l'on 
qualifie  de  physionomie  de  sommeil,  parce  que  la 
nuit  la  plante  prend  d'elle-même  l'aspect  que  nous 
lui  avons  vu  acquérir  sous  l'influence  d'un  léger 
attouchement.  D'autres  plantes,  comme  le  robinia 
faux-acacia,  V Hedysarum  gyrons,\a.  dionée  attrape- 
mouche,  le  drosera,  le  sarracenia,  le  népenthès,  le 
berbéris,ont  certaines  de  leurs  parties  extrême- 
ment sensibles  soit  à  l'action  de  la  lumière,  soit  à 
l'action  d'un  ébranlement  mécanique.  Dans  le 
premier  cas,  on  dit  que  la  partie  sensible  veille  ou 
dort  selon  sa  position  ;  dans  le  second,  on  se  con- 
tente de  dire  qu'elle  est  irritable  mécaniquement. 
Les  mouvements  exécutés  par  ces  parties  dites 
irritables  peuvent  être  très  étendus.  Ils  sont  brus- 
ques et  rapides;  ils  ramènent  toujours  la  partie 
irritée  à  sa  position  d'équilibre  la  plus  stable;  très 
souvent  ils  sont  accompagnés  d'une  abondante 
émission  d'eau.  Cette  émission  d'eau  est  particu- 
lièrement facile  à  apprécier  dans  les  plantes  à 
pièges  telles  que  les  drosera,  les  dionées,  les 
népen'hès,  ou  dans  celles  qui  sont  pourvues  de 
fistules  ou  ouvertures  locales  accidentelles.  Dans 
tous  ces  organes  contractiles  ou  irritables,  à  côté 
d'un  reste  de  la  motiliié  générale  des  êtres  végé- 
taux, il  y  a  le  fait  d'une  adaptation  spéciale  d'ujie 
partie  dn  la  plante.  Il  y  aurait  lieu  de  reprendre 
aujourd'hui  la  plupart  des  observations  faites  an- 
térieurement sur  la  moiilité  des  plantes  pour  les 
coordonner. 

On  sait  fort  peu  de  chose  sur  les  organes  de 
défense  des  plantes.  Les  plantes  se  mettent  à  l'abri 
<1«  la  lumière  en  colorant  leurs  parois  en  noir,  en 
vert  ou  en  rouge.  La  coloration  la  plus  rare  est  la 
coloration  verie  Le  plus  ordinairement,  dans  h  s 
végétaux  InlérieurE.  la  coloratiun  de  la  paroi  est 
due  îi  la  décomposition  qui  .^'y  produit.  D'autres 
ibis  elle  est  dui-,  à  une  matière  résineuse  qui  s'y 
4épose.  Alors  la  paroi  devient  du  même  coup  un 
organe  protecteur  contre  l'action  de  l'iiumidité  et 
contre  l'a'  tiun  de  l'oxygène  de  l'air. 

Pour  se  pniiégpr  coEitre  les  attaques  des  ani- 
maux, la  planie  triinsfornie  certaines  de  ses  parties 
•en  une  sorte  de  bourre  ou  d'éloupe  qui  revêt  toute 


la  surface  de  l'être  végétal  et  le  met  i  l'abri  des 
piqûres  qui  peuvent  l'atteindre.  Ailleurs,  comme 
dans  le  Gleditschia  ferox,  dans  les  ronces,  les 
aubépines,  les  acacias,  les  cactus,  les  Opuntia  ou 
figuiers  de  Barbarie,  certaines  parties  des  plantes 
se  transforment  en  épines,  en  dards  ou  en  aiguil- 
lons. Ces  piquants  ont  les  origines  morphologi- 
ques les  plus  diverses  ;  ce  sont  des  tiges,  des  sti- 
pules, des  feuilles  ou  de  simples  productions 
superficielles.  Dans  le  Thi'inax  staurncanlha,  ce 
sont  même  des  racines. 

Dans  les  orties,  les  organes  de  défense  consis- 
tent en  poils  dont  la  partie  supérieure  très  déliée 
est  terminée  par  une  sorte  de  bouton.  Le  poil  con- 
tient une  glande  qui  sécrète  de  l'acide  formique. 
Lorsque  l'extrémité  du  poil  a  blessé  un  animal, 
elle  se  brise  très  facilement,  sa  fragilité  étant  très 
grande  ;  sous  l'effort  provoqué  par  cette  rupture, 
la  glande  comprimée  déverse  dans  la  plaie  une 
certaine  quantité  d'acide  formique  :  de  là  provient 
l'irritation  violente,  la  brûlure  que  provoque  la  pi- 
qûre de  rortie,en  particulier  celle  de  YV'tica  urens. 
Dans  les  ISonapartta,  végétaux  australiens  voisins 
des  agaves,  la  plante  transforme  en  appareils  urti- 
cants  ses  stomates.  Il  en  est  de  même  chez  plu- 
sieurs broméliacées.  Chez  quelques  légumineuses 
de  l'Amérique  du  nord,  les  épines  sont  traversées 
par  un  canal  en  communication  avec  une  glande  à 
sucre.  Le  liquide  qui  s'échappe  de  cette  glande  est 
fort  recherclié  de  certaines  fourmis  qui.  par  suite 
de  la  présence  de  leur  nourriture  préférée,  instal- 
lent leur  habitation  sur  ces  plantes.  Mais  les  lé- 
gumineuses en  question  ont  tout  à  redouter  des 
attaques  de  certaines  autres  fourmis  qui  se  jettent 
sur  leurs  bourgeons  au  moment  de  leur  épanouis- 
sement, dévorent  ces  bourgeons  et  font  périr  les 
plantes.  Entre  les  deux  sortes  de  fourmis,  celles 
qui  dévorent  les  bourgeons  et  celles  qui  se  nour- 
ris^ent  des  sucs  émis  par  les  épines,  il  y  a  une  ani- 
mosité  telle  que  les  unes  et  les  autres  se  font  une 
guerre  acharnée;  les  premières  sont  pourchassées  I 
par  les  secondes,  qui  deviennent  ainsi  indirecla- 
raent  les  appareils  de  défense  de  la  plante. 

Beaucoup  de  plantes  produisent  pour  se  mettre 
à  l'abri  des  attaques  des  animaux  des  poisons  vio- 
lents. Le  mancenillier,  le  manioc,  le  strychnos, 
les  pavots,  les  aroidécs,  les  ciguës,  les  euphorbes, 
les  quinquinas,  les  champignons  sont  des  exem- 
ples bien  connus  de  cette  propriété  des  plantes. 
et  des  moyens  auxquels  un  grand  nombre 
d'entre  elles  ont  eu  recours  pour  se  mettre  le 
plus  possible  à  l'abri  des  chances  de  destruc- 
tion dont  les  menace  la  gent  anfmale. 

L'un  des  procédés  les  plus  einoii-Mrs  employés 
par  les  plantes  pour  se  déf^^ndre,  ce  sontles 
pièges  contractiles.  D^-s  '«s  drosera.  petites 
plantes  qui  vivent  mêlées  aux  sphaignes  des 
étangs  ombragés,  on  voit  la  surface  supérieure  des  | 
feuilles  garnie  de  grands  poils  terminés  par  une 
glande  sphérique.  Lorsqu'un  insecte  vient  à  tou- 
cher la  surface  de  la  feuille,  les  poils  s'inclinent 
vers  l'insecte  très  rapidement;  ils  s'appliquent  sur 
lui  et  l'entourent  d'une  matière  fluide  gluante. 
Tant  que  linsecte  se  débat,  les  poils  demeurent 
appliqués  sur  lui.  Ils  ne  se  redressent  que  lorsque 
l'insecte  est  mort.  D.nis  les  dionées  ou  llo:<.^olis  des 
marais  de  la  Louisiane  et  de  la  Caroline,  le  limbe 
de  la  feuille  est  formé  de  deux  pièces  mobiles  au- 
tour d'une  charnière  représentée  par  leur  côte 
médiane.  Lorsqu'un  insecte  vient  se  poser  sur  U 
face  supérieure  de  la  feuille  ouverte,  les  deul 
moitiés  du  limbe  de  la  feuille  se  détendent  brus- 
quement, et  s'appliquent  l'une  sur  1  autre.  Les 
grands  poils  qui  recouvrent  les  bords  de  la  feuilK 
s'engrènent  l'un  l'autre  très  intimement,  et  les 
poils  de  la  face  supérieure  de  la  ieiulle  déver- 
sent sur  l'insecte  une  matière  gluante,  fluide, 
acide,  qui  le   fait  rapidement  périr.   L  existence 


VEGl-n'AI 


2275  — 


VEGETAL 


dp  Cl!  Iluidc  acido  a  doimû  naissance  h  la  fable 
des  plantes  cai'nivores.  Dans  les  népenthès,  les 
.■-ar:accnia,  le  pif-ge  dont  la  plante  dispose  con- 
sis;e  Cil  une  outre  fermée  supérieurement  par 
nii  couvercle  mobile.  Le  fond  de  l'outre  est  ta- 
pissé par  un  tissu  glandulaire  qui  produit,  lors- 
«in'on  l'irrite,  une  matière  fluide  visqueuse  et  lo- 
Kèreniciit  acide.  Lorsiiu'un  insecte  pénètre  dans 
loutre,  lo  couvercle  se  ferme,  l'insecte  prisonnier, 
en  se  débattant,  se  prend  sur  le  tissu  glandulaire, 
et  bientôt  il  périt  sous  l'action  de  la  liqueur  acide. 
.Nous  avons  renvoyé  le  lecteur  à  l'article  Fleur 
pour  tout  ce  qui  concerne  la  reproduction  chez  les 
plantes.  Nous  ne  croyons  pas  avoir  à  revenir  sur 
ce  sujet. 

PALÉONTOLOGIE   VÉGÉTALE 

Epoque  primaire.  —  On  sait  très  peu  de  choses 
positives  sur  les  premiers  végétaux  qui,  ont  vécu 
à  la  surface  du  globe.  Cette  ignorance  tient  sur- 
tout au  mauvais  état  des  empreintes  végétales  de 
l'époque  silurienne,  et  peut-èire  aussi  i  ce  fait 
que  jusqu'à  une  époque  très  rapprochée  de  la  nôtre 
on  a  attribué  fort  peu  d'importance  aux  débris  vé- 
gétaux qui  ont  été  rencontrés  dans  les  terrains 
anciens. 

Dans  le  terrain  silurien,  on  ne  connaît  en  fait 
de  traces  végétales  que  de  grandes  algues  coriaces 
nommées  liilubitcs.  Dans  ces  derniers  temps, 
.VI.  Lesquereux  a  cru  pouvoir  annoncer  la  pré- 
sence d'é(|uisétacées,  de  fougères  et  de  phanéro- 
games dans  le  terrain  silurien;  ces  faits  ont  besoin 
d'être  confirmés.  Dans  les  terrains  dévoniens  les 
traces  végétales  deviennent  beaucoup  plus  nom- 
breuses :  on  connaît  plusieurs  algues  du  groupe  des 
dictyotées,  très  voisines  des  taenia  et  des  zonaria, 
des  fucoïdes  et  des  corallines  [Coraltina  et  Me- 
lobeaia).  Outre  ces  algues  caractéristiques  de  dé- 
pôts marins,  on  a  signalé  sous  le  nom  de  Piilo- 
phyton  plusieurs  rachis  de  fougères  trop  mal 
conservés  pour  qu'il  soit  possible  d'en  décrire  exac- 
tement les  détails  de  structure.  On  a  signalé  aussi 
plusieurs  équisétacées,  parmi  lesquelles  Bornia 
Ifdnsitionis,  Calamités  Suckowii.  Tout  dernière- 
ment .vl.  Renault  a  fait  connaître  un  lépidodendron 
et  un  cordaita  dévoniens.  Les  iépidodendrons  re- 
présentent k  cette  époiiue  reculée  nos  lycopodia- 
cécs.Les  salviniées  étaient  déjà  représentées  par  un 
Splienophi/Uwn;  les  phanérogames,  toutes  gymno- 
spermes, étaient  représentées  par  des  sigillaires  et 
des  Cordaites.  11  y  a  lieu  de  reprendre  cette  étude 
de  la  flort  dévonienne,  qui  semble  rattacher  très 
intimement  its  formations  dévonienne  et  car- 
bonifère, la  flore  du  calcaire  carbonifère  ne 
difl'érant  en  rien  de  ceUo  du  dévonien. 

Avec  l'époque  houillère  apparaît  un  prodigieux 
développement  de  la  végétation.  Ce  développement 
n'a  certainement  pas  été  brusque  ;  mais  les  dépôts 
continentaux  des  époques  silurienne,  dévonienne 
et  carbonifère  sont  trop  peu  étendus,  et  ont  été 
trop  pru  explorés  au  point  de  vue  de  la  paléonto- 
logie végétale  pour  qu'il  soit  possible  d'arguer,  de 
notre  ignorance  h  leur  sujet,  quoi  que  ce  soit  de 
fondé  relativement  au  développement  du  règne 
végétal  avant  la  période  houillère.  —  A  l'époque 
houillère,  qui  se  montre  surtout  comme  une  pé- 
riode contnieniale,  une  très  grande  partie  de  la 
surface  de  l'burope  et  de  l'Amérique  du  nord  était 
occupée  par  des  marécages  nordés  de  vastes  forêts. 
On  connaît  assez  bien  la  végétation  de  cetie  épo- 
que grâce  aux  empreintes  végétales  conservées 
dans  les  schistes  entre  lesquels  sont  intercalées 
les  couches  do  liouille,  et  grâce  aux  objets  à  struc- 
ture conservée  que  l'on  rencontre  dans  les  silex 
houiUers  de  Saint-Etienne  et  dans  les  galets  car- 
bonates dOldham  et  d'Hardinghem.  Les  végétaux 
cellulaires,  algues  et   champignons,  étaient   alors 


représentés  par  des  (Hidor/oinum,  dos  Snprolegnia, 
des  Peronos/iora;  si  des  hypothèses  récentes  sont 
reconnues  exactes,  il  y  avait  à  cette  époque  un  dé- 
veloppement prodigieux  de  bactéries;  certains  au- 
teurs admettent  en  effet  que  la  liouillo  a  été  pro- 
duite par  des  bactéries  accumulées  en  nombre 
prodigieux,  ayant  subi  la  transformation  en  ma- 
tière ulniique  :  cette  matière  ulmique  aurait  été 
ensuite  transformée  en  houille  sous  l'action  de 
la  pression  et  de  la  vapeur  d'eau.  Cette  hypo- 
thèse a  besoin  d'être  démontrée;  elle  ne  repose 
jusqu'ici  que  sur  ce  fait  que,  sauf  de  très  rares 
exceptions,  il  n'est  pas  possible  de  reconnaître  une 
structure  dans  la  houille.  Jusqu'à  cette  hypothèse, 
on  admettait  que  les  matières  ulmiques,  qui,  sous 
l'influence  du  métamorphisme,  avaient  produit  la 
houille,  provenaient  de  la  décomposition  de  grands 
végétaux,  A  l'époque  houillère  moyenne,  à  la- 
quelle appartiennent  les  houilles  du  Pas-de-Calais, 
du  Boulonnais,  de  la  Belgique,  les  plantes  vascu- 
laires  consistaient  en  cryptogames  vasculaires  et 
en  phanérogames  gymnospermes.  Dans  les  ma- 
rais houillers  de  l'époque,  on  trouvait  des 
équisétacées  dont  les  types  étaient  le  Calamités 
Suckowii,  le  C.  ramosus,  le  C.  striatus,  VAstero- 
phyllites  longifolid,  VEquisetites.  Les  salviniacées 
sont  représentées  par  de  nombreux  Sp/je;io/i/i(///!i»i, 
dont  les  épis  ont  reçu  les  noms  de  Macrostachya, 
de  Volkmannia,  et  les  racines  le  nom  de  Pinnula- 
ria.  Les  Sphenoi'hylluin  et  les  Calamités  traver- 
sent, presTiue  sans  variation,  toute  la  période 
houillère;  ils  s'arrêtent  avec  la  période  permienne, 
les  uns  en  donnant  naissance  aux  vrais  Erjuisetum, 
les  autres  en  produisant  les  Salviiiia.  On  ne  con- 
naît pas  de  rhizocarpées  proprement  dites  à  l'é- 
poque houillère  moyenne.  Les  lycopodiacées 
étaient  représentées  par  des  lycopodes  en  tout 
semblables  aux  lycopodes  arborescenis  de  l'épo- 
que actuelle,  par  des  sélaginelles  et  des  Iépidoden- 
drons. La  partie  souterraine  de  ces  lépî  hidendrons 
vîvailetrampaitdanslavasedesmarais  decette  épo- 
que ;  on  la  connaît  sous  le  nom  de  Sliyinnri'i.  Les 
fougères  sont  représentées,  à  l'époque  houillère 
movenne,  par  des  ophioglossées  gigantesques, 
telles  que  les  Hotryopteiis,  les  C;/cloptms,  par 
des  maratiacées  nombreuses,  arborescoites,  telles 
que  les  Lonchopteiis  et  les  Nevro/iteris,  les  Pe- 
cnpttris,  dont  la  tronc  était  nommé  Psaionius 
et  le  pétiole  MeduUoia  ;  par  des  lygodiées  dont 
les  feuilles  sont  nojnmées  S/)/ie?io/J?erî.s-.  Plusieurs 
couches  de  houille  du  bassin  du  nord  de  la  France 
et  do  l'Angleterre  sont  dues,  croit-oii,  presque 
exclusivement  à  des  débris  de  fougères.  Les  pha- 
nérogames gymnospermes  étaient  représentées  à 
cette  époque  dans  les  mai-écages  par  les  sigil- 
laires (Rhytiiiolei'is ,  Favuluria,  L  ïodennaria , 
Clatki-aiia).  Les  sigillaires  avaient  coujme  partie 
souterraine  des  pièces  comparables  à  celles  des 
Iépidodendrons  et  nommées  aussi  Stigmaria.  Ces 
souches  souterraines  vivant  dans  la  vase  avaient 
des  feuilles  cylindriques  dicliotomes,  charnues, 
perméables,  qui  jouaient  à  tous  égards  le  rôle 
de  racines.  Elles  ressemblaient  aux  racines  aqua- 
tiques qui  garnissent  la  partie  inférieure  des  rhi- 
zomes de  nénuphar.  Outre  les  sigillaires,  qui  sont 
des  plantes  voisines  de  nos  cycadées  aciuelles,  il 
y  avait  plusieurs  groupes  très  proches  par^'Uts  de 
celui-là;  parmi  leurs  principaux  représentants, 
nous  citerons  :  les  Noggcral/iia,  les  Bnlltivdendron, 
les  Cycailoxylon,  les  Paroxyton.  Les  gnétacées 
étaient  représentées  par  de  grandes  plantes  ter- 
restres désignées  dans  leur  ensemble  sous  le  nom 
de  Cordiiïtes.  Le  nombre  des  espèces  de  cordaites 
était  considérable.  D'après  celui  de  leurs  graines 
aujourd'hui  connues,  on  peut  évaluer  à  quarante 
le  nombre  des  genres  que  l'on  désigne  d'une  ma- 
nière générale  par  le  nom  de  cordaïies.  Les  co- 
I  uifères  proprement  dits  n'étaient  alors  indiqués 


VEGETAL 


2276  — 


VEGETAL 


que  par  le  seul  genre  Walchia,  type  de  la  famille 
des  saxegolbées,  dont  le  seul  représentant  actuel 
est  le  genre  Saxe-Golhea,  confiné  aujourd'hui  sur 
les  hautes  montagnes  des  Andes  équatoriales.  Les 
gymnospermes  houillères  étaient  encore  repré- 
sentées par  une  grande  famille,  colle  des  calamo- 
dendrées,  qui  n'a  plus  de  représentants  vivants 
dans  la  période  actuelle,  mais  qui  était  alors  for- 
mée par  les  genres  Arthropitus  eXCalamodeiidron, 
auxquels,  depuis  les  dernières  recherches  deM.  B. 
Renault,  on  ajoute  maintenant  une  grande  partie 
des  astérophyllites  et  des  Annularia.  Les  cor- 
daïtes,  les  saxe-gothées  et  les  calaraodendrécs 
formaientà  l'époque  houillère  moyenne  d'immenses 
forêts  à  la  surface  des  terres  émergées.  Sous  le 
couvert  de  ces  forêts  vivaient  les  fougères  et  les 
lycopodiacées  ;  les  marais  étaient  occupés  par  les 
équisétacées  et  les  sphénophyllites,  par  les  sigil- 
laires  et  quelques  aslérophyllites.  La  croissance 
de  toutes  ces  plantes  se  faisait  avec  une  rapidité 
extrême,  et  sans  aucune  interruption  qui  indiquât 
l'existence  des  saisons.  L'eau  abondait,  ainsi  que 
l'atteste  le  grand  volume  des  éléments  ligneux 
des  plantes  de  cette  époque.  Mais  si  la  crois- 
sance des  êtres  végétaux  à  l'époque  houillère 
moyenne  était  rapide,  leur  destruction  ne  l'était 
pas  moins. 

La  végétation  de  la  période  houillère  supérieure, 
à  laquelle  appartiennent  les  bassins  houillers  de 
Saint-Etienne,  de  Conimentry,  d'Autun,  du  Gard, 
de  l'Isère,  est  caractérisée  par  une  tendance  géiié- 
rale  des  plantes  à  acquérir  des  caractères  plus 
terrestres  et  une  physionomie  qui  se  rapproche 
davantage  des  plantes  modernes.  Ainsi  les  calamo- 
dendrées,  qui  servent  de  transition  entre  les  phané- 
rogames gymnospermes  et  les  phanérogames  an- 
giospermes, deviennent  plus  nombreuses,  leurs 
genres  se  multiplient,  et  parmi  les  nouvelles  for- 
mes produites,  on  voit  s'indiquer  déji  les  caractères 
des  pipéracées  et  des  casuarinées.  Les  cordaitos 
deviennent  plus  terrestres;  en  eux  on  reconnaît  la 
souche  commune  dont  vont  partir  les  genres  Wel- 
witschia,  Epliedra  et  Giieluin,  qui  sont  à  l'heure 
présente  les  seuls  représentants  de  la  famille  des 
gnétacées.  Les  saxe-gothées  sont  représentées  par 
des  espèces  plus  nombreuses  de  Watcliia,  et  peut- 
être  par  des  dacrydiées.  Les  cycadées  se  réduisent 
presque  au  Cycadoxylon.  Leurs  autres  repié- 
sentants,  les  sigillairesdu  groupe  des  Hhylidotepis 
et  les  Nogge7-at/iia,  qui  sont  des  formes  végétales 
anciennes,  disparaissent  à  peu  près  complètement. 
Dans  les  cryptogames  vasculaires,  nous  observons 
une  transformation  analogue  à  celle  que  nous  ve- 
nons de  faire  connaître  en  détail  chez  les  phané- 
rogames. Les  seules  fougères  qui  persistent  sont 
les  S/thenopleris  et  quelques  Pecopteiis  ;  les 
grandes  ophioglossées  disparaissent.  Dans  les 
équisétacées,  on  voit  les  Ccdamiles  s'éteindre  et 
faire  place  aux  Etiuisetum  proprement  dits.  Les 
spliénophyllées  disparaissent  également. 

Époque  secondaire.  —  Pendant  la  période  per- 
mienne,  qui  fait  suite  à  la  période  houillère  supé- 
rieure, Icmersion  du  sol  continue,  du  moins  dans 
nos  régions;  la  physionomie  végétale  prend  un  ca- 
ractère de  plus  en  plus  terrestre  ;  mais  entre  la 
végétation  de  la  période  houillère  supérieure  et 
celle  du  permien,  il  n'y  a  pas  assez  de  différence 
pour  qu'on  puisse  faire  de  ces  deux  zones  deux 
termes  distincts  de  la  série  géologique. 

La  période  iriasique  est  caractérisée  dans  l'his- 
toire du  développement  des  plantes  par  une  pau- 
vreté excessive  de  végétation.  Cette  pauvreté  tient 
peut-être  à  ce  qu'on  ne  connaît  qu'un  très  petit 
nombre  do  formations  d'eau  douce  qui  appartien- 
nent bien  réellement  à  cette  période.  On  ne  con- 
naît, en  fait  de  végétaux  triasiques,  que  de  grands 
Equisctum,  descendants  directs  des  cquisétites 
carbonifères.  11  semble  que,  au  moins  en  Europe,  les 


parties  émergées  aient  été  suffisamment  élevées 
pour  ne  former  que  des  régions  lacustres  et  fluvio- 
lacustres très  restreintes  dont  il  n'est  resté  aucun 
vestige. 

.\vec  la  période  jurassique,   nous  trouvons  une 
population   végétale   toute  différente  de  celle  de 
l'époque    houillère.    Les   cordaites  se  sont  trans- 
formés; ils  ont  produit  les  trois  types  des  gnéta- 
cées actuelles,  savoir  :  une  liane,  le  Gnetum,  qui 
vit  aujourd'hui  dans  les  forêts  des  régions   équa- 
toriales du  globe  ;  une  plante  grasse  des  déserts 
sablonneux,    le     Welwitschia,   qui     s'est    réfugié 
dans   les  déserts    du    sud   de  l'Afrique  ;   et  une 
plante  de     rivage,  VEphedra,  qui    habite   les  ri- 
vages sableux  exposés   au  vent  sur  les  côtes   des 
mers  des  régions  chaudes  du  globe.  Les  calamo 
dendrées    proprement  dites    ont   disparu,  mais  à 
leur  place  on    voit  dos  pipéracées,  des    aroîdées 
représentées  par  le  genre  Williamsonia,  des  pan- 
danées,  des  casuarinées,  c'est-à-dire  que  dès  cette 
époque  les  formes  souches  d'où  vont  sortir  pcu' 
dantles  périodes  jurassique  et  crétacée  toutes  nos 
phanérogames  angiospermes  soiitdéjà  constituées. 
Les    conifères    proprement     dits    sont    presque 
tous    constitués;    ainsi  les  taxinées,   les   phyllo 
cladées,  les  salisburiées,  les  dacrydiées,  les  podo  | 
carpées,  les   séquoiées,  les   araucariées,   lesabié,' 
tinées,  les  junipérées  et  les  cupressinées  existen  ■ 
avant   la  fin  de  la  période  jurassique.    Les    cycai 
dées   sont  réduites   aux    cycas,   aux   stangeria   c 
aux  zamiées.  La  population  dos  cryptogames  vas 
culaires  ne  comprend  plus  que  quelques  lygodiées 
des  osmondacées  à  feuilles  coriaces,  des  lycopo 
diacéesà  feuilles  coriaces,  et  des  Eguisetum.Si  loii 
étudie  chacune  des  familles  que  nous  venons  d'éi 
numérer,  on  voit  qu'elle  est  représentée  par  dej 
végétaux  arborescents   à  éléments  ligneux  étroild 
bien  réguliers,  sans  variation  de  calibre,  sans  vaifj 
seaux.    Presque  toutes  les  plantes  ont  alors   de 
feuilles  coriaces,  dures, linéaires,  h  stomates  dispi 
ses  en  files.  Toutes  ces  plantes  ont  en  mêmetemp 
de  nombreux  canaux  ré&inifères.  Ce  que  nous  devori 
conclure  de  tous  ces  faits,  c'est  que  pendant  lap' 
riode  jurassique,  de  nouvelles  étendues  de  terri 
ont  émergé  du  sein  des  mers  ;  que  ces  terres  s 
sont  peuplées  de  forêts;  que  la  sécheresse  a  é 
peu  à   peu   s'accentuant,  amenant  les    plantes 
prendre  une  physionomie    générale    qui  rappel, 
beaucoup  ce  que    nous   voyons  aujourd'hui    dat 
nos  bruyères.  Les  souches  des  phauérogamesangi' 
spermes  se  sont  produites  ;  il  en  est  de  mêm«  di 
principaux  types  des  conifères  et  des  gn^tacee 
Les  cycadées,  réduites  presque  aux  zamiees,  soi 
sont  encore  représentées  par  des  se"™snombrev 
qui  s'éteindront  presque  tous  avec  l'époque  jura 
sique;  elles  ont   déjà  leur    physionomie  actuel! 

Pendant  la  période  crétacée,  on  voit  se  produi 
les  palmiers  proprement  dits,  quelques  formi 
nouvelles  de  conifères,  et  des  protcacées.  La  flo 
de  l'époque  crétacée  est  encore  fort  mal  connu 
parce  que  les  formations  crétacées  sont  pour 
plupart  exclusivement  marines;  ce  n'est  guère  q 
dans  le  vvealdien,  le  néocomien,  le  gault  et  1 
grès  verts  du  IVlaine  qu'on  a  rencontré  de  loin  • 
loin  des  débris  végétaux.  ' 

Epoque  tertiaire.  —  .Nous  arrivons  très  brU 
quement  du  jurassique  pour  ainsi  dire  aux  dép< 
éocènes  inférieurs,  dont  la  végétation  contine 
taie  est  très  bien  connue  grâce  aux  belles  recli( 
ches  de  M.  de  Saporta  sur  la  flore  fossile  du  gi;j 
ment  de  Sézanne.  A  Sézanne  près  de  Reims, J 
existait  à  l'époque  de  la  formation  des  sables  » 
Bracheux  une  source  incrustante  analogue  à  ce» 
de  Saiute-Allyre  en  Auvergne.  Cette  source  a  • 
cumulé  i  Sézanne  des  travertins  qui  sont  enir 
rement  pétris  d'empreintes  végétales  admiralf 
ment  conservées.  Parmi  les  plantes  reconnues  .» 
M.  de  Saporta  dans  ce  gisement,  nous  citer 


l 


VEGETAL 


_-  2277  


VÉGÉTAL 


des  vinifèros,  des  légumineuses,  des  aralia- 
c6es,  des  ombellifères,  des  laurinécs,  des  myri- 
cacéos,  des  rayrtacées,  des  paliniers,  des  zingi- 
bérâcées,  des  cyprès,  des  séquoia,  dos  pnlypodia- 
cées,  des  Eijiiisetiim  semblables  à  notre  Eq.  limo- 
SH»i.  La  flore  de  Sczunne  indique  diSjii  une  tempé- 
rature beaucoup  moins  chaude  que  la  flore  juras- 
sique. De  plus,  si  nous  étudions  de  près  les  bois 
de  ce  gisement,  on  obsei-vo  déjh,  des  zones  d'ac- 
croissement semblables  aux  zones  d'accroisse- 
ment annuelles  de  nos  arbres  actuels  des  régions 
tempérées.  Beaucoup  de  ces  bois  présentent  des 
vaisseaux  ligneux,  ce  qui  n'existait  pas  à  l'épo- 
que jurassi()ue.  Si  comparativement  à  la  flore  de 
Sézanne  on  examine  celle  qui  vivait  au  Groenland 
vers  la  même  époque,  on  reconnaît  que,  bien  que 
la  température  moyenne  fût  encore  très  élevée  au 
Groenland,  la  végétation  qui  s'y  produisait  indique 
pourtant  un  climat  moins  cliaud  que  celui  de  Sé- 
zanne. Sézanne  nous  représentait  le  climat  de  la 
Louisiane,  alors  que  le  Groenland  ne  jouissait  plus 
que  du  climat  de  Lisbonne.  Il  ressort  de  ces  faits 
que  pendant  le  temps  écoulé  entre  la  période  juras- 
sique et  la  formation  des  travertins  de  Sézanne, 
les  saisons  sont  devenues  sensibles,  ce  que  nous 
indiquent  d'une  façon  certaine  les  arrêts  de  crois- 
sance des  bois  des  tiges  dicotylédones  ligneuses; 
de  plus,  l'influence  de  la  latitude,  qui  jusque-ii 
1)0  s'était  point  fait  sentir,  devient  parfaitement 
M'usible  aussi.  A  mesure  que,  des  formations 
■  ocènes  inférieures,  nous  nous  rapprochons  de  la 
période  actuelle,  nous  voyons  ces  deux  influences, 
influence  des  saisons,  influence  de  la  latitude, 
devenir  do  plus  en  plus  marquées. 

A  l'époque  du  gypse  nous  observons  en  France 
des  araliacéos  arborescentes,  dos  chênes  verts, 
des  magnolia,  des  jujubiers,  des  myrtes,  alors 
qu'au  Groenland  et  i  la  Nouvelle-Zemble  on  ne 
connaît  que  des  forêts  de  conifères. 

Avec  le  miocène  on  voit  les  dernières  cycadces 
quitter  l'Europe  ;  les  chèjies,  les  charmes,  les 
bouleaux,  1(!S  saules,  les  ronces  prennent  un 
grand  déveluppement,  en  même  temps  qu'un  puis- 
sant tapis  de  plantes  herbacées  commence  à  revê- 
tir le  sol  là  où  la  forêt  ne  s'étend  pas. 

La  végétation  pliocène  rappelle  dans  nos  régions 
du  nord  de  la  France  et  en  Auvergne  celle  de  la 
Provenct'  méridionale  et  celle  de  l'Italie  actuelle  ; 
les  espèces  que  nous  trouvons  dans  les  tufs  qui 
remontent  à  celte  époque  sont  identiques  îi  celles 
qui  vivent  aujourd'hui  dans  des  contrées  un  peu 
plus  méridionales.  Il  n'y  a  eu  pour  ces  êtres  qu'une 
petite  émigration  Parfois  même,  comme  dans  cer- 
taines localités  des  environs  de  Nemours,  de  Fon- 
tainebleau et  de  l'Auvergne,  privilégiées  sous  le 
rapport  de  l'abri  et  de  l'exposition,  la  végétation 
ancienne  a  persisté  pendant  que  la  population  vé- 
gétale s'est  modiflce  dans  le  pays  environnant;  c'est 
alors  que  se  sont  constituées  ces  stations  méridio- 
nales, sortes  d'îlots  perdus  au  milieu  d'une  flore 
septentrionale. 

Epoque  quaternaire.  —  Au  début  de  la  période 
qnaternaiie,  la  flore  du  centre  de  la  France  était 
à  peu  près  la  mémo  que  celle  qui  vit  aujourd'hui 
au  sud  de  l'Auvergne;  c'est  à  ce  moment  que  se 
produisit  la  grande  extension  des  glaciers  des  Al- 
pes, des  Pyrénées,  des  Alpes  Scandinaves,  des 
monts  Ourals,  du  Groenland  et  des  montagnes 
Rocheuses,  ainsi  que  l'émersion  du  Sahara.  Une 
grande  partie  de  la  population  végétale  éraigra 
virs  le  sud,  et  notre  pays  prit  la  flore  des  con- 
iiVes  les  plus  septentrionales  de  l'Europe,  celle  de 
la  Suède  et  de  la  Norvège.  Après  la  fonte  des 
glaciers,  les  grands  soulèvements  des  Andes  et 
des  Alpes,  après  l'extinction  des  volcans  d'Auver- 
gne et  de  l'Eifel,  le  climat  s' étant  radouci,  les  plan- 
tes septentrionales  émigrèrent  vers  le  nord,  ou  se 
réfugièrent  vers  les  sommets  des  montagnes  éle- 


vées, alors  que  les  régions  plus  basses  étaient  de 
nouveau  occupées  par  une  végétation  plus  chaude. 
Ces  émigrations  des  plantes  rendent  compte  de  la 
similitude  des  flores  des  contrées  septentrionales 
et  des  hautes  montagnes  de  l'Europe  centrale,  et 
de  la  distribution  géographique  des  plantes. 

DISTRIBUTION     GÉOGRAPHIQUE     DES      PLANTES 
OU  GÉOGRAPHIE  BOTANIQUE. 

Aux  périodes  houillère,  jurassique  et  crétacée, 
nous  avons  vu  que  la  physionomie  du  sol  étant 
presque  identique  dans  toutes  les  régions  émer- 
gées, les  hautes  montagnes  n'existant  pas  en- 
core, la  latitude  et  les  saisons  étant  sans  influence, 
la  population  végétale  était  sensiblement  la  même 
dans  toutes  les  contrées  du  globe.  C'est  ainsr  que 
les  flores  du  Groenland,  dn  bassin  houiller  du  nord 
de  la  France,  de  l'Algérie,  du  Brésil,  du  Cap  et  de 
la  Tasmanie  ont  été  reconnues  comme  étant  iden- 
tiques aux  époques  spécifiées  ci-dessus.  La  seule 
cause  qui  règle  la  distribution  des  plantes  à  ce 
moment  est  la  répartition  des  eaux  et  de  la  vapeur 
d'eau  ;  les  plantes  se  laissent  toutes  ranger  dans 
l'une  de  ces  catégories  :  terrestre,  d'eau  douce 
courante  ou  tranquille,  d'eau  saumâtre,  d'eau  de 
mer,  parasite,  ou  humicole  ;  les  grandes  algues 
sont  confinées  dès  ces  époques  dans  les  eaux  ma- 
rines, alors  que  les  gymnospermes  les  plus  éle- 
vées habitent  exclusivement  la  terre  ferme.  Pos- 
térieurement à  la  période  crétacée,  l'influence  des 
saisons  et  celle  de  la  latitude  se  faisant  sentir  en 
même  temps  que  le  relief  du  sol  s'accentuait,  les 
espèces  végétales  se  localisent  chacune  dans  les 
endroits  où  elles  trouvent  les  conditions  nécessaires 
à  leur  développement.  Il  y  a,  par  suite  du  refroi- 
dissement continu,  une  émigration  générale  des 
plantes  du  nord  ou  plus  généralement  des  régions 
polaires  vers  les  régions  équatoriales.  Comme  les 
divers  végétaux  ne  supportaient  pas  également 
bien  les  variations  des  conditions  ordinaires  de 
leur  vie,  en  même  temps  qu'ils  se  modilient 
plus  ou  moins  vite,  ils  émigrent  de  leur  point 
de  formation  pour  se  rapprocher  des  régions  chau- 
des de  la  terre.  Certains  faits  particuliers,  comme 
l'extension  et  le  retrait  des  glaciers,  provoquèrent 
un  mélange  parfois  très  complexe  de  flores  diffé- 
rentes, et  assignèrent  à  certaines  régions,  comme 
le  sommet  des  hautes  montagnes,  une  population 
végétale  qui  ne  se  trouve  plus  aujourd'hui  que 
dans  des  régions  beaucoup  plus  septentrionales. 

On  a  remarqué  que  chaque  espèce  végétale, 
pour  se  développer  complètement  et  amener  ses 
graines  h  maturité,  a  besoin  d'une  quanlité  déter- 
minée de  chaleur,  laquelle  quantité  doit,  de  plus, 
être  appliquée  à  la  plante  en  question  dans  une 
période  de  temps  déterminée,  parfois  même  entre 
deux  époques  définies  dans  le  temps.  Les  causes 
qui  limitent  la  quantité  de  chaleur  reçne  dans  un 
temps  donné  sont,  pour  les  régions  voisines  du 
pôle,  l'obliquité  des  rayons  solaires,  ce  qui  est  une 
conséquence  de  la  latitude,  et  la  durée  relative 
des  jours  et  des  nuits,  ce  qui  dépend  à  la  fois  de 
la  latitude  et  des  saisons.  Plus  au  sud,  on  voit 
intervenir  l'influence  de  l'altitude  et  de  la  proxi- 
mité do  la  mer. 

Dans  la  région  polaire,  limitée  dans  les  deux 
hémisphères  par  les  cercles  polaires,  la  végétation, 
devant  s'accomplir  dans  un  temps  très  court  et 
sur  un  sol  à  peine  dégelé  jusqu'à  un  mètre  de 
profondeur,  sous  l'influence  de  rayons  lumi- 
neux très  obliques,  ne  comprend  que  des  plantes 
rabougries  et  sociales.  Dès  que  la  neige  qui  re- 
couvre la  terre  dans  ces  régions  commence  à  dis- 
paraître, on  voit  comme  dans  les  Alpes  le  sol  se 
couvrir  de  fleurs  avant  qu'aucune  feuille  soit  for- 
mée. L'appareil  floral  que  la  plante  élève  ainsi 
avec  tant  de  hâte  est  formé  aux  dépens  des  réserves 


VEGETAL 


—  2278 


VEGETAL 


nutrilives  accumulées  par  la  plante  dans  ses  par- 
ties souterraines,  toujours  très  rameuses  et  très  dé- 
veloppées. La  flore  des  régions  polaires  est  entière; 
ment  dépourvue  d'arbres  ;  les  plantesy  forment  des 
gazons  serrés  ;  toutes  sont  sociales,  c'est-à-dire 
qu'elles  croissent  en  groupes,  plusieurs  spécimens 
d'une  même  espèce  vivant  côte  à  côte.  Les  types 
végétaux  terrestres  observés  jusqu'ici  dans  les  ré- 
gions polaires  du  nord  de  1  Europe  sont  des  gra- 
minées, des  composées,  quelques  ombellifères, 
des  saxifrages,  des  rosacées,  des  cypéracées,  des 
saules  nains,  des  crucifères,  des  sélaginelles.  On  ne 
connaît  ni  la  végétation  aquatique  d'eau  douce,  ni  la 
végétation  marine  des  régions  polaires.  Quant  ;\  la 
végétation  terrestre,  son  domaine  est  très  limité, 
les  glaciers,  dans  ces  régions,  descendant  jus- 
qu'au niveau  de  la  mer.  Dans  les  points  les  plus 
favorisés  du  Groenland,  le  sol,  qui  ne  peut  se  couvrir 
de  végétation  qu'après  la  fonte  de  la  neige,  n'est 
revêtu  de  son  manteau  végétal  que  jusqu'à  soixante 
mètres  d'altitude.  Le  caractère  dominant  de  la 
végétation  est  son  allure  gazonnante  et  souterraine, 
à  floraison  hâtive,  à  feuilles  paraissant  toujours 
après  les  fleurs,  à  souclies  persistantes,  comme  si 
la  floraison  hâtive  ne  suffisait  pas  toujours  à  as- 
surer la  conservation  de  l'espèce. 

Dans  la  région  à  laquelle  on  donne  ordinaire- 
ment le  nom  de  zone  tempérée  et  qui  s'étend  du 
cercle  polaire  aux  tropiques,  on  rencontre  diver- 
ses zones  caractérisées  chacune  par  leur  végéta- 
tion. Nous  nous  bornerons  à  passer  sommaire- 
ment en  revue  les  plus  importantes  de  ces  zones  : 
Comme  premier  type  de  végétation,  nous  pren- 
drons celle  de  l'Europe  centrale.  Cette  végé- 
tation est  caractérisée  par  un  développement 
puissant  des  plantes  forestières  nommées  dans 
leur  ensemble  arbres  feuillus,  et  dont  les  princi- 
paux types  sont  le  chêne,  le  hêtre,  le  bouleau,  le 
peuplier,  le  charme,  le  coudrier,  le  châtaignier, 
l'aulne,  l'orme,  les  saules  ;  sous  le  couvert  de  la 
forêt  abondent  les  ronces,  les  chèvrefeuilles,  les 
muguets,  les  champignons,  les  lichens.  Entre  les 
forêts,  qui  ne  dilTcrent  entre  elles  que  par  le  do- 
gré  d'humidité  du  sol,  s'é:endent  des  plaines  her- 
beuses couvertes  de  graminées,  de  composées, 
d'onibellifères,  de  crucifères.  Les  bords  des  cours 
d'eaux  sont  habités  par  des  carex.  des  joncs,  des 
arundo,  des  glycéries,  des  équisétacées.  Les  eaux 
courantes  nourrissent  des  potaniogétons  à  feuil- 
les élancées,  des  helodéa,  des  callitriches,  des 
batrachospermes,  des  spirogyres,  alors  que  les 
eaux  dormantes  sont  peuplées  de  nénuphars,  de 
lentilles  d'eau,  d'hydrocharis,  de  sagittaires,  de 
typha,  de  spai'ganiers,  d'algues  vertes  et  incolo- 
res de  toutes  les  sortes,  vauchériéos,  diatomées, 
volvocinées,  hydrodictyées,  oscillatoriées,  chara- 
cées,  sphaignes.  Près  des  côtes,  sous  l'influence 
du  sel  marin,  les  plantes  deviennent  cliarnues 
ou  velues,  ou  encore  échevelées,  la  végétation 
arborescente  disparaît  sous  l'influence  des  vents 
de  mer.  La  côte  même  est  habitée  par  des  chéno- 
podéos,  des  plantains,  des  plombaginées,  des 
glaux,  des  triglochines,  des  graminées,  des  éphé- 
dra.  Le  rivage  est  exclusivement  habité  par  des 
algues,  fucus,  laminaires,  floridées,  ectocarpes, 
corallines,   mélobésies. 

Quand  dans  cette  zone  végétale  on  s'élève  en 
altitude,  on  voit  la  végétation  arborescente  mo- 
difier son  caiactère;  les  arbres  verts  ou  conifères, 
les  vacciniées  et  les  rhododendrons  remplacent 
peu  à  peu  les  arbres  feuillus;  à  I  2nO  mètres 
d'altitude  ces  derniers  disparaissent  presque  com- 
plètement ;  quant  aux  arbres  verts,  ce  sont  d'a- 
bord des  pins,  puis  des  sapins,  puis  des  gené- 
vriers. Les  sapins  et  les  genévriers  peuvent  s'élever 
jusqu'à  1  8(J0  mètres  d'altitude.  La  limite  où  ces 
végétaux  cessent  de  se  développer  marque  la  li- 
mite de  la  végétation  arborescente.  Dans  la  zone 


des  sapins,  le  sol  de  la  forêt  est  presque  nu;  il 
ne  s'y  développe  que  quelques  parasites  comme 
les  champignons,  les  lichens,  les  monotropa,  les 
neottia.  Les  eaux,  presque  toujours  vives  dans 
ces  régions,  sont  habitées  par  une  mousse,  le 
fontinalis.  Les  bords  des  torrents  et  les  creux  des 
rochers  sont  tapissés  d'iiépatiques.  Les  régions 
découvertes  qui  s'étendent  parfois  entre  les  forêts 
de  sapins  sont  caractérisées  par  les  vaccinium, 
les  parnassia,  les  gentianes,  les  digitales.  Au- 
dessus  de  la  région  des  sapins,  on  rencontre  la 
région  des  prairies  ;  là,  sur  la  roche  presque  nue. 
les  composées,  les  graminées,  les  saxifragées,  les 
crucifères,  les  orchidées,  les  lycopodes,  les  mous- 
ses, les  lichens  forment  un  épais  tapis.  De  même 
que  dans  les  régions  polaires,  la  végétation  de  ces 
hautes  régions  doit  s'accomplir  chaque  année  dans 
un  temps  très  court,  de  juin  à  septembre  ;  aussi, 
dès  la  fonte  des  neiges,  grâce  aux  réserves  nutri- 
tives accumulées  dans  les  parties  souterraines  des 
plantes,  toute  la  prairie  des  hautes  montagnes  se 
couvre-t-elle  de  fleurs.  Les  fi-uilles  viennent  après 
les  fleurs  et  la  maturation  des  graines  ;  leur  rôle 
semble  uniquement  consacié  à  la  préparation 
d'une  nouvelle  réserve  alimentaire  en  vue  des 
besoins  de  la  prochaine  végétation.  Les  parties 
souterraines  des  plantes  des  hautes  montagnes 
sont  donc  très  développées,  les  fleurs  sont  hâtives, 
elles  paraissent  avant  les  feuilles  ;  le  feuillage 
est  souvent  velu.  Sur  les  prairies  salées  qui  cou- 
vrent certaines  falaises  secondaires  des  mers  du 
nord  de  l'Europe,  la  végétation  prend  parfois  une 
grande  ressemblance  avec  celle  des  hautes  mon- 
tagnes ;  mais  cette  physionomie  est  due  à  ce  que 
ces  praiiies  salées,  nourrissant  de  nombreux  trou- 
peaux, sont  si  fréquemment  tondues  que  les  végi'  ■ 
taux  n'y  peuvent  subsister  qu'à  la  condition  d'y 
former  un  gazon  feutré  aussi  épais  ([ue  celui  dei 
régions  alpines.  On  appelle  région  alpine  i.i 
région  comprise  entre  1  8(J0  mètres  d'altitude  et 
la  région  des  neiges  éternelles.  A  la  limite  des 
neiges  éternelles  on  ne  trouve  plus  que  quelques 
lichens. 

On  a  souvent  comparé  les  ensembles  végétaux 
ou  flores  que  l'on  rencontre  en  j-'élevant  du  pied  au 
sommet  des  Alpes  aux  flores  que  l'on  voit  se  suc- 
céder en  allant  des  Alpes  vers  le  cap  Nord,  et 
l'on  a  conclu  souvent  à  l'identité  de  la  flore 
alpine  et  de  celle  des  prairies  polaires,  tellement 
même  que  nous  avons  vu  une  hypothèse  émise 
pour  expliquer  par  une  communauté  d'origine 
cette  idejiiité  d'aspect.  Toutefois,  entre  les  condi- 
tions dans  lesquelles  ces  deux  flores  sont  placées, 
il  y  a  une  difl'érence  capitale.  La  flore  polaire 
reçoit  sans  interruption  pendant  tout  l'été  les  rayons 
du  soleil,  mais  sous  un  angle  très  oblique.  Pour 
la  prairie  des  hautes  montagnes,  par  contre, 
les  rayons  solaires  arrivent  directement,  plus 
chauds  qu'en  aucun  autre  endroit  puisque  la  cou- 
che d'air  qu'ils  ont  à  traverser  est  faible;  chaque 
nuit  on  revanche  la  prairie  alpine  est  soumise  à 
un  rayonnement  intense. 

Ce  qui  précède  nous  montre  que  la  tempéra- 
ture estivale  et  l'éclairement  ont  une  influenc 
prépondérante  sur  la  végétation,  beaucoup  plus 
qu'aucune  autre  cause;  qu'après  cette  influcnf.J. 
de  la  température  vient  la  répartition  des  eaux 
à  l'état  de  vapeur  ou  à  l'état  liquide;  et  que  la 
nature  du  sol  n'a  que  peu  d'influence.  Toutefois 
certaines  plantes  présentent  sous  ce  rapport  des 
exigences  spéciales,  les  unes  ne  pouvant  se  dov.- 
lopper  que  sur  un  sol  calcaire,  les  autres  que  sur 
uii  sol  siliceux.  Les  premières  sont  dites  calcico- 
les,  les  secondes  silicicoles.  Ces  exigences  spéciales 
sont  liées  à  une  adaptation  spéciale  do  l'absorption 
chez  ces  êtres  ;  cette  adaptation  est  de  même 
ordre  que  celle  qui  fait  qu'une  plante  exige  du  sel 
marin     pour    se    développer,   ou    (ju'une    autre 


VEGETAL 


—  2i79  — 


VEGETAL 


plante  vit   on  parasite  aux  dépens  d'une  plante 
nonrric^o. 

En  allant  de  ITlurope  occidentale  vers  l'Asie,  on 
voit  la  végétation  demeurer  sensiblement  la  mfime 
dans  toute  l'Europe  centrale,  sauf  peut-6tro  eu  ce 
qui  concerne  l'extension  do  la  région  des  sapins  : 
grâce  en  effet  au  climat  continental,  qui  va  s'accu- 
sant  toujours  davantage  à  mesure  qu'on  s'avance 
vers  la  hussic,  on  voit  la  limite  inférieure  do  la 
région  des  sapins  s'abaisser  de  plus  on  plus  sur 
les  montagnes.  Le  climat  continental  de  la  Rus- 
sie ramène  de  môme  beaucoup  au  sud  la  limite  de 
l'extensiin  des  forêts  d'arbres  feuillus.  Les  mon- 
tagnes de  l'Asie  centrale  nous  présentent  les  mê- 
mes forêts  que  nos  Alpes,  mais  les  genres  diffè- 
l'nt;  les  ronifèrf'S  deviennent  plus  abondants  et 
l'ius  variés;  les  rhododendrons  présentent  là  leur 
maximum  de  développement  et  do  variation  spé- 
cifique. 

Si  de  la  France  on  s'élève  vers  le  nord  par  l'An- 
gleterre, on  trouve  une  végétation  herbeuse  et  fo- 
restière très  peu  varice  ;  la  grande  extension  en 
uititude  que  nous  observons  dans  ce  sens  est  due 
lU  climat  marin  de  l'Angleterre  et  de  l'Irlande, 
dont  le  ciel  est  toujours  voilé  de  brumes  épaisses, 
mais  où  en  revanche  les  écarts  entre  la  tempéra- 
ture estivale  et  la  température  hivernale  sont  peu 
étendus.  Dans  les  régions  où  la  latitude  est  faible, 
la  culture  des  arbres  fruitiers  prend  sa  plus  grande 
importance  et  donne  les  meilleurs  résultais:  le 
pommier  y  remplace  la  vigne.  Plus  au  nord,  en 
Angleterre,  en  Ecosse  surtout,  les  forêts  ne  com- 
)irennent  que  les  bouleaux,  les  aulnes,  les  saules, 
lus  coudriers,  les  ifs,  les  pins  du  nord,  les  picea  ; 
les  plaines  sont  exclusivement  consacrées  aux  pâ- 
turages, dont  le  fonds  est  formé  par  les  grami- 
nées. 

En  Norvège,  on  voit  s'abaisser  la  limite  infé- 
rieure des  forêts  de  sapins  et  celle  de  la  flore 
alpine.  A  la  hauteur  de  Christiania,  la  limite  infé- 
rieure des  sapins  est  descendue  à  200  mètres,  celle 
de  la  flore  alpine  est  à  800  mètres.  Un  peu  plus 
au  nord,  là  où  le  Guif  Stream  ne  se  fait  pas  sentir, 
la  forêt  de  sapins  descend  au  niveau  de  la  mer,  la 
flore  alpine  descend  à  100  mètres.  Sur  le  versant 
oriental  de  la  Laponie,  on  remarque  que  les  limi- 
tes inférieures  des  végétations  des  hautes  monta- 
gnes descendent  bien  plus  rapidement  au  niveau 
de  la  mer  que  sur  la  côte  occidentale  do  la  pres- 
qu'île Scandinave:  c'est  que  là  aucun  courant  ma- 
rin ne  vient  rcchaulTor  le  sol  et  favoriser  la  végéta- 
tion, dont  le  fonds  est  presque  exclusivement  formé 
par  les  lichens  et  quelques  graminées.  Le  nombre 
des  espèces  phanérogames  de  la  flore  laponne  est 
des  plus  restreints  ;  il  se  réduit  en  beaucoup  de 
points  à  une  soixantaine  de  plantes  rabougries,  her- 
bacées, qui  rappellent  beaucoup  celles  de  la  flore 
polaire. 

La  végétation  de  la  Russie  du  nord  et  celle  de 
la  plaine  sibérienne  ont  une  grande  ressemblance 
entre  elles  ;  CPS  vastes  étendues  presque  entière- 
ment privées  d'arbres  ont  une  physionomie  spô- 
^'iale,  et  on  les  désigne  sous  le  nom  de  toundra. 
Sur  la  lisière  sud  de  la  toundra,  la  végétation 
■nborescente  est  représentée  seulement  par  des 
Ijouleaux  blancs,  qui  deviennent  du  plus  en  plus 
grêles  et  clairsemés  à  mesure  qu'on  s'élève  vers 
le  nord.  Des  saules  nains,  des  vaccinium,  des  rho- 
dodendrons nous  indiquent  que  la  végétation  arbo- 
rescente des  hautes  montagnes,  sous  l'inflnencedu 
climat  continental,  est  déjà  descendue  dans  la 
plaine.  La  plaine  basse,  occupée  par  de  grands 
marécages,  est  habitée  par  les  carex,  les  grami- 
nées sèches,  les  renonculacées,  les  sphaignes,  les 
lichens;  lorsqu'on  s'approche  de  la  mer  Blanche 
et  de  l'océan  Glacial,  la  végétation  prend  les  ca- 
ractères de  la  flore  laponne  modifiée  sous  l'in- 
fluence d'une  humidité  plus  grande  du  sol,  l'eau 


provenant  de  la  fonte  des  neiges  ne  s'écoulant  que 
lentement,  le  sol  ne  dégelant  par  suite  qu'à  une 
très  faible  profondeur  et  demeurant  toujours  im- 
bibé d'eau  à  zéro  degré.  La  toundra  s'étend  à 
travers  touto  la  Sibérie  jusqu'au  Kamtchatka. 
Dans  l'Amérique  du  nord,  nous  trouvons  entre 
le  Canada  et  l'océan  Glacial  une  n'gion,  celle  que 
traverse  le  fleuve  Mackensie,  dont  la  végétation 
rappelle  celle  de  la  toundra;  elle  est  séparée  de 
l'océan  Pacifique  par  une  contrée  dont,  la  côte  est 
toute  couverte  de  forêts  de  conifères,  ce  qui 
tient  à  un  échauffement  de  cette  côte  par  des  cou- 
rants d'eau  venus  des  régions  équatoriales. 

Si,  partant  des  Alpes  du  Dauphiné,  ou  du  Pla- 
teau central  de  la  France,  nous  nous  dirigeons 
vers  le  sud,  nous  voyons  la  végélalion  se  res- 
sentir rapidement  de  l'élévation  de  température, 
due  à  l'iiifliienoe  de  la  latitude  sur  I  inclinaison 
des  rayons  solaires  et  sur  la  durée  relative  des 
jours  et  des  nuits.  En  s'avançant  vers  la  Provence, 
on  voit  apparaître  lus  oliviers,  les  amandiers,  les 
pistachiers,  les  melons,  les  mûriers,  les  garances,  les 
vins  alcooliques,  les  santalacées,  les  pins  pignons. 
Avec  la  Provence  nous  trouvons  une  modification  de 
la  flore  tempérée  méridionale  à  laquelle  on  a  donné 
le  nom  déflore  méditerranéenne,  et  dont  les  prin- 
cipaux types  sont  l'oranger,  le  palmier  nain,  les 
chênes  verts,  les  térébiuthes,  le  myrte,  les  cèdres 
atlantiques,  le  pin  pignon,  les  opuntia  ou  figuiers 
de  Barbarie.  Le  sud  de  la  région  méditerranéenne 
produit  les  chênes  liège,  les  alfa.  Plus  à  l'est,  dans 
l'Asie  Mineure,  on  voit  la  vigne  prospérer;  la  base 
des  montagnes  est  couverte  d'oliviers,  de  figuiers; 
un  peu  plus  haut  sont  les  arbres  à  fruits,  teN  que  le 
pêcher,  l'abricotier;  on  arrive  ensuite  aux  forêts  de 
conifères  formées  par  les  cèdres,  les  pins  à  feuilles 
coriaces,  les  pins  à  deux  feuilles  et  à  grosses  grai- 
nes. Sur  l'Himalaya,  on  trouve  une  répartition  des 
végétaux  qui,  vers  le  nord,  se  relie  à  celle  de  la 
flore  chinoise,  et  qui  sur  son  versant  sud  passe 
à  la  flore  des  Indes.  Sur  l'Himalaya,  on  observe 
qu'à  mesure  qu'on  s'avance  vers  l'equateur  la  li- 
mite supérieure  de  lavégétation  s'élève  rapidement. 
Cotte  extension  a  toutefois  une  limite  qu'il  faut 
attribuer  à  la  raréfaction  de  l'air,  raréfaction  qui 
provoque  chez  les  voyageurs  le  mal  des  montagnes. 
La  b;ise  du  versant  nord  de  l'Himalaya  présente 
tous  les  végétaux  européens,  plus  quelques  autres 
qui  lui  sont  propres.  L'extrême  richesse  de 
cette  région  a  conduit  plusieurs  auteurs  à  penser 
qu'il  fallait  y  voir  le  berceau  d'où  auraient  émi- 
gré presque  toutes  nos  plantes.  La  flore  chi- 
noise, si  proche  parente  de  celle  du  versant  nord 
de  l'Himahiya,  est  caractérisée  par  le  brousso- 
netia  ou  mûrier  à  papier,  les  torroya,  les  cépha- 
lolaxus,  le  thé,  le  coton;  dans  la  Chine  du  sud 
on  voit  se  mêler  aux  plantes  ci  dessus  le  riz,  des 
palmiers.  Au  Japon,  on  trouve  l'arbre  aux  qua- 
rante écus  ou  ginko,  et  des  cycas  :  ces  plan- 
tes sont  extrêmement  anciennes  ;  nous  avons  vu 
qu'elles  dérivent  directement  de  la  transforma- 
tion des  formes  souches  des  conifères  et  des  c\ - 
cadées.  Si  nous  franchissons  le  Pacifique,  nous 
retrouvons  en  Californie  l'équivalent  de  la  végé- 
tation japonaise  ;  là  les  conifères  sont  prédomi- 
nants; la  Californie  est  la  patrie  dos  seciuoia,  des 
Pinus  monophylla.  Si  l'on  franchit  les  Montagnes 
Rocheuses,  nous  devons,  grâce  au  climat  contînoji- 
tal  do  l'Amérique  du  Nord,  descendre  beaucoup 
vers  l'equateur  pour  retrouver  l'équivalent  de  la 
flore  tempérée  méridionale  ;  la  culture  du  coton, 
que  nous  avons  trouvée  en  Chine,  a  été  importée  en 
Amérique  et  y  a  prospéré.  Dans  les  régions  bis- 
ses,  uKirécagcuses,  les  forêts  sont  formées  par  les 
cyprès  chauves,  les  pins  à  trois  feuilles,  les  cy- 
près. La  surface  des  eaux  dormantes  est  occupée 
par  les  rossolis,  les  azoUa. 

Jusqu'ici  nous  n'avons  point  parlé  do  la  végét;i- 


VEGETAL 


—  2280  — 


VENT 


tion  des  régions  polaires  dans  l'hcmisphère  aus- 
tral. C'est  qu'en  eflet  la  végétation  polaire  et  la 
végétation  tempérée  arctique  n'y  existent  pas,  les 
terres  polaires  étant  fort  restreintes  et  les  terres 
arctiques  n'étant  représentées  que  par  quelques 
îles  dénudées.  La  région  tempérée  proprement  dite 
n'est  guère  représentée  que  par  quelques  petites 
îles  toujours  enveloppées  de  brumes,  sortes  d'an- 
ciens volcans  éteints  aujourd'hui,  dont  les  plus 
connues  sont  Saint-Paul  et  Amsterdam  ;  dans  ces 
îles  la  végétation  arborescente  n'existe  pas,  le  sol  est 
couvert  de  graminées,  de  lycopodiacces,  de  com- 
posées, de  mousses  et  de  lichens.  A  cette  région 
tempérée  appartiennent  aussi  les  pampas  de 
l'Amérique  méridionale,  caractérisées  par  des 
graminées  coupantes  qui  ont  provoqué  la  produc- 
tion de  cette  race  spéciale  de  bêtes  h  cornes 
connue  sous  le  nom  de  bœufs  gnata  ou  h  nez 
fendu.  La  végétation  tempérée  chaude  est  repré- 
sentée dans  l'hémisphère  austral  par  le  Cap,  la 
Nouvelle-Zélande,  le  Chili  du  sud.  Chacun  de  ces 
trois  points  a  une  flore  complètement  spéciale  qui 
en  fait  une  contrée  botanique  entièrement  à  part. 
Au  Cap,  nous  trouvons  des  podocarpus  à  feuilles 
étroites.  Dans  la  Nouvelle-Zélande,  nous  trouvons 
des  dammara,  des  araucaria  à  feuilles  étroites, 
des  eucalyptus,  des  phormium,  des  fougères.  Au 
Chili,  on  rencontre  des  araucaria  à  feuilles  imbri- 
quées larges,  de  nombreuses  liliacées  bulbeuses, 
des  agfves,  des  broméliacées.  Sur  les  Andes  du 
Chili  nous  voyons  se  répéter  les  phénomènes  de 
localisation  que  nous  avons  signalés  sur  le  ver- 
sant nord  de   l'Himalaya. 

Au-delide  la  région  qualifiée  de  tempérée  chaude 
ou  de  tempérée  méridionale,  se  trouve  la  zone  tro- 
picale. La  zone  tropicale,  qui  dans  notre  hémi- 
sphère s'étend  environ  depuis  le  28"  degré  de  lat.  N. 
jusque  vers  le  15' degré  de  lat.  N.,  etqui  comprend 
dans  l'hémisphère  sud  une  bande  parallèle  ayant 
."i  peu  près  les  mêmes  dimensions,  offre  une 
série  de  contrées  botaniques  assez  différentes  les 
unes  des  autres  pour  que  nous  croyions  néces- 
saire de  les  mentionner  brièvement.  A  Ténériffe 
et  dans  les  îles  de  l'Atlantique,  nous  trouvons  les 
dragonmiers,  les  palmiers,  les  mésembrianthé- 
mées,  les  tétragoniées.  Dans  le  Sahara  et  dans 
l'Arabie,  le  désert  de  sable  ne  comporte  de  végé- 
tation que  dans  les  oasis,  où  la  culture  donne  le 
millet,  les  dattes,  les  bananes,  les  figues  de  nopal, 
les  gommiers,  les  astragales.  Là  où  l'eau  abonde, 
sur  le  continent  africain,  la  végétation  prend  un 
très  grand  développement  :  elle  est  caractérisée 
par  les  palmiers,  les  portulacées,  les  musacées, 
le  riz,  les  papyrus,  les  graminées  arborescentes, 
les  malvacées  gigantesques.  Dans  l'Inde  on  trouve, 
outre  les  familles  ci-dessus,  les  aroidées,  les  pan- 
danées,  les  nipacées;  cette  flore  de  l'Inde  s'étend 
sur  la  Chine  méridionale  et  toute  l'Indo-Chine, 
grâce  à  la  proximité  de  la  mer.  Elle  gagne  même 
Sumatra  et  l'archipel  indo-malais;  mais  là  les 
gnétacéos,  les  euphorbes  arborescentes  et  les 
lianes  viennent  se  mêler  aux  plantes  signalées 
ci-dessus  et  aux  cocotiers.  Au  Mexique,  là  où 
l'altitude  est  assez  basse  pour  ne  point  compen- 
ser la  latitude,  le  sol  est  occupé  dans  les  régions 
sèches  par  les  cactées  meloniformes  et  cérciformes, 
p.ir  les  euphorbes  grasses  et  par  les  agaves 
charnues.  Dans  les  Antilles,  nous  trouvons,  dans 
cette  même  zone,  sous  l'influence  du  climat  insu- 
laire, des  légumineuses  comme  VALriis  precato- 
/■iiix,  des  bignoniacées.  La  zone  tropicale  do 
l'hémisphère  boréal  présente  en  Afrique  un  grand 
développement  de  malvacées  arborescentes.  Dans 
les  îles  de  l'Atlantique  et  du  Grand  Océan,  grâce 
à  l'influence  simulianée  de  l'humidité  et  de  la 
chaleur,  les  fougères  arborescentes  prennent  leur 
plus  grande  extension.  En  Australie,  la  zone  tro- 
picale  de   rhémisphère  austral    est  habitée   par 


les  eucalyptus,  des  myrtacées  et  des  légumi- 
neuses il  phyllodes  telles  que  les  acacias.  Au 
Pérou  et  au  Brésil  ce  sont  des  mélastomacées, 
des  sterculiacées,  des  lianes,  des  palmiers,  qui 
forment  le  fonds  de  la  végétation  arborescente  de 
cette  région.  La  population  végétale  herbacée 
comprend  dans  ces  contrées  de  nombreuses 
orchidées  épiphytes.  Si  on  s'élève  sur  les  Andes,, 
vers  lino  mètres,  on  trouve  encore  quelques 
palmiers  rabougris,  d'abondantes  bignoniacées, 
et  surtout  les  quinquinas.  Plus  haut  encore  sur 
les  Andes,  les  portulacées  et  les  composées 
labiatiflores  occupent  seules  la  surface  du  sol.  A 
la  limite  des  neiges  éternelles,  les  plantes  ne 
sont  plus  représentées  que  par  quelques  lichens. 

La  dernière  région  botanique  dont  il  nous  reste 
à  parler  est  la  région  équatoriale.  Là  la  mer  est 
occupée  par  les  prairies  flottantes  formées  par  les 
sargasses  ou  raisitis  de  )/ier,  sortes  d'algues  voi- 
sines des  fucus,  qui  nagent  à  la  surface  de  l'océan 
au  moyen  d"ampoules  pleines  d'air,  creusées  dans 
leurs  tissus.  La  longueur  des  sargasses  est  très 
grande  ;  elle  peut  rivaliser  avec  celle  des  Macrocys- 
lis,  sorte  de  laminaire  des  iles  Falkland  qui  peut 
atteindre  trois  cents  mètres  de  longueur.  Les  prai- 
ries marines  s'étendent  de  la  région  équatoriale 
jusque  vers  la  région  tempérée  chaude,  mais  c'est 
surtout  près  de  l'équateur  qu'elles  présentent 
leur  plus  grand  développement.  La  flore  du  con- 
tinent africain  dans  sa  région  équatoriale  est  ca- 
ractérisée par  des  palmiers,  des  liliacées,  des 
zingibéracées,  des  ébéniers,  des  arbres  à  gomme. 
Celle  des  îles  Australiennes  comprend  des  myrta- 
cées, des  mélastomacées,  l'arbre  h  pain.  Celle  de 
l'Amérique  comprend,  comme  plantes  de  culture, 
les  cocotiers,  les  vanilles,  les  palmistes,  les  ba- 
naniers; comme  plantes  arborescentes,  ce  sont  des 
palmiers,  des  mélastomes,  des  malvacées  et  des 
lianes  ;  plus  de  nombreuses  plantes  épiphytes  et 
même  des  phanérogames  parasites  telles  que  les 
hélonias,  les  langsdorffla.  Parmi  les  phanérogames 
parasites  de  la  région  tropicale,  nous  devons  citer 
encore  les  rafflésia  de  l'Océanie  et  les  hydnora  de 
la  côte  orientale  de  l'Afrique.  Parmi  les  phanéroga- 
mes qui  peuplent  les  eaux  dormantes,  la  plus  re- 
marquable est  la  Victoriii  regia,  sorte  de  nénu- 
phar dont  les  feuilles  orbiculaires  ont  un  limbe 
qui  peut  atteindre  deux  mètres  cinquante  de  dia- 
mètre. Les  bords  des  fleuves  de  l'Amérique 
équatoriale  sont  habités  par  les  berthoUelia,  les 
couroupita,  les  locythis,  les  calycanthées,  les 
malpighiacées,  les  galactodendrons  ou  arbres  à 
vache,  les  ficus.  |C.-E.  Bertrand.] 

VlijNT.  —  Météorologie,  V-VI.  —  Le  vent  est 
produit  [par  le  mouvement  de  l'air  atmosphéri- 
que. Aux  articles  Courants,  Orages,  Tem/tétes, 
nous  avons  déjà  fait  connaître  l'origine  et  la  cause 
des  principaux  vents,  et  quelques-uns  de  leurs 
effets. 

La  direction  des  vents  qui  rasent  la  surface  du 
sol  est  marquée  par  les  girouettes.  Influencée  par 
les  reliefs  du  sol  et  par  les  remous  qui  en  résul- 
tent, cette  direction  est  extrêmement  variable 
d'un  point  à  l'autre  d'un  même  canton  et  d'un 
instant  à  l'autre  dans  un  même  lieu.  Elle  est 
moins  instable  en  pleine  mer  ou  dans  la  région 
des  nuages;  elle  y  change  cependant  suivant  le 
sens  du  courant  aérien  qui  domine,  et  aussi  sous 
l'influence  des  bourrasques  qui  passent. 

La  rlirection  des  nuages,  ou  le  si'us  dans  lequel 
ils  sont  transportés,  ne  peut  être  évaluée  directe- 
ment à  cause  des  efl'cts  de  persp'Ctive  qui  sont 
d'autant  plus  marqués  que  le  nuage  observé  est 
plus  éloigné  du  zénith.  On  se  sert  d'un  miroir 
horizontal  en  verre  noir  ou  en  verre  désotamé  et 
noirci  sur  sa  face  inférieure.  Sur  sa  face  supé- 
rieure, on  a  tracé  deux  lignes  rectangulaires  se 
coupant  au  centre  du  miroir  et  qu'on  oriente  vers 


VENT 


2281 


VERBE 


les  quatre  points  cardinaux.  On  pfiut  y  tracor 
ôgalonicnt  les  quatre  ou  les  huit  divisions  inter- 
médiaires. 

Pour  faire  usage  de  ce  miroir,  on  place  l'oeil 
dans  une  position  toile  que  l'imago  du  nuage 
observé  apparaisse  au  point  do  croisement  des  li- 
gnes ;  pniSj  un  morceau  de  bois  ou  de  liège  dans 
lequel  on  a  piqué  une  épingle  est  posé  sur  ce 
miroir  de  telle  sorte  que  la  tête  de  l'épingle  se 
projette  sur  le  môme  point.  On  a  ainsi  une  ligne 
de  visée  grossière  mais  suflisante.  Au  bout  do 
((uelques  minutes,  on  se  place  de  nouveau  dans 
nno  position  telle  que  la  tète  de  l'épingle  se  pro- 
jette sur  le  point  de  croisement  des  lignes  du 
miroir.  L'image  du  nuage  s'en  est  écartée  ;  on 
marque  sa  position  nouvelle  avec  un  grain  de 
sable.  La  ligne  qui  joint  le  point  de  croisement 
au  grain  de  sable  donne  la  direction  vraie  du  che- 
min parcouru  par  le  nuage.  Les  effets  de  pers- 
pective étant  les  mêmes  sur  le  miroir  que  sur 
le  ciel  qu'il  reflète  ne  peuvent  plus  troubler  la 
lecture.  L'opposition  de  marche  des  nuages  su- 
perposés dans  l'atmosphère  se  montre  alors  beau- 
coup moins  fréquente  qu'elle  ne  le  paraît  en 
l'absence  du  miroir.  On  constate  cependant  que 
les  nuages  les  plus  élevés  marchent  très  souvent 
dans  des  directions  autres  que  celles  des  nuages 
les  plus  bas.  En  général,  la  direction  du  vent  se 
transmet  de  haut  en  bas,  en  sorte  que,  si  les  nua- 
ges supérieurs  marchent  du  N.-O.vers  le  S. -E., alors 
que  les  nuages  inférieurs  marchent  de  l'O.  h  l'E., 
ceux-ci  ne  larderont  guère  à  marcher  eux-mêmes 
du  N.-O.  vers  le  S.-E.,  ce  qui  est  un  signe  de  beau 
temps  prochain.  Des  nuages  supérieurs  marchant 
du  S.-O.  ou  du  S.  vers  le  N.-E.  ou  le  N.  quand  les 
vents  inférieurs  vont  de  l'O.  vers  l'E.,  indiqueraient 
au  contraire  un  retour  prochain  de  ces  derniers 
vers  le  S. 

La  vitesse  du  vent  est  évaluée  au  moyen  des 
anémomètres.  Pour  les  vitesses  très  faibles  on  a 
recours  à  l'anémomètre  de  Combes,  sorte  d 
moulin  h  vent  de  dimensions  très  petites,  à  ailes 
planes,  inclinées,  faites  en  mica.  Pour  les  venis 
ordinaires  on  emploie  généralement  l'anémomètre 
PiObinson.  Ce  dernier  se  compose  de  quatre  hé- 
misphères creuses  placées  de  môme  sens  aux  ex- 
trémités do  deux  diamètres  croisés.  Le  vent  a 
plus  de  prise  sur  la  concavité  que  sur  la  convexité 
des  hémisphères  ;  ceux-ci  fuient  donc  sous  le 
vent,  leur  convexité  en  avant,  et  font  tourner 
leur  axe  commun  dans  un  sens  toujours  le  même 
quelle  que  soit  la  direction  du  vent.  Cet  anémo- 
mètre est  toujours  orienté  et  prêt  à  fonctionner. 
Sa  vitesse  est  à  peu  près  le  tiers  de  la  vitesse  du 
vent;  la  proportion  diminue  toutefois  d'une  ma- 
nière sensible  quand  le  vent  est  très  fort. 

A  Paris,  dans  les  grandis  tempêtes,  la  vitesse 
d\i  vent  dépasse  quelquefois  80  kilomètres  à 
l'heure  ;  elle  augmente  à  mesure  qu'on  s'élève  au- 
dessus  de  la  surface  du  sol  jusqu'à  une  certaine 
hauteur  variable  avec  l'état  de  l'atmosphère. 
C'est  ainsi  que  la  vitesse  d'un  cours  d'eau  aug- 
mente des  bords  vers  la  partie  centrale.  IVIais  ce 
qu'on  observe  à  la  surface  du  sol  ou  vers  la  ré- 
.  gion  des  nuages  ne  s'applique  pas  nécessairement 
aux  couches   plus  élevées  de  l'atmosplière. 

La  pression  exercée  par  le  vent  sur  une  sur- 
face plane  perpendiculaire  à  sa  direction  croît 
comme  le  carré  de  la  vitesse  du  vent  ;  elle  est  de 
60  kilogrammes  environ  par  mètre  carré,  pour 
un  vent  de  80  kilomètres  à  l'heure;  elle  monte- 
rait à  lOO  kilogrammes  pour  un  vent  d'environ 
103  kilomètres  à  l'heure.  La  pression  serait  la 
même  pour  une  surface  plane  se  mouvant  avec 
la  même  vitesse  de  103  kilomètres  dans  un  air 
calme  et  au  repos. 

En  raison  de  son  inertie,  l'anémomètre  de  Ro- 
mnson  n'obéit  pas  instantanément  aux  à-coups  du 


vent.  Le  nombre  do  tours  qu'il  effectue  dans  un 
intervalle  de  1  minute  donne  la  vitesse  moyenne 
du  vent  pendant  cette  minute.  Les  effets  dos  à- 
coups  du  vent  sont  en  partie  compensés  par  le 
calme  relatif  des  intervalles  qui  les  séparent. 

[Marié-Davy.j 

VENTIL.VTIOIV.  —  V.  le  même  mot  dans  la 
I"  Paiitip. 

VURBE.  —  Grammaire,  XIII.  —  Le  verbe  est 
un  mot  qui  exprime  l'état  ou  l'action  :  «  Il  pleut; 
le  cheval  est  docile;  le  loup  mange  l'agneau.  » 

Verbe  vient  du  latin  verlium,  «  le  mot  »  ;  c'est 
en  effet  le  mot  par  excellence,  qui  forme  le  terme 
essentiel  de  la  proposition. 

On  divise  les  verbes  en  deux  grandes  classes  : 
les  verbes  transitifs  et  les  verbes  intransitifs; 
elles  se  subdivisent  à  leur  tour  en  plusieurs  caté- 
gories. 

On  appelle  vcrbei  transitifs  ceux  qui  font  pas- 
ser l'action  du  sujet  au  complément.  Un  verbe 
est  donc  transitif  quand  il  a  ou  qu'il  peut  avoir 
un  complément  direct.  Ex.  :  «  Le  cheval  traîne 
la  voiture.  »  Traîne  est  un  verbe  transitif,  parce 
qu'il  fait  passer,  il  transmet  l'action  du  cheval  à  la 
voiture. 

Le  verbe  transitif  est  dit  aetif  quand  le  sujet 
fait  l'action.  Ex.  :  o  Pierre  aime  Paul.  »  En  ren- 
versant la  construction,  on  a  :  «  Paul  est  aimé  de 
Pierre.  »  Le  verbe  devient  alors  passif,  parce  que 
le  sujet  Paul  supporte  l'action. 

Le  verbe  est  dit  réflér/ii  quand  le  sujet  fait  et 
supporte  l'action.  Ex.  :  o  11  se  flatte.  »  Le  sujet 
il  et  le  complément  se  désignent  la  môme  per- 
sonne. 

La  plupart  des  verbes  actifs  peuvent  devenir 
passifs  et  réfléchis. 

On  appelle  verbes  iniransitifs  ceux  qui  expri- 
ment un  état,  ou  bien  une  action  qui  ne  s'exerce 
pas  sur  un  autre  objet.  Ex.  :  «  Le  cheval  court, 
l'enfant  dort.  » 

Ces  verbes,  qu'on  appelle  aussi  verbes  neutres, 
ne  peuvent  avoir  de  complément  direct.  Quelques- 
uns  peuvent  devenir  réfléchis,  aucun  ne  peut  de- 
venir passif. 

Aux  verbes  neutres  se  rattachent  les  verbes  im- 
personnels, ainsi  nommés  parce  qu'ils  expriment 
une  action  qu'on  ne  peut  attribuer  à  aucune  per- 
sonne déterminée  :  Ex.  :  «  11  neige,  il  pleut.  » 

Ajoutons  à  ces  diverses  familles  de  verbes  un 
verbe  qui  forme  à  lui  tout  seul  une  classe  spéciale  : 
c'est  le  verbe  être,  qu'on  appelle  verbe  substantif, 
parce  qu'il  exprime  l'existence. 

En  résumé,  il  y  a  donc  en  français  six  sortes  de 
verbes  :  le  verbe  actif,  le  verbe  passif,  le  verbe 
réfléchi,  le  verbe  neutre,  le  verbe  impersonnel  et 
le  verbe  substantif. 

11  faut  considérer  dans  les  verbes  le  radical  et 
la  terminaison,  le  nombre,  la  personne,  le  mode, 
le  temps. 

1"  PiADicALET  TEiiMiNAisoN .  — Le  vcrbo  esttou- 
jours  formé  de  deux  parties  distinctes  :  1°  une  partie 
fixe  qui  change  peu,  dite  le  )-arf/cai  du  verbe;  2°  une 
partie  changeante  et  variable,  qu'on  nomme  la 
terminaison  :  ainsi  dans  je  mnreh-e,  nous  march- 
ons, vous  marc/i-erez,  le  radical  est  march....,  et 

les  syllabes  ...  e,  ons,  erez,  qui  suivent  le 

radical,  sont  les  terminaisons. 

2°  NoMBiiE.  —  Les  verbes  comme  les  noms  ont 
deux  nombres  :  le  sinrjulier,  quand  il  s'agit  d'un 
seul  :  «  Je  marche,  tu  lis,  il  mange;  »  le  pluriel, 
quand  il  s'agit  de  plusieurs  :  «  Nous  lisons,  vous 
marchez,  ils  finissent.  » 

3"  Personnes.  —  L'action  qii'exprime  le  verbe 
peut  être  faite  soit  par  la  personne  qui  parle  : 
n  Je  marche,  nous  marchons;  »  soit  par  la  per- 
sonne à  qui  l'on  parle  :  «  Tu  marches,  vous  mar- 
chez ;  '1  soit  par  la  personne  dont  on  parle  :  «  H  lit , 
ils  marchent.  » 


VERBE 


2282  ^ 


Les  différentes  terminaisons  par  lesquelles  le 
français  marque  les  changements  de  personne 
s'appellent  les  personnes  du  virbe. 

4»  Modes.  —  Le  moile  '  est  la  manière  dont  le 
verbe  présente  l'état  ou  l'action  qu'il  exprime. 

Il  y  a  six  modes  en  français  :  Yindicntif,  l'impé- 
ratif, le  conilitioymel,  le  subjoivAif,  Vinfinitif  et 
le  participe. 

Le  mode  !n''icn/i/ indique  simplement  que  l'ac- 
tion a  lieu  :  «  Je  marche,  tu  lis. 

Le  mode  imptratif  s'emplie  pour  exprimer  le 
commandement  :  s  Marchez,  lisons.  » 

Le  mode  conditioiDiel  indique  que  l'action  au- 
rait lieu  si  une  certaine  condition  était  remplie  : 
<i  Je  soriirais  s'il  faisait  beau.  » 

Le  mode  subjonctif  présente  l'action  d'une  ma- 
nière douteuse,  parce  qu'elle  dépend  toujours 
d'une  autre  action  :  <.  Je  veux  que  tu  vienui's;  » 
gjie  tu  viennes  est  soumis  au  verbe  7e  veux  et  en 
dépend. 

Le  mode  infinitif  présente  simplement  l'action 
d'une  manière  vague,  indéfinie,  sans  distinction  de 
nombre  ni  de  personnes  :  et  Lire,   faire,  remplir.  » 

Le  modepo'  ticipe  tient  à  la  fois  du  verbe  et  de 
l'adjectif.  Comme  le  verbe,  il  indique  l'état  ou 
l'action  et  marque  le  temps  ;  comme  l'adjectif, 
il  qualifie  ou  détermine  un  substantif:  «Aimant, 
aimé.  •) 

Remarque.  —  L'infinitif  et  le  participe,  qui 
n'indiquent  point  les  personnes,  sont  dits  tnodes 
imi'Crsonnels,  par  opposition  aux  autres  modes  qui 
sont  dits  modes  personnels. 

5"  TiMPS.  —  Le  temps  *  est  la  forme  que  prend 
le  verbe  pour  marquer  à  quel  moment  se  fait  la 
chose  dont  on  parle. 

Ou  l'action  se  fait  au  moment  où  l'on  parle  : 
"  Je  lis,  »  —  ou  l'action  était  déjà  faite  au  moment 
où  l'on  parle  :  «  J'ai  lu  ce  matin,  »  —  ou  l'action 
se  fera  dans  un  temps  futur  ou  à  venir  :  «  Je  lirai 
demain  »  :  ces  trois  moments  s'appellent  le  pré- 
sent, le  passé,  le  fwur.  Le  français  marque  cha- 
cune de  ces  époques  différentes  à  laquelle  a  été 
faite  l'action,  par  une  forme  particulière  du  verbe, 
que  l'on  nomme  temps. 

11  n'y  a  qu'un  seul  présetit,  mais  il  y  a  plusieurs 
passés  et  plusieurs  futurs,  parce  que  toute  action 
peut  être  plus  ou  moins  passée,  plus  ou  moins 
future. 

On  distingue  cinq  sortes  do  pnssiis  ou  parfaits: 
l'imparfait,  le  parfait  défini,  le  parfait  indéfini, 
le  parfaii  anteiieur  et  le  plus-r/ue-pnr/'ait. 

Viniparfait  exprime  une  action  actuellement 
passée,  mais  qui  ne  l'était  pas  encore  quand  une 
autre  s'est  faite  :  «  Je  lisais  quand  vous  êtes 
entré.  » 

Le  parfait  défini  exprime  une  action  faite  à  une 
époque  déterminée,  définie,  complètement  passée 
au  moment  où  l'on  parle  :  «  Je  lus  hier  toute  la 
journée.  » 

Le  par/ait  indéfini  exprime  une  action  faite  à  une 
époque  vague,  indéfinie  :  «  J'ai  lu  ce  livre  autre- 
fois. » 

Le  parfait  intérieur  exprime  une  action  faite 
immédiatement  avant  une  autre  également  passée  : 
«  Quand  j'eus  lu  ce  livre,  je  sortis.  » 

Le  pius-gue-parfait  exprime  une  action  faite 
avant  une  autre  également  passée  :  a  J'avais  lu 
ce  livre  quand  je  sortis.  » 

On  distingue  deux  sortes  de  futurs  :  le  futur 
simple  et  le  futur  antérieur. 

he  futur  simple  marque  simplement  que  l'ac- 
tion se  fera  :  «  Je  lirai  ce  livre.  » 

Le  futur  antérieur  marque  que  l'action  se  fera 
avant  une  autre  qui  est  à  faire  :  «  J'aurai  lu  ce  li- 
vre quand  vous  viendrez.  -> 

On  appelle  temps  simples  les  temps  conjugués 
sans  les  auxiliaires  e  re  ou  avoir,  et  temps  composés 
ses  temps  conjugués  avec  un  auxiliaire. 


VERBE 


AUXILIAIRES 


On  appelle  au.riliaires  les  verbes  qui  servent  k 
conjuguer  les  autres  verbes,  comme  être,  avoir, 
dans  les  exemples  suivants  :  «Je  suis  venu,  j'ai 
dormi,  'i 

Auxiliaire  signifie  proprement  «  celui  qui  aide  ». 
Les  verbes  auxiliaires  aident  en  effet  les  autres 
verbes  à  parfaire  certains  temps  ou  certains  mo- 
des, qu'ils  ne  pourraient  formera  eux  seuls  parune 
simple  modification  du  radical. 

Plus  une  langue  a  de  désinences  variées  pour 
les  temps  et  les  modes,  moins  elle  a  d'auxiliaires; 
aussi  les  langues  anciennes  s'en  servaient-elles 
bien  moins  que  la  nôtre.  L'auxiliaire  est  surtout 
l'apanage  des  langues  modernes,  et  principale- 
ment du  français  ;  il  s'y  est  immiscé  partout.  D'a- 
bord, nous  n'avons  de  passif  que  par  lui  ;  à  aucun 
temps,  à  aucun  mode,  notre  conjugai.^on  passive 
n'offre  une  seule  forme  simple,  si  ce  n'est  le  par- 
ticipe passé  (aimé,  fini),  et  notre  passif  résulte  tout 
entier  de  la  réunion  de  ce  participe  passé  avec  la 
conjugaison  complète  de  l'auxiliaire  être.  A  l'actif 
même,  pas  un  liasse,  sauf  l'imparfait  et  le  passé 
défini,  qui  ne  soit  composé  de  ce  même  participe 
uni  au  verbe  avoir.  Bien  plus,  nos  auxiliaires  eux- 
mêmes  ne  peuvent  pas  marcher  sans  aide,  et  sont 
obligés  de  di-niander  du  secours,  soit  l'un  à  l'au- 
tre :  «  J'ai  été,  »  soit  à  eux-mêmes  :  "  J'ai  eu  ». 

Être  et  avoir  sont  les  deux  verbes  auxiliaires 
dont  l'emploi  est  le  plus  fréquent  en  français. 

Ces  deux  verbes  ne  sont  auxiliaires  que  lors- 
qu'ils servent  à  conjuguer  un  autre  verbe,  c'est-à- 
dire  quand  ils  sont  suivis  d'un  participe  passé  : 
«  Je  suis  aimé,  j'ai  chanté.  »  On  ne  peut  leur 
donner  ce  nom  quand  ils  sont  employés  seuls  : 
«J'ai  un  cheval,  je  suis  pauvre.  » /It-iiic  est  alors 
un  verbe  actif,  et  être  est  le  verbe  substantif. 

Ji(;'e,  dans  les  différentes  formes  de  sa  conjugai- 
son, vient  des  deux  radicaux  {suai,  fui)  du  verbe 
latin  rsse,  qui  avait  le  même  sens,  et  du  radical  du 
verbe  stare,  qui  veut  dire  se  tenir  debout,  exis- 
ter. 

Avoir  vient  du  latin  hahere,  qui  a  le  même 
sens. 

Mais,  en  devenant  auxiliaires,  ces  deux  verbes 
perdent  toute  signification  propre,  toute  valeur 
temporelle,  et  ne  marquent  plus  que  les  circons- 
tances de  mode,  de  nombre  et  de  personne.  Us  ne 
jouent  plus  que  le  rôle  des  désinences  dans  les 
temps  simples. 

Nous  avons  dit  qu'ils  no  conservaient  rien  de 
leur  valeur  temporelle  ;  il  suffit  en  effet  de  com- 
parer «  J'ai  »  et  «  J'ai  aimé  >j,  ■•  Je  suis  »  et  «  Je 
suis  tombé  »,  pour  constater  que  j'ai  et  je  suis  ne 
désignent  pas,  comme  auxiliaires,  le  même  temps 
que  lorsqu'ils  sont  employés  d'une  manière  absolue. 
Dans  ces  exemples  :  «  J'ai  aimé,  je  suis  tombé,  ■> 
l'idée  de  temps  est  représentée  par  le  participe. 
Cette  remarque  ne  s'applique  pas  à  la  voix  passive, 
où  le  vei  be  être  est  conjugué  en  entier,  accom- 
pagné seulement  d'un  participe  passé  qui  joue  le 
rôle  d'un  adjectif 

L'auxiliaire  avàr  est  spécialement  affecté  en 
français  à  la  conjugaison  des  temps  composés  ac- 
tifs ;  l'auxiliaire  étr-e,  h  celle  des  leinps  passifs. 

C'est  sans  doute  sous  l'influence  de  ce  double 
rapport  que  les  verbes  pronominaux,  qui  ont  en 
quelque  sorte  un  rôle  actif  et  passif,  puisque  le 
même  sujet  y  fait  ety  subit  l'action,  forment  tou- 
jours leurs  temps  avec  l'auxiliaire  être  tout  en 
gardant  la  signification  active  :  «  Je  me  suis  pro- 
mené. » 

Les  verbes  neutres  subissent  en  général  la  loi 
qui  régit  les  autres  ;  si  leurs  temps  composés 
énoncent  un  acte,  ils  prennent  aî;oi)'  :  «  J'ai  couru;» 
s'ils  énoncent  un  état,  ils  prennent  être  :  «  Je  suis 


VERBE 


—  228;)  — 


VERBK 


arrivé  ;»  s'ils  deviennent  pronominaux,  c'est  en- 
core être:  u]o  nio  suis  plu  i  vous  l'expliquer.  » 

11  n'y  a  que  douze  verbes  neutres  conjugués 
exclusivement  avec  l'auxiliaire  être  ;  ce  sont  : 
A/ter,  arriver,  choir,  di'cédcr,  f}i:t<rre,  rntrer,  mou- 
rir, naître,  partir,  sortir,  toin'ier,  venir.  D'autres, 
tels  que  courir,  iiormir,  Imii/uir,  m'ircher,  vivre, 
succomber,  etc.,  no  prennent  que  l'auxiliaire  auoi/-. 
D'autres  enfin,  tels  que  ilescendre,  passe'-,  cesser, 
accourir,  dem-urer,  itispariiitre,  appuraitre,  etc., 
prennent  tantôt  avoir  et  tantôt  être,  selon  que 
l'on  veut  exprimer  une  action  ou  un  état.  Exem- 
ple :  »  Il  a  paFSC  en  Australie  au  mois  de  mai» 
(c'est-à-dire  :  c'est  au  mois  de  mai  qu'il  a  fait  l'ac- 
tion de  visiter  l'Australie).  iUais  si  l'on  dit  :  «  II 
est  passé  en  Australie  depuis  vingt  ans,  i>  cela  si- 
gnifie :  Il  est  résident  en  Australie  depuis  vingt 
ans  ;  il  est  passé  à  l'état  d'habitant  de  ce  pays. 
Avoir  exprime  donc  ici  l'action  au  moment  où  elle 
s'est  faite,  et  être  l'état  résultant  d'une  action 
accomplie. 

Lorsque  les  verbes  neutres  peuvent  s'employer 
au  sens  actif,  ils  prennent  naturellement  l'auxi- 
liaire avoir  :  «  Il  a  monté  l'escalier.  Nous  avons 
descendu  nos  livres.  Il  a  passé  la  rivière.  » 

Quelques  verbes  neutres  changent  d'auxiliaires 
en  changeant  de  sens  :  convenir,  dans  le  sens  de 
plaire,  prend  l'auxiliaire  avoir  :  «  Cet  hoii/me  ne 
m'a  pas  convenu  ;  »  mais  dans  le  sens  de  faire  une 
conveiiti'i7i,  il  prend  l'auxiliaire  être  :  «  Nous 
sonmies  cojivenus  d'agir  ainsi.  » 

Les  verbes  d' meurer,  rester,  expirer,  dont  le 
sens  peut  également  varier,  suivent  la  même 
règle. 

On  peut  considérer  comme  auxiliaires  secon- 
daires certains  verbes  tels  que  devoir,  aller,  ve- 
nir de,  dans  ces  locutions  :  ■<  Il  devait  venir  ce 
matin  ;  je  vais  sortir  ;  il  vient  de  parler.  »  C'est 
grâce  aux  deux  premiers  que  nous  avons  un  infi- 
nitif et  un  participe  futurs  :  «  devoir  sortir,  allant 
sortir,  »  etc.  Ve7iir  forme  une  sorte  de  passé  ré- 
cent :  Il  Je  viens  d'arriver.  » 

CONJUGAISONS 

La  réunion  de  tous  les  temps  d'un  même  verbe, 
à  tous  leurs  nombres  et  à  toutes  leurs  personnes, 
s'appelle  conjugaison. 

Il  y  a  en  français  quatre  conjugaisons,  que  l'on 
distingue  par  la  terminaison  de  l'infinitif. 

La  re  conjugaison  a  l'infinitif  terminé  en  er, 
comme  ainn-r. 

La  2'  conjugaison  a  l'infinitif  terminé  en  ir, 
comme  finir. 

Hemarque.  —  Les  verbes  en  ir  comprennent 
l'n  réalité  deux  conjugaisons  :  l'une,  comme  finir, 
ijui  a  son  imparfait  en  iss-uis  :  ji-  finissais,  — 
l'iiutre,  comme  se/Uir,  qui  a  son  imparfait  en  ais: 
j'i!  sentais. 

La  particule  iss,  qui  s'insère  h  certains  temps 
de  la  conjugaison  du  plus  grand  nombre  des 
verbes  en  ir,  est  l'équivalent  de  la  particule  esc 
des  verbes  inchoatifs  latins  tels  qae  floresco,  irn- 
plesco,  etc.  «  La  langue  française  s'empara  de  cette 
particule,  et  l'ajouta  aux  verbes  latins  qui  n'au- 
raient pu  donner  en  français  que  des  formes  trop 
écourtées.  En  même  temps  que  notre  langue 
adoptait  la  forme  inchoative  en  iss  pour  l'indicatif 
présent,  l'impaiTait,  le  participe  présent,  le  sub- 
jonctif, et  l'impératif,  elle  la  rejetait  pour  l'in- 
finitif; par  suite  le  futur  et  le  conditionnel  n'ont 
point  reçu  la  forme  inchoative,  ainsi  que  le  parfait 
de  l'inoicatif  et  l'imparfait  du  subjonctif  qui 
viennent  directement  du  latin.  Les  verbes  de  la 
2"  conjugaison  se  partagent  donc  en  deux  classes: 
1»  une  série  de  verbes  inclioatifs  qui  sont  de 
véritables  verbes  irréguliers,  i^uisiiu'ils  sont  in- 
choatifs dans  cinq  de  leurs  temps,  et  non  inchoa- 


tifs dans  cinq  autres;  2"  un  petit  nombre  do 
verbes  non  inchoatifs  (partir,  venir,  etc.),  qui  sont 
le  calque  fidèle  et  la  reproduction  de  la  conju- 
gaison latine  à  tous  les  temps.  Il  semble  au  pre- 
mier abord  qu'on  devrait  prendre  ces  derniers 
comme  types  de  la  T  conjugaison  française,  et 
classer  les  verbes  inchoatifs  parmi  les  verbes  irré- 
guliers. C'est  le  contraire  que  les  grammairiens 
ont  fait;  ils  ont  décidé  que  les  verbes  non  in- 
choatifs seraient  à  l'avenir  des  verbes  irréguliers, 
et  que  le  type  de  la  2°  conjugaison  et  de  la  régu- 
larité se  trouvait  dans  les  verbes  inchoatifs.  Il  est 
vrai  que  ceux-ci  avaient  pour  eux  le  nombre.  On 
compte  seulement  22  verbes  non  inchoatifs,  pour 
32i)  inchoatifs.  »  (Brachet.) 

Nous  conformant  .'i  la  décision  des  grammai- 
riens, nous  renvoyons  aux  verbes  irréguliers  les 
verbes  en  ir  qui  forment  l'imparfait  sans  inter- 
caler la  particule  is^,  et  nous  considérons  les 
verbes  inchoatifs  comme  formant  la  i'  conjugaison 
régulière. 

La  'i'  conjugaison  a  l'infinitif  terminé  en  oir, 
comme  recevoir. 

La  i'  conjugaison  a  l'infinitif  terminé  en  ;<?, 
comme  entendre. 

Le  français  compti!  (si  l'on  prend  pour  base  le 
dictionnaire  de  l'Académie)  environ  4000  vcibes 
simples  (nous  laissons  de  côté  les  composés), 
dont  .3000  se  terminent  en  er;  —  32!)  en  ii-  (avec 
l'imparfait  en  issai.s);  —  22  en  (')•  (avec  l'impar- 
fait en  ais);  —  1»  en  oir; —  et  .■lO  en  re.  La  1" 
conjugaison  en  er  comprend  donc  à  elle  seule  les 
quatre  cinquièmes  des  verbes  français. 

Comme  on  le  verra  plus  loin,  notre  langue  crée 
des  verbes  nouveaux  à  l'aide  des  substantifs  et 
des  adjectifs,  en  ajoutant  aux  premiers  la  termi- 
naison er  :  n  fête,  fêler;  gant,  gnn'er  ;  lard, 
larder;  camp,  camper;  »  —  en  ajoutant  aux  se- 
conds la  terminaisnn  ir  :  «  maisre, /«n/^rîr;  cher, 
chérir;  b\evi,  hlruii  ;  ;.,■:'<■,  ,;'/>.  -.  j.a  1"  ron- 
jugaison  forme  II  ,,  1 1.  ■  nn  iu\  i,  r  I'-  sub- 
stantifs; la  2"  ciii  iii_  1,  •".i  ..\  r  Ilo  ajcriirs:  ce 
sont  donc  des  conjngaisuns  vivanteSj  pnisi(u'cHes 
servent  encore  chaque  jour  à  de  nouvelles  for- 
mations. 

Les  conjugaisons  en  oir  et  en  re  (et  celle  en  ir 
avec  l'imparfait  en  ais)  sont  au  contraire  inca- 
pables de  servir  à  former  des  verbes  nouveaux, 
et,  depuis  l'origine  de  la  langue,  le  français  n'a 
pas  ajouté  un  seul  verbe  en  Oi;' ou  en  ce  au  petit 
nombre  de  ceux  que  le  latin  lui  avait  légués.  Ces 
deux  conjugaisons,  qui  sont  restées  stériles,  peu- 
vent à  bon  droit  être  appelées  des  conjugaisons 
mortes. 

Cette  simple  distinction  des  conjugaisons  en 
mortes  et  vivantes  nous  explique  aussitôt  pour- 
quoi aOOO  verbes  français  (sur  4000)  sont  on  er 
et  en  ir  (avec  l'imparfait  en  issais),  tandis  que 
les  trois  autres  conjugaisojis  réunies  ne  com- 
prennent guère  plus  de  80  verbes. 

Nous  supprimons  le  tableau  des  quatre  conju- 
gaisons, et  celui  de  la  conjugaison  des  auxiliaires 
avoir  et  êire,  qu'on  trouvera  dans  toutes  les  gram- 
maires. 

1°  Verbes  actifs.  —  Les  paradigmes  que  dou- 
nent  les  grammaiics  pour  les  quatre  conjugaisons 
actives  sont  généralement  les  verbes  aim'jr,  fin  r, 
recevoir,  et  entendre.  Ne  voulant  pas  les  repro- 
duire ici,  nous  nous  bornons  à  quelques  remar- 
ques sur  la  conjugaison  intcrrogative,  et  sur  la 
furmatlon  des  temps. 

VcllDES    CONJUGUÉS   SOUS  LA  FORME   INTERnOGATIVE. 

—  Pour  conjuguer  un  verbe  sous  la  forme  inier- 
rogative,  on  met  le  pronom  après  le  verbe  dans 
les  temps  simples  ;  «  Aiment-ils  '?  Recevez-vous  '!  » 
On  met  le  pronom  entre  lauxiliaire  et  le  parti- 
cipe dans  les  temps  composés  :  «  Ai-je  aimé? 
Aurai-je  reçu?  » 


VERBE 


—  2284  — 


VERBE 


Quand  le  verbe  est  terminé  par  un  e  muet  à 
la  l"  personne  du  singulier,  on  remplace  cet  e 
muet  par  Ve  fermé:  a  Aimé-je?  Finissé-je?  »  La 
syllabe  finale  devient  alors  accentuée  (V.  Accen- 
tualioii). 

Quand  le  verbe  est  terminé  à  la  3'  personne 
du  singulier  par  une  voyelle,  on  met  un  t  entre 
le  verbe  et  le  pronom  :  «  Airae-t-il?  A-t-il  ?  Ai- 
mera-t-il?  » 

Le  vieux  français  avait  toujours  un  /  à  la  3«  per- 
sonne et  écrivait  :  «  Il  aimet,  il  vat,  »  sans  faire 
sonner  le  t.  Cette  lettre  disparut  dans  la  conju- 
gaison directe,  parce  qu'elle  était  muette;  mais 
e\le  persista  dans  la  forme  interrogativo,  à  cause 
de  la  voyelle  qui  suit.  Ce  t,  qu'on  appelle  t  eu- 
phonique et  qui  est  uni  au  verbe  par  un  trait 
d'union,  faisait  donc  autrefois  réellement  partie 
du  verbe. 

Pour  conjuguer  les  verbes  dans  la  forme  né- 
gative  (avec  la  négation  we.... /)a.t,  ne poirit), 

il  suffit  d'intercaler  tie  entre  le  pronom  et  le  verbe 
pour  les  temps  simples  :  «  Je  ne  veux  pas,  tu  ne 
veux  pas,  »  etc.;  et  pour  les  temps  composés,  de 
compléter  cette  intercalation  en  plaçant  le  mot 
pus  entre  l'auxiliaire  et  le  participe  :  o  Je  n'ai  pas 
voulu,  je  n'aurais  pas  voulu,  »  etc. 

Formation  des  temps.  —  On  divisait  autrefois 
les  temps  des  verbes  en  tetnps  prinniifx  et  en 
temps  dérivés.  L'infinitif  présent,  le  participe  prê- 
tent, le  participe  passe,  le  présent  de  l'indicatif 
etis  passé  défini  étaient  les  cinq  temps  primitifs, 
d'où  les  autres  temps  étaient  dérivés.  Ce  système 
de  formation  était  purement  artificiel,  les  temps 
simples  français  venant  directement  des  temps 
lalins,  sauf  une  ou  deux  exceptions.  La  seule 
remarque  générale  qu'on  puisse  faire  :\  ce  sujet, 
c'est  que  le  participe  prosent,  le  subjonctif  pré- 
sont, l'imparfait  de  l'indicatif  et  les  trois  person- 
nes p'urlelles  du  présent  de  l'indicaiif  ont  ordi- 
nairement le  mftme  radical.  Ex.  :  «  'Renà-anl,  que 
ji-  rend-f,  je  rend-ai>,  nous  rend-o?!s;  écr'vi-ant, 
que  j'écriv-e,  j'écriv  azi,  nous  écny-ons.  » 

Remarquei  sur  les  temps  simples.  —  l"  A  la 
première  personne  du  présent  de  l'indicatif,  les 
verbes  en  er  n'ont  pasd's.-  o  Je  chante,  »  tandis 
que  les  autres  conjugaisons  ont  un  s  ;  «  Je  finis, 
je  romps.  » 

Cette  exception  est  un  vestige  de  notre  vieille 
langue  ;  dans  l'ancien  français,  la  1"  personne 
n'avait  jamais  d's  ;  on  disait  j'aime,  je  voi,  je 
rend;  vers  le  xvi'  siècle,  on  ajouta  un  s,  par  ana- 
logie avec  Vs  de  la  2»  personne,  tu  cluoites,  tu 
Us,  lu  vois;  mais  la  1"  conjugaison  échappa  h  ce 
changement,  et  même  pour  les  autres  conjugai- 
sons les  formes  sans  s  persistèrent  longtemps 
après  chez  les  poètes  :  on  trouve  encore  au 
xvii"  siècle  ye  voi,  je  H,  je  croi,  dans  La  Fontaine, 
Molière  et  Corneille. 

A  la  .3»  personne,  toutes  les  conjugaisons  ont 
un  t,  à  l'exception  de  la  1"  (nous  en  avons  vu 
plus  haut  la  raison).  Dans  la  4'  conjugaison  les 
\erbes  tels  que  renilre,  vendre,  laissent  tomber 
ce  t,  à  cause  de  la  dentale  d  dé]\  contenue  dans 
le  radical,  et  disent  il  rend,  il  vend,  au  lieu  de 
il  rendl.  il  vendt. 

Les  diverses  conjugaisons  forment  toutes  leur 
pluriel  de  même  :  ons,  ez,  ent.  Il  faut  y  joindre 
cette  remarque  que  la  conjugaison  en  ir  place  de- 
vant ces  terminaisons  la  particule  iss  :  «  fin-!ss- 
<ins,  &niss-i-z,  fin-iss-ent,  »  dont  nous  avons  vu 
l'origine  plus  haut. 

Notons  aussi  que  la  terminaison  ent  (ils  chant- 
riit,  ils  finiss-ra?,  ils  rend-p^i^)  est  muette,  au 
heu  d'être  sonore  et  accentuée  comme  la  syllabe 
ent  dans  souvent,  auvent,  argent. 

2"  L'impaifait  de  l'indicatif  a  les  mêmes  dési- 
nences dans  toutes  les  conjugaisons  {ais,ail,  etc.), 
toujours  avec  cette  remarque  que  la  conjugaison 


en  il-  intercale  iss  entre  le  radical  et  la  termi- 
naison. 

L'imparfait,  autrefois,  s'écrivait  toujours  par 
ois  (j'nimois,  je  efiantois,  etc.),  au  lieu  de  ais. 
C'est  Voltaire  qui  le  premier  écrivit  aimais, 
chantais,  etc.  ;  mais  ce  changement,  opéré  mal- 
gré l'Académie,  ne  fut  sanctionné  par  elle  qu'en 
i8;i5. 

Un  siècle  avant  Voltaire,  en  1675,  un  avocat 
obscur,  Nicolas  Bérais,  avait  déjà  demandé  cette 
réforme. 

3°  Le  parfait  défini  a  un  ^  à  la  troisième  per- 
sonne, sauf  dans  la  1"  conjugaison  :  «  Il  aima.  » 
Ce  t,  qui  existait  en  latin  (nmarî<), reparait  comme 
au  présent  de  l'indicatif  dans  la  forme  interroga- 
tive  :  «  Aima-t-il  '?  » 

Il  y  a  toujours  un  accent  circonflexe  sur  la 
première  et  la  deuxième  personne  du  pluriel  : 
(I  nous  aimâmes,  vous  aimâtes,  »  pour  marquer 
la  suppression  de  quelques  lettres  originelles 
[ama-vi-mtis,  ama-vi-stis).  On  écrivait  autrefois  : 
(1  Nous  aimasmes,  vous  aimastes.  » 

4°  Le  futur  se  forme  dans  toutes  les  conjugal- 
sons  de  la  même  manière,  c'est-à-dire  en  ajou- 
tant à  l'infinitif  du  verbe  le  présent  do  l'indicatif 
du  verbe  avoir  (ai,  as,  a,  etc.),  d'oii  aimerai, 
aimeras,  aimera;  mais  au  pluriel  on  retranche 
av  :  aimer{nv,oiiSj  aimer[ai')ez,  aimer{av]ont. 

Le  conditionnel  présent  est  formé  de  même 
de  l'imparfait  avais,  en  supprimant  la  syllabe  av  : 
aimer[av)ais . 

Dans  les  verbes  de  la  3'  conjugaison  on  re- 
tranche 01  ;  «  devoir,  je  devrai  ;  recevoir,  je  rece- 
vrai. »  Le  verbe  avnir  fait  ]'aurai,  par  le  change- 
ment de  V  en  u.  Le  verbe  être  tire  son  futur  de  la 
forme  latine  essere,  qui  a  donné  esser-ai,  puis  se- 
rai. 

b"  Toutes  les  personnes  de  l'impératif  sont  em- 
pruntées aux  personnes  correspondantes  du  pré- 
sont de  l'indicatif.  Il  n'y  a  qu'une  exception  pour 
la  1"  conjugaison  qui  dit  chante  sans  s,  tandis 
que  finib,  romps,  reçois  ont  l'.v  de  l'indicatif.  Mais 
Vs  de  chante  reparaît  lorsque  l'impératif  est  placé 
devant  un  mot  commençant  par  une  voyelle,  tel  que 
î/  ou  en  :  «  Chantes-en  une  partie  ;  pcnses-y,  »  etc. 

6°  Notre  présent  du  subjonctif  n'est  autre  chose 
que  le  présent  du  subjonctif  latin  :  a  chante 
[cantem),  chantes  {cante^),  chante  [cantet),  chan- 
tions (cantemus],  chantiez  (cnnteti.i),  chantent 
cantC'd).  »  L'ancien  français  pouvait  distinguer 
l'imparfait  de  l'indicatif  chantions  du  subjonctif 
chantions,  parce  que  le  premier  comptait  pour 
trois  syllabes,  venant  de  canta(ba)mus,  tandis  que 
le  subjonctif,  venant  de  cantemus,  ne  comptait 
que  pour  deux. 

7°  L'imparfait  du  subjonctif  nous  vient  du 
plus-que-parfait  du  subjonctif  des  Latins  (ama- 
V'ssem,  amavis.ies,  amavisset,  etc.),  mais  par  la 
forme  contracte  amassem,  aiiiasses,  amassel,  d'où 
j'aimasse,  tu  aimasses,  il  airnast,  et  plus  tard,  par 
'  la  chute  de  s,  aimât.  Ici,  le  t  est  resté  à  la  3'  por- 
I  sonne  du  singulier  parce  qu'il  était  appuyé  par 
une  autre  consonne. 

8°  Nous  avons  vu  quelles  étaient  les  quatre 
terminaisons  deïl'infinitif.  Le  participe  présent, 
pour  toutes  les  conjugaisons,  est  en  ant  (chantant, 
entendanti,  que  la  conjugaison  en  !;•  fait  naturel- 
lement précéder  de  iss  {finissant). 

Le  participe  passé  est  toujours  en  é  pour  la 
1"  conjugaison  (chanté);  pour  les  trois  autres, 
les  désinences  varient. 

Les  temps  composés  se  forment  en  ajoutant 
l'un  des  auxiliaires  avoir  ou  être  au  participe 
passé  du  verbe.  Ex.  :  «  aimé,  reçu;  j'ai  aimé,  j'a- 
vais reçu,  n 

'2"  Verbes  passifs.  —  Il  n'y  a  qu'une  conjugai- 
son pour  le  verbe  passif;  elle  se  compose  de 
l'auxiliaire  être  suivi,   à   tous  ses   modes,  temps 


YEIIBE 


—  2283  — 


VERBE 


et  personnes,  du  participe  passé  du  verbo  que 
l'on  veut  conjuguer  :  «  Je  suia  mordu,  j'ai  été 
mordu,  je  serai  mordu,  etc.  » 

Kemun/iie.  —  Il  faut  avoir  soin  de  faire  tou- 
jours accorder  le  participe  avec  le  sujet  du  verbe  : 
u  Je  suis  mordu,  elle  est  mordue,  ils  sont  mor- 
dus, etc.  " 

(Voir  dans  les  grammaires  le  tableau  de  la  conju- 
gaison du  verbe  rtre  uinié.) 

3"  Vei-bes  réfléchis.  —  On  appelle  aussi  ces 
verbes  verbes  prûnuiuniaiix,  parce  qu'ils  se  con- 
juguent avec  deux  pronoms  à  tous  les  temps, 
excepté  à  l'infinitif,  au  participe  présent  et  à 
l'impératif. 

Il  faut  distinguer  deux  sortes  de  verbes  réflé- 
chis: les  verbes  réfléchis  par  nature,  et  les  verbes 
actifs  ou  neutres  employés  comme  réfléchis. 

Les  verbes  réfléchis  par  nature  ne  peuvent  se 
conjuguer  qu'avec  deux  pronoms  :  «Je  merepens  ; 
elle  s'est  évanouie.  » 

Les  verbes  emplnyés  comme  réfléchis  sont  des 
verbes  actifs  ou  neutres  que  l'on  conjugue  alors 
avec  deux  pronoms  :  a  Je  me  suis  lavé  ;  elle  s'est 
uui.  » 

Les  verbes  réfléchis  forment  toujours  leurs 
temps  composés  avec  l'auxiliaire  être  :  "  Nous 
nuus  sommes  repeniis  ;  elles  se  seront  égarées.  » 

CVoir  dans  les  grammaires  le  tableau  de  la  conju- 
gaison du  verbe  réfléchi  ie  repenlir.) 

4°  'Verbes  neutres.  —  Les  temps  simples  des 
verbes  neutres  sont  les  mêmes  que  ceux  des  ver- 
bes actifs.  Les  temps  composés  sont  formés  tan- 
tôt avec  l'auxiliaire  être,  tantôt  avec  l'auxiliaire 
avoir.  Ex  :  «  Je  suis  arrivé,  j'ai  dormi.  • 

Comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  il  n'y  a  que 
douze  verbes  neutres  conjugués  avec  l'auxiliaire 
ètiv. 

Remarque.  —  Dans  les  verbes  neutres  conju- 
gués avec  être,  le  participe  s'accorde  toujours 
avec  le  sujet  du  verbe  :  «  Il  est  arrivé,  elle  est 
arrivée,  ils  sont  arrivés,  etc.  » 

(Voir  dans  les  grammaires  le  tableau  de  la  conju- 
gaison du  verbe  neutre  tuinher.) 

li"  Verbes  impersonnels.  —  Les  verbes  imper- 
sonnels ne  s'emploiejit  qu'à  la  3=  personne  du  sin- 
gulier et  sont  toujours  précédés  du  pronom  il.  Ils 
n'ont  pas  d'impératif. 

Il  ne  faut  pas  confondre  il,  sujet  des  verbes 
impersonnels,  avec  il,  sujet  des  verbes  actifs  ; 
le  premier  n'a  qu'un  sens  vague  et  indéterminé  et 
signifie  cela  ;  le  second  remplace  au  contraire  une 
personne  déterminée. 

Remarque.  —  Outre  les  verbes  impersonnels 
par  nature,  comme  il  pleut,  il  neige,  on  peut 
employer  impersonnellement  les  verbes  actifs  et 
les  verbes  neutres,  comme  il  fait  btau,  il  con- 
vient  if obéir. 

On  appelle  aussi  ces  verbes  verbes  uniperson- 
nels,  parce  qu'ils  n'ont  qu'une  seule  personne. 
Cette  i=  persoime  du  singulier  se  conjugue  régu- 
lièrement comme  la  3"  personne  correspondante 
du  verbe  actif. 

(Voir  dans  les  grammaires  le  tableau  de  la  conju- 
gaison du  verbe  impersonnel  tonner.) 

Verbes  irréguliers  et  verbes  défeotifs. 

Tout  verbe  qui  ne  se  conforme  point  aux  modè- 
les de  conjugaison  aimer,  finir,  recevoir,  enten- 
dre, est  dit  verbe  irrégulier. 

Le  verbe  irrégulier  peut  être  irrégulier  de 
deux  manières;  ou  il  peut  manquer  d'un  ou  de 
plusieurs  modes,  temps  ou  personnes  des  verbes 
réguliers,  et  il  est  dit  dans  ce  cas  verbe  défedif, 
c'est-à-dire  incomplet;  —  ou  il  possède  tous  ces 
modes,  temps  ou  personnes,  mais  en  s'écartant, 
pour  leur  formation,  des  règles  prescrites,  et  il 
est  alors  verbe  irrégulier  proprement  dit. 


Ce  qui  distingue  essentiellement  les  verbes 
réguliers  des  verbes  irréguliers,  c'est  que  dans 
les  premiers  le  radical  reste  à  peu  près  invaria- 
ble, et  que  les  terminaisons  seules  changent  avec 
les  temps,  les  modes  et  les  personnes  [chanter, 
chantons,  chanterai),  tandis  que  dans  les  verbes 
irréguliers  le  radical  ne  s'écrit  point  de  la  même 
manière  à  tous  les  temps  de  la  conjugaison  (te- 
nir, je  tiens  ;  vouloir,  veuillez,  Je  vaux;  savoir, 
sus,  sache,  etc.). 


I. 


PUEMUJRE   CONJUGAISON  :   Cr. 


Les  verbes  comme  mener,  lever,  qui  ont  un  e 
muet  à  l'avant-dernière  syllabe  de  l'infinitif, 
changent  cet  e  muet  en  e  ouvert  lorsqu'il  est  suivi 
d'une  syllabe  muette  :  mener,  lever,  font  je  mène, 
je  lèverai. 

Les  verbes  qui  ont  un  é  fermé  à  l'avant-dernière 
syllabe  de  l'infinitif,  changent  cet  e  fermé  en  é 
ouvert  quand  la  syllabe  qui  suit  est  muette  :  cé- 
der, préférer  font  /e  cède,  je  préfère. 

Les  verbes  en  éger,  qui  faisaient  exception,  sui- 
vent cette  règle  depuis  la  dernière  édition  du 
dictionnaire  de  l'.Vcadémie  (1878). 

Les  verbes  en  eler,  eler,  comme  appeler,  Jeter, 
redoublent  la  consonne  l  ou  t  devant  un  e  muet  : 
j'appelle,  je  jetterai. 

Bourre  1er,  celer,  ccarteler,  geler,  harceler, 
modeler,  peler,  acheter,  épousseter,  étiqueter,  etc., 
font  exception  à  la  règle  et  se  bornent  à  prendre 
un  accent  grave  sur  l'e  ;  je  cèle,  il  gèle,  nous 
uchèterùns. 

Nous  avons  parlé  de  ces  irrégularités  et  nous 
en  avons  donné  la  raison  à  l'article  Accentuation. 

Les  verbes  comme  percer,  effacer,  tracer,  etc., 
prennent  une  cédille  sous  le  c  toutes  les  fois  que 
cette  lettre  est  devant  un  o  ou  un  o  ;  je  perçais, 
nous  effarons. 

Les  verbes  comme  venger,  mai'ger,  loger,  etc., 
prennent  un  e  muet  après  le  g  toutes  les  fois  que 
cette  lettre  est  devant  un  o  ou  un  a  :  je  vengeais, 
nous  mnngeons. 

La  l"  conjugaison  n'a  proprement  que  deux 
verbes  irréguliers  :  aller  et  envoyer. 

Aller.  —  Ind.  prés.:  je  vais,  tu  vas,  il  va,  nous 
allons,  vous  allez,  ils  vont;  imparf.  .-j'allais,  etc., 
nous  allions;  Purf.  déf.:  j'allai,  etc.,  nous  allâmes, 
ils  allèrent;  Fut.  :  j'irai,  nous  irons,  vous  irez,  ils 
iront.  —  Cond.  prés.  :  j'irais,  nous  irions,  vous 
iriez,  ils  iraient.  —  Impér.  :  va,  allons,  allez.  — 
Subj.  prés.:  que  j'aille,  etc.;  que  nous  allions,  que 
vous  alliez,  qu'ils  aillent  ;/;»pa/-/'..- que  j'allasse, etc.; 
que  nous  allassions,  etc.  —  Part.:  allant,  allé. 

Aller  a  emprunté  ses  temps  à  trois  verbes  latins 
différents  :  r  les  trois  premières  personnes  de 
l'indicatif  présent  ont  été  empruntées  au  verbe 
vadere  :  je  vais  {vado),  tu  vus  [vaais],  il  va  (an- 
cien français  il  vut,  vadit)  ;  —  2°  le  futur  et  le 
conditionnel  {j'irai,  j'ii ais)  proviennent  du  latin 
ire  par  la  formation  ordinaire  du  futur;  —  3°  tous 
les  autres  temps  (allais,  allai,  allasse,  aille, 
allant,  allé)  se  rapportent  à  l'infinitif  aller,  dont 
l'origine  est  inconnue. 

Envoyer.  —  Ind.  prés.  :  j'envoie,  il  envoie, 
nous  envoyons,  lis  envoient;  Pa;/.  rf^/.  .-j'envoyai  ; 
Fut.  .-j'enverrai.  —   Cottrfîi.  ;  j'enverrais. 

Enviiijer  était  à  l'origine  entveier  (du  latin  i?ide- 
viare,  composé  formé  de  via),  et  ce  vieux  verbe 
faisait  au  futur  entneierai,  puis  enveierai,  d'où 
est  venu  par  contraction  enverrai. 

II.  —  Deuxième  conjugaison  :  ir  (avec  imparfait 
en  issois). 

Bénir  a  deux  participes,  béni,  bénie,  et 
bénit,  bénite  :  ce  dernier,  qui  n'est  plus  au- 
jourd'hui qu'un  simple  adjectif,  est  usité  seule- 


VEUCE 


2286  — 


VERBE 


ment  quanci  il  s'agit  des  choses  religieuses  .  pain 
hénit,  lau  bénite. 

De  même  que  diclus.  diclu  ont  donné  dit,  dilf, 
hencdictus,  hunedida  donnèrent  à  l'origine  béni', 
bini'.e.  Puis  le  verbe  bénir  s'étant  postérieure- 
ment assimilé  à  la  conjugaison  générale  de  finir, 
on  créa  un  participe  passé  en  i  {béni)  par  analogie 
avec  fini,  et  la  vieille  forme  b'-n't,  bénite  ne  per- 
sista plus  que  dans  un  sens  spécial. 

Fleurir  a  deux  formes,  l'une  régulière,  fl^'uris- 
sais,  fleurissant;  l'autre  irrégulière,  florissais, 
florissant. 

Florissais,  florissant,  sont  un  reste  de  l'ancien 
verbe  florir. 

Haïr  fait  à  Vind.  prés,  sans  tréma  :  je  h'ns,  tu 
liais,  il  hait. 

II  bis.  —  Conjugaison  en  ir  avec  imparfait  en  ais. 

Nous  avons  vu  qu'il  a  deux  conjugaisons  en  ir  : 
l'une  (composée  de  plus  de  trois  cents  verbes)  qui 
intercale  iss  entre  le  radical  et  la  terminaison 
[finissais]  ;  l'autre  (composée  seulement  d'une 
vingtaine  de  verbes"!,  qui  se  borne  à  ajouter  direc- 
tetncht  au  radical  la  terminaison  simple  [je  sentais). 
Nous  avons  laissé  celle-ci  de  côté  dans  l'étude  des 
conjugaisons  régulières  ;  nous  étudierons  ici  en 
détail  cliacun  des  verbes  qui  la  composent. 

Acquérir.  —  hid.  prés.  :  j'acquiers,  il  acquiert, 
nous  acquérons,  ils  acquièrent  ;  Impur f.:  j'acqué- 
rais, Ole,  nous  acquérions;  Parf.  dèf.  :  j'ac- 
quis, etc.,  nous  acquîmes;  Fut.:  j'acquerrai,  nous 
acquerrons,  ils  acquerront.  — Lond.  /j)'é.-.  /j'ac- 
querrais, etc.,  nous  acquerrions.— SwAy.pre»'.  .•  que 
j'acquière,  qu'il  acquière,  que  nous  acquérions, 
qu'ils  acquièrent;  Imparf.  :  que  j'acquisse,  que 
nous  acquissions.  —  Part.:  acquérant,  acquis. 

Les  verbes  acquérir,  courir  et  mourir  font  au 
futur  acquerrai,  courrai,  mourrai.  De  môme  que 
saillir  lait  au  CatUT  il  saillera  h  côté  de  il  saillira, 
acquérir,  courir,  mourir,  au  lieu  de  acquériiai, 
courircv ,mourir(ii .  ont àontiè iicquérerai,  cornerai, 
mourerat;  l'e  muet  venant  à  disparaître,  ces  mots 
se  sont  contractés  en  acquerrai,  courrai,  mourrai. 

Bouillir.  — Ind.  prés.  :  je  bous,  tu  bons,  il  bout, 
nous  bouillons,  vous  bouillez,  ils  bouillent:  Im- 
pur/'. :  je  bouillais, etc., nous  bouillions,  etc.;  Parf. 
déf.:  je  bouillis,  etc.,  nous  bouillîmes,  etc.;  Fut.  : 
je  bouillirai,  etc.,  nous  bouillirons,  etc.  —  Cund. 
prés.  :  je  bouillirais,  etc.,  nous  bouillirions.  ^ 
Imprr.  :  bous,  bouillons,  bouillez.  —  Subj.  prés.  : 
que  je  bouille,  que  tu  bouilles,  qu'il  bouille,  que 
nous  bouillions,  que  vous  bouilliez,  qu'ils  bouil- 
lent; Imparf:  que  je  bouillisse,  etc.,  que  nous 
bouillissions,  etc.;  Fart.  :  bouillant,  bouilli. 

Courir,  —  y?;/,  iirés.  :  je  cours,  tu  cours,  il  court, 
nous  courons,  vous  courez,  ils  courent;  Imparf.: 
je  courais;  Parf.  déf.  :  je  courus,  etc.,  nous  cou- 
rûmes, etc.;  Fut.  .-je  courrai,  nous  courrons,  ils 
courront.  —  Cond.  prés.  :  je  courrais,  etc.,  nous 
courrions,  etc.  — Impér.  :  cours,  courons,  courez  — 
Subj.  prés.:  que  je  coure,  que  tu  coures,  qu'il  coure, 
<|ue  nous  courions,  que  vous  couriez,  qu'ils  courent; 
liiifj.  :  que  je  courusse.  —  Part.  :  courant,  couru. 

Outre  lourir.  notre  vieille  langue  avait  aussi  la 
forme  courre,  qu'on  retrouve  encore  dans  chasse 
à  courre  (chasse  à  courir).  Pour  le  futur  courrai, 
voy.  Acquérir. 

Cueillir.  —  Ind.  préi.:  je  cueille,  nous  cueillons, 
ils  cueillent  ;  Imp.  :  je  cueillais  ;  Parf.  déf.  .'je  cueil- 
lis, etc.,  nous  cueillîmes,  etc.;  Fut.  :  je  cueille- 
rai, etc.,  no.;s  cueillerons,  etc.  —  Coud.  prés.  :  je 
cueillerais,  etc.,  nous  cueillerions,  etc. —  Impér.: 
cueille,  etc.  —  Subj.  prés.  :  que  je  cueille  ;  Imp,  : 
que  je  cueillisse.  —  Pa/t.  :  cueillant,  cueilli. 

Dormir.  —  Ind.  /.i-és.:  je  dors,  tu  dors,  il  dort, 
nous  dormons,  vous  dormez,  ils  dorment;  Imparf.: 
je  dormais,  etc. 


Faillir.  —  Plifsieurs  temps  de  co  verbe,  tels 
que  le  présent  de  l'indicdif,  Vimpar'ait  et  le 
futur,  sont  peu  usités.  —  Ind.  prés.:  je  faux,  tu 
faux,  il  faut,  nous  faillons,  vous  faillez,  ils  faillent; 
Imparf.  :  je  faillais,  tu  faillais,  il  faillait,  nous  fail- 
lions,  vous  failliez,  ils  faillaient  ;  Parf.  déf.  :  je 
faillis,  etc.,  nous  faillîmes,  etc.  ;  Fui.:  je  faudrai, 
etc.  —  Impér.  :  faille,  faillez.  —  Subj.  prés.  :  que  je 
faille,  etc.,  que  nous  faillions.  —  i'ai<. .•  faillant, 
failli. 

Les  trois  premières  personnes  du  singulier,  je 
faux,  tu  faux,  il  faut,  sont  presque  tombées  en 
désuétude  :  on  It-s  retrouve  cependant  dans  les  lo- 
culions  :  «  le  cœur  me  faut  (me  manque)  ;  au  bout 
de  l'aune  faut  le  drap,  »  c'est-à-dire  au  bout  de 
l'aune  finit  le  drap,  manque  le  drap  ^toutes  choses 
ont  leur  fin). 

Férir,  frapper  (du  latin  ferire),  n'a  conservé 
que  le  participe  féru. 

Il  est  resté  dans  l'expression  sans  coup  férir  : 
0  D'Harcourt  prit  Turin  sans  coup  férir,  » 

Fuir.  —  Ind.  prés.  :  je  fuis,  tu  fuis,  il  fuit,  nous 
fuyons,  vous  fuyez,  ils  fuient;  Imnarf.  :  je  fuyais, 
etc.,  nous  fuyions,  etc.;  Parf.  déf.:  je  fuis,  etc., 
nous  fuîmes,  etc.  ;  Fut.  :  je  fuirai,  etc.  —  Cond. 
prés.:  je  fuirais,  etc.  —  Imp^r.:  fuis,  fuyons,  fuyez. 

—  Subj.  prés.  :  que  je  fuie,  etc.,  (|ue  nous  fuyions, 
qu'ils  iuient  ;/»!/)«)■/.  ;  que  je  fuisse,  etc.,  que  nous 
fuissions,  etc.  —  Part.:  fuyant,  fui. 

Gésir  (être  couché).  —  Ce  verbe  n'est  plus  en 
usage  à  Vinfinitif ;  on  emploie  seulement  :  il  gît, 
nous  gisons,  ils  gisent;  il  gisait;  gisant. 

Ci-ijit  veut  donc  dire  :  ici  est  •  ouché. 

Mentir.  —  Ind.  prés.  :  je  mens,  etc  ,  nous  men- 
tons, etc.  ; /m/nar/.;  je  mentais,  etc.;  Piirf.  déf.  :  je 
mentis,  etc.,  nous  mentîmes,  etc;  Fut.  :  je  menti- 
rai,etc.  —  Conrf.pr(is..- je  mentirais,  etc.  — Impér.: 
mens,  mentons,  mentez.  —  Subj.  pré-..  :  que  je 
mente,  etc.,  que  nous  mentions,  etc.  ;  Imparf.  : 
que  je  mentisse,  etc.   —  Part.:  mentant,    menti. 

Ainsi  se  conjuguent  :  pnrtir,  sentir,  servir,  sor- 
tir. Cependant  les  composés  asseivir,  i-essortir 
font  asseruissais,  ressortissais.  Ce  dernier  signifie 
alors  «  ressortir  à,  être  du  ressort  de.  »  Dans  le 
sens  de  «  sortir  de  nouveau,  »  il  fait  ressortais. 

Mourir.  —  Ind.  prés:  je  meurs,  il  meurt,  nous 
mourons,  ils  meurent;  Imparf.  :  je  mourais,  etc., 
nous  mourions,  etc.;  Parf.  i'éf.:je  mourus,  etc., 
nous  mourûmes,  etc.  ;  Fut.  :  je  mourrai,  etc.,  nous 
mourrons,  etc.  —  Cond.  prés.  :  j  •  mourrais,  etc., 
nous  mourrions,  etc.  —  Impér.  :  meurs,  etc.  — 
Sub).  prés.  :  que  je  meure,  etc.  ;  que  nous  mou- 
rions, qu'ils  meurent;  Imparf.:  que  je  mourusse. 

—  Part.:  mourant,  mort. 

Pour  le  futur  mourrai,  voy.  Acquérir. 

Offrir.  —  Ind.  prés.:  j'offre,  etc.,  nous  offrons, 
etc.  ;  /m/M)/,  .-j'offrais,  etc.;  Parf.  déf'.:  j'offris,  etc., 
nous  offrîmes,  etc.  —  Fut.:  j'offrirai,  etc.  —  Cond. 
prés.  :  j'offrirais.  —  Impér.  :  offre,  offrons,  offrez.  — 
Subj.  prés.:  que  j'offre,  etc.,  que  nous  offrions; 
Imparf  :  que  j'offrisse.  —  l'art.  :  offrant,  offert. 

Ainsi  se  conjuguent  :  couvrir,  souffrir. 

Ou'ir  (entendre).  —  Ce  verbe  n'est  usité  qu'.'i 
Vinfin.  prés.  :  ouïs;  au  part,  passé  :  ouï;  au  parf. 
déf.  :  j'ouïs,  tu  ouïs,  etc.  ;  à  Vimparf.  du  subj.  :  que 
j'ouïsse,  que  tu  ouïsses,  etc. 

Saillir,  dans  le  sens  de  sauter,  fait  au  futur:  je 
saillirai;  dans  le  sens  de  s'avancer  en  dehors,  être 
en  siillie,  il  fait  :  il  saillera. 

Tenir.  —  Ind.  prés.:  je  tiens,  tu  tiens,  il  tient, 
nous  tenons,  vous  tenez,  ils  tiennent:  Imparf.:  je 
tenais,  etc.;  nous  tenions;  Pnrf.  déf.:  je  tins,  tu 
tins,  il  tint,  nous  tînmes,  vous  tîntes,  ils  tinrent; 
Fut.:  je  tiendrai,  etc.  —  Condit.  .-je  tiendrais,  etc. 
—  Subj.  prés.:  que  je  tienne,  qu'il  tienne,  que 
nous  tenions,  qu'ils  tiennent;  Imparf.  :  que  je 
tinsse,  qu'il  tînt,  que  nous  tinssions,  qu'ils  tins- 
sent; Part.:  tenant,  tenu. 


VEUBE 


2287  — 


VEUBE 


Ainsi  se  conjngiicnt  venir  et  ses  composés  suivr- 
?iir,  devenir^  f'arveini\  etc. 

Hemarquez  le  '/  euplioiiiiiue  qui  s'intercale  au 
l'utui-  et  au  conditionne'  entre  le  radical  et  la  ter- 
minaison. Le  français  a  formé  do  môme  lundre,  do 
ti'iici-,  r/fhdre  do  (/ener,  etc. 

Tressaillir.  —  l7id.  prés,  .-je  tressaille,  tu  tres- 
sailles, il  tressaille,  nous  tressaillons,  vous  tres- 
saillez, ils  tressaillent;  Iiniiarl'.:]c  tressaillais, etc., 
iioustrossaillions,eto.;Pa//'. '/tV'.  ■'j'''t''6ssailli.s,elc.; 
nous  tressaillîmes,  etc.  ;  Fi;/.;  je  tressaillirai,  etc.; 
nous  tressaillirons,  etc.  —  Coud,  i^rés.  :  je  tres- 
saillirais, etc.;  nous  tressailliiions,  etc.  —  loijjér.: 
tressaille,  tressaillons,  tressaillez.  —  Stt/j;.  /  rés.  : 
que  je  tressaille,  etc.  ;  que  nous  tressaillions,  etc.; 
I  ■Jaillir/:  :  que  je  tressaillisse,  etc.,  que  nous  tres- 
saillissions, etc.  —  Part.  :  tressaillant,  tressailli. 

Vêtir.  —  [iidic.  prés.  :  je  vêts,  tu  vois,  il  vût, 
nous  votons,  vous  vêtez,  ils  vêtent;  Impur/.  :  je  vê- 
tais, etc.,  nous  vêtions,  etc.;  Parf.  déf.  :  je  vêtis, 
etc.;  nous  vètinics,  etc.;  Fut.:  je  vêtirai,  etc.; 
nous  vêiirons,  etc.  —  Coud.  prcs.  :  je  vêtirais,  etc.; 
nous  vêtirions,  etc.  —  Iinpér.  :  vêts,  vêtons,  vêlez. 
—  Suhj.  prés.:  que  je  vête,  etc.,  que  nous  vêtions, 
rie.  \Imptnl'.  :  que  je  vêtisse.  —  Part,  .-vêtant,  vôlu. 

On  peut  diviser  les  verbes  irréguliers  de  la 
■J"  conjugaison,  avec  imparfait  en  nis,  en  trois 
classes  d'après  leur  parfait  défini  :  la  1"  classe  a 
le  parfait  en  is  [dormir,  je  doimis);  la  2'  classe  a 
le  parf.iit  en  us  [courir,  je  cornus);  la  .'i°  classe 
l'orme  son  parfait  à  l'aide  d'une  moditication  du 
radical   du  verbe  [tenir,  je  tins). 

III.  —  TnoisiÈME  CONJUGAISON  t  oiv. 

Les  verbes  irréguliers  de  la  conjugaison  en 
oir  sont  les  suivants  : 

Asseoir.  —  lad.  prés.:  j'assieds,  il  assied,  nous 
asseyons,  vous  asseyez,  ils  asseyent  ;/»ijOHJ'/'.;  j'as- 
seyais, etc.,  nous  asseyions,  etc.  ;P<ir/.  déf.: 
i'.issis,  etc.,  nous  assîmes,  etc.  ;  Fu?.  .•  j'assiérai, 
'■te,  nous  assiérons  (on  dit  aussi  :  j'asseyerai,  etc., 
nous  asseyorons,  etc.).  —  Cund.  pré<.:  j'assiérais, 
■te,  nous  assiérions,  etc.  (on  dit  aussi  :  j'asseye- 
rais,  nous  asseyerions,  etc.).  —  Subj.  prés.:  que 
j  asseye,  etc.,  que  nous  asseyions,  qu'ils  asseyent; 
Inipurf.  :  que  j'assisse.   — ■  Part.  :  asseyant,  assis. 

Ce  verbe  se  conjugue  aussi  de  la  manière  sui- 
vante :  Ind.  prés.  :  j'assois,  nous  assoyons,  ils 
assoient  ;  Imparf.  :  j'assoyais,  etc. 

Choir  (tomber),  —  Ce  verbe  ne  s'emploie  qu'à 
Vi/i/iint  /'  et  dans  un  petit  nombre  de  cas. 

L'ancienne  langue  le  conjuguait  en  entier  fchois, 
rlicins,  cherrai,  e/ius,  citeant.  dm).  Le  dix-septiè- 
me siècle  employait  encore  le  futur  cherrai  : 
«  Tirez  la  clieviUelte,  la  bobinette  cherra.  »  (Per- 
l'aiiltK  Le  participe  passé  chu,  chute  (tombée),  a 
lionnes  le  sul/slantif  la  chute,  comme  les  parti- 
ripes  iiihrr.  rci'ua,  battuc  Ont  donné  les  substan- 
lils  lair  ni  ne,  une  revue,  um;  battue. 

Déchoir.  —  Ind.  prés.  :  je  décliois,  nous  dé- 
choyons, ils  déchoient  ; /«(p"»/.;  déchoyais;  Par/, 
déf.:  je  déchus,  etc.,  nous  déchûmes,  etc.  ;  Fut.  : 
je  décherrai,  nous  docherroiis.  — Subj.prcs.:  que 
je  déchoie,  etc.,  que  nous  iléclioyions,  qu'ils  dé- 
choient ;  Irnptivf.:  que  je  déchusse,  etc.,  que  nous 
déchussions,  etc.  —  Part,  passé:  déchu.  Point  de 
/  art.  prés. 

Echoir.  —  Ce  verbe  se  conjugue  sur  dé  hoir.  Il 
n'est  usité  qu'aupa?'/.  prés.  :  échéant;  au  part,  passif  : 
échu  ;  i  la  3'  personne  du  prés,  de  l'indic.  :  il 
échoit;  au  parf.  rf^/'.  ;  j'échus  ;  au /iii.;  j'écher- 
rai  ;  au  rond.  prés.  :  j'écherrais  ;  à  l'impur/,  du 
subj.:  que  j'échusse. 

Du  partie,  échéant  est  venu  le  substantif  échéan- 
ce, comme  vengeant,  iurveil/ant  ont  formé  ve?i- 
i/cance,  surveitlnnce. 

TMoir.  — Ind.  prés.  :  il  faut  ;  Imparf.  :  il  fallait  ; 


Parf.  déf  :  il  fallut  ;  Parf.  indéf.  :  il  a  fallu  ;  Fut.  : 
il  faudra.  —  Cond.  prés.  :  il  faudrait.  —  Sulij.  prés.  : 
qu'il  faille  ;  liri^arf.  :  qu'il  fallût.  —  Part.  :  fallu. 

Le  futur  insère  un  d  euphonique  avant  la  ter- 
minaison, comme  valoir  et  v  -ulnir. 

Mouvoir. — Ind.  prés.:  je  meus,  il  meut,  nous 
mouvons,  ils  meuvent;  Im.piirf.:]c:  mouvais;  Parf. 
déf.  .'je  nms,  etc.,  nous  mûmes,  etc.;  Fui.  .-je  mou- 
vrai, etc.,  nous  mouvrons,  etc. —  Cond.  pre's.:j& 
mouvrais,  etc.,  nous  mouvrions,  etc.  —  Suhj. 
prés.  :  que  jo  meuve,  etc.,  qu'ils  meuvent  ;  Imparf.  : 
ijne  je  musse.  —  Part.  :  mouvant,  m(i. 

Le  changement  de  la  vn;,(  Ile  .la  r.idical  [eu  en 
ou  -.je  meus, nous  rii'^nr.'iis  s'exjilique  ici  comme 
dans  pauniiir,  vouloir  et  mnurir,  par  l'influence 
de  l'accent  tonique.  Quand  l'accent  est  sur  le  ra- 
dical, la  voyelle  est  en  :  je  meus,  je  peux,  je 
veux,  je  mers;  quand  l'accent  passe  sur  la  ter- 
minaison, la  voyelle  s'assourdit  en  ou  :  nous 
moi'Vons,  nous  pouvons,  noies  voulons,  nous  mou- 
rons (V.  Accentuation). 

Pleuvoir.  — Indir.  /irr.i.:  il  pleut;  Imparf.:  il 
pleuvait  ; /■'«»'/'.  déf.:  il  plut;  l-ii'.:i\  pleuvra.  — 
Cond.  prés.:  il  pleuvraii.  .'-(i'-,  ./■.'■.■«..- qu'il  pleuve; 
Imiiarf.:  qu'il  plût.  —  l'url.  :  pleuvant,  plu. 

Pouvoir.  —  /?!'/.  prés.  :  je  peux  ou  je  puis,  tu 
peux,  il  peut,  nous  pouvons,  ils  peuvent;  Imparf.: 
je  pouvais  ;  Parf.  déf.:  ]e  pus,  etc.,  nous  pû- 
mes, etc.;  Fui.:  je  pouir.ii,  etc.,  nous  pourrons, etc. 

—  Coud.  prés.  :  je  pourrais,  etc.,  nous  pour- 
rions, etc.  —  hnpér.  :  inusité.  —  Subj.  prés  :  que 
je  puisse,  etc.,  que  nous  puissions,  etc.;  Iinpnrf.: 
que  je  pusse.  —  l'urt.:  pouvant,  pu.  (Sur  le 
changement  de  eu  on  ou,  voy.  plus  haut  Mouvoir.) 

Savoir.  —  Ind.  pri's.:  je  sais,  il  sait,  nous  .sa- 
vons, ils  savent;  Impiirf.  :  je  savais  ;  Parf.  déf.: je 
sus,  etc.,  nous  sûmes,  etc.  Fut.:  je  saurai,  etc., 
nous  saurons,  etc.  — Cond.  prés.  :is  saurais,  etc., 
nous  saurions,  etc.  —  Iinpér.  :  sache,  sachons,  sa- 
chez. —  Subj.  prés.:  que  je  sache,  etc.,  que  nous 
sachions,  etc.  ;  Imparf.:  que  je  susse.  —  Part.: 
sachant,  su. 

De  mêtne  que  recevoir,  devoir  font  recevrai,  de- 
vrai, les  futurs  des  verbes  savoir,  avoir  sont  de- 
venus en  vieux  français  swrai,  awfv/i  qui  ont  plus 
tard  change  le  v  en  h,  d'où  saurai,  aurai. 

Saroir  a  deux  participes  présents  :  savant  et 
sadinnt  ;  le  premier,  formé  directement  du  radi- 
cal français;  le  second,  tiré  du  latin.  Savant  est 
maintenant  eiuployé  comme  adjectif. 

Seoir.  —  Ce  veibe,  dans  le  sens  ù'être  assis, 
n'est  plus  en  usage  On  l'emploie  quelquefois  au 
participe  présent  séant,  et  au  participe  passé  sis, 
sise.  Dans  le  sens  d'être  convenait",  il  s'etuploie 
encore  à  certains  temps  et  toujours  à  la  3"  per- 
sonne du  singulier  ou  du  pluriel  :  il  sied,  ils 
siéent,  il  seyait,  il  siéra. 

■Valoir.  —  /'.(/.  /<rcx.  .-je  vanx,  il  vaut,  nous  va- 
lons, ils  valent;  Impnrf.  :  je  valais  :  Parf.  déf.  :  je 
valus,  etc.,  nous  valûmes,  etc.;  Fut.'je  vaudrai,  etc., 
nous  vaudrons,  Ole  — Cond.  prés.:  je  vaudrais,  etc., 
nous  vaudrions,  etc.  —  Impér.  :  vaux,  valons,  valez. 

—  Subj  prés.  :  que  je  vaille,  etc.,  que  nous  va- 
lions, qu'ils  vaillent  ;  I-nparf.:  que  je  valusse.  — 
Pari,  prés.:  valant,  valu. 

Valoir  a  encore  un  autre  participe  :  vaillant, 
usité  dans  la  locution  :  «  n'avoir  pas  un  sou  vail- 
lant. » 

Voir.  —  Ind.  prés.  :  je  vois,  il  voit,  nous  voyons, 
ils  voient  ;/m/)a»/.;je  voyais, etc.,  nous  voyions,  etc.; 
Parf.  déf.  :  je  vis,  etc. ,  nous  vîmes,  etc.  ;  Fut.  :  je 
verrai,  etc.,  nous  verrons,  etc.  ;  Cond.  prés.  :  je 
verrais,  etc.,  nous  verrions,  etc.  —  Subj.  prés.  : 
que  je  voie,  etc.,  que  nous  voyions,  etc. ,Imparf.  : 
que  je  visse.  —  Part.  :  voyant,  vu. 

Voir  fait  au  futur  je  verrai  (et  non  je  voirai], 
coiume  échoir,  déchoir,  asseoir  (ont  \'éc/ierrai,  je 
décherrai,  j'assiérai. 


VERBE  —  'i-2. 

Vouloir.  —  Ind.  prés.:  je  veux,  il  veut,  nous 
voulons,  ils  veulent;  Imparf.:  je  voulais  ;  Parf.: 
i/ëf'.:  je  voulus,  etc.,  nous  voulûmes,  etc.;  Fut.:  je 
voudrai,  etc.,  nous  voudrons,  etc.  —  Cond.prés.  : 
je  voudrai^,  etc.,  nous  voudrions,  etc.  —Iin/^ér.  : 
veux,  veuillons,  veuillez.  —  Sii/jj.  prés.  :  que  je 
veuille,  etc.,  que  nous  voulions,  qu'ils  veuillent  ; 
Imparf.  :  que  je  voulusse.  —  fart.  :  voulant,  voulu. 
(Sur  le  changement  de  eu  en  ou,  voy.   Mouvoir.) 

On  peut  diviser  les  verbes  irréguliers  de  la 
3°  conjugaison  en  deux  classes  d'après  la  forme 
du  parfait  défini  :  la  1"  classe  a  le  parfait  eu  «s 
(je  valus,  je  reçus,  je  sus)  ;  la  2°  classe  a  le  par- 
fait en  is  (je  vis,  j'assis). 

IV.  —  QUATRIÈME  CONJUGAISON  :  rC. 

Les  verbes  irréguliers  de  la  conjugaison  en 
re  sont  les  suivants  : 

.Ahsoudre.  —  Verbe  défectif,  n'a  ni  parf.  déf. 
ni  imparf.  du  suij.  Il  fait  au  part,  passé:  absous, 
absoute  ;  pour  le  reste  de  la  conjugaison,  voy.  Ré- 
soudre. 

Boire.  —  Ind.  prés.  :  je  bois,  il  boit,  nous  bu- 
vons, vous  buvez,  ils  boivent  ;  Imparf.  :  je  buvais; 
Parf.  dcf.  .-je  bus,  etc.,  nous  bûmes, etc.  —  /m;'e>.; 
bois,  buvons,  buvez.  —  Subj.  prcs.  :  que  jo  boive, 
etc..  que  nous  buvions,  que  vous  buviez,  qu'ils 
boivent  ;  Imparf.  :  que  je  busse.  —  Part.  :  buvant, 
bu. 

Braire.  —  Ce  verbe  ne  s'emploie  (dit  r.\cadé- 
mie)  qu'à  Vinfinitif,  et  aux  a"  personnes  de  1'/;!- 
dicatif,  du  futur  et  du  conditionnel:  bi-aire,  il 
brait,  ils  braient,  il  braira,  ils  brairont,  il  brairait, 
ils  brairaient. 

Braire  avait  dans  notre  ancienne  langue  le  sens 
général  de  oie)-,  s'appliquant  aussi  bien  à  l'homme 
qu'aux  animaux,  et  c'est  tardivement  que  ce  sens 
s'est  limité  au  cri  de  l'àne. 

Bruire.  —  Ce  verbe  n'a  que  les  formes  suivan- 
tes :  bruire,  il  bruit,  il  bruyait,  ils  bruyaient, 
bruyant  (lormé  de  bruire,  comme  fuyant  de  fuir) 
est  plutôt  aujourd'hui  un  adjectif  qu'un  participe 
présent. 

Clore.  —  Ce  verbe  n'a  que  le  part.  puss.  :  clos  ; 
les  trois  personnes  du  singulier  du  prés,  de  l'iud.  : 
je  clos,  tu  clos,  il  clôt  ;  le  fut.  :  je  clorai,  etc.  ;  le 
i:ond.  pi  es.  .-je  clorais,  etc.  ;  ïimpér.siny.:  clos,  et 
les  temps  composes. 

Conclure.  —  Ind.  prés.:  je  conclus,  nous  con- 
cluons ;  Imparf.  :  je  concluais,  nous  concluions  ; 
Parf.  déf.:  je  conclus,  nous  conclûmes;  Futur:  je 
conclurai.  —  Cv?id.  prés.  :  je  conclurais.  —  Impér.  : 
conclus,  concluons,  concluez.  —  Subj.  prés.  :  que 
je  conclue,  etc.  ;  que  nous  concluions,  qu'ils  con- 
cluent ;  Iiiip.  :  que  je  conclusse,  etc.,  que  nous  con- 
clussions, etc.  —  Part.:  concluant,  conclu. 

Ainsi  se  conjugue  exclure.  Le  àén\'é  indus  a 
conservé  le  s  original  {inciiaum). 

Confire.  —  I"d.  prés.  :  je  confis,  nous  confisons  ; 
Imparf.:  je  confisais,  etc.,  nous  confisions,  etc.  ; 
Parf.  déf.:  je  confis,  etc.;  nous  confiiues,  etc.  ; 
fu<.;  je  confirai,  etc.,  nous  confirons,  etc.  —  Cond. 
prés.:  je  confirais,  etc.,  nous  confirions,  etc.  — /"i- 
pér.  :  confis,  confisons,  confisez.  —  Subj.  prés.  :  que 
je  confise,  etc.,  que  nous  confisions,  etc.  ;  Imparf.: 
musité.  —  Part.:  confisant,  confit. 

Connaître.  —  lud.  pri^s.  :  je  connais,  tu  con- 
nais, il  contiait,  nous  connaissons,  vous  connaissez, 
ils  connaissent;  Imparf:  je  connaissais,  etc.,  nous 
connaissions,  etc.  ;  Parf.  déf:  je  connus,  etc., 
nous  connûmes,  etc.  ;  Fu^:  je  connaîtrai,  etc.,  nous 
coimaitrions,  etc.— Co«d.  pi  es.  .-je  connaîtrais,  etc., 
nous  connaîtrions,  etc.  —  Impér.:  connais,  con- 
naissons, connaissez.  —  Sulj.  prés.  :  que  je  con- 
naisse, etc.,  que  nous  connaissions,  etc.  ;  Imparf.  : 
que  jecoiiiiusse,  etc.,  que  nous  connussions,  etc. 
—  iJ«ii.;  connaissant,  connu. 


18  —  VERBE 

Paraître  se  conjugue  de  même. 

Coudre.  —  Ind.  prés.:  je  couds,  tu  couds,  il 
coud,  nous  cousons,  vous  cousez,  ils  cousent  ;  Im- 
parf. :  je  cousais,  etc.,  nous  cousions,  etc.  ;  Par/". 
déf.: je  cousis,  etc.,  nous  cousîmes,  etc. ;  Fu^.•  je 
coudrai,  etc.,  nous  coudrons,  etc.  —  Co7id.  prés.: 
je  coudrais,  etc.,  nous  coudrions,  etc.  —  Impér,  : 
couds,  cousons,  cousez. —  Subj.  prés.  :  que  je  couse, 
que  nous  cousions,  etc.  ;  Imparf.  :  que  je  cousisse, 
etc.,  que  nous  cousissions,  etc.  —  Part.:  cousant^ 
cousu. 

Craindre.  —  Ind.  prés,  .je  crains,  tu  crains,  il 
craint,  nous  craignons,  vous  craignez,  ils  craignent; 
Imparf.  :  je  craignais,  etc.,  nous  craignions,  etc.  ; 
Parf.  déf.  :  je  craignis,  etc. ,  nous  craignîmes,  etc.  ; 
Fut.:  je  craindrai,  etc.,  nous  craindrons,  etc.  — 
Cond.prés.:  je  craindrais,  etc.,  nous  craindrions, 
etc.  —  Impér.:  crains,  craignons,  craignez.  — 
Subj.  prés.  :  que  je  craigne,  etc.,  que  nuus  crai- 
gnions, etc.  ;  Imparf.:  que  je  craignisse,  etc.,  que 
nous  craignissions,  etc.  —  Part.  :  craignant,  craint. 

Peindre  se  conjugue  de  même. 

Croire.  —  Ind.  prés.:  je  crois,  tu  crois,  il  croit, 
nous  croyons,  vous  croyez,  ils  croient;  Imparf.: 
je  croyais,  etc.,  nous  croyions,  etc.;  Parf.  déf.; 
je  crus,  etc.,  nous  crûmes,  etc.  ;  F(//.  .-je  croirai, 
etc.,  nous  croirons,  etc. —  Cond.  prés,  .je  croirais, 
etc.,  nous  croirions,  etc.  —  Impér.  :  crois,  croyons, 
croyez.  —  Subj.  prés.  :  que  je  croie,  etc.,  que  nous 
croyions,  que  vous  croyiez,  qu'ils  croient;  Imparf.: 
que  je  crusse,  etc.,  que  nous  crussions,  etc.  — 
Pan.  :  croyant,  cru. 

Croître.  —  Ind. prés.:  je  croîs,  tu  croîs,  il  croît, 
nous  croissons,  vous  croissez,  ils  croissent  ;  Im- 
parf. :  je  croissais,  etc.,  nous  croissions,  etc.; 
Parf.  déf.  :  je  cr  ils,  etc.,  nous  crûmes,  etc.  ;  Fut.: 
je  croîtrai,  etc., nous  croîtrons,  etc.  —  Cond.prés.: 
je  croîtrais,  etc.,  nous  croîtrions,  etc.  — Impér.: 
croîs,  croissons,  croissez.  —  Suljj,  prés.  :  que  je 
croisse,  etc.,  que  nous  croissions,  etc.;  Imparf.: 
que  je  crusse,  etc.,  que  nous  crussions,  etc.  — 
Part.:  croissant,  crû. 

Dire.  —  Ind.  prés.:  je  dis,  tu  dis,  il  dit,  nous 
disons,  vous  dites,  ils  disent;  Imparf.  :  je  disais 
etc.,  nous  disions,  etc.;  Parf.  déf.:  je  dis,  etc., 
nous  dîmes,  etc.  ;  Fut.:  je  dirai,  etc.,  nous  dirons, 
etc.  — Cond.prés.  .-je  dirais,  etc.,  nous  dirions,  etc. 

—  Impér.  :  dis,  disons,  dites.  —  Subj.  prés.:  que  je 
dise,  etc.,  que  nous  disions,  etc.  ; /Ȕ/)ac/".  ;  que  je 
disse,  etc.,  que  nous  dissions,  etc.  —  Part.:  di- 
sant, dit. 

Le  composé  redire  est  le  seul  qui  fasse  la  2* 
personne  du  pluriel  en  tes  :  vous  redites.  Les 
autres  suivent  la  règle  générale  :  vous  contredi- 
sez, voiis  dédisez,  etc. 

Muudire  redouble  i's  du  radical_:  nous  maudis- 
sons, vous  maudissez. 

Eclore.  —  Ce  verbe  n'a  que  les  formes  suivan- 
tes :  hid.  prés.  :  il  éclôt,  ils  éclosent  ;  Fut.  :  il  éclôra, 
ils  éclôront.  —  Cund.  prés.  :  il  éclôrait,  ils  éclô- 
raient.  —  Subj.  prés.  :  qu'il  éclose,  qu'ils  éclosent. 

—  Part,  passé  :  éclos. 

Ecrire.  —  Ind.  prés.: j'écris,  tu  écris,  il  écrit, 
nous  écrivons,  vous  écrivez,  ils  écrivent  ;  Imparf.  : 
j'écrivais,  etc.,  nous  écrivions,  etc.  ;  l'arf.  déf.: 
j'écrivis,  etc.,  nous  écrivîmes,  etc.  ;  Fu<.  .•j'écrirai, 
etc.,  nous  écrirons,  etc.  —  Cond.  prés.:  j'écri- 
rais, etc.,  nous  écririons,  etc.  —  Impér.:  écris, 
écrivons,  écrivez.  —  Subj.  prés.  :  que  j'écrive,  etc., 
que  nous  écrivions,  etc.  ;  Imparf.  :  que  j'écrivisse, 
que  nous  écrivissions,  etc.  —  Part.  :  écrivant, 
écrit. 

Faire.  ^  Ind.  prés.  :  je  fais,  tu  fais,  il  fait,  nous 
faisons,  vous  faites,  ils  font;  Imparf.  :  'je  faisais, 
etc.,  nous  faisions,  etc.  ;  Parf.  déf.  :  je  fis,  nous 
finies;  Fut.:  je  ferai,  etc.,  nous  ferons,  etc.  — 
Cond.  prés,  .'je  ferais,  nous  ferions.  —  hnpér.  :  fais, 
faisons,  faites.  —  Subj.  prés.:  que  je  fasse,  etc., 


1 


VERBE 


—  2280  — 


VERBE 


([uu  nous  fassions,  etc.  ;  Iinparf.  :  que  je  fisse,  etc., 
que  nous  lissions,  etc.  —  Part.:  faisant,  fait. 

Frire.  —  Ce  verbe,  outre  le  prcs.  île  l'inf.,  a 
aussi  les  trois  personnes  dusing.  du  prés,  dt  L'md.: 
je  fris,  tu  fris,  il  frit  ;  le  fut.  :  je  frirai,  etc.  ;  le 
cmi/.  prés,  je  frirais,  etc.  ;  la  i°  pers.  du  sing. 
do  Vi'upér.:  fris;  \e  part,  pa^sé  :  frit,  frite.  On 
supplée  aux  temps  qui  manquent  en  plaçant  le 
verbe  fuirn  devant  Vmfinitif  frire  :  nous  faisons 
frire,  vous  faiies  frire. 

Lire.  —  Ind.  prés.:  }e  lis,  ta  lis,  nous  lisons, 
vous  lisez,  ils  lisent  ;  Imparf.  :  je  lisais,  etc.,  nous 
lisions,  etc.  ;  Par/',  déf.  :  je  lus,  etc.,  nous  lûmes, 
etc.  ;  Fut.  :  je  lirai,  etc.,  nous  lirons,  etc.  —  Cond. 
pj'és.:  is  lirais,  etc.,  nous  lirions,  etc.  —  Impér.: 
lis,  lisons,  lisez.  —  Hubj.  prés.  :  que  je  lise,  etc., 
:]ue  nous  lisions,  etc.  ;  imparf.:  que  je  lusse,  etc., 
que  nous  lussions,  etc.  —  Part.:  lisant,  lu. 

Luire.  —  Ce  verbe  et  son  compose  nduire  font 
au  part,  passé:  lui,  relui.  Us  n'ont  ni  parf.  déf., 
ni  impérat.,  ni  iinparf.  dusuhj. 

Mettre. —  Ind.  prés.  :  je  mets,  tu  mets, il  met, 
nous  mettons,  vous  mettez, ils  mettent;  Imparf.: 
je  mettais,  etc.,  nous  mettions,  etc.  ;  l'arf.  déf.  : 


je  plairais,  etc.  —  hnpér.  :  plais,  plaisons,  plaisez. 
—  Sut/j.  jn-és.  :  que  je  plaise,  etc.  ;  Imparf.  :  que  je 
plusse,  etc.  —  Part.  :  plaisant,  plu. 
Taire  se  conjugue  de  même. 
Prendre.  — Ind.  prés,  .-je  prends,  tu  prends,  il 
prend,  nous  prenons,  vous  prenez,  ils  prennent; 
Imparf.  :  je  prenais,  etc.,  nous  prenions;  Parf. 
di'f.:  je  pris,  etc.,  nous  prîmes,  etc.  ;  Fut.:  jp,  pren- 
drai, etc.,  nous  prendrons,  etc.  —  Cund.  prés.: 
je  prendrais,  etc.,  nous  prendrions,  etc.  —  Im- 
pér.: prends,  prenons,  prenez  — Su'if. /très.  :  que 
je  prenne,  etc.,  que  nous  prenions,  que  vous  pre- 
niez, qu'ils  prennent  ;  Imparf.  :  que  je  prisse,  etc., 
que  nous  prissions,  etc.  —  Part.  :  prenant,  pris. 
Résoudre.  —  Ind.  prés,  .'je  résous,  tu  résous,  il 
résout,  nous  résolvons,  vous  résolvez,  ils  résol- 
vent; Imparf.:  je  résolvais,  etc.,  nous  résol- 
vions, etc.;  Parf.  déf.  : jB  résolus,  nous  résolû- 
mes, etc.;  Fut.:ia  résoudrai,  etc.,  nous  résou- 
drons, etc.  —  Cond.  /»-e,v.;  je  résoudrais,  etc.,  nous 
résoudrions,  etc.  —  Impér.  :  résous,  résolvons, 
résolvez.  —  Sultj.  prés.  :  que  je  résolve,  etc.,  que 
nous  résolvions, etc.;  I/nparf:  que  je  résolusse,  etc., 
que    nous   résolussions,   etc.  —  Part.  :  résolvant. 


je  mis,  etc.,  nous  mimes,  etc.;  Fut.:  je  mettrai,    résolu   ou   résous  (on  dit  o  brouillard  résous  en 
,  nous  mettrons,  etc.  —  Cond.  prés.  :  je  met-  |  pluie 


trais,  etc.,  nous  mettrions,  etc.  —  Impér.:  mets, 
mettons,  mettez.  —  Sué/'. p/-t'.«.;  que  je  mette,  etc., 
que  nous  mettions,  etc.  ;  Iinpnrf.  :  que  je  misse, 
etc.,  que  nous  missions,  etc.  —  Part.:  mettant, 
mis. 

Moudre.  —  Ind.  prés.  :  je  mouds,  tu  mouds,  il 
moud,  nous  moulons,  vous  moulez,  ils  moulent  ; 
Imparf.:  je  moulais,  etc.,  nous  moulions,  etc.  ; 
farf.  def.  :  je  moulus,  etc.,  nous  moulûmes,  etc.  ;  ' 
Fut.:  je  moudrai,  etc.,  nous  moudrons,  etc.  — 
Cu)id.  prés.:  je  moudrais,  etc.,  nous  moudrions, etc. 
—  Impér.  :  mouds,  moulons,  moulez.  —  Sub/ . 
jirés.:  que  je  moule,  etc.,  que  nous  moulions,! 
etc.  ;  Imparf.  :  que  je  moulusse,  etc.  —  Part.  : 
moulant,  moulu. 

Naître.  —  Ind.  prés.  :  je  nais,  tu  nais,  il  naît, 
nous  naissons,  vous  naissez,  ils  naissent;  Imparf.  : 
je  naissais,  etc.,  nous  naissions,  etc.;  Par/,  déf.: 
je  naquis,  etc.,  nous  naquîmes,  etc.  ;  Fut.:le  naî- 
trai, etc.,  nous  naîtrons,  etc.  —  Cond.  piés.:  ie 
naîtrais,  etc.,  nous  naîtrions,  etc.  — Impér.:  nais, 
naissons,  naissez. — Subj.  prés,  .'que  je  naisse,  etc., 
que  nous  naissions,  etc.  ;  Imparf.  :  que  je  naquisse, 
que  nous  naquissions,  etc.  — Pu/'i.;  naissant,  né. 

Nuire.  —  I?id.  prés.  :  je  nuis,  tu  nuis,  il  nuit, 
nous  nuisons,  vous  nuisez,  ils  nuisent;  Imp.  :  je 
nuisais,  etc.,  nous  nuisions,  etc.;  Parf.  déf.:  nous 
nuisîmes,  etc.  s  Fut.:]<i  nuirai,  etc.,  nous  nui- 
rons, etc.  —  C'0"(/. /"■(-■«..■  je  nuirais,  etc.,  nous 
nuirions,  etc.  —  Impér.  :  nuis,  nuisons,  nuisez.  — 
Sul'j.  prés.  :  que  je  nuise,  etc..  que  nous  nui- 
sions, etc.  ;  Imparf.:  que  je  nuisisse,  etc.,  que  nous 
nuisissions,  etc.  —  Part.  :  nuisant,  nui. 

Conduire  se  conjugue  de  même,  sauf  au  par- 
icipe  passé:  conduit,  conduite. 

Paître.  —  Ind.  jjrés.  :  je  pais,  tu  pais,  il  paît, 
nous  paissons,  ils  paissent  ;  Imparf.  :  je  pais- 
sais, etc.,  nous  paissions,  etc.;  Fut.  :  je  paîtrai, 
nous  paîtrons,  etc.  —  Cond.  prés.  :  je  paierais,  etc., 
nous  paîtrions,  etc.  —  Impér.  :  pais,  paissons,  pais- 
sez. —  Subj.  prés.  :  que  je  paisse,  etc.,  que  nous 
paissions.  —  Part.  :  paissant.  —  Ce  verbe  n'a  point 
de  parf.  déf.  ni  ù'imp.  du  sulrj. 

Hepailie  se  conjugue  comme  paiire,  et  a  de 
plus  un  parf.  def.  :  je  repus,  et  un  part,  passé  : 
repu. 

Paraître.  —  Voyez  Connaître. 

Peindre.  —  Voyez  Craindre. 

Plaire.  —  hid.  près.  :  je  plais,  tu  plais,  il  plaît, 
nous  plaisons,  vous  plaisez,  ils  plaisent  ;  Imparf.  : 
je  plaisais,  etc.;  Parf.  déf:  je  plus,  etc.,  nous 
plûmes,  etc.  ;  Fut.  .je  plairai,  etc.  —  Cond.  prés.  : 
Pabtie. 


Rire  —  Ind.  prés.  :  je  ris,  tu  ris,  il  rit,  nous 
rions,  vous  riez,  ils  rient;  Imparf.  :  je  riais,  etc., 
nous  riions,  etc.;  Parf.  déf.  .-je  ris,  etc.,  nous 
rîmes,  etc.;  Fut.  :  je  rirai,  etc.,  nous  rirons,  etc., 

—  Cond.  prés.  :  je  rirais,  etc.,  nous  ririons,  etc.  — 
Impér.  :  ris,  rions,  riez.  — Su/jj.  prés.  :  que  je  rie, 
que  tu  ries,  qu'il  rie,  que  nous  riions,  que  vous 
riiez,  qu'ils  rient;  /»i//aï'/. ;  qu(!  je  risse,  etc.,  que 
nous  rissions,  etc.  —  Part.:  riaiii,  ri. 

Suivre.  —  Ind.  prés.  :  je  suis,  tu  suis  ;  il  suit, 
nous  suivons,  vous  suivez,  ils  suivent  ;  Imparf.  :  je 
suivais,  etc.  ;  Pur/,  déf.  :  je  suivis,  nous  suivî- 
mes, etc.  ;  Fut.  :  je  suivrai,  etc.  —  Cond.  prés.  :  je 
suivrais,  etc. — Impér.:  suis,  suivons,  suivez.  — 
Siibj.  )irés.  :  que  je  suive,  etc.  ;  Imparf,  :  que  je 
suivisse,  etc.,  que  nous  suivissions,  etc.  —  Part.  : 
suivant,  suivi. 

Traire.  —  Ind.  prés.  :  je  trais,  il  trait,  nous 
tr.iyons,  vous  trayez,  ils  traient;  Imparf.:  je 
trayais,  etc.,  nous  trayions,  etc.  ;  Fu'.  :  je  trai- 
rai, etc.  —  Cond.  :  je  trairais,  etc.,  nous  trai- 
rions, etc.  —  Impér.  :  trais,  trayons,  trayez.  — 
Subj.  prés.  :  que  je  traie,  etc.,  que  nous  trayions, 
que  vous  trayiez,  qu'ils  traient.  — f(/r^. .'  trayant, 
trait.  —  Ce  verbe  n'a  point  de  parf.  def.  ni  d'im- 
parf.  du  subjonctif. 

Vaincre.  —  Ind. prés.  :  \e  vaincs,  tu  vaincs,  il 
vainc,  nous  vainquons,  ils  vainquent  ;  Imparf.  :  je 
vainquais,  etc.,  nous  vainquions  ;  Parf.  déf.  :]e 
vainquis,  etc.,  nous  vainquîmes  ;  Fut.  :  je  vain- 
crai, etc.,  nous  vaincrons,  etc.  —  Cond.  prés.: je 
vaincrais,  etc.,  nous  vaincrions,  etc.  —  Impér.: 
vaincs,  vainquons,  vainquez. —SM/y;.pr<!s.;  que  je 
vainque,  etc.,  (|ue  nous  vainquions,  etc.  ;  Imparf  : 
que  je  vainquisse, etc., que  nous  vainquissions, etc.  ; 

—  Part.  :  vainquant,  vaincu. 

Le  verbe  vnincre  est  en  réalité  un  verbe  régu- 
lier quant  à  la  formation  de  ses  temps.  C'est  le 
changement  purement  orihograpliique  de  c  en  qu 
[lu  vaincs,  nous  vainquons,  etc.)  qui  a  fait  ranger 
par  les  grammairiens  et  par  l'usage  le  verbe  vnin- 
cri!  et  les  verbes  analogaes  parmi  les  verbes  irré- 
guliers. 

Vivre.  —  Ind.  prés.:  je  vis,  tu  vis,  il  vit,  nous 
vivons,  vous  vivez,  ils  vivent;  Imparf.:  je  vi- 
vais, etc.  ;  nous  vivions,  etc.  ;  Parf.  def.  :  je  vé- 
cus, etc.,  nous  vécûmes,  etc.  ;  Fut.  :  je  vivrai,  etc., 
nous  vivrons,  etc.  —  Cond.  prés.  :  je  vivrais,  etc., 
nous  vivrions,  etc.  —  Impér.  :  vis,  vivons,  vivez.  — 
Sabj.  prés.  :  que  je  vive,  etc.,  que  nous  vivions,  etc.; 
Imp.  :  que  je  vécusse,  etc.,  que  nous  vécus- 
sions, etc.  —  Part.  ;  vivant,  vécu. 

144 


VEHNIS 


—  Si290 


VERRE 


On  peut  diviser  les  verbes  irréguUers  de 
fa  1'=  conjugaisnn  en  deux  classes  d"après  la  forme 
du  parfait  défini.  La  i"  classe  a  le  parfait  défini 
en  /v  Icriiindre,  jecaignis).  la  2'  classe  a  le  par- 
fait délini  en  us  (coyiuaitre,  je  connu-.). 

Formation  des  verbes.  —  Le  français  forme 
des  verbes  par  les  mêmes  procédés  qu'il  emploie 
pour  former  des  noms,  c'est-à-dire  par  composition 
et  par  dérivation  : 

1°  l'ar  composition,  en  faisant  précéder  le 
Terbe  ;  1°  d'un  nom  :  maintenir  (proprement  «  te- 
nir avec  la  main  »),  colporter  (proprement  "  por- 
ter sur  le  col  »)  ;  2°  d'un  adverbe  :  millroiter; 
3"  d'un  préfixe  :  défaire  (dé  et  faire).,  surmonter 
{sur  et  monter). 

Les  principaux  préfixes  sont  :  com  ou  con,  con- 
tre, entre,  mes,  pré,  pro,  re,  sous,  sur,  etc.  — 
Ex  :  Composer,  eon^-edire,  ew^-elarder,  mflsuser, 
préàivc, proposar, levenir,  soutenir,  sucmener,  etc. 
Ilemarque  étymologique.  —  «  Mes  est  le  latin 
minus  (qui  signifie  moins  et  aussi  pas,  point). 
Minus  fut  employé  comme  préfixe  avec  le  sens 
déprccialif  dans  la  basse  latinité.  On  y  trouve, 
jar  exemple,  miniisfacere  (pour  signifier  méfaire, 
malfaire);  minusi/icere  donna  successivement 
minsdicere  et  misilicere,  que  l'on  trouve  dans  les 
actes  de  l'époque  carlovingienne  ;  misrlicere  de- 
Tint  dans  l'ancien  français  mesdire.  puis  médire, 
par  la  chute  de  ^  devant  une  consonne,  cliute 
«juo  l'on  retrouve  dans  méfier,  méconnaître,  mé- 
prendre, médire,  méfaire,  etc.  (de  fier,  connaî- 
tre, prendre,  dire,  faire),  tandis  que  s  persiste 
devant  une  voyelle,  dans  mésallier,  m  •■<esti- 
mer,  etc.  »  (B.-acliet,  Dictionnaire  éti/moloc/ique.) 
2°  Par  dérivation.  Le  français  peut  créer  des 
Terbes  nouveaux  en  ajoutant  aux  substantifs  la 
terminaison  de  la  1"=  conjugaison  er  :  barricade, 
fourraye,  chemin  donnent  barricader,  founager, 
titeminer. 

Le  français  crée  aussi  des  verbes  nouveaux  en 
tes  tirant  des  adjectifs,  tantôt  à  l'aide  de  la  ter- 
minaison ir  (jaune,  bleu,  yms  donnent  jaunir, 
iileuir,  grossir),  —  tantôt  à  l'aide  de  la  termi- 
naison ir  et  du  préfixe  a  (grand,  agrandir;  mince, 
amincir;  maigre,  amaigrir,  etc.). 

Le  français  crée  enfin  des  verbes  nouveaux  à 
Taide  de  verbes  déjîi  existants,  en  employant  les 
trois  suffixes  diminutifs  ot,  imn,  ass,  qui  ajoutent 
aux  mots  un  sens  de  dépréciation  :  cligner,  cli- 
gnoter; trembler,  trembloter;  chanter,  ihayiton- 
ner;  griffer,  griffonner  ;  rêver,  rêvasser. 

fj.  Dussouchet.] 
VER>'IS.  —  Cbiniie,  XXW.  —  Un  vernis  est  tou- 


copal,  de  sandaraque,  de  térébentliine  ou  de  ré- 
sine élémi  (V.  Gommes,  Résines);  quand  on  veut 
les  colorer,  on  y  introduit  du  sang-dragon,  de  la 
coclienille  ou  de  l'orcanette  pour  obtenir  la  cou- 
leur rouge;  du  rocou,  du  curcuma  pour  obtenir  le 
jaune,  de  l'acétate  de  cuivre  pour  le  vert. 

Aujourd'hui,  les  ébénistes  et  les  fabricants  de 
pianos  emploient  beaucoup  de  vernis  siccatifs  co- 
lorés parla  fuciisine. 

Pour  empêcher  l'adhérence  des  matières  rési- 
neuses au  fond  des  vases  où  l'on  fabrique  le  ver- 
nis, on  y  met  du  verre  pilé.  La  formule  suivante 
représente  un  bon  vernis  très  employé  pour  les 
meubles  et  les  cartons  :  copal  dur,  qu'on  fond 
préalablement,  91  parties  ;  sandaraque,  ISi  ;  mas- 
tic mondé. '.Jl;  térébenthine  liquide,  '!6;  alcool,  978; 
verre  pilé  122.  La  masse  doit  être  continuellement 
agitée  pendant  qu'on  la  chauffe.  Les  vernis  .'i  l'é- 
ther,  assez  peu  employés,  simt  furmé-^  par  une 
dissolution  de  15  grammes  de  copal  dans  GO  d'é- 
ther  normal.  Les  vernis  à  l'essence  sont  très  em- 
ployés dans  l'ébénisterie  ;  ils  sont  un  peu  moins 
siccatifs  que  les  vernis  à  léther,  mais  beaucoup 
plus  solidrs  ;  ils  servent  aussi  à  recouvrir  les  ta- 
bleaux, et  donnent  plus  d'éclat  à  la  peiniure  tout 
en  la  protégeant  contre  l'action  de  l'air.  Voici  une 
recette  de  vernis  à  l'essence  très  employée  pour 
tableaux:  mastic  mondé,  .'^BT  ;  térébenthine,  45; 
camphre,  lô;  essence  de  térébenthine,  1100;  verre 
pilé,  152. 

Les  vernis  gras  contiennent  de  l'huile  de  lin  qui 
a  d'abord  été  épaissie  par  un  chauffage  lent  et  pro- 
gressif. Certains  vernis  gras  sont  exclusivement 
formés  d'iiuiledelin  épaissie  par  une  ébullition  pro- 
longée. Le  plus  souvent  on  y  dissout  de  la  gomme 
(de  la  gomme  dure  du  Sénégal  pour  les  vernis  fins 
de  voitures  de  luxe);  le  tout  est  broyé  et  mélangé 
avec  un  peu  de  litharge  à  une  chaleur  modérée, 
puis  additionné  d'essence  de  térébenthine.  Le 
vernis  ainsi  obtenu  a  une  consistance  épaisse,  il 
coule  difficilement  sur  une  plaque  de  vorre  que  l'on 
manipule  en  lui  donnant  diverses  inclinaisons;  en 
bouteille  il  a  une  couleur  brune  à  reflet  rouge, 
mais  étendu  en  couches  minces  il  est  incolore  et 
transparent.  On  en  fabrique  des  quantités  consi- 
dérables, surtout  en  Angleterre, pour  les  voitures 
delnxeet  les  wagons.  On  n'obtient  le  brillant  pro- 
fond des  panneaux  de  voiture  que  par  l'application 
de  nombreuses  couches  de  vernis  sur  une  pre- 
mière couche  de  couleur.  Les  vernis  gras  sont 
aussi  employés  pour  les  lampes,  les  devantures 
de  magasins,  etc.  Voici  une  formule  fort  employée  : 
copal,  184;  térébenthine  de  VenUe,  45  ;  huile  de 


jours  produit  par   la  dissolution  d'une  gomme  ou  lin  rendue  siccative  par  la  concentration  et  l'addi. 
•l'une  résine  dans  un  liquide  qui  se   dessèclie  par  i  tion   d'un   peu  de  litharge,  l'iG  ;  essence  de  téré- 

évaporation  ou   par    oxydation,  lorsque   le  vernis  benthine,  183.  Les  toiles  cirées  sont  préparées  avec 

f^st  étendu  sur  les  objets  qu'il  doit   recouvrir.  Les  divers  vernis  gras  spéciaux. 

liquides   employés  pour  la  fabrication  des  vernis  Les  vernis    aqueux   qui  sont  employés  ponr  les 

3ont  :  l'alcool,  l'éthor  ou    un    mélange   d'éther  et  coquillages,  les  insectes,  sont  quelquefois  obtenus 

d'alcool,  les  essences,  principalement  l'essence  de  avec  du"  blanc  d'œuf  délayé  dans  de  l'eau-de-vie 


lérébenihine.  l'huile  de  lin,  et  quelquefois  l'eau 
De  là  les  différentes  sortes  de  vernis  :  remis  à 
t'alcool,  verni<:  à  réther,  vernis  à  l'essence,  vernis 
gras,  vernis  aqueux.  Si  on  tient  compte  des  ma- 
tières colorantes  qu'on  y  introduit,  des  propor- 
tions et  de  la  nature  des  gommes  ou  résines  eni- 
pluyoes,  ainsi  que  des  divers  mélanges  de  dissol- 
vants imaginés  par  les  fabricants  ou  les  inventeurs, 
«n  peut  dire  que  la  variété  des  vernis  est  sans  limite. 
Les  vernis  sont  dits  siccatif'  quand  ils  sont 
séchés  en  très  peu  de  temps,  parfois  quelques 
minutes  après  leur  application:  tels  sont  les  ver- 
nis à  l'éther,  à  l'essence  et  à  l'alcool  ;  les  vernis 
■gra-i  ne  sont  point  siccatifs  :  néanmoins  on  facilite 
leur  dessiccation  en  y  mélangeant,  lors  de  la  fa- 
ÈricalioEi,  une  certaine  quantité  d'essence  de  téré- 
ilL-iithine.  Les  vernis  à  l'alcool  sont  formés  tout 
simplement   par    une   dissolution    alcoolique   de 


avec  un  peu  de  sucre  en  poudre;  le  plus  souvent 
on  les  prépare  en  délayant  de  la  colle  de  poisson 
dans  l'eau  et  en  y  ajoutant  des  matières  coloran 
tes  en  poudre.  [Alfred  Jacquemart.] 

'^'EllKE.  —  Chimie,  XVI  ;  Connaissances 
usuelles,  It-V.  —  Historiqw.  —■  A  quelle  époque 
et  par  qui  a  été  inventé  le  verre'?  C'est  là  un 
point  complètement  obscur  de  l'histoire  de  l'in- 
dustrie humaine.  Le  savant  chimiste  J.  Girardin 
pense  que  le  hasard  fut  pour  beaucoup  dans  cette 
invention.  Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  verre- 
ries qui  existaient  à  Tlièbes  et  à  Memphis  au 
temps  de  la  splendeur  de  ces  villes  antiques  sont 
les  plus  anciennes  dont  l'histoire  fasse  mention; 
néanmoins  il  y  a  lieu  de  croire  que  l'invention  du 
verre  remonte  bien  au-delà  de  cette  époque.  Dans 
une  antiquité  moins  reculée,  les  verreries  de  SIdon 
furent  aussi  très  renommées;  plus  tard  Rome  et| 


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VERRE 


—  12-291  — 


VERRE 


la  Grèce  eurent  aussi  leurs  verreries,  et  au  temps 
do  Pline,  le  naturaliste  latin,  c'est-à-dire  un  demi- 
siècle  après  Jésus-Clirist,  on  fabriquait  du  verre 
en  Gaule  et  en  Espagne. 

!■*  D'après  M.  J.  Girardin,  quoiqu'on  ait  trouvé  à 
Herculanuni  et  à  Pompéi  des  verres  plats  et  des 
salles  de  bain  garnies  de  fenêtres  de  verre,  les  Ro- 
mains n'employaient  pas  le  verre  au  vitrage  des 
maisons,  et  au  ii"  siècle  de  l'ère  chrétienne  les 
fenêtres  des  palais  impériaux  à  Rome  étaient 
encore  fermées  par  des  lames  d'albâtre  ou  de 
gypse.  Au  iv»  siècle  toutefois,  d'après  saint  Jérôme, 
l'usage  du  verre  à  vitre  était  général  à  Rome  et  en 
Gaule.  La  verrerie  de  luxe  disparut  dans  l'Occi- 
dent sous  le  (lot  de  l'invasion  barbare,  et  ne  fut 
conservée  qu'à  Constantinople  et  dans  une  partie 
de  l'Orient.  Au  xiiiï  siècle  elle  reparut  à  Venise 
après  les  croisades.  A  cette  époque  et  pondant 
deux  siècles  la  fabrication  des  verres  à  vitre  se 
faisait  exclusivement  en  Franco  et  en  Italie;  elle 
passa  ensuite  en  Angleterre,  puis  de  là  en  Alle- 
magne et  enfin  dans  les  pays  du  nord;  mai;!  au 
milieu  du  xvi'  siècle  la  verrerie  de  luxe  fabriquée 
en  Boliême  et  à  Venise  était  encore  inconnue  en 
France. 

Des  essais  infructueux  furent  tentés  à  Saint- 
Germain  sous  Henri  JI,  et  à  Paris  et  à  Nevers 
sous  Henri  IV  ;  mais  c'est  seulement  grâce  aux 
efforts  de  Colbert  que  le  premier  établissement 
de  glaces  fut  établi  en  France,  à  Tourlaville,  en 
1665.  Quelques  années  après,  Lucas  de  A'chou  per- 
fectionnait la  fabrication  et  contribuait  à  la  fonda- 
lion  de  la  fabrique  célèbre  de  Saint  Gobain. 

Vers  la  fin  du  xvii=  siècle,  les  Anglais  letrouvaient 
le  procédé  de  la  fabrication  du  cristal,  perdu  de- 
puis le  moyen  âge,  et  en  1784  Lambert  construisait 
a  Saint-Cloud  la  première  fabrique  de  cristal  qu'ait 
eue  la  France. 

Depuis  cette  époque,  l'art  de  la  verrerie  n'a 
cessé  de  faire  des  progrès  sous  toutes  les  formes, 
et  à  l'Exposition  universelle  de  1S7S  les  produits 
français  rivalisaient  avec  les  merveilles  envoyées 
par  les  verreries  de  Bohême,  d'Angleterre  et  d'I- 
talie. 

11  y  a  cinq  ou  six  ans,  M.  de  la  Eastie  a  imaginé 
de  tremper  le  verre  en  le  plongeant,  lorsqu'il  est 
chaud,  dans  de  la  graisse  fondue,  de  manière  à 
le  refroidir  lentement;  le  verre  ainsi  trempé  a  la 
propriété  de  résister  à  la  casse.  Un  verre  à  boire 
en  verre  trempé  se  casse  rarement  en  tombant 
des  mains  sur  le  plancher,  et  môme  sur  la  bri- 
que ou  sur  le  marbre. 

Le  verre  trempé  est  aujourd'hui  fort  employé, 
principalement  pour  les  ustensiles  de  laboratoire, 
capsules,  é|)rouvettes,  tubes  à  essai,  etc.  On  en 
fait  aussi  beaucoup  de  verres  à  boire.  Les  objets 
en  verre  trempé  coûtent  environ  lô  p.  IDO  plus 
cher  que  ceux  qui  sont  en  verre  ordinaire  ;  quand 
ils  se  cassent,  par  hasard,  ils  sont  absolument 
pulvérisés,  comme  ces  petites  gouttelettes  creu- 
ses obtenues  en  projetant  du  verre  fondu  dans 
l'eau  et  qu'on  ajjpelle  larmes  hatiiviques. 

Comfjosilion  du  verre.  —  Tous  les  verres  sans 
■exception  sont  des  silicates  à  base  rie  potasse  on 
de  soude  et  de  plomb,  de  zinc,  de  cliaux  et  même 
de  fer.  Les  verres  diffèrent  non  spulement  par 
Ja  nature,  mais  aussi  par  les  proportions  de  ces 
diverses  substances. 

Ainsi  on  distingue  : 

1°  Les  verres  formés  de  silicates  de  potasse  ou 
de  soude,  et  de  chaux; 

2"  Les  verres  formés  de  silicates  de  potasse  et 
de  chaux  ; 

'i°  Les  verres  formes  de  silicates  de  soude  ou 
de  potasse  et  de  chaux,  d'alumine  et  de  fer; 

4°  Les  verres  exclusivement  formés  de  silicates 
de  potasse  et  do  plomb. 

La  première   classe    contient   les  variétés  sui- 


vantes :  le  verre  à  vitre,  le  verre  à  goboleterie, 
le  verre  à  glaces  ;  la  deuxième  le  verre  de  Boliêma 
et  le  crown-glass  ;  la  troisième  le  verre  à  bouteil- 
les; la  quatrième  le  cristal,  le  flint-glass  et  le 
strass. 

Propriétés  (la  verre.  —  Le  verre  en  général  est 
cassant,  dur,  élastique,  sonore,  transparent  ;  main- 
tenu longtemps  à  une  haute  température,  il 
perd  sa  transparence,  il  se  dévitrifie,  tout  on  con- 
servant la  même  coiiipnsition;  on  l'appelle  alors 
porcelaine  de  Rèaainur.  Dans  les  conditions  or- 
dinaires, le  verre  0*^1  in^oluble  dans  l'eau,  dans 
les  acides,  et  dans  la  plupart  des  liquides.  A  la 
longue,  l'uir  humide  altère  le  verre,  comme  on  le 
constate  sur  les  verres  à  vitre  déjà  anciens,  ([ui 
perdent  leur  transparence  en  même  temps  que 
leur  composition  est  changée  par  suite  d'un"  lé- 
gère dissolution  du  silicaie  alcalin.  Les  objets 
de  verre  très  anciens  sont  devenus  opaques  et 
comme  recouverts  d'un  vernis  métallique.  L'eau 
maintenue  bouillante  longtemps  dans  un  vase 
en  verre  devient  très  sensiblement  alcaline. 
M.  Peligot  a  même  constaté  que  le  verre  à  bou- 
teille se  décomposait  quelquefois  rapidement  sous 
l'action  acide  du  vin.  Le  verre  est  très  dur,  il  raie 
la  plupart  des  corps;  tout  le  inonde  sait  qu'il  est 
rayé  par  le  diamant,  le  cristal  de  roche  et  la  pierre 
à  fusil.  Sa  densité  dépend  de  sa  composition,  mais 
elle  oscille  toujours  entre  2.5  et  3,5. 

Le  verre  est  fusible  à  des  températures  qui 
varient  selon  sa  composition  ;  les  verres  qui  con- 
tiennent du  plomb  sont  beaucoup  plus  fusibles 
que  les  verres  à  base  de  chaux.  Avant  de  fon- 
dre, le  verre  devient  pâteux  ;  on  peut  alors  le 
travailler  avec  facilité  :  il  peut  être  soufflé,  étiré, 
courbé  de  toutes  les  façons  possibles;  on  peut 
en  faire  des  fils  d'une  ténuiié  extrême,  qui  ce- 
pendant sont  assez  tenaces  pour  être  rapidement 
enroulés  comme  du  lil  de  coton  ou  de  chanvre. 

Les  objets  de  verre  qui  viennent  d'être  fabri- 
qués seraient  extrêmement  cassants  si  on  les  lais- 
sait se  refroidir  brusquement  à  l'air,  ils  se  casse- 
raient même  souvent  en  se  refroidissant;  pour 
éviter  ce  grave  inconvénient,  on  les  soumet  au  re- 
cuit, c'est-à-dire  qu'on  les  place  dans  des  fours, 
d'abord  au  rouge  sombre,  où  ils  se  refroidissent 
graduellement.  Le  verre  paraît  résister  d'autant 
mieux  aux  variations  de  température  qu'il  a  été 
refroidi  plus  lentement. 

Fabrication  du  verre.  —  Cette  fabrication,  au- 
jourd'hui très  perfectionnée,  varie  un  peu  avec 
l'espèce  de  verre  et  la  nature  des  objets  ;  ainsi 
la  fabrication  du  verre  à  bouteilles,  dn  verre  de 
Bohême,  celle  du  verre  à  glaces,  diffèrent  non  seu- 
lement par  la  partie  mécanique,  par  la  manipula- 
tion, mais  aussi  par  la  formation  de  la  pâte  et  par 
la  température  qu'elle  exige.  Nous  ne  pouvons 
pas  entrer  ici  dans  des  détails  complets  sur  la 
fabrication  de  chaque  espèce  de  verre  ;  nous  don- 
nerons seulement  (|uelques  généralités.  Cette 
vieille  devise  de  l'alchimie  :  Sine  igné  nihil  ope- 
ramur  (nous  ne  pouvons  rien  faire  sans  le  feu), 
s'applique  à  la  verrerie  plus  qu'à  toute  autre  in- 
dustrie. Aussi  les  anciennes  verreries  étaient-elles 
construiies  au  milieu  des  forêts,  de  manière  à  ce 
que  le  fondeur  eiit  le  combustible  sous  la  main  et 
à  discrétion.  Quoique  la  houille  et  le  coke  aient 
remplacé  avantageusement  le  bois,  les  verreries 
doivent  encore  être  construites  à  proximité  des 
houillères  ou  des  voies  de  navigation,  el,  malgré 
les  perfectionnements  apportés  aux  fours  dos  ver- 
reries qui  perdaient  la  pins  grande  partie  de  leur 
chaleur,  le  combustible  est  encore  un  dos  éléments 
importants  du  prix  de  revient  du  verre. 

Falirication  du  verre  à  vitrew  —  Ce  verre, 
comme  nous  l'avons  dit  plus  haut,  est  un  silicate 
double  de  chaux  et  de  potasse  ou  de  soude.  En 
France,  où  le  carbonate  de  soude  est  moins  cher 


VERRE 


2292 


VERRE 


que  celui  dft  potasse,  oii  fabrique  plutôt  des  verres 
à  base  de  soude.  ÎNous  consoninjous  par  an  à  peu 
près  lOO  millions  de  kilogrammes  de  soude  brute; 
c'est  le  tiers  de  ce  que  consomme  le  monde  entier. 
Les  matières  mélangées,  sable,  calcaire  et  soude, 
qui  doivent  constituer  le  verre  par  leur  combi- 
naison, sont  introduites  dans  des  pots  en  terre 
réiractaire  placés  sur  la  grille  d'un  four.  Voici 
l'une  des  formules  les  plus  utilisées  pour  la  con- 
fection des  mélanges:  sable,  100  parties;  craie,  3ô  ; 
carbniiate  de  soude,  28  à  35  ;  on  peut  remplacer 
cette  dernière  substance  par  38  de  sulfate  de  soude 
mélangé  à  2  ou  3  de  charbon  en  poudre;  60  Ji  181) 
de  r/ioisil,  c'est-à-dire  de  débris  de  verre.  On 
ajoute  souvent  îi  ce  mélange  un  peu  de  peroxyde 
de  manganèse  ei  quelques  centièmes  d'acide  arsé- 
nieux,  qui  disparait  par  volatilisation  quand  la  masse 
est  au  rouge. 

Un  four  de  verrerie  se  compose  d'un  foyer  voûté 
au-dessus  du<|uel  se  trouve  une  grille  ;  autour  de 
celle-ci    sont    placés  deux   >ièges  en  maçonnerie 
réfractaire  qui    portent  les  puts  ou    creusets.  Un 
four  contient  i.   G,  8  ou  10  pots.    Entre   les  deux 
siègf  s  se  trouve  un  espace  ou  fosse,  dont  le  fond, 
percé  d'un  trou  nommé   trou  de  chavage,  laisse 
écouler  le   verre  qui    sort  des  pots  ainsi  que  les 
crasses  qui  se  forment  à  la  surface.  Au-dessus  de 
chaque  pot,  dans  la  paroi  du  four,  se  trouve  une 
ouverture  par  laquelle  on  peut  puiser  dans  les  pots 
ou  introduire  dans  le   four  les  objets  qu'on  veut 
façonner.  La  flamme  et  la  fumée,  après  avoir  léché 
etchautïé  les  pots,  se  rendent  dans  des  fours  laté- 
raux ou  «relies,  puis  se  dégagent  dans  l'atmosphère 
par  les  ouvreaux  de  côté.  Dans  les   arches   sont 
chauffés  les  creusets  neufs  avec  la  matière  qui  y 
subit  une  première  calcination  ou  fri'e.  La  masse 
est  fréquemment  remuée  au  moyen  de    longues 
pelles  ou  estragiielles,  puis  de  Vnrvhe  elle  passe 
dans  les  pots,  où  on  la   rend  homogène  par  une 
température  plus  élevée  et  en  niàclant  le  verre, 
c'est-à-dire  en  le  broyant  avec  un  ringard.  Enfin, 
lorsque  le  verre  est  bien  fondu,  rnàdé  et  truffe, 
on  diminue  le  feu.  on  fait  l'apaisement,  c'est-à- 
dire  qu'on    maintient  la  température,  au   lieu  de 
l'élever,  avec  un    charbon   moins  fumeux  que  le 
charbon  de  fonte.  Au  bout  de  dix  heures,  un  m^ii- 
tre  verrier  et  un  aide  pour  chaque  pot  vont  procé- 
der à  la  fabrication.  Pour  tout  outil,  un  tube   de 
fer  ou  eanne  del",ùOà2  mètres  de  long  porté  par 
un  manche  en  bois. L'aide  procède  à  \àpiiraiso7i, 
c'est- â-dire  qu'il  prend  un   peu    de   lualière    au 
bout  de  la   ctntne,  la   tourne  sur  une   plaque  de 
fer  ou   rnabre  pour  lui  donner  une  forme  conve- 
nable, puis  il  la  passe  au  souffleur  ou  maître.  Ce- 
lui-ci souffle  dans  la  canne  tout  en  la  tournant  et 
la  retournant,  plonge  l'extrémité  dans  le  creuset 
pour   en   ramener   une  nouvelle  quantité  de  ma- 
tière, souffle,  tourne,  balance  de  nouveau  la  masse 
et  arrive  à  lui  donner   la  forme  d'une  boule  d'à 
peu  près  30   centimètres  de  diamètre  ;  alors,  par 
un   mouvement   de   balancement   convenable,    la 
pesanteur  de  la  masse  et  le   soufflage   aidant,  la 
sphère  se  transforme  en  un  cylindre  terminé  par 
des  calottes.  Le  verre  est  alors  rechaufTé,  puis,  par 
lui  très  puissant   soufflage,  l'ouvrier  crève  la  ca- 
lotte inférieure.   L'ouvrier   prend  une  goutte   de 
verre  chaud,  l'étiré  en  fil  qu'il  enroule  autour  des 
deux  calottes  qui  terminent  son  globe  ;  celles-ci  se 
détachent  immédiatement,  et  on  a  alors  un  cylin- 
dre creux  parfait,  qu'on  fend  longitudinalemeni  on 
y  appliquant  un  couteau  de  fer  mouillé.  La  pièce 
est  de  nouveavi  chautfce,   puis  étendue  sur  ujie 
table  de  fer,  et  enfin  recuite. 

Le  verre  à  gobeleterie,  dont  la  composition  est 
la  mèiue  que  celle  du  précédent,  comprend  la 
verrerie  commune  de  table,  les  flacons  de  phar- 
macie, de  laboratoire,  etc.  Tous  ces  objets  se 
préparent  par  le  soufflage  à  la  canne,  qu'on  opère 


après  avoir  introduit  le  verre  dans  le  moule  de 
l'objet  à  fabriquer. 

Fabrication  du  verre  h  glnees.  —  A  Saint-Go- 
hain,  le  mélange  est  formé  de  300  parties  de  sable 
très  blanc  et  très  pur,  de  100  de  carbonate  de 
soude,  43  de  chaux  éteinte  et  300  de  groisil.  Ce 
mélange  est  d'abord  traité  comme  pour  le  verre 
à  vitre,  puis  fondu  et  affine.  Le  verre  est  versé 
dans  de  petits  creusets  carrés  ou  cuvettes  où  il 
est  fortement  chauffé  jusqu'à  ce  qu'il  soit  parfai- 
tement liquide  ;  on  le  coule  alors  sur  une  table 
en  bronze  parfaitement  plane  et  ayant  été  chauffée 
d'avance.  Les  bords  de  la  table  sont  munis  de  rè- 
gles en  fer  qui  retiennent  la  masse  incandescente  ; 
celle-ci  s'étale  naturellement  et  prend  une  sur- 
face uniforme  sous  l'action  d'un  cylindre  en  fonte 
qui  glisse  sur  les  bordures  de  la  table.  La  glace 
est  alors  refroidie  lentement  dans  un  four  con- 
venablement chauffé.  Elle  subit,  après  refroidisse- 
ment, une  série  d'opérations  dans  les  détails  des- 
quelles nous  ne  pouvons  pas  entrer  ici,  mais  qui 
ont  pour  but  d'en  parlaire  le  poli,  la  régularité  et 
la  transparence.  Enfin,  on  procède  à  Véiamage  ou 
metidlis'itioii  quand  on  veut  transformer  les  glaces 
en  miroir.  Les  principales  glueeries  de  France 
sont  :  celle  de  Saint-Gobain,  la  plus  importante  ; 
celles  de  Montiuçon,  de  Lirey  et  de  Jeumont  (Nord). 
Fnbrication  du  verre  de  Bohême.  —  Le  verre 
de  Boliomc  s'obtient  par  la  fusion,  à  une  très  haute- 
température,  du  mélange  suivant  :  110  parties  de 
quartz  pulvérisé,  64  de  carbonate  de  potasse,  24  de 
chaux  caustique,  1  de  nitre  et  un  tiers  d'acide 
arsénieux.  Ce  verre  est  remarquable  par.  sa  trans- 
parence, sa  dureté  et  son  éclat  ;  il  est  extrême- 
ment peu  fusible  :  on  peut  fondre  du  verre  ordinaire 
dans  des  vases  en  verre  de  Bohême. 

Fabrication  des  bhutei/lei.  —  Le  verre  à  bou- 
teille est  formé  de  iviatiéres  communes.  On  em- 
ploie des  sables  ferrugineux,  le  fer  augmentant  la 
fusibilité  du  verre;  c'est  lui  qui  dointe  en  partie 
la  couleur  verte  au  verre  à  bouteille  ;  la  base 
alcaline  est  formée  par  des  cendres  de  bois  ou  de 
varechs.  Les  proportions  n'ont  rien  de  fixe,  aussi 
rencontre-t-on  autant  d'espèces  de  verre  à  bou- 
teilles que  de  verreries.  Le  mélange  est  chauffé 
jusqu'à  fusion  complète  dans  de  grands  creusets 
placés  dans  un  four  semblable  au  four  de  verre  à 
vitre  ;  quand  la  masse  a  pris,  par  refroidissement, 
un  état  pâteux  convenable,  on  procède  au  souf- 
flage à  la  canne,  qu'on  termine  après  avoir  placé 
le  cylindre  de  verre  obtenu  dans  un  moule  en 
terre,  puis,  retournant  la  canne,  l'ouvrier  enfonce 
le  cul  de  la  bouteille  en  l'appuyant  sur  une  mo- 
lette en  fer.  Le  haut  du  goulot  est  consolidé  par 
un  filet  de  verre  fondu  qu'on  enroule  autour.  Pour 
les  grandes  bouteilles  ou  bombonnes.  le  soufflage 
se  termine  avec  une  petite  pompe  à  air  comprimé. 
11  est  inutile  d'ajouter  que  les  bouteilles  sont 
ensuite  recuites. 

Fal»rication  du  cristal.  —  Le  cristal,  qui  doit 
être  parfaitement  transparent  et  incolore,  est 
formé  par  un  mélange  parfait  de  300  parties  de 
sable  pur  et  fin,  200  de  minium  (oxyde  rouge  de 
plomb),  loO  de  potasse  pure  ;  on  remplace  quel- 
quefois l'oxyde  de  plomb  par  de  l'oxyde  de  zinc 
mélangé  d'un  peu  d'acide  borique  qui  le  rend 
plus  fusible.  Le  cristal  est  très  réfringent,  c'est- 
à  dire  qu'il  dévie  et  disperse  fortement  les  rayons 
lumineux  qui  le  traversent.  On  fond  le  cristal 
dans  des  creusets  fermés  appelés  moufles.  Pres- 
que tous  les  objets  de  cristal  sont  moulés  par 
compression  de  la  pâte  dans  des  moules  ;  on  peut 
cependant  le  souffler  connue  les  autres  verres.  La 
taille  du  cristal  est  produite  par  son  contact  avec 
des  meules  de  fer  ou  de  pierre  animées  d'un  - 
mouvement  extrêmement  rapide  ;  on  tonuine  la 
taille  en  doucissant  le  cristal  sur  une  meule  de 
bois,  puis  ensuite   sur  une  meule  de  liège  ou  de 


ï 


VERS 


—  2293 


VERS  A  SOIE 


'bois   rpcouverto  de  laine  et   do  colcotar  mouille. 

Le  fliiit-glass  et  le  crown-glass  sont  des  variétés 
do  cristal  d'origine  anglaise;  ils  sont  exclusive- 
mont  einployés  pour  la  fabrication  des  instruments 
d'optiquo:  lentilles,  prismes,  etc.  Aujourd'hui,  on 
en  fabrique  d'excellents  en  France.  Les  princi- 
pales cristalleries  françaises  sont  celles  de  Bacca- 
rat, de  Saint-Louis,  de  Lyon  et  de  Clicliy. 

Le  strass  est  un  cristal  très  riclie  en  plomb, 
très  doux  et  très  rofringeni;  aussi  sert-il  k  imiter 
les  pierres  précieuses.  L'émail,  qui  est  également 
très  riche  en  plomb,  est  un  verre  opaque. 

Les  verres  colorés  sont  fabriqués  comme  le 
verre  ordinaire,  seulement  on  ajoute  à  la  pâte 
des  substances  colorantes  spéciales  qui  sont  géné- 
ralement des  oxydes  métalliques,  tels  que  loxyde 
de  chrome,  l'oxyde  de  cuivre,  qui  donnent  des 
couleurs  vertes  ;  l'oxyde  de  cobalt,  qui  donne  du 
bleu  ;  le  peroxyde  de  manganèse,  du  violet,  etc. 
Cesoxydesy  sonltoujoursen  très  petitesquantités. 
Verres  yraoés.  —  Nous  avons  dit  plus  haut  que 
le  verre  n'était  point  attaqué  par  les  acides  ;  il  y 
a  une  exception  :  l'acide  lluorhydrique,  qu'on  ob- 
tient en  traitant  le  fluorure  de  calcium  par  l'acide 
sulfurique,  attaque  instantanément  le  verre  à  froid, 
en  le  décomposant  ;  l'action  de  cet  acide  rend  le 
verre  opaque  quand  elle  est  due  à  l'acide  gazeux; 
la  dissolution  aqueuse  de  l'acide  fluorhyhrique 
attaque  aussi  le  verre,  le  creuse,  mais  le  laisse 
transparent.  Cotte  double  action  de  l'acide  fluor- 
hydrique  est  la  base  des  deux  procédés  employés 
pour  la  gravure  sur  verre.  En  eflet,  pour  graver 
sur  verre,  on  recouvre  la  pièce  à  graver  d'une 
mince  couche  d'un  vernis  spécial,  appelé  vernis 
des  graveurs  ;  puis  le  graveur  enlève,  avec  un 
burin  d'acier,  le  vernis  partout  où  doit  porter  la 
gravure,  et  la  pièce  est  alors  exposée  aux  vapeurs 
d'acide  fluorhydrique  ;  on  lave  avec  la  dissolu- 
tion aqueuse  de  cet  acide,  le  verre  est  attaqué 
partout  où  il  a  été  mis  à  nu.  Le  succès  de  l'opéra- 
tion dépend  de  la  beauté  du  dessin  et  du  parfait 
enlèvement  du  vernis  par  le  burin. 

[Alfred  Jacquemart.] 

VEnS.  —  Zoologie,  XXVII.  —  Les  Vers  forment 
le  second  sous-embrancliement  de  l'embranche- 
ment des  Annelés  "  ;  le  premier  sous-embranche- 
ment est  constitué  par  les  Articulés  ".  Les  Vers 
sont  des  animaux  dont  le  corps  est  formé  d'an- 
neaux, mais  qui  ne  présentent  pas  de  pieds  arti- 
culés comme  les  insectes,  les  arachnides  et  les  crus- 
tacés. Ils  se  divisent  en  deux  classes  :  les  Anné- 
lides,  qui  comprennent  les  vers  les  plus  élevés 
sous  le  rapport  de  l'organisation  ;  et  les  Helmin- 
thes, êtres  inférieurs,  souvent  parasites.  Nous 
avons  consacre  des  articles  spéciaux  aux  Annélides 
et  aux  Helminthes. 

VEKS  A  SOIE. —Zoologie,  XXIV;  Connaissances 
usuelles,  II-V.  —  La  plus  brillante,  la  plus  flue 
et  la  plus  souple  do  nos  matières  textiles,  celle 
qui  conduit  le  moins  la  clialeur,  est  un  produit 
azoté,  d'origine  animale,  la  suie,  provenant  d'insec- 
tes de  l'ordre  des  Lépidoptères  ou  Papillons  *.  Pres- 
que toutes  les  chenilles  ou  larves  de  ces  insectes 
ont  de  chaque  côté  du  corps  deux  glandes,  dites 
sérkirjènes,  contenant,  non  pas  un  peloton  do  fil 
qui  se  déroulerait,  mais  une  matière  liquide  vis- 
queuse (fig.  1).  Un  filet  de  liquide  de  chaque  glande 
se  déverse  au  fond  de  la  bouche  de  la  chenille,  se 
solidifie  immédiatement  en  un  fil  qui  se  colle  à 
son  congénère,  de  manière  à  donner  un  fll  unique 
formé  de  deux  fils  réunis  et  sortant  par  un  petit 
tuyau  dit  filière,  dépendance  delà  lèvre  inférieure. 
La  soie  sert  aux  chenilles  ii  divers  usages  et  no- 
tamment, à  la  fin  de  l'existence  d'un  grand  nom- 
bre d'entre  elles,  à  former  une  enveloppe  dite 
cocon,  dans  laquelle  doit  s'opérer  la  transforma- 
tion en  nymphe  ou  chrysalide,  sorte  de  second 
œuf  où  s'élabore  l'organisation  de  l'adulte  ou  pa- 


pillon.  Le  tissu  de   ce  cocon  est  formé  par  un  fil 
de  soie  continu,  replié  un  grand   nombre   de  fois 


Fij.  1.  -  Glande  à  soie   du  ver  à  soie. 

sur  lui-même  par  les  mouvements  de  la  tête  de  la 
chenille,  les  diverses  portions  du  fil  se  collant 
les  unes  aux  autres  par  une  glu  naturelle  qui  les 
enduit  ;  la  solidité  de  la  coque  de  soie  est  en  ou- 
tre généralement  augmentée  par  une  salive  spé- 
ciale, que  dégorge  la  chenille  à  la  fin  de  sa  fila- 
ture, et  qui  forme  un  enduit  gommeux  ou  grès 
rendant  impossible  la  séparation  des  replis  du  fil 
de  soie  sans  un  décreusarje  artificiel  plus  ou  moins 
difficile  à  effectuer.  Le  rôle  physiologique  du  co- 
con est  de  s'opposer  h  l'évaporation  de  la  chrysa- 
lide, facile  à  constater  b.  la  balance,  et  qui  peut 
amener  la  mort  par  dessiccation.  Chez  certaines 
espèces,  toutes  propres  aux  régions  chaudes  ou 
tempérées-chaudes  et  appartenant  aux  Kétérocè- 
res  (ou  «  papillons  de  nuit  n  ;  V.  l'article  Pflpti- 
lo7i),  les  cocons  sont  assez  fournis  on  soie  pour 
que  l'industrie  humaine  en  tire  parti,  en  opé- 
rant soit  leur  dévidage,  par  une  opération  ab- 
solument inverse  à  celle  de  la  filature  avec  acco- 
lements  successifs  du  fil  par  la  chenille,  soit  au 
moins  leur  canlnge  au  moyen  des  procédés  com- 
muns à  d'autres  matières  textiles  ;  les  chenilles 
qui  produisent  ces  cocons  utilisables  sont  nom- 
mées Vers  à  soie,  etla.  sériciculture  est  la  branche 
de  l'industrie  humaine  consacrée  à  leur  élevage, 
à  leur  reproduction,  au  traitement  des  cocons, 
et  à  l'extraction  sous  diverses  formes  de  leur 
matière  soyeuse. 

Le  ver  à  soie  de  beaucoup  le  plus  important  est 
celui  du  mûrier,  et  se  nomme  scientifiquement  Se- 
ricaria  mori.  Le  genre  Sericaria  tire  son  nom  du 
mot  sericarius,  (lui  veut  dire  ouvrier  en  soie,  et  se 
compose  de  quelques  espèces  propres  i  la  Chine, 
aux  Indes  Orientales,  aux  lies  de  la  Sonde,  vivant 
surtout  dans  les  régions  montagneuses,  et  dont 
les  chenilles  se  filent  d'épais  cocons,  fermés  aux 
doux  bouts,  d'une  soie  tiès  fine  ;  elles  vivent  tou- 
tes sur  les  feuilles  d'arbres  ou  d'arbusles  de  la 
famille  des  Morées  (mûriers,  figuiers).  L'espèce 
type,  que  l'on  ne  connaît  plus  aujourd'hui  qu'i 
l'état  domestique,  présente  un  papillon  d'envirou 
30   millimètres  d'envergure  chez  le  màlc,  un  pen 


VERS  A  SOIE 


—  2294  — 


VERS  A  SOIE 


plus  cliez  la  femelle.  Le  corps  est  très  robuste 
chez  la  femelle,  moins  dans  le  niàle,  les  antennes 
grisâtres,  bi-pectinées  dans  le  mâle,  dentelées  chez 
la  femelle,  la  spiri-tronipe  et  les  palpes  très  ru- 
dimentaires,  conformation  en  rapport  avec  ce  fait 
que  le  papillon  ne  prend  aucune  nourriture.  Les 
ailes  bien  développées,  étendues  à  peu  près  à 
plat  au  repos,  sont,  ainsi  i|ue  le  corps,  d'un  blanc 
généralement  un  peu  jaunâtre  ou  grisâtre,  les  ailes 
supérieures  très  légèrement  recourbées  en  cro- 
chet au  sommet,  ayant,  dans  beaucoup  de  races, 
chez  les  mâles,  un  croissant  brunâtre  sur  le  dis- 
que et  deux  lignes  transverses  brunâtres,  qui  se 
prolongent  quelquefois  sur  les  ailes  inférieures, 
ces  dessins  le  plus  souvent  effacés  dans  les  pa- 
pillons femelles.  La  clienille,  ou  le  ver  à  soie  pro- 
prement dit, est  blanchâtre  quand  elle  a  atteint  tout 
son  développement,  longue  alors  de  92  i  i)G  milli- 
mètres dans  les  fortes  races,  sans  tubercules,  ni 
poils,  ni  duvet,  les  segments  épais,  un  peu  gon- 
flés, la  tête  petite,  le  premier  segment  renflé,  les 
deuxième  et  cinquième  segments  de  l'abdomen 
portant  en  dessus  deux  croissants  noirâtres  in- 
versement tournés,  l'avant-dernier  ou  onzième 
anneau  muni  d'une  corne  étroite,  recourbée  en 
arrière,  ce  qui  fait  ressembler  le  ver  à  soie  à  une 
chenille  de  Sphinx.  La  chrysalide  est  brune,  cy- 
lindrico-conique,  sans  poils,  ni  crochets,  ni  ren- 
flements spéciaux  ;  le  cocon  qui  la  contient,  ar- 
rondi et  fermé  aux  deux  bouts,  est  ample  relati- 
vement au  volume  de  la  chrysalide  et  de  l'adulte, 
en  général  plus  ou  moins  régulièrement  ovoïde, 
souvent  un  peu  éiranglé  au  milieu,  surtout  quand 
il  doit  en  sortir  un  papillon  mâle  ;  ses  couleurs 
habituelles  sont  le  blanc  pur,  le  jaune  plus  ou 
moins  vif,  plus  rarement  le  vert-blanchâtre  ou 
céladon  ;  en  général  les  races  à  coconsjaunes  sont 
plus  nombreuses,  plus  robustes  et  plus  fiéquen- 
tes  que  celles  à  cocons  blancs.  La  multiplicité  des 
races  du  ver  à  soie  du  mûrier  indique  une  do- 
mestication très  reculée,  d'époque  précise  fort  in- 
certaine. On  peut  dire  qu'il  est  aux  insectes  ce 
que  lemouton  est  aux  mammifères,  c'est■.^  dire  un 
animal  abruti  héréditairement,  de  sorte  que  la  ma- 
jeure partie  des  individus  périraient  sans  les  soins 
continuelsde  l'homme. Les  chenilles  qu'onplace  sur 
les  mûriers  tombent  au  moindre  vent,  ne  sachant 
plus  se  servir  de  leurs  pattes  membraneuses  ot 
de  leurs  couronnes  de  crocheti;  pour  se  crampon- 
ner aux  feuilles  ;  elles  n'ont  plus  l'instinct  de  s'a- 
briter sous  les  feuilles  contre  le  soleil  ou  la  pluie, 
ni  de  se  soustraire  aux  regardsdes  oiseaux  et  des 
insectes  ennemis.  Les  femelles  restent  immobiles 
sur  le  plan  de  position,  remuant  à  peine  leurs  ai- 
les par  intervalles  ;  les  mâles  tournent  autour 
d'elles,  en  battant  rapidement  des  ailes,  mais 
sans  sauter  ni  voler.  Cependant,  d'après  les  ren- 
seignements recueillis  en  Chine  par  l'abbé  .Armand 
David,  le  ver  ;\  soie  existe  encore  dans  certaines 
forêts  de  l'intérieur  de  la  Chine,  sans  doute  aussi 
des  pentes  de  l'Himalaya  oriental  et  peut-être  de 
la  PersH,  où  le  mûrier  blanc  se  trouve  à  l'état 
spontané.  C'est  très  probablement  un  Boiubycien 
de  vol  rapide,  à  la  façon  de  certains  Bombyx  de 
nos  bois  et  de  nos  jardins. 

Les  auteurs  anciens  désignent  sous  le  nom  de 
Sères  (du  mot  persan  ser  ou  zer  qui  veut  dire  or) 
un  peuple  qui  semblait,  dès  une  antiquité  fort 
reculée,  faire  son  occupation  principale  de  l'in- 
dustrie de  la  soie.  Cette  dénomination  paraît  s'ap- 
pliquer au  peuple  cliinois  ;  on  s'accorde  à  regar- 
der la  Chine  comme  la  patrie  d'origine  du  ver  à 
soie  et  du  mûrier  blanc  {Marus  atha,  Linn.),  sa 
nourriture  de  prédilection,  et  c'est  du  sein  de 
cette  vaste  contrée  que  l'insecte  s'est  peu  à  peu 
répandu  sur  le  monde  entier.  On  a  d'abord  utilisé 
en  Chine  la  soie  du  ver  sauvage.  C'est  sous 
Hoang-ti  (2C50  av.  J.-C.)  que  le  précieux  insecte 


fut  rendu  domestique,  par  los  soins  de  l'impéra- 
trice Si-ling-chi,  qui  enseigna  aussi  l'art  de  filer 
le  cocon  et  de  tisser  la  soie.  Les  populations  re- 
connaissantes élevèrent  au  rang  des  Génies  l'é- 
pouse de  leur  souverain,  sous  le  nom  de  Sien-thsan 
(la  première  qui  a  élevé  les  ver  â  soie),  et  une 
cérémonie  religieuse  annuelle  rappelle  encore,  à 
chaque  printemps,  dans  le  palais  impérial,  sort 
souvenir  vénéré,  il  l'époque  où  l'on  commence  à 
cueillir  les  feuilles  de  mûrier. 

La  soie  se  répandit  peu  â  peu  par  le  commerce 
à  l'extérieur  de  la  Chine.  Du  temps  d'Ezéchiel 
(600  ans  av.  J.-C),  la  soie  entrait  dans  la  parure 
des  femmes  juives.  Les  vêtements  nommés  mé- 
diques  par  Hérodote  et  Xénophon  étaient  des 
tissus  de  soie.  On  en  vit  pour  la  première  fois  k 
Home  aux  jeux  donnés  par  César  (4H  ans  av.  J.-C.) 
Plus  tard,  d'après  1  historien  Lampridius,  Hélioga- 
bale  (■il'i-22'2),  élevé  dans  les  temples  syriens,  pré- 
sida plusieurs  fois  le  sénat  avec  des  vêtements  de 
soie,  exclusivement  réservés  aux  femmes.  Les 
soieries  se  maintenaient  à  des  prix  excessifs,  et, 
sous  Aurélien  (270-275),  se  payaient  au  poids  de 
l'or.  Aussi  l'impératrice  Sévérina,  moins  heu- 
reuse que  bien  des  femmes  do  paysans  et  d'ou- 
vriers d'aujourd'hui,  se  vit  refuser  une  robe  de 
soie  par  le  maître  du  monde.  C'est  qu'en  efïet 
le  gouvernement  chinois  veillait,  avec  un  soin  mi- 
nutieux, .'i  ce  qu'il  ne  pût  sortir  de  l'empire  que 
des  tissus  ouvrés,  source  d'immenses  bénéfices. 
Des  gardes  vigilants  ne  laissaient  passer  ni  co- 
cons ni  soies  en  fils:  c'est  ce  qui  explique  les 
erreurs  d'Aristote  et  de  Pausanias  sur  l'origine 
exacte  de  la  soie.  C'est  seulement  au  iv°  siècle 
qu'on  en  trouve  une  indication  juste  dans  une 
phrase  des  Homélies  de  saint  Basile.  On  attribue 
à  une  princesse  chinoise  la  propagation  de  la  soie 
et  du  mûrier  hors  des  limites  du  Céleste  Empire. 
Fiancée  â  un  roi  de  la  Petite  Boukharie,  au  cen- 
tre de  l'Asie,  elle  apprit  qu'il  n'y  avait  ni  mûriers 
ni  vers  à  soie  dans  sa  patrie  future,  et,  désolée  à 
la  pensée  de  se  voir  privée  des  riches  étoffes  qui 
faisaient  sa  joie  et  son  orgueil,  elle  ne  craignit 
pas  d'enfreindre  les  lois  les  plus  sévères.  Elle  ca- 
cha dans  sa  coiffure  des  graines  du  mûrier  et  des 
œufs  de  ver  à  soie:  les  gardes,  n'osant  porter  les 
mains  sur  une  princesse  du  sang  impérial,  laissè- 
rent ainsi  sortir  les  éléments  d'un  nouveau  et  im- 
portant commerce  pour  les  contrées  centrales  de 
l'Asie. 

L'industrie  séricicole  fut  longtemps  â  pénétrer 
en  Europe,  arrêtée  par  de  jaloux  monopoles.  Pen- 
dant bien  des  années  la  ville  de  Turfau,  dans  la 
Petite  Boukharie,  fut  le  rendez-vous  des  caravanes 
venant  de  l'Ouest,  et  l'entrepôt  principal  des 
soieries  de  la  Chine  ;  elle  était  la  métropole  des 
Sères  de  l'Asie  supérieure  ou  de  la  Sérique  de 
Ptolémée.  Exoulsés  de  leur  pays  par  les  Huns, 
les  Sères  s'établirent  dans  la  Grande-Boukliarie  et 
dans  l'Inde.  C'est  d'une  de  leur  colonies,  Sérinde 
ou  Ser-Indi,  qu'en  ,So2,  au  péril  do  leur  vie,  des 
moines  grecs  de  l'ordre  de  Saint-Basile  apportè- 
rent à  Constantinople,  à  l'empereur  Juslinien,  des 
graines  de  mûrier  et  des  œufs  de  ver  ii  soie, 
renfermés  dans  l'intérieur  de  cannes  de  bambou. 
On  fit  éclore  les  œufs  à  la  chaleur  du  fuiuier,  et 
les  environs  de  Constantinople  devinrent  le  lieu 
de  production  des  tissus  de  soie  que  le  commerce 
européen  se  procurait  au  moyen  âge.  C'est  de  là 
que  Charlemagne  fit  venir  Sun  riche  manteau  ; 
c'est  Constantinople  qui  fournit  aux  abbés  de 
Saint-Denis  l'orifiamme,  ou  bannière  de  soie  rouge 
à  flammes  d'or,  qui,  à  partir  de  1124,  devint 
l'étendard  des  rois  de  France  et  les  suivit  dans 
les  grandes  guerres.  De  Constantinople,  la  culture 
du  mûrier  et  l'élevage  du  ver  h.  .soie  se  répandirent 
d'abord  eu  Grèce,  et  surtout  dans  le  Péloponèse, 
qui  dès  lors  reçut  et  garda  le  nom  de  Morée  (d& 


VERS  A  SOIE 


2293  — 


VERS   A  SOIE 


inciritf,  iiiùrierl.  Au  viii°  siècle,  les  Arabes  appor- 
tèrent celle  industrie  en  Espagne,  où  le  mûrier 
iHiir  {Moncs  nigva,  Linn.)  fut  d'abord  seul  cultivé, 
tandis  que  le  mfirier  blanc,  bien  préférable,  de- 
meurait conliné  en  Grèce.  En  lilC,Hoser  II  intro- 
duisit la  cukiiri'  de  ce  dernier  arbre  dans  la  Si- 
cile et  dans  la  Calabre  ;  mais  ce  n'est  qu'au  xV 
sièclo  qu'elle  atteisnit  les  limites  septentrionales 
de  l'Italie.  C'est,  par  la  l'rovence  que  le  mûrier 
et  le  ver  ;\  soie  [lassèrent  de  là  en  France,  comiue 
conséquence  de  l'occupation  du  royaume  deNaples 
par  li-s  princes  de  la  maison  d'Anjou,  et,  sous 
les  papes,  on  trouve  établie,  dans  le  comtat  d'A- 
vignon, la  culture  du  mûrier  et  l'industrie  de  la 
soie.  En  Ut'6,  Louis  XI  transporta  en  Touraine, 
au  Plessis-les-Tours,  le  mûrier  et  son  précieux 
insecte.  Catlierino  de  Médicis  encouragea  avec 
ardeur  l'industrie  qui  florissait  dans  son  pays,  et, 
sous  son  influence,  des  pépinières  de  mûriers  s'é- 
tablirent près  de  Toulouse,  dans  le  bourbonnais 
et  dans  l'Orléanais.  Partout  où  vient  la  vigne 
croît  le  mûrier,  et  même  au-delà,  disait  Olivier 
de  Serres;  par  ses  conseils  et  ceux  de  Barthélémy 
de  Lafri'nias,  contrôleur  général  du  commerce, 
l'industrii'  s.'i  i'm  oli'  i.iit,  sous  le  règne  de  HenrilV," 
une  ext.'ii»! MiMilrrable.  Les  mùi-iers  se  pro- 
pagèrent d.iiis  mut  II-  royaume,  et,  en  HiOl,  il  en 
Int"  planté  au  'liiileries,  où  s'installèrent  une  ma- 
gnanerie et  une  filature  de  soie.  L'industrie  de  la 
soie  reçut,  sons  Louis  XIV,  un  grand  accroi^se- 
ment  grâce  à  Colbert,  qui  rétablit  les  pépinières 
et  fit  planter  des  mûriers  aux  frais  de  l'Etat,  sur 
les  berges  des  cbemins.  C'est  sous  Louis  XIV  que 
fut  introduite  dans  les  Cévennes  l'industrie  séri- 
cicole,  qui  fit  la  riciiessG  de  ces  pays  montagneux. 
Le  Languedoc,  la  Provence,  le  Daupliiné,  le  Vi- 
varais,  le  Lyonnais,  la  Gascogne,  la  Saintongo,  la 
Touraine,  se  couvrirent  de  mûriers.  Colbert  ne  se 
borna  pas  à  poiter  au  plus  baut  degré  la  culture 
du  mûrier,  il  tourna  ses  soins  du  côté  de  la 
fabrication  des  soies  et  lit  venir,  de  Bologne,  un 
nommé  Benais,  pour  établir  des  tirages  de  soie 
et  des  moulins,  et  les  soies  de  son  tirage  furent 
bientôt  au  pair  avec  celles  de  sa  patrie.  Le  roi, 
par  arrêt  du  conseil  du  30  septembre  1G60,  ac- 
corda de  grands  privilèges  aux  entrepreneurs  de 
la  fabrique  de  soie  et  organsins,  façon  do  Bolo- 
gne. Louis  XIV  fit  rendre  plusieurs  arrêts  pour 
favoriser  l'établissement  des  manufactures  de 
soie.  Des  pépinières  de  mûriers  furent  établies 
dans  diverses  provinces  :  ainsi  dans  le  Poitou  en 
1745,  dans  la  Gascogne  en  I75(i,  puis  dans  les 
environs  de  Tours,  de  Muntauban  et  de  Gretio- 
ble  :  les  arbres  de  ces  pépinières  furent  distri- 
bués gratuitement.  De  1700  i  1788  la  France 
produisait  environ  G  millions  de  kilogrammes  de 
cocons  par  an.  Cette  production  tomba  de  moitié 
dans  les  temps  troublés  de  la  première  Fiépubli- 
que.  se  releva  sons  le  premier  Empire  et  dans  les 
premières  années  de  la  Restauration,  sans  tiiute- 
fois  revenir  au  chiffre  précédent.  C'est  k  partir  de 
1830  qu'elle  reprit  un  mouvement  ascendant  con- 
sidérable, jusqu'en  1854,  où  se  font  sentir,  pour 
la  première  fois,  d'une  manière  grave,  les  attein- 
tes de  l'épidémie.  11  est  aisé  de  démontrer  par 
quelques  résultats  numériques  toute  l'importance 
de  l'industrie  qui  a  pour  origine  le  bombycien 
dont  nous  faisons  l'histoire.  En  1805,  M.  J.-B. 
Dumas  fut  le  rapporteur  au  Sénat  d'une  pétition 
de  sériciculteurs  du  midi  de  la  France,  réclamant 
un  dégrèvement  d'impôt  en  raison  de  l'épidémie. 
Il  évalue  à  1  100  millions  de  francs  la  production 
annuelle  de  soie  sur  tout  la  terre,  chiffre  dans 
lequel  la  France  figurait  en  moyenne  pour  100  mil- 
lions, et  qui  s'est  élevé  à  117  millions  en  185.3, 
dernière  année  de  la  grande  production  indigène. 
Une  once  de  r/raiiies  ou  œufs  (-30  grammes),  du 
prix  normal  de  4  à  5  francs,  donne,  dans  les  bon- 


nes années,  50  kilogrammes  de  cocons,  au  prii 
moyen  de  5  francs  le  kilogramme.  Avant  l'épidé- 
mie, on  consommait,  année  commune,  pour  3  ou 
4  millions  de  francs  de  graines,  représentant  un 
poids  de  .33  000  kilogrammes,  et  (iOO  raillions  de 
kilogrammes  de  feuilles  de  mûrier.  Les  feuilles 
représentent,  par  année  moyenne,  une  valeur  de 
50  il  00  millions  de  francs.  Si  on  réfléchit  que,  de 
plus,  la  manufacturalion  des  cocons  récoltés 
comptait  par  an,  terme  moyen,  en  France,  pour 
une  somme  de  100  millions  de  francs,  on  voit  à. 
quelle  valeur  énorme  so  montait,  avant  l'épidémie 
dont  la  sériciculture  française  n'est  pas  encori? 
parvenue  h  se  relever,  le  résultat  de  l'élevage 
d'une  seule  espèce  séricigène.  et  comment  l'ento- 
mologie d'un  chétif  insecte  se  lie  h  des  intérêts 
nationaux  de  premier  ordre. 

Le  ver  îi  soie  a  été,  en  quelque  sorte,  créé  pour 
le  mûrier  et  réciproquement,  de  sorte  que  l'Iiis- 
loire  de  l'animal  est  corrélative  de  celle  du  végé- 
tal. En  naissant  le  jeune  ver  mange  à  peu  près 
tout,  notamment  les  fcuilli'S  de  laitue,  mais,  en 
se  développant,  les  chenilles  ne  tardent  pas  à 
refuser  les  feuilles  autres  <\\ie  celles  du  mûrier 
ou  h  périr  dt!  dysenterie.  La  feuille  de  scorzouère 
réussit  assez  longtemps  et  peut  donner  une  pre- 
mière génération  de  vers  filant  de  détestables 
cocons;  puis  la  race  s'éteint  en  général  à  la. 
seconde  génération.  En  France,  on  doimo  le  mûrier 
aux  vers  h  soie  non  pas  au  ramemi.  comme  eu 
Turquie  et  en  Syrie,  mais  à  la  feuille-  On  fait 
ordinairement  la  pietnière  cueillette,  suivant 
la  force  du  mûrier,  de  la  troisième  à  la  quatrième 
année  de  la  transplantation  de  pi^pinière.  Pour 
enlever  la  feuille,  on  prend  la  branche  d'une  main 
et  on  glisse  l'autre  île  bas  en  haut  et  non  à  l'in- 
verse, car  on  ferait  sauter  les  bour^^eons  et  on 
déterminerait  des  plaies  à  l'écorce.  On  cueille 
ainsi  feuille  ît  feuille,  en  respectant  les  bour- 
geons, en  laissant  les  deux  feuilles  les  plus  éle- 
vées du  rameau,  afin  qu'elles  facilitent  le  déve- 
loppement  du  bourgeon  terminal.  Une  fois  qu'on 
a  commencé  à  cueillir  les  feuilles,  il  faut  en 
dépouiller  l'arbre  entier;  car  si  on  en  laissait  sur 
certains  rameaux,  toute  la  sève  s'y  porterait  au 
détriment  du  reste  du  végétal.  A  mesure  qu'on 
effeuille  un  arbro,  on  doit  séparer  les  mûres  et 
ne  pas  les  mêler  avec  les  feuilles  dans  les  sacs, 
de  peur  d'altérer  celles-ci.  Aussitôt  les  charges  de 
feuilles  rapportées,  il  faut  retirer  les  feuilles  des 
sacs,  li^s  étendre  dans  un  lieu  aéré  et  ne  pas  les 
laisser  amoncelées,  car  elles  s'échaufferaient,  fer- 
menteraient et  donneraient  des  maladies  aux 
vers. 

Dans  le  midi  de  la  France,  on  donne  le  nom  de 
niarpians  ou  inaguns  aux  vers  à  soie,  do  magna- 
iiei-ies  aux  locaux  où  se  fait  l'élevage  de  cette  es- 
pèce, (|ui  est  domestique  et  non  acclimatée,  de 
mngnauieis  aux  personnes  qui  entreprennent  et 
dirigent  ces  exploitations.  On  doit  éviter  le  voi- 
sinage des  cours  d'eau  et  surtout  des  eaux  sta- 
gnantes, les  fimds  des  vallées  h  températures  trop 
inégales  :  il  faut  clioisir  un  petit  monticule  où  règne 
un  grand  courant  d'air.  Le  mieux  est  de  disposer 
le  bâiimtmt  du  nord  au  sud,  ayant  sa  plus  grande 
face  au  levant  ;  il  doit  être  percé  de  nombreu- 
ses fenêtres.  Au  rez-de-chaussée  se  fait  le  dépôt 
des  feuilles,  au  premier  est  l'atelier,  au  second 
un  grenier  pour  sécher  les  feuilles  mouillées. 
Pour  une  bonne  éducation  un  gramme  de  graine 
exige  un  mètre  carré  de  surface;  en  général  et  k 
tort  on  lui  accorde  moins.  Une  once  de  graine  de 
30  gramiues  contient  environ  40  000  œufs  et  de- 
mande, en  nombres  ronds,  iOiO  kilogrammes  de 
feuilles  pour  donner,  comme  plus  haut  produit 
possible,  mais  très  rarement  obtenu,  100  kilo- 
grammes de  cocons.  En  moyenne  ordinaire  !a 
feuille  ne  donne  que  5  p.  lUO  de  son  poids  de  co- 


VERS  A  SOIE 


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VERS  A  SOIE 


cons.  L'atelier  offre  une  pièce  servant  de  chambre 
d'incubaiion  pour  les  œufs  et  où  on  élève  les 
jeunes  vers  jusqu'à  la  première  mue.  Puis  vient  la 
chambre  d'élevage  pour  le  reste  de  la  vie  de  la  che- 
nille, et  enfin  une  iijfirmerie  pour  les  vers  malades. 
Le  chauffage  s'opère  au  moyen  de  cheminées  ou  de 
calorifères  h  bon  tirage.  Des  montants,  enclavés 
dans  le  carrelage  de  la  magnanerie,  portent  des 
tablettes  en  bois  ou  en  roseaux  eiitrelacés,  sur 
lesquelles  sont  placés  les  vers.  Des  corbeilles 
d'osier,  ou  clayons,  servent  h  transporter  les  vers 
sur  les  tablettes,  et  aussi  à  les  contenir  jusqu'il 
la  première  mue.  Le  r/élitage  est  l'opération  par 
laquelle  on  change  les  vers  de  litière  en  leur  ap- 
portant des  feuilles  nouvelles,  et  les  dédouble- 
ments consistent  à  transporter  les  vers  sur  de 
nouvelles  tablettes,  à  mesure  qu'ils  grandissent. 
On  ne  doit  jamais  toucher  les  vers  à  la  main, 
précaution  géiicrale  du  reste  pour  toutes  les  che- 
nilles de  papillons  dont  on  entreprend  l'éducation. 
On  se  sert  pour  cela  de  filets  de  fil  ou  de  forts 
papiers  percés  de  trous  proportionnés  à  la  gros- 
seur des  vers  ;  on  y  place  les  feuilles  fraîches, 
les  insectes  passent  à  travers  les  interstices  pour 
gagner  les  feuilles;  on  les  enlève  alors  d'un  seul 
coup  et  on  se  débarrasse  des  litières  putrides. Quand 
les  œufs  éclosent,  on  jette  dessus  des  bourgeons  de 
mûrier  et  on  les  ramasse  bientôt  cliargés  de  petits 
vers,  ou  mieux  on  verse  de  la  feuille,  hachée 
menu,  sur  des  papiers  percés  de  petits  trous  dont 
on  recouvre  les  œuls  dans  la  chambre  d'in- 
cubation. La  feuille  hachée  présente  aux  jeunes 
chenilles  une  multitude  de  bords  artificiels,  par 
suite  bien  moins  de  fatigue  pour  chercher  les  ali- 
ments, car  c'est  toujours  par  les  bords  que  les 
chenilles  attaquent  les  feuilles.  Pour  distribuer 
la  feuille  hachée  à  divers  degrés  variables,  on  se 
sert  de  tamis  de  divers  périmètres  de  réseau, 
ce  qui  donne  une  distribution  bien  plus  régulière 
que  celle  opérée  à  la  main.  Un  point  capital  pour 
les  magnaniers,  c'est  une  parfaite  égalité  dans 
l'éducation  des  vers  ;  il  faut  que  les  changements 
de  peau,  pendant  lesquels  les  vers  ne  mangent 
pas.  se  fassent  en  même  temps  pour  tous,  afin 
d'économiser  la  feuille  par  périodes  générales  ; 
on  laisse  jeûner  les  premiers  vers  éclos  pour 
assurer  celte  précieuse  uniformité  de  transfor- 
mations. Les  races  de  vers  à  soie  que  nous  éle- 
vons en  France  sont  univollines  ou  annuelles, 
ne  donnant  par  an  qu'une  éclosion  de  papillons, 
dont  les  œufs  passent  sans  éclore  le  reste  de 
l'été,  l'automne  et  l'hiver,  ne  produisant  les  clienil- 
lettes  qu'au  printemps  de  l'année  suivante.  Dans 
les  pays  chauds  on  se  sert  de  races  polyvoltines 
donnant  plusieurs  générations  par  an.  Une  race  bi- 
voltine,  donnant  une  seconde  éducation  en  juillet, 
convient  peu  à  notre  climat;  la  feuille  do  mûrier 
est  devenue  trop  dure,  et  la  forte  chaleur  amène 
le  danger  des  touffes  ou  asphyxies  foudroyantes 
des  vers.  L'étude  de  l'éclosion  des  œufs  et  des 
diverses  périodes  de  la  vie  de  la  chenille  va  com- 
pléter les  notions  générales  sur  les  magnaneries  et 
aidera  à  les  bien  comprendre. 

Les  œufs  des  vers  à  soie,  ce  qu'on  nomme  la 
-ji-uine,  ont  été  pondus  par  les  papillons  femelles, 
soit  sur  des  étoffes  de  laine,  soit  sur  toile,  soit, 
mieux  encore,  sur  des  cartons  ou  de  forts  papiers, 
car  les  cartons  produisent  bien  moins  réchauffe- 
ment de  la  graine  et  ne  sont  pas  attaqués  par  les 
teignes,  comme  les  étoffes  de  laine.  Les  œufs  ad- 
hèrent au  moyen  de  l'enduit  collant  habituel  aux 
œufs  de  papillons;  il  est  très  faible  chez  certaines 
races  de  vers  à  soie,  ainsi  les  races  grecques  ; 
alors  les  œufs  sont  conservés  dans  de  petits  sa- 
chets, ce  qu'on  fait  quelquefois  aussi  pour  les  au- 
tres œufs,  après  qu'on  les  a  décollés  par  immer- 
sion dans  l'eau.  Il  est  facile  de  peser  les  œufs 
adhérant   à  un  carton,  au  moyen  d'un  carton  de 


tare.  Les  œufs  sont  tous  d'un  jaune  clair  au  mo- 
ment de  la  ponte;  s'ils  sont  féconds,  ils  passent, 
au  bout  de  peu  de  jours,  à  une  couleur  d'un  gris 
cendré  ;  quand  s'opère  le  travail  de  la  chambre 
d  incubation,  cette  couleur  se  rapproche  peu  à  peu 
du  bleu  de  ciel,  ensuite  du  violet  :  puis  elle  rede- 
vient cendrée,  puis  tirant  sur  le  jaunâtre,  enfin 
d'un  blanc  sale,  au  moment  où  le  ver,  alors  en- 
tièrement formé  dans  l'œuf,  va  sortir.  Pour  pré- 
venir les  éclosions  prématurées  avant  l'apparition 
des  feuilles  du  mûrier,  on  réfrigère  les  œufs,  h,  la 
cave  ou  à  la  glacière,  en  suspendant  les  sachets 
ou  les  carions  dans  des  caisses  de  fer-blanc  ou  de 
grands  bocaux  de  verre,  qu'on  a  soin  d'aérer  de 
temps  à  autre,  en  évitant  le  contact  soit  de  la 
glace,  soit  de  l'air  saturé  de  vapeur  d'eau.  L'épo- 
que propice  arrivée,  on  procède  à  l'incubation  des 
œufs,  dans  une  chambre  chauffée  par  des  poêles  ; 
elle  se  faisait  très  anciennement  à  la  chaleur  du 
fumier,  puis,  pendant  longtemps,  à  la  chaleur 
humaine  ou  à  celle  des  lits.  Le  ver  ronge  d'abord 
la  pellicule  interne  de  la  coque,  qui  prend  alors 
un  aspect  blanchâtre  et  trouble;  puis  le  ver  at- 
taque la  coque  elle-même,  ,\  l'ouverture  micropy- 
laire,  par  où  s'est  opérée  la  fécondation  dans 
l'oviducte  de  la  femelle,  et  on  voit  h  la  loupe  son 
bec  (mandibules)  en  train  d'user  lentement  le  cho- 
rion  corné.  C'est  principalement  le  matin  qu'é- 
closent  ces  œufs,  et,  dans  une  proportion  considé- 
rable, de  cinq  heures  à  sept  heures  du  matin. 

On  donne  le  nom  i'dyes  du  ver  à  soie  aux  pé- 
riodes de  son  existence  séparées  par  des  mues 
ou  changements  de  peau.  Dans  une  éducation  de 
trente-deux  jours,  opérée  à  20"  cent.,  condition 
excellente  comme  hygiène,  le  premier  âge  com- 
prend 5  jours,  le  second  4,  le  troisième  G,  le 
i|uatrième  7  et  le  cinquième  10.  Ces  âges  sont  sé- 
parés par  les  mues,  pendant  lesquelles  l'insecte 
reste  immobile  et  sans  manger  sur  la  feuille,  le  corps 
à  demi-relevé,  à  la  façon  des  chenilles  de  Sphinx, 
auxquelles  il  ressemble  par  sa  tête  petite,  son  pre- 
mier anneau  très  renflé  et  sa  corne  anale  (fig.  2). 


On  nomme  sommeils  ces  périodes  de  jeûne  et  de 
repos,  et  frèzes  celles  de  voracité.  La  tête  du  ver, 
qui  ne  grossit  pas,  paraît  allongée  et  noire  quand 
il  se  dispose  :\  muer,  et,  au  contraire,  grosse  et 
peu  foncée  après  la  mue.  Le  ver  jette  autour  de 
lui  des  fils  de  soie  qu'il  attache,  comme  supports, 
aux  objets  voisins,  et,  appuyé  sur  ces  fils,  il  sort 
de  son  ancienne  peau,  qui  se  fend  au  milieu  du 
dos.  Au  premier  âge,  le  ver  à  soie  est  noir, 
poilu,  puis  de  couleur  noisette  au  moment  où  va 
s'effectuer  la  première  mue;  il  faut  alors  .3  kilog.  et 
demi  de  feuilles  par  once  de  graine  (30  grammes). 
Lors  du  deuxième  âge,  le  ver  est  presque  glabre, 
d'un  cendré  foncé,  à  anneaux  apparents;  il  devient 
bientôt  d'un  gris  clair  et  enfin  d'un  blanc  jaunâtre, 
avec  apparition  des  croissants  sur  les  second  et 
cinquième  anneaux  de  l'abdomen.  Il  consomme 
alors  plus  de  10  kil.  de  feuilles  par  once  de 
graines.  Le  ver  est  sans  aucune  villosité  dans  le 
troisième  âge,  d'un  blanc  terne  allant  en  s'éclair- 
cissant,  la  tête  rousse  ;  quelques-uns,  qu'on  nomme 
moricaud'i  ou  bowhards  et  qui  constituent  une 
race  robuste,  restent  toujours  bruns  ou  noirâtres; 
il  faut  alors  35  kil.  ne  feuilles.  Au  quatrième  âge 
il  est  nécessaire  d'opérer  le  dédoublement,  pour 


VERS  A  SOIE 


—  2207  — 


VERS   A  SOIE 


donner  aux  vers  uno  plus  grande  surfaco.  La 
nourriluro  exige  KlU  kil.  de  fouilles,  en  tout,  jus- 
qu'ici environ  IfiOlcil.  Le  cinquième  âge  est  celui 
des  maladies  graves  et  subites;  les  vers  ont  alors 
une  très  grande  voracité  et  consomment  plus  de 
G.Mi  kil.  de  feuilles.  Au  septième  jour  de  cet  âge 
leur  faim  est  insatiable;  c  est  la  (/ra'i'fe  frèze  ou 
lii'iffe,  la  furin  des  llalicns.  lui  ce  jour  les  vers 
issus  de  30  grammes  de  graine  consomment  en 
poids  autant  que  quatre  chevaux,  et  le  bruit  de 
leurs  mandibules  et  mâchoires  ressemble  â  celui 
d'une  forte  averse.  A  la  fin  de  cet  âge,  le  ver, 
prêt  à  filer,  va  recompenser  le  travail  et  la  dé- 
pense du  magnanier.  On  reconnaît  la  maturité  ou 
mnntée  aux  caractère?  suivants  :  les  vers  montent 
sur  la  feuille  sans  la'  mordre  et  dressent  la  tête; 
ieur  corps  est  translucide,  de  la  couleur  d'une 
prune  jaune  ou  d'un  raisin  blanc  très  mur;  ils 
cherchent  à  grimper  sur  les  bords  des  claies; 
leurs  anneaux  se  raccourcissent  et  la  peau  de  leur 
cou  se  ride,  leur  corps  devient  mou  comme  une 
pâle;  enfin  la  plupart  des  vers  traînent  après  eux 
un  long  fil  qui  sort  de  leur  filière  buccale. 

A  l'état  sauvage,  le  ver  établissait  son  cocon 
dans  les  branches  mêmes  du  miirier,  en  l'entou- 
rant de  fils  grossiers  entrecroisés,  filés  en  premier, 
servant  de  fils  d'attache  et  qu'on  appelle  /jave.  Do- 
mestique, il  ne  procède  pas  autrement  ;  il  faut  donc 
lui  donner  les  moyens  d'attacher  son  cocon,  cons- 
truire ce  qu'on  nomme  des  e7icahaniii)es{ûg.  S).  On 


le  cocon,  formé  d'un  fil  continu  mais  non  homo" 
gène,  constituant  des  couches  ou  robes  superposées 
pouvant  aller  jusqu'A  six,  selon  laviguoir  et  la  gros- 
seur de  la  chenille  (lig.  -i).  Los  premières  couches 


'.    * 


se  sert  pour  cela,  et  suivant  les  pays,  do  branches 
lie  diverses  bruyères,  de  genêt,  de  petit  houx,  do 
l>uis,  de  liges  de  colza,  de  sarments  de  vigne,  etc.  ; 
ees  rameaux  sont  disposés  h  l'avance  dans  des  tas- 
seaux ou  tringles  do  bois,  afin  de  perdre  le  moins  de 
temps  possible,  l'encabanage  devant  être  très  ra- 
pide ;  car,  dans  une  éducation  bien  conduite,  tous 
1rs  vers  sont  prêts  k  monter  :\  la  fois.  Générale- 
ment on  dispose  les  branches  en  lignes  transver- 
sales sur  les  claies,  Ji  .M)  contim.  de  distance; 
lis  extrémités  pressées  par  la  claie  supérieure 
s  abaissent  et  l'élasticité  produite  maintient  ces 
liiMnches  debout.  On  incline  alors  légèrement  les 
ranches  des  deux  rangées  les  unes  vers  les  autres, 
(II'  sorte  qu'il  se  forme  un  arceau  ou  cnbiine.  Les 
rncabanages  ont  l'inconvénient  de  multiplier  les 
cliances  d'incendie,  d'intercepter  la  circulation  de 
l'air  et  de  faciliter  la  formation  des  cocons  dou- 
bles^ non  dévidables,  ceux  pour  lesquels  deux 
chenilles  s'associent  pour  filer  en  commun.  11  est 
préférable  de  se  servir  des  claii'S  coconnières  Da- 
vril,  formées  de  séries  de  tringles  de  bois  paral- 
lèles, offrant  entre  elles  la  place  d'un  cocon,  mais 
très  difficilement  d'un  cocon  double.  Il  y  en  a  une 
horizontale,  parallèle  k  la  tablette  qui  porto  les 
vers,  et  d'autres  verticales,  tout  autour,  allant  de 
la  litière  à  la  claie  supérieure  horizontale.  Avec 
ces  appareils  le  décoconage  est  prompt,  et  on  voit 
immédiatement  les  vers  morts  et  les  chk/iifs  ou 
cocons  inachevés,  et  on  peut  les  retirer  pour  qu'ils 
ne  salissent  pas  la  soie. 
Après  les  fils  rameux  de  la  bave  d'attache,  vient 


sont  floconneuses,  s'enlèvent  facilement  et  for- 
ment la  bourre,  qui  sera  cardée  avec  les  déchets 
du  filage  ;  puis  vient  la  soie  proprement  dite,  qui 
doit  être  dévidée  sur  Ic^  tour,  et  enfin  un  tissu  in- 
terne, contre  la  chrysalide,  si  serré  qu'il  devient 
une  mince  pellicule  ou  peletle,  qui  finit  par  n'être 
plus  dovidable,  d'autant  plus  tôt  que  l'ouvrière 
est  moins  adroite.  La  longueur  totale  du  fil  du 
cocon  du  ver  h  soie  est  considérable  et  n'est  pas 
inférieure  à  mille  mètres  chez  certaines  races, 
tant  pour  la  partie  dévidable  que  pour  la  partie 
non  dévidable;  il  est  maintenu  accolé  dans  ses 
replis  par  un  grès  naturel,  facile  au  reste  b.  dé- 
creuser, car  il  suffit  de  l'eau  chaude  et  au  plus 
bouillante;  il  est  important  pour  l'industrie  de 
choisir  les  races  qui  donnent,  S  poids  égal,  les 
fils  les  plus  longs  et  les  plus  fins,  pour  avoir 
moins  de  frais  et  de  déchets. 

Le  ver  h  soie  mot  trois  ou  quatre  jours  à  filer 
son  cocon  sans  muer;  seulement  ses  anneaux  se 
resserrent  et  il  se  raccourcit  beaucoup,  outre  la 
perte  de  poids  qu'il  subit  à  mesure  que  se  vident 
SCS  glandes  séricigènes.  En  outre  il  faut  deux  ou 
trois  jours  pour  la  transformation  en  chrysalide 
(cinquième  mue)  ou  lo  passage  au  sixième  âge.  Les 
sexes  existent  déjà  dans  les  chrysalides,  développés 
et  non  rudimentaires  comme  dans  les  chenilles.  Une 
fois  les  chrysalides  formées,  on  opère  le  dévamage 
ou  décoconage,  c'est-à-dire  on  retire  les  cocons 
des  encabanages  ou  des  claies  cocomiières.  On  a 
d'abord  grand  soin  d'enlever  les  vers  morts  et 
putréfiés,  qui  tacheraient  la  soie  des  cocons.  Puis 
on  procède  au  triage  des  cocons,  car  il  en  est  qui 
ne  peuvent  être  filés,  et  doivent  être  réunis  aux 
Irisons,  aux  bourres  et  aux  pelettes  et  subir  le 
cardage.  Tels  sont  les  cocons  satiné^,  dont  la  sur- 
face, d'un  grain  lâche  et  inégal,  paraîtboursoufflée  ; 
les  cocons  qui  contiennent  des  vers  muscardinés 
et  desséchés,  ce  qui  les  rend  trop  légers,  de  ma- 
nière à  remonter  à  la  bassine  jusqu'à  la  filière  et 
à  faire  casser  le  fil  ;  les  cocons  percés  ou  vitrés, 
c'est-h-dire  naturellement  ouverts  h  l'un  des  bouts 
ou  pointus  et  très  faibles  en  soie;  les  chiques,  qui 
ne  sont  formées  que  d'une  mince  couche  de  soie, 
à  la  façon  des  cocons  de  certains  de  nos  Boniby- 
ciens  indigènes  ;  les  cocons  doubles,  les  cocons 
très  petits  et  difformes,  etc.  Après  le  décoconage 
on  procède  au  débourrugc,  qui  se  fait  mieux  avec 
les  doigts  qu'avec  des  machines.  Quand  on  vend 
les  cocons,  il  faut  vendre  le  plus  tût  possible 
après  le  déramage,  car  l'éclosion  d'un  seul 
papillon  détournerait  l'acheteur,  qui  pourrait,  à 
bon  droit,  croire  à  l'existence  de  beaucoup 
de  cocons    percés.    On    ne    peut   vendre    après 


VERS  A  SOIE 


—  2298 


VERS  A  SOIE 


l'etoufifage,  vu  la  prompte  dessiccation  dos  chrysa- 
lides tuées  et  la  perte  de  poids  qui  est  des  plus 
variables.  Les  cocons  perdent  aussi  de  leur  poids 
avant  l'étouffage,  par  suite  de  lëvaporation  des 
chrysalides  vivantes,  que  le  cocon  n'empêche  pas 
complètement.  Le  meilleur  moyen  pour  Vétouffiiqe 
des  chrysalides,  avec  la  moindre  altération  possi- 
ble de  la  soie,  est  un  courant  d'air  chaud,  alimenté 
au  moyen  d'un  poêle  ou  du  calorifère  de  la  ma- 
gnanerie (procédé  Camille  Beauvais).  Avant  de 
cesser  l'air  chaud,  on  essaie  sur  des  chrysalides 
rerroidies  si  la  mort  a  eu  lieu. 

Le  dévidage  des  cocons  se  fait  au  moyen  d'eau 
chaude,  qui  ramollit  sans  l'enlever  la  matière 
gommeuse  collant  le  fil.  Autrefois  chaque  fileuse 
avait  devant  elle  une  bassine  de  cuivre,  large  et 
peu  profonde,  établie  sur  un  fourneau.  En  1S0.S 
on  substitua  h  cet  outillage  isolé  l'appareil  Gen- 
seul,  qui  amène  dans  les  bassines  la  vapeur  d'eau 
à  haute  pression,  à  volonté,  au  moyen  de  robinets. 
Pour  chercher  les  bouts  de  soie  des  cocons,  on  se 
sert  de  petits  balais  de  bruyère,  avec  lesquels 
on  bat  les  cocons  jusqu'à  ce  que  les  brins  de  fils 
s'y  accrochent.  Ce  battage  est  une  opération  fort 
délicate  et  qui  exige  une  main  très  exercée 
pour  accrocher  les  cocons  sans  les  percer.  On 
commence  par  faire  la  purge  des  cocons,  c'est-à- 
dire  enlever  d'abord  les  fils  multiples  et  les  bou- 
chons. La  fileuse  reçoit  dans  sa  main  gauche 
tous  ces  fils,  dits  frisons,  et  qui  seront  cardés 
avec  la  bourre  ou  première  veste  des  cocons.  On 
arrive  ainsi  ;\  n'avoir  plus  qu'un  seul  fil  par  co- 
con. 11  serait  difficile,  presqu'impossible.  de  filer 
en  grand  les  cocons  un  par  un,  et  d'ailleurs  la 
soie  serait  trop  fine.  Il  faut  réunir  les  fils  de  plu- 
sieurs cocons  pour  en  former  un  brin  unique,  en 
profitant  de  ce  qu'ils  conservent  encore  une  par- 
tie, de  leur  grès  naturel.  C'est  pourquoi  la  fileuse 
les  fait  converger  vers  un  orifice  unique  de  réu- 
nion, dit  filière.  L'industrie  imite  ici  ce  qui  se 
passe  dans  la  nature  où  chaque  fil  de  la  chenille 
résulte  de  l'accolement  dans  la  filière  buccale  de 
deux  fils,  un  pour  chaque  glande  séricigèno.  Les 
filières  sont  des  spatules  en  verre,  en  agate,  et 
surtout  en  fer,  percées  de  trous  à  la  partie  large 
et  fixées  par  l'autre  bout  au-dessus  de  la  bassine. 
•Le  nombre  de  fils  de  cocon,  qu'on  associe  dans 
un  mciue  trou  de  la  filière,  varie,  selon  l'usage 
futur,  de  .3  à  1(1,  lî,  lô,  etc.,  et  même  plus, 
ainsi  jusqu'à  'M  pour  faire  les  fils  de  soie  des 
grosses  cordes  de  contrebasse.  Les  fils  se  collent 
ensemble  dans  la  filière,  car  l'eau  chaude  n'a 
fait  que  ramollir  leur  matière  glutineuse;  mais 
ce  rapprochement  en  un  seul  point  à  la  fois, 
dans  un  instant  très  court,  serait  insuffisant 
pour  donner  un  fil  unique  bien  homogène  et  ar- 
rondi également  partout.  On  a  imagine  alors  de 
filer  deux  fils  composés  à  la  fois,  chaque  bassine 
portant  deux  filières,  puis  de  les  tordre  ou  croi- 
ser ensemble  un  certain  nombre  de  fois,  de  ma- 
nière à  les  bien  accoler,  non  snr  un  seul  point  à 
la  fois,  mais  sur  une  certaine  longueur;  c'est  ce 
qu'on  appelle  faire  une  croisade  ou  encrnisioe. 
Les  deux  fils,  écartes  au  départ,  puis  croisés, 
puis  écartes  de  nouveau  pour  se  rendre  au  dévi- 
doir, où  ils  formeront  deux  écheveaux  séparés,  ont 
la  forme  d'un  X.  Jusqu'à  Vaucanson,  les  fileuses 
croisaient  à  la  main,  en  tordant  les  deux  brins 
avec  les  doigts;  on  a  maintenant  des  croiseurs 
qui  opèrent  une  torsion  commune,  régulière  et 
déterminée.  Les  deux  fils,  après  la  croisade,  sont 
reçus  en  deux  écheveaux  sur  les  '<)•««  ou  Inmes  de 
Yasjde  ou  dévidoir,  mis  en  rotation  par  une  force 
motrice  convenable.  On  obtient  ainsi  des  flottes 
de  soie  grège,  à  3,  8,  10  brins  et  plus. 

Le  degré  de  finesse  de  la  soie  constitue  son 
titre.  Pour  l'obtenir  on  pèse  au  irébuchet  un  pe- 
tit écheveau  de  500  mètres  de  longueur,  obtenu 


snr  un  dévidoir  spécial,  et,  selon  le  poids,  on 
aura  de  la  soie  au  titre  de  ôSO,  7:10, 85.S  milligram- 
mes, etc.  Le  titre  sert  aussi  à  s'assurer,  quand 
il  ne  varie  que  peu  sur  divers  écheveaux,  de  la 
régularité  de  la  filature.  Comme  la  soie  est  très 
hygrométrique,  et  que  son  poids  peut  varier  jus- 
qu'à \1  p.  100  par  des  additions  d'eau,  ce  qui 
permettrait  des  fraudes,  on  nomme  conditionne- 
meiit  des  soies  l'opération  qui  les  ramène  toutes 
à  la  même  dessiccation  ;  cette  garantie,  sans  la- 
quelle le  commerce  ne  les  achète  pas,  se  fait, 
dans  diverses  villes  de  grande  industrie  séricicole, 
dans  des  établissements  autorisés  à  cet  effet  et 
qui  perçoivent  une  taxe.  Enfin  on  mesure,  dans  tes 
mêmes  ét.iblissements  en  général,  la  ténacité  du  fil 
de  soie  grège  au  moyen  du  sérimèlre  de  Froment, 
instrument  fondé  sur  le  principe  de  toutes  les 
mesures  de  ténacité,  en  déterminant  le  poids  qui, 
sous  une  longueur  donnée,  produit  la  rupture 
du  fil  fixé  par  une  extrémité.  On  a  pu  reconnaî- 
tre ainsi  que  la  soie  de  certaines  races  du  ver  à 
soie  du  mûrier  est  la  plus  tenace  de  toutes,  l'em- 
portant même  sur  la  soie  de  divers  Attaciens, 
qui  est  plus  grosse  et  semble  plus  forte  à  l'as- 
pect. La  routine  a  conservé,  dans  les  filatures  de 
soie  grège,  une  vieille  mesure  de  poids,  le  denier, 
qui  équivaut  à  0'',li5:i.  Les  flottes  actuelles  d'es- 
sai de  titrage  sont  de  50»  mètres;  anciennement 
elles  étaient  de  476  mètres.  Supposons  une  soie 
fine,  où  .iOi)  mètres  de  fil  pèsent  4'',70  ;  elle  vaut  en 
deniers  8,84,  et  ce  titre  éclaire  le  moulineur  et 
le  tisseur,  selon  l'emploi  qu'ils  veulent  fairg  de 
la  soie.  Nos  anciennes  soies  des  Cévennes  avaient 
Il   à  12  deniers  comme  litres  les   plus  courants. 

La  soie  grège  des  flottes  est  soumise  au  mou- 
Iniage  ou  à  Vouvraison,  qui  la  convertit  en  soie 
ouvrée.  La  première  opération  du  monlinage  est  un 
dévidage  des  écheveaux  des  flottes  sur  des  bobines 
appelées  )oy»efs,  avec  purge  des  nœuds  de  rattache 
mal  faits,  des  bouchons,  des  mariages,  dus  à  une 
rupture  après  croisade  d'un  fil  qui  se  jette  sur  le 
voisin.  Puis  on  fait  le  fil  dit  organsin,  à  deux 
brins  tordus  en  sens  inverse,  servant  à  faire 
la  chaîne  des  tissus  de  .soie,  et  le  fil  dit  tranie 
douhie,  à  deux  brins  tordus  de  même  sens,  ser- 
vant à  faire  leur  trame.  On  enlève  ensuite  par  le 
décreusage  la  matière  glutineuse  de  la  soie,  qui 
avait  permis  la  croisade  des  soies  grèges.  Ce  dé- 
creusage se  fait  au  moyen  de  bains  d'eau  de  sa- 
von à  80"  cent.  ;  puis  vient  la  cuite,  qui  consiste 
à  plonger  les  écheveaux  décreusés  dans  des  sa- 
chets de  toile  maintenus  dans  un  bain  d'eau  de 
savon  bouillante.  On  opère  ensuite  le  btauchiment 
de  la  soie  dans  le  soufroir,  au  moyen  de  l'acide 
sulfureux  gazeux  et  non  par  le  chlore,  qui  blan- 
chit la  cellulose  mais  altère  profondément  les 
matières  azotées,  comme  la  soie  et  la  laine. 
On  teint  parfois  les  soies  grèges  ;  mais  le  plus 
souvent,  ce  sont  les  soies  ouvrées  cuites  qui  pas- 
sent au  bain  de  teinture.  Les  cocons  doubles  et 
les  cocons  percés  ou  cocons  do  grainage,  donnent 
par  le  cardage  un  fil  dit  galette.  Lo  fil  tiré  de  la 
galette,  savonné  et  cuit,  est  appelé  fitosellc.  Les 
bourres  ou  bavettes,  les  frisons  ou  déchets  du  dé- 
vidage en  soie  grège,  les  bassinais  ou  cocons 
tombés  au  fond  de  la  bassine,  sont  ensuite  cardés 
tous  ensemble  et  donnent  le  fleuret  ou  chappe, 
et  le  fil  qui  en  est  tiré,  savonné  et  cuit,  est  la 
fautaine.  La  fantaisie  et  la  filoselle  servent  sou- 
vent de  trame  aux  tissus  de  soie  pour  les  qualités 
à  bon  marché. 

Les  plus  beaux  cocons  de  la  magnanerie  sont 
d'habitude  mis  à  part,  selon  la  lui  générale  de  la 
sélection  en  agriculture,  pour  donner  les  papil- 
lons reproducteurs  réservés  pour  le  grainage  ou 
production  des  œufs  destinés  à  l'année  suivante. 
Le  septième  âge,  qui  s'accomplit  après  la  sixième 
mue  ou  sortie  du  papillou  hors  de  la  chrysalide, 


VERS  A   SOIE 


2299  — 


VERS  A  SOIE 


est  Vific  adultfi  ou  flo  reproduction  du  ver  il  soie. 
Cctti'  éclosion  se  fait  de  quinze  à  vingt  jours 
après  In  confection  du  cocon.  Dans  les  cocons 
en  nasses  ou  naturellement  ouverts  h  un  bout, 
commn  celui  de  noire  Grand  Paon  de  nuit  {Alla- 
CKn  pii'i.  I.inn.),  c'est  toujours  par  cette  ouverture 
prédisposée  que  sort  l'adulte.  Dans  les  cocons 
fernios  aux  denx  pôles,  comme  celui  du  ver  h  soie 
du  mûrier  rt.  de  divers  Attaricns,  il  y  a,  à  la  tôte 
de  la  chrysalide,  un  réservoir  parlictilier  de  sé- 
crétion, driDuvcrt  par  Gtiérin-MénevilK',  servant 
»u  papillon  b.  ramollir  et  à  écarter  les  lils  d'un  des 
bouts,  de  façon  qu'il  n'a  plus  qu'à  pousser  avec 
sa  léte  pour  sortir,  i  la  manicro  d'un  enfant  qui 
passe  h  travers  une  liaie.  C'est  à  tort  qu'on  a  cru 
le  fil  du  cocon  coupé  au  bout  de  sortie,  car  le  pa- 
pillon îi  bouche  rndimentaire  ne  possède  aucun 
organe  de  .«^ection.  En  filant  h  la  main  et  avec 
précaution  le  coton  mouillé,  on  voit  que  le  fil  est 
resté  continu,  mais  affaibli  et  cassant  au  bout 
qui  a  subi  l'action  décreusante  d\i  lic|uide  de  la 
cbrysalide.  On  ne  peut  filer  industrielleiiiont  ces 
cocons  percés,  (|ui  se  remplissent  d'eau  et  tom- 
bent )iu  fond  de  la  bassine,  comme  les  cocons  vi- 
trés. On  peut  filer  à  la  bassine  les  cocons  percés, 
avec  de  fréquentes  rattaches  du  fil,  en  les  main- 
tenant dans  la  couche  d'eau  superficielle  au  moyen 
d'un  treillis  métallique  intérieur  /procédé  Cbris- 
liaii  Le  Dnuxi.  En  général,  les  cocons  mâles  sont 
moyens  et  étranglés  au  milieu,  les  cocons  femel- 
les sont  plus  gros,  plus  renflés,  plus  arrondis 
aux  extrémités.  On  dépose  les  cocons  de  grainage 
dans  une  cbambte,  entre  31"  et  -M"  cent.,  en 
ayant  soin  de  les  fixer  par  un  fil  commun,  en 
sorte  que  le  pipillon  ne  puisse  les  entiainer  en 
sortant  On  rnnstnue  ainsi  des  chapelets  de  co- 
cons ou  pliinr^  (  I  st  b  matin,  de  cinq  heures 
ii  huit  lituies, comme  les  œufs,  qu  eclosent  les  pa- 
pillons (fi^  ,)).  On  a  soin  d  établir  alors  l'obscurité, 


car  la  lumière  les  blesse  et  ils  se  fatiguent  en 
cherchant  à  l'éviter.  On  met  les  mâles  h.  part 
dans  une  boîte,  assez  loin  des  femelles,  de  pour 
qu'excités  par  l'odeur  de  celles-ci  ils  ne  s'agitent 
et  perdent  leurs  forces.  En  outre,  il  f.iut  empô 
cher  les  accouplements  prématurés,  afin  que  les 
papillons  aient  le  temps  de  rejeter  le  méconium 
nymphal,  accumulé  dans  le  cœcum,  tout  le  reste 
du  tube  digestif  do  la  chenille  étant  devenu  rn- 
dimentaire ;  si  le  papillon  est  bien  portant,  ce 
méconium  est  un  liquide  urique,  de  couleur  jaune- 
nankin.  On  fait  ensuite  accoupler,  en  rejetant 
tous  les  sujets  faibles  ou  à  ailes  avortées.  Les 
mâles,  en  agitant  les  ailes,  tournent  autour  des 
femelles,  qui  ne  font  que  peu  de  mouvements. 
La  majorité  des  éducateurs  ne  laissent  pas  lesac- 
couplements  se  prolonger  au  delà  de  six  heures; 
alors  on  dépnpillonyie,  en  séparant  les  sujets; 
'd'autres  laissent  les  accouplements  se  terminer 
d'eux-mêmes.  On  fait  pondre  les  femelles  fé- 
condées sur  des  cartons  ou  sur  des  toiles.  Les 
œufs,  d'abord  d'un  jaune  tendre,  passent  en  huit 
ou  dix  jours  au  jonquille,  puis  au  gris-roussâtre, 
enfin  au  gris  d'ardoise,  avec  une  légère  dépres- 
sion au  centre.  Les  œufs  stériles  sont  pondus 
comme  les  teufs  féconds,  mais  restent  longtemps 


jaunes,  et  finissent  par  s'obscurcir  et  se  dessé- 
cher. On  conserve  les  toiles  ou  les  cartons  h  œufs 
dans  des  filets  suspendus  dans  un  lieu  où  la 
température  n'est  au  plus  que  de  12»  à  14°.  Au 
printemps,  quand  la  température  commeiice  à 
s'élever,  on  portera,  comme  nous  l'avons  dit,  les 
œufs  à  la  cave  ou  k  la  glacière,  de  peur  d'éclosions 
prématurées,  avant  que  la  feuille  de  mûrier  ne 
soit  en  quantité  suffisante  et   certaine. 

Dans  tout  ce  qui  précède  nous  avons  supposé 
que  l'éducation  du  ver  à  soie  s'est  accomplie  dans 
les  conditions  normales  ;  mais  un  animal  aussi 
complètement  dnirirsiMiné  est  assnjotil  par  cela 
mémo  b  de  ■^<-::\r.  .;  li-.|iiriitrs  niala.lies,  pre- 
nant même  les  for s  epidriiiiques  les  plus  tena- 
ces et  les  plus  redoutables,  au  point  de  compro- 
mettre la  production  dans  un  pays  donné,  peut- 
ôlre  même  d'anéantir  la  race,  comme  cela  arrive 
en  Europe  depuis  une  trentaine  d'années. 

Nous  laisserons  à  part  ries  maladies  ]iroprcment 
dites  un  accident  très  redouté  an  moment  de  la 
montée,  et  qu'on  appelle  touffe.  Quand  un  orage, 
un  vent  très  chaud,  rendent  l'air  du  dehors  plus 
chaud  et  moins  dense  que  celui  de  l'atelier,  ce 
dernier  ne  peut  sortir,  et  le  ver,  subitement  em- 
poisonné par  les  miasmes  putrides  des  litières, 
tombe  de  la  feuille  ou  des  encabanages,  h  la  façon 
d'un  animal  vertébré  supérieur  frappé  de  conges- 
tion subite.  Cet  acculent  préoccupe  fortement  les 
magnaniers  h  la  fin  des  éducations  et  fait  perdre 
des  chambrées  entières.  11  oblige  à  ne  pas  trop 
retarder  les  éducations  et  à  les  terminer  avant  la 
saison  des  fortes  clialeurs  et  des  orages.  Le  re- 
mède est  de  ventiler  à  tout  prix,  en  ouvrant  les 
trappes,  en  allumant  des  feux  aux  orifices  supé- 
rieurs de  la  magnanerie  ou  h  une  puissante  che- 
minée d'appel  ;  ou  bien  on  jette  de  l'eau  dans 
l'atelier,  ce  qui  abaisse  rapidement  la  température 
par  le  froid  dii.à  l'évaporation. 

D'après  M.  Pasteur,  les  maladies  du  ver  k  soie 
se  ramènent  à  quatre  entités  morbides  :  la  gras- 
serie,  la  muscardine,  la  maladie  des  corpuscules  et 
la  flacberie.  Les  anciens  auteurs  ont  beaucoup 
augmenté  la  liste  de  ces  maladies,  en  prenant 
pour  des  maladies  spéciales  des  symptômes,  plus 
ou  moins  réguliers  et  constants,  des  quatre  ma- 
ladies principales. 

La  graiserie,  qu'on  nomme  encore  le  gra':,  la 
Jatmisse,  les  xioches,  est  une  infiltration  géné- 
rale de  la  chenille  par  une  graisse  huileuse  et 
jaunâtre.  Ce  mal  est  dû  aux  miasmes  des  li- 
tières et  débute  ordinairement  au  troisième  âge; 
il  est  presque  impossible  que,  dans  les  gran- 
des éducations,  il  n'atteigne  pas  certains  sujets  ; 
mais  il  constitue  rarement  une  épidémie.  On  sé- 
questre les  vers  attaqués  à  l'infirmerie,  et  là,  par- 
fois, on  les  rétablit  parl'aérage.  Nous  rattacherons 
il  cette  affection  d'autres  maladies  également  ac- 
cessoires. Ainsi  le  rumjr.  qui  se  reconnaît  dès  la 
sortie  de  l'œuf  h  une  teinte  rougeâtre  de  la  che- 
nille; cette  maladie  est  due  à  une  incubation  des 
œufs  à  une  trop  forte  chaleur  ou  ii  un  passage 
trop  subit  du  froid  au  chaud.  Dans  le  rouge  et 
la  grasserie,  le  ver  vit  jusqu'à  la  montée,  donne 
des  cocons  très  minces  et  très  faibles,  qu'on  ap- 
pelle des  peaux,  et  ne  se  change  pas  en  chrysa- 
lide. La  luzelte,  luisMe,  ou  clnirène,  se  mani- 
feste en  général  au  cinquième  âge.  Le  ver  devient 
d'un  rouge  clair,  puis  d'un  blanc  sale,  à  corps 
transparent,  raccourci  dans  ses  anneaux,  et  ren- 
dant du  liquide  parla  filière.  Les  chenilles  tiian- 
gent  sans  coconner  et  tapissent  les  litières  d'une 
couche  plate  de  leurs  fils  ;  il  faut  jeter  ces  vers 
tapissiers,  ainsi  qu'on  les  appelle.  En  faisant  ma- 
cérer ces  chenilles  dans  du  vinaigre,  les  ouvrant 
et  étirant  au  dehors  avec  les  doigts  le  liquide  de 
chaque  glande  séricigène,  on  obtient  par  l'action 
siccative  de  l'oxygène  de  l'air  ces  fils  si  résistants 


VERS   A  SOIE 


—  2300  — 


VERS  A  SOIE 


employés  pour  pôclier  à  la  ligne  et  connus  sous 
le  nom  de  fils  de  Florence.  Dans  la  lienierie  ou 
di/senlcrii',  les  excréments  du  ver  à  soie  ont  l'as- 
pect d'un  liquide  visqueux  lenant  en  suspension 
des  fragments  de  feuilles  non  digérés.  Cet  acci- 
dent, qui  se  produit  surtout  dans  les  années  hu- 
mides et  froides,  est  dû  h  la  feuille  mouillée,  ou 
à  des  feuilles  à  sécrétion  gommeuse  acre. 

Une  maladie  contagieuse,  qui  se  reproduit  par 
intervalles  en  divers  pays  et  qui  était  devenue  une 
épidémie  redoutable  eji  France,  principalement 
de  ISyO  à  1837,  est  la  muscardine.  ainsi  appelée 
du  nom  de  miiscardi»,  qui  est  en  Provence  celui 
d'une  dragée  blanche  ;  toutefois  cette  épidémie  n'a 
eu  ni  l'extension  ni  la  gravité  des  épidémies  des 
corpuscules,  puis  de  la  flacherie,  qui  lui  succé- 
dèrent à  quelques  années  d'intervalle.  Le  ver 
prend  une  teinte  d'un  jaune  rougeâtre  ou  brunâ- 
tre, offrant  çà  et  là  des  plaques  plus  foncées.  La 
montée  se  produit,  ainsi  que  le  cocon,  et  par 
suite  la  lécolte  de  la  soie  s'effectue  ;  mais  toute 
reproduction  est  arrêtée,  car  l'insecte  reste  ordi- 
nairement dans  le  cocon  à  l'état  de  chenille,  par- 
fois de  chrysalide;  mais  avec  le  corps  durci,  rac- 
corni,  momifié,  ne  pourrissant  pas.  Le  ver,  ainsi 
que  l'a  reconnu  Bassi  en  ls35,  a  été  envahi  par 
un  cryptogame  (Botrytis  liassmna)  développé 
dans  le  tissu  adipeux.  Après  la  mort  de  l'insecte, 
les  filaments  reproducteurs  du  cryptogame  sor- 
tent des  trachées,  se  répandent  au  dehors  parles 
stigmates  et  recouvrent  le  corps  d'une  moisissure 
cotonneuse  ou  farineuse  blanche,  ce  qui,  avec  le 
durcissement,  le  fait  appeler  dragée.  La  muscar- 
dine a  été  étudiée  en  France  par  Audouin,  qui  a 
démontré  son  mode  do  contagion  en  l'inoculant 
par  des  piqûres  à,  des  vers  à  soie  sains,  à  des  che- 
nilles de  divers  papillons,  à  des  larves  do  coléo- 
ptères; et  réciproquement,  la  muscardine  a  été  re- 
portée de  ces  larves  de  diverses  espèces  à  des 
vers  à  soie  sains.  La  muscardine  n'est  pas  une  ma- 
ladie particulière  au  verà  soie,  mais  générale  peut- 
être  à  toute  U  classe  des  insectes,  se  montrant  [ 
spontanément  en  tous  lieux  dans  des  circonstan- 
ces favorables  et  se  transmettant  dans  les  magna-  j 
neries  par  le  vent  qui  transporte  les  sporules  du 
champignon  ;  un  moucheron  peutinoculer  la  mus- 
cardine dans  une  magnanerie  en  volant  sur  les 
vers  d'une  tablette  à  l'autre.  La  connaissance  ' 
exacte  que  nous  avons  aujourd'hui  de  la  niuscar-  i 
dine  et  de  sa  contagion  fait  que  cette  affection 
n'est  plus  à  craindre  à  l'état  épidémique.  En  ef- 
fet, si  elle  est  introduite  par  accident  dans  une 
magnanerie,  elle  ne  fait  pas  perdre  la  dépense  de 
l'année,  puisqu'elle  permet  encore  la  récolte  de 
la  soie.  On  peut  arrêter  avec  certitude  le  retour 
du  mal  pour  l'année  suivante,  eji  détruisant 
comme  il  suit,  tome  trace  des  sporules.  On  passe 
au  chlorure  de  chaux  tout  le  matériel  mobile.  En 
outre,  fermant  bien  toutes  les  issues  de  la  magna- 
nerie, on  y  fait  brûler  le  mélange  qui  servait  à 
donner  l'acide  azotique  dans  l'ancienne  chambre 
de  plomb,  le  feu  blanc  des  artificiers,  formé  de 
deux  parties  de  salpêtre  en  poudre  et  d'une  par- 
tie de  soufre  en  poudre.  Après  l'action  d'un  acide 
aussi  énergique,  la  muscardine  ne  peut  plus  re- 
paraître que  par  une  nouvelle  contagion  venant 
du  dehors,  en  raison  d'une  négligence  et  d'un 
manque  d'information  et  de  surveillance. 

Lue  maladie  plus  grave  a  commencé  à,  sévir  en 
France,  d'une  manière  épidémique  et  d'abord 
par  des  points  isolés,  environ  vers  1840,  ayant  son 
maximum  d'extension  et  d'intensité  de  IS.SO  h 
ISTO  et  gagnant  peui  peu  les  régions  de  l'Europe 
et  (ie  l'Asie  occidentale  où  l'on  s'adressait  pour  le 
grainago,  de  façon  à  ne  laisser  aux  magnaniers 
que  la  ressource  des  graines  de  la  Chine  et  du 
Japon,  La  maladie  des  vers  à  soie  est  due  à  un 
organisme   parasitaire   aperçu    pour  la  première 


foisparGuérin-JIénevilleen  1849  et  que  M.  Pasteur 
a  démontré  en  être  la  cause  par  ses  nombreuses 
expériences  de  1865  et  186fi.  Ce  sont  des  microbes 
du  groupe  des  psorospermies,  qu'on  rencontre  chez 
divers  animaux  ;  ces  corpuscules  se  voient  très 
bien  dans  le  sang  des  vers  malades,  avec  un  gros- 
sissement microscopique  de  250  à  Sno  diamètres, 
sous  la  figure  de  corps  ovalaires  ou  réniformes 
brillants,  translucides,  plus  petits  que  les  héma 
lies  ou  globules  normaux  et  sphéroïdes  du  sang 
des  insectes,  et  bien  distincts  ;  pendant  plusieurs 
années  on  n'admit  aux  éducations  en  chambrées 
que  les  vers  exempts  de  ces  corpuscules,  recon- 
nus à  l'avance  dans  des  petites  éducations  jiréco- 
ces  opérées  en  serres. 

On  comprend  ([ue  ces  psorospermies  du  sang 
qui  causentl'épidémie  se  traduisent  au  dehors  par 
des  caractères  extérieurs,  qui  sont  des  taches  noi- 
râtres sur  les  chenilles,  les  chrysalides  et  les  pa- 
pillons. De  là  l'appellation  àe  pébrine  (maladie  du 
poivre)  donnée  à  la  maladie  psorospermique  par 
.AI.  de  Quatrefages  ;  elle  fut  nommée  gattine  en 
Italie  (de  gattiyio,  jeune  chat),  car,  dans  beaucoup 
de  cas,  le  cadavre  du  ver  se  renverse  sur  la  litière, 
la  partie  antérieure  du  corps  redressée,  la  tète 
presque  retournée  sur  le  dos,  les  crochets  des 
pattes  thoraciques  projetés  en  avant,  comme  un 
jeune  chat  qui  cherche  à  égratigner  ;  en  outre  ce 
cadavre,  au  lieu  de  se  putréfier  rapidement, 
comme  après  la  grasserie  ou  la  flacherie,  se  mo- 
mifie, mais  sans  l'efflorescence  blanche  du  ver 
muscardine.  Les  taches,  d'abord  très  petites,  ap- 
paraissent, à  l'origine  du  mal,  à  la  corne  anale  du 
onzième  anneau  et  entre  les  crochets  de  la  cou- 
ronne des  fausses  pattes  ;  après  la  quatrième 
mue  elles  gagnent  peu  à  peu  le  reste  du 
corps  en  plaques,  en  traînées,  d'abord  jaunâtres, 
puis  brunâtres,  puis  noirâtres.  Les  vers  tachés 
conservent  d'abord  leur  appétit  et  leur  activité  ; 
peu  à  peu  ils  deviennent  paresseux,  expulsent  dif- 
ficilement leurs  crottins,  et  se  traînent  sur  les 
feuilles,  en  resserrant  leurs  pattes  anales,  s'atro- 
phient, se  rident,  se  plissent,  toute  la  peau,  outre 
les  taches,  prenant  une  teinte  jaunâtre  ;  enfin  tout 
le  ver,  dans  une  agonie  très  longue,  devient  im- 
mobile et  insensible.  11  en  est  qui  éprouvent 
néanmoins  les  dernières  trauformations  ;  mais  la 
chrysalide  est  souvent  imparfaitement  formée  ; 
quand  elle  est  complète,  la  peau  a  des  taches 
souvent  saillantes,  parfois  avec  de  larges  plaques 
noires  sur  le  thorax  et  l'extrémité  abdominale 
comme  carbonisée.  E  i  outre  elle  est  faible  et  re- 
mue peu.  On  trouve,  chez  les  papillons,  des  ta- 
ches sur  la  peau,  sur  les  écailles  et  sur  les  mem- 
branes des  ailes,  formant  des  traînées  sur  les 
nervures,  et  parfois,  entre  les  deux  membranes 
de  l'aile,  se  trouvent  des  poches  pleines  d'un  li- 
quide noir,  et  le  méconinm  rejeté  après  l'éclo- 
sion  est  noirâtre.  Les  taches  peuvent  exister  sur 
les  pattes,  atrophier  celles-ci,  ou  l'œil,  ou  l'an- 
tenne. Ces  papillons  sont  massifs,  à  large  abdo- 
men dénudé  par  places,  taché,  les  anneaux  joints 
par  une  peau  nue  et  lâche,  très  distendus  par  un 
liquide;  les  mâles  sont  moins  accablés  par  la  ma- 
ladie que  les  femelles.  Toutefois  l'accouplenuiit 
est  lent,  court  et  pénible  ;  la  ponte  des  œufs  est 
difficile.' 

Les  travaux  de  M.  Pasteur  ont  jeté  une  lumière 
complète  sur  la  maladie  des  corpuscules,  et  il  en 
a  établi  la  contagion,  soit  par  le  contact  des  vers 
pébrinés,  soit  à  distance  par  les  poussières  dos 
inagnaneries  infectées  transportées  par  le  vent 
par  les  ustensiles  non  désinfectés,  par  les  per- 
sonnes allant  d'une  chambrée  à  une  autre.  11  a 
donné  une  méthode  efficace,  dite  du  grainage  cel- 
lulaire, telle  que  les  vers  issus  de  la  graine 
essayée  sont  capables  de  supporter  la  durée  habi- 
tuelle des  éducations,  sans  périr  en  masse  avant 


VERS  A   SOIE 


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VERS   A  SOIE 


de  filci-  leurs  cocons,  la  pébrino,  dont  la  marche 
ost  assez  lento,  ne  pouvant  pins,  par  contagion 
au  contact  ou  h  distance,  atteindre  ces  vers  assez 
jeunes  pour  iiu'ils  no  puissent  monter  à  la  bruyère. 
La  méthode  do  M.  Pasteur  porte  sur  l'examen 
des  femelles  après  la  ponte,  car  les  observations 
anatomiquos  do  M.  Balbiani  expliquent  comment 
un  mile  inTecté  ne  communique  pas  l'infection 
aux  œufs  d'une  femelle  saine  lors  de  l'accouple- 
ment. Cependant,  d'après  les  principes  giinéraux 
de  la  sélection,  il  est  préférable  de  rejeter  la  des- 
cendance d'un  mâle  corpusculeux,  que  son  état 
maladif  expose  à  engendrer  des  produits  affai- 
blir et  prédisposés  aux  contagions.  Il  est  impor- 
tant que  les  instituteurs  sachent  bien  appliquer 
la  méthode  Pasteur,  car  la  maladie  des  corpuscu- 
les, presque  nulle  aujourd'hui,  peut  reparaître,  et 
ils  seront  alors  à  même  de  rendre  les  plus  grands 
services. 

Les  lilanes  de  cocons,  choisis  parmi. les  meil- 
leurs d'une  bonne  chambrée,  sont  disposés  en 
rangées  verticales  dans  une  chambre  peu  éclairée, 
assez  fraîche,  sans  soleil.  La  méihode  est  d'isoler 
les  pontes,  au  lieu  de  les  laisser  réunies  et  pêle- 
mêle  comme  on  le  fait  d'ordinaire,  ce  qui  empêche 
tout  contrôle.  Dans  une  chambre  à  côté,  offrant  les 
mômes  conditions  que  la  précédente,  sont  pendues 
il  des  ficelles  horizontales  desrangoes  de  petits  mor- 
ceaux de  toile  en  rectangle  d'environ  1  décimètre 
de  long  sur  5  centimètres  de  large.  On  prépare 
environ  cent  toiles  par  once  de  graine  de  25  gram- 
mes à  obtenir,  et,  au  bout  de  trois  jours,  la  ponte 
étant  finie,  on  peut  retirer  et  empaqueter  les 
toiles  et  en  mettre  de  nouvelles.  Les  papillons 
ont  été  portés  sur  des  tables  où  ils  s'accouplent  ; 
de  quatre  à  six  heures  du  soir,  on  met  séparé- 
ment tous  les  couples  sur  les  linges;  bientôt  on 
les  désacconple,  et  souvent  on  jette  les  mâles  sans 
examen.  0[i  laisse  la  femelle  opérer  sa  ponte, 
puis  on  l'enferme  dans  un  petit  sac  de  mousse- 
line qu'on  attache  ^  la  toile  de  ponte,  ou  bien  on 
la  place  au  bas  et  dans  un  coin  de  la  toile,  repliée 
et  fermée  avec  une  épingle  ;  le  mâle  est  conservé 
et  mis  à  côté  de  la  femelle,  si  on  veut  un  essai 
plus  complet.  A  loisir,  pendant  tout  l'hiver,  on 
examine  au  microscope,  sous  ïbO  à  300  diamè- 
tres, les  femelles  de  chaque  toile  une  à  une.  On 
broie  l'insecte  dans  un  petit  mortier,  avec  un  peu 
d'eau.  On  prend,  au  bout  d'une  baguette  de  bois 
ou  de  verre,  une  petite  goutte  de  la  bouillie, 
qu'on  place  sur  le  porte-objet  du  microscope,  et, 
au-dessus  d'elle,  une  mince  lame  rectangulaire 
de  mica,  de  manière  à  l'étaler  et  à  rendre  bien 
fixe  son  contenu  sous  le  champ  du  microscope. 
On  compte  le  nombre  de  psorospermies  par  cha- 
que champ,  ou  on  constate  leur  absence,  de  ma- 
nière à  reconnaître  si  le  papillon  femelle  était  cor- 
pusculeux et  à  quel  degré,  ou  entièrement  sain. 

Si  la  proportion  des  papillons  corpusculeux  pris 
au  hasard  reste  inférieure  au  dixième  dans  les 
races  indigènes,  on  peut  employer  la  graine  de 
toute  la  chambrée  pour  une  éducation  suivante, 
en  rejetant  les  pontes  de  tous  les  sujets  chétifs, 
mal  conformés  et  surtout  des  sujels  tachés,  si,  par 
inadvertance,  il  s'en  trouve  dans  les  accouple- 
ments. Quand  la  graine  doit  servir  à  de  petites 
chambrées  pour  des  grainages  ultérieurs,  le  mieux 
est  de  rejeter  les  pontes  de  toute  femelle  corpus- 
culeuse.  On  réunit  toutes  les  bonnes  pontes  en 
les  détachant  des  toiles  par  le  lavage  ;  on  dessè- 
che la  graine  rapidement  à  l'air  et  on  la  conserve 
dans  une  chambre  située  au  nord,  sèche  et  aérée. 
Une  graine  étant  reconnue  saine  ,  il  reste  la 
question  do  la  propager  indéfiniment  exempte  de 
corpuscules,  par  do  petites  éducations  dites  rie 
graincK/e,  très  lucratives  pour  ceux  qui  s'y  livrent 
avec  succès,  auxquelles  sont  aptes  à  un  haut 
degré  les  instituteurs  aidés  par  leur  famille,  et 


qui  sont  destinées  à  alimenter  de  semences  tou- 
jours saines  les  grandes  éducations  di:  l'industrie. 
Il  faut  avoir  soin  do  bien  assainir  les  locaux  où 
se  feront  ces  éducations  do  reprodui  teurs  :  ainsi 
laver  le  parquet  à  plusieurs  eaux,  blanchir  les 
murs  à  la  chaux,  désinfecter  pendant  vingt-qua- 
tre heures,  toutes  ouvertures  closes,  à  l'aide  de 
fragments  de  chlorure  de  chaux  recouvrant  le 
plancher,  aérer  ensuite  la  salle,  badigeonner  les 
agrès  au  sulfate  de  cuivre,  enfin,  dans  le  cours 
de  l'éducation,  enlever  les  poussières  avec  une 
éponije  humide  et  déliter  hors  de  la  magnanerie. 
Ces  précautions  sont  parfaitement  suffisantes 
dans  les  départements  de  petite  culture  du  ver  à 
soie;  mais  il  faut  y  joindre  do  nouvelles  précau- 
tions hygiéniques  dans  les  pays  de  grande  cul- 
ture, où  l'on  est  partout  entouré  d'éducations 
plus  ou  moins  suspectes.  Il  faut  alors  fractionner 
le  plus  possible  les  éducations  do  grainage,  n'é- 
tablir leurs  locaux  qu'à  distance  des  magnaneries 
où  se  font  les  éducations  industrielles,  éviter  de  se 
servir  de  toute  personne  pénétrant  dans  lesdites 
magnaneries,  et,  condition  plus  expresse  que  tout 
le  reste  dans  les  pays  de  grande  culture  séricicole, 
n'employer  que  des  graines  irréprochables,  ob- 
tenues par  la  méthode  du  grainage  cellulaire. 

La  méthode  de  sélection  si  rationnelle,  qui 
restera  un  des  titres  de  gloire  de  M.  Pasteur, 
aurait  depuis  longtemps  rendu  aux  races  indigè- 
nes de  toute  l'Iiurope  leur  ancienne  vigueur  et 
rétabli  la  prospérité  de  la  sériciculture,  si  une 
autre  affection  beaucoup  plus  redoutable,  sans 
préservatif  certain,  n'était  survenue.  Elle  continue 
ses  ravages,  la  maladie  psorospermique  ayant  dis- 
paru ou  à  peu  près,  et  rien  ne  prouve  (|n'on  ne  sera 
pas  vaincu  définitivement  et  réduit  pour  l'indus- 
trie îi  la  production  séricicole  de  rextrônie  Orient. 
Cette  maladie,  anciennement  connue,  confondue 
souvent  avec  d'autres,  surtout  avec  la  pébrine,  a 
été  démontrée  être  une  afl'ection  indépendante 
par  M.  Pasteur,  en  1807,  tant  par  des  essais  pré- 
coces que  par  des  éducations  normales  en  avril 
et  mai.  On  la  nomme  fluchevie,  morts- flats,  morts- 
biaîics,  tripes,  négrone  (à  cause  des  cadavres 
noircis).  Elle  s'accompagne  habituellement  de 
symptômes  qui  avaient  été  pris  pour  des  maladies 
spéciales,  comme  la  meiiuaille,  les  petits,  la  ma- 
Indie  des  petits,  Vatrop/ne.  Les  vers,  tout  en 
continuant  à  manger  et  à  muer,  deviennent  très 
inégaux;  une  partie  se  rabougrit,  garde  de  petites 
dimensions  et  ne  donne  pas  de  cocons  ou  seule- 
ment de  très  chétifs.  Souvent  aussi  les  vers  de- 
viennent arpiiDis,  ou  Iwrpions,  ou  pastis;  ils  sont 
grêles  et  maigres,  tout  en  conservant  leurs  forces 
musculaires,  avec  le  corps  flasque,  vidé  et  comme 
huilé  par  places,  les  déjections  liquides;  ils  s'ac- 
crochent avec  force  par  les  couronnes  de  crochets 
de  leurs  fausses  paties,  raclant  la  peau  de  la 
main  si  on  les  promène  dessus,  se  détachant 
difficilement  des  feuilles  ou  des  brindilles  de 
bruyère  ;  beaucoup  après  la  mort  pondent  renver- 
sés, retenus  par  les  fausses  pattes.  Il  était  très 
rare  do  rencontrer  des  chambrées  industrielles 
décimées  par  la  pébrine  qui  n'offrissent  pas,  en 
même  temps,  des  vers  flats.  Outre  ces  éducations 
mixtes,  il  y  a  des  éducations  exclusivement  attein- 
tes de  pébrine,  d'autres  de  flacherie.  En  lti68,  la 
pébrine  était  encore  la  maladie  la  plus  répandue, 
mais  la  fiacherio  s'y  associait  déjà  en  proportion 
considérable,  dans  nos  départements  de  grande 
culture.  Dans  les  années  suivantes  la  flacherie 
prit  de  plus  en  plus  le  dessus  partout  où  on  éle- 
vait des  vers  à  soie.  Celle  affection  est  d'autant 
plus  cruelle  qu'elle  frappe  le  plus  souvent  les 
chenilles  au  moment  de  la  montée,  alors  que  tou- 
tes les  dépenses  sont  faites  et  que  le  magnanier 
est  en  droit  d'espérer  un  bénéfice  certain.  Soit 
au  moment  de    la  montée,  soit  plus  rarement  à 


VERS  A  SOIE 


2302  — 


VERS  A  SOIE 


une  époque  antérieure,  les  vers  deviennent 
languissants,  immobiles,  ne  mangeant  plus.  La 
mort  arrive  rapide,  foudroyante  môme.  Les  cada- 
vres ont  conservé  la  couleur  normale  qui  con- 
vient à  làge  du  ver  ;  bientôt  ils  deviennent  ardoist-s, 
pourrissent,  prennent  une  couleur  noirâtre  ;i]s  sont 
flasques  et  pareils  à  des  boyaux  vidés,  l'intérieur  de 
leur  corps  s'écoulant  en  une  sanie  brunâtre.  Une 
odeur  aigre,  intense,  due  aux  acides  gras  volatils 
que  dégagent  les  vers  malades,  se  fait  sentir  dans 
la  magnanerie.  Cette  maladie,  ou  du  moins  la  mort 
précédée  et  suivie  de  pareils  symptômes,  se  ren- 
contre assez  souvent  sur  un  grand  nombre  de 
nos  chenilles  indigènes  d'espèces  variées,  soit 
dans  la  nature,  soit  dans  les  éducations  d'ama- 
teurs ;  elle  est  fréquente  dans  les  éducations 
faites  aux  environs  de  Paris  des  vers  k  soie  du 
cbêne  de  la  Chine  et  du  Japon. 

De  même  que  le  précédent,  ce  second  fléau 
de  la  sériciculture  s'accompagne  de  désordres 
internes.  Les  fonctions  digestives  subissent  une 
altération  profonde,  attestée  par  diverses  pro- 
ductions insolites  que  le  microscope  constate  dans 
les  matières  qui  remplissent  le  canal  intestinal 
des  vers  morts-flats.  Ce  sont  principalement  d'une 
part  des  vibrions  (analogues  aux  anguillules  du 
vinaigre,  de  la  colle  d'amidon  aigrie,  etc.),  d'au- 
tre part  un  ferment  en  chapelets  flexibles,  for- 
més d'un  nombre  variable  de  grains  sphéroïdes, 
chacun  d'environ  un  millième  de  millimètre,  et 
très  analogue  aux  ferments  organisés  de  certaines 
fermentations,  notamment  de  la  fermentation 
acétique  (mère  du  vinaigre).  La  flacherie  est  donc 
une  maladie  de  l'appareil  digestif,  le  ver  ne  digé- 
rant plus,  car  ce  sont  précisément  les  mêmes 
organismes  qu'on  retrouve  dans  la  décoiuposition 
des  feuilles  de  mûrier  triturées  et  abandonnées  à 
elles-mêmes.  La  présence  des  vibrions  dans  les 
matières  du  tube  digestif  est  le  signe  d'un  état 
avancé  de  la  flacherie  et  s'observe  surtout  sur 
les  vers  après  la  quatrième  mue  ou  h  la  bruyère, 
trop  malades  pour  faire  leurs  cocons.  Le  ferment 
en  chapelets  de  grains  correspond  à  un  état  bien 
moins  grave  de  l'affection;  quand  il  ne  s'est  dé- 
veloppé que  dans  les  derniers  jours  do  la  che- 
nille, il  permet  la  filature  du  cocon,  la  nymphose 
et  l'éclosion  du  papillon;  la  récolte  industrielle 
reste  bonne,  mais  le  grainage  est  très  compromis, 
car  il  donnera  une  race  affaiblie,  très  prédisposée 
à  la  contagion.  Ce  ferment  détermine  dans  le 
tube  digestif  des  vers  une  fermentation  de  la 
feuille  ingérée,  d'où  résultent  le  man(|ue  d'appé- 
tit, l'immobilité,  la  lenteur  il  filer.  Quand  ces 
symptômes  se  sont  montrés  à  la  fin  d'une  éduca- 
tion, quelle  que  soit  d'ailleurs  sa  réussite  en 
cocons,  il  y  aurait  une  grande  imprudence  k  faire 
grainer  les  papillons;  l'année  suivante  la  flacherie 
décimerait  la  chaïubrée.  Quand  on  a  eu  la  négli- 
gence de  ne  pas  observer  ses  vers,  surtout  dans 
les  derniers  jours  de  leur  vie,  ce  que  doit  toujours 
faire  un  magnanier  intelligent,  on  quand  on  reçoit 
des  cocons  sans  renseignement,  il  faut  étudier 
au  microscope  le  tube  digestif  dos  chrysalides, 
notamment  l'estomac  et  la  poche  caecale,  et  voir 
si  les  matières  internes  offrent  les  chapelets  de 
grains  ou  les  vibrions.  On  peut  se  contenter  du 
caractère  suivant,  si  on  n'a  pas  une  habitude  suf- 
fisante du  maniement  du  microscope  :  les  ma- 
tières des  poches  cœcalos  des  chrysalides  malades 
sont  abondantes  et  d'une  teinte  verdâtre  foncée; 
le  méconium  des  papillons,  au  lieu  d'être  d'un 
jaune  pU;s  ou  moins  orangé,  est  d'un  gris  ou  d'un 
brun  noirâtre,  et  tache  fortement  les  linges  de 
grainage.  On  peut  encore,  quand  on  veut  se  pré- 
cautionner contre  la  flacherie  dans  une  éducation 
de  grainage,  observer  si  les  vers  n'ont  pas  exté- 
rieurement une  peau  rosée,  au  lieu  de  la  teinte 
blafarde  de  l'état  normal. 


Les  recherches  directes  de  M.  Pasteur,  ou  les 
travaux  accomplis  sous  son  influence  par  diverses 
personnes,  ont  déterminé  exactement  les  causes 
variées  de  la  flacherie.  Klle  est  très  souvent  acci- 
dentelle. En  effet,  elle  provient  d'un  trouble  de  la 
digestion,  sous  l'influence  du  frment  dans  la 
feuille  ingérée.  D'après  cela  elle  peut  avoir  pour 
cause  orcasionnelle  une  trop  grande  accuiuulation 
des  vers  aux  divers  âges  de  l'insecte,  une  trop 
forte  chaleur  lors  des  mues,  la  suppression  de  la 
transpiration,  le  manque  d'aérage,  l'emploi  d'une 
feuille  échaufi'ée  ou  trop  dure,  ou  mouillée  par  le 
brouillard,  il  y  a  avantage  à  accélérer  les  éduca- 
tions, afin  d'avoir  toujours  une  feuille  plus  jeune 
et  plus  digestive:  cela  concorde  en  outre  avec  ce 
fait  important  observé  par  M.  Raulin,  que  la  fla- 
cherie sévit  snrtout  vers  le  15  juin,  de  sorto  qu'il 
importe,  avec  l'épidémie  actuelle,  de  commencer 
les  élevages  le  plus  tôt  possible  et  de  les  mener 
rapidement,  en  élevant  au  besoin  la  température, 
afin  d'être  à  la  montée  à  la  fin  de  mai.  Il  est  bon 
également  de  glacer  les  œufs  pendant  l'hiver:  on 
fortifie  ainsi  les  races  et  on  les  rend  moins  acces- 
bles  à  la  flacherie  par  ses  diverses  causes  ;  c'est  là 
un  fait  général  bien  constaté,  notamment  après 
le  rigoureux  hiver  de  1879-1880.  Loin  de  tuer  les 
insectes,  le  froid  les  fortifie.  La  flacherie  peut 
se  transmettre  par  l'hérédité;  des  graines  de 
parents  aft'aiblis  par  un  commencement  de  fla- 
cherie, rigoureusement  exemptes  de  corpuscules 
par  le  procédé  du  grainage  cellulaire,  conduisent 
à  des  chambrées  entièrement  envahies  par  la  fla- 
cherie. au  point  de  ne  pas  donner,  le  plus  souvent, 
un  seul  cocon.  Comme  la  flacherie  est  toujours 
reconnaissable  k  l'aspect  extérieur  des  vers,  une 
petite  éducation  d'essai  bien  surveillée  indiquera 
avec  certitude  si  on  doit  livrer  tous  les  cocons  à  la 
filature,  ou  si  on  peut  se  servir  de  certains  d'entre 
eux  pour  grainer.  Enfin  la  flacherie  est  conta- 
gieuse d'un  grand  nombre  de  manières.  On  a  pu 
coiilagionner,  d'une  façon  très  variée,  des  vers  à 
soie  reconnus  exempts  de  pébrine  et  de  flachc-rie 
héréditaire  :  ainsi  en  répandant  sur  les  feuilles, 
à  l'état  sec  ou  en  suspension  dans  l'eau,  la  pous- 
sière d'une  magnanerie  infectée  de  flacherie  l'an- 
née précédente,  en  mettant  sur  les  feuilles  la 
matière  pleine  de  vibrions  retirée  du  tube  digestif 
de  chenilles  en  flacherie,  des  fragments  de  vers 
flats  délayés  dans  l'eau,  des  feuilles  de  mûrier 
fermentées  et  remplies  de  vibrions.  Le  ferment 
en  chapelets  de  grains  retiré  du  canal  intestinal 
provoque  au<si  la  maladie,  et  de  même  le  contact 
de  vers  malades  au  milieu  de  vers  sains.  La  con- 
tagion est  encore  plus  facile  pour  la  flacherie  que 
pour  la  pebrine,  car  les  corpuscules  ou  germes 
de  la  pébrine  meurent  ou  deviennent  inoffensifs 
dans  un  temps  assez  court,  tandis  que  les  germes 
de  la  flacherie  conservent  leur  activité  pendant 
des  années.  La  poussière  des  magnaneries  infec- 
tées est  en  effet  remplie  de  vibrions  enkystés, 
qui  reprennent  vie  quand  ils  sont  humectés. 

■Vers  à  soie  auxiliaires.  —  En  présence  des 
épidémies  redoutables  c|ui  sévissent  sur  le  ver  à 
soie  du  mûrier,  on  a  dû  chercher  si  d'autres  es- 
pèces ne  pourraient  pas  fournir  à  l'industrie  des 
mitières  textiles  analogues  En  outre  le  mûrier 
n'a  pas  d'autre  usage  que  le  ver  à  soie,  car  ou 
l'arrache  lorsque  son  insecte  disparaît  d'un  pays  ; 
il  y  a  donc  des  avantages  k  transformer  en  soie 
les  feuilles  de  certains  végétaux,  qui  nous  sont 
très  utiles  sous  d'autres  rapports,  de  sorte  que 
l'industrie  do  la  soie  sera  comme  un  nouvel  ap- 
point de  leur  culture.  Les  deux  mondes  nous 
offrent  d'assez  nombreuses  espèces  de  papillons, 
qui  seront,  au  besoin,  comme  les  succédanés  du 
Séricaire  du  niùrior  ;  elles  appartiennent  princi- 
palement aux  Attaciens  (du  grand  genre  Attncus 
de  Linné),  dont  les  types  français  sont  nos  deux 


VERS  A  SOIE 


—  2303  — 


VERS   A  SOIE 


P.iniis  (](!  nuit,  caractérises  esseiitiullomcnt  par  une 
ia<'i]i^  vitri'e,  do  forme  variable,  à  pou  près  au  con- 
trit de  cliaiiue  aile,  et  par  des  clienilles  munies  do 
tuberciilps  portant  des  poils.  On  a  utilisé  aussi, 
à  Madatfa'icar,  au  Mexir]ue,  la  soie  de  quel- 
qnos  IJonibyciens  proprement  dits.  Nous  présen- 
iiM-nns  quelques  indications  sommaires  sur  les  es- 
|H'ces  dont  l'introduction  en  Europe  est  déjà 
ai'(|uise  ou  donne  dos  espérances  sérieuses. 

i.o  continent  asiatique  est  de  beaucoup  le  plus 
important  sous  le  rapport  de  ces  auxiliaires.  11 
"llri"  d'abord  trois  espèces,  de  soie  un  peu  moins 
biMle  que  crlle  du  ver  h  soie  du  mûrier,  présentant 
cnmme  lui  des  cocons  formés  aux  deux  bouts  et 
dévidables  en  soie  grf^ge.  Ce  sont  les  Vers  ù  soie 
itii  c/iéne  de  l'Inde,  de  la  Chine  et  du  Japon.  Ils 
sont  élevés  dans  leurs  pays  d'origine  dans  des 
I  ducations  .'i  l'air  libre  et  surveillées,  autour  des 
maisons  d'habitation,  et,  en  outre,  on  récolte  les 
cocons  sauvages  dans  les  bois.  La  soie  de  ces  es- 
pèces est  d'un  usage  considérable  sur  place,  et 
sert  soit  si'ule,  soit  mêlée  à  d'autres  matières  tex- 
tiles, h  faire  les  vêtements  des  classes  populaires. 
Depuis  longtemps  les  tissus  de  ces  soies  parvien- 
nent en  Europe  par  la  voie  du  commerce,  et,  en 
général,  on  a  méconnu  leur  origine.  Le  ver  à  soie 
du  chêne  de  llnde  est  élevé  sur  les  jujubiers 
dans  les  parties  chaudes  de  cette  vaste  région, 
comme  le  Bengale,  et  sur  le  chêne  dans  les  ré- 
gions montagneuses  du  nord;  la  soie  est  grisâtre 
et  provient  d'un  gros  cocon  fortement  incrusté, 
aitaché  aux  branches  par  un  pédicule  corné  fai- 
sant une  boucle.  Cette  espèce,  appelée  Ailncus 
riujlitta,  est  exploitée  de  temps  immériorial,  et  ces 
cocons  qui  pendent  aux  arbres  expliquent  l'erreur 
d'Aristotc  qui  croyait  que  la  soie  était  tirée  d'un 
fruit.  On  fabrique  avec  cette  soie,  dite  tussor  ou 
ti/ssah,  des  étoffes  très  solides,  mais  qui  se  cou- 
prnt  aisément;  mêlée  à  la  soie  ordinaire,  elle  entre 
d.Tiis  la  confection  des  foulards  des  Indes.  On  a 
élevé  plusieurs  fois  en  Europe  l'Attacus  inj/lilin; 
mais  son  pays  d'origine  est  trop  chaud  pour  qu'il 
y  ait  lieu  de  tenter  l'acclimatation  chez  nous.  L'es- 
pèce chinoise,  de  la  Mandchourie,  cultivée  aussi 
dans  le  nord  de  l'Inde,  est  VAtlnciK  l'enii/i, 
Guérin-Méneville,  rapportée  par  Mgr  Perny,  mis- 
sionnaire apostolique.  Le  cocon,  bien  moins  in- 
crusté que  celui  àeVA.mytitta,  est  d'un  fauve  gri- 
sâtre, avec  un  pédicule  d'attache  en  cordon  soyeux 
aplati  ;  ce  cocon  donne  une  soie  plus  fine  que 
la  précédente  et  capable  de  recevoir  tout  les  tein- 
tures; il  y  a  deux  générations  par  an,  les  cocons 
de  la  seconde  génération,  et  non  les  œufs,  pas- 
sant l'hiver.  Actuellement,  à  notre  frontière,  dans 
le  Guipuzcoa,  près  de  Saint-Sébastien,  se  l'ait 
l'éducation  en  grand  de  cette  espèce  sur  les 
chênes  en  forêt,  par  les  soins  de  M.  l'erez  de  Nuo- 
ros,  et  une  filature  est  établie,  encouragée  par  les 
subventions  du  gouvernement  espagnol.  L'espèce 
du  Japon,  Attncus  Yam'i-mai,  Guérin-Méneville 
(d'un  mot  japonais  qui  veut  dire  Ver  île  ?7Wilagne), 
est  celle  dont  la  soie  se  rapproche  le  plus  de  la 
soie  du  mûrier.  Il  n'y  a  qu'une  génération  par  an 
et  les  œufs  passent  l'hiver.  Le  cocon,  plus  gros 
que  celui  du  ver  i  soie  ordinaire,  est  d'un  jaune 
blanchâtre  ou  verdàlre,  rappelant  les  races  dites 
céladons;  la  soie  nous  vient  depuis  longtemps  en 
Europe  et  sert  notamment  à  faire  les  tissus  appe- 
lés crêpes  du  Japon.  L'introduction  de  cette  e-pèce 
en  Europe,  qui  serait  fort  désirable,  éprouve  en- 
core de  grandes  difficultés,  en  raiso'i  de  la  longue 
durée  de  l'éducation,  de  la  difficulté  d'avoir  des 
feuilles  de  chêne  au  moment  où  les  œufs  éclosent 
en  avril,  et  enfin  du  climat  do  nos  régions,  qui  ne 
réunit  pas  les  conditions  de  chaleur  modérée  et  de 
grande  humidité  de  certaines  des  Iles  du  Japon. 
Los  papillons  des  trois  espèces  asiatiques  du  chôno 
se  ressemblent  beaucoup  ;  tous  trois  sont  de  grande 


taille,  avec  les  taclios  vitrées  arrondies,  et  la  cou- 
leur du  fond  variant  du  jaune-ciiron  au  rougoâtre 
et  même  au  violet  lie-de-vin.  Les  chenilh's,  qui 
deviennent  très  grosses,  sont  d'un  beau  vert,  sou- 
vent avec  de  larges  taches  argentées  sur  les 
flancs  chez  les  espèces  de  la  Chine  et  du  Japon. 

Le  sud  de  la  Chine  et  les  Indes  orientale.s  ont 
une  espèce  à  plusieurs  races  d'un  type  tout  diffé- 
rent, signalée  au  siècle  dernier  par  le  P.  d'Incar- 
viUe,  et  dont  l'introduction  en  Europe  est  aujour- 
d'hui un  fait  accompli.  Les  sujets  échappés  des 
premières  éducations  domestiques  h  l'air  libre  se 
sont  complètement  naturalisés  et  l'espèce  figure 
dans  les  catalogues  des  papillons  indigènes.  On 
voit  voler  les  papillons  de  cette  espèce  à  l'entrée 
de  la  nuit,  au  mois  de  juin,  dans  les  squares  de 
Paris  et  de  sa  banlieue,  et  les  cocons  pendre  en 
hiver  aux  branches  des  allantes.  L'insecte,  en  effet, 
est  le  Ver  à  soie  de  t'ai/anle  (Attncus  Ci/i.thio, 
Drury.  A.  vera,  G. -Mon.),  dont  la  chenille,  verte 
avec  tubercules  bleus  au  bout,  couverte  souvent 
d'une  effloresconce  cireuse  blanche,  vit  de  préfé- 
rence sur  les  feuilles  do  l'allante,  auxquelles  elle 
attache  son  cocon  allongé  et  fusiforme  par  un 
cordon  soyeux.  L'espèce  a  deux  générations  par 
au;  ce  sont  les  cocons  de  la  seconde  génération 
qui  conservent  l'espèce  en  hiver.  Les  papillons, 
aussi  grands  en  France  et  aussi  vivement  colorés 
que  ceux  do  la  Chine  et  des  Indes,  sont  d'un  type 
A'Attacus  tout  dilTorent  de  celui  des  espèces  du 
chêne;  les  taches  vitrées  des  ailes  sont  en  forme 
do  croissants,  et  non  ovales  ou  circulaires  comme 
dans  les  trois  espèces  du  chêne,  et  les  ailes  nuan- 
cées de  gris,  d'olivâtre,  de  noirâtre,  avec  une  large 
bande  transverse.  Le  cocon  est  naturellement  ou- 
vert à  un  bout  pour  la  sortie  du  papillon,  ainsi 
que  chez  nos  deux  Paons  de  nuit;  le  fil  n'est 
nullement  coupé  mais  replié  par  la  chenille  en 
ouverture  de  nasse,  mais  inverse  dfi  celle  do  la 
nasse  à  poissons,  car  il  faut  ici  empèclifr  d'entrer 
les  insectes  ennemis  et  laisser  sortir  le  papillon, 
qui  rabat  les  fils  repliés  contre  les  parois.  La 
couleur  de  la  soie  est  d'un  joli  gris  de  lin.  On  ne 
peut  pas  dévider  à  la  bassine  ces  cocons  ouverts. 
Jusqu'ici  on  s'est  contenté  de  les  carder  et  de 
fabriquer  des  étoffes  avec  la  matière,  dite  aii'in- 
tiite,  provenant  du  cardage  et  qui  est  très  employée 
en  Chine.  On  pourra  cependant  les  filer  en  soie 
grègo,  quand  on  voudra,  par  le  procédé  de  Chris- 
tian Le  Doux.  Jusqu'à  présent  on  a  dédaigné 
chez  nous  cette  espèce,  dont  le  cocon  est  médio- 
crement soyeux;  mais  rien  ne  dit  que  ie  ver  à  soie 
de  l'allante  ne  nous  rendra  pas  d'immenses  ser- 
vices dans  un  avenir  donné,  si  le  yer  â  soie  du 
mûrier  venait  b.  succomber  aux  épidémies.  Le 
ver  de  l'allante  ne  demande  aucune  peine  ni  dé- 
pense pour  son  élevage;  il  suffit  de  récolter  les 
cocons  sur  les  allantes,  et  l'espèce  se  reproduit 
spontanément. 

L'Amérique  a  aussi  des  Attaciens  qu'on  peut 
utiliser  comme  producteurs  de  soie.  L'espèce  que 
nous  devons  citer  est  le  ver  à  soie  du  prunier,  ou 
Attncus  Cecrnpia,  Linn.,  vivant  sauvage  sur  divers 
arbustes,  principalement  du  genre  Prunus,  et 
dont  la  soie  cardée  provenant  des  cocons  sauva- 
ges récoltés  a  été  utilisée  dans  le  pays.  Les  tenta- 
tives d'introduction  de  cette  espèce  sont  encore 
assez  ré'^entes,  mais  prouvent  que  linsecte  peut 
vivre  dans  notre  climat  sans  aucune  dégénéres- 
cence. Le  cocon,  très  gros,  ouvert  à  un  bout,  d'un 
gris  brunâtre,  est  double,  formé  d'une  enveloppe 
comme  boursoufllée,  dans  laquelle  est  un  cocon 
de  forme  ordinaire,  contenant  la  chrysalide.  Il 
passe  l'hiver,  .et  l'insecte  n'a  qu'une  génération  en 
été.  Le  papillon  est  vraiment  magnifique,  à  fond 
noirâtre,  sur  lequel  tranchent  vivement  la  tête  et 
le  thorax  en  partie  d'un  beau  rouge  brique,  ainsi 
que  les  bases  des  ailes  et  une  largo  bande  irans- 


VERS   A  SOIE 


—  2304 


VERTEBRES 


verse,  avec  des  croissants  vitrés  blanchâtres,  bordés 
de  rouge  et  de  noir.  La  chenille,  qu'on  élève  très 
bien  sur  le  prunier  et  le  cerisier,  est  d'un  vert 
bleuâtre,  couverte  de  tubercules  épineux  dont  les 
uns  sont  d'un  rouge  grenat,  d'autres  jaunes,  enfin 
d'autres  bleus;  ses  couleurs  ne  sont  donc  pas 
moins  remarquables  que  celles  de  l'adulte.  On 
pourra  encore  demander  aux  mêmes  régions  de 
l'Amérique  du  Nord  VAttnru^  Polyphemus,Ln\n., 
dont  la  chenille,  très  polypliage,  vit  sur  un  grand 
nombre  d'arbres  différents,  et  s'élève  notaniment 
très  bien  avec  le  chêiie.  Cette  espèce  a  l'avantage  de 
filer  un  cocon  assez  soyeux,  dcvidable  en  soie  grège 
et  fi-rmé  aux  deux  bouts.  La  soie  est  d'un  blanc 
grisâtre,  pas  très  abondante,  mais  de  fort  belle 
qualité.  L'Amérique  du  Sud  présente  un  climat 
trop  chaud  pour  qu'on  puisse  songer  à  ti'aiisport'-r 
en  France  ses  Attaciens  séricigènes;  il  faut  seule- 
ment encourager  la  récolte  sur  place  des  cocons 
de  certaines  espèces,  comme  objet  de  commerce. 
C'est  à  ce  point  de  vue  que  nous  ferons  men- 
tion d'une  espèce  abondante  au  Brésil,  YAltacus 
Aurotii,  Cramer,  dont  le  cocon  très  soyeux,  d'un 
gris  jaunâtre,  avec  long  pédicule  d'attaclie  en  soie, 
est  formé  d'ujie  enveloppe  extérieure,  irrégulière- 
mont  ovoïde,  en  bourre  assez  lâche,  et  d  un  cocon 
intérieur,  en  ovoïde  allongé,  avec  l'extrémité  ap- 
pointée naturellement  ouverte.  Le  cardage  de  ces 
cocons  produit  une  excellente  bourre  de  soie,  et, 
avec  les  procédés  convenables,  on  peut  dévider  en 
soie  grège  et  obtenir  une  soie  continue,  très  belle 
et  élastique,  supérieure  à  celle  du  ver  de  l'ai- 
lante. 

En  présence  des  nombreuses  richesses  textiles 
que  nous  négligi'ons  encore,  nous  pouvons  dire 
hardiment  que  la  sériciculture  est  dans  l'enfance. 
Un  jour  viendra,  nous  l'espérons,  où  l'on  recher- 
chera partout  les  cocons  soyeux.  L'industrie  a  be- 
soin, non  seulement  de  belles  soies,  mais  surtout 
de  soies  variées,  même  de  qualités  inférieures, 
pour  satisfaire  à  toutes  les  exigences  ;  les  caprices 
de  la  mode  sont  le  pain  de  milliers  de  familles. 


Bibliographie 

du  mûrier  sont  très 
très  petit 


:  li., 


tifs  au: 

1  indiquerons  qu'un 
/  éf-tucation  du  ver 
Paris,    Boucliard- 

.  —  Audouin,  His- 
la   Maison 


de  h 
Huzurd.  4=  édit.,  1  vol.  in-8,  avee  lig- 
toire  naturelle  du  ver  à  soie,  Paris, 
que.  —  Ue  Gasparin,  Essai  sur  thistoire  de  l'iiitroducl 
au  ver  à  soie,  etc.,  Paris,  Bouchard-Huzard,  1  vol.  in-8. 
IMl.  —  Ji..  Gohin,  Mthiers  et  vers  li  soie.  Paris  Niclau' 
et  C,  1875,  1  vol.  in-lS,  avec  fie.  —  L.  Pasteur,  les  Mala- 
dies des  vers  à  soie,  2  vol.  in-8,  avec  planches,  lithoehro- 
mies,  photographies;  Paris,  Gauthier-Viilars.  IS70.  — 
L.  Koman.  Manuel  du  maguanier,  Paris,  Gauthicr-Villais. 
t  vol.  in-12,  1S76;  cet  ouvrage  est  un  excellent  exposé  des 
Parmi  les  publicat* 


méthodes  de  M.  Pasteur. 


elativ 


;icullu 


m  principale- 
ment industrielles  et  commerciales,  nous  devons  citer  le 
Moniteur  des  soies,  publié  à  Lyon,  et  le  Proe/rès  agricole 
et  industriel,  journal  spécial  de  la  sériciculture,  de  ia  viti- 
culture,etc.,  publié  a  -Vvigjion. 

(Maurice  Girard.] 
VKitTÉBRÉS.  —  Zoologie,  IV.  —  Les  ani- 
maux les  plus  élevés  en  organisation  ressemblent 
bp.-iucûup  à  l'homme  par  les  points  essetniels  de 
leur  structure;  ils  ont,  comme  ce  dernier,  des 
organes  de  mouvement  pairs  et  disposée  s^métii- 
quemeiit  par  rapport  â  l'axe  du  corps,  un  appa- 
reil circulatoire  très  complet,  composé  d'un  or- 
gane propulseur  ou  cœur  ofl'rant  au  moins  deux 
cavités,  et  de  vaisseaux,  veines  et  artères,  qui 
charrient  du  sang  rouge  ;  comme  l'homme,  ils 
possèdent  des  organes  des  sens  qui,  pour  la  plu- 
part, sont  logés  dans  la  tête,  et,  en  rapport  avec 
la  supériorité  de  leur  intelligence  et  le  dévelop- 
pement de  leurs  facultés,  ils  ont  un  système  ner- 
veux compliqué,  formé  non  seulement  de  nerfs  et 
<?<;  ganglions,  mais  encore  d'un  axe  central  occu- 
pant la  région  supérieure  ou   doraale.  Cet  axe  est 


I  continu  d'une  extrémité  du  corps  à  l'autre,  mais  il 
présente,  en  général,  trois  parties  aussi  distinctes 
par  leur   structure  que  par  leurs   fonctions  :    un 
cerveau,  un  cervelet  et  une  moelle  épinière  ;  er 
outre,  il  est  protégé  contre  les   chocs  extérieurs 
par  un  étui  solide,  fortement  incrusté  de  madères 
calcaires.  La  portion  antérieure  de  cet  étui  n'est 
autre  cho--e  que  la  boite  ciànienno,  qui  renferme 
le  cerveau  et  le  cervelet,  et  les  portions  médiane 
et  postérieure  consistent  en  une  série  de   pièces 
osseuses,  empilées  les  unes  sur  les  autres,  percées 
chacune  d'une  large  ouverture  pour  donner  pas- 
sage à  la  moelle  épinière,  et   munies  de   saillies, 
d'apo/j/ii/ses  sur  lesi|uelles  des  muscles  viennent 
prendre  leurs  insertions.  Chacune  de    ces  pièces 
est  une  vertèbre,  e^.  leur  ensemble  constitue  la  co- 
lonne  oertcliiale;Aa  làvientlenomde  Vertéhrésqni 
a  été  appliqué  à  tous  les  animaux  supérieurs  qui 
offrent  cette  organisation.  A  la  colonne  vertébrale 
se  rattachent,  directement  ou  indii  ectement,  d'au- 
tres pièces  osseuses,  de  formes  diverses,  dont  les 
unes  sont  fixes  et  les  autres  mobiles,  et  qui  pro- 
tègent les    organes  essentiels  en   même    temps 
qu'elles  fournissent  des  bases  et  des  leviers  pour 
l'appareil    de   la    locomotion.    En   avant,   c'est   le 
crâne,  dans  lequel  on  peut  retrouver  à  l'origine 
les  mêmes   éléments  que  dans  les  vertèbres,  et 
qui  a  pour  dépendances  les  os  de  la  face  et  des 
mâchoires  ;  plus  bas,  c'est  la  ceinture  scapulaire, 
formée  des  omoplates,  des  clavicules,  et   parfois 
d'une   paire   d'os  supplémentaires   qu'on   appelle 
les   coriicoidiens  ;  puis  c'est  la   cage  thoracique, 
constituée  par  le  sternum,  les  côtes,  et  une  por- 
tion de   la  colonne  vertébrale  ;  plus  loin  encore, 
c'est  le  bassin,  résultant  de   la  soudure   plus  ou 
moins  complète  d'une  autre  portion  de  cette  même 
colonne   avec   les  iléons,  les  ischions  et  les   pu- 
bis. Sur  la  ceinture  scapulaire  s'articule  de  chaque 
coté  le  membre  supérieur,  dans  lequel  on  distin- 
gue, lorsqu'il  est  développé  normalement,  un  hu- 
mérus ou  os  du  tira--,  un  radius  et  un  cubitus  Of 
iis  de  l  avant  lira-,-,  des  os  du  carpe,  des  métacar- 
piens  et  des   plialanges,  ou  on  de  la  main.  De 
même,  sur   le   bassin  s'articule  le  membre  infé- 
rieur, composé  du  fémur  ou   os  de  la  cuisse,  du 
tibia  et  du  péroné  ou  os  de  la  jambe,  des  os  du 
tarse,  des  métatarsiens  et  des  phalanges,  ou  os  du 
pied.  Telle  est,   chez  les  vertébrés   supérieuis,  la 
structure  de  la  charpente  osseuse  ou  du  .■■i/ueletle 
intérieur,   comme  on    l'appelle   quelquefois   par 
opposition  ausqueletteextérieurdminsecies  et  des 
crustacés.  Mais   chez  les  vertébrés    inférieurs  ce 
type  fondamental  se  trouve  singulièrement  altéré  : 
chez  les  poissons,   certaines  parties  du   squelette 
restent  déjà  à  l'état  cartilagineux,  et  chez  un  ani- 
mal singulier  qu'on  nomme  VAiiiphioxits,  on  voit 
subsister  pendant  toute  la  vie  une  ligne  de  tissu 
utriculaire  ou   corde  dorsale,  qui,  chez  tous  les 
autres   vertébrés,  disparaît    de  très  bonne  heure 
pour  faire  place  aux  vertèbres.  D'autre  part,  chez 
les  poissons,  il  n'y  a  plus  en  apparence  ni  mains, 
ni  pieds,  ni  bras,  ni  jambes;   les  membres  anté- 
rieurs et  postérieurs  sont  profondément  transfor- 
més en  deux  paires  de   nageoires,  plus  ou  moins 
rapprochées,   auxquelles   viennent  s'ajouter   uue 
nageoire  caudale  à  l'extrémité  postérieure  et  une 
nageoire  d.ii-sale  sur  le  milieu  du  dos  ;  la  ceinture 
scapulaire  est  elle-même   considérablement   mo- 
difiée, et  la  ceinture  coxale  (ou  bassin)  est  réduite 
à  quelques  pièces,  tandis  que  la  tête  présente,  au 
contraire,  une   complication   inusitée  et  se  com- 
pose d'une    foule   d'os  dans   les(iuels  il  est  bien 
difficile  de  retrouver  les  os  constitutifs  du  crâne 
humain.   Chez  certains  reptiles,  les  serpents,  il 
n'y  a  plus  de  traces  de  membres  ;  chez  d'autres,  les 
cliclonieiis  ou  tortues,  au  contraire,  les  membres 
ont  une  l'orme   à  peu  près  normale,  mais,  en  cas 
de  danger,  ils  peuvent  ordinairement  les  rcnlrjr. 


/ 


VERTEBRES 


—  2303  — 


VERTEBRES 


■de  mêiiK!  que  la  tùto,  dans  une.  sorte  de  boîte  ou 
carapace  qui  résulte  de  l'ossification  de  certaines 
parties  des  téguments  et  de  l'union  de  ces  parties 
à  quelques  pièces  du  squelette.  Enfin,  chez  les 
oiseaux,  les  transformations  de  la  charpente  in- 
térieure sont,  à  certains  égards,  aussi  importantes, 
l'extrémité  du  membre  inférieur  se  simplifiant 
beaucoup  et  n'étant  plus  destinée  qu'à  fournir  des 
points  d'insertion  aux  grandes  plumes  de  l'aile; 
l'extrémité  du  membre  postérieur  s'allongeant  dans 
la  portion  tarsienne  et  se  terminant  par  quatre 
doigts  au  maximum  ;  la  tête,  enfin,  subissant  des 
changements  dans  la  forme  et  l'articulation  des 
os  de  la  face  et  dans  la  structure  dos  os  des  mâ- 
choires, recouvertes  par  un  étui  corné. 

On  voit  par  tous  ces  exemples  que  les  animaux 
qui,  à  l'exception  du  seul  Anwliioxus,  possèdent 
ce  caractère  commun  d'avoir*  l'axe  du  système 
nerveux  protégé  par  des  pièces  osseuses  ou  ver- 
télires  superposées,  diffèrent  souvent  beaucoup  les 
uns  des  autres  sous  le  rapport  de  la  conformation 
du  squelette.  Ils  varient  aussi  sous  le  rapport  de 
la  disposition  du  système  nerveux,  les  dimensions 
relatives  des  diverses  portions  de  l'axe  central  n'é- 
tant pas  toujours  les  mûmes.  Chacun  sait,  en 
effet,  que  chez  l'homme,  le  singe,  le  chien  ou  le 
cheval,  le  cerveau  est  beaucoup  plus  volumi- 
neux et  plus  compliqué  que  cliez  les  poissons  ;  chez 
ces  derniers,  en  revanche,  les  lobes  optiques 
acquièrent  un  développement  qu'on  n'observe 
pas  chez  les  mammifères.  Ceux-ci  ont  en 
outre  les  hémisphères  du  cerveau  réunis  par 
un  corps  calleux  (V.  Mammifères)  et  couverts  de 
circonvolutions,  tandis  (|ue  les  vertébrés  inférieurs 
sont  privés  de  corps  calleux  et  ont  les  Iiémisplières 
complètement  lisses.  t;hez  l'Amphioxus,  enfin, 
l'axe  nerveux  central  offre,  d'un  bout  h  l'autre,  à 
peu  près  la  même  structure. 

En  passant  de  l'homme  aux  derniers  représen- 
tants de  la  classe  des  poissons,  ou  constaterait  des 
dégradations  analogues  dans  les  organes  des  sens, 
considérés  non  pas  isolément,  mars  dans  leur  en- 
semble ;  on  en  constaterait  également  dans  le  sys- 
tème digestif.  En  effet,  si,  cliez  l'homme,  l'estomac 
est  toujours  une  poche  bien  distijicte  du  reste  du 
tube  alimentaire,  si  chez  le  bœuf  cette  poche  se  sub- 
divise en  plusieurs  réservoirs  plus  ou  moins  indé- 
pendants les  uns  des  autres,  chez  le  poisson  ou  le 
serpent,  au  contraire,  l'estomac  tend  à  se  con- 
fondre, d'une  part  avec  l'œsophage,  de  l'autre  avec 
l'intestin.  Les  glandes  variées  qui  versent  leurs 
produits  dans  diverses  portions  du  canal  digestif 
chez  les  mammifères,  sont  aussi  moins  nombreu- 
ses et  moins  compliquées  chez  les  poissons.  Enfin, 
la  cavité  buccale  n'est  pas,  à  beaucoup  près,  dis- 
posée de  la  même  façon.  Elle  s'ouvre  en  dehors 
tantôt  par  une  petite  fente  munie  de  cirrhes, 
•comme  chez  VAmphioxus,  tantôt  par  un  large  hia- 
tus; tantôt  elle  est  pourvue  de  dents  nombreuses, 
comme  chez  les  requins,  tantôt  elle  est  garnie  en 
avant  de  plaques  cornées  qui  peuvent  s'opposer 
1  une  à  l'autre  et  constituent  un  bec,  comme  chez 
les  oiseaux.  Les  dents  elles-mêmes  n'ont  pas  tou- 
jours le  même  aspect,  la  même  structure,  le  même 
mode  d'attache  :  chez  l'homme  et  chez  les  mam- 
mifères supérieurs,  elles  sont  solidement  implan- 
tées dans  les  niâclioires  et  offrent  trois  formes 
prmcipales,  suivant  qu'elles  doivent  couper  dé- 
chirer ou  broyer  les  aliments.  Chez  les  poissons, 
?u  contraire,  elles  sont  disséminées  souvent,  non 
seulement  sur  les  mâchoires,  mais  sur  le  palais 
«t  le  pharynx,  elles  n'ont  point  de  racines  et 
sont  parfois  taillées  toutes  sur  le  mémo  modèle. 

Il  y  a  des  vertébrés  qui  respirent  au  moyen  de 
poumons,  c'est-à-dire  de  masses  celluleuses  logées 
dans  le  thorax  et  recevant  de  l'air  dans  leur  inté- 
rieur par  Imtermédiaire  d'une  trachée-artère  •  il 
jr  en  a  d'autres  qui  respirent  au  moyen  de  bran- 
2'  Paotie. 


chies,  c'est-à-dire  de  panaches  très  riches  en  vais- 
seaux sanguins  et  qui  empruntent  à  l'eau  l'oxy- 
gène nécessaire  à  leur  existence.  Parfois  même 
l'animal  possède  successivement  ces  deux  modes 
de  respiration,  ayant  d'abord  des  branchies,  puis 
perdant  ces  organes  à  un  moment  donné  pour 
acquérir  des  poumons. 

A  l'exception  de  l'Amphioxus,  dont  les  grands 
troncs  vasculaires  ont  des  pulsations  rythmiques, 
tous  les  vertébrés  ont  un  cœurdont  les  contractions 
entretiennent  la  circulation  régulière  du  sang 
dans  les  vaisseaux.  Ce  cœur,  placé  dans  la  partie 
antérieure  de  la  cavité  viscérale,  près  de  la  ligne 
médiane  ou  sur  cette  ligne,  est  de  forme  coniqui; 
et  subdivisé  en  loges  dont  le  nombre  varie  d'un 
groupe  à  l'autre  :  chez  les  mammifères,  en  effet, 
et  chez  les  oiseaux,  il  y  a  quatre  de  ces  cavités, 
doux  oreillettes  et  deux  ventricules,  et  les  deux 
moitiés  du  cœur,  la  moitié  gauche  et  la  moitié 
droite,  sont  nettement  séparées  ;  chez  la  grande 
majorité  des  reptiles,  les  deux  ventricules  com- 
muniquent, et  chez  les  poissons  il  n'y  a  plus  que 
trois  cavités,  deux  oreillettes  et  un  ventricule.  De 
même,  les  gros  troncs  artériels  ou  veineux  qui 
partent  du  cœur  ou  qui  s'y  rendent  offrent  dajis 
leur  disposition  des  différences  sur  lesquelles  il 
serait  trop  long  d'insister  ici,  et  qui  sont  en  rap- 
port avec  la  conformation  des  organes  respira- 
toires. 

Il  n'est  pas  jusqu'aux  téguments  qui  n'offrent 
dans  la  série  des  animaux  vertébrés  des  change- 
ments importants.  Ici,  comme  chez  les  carnas- 
siers, les  ruminants,  le  corps  est  couvert  de  poils 
plus  ou  moins  serrés;  là,  comme  chez  les  oiseaux, 
il  est  revêtu  de  plumes  ;  ailleurs,  comme  chez  les 
serpents  ou  les  poissons,  il  est  garni  d'écaillés  ; 
ailleurs  encore,  comme  chez  les  grenouilles,  il 
est  complètement  dénudé. 

Enfin,  et  c'est  là  un  point  essentiel  à  noter,  cer- 
tains vertébrés  donnent  le  jour  à  des  petits  vi- 
vants, tandis  que  d'autres  pondent  des  œufs;  lei 
uns,  en  naissant,  ont  déjà,  avec  des  dimensions 
réduites,  la  forme  générale  qu'ils  conserveront 
durant  toute  leur  existence,  tandis  que  les  autres 
subissent  plusieurs  changements,  plusieurs  méta- 
morphoses. 

En  tenant  compte  de  toutes  les  particularités 
que  nous  venons  de  signaler  rapidement,  on  peut 
successivement  séparer  les  vertébrés  des  autres 
animaux  et  établir  parmi  eux  un  certain  nombre 
de  catégories.  On  caractérisera,  par  exemple, 
d'une  manière  suffisante,  cette  classe  du  règni! 
animal  en  disant  :  les  vertébrés  sont  des  animaux 
pourvus  d'un  squelette  interne  cartilagineux  ou 
osseux,  qui,  réduit  à  sa  forme  la  plus  simple, 
consiste  en  une  série  de  pièces  ou  vertèbres  su- 
perposées et  munies  d'appendices  embrassant 
d'une  part  l'axe  nerveux,  de  l'autre  les  organes 
de  la  vie  végétative;  ils  ont,  au  plus,  deux  paires 
de  membres,  et  les  parties  de  leur  corps  sont, 
pour  la  plupart,  disposées  symétriquement  adroite 
et  à  gauche  d'un  plan  passant  par  la  colonne  ver- 
tébrale. 

Parmi  les  vertébrés,  il  conviendra  d'établir  en- 
suite deux  grandes  catégories  renfermant,  l'une, 
des  animaux  qui  n'ont  de  brancliies  à  aucune  épo- 
que de  leur  vie,  qui  se  développent  dans  une 
poche  membraneuse  nommée  amnios,  et  possèdent 
avant  leur  naissance  un  organe  particulier  servant 
àlarespiration  etappelé  vésicule allantoîde;  l'autre, 
des  animaux  qui,  durant  toute  leur  existence,  ou 
du  moins  pendant  leur  jeune  âge,  respirent  avec 
des  branchies,  qui  n'ont  point  d'allantoîde,  et  ne 
se  développent  pas  dans  une  poche  membraneuse. 
Dans  la  première  catégorie  prendront  place  les 
Mammifères,  les  Oiseuux  et  les  Reptiles;  dans  la 
seconde,  les  Batraciens  et  les  Poissons.  Les  carac- 
tères qui  permettent  de  distinguer  ces  diverses 
145 


VÊTEMENTS 


2306  — 


VETEMENTS 


classes  se  trouvent  mentionnés  dans  les  articles 
consacrés  à  chacun  de  ces  groupes  ;  nous  n'avons 
donc  pas  b.  les  indir|"er;  nous  rappellerons  seule- 
ment que  les  Mammifères  sont  des  vertébrés  dont 
le  corps  est  plus  ou  moins  couvert  de  poils  et  qui 
donnent  le  jour  à  des  petits  vivants;  que  les  Oi- 
seaux portent  des  plumes,  ont  les  membres  anté- 
rieurs transformés  en  organes  de  locomotion 
aérienne,  et  pondent  des  œufs  ;  que  les  Keptiles 
ont  le  corps  nu  ou  garni  d'écaillés,  qu'ils  sont 
pour  la  plupart  organisés  pour  ramper  à  la  sur '^ce 
du  sol,  qu'ils  ont  le  sang  froid,  et  sont,  comme  les 
oiseaux,  ovipares  ou  tout  au  plus  ovovivipares  ; 
que  les  Batraciens  respirent  d'abord  par  des  bran- 
cliies  et  ressemblent  plus  ou  moins  à  des  poissons, 
mais  acquièrent  avec  l'âge  des  organes  de  respira- 
tion aérienne  ;  et  qu'enfin  les  Poissons  sont  essen- 
tiellement conformés  pour  une  existence  aquati- 
que, qu'ils  ont  des  brancliies,  une  peau  nue  ou 
écailleuse,des  membres  transformés  en  nageoires, 
et  qu'ils  pondent  des  œufs  en  nombre  considé- 
rable. [E.  Oustalet.] 

VETEMENTS.  —  Hygiène,  VIII  ;  Connais- 
sances usuelles,  IX.  —  On  donne  le  nom  de  vête- 
ments aux  pièces  d'habillement  dont  l'homme  se 
revêt  pour  se  protéger  contre  les  agents  extérieurs. 
Les  portions  de  l'habillement  qui  ne  servent  qu'à 
la  parure  constituent  des  objets  de  toilette. 

Les  principales  matières  dont  on  fabrique  les 
vêtements  sont  le  chanvre,  le  lin,  le  coton,  la  soie, 
la  laine,  le  poil  de  divers  animaux,  les  fourrures, 
le  cuir,  les  plumes,  etc. 

L'usage  des  vêtements  modifie  profondément  la 
vitalité  par  leur  influence  sur  la  température  du 
corps    et  sur  le  fonctionnement  de  la  peau. 

On  peut  dire  que  le  vêtement  constitue  pour 
l'homme  une  sorte  de  climat  artificiel.  Grâce  à  lui 
on  supporte  sans  souffrir  les  alternatives  des  sai- 
sons, et  l'on  peut  vivre  dans  des  régions  trop 
froides  pour  l'homme  nu. 

Tous  les  corps  rayonnent  autour  d'eux  de  la 
chaleur.  Ceux  qui  sont  plus  chauds  que  le  mi- 
lieu qui  les  entoure  se  refroidissent  ;  ceux  qui 
sont  plus  froids  s'échauffent  en  absorbant  une 
portion  du  calorique  rayonné  autour  d'eux.  Le 
pouvoir  absorbant  dépend  pour  chaque  corps  de 
la  matière  qui  le  compose  et  de  l'état  de  sa  sur- 
face. Toutes  choses  égales  d'ailleurs,  une  surface 
polie  absorbe  beaucoup  moins  qu'une  surface  ru- 
gueuse ou  mate.  Quant  à  la  matière  elle-même, 
on  dit  qu'elle  conduit  bien  ou  mal  la  chaleur  sui- 
vant qu'elle  permet  au  calorique  de  se  propager 
plus  ou  moins  rapidement  dans  sa  masse.  Le 
pouvoir  conducteur  du  calorique  est  considérable 
dans  les  métaux  et  très  faible  dans  certaines  sub- 
stances comme  le  bois,  le  lin,  le  chanvre,  la  laine, 
la  soie,  l'air  sec. 

L'air  étant  un  mauvais  conducteur  du  calorique, 
les  tissus  épais,  feutres  et  légers,  formés  d'ail- 
leurs de  fibres  mauvaises  conductrices,  forment 
une  excellente  protection  pour  empêcher  le  corps 
de  perdre  sa  chaleur  propre  ou  pour  le  garantir 
contre  la  chaleur  extérieure.  Pour  la  même  raison, 
deux  ou  trois  vêtements  d'étoffe  mince,  super- 
posés, garantissent  mieux  qu'un  seul  d'une  épais- 
seur triple,  car  entre  chaque  vêtement  il  reste 
une  couche  d'air  mauvaise  conductrice. 

En  supposant  des  tissus  parfaitement  identiques, 
comme  fils  de  trame  et  de  chaîne,  mode  de  tissage 
et  apprêt,  on  peut  classer  les  matières  pre- 
mières, quant  i  la  puissance  de  leur  pouvoir 
conducteur,  dans  l'ordre  suivant  :  lin,  coton, 
soie,  laiiie.  Les  étoffes  de  laine  sont  donc  théo- 
riquemcuit  les  plus  chaudes.  En  pratique  elles  le 
sont  d'autant  plus,  comparées  h  celles  de  coton, 
de  lin,  de  soie,  qu'elles  sont  d'ordinaire  composées 
de  fils  plus  gros  et  façonnées  de  manière  â  empri- 
sonner beaucoup  d'air.  Les  édredons  de  plume  et 


surtout  de  duvet  doivent  leur  pouvoir  calorifique 
ou  plutôt  conservateur  du  calorique  h  la  matière 
elle-même  et  à  l'énorme  quantité  d'air  qu'elle  re- 
tient. Les  toiles  fines  de  lin  constituent,  au  con- 
traire, les  vêlements  les  moins  protecteurs. 

On  sait  que  la  couleur  d'une  même  substance 
influe  sur  la  rapidité  avec  laquelle  elle  absorbe 
ou  perd  le  calorique.  Voici  une  expérience  très 
simple  qui  le  démontre.  Entourez  la  boule  d'un 
thermomètre  avec  une  étoffe  de  laine  noire  et 
placez  l'instrument  auprès  d'un  foyer  de  chaleur 
à  peu  près  fixe,  comme  une  lampe  â  pétrole. 
Notez  le  temps  qu'il  faudra  pour  que  le  liquide 
monte,  par  exemple,  de  10  à  50  degrés.  Essayez 
ensuite  successivement  des  enveloppes  d'un  tissu 
semblaljle,  mais  teintes  en  vert  foncé  ou  en  ccar- 
late,  vous  trouverez  qu'il  faut  un  cinquième  de 
temps  en  plus  ;  enfin,  avec  de  la  laine  blanche, 
le  temps  de  l'expérience  ssra  doublé.  Par  consé- 
quent, la  laine  blanche  s'oppose  deux  fois  mieux 
que  la  laine  noire  à  réchauffement  de  notre  corps 
par  les  rayons  solaires,  et  i  la  déperdition  de 
notre  chaleur  propre  quand  nous  sommes  dans  un 
milieu  froid. 

A  pouvoir  conducteur  égal  et  soumis  à  un  fa- 
çonnage identique,  les  tissus  varient  en  outre, 
comme  corps  protecteurs,  par  leurs  propriétés 
hygrométriques. 

Il  faut  considérer  à  un  double  point  de  vue 
l'hygrométricité  des  vêtements.  La  matière  dont 
ils  se  composent  absorbe  naturellement  une  cer- 
taine quantité  d'eau  dont  on  ne  peut  les  débarrasser 
que  par  le  séchage  à  l'étuvo  :  c'est  l'eau  hygromé- 
trique proprement  dite.  Elle  n'est  pas  perceptible 
à  la  main,  comme  humidité,  mais  elle  contribue 
k  rendre  le  tissu  bon  conducteur.  Ainsi  la  toile 
de  lin  sécliée  à  l'étuve  semble  plus  chaude,  jus- 
qu'à ce  qu'elle  ait  de  nouveau  absorbé  son  eau 
hygrométrique.  Les  tissus  peuvent,  en  outre, 
se  charger  d'eau  interposée  qui  s'y  trouve  re- 
tenue par  capillarité.  Cette  humidité  est  sensible 
à  la  main,  et  lorsqu'elle  atteint  un  certain  degré 
on  peut  l'expulser  par  expression. 

La  puissance  hygrométrique  du  coton  est  supé- 
rieure à  celle  du  lin  ;  celle  de  la  laine  est  plus 
grande  que  celle  du  coton.  Il  en  résulte  qu'une 
étoffe  de  lin  tend  à  perdre  par  évaporation  l'eau 
qu'elle  a  absorbée,  et  que  cette  évaporation  devient 
une  cause  de  refroidissement  considérable,  tandis 
qu'une  étoffe  de  laine  n'a  pas  la  même  tendance 
à  se  débarrasser  promptement  de  son  humidité,  i 
et  ne  cause  pas  un  refroidissemeut  aussi  rapide,  ( 
aussi  dangereux.  Si  l'humidité  des  vêtements  pro- 
vient de  la  sueur,  il  est  évident  que  pour  obte- 
nir sa  complète  évaporation  il  faudra  que  les  tissus 
empruntent  au  corps  une  certaine  quantité  de  calo- 
rique. Mais  si  l'évaporation  a  lieu  lentement,  les 
actions  vitales  suffiront  pour  réparer  cette  perte  au 
fur  et  à  mesure,  tandis  que  s'il  y  a  déperdition  __.^ 
rapide,  l'équilibre  se  trouvera  rompu  et  il  en  résul-  t.',"s 
tera  des  accidents  :  rhume,  fluxion  de  poitrine, 
rhumatisme,  etc. 

En  s'opposant  au  raj'onnement  libre  du  calo- 
rique humain,  les  vêtements  produisent,  dans  les 
climats  tempérés  et  froids,  une  notable  écononiie. 
dans  les  combustions  qui  servent  à  l'entretenir.' 
Des  vêtements  chauds  remplacent  donc  une  cer- 
taine portion  de  nourriture.  C'est  là  un  fait  im- 
portant à  signaler.  Cette  quantité  de  nourriture, 
économisée  coûterait  beaucoup  plus  que  les  vètçr 
ments  chauds  qui  empêchent  d'en  avoir  besoio.' 
Pour  les  gens  pauvres  il  n'y  a  donc  pas  à  hésiteliil 
Tous  les  efforts  doivent  tendre  à  se  procurer,!  j,j 
pour  l'hiver,  des  vêtements  suffisamment  proteC-l  j, 
teurs  :  c'est  une  bonne  écunomio  d'argent  et  suj) 
tout  de  santé.  Or,  pour  le  pauvre,  toute  écouon  ' 
de  santé  entraine  une  économie  d'argent. 

On  peut  suppléer  à^la  protection  de  vêtement 


VÊTEMENTS 


—  2307  — 


VETEMENTS 


chauds,  en  hiver,  par  une  nourriture  appropriée, 
riclie  en  carbone  (amidon,  sucre,  et  principalement 
matières  grasses),  et  par  un  exercice  violent.SMais 
pendant  le  repos  qui  succède  k  cet  exercice,  le 
corps  est  plus  sensible  que  jamais  à  l'impression 
du  Croid,  et  il  importe  de  prendre  des  précautions 
exceptionnelles. 

Pour  acf|uérir  son  développement  normal,  la 
peau  humaine  a  besoin  des  actions  combinées  de 
l'air  et  de  la  lumière.  Sous  leur  i])fluence  elle 
acquiert  son  maximum  de  vitalité.  Les  vêtements, 
s'opposant  presque  complètement  à  l'action  do  la 
lumière,  et  partiellement  à.  celle  de  l'air,  produi- 
sent un  étiolement  de  la  peau.  Celle-ci,  décolorée, 
amincie,  devient  trop  sensible  aux  intempéries,  et 
cette  dégénérescence  contribue  pour  une  bonne 
part  b.  la  formation  dos  tempéraments  lympha- 
tiques et  des  constitutions  anémiques.  Ce  sont  l;"» 
des  résultats  inévitables  de  la  vie  civilisée.  Pour 
compenser  leur  effet  dépressif,  il  faudrait  recou- 
rir à  une  sorte  d'entraînement  méthodique. 

Les  enfants  et  les  vieillards  produisent  norma- 
lement moins  de  chaleur  que  les  adultes.  De  là 
résulte  pour  eux  la  nécessité  de  s'abriter  plus 
que  ceux-ci.  Les  femmes,  même  adultes,  sont  assu- 
jetties au  même  besoin  de  protection  plus  grande. 
Malheureusement  des  habitudes  de  coquetterie 
empêclient  le  plus  grand  nombre  d'entre  elles  de 
se  conformer  aux  exigences  de  leur  nature.  L'in- 
sufHsance  des  vêtements  a  des  conséquejices  plus 
fâcheuses  pour  la  femme  que  pour  l'homme.  On 
ne  saurait  donc  trop  regretter  de  la  voir  sacrifier 
sa  santé  et  celle  de  sa  postérité  aux  exigences  de 
modes  qui  compromettent  la  bienséance  et  l'hon- 
nêteté en  même  temps  qu'elles  bravent  les  indi- 
cations do  l'hygiène. 

Lu  des  progrès  les  plus  importants  de  la  civili- 
sation en  ce  qui  concerne  les  vêtements  a  été 
l'introduction  et  la  généralisation  de  l'usage  du 
linge  de  corps.  D'après  M.  Flenry,  on  commença 
sous  Auguste  h  porter  des  chemises  de  lin  ;  mais 
les  riclies  seuls  pouvaient  alors  se  permettre  ce 
luxe,  qui  ne  se  généralisa  que  très  lentement, 
même  dans  les  classes  aisées.  En  France,  au 
\i'  siècle,  la  chemise  était  encore  un  objet  de 
grand  luxe.  Salomon,  duc  de  Bretagne,  ne  trouva 
pas  de  plus  beau  présent  h  faire  au  pape  Adrien  11 
que  trente  chemises  filées  et  tissées  par  ses  vas-  I 
saux.  Au  XV'  siècle,  on  prétendait  que  la  reine 
Marie,  femme  de  Charles  Vil,  était  seule  à  avoir 
plus  de  deux  chemises  dans  sa  garde-robe. 

La  toile  de  coton  est  de  beaucoup  préférable  à 
r^'lli;  de  lin  ou  de  chanvre  pour  les  pièces  d'ha- 
billement en  contact  avec  la  peau,  parce  que  le 
roton  est  plus  mauvais  conducteur  du  calorique. 
L;i  cliemise  doit  être  d'un  tissu  un  peu  lâche,  mais 
é|iais,  afin  d'absorber  facilement  la  sueur.  La  cre- 
tuiirie  sans  apprêt  convient  très  bien  pour  cet 
usage.  A  mesure  que  la  sueur  s'évapore,  elle  laisse 
dans  le  tissu  des  matières  solides  qui  s'y  accu- 
mulent avec  le  produit  graisseux  des  glandes 
sébacées  de  la  peau  et  des  débris  de  l'épiderme. 
Ces  matières  se  décomposent  rapidement  etdonnent 
naissance  à  des  produits  remarquables  par  leur 
odeur  désagréable  et  leurs  propriétés  irritantes. 
Il  importe  donc  de  renouveler  souvent  le  linge 
de  corps.  Ce  que  nous  venons  de  dire  s'applique 
naturellement  au  caleçon,  vêtement  indispensable 
aux  deux  sexes,  et  plus  rncore  aux  bas  ou 
chaussettes  qui  se  trouvent  très  promptement 
satures  do  produits  odorants  et  nuisibles.  Malgré 
les  avantages  du  linge  comme  vêtement  en  con- 
tact avec  la  peau,  il  faut  reconnaître  que  la  laine 
excite  davantage  son  activité,  sa  vitalité,  et  rond 
inoms  impressionnable  l'appareil  respiratoire. 
Aussi,  chez  les  individus  prédisposés  aux  bron- 
unites,  pneumonies,  pleurésies  et  surtout  aux 
'.ubercules,  l'emploi  de  la  laine  sur  la  peau  offre 


un  avantage  incontestable.  Toutefois  ils  pourraient, 
pendant  les  grandes  chaleurs,  remplacer  les  gi- 
lets et  caleçons  de  llanelle  par  d'autres  en  tricot 
de  coton. 

L'usage  des  bretelles  élastiques  pour  soutenir 
le  pantalon  devrait  être  exigé  dans  les  écoles,  col- 
loges,  casernes,  etc.,  et  il  importe  de  le  recomman- 
der dans  les  familles.  Elles  oH'rent,il  e.stvrai,  quel- 
ques inconvénients.  Leur  pression  tend  à  faire 
baisser  les  épaules  et  ù,  plier  la  taille  :  il  faut 
s'habituer  à  contrebalancer  cette  tendance,  surtout 
pendant  la  croissance,  par  une  position  droite  et 
dos  exercices  réguliers.  Mais  l'usage  delà  ceinture 
maintenant  le  pantalon  par  une  pression  énergique 
k  la  base  du  thorax  est  beaucoup  plus  dangereux.  La 
ceinture  gêne  les  mouvements  respiratoires,  trou- 
ble la  digestion,  favorise  le  développement  des  her- 
nies et  peut  causer  la  congestion  du  cerveau.  Ce  que 
nous  disons  de  l'étroite  ceinture  destinée  k  retenir 
le  pantalon  ne  s'applique  pas  à  la  bande  large 
d'étoffe  souple  et  résistante  dont  on  entoure  les 
reins  et  une  partie  de  l'abdomen.  Celle-ci,  quand 
elle  n'est  pas  trop  serrée,  est  un  vêtement  utile  aux 
hommes  qui  se  livrent  k  des  travaux  pénibles. 
Elle  soutient  les  viscères  abdominaux  et  donne  un 
.solide  point  d'appui  aux  muscles  pendant  un  effort 
énergique.  Ces  ceintures  protègent  en  outre  du 
froid  l'abdomen,  qui  est  très  sensible  aux  varia- 
tions de  température. 

La  conslriction  causée  par  les  jarretières  au- 
dessous  du  genou  empêche  la  circulation  dans  les 
membres  inférieurs  et  devient  fréqnemment  la 
cause  de  varices  qui  produisent  parfois  dos  ulcères 
incurables.  La  seule  manière  hygiénique  de  sou- 
tenir les  bas  consiste  à  les  attacher  au  caleçon  par 
des  liens  un  peu  élastiques. 

Depuis  assez  longtemps  déjà  on  a  remplacé 
l'habit  par  la  tunique  dans  les  collèges  et  dans 
l'armée.  Les  résultats  hygiéniques  ont  été  nota- 
bles. Il  y  a  eu  diminution  des  maladies  causées 
par  le  refroidissement  de  l'abdomen. 

Voici  quelles  sont  les  conditions  hygiéniques  de 
la  chaussure.  La  semelle  doit  avoir  pour  dimen- 
sions le  dessin  laissé  sur  une  feuille  de  papier 
par  un  crayon  qui  suit  les  contours  du  pied  sup- 
portant tout  le  poids  du  corps:  elle  doit  en  outre 
être  k  la  fois  dure,  élastique  et  imperméable,  Lo 
cuir  de  l'empeigne  doit  être  perméable  aux  gaz,  et 
aussi  imperméable  à  l'eau  que  possible.  Un  talon 
de  I  à  2  centimètres  suffit  pour  assurer  un  soulier 
arqué  à  la  voûte  plantaire.  S'il  atteint  les  dimen- 
sions renouvelées  des  modes  de  la  cour  de 
Louis  XV,  il  rend  la  démarche  disgracieuse,  fausse 
l'aplomb  des  jambes  et  du  bassin,  expose  aux 
chutes,  aux  entorses,  et  s'oppose  k  une  marche 
prolongée.  L'emploi  d^s  hauts  talons  est  una 
excentricité  d'autant  plus  regrettable  que,  sans 
illusionner  sur  la  stature  de  celles  qui  en  font 
usage,  ils  diminuent  leurs  grâces  naturelles,  les 
exposent  à  des  accidents,  et  surtout  contribuent  à 
l'étiolement  féminin  qui  est  un  des  plus  grands 
malheurs  de  notre  temps.  De  plus  les  femmes 
adoptent,  toujours  par  coquetterie,  des  chaussures 
en  cuir  très  mince  on  en  étoffe,  qui  ne  protègent 
le  pied  ni  contre  le  froid  ni  contre  l'humidité: 
c'est  là  une  des  causes  des  maladies  si  fréquentes 
de  leur  sexe,  maladies  qui  résultent  presque 
toujours  d'habitudes  anti-hygiéniques. 

Le  corset  mérite  une  attention  toute  spéciale. 
La  plupart  des  hygiénistes  se  sont  élevés  contre 
l'usage  de  ce  vêtement,  qu'ils  auraient  voulu  pros- 
crire. Voici,  en  résumé,  les  griefs  cités  contre  lui  : 
excoriations  aux  hanches,  aux  aisselles;  difficulté 
(le  la  plupart  des  mouvements  du  corps;  atrophie 
des  muscles  devenus  inactifs;  abaissement  et  rap- 
prochement permanent  des  côtes  inférieures  ; 
rétrécissement  delà  base  du  thorax;  réductiiui 
des  cavités  de  la  poitrine  et  de  l'abdomen  ;  refou- 


VÊTEMENTS 


—  2308 


VIANDE 


lement  du  diapliragme  ;  compression  des  pou- 
mons, du  cœur,  de  l'estomac,  du  foie  et  des 
autresviscères  abdominaux,  surtout  après  le  repas  ; 
aggravation  des  prédispositions  aux  maladies  de 
ces  organes;  palpitations  de  cœur;  embarras  de 
la  circulation,  congestions,  gastralgie,  constipa- 
tion, déformation  du  foie  ;  troubles  de  toutes  les 
fonctions  abdominales. 

Il  n'y  a  rien  d'exagéré  dans  ce  réquisitoire.  Le 
corset,  cependant,  plaide  les  circonstances  atté- 
nuantes et  met  en  avant,  comme  sa  principale 
raison  d'être,  la  faiblesse  de  la  femme.  Etant 
donné,  en  effet,  une  femme  étiolée,  anémique, 
dégénérée,  telle  que  la  produit  la  vie  civilisée  de 
notre  temps,  le  corset  est  un  palliatif  de  sa  fragi- 
lité. Mais  ce  remède  présentant  tous  les  inconvé- 
nients que  nous  venons  de  signaler,  il  faudrait  s'ef- 
forcer de  mettre  les  générations  nouvelles  à  même 
de  s'en  passer. 

En  tout  cas,  l'hygiène  prescrit  absolument  de 
no  commencer  l'usage  du  corset  que  quand  la 
femme  a  complété  son  développement.  Api  es  une 
éducation  hygiénique,  continuée  pendant  plusieurs 
générations,  il  n'y  aurait  guère  lieu  de  le  faire  in- 
tervenir. Mais  si  son  emploi  était  jugé  utile  par  le 
médecin,  seul  juge  compétent,  il  faudrait  au 
moins  que  le  corset,  au  lieu  d'être  un  instrument 
de  torture  destiné  h  mouler  le  corps  d'après  des 
formes  conventionnelles,  devînt  un  soutien  pour 
certains  organes,  un  point  d'appui  pour  les  mus- 
cles. Pour  cela,  il  devrait  se  composer  de  pièces 
plus  ou  moins  flexibles  et  élastiques  permettant 
tous  les  mouvements  du  tronc;  par  conséquent, 
il  ne  devrait  pas  comporter  de  buse  rigide. 

Le  seul  avantage  du  corset,  pour  une  femme  en 
bonne  santé,  c'est  de  prêter  un  point  d'appui 
large  et  résistant  pour  attacher  les  jupons  sans 
comprimer  la  base  de  la  poitrine.  Ajoutons  toute- 
fois que  si  l'obésité  devient  une  source  de  gêne, 
un  corset  souple  muni  d'une  ceinture  abdominale 
élastique  rend  des  services  incontestables,  pourvu 
qu'on  ne  l'emploie  que  comme  vêlement  confor- 
table, et  non  pour  chercher  à  dissimuler  par  la 
compression  le  développement  excessif  des  tissus 
adipeux. 

Il  est  bon  d'habituer  les  enfants  k  coucher  la 
tête  nue  et  à  s'ébattre  sans  coilTure,  dès  qu'ils  peu- 
vent se  passer  du  bourrelet.  Les  vieillards,  même 
s'ils  n'ont  pas  la  tête  dégarnie,  doivent  la  protéger 
la  nuit  par  un  bonnet  de  coton  et  mieux  par  un 
serre-tête  qui  ne  cause  aucune  constriction.  Les 
personnes  chauves  ne  doivent  pas  hésiter  à  porter 
pendant  le  jour  une  calotte  ou  un  bonnet  grec, 
voire  même  une  perruque,  pour  se  préserver  des 
maux  de  tête,  rhumes,  névralgies  dentaires  et  ma- 
ladies des  yeux  qui  se  développent  comme  con- 
séquence de  l'action  habituelle  du  froid  sur  la 
tète.  Pour  l'homme,  la  coiffure  la  plus  gênante  et 
l'une  des  moins  hygiéniques  est  le  chapeau  dit  à 
haute  forme,  qui  comprime  circulairement  la  tète, 
protège  mal  les  oreilles  et  surtout  les  yeux.  Le 
chapeau  de  feutre  léger,  à  forme  un  peu  hante  et 
larges  bords,  est  le  plus  hygiénique  pendant  l'hiver  ; 
en  été,  le  chapeau  de  paille  de  même  forme  le 
remplace  avec  avantage.  Quant  à  la  coiffure  des 
femmes,  on  peut  dire  qu'elle  consiste  surtout  dans 
leur  chevelure  agrémentée  de  coûteuses  et  fragiles 
fantaisies  que  les  hygiénistes  voudraient  voir  rem- 
placer par  un  chapeau  véritablement  protecteur. 
C'est  un  vœu  platonique  qu'ils  doivent  formuler  par 
acquit  de  conscience,  bien  sûrs  de  n'être  pas  écoutés. 

Il  est  évident  que  les  indications  sommaires  que 
nous  venons  de  donner  sur  les  vêtements  sont 
sujettes  i  des  modifications  autres  que  celles  de  la 
fantaisie,  suivant  le  climat,  la  saison,  les  occupa- 
tions. Ces  modifications  constituent  une  partie  im- 
portante de  l'hygiène  des  saisons,  des  climats  et 
des  professions.  ID'  Saffray.] 


VI.VNDE.  —  Hygiène,  IX  ;  Connaissances  usuel- 
les, IX.  —  La  composition  chimique  des  viandes 
comestibles  et  celle  de  nos  tissus  sont  à  peu  près 
identiques.  Il  en  résulte  que  les  viandes  sont  pour 
nous  des  aliments  d'une  assimilation  prompte 
et  facile,  qui  réparent  nos  tissus  sans  subir  des 
transformations  compliquées.  On  leur  donne  sou- 
vent le  nom  d'aliments  plaUiques  à  cause  de 
cette  propriété  réparatrice,  tandis  qu'on  appelle 
aliments  comOwtiljles  ceux  qui  servent  princi- 
palement à  entretenir  la  chaleur  du  corps,  tels 
que  l'amidon,  le  sucre,  les  matières  grasses. 

La  viande  ou  chair  musculaire  se  compose  prin- 
cipalement de  musculine  (analogue  ila  fibrine  du 
sang),  sous  forme  de  fibrilles  réunies  en  fais- 
seaux  ou  fibres  enveloppés  de  tissu  celluleux. 
Entre  les  fibres  et  les  fibrilles  circulent  des  vais- 
seaux, des  nerfs.  La  matière  grasse  s'y  infiltre  en 
petite  quantité,  même  chez  les  animaux  maigres. 
■Toute  la  masse  est  humectée  par  un  liquide  qui 
contient  un  peu  d'albumine,  des  sels,  et  diverses 
matières  organiques  en  très  petite  quantité. 

Voici,  d'après  Berzélius,  la  composition  immé- 
diate de  la  chair  de  bœuf,  supposée  privée  de 
graisse  : 

Eau 77,17 

Fibres  charnues,  vaisseaux  cl  DCrfs.  13,60 

Tissu  teudineui  réductible  ou  gé- 
latine   1,90 

Alliumiue  (coaRulablc) 2,Î0 

Substances  solublcsdans  l'eau,  non 

coagulables 1,03 

Sulislaiiecs  solubles  dans  l'alcool.  1,80 

Phos|jliatc  de  chaui 0,08 

100,00 

Parmi  les  substances  solubles  et  insolubles  se 
trouvent  l'acide  lactique,  l'inosite,  matière  sucrée 
analogue  au  sucre  de  lait,  des  sels  de  potasse,  de 
soude,  de  magnésie,  de  l'oxyde  de  fer  et  du  sou- 
fre. 

Les  viandes  des  divers  animaux  se  distinguent, 
surtout  après  la  cuisson,  par  un  arôme  spécial,  en 
quantité  impondérable,  qui  agit  sur  les  organes  [ 
digestifs  à  la  manière  des  subtances  aromatiques 
employées  dans  la  préparation  des  aliments.  Ces 
matières  rendent  la  viande  plus  sapide,  et  stimu- 
lent la  sécrétion  des  liquides  digestifs. 

La  peau,  les  tendons,  les  tissus  cellulaires  se 
changent  en  gélatine  pendant  la  coction  prolongée. 
Cette  substance  est  très  peu  nutritive.  Elle  est 
surtout  abondante  chez  les  animauxjeunes  comme 
le  veau,  l'agneau,  le  poulet. 

La  viande  de  mouton  acquiert  un  peu  ayant 
l'âge  adulte  ses  meilleures  qualités  alimentaires. 
Plus  tard,  elle  est  plus  nourrissante,  il  est  vrai, 
mais  on  la  trouve  dure,  et  son  arôme  trop  fort  est 
peu  agréable.  Pour  le  bœuf  et  la  vache,  l'engrais- 
sement deux  ou  trois  ans  après  l'âge  adulte  donne 
la  viande  la  plus  sapide  et  la  plus  nourrissante. 
Cependant  les  exigences  de  la  clientèle  riche  ont 
fait  adopter  l'engraissement  avant  l'âge  adulte  de 
races  dites  précoces.  La  chair  de  ces  animaux  est 
tendre  et  succulente  ;  toutefois  les  muscles  marbrés 
de  graisse  obligent  à  consommer  une  grande 
quantité  de  cette  matière.  En  hiver  il  n'y  a  pas 
lieu  de  beaucoup  s'en  préoccuper,  mais  l'usage  de 
viande  grasse  offre  en  été  de  sérieux  inconvé- 
nients. 

Après  une  importante  discussion  entre  les  mem- 
bres de  la  Société  centrale  d'agriculture.  M,  Che- 
vreul  a  résumé  en  ces  termes  son  opinion  au  sujet 
des  qualités  alimentaires  de  la  via'nde  de  bou- 
cherie : 

«  La  viande,  considérée  au  point  de  vue  le  plus  i 
général,  sous  le  rapport  de  sa  composition  immé- 
diate, donne  lieu  i  la  distinction  de  deux  matières 
constituantes  :  la  graisse,  et  la  partie  fibrineuso 
ou  musculaire  proprement  dite  ;  la  première  fojj^^ 


I 


VIANDE 


—  2309  — 


VIANDE 


et    suriiago,  sur    l'eau,    la  deuxième  ne  se   fond 
pas. 

«  Je  prendrai  pour  terme  de  comparaison  la 
viande  d'une  excellente  qualité,  provenant  d'un 
bœuf  igé  de  7  i  9  ans  qui,  après  avoir  travaillé 
comme  bète  de  trait,  a  été  mis  à  l'engrais  avant 
d'être  livré  au  bouclier. 

n  Gc^ttn  viande  se  compose  de  trois  matières 
principales  :  une  graisse  fusible  de  .35°  à  39°  ;  une 
matièi'o  soluble  dans  l'eau  du  pot-au-feu,  consti- 
tuant le  bouillon  lorsqu'on  y  a  ajouté  du  sel,  etc.; 
une  matière  constituant  le  bouilli,  formée  de  sub- 
stance librineuse,  de  graisse  qui  n'a  pas  été  sépa- 
rée, et  de  bouillon  retenu  entre  les  fibres. 

«  La  viande  de  bœuf  a  toujours  été  pour  moi  la 
viande  la  plus  réparatrice,  et,  à  mon  sens,  on  a 
singulièrement,  sous  ce  rapport,  trop  déprécié  le 
bouilli  ;ï  l'avantage  du  rôti. 

n  D'après  l'examen  de  diverses  viandes  d'animaux 
précoces,  j'ai  observé  les  faits  suivants  ; 

0  l°La  matière  grasse  y  était,  relativement  h  la 
partie  fibrineuse,  en  proportion  plus  forte  que 
dans  la  viande  que  je  qualifie  do  normale. 

"  2°  La  matière  grasse  était  plus  fusible  que 
ceile  de  celte  dernière  viande.  Par  exemple  une 
graisse  de  brebis  précoce  était  fusible  de  29°  à  30", 
tandis  que  celle  d'une  brebis  ordinaire  l'était  de 
37°à  41°. 

«  3°  La  bonne  qualité  de  la  viande  de  bœuf  se 
manifeste  par  l'excellence  du  bouillon  au  point  de 
vue  de  l'arôme  et  de  la  propriété  nutritive. 

«  4°  La  partie  fibrineuse  de  la  viande  normale 
a  une  ténacité,  une  résistance  à  l'action  de  l'eau 
froide,  que  n'a  point  la  partie  fibrineuse  de  la  viande 
d'un  animal  engraissé  rapidement.  Si  générale- 
ment la  viande  de  ce  dernier  est  plus  tendre,  cela 
tient  à  ce  qu'il  y  a  plus  de  matière  grasse,  h  ce 
que  la  partie  fibrineuse  a  moins  de  résistance  et 
que  le  tissu  gélatineux  est  souvent  en  proportions 
plus  fortes  que  dans  la  première. 

Il  5°  Les  viandes  produites  rapidement  le  sont 
par  des  animaux  qui  vivent  généralement  moins 
exposés  au  grand  air  et  au  soleil  que  les  animaux 
doiit  la  viande  est  normale,  à  mon  sens.  Les  con- 
ditions où  vivent  les  premiers  ont  quelque  ana- 
logi'^  avec  celles  qui  étiolent  les  végétaux,  et  sans 
doute  elles  favorisent  plus  le  développement  du 
tissu  adipeux  que  le  développement  du  tissu  fibri- 
neux,  et  l'on  peut  ajouter  que  l'cxenice,  l'expo- 
sition au  grand  air  et  au  soleil  sont  très  propres 
encore  à  la  production  des  principes  sapides  et 
des  principes  odorants.  » 

Les  qualités  alimentaires  des  viandes  varient 
suivant  les  espèces,  les  races,  les  variétés,  l'âge, 
le  mode  de  nourriture  et  le  procédé  d'engraisse- 
ment. La  meilleure  viande  se  trouve  le  long  de 
la  colonne  vertébrale,  h  la  croupe,  aux  cuisses  et 
aux  épaules.  Celle  des  jambes,  du  bas  des  côtes, 
de  la  poitrine,  du  cou  et  de  la  tête  est  moins  sa- 
pide  ;  elle  est  entremêlée  de  tissus  cellulaire  et 
tendineux  qui  produisent  de  la  gélatine,  matière 
presque  négligeable  dans  l'évaluation  des  qualités 
nutritives  de  la  viande,  surtout  lorsqu'une  cbulli- 
tiou  prolongée  a  rendu  ce  produit  très  soluble  et 
analogue  aux  sels  ammoniaciux,  riches  en  azote, 
mais  inassimilables  par  les  animaux. 

Le  dépeçage  des  animaux  de  boucherie  produit 
trois  catégories  commerciales  de  morceaux,  sa- 
voir :  le  train  de  derrière  y  compris  l'aloyau,  le 
filet  et  les  parties  correspondantes  des  côtes;  les 
côtes  avec  les  parties  contiguës  des  flancs  et  de  la 
région  de  l'épaule  ;  le  cou,  la  tête,  la  queue,  les 
jarrets  et  la  partie  inférieure  du  ventre. 

Les  produits  accessoires  du  dépeçage  ou  abats 
no  possèdent  pas,  pour  la  plupart,  les  qualités  nu- 
tritives de  la  viande,  mais  ils  fournissent  à.  l'ali- 
mentation des  ressources  qu'il  ne  faut  pas  négli- 
ger. 


Le  foio  de  veau,  justement  estimé,  contient  74 
parties  d'eau  et  20  parties  de  matières  azotées. 
Mais  cotte  matière  azotée  consiste,  pour  une 
bonne  part;,  en  albumine  et  non  en  niusculine. 

Le  poumon  est  plus  riche  encore  en  matières 
azotées.  Pour  le  rendre  agréable,  il  faut  une  cuis- 
son appropriée  et  un  assaisonnement  relevé. 

Les  rognons  de  mouton  sont  encore  plus  riches 
en  albumine  que  le  foie  de  veau  :  c'est  pourquoi, 
si  l'on  veut  en  faire  un  aliment  tendre  et  de  facile 
digestion,  il  importe  de  les  faire  cuire  prompte- 
ment,  h  feu  vif,  de  telle  sorte  que  leur  masse 
n'atteigne  pas  une  température  supérieure  à  55°. 
On  calcule  que  liiO  grammes  de  rognons  équiva- 
lent à  110  grammes  de  viande  de  boucherie  de 
bonne  qualité. 

Le  cœur  est  constitué  par  des  muscles  maigres, 
mais  tendres  et  de  bon  goût.  A  poids  égal,  il  pro- 
cure plus  de  matière  réparatrice  que  le  meilleur 
filet. 

La  cervelle  de  mouton  renferme  pour  100  par- 
ties :  eau,  80;  matières  azotées,  !0;  substances 
grasses,  8  ;  sels  minéraux,  2.  Par  conséquent,  elle 
est  presque  moitié  moins  nourrissante  que  le 
filet.  Mais  son  action  peut  être  très  favorable 
dans  certaines  maladies,  parce  qu'elle  contient 
une  notable  proportion  de  phosphore  sous  une 
forme  immédiatement  assimilable. 

Les  pieds  de  mouton,  de  bœuf,  de  porc  n'of- 
frent guère,  comme  matières  alimentaires,  que  de 
la  peau  et  des  tendons,  qui  se  changent  en  géla- 
tine pendant  l'ébullition  prolongée  à  laquelle  on 
les  soumet.  Ils  ne  constituent  donc  pas  un  ali- 
ment réparateur. 

La  langue  des  animaux  de  boucherie  offre  à  peu 
près  la  composition  de  la  viande  grasse  des  races 
précoces. 

Immédiatement  après  l'abattage,  la  viande  est  un 
peu  coriace.  Avant  de  la  cuire,  il  convient  d'at- 
tendre que  les  premiers  effets  de  la  décomposition 
en  aient  attendri  les  fibres.  En  été,  un  délai  de 
douze  à  vingt-quatre  heures  est  suffisant  ;  il  faut 
plus  du  double  en  hiver. 

L'usage  de  la  viande  crue  offre  rarement  des  avan- 
tages, et,  outre  qu'il  répugne  à  nos  goûts,  il 
présente  le  très  grave  inconvénient  de  nous  expo- 
ser à  des  maladies  parasitaires  que  la  cuisson 
complète  permet  toujours  d'éviter.  L'usage  médi- 
cinal de  la  viande  crue  a  presque  entièrement 
cessé  pour  ces  raisons.  Celui  des  viandes  peu 
cuites  ou  saignantes  offre  encore  des  dangers, 
puisque  la  couleur  rouge  prouve  que  l'intérieur 
des  morceaux  n'a  pas  subi  la  température  qui 
tue  les  parasites.  Pour  l'alimentation  des  hommes 
comme  pour  celle  des  animaux,  il  y  a  tout  avan- 
tage   à   cuire  complètement  les  viandes. 

Voici  ce  qui  se  passe  dans  la  préparation  d'un 
rôti.  Les  parties  extérieures,  brusquement  chauf- 
fées de  100°  à  110°,  se  contractent,  l'albumine  se 
coagule,  ferme  les  issues  par  où  les  sucs  pour- 
raient s'échapper,  de  sorte  que  l'intérieur  se  trouve 
macéré  pendant  quelque  temps  à  une  tempéra- 
ture de  50°  h  C5°.  D^ins  ces  conditions,  l'albu- 
mine des  parties  centrales  n'est  pas  coagulée,  la 
matière  colorante  rouge  (hématosine)  n'est  pas 
détruite,  mais  les  fibres  sont  suffisamment  ramol- 
lies et  l'arôme  convenablement  développé.  Au 
point  de  vue  gastronomique,  le  rôti  saignant  ou 
au  moins  rosé  est  peut-être  le  meilleur;  mais,  au 
point  de  vue  de  l'hygiène,  il  faudrait  que  les  par- 
ties centrales  atteignissent  au  moins  la  tempéra- 
ture de  S0°,  k  laquelle  ne  résistent  guère  les 
parasites. 

Si  l'on  plonge  la  viande  dans  l'eau  bouillante,  et 
qu'après  avoir  activé  l'ébullition  pendant  quelques 
minutes  on  continue  la  cuisson  à  la  température 
de  70°  environ,  on  obtient  un  produit  assez  sem- 
blable à  la  viande  rôtie,  sauf  l'arôme  de ,  parties 


VIANDE 


—  2310 


VIANDE 


extérieures  que  le  rôtissage  caramélise.  En  effet, 
l'action  de  l'eau  bouillante  coagule  l'albumine  et 
rétrécit  les  fibres  de  la  surface,  de  sorte  que  les 
sucs  se  trouvent  emprisonnés.  Dans  ce  cas,  il  est 
évident  que  le  bouillon  ne  possède  pour  ainsi  dire 
aucune  valeur  nutritive. 

Si,  au  contraire,  on  met  la  viande  dans  l'eau 
froide  et  que  l'on  élève  lentement  la  température, 
la  coagulation  de  l'albumine  n'a  lieu  qu'après  la 
dissolution  d'une  certaine  quajiiité  de  matières 
sapides  et  nutritives,  de  sorte  que  l'on  a  de  bon 
bouillon. 

Lorsque  l'on  recueille,  au  moyen  d'un  appareil 
djstillatoire,  les  produits  volatils  qui  s'échappent 
d'un  pot-au  feu  sans  légumes,  on  constate  la  pré- 
sence des  matières  suivantes  :  ammoniaque,  acide 
suiniydrique,  acide  analogue  à  l'acide  acétique, 
principe  odorant  variable  selon  l'espèce  de  viande 
employée. 

Pour  apprécier  à  leur  juste  valeur  les  qualités 
nutritives  du  bouilli,  il  suffit  de  constater  quelle 
perte  la  viande  suint  pendant  la  préparation  du 
pot-au-feu.  On  obtient  du  même  coup  la  valeur 
nutritive  du  bouillon. 

Supposons  un  pot-au-feu  composé  comme  suit  : 

Eau 10  litres. 

A'iande  avec  les  os 4  kit. 

Légumes 1  kil. 

Sel  blanc 100  gr. 

Après  sept  heures  d'ébullition  Cdeux  seulement 
pour  les  légumes),  un  litre  de  bouillon  présente 
la  composiiion  suivante  : 

Eau 993  gr.  600 

Substance  organique  séchée  16           9t7 

Selssolnbles 10           7!4 

Suis  très  peu  solubles 0          S39 


1013  gr.  780 

Sur  les  3S  grammes  d'extrait  total  on  trouve  : 

10  gr.  provenant  du  îel  emplové. 
1(1  a  12    —  delà  viande.' 

6  à     7    —  des  légumes. 

La  viande  n'a  donc  fourni  à  un  litre  d'excellent 
bouillon  que  10  à  12  grammes  de  matières  ali- 
mentaires dans  lesquelles  la  gélatine  entre  pour 
huit  dixièmes.  Voilà  à  quoi  se  réduit  la  valeur 
nutritive  du  bouillon.  Mais  il  contient  quelques 
sels  de  la  viande  et  des  principes  aromatiques  qui 
jouent  un  rôle  important  comme  stimulants  des 
fonctions  digestives  ;  c'est  en  cela  que  réside  son 
incontestable  valeur. 

Les  bouchers  ont  cherché  à  faire  croire  que 
les  os  améliorent  le  bouillon.  Ils  n'y  apportent 
qu'une  petite  quantité  de  matière  grasse  et  de 
gélatine. 

La  viande  abandonnée  à  elle-même  subit  assez 
promptement  la  fermentation  putride.  Cette  fer- 
mentation l'attendrit  et  développe  l'arôme  du  gi- 
bier. De  là  l'usage  de  manger  certaines  viandes 
avancées  ou  faisandées,  c'est-à-dire  à  l'état  d'un 
faisan  qui,  suspendu  par  la  tête,  se  détache  par 
suite  du  ramollissement  des  tissus.  A  part  la 
répugnance  que  peuvent  inspirer  les  viandes  à 
demi  putréfiées,  il  semble  prouvé  qu'une  cuisson 
complète  les  rend  inoffensives.  Il  en  est  de  mente 
des  animaux  atteints  d'affections  contagieuses  ou 
inoculables. 

Mais  si  la  viande  est  soupçonnée  de  contenir 
des  geriues  de  ver  solitaire  ou  des  trichines,  il 
faut  veiller  avec  un  soin  scrupuleux  à  la  coction 
parfaite  de  toutes  les  parties.  Pour  cela  on  évite 
d'employer  des  morceaux  épais,  et  l'on  prolonge 
l'ébullition  pendant  plusieurs  heures. 

Les  viandes  cuites  subissent  une  putréfaction 
spéciale.  Elles  sont  d'ordinaire  envahies  par  des 
moisissures,  et  l'on  constate  souvent  des  accidents 


causés,  selon  toute  apparence,  par  cette  végétation 
microscopique. 

La  quamité  de  viande  de  bouclieric  consommée 
en  France  ne  dépasse  guère  5il  grammes  par 
jour  et  par  individu.  Cette  ration  insuffisante  est 
d'ailleurs  très  inégalement  répartie,  car  dans  les 
grandes  villes  la  consommation  atteint  200  gram- 
mes, tandis  que  dans  les  campagnes  la  viande 
constitue  un  extra  réservé  pour  les  jours  de  fête 
et  les  périodes  de  travaux  extraordinaires.  Dans 
les  campagnes,  l'usage  du  lait  sous  toutes  ses  for- 
mes compense  assez  bien  le  déficit  de  viande  dans 
la  ration  alimentaire. 

Pour  augmenter  la  consommation  de  la  viande 
dans  les  pays  qui  n'en  produisent  pas  suffisam- 
ment pour  les  besoins  de  la  population,  il  faut 
recourir  à  des  moyens  de  conservation  qui  per- 
mettent de  la  transporter  snns  altération  sensible. 

L'action  du  froid,  surtout  dans  une  atmosphère 
sèche,  est  le  seul  moyen  connu  pour  conserver 
longtemps  la  viande  sans  altérer  ses  qualités.  En 
pratique,  la  question  de  conservation  par  le  froid 
artificiel  consiste  à  trouver  les  procédés  les  plus 
économiques.  Dans  des  navires  aménagés  à  cet 
efl'et,  on  a  transporté  en  Europe  des  viandes  de 
l'Amérique  du  sud  et  de  l'Australie.  Les  essais 
ont  été  assez  satisfaisants  pour  engager  à  les 
poursuivre. 

Dans  l'Amérique  du  sud,  on  découpe  la  viande 
en  minces  lanières  que  l'on  sèche  lapidcment  au 
soleil.  Le  tasajn  ainsi  proparé,  conservé  en  un 
lieu  sec,  constitue, un  aliment  un  peu  odorant, 
souvent  coriace,  mais  dont  on  se  contente  en  l'ab- 
sence de  viande  fraîche.  La  dessiccation  opérée 
dans  des  appareils  spéciaux  permettrait  sans 
doute  d'obtenir  un  produit  plus  uniforme,  dé- 
pourvu de  toute  mauvaise  odeur.  Pour  le  conser- 
ver longtemps,  il  suffirait  de  le  compriiuer  dans 
des  récipients  convenables  maintenus  bien  fer- 
més et  à  l'abri  de  l'humidité.  La  viande  séchée, 
moulue  et  comprimée  à  la  presse  hydraulique 
sous  forme  de  tablettes,  pourrait  se  conserver 
indéfiniment,  si  on  recouvrait  chaque  tablette  d'une 
couche  protectrice  imperméable. 

Le  procédé  le  plus  pratique  pour  conserver  les 
viandes  cuites  destinées  à  de  longs  voyages  con- 
siste à  les  renfermer  dans  des  boites  de  fer-blanc 
que  l'on  fait  chauffer  dans  des  appareils  appro- 
priés. Le  couvercle  de  la  boîte  est  percé  d'un 
petit  trou.  Quand  le  contenu  entre  en  ébullition, 
la  vapeur  se  dégage  avec  force  par  cet  orifice.  On 
retire  alors  la  boite,  on  bouche  le  trou  au  moyen 
d'une  goutte  de  soudure,  et  la  vapeur  intérieure, 
en  se  condensant,  ne  laisse  pas  entrer  d'air,  de 
sorte  que  la  fermentation  ultérieure  est  impos- 
sible (V.  Conserves  alimentaires). 

On  vend  sous  le  nom  de  bouillon  concentré, 
extrait  de  viande,  etc.,  des  préparations  au  moins 
suspectes.  Les  meilleures  ne  peuvent  que  rempla- 
cer assez  mal  le  bouillon  lorsqu'il  est  impossible 
de  se  le  procurer.  Quant  à  l'extrait  de  viande 
vendu  -40  francs  le  kilogramme,  il  fournit  à  raison 
de  1  fr.  40  le  litre  un  liquide  qui  n'est,  en  réalité, 
qu'une  solution  de  gélatine  additionnée  d'une  très 
faible  quantité  des  éléments  actifs  du  bouillon. 

Dans  les  ménages,  il  est  utile,  en  été  surtout,  I 
de  pouvoir  conserver  pendant  plusieurs  jours  les 
viandes  cuites  ou  crues.  Voici  un  procédé  aussi 
simple  que  pratique.  Dans  un  vase  imperméable 
muni  d'un  couvercle  bien  ajusté,  on  dispose  les 
morceaux  à  conserver,  en  ayant  soin  do  les  isoler 
autant  que  possible.  Pour  cola  il  est  bon  d'em- 
ployer des  assiettes  en  fil  de  fer  galvanisé.  A  la 
partie  inférieure  du  vase  on  place  un  petit 
récipient  à  large  ouverture  dans  lequel  on 
verse  une  quantité  d'acide  acétique  pur  suffi- 
sante pour  que  ses  vapeurs  remplissent  tout  le 
vase.  On  ajuste  avec  soin  le   couvercle,  et  pour 


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plus  dn  sûreté  on  colle  autour  une  bando  de 
papier.  Les  vapeurs  d'acide  acétique  tuent  les 
ferments,  et  la  viande  se  conserve  sans  autre  alto- 
ration  ([u'un  petit  goùtaigreletiju'on  lui  fait  perdre 
on  l'exposant  il  l'air  ou  par  une  nouvelle  cuisson. 

La  composition  cliimique  des  viandes  de  volaille 
et  de  gibier  diffère  pou  de  colle  des  animaux  de 
buucberie.  Cependant  la  cbair  du  gibier  contient 
moins  d'albumine  et  surtout  de  matières  grasses. 
Ses  Hbi'os  sont  plus  denses,  sou  arôme  plus  déve- 
loppé. Elle  nécessite  une  mastication  plus  com- 
plète, et  sa  digestion  provoque  parfois  une  sorte 
do  mouvement  fébrile  passager.      [D'  Saffray.J 

VIE.  —  Zoologie,  I;  Botanique,  I.  —  Les  coi-ps 
qui  composent  le  monde  nous  apparaissent  comme 
partages  en  deux  grandes  catégories  :  ceux  «qui 
sont  doués  de  vie  et  ceux  qui  en  sont  dépourvus, 
les  corps  vU'ants  ou  organisiis,  et  les  corps  /jrut.i 
ou  inorganiques.  Qu'est-ce  donc  que  cette  qualité 
commune  aux  premiers,  qu'on  appelle  la  vie,  et 
qui  sert  de  base  à  cette  division  loiidamentale 
dans  l'étude  de  la  nature  ? 

Psous  ne  saurions  commencer  par  définir  la  vie  : 
cette  définition  supposerait  déjî  la  connaissance 
de  son  objet,  et  ne  peut  être  qu'une  conclusion, 
non  un  point  de  départ.  Quant  à  la  question  de 
l'origine  de  la  vie.  le  cadre  limité  de  cet  article 
ne  nous  permet  pas  de  la  soulever  ici  :  ce  pro- 
blème, tant  étudié  de  nos  jours,  renferme  en  ell'et 
presque  toute  la  science  et  la  pliilosnpliie  con- 
temporaines. Nous  ne  pouvons  non  plus  entrer 
dans  l'étude  détaillée  des  phénomènes  de  la  vie: 
ces  questions  ont  du  reste  été  traitées  dans  les 
articles  spéciaux  consacrés  à  la  physiologie  ani- 
male et  végétale  (V.  entre  autres  Physiuiogie  et 
Viigélal). 

Ce  que  nous  allons  examiner  ici,  c'est  d'abord 
les  caractères  particuliers  qui  sont  propres  aux 
corps  vivants  et  les  distinguent  des  corps  inorga- 
niques. Puis,  parmi  l'infinie  diversité  des  formes 
et  des  phénomènes  par  lesquels  se  manifeste  la 
vie,  nous  cliercherons  à  dégager  ce  qu'il  y  a  de 
fondamental  et  de  commun,  à  remonter  aussi 
loin  que  possible  jusqu'aux  phénomènes  simples 
et  primitifs  doni  les  combinaisons  forment  cette 
variété  et  cette  complexité  avec  lesquelles  nous 
apparaissent  les  êtres  vivants.  Enfin  nous  exami- 
nerons les  différentes  idées  que  l'on  s'est  faites 
de  la  vie,  les  diverses  théories  par  lesquelles  on  a 
essayé  de  l'expliquer,  et  ce  que  la  science  mo- 
derne paraît  devoir  en  confirmer  ou  en  reje- 
ter. 

I.  L'être  vivant  nous  apparaît  d'abord  comme 
un  indiiidii,  comme  un  tout  qui  ne  peut  êtie 
divisé  sans  perdre  son  caractère  propre.  Quand 
nous  parlons  d'une  montagne  ou  d'un  fleuve,  il 
n'y  a  dans  cette  expression  d'unité  qu'une  con- 
ception abstraite  de  notre  intelligence  :  les  diffé- 
rentes parties  de  la  montagne  ou  les  ondes  du 
fleuve  n'existent  pas  les  unes  pour  les  autres,  et, 
si  on  les  sépare,  elles  resteront  telles  qu'elles 
étaient.  Dans  l'animal  ou  dans  la  plante  au  con- 
traire, chaque  partie  ne  saurait  exister  pour  elle- 
même,  indépendamment  du  corps  vivant  auquel 
elle  appartient  :  chaque  membre,  chaque  organe, 
ne  peut  être  séparé  des  autres,  et  ne  se  comprend 
que  par  le  l'ùle  qu'il  joue  dans  l'ensemble  de 
l'être  organisé.  L'être  vivant  forme  une  confédé- 
ration dont  toutes  les  parties  sont  liées  par  une 
solidarité  qui  en  est  le  caractère  essentiel  ;  elles 
sont  faites  pour  concourir  à  un  but  commun,  et 
leur  multiplicité  est  subordonnée  h  une  unité 
dirigeante  qui  n'existe  pas  dans  le  minéral. 

Aussi  le  minéral  n'a-t-il  ni  forme  déterminée, 
ni  limites  nécessaires  :  le  marbre  peut  se  pré- 
senter sous  la  forme  d'un  grain  de  poussière  ou 
BOUS  celle  d'une  montagne  ;  tandis  que  ce  qui 
au  premier  abord  nous  fait    distinguer  l'être    vi- 


vant, c'est  une  forme  générale  déterminée,  qui 
varie  selon  l'espèce,  et  qui  est  toujours  renfer- 
mée entre  certaines  limites.  La  forme  d'un  bœuf 
ou  d'un  chêne  est  toujours  analogue  îi  cellu  d'un 
autre  bœuf  ou  d'un  autre  chêne  :  colle  d'une 
pierre  n'a  pas  nécessairement  la  moindre  ressem- 
blance avec  celle  d'une  autre  pierre. 

Outre  cette  différence  dans  la  forme,  on  voit 
que  le  corps  vivant  se  distingue  encore  du  corps 
inorganique  en  ce  que  celui-ci  est  immuable 
tant  qu'une  force  extérieure  ne  vient  pas  le  mo- 
difier, tandis  que  le  premier  est  soumis  à  une 
évolution  déterminée  d'avance.  Il  naît,  se  déve- 
loppe, se  reproduit,  dépérit  et  meurt.  Un  corps 
brut  se  forme  immédiatement  par  la  combinaison 
d'autres  corps  dont  la  nature  est  tout  b.  fait  diffé- 
rente de  la  sienne  :  ainsi  le  sel  de  cuisine  est  pro- 
duit par  la  combinaison  du  chlore  et  du  sodium, 
l'eau  par  celle  de  l'oxygène  et  do  l'hydrogène, 
etc.,  en  vertu  des  affinités  chimiques.  Une  fois 
formés,  la  goutte  d'eau  et  le  grain  de  sel  dure- 
ront indéfiniment,  dans  un  état  de  repos  et  d'im- 
mobilité complète,  tant  qu'une  force  étrangère 
n'interviendra  pas  :  s'ils  s'accroissent  ou  dimi- 
nuent, ce  sera  par  la  juxtaposition  ou  le  retran- 
chement d'autres  molécules  ;  s'ils  changent  d'état 
ou  disparaissent,  ce  sera  par  l'intervention  d'un 
agent  extérieur  physiqtve  ou  chimique. 

Tout  autre  est  le  mode  d'existence  du  corps 
vivant.  D'abord  il  nait,  c'est-à-dire  qu'au  heu 
d'être  formé  de  toutes  pièces  par  la  combinaison 
d'autres  corps  d'une  nature  différente  de  la  sienne, 
il  procède  nécessairement  d'un  paieïif,  d'un  corps 
vivant  semblable  à  lui.  Ce  n'est  que  sous  l'm- 
fluence  de  cet  autre  corps  de  la  même  espèce 
préalablement  existant,  qu'il  apparaît  sous  la  forme 
d'un  germe  ,■  puis  ce  germe  se  développe  en  vertu 
d'une  force  intérieure,  et  non  plus  seulement  par 
les  actions  des  autres  corps.  Il  s'accroît  ainsi  jus- 
qu'à ce  qu'il  ait  acquis  la  forme  générale  de  l'es- 
pèce, et,  après  une  durée  dont  la  limite  extrême 
est  également  déterminée  par  l'espèce,  il  dépérit 
efmeurt. 

Ainsi  le  corps  brut  n'a  pas  de  limites  necessau-es 
dans  ses  dimensions  et  subsiste  indéfiniment  ;  le 
corps  vivant  est  nécessairement  limité  dans  la  du- 
rée comme  dans  l'espace.  La  inort  nous  apparaît 
partout  comme  une  conséquence  de  la  vie,  et  les 
êtres  vivants  disparaîtraient  bientôt  de  la  nature, 
s'ils  n'avaient  cotte  mystérieuse  faculté  de  se  re- 
produire, c'est-à-dire  de  faire  naître  sous  leur 
influence  d'autres  corps  de  leur  espèce,  qui  k  leur 
tour  parcourent  le  même  cycle,  et  selon  1  image 
poétique  de  Lucrèce,  transmettent  dans  la  chaîne 
continue  des  générations  ce  principe  de  la  vie, 
dont  ils  ont  été  les  dépositaires  passagers,  comme 
le  flambeau  que  les  coureurs  se  transmettaient  de 
main  en   main  dans  les  jeux  antiques. 

Cette  évolution  caractéristique  des  corps  vivants 
résulte  d'accroissements  et  de  diminutions  qui 
s'accomplissent  d'une  manière  tout  opposée  à, 
celle  des  accroissements  ou  diminutions  qui  peu- 
vent survenir  dans  les  corps  inorganiques.  D'abord 
ces  changements  ne  sont  pas  produits  par  une 
action  étrangère,  mais  par  une  action  qui  vient 
de  l'être  vivant  lui-même.  L'accroissement,  au 
lieu  de  se  faire  en  dehors,  par  juxtaposition,  se 
fait  par  intussusception,  c'est-à-dire  par  un  mou- 
vement intérieur  au  moyen  duquel  sont  incorpo- 
rées les  molécules  prises  au  dehors.  C'est  là  la 
nutrition. 

Mais  en  même  temps  qu'il  emprunte  ainsi  au 
monde  extérieur  des  substances  qu'il  s'assimile, 
le  corps  vivant  rend  aussi  sans  cesse  à  ce  même 
monde  extérieur  une  partie  des  molécules  qui  le 
composent,  et  qu'il  rejette  après  se  les  être  mo- 
mentanément incorporées.  Il  y  a  en  lui  un  double 
mouvement  d'assimilation   et  de    désassimilation 


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qui  ne  s'arrête  jamais,  et  l'être  vivant  nous  appa- 
raît dès  lors  comme  soumis  à  une  rénovation  in- 
cessante, comme  un  tourbillon  continuel.  C'est  ce 
mouvement  intérieur  qui  caractérise  essentielle- 
ment la  vie,  et  l'orme  le  contraste  le  plus  absolu 
avec  l'immobilité  moléculaire  des  corps  inorgani- 
ques. Ce  qui  fait  la  durée  et  la  continuité  de 
l'être  vivant,  c'est  le  cadre,  la  forme  générale,  le 
rapport  constant  des  parties  les  unes  avec  les 
autres,  tandis  que  les  éléments  mêmes  de  ces  par- 
ties changent  sans  cesse. 

Seulement  entre  ces  deux  courants  d'absorption 
et  de  rejet,  entre  ces  recettes  et  ces  dépenses  qni 
constituent  le  budget  organique,  il  n'y  a  pas  tou- 
jours équilibre.  Au  début  de  la  vie,  l'assimilation 
l'c  mporte  de  beaucoup  sur  la  perte; l'animal  ou  la 
plante  emprunte  au  monde  extérieur  plus  qu'il  ne 
lui  restitue,  et  cet  excédent  des  recettes  sur  les 
dépenses  se  traduit  par  une  croissance  rapide.  Peu 
Ji  peu  cependant  cette  différence  diminue,  la  crois- 
sance se  ralentit,  jusqu'au  moment  où  l'être  vi- 
vant ayant  acquis  son  développement  normal,  il 
s'établit  un  équilibre  complet  entre  l'assimilation 
et  la  perte  :  les  deux  courants  s'égalisent,  et  la  vie 
est  alors  dans  toute  sa  plénitude.  Après  une  durée 
plus  ou  moins  longue,  cet  état  stationnaire  cesse 
h  son  tour,  et  l'équilibre  se  rompt  en  sens  in- 
verse ;  désormais  ce  sont  les  dépenses  qni  vont 
l'emporter.  L'êlre  vivant  décline  et  dépérit,  et 
semble  s'aclieminer  graduellement  vers  la  mort. 
Enfin,  comme  si  la  force  d'assimilation  s'était  peu 
à  peu  épuisée,  un  moment  vient  où  tout  mouve- 
ment de  rénovation  s'arrête,  le  corps  se  désagrège, 
et  ses  molécules  se  dispersent  dans  le  monde  inor- 
ganique. 

Puisquele  mouvement  nutritif  est  le  phénomène 
le  plus  constant  et  le  plus  caractéristique  de  la 
vie,  il  en  résulte  que  tout  corps  vivant  doit  être 
composé  de  parties  solides  et  de  parties  liquides: 
cette  circulation  incessante  ne  peut  se  produire 
que  dans  des  liquides,  et  les  parties  solides  sont 
nécessaires  pour  contenir  ces  liquides  et  mainte- 
nir la  forme  générale.  Ce  mode  de  structure  est 
une  condition  d'existence  nécessaire  pour  les  êtres 
vivants,  et  c'est  en  raison  de  la  nécessité  de  cette 
organisation  qu'on  leur  donne  le  nom  de  corps 
organiques. 

Si  maintenant,  après  avoir  comparé  les  diffé- 
rents aspects  sous  lesquels  nous  apparaissent  les 
corps  vivants  et  les  corps  bruts,  nous  essayons 
de  pénétrer  plus  loin,  par  l'analyse  chimique  des 
substances  qui  les  composent,  cette  analyse  nous 
révèle  une  nouvelle  différence  très  importante, 
dont  nous  ne  pouvons  faire  ici  l'étude  détaillée, 
mais  qu'il  est  nécessaire  de  signaler.  Non  pas 
qu'il  existe  chez  les  corps  vivants,  ainsi  que  le 
croyait  Bufl'on,  une  matière  spéciale  qui  ne  se 
trouverait  pas  en  dehors  d'eux  et  dans  laquelle 
résiderait  la  cause  même  de  la  vie  :  il  est  bien 
prouvé  aujourd'hui  qu'il  n'y  a  pas  de  corps  simple 
organique,  et  que  les  substances  vivantes  sont 
composées  des  mêmes  éléments  que  les  substan- 
ces minérales,  oxygène,  hydrogène,  azote,  etc. 
Mais  si  ces  éléments  forment  aussi  bien  les  êtres 
vivants  que  les  minéraux,  ils  y  sont  combinés 
d'une  manière  fort  différente. 

Tandis  que  le  minéral  peut  être  composé  d'un 
seul  corps  simple,  comme  le  fer  ou  le  soufre,  ou 
de  la  combinaison  d'un  petit  nombre  de  corps 
simples,  comme  le  sont  l'eau  ou  le  sel  de  cuisine. 
les_  corps  vivants  ont  toujours  une  composition 
chimique  très  complexe.  En  outre,  le  caractère 
chimique  spécial  aux  substances  organisées,  c'est 
surtout  leur  instabilité,  la  facilité  avec  laquelle 
elles  se  décomposent  sous  les  ijiiluences  phy- 
siques. Remarquons  que  ce  caractère  pouvait  en 
quelque  sorte  être  prévu  d'avance  :  nous  avons 
vu   en  effet  que  la  vie  consiste  dans    un  mouve- 


ment de  décomposition  et  de  recomposition  inces- 
santes, et  ce  mouvement  ne  pourrait  se  produire- 
dans  des  substances  qui  présenteraient  une  trop 
grande  stabilité  chimique. 

II.  Ces  caractères  spéciaux  dans  la  forme,  dans 
l'origine,  dans  le  mode  d'exi.stence,  dans  la  fin, 
dans  la  structure  et  dans  la  constitution  élémen- 
taire, se  retrouvent  dans  tous  les  êtres  vivants. 
Non';  voyons  ainsi  d'une  manière  générale  com- 
ment se  manifeste  la  vie,  mais  non  encore  les  lois 
qui  la  régissent,  ni  le  principe  qui  la  produit. 

Et  d'abord  ne  doit-on  pas  se  demander  si  les 
phénomènes  vitaux  peuvent  être  ramenés  à  des 
lois  fixes  et  invariables,  ou  si  la  vie  n'est  pas  le 
domaine  de  forces  spontanées  qui  échappent  par 
leur  essence  même  à  toute  règle  immuable  et  à. 
toute  détermination  précise? 

Ce  n'est  qu'avec  Descartes  et  Leibnitz  que  nous 
commençons  à  entrer  dans  la  solution  scienti- 
fique de  ce  problème.  Descartes  démontre  le  pre- 
mier que  le  corps  vivant  est  une  machine  très 
complexe  sans  doute,  mais  qui  se  comporte  abso- 
lument comme  une  machine  inorganique  :  il  est 
composé  de  leviers,  de  ressorts,  de  canaux,  de 
filtres,  de  cribles,  dont  les  mouvements  s'accom- 
plissent toujours  conformément  aux  lois  de  la 
mécanique.  Leibnitz  confirme  et  complète  cette 
théorie:  «le  corps,  dit-il,  se  dévelo/ipe  mécani- 
quement,et  les  l'iisde  la  mécanif/tie  7je  sont  jamais 
violées  dans  les  mouvemfnts  naturels.  » 

Lavoisier  et  Laplace  viennent  ensuite  prouver 
que  de  même  qu'il  n'y  a  pas  deux  mécaniques,  il 
n'y  a  qu'une  physique  et  une  chimie,  applicables 
aux  phénomènes  des  corps  vivants  comme  à  ceux 
des  minéraux.  Les  uns  et  les  autres  sont  composés 
des  mêmes  corps  simples  ;  et  ces  éléments  sont 
partout  soumis  aux  mêmes  lois.  Lavoisier  et  La- 
place montrèrent  que  l'oxygène,  en  pénétrant 
dans  les  êtres  vivants,  produit  en  eux  la  chaleur 
qui  les  anime,  par  une  combustion  exactement 
semblable  à  celle  qui  se  produit  dans  un  foyer  ; 
que  les  animaux  qui  respirent  et  les  métaux  que 
l'on  calcine  absorbent  également  l'oxygène,  et 
que  sans  l'oxygène,  la  respiration  s'arrête  comme 
la  calcination. 

Les  phénomènes  vitaux  sont  donc  des  phéno- 
mènes mécaniques,  physiques  et  chimiques,  sou- 
mis exactement  aux  mêmes  lois  que  ceux  qui  se 
passent  dans  le  monde  inorganique  ;  mais  quelle 
en  est  la  cause  et  comment  sont-ils  produits? 

Cehl  seulement  au  commencement  de  ce  siècle 
que  Bichat  comprit  qu'il  fallait  procéder  en  phy- 
siologie comme  on  procède  en  physique  et  en 
chimie,  et  chercher  la  raison  des  phénomènes  vi- 
taux dans  la  matière  vivante,  non  dans  des  forces- 
extérieures,  de  même  que  les  sciences  inorganiques 
cherchent  l'explication  des  phénomènes  qu'elles- 
étudient  dans  les  propriétés  de  la  matière  brute. 

Les  corps  vivants,  animaux  ou  végétaux,  sont 
composés  d'appareils  ou  d' organes,  et  ces  organes 
sont  eux-mêmes  formés  de  matière  organisée  de 
différentes  manières,  par  les  tissus  (V.  Tisstts). 
Au  lieu  de  considérer  l'organisme  dans  son  entier, 
ou  seulement  dans  les  organes,  il  faut  pénétrer 
dans  l'intérieur  même  de  l'être  vivant,  et  chercher 
dans  l'étude  des  tissus  l'explication  de  la  vie.  Or 
celte  étude  nous  montre  que  chaque  espèce  de. 
tissus  a  ses  propriétés  particulières  :  ainsi  la 
contractilité  réside  dans  le  tissu  musculaire,  la 
sensibilité  dans  le  tissu  nerveux,  etc.  De  plus 
ces  propriétés,  qui  sont  partout  les  mêmes  pour 
chacun  des  tissus,  dans  quelque  partie  de  l'or- 
ganisme qu'il  se  trouve,  sont  indépendantes  les 
unes  des  autres  ;  la  propriété  contractile  du 
muscle  subsiste  indépendamment  de  l'action  du 
nerf  qui  l'excite,  et  peut  être  mise  en  mouvement 
par  un  autre  excitant,  un  courant  électrique  par 
exemple.  Les  divers  tissus  sont  sans  doute  entre- 


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eux  dans  une  association  et  une  solidarité  étroites, 
et  ils  concourent  tous  au  môme  but  :  mais  ils  n'en 
ont  pas  moins  au  sein  de  l'organisme  général  une 
existence  propre  et  distincte,  nm;  véritable  autono- 
mie. Cl)acun  a  son  mode  particulier  de  se  nourrir 
et  d'.igir,  ses  poisons  propres,  sa  manière  spéciale 
de  mourir  comme  de  vivre.  C'est  ce  que  les  expé- 
riences de  Claude  Bernard  sur  les  poisons  ont  si 
admirablement  démontré  :  ainsi  le  curare  n'agit 
que  sur  le  tissu  nerveux  moteur,  l'oxyde  de  car- 
bone que  sur  les  globules  du  sang,  etc". 

Bicliat,  dans  une  intuition  de  génie,  avait  donné 
Ji  la  physiologie  sa  base  scientifique  en  la  rame- 
nant à  l'élude  des  tissus  et  de  leurs  propriétés  : 
après  lui  l'analyse  a  été  plus  loin,  jusqu'à  l'élé- 
ment des  tissus,  qui  est  la  cellule.  On  a  vu,  k 
l'article  Tissus,  comment  chacun  d'eux  était  lui- 
même  une  association,  un  groupement  de  cellules 
de  même  nature.  La  cellule  est  en  physiologie  ce 
qu'est  le  corps  simple  en  chimie,  l'élément  irré- 
ductible, dans  l'état  actuel  de  la  science.  Sans 
doute  la  cellule  n'est  pas  simple   chimiquement 


car  il  entre  toujours  dans  sa  composition  un  grand 
nombril  de  corps  simples  :  mais  elle  est  lunité 
physiologique. 

C'est  en  elle  que  réside  la  vie  :  dès  qu'on  la 
divise,  la  vie  disparait,  et  il  ne  reste  plus  que  de 
la  matière  inorganique.  C'est  la  cellule  qui  respire, 
en  absorbant  l'oxygène  au  contact  de  l'air  et  en 
exhalant  l'acide  carbonique,  et  cela  de  la  même 
manière  dans  la  plante  que  dans  l'animal.  Ce  que 
nous  appelons  la  respiration,  la  digestion,  etc., 
ne  sont  que  la  manifestation  lointaine  et  la  ré- 
sultante des  actes  qui  s'accomplissent  dans  les 
cellules. 

_  Ainsi  d'une  extrémité  à  l'autre  de  l'échelle  des 
êtres,  depuis  le  premier  commencement  de  la 
végétation     jusqu'aux     mammifères     et    jusqu'à 

I  honinio,  sous  l'infinie  diversité  de  formes  que 
nous  présente  la  vie,  nous  retrouvons  une  mer- 
veilleuse unité.  La  vie  est  partout  identique  :  seu- 
lement, dans  les  organismes  supérieurs,  elle  n'est 
pas  centralisée.  Ces  organismes  sont  composés 
dune  loule  innombrable  d'organismes  élémen- 
taires :  ils  sont  un  emboîtement  de  vies,  une  as- 
sociation de  cellules  groupées  en  tissus,  en  or- 
ganes, en  systèmes.  Au  premier  degré  de  la  vie, 

II  y  a  des  animaux  et  des  plantes  d'une  organisation 
élémentaire  qui  ne  sont  composés  ((ue  d'une  cel- 
lule :  depuis  cet  être-cellule  jusqu'à  l'homme,  on 
rencontre  tous  les  degrés  de  complication  dans 
les  groupements,  et  la  physiologie  nous  fait  an- 
jourdhui  entrevoir  la  loi  de  cette  complication 
croissante. 

Le  corps  des  animaux  supérieurs  est  un  méca- 
m.sme  complexe  qui  résulte  de  l'assemblage  d'un 
grand  nombre  de  mécanismes  secondaires.  On  y 
rencontre  un  système  circulatoire,  un  système 
respiraloire,  un  système  nerveux,  un  système  di- 
gestif, etc.  iWais  ce  ne  sont  là  que  des  rouages 
qui  n  existent  pas  pour  eux-mêmes  :  leur  but  est 
de  réaliser  les  conditions  nécessaires  à  la  vie  des 
cellules,  de  fournir  à  celle-ci  les  éléments  dont 
elles  ont  besoin  pour  vivre.  Ces  conditions  exté- 
rieures nécessaires  à  la  vie  des  cellules  sont  au 
nombre  de  quatre. 

1°  L'humidité.  Les  phénomènes  de  la  vie  consis- 
tant en  un  tourbillon  incessant,  ces  courants  ne 
peuvent  se  faire  que  dans  un  liquide  ou  dans  un 
fluide.  On  a  vu,  à  l'article  Physiologie,  comment 
Il  y  a  des  animaux  chez  lesquels  la  vie  est  suspen- 
due par  la  dessiccation,  et  reparaît  avec  l'humi- 
dité. 11  en  est  de  même  pour  les  graines  dessé- 
chées. 

2°  La  température.  Tout  organi.sme  élémentaire 
ne  peut  vivre  qu'entre  certaines  limites  de  tempé- 
rature :  au-dessous  de  0  degré,  la  vie  disparaît; 
eileaugmente  d'intensité  jusque  vers  35  à40  degrés, 


où  elle  atteint  sa  plénitude,  et  disparaît  généra- 
lement vers  55  degrés.  L'abaissement  de  la  tem- 
pérature, comme  la  dessiccation,  peut  ne  faire  que 
suspendre  la  vie,  tant  que  les  cellules  n'ont  pas 
été  déchirées  ou  brisées  par  la  congélation  des 
liquides  organiques  :  on  a  vu  des  poissons  et  des 
grenouilles,  trouvés  gelés  dans  des  blocs  de  glace, 
revivre  avec  le  dégel. 

.3°  L'air,  ou  du  moins  l'oxygène.  Tout  être  vivant 
a  besoin  d'oxygène,  aussi  bien  les  animaux  que 
les  végétaux.  La  plante  qui  germe  respire  de  même 
que  l'animal. 

_  4°  Une  certaine  constitution  chimique  du  mi- 
lieu ambiant.  Toute  cellule  a  besoin  pour  se 
nourrir  do  trois  ordres  de  substances  :  de  matiè- 
res albuminoîdes  ou  azotées  (principalement  l'am- 
moniaque) ;  —  do  matières  sucrées  ou  grasses 
(substances  ternaires);  —  do  matières  salines 
(spécialement  de  la  chaux).  Toutes  ces  substances 
devront  être  contenues  en  dissolution  dans  le 
liquide  environnant. 

Pour  vivre,  toute  cellule  exige  donc  la  réunion 
de  ces  quatre  conditions  :  de  l'eau,  de  l'oxygène, 
une  température  convenable,  et  certains  princi- 
pes chimiques. 

La  cellule  est-elle  libre,  c'est-à-dire  s'agit-il 
d'un  de  ces  êtres  unicellulaires  que  l'on  rencon- 
tre au  premier  degré  de  la  vie,  elle  devra  trou- 
ver ces  conditions  dans  le  milieu  extérieur  où  elle 
est  plongée. 

S'agit-il  maintenant  d'un  organisme  complexe, 
formé  par  l'assemblage  de  tissus,  d'éléments  his' 
tologiques?  Les  cellules  qui  se  trouvent  ainsi 
dans  l'intérieur  de  ce  corps  vivant  devront  ren- 
contrer ces  mêmes  conditions  indispensables  ;  et 
c'est  pour  réaliser  ces  conditions  qu'apparaissent 
les  systèmes  circulatoire,  respiratoire,  diges- 
tif, etc.  L'appareil  respiratoire  fournit  l'oxygène; 
l'appareil  digestif,  Ips  aliments;  les  appareils  cir- 
culatoire et  sécrétoire  assurent  le  renouvellement 
nutritif,  etc. 

Et  remarquons  que  ces  organes  se  montrent 
au  fur  et  à  mesure  que  se  complique  l'échafau- 
dage des  tissus,  et  (|ue  nous  arrivons  aux  animaux 
placés  plus  haut  dans  l'échelle  des  êtres.  Il  y 
a  des  animaux  qui  n'ont  pas  de  poumons,  de  nerfs, 
de  muscles  :  ces  appareils  ne  sont  donc  pas  in- 
dispensables à  la  vie,  mais  selon  une  très  juste 
comparaison  de  Claude  Bernard,  ils  sont  comme 
les  grands  établissements  industriels  dans  une 
société  parvenue  à  un  état  avancé  de  civilisation; 
par  la  division  du  travail  et  le  perfectionnement 
des  procédés,  ces  établissements  multiplienl  pour 
les  individus  les  moyens  de  se  nourrir,  de  se 
vêtir,  de  se  chauffer,  de  s'éclairer,  etc. 

Ces  organes  nombreux  et  compliqués  ont  pour 
résultat,  chez  les  animaux  supérieurs,  de  rendre 
la  vie  de  plus  en  plus  indopend.intc  du  milieu 
ambiant  et  des  variations  cosmiqin  ,  ;  ils  créent 
pour  les  cellules,  au  sein  niruir  ,1,-  l'organisme, 
un  milieu  intérieur  dans  i,M|iu  I  rllcs  retrouvent 
toujours  les  conditions  qui  leur  sont  indispensa- 
bles. Ainsi  nous  avons  vu  que  la  vie  exige  l'humi- 
dité et  l'oxygène,  et  cependant  une  partie  des  ani- 
maux vit  dans  l'air  et  une  autre  partie  dans  l'eau 
Mais  cela  n'a  lieu  que  par  un  artifice  de  construc- 
tion de  leurs  organismes  :  car  la  vie  des  cellules 
n'a  pas  pour  théâtre  l'air  ou  l'eau,  mais  le  milieu 
intérieur,  qui  leur  présente  toujours  les  conditions 
en  dehors  desquelles  elles  ne  sauraient  vivre. 

Les  machines  vivantes  sont  construites  de  telle 
sorte  qu'en  se  perfectionnant,  elles  deviennent 
de  plus  en  plus  libres  dans  le  monde  extérieur. 
Ainsi,  tandis  que  chez  les  plantes  et  les  animaux 
à  sang  froid,  dont  le  corps  suit  les  variations  de  la 
température  extérieure,  la  vie  est  presque  suspen- 
due en  hiver,  elle  ne  perd  rien  do  son  intensité  chez 
I  les  animaux  à  sang  chaud,  parce  que  ceux-ci  ont  en 


VIE 


—  2314  — 


VIE 


eux  un  mécanisme  propre,  qui  produit  et  main- 
tient la  chaleur  intérieure,  en  luttant  contre  le 
refroidissement  du  dehors.  Grâce  h  cette  fonction 
de  calorification,  l'animal  à  sang  chaud  peut  vivre 
dans  une  température  plus  basse  que  celle  qui 
est  nécessaire  à  la  vie  des  éléments  organiques, 
parce  que  ces  éléments  restent  toujours  dans  un 
milieu  non  refroidi,  exactement  de  même  que 
dans  les  serres  de  nos  jardins  nous  maintenons 
une  végétation  indépendante  des  frimas  exté- 
rieurs. 

D'un  autre  côté,  l'animal  il  sang  chaud  vit  aussi 
dans  une  atmosphère  au-dessus  de  55  degrés, 
ce  qui  est  impossible  pour  l'animal  à  sang  froid  : 
au  moyen  d'une  fonction  spéciale  à  son  système 
cutané,  il  résiste  h  la  chaleur  en  produisant  du 
froid  par  l'évaporation  qui  a  lieu  à  la  surface  de 
son  corps. 

Les  procédés  employés  par  la  nature  nous  ap- 
paraissent donc  comme  de  véritables  artifices  en 
tout  comparables  à  ceux  que  nous  employons  dans 
la  création  de  nos  appareils  mécaniques,  lorsque 
nous  construisons,  par  exemple,  une  machine  à 
vapeur  qui  continue  à  fonctionner  à  travers  le 
chaud  et  le  froid,  le  sec  et  l'humide  :  les  condi- 
tions fondamentales  de  la  vie  ne  sont  pas  plus 
violées  dans  l'organisme  des  animaux  supérieurs 
que  les  conditions  physiques  ne  le  sont  dans  la 
machine  i  vapeur,  mais,  par  d'ingénieuses  combi- 
naisons, l'activité  de  l'être  vivant,  comme  celle  de 
la  machine,  est  rendue  indépendante  des  variations 
atmosphériques  et  du  milieu  cosmique. 

Puisque  la  vie  n'est  centralisée  nulle  part,  dans 
aucun  appareil  ou  organe  du  corps,  ci  que  ces 
appareils  sont  tous  dos  mécanismes  construits  pour 
la  vie  cellulaire,  il  en  résulte  une  conception 
toute  particulière  de  la  mort.  Lorsque  la  mort 
survient  par  la  destruction  ou  la  lésion  d'un  de 
nos  organes  essentiels,  comme  le  cœur,  le  pou- 
mon, le  cerveau,  ce  n'est  pas  parce  qu'on  a  atteint 
un  principe  vital  qui  siégerait  dans  l'un  de  ces 
organes,  mais  parce  qu'on  a  disloqué  le  méca- 
nisme vital,  qui  ne  peut  plus  fournir  aux  cellules 
l'oxygène  ou  les  aliments  qui  leur  sont  nécessai- 
res. Flourens  plaçait  le  siège  de  la  vie  dans  la 
moelle  allongée,  en  un  point  qu'il  appelait  le 
nœud  titat,  parce  que  la  blessure  de  ce  point 
produit  une  mort  instantanée.  Mais  cette  mort 
n'est  qu'une  conséquence  indirecte  :  ce  point 
de  la  moelle  allongée  est  le  centre  régulateur 
des  mouvements  respiratoires  ;  dès  qu'il  est 
blessé,  ces  mouvements  s'arrêtent,  et  l'oxygène 
de  l'air  cesse  d'être  porté  aux  cellules.  C'est  cette 
privation  d'oxygène  qui  produit  véritablement  la 
mort.  Ce  qui  le  prouve,  c'est  que  chez  les  ani- 
maux à  sang  froid,  la  blessure  du  nceud  vital  n'a- 
mène pas  la  mort  instantanée,  parce  que  ces  ani- 
maux peuvent  rester  plus  longtemps  sans  respirer. 
Si  on  enlève  le  cœur  ou  le  cerveau,  on  n'enlève 
non  plus  aucun  principe  vital,  mais  on  détruit  les 
conditions  de  la  vie  cellulaire,  et  la  mort  des  cel- 
lules entraîne  la  fin  de  l'orçranisme. 

De  môme  dans  la  mort  par  intoxication,  le  poi- 
son n'a  pas  agi  sur  le  principe  de  la  vie,  mais  il 
a  désorganisé  un  des  tissus  par  son  action  chi- 
mique :  le  fonctionnement  de  la  machine  vivante 
se  ti^ouve  arrêté  parce  que  l'un  des  ressorts  est 
brisé,  ou  momentanément  entravé.  Ainsi  dans 
l'empoisonnement  par  le  curare,  les  nerfs  du 
mouvement  ont  seuls  été  atteints,  et  tous  les 
autres  tissus  restent  parfaitement  sains  et  intacts  ; 
mais  les  mouvements  respiratoires  étant  arrêtés, 
l'asphyxie  amène  la  mort.  Si  on  peut  faire  respi- 
rer artificiellement  l'animal  empoisonné  jusqu'à 
ce  que  lu  poison  ait  été  éliminé  par  les  sécré- 
tions, la  machine  reprend  ensuite  son  fonction- 
nement normal,  et  l'animal  revient  k  la  vie. 
La  mort,  comme  la  vie,  doit  donc  être  en  quel- 


que sorte  décentralisée.  Dans  les  organismes 
supérieurs,  de  même  que  la  vie  est  une  associa- 
tion do  vies,  la  mort  est  la  conséquence  de  la 
mort  des  organismes  élémentaires.  Les  différents 
tissus  meurent  les  uns  après  les  autres  :  la  vie 
s'arrêta  séparément  dans  les  nerfs,  les  muscles, 
les  glandes,  etc.,  et  ce  n'est  que  lorsque  toutes 
les  cellules  sont  mortes  que  l'organisme  a  défini- 
tivement cessé  d'appartenir  au  monde  vivant. 

jn.  Nous  avons  examiné  jusqu'ici  comment  se 
manifeste  la  vie,  et  les  conditions  générales  aux- 
quelles elle  est  soumise;  nous  est-il  possible 
maintenant  de  remonter  plus  haut,  jusqu'à  son 
principe  et  à  son  essence  même  '? 

Dès  l'origine  de  la  science  et  de  la  philoso- 
phie grecques,'  nous  trouvons,  dans  les  concep- 
tions que  l'on  s'est  faites  de  la  vie,  deux  ten- 
dances opposées. 

Pour  les  uns,  comme  Démocrite  et  Épicure,  la 
cause  des  phénomènes  de  la  vie  est  la  même  que 
celle  des  autres  phénomènes  de  la  nature  :  toutes 
les  manifestations  de  l'activité  vitale  découlent 
du  jeu  des  forces  de  la  matière.  Les  éléments  de 
la  matière,  les  atomes,  en  se  combinant  entre  eux 
d'après  leurs  formes,  produisent  les  corps  vivants 
aussi  bien  que  les  corps  inorganiques. 

Pour  Pythagore,  Platon,  Aristoie,  Hippocrate, 
Galien,  cette  cause  des  phénomènes  de  la  vie  est 
distincte  et  spéciale:  elle  consiste  dans  un  prin- 
cipe supérieur  et  immatériel  agissant  sur  la 
matière  inerte,  et  dont  l'action  s'exerce  en  dehors 
des  lois  qui  régissent  cette  matière. 

Les  physiologistes  ont  été  de  tout  temps  parta- 
gés entre  ces  deux  conceptions.  La  seconde  a 
atteint  son  apogée  d'influence  avec  Stahl,  méde- 
cin à  Halle  (1077-1735).  D'après  lui,  non-seule- 
ment les  forces  chimiques  sont  différentes  de 
celles  qui  produisent  les  phénomènes  de  la  vie, 
mais  elles  sont  en  antagonisme  avec  elles,  et  ten- 
dent sans  cesse  à  détruire  l'organisme.  Il  faut 
donc  qu'il  y  ait  dans  l'organisme  une  force  vitale 
qui  conserve  le  corps,  en  luttant  contre  l'action 
des  forces  chimiques  extérieures.  La  vie  consiste 
dans  le  triomphe  de  la  force  vitale  sur  les  forces 
physiques  et  chimiques. 

Cette  doctrine  a  reçu  le  nom  de  vitalisme.  Mais 
Stahl  ne  s'arrêta  pas  là  :  remarquant  que  cette 
force  vitale  agit  avec  discernement,  dans  un  des- 
sein calculé,  (ju'elle  tend  toujours  vers  un  même 
but,  il  en  conclut  qu'il  ne  faut  pas  la  distinguer 
de  la  conscience  et  de  l'intelligence,  en  un  mot  de 
l'âme  pensante.  Dans  ce  nouveau  système,  appelé 
Vauimisme,  c'est  l'âme  elle-même  qui  produit 
toutes  les  manifestations  de  la  vie  corporelle,  qui 
fait  battre  le  cœur,  circuler  le  sang,  respirer  le 
poumon,  sécréter  les  glandes. 

Cette   doctrine  était  empreinte  d'une  exagéra- 
tion trop  manifeste,  car  l'observation  la  plus  sim- 
ple nous  montre  que  presque  toutes  les  fonctions 
île  la  vie  sont  indépendantes  de  notre  volonté.  La 
bouchée  alimentaire,  depuis  le  moment  où  elle  a 
franchi  l'isthme   du  gosier,  est  absolument  sous- 
traite à  l'empire  de  notre  volonté  pendant  tout  son 
trajet  dans  les  voies  digestives.  De  môme  nous  ne 
pouvons  rien  sur  les  mouvements  de  la  circulation 
du    sang,  sur   les  sécrétions   des    glandes,   etc. 
Aussi  les  successeurs  de  Stahl,  les  médecins  Bor- 
dou,  Barthez,   Grimaud,  qui  représentèrent  avec] 
un  grand  éclat  au  siècle  dernier  l'école  de  Mont-  I 
pellier,  répudièrent   cette    seconde  partie    de  la-j 
doctrine  du  maître,  l'anitnisme,  pour  ne  conserver! 
que  la    première,    le   vitalisme.    D'après  eux,  lej 
priiu'ipe  de   la  vie  est  distinct  de  l'âme,  mais  il] 
consiste    dans  une    force    particulière    qui  dirige  j 
tous  les  phénomènes  vitaux,  et  qui  agit  en  dehors 
des  lois  de  la  mécanique,  de  la  physique  et  de  la 
chimie.  | 

Le  point  de  vue  vitaliste  fut  adopté  par  Bichat»  i 


VIE 


—  2315 


VIE 


Pour  lui,  les  propriétés  de  la  matière  vivante  sont 
absolument  dilVéreiitos  de  colles  de  la  matière 
inorganique,  et  constamment  en  lutte  avec  celles- 
ci.  C'est  celte  lutte  qui  constitue  la  vie:  les  pro- 
priétés vitales  conservent  le  corps  vivant,  en  entra- 
vant les  propriétés  physiques  qui  tendent  à  le 
détruire,  et  quand  la  mort  survient,  c'est  parce 
que  celles-ci  l'eniporiont  définitivement. 

Toute  la  théorie  de  liicliat  se  trouve  d'ailleurs 
résumée  dans  la  définition  qu'il  donne  de  la  vie  : 
Il  la  vie  est  l'ensemble  des  fondions  qui  résistent  à 
la  mort  »,  c'est-Ji-dire  l'ensemble  des  propriétés 
vitales  qui  résistent  aux  propriétés   physiques. 

lit  ces  deux  sortes  de  propriétés  ont  des  carac- 
tères tout  iijqiDsés.  Les  pnipriétcs  pbysiques  sont 
fixes,  coiist;iiii,es,  ininiuablrs  :  on  peut  donc  pré- 
voir et  calculer  leurs  etlets  avec  certitude.  Au 
contraire,  les  propriétés  vitales  sont  d'une  durée 
limitée,  et  essentiellement  variables  et  changeantes; 
les  phénomènes  qu'elles  produisent  n.e  sauraient 
donc  être  soumis  à  aucune  condition  fixe  et  déter- 
minée, à  aucune  loi  précise. 

«  La  science  îles  e'/ivs  vivants,  dit  Bichat,  est  une 
science  ib-nt  les  luis .^mil,  rummeles  fO"Ctio'isvitn- 
les  elles-mêmes,  siisrr;:/i/,/r,  d'une  foule  île  varié- 
tés, nici  échappe  a  luiilc  rs/,r,e  de  calcul,  dans  la- 
quelle on  ne  peut  rien  pi-ecuii-  on  prédire,  et  où 
nous  n'avons  que  des  approximations  le  plus  tou- 
vent  incertiiines.  »  La  physiologie  n'a  donc  rien  à 
voir  avec  la  physique  et  la  chimie;  en  voulant  les 
éclairer  les  uns  par  les  autres,  ajoute  bichat,  on 
ne  fait  que  les  embrouiller. 

De  ces  théories  de  Bichat,  la  physiologie  mo- 
derne n'a  rien  laissé  subsister. 

Et  d'abord  de  cet  antagonisme  entre  les  proprié- 
tés vitales  et  les  propriétés  physiques,  il  résulte- 
rait logiquement  que  plus  les  premières  auront  de 
force  et  d'énergie  dans  un  organisme  vivant,  plus 
les  secondes  y  seront  vaincues  et  affaiblies  ;  el 
réciproquement  plus  les  forces  physiques  auront 
d'intensité,  et  plus  les  forces  vitales  seront  atté- 
nuées. Or,  c'est  exactement  la  proposition  con- 
traire qui  exprime  la  vérité  :  l'expérience  no\is 
montre  que  dans  tout  Être  organisé,  l'activité  des 
manifestations  vitales  est  en  rapport  direct  avec 
celle  des  phénomènes  physico-chimiques.  Par 
exemple,  quand  le  froid  saisit  un  animal,  en  même 
temps  que  s'abaissent  les  phénomènes  chimiques 
de  combustion,  les  mouvements  se  ralentissent,  la 
sensibilité  s'émousse,  l'intelligence  disparait.  Au 
contraire  quand  la  vie  est  dans  sa  plénitude,  toutes 
les  forces  physiques  et  chimiques,  au  lieu  d'être 
domptées  et  contenues  par  la  force  vitale,  sont 
en  quelque  sorte  déchaînées  :  l'organisme  brijle 
et  se  consume  plus  vivement;  et  au  lieu  d'un  an- 
tagonisme, c'est  un  parallélisme  complet  (|u'il  faut 
voir  entre  les  phénomènes  chimiques  et  les  ma- 
Dilestations  vitales. 

Mais  il  y  a  bien  plus.  L'analyse  des  phénomè- 
nes vitaux  nous  révèle  qu'ils  ne  sont  pas  seule- 
ment en  liaison  harmonique  avec  les  phénomènes 
physico-chimiques  qui  se  passent  dans  l'organisme, 
mais  qu'ils  leur  sont  simplement  identiques,  qu'ils 
se  réduisent  tous  eux-mêmes  à' des  phénomènes 
physiques  et  chimiques.  L'absorption,  par  exemple, 
aussi  bien  que  la  combustion  organique,  s'expli- 
que par  de  simples  propriétés  physiques.  Certai- 
nes membranes,  même  inanimées,  ont  la  propriété 
de  laisser  circuler  les  liquides  à  travers  elles  : 
ce  sont  là  les  phénomènes  d'endosmose  et  d'exos- 
mose.  La  condition  pour  que  ce  double  courant  du 
dehors  au  dedans,  et  du  dedans  au  dehors,  se  pro- 
duise à  travers  la  membrane,  c'est  que  les  liquides 
qu'elle  sépare  soient  de  densités  différentes.  Or 
dans  l'être  vivant,  cette  condition  existe  :  il  y  a 
des  membranes  séparant  des  liquides  différenciés 
par  les  sels  qu'ils  contiennent.  Ainsi  le  plasma 
sanguin  est  alcalin,  et  contient  beaucoup  de  car- 


bonate de  soude,  tandis  (|ue  les  globules  du  sang 
qui  voyagent  dans  le  plasma  sont  remplis  de 
potasse  :  il  se  fait  donc  un  échange  constant  à 
travers  les  membranes  qui  enveloppent  les  glo- 
bules. La  propriété  vitale  de  l'absorption  et  de 
l'exhalation  n'est  qu'une  propriété  physique  : 
nous  retrouvons  les  mômes  phénomènes  en  dehors 
des  organismes  que  dans  les  organismes. 

Puisque  nous  retrouvons  partout  les  mêmes 
lois,  il  n'y  a  pas,  comme  le  croyait  Bichat,  deux 
ordres  de  sciences  :  d'un  côté  les  sciences  du 
monde  inorganique,  marchant  d'un  pas  assuré, 
certaines  d'être  toujours  rigoureusement  obéies 
par  l'i'xp'''i'ieiiee  ;  d'autre  part  lessciences  de  la  vie, 
touj'iurs  iiur  liaines  et  hésitantes,  troublées  £ 
cli.ii|Ui'  III  I. ml  par  l'intervention  d'une  force 
chaiiyiMiilo  el  capricieuse,  qui  ferait  en  réalité 
des  manifestalionsde  la  vie  une  série  de  miracles 
irréductibles  Ji  toute  détermination.  Les  pliéno- 
mènes  du  monde  vivant  étant  de  même  nature 
que  ceux  du  monde  inorganique,  ils  sont  soumis 
à  des  règles  aussi  immuables,  et  susceptibles 
d'un  déterminisme  aussi  précis.  En  réalisant  les 
conditions  de  leur  manifestation,  le  pliysiologiste 
est  aussi  assure  de  les  voir  se  produire  que  l'est  le 
chimiste  pour  ses  réactions  :  seulement  ces  condi- 
tions sont  beaucoup  plus  nombreuses  et  plus 
compliquées  pour  le  premier  que  pour  le  second. 
Par  la  physiologie,  l'homme  marche  îi  la  conquête 
de  la  nature  vivante,  comme  pai'  la  physique  et  la 
chimie  à  celle  de  la  nature  inanimée. 

Mais  si  les  plienomènes  vitaux  se  réduisent 
tous  à  des  phénomènes  physiques  et  chimiques, 
il  est  cependant  évident  que  la  physique  et  la 
chimie  seules  ne  sauraient  donner  aucune  idée  de 
la  vie  et  de  l'organisme  à  celui  qui  n'aurait  pas 
étudié  les  corps  vivants.  En  quoi  consiste  donc  ce 
quicl  proprium  de  la  vie,  ce  principe  ou  cette 
cause  qui  différencie  le  corps  vivant  do  la  matière 
inanimée? 

Si  nous  considérons  séparément  chaque  mani- 
festation vitale,  nous  n'y  trouvons  qu'un  phéno- 
mène mécanique  analogue  à  ceux  qui  se  passent 
dans  la  matière  inanimée;  mais  d'autre  part  le 
propre  de  ces  manifeslations  est  de  ne  pouvoir 
être  isolées  les  unes  des  autres,  do  n'avoir  leur 
raison  d'être  que  dans  leur  liaison,  de  ne  s'ex- 
pliquer que  dans  leur  ensemble.  S'il  est  clair 
que  ce  sont  des  actions  purement  chimiques,  il 
est  non  moins  clair  qu'elles  s'associent  et  s'en- 
chaînent en  vue  d'un  résultat  qui  est  l'organisa- 
tion et  le  développement  du  corps  dans  lequel 
elles  se  produisent.  En  sorte  que  prises  ainsi 
dans  leur  succession  et  leur  ensemble,  elles 
paraissent  réunies  par  un  lien  spécial,  dirigées 
par  une  force  invisible  dans  cet  ordre  qui  les 
enchaîne.  Les  phénomènes  vitaux  sont  tous  des 
pliénomènescliimiques,  mais  il  semble  qu'une  idée 
prévoyante,  qu'un  certain  choix  qui  n'a  rien  de  fa- 
tal, aient  présidé  à  leur  groupement.  Ainsi  la  cel- 
lule se  nourrit  par  endosmose,  mais  en  n'admet- 
tant que  certaines  substances  et  en  repoussant 
les  autres.  De  même  encore,  quand  les  glandes 
sudorifiques  versent  leur  liquide  à  la  surface  de 
la  peau,  elles  graduent  toujours  leur  production 
de  manière  à  maintenir  la  température  du  corps 
à  un  chiffre  constant  et  invariable,  quelles  que 
soient  les  conditions  extérieures  [V.Tact). 

«  Quand  un  poulet  se  développe  dans  un  œuf, 
dit  Claude  Bernard,  ce  n'est  point  la  formation 
du  corps  animal,  en  tant  que  groupement  d'élé- 
ments chimiques,  qui  caractérise  essentiellement 
la  force  vitale.  Ce  groupement  ne  se  fait  que  par 
suite  des  lois  qui  régissent  les  propriétés  physico- 
chimiques de  la  matière;  mais  ce  qui  est  essen- 
tiellement du  domaine  de  la  vie,  et  ce  qui  n'ap- 
partient ni  à  la  chimie,  ni  à  la  physique,  ni  à  rien 
autre  chose,  c'est  l'idée  directrice  de  cette  évoluiion 


VIGNE 


2316  — 


VIGNE 


vitale.  Dans  tout  germe  vivant,  il  y  aune  idée  créa- 
trice qui  se  développe  et  se  manifeste  par  l'organisa- 
tion. Pendant  toute  sa  durée,  l'être  vivant  reste 
sous  l'influence  de  cette  même  force  vitale 
créatrice,  et  la  mort  arrive  lorsqu'elle  ne  peut 
plus  sp  réaliser.  Ici  comme  partout,  tout  dérive 
de  l'idée,  qui.  elle  seule,  crée  et  dirige.  » 

Il  y  a  dans  le  germe  une  propriété  évolutive,  — de 
quelque  nom  qu'on  l'appelle,  idée  directrice,  force 
vitale,  etc., —  qui  produira  un  oiseau,  ou  un  niani- 
niifère,  ou  un  poisson,  et  il  est  clair  que  cette 
propriété  évolutive  ne  relève  ni  de  la  physique,  ni 
de  la  chimie.  La  conception  de  ce  gueUjue  chose 
d'encore  inconnu  qu'il  faut  ajouteraux  lois  pliysico- 
chimiqiips  pour  expliquer  la  vie  s'impose  à  notre 
esprit;  et  si  nous  avons  dîi  rejeter  les  théories 
viialistes  Ciimme  inconciliables  avec  les  progrès 
de  la  physiologie  moderne,  les  théorie*  purement 
mécaniques  et  chimiques  nous  apparaissent  à  leur 
tour  comme  insuffisantes  à  nous  donner  l'explica- 
tion de  la  vie. 

Ainsi  parvenus  de  degrés  en  degrés  au  terme 
supérieur  de  cette  rapide  étude  sur  la  vie,  pou- 
vons-nous donc  entrevoir  cette  explication  tant 
cherchée,  et  quelle  sera  notre  conclusion  ? 

Notre  réponse  n'est  pas  douteuse. 

Le  système  qui  prétend  expliquer  la  vie  en  ajou- 
tant aux  lois  physico-chimiques  un  je  ne  sais  quoi 
étranger  \  la  physique  et  à  la  chimie,  est  aussi 
incomplet  et  aussi  artificiel  que  le  vitalismc  lui- 
même,  s'il  reste  borné  au  monde  de  la  vie.  Il  n'est 
complet  et  inébranlable  qne  sionl'étend  à  l'expli- 
cation de  tout  phénomène  naturel,  des  phono- 
mones  inorganiques  aussi  bien  que  des  phéno- 
mènes organiques.  Vidée  évoluirice  est  tout  aussi 
nécessaire  pour  expliquer  la  cristallisation  du  sel 
en  octaèdres,  ou  les  combinaisons  chimiques  sui- 
vant des  nombres  déterminés  (c'est-à-dire  suivant 
une  loi  d'abstraction),  que  pour  expliquer  la  sé- 
crétion ou  la  digestion.  La  chimie  n'explique  pas 
plus  les  phénomènes  chimiques  proprement  dits, 
qu'elle  n'explique  ceux  de  l'organisme  vivant.  Il 
y  a  partout  une  lacune  qui  ne  se  comble  qu'en 
invoquant  le  nescio  quicl  supérieur,  de  quelque 
nom  qu'on  l'appelle. 

Prétendons-nous  par  là  donner  une  explication, 
au  sens  rigoureux  et  logique  du  mot  ?  .Mon  : 
nous  constatons  simplement  l'impuissance  fatale 
des  lois  mécaniques  à  expliquer  un  phénomène 
quelcon(|ue  dans  la  nature;  mais  cette  constata- 
tion est  déjà  un  résultat  immense,  car  elle  nous 
permet  de  ruiner  et  d'écarter  de  la  voie  scienti- 
fique les  fragiles  sj-stèraes  qui  pensent  avoir  dit  le 
dernier  mot  des  choses.  Nous  ne  pouvons  non  plus 
nous  flatter  de  prononcer  à  notre  tour  ce  mot  su- 
prême. En  montrant  la  nécessité  d'invoquer  un 
principe  étranger  au  monde  de  la  physique,  nous 
n'avons  pas  fait  un  pas  vers  le  pnurc/uoi  des  phé- 
nomènes. [Pierre  Carrive.] 

VKiMî.  —  Agriculture,  IX.  —  La  vigne  est  un 
arbrisseau  sarmenteux  à  très  grand  développe- 
ment, de  la  famille  des  Ampélidées  et  du  genre 
Vitii.  C'est  l'arbre  fruitier  le  plus  précieux  que 
riiomme  ait  jamais  cultivé  ;  dès  l'antiquité  la  plus 
reculée,  il  a  su  l'approprier  à  ses  besoins. 

Le  genre  Vitis  renferme  plusieurs  espèces  origi- 
naires de  la  zone  intertropicale  et  des  régions 
tempérées  des  deux  continents;  aucune  ne  parait 
spontanée  en  Europe,  d'après  M.  Decaisne.  L'es- 
pèce cultivée  est  la  vigne  vinifère  {Vitis  vinifera), 
qui  semble  originaire  de  la  Géorgie,  et  dont  la 
culture  a  obtenu  un  très  grand  nombre  de  variétés. 
Elle  peut  réussir  dans  tous  les  pays  où  la  tempé- 
rature estivale  moyenne  n'est  pas  au-dessous  de 
10  degrés;  le  raisin  reste  acide  dans  les  pays  à 
température  plus  basse.  Plusieurs  espèces  ori- 
ginaires de  l'Amérique  septentrionale  ont  été  ré- 
cemment introduites  en  Lurope;  ce  sont  surtout 


les  Vitis  iestivalis,  V.  riparia,  V.  rupestris  ;  en 
même  temps,  on  a  introduit  le  phylloxéra  qui 
exerce  de  si  grands  ravages  sur  les  vignes  euro- 
péennes. 

La  culture  de  la  vigne,  en  France,  s'étendait,  il 
y  a  encore  dix  ans,  sur  2  601)  000  hectares.  La 
plus  grande  partie  du  pays  y  est  d'ailleurs  émi- 
nemment propre.  La  limite  septentrionale  de  la 
vigne  peut  être  déterminée  par  une  ligne  qui  par- 
tirait de  Vannes  (Morbihan)  pour  aboutir  à 
Mézières  (Ardennes),  en  passant  par  Alençon  et 
Beauvais,  Au  nord  de  cette  ligne,  la  vigne  végète 
bien  encore;  mais  elle  ne  mûrit  ses  fruits  que 
dans  des  situations  spéciales,  ou  bien  quand  elle  a 
été  protégée  par  des  procédés  exceptionnels.  Au 
sud,  partout  on  peut  cultiver  la  vigne  dans  des 
conditions  favorables,  sauf  sur  quelques  plateaux 
trop  élevés  du  centre  de  la  France  ou  sur  les  sols 
qui  no  lui  conviennent  pas.  Parmi  ces  derniers,  il 
faut  principalement  citer  les  zones  qui  sont  parti- 
culièrement sujettes  aux  gelées  tardives  du  prin- 
temps ;  car  la  végétation  des  bourgeons  se  faisant 
assez  tôt,  ils  sont  détruits  par  ces  gelées  quand 
elles  viennent  à  se  produire. 

Les  produits  que  donne  la  vigne  sont  très  va- 
riables tant  au  point  de  vue  du  rendement  qu'à 
celui  de  la  qualité  du  vin;  dans  chaque  lieu,  les 
circonstances  des  saisons  sont,  chaque  année,  le 
principal  facteur  de  ces  variations.  Avant  l'inva- 
sion du  phylloxéra  qui  sévit  aujourd'hui  sur  une 
très  grande  étendue  du  vignoble  français,  la  ré- 
colte était  estimée,  en  moyenne,  à  1,0  millions 
d'hectolitres  de  vin;  les  plus  fortes  ont  atteint  jus- 
qu'à 80  millions  d  hectolitres,  tandis  que  les  plus 
faibles  ont  été  jusqu'au-dessous  de  ".'5  millions 
d'hectolitres.  Sur  une  récolte  moyenne  de  60  mil- 
lions d'hectolitres,  50  millions  étaient  consommés 
dans  le  pays  en  nature,  7  millions  étaient  trans- 
formés en  eau-de-vie  ou  en  vinaigre,  et  3  millions 
étaient  vendus  à  l'étranger. 

Quant  à  la  valeur  moyenne  de  la  récolte,  il  est 
impossible  de  l'évaluer;  car  il  y  a  tant  de  qualités 
difl'ércntes  de  vins,  et  un  si  grand  nombre  de 
causes  influent  sur  leur  valeur,  que  la  recherche 
d'une  moyenne  ne  peut  amener  qu'à  un  résultat 
faux.  En  efl'et,  dans  quelques  régions  privilégiées 
de  la  Bourgogne  et  du  Bordelais,  un  hectare  de 
vigne  vaut  une  fortune,  tandis  que,  dans  beau- 
coup de  localités,  sa  valeur  ne  dépasse  pas  3  000 
à  4n00  francs. 

Parmi  les  causes  qui  influent  sur  la  qualité  des 
produits  de  la  vigne,  il  en  est  quelques-unes  qui 
sont  bien  connues,  et  qui  doivent  être  spéciale- 
ment signalées. 

En  première  ligne  se  place  la  qualité  des  cé- 
pages. On  donne  le  nom  de  cépages  aux  nombreu- 
ses variétés  que  la  culture  ou  l'hybridation  ont 
produites  dans  la  seule  espèce  de  vigne  qui  soit 
cultivée  en  France  sur  une  grande  échelle,  la  Vijis 
vinifera.  De  ces  cépages,  les  uns  sont  particuliè- 
rement propres  à  donner  des  raisins  de  table  ; 
les  autres  donnent  des  raisins  de  cuve.  Ils  se 
distinguent  les  uns  des  autres  par  la  couleur, 
la  grosseur  des  grappes,  la  forme  des  feuilles,  etc. 
Voici  la  liste  des  cépages  les  plus  connus  et  les  plus 
répandus  en  France  :  comme  raisins  de  table,  le 
chasselas;  pour  faire  du  vin  :  dans  le  sud  et  le 
sud-est,  pour  les  vins  de  liqueur,  le  grenache,  la 
malvoisie,  le  muscat;  pour  les  vins  ordinaires,  le 
carignane,  la  clairette,  la  roussette,  l'ugiii,  le  pic- 
poule,  l'aramont;  dans  le  sud-ouest,  le  carbenet 
etses  variétés,  la  muscadello,  et  pour  faire  les  meil- 
leures eaux-de-vie,  la  folle-blanche;  dans  l'est,  le 
centre  et  l'ouest,  les  pineaux,  les  fromentés,  les  ga- 
mays,  etc.  Parmi  les  cépages,  les  uns  sont  fins,  les 
autres  sont  grossiers;  ils  se  distinguent  principa- 
lement les  uns  des  autres  par  la  richesse  en  alcool 
et  en   principes  immédiats  divers.   La  première 


VIGNE 


—  2317  — 


VIGNE 


condition  h  remplir  pour  la  plantation  d'un  vi- 
gnoble vM  de  clioisir  de  bons  cépages  donnant 
des  rocoltes  abondantes,  riches,  et  d'une  gran- 
de valeur  vénale.  Le  revenu  de  doux  vignobles 
voisins  peut  varier  du  simple  au  double,  suivant 
la  nature  de  leurs  cépages.  L'influence  du  cépage 
est  telle  sur  la  qualité  du  vin  que  des  pineaux 
lie  Bourgogne,  transplantés  en  Algérie,  y  donnent 
des  vins  dont  le  fumet  et  la  force  sont  ceux  des 
vins  de  Bourgogne. 

La  qualité  du  sol  doit  être  signalée  ensuite,  car 
son  influence  est  considérable.  Les  sols  calcaires, 
argileux,  siliceux,  à  quelque  formation  géologique 
qu'ils  appartiennent,  conviennent  h  la  vigne, 
pourvu  qu'ils  no  soient  ni  humides,  ni  en  bas- 
fonds  ;  les  terres  maigres  et  arides,  perméables  à 
l'air  et  à  l'eau,  dans  lesquelles  la  plupart  des 
autres  plantes  ne  peuvent  prospérer,  reçoivent  la 
vigne  qui  s'y  développe  vigoureusement.  «  La 
vigne  est  tellement  vivace  et  puissante  dans  sa 
végétation,  dit  le  docteur  Guyot,  qu'on  tout  climat 
elle  lance  ses  rameaux  h  des  distances  prodigieu- 
ses: depuis  la  treille  gigantesque  d'Hampton-Court, 
près  de  Londres, jusqu'aux  ceps  qui  traversent  des 
fleuves  en  Afrique,  partout  on  peut  voir  la  vigne 
couvrir  d'une  seule  tige  des  espaces  considérables 
et  vivre  des  siècles.  Partout  on  peut  la  voir  aussi, 
sous  la  serpette  du  vigneron,  se  maintenir, 
quoique  à  regret,  dans  quelques  décimètres 
carrés,  et  s'y  porter  assez  bien  pendant  un  grand 
nombre  d'années.  Sur  les  rochers,  sur  les  arbres, 
contre  les  murs,  courant  sur  terre,  rampant  sous 
terre,  sauvage  ou  disciplinée,  libre  ou  torturée,  la 
vigne  vit  partout  et  résiste  à  tout,  pourvu  qu'i^Ue 
ait  la  part  de  sol,  de  nourriture,  d'air  ot  de  soleil, 
qui  lui  est  strictement  nécessaire.  »  Toutefois,  il 
est  des  circonstances  particulières  de  sol,  d'expo- 
sition, dinlluences  mal  connues,  qui  assurent  h 
la  vigne  l'épanouissement  de  ses  facultés  les  plus 
délicates.  11  en  résulte  ce  que  l'on  appelle  les 
criis,  et  surtout  les  grands  crûs,  limités  :\  des  es- 
paces restreints,  et  dont  les  produits,  cotés  à  des 
prix  qui  vont  sans  cesse  en  s'augmentant,  sont 
recherchés  parles  consommateurs  riches  de  toutes 
les  parties  du  monde  civilisé. 

Les  méthodes  de  culture  de  la  vigne  varient 
presque  à  l'infini.  Ici,  on  la  tient  en  souches 
basses,  plus  loin  en  treilles  le  long  de  murs,  ail- 
leurs encore  en  hautains,  c'est-à-dire  en  longs 
bras  qui  s'élèvent  sur  des  tonnelles  spéciales  ou 
sur  des  arbres  qui  leur  servent  de  tuteur.  Uiie 
dernière  méthode,  la  culture  en  chaintres,  con- 
sistant à  laisser  les  branches  de  souches  peu  élevées 
s'étaler  sur  le  sol,  a  été  récemment  préconisée. 
Sur  une  surface  d'un  hectare  on  compte  ici 
801)  pieds  de  vigne,  ailleurs  jusqu'à  10  OOU,  en  pas- 
sant par  tous  les  intermédiaires.  La  reproduction 
se  fera  par  boutures,  ou  bien  par  provignage,  c'est- 
à-dire  par  marcottes  couchées  sur  le  sol  ;  récem- 
ment encore,  les  méthodes  de  greffage  propres  à 
marier  ensemble  un  plant  américain,  à  racines  ré- 
sistant au  phylloxéra,  avec  un  plant  français  pro- 
ducteur de  bon  vin,  ont  pris  une  rapide  extension. 
Dans  certaines  vignes,  les  ceps  sont  tous  enche- 
vêtrés sans  ordre;  ailleurs,  les  plantations  sont 
régulièrement  espacées,  de  telle  sorte  que  les  tra- 
vaux du  sol  peuvent  être  faits  à  la  charrue.  —  Il 
no  peut  entrer  dans  le  cadre  de  cet  article  de 
donner  la  description  de  tous  ces  modes  de  cul- 
ture; nous  nous  bornerons  donc  à  l'exposé  de  la 
méthode  de  viticulture  préconisée  par  le  docteur 
Guyot,  après  trente  années  d'études  et  d'observa- 
tions dans  tous  les  vignobles  et  avec  une  connais- 
sance approfondie  des  conditions  que  requiert  la 
prospérité  de  la  vigne. 

La  constitution  d'un  vignoble  ot  sa  culture 
comportent  un  grand  nombre  d'opérations  qui 
peuvent  se    résumer  ainsi  :  choix  du  sol,   plan- 


tation,   taille,     façons,     fumures,    vendanges. 

Choix  du  sol.  —  On  a  déjà  dit  que  la  vigne  s'ac- 
commode de  presque  tous  les  sols;  mais  il  est  dos 
circonstances  de  situation  qu'elle  exige.  Dans  les 
pays  de  collines  et  de  montagnes,  la  vigne  peut 
commencer  à  bien  venir  depuis  une  hauteur  de 
quelques  mètres  au-dessus  du  fond  des  vallées 
jusqu'à  la  limite  où  son  fruit  peut  miirir  ;  dans  les 
pays  de  plaine,  les  mamelons  aérés  et  dégagés 
lui  conviennejit  le  mieux.  Le  sol  peut  être  avanta- 
geusement incliné  par  rapport  à  l'horizon  ;  les 
pentes  de  10  à  30  degrés  sont  celles  qui  sont  lo 
plus  favorables  à  la  vigne.  Quant  aux  expositions, 
ce  sont  celles  do  l'est,  du  sud-est  et  du  sud  qui, 
en  France,  sont  le  plus  convenables;  les  moins 
bonnes  sont  celles  du  nord-ouest  et  de  l'ouest,  à 
raison  surtout  de  la  nature  humide  des  vents  qui 
viennent  de  ces  directions. 

Dans  toutes  les  circonstances,  deux  conditions 
doivent  être  préliminaires  à  la  plantation  de  la 
vigne  ;  c'est  la  création  de  la  viabilité,  c'est-à- 
dire  des  chemins  qui  y  donnent  accès  ou  qui 
permettent  d'en  parcourir  les  parties;  c'est  en- 
suite l'assainissement  du  sol  pour  l'écoulement 
des  eaux  de  la  surface  et  pour  prévenir  la  stagna- 
tion des  vapeurs  d'eau  et  des  brouillards  sur  les 
divers  points  de  la  superficie. 

La  préparation  que  subit  le  sol  consiste  dans  le 
défonçage  à  une  profondeur  de  50  centimètres; 
ce  travail  peut  être  fait  à  bras  ou  avec  des  char- 
rues puissantes.  Si  la  terre  est  couverte  de  végé- 
taux venus  spontanément,  de  broussailles,  etc., 
on  commence  par  raser  ces  végétaux,  et  on  répar- 
tit les  débris  des  tiges  et  des  racines  au  fond  des 
raies  que  forme  l'opération  du  défonçage.  —  Au 
moment  de  la  plantation,  le  sol  doit  être  uni,  pour 
qu'on  puisse  y  tracer  les  lignes  suivant  lesquelles 
seront  placés  les  jeunes  plants  de  vigne. 

Plantation  de  la  ligne.  —  La  plantation 
peut  être  faite  avec  des  boutures  ou  sar- 
ments de  l'année  coupés  sur  un  cep  et  mis  en 
terre  sans  racines;  des  chevelées  ou  sarments 
couchés  sous  terre  et  ayant  pris  racine  sans  être 
détachés  du  cep.;  des  plants  enracinés  ou  boutures 
ayant  pris  racines  en  pépinière.  Cette  dernière 
méihode  est  celle  qui  doit  être  préférée;  il  est, 
d  ailleurs,  facile  de  faire  une  pépinière  dans  la- 
quelle on  obtiendra  le  nombre  de  plants  suflisant 
tant  pour  créer  de  nouvelles  vignes  que  pour  rem- 
placer les  ceps  disparus.  Los  nouveaux  plants  ob- 
tenus avec  ces  trois  méthodes  sont  identiques  à 
ceux  d'où  ils  proviennent,  et  ils  en  possèdent 
toutes  les  qualités  et  tous  les  défauts. 

Les  lignes  de  plantation  ayant  été  tracées  avec 
précision,  on  procède  à  la  plantation  à  la  fin  de 
1  hiver.  Avec  une  aiguille  en  fer,  on  place  les 
boutures  ou  les  plants  enracinés  à  des  distances 
régulières,  de  1  mètre  à  l^iSO,  en  atteignant 
une  profondeur  de  ;3ià-iO  centimètres.  En  même 
tpmps,  on  met  dans  le  trou  un  peu  de  fumier  de 
ferme,  ou  de  compost  formé  de  terre  végétale  et 
de  fnmier,  en  proportion  variable,  selon  la  nature 
du  sol  dans  lequel  se  fait  la  plantation;  cette  pro- 
portion varie  de  I  litre  à  G  ou  8  litres,  suivant  que 
la  terre  est  plus  ou  moins  fertile. 

Après  la  plantation,  le  sarment  est  coupé  jus- 
qu'au-dessus du  premier  œil  qui  sort  de  terre.  Au 
printemps  et  durant  l'été,  on  fait  trois  ou  quatre 
binages,  soit  à  la  houe,  soit  à  la  charrue,  entre  les 
lignes  de  ceps,  tantpour  ameublir  le  sol  que  pour  le 
débarrasser  des  mauvaises  herbes  qui  y  croissent 
spontanément. 

Tiiitle.  —  Le  premier  soin  de  la  deuxième  année 
est  de  remplacer  par  des  plants  enracinés  ceux 
qui  auraient  manqué.  On  enlève  ensuite  tous  les 
sarments,  sauf  le  plus  bas  auquel  on  laisse  un 
œil  ou  bourgeon.  Si  l'on  a  soin  de  pratiquer  des  bi- 
nages  en  nombre  suffisant,  on    obtient,  dans  le 


YIGNE 


—  23i8  — 


VIN 


courant  de  l'année,  un  long  sarment,  vigoureux, 
doni  on  pince  les  pampres  dès  le  mois  do  juin.  Ce 
sarment  doit  servir  de  souche. 

La  troisième  année,  h.  la  fin  de  Tliiver,  on  coupe 
tous  Il's  sarments,  sauf  le  plus  fort  et  le  plus  près 
de  terre,  qu'on  rabat  en  lui  laissant  deux  œils. 
Pour  que  les  deux  branches  qui  en  sortiront 
prennent  tout  leur  développement,  on  plante  un 
échalas  de  l"",!)!  de  longueur  au  pied  de  chaque 
cep,  cl  on  y  attache  les  branches.  On  les  pince  et 
on  les  épampre  plus  ou  moins,  dans  le  cours  de 
l'année,  suivant  la  vigueur  de  la  végétation.  La 
vigne  recevra  des  binages  suffisants  pour  être  en 
constant  état  de  propreté. 

Au  commencement  de  la  quatrième  année,  le 
cep,  qui  a  pris  toute  sa  vigueur,  est  mis  en  état 
de  production.  La  taille  devient  définitive;  elle 
consiste  à  laisser  dans  toute  sa  longueur  le  plus 
haut  sarment  destiné  à  produire  des  fruits,  et  k 
tailler  sur  deux  œils  francs  la  branche  la  plus 
basse  destinée  h  produire  du  bois.  Le  sarment  i 
fruits  est  couché  horizontalement  et  attaché  Ji  uji 
petit  piquet  fiché  en  terre  préalablement  entre  les 
ceps;  la  branche  à  bois  s'élève  librement  le  long 
de  l'cchalas.  Au-dessus  des  piquets,  on  fait  courir 
un  (il  de  fer  sur  lequel  les  branches  k  fruits  sont 
palissées.  Chaque  œil  de  la  branche  à  fruits  produit 
un  contre-sarraent  qui  porte  des  grappes  ;  au  deli 
de  ces  grappes,  chaque  contre-sarment  est  épam- 
pre et  pincé  pour  ne  pas  fatiguer  la  souche. 

Désormais,  le  travail  se  reproduit  de  la  même 
manière  chaque  année;  k  la  findel'hiver, on  enlève 
la  branche  à  fruit  de  1  année  précédente,  au  ras 
de  tronc;  sur  la  branche  à  bois,  on  conserve  le 
sarment  le  plus  vigoureux  qui  devient  branche  à 
fruit,  et  le  second  est  taillé  k  deux  œils.  Dès  l'âge 
de  huit  ans,  la  vigne  est  adulte;  elle  atteint  sa 
pleine  production,  qui  peut  se  maintenir  pendant 
vingt  k  vingt-cinq  ans,  et  même  davantage,  sui- 
vant les  soins  de  culture  et  les  fumures  qu'elle 
reçoit. 

Façons.  —  En  dehors  de  la  taille,  les  soins  à 
donner  à  la  vigne  se  réduisent  k  des  binages  et  Ji 
des  sarclages,  destinés  k  aérer  le  sol  et  ;\  enlever 
toute  végétation  parasite.  Le  plus  généralement, 
on  pratique  trois  sarclages  et  binages  d'avril  k 
juillet;  mais  il  faut  les  faire  plus  nombreux  si, 
pour  une  raison  ou  pour  une  autre,  cela  est  né- 
cessaire k  la  propreté  absolue  du  sol.  Les  seuls 
mouvements  importants  de  terrain  qu'il  y  a  lieu 
de  faire  sont  ceux  qui  sont  exigés  pour  les  fu- 
mures. 

Les  épamprages,  destinés  k  enlever  les  pampres 
inutiles,  les  rognages  pour  faire  disparaître  les 
feuilles  trop  nombreuses,  qui  projettent  de  l'ombre 
sur  le  sol  et  sur  les  ceps,  doivent  être  également 
pratiqués  avec  soin.  Le  raisin  mûrit  d'autant 
mieux  qu'il  reçoit  plus  directement  les  rayons  du 
soleil,  et  que  le  sol  au-dessus  duquel  il  est  sus- 
pendu est  mieux  réchauffé. 

Fumures.  —  Pendant  longtemps,  il  a  été  admis 
que  la  fumure  des  vignes  était  une  opération  per- 
nicieuse, ayant  pour  résultat  d'altérer  la  saveur 
et  le  goût  des  vins.  Cette  opinion  a  été  détruite 
par  des  faits  et  des  expériences  directes.  Il  n'y  a 
de  désastreux  pour  la  vigne,  comme  pour  toute 
culture,  qu'une  fumure  trop  abondante  ou  mal 
faite.  Les  engrais  les  plus  convenables  pour  la  vi- 
gne sont  les  engrais  organiques,  tels  que  le  fu- 
mier de  ferme,  les  composts,  les  débris  de  laines, 
et  parmi  les  engrais  minéraux,  les  sels  potassi- 
ques. 

Le  fumier  de  ferme  est  appliqué  aux  vignes 
pendant  l'iiivcr.  Le  meilleur  système  consiste  k 
creuser  un  profond  sillon  entre  les  lignes  de  ceps, 
et  à  y  enfouir  le  fumier,  en  le  recouvrant  ensuite 
d'une  couche  do  15  à  20  centimètres  de  terre. 
Une  fumure  abondante  est  celle  de  60  mètres  cu- 


bes de  fumier  par  hectare.  Les  mêmes  prescrip- 
tions doivent  être  suivies  pour  les  composts. 

Pour  les  sols  calcaires,  on  se  sert,  dans  quelques 
régions,  de  schistes  appelés  ampélites.  fréquents 
dans  certaines  parties  des  Alpes,  et  qu'on  répand 
sur  le  sol  où  ils  s'elïritent  rapidement. 

Venilanrjes.  —  La  vendange  est  la  récolte  durai- 
sin  ;  c'est  la  dernière  opération  de  la  viticulture. 
Ensuite  commence  la  vinification.  Les  vendan- 
ges se  font,  en  France,  suivant  les  régions,  depuis 
le  milieu  de  septembre  jusqu'à  la  fin  du  mois 
d'octobre.  On  les  fait  souvent  trop  hâtivement, 
dans  la  crainte  de  l'effet  des  pluies  froides  de 
septembre  ou  d'octobre  ou  des  premières  gelées. 
Des  enfants,  des  hommes  et  des  femmes  de  tous 
les  âges  peuvent  travailler  aux  vendanges  avec 
avantage,  car  il  importe  qu'elles  soient  faites  rapide- 
ment, une  fois  qu'elles  sont  commencées.  Chaque 
ouvrier  est  arme  d'une  paire  de  ciseaux  et  d'un 
panier  ;  les  grappes  coupées  sont  mises  immédia- 
tement dans  le  panier.  Pourque  le  travail  soit  fait 
régulièrement,  une  rangée  de  ceps  est  attribuée 
à  chaque  travailleur.  Des  auxiliaires  prennent  les 
paniers  pleins,  et  les  placent  dans  de  plus  grands 
récipients  étanches,  dont  la  forme  varie  à  l'infini 
suivant  les  localités  ;  les  raisins  sont  portés,  dans 
ces  récipients,  k  l'extrémité  delà  vigne,  et  déchar- 
gés là  dans  des  tonneaux  ouverts  par  le  haut,  que 
des  voitures  transportent  au  vendangeoir.  Il  est 
important  de  ne  faire  subir  au  raisin  que  les  trans- 
vasements absolument  nécessaires.  Au  vendan- 
geoir, la  fabrication  du  vin  commence  par  l'égrap- 
page  et  par  le  foulage. 

On  appelle  ban  des  vendanges  la  fixation,  dans 
une  commune,  par  les  notables  ou  les  experts,  du 
jour  où  la  vendange  doit  commencer.  Cette  an- 
cienne habitude,  qui  défendait  de  vendanger  avant 
le  jour  prescrit,  tombe  en  désuétude. 

Ennemis  de  ta  vigne.  —  La  vigne  a  de  nombreux 
ennemis  appartenant  au  règne  animal  ou  au  règne 
végétal. 

Ses  principaux  ennemis  du  règne  animal  sont 
des  insectes  :  la  pyrale,  l'eumolpe  ou  gribouri,  l'al- 
tise,  le  phylloxéra.  La  pyrale  est  combattue  par 
l'échaudage  des  ceps  à  l'eau  bouillante  suivant  le 
procédé  Raclet  ;  l'eumolpe  et  l'altise  sont  détruits 
par  le  ramassage  des  insectes:  on  les  fait  tom- 
ber dans  des  entonnoirs  munis  d'une  poche,  le 
matin,  en  secouant  légèrement  les  branches  et  les 
souches.  Quant  au  phylloxéra,  le  plus  redoutable 
de  tous  ces  ennemis,  un  article  spécial  lui  est 
consacré  dans  ce  Dictionnaire. 

Le  plus  dangereux  parasite  végétal  de  la  vigne 
est  l'oidium,  cryptogame  qui  se  développe  sur  les 
feuilles  et  lesgrappes,  et  a  parfois  anéanti  des  ré- 
coltes presque  entières.  On  combat  l'oidium  par 
l'insufllation.surles  feuilles  et  les  jeunes  grappes, 
de  soufre  finement  pulvérisé  ;  cette  opération, 
pratiquée  avec  des  soufflets  spéciaux,  doit  être 
faite  trois  fois  au  moins,  avant  la  floraison,  et 
après  celte  phase  importante  de  la  végétation. 
Deux  autres  parasites  végétaux,  l'anthracnose  et 
le  mildew  {Peronuspora  viticola),  sont  également 
très  redoutables  pour  la  vigne  ;  on  cherche  en- 
core les  moyens  de  les  détruire. 

[Henry  SagnierJ. 

VIN.  —  Connaissances  usuelles,  IX  ;  Hy- 
giène, X.  —  La  fabrication  du  vin  est  encore  pres- 
que partout  à  l'état  empirique.  Chaque  région 
conserve  des  procédés  traditionnels  qui  sont  pres- 
que tous  susceptibles  de  simplification  ou  de  per- 
fectionnement. Cependant  les  viticulteurs  instruits 
commencent  à  remplacer  les  pratiques  routinières 
par  des  opérations  rationnelles,  et  substituent  à 
l'outillage  insuffisant  ou  défectueux  d'autrefois 
des  appareils  plus  efficaces  et  plus  puissants. 

Ne  pouvant  décrire  ici  en  détail  les  procédés 
de  vinification  usités  dans  nos  principaux  contres 


VIN 


2319  — 


VIN 


(II!  proiliiclidii,  iHius  allons  siniploineiit  expliquor 
la  mai'i'lii'  iioMiialo  iiidii|u6o  par  la  llKiorio. 

La  viiiiliralidii  ne  consiste;  pas,  comme  on  pour- 
rait 11'  CMiirr,  à  transforiuor  simplument  en  alcool 
l(!  sucri'  l'iiiitcmi  dans  lo  raisin.  Pour  obtenir  un 
liquide  digne  du  nom  de  vin,  il  faut  que  la  fer- 
mentation alcoolique  s'accompagne  de  réactions 
fort  complexes  des  cléments  du  moût  ;  ce  sont  ces 
réactioiis  accessoires  qui  donnent  au  produit  sa 
valeur  marcliando  et  en  partie  sa  valeur  hygiéni- 
que. 

La  qualité  du  raisin  et  son  degré  de  maturité 
sont  les  deux  facteurs  principaux  k  considérer, 
liien  ne  remplace  la  qualité.  On  peut  au  contraire, 
dans  une  certaine  mesure,  remédier  au  manque 
de  maturité  en  fournissant  au  moût  une  partie  du 
sucre  qui  lui  manque.  Dans  ce  cas,  le  sucre  do 
fécule  ou  glucose  est  préférable  à  tout  autre, 
niais  la  parfaite  maturation  n'augmente  pas  seule- 
mont  la  quantité  de  sucre  contenue  dans  le  rai- 
sin; elle  diminue  la  proportion  d'acide  et  déve- 
loppe des  principes  aromatiques  ou  du  moins  les 
matières  propres  Ji  les  produire  plus  tard.  Aussi, 
quoi  qu'on  fasse,  on  ne  peut  obtenir  qu'un  vin 
médiocre  avec  du  raisin  de  qualité  inférieure  ou 
du  raisin  decboix  incomplètement  mûri.  D'antre 
part,  avec  le  meilleur  raisin  vendangé  à  point,  il 
est  facile  de  ne  faire  qu'une  boisson  sans  valeur  si 
l'on  ne  sait  pas  conduire  à  bonne  fin  la  vinifica- 
tion. 

Les  procodés  usuels  de  vinification  peuvent  se 
diviser  en  quatre  opérations  principales  :  expres- 
sion du  moût,  fermentation,  mise  en  tonneaux  et 
mise  en  bouteilles. 

Le  procédé  ancien  employé  pour  exprimer  le  jus 
du  raisin  ou  moût  consiste  dans  le  foulage.  Celui- 
ci  se  fait  ordinairement  par  des  lionimes  qui  pié- 
tinent le  raisin  sur  un  sol  dallé  un  peu  incliné  et 
entouré  d'un  rebord. Lejiis s'accumule  dans  un  ba- 
quet où  on  le  puise  pour  le  verser  dans  la  cuve 
à  fermentation,  qui  contient  ordinairement  de  40 
h  hO  hectolitres. 

Lorsque  l'on  traite  du  raisin  de  bonne  qualité 
bien  mûr,  on  ne  le  foule  qu'après  Végruppufje, 
qui  consiste  à  supprimer  la  rnfle  qui  porte  les 
grains.  Mais  quand  on  n'attend  qu'un  vin  plat  et 
fade,  il  est  bon  de  fouler  les  grappes  entières,  parce 
que  la  rafle  donne  au  vin  une  saveur  un  peu  acerbe 
qui  le  relève  et  contribue  à  sa  conservation. 

Le  foulage  est  un  procédé  tout  à  fait  primitif, 
que  l'industrie  luoderne  tend  de  plus  en  plus  i 
remplacer  par  l'expression  mécanique  du  moût. 
On  eiuploie  quelquefois  des  cylindres  de  fonte, 
mais  ils  écrasent  les  pépins  riches  en  tannin  et  en 
matières  amères,et  le  vin  reste  souvent  âpre  môme 
après  plusieurs  collages.  Des  cylindres  en  treillis 
de  fil  de  for  galvanisé  broient  très  bien  le  raisin 
sans  écraser  les  pépins. 

La  fermentation  ne  s'établit  dans  la  cuve  qu'au 
contact  do  l'air.  Mais  une  foisqu'elle  est  entrain, 
il  importe  que  l'air  n'ait  plus  accès  à  la  surface  du 
liquide,  sans  quoi  l'alcool  s'y  oxyderait  à  mesure 
de  sa  formation  et  se  changerait  en  acide  acé- 
tique. Lorsque  la  rafle  forme  au-dessus  du  moût 
un  chapiau  épais,  le  gaz  acide  carbonique  qui 
se  dégage  s'y  trouve  emprisonné  et  le  liquide  est 
suffisamment  protégé.  Mais  quand  on  a  cgrappé  le 
raisin,  il  importe  de  couvrir  la  cuve,  et  de  no 
laisser  libre  qu'un  espace  suffisant  pour  le  déga- 
gement de  l'acide  carbonique. 

La  fermentation  s'effectue  sons  l'influence  d'un 
ferment  propre  du  raisin,  sans  qu'il  soit  nécessaire 
de  la  provoquer  par  l'addition  de  levure  ou  d'au- 
tre ferment  étranger.  Sa  durée  varie  avec  la  qua- 
lité du  raisin,  la  température,  la  proportion  de 
sucre  k  convertir  en  alcool.  Il  importe  de  ne  pas 
l'entraver  en  refroidissant  la  cuve  par  l'addition 
do  moût  nouveau.  On  doit  faire  en  sorte  de  faire 


fornientorîi  part  lo  produit  de  chaque  journée  de 
vendange. 

La  fermentation  n'étant  pas  coiuplète  au  mo- 
ment où  l'on  soutire  le  vin  de  la  cuve  pour  le 
mettre  en  tonneaux,  on  devrait  prendre  toutes 
les  précautions  possibles  pour  le  soustraire,  pen- 
dant cette  opération,  au  contact  de  l'air,  sans 
quoi  on  .s'expose  îi  produire  une  certaine  quan- 
tili'  il'aciile  aiétii|\iu.  Pour  la  même  raison  il  faOt 
oprnr  i-li.iiiui'  jmir  \o.  remplissage  (ouillage)  des 
tiHiiiiMii.s,  |uiiir  i-ijinblcr  le  vide  produit  par  le  re- 
froidissement, lévaporation  et  les  infiltrations. 

Lorsque  la  seconde  période  de  fermentation  est 
achevée  dans  les  tonneaux,  les  matières  que  le  vin 
contenait  en  suspension  se  précipitent.  On  procède 
alors  au  soutirage,  qui  doit  être  renouvelé  plusieurs 
fois  si  l'on  veut  obtenir  un  vin  parfaiteiaent  lim- 
pide. Souvent  il  faut  recourir  au  cillagi:  pour  ar- 
river à  ce  résultat.  Cette  clarification  artificielle 
offre  d'ailleurs  l'avantage  d'enlever  à  certains  vins 
un  excès  de  tannin.  Le  collage  consiste  à  mêler  au 
vin  des  blancs  d'oeufs,  de  la  gélatine  ou  du  sang,  dé- 
layés et  battus  dans  une  petite  quantité  de  liquide. 
Le  tannin  et  quelques  autres  principes  de  même 
nature  s'unissent  aux  matières  clarifiantes  pour 
former  des  composés  insolubles  extrêmement  divi- 
sés qui  tombent  lentetnent,  entraînant  avec  eux 
les  matières  en  suspension. 

Le  vin  n'acquiert  toutes  ses  qualités  qu'après 
une  oxygénation  très  lente  qui  doit  s'efl'ectuer  d'a- 
bord dans  des  tonneaux  toujours  pleins,  puis  dans 
des  bouteilles.  Ce  n'est  qu'après  plusieurs  aimées 
que  des  réactions  très  compliquées  y  développent 
des  éthers  et  des  parfums  qui  constituent  le  bou- 
quet. 

Il  n'y  a  en  France  que  onze  départements  dans 
lesquels  on  ne  cultive  pas  la  vigne.  Le  maximum 
do  la  production  a  été  de  70  millions  d'hectolitres 
en  IHtiO.  Depuis  les  ravages  du  phylloxéra,  l'in- 
dustrie vinicole  se  trouve  gravement  atteinte,  et 
les  remèdes  proposés  pour  remédier  au  fléau  ne 
sont  applicables  que  dans  certaines  conditions 
[y.  Phylloxéra]. 

Au  point  de  vue  commercial,  la  production  du  vin 
en  France  est  ordinairement  divisée  en  six  régions. 

La  région  Sud  produit  des  quantités  considéra- 
bles, mais  la  qualité  est  généralement  médiocre. 
Les  départements  riverains  de  la  Méditerranée 
fournissent  plus  de  la  moitié  de  la  récolte  totale  de 
la  France. 

Le  Sud-Est  ne  donne  pas  de  produits  très  abon- 
dants, mais  il  compte  un  assez  grand  nombre  de 
vins  de  premier  choix,  notamment  les  yins  de 
l'Ermitage. 

L'Est  se  distingue  par  ses  vins  de  Bourgogne  et  do 
Champagne.  Les  crus  de  Bourgogne  les  plus  renom- 
mt'S  sont  ceux  deChambertin,  Romanée,  Clos-Vou- 
geot,  Corton,  IJeaune.  Les  vins  do  Champagne  sont 
souvent  mousseux  naturellement,  mais  on  leur 
donne  aussi  cette  propriété  par  des  procédé  sspé- 
ciaus  de  fabrication. 

Le  Centre  ne  fournit  que  des  vins  médiocres.  La 
plus  grande  partie  est  distillée  ou  convertie  en 
excellent  vinaigre.qui  n'acquiert  toutes  ses  qualités 
qu'au  bout  de  plusieurs  années. 

L'Ouest  n'est  pas  beaucoup  mieux  partagé  quant 
h  la  qualité.  Mais  ses  vins  fournissent  les  eaux-de- 
vie  dites  hoiSy  aigre  feuilles,  cognac,  qui  n'ont  pas 
de  rivales. 

Le  Sud-Ouest  fournit  les  vins  de  Bordeaux,  non 
moins  renommés  que  ceux  do  Bourgogne.  Le  dé- 
partem-nt  de  la  Gironde  est  lo  plus  favorisé  ;  c'est 
lui  (|ui  possède  les  crûs  do  Cliàteau-Laffitte,  Châ- 
teau-Margaux,  Chàteau-la-l'our,  Sauterne,  Saint- 
Emilion. 

Après  la  France,  c'est  l'Espagne  qui  produit  le 
plus  de  vin.  Les  plus  connus  sont  des  vins  de  li- 
queur tels  que  lo  Xérès,  le  Malaga,  l'Alicante.  Le 


VIN 


—  2320 


VIN 


Portugal  fournit  le  Douro  et  le  Porto,  très  alcooli- 
ques et  moins   sucres  r|ue  les'vins  d'Espagne. 

L'Italie  mérite  d'être  placée  à  peu  près  au  même 
rang  que  l'Espagne.  Cependant  une  grande  partie 
de  ses  vins  sont  médiocres  et  ne  peuvent  suppor- 
ter de  longs  voyages. 

L'Allemagne  est  justement  fière  de  ses  vins 
blancs  du  Rhin.  L'Autriche  est  moins  favorisée,  si 
ce  n'est  dans  quelques  régions  qui  produisent  en- 
tre autres  le  vin  de  Tokay. 

La  Suisse  produit  beaucoup  de  vin,  mais  pres- 
que tout  de  qualité  médiocre. 

En  Grèce,  on  ne  soigne  qu'un  petit  nombre  de 
crûsrenonimés,  dont  le  plus  connu  est  le  Malvoisie, 
rival  de  celui  que  fournit  l'Espagne. 

La  Russie  ne  peut  guère  mettre  en  ligne  que 
ses  vins  de  Crimée,  qui  imitent  assez  bien  ceux  de 
France. 

En  Afrique,  l'Algérie  commence  à  faire  connaî- 
tre ses  produits;  et  k  re.xtrémité  opposée  du  con- 
tinent, la  colonie  du  Cap  s'est  fait  une  réputation 
par  son  vin  de  Constance. 

Les  Etats-Unis  font  de  grands  efforts  pour  déve- 
lopper la  culture  de  la  vigne.  La  production  du 
vin  est  déjà  considérable  dans  plusieurs  États  de 
l'Ouest,  et  les  vignobles  de  Californie  fournissent 
des  produits  excellents. 

La  composition  du  vin  varie  avec  le  cépage,  la 
culture,  la  saison,  le  degré  de  maturité  du  raisin. 
C'est  d'ailleurs  un  liquide  fort  complexe.  Voici  la 
composition  moyenne  d'un  vin  rouge  pour  1  000 
parties  : 


■^78 
lUO 


Alcool  du  vin 

Alcools  divers  (bulylitjue,  ainylique,  al- 
déhydes)   traces 

Édiers,  huiles  esseotielles,  parfum id. 

Tartrate  acide  de  potasse  (au  plus) 6 

Sels  et  matières  eitractives 16 

Parmi  les  substances  comprises  sous  la  dénomi- 
nation de  matières  extractives  (formant  un  extrait 
solide),  mentionnons  la  mannite,  la  glycérine,  un 
mucilage,  les  matières  colorantes,  le  tannin. 

Les  sels  comprennent  principalement  des  tar- 
trates,  des  racémates,  des  acétates,  des  malates, 
des  phosphates,  des  chlorures  dont  les  bases  sont 
la  potasse,  la  soude,  la  luagnosie,  le  fer,  etc. 

Dans  les  vins  naturels,  la  proportion  d'alcool 
varie  de  ô  i  là  pour  100.  En  voici  quelques 
exemples  : 

Côto-d'Or Nuits  rouge 13 

—  .Moutrachcl U 

Youou Itouge  d'Avallon 11 

—  Blanc  Pineau,  Chablis.  M 

Lot Cahors  rouge 1  i! 

—  Cahors  blanc 13 

Gironde Bordeaux  rouge 10 

—  Sauternes  blanc 15 

Pvrénées-Orientales.  bnnvuls 15 


Drome. 
Marne . 


litag 


C'est  l'alcool  qui  joue  le  principal  rôle  dans  les 
effets  physiologiques  du  vin,  mais  son  action  est 
tout  autre  que  celle  d'une  égale  quantité  d'alcool 
simplement  diluée  dans  de  l'eau.  L'alcool  produit 
en  petite  quantité  par  la  fermentation  d'un  liquide 
sucré  se  trouve  engagé  dans  ce  liquide  dune  ma- 
nière beaucoup  plus  stable  que  celui  que  l'on 
ajoute  pour  obtenir  le  même  degré  alcoolique.  De 
plus,  l'action  de  l'alcool  dans  le  vin  se  trouve  no- 
tablement modifiée  par  colle  des  matières  qui 
l'accompagnent. 

Le  tannin  et  les  matières  colorantes  du  vin  pro- 


La  glycérine  est  un  produit  constant  du  dédou- 
blement des  sucres  en  alcool  et  en  acide  carbo- 
nique; on  doit;  donc  la  trouver  dans  le  vin^en 
proportion  de  sa  richesse  alcoolique.  Les  sels  du 
vin  sont  ceux  qui  existent  dans  la  plupart  des 
organismes  vivants  :  ceux  à  base  de  soude  n'y 
figurent  que  pour  une  proportion  minime,  tandis 
que  les  sels  de  potasse  y  jouent  un  rôle  important. 
Quant  au  Imuijuet,  qui  exerce  une  action  spéciale 
sur  le  système  nerveux,  il  résulte  d'un  mélange 
fort  complexe  d'alcools,  d'éthers,  d'aldéhydes  et 
d'essences. 

Si  l'on  étudie  le  vin  au  point  de  vue  alimen- 
taire, on  doit  d'abord  le  considérer  comme  un 
liquide  à  la  fois  acide  et  alcoolique.  Cette  union 
des  acides  et  de  l'alcool  contribue  à  donner  au  vin 
ses  qualités  agréables  comme  boisson.  De  plus,  les 
acides  retardent  la  destruction,  la  transformation 
de  l'alcool  dans  l'économie,  et  par  conséquent  mo- 
dèrent son  action  sur  le  système  nerveux.  Le 
tannin,  en  proportion  restreinte,  ne  peut  guère 
causer  de  troubles  dans  les  fonctions  digestives, 
et  dans  quelques  cas  spéciaux  il  est  utile  comme 
tonique  astringent.  Quant  au  bouquet,  il  manque 
à  presque  tous  les  vins  employés  comme  boisson 
usuelle.  Lorsqu'il  existe,  il  contribue,  comme  le-i 
arômes  des  viandes  et  des  substances  végétales,  à 
stimuler  les  fonctions  digestives,  en  même  temps 
qu'il  agit  sur  le  système  nerveux  comme  stimu- 
lant énergique. 

La  densité  du  vin  étant  peu  différente  de  celle 
des  liquides  de  l'organisme,  son  absorption  n'est 
pas  très  rapide.  L'action  d'une  quantité  donnée 
d'alcool  en  combinaison  dans  le  vin  agit  donc 
d'une  manière  plus  lente,  plus  graduelle,  que 
la  même  dose  d'alcool  absorbée  sous  une  forino 
plus  concentrée.  C'est  une  des  raisons  pour  les- 
quelles l'abus  du  vin  est  moins  dangereux  que 
celui  (les  liqueurs  fortes. 

Dans  les  maladies  où  le  suc  gastrique  n'est  plus 
sécrété  en  quantité  normale,  il  est  souvent  difficile 
de  faire  ttssimiler  aux  malades  des  toniques  alimen- 
taires qui  ont  besoin  de  subir,  au  préalable,  les 
transformations  digestives.  Le  vin  rend  alors  de 
grands  services,  car  il  est  absorbé  directement  p:i:' 
les  veines  capillaires  des  parois  de  l'estomac,  sans 
subir  aucun  travail  de  digestion.  Sa  composiiio;i 
montre  d'ailleurs  qu'il  apporte  aux  organes  affai- 
blis des  matériaux  utiles,  en  luême  temps  qu'il 
agit  par  ses  principes  combustibles,  qui  retardent 
l'usure  de  la  graisse  chez  les  sujets  condamnés  à 
la  diète  absolue. 

Dans  l'enfance  il  n'y  a  aucun  avantage  à  faire 
usage  du  vin.  Ce  qu'il  faut,  c'est  une  alimentalion 
abondanto,  simple  mais  variée,  distribuée  à  heures 
fixes.  Pour  l'adulte  qui  travaille,  le  vin  peut  sup- 
pléer, dans  une  certaine  mesure,  à  rinsuflisanco 
de  l'alimentation.  Mais  notons  que  le  prix  du  vin 
étant  supérieur  à  celui  de  substances  alimentaires 
équivalentes,  il  n'y  a  lieu  d'y  recourir  que  dans 
des  cas  exceptionnels.  Il  faudrait,  en  bonne  éco- 
nomie et  en  bonne  hygiène,  le  réserver  ponr  les 
coups  de  collier,  comme  ceux  que  l'on  donne  dans 
les  campagnes  pendant  la  fenaison,  la  moisson,  la 
vendange.  Nul  doute  que  l'ouvrier  qui  boit  du  vin 
ne  soit  plus  apte  à  remplir  une  rude  tâche  que 
celui  qui  boit  de  l'eau,  si  tous  deux  reçoivent 
d'ailleurs  la  même  ration  alimentaire.  Mais  si  l'on 
remplaçait  le  vin  par  une  ration  supplémentaire 
d'aliments  bien  choisis  au  point  de  vue  de  la  ré- 
paration et  de  la  calorification,  on  constatet-ait 
qu'avec  une  dépense  moindre  on  obtiendrait  des 
efi'ets  plus  sûrs  et  plus  durables.  On  ne  doit  donc 


viennent  de  la  pellicule  des  grains,  des  pépins  et  ,  considérer  le  vin,  au  point  de  vue  puremeiii  ali 
de  la  grappe.  Les  acides  se  trouvent  en  petite  ,  mentaire,  que  comme  un  palliatif  de  l'aliniein.i- 
quantité  à  l'état  libre  et  principalement  à  l'état  de  [  tion  insuffisante,  palliatif  très  coûteux  et  dont  Tu- 
sels  acides  :  le  plus  abondant  est  la  crème  de  sage  entraine  l'accoutumance  qui  dégénère  presque 
tartre,  dont   la   dose   varie   de  2  à  6  pour    1000.  |  toujours  en  abus.  C'est  aux  vieillards  que  le  vin 


VIN 


—  2321  — 


VINAIGRE 


rond  les  meilleurs  services,  l'i-is  à  petite  dose  et 
seulement  pendant  le  repas,  —  sauf  les  cas  de 
maladie,  —  il  leur  permet  de  diminner  la  quantité 
d'aliments  soumis  à  la  digestion,  ce  qui  peut  ôtre 
pour  eux  d'une  grande  importance. 

Les  femmes,  chez  qui  le  système  nerveux  est 
prédominant,  doivent  user  du  vin  avec  beaucoup 
plus  do  modération  que  les  hommes,  car  chez 
elles  le  moindre  abus  produit  une  surexcitation 
suivie  de  réaction  qui  dérange  l'harmonie  des 
fonctions. 

Pendant  les  voyages  en  mer,  ou  dans  les  villes 
assiégées,  lo  vin  rend  des  services  incontestables. 
Il  serait  h.  souhaiter  que  l'on  pût  toujours  le  sub- 
stituer à  l'eau-de-vie.  Les  sels  de  potasse  qui  s'y 
trouvent  en  assez  grande  quantité  suffisent  pour 
préserver  du  scorbut  lorsque  l'alimentation  végé- 
tale fait  défaut. 

Dans  les  régions  à  fièvres  intermittentes,  l'usage 
ordinaire  du  vin  rouge  contribue  à  préserver  de 
leur  atteinte  les  sujets  soumis  à  une  bonne  hy- 
giène. Pendant  les  convalescences,  le  vin  est  aussi 
utile  que  le  bouillon  pour  préparer  à  une  alimen- 
tation régulière  et  complète. 

L'abus  du  vin  entraîne  naturellement  des  con- 
séquences analogues  à  celles  qui  résultent  de 
l'abus  des  liqueurs  alcooliques  ;  cependant  les 
modifications  qu'il  produit  sont  moins  promptes 
et  moins  profondes,  leurs  manifestations  immé- 
diates sont  moins  dangereuses,  et  elles  tardent 
plus  à  compromettre  irrémédiablement  la  santé. 
Aussi  l'on  remarque  que  dans  les  pays  vignobles, 
surtout  dans  ceux  où  l'on  récolte  un  vin  peu  riche 
en  alcool,  les  ivrognes  meurent  moins  prompte- 
ment  que  ceux  des  régions  où  l'on  consomme 
presque  exclusivement  de  l'eau-de-vie. 

L'habitude,  en  émoussant  les  sensations  produites 
par  le  vin,  porte  à  en  augmenter  graduellement  la 
dose  parce  que  l'on  recherche,  dans  son  usage, 
la  stimulation  du  système  nerveux.  L'homme 
bien  nourri  n'a  pas  besoin  du  vin  dans  les  condi- 
tions ordinaires  d'exercice  et  de  travail.  S'il  en 
fait  usage  par  plaisir,,  il  devrait  se  contenter  d'une 
dose  assez  faible  pour  éviter  une  excitation  céré- 
brale un  peu  intense.  Pour  ceux  qui  ne  sont  pas  ac- 
coutumés aux  boissons  alcooliques,  cette  dose  est 
minime,  on  peut  l'évaluer  à  un  quart  de  litre  par 
jour  au  maximum.  Tout  ce  que  l'accoutumance  per- 
met de  boire  en  plus  constitue  un  excès,  puisque 
l'on  ne  dépasse  la  dose  physiologique  qu'après  avoir 
é  moussé  les  sensations  pour  étabUr  la  tolérance 
de  doses  élevées. 

Le  D'  Bouchardat,  très  compétent  dans  la  ma- 
tière, a  établi  pour  les  vins  la  classification  sui- 
vante : 

1°  Vitis  dans  lesquels  dominent  un  ou  plusieurs 
des  principes  immédiats. 

A.  —  Alcooliques,  Vins  secs 

B. — Alcooliques  et  sucrés j  vmsiieDdiUe' 


Madè 


Mar- 


:  paille. 


('-.  —  Alcoolique  sucré  tantnq> 
I).  —  Aslringenlsoutan-   [  avec  b' 


^  tartrique 
•  ^"■''"  j  maliquc 
-  Acides   mousseux. 


quet. 
sans  bouquet, 
avec  bouquet. 

sans  bouquet. 


SI  -  Raphaë 
Banyiils. 
Ermitage. 
Cahors. 


2°  Vins  milles  ou  complets  par  l'union  harmo 
nique  des  principes  immédiats  : 


Avec  bouquet. 


is  bouquet. 

2'    PAIITIE, 


Bourgogue.  —  Chambertio,  Corton, 
Romanée  ,  Chaioette  ,  Navril , 
r.los-Vougeot,  Montrachet. 

Médoc.  —  Châleau-la-Rose,  Sau- 
ternes. 

Midi,  ^  J.anglade,  Catnalgue. 

Bourf.'Ognes  ordinaires. 

Bordeaux  ordinaires, 

Héraullj  Aude  communs. 


Quand  nos  vignerons  disent  que  le  vin  tra- 
vaiUe  i.  certaines  époques  de  l'annéis  ils  expriment 
un  fait  très  réel.  Le  vin  est  pour  ainsi  dire  doué 
d'une  vitalité  propre,  il  subit  sans  cesse  des  mo- 
difications sous  l'influence  de  petits  êtres  orga- 
nisés, vivants,  et  aussi  par  la  réaction  lente  de 
ses  constituants  solides,  liquides  et  gazeux.  Un 
léger  cliangement  de  température  et  d'autres 
causes  encore  mal  définies  suspendent  ou  rani- 
ment son  travail,  sa  vie  intérieure.  Chaque  phase 
donne  naissance  à  de  nouveaux  composés  qui  cau- 
sent la  précipitation  de  quelques  matières  ou  la  disso- 
lution nouvelle  d'éléments  déjîi  déposés  :  il  en 
résulte  des  mouvements  incessants  dans  le  liquide. 
Ces  séries  si  compliquées  d'actions  réciproques, 
dirigées  avec  intelligence,  donnent,  en  fin  de  compte, 
des  vins  parfaits,  tandis  qu'en  beaucoup  de  cas 
elles  dénaturent  complètement  les  qualités  essen- 
tielles du  liquide  et  causent  ce  que  l'on  appelle 
les  maladies  des  vins. 

Le  plus  souvent  les  maladies  sont  dues  à  la 
multiplication  de  végétaux  microscopiques.  Ainsi 
la  graisse  des  vins  blancs  provient  d'un  ferment 
organisé,  qui  vit  aux  dépens  d'une  matière  organi- 
que sucrée,  et  dont  la  multiplication  donne  au 
liquide  l'apparence  du  blanc  d'œuf.  Cette  plante 
parasite  ne  peut  vivre  que  sur  une  matière  spé- 
ciale que  précipite  le  tannin.  Pour  prévenir  la 
graisse,  il  suffit  donc  d'ajouter  du  tannin  aux  vins 
qui  n'en  possèdent  pas  assez. 

Nous  n'avons  pas  à  traiter  ici  des  falsifications 
nombreuses  auxquelles  le  vin  est  soumis  depuis 
la  cuve  à  fermentation  jusqu'à  la  table  du  con- 
sommateur. La  législation  actuelle  prohibe,  en 
principe,  tout  mélange  de  vins,  et  l'addition  de 
substances  quelconques,  utiles  ou  nuisibles,  au 
pur  jus  de  la  vigne,  Elle  fait  seulement  deux  ex- 
ceptions en  faveur  du  vinage  et  du  plâtrage. 

Le  plâtrage  consiste  i  mettre  du  sulfate  de 
chaux  en  poudre  dans  la  cuve  pour  éclaircir 
certains  vins  médiocres  et  aviver  leur  couleur  en 
libérant  de  l'acide  tartrique.  Le  sulfate  de  chaux 
se  trouvant  en  présence  du  tartrate  de  potasse,  il 
se  produit  une  double  décomposition  d'où  résultent 
du  tartrate  de  chaux  insoluble,  qui  se  précipite, 
et  du  sulfate  de  potasse,  sel  amer  et  purgatif, 
qui  reste  dissous  dans  lo  vin  :  on  tolère  le  plâtrage 
jusqu'à  production  do  2  grammes  de  sulfate  de 
potasse  par  litre.  Cette  dose  est  encore  trop  forte 
pour  être  absolument  inoffensive  :  on  devrait  la 
réduire  au  moins  de  moitié  en  mélangeant  conve- 
nablement les  vins  plâtrés  avec  d'autres  vins  na- 
turels. 

Le  vinage  consiste  à  augmenter  la  richesse  al- 
coolique du  vin.  On  l'opère  le  plus  souvent  par 
la  simple  addition  d'alcool  aux  vins  reconnus  trop 
faibles.  On  no  devrait  permettre  le  vinage  que  par 
l'addition  de  sucre  dans  la  cuve  pendant  la  fer- 
mentation. 

Aujourd'hui  que  l'on  connaît  exactement  la  com- 
position chimique  du  vin,  sa  valeur  alimentaire, 
les  c-ffets  physiologiques  et  hygiéniques  des  di- 
verses substances  qui  le  composent,  il  serait  facile 
d'obtenir  par  une  fahrication  consciencieuse  et 
éclairée  des  vins  doués  de  toutes  les  qualités  re- 
quises pour  leur  emploi  comme  boisson  ordinaire. 
Il  y  aurait  donc  lieu  de  réviser  la  législation  qui 
condamne  comme  falsifications  des  améliorations 
avouées,  sauf  à  redoubler  de  rigueur  contre  les 
manipulations  dangereuses  ou  entachées  de  fraude. 
[D'  SalTray.] 
VI^.VIGUE.  —  Chimie,  XXIII.  —  Le  vinaigre,  si 
connu  de  tout  le  monde,  provenait  autrefois  ex- 
clusivement du  vin  aigre.  C'est  vers  la  fin  du 
xvii»  siècle  que  le  chimiste  anglais  Boyie  reconnut 
sa  présence  dans  les  produits  liquides  de  la  dis- 
tillation du  bois. 

Le  vinaigre  doit  ses  propriétés  acides,  sa  saveur 
146 


VINAIGRE 


—  2'^±2  — 


VINAIGRE 


et  son  odeur,  à  l'acide  acétique  qu'il  contient. 
—  V.  Acétique  (Acide).  —  On  fabrique  depuis 
longtemps  d'assez  grandes  quantités  de  vinaigre 
en  mélangeant  tout  simplement  de  l'eau  et  de 
l'acide  acétique.  Ce  vinaigre,  principalement  em- 
ployé à  la  préparation  des  conserves,  et  fabriqué 
avec  l'acide  acétique  bon  goiil,  coûte  plus  clier 
que  les  autres  vinaigres  ;  aussi  sa  fabrication  tend- 
elle  à  diminuer,  tandis  que  la  consommation  gé- 
nérale du  vinaigre  augmente. 

Le  vinaigre  qui  provient  de  la  fermentation 
acide  du  vin  contient  non  seulement  de  l'acide  acé- 
tique étendu  d'eau,  mais  encore  de  l'alcool,  du 
tartre,  de  l'étlier  acétique,  qui  lui  communiquent 
cette  odeur  suave  qu'a  seul  le  bon  vinaigre  devin. 
Mais  la  plus  grande  partie  du  vinaigre  qu'on  fa- 
brique aujourd'hui  provient  de  l'oxydation  d'al- 
cools plus  ou  moins  fins,  provoquée  par  une  fer- 
mental  ion  dont  nous  décrirons  plus  loin  les 
conditions  artificielles. 

Le  vinaigre  a  une  saveur  franchement  acide,  une 
odeur  agréable,  surtout  le  vinaigre  de  viii  ;  il  est 
très  volatil,  bouta  une  température  voisine  de  120° 
mais  évidemment  variable  selon  son  degré  de  con 
centration,  c'est-à-dire  selon  la  quantité  d'acide 
acélii|ue  qu'il  renferme.  La  couleur  du  vinaigre 
est  quelquefois  vineuse,  le  plus  souvent  jaunâtre; 
les  vinaigres  formés  d'acide  acétique  mélangé  à  de 
l'eau  seraient  limpides  comme  de  l'eau  si  on  ne 
les  colorait  le  plus  souvent  avec  un  peu  de  ca- 
ramel. 

Fraude  du  vinaigre.  —  On  rencontre  souvent 
dans  le  commerce  des  vinaigres  frelatés  dont  l'u- 
sage peut  être  dangereux.  Pour  conserver  au  vi- 
naigre une  acidité  suffisante  après  l'avoir  étendu, 
des  commerçants  peu  scrupuleux  y  ajoutent  de  l'a- 
cide sulfurique  qui  ne  coûte  presque  rien.  On  peut 
reconnaître  cette  fraude  en  traitant  le  vinaigre 
par  un  sel  soluble  de  baryte  qui  y  donne,  dans  ce 
cas  là,  un  précipité  blanc  très  visible  et  même 
abondant.  Voici  comment  il  faut  opérer  pour  que 
le  précipité,  s'il  a  lieu,  ne  soit  point  dû  an  sulfate 
de  potasse  que  pourrait  contenir  un  vinaigre  na- 
turel. On  évapore  ujie  petite  quantité  de  vinaigre 
au  bain-marie  pour  le  concentrer,  puis  on  mélange 
le  résidu  avec  do  l'alcool  absolu  qui  ne  dissout 
pas  le  sulfate  de  potasse;  s'il  y  en  a  il  se  préci- 
pite; on  étend  ensuite  d'eau  distillée  la  liqueur 
alcoolique,  on  la  chauffe  pour  chasser  l'alcool,  et  on 
traite  par  quelques  gouttes  de  chlorure  de  baryum  : 
le  précipité  apparaît  instantanément  si  le  vinaigre 
contient  de  l'acide  sulfurique.  Dans  le  cas  de  la 
présence  de  l'acide  azoti(|ue,  le  vinaigre  trans- 
forme en  liqueur  jaunâtre  la  dissolution  bleue  de 
sulfate  d'indigo.  L'acide  chlorhydrique  donne, dans 
le  vinaigre  qui  en  contient,  un  précipité  blanc  so- 
luble dans  l'ammoniaque,  lorsqu'on  y  verse  une 
goutte  d'une  dissolution  d'azotate  d'argent.  Rien 
n'est  plus  simple  et  plus  facile  à  faire  que  ces  pe- 
tites analyses,  que  tout  le  monde  doit  être  à  même 
d'opérer.  Si  le  vinaigre  renferme  des  matières  vé- 
gétales plus  ou  moins  acres,  il  conserve  sa  saveur 
piquante  après  qu'on  en  a  neutralisé  l'acide  avec 
un  peu  de  carbonate  do  potasse. 

Fabrication  du  vinaigre.  Procédés  divers.  — Nous 
allons  d'abord  parler  de  la  fabricalioji  du  vinaigre 
qui  provient  de  la  fermentation  acide  du  vin  : 
c'est  le  meilleur,  au  moins  pour  les  usages  culi- 
naires ;  mais  il  tend  de  plus  en  plus  à  être  rem- 
placé par  un  vinaigre  résultant  de  l'oxydation  par 
fermemation  den'injporte  quel  liquide  spiritueux, 
et  principalement  de  l'alcool    lui-même. 

A  Orléans,  où  on  fabrique  beaucoup  de  vinaigre 
par  l'acidification  du  \in,  on  procède  de  la  ma- 
nière suivante  :  Dans  des  tonneaux  d'une  conte- 
nance de  cinq  ou  six  hectolitres,  imprégnés  déjà 
de  ferments  de  vinaigre  ou  nièrf  du  vinaigre  [\.  Fer- 
mentation) par  des  opérations  précédentes,  on  in- 


troduit un  litre  ou  deux  de  vinaigre  chaud,  puis  on 
y  ajoute  du  vin  par  portions,  à  intervalle  de  deux 
ou  trois  jours.  Los  tonneaux  doivent  être  dans  une 
salle  dont  la  température  ne  descende  jamais  au- 
dessous  de  Ti".  Au  bout  d'une  (|uinzaine  de  jours, 
tout  l'alcool  du  vin,  ou  à  peu  près,  est  converti 
eu  acide  acétique  ;  la  réaction  est  la  suivante  : 

C»H«02-fO*    =C»HiOk  -I-2H0 

alcool  -\-  oxyg.  =^  ac.  acét.  -f  eau. 

On  soutire  la  plus  grande  partie  du  vinaigre  qu'on 
remplace  par  du  vin,  et  ainsi  de  suite.  D'après  les 
travaux  de  M.  Pasteur,  la  transformation  de  l'al- 
cool en  acide  acétique,  autrement  dit  l'acétifica- 
tion.est  produite  par  un  ferment  végétal,  le  Mi/co- 
derma  nccli,  ou  mère  du  vinaigre,  qui  doit  exister 
au  préalable  dans  la  liqueur  et  qui  se  développe 
pendant  la  fermentation.  On  avait  d'abord  comparé 
l'aclion  oxydante  du  ferment  â  celle  du  7iûir  de 
plaiine  (V.  Platine),  mais  il  faut  admettre  que 
l'oxydation  de  l'alcool  par  le  Mijcod'-nna  aceti 
est,  comme  toutes  les  fermentations,  un  véritable 
phénomène  physiologique  :  c'est  le  résultat  de  la 
vie  du  ferment  qui  se  développe  aux  dépens  des 
matières  azotées  contenues  dans  le  liquide.  On 
aperçoit  à  la  surface  du  vin,  tant  que  dure  l'opé- 
ralioLi,  une  couche  blanchâtnt  de  Mycodcma  aceti 
qu'on  a|ipelle  fleur  du  vinaigre;  c'i-si  là,  à  la  sur- 
face seulement,  que  se  fait  l'acidification  :  le  vé- 
gétal vivant  absorbe  l'oxygène  de  l'air  et  le  fixe 
sur  l'alcool.  Dans  ce  procodé  il  se  forme  souvent 
des  anguillules,  petits  animaux  microscopiques 
qui  entravent  l'action  du  ferment. 

On  facilite  la  formation  du  vinaigre  par  le 
procédé  suivant,  qui  ne  diffère  pas  essentielle- 
ment du  précédent  et  qu'on  emploie  aussi  à  Or- 
léans, mais  surtout  en  Allemagne.  On  se  sert  de 
grands  tonneaux  placés  verticalement  et  divisés 
dans  le  sens  de  la  hauteur  en  plusieurs  comparti- 
ments. Celui  du  milieu,  qui  est  le  plus  grand,  est 
rempli  de  copeaux  de  hêtre  imprégnés  d'avance 
de  vinaigre  fort.  Le  vin  ou  le  liquide  spiritueux, 
cidre,  poiré,  bière,  alcool,  que  l'on  veut  trans- 
former en  vinaigre,  est  versé  dans  le  comparti- 
ment supérieur,  d'où  il  tombe  goutte  à  goutte  sur 
les  copeaux  de  hêtre  par  des  trous  imparfaitement 
bouchés  par  des  ficelles.  Un  courant  d'air  tiède 
circule  continuellement  dans  les  divers  comparti- 
ments, et  le  vinaigre  s'écoule  dans  le  comparti- 
ment inférieur  d'où  on  le  soutire.  Le  rôle  des  co- 
peaux est  d'étendre  la  surface  de  contact  entre 
le  vin  et  l'air  qui  fournit  l'oxygène,  et  en  môme 
temps  de  donner  des  matières  albuminoides  au 
ferment  pour  se  développer. 

L'élévation  croissante  du  prix  des  vins,  due  à 
l'invasion  du  phylloxéra,  et  cela  en  même  temps 
que  la  consommation  du  vinaigre  augmente,  a  ex- 
cité l'attention  des  inventeurs,  et  aujourd'hui  on 
transforme  l'alcool  en  vinaigre  aussi  facilement 
que  le  vin.  L'alcool  mélangé  d'eau  et  au  contact 
de  l'air  ne  se  transformera  en  acide  acétique  que 
si  on  ajoute  au  mélange  des  lîiatières  nutritives 
nécessaires  au  développement  du  ferment,  de  la 
mélasse,  de  la  bière,  etc.  Le  procédé  le  plus  em- 
ployé aujourd'hui  à  Paris  et  dans  l'Orléanais  est 
l'ancien  procédé  dit  des  flûtes  tournantes,  perlec- 
lionné  par  M.  Michaëlis,  puis  par  AL  Barbe  qui 
l'exploite  en  France.  On  l'appelle  encore  procédé 
luxembourgeois  ou  des  cuves  tournantes.  En  voici 
la  description  d'après  un  rapport  de  M.  le  pro- 
fesseur Troost  à  la  Société  d'encouragement 
pour  l'industrie  nationale  :  .   ,   ,,       . 

Les  tonneaux  employés  ont  une  capacité  d  envi- 
ron ti  hectolitres  ;  ce  sont  des  fûts  qui,  après  avoir 
servi  dans  le  midi  au  transport  des  vins,  sont 
remis  en  bon  état  et  cerclés  du  fer.  On  ùte  un 
des  fonds,  ou  remplit  complètement  le  tonueaa 
avec    des   copeaux  de  liôlre   (fabriqués  exprès), 


VINAIGRE 


—  2323 


VINIFERES 


enroulés  en  spirale;  on  tasse  aussi  fortemont  que 
possible,  puis  on  remet  le  fond.  Ces  tonneaux,  pla- 
cés liorizcnitalement,  peuvent  tourner  sur  des  ga- 
lets qu'une  simple  inanivelle  met  en  mouvement. 
Une  ouverture  de  !=,.'>  pei-cée  au  milieu  du  fond 
antérieur  laisse  entrer  l'air  qui  sort  par  un  trou 
percé  à  l'opposé  dans  le  dessus  du  tonneau.  La 
température    est    donnée    par    un    tliermomètie 


ordinaire  n'est  pas  seulement  utilisé  pour  les 
usages  de  la  tablc!  ;  on  en  emploie  quel(|ue  cent 
mille  licctolilres  par  an  pour  la  fabrication  des 
conserves.  L'industrie  de  la  teinture,  la  fabrication 
de  la  céruse,  de  la  moutarde  en  consomment  aussi 
une  très  grande  quantité.  Les  brunisseurs  en  em- 
ploient aussi,  mais  c'est  exclusivement  du  vinaigre 
d'alcuol.   Enfin  dans  les   cbaleurs  on  en  fait  une 


placé  dans  la  moitié  supérieure  du  tonneau  et  dont  ■  boisson  toni(|ue  et  rafraîchissante  en  mélangeant 
la  tige  liorizontale  se  redresse  exlorieuremont.  j  I  litre  de  vinaigre  avec  10  litres  d'eau.  La  Compa- 
Un  tube  de  niveau  indique  la  hauteur  du  liquide  '  gnie  générale  des  omnibus,  pendant  les  grandes 


qui  ne  dépasse  jamais  la  moitié  du  tonneau.  Le 
vinaigre  se  relii  e  par  une  cannelle  en  bois  placée 
h  la  partie  inférieure.  La  température  des  salles 
étant  de  26",  celle  du  tonneau  pendant  l'acétifica- 
tion  sera  îi  peu  près  de  M°  à  30°,  et  l'opération 
durera  12  à  là  jours 


chaleurs,  fait  laver,  aux  diverses  stations,  le  nez 
de  ses  chevaux  avec  une  épojige  mouillée  d'eau 
vinaigrée. 

Le  vinaigre  est  un  condiment  acide  et  aroma- 
tique; mélangé  aux  aliments,  il  les  rend  apéritifs, 
relevés,  plus  frais,  il  facilite  l'action  digestive  du 


On  introduit  dans  les  tonneaux  un  mélange  I  suc  gastrique  ;  lorsqu'il  s'agit  surtout  d'aliments 
ainsi  formé  pour  '230  litres  environ  de  liquide  :  1  oléagineux,  ou  ayant  subi  un  commencement  d'al- 
12  à  15  litres  d'alcool  dit  trois-six,  bon  j'«/,  tération,  le  vinaigre  intervient  fort  heureusement  ; 
1  litre  de  mélasse,  et  le  reste  de  l'eau.  Toutes  les  néanmoins  il  faut  n'en  faire  usage  (|ue  très  modé- 
trois  heures  on  fait  faire  un  tour  complet  au  ton-  |  rément.  Pris  en  trop  grande  quantité,  même  pur, 
neau.  On  obtient  ainsi  un  vinaigre  qui  marque  7  de- I  il  irrite  l'estomac  et  fait  naître  des  maladies 
grés  3/4  à  l'acétimètro  Salleron,  et  la  perte  par  graves.  Les  personnes  qui  en  boivent  pour  so 
évaporation  ne  dopasse  pas  5  pour  0/0.  Pour  obte-  faire  maigrir  compromettent  leur  santé,  souvent 
nir   un  vinaigre  plus  concentré,  marquant  lï°  à  '  pour  le   reste    de  leurs  jours. 


l'acétimètre,  il  faudrait  20  ou  21  jours! 

Le  procédé  des  cuves  tournantes  so  répand  de 
plus  en  plus  en  France  ;  plus  de  .',00  cuves  fonc- 
tionnent déjà  dans  la  Charente-Intérieure,  à.  Chà- 
lons-sur-Marne,  à  Chalon-sur-Saône,  à  Blois,  à 
Bordeaux,  à  Orléans. 

Vinaigre  de  /jui<:  ou  acirle  pi/roHgneux.  —  Le 
vinaigre  de  bois,  appelé  encore  acide  pyroligneux, 
obtenu  par  la  distillation  du  bois  en  vase  clos,  est 
de  l'acide  acétique  étendu  d'eau  et  mélangé  à  des 
substances  goudronneuses  qui  lui  donnent  une 
odeur  empyreumatique  dont  on  ne  peut  le  débar- 
rasser qu'en  en  extrayant  l'acide  acétique  par  des 


[Alfred  Jacquemart.] 
VIMFÈnES.— Botanique,  XXII-XXIV.—  Étym.  : 
Vinifires  vient  de  deux  mots  latins  qui  signifient 
porteur  de  vin,    parce  que  c'est  à   cette  famille 
qu'appartient  la  vigne. 

Dèfinitio7i.  —  Les  Vinifères  forment  une  famille 
de  plantes  dicotylédonées  dialypéiales  hypogynes, 
à  fleurs  complètes,  à  calice  persistant  après  la  flo- 
raison. Cette  famille  constitue, avec  les  Célastrinées, 
les  Staphyléacées  et  les  Pittosporées,  la  classe  des 
CKLASTiioiDÉES  do  Brengnlart. 

Caractères  botaniques.  —  La  graiîie  des  vini- 
fères présente  uji  tégument  mi-partie  sec  et  mi- 


moyens  chimiques.  Pour  cela  on  traite  le  liquide  partie  ligneux  ;  la  région  ligneuse  de  ce  tégument 
par  la  chaux  :  il  se  forme  un  acétate  de  chaux  est  intérieure.  Sous  le  tégument  est  un  albumen 
qu'on  chauffe  jusqu'à  siccité,  puis  on  le  traite  par  '  abondant,  enveloppant  de  toutes  parts  l'embryon, 
le  sulfate  de  soude  ;  il  se  forme  un  sulfate  de  Le  plan  de  symétrie  de  cet  embryon  est  perpen- 
chaux  et  un  acétate  de  soude  ;  en  décomposant  diculaire  au  plan  de  symétrie  de  la  graine  en- 
ensuite   l'acétate  de   soude  par  l'acide  sulfurique,  ,  tière. 

on  obtient  à  la  distillation  un  acide  acétique]  La  racme  des  vinifères  est  ligneuse,  contournée, 
complètement  débarrassé    de    toute  odeur  étran-    à  surface  très   rugueuse. 

gère  et  qu'on  appelle  vinaigre  radical  quand  il  Leur  tige  est  ligneuse,  sarmenteuse,  ordinai- 
est  concentré;  en  l'étendant  d'eau,  on  obtient  de  rement  grimpante  ;  elle  s'accroche  aux  objets  voi- 
très  bon  vinaigre,  employé  surtout  pour  les  con-  '  sins  au  moyen  de  vrilles  ;  elle  est  noueuse,  c'est- 


serves,  mais  quelquefois  aussi  comme  vinaigre  de 
table. 

L'Alsace  fabrique  passablement  de  vinaigre 
do  bois.  C'est  M.  Kestner  qui  a  établi  la  première 
fabrique  en  France, à  Thann,  dans   l'ancien  dépar- 


à-dire  renflée  aux  nœuds. 

Les  feuilles  sont  opposées  dans  la  région  infé- 
rieure de  la  tige,  et  alternes  dans  la  région  supé- 
rieure, où  elles  sont  d'ordinaire  opposées  aux  vril- 
les ou  aux  inflorescences.  Le  pétiole  est  fort  dévo- 


tement français  du  Haut-Rhin.  D'après  Stoltze,  '  loppé,  légèrement  élargi  à  la  base.  Le  limbe  est 
1  kilogramme  de  bois  donne  375  à  400  grammes  de  j  entier,  simple  ou  palme,  ou  bien  composé  à  cinq 
produits  liquides,  dont  C3  à  150  grammes  d'acide  j  folioles  (Ain/jelo/isis).  Les  feuilles  sont  quelquefois 
selon  la  nature  du  bois.  accompagnées  de  stipules. 

Vinaigres  divers.  —  En  faisant  infuser  diverses  Les  fleurs  sont  hermaphrodites;  elles  sont  dis- 
substances  aromatiques  dans  le  vinaigre  ordinaire,  '  posées  en  grappes  ou  en  panicules,  ou  en  thyrses  ; 
on  obtient  des  produits  aromatiques,  médicinaux  elles  sont  petites  et  verdàtres.  Celles  du  genre 
ou  hysiéniques,  dont  les  principaux  sont  :  le  vi-  !  tissus  sont  construites  sur  le  type  quatre,  c'est- 
naigre  rosat,  obtenu  par  une  infusion  de  roses;  le  à-dire  que  chacun  de  leurs  verti'  illes  présente 
vinaigre  surat  ou  sui-ard,  dans  lequnl  on  a  fait  in-  j  quatre  pièces.  Celles  des  genres  Vilis,  Anipelnpsis, 
fuser  de  la  fleur  de  sureau  ;  le  vinaigre  fram-  \  Leea,  sont  construites  sur  le  type  cinq,  excepté 
boisé,  le  vinaigre  à  l'estragon,  le  vinaigre  anti-  le  verticille  du  gynécée  qui  ne  présente  que  deux 
septi'/ne,  connu   surtout  soiis  le  nom  de  vinaigre    carpelles. 

des  quatre  voleurs,  obtenu  par  la  macération,  dans  '      Chaque  fleur  présente  donc  : 
du  vinaigre   fort,  de   sommités   sèches  de  grande  j      r  Un  calice  fort  petit  à  quatre  ou  à  cinq  dents; 
absinthe,  de  lavande,  de  menthe,  de  cannelle,  de    ce  calice  est  tapissé  d'un  disque  charnu  ou  d'une 
girofle,  de    noix   muscade,  etc.  On  appelle  sel  de  .  urcéole; 

vinaigre,  ou  vinaigre  d'Angleterre,  de  l'acide  acé-  'l"  Une  corolle  insérée  sur  le  disque  qui  tapisse 
tique  concentré  qu'on  verse  sur  du  sulfate  de  le  calice  et  présentant  quatre  pétales  ('  issus)  ou 
potasse  enfermé  dans  de  petits  flacons  de  verre;  \  cinq  (Viti^).  Les  quatre  pétales  du  ^enre  Cissus 
on  le  fait  respirer  aux  personnes  tombées  en  sont  absolument  libres  ;  il  en  est  de  môme  des 
syncope   ou    on    défaillance.  |  cinq  pétales  du  genre /lni/ie/o/jS)s;  ceux  du  genre 

Usages  (lu  vinaigre  ordinaire.  —  Le  vinaigre  1  Vitis  sont  soudés  par  leur  sommet,  de  sorte  que 


VOCABULAIRE 


—  2324  — 


YOCABULAIIIE 


lorsque  la  fleur  en  bouton  doit  s'(5panouir,  les 
pétales  se  détaclient  du  disque  qui  les  porte  et 
tombent.  Chez  le  genre  Leea,  les  pétales  sont 
réunis  par  leur  base  de  façon  à  simuler  une  co- 
rolle gamopétale  ; 

3»  Un  androcée  composé  de  quatre  étamines 
(Cissus)  ou  de  cinq  {Ampélopsis,  Vitis,  Leea).  Ces 
étamines  ontceci  de  particulier  qu'elles  sont  oppo- 
sées aux  pétales  ;  quelquefois  la  base  de  leur  filet 
est  fixée  aux  pétales.  Chez  le  genre  Leen,  les  éta- 
mines sont  insérées  sur  un  disque,  de  sorte  qu'el- 
les semblent  réunies  par  leur  base  et  monadol- 
phes.  Les  anthères  sont  introrses,  biloculaires,  à 
débisccnce  longitudinale  ; 

4°  L'n  androcée  formé  de  carpelles  soudés  con- 
stituant un  ovaire  pluriloculaire;  celui  des  Cissus 
est  h  quatre  loges  ;  celui  de  la  vigne  et  des  Am- 
pélopsis est  à  Jeux  loges  ;  celui  du  genre  Leea 
peut  avoir  de  trois  à  six  loges,  et  chacune  de  ses 
loges  ne  renferme  qu'un  ovule,  tandis  que  l'ovaire 
des  trois  premiers  genres  renferme  deux  ovules 
dans  chacune  de  ses  loges.  L'ovaire  est  surmonté 
d'un  style  très  court. 

Le  fruit  est  une  baie. 

Usages  des  Vinifères    —  Avec  les  fruits  mûrs 


mémoire  de  l'enfant  une  quantité  plus  ou  moins 
grande  de  mots  nouveaux,  dont  il  a  du  saisir  et 
comprendre  le  sens,  qui  sont  devenus,  par  con- 
séquent, si  l'on  peut  s'exprimer  ainsi,  sa  pro- 
priété légitime.  Nous  renvoyons  au  mot  Leçons  de 
choses. 

11  est  clair  encore  que  les  entretiens  du  maître 
avec  les  élèves  sur  les  faits  courants  de  la  vie 
scolaire,  les  récits  qu'il  leur  fait,  les  développe- 
ments qu'il  leur  expose,  et  qu'ils  répètent  après 
lui,  les  lectures  enfin,  commentées  et  expliquées, 
peuvent  et  doivent  conduire  au  même  but.  Il  en 
est  de  même,  quand  l'élève  sait  écrire,  des  dic- 
tées, de  la  plupart  des  exercices  de  grammaire, 
des  sujets  de  composition.  Le  Dictionnaire  con- 
tient à  ce  sujet  les  données  et  les  directions  qui 
ont  paru  les  meilleures. 

Nous  dirons  seulement  ici  un  mot  du  livre  ou 
des  livres  de  lecture,  rappelant  que,  pour  ouvrir 
l'esprit  de  l'enfant  sur  beaucoup  de  points,  pour 
faire  entrer  dans  sa  mémoire,  par  la  bonne  porte, 
beaucoup  de  mots,  il  ne  faut  point  que  toutes  les 
pages  du  livre  roulent  exclusivement  sur  un  même 
sujet,  la  répétition  d'idées  plus  ou  moins  analogues 
les  unes  aux  autres  ne  comportant  pas  évidemment    j 


de  la  Vitis  vinifera,  on  fabrique  le  vin.  La  vigne  une  bien  grande  variété  de  termes. Que  votre  livre 
ordinaire  est  originaire  de  Géorgie  et  de  Min-  de  lecture,  par  exemple,  contienne  des  préceptes 
grélie.  Les  fruits  de  quelques  autres  vignes  sont  et  des  exemples  de  bonne  morale,  rien  de  mieux  ; 
servis  secs  sur  nos  tables  comme  dessert  (raisins  mais  qu'il  contienne  aussi  autre  chose,  des  des- 
de  Malaga)  ;  d'autres,  plus  petits  (raisins  de  Co-  criptions,  des  données  sur  les  connaissances 
rinthe),  servent  à  faire  des  pâtisseries.  usuelles,  des  notions  et   des  tableaux  se  rappor- 

Au  genre  .4  mpe/opvw  appartient  la  Vigne  vierge,  tant  aux  sciences  naturelles,  etc.  Oii  a  remarqué 
cultivée  comme  plante  ornementale  ;  elle  est  ori-  fort  justement  que  le  vocabulaire  de  Corneille,  de 
ginaire  de  l'Amérique  septentrionale.  Racine,   de   Molière,   est    extrêmement   restreint. 

Le  genre  Cissiis  est  formé  de  plantes  qui  crois-  qu'un  étranger  qui  se  bornerait  à  lire  ces  auteurs, 
sent  sous  les  tropiques.  Leurs  baies  sont  rafrai-  malgré  tout  le  profit  qu'il  en  pourrait  tirer,  serait 
chissantes  ;  leurs  jeunes  feuilles  sont  usitées  loin  de  connaître  toute  notre  langue.  Le  vocabu- 
comme  légumes.  [C-E.  Bertrand.]        laire  de  Buflon,  de  Bernardin  de  Saint-Pierre,  etc., 

VOCABI'LAIUIÎ.  —  Connaissances  usuelles,  I  est  beaucoup  plus  riche.  11  faut,  au  point  de  vue 
I.  —  Il  a  été  dit.  dans  la  I"  PAnTiE,  au  mot  T'o-  I  de  la  langue,  considérer  l'enfant  entrant  à  l'é- 
aiulaire,    quelle  part  on  doit  faire,  dans  l'étude    cole  comme  quelqu'un  à  qui  il  s'agit  d'apprendre 


de  la  langue,  à  l'étude  des  mots,  l'objet  qu'on  doit 
se  proposer  en  faisant  cette  étude,  les  conditions 
qu'il  y  faut  remplir  pour  atteindre  le  but,  c'est- 
à-dire  l'accroissement  des  connaissances  et  la  for- 
mation de  l'esprit  par  l'acquisition  et  l'adaptation 
noriuale  des  idées  que  les  mots  représentent,  et 
aussi  par  des  notions  générales  ou  spéciales  sur 
la  nature  même  des  mots,  sur  leur  rôle,  sur  ce 
travail  si  intéressant  ex  si  curieux  des  générations 
qui  les  a  mis  à  notre  service. 

Il  reste  à  indiquer  un  certain  nombre  de  moyens 
pratiques  destinés  à  amener  l'enfant,  soit  dans 
la  famille,  soit  surtout  dans  l'école,  à  la  con- 
naissance rationnelle  du  vocabulaire  de  sa  lan- 
gue maternelle,  la  seule  que  nous  ayons  ici  en 
vue  ;  pour  ce  qui  concerne  1  étude  du  vocabulaire 
des  langues  étrangères,  nous  renvoyons  le  lecteur 
;i  l'article  Langues  éttmigéres.  dans  la  I"  Partie. 

Les  moyens  de  faire  connaître  à  l'enfant,  dans 
les  conditions  que  nous  avons  dites,  le  vocabu- 
laire de  sa  langue,  peuvent  être  rangés  en  deux 
catégories  :  moyens  généraux  et  moyens  spéciaux, 
b's  moyens  généraux  étant,  à  nos  yeux,  ceux  dans 
lesquels  les  mots  sont  considérés  comme  repré- 
sentant les  idées  et  les  choses;  les  moyens  spé- 
ciaux, ceux  qui  étudient  les  mots  on  eux-mêmes, 
dans  leur  structure,  leur  origine,  l'étendue  et  les 
nuances  de  leur  signification,  etc. 

Plusieurs  des  uns  et  des  autres  ont  déjà  été 
signalés  dans  ce  Dictionnaire. 

Les  li'Ç'ins  de  choses,  par  exemple,  qui  ont  pour 
objet  la  description,  c'est-à-dire  l'analyse  des  élé- 
ments dune  chose  matérielle  que  l'enfant  a  sous 
les  yeux,  et  qui  doivent  le  conduire,  si  la  leçon  a 
été  bien  faite,  à  la  définition,  c'est-à-dire  à  une 
conception  synthclique  de  cette  chose,  sont  un 
excellent  moyen  de  mettre  dans  l'esprit  et  dans  la 


tout  un  idiome  antre  que  le  sien. 

Nous  signalerons  aussi  certains  procédés  qui 
ont  déjà  pénétré  dans  nos  écoles,  mais  qui  n'y 
sont  pas  assez  rép;mdus.  Ainsi  les  descriptions 
d'images,  comme  celles,  par  exemple,  que  M.  Buis- 
son a  rapportées  de  l'exposition  de  Philadelphie. 

En  voici  une  qui  est  l'œuvre  d'une  petite  fille  de 
dix  ans  (de  Dayton,  Ohioj  : 

o    LES    PETITS    OISEAUX. 

»  Il  y  a  quatre  jolis  petits  oiseaux  dans  cette 
image;  ils  volent  de  l'arbre  sur  le  sol. 

a  Voyez  le  petit  garçon  et  les  deux  petites  fil- 
les :  ils  essaient  d'attraper  les  oiseaux. 

«  Oh!  voyez  le  petit  garçon  :  il  a  une  assiette 
à  la  main. 

1.  Le  petit  garçon  donne  des  miettes  aux  oiseaux 
qui  viennent  les  prendre. 

u  11  y  a  aussi  une  maison  dans  l'image. 

0  Les  petites  filles  regardent  les  oiseaux. 

«  Le  petit  garçon  a  un  chapeau  sur  la  tête. 

<i  II  y  a  des  arbres  et  des  buissons  dans  l'i- 
mage. 

n  La  maison  a  des  portes  et  des  fenêtres. 

<i  II  y  a  un  oiseau  par  terre,  il  mange. 

n  Deux  oiseaux  sont  sur  un  arbre, 

n  Et  l'autre  oiseau  vole  vers  le  sol.  » 

[Devoirs  d'écoliers  américains,  p.  20.) 

Cette  description  n'est  que  naïve,  un   peu  dé-  i 
cousue,  si    l'on   veut,  quoique  fidèle,  si    nous  la 
rapproihons  de  l'image  elle-même,  que  reproduit   : 
le  livre  de  M.  Buisson.  A  côté,  il  y  en  a  une  au-  [ 
tre,  faite  par  une  seconde  petite  fille,  qui,   avec 
les  mêmes  qualités,  révèle  plus  de  pénétration  et 
de  dispositions  Imaginatives.  L'enfant  a  brodé  tout 
un  petit  roman  à  propos  de  son  image.  Il  y  a  là 


VOCABULAIRE 


—  i32o  — 


VOCABULAIRE 


sans  contredit  une  soni-cn  très  féconde  et  très  va- 
riée d'acquisitionsde  toute  sorte  pour  l'intelligence 
des  enfants  :  dovoloppeinent  do  l'esprit  d'obser- 
vation, développement  do  l'imagination,  enfin  rap- 
pel nécessaire  et  quasi  forcé  de  toute  une  série 
do  mots  répondant  i  des  notions  et  à  dos  impres- 
sions perçues  et  reçues  par  l'enfant  lui-même. 
Nous  recommanderons   aussi  les  exercices  qui 


sortes  d'ouvrages  pourraient  être  utiles,  par  exem- 
ple pour  préparer,  avant  une  leçon,  tel  ou  tel  exer- 
cice d'interrogation  sur  des  analogies  de  mots  et 
de  choses,  ou  pour  prévenir,  pendant  la  leçon 
même,  quelque  regrettable  oubli. 

Ce  que  nous  avons  appelé  les  moyens  spéciaux 
d'étudier  les  mots  en  eux-mêmes  et  pour  eux- 
mêmes  fait  l'objet  de  plusieurs  articles  soit  dans  la 


peuvent  so  faire,  suivant  les  cas,  de  vivo  voix  ou  j  I",  soit  dans  la  II»  Partie  do  ce  Dictionnaire, 
parécrit,  et  qui  ont  pour  but  de  conduire  l'enfant  Ainsi,  pour  tout  ce  qui  concerne  les  familles  do 
à  nommer  ou  à  décrire,  suivant  son  âge  et  le  de-  mots,  les  principes  et  les  procédés  de  composition 
gré  de  ses  connaissances,  des  objets  ou  des  caté-  et  de  dérivation,  la  nature  et  l'origine  des  préfixes 
gories  d'objets  que  leur  nature  ou  leur  destination  etdes  suffixes,  nousne  pouvons  mieux  faire  que  de 
commune  permet  de  réunir  analogiquement.  renvoyer  aux  articles    Etijmologie  et  Dérivation. 

La  Oymnastiqiic  de  l'esprit,  de  M.  Pellissier,  Au  mot  Lexicologie,  les'  maîtres  trouveront  des 
donne  d  excellents  modèles  de  ces  sortes  d'exer-  exemples  d'analyse  lexicologique  empruntés  à 
cices.Anisi,  le  maître  dn-a  à  l'enfant  :«  Quels  ob- !  l'excellente  grammaire  de  notre  collaborateur 
jets  voyez-vous  dans  la  classe?  —  Dans  l'église?  ]  M.  Ayer.  A  l'article  Idiotisme,  ils  trouveront  éga- 
—  Dans  la  cbambre?  — Dans  un  ménage?  etc.»  Et  lement  plusieurs  spécimens  de  ces  gallicismes, 
les  questions  peuvent  être  variées.  Par  exemple,  qui,  pour  donner,  comme  on  dit  vulgairement,  du 
après  avoir  fait  nommer  i  l'enfant  les  objets  qu'il  fil  à  retordre  h  ceux  qui  veulent  introduire  partout 
voit  dans  la  classe,  dans  l'église  et  dans  la  cliambro,  l'impossible  vérification  des  régies  soi-disant  abso- 
comme  le  cahier,  les  chaises,  la  croix,  pour  le  lues  de  l'analyse  logique,  n'en  sont  pas  moins 
faire  revenir  sur  ses  précédentes  découvertes,  le  comme  la  fine  fleur  de  la  langue  populaire,  l'ex- 
maitre  lui  dira  :  «  Où  voyez-vous  le  cahier  .'  —  Où  pression  la  plus  originale,  la  trace  la  mieux  mar- 
voyez-vons  des  cliaises?  —  Où  voyez-vous  une  quée  du  travail  inventif  des  siècles  dans  l'orga- 
croix?etc.,  etc.  »  Ce  sont  là  des  exercices  pour  les  iiisme  à  la  fois  très  simple  et  très  compliqué  de 
tout  petits  enfants.  11  peut  y  en  avoir  de  tous  les  ;  notre  langue  nationale.  Les  articles  Homomjnes 
degrés.  Le  maître,  je  suppose,  après  avoir  montré  j  et  Paronijmes,  quoique  visant  spécialement'  l'or- 
experimentalement  ce  que  c'est  qu'une  odeur  ou  ;  thographé  des  mots  qui  en  font  l'objet,  pourront 
une  saveur,  demandera  qu'on  lui  indiiiue  une  ;  cependant  les  conduire  encore  à  des  vues  utiles 
■odeur  forte,  une  saveur  agréable,  une  odeur  douce,  ,  sur  l'origine,  le  mécanisme  formateur  et  la  signi- 
une  saveur  sucrée,  ou,  par  un  autre  tour,  quelle    fication  de  ces  mots. 

est  la  saveur  de  la  pêche,  l'odeur  de  la  fumée,  la  Nous  appellerons  spécialement  leur  attention 
saveur  du  sel,  1  odeur  du  musc,  etc.,  etc.  On  corn-  '  sur  des  exercices  qui  ne  peuvent  pas  évidemment 
prend  que  ces  exercices  peuvent  se  multiplier  ,  être  dans  l'école  l'objet  de  leçons  suivies,  mais  qui 
judcfiniment,  en  mettant  en  jeu  les  connaissances  ]  trouveront  leur  place  dans  le  cours  d'une  lecture, 
acquises  de  l'enfant,  les  observations  directes  [  d'une  dictée,  de  tel  développement  ou  de  telle 
qu  il  a  pu  faire,  et  en  lui  faisant  formuler  par  explication,  qui  ilistrairout  l'esprit  des  élèves  ou 
des  mots  précis  ces  observations  et  ces  connais-  j  récliaufl'ero-  "  leur  bonne  volonté,  en.  eur  laissant 
sances.  d'ailleurs,  avec  le  plaisir  qui  accompagne  toujours 

11  y  a  des  recueils,  comme  celui  de  Pautex,  qui  |  le  nouveau  et  l'inattendu,  la  trace  de  réflexions 
est  bien  connu  des  maîtres,  où  les  mots  sont  rcu-  '  et  d'observations  dépassant  de  beaucoup,  suivant 
nis  par  collections  analogiques;  ainsi,  ou  mettra  les  cas,  le  cadre  même  de  la  langue.  Nous  vou- 
dans  un  même  chapitre,  sous  une  même  rubrique  ,  Ions  parler  de  cette  propriété  si  profondément 
générale,  lous  les  mots  appellatifs,  quels  qu'ils  philosophique,  on  peut  le  dire,  que  possèdent 
soient,  noms,  adjectifs  ou  verbes,  qui  se  rappor-  i  toutes  les  langues  et  en  particulier  la  uùtre,  prê- 
tent au  vêtement  ;  ailleurs  ceux  qui  se  rapportent  I  priété  en  vertu  de  laquelle,  par  une  voio  analo- 
à  la  nourriture,  au  chauffage  ou  à  l'éclairage,  aux  gique  toujours  fort  curieuse,  fort  ingénieuse,  sou- 
■élements,  aux  maladies,  etc.,  etc.  Le  Dictionnaire  vent  aussi  gracieusement  ou  énergiquement  char- 
analor/ique  de  la  langue  françnise,  de  M.  P.  Bois-  '  mante,  la  signification  propre  et  précise  d'un  mot 
siere,  est,  dans  cet  ordre  d'idées,  une  véritable  |  s'étend,  se  resserre,  s'applique  tigurément  à  une 
ceuvre  do  bénédictin  ;  il  donne  les  analogues  de  :  série  d'accepiions  dont  on  le  croirait  au  premier 
«liaque  mot,  et  il  épuise  dans  cette  donnée  tous  '  abord  aussi  éloigné  que  possible.  Par  exem- 
les  degrés  les  plus  minutieux  non  seulement  des  ;  pie,   nous  disons  :   l'aile  d'un  oiseau,  l'aile  d'un 


termes  d'usage,  mais  de  la  technicité.  C'est  li, 
•d'ailleurs,  un  travail  qui  ne  s'adresse  qu'aux  maî- 
tres. Pour  ceux  qui  s'adressent  aux  élèves,  il  y 
aurait  lieu  d'en  régler  l'usage,  sinon  de  le  pros- 
crire tout  à  fait.  Si  l'on  se  borne,  en  effet,  comme 
nous  l'avons  vu  faire  trop  souvent,  à  obliger  l'é- 
lève à  reproduire  sur  son  cahier  de  longues  lis- 
tes de  mots,  sans  même  y  ajouter  la  plupart  du 
temps  aucun  commentaire  et' aucune  explication, 
<;e  sera  là  pour  lui  une  sorte  de  pensum  purement 
machinal;  il  en  retirera,  tout  au  plus,  la  connais- 
sance plus  ou  moins  vague  d'un  grand  nombre  de 
mots  dont  le  sens  pourra  fort  bien  lui  échapper,  et, 
si  l'on  peut  ainsi  parler,  la  vision  matérielle  de 
leur  orthographe.  Môme  à  supposer  qu'on  ajoute 
à  cette  copie  des  définitions  prises  dans  le  diction- 
naire ou  données  de  vive  voix  antérieurement  ou 
postérieurement,  nous  n'y  saurions  voir  encore  un 
de  ces  exercices  personnels  où  l'initiative  de  l'en- 
fant est  en  jeu,  où,  comme  dans  ceux  que  nous 
signalions  tout  à  l'heure,  son  esprit  d'observation 
et  de  réflexion  est  stimulé  et  excite.  C'est  plu- 
tôt au  maître  qu'à  l'élève  que,  suivant   nous,  ces 


moulin,  l'aile  d'une  maison,  et  l'aile  du  temps,  des 
plaisirs,  de  la  fantaisie,  du  rêve;  nous  disons  :  la 
dent  d'un  animal,  la  dent  d'une  scie  ou  d'une  roue, 
et  la  dent  liu  temps,  de  l'envie,  la  dent  du  remords. 
Nous  disons  de  même:  une  famille  nombreuse  et 
une  prose  nombreuse;  nous  disons:  allumer  du 
feu  et  allumer  une  passion,  etc.,  etc.  L'explica- 
tion de  ces  différents  sens  d'un  même  mot,  —  et 
il  n'est  pas  de  mot  peut-être  qui  n'en  soit  suscep- 
tible parmi  ceux  dont  le  rôle  est  d'exprimer  les 
idées  ou  les  choses,  —  peut  donner  lieu,  en 
passant,  à  toutes  sortes  d'observations  dont  le 
moindre  avantage  serait,  si  on  les  choisit  bien, 
d'être  extrêmement  attrayantes.  Il  n'y  a  pas  de 
meilleur  moyen,  comme  le  remarque  M.  Bréal, 
pour  débarrasser  les  gens  de  ces  vicieuses  habi- 
tudes de  langage  qui  se  rencontrent  à  chaque  pas, 
soit  dans  la  conversation  familière,  soit  dans  les 
journaux  et  les  livres,  et  auxquelles  n'échnppent 
môme  pas  parfois  les  plumes  les  mieux  exercées. 
Que  de  l'ois  n'avez-vous  pas  lu  une  phrase  comme 
colle-ci  :  Il  a  embrassé  la  carrière  des  armes,  ou 
la  carrière    du   barreau,  pour  dire,  co   qui  serait 


VOIRIE 


—  2326  — 


VOIRIE 


d'ailleurs  plus  simple  :  il  s'est  fait  soldat,  ou  :  il 
s'est  fait  avocat.  Or,  si  l'on  se  souvenait  que  le 
mot  carrière,  dans  le  sens  où  on  l'emploie  ici,  c'est, 
à  proprement  parler,  le  lieu  où  courent  dts  clie- 
vaux  ou  des  cliars,  on  s'apercevrait  bien  vite  qu'on 
peut  suivre  une  carrière,  quitter  une  carrière, 
qu'une  carrière  peut  être  barrée,  fermée,  ou- 
verte, etc.,  mais  qu'on  ne  saurait  l'embrasser. 

Ceci  peut  nous  conduire  à  considérer  non  plus 
les  sens  divers  et  analogues  d'un  même  mot,  mais 
les  sens  rapprochés,  sinon  identiques,  de  mots 
différents  qu  nt  à  la  forme,  qu'ils  viennent,  par 
dérivation,  d'une  même  origine,  ou  d'origines  di- 
verses. C'est  ce  qu'on  appelle  les  synonymes  ou 
les  mots  synonymes.  Ici  encore  nous  n'avons  qu'à 
renvoyer  le  lecteur  à  l'article  spécial  qui  concerne 
ces  mots.  Nous  n'y  ajouterons  qu'une  seule  obser- 
vation au  point  de  vue  pratique,  c'est  qu'en  de- 
hors de  l'étude  courante  des  synonymes  à  laquelle 
peuvent  donner  lieu  les  devoirs  ordinaires  de  la 
classe,  il  y  a  lieu,  suivant  nous,  de  donner  place, 
dans  le  cours  supérieur  de  l'école  primaire,  et,  à 
plus  forte  raison,  à  l'orole  normale,  à  une  étude  sui- 
vie et  systématique  d'un  certain  nombre  de  spéci- 
mens de  synonymie  que  peuventprésenter  les  mots  ] 
français.  Le  meilleur  COnrs  qui  pourrait  être  fait 
ainsi  consisterait  à  faire  trouver  par  l'élève  lui 
même  les  nuances  de  synonymie.  Mais  c'est  là,  il 
faut  bien  en  convenir,  un  travail  délicat  et  très  dif- 
ficile. On  n'y  arrivera,  à  notre  avis,  qu'en  propo- 
sant aux  élèves  un  choix  de  phrases  où  les  mots, 
dans  lesquels  on  veut  leur  faire  saisir  des  rap- 
ports souvent  très  ténus  de  signification,  leur  sont 
présentés  d'une  manière  concrète.  Si  vous  dites  — 
qu'on  nous  passe  l'expression  familière  —  à  brûle- 
pourpoint  à  votre  élève  :  «  Quelle  différence  de 
sens  y  a-t-il  entre  .<■?<:  et  aride?  »  il  est  plus  que 
probable  qu'il  balbutiera  ou  qu'il  inventera,  pour 
vous  satisfaire,  quelque  distinction  en  l'air.  Mais 
donnez-lui,  par  exemple,  ces  deux  phrases,  la  pre- 
mière de  Buffon,  et  la  seconde  de  .M™'  de  Sévi- 
gné  :  "  Les  sépultures  renfermant  les  corps  em- 
baumés des  Egyptiens  se  trouvent  dans  des  sables 
tout  arides  et  brûlants,  qui  ne  sont  pas  même 
susceptibles  d'humidité.  »  —  «  Pour  se  promener 
.  dans  des  allées,  il  faut  qu'elles  soient  séclies.  u  II 
comprendra  alors  facilement  que  si,  à  la  rigueur, 
secs  pouvait  être  substitué  à  arides  dans  la  pre- 
mière phrase,  il  n'en  saurait  être  de  même  dans 
la  seconde,  parce  que  le  mot  aride  implique  un 
dogié  plus  intense  de  défaut  d'humidité  que  le 
mot  sec.  que  l'aridité  est,  en  quelque  sorte,  une 
sécheresse  prolongée,  ou  même  permanente,  et, 
dans  tous  les  cas,  renforcée  ;etil  en  tirera,  entre  au- 
tres, cette  conséquence,  qu'on  ne  dirait  pas  bien,  soit 
au  propre,  soit  au  figuré,  une  plaine  aride  et  sè- 
che, un  style  aride  et  sec,  mais,  pour  marquer  la 
gradation,  une  plaine  sèche  et  aride,  un  style  sec 
et  aride,  etc.,  etc. 

Un  bon  Dictionnaire  de  sipionijmes  serait,  au 
point  de  vue  de  ces  explications,  le  complément 
obligé  de  la  hibliotlièqne  classique  de  l'institu- 
teur, et  nous  en  possédons,  pour  notre  langue 
française,  un  certain  nombre,  de  grand  ou  de  petit 
format,  qui  sont  excellents.     [Charles  DefodonJ. 

VOIRIE.—  Législation  usuelle,  V.  —  1.  Défini- 
tion'.—  Le  mot  voirie  désigne  l'ensemble  des  voies 
de  communication.  On  distingue  la  grande  voirie, 
qui  comprend  les  routes  nationales  et  départe- 
mentales, les  chemins  de  fer,  les  rivières  naviga- 
bles et  flottables,  et  la  petite  voirie,  dans  laquelle 
rentrent  les  chemins  vicinaux,  les  rues  et  places 
des  villes,  bourgs  et  villages.  Les  règles  d'admi- 
nistration sont  différentes  selon  que  les  voies  de 
communication  font  partie  de  la  grande  ou  de  la 
petite  voirie.  Mais  toutes  les  voies  de  communi- 
cation ont  ce  caractère  commun  qu'elles  sont  hors  du 
coramcrce  ;  par  suite,  les  particuliers  ne  peuvent 


acquérir,  par  prescription  ou  autrement,  aucun 
droit  sur  le  sol  des  voies  publiques,  tant  qu'elles 
restent  affectées  à  leur  destination. 

i.CiRA^DEMnRtE-  Routes  nationales.— LesTOUtes 
nationales  sont  celles  qui  vont  de  Paris  à  l'étran- 
ger, aux  ports  militaires,  aux  principales  villes  de 
l'intérieur,  ou  qui  relient  entre  elles  les  villes  les 
plus  importantes.  Les  routes  nationales  sont  ou- 
vertes et  classées  comme  telles  par  décret  du 
Président  de  la  Piépublique;  l'établissement  de  la 
route  et  son  entreiien  sont  à  la  charge  de  l'Etat. 
Routes  départementales.  —  Les  routes  départe- 
mentales sont  créées  et  entretenues  par  le  dépar- 
tement ou  les  départements  intéressés.  Le  conseil 
général  arrête  le  classement  et  la  direction  des 
routes  départementales  et  détermine  les  travaux 
à  exécuter  pour  la  construction,  la  rectification  ou 
l'entretien  de  ces  routes  ;  il  désigne  les  agent» 
qui  seront  chargés  de  la  construction  et  de  l'en- 
tretien de  ces  voies  de  communication. 

Ch'-mins  de  fer.  —  Les  chemins  de  fer  d'Intérêt 
général  ou  d'intérêt  local  font  toujours  partie  de 
la  grande  voirie.  Les  chemins  de  fer  sont  cons- 
truits par  l'Etat  ou  par  des  compagnies  conces- 
sionnaires. L'exploitation  a  lieu,  sous  la  surveil- 
lance et  le  contrôle  de  l'Etat,  par  des  compagnies 
auxquelles  les  lignes  sont  concédées  pour  un  temps 
plus  ou  moins  hmg. 

Rivières  naiigaljles  et  flott'iiles.—  Les  rivières 
navigables  sont  celles  qui  peuvent  porter  des  ba- 
teaux, les  rivières  flottables  celles  qui  portent  des 
radeaux  ou  trains  de  bois.  L'administration  déter- 
mine les  rivières  ou  les  parties  de  leur  cours  qui 
sont  navigables  ou  flottables.  Aucun  établisse- 
ment, usine  ou  moulin,  ne  peut  être  créé,  au- 
cune prise  d'eau  ne  peut  être  pratiquée  sur  les 
rivières  navigables  ou  flottables  sans  une  autori- 
sation administrative,  et  cette  autorisation  peut 
toujours  être  retirée  sans  indemnité,  si  l'existence 
do  l'usine  nuit  à  la  navi^'aiion.  Dans  les  rivières 
navigables  et  flottables,  le  droit  de  pèche  appar- 
tient à  l'Etat,  qui  l'afferme  à  des  concessionnaires. 

3.  Petite  voirie.  —  La  petite  voirie  se  divise 
en  voirie  vicinale  et  voirie  urbaine.  La  voirie 
vicinale  se  compose  des  chemins  qui  en  dehors 
de  l'agglomération  des  habitants  relient  entre  elles 
les  différentes  parties  de  la  commune  ou  relient 
la  commune  à  d'autres  locilités;  les  rues,  les 
places  de  l'intérieur  de  la  commune,  ville,  bourg 
ou  village,  forment  la  voirie  urbaine. 

Cheminsiicinauc.  —  Les  chemins  vicinaux  se  di- 
visent en  trois  classes  :  les  chemins  de  grande  com- 
munication, les  chemins  de  petite  communication 
I  et  les  chemins  d'intérêt  commun.  Les  chemins  de 
,  grande  communication  traversent  plusieurs   com- 
munes ou  plusieurs  cantons;   ils  sont  classés  par 
le  Conseil  général  et  peuvent  recevoir  une  subven- 
'  tion  sur  les   fonds  du  département.  Les  chemins 
d'intérêt   commun    servent  à   plusieurs    commu- 
nes; le  conseil   général   détermine  ceux  des  che- 
mins qui  ont  le   caractère  de    chemins   d'intérêt 
commun  ;  il   désigne   les  communes  qui  doivent 
concourir  à  la  construction  de  ces    chemins;  il 
peut  allouer  pour  les  chemins  d'intérêt    commua 
1  des  subventions    sur  les    fonds  départementaux, 
i  Les  chemins  vicinaux  ordinaires  sont  à  la  charge 
de   la  commune  à   laquelle    ils  servent;  ils   sont 
classés  par  la  commission  départementale  du  con- 
seil général  et  ne  reçoivent  point  de  subvention 
du  département. 

Ouverture  des  ctiemins  vicinaux.  —  Lorsqu  il  y 
a  lieu  a'ouvrir  un  chemin  vicinal  ou  de  modifier 
la  direction  d'un  chemin  déji  existant,  on  peut 
recourir  à  l'expropriaiioii,  si  les  propriétaires 
ne  s'entendent  point  avec  la  commune  pour  lui 
céder  leur  terrain.  L'utilité  publique  est  déclarée 
par  un  arrêté  du  préfet,  et  l'indemnité  due  aux 
propriétaires  dépossédés  est  fixée  par  un  jury  de 


VOIRIE 


—  2327  — 


VOIRIES 


<iuatre  niombres  présida  par  un  jugn  du  tribunal 
do  première  instance  ou  par  le  juge  de  paix. 

Entretien  (tes  chemins  vicinaux;  ressources  qui 
y  sont  all'ectées.  —  Los  clieniins  vicinaux  sont 
entretenus  au  moyen  des  revenus  ordinaires  des 
communes  et,  en  cas  d'insuffisjnce,  au  moyen  de 
centimes  additionnels  spécialement  affectés  Ji  cette 
destination,  et  en  outre  par  des  prestations  en 
nature.  Lo  conseil  municipal  peut  voter  l'une  et 
l'autre  de  ces  ressources  ou  toutes  deux  coucur- 
romment. 

Prestatiojis  en  nature.  —  La  prestation  en  na- 
ture consiste  dans  l'obligation  pour  les  habitants 
do  la  commune  et  pour  ceux  f|ui  y  ont  un  établis- 
sement de  fournir  pour  l'entretien  des  chemins 
vicinaux  un  certain  nombre  de  journées  de  travail. 
Tout  habitant,  tout  chef  de  famille  ou  d'établisse- 
ment, porté  au  rôle  dos  contributions  directes, 
doit  la  prestation  pour  sa  personne,  pour  tous  les 
individus  valides  âgés  de  IS  à  611  ans,  membres  ou 
serviteurs  de  la  famille  et  résidant  daiis  la  com- 
mune, pour  chacune  des  charrettes  ou  voitures 
attelées  et  pour  chacune  des  bêies  de  somme,  de 
trait,  de  selle  au  service  de  la  famille  ou  de  l'éta- 
blisseirient  dans  la  commune.  Le  maximum  de  la 
prestation  est  de  trois  journées  de  travail.  La  pres- 
tation peut  être  ac(|uitlée  en  argent:  chaque 
année  le  conseil  général  détermine  la  valeur  qui 
doit  être  attribuée  à  chaque  espèce  de  journées 
de  travail. 

Voirie  iirbaine.  —  Les  rues  et  places  des  villes, 
bourgs  et  villages  appartenant  à  la  commune, 
sont  ouvertes  et  entretenues  par  elle  et  à  ses 
frais.  Les  rues  et  places  qui  forment  le  prolonge- 
ment d'une  route  nationale  ou  départementale  ou 
d'un  chemin  vicinal  sont  soumises  à  la  législation 
particulière  de  ces  voies  de  communication. 

4.  Servituues  imposées  aux  riverains  d'une  voie 
PUBLIQUE  OU  d'un  COURS  d'eau.  —  Le  voisinage  des 
voies  publiques  ou  des  cours  d'eau  navigables  ou 
flottables  impose  aux  propriétaires  riverains  cer- 
taines charges.  Ces  servitudis  d'utilité  publi(|ue 
ont  pour  objet  d'assurer  la  conservation  des  voies 
de  communication  et  de  pourvoir  h  l'intérêt  de  la 
viabilité  ou  de  la  navigation.  Les  principales  de 
ces  servitudes  sont:  l'alignement  pour  les  voies 
publiques,  le  chemin  de  halage  et  le  marchepied 
pour  les  cours  d'eau  navigables  et  flottables. 

Alignement.  —  L'alignement  est  lo  tracé  donné 
par  l'autorité  compétente  pourindiquer  l'emplace- 
ment des  constructions  bordant  une  voie  publique. 
Il  n'est  point  permis  au  propriétaire  de  bâtir  le 
long  d'une  voie  p\iblique  sans  s'être  fait  délivrer 
l'alignement;  le  fait  do  bâtir  sans  autorisation  en 
dehors  de  l'alignement  obtenu  est  une  contraven- 
tion qui  entraîne  la  condamnation  à  l'amende  et 
en  outre  la  démolition  des  constructions. 

Autorité  eompétenle  en  matière  ifalignement. 
—  L'alignement  sur  les  routes  nationa'es  ou  dé- 
partementales, les  chemins  vicinaux  de  grande 
communication,  estdélivré  parles  préfets  ou  sous- 
préfels;  pour  les  chemins  vicinaux  autres  que  les 
chemins  de  grande  communication,  pour  les  rues 
et  places  des  villes,  bourgs  et  villages,  l'aligne- 
ment est  délivré  par  le  maire. 

li/fets  de  l'atigtjement.  —  Les  plans  généraux 
d'alignement  arrêtés  par  l'autorité  administrative 
peuvent  avoir  pour  conséquence  de  contraindre 
certains  propriétaires  riverains  â  reculer  leurs 
constructions.  Si  l'administration  veut  immédiate- 
ment mettre  le  propriétaire  à  l'alignement,  elle 
peut  l'exproprier  et  lui  payer  une  indemnité  re- 
présentant la  valeur  du  terrain  pris  et  des  cons- 
tructions Si  l'expropriation  n'a  pas  lieu  immédiate- 
ment, l'immeuble  sujet  â  retranchement  se  trouve 
grevé  d'une  véritable  servitude.  Le  propriétaire  no 
peut  faire  à  ses  constructions  des  travaux  de  répa- 
Tation  qui  soient  de  nature  k  les  consolider  sans 


y  être  autorisé  ;  les  travaux  faits  sans  autorisation 
seraient  démolis.  Lorsque  le  mauvais  état  des 
constructions  en  entraîne  la  ruine,  l'administra- 
tion n'a  à  payer  d'indemnité  que  pour  le  terrain 
retranché;  elle  ne  doit  rien  pour  la  construction. 

Chemin  de  Ita/age  et  marcliepied. —  Le  passage 
des  hommes  et  des  chevaux  employés  à  tirer  les 
bateaux  et  trains  do  bois  sur  les  rives  des  rivières 
navig.ibles  et  flottables  est  assuré  par  la  servitude 
de  halage.  Les  riverains  du  cours  d'eau  doivent 
laisser  du  côté  où  se  fait  le  halage  un  chemin  fixé 
par  les  anciens  édits  à  vingt-quatre  pieds;  on  ne 
peut  planter  d'arbres  h  une  distance  moindre  de 
six  pieds  à  partir  du  chemin  de  halage.  Sur  la 
rive  opposée  au  chemin  de  halage,  il  doit  être 
laissé  un  espace  de  six  pieds,  sur  lequel  il  est  in- 
terdit d'établir  des  clôtures  ou  de  planter  des 
arbres;  c'est  le  marchepied.       [E.  Delacourtie.] 

VOIRII5S.  -  Hygiène,  XVII,  —  Tout  ce  qui 
concerne  l'enlèvemetit  et  le  dépôt  des  immondices 
des  villes  faisait  autrefois  partie  des  attributions 
de  l'officier  de  police  ou  édile  appelé  voyer  {via- 
rn(s),  chargé  de  l'entretien  des  voies,  chemins  et 
rues.  On  a  conservé  le  mot  de  voiries  pour  désigner 
les  boues,  immondices, détritus,  cadavres,  etc. .ainsi 
que  des  terrains  dans  le  voisinage  des  grands 
chemins,  où  l'on  dépose  tous  ces  résidus  des  ag- 
glomérations humaines. 

Au  point  de  vue  de  l'hygiène  et  de  la  salubrité 
publique,  la  question  des  voiries  comprend  l'étude 
et  la  mise  en  pratique  des  moyens  les  plus  con- 
venables d'évacuer  hors  des  habitations  et  loin 
des  agglomérations  d'individus,  pour  les  utiliser  ou 
les  décomposer,  les  débris,  résidus  et  immon- 
dices de  toute  sorte,  ainsi  que  les  c  idavres 
humains.  On  conserve  ainsi  au  mot  voiries  su 
vieille  signification  qui  en  faisait  un  synonyme  de 
résilu,  à'immondic',  etc.,  et  l'on  dit  :  les  voiries 
d'animaux  morts,  les  voiries  d'immondices,  etc. 

Voiries  d'immondices.  —  Dans  les  villes,  le  ba- 
laya:;e  des  rues  est  payé  par  une  taxe  spéciale. 
Les  tombereaux  enlèvent,  avec  les  boues,  les  ré- 
sidus et  débris  de  toute  sorte  que  les  habitants 
apportent  au  moment  de  leur  passage.  Le  plus 
souvent  ces  tombereaux  sont  déchargés  dans  des 
voiries  ou  terrains  vagues  où  Ton  abandonne  les 
matières  à  la  fermentation  avant  de  les  transporter 
dans  les  champs.  A  Paris,  et  dans  quelques 
grandes  villes,  il  n'existe  plus  de  voiries  d'irn- 
mondices.  Les  tombereaux  duivent  être  conduits 
directement  dans  les  champs  où  leur  contenu  est 
utilisé  comme  engrais.  De  cette  manière,  on  évite 
les  accumulations  de  matières  fermentées  et  pu- 
trides dont  les  émanations  causaient  autrefois  de 
trop  justes  réclamations.  Par  la  dissémination, 
on  obtient,  à  tous  les  points  de  vue,  les  meilleurs 
résultats. 

EcouTs.  —  Le  moyen  le  plus  parfait  d'assurer 
la  propreté  d'une  ville  consiste  à  creuser  sous 
chaque  rue  des  égouts  dans  lesquels  les  eaux  de 
pluie  et  celles  qui  sont  employées  au  lavage  en- 
traînent toutes  les  impuretés.  Les  égouts  reçoi- 
vent aussi  les  eaux  ménagères  par  des  tuyaux  qui 
descendent  de  chaque  maison. 

Mais  pour  rendre  les  services  qu'on  en  attend, 
les  égouts  doivent  remplir  plusieurs  conditions 
spéciales.  Il  faut  les  établir  sur  un  sol  très  solide 
ou  suffisamment  consolidé,  et  les  construire  en 
matériaux  imperméables.  Ils  doivent  être  assez 
vastes  pour  donner  facilement  issue  à  l'eau  des 
plus  violents  orages  et  pour  permettre  un  net- 
toyage facile.  Leur  pente  doit  être  telle  que  les 
eaux  entraînent  les  matières  solides  qui  s'y  trou- 
vent mêlées. 

Les  égouts  bien  construits,  bien  tonus  et 
constamment  surveillés,  dans  lesquels  circule 
toujours  une  quantité  d'eau  considérable,  ne  pré- 
sentent aucun  inconvénient  pour  la  santé  publique. 


VOIRIES 


—  2328  — 


VOIRIES 


Lorsqiielcursboucliessontboantes,  comme  c'est  le 
cas  le  plus  ordinaire,  il  s'en  échappe  assez  souvent 
des  odeurs  désagréables,  mais  repu  téesinoffensives. 
Ces  odeurs  proviennent  surtout  de  gaz  hydrogénés 
très  légers.  Quant  aux  germes  de  bactéries  et  de 
moisissures,  ils  sont  assez  lourds  pour  rester  en 
grande  partie  dans  les  couches  inférieures  de 
l'air  des  égouts.  On  a  d'ailleurs  constaté  que  ces 
germes  ne  s'y  trouvent  pas  en  quantité  beaucoup 
plus  grande  que  dans  l'atmosphère  des  rues.  On 
a  essayé  à  l'étranger  divers  systèmes  de  ferme- 
ture des  bouihes  d'égout  :  plusieurs  sont  excel- 
lents en  principe,  mais  ils  exigent  un  entretien 
minutieux;  c'est  sans  doute  ce  qui  a  retarde  leur 
vulgarisation. 

Il  s'en  faut  de  beaucoup,  d'ailleurs,  que  les  égouts 
réalisent  les  conditions  de  propreté,  de  sur- 
veillance et  de  ventilation  qui  assurent  leur  inno- 
cuité. Aussitôt  que  les  matières  demi-solides  s'y 
accumulent,  il  s'y  produit  de  l'hydrogène  sulfuré 
et  de  Ihydrosulfate  d'ammoniaque,  dont  la  pré- 
sence dans  un  espace  confiné  met  en  danger  la 
vie  des  ouvriers. 

Il  ne  seaible  pas  que  les  égouttiers  soient  par- 
ticulièrement sujets  aux  maladies  épidémitiues  et 
contagieuses,  mais  on  ne  peut  nier  que  leur  pro- 
fession n'apporte  dans  leur  santé  une  modification 
profonde,  compatible  toutefois  avec  une  vie  assez 
prolongée.  Ils  ont  toujours  à  subir  une  sorte 
d'acclimatement  pénible. 

Lorsqu'une  section  d'égout  se  trouve  obstruée, 
le  premier  devoir  est  de  la  désinfecter  par  une 
ventilation  forcée  et  par  l'emploi  du  sulfate  de  fer 
et  du  chlorure  de  zinc,  qui  forment  avec  les  gaz 
dangereux  des  composés  fixes. 

Infection  des  cours  d'cni  par  les  cijoids.  —  On 
se  préoccupe  beaucoup,  depuis  quelque  temps,  de 
l'infection  des  cours  d'eau  par  les  eaux  d'égout 
et  pnr  celles  qui  sortent  des  usines  on  des  mines. 
En  Angleterre,  une  loi  de  1870  défend  de  laisser 
arriver  dans  les  cours  d'eau  les  liquides  qui 
n'ont  pas  été  soumis  à  une  purification  préalable. 
Malheureusement  cette  loi,  n'ayant  pas  d'effet  ré- 
troactif, n'empêche  pas  le  déversement  dans  la 
Tamise  des  eaux  d'écout  de  Londres. 

A  Paris,  les  deux  grands  collecteurs  versent 
chaque  jour  dans  la  Seine  environ  'JTdOUii  mètres 
cubes  d'eaux  impures.  Chaque  mètre  cube  con- 
tient en  dissolution  1  kilogramme  de  matières 
parmi  lesquelles  environ  3"  grammes  de  sub- 
stances niireuses  ou  ammoniacales,  c'est-,'i-dire 
très  riches  en  azote,  le  plus  efficace  et  le  plu^^ 
cher  des  engrais.  On  estime  qu'en  azote  seule- 
ment, les  eaux  des  collecteurs  laissent  perdre 
annuellement  une  richesse  agricole  de  13  mil- 
lions. En  outre,  la  Seine,  en  aval  des  collecteurs, 
se  trouve  convertie  en  un  vaste  foyer  de  fermen- 
tation et  d'infection.  Les  poissons  y  meurent 
presque  tous,  et  l'eau  y  est  impropre  h.  tous  les 
usages  domestiques. 

Epuration  des  pintx  d'égoiU.  —  On  a  proposé 
et  essayé  divers  systèmes.  Le  meilleur  consiste  à 
recevoir  les  eaux  vannes  dans  de  grands  réser- 
voirs et  à  y  produire  des  précipités  insolubles  an 
moyen  de  la  chaux,  du  sulfate  d'alumine  (aluni. 
de  sels  de  magnésie,  etc.  On  a  essayé  aussi  la 
filtration  après  avoir  désinfecté  par  le  sulfate  de 
fer.  Il  est  facile  de  calculer  combien  semblable 
opération  serait  difficile.  L'immense  quantité  de 
liquide  à  traiter  chaque  jour  s'oppose  il  l'iipplica- 
tion  des  procédés  de  décantation,  de  précipitation 
chimique  et  de  filtrage.  Et  quand  môme  ces  pro- 
cédés seraient  pratiques,  ils  ne  rempliraient  qu'en 
apparence  le  but  qu'on  se  propose.  Les  eaux  de- 
venues limpides  ne  seraient  point  pures.  Elles 
contiendraient  tuujoursen  dissolution  des  matières 
organiques  qui  les  rendraient  impropres  aux  usa- 
ges domestiques.  Les  essais  tentés  par  plusieurs 


grandes  villes   ont  suffisamment   démontré    qu'il 
faut  chercher  d'autres  moyens  de  purification. 

Irrigations  au  moy-n  des  eau.r  d'égout.  —  En 
Allemagne,  en  Angleterre,  en  Uelgique,  en  Suisse 
et  auprès  de  Paris,  on  poursuit  des  expériences 
d'irrigation  au  moyen  des  eaux  d'égout.  Au  lieu 
de  les  laisser  perdre  datis  des  cours  d'eau,  on  les 
conduit  dans  des  campagnes  convenablement 
choisies  dans  le  double  but  de  fertiliser  celles-ci 
et  d'épurer  les  eaux. 

C'est  en  1866  que  l'on  a  commencé  chez  nous 
une  expérience  importante  à  Gennevilliers  près 
de  Paris.  Voici  en  quels  termes  M.  Alphand,  di- 
recteur des  travaux  de  Paris,  en  expose  les  dé- 
tails :  K  Les  caps  de  gravier  des  anciens  lits  des 
fleuves  sont  formés  en  général  d'un  sol  aride, 
mais  très  perméable  jusqu'aux  abords  de  leur  lit, 
où  le  limon  déposé  par  les  crues  forme  une  espèce 
de  digue  naturelle,  peu  perméable  aux  eaux  des 
fleuves,  ce  qui  isole  le  régime  des  eaux  fluviales 
de  celui  des  nappes  souterraines  du  sol  avoisi- 
nant.  C'est  ainsi  que  sur  la  Seine,  les  crues  pré- 
cèdent toujours  de  plusieurs  jours  les  exhausse- 
ments de  la  nappe,  les  crues  étant  formées  par 
l'écoulement  rapide  des  pluies  ou  des  neiges  qui 
se  fait  par  les  cours  d'eau,  et  les  nappes  ne  se 
relevant  que  par  la  partie  des  pluies  ou  des 
neiges  qui  s'infiltre  dans  le  sol.  Les  terrains  de 
cette  nature  sont  donc  éminemment  propres  à 
l'épuration  des  eaux  d'égout,  et  c'est  ce  qui  a  con- 
duit k  choisir  à  Gennevilliers,  près  de  la  Seine, 
une  surface  de  5  hectares  environ  de  terrains 
arides  composés  de  graviers  que  recouvrait  une 
mince  couche  de  terre  ronge.  Cette  terre  ingrate, 
partagée  entre  les  cultivateurs  des  environs,  a  été 
livrée  à  la  cuUtire  maraîchère  sans  autre  engrais 
que  ceux  déposés  par  l'irrigation  des  eaux  d'égout, 
et  elle  a  donné  des  produits  considérables. 

«  Les  premiers  résultats  ont  fait  étendre  notable- 
ment le  champ  d'expériences.  Le  sol  irrigué  est 
disposé  en  billettes  séparées  par  des  rigoles.  Les 
canaux  principaux  sont  couverts,  mais  les  rigoles 
restent  découvertes.  Les  eaux  d'égout  opèrent  un 
véritable  colmatage,  apportant  au  sol  tout  h  la  fois 
l'engrais,  la  terre  végétale  et  l'arrosage.  Lorsqu'on 
se  place  au  milieu  des  irrigations,  on  ne  perçoit 
point  d'odeur  putride.  Ce  n'est  pas  h  dire  que  l'air 
et  les  champs  soient  absolument  inodores  ;  mais 
l'odeur  est  faible,  peu  ou  point  désagréable,  et  ne 
se  fait  pas  sentir  à  plus  de  quelques  mètres.  L'eau 
d'égout,  en  effet,  tant  qu'elle  coule  à  l'air  libre,  a 
très  peu  d'odeur.  » 

On  a  constaté  h  Gennevilliers  des  cas  de  fièvre 
intermittente  que  l'on  a  attribués  à  l'irrigation.  Il 
importe  de  s'entendre  sur  la  vraie  cause  de  ces 
fièvres.  Dans  les  endroits  où  l'irrigation  bien  coii- 
duite  n'a  pas  causé  la  formation  de  m.irécages,  il 
n'y  a  pas  eu  de  fièvre.  On  peut  donc  irriguer  sans 
amener  fatalement  la  maladie.  Mais  la  nappe  d'eau 
souterraine  s'étant  trouvée  exhaussée  par  les  in- 
filtrations de  la  surface  irriguée,  il  en  est  résulté, 
dans  des  parties  basses,  la  formation  de  maréca- 
ges, cause  de  tout  le  mal.  Cela  étant  bien  établi, 
on  voit  qu'il  faut  combiner  le  drainage  avec  l'irri- 
gation pour  obvier  b.  cet  inconvénient. 

L'eau  qui  alimente  en  grande  partie  par  filtration 
directe  la  nappe  souterraine  de  Gennevilliers  y 
arrive  non  seulement  clarifiée,  mais  purifiée,  et 
l'eau  des  puits  situés  dans  le  champ  d'expérience 
est  limpide  et  potable.  (1  semble  donc  que  ce  pro- 
cédé donne  la  meilleure  solution  du  problème  de 
l'épuration  des  eaux  d'égout. 

Mais  pour  employer  toute  la  quantité  d'eaux 
impures  déversée  par  les  collecteurs,  il  faudrait 
établir  l'irrigation  sur  des  espaces  immenses,  et 
pendant  l'hiver  il  y  aura  toujours  un  excédent. 
Cette  question  est  à  l'étude,  et  l'on  se  propose  de 
continuer   sur    une  vaste  échelle,  dans  la   forêt     i 


VOIRIES 


2:i-2!)  — 


VOIRIES 


de  Saint-Gcrniaiii,   l'expéi-ience  de   Genncvilliers. 

Serviciî  uns  viriANGES.  —  Dans  les  grandes  ag- 
glomérations humaines,  il  est  impossible  de  dissé- 
miner les  déjections  sur  un  espace  suffisant  pour 
les  roiidio  inolVonsives.  11  faut  donc  les  accumuler 
pour  un  tiiiips  plus  ou  moins  long  dans  des  réser- 
voirs lixcs  ou  mobiles,  dont  l'enlèvement  ou  l'éva- 
cuation constituent  le  service  des  vidanges.  A 
Paris  et  dans  la  plupart  des  grandes  villes,  on  a 
adopté  l'usage  des  fosses  fixes  construites  dans  les 
fondations  des  liabitations.  Quelque  soin  que  l'on 
prenne  de  les  établir  avec  des  matériaux  imper- 
méables, il  s'y  produit  toujours  quelques  fissiires, 
et  le  sol  de  la  ville  se  trouve  imprégné  de  matières 
impures  que  les  eaux  entiaîncnt  dans  les  nappes 
souterraines  et  dans  les  puits,  parce  que  le  sol 
saturé  ne  peut  les  purifier. 

Pendant  la  fermentation  des  matières  contenues 
dans  les  fos?es,  il  se  produit  des  gaz  odorants, 
principalement  l'hydrogène  sulfuré  et  l'hydrosul- 
fite  d'ammoniaque.  La  présence  de  ces  ga?,  dési- 
gnés vulgairement  sous  le  nom  de  plomb,  a  causé 
de  terribles  accidents  parmi  les  ouvriers  employés 
aux  travaux  de  vidange  ou  de  réparation,  l'our  les 
prévenir  autant  que  possible,  l'administration 
oblige  à  établir  dans  chaque  fosse  une  communi- 
cation avec  l'air  extérieur  au  moyen  d'un  tuyau 
d'évent  qui  s'élève  à  la  hauteur  des  cheminées. 
De  plus,  on  doit  jeter  dans  les  fosses,  au  moment 
des  travaux,  une  quantité  suffisante  de  chlorure  de 
zinc  ou  de  sulfate  de  fer  pour  les  désinfecter.  Mal- 
heureusement ces  règlements  ne  sont  pas  toujours 
bien  exécutés. 

Quand  les  couches  d'air  s'élèvent  régulièrement 
au-dessus  des  maisons  par  suite  de  l'écliaulTement 
du  sol,  1rs  gaz  qui  s'écliappent  des  tuyaux  d'évent 
se  trouvent  disséminés  dans  l'atmosphère  à  une 
grande  hauteur.  Mais  lorsque  cette  condition  fait 
défaut,  surtout  par  les  temps  brumeux,  l'air  se 
charge  d'odeurs  fort  désagréables,  qui  heureu- 
sement sont  peu  nuisibles  dans  leur  état  de  di- 
lution. On  a  dit  que  ces  odeurs  infectes  n'étaient 
jamais  dangereuses:  nous  ne  pouvons  l'admettre. 
Pour  elles  comme  pour  les  poisons,  l'influence 
immédiatement  appréciable  ne  doit  pas  se  confon- 
dre avec  l'influence  lentement  accumulée. 

Les  fosses  fixes  présentant  plusieurs  graves  in- 
convénients, on  a  imaginé  un  système  d'appareils 
mobiles  dont  le  fonctionnement  pourrait  être 
rendu  parfait  si  l'on  s'astreignait  aux  soins  néces- 
saires. Dans  ceux  que  l'on  se  propose  d'adopter 
officiellement  pour  la  ville  de  Paris,  dans  un  délai 
peu  éloigné,  une  disposition  très  simple  permettra 
de  séparer  les  matières  solides  et  liquides.  Les 
premières  resteront  dans  des  appareils  mobiles, 
les  liquides  passeront  directement  à  l'égouU  Les 
matières  solides  seront  immédiatement  converties 
en  engrais,  mais  on  perdra  les  matières  les  plus 
précieuses  pour  l'agriculture,  à  nionis  qu'on  ne 
réalise  en  même  temps  l'utilisation  complrte  et 
constante  des  eaux  d'égoul,  ce  qui  semble  impos- 
sible pour  un  temps  indéfini. 

Le  système  le  plus  satisfaisant  au  point  de  vue 
de  l'hygiène  et  de  l'économie  rurale  consiste- 
rait à  établir  des  appareils  mobiles  dans  lesquels 
les  matières  solides  et  liquides  seraient  constam- 
ment désinfectées,  par  des  substance^  ca/iab/es  de 
tuer  tous  lei  germes  infectieux,  puis  mélangées  à 
des  matières  absorbantes  :  tan,  sciure  de  bois, 
cendres,  noir  animal,  marc  de  raisin  séché,  terre 
sécliée.  tourbe  pulvérisée,  etc.  Le  contenu  de  ces 
appareils  serait  disséminé  directement  dans  les 
champs. 

L'Ile  ordonnance  de  1851  permet  le  transport  et 
le  dépôt  de  matières  désinfectées  dans  dos  locaux 
autorisés,  qui  sont  des  voiries  particulières.  Là.  ces 
matières  sont  traitées  pour  en  extraire  les  sels 
ammoniacaux,  qui  sont  employés  en  grandes  masses 


par  l'agriculture  et  par  l'industrie.  Malgré  les  rè- 
glements qui  prescrivent  aux  propriétaires  de  ces 
établissements  la  désinfection  parfaite  des  ma- 
tières et  la  combustion  de  tous  les  gaz, ces  voiries 
disséminées  aux  environs  de  Paris  constituent  un 
voisinage  inolTensif  peut-être  à  cause  de  l'extrême 
dilution  des  matières  odorantes,  mais  en  tout  cas 
fort  incommode.  Il  n'y  a  qu'un  moyen  de  concilier 
dans  cette  importante  question  les  grands  intérêts 
en  jeu,  ceux  de  l'hygiène  et  ceux  de  l'agriculture, 
c'est  do  préparer  les  déjections  humaines  de  telle 
sorte  que  leur  pré.sence  dans  les  habitations,  leur 
transport,  leurs  manipulations  ne  produisent  au- 
cun gaz  désagréable,  et  que  leur  valeur  fertilisante 
se  trouve  intégralement  employée.  Pour  cela, 
dans  l'état  actuel  de  la  science,  et  avec  les  données 
fournies  par  des  expériences  déjà  nombreuses,  on 
peut  conclure  qu'il  faudrait  adopter  les  appareils 
mobiles  dans  les  conditions  que  nous  avons  indi- 
quées. Telle  est,  croyons- nous,  la  solution  que  l'on 
sera  forcé  d'adopter  plus  tard. 

Fumiers  ue  feb.me.  —  Les  prescriptions  de  l'hy- 
giène en  ce  qui  concerne  les  fumiers  de  ferme 
consistent  i  former  les  dépôts  assez  loyi  des  ha- 
bitations pour  que  les  iufiUi-ations  no  puissent  ni 
rendre  humides  les  bâtiments  ni  souiller  les  puits. 
Si  l'on  établit  et  soigne  les  tas  de  fumiers  d'après 
les  bonnes  coutumes  agricoles,  on  n'aura  d'ailleurs 
rien  à  craindre  de  leur  voisinage  quant  à  la  pro- 
duction de  fièvres  intermittentes.  Mais  pour  cela 
on  doit  s'astreindre  il  quelques  précautions.  L'aire 
un  peu  en  pente  sur  laquelle  repose  le  fumier 
doit  être  creusée  dans  le  sol  et  rendue  imper- 
méable par  une  couche  de  terre  glaise.  On  éta- 
blit autour  une  rigolo  également  imperméable 
dans  laquelle  se  réunissent,  les  liquides.  (;ette  ri- 
golo communique  avec  la  fosse  h.  purin.  Lorsqu'un 
tas  est  monté  assez  haut  et  ne  doit  pas  être  employé 
immédiatement,  on  le  couvre  d'une  couche  de 
gazon  ou  de  terre  mélangée  d'un  peu  de  plâtre.  Il 
faut  veiller  aussi  à  la  fermentation,  l'activer  au  be- 
soin par  des  arrosages  faits  avec  le  liquide  de  la 
fosse  afin  d'éviter  la  moisissure.  Ainsi  traites,  les 
fumiers  ne  présentent  aucun  inconvénient,  etilsac- 
quièrent  leur  maximum  de  valeur. 

Abattoiiis.  —  Les  parties  priiicipales  dont  se 
composent  ces  établissements  sont  des  ctables 
pour  les  animaux,  et  l'échaudoir  ou  abattoir  pro- 
prement dit  ;  celui-ci  consiste  en  une  série  de  bâti- 
ments établis  autour  d'une  ou  de  plusieurs  cours 
dallées,  disposées  avec  des  talus  en  pente  douce 
qui  amènent  dans  un  regard d'é^otil,  placé  au  cen- 
tre, tous  les  liquides  provenant  du  travail. 

Chaque  atelier  ou  ease  d'abat  est  dallé  et  muni 
d'un  robinet  de  lavage.  Le  sang  des  animaux  est 
recueilli  dans  une  auge  imperméable  placée  dans 
le  sol.  On  le  traite  par  des  désinfectants  ou  on  le 
dessèche  immédiatement  avant  de  le  livrer  h  l'in- 
dustrie. 

L'abattoir  a  pour  annexe  un  atelier  de  triperie 
où  les  issues  ou  abats  sont  nettoyés  et  cuits  s'il  y 
a  lieu. 

Voiries  d'animiux  morts.  —  Dans  les  campagnes, 
les  animaux  morts  se  trouvent  disséminés  dans  les 
champs  où  leur  valeur  comme  engrais  est  à  peu 
près  perdue,  tandis  qu'ils  contribuent  indirecte- 
ment à  la  propagation  des  maladies  charbonneu- 
ses. On  devrait  les  enterrer  assez  profondément 
pour  les  mettre  à  l'abri  des  mouches. 

Dans  les  grands  centres  de  population,  il  est  in- 
dispensable d'établir  des  voiries  spéciales  pour  les 
animaux  morts  ou  incapables  de  continuer  le  ser- 
vice. Ce  sont  aujourd'hui  des  ateliers  d'équarris- 
saye,  dans  lesquels  on  utilise  presque  toutes  les 
parties  des  animaux.  La  chair  des  chevaux  en  bon 
état  est  envoyée  à  des  boucheries  spéciales  pour 
y  être  vendue.  Le  sang  est  desséché.  La  peau  est 
livrée  aux  tanneurs,  les  pieds  bouillis  fournissent 


VOIX 


2330  — 


VOIX 


une  huile  dite  de  pieds,  et  les  sabots  servent  h  fa- 
briquer des  objets  en  corne.  Les  chairs  qui  ne 
peuvent  être  employées  à  l'alimentation  de  l'homme 
sont  données  à  des  porcs  nu  à  des  oiseaux  de 
basse-cour.  Les  intestins  sont  convertis  en  engrais. 
Les  os  se  vendent  aux  tabletiiers  et  aux  fabri- 
cants de  noir  animal. 

On  ne  peut  éviter  qu'un  semblable  établisse- 
ment ne  dégage  des  oleurs  infectes,  qui  d'ailleurs 
sont  moins  dangereuses  que  répugnantes.  Le  dan- 
ger le  plus  sérieux  des  ateliers  d'équarrissage 
consiste  dans  la  transmission  à  l'homme  des  ma- 
ladies contagieuses  :  morve,  faixin,  charbon,  et 
l'on  compte  chaque  année  quelques  victimes  parmi 
les  ouvriers. 

En  présence  de  ce  danger,  les  hygiénistes  con- 
seillent de  détruire  le  plus  rapidement  possible, 
soit  par  la  crémation,  soit  par  le  contact  de  la  chaux 
vive,  les  cadavres  d'animaux  morts  de  maladie  con- 
tagieuse ou  inconnue. 

CiMETiÈBES.  —  Au  point  de  vue  spécial  de  l'hy- 
giène, il  pourrait  être  utile  de  détruire  rapide- 
ment les  cadavres  humains  par  des  produits  chi- 
miques 01*  par  la  crémation.  Mais  d'autres  consi- 
dérations ont  fait  adopter  l'inhumation  simple  dans 
des  cimetières.  Ce  mode  d'inhumation  peut  être 
dangereux  de  deux  manières  :  par  les  produits  de 
la  fermentation  putride  et  par  la  conservation  de 
cenains  miasmes  capables  de  propager  des  mala- 
dies contagieuses.  Mais  ce  danger  n'existe  que  si 
les  inhumations  sont  faites  dans  de  mauvaises 
conditions  ou  si  l'on  remue  prématurément  la  terre 
qui  contient  des  restes  de  cadavres. 

Les  cimetières  établis  d'après  les  règlements  au- 
jourd'hui en  vigueur  ne  peuvent  présenter  qu'un 
inconvénient,  celui  de  souiller  les  eaux  dos  nappes 
souterraines.  Dans  la  plupart  des  cas,  l'eau  des 
puits  des  habitations  voisines  des  cimetières  ne 
présente  aucune  altération  spéciale  On  sait 
d'ailleurs  qu'aucune  inhumation  ne  peut  se  faire 
à  une  distance  moindre  de  3.t  mètres  des  habita- 
tions. On  considère  qu'à  cette  distance  les  eaux 
ne  peuvent  entraîner  dans  le  sol  aucun  germe  de 
maladie,  si  le  sol  ne  se  trouve  pas  saturé  d'impu- 
retés par  une  agglom  ration  trop  dense  de  sépul- 
tures. 

Cependant  si  l'on  groupe  les  tombes  dans  des 
espaces  si  restreints  que  le  sol  du  cimetière  se 
trouve  saturé  de  détritus  et  perde  ainsi  une  grande 
partie  de  son  pouvoir  de  docomposition,  il  peut  en 
résulter  des  inconvénients  sérieux  La  reprise  des 
terrains  au  bout  de  cinq  années  est  prématurée, 
même  dans  un  sol  non  saturé  et  très  apte  à  la 
combustion  lente  des  cadavres.  Il  faudrait  atten- 
dre plus  longtemps,  ou  mêler  de  la  chaux  à  la 
terre  qui  entoure  les  cercueils. 

Si  le  terrain  d'un  cimetière  est  bien  choisi,  si 
les  inhumations  se  font  assez  profondément,  et  si 
la  terre  n'est  pas  remuée  avant  que  le  sol  n'ait  re- 
pris ses  propriétés  naturelles,  on  peut  affirmer  que 
i'air  du  champ  de  repos  est  plus  pur  et  plus  sain 
que  celui  do  la  plupart  des  rues  des  grandes  villes. 
Mais  quand  il  n'est  pas  possible  de  réunir  ces 
conditions,  il  devient  indispensable  de  prendre 
des  mesures  spéciales  pour  assurer  que  la  des- 
truction des  cadavres  s'opérera  sans  occasionner  de 
gêne  ou  de  danger  dans  le  voisinage  du  cimetière. 
ID'  Safîray.] 

VOIX.  —  Zoologie,  XXXVII.  —  L'animal  ne  vit 
pas  isolé  du  reste  du  monde  vivant  ;  il  est  au  con- 
traire en  perpétuelle  communication  avec  les 
autres  animaux;  il  participe  de  leur  vie,  et  les  fait 
participer  de  la  sienne.  Deux  genres  d'appareils,  à 
peu  près  constants  du  haut  en  bas  de  l'échelle 
animale,  assurent  cette  solidarité  et  établissent 
ces  relations  réciproques  :  ce  sont  premièrement 
les  organes  des  sens,  organes  de  réception  et 
d'enregistrement   ouverts    aux    impressions    du 


dehors,  et  ensuite  l'appjreil  de  locomotion,  par 
lequel  à  son  tour  l'animal  réagit  sur  la  milieu 
extérieur. 

Mais  beaucoup  d'animaux  possèdent  en  outre 
une  faculté  spéciale,  celle  de  produire  des  sons, 
qui  est  leur  véritable  moyen  de  communi.;ation  et 
à'exin-ession.  La  présence  de  cette  faculté  est 
l'indice  d'une  animalité  supérieure,  et  la  compli- 
cation de  son  mécanisme  croit  à  mesure  que  l'être 
devient  plus  parfait. 

Elle  n'existe  pas  chez  les  animaui  inférieurs; 
aux  premiers  échelons  du  règne  vit  tout  un  monde 
d'êtres  muets,  également  incapables  de  rompre 
le  silence  qui  les  entoure  et  d'en  avoir  conscience, 
réduits  à  une  vie  végétative  où  n'apparaît  qu'en 
germe  la  vie  de  relation. 

C'est  chez  les  insectes  que  la  voix  se  montre 
pour  la  première  fois,  encore  grossière  et  rudi- 
meiitaire.  Chez  les  moins  parfaits  d'entre  eux,  elle 
n'est  que  le  bruit  de  leurs  ailes  ou  de  leurs  mem- 
bres, et  la  conséquence  inévitable  et  involontaire 
de  quelques-uns  de  leurs  mouvements.  Avec  les 
plus  parfaits  de  l'espèce,  elle  devient  réellement 
un  moyen  d'expression,  car  elle  est  produite  par  un 
appareil  spécial,  et  soumise  i  l'action  de  la  volonté 
qui  peut  la  provoquer  ou  l'interrompre.  Elle  n'est 
cependant  encore  qu'un  bruit  invariable,  simple 
avertissement  qui  signale  la  présence  de  l'insecte. 

Chez  les  animaux  supérieurs,  elle  acquiert  un 
degré  de  plus  de  perfection,  la  variété,  et  com- 
mence à  se  plier  plus  ou  moins  exactement  aux 
intentions  de  la  volonté.  Elle  dépend  chez  eux 
d'une  cause  nouvelle  :  le  passage  de  l'air  respiré 
daus  une  portion  spéciale  et  vibratoire  des 
voies  aérienms.  Dès  lors  la  voix  existe. 

Mais  c'est  chez  l'homme,  et  chez  l'homme  seul, 
qu'elle  devient  l'organe  merveilleusement  souple 
et  varié  de  l'expression.  Tous  les  autres,  auprès 
de  celui-là,  sont  grossiers  et  infidèles.  Les  membres 
peuvent  exécuter  des  signes,  mais  ces  signes 
seront  nécessairement  limités  à  ceux  dont  l'inter- 
prétation est  simple  et  aisée.  La  musculature  de 
la  face  peut  être  également  un  appareil  d'expres- 
sion ;  mais  ces  muscles  sont  sous  la  dépendance 
de  la  moelle  allongée,  et  leur  action  peut  être 
provoquée  par  le  mouvement  réflexe  sans  partici- 
pation aucune  de  la  volonté,  en  sorte  que  cet 
appareil  nous  trahit  plutôt  qu'il  ne  nous  obéit. 
La  voix  seule  possède  la  variabilité  et  l'exac- 
titude nécessaires,  pour  devenir  l'instrument  de 
manifestation  parfaite  de  la  pensée  :  do  là  naît 
le  langage,  véritable  caractéristique  de  l'homme. 

Nous  dirons  d'abord  quelques  mois  de  l'appareil 
de  la  phonation,  puis  nous  étudierons  la  voix  elle- 
même. 

Cet  appareil  se  compose  du  larynx,  portion  du 
conduit  aérifère  situé  au  haut  du  cou,  entre 
l'arrièro-bouche  et  la  trachée.  Une  simple  expé- 
rience démontre  qu'il  est  indispensable  à  la  for- 
mation de  la  voix  :  quand  la  trachée  est  ouverte 
au-dessous  du  larynx,  dans  l'opération  de  la  tra- 
chéotomie, et  que  l'air  s'échappe  par  cette  incision, 
la  voix  n'existe  plus;  mais  qu'on  bouche  un  ins- 
tant cete  ouverture  avec  le  doigt,  et  l'opéré 
retrouve  la  parole.  11  faut  donc,  pour  la  formation 
des  sons,  que  1  air  traverse  le  larynx. 

Le  larynx,  sorte  de  tube  cartilagineux  large  et 
court,  saillant  sous  la  peau  (pomme  d'Adam), 
n'est  qu'une  portion  de  la  trachée  modili>^e  dans 
sa  forme  et  dans  sa  structure.  Un  double  rétré- 
cissement le  coupe  à  deux  hauteurs  différentes. 
Le  rétrécissement  supérieur  est  fnrmn  par  la 
présence  de  deux  replis  de  la  muqueuse,  impro- 
prement nommés  cordes  vocaffs  supéieures,  et 
qui  ne  prennent  aucune  part  à  la  formation  des 
sons.  Le  rétrécissement  inféri'Hir  est  constitué 
par  deux  autres  replis,  disposés  à  peu  près  comme 
les  deux  lèvres  d'une  boutonnière,  et  dont  chacun 


VOIX 


—  2331  — 


VOIX 


est  un  muscle  recouvert  par  la  muqueuse  :  ces 
deux  replis  sont  les  véritables  cnrries  vocales,  à 
tort  nommées  cordes  vocales  iiifériewen  ;  ce  sont 
eux  qui  vibrent  pour  produire  les  snns.  L'espace 
compris  entre  eux  se  nomme  la  r/lollr  vocale.  La 
longueur  de  ces  cordes  varie  avec  le  diamètre  du 
larynx,  et  par  suito  avec  l'âge  et  le  sexe.  Leur 
tension  varie  suivant  que  le  muscle  qui  les  cons- 
titue se  tend  et  so  contracte,  et  en  même  temps 
suivant  que  les  cartilages  auxquels  elles  sont 
fixés  basculent  et  s'éloignent.  Enfin  leur  écarte- 
mont,  et  par  suite  la  largeur  de  la  glotte  vocale, 
peut  varier  aussi  en  raison  des  mouvements 
imprimés  aux  diverses  pièces  du  squelette  cartila- 
gineux du  larynx  par  des  muscles  places  à  l'exté- 
rieur. 

Ainsi  les  variations  de  forme  de  la  glotte,  de 
tension  des  cordes,  et  do  position  du  larynx, 
c'est-i-dire  les  conditions  même  de  la  phonation, 
sont  dues  à  des  mouvements  volontaires,  et  l'on 
conçoit  qu'il  suffit  de  la  lésion  des  nerfs  qui 
commandent  ces  mouvements  pour  anéantir  la 
voix.  Galien  le  premier,  en  sectionnant  les  nerfs 
du  larynx,  constata  que  cette  opération  entraîne 
la  perle  de  la  voix.  Certains  anévri^mes  du  cœur, 
en  comprimant  ces  nerfs,  amènent  soit  laraucité, 
soit  l'extinction  de  la  parole. 

Examinons  maintenant  le  mécanisme  de  la  pho- 
nation. L'observation  directe  montre  que  dans  la 
parole  la  glotte  se  rétrécit  et  que  les  deux  cordi-s 
vocales  se  rapprochent,  tandis  que,  pendant  le 
silence,  le  défilé  s'élargit  et  l'air  le  traverse 
librement.  Aussi  crut-on  d'abord  pouvoir  assimiler 
le  larynx  à  un  si/ftet,  et  pensa  t-on  que  l'air  lui- 
même  vibrait  à  son  passage  dans  la  boutonnière 
rétrécie. 

Il  n'en  est  rien  :  ce  n'est  pas  la  colonne  aérienne, 
ce  sont  les  COI  c?es  l'oca/cs  qui  vibrent  dans  l'émis- 
sion de  la  voix,  et  dès  lors  le  larynx  est  assimila- 
ble, non  à  un  sifflet,  mais  à  un  tuyau  à  an'lif,  à 
un  hautbois  par  exemple.  Les  cordes  vocales, 
brusquement  écartées  par  le  fluide,  revi''nnerit  sur 
elles-mêmes,  sont  de  nouveau  écartées,  puis  re- 
viennentencore,  etc.,  et  subissent  ainsi  une  série 
de  mouvements  de  va-et-vient,  dont  la  fréquence 
est  en  raison  de  la  hauteur  du  son  émis. 

Pour  qu'une  corde  vibre,  il  faut  qu'elle  soit 
tendue.  Or  chacune  des  cordes  vocales  ré  dise  la 
perfection  d'une  corde  vibrante,  car  elle  est  cons- 
tituée par  un  muscle  volontaire,  qui  peut  se  con- 
tracter, c'est  à-dire  se  lendm,  h  volonté.  La  corde 
vibrante  d'un  piano,  d'une  harpe,  d'un  violon, 
varie  de  tension,  suivant  Véhrement  qu'on  lui  fait 
subira  l'aide  d'une  clef:  mais  la  corde  laryngienne 
modifie  ellemôme,  en  sa  qualité  d'organe  contrac- 
tile et  vivant,  son  degré  de  tension  et  par  consé- 
quent la  hauleur  des  sons  qu'elle  rend.  Ajoutons 
que  cette  merveilleuse  faculté  peut  aequérir  par 
l'éducation  une  exactitude,  une  agilité  et  une 
promptitude  instantanée  qui  n'appartiennent  à  au- 
cun autre  instrument  vibrant.  Les  roulades,  les 
trilles  qu'exécute  une  chanteuse  sont  nécessaire- 
ment le  résultat  d'une  série  de  variations  à  la  fois 
instantanées  et  parfaitement  graduées,  apportées 
dans  la  contraction  du  niu--cle  vibratile. 

La  glotte  vocale  n'est  pas  l'unique  appareil  qui 
entre  enjeu  dans  la  formation  de  la  voix.  La  par- 
tie du  conduit  aérien  qui  précède  le  larynx,  et 
celle  qui  le  suit,  contribuent  accessoirement  à  l'é- 
mission des  sons.  La  trachée,  le  pharynx,  la  bouche, 
les  lèvres, le  nez  avec  ses  annexes  (si  nus  maxillaires, 
frontaux,  ethmoïdaux,  ctc.)serventderésonnateur3 
et  amplifient  ou  modifient  les  sons.  Aussi  ces  par- 
ties présentent-elles  des  mouvements  qui  varient 
avec  la  qualité  dessous.  C'est  ainsi  que  dans  les 
tons  aigus  le  larynx  s'élève,  tendant  la  traclrée  qui 
vibre  plus  haut  :  dans  les  notes  graves  il  s'abaisse 
au  contraire,  relâchant  toutes  les  parties  accessoi- 


res. Chacun  sait  quel'aliéralion  ou  l'obstruction  du 
pharynx,  de  la  luette,  des  cartilages  nasaux  altère 
le  limhre  de  la  voix:  ce  timbre  se  modifie  égale- 
ment dans  les  maladies  des  bronches  ou  des  pou- 
mons. 

Le  son  glottique  varie  d'intensité,  de  hauteur 
et  de  timlire. 

[.'intensité  varie  avec  l'énergie  de  la  propulsion 
imprimée  à  l'air  par  lapoitrirre.  Le  cri  est  un  son 
d'une  extrême  intensité,  il  constitue  à  lui  seul  la 
voix  des  animaux.  L'eirfant  qui  naît  se  rapproche 
par  là  de  l'animalité,  et  toute  phonation  se  traduit 
chez  lui  par  un  cri  :  s'il  est  privé  d'ouïe,  sa 
voix  reste  «  criarde  »,  inharinonique.  L'éducation 
auditive  seule  apprend  Ji  l'enfanta  régler  etJr,  mo- 
duler' sa  voix.  Cependant  celte  voix  humaine  édu- 
quée  reste  toujours,  dans  la  parole,  relativement 
irrharmonique  :  les  sons  qu'elle  profère  ne  sorrt  pas 
entre  eux  dans  des  rapports  musicaux.  Le  chant 
seul  possède  cette  régularité  d'intervalles  que  l'o- 
reille apprécie  musicalement. 

La  physiiiue  nous  apprend  que  la  hauteur  du 
son  varie  avec  la  longueur  et  la  tension  des  cor- 
des. C'est  ainsi  que  le  lar-ynx  plus  large  de  l'homme, 
possédant  des  cordi's  plus  longues,  émet  des  sons 
plus  graves  que  le  larynx  de  la  femme  ou  de  l'en- 
fant. Enfin  ch  'z  le  même  individu  la  voix  se  meut 
dans  une  série  de  gammes,  suivant  le  degré  de 
contraction  des  cordes.  Cette  série  est  en  général 
double  :  la  première,  plus  basse,  se  nomme  impro- 
prement î;oir  de  /oilri/ie;  et  la  seconde,  plus  aiguë, 
tO'X  de  télé,  ou  de  fausset.  Le  passage  subit  de 
l'un  de  ces  registres  à  l'autre  est  le  propre  du 
chant  dit  tiirolu-n. 

Li  voix  humaine  peut  varier  ainsi  chez  chaque 
individu  dans  une  étendue  de  deux  octaves  environ. 
Selon  que,  pour  ch.icun.  ces  deux  octaves  sont 
prises  parmi  les  registres  élevés  ou  parmi  les  regis- 
tres graves,  les  voix  se  divisent  en  six  catégories, 
qui  sont,  en  allant  des  plus  basses  aux  plus  hautes  : 
voix  de  Bass'-  (du  fa  au  ré^),  voix  de  lia'-yton  (du 
la  au  fa^),  voix  de  Ténor  (de  l'ut^  au  la^j,  pour  les 
hommes;  voix  de  Cuntrallo  'du  mi-  à  l'ut*),  de 
Mezzo-Soj)ra7i^i  (du  sol^  au  mi*),  et  de  Soprano  (du 
si-  au  sol'),  pour  les  femmes  (Kuss). 

La  mue  de  la  voix  consiste  en  un  abaissement 
subit  qui  se  produit  au  moment  de  la  puberté,  et 
qui  est  d'environ  une  octave  pour  les  garçons,  et 
de  deux  tons  pour  les  filles. 

(Juant  au  timbre  de  la  voix,  il  dépend,  ainsi  que 
nous  l'apprend  l'acoustique,  des  sons  accessoires, 
dits  sons  harmoniques,  qui  accompagnent  le  son 
fondamental  (Helrnlroltz).  Ces  harmoniques  va- 
rient avec  les  individus,  tandis  que  le  son  fonda- 
mental reste  le  môme. 

L'étude  des  fonctions  des  parties  accessoires  de 
la  phonation  (bouche,  pharyrrx,  etc.)  a  cooduit  à 
de  curieux  résultats.  C'est  ainsi  que  les  vii/dles 
sont  uniqrrement  produites  par  les  vibr-ations  du 
pharynx  et  de  la  bouche,  ces  parties  variant  leur 
tension,  leurs  dimensions,  leur  forme,  suivant  la 
voyelle  que  l'on  prononce  :  quand  on  la  prononce 
à  voix  basse,  la  glotte  resle  parfaitement  inactive, 
et  si,  au  moment  où  la  bouche  est  disposée  de  fa- 
çon à  la  prononcer,  on  fait  vibrer  un  diapason  de- 
vant les  lèvres  ouvertes,  on  entend  ci^tte  voyelle 
nettement  articulée.  Pour  parler  plus  exactement, 
les  cavités  sus-glottiques  (pharynx  et  bouche) 
agissent,  dans  ces  cas  lit,  à  la  façon  do  résonnataars 
diversement  accordés. 

Quant  aux  consonnes,  au  point  de  vue  de  l'a- 
coustique, elles  n'ont  pas  d'existence  propre. 
Kilos  rre  sont  que  des  voyelles  dont  l'émission  est 
précédée  ou  accompagnée  d'un  mouvement  parti- 
culier des  oi'ganes  résonnateurs  accessoires  :  il 
semble  qur;  les  parties  sus-glottiques  présentent 
alors  à  la  colonne  d'air  certains  obstacles  placés  en 
différents  points,  et  que  le  courant  aérien  ébranle 


VOIX 


—  2332  — 


VOLCANS 


diversement.  Ces  obstacles  siègent  tantôt  au  ni- 
veau (les  lèvres  (consonnes  labiales),  tantôt  au  ni- 
veau de  la  langue  (linguales),  tantôt  dans  les  pa- 
rois de  l'arrière-bouche  (gutturales)  ;  ils  sont 
vaincus,  soit  par  une  sorte  d'explosiun  (é,  p,  d), 
soit  par  un  glissement  (s,  f,  z).  soit  par  un  trem- 
blement ;  la  consonne  r  est  un  exemple  de  ce  der- 
nier mode  :  elle  n'est  que  le  son  d'une  voyelle 
quelconque,  modifié  par  une  vibration  rapide  de 
la  langue,  qui  tremblotte  comme  le  ferait  un  chif- 
fon dans  un  tuyau  d'orgne. 

Telles  sont  les  modifications  très  compliquées 
que  subit  le  bruit  glottique  pour  devenir  la  parole 
articulée.  Notons  que  quelques  animaux  (perro- 
quets) peuvent  acquérir  cette  faculté  d'articuler 
des  sons  et  de  prononcer  des  mots.  Mais  il  va 
fsans  dire  que  l'homme  seul  attache  un  sens  à  ces 
mots  :  seul  il  possède  la  paroh.. 

Quelques  hommes,  cependant,  n'ont  jamais 
possédé  cette  faculté  ;  d'autres  se  la  sont  vu  en- 
lever h  une  époque  quelconque  de  leur  vie.  Le 
mutisme  est  donc  acquis  ou  congénital. 

Acquis,  il  résulte  d'une  altération  accidentelle 
des  organes  phonateurs  ou  des  centres  nerveux 
qui  commandent  à  ces  organes  (blessures,  mala- 
dies, paralysies)- 

Congénital,  il  peut  être  dû  par  exception  h  une 
malformation  de  ces  organes.  Mais  le  plus  sou- 
vent, il  est  produit  par  la  surdité.  Le  muet  de 
naissance  est  en  même  temps  sourJ,  et  il  n'est 
muet  que  parce  qu'il  est  sourd ,  c'est-à-dire, 
parce  qu'il  ignore  les  sons  et  leurs  valeurs  :  chez 
lui  l'absence  de  parole  mériterait  le  nom  de  silence 
plutôt  que  celui  de  mutisme,  puisqu'il  prjwnnt 
parler,  s'il  savait  parler.  Qui  n'a  pas  entendu  ne 
peut  parler  :  bien  plus,  un  enfant  qui  a  entendu 
jusqu'à  trois  ou  quatre  ans,  s'il  perd  l'ouie,  perd 
la  parole  en  fort  peu  de  temps  (Bonnafont).  On 
conçoit,  dès  lors,  qu'on  puisse  arriver  k  rendre 
aux  sourds-muets  la  parole,  en  leur  décrivant  mi- 
nutieusement le  mécanisme  d'émission  de  chaque 
son,  et  en  leur  apprenant  à  les  émettre,  encore 
bien  qu'ils  ne  puissent  les  entendre. 

On  sait  que  Broca  a  placé  le  centre  nerveux  de 
la  parole  (V.  Système  7ierceu:c)  dans  la  troisième 
circonvolution  frontale  gauche.  Mais  il  est  certain 
qu'il  existe  deux  centres  nerveux  nécessaires  à  l'é- 
locution,  l'un  centre  de  la  mémoire  des  mots, 
l'autre  centre  de  la  phonation  proprement  dite, et 
que  chucun  d'un  peut  être  atteint  isolément  par  la 
maladie.  L'altératinn  du  premierproduit  l'amnc'jjie: 
le  malade  ne  saurait  parler  parce  qu'il  a  oublié  le 
langage.  La  lésion  du  second  produit  l'npkasie,-  le 
n'^alade  ne  parle  pas,  mais  il  peut  écrire. 

Terminons  cette  étude  par  quelques  considé- 
rations sur  l'hygiène  de  la  voix. 

La  parole,  surtout  la  parole  publique,  est  et  doit 
être  accompagnée  de  gestes.  Le  mouvement,  en 
divers  sens,  des  membres  supérieurs  n'ajoute  pas 
seulement  à  l'intensité  de  l'expression;  il  sert 
encore  à  donner  du  jeu  à  la  poitrine,  et  à  mieux 
répartir  la  fatigue  qui,  sans  cela,  ne  porterait  que 
sur  les  muscles  du  larynx. 

Il  vaut  mieux  parler  debout  qu'assis.  Si  l'on 
est  contraint  de  s'asseoir,  encore  doit-on  tenir  le 
tronc  droit  sans  raideur,  de  façon  à  laisser  aux  os- 
cillations du  thorax  une  entière  liberté. 

Dans  la  iléclamation  ou  dans  la  lecture  à  haute 
voia,  la  lenteur  rhythmique  du  débit  et  la  gra- 
duation voulue  de  l'effort  constituent  une  excel- 
lente gymnastique  qui  favorise  le  développement 
de  la  poitrine,  assouplit  le  timbre  de  la  voix  et 
en  perfectionne  le  son  et  l'articulation. 

Le  chant  présente  ces  avantages  à  un  bien  plus 
haut  degré.  Mais  il  offre  en  revanche  des  dangers 
sérieux.  Il  exige,  en  effet,  une  contraction  très 
énergique  des  muscles  du  thorax,  et  un  exercice 
beaucoup  plus  violent  des  cordes  vocales.  Aussi 


prcsonte-t-il  des  inconvénients  chez  toutes  les 
personnes  dont  la  poitrine  ou  le  cœur  est  malade, 
ou  dont  le  larynx  est  délicat.  Convenablement  sur- 
veillé et  modéré,  il  constitue,  pour  l'enfance,  une 
partie  importante  de  la  gymnastique,  sans  parler 
de  l'action  morale  salutaire  qui  résulte  de  l'in- 
troduction du  chant  dans  l'éducation. 

[D'  E.  Pécaut.] 
VOLCANS  ETTRE.UBLEJIKNTSDE  TERRE.— 
Géologie,  X.  —  On  donne  le  nom  de  volcans  à  des 
montagnes  qui  livrent  passage  d'une  façon  per- 
manente ou  intermittente  à  des  produits  variés 
dont  la  température  est  extrêmement  élevée.  La 
sortie  de  ces  produits  constitue  une  éruption  vol- 
canique. 

En  général  l'éruption  est  annoncée  par  des 
bruits  souterrains  et  par  des  secousses  du  sol 
qui  rentrent  dans  la  catégorie  des  tremblements 
de  terre.  Nous  reviendrons  tout  h  l'heure  sur 
ceux-ci  ;  disons  seulement  ici  que  tous  les  trem- 
blements de  terre  ne  précèdent  pas  les  éruptions 
volcaniques. 

A  la  suite  de  ces  manifestations  prémonitoires, 
le  sol  se  crevasse  en  certains  points  et  livre  passage 
à  des  torrents  de  vapeurs.  Ce  qui  domine  alors 
c'est  la  vapeur  d'eau,  dont  la  quanlilé  dépasse 
tout  ce  qu'on  peut  supposer.  C'est  au  point  que 
les  volcans  doivent  être  considérés  comme  des 
sources  d'eau.  On  trouve  d'ailleurs  tous  les 
intermédiaires  entre  les  volcans  et  les  sources 
ordinaires,  par  les  jets  de  vapeur  (soffioni), 
les  geysers,  et  les  sources  thermales  (V.  Puits  et 
Sources). 

En  même  temps  que  la  vapeur,  du  sol  crevassé 
sortent  en  abondance  des  matériaux  pierreux  ré- 
duits en  poudre  fine.  Entraînés  verticalement  par 
le  courant  gazeux,  ils  s'élèvent  jusqu'aux  hautes 
régions  de  l'atmosphère  et  y  produisent  un 
nuage  gigantesque  qui,  par  le  temps  calme,  re- 
couvre le  volcan  d  une  sorte  de  parasol.  Cette 
poussière  retombe  ensuite  peu  i  peu  et  vient 
s'accumuler  autour  du  point  de  sortie  sous  la 
forme  d'un  bourrelet  qui  s'accroît  progressive- 
ment jusqu'à  acquérir  la  dimejision  d'une  vérita- 
ble montagne.  La  forme  de  cette  montagne  est 
tout  à  fait  caractéristique  et  due  au  mode  de  for- 
mation que  nous  venons  d'indiquer.  C'est  un 
cône  tronqué  à  la  partie  supérieure,  et  creusé 
d'une  cavité  en  cône  renversé  qu'on  appelle 
le  cratère.  On  peut  s'assurer  que  la  montagne 
est  constituée  de  couches  superposées  dont  cha- 
cune a  la  même  forme  que  la  montagne  elle-même: 
plongeant  à  l'extérieur  dans  une  direction  cen- 
trifuge et  concourant  en  dedans  vers  le  centre 
d'éruption. 

Quand  l'air  est  agile,  le  parasol  de  cendres 
(c'est  le  nom  qu'on  donne  à  la  poussière  volca- 
nique) ne  conserve  pas  sa  régularité.  Il  s'allonge 
du  coté  du  vent  en  un  courant  dont  la  lon- 
gueur est  quelquefois  considérable  ;  de  la  sorte 
s'expliquent  les  pluies  de  cendres  dans  des  loca- 
lités qui  peuvent  être  fort  distantes  du  volcan 
d'origine.  C'est  ainsi  que  certains  points  des 
côtes  de  Norvège  ont  été  à  diverses  reprises 
saupoudrés  des  produits  émis  par  l'Hi'kla,  et  que 
l'EiJia  a  recouvert  de  poussières  des  régions  grec- 
ques nu  même  turques. 

C'est  sous  des  torrents  de  pareilles  cendres 
mêlés  de  délugesd'eau  que  Pompéi  fut  ensevelie, 
en  ÎS),  lors  de  la  célèbre  éruption    du  Vésuve. 

Les  cendres  sont  d'ailleurs  mêlées  de  maté- 
riaux moins  ténus.  Avec  elles  se  piésentont  de 
gros  blocs  et  surtout  des  petites  pierrailles  aux- 
quelles les  Italiens  ont  donné  le  nom  devenu 
cosmopolite  de  Inpilli. 

En  môme  temps  le  volcan  lance  en  l'air  des 
lopins  de  roche  fondue  qui,  se  solidifiant  tandis 
qu'ils  tourbillonnent,  prennent  des   formes  con- 


VOLCANS 


2333  — 


VOLCANS 


tournées  qu'on  a  comparées  îi  celles  do  bouts 
do  cible,  de  noyaux,  d'amandes  et  de  liombes. 
Souvent  en  brisant  les  bombes  volcaniques  on 
trouve  qu'un  fragment  de  roche,  graiiiie,  dunite  ou 
autre,  leur  a  servi  de  centre 

En  tout  cas,  c'est  après  l'émission  des  cendres 
et  la  constitution  de  la  mo)Uagne  à  cratère  que 
la  lave  parvient  lentement  au  niveau  du  sol.  On 
donne  le  nom  de  lave  îi  des  masses  fondues  dont 
la  composition  minéralogique  (feldspath,  pyroxène 
ou  amphibole,  fer  titane)  est  la  même  que  celle 
des  cendri's.  C'est  encore  la  force  élastique  de  la 
vapeur  d'eau  qui  détermine  l'ascension  des  laves, 
et  la  matière  de  celles-ci  est  intimement  associée 
i  d'énormes  quantités  d'eau  qui  ne  se  dégage  que 
très  lentement  pendant  le  refroidissement. 

La  lave,  dont  la  densité  est  considérable  (plus 
(le  a  en  moyenne),  exerce  sur  les  matières  in- 
cohérentes du  cratère  une  poussée  à  laquelle 
c.i'lles-ci  no  peuvent  longtemps  résister.  Aussi  la 
iiiclic  fondue  se  fraie-t-elle  d'ordinaire  un  che- 
min ;\  la  base  même  de  la  montagne,  et  la  coulée 
s'épanche  lentement  vers  les  parties  basses  des 
pays  environnants.  C'est  sous  une  coulée  de 
lave  qu'Herculanum  fut  submergé.  Terre  del 
Greco  a  subi  plus  d'une  fois  des  inondations  du 
même  genre,  et  il  en  a  été  également  ainsi  pour 
Catane. 

Parfois  la  base  du  cône  étant  plus  résistante,  la 
lave  s'élève  plus  ou  moins  dans  le  cratère,  mais 
il  arrive  un  moment  où  la  paroi  cède  encore  et 
lout  un  côté  de  la  montagne  est  emporté  par  le 
torrent  fondu.  C'est  aiii.si  que  prennent  naissance 
les  volcans  eirec/ies,  dont  on  connaît  des  exemples 
très  nombreux. 

Il  est  bien  rare  que  l'éruption  volcanique  soit 
de  longue  durée.  Cependant  on  peut  citer  quel- 
ques volcans  dont  l'activité  incessante  est  immé- 
moriale. De  ce  nombre  est  le  Stromboli,  dans  une 
petite  île  voisine  de  la  Sicile,  qui  ne  cesse  de  vo- 
mir des  cendres,  de  la  vapeur  d'eau  et  de  la 
lave.  Sa  lueur  sert  de  phare  aux  marins,  et  son 
allure  plus  ou  moins  rapide  est  réglée  par  la 
pression  atmosphérique  et  pourrait  servir  à  la 
r.  vêler  comme  un  véritable  baromètre.  On  conçoit 
'  Il  rfl'et  que  les  grosses  bulles  de  vapeur,  moteurs 
ili's  matériaux  rejetés,  se  succèdent  plus  vite 
par  li-s  basses  pressions  que  par  les  temps  où 
l'indication  barométrique  est  élevée. 

Ordinairement,  après  le  paroxysme  de  l'érup- 
tion, on  assiste  à  son  déclin.  La  lave  cesse  de 
sortir,  et  le  courant,  d'abord  rouge  de  feu,  progresse 
lentement  le  long  des  pentes,  enveloppé  dans  une 
véritable  chemise  de  fragments  refroidis.  De  toutes 
parts  la  coulée  laisse  échapper  dns  jets  de  vapeurs, 
et  il  faut  des  mois  entiers  pour  qu'elle  ait  atteint 
son  complet  refroidissement,  lîccouverte  de  bco- 
ries  légères,  teintes  des  couleurs  les  plus  vives, 
elle  ofl're  une  compacité  de  plus  en  plus  grande 
à  mesure  qu'oji  l'examine  plus  loin  de  sa  surface. 
Le  retrait  la  débite  en  prismes  verticaux  plus  ou 
moins  réguliers.  Le  cratère  lui-même  ne  laisse 
plus  dégager  que  des  quantités  décroissantes  de 
vapeur  d'eau  à  laquelle  se  mêlent  des  gaz  diffé- 
rents. Parmi  ceux  ci  dominent  l'hydrogène  sul- 
furé, l'acide  chlorhydrique  et  l'acide  carbonique. 
En  parvenant  au  contuci  de  l'air,  le  premier  de 
ces  composés  subit  une  combustion  incomplète 
dont  les  produits  sont  de  l'eau  et  du  soufre  libre 
qui  incruste  les  crevasses  du  sol.  Quand  le  phé- 
nomène se  développe  sur  une  échelle  suffisante, 
on  assiste  à  la  production  d'une  solfatare  dont 
lelype  se  voitaux  environs  de  Pouzzolles.  L'acide 
chlorhydrique  paraît  résulter,  au  moins  en  partie, 
cuninje  l'a  montré  Gay-Lusssc,  de  la  réaction  mu- 
tuelle du  porchlorure  de  fer  et  delà  vapeur  d'eau, 
et  l'on  voit  briller  en  effet  sur  les  laves  de  belles 
lamelles  de  fer  oligiste  résultant  de  la  même  opé- 


ration. Ouant  à  l'acide  carbonique,  c'est  le  produit 
le  plus  persistant  des  éruptions  terminées,  et  les 
volcans  d'Auvergne,  improprement  qualifiés  d'e- 
teints,  en  laissent  chaque  jour  exsuder  des  quan- 
tités considérables.  Il  en  est  do  même  en  Italie,  où 
la  Grotte  du  cliien  est  célèbre. 

Toutes  ces  émanations  sont  réunies  sous  le  nom 
général  de  fumerol/es. 

Il  est  un  très  grand  nombre  de  volcans  dont 
l'histoire  se  résume  en  une  éruption  unique  :  c'est 
le  cas  pour  les  volcans  d'Auvergne  et  pour  les  cùnes 
parasites  de  l'Etna.  D'autres  au  contraire  se  rani- 
ment après  un  repos  plus  ou  moins  prolongé.  Au- 
cun exemple  plus  net  ne  peut  être  cité  à  cette 
occasion  que  celui  du  Vésuve,  dont  l'explosion  de  79 
n'avait  été  précédée  d'aucune  autre  dont  les  souve- 
nirs les  plus  anciens  de  l'humanité  eussent  gardé 
la  moindre  trace. 

Quelle  est  la  cause  des  volcans'? 

Les  anciens,  comme  on  sait,  la  rattachaient  aux 
faits  et  gestes  des  divinités,  et  dans  des  temps  beau- 
coup plus  proches  douons  on  y  a  vu  de  même  des 
interventions  directes  de  la  Providence  dajis  l'his- 
toire des  hommes. 

Depuis  que  la  question  a  été  abordée  par  la 
méthode  scientifique,  elle  s'est  singulièrement 
simplifiée. 

Nous  avons  déjà  signalé  l'abondance  extraordi- 
naire de  l'eau  parmi  les  émanations  volcaniques. 
Ce  fait  esti  rapprocher  de  la  distribution  géogra- 
phique des  volcans,  qui  se  rencontrent  sans  excep- 
tion sur  le  littoral  de  la  mer  ou  dans  des  îles. 

En  Europe,  le  Vésuve,  l'Etna,  le  Stromboli, 
l'Hékla  sont  dans  ce  cas.  Téncriffe,  les  volcans  des 
Andes,  ceux  des  îles  Aléoutiennes,  du  Japon,  des 
archipels  océaniejis  confirment  cette  remar- 
que. Si  d'autres,  comme  les  cratères  d'Auvergne, 
paraissent  la  contredire,  il  faut  remarquer  qu'ils 
ont  perdu  toute  activité  et  qu'ils  datent  d'une 
époque  géologique  où  leur  pied  était  précisément 
baigné  par  de  grands  amas  d'eau,  comme  le  vaste  lac 
dont  laLimague  représente  le  fond  desséché. 

Ces  divers  faits  nous  conduisent  à  supposer 
que  l'eau  provenant  de  la  surface  du  sol  joue 
un  grand  rôle  dans  les  manifestations  volca- 
niques, et  cette  induction  fait  place  à  la  certitude 
quand  nous  remarquons  que  les  émanations  volca- 
niques renferment  précisément  les  mêmes  pro- 
duits que  l'eau  de  la  mer  :  chlorures,  sulfates, 
sels  magnésiens,  carbonates,  etc. 

Un  deuxième  ordre  de  fails  maintenant  indis- 
cutable, c'est  que  les  produits  vomis  par  tous  les 
volcans  du  globe,  quelle  que  soit  la  distance  des 
localités  qui  les  possèdent,  sont  sensiblement 
identiques  entre  eux.  Cette  identité  suppose  né- 
cessairement que  le  réservoir  d'où  ces  produits  dé- 
rivent est  le  même  pour  toute  la  terre.  Nous  savons 
d'autre  part  que  ce  réservoir  est  situé  au-dessous 
du  granité,  puisque  plusieurs  volcans,  comme 
ceux  d'Auvergne,  sont  précisément  assis  sur  cette 
roche  fondamentale.  Or,  des  mesures  directes  ont 
fait  voir  (|ue  la  température  s'accroît  très  rapide- 
ment avec  la  profondeur ,  et  l'on  admet  qu'à 
un  petit  nombre  de  kilomètres  toutes  les  roches 
que  nous  connaissons  sont  .'i  l'état  de  fusion. 

Si  donc  l'eau  fournie  par  la  mer  peut  s'inftltrer 
jusqu'à  la  profondeur  en  question,  elle  rencontre 
des  matériaux  extrêmement  chauds  au  contact 
desquels  sa  vapeur  doit  acquérir  une  tension  assez 
énergique  pour  donner  lieu  à  toutes  les  manifes- 
tations volcaniques. 

Il  resterait  cependant  à  expliquer  comment  l'in- 
filtration des  eaux  marines  peut  conduire  celles-ci 
jusqu'aux  laboratoires  souterrains  malgré  la  formi- 
dable contre-pression  de  vapeur  qui  y  rogne.  Ou 
admet  que,  si  cette  iiifiltration  ne  saurait  se  faire 
par  l'intermédiaire  de  fissures  d'une  largeur  sen- 
sible, elle  est  au  contraire  aisée  au  travers  de» 


VOLCANS 


—  2334  — 


VOLONTE 


pores  des  roches,  et  on  regarde  les  djkes  de  tra- 
chyte  et  de  basalte,  si  fréquents  au  voisinage  des 
volcans,  comme  représentant  précisément  les  ca- 
naux d'alimenistion  par  lesiiuels  la  iirofondeur  est 
constamment  mise  en  communication  capillaire 
avec  le  bassin  des  mers. 

Evidemment,  s'il  en  est  ainsi,  non  seulement  la 
vapeur  coninrimée  sous  le  granit  peut  déterminer 
les  phénomènes  volcaniques,  mais  elle  est  parfai- 
tement à  même  de  donner  naissance  aux  trépida- 
tions connues  sous  le  nom  de  tremblements  de 
terre. 

11  est  vrai  que  beaucoup  de  régions  du  globe  sont 
accidentellement  agitées  de  trépidations  ayant  une 
tout  autre  cause  et  pouvant  néanmoins  détermi- 
ner de  vrais  désasties.  C'est  ainsi  que  certains 
pays  sont  minés  par  le  passage  de  cours  d'eau 
souterrains,  et  il  n'est  pas  rare  alors  que  de  vio- 
lents éboulements  se  produisent  dans  les  cryptes 
ainsi  ouvertes.  On  cite  des  maisons  détruites  par 
cette  cause  en  divers  points  du  Jura  et  jusque 
dans  la  ville  même  de  Lons-le  Saulnier. 

L'exploitation  des  mines,  en  néce-sitant  le  creu- 
sement de  cavernes  véritables,  détermine  par- 
fois aussi  les  mêmes  effets,  et  l'on  en  a  eu  récem- 
ment la  preuve  en  Lorraine,  où  l'écroulement  des 
galeries  de  la  saline  de  Varangeville,  près  Nancy, 
a  renversé   toutes  les  constructions  de  la  surface. 

De  même  qu'un  vide  intérieur,  une  surcharge 
extérieure  du  sul  peut  amener  un  déplacement 
analogue  à  un  tremblement  de  terre.  C'est  le  cas 
surtout  quand  le  terrain  surchargé  est  de  nature 
argileuse.  Ainsi  lors  de  la  construction  du  viaduc 
dtf  Val  Fleury,  entre  Paris  et  lleudon,  le  poidsde 
cette  oeuvre  d'art  a  déterminé  un  refoulement  des 
glaises  sous-jacentes  qui,  chassées  à  droite  et  à 
gauche  par  la  pression,  se  sont  soulevées  au  point 
de  jeter  à  terre  les  maisons  qu'elles  suppor- 
taient. 

Enfin  un  choc  violent  a  plus  d  une  fois  donne 
naissance  à  des  résultats  comparables  aux  précé- 
dents. Les  grandes  explosions,  en  ébranlant  le  sol, 
produisent  la  ruine  des  édifices  placés  dans  un 
certain  rayon.  Lorsqu'en  \&'l  la  poudrière  éublie 
dans  le  LuX:'mbourg  sauta,  plusieurs  maisons  dans 
la  rue  d'Assas  se  crevassèrent  de  telle  sorte  qu'il 
fallut  les  démolir. 

La  démarcation  entre  les  vrais  tremblement*  de 
terre  et  quelques-uns  des  accidents  dont  nous  ve- 
nons de  parler  n'est  pas  facile  à.  tracer,  et  divers 
géologues  ont  soutenu  l'opinion  ((ue  tous  les  trem- 
blements de  terre  dérivent  de  causes  locales. 
Nous  avons  dit  tout  à  l'heure  qu'il  n'en  est  rien, 
et  que  la  liaison  de  la  plupart  de  ces  phénomè- 
nes avec  les  volcans  est  si  évidente  qu'il  faut  de 
toute  nécessité  les  rattacher  à  la  même  cause  gé- 
nérale. 

Quant  aux  caractères  généraux  des  vrais  trem- 
blements de  terre,  nous  les  résumerons  en  quelques 
mots. 

Rien  dans  la  n;iture  entière  n  est  plus  fait  pour 
jeter  l'épouvante  parmi  les  hommes  que  les  trem- 
blements de  terre.  Tout  le  moiide  connaît  le  trem- 
blement de  terre  de  Lisbonne  (  l';ôG;,qui  se  lit  sen- 
tir sur  un  cinquième  ne  la  surface  totale  du  globe 
et  qui  coûta  la  vie  il  des  milliers  de  personnes,  et 
l'émotion  causée  dans  le  monde  entier  par  le  dé- 
sastre de  Chio  est  lom  d'être  complètement  cal- 
mée. 

La  description  du  phénomène  ne  saurait  d'ail- 
leurs être  que  très  vague,  les  caractères  constaïus 
étant  fort  rares,  à  pan  bien  entendu  le  fait  même 
du  déplacement  du  sol.  Ordinairement  des  gion- 
dements  précurseurs  se  font  entendre,  mais  ils 
sont  loin  d'exister  toujours.  Le  sens  du  mouve- 
ment est  aussi  tout  a  fait  variable  et  même  son 
allure  continue  ou  saccadée.  On  a  noté  des  oscil- 
lations verticales,  horizontales,  et  dans  ce  dernier 


cas  parfois  circulaires.  Des  crevasses  s'ouvrent 
dans  le  sol  et,  sur  les  eûtes,  le  flot  de  la  mer  va  ba- 
layer une  étendue  plus  ou  moins  vaste  de  la  terre 
ferme. 

On  a  remarqué  qu'au  point  de  vue  géologique, 
les  trr'mblements  de  terre  ne  déterminent  guère 
d'effets  permanents  et,  sauf  les  ruines  qui  jonchent 
le  sol,  le  pays  agité  reprend  après  la  crise  sa  phy- 
sionomie ordinaire.  Pourtant  un  tremblement  de 
terre  récemment  observé  en  N'ouvelle-Guinée  a 
augmenté  d'une  manière  notable  la  dénivellation 
déji  constatée  le  long  d  une  falaise  ;  mais  ce  fait 
est  tout  à  fait  exceptionnel. 

Certaines  régions  sont  célèbres  par  les  trem- 
blements de  terre  qu'on  y  observe;  l'Amérique 
équaioriale  et  spécialement  les  environs  de 
Quito,  l'Asie-Mineure,  sont  dans  ce  cas,  et  l'on 
s'étonne  que  de  nombreuses  populations  persis- 
tent à  liabiier  des  pays  aussi  dangereux.  Ces  loca- 
lité- se  distinguent  en  général  par  leur  nature  vol- 
canique. Nous  avons  dit  que  les  treaiblements  de 
terre  précèdent  souvent  les  éruptions  ;  ajoutons 
que  celles-ci,  à  la  manière  d'une  soupape,  mettent 
ordinairement  fin  aux  trépidations  du  sol.  J_ 

11  convient  d'ajouter  qu'outre  les  grands  trem- 
blements de  terre,  on  reconnaît  de  petites  oscil- 
lations du  sol  dans  toutes  les  régions  de  la  terre. 
Des  appareils  spéciaux,  dits  séismographes  et  seis- 
tiifiinèlre',  les  enregistrent  et  les  mesurent  dans 
divers  observatoires,  et  l'on  est  en  train  d'en 
étudier  les  lois. 

Pour  terminer  cette  revue  très  rapide  de  phéno- 
mènes dus  à  l'extrême  minceur  de  l'écorce  de 
notre  globe,  ajoutons  que  le  caractère  volcanique 
est  prodigieusement  développé  à  la  surface  de 
la  lune.  Notre  satellite  nous  présente  des  milliers 
de  volcans  parfaitement  caractérisés  avec  leur  cra- 
tère, leurs  coulées  et  les  cirques  extérieurs,  com- 
parables, sur  une  échelle  plus  grande,  auv  acci- 
dents du  même  genre  que  nous  avons  décrits  tout 
à  l'heure. 

Des  considérations  dans  lesquelles  nous  ne 
saurions  entrer  ici  paraissent  prouver  que  l'exal- 
tation des  phénomènes  volcaniques  caractérise  la 
dernière  période  d'activité  de  l'évolution  plané- 
taire. _  iStanislas  Meunier.] 

VOLONTÉ.  —  Psychologie,  XM.  —  Le  sens  de 
ce  mot  a  varié  comme  le  sens  de  presque  tous  les 
termes  de  la  psychologie.  Au  xvii'  siècle,  la  vo- 
lonté était  souvent  synonyme  de  sentiment,  et  c'est 
ainsi  que  l'entendait  Pascal,  i|uaiid  il  opposait  les 
vérités  de  raison  qui  parlent  à  l'entendement,  et  les 
raisons  du  cœur  qui  s'adressent  à  la  volonté.  Au 
xviiis  siècle  aussi,  le  mot  de  volonté  était  parfois 
employé  pour  désigner  toutes  les  puissances  de 
l'âme  qui  sont  autres  que  l'intelligence,  les  incli- 
nations, les  tendances,  les  désirs,  et  Condillac  di- 
sait de  la  volonté  a  iiu'elle  comprend  toutes  les 
Opérations  qui  naissent  du  besoin.  »  Dans  la  psy- 
chologie contemporaine,  la  signification  du  terme 
<i  volonté  11  est  mieux  définie,  plus  délimitée,  et  la 
volonté,  ou  puissance  de  faire  ce  qu'on  veut,  dé- 
signe proprement  le  pouvoir  qu'a  l'âme  de  se  dé- 
terminer, avec  conscience  et  reflexion,  spontané- 
ment et  librement,  à  une  action  de  son  choix. 

La  volonté  ainsi  entendue  est,  comme  la  raison, 
le  propre  do  l'homme.  L  homme  seul,  dans  le 
plein  exercice  de  ses  facultés,  est  capable  de  vou- 
loir. Sans  doute  l'animal,  lenfant,  se  déterminent 
par  eux-mêmes,  ils  agissent,  et  par  abus  de  mots 
le  langage  appelle  volonté  le  principe  deces  déter- 
minations et  de  ces  actions.  Mais  cette  puissance 
irréfléchie  de  se  déterminer  et  d  ,igir  n'est  qu'un 
semblaut  de  volonté.  L  enfant  est  volontaire,  mais 
il  n'a  pas  de  volonté  Chez  lui,  comme  chez  l'ani- 
mal, l'iiction,  quelque  spontanée  qu'elle  soit,  n'est 
pas  maîtresse  d'eile-mcnie  :  provoquée  par  le  dé- 
sir aveugle,  par   le  besoin  irrésistible,  par  le  ca- 


VOLUNTE 


—  :233o 


VOLONTE 


price  désordoninS,  elle  ne  sn  possède  pas  :  elle  n'est 
que  la  pâle  itnase  de  la  véritable  vulunlé  humaine 
qui  réfléchit,  qui  calcule,  qui  sait  où  elle  va,  et  qui 
par  suite  se  niailrise  et  se  (çouvorne  elle-même.  Il 
faut  sans  doulo  savoir  reconnaîtrn  les  aniilogies 
qui  existent  entre  les  activités  inférieures  do  la  vie 
animale  et  l'activiic  propre  à  l'homme  et  h  la  vie 
raisoiniable  ;  mais  l'art  du  psychologue  consisie, 
après  avoir  note  ces  analogies,  h  ne  pas  en  être 
dupe  et  à  mar(|uer  les  différences  essentielles, 

La  volonté  est  autre  chose  que  le  désir,  elle  est 
aussi  antre  chose  que  l'idée  de  l'action.  En  d'au- 
tres termes,  elle  ne  peut  être  confondue  ni  avec 
les  phénomènes  de  la  sensibilité,  ni  avec  les  phé- 
nomènes de  l'intelligence. 

Elle  est  autre  chose  que  le  désir.  Tel  n'est  pas 
l'avis  de  certains  philosophes  qui,  de  même  (ju'ils 
dirfinissent  l'attention  une  sensation  dominante, 
définissent  la  volonlé  un  désir  ardent  et  fort.  La 
volonté  ainsi  comprise  ne  nous  alTranchirait  pas 
de  nos  inclinations  et  de  nos  passions  :  elle  ne  se- 
rait que  la  consommation  ilu  désir.  Elle  rentrerait 
dans  la  catégorie  des  dispositions  passives,  fatales, 
elle  serait  une  obéissance  en  un  mot,  tandis  qu'elle 
est  le  principe  de  la  liberté.  En  fait,  nous  ne  con- 
fondons pas  l'état  de  notre  âme  qujnd  elle  désire 
et  l'état  de  notre  âme  quand  elle  veut.  Le  désir 
n'est  que  la  sollicitation  d'un  objet  agréable,  qui 
nous  procure  du  plaisir,  et  par  là  nous  engage  et 
nous  détermine  parfois  à  le  rei  lien  her.  La  volonié 
est  la  résolution  que  nous  prenons  par  nous-mê- 
mes d'accomplir  un  acte,  agréable  ou  désagréable. 
n'importe.  Il  y  a  des  cas  où  le  désir  et  la  volonté 
sont  d'accord,  où  nous  voulons  ce  que  nous  dési- 
rons :  môme  alors,  notre  conscience  distingue  net- 
tement l'attrait  que  la  chose  désirée  exerce  sur  la 
sensibilité,  et  le  pouvoir  que  nous  avons  de  céder 
à  cet  attrait.  Dans  d'autres  cas,  la  volonlé  est  en 
contradiction  avec  le  désir  :  et  c'est  aloi  s  surtout 
que  la  distinction  des  deux  faits  est  claire  et  écla- 
tante. La  paresse  m'attire  et  me  plaît,  par  exem- 
ple :  tous  les  plaisirs  du  far  niente  hantent  mon 
imagination,  toutes  les  dispositions  de  mon  corps 
me  portent  à  l'indolence  ;  et  cependant,  soutenu 
par  l'idée  de  mon  inlérèl  et  de  mon  devoir,  je  ré- 
siste à  ces  impulsions,  je  veux  travailler  et  je  me 
mets  au  travail.  Comment,  dans  ce  cas  et  dans 
tous  les  cas  analogues,  confondre  le  désir  et  la 
volonté,  le  courant  et  la  force  qui  remonte  le  cou- 
rant'? Dans  d'autres  cas  enfin,  le  désir  est  seul; 
par  sa  violence  il  entraîne  l'âme  qui  n'a  pas  le 
temps  de  réfléchir,  ni  la  force  de  vouloir  :  mais 
l'action  alors  n'est  pas  plus  volontaire  que  l'es- 
prit n'est  véritablement  attentif,  quand  il  est  do- 
miné, absorbé  par  une  sensation.  La  fixité  de  la 
pensée  qui  se  laisse  captiver  et  immobiliser,  pour 
ainsi  dire,  par  une  impression  forte,  n'est  pas 
plus  l'attention,  que  l'eiitrainement  du  désir  n'est 
la  volonté.  De  même  que  l'attention  à  son  gré  dé- 
place, transporte  la  pensée,  l'attache  à  l'objet 
qu'elle  a  choisi  ou  l'en  détache  quand  il  lui  plait, 
de  même  la  volonté  retient,  arrête  ou  poursuit 
l'action  qu'elle  a  résolue. 

Mais,  dira-t-ou,  si  la  volonté  se  distingue  du 
désir  et  de  la  sensibilité,  c'est  parce  qu  elle  se 
confond  précisément  avec  l'idée  et  1  intiligence. 
Ce  sont,  en  effet,  des  motifs  empruntés  â  notre 
prévoyance,  â  notre  raison,  qui  seuls  peuvent 
contrebalancer  l'attrait  du  désir  et  assurer  le 
triomphe  de  la  volonté.  Mais  de  ce  que  la  volonté 
se  greffe,  pour  ainsi  dire,  sur  une  idée,  ce  n'est 
pas  une  raison  de  croire  qu'elle  estia  même  chose 
que  l'idée.  Ne  nous  arrive  t-il  pas  à  chaque  ins- 
tant d'avoir  une  idée  très  nette  d'une  action  à 
faire,  et  cependant  de  ne  pas  la  faire,  parce  que 
nous  ne  le  voulons  pas?  Quand  Socrate  confondait 
la  «  vertu  u  avec  la  «  science  »,  il  se  trompait, 
parce   riu'il  oubliait  que  pour  faire  le  bien,  il  ne 


suffit   pas   de   le  connaître,  ni  même  de  l'aimer, 
il  faut  encore  le  vouloir. 

La  volonté  est  donc  quelque  chose  de  distinct  et 
d'irréductible.  Mais  après  avoir  établi  qu'elle  est 
indépendante,  il  faut  se  hâtt^r  de  dire  que  cette 
indépendance  n'est  pas  absolue,  que  pour  vouloir 
il  n'est  pas  inutile  de  désirer,  et  il  est  nécessaire 
de  penser. 

Tout  acte  de  volonté  suppose  certainement  la 
pensée.  Voilà  pourquoi  les  philosophes  du  xvii»  siè- 
cle, et  notamment  Bossuet,  comptaient  la  volonté 
parmi  les  opérations  intellectuelles.  La  volonté,  à 
vrai  dire,  n'est  pas  autre  chose  qu'une  pensée  qui 
agit.  Il  n'y  a  point  de  volonté,  a  dit  un  philosophe, 
où  il  n'y  a  pas  raison  de  vouloir.  A  proportion  que 
nous  sommes  plus  éclairés  et  surtout  plus  réflé- 
chis, que  nous  concevons  plus  nettement  ce  que 
nous  avons  à  faire,  que  nous  comprenons  mieux 
pourquoi  nous  devons  le  faire,  nous  sommes  plus 
maîtres  de  nous-mêmes,  nous  nous  appartenons 
davantage,  en  un  mot  nous  avons  plus  de  volonté. 
La  volonté  est  donc  un  pouvoir  variable  qui  se 
modifie  à  proportion  que  notre  énergie  intellec- 
tuelle diminue  ou  s'accroît. 

D'autre  part,  quoique  la  volonté  ne  soit  pas  de 
même  nature  que  le  désir,  il  est  évident  que  nous 
avons  tout  à  gagner  à  associer,  à  unir,  à  mettre 
d'accord  ces  deux  forces  de  notre  âme.  La  vo- 
lonté humaine  esr  trop  faible  pour  engager  une 
lutte  constante  avec  les  inclinations.  A  ce  jeu,  elle 
userait  bien  vite  ses  forces.  Sans  doute  la  volonté 
manifeste  toute  sa  puissance  dans  l'effort  et  dans 
la  lutte  :  mais  heureusement  la  lutte  n'est  pas 
toujours  nécessaire  ;  et  s'il  y  a  des  volontés  labo- 
rieuses, pénibles,  héroïques,  qui  triomphent  des 
passions  qu'elles  combattent,  il  y  a  aussi  des  vo- 
lontés faciles,  aisées,  qui  ne  sont  que  l'adhésion 
d'une  âme  bien  faite  à  des  désirs  légitimes.  En 
fait,  la  plupart  de  nos  volontés  sont  de  ce  genre, 
et  dans  le  cours  ordinaire  d'une  vie  réglée,  ce  que 
l'on  veut  est  en  même  temps  ce  que  l'on  sent  et 
ce  que  l'on  aime. 

En  montrant  les  différences  et  aussi  les  rapports 
de  la  volonté  avec  le  désir  et  avec  la  pensée,  nous 
avons  déjà  défini  ses  caractères  essentiels,  qui  sont 
la  réflexion  et  par  suite  la  liberté.  11  n'y  a  d'actes 
véritablement  volontaires  qno  ceux  qui  sont  déli- 
bérés, qui  supposent  qu'on  a  pesé  le  pour  et  le 
contre,  qu'on  a  pris  un  parti  réfléchi.  Et  c'est 
précisément  parce  qu'il  dérive,  non  d  un  instinct 
inconsidéré,  mais  d'une  décision  étudiée  et  d'un 
choix,  que  l'acte  volontaire  est  libre.  La  liberté, 
en  effet  —  non  pas  cette  liberté  absolue  et  chimé- 
rique rêvée  par  quelques  philosophes  qui,  faute 
de  l'avoir  trouvée,  se  jettent  ensuite  dans  le  fata 
lisme  —  mais  la  liberté  réelle,  n'est  pas  autre 
chose  que  la  faculté  de  choisir,  avec  réflexion  et 
en  pleine  connaissance  de  cause,  entre  plusieurs 
actions  possibles.  Sans  doute  cette  liberté-là  ne 
nous  donne  pas  la  puissance  de  rompre  brusque- 
ment avec  notre  passé,  de  nous  délier  de  toute 
solidarité  avec  ce  que  nous  avons  déjà  fait,  avec 
nos  inclinations  et  nos  habitudes  d'esprit  ;  elle  no 
crée  pas  des  actes  absolument  indéterminés,  indé- 
pendants do  toute  condition,  mais  enfin  elle  nous 
all'ranchit  dans  la  mesure  du  possible  :  elle  nous 
soustrait  à  l'impulsion  du  moment,  à  l'empire  des 
habitudes,  au  joug  des  passions,  à  la  tyrannie  de 
la  mode  et  de  l'exemple  :  elle  fait  que  nous  nous 
gouvernons  par  nous-mêmes  et  par  la  raison,  et 
c'est  en  cela  que  nous  soumes  libres. 

L'homme  n'est  donc  véritablement  homme  que 
quand  à  des  sentiments  vifs  ei  élevés,  à  une  intel- 
ligence éclairée,  il  joint  une  volonté  ferme  et  tou- 
jours prête.  Mais  cette  qualité  est  plus  rare  qu'on 
ne  le  croit.  Sans  doute,  s'il  ne  s  agit  que  de  cette 
volonté  inférieure  qui,  tout  en  disant  «  Je  veux  a, 
ne  fait  en  réalité  qu'obéir  à  l'inclination  ou  à  l'ha- 


VOLONTE 


233G  — 


VOLTAIRE 


bitude,  nous  usons  de  notre  volonté  à  chaque  ins- 
tant de  notre  vie.  Mais  s'il  faut  réserver  le  nom 
de  volonté  pour  l'acte  de  liberté,  résolu  avec  ré- 
flexion, qui  ne  voit  que  la  conscience  liuniaine  s'é- 
lève rarement  à  cet  effort?  Le  plus  souvent  nous 
agissons,  nous  ne  dirons  pas  sans  motif,  ce  qui  est 
impossible,  mais  sans  motif  réfléchi,  et  nos  actions 
ne  sont  pas  réellement  voulues.  Il  y  a  des  hom- 
mes qui  manquent  presque  absolument  de  vo- 
lonté, qui  n'appartiennent  pas  à  eux-mêmes  en 
quelque  sorte,  et  qui  vivent  d'une  vie  passive, 
machinale,  esclaves  de  leurs  propres  passions  et 
jouets  des  influences  extérieures.  Même  ceux  qui 
réfléchissent  le  plus  ne  réfléchissent  pas  autant 
qu'ils  le  pourraient  :  il  y  a  en  nous  des  trésors 
d'énergie  que  nous  ne  savons  pas  exploiter,  et 
nous  avons  certainement  plus  de  force  que  nous 
n'avons  de  volonté. 

On  a  dit,  non  sans  justesse  :  «  Deux  obstacles 
presque  invincibles  nous  empêchent  d'être  les 
maîtres  de  nos  volontés,  l'inclination  et  l'habitu- 
de. >>  Ce  serait  cependant  une  erreur  grave  et  dan- 
gereuse que  d'attribuer  à  ces  deux  ennemis  de  la 
volonté  une  puissance  insurmontable.  L'inclina- 
tion peut  toujours  être  contrôlée,  confrontée  avec 
nos  intérêts  et  notre  devoir,  et  réprimée  par  un  acte 
énergique  de  vouloir.  Quant  à  l'habitude,  i  l'ori- 
gine surtout,  elle  est  entièrement  sous  la  dépen- 
dance de  la  volonté,  puisqu'il  dépend  de  nous 
d'empêcher  la  répétition  de  l'acte  qui  engendre 
l'habitude.  Même  quand  elle  est  invétérée,  nous 
pouvons  venir  à  bout  de  la  vaincre,  sinon  en  une 
fois  et  par  un  seul  cfl'ort  de  volonté,  du  moins 
par  une  résistance  prolongée  et  par  une  tactique 
habile. 

Ce  n'est  pas  d'ailleurs  qu'il  faille  exiger  de 
l'homme  une  volonté  permanente,  toujours  en 
action  eten  exercice.  Le  corps  ne  peut  être  toujours 
éveillé  et  debout:  il  faut  qu'il  dorme  et  qu'il  se  cou- 
che. De  même  l'activiié  ne  saurait  rester  inces- 
samment en  éveil  ;  il  faut  qu'elle  se  repose  et 
qu'elle  s'endorme,  pour  ainsi  dire,  dans  les  mol- 
les et  douces  démarches  de  l'habitude.  Vne  fois 
que  la  volonté  a  épuré  les  inclinations  et  réglé 
les  habitudes,  elle  peut  se  décharger  sur  le  senti- 
mont  et  sur  la  routine  du  gouvernement  de  l'â- 
me ;  comme  un  général  qui,  après  avoir  pacifié 
un  pays,  remet  l'épée  au  fourreau  ;  mais  sans  dé- 
sarmer complètement,  car  l'imprévu  des  circons- 
tances et  les  progrès  de  la  vie  peuvent  i  chaque 
instant  exiger  de  nouveaux  efforts  de  volonté.  Ne 
nous  défions  donc  pas  outre  mesure  de  l'habitude. 
Il  est  impossible  de  souscrire  à  l'opinion  de  Kant 
qui,  préoccupé  de  sauvegarder  la  liberté  et  l'in- 
dépendance de  l'homme,  déclare  qu'il  faut  «  em- 
liêcher  les  enfants  de  s'accoutumer  i  quelque 
chose,  et  ne  laisser  naître  en  eux  aucune  habi- 
tude. » 

La  culture  de  la  volonté  est  un  des  problèmes 
les  plus  délicats  de  l'éducation.  Pour  la  dévelop- 
per et  la  fortifier,  il  faut  d'abord  respecter  la  spon- 
tanéité de  l'enfant,  qui  est  le  germe  de  son  in- 
dépendance et  de  sa  liberté.  Les  parents  qui  son- 
gent trop  à  «  briser  les  volontés  »  de  leurs  enfants 
préparent  des  caractères  faibles  et  mous,  qui  se- 
ront incapables  de  se  conduire.  Mais  d'autre  part, 
n'allons  pas  nous  imaginer  qu'en  complaisant  aux 
caprices  de  l'enfant,  en  flattant  ses  instincts,  nous 
lui  ménageons  pour  l'avenir  une  volonté  maîtresse 
d'elle-même.  La  volonté  suppose  l'effort,  l'empire 
sur  soi.  Il  faut  donc  savoir  résister  h  l'enfant:  on 
lui  apprendra  ainsi  à  se  résister  à  lui-même,  et 
en  obéissant  à  autrui  il  s'accoutumera  à  obéir  plus 
tard  à  sa  propre  raison. 

Enfin  il  ne  servirait  de  rien  de  former  la  volon- 
té, car  elle  peut  être  un  instrument  de  mal  comme 
(le  bien  :  il  faut  encore  élever  et  affermir  la  bonne 
volonté,  celle  dont  Kant  a   dit,  dans    une   page 


qu'on  ne  saurait  trop  citer  :  u  De  tout  ce  qu'il  est 
possible  de  concevoir  dans  ce  monde  et  môme  en 
général  hors  do  ce  monde,  il  n'y  a  qu'une  seule 
chose  qu'on  puisse  lenii  pour  bonne  sans  restric- 
tion, c'est  la  bonne  volonté.  L'intelligence,  la  fi- 
nesse, le  jugement  et  tous  les  talents  de  l'esprit, 
ou  le  courage,  la  résolution,  la  persévérance, 
comme  qualités  du  tempérament,  sont  sans  doute 
bonnes  et  désirables  i  beaucoup  d'égards  ;  mais 
ces  dons  de  la  nature  peuvent  aussi  être  extrê- 
mement mauvais  et  pernicieux,  lorsque  la  volonté 
qui  en  fait  usage,  et  qui  constitue  essentielle 
ment  ce  qu'on  appelle  le  caractère,  n'est  pas 
bonne  elle-même. 

II  La  bonne  volonté  ne  tire  pas  sa  bonté  de  ses 
effets  ni  de  ses  résultats,  ni  de  son  aptitude  à  at- 
teindre tel  ou  tel  but  proposé,  mais  seulement  du 
vouloir,  c'est-à-dire  d'elle  même  ;  et  considérée  en 
elle-même  elle  doit  être  estimée  incomparable- 
ment supérieure  à  tout  ce  qu'on  peut  exécuter 
par  elle  au  profit  de  quelques  penchants  ou  mê- 
me de  tous  les  penchants  réunis.  Quand  un  sort 
contraire  ou  l'avarice  d'une  nature  marâtre  pri- 
verait cette  bonne  volonté  de  tous  les  moyens 
d'exécuter  ses  desseins  ;  quand  ses  plus  grands 
efforts  n'aboutiraient  à.  rien,  et  quand  il  ne  reste- 
rait que  la  bonne  volonté  toute  seule,  elle  bril- 
lerait encore  de  son  propre  éclat,  comme  une 
pierre  précieuse,  car  elle  tire  d'elle-même  toute 
sa  valeur.  »  (Gabriel  Compayré.] 

VOLTAIRE  (François-Marie  Arouet  de).  — 
Littérature  française.  XL\-.\.\.  —  Raconter  la  vie  de 
Voltaire  et  entrer  dans  le  détail  de  son  œuvre,  ce 
serait  pour  ainsi  dire  entreprendre  l'histoire  du 
XVIII'  siècle  tout  entier.  Aucun  homme  n'a  autant 
que  celui-ci  personnifié  toute  une  époque.  On  se 
bornera  ici  aux  traits  essentiels,  en  se  propo- 
sant seulement  pour  but  de  montrer  l'unité  de 
cette  existence  si  agitée,  et  de  celte  action  si 
multiple. 

Né  à  Paris  en  1694,  Voltaire  fut  dès  l'adoles- 
cence l'enfant  prodige.  Jamais  les  jésuites  qui 
enseignaient  au  collège  Louis-le-Grand  n'imrent 
un  élève  plus  brillant,  ni  qui  fit  espérer  davan- 
tage :  ses  maîtres  s'accordaient  à  promettre  au 
jeune  Arouet  la  plus  éclatante  fortune  littéraire. 
C'était  5  lui  aussi  que  Ninon  mourant  avait  légué 
sa  bibliothèque. 

Voltaire  avait  tout  juste  vingt  et  un  ans  quand 
mourut  le  grand  roi  en  1715.  C'est  ici  qu'il  faut 
s'arrêter  un  instant  si  l'on  veut  bien  comprendre 
cette  destinée. 

Les  trente  dernières  années  du  règne  de  Louis  XIV 
avaient  été  remplies  par  l'influence  de  M"»  de 
Maintenon.  On  peut  résumer  en  deux  mots  cette 
période  de  notre  histoire.  Jamais  il  n'y  eut  en 
France  plus  d'orthodoxie  apparente  et  moins  de 
véritable  religion.  Les  querelles  du  quiétisme  et 
de  la  bulle  Vnigenitus,  les  luttes  des  jésuites  et 
des  jansénistes  se  prolongeant  bien  après  la  des- 
truction de  Port-Royal,  occupaient  les  docteurs, 
la  cour,  l'opinion  aussi  bien  que  le  clergé  ;  elles 
se  partageaient  la  politique  avec  les  embarras 
financiers  touchant  de  si  près  à  la  banqueroute  et 
les  soucis  de  la  guerre  do  la  succession  d'Espagne 
marquée  pour  nous  par  tant  de  revers.  Depuis  la 
révocation  de  l'édit  de  Nantes,  l'Eglise  catholique 
semblait  triomphante  :  l'hérésie  avait  été  vaincue, 
déracinée,  les  protestants  contraints  \  la  fuite  ou 
h  l'abjuration.  Et  pourtant  rien  de  plus  trompeur 
que  ce  triomphe.  Ce  qui  régnait  depuis  plus  de 
vingt  années  à  la  cour,  à  Paris,  en  France,  ce 
n'était  pas  la  foi,  c'était  l'hypocrisie.  On  s'était 
fait  dévot  pour  plaire  l't  un  roi  dévot,  à  une  reine 
dévote:  on  prenait  sa  revanche  des  simagrées 
officielles  dans  les  conversations  privées,  on  la 
prenait  plus  grande  encore  dans  les  mœurs  et  la 
façon  de  vivre.  Les  souffrances,  les  misères,   les 


VOLTAIRE 


—  2;{37  — 


VOLTAIRE 


'Immiliations  de  la  (in  du  règne  avaient  peu  h  peu 
•détaché  du  pouvoir  aljsolu  ceux-là  raômos  qui 
avaient  vu  les  splendeurs  de  la  première  moitié 
du  règne  du  grand  roi  ;  i  combien  plus  forte  rai- 
son ceux  qui  n'assistaient  qu'à  la  seconde  moitié 
du  spectacle?  Le  despotisme  apparaissait  d'autant 
plus  lourd  à  supporter  qu'il  n'était  plus  racheté 
par  la  gloire.  Comme  un  volcan  souterrain,  gron- 
dait sous  la  France  orthodoxe,  dévole,  humble- 
ment inclinée  aux  pieds  du  trône,  une  France 
révoltée,  toute  prûte  à.  faire  explosion,  n'attendant 
que  la  mort  du  maître  pour  éclater.  Notre  rac?  a 
bien  des  défauts  ;  elle  n'a  pas  du  moins  celui  de 
l'hypociisie.  Si  elle  se  résigne  il  poiter  un  mas- 
que, ce  n'est  jamais  qu'il  la  condition  de  le  rejeter 
avec  horreur  aussilùt  qu'elle  le  peut  faire.  L'ex- 
plosion après  le  règne  de  M""»  de  Maintenon,  ce 
fut  la  Régence. 

Tout  Voltaire  est  là.  11  a  grandi,  il  s'est  formé 
dans  les  dernières  années  du  règne  de  Louis  XIV. 
Il  y  a  pris  la  haine  du  pouvoir  absolu  qui  s'arroge 
non  pas  seulement  une  autorité  sans  limites  sur 
les  fortunes  et  les  personnes  des  sujets,  mais  un 
droit  d'inquisition  sur  les  pensées  et  les  con- 
sciences ;  il  y  a  pris  bien  plus  encore  la  haine  de 
ces  orthodoxies  religieuses  toujours  prêtes  à 
armer  pour  les  défendre  le  bras  séculier.  Il  a 
entendu  raconter  les  dragonnades;  il  était  enfant 
quand  ont  eu  lieu  les  massacres  des  Cévennes.  Il 
a  entendu  durant  toute  son  adolescence  retentir 
autour  de  lui  les  querelles  religieuses  qui  attisent 
tant  de  haines,  que  suivent  tant  d'anaihèmes  et  de 
persécutions  ;  il  est  sorti  d'un  bond  non  pas  seu- 
lement de  toutes  les  petites  églises  des  uns  et 
■des  autres,  mais  du  catholicisme,  mais  du  chris- 
tianisme même  :  la  religion  ne  lui  apparaît  plus  ] 
que  comme  une  horrible  invention  qui  pousse  il 
s'entre-égorger  les  hommes  nés  pour  s'aimer.  Il 
met  au  nième  rang  tous  les  dogmes  et  toutes  les 
formules.  Jansénistes,  jésuites,  quiétistes,  pour 
lui  sont  également  dupes  des  mêmes  criminelles 
folies.  Tolérance,  telle  sera  la  devise  de  toute  sa  I 
vif  ;  il  ne  verra  de  salut  pour  l'humaniié  que  dans  ' 
la  philosophie,  dans  le  progrès  de  la  raison  qui 
loit  terrasser  enlin  la  superstition. 

A  ce  premier  trait  il  en  faut  joindre  un  second. 
C'est  au  milieu  d'une  sociéié  aristocratique  que 
Voltaire  est  élevé.  Fils  d'une  famille  bourgeoise, 
il  a  vu,  gi-àce  h  son  esprit  brillant,  s'ouvrir  devant 
lui  les  plus  nobles  salons.  Il  est  accueilli  par  les 
seigneurs,  par  les  princes  môme.  Toute  sa  vie  il 
restera  de  cœur  un  grand  seigneur.  Il  aime  les 
arts,  le  luxe,  l'élégance  de  la  vie  et  des  façons. 
Il  ne  songera  nullement  il  bouleverser  l'aimable 
société  qui  lui  a  si  bien  fait  sa  place.  Il  aimera  l'hu- 
manité et  s'appliquera  à  travailler  pour  elle  ;  mais 
an  fond  il  n'aimera  jamais  le  peuple,  qu'il  méprise 
et  dédaigne  tout  ii  la  fois.  La  multitude  ne  sera 
jamais  que  la  populace,  ignorante,  grossière,  tou- 
jours prèle  U  se  laisser  duper.  Plus  d'une  fois  il 
l'appellera  simplement  <.  la  canaille  ...  Il  n'attend 
aucun  progrès  que  de  la  classe  sociale  instruite, 
éclairée,  capable  de  se  mettre  au-dessus  des  pré- 
jugés, capable  de  penser  pour  le  reste  des  hom- 
mes, et  de  servir  leurs  intérêts,  fût-ce  malgré  eux. 
Il  n'écrira  que  pour  cette  classe.  Le  puissant  ouvrier 
de  la  révolution  ne  sera  jamais  lui-même  un 
démocrate. 

Ajoutons  un  dernier  trait.  Voltaire  ne  grandit 
pas  seulement  parmi  les  libertins,  comme  l'on 
appelait  alors  ceux  qu'on  nomma  plus  tard  les  li- 
bres-penseurs, il  ne  grandit  pas  seulement  parmi 
les  grands  seigneurs  ;  il  grandit  aussi  parmi  les 
nommes  de  plaisir,  parmi  les  viveurs,  parmi  ceux 
qui  tout  il  l'heure  vont  s'app-ler  les  roués.  Ses 
compagnons  préférés,  ses  amis  sont  des  épicuriens 
en  même  temps  que  des  sceptiques.  Le  jeune  Ri- 
chelieu sera  un  modèle  qu'il  aura  sans  cesse  de- 
2'^  Partie. 


vaut  les  yeux.  Il  est  charmé  par  ces  mœurs  faciles, 
par  ces  fréquentations  aimables,  ces  soupers  fins, 
cotte  liberté  d'allures  qui  va  tout  droit  ii  la  li- 
cence. Il  reçoit  lii  une  empreinte  qui,  elle  non 
plus,  ne  s'effacera  jamais.  On  nous  permettra  de 
ne  pas  insister  sur  ce  côté  de  Voltaire  ;  mais  il 
était  nécessaire  de  l'indiquer.  Sa  santé  faible,  son 
ambition,  son  goût  ou  plutôt  sa  passion  pour  l'é- 
tude, sa  hauteur  d'intelligence,  le  sauveront  per- 
sonnellement de  ces  excès  de  la  débauche  aux- 
quels doivent  succomber  tant  d'autres  parmi  ses 
contemporains.  Mais  un  certain  goût  de  liberti- 
nage est  entré  dans  son  esprit  et  ne  ra')andon- 
nera  jamais.  11  gardera  toute  sa  vie  un  faible  pour 
l'équivoque,  pour  l'obscénité,  pour  l'ordure  qui 
dépassera  la  gauloiserie  même  des  plus  hardis 
parmi  nos  pères  du  xvi"  siècle  franc  ils.  Il  don- 
nera la  main  dans  la  Renaissance  italienne  à  l'A- 
rioste,  ii  l'Arétin  lui-même.  11  devra  il  cette  tare 
originelle  une  partie  de  son  action  sur  le  xvui"  siè- 
cle français  si  volontiers  dissolu.  Il  suivra  l'exem- 
ple tour  il  tour  et  le  donnera.  Par  lii  encore  il  est 
bien  le  contemporain  de  la  génération  de  la  Ré- 
gence. Le  XIX*  siècle,  plus  chaste,  aura  toujours 
peine  ii  lui  pardonner,  même  en  reconnaissant 
son  génie,  cette  dépravation  de  l'esprit  qui  a 
sali  quelques-uns  de  ses  plus  admirables  ouvra- 
ges, qui  a  été  jusqu'au  crime,  le  jour  où  il  a  essayé 
volontairement  de  souiller,  pour  se  divertir  et 
pour  divertir,  la  plus  pure  de  toutes  les  gloires 
françaises,  Jeanne  d'Arc  la  bonne  Lorraine. 

Louis  XIV  est  mort.  Philippe  d'Orléans  est  régent. 
Le  jeune  audacieux,  le  jeune  révolté  entre  en 
scène.  Il  se  jette  dans  la  mêlée  avec  1  impétuosité 
de  son  tempérament  et  avec  l'imprudence  de 
son  âge.  Son  début  lui  vaut  les  honneurs  de  la 
Bastille:  il  y  est  enfermé  pour  dix  mois  en  vertu 
d'une  lettre  de  cachet  pour  des  couplets  contre  le 
feu  roi,  qu'il  se  défendra  toujours  d'avoir  écrits,  et 
dont  cependant  l'auteur  ne  se  retrouvera  jamais. 
Apeinesortideprison.  il  faitapplaudirà  la  Comédie- 
Française  son  Œdipe  imité  de  Sophocle,  écrit 
presque  sur  les  bancs  ducoilège.Il  acquiertdu  pre- 
mier coup  cette  notoriété  que  le  théâtre  a  toujours 
donnée  aux  débutants  heureux,  qu'il  donnait  alors 
plus  encore  qu'aujourd'hui.  Mais  ce  qui  a  été 
applaudi  plus  que  le  sujet  dramatique  lui-même, 
ce  sont  les  audaces  du  poète,  ses  sorties,  sous  des 
noms  antiques,  contre  la  superstition,  contre  le 
règne  du  prêtre,  contre  la  théocratie.  Bientôt, 
malgré  sa  précoco  renommée,  le  voili  mis  une 
seconde  fois  à  la  Bastille,  par  une  lâche  vengeance 
du  chevalier  de  Rohan.  Cette  fois  il  n'y  restera 
qu'un  mois,  mais  .Ma  condition  de  se  faire  oublier, 
de  quitter  Paris,  do  s'expatrier.  Il  passe  en  Angle- 
terre (1720). 

A  Londres,  il  publie  sa  Henriade.  dont  le  pre- 
mier nom,  la  Ligue,  disait  bien  mieux  lo  vrai  sujet. 
L'ouvrage  avait  été  écrit  presque  tout  entier  du- 
rant sa  première  captivité  il  la  Bastille.  Nous  ne 
voyons  plus  aujourd'hui  que  les  timidiiés  littérai- 
res du  poème.  Ce  que  tout  le  xviii"  sièclu  y  vit  le 
plus,  ce  furent  les  audaces  religieuses.  L'horreur 
des  guéries  de  religion  qui  arment  les  frères  contre 
les  frères  et  les  flis  contre  les  pères,  l'abomina- 
tion do  s'entre-égorger  au  nom  d'un  dieu  de  paix, 
la  guerre  civi.e  mettant  un  pays  à  deux  doigts  de 
sa  perte,  l'assassinat  et  le  régicide  érigés  en  ver- 
tus, une  Saint-Barthélémy  inondant  la  France  de 
sang,  tel  est  le  vrai  sujet  de  la  Henrindc.  Son  but, 
c'est  de  donner  l'horreur  de  la  superstiiion,  c'est 
d'inspirer  à  tous  ceux  qui  la  liront  la  sainte  pas- 
sion de  la  tolérance  opposée  au  fanatisme.  Aucun 
sujet  n'était  plus  hardi  quarante  ans  après  la  ré- 
vocation de  ledit  de  Nantes,  au  moment  oii  en 
France  môme  les  controverses  religieuses  allaient 
chaque  jour  encore  ii  la  persécution.  Personne  no 
s'y  trompa.  Publiée  presque  en  môme  temps  ii  Loii- 
l'iT 


VOLTAIRE 


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VOLTAIRE 


dres  et  à  Genève,  la  Uenriade  ne  put  l'être  à  Paris. 
Pendant  de  longues  années,  elle  ne  put  pénétrer 
en  France  que  par  une  tolérance  tacite.  En  vain 
le  poète  avait  choisi  pour  héros  Henri,  le  fonda 
teur  de  la  dynastie  des  Bourbons,  en  vain  il  avait 
loué  Richelieu  et  Mazarin,  Louis  XIV,  Villars,  le 
régent  lui-même  Tout  le  monde,  en  dépit  de  ces 
artifices  de  l'auteur,  sentit  où  portaient  vraiment 
les  coups. 

Et  c'est  ici  qu'il  faut  remarquer  ce  caractère  de 
la  poésie  de  Voltaire  qui  sera  le  caraciore  de  son 
œuvre  entière.  Avant  lui,  au  xvii'  siècle,  le  poète 
ou  l'écrivain  n'est  en  France  qu'un  artiste  :  il 
cherche  à  produire  des  ouvrages  accomplis  au 
point  de  vue  iie  la  forme,  au  point  de  vue  de  la 
peinture  de  l'humanité,  mais  sans  se  préoccuper 
d'exercer  aucune  action.  La  seule  ambition  d'un 
Corneille,  d'un  Racine,  d'un  La  Foniaine,  c'est 
d'écrire  de~  chefs-d'œuvre.  Cette  ambition,  Voltaire 
ne  l'a  pas  mous.  Il  convoite  la  gloire,  et  la  gloire 
immortelle.  Il  veut  que  de  siècle  en  siècle  son 
nom  soit  répète  par  les  générations  des  hommes. 
Pour  y  atteindre,  il  tentera  toutes  les  voies  ;  au- 
cun effort  ne  lui  coûtera.  Par  un  travail  incessant, 
il  portera  à  chaque  édition  ses  livres  au  degré  de 
perfection  dont  il  est  capable.  Mais  produire  une 
œuvre  d'an  achevée  ne  lui  suffit  pas.  Il  n'est  point 
un  homme  de  lettres  désintéressé.  11  se  considère 
comme  un  apôire,  comme  un  soldat.  Sa  plume  est 
avant  tout  une  arme  mise  au  service  d'une  cause. 
Quand  il  écrit,  c'est  pour  défendre  certaines  idées, 
c'est  pour  en  attaquer  d'autres.  S'il  souhaite  d'être 
admiré,  il  tient  plus  encore  à  vaincre.  Il  portera 
dans  ses  ouvrages  dramatiques,  dans  ses  livres, 
dans  ses  poèmes,  toutes  les  passions  qui  l'agitent 
et  qui  agitent  ses  contemporains.  Il  sent  que  le 
talent  est  lai  aussi  une  force,  qu  il  se  livre  d'au- 
tres batailles  en  ce  monde  que  celles  qui  se 
décident  l'épce  à  la  main,  que  l'opininn  est  une 
puissance,  la  plus  grande  de  toutes  désormais,  et 
qu'il  peut  gagner  devant  ce  tribu.ial  les  causes 
qui  lui  t  ennenl  à  cœur.  Loin  de  l'efl'rayer,  la  lutte 
l'attire.  11  pourra  un  jour  prendre  cette  devise  : 
«Ma  vie  est  un  combat.  »  ÛErft/je  avait  été  sa  pre- 
mière bataille  contre  ce  qu'il  appelait  «  le  fana- 
tisme».LaZ/evi-zade  étaitune  seconde  bataille  contre 
le  même  ennemi  et  d'une  bien  auire  importance. 

A  Londres,  il  ne  se  bornait  pas  à  corriger  et  à 
imprimer  la  Hfwiade.  C'est  ici  sa  seconde  jeu- 
nesse, sa  seconde  éducation  ;  et  ici  encore  il  faut 
s'arrêter  un  peu.  Il  en  était  à  cette  période  de  la  vie 
où  rien  n'est  plus  fécond  que  d'ouvrir  les  yeux, 
de  voyager,  d  observer,  de  rencontrer  autre  chose 
que  ce  que  l'on  a  vu  d'abord.  Bien  des  préjugés 
d'éducation  s'en  vont  à  cette  comparaison. 

L'Angleterre  était  prospère  sous  le  gouverne- 
ment parlementaire  et  modéré  de  la  maison  de 
Hanovre,  elle  développait  cette  richesse  et  cette 
activité  qui  devaient  bientôt  nous  être  si  redoutables. 
Voltaire  causa  avec  tout  ce  que  Londres  contenait 
d'hommes  éminents.  Il  avait  déji  lu  Bayle  dans 
un  séjour  de  courte  durée  en  Hollande  :  ici  il  lut 
Locke  ;  il  se  forma  une  instruction  scientifique  au 
milieu  des  dsciples  de  Newton.  Il  prit  là  le  culte 
de  la  liberté,  le  respect  et  l'amour  de  la  science, 
le  sentiment  de  ce  que  peut  un  homme  qui  a  pour 
lui  la  volonté,  l'énergie,  le  talent.  Quand  il  revint 
d'Angleierre  après  trois  années  d'études,  d'obser- 
vations, de  réflexions  solitaires,  il  était  tout  entier 
lui-même.  11  ne  lui  restait  p  us  qu'i  faire  son 
œuvre. 

Il  trouvait  Paris  bien  changé  et  peu  propice  à 
son  entreprise.  On  était  bien  loin  de  la  licence  et 
des  audaces  rie  la  régence.  La  réaction  triomphait 
maintenant  avec  l'austère  et  triste  Fleury,  les 
freins  étaient  serrés.  Un  téraéraii-e  s'exposait  cette 
fois  à  un  autre  châtiment  qu'à  quelques 
mois  de  Bastille.  Voltaire  le  vit  à  l'émoi  causé  par 


la  pièce  de  vers  qu'il  s'avisa  de  publier  sur  1? 
mort  d'Adrienne  Lecouvreur,  dont  la  bière  ve- 
nait d'être  jetée  au  coin  d'une  borne;  il  le  vit 
mieux  encore  à  l'orage  soulevé  par  le  livre  qu'il 
rapportait  de  Londres,  ses  Lettres  anglaises,  qu'il 
avait  pris  cependant  la  précaution  de  faire  impri- 
mer à  Rome  par  les  soins  de  Thieriot  son  ami.  Il 
eut  tout  juste  le  temps  de  fuir  devant  une  nou- 
velle prise  de  corps.  Il  avait  connu  les  prisons 
d'État  en  sa  jeunesse  ;  il  ne  se  souciait  pas  d'être 
une  fois  de  plus  enseveli  vivant.  Il  eût  pu  renon- 
cer à  écrire,  se  contenter  de  mener  à  Paris,  comme 
tant  d'autres,  une  vie  de  plaisirs  et  de  divertisse- 
ments, au  milieu  d'amis  spirituels  et  de  femmes 
élégantes:  d  heureuses  spéculations  l'avaient  fait 
riche;  le  succès  de  r//is<')î/'e  de  Charles  XIH[1SI), 
celui  plus  grand  encore  de  ^nt)-e(  1132)  l'avaient  fait 
illustre;  mais  unevie  d'oisivetén'était  pas  pour  lui 
plaire.  Il  se  sentait  la  main  pleine  de  vérités  aux- 
quelles il  voulait  donner  la  volée.  La  mêlée  avec 
ses  émotions,  ses  aventures,  ses  périls  même,  l'at- 
tirait seule;  la  passion  de  la  gloire  s'ajoutait  à 
cette  ardeur.  Il  songea  seulement  à  diminuer  les 
périls  dans  la  mesure  où  la  chose  était  possible; 
Paris  n'était  pas  décidément  un  lieu  sûr  pour  un 
homme  prêt  à  jouer  le  jeu  auquel  il  était  résolu. 
On  y  était  trop  près  des  griff'es  de  la  police.  C'est 
alors  que  Voltaire  prend  un  grand  parti.  Il  va  se 
retirer  à  Cirey,  au  château  de  la  marquise  du 
Châtelet,  son  amie,  à  l'extrême  lisière  du  royaume 
de  France  (17-3 'i).  Pourvu,  comme  il  l'est,  de  bons 
amis  en  haut  lieu,  il  faudra  bien  du  malheur  pour 
qu'il  n'ait  pas  toujours  le  temps  de  mettre  la  fron- 
tière entre  une  lettre  de  cachet  et  sa  personne. 
Désormais  il  est  libre  et  en  sûreté. 

Outre  la  liberté  et  la  sécurité,  il  trouve  là'  une 
sûre  affection  :  il  y  trouve  surtout  le  repos  et  la 
paix,  si  utiles  à  l'écrivain  qui  veut  produire.  Ses 
journées,  que  n'envahissent  plus  les  importuns, 
que  ne  dévorent  plus  les  distractions,  lui  appar- 
tiennent. 11  écrii.  à  Paris,  chaque  jour,  et  en  reçoit 
des  nouvelles,  il  se  tient  au  courant  des  intrigues 
politiques  aussi  bien  que  des  incidents  littéraires; 
il  est  en  correspondance  avec  les  hommes  les 
plus  éminents  de  tous  les  pays;  il  reçoit  les  visi- 
tes de  ses  amis  et  des  voyageurs  illustres  qui 
tiennent  à  se  faire  présenter  à  Cirey  :  il  travaille 
surtout. 

Le  théâtre  est  pour  l'instant  sa  grande  préoccu- 
pation. Un  goût  vif  qui  a  commencé  dès  l'adoles- 
cence, qui  durera  autant  que  sa  longue  vie,  l'en- 
traine  de  ce  côté  ;  les  succès  qu'il  y  remporte  ne 
font  qu'affermir  cette  vocation.  En  Angleierre,  il  a 
lu  Shakespeare  ;  s'il  n'en  a  pas  compris  toute  la 
puissance  et  accepté  toutes  les  hardiesses,  s'il 
estime  qu'il  y  a  seulement  quelques  perles  à 
tirer  du  fumier  de  cet  autre  Ennius,  il  a  senti  du 
moins  que  ce  barbare  est  un  génie;  à  côté  de  la 
tragédie  de  Corneille  et  de  Racine  il  entrevoit  une 
tra.'édie  nouvelle  qui  prendra  plus  librement  ses 
sujets  dans  tous  les  temps  et  dans  tous  les  heux, 
où  l'action  tiendra  plus  de  place,  où  les  décors, 
les  costumes,  les  coups  de  théâtre  saisissants,  tour 
à  tour  exciteront  la  curiosité  du  spectateur,  ou 
soulèveront  en  lui  des  émotions  profondes.  Tan- 
tôt il  imite  Shakespeare,  tantôt  il  le  traduit  en  1  e- 
mondant,  tantôt  il  s'eff'orce  d'être  lui-même  origi- 
nal. Le  théâtre,  avec  les  applaudissements,  donne 
la  gloire,  et  fait  voler  un  nom  de  bouche  en  bou- 
che :  comment  mieux  acquérir  que  par  le  théâ- 
tre ce  rang  glorieux,  cette  popularité  à  laquelle  il 
aspire  et  qui  serviront  ensuite  à  tout  ce  qui" 
entreprendra?  Enfin  le  théâtre  n'est-il  pas  uni 
tribune  la  plus  haute,  la  plus  retentissante 
seule  qui  soit  libre  en  ce  moment  de  compression 
politique-?  Quel  chemin  ne  fait  pas  dans  les 
espriis  une  pensée  hardie,  lancée  au  parterre  par 
la  voix  d'un  auteur  admiré?  Ce  qu'on  ne  permet- 


1 


VOLTAIRE 


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VOLTAIIIE 


trait  pas  h  un  écrivain  do  dire  en  son  propre  nom, 
dans  un  livre  dont  il  est  responsable,  commont 
l'empÈclier  de  l'exprimer  sur  la  scène  par  la  bouclie 
de  quelque  personnage  antique  ou  moderne  der- 
rière li'qnel  il  peut  toujours  s'abriter?  Si  le  per- 
sonnape  couvre  l'auleur  vis-i-vis  des  censeurs, 
le  public  ne  se  trompera  pas  à  l'artifice  ;  c'est  l'au- 
tour qu'il  reconnaîtra,  ce  sont  ses  idées  qu'il 
acclamera  et  qu'il  répétera  le  lendemain.  Ainsi  se 
succèdent  Alziie  (1730),  Ma/iomet  (1741),  que  le 
poèto  osera  dédier  au  pape  lui-même.  Mérope 
(17-43),  et  tandis  que  la  foule  acclame  l'Euripide 
moderne,  le  troisième  grand  tragique  français, 
l'émule  de  Corneille  et  de  Racine,  c'est  la  philo- 
sophie môme  du  xviii"  siècle  qui  monte  sur  la  scène, 
et  en  de  longues  tirades  que  le  tem|is  a  refroidies, 
mais  qui  alors  vibraient  ^  toutes  les  oreilles,  ha- 
rangue le  peuple  comme  le  jioète  athénien  dans  les 
parabases  de  la  comédie  ancienne. 

Ce  n'est  pourtant  là  qu'une  partie  de  son  labeur. 
Sa  prodigieuse  activité  a  besoin  de  se  dépenser  de 
vingt  façons  à  la  fois  et  s'exerce  en  tons  gejires.  lia 
installé  i  Cirey  un  laboratoire,  il  se  livre  à  des 
études  mathématiques  :  il  envoie  à  l'Académie  des 
sciences  des  mémoires  sur  des  questions  de  physi- 
que. Il  expose  et  vulgarise  le  système  du  monde 
deNewton.  Il  écrit  des  contes  en  vers,  des  épîircs, 
des  poésies  fugitives,  desépigrammes,des  satires  ; 
il  lance  des  pamphlets  mordants  contre  ses  adver- 
saires littéraires  ou  autres.  (;e  ne  sont  là  que 
des  distractions.  L'ne  autre  étude  l'a  saisi  qui  ne 
le  passionne  pas  moins  que  le  théâtre:  l'histoire. 
Dès  sa  jeunesse  l'histoire  l'a  attiré,  le  jour  où  il  a 
écrit  la.  Hejiriai/e  qui  est  moins  une  épopée  qu'un 
récit.  Il  entrevoit  une  histoire,  non  plus  oratoire 
ou  naïve  comme  celles  de  Mézeray,  de  Vertot  ou 
de  Rollin,  mais  une  histoire  préoccupée  surtout 
d'être  vraie,  de  l'aire  comprendre  les  événements, 
d'expliquer  leurs  origines  et  leurs  suites  nécessai- 
res, qui  montrera  partout,  non  plus  le  doigt  de  la 
Providence  comme  VHisloire  uniierselle  de  Bos- 
suet,  mids  seulement  des  hommes  aux  prises  avec 
leurs  passions  et  leurs  ambitions  diverses,  et 
des  causes  naturelles  donnant  la  raison  de  tout. 
Il  no  s'agit  plus  ici  simplement,  comme  dans 
ses  œuvres  dramatiques,  d'un  genre  littéraire, 
la  tragédie,  à  transformer  et  à  r;ijennir.  C'est 
un  genre  littéraire  à  créer.  Il  crée  1  histoire  mo- 
derne, et  servira  de  modèle  à  tous  ceux  qui  le 
suivront.  Dans  ce  sentiment  il  a  déjà  publié  son 
alerte  récit  de  la  vie  de  Charles  XII,  dont  il  a  en- 
tendu parler  à  Londres  par  tant  d'hommes  de 
guerre  et  de  diplomates.  Il  conçoit  maintenant  le 
projet  d'écrire  l'histoire  du  grand  roi  dont  il  a  vu 
les  derniers  jours,  et  avec  son  histoire  celle  du 
siècle  glorieux  auquel  Louis  XIV  a  donné  son  nom. 
H  interroge  tous  les  témoins  survivants,  il  con- 
sulte tous  les  mémoires.  Il  va  donner,  en  quelques 
contâmes  de  pages,  la  substance  de  celte  vaste 
enquête  où  rien  n'est  oublié,  des  événements  de 
la  guerre  et  de  la  politique  au  tableau  des  mœurs, 
de  la  cour  aux  questions  de  commerce,  aux  con 
troverses  religieuses.  Et  ce  n'est  pas  tout  encore  : 
uri  plu.s  vaste  dt-ssein  l'a  tenté.  Il  se  propose  d'é- 
crire l'histoire  universelle  depuis  Charleraagrie 
jusqu'aux  temps  présents,  de  montrer  ce  mouve- 
ment uriiversel,  ce  progrès  -de  l'humanité  qui  à  la 
barbarie  du  moyen  âge  a  fait  succéder  la  Renais- 
sance, a  produit  enfin  cette  civilisation  moderne 
qui  n'est  pas  un  déclin,  qui  est  une  aurore  se  le- 
vant sur  le  monde.  Le  héros  de  ce  livre,  ce  sera 
non  pas  la  l'rovidcnce,  mais  la  raison,  mais  l'hu- 
manité. La  même  cause  que  le  poète  défend  au 
;hêatre,  l'Instorien  la  défendra;  le  môme  ennemi 
lue  le  poète  combat,  l'historien  le  combattra  lui 
ussi.  L'œuvre  calme  de  la  raison  soutiendra  et 
îomplétera  l'œuvre  de  l'imagination. 
Tel  fut  pendant  près  de  dix  années  le  repos  fécond 


do  Voltaire.  Une  amitié  aussi  prudente  que  vigilante 
s'applii|uait  sans  relâche  à  tempérer  ses  audaces, 
à  lui  épargner  les  péi-ils.  Mais,  quels  que  fussent 
les  efforts  de  la  prudence,  rien  ne  pouvait  sortir 
de  sa  plume  où  le  salpêtre  ne  grondât.  Chaque 
livre,  chaque  brochure,  môme  publiée  à  l'étran- 
ger, même  anonyme,  était  l'objet  d'une  alarme. 
Un  jour  l'alarme  lut  plus  vive.  Voltaire  franchit  la 
frontière  et  se  retira  en  Belgique,  puis  en  Hol- 
lande. 11  ne  devait  plus  de  longtemps  retrouver  la 
paix.  Il  est  permis  de  penser  ([ue  son  humeur 
aventureuse  ne  le  regrettait  pas.  Pres(|ue  en  ce 
même  moment  la  mort  de  Frédéric-Guillaume  l" 
appelait  au  trône  de  Prusse  Frédéric  II,  que  Vol- 
taire avait  connu  prince  héritier,  dont  il  avait 
accepté  de  retoucher  et  de  publier  VAnti-Machia- 
vi:l.  Le  jeune  roi  appelle  Voltaire  à  sa  cour,  et 
Voltaire  fait  un  premier  voyage  à  Berlin.  Ce  n'é- 
tait pas  sa  vanité  seulement  qui  était  flattée  de 
l'amitié  d'un  roi,  d'un  roi  philosophe, d'un  roi  pres- 
que son  disciple.  Une  protection  royale  en  ce 
temps  de  société  aristocratique,  c'était  pour  un 
homme  de  lettres  comme  une  consécration  officielle 
du  talent.  Il  avait  beau  faire,  en  effet,  êire  l'auteur 
le  plus  lu,  le  poète  le  plus  acclamé  :  cette  consécra- 
tion en  France  lui  avait  toujours  manqué.  Il  l'avait 
souhaitée  de  longues  années  sans  la  pouvoir  obte- 
nir. Il  avait  mal  débute,  par  la  Bastille;  il  avait 
débuté  en  frondeur,  en  pamphlétaire,  en  aventurier 
de  lettres;  Fleury  ne  l'aimait  point,  le  jeune  roi 
moins  encore;  avec  toute  sa  renommée  il  lui  man- 
quait l'autorité,  la  surface,  la  considération.  Il  res- 
tait pour  beaucoup  ce  qu'il  était  pour  Saint-Simon, 
CI  un  certain  Arouet  devenu  on  ne  sait  commont 
une  manière  de  personnage.  •>  Les  sourires  de  la 
cour  de  Versailles  lui  vinrent  quand  on  le  vit  ca- 
ressé par  Frédéric.  Voltaire  put  rentrer  à  Paris  qu'il 
n'avait  pas  vu  depuis  dix  années.  On  lui  confie  une 
mission  diplomatique  auprès  du  roi  de  Prusse,  que 
les  intérêts  de  la  guerre  de  la  succession  d'Autri- 
che rapprochent  de  la  France  (1743).  Il  réussit,  et 
reçoit  en  récompense  le  titre  d'historiographe  du 
roi.  Puis  il  devient  pour  un  moment  le  poèie  offi- 
ciel, le  Benserade  des  fêtes  de  M""  de  Pompadour 
h  laquelle  il  a  plu;  il  est  chargé  d'ccriri!  une  pièce 
de  circonstance  pour  le  mariage  du  Dauphin 
(1745).  Les  biens  et  les  honneurs  pleuvent  sur 
lui,  selon  son  expression,  pour  une  farce  de  la 
foire  :  il  est  fait  gentilhomme  de  la  chambre,  et  en 
n<0  entre  enfin,  à  l'âge  de  cinquante-deux  ans,  à 
l'Académie  française  dont  l'hostilité  de  Fleury  lui 
avait  jusque-là  fermé  les  portes.  Le  voilà  un  per- 
sonnage presque  officiel;  ce  serait  chose  difficile 
désormais  que  de  touchera  sa  personne,  de  lancer 
contre  lui  une  lettre  de  cachet  pour  un  simple 
méfait  de  plume. 

Celte  faveur  pourtant  n'est  pas  de  longue  durée  : 
ni  Voltaire  ne  plaît  longtemps  à  la  cour,  ni  la  cour, 
avec  ses  contraintes,  ne  lui  plaît  longtemps.  Le 
roi  n'a  pas  pardonné  au  poète  d'avoir  oublié  l'éti- 
quette après  la  représentation  du  Triamphcde  Tra- 
jan  et  de  s'être  permis  de  murmurer  :  «  Trajan  est- 
il  content  1  »  Louis  XV  d'ailleurs  n'aime  pas  les  rail- 
leurs et  les  sarcastiques.  Voltaire  de  son  côté  ne 
pouvait  demeurer  à  la  cour  sans  mettre  un  frein 
tout  à  la  fois  à  sa  langue  et  à  sa  plume,  et  ce  qui 
plus  que  tout  lui  tient  au  cœur,  c'est  de  parler, 
c'est  d'écrire  librement.  Sur  ces  entrefaites,  la 
marquisedu  Châtelet  meurt  (1749).  Voltaire  se  dé- 
cide alors  à  se  rendre  auprès  de  Frédéric  qui  l'ap- 
pelle :  il  quitte  délinitivement  Cirey  pour  Berlin. 
Le  voilà  chambellan  et  secrétaire  du  roi  de  Prusse, 
tout  chamarré  de  croix.  Tnut  est  plaisir  d'abord.  11 
travaille,  il  publie,  .sans  avoir  à  redouter  ni  censu- 
ri-s  ni  arrêts  du  parlement,  et  son  Siècle  de  Louit 
XIV,  et  cette  histoire  universelle  qui  l'occupe  de- 
puis si  longtemps  déjà  et  qu'il  intitule  :  Essai  sur 
les  mœurs  des  nati'ms.  Mais  la  familiarité  avec  un 


VOLTAIRE 


—  2UÙ 


VOLTAIRE 


monarque,  mémo  lorsqu'il  se  dit  philosophe,  n'est 
jamais  longtemps  sans  tourner  à  la  servitude.  Ce 
n'est  qu'à  distnnce  (|UQ  la  royauté  et  le  génie  peu- 
vent traiter  d'égal  à  égal.  L'ne  première  rupture 
arrive,  que  suit  une  réconciliation.  Une  seconde 
brouille  irrémédiable  suit  bientôt.  Voltaire  rompt 
le  collier  d'or  qui  l'enchaîne,  il  s'enfuit.  La  force 
armée  court  après  lui  pour  lui  reprendre  les  ma- 
nuscrits du  roi  qu'il  emporte  et  avec  lesquels  il 
comptait  peut-être  divertir  les  rieurs.  Il  est  bien 
guéri  cette  fois  d'approcherles  puissants.  Il  n'aura 
plus  désormais  d'autre  maître  que  lui-même.  Il 
erre  quelques  années  en  Alsace^  en  Suisse:  il  se 
fixe  enfin,  aux  Délices  d'abord  près  de  Genève,  à 
Fernry  bientôt;  là  vont  s'écouler  les  dernières 
années  de  sa  vie,  les  plus  remplies  de  toutes  par  le 
travail,  les  plus  fécondes  pour  l'action. 

Ici  comme  à  Cirey  Voltaire  se  sent  en  sécurité. 
11  a  soixante  ans  sonnés,  et  sa  gloire  le  protège. 
S'il  en  était  besoin,  les  frontières  le  protégeraient 
aussi.  La  Suisse  est  h  deux  pas,  et  aussi  la  Sa- 
voie, et  l'Italie  aussi. 

A  soixante  ans  la  vie  ordinaire  d'un  homme  est 
finie.  Il  a  fait  l'œuvre  qu'il  était  capable  de  faire, 
ou  ne  la  fera  jamais  ;  sou  énergie  est  épuisée,  il  ne 
fait  plus  que  se  survivre  et  attendre  la  mort.  Mais 
si,  par  hasard,  h  soixante  ans  il  a  garde  toute  l'é- 
nergie d'un  jeune  homme,  si  la  vie  continue  à  dé- 
border en  lui,  nul  âge  n'est  aussi  propre  à  l'ac- 
tion féconde.  Il  en  a  fini  avec  les  plai-irs  et  les 
passions.  Il  a  acquis  l'expérience  de  toute  une  vie  ; 
il  est  en  possession  de  toutes  ses  idées.  11  sait  plei- 
nement ce  qu'il  veut.  Il  sait  aussi  où  il  faut  porter 
les  coups,  et  comment  on  peut  les  porter  les  pins 
sûrs  et  les  plus  redoutables,  (ju'est-ce  donc  lorsque 
cet  homme  est  le  plus  éclatant  génie  de  son  siècle, 
lorsque  quarante  années  de  triomphes  et  de  gloire 
ont  tourné  vers  lui  tous  les  regards,  lorsque  avec 
le  double  prestige  de  la  renommée  et  de  l'âge  il 
apparaît  comme  le  chef  autour  duquel  tous  n'ont 
plus  qu'à  se  ranger,  lorsqu'entre  le  général  et  ses 
lieutenants  aucune  question  d'amour-propre,  au- 
cune jalousie  ne  peuvent  plus  surgir  ?  Tel  fut  Vol- 
taire durant  ses  vingt  dernières  années.  N'ayant 
plus  rien  à  ménager,  parce  qu  il  n'ambitionne  plus 
rien  pour  lui-même,  n'ayant  rien  à  reiiouter  du 
gouvernement,  mieux  qu'indépendant,  plus  que 
riche  pour  l'époque,  il  ne  vivra  plus  que  pour  son 
oeuvre.  Que  l'on  soit  des  amis  ou  des  ennemis  de 
cette  œuvre,  personne  ne  méconnaîtra  du  moins 
que  c'est  là  un  grand  spectacle,  un  de  ceux  qu'of- 
fre rarement  l'histoire,  celui  d'un  homme  comblé 
de  tous  les  dons  de  la  fortune,  arrivé  à  l'âge  du  re- 
pos, qui  pourtant  ne  veut  point  de  repos  et  pour 
ainsi  parler  recommence  alors  une  vie  nou- 
velle. 

Des  temps  nouveaux  étaient  venus;  une  géné- 
ration nouvelle  avait  remplacé  la  génération,  jeune 
en  ni5,  qui  avait  eu  pour  chefs  Voltaire  et  Jlon- 
tesquieu.  Buflfon,  d'Alembert,  Diderot,  Rousseau, 
Condillac,  Helvétius,  d'Holbach,  Condorcet  étaient 
apparus.  La  génération  nouvelle  était  née  à  la 
vie  dans  une  heure  heureuse.  La  victoire  de  Fon- 
tenoy  avait  rendu  à  la  France  la  coiifiance  en  elle- 
même.  Les  idées  de  Voltaire  et  de  Montesquieu, 
en  dépit  de  toutes  les  contraintes  et  de  toutes  les 
atténuations  imposées  par  la  censure,  faisaient  leur 
chemin  dans  les  esprits.  Un  incomparable  élan 
poussait  les  intelligences  vers  toutes  les  recherches 
libres  de  l'histoire,  de  la  science,  de  la  philosophie. 
On  sentait  approcher  une  ère  nouvelle,  en  qui 
tous  espéraient.  Chaque  jour  ébranlait  un  préjugé, 
s;ipait  un  abus  de  la  vieille  société  française.  Le 
mouvement  du  siècle,  un  instant  entravé  par  la 
réaction  du  ministère  Fleury,  reprenait  appuyé 
dune  poussée  irrésistible.  Les  femmes  ne  se 
montraic'nt  pas  dans  cet  entraînement  généreux 
moins  ardentes  que  les  hommes.  M°"  de  Pompa- 


dour,  pour  mieux  résister  au  parti  dévot  de  la  reine 
et  du  dauphin,  affichait  ses  sympathies  pour  les 
philosophes.  Le  roi  indolent  laissait  faire  malgré 
d'instinctives  répugnances.  Le  premier  effet  de 
ce  mouvement,  ce  fut  l'entreprise  de  VEncijcIopé- 
tlie.  Elle  reliait  dans  une  œuvre  commune  tout  le 
parti  des  esprits  forts  ;  elle  devait  être  un  puis- 
sant instrument  de  propagande  aux  mains  des 
philosophes,  elle  devait  être  comme  le  manifeste 
de  la  philosophie.  Voltaire  avait  certainement  ap- 
prouvé l'entreprise.  Il  lui  apporta  son  concours 
actif.  On  connaît  ces  articles  si  vifs,  si  légers 
d'allure,  si  hardis  au  fond,  qui  réunis  ont  formé 
plus  tard  le  Dictionnaire  pliUosophique . 

Appuyé  sur  toute  une  génération  nouvelle  ani- 
mée de  son  esprit,  comme  lui  batailleuse,  résolue, 
prête  à  tous  les  combats  et  qui  se  sent  sûre  de 
vaincre.  Voltaire  accepte  ce  rôle  de  général  en 
chef,  de  conducteur  de  toutes  les  attaques.^  II 
renonce  à  tous  les  ménagements  auxquels  il  s'é- 
tait astreint  jusqu'ici,  il  pousse  droit  à  celui  qu'il 
appelle  l'ennemi,  l'infâme,  la  superstition.  Pas 
une  heure  il  ne  s'abandonne.  Tandis  qu'il  entre- 
tient la  plus  vaste  correspondance  avec  Paris  et 
l'étranger,  tandis  qu'à  deux  cents  lieues  il  se  tient 
mieux  au  courant  des  moindres  événements,  des 
moindres  cancans  de  la  grande  ville  que  le  plus 
informé  des  Parisiens,  tandis  qu'il  emploie  son 
crédit,  ses  relations,  son  autorité,  sa  diplomatie, 
sa  fortune  même,  à  soutenir  ses  amis,  à  les  récon- 
forter dans  les  défaillances  d'une  lutte  longue  et 
non  sans  périls,  à  les  secourir  dans  les  épreuves, 
c'est  sa  plume  surtout  qu'il  met  chaque  jour  avec 
une  infatigable  ardeur  au  service  de  la  cause  com- 
mune. Absent,  il  est  présent  à  toute  heure,  le 
premier  à  la  brèche  partout  où  il  faut  donner  l'as- 
saut. Au  théâtre  il  continue  à  se  faire  applaudir, 
à  prêcher  la  philosophie.  Il  divertit  Paris  de  ses 
épitres,  de  ses  épigrammes,  autant  que  de  ses 
lettres  qu'on  colporte  do  salon  en  salon,  ."ilais  ce 
n'est  là  que  l'accessoire  ;  sou  génie  littéraire 
s'est  transformé  :  ce  qui  attire  maintenant  son 
imagination,  ce  n'est  plus  la  tragédie,  c'est  le  ro- 
man, c'est  le  conte  philosophique,  dont  il  avait 
déjà  essayé  avec  ZwHij  et  Mici-uinéi^as,  et  qui  sous 
la  l'orme  la  plus  légère,  la  plus  aimable,  la  plus  li- 
cencieuse quelquefois,  va  répandre  et  semer  par- 
tout la  pensée  la  plus  hardie.  Et  Candid'-,  et 
VHomine  aux  ijuamnte  écus,  et  Vlnymu,  et  la 
Princesse  de  [SaOïjlone,  et  tant  d'autres  récits  ailés 
s'envolent  de  sa  solitude,  et  vont  partout  l'aire  ce 
qui  est  pour  lui  la  bonne  guerre.  Il  la  fait  plus 
directement  encore.  Chaque  jour,  c'est  une  fan- 
taisie, un  dialogue,  une  légende,  un  pamphlet,  une 
facétie  qui,  pareils  à  des  flèches  mortelles,  vont 
atteindre  un  ennemi  ou  un  autre,  rendre  un  coup 
terrible  pour  une  persécution,  livrer  un  adversaire 
au  ridicule  ou  le  uoter  d'infamie.  Tout  cela  est 
court,  léger,  souriant,  et  n'en  est  que  plus  redou- 
table. Ces  pamphlets.  Voltaire  les  publiera  sous  le 
voile  de  l'anonyme  ;  il  les  désavouera  au  besoin, 
mais  à  ces  désaveux  personne  ne  se  trompera. 
Son  style  ne  le  trahit-il  pas  dès  les  premières  li- 
gnes'? Malheur  à  qui,  gazetier,  écrivain,  savant, 
homme  politi(iue,  touchera  à  la  cause  (lui  lui  est 
chère  Illustre  ou  obicur,  il  paiera  cher  sa  témé- 
rité. Voltaire,  qui  dort  deux  heures  chaque  nuit, 
a  du  temps  pour  s'occuper  de  tous,  et  de  1  es- 
prit pour  faire  face  à  tous. 

Une  chose  lui  manquait  encore  :  cette  chose  si 
grande  qu'on  appelle  en  France  la  considération. 
On  admirait  le  poète,  Ihistorien,  le  conteur,  ou 
redoutait  le  polémiste  aux  traits  impitoyables. 
Tout  en  proclamant  le  génie,  beaucoup  relusaïuut 
à  l'homme  leurs  sympathies.  Tout  en  se  divertis- 
sant aux  saillies  d'un  pamplilétaire,  notre  pays  a 
quelque  difficulté  à  l'estimer.  Ce  qui  lui  man- 
quait, Voltaire  va  l'acquérir.  Un  jour  arrive  à  Ue- 


VOLTAIIIE 


—  2311  — 


VOLTAlUli 


nève  la  famille  d'un  protestant  de  Toulouse, 
accuse  d'avoir  pendu  son  fils  qui  voulait  so  con- 
vertir au  catholicisme.  Il  a  été  condamné  par  le 
Parlement  à  être  roué,  l'arrêt  a  été  exécuté  mal- 
gré les  protestations  d'innocence  du  condamné. 
11  faut  obtenir  à  Paris  la  réhabilitation  de  la  mémoire 
de  Calas,  la  restitution  à  la  famille  des  biens  con- 
lisr|ués.  Voltaire  prend  feu.  Il  s'agit  là  tout  à  la 
fois  d'une  injustice  h  réparer,  d'une  victoire  à 
remporter  sur  le  fanatisme.  Il  se  fait  l'avocat  de 
la  famille  Calas  :  il  publie  mémoire  sur  mémoire, 
il  met  en  œuvre  toutes  les  influences  dont  il  dis- 
pose. Par  son  éloquence,  par  la  contagion  de  son 
indignation  sincère,  il  intéresse  l'Europe  entière  à 
la  cause  do  Calas.  Après  trois  années  de  lutte  il 
triomphe  enfin,  il  obtient  justice.  La  mémoire  de 
(;ahis  est  réhabilitée. 

Dès  lors,  Voltaire  n'est  plus  seulement  le  grand 
écrivain  tant  applaudi,  si  justement  admiré  :  il  est 
mieux  que  cela.  Il  est  l'arduntami  de  l'iiumanité, 
le  protecteur  des  malheureux,  le  réparateur  des 
injustices,  le  cœur  noble  et  sensible  entre  tous. 
Après  Calas  Sirven,  après  Sirven  le  chevalier  de 
Labarre  et  d'Etallonde,  après  Labarre  et  d'Etal- 
londe  Lally-ToUendal,  deviennent  ses  illustres 
clients.  La  persécution  religieuse,  la  passion 
politique  ne  font  plus  une  victime  sans  que  tous 
les  regards  so  tournent  aussitôt  vers  Voltaire 
comme  vers  le  défenseur  attitré  des  malheureux, 
le  grand  réparateur  des  torts,  le  chevalier  sans 
peur  toujours  prêt  i  croiser  la  lance  pour  la  bonne 
cause. 

Nul  écrivain  n'obtiendra  jamais,  comme  récom- 
pense d'une  longue  vie  de  travail  et  d'efforts,  dix 
années  comparables  à  ce  que  furent  les  dix  der- 
nières années  de  Voltaire.  Désormais  il  n'est  plus 
discuté  ni  contesté  par  personne.  Il  est  le  pa- 
triarche de  Ferney,  il  est  le  roi  Voltaire.  Pour  la 
première  fois,  dans  l'iiistoire  de  l'humanité,  on 
voit  un  homme  de  lettres  devenir,  par  la  supério- 
rité de  son  génie  et  la  force  de  l'opinion,  un 
véritable  souverain,  plus  puissant,  plus  écouté 
que  le  roi  de  France  lui-même.  Ferney  est  devenu 
un  lieu  do  pèlerinage,  l.h  tous  les  étrangers  il- 
lustres qui  visitent  la  France  désirent  être  ac- 
cueillis :  là  tous  les  jeunes  gens  qui  aspirent  h 
quelque  gloire  littéraire  vont  en  quelque  sorte 
demander  leur  brevet  d'homme  de  lettres.  Une 
statue  par  souscription  est  offerte  au  grand  poète, 
Pigalle  le  sculpteur  est  charge  de  l'exécuter. 
Une  lettre  de  Voltaire  devient  la  plus  puissante 
des  recommandations,  soit  pour  un  emploi,  soit 
pour  l'entrée  dans  les  salons.  Un  ministre  tombé 
se  console  en  recevant  les  félicitations  de  Vol- 
taire; un  ministre  qui  prend  le  pouvoir  se  sent 
fortifié  par  son  apptii.  Il  entretient  une  correspon- 
dance avec  tout  ce  qui  pense  à  Paris  et  en  Europe. 
Les  souverains  do  tous  les  pays,  depuis  le  roi  de 
Prusse  avec  lequel  il  s'est  réconcilié,  depuis  Cathe- 
rine de  Russie,  le  traitent  comme  un  égal,  disons 
mieux,  so  font  ses  courtisans.  C'est  h  qui,  parmi 
les  têtes  couronnées,  obtiendra  de  lui  la  faveur 
d'une  épitre  en  vers.  C'est  lui  (|ui  distribue  les 
distinctions  aux  majestés,  bien  loin  d'en  recevoir 
d'elles.  Nous  voili  aux  antipodes  des  gens  de  lettres 
pensionnés  du  xvii"  siècle.  Cette  haute  situation 
ne  le  satisfait  pas  cependant,  pas  plus  qu'elle  ne 
le  grise.  A  quatre-vingts  ans  passés  son  activité  ne 
s'est  pas  ralentie.  Toujours  maladif  et  cliétif  de 
corps,  il  produit  sans  relâche,  il  écrit  sans  cesse. 
11  envoie  sans  relâche,  à  Paris,  par  toute  l'Europe, 
ses  pamphlets,  ses  petites  brochures  hardies,  inci- 
sives, railleuses,  qui  ne  cessent  de  harceler  le 
même  ennemi. 

Il  avait  quatre-vingt-trois  ans.  Il  voulut  revoir 
la  grande  ville  où  il  était  né,  où  il  n'était  pas  ren- 
tré depuis  trente  années,  pour  laquelle  il  écrivait 
sans    cesse,  où  de   cœur   et  d'esprit  il   habitait 


toujours.  11  se  décida,  i  la  fin  de  1717,  à  faire  ce 
grand  voyage  de  Paris.  Ce  fut  un  long  triomphe  que 
cette  visite.  Franklin  lui  amène  ses  petits-enfants 
à  bénir.  L'Académie  française  accueille  Voltaire 
comme  un  souverain  et  le  nomme  par  acclamation 
président  d'honneur.  La  Comédie-Française  repré- 
sente h  ni':.  A  la  fin  de  la  représentation  une  cou- 
ronne d'or  est  offerte  au  poète:  «  Français,  s'é- 
criait Voltaire,  vous  voulez  donc  me  faire  mourir  de 
plaisir  !  » 

Il  en  devait  mourir  en  effet.  Il  n'était  plus  d'âge 
à  supporter  tant  d'émotions.  Il  meurt  à  Paris  le 
30  mai  1778.  Sa  mort  est  l'occasion  d'un  scandale. 
Le  clergé  lui  refuse  la  sépulture  chrétienne.  Son 
neveu,  l'abbé  Alignot,  fut  contraint  d'emporter  le 
corps  en  province  et  de  le  faire  ensevelir  dans 
son  abbaye  de  Sccllières  (Aube^.  Il  n'y  devait  pas 
demeurer  longtemps.  En  17!)!,  l'Assemblée  natio- 
nale ordonnait  la  translation  des  restes  de  Voltaire 
au  Panthéon.  La  cérémonie  fut  solennelle  et  magni- 
fique. On  sait  comment,  en  I8H,  la  sépulture  de 
Voltaire  fut,  aussi  bien  que  celle  de  Rousseau,  vio- 
lée une  nuit  par  des  fanatiques,  et  les  restes  du 
philosophe  jetés  dans  un  champ  désert.  Un  de  ceux 
mêmes  qui  avaient  accompli  cette  violation  sacri- 
lège d'une  tombe  en  a  raconté  tous  les  détails.  La 
France  n'a  gardé  de  Voltaire  que  son  cœur,  qui 
avait  été  embaumé  à  part,  et  qu'en  18u4  le  petit- 
fils  du  marquis  de  Villetle  a  remis  à  M.  Duruy, 
alors  ministre  de  l'instruction  publique,  pour  être 
conservé  à  la  Bibliothèque.  Qu'importe  au  sur- 
plus'? Un  grand  homme  n'est  pas  dans  ses  osse- 
ments destinés  à  se  réduire  en  poussière  :  il  est 
dans  ses  œuvres  que  personne  ne  peut  détruire, 
il  est  dans  son  génie  que  personne  ne  peut  sup- 
primer, il  est  dans  son  action  que  personne  ne 
peut  ni  effacer  ni  empêcher  de  se  poursuivre.  On 
lit  toujours  Voltaire,  on  admire  toujours  son 
génie:  si  l'en  veut  mesurer  la  puissance  de  son 
action,  un  mot  suffira  :  c'est  qu'après  cent  ans  sa 
mémoire  soulève  encore  presque  autant  d'enthou- 
siasmes et  de  haines  que  lui-même  en  excita  parmi 
ses  contemporains. 

Si  l'on  entreprenait,  en  finissant,  de  juger  Vol- 
taire, bien  des  choses  seraient  h.  dire,  et  la  part 
de  la  critique  serait  considérable  à  coup  sûr.  Le 
goût  littéraire  du  xix=  siècle  n'est  plus  celui  du 
xviii",  et  bien  des  œuvres  de  Voltaire  ont  vieilli 
qu'il  considérait  sans  doute  comme  ses  titres  les 
plus  solides  à  la  gloire.  Nous  admirons  le  prosa- 
teur plus  que  le  poète,  l'historien  et  le  conteur 
plusquele  dramaturge  ou  l'auteur  de  la  Uenriaile. 
Bien  des  querelles  passionnées,  bien  des  polémi- 
ques ardentes  se  sont  refroidies,  et  nous  ne  nous 
intéressons  plus  aujourd'hui  aux  luttes  de  Vol- 
taire et  de  Rousseau,  ni  à  Fréron,  ni  à  Larcher, 
ni  à  Lefranc  de  Pompignan,  ni  à  Nonotte  ou  à 
Patouillet.  Ces  débats  sont  entrés  dans  la  grande 
paix  de  la  tombe.  Il  est  difficile  d'admirer  Voltaire 
tout  entier;  son  excessive  irritabilité  d'humeur, 
ses  excès  tour  à  tour  dans  l'adulation  ou  l'épi- 
gram  me, ses  complaisances  singulières  souvent  aussi 
peu  justifiables  que  ses  violences,  ses  rancunes, 
ses  brouilles  et  ses  réconciliations,  ses  étroitesses 
d'esprit  jointes  à  tant  d'intelligence,  sa  façon 
sommaire  et  mesquine  d'expliquer  par  le  lanatisme 
et  la  superstition  l'origine  ou  la  durée  de  la  reli- 
gion, son  incapacité  à  dépouiller  l'homme  de  son 
siècle  pour  expliquer  et  comprendre  l'histoire  du 
passé,  son  dodaiii  pour  le  peuple,  son  guût  pour  la 
licence  et  l'obscénité,  ces  faiblesses,  quelquefois 
ces  vices  nous  étonnentet  nous  offensent.  Nous  ne 
pouvons  nous  empêcher  d'être  sévères,  et  nous  le 
sommesjustemcnt.  lliinporte  denedissimuler,  mê- 
me lors(|u'il  s'agit  des  plus  grands  hommes,  ni 
les  défaillances  du  caractère  ni  les  lacunes  du 
génie.  Mais  quand  on  aura  confessé  tout  cela,  il 
n'en  faudra  pas   moins    reconnaître  que  Voltaire 


VOLTAIRE 


—  2342  —     VOLUMES  (MESURE  DES) 


lient  It'giunienient  sa  place  parmi  les  plus  grands 
liommes  qu'ait  comptés  Ihumanilé.  Homme,  ses 
qualités  l'emportèrent  sur  shs  défauts.  S'il  fut 
injuste,  rancunier,  violent,  terrible  en  ses  Itaines, 
plus  souvent  encore  il  fut  bon,  sensible,  obli- 
ge.nnt,  généreux,  prêt  à  aider  qui  en  avait  besoin  de 
sabourse,  de  son  crédit,  de  son  talent.  Plus  d'un 
parmi  ses  plus  acliarnés  adversaires  avait  été 
d'abord  son  obligé.  Écrivain,  il  rajeunit  la  scène, 
il  crée  l'histoire  où  il  sera  dépasse,  mais  par  ses 
disciples  ;  il  renouvelle  la  prose  française  ;  il 
lui  donne  cette  forme  alerte,  vive,  courte,  claire 
autant  qu'élégante,  si  propre  à  faire  d'elle  le  plus 
admirable  instrument  de  la  raison,  et  la  dote  de 
chefs-d'œuvre  qui  désormais  serviront  à  tous 
de  modèles.  Il  est  un  genre  littéraire  où  il  de- 
meure sans  égal  ni  dans  son  pays  ni  ailleurs  :  le 
conte  et  le  roman  philosophiques.  Les  lettres  de 
Cicéron  seules  pourront  être  comparées  aux  sien- 
nes. 

Par-dessus  tout,  il  domine,  il  mène,  il  devance 
son  siècle.  Une  légion  de  disciples  le  suit  :  il 
reste  le  chef  du  chœur.  Il  donne  plus  qu'il  n'a 
reçu  de  tons  les  maîtres  anciens  ou  modernes  qui 
l'ont  formé.  Aujourd'hui  encore  que  tout  un  siè- 
cle a  vécu  de  sa  pensée,  il  a  quelque  chose  Rap- 
prendre à  ceux  qui  l'étiidient.  Quelques  lignes  de 
lui  font  un  sillon  lumineux  dans  une  intelligence. 
Il  prend  la  pensée  humaine  au  lendemain  de 
la  mort  du  grand  roi,  il  la  conduit  jusqu'à  cette 
explosion  éclatante  de  1789  dont  nul  autant  que 
lui  n'a  hàlé  l'avènement.  Aucune  vie,  à  travers 
tous  les  accidents  de  la  destinée,  toutes  les  vi- 
cissitudes de  la  ioitune.  ne  fut  plus  complète- 
ment, pins  résolument,  aussi,  consacrée  à  une 
entreprise.  Aucun  homme  n'a  été  plus  entièrement  I 
que  Voltaire  possédé  par  le  démon  intérieur, 
aucun  n'a  davantage  sacrifié  son  repos,  son  plai- 
sir, toutes  les  commodités  et  tous  les  agréments  | 
de  la  vie  à  l'action  qn  il  croyait  mile  :  aucun  ne 
s'est  fait  plus  volontairement  le  serviteur,  l'es- 
clave, presque  le  galérien  de  son  génie.  C'est  là 
son  titre  incomparable  à  l'admiration  des  hom- 
mes. Dès  vingt  ans  il  a  entrevu  une  guerre  à 
poursuivre  au  nom  de  la  conscience,  au  nom  de 
la  raison,  pour  délivrer  Ihumanité  de  préjugés 
et  d'erreurs  i|ui  lui  semblent  aussi  monstrueux  que 
funestes.  Toute  sa  vje  si  ra  dirigée,  sans  répit,  sans 
relâche,  vers  ce  but  unique.  Quoi  qu'il  fasse,  quel- 
que tiraillé  qu'il  soit  par  les  curiosités  d'un  génie 
presque  universel,  par  une  ambition  qui  veut  con- 
quérir toutes  les  palmes,  ce  but  il  ne  le  perdra 
jamais  de  vue.  En  quelque  genre  qu'il  s'exerce,  il 
fera  converger  tous  ses  effnrts  au  triomphe  des 
mêmes  idées.  Il  est  tour  à  tour  fantassin,  cavalier, 
artilleur,  général  ou  soldat,  mais  c'est  toujours 
dans  la  njême  bataille.  Suivant  le  temps  et  les 
circonstances,  il  avancera,  il  reculera  au  besoin, 
masquera  ses  batteries,  rusera  avec  l'ennemi,  le 
trompera  par  de  fausses  manœuvres  ;  rien  m;  le 
décidera  ni  à  changer  de  dessein  ni  à  abandonner 
la  partie.  Il  a  la  volonté,  la  ténacité,  il  a  par-des- 
sus tout  la  passion.  Comme  toutes  les  passions,  la 
sienne  est  volontiers  tans  scrupule,  prête  à  trouver 
bons  tous  les  moyens  s'ils  sonL  utiles,  cherchant 
partout  des  alliés.  C'est  à  la  fin  de  sa  vie  surtout 
qu'il  faut  la  voir  éclater,  lorscju'il  sent  ses  forces 
bientùt  épuisées,  lorsqu'il  voit  lennemi  qui  fléchie 
avec  quelle  ardeur  il  se  jette  dans  la  mêlée  pour 
décider  la  victoire,  pour  piécipiter  la  déroule  ! 
avec  quelle  énergie  il  pousse  en  avant  de  posi- 
tion en  position,  enlevant  les  derniers  retran- 
cheniinis,  bou.'culant  les  fuyards,  emportant  tout 
ce  qui  rô-iste  encore!  On  a  parfois  rtvo(|Uéen  doute 
la  siiicériié  de  Voltaire,  on  n'a  voulu  voir  en  lui 
qu'un  railleur, un  sceptique.  Quelle  sottise  I  Eh  !  quel 
scepticisme  eût  pu  inspirer  cetle  persévérance, celte 
passion,  cet  acharnement  obstiné  1  Quel  scepticis- 


me eût  pu  faire  un  homme  à  ce  point  ennemi  de 
son  propre  repos  !  Si  jamais  il  y  eut  un  homme  de 
foi,  ce  fui  tout  au  contraire  Voltaire.  Ce  qui  lui 
mit,  ce  qui  lui  tint  plus  de  soixante  années  la 
plume  à  la  main,  ce  fut  sa  foi  profonde  dans  la 
raison,  dans  ses  droits,  dans  la  dignité  de  l'intel- 
ligence humaine,  sa  foi  invincible  au  progrès 
s'accomplissant  en  dépit  de  tous  hs  obstacles  par 
l'irrésistible  force  de  la  vérité.  Il  eût  pu  prendre 
pour  devise  ces  mots  :  «  J'ai  cru,  c'est  pourquoi 
j'ai  haï.  » 

Pour  les  uns  cette  œuvre  fut  sainte  ;  pour  d'au- 
tres elle  fut  et  restera  longtemps  diabolique.  Cha- 
cun ici,  suivant  ses  convictions  différentes,  por- 
tera un  jugement  différent,  et  nous  n'avons  à 
discuter  les  opinions  d'aucun  lecteur.  On  peut 
croire  que  dans  cette  longue  guerre  qui  a  été 
toute  sa  vie  Voltaire  s'est  trompé  :  ce  que  nul 
ne  saurait  révoquer  en  doute,  c'est  sa  sincé- 
rité, ce  que  nul  ne  saurait  méconnaîire,  c'est  son 
courage.  On  discutera  longtemps  encore  sur  ce  qui 
est  la  vérité  ;  mais  ce  qu'il  y  a  incontestablement 
de  plus  noble,  de  plus  enviable  sur  la  terre,  c'est 
une  vie  tout  entière  mise  par  un  homme  au  ser- 
vice de  ce  qu'il  croit  être  la  vérité.  Telle  fut  la  vie 
de  Voltaire.  [Ch.  Bigot.l 

VOLL'.MKS  (Mesure  des).  —  Géométrie,  XXVII 
et  XXVIII.  —  Etym.  :  du  latin  volumen.  Les  li- 
vres, autrefois,  étaient  constitués  par  une  feuille 
enroulée  sur  elle-même.  Le  sens  de  grosseur  s'y 
est  peu  à  peu  attaché,  et  c'est  ainsi  qu'un  mot 
désignant  d'abord  un  objet  parfaitement  déter- 
miné, est  devenu  l'un  dos  termes  courants  de  la 
géométrie. 

Le  rolume&'un  corps  est  la  place  plus  ou  moins 
considérable  qu'il  occupe  dans  l'espace.  On  em- 
ploie plus  spécialement  l'expression  de  capacilé, 
lorsqu'il  s'agit  de  l'intérieur  d'un  corps  creux. 
C'est  ainsi  que  l'on  dira,  par  exemple,  le  volume 
d'une  brique  et  la  cpacité  d'un  seau  ;  le  volume 
du  cristal  d'une  carafe  et  la  capacité  de  cette  ca- 
j  rafe. 

La  notion  de  grosseur  et  de  petitesse  des  objets 
I  qui  nous  entourent,  c'est-à-dire  de  leur  volume, 
1  est  l'une  des  premières  que  les  sens  développent 
chez  l'homme.  Il  a  fallu  cependant  de  longs  siècles 
pour  que  l'évaluation  des  volumes  s'effectuât  par 
comparaison  avec  des  unités  nettemeni  établies. 
i  Les  premiers  temps  historiques,  à  la  vérité,  nous 
onl  légné  la  connaissance  d'unités  s'appliquant 
aux  premiers  éléments  de  transaciions,  le  vin, 
les  graines,  l'huile,  etc.  Mais  il  s'agit  là  de 
mesures  effectives  de  capacité,  et  non  des  règles 
et  des  formules  relatives  à  la  mesure  du 
volume  des  corps  géométriques,  règles  et  formu- 
les qui  sont  essentiellement  modernes.  Les  Elé- 
ments de  géométrie  d  Euclide,  traduits  et  recopiés 
tant  de  fois,  considèrent  les  volumes  les  ujis  par 
rapport  aux  autres,  mais  indépendamment  de 
toute  unité  choisie.  On  y  démontre  que  deux 
prismes  sont  entre  eux  comme  les  produits  de 
leurs  bases  par  leurs  hauteurs,  qm-  la  pyramide 
est  le  tiers  du  prisme  de  môme  hauteur  et  de 
même  base  ;  mais  l'on  n'y  trouve  pas  ces  énoncés  : 
la  mesui-e  du  prisme  s'obtient  en  multipliant  la 
base  par  la  hauteur;  la  mesure  de  la  pyramide, 
en  prenant  le  tiers  du  produit  analogue. 

L  enseignement,  tout  en  suivant  le  développe- 
luent  graduel  des  facultés  humaines,  n'est  tenu 
ni  aux  fausses  tentatives,  ni  aux  mécomptes,  ni 
aux  lenteurs  que  l'histoire  de  la  science  nous  ré- 
vèle. Il  parait  donc  plus  conforme  à  la  méthode 
naturelle  d'aborder  simultanément  les  vérités 
géométriques  relatives  aux  surfaces  et  celles  qui 
se  rapporlent  aux  volumes,  et  en  tenant  plutôt 
compte  des  analogies  de  forme  que  de  la  classi- 
fication en  figures  planes  et  figures  dans  l'espace. 
La  mesure  du  parallélipipèdo  peut  ètie  déiuonlrée 


VOLUMES  (MESURE  DES)    —  23'i3  —    VOLUMES  (MESURE  DES) 


iniiTn5(liatement  i  la  suite  de  la  mesure  du  rec- 
tangle, et  rien  n'oblige,  pour  l'exposer,  d'attendre 
que  l'on  ait  épuisé  le  chapitre  de  la  similitude  des 
polygones  et  les  tliéorèmns  concernant  le  cercle. 
Au  point  de  vue  de  la  mesure  de  leurs  volumes, 
les  corps  géométriques  peuvent  se  diviser  en  trois 
catégories  principales  : 

1"  Ceux  qui  sont  compris  entre  deux  bases 
égales  et  parallèles,  avec  des  faces  parallélogram- 
mes (prismes); 

2°  Ceux  qui  sont  compris  entre  une  base  et  un 
sommet,  avec  des  faces  triani;ulaires  (pyramides)  ; 
3°  Ceux  qui  sont  compris  entre  deux  bases 
parallèles  et  inégales,  avec  des  faces  trapèzes. 
(Pas  de  dénomination  scienlitique.  Nous  les  ap- 
pellerons des  volumes  à  tnlns.  Les  pyramides 
tronquées,  les  solides  rappelant  la  forme  des  tas 
de  cailloux  de  nos  routes,  sont  renfermés  dans 
cette  catégorie.  Le  tronc  de  prisme  triangulaire, 
si  on  le  siippuse  couché  su*-  une  face,  lui  appar- 
tient également.) 


PnisMES. 


Rappelons  qu'un  prisme  est  droit,  si  les  arêtes 
sont  perpendiculaires  aux  bases.  Sinon,  il  est  dit 
oblique.  Si  les  bases  sont  des  parallélogrammes, 
le  prisme  prend  le  nom  de  parallélipipède.  Le 
parallclipipède  droit  à  base  rectangulaire  s'ap- 
pelle parallélipipède  rectangle.  Il  n'offre  que  des 
angles  droits,  et  par  conséquent  sera  facile  à  com- 
parer :'i  l'unité  de  volume,  qui  est  le  cube  construit 
sur  l'unité  de  longueur. 

1.  Voulons-nous  compter  le  nombre  d'unités  de 
volume  renfermées  dans  un  paridlolipipède  rec- 
tangle ?  Mesurons  la  longueur,  la  largeur  et  la 
hauteur.  Elles  ont,  supposons,  respectivement  &■», 
4°",  3".  Nous  pouvons  diviser  le  volume,  par  des 
plans  parallèles  aux  bases,  en  cinq  tranches  de  1  mè- 
tre de  liauteur.  Chacune  contient  autant  de  mètres 


par  des  nombres  fractionnaires.  Supposons  la  lon- 
gueur do  il™  1/2,  la  largeur  de  4"°  1/4,  la  hau- 
teur 3'"  1/3.  Ces  nombres  peuvent  s'écrire  11/2, 
l7/i,  et  lli/3,  ou,  réduits  au  même  dénominateur, 
66;i"J,  .')I/12,  40/12  de  mètre.  Le  douzième  du 
mètre  est  donc  contenu  GG  fois  dans  la  longueur, 
51  fois  dans  la  largeur  et  40  fois  dans  la  hauteur. 
Si  l'on  prend  des  cubes  ayant  pour  arête  1/12  de 
mètre,  on  en  pourra  superposer  40  tranches,  à 
raison  de  6G  x5l  par  tranche.  Le  volume  proposé 
contient  donc  (i6x51X40  de  ces  cubes.  Une 
opération  analogue  montre  que  le  mètre  cube  en 
contient  12X12X12.  Donc,  enfin,  le  volume 
proposé  renferme  un  nombre  de  mètres  cubes 
égal  à  : 

R6x51  X40 
liX  12x  12 

La  règle  s'applique  donc  à  tous  les  cas. 

Application.  —  Calculer  le  volume  de  la  ma- 
çonnerie d'un  mur  de  ("',^0  d'épaisseur,  et  de 
2™, 50  de  hauteur,  entourant  une  cour  carrée  dont 
le  côté  intérieur  égale  16"',20. 

Le  mur  représente  un  parallélipipède  ayant 
pour  longueur  totale  4  fois  16"", 20  plus  4  fois 
l'épaisseur  (à  cause  des  angles  de  la  cour).  Or, 

16,20 X  4  -f  0,40X  4  =  16,60  X 4  =  GC"',40. 

Le  volume  de  la  maçonnerie  égalC;  dès  lors  : 

6G,40X  0,40  X  2,50  =  G6°°,400. 

2.  Tous  les  priâmes  droits  de  bases  équivalentes 
et  de  mente  hauteur,  sont  équivalents. 


'/sXi'/4X3i/3=-'!"'Vii 


cubes  que  l'on  en  pourrait  placer  sur  sa  base, 
c'est-à-dire  autant  que  celle-ci  contient  de  fois  le 
mètre  carré  (fig.  i).  Chaque  tranche  contient  donc 
4X3  mètres  cubes,  et  le  total,  cinq  foie  4  X  3  ou 
4X3X5.  C'est  le  produit  des  trois  dimensions. 
On  peut  aussi  dire  :  le  volume  d'u7i  parallélipi- 
pèile  rectangle  égale  le  produit  de  sa  base  par  sa 
nauteur. 

Cette  démonstration  peut  être  facilement  mise 
en  œuvre  sous  une  forme  intuitive  et  matérielle. 

La  règle  ne  change  pas  si  les  dimensions  sont 
exprimées  par  des  nombres  décimaux.  Supposons- 
les  égales  respectivement  à  5  niêires,  h  4"', 2  et  à 
3"° ,67.  Traduisons  ces  nombres  en  ceniimètres  et 
comparons  le  volume  propesê  au  centimètre  cube. 
En  raisonnant  comme  plus  haut,  nous  y  trouve- 
rons 50U  X  4211  X  367  centimètres  cubes.  Mais  le 
centimètre  cube  étant  KiiiiKmode  fois  plus  petit 
que  le  mètre  cube,  le  nombre  précédent  sera  réduit 
en  mètres  cubes  si  on  le  divise  par  1  OUOOOO,  ou,  ce 
qui  revient  au  même,  si  l'on  effectue  le  produit 
5x4,2x3,  U7  en  ayant  égard  h  la  règle  de  la 
multiplication  des  noiribres  décimaux. 

Enfin,  les  dimensions  peuvent  être   exprimées 


Prenons  d'abord  un  exemple  familier  :  voicideux 
paquets  de  règles  pareilles  (fig.  v).  Si  ces  deux 
paquets  en  cnntieiment  le  même  nombre,  peu  im- 
porte leur  différence  d'aspect;  ces  deux  prismes 
de  bases  équivalentes  et  de  même  hauteur  repré- 
sentent un  égal  volume  de  bois. 

Imaginons   maintenant   un    faisceau    d'aiguilles 


.   Fig.  3. 

extrêmement  fines  (fig.  3).  Pour  que  ce  faisceau  s'a- 
juste exactement  dans  un  moule  ou  une  boîte,  que 
faut-il  ':•  \:n  premier  lieu,  que  le  fond  de  la  boite 
soit  exactement  recouvert  par  les  extrémités  de 
la  totalité  des  aiguilles  ;  puis,  que  la  profondeur 


VOLUMES  (MESURE  DES)    —  2344  —     VOLUMES  (MESURE  DES) 


de  la  boite  égale  la  longueur  des  aiguilles.  On 
pourra  donner  au  faisceau,  en  le  froissant,  telle 
physionomie  que  l'on  voudra  ;  il  s'ajustera,  en 
conservant  son  volume,  dans  toute  capacité  offrant 
même  surface  de  base  et  même  hauteur. 

On  peut  concevoir  ainsi  qu'un  prisme  droit 
quelconque  soit  divisé,  suivant  la  direction  des 
arêtes,  en  une  infinité  d'aiguilles  très  délices. 
Celles-ci,  en  glissant  les  unes  contre  les  autres, 
peuvent,  par  une  juxtaposition  convenable,  trans- 
former le  prisme  en  un  parallélipipède  rectangle 
de  base  équivalente,  de  même  hauteur  et  de 
même  volume.  Le  produit  de  la  base  par  la 
hauteur,  qui  fait  connaître  le  volume  de  celui-ci. 
fera  donc  également  connaître  le  volume  de  ce- 
lui-là. 

3.  Deux  prismes,  l'un  oblique,  l'outre  droit. 
de  même  base  et  de  méyne  hauteur,  so7it  éi>'ivu- 
lents. 

Plaçons  sur  la  même  table,  côte  à  côte,  deux 


Fig.  4. 

piles  bien  droites  de  cahiers  de  même  format; 
puis  laissons  la  main  glisser  obliquement  le 
long  du  flanc  de  l'une  d'elles  (fig.  4).  Celle-ci  vient 
à  pencher. 

Elle  a  changé  de  forme,  mais  non  de  grandeur. 
La  base  et  la  hauteur  sont  restées,  d'ailleurs,  les 
mêmes,  et  leur  produit,  qui  donnait  le  volume 
droit,  donne  encore  le  volume  oblique. 


De  même,  si  l'on  divise  un  prisme  droit  quelcon- 
que, par  des  plans  parallèles  à  sa  base,  en  tran- 
ches extrêmement  minces,  et  qu'on  fasse  glisser 
uniformément  ces  tranches  les  unes  sur  les  autres 
(fig.  5),  le  prisme  peut  prendre  toutes  les  inclinai- 
sons en  conservant  et  sa  base,  et  sa  hauteur,  et 
son  volume.  Réciproquement,  un  prisme  oblique 
étant  donné,  on  pourra,  par  sa  division  en  tran- 
ches et  le  glissement  de  celles-ci,  l'amener  à  être 
droit. 

4.  Il  résulte  do  ce  qui  précède  que  le  prisme 
oblique,  comme  le  prisme  droit  équivalent,  a 
pour  mesure  lu  produit  de  sa  base  par  sa  hau- 
teur. 

Applications.  —  I,  Calculer  la  capacité  d'un 
bassin  he.\agonal  régulier  dont  la  base  a  2™,5U  de 
côté,  et  dont  la  profondeur  égale  0",80. 

L'expression  de  la  surface  de  l'hexagone  régu- 
lier (V.  Aires)  est  : 


2 

Le  rayon  de  l'hexagone  est  d'ailleurs  égal  à  son- 
côté.  La  surface  de  base  du  bassin  proposé  égale- 
donc  : 

3X"2^^X  V3. 

2 

et  son  volume  : 

Sxâiï^  X  ^3X0,40=  129'"',900=1399  hectol. 

II.  —  Calculer,  à  raison  de  GO  fr.  le  mètre  cube, 
le  prix  par  mètre  courant  d'un  mur  de  soutène- 
ment ayant  3™, 20  de  hauteur  et  On',911  d'épaisseur 
à  sa  base.  La  face  interne  du  mur  est  verticale, 
et  la  face  externe  a  un  fruit  do  Vio- 

On  appelle  souvent  fruit  d'une  droite  inclinée, 
le  rapport  de  la  projection  horizontale  h  la  proje- 
tante correspondante.  Le  fruit  est  l'inverse  de  la- 
pente.  Si  le  fruit  du  mur  est  de  i/jo,  une  face 
étant  verticale,  l'épaisseur  diminue  de  U",IO  pour 
chaque  mètre  je  hauteur;  cette  épaisseur  se  réduit 
alors,  au  haut  du  mur,  à  Ù°',OU  —  0™,32  =  0™,58. 

Le  volume  cherche  est  donc  celui  d'un  prisme 
couché,  ayant  pour  hauteur  (placée  horizontale- 
ment) I  mètre,  et  pour  base  la  coupe  verticale  du- 
mur,  c'est-à-dire  un  trapèze  où  B  =  0,90;  4^0,58 
et  A  =  3,20. 

Vol.  de  la  maçonnerie  :  '/2(0,90  +  0,5.S)  X  3,20  x  1. 
Prix 0,74X3,20X1  X60  =  142',08. 

5.  On  appelle  section  droite  d'un  prisme 
oblique,  la  section  obtenue  à  l'aide  d'un  plan  per- 
pendiculaire aux  arêtes. 

Tous  les  prismes  ayant  même  section  droite  et 
mêmes  longueurs  d'arêtes,  S07it  éqiiivaltnts. 

Considérons,  en  effet,  le  plus  simple,  le  prisme 


droit;  soit  le  prisme  droit  de  la  figure  6.  Coupons- 
le  par  un  plan  oblique  quelconque  MXPQR. 
Séparons  les  deux  portions  de  volume  déterminées 
par  cette  section  et  plaçons  au-dessus  celle  qui 
se  trouvait  au-dessous,  de  manière  que  les  arête» 
de  l'une  prolongent  les  arêtes  de  l'autre.  (Deui 
perpendiculaires  au  même  plan  AECDE,  eu  un 
même  point  A,  ne  forment  qu'une  seule  et  même 
ligne  droite.  Ainsi  des  autres.) 

Le  prisme  droit  se  trouve  ainsi  transformé  en 
un  prisme  oblique  ayant  même  section  droite, 
mêmes  arêtes  et  même  volume.  La  direction  du 
plan  sécant  MNPQK  étant  d'ailleurs  arbitraire, 
on  peut  obtenir  autant  de  prismes  obli(|ues  qu» 
l'on  voudra,  ayant  tous  même  section  droite  et 
même  longueur  d'arêtes.  Tous  ces  prismes  obli- 
ques sont  équivalents  au  prisme  droit  et  équiva- 
lents entre  eux. 

G.  De  ce  qui  précède,  on  conclut  cette  se* 
conde  expression  du  volume  d'un  prisme  obliquej 


VOLUMES  (MESURE  DES)    —  2343  —     VOLUMES  (MESURE  DES) 


le  volume  d'un  priume  oblii/ue  peut  s'obtenir  en' 
multipliant  la  section  droite  par  l'arête. 

On  a  rarement  l'occasion  d'user  de  ce  pro- 
cédé. En  voici  toutefois  un  exemple  d'application 
indirecte  : 

Un  prisme  droit  (fig.  G)  est  coupé  par  un  plan 
incliné  à  45°  sur  les  arêtes.  La  surface  de  la  base 
égale  0""i,(J6  ;  les  arêtes  égalent  0™,'JU.  On  demande 
la  surface  de  la  section  MNPQH. 

Transformons  le  prisme  droit  en  un  prisme 
oblique  équivalent,  et  concevons  la  hauteur  de 
celui-ci  abaissée  do  l'extrémité  d'une  arôto  ;  elle 
forme,  avec  l'arête  et  sa  projection  sur  le  plan  de 
la  base,  un  triangle  rectangle.  L'arête  étant  inclinée 
à  45°  sur  le  plan  de  base,  ce  triangle  rectangle  est 
isoscèle,  et  l'on  a  : 


h'-  +  h'- 


:2/|2=0,!jO" 


/i  =  0,90:V2- 
Comme  le  prisme  oblique   équivaut  au  prisme 
droit,  le  produit  do  la  base  par   la  hauteur  égale 
le  produit  de  la  section  droite  par  l'arèto,  ou  : 

0°"i,G5  X  0,90  =  MNPQR  X  0,90  :  VÏ 
et  par  conséquent  : 

0,65X0,90  X\/2 


Surr.MNPQR  = 


IS'JO 

=  0""i,ni9i. 


=  0,C5  X  V2 


7.  Volume  dit  cylindre.  —  Tout  ce  qu'on 
vient  do  lire,  relativement  au  prisme,  demeure 
vrai,  quels  que  soient  le  nombre  et  l'étroitesse  des 
faces  du  prisme,  et  par  conséquent  s'applique  au 
cylindre.  Il  a  été  dit  ailleurs  (V.  Polyèdres)  qu'un 
cylindre  peut  être  regardé  comme  un  prisme 
dont  la  base  s'est  arrondie. 

Ainsi,  deux  cylindres  de  même  base  et  de  même 
hauteur  sont  équivalents.  On  le  montrerait  di- 
rectement à  l'aide  d'une  pile  de  minces  disques 
superposés,  —  des  pièces  de  monnaie,  par  exem- 
ple, —  susceptibles  de  prendre,  par  le  glissement 
des  tranches,  les  obliquités  les  plus  diverses. 

Deux  cylindres  ayant  même  section  droite  et 
même  longueur  de  génératrices  sont  équivalents. 

Le  volume  du  cylindre  s'obtient  donc  en  multi- 
pliant la  base  pur  lu  hauteur,  ou  encore,  en 
multipliant  la  section  droite  par  la  génératrice. 
La  première  de  ces  règles  est  prépO)idérante  dans 
la  pratique.  Il  est  fort  rare,  au  surplus,  que  l'on 
ait  à  évaluer  le  volume  d'un  cylindre  oblique. 

En  désignant  par  R  le  rayon  de  la  base,  sup- 
posée circulaire,  et  par  H  la  hauteur  du  cylindre, 
l'expression  du  volume  est  V^uR-H. 

Application.  —  Calculer  les  dimensions  d'un 
double  litre  en  ctain. 

Il  s'agit  d'un  cylindre  dont  la  profondeur  est 
double  du  diamètre,  ou  quadruple  du  rayon.  En 
prenant  le  décimètre  pour  unité,  l'on  a  : 

itR2  X  4R  =  47iR3  =  2""% 
d'où  : 

R3  =  3:47:  =  0,159I54, 
et  :  

R  =  yO,  159154  =  0''»,54  =  0",054. 

D  =  0",108et  H  =  0'°,216  à  un  millimètre  près. 

II.  Pyramides. 

8.  Considérons  deux  pyramides  de  forme  dif- 
férente, mais  possédant  des  bases  équivalentes  et 
des  hauteurs  égales.  Divisons-les  lune  et  l'autre 
en  un  même  nombre  de  tranches  très  minces, 
de  même  épaisseur  (flg.  7).  Deux  tranches  situées 
au  môme  niveau  ont  le  môme  volume,  car  si  les 


Fif.  7. 

sections  qui  les  donnent  passent  au  tiers  de  1» 
hauteur  par  exemple  (à  partir  du  sommet),  les 
côtés  de  chaque  section  valent  le  tiers  des  côtés 
correspondants  do  la  base,  et  la  section  vaut,  en 
surface,  '/s  de  cette  base.  Les  prismes  minces 
dont  l'accumulation  forme  chaque  pyramide  ont 
donc,  deux  ;"i  deux,  même  section,  même  épaisseur 
et  par  conséquent  même  volume. 

Leurs  sommes  respectives,  c'est-à-dire  les  deux 
pyramides,  sont  donc  des  quantités  égales. 

Concluons  de  là  que  des  pyramides  de  bases 
/équivalentes  et  de  même  hauteur  sont  équiva- 
lerites. 

9.  Toute  pyramide  e^-t  l/-  tiers  du  prisme  de 
même  base  et  de  mc'me  huiducr. 

On  l'aperçoit  directement,  si  la  pyramide  est 
triangulaire.  Prenons,  en  effet,  un  prisme  ayant  la 
base  et  la  hauteur  delà  pyramide  proposée  (fig.  8); 
coupons-le,  comme  sur  la  figure,  par  le  plan  pas- 
sant par  l'extrémité  supérieure  de  l'arête  de 
gauche  et  le  côté  opposé  de  la  base;  nous  en  dé- 
tachons ainsi  la  pyramide  de  gauche,  équivalente- 
h  la  proposée. 


/ 


\l  / 


Qu'est-il  resté  du  prisme?  La  pyramide  qua- 
drangulaire  reproduite  à  part  (flg.  9).  Un  second 
plan  de  section  divise  celle-ci  en  doux  pyramides 
triangulaires  équivalentes,  car  chacune  a  pour 
hauteur  la  hauteur  de  la  pyramide  quadrangulaire, 
et  pour  base  la  moitié  de  la  base  quadrangulaire. 
Mais  la  pyramide  d'arrière  peut  être  regardée 
comme  ayant  son  sommet  en  bas  et  sa  base  en 
haut.  Elle  est  aussi  équivalente  à  la  proposée. 
Dès  lors,  les  trois  pyramides  sont  équivalentes, 
et  chacune  est  le  tiers  du  prisme. 

Si  la  pyramide  proposée  a  pour  base  un  poly- 
gone quelconque,  elle  équivaut  à  la  pyramide 
triangulaire  de  base  équivalente  et  de  même  hau- 
teur (n"  8),  et  vaut,  comme  celle-ci,  le  tiers  du 
prisme  de  môme  base  et  de  hauteur  égale. 

Le  volume  d'une  pyramide  s'obtiendra,  par 
conséquent,  en  mullipliaut  sa  base  par  le  tiers 
de  sa  hauteur,  ou,  ce  qui  revient  au  môme,  en 
prenant  le  tiers  du  produit  de  la  base  par  la 
hauteur. 

Applications.  — -  I.  —  La  plus  grande  pyramide 


VOLUMES  (MESURE  DES)     —  2346  —     VOLUMES  (MESURE  DES) 


dTÉgypte  a  HG  mètres  de  liaiii;  elle  a  pour  base 
un  carré  de  237   mèires  de  côté.  On  en  demande 
le  volume  et  le  poids,  le  décim.  cube  de  pierre 
pesant  2', 6. 
Le  volume  de  cette  pyramide  égale  : 


237  X  237  X  14 


=  237X79X146  =  2733558  m.  c. 


Le  poids,  à  raison  de  2600  kil.  par  m.  c,  sera  : 
2733558x2600  =  7107Î508  kilogrammes. 

II.  —  A  quelle  hauteur  s'élèvera  un  tas  de  sable, 
en  forme  de  pyramide  à  base  carrée,  si  les  faces 
sont  inclinées  a  45  degrés?  Le  volume  du  tas  est 
de  2»%304. 

Désignons  par  x  le  côté  du  carré  de  base  de  la 
pyramide.  Les  lignesde  pente  des  quatre  faces  étant 
inclinées  à  45°  sur  le  plan  de  la  base,  la  coupe 
verticale  du  tas  est  un  triangle  reclangle  isoscèle 
dont  l'hypoténuse  égale  le  coté  du  carré  de  base. 
La  hauteur  de  ce  triangle  de  coupe  est  précisé- 
ment celle  de  la  pyramide  et  vaut  '/s  de  x.  Le  tiers 
de  cette  hauteur  vaut  '/g  de  x.  Le  volume  : 

a;2x-=-  =  2,304, 

d'où: 

^»  =2,304x6  =  13,824, 
et  :  

1  =  Via, 824  =  2,40. 

Le  tas  s'élèvera  h  1",20  de  hauteur. 

10.  Volume  dn  cône  —  Tout  ce  qui  a  été  dit 
à  propos  de  la  pyramide  et  qui  ne  dépend  ni  du 
nombre,  ni  de  létroitesse  des  faces,  est  applicable 
au  cône,  lequel  peut  être  regardé,  quelle  que  soit 
sa  forme,  comme  une  pyramide  dont  la  base  s'est 
arrondie. 


Un  cùne  est  donc  le  tiers  du  cylindre  de  même 
base  et  de  même  hauteur,  et  l'on  en  obtiendra  le 
volume  en  multipliant  la  surface  de  hase  par  le 
tiers  de  la  hauteur.  Si  la  base  est  un  cercle,  l'ex- 
pression du  volume  est  : 

Application.  —  Un  quart  de  cercle,  de  0™,12  de 
rayon,  est  enroulé  sur  lui-même,  de  manière  que 
les  deux  rayons  extrêmes  se  rejoignent.  On  de- 
mande la  raparlté  du  cùne  creux  ainsi  formé. 

La  circonférence  de  base  dn  cùne  provient  de 
l'arc  du  secteur  enroulé  et  vaut  par  conséquent, 
en  prenant  le  centimètre  pour  unité  : 

'/;  (12X271)  =  6::; 

le  rayon  de  base  du  cône  égale  donc  : 

R  =  circon f.  :  2ît  =  tjîi  :  27t  =  3^". 

Quant  à  la  hauteur  du  cône,  elle  forme  avec 
l'apothème,  égal  à  12  cent.,  et  le  rayon  de  base, 
égal  à  3  cent.,  un  triangle  rectangle  qui  donne  : 


H2=12"  —  3^  =  1.35  et  H  =  Vl35=  ir",61. 
et  enfin  : 
V='/s'rX32  xll,Cl  =  wX34,83  =  109'"»«,422. 

11.  Volume  d'un  polyèdre  irrégulier.  —  De 
môme  que,  pour  évaluer  la  surface  d'un  polygone 
quelconque,  on  peut  le  décomposer  en  triangles; 
de  même,  on  peut  chercher  le  volume  d'un  po- 
lyèdre quelconque  en  le  décomposant  en  pyra- 
mides. 

Si  l'on  choisit  un  point  à  l'intérieur  du  polyèdre 
et  qu'on  le  joigne  à  ses  différents  sommets  par 
des  lignes  droites,  on  déterminera  autant  de  py- 
ramides que  le  polyèdre  compte  de  faces,  chacune 
de  celles  ci  étant  la  base  d'une  pyramide.  La 
somme  des  volumes  des  pyramides,  successive- 
ment calculés,  donnera  le  volume  du  polyèdre. 

Ce  moyen  est  pluiôt  théorique  que  pratique.  Il 
peut  arriver,  toutefois,  que  certaines  simplifica- 
tions se  présentent.  Par  exemple,  si  toutes  les 
faces  du  polyèdre  snnt  i  égale  distance  d'un  point 
intérieur,  ou,  en  d'autres  termes,  si  le  polyèdre 
est  circonscrit  à  une  sphère.  En  prenant  alors  le 
centre  comme  sommet  commun  des  pyramides, 
celles-ci  possèdent  des  hauteurs  égales;  et, 
comme  le  tiers  de  la  môme  hauteur  multiplie  suc- 
cessivement toutes  les  bases  (faces  du  polyèdre), 
on  peut  dire  que  le  volume  cherché  égale  le  pro- 
duit de  la  surface  totale  du  polyèdre  par  le  tiers 
du  rai,on  de  lu  spitère  inscrite. 

Tel  est  le  cas,  en  particulier,  pour  les  polyèdres 
réguliers. 

12.  Volume  de  la  sphère.  —  La  sphère  elle- 
même  peut  être  regardée  comme  constituée  par 
une  infinité  de  pyramides  extrêmement  déliées, 
ayant  pour  sommet  commun  son  centre  et  se  ter- 
minant à  sa  surface. 

Telles  nous  apparaissent,  par  exemple,  les 
boules  tombées  de  nos  platanes.  Chacune  présente 
une  réunion  d'innombrables  épingles  naturelles; 
les  têtes  forment  la  surface  extérieure  de  la  boule, 
les  pointes  convergent  au  centre. 


En  marquant,  d'une  façon  analogue,  sur  la  sur- 
face d  une  sphère,  des  points  très  r.ipprochés  les 
uns  des  autres  et  en  les  joignant  au  centre  par 
des  rayons,  on  remarque  que  trois  rayons  voisins 
donnent  naissance  il  une  petiti' pyramide  (fig,  11). 
Chacune  a  pour  base  l'étroit  espace  découpé  sur  la 
sphère,  entre  les  extrémités  des  trois  rayons.  La 
hauteur,  pour  toutes,  est  la  distance  du  centre  de 
la  sphère  à  sa  surface,  c'est-à-dire  le  rayon  de  la 
sphère. 

Le  volume  constitué  par  l'ensemble  des  pyra- 
mides, ou  la  sphère  entière,  égale  donc  l'ensemble 
de  leurs  bases,  ou  la  surface  sphériqiie,  que  mul- 
tiplie le  tiers  du  rayon. 

D'ailleurs,  la  surface  de  la  sphère  égale  îtiR^. 

Par  suite  : 

Vol.  sph.  =  47IrR'xV3R  =  V.•^1R^ 
OU,  on  prenant  tu  =  3,141G  : 

Vo\.  sphère  =  4,1888 xR3. 


VOLUMES  (MESURE  DES)    —  2347  —    VOLUMES  (MESURE  DES) 


Applicalùma.  —  1.  — Calculer  la  capacité  d'vino 
bassine  en  cuivre  ayant  la  forme  d'une  demi- 
sphère  de  (l",4s  de  diamètre. 

Prenons  le  décimètre  pour  unité  : 

Vol.  </,  spli.  =  2,0944  xR' 

R  =  2''»,4;  R3  =  13,824 
13,824  X  2,0944  =  28l't,95. 

II.  —  Calculer  le  rayon  d'un  ballon  qui,  entiè- 
rement gonflé,  olTre  un  volume  de  2001)  mètres 
cubes. 


On  a  : 

4,1888  XR'  =  2000, 

d'où: 

R3  =  2000:  4,1888  =  4"7,4G3, 

et: 

R=V'477,4(j3  =  T»,81. 

13.  Secteur  sphérique.  —  Un  secteur  spliéri- 
que  peut  être  limité,  sur  la  splière,  par  une  zone  à 
une  base  ou  une  zone  à  deux  bases  (fig.  12).  Dans 


14. —  La  règle  générale  de  mesure  des  volumes 
à  talus  repose  sur  la  remarque  suivante  : 

Si  l'on  joint  le  milieu  do  l'un  des  cotés  non 
parallèles  d'un  trapèze  aux  extrémités  des  deux 
bases  parallèles  (fig.  l3),  la  ligne  brisée  AFD  par- 
tage le  trapèze  en  deux  surfaces  équivalentes. 


l'un  et  l'autre  cas,  on  répétera,  sur  cette  portion  du 
volume  spliérique,  ce  qui  a  été  dit  relativement  Ji 
la  sphère.  Un  secteur  spliérique  peut  être  dé- 
composé en  une  infinité  de  pyramides  déliées, 
rayonnant  du  centre  et  se  terminante  la  zone  qui 
seit  de  base  au  secteur  sphérique.  La  liauteur 
commune  de  ces  pyramides  est  le  rayon  de  la 
sphère.  L'ensemble  de  leurs  bases  fournit  la  zone. 
Le  volume  du  secteur  sphérique  égale  donc  sa 
zone  multipliée  pur  le  tiers  du  rat/on  de  la  spfiére. 
Comme  la  zone  a  pour  surface  27iR/i,  on  aura  : 

Vol.  sect.  sph.  =  27iR/iX'/3R  =  VstR-''. 

formule    d'une   application,    d'ailleurs,    peu  fré- 
quente. 

III.  —  Volumes  a  ulus. 

Dans  cette  catégorie  se  rangent,  avons-nous  dit, 
tous  les  polyèdres  compris  entre  di  ux  bases  pa- 
rallèles inégales,  et  des  faces  trapèzes  ou  trian- 
gles, inclinées  d'une  façon  quelconque.  Tels  le 
tas  de  cailloux  des  routes,  le  solide  à  arête  hori- 
zontale et  à  base  quadrangulaire  que  représente  un 
toit  k  quatre  pentes;  telle  encore  une  pyramide 
tronquée.  La  pyramide  tronquée  n'offru  qu'un 
cas  particulier  des  volumes  à  talus.  Pour  qu'un 
polyèdre  de  ce  genre  soit  un  tronc  de  pyramide, 
il  faut,  en  effet,  que  ses  arêtes,  prolongées,  con- 
vergent en  un  même  sommet. 

Cette  circonstance  se  produira  si  les  deux  bases 
du  polyèdre  sont  semblables,  c'est-à-dire  —  puis- 
que leurs  côtés  sont  parallèles  et  par  suite  leurs 
angles  égaux  —  si  les  dimensions  de  ces  deux 
polygones  sont  proportionnelles. 

Un  polyèdre  i  bases  parallèles  triangulaires  est 
toujours  un  tronc  de  pyramide  ;  car,  pour  que  deux 
triangles  soient  semblables,  il  suffit  qu'ils  aient 
les  angles  égaux. 


En  effet,  les  deux  triangles  ABF,  DFG  ont  pour 
hauteur  la  moitié  de  la  hauteur  h  du  trapèze. 
Leurs  surfaces  sont  respectivement  : 

AR       h      CD      h 

La  somme  de  ces  surfaces  : 

AB-(-CD  ^h 
2—  ><'2' 

égale  bien  la  moitié  du  trapèze. 

Le  triangle  AFD  est  l'autre  moitié.  Si  l'on 
joint  le  point  F  au  point  E,  milieu  de  AD,  le 
triangle  AFD  est  lui-même  divisé  en  deux  parties 
équivalentes,  et  AFE  est  le  quart  du  trapèze. 

1 5.  —  Tout  volume  à  talus  égale  le  produit  ob- 
tenu en  multipliant,  par  le  sixième  de  sa  hauteur, 
la  somme  de  la  grawle  base,  de  ta  petite  et  de 
quatre  fois  la  section  prise  à  égale  distance  des 
buses. 

En  appelant  4  et  B  les  deux  bases  et  G  la  sec- 
tion moyenne,  la  formule  est  : 

V  =  |(B-fi-f4C).     ■ 

Décomposons  le  volume  en  pyramides,  en  pre- 
nant le  point  S  sur  le  plan  MNPQR  parallèle  aux 
bases  et  passant  à  mi-hauteur  (fig.  14). 


Fig.  14. 


Fig.  15 


En  joign;int  ce  point  S  à  tous  les  sommets  du 
polyèdre,  nous  déterminons: 

r  Une  pyramide  SABCDE  ayant  pour  base  b  et 
pour  hauteur  1/.:  h;  son  volume  égale: 


bX^hr- 


:ix' 


YOLUMES  (MESURE  DES) 


2348 


VOLUMES  (MESURE  DES) 


2°  Une  pyramide  SFGHIK,  ayant  pour  base  B, 
pour  hauteur  1;2  A,  et  pour  volume  : 

3°  Une  série  de  pyramides  ayant  pour  bases  les 
faces  latérales  du  polyèdre.  Considérons-en  une, 
SABFG  par  exemple,  et,  pour  plus  de  clarté,  dé- 
taclions-la  (fig.  15).  Le  triangle  ombré  SMX  est 
la  portion  de  la  section  moyenne  MNPQK  em- 
portée par  la  pyramide.  Si,  sur  la  base  ABl-'G, 
nous  joignons  AN,  nous  déterminons  un  triangle 
AMN  qui,  d'après  une  remarque  précédente  (n°  14), 
est  le  quart  du  trapèze.  Il  en  résulte  que  la  pyra- 
mide SAM\,  qui  a  ce  triangle  pour  base,  est  le 
quart  de  la  pyramide  totale  SABKG.  Mais  cellelii 
(SAMN  peut  cire  regardée  comme  ayant  pour  base 
le  triangle  ombré  et  pour  hauteur  '/j/i.  Son  volume 

AMN  X  /</C. 

La  pyramide  totale,  quadruple,  a  donc  pour  volume  : 

4AMXx/i/u. 

Chacune  des  autres  pyramides  disposées  autour 
du  point  S'  dans  l'intéiieur  du  polyèdre  proposé, 
a  une  expression  analogue.  Dans  l'addition  de 
leurs  volumes,  le  sixième  de  la  hauteur  multiplie 
la  somme  des  triangles  analogues  au  triangle 
ombré,  c'est-Ji-dire  la  section  moyenne  JINPQR  ; 
de  sorte  que  l'ensemble   de  ces  pyramides  vaut  : 

4C  X  lijG. 
Donc,  en  définitive  : 

Vol.tot.  =  Bx^  +  iX^'  +  4Cx^ 
=  ^(B  +  i  +  4C). 

Cette  expression  est  parfois  désignée  sous  le 
nom  de  formule  t/et  trois  7ih'eaiix.  Elle  s'applique, 
comme  il  a.  déjà  été  dit,  au  tronc  de  pyramide  et, 
par  voie  de  conséquence,  au  tronc  de  cùne.  Elle 
est  également  applicable  au  prisme  triangulaire 
tronqué,  et  remplace  toutes  les  formules  parti- 
culières dont  on  peut  se  servir  dans  ces  différents 
cas,  formules  que  nous  allons  en  déduire,  d'ail- 
leurs, à  simple  titre  d'exercice. 

Appliration  au  tas  fie  sable.  —  Cuber  un  tas 
de  sable  dont  la  base  inférieure  a  G  mètres  de  long 
sur  4"° ,40  de  large,  la  base  supérieure  a^iSO  sur 
0°,80,  et  la  hauteur  lm„'>(l. 

Dimensions  de  la  base  moyenne  C  : 

6  -f  2,80  _  8,80       4,40  +  0,80  _  5.20 

B=    '6x4,40  =  26,40 

6  =  2,80x0,80=   2,24 

4C  =  8,80  X  5,20  =  4.S,:6 

B -)- è -f  4C  =  TMÔ 
V  =  1,6  X  1,50  X  74,40  =  0,50  X  37,20  =  18°',C00. 

Application  au  tronc  de  pyramide.  —  Calculer 
le  volume  d'une  borne  de  (i™,7.S  de  hauteur,  ayant 
pour  bases  des  hexagones  réguliers  dont  les  cùtés 
égalent  respectivement  0°',40  et  0'°,18. 

Le  coté  de  l'hexagone  de  section  moyenne 
égale  1/2  (0,40+0,18)  =0,;'9.  La  surface  d'un  hexa- 
gone régulier  est  donnée  par  la  formule  : 

S  =  3/2R-V3  =  2,598XR^  (V.  Aires). 

B  =  2,598  X  0,40=  =  2,598  X  0,1G 

b  =  2,i98  X  0, 1 82  =  2,598  X  0,0124 

4C  =  2,598  X  0,58^=  .'..Sg^  X  0,3364 

V  =  '/e  X  0,75  X  2,598  X  0,5288 

=  0,25X  1,299  X  0,5288i  On'%n2'""'. 


Voyons  maintenant  quelle  formule  spéciale  on 
peut  donner  pour  le  tronc  de  pyramide.  Supposons 
d'abord  un  tronc  à  bases  carrées,  et  soient  A  et  a 
les  côtés  des  deux  bases.  La  section  moyenne  C  a 
pour  côté  '/2  (A  +  a)  et  pour  surface  '/^  (A  +  a)*. 

Donc  : 

4C  =  (A  +  a)2  =  A2  +  2A«  +  «2. 

La  formule  des  trois  niveaux  donne  alors  : 
T(A2  +  a»  +  A!  +  2A«  +  o2)  =  ^(2A'+2Aa+2AS), 


;  {A'2  +  «2  +  ka). 


Mais  Aa  peut  être  considéré  comme  V  A''  x  a*  ou 
une  moyenne  proportionnelle  entre  les  deux  sur- 
faces de  bases.  Dès  lors,  on  peut  dire  que  le  vo- 
lume de  ce  tronc  égale  le  tiers  de  la  hauteur, 
multipliimt  la  somme  de  la  grande  base,  de  la  pe- 
tite et  d'une  moijenne  proportioivielle  entre  les 
deux  bases  ;  expression  applicable  à  toute  autre 
espèce  de  pyramide  tronquée,  car  on  montrerait, 
comme  au  n"  3  et  au  n°  8,  qu'une  pyramide  tron- 
quée quelconque  équivaut  au  tronc  à  bases  car- 
rées équivalentes  et  d'égale  hauteur. 

11  est  surperflu  de  faire  remarquer  que  la  règle 
ci-dessus  ne  convient  qu'à  la  pyramide  tronquée, 
c'est-à-dire  à  un  volume  à  talus  dont  les  bases- 
ont  des  dimensions  proportionnelles. 

Application  au  tronc  de  cône.  —  Trouver  la  ca- 
pacité d'un  cuvier  tron-conique  ayant  0'",sO  de  dia- 
mètre à  l'ouverture,  0'",52  au  fond,  et  0°',45  de 
profondeur. 

Les  rayons  des  bases  sont  0",40  et  0'",26.  Celui 
delà  section  moyenne  est  '/s  (0,40  +  O,2e;  =  0,33. 

B  =  7tX  0,402  =3,1416x0,16 
6  =  11X0,262  =  3,1416x0,007(1 
4C  =  i:  X  ",662  =  .3, 14 1 6  X  0,4356 

V  =  l/g  x  0,45  X  3,1416X0,1.632 
=  0,15X3,1416X0,3311=0,156 
V  =  156  litres. 

En  traitant  comme  dans  l'alinéa  précédent  la 
formule  des  trois  niveaux,  on  voit  qu'elle  donne, 
pour  un  tronc  de  cône  : 

■        V  =  ys-Kh  (R2  +  )-2  +  R,.). 

Application  au  prisme  triangulaire  tronquf.  — 
Considérons  le  tronc  de  prisme  triangulaire  comme 
couché  sur  l'une  de  ses  faces  (fig.  16).  La  base  B 


Fig.  te. 

est  alors  le  trapèze  sur  lequel  le  solide  repose.  La 
base  b  se  réduit  à  l'arête  opposée  ;  sa  .surface  est 
nulle.  En  appelant  a,a' les  deux  arêtes  AB.CD  et  a" 
l'arête  EF,  la  section  moyenne  est  un  trapèze  dont 
lescôtésparallèlesvalpntrespectivement  '/^(a+^i") 
et  '/s  («'+'"'")•  D'ailleurs,  la  hauteur  de  ce  trapèze 
est  la  moitié  de  la  hauteur  du  trapèze  ABCD. 

Par  exemple,  proposipns-nous  de  trouver  la  con- 
tenance d'un  grenier  ayant  pour  aire  un  trapèze 
dont  les  côtés  parallèles,  distants  de  4  mètres, 
égalent  7'",20  et  5'",60;  la  hauteur  du  grenier  est 
de  2,10,  et  le  failage  EF  a  4™, 40  de  long. 


VOLUMKS  (MESURE   DES) 


23.ii)  —      VOLUMES  (MESURE  DES) 


Les  Cotés  lie  la  section  moycnno  valent  respec- 
tivemoiil  : 


B  = 

6  = 


5,.';0  -1-  7,-JO 


.  b  +  :>,80 


X  4  =  -25,60 

zéro 

X  2  =  43/20 


V='/r,  X3,I0  X  CS,80 
=  0,7  X  34,40  =  24»'«,080. 

On  peut,  clans  le  cas  du  tronc  de  prisme  trian- 
j;ulaire,  abréger  un  peu  le  calcul,  en  tenant  compte 
des  reniar(|ues  suivantes  : 

Si  d  est  la  distance  MN  des  deux  arêtes  AB,CD, 
la  distance  des  côtés  parallèles  de  la  section 
moyenne  est  '/s  <'•  t-ss  deux  côtés  sont,  d'ailleurs, 

.  ,  a+a"    ^  a'-\-'a" 
égaux  respectivement  a  — - —  et — - — • 

La  section  G  vaut  donc,  en  surface  : 

a  +  a"  -{-  n'  -\-  n"      d 
4  ^Y 

d'où  4C  =  '/2("  +  «'+«'  +  «"JXf^. 
Ajoutons  maintenant  : 

B  =  '/s  ('!  +  a')  X  d 

b    =  zéro 

4C  =  '/j  in  -f-  a"  +  a'  +  a")  x  d 

Nous  avons  : 

U  +  6  +  4C  =  1/2  («  +  n'  +  «  +  «"  +  «'  +  a")  X  'l 

l'"t,  comme  la  parenthèse  contient  2  fois  la  somme 
<les  arêtes  : 


(a  +  «'  +  a")xrf  = 


l  +  a'  +a" 


Mais  le  produit  — - —  n'est  autre  que  la  surface 

du  triangle  SMN  de  section  droite.  On  peut  donc 
dire  que  le  volume  du  prisme  triangulaire  tronqué 
vaut  la  section  droite  multipliée  par  la  moyenne 
avillimétique  des  trois  aretfs. 
Traitons  par  cette  règle  l'exemple  qui  précède 


a+n'  +  a"       7,20+5,60+4, 


17,20 
3 


2,10x2x17,20 


2 


=  0,7x3i,40  =  24m',080. 


Mais  la  formule  des  trois  niveaux  suffit  à  tous 
les  cas. 

Nous  venons  d'examiner  successivement  les  vo- 
lumes qu'étudie  la  géométrie  élémentaire.  Sans 
dépasser  les  limites  de  notre  cadre,  nous  pouvons 
dire  quelques  mots  du  segment  spliérique  et  du 
cylindre  tronqué. 

16.  Seijment  de  xphère.  —  Presque  invariable- 
ment, dans  la  pratique,  c'est  le  segment  à  une 
base,  limité  à  une  calotte  sphérique,  que  l'on  a  h 
évaluer.  Il  est  visible  que  le  segment  Ail  A'  (fig.  17) 
est  la  différence  entre  le  secteur  spliérique  ABA'O 
et  le  cône  ayant  pour  sommet  le  centre  0  et  pour 
base  le  cercle  AA'. 

En  général,  le  segment  étant  isolé,  on  mesure 
directement  le  diamètre  AA'  et  la  flèche  MC 
(fig.  18;.  Le  rayon  de  la  sphère  se  calculera  aisé- 
ment, parce  qu'on  sait  que  AU"  =  MC  X  CM. 


Soit   h  trouver,  par  exemple,   le    volume  d'un 


segment  de  sphère,  dont  la  base  a  0°',40  de  dia- 
mètre (ou  «'",20  de  rayoii)  et  la  flèche  0m,08. 

La  fig.  18  donne  :  0,20^  =  0,08  X  CN, 
d'où  : 

CN  =  0,202: 0,08  =0,50. 
Avec  MN  =  0,50  +  0,08  =  0,58  ; 

MO  =  0,20etOC  =  0,-21, 
on  a  alors  : 

Vol.  led.  spli.  =  V3W  X  0,2'J2  X  0,08  =  '/3U  X  0,01345G 
Vol.cônc        =  1/311  X  0,203  X  0,21  =  '/aTi:  X  0,00S4 

Vol.  segment  =  1/31  x  0,005056 
Vol.  segm.  =  1 ,0472  x  0,005050  =  um%005295. 

Quant  au  segment  sphérique  h  deux  bases,  il  est 
lui-même  la  différence  entre  deux  segments  à  une 
base. 

17.  Ctjlindre  tronqué.  —Certains  seaux  à  char- 
bon offrent  celte  forme  (fig.  13). 

L'axe  du  cylindre  passe  par  le  centre  de  la  sec- 
tion, de  sorte  que,  si  l'on  mène  un  plan  diamétral 
quelconque  par  cet  axe,  le  cylindre  est  coupé 
suivant  un  trapèze  rectangle  dont  les  côtés  paral- 
lèles, génératrices  du  tronc  de  cylindre,  ont  pour 
moyenne  l'axe  lui-même.  Dès  lors,  l'une  des  gé- 
nératrices surpasse  l'axe,  précisément  de  ce  dont 
l'autre  est  plus  courte. 


Il  résulte  de  cette  circonstance  que,  si  l'on  pro- 
longe l'axe  d'une  quantité  égale  à  lui-même,  et 
toutes  les  génératrices  jusqu'à  la  même  hauteur, 
on  formera  un  cj'lindre  entier  composé  de  deux 
troncs  éf,'aux.  Le  cylindre  tronqué  a  donc  pour 
mesure  sa  base  multipliée  parla  moitié  de  la  hau- 
teur du  cylindre  total,  ou  sa  base  multipliée  par 
la  longueur  de  l'axe. 

Un  cylindre  tronqué  aux  deux  extrémités  (fig.  20) 
peut  se  dédoubler  en  deux  troncs  de  la  première  es- 
pèce. Il  a  donc  pour  volume  sa  seclioti  droite  mul- 
tipliée par  la  tonr/ueur  d'axe  comprise  entre  les 
centres  des  deux  bases. 

Les  remarques,  le  raisonnement  et  les  formules 
qui  précèdent  s'appliquent  au  prisme  régulier 
tronqué  et  au  tronc  de  parallélipipède. 

Application.  —  Trouver  la  contenance  d'un  seau 
à  charbon  dont  le  fond  a  0'n,40  de  diamètre,  la 
plus  petite  profondeur  0'",25,  et  la  plus  grande 
0" ,  i5. 


VOLUMES  (MESURE  DES)     —  2350  —     VOLUMES  (MESURE  DES) 


0,?5  +  n,45       „  „. 
Longueur  a  axe= ^u,-io 

Vol  =  -n  X  0,202  X  0,35=  0,043  =  43  litres. 

Applications  cscelles. 

18.  Cubage  d'un  massif  de  maçonnTie.  —  Un 
massif  de  maçonnerie  se  compose  principalement 
de  murs  et  de  piliers,  c'est-à-dire  de  prismes  ou 
de  volumes  à  tains.  Il  suffit  donc  d'y  appliquer 
les  règles  données  plus  haut,  et  les  exemples 
traités  aux  n"»  1,4  et  15  nous  dispensent  d'entrer 
dans  de  plus  amples  détails  à  ret  égard. 

Proposons-nous  cependant  de  résoudre  encore 
la  question  que  voici  : 

Cuber  la  maçonnerie  d'une  tour  ronde  de  G^jCO 
de  hauteur,  dont  le  diamètre  intérieur  est  en  bas 
de  4">,80  et  en  haut  de  5'n,Sii,  l'épaisseur  des 
murs  égalant  0",92  en  bas  et  0"',40  en  haut. 

On  peut  calculer  ce  volume  comme  un  tronc  de 
cône  droit  diminué  d'un  tronc  de  cône  renversé. 
La  formule  des  trois  niveaux  fournira  des  résul- 
tats plus  rapides. 

Nous  savons  que  la  surface  d'une  couronne 
égale  le  produit  de  sa  circonférence  mojenne  par 
son  épaisseur.  On  le  montre  en  décomposant  la 
couronne,  par  des  rayons,  en  une  infinité  de  petits 
trapèzes  dont  l'épaisseur  de  la  couronne  est  la 
hauteur  commune. 

Les  bases  B,6  et  C  sont  des  couronnes  dont  les 
circonférences  moyennes  ont  pour  rayons  respec- 
tifs : 

PourB. ..        2,40  +  0,46  =-2.SG 

Pour  A...        2,lHi-i-0,20  =3, In 

PourC...  Vs2,«6-f  3,)0)  =  2,'.8 

B  =  271X2,80x0,02         =271  :<    Î,63I2 

4  =  271X3,10X11,40         =27tX    l,-.'400 

4C  =  271  X  2,98  X  0,06  X  4  =  27rx   7.S0'^2 

V  =  i/sX  9,60  X  271  X  11,7384 
=  59  m.  c. 

On  cubera  de  même  la  maçonnerie  d'une  voiite 
conique,  ou  trompe. 

19.  Cubage  d'un  remblai,  d'un  fossé.  —  Un 
remblai,  un  fossé,  lorsque  le  terrain  est  horizontal 
ainsi  que  leur  plate-forme,  se  cubent  comme  le  tas 
de  sable. 

Lorsque  le  terrain  nu  la  plate-forme  sont  en 
pente,  la  hauteur  verticale  du  volume  n'est  pas 
uniforme.  On  partage  alors  ce  volume,  plein  ou 
creux,  en  sections  successives  par  des  plans  ver- 
ticaux. Chaque  portion  est  un  volume  à  talus  cou- 
ché, dont  les  bases  sont  les  coupes  transversales 
que  l'on  a  faites. 

20.  —  Cubage  des  bois  ronds.  —  Un  tronc  d'ar- 
bre bien  droit  et  bien  rond  représente  sensible- 
ment un  tronc  de  cône.  Toutefois,  cette  régularité 
ne  s'offre  pas  assez  souvent  pour  qu'il  y  ait  lieu 
d'employer  la  formule  correspondante.  D'ailleurs, 
c'est  surtout  à  la  base,  près  des  racines,  et  au 
sommet,  où  s'épanouissent  les  branchages,  que 
s'accusent  hs  inégularilés.  Les  éléments  du  tronc 
de  cône  ne  peuvent,  dès  lors,  être  mesurés.  C'est 
pourquoi  l'on  assimile  l'arbre  à  un  cylindre  ayant 
pour  base  la  coupe  faite  à  mi-hauteur.  On  dimi- 
nue ainsi  légèrement  le  volume  à  évaluer. 

On  mesure  donc  la  circonférence  moyenne  de 
l'arbre,  h  l'aide  du  ruban  métrique,  et  l'on  multi- 
plie la  surface  du  Cf  rcle  par  la  longueur  de  l'arbre. 
Pour  obtenir  la  surface  de  cette  coupe,  le  moyen 
expéditif  le  plus  exact  consiste  Ji  irentlre  8  fois 
le  carré  fui  sur    le  dij:ième  de  la  circonférence. 

Exemple  :  cuber  un  arbre  en  grume,  ayant 
7",  20  de  hauteur  et  1",  14  de  tour  moyen. 

Vol.  =  U,1U-  XSx7,20  =  0'"%74,''m'. 


Lorsque  les  troncs  d'arbres  doivent  être  con- 
vertis en  pièces  de  charpente,  il  convient  de  tenir 
compte  de  ce  que  tout  le  volume  n'est  pas  utili- 
sable. Le  sciage  en  long  fait  tomber  les  parties 
rondes,  lesquelles  ne  sont  plus  bonnes  qu'à  four- 
nir des  lattes  ou  des  bois  de  chauffage,  mais  pré- 
sentent néanmoins  une  valeur.  Il  y  aune  évaluation 
de  rendement  à  faire  de  la  part  de  l'acheteur, 
tout  comme  lorsqu'on  achète  du  blé  pour  le  con- 
vertir en  farine.  Rien  n'est  plus  variable  que  ce 
rejidement,  suivant  les  essences  et  suivant  les 
terrains.  Nous  ne  dirons  donc  qu'un  mot  des  pro- 
cédés pratiques  à  l'aide  desquels  on  a  prétendu 
obtenir  la  quantité  de  bois  de  charpente  fournie 
par  les  arbres  en  grume. 

Le  procédé  le  plus  courant  —  et  le  plus  fautif, 
car  on  l'applique  aux  bois  à  brûler  ^  consiste  à 
obtenir  la  surface  de  moyenne  coupe  en  multi- 
pliant par  lui-même  le  quart  de  la  circonférence. 
C'est  la  méthode  sans  réduction. 

La  méthode  au  sixième  déduit  consiste  à  mul- 
tiplier par  lui-même  le  quart  de  la  circonférence, 
celle-ci  étant  préalablement  diminuée  de  sa 
sixième  pariio. 

La  méthode  au  cinquième  déduit  consiste  à 
élever  au  carré  le  quart  de  la  circonférence,  dimi- 
nuée au  préalable  d'un  cinquième. 

Ces  règles  sont  surannées.  L'on  reconnaîtra 
sans  peine  que  la  méthode  dite  sans  réduction 
donne  les  0,79  centièmes  du  volume  en  grume; 
la  méthode  au  sixième  déduit  en  fournit  les 
0,55  centièmes  et  la  méthode  au  cinquième  dé- 
duit en  fait  connaître  les  0,50  centièmes  seule- 
ment. 

En  réalité,  pour  chaque  cas,  et  suivant  que  les 
arbres  doivent  être  simplement  écorcés,  grossiè- 
rement équarris  ou  équarris  à  vive  arête,  il  y  a 
un  coefficient  de  perte  que  l'expérience  seule  peut 
déceler.  Que  l'on  calcule  donc  le  volume  réel  de 
l'arbre  en  grume  et  que  l'on  en  prenne  79  cen- 
tièmes, 55  centièmes  ou  la  moitié,  suivant  le  cas, 
si  l'on  estime  que  ces  chiffres  traduisent  le  ren- 
dement. Mais  cette  estimation  n'est  pas  confirmée 
par  les  faits. 

On  a  parfois  à  cuber  approximativement  des 
arbres  sur  pied.  On  en  mesure  alors  la  hauteur 
par  un  procédé  de  visée  ou  à  l'aide  de  l'ombre. 
Puis  on  mesure  la  circonférence  de  l'arbre 
à  1",  25  environ  du  sol,  pour  éviter  les  canne- 
lures et  les  hanches  qui  déforment  le  pied  de  la 
tige.  On  admet  alors,  d'après  l'expérience,  que  si 
l'on  cube  le  cylindre  de  même  hauteur  totale,  qui 
aurait  pour  base  le  cercle  passant  à  l",25dusol, 
le  volume  de  l'arbre  vaut  les  0,80,  les  0,75  ou 
les  0,70  de  ce  cylindre,  selon  qu'il  s'agit  de 
taillis  exploités  à  moins  de  25  ans  d'intervalle,  de 
taillis  à  plus  de  25  ans,  ou  de  futaies  pleines. 

21.  Jaugeage  des  tunnenux.  —  La  courbure 
des  douves  est  plus  ou  moins  régulière.  De  plus, 
cette  courbure  varie  suivant  les  localités,  et  les 
formules  un  peu  précises  relatives  aux  tonneaux 
d'un  pays,  dotinent  des  résultats  beaucoup  moins 
sûrs,  appliquées  aux  tonneaux  d'une  autre  prove- 
nance. Enfin,  il  est  fort  difficile  de  mesurer  les 
dimensions  d'un  fût  à  I  millimètre  près.  Or,  on 
s'assurera  aisément  qu'une  erreur  de  I  millimè- 
tre sur  les  dimensions  d'un  fût  de  contenance 
moyenne,  se  traduit  par  une  erreur  de  plus  d'un 
litre  sur  la  capacité. 

11  faut,  ici,  se  contenter  d'une  approximation. 
La  plupart  des  procédés  imaginés  dans  ce  but 
consi.-tent  à  assimiler  le  tonneau  à  un  cylindre 
de  même  longueur,  et  d'un  rayon  intermédiaire 
etitre  le  rayon  du  bouge  et  lo  rayon  du  fond. 

On  mesure  donc  le  diamètre  moyen  des  fonds, 
en  prenant  la  moyenne  de  4  mesures  (deux  dia- 
mètres on  croix  sur  chaque  fond);  puis  le  dia- 
mètre intérieur  du   bouge,   en  introduisant  une 


VOLUMES  (GOMPARAISUN  DES)—  2351  — 

canno  par  la  bonde;  puis  la  loiif;neup  intérieure, 
égale  Ma  longueur  cxtciicure,  moins  la  saillie  des 
jables  (partie  des  douves  foimant  couronne  en 
biseau  autour  des  fonds),  et  moins  l'épaisseur  des 
fonds.  On  peut  alors  appliquer  l'une  des  formules 
suivantes  : 

1"  La  formule  des  trois  niveaux.  Dans  ce  cas, 
si  d  et  D  sont  le  diamètre  du  fond  et  celui  du 
biiugo,  et  si  L  est  la  longueur  du  tonneau  : 


VUE 


6\   4 


+  ■ 


+ 


1  ;■ 


6  4 

Cette  méthode  convient  surtout  lorsque  la  cour- 
bure, vers  la  bonde,  n'est  pas  très  prononcée. 
Sinon,  elle  procure  des  résultats  un  peu  trop 
forts. 

La  formule  des  trois  niveaux  donne  des  résul- 
tats aussi  précis  que  le  comporte  la  question,  si 
l'on  peut  évaluer  à  part  chaque  moitié  du  ton- 
neau. Alors  b  sera  le  fond,  B  le  bouge  et  C  la 
section  prise  à  égale  distance  de  la  bonde  et  du 
fond. 

2°  La  formule  de  Doz,  qui  assimile  le  tonneau  à 
un  cylindre  ayant  pour  diamètre  la  moyenne  en- 
tre 5  grands  et  .3  petits  diamètres  : 


v.-i:(12±iy 


Elle  donne  des  résultats  généralement  un  peu 
faibles. 

•3"  La  formule  prescrite  par  la  circulaire  minis- 
térielle de  l'an  VU,  laquelle  assimile  le  tonneau  à 
un  cylindre  ayant,  pour  diamètre  la  moyenne  de 
2  grands  et  de  1  petit  diamètre  : 


^-'iÇ^Î- 


Celle-ci  convient  surtout  aux  fûts  à  douves  assez 
fortement  courbées. 

En  appliquant  ces  divers  procodés  h  une  barri- 
que de  W.Vl  de  long,  avec  D  =  0^,60  et  d  = 
0™,565,  on  trouve,  à  l'aide  de  la  première  formule, 
une  contenance  de  224''',3,  la  seconde  donne 
220»',5  et  la  troisième  •.'■.3i'',4. 

22.  Cuhnge  des  corps  iirégulien.  —  On  peut  se 
servir,  pour  calculer  le  volum'e  du  corps  informes, 
mais  maniables,  du  poids  de  ces  corps.  Il  suffit 
d'en  connaître  la  densité. 

Parexemple,unocarafepleino  d'eau  pèse2'''=,2S  ; 
vide,  elle  pèse  C^'^SÎ;  quelle  est  sa  capacité  et 
quel  est  le  volume  du  cristal  qui  la  forme  'l  La 
densité  de  ce  cristal  est  2,»;. 

L'eau  contenue  pèse  2,28  —  0,«2=  l'^'.'iG.  Elle 
occupait  donc,  en  volume,    l'",'lG. 

D'autre  part,  1""°.  de  cristal  pèse  2"«,6.  Le 
volume  du  cristal  de  la  carafe  est  donc  : 

0,82  :2,6  =  0'' "",315"°'°. 

Pour   obtenir    le  volume    d'un  corps  homogène 
quelconque,  en  décimètres  cubes,  on  divisera  son 
poids,  exprimé  en  kilogrammes,  par  sa  densité. 
[J.  Dalsème.] 

VOLUMES  (Comparaison  des).  —  Géomé- 
trie, XXIX.  —  On  peut  énoncer,  en  comparant  des 
volumes  de  même  espèce,  des  propositions  ana- 
logues à  celles  qu'on  a  énoncées  touchant  les 
aires'.  Deux  parallélipipèdes  rectangles  sont  en- 
tre eux  comme  les  produits  de  leurs  trois  di- 
mensions; doux  prismes,  deux  pyramides,  sont 
comme  les  produits  respectifs  de  leurs  bases  par 


leurs  hauteurs,  etc.  C'est  ce  qui  résulte  des  règles 
mêmes  relatives  à  ces  divers  volumes. 

Les  volumes  de  deux  solides  semblables  sont 
entre  eux  comme  les  cubes  de  leurs  dimensions 
homologues.  Supposons  en  effet  qu'on  décompose 
un  solide  quelconque  en  un  très  grand  nombre 
de  petits  cubes,  en  le  partageant  en  tranches  de 
I  millijn.  d'épaisseur,  par  exemple,  puis  en  qua- 
drillant chaque  tranche  en  millimètres  carres.  Si 
on  le  regarde  à  travers  un  verre  grossissant,  les  li- 
gnes de  l'objet  sej'ont,  dans  tous  les  sens,  am- 
plifiées dans  un  même  rapport.  Elles  deviennent, 
disons,  3  fois  plus  grandes.  L'image  est  sem- 
blable à  l'objet,  mais  chaque  millimètre  cube  de 
celui-ci  apparaît,  dans  celle-là,  comme  un  cube  de 
3  millimètres  d'arôte  et  par  conséquent  '^7  fois  plus 
gros.  Le  volume  total  est  donc  lui-même  27  fois 
plus  considérable,  lorsque  les  dimensions  sont 
triplées. 

On  peut  répéter  ce  raisonnement  sur  deux  po- 
lyèdres semblables  quelconques.  Si  les  dimen- 
sions du  second  sont  respectivement  les  2/5  des 
dimensions  homologues  du  premier,  et  que  celui- 
ci  soit  divisé  en  une  multitud(!  de  cubes  extrê- 
mement pi^tits,  celui-là  pourra  être  divisé  en  un 
nombre  égal  de  cubi'S,  à  la  condition  que  leur 
arête  soit  les  2/5  de  l'arête  dus  premiers  cubes. 
Chaque  cube  du  second  polyèdre  est  alors  les  8/125 
d'un  cube  du  premier  polyèdre  (règle  de  mesure 
du  cube).  Les  volumes  des  deux  polyèdres  sont 
donc  eux-mêmes  comme  8  est  à  125,  lorsque 
k'urs  dimensions  sont  comme  2  est  à  5. 

Ainsi,  un  objet  en  bois  plein  devant  être  repro- 
duit de  manière  que  la  copie,  exactement  sem- 
blable, use  5  fois  moins  de  bois,  quel  doit  être  le 
rapport  de  réduction  ? 

Les  cubes  des  dimensions  homologues  sont  dans 
le  rapport  des  volumes,  c'est-à-dire,  ici,  comme 
1  est  à  5.  Les  dimensions  elles-mêmes,  dans  la 
copie  et  l'original,  seront  donc  comme  V  "u  1 
esta  yi  ou  1,71.  On  divisera  donc  par  1,71  les 
dimensions  du  modèle,  pour  obtenir  les  dimen- 
sions correspondantes  de  la  reproduction  réduite. 
Quant  à  la  solution  graphique  de  cette  quesiion, 
coumie  à  celle  de  ces  autres  problèmes  :  construire 
un  cube  qui  soit  à  un  cube  donné  dans  un  rap- 
port donne;  construire  le  cube  équivalent  à  la 
somme  ou  à  la  différence  de  deux  cubes  don- 
nos,  etc.,  etc.,  elles  dépendent  en  général  des 
mathématiques  supérieures.  Dans  la  pratique,  au 
surplus,  c'est  aux  solutions  fournies  par  le  calcul 
que  l'on  a  recours.  [J.  Dalsème.] 

VUIÎ.  —  Zoologie,  XXXIX.  —  La  vue  est  le  sons 
à  l'aide  duquel  nous  apprécions  les  propriétés  lu- 
mineuses des  objets  :  elle  nous  fait  juger  da  leur 
couleur,  de  leur  forme,  de  leur  distance,  de  leur 
éiat  de  mouvement  ou  de  repos.  C'est  par  la  vue, 
bien  plus  que  par  aucun  autre  des  sens,  que  nous 
entrons  largement  en  rapport  avec  le  monde  exté- 
rieur et  que  nous  dépassons  les  appréciations  de 
contact,  toujours  bornées  à  un  étroit  voisinage, 
pour  saisir  à  la  fois  l'ensemble  et  le  détail  de  la 
nature.  Quelques  kilomètres  sont  l'extrême  limite 
des  dislances  auditives,  tandis  qu'à  travers  des 
milliards  de  milliards  de  lieues  notre  œil  nous 
met  encore  en  relation  avec  le  reste  de  l'univers. 
Les  yeux,  siège  de  ce  sens,  sont  placés  au  som- 
met de  l'organisme,  et  logés  dans  deux  cavités 
osseuses  que  l'on  nomme  les  orbites,  d'où  ils  do- 
minent aisément  un  grand  nombre  d'objets  à  la 
fois.  Les  orbites  sont  coupées  un  peu  obliquement 
en  dehors,  do  façon  que  l'œil  puisse  voir  latérale- 
ment sans  que  la  têie  ait  à  so  détourner.  Cette 
disposition  s'accentue  dès  qu'on  passe  de  l'homme 
aux  animaux,  drf  manière  que  chez  la  plupart 
d'outre  eux  les  yeux  ne  sont  plus  dirigés  en  avant, 
mais  directement  en  dehors. 


VUE 


—  2352  — 


VUE 


L'œil  se  compose  de  trois  parties,  qui  deman- 
dent à  être  envisagées  séparément.  La  première, 
comprenant  les  annexes  de  l'œil,  sert  à  le  proté- 
ger, à  le  voiler,  à  maintenir  sa  transparence  et 
enfin  à  le  mouvoir. 

La  seconde,  véritable  appareil  de  dioptrique, 
constitue  une  chambre  noire,  dont  l'objectif  con- 
centre les  rayons  lumineux,  et  les  dirige  sur  l'écran 
rétinien. 

Enfin  la  troisième,  la  partie  vraiment  fondamen- 
tale, se  compose  du  nerf  optique  et  de  son  épa- 
nouissement terminal,  la  rétine. 

Un  mot,  d'abord,  sur  les  annexes  de  l'œil,  qui 
sont  les  sourcils,  les  paupières,  l'appareil  lacrymal 
et  les  muscles  orbitaires. 

Les  sourcils,  par  leur  longueur  et  leur  couli'ur 
foncée,  servent  uniquement  à  projeter  une  ombre 
légère  au-dessus  du  sens  de  la  vue,  et  h  tamiser 
la  lumière. 

Les  paupières  sont  deux  voiles  membraneux, 
qui  couvrent  et  découvrent  alternativement  le 
globe  oculaire.  Leur  principal  usage  est  de  sous- 
traire momentanément  les  yeux  à  la  lumière.  Leur 
seconde  fonction  est  d'étendre  incessamment,  par 
un  glissement  fréquent  et  spontané,  les  larmes  en 
couche  uniforme  sur  la  surface  de  la  conjonctive, 
de  façon  à  la  tenir  toujours  humide.  Les  cils,  dont 
leurs  bords  sont  garnis,  tamisent  et  arrêtent  les 
fines  poussières  qui  viendraient  souiller  et  ternir 
cette  membrane  humide. 

Les  larmes  sont  sécrétées  par  la  glajide 
lacrymale,  petit  organe  logé  dans  la  paroi  externe 
de  l'oibite,  et  versant  incessamment  dans  l'inter- 
valle des  paupières  le  liquide  qu'elle  sécrète. 
Cette  sécrétion,  comme  chacun  sait,  augmente  sous 
l'influence  de  certaines  émotions  morales,  au 
point  que  les  larmes,  ne  s'écoulant  plus  assez  ra- 
pidement vers  le  nez,  débordent  des  paupières  et 
constituent  les  pleurs.  Le  moindre  grani  de  pous- 
sière amène  également  ce  résultat;  l'afflux  des 
larmes  sert  alors  à  entraîner  hors  de  l'œil  le  petit 
corps  étranger.  A  l'état  normal,  les  larmes  coulent 
versl'angle  interne  del'œil,  où  elles'accumulentde 
manière  ."i  former  le  lue  lacrymal  :  de  ce  lac,  deux 
petits  conduits  très  déliés  les  conduisent  à  un 
canal  unique  qui  les  déverse  dans  le  nez. 

Enfin  un  certain  nombre  de  muscles  sont  grou- 
pés dans  l'orbite  autour  du  globe  oculaire  et.  le 
mouvant  en  tous  sens,  le  faisant  tourner  sur  lui- 
même,  ils  le  dirigent  en  haut,  en  bas,  en  dehors 
ou  en  dedans,  suivant  la  situation  de  l'objet  à  re- 
garder. La  chambre  oculaire  est  en  effet  si  petite, 
et,  comme  nous  le  verrons,  le  champ  sensible  de 
la  rétine  est  si  restreint,  que,  sans  le  jeu  compli- 
qué de  ces  muscles,  les  mouvements  de  la  tète  et 
du  tionc  ne  seraient  jamais  assez  rapides  pour 
nous  permettre  de  voir  ou  de  regarder  les  objets 
environnants.  Quand  tel  de  ces  muscles,  trop 
tendu,  imprime  à  l'un  des  yeux  un  mouvement  trop 
accentué,  ou  que,  paralysé,  il  cesse  de  le  mou- 
voir, le  strabisme  se  produit  :  cet  œil  louche, 
c'est-à-dire  que  sa  position  n'est  plus  symétrique 
à  celle  de  l'autre  œil. 

Ceci  dit  sur  les  parties  accessoires  de  l'organe 
de  la  vue,  nous  avons  à  examiner  l'appareil  de 
dioptrique  que  représente  le  globe  de  l'œil. 

Nous  avons  dit  que  cet  appareil  est  une  vérita- 
ble chambre  obscure,  en  tout  point  comparable  à 
celle  des  photographes.  En  effet,  la  totalité  du 
globe  oculaire  forme  une  cavité  close  de  toutes 
parts,  hormis  en  deux  points  opposés  :  en  avant, 
cette  cavité  est  percée  d'une  ouverture  arrondie 
qui  enchâsse  les  lentilles  convergentes  de  l'œil  ; 
en  arrière  une  autre  ouverture  laisse  passer  le  nerf 
optique  qui  pénètre  ainsi  dans  ja  chambre  noire 
et  s'étale  en  mince  membrane  sur  sa  paroi  posté- 
rieure. Tout  l'intérieur  de  la  chambre  est  rerupli 
d'un   liquide  parfaitement  transparent,  l'humeur 


vitrée,  qui  sert  à  «  remplir  »  l'œil,  et  à  lui  donner 
la  solidité,  la  rigidité,  la  consistance  indispensa- 
bles. Ainsi  le  globe  de  l'œil  est  une  chambre 
ronde  munie  d'un  système  de  lentilles,  et  d'un 
écran  nerveux  (rétine)  qui  reçoit  l'image  renver- 
sée des  objets. 

Ce  système  lenticulaire  est  assez  compliquéi 
Tout  d'abord  l'ouverture  ronde  qui  livre  passage 
à  la  lumière  est  fermée  par  une  luembrane  con- 
vexe et  transparente,  la  cornée,  semblable  à  un 
verre  de  montre  enchâssé  dans  l'ouverture,  et 
l'obturant  exactement.  Un  peu  en  arrière  de  la 
cornée  se  trouve  la  principale  pièce  du  système, 
le  cristallin,  véritable  lentille  convergente,  iden- 
tique aux  lentilles  de  nos  cabinets  de  physique, 
et  enchâssée  elle  aussi  dans  les  parois  de  l'ouver- 
ture. L'espace  compris  entre  la  cornée  et  le  cris- 
tallin n'est  pas  vide  ;  il  est  exactement  rempli  par 
un  liquide  transparent,  appelé  l'humeur  aqueuse, 
qui  transforme  ainsi  cet  espace  en  une  lentille 
convexo-concave. 

Dans  cet  espace,  appelé  chambre  antérieure, 
se  trouve  placé  un  organe  remarquable,  l'iris. 
L'iris  est  ce  qu'on  nomme  en  dioptrique  un  cLia- 
/ihragme,  c'est-à-dire  une  membrane  tendue  au- 
devant  de  la  lentille  photographique,  percée  à  son 
centre  d'une  petite  ouverture,  et  servant  à  ne 
laisser  pénétrer  dans  la  chambre  noire  qu'un 
mince  faisceau  de  lumière.  Dans  la  photographie, 
on  dispose  de  différents  diaphragmes,  dont  les 
trous  sont  plus  ou  moins  grands,  et  que  l'opéra- 
teur choisit  suivant  le  plus  ou  moins  d'intensité 
de  la  lumière  extérieure.  Mais  le  diaphragnio  de 
l'œil,  l'iris,  possède  la  propriété  d'agrandir  ou 
de  diminuer  lui-même,  en  sa  qualité  d'organe 
musculaire,  le  trou  dont  il  est  percé,  et  qu'on 
appelle  la  pu/jille.  Des  fibres  concentriques  res- 
serrent la  pupille  ;  des  fibres  rayonnantes  la  di- 
latent. Ces  mouvements  sont  des  mouvements 
rrflexes  (V.  Physiologie),  non  volontaires,  et  pro- 
voqués par  la  lumière  elle-même:  au  grand  jour, 
l'iris  resserre  la  pupille  et  ne  laisse  plus  passer 
qu'un  fin  rayon  lumineux;  le  jour  baisse-t-il,  la 
pupille  se  dilate,  ouvrant  toute  grande  l'entrée 
de  l'œil  au  peu  de  lumière  qui  subsiste.  Cette  ap- 
propriation spontanée,  automatique,  du  diamètre 
pupillaire  à  la  quantité  de  clarté  extérieure  est  si 
délicate,  si  rigoureuse,  que  l'iris  n'est  jamais  au 
repos  :  le  moindre  changement  d'attitude  de  la 
tète,  modifiant  à  peine  l'exposition  de  l'œil  au 
jour,  suffit  pour  modifier  aussi  l'ouverture  de  ce 
merveilleux  diaphragme. 

Nous  allons  trouverun  mécanisme  semblable  dans 
la  lentille  oculaire,  dans  le  cristallin.  On  sait  que, 
pour  que  l'image  photographique  soit«  au  point», 
c'est-à-dire  pour  qu'elle  tombe  juste  sur  l'écran, 
et  non  en  avant  ni  en  arrière,  l'opérateur  est 
obligé  de  faire  varier  la  distance  de  l'objet  à  l'ob- 
jectif, de  le  rapprocher  ou  de  l'éloigner;  ou  bien 
encore  il  doit  faire  varier  la  distance  de  l'objectif 
à  l'écran.  Mais  l'objectif  oculaire  est  inamovible; 
il  ne  peut  ni  s'écarter  ni  s'éloigner  de  la  rétine, 
et  cependant  il  doit  faire  tomber  7'iM/e  sur  l'écran 
rétinien  tantôt  l'image  d'une  étoile,  éloignée  h 
l'infini,  et  tantôt  l'image  d'un  objet  très  rapproché, 
qu'on  tient  à  la  main,  par  exemple.  En  d'autres 
termes  l'œil  doit  posséder  l'étrange  faculté  de 
s'accommoder,  de  s'ndnp/er  aux  distances. 

Cette  faculté,  dite  d'adaptation,  réside  unique- 
ment dans  le  cristallin.  Cette  lentille,  en  effet, 
n'est  pas  rigide.  Elle  est  relativement  luoUe  et 
élastique.  Or  elle  est  enchâssée  dans  un  cercle, 
une  monture  pour  ainsi  dire,  formée  de  muscles 
volontaires.  Que  cette  monture  musculaire  se 
contracte,  et  le  cristallin  pressé  de  tous  côtés 
augmentera  sa  sphéricité,  et  par  conséquent  son 
pouvoir  convergent.  Ainsi  la  lentille  humaine  pos- 
sède le  pouvoir  de  changer  de  courbure,  de  deve- 


VUE 


—  2353  — 


VUE 


nii'  plus  convcrgoiUe  pour  los  objets  éloignés,  de 
façon  h  faire  toujours  tomber  l'image  sur  la  sur- 
f:ice  de  la  rétine.  Cette  itdaptntion  se  fait  sous 
rinduence  de  la  volonté,  et  non  par  réllexe  auto- 
matique. Elle  varie  de  façon  i  ôtre  toujours 
i'\acte  pour  les  distances  situées  entre  l'infini  et 
'.',-1  centimètres.  Ce  dernier  chiffre  représente, 
pciur  un  œil  bien  conformé,  la  distance  de  la  vision 
lialiituelle  et  normale,  par  exemple,  celle  où  nous 
iilaçons  le  livre  que  nous  lisons. 

Mais  il  faut  remarquer  ici  que  certaines  per- 
sonnes ont  un  cristallin  dont  le  pouvoir  conver- 
1,'cnt  est  beaucoup  trop  énergique  :  chez  elles 
l'image,  à  moins  que  l'objet  ne  soit  extrêmement 
i-ipproché,  tombe  toujours  en  avant  de  la  rétine, 
rt  se  peint  diH'uso.  Cette  anomalie  constitue  la 
tni/opie.  Le  myope  ne  voit  pas  bien  de  loin;  il  rappro- 
clio  instinctivement  de  son  oeil  l'objet  à  regarder, 
de  façon  à  allonger  le  cône  de  réfraction  et  à 
amener  l'image  sur  la  rétine  même. 

L'anomalie  inverse,  le  défaut  de  courbure  du 
cristallin,  constitue  Vht/pennclropie.  L'oeil  hyper- 
métrope fait  tomber  l'image  en  arrière  de  la  ré- 
tine ;  aussi  ne  voit-il  clairement  que  les  objets 
éloignés. 

Dès  lors,  on  comprend  aisément  comment  l'art 
peut  corriger  ces  défauts  de  la  nature  :  des  lu- 
nettes divergentes  corrigent  l'erreur  de  l'œil 
myope  ;  des  verres  convergents  suppléent  à  l'im- 
puissance de  l'œil  hypermétrope.  On  conçoit  éga- 
lement que  l'application  de  telles  lunettes  n'est 
salutaire  que  si  le  degré  de  courbure  des  verres 
est  le  complément  exact  de  la  courbure  cristalli- 
nienne,  et  qu'il  faut  apporter  le  plus  grand  soin  h 
choisir  les  numéros  de  ces  verres,  sous  peine  de 
•donner  à  l'œil  une  fatigue  dangereuse. 

La  presbytie  est  le  défaut  d'adaptation  de  l'œil 
aux  distances  :  la  mobilité  du  cristallin  n'est  plus 
suffisante,  et  sa  courbure  ne  varie  plus  en  propor- 
tion de  l'éloignement  des  objets.  Cette  sorte  de 
paresse  oculaire  est  généralement  un  effet  de 
l'âge. 

Une  expérience  bien  simple  peut  servir  à  dé- 
montrer le  phénomène  de  l'adaptation.  Que  l'on 
regarde  alternativement  la  vitro  d'une  fenêtre  et 
un  objet  éloigné,  un  arbre  par  exemple,  à  travers 
cette  vitre.  Quand  on  fixe  l'arbre,  la  vitre  n'est 
plus  aperçue,  du  moins  elle  ne  l'est  que  confusé- 
ment :  c'est  que  l'œil  s'est  adapté  i  la  distance  de 
l'arbre,  et  que  l'image  de  la  vitre  tombe  en  arrière 
de  la  rétine.  Inversement,  et  pour  une  cause  sem- 
blable, si  l'on  fixe  la  vitre,  l'arbre  n'apparaît  plus 
qu'indistinctement. 

Le  cristallin  peut,  sous  l'influence  de  certaines 
maladies,  s'épaissir,  devenir  opaque,  et  obstruer 
ainsi  le  passage  des  rayons  lumineux.  Cet  état 
constitue  la  cataructe.  L'opération  de  la  cataracte 
consiste  à  enlever  le  cristallin  épaissi,  et  à  rem- 
placer ensuite  la  lentille  absente  par  des  lunettes 
convergentes. 

Tels  sont,  dans  leurs  traits  fondamentaux,  la 
disposition  et  le  mécanisme  des  diverses  pièces 
qui   composent  l'appareil  optique  de  l'œil. 

Il  nous  reste  à  parler  de  l'organe  nerveux,  de 
la  rétine. 

La  rétine  est  une  membrane  noire,  de  structure 
infiniment  compliquée,  formée  par  l'épanouisse- 
ment des  fibres  du  nerf  optique.  Elle  représente 
la  plaque  sensible  du  photographe;  elle  reçoit  l'i- 
mage, et  en  transmet  l'impression  au  cerveau. 

Sa  sensibilité  est  uniquement  lumineuse  :  c'est- 
à-dire  que  quelle  que  soit  l'excitation,  que  la  rétine 
soit  pincée,  piquée,  comprimée,  électriséo,  ou 
frappée  par  un  rayon  de  lumière,  c'est  toujours 
une  sensation  lumineuse  qu'elle  apporte  aux  cen- 
tres nerveux.  De  là  l'expression  triviale,  mais  très 
J"^t6>j;i^"i  fait  dire  à  un  homme  atteint  d'un  coup 
J'ai  vu  trente-six  chandelies  » .  Ainsi 

2'=   PARTIE. 


sur  l'œil  : 


la  sensation  lumineuse  no  tire  pas  sa  spécialité  do 
la  lumière,  mais  bien  du  mode  spécial  de  sensi- 
bilité propre  à  la  rétine.  Eji  d'autres  termes  il 
n'y  a  pas  de  lumière,  il  n'y  a  que  des  sensations 
lumineuses. 

Nous  ne  pouvons  entrer  ici  dans  le  détail  de  la 
structure  de  la  rétine,  qui  dépasserait  les  limites 
d'un  article  de  dictionnaire.  Nous  dirons  seule- 
ment que  la  sensibilité  de  cette  membrane  est 
loin  d'être  uniforme  en  tous  ses  points. 

Une  portion  de  la  rétine,  en  effet,  large  de  quel- 
ques millimètres  et  limitée  exactement  au  point 
d'émergence  du  nerf  optique,  est  absolument  in- 
sensible. Cette  portion,  a  reçu  le  nom  mérité  de 
punctum  csecum  (point  aveugle).  Quand  l'image 
tombe  on  ce  point,  elle  n'est  pas  perçue.  Une  ex- 
périence très  simple  le  démontre. 

Que  l'on  trace  sur  le  papier  deux  points  noirs, 
distants  l'un  de  l'autre  de  5  centimètres;  que  l'on 
ferme  l'œil  gauche,  et  que  de  l'œil  droit  on  fixe  le 


point  gauclie  en  ayant  soin  de  se  placer  à  une 
distance  de  15  centimètres  du  papier  :  on  n'aper- 
cevra pas  le  point  droit,  tandis  qu'on  l'apercevra 
pour  peu  qu'on  se  rapproche  ou  qu'on  s'éloigne. 
C'est  qu'à  cette  distance  de  15  centimètres,  l'i- 
mage du  point  de  droite  vient  se  former  précisé- 
ment sur  le  punctum  cœcum  et  n'est  pas  perçue. 
Au  contraire,  un  autre  point  de  la  rétine,  placé 
juste  au  centre  de  cette  membrane,  jouit  d'une 
sensibilité  exquise.  C'est  la  tache  jaune,  large  à 
peine  de  1  millimètre  :  elle  seule  est  l'organe  do 
la  vision  distincte  ;  tous  les  autres  points  de  la 
rétine  ne  donnent  qu'une  sensation  confuse.  Quand 
notre  regard  embrasse  un  paysage,  l'ensemble  du 
spectacle  est  confusément  perçu,  mais  une  seule 
portion  se  peint  nettement  sur  la  rétine,  c'est  celle 
qui  tombe  sur  la  lac/ie  faune  :  de  \h  vient  la  né- 
cessité de  promener  le  regard,  pour  recevoir  suc- 
cessivement, sur  la  taclio  jaune,  les  diverses  par- 
ties du  paysage.  C'est  aussi  pour  cela  que,  quand 
nous  lisons,  nous  ne  percevons  qu'un  ou  deux 
mots  à  la  fois,  et  que  nous  sommes  obligés  de 
faire  courir  notre  regard  tout  le  long  de  la  ligne. 
On  comprend  maintenant  la  nécessité  pour  le 
globe  oculaire  de  jouir  d'une  extrême  mobilité  : 
il  faut  pouvoir  incessamment  présenter  cette  pe- 
tite surface,  la  tacite  jaune,  aux  images  que  l'on 
veut  percevoir  nettement. 

Deux  questions  se  posent  quand  on  étudie  la 
physiologie  de  l'œil  :  d'abord  pourquoi  voyons- 
nous  les  objets  droits,  du  moment  que  l'image 
rétinienne  est  renversée  ;  ensuite  comment,  avec 
deux  yeux,  c'est-à-dire  avec  doux  images,  ne 
voyons-nous  pourtant  qu'un  seul  objet  ? 

Selon  nous,  la  première  question  n'a  pas  de 
sens.  Elle  repose  sur  une  erreur  que  nous  appelle- 
rions volontiers  une  erreur  d'atitliropomorphisme  : 
elle  suppose,  en  quelque  sorte,  dans  le  cerveati 
un  être  vivant,  regardant  l'image  rétinienne  ren- 
versée, et  la  redressant  de  sa  propre  autorité.  On 
oublie  que  le  phénomène  de  perception  n'est  pas 
un  phénomène  matériel,  qu'il  ne  relève  pas  des 
lois  physiques,  et  que  dans  cet  ordre  de  phéno- 
mènes, il  n'y  a  ni  haut,  ni  bas,  ni  droit,  ni  ren- 
versé. Etant  donnée  une  image  bien  et  diiment 
physique,  optique,  comment  le  cerveau  \a.per^oit- 
il,  comment  en  a-t-il  conscience  ?  C'est  là  encore 
pour  la  sciencff  un  mystère  ;  c'est  le  passage  du 
physique  à  l'intellectuel,  que  la  science  ne  peut 
élucider.  Mais  étant  donnée  cette  image,  il  est  tout 
aussi  aisé,  ou,  si  l'on  veut,  tout  aussi  malaisé  de 
comprendre  que  le  cerveau  la  conçoive  droite  ou 
renversée.  L'un  ne  s'explique  pas  mieux  qiie 
l'autre,  et  l'on  touche  ici  du  doigt  l'abîme  qui  sé- 
pare l'opération  purement  physico-chimique  de  la 
14S 


VUE 


—  2354 


VUE 


sensation,  du  phénomène  intellectuel,  tout  diffé- 
rent, de  la  perception. 

Quant  ^  la  seconde  question,  elle  relève  de  la 
physiologie,  et  s'explique  par  la  curieuse  disposi- 
tion anatomique  des  libres  optiques  de  l'œil.  En 
effet,  les  deux  rétines  sont  symétriques  de  struc- 
ture, mais  elles  le  sont  d'une  façon  toute  spéciale  : 
dans  tout  autre  organe  double,  oreille,  narines, 
main, etc.,  la  symétrieest  alterne  :  la  moitié  gauche 
de  la  main  r'joite  est  symétrique  avec  la  moitié 
droite  do  la  main  gauche.  Au  contraire,  la  moitié 
droite  A  de  la  rétine  droite  est  symétrique  à  la 
moitié  droite  A'  de  la  rétine  gauche,  et  inverse- 
ment sa  moitié  gauche  B  est  symétrique  à  la  moi- 
tié gauche  B'  de  la  rétine  gauche.  Qu'entend-on, 
dans  ce  cas,  par  symétrie?  On  veut  dire  simple- 
ment que  les  fibres  nerveuses  de  la  moitié  A  d(3 
la  rétine  droite  se  confondent,  à  l'union  des  deui 
nerfs  optiques,  avec  les  fibres  de  la  moitié  A' de  la 
rétine  gauche.  On  sait  en  effet  que  les  doux  nerfs 
optiques  s'entre-croisent  (C)  pour  se  séparer  do 
nouveau  (D,D')  avant  d'arriver  au  cerveau.  Or  il 
suffit  de  jeter  les  yeux  sur  le  schéma  ci- dessous  et 


Schéma  de  rentre-croiscmcut  des  nerfs  optiiiues. 

d'observer  le  mode  particulier  de  l'entre-croise- 
ment,  pour  voir  qu'un  objet  situé  à  gauche,  par 
exemple,  se  peint  sur  le  point  A  de  l'une  des 
rétines,  etsur  le  point  A' de  l'autre,  et  que  ces  deux 
points  sont  reliés  au  cerveau  par  des  fibres  qui  se 
confondent  et  s'unissent  avant  d'y  arriver.  Il  en 
serait  de  même  si  un  objet  situé  à  droite  venait 
se  peindre  sur  les  deux  autres  moitiés  des  rétines, 
aux  points  B  et  B'  par  exemple.  Ainsi,  quelle  que 
soit  la  position  de  l'objet,  grâce  à  la  symétrie  in- 
verse des  deux  membranes  rétiniennes,  les  deux 
images  se  confondent  avant  d'atteindre  les  centres 
percepteurs. 

C'est  à  la  combinaison  des  deux  images  en  une 
sensation  unique  que  nous  devons  la  notion  sin- 
gulière du /•e/ie/'.  Les  deux  images,  en  effet,  sont 
toujours  très  légèrement  différentes,  l'objet  envi- 
sagé n'étant  pas  tout  h.  fait  dans  la  même  situation 
par  rapport  à  l'ceil  droit  et  par  rapport  à  l'œil 
gauche.  De  là  une  sorte  d'effort  cérébral  pour 
vaincre  cette  petite  discordance,  effort  qui  nous 
révèle  la  perspective,  c'est-à-dire  le  relief.  Il  suffit 
de  fermer  un  œil,  et  do  supprimer  ainsi  une  des 
images,  pour  voir  les  objets  «  i  plat  «,  sans  saillie. 
Le  stéi-èoacope  nous  donne  artificiellement  cette 


sensation  du  relief,  précisément  parce  qu'il  pré- 
sente à  l'un  des  yeux  une  image  photographique 
très  légèrement  différente  de  celle  qu'il  présente 
i  l'autre  œil. 

Un  point  à  noter,  c'est  que  l'image  subsiste 
quelque  temps  après  la  disparition  de  l'objet.  Cette 
persistance  de  la  sensation  lumineuse  se  révèle 
par  la  fusion  des  sensations  qui  se  succèdent 
très  rapidement  :  tout  le  monde  sait  qu'en  faisant 
rapidement  tourner  un  charbon  ardent,  l'œil  ne 
perçoit  plus  qu'un  cercle  de  feu.  C'est  sur  ce  prin- 
cipe physiologique  qu'est  fondée  la  fameuse  expé- 
rience du  liisrpie  de  Newton,  pour  la  recomposition 
de  la  lumière  blanche. 

La  sensation  lumineuse  est,  avons-nous  dit,  la 
seule  que  perçoive  l'œil.  Mais  cette  sensation  n'est 
pas  uniforme  dans  son  intensité.  Selon  qu'un  objet 
est  plus  ou  moins  éclairé,  selon  que  la  substance 
de  cet  objet  absorbe  tel  ou  tel  des  rayons  du  spec- 
tre, l'œil  voit  des  couleurs  différentes.  La  sensa- 
tion de  couleur  n'est  qu'un  autre  nom  de  la  sen- 
sation lumineuse. 

C'est  de  la  sensation  de  couleur  que  l'on  tire  le 
plus  souvent  la  notion  de  forme.  Il  n'en  est  pas  de 
même  à  tout  âge.  Au  début  de  la  vie,  le  tact,  et  le 
tact  seul,  nous  révèle  cette  notion.  Peu  à  peu  nous 
établissons  un  rapport  de  coïncidence  entre  telle 
forme  et  tel  mode  d'éclairage  ou  de  coloration,  et 
nous  finissons  par  nous  passer  du  toucher  et  par 
conclure  directement  de  la  couleur  à  la  con- 
formation. Il  faut  ajouter  que  \a. persf,eciive  (c'est- 
Ji-dire  les  dimensions  relatives  de  chaque  partie 
de  l'image  rétinienne)  contribue,  peut-être  autant 
que  la  couleur,  à  nous  faire  juger  des  formes  des 
objets. 

Quant  à  la  notion  de  la  distance,  elle  n'est  due 
qu'à  l'habitude  et  à  la  connaissance  antérieure  que 
nous  avons  des  dimensions  réelles  de  l'objet: 
nous  comparons  ces  dimensions  avec  celles  de 
l'image,  et  selon  que  l'image  est  relativement 
petite  ou  grande,  nous  jugeons  l'objet  éloigné  ou 
voisin.  L'aveugle-né  à  qui  on  rend  la  vue  n'a  pas 
la  notion  des  distances  :  il  voit  tous  les  objets  ap- 
pliqués immédiatement  sur  son  œil.  De  même  le 
petit  enfant  tend  les  bras  pour  saisir  les  objets  les 
plus  lointains,  la  lune  par  exemple. 

Il  faut  de  même  attribuer  à  l'habitude,  et  à  la 
combinaison  des  notions  de  plusieurs  sens,  la  fa- 
culté de  juger  de  l'état  de  repos  ou  de  mouve- 
ment des  objets. 

Le  sens  de  la  vue,  tel  que  nous  venons  de  le 
décrire,  est  celui  de  l'homme  et  des  animaux  su- 
périeurs. Nous  ne  pouvons  traiter  ici  des  varia- 
tions de  l'œil  à  travers  l'échelle  animale  :  nous 
dirons  seulement  que  l'œil  des  oiseaux  présente 
une  troisième  paupière  horizontale,  et  que  la  dis- 
tance du  cristallin  à  la  rétine  peut  varier  quelque 
peu  :  de  là  chez  eux  une  acuité  de  vue  extraordi- 
naire. L'œil  des  poissons,  des  reptiles,  des  batra- 
ciens, etc.,  ressemble  beaucoup  à  l'œil  des  mam- 
mifères. Chez  quelques  mollusques,  les  poulpes 
par  exemple,  il  garde  encore  cette  ressemblance; 
mais  chez  la  plupart  d'entre  eux,  et  chez  les  araclini- 
des,  les  insectes,  etc.,  cet  organe  diffère  totale- 
ment de  l'œil  que  nous  venons  de  décrire  :  il  se 
compose  de  plusieurs  milliers  de  petits  yeux  ag- 
glomérés, ayant  chacun  sa  cornée,  sa  rétine  et  son 
nerf  optique. 

Les  considérations  relatives  à  1  hygiène  de  la 
vue  sont  présentées,  dans  la.I'"  P.^rtie  de  ce  Dic- 
tionnaire, dans  les  articles  Eclairage,  Myopie,  et 
ceux  auxquels  ces  mots  renvoient.  Nous  _  n'avons 
pas  à  y  revenir  ici.  \P'  Pecaut.j 


ZINC 


—  233")  — 


ZOOLOGII 


ZINC.  —  Clihiiie,  XIX.  —  Le  zinccst  un  métal 
blanc  grisâtre  ;  sa  densité  varie  de  (!,8  à  7,2,  sui- 
vant qu'il  est  fondu  ou  écroui.  Son  coefficient  de 
dilatation  est  0,0J003;  sa  chaleur  spécifique  0,090. 
Il  fond  vers  400°,  bout  vers  1000".  Sa  texture  cris- 
talline est  très  apparente  sur  un  écliantillon  cassé. 
Il  est  pou  malléable  à  froid,  mou  comme  du  plomb 
entre  120°  et  150»,  friable  à  200".  Sa  ténacité  est 
très  faible,  il  se  rompt  sous  une  traction  de 'i  kilos 
par  millimètre  carré  de  section.  Le  zinc,  comme 
le  cuivre,  graisse  les  limes.  11  se  fond  et  se  moule 
fort  bien  ;  on  peut  le  couler  dans  des  moules  en 
zinc  h  condition  que  sa  température  soit  aussi  peu 
élevée  que  possible  au-dessus  du  point  de  fusion; 
comme  il  se  contracte  beaucoup  en  se  solidifiant 
et  se  refroidissant,  il  se  retire  aisément  du  moule. 
Il  se  lamine  sans  peine,  et  ses  lames  sont  d'un 
travail  très  facile.  On  leur  donne  toutes  les  for- 
mes. Ce  métal  se  soude  avec  de  la  soudure  d'é- 
tain  après  qu'il  a  été  décapé  à  l'acide  clilorliy- 
drique. 

Le  zinc  s'enflamme  vers  500°  et  brûle  avec  une 
flamme  blanc  verdàtre  dont  l'eti'et  est  utilisé  pour 
les  feux  d'artifice.  Le  produit  de  la  combustion  est 
un  oxyde  blanc  qui  voltige  en  flocons  légers, 
d'uù  son  nom  de  /aine  pliilosophique  ou  de  nihil 
album.  Le  zinc  décompose  l'eau  aune  température 
peu  supérieure  à  100°,  et  à  la  température  ordinaire 
en  présence  d'un  acide  ;  cette  réaction  n'a  pas 
lieu  si  le  zinc  est  pur  ou  amalgamé,  à  moins  que 
ce  métal  ne  fasse  partie  d'un  circuit  galvanique 
fermé. 

Le  zinc  décompose  aussi  l'eau  vers  100°  en  pré- 
sence d'une  base  et  forme  des  zincates. 

Le  zinc  est  placé  après  les  métaux  alcalins  dans 
la  liste  des  corps  électro-positifs.  Aussi  cliasse-t-il 
de  leurs  dissolutions  tous  les  métaux  moins  oxy- 
dables que  le  fer. 

Malgré  cela,  il  est  pratiquement  très  peu  alté- 
rable. Il  se  recouvre  à  l'air  humide  ou  dans  l'eau 
aérée  d'une  couche  blanche  d'hydrocarbonate  qui, 
après  une  dessiccation,  devient  très  compact  et 
agit  comme  une  sorte  de  vernis,  préservant  le  reste 
du  métal  de  l'oxydation. 

Le  zinc  est  même  employé  pour  garantir  le  fer 
de  la  rouille  ;  l'usage  du  fer  à  tort  appelé  galva- 
nisé ne  peut  manquer  de  s'étendra  encore  ;  on 
galvanise  ou  plutôt  on  zingue  les  objets  en  fer  en 
les  décapant  parfaitement  avec  du  l'acide  sulfu- 
rique  étendu,  puis  les  plongeant  dans  du  zinc  fondu 
recouvert  d'une  légère  couche  de  chlorure  de  zinc. 
Ce  procédé,  indiqué  au  siècle  dernier,  a  été  mis  en 
usage  depuis  1830.  La  tùle  galvanisée  sert  spécia- 
lement à  faire  des  toitures  et  est,  pour  cet  objet, 
bien  supérieure  au  zinc  on  lames  plus  générale- 
ment employé.  Les  vases  en  zinc  ou  zingués  peu- 
vent sans  inconvénient  contenir  do  l'eau  potable 
froide  ;  mais  il  faut  éviter  d'y  conserver  des  ali- 
ments salés,  acides  ou  gras,  qui  dissolvent  le  zinc 
et  forment  des  sels  assez  vénéneux. 

Le  zinc  du  commerce  n'est  jamais  pur.  On  sait 
eneffet  que  l'hydrogène  qu'il  dégage  de  l'eau  en 
présence  d'un  acide  est  toujours  odorant  et  qu'il 
laisse  un  assez  considérable  résidu  noir  insoluble. 
Ces  impuretés  sont  surtout  du  silicium,  du  carbone, 
de  l'arsenic,  et,  suivantles  lieux,  des  traces  d'autres 
métaux,  indium,  ihallium,  dont  la  présence  a  été 
révélée  d'abord  par  l'analyse  spectrale. 

Pour  obtenir  le  zinc  pur,   il  faut  distiller    le 
métal  obtenu  par  la  réduction  do  l'oxyde  pur. 
Le  zinc  isolé  n'était  pas  connu  dos  anciens;  les 


Uomains  employaient,  sans  en  savoir  la  composi- 
tion, le  laitoii,  alliage  de  zinc  et  de  cuivre. 

Voxijde  de  zinc  est  un  corps  blanc  que  l'on  ob- 
tient par  calcination.  Il  sert  il  la  peinture  et  tend 
îl  remplacer  la  céruse  dont  il  n'ofl're  pas  les  dan- 
gers, mais  il  couvre  moins  qu'elle  ;  cette  couleur 
se  conserve  fort  bien,  l'hydrogène  sulfuré  étant 
sans  action  sur  elle.  On  peut  l'obtenir  aussi  en 
précipitant  un  sel  do  zinc  par  un  alcali,  en  évi- 
tant l'excès  qui  redissoudrait  le  précipité.  L'oxyde 
de  zinc  est  une  base  énergique  qui  forme  avec  les 
acides  des  sels  bien  définis. 

Le  cid'jrure  de  zinc  hydraté  est  obtenu  par  la 
dissolution  du  zinc  dans  l'acide  chlorhydrique. 
C'est  le  flux  qui  sert  ù.  la  soudure  à  l'étain  du  fer 
blanc,  du  laiton,  du  fer,  dans  les  cas  où  la  résine 
ne  suffit  pas.  C'est  un  caustique  des  plus  puissants, 
dont  l'usage  a  été  très. préconisé  pendant  ces  der- 
nières années.  Il  est  aussi  employé  avec  succès  à 
la  conservation  des  préparations  anatomiques  et 
des  cadavres. 

VoT.ychlorure  de  zinc,  obtenu  par  le  mélange 
des  deux  corps  précédents,  se  transforme  par  des- 
siccation en  un  corps  très  dur  et  très  insoluble.  On 
l'emploie  comme  peinture  blanche  sappliquant 
sans  huile  siccative  ;  c'est  aussi  une  des  substances 
les  meilleures  et  les  plus  faciles  à  utilicor  pour 
plomber  les  dents  cariées. 

Le  sulfure  de  zinc  iiaturel  ou  blende  est  un  des 
principaux  minerais  de  zinc.  Le  sulfure  artificiel 
sert  en  peinture  surtout,  mélange  à  du  sulfate  de 
baryte.  Ce  produit  est  obtenu  en  mélangeant  les 
dissolutions  de  sulfate  de  zinc  et  de  sulfure  de 
baryum . 

Les  principaux  alliages  de  zinc  sont  le  laiton 
ou  cuivre  jaune,  le  maillechort,  le  chrysocale.  Il 
est  remarquable  que  le  laiton  se  lime  fort  bien, 
tandis  que  ses  deux  composants  graissent  les 
limes. 

Les  sels  de  zinc  sont  incolores  ou  blancs,  d'une 
saveur  métallique  spéciale.  Leur  solution  n'est 
pas  précipitée  par  l'acide  sulfhydrique.  Le  sulfhy- 
drale  d'ammoniaque  y  forme  un  précipité  de  sul- 
fure blanc.  Au  chalumeau,  les  sels  de  zinc  don- 
nent l'oxyde  blanc  compact  qui  forme  sur  le 
charbon  une  sorte  de  vernis. 

Le  sulfate  de  zinc  ou  couperose  blanche  est  em- 
ployé comme  désinfectant  ;  cette  propriété  s'expli- 
que en  ce  qu'il  décompose  le  sulfhydrate  d'ammo- 
niaque et  forme  du  sulfure  de  zinc  et  du  sulfate 
d'ammoniaque. Les  autres  sels  sont  sans  importance. 

Les  minerais  de  zinc  sont  la  blende,  sulfure  de 
zinc,  et  la  calamine,  carbonate.  Le  premier  de 
ces  corps  est  transformé  par  le  grillage  en  sulfate 
et  en  oxyde.  L'oxyde,  ainsi  que  le  carbonate,  après 
purification  mécanique,  sont  réduits  parle  charbon, 
puis  distillés. 

La  distillation  du  zinc  était  autrefois  citée  comme 
exemple  remarquable  de  distillation  per  descen- 
sutn.  Le  métal  était  chautl'é  dans  un  creuset 
fermé  traversé  par  un  tube  vertical,  et  le  produit 
distillé  coulait  dans  un  vase  au-dessous;  cette 
disposition,  plus  ou  moins  favorable  dans  la  pra- 
tique, n'a  théoriquement  aucune  importance. 

Le  zinc  se  trouve  spécialement  en  Sibérie  et 
en  Belgique.  Sa  production  annuelle  dépasse 
00  millions  de  kilos.  Son  prix  a  beaucoup  varié  ; 
il  est  maintenant  de  50  à  GO  Irancs  les  100  kilos. 
[Paul  Robin.] 
ZOOLOGIli:. — Dans  son  acception  lapins  large, 
le  mot  Zoologie  désigne  l'ensemble   des  connais- 


ZOOLOGIE 


2356  — 


ZOOLOGIE 


sances  que  nous  possédons  sur  le  règne  animal. 
Ces  connaissances  viennent  elles-mêmes  se  ranger 
sous  divers  chapitres  qui  constituent  autant  de 
sciences  distinctes. 

La  Zookirjie  descriptive  ou  systématique  s'oc- 
cupe de  nous  faire  connaître  les  caractères  distinc- 
tifs  des  diverses  espèces  animales,  de  dresser  le 
catalogue  de  ces  espèces  et  de  les  classer  dans  un 
ordre  méthodique.  Elle  emploie  surtout  dans  ses 
classifications  les  caractères  extérieurs  qui  per- 
mettent de  reconnaître  rapidement  un  animal 
donné. 

VAnatomie  descriptive  a.  pour  objet  de  décrire 
les  différents  organes  des  animaux  et  leurs  rap- 
ports réciproques.  Elle  peut  se  borner  h  considé- 
rer la  forme  extérieure  des  organes  ou  pénétrer, 
à  l'aide  du  microscope,  dans  leur  structure  in- 
time ;  elle  confine,  dans  ce  dernier  cas,  à  une 
autre  science,  ['Histoloçjie,  quelquefois  désignée 
sous  le  nom  à'anatomie  générale,  et  qui  étudie 
les  éléments  constitutifs  des  êtres  vivants,  les 
éléments  analomifjues,  dans  leurs  formes  diverses, 
dans  leurs  propriétés  et  dans  leurs  modes  variés 
de  groupement. 

La  recherche  des  lois  qui  régissent  l'agence- 
ment des  organes  et  des  diverses  parties  des  ani- 
maux constitue  une  autre  science,  VAnotomie 
comparée.  C'est  seulement,  en  effet,  en  comparant 
entre  eux  les  animaux,  au  point  de  vue  de  leur 
structure  anatomique,  que  le  naturaliste  parvient 
à  dégager  ces  lois. 

Tous  les  animaux  commencent  par  n'être  qu'un 
œuf,  et  c'est  graduellement  que  leurs  organes  se 
forment,  les  derniers  venus  prenant  générale- 
ment naissance  sur  ceux  qui  ont  apparu  tout  d'a- 
bord. Les  animaux,  pendant  qu'ils  se  développent, 
changent  donc  peu  K  peu  de  forme  extérieure  et 
de  structure;  on  appe\le  Embryologie  ou  Embryo- 
génie l'histoire  de  leur  développement.  On  peut 
distinguer  une  emhnjoge'nie  descriptive,  corres- 
pondant à  l'anatomie  descriptive,  et  une  embryo- 
génie comparée  ou  embryogénie  générale. 

L'anatomie  et  l'embryogénie  s'occupant  sur- 
tout des  formes  des  animaux  ou  de  leurs  organes 
et  des  changements  que  subissent  ces  formes, 
soit  quand  on  passe  d'un  type  à  un  autre,  soit 
quand  on  étudie  le  développement  d'un  môme  in- 
dividu, ces  deux  sciences  peuvent  être  considérées 
comme  deux  branches  d'une  science  plus  géné- 
rale, la  Morpliologie  ou  science  des  formes. 

On  oppose  ordinairement  à.  la  Morphologie  la 
Physiologie,  qui  traite  ies  fonctions  des  organes. 
indépendamment  de  leur  forme  ;  la  morphologie 
traitant  au  contraire  de  la  forme  indépendamment 
de  la  fonction. 

A  ces  dernières  branches  de  la  zoologie  théo- 
rique, il  faut  ajouter  la  Zoologie  appliguée,  qui 
embrasse  l'ensemble  des  rapports  qui  peuvent 
s'établir,  au  point  de  vue  économii|ue,  entre 
l'homme  et  les  animaux.  La  Zoologie  appliquée  se 
subdivise  en  une  infinité  de  branches,  telles  que  la 
Zootechnie,  ou  science  de  l'élevage  et  du  perfec- 
tionnement du  bétail  ;  la  Pisciculture,  ou  science 
de  l'entretien  et  du  développement  de  la  popula- 
tion animale  des  eaux;  V Insectologie  agricole,  etc., 
etc.  La  Médecine  vétérinaire  et  la  Médecine  pro- 
prement dite  peuvent  enfin  être  considérées 
comme  ayant  leur  base  dans  la  zoologie  telle  que 
nous  venons  de  la  définir. 

L'étude  de  la  répartition  des  animaux  îi  la  sur- 
face du  globe  et  des  causes  qui  ont  amené  cette 
sépartition  mérite  aussi  d'être  élevée  au  rang 
d'une  science  particulière,  dont  les  fondements 
ront,  à  la  vérité,  à  peine  jetés  :  c'est  la  Géographie 
zoologique.  Enfin,  depuis  que  le  transformisme  a 
imposé  à  l'esprit  des  naturalistes  la  recherche  de 
l'origine  des  êtres,  on  a  appelé  Phylogénie  la  par- 
tie de  la  science,  raalheureusament  encore  très 


hypothétique,  qui  traite  de  la  généalogie  des  diffé- 
rents groupes  d'animaux.  Si  la  phylogénie  prend 
définitivement  place  parmi  les  branches  des  sciences 
naturelles,  elle  comprendra  nécessairement  comme 
un  de  ses  rameaux  importants  la  Paléontologie 
animale,  ou  histoire  des  animaux  fossiles,  qui  a 
fait  depuis  Cuvier,  son  fondateur,  de  magnifiques 
conquêtes. 

On  peut  juger,  par  l'énumération  que  nous  -ve- 
nons de  faire,  de  l'étendue  immense  de  la  zoologie, 
et  nous  n'avons  cependant  pas  épuisé  tous  les 
points  de  vue  sous  lesquels  l'histoire  des  animaux 
peut  être  envisagée  :  nous  n'avons  rien  dit  ni  des 
rapports  que  ces  êtres  contractent  avec  le  milieu 
dans  lequel  ils  doivent  vivre,  ni  des  modifications 
qu'ils  subissent  sous  l'action  de  ce  milieu,  ni  des 
relations  réciproques  dans  lesquelles  les  animaux 
sont  entre  eux,  ni  de  l'influence  modificatrice 
qu'ils  exercent  les  uns  sur  les  autres;  nous  ne 
nous  sommes  pas  davantage  occupé  de  l'étude 
do  leurs  mœurs;  il  y  a  lu,  cependant  des  sujets 
d'observation,  pour  ainsi  dire,  en  nombre  infini  et 
qui,  dans  un  avenir  sans  doute  prochain,  fourni- 
ront la  matière  de  branches  de  la  science  qui 
n'existent  encore  que  de  nom. 

Dès  sa  naissance,  la  zoologie  a  été  conçue  avec 
cette  ampleur  par  Aristote  (V.  Naturalistes)  ;  mais 
après  lui  la  nuit  se  fait,  et  Pline  lui-même  demeure 
bien  loin  de  l'idée  grandiose  que  le  philosophe  de 
Stagires'était  formée  de  la  science  de  la  nature.  Les 
Egyptiens, les  Grecs  et  les  Romains  connaissaient  un 
assez  grand  nombre  d'animaux;  mais  les  premiers 
en  faisaient  parfois  desdieux,  ce  qui  n'était  pas  une 
excellente  condition  pour  les  étudier;  en  Grèce 
et  à  Rome,  c'était  seulement  en  raison  de  leur 
utilité  que  les  êtres  vivants  étaient  l'objet  de 
quelque  attention.  Le  moyen  âge  ne  fit  guère 
plus,  et  c'est  seulement  au  xvi'  siècle  que,  d'une 
part,  on  se  livre  aux  travaux  d'anatomie  humaine 
qui  ont  illustré  les  noms  de  Fabricio  d'Acquapen- 
dente,  de  Vésale,  de  Jlichel  Servet,  d'Ambroise 
Paré,  tandis  que  d'autre  part  des  hommes  comme 
Gessner,  Rondelet  et  Pierre  Belon  commencent  à 
décrire  les  nouveaux  animaux  rapportés  de  leurs 
voyages  par  les  explorateurs  du  Mouveau-Monde. 
Les  formes  différentes  bien  connues  deviennent 
nombreuses;  pour  arriver  aies  distinguer  les  unes 
des  autres,  un  groupement  méthodique  s'impose 
nécessairement,  et  on  trouve,  en  effet,  dans  les 
œuvres  de  ces  auteurs,  des  essais,  à  la  vérité  par- 
fois peu  réussis,  de  classification.  AIdrovande 
tente  vers  cette  époque  une  histoire  de  la  nature 
dont  il  put  terminer  cinq  volumes  ;  mais  son  ou- 
vrage, qui  suppose  des  connaissances  étendues,  ne 
réalise  aucun  progrès  important  touchant  la  mé- 
thode :  les  animaux  sont  rapprochés  d'après  des 
caractères  sans  importance  ou  simplement  même  d'a- 
près leur  habitat.  Les  successeurs  d'Aldrovande 
sont  d'ailleurs  surtout  préoccupés  du  parti  que  la 
médecine  peut  tirer  des  animaux. 

Cependant  les  documents  commencent  ^  abon- 
der ;  on  ne  se  borne  plus  i  décrire  les  animaux, 
on  les  observe  ;  l'invention  des  lentilles  grossis- 
santes, les  découvertes  de  Malpighi,  de  Lœwon- 
hœk  sur  la  structure  des  êtres  vivants  et  sur 
les  animaux  microscopiques,  celles  de  Swammer- 
damm  sur  les  métamorphosesdes insectes,  viennent 
ouvrir  une  ère  nouvelle.  Le  xvii'  siècle  voit  éclore 
de  nombreux  chercheurs,  des  académies  se  fon- 
dent: l'Académie  des  curieux  de  la  nature  (lfi52), 
en  Allemagne,  USociété  royale  de  Londres  (1062), 
en  Angleterre,  l'Académie  des  sciences  de  Pa- 
ris {Hi\):)),  en  France,  etc.  Des  rapports  réguliers 
s'établissent  entre  les  savants,  les  idées  s'échan-- 
gent  et  se  propagent.  L'n  botaniste,  Ray,  arrive 
le  premier  (1G8G)  aune  notion  de  l'cs/jéce  voisine 
de  celle  que  nous  en  avons  aujourd'hui.  Ray  s'est 
d'ailleurs  également  occupé  des  animaux;  on  lui 


ZOOLOGIE 


— •  ^2357  — 


ZOOLOGIE 


doit  des  ossais  do  classification  iieureux  à  beau- 
coup défjards;  il  définit  par  exemple  assez  juste- 
mont  les  ( ■(•Vflri'v,  bien  qu'il  les  laisse  h  côté  des 
poissons;  il  lait  intervenir  dans  son  système  toutes 
les  données  anatomiques  qu'il  possède,  et  donne 
des  vertébrés  une  classification  assez  exacte. 

Nous  arrivons  au  xviii"  siècle.  Des  tentatives 
mleressantes  do  classification  sont  faites  par 
lircyn  pour  les  mollusques  et  les  oursins,  parmi 
lesquels  il  fait  une  place  pour  les  espèces  fossiles  ; 
par  Link  pour  les  étoiles  de  mer;  mais  deux 
liommes,  qui  furent  ardents  adversaires  l'un  de 
l'autre,  s'élèvent  au-dessus  do  tous  les  zoologistes 
descripteurs  de  cotte  époque  :  Klein  (1685-1759) 
et  surtout  le  grand  Linné.  Klein  imagine  un  sijs- 
tfine  général,  auquel  il  ne  demande  du  reste  qu'un 
procédé  pour  arriver  le  plus  rapidement  possible 
a  la  connaissance  du  nom  des  animaux;  il  pose  en 
principe  que   les  caractères   à  employer    doivent 


toire  naturelle   de    l'homme,  de  l'anthropologie. 

Un  contemporain  de  Butfon,  Bonnet  de  Genève 
(n'20-1793),  soutenait  de  son  côté  deux  doctrines 
théoriques  qui  ont  fait  quelque  bruit  dans  la 
science.  11  pensait  que  les  animaux  formaient  une 
chaîne  ininterrompue,  de  sorte  que  leurs  espèces, 
d'ailleurs  invariables,  pouvaient  être  rangées  en 
une  seule  série  :  la  classification  devait  donc  se 
bornera  constituer  cetie  échelle  des  êtres.  Il  a  fait, 
d'autre  part,  un  grand  nombre  d'expériences  pré- 
cises sur  la  reproduction  des  animaux. 

Cependant  les  animaux  inférieurs,  jusque-là  mal 
connus,  commencent  à  modifier  l'idée  que  l'on  se 
formedu  règneanimal  :  Peyssonnel,  Tromidey, Bon- 
net lui-même  et  deJussiou,  ont  fait  connaître  des 
animaux  qui  bourgeonnent  les  uns  sur  les  autres 
comme  les  plantes  :  la  nature  animale  du  corail  est 
établie.  Cuvierétendconsidérablemeni,  dès  sospre- 
mières  recherches,  les  connaissances  anatomiques 


être  exclusivement  tirés  de  l'extérieur  de  l'animal,    que    l'on   possédait  sur  les  vers  et  sur  les  mol- 


et  se  condamne  ainsi  à  ne  tenir  aucun  compte  de 
ceux  qui  indiquent  le  mieux  leurs  affinités.  S'il 
possède  nettement  la  notion  de  l'espèce,  s'il  con- 
çoit des  groupes  d'espèces  bien  définis  auxquels 
on  peut  donner  le  nom  do  genres,  il  ne  réussit 
pas  h  constituer  des  groupes  supérieurs  nettement 
délimités,  et  ses  réunions  de  genres  il  les  appelle 
simplement  des  grands  çjeyires. 
_  Linné  (10î4-ms)  a  de  la  méthode  une  concep- 
tion autrement  large  et  apporte  dans  ses  travaux 
une  précision  autrement  grande,  trop  grande 
peut-être,  car  elle  le  conduit  h.  ne  pas  tenir  un 
compte  suffisant  de  tout  ce  qui  est  mal  défini. 
Ray  avait  conçu  l'espèce  comme  une  succession 
de  formes  très  semblables  entre  elles,  mais  douées 
dune  variabilité  assez  étendue;  Linné  fait  l'es- 
pèce absolument  invariable  :  c'est  de  lui  que  date 
le  dogme  de  la  fixité  des  formes  animales  et  végé- 
tales. 0  On  compte,  dit-il,  autant  d'espèces  qu'il 
est  sorti  do  couples  des  mains  du  Créateur.  »  A 
chacun  de  ces  couples  il  donne  un  nom  ;  ce  nom 
est  compose  de  deux  mots,  l'un  qui  est  le  nom  du 
genre  auquel  l'espèce  appartient,  l'autre  qui  est  le 
nom  de  l'espèce  et  la  distingue  dans  ce  genre. 
Cette  noiiienclaiure  binaire,  dont  Linné  fixe  les 
règles  jusque-là  indécises,  est  devenue  un  instru- 
ment merveilleux  entre  les  mains  des  classiflca- 
teurs.  En  outre  Linné  définit  toute  une  série  de 
divisions  :  espèces,  genres,  familles,  ordres,  classes, 
parfaitement  hiérarchisées,  et  dont  il  fait  saisir 
nettement  les  rapports  réciproques  par  des  com- 
paraisons empruntées  soit  aux  divisions  géogra- 
phiques, soit  à  l'organisation  militaire. 

Quels  que  soient  les  défauts  du  système  de 
Linno,  dès  cette  époque  la  zoologie  systématique 
est  fondée. 

Cependant,  durant  le  xviii«  siècle,  il  s'en  faut 
que  tous  les  naturalistes  adoptent  sa  réforme  si 
simple.  Réaumur,  Buffon  (1:07-1788),  dans  leurs 
immortels  travaux,  se  passent  de  toute  classifica- 
tion. Aussi  plusieurs  passages  des  Mémoires 
pour  servir  ù  l'histoire  des  Insectes,  de  Réaumur, 
sont-lis  demeures  très  énigmatiques.  Les  gran- 
des descriptions  de  Bufi'on  permettent,  il  est  vrai, 
d  identifier  toujours  les  animaux  dont:  il  parle; 
mais  quand  il  arrive  aux  oiseaux,  si  nombreux 
en  espèces,  il  est  obligé  lui-même  de  mettre  quel- 
que ordre  dans  son  sujet  ;  sans  cela  comment  se 
reconnaître  au  milieu  de  la  foule  de  bêtes  qu'il  a 
à  décrire-?  Mais  là  n'est  pas  le  mérite  de  Bufi'on. 
Le  grand  naturalisie  jette  les  bases  de  la  philoso- 
phie zoologique.  Il  cherche  à  résoudre  par  l'ob- 
servation la  question  tranchée  dogmatiquement  par 
Linno  de  la  variabilité  des  espèces;  il  mot  en 
évidence  quelques  faits  importants  de  géographie 
zoologique,    comme   la  différence  des  faunes   d 


lusques.  Il  reconnaît  que  les  animaux  peuvent  se 
répartir  en  quatre  grands  types  qu'il  nomme  des 
embranchemeiils,  et  entreprend  une  réforme  com- 
plète de  la  classification  de  Linné.  Le  but  qu'il 
poursuit  est  la  réalisation  d'une  classificution  na- 
turelle qui  emploie  dans  l'édilication  de  ses  divi- 
sions tous  les  caractères  de  t'animai  adulte,  de 
manière  que  la  méthode,  une  fois  achevée,  soit, 
en  quelque  sorte,  le  résumé  de  la  science.  Pour 
réaliser  cette  méthode,  il  remarque  d'abord  que 
de  même  que  les  groupes  zoologiques  sont  subor- 
donnés les  uns  aux  autres,  les  caractères  qui  dis- 
tinguent ces  groupes  sont  eux-mêmes  subordon- 
nés, de  façon  qu'il  devient  facile  de  caractériser 
chaque  sorte  de  division  par  un  petit  nombre  de 
caractères  ou  même  par  un  seul  ;  ainsi  chacun  des 
(piatre  embranchements  est  caractérisé  par  une 
disposition  s])éciale  du  système  nerveux.  Ce  prin- 
cipe de  la  subordination  des  cara'jtéres  est  le  fon- 
dement de  la  méthode  naturelle,  comme  le  prin- 
cipe à.s\di  corrélation  (les  formes,  également  énoncé 
par  Cuvier,  est  devenu  le  fondement  de  la  paléon- 
tologie. 

Cuvier  admettait  que  les  animaux  et  les  plan- 
tes avaient  été  crées  tels  qu'ils  sont.  Lamarck  et 
Etienne  Geoffroy-Saint-Hilaire  ont  attaqué  un  au- 
tre côté  de  la  question  :  ils  ont  l'un  et  l'autre 
agité  le  problème  de  l'origine  des  espèces.  Lamarck, 
par  son  magnifique  ouvrage  descriptif,  ['Histoire 
naturelle  des  animaux  sans  vertèbres,  et  par  ses 
travaux  de  botani(|ue,  a  mérité  le  nom  de  Linné 
français.  Geoffroy,  par  les  principes  qui  l'ont  guidé 
dans  ses  nombreuses  recherches  d'anatomie,  doit 
être  considéré  comme  ayant  contribué  presque 
autant  que  Cuvier  à  fonder  Vanatomie  comparée, 
telle  qu'on  la  comprend  aujourd'hui.  Cuvier  in- 
sistait sur  les  rapports  réciproques  des  organes 
dans  un  même  animal,  Geofl'roy  considère  surtout 
les  modifications  des  organes  dans  les  différents  ty- 
pes ;  personne  n'a  plus  largement  contribué  à  éta- 
blir le  fait  qu'un  même  organe  peut,  dans  différents 
animaux,  remplir  les  fonctions  les  plus  opposées, 
tandis  qu'une  même  fonction  peut  être  remplie  par 
des  organes  n'ayant  entre  eux  aucun  autre  rapport, 
(i'est  grâce  à  ce  double  principe  qu'une  morpholo- 
gie générale  des  animaux  est  devenue  possible,  et 
qu'on  a  pu  formuler  le  plus  grand  nombre  des 
lois  qui  régissent  leur  structure. 

A  côté  des  noms  de  ces  trois  grands  hommes  il 
faut  placer  celui  de  von  Bœr.  que  l'on  regarde  à 
juste  titre  comme  l'un  des  fondateurs  de  Vem- 
brgologie  générale. 

Les  travaux  de  ces  éminents  naturalistes 
ont  donné  à  la  zoologie,  au  commencement  de 
ce  siècle,  une  impulsion  qui  ne  s'est  pas  ra- 
lentie.   En    possession    d'une    méthode    précise. 


,,,-■-,"■.'1"'-'  ^"">""=  la  uiiierence  aes  launes  Ue  lentie.  En  possession  d  une  méthode  précise, 
1  Amérique  et_  de  l'Ancien-Monde;  enfin,  on  de  moyens  d'observations  d'une  perfection  qu'il 
peut  le  considérer  comme  le   fondateur  de  l'his-  I  semble  difficile  de  dépasser,  la  zoologie,  marchant 


ZOOLOGIE 


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ZOOLOGIE 


avec  liardiesse  dans  la  voie  sûre  do  l'observation 
et  de  l'expérience,  a  fait  en  moins  de  cinquante  ans 
les  plus  grandes  conquêtes.  Profitant  de  tout  ce 
que  les  maîtres  lui  avaient  légué  de  vérités,  elle 
a  su  peu  à  peu  se  débarrasser  de  toutes  les 
entraves  qui  gênaient  son  essor.  Les  zoologistes 
ne  croient  plus  aujourd'lmi  il  la  génération  spon- 
tanée ;  ils  savent  que  tout  être  vivant  procède  d'un 
œuf;  ils  ont  suivi  pas  à  pas  toutes  les  transfor- 
mations de  cet  œuf,  et  ils  savent  que  c'est  en  se 
divisant  et  se  subdivisant  do  manière  à  former  un 
nombre  toujours  plus  grand  de  parties  d'.Tbord 
presque  semblables  à  l'œuf  lui-môme,  mais  qui  vont 
ensuite  en  se  différenciant  de  plus  en  plus  les 
unes  des  autres,  que  les  organes  des  animaux 
arrivent  à  se  constituer.  Ils  savent  que  ce  mode 
d'évolution  par  épigéncse  ne  donne  pas  toujours 
naissance  à  un  individu  unique  ;  que  l'être  vivant 
qui  naît  d'un  œuf  peut  produire,  par  la  conti- 
nuation du  procède  qui  lui  a  donné  naissance,  des 
individus  plus  ou  moins  semblables  à  lui,  qui  peu- 
vent demeurer  unis  pour  constituer,  par  leur 
ensemble,  un  individu  plus  complexe,  ou  s'isoler 
les  uns  des  autres  en  revêtant  des  formes  diver- 
ses. C'est  dans  ce  dernier  phénomène  que  consiste 
ce  qu'on  a  appelé  la  génération  nllernante,  et  c'est 
seulement  après  l'avoir  bien  établi  qu'on  a  pu 
découvrir  le  mode  do  propagation  des  vers  intes- 
tinaux, dont  la  présence  dans  l'organisme  était  le 
dernier  argument  en  faveur  des  générations  spon- 
tanées. La  zoologie  a  ainsi  résolu  un  problème 
de  grande  importaixe  pour  la  médecine. 

Ces  idées  éclairent  d'ailleurs  considérablement 
l'embryogénie  des  animaux  supérieurs.  On  aper- 
çoit nettement  un  rapport  entre  la  parenté  des 
animaux  à  l'état  adulte,  et  la  façon  dont  ils  ve  dé- 
veloppent. Cuvier,  ne  tenant  compte  que  des  ca- 
ractères des  animaux  adultes,  avait  placé  les  ler- 
pées  parmi  les  polypes,  les  cirrhipèdes  parmi  les 
mollusques;  l'embryogénie  démontre  que  ces  ani- 
maux sont  à  leur  naissance  de  vrais  crustacés. 
Bientôt,  en  1S44,  M.  Milne-Edvvards  affirme  qu'on 
doit  tenir  grand  compte  des  données  embryogéni- 
ques  dans  les  classifications.  La  classification  na- 
turelle se  trouve  désormais  assise  sur  une  triple 
base  :  ressemblance  des  caractères  extérieurs,  res- 
semblance dts  caractères  anatomiques,  ressem- 
blance dans  le  développement  embryogénique. 

L'être  vivant  apparaît  d'ailleurs  maintenant 
comme  le  résultat  de  l'association  d'un  nombre 
parfois  énorme  d'éléments  autonomes,  provenant 
de  la  segmentation  de  l'œuf  et  que  depuis 
Schwann  (1839)  on  nomme  cethcles,  ou  d'une 
manière  plus  générale  éléments  anatomiques  ou 
encore  plastides. 

Jusqu'en  1859  on  s'occupe  peu  de  l'origine  des  1 
espèces  vivantes.  Le  nombre  de  celles  qui  sont 
inscrites  dans  les  catalogues  dépasse  plusieurs 
centaines  de  mille.  Cette  multiplicité  des  formes 
rend  enfin  quelque  peu  sceptique  relativement  à 
la  valeur  de  certaines  espèces  ;  on  commence  h 
reconnaître  que  les  espèces  sont  variables  dans 
une  certaine  étendue,  et  l'on  se  demande  à  quoi 
une  simple  variété  peut  être  distinguée  d'une 
véritable  espèce.  C'est  dans  ces  conditions  qu'ap- 
paraît le  livre  de  Darwin  sur  l'Origine  des  espèces. 
Depuis  lors,  l'horizon  s'est  agrandi.  La  paléonto- 
logie est  venue  apporter  la  preuve  que  les  espèces 
animales  n'ont  pas  toujours  été  ce  qu'elles  sont 
aujourd'hui  (V.  Transformisme)  ;  la  géographie 
zoologique  est  venue  établir  des  liens  évidents  en- 
tre certaines  espèces,  considérées  longtemps  comme 
indépendantes  :  les  diverses  espèces  de  mancliots, 
les  diverses  espèces  de  phoques  de  l'hémisphère 
austral  paraissent  ainsi  avoir  eu  une  origine  com- 
mune. La  zoologie  aborde  donc  résolument  au- 
jourd'hui le  problème  de  l'origine  des  formes  ani- 
males  actuelles,   qui    contient   le   problème    de 


l'origine  de  l'homme.  Quelle  que  soit  la  solution 
à  venir,  l'humble  science  qui  au  début  n'intéres- 
serait que  les  curieux  et  les  gourmets  arrive  ainsi 
à  toucher  aux  plus  hauts  sommets  de  la  philoso- 
phie. [Edmond  Perrier.] 

Nous  donnons  ci-dessous  le  programme  qui  a 
été  suivi  dans  ce  Dictionnaire  pour  la  distribution 
des  articles  de  zoologie  : 


PROGRAMME   DE    ZOOLOGIE. 

I-II.  —  Définition  de  la  zoologie.  Sa  place  dans 
les  sciences  naturelles  ;  son  histoire  ;  objets 
qu'elle  étudie.  —  V.  Zoologie,  Sciences,  Vie,  Rè- 
gnes [Les  trois).  Histoire  naturelle,  Naluralistes. 
1"  Partie.  —  Classification  du  règne  animal. 

III.  —  Principes  généraux  de  classification.  His- 
toire de  la  classification.  Idée  de  l'espèce;  théo- 
riesdeLamarck.Geofl'roy-Saint-Hilaire,  Darwin  : 
le  transformisme.  — V.  Classification,  Espèces, 
Darwinisme,  transformisme. 

IV.  —  Embranchement  des  vertédrés.  Classe  des 
Mammifères.  Caractères  généraux  et  subdivi- 
sions. —  "V.   Yei'tébrés,  Mammifères. 

V.  —  L  homme  ;  sa  position  dans  le  règne  animal. 
Caractères  généraux  de  l'homme  ;  son  ancien- 
neté. Difl'érentes  races  humaines.  L'homme  dans 
ses  rapports  avec  les  animaux  :  animaux  do- 
mestiques, animaux  utiles  ou  nuisibles.  —  V. 
Antliropologie,  Préhistoriques  [Populations),  fia- 
ces  humaines  (au  Supplément),  Animaux  do- 
mestiques. Acclimatation,  Animaux  utiles,  Ani- 
maux nuisiblfs. 

VI.  _  Ordre  dos  Singes  ou  Simiens.  Ordre  des 
Lémuriens  ou  faux  singes.  —  V.  Singes. 

'VII.  —  Ordre  des  Chiroptères  ou  chauves-souris. 
Ordre  des  Insectivores.  —  V.  Chiroptères,  In- 
sectivores. 

VIII.  —  Ordre  des  Rongeurs.  —  'V.  Rongeurs. 

IX.  —  Ordre  des  Carnivores.  Ordre  des  Amphibies 
ou  Carnivores  marins.  —  V.  Carnivores,  Am- 
phiLies. 

X.  —  Ancien  ordre  des  Pachydermes,  compre- 
nant les  ordres  des  Proboscidicns,  des  Jumen- 
tés,  et  des  Porcins.  —  V.  Pachydermes,  Probos- 
cidicns, Jumenlés,  Porcins. 

XI.  —  Ordre  des  Ruminants,  subdivisé  en  Péco- 
riens,  CaméliensetTraguliens.—  'V.  Ruminants. 

XII.  _  Ordre  des  Edentés.  Ordre  des  Cétacés. 
Ordre  des  Siréniens.  —V.  Edeniés,  Cétacés,  Si- 
ré/liens. 

XIII.  —  Ordre  des  Marsupiaux.  Ordre  dos  Mono- 
trèmes.   —  'V.  Marsupiaux,  Mi.notrèmes. 

XIV.  —  Classe  des  Oisem/x.  Caractères  généraux 
et  subdivisions.  —  V.  Oiseaux. 

XV-XVI.  —  Ordres  des  Rapares,  des  Grimpeurs  et 
des  Passereaux.  —  V.  Rapaces,  Grimpeurs, 
Passereaux. 

XVII-XVUI.  —  Ordre  des  Gallinacés,  des  Echas- 
siers  et  des  Palmipèdes.  —  'V.  Gallinacés, 
Echassiers,  Palmipèdes . 

XI.\.  —  Classe  des  Reptiles.  Ordre  des  Chéloniens 
ou  Tortues,  des  Crocodiliens,  des  Sauriens  ou  Lé- 
zards, des  Amphisbéniens,  des  Ophidiens  ou  Ser- 
pents. —  V.  Reptiles. 

XX.  —  Classe  des  Batraciens.  Ordre  des  Anou- 
res et  des  Urodèles.  —  V.  Batraciens. 

XXI-XXII.  —Classe  des  Poissons.  Sous-classes  des: 
Cartilagineux,  des  Ganoïdes,  des  Dipnés,  deB 
Téléos»iens,  des  Marsipobranches  et  des  Lepto- 
cardes.  —  V.  Poisso7is. 

XXIU-XXIV.    —    Embranchement     des     Annelés.- 

1"  SOU.S-EMBRANCHEMENT  DES  AllTlCtLÉSOU  ARTHRO- 
PODES. Caractères  généraux  de  l'eiubranchement 
et  du  sous-embranchement.  Classe  des  /«sec<es^.j 

I  Ses  subdivisions.  —  V.  Annelés,  Articulés,  ip 
sectes.    Coléoptères,    Papillons,     Vers    à    soti 

I     Abeilles,  Phylloxéra. 


ZOOLOGIE 


2359  — 


ZOOLOGIE 


XXV.  —  Classe  des  Myriapodes.  Classe  des  Arach- 
niiles.  —  V.  Myriapodes,  Arachnides,  Arai- 
i/nées, 

XWI.  —  Classe  des  Crustacés.  Ses  subdivisions. 
—  V.  Crustacés. 

XXVII.    —    2°     SotlS-EMBBANCHEMENT    DES  VERS.    — 

r.araclères  généraux.  Classe  des  Annélvles. 
Classe  des  Helminthes.  —  V.  Vers,  Annélides, 
lli'hninthes. 
XWIII.  —  Embranchement  DES  Mollusques.  — Ca- 
ractères généraux.  Classes  des  Céphalopodes, 
lies  Cvphalophores,  des  Solénncongues,  des  La- 
iiiellibranclies,  des  Drachiopodes,  des  Bryozoai- 
res, et  des  Tuniciers.  —  V.  Mollusques. 

XXIX.  —  Embranchement  des  Rayonnes.  Ca- 
ractères généraux.  1°  Sous-embranchement  des 
Coelentérés.  Classes  des  Polypes,  des  Hydro- 
i»édiisaires,et  des  Cténophores.  2"  Sous-embran- 
chement DES  Echinodermes.  Classes  des  Crii,oï- 
des.  des  Astéridus  ou  Etoiles  de  mer,  des 
Ophiurides,  des  Echinides  ou  Oursins,  et  des  Ho- 
lothurides.  —  V.  Rayonnes. 

XXX.  —  Embranchement  des  Protozoaires.  — 
Classes  des  Spongiaires,  des  In/usoires,  des  lihi- 
zopodes,  et  des  Mo7icres.  —  V.  Protozoaires, 
Spongiaires  (au  Supplément). 

II'  Partie.  —  Anatomie  et  physiologie  animales. 

XXXI.  —  Anatomie.  Idée  générale.  Tissus.  —  V. 
Anatomie,  Tissus. 

XXXII.  ■  -  Aperçu  général  des  fonctions  physio- 
logiques chez  les  animaux  et  chez  l'homme. 
Classification  de  ces  fonctions.  —  V.  Physiologie, 
Absorption,  Osmose,  Nutrition,  Relation  [Fonc- 
tions de). 

XXXIII.  —  Fonctions  de  nutrition.  La  digestion. 
Appareil  de  la  digestion  chez  l'homme  et  chez 
les  animaux  :  bouche,  dents,  estomac,  intestins, 
foie,  etc.  Sécrétions.  —  V.  Digestion,  Dents,  Sé- 
crétions. 

XXXIV.  —  Appareil  de  la  circulation  :  cœur,  ar- 
tères, veines,  sang,  lymphe,  chyle.  —  V.  Circu- 
lation, i^ang,  Lymphe,   Chyle. 

XXXV.  —  Appareil  de  la  respiration  :  poumons, 
lironches,  brachies,  trachées.  Chaleur  animale. — 
V.  Respiration,  Sang,  Chaleur. 

X.XXVX.  ■ —  Fonctions  de  relatvm.  Organes  de  la 
locomotion  :  os,  squelette  des  vertébrés,  mus- 
cles, tronc,  membres.  Squelette  des  invorté- 
brés.  —  V.  Squelette,  Tissus. 

XXXVII.  —  Système  nerveux  :  cerveau,  moelle 
cpinière,  nerfs.  Voix.  —  V.  Système  nerveux, 
loir. 

XXXVIII.  —  Organes  des  sens.  La  peau,  ses  fonc- 
tions. Sensibilité  générale  ;  le  tact,  le  goût;  l'o- 
ilorat.  —  V.  Sensibilitc,  Peau,  Tact,  Odorat. 

XXXIX.  —  L'ouïe.  La  vue.  —  V.  Ouïe,  Vue. 
XL.  —  Révision  générale. 

Voici,  comme  documents  utiles  h.  consulter,  quel- 
ques programmes  officiels  frajiçais  et  étrangers  : 

FRANCE 

PROGRAMME  DES  ÉCOLES  NORMALES  D'INSTITUTEURS 

(Arrêté  du  3   août  1881) 

l"  année.  —  La  première  année  ne  reçoit  pas 
de  leçons  de  zoologie. 

II'  aimée  (1  h.  par  semaine).  —  Préliminaires. 
—  Corps  bruts  et  êtres  vivants.  Animaux  et  végé- 
taux. 

Division  des  animaux  en  embranchements.  — 
Embranchement  des  Vertébrés.  —  Examen  rapide 
des  principaux  appareils  anatomiques  et  des 
fonctions  de  ces  appareils.  Division  des  classes; 
caractères  généraux  de  chaque  classe.  Division  en 
ordres;  principaux  animaux  de  chaque  ordre.  Dis- 
tribution géographique  des  vertébrés. 


Embranchement  des  Annelés.  —  Caractères 
généraux.  Division  en  classes.  Etude  sommaire 
des  principaux  ordres  do  chaque  classe. 

Embranchement  des  Mollusques.  —  Caractères 
généraux.  Division  des  classes.  Principaux  ani- 
maux de  ces  classes. 

Embranchement  des  Radiaires.  —  Caractères 
généraux.  Division  en  groupes  naturels.  Notions 
sur  les  principaux  animaux  de  ces  groupes. 

Protozoaires.  —  Notions  succinctes  sur  les  in- 
fusoires. 

IIl"  a7inée  (1  heure).  —  Anatomie  et  physiolo- 
gie DE  l'homme.  —  Éléments  anatomiques.  Leur 
vie  indépendante. 

Squelette.  Structure  et  accroissement  des  os. 
Articulation. 

Digestion.  Dents  ;  leur  structure.  Tube  digestif. 
Déglutition.  Glandes  digestives  et  transformation 
des  aliments. 

Respiration.  Organes.  Mécanisme;  phénomènes 
chimiques.  Larynx,  voix. 

Circulation.  Sang.  Lymphe.  Chyle.  Organes  do 
la  circulation.  Cœur.  Artères,  veines,  capillairas. 
Vaisseaux  lymphatiques. 

Absorption.  Osmose  et  dialyse.  Nutrition. 

Sécrétions  et  excrétions.  Peau.  Reins. 

Mouvements.  Muscles,  structure,  contractilité. 
Distribution  générale  des  muscles.  Marche, 
course,  natation. 

Système  nerveux.  Cellules  et  fibres  nerveuses. 
Eiicophale  et  moelle  épinière.  Nerfs.  Nerfs  de  sen- 
sibilité, nerfs  de  mouvement.  Système  nerveux 
du  grand  sympathique. 

Organe  des  sens  et  sensations.  Ouïe.  Odorat  ot 
goût,  Toucher.  Vision. 

Fonctions  des  centres  nerveux. 

Bilan  organique. 

PROGRAMMES   ÉTRANGERS 

ÉCOLES  NORMALES 

Belgique. 

Écoles  normales  d'instituteurs  et  d'institu- 
trices. 

I"  année  (30  h.  par  an).  —  Éléments  d'anatomie 
et  de  physiologie.  —  1.  Animaux  et  plantes.  Ca- 
ractères distinctifs  des  corps  inorganiques  et  des 
êtres  vivants.  Caractères  distinctifs  des  animaux 
et  des  végétaux  supérieurs.  Ces  différences  s'effa- 
cent chez  les  êtres  inférieurs,  et,  au  bas  de 
l'échelle,  les  deux  règnes  se  confondent.  —  Sens 
moderne  qu'il  faut  donner  aux  termes  zoologie  et 
botanique. 

2.  Cellules  et  tissus.  Ce  que  c'est  qu'une  cellule 
animale.  Activité  cellulaire  dans  les  glandes,  dans 
l'accroissement  de  l'être,  dans  le  renouvellement 
continuel  des  tissus  du  corps. 

Montrer  au  microscope  :  1"  l'épiderme  de  la 
grenouille,  2"  du  tissu  cellulaire,  3°  des  globules 
sanguins. 

3.  Systèmes,  organes,  appareils,  fonctions. 
Définitions  et  exemples.   —   Classification   des 

fonctions  et  des  appareils. 

Fonctions  de  la  vie  animale.  —  4.  Locomotion 
et  a/iiiareil  locomoteur.  i^ystC7ne  passif  de  l'appa- 
reil locomoteur.  Squelette.  Le  squelette  comprend 
des  éléments  résistants  de  natures  diverses  :  os, 
cartilages,  ligaments.  Grosse  structure  des  os.  — 
Un  mot  sur  la  composition  chimique  des  os.  — 
Structure  des  articulations  mobiles.  —  Démons- 
tration sur  quelques  os.  —  Têtes  articulaires  avec 
cartilage  de  revêtement.  Coupes  pour  montrer  la 
moelle.  Montrer  un  os  devenu  flexible  après  avoir 
été  soumis  h  l'action  d'un  acide  faible. 

5.  Description  sommaire  du  squelette.  Employer 


ZOOLOGIE 


—  2360  — 


ZOOLOGIE 


un  squelette  humain  et  un  ou  plusieurs  squelettes 
de  mammifères.  —  Insister  sur  la  structure  et  le 
rôle  de  la  colonne  Yertébrale.  —  Indiquer  les 
points  où  s'insèrent  les  muscles  mentionnés 
au  n"  6. 

C.  Sysfrme  actif  de  l'appareil  locomoteur  :  les 
muscles.  Propriété  caractéristique  (contractilité) 
du  tissu  musculaire.  —  Grosse  structure  d'un 
muscle  de  l'appareil  locomoteur  proprement  dit 
(partie  charnue,  tendons).  Action  des  muscles. 
Montrer  quelques  muscles  en  nature. 

Description  de  quelques  muscles  de  l'homme. 
Muscles  masticateurs.  Muscles  des  mouvements 
respiratoires  (diaphragme,  grand-dentelé,  inter- 
costaux). Muscles  moteurs  du  membre  supérieur 
(grand  pectoral,  trapèze,  grand  dorsal,  deltoïde, 
biceps).  Muscles  moteurs  du  membre  inférieur 
(fessiers,  extenseurs  de  la  jambe,  extenseurs  du 
pied;. 

Attaches,  rôle  de  ces  muscles  (d'une  façon  nette 
mais  sommaire). 

7.  Appareil  des  sensations.  Système  nerveux  et 
organes  des  sens. 

Système  nerveux.  Propriétés  des  centres  nerveux 
et  des  fibres  nerveuses.  Nerfs.  —  Encéphale,  moelle 
et  nerfs  qui  en  émanent  :  description  simple  et 
schématique. 

Description  sommaire  et  très  simple  du  système 
nerveux  de  l'homme. 

8.  Organes  des  sens.  Toucher.  —  Structure  de 
la  peau. 

Goût.  —  Structure  de  la  langue. 

Montrer  des  préparations  microscopiques  d'une 
coupe  de  la  peau  et  des  papilles  de  la  langue. 

Odorat.  —  Structure  de  l'organe  nasal. 

Ouïe.  —  Oreille  humaine. 

Vue.  —  Structure  de  l'œil. 

Fonctions  de  la  vie  végétative-  —  9.  Digestion 
et  appareil  digestif.  La  digestion  comprend  des 
actes  mécaniques  et  surtout  des  actes  chi- 
miques . 

Nature  des  substances  composant  les  aliments  : 
albuminoides,  féculents,  graisses. 

Grandes  divisions  du  tube  digestif.  Cavité  buc- 
cale, dents,   langue,  palais,  voile  du  palais. 

Montrer  une  coupe  verticale  de  la  lôte  d'un 
mammifère,  les  rapports  de  la  bouche  avec  le 
pharynx,  les  fosses  nasales,  etc. 

10.  OEsophage,  estomac,  digestion  stomacale. 
Intestins.  Digestion  intestinale,  foie,  pancréas, 
rôle  des  sécrétions  de  ces  glandes.  Production 
constante  du  sucre  dans  le  foie. 

11.  Circulation  et  appareil  circulatoire.  Compo- 
sition du  sang.  Montrer  du  sang  au  microscope. 
Rùle  des  globules  quant  au  transport  de  l'oxy- 
gène. 

—  Artères,  veines  capillaires.  Structure  du  cœur. 
Trajet  (très  simplifié)  des  gros  vaisseaux. 

Faire  observer  la  circulation  dans  la  membrane 
interdigitalc  de  la  grenouille. 

ï'2.  Notions  sommaires  sur  la  lymphe,  les  vais- 
seaux lymphatiques  et  les  vaisseaux  chylifères. 

1-3.  Hespuation  et  appareil  respiratoire. 

Changements  qu'éprouve  le  sang  au  contact  de 
l'air;  air  inspiré,  air  expiré. 

U.  Diverses  formes  de  l'appareil  respiratoire  : 
poumons,  branchies  des  poissons,  trachées  des 
insectes  (en  quelques  mots).  —  Structure  des 
poumons  chez  les  vertébrés.  Trachée,  bronches  et 
poumons  chez  l'homme- 

15.  Mouvements  respiratoires  chez  l'homme.  — 
Circulation  pulmonaire  (très  sommairement).  Cau- 
ses multiples  de  la  chaleur  animale.  Animaux  à 
température  constante  et  à  température  va- 
riable. 

16.  Organe  vocal.  —  Larynx  humain.  Larynx 
inférieur  des  oiseaux. 

n.  Assimilation.  —  Sécrétions. 


Il"  aiinée.  —  Zoologie  descriptive.  —  I.  Bases 
de  la  classification.  —  But  des  classifications.  Les- 
classifications  modernes  sont  basées  sur  les  carac- 
tères anatomiques  et  physiologiques. 

2.  Division  du  règne  animal  en  embranche- 
ments. 

Division  du  règne  animal  en  deux  embranche- 
ments :  1°  les  animaux  à  tissus  différenciés  par 
leur  structure  et  par  leur  rôle  [métazoaires);  les: 
animaux  unicellulaircs  ou  protozoaires  ; 

3.  Subdivision  du  premier  embranchement  en 
six  sous-embranchemeids. 

^;  /  Vertébrés  :  homme,  oiseau,  poisson,  etc. 

g  I  Mollusques  :  escargot,  huître,  etc. 

5  )  .(l>'^îcj/&." hanneton, araignée, écrevisse, etc. 

S  j  Ve7-s  :  lombric,  sangsue,  ténia,  etc. 

S  I  Echinodermes  :  étoile  de  mer,  oursin,  etc. 

'~\  Polypes:  corail,  éponge. 


i.  Sous-embranchement  des  vertébrés.  Mammi- 
fères. Caractères  généraux  des  vertébrés.  Sub- 
division en  cinq  classes.  Caractères  généraux  des 
mammifères.  Leur  division  en  ordres.  Indiquer 
nettement  la  place  des  mammifères  domestiques. 
Combattre  les  préjugés  concernant  la  chauve-sou- 
ris, la  musaraigne,  la  taupe  et  le  hérisson. 

5.  Oiseaux.  Caractères  généraux  des  oiseaux. 
Structure  de  l'œuf  de  la  poule.  Subdivision  des 
oiseaux  en  ordres.  Indiquer  nettement  la  place  des 
oiseaux  domestiques.  Utilité  des  oiseaux  de  proie 
nocturnes  et  des  oiseaux  insectivores. 

6.  Reptiles.  Caractères  généraux  des  reptiles. 
Leur  division  en  quatre  ordres  :  tortues,  crocodi- 
les, lézards  et  serpents.  Insister  sur  ce  fait  qu'il 
n'y  a  de  reptiles  venimeux  que  parmi  les  serpents. 

7.  Batraciens.  Caractères  généraux.  Métamor- 
phoses (grenouille). 

8.  Poisso7is.  Caractères  généraux  des  poissons. 
Ne  parler  que  des  poissons  osseux,  des  plagiosto- 
mes  et  des  cyclostomes.  Indiquer  la  place  des 
principales  espèces  comestibles.  Un  mot  sur  la 
pisciculture  et  son  but. 

9.  Suus-embranchement  des  mollusques.  Carac- 
tères généraux  des  mollusques.  Description  som- 
maire de  l'organisation  de  la  limace  et  de  la  moule 
(ou  d'un  lamellibranche  d'eau  douce,  si  l'on  est 
trop  loin  de  la  mer). 

10.  Sous-embranchc7nent  des  articulés.  Carac- 
tères généraux  des  articulés.  Grandes  subdivisions  : 
insectes,  myriapodes,  arachnides,  crustacés,  avec 
des  exemples.  Métamorphose  du  ver  à  soie.  Mœura 
des  abeilles  et  des  fourmis  ^étude  sommaire). 

11.  Sous-embranchement  des  vers.  Caractères 
généraux  des  vers.  Quelques  mots  sur  les  vers 
parasites  de  l'homme  :  ténia,  ascaride. 

n.  Sous-embranchement  des  echinodermes.  Ca- 
ractères généraux. 

13.  Sous-embranchement  des  polypes.  Caractères   I 
généraux.  Un  mot  sur  le  corail  et  les  récifs  des  po- 
lypiers. Quelques  indications  sur  les  éponges.  In- 
sister sur  leur  nature  animale. 

14.  Deuxième  embranchement.  Animaux  uni- 
cellulaires  ou  protozoaires.  Leur  organisation  en 
général.  Leur  abondance  dans  la  nature.  Leur  roi© 
important. 

15.  Un  mot  sur  les  êtres  inférieurs  aux  pro- 
tozoaires établissant  la  transition  entre  le  règne 
animal  et  le  règne  végétal.  Indiquer  le  rùle  que 
beaucoup  d'entre  eux  jouent  dans  les  maladies 
infectieuses  et  les  fermentations.  Principes  d'hy- 
giène à  déduire  de  ces  faits. 

(N.  B.  La  classification  adoptée  dans  le  présent 
programme  est,  avec  les  simplifications  nécessai- 
res, celle  qui  est  enseignée  aux  universités  do 
Gand  et  de  Liège.) 

La  3'  et  la  4'  années  d'études  n'ont  pas  do  le- 
çons de  zoologie. 


ZOOLOGIE 


—  2361 


ZOOLOGIE 


Écoles  nobmai.es  D'nsTiTUTEuns  et  d'instituthices. 

(Programme  du  30  septembre  1880.) 

!■"  année.  —  Description  des  animaux  les  plus 
communs,  faite  sur  des  exemplaires  vivants  ou 
empaillés.  Récits  sur  la  vie  et  les  mœurs  dos  ani- 
maux. 

11"  aimée.  —  Conformation  et  structure  des  orga- 
nes des  animaux,  et  notions  sur  leurs  fondions. 

Description  des  organes  du  corps  humain  et 
notions  sur  leurs  fonctions,  avec  application  à 
l'hygiène  en  général,  et  en  particulier  à  la  gym- 
nastique. 

Classification  du  règne  animal. 
Suisse. 

VAUD. 

ËCOLE    NORMALE     D'INSTITUTEURS     ET    d'iNSTITU- 

TRICES. 

(Plan  d'études  du  14  janvier  ISSO.) 

I"  année,  II'  semestre.  —  Définition  et  division 
de  la  zoologie.  Principaux  éléments  organiques  ; 
tissus.  —  Anntomie  i/esctiptive  et  pht/siolugie  : 
Organes  et  fonctions  de  nutrition,  de  circulation 
et  de  respiration;  sécrétion;  assimilation.  Organes 
et  fonctions  de  relation  :  système  nerveux,  sen- 
sations, sens;  voix;  os,  squelette;  muscles,  mou- 
vements. Notions  d'hygiène  ;  influence  des  milieux, 
habitations,  vêtements,  bains,  nourriture,  tra- 
vail, etc. 

Classification  :  vertébrés  (mammifères,  oiseaux, 
reptiles,  batraciens,  poissons)  ;  annelés  (insectes, 
myriapodes,  crustacés  et  vers);  mollusques; 
rayonnes. 

ÉCOLES  PRULiimES. 
Prusse. 

ÉCOLE  PRIMAIRE  A  UNE   SEULE  CLASSE. 
(Régenee  de  Diisseldorf,  plan  d'études  du  20  mars  1873). 

(L'étude  des  animaux,  des  végétaux  et  des  mi- 
néraux ne  forme  qu'une  seule  branche  d'enseigne- 
ment sous  le  nom  d'Jdstoire  naturelle.  Nous  tra- 
duisons celles  des  parties  du  programme  où  il  est 
plus  spécialement  question  du  règne  animal.) 

3«  dii-ision.  —  L'histoire  naturelle  n'est  pas 
encore  enseignée  dans  cette  division. 

2=  division.  —  Pendant  l'été,  les  enfants  ap- 
prendront à  connaître  quelques  plantes  du  jardin, 
de  la  prairie  et  de  la  forêt,  ainsi  que  quelques 
insectes,  amphibies  et  poissons.  Les  objets  dont 
le  maître  leur  parle  devront  être  mis  sous  leurs 
yeux,  soit  en  réalité,  soit  au  moyen  de  bonnes 
images. 

Pendant  l'hiver,  on  fera  connaître  aux  élèves, 
au  moyen  d'images,  quelques  mammifères  et  quel- 
ques oiseaux,  et  entre  autres  les  espèces  domes- 
tiques. 

1"  division.  —  Elude  de  la  structure  et  des 
fonctions  du  corps  humain,  avec  les  notions  essen- 
tielles d'hygiène. 

De  nouveaux  détails  seront  donnés  sur  les 
plantes,  les  animaux  et  les  minéraux.  On  procé- 
dera dans  un  ordre  systématique,  et  on  insistera 
sur  les  applications  utiles. 

...  Les  animaux  que  les  élèves  ont  appris  à  con- 
naître seront  rangés  dans  les  classes  suivantes  : 
1° Mammifères;  2»  Oiseaux;  3°  Amphibies;  4°  Pois- 
sons; 50  Insectes;  G"  Vers;  7°  Mollusques;  8°  In- 
fusoires. 

On  étudiera  de  préférence,  dans  le  règne  ani- 
mal, les  espèces  utiles  ou  nuisibles  à  l'homme,  et 
celles  qui  par  leur  taille,  leur  structure,  ou  par 
quelque  particularité  remarquable,  offrent  un  in- 
térêt spécial  (par  exemple  les  |)apillons,  les  trichines, 
les  vers  inte.stinaux,  les  abeilles,  les  fourmis). 


Vaud. 
(Plan  d'éludés  du  29  février  1363.) 

Degré  intérieur  et  ilcgré  intermédiaire.  —  Pour 
les  élèves  de  ces  deiix  degrés,  l'enseignement 
de  l'histoire  naturelle  rentre  dans  l'enseignement 
du  langage,  et  consiste  essentiellement  en  exer- 
cices d'intuition. 

L'instituteur  trouvera  dans  ce  domaine  une 
source  abondante  de  matériaux  des  plus  propres  à 
intéresser  les  enfants  et  à  leur  communiquer  sans 
fatigue  une  foule  de  connaissances  précieuses. 
Etude  du  corps  tiunmin  et  de  ses  parties  exté- 
rieures. Animaux  domestiques  et  animaux  sauva- 
ges les  plus  connus.  Détails  intéressants  sur  leur 
genre  de  vie  et  sur  leurs  mœurs,  sur  leur  utilité, 
sur  les  précautions  à  prendre  à  l'égard  de  ceux 
qui  sont  dangereux.... 

Degré  supérieur.  — Les  élèves,  préparés  ainsi  que 
nous  venons  de  le  dire,  pourront  suivre  avec  fruit 
des  leçons  spéciales  sur  les  sciences  naturelles. 
Cet  enseignement,  néanmoins,  s'il  ne  veut  point 
sortir  du  cadre  de  l'école  primaire,  n'aura  point 
la  prétention  d'embrasser  ces  diverses  sciences 
dans  leur  ensemble.  Il  se  contentera  de  mettre 
un  certain  ordre  dans  les  notions  déjà  acquises, 
et  d'y  ajouter  les  connaissances  indispensables 
pour  que  les  élèves  puissent  se  rendre  compte  des 
principaux  phénomènes  de  la  vie  et  de  la  nature. 

Corps  inorganiques  et  corps  organiques.  Rè- 
gnes minéral,  végétal  et  animal. 

Régne  minéral.  —  ... 

Régne  végétal.  —  ... 

Règne  animal.  —  Notions  élémentaires  d'ana- 
tomie.  Grands  traits  de  la  classification.  Animaux 
vertébrés,  comprenant  les  mammifères,  les  oi- 
seaux, les  reptiles  et  les  poissons.  Indication  des 
ordres  les  plus  importants  et  les  plus  connus 
parmi  les  mammifères  et  les  oiseaux.  Animaux  arti- 
culés (insectes).  Mollusques  (colimaçons,  huîtres). 

Ohservatiu7i.  —  L'enseignement  dos  sciences 
naturelles  sera  réparti  sur  trois  années  au  moins, 
de  telle  sorte  qu'une  année  il  roulera  sur  la  miné- 
ralogie et  la  botanique,  une  autre  année  sur  la 
zoologie,  une  troisième  enfin  sur  la  physique. 


BtnNE. 


(Plan  d'enseignement  du  28  février  1878.) 

[L'enseignement  de  l'histoire  naturelle  se  donne 
dans  le  deuxième  degré  de  l'école  primaire  (4°, 
5'^  et  6"  années  d'études).  Le  semestre  d'été  est 
consacré  il  la  botanique,  le  semestre  d'hiver  i  la 
zoologie  et  h  la  minéralogie]. 

B.  —  Semestre  d'Iiiver. 

Chaque  semestre  on  décrira,  après  les  avoir  fait 
observer,  treize  animaux  et  minéraux;  coup  d'œil 
rétrospectif  et  comparatif  pour  donner  aux  élèves 
de  simples  notions  d'ensemble. 

l*"-  COURS.  2"  couns.  3"    CODIIS. 

1.  Le  chicu.  1.  La     chauve-  1.  Le  chat. 


Le 


vrc. 


3.  La  clievr 

4.  Le  porc. 

5.  La  poule. 
G.  La  cigOfîDO. 
7.  La  truite. 

S.  la  grenouille. 


L'abeille. 
Le     bostryche      10.  L 
typoRiapI 


3.  L'écureuil. 

4.  Le  bœuf. 

5.  L'autour. 

6.  L'oie. 

7.  La  couleuvre  à 

collier. 

8.  Le  papillon  du 

cbou. 

9.  Le   hanneton. 


.  La  taupe. 
.  La  souris. 
,  Le  cheval. 
.  Le  pinson. 
,  Le  pic-vert. 
La  loutre. 


11.  Le  pion 


13.  Le  sel  ffemnie. 


ZOOPHYTES 


2362  — 


ZOOPHYTES 


ZOOPHYTES.  —  Zoologie,  XXVII-XXX.  — 
Étym.  :  de  deux  mots  grecs  signifiant  animaux- 
plantes.  —  Le  nom  de  zoophytes  était  donné  au- 
trefois à  une  vaste  division  du  règne  animal,  dans 
laquelle  on  rangeait  tous  les  êtres  inférieurs,  dont 
quelques-uns,  par  leur  structure,  semblent  se  con- 
fondre avec  le  règne  végétal.  Une  étude  attentive 
a  fait  distinguer  parmi  les  anciens  zoophytes  des 
groupes  qui  ne  pouvaient  être  confondus  ensem- 


ble :  on  a  fait  des  vers  intestinaux  la  classe  des 
Helminthes  *,  qui  ont  été  placés  dans  l'embran- 
chement des  Vers  *;  les  êtres  dont  l'organisme  est 
le  plus  rudimentaire  ont  formé  l'embranchement  des 
Protozoaires  *;  et  le  nom  de  Zoophytes,  détourné 
de  son  sens  primitiO  no  s'est  plus  appliqué  qu'aux 
Rayonnes  *.  Ce  dernier  nom  a  prévalu  aujourd'hui, 
et  le  terme  de  zoophytes  n'est  plus  employé  que 
rarement  dans  la  science. 


SUPPLÉMENT 


DICTIONNAIRE 

DE  PÉDAGOGIE 


ET  D'INSTRUCTION  PRIMAIRE 


(DEUXIEME     PARTIE) 


SUPPLEMENT 


ALLEMAGNE.  (Littérature.)  —  Littératures 
étrangères,  XVII-XVIIL  —  On  peut  diviser  l'his- 
toire de  la  littérature  allemande  en  trois  épo- 
ques, de  longueur  et  d'importance  très  inégales. 
La  première  embrasse  les  temps  primitifs,  jusque 
vers  1150  ;  la  seconde  comprend  le  moyen-àge  et 
une  partie  des  temps  modernes  jusqu'en  1624;  la 
troisième  s'étend  de  IC'24  à  nos  jours.  Ces  deux 
dernières  doivent  se  subdiviser  en  un  certain 
nombre  de  périodes,  qu'il  est  facile  de  limiter  et 
de  caractériser  par  leurs  traits  généraux. 

I.  Origines  et  temps  primitifs.  —  La  langue  al- 
lemande se  développe  tardivement ,  ou  plutôt 
n'arrive  que  très  tard  h  devenir  une  langue  litté- 
raire. Les  auteurs  qui  font  remonter  ses  premiers 
textes  au  iv"  siècle,  avec  la  traduction  de  la  Bible 
par  l'évêque  Ulphilas,  ou  aux  âges  suivants,  avec 
les  poèmes  ou  cliants  d'Hildebi-ancI,  de  Wulther 
ou  Gautliier  d'Aquitaine ,  de  Beowulf,  etc., 
s'attachent  surtout  à  rechercher  des  monuments 
de  la  langue  primitive,  gothique  plutôt  qu'alle- 
mande, qui  intéressent  le  philologue  plus  que  le 
littérateur.  On  peut  en  dire  autant  des  vestiges 
qui  nous  restent  des  vieilles  épopées  germani- 
ques, remaniées  plus  tard,  et  do  la  poésie  ecclé- 
siastique (le  poème  de  VHélinnd,  ou  du  Sauveur, 
VHarmonie  des  Evangiles,  d'Otfried,  le  cliant  ou 
Cantique  de  Louis,  celui  de  Saint-Annon,  etc.). 
On  a  beau  vouloir  dater  les  commencements  de  la 
langue  allemande  du  Serment  de  Charles  le 
Chauve,  au  ix*  siècle  :  cette  langue  était  encore 
informe  et  grossière,  et  il  lui  fallait  plusieurs 
siècles  de  préparation  pour  pouvoir  entrer  enfin 
en  ligne  de  compte.  Or  la  poésie,  après  quelques 
velléités  d'existence,  sommeille  complètement  aux 
approches  de  l'an  mille,  et  pendant  les  x"  et 
xi=  siècles,  jusque  vers  le  milieu  du  xii"^  :  quant 
à  la  prose,  elle 'n'existe  pas  en  réalité,  car  on  ne 
peut  considérer  comme   œuvres  littéraires   quel- 


ques travaux  de  moines,  aussi  dénués  d'intérêt 
que  de  correction  ;  le  latin  était  encore  la  langue 
officielle  et  même  familière  des  clercs,  des  hom- 
mes de   loi,  des   savants  de  toute  sorte. 

n.  Littérature  du  moyen  âge.  —  1"  période  : 
Floraison  de  cette  mttéuatl'be  (de  1150  à  1300). 
^  Il  y  a  d'abord  une  époque  de  préparation,  rela- 
tivement courte,  pendant  laquelle  les  princes  et 
les  grands,  à  la  suite  de  l'empereur  Frédéric  1" 
Barberousse  et  de  la  maison  de  Souabo,  cherchent 
à  imiter  la  poésie  provençale  et  à  faire  passer  en 
Allemagne  le  rytlmie  et  la  matière  mémo  des 
troubadours.  Derrière  ce  brillant  état-major,  dont 
les  œuvres  manquent  de  valeur  réelle  et  d'origi- 
nalité, se  presse  bientôt  une  foule  de  poètes  plus 
modestes,  mais  infiniment  supérieurs,  souvent 
anonymes  ou  ciicliés  sous  un  nom  d'emprunt,  que 
l'on  désigne  sous  la  dénomination  générale  de 
Min?iesingei-  ou  chantres  d'amour,  et  qui,  i\  l'imi- 
tation de  leurs  modèles  provençaux,  espagnols  ou 
italiens,  s'occupent  surtout  de  célébrer  les  dames 
et  la  douce  science  d'aimer.  Quelques-uns  cepen- 
dant s'attaquent  à  des  sujets  plus  sérieux  et  re- 
prennent, en  les  polissant  ou  les  modifiant  à  leur 
manière,  les  vieilles  légendes  et  les  épopées  po- 
pulaires que  l'âge  précédent  avait  vu  éclore  dans 
la  bouche  de  rhapsodes  inconnus,  sous  une  forme 
encore  rude  et  grossière.  Tels  sont  les  célèbres 
poèmes  des  Nibelungen,  de  Sigfried  corné,  de 
Laurin,ie  la  Bataille  de Ravenne  (ou  Rabenschlacht), 
du  Jardin  des  Roses,  de  Gudrun,  de  Rother,  et 
des  différents  Dietrich.  Les  deux  plus  connus, 
les  plus  populaires  surtout,  en  Allemagne  et 
même  à  l'étranger,  sont  les  Nibelungen  et  Gu- 
drun. 

Le  Nibelungen-Lied  ou  chant  des  Nibelungen 
est  une  épopée  grandiose,  à.  laquelle  un  poète 
inconnu  a  donné  une  perfection  relative  dont 
nulle  autre  œuvre  de  cette  période  no  saurait  ap- 


ALLEMAGNE 


—  2366  — 


ALLEMAGNE 


procher.  Le  fond  du  poème  se  rattache  au  mythe 
de  Sigurd,  légende  Scandinave  fort  répandue  dans 
tout  le  Nord  dès  les  premiers  siècles  de  notre 
ère,  et  aux  traditions  épiques  réunies  dans  le 
Livre  des  Héros,  recueil  des  légendes  moitié 
païennes,  moitié  chrétiennes,  qui  furent  mises  en 
vers  par  des  poètes,  la  plupart  inconnus,  du 
VIII»  au  xii=  siècle:  l'histoire  poétique  d'Attila 
figure  au  premier  rang  parmi  ces  légendes,  mais 
il  s'agit,  bien  entendu,  d'un  Attila  tout  à  fait 
embelli  et  dénaturé  par  l'imagination  populaire. 
Ces  traditions  et  ces  chants  se  modifièrent  et  se 
transformèrent  à  travers  les  âges  jusqu'au  jour  où 
un  poète  de  talent  s'en  empara  pour  les  coor- 
donner, les  réunir,  et  en  faire  une  œuvre  d'art 
véritable. 

Le  mot  lui-même  de  Nihehmgen,  qui  vient  de 
NeOel,  brouillard  {^ifel,  Niflunij  dans  la  vieille 
langue  du  Nord),  désigne  les  possesseurs  d'un 
trésor  mystérieux,  qui  finissent  par  être  victimes 
d'une  implacable  fatalité.  Sur  le  mythe  Scandi- 
nave de  Sigurd,  le  vainqueur  du  dragon,  vient  se 
greffer  l'histoire,  passablement  dénaturée,  du 
massacre  des  Burgondes  par  les  Huns  au  V  siècle, 
et  de  la  terrible  lutte  qui  eut  lieu,  deux  cents 
ans  plus  tard,  entre  les  reines  de  Neustrie  et  d'Aus- 
trasie,  Frédégonde  et  Brunehaut. 

Le  poème  se  compose  de  trente-neuf  chants  ou 
Aventures,  et  renferme  de  neuf  à  dix  mille  vers, 
assez  semblables  h  nos  alexandrins,  divisés  en 
strophes  et  pourvus  de  rimes  finales  et  d'allitéra- 
tions aux  hémistiches.  On  donne  quelquefois  à 
cette  épopée  les  noms  de  Nihelungen-IIort  et  de 
Nibelu7igen-Not  :  le  premier  désigne  plutôt  le 
trésnr  des  ^^ibelungen  ;  le  second  s'appli(|ue  uni- 
quement à  la  dernière  partie  du  poème,  où  sont 
racontés  les  malheurs  des  Bourguignons  (de  l'al- 
lemand J\'of/i,  calamité)  et  leur  massacre  à  la  cour 
d'Attila. 

On  a  tour  ;\  tour  attribué  cette  œuvre  à  Conrad 
de  Wùrzbourg,  à  Wolfram  d'Eschenbach,  à  Henri 
d'Ofterdingen,  au  Hongrois  Klingsohr,  c'est-à-dire 
à  des  personnages  plus  ou  moins  problématiques. 
En  désespoir  de  cause,  quelques  érudits  ont  voulu 
faire  comme  pour  Homère  et  supposer  que  cette 
épopée  était  l'œuvre  commune  de  plusieurs  poètes 
inconnus.  Si  nous  ne  pouvons  pas  nommer  l'au- 
teur des  Niljeliingeii,  nous  avons  du  moins  le 
droit  d'affirmer  que  cet  auteur  a  été  un  seul  et 
unique  poète.  L'œuvre  porte  aussi  sa  date  en 
elle-même  :  on  ne  saurait  la  regarder  comme 
antérieure  au  xu'  siècle,  ni  comme  postérieure 
au  xiii°. 

L'épopée  de  GuJrun  est  également  anonyme  : 
c'est,  à  proprement  parler,  le  poème  de  la  mer  ; 
la  scène  se  passe  presque  toujours  sur  le  littoral 
de  la  mer  Baltique.  On  peut  distinguer  trois  par- 
tics  dans  l'action:  1°  l'enlèvement  et  le  retour  de 
Hagen;  2°  l'enlèvement  de  sa  fille  Hilda  par 
Hettel,  roi  de  Hegelingen  ;  3°  l'enlèvement  de  la 
fille  de  ce  dernier  prince,  Gudrun,  par  Hartmuth 
de  Normandie,  et  sa  délivrance  par  Herwig  de 
Sélande.  C'est,  comme  -les  Nihelungen,  dont  la 
rédaction  est  plus  ancienne,  un  poème  chrétien 
sur  un  fond  de  superstitions  païennes,  empruntées 
à  la  mythologie  et  à  l'histoire  de  l'extrême  Nord; 
ses  mœurs  sont  presque  exclusivement  celles  de 
l'âge  héroïque  et  maritime.  Les  caractères  y  sont 
admirablement  observés  et  décrits  ;  celui  de 
Gudrun,  surtout,  est  d'une  grande  beauté.  Le 
poème  se  compose  de  trente-deux  chants  ou  Aven- 
tures, et  d'environ  six  mille  huit  cents  vers,  divi- 
sés en  strophes  et  rythmés  comme  ceux  des  Niàe- 
lungeii.  Il  ne  resta  pas  aussi  longtemps  que  son 
aîné  en  possession  de  la  faveur  publique;  il  se 
perdit  de  bonne  heure,  dès  le  xnr  siècle,  et  ne 
fut  sauvé  de  lonbli  que  sous  l'empereur  Maximi- 
lien  I",  qui  en  fit  copier  un  manuscrit  en   1502, 


en  même  temps  que  de  quelques  autres  monu- 
ments de  la  vieille  littérature  allemande. 

On  a  comparé  Gudrun  k  l'Odyssée,  comme 
les  Ni/jelnngen  à  VIliade  :  ce  qui  manque  aux 
deux  épopées  germaniques  pour  ressembler  tout 
à  fait  aux  poèmes  d'Homère,  c'est  la  langue  et  le 
style,  qui  sont  encore  informes  et  dans  l'en- 
fance, malgré  le  progrès  réel  accompli  sous  ce 
rapport  dès  le  début  de  cette   période. 

Les  Minnesingcr  du  xiii«  siècle,  bien  plus  bril- 
lants par  la  forme,  élégants  et  instruits,  poètes 
de  profession  autant  ou  plus  que  d'instinct,  re- 
cherchent des  sujets  moins  grandioses,  plus  roma- 
nesques et  plus  variés.  C'est  l'âge  de  l'épopée 
savante,  dont  la  matière  est  empruntée,  comme 
en  France,  au  cycle  de  Charlemagne,  à  celui  de 
Bretagne  ou  de  la  Table  Ronde,  et  à  celui 
d'Alexandre  ou  de  l'antiquité  classique.  A  ces  di- 
vers cycles  se  rattachent  presque  tous  les  poèmes 
de  Wolfram  d'Eschenbach,  dès  la  fin  du  xii'  siècle, 
de  Hartmann  von  der  Aue,  puis  ceux  de  Conrad 
de  Wùrzbourg,  etc.  Dans  tous  les  châteaux, 
aux  fêtes  princières,  aux  tournois  poétiques,  on 
applaudissait  une  foule  d'épopéi's  dont  les  li- 
tres sont  encore  populaires  aujourd'hui  en  Alle- 
magne :  des  poèmes  de  Roland,  des  Enfants 
d'Aymon,  du  Haint-Graal,  de  Tristan  et  Yseult, 
de  Lancelot,  etc.  On  admirait  même  VAlexandre 
de  Lamprecht,  l'Enéide  de  Weldeck,  la  Guerre 
de  Troie  d'Herbort  de  Fritziar,  malgré  le  peu  de 
mérite  réel  et  d'originalité  de  ces  compilations. 

Les  légendes  sacrées  inspiraient  mieux  les 
poètes,  et  plusieurs  de  ceux  que  nous  venons  de 
mentionner,  comme  Conrad  de  Wùrzbourg,  trou- 
vaient des  accents  vraiment  poétiques  pour  chanter 
la  Sainte-Famille,  la  Vie  de  la  Vierge  Mari",  ou 
même  simplement  les  Litanies  des  Saints;  à  cette 
catégorie  appartiennent  aussi  les  poèmes,  souvent 
intéressants,  d'Alexis,  de  Saint-Grégoire,  de 
Barlaam,  de  Pilate,  etc.  D'autres  poètes  se  con- 
tentaient de  mettre  en  vers  certains  récits  at- 
trayants, presque  toujours  des  contes  chevaleres- 
ques, tels  que  le  Pauvre  Henri  de  Hartmann  ; 
on  y  trouvait  même  parfois  la  note  comique, 
comme  dans  le  Curé  Amis,  dont  l'auteur,  dési- 
gné par  le  nom  commun  d'Arrangeur  {Slrickery 
avait  composé  aussi  un  recueil  de  Fables  et  un 
poème  de  Rolajid. 

Cette  note  comique  domine  dans  tout  un  ordre 
de  compositions  devenu  justement  populaire  sous 
la  désignation  de  Légende  des  animaux,  et  qui 
roule  exclusivement  sur  les  aventures  de  maître 
Isemgrin  (le  loup),  et  du  renard,  appelé  tour  à 
tour  Reinnrdus,  lieinhari  Fuchs.  et  Heineke  Vos  : 
le  grand  Gœthe  n'a  pas  dédaigné  de  reprendre  un 
de  ces  poèmes,  mais  son  Renard  (Reiueke  Fuctis) 
ne  parvient  i  reproduire  ni  la  naïveté  ni  la  malice 
de  ses  modèles.  Le  genre  de  la  fable,  cultivé  avec 
succès  par  Boner  et  quelques  autres,  se  rattache 
étroitement  à  ce  cycle,  et  sert  en  même  temps 
de  transition  avec  la  poésie  didactique,  qui  pro- 
duit i  cette  époque  plusieurs  œuvres  remarqua- 
bles, telles  que  la  Modération,  de  Freidank,  le 
Coureur  (ou  Renner)  de  Hugo  de  Trimberg,  un 
des  meilleurs  poèmes  du  moyen  âge,  etc. 

En  dehors  de  toutes  ces  compositions  épiques 
ou  didactiques,  il  y  eut  une  brillante  floraison  de 
poésie  lyrique,  représentée,  outre  quelques-uns 
des  auteurs  que  nous  venons  de  nommer,  par 
l'élite  des  chevaliers-poètes  ou  minnesinger  : 
Kurnberg,  Ditmar  d'Eist,  Spervogel,  Ulrich  von 
Lichtenstein,  le  mystique  Walther  von  der  Vogel- 
weide,  Nithart  avec  ses  poésies  villageoises, 
Henri  Frauenlob  (ainsi  appelé  pour  ses  louanges 
dei  dames),  et  beaucoup  d'autres.  La  légende  a 
fini  par  se  mettre,  ici  comme  ailleurs,  à  la  place 
de  l'histoire,  et  l'on  a  inventé  des  poètes  fabuleux 
comme  Henri  d'Ofterdingen  et  Klingsohr,  qui  se  se- 


ALLEMAGNE 


2307 


raient  rencontrés,  vers  120G,  au  tournoi  poétique 
de  la  Wartbourg,  b.  la  cour  du  comte  Hermann  de 
Tliuringo  :  co  tournoi  fait  l'objet  d'un  poème  cé- 
lèbre qui  nous  a  été  conservé,  mais  qui  ne  re- 
monte guère  qu'au  xiv«  siècle. 

Durant  cette  période,  la  prose  vraiment  littéraire 
n'existe  pas  plus  que  dans  la  précédente:  dans  les 
sermons,  ceux  par  exemple  du  moine  franciscain 
liertliold,  prédicateur  ambulant  et  populaire,  elle 
ressemble  encore  trop  à  la  poésie,  dojit  elle  emploie 
les  imagos,  les  tournures  et  les  expressions.  La 
prose  allemande  no  naîtra  qu'aux  approches  de 
la  Réforme. 

2°    PÉniODE    :  DÉCADENCE    DE    LA    POÉSIE  AU  MOYEN 

AGE  (13U0  h.  1517).  —L'épopée  populaire,  si  vigou- 
reuse et  si  originale  dans  les  tsihetungen  et  dans 
Gudi-im,  produit  encore  quelques  rejetons,  mais 
faibles  et  abâtardis,  avec  le  Livre  des  Héms  et  Ogier 
le  Bannis,  ou  d'autres  imitations,  plus  ou  moins 
pâles,  de  la  vieille  poésie  nationale.  C'est  aussi 
I  époque  des  compilations,  dont  la  longueur  est  le 
principal  et  souvent  le  seul  mérite,  comme  le 
Pas-sio?ial,  Apollonius  de  Ti/r,  et,  finalement 
vers  i.-iOO)  le  T/ieuerdank,  attribué  à  l'empereur 
Maximilien.  Les  derniers  minnesinger  sont  médio- 
cres en  tout,  même  dans  la  poésie  exclusivement 
chevaleresque  et  lyrique  :  ils  cultivent  de  préfé- 
rence le  genre  des  poèmes  mystiques  et  des  chro- 
niques rimées. 

Une  nouvelle  classe  de  poètes  surgit  alors  :  ce 
n'est  plus  dans  les  châteaux  ou  h  la  cour  des  prin- 
i-es  qu'il  faut  chercher  les  gens  de  lettres,  mais 
dans  le  sein  de  la  bourgeoisie,  dans  les  maisons 
privées,  souvent  même  dans  l'échoppe  de  l'artisan  • 
c  est,  en  un  mot,  le  règne  des  Meiitei-sxnger,  ou 
Maîtres  cliajiteitrs,  qui  font  de  la  versification  un 
art  et  de  la  poésie  une  profession.  Ils  ne  man- 
quent pas,  à  l'occasion,  d'originalité,  d'idées,  ou 
même  d'inspiration  ;  mais  ils  se  rapprochent  de  la 
prose  par  leurs  tendances  modernes,  par  leur 
bon  sens  souvent  railleur  et  un  peu  sceptique  • 
ce  ne  sont  précisément  pas  là  les  qualités  que  l'on 
demande  h  la  poésie  et  aux  poètes.  l\ous  avons  déj^ 
vu,  dans  la  période  précédente,  un  meistersœnger 
ce  Henri  de  Meissen,  surnommé  Frauenlob,  qui 
avait  pour  spécialité  de  chanter  les  mérites  de  la 
femme  :  ses  successeurs  furent  très  nombreux  dès 
le  siècle  suivant,  et  il  se  forma  de  véritables  écoles 
de  maîtres  chanteurs  dans  certaines  villes  du  midi 
do  1  Allemagne,  h  Nuremberg,  à  Augsbourg.  Les 
plus  connus  de  ces  poètes  artisans  sont  les  trois 
Hans  (OU  Jean)  :  Hans  Rosenblut,  le  barbier  Hans 
Foitz,  et,  plus  lard,  Hans  Sachs,  le  savetier,  qui 
appartient  à  la  période  suivante. 

La  poésie  religieuse,  didactique,  gnomiquo,  la 
chanson  populaire,  et  bientôt  le  drame,  tels  sont  les 
objets  auxquels  les  meisters;enger  s'attachent  de 
préférence.  A  la  fin  du  xiv  siècle,  Henri  le 
leichner,  et,  après  lui,  Suchenwirtli  s'étaient 
exerces  avec  succès  dans  le  genre  de  la  poésie 
morale  et  satirique;  à  leur  exemple,  on  composa 
des  Priomeles  (ou  préambules),  des  dictons,  des 
sentences,  des  chansons  à  boire,  etc.  L'habileté 
dans  la  versification,  le  talent  d'improvisation,  la 
recherche  dans  les  idées,  étaient  les  qualités  les 
plus  habituelles  et  les  plus  appréciées  chez  ces 
poètes  sortis  du  peuple  et  destinés  à  lui  plaire. 
Le  drame  avait  commencé,  comme  en  France 
et  en  Angleterre,  i  l'église,  mais  assez  tard,  au 
commencement  du  xiv=  siècle,  par  des  représen- 
tations de  mystères  et  d'autres  jeux,  d'abord  en 
latin,  puis  en  langue  vulgaire.  Il  ne  s'agit  pas  ici 
du  théâtre  savant  et  né  dans  les  cloîtres,  dont  l'ab- 
besse  Rliotswitha,  au  x«  siècle,  a  laissé  un  célè- 
bre monument  ;  nous  voulons  parler  seule- 
ment du  drame  populaire  et  vraiment  moderne, 
".«  PO"""  ainsi  dire  des  entrailles  mômes  de  la  so- 
ciété nouvelle.  Après  les  mystères,  et  en  dehors 


ALLEMAGNE 


des  églises,  vinrent  les  pièces  profanes  ou  comé- 
dies, les  intermèdes,  mascuradei  et  carnavala- 
des,  toutes  en  langue  vulgaire  cette  fois,  gros- 
sières et  souvent  indécentes  d'aLord,  mais  relevées 
plus  tard,  surtout  par  les  trois  Hans. 

La  prose  commence  enfin  à  se  former,  grâce  à 
quelques  chroniqueurs  et  à  des  prédicateurs  de 
talent,  comme  Tauler  et  Geiler  de  Kaysersberg. 
Ce  dernier  est  principalement  connu  pour  les 
nombreux  sermons  qu'il  consacra  au  commentaire 
d'un  poème  allégorique  et  satirique,  le  Vaisseau 
des  Fous,  de  Sébastien  Brandt,  fort  en  vogue  à  la 
fin  du  xv"  siècle.  L'invention  de  l'imprimerie, 
depuis  1438,  était  venue  donner  une  impulsion 
nouvelle  aux  études  et  fixer  en  partie  la  langue 
vulgaire  ;_  on  essayait  de  traduire  la  Bible  dès  I4G6, 
et  l'on  rédigeait,  vers  la  même  époque,  les  Livras 
populaires,  qui  ne  sont  qu'un  remaniement  en 
prose  des  vieux  romans  de  chevalerie,  de  quelques 
poèmes  moraux  ou  didactiques,  et  de  légendes 
pieuses. 

3°   PÉRIODE    :    TBA^SITtON    ENTRE    LE  MOVEN  AGE  ET 

LESTEMPs  MODERNES  (15I7-IC24).— Les  deux  grands 
faits  qui  caractérisent  cette  période  sont  la  Re- 
naissance et  la  Réforme.  Dès  le  siècle  précédent, 
à  la  suite  de  l'invention  de  l'imprimerie  et  de 
1  impulsion  donnée  aux  études  classiques  par  les 
savants  venus  de  la  Grèce  et  de  l'Italie,  les  es- 
prits avaient  commencé  à  s'affrancliir,  en  Allema- 
gne comme  ailleurs,  du  joug  de  la  scolastique  et 
des  préjugés  qui,  pendant  tout  le  moyen  âge,  en- 
travèrent l'émancipation  intellectuelle.  Les  Int- 
mamstes,  c'est-à-dire  les  lettrés  et  les  philologues, 
ouvrirent  la  brèche  par  laquelle  entra  la  Réforme. 
Celle-ci,  que  l'on  fait  dater  en  général  de  l'an- 
née où  Luther  rompit  définitivement  avec  l'Eglise 
catholique  (1517),  était  à  moitié  faite  déjà  dans 
les  esprits,  comme  le  prouvent  les  tentatives  de 
schisme  plusieurs  fois  répétées  en  Allemagne  dans 
le  courant  du  xv"  siècle. 

L'influence  de  la  Réforme  sur  la  littérature  fut 
considérable  :  elle  créa  en  réalité  la  prose  ;  elle 
ouvrit  de  nouveaux  horizons  aux  poètes,  en  ra- 
nimant la  foi  religieuse,  et  en  poussant  les  imagi- 
nations au  mysticisme  ;  c'est  elle  encore  qui,  en 
suscitant  des  controverses  et  des  polémiques 
violentes ,  fit  naître  ou  développa  le  genre  du 
pamphlet  et  celui  de  la  satire.  Le  libre|examen, 
la  critique,  ne  furent  pas  encore  appliqués  aux 
œuvres  littéraires  dans  toute  l'intégrité  de  leurs 
droits  ;  mais  on  se  prépare  désormais  à  juger  les 
ouvrages  de  l'esprit  et  à  voler  de  ses  propres 
ailes. 

L'épopée  populaire  et  l'épopée  savante  du  moyen 
âge  ne  sont  plus  représentées  que  par  quelques 
pâles  imitateurs,  dont  il  est  inutile  de  citer  les 
noms.  La  poésie  narrative  est  dans  tout  son  éclat 
avec  les  nombreux  poèmes  de  Hans  Sachs,  avec 
le  Vaisseau  fortmié  de  Fischart,  la  Citii  chréti'inne 
d'Andreœ.  et  quelques  autres  productions  où  l'es- 
prit moderne  semble  déji  vouloir  le  disputer  aux 
vieilles  traditions.  Les  poèmes  allégoriques  em- 
pruntés à  la  légende  des  animaux  sont  médiocres; 
la  fable,  en  revanche,  se  relève  avec  Erasmus 
Albcrus  et  surtout  Burkliard  VValdis,  dont  VEsnpe 
(ou  recueil  de  400  fables)  est  de  1548.  Fischart, 
dont  il  vient  d'être  question,  se  distingue  aussi 
dans  ce  genre,  ainsi  que  dans  celui  de  la  poésie 
didactique,  où  la  première  place  est  occupée  par 
Wickram,  l'auteur  du  célèbre  Fil  d  Or. 

La  poésie  vraiment  nouvelle  est  représentée 
par  le  chant  religieux,  le  cantique  protestant  : 
jusque-là  les  chants  d'église  n'avaient  guère  pu 
être  rédigés  qu'en  latin.  A  la  suite  de  Luther  et 
de  Zwingli  (le  réformateur  de  la  Suisse  allemande), 
une  foule  do  poètes,  qui  souvent  ne  manquent  pas 
de  mérite,  s'engagent  dans  cette  voie  :  on  y  re- 
trouve Alberus  et  Fischart  et,  parmi  bien  d'au- 


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—  2363 


ALLEMAGNE 


très,  on  peut  citer  Pliilippe  Nicolai,  longtemps  po- 
pulaire en  Allemagne. 

Le  théâtre  commence  aussi  à  sortir  des  lim- 
bes :  dès  1530  Paul  Rebhulm  écrivait  des  drames 
bibliques  à  peu  près  réguliers;  après  lui  venait 
Jacques  Ayrer,  estimé  aussi  comme  poète  lyrique, 
et  dont  les  pièces  obtinrent  un  grand  succès  vers 
ICOO,  à  l'époque  môme  où  le  duc  de  Brunswick, 
auteur  dramatique  lui-même,  faisait  venir  dans  sa 
résidence  une  troupe  d'acteurs  anglais.  Mais  c'est 
surtout  la  comédie  qui  se  ressent  du  nouvel  état 
de  choses  :  elle  est  cultivée  avec  quelque  talent  et 
avec  une  grande  liberté,  comme  le  drame,  d'ail- 
leurs, par  Hans  Sachs,  ce  poète  presque  univer- 
sel, et  par  Wickram,  qui  composa  surtout  des 
cainavalades  (Fastaai'IUspiele). 

La  satire,  qui  tient  de  si  près  à  la  comédie,  avait 
eu  déjà  de  brillants  succès,  à  la  fin  de  la  période 
précédente,  avec  le  Vaisseau  des  fous  de  Brandt  : 
un  adversaire  de  Luther  et  de  la  Réforme,  Mur- 
ncr,  se  distingua  dans  ce  genre,  où  il  fut  du  reste 
éclipsé  par  Fischart  et  Andreœ,  les  poètes  lyri- 
ques en  même  temps  que  populaires  et  satiriques 
par  excellence  durant  cette  époque. 

Comme  transition  entre  la  poésie  et  la  prose, 
et  aussi  entre  l'âge  ancien  et  les  temps  modernes, 
on  doit  signaler  ici  ces  curieux  recueils  d'anecdo- 
tes ou  de  farces,  et  ces  livres  populaires  dont  le 
goût  se  répand  de  plus  en  plus  dans  le  public,  et 
qui  foisonnent  au  xvi"  siècle  :  les  plus  con- 
nus sont  ceux  de  Fimst,  du  Juif  Errant,  et  le 
Lallenhudi,  qui  n'est,  du  reste,  comme  presque 
tous  les  autres,  qu'un  remaniement  du  vieux  tex- 
tes ou  de  vieilles  légendes  des  siècles  précédents. 

La  prose  véritable,  la  langue  allemande  classi- 
que, date  de  la  traduction  de  la  Bible  par  Luther 
(terminée  en  1534),  et  des  nombreux  ouvrages  de 
polémique  ou  de  théologie  du  célèbre  réformateur. 
Après  lui,  mais  bien  au-dessous,  on  peut  citer  les 
écrits  do  Jean  Schnitter,  ou  Agricola,  notamment 
son  recueil  de  proverbes  allemands,  et  une  collec- 
tion analogue  due  à  Sébastien  Frank,  auteur  d'une 
Histoire  universelle  et  de  nombreux  ouvrages  mys- 
tiques. Ce  dernier  genre  est  surtout  illustré  par 
Jacob  Bœhme,  un  simple  artisan  devenu  théolo- 
gien, dont  les  livres  furent  universellement  ad- 
mirés à  partir  de  1G12. 

in.  Littérature  moderne.  —  l'«  période  :  Les  so- 
ciétés POÉTIQUES  ET  LES  PREMIÈRES  ÉCOLES  LITTÉ- 
RAIRES (1624  à  naO).  —  Le  caractère  dominant  de 
cette  période,  c'est  le  soin  que  mettent  tous  les 
poètes  à  perfectionner  le  style  et  la  versification, 
l'habitude  qu'ils  prennent  de  se  grouper  en  socié- 
tés littéraires  et  en  écoles  poétiques.  La  date  de 
1624  est  significative  à  ce  double  point  de  vue  : 
c'est  cette  année-là  que  paraît  la  PoHique  oWe- 
œa^irfe  de  Martin  Opitz  de  Boberfeld,  le  chef  reconnu 
de  la  première  école  silésienne.  Opitz  était  loin 
d'avoir  du  génie  :  mais  c'est  un  novateur,  en  ce 
sens  qu'il  pousse  toujours  à  l'imitation  des  anciens, 
des  classiques  grecs  ou  romains,  et  que,  néan- 
moins, il  ne  dédaigne  pas  d'exhumer  et  de  publier 
les  vieux  auteurs  allemands.  De  ses  poésies  lyri- 
ques comme  de  son  théâtre,  rien  n'a  mérité  de 
survivre;  mais  on  le  citera  toujours  commo  un 
des  plus  zélés  réformateurs  de  la  littérature  alle- 
mande. 

A  cette  première  école  silésienne  se  rattachent 
une  foule  de  poètes,  dont  quelques-uns  ne  man- 
quent pas  de  talent,  et  des  prosateurs  dont  le  plus 
connu  est  Moscherosch,  l'heureux  imitateur  des 
romans  picaresques  si  goûtés  alors  en  Espagne. 

Los  tendances  de  toute  cette  période  se  résument 
dans  deux  dos  principales  sociétés  littéraires  du 
temps  :  celle  des  Fructifiants,  appelée  aussi  l'Ordre 
du  Palmier  ou  des  Palmes,  fondée  par  Opitz,  Gry- 
phius,  Logau  et  d'autres  poètes  uniquement  préoc- 
cupés de  réformer  la  langue  et  la  versitication,  et 


réunis,  sous  des  pseudonymes,  en  une  savante  hié- 
rarchie ;  et  la  société  de  la  Pegnitz,  ou  Ordre  fleuri 
et  couronné  des  bergers,  qui  fut  fondé  à  Nurem- 
berg, et  dont  les  membres,  outre  le  soin  puéril  qu'ils 
se  donnaient  pour  compliquer  la  versification, 
avaient  le  ridicule  de  prendre  des  noms  de  bergers 
et  de  se  couronner  de  fleurs;  ils  sont  du  reste 
moins  connus  encore  sous  leurs  noms  véritables 
que  sous  leurs  noms  d'emprunt. 

La  seconde  école  silésienne  a  pour  chefs  l'illi- 
sible Hoffmannswaldau,  le  traducteur  de  l'Italien 
Guarini,  et  l'auteur  d'Héroïdes  et  d'autres  poésies 
aussi  fades  et  maniérées  ;  puis  Lolienstein,  tout 
aussi  médiocre  dans  ses  poésies  lyriques,  dans 
ses  tragédies  (dont  les  premières  parurent  en 
1G61),  et  même  dans  son  roman  patriotique  de 
Hertnann  et  Tliusnelda;  enfin  Neukircli,  que  l'on 
considère  quelquefois  comme  le  chef  d'une  troi- 
sième école  silésienne,  parce  qu'il  mit  à  la  mode 
l'imitation  presque  exclusive  de  la  littérature 
française,  dans  ses  Poésies  yatantes  et  ses  Poésies 
mondaines,  accompagnées  d'une  traduction  en 
vers  de  notre  TéléiDaque.  Autour  de  ces  pauvres 
coryphées  se  groupent  de  nombreux  et  pâles  imi- 
tateurs de  la  littérature  française,  parmi  lesquels  il 
faut  pourtant  réserver  une  place  à  part  à  Cbristian 
Weise,  qui  fait  preuve  d'une  certaine  indépendance 
de  goût  dans  ses  poésies  comme  dans  ses  romans 
satiriques  et  moraux,  et  à  Postel,  qui  eut  le  mérite 
de  perfectionner,  à  Hambourg,  le  drame  et  l'o- 
péra. 

Les  romans  étaient  à  la  mode,  surtout  les  romans 
soi-disant  historiques,  œuvres  interminables  et 
mortellement  ennuyeuses,  où  l'on  imitait  M""  de 
Scudéry  ;  mais  les  Allemands  ajoutaient  encore 
à  l'ennui  français  quelque  chose  qui  leur  appar- 
tenait en  propre  :  l'abus  de  la  morale,  de  la  reli- 
gion, en  un  mot,  du  sermon.  Puis  vinrent  les 
romans  de  voyage,  ce  que  les  critiques  appellent 
les  liohinsonades,  môme  avant  l'apparition  du  véri- 
table Robinson  Criisoc  (1719),  que  l'Angleterre 
allait  bientôt  olTrir  à  l'admiration  de  l'Europe.  Ce 
qui  valait  mieux  que  toutes  ces  tristes  élucubra- 
tions,  c'était  le  roman  satirique,  le  roman  d'aven- 
tures, dans  le  genre  espagnol,  comme  nous 
l'avons  vu  avec  Moscherosch  :  un  des  meilleurs 
en  ce  genre,  et  des  plus  originaux,  a  été  ce 
fameux  Sit7iiAicissimus,  où  un  certain  Giimmels- 
liausen,  caché  sous  le  pseudonyme  de  Greifen- 
stein  von  Hirschwald,  flagelle,  tout  en  riant,  les 
turpitudes  et  les  vices  de  l'Allemagne  contempo- 
raine (1660);  le  même  auteur  avait  écrit  des  romans 
bibliques,  justement  oubliés  depuis, 

La  parodie  et  la  satire  étaient  du  reste  ce  qui 
réussissait  le  mieux  à  cette  époque  de  plate 
imitation,  sur  laquelle  elles  n'avaient  pas  de  peine 
à  trancher  ;  et  cela  est  vrai  même  pour  les  ser- 
mons, comme  le  prouve  le  prédicateur  humoriste 
par  excellence,  le  moine  augustin  de  Vienne, 
Abraham  a  Santa-Glara  (ou,  de  son  vrai  nom, 
Ulrich  Megerle),  avec  son  Judas  l' Archicoquin 
et  ses  autres  sermons  comiques.  Le  protestant 
Spener  est  plus  sérieux  dans  ses  sermons,  mais 
là,  comme  dans  ses  cantiques  et  ses  poésies,  il  a 
le  mérite  de  réagir  contre  le  mauvais  goût  de  la 
seconde  école  silésienne. 

Cette  période  se  termine,  d'ailleurs,  à  un  mo- 
ment où  la  science  va  remplacer  le  verbiage  et 
préparer  la  renaissance  définitive  de  la  littérature. 
Dès  1694  se  fondait  l'université  de  Halle,  en 
Prusse,  qui,  à  ses  débuts,  est  franchement  car- 
tésienne avec  Franke  et  Thomasius;  puis  vient 
Leibniz,  le  plus  original  des  disciples  do  Des- 
canes, qui,  tout  en  n'écrivant  pas  ses  grands  ou- 
vrages dans  son  idiome  maternel,  prend  à  cœur 
de  perfectionner  la  grammaire  allemande  et  con- 
sacre de  remarquables  opuscules  à  la  langue 
vulgaire  (1700)  ;  enfin,  son  disciple  Christian  Wolf, 


ALLEMAGNE 


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ALLEMAGNE 


le  philosophe  persécuté  au  nom  du  rigorisme  lu- 
thérien, qui  crée  en  réalité  la  langue  philoso- 
phique (le  l'Allemagne  moderne. 

2°  rÉiunnE  :  La  critiqiie  (17 ".'()- ITGO).  —  Deux 
hommes  suffisent  h  caractériser  les  tendances 
générales  de  cette  époque  :  Gottsched  et  Bodmor, 
qui,  exclusivement  préoccupés  de  théories  litté- 
raires, arrivent,  ou  peu  s'en  faut,  à  étouffer  tout 
génie  poétique  sous  le  poids  des  préceptes  et  des 
règles  de  convention.  Il  s'agit  donc  ici  d'une  cri- 
tique très  superficielle,  qui  a  eu  cependant  le 
mérite  d'appeler  l'attention  des  littérateurs  sur 
les  principes  mêmes  du  beau  et  sur  les  chefs- 
d'œuvre  des  littératures  élrangcres. 

C'est  i  partir  de  1720  que  l'influence  de  Bodmer 
se  fait  sentir,  à  Zurich  d'abord,  puis  dans  une 
partie  de  l'Allemagne,  où  ses  adeptes  forment 
l'école  suisse,  opposée  îi  l'école  saxonne  ou  alle- 
mande de  (jOttsched,  h  Leipzig.  La  grande  diffé- 
rence entre  les  deux  écoles  rivales  était  que  l'une 
imitait  les  Anglais  et  l'autre  les  Fran(;ai3  :  les 
Suisses  avaient  commencé  h  manifester  leurs  pré- 
férences pour  l'Angleterre  et  pour  la  poésie  des- 
criptive dans  les  Discours  des  peintres,  publiés  en 
1721  par  Bodmer  et  son  fidèle  lieutenant  Brei- 
tinger;  Gottsched  donna  (en  172(!)  sa  Critique  ra- 
tionnelle, appuyée  sur  le  goût  français,  comme  les 
tragédies  et  les  autres  poèmes  ou  poésies  de  l'au- 
teur. Les  deux  camps  s'observaient  sur  le  pied  de 
la  neutralité  armée,  lorsqu'enfin  la  rupture  éclata 
en  1732  à  l'occasion  d'une  traduction  de  Milton  par 
Bodmer.  Il  y  eut  beaucoup  de  papier  noirci  et 
d'invectives  plus  ou  moins  attiques  échangées 
pendant  plus  de  vingt  ans  entre  les  deux  chefs  et 
leurs  disciples;  de  temps  à  autre  on  se  lançait  à 
la  tête,  outre  les  théories,  quelque  chef-d'œuvre 
dont  la  postérité  n'a  plus  voulu  entendre  parler  : 
on  connaît  à  peine  aujourd'hui  le  titre  des  tragé- 
dies de  Gottsched,  ou  des  drames  sacrés  et  des 
poèmes  de  Bodmer  qui,  pourtant,  avait  eu  l'idée, 
heureuse  en  somme,  do  chercher  ses  inspirations 
dans  la  Bible  (poème  de  Noé,  1747).  Pendant  ce 
temps,  les  disciples  compilaient  de  lourdes  dis- 
sertations h  l'appui  des  théories  et  des  ouvrages 
de  leurs  maîtres  :  Breitinger  est  encore  dans  les 
moins  mauvais,  avec  son  Traité  des  comparaisons 
et  sa  Poétique.  Signalons  encore,  dans  l'école 
suisse,  ou  du  moins  parmi  ses  alliés  les  plus  re- 
marquables, le  professeur  Baumgarten,  de  Halle, 
qui  publie  en  1750  une  Estliétique,  et  a  le  mérite, 
sinon  de  créer  cette  science,  du  moins  d'employer 
pour  la  première  fois  le  terme  qui  la  désigne. 

C'est  du  reste  du  côté  de  Zurich  que  se  trou- 
vent réellement  les  esprits  les  plus  sensés  et  les 
mieux  doués  au  point  de  vue  poétique  :  Henri 
Brockes,  par  exemple,  qui  commence  par  imiter, 
dans  son  poème  du  Massacre  de  Betliléem,  l'Ita- 
lien Slarini,  et  qui,  plus  tard,  se  tourne  vers  la 
poésie  descriptive,  où  il  prend  pour  modèles  les 
Anglais,  et  surtoutThompson,  l'auteurdesSaisoJii; 
et,  mieux  encore,  Haller  qui,  dés  1729,  publiait 
son  poème  des  Alpes,  œuvre  souvent  estimable, 
bien  supérieure  à  ses  autres  productions  venues 
plus  tard,  notamment  à  son  poème  philosophique 
ou  thfcologique  de  VOrigine  du  mal. 

Les  disciples  de  Gottsched  faisaient  parler  d'eux 
dans  les  régions  où  l'on  acceptait  l'autorité  do 
leur  patron  :  presque  tous  sont  oubliés  aujourd'hui. 
L'un  d'entre  eux,  Schwabe,  après  avoir  traduit 
Zaïre,  se  séparait  de  Gottsched,  et  fondait  h  Leip- 
zig une  revue,  les  Récréations  de  la  raison  et  de 
l'esprit,  modifiée,  en  17-15,  sous  le  titre  de  Nou- 
velles récréations,  et  enfin,  en  1747,  sous  celui 
de  Revue  de  Brème  [Dremer  Beitneqe),  où  entrè- 
rent, à  sa  suite,  quelques  autres  frères  séparés, 
et,  en  dehors  de  toute  coterie,  des  esprits  plus 
hardis,  comme  Cramer,  Gellcrt,  Klopstock. 
Parmi  les  poètes  indépendants  ou  qu'il  est  dif- 
2"  Pahtie. 


ficile  do  rattacher  h  une  écolo  précise,  on  doit 
mentionner  Hagedorn,  poète  aimable  et  gai,  sou- 
vent gracieux,  qui  commence  par  imiter  Horace 
et  les  Anglais,  et  finit  par  être  presque  original 
dans  ses  contes  en  vers,  ses  chansons,  ses  épitres 
et  ses  épigrammes;  Gellert,  qui  vaut  mieux  que 
d'autres,  sans  être  pour  cela  bien  brillant  dans  ses 
fables,  ses  romans  ou  ses  contes,  ses  poèmes  et 
ses  drames;  Lichtwer, dont  les  fables  sont  naïves, 
mais  sèches  ;  les  deux  satiriques  Liscov  et  Rabener' 
qui  obtiennent  un  réel  succès  en  imitant  les  An- 
glais et  les  anciens  ;  enfin  le  mystique  Zinzendorf, 
qui  n'eut  pas  la  prétention  d'être  un  homme  de 
lettres,  bien  qu'il  ait  composé  des  milliers  de 
cantiques  pour  sa  société  d'Herrnliut  ou  des 
Frères  moraves  (17-35).  Un  poète  dramatique  mort 
jeune  en  1758,  Cronegk  (ou  Kronegk),  couronné, 
l'année  même  de  sa  mort,  pour  sa  tragédie  de 
Codrus,  aurait  peut-être  surpassé  tous  ses  con- 
temporains, au  témoignage  du  sévère  Lessing,  s'il 
eût  assez  vécu  pour  mûrir  son  talent. 

3°  période:  L'âge  classique  moderne  (1760- 
1832).  —  L'année  ITIiO  n'est  la  date  d'aucun  évé- 
nement littéraire  important  ;  mais  c'est  h  peu  près 
l'époque  où  s'opère  l'évolution  définitive  de  la  lit- 
térature allemande  au  point  de  vue  classique,  avec 
les  œuvres  principales  de  Klopstock,  de  Lessing 
de  VVieland,  de  Herder,  bienlêt  suivies  de  celles 
de  Gœthe  et  de  Schiller. 

La  période  précédente  semble  vouloir  pourtant 
se  prolonger  encore  dans  celle-ci,  et  bien  des 
poètes  que  nous  venons  de  nommer  plus  haut  ont 
continué  jusqu'à  la  fin  du  siècle  les  traditions 
inaugurées  par  eux  ou  leurs  devanciers  une  tren- 
taine d'années  aupar.ivant.  La  plupart  ont  cepen- 
dant ceci  de  particulier,  qu'ils  semblent  être  les 
auxiliaires  inconscients  de  la  nouvelle  réforme 
poétique.  C'est  le  cas  de  Cramer,  déjà  signalé 
précédemment  il  propos  de  la  Revue  de  Brème,  et 
qui,  après  avoir  fait  partie  de  l'union  de  Gœttingue 
(voir  plus  loin)  et  composé  un  certain  nombre  de 
poésies  religieuses,  finit  par  fonder  une  Revue 
fort  décriée  par  Lessing,  mais  pourtant  sérieuse' 
le  Surveillant  du  Nord,  il  Copenhague.  ' 

Il  en  est  de  même  pour  tous  les  poètes  dits  ana- 
créontiques,  qui  se  groupèrent  d'abord  à  Halle, 
puis  à  Halberstadt,  et  enfin  à  Berlin  :  Gleira,  qui 
réussit  principalement  dans  la  fable  et  la  chanson 
et  dont  on  vanta  longtemps  les  C/iauts  d'un  grena- 
dier prussien  ;  Ewald  de  Kleist,auteur  d'un  poème 
souvent  remarquable,  le  Printemps;  le  chanson- 
nier professeur  Jean-George  Jacobi  ;  Tiedge,  lié 
lui  aussi,  avec  Gleim,  bien  que  la  poésie  sentimen- 
tale et  descriptive  l'ait  séduit  pins  que  le  reste  • 
Uz,  imitateur  affaibli  d'Horace,  comme  Ramier,  qui 
s'exerça  sans  plus  de  talent  dans  la  fable  ;  enfin  la 
poétesse  Louise-Anna  Karsch  (ou  Karschin),  simple 
femme  d'artisan,  que  patronnèrent  Gleim  et  Ram- 
ier, et  dont  les  productions  lyriques  ou  autres  sont 
des  spécimens,  souvent  heureux,  de  ce  que  l'on 
appelait  alors  la  poésie  naturelle. 

Mais  il  est  temps  d'arriver  aux  véritables  repré- 
sentants de  cette  féconde  période,  à  ceux  qui  ont 
réellement  fait  de  l'Allemagne  un  pays  lettré  sus- 
ceptible de  former  et  de  développer  son  goût  poé- 
tique, et  capable  de  lutter  sous  ce  rapport  avec  les 
autres  contrées  de  l'Europe  civilisée.  Klopstock  est 
le  premier  en  date,  et  peut-être  aussi  par  la  har- 
diesse de  son  entreprise. 

Frédéric-Gottlieb  Klopstock  (1724-180.3)  avait 
nourri  sa  jeune  imagination  de  lectures  pieuses  en 
môme  temps  que  poétiques:  la  Bible  et  le  Paradis 
perdu  lui  donnèrent  l'idée  de  composer  un  poème 
biblique,  le  Messie  (communément  appelé  en  fran- 
çais la  Messinde).  dont  il  publia  les  premiers  chants 
dès  1751,  et  qu'il  acheva  seulement  en  177.3.  Dans 
l'intervalle,  il  écrivit  des  drames  bibliques  (la  Mort 
d'Adam,  Salomon,   David,  etc.),  ou   paiiiotiques 


ALLEMAGNE 


—  2370  — 


ALLEMAGNE 


(Bardils  de  Hermann),  dont  les  derniers  ne  paru- 
rent que  longtemps  après,  des  Odes,  et  divers  opus- 
cules en  prose.  On  ne  lit  plus  guère  aujourd'hui 
son  poème,  qui  ne  manque  pourtant  ni  do  grandeur, 
ni  d'imagination  :  l'originalité  de  Klopslock  est 
presque  tout  entière  dans  sa  conviction  religieuse, 
et  aussi  dans  l'emploi  d'un  rythme  peu  usité  jus- 
que-là en  Allemagne,  l'hexamètre  des  Grecs  et  des 
Latins.  Ses  autres  compositions  manquent  d'inté- 
rêt, plus  encore  que  le  Messie,  et  demanderaient, 
pour  être  lues  et  admirées  comme  k  l'origine,  une 
disposition  d'esprit  analogue  à  celle  où  se  trou- 
vaient l'auteur  et  ses  contemporains;  ses  odes, 
surtout,  sont  presque  toujours  d'une  obscurité  dé- 
solante. Notons,  en  passant,  que  plusieurs  de  ces 
poésies  sont  consacrées  h  la  liberté,  à  la  gloire  de 
la  jeune  Amérique  et  de  la  France  rajeunie.  L'As- 
semblée législative  le  nomma  citoyen  français,  et  la 
Convention  l'admit  parmi  les  membres  de  l'Insti- 
tut, au  moment  de  sa  fondation. 

Bien  que  Klopstock  se  fut  spécialement  occupé 
de  la  langue,  et  qu'il  lui  eût  même  consacré  plu- 
sieurs de  ses  ouvrages  en  prose,  ce  n'était  pas  ce 
que  nous  appelons  un  critique;  ce  rôle  appartient 
presque  uniquement  k  Lessing,  qui  peut  être  con- 
sidéré comme  le  véritable  réformateur  de  la  litté- 
rature allemande  au  siècle  dernier.  Gotthold- 
Ephraim  Lessing  (1729-1781)  était,  par  son  carac- 
tère et  ses  tendances  d'esprit,  tout  l'opposé  de 
Klopstock  :  condamné  d'abord  à  étudier  la  théolo- 
gie, il  se  dégoûta  bien  vile  de  cette  science  et  se 
tourna  tout  entier  vers  la  littérature.  Ses  premiers 
essais  dramatiques  (vers  17ôo)  laissent  fort  à  dé- 
sii^cr;  ses  fables  en  vers  et  ses  contes  valent  déjà 
mieux;  bientôt  il  arrivai  se  frayer  une  voie  nou- 
velle et  à  conquérir  une  des  premières  places  dans 
la  littérature,  avec  son  drame  en  prose  de  Miss 
Sara/i  Samp^on,  ses  fables  en  prose,  ses  traduc- 
tions du  théâtre  de  Diderot,  et  surtout  ses  Lettres 
sin-  la  Littérature,  écrites  en  collaboration  avec 
Nicolaî  et  Mendelssohn,  maisauxquelles  il  imprime 
toujours  le  cachet  de  sa  puissante  personnalité. 
Inquiet  et  nomade,  voyageant  de  Leipzig  à  Berlin, 
de  Berlin  à  Hambourg  et  ailleurs,  jusqu'au  jour 
où  il  se  fixe  à  Wolfenbiittel,  chez  le  duc  de  Bruns- 
wick, Lessing  consacra  ses  dernières  années  à  des 
travaux  de  critique  religieuse  qui  lui  attirèrent  de 
nouvelles  inimitiés.  Il  avait  eu  le  temps,  cepen- 
dant, d'écrire  des  œuvres  excellentes  comme  le 
Laoco'inAd.  Dramaturgie  de  Hambourg,  les  Lettres 
archéologiques  ;  ou  es,iima.h\a&  comme  sa  comédie 
de  Miiiiiu  d'i  Barnhelm,  et  ses  drames  à'Emilia 
Gatutti  et  de  Nathan  le  Sage  :  ce  dernier  (1778)  se 
ressentait  du  reste  de  ses  préoccupations  de  tolé- 
rance et  de  philajithropie.  Le  Luocoon  est  encore 
aujourd'hui  considéré  comme  une  sorte  de  manuel 
indispensable iceux  qui  veulentsefamiliariseravec 
la  connaissance  de  l'antiquité.  L'émule  de  Lessing, 
Winckelniann,  do]mait  à  la  même  époque  (17i;4) 
une  admirable  Histoire  de  l'art  chez  les  anciens. 
Christophe-Martin  Wieland  (1733-1813)  a  passé 
longtemps  pour  représenter  en  Allemagne  la  litté- 
rature française  du  xviii'  siècle,  et  on  l'appelle 
quelquefois  encore  le  Voltaire  alleinand.  Il  ne  res- 
semble pourtant  pas  à  Voltaire,  sauf  par  la  tour- 
nure un  peu  légère  de  quelques-unes  de  ses 
œuvres  et  par  son  désir  constant  d'affranchir  l'hu- 
manité de  tous  les  préjugés  et  de  toutes  les  tyran- 
nies :  il  avait  moins  d'esprit  qu'.\rouet,  et  un 
fonds  de  mysticisme  dont  il  ne  put  jamais  se  dé- 
barrasser entièrement.  Il  commença  par  se  mettre 
à  l'école  d-  Bodmer,  etpai  érrire  des  poèmes  et  des 
drames  religieux  ;  puis,  dans  sa  période  la  plus  bril- 
lante (de  1700  à  rSO),  il  combat  ce  qu'il  avait  d'a- 
bord défejidu,  et  obtient  un  immense  succès  avec 
ses  romans  humanitaires  ou  politiques  (Agalhon, 
le  Miroir  d'or,  les  Aljdéritains)  et  ses  poèmes  che- 
valeresques, plus  ou  moins  héroi-comiqucs,  k  l'i- 


mitation de  l'Arioste  (Obéron,  etc.l  ;  dans  ses 
dernières  années,  il  s'occupe  surtout  de  l'antiquité, 
qu'on  lui  reproche  d'avoir  souvent  défigurée,  et 
de  philosophie,  où  il  est  vague  et  sentimental  (ro- 
mans de  Pérégrinus  Protée,  d'Ansti/iue,  etc.).  Son 
principal  mérite  est  d'avoir  traduit  Shakespeare,  et 
d'être  devenu,  à  la  cour  de  Weimar,  le  noyau  de  la 
brillante  société  littéraire  qui  devait,  pendant  un 
demi-siècle,  faire  de  cette  petite  résidence  l'A- 
thènes de  l'Allemagne. 

Il  serait  injuste  de  ne  pas  nommer,  avant  Hcrder, 
un  écrivain  presque  oublié  aujourd'hui,  l'obscur  et 
mystique  auteur  des  Croisades  du  phdoi'gue  Pan, 
le  n  .Mage  du  Nord  »,  Hamann,  qui  a  initié  Herder  à 
la  connaissance  de  Shakespeare  et  lui  a  inspiré  sa 
vive  admirai  ion  pour  la  Bible  et  la  poésie  orientale. 
Hamann,  quoique  adversaire  de  la  philosophie  de 
Kant,  peut  compter  parmi  les  révolutionnaires  dans 
la  littérature  allemande  du  siècle  dernier.  Herder 
(17i4-18n3)  est  surtout  connu  chez  nous  pour  son 
grand  ouvrage  sur  la  philosophie  de  l'histoire  (Idées 
pour  l'histoire  de  l'humanité),  qui  est  l'un  des  pre- 
miers manuels  de  la  critique  historique  moderne  ; 
il  ne  faut  pourtant  pas  oublier  ses  nombreux  livres 
de  critique  littéraire  ni  ses  études  poétiques  (Forêts 
critiques,  les  Voix  des  peuples,  la  Poésie  ries  Hé- 
breux, et  surtout  son  admirable  traduction  envers 
du  Homnnrero  du    Cid] . 

Avec  Herder,  plus  encore  qu'avec  Lessing  et  Wie- 
land, la  philosophie  commence  k  pénétrer  dans  la 
littérature.  C'était,  du  reste,  la  tendance  de  cette 
époque;  le  spinosiste  Mendelssohn  avec  son  Phé- 
don,  puis  Schloiermacher  avec  sa  traduction  de 
Platon,  Tennemann  avec  son  Histoire  de  la  philo- 
sophie, avaient  réussi  à  intéresser  le  grand  public 
k  cette  science  jusque-là  si  aride  et  si  hérissée  ;  les 
hommes  politiques  eux-mêmes ,  comme  Gœrres, 
allaient  aborder  dans  leurs  écrits  les  problèmes  phi- 
losophiques dont  la  solution  semblait  jusque  là  ré- 
servée aux  savants  de  profession.  Mais  c'est  sur- 
tout Kant  et  son  école  qui  établirent  en  Allemagne 
le  règne  définitif  de  la  philosophie  et  parvinrent 
à  lui  subordonner  la  poésie  elle-même. 

Les  premiers  ouvrages  d'Emmanuel  Kant  avaient 
passé  pour  ainsi  dire  inaperçus  :  sa  Critique  de  la 
7-aison  pure,  suivie  de  la  Critique  de  la  raison  pra- 
tique, ne  firent  de  bruit  qu'en  1789,  quelques  an- 
nées après  leur  publication  :  les  autres  écrits  du 
grand  penseur  achevèrent  de  fonder  sa  gloire  et 
de  répandre  son  système  de  criticisme.  Ce  ne  fut 
pourtant  pas  sans  lutte  :  pendant  que  Bouterwek 
et  d'autres  s'efforçaient  de  vulgariser  le  kantisme, 
Schulze,  Tiedemann,  et  bien  des  philosophes  es- 
timés le  combattaient  à  outrance.  Les  disciples 
plus  ou  moins  fidèles  de  Kant  furent  Fichte, 
connu  surtout,  en  littérature,  pour  ses  Discours  à 
la  nation  allemande  (en  180^),  Schelling,  avec  sa 
Philosophie  de  la  nature  (1799),  et,  plus  tard, 
Hegel,  avec  sa  Logique,  son  Esthétique  et  sa  Phi- 
losoplde  du  Droit. 

C'est  donc  sur  un  terrain  solidement  prépare 
par  la  philosophie  que  vient  s'établir,  avec  Gœthe 
et  Schiller,  l'école  classique,  bientôt  suivie  de 
lécole  romantique.  Ce  qui  distingue  précisément 
ces  deux  grands  poètes  de  leurs  devanciers,  c'est 
qu'ils  n'écrivent  pas  au  hasard,  qu'ils  ont  les  yeux 
fixés  vers  un  objectif,  et  qu'ils  élèvent  la  poésie 
à  la  hauteur  d'un  art  véritable,  avec  ses  lois  et 
sa  raison  d'être.  Gœthe  est  pourtant  moins  préoc- 
cupé de  philosophie  que  Schiller,  mais  cela  ne 
l'empêche  pas  d'être  tout  aussi  philosophe.  Les 
Allemands  disent  volontiers  que  l'un  représente  la 
poésie  réelle,  et  l'autre  la  poésie  idéale  :  cela 
veut  dire,  en  d'autres  termes,  que  Gœthe  a  plutôt 
vécu  ses  œuvres,  et  que  Schiller  s'est  élevé  en 
général  au-dessus  et  en  dehors  des  circonstances 
au  milieu  desquelles  il  vivait. 

Jean-Wolfgang   Gœthe  (1749-1832)   était  né    à 


ALLEMAGNE 


—  2371  — 


ALLEMAGNE 


Francfort,  dans  une  riche  maison  bourgeoise.  La 
fortune  ne  cessa  guère  de  le  gâter  jusqu'il  sa 
mort  :  aussi  trouve-t-on  dans  la  plupart  do  ses 
œuvres  un  calme  et  une  sérénité  qui  manquent 
presque  toujours  à  celles  de  son  rival.  Ses  pre- 
miers essais,  pourtant,  qui  eurent  un  immense 
retentissement,  se  ressentimt  du  tumulte  et  de 
l'elTervescence  de  la  jeunesse.  Fixé  i  Weimar  bien- 
tôt après,  et  devenu  l'ami,  le  conseiller  et  le  pre- 
mier ministre  du  duc  régnant,  Gœlhe  n'écrit  plus 
qu'i  loisir  et  prend  tout  son  temps  pour  composer 
des  chefs-d'œuvre,  surtout  après  ses  deux  voyages 
en  Italie.  Sa  liaison  avec  Schiller  lui  ouvre  des  ho- 
rizons nouveaux  et  vivifie  son  cœur  tout  en  affinant 
encore  son  intelligence  :  quand  deux  génies  pareils 
vivent  dans  l'intimité,  il  n'est  pas  étonnant  que 
leurs  œuvres  approchent  plus  que  jamais  de  la  per- 
fection. Malheureusement  Schiller  mourut  bientôt 
après,  et  Gœthe,  replié  désormais  sur  lui-même, 
produira  des  œuvres  encore  étonnantes  et  gran- 
dioses, mais  moins  complètes.  A  plus  d'une  re- 
prise, il  avait  semblé  vouloir  renoncer  à  la  poésie, 
pour  ne  plus  s'occuper  que  de  sciences  naturelles  : 
son  Histoire  de  la  théorie  des  couleurs  est  sa  plus 
remarquable  production  en  ce  genre.  L'œuvre  en- 
tière de  Gœthe  est  considérable;  son  influence  le 
fut  encore  plus,  et  il  mourut,  à  l'âge  de  quatre- 
vingt-trois  ans,  honoré  comme  un  souverain,  et 
considéré,  dans  le  monde  entier,  comme  le  roi  de 
la  littérature  allemande.  C'est  l'année  de  sa  mort 
que  se  termine  la  période  littéraire  dont  il  est  le 
plus  illustre  représentant. 

Sa  première  œuvre,  en  date,  est  Gœtz  de  Ber- 
lictii/igen  (ma),  qui  fut  le  signal  d'une  réfoi-me 
dramatique  en  Allemagne  :  Gœthe  secouait  le 
joug  des  vieilles  conventions  théâtrales  et  imitait 
la  libre  allure  de  Shakespeare,  tout  on  s'astrei- 
pnant  h  suivre  l'histoire  et  en  s'inspirant  des  glo- 
rieuses traditions  de  l'âge  chevaleresque.  Puis 
vient  son  roman  de  Werther  (17*4),  où  dominent 
l'imagination  et  la  passion,  mises  au  service  de 
la  peinture  assez  exacte  d'une  maladie  morale,  la 
mélancolie,  qui  régnait  en  Allemagne  à  cette 
époque.  Nulle  part  ailleurs  le  poète  n'a  repré- 
senté avec  autant  de  force  l'état  d'une  âme  qui 
souffre  des  dissonances  de  la  vie,  et  qui  ne  sait 
pas  se  résigner  à  subir  les  nécessités  de  notre 
condition  sociale.  On  a  souvent  dit  que  ce  roman 
était  immoral,  qu'il  poussait  au  désespoir  et 
même  au  suicide  :  ceci  peut  être  vrai  pour  les 
esprits  faibles  et  mal  équilibrés  ;  une  âme  forte 
résiste  à  une  pareille  lecture,  et  Gœthe  n'écrivit 
son  livre  que  pour  se  guérir  lui-même  du  mal 
dont  il  commençait  à  sentir  les  atteintes  :  ce  fut 
pour  lui,  comme  il  le  dit  dans  ses  mémoires,  une 
sorte  de  dérivatif. 

Le  drame  bourgeois  de  Clavijo  (même  année) 
eut  autant  de  succès  que  Gœtz  :  la  donnée  s'en 
trouve  dans  les  remarquables  mémoires  de  notre 
Beaumarchais.  Puis  l'activité  dramatique  de 
Gœthe  semble  s'arrêter  pour  quelque  temps  : 
le  poète  se  contente  de  jeter  sur  le  papier  quel- 
ques fragments  ou  le  brouillon  de  plusieurs  de 
ses  œuvres  à  venir;  c'est  après  avoir  fine  sa  rési- 
dence â  Weimar,  et  surtout  après  ses  voyages  d'Ita- 
lie, qu'il  produit  ses  meilleures  tragédies  lÉ'^mo;;^, 
la  classique  Iphigénie  en  Tawide,  et  Torquato 
Tasso  ^1788-90). 

Mais  déjà  le  théâtre  n'attirait  plus  toute  son 
attention,  bien  qu'il  se  fùL  chargé  de  la  direction 
de  celui  de  Weimar.  Après  ses  remarquables 
travaux  sur  l'histoire  naturelle  {Hssai  sur  les  mé- 
tamorphoses rfev  plantes],  Gœthe  écrivait  l'un  de 
ses  chefs-d'œuvre  en  prose,  les  Années  d'appren- 
tissage de  Wilhetm  Meister  (17'.H-'JG),  ce  roman  si 
goûté  encore  de  nos  jours  h  cause  do  la  vérité  de  ses 
peintures  en  même  temps  que  de  l'élévation  de 
ses  sentiments  ou  de  la  beauté  de  ses  caractères, 


et  dont  l'épisode  do  Mignon  a  inspiré  tant  de 
peintres  et  de  compositeurs.  Deux  ans  après 
vient  un  autre  chef-d'œuvre,  un  poème  cette  fois, 
la  gracieuse  et  forte  idylle  de  Hermann  et  Doro- 
thée, où  le  poète  a  retrouvé  les  allures  de  la 
poésie  antique  pour  peindre  la  vie  do  famille, 
l'amour  chaste  et  pur,  et  le  calme  d'une  exis- 
tence bourgeoise  opposé  à  l'agitation  et  aux  tem- 
pêtes politiques.  Enfin  arrive  Faust,  dont  les 
deux  parties  parurent  à  trente  ans  d'intervalle, 
et  qui  passe,  avec  raison,  pour  l'une  des  œuvres 
les  plus  étonnantes  qu'ait  produites  la  littérature 
allemande  :  ce  poème,  ou  ce  roman,  comme  on 
voudra  l'appeler,  nous  frappe  presque  aussi  souvent 
par  son  obscurité  que  par  sa  puissance  ;  les  épi- 
sodes en  sont  presque  toujours  admirables,  mais 
l'ensemble  de  l'œuvre  ne  semble  pas  offrir  un 
sens  bien  arrêté.  Schiller  avait  assisté  Gœthe  de 
ses  conseils  pour  la  composition  de  la  première 
partie,  qui  est  fort  supérieure  à  la  seconde,  et  qui 
est  devenue  populaire  chez  nous  par  le  touchant 
épisode  de  Marguerite  (notamment  avec  l'opéra  de 
Faust  de  Gounod). 

Parmi  les  œuvres  de  la  vieillesse  de  Gœthe, 
on  doit  citer  surtout  les  Années  de  voyage  de 
Wilhetm  Meister,  qui  offrent  moins  d'intérêt  que 
les  Années  d'apprentissage  ;  ses  mémoires,  inti- 
tulés :  Souvenirs  de  ma  vie,  poésie  et  vérité 
(1813);  le  roman  un  peu  métaphysique  des  A  f fi- 
nités  électives,  qui  est  peut-être,  au  point  de  vue 
du  style,  le  chef-d'œuvre  de  la  prose  allemande. 
N'oublions  pas  les  poésies  lyriques  de  Gœthe, 
qui  se  répartissent  entre  les  diverses  périodes 
de  sa  vie,  ni  sa  vaste  correspondance,  celle  sur- 
tout avec  Schiller,  qui  est  devenue  classique,  et 
avec  la  célèbre  Bettiiia  Brentano  (devenue  depuis 
Mm'=  d'Arnim),  qui,  tout  enfant,  s'éprit  d'une 
passion  romanesque  pour  l'illustre  vieillard.  L'é- 
dition définitive  des  œuvres  de  Gœthe  (chez  Cotta 
à  Stuttgard)  comprend  quarante  volumes,  sans  la 
correspondance  ;  nous  en  avons  une  traduction 
française  par  M.  Porchat. 

Les  débuts  de  Frédéric  Schiller  (1759-lSOô)  res- 
semblent à  ceux  de  Gœthe  :  le  drame  des  Bri- 
gands (1780)  est  une  œuvre  de  révolte,  assez  ex- 
plicable chez  un  jeune  homme,  né  pauvre,  et  élevé 
dans  la  rude  contrainte  d'une  école  militaire.  Les 
drames  suivants  [Fiesque,  Intrigue  et  Amour),  et 
les  poésies  lyriques  de  cette  période,  ont  le  même 
caractère  ;  puis  vient  une  sorte  de  maturité  fac- 
tice, provoquée  par  l'étude  de  la  philosopliio  et  do 
l'histoire,  et  surtout,  dans  la  suite,  par  sa  liaison 
avec  Gœthe  :  Scliiller  écrit  alors  son  Histoire  du 
soulèvement  des  Pays-Bas  et  son  Histoire  de  la 
guerre  de  trente  ans,  et  finalement  ses  meilleures 
tragédies  (Wallenslein,  Marie  Sluart,  la  Pucelle 
d'Orléam,  la  Fiancée  de  Messine,  Guillaume  TeU)  : 
mais  il  y  avait  toujours  de  la  jeunesse,  de  l'en- 
thousiasme, et  aussi  une  certaine  inexpérience  et 
quelque  abus  de  la  rhétorique,  au  fond  de  cette 
contrainte  classique  à  laquelle  le  caractère  du  poète 
ne  se  prêtait  que  médiocrement. 

Schiller  est  mort  jeune,  en  somme,  et  son 
admirable  génie  poétique  n'a  pu  produire  autant 
d'œuvres  achevées  que  celui  de  Gœthe;  en  outre, 
la  tournure  trop  métaphysique  de  son  esprit  l'a 
toujours  empêché  de  peindre  les  personnages  et 
les  événements  avec  toute  la  vérité  désirable. 
Aussi,  malgré  le  soin  qu'il  a  pris  d'écrire  des 
ouvrages  spéciaux  d'histoire,  comme  son  Soulè- 
vement des  Pays-Bas  et  sa  Guerre  de  trente 
ans  (\l^l) ,  livres  encore  estimés  malgré  l'inex- 
actitude de  certains  renseignements ,  ses  tra- 
gédies soi-disant  historiques  sont-elles  toujours 
assez  faibles  à  ce  point  de  vue  :  la  Conjuration 
de  Fiesqut,  iont  la  scène  se  passe  à  Gènes,  eS' 
peut-être  encore  la  plus  exacte,  parce  que  l'his- 
luire  y  joue  un  rôle  plus  secondaire.  Don  Carlos 


ALLEMAGNE 


—  2372 


ALLEMAGNE 


est  un  drame  vigoureux  et  attacliant,  mais  que 
gâtent  souvent  des  préoccupations  liumanitaires  et 
des  déclamations  un  peu  trop  pompeuses  :  la 
sombre  physionomie  du  roi  Philippe  II  d'Espagne 
n'est  pas  toujours,  malgré  tout  l'iiitcrôt  que  l'au- 
teur a  su  lui  donner,  bien  conforme  à  l'histoire. 
La  trilogie  de  Wallenslein  (1709),  comprenant 
trois  drames  empruntés  à  l'histoire  de  la  guerre 
de  trente  ans  (le  Camp  de  WallenUein,  les  Picco- 
lotiiini,  et  la  Mort  de  Wiillenstein),  renferme  de 
brillantes  peintures  de  micurs  et  des  caractères 
fortement  tracés,  mais  on  regrette  encore  de  ne 
pas  y  trouver  un  respect  plus  scrupuleux  de  la 
vérité  historique.  Il  en  est  de  même  pour  Mane 
Stttfirt  (18u0),  où  il  y  a  pourtant  de  très  belles 
scènes,  et  de  la  Pucelle  d'Orléans  (1801),  où  la 
physionomie  de  Jeanne  d'Arc  n'est  pas  présentée 
avec  toute  la  grandeur  naive  que  nous  voudrions 
lui  voir.  Dans  la  Fimicée  de  Messine  (l.Sii3), 
Schiller  cherche  à  se  rapprocher  de  la  tragédie 
grecque,  tout  en  traitant  un  sujet  emprunté  à 
l'histoire  du  moyen  âge  ;  enfin,  à  la  veille  jires- 
que  de  sa  mort,  il  écrit  Guillaume  Tell  (1804), 
œuvre  empreinte  du  plus  ardent  patriotisme,  le 
meilleur  de  ses  drames,  h  coup  sûr,  et  que  lios- 
sini  a  rendu  si  populaire  chez  nous. 

Schiller  a  beaucoup  moins  écrit  en  prose  que 
Gœthe,  et  sa  prose,  sauf  dans  ses  ouvrages  histo- 
riques, est  généralement  moins  nette  et  moins 
brillante.  Les  Allemands  admirent  peut-être  un 
peu  trop  ses  opuscules  de  philosophie  littéraire 
ou  d'esthétique,  qui  sont  généralement  très  obs- 
curs ;  son  roman  inachevé  du  Visiojuiaire  n'offre 
qu'un  intérêt  assez  mndiocre  ;  il  n'en  est  pas  de 
même  de  sa  correspondance  avec  Gœthe,  qui  se 
lira  toujours.  Les  œuvres  complètes  de  Schiller, 
publiées  aussi  par  Cotta,  ont  été  traduites  en 
français  par  M.  Régnier. 

Parmi  les  contemporains  de  Klopstock,  de  Wie- 
land,  de  Lessing,  de  Schiller  et  de  Gœthe,  on  ne 
peut  guère  citer,  dans  un  résumé  comme  celui-ci, 
que  quelques-uns  des  noms  les  plus  marquants  : 
Gessner,  auteur  d'idylles  en  prose  et  de  poésies  re- 
ligieuses; Lavater,  plus  célèbre  par  ses  Frurjineyits 
phijsiogiiomiqnes  que  par  ses  Chants  suisses  et  ses 
Cantiques  chrétiens;  Denis  et  Gerstenberg,  avec 
leurs  Puésiei  ossianvjues  et  leurs  C/iants  des  skal- 
des;  le  malheureux  Schubart,  persécuté  pour  avoir 
attaqué  un  prince  dans  ses  vers;  l'élégiaque  Mat- 
thisonet  le  mystique  Jung- Stilling,  qui  a,  du  reste, 
imité  Gœthe  dans  ses  romans.  Un  peu  en  dehors 
de  cet  esprit  religieux  et  biblique,  on  trouve  les 
poètes  de  la  célèbre  union  de  Gœttingue.  dont  les 
plus  connus  sont  Burger  (Ballades),  Hœlty  (Elé- 
ffies),  les  frères  Stolberg,  Voss  {Idi/lles,  poème  de 
Louise,  traduction  rythmique  d'Homère),  Hebel 
{Poésies  allemanniques,  en  dialecte  de  la  Forêt- 
Koire),  Leisewitz,  dont  on  admira  longtemps  le 
drame  de  Jules  de  Tarente,  etc. 

De  Wieland  on  imita  surtout  le  ton  badin,  enjoué, 
qui  avait  fait  le  succès  de  ses  poèmes  chevaleres- 
ques, ou  la  tournure  satirique  de  ses  meilleurs 
romans  ;  mais  quelques-uns  à  peine  de  ces  imita- 
teurs méritent  d'être  nommés  :  Alxinger  et  Fré- 
déric-.\uguste  MuUer  pour  leurs  poèmes  héroï- 
comiques,  BUimauer  pour  son  Enéide  Imvestie,  et 
surtout  Musasus  pour  ses  Contes  populaires  des 
Allemands. 

Gœthe  et  Schiller  n'ont  pas  de  disciples  h  pro- 
prement parler  :  beaucoup  de  poètes  ont  voulu 
marcher  sur  leurs  traces,  mais  il  n'est  pas  étonnant 
que  peu  d'entre  eux  y  aient  réussi.  On  doit  pour- 
tant une  mention  à  Klinger,  poète  dramatique  de 
talent,  dont  une  pièce,  intitulée  Sturm  iind  Drnng 
(Assaut  et  tumulte)  et  jouée  avec  succès  en  1770, 
valut  cette. appellation  à  toute  la  période  littéraire 
comprise  outre  I77u  et  la  fin  du  siècle  :  il  semblait 
en  effet  que  la  jeune  génération  voulût  prendre 


d'assaut  et  tumultuairement  toutes  les  positions- 
poétiques  réputées  jusque-li  pour  inabordables. 
Citons  encore  le  peintre  et  poète  Frédéric  MûUer, 
qui  a  imité  tour  h  tour  Klopstock  et  Gœthe,  dan» 
l'idylle,  le  drame  et  la  ballade. 

Il  faut  mettre  à  part  les  écrivains  humoristes, 
qui  ne  se  rattachent  exactement  Ji  aucun  de  ces- 
maîtres,  sauf  peut-être  à  Herder;  deux  surtout  ré- 
sument toutes  ces  tendances,  qui  eurent  leur 
moment  de  succès  en  Allemagne  :  ce  sont  Richter, 
que  les  Allemands  appellent  Jean-Paul,  ou  l'Uni- 
que (les  Papiers  du  Diable,  la  /.07e  invisible,  Hes- 
périis,  la  Vnllée  de  Campan,  et  bien  d'autres 
romans  aussi  bizarres,  luais  souvent  profonds),  et 
le  fantastique  Hoffmann,  avec  ses  Conte/:,  ses  Es- 
quisses, son  Chat  Murr,  le  Petit  Zacharie,  le» 
t'réres  Séi-npioni,  etc. 

Ces  deux  noms  nous  ont  presque  menés  en 
plein  romantisme,  car  s'il  est  vrai  que  l'école  ro- 
mantique ait  été,  en  Allemagne  comme  ailleurs, 
l'école  du  caprice  et  de  la  fantaisie,  on  ne  saurait 
lui  trouver  des  adeptes  plus  complets  que  Richter 
et  Hoffmann  :  mais  ceux-ci  ont  poussé  le  caprice  à 
ses  dernières  limites  et  n'ont  voulu  s'astreindre  à 
aucune  loi,  tandis  que  les  vrais  romantiques  ont  eu 
la  prétention  de  légiférer  au  milieu  même  de  leurs 
excès  et  de  formuler  tout  un  code  de  règles  poéti- 
ques à  l'usage  de  ceux  qui  font  profession  de  n'en 
point  reconnaître.  C'est  h'i  ce  qui  caractérise  sur- 
tout les  Schicgol  et  d'autres  coryphées  du  roman- 
tisme, tandis  que  la  plupart  de  leurs  disciples  im- 
médiats ont  fini  par  revenir  plus  ou  moins  à  la  tra- 
dition classique. 

La  propagande  romantique  fut  faite  surtout  par 
la  revue  de  l'.-X/ifHce  (171)81,  dirigée  par  les  Schle- 
gel,  Adam  Mûller,  et  d'autres  écrivains  que  Schil- 
ler traitait  d'esprits  féminins.  L'aîné  des  deux 
frères ,  Guillaume-Auguste  Schlegel  ,  l'ami  de 
M"'  de  Staël  et  le  principal  inspirateur  de  son 
célèbre  ouvrage  de  V.illeiiiugne,  a  un  certain  mé- 
rite comme  critique,  et  son  Cours  de  littérature 
dramatique  est  encore  utile  à  consulter  aujour- 
d'hui ;  il  a  donné  aussi  une  bonne  traduction  de 
Shakespeare  ;  mais  ses  poésies  n'ont  qu'une  valeur 
très  médiocre.  Le  second,  Frédéric,  avec  plus  de 
talent  poétique  ou  d'imagination,  mais  moins  de 
bon  sens,  ne  réussit  qu'à  produire  des  œuvres 
informes,  comme  Lucinde,  roman-poème  peu  tue- 
rai, le  drame  à'.ilarcos,  etc.  Il  ne  manque  pas 
d'idées  originales  et  justes  dans  son  Cours  d'his- 
toire, écrit  pourtant  avec  des  préoccupations  ultra- 
catholiques et  monarcliiistes,  ni  dans  son  His- 
toire di  s  littératures  étrangères,  où  il  a,  comme 
son  frère  et  comme  toute  son  école,  le  mérite 
de  faire  valoir  les  beautés  poétiques  des  autres 
peuples,  jusque-là  peu  connues  en  Allemagne. 

La  tendance  luystique  du  romantisme  est  re- 
présentée par  Wackenroder,  dans  son  roman  des 
Epanchemenis  du  cœur  ii'un  religieux  dilettante; 
Novalis  (pseudonyme  de  Hardenberg),  mort  jeune 
après  avoir  donné  les  plus  brillantes  espéraiices 
dans  -es  poésies  et  dans  son  roman  à'IIenrid'Of- 
terdingen,  et  Hœlderlin,  avec  son  roman-poème 
à'Hyperion.  Mais  le  vrai  chef  de  l'école,  celui  que 
l'on  voulut  opposer  à  Gœthe  lui-même,  fut  Louis 
Tieck  (1773-186:!),  qui  s'essaya  dans  tous  les  gen- 
res avec  un  certain  succès,  mais  ne  prima  dans 
aucun  :  il  avait  un  talent  poétique  réel,  et  aurait 
excellé  dans  le  conte  et  la  nouvelle,  peut-être 
même  dans  le  drame,  si  les  principes  de  son 
école  lui  eussent  permis  de  brider  un  peu  son 
imagination  ;  ses  œuvres  (comme  Phnutasus,  col- 
lection de  romans  et  de  comédies)  ne  sont  la  plu- 
part du  temps  qu'un  inextricable  fouillis.  Ou 
peut  en  dire  autant  d'Arnim  et  de  Brentano,  qui 
ont  eu  cependant  le  mérite,  comme  Tieck,  de 
remettre  en  honneur  la  vieille  littérature  popu- 
laire, et  qui  publièrent   en   collaboration  le  Cor 


ALLEMAGNE 


—  2373 


ALLEMAGNE 


merveilleux  île  l'enfant  (180S),  intéressant  re- 
cueil de  poésies  cl  de  cliansons  naïves.  Citons 
encore  Lamotte-Kouqué,  qui  dans  son  poème 
à'Ondine,  son  drame  "de  Sigta-d  et  dans  d'autres 
productions,  cljerche,  quelquefois  avec  succès,  à 
faire  revivre  la  mythologie  du  Nord.  A  côté  de  lui 
on  peut  nommer  avec  honneur  le  poète  et  natu- 
raliste Cliamisso,  plus  connu  aujourd'hui  pour 
son  charmant  récit  de  Pierre  S'htumihl  que  pour 
ses  œuvres  poétiques,  souvent  délicates  ;  et  Ernest 
Schulze,  l'harmonieux  et  mélancolique  auteur  des 
poèmes  de  Céeilie  et  do  la  Rose  envkantiie. 

De  nouvelles  écoles  se  formaient  cependant  au 
sein  même  du  romantisme,  en  Souabe,  par  exem- 
ple, avec  Uhland,  le  maître  du  Lied  ou  de  la 
chanson  allemande  proprement  dite,  Justin  Ker- 
der  et  Schwab,  ses  émules  souvent  heureux,  et 
quelques  autres  (de  1810  à  I8:i0).  —  Vers  la  même 
époque  (I81S),  mais  en  dehors  de  toute  préoc- 
cupation littéraire,  florissaiont  les  poètes  patrio- 
tiques, Arndt,  Théodore  Kœrner,  Schenkendorf, 
Riickort  (célèbre  aussi  comme  orientaliste),  qui, 
par  leurs  chants,  excitaient  l'Allemagne  contre  la 
domination  de  Napoléon,  et  trouvaient,  giâce  à 
leurs  convictions,  des  accents  quelquefois  sublimes. 

Sous  la  double  influence  des  évé  lements  de  1815 
et  do  la  nouvelle  direction  donnée  aux  esprits 
après  cette  date,  on  vit  se  former  une  école  lyrique 
déjîi  plus  sage  que  celle  des  romantiques,  et  qui 
n'est  dépourvue  ni  de  goût  ni  d'imagination  :  Wil- 
helm  Huiler,  avec  ses  Chants  grecs,  analogues 
aux  Messi'niennes  de  notre  Gasimir  Delavigne  ; 
Simrock,  l'excellent  éditeur  des  vieux  livres  popu- 
laires ;  l'AutricIiien  Zedlitz,  dont  la  carrière  poé- 
tique se  prolonge  jusqu'après  18SU  ;  ses  compatrio- 
tes Griln  (pseudonyme  du  comte  d'Auersperg)  et 
Lenau  (dont  le  vrai  nom  est  Strehlenau)  ;  et  sur- 
tout Henri  Heine,  cet  esprit  si  français,  qui  a  fini 
par  adopter  la  France  pour  sa  seconde  patrie,  et 
■dont  on  a  traduit  chez  nous  toutes  les  œuvres 
qu'il  n'a  pas  écrites  dans  notre  langue  (le  Livre 
des  chants,  les  Iteiseliilder  ou  lisquisseï  de  voi/a- 
ge,  etc.)  :  tous  ces  poètes  ont  abordé  les  genres  les 
plus  divers,  poésie  lyrique,  drame,  roman,  avec  un 
égal  succès,  et  avec  des  préoccupations  souvent 
politiques  qui  les  rattachent  déj:i  presque  il  une 
nouvelle  école,  à  la  Jeune  Allemagne. 

En  dehors  de  cette  phalange  d'auteurs,  dont  nous 
ne  citons  que  les  principaux,  le  théâtre  a  eu  ses 
écrivains  spéciaux  :  le  trop  fécond  Kotzebue,  le  r.'a- 
liste  Iffland,  les  romantiques  Henri  de  Kleist 
et  OEhlenscliKTger,  puis  Zacharie  Werner,  avec 
ses  drames  fatalistes,  Raupach,  le  faiseur  à  la 
mode  vers  1830,  Immermann,  qui  cherche  à  rele- 
ver encore  le  romantisme  sur  la  scène,  le  comte 
de  Platen,  l'aiJversaire  des  novateurs,  enfin  Grabbe 
etMichellieer  (le  frère  du  compositeur  Meyerbeer), 
qui  n'ont  pas  eu  le  temps  de  donner  toute  la  me- 
sure de  leur  talent  dramatique,  bien  réel,  et  dont 
les  œuvres,  quoique  romantiques,  sont  sagement 
composées  et  convenablement  écrites. 

Tous  les  poètes  de  cette  période  ont  aussi  écrit 
en  prose,  et  ii  peu  près  dans  tous  les  genres;  il  ne 
reste  qu'^  meniionner  ici  quelques-uns  des  prosa- 
teurs qui  ne  se  sont  pas  aventurés  dans  le  domaine 
de  la  poésie,  ou  qui,  du  moins,  n'y  ont  fait  que  de 
courtes  apparitions.  Ce  sont  d'abord  les  historiens  : 
Jean  de  IMiiller  (Histoire  de  la  Suisse,  Histoire  uni- 
verselle), Heeren  (Histoire  des  Etats  Européens). 
Niebuhr  (Histoire  romaine).  Raumer  (Histoire  des 
Hohenstatifen),  \\a.mxmv  (Histoire  de  l'empire  otto- 
man), Rotteck  (Histoire  universelle),  dont  les  ou- 
vrages obtinrent  un  légitime  succès  de  leur  temps 
et  ne  sont  pas  oubliés  aujourd'hui.  Puis  viennent 
le  biographe  Varnhagen  von  Ense,  dont  la  femme, 
Rachel  Lewin,  apartagé  la  réputation  littéraire,  et 
le  critique  épistolairc  Bœrne, l'ennemi  de  Heine,  avec 
ses  Lettres  de  Paris  et  ses  Feuilles  dramatiques. 


Le  savant  Alexandre  de  Humboldt,  l'auteur  du 
Cosmos,  et  son  frère  Guillaume,  l'orientaliste, 
peuvent  figurer  aussi  avec  honneur  parmi  les  grands 
écrivains  do  l'Allemagne. 

Le  roman,  cultivé  avec  tant  de  succès  par 
Gœthe  et  avec  tant  de  prétentions  par  les  roman- 
tiques, a  eu  ses  représentants  isolés,  souvent 
médiocres,  comme  Auguste  Lafontaine;  quelques- 
uns  sont  cependant  sortis  de  la  banalité  :  l'illustre 
pédagogue  Pestalozzi,  par  exemple,  qui  a  écrit, 
dès  1787,  un  roman  de  propagande  pour  son  sys- 
tème d'éducation  (Léonard  et  Gertrude)  ;  Krum- 
maclier  et  le  chanoine  Schmid,  qui  ont  eu  l'art  de 
raconter  pour  les  enfants  des  paraboles  et  des  his- 
toires naïves,  pleines  d'utiles  enseignements;  le 
bizarre  Hauff,  avec  son  roman  humoristique  de 
l'Homme  dans  la  lune;  enfin  les  frères  Grimm,  qui 
se  sont  attachés  aux  vieilles  légendes  et  aux  contes 
d'enfants.  Le  plus  connu  des  doux,  Jacques  Grimm, 
est  justement  célèbre  pour  ses  remarquables  tra- 
vaux d'histoire  et  de  philologie,  surtout  pour  sa 
grammaire  allemande  et  son   grand  Dictionnaire. 

4"  PÉHiotiE  :  La  jeune  Allemagne  ;  les  contem- 
porains (1832-1870).  —  11  est  impossible  de  résu- 
mer en  quelques  lignes  le  vaste  mouvement  litté- 
raire qui  s'est  produit  en  Allemagne  depuis  la 
mort  de  Gœthe  jusqu'à  nos  jours  ;  un  volume  n'y 
suffirait  pas,  et  une  partie  de  cette  histoire  a  été 
présentée  avec  beaucoup  a'éclat,  il  y  a  trente  ans, 
par  Saint- René  Taillandier,  dans  sa  Jeune  Allema- 
gne. Ce  nom  sert  à  désigner,  non  pas  une  école, 
mais  l'ensemble  des  poètes  et  des  écrivains  qui, 
héritiers  plus  ou  moins  directs  des  classiques  et 
des  romantiques,  ont  essayé  do  so  soustraire  aux 
préoccupations  littéraires  de  leurs  devanciers,  pour 
ne  plus  s'inquiéter  que  de  l'idée,  du  but  moral, 
religieux  ou  politique  à  poursuivre.  On  trouve  déji 
cette  tendance  fort  accentuée  chez  quelques-uns 
des  auteurs  de  la  période  précédente,  surtout  chez 
Henri  Heine.  Avec  lui,  les  chefs  de  ce  mouvement 
sont  Gutzkow  (romans,  drames,  histoire  littéraire 
et  critique),  Gottschall,  qui  s'est  illustré  dans  les 
mêmes  genres,  ainsi  que  Gustave  Freytag,  Wien- 
barg,  avec  ses  Campagnes  esthétiques,  et  Bettina 
d'Arnim,  née  Brentano,  sœur  et  femme  de  poètes 
romantiques,  célèbre  pour  sa  correspondance  pas- 
sionnée avec  Gœthe  et  ses  nombreux  ouvrages  de 
propagande  libérale  et  humanitaire. 

La  poésie  lyrique  devient  désormais  presque 
exclusivement  politique,  avec  Dingelstedt,  Freilig- 
rath,  Hoffmann  de  Fallersieben,  Herwegh,  Prutz, 
Meissner,  Maurice  Hartmann,  Beck,  et  bien  d'au- 
tres, dont  quelques-uns  vivent  encore  aujourd'hui. 
Seul  Bodenstedt,  sous  le  pseudonyme  de  Mirza 
SchalTy,  ne  semble  se  préoccuper  que  de  l'imita- 
tion des  poètes  orientaux. 

Sauf  quelques  exceptions,  ie  théâtre  devient 
aussi  politique,  même  lorsque  les  auteurs  em- 
pruntent leurs  sujets  à  l'histoire  ancienne  ou  h  la 
mythologie  du  Nord.  C'est  ce  que  font,  par  exem- 
ple, Geibel,  connu  d'abord  pour  ses  poésies  lyri- 
ques, puis  pour  ses  drames  de  SophonisOe  et  des 
Niliclungen;  Frédéric  Hebbel,  qui  a  traité  ce 
même  sujet  des  Nibeliûi.yen;  Halm  (pseudonyme 
de  Munch  de  Bellinghausen),  avec  sa  Gr'isebhs  et 
son  Gladiateur  de  Itnnenne  ;  Paul  Heyse,  avec  sa 
Franroise  de  Rimini;  et  surtout  George  BUclmer, 
avec  'sa  tragédie  réaliste  de  la  Mort  de  Dajilon. 
Quelques-uns  cependant  cherchent  le  succès  dans 
le  drame  bourgeois,  comme  Devrient  et  Brachvo- 
gel,  ou  dans  la  comédie  d'intrigue,  comme  Benedix 
et  Hacklaender. 

Il  est  moins  étonnant  que  le  roman  obéisse  aux 
mêmes  inspirations  :  Henri  Laube,  le  piquant  .au- 
teur des  Caractéristiques  modernes,  n'a  guère 
écrit  depuis,  sauf  une  histoire  de  la  littérature 
allemande  et  quelques  drames,  que  des  romans  à 
tendance  humanitaire  et  libérale;  de  même  Léo» 


ALLEMAGNE 


—  2374  — 


ALLEMAGNE 


pold  Scliefer,  qui  avait  commencé  par  imiter 
liûckert  dans  ses  poésies  orientales  ;  Gustave 
Kuline,  critique  assez  fin  dans  ses  Portraits  et 
silhouettes,  mais  ardent  polémiste  dans  ses  Nou- 
velles d'un  couvent  et  autres  romans  de  ce  genre; 
Théodore  Mundt,  dont  les  romans  historiques  sont 
nuancés  de  mysticisme  protestant;  Willkomm,  qui 
passe  son  temps  à  maudire  l'Europe  et  l'ancienne 
société.  Les  femmes  elles-mêmes  sacrifient  à  cette 
exigence  :  Fanny  Lewald,  M"'"  BIrch-Pfeiffer,  la 
comtesse  de  Hahn-Hahn,  Louise  Mûhlbach,  écri- 
vent à  tonr  de  rôle  pour  ou  contre  les  idées  et 
les  institutions  qui  leur  déplaisent;  on  ne  sait, 
trop  souvent,  ce  que  les  idées  peuvent  y  gagner, 
mais  on  voit  bien  ce  qu'y  perdent  le  goût  et  la  lit- 
'.irature.  Plus  près  de  nous,  cette  tendance  ne 
fait  que  s'accuser  davantage,  avec  les  romans  et 
les  drames  d'Otto  Ludwig,  les  romans  philosophi- 
ques de  Giseke,  ou  catholiques  do  Bolanden.  Il 
faut  cependant  excepter  le  naif  conteur  Auerbach, 
qui,  dans  ses  Histoires  villageoises  de  la  Forêt 
noire  (depuis  I843j,  est  vraiment  populaire  et  ne 
songe  qu'à  intéresser  ses  lecteurs. 

Le  nombre  des  historiens  de  mérite  est  consi- 
dérable durant  cette  période,  et  nous  ne  pouvons 
nommer  ici  que  ceux  dont  le  succès  est  bien  éta- 
bli depuis  une  trentaine  d'années  :  tels  sont  Wolf- 
gang  Menzel,  avec  son  Histoire  de  la  littérature 
allemande  ;  lianke,  avec  son  Histoire  des  papes  ; 
Gervinus,  qui  a  écrit  successivement  l'histoire 
de  la  poésie  allemande  et  celle  du  xix*  siècle  ; 
Schlosser  {Histnire  du  dix-huitième  siècle,  etc.). 
La  philosophie  allemande  n'a  pas  dit  son  dernier 
mot,  et  les  successeurs  de  Kant,  de  Fichte,  de 
Hegel,  ont  bien  dépassé  leurs  maîtres,  sinon  par 
la  force,  du  moins  par  la  hardiesse  de  leurs  idées, 
et  souvent  aussi  par  l'éclat  de  leur  style  :  leurs 
principales  attaques  sont  dirigées  contre  le  chris- 
tianisme, et  les  premiers  coups,  les  plus  vigou- 
reux peut-être,  ont  été  portés  par  le  D'  Strauss, 
dans  son  exégèse  rationaliste  de  la  Vie  de  Jésus,  et 
par  Feuerbach,  qui  a  fini  par  se  tourner  presque 
entièrement  vers  le  matérialisme. 

L'impression  qui  résultera  sans  doute,  pour  le 
lecteur,  de  cette  rapide  esquisse  de  la  littérature 
allemande,  a  été  résumée  en  quelques  lignes  dans 
une  des  plus  récentes  histoires  de  cette  littéra- 
ture :  «Les  Allemands  ont,  depuis  un  siècle,  une 
tendance  bien  prononcée,  comme  la  plupart  des 
autres  peuples,  à  donner  la  préférence  au  drame 
et  au  roman  sur  tous  les  autres  genres  littéraires  ; 
dans  le  drame  même  et  dans  le  roman,  l'élément 
historique,  philosophique  et  populaire  tend  chaque 
jour  à  dominer  davantage  :  là,  comme  dans  la  so- 
ciété, les  questions  politiques  et  religieuses  sont  i 
plus  que  jamais  h  l'ordre  du  jour.  « 

L'art  en  Allemagne.  —Si  l'on   s'en  rapportait] 
aux  écrivains   d'outre-Rhin,  on    devrait  admettre  | 
qu'il   y  a  une   école  allemande,   non  moins  riche  ' 
que  brillante,   en  peinture,  en  sculpture,   en  ar- 
chiiocture,    avec    ses    traditions,    son    corps   de  I 
doctrine,  son  caractère  national.  Mais  d'après  nos  . 
critiques  les  plus  autorisés  (comme  M.   René  Mé-  j 
nard,  dans    son   bel  ouvrage   sur   l'histoire    des  I 
beaux-arts),  il  est  plus  vrai  do  dire  que  les  quel- 
ques artistes  allemands  dont  le  mérite  est  le  moins 
contestable  ne  sont  que  de  puissantes  individua- 
lités, qu'aucun  lien  ne  rattaclie  entre  elles. 

Peinture.  —  Au  moyen  âge,  la  peinture,  comme  ; 
les  autres  arts,   est  essentiellement  religieuse,  et  ■ 
même  monastique  ;  on  sait  que  Charlemagne,  et, 
plus  tard,  Henri  I"  l'encouragèrent,  et  qu'il  y  eut 
même  des  évèques  peintres.  Mais  il  ne  resie  rien  | 
de  cette   époque,   sauf  quelques  enluminures  de 
manuscrits.    Après    le   xiii'   siècle,    l'art    devient 
laïque,  et,  par  suite,  plus  original  et  plus  varié;  , 
il  y  eut  des  peintres,  remarquables  pour  l'époque,  i 
en  Bohème,  où  les  attirait  la  munificence  de  Char-  [ 


les  IV,  et  à  Cologne,  où  se  fonda  une  célèbre  école 
de  peinture,  avec  maître  Wilhelm,  et,  après  lui, 
Stephan  Lochner,  qui,  grâce  aux  procédés  nou- 
vellement découverts  alors,  décora  la  cathédrale 
de  Cologne  de  peintures  à  l'huile. 

Mais  c'est  au  .W  siècle  que  la  peinture  alle- 
mande atteint  l'apogée  de  sa  gloire,  avec  Albert 
Diircr  (1471-153X),  le  chef  de  l'école  de  Nurem- 
berg. (I  Tour  i  tour  élevé,  profond  ou  fantastique, 
dit  M.  Ménard,  Durer  est  une  personnalité  à  part. 
C'est  un  géomètre  en  même  temps  qu'un  rêveur, 
un  peintre  amoureux  de  la  réalité  et  un  artiste 
épris  du  fantastique.  »  Ses  gravures  l'ont  rendu 
au  moins  aussi  célèbre  que  ses  tableaux  :  parmi 
ceux-ci,  les  plus  connus  sont  la  Mélancolie,  la.  Na- 
tivité, la  Mort  et  le  Diable. 

Son  émule,  Wohlgemuth,  fonda  une  école  à 
part  d'où  est  sorti  Cranach  (appelé,  de  son  vrai 
nom,  Lucas  Sunder),  chef  de  l'école  saxonne,  qui 
mit  l'art  au  service  de  la  Reforme.  Haas  Holbein 
le  jeune  (1498-1054),  d'Augsbourg,  fils  d'un  pein- 
tre distingué,  et,  lui-même,  peintre  réaliste  d'un 
grand  talent,  quitta  de  bonne  heure  l'Allemagne 
pour  voyager  dans  divers  pays  et  mourir  en  An- 
gleterre, où  il  était  pensionné  par  Henri  VIII. 
Comme  graveur,  Holbein  a  laissé  la  célèbre  Danse 
des  morts  et  une  foule  d'autres  œuvres  non  moins 
populaires. 

Après  Durer  et  Holbein,  l'art  n'existe  plus  en 
Allemagne  que  comme  une  servile  imitation  des 
maîtres  italiens  :  quelques  peintres  de  talent  sur- 
gissent encore  de  temps  à  autre,  mais  tous  man- 
quent d'originalité.  Au  xvii'  siècle,  la  décadence 
est  complète;  les  artistes  de  valeur  que  les  Alle- 
mands réclament  appartiennent  à  l'école  hollan- 
daise. Au  .wiu",  Dietrich,  Balthasar  Denner  et 
d'autres,  ne  font  qu'imiter  les  modèles  étrangers, 
avec  un  talent  réel,  il  est  vrai  ;  on  en  peut  dire 
autant  de  Rode,  le  pehitre  de  Frédéric  le  Grand, 
et  même  de  Tischbein,  l'ami  de  Gœthe,  ou  du 
poète  Gessner,  si  fade  et  si  maniéré  dans  ses 
tableaux  comme  dans  ses  idylles;  ou,  plus  près 
de  notre  siècle,  de  Raphaôl  Mengs,  si  vanté 
par  Winckelmann  pour  avoir  copié  les  vieux 
maîtres  italiens,  et  d'Angélique  Kauffmann  (n4"2- 
1808),  qui  introduisit  le  sentimentalisme  dans  la 
peinture. 

Les  théories  de  Winckelmann  ramenèrent  les 
artistes  à  l'étude  et  à  l'imitation  de  l'antiquité; 
puis  vint  l'école  contemporaine  ou  romantique, 
dont  le  chef  est  Overbeck,  le  patron  le  roi  Louis 
de  Bavière,  et  le  mot  d'ordre  la  réaction  contre 
l'influence  française  :  on  chercha  surtout  ses  mo- 
dèles chez  les  maîtres  italiens  antérieurs  à  Ra- 
phaël. Avec  Overbeck,  Cornélius  est  le  plus  illus- 
tre représentant  de  cette  école  de  Munich,  essen- 
tiellement religieuse  et  catholique.  Une  autre 
école, j)rotestante,  se  forma  bientôt  i  Diisseldorf, 
et  se  consacra  surtout  au  paysage;  mais  le  meilleur 
peintre  protestant  de  l'Allemagne  est  Kaulbach,  qui 
appartient  à  l'école  de  Munich  :  son  réel  talent  est 
gâté,  malheureusement,  par  la  manie  du  symbo- 
lisme, si  habituelle  aux  Allemands. 

.Irchitecture  et  sculpture.  —  On  a  dit,  avec 
raison,  que  l'architecture  dite  gothique  avait  passé 
du  midi  au  nord,  et  de  France  eji  Allemagne; 
l'art  ogival  ne  s'est  répandu  en  effet  dans  ce  der- 
nier pajs  que  relativement  tard,  et  ses  premiers 
monuments  sont  sur  la  rive  gauche  du  Rhin. 
Avant  la  fin  du  xiu'  siècle,  les  cathédrales  alle- 
mandes étaient  construites  par  des  étrangers,  et 
en  style  byzantin.  Après  cette  époque,  viennent 
les  véritables  chefs-d'œuvre  de  l'art  gothir|ue,  les 
cathédrales  de  Fribourg,  de  Cologne,  de  Stras- 
bourg (construite  de  I2'I5  à  14o9  par  Erwin  de 
de  Steinbach  et  Jean  Hulz),  de  Sahit-Etienne  à 
Vienne,  de  Saiiit-Sobald  à  Nuremberg,  etc.  Il  y 
eut  aussi  d'admirables  monastères,  comme  ceux 


ANGLETERRE     -  2375  —     ANGLETERRE 

Grande-Bretagne  au  vi«  siècle  avaient  apporté  avec 
eux  les  légendes  liéroiques  des  Germains  et  dos 
Scandinaves  (poème  de  Heoioutf);  Alfred  le  Grand 
et  ses  successeurs  essayèrent  d'introduire  la  cul- 
ture latine  et  chrétienne,  qui  ne  pénétra  pas  jus- 
qu'au peuple;  et  lorsque  les  Normands  francisés 
de  Guillaume  se  furent  à  leur  tour  imposés  par  la 
conquête  (xi"  siècle),  un  troisième  élément  vint 
s'ajouter  aux  précédents,  par  l'imitation  des  œuvres 
des  trouvères  français.  De  la  fusion  de  ces  élé- 
ments divers  se  forma  la  langue  anglaise,  dont  le 
fojid  resta  saxon,  mais  qui  emprunta  au  français  une 
partie  de  ses  formes  et  de  son  vocabulaire.  C'est 
au  xiv  siècle  que  paraissetit  le  premiiT  prosateur 
anglais,  sir  John  Mandeville,  qui  écrit  le  récit  de 
son  voyage  aux  pays  d'Orient,  et  le  premier  poète, 
Chaucer  (mort  en  1400),  qui  traduit  le  Homan  de 
la  Hose  et  imite  Boccace  dans  ses  célèbres  Contes 
de  Cantoi-lién/.Le  xv"  siècle,  troublé  par  la  guerre 
des  Deux-Roses,  ne  produit  pas  d'oeuvres  remar- 
quables. Mais  avec  la  Renaissance  s'ouvre  une 
grande  époque  littéraire. 

Le  règne  de  Henri  VIII  voit  paraître  le  comte 
de  Surroy,  imitateur  de  Pétrarque,  qui  inaugure 
une  poésie  nouvelle,  et  l'humaniste  Thomas 
Morus,  l'auteur  de  \'Ut"/jie,  qui  mourut  sur  l'é- 
chafaud  pour  avoir  osé  tenir  un  ferme  langage  h 
son  roi.  Sous  Elisabeth  écrivent  Philippe  Sidney 
(l'^/raJ/e,  poème  pastoral,  lôHI),  EdmondSpenser, 
l'un  des  plus  remarquables  génies  poétiques  de  son 
temps  {The  Fairie  Queene  on  la  Heine  des  fées, 
151)0-l.i')6),  et  une  foule  d'autres  poètes.  Le  genre 
maniéré,  abusant  de  la  méiaphore,  de  l'antiilièse, 
de  ces  jeux  d'esprit  que  les  Italiens  appelaient 
concetli,  genre  qui  fut  ii  la  nu. de  presque  en  même 
temps  en  Italie,  en  Espagne  et  en  France,  est  re- 
présenté en  Angleterre  par  John  Lily,  l'auteur 
d'Eiiphues  (1080)  ;  Lily  et  ses  imitateurs  obtinrent 
un  succès  prodigieux;  la  cour  et  la  ville  lurent 
inlectés  d'euiihunme.ct  le  grand  Shakespeare  lui- 
même  n'échappa  pas  à  la  contagion. 

C'est  le  théâtre  qui  nous  oH're,  il  cette  époque, 
les  plus  grandes  œuvres.  Des  poètes  dramatii|ues 
remarquables  par  leur  puissance  et  leur  origina- 
lité occupent  la  scène  :  aptes  Greene  et  Jlarlowo, 
dont  l'art  est  informe  encore,  viennent  Bon-Jonson, 
Massinger,  Fletcher  et  Beaumont,  et  au  milieu 
d'eux  brille  d'un  souverain  éclat  l'itumortel 
Shakespeare  (V.  Sli(ike^peare),c<i\u\  que  Colcridge 
a  appelé  o  l'homme  aux  mille  âmes.  »  L'article 
spécial  qui  lui  a  été  consacre  nous  dispense  d'in- 
sister ici  sur  les  créations  si  variées,  et  toujours 
si  vivantes  et  si  humaines,  de  cet  incomparable 
génie,  qui  est  resté  le  premier  dans  son  art,  et  que 
l'Angleterre  révère  comme  le  poète  par  excellence. 

L'éveil  de  l'esprit  scientitique,  au  siècle  des 
Copernic,  des  Kepler,  des  Galilée,  se  manifeste 
chezlesAnglaispar  les  écrits  de  lord  Bacon  (15(>1- 
1626),  qui  datis  son  Novum  orgatium  pose  les 
règles  de  la  méthode  expérimentale,  et  dans  son 
Atla?itis  nova  pronostique  les  applications  futures 
des  sciences,  réalisées  par  l'âge  contemporain. 

IVlais,  d'autre  part,  les  doctrines  de  la  réforme 
calviniste,  précitées  par  des  adeptes  qui  n'hésitaient 
pas  à  sceller  leur  foi  par  le  martyre,  avaientpeu 
i  peu  gagné  la  grande  masse  de  la  nation.  A  l'An- 
gleterre joyeuse  et  païenne  d'Elisabeth  succédait 
l'Angleterre  puritaine;  et  bietitùt  une  formidable 
révolution  politique  et  religieuse  emportait  le 
trône  des  Stuarts.  Cette  révolution  eut  dans  John 
Milton  (1608-1074;  il  la  fois  son  polémiste  ardent  et 
sévère,  et  le  chantre  de  ses  croyances  bibliciues  : 
la  mêine  plume  écrivit  les  pages  hautaines  de  la 
Défense  du  peuple  anglais  (Defensiopopuli  (in;/ti- 
cuni)  et  les  vers  souvent  sublimes  du  Paradis 
perdu,  la  seule  épopée  que  possède  l'Augleterre. 
Le  Paradis  perdu,  que  Milton  composa  dans  sa 
vieillesse,  après  la  chute  de  la  république  et  la 


de  Saint-Gall,  de  Lorch,  ou  d'Einsiodeln.  L'archi- 
tecture civile  fut  représentée  avec  non  nioitis  d'éclat 
par  les  hôtels  de  ville  d'Ulm,  de  Dresde,  de  Brètuo, 
de  Nuremberg,  de  Cologne,  de  Mayenco,  ou  des 
châteaux  célèbres,  comme  celui  de  lleidelberg. 

La  décadence  de  l'architecture  commença  en 
Alleiuagne  dès  le  xv"  siècle,  avec  la  Renaissance, 
sous  l'influence  do  l'art  italique,  moins  siiuple  et 
moins  grandiose  que  l'art  gothique.  Ce  n'est  que 
vers  la  fin  du  xviii'  siècle,  grâce  aux  théories  et 
h  l'exemple  de  Weinbrenner,  que  l'on  revint  à 
l'imitation  vraie  de  l'antiquité,  dont  les  meilleurs 
artistes  allemands  s'inspirent  aujourd'hui,  bien 
que  plusieurs  d'entre  eux  soient  surtout  éclecti- 
ques, c'est-à-dire  imitent  volontiers  les  maîtres  les 
plus  divers. 

La  sculpture,  longtemps  inséparable  de  l'archi- 
tecture, fut  d'abord  religieuse  et  anonyme  comme 
elle;  au  xv»  siècle  se  fonde  l'école  de  Nuremberg, 
avec  Jean  Decker,  et,  au  siècle  suivant,  avec  Adam 
Krafît  et  surtout  Peter  Vischer,  l'auteur  du  célè- 
bre tombeau  de  saint  Sebald.  Le  protestantisme 
arrêta  bientôt  l'élan  de  la  sculpture  ;  les  théories 
de  Winckelmann  la  relevèrent  en  poussant  à  étu- 
dier l'antiquité  ;  notre  siècle,  cntin,  a  vu  se  pro- 
duire une  nouvelle  floraison  de  cet  art,  avec  Dan- 
neker,  à  Francfort,  et  Rauch,  à  Berlin.  Rauch  est 
l'auteur  du  gigantesque  monument  de  Frédéric  II, 
qui  fait  l'orgueil  des  Berlinois. 

Musique.  —  Religieuse  à  l'origine,  comme  les 
autres  arts,  la  musique,  cet  art  si  faïuilier  aux 
Allemands,  devint  laïque  avec  les  Minnesinger, 
pour  redevenir  religieuse  avec  Jean  Huss  et  la 
Réfortne.  On  sait  combien  Luther  l'encouragea  et 
la  répandit  autour  de  lui  ;  ses  cantiques  sont 
encore  populaires  aujourd'hui. 

Mais  elle  perdit  bientôt  ce  caractère  exclusivement 
religieux,  et  la  musique  italientie  prédomina  en 
AUemagjie  dès  la  fin  du  xvii"  siècle,  à  Vienne, 
d'abord,  avec  les  opéras  italiens,  puis  à  Munich 
et  dans  d'autres  capitales.  Un  art  allemand  origi- 
nal fut  créé  au  xviii"  siècle  par  Sébastien  Bach 
(f  nôO),le  grand  harmoniste  ;  par  IIa:indel(f  115".)), 
qui  passa  la  seconde  moitié  de  sa  vie  en  Angle- 
terre où  il  écrivit  ses  oratorios  du  Messie  et  de 
Judas  Ma'  chabée  ;  par  Haydn  (f  ISny),  l'auteur  de 
la  Création  et  des  Saisoîis.  lÙozan  (n.'i6-l'i91), 
génie  incoinparable,  le  Raphaël  de  la  musique,  se 
rattache  aux  Italiens,  tout  en  detueurant  créateur  : 
ses  principaux  cliefs-d'œuvre  sont  des  opéras,  les 
iVoces  de  fiyaro,  Don  Juan,  la  Flûte  enchantée. 
Gluck  (nr2-n87)  se  fixa  en  France  et  y  devint 
chef  d'école. 

Après  eux,  Beethoven  (n70-l8i7)  et  Weber 
(1786-18'20,  représentent  avec  éclat  l'école  roman- 
tique. 

Parmi  les  innotubrables  maîtres  de  la  musique 
allemande  moderne,  on  doit  citer  entre  autres  : 
Mendelssohn,  Kreutzer,  Schubert,  Schumann,  et 
le  créateur  de  la  musique  de  l'avenir,  Richard 
Wagner,  l'auteur  de  Tunnh;eiiser,  de  Lohengrin, 
des  Maîtres  chnnti.urs  de  Suieinherg  et  de  la  té- 
tralogie des  NV.elungen.  [E.  Uallberg.] 

Ai>GLUTERIiE  (Littéhatube).  —  Littératures 
étrangères,  XIV-XVI.—  L'histoire  de  la  littérature 
anglaise  peut  se  diviser  d'une  manière  naturelle 
en  irois  périodes  :  la  première  comprenant  les  ori- 
gines, le  moyen  âge,  la  Renaissance  et  le  xvii' siècle, 
jusqu'à  la  révolution  de  1688;  la  seconde  allant  de 
la  révolution  do  1688  jusque  vers  la  fin  du 
xviii*  siècle;  la  troisième  enfin  comprenant  l'âge 
moderne. 

l,  —  Des  oniGiNEs  jusqu'à  la  nÉvot.uTioN  de  1688. 

Nous  ne  nous  arrêterons  pas  sur  les  origines  de 
la  littérature  anglaise  antérieurement  au  xiV  siè- 
cle. Les  Anglo-Saxons   païens   qui  envahirent  la 


ANGLETEFIRE 


—  2376  — 


ANGLETERRE 


défaite  du  parti  dans  les  rangs  duquel  il  avait 
combattu,  est  le  récit,  en  douze  cliants,  de  la  ré- 
volte des  anges  rebelles,  de  la  création  du  monde, 
et  de  la  cliutc  de  l'bomme;  mais  l'autour,  tliéolo- 
gien  autant  que  poète,  a  donné  trop  de  place  aux 
dissertations  et  aux  disputes  scolastifjues,  et  sauf 
quelques  épisodes  où  l'imagination  poétique  re- 
prend ses  droits,  l'ensemble  de  l'ouvrage  est  froid 
et  ennuyeux.  Parmi  les  œuvres  de  la  jeunesse  de 
Milton,  il  faut  citer  Cornus,  V Allegro,  et  le  Pense- 
roso,  où  l'on  sent  encore  l'inspiration  de  la  Renais- 
sance. 

Un  autre  puritain,  John  Bunyan,  ancien  soldat 
de  Cromwell,  a  composé  sous  le  titre  du  Voyage 
tlu  clirétien  (Pilgrhn's  l'rogrefs)  une  allégorie  re- 
ligieuse qui  est  restée  populaire  en  Angleterre. 

Avec  la  restauration  des  Stuarts,  la  littérature 
change  brusquement  de  caractère:  l'austérité  pu- 
ritaine est  remplacée  par  la  licence,  et  une  licence 
généralement  sans  esprit  et  sans  talent. 

Samuel  Butler  tourne  en  ridicule  les  puritains 
dans  son  Hudibras  (1GC3),  mauvaise  imitation  de 
Don  Quichotte,  qui  eut  un  succès  immense,  bien 
que  les  plaisanteries  en  soient  plates  et  grossières. 
Des  poètes  dramatiques,  Wycherley,  Congrevc, 
Farquhar,  mettent  sur  la  scène  les  mœurs  disso- 


créa  le  Tat/er  (le  Babillard)  ;  un  an  après,  le  Tiiller 
fut  rempl.icé  par  le  S/ieciator  (le  Spectateur),  dont 
Addison  fut  un  des  rédacteurs  principaux,  et  qui 
vécut  trois  ans  :  enfin  après  le  Spertntetir  parut 
le  GuairJian  (le  Tuteur),  qui  ne  se  soutint  qu'une 
année  malgré  la  collaboration  de  Pope.  Steele 
fut  le  plus  marquant  des  publicistes  du  parti  whig. 

Joseph  Addison  (1672-17191  a  composé  une  tra- 
gédie, Ciitoji,  et  un  poème  sur  la  victoire  de  Blen- 
heim,  qui  sont  d'une  versification  élégante.  Mais 
il  est  surtout  connu  coniine  es^nyist  :  les  Anglais 
appellent  essnys  les  articles  de  littérature  et  de 
morale  tels  que  ceux  qu' Addison  écrivit  pour  le 
Spr.ctatoi-  et  les  autres  journaux  de  Steele.  Addi- 
son occupa  un  moment,  en  1717,  les  fonctions  de 
secrétaire  d  Etat  dans  le  ministère  whig. 

Jonathan  Swift  (1007-1745)  est  une  figure  sin- 
gulière qui  rajjpelle  par  certains  côtés  celle  de 
Habclais.  Irlandais  do  naissance,  et  destiné  à  la 
carrière  ecclésiastique,  il  débuta  comme  écrivain 
par  une  satire  irréligieuse,  le  Conle  du  Toiineau. 
Lié  avec  Holingbroke,  le  chef  des  torii's,  il  rédigea 
un  journal  mordant,  l'Examiner,  dirigé  contre 
Mariborough,  et  exerça  une  grande  influence  sur  le 
ministère  tory  de  Bolingbrokc  et  d'Oxford  (1710- 
1714).  A  l'avènement  des  whigs,  il  se  relira  en  Ir 


lues   de  leurs  contemporains  dans  des   pièces  où    lande  dans  son   doyenné  de   Saint-Patrick.  C'est 
l'obscénité  la  plus  vulgaire  tient  lieu  de  comique.,   là   qu'il    écrivit  son   plus    célèbre    ouvrage,    les 


Seul,  le  poète  Dryden,  bien  qu'il  n'échappe  pa; 
l'abaissement  général  des  caractères,  montre  un 
certain  talent  dans  ses  compositions  lyriques; 
mais  sa  traduction  de  Virgile  ne  reproduit  point 
le  caractère  de  l'original,  et  son  théâtre  est  mé- 
diocre. Le  philosophe  Hobbes,  le  théoricien  du 
gouvernement  despotique,  qui  a  publié  dès  IG42 
son  livre  latin  dic  Citoyen,  voit  ses  doctrines  ac- 
cueillies avec  faveur  par  une  société  qui  n'a  plus 
de  croyances,  et  qui  s'incline  humblement  devant 
le  pouvoir  absolu. 

Mais  un  grand  changement  politique  va  s'ac- 
complir, et  avec  l'établissement  du  gouvernement 
constitutionnel  une  ère  nouvelle  commencera 
pour  les  lettres  anglaises. 


n. 


De  la  RÉvoLiTiox  r.E  1G88  a  la  fin  on 

XVllI'   SItICLE. 


Les  règnes  de  Guillaume  III,  d'Anne,  et  dos 
deux  premiers  Georges  nous  offrent  tout  d'abord 
un  groupe  d'écrivains  illustres,  (|ui  ont  passé  long- 
temps pour  les  classiques  de  l'Anglaterre.  Ce  sont 
le  philosophe  Locke,  des  publicistes,  des  esînyists, 
des  romanciers  comme  De  Foë,  Steele,  Addison, 
Swift,  des  poètes  comme  Pope,  Thompson  et 
Young. 

John  Locke  (1632-1704)  avait  été  exilé  sous 
Charles  II  et  s'était  réfugié  en  Hollande  ;  il  revint 
en  Angleterre  en  lOSS  avec  Guillaume  111.  Dans 
son  Traité  sur  le  Gouvernement  civil  (1090),  il  éta- 
blit la  théorie  du  gouvernement  parlementaire  en 
repoussant  la  doctrine  du  droit  divin.  Son  Eisai 
sur  t'Enteudemeyit  humain  (1690)  a  fait  de  lui  le 
chef  d'une  école  philosophique  opposée  ."i  celle  do 
Descartes  :  pour  Locke,  il  n'y  a  pas  d'idées  innées, 
et  toutes  nos  connaissances  viennent  de  l'expé- 
rience. Enfin,  dans  son  Traite  sur  l'Education 
(1093),  il  a  ouvert  la  voie  à  Rousseau  et  aux  ré- 
formateurs pédagogiques  du  xviii"  siècle. 

Daniel  De  Foë  (1003-n:il)  dut  sa  célébrité  parmi 
ses  contemporains  à  des  pamphlets  politiques  et 
religieux  contre  les  Stuarts  et  le  parti  tory  ;  pour 
la  postérité,  il  est  surtout  l'auteur  d'uu  roman 
unique  en  son  genre,  lloljinson  Crusoé  (1719),  qui 
a  été  traduit  dans  toutes  les  langues. 

Richard  Steele  (1671-1729)  conçut  le  premier 
l'idée  de  ces  écrits  périodiques  qui  curent  un  si 
grand  succès  et  qui  comptent  aujourd'hui  parmi 
les  livres  classiques  de   l'.iiigleterre.  En    1709,  il 


Viii/agts  de  Gulliver  aux  pays  de  Lilliput,  de 
Brobdingnag,  etc.  (1728  ,  allégorie  satirique  rem- 
plie d'allusions  aux  hommes  politiques  de  l'époque. 
Alexandre  Pope  (I(i8-i-1744)  passa  de  son  temps 
pour  le  plus  parfait  des  poètes  anglais.  Enfant  pré- 
coce, lié  de  bonne  heure  avec  les  célébrités  litté- 
raires d'alors,  protégé  par  les  grands  seigneurs  du 
parti  tory,  il  vit  ses  premières  œuvres  exciter  une 
vive  admiration  :  c'étaient  V Essai  siir  la  Critique, 
imitation  de  l'Art  poétique  de  Boileau  ;  la  Boucle 
de  Cheveux  enlevée,  imitation  du  Lutrin;  l'E/jiire 
d'Héloïse  à  Abélard,  héroide  dans  le  genre  de 
celles  d'Ovide.  Sa  traduction  en  vers  de  l'Iliade 
(17 '.S),  élégante  et  correcte,  aussi  éloignée  que 
possible  de  la  naïveté  sublime  de  l'original,  mit  le 
comble  ;i  sa  réputation  ;  son  Odyssée  eut  moins 
de  succès.  L'œuvre  la  plus  remarquable  de  Pope 
est  le  poème  philosophique  intitulé  l'Essai  sur 
l'homme  :  il  y  expose  en  beaux  vers,  ainsi  que 
dans  ses  Epitres  morales  et  dans  sa  Prière  uni- 
vci  selle,  les  doctrines  du  déisme. 

James  Thompson  (1081-1705),  fils  d'un  ministre 
écossais,  vint  à  Londres  en  1720  avec  le  premier 
chant  de  son  poème  descriptif  des  Saisons,  et  y 
lutta  toute  sa  vie  contre  la  misère.  L'originalité 
de  Thompson,  dans  un  genre  qui  semble  n'en  pas 
comporter  beaucoup,  consiste  dans  sa  manière 
grave  et  religieuse  de  sentir  la  nature,  et  dans  la 
couleur  septentrionale  de  ses  tableaux. 

Les  Nuits  du  docteur  Young  (IGSl-1705),  qui  for- 
ment une  série  do  méditations  sur  la  mort,  ont  eu 
leur  moment  de  célébrité  ;  la  poésie  en  est  forte  et 
élevée,  mais  trop  pompeuse  et  monotone. 

Vers  le  milieu  du  siècle,  on  voit  paraître  des 
genres  nouveaux.  La  poésie,  après  Pope,  dépérit 
de  plus  en  plus  dans  le  cercle  étroit  où  l'enferme 
un  pédantisme  vulgaire,  dont  le  docteur  Johnson 
est  le  représentant  resté  fameux  ;  limaginalion  et 
le  sentiment  se  réfugient  dans  le  roman,  qui  produit 
quelques  œuvres  remarquables  avec  Ricliardson, 
Fielding,  Sterne,  Goldsiuith.  L'histoire,  la  philoso- 
phie, l'éloquence  occupent  le  premier  rang  c'est 
li  qu'il  faut  chercher  les  noms  les  plus  illu'-tres, 
ceux  de  Hume,  do  Smollett,  de  Gibbon,  d'Adam 
Smith,  des  deux  Pitt,  de  Burkc,  de  Fox,  de 
Sheridan. 

Samuel  Johnson  (1709-1784\  que  ses  contempo- 
rains appelaient  le  docteur,  fut  d'abord  maître  d'é- 
cole, puis  traducteur  et  journaliste.  Il  entreprit  en- 
suite la  publication  d'un  Dictionnaire  de  la  langue 


ANGLETERRE 


—  2:n7  — 


ANGLETERRE 


amjlaisc  {n47-n55),  et  créa  deux  journaux  litté- 
raires et  critiques,  le  Rambler  (le  Rôdeur)  et 
Yldler  (le  Fainéant).  On  a  encore  de  lui  une  espèce 
do  Télémaque  anglais, /iffSse/ns,/))mc?rfM4i/siinîe, 
et  les  Vies  îles  poètes  nni/lais.  Le  docteur  Jolinson 
avait  acquis  un  grand  renom  comme  philologue  et 
comme  critique,  et  l'ut  longtemps  l'oracle  littéraire 
de  l'Angleterre. 

Les  romans  de  l'imprimeur  Ricliardson,  qui  se 
fit  auteur  il  l'âge  de  cinquante-trois  ans,  eurent 
une  vogue  immense  dans  toute  l'Europe,  et  mirent 
^  la  mode  le  genre  sentimental  :  ce  sont  Paméla 
(1741),  Clarisse  Harlowe  (I"48\  et  ^'o-  Charles 
Grandisson  (n5;i).  Fielding,  l'auteur  de  Tom 
Jones  (n.SO),  est  un  peintre  plus  réaliste,  qui  pos- 
sède un  talent  d'observation  fort  remarquable. 
Lawrence  Sterne,  Irlandais  comme  Swift,  est  un 
humoriste  mélancolique;  il  a  écrit  un  roman  bi- 
zarre, Tri'tram  Sliwidy  (nC0-nG7);  son  ouvrage 
le  plus  connu  sur  le  continent  est  le  Vnjwie  senti- 
mental en  France  et  en  Italie  (I7fi8).  Goldsimitli 
enfin,  Irlandais  aussi,  est  l'auteur  du  \'icaire  de 
Wakefietd,  roman  honnête  et  id3'llique  qui  est 
resté  populaire. 

Le  plus  éminent  des  historiens  anglais  au 
XVIII'  siècle  est  l'Ecossais  David  Hume  (l"ll-n7(ii, 
<|ui  publia  de  Kô8  i  1761  une  bonne  Histoire 
d'Atigleterre  :  c'est  la  première  œuvre  importante 
où  la  méthode  critique  soit  appliquée  à  la  narra- 
tion des  événemenis.  Comme  philosophe.  Hume 
est  un  des  représentants  les  pins  marquants  de 
l'école  sceptique,  dont  il  a  repris  les  arguments 
en  les  présentant  d'une  manière  neuve  et  ori- 
ginale. 

Smollett,  publiciste  et  romancier  écossais,  a 
écrit  aussi  une  histoire  d'Angleterre,  inférieure  à 
celle  de  Hume  :  touiefois,  comme  celle-ci  s'arrête 
à  la  révolution  de  16S8,  on  la  complète  ordinaire- 
ment en  empruntant  i  l'ouvrage  de  Smollett  la 
partie  postérieure  à  cette  date.  On  lui  doit  en  outre 
«luelques  romans  dans  le  genre  de  ceux  de  Lesage. 

Edouard  Gibbon  (l737-n94),après  avoir  séjourné 
longtemps  en  Suisse,  en  Italie  et  en  France,  et 
avoir  siégé  quelques  années  au  Parlement,  entre- 
prit d'éci-ire  VHistoire  de  la  décadence  et  de  la 
chute  de  l'empire  romain.  H  acheva  ce  vaste  ou- 
vrage à  Lausanne  (1"87),  où  il  s'était  retiré.  Le 
livre  de  Gibbon,  dont  les  tendances  sont  les  mêmes 
que  celles  do  YEssai  sur  les  Mœurs  de  Voltaire, 
est  resté  l'un  des  monuments  les  plus  considéra- 
bles de  l'esprit  philosophique  du  xviii"  siècle. 

11  faut  mentionner  encore  Robcrtson,  ministre 
presbytérien  écossais,  écrivain  correct,  auteur 
d'une  HiUoire  d'Ecosse,  à'UBC  Histoire  de  Cliartes- 
Quint  et  d'une  Histoire  de  l'Amérique. 

Adam  Smith,  qui  fut  professeur  de  philosophie 
à  Glasgow,  est  connu  surtout  comme  l'un  des 
principaux  fondateurs  d'une  science  nouvelle, 
l'économie  politique,  dont  il  jeta  les  bases  dans 
son  traité  de  la  Itichesse  des  Nations,  publié 
en  177C. 

Les  grands  orateurs  politiques  anglais  du 
xviii'  siècle  occupent  dans  l'histoire  littéraire  de 
leur  pays  une  place  analogue  à  celle  que  tiennent 
Déinosthène,  Eschine  et  Isocrato  dans  l'histoire  des 
lettres  attiques.  Leurs  harangues  sont  restées  les 
modèles  classiques  do  l'éloquence  parlementaire. 

Le  premier  Pitt,  plus  connu  sous  le  nom  de  lord 
Chatham  (1708-1778),  membre  des  Communes  de- 
puis na."),  combattit  le  ministère  VValpole  et  con- 
tribua i  le  renverser  ;  entra  dans  l'administration 
en  1746,  en  sortit  en  1755  par  suite  de  dissenti- 
ments avec  le  gouvernement,  y  rentra  bientôt,  et 
dirigea  le  ministère  de  1756  à  1701  avec  une  su- 
périorité qui  a  fait  de  lui  le  premier  des  hommes 
d'Etat  anglais.  H  se  retira  à  l'avènement  de 
Georges  111,  qui  favorisait  les  tories,  revint  un  mo- 
ment aux    affaires  (1766-1768),   puis    rentra  dans 


l'opposition  jusqu'à  sa  mort.  Parmi  ses  discours 
d'un  style  véliéiuentet  passionné,  les  plus  connus 
sont  ceux  dans  lesquels  il  flétrit  la  conduite  du 
ministère  North  à  l'égard  des  colonies  d'Amérique. 

William  Pitt  (175'J-1806),  second  fils  de  lord 
Chatham,  devint  membre  des  Communes  en  1781, 
et  entra  en  I78"2  au  ministère  où  il  remplaça  Fox. 
Mais  celui-ci,  allié  à  lord  North,  revint  au  pouvoir 
en  178.3.  Pitt,  renversé,  réussit  à  faire  échouer  le 
bill  indien  de  Fox,  ce  qui  entraîna  la  chute  du 
ministère,  et  Pitt  remplaça  définitivement  son  ri- 
val (178^-1806).  Devenu  le  chef  du  parti  tory,  il 
dirigea  avec  une  indomptable  énergie  la  lutte  de 
l'Angleterre  contre  la  Révolution  française.  L'élo- 
quence du  second  Pitt,  moins  solennelle  que  celle 
de  son  père,  sobre,  forte  et  serrée,  a  été  comparée 
à  celle  de  Démosthène. 

Charles  Fox  1 1749-1806),  fils  de  lord  HoUand, 
ministre  sous  Walpole.  fut  le  chef  du  parti  whig, 
arriva  deux  fois  au  ministère  en  1782  et  178.'!,  mais 
ne  put  s'y  maintenir  ;  combattit  l'administration 
de  Pitt,  et  défendit  avec  chaleur  les  principes  de 
la  Révolution  française.  Après  la  mort  de  Pitt,  il 
revint  au  pouvoir  (1806),  mais  ne  survécut  que 
quelques  mois  il  son  adversaire. 

L'IrlandaisBurke  (1730-1797),  d'abord  avocat,  se 
fit  connaître  par  un  Traité  sur  le  beau  et  le  Su- 
blime (1757),  obtint  un  siège  à  la  Chambre  des 
communes,  et  fut  longtemps  un  des  orateurs  les 
plus  éloquents  du  parti  whig.  Mais  il  se  brouilla 
avec  Fox  lorsqu'eut  éclaté  la  Hévolution  française, 
qu'il  attaqua  dans  un  pamphlet  célèbre  (1790). 

Sheridan  (1751-1816),  Irlandais  coiume  Burke, 
fils  d'un  acteur,  écrivit  d'abord  pour  le  théâtre  : 
il  est  l'auteur  d'une  comédie  célèbre,  l'Ecole  de 
la  Médisance  (the  School  for  Scandnl,  1777).  Entré 
aux  Communes  en  1780,  et  lié  avec  Fox,  il  pro- 
nonça dans  le  fameux  procès  de  Warren  Hastings 
(17S5-1795)  des  discours  qui  l'ont  placéan  premier 
rang  des  orateurs  anglais,  défendit  la  Révolution 
française,  et  entra  au  ministère  avec  Fox  en  1806. 
Mais  ses  habitudes  de  dissipation  lui  furent  fa- 
tales, et  il  mourut  dans  la  misère. 

Cependant  une  nouvelle  école  poétique  allait 
paraître.  Tandis  que  l'école  descriptive  classique 
s'éteignait  avec  Campbell  et  Crabbe,  Macpherson 
publiait  en  1760  les  Poésies  d'Ossian;  liobert 
Burns,  le  chansonnier  populaire  écossais,  frondait 
gaîment  l'Eglise  et  la  société  officielle;  Cowper, 
talejit  frêle  et  maladif,  disait  ses  joies  et  ses  ter- 
reurs mystiques  dans  des  poèmes  d'un  accent  in- 
time et  personnel.  Ces  auteurs  forment  comme 
la  transition  entre  l'époque  où  règne  la  poétique 
de  Pope  et  de  Jolinson,  et  l'âge  moderne  qui  va 
s'ouvrir. 

III.    —    L'AGE     MODERNE. 

Ne  pouvant  songer  îi  passer  en  revue  avec  quel- 
que détail  les  innombrables  écrivains  do  l'Angle- 
terre moderne  et  contemporaine,  nous  nous  bor- 
nerons il  indiquer  sommairement  les  principaux 
groupes,  avec  une  brève  notice  sur  les  noms  et  les 
œuvres  les  plus  remarquables.  Nous  trouverons 
d'abord  les  poètes  de  l'école  romantique  ou  de 
YEcole  des  lacs,  Soutliey,  Wordsworth,  Coleridge, 
auxquels  se  rattachent  Moorc  et  Charles  Lamb,  et, 
de  loin,  Keats  et  Shelley.  Walter  Scott  et  Byron 
ont  chacun  une  place  il  part.  La  poésie  contempo- 
raine n'otfre  guère  d'autre  nom  que  celui  de 
ïcnnyson.  Le  roman  do  mœurs,  avec  Dickens, 
Thackeray,  George  Eliot,  acquiert  une  importance 
considérable.  Des  tendances  diverses  sont  repré- 
sentées dans  l'histoire  par  Macaulay,  Carlyle, 
liuckle.  Mais  c'est  dans  le  domaine  philosophique 
et  scientifique  que  l'Angleterre  contemporaine 
compte  les  génies  les  plus  originaux  et  les  écri- 
vains les  pins  éminents  :  après  la  vogue  momenta- 
née de  l'école  écossaise  de  Rcid   et  de  Dugald 


ANGLETERRE 


—  2378  — 


ANGLETERRE 


Stewart,  les  doctrines  de  l'utilitaire  Benlliam  re-  par  un  recueil  intitulé  Clianso)is  du  Uorder  écis-' 
nouvellcnt  la  philosophie,  et  celln-ci,  associée  dé-  sais,  œuvre  à  la  foi  d'antiquaire  et  de  poète  ;  puis 
sormais  aux  sciences  naturelles,  présente  les  il  composa  une  série  de  poèmes  chevaleresques,  le 
noms  glorieux  de  Sluart  Mill,  d'Herbert  Spencer,  ^  Lai  du  dernier  ménestrel  ^1805),  Marmion  (18u8),  1 
et  de  Darwin.  ,  la  Drnne  du  lac  (ISOa),  qui  commencèrent  sa  ré- 

L'école  romantique  anglaise  parut  au  plus  fort  de  putation.  Ce  fut  en  1814  qu'il  donna  son  premier 
la  crise  révolutionnaire  de  la  France,  dont  elle  essai  dans  le  genre  qui  devait  illustrer  son 
salua  d'abord  avec  enthousiasme  la  régénération.  ,  nom,  le  roman  historique.  Waverley,  publié 
Ses  chefs  avaient  débuté  par  des  œuvres  a  jaco-  :  sous  le  voile  de  l'anonyme,  eut  un  immense  suc- 
bines  a  :  Southey,  dans  son  drame  de  Wal  Ti/ler,  ces.  A  partir  de  ce  moment  on  vit  se  succéder 
avait  glorifié  la  Jacquerie  anglaise,  Wordsworth  '  rapidement  Gui/-Mannering,  V Antiquaire,  le  Nain 
avait  composé  des  vers  énergiques  contre  les  rois,  j  noir,  les  Puritains  d'Ecosse,  Rob-Hoi/,  la  Prison 
et  Coleridge  avait  fait  un  projet  de  république  i  d'Edimbourg,  La  Fiancée  de  Latnmei-moor,  et 
communiste;  mais  leur  ferveur  politique  passa  , /uaw/ioé  (18,'0),  qui  passe  pour  son  chef-d'œuvre, 
vite,  et  au  bout  de  quelques  années  ils  n'étaient    Ce   moment   marque   pour   Walter  Scott  l'apogée 


plus  révolutionnaires  qu'en  matière  de  goût.  Sou- 
they (m4-lS4:i),  devenu  poète  lauréat,  promena 
sa  poésie  dans  tous  les  âges  et  dans  tous  les  cli- 
mats; ses  poèmes,  Jeanne  d'Arc,  Tlxduba  le  des- 
tructeur, Madoc,  la  Malédiction  de  Kéhamn, 
Rt.derick  le  Goth,  sont  des  tableaux  brillants  et 


de  sa  réputation  et  de  sa  fortune.  Ses  romans 
l'avaient  enrichi,  et  il  vivait  en  grand  seigneur 
dans  son  manoir  d'Abbotsford.  Les  ouvrages  qui 
suivirent  sont  le  Monastère,  l'Abbé,  Keniboorth, 
les  Aventures  de  Nigel,  Quentin  Durward,  et 
quelques  autres  qui  accusent  déjà  une  décadence 


pittoresques,  mais  qui  manquent  de  vie  réelle  et  1  dans  le  talent  de  l'auteur.  Tout  à  coup,  en  1826, 
de  sentiment  vrai.  Wordsworth  (n;0  IS50),  spiri-  j  la  faillite  d'un  éditeur  entraîna  la  ruine  complète 
tualiste  austère,  fut  le  poète  des  émotions  inté-  '  du  romancier.  Il  résolut  courageusement  de  con- 
rieures  ;  rejetant  la  diction  poétique  et  le  langage  |  sacrer  le  reste  de  sa  vie  à  satisfaire  ses  créanciers, 
convenu,  il  s'attacha  dans  ses  Ballndes  lyriques  et    et  il  publia  dans  cette  dernière  période  les  Contes 
dans  ses  X'j«ï!e<s  h  exprimer  de  nobles  sentiments  ;  rfi/  temps  des   croisades,  les    Chroniques  de   la 
et  des  idées  morales  dans  un  style  d'une  simpli-    Canongal",  les  Contes  d'un  grand-pére,  et  la  Vie 
cité  absolue.  Il  a  publié  en  outre  quelques  petits    de  Napoléon  Buouoparie,  écrite  au  point  do   vue 
poèmes,  dont  le  plus  connu  est  l'Excursion.  Il    tory  dans  un   esprit  étroitement  hostile.  Au  re- 
avait fixe  sa  résidence  à  Grasmere,  près  des  lacs  :  tour  d'un  voyage  à  Paris  qu'il  avait   fait  pour  re-   ! 
du    Cumberland;   Southey    et   Coleridge    séjour- i  cueillir  les  matériaux  de  ce  dernier  ouvrage,  il  se   j 
nèrent  souvent  aussi  dans  cette  pittoresque  région  :    reconnut  pour  la  première  fois  pour  l'auteur  de  , 
de   K^i  le    nom   de   Lakists   qu'on    leur   a   donné,    ses   nombreux  romans  (18'2'i).  De    I8'.'8  à  1830,  il   | 
Wordsworth  succéda  à  Southey  comme  poète  lau-  i  publia   encore    la  Jolie  fille    de   Perth,   Anne  de  \ 
réat.    Coleridge   (1772-1834),  penseur   et   rêveur,!  Geierstein.  Robert  de  Paris,  et  \e  Château  dange-  \ 
poète  et  critique,  étudia  la  philosophie  allemande,  I  reux,  les  dernières  et  les  plus  faibles  de  ses  pro-    ' 
et  composa   des  poèmes   fantastiques,   tels    que  j  ductions.  En    1831,  il  fit  un  voyage  dans  le  Midi, 
Christabel  et  la  ballade  du  Vieux  Mw  inier.  Char-    pour  remettre  sa  santé  épuisée   par  des  travaux 
les  Lamb   (177ô-lS3i),  passionné  pour  le  moyen    excessifs  ;    il  mourut  à  Abbotsford    l'année   sui- 
âge,  essaya  de  le  ressusciter  en  poésie,  et  en  imita  le  ;  vante. 

style  [John  Woodwill,  tragédie)  ;  mais  il  est  moins  Lord  Byron  fut  peut-être  le  plus  puissant  tem- 
connu  comme  poète  que  comme  essayist  :  ses  pérament  poétique  qu'ait  vu  l'Angleterre  depuis  i 
Essais  sont  un  modèle  d'aimable  et  spirituelle  Shakespeare.  Né  à  Douvres  en  1788.  il  eut  une 
causerie.  L'Irlandais  Thomas  Moore  (1780-1802),  I  enfance  orageuse  et  tourmentée,  passée  dans  la 
après  avoir  débuté  par  des  chansons  faites  sur  des  '  pauvreté.  Un  aicident  l'avait  rendu  légèrement 
mélodies  irlandaises  {[rish  Mélodies),  se  montra  un  boiteux,  et  cette  infirmité  fut  toujours  une  cause 
moqueur  spirituel  dans  la  Famille  Fudge,  et  com-  de  cruelle  souffrance  pour  son  amour-propre.  A 
posa  dans  le  genre  de  Southey  des  poèmes  orien-  ,  dix  ans,  il  hérita  du  titre  de  famille  :  cet  événe- 
ment amena  un  brusque  cliangement  dans  sa  si- 
tuation. Il  aclieva  ses  études  dans  les  écoles  aris- 


taux,  Lalla-Rookh  et  les  Amours  des  Ang^ 
poésie  est  gracieuse,  mais  on  y  sent  trop  la  re- 
cherche et  l'afféterie;  ce  qu'il  a  écrit  de  plus  in- 
téressant, ce  sont  ses  mémoires  sur  Byron,  dont 
il  fut  l'ami. 

John  Keats,  auteur  à'Endymion  et  de  la  Veille 
de  Sainte-Agnès,  fut  un  poète  de  grand  talent  qui 
mourut  jeune  avant  d'avoir  donné  toute  sa  me- 
sure.  Shelley    (1792-1822).    que  M.  Taine  appelle 


tocratiques  de  Harrow  et  de  Cambridge,  et  s'essaya 
de  bonne  heure  à  la  poésie.  En  1807,  il  publia 
son  premier  recueil,  les  Heures  de  loi'iir,  œuvre 
médiocre,  qui  fut  très  durement  traitée  par  la 
Revue  d'Edim/iOUrg.  Piqué  au  vif,  Byron  répondit 
par  une  satire  pleine  de  verve.  Bardes  anglais 
t  critiques   écossais    (1809).  La   même   année,  il 


«  un  des  plus  grands  poètes  du  siècle,  »  mourut  s'embarqua  pour  aller  visiter  l'Espagne,  la  Médi- 
jeune  aussi  dans  un  exil  volontaire  en  Italie  :  ré-  '  terranée  et  l'Orient.  De  retour  en  Angleterre,  il 
volté  comme  Byron  contre  les  croyances  et  les  publia  en  1812  les  deux  premiers  chants  de  Childe 
institutions  de  son  temps,  il  mit  dans  ses  poèmes  j  Harold,  où  il  avait  poétiquement  raconté  ses 
ses  aspirations  et  ses  rêves;  les  principaux  sont  la  voyages.  Le  succès  do  ce  poème  fut  grand  ;  plus 
Reine  Mab,  la  Révolte  de  rislinn,  Alastnr,  et  deux  1  grand  encore  celui  du  Giaour,  de  la  Fiancée  d'A- 
tragédies,  Prométhée  déclunné  et  Rcatrix  Crnci.  bydos,  du  Corsaire,  de  Lar-a,  contes  orientaux,  où 
\  l'école  de  poésie  historique  et  pittoresque  à  l'auteur  semblait  s'identifier  avec  les  personnages 
laquelle  appartiennent  Southey  et  Moore  se  ratta-  mystérieux  et  sombres  de  Conrad  et  de  Lara  ; 
che  l'un  des  écrivains  les  plus  populaires  de  notre  ]  mais  la  critique  blâmait  l'esprit  de  sauvage  indé- 
siècle,  Walter  Scott,  dont  l'admirable  talent  de  cou-'  pendance,  le  mépris  des  hypocrites  conventions 
teur  a  charmé  plusieurs  générations  de  lecteurs  de  j  sociales,  qui  respirent  dans  ces  compositions  poé- 
tous  les  pays.  Né  en  1771  à  Edimbourg,  d'une  an-  tiques.  Après  avoir  publié  deux  autres  poèmes,  le 
cienne  famille  écossaise,  il  fut  destiné  au  barreau  ;  !  Stè/je  de  Corinthe  et  Parisina,  Byron  quitta  de 
mais  ses  goutsleportaientailleurs.il  exerça  néan- !  nouveau  r.\ngleterre  en  1816  pour  n'y  plus  revenir: 
moins  la  profession  d'avocat  pendant  quelques  l'année  précédente,  il  avait  épouse  miss  Milbanke, 
années,  et  y  joignit  ensuite  différentes  fonctions  mais  cette  union  n'avait  pas  été  heureuse,  et  l'hu- 
administratives,  occupant  ses  vacances  à  des  voya-  \  meur  altière  du  poète,  qui  ne  pouvait  se  plier  aux 
ges  d'observation  et  d'étude  dans  les  différentes  '  lois  du  Cant  britannique,  lui  avait  fait  prendre  en 
parties   de   l'Ecosse.    En    1800,  il  se  fit  connaître    haine  la  société   anglaise.  Cette  fois  il  visita  les 


ANGLETERRE 


2371) 


ARGENT 


Pays-Bas,  le  lUiiii  et  la  Suisse  :  c'est  dans  ce 
dernier  pays  qu'il  écrivit  le  troisième  chant  de 
c'/ii/r/(?  Ilaruldy  le  Prisonnier  (le  C/iitfon,  le  Réue, 
les  Ténèbres,  le  drame  de  Manfreil,  imitation  du 
Faust  de  Gœtlie.  A  la  fin  de  1816,  il  vint  s'établir 
à  Venise;  pendant  son  sojonr  dans  cette  ville,  il 
termina  Manfreil,  composa  «[-/(/(O,  poème  humoris- 
tique, Mazvpiia,  écrivit  le  quatrième  chant  de 
Chil'le  Ilarvl'l,  et  commença  son  chef  d'oeuvre, 
Don  Juan.  Au  commencement  de  1^2(1,  il  se  fixa 
àRavenne,  chez  la  comtesse  Guiccioli;  ^  partir  de 
ce  moment,  tout  en  continuant  i  travailler  i  Don 
Juan,  il  s'essaie  dans  un  getire  nouveau,  le 
drame,  et  écrit  Marina  Faliero,  San/anapale,  tes 
lieux  Fosriiri,  Caui,  Ciel  et  Terre,  Werner,  te  Dé- 
formé traiisfurmé.  Il  se  môlo  en  même  temps 
aux  conspirations  organisées  alors  par  les  carbo- 
nari,  et  qui  eurent  une  lin  si  malheureuse.  En 
1821,  il  quitta  Ravenne,  se  fixa  successivemeiit  à 
Pise,  puis  à  Gènes  ;  c'est  de  IJi  que,  dégoûté  de 
la  vie  des  lettres  et  des  stériles  agitations  poli- 
tiques de  l'Italie,  il  tourna  les  yeux  du  cûtc  de  la 
Grèce,  qui  luttait  alors  pour  son  indépendance. 
Au  printemps  de  182-!,  il  écrivit  encore  doux  poè- 
mes, l'Ile  et  VAge  de  lironze,  et  quelques  chants 
de  Don  Juan  ;  et  en  juillet,  il  partit  pour  so  join- 
dre aux  insurgés  grecs.  Il  n'eut  pas  le  temps  de 
combattre  pour  la  cause  qu'il  venait  soutenir  ; 
quelques  mois  après  son  arrivée  à  Missolonghi, 
il  fut  atteint  d'une  fièvre  dont  il  mourut  le  19  avril 
1824. 

Le  seul  poète  anglais  qui  mérite  encore  une 
mention  après  les lakistes  et  Cyron, c'est  Tennyson. 
Né  en  1K09,  il  publia  en  ISiiO  ses  premiers  poè- 
mes, qui  étaient  surtout  des  essais  lyriques.  Il  a 
donné  depuis  la  Princesse  (1847),  poème  drama- 
tique, Maud  (1855),  les  Idylles  du  roi  (1858),  et 
quelques  drames,  fennyson  est  un  poète  élégant 
et  pur,  mais  un  peu  froid.  Il  a  remplacé  W'ords- 
worth  comme  poète  lauréat  depuis  1850. 

Charles  Dickens  (1842-1870)  commença  sa  répu- 
tation de  romancier  par  la  publication  des  Papiers 
posthumes  du  Pickwick  Club,  fantaisie  humoristi- 
que qui  est  restée  la  plus  populaire  de  ses  œuvres. 
Parmi  ses  autres  romans,  il  faut  citer  Olivier 
Twist  (1838),  Nidiolas  Nicklefiy  (1830),  te  Magasin 
d'antiquités  (I8i0),  Dombey  et  fils  (1847),  David 
Copperfj.ld  (18.511),  La  petite  Dorrit  (I85G).  Une 
sensibilité  passionnée,  une  vive  imagination  et 
une  verve  comique  entraînante  sont  les  carac- 
tères principaux  de  son  talent.  Thackoray  (1811- 
18G3),  son  rival,  est  surtout  un  satirique  :  ses 
meilleurs  ouvrages  sont  la  Foire  aux  Vanités 
(1847),  Pendennis  (1850),  et  le  Livre  f/es  Snobs 
(18.5G).  Miss  Evans  (morte  en  1880),  connue  dans 
les  lettres  sous  le  pseudonyme  de  George  Eliot,  a 
peint  la  vie  populaire  avec  un  grand  talent  d'ana- 
lyse psychologique  dans  Adam  Ilede  (1859),  le  Mou- 
lin sur  la  Floss  (I8C0),  Silas  Mar7ii'r  (1861),  Mid- 
dleinurrh  (1871).  Citons  encore,  dans  la  foule  des 
écrivains  qui  ont  tenu  plus  ou  moins  heureusement 
la  plume  du  romancier,  sir  E.  Buhver-Lytton,  d'Is- 
raël! (lord  Beaconsfield),  Wilkie  Collins,  et,  parmi 
les  femmes.  Miss  Edgeworlh,  M"*  Trollope,  M'""  Gas- 
kell,  .Miss  Braddon,  Miss  Cliarlotto  Brontë,  etc. 

Macaulay  (I800-I.S59)  publia  d'abord  dans  la 
Revue  d'Edimburg  de  nombreux  articles  de  cri- 
tique littéraire  et  historique,  qui  ont  été  réunis 
sous  le  titre  à'Essais.  Il  pretiait  part  en  môme 
temps  aux  luttes  politiques  dans  les  rangs  du 
parti  libéral;  son  talent  le  fit  entrer  aux  Commu- 
nes, puis  au  ministère  et  i  la  Chambre  des  lords. 
Son  grand  ouvrage,  l'Histoire  d' Angleterre  depuis 
Jacques  II,  a  paru  de  1848  à  1855.  Thomas  Carlyle 
(179.^-188;)  est  un  mystique,  au  style  vigoureux 
et  bizarre,  qui  a  écrit  entre  autres  une  Histoire 
de  la  Itévo/ution  française  (1837)  et  une  Histoire 
de  Cromwell   (1S4GJ.   Buckle  1182U-18C3)  a  essayé 


d'introduire  dans  l'histoire  la  méthode  positive 
des  sciences  naturelles  ;  son  grand  ouvrage,  l'Ww- 
toire  de  ta  civilisation  en  Angleterre  {lV,b'i),6i\, 
resté  inachevé. 

L'école  philosophique  qui  s'inspirait  de  Locke 
avait  été  combattue,  à  la  fin  du  xviii*  siècle,  par 
l'école  dite  écossaise,  dont  les  chefs,  Roid  et  Du- 
gald  Slewart,  essayèrent  de  restaurer  la  psycholo- 
gie spiritualiste.  Mais  en  môme  temps  Jérémie 
Bentliam  (1747-1832),  pliilosophe  et  jurisconsulte, 
s'inspirant  des  doctrines  des  encyclopédistes  fran- 
çais, fondait  l'école  utilitaire  ;  et  sous  son  in- 
fluence James  Mill  essayait  une  psychologie  scien- 
tifique dans  son  Analyse  des  phénomènes  de  l'es- 
prit humain  (1829).  JohnSluart  Mill  (1806-1872), 
fils  de  James  Mill,  a  représenté  avec  éclat  l'école 
positiviste  ;  ses  principaux  ouvrages  sont  sa  Lo- 
gique (1843),  ses  Principes  d'économie  politique 
(lh48),  et  ses  Mémoires.  L'école  évolutionniste  a 
pour  chefs  le  naturaliste  Darwin  (né  en  180D), 
dont  le  livre  sur  l'Origine  des  e'jKces,  publié  en 
1859,  a  opéré  une  révolution  dans  les  sciences  na- 
turelles ;  et  le  philosophe  Herbert  Spencer  (né  en 
1820),  qui  a  publié  successivement  les  Principes 
de  psychologie  i\ii:i:)],l'É<lucation  intellectuelle,  mo- 
rale et  plu/si  que  (I86l),  les  Premiers  principes 
(I.SG2),  la  Sociologie  descriptive  (1863),  la  Morale 
évolutionniste  (IS8o). 

Les  arts  en  Angleterre.  —  La  race  anglaise  n'a 
produit  ni  peintres  ni  musiciens  de  génie  :  c'est  à 
l'étranger  qu'elle  a  emprunté  ses  meilleurs  artis- 
tes, Holbein  au  xvi"  siècle.  Van  Dyck  au  xvii=, 
le  compositeur  lla-ndel  au  xviit'.  Cependant  on 
peut  citer,  parmi  les  Anglais  qui  ont  cultivé  la 
peinture  et  la  musique  avec  un  certain  succès  et  y 
ont  montré  de  l'originalité  :  le  caricaturiste  Hogarth 
et  le  peintre  sir  Joshua  Reynolds,  au  xviii=  siècle  ; 
au  xix=  siècle,  Benjamin  West,  peintre  d'histoire, 
Thomas  Lawrence,  peintre  de  portraits,  l'Ecossais 
David  Wilkie,  peintre  do  genre,  John  Martin,  qui 
a  laissé  des  toiles  d'un  effet  saisissant  et  grandiose, 
comme  le  Festin  de  Dallhazar,  le  néluge,  la.Chute 
de  Ninive  ;  le  musicien  Balfe,  auteur  d'un  opéra, 
le  Sièje  de  la  liochelte,  etc. 

AKtGENT.  —  Chimie,  XX.  —  L'argent  paraît 
avoir  été  connu  do  toute  antiquité  ;  cela  n'a  rien 
d'étonnant,  car  on  le  rencontre  souvent  à  l'état 
natif,  c'est-ii-dire  à  peu  près  pur  ou  simplement 
mélangé  à  divers  métaux,  tels  que  l'or,  le  fer,  le 
cuivre,  l'antimoine. 

L'argent  natif  se  trouve  tantôt  cristallisé  en  oc- 
taèdres et  en  cubo-octaèdres,  tantôt  sous  formes 
arboriséesourf«i(/c)Yes,  sous  forme  de  lamelles,  de 
filaments,  ou  de  masses  arrondies  très  petites,  mais 
quelquefois  aussi  considérables  et  pesant  jusqu'à 
31  kilogrammes;  on  en  a  même  trouvé,  paraît-il, 
dont  le  poids  atteignait  plusieurs  quintaux. 

Les  célèbres  mines  de  Potosi  en  Bolivie  et  de  San- 
Luis  de  Potosi  au  Mexique,  étaient,  au  moment  de 
leur  déccmverte,  au  milieu  du  xvi'  siècle,  presque 
exclusivement  formées  de  filons  d'argent  pur,  qui 
avaient  parfois  plus  d'un  mètre  d'épaisseur  ;  on 
les  exploitait  au  cisoau.  La  mine  de  Kong~berg  en 
Norwège,  qui  est  actuellement  la  plus  riche  de 
l'Europe,  est  formée  de  filons  semblables.  Depuis 
que  la  France  a  perdu,  avec  l'Alsace,  les  mines 
de  Sainte-Marie-aux-Mines,  situées  dans  l'ancien 
département  du  Haut-Rhin,  elle  ne  possède  plus 
de  mine  d'argent  natif  qu'à  Allemont  dans  l'Isère. 
Onentrouve  aussi  en  Saxo,  en  Bohème  et  en  Sibérie. 

L'argent  natif  se  rencontre  fréquemment  dans 
l'Amérique  équatoriale  au  milieu  de  dépôts  ferru- 
gineux appelés  Pacos  et  Coloi  ados. 

lluinboldt  a  remarqué  que  les  gangues  qtii  ac- 
compagnent l'argent  dans  le  nouveau  continent 
sont  de  nature  tout  à  fait  différente  de  celles  au 
milieu  desquelles  on  rencontre  le  métal  dans  l'an- 
cien monde. 


ARGENT 


—  2380 


ARGENT 


L'argent  ne  se  trouve  point  seulement  à  l'état 
natif,  mais  encore  et  surtout  à  l'état  de  sulfure 
ou  argyrose,  urgent  vitreux,  et  aussi  à  l'état  de 
sutfo-arséniure,  à'argent  aniiinonial  (dyscrase) 
el  d'argent  cnrbrmaté  ;  d'amalgame  dans  le  Pala- 
tinat  et  au  Chili,  où  ce  minerai  est  même  ex- 
ploité ;  et  enfin  de  chlorure  d'argent,  dit  argent 
corné,  parce  qu'il  se  coupe  cumme  de  la  corne  : 
les  minéralogistes  l'appellent  kdrargyre.  L'argent 
corné  se  rencontre  surtout  dans  les  Pacos  et  les 
Colorados  du  Mexique  et  du  Pérou. 

Les  minéraux  argentifères  que  nous  venons  d'é- 
numérer,  de  même  qu'un  assez  grand  nombre 
sans  importance  que  nous  ne  signalons  pas  ici, 
sont,  pour  la  plupart,  trop  peu  abondants  pour 
être  exploités.  On  ne  tire  guère  parti  que  de 
l'argent  natif,  du  sulfure  d'argent,  soit  isolé,  soit 
mélangé  au  sulfure  de  plomb  (galène),  et  de  l'ar- 
gent chloruré. 

Le  sulfure  d'argent,  appelé  argyrose  ou  argent 
vilieux,  est  de  beaucoup  le  plus  productif  des  mi- 
nerais d'argent  :  on  le  trouve  au  Mexique,  en  Bo- 
livie, en  Hongrie,  et  à  Freyberg  en  Saxe.  D'après 
M.  Durocher,  les  sulfures  de  fer,  de  cuivre,  de 
zinc,  d'arsenic,  de  plomb,  d'antimoine,  contien- 
draient toujours  de  petites  quantités  de  sulfure 
d'argent.  Quand  la  galène  en  contient  0,005,  on 
la  considère  comme  riche.  L'argent  rouge  ounrgy- 
rythrose  des  minéralogistes,  qui  est  un  sicl/'o- 
nntimoniure  d'argent,  constitue  un  minerai  très 
riche  exploité  k  Sombrerète,  Mexique. 

Prineipalen  mines  d'argent  actuellfment  exploi- 
tées. —  La  France  n'exploite  plus  aujourd'hui  que 
les  mines  assez  pauvres  de  la  Lozère  et  dvi  Puy- 
de-Dôme;  les  plus  riches  mines  de  l'Europe  sont  : 
celles  de  Kongsberg  en  Norvège,  de  Freyberg  en 
Saxe,  celles  du  Hartz  en  Hanovre,  de  Schemnitz 
en  Hongrie,  de  Przibram  en  Bohème.  La  Chine  et 
la  Sibérie  asiatique  possèdent  de  riches  mines 
d'argent  ;  l'Océanie  en  a  peu,  et  l'Afrique,  jusqu'au- 
jourd'hui, n'en  a  point  encore  offert  aux  explora- 
teurs ;  le  véritable  pays  de  l'argent  c'est  le  Nou- 
veau-Monde dont  les  plus  célèbres  mines  sont 
celles  de  Guanaxuato  et  Zacatacas  au  Mexique,  de 
Pasco  au  Pérou  el  de  Potosi  en  Bolivie,  et  surtout 
celles  de  l'Etat  de  Nevada  dans  l'Union  améri- 
caine. 

Propriétés  physiques  de  l'arqent.  —  L'argent  est 
le  plus  blanc  des  métaux  ;  il  est  sans  odeur  et 
sans  saveur;  il  est  susceptible  de  prendre  un  poli 
très  brillant;  il  ne  s'altère  point  dans  l'air  pur, 
mais  se  noircit  promptement  lorsque  l'atmosphère 
contient  les  moindres  traces  de  vapeurs  sulfu- 
reuses ou  plutôt  encore  de  vapeurs  sulfhydriques, 
comme  dans  le  voisinage  des  lieux  d'aisance. 
Ce  métal  est  assez  tendre,  aussi  tous  les  objets 
fabriqués  avec  de  l'argent  contiennent-ils  une 
certaine  quantité  de  cuivre,  à  l'exception  des  cap- 
sules d'argent  de  laboratoire.  La  densité  de  l'ar- 
gent est  de  10,."),  c'est-à-dire  qu'un  décimètre  cube 
d'argent  pèse  I0,!>  kilogrammes.  11  est  très  ductile 
et  très  malléable  :  on  en  fait  des  feuilles  qui  vo- 
lent au  vent  et  qui  n'ont  pas  plus  d'un  millième 
do  millimètre  d'épaisseur;  on  peut  le  réduire  en 
fil  si  fin  qu'une  longueur  de  ce  fil  qui  fer.iit  le 
tour  de  la  terre  ne  dépasserait  pas  le  poids  de 
16  kilogr.  De  0»  k  1000°,  température  de  sa  fusion, 
il  se  dilate  de  plus  de  —  de  sa  longueur.  L'ar- 
gent fondu  est  plus  brillant  encore  que  l'argent 
solide  :  on  peut  l'obtenir  cristallisé  en  le  décan- 
tant lorsqu'il  est  en  partie  solidifie.  En  fusion  et 
au  contact  de  l'air  l'argent  peut  absorber  jusqu'à 
plus  de  211  fois  son  volume  d'oxygène  ;  pendant 
le  refroidissement,  ce  gaz  se  dégage  en  donnant 
lieu  à  une  projection  de  matière  :  on  dit  alors  que 
l'argent  mehe.  L'argent  solide  nage  dans  l'argent 
fondu  dont  la  densité  est  de  1  ou  2  centièmes 
plus  grande.  L'argent  est  assez  tenace  :  un  fil  do 


fllOI 


I  millimètre  de  diamètre  supporte  20  kilogramme 
facilement  sans  se  rompre,  et  un  fil  de  2  milli 
mètres  un  poids  de  8.ï  kilogrammes. 

Propriétés  chimiques.  — L'argent  est  inaltérabl' 
à  l'air,  même  lorsqu'il  est  en  fusion  ;  mais  k  um 
température  fort  élevée,  comme  celle  du  chalu 
meau  à  oxygène,  il  donne  des  vapeurs  qui  brû 
lent  avec  une  flamme  verte  et  donnent  en  se  cor 
densant    un    dépôt   jaunâtre    d'oxyde    d'argent  i  *' 

II  se  dissout  à  froid  dans  l'acide  azotique  en  proi    ^ 
duisant  des  vapeurs    rutilantes,  et    en  donnan,  * 
dans  la   liqueur  de  l'azotate   d'argent  dont   nou 
parlerons   plus   loin.   L'acide   sulfurique   ne    l'at 
taque  qu'à  chaud  en  formant  du  sulfate  d'argent  e 
en  dégageant  de   l'acide  sulfureux  Ag  -(-  2S03,H( 

=  AgO,S03,2HO  H-  SO^.  L'argent" est  très  fai 
blement  attaqué  par  l'acide  clilorhydrique,  mai: 
l'eau  régale,  mélange  d'acide  azotique  et  d'acidi| 
clilorhydrique,  le  transforme  instantanément  er 
chlorure  blanc  d'argent.  Les  alcalis  et  leurs  car- 
bonates, même  fondus,  n'attaquent  point  l'argent 
c'est  pour  cela  que  dans  les  laboratoires  on  traite 
ces  substances  dans  des  creusets  ou  des  capsules 
de  ce  métal. 

L'argent  se  combine  avec  un  grand  nombre  de 
corps,  mais  surtout  avec  le  soufre  ;  les  moindres 
traces  de   vapeurs  sulfureuses  ou  sulfliydriquos, 
nous  l'avons  dit,  le  noircissent  instantanément  ;  ilijpf 
en  est  de  même  des  matières  organiques  qui  con'Hioi 
tiennent  du  soufre,  en  si  petite  quantité    que    CÉBf*' 
soit;  c'est  pour  cela  que  l'argent  noircit  au  con-î 
tact  des  œufs,  des  choux,  etc. 

Seli  d'argent.  —  Les  sels  d'argent  sont  géné- 
ralement blancs  ou  incolores  ;  ils  ont  une  saveui 
métallique  et  astringente,  et  noircissent  à  la 
lumière  par  suite  d'une  réduction  partielle  qui 
met  l'argent  en  liberté  :  ce  dépôt  d'argent  chimiqut  ,-•- 
est  noir.  n 

Les  sels  d'argent  sont  précipités  en  noir  pai  ft 
l'hydrogène  sulfuré  et  en  vert  olive  par  la  po  ( 
tasse.  ™ 

L'acide  chlorhydrique  et  les  chlorures  solubles  [n 
y  forment  un  précipité  blanc  caillebottc  qui  st  iti 
redissout  instantanément  dans  l'ammoniaque  ;  ai  le 
chalumeau  sur  le  charbon,  ils  donnent  une  pelli-  la 
cule  d'argent  d'un  blanc  mat  qui  devient  brillant  H 
par  le  frottement.  Ce  sont  là  les  deux  caractères" 
distinctifs  des  sels  d'argent. 

Le  plus  important  de  ces  sels  est  l'azotate  ou' 
nitrate  d'argent;  voici  comment  on  le  prépare  : 
On  dissout  de  l'argent  pur  dans  l'acide  azoti(iue  à 
33°,  puis  on  laisse  refroidir  ;  la  liqueur  cristallise, 
on  fait  égoutter  les  cristaux,  puis  on  les  redissout 
dans  une  très  petite  quantité  d'eau  bouillante;! 
par  le  refroidissement  il  se  dépose  des  cristauï» 
purs.  '' 

Comme  cela  arrive  souvent,  l'argent  qu'on  em-lî 
ploie  n'est  pas  pur,  mais  contient  de  S  à  9/100  de:( 
cuivre  ;  dans  ce  cas-là,  il  faut  se  débarrasser  de 
l'azotate  de  cuivre  qui  s'est  formé  en  môme  temps 
que  l'azotate  d'argent  ;  à  cet  effet,  on  évapore  la 
solution  qui  est  bleuâtre,  et  on  cliauft'e  le  résidu 
jusqu'à  fusion  ;  à  cette  température,  l'azotate  de 
cuivre  se  décompose  et  laisse  un  résidu  d'oxyd^ 
de  cuivre  insoluble  mélangé  à  l'azotate  d'argent 
qui  ne  s'est  pas  décomposé  ;  on  traite  par  l'eau 
distillée,  qui  no  dissout  que  ce  dernier  sel,  et  on 
filtre.  L'azotate  d'argent  fondu  est  un  caustique 
énergique  très  employé  par  les  chirurgiens  sous 
le  nom  de  pierre  in/'ernale;  on  le  vend  chez  les 
pharmaciens  sous  forme  de  petits  crayons  colorés 
en  noir  par  une  petite  couclie  d'argent  réduit  & 
leur  surface  ;  si  on  brise  ces  bâtons,  ils  otïrent 
une  cassure  cristalline  et  rayonnée.  L'azotate 
d'argent  non  fondu  se  présente  sous  forme  de  pe- 
tites plaques  cristallines  incolores  ;  il  ne  contient 
pas  d'eau  ;  sa  formule  chimique  est  AgO,  AzO'  j 
il  se  dissout  dans  l'eau  et  dans  l'alcool;  la  disse 


ARGENT 


—  2381 


ARGENT 


lution  noircit  il  la  lumière  ou  au  contact  des  ma- 
tières organiques  contenues  dans  l'air  ;  les  taches 
que  l'azotate  d'argent  laisse  sur  la  peau  ne  dispa- 
raissent (|ue  par  le  lavage  avec  une  dissolution 
d'hyposuUite  do  soude  ou  de  cyanure  de  po- 
tassium. 

L'azotate  d'argent  est  employé  comme  médica- 
ment interne,  en  dissolution  ou  en  pilules,  contre 
les  maladies  nerveuses,  l'opilopsie,  et  surtout 
contre  la  dyssenterie. 

Les  sels  d'argent,  et  en  particulier  l'azotate, 
introduits  dans  l'estomac  en  petite  (]uaniitc,  don- 
nent rarement  lieu  à  un  empoisonnement,  car 
dans  cet  organe  ils  se  transforment  facilement  en 
chlorure  d'argent  complètement  insoluble  dans 
l'eau  ;  cependant  ce  chlorure  peut  se  dissoudre  en 
très  petite  quantité  dans  le  chlorure  de  sodium  du 
suc  gastrique,  et  donner  lieu  quelquefois  à  dos 
accidents  graves. 

L'argent  métallique  introduit  dans  l'estomac  ne 
se  dissout  pas;  tout  le  monde  se  rappelle  la  fu- 
neste aventure  do  ce  jeune  employé  de  commerce 
qui  garda  plusieurs  mois  dans  l'estomac  une  four- 
chette d'argent  avalée  par  imprudence.  Les  acci- 
dents qui  peuvent  survenir  proviennent  surtout 
du  cuivre  qui  accompagne  l'argent. 

La  coloration  noire  de  la  peau,  surtout  aux  en- 
droits exposés  il  la  lumière,  au  cou,  aux  mains, 
parfois  aux  gencives,  qui  présentent  un  liséré 
noir  bleuâtre,  est  un  accident  consécutif  de  l'em- 
ploi prolongé  des  sels  d'argent  comme  médica- 
ment; on  ne  peut  le  faire  disparaître.  A  la  longue 
il  peut  aussi  se  produire  des  mouvements  convul- 
sifs  qui  ont  fait  appeler  l'azotate  d'argent  une 
itryclinine  minérale. 

Atliar/cs  d'argent.  —  Les  principaux  alliages 
d'argeni  sont  formés  d'argent  et  de  cuivre  ;  ils 
sont  plus  dura  que  l'argent  et  sont  employés  pour 
la  fabrication  des  monnaies,  de  la  vaisselle  et 
d'autres  objets  d'argenterie. 

Ces  alliages  n'ont  point  l'éclat  de  l'argent,  mais 
on  le  leur  donne  par  une  opération  particulière. 
Un  alliage  qui  contient  plus  de  '/s  de  cuivre  a  une 
teinte  jaunâtre  qu'on  peut  lui  enlever,  comme 
le  font  les  faux  monnayeurs,  en  le  traitant  par 
l'acide  azotique  faible  qui  dissout  le  cuivre  de  la 
surface. 

Les  alliages  d'argent  et  de  cuivre  s'altèrent  à  la 
longue,  en  présence  de  l'air  et  des  acides,  même 
faibles  ;  ils  prennent  une  teinte  brune  légèrement 
verdàtre.  On  fabrique  aujourd'hui  en  grande 
quantité  des  objets  dits  :  imitation  de  "ieil  arf/enl, 
en  donnant  au  métal  une  teint»  plus  ou  moins 
brune,  en  le  chauffant  convenablement  après  l'a- 
voir sulfuré  superficiellement  avec  le  sulfhydrate 
d'ammoniaque. 

Les  alliages  employés  pour  les  monnaies,  les 
objets  d'orfèvrerie  et  de  bijouterie,  sont  soumis  à 
un  titre  légal  vérifié  par  les  essayeurs  de  l'Etat. 
Ce  titre  est  confirmé  par  un  poinçon  spécial  dont 
tout  objet  d'argenterie  porte  l'empreinte  ;  il  porte 
en  outre  le  poinçon  dit  du  miiitre,  qui  repré- 
sente la  marque  du  marchand  responsable. 

Les  titres  des  principaux  alliages  d'argent  et 
de  cuivre  sont  les  suivants  : 

Cuivre.  Argent. 

Pièces  de  monnaie 0,100  0,'JOO 

—  au-dessous  de  5  fraucs 
avec  une  efligie  posté- 
rieure à  1864 0,10s  0,835 

A'aisselle  et  médailles....  0,030  0,9.30 

Les  bijoui 0,200  0,800 

On  tolère  une  différence  de  0,002  au-dessous  du 
titre  pour  les  monnaies  et  les  médailles,  et  une  de 
0,On:i  pour  les  objets  d'orfèvrerie. 

Les  orfèvres  donnent  le  nom   d'argent  vierge  i 


de  l'argent  pur  ou  presque  pur,  qu'on  trouve  dans 
le  commerce  sous  forme  de  larmes  ou  granula- 
tions et  qui  coûte  actuellement  192  fr.  70  c.  le 
kilogramme.  L'argent  vierge  est  plus  pur  que  l'ar- 
gent fin,  dont  le  titre  est  0,997  et  qui  vaut  actuel- 
lement 191   fr.  10  c. 

Eii  1>S70  le  prix  du  kilogramme  d'argent  fin  était 
encore  de  220  fr.  ;  c'est  depuis  cinq  ans  surtout  que 
la  valeur  de  l'argent  a  considérablement  baissé, 
à  la  suite  de  la  production  énorme  due  à  l'exploi- 
tation des  mines  du  Nevada. 

Plaqué  et  Huolz.  —  On  appelle  plaqué  de» 
feuilles  de  enivre  recouvertes  d'argent.  Pour  pla- 
quer une  feuille  de  cuivre,  on  la  gratte  fortement, 
puis  on  la  passe  au  laminoir  de  manière  h  lui 
donner  une  étendue  double  i  peu  près  de  sa  sur- 
face primitive;  on  l'amorce  avec  une  solution  con- 
centrée de  nitrate  d'argent,  puis  on  y  applique  une 
fouille  d'argent  laminé  dont  la  surface  soit  un  peu 
plus  grande  que  celle  du  cuivre;  les  deux  feuilles  sont 
chauffées  au  rouge,  et  passées  au  laminoir.  Aujour- 
d'hui le  plaqué  et  tous  les  autres  procédés  anciens 
d'argenture  sont  presque  complètement  remplacés 
par  les  procédés  dits  galvaniques  ou  électriques 
pour  lesquels  nous  renvoyons  à  l'article  Galvano- 
plastie. Nous  dirons  seulement  ici  que  la  liqueur 
argentifère  soumise  au  courant  est  presque  tou- 
jours une  dissolution  de  cyanure  d'argent  dans  du 
cyanure  de  potassium. 

Analyse  des  alliages  d'argent  et  de  cuivre.  — 
Nous  n'entrerons  pas  dans  des  détails  pratiques 
qui  ne  peuvent  pas  avoir  leur  place  ici,  nous  nous 
contenterons  d'exposer  rapidement  les  faits  sur 
lequels  reposent  l'analyse  par  voie  sèctte  et  l'ana- 
lyse par  voie  humide. 

Procédé  de  la  coupellation.  —  La  coupellation 
est  une  opération  dans  laquelle  le  plomb,  chauffé 
avec  un  alliage  de  cuivre  et  d'argent,  sépare,  en 
s'oxydant,  complètement  le  cuivre  de  l'argent.  Les 
coujielles  s,Qn\.  de  petits  godets  en  cendre  d'os  dans 
lesquels  se  fait  la  coupellation.  Dans  une  coupelle 
placée  dans  le  mouffle  d'un  fourneau  à  réverbère, 
on  chauffe  l'alliage  mélangé  ù,  du  plomb,  métal 
oxydable;  la  litharge,  on  oxyde  de  plomb,  qui  se 
forme,  entraîne  avec  elle  dans  les  pores  de  la  cou- 
pelle tout  le  cuivi'e  i  l'état  d'oxyde  ;  l'argent 
inoxydé  reste  dans  la  coupelle  sous  l'orme  de  bou- 
ton métallique  (buuton  de  retour).  La  ditl'érence 
entre  le  poids  primitif  de  l'alliage  et  celui  du  fiou- 
ton  de  retour  donne  celui  du  cuivre,  pourvu  qu'on 
ait  évité  le  rocliage. 

Essai  par  voie  humide.  —  Cette  métliodOj  ima- 
ginée par  Gay-Lussac,  est  i  la  fois  plus  rapide  et 
plus  exacte,  aussi  aujourd'hui  est-elle  presque  ex- 
clusivement employée.  L'essai  par  voie  humide 
repose  sur  l'insolubilité  complète  du  chlorure  d'ar- 
gent dans  l'eau  et  l'acide  azotique,  et  sur  la  facilita 
avec  laquelle  on  peut,  par  l'agitation,  le  rassem- 
bler au  fond  de  l'eau,  sans  qu'il  en  soit  distrait  la 
moindre  partie.  11  faut  d'abord  avoir  à  sa  disposi- 
tion de  l'argent  chimiquement  pur,  puis  deux  dis- 
solutions titrées,  c'est-à-dire  dont  on  connaisse 
exactement  la  richesse  par  centimètre  cube. 

P  Dissolution  normale  de  sel  marni.  —  Cette 
dissolution  est  telle  qu'un  décilitre  précipite  exac- 
tement un  gramme  d'argent  pur  à  l'état  de  chlo- 
rure insoluble.  On  verse  un  décilitre  de  cette  li- 
queur dans  un  vase  jaugé  d'un  litre,  on  rem- 
plit avec  de  l'eau  distillée,  et  on  a  ainsi  ce  qu'on 
appelle  la  liqueur  décline  salée  :  un  centimètre 
cube  de  cette  liqueur  précipitera  1  milligramme 
d'argent. 

2"  Liqueur  décime  d'argent.  —  On  l'obtient  en 
dissolvant  1  gramme  d'argent  pur  dans  5  ou  G 
grammes  d'acide  azotique  pur  ;  on  y  verse  de  l'eau 
distillée,  de  manière  à  obtenir  un  litre  de  liqueur  ; 
un  centimètre  cube  do  cette  liqueur  contient  1  mil- 
ligramme d'argent  et  sera  complètement  précipité 


ARGENT 


—  2382  —     ASSOCIATION  DES  IDÉES 


par  un  ccnlimctre  cube  de  la  liqueur  décime  salée. 
Voici  maintenajit  comment  opèrent  les  essayeurs 
de  la  monnaie.  On  dissout  dans  l'acide  azotique 
pur  HM 15  d'argent  monnayé  :  au  titre  de  0'',8'J7, 
pour  0'',900,  il  doit  s'y  trouver  I  gramme  d'argent 
pur.  On  précipite  avec  un  décilitre  de  liqueur 
normale  et  on  laisse  déposer  le  précipité.  Dans  la 
liqueur  surnageante  et  claire,  au  moyen  d'une  pi- 
pette graduée  en  centimètres  cubes,  on  verse  très 
doucement  et  le  long  des  parois  quelques  gouttes 
de  liqueur  décime  salée;  s'il  reste  de  l'argent  non 
précipité,  la  liqueur  se  troublera;  dans  ce  cas  on 
agite  de  nouveau  et  on  laisse  reposer,  puis  on  con- 
tinue :  supposons  qu'un  deuxième,  un  troisième 
centimètre  cube  de  la  liqueurdocinie  salée  trouble 
encore  le  liquide  surnageant,  et  qu'un  quatrième 
ne  le  trouble  plus,  c'est  que  la  dissolution  contenait, 
en  plus  du  gramme  d'argent,  plus  de  3  et  moins 
de  4  milligrammes. 

Supposons,  au  contraire,  que  la  pièce  était  fausse, 
et  que  le  poids  dissous  ne  contenait  pas  un 
gramme  d'argent  pur  :  on  neutralise  alors  la  li- 
queur salée  qui  n'a  pas  agi,  par  la  liqueur  décime 
d'argent  dont  chaque  centimètre  cube  précipité 
indiquera  I  milligramme  d'argent  en  moins. 

Métallurgie  de  l'argent.  —  Les  minerais  d'ar- 
gent natif  sont  traités  par  la  méthode  dite  li'cnnal- 
gamatiun,  les  minerais  argentifères  par  celle  de 
fusion.  L'amalgamation  s'emploie  en  Amérique  et 
en  Saxe  ;  elle  exige  600  kilogrammes  de  mercure 
pour  100   kilogrammes  d'argent. 

Les  minerais  mexicains,  composés  surtout  d'ar- 
gent pur  et  de  sulfure  d'argent  avec  des  traces 
d'arsenic  et  d'antimoine,  sont  d'abord  cassés  à  la 


gent  à  l'état  d'azotate;  enfin,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut,  la  médecine  utilise  l'azotate  d'ar- 
gent non  seulement  comme  caustique  h  l'état  de 
pierre  infernale,  mais  aussi  sous  forme  de  disso^ 
lutions  étendues  :  il  est  vrai  d'ajouter  que  la  con- 
sommation de  l'argent  sous  cette  forme  est  exces- 
sivement restreinte.  [Alfred  Jacquemart.] 

ASSOCI.VTION    DES    IDEES.   —   Psychologie, 
X.  —  Les  idées  qui  apparaissent  à  tout  moment 
dans  l'esprit  ne  s'évanouissent  pas  à  jamais  :  elles 
semblent   avoir    une    énergie    persistante,    faire 
efl'ort  pour  remonter  à  la  pleine   lumière  de  la 
conscience,  et  lorsque  les  perceptions  nouvelles 
n'occupent  pas  toute  notre  attention,  elles  revien- 
nent en  effet  avec  une  intensité  parfois  très  vive. 
Bien    plus,  elles  s'attirent  en   quelque    sorte  les 
unes  les  autres,  et  dès  qu'un  souvenir  émerge,  il 
entraine  avec  lui  tout  un  cortège  de  phénomènes 
dont  la  série  sans  fin  tend  ."i  se  dérouler  dans  l'in- 
telligence.  Ainsi,   en    ce  moment    môme,    nous 
pensons  au  Dictionnaire  auquel  est  destinée  cette 
étude  :' l'idée  de  pédagogie  éveille  celle  des  ré- 
formes récentes  introduites  dans  l'enseignement; 
le  mot  de  réformes  nous  rappelle  la  Révolution 
française,  et  aussitôt  nous  nous  représentons  Mi- 
rabeau remplissant  de  son  éloquence  la  salle  de 
l'Assemblée     constituante  ;    de    Mirabeau    nous 
passons  à  Démosthènes,  à  la  Grèce,   aux  ruines 
du    Parthénon ,   et    les    évocations    se    poursui- 
vraient si,  par  un  effort  de  volonté,  nous  ne  rame- 
nions notre  attention   au  sujet  qui  doit  nous  oc- 
cuper. Tantôt  nous    voyons    nettement   tous    les 
termes  intermédiaires  qui  nous  ont  conduits  d'une 
pensée   à   une   autre,   tantôt   quelques-uns    nous 
main,  puis  triés  et  broyés  dans  des  bocards  appe-  !  échappent;  mais  alors  un  peu   de  réflexion  nous 
lés   molinos,  puis  transformés    en  une   véritable    ferait   certainement  retrouver   toute  la  filiation, 
bouillie  par  des  meules  dites  arrastres  mues  par  ,  Le  phénomène  que  nous  venons  de  décrire  a  reçu 
des  mulets.  La  matière  est  ensuite  étendue  sur    le  nom  à'as^ociatinn  des  idées. 
des  tourtes  do  15  à  18  mètres  de   diamètre,  puis       Remarquons  tout  de  suite  que  le  mot  «  idée  » 
desséchée  comme  une  boue  solide  ;  c'est  alors  que    est  impropre  ou  qu'il  faut  lui  donner  le  sens  large 
commence  le  traitement  chimique.  La  masse  est    que  Descartes  attribuait  au  terme  «  pensée  ».  En 
humectée,  puis  mélangée  à  3  ou  4  pour  loii  de  sel    effet,  ce  ne  sont  pas  seulement  les  phénomènes 
commun  ;  des  mules  ou  des  chevaux  la  piétinent,    intellectuels  qui  ont  la    propriété    de    s'appeler 
et  après  cinq   ou  six  jours  on  y  ajoute  du  magis-    ainsi  l'un  l'autre  ;    tous   les  faits  psychologiques 
tral,  pyrite  de  cuivre  et  de  fer  renfermant  s  à  10    présentent  la  même   aptitude  :  les  émotions,  les 
pour  lOOde  sulfate  de  cuivre;  on  traite  ensuite  par    volitions  s'associent,  soit  entre  elles,  soit  avec  les 
le  mercure,  qu'on  force  à  tomber  goutte  ;'i  goutte    idées  proprement  dites  :   on  peut  expliquer  ainsi 


certaines  sympathies  ou  antipathies  que  l'on  est 
souvent  porté  à  considérer  comme  instinctives. 
Voyons-nous  pour  la  première  fois  un  étranger 
dans   un  moment  où   nous  sommes  péniblement 


en  le  filtrant  à  travers  du  drap  grossier.  L'amal- 
game moulé  en  briques  de  15  kilogrammes  est  en- 
voyé à  la  distillation.  Le  mercure  volatil  est  sé- 
paré de    l'argent per  descension,  c'est-à-dire   par 

distillation  de  haut  en  bas.  L'argent  obtenu  est  j  affectés,  c'est  assez  pour  que  cette  personne  nous 
boursouflé  et  contient  encore  du  mercure  ;  on  l'ap- j  paraisse  désormais  fâcheuse.  Au  contraire,  un 
pelle  arge7if  pi7ia.  On  arrive  à  recueillir  presque  ^  trait,  un  défaut  même  nous  rappelant  un  être 
tout  le  mercure.  cher  suffit  pour  nous  rendre  un  nouveau  visage 

Méthode  de  fusion. —  Dans  ce  procédé  on  divise  ;  agréable.  Les  femmes  louclies  plaisaient  à  Des- 
les  minerais  et  on  les  lave,  puis  on  les  brosse  avec  j  cartes,  parce  qu'il  avait  aimé  dans  sa  jeunesse 
du  plomb  fondu.  Ce  métal  s'allie  facilement  à  l'ar-    une  personne  louche. 

gent  qui  se  trouve  de  cette  façon  séparé  des  autres  ]  Si  l'on  s'observe  attentivement,  on  découvre 
matières;  on  sépare  ensuite  l'argent  du  plomb  par  I  aisément  suivant  quels  rapports  les  faits  psy- 
la  coupellation  :  le  plomb  transformé  en  litharge  ;  chologiques  se  lient  les  uns  aux  autres.  Deux 
est  absorbé  par  la  coupelle,  l'argent  reste.  La  li-  j  idées  s'associent  :  1"  lorsqu'elles  se  sont  trouvées 
lliarge  est  vendue  à  un  prix  supérieur  à  celui  du  '  réunies  simultanément  dans  ta  conscience  ou  iors- 
plomb.  I  qu'elles  se  sont  immédiatement  succédé  (loi  de 

La  production  annuelle  de  toutes  les  mines  du  contiguïté]  ;  i"  lorsqu'elles  présentent  quelques 
monde  actuellement  exploitées  représente  une  '  points  de  ressemblance  ou  de  dissemblam-e  [loi  de 
valeur  de  plus  de  40  millions  de  francs;  les  mi-  j  ressemblance].  Des  philosophes  ont  essayé  de 
nés  d'Amérique  en  fournissent  plus  de  14  quin-  ramener  ces  deux  lois  l'une  à  l'autre.  Cette  ré- 
zièmes.  duciion  paraît  impossible,  car  deux  faits  peuvent 

Usages  de  l'argent.  —  Les  usages  de  l'argent  '  se  présenter  simultanément  ou  successivement 
sont  aujourd'hui  encore  plus  nombreux  qu'autre-  j  dans  l'intelligence  sans  offrir  de  similitude  ou  de 
fois  et  plus  importants.  D'une  part  l'usage  de  la  différence  remarquable,  et  il  arrive  très  fréquom- 
vaisselle  d'argent  s'est  répandu  considérablement,  j  ment  que  la  pensée  d'un  objet  éveille  la  pensée 
et  d'autre  part  l'argenture   a  pris    des  dévelop-    d'un  objet  semblable  ou  dissemblable,  alors  même 


pements  extraordinaires  depuis  l'invention  de  la 
galvanoplastie  '.  L'an  de  la  photographie,  qui  s'est 
si  prodigieusement  développé  depuis  quelques  an 


que  les  deux  pensées  n'ont  pas  encore  été  juxta- 
posées daus  l'esprit. 
Cependant   nos  idées  ne  se  relient  pas  seulo- 


nées,  consomme  aussi  une  grande  quantité  d'ar-  [  ment  suivant  les  rapports  que  nous  venons  d'in- 


ASSOCIATION  DES  IDÉES     —  2383  —     ASSOCIATION   DES  IDÉES 


diquer.  Los  associations  par  conliguîté  ou  par 
ressemblance  cliangent  d'un  moment  à  l'autre  et 
varient  avec  les  personnes  :  elles  sont  manifeste- 
ment contingentes  ;  au  contraire,  certaines  asso- 
ciations ou  plus  exactement  certaines  liaisons 
d'idées  sont  immuables  et  se  retrouvent  dans 
toutes  les  intelligences  :  ce  sont  celles  qui  ont 
lieu  suivant  les  relations  de  cause  à  effet,  de 
principe  à  co?iséiiUfnce,  de  moyen  ù  fin,  etc. 
Ce  ne  sont  plus  là  de  simples  rapprochements  de 
faits  psychologiques  :  l'esprit  opère  une  véritable 
synthèse  et  rattache  les  notions  les  unes  aux 
autres  par  dos  liens  nécessaire'.  Ces  relations  pro- 
fondes dos  choses  entre  elles,  la  science  a  pour 
objet  de  les  découvrir  :  on  peut  les  ramener  h  un 
pi'tit  nombre  de  rapports-types,  irréductibles  à 
l'expérience,  que  les  rationalistes  appellent  véri- 
tés premières  ou  principes  à  priori. 

Mais  ici  beaucoup  de  philosophes  nous  arrê- 
tent. De  tout  temps  l'empirisme  a  nié  qu'il  y  eût 
dans  l'esprit  des  éléments  à  priori,  et  ■  les  plus 
illustres  représentants  de  la  psychologie  anglaise 
contemporaine,  les  deux  Mill ,  Alexandre  Bain, 
Herbert  Spencer,  G.  Lewes,  etc.,  soutiennent 
précisément  que  les  soi-disant  rapports  nécessai- 
res ne  sont  au  fond  que  des  associations  par  con- 
tiguïté ou  par  ressemblance.  L'école  anglaise  a 
cru  trouver  dans  l'association  des  idées  le  phé- 
nomène fondamental  auquel  pouvaient  se  rame- 
ner tous  les  principes,  toutes  les  notions  de 
l'esprit  :  John-Stuart  Mill  déclare  que  ce  fait 
joue  dans  la  pensée  un  rôle  aussi  important  que 
celui  de  la  gravitation  dans  le  monde  physique.  — 
Les  nouveaux  empiristes  ne  veulent  pas  seule- 
ment, comme  les  anciens,  décomposer  nos  con- 
naissances en  éléments  sensibles  :  ils  prétendent, 
en  appliquant  aux  sensations  les  seules  lois  de 
l'association  ,  montrer  clairement  la  genèse  de 
toutes  les  idées,  des  jugements  ou  raisonnements 
les  plus  complexes  en  apparence. 

Nous  ne  pouvons  évidemment  étudier  en  détail 
les  tentatives  si  ingénieuses  et  si  intéressantes 
des  psychologues  anglais.  Examinons  simplement 
les  deux  points  sur  lesquels  porte  principalement 
l'effort  des  associatio/itiistes.  Voyons  comment  ils 
expliquent  la  formation  des  prétendues  vérités 
premières,  de  la  notion  du  moi. 

Le  plus  important  des  principes,  celui  sur  le- 
quel reposent  l'induction  et  la  science,  est  la  loi 
de  causalité,  qui  peut  s'énoncer  ainsi  :  «  Tout  fnit 
a  une  cause.  >i  Les  empiristes  ramènent  la  notion 
de  causalité  à  celle  de  séijuence  constante;  la  cause 
d'un  fait,  c'est  son  untécédent  invariatle.  Par 
exemple  :  un  homme  absorbe  sous  mes  yeux 
une  certaine  quantité  d'arsenic  et  meurt  :  il  se 
forme  aussitôt  dans  mon  esprit  une  associa- 
tion entre  l'idée  d'arsenic  et  l'idée  de  mort  ;  la 
première  est  susceptible  d'éveiller  la  seconde  :  si 
je  vois  une  autre  personne  prendre  de  l'arsenic, 
l'idée  de  mort  est  immédiatement  suggérée. 
Comme  l'expérience  me  présente  toujours  la 
même  succession,  je  déclare  que  l'arsenic  est  la 
cawe  de  la  mort.  «  Certains  faits,  dit  Stuart  Mill, 
succèdent,  et,  croyons-nous,  succéderont  tou- 
jours à  certains  autres  faits.  L'antécédent  inva- 
riable est  appelé  la  cauie,  l'invariable  consé- 
quent, Veffet.  » 

Mais  comment  puis-je  affirmer  que  tout  fait  a 
nécessairement  une  cause  ?  C'est,  disent  les  empi- 
ristes, que  l'expérience  nous  offre  une  foule  de 
successions  constantes  analogues  b.  celle  que  nous 
venons  de  signaler  :  il  se  forme  alors  une  associa- 
tion indissoluble  entre  l'idée  de  phénomène  et 
l'idée  d'antécédent  :  par  une  induction  spontanée, 
nous  affirmons  que  tout  phénomène  suppose  un 
antécédent,  c'est-à-dire  une  cause  ;  « l'uni- 
versalité de  la  loi  de  causation  consiste  en  ce  que 
chaque    conséquent   est    lié    de   cette  manière 


avec  quelque  antécédent  ou  quelques  groupes 
d'antécédents  p.irticuliers.  »  Le  principe  de 
causalité  est  donc  nécessaire,  mais  d'une  néces- 
sité i'iuibiluite,  réductible  à  l'expérience.  On  se 
trompe  quand  on  en  fait  une  affirmation  à  priori 
de  l'intelligence. 

Cette  théorie  est  certainement  spécieuse,  et  l'on 
conçoit  sans  peine  qu'elle  séduise  beaucoup  d'es- 
prits. Elle  nous  paraît  cependant  radicalement 
insuffisante. 

Acceptons  la  définition  de  la  cause  proposée 
par  l'empirisme  :  un  métaphysicien  la  critiquerait, 
mais  elle  suffit  au  savant  qui  recherche  simple- 
ment les  conditions  invariables  des  phéno- 
mènes. 

La  nécessité  du  principe  de  causalité  vient-elle 
de  l'expérience?  Oui,  affirme  Stuart  Mill,  car  un 
principe  nécessaire  se  ramène  k  une  association 
indissoluble.  Mais  les  associations  formées  par 
l'expérience  ne  sont  pas  indissolubles.  Je  n'ai  ja- 
mais vu  un  esprit  séparé  d'un  corps,  et  cepen- 
dant je  puis  croire  avec  Descartes  et  tant  d'autres 
philosophes  que  l'àme  subsiste  après  la  désagré- 
gation de  l'organisme.  Au  contraire  je  suis  inca- 
pable de  concevoir  un  fait  qui  n'aurait  aucune 
cause  :  mon  esprit  se  refuse  absolument  à  admettre 
qu'un  phénomène  puisse  apparaître  soudain, 
n'ayant  avant  lui  que  le  néant  :  une  pareille 
hypothèse  est  déclarée  absurde  par  toute  intelli- 
gence saine. 

Aussi  bien  il  s'en  faut  que  l'expérience  nous 
montre  toujours  les  antécédents  des  phénomènes. 
Que  de  faits  dont  les  savants  cherchent  encore 
les  causes!  Malgré  les  énormes  progrès  des  scien- 
ces de  la  nature,  un  illustre  physicien,  Holinholtz, 
n'hésite  pas  à  déclarer  que  «  le  nombre  des  cas 
où  nous  pouvons  démontrer  le  rapport  causal  est 
bien  peu  considérable,  eu  égard  au  nombre  de 
cas  où  cette  démontration  nous  est  impossible.  » 
Si  donc  le  principe  de  causalité  dérive  de  l'expé- 
rience, pourquoi  nous  apparaît-il  comme  néces- 
saire ? 

Pourtant  faisons  à  l'empirisme  des  concessions 
évidemment  exagérées,  admettons  que  l'explication 
de  Stuart  Mill  soit  satisfaisante.  Le  principe  de 
causalité  n'est  alors  nécessaire  qu'en  apparence, 
et  cette  nécessité  disparaît  aux  yeux  du  critique; 
car  si  l'expérience  peut  nous  donner  quelque  lu- 
mière sur  le  passé,  elle  est  manifestement  inca- 
pable de  nous  éclairer  sur  l'avenir.  «  Chercher  le 
secret  de  l'avenir,  a-t-on  dit  excellemment,  dans 
ce  qui  n'est  que  la  vaine  image  du  passé,  c'est 
entreprendre  de  découvrir  en  rêve  ce  qui  doit 
nous  arriver  pendant  la  veille.  »  (J.  Lachelier.) 
Or  la  science  est  une  «  prévision  raisonnée.  »  Elle 
affirme  qu'il  y  a  dans  la  nature  des  lois,  c'est-à- 
dire  des  liaisons  causales  immuables.  La  science 
exige  une  nécessité  objective,  la  philosophie  de 
l'association  ne  peut  donner  qu'une  nécessité 
d'habitude,  toute  subjective  :  s'il  est  possible,  et 
les  associationnistes  n'hésitent  pas  à  le  déclarer, 
qu'un  rapport  entre  deux  phénomènes  reconnu 
par  la  science  n'existe  plus  demain,  c'en  est  fait 
de  la  science  elle-même;  l'homme  en  est  réduit  à 
des  conjectures  toujours  incertaines,  à  des  affir- 
mations toujours  illégitimes.  Croire  à  la  science, 
c'est  nier  la  thèse  cmpiriste. 

Les  psychologues  anglais  ne  sont  guère  plus 
heureux  lorsqu'ils  essaient  d'expliquer  par  l'asso- 
ciation la  genèse  de  l'idée  du  moi.  La  plus  grave 
objection  que  l'on  ait  adressée  de  tout  temps  à 
ceux  qui  ne  veulent  voir  dans  lame  qu'une  collec- 
tion de  phénomènes,  c'est  qu'ils  ne  peuvent  ex- 
pliquer la  conscience  de  l'unité  et  de  {'identité  de 
l'esprit.  Les  nouveaux  sensualistes  croient  trou- 
ver dans  l'association  des  idées  une  réponse  à 
l'objection.  Los  faits  psychologiques  reliés  les  uns 
aux   autres  forment  une  chaîne  :  c'est  la    conu- 


ASSOCIATION  DES  IDÉES     —  2384  — 

nuité  de  cette  chaîne  qui  nous  donne  l'illusion  de 
l'unilo  et  de  l'identité. 

Mais  d'abord  il  n'est  pas  exact  que  cette  chaîne 
soit  continue  :  une  perception  nouvelle  ou  un  acte 
de  volonté  suffit  pour  arrêter  et  modifier  le  cours 
de  nos  idées.  En  outre,  comment  une  série,  même 
continue,  de  pliénomènes  très  divers,  éinotions, 
idées,  volitions,  pourrait-elle  avoir  conscience 
d'elle-même,  se  connaître  comme  tcne  et  identi- 
que? Il  faudrait  admettre  que  chaque  fait  a  con- 
science de  lui-même  et  transmet  cette  conscience 
au  fait  suivant  :  on  imaginerait  ainsi  un  »iOi  vé- 
ritable qui  disparaît  et  reparaît  à  tout  momeiit, 
qui  passe  d'émotion  en  idée  ou  envolition,  s'iden- 
tifiant  avec  chaque  nouveau  phénomène  tout  en 
restant  identique  à  lui-même  !  Quoi  de  plus  bi- 
zarre et  de  plus  contradictoire  '? 

En  réalité  les  cmpiristes  n'enregistrent  pas  exacte- 
ment toutes  les  données  de  l'expérience.  Nous  ne 
trouvons  pas  seulement  en  nous  des  émotions,  des 
idées,  des  volitions  :  nous  apercevons  immédiate- 
ment un  rapport  d'une  nature  spéciale,  un  rapport 
dynamique,  qui  rattache  chacun  des  phénomènes 
à'un  wiOi  réel,  un  et  identique.  C'est  là  le  lien  qui 
donne  la  continuité  à  la  série  des  faits  psycholo- 
giques et  qui  nous  permet  de  les  cojisidérer 
comme  nôtres.  Mis  au  pied  du  mur,  les  associa- 
tionnistcs  eux-mêmes  sont  forcés  d'en  convenir. 
«  Le  lien  ou  la  loi  inexplicable,  accorde  Stuart 
Mill,  Vunion  organique  qui  rattache  la  con- 
science présente  à.  la  conscience  passée  qu'elle 
nous  révèle,  est  la  plus  grande  approximation 
que  nous  puissions  atteindre  d'une  conception 
positive  du  moi.  Je  crois  d'une  manière  indubi- 
table qu'il  y  a  quelque  chose  de  réel  dans  ce 
lien,  réel  comme  ta  sensation  elle-même  et  qui 
n'est  pus  un  pur  produit  des  lois  de  la  pensée 
sa7is  aucun  fuit  qui  lui  corresponde.  A  ce  titre, 
j'attribue  une  réalité  au  moi,  à  mon  propre  es- 
prit  et  c'est  en  vertu  d'une  induction  fondée 

sur  mon  expérience  de  ce  moi  que  j'attribue  la 
même  réalité  aux  autres  moi  ou  esprits.  »  Herbert 
Spencer,  dans  ses  Premiers  principes,  laisse 
échapper  un  aveu  analogue. 

Concluons  donc  que  la  dialectique  subtile  des 
psychologues  anglais  ne  ruine  pas  plus  le  spiri- 
tualisme' que  le  rationalisme.  On  ne  peut  rame- 
ner h  l'association  des  idées  ni  les  principes 
nécessaires,  ni  l'esprit  qui  les  affirme,  liien  au 
contraire,  c'est  dans  l'esprit  lui-même  qu  il  faut 
chercher  l'explication  des  lois  de  l'association. 
Si  deux  idées,  primitivement  contiguës,  s'appel- 
lent et  s'évoquent,  ce  n'est  pas  qu'elles  aient 
contracté  l'une  pour  l'autre  une  mystérieuse  affi- 
nité. C'est  que  l'esprit  un  et  identique  les  a  te- 
nues simultanément  ou  successivement  fixées  sous 
son  regard  :  ce  qui  soude  les  idées  l'une  à  l'au- 
tre, c'est  l'acte  même  de  l'esprit  qui  les  conçoit  ; 
cette  activité  spirituelle  tend  i\  se  maintenir,  à 
persévérer,  et  lorsque  les  perceptions  nouvelles 
ou  d'autres  souvenirs  n'occupent  plus  notre  at- 
tention, elle  reparaît  telle  quelle  au  grand  jour 
de  la  conscience.  Seul  aussi  l'esprit  identique 
est  capable  d'apercevoir  entre  deux  idées  des 
ressemblances  ou  des  dissemblances  notables  et 
de  les  rapprocher  l'une  de  l'autre. 

Ces  importantes  réserves  faites,  nous  recon- 
naîtrons volontiers,  avec  les  psychologues  anglais, 
le  rôle  considérable  que  joue  l'association  des 
idées  dans  la  vie  psychique.  Quelques-uns  de  nos 
sens,  outre  leurs  perceptions  spéciales,  nous  don- 
nent, par  l'éducation,  des  perceptions  empruntées 
aux  autres  sens.  Ces  ii.  perceptions  acquises  »,  qui 
nous  épargnent  tant  de  travail  et  rendent  possi- 
bles les  arts  plastiques,  se  ramènent  à  des  asso- 
ciations primitives.  Ainsi  la  vue.  originairement, 
nous  fait  seulement  connaître  les  couleurs  :  si 
dans  la  suite  l'œil  nous  fournit  la  forme  et  la  dis- 


AUTRICHE 


tance,  perceptions  naturelles  du  toucher,  c'est 
que,  dès  la  première  enfance,  les  perceptions  tac- 
tiles se  sont  intimement  associées  aux  perceptions 
visuelles.  La  plupart  de  nos  facultés,  la  mémoire, 
l'imagination,  spontanée  ou  créatrice,  la  volonté 
même,  ne  s'exerceraient  que  très  péniblement  si 
nos  pensées  ne  s'appelaient  pas  les  unes  les 
autres.  C'est  également  en  invoquant  les  lois  de 
l'association  que  l'on  peut  expliquer  psychologi- 
quement les  phénomènes  si  curieux  du  rêve,  du 
somnambulisme,  de  l'hallucination  et  de   la  folie. 

11  suit  de  là  que  la  pédagogie  doit  tenir  grand 
compte  du  f^it  d'association  et  de  ses  lois.  11 
importe  de  dissiper  avec  soin  les  associations 
superficielles  qui  tendent  à  se  former  dans  l'es- 
prit. Que  de  préjugés,  que  de  principes  faux  ou 
incomplets  peuvent  être  ramenés  par  le  psycholo- 
gue à  des  associations  empiriques  sans  valeur! 
Par  exemple,  nous  ne  réussissons  à  attirer  un 
corps  un  peu  éloigné  qu'à  l'aide  d'une  corde  ou 
d'un  autre  instrument  matériel  :  les  idées  d'at- 
traction et  d'intermédiaire  matériel  se  lient  dans 
l'intelligence  ;  il  faudra  le  génie  d'un  Newton  pour 
dissiper  cette  association  et  pour  montrer  que 
les  astres  s'attirent  à  travers  l'immensité. 

C'est  à  l'association  des  idées  que  revient  la 
plus  grande  part  dans  la  formation  de  l'esprit. 
L'homme  s'habitue-t-il  à  relier  ses  idées  suiv.nt 
des  rapports  fortuits,  des  ressemblances  vagues 
et  tout  extrinsèques,  il  pourra  passer  pour  bril- 
lant causeur,  pour  écrivain  ingénieux  et  spiri- 
tuel, il  ne  sera  jamais  un  homme  de  science  et 
de  philosophie.  Les  esprits  sérieux,  vraiment 
scientifiques  et  philosophiques,  sont  ceux  qui 
remplacent  les  associations  empiriques  du  vulgaire 
par  des  liaisons  d'idées,  qui  cherchent  à  enchaî- 
ner leurs  pensées  d'après  des  ressemblances  pro- 
fondes, des  rapports  invariables,  à  la  fois  loi/iques 
et  naturels.  Le  devoir  de  l'éducateur  est  précisé- 
ment de  former  de  telles  intelligences,  capables 
de  connaître  les  lois  réelles,  «  ces  rapports  né- 
cessaires qui  dérivent  de  la  nature  des  choses  ", 
suivant  la  célèbre  définition  de  Montesquieu. 
[Jules   Legrand.l 

AUTRICHE.  (Histoire).  Histoire  géné- 
rale, XXVH,  —  |ro  PÉRIODE  :  Epoquk  barbare.  — 
Les  Romains  fondèrent  quelques  colonies  dans 
la  région  qui  porte  aujourd'hui  le  nom  d'Autriche, 
et  qui  formait  alors  les  provinces  de  Norique  et 
de  Pannonie.  Au  V  siècle,  les  Huns  ravagèrent 
ce  pays,  puis  les  Avares  y  créèrent  un  empire 
qui  fut  détruit  par  Charlemagne.  Celui-ci  y  éta- 
ijlit  un  comte  chargé  de  surveiller  la  frontière, 
ou  margrave  ;  cette  région  prit  alors  le  nom 
d'Œslerreich  ou  Etat  de  l'Est,  d'où  l'on  a  fait  Au- 
triche. 

i'  période  :  Les  margraves  et  les  ducs  de  la 
MAISON  DE  Eamuerg.  —  Le  roi  de  Germanie 
Henri  1"^'  l'Oiseleur  donna  le  margraviat  d'.\utri- 
che  à  Léopold  1"'  l'Illustre,  comte  de  Bamberg, 
dont  la  maison  régna  jusqu'en  1246.  Le  margrave 
Henri  II  reçut  en  llbH  le  titre  de  duc.  Le  plus 
remarquable  des  princes  de  cette  famille  fut  le 
duc  Léopold  V  (1177-1194),  qui  prit  part  à  la  troi- 
sième croisade,  et  retint  prisonnier  dans  ses  ter- 
res le  roi  d'Angleterre  Richard  Cœur-de-Lion. 

A  l'extinction  de  la  maison  de  Bamberg,  le  roi 
de  Bohême  Ottocar  s'empara  du  duché  d'Autri- 
che. Mais  il  fut  vaincu  par  l'empereur  Rodolphe 
de  Habsbourg,  qui  donna  l'Autriche  à  son  propre 
fils  Albert. 

3'  PÉRIODE  :  La  maison  de  Habsboit.g  jisqu'a 
l'abdication  de  Charles-Quint.  —  Albert  d'Au- 
triche, devenu  empereur  (129S),  voulut  joindre  à 
ses  possessions  héréditaires  les  cummunautés 
libres  des  Waldstajtten  en  Helvétie.  .Mais  les 
paysans  suisses  chassèrent  ses  baillis,  et  Al- 
bert, en   marchant  contre  eux  avec  une  armée. 


AUTRICHE 


—  2383  — 


AUTRICHE 


fut  assassine;  au  passage  cl(>  la  Reuss  (1308).  Sou 
■second  fils  Loopold  fut  vaincu  par  les  Suisses  à 
Morgarton  (1315),  et  un  autre  Léopold  d'Autriclie 
périt  h  Sempacli  J138G)  dans  une  expédition  en- 
treprise pour  réduire  les  Waldstœtten. 

Durant  le  xiv»  siècle,  en  dehors  de  la  lutte 
avec  les  Suisses,  l'histoire  de  la  maison  d'Autri- 
che, divisée  en  plusieurs  branches,  n'offre  rien 
de  remarquable.  La  couronne  impériale,  qui  a 
échappé  aux  descendants  d'Albert,  est  portée  par 
■divers  princes  de  Luxembourg  et  de  Bavière. 

Mais  dans  la  première  moitié  du  xV  siècle,  le 
■duc  d'Autriche  Albert  V,  devenu  roi  do  Bohême 
«t  de  Hongrie  à  la  mort  de  son  beau-père  Sigls- 
mond  do  Luxembourg,  fut  élu  empereur  d'Alle- 
magne sous  le  nom  d'Albert  II  (Ii3")  ;  et  à  partir 
de  ce  moment,  la  dignité  impériale  n'est  plus  sor- 
tie de  la  maison  de  Habsbourg.  Un  cousin  d'Al- 
bert II,  Frédéric  III,  de  la  branche  de  Styrie,  lui 
succéda  comme  empereur,  et  réunit  en  outre  sous 
sa  domination  toutes  les  possessions  autrichien- 
nes. Le  fils  de  Frédéric,  Maxiraillen,  épousa  Marie 
de  Bourgogne,  héritière  de  Charles  le  Téméraire, 
puis  maria  son  fils  Philippe  le  Beau  à  Jeanne  la 
Folle,  fille  de  Ferdinand  le  Catholique,  roi  d'Espa- 
gne. Cette  double  union,  qui  fit  la  fortune  de  la 
maison  d'Autriche,  Justifia  ce  vers  ironique,  attri- 
bué à  Malhias  Corvin,  roi  de  Hongrie  : 

Bella  gérant  alii;  lu,  felix  Austria.  niibe. 
(Que   d'autres  s'ugr.^xndissciit  par    la    guerre  ;  pour   toi, 
heureuse    Autriche,   tu    ne    demandes   tes  conquêtes   qu'à 
J'hyméaée.J 

Le  fils  de  Philippe  et  de  Jeanne  fut  le  puissant 
Charles-Quint,  roi  d'Espagne  en  l.il(i,  maître  des 
Pays-Bas,  élu  empereur  d'Allemagne  en  15Î0,  et 
qui  domina  sur  une  grande  partie  de  l'Italie.  Son 
frère  cadet  Ferdinand  avait  eu  pour  sa  part  le 
duché  d'Autriche  et  les  possessions  allemandes 
qui  en  dépendaient;  le  mariage  de  Ferdinand 
avec  Anne,  sœur  do  Louis  11,  roi  de  Hongrie  et 
de  Bohême,  fit  passer  les  couronnes  de  ces  deux 
pays  sur  la  tète  du  duc  d'Autriche  à  la  mort  de 
Louis  (1526). 

Lorsque  Charles-Quint  eut  abdiqué,  la  sépara- 
tion des  branches  espagnole  (ou  ainée)  et  alle- 
mande (ou  cadette)  de  la  maison  d'Autriche  de- 
vint définitive.  Le  fils  de  Charles,  Philippe  II, 
fut  roi  d'Espagne,  et  domina  sur  l'Italie  et  les 
Pays-Bas,  tandis  que  le  duc  d'Autriche  Ferdi- 
nand devint  empereur  d'Allemagne. 

4"   PÉRIODE  :   De    l'avénejient    ue  la    branche 

CADETTE   DE    HABSDOURG   A    L'eXTI.NCTIO.V  DE    LA    LIGNE 

DIRECTE.  —  Durant  les  deux  siècles  qui  suivirent, 
l'histoire  de  l'Autriche  se  confond  avec  celle  de 
l'Allemagne.  Les  règnes  de  Ferdinand,  de  iVIaxi- 
milien  II,  de  Rodolphe  H,  de  IMathias,  nous  con- 
duisent jusqu'à  la  guerre  de  Treille  ans  *,  qui 
remplit  les  règnes  de  Ferdinand  II  et  de  Ferdi- 
nand III.  Léopold  I"  eut  à  se  défendre  contre  les 
Turcs  (siège  de  Vienne,  1683),  et  contre  Louis  XIV. 
A  l'extinction  des  Habsbourg  de  la  branche  ainée, 
en  nOO,  il  essaya  de  faire  passer  la  couronne 
tl'Espagiie  sur  la  tète  de  son  se.  oiid  fils,  l'archi- 
duc Charles,  qui  avait  pour  compétiteur  Philippe 
a  Anjou,  petit-fils  de  Louis  XIV.  La  guerre  de  la 
succession  d'Espagne  remplit  le  règne  de  Jo- 
seph 1",  fils  de  Léopold  ;  après  la  mort  de  celui- 
ci,  son  frère,  l'archiduc  Charies,  étant  devenu  em- 
pereur sous  le  nom  de  Charles  VI,  renonça  à 
1  Lspagne,  et  les  traités  d'Utrecht  et  de  Rastadt 
assurèrent  le  triomphe  du  candidat  des  Bourbons, 
qui  put  régner  en  paix  à  Madrid. 

Charles  VI,  qui  s'occupa  surtout  à  guerroyer 
contre  les  Turcs,  mourut  en  1740,  laissant  pour 
lui  succéder  une  flile  unique,  Marie-Thérèse. 
Avo^c  lui  s  éteignit  la  ligne  directe  de  Habsbourg. 

0"  PÉRIODE  :  La  maison  ue  Habsbourg  -  Loii- 
2'  Partie. 


RAINE,    jusqu'à   LA    FIN    DE    L'aNCIEN  EMPIIIE    d'AlLE- 

MAGNE.  —  Marie-Thérèse  eut  i  lutter  contre  une 
coalition  formée  do  la  Prusse,  de  la  France,  de  la 
Bavière,  de  la  Saxe  et  de  la  Pologne,  qui  vou- 
laient donner  la  couronne  impériale  à,  l'électeur 
de  Bavière.  Mais  le  roi  de  Prusse  ayant  consenti  à  la 
paix  en  échange  de  la  cession  de  la  Silésie, 
Marie-Thérèse  put,  grâce  h.  la  vaillance  des  Hon- 
grois et  ;\  l'appui  de  l'Angleterre,  triompher  de 
ses  auiros  adversaires,  et  faire  reconnaître  comme 
empereur  d'Allemagne  son  époux  François  de 
Lorraine.  Une  nouvelle  guerre,  la  guerre  de  Sept 
ans*,  diminua  le  prestige  de  la  maison  d'Autriche 
et  augmenta  celui  de  la  Prusse,  mais  n'amena 
pas  de  changements  territoriaux  en  Allemagne. 
Marie-Thcrèse  participa  un  peu  plus  tard,  avec 
Frédéric  II  et  Catherine  II,  au  premier  partage  de 
la  Pologne  (1773). 

Son  fils  Joseph  II  (1780-1700)  introduisit  dans 
ses  Etats  héréditaires  des  réformes  qui  n'eurent 
qu'une  existence  éphémère. Léopold  II  (I790-179J), 
frère  de  Joseph  et  de  Marie-Antoinette,  prépara 
contre  la  France  une  guerre  qui  fut  soutenue 
par  son  successeur  François  II.  L'Autriche  y  per- 
dit la  Belgique  et  l'Italie.  En  180i,  François,  vou- 
lant donner  à  ses  États  héréditaires  plus  de 
cohésion  et  d'importance,  et  mieux  assurer  sa 
primauté  parmi  les  princes  allemands,  prit  le 
titre  d'empereur  d'Autriche.  BiHutèt  après,  vaincu 
par  Napoléon  :\  Austerlilz,  il  perdit  une  partie  de 
ses  possessions,  et  fut  obligé  de  renoncer  à  son 
ancien  titre  d'empereur  d'Aflcmagne  (1806). 

Ù"  PÉRIODE  :  L'E.iiriRE  d'Autriche  et  l'Ausïro- 
HoNGRiE.  —  L'empire  d'Allemagne  ayant  cesse 
d'exister,François  II  s'appela  désormais  François  I"'', 
empereur  d'Autriche.  Il  essaya  en  1808  de  s'af- 
franchir de  l'alliance  française,  mais  fut  vaincu 
de  nouveau  à  VV'agram,  et  contraint  de  donner 
pour  épouse  à  Napoléon  sa  fille  Marie-Louise. 
Après  la  chute  du  conquérant,  il  recouvra  la  plu- 
part des  possessions  qu'il  avait  perdues  ;  mais 
l'empire  d'Allemagne  ne  fut  pas  rétabli  :  les  trai- 
tés de  1815  le  remplacèrent  par  la  Confédération 
germanique,  dont  l'Autriche  fut  un  simple  mem- 
bre. 

L'histoire  des  soixante  dernières  années  de  la 
monarchie  autrichienne,  sous  François  I",  Ferdi- 
nand I"  et  l'rançois-Joseph,  est  celle  de  sa  rivalité 
avec  la  Prusse  et  dos  embarras  intérieurs  que 
lui  ont  causés  les  revendications  des  diverses  na- 
tionalités dont  l'agglomération  constitue  son  ter- 
ritoire. La  lutte  contre  la  Prusse,  après  avoir 
longtemps  occupe  les  diplomates  de  la  Diète 
germanique,  a  reçu  son  dénouement  sur  le  champ 
de  bataille  de  Sadowa  (18CB).  Quant  aux  révoltes 
de  ses  sujets,  l'Autriche,  après  les  avoir  durement 
réprimées  en  18  i8  et  18*9,  s'est  vue  forcée  enfin 
d'abandonner  ses  possessions  d'Italie,  et  a  dû 
concéder  h  la  Hongrie  une  autonomie  presque 
complète.  Le  régime  dualiste  établi  en  18S7  a  mis 
fin  aux  agitations  intérieures,  et  l'Austro-Hongrie, 
dotée  d'institutions  représentatives,  est  désormais 
entrée  dans  la  voie  du  progrès  et  des  réformes 
libérales. 

Formation  territoriale  de  l'Autriche.  —  Sous 
les  margraves  de  la  maison  de  Bamberg  (du  LX»  au 
xii°  siècle),  l'Autriche  ne  comprenait  que  le  terri- 
toire formant  aujourd'hui  la  province  de  Basse- 
Autriche,  avec  Vienne  pour  capitale.  Le  margrave 
Ilonri  II  reçut  de  l'empereur  Frédéric  Barbe- 
rousse,  en  115G,  le  titre  de  duc  avec  la  Haute- 
Autriche  enlevée  à  Henri  le  Lion,  duc  de  Bavière. 
Le  duché  d'Autriche  s'accrut  de  la  Styrie  en 
1102,  puis  de  la  Carniole  sous  Léopold  VI.  Les 
ducs  de  la  maison  de  Habsbourg  y  ajoutèrent  la 
Carinlhie  (1331),  le  Tyrol  (I3C3),  le  landgraviat 
do  Brisgau  (I3(i7),'frieste  (1380);  mais  ils  échouè- 
rent dans  leurs  tentatives  pour  s'annexer  les  can- 
liO 


BELGIQUE 


—  2386  — 


BELGIQUE 


tons  suisses.  En  1437,  les  couronnes  de  Boliûme 
et  de  Hongrie  échurent  à  la  maison  d'Autriche, 
par  le  mariage  du  duc  Albert  V  (depuis  empereur 
sous  le  nom  d'Albert  IIj  avec  la  flUe  de  l'empereur 
Sigismond  ;  mais  après  la  mon  de  Ladislas  le 
Posthume  (1457),  ces  deux  pays  redevinrent  indé- 
pendants. 

L'n  accroissement  considérable  de  possessions 
pour  la  famille  de  Habsbourg  fut  dû  au  mariage 
de  Maximilien  I"  avec  Marie  de  Bourgogne  (1477), 
qui  apporta  en  dot  :\  son  époux  l'Alsace,  la  Fran- 
cheComlé  et  les  Pays-Bas.  I.es  deux  fils  de  Maxi- 
milien, ('barles-Quint  et  Ferdinand  I",  se  parta- 
gèrent ses  possessions  héréditaires  :  Charles  se 
réserva  la  Franche-Comté  et  les  Pays-Bas,  qu'il 
joignit  aux  vastes  domaines  de  l'Espagne.  Ferdi- 
nand eut  tous  les  Etats  autrichiens  d'Allemagne, 
savoir:  l'archiducho  d'Autriche,  le  Tyrol,la  Styrie, 
la  Carinthie,  la  Carniole,  l'istrie  (enlevée  aux 
Vénitiens),  des  possessions  en  Souabe,  et  l'Al- 
sace ;  en  outre  il  obtint  en  l.^j26  les  couronnes  de 
Hongrie  et  de  Bohême  (avec  la  Moravie,  la  Silésie 
et  la  Lusacc). 

A  partir  de  ce  moment,  c'est  la  branche  alle- 
mande des  Habsbourg  qui  représente  l'Autriche 
proprement  dite.  Elle  obtient  la  dignité  impériale 
en  1538,  mais  sans  nouvelles  acquisitions  territo- 
riales :  au  contraire,  le  traité  de  Westphalie  (1648) 
lui  enlève  l'Alsace  et  la  Lusace;  eu  revanche,  le 
traité  de  Rastadt  (1714)  lui  donne  la  Belgique, 
Naples  (sans  la  Sicile),  la  Sardaigne,  le  Milanais, 
et  les  présides  de  Toscane.  Le  traité  de  la  Haye 
(172(1)  amena  l'échange  de  la  Sardaigne  contre  la 


Sicile.  Au  traité  de  Vienne  (1738),  l'Autriche 
perdit  Naples,  la  Sicile,  et  une  partie  du  Milanais, 
mais  reçut  en  échange  le  duché  de  Parme.  La 
guerre  de  la  succession  d'Autriche,  qu'eut  h  sou- 
tenir Marie-Thérèse,  faillit  causer  le  démembre- 
ment des  vastes  Etats  de  la  maison  de  Habsbourg; 
celle-ci  n'y  perdit  toutefois  que  la  Silésie,  Parme, 
et  une  portion  du  Milanais,  et  elle  s'indemnisa 
bientôt  aux  dépens  de  la  Pologne,  à  laquelle  elle 
enleva  la  Russie  rouge,  une  partie  de  la  Galicie, 
les  palatinats  de  Cracovie,  de  Sandomir,  de  Lublin, 
de  Beltz,  de  Wolhynie  et  de  Podolie  (UIS),  et  de 
la  Turquie,  qui  lui  céda  la  Bukowine  (1777).  Le 
troisième  partage  de  la  Pologne  (17a5)  donna 
encore  à  l'Autriche  la  Galicie  occidentale. 

Le  traité  de  Carapo-Formio  (n!)7)  amena  un 
remaniement  important  dans  les  possessions  de 
l'Autriche  :  elle  dut  céder  la  Belgique  et  le  Mila- 
nais, et  reçut  en  échange  le  territoire  de  la  répu- 
blique de  Venise.  Les  conquêtes  de  Napoléon  la 
privèrent  successivement  des  États  vénitiens,  de 
l'istrie,  de  la  Dalniatie,  du  Tyrol,  de  Salzbourg, 
de  ses  possessions  en  Souabe,  d'une  partie  de  la 
Galicie.  Mais  les  traités  de  islô  lui  restituèrent 
la  presque  totalité  des  territoires  perdu'*,  et  don- 
nèrent à  l'empire  d'Autriclie  sa  configuration  géo- 
graphique actuelle.  Les  seules  modifications  terri- 
toriales survenues  depuis  lors  sont  la  reprise  de 
Cracovie  (1S4G),  et  la  cession  à  l'Italie  de  la  Lom- 
bardie  (1S59)  et  de  la  Vonétie  (I8C6).  Le  traité  de 
Berlin  a  autorisé  l'Autriche  à  occuper  la  Bosnie  et 
l'Herzégovine,  tout  en  en  laissant  au  sultan  la  pos- 
session nominale. 


B 


BELGIQUE  (Géogbaphie),  —  Géographie  géné- 
rale, XV.  —  Le  nom  des  Belges,  déjà  connu  de 
César,  est  une  forme  de  l'allemand  Vvtk,  peuple, 
mot  qui  se  retrouve  dans  toutes  les  langues  ger- 
manir|ues  avec  un  sens  analogue. 

I.  GÉOGRAPHIE  PHYSIQUE.  —  SitualiûH,  limites, 
forme.  —  Touchant  la  France  au  S.-O.,  la  Belgi- 
que est  bornée  h  l'O.  par  la  mer  du  Nord,  au  N. 
par  les  Pays-Bas  hollandais,  à  l'E.  par  l'Allemagne 
et  le  grand-duché  de  Luxembourg.  Sauf  du  cùté  de 
la  mer,  elle  n'a  nulle  part  de  limites  naturelles. 
En  latitude  elle  est  comprise  entre  49°30'  et 
51°30',  et  en  longitude  entre  0°12'  et  'i°b{>'  h  l'est 
du  méridien  de  Paris.  Sa  forme  générale  est 
celle  d'un  triangle,  dont  la  base,  dirigée  du  S.-E.  au 
N.-O.,  est  formée  par  !a  frontière  de  France  sur 
une  longueur  de  :2Su  kilom.  (en  ligne  droite),  et 
dont  le  sommet  est  situé  au  point  où  la  Meuse 
entre  définitivement  en  Hollande. 

Comprise  entre  ces  limites,  la  Belgique  a  une 
superficie  de  ",9,455  kilom.  carr.  Sous  le  rapport 
de  l'étendue,  c'est  le  plus  petit  des  Etats  de  l'Eu- 
rope (en  laissant  de  côté  le  grand-duché  de 
Luxembourg  et  les  Etats  minuscules  comme  Saint- 
Marin).  Mais  sous  le  rapport  de  la  population,  elle 
n'est  dépassée  que  par  les  grands  Etats  :  Russie, 
Autriclie,  Allemagne,  France,  lies  Britanniques, 
Italie, Espagne  et  Turquie. On  y  compte  5,G00,OUU  ha- 
bitants, 199  habitants  par  kilom.  carré  en  moyenne, 
plus  de  deux  fois  et  demie  autant  qu'en  France, 
près  de  six  fois  autant  que  dans  l'ensemble  de 
l'Europe.  Nul  pays  au  monde  ne  saurait  lui  être 
comparé  sous  ce  rapport. 

Hydrographie.  —  La  Belgique  se  partage  à  peu 
près  également  entre  les  bassins  de  l'Ëscaul  et  de 
la  Meuse.  Les  petits  bassins  côtiers  sont  sans  im- 
portance. 

L'Escaut,  qui  prend  sa  source  en  France,  passe 


à  Gand,  puis  à  Anvers,  où  il  a  600  mètres  de  large 
et  forme  un  port  spacieux  et  profond.  Il  reçoit 
par  sa  gauche,  à  Gand,  la  Lys,  qui  est  son  affluent 
le  plus  considérable,  et  à  quelques  kilom.  en 
amont  d'Anvers,  par  sa  droite,  le  Rupel.  formé 
par  la  réunion  de  plusieurs  rivières,  dont  l'une,  la 
Senne,  passe  à  Bruxelles. 

La  Meuse  prend  aussi  sa  source  en  France, 
passe  à  Namur.  où  elle  se  grossit  à  gauche  de  la 
Snrnbre,  son  affluent  le  plus  considérable.  A  partir 
de  ce  confluent,  elle  coule  au  N.-E.  comme  la 
Sarnhre,  et  arrive  à  Liège,  où  elle  reçoit  par  sa 
droite  VOurthe. 

L'Escaut  et  la  Meuse  finissent  tous  deux,  en 
Hollande,  dans  la  mer  du  Nord,  où  leurs  bouches 
forment  un  réseau  assez  compliqué. 

lielief  du  sot.  —  On  ne  trouve  pas  en  Belgique  de 
chaînes  de  montagnes  proprement  dites,  mais 
deux  régions  bien  distinctes,  dont  la  Sambre  et  la 
Meuse  forment  la  limite  commune  :  au  sud,  les 
plateaux  de  l'Ardenne,  dont  le  point  culminant, 
sur  la  frontière  de  la  Prusse  Rhénane,  atteint 
080  mètres  ;  au  nord,  au  contraire,  la  plaine  des 
Pays-Bas,  où  l'on  trouve  des  régions  plus  basses 
que  le  niveau  de  la  mer,  qui  ne  peuvent  être 
préservées  des  inondations  qu'à  l'aide  do  digues. 

Climat.  —  Cette  région  des  Pays-Bas  jouit  d'un 
climat  marin,  plutôt  humide  et  brumeux  en  hiver 
que  très  froid.  Ce  n'est  que  dans  les  hivers  excep- 
tionnels que  les  rivières  y  gèlent  assez  fortement 
pour  pouvoir  porter  des  voitures. 

Du  côté  des  Ardennes,  au  contraire,  les  neiges 
sont  aljondantes  et  de  longue  durée,  et  la  tempé- 
rature vraiment  rigoureuse.  C'est  sur  ces  plateaux 
que  le  .sol  reçoit  sous  forme  de  pluies  ou  de  neiges 
les  plus  grandes  quantités  d'humidité,  quoique  le 
ciel  y  soit  moins  souvent  couvert  et  qu'on  y  compte 
moins  de  jours  pluvieux  qu'au  bord  de  la  mer. 


BELGIQUE 


2387 


BELGIQUE 


II.  GliOnMArillE  ACUICOLE  F.T    I.N'DISrniEl.l.E.  —  Itii- 

f/iiiiis  iii/rirole.'i,  Ari/rniK^t.  —  Les  Ardonims  sont 
couvertes  de  forùts,  au  milieu  desquRllos  s'cten- 
ili'iit  dos  clairières  marécageuses,  appelées /'«(/«ei, 
qui  ne  produisent  que  do  la  tourbe.  A  force  d'amen- 
dements, lii  culture  y  fait  toutefois  quelques  pro- 
grès et  les  moutons  y  trouvent  do  bons  pâturages. 
Mais  c'est  la  partie  du  royaume  la  moins  peuplée 
lit;  liab.  par  kilom.  dans  le  Luxembourg),  celle 
où  les  terres  labourables  occupent  la  moins  forte 
partie  du  sol  (22  %  dans  le  Luxembourg)  et  où  les 
terres  en  général  atteignent  la  moins  grande  va- 
leur vénale.  Le  nom  de  Famenne,  qui  s'applique 
à  tine  partie  de  cette  région,  rappelle  la  famine  à 
laquelle  on  y  est  souvent  soumis.  Des  hauts  pla- 
teaux des  Ardenncs,  on  descend  à  laSambre  par  le 
pays  de  Condmz,  qui  sert  d'intermédiaire  entre 
les  Ardennes  et  la  Belgique  centrale. 

lléi/io7i  innnnonse.  —  L!i  s'étend  une  large  bande, 
limitée  au  sud  par  la  Sambre  et  la  Meuse,  et  qui 
touclie  au  nord  les  villes  d'IIasselt,  Lou'vain,  Alost, 
Courtrai.  Le  sol  y  est  recouvert  d'une  couche  de 
limon  généralement  épaisse  de  plusieurs  mètres 
et  excessivement  fertile. 

liégion  sabionneuse .  —  Au  nord  de  cette  région, 
la  Cnmjjinn  occupe  une  vaste  plaine  sablonneuse, 
en  grande  partie  occupée  par  des  landes  et  des 
bruyères. 

Sur  la  rive  gauche  de  l'Escaut,  le  sol  est  encore 
sablonneux,  mais  transformé  par  les  soins  de  la  cul- 
ture en  un  riche  jardin.  C'est  le  pai/s  de  Waes, 
dont  la  ville  de  baint-Nicolas  est  la  principale 
localité. 

Polders.  —  Au  nord  du  pays  de  Waes  s'étend  la 
région  des  polder':.  Ce  sont  dos  terres  basses  et 
unies,  sur  lesquelles  chaque  marée  refoulait  les 
eaux  de  l'Escaut.  Fertilisées  par  les  dépôts  du 
fleuve,  elles  sont  devenues  d'excellents  pâturages, 
i|uand  elles  ont  été  mises  à  l'abri  des  inondations  de 
l'eau  salée  à  l'aide  de  digues. 

Productions  agricoles.  —  La  Belgique  est  fort 
bien  cultivée.  Les  bois  n'y  occupent  que  la  sixième 
partie  du  territoire,  les  bruyères  la  dixième,  les 
terres  en  jachères  la  trentième.  Les  Flandres,  le 
Brabant,  le  Hainaut  sont  les  provinces  les  plus 
fertiles.  Elles  produisent  surtout  des  céréales,  du 
chanvre,  du  lin,  du  colza,  des  betteraves,  des 
pommes  de  terre  et  du  houblon.  Cependant  la 
Belgique  ne  récolte  pas  assez  de  blé  pour  nourrir 
sa  nombreuse  population.  Elle  est  obligée  d'en 
tirer  du  dehors,  ainsi  que  du  sucre  de  betterave, 
et  des  vins.  La  vigne  n'y  mûrit  que  sur  un  petit 
nombre  de  points,  et  la  bière  est  la  boisson  la  plus 
répandue.  Louvain  et  Bruxelles  renferment  les 
brasseries  dont  les  produits  sont  le  plus  estimés. 
Les  Belges  sont  aussi  grands  consommateurs  de 
cafc,  ou  plutôt  de  chicorée.  Malgré  la  grande  con- 
sommation de  lin  que  font  leurs  fabriques  de  den- 
telles et  de  toiles  fines,  ils  produisent  cette  plante 
textile  en  surabondance,  et  elle  fait  l'objet  d'une 
ex|)ortation  considérable. 

Bestiaux.  —  Les  prairies  sont  étendues  en  Bel- 
gique et  n'ont  pas  à  redouter,  aussi  souvent  qu'en 
Erance,  les  inconvénients  de  la  sécheresse.  Les 
Flandres  nourrissent  des  vaches  de  grande  taille 
et  des  chevaux  forts  et  vigoureux.  Dans  les  Ar- 
dennes, on  élève  des  moutons  et  des  porcs  dont 
la  chair  est  estimée,  et  des  chevaux  petits,  mais 
très  résistants  à  la  fatigue. 

Productions  minérales.  Houille.  —  «  Comparée 
aux  autres  contrées  de  l'Europe,  la  Belgique  est 
celle  qui,  toutes  proportions  gardées,  consomme 
et  exporte  la  plus  grande  quantité  de  combustible 
minéral.  »  (Du  Pays.)  En  IST5,  les  mines  de  houille 
de  la  Belgique  ont  produit  plus  de  15  millions  de 
tonnes,  valant  près  de  230  millions  de  francs,  et 
cxploiiées  par  plus  de  cent  mille  ouvriers. 

Ces  raines  se  partagent  entre  trois  bassins,  ceux 


de  Mons,  de  Charleroi  et  do  Lirge,  qui  relient  le 
bassin  français  de  Valenciennes  à  celui  d'Aix-la- 
Clnqxille,  dans  la  Piusse  Illiénane  Les  couches  y 
sont  très  nombreuses  et  fournissent  des  charbons 
de  variétés  très  diverses,  convenant  à  tous  les 
genres  d'industrie. 

Mines  méttdliques.  —  On  trouve  aussi  en  Bel- 
gique des  minerais  de  fer,  de  plomb  et  de  zinc. 
Ces  derniers  forment  à  Moresnet,  sur  la  limite  de 
la  province  de  Liège  et  de  la  Prusse  Rhénane,  le 
gîte  célèbre  de  la  Vieille- Montagne. 

Carrières.  —  25,000  ouvriers  exploitent  20P0  car- 
rières dont  les  produits  sont  estimés  Ji  une  quaran- 
taine de  millions.  Les  plus  recherchés  sont  les 
marbres  noirs  de  Nuinw,  les  marbres  gris  et 
blancs  de  Sainte-.-ltme,  près  de  Thuiii  (sur  la  Sam- 
bre, entre  Charleroi  et  la  frontière  française),  et 
les  pierres  calcaires  d'un  gris  bleuâtre  tirées  des 
environs  do  Soigriies  (entre  Bruxelles  et  Mons),  qui 
sont  employées  ;\  Bruxelles  pour  les  constructions 
de  luxe. 

Industrie.  —  Grâce  k  l'abondance  de  la  houille 
et  à  la  facilité  des  transports,  l'industrie  est  fort 
développée  en  Belgique. 

Usines  métallurgiques  et  verrerifs.  —  Un  grand 
nombre  de  hauts-fourneaux,  de  fonderies,  do  fa- 
briques de  fer  et  d'usines  i  ouvrer  le  fer,  sont 
groupées  autour  des  puits  de  mines,  ou  au  milieu 
des  forêts  des  Ardennes,  où  le  charbon  de  bois 
leur  sert  de  combustible.  Liège  est  renommé 
depuis  fort  longtemps  pour  ses  fabriques  d'armes, 
dont  les  produits  sont  exportés  dans  le  monde 
entier.  Les  usines  de  Serning,  situées  sur  les 
bords  de  la  Meuse,  à  quohiues  kilum.  en  amont 
de  cette  ville,  fabriquent  des  machines  ;  Hriixelles, 
des  voitures  et  du  matériel  do  chemin  de  fer. 
La  clouterie  est  très  répandue  dans  les  environs 
de  Charleroi  et  de  Liège;  les  verreries  groupées 
autour  de  Mons  et  de  Charleroi  fabriquent  chaque 
année  pour  une  quarantaine  de  millions  de  pro- 
duits. 

Les  établissements  de  la  Vieille-Montag7te, 
situés  aux  portes  de  Liège,  traitent  une  très  grande 
quantité  de  minerais  de  zinc  apportés  d'Espagne, 
de  Sardaigne  et  autres  provenances,  et  livrent  cft 
métal  au  commerce  sous  toutes  les  formes  que 
réclame  l'industrie. 

Enfin  il  y  a  aussi  en  Belgique  des  aciéries  et 
des  usines  à  cuivre  ou  à  plomb,  des  faïenceries  et 
des  fabriques  de  glaces  rivales  de  celles  de  Sainl- 
Gobain. 

Manufactures.  Etoffes  de  laine.  —  Le  travail 
de  la  laine  a  fait  la  fortune  de  la  Flandre  au  xii"  et 
au  xiii'=  siècle.  Aujourd'hui  son  centre  est  à  Vfr- 
viers,  entre  Liège  et  Aix-la-Chapelle.  Les  fils,  les 
draps  et  autres  étoffes  de  laine,  atteignent  annuel- 
lement une  valeur  de  80  i.  lOu  millions.  Les  tapis 
de  Hriixelles  étaient  autrefois  très  renommés; 
aujourd'hui  ceux  de  Tournaij,  et  surtout  de  Mati- 
nes, sont  magnifiques. 

Toiles  et  dentelles.  —  C'est  l'industrie  qui  oc- 
cupe le  plus  grand  nombre  de  bras.  Le  lin  n'est 
plus  file  seulement  à  la  main,  mais  aussi  à  la  ma- 
chine, et  sort  h.  fabriquer  des  toiles  fines  et  des 
dentelles.  Il  y  a  au  moins  100,000  femmes  occu- 
pées comme  dentellières.  C'est  un  métier  qui  no 
rapporte  que  quelques  sous  par  jour,  mais  auquel 
s'emploient  avec  succès  les  mains  les  plusdébiles, 
les  enfants,  les  femmes  âgées  ou  infirmes,  et  qui 
peut  s'allier  aux  soins  du  ménage  et  aux  travaux 
des  champs.  Bruxelles,  Ypres  et  Matines  sont 
les  principaux  centres  de  fabrication. 

Filatures  de  colon.  —  Gand  a  des  filatures  mé- 
caniques pour  travailler  le  coton  d'Amérique. 

Canaux  et  chemins  de  fer.  —  La  Belgique  jouit 
d'un  réseau  étendu  de  voies  navigables,  1,000  kilom. 
sur  les  rivières  naturelles  :  des  canaux  profonds 
donnent  accès  aux  navires  do  mer  jusqu'à  Gand> 


BliLGlOUl::  —  i: 

Bruxelles  et  Malines.  Des  canaux  ordinaires  relient 
entre  eux  la  Meuse  et  l'Escaut  à  travers  la  Cam- 
pine,  sillonnent  les  Flandres  et  le  Hainaut,  et  se 
rattachent  i  ceux  du  nord  de  la  France. 

La  Belgique  est  en  tête  de  tous  les  Etats  de 
l'Europe  sous  le  rapport  du  développement  des 
chemins  de  fer,  comparé  à  la  superficie  du  terri- 
toire qu'ils  desservent.  A  la  fin  de  1870,  le  réseau 
comprenait  3,589  kilom.en  exploitation,  ou  1,218  ki- 
lom.  en  moyenne  par  lO.OÛD  kilom.  de  superficie. 
C'est  trois  fois  autant  qu'en  France,  à  surface 
égale.  La  Grande-Bretagne  elle-même  n'est  pas 
aussi  bien  desservie. 

Ports  et  commeri  e  maritime.  —  La  côte  de  la 
mer  du  Nord  est  basse,  sablonneuse,  et  le  vent  y 
accumule  des  r/iufs,  dont  le  progrès  incessant 
vers  l'intérieur  menaçait  le  pays  tant  qu'on  ne 
les  eut  pas  fixées  par  des  plantations  comme  dans 
nos  landes  de  Gascogne.  Le  seul  port  est  Ostem/e, 
plutôt  fréquenté  comme  séjour  de  bains  de  mer 
que  comme  port  de  commerce.  C'est  le  point  de 
départ  de  paquebots  pour  l'Angleterre,  et  ses 
parcs  aux  huîtres  engraissent  des  mollusques 
péchés  sur  les  cotes  d'.\ngleterre  et  fort  appré- 
ciés des  gourmets. 

.'hivers  est  en  réalité  le  seul  port  de  commerce 
de  la  Belgique.  Ses  armateurs  ne  possèdent  encore 
qu'une  flotte  assez  faible.  Mais  le  trafic  fait  d'énor- 
mes progrès  depuis  quelques  années,  .envers 
reçoit  non-seulement  les  laines  de  la  Plata  ou  de 
r.iustralie  qui  doivent  alimenter  les  métiers  de 
Verviers,  mais  les  matières  premières  que  récla- 
ment les  filatures  de  la  Prusse  Rhénane,  de  la 
Suisse  et  de  l'Alsace.  De  ce  côté,  il  fait  concur- 
rence à  notre  port  du  Havre,  qu'il  dépasse  main- 
tenant en  importance.  Anvers  est  en  outre  le 
premier  entrepôt  de  l'Europe  pour  l'iiuile  de  pé- 
trole, très  répandue  comme  mode  d'éclairage  dans 
.l'Europe  centrale.  Chaque  année  il  entre  dans  le 
port  d'Anvers  0000  navires  et  plus  de  2  millions 
de  tonnes  de  marchandises.  Et  ces  navires  trou- 
vent dans  les  houilles  et  les  produits  de  l'indus- 
trie belge  un  fret  avantageux  de  retour. 

Commerce  tntal.  —  Tant  en  importation  et 
exportation  pour  son  propre  compte,  qu'en  com- 
merce de  transit,  la  lîelgique  fait  cliaque  année 
pour  i  milliards  et  demi  d'affaires.  C'est  un  des 
pays  du  monde  les  plus  actifs  sous  ce  rapport  ; 
aussi  est-ce  celui  où  les  lignes  télégraphiques 
sont  le  plus  multipliées  et  celui  où  la  correspon- 
dance est  le  plus  active  et  desservie  par  le  plus 
grand  nombre  de  bureaux  de  poste. 

C'est  avec  la  France  que  la  Belgique  fait  le  plus 
d'affaires  ;  le  tiers  de  son  commerce  extérieur  est 
dirigé  de  ce  côté.  Puis  viennent  l'Angleterre,  la 
Hollande,  l'Allemagne,  la  Russie,  les  Etats-Unis 
d'Amérique. 

A  l'importation,  ce  sont  les  objets  de  consomma- 
tion, les  textiles  comme  le  coton,  la  laine,  le  chan- 
vre, et  les  métaux,  qui  l'emportent  en  importance. 
A  l'exportation,  ce  sont  la  houille  et  les  objets 
manufacturés. 

ni.  GÉOGRAPHIE  POLITIQUE.  —  Ethnographie. 
Les  Belges  appartiennent  à  deux  races  distinctes, 
les  Flnnands  et  les  Wallons.  Les  premiers  oc- 
cupent les  Flandres,  la  province  d'Anvers,  le 
Limbourg,  et  le  nord  du  Brabant;  les  Wallons, 
le  reste  du  pays,  sauf  quelques  cantons  voisins 
de  la  frontière  prussienne  habités  par  des  Alle- 
mands. 

Les  Wallons  sont  les  descendants  de  ces  anciens 
Belges  qui  combattirent  contre  César,  et  dont  la 
nationalité  s'est  mieux  conservée  sur  les  plateaux 
de  l'Ardenne  que  dans  les  plaines  ouvertes  de  la 
Flandre.  Leur  langage  se  rapproche  du  patois  du  j 
nord  de  la  France.  t 

Les  Flamands  au  contraire  sont  arrivés  à  la 
suite  des   invasions  germaniques,  et  leur  langue  I 


S!^  —  BELGIQUE 

se  rapproche  du  hollandais  et  dos  autres  langues 
de  même  origine. 

Les  Wallons,  moins  nombreux  que  les  Flamands, 
forment  4";  "/„  de  la  population,  les  Flamands 
h'i  "  „,  et  les  ,\llemands  1  %  seulement. 

C'est  dans  le  Luxembourg  et  les  pays  wallons 
en  général  que  l'instruction  est  le  plus  répan- 
due. 

Gouvernement.  —  et  Les  Belges  sont  tous  égaux 
devant  la  loi  ;  trncs  les  pouvoirs  émanent  de  ta 
nation.  »  Telle  était  l'inscription  placée  à  l'entréa 
du  pavillon  belge  de  l'Exposition  universelle 
de  l,s7S,  et  qui  donne  une  idée  exacte  de  ce 
gowvernomeM  monarchique  mais  strictement /«>•- 
/emenlaire.  Il  y  a  deux  chambres  législatives,  le 
sénrit  et  la  clmmljre  îles  représentants,  nommées 
dans  des  conditions  différentes  par  les  élec- 
teurs. 

Administration.  —  Le  royaume  est  partagé  en 
9  provinces  :  les  deux  Flandres,  le  Brabant,  le  Hai- 
naut, le  Luxembourg,  le  Limbourg,  Anvers,  Na- 
mur  et  Liège.  Ces  provinces  se  subdivisent  en 
arrondissements. 

Dans  chaque  province,  il  y  a  un  conseil  provin- 
cial è\u,  présidé  par  le  gouverneur  de  la  province, 
que  nomme  le  roi.  Celui-ci  choisit  aussi  le  cnm- 
missnire  qui  administre  l'arrondissement.  Chaque 
commune  a  un  conseil  communal  analogue  i  nos 
conseils  municipaux. 

Pour  aucune  élection,  le  suffrage  n'est  univer- 
sel, et  les  conditions  à  remplir  sont  plus  restricti- 
ves pour  être  électeur  provincial  qu'électeur 
communal,  et  pour  prendre  part  aux  élections  lé- 
gislatives que  pour  participer  à  celles  de  la 
province. 

Rel:gion.  —  Les  Belges  sont  presque  tous  ca- 
tholiques. Malines  est  la  résidence  du  primat  de 
Belgique. 

Universités.  —  Gand  et  Lièi/e  sont  l'une  et 
l'autre  sièges  d'une  université  de  l'Etat.  Il  y  a  dos 
universités  libres  à  Bruxelles  et  Jt  Louvain. 

Grandes  villes.  —  Briurelles  renferme  18u  000  ha- 
bitants et  plus  du  double  avec  les  faubourgs  qui 
l'avoisinenf,  .invers,  160O00;  Gand,  130  000; 
Liège,  120  000.  L'industrie  et  le  commerce  font 
l'importance  et  la  prospérité  de  ces  villes.  Mais 
bien  différentes  des  agglomérations  d'usines  et  de 
fabriques  que  l'on  trouve  en  Angleterre,  par 
exemple,  elles  sont  pleines  de  monuments  curieux 
qui  témoignent  du  génie  artistique  îles  Flamands 
et  de  l'antique  prospérité  du  pays.  Les  hôtels  de 
ville  de  Louvain  et  de  Bruxelles,  les  cathédrales 
A'.lnvtrs  et  de  Bruxelles  sont  les  plus  remarqua- 
bles de  ces  monuments,  et  les  musées  i' Anvers  et 
de  Bruxelles  renferment  les  galeries  les  plus  ri- 
ches en  chefs-d'œuvre. 

Souvenirs  historiques.  —  Sous  le  règne  de 
Louis  XI'V,  la  Belgique  a  été  souvent  le  théâtre  de 
la  lutte  entre  les  armées  de  la  France,  de  la 
Hollande  et  de  l'Allemagne.  Il  n'y  a  presque  pas 
de  ville  de  Flandre  ou  de  Hainaut  qui  n'ait  été 
assiégée  quelquefois  à  plusieurs  reprises  dans  le 
cours  d'une  même  campagne.  Plus  tard,  notre 
drapeau  s'est  montré  à  Fontenoy,  près  de  Tournay, 
à  Jemniapes,  près  de  Mons,  à  Fleurus,  entre 
Charleroi  et  Namur,  à  Waterloo,  à,  quelques  lieues 
au  sud  de  Bruxelles. 

Sous  le  rapport  des  curiosités  pittoresques,  ce 
sont  les  bords  de  la  Meuse,  et  les  environs  de 
Spa,  au  sud  de  Verviers,  qui  attirent  le  plus  les 
visiteurs.  [G-  .Meissas.] 

BELGIQUE  fHisTomE).  —  Histoire  générale, 
XXXI.  —  Lu  Belgique  dans  l'antiquité  et  au  moyen 
âge.  —  Le  pays  dans  lequel  pénétrèrent  les  ar- 
mées romaines  en  l'an  59  avant  J.-C.  se  sub- 
divisait en  trois  parties  bien  distinctes  :  la  tasse 
Belgique,  continuellement  inondée,  par  consé- 
quent marécageuse  ;  puis,  au  nord  de  la  Sambro  ci 


BELGIQUE 


—  2380 


BELGIQUE 


do  la  Moiiso,  une  suito  de  plateaux  fertiles;  et  au 
sud,  la  foret  d'Ardoiinc,  avec  son  sol  profondé- 
ment tourmenté.  Ce  ne  fut  pas  sans  peine  que 
César  parvint  à  souniotlro  les  divers  peuples  de 
la  Gaule  septeûtrionale  ;  ce  n'est  que  sous  Au- 
guste (Î7)  que  la  Belgique  devint  une  province 
de  l'empire.  Les  peuples  do  la  partie  nord,  par  la 
nature  même  du  sol,  ijui  rendait  dilTicile  l'accès  do 
leur  contrée,  subirent  moins  l'influence  romaine  que 
leurs  frèresdu  midi.  Ils  conservèrent  le  langage  et 
les  coutumes  germaniques  :  ce  sont  les  popula- 
tions flamandes'.  Les  autres,  au  contraire,  dont  le 
territoire  était  fertile,  se  trouvaient  plus  en  con- 
tact avec  les  conquérants,  et  la  langue  latine,  dont 
l'emploi  se  généralisa  dans  certaines  parties, 
devint  en  se  corrompant  l'idiome  wallon,  encore 
en  usage  dans  les  provinces  méridionales.  Apres 
Constantin,  la  Belgique  subit  le  son  des  autres 
provinces  de  l'empire  :  elle  eut  à  soutVrir  des  inva- 
sions successives  des  Francs,  des  Vandales  et  des 
Huns,  qui  la  couvrirent  de  ruines  etde  dévasta- 
tions. Le  nord  pourtant  avait  été  privilégié  ;  la 
pauvreté  de  son  sol  l'avait  préservé  de  trop  de 
ravages;  des  villes  s'y  élevaient,  nombreuses  et 
importantes:  Gand,  Bruges,  Courtrai,  Anvers; 
des  digues  retenaient  les  eau.x,  l'agriculturo  pre- 
nait des  développements  remarquables.  Au  milieu 
du  VII'  siècle,  le  cliristianismo  s'implanta  dans  le 
pays,  et  devint,  mais  très  lentement,  le  culte  de 
la  généralité  des  habitants  sous  la  domination 
franque  ;  de  petites  seigneuries  s'établissaient 
déjà,  germes  du  régime  féodal.  L'œuvre  de  légis- 
lation de  Cliarlemagiie  s'appliqua  ;"i  la  Belgique;  la 
coutume  germanique  dont  elle  s'inspirait  y  avait 
d'ailleurs  toujours  été  en  vigueur,  malgré  la  do- 
mination romaine.  Aussi  le  régime  féodal  n'y  fut- 
il  pas  aussioppressif  qu'en  France  ;i  cette  époque, 
avec  une  population  quasi-sauvage,  possédée  d'une 
soif  ardente  de  liberté,  il  s'était  établi  un  régime  re- 
lativement doux.  Lors  du  démembrement  de  l'em- 
pire franc  après  Louis  le  Débonnaire,  la  Belgique  se 
divisa  en  souverainetés  vassales  de  la  France  et 
de  l'Allemagne.  Les  principales  étaient  la  Flan- 
dre, h  l'ouest  de  l'Escaut,  cl  la  Lotharingie  i  l'est. 
La  Flandre  prit  rapidement  un  développement  re- 
marquable; l'industrie,  le  commerce  y  étaient  des 
plus  florissants.  Bruges  était  le  centre  d'un 
mouvement  commercial  des  plus  actifs,  et  sa  bour- 
geoisie, puissante  et  riche,  donna  plus  d'une  fois 
de  l'ombrage  aux  souverains.  Toutes  les  villes 
avaient  de  nombreux  privilèges,  les  communes 
flamandes  jouissaient  de  libertés  très  étendues  ; 
la  paix,  suite  de  ce  régime,  favorisait  le  libre 
exercice  du  commerce  et  il  en  résultait  une  pros- 
périté qui  k  cette  époque  excitait  bien  dos  jalou- 
sies. La  Lotharingie  ne  partagea  pa%if  e  sort  favo- 
risé ;  des  guerres  fréquentes,  causées  par  les 
tentatives  des  ducs  de  se  rendre  indépendants,  les 
luttes  pour  la  suzeraineté  entre  la  France  et  l'Al- 
lemagne, désolèrent  le  pays.  La  Lotharingie  fut 
divisée  en  deux  parties  :  la  Haute  et  la  Basse- 
Lorraino  ;  la  Basse-Lorraine  devint  aussi  J'objet 
de  coinpétitions  armées  de  la  France  et  de  l'Em- 
pire. En  1071,  après  la  bataille  de  Cassel,  le  comté 
de  Flandre  fut  subdivisé  en  comtés  de  Flandre  et 
du  Hainaut.  Par  contre,  les  petites  souverainetés 
se  groupaient  petit  à  petit,  de  façon  à  former  de 
petits  Etats  ;  une  sorte  de  sélection  s'opérait,  les 
plus  forts  absorbant  les  plus  faibles.  Les  seigneu- 
ries brabançonnes  se  réunissaient  et  formaient 
un  comté  sous  Henri  UI;  Liège  se  développait  et 
devenait  une  puissance,  Anvers  et  Namur  com- 
mençaient à  devenir  importants.  Les  croisades 
cntralnèrentvers  la  Palestine  nombre  de  seigneurs, 
notamment  Godefroid  de  Bouillon,  duc  de  Lotha- 
ringie et  chef  de  la  première  croisade.  Beaucoup 
de  communes  en  profitèrent  pour  augmenter  leurs 
franchises,  'foute  la  période  féodale  est  pleine  de 


guerres  suscitées  par  les  ambitions  des  différents 
princes  souverains  (|ui  se  partageaient  la  Belgi- 
que ;  les  successions  étaient  des  sujets  de  guerres 
continuelles  et  de  ravages.  Certaines  périodes  de 
paix  venaient  interrompre  de  temps  en  temps  ces 
périodes  troublées,  et  telle  était  la  puissance 
productive  du  pays  que  ces  éclaircies  pacifiques 
suffisaient  pour  lui  permettre  d'accroître  sa  ri- 
chesse et  sa  population.  Les  libertés  traditionnelles 
étaient  d'ailleurs  scrupuleusement  respectées  par 
les  princes;  certains,  dont  l'origine  étrangère 
expliquait  l'ignorance  des  traits  caractéristiques 
de  l'esprit  flamand,  si  ombrageux,  payèrent  cher 
les  tentatives  de  restreindre  ces  privilèges.  Guil- 
laume de  Normandie,  qui  vit  les  Flamands  se- 
couer son  joug  et  qui  fut  tué  au  siège  d'Alost,  en 
est  une  preuve.  Le  communes  flamandes  se  com- 
posaient d'une  série  de  corporations  appelées  jî/'/es, 
conjurations,  sermeuls,  associations  bourgeoises 
organisées  inilUaiiemeut  pour  la  défense  du  droit 
commun,  de  la  liberté  individuelle,  pour  l'indé- 
pendance de  la  commune,  avec  et  au  besoin  contre 
le  prince.  L'origine  des  communes  en  Belgique 
ne  peut  être  déterminée  ;  sous  Charlemagne  déjà, 
on  constate  l'existence  de  groupes  semblables, 
mais  leur  pleine  efflorescence  est  au  xiv"  siècle. 
A  Gand,  notamment,  sous  l'influence  de  Jacques 
van  Artevelde  la  commune  était  devenue  démo- 
cratique ;  elle  signait  des  traites  do  commerce  avec 
le  roi  d'Angleterre  et  négociait  de  puissance  k 
puissance  avec  le  comte  de  Flandre.  Los  commu- 
nes tinrent  tôte  à  des  souverains  étrangers  et 
souvent  avec  succès  ;  nous  avons  cité  plus  haut  la 
bataille  de  Cassel  ;  la  bataille  de  Courtrai,  dite 
des  Eperom  d  or  {liOt),  en  est  un  autre  exem- 
ple :  les  Français  y  laissèrent  sur  le  terrain 
700  gentilshommes.  La  décadence  de  la  puissance 
communale  date  de  la  bataille  de  Gaord  (1453), 
sous    la    maison  de  Bourgogne. 

Maison  de  Botuijoipie.  —  Par  les  alliances  et 
les  héritages,  les  provinces  vinrent  en  peu  de 
temps  se  grouper  sous  la  domination  des  ducs  de 
Bourgogne.  Ce  fut  alors  une  lutte  permaneiite 
entre  le  pouvoir  souverain,  s'efi'orçant  de  restrein- 
dre les  privilèges  des  communes,  et  les  bour- 
geoisies combattant,  se  révoltant,  réclamant  pour 
le  maintien  de  leurs  franchises.  Philippe  le  Hardi, 
Jean  Sans-Peur,  Philippe  le  Bon,  Charles  le  Jé- 
méraire  ne  se  crurent  d'autre  mission  que  d'éga- 
liser sous  le  joug  les  différents  Etats  qu'ils  possé- 
daient en  Belgique.  Si  cette  unification  pouvait 
constituer,  au  point  de  vue  de  la  politique  exté- 
rieure, une  plus  grande  garantie,  un  accroissement 
de  puissance,  par  contre  les  libertés  intérieures 
furent  sérieusement  compromises. 

Maison  d'Autriche  —  A  la  mort  de  Marie  de 
Bourgogne,  fille  de  Charles  le  Téméraire,  Phi- 
lippe le  Beau  loi  succéda  sous  la  tutelle  de 
Maximilien  d'Autriche.  Peu  de  temps  après,  Phi- 
lippe devint  roi  de  Castille  et  d'Aragon.  Le  règne 
de,Cliarles-Quint,  son  fils,  fut  brillant  et  prospère; 
soûs  l'influence  de  la  régente,  Marguerite  d'Au- 
triche, les  arts  atteignirent  un  haut  degré  de 
splendeur,  les  richesses  matérielles  du  pays  se 
développèrent  dans  de  fortes  proportions.  Marie 
de  Hongrie  succéda  à  Marguerite  d'Autriche,  mais 
n'eut  pas  ses  précieuses  qualités.  Une  révolte  des 
Gantois,  qui  avaient  tenté  de  s'affranchir  du  pou- 
voir de  l'empereur,  fut  sévèrement  réprimée  par 
Charles-Quint  qui  fit  durement  expier  k  ses  com- 
patriotes leur  esprit  de  mutinerie.  Tout  en  ren- 
forçant le  pouvoir  du  souverain,  Charles  aimait 
son  pays  flamand  et  il  en  était  fier  ;  à  part  le  châ- 
timent infligé  à  Gand,  il  fut  modéré  dans  la  plu- 
part des  mesures  qu'il  eut  k  prendre. 

Domination  espagnole.  —  Cette  fois,  c'était  bien 
la  domination  étrangère  ;  le  règne  de  Philippe  II 
est  une  sombre  page  de  l'histoire  belge.  Monarque 


BELGIQUE 


2390 


BELGIQUE 


cruel,  despote  et  fanatique,  Espagnol  de  cœur  et 
d'àiiic,  il  li:iit  les  Pays-Bas  où  vit  encore  un 
soufili;  de  liberté;  où  le»  idées  de  la  Réforme 
trouvent  un  terrain  propice,  où  des  Ujoeurs,  du  lan- 
gage, rien  n'est  espagnol,  cù  l'on  ose  demander 
enfin  le  renvoi  de  la  soldatesque  castillane.  11  char- 
gea Marguerite  de  Parme,  sa  sœur  naturelle,  du 
gouvernement  des  provinces.  Les  édits  coiUre  les 
protestants  soulevèrent  de  vives  réclamations  ; 
une  opposition  se  forma,  ajant  à  sa  tête  Guillaume 
de  Nassau,  dit  le  Taciturne  ;  des  troubles  éclatè- 
rent, et  sous  le  nom  de  Gueux,  qu'on  leur  avait 
inflige  en  signe  de  mépris,  mais  qu'ils  avaient 
adopté,  les  mécontents  prirent  les  armes.  Philippe 
envoya  le  duc  d'Albe  pour  réprimer  la  révolte;  le 
duc  institua  un  Conseil  des  troubles,  que  l'on  ap- 
pela biejitôt  le  Trilmual  rie  sntjij  ;  ce  fut  le  règne  de 
la  terreur;  les  exécutions,  les  proscriptions  déci- 
mèrent la  population,  les  lourdes  taxes  écrasèrent 
le  peuple.  Sans  la  Saint-Barihélemy,  qui  empêcha 
les  calvinistes  fra.nçais  de  venir  au  secours  de 
Louis  de  Nassau,  déjà  maître  de  Valenciennes 
et  de  Mons  tandis  que  les  gueux  de  mer  pre- 
naient le  port  de  la  Griclle,  d'Albe  voyait  triom- 
pher la  révolte.  Les  atrocités  redoublèrent  et  les 
Pays-Bas  furent  le  théâtre  de  tueries  effroyables, 
qui  parvenaient  à  peine  h  assouvir  la  soif  de  ven- 
geance du  sectaire  espagnol.  Philippe  II  jugea 
lui-même  que  c'en  était  trop  et  il  rappela  le  duc 
«  de  sang  v.  Louis  de  Requesensle  remplaça  ( là" 3  ; 
ce  fut  un  répit.  Après  sa  mort,  les  excès  ae  la  sol- 
datesque étrangère  provoquèrent  une  alliance 
entre  les  Etats  des  dix-sept  provinces  ;  l'acte  prit  le 
nom  de  Pacification  di  Gand  (1576).  Dès  l.>77,  les 
Espagnols  étaient  chassés  de  la  plus  grandi;  partie 
du  territoire  ;  mais  ils  reconquirent  bientùt  les 
provinces  belgiques,  grâce  aux  divisions  qui  affai- 
blirent les  confédérés.  Les  provinces  septentrio- 
nales seules  demeurèrent  indépendantes.  Le  règne 
d'.\lbert  et  d'Isabelle  (I39Ô-163-3)  permit  au  pays 
de  réparer  ses  désastres  ;  le  calme  et  l'ordre 
furent  rétablis.  Mais  en  1G6G,  Louis  XIV  entreprit 
la  conquête  de  la  Belgique  ;  la  ligue  des  puissances 
voisines  l'arrêta,  et  il  signa  le  traité  d'Aix-la-Chapelle 
qui  annexait  seulement  Ji  la  France  une  partie  de 
la  Flandre  et  du  Hainaut.  La  guerre  recommença 
peu  après  et  fut  terminée  par  le  bombardement 
de  Bruxelles  et  la  pais  de  Ryswyck  (1097^. 

Domination  autrichienne.  — La  guerre  de  la  suc- 
cession d'Espagne  fit  passer  la  Belgique  sous  la  do- 
mminaiion  de  l'Autriche  (17 1 5).  Le  règne  de  Marie- 
Thérèse,  l'administration  du  comte  de  Cobentzel 
et  de  Charles  de  Lorraine  furent  éminemment 
favorablesâla  iielgii|ue  :  l'ordre  fut  rétabli  dans  les 
finances;  les  arts,  l'industrie,  le  commerce  furent 
encouragés  d'une  façon  judicieuse  par  le  gouver- 
nement, les  libertés  publiques  furent  étendues. 
La  principauté  de  Liège,  qui  était  demeurée  indé- 
pendante, se  trouvait  également  dans  une  période 
de  calme  et  de  progrès.  L'empereur  Joseph  II, 
esprit  large,  ami  des  idées  libérales  dont  les  phi- 
losophes français  s'étaient  faits  les  apôtres,  eut  le 
tort  de  vouloir  implanter  tout  d'une  pièce  des  insti- 
tutions nouvelles  chez  un  peuple  encore  imbu  des 
traditions,  se  défiant  de  tout  ce  qui  venait  de  l'é- 
tranger et  fort  respectueux  de  la  foi  de  ses  an- 
cêtres. L'empereur  s'irrita  des  résistances  et 
voulut  employer  la  force.  Ce  fut  assez  pour  pro- 
voquer une  révolution  :  un  congrès  se  réunit  h 
Bruxelles  (17UUi  et  proclama  l'indépendance  des 
Etat^-li^li/irju':s-Unis.  La  division,  cette  fois  en- 
core, se  mit  bientôt  entre  les  libéraux  et  ceux 
qui  voulaient  simplement  rétablir  les  institutions 
traditionnelles,  et  le  pays  retomba  aux  mains  du 
pouvoir  impérial.  La  Belgique  se  trouva  être,  en 
1792  ell79;i,  le  théâtre  delà  guerre  déclarée 
par  les  puissances  européennes  à  la  République 
française.  La  Convention  déclara  la  Belgique  an- 


nexée à  la  France  le  23  pluviôse  an  III  (1795),  et 
le  traité  de  Campo-Formio  confirma  cette  déci- 
sion. Le  peuple  belg(ï  supportait  avec  impatience 
le  joug  français,  qui  s'imposait  cruellement  et 
ruinait  le  pays  par  ses  exigences.  Les  Français 
y  vivaient  comme  en  pays  conquis,  et  les  plus 
dures  épreuves  ne  furent  pas  épargnées  à  la  po- 
pulation belge. 

iXapoléon  1"  eut  d'abord  une  certaine  popula- 
rité, mais  elle  fut  de  courte  durée,  et  son  despo- 
tisme, aggravé  par  ses  incessantes  demandes 
d'hommes  et  d'argent,  lui  aliéna  bientôt  les  es- 
prits. En  1815  enfin,  après  la  chute  de  l'empe- 
reur, le  congiès  de  Vienne  réunit  la  Belgique 
h  la  Hollande  sous  le  nom  de  royaume  des  Pays- 
Bas.  Ce  régime  nouveau  ne  sut  pas  se  créer  de 
sympathies;  le  roi  Guillaume  I"  ne  supportait 
qu'impatiemment  le  système  représentatif,  il  était 
peu  bienveillant  pour  les  Belges,  qui  de  leur 
côté  ne  l'aimaient  pas.  C'était  un  mariage  de  rai- 
son qui  ne  pouvait  longtemps  durer. 

La  lic/yicjue  contemporaine.  —  Les  derniers 
échos  des  journées  parisiennes  de  juillet  1830 
étaient  à  peine  éteints,  que  des  émeutes  écla- 
taient i  Bruxelles.  Le  régime  hollandais,  par 
ses  proscriptions,  ses  procès  de  presse,  ses  im- 
pôts vexatoires  et  son  intolérance  étroite,  avait 
violemment  froissé  la  population  belge.  Il  ne 
fallait  qu'une  occasion  pour  faire  éclater  le  mé- 
contentement, et  le  24  août,  au  sortir  d'une  re- 
présentation de  la  Muette  île  Portici,  eut  lieu  le 
premier  soulèvement.  Le  lendemain,  le  vieux 
drapeau  brabançon  flottait  sur  l'hôtel  de  ville 
de  Bruxelles,  des  collisions  saniïlantes  avaient 
lieu  entre  les  troupes  hollandaises  et  le  popu- 
laire, la  révolution  commençait.  Des  tentatives 
de  conciliation  furent  repoussées  d'une  façon  hau- 
taine par  le  roi  Guillaume,  le  combat  s'engagea 
dans  Bruxelles  et  dura  quatre  jours;  les  iroupes 
royales  durent  se  retirer.  Un  gouvernement  pro- 
visoire fut  installé  et  décréta  l'indépendance  de 
la  Belgique;  dès  le  10  octobre,  il  proclama  les 
quatre  grandes  libertés  qui  allaient  devenir  les 
bases  du  régime  constitutionnel  de  la  Belgique  : 
liberté  de  la  presse,  des  cultes,  d'association  et 
d'enseignement. 

Le  gouvernement  provisoire  déploya  une  éner- 
gie et  une  activité  remarquables.  11  envoya  des 
représentants  à  Londres  et  i  Paris  pour  défendre 
les  intérêts  du  pays,  et  lorsque,  le  10  novembre,  il 
se  présenta  de  nouveau  devant  le  Congrès  national, 
il  eut  l'honneur  de  lui  annoncer  que  les  troupes 
étrangères  avaient  presque  entièrement  évacué 
le  sol  belge. 

Le  Congrès  se  sépara  le  21  juillet  1831,  après 
avoir  élaboré  une  constitution  inspirée  d'un  ar- 
dent amour  pour  la  liberté  et  dont  l'adoption,  à  cette 
époque,  pouvait  sembler  une  grande  hardiesse. 
Il  avait  choisi,  par  174  voix  contre  13,  la  monar- 
chie constitutionnelle  comme  forme  de  gouverne- 
ment. c(  Le  mécanisme  représentatif  établi  par  le 
Congrès  repose  sur  trois  pouvoirs  :  le  roi,  les 
Chambres,  les  ministres.  »  Le  roi  a  l'initiative, 
la  sanction  et  l'exécution  des  lois,  mais  il  ne  peut 
en  faire  sans  le  concours  des  Chambres,  ni  les 
exécuter  sans  le  contre- seing  des  ministres.  Ceux- 
ci  sont  nommés  et  révoqués  par  le  roi,  mais  res- 
ponsables devant  les  Chambres.  Le  pouvoir  légis- 
latif est  soumis  à  des  élections  fréquentes  qui 
permettent  de  consulter  le  pays  sur  la  direction 
des  afl"aires.  La  Chambre  des  représentants  est 
renouvelée  par  moitié  tous  les  deux  ans,  le  Sénat 
tous  les  quatre  ans. 

En  dehors  de  sa  tâche  de  Constituante,  le  Con- 
grès avait  combattu  pour  l'intégrité  du  ter- 
ritoire. En  novembie  1830,  les  représentants  des 
puissances  se  réunirent  à  Londres  et  se  consti- 
tuèrent   en    Conférence.   Les  premiers    combats 


BELGIQUE 


—  2391  — 


BELGIQUE 


avaient  été  lieureiix  pour  les  Belges  et,  hors  An- 
vers, Maestriclit  et  la  citadelle  do  Gand,  le  pays 
était  délivré  de  la  présence  des  Hollandais.  Grâce 
à  l'avènement  en  Angleterre  du  parti  wliig,  le  ca- 
binet de  Saint-James  se  montra  favorable  aux  in- 
térêts de  la  Belgique  au  sein  de  la  Conférence, 
et  le  30  décembre  l'indépendance  du  nouveau 
royaume  fut  reconnue  :  toutefois  le  protocole  du 
30  janvier  1831  indiquait  pour  bases  de  la  sépara- 
tion des  coiidiiioiis  si  avantageuses  pour  la  Hol- 
lande, que  cet  acte  diplomatique  souleva  dans  le 
Congrès  des  protestations  indignées  ;  ce  fut  au 
milieu  de  l'émotion  inspirée  par  le  danger  national 
que  le  prince  Léopold  de  Saxe-Cobourg  fut  élu 
roi  des  Belges.  De  nouvelles  négociations  furent 
entamées,  et  elles  aboutirent  à  la  rédaction  du 
traité  dit  des  Dix-huit  articles,  dont  les  condi- 
tions étaient  plus  avantageuses.  Ce  traité  fut 
adopté  au  Congrès,  après  une  discussion  violente, 
par  136  voix  contre  70. 

Le  roi  Léopold  I"  prit  possession  du  trône  le 
21  juillet  18.31. 

Mais  le  roi  do  Hollande  avait  refusé  son  adlié- 
sioii  au  traité  des  Dix-huit  articles,  et  le  2  août 
les  troupes  hollandaises  repassaient  la  frontière. 
Le  roi  Léopold  se  mit  k  la  tète  do  l'armée  et 
adressa  un  clialeureux  appel  aux  puissances.  Cet 
appel  fut  entendu  par  la  Franco,  et  une  armée  de 
50  000  hommes,  sous  le  commandement  du  maré- 
chal Gérard,  fut  envoyée  en  Belgique.  Cette  inter- 
vention et  celle  du  ministre  d'Angleterre  suffi- 
rent pour  mettre  fin  \  la  campagne,  qui  n'avait  pas 
été  favorable  aux  Belges.  Les  négociations  repri- 
rent pour  traîner  en  longueur,  grâce  au  mauvais 
vouloir  du  roi  de  Hollande,  qui  comptait  bien  pro- 
fiter de  ces  lenteurs  pour  ressaisir  certains  avan- 
tages. 

En  attendant,  comme  il  refusait  d'abandonner 
la  citadelle  d'Anvers,  l'armée  française  investit  la 
place  et  força,  après  trois  semaines  de  siège,  la 
garnison  hollandaise  h.  se  rendre. 

Un  nouveau  traité,  dit  des  Viiigt-quatre  arti- 
cles, qui  imposait  des  conditions  très  dures  h  la 
Belgique,  avait  été  accepté  avec  tristesse  par  les 
Chambres.  La  Conférence  de  Londres  se  réunit 
en  juillet  1833,  et  ce  ne  fut  que  le  14  mars  1838 
que  le  roi  Guillaume  accepta  la  convention  arrê- 
tée par  cette  réunion  diplomatique.  Le  lU  mars 
1839,  les  Chambres  belges  votaient  le  traité,  mal- 
gré une  opposition  violente,  que  les  conditions 
humiliantes  imposées  h  la  Belgique  pouvaient  tout 
au  moins  expliquer.  En  deliors  de  ces  questions  di- 
plomatiques, la  période  de  1830  à  18'iO  fut  toute 
d'organisation.  Les  législatures  qui  se  succédèrent 
eurent  à  voter  les  lois  organiques  du  pouvoir  judi- 
ciaire (4  août  1833),  de  l'enseignement  supérieur 
(27  sept.  U3d),  la  loi  communale  (30  mars  l83Gj 
et  la  loi  provinciale  (20  avril  183C)  ;  en  outre,  le 
1"  mai  1838,  les  Chambres  décrétaient  la  con- 
struction en  Belgique  des  premiers  chemins  de  fer 
du  continent. 

Au  sein  des  Chambres,  à  part  quelques  opinions 
extrêmes  qui  n'avaient  que  peu  de  représentants, 
l'union  avait  pu  se  maintenir  entre  les  éléments 
divers  qui  composaient  la  législature.  Le  péril 
national  contribuait  à  maintenir  serré  le  faisceau 
des  forces  qui  avaient  dirigé  la  révolution.  Des 
troubles,  dus  aux  menées  orangistes,  agitaient 
encore  le  pays,  les  troupes  étrangères  n'avaient  pas 
quitté  le  sol  belge,  il  y  avait  là  bien  des  inquiétu- 
des qui  devaient  faire  mettre  une  sourdine  aux  as- 
pirations des  partis.  Le  régime  de  liberté,  pro- 
clamé par  le  gouvernement  provisoire  et  confirmé 
par  le  Congrès,  était  l'œuvre  de  toutes  les  opi- 
nions. Le  parti  catholique  était  imbu  à  cette  épo- 
que des  idées  libérales  dont  Lamennais  et  Lacor- 
daire  s'étaient  faits  les  apôtres,  et  ainsi  s'explique 
comment  un  régime  éminemment  tolérant  et  res- . 


pectueux  de  la  liberté  avait  pu  s'établir  avec 
l'aide  de  l'opinion  catholique.  Cependant,  en  1833, 
la  publication  d'une  encyclique  de  Grégoire  XVI, 
analliémalisant  les  libertés  constitutionnelles  de  la 
Belgique,  puis  l'organisation  de  l'enseignement  offi- 
ciel, prescrit  par  la  constitution,  vinrent  jeter  les 
premiers  ferments  de  discorde  dans  cette  union, 
qui  était  plutôt  un  compromis  et  ne  pouvait  évi- 
demment durer. 

L'organisation  des  provinces  et  des  communes 
avait  été  conçue  dans  un  esprit  profondément 
libéral.  Le  pouvoir  central ,  sans  abandonner 
son  droit  en  ce  qui  touche  i  l'intérêt  géné- 
ral, laissait  aux  autorités  locales  pleine  latitude, 
pleine  liberté.  Un  détail  caractéristique,  c'est  l'in- 
dissolubilité des  conseils  provinciaux  et  commu- 
naux, qui  sont  l'expression  souveraine  de  l'auto- 
nomie des  pouvoirs  locaux.  La  scission  s'accen- 
tuait toujours  au  sein  de  l'ancienne  Union  de 
1838;  deux  grands  partis  se  constituaient  peu  à 
peu  :  les  libéraux  et  les  catholiques  ;  au  sein 
même  des  Chambres,  la  division  se  faisait  sentir. 
La  période  comprise  entre  1840  et  184G  fut  très 
incolore  :  ce  fut  la  fin  du  système  de  l'Union.  Dès 
1840,  le  cabinet  Lebeau,  composé  d'éléments  libé- 
raux, est  renversé  par  un  vote  du  Sénat.  Jl.  No- 
thomb  entreprit  de  composer  un  ministère  n  ixte  et 
de  gouverneren  dehors  detout  parti,  en  s'appuyant 
sur  une  majorité  de  centres,  et  en  évitant  soi- 
gneusement toute  lutte  de  principe.  Malheureuse- 
ment pour  l'éminent  chef  du  cabinet,  ce  n'était  là 
qu'une  théorie  peu  praticable,  on  le  lui  fit  bien 
voir.  Sa  politique  énervée  ne  lui  servit  qu'à  s'alié- 
ner les  deux  partis  et  à  ne  trouver  de  majorité 
nulle  part.  Au  début  de  la  session  de  1843-1 S43,  la 
Chambre  tout  entière  —  moins  les  ministres  — 
rejetait  un  article  du  budget  des  voies  et  moyens 
et  infligeait  un  vote  de  blâme  au  ministre  de  la 
guerre.  La  division  s'introduisait  d'ailleurs  dans 
le  cabinet,  et  l'on  vit  un  des  ministres,  Jl.  Des- 
champs, combattre,  dans  la  discussion  delà  loi  sur 
les  jurys  universitaires,  une  proposition  du  chef  du 
cabinet  et  emporter  le  vote  à  une  majorité  de  sept 
voix. 

En  1842,  la  loi  organique  de  l'enseignement 
primaire  avait  été  votée  par  une  sorte  do  compro- 
mis. Le  système  de  la  loi  comportait  les  princi- 
pes suivants  :  une  école  au  moins  par  commune, 
l'instruction  gratuite  aux  enfants  indigents,  l'édu- 
cation religieuse  portée  au  programme,  l'inspection 
civile  et  ecclésiastique,  l'intervention  de  l'Etat  et 
de  la  province  dans  les  frais  de  l'enseignement 
primaire,  la  faculté  de  l'Etat  d'adopter  des  écoles 
normales  privées.  Aux  élections  de  1845,  la  majo- 
rité mixte  ministérielle  fut  sérieusement  entamée 
et  le  cabinet  Nothomb  donna  sa  démission.  A  cha- 
que élection  d'ailleurs,  la  politique  accentuée  ga- 
gnait du  terrain,  la  lutte  se  posait  franchement 
entre  libérnux  et  catholiques.  Le  roi  cependant 
voulut  faire  une  dernière  tentative,  et  il  chargea 
M.  Vandeweyer  de  former  un  cabinet  unioniste. 
Mais  ce  dernier  jugea  lui-même  la  position  inte- 
nable, et  il  donna  sa  démission  au  bout  de  huit 
mois.  La  politique  mixte  était  morte. 

Un  cabinet  catholique  homogène  fut  constitué 
par  M.  do  Theux,  mais  il  se  sentait  si  peu  en  com- 
munauté d'idées  avec  le  pays  qu'il  fut  forcé  de  se 
borner  à  une  administration  d'affaires.  Le  parti  li- 
béral travaillait  à  se  constituer  et  à  composer  iin 
programme  politique  bien  déterminé.  Le  14  juin 
184G,  un  congrès  libéral  se  réunit  à  l'hôtel  de 
ville  de  Bruxelles  ;  il  se  composait  de  400  délégués 
des  associations  locales.  Le  programme  comprenait 
six  points  fondamentaux  :  1°  la  réforme  électorale 
par  l'abaissement  du  cens  et  l'adjonction  des  capa- 
cités au  taux  minimum  ;  2°  l'indépendance  réelle  du 
pouvoir  civil  ;  3°  l'organisation  d'un  enseignement 
officiel  absolument  laïque;  4°  le  retrait  dos  lois 


BELGIQUE 


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BELGIQUE 


réactionnaires  ;  5°  l'augmentation  du  nombre  des 
représentants  et  des  sénateurs  proportionnelle- 
ment à  la  population  ;  6"  l'amélioration  de  la  condi- 
tion des  classes  ouvrières  et  indigentes. 

Aux  élections  de  juin  1847,  le  parti  catliolique 
était  battu  dans  toutes  les  grandes  villes  et  le  mi- 
nistère se  retirait.  L'administration  libérale  qui 
succéda  au  ministère  de  Theux  eut  bientôt  à  lutter 
contre  une  des  crises  les  plus  violentes  que  la  Bel- 
gique ait  eu  à  subir.  La  révolution  de  1848  venait 
d'éclater  en  France,  elle  avait  eu  son  contre-coup 
en  Belgique  et  la  surexcitation  des  esprits  était 
extrême.  Cette  situation  se  compliquait  dune  crise 
alimentaire,  conséquence  de  mauvaises  récolles, 
et  d  une  crise  industrielle  désastreuse.  Le  mi- 
nistère prit  des  mesures  immédiates  pour  venir 
en  aide  à  la  classe  ouvrière  qui  avait  été  cruelle- 
ment éprouvée.  Ensuite,  sous  la  pression  de  l'opi- 
nion publique,  il  propose  et  fait  votera  la  Cham- 
bre l'abaissement  du  cens  législatif  à  20  florins 
(fr.  42,32);  les  lois  réactionnaires  de  1842  sur  la 
nomination  des  bourgmestres  et  le  fractionne- 
mentdes  communes  sont  rapportées,  la  garde  ci- 
vique est  organisée,  les  journaux  sont  atlrancliis 
du  timbre,  les  fonctions  salariées  de  l'Etat  sont  dé- 
clarées incompatibles  avec  le  mandat  parlemen- 
taire. Le  parti  catholique  avait  fait  trêve  à  la  lutte  ; 
soit  patriotisme  ou  peur,  il  soutint  le  ministère  li- 
béral pendant  la  période  aiguë  de  la  crise,  qui 
s'étendait  d'ailleurs  à  toute  l'Europe. 

Le  cabinet  du  12  août  1847  s'appliqua  surtout  h 
remettre  en  équilibre  la  situation  financière;  ildé- 
ploya  une  grande  activité  dans  l'élaboration  de 
réformes  économiques  :  abaissement  du  tarif  pos- 
tal, création  de  la  Banque  nationale  et  de  la  Caisse 
de  retraite,  établissement  des  télégraphes  électri- 
ques, création  de  l'impôt  sur  les  successions.  Le 
1"  juin  1S50  fut  votée  la  loi  de  l'enseignement 
moyen . 

Une  réaction  contre  les  idées  de  1848  se  faisait 
sentir  ;  le  coup  d'Etat  du  2  décembre  encouragea  le 
parti  conservateur  ;  il  y  eut  contre  le  libéralisme 
au  pouvoir  un  assaut  formidable,  encouragé  parla 
presse  bonapartiste  française,  qui  menaçait  la  Bel- 
gique d'une  invasion  si  le  cabinet  n'était  renversé. 
Les  libéraux  perdirent  douze  voix  aux  élections  de 
18.j4,et,  après  quelques  essais  malheureux  de  re- 
maniement, le  ministère  se  retira.  Un  cabinet  de 
transition,  qui  lui  succéda,  obtint  la  signature  du 
traité  de  commerce  franco-belge,  voulut  essayer 
de  ressusciter  la  politique  de  juste-milieu,  et  suc- 
coiuba.  M.  Dedecker  fut  alors  chargé  par  le  roi  de 
composer  un  ministore  catliolique.  En  18j6  eu- 
rent lieu  les  fêtes  du  24' anniversaire  de  la  fonda- 
tion de  la  dynastie  nationale.  Cet  anniversaire 
provoqua  un  grand  entliousiasme  dans  le  pays  ; 
le  ]iatriotisme  était  surexcité  par  les  menaces 
qui  venaient  du  côté  de  la  France  et  dont 
M.  Walewski,  au  Congres  de  Paris,  s'était  fait 
l'organe.  Cette  période  de  fête  eut  un  triste  lende- 
main pour  le  ministère.  L'opinion  catholique  s'ac- 
centuait de  plus  en  plus  et  se  renfermait  dans  un 
dogmatisme  intolérant,  les  évoques  lançaient  des 
mandements  violents  contre  l'enseignement  pu- 
blic, les  libertés  constitutionnelles  étaient  l'objet 
d'attaques  incessantes  dans  la  presse  ultramontaine. 
Le  catholicisme  modéré  se  transformait.  Cette  si- 
tuation avait  déjà  passionné  les  esprits,  mais  le 
mécontentement  devint  extrême  lorsque  le  minis- 
tère déposa,  le  29  janvier  18ôC,  un  projet  de  loi 
qui  permettait  d'autoriser,  par  simple  arrêté  royal, 
des  fondations  particulières,  indépendantes  des 
administrations  légales,  et  gérées  par  les  mem- 
bres de  la  famille  des  fondateurs  ou  par  les  titu- 
laires de  fonctions  civiles  ou  ecclésiastiques.  C'é- 
tait le  rétablissement  de  la  main-morte  en  faveur 
des  couvents. 

La  mise  en  discussion  de  cette  loi  (1857)  souleva 


une  émotion  indescriptible  dans  le  pays.  Des- 
manifestations hostiles  eurent  lieu  dans  toutes 
les  provinces  et  i  Bruxelles  notamment.  La  plu- 
part des  conseils  communaux  votèrent  des  adres- 
ses au  roi  pour  demander  le  retrait  de  la  loi.  Le 
ministère  fut  contraint  de  se  rallier  au  renvoi  du 
projet  de  loi  à  la  section  centrale  :  c'était  l'ajour- 
nement indéfini.  Aux  élections  communales  qui 
eurent  lieu  à  la  fin  de  l'année,  le  parti  libéral  ob- 
tint un  succès  éclatant,  et,  devant  cette  démonstra- 
tion de  l'opinion  publique,  le  ministère  donna  sa 
démission.  Un  cabinet  libéral  présida  à  la  disso- 
lution des  Chambres  ;  une  lutte  violente  s'engagea 
pendant  la  période  électorale.  Les  libéraux  obtin- 
rent un  succès  inespéré  :  ils  disposaient  d'une  ma- 
jorité de  'i'2  voix  à  la  Chambre.  Vn  nouvel  élément 
était  entré  dans  la  lutte  :  c'était  ce  qu'on  appelait 
alors  le  «  jeune  libéralisme  »  et  plus  tard  le  «  li- 
béralisme progressiste  u  ;  il  réclamait  l'exclusion 
du  prêtre  de  l'école,  l'instruction  obligatoire,  la 
réforme  électorale,  l'emploi  de  la  langue  flamande 
dans  les  documents  officiels,  h  l'égal  de  la  langue 
française,  la  réduction  des  dépenses  militaires.  A 
Bruxelles  surtout,  la  lutte  entre  les  deux  fractions 
du  parti  libéral  s'accentuait  de  jour  en  jour.  L'ad- 
ministration libérale  resta  au  pouvoir  jusqu'en 
1870.  On  lui  doit  les  fortifications  d'Anvers,  une- 
remarquable  série  de  réformes  économiques  :  l'a- 
bolition des  octrois  communaux  et  l'institution 
d'un  fonds  communal  (hSUO),  la  conclusion  de- 
traités  de  commerce  avec  la  France,  la  Suisse, 
l'Italie,  l'Espagne,  l'Angleterre,  les  Pays  Bas,  l'af- 
franchissement de  la  navigation  sur  l'Escaut  (1803),. 
la  suppression  des  barrières  sur  les  routes  de 
l'Etat,  l'abaissement  à  10  centimes  de  la  taxe  pos- 
tale à  l'intérieur  du  pays.  Sur  le  terrain  politique, 
on  reprochait  au  cabinet  sa  tolérance  excessive, 
son  inaction  dans  les  questions  d'enseignement, 
ses  résistances  aux  revendications  les  plus  modé- 
rées de  la  fraction  progressiste.  Le  ministère  li- 
béral succomba  aux  élections  de  1870. 

Notons  que  le  roi  Léopold  I"  était  mort  le- 
10  décembre  I8C5,  et  que  son  fils  Léopold  11  lui 
avait  succédé. 

La  guerre  franco-allemande  fut  un  sujet  d'inquié- 
tudes bien  justifiées  pour  le  nouveau  ministère  ca- 
tliolique de  M.d'Anethan.  La  neutralité  du  pays  fut 
sérieusement  menacée  :  les  armées  belligérantes  se 
heurtaient  aux  frontières  belges,  et  le  désastre  de  Se- 
dan vint  jeter  en  Belgique  une  partie  de  l'armée 
française  dispersée.  Ce  fut  toutefois  pour  tout  le 
pays  une  période  d'une  prospérité  exceptionnelle; 
le  commerce,  l'industrie  atteignirent  un  degré 
d'activité  que  l'on  eut  le  tort  de  croire  durable.  La 
réaction  vint  bientôt,  compliquée  de  désastres 
financiers  qui,  coup  sur  coup,  mirent  le  comble 
h  cette  situation  critique.  Un  des  premiers  actes 
du  ministère  fut  de  faire  voter  l'abaissement  du 
cens  pour  les  élections  provinciales  et  commu- 
nales (12  juin  1871).  Le  parti  libéral,  devenu  parti 
d'opposition,  s'unifia  bientôt,  et  travailla  a  l'éla- 
boration d'un  programme.  Le  cabinet  Malou  avait 
remplacé  l'administration  d'Anetlian,  tombée  à  la 
suite  d'émeutes  provoquées  par  la  nomination  au 
gouvernement  du  Linibourg  de  M.  Dedecker, 
gravement  compromis  dans  la  banqueroute  de  la 
banque  Laugrand.  Ce  fut  un  cabinet  d'afl'aires. 
Le  H  juin  1878,  la  lutte  électorale  donnait  la 
victoire  aux  libéraux.  Le  1"  juillet  1879,  après 
une  discussion  longue  et  passionnée,  la  nouvelle 
loi  organique  de  l'enseignement  primairo  fut 
votée  :  l'inspection  ecclésiastique  était  supprimée, 
la  religion  effacée  du  programme,  le  prêtre  ou  son 
délégué  était  admis  à<lonner  des  leçons,  avant  ou 
après  les  heures  de  classes,  les  écoles  normales 
étaient  mises  sous  la  direction  de  l'Etat.  La  créa- 
tion d'un  ministère  de  l'instruction  publique  était 
de  plus  un  sdr  garant  des  intentions  du  gouver- 


RELGIQUE 


2303  — 


BITUMES 


nonient  d'organiser  séricvisenieiu  renseignement 
dans  le  pays.  La  loi  du  15  juin  1881  a  développé 
renseignement  moyen  et  organisé  les  premières 
écoles  moyennes  de  filles  de  l'Ktat. 

La  loi  do  IS79  provoqua  de  la  part  de  l'opinion 
conservatrice  une  lutte  d'une  violence  inouïe  :  le 
clergé  prêchait  la  révolte  contre  la  loi,  des  admi- 
nistrations communales  se  refusèrent  h  organiser 
l'enseignement  laïque  ;  mais  le  gouvernement  ré- 
pondit avec  énergie  à  ces  actes  d'iiostilité.  Il  sup- 
prima le  poste  du  ministre  belge  auprès  du  Vali- 
caii,  révisa  complètoment  les  programmes  d'en- 
seignement en  s'inspiraiit  des  méthodes  nouvelles, 
et  put  vaincre  enfin  les  résistances.  Les  élections 
communales  d'octobre  1881  vinrent  d'ailleurs 
prouver  que  l'agitation  violente  fomentée  par  le 
clergé  n'avait  pu  entamer  la  majorité  libérale 
dans  le  pays. 

Arts  et  lettres.  —  La  caractéristique  de  l'art 
national  belge  est  d'être  robuste,  vigoureux  et 
coloré,  il  se  plaît  à  serrer  de  près  la  nature,  à 
s'inspirer  de  la  réalité.  Le  vieil  art  flamand  avec 
ses  scènes  familières,  ses  paysages  amoureuse- 
ment observés,  est  la  véritable  source  où  l'art  na- 
tional cherche  ses  inspirations,  malgré  de  pas- 
sagères influences;  art  un  peu  matériel,  si  l'on 
veut,  mais  bien  sain,  qui  ne  se  laisse  pas  em- 
porter par  les  nerfs  et  que  soutient  un  sang  riclie 
et  pur. 

David,  exilé  à  Bruxelles,  y  avait  fait  des  prosé- 
lytes h  ses  doctrines  classiques  ;  on  en  était  là  en 
I8:!0.  Ses  principaux  disciples,  Naver  et  Paelinck, 
laissèrent  des  œuvres  dignes  d'être  appréciées. 
Mais  le  romantisme  vint  bientôt  battre  en  brèche 
l'ancien  «  classicisme  ».  L'école  d'Anvers,  qui 
comptait  parmi  les  siens  Wappers,  Leys,  De 
Keyser,  eut  son  heure  de  gloire  ;  elle  s'inspirait 
de  Bubens  et  de  Van  Dyck  et  cherchait  h  se  déga- 
ger des  influences  étrangères.  Leys  rcssusciia 
même  les  traditions  des  anciens  gothiques  et 
créa  une  école  do  peintres  qui  s'efl'orçaient  de 
recommencer  l'art  du  xvi"  siècle.  Une  réaction  se 
produisit  bientôt  contre  l'école  d'Anvers  ;  elle 
eut  à  sa  tête  Gallait,  qui  revenait  de  Paris,  plein 
d'admiration  pour  Paul  Delaroche,  et  qui  est 
demeuré  le  peintre  le  plus  marquant  de  cette 
époque.  Depuis,  par  un  mouvement  général  dans 
les  arts,  la  convention  a  peu  à  peu  été  abandonnée, 
la  réalité  devient  linspiration  du  peintre,  qui 
l'interprète  selon  son  tempérament.  Dcgroux,  le 
peintre  des  pauvres,  des  paysans,  des  misérables, 
vient  détonner  au  milieu  des  ors  et  des  velours 
romantiques.  Le  paysage  absorbe  bientôt.  presi|ue 
toutes  les  forces  vives  de  l'art;  l'école  belge,  sans 
rivaliser  avec  l'école  française,  tient  cependant 
une  des  places  les  plus  honorables  :  IJoulenger, 
Huberti,  Claeys,  Artan,  entre  autres,  sont 
très  appréciés  dans  le  monde  artistique.  Dans  la 
peinture  d'histoire,  li.  Wauters,  Cluysenaer;  dans 
la  peinture  de  genre,  Alfred  Stevens,  Ch.  Her- 
mans,  soutiennent  brillamment  la  réputation  de 
l'art  belge.  Depuis  quelques  années  seulement,  la 
sculpture  tend  à  se  créer  une  originalité,  un  ca- 
chet personnel  ;  la  jeune  école  compte  déjà  plu- 
sieurs noms  honorablement  connus  :  de  Vigne, 
Vinçotte,  Vanderstappen.  Citons  encore,  pourl'ar- 
chiteclure.  M.  Poelaert,  auteur  des  plans  du 
Palais  de  Justice  de  Bruxelles,  M.  Beyaert,  dont 
les  Banques  nationales  de  Bruxelles  et  d'Anvers 
sont  justement  remarquées,  et  M.  E.  Jaulet,  auteur 
de  la  façado  belge  à  l'Exposition  de  Paris  en 
1878. 

Les  lettres  belges  ne  sont  pas  sorties  d'une 
sorte  de  demi-teiute.  Des  œuvres  estimables  ont 
été  produites;  l'histoire  surtout  compte  quelques 
auteurs  qui  sortent  do  la  foule  :  MM.  Moke, 
Altmeyer,  Wouters,  Faider,  Notliomb  et  de  Ger- 
lache.  La  littérature  d'imagination  est  plus  pauvre  ; 


la  poésie  —  qui  s'inspire  beaucoup  des  œuvres 
des  grands  poètes  français  —  compte  parmi  ses 
adorateurs  pratiquants  MM.  Ch.  l'otvin,  Mathieu 
et  Van  llasselt.  M.  Ch.  Decoster,  dans  sa  Légende 
d'Ui/lenpsier/el,  est  peut-être  le  seul  auteur  qui 
ait  allié  à  une  connaissance  profonde  de  la  lan- 
gue française  le  don  de  produire  une  œuvre  vrai- 
ment nationale  et  gardant  son  parfum  de  terroir. 
Depuis  une  dizaine  d'années  un  mouvement  très 
accentué  se  produit,  et  tout  fait  présumer  que, 
sous  peu,  la  Belgique  possédera  une  école  litté- 
raire dont  elle  pourra  s'enorgueillir.  MM.  Emile 
Leclercq,  C.  Lemonnier  sont  déjà  connus  à  l'é- 
tranger. L'art  dramatique  est  encore  lettre  morte, 
et  le  théâtre  ne  vit  que  des  productions  fran- 
çaises. 

La  littérature  flamande  est  plus  riche.  A  côté  de 
poètes  justement  réputés  comme  Willems,  Th. 
Van  Kysvvyck,  Ledeganck,  elle  compte  des  roman- 
ciers dont  les  œuvres  sont  traduites  dans  toutes 
les  langues,  comme  Henri  Conscience,  Sleeck,- 
M"""  Courtmans. 

La  musique  a  plusieurs  maîtres  en  Belgique  ; 
M.  Gevaert,  auteur  de  Quentin  Dminard  et  d'un 
ouvrage  de  haute  érudition  musicale  :  Histoire 
et  théorie  dn  la  musique  dans  l'auticjiiilé ;  M.  P. 
Benoît,  M.  I^adoux,  etc. 

Sciences.  —  L'étude  de  la  géologie  a  produit 
des  travaux  remarquables  ;  Ch.  Dumont  est  l'au- 
teur d'une  carte  géologique  de  la  Belgique  ; 
MM.  Lehon,  Dupont,  ont  également  contribué  à 
l'avancement  de  la  science  minérale.  MM.  Quete- 
let  et  Rouzeau  sont  des  astronomes  distingués; 
les  sciences  mathématiques  ont  donné  lieu  à  des 
recherches  remarquables  par  MM.Adan,Liagre,ctc. 
MH.  Stas  et  Molsens  ont  fait  des  travaux  importants 
en  chimie.  Toutes  les  branches  de  l'activité  scienti- 
fique ont  été  l'objet  des  études  des  savants  belges, 
et  nombre  de  découvertes  utiles  et  curieuses 
leur  sont  dues.  Un  mouvement  très  sensible 
pousse  en  ce  moment  tout  le  monde  intelligent 
vers  l'étude  dos  sciences  naturelles,  et  il  règn& 
une  émulation  des  plus  louables  pour  la  vulgari- 
sation de  ces  connaissances.       [Alfred  Mabille.] 

IIITUMES.  —  Chimie,  IV.  —  Les  bitumes  sont 
des  combustibles  minéraux  naturels,  liquides  ou 
visqueux,  parfois  solides,  d'aspect  goudronneux, 
répandant  naturellement,  mais  surtout  parla  com- 
bustion, une  odcurcaracléristiquedite  bitumineuse. 
Ils  brûlent  avec  une  flamme  extrêmement  fumeuse. 
Les  bitumes  solides  se  ramollissent  dans  l'eau 
bouillante  et  fondent  au-dessous  du  rouge.  Les  bitu- 
mes sont  formés  par  des  mélanges  intimes  et  en 
toutes  proportions  d'hydro-carbures  de  diverses 
espèces  avec  des  composés  de  carbone,  d'hydro- 
gène et  d'oxygène.  Le  bitume-asphalte  du  Mexique 
contient  7H,IU  pour  100  de  carbone  ;  9,30  d'iiydro- 
gène;  9,8  d'oxygène  et  azote.  A  la  calcination  on 
obtient  9,0  de  coke,  et  par  la  combustion  il  laisse 
2,8  de  cendres. 

La  pesanteur  spécifique  des  bitumes  varie  entre 
0,7  et  1,0;  il  ne  faut  point  confondre  cette  den- 
sité avec  celle  beaucoup  plus  grande  des  roches 
bitumineuses,  calcaires  ou  schistes,  qu'on  dési- 
gne souvent  dans  l'industrie  sous  le  nom  de 
bitume. 

Les  bitumes  distillés  produisent  des  huiles  ditea 
minérales,  ou  pétroles,  OM  huiles  de  schistes  {\ .  Pé- 
trole], assez  liquides,  (|u'on  épure  par  des  dis- 
tillations successives,  etqui  sont  aujourd'hui  extrê- 
mement employées,  principalement  pour  l'éclai- 
rage. Le  résidu  est  un  coke  brillant,  léger,  très 
boursouflé,  ou  bien  une  substance  bitumineuse 
fixe  oxygénée.  Certains  bitumes  se  dissolvent 
complètement  dans  l'alcool,  dans  l'éther  ou  dans 
l'essence  do  térébenthine  ;  d'autres  ne  se  dissolvent 
qu'en  partie  et   laissent   un  résidu   charbonneux. 

Les  principaux  bitumes  sont  :  l'asphalte  ou  Oi- 


BITUMES 


—  2394  — 


BRESIL 


tume  de  Judée,  la  mnllhe  ou  bitume  glutineux, 
que  les  minéralogistes  ont  aussi  désigné  sous  lo 
nom  de  pissasp/ialte,  et  le  pétrole  ;  pour  ce  der- 
nier nous  renvoyons  à  l'article  Pétrole. 

Asphalte.  —  D'après  Boussingault,  le  bitume 
de  Judée  est  presque  entièrement  composé  dune 
substance  qu'on  appelle  asp/ialtén".  Sa  den- 
sité est  1,1;  il  est  noir,  vitreux,  fond  au-dessus 
do  100°.  Il  est  insoluble  dans  l'alcool,  mais  se 
dissout  dans  l'huile  do  naphte  (V.  Pétrole).  Son 
odeur  est  très  faible;  il  est  fragile,  sa  cassure  est 
concboide  ;  il  a  une  couleur  noire  luisante  ;  il 
brûle  comme  une  résine  en  donnant  de  la  flam- 
me, de  la  fumée  et  beaucoup  d'odeur.  On  le 
trouve  en  abondance  sur  les  bords  du  lac  ^i"- 
phaltile  ou  mer  Morte  ;  il  (lotie  ;\  la  surface  des 
eaux  et  est  poussé  par  le  vent  vers  les  côtes  : 
là  il  se  dépose  dans  les  anses  et  dans  les  golfes 
où  on  le  recueille.  Il  se  trouve  aussi  un  gîte  très 
important  d'asphalte  à  Coxitambo  près  deCuenca 
au  Pérou,  et  dans  un  lac  de  l'île  de  la  Trinité 
(Antilles). 

Les  anciens  Égyptiens  s'en  servaient  pour 
enduire  les  cadavres  et  en  faire  des  momies  ;  de  là 
le  nom  de  baume  de  wowî'eque  l'on  donnait  aussi 
autrefois  à  l'asplialte. 

Mallhe  ou  pissasplialte.  —  D'après  Boussin- 
gault, la  maltlie  serait  composée  de  /etroléne  et 
d'iisphaltène.  Elle  est  ordinairement  molle  et  glu- 
tincuse,  se  durcissant  par  les  temps  froids  et  fon- 
dant toujours  dans  l'eau  bouillante.  Elle  contient 
à  peu  près  :  73,2  p.  100  de  carbone,  Il  d'hydro- 
gène et  15,8  d'oxygène;  elle  donne  une  odeur  bi- 
tumineuse à  la  température  ordinaire.  Elle  se 
dissout  dans  le  pétrole,  dans  l'alcool  et  dans  la  té- 
rébenthine en  laissant  un  résidu  bitumineux. 

La  malthe  découle  souvent  des  fentes  de  cer- 
tains rochers  de  calcaires  ou  de  grès,  et  s'étend  à 
leur  surface  ou  sur  le  terrain  environnant  où  elle 
se  mélange  à  la  terre,  au  sable  qu'elle  imprègne 
et  agglutine  en  formant  des  mamelons,  des  pelli- 
cules, des  stalactites  noirâtres  dont  on  l'extrait  en- 
suite par  la  chaleur.  C'est  ainsi  qu'on  la  rencontre  à 
Seyssel  (.\in),  au  Val-de-Travers  en  Suisse,  à  Lob- 
sann  (Alsace),  à  Bastennes  (Landes),  à  Pont-de- 
Chàteau  (Puy-de-Dôme).  D'autres  fois  elle  forme  de 
véritables  lacs  sans  profondeur,  comme  à  la  Tri- 
nité (Antilles). 

Usages  du  bitume.  —  L'asphalte  pur  sert  sur- 
tout à  fabiiquer  la  couleur  noiro  appelée  momie, 
puis  elle  entre  dans  la  composition  de  presque 
tous  les  vernis  noirs  et  de  la  cire  à  cacheter  jioire. 
La  malthe  s'emploie,  comme  le  goudron,  pour  en- 
duire les  cordages  et  les  bois  qui  doivent  être 
exposés  à  l'eau  ;  on  s'en  sert  aussi  pour  graisser 
les  voitures.  On  la  mélange  avec  des  sables  et  des 
calcaires  réduits  en  poudre  pour  faire  des  tuyaux 
de  conduite,  des  dalles,  pour  enduire  des  toiles 
qui  servent  de  toiture  ;  aujourd'hui  on  fabrique  en 
grande  quantité,  à  Saint-lJonis  près  de  Paris,  des 
cartons  bituminés  recouverts  de  sable  qui  servent 
à  confectionner  des  toituies  légères  et  d'une  durée 
suffisante.  La  malthe  entre  aussi  dans  la  plupart 
des  vernis  noirs  dont  on  recouvre  le  fer.  Mélangée 
au  sable,  elle  forme  uu  produit  très  dur  qu'on 
emploie  pour  recouvrir  les  terrasses,  pour  le  dal- 
lage des  ponts  (pont  des  Arts),  des  trottoirs.  A  1 
Paris,  en  bon  nombre  d'endroits,  la  chaussée  même 
est  recouverte  de  bitume  ou  asphalte.  Pour  cet 
usage  on  emploie  beaucoup  un  calcaire  gris  noirâtre  : 
c'est  une  roche  dure  ne  noircissant  pas  les  doigts,  et 
qui  contient  S  à  12  p.  100  de  bitume;  on  la  pulvérise, 
et  on  la  chauffe  ensuite  dans  des  cylindres  rota- 
teurs où  elle  se  transforme  en  une  pâte  granu- 
leuse à  120°.  On  la  prépare  en  pain,  et,  quand  on 
veut  l'appliquer,  il  suffit  de  la  ramollir  sur  les 
lieux  mêmes  en  la  chauffant  dans  des  fours-voi- 
tures spéciaux:  puis  on  l'élend  sur  le  sable  delà 


chaussée  sur  une  épaisseur  de  4  centimètres  et 
demi.  Ce  système  résiste  plusieurs  années,  même 
dans  les  endroits  de  la  capitale  les  plus  fréquen- 
tés par  les  voitures.  Pour  les  trottoirs,  on  emploie 
la  mémo  pâle  naturelle,  mais  en  la  fondant  dans 
du  bitume  et  en  la  mélangeant  à  peu  près  avec 
son  poids  de  sable.  Les  roches  bitumineuses  em- 
ployées à  Paris  proviennent  principalement  de 
Raguse,  de  r.\bruzze  citérieure  i_Italie),  do  Maestu 
(Espagne),  de  Brazza  (Autriche!,  et  de  Fumades 
(Gard).  [Alfred  Jacquemart.] 

BRÉ.SIL.  —Histoire  générale,  XXXVI.  —  I.  Le 
Brésil  sauvage.  —  L'histoire  du  Brésil  avant  le 
xvi«  siècle  de  notre  ère  est  absolument  inconnue, 
quoi  qu'on  en  ait  dit  dans  ces  derniers  temps.  La 
prétendue  colonisation  de  ce  pays  par  la  race  fabu- 
leuse des  Atlantes,  neuf  mille  ans  avant  Jésus- 
Christ,  ou  à  des  époques  moins  reculées  par  les 
Phéniciens,  les  Égyptiens,  les  Carions,  est  une 
hypothèse  plus  que  téméraire.  Il  en  est  de  même 
des  découvertes  de  saint  Brandan,  qui,  d'après 
certains  auteurs,  l'aurait  exploré  au  vi"  siècle.  Ce 
qu'il  y  a  de  certain,  c'est  que  le  Brésil  ne  porte 
nulles  traces  d'une  civilisation  antérieure  aux 
grands  voyages  modernes  des  Portugais  et  des 
Espagnols.  La  population  primitive  de  cette  con- 
trée, originaire  peut-être  de  l'Asie,  avait  atteint 
dans  son  développement  intellectuel  ce  qu'on 
appelle  Vùijn  de  pierre  lorsqu'elle  pénétra  dans  le 
bassin  de  l'Amazone.  Mais  elle  ne  l'avait  pas 
dépassé  lorsque  les  Européens  y  arrivèrent  pour 
la  première  fois.  Cette  population, que  l'on  retrouve 
encore  sans  altération  dans  les  parties  les  plus 
reculées  du  pays,  parait  être  le  résultat  du  croi- 
sement de  deux  races  distinctes  :  l'une  rouge  et 
massive,  réfractaire  aux  idées  générales  et  à  la 
poésie,  mais  apte  aux  arts  mécaniques;  l'autre 
plus  claire,  plus  fine,  plus  intelligente.  L'union 
de  ces  deux  groupes  forma  la  grande  nation 
des  Tupis,  qui,  bien  que  subdivisée  de  bonne 
Heure  en  un  très  grand  nombre  de  tribus  indépen- 
dantes (Tupinambas,  Tupiniquins,  Tamoyos,  Bo- 
tocudos,  etc.,  etc.),  n'en  conservait  pas  moins  dans 
les  mœurs  et  surtout  dans  la  lingua  gérai  ou 
langue  générale,  à  peu  près  comprise  partout, 
une  marque  de  son  homogénéité  primitive.  Au 
commencement  du  xvi"  siècle,  les  Tupis  ne  con- 
naissaient pas  encore  l'usage  des  métaux.  Leurs 
outils  et  leurs  armes  étaient  de  pierre,  d'os  ou 
de  bois.  Leur  seule  industrie  consistait  dans  la 
fabrication  d'une  poterie  très  grossière.  Ils  ne  cul- 
tivaient guère  que  le  manioc,  dont  la  racine  râpée 
formait  et  forme  encore  leur  principale  nourri- 
ture ;  ils  fabriquaient  aussi  avec  cotte  plante  des 
liqueurs  fermentées.  Le  poisson  et  la  viande  bou- 
canés contribuaient  également  à  leur  alimentation. 
Le  sel  leur  était  inconnu.  Ils  habitaient  sur  le 
bord  des  rivières  des  huttes  informes,  oùilscou- 
chaient  dans  des  hamacs.  Ils  allaient  généralement 
nus,  le  corps  bizarrement  tatoué,  parfois  ornés 
de  colliers  et  d'anneaux  faits  de  graines  ou  de 
dents  ;  de  hideuses  botoques  alourdissaient  sou- 
vent leur  lèvre  inférieure.  Leurs  fêtes  étaient 
ordinairement  accompagnées  de  danses  monotones 
et  de  longues  et  dégoûtantes  orgies.  Chez  les 
Tupis,  l'homme  épousait  (et  presque  toujours  sans 
la  moindre  cérémonie)  autant  de  femmes  qu'il 
en  pouvait  nourrir.  La  compagne  infidèle  était 
briilée  ou  chassée.  Tous  les  travaux  pénibles,  dans 
la  vie  commune,  incombaient  à  la  mère  de  famille. 
Les  enfants,  élevés  sans  soin,  étaient  abandonnés 
à  eux-mêmes  dès  qu'ils  étaient  adultes.  Parfois, 
pour  les  préserver  d'une  sépulture  indigne  ou  de 
trop  longues  soufl'rances,  des  mères  mangeaient 
leurs  enfants  malades,  des  fils  leurs  pères  infir- 
mes. Chaque  village  avait  un  chef,  obéi  seulement 
à  la  guerre.  La  justice  n'était  autre  chose  que  la 
vengeance  personnelle.  Les  revendications  entre 


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tribus  u'avaiciil  pns  de  tcnmc  ;  raiitliropopliagio 
était  cliez  ces  sauvages  la  forme  la  plus  solennelle 
do  la  vengeance.  Ils  admiraient,  comme  leurs 
légendes,  le  prouvent,  la  ruse  et  la  finesse,  beau- 
coup plus  que  le  courage  et  la  loyauté.  Leurs 
dieux  n'étaient  que  des  puissances  malfaisantes 
qu'ils  s'etforçaient  de  conjurer,  comme  Tupana 
(le  tonnerre),  Jurupnri  (le  cauchemar)  ou  tout  au 
moins  des  forces  chargées  de  protéger  la  nature 
contre  riiommo,  comme  Guaracy  (le  soleil),  mère 
des  animaux,  Jacy  (la  lune),  mère  des  végétaux, 
Curupira,  dieu  des  oiseaux,  i?«rf",  dieu  de  l'amour, 
etc.  Ils  les  invoquaient  quelquefois  directement, 
en  les  priant  ou  en  agitant  suivant  certains  rites 
des  grelots  nommés  iammarukas.  Mais  le  plus 
souvent  ils  avaient  recours,  pour  obtenir  les 
faveurs  divines,  aux  piayes,  prêtres  sorciers  et 
médecins,  dont  les  jongleries,  chèrement  payées, 
inspiraient  à  la  fois  respect  et  terreur.  Ils  n'avaient 
enfin  qu'une  idée  très  confuse  de  l'imrnortalité  de 
l'àme,  bien  qu'ils  eussent  soin  de  déposer  auprès 
des  morts,  en  les  ensevelissant,  des  armes  et  des 
aliments.  C'était  en  somme  une  race  que  la  désu- 
nion, la  mollesse,  la  misère,  l'ignorance  et  la 
timidité  rendaient  incapable  de  résister  aux  Euro- 
péens. 

II.  Le  Brésil  découvert  et  conquis.  —  Il  est 
possible  que  le  Français  Jean  Cousin  ait  abordé 
au  Brésil  en  148S.  Mais  le  fait  n'est  pas  prouvé. 
L'histoire  ne  peut  jusqu'à,  présent  attribuer  avec 
certitude  la  découverte  de  ce  pays  qu'à  l'Espagnol 
Yafiez  Pinson  qui,  le  premier,  en  1499  etlâiiO,  vit 
les  caps  Saint-Augustin  et  Rostro-Hermoso.  Son 
compatriote  Diego  de  Lepe  le  suivit  de  près  dans 
les  mêmes  parages.  Le  Portugais  Cabrai  ne  toucha 
que  par  hasard,  en  1501,  aux  rivages  dePorto-Se- 
guro.  Mais  la  cour  de  Lisbonne,  mise  on  goîit  do 
conquêtes,  envoya  aussitùt,  et  coup  sur  coup, 
Nuno  Manocl,  Amerigo  Vespucci,  Gonzalo  Coelho, 
qui,  de  1.'jOI  à  1500,  relevèrent  tout  le  littoral  qui 
s'étend  de  Baliia  au  Rio  de  la  Plata.  A  la  même 
époque,  les  Français  Paulmier  de  Gonneville(I50'î- 
K05),  Jean  Denis  (1504j,  etc.,  parcouraient  cette 
région  et  entamaient  avec  les  indigènes  des  rela- 
tions très  cordiales  qui,  entretenues  après  eux  par 
les  négociants  de  Dieppe,  Honfleur,  Saint-Malo 
(les  Ango  et  d'autres),  eussent  peut-être  procuré  h 
la  France  l'empire  du  Brésil,  si  François  l"  n'eiit 
à  diverses  reprises  (1518,  1525,  1532,  153S)  retiié 
tout  appui  à  nos  marins  pour  complaire  au  Por- 
tugal, dont  il  recherchait  rallianco  contre  l'Es- 
pagne. Cette  dernière  puissance,  avec  les  Solis 
(1508-151(0.  les  AleixoGarcia  (1524-25),  les  Loaysa 
(1525),  les  Cabote  et  les  Diego  Garcia  (1526-1527) 
dans  le  bassin  de  la  Plata,  les  Orellana  dans  le  bas- 
sin de  l'Amazone  (1541),  côtoya  quelque  temps  le 
Brésil  propremi-nt  dit.  Mais  elle  s'en  éloigna  bien- 
tôt pour  se  porter  vers  les  Andes  et  vers  le  Pérou. 
Les  Portugais,  mis  en  possession  du  pays  par 
une  bulle  du  pape  (1524),  multiplièrent  leurs  ex- 
péditions. Les  villes  deBahia,  Saint-Paul,  Pertiam- 
îjouc  furent  fondées;  des  nègres  furent  amenés 
d'Afrique  et  employés  aux  premières  plantations 
et  aux  premières  sucreries.  En  1531,  la  colonie 
fut  partagée  en  15  capitaine)  ies  générales,  espèces 
de  fiefs  héréditaires  dont  la  propriété  fut  concédée 
à  quelques  grands  seigneurs.  Mais  elle  ne  lit  que 
languir  sous  un  pareil  régime,  et,  à  partir  de  I54S, 
le  gouvernement  lusitanien  racheta  ces  conces- 
sions, reprit  le  droit  de  nommer  les  capitaines- 
généraux  et  institua  le  gouvernement  général  de 
Bahia.  Sous  les  Souza  (1549)  et  les  Mem-de-Si 
(1557),  malgré  la  résistance  opposée  au  gouverne- 
ment central 'par  les  Jésuites  et  par  les  Paulistes 
(ou  colons  de  Saint-Paul),  la  domination  portu- 
gaise en  Amérique  commença  k  prendre  de  la 
consistance.  Mais  un  siècle  devait  encore  s'écou- 
ler avant  qu'elle  fût  établie  sans  conteste  au  Bré- 


sil. Les  Franç.iis,  découragés  par  François  I".  re- 
vinrent à  la  charge,  appuyés  par  Hejiri  11.  Le  che- 
valier de  Villegagnon,  envoyé  par  l'amiral  do 
Coligny,  conduisit  dans  la  baie  de  Rio-de-Janeiro 
(1555)  une  colonie  composée  en  grande  partie  de 
calvinistes.  Mais  il  se  fit  haïr  de  ses  soldats  comme 
des  indigènes  et  quitta  son  établissement  dès  1658. 
Ses  successeurs,  secondés  par  les  sauvages  Ta- 
miiyos,  inais  abandonnés  par  la  mère-patrie,  que 
déchiraient  alors  les  guerres  de  religion,  luttè- 
rent péniblement  contre  Mem-de-Sàjusqu'en  150G 
et  finirent  par  succomber.  La  colonisation  portu- 
gaise n'en  devint  pas  beaucoup  plus  facile.  Los 
Français  reparurent  sur  divers  points,  au  cap  Frio, 
au  Parahyba,  etc.  Le  Dieppois  Riffault  tenta  un 
établissement  à  Maranhara  en  1594.  Le  Poitevin 
La  Bavardière,  qui  y  descendit  aussi  en  1G04,  fît 
approuver  par  Henri  IV  en  1G05  le  projet  de  créer 
dans  ces  parages  une  France érjuinoxiale.  Mais  sa 
grande  expédition  n'eut  lieu  qu'en  IG12.  Malgré 
ses  brillants  succès  et  la  fondation  de  Saint-Louis- 
de-Maranham,  Marie  de  Médicis  ne  le  soutint  pas. 
Les  Français  furent  expulsés  (IG15-1(>16);  et  s'ils 
revinrent  plus  tard  dans  l'Amérique  du  Sud,  ce 
ne  fut  que  pour  s'établir  en  Guyane  (1642)  et  ran- 
çonner en  passant  la  ville  de  Rio-de-Janeiro  (1711). 
—  D'autre  part,  le  roi  d'Espagne  Philippe  II  s'é- 
tant  emparé  du  Portugal  en  1582,  les  ennemis  de 
l'Espagne  en  avaient  pris  prétexte  pour  attaquer 
les  colonies  portugaises.  Les  Anglais  Witingtoti 
(158G),  Cavendish  (I;i91),  Lancaster  (1590)  inquié- 
tèrent quelque  temps  les  côtes  du  Brésil.  Mais  ce 
pays  fut  menacé  surtout,  au  xvii'  siècle,  par  les 
Hollandais,  Dès  1 G24,  les  Etats-Généraux  de  la  Haye 
concédèrent  ;\  une  compagnie  des  Indes  occiden- 
tales la  conquête  et  l'exploitation  de  cette  grande 
contrée.  Bahia,  pris  en  1625,  fut  enlevé  peu  après 
aux  troupes  batavcs.  Mais  en  IGiO  les  Hollandais 
s'emparèrent  do  Pernambouc,  et,  faisant  de  cette 
ville  leur  base  d'opérations,  étendirent  rapidement 
leurs  conquêtes  dans  l'intérieur.  Maurice  de  Nas- 
sau, gouverneur  général  (1637-1644),  établit  dans 
les  nouvelles  possessions  néerlandaises  un  ordre 
admirable.  Mais,  après  son  départ,  le  Portugal, 
qui  venait  (1040)  de  s'afl'ranchir  de  la  domination 
espagnole,  regagna  du  terrain.  Les  colons  brési- 
liens commandés  par  Vieira,  soutenus  par  les  nè- 
gres esclaves  (Henriquez  Diaz)  et  par  une  partie 
des  indigènes  (Camaram),  fortifiés  en  outre  par 
la  haine  qui  armait  à  cette  époque  le  catholicisme 
contre  la  Réforme,  se  soulevèrent  et  luttèrent 
avec  tant  d'énergie  que  les  Hollandais,  battus  deux 
fois  à  Guararapès  (1647  et  I64!i),  demandèrent  à 
traiter.  La  guerre  languit  ;  et  finalcmcnt(l601)  le 
Portugal  deineura  maître  du  Brésil,  qu'aucune 
puissance  européenne  ne  devait  plus  lui  disputer. 
III.  Le  Brésil  portugais.  —  La  cour  de  Lisbonne 
s'enhardit  même  jusqu'à  vouloir  étendre  un  em- 
pire déjà  trop  vaste,  eti  disputant  à  la  France  la 
Guyane  et  à  I  Espagne  la  rive  gauche  du  Rio  de  la 
Plata.  Louis  XIV,  après  de  longs  démêlés  sur  la 
limite  de  l'Oyapock  (IG85-170O),  finit  par  laisser 
en  suspens  une  querelle  qui,  reprise  depuis  par 
Napoléon,  n'a  jamais  été  terminée.  Quant  à,  l'Es- 
pagne, après  avoir  longtemps  lutté  pour  écarter 
les  Portugais  de  la  Plata  et  de  l'Uruguay  (l(i79-l  750), 
elle  dut,  au  milieu  du  xviii»  siècle,  céder  une  par- 
tie des  territoires  contestés.  Il  est  vrai  que  les 
Jésuites,  qui  s'y  étaient  établis,  les  défendirent  vi- 
goureusement, avec  l'aide  des  Indiens  disciplinés 
par  eux  (1750-1756).  Pombal  n'eut  raison  do  cet 
ordre  puissant  qu'en  le  supprimant  (1759).  Pen- 
dant toutes  ces  guerres,  la  colonisation  faisait  de 
grands  progrès  dans  l'intérieur  du  Brésil.  Des 
bandes  de  Paulistes,  courant  à  la  chasse  des 
Indiens,  pénétraient  jusque  dans  les  pays  vierges 
de  Goyazet  Matto-Grosso.  LesTexeiraet  les  Costa- 
Favellu  remontaient  l'Aniazone,  le   fer  et   le    feti 


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h  la  main  (1C37-IGG8).  Le  Brésil  septentrional 
était  raitaclié  au  gouvernement  général  de  Ma- 
ranliam  (ICôl).  Les  gisements  d'or  et  de  diamants 
découverts,  à  la  fin  du  xvii°  siècle,  sur  les  plateaux 
qui  dominent  le  bassin  du  San-Francisco,  don- 
naient naissance  en  1711  i  la  ville  d'Ouro-Preto. 
La  province  de  Minas-Geraes  devenait  en  peu 
d'années  la  plus  riche  du  Brésil.  L'exploitation 
des  mines  prenait  aussi  beaucoup  d'importance 
dans  les  provinces,  nouvellement  organisées,  de 
Matto-Grosso  (1726)  et  de  Goyaz  (173U).  Enfin  la 
colonie  était  érigée  en  vice-royauté  (17C3),  avec 
Rio-do-Janeiro  pour  capitale.  Cotte  ville,  admira- 
blement située,  prenait  en  peu  d'années  un 
énorme  développement.  Pombal  s'efforçait  d'éta- 
blir dans  l'administration  du  Brésil  un  ordre  ri- 
goureux, introduisait  en  ce  pays  la  culture  du 
café  (I7G31,  favorisait  etétcmlait  celle  delà  canne 
à  sucre,  du  coton,  du  tabac.  Malheureusement 
ce  ministre  perdit  bientôt  lo  pouvoir.  Il  faut 
ajouter  qu'en  somme,  du  xvi"  au  xix'  siècle,  le 
gouvernement  portugais  fut  loin  de  prendre  les 
dispositions  les  plus  avantageuses  pour  sa  colonie. 
Rien  de  plus  vexatoire  et  de  moins  raisonnable 
que  le  régime  qu'il  faisait  encore  subir  il  y  a 
quatre-vingts  ans  à  ce  grand  pays.  Le  Brésil  était 
divisé  en  dix-sept  capitaineries  générales,  dont 
les  chefs,  nommés  seulement  pour  quatre  ans,  ne 
venaient  dans  le  pays  que  pour  le  piller,  exer- 
çaient une  autorité  à  peu  près  illimitée,  et  ne  réa- 
lisaient presque  jamais  la  moindre  amélioration. 
Sous  leurs  ordres,  les  capitnes-môres  étaient  au- 
tant de  tyrans  locaux,  contre  lesquels  presque 
aucun  recours  n'était  possible.  Le  clergé,  fort 
puissant,  avait  une  influence  déplorable.  Les 
moines  ne  songeaient  qu'à  enrichir  leurs  éta- 
blissements et  réduisaient  les  Indiens  en  servi- 
tude. Les  curés,  ignorants  et  avides,  trafiquaient 
honteusement  de  la  religion  et  ne  faisaient  rien 
pour  moraliser  les  populations.  Les  tribunaux 
ecclésiastiques,  souverains  en  matière  de  mariage, 
ruinaient  les  justiciables.  La  justice  civile,  pres- 
que inaccessible  en  appel  {Supplicaçâo  de  Lis- 
bonne, Helaçùes  de  Rio  et  de  Uahia),  était  rendue 
par  les  Ouvidores  et,  en  première  instance, par  les 
Jitizes  oi-'Jinarios  ou  de  fora,  fonctionnaires  beso- 
gneux, passionnés  ou  peu  instruits,  qui  rendaient 
les  procès  interminables.  La  plupart  des  héritages 
restaient  en  grande  partie  entre  les  mains  du 
fisc.  Les  impôts  (dîmes,  douanes,  quint  de  l'or 
extrait  des  mines)  étaient  sans  cesse  et  arbitraire- 
ment augmentés.  Le  gouvernement  monopolisait  à 
son  profit  les  diamants  et  divers  produits  du  pays. 
L'armée  n'était  qu'un  ramassis  de  pauvres  gens 
généralement  enrôlés  par  force,  exclusivement 
commandés  par  des  officiers  nobles,  oisifs  et  sans 
instruction.  Les  libertés  publiques  n'existaient  pas. 
Les  Cuirai  as,  ou  conseils  municipaux  des  grandes 
villes,  se  recrutaient  parmi  les  grands  propriétaires, 
dépendaient  de  l'administration  et  u'avaientqu'nne 
compétence  insignifiatite. 

La  masse  de  la  population  était  misérable.  L'In- 
quisition étendait  partout  la  terreur.  Les  Indiens 
non  sauvages  étaient  parqués  dans  les  aidées 
comme  des  troupeaux;  les  nègres  étaient  vendus 
et  traités  en  bètes  de  somme.  L'immigration  et 
l'émigration  étaient  soumises  à  des  formalités  qui 
les  rendaient  presque  impossibles.  Le  passage 
libre  d'une  capitainerie-générale  à  une  autre  était 
lui-même  interdit.  L'extraction  du  fer  n'était  pas 
permise  ;  il  en  était  de  même  de  la  culture  de  la 
vigne,  du  cliâtaignier.  Les  bois  étaient  monopo- 
lisés par  l'Etat,  ou  gaspillés.  Point  do  commerce, 
si  ce  n'est  avec  la  métropole.  Point  d'industrie  : 
le  Portugal  accaparait  les  produits  bruts  du  Bré- 
sil et  se  chargeait  de  les  lui  rendre  manufacturés. 
Les  arts  étaient  généralement, proscrits.  Point  de 
journaux,   point    d'imprimeries.    L'enseignement 


supérieur  n'existait  pas  ;  les  enseignements  se- 
condaire et  primaire  étaient  à  peu  près  nuls.  Les 
fils  des  lazeiidciros  ou  propriétaires  étaient  obli- 
gés d'aller  étudier  en  Portugal,  i  Coimbre,  sous 
la  surveillance  de  l'Inquisition.  On  comprend 
qu'un  pareil  régime  devait  exaspérer  à  la  longue 
un  peuple  qui,  à  la  fin  du  xviii'  siècle,  comptait 
déjà  plusieurs  millions  d'individus,  et  qui  se  sen- 
tait lort  et  vivace,  parce  qu'il  était  le  résultat  du 
croisement  de  plusieurs  races  puissantes,  Les 
aspirations  nationales  se  manifestaient  déjà  à  cette 
époiiue  par  l'histoire,  par  la  poésie  (Santa-Rita- 
Durâo,  Basilio  da  Gama,  Alvarenga  Peixoto,  etc.). 
La  conspiration  de  Tiradentos  (en  178!))  en  était 
aussi  nn  indice  menaçant  pour  le  Portugal.  Excité 
pai-  l'exemple  des  Etats-Unis  et  de  la  France,  le 
Brésil  n'attendait  qu'une  occasion  favorable  pour 
s'atïrancliir.  Les  révolutions  européennes  du  com- 
mencement du  xi.\«  siècle  ne  tardèrent  pas  à  la  lui 
fournir. 

IV.  Le  Brésil  indépendant.  —  Chassée  du  Por- 
tugal par  les  Français  à  la  fin  de  1807,  la  cour  de 
Lisbonne  dut  se  réfugier  au  Brésil.  Réduite  à  la 
possession  de  ce  pays,  il  lui  fallut  bien  l'ouvrir 
au  commerce  extérieur  et  lui  accorder  quelques 
libertés.  Erigée  en  royaume  (ISIS),  la  colonie  vit 
sa  population  s'accroître  rapidement,  sa  richesse 
augmetiter,  son  territoire  même  s'étendre  par 
suite  de  la  conquête  de  la  Banda  Orientai.  (1817- 
IS20).  Le  roi  Jean  IV  semblait  s'y  être  fixé  pour 
toujours,  bien  que  tous  ses  Etats  lui  eussent  été 
restitués  et  que  son  emiemi  Napoléon  fût  ren- 
versé. Mais  le  Portugal  s'étant  soulevé  en  18J0  con- 
tre le  pouvoir  absolu,  ce  prince,  après  de  longues 
hésitations,  partit  pour  Lisbonne  (avril  IS'.'l), 
laissant  à  Rio  son  fils  aîné  D.  Pedro  pour  gouver- 
ner l'Amérique  lusitanienne.  Bientôt,  la  nation 
brésilienjie,  exaspérée  contre  les  Certes  portugai- 
ses, qui  refusaient  de  reconnaître  ses  droits,  ma 
nifesta  hautement  son  désir  de  se  constituer  en 
Etat  autonome.  D.  Pedro,  proclamé  défenseur 
perpétuel  du  pays  (mai  1822),  céda  au  vœu  géné- 
ral, et  au  cri  de  :  Independencia  on  morte,  fut  salué 
empereur  du  Brésil  (.septembre-octobre  1S22).  Les 
provinces  du  Nord,  qui  ne  voulaient  pas  dépendre 
de  Rio  et  qui  tenaient  en  partie  pour  la  Républi- 
que, résistèrent  quelque  temps  à  son  autorité 
naissante.  L'amiral  anglais  Cochrane  l'aida  à  les 
soumettre  (1823-I82Ô).  Le  Portugal,  après  de  vains 
efforts  pour  rétablir  son  autorité  sur  ses  anciens 
colons,  finit  par  reconnaître  le  nouvel  empire 
(1825).  Le  gouvernement  parlementaire  fut  établi 
au  Brésil  par  la  constitution  de  1824.  Mais  D.  Pe- 
dro ne  tarda  pas  à  perdre  sa  popularité.  Une 
guerre  malheureuse  contre  la  banda  Oriental, 
qui  s'était  insurgée  et  qui  finit  par  demeurer  libre 
sous  le  nom  d'Uruguay  (182G-1H2S),  des  prodiga- 
lités, des  procédés  et  des  allures  inconstitution- 
nels, et  enfin  la  prédilection  que  l'empereur  ma- 
nifestait pour  le  Portugal  et  les  Portugais,  lo 
rendirent  odieux  et  amenèrent  des  troubles  à  la 
suite  desquels  il  abdiqua  et  quitta  le  pays  (avril 
1831).  La  minorité  de  son  fils  D.  Pedro  II  ne  fut, 
de  1831  à  1840,  qu'une  longue  anarchie.  Le  parti 
fédéraliste,  après  avoir  renversé  Andrada,  tuteur 
du  jeune  prince  (déc.  1833),  attribua,  par  VActe 
additionnel  à  la  constitution  de  1834,  des  droits 
très  étendus  aux  assemblées  représentatives  de 
chaque  province.  Cette  conquête  ne  fut  pas  jugée 
partout  suffisante.  Beaucoup  do  villes  se  soulevè- 
rent, et  la  province  de  Rio-Grande-do-Sul  s'érigea 
même  en  république  indépendante  (1S35).  Pro- 
clamé majeur  (1840),  D.  Pedro  II  eut  encore  à 
comprimer  les  insurrections  fédéralistes  de  Saint- 
Paul  et  de  Minas-Geraes  (1842).  Il  y  réussit  et 
finit  même  par  obtenir  la  soumission  du  Rio- 
Grande  (184.'>),  que  Garibaldi  avait  quolciue  temps 
défendu.  A  partir  de   cotte  époque,  la  paix  inté- 


RACES  HUMAINES 


a3'J7 


RACES  HUMAINES 


I      rieure  du  Brosil  ne  futplus  séi-if'uscmont  ti-oublce. 
t       Mais  l'empire  eut  ^  protéger  l'Uruguay  contre  la 
»       République   argentine,    que  gouvernait    alors   le 
'       dictateur  Uosas.  Ce  dernier  fut  battu  et  renverse 
;'        (1853),  et,  après  de  longues  luttes,  le  Brésil  finit 
par  exercer  k  Montevideo  une  inlluence  prépon- 
"Sérante  (1864).  Attaqué  par  Lopez,  dictateur  du 
l       Paraguay,  il  dut  s'unir  contre   lui  non  seulement 
avec  l'Uruguay,  mais  avec  la  Uopublique  argen- 
!■       tino  (18G5).    Le    Paraguay,    après  une  résistance 
mémorable  (l«05-IS70),  fut  contraint  de  subir  les 
conditions  militaires  et  commerciales  de  ses  vain- 
queurs.  Depuis  ce  moment,   le    Brésil,    sous  le 
gouvernement  actif  et  libéral  de  D.   Pedro  II,  n'a 
fait  que  prospérer.  Ce  prince,  qui  avait  supprimé 
la  traite  en  lS5U,a  obtenu  des  Chambres,  non  sans 
peine,   l'abolition   progressive  de  l'esclavage  des 
nègres  (1871).  Le  commerce,  favorisé  p:ir  l'ouver- 
ture des   voies   fluviales  intérieures   à  ton;es  les 
nations,  l'a  été  aussi  par  la  construction  de  noni- 


breiises  routes  et  d'un  réseau  ferré  qui  prend 
cliaquo  jour  plus  d'extension.  L'agriculture,  l'in- 
dustrie, l'instruction  publique  ont  reçu  de  puis- 
sants encouragements.  Des  voyages  célèbres  (no- 
tamment ceux  de  Neuwied,  de  Castelnau,  de 
Cliandlers,  de  Crevaux),  ont  fait  connaître  et  ap- 
précii'.r  les  ressources  d'uno  grande  partie  du 
pays,  ignorées  avant  le  xix*  siècle.  Sans  doute,  des 
portions  considérables  du  Brésil  restent  encore 
inconnues;  la  catéchèse  des  Indiens  n'a  pas  fait 
beaucoup  de  progrès  ;  l'immigration  européenne 
n'est  pas  assez  active.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier 
que  le  Brésil  n'est  indépendant  que  depuis  un 
peu  plus  d'un  demi-siècle.  Dans  ce  court  espace 
do  temps,  il  a  plus  que  doublé  sa  population,  il  a 
décuplé  ses  ressources  et  ses  moyens  d'action.  Il 
est  devenu  le  premier  dos  Etats  de  second  ordre,  et 
il -s'élèvera  peut-être  bientôt  au  rang  des  grandes 
puissances.  [A.  ijebidour.] 


E 


ÈRE  REPUBLICAINE.  —  Connaissances  usuel- 
les, VIII.  —  Comme  il  a  été  dit  aux  articles  Calen- 
drier, Ere, et  Mnis,  la  Convention  nationale  avait,  par 
son  décret  du  5  octobre  1793,  créé  un  calendrier  qui 
non  seulement  introduisaitune  nouvelle  division  de 
l'année,  mais  remplaçait  l'ère  chrétienne  par  une 
ère  républicaine  commençant  Ie22  septembre  n9'2. 
L'ère  républicaine  dura  quatorze  ans,  et  ne  fut  abolie 
qu'à  la  fin  de  iSO.S  par  un  décret  impérial.  Pendant 
ces  douze  ans  tous  les  actes  officiels,  ainsi  que  tous 
les  événements  de  l'histoire  de  France,  sont  datés 


conformément  au  calendrier  républicain.  Il  est 
assez  difficile  d'établir  à  première  vue  la  concor- 
dance exacte  entre  les  dates  de  'mois  et  de  qtian- 
tièmes  du  calendrier  grégorien  et  celles  du  calen- 
drier républicain  ;  aussi  avons-nous  pensé  qu'il 
pouvait  être  utile  d'offrir  à.  nos  lecteurs  le  tableau 
de  concordance  ci-joint,  qui  permet  de  détermi- 
ner instantanément,  au  moyen  d'un  calcul  très 
facile,  à  quel  jour  du  calendrier  grégorien  corres- 
poud  une  date  quelconque  de  l'ère  républicaine. 
(Voyez  le  tableau  à  la  page  suivante). 


R 


n.VCES  HUMAINES.  —  Histoire  générale,  I. 
—  On  a  pendant  longtemps  divisé  l'humanité  en 
quatre  races  ([Ue  l'on  supposait  séparées  par  des 
caractères  nettement  tranchés,  et  qui  étaient:  la 
race  blanche  ou  caucasique,  \ainôlre;  la  race  Jaune 
ou  mongotic/iie,  dont  les  Chinois  représentent  le 
type  ;  la  race  rouge  ou  américaine  ;  et  la  race  noire 
ou  éthiupique.  La  race  blanche  était  considérée 
comme  dominant  en  Europe,  la  race  jaune  en  Asie, 
la  race  rouge  en  Amérique,  la  race  noire  en  Afrique, 
l'Océanie  participant  à.  la  fois  de  r.\sie  et  de 
r.\frique.  Ce  système,  auquel  sa  simplicité  a  long- 
temps valu  une  grande  faveur,  ne  donne  malheu- 
reusement qu'une  idée  fort  incomplète  de  l'extrême 
variété  de  l'espèce  humaine.  Quand  on  tient  compte 
de  caractères  autres  que  la  couleur,  lorsqu'on  fait 
intervenir  pour  la  détermination  des  races  liumai- 
nes,  outre  les  caractères  anatomiques,  les  caractè- 
res tirés  du  langage,  des  traditions,  des  moeurs,  des 
croyances.on  rocoimaît  que  les  hommes  ne  sauraient 
être  rattachés  à  un  aussi  petit  nombre  de  types. 
Mais  de  très  grandes  difficultés  se  présentent  lors- 
qu'il s'agit  de  déterminer  quels  sont  les  types  pri- 
mitifs, les  races  fondamentales  dans  lesquelles 
l'humanité  se  décompose.  En  effet,  l'étude  des  ca- 
ractères actuels  des  dilTérenls  peuples  ne  saurait 
le  plus  souvent  être  prise  qu'avec  les  plus  grandes 
précautions  comme  base  d'une  division  en  races. 
Si  nous  considérons  les  nations  européennes,  nous 
savons  de  la  manière  la  plus  positive,  par  leur  his- 
toire, qu'elles  résultent  du  mélange   de  nations 


antérieures  qui  se  sont  ordinairement  disputé 
diverses  reprises  le  territoire  qu'elles  occupaient 
et  ont  fini  par  se  fusionner  d'une  façon  plus  ou 
moins  complète  :  elles  constituent  par  conséquent 
des  types  mixtes,  parfois  profondément  modifiés  et 
chez  qui  l'on  trouve  combinés  de  toutes  les  façons 
possibles  les  caractères  des  peuples  à  qui  elles 
doivent  leur  origine  ?  Mais  ces  peuples  eux-mêmes 
quels  étaient-ils  ?  D'où  venaient-ils  ?  Alors  môme 
qu'on  aurait  pu  les  déterminer  exactement,  la  ques- 
tion d'origine,  résolue  pour  leurs  descendants,  se 
pose  pour  eux,  et  l'anthropologiste  qui  cherche  à 
résoudre  le  problème  se  trouve  rapidement  conduit 
en  face  d'un  problème  autrement  redoutable,  le 
problème  de  l'origine  même  de  l'espèce  humaine. 
Laissant  de  côté  la  question  de  la  parenté  de 
l'homme  et  des  animaux,  il  est  évident  que  ce  pro- 
blème ne  comporte  que  deux  solutions  :  ou  bien 
l'homme  ne  s'est  montré  d'abord  ([u'en  un  seul 
point  du  globe  d'où  il  a  rayonné  ensuite  sur  toute 
la  terre  ■.  ou  bien  des  hommes  ont  apparu  indé- 
pendamment les  uns  des  autres  en  dilférentes  ré- 
gions du  monde  qu'ils  ont  peuplées  d'abord  avant 
d'arriver  en  contact  et  de  se  livrer  bataille.  Ces 
deux  théories,  dites  du  monogmisme  et  dapotygé- 
nisme,  ont  compté  et  comptent  encore  chacune 
d'illustres  partisans  ;  rien  ne  permet  de  décider 
entre  elles  d'une  façon  absolument  positive  ;  d'ail- 
leurs, s'il  n'est  pas  indifférent  au  point  de  vue  phi- 
losophique que  l'homme  soit  parti  d'un  seul  centre 
ou  de  plusieurs,  la  chose  au  point  do  vue  du  na- 


—  2398  — 


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RACES   HUMAINES        —  2399 


RACES   HUMAINES 


turalisto  est  beaucoup  moins  importante.  Il  (!St,  en 
cil'el,  au  moins  avéré  que  les  liomnies  primitifs 
n'avaient  aucune  civilisation,  aucun  souci  ni  de 
remonter  à  leurs  origines,  ni  de  se  constituer  une 
histoire.  Dans  ces  conditions,  tout  groupe  d'iiommes 
isolé  do  ses  semblables  devait  bien  vite  les  ou- 
blier, prendre  des  habitudes  et  des  caractères  nou- 
veaux, et  constituer  ainsi  une  race  particulière.  Ce 
sont  ces  races  distinctes  que  l'on  doit  considérer 
comme  les  races  originelles  ;  elles  étaient  nécos- 
•sairement  multiples,  et  tout  a  dû  dès  lors  se  pas- 
ser i  peu  près  comme  si  plusieurs  races  d'hommes 
difl'érentes  s'étaient  formées  isolément  sur  plu- 
sieurs points  du  globe. 

Aux  hypothèses  du  monogénisme  et  du  polygé- 
nisme  se  rattache  une  autre  question  autour  de  la- 
quelle on  a  également  beaucoup  discuté  et  qui 
n'est  cepciidant  qu'une  question  de  mots.  Existe- 
t  il  plusieurs  espèces  d'hommes  ou  n'en  existet-il 
(|u'une  seule  '?  Les  polygénistes  sont  généralement 
pour  la  première  alternative,  les  mo'iiogcnistes 
l)our  la  seconde,  et  ceux-ci  ont  incontestablement 
raison.  Quelle  qu'ait  été  l'origine  des  races  humai- 
n(^s  actuelles,  il  est  certain  qu'elles  peuvent  aujour- 
d'hui se  mélanger  entre  elles  à  tous  les  degrés; 
les  unions,  quoi  qu'on  en  ail  dit,  sont  toujours 
aussi  fécondes  entre  individus  de  races  différentes 
qu'entre  individus  de  même  race:  aucune  barrière 
semblable  ;i  celles  qu'on  observe  entre  certains 
types  d'animaux,  d'ailleurs  voisins,  comme  l'àno 
et  le  cheval,  ne  maintient  les  races  humaines  sé- 
parées. On  ne  saurait  donc  les  considérer  autre- 
ment que  comme  formant  un  seul  tout;  dans  l'état 
actuel  de  nos  connaissances,  sous  peine  de  con 
tredire  les  caractères  zoologiques  et  physiologi 
ques  de  l'espèce,  polygénistes  et  monogénistes  sont 
forcés  de  reconnaître  qu'il  n'existe  qu'une  seule 
espèce  humaine. 

Vunité  de  l'espèce  humaine,  la  pluralité  des 
races,  manifeste  dès  les  temps  les  plus  reculés  que 
la  science  puisse  atteindre,  voilà  les  faits  positifs 
qui  dominent  toute  l'histoire  de  l'homme.  A  ces 
deux  faits,  il  faut  en  ajouter  un  troisième,  égale 
ment  de  haute  importance  :  il  est  constant  que 
l'Iiomme  n'a  pas  occupé  dès  le  début  toutes  les 
terres  habitables.  Certaines  îles,  des  portions  do 
continent  même  n'ont  été  peuplées  que  depuis 
les  temps  historiques,  à  des  époques  qu'il  a  été 
possible  de  déterminer.  Quelle  que  soit  l'idée 
que  l'on  se  fasse  sur  l'origine  des  premiers  hom- 
mes, il  y  a  donc  lieu  de  recliercher,  pour  chaque 
contrée,  quels  en  ont  été  les  premiers  habitants. 
Il  a  été,  dans  un  certain  nombre  de  cas,  possible 
de  le  découvrir;  on  a  toujours  alors  trouvé  que  ces 
premiers  habitants  viennent  d'ailleurs  ;  ils  n'en 
constituent  pas  moins  la  race  primitive  du  pays 
considéré,  et  on  peut  sans  inconvénient  les  re- 
garder comme  les  autochtones,  mot  qui  prend 
alors  une  signification  précise.  Les  autochtones 
sont  donc  simplement  pour  nous  les  premiers 
immigrants  d'un  pays,  et  nullement,  comme  on  le 
laisse  parfois  entendre,  des  hommes  formés  pour 
ce  pays,  dés  l'apparition  de  l'espèce  humaine. 
Ainsi,  alors  môme  qu'on  a  reconnu  la  race  auto- 
chtone d'un  pays,  on  doit  se  demander  :  d'où  vient- 
elle'?  C'est  en  se  posant  cette  question  que  M.  de 
Quatrefages  a  pu  résoudre  d'une  façon  définitive 
le  problème  du  mode  de  peuplement  des  ai'chi- 
pels  de  la  Polynésie.  Dans  la  plupart  des  autres 
régions  du  la  terre,  en  Europe  surtout,  le  pro- 
blème est  infiniment  plus  compliqué,  en  raison 
du  nombre  considérable  de  types  humains  d'ori- 
gine différente,  qui  sont  venus  se  lieurter  sur  une 
même  contrée,  et  se  soiit  fusionnés  en  occupant 
son  sol.  D'ailleurs  une  autre  cause  rend  le  pro- 
blème plus  compliqué  encore  :  c'est  l'extrême 
variabilité  de  l'espèce  humaine,  non-seulement 
sous  l'action   des   croisements,   mais  même  sous  ' 


l'action  directe  du  milieu.  N'avons-nous  pas  vu 
un  type  très  accusé,  le  Yankee,  se  former  pour 
ainsi  dire  sous  nos  yeux  aux  États-Unis,  soit  par 
le  mélange  d'Européens  fixés  en  Amérique,  soit 
par  une  modification  spontanée  du  type  le  plus 
répandu  dans  le  pays,  le  type  anglais'? 

Le  problème  anthropologique  étant  ainsi  posé, 
la  méihode  la  plus  logique  pour  arriver  h  connaî- 
tre l'origine  de  toutes  les  races  actuelles  consiste- 
rait à  déterminer  quels  ont  été  les  premiers  habi- 
tants do  chaque  contrée,  et  quelles  sont  les 
immigrations  successives  qui  se  sont  produites. 
Si  difficile  qu'il  soit  de  suivre  cette  méthode,  en 
raison  de  l'imperfection  de  l'histoire  et  des  mythes 
qui  défigurent  presque  toujours,  dans  les  races  an- 
ciennes et  dans  les  races  sauvages,  les  faits  réels 
dont  le  souvenir  a  pu  se  conserver,  la  mythologie 
même,  la  linguistique  ou  étude  comparée  des 
langues,  l'arcliéologie  et  la  paléontologie  ont  fourni 
h  l'histoire  de  1  homme  des  documents  nombreux, 
grâce  auxquels  il  est  possible  de  retracer,  avec 
une  assez  grande  certitude,  les  vicissitudes  éprou- 
vées par  quelques-unes  de  ses  races. 

Tout  d'abord,  la  paléontologie  est  seule  capable 
de  nous  fournir  quelques  renseignements  sur  les 
premières  formes  revêtues  par  l'espèce  humaine, 
sur  leur  antiquité. 

Depuis  une  trentaine  d'années  nos  connaissan- 
ces à,  cet  égard  ont  fait  des  progrès  inattendus.  Des 
documents  patiemment  recueillis  aux  environs  de 
Chartres  par  M.  Desnoyers,  en  Italie  par  M.  Ca- 
pellini,  dans  le  Loir-et-Cher  par  M.  l'abbé  Bour- 
geois, ont  convaincu  des  hommes  de  la  plus  haute 
prudence  et  de  la  compétence  la  plus  incontestée, 
tels  que  M.  de  Quatrefages,  que  l'homme  existait 
déjà  durant  le  second  tiers  de  la  période  tertiaire, 
à  l'époque  miocène,  qu'il  avait  été  contempo- 
rain des  mastodontes,  des  rhinocéros  européens, 
des  hipparions  ou  chevaux  à  trois  doigts,  etc.  On 
ne  trouve  malheureusement,  avec  les  silex  gros- 
sièrement taillés  de  l'homme  miocène  et  les  os 
entaillés  par  ses  outils,  que  les  très  rares  débris 
d'un  être  étrange,  le  Dryopilhcque,  plus  rappro- 
ché de  l'homme  à  certains  égards  que  les  grands 
singes  actuels,  et  sans  qu'il  soit  impossible  que  les 
outils  découverts  dans  le  miocène  soient  l'œuvre 
de  ce  singulier  précurseur  de  l'homme,  rien  n'au- 
torise à  les  lui  attrihuer  d'une  façon  positive. 

Nous  possédons  des  renseignements  plus  com- 
plets sur  l'existence  de  l'homme  dans  la  période 
quaternaire,  immédiatement  antérieure  à  la  grande 
extension  des  glaciers  en  Europe  qui  marque  le 
début  de  l'époque  géologique  actuelle.  Non  seule- 
ment l'homme  a  été  en  Europe  le  contemporain  de 
l'ours  des  cavernes,  du  renne,  du  mammouth,  ce 
gigantesque  éléphant  aux  longs  poils,  mais  il  avait 
acquis  dès  cette  époque  une  véritable  industrie  ;  ses 
armes  étaient  faites  avec  habileté  ;  il  avait  le  goût 
de  la  parure  ;  il  avait  découvert  l'art  du  dessin  et 
s'est  représenté  lui-môme  par  des  gravures  sur 
pierre  et  sur  ivoire,  q\ii  ont  été  retrouvées  ainsi 
que  d'autres  représentant  d'une  façon  nettement 
reconnaissable  les  animaux  ses  contemporains.  Les 
restes  de  l'homme  de  cette  époque  qui  précède  de 
si  loin  l'époque  historique  ont  été  exhumés  ;  ils 
appartiennent  à  plusieurs  races  qui,  sans  être  aussi 
anciennes  les  unes  que  les  autres,  ont  vécu  cepen- 
dant côte  à  cote  et  ont  légué  quelques-uns  de 
leurs  caractères  à  certains  types  do  l'homme  ac- 
tuel. Ces  races  sont  colles  de  Canstadt,  de  Cro- 
AVajîîo;!,  et  l'ensemble  de  types  désignés  parM.  de 
Quatrefages  sous  le  nom  de  races  de  Furfooz . 

La  race  de  Canstadt  est  la  plus  ancienne  ;  c'est 
aussi  celle  dont  le  type  est  le  moins  élevé  ;  elle  a 
été  découverte  à  Canstadt,  près  do  Stuttgart,  en 
nuO,  sans  qu'on  y  attachât  d'abord  grande  impor- 
tance; retrouvée  dans  la  grotte  de  Neanderihal, 
près   de   Dusseldorf,   et  alors  étudiée  avec   soin. 


RACES  HUMAINES        —  2400  —        RACES  HUMAINES 


puis  récemment  encore  dans  diverses  localités,  no- 
tamment à  Gibraltar.  Le  front  était  bas,  fuyant,  les 
arcades  sourcilicres  saillantes,  le  crâne  surbaissé, 
prolongé  en  arrière,  les  orbites  énormes,  le  men- 
ton peu  saillant,  la  physionomie  bestiale  ;  la  taille 
moyenne,  mais  les  formes  atliléliques,  les  bras 
très  épais,  les  muscles  exceptionnellement  puis- 
sants. L'homme  de  Canstadt  avait  cependant  des 
armes  faites  de  silex  taillé,  des  outils  en  bois  de  cerf 
ou  en  mâchoires  d'ours,  des  parures  en  morceaux  de 
polypier;  il  persista  dans  l'Europe,  dont  il  parait 
avoir  été  le  premier  habitant,  bien  longtemps  après 
la  période  glaciaire  ;  on  le  retrouve  mêlé  à  d'autres 
types  dans  les  dolmens,  dans  les  cimetières  gallo- 
romains,  dans  ceux  du  moyen  âge,  etjusque  dans  les 
tombes  modernes  de  toute  l'Europe  ;  il  parait  aussi 
s'être  montré  en  Amérique,  et  a  laissé  jusqu'en 
Australie  des  descendants  que  l'on  observe  en 
assez  grand  nombre  aux  environs  de  Port- Western. 

La  race  de  Cro-Magnon,  plus  récente,  d'un  type 
bien  plus  élevé,  était  remarquable  par  le  beau  dé- 
veloppement de  son  crâne,  également  prolongé  en 
arrière  (dolichocéphale),  sa  face  courte  et  large,  ses 
orbites  longues,  son  front  haut  à  arcades  sourci- 
lières  peu  saillantes  et  peu  élevées,  son  nez  prnomi- 
iient;  sa  taille  était  élevée  et  atteignait  l'",S5  chez 
les  hommes.  C'est  la  race  qui  habitait  les  grottes 
de  la  Vézère  (le  Moustier,  Cro-Magnon,  Laugerie- 
Haule,  Laugerie-Basse,  les  Eyzies,  la  Madeleine), 
Solutré,  Menton,  et  probablement  tout  le  littoral 
de  la  Méditerranée.  Après  avoir  manifesté  une  in- 
dustrie d'abord  assez  grossière,  on  la  voit  se  per- 
fectionner graduellement;  bientôt  elle  sait  coudre 
des  vêtements;  elle  grave  et  sculpte;  obéit  h  des 
chefs  dont  on  retrouve  les  insignes  ;  puis  des 
traces  de  décadence  apparaissent,  en  même  temps 
que  des  indices  de  métissage.  Il  semble  qu'une 
race  nouvelle  ait  apparu,  apportant  avec  elle  l'in- 
dustrie de  la  pierre  polie;  toutefois,  les  caractères 
de  l'homme  de  Cro-Alagnon  ne  disparaissent  pas; 
et  on  les  reconnaît  encore  assez  souvent  dans  la 
plus  ancienne  des  races  européennes  actuelles,  la 
race  basque,  ainsi  que  chez  les  Kabyles  du  liéiii- 
Masser  et  du  Djurdjura,  et  chez  les  anciens 
habitants  des  Canaries. 

Les  races  de  Furfooz  (race  de  Furfooz,  race  de 
Grenelle,  race  de  la  Tronchère)  étaient  formées 
d'hommes  petits,  à  crânes  peu  développés  d'avant 
en  arrière  (brachycophales  ou  mésaiicépliales),  et 
rappelant  par  un  assez  grand  nombre  de  caractè- 
res les  Lapons  actuels,  qui  semblent  être  leurs 
descendants  émigrés  vers  le  Nord,  à  la  suite  du 
renne,  pendant  le  retrait  des  glaces,  ou  vers  les 
hautes  montagnes,  i  la  snite  du  bouquetin  et  du 
chamois,  comiïie  cela  a  eu  lieu  dans  le  Dauphiné. 
Ils  manquaient  d'armes  de  combat  et  paraissent 
avoir  mené  une  existence  toute  pacifique.  Il  est 
hors  de  doute  que  ces  petits  hommes  ont  coexisté 
en  Europe  avec  ceux  des  races  de  Cro-Magnon  et 
de  Canstadt  ;  c'est  en  face  de  tous  ces  tailleuis  de 
silex  déjà  mélangés  entre  eux  que  se  trouvèrent, 
lorsqu'ils  arrivèrent  en  Europe,  les  hommes  de  la 
pierre  polie,  appartenant  eux-mêmes  à  plusieurs 
races,  les  unes  dolichocéphales  comme  les  hommes 
de  Cro-Magnon,  les  autres  brachycéphales  comme 
ceux  de  Furfooz.  On  ne  connaît  pas  l'origine  de 
ces  hommes  de  la  pierre  polie, qui  tiennent  d'une 
part  aux  derniers  hommes  ()ui  ont  laissé  sur  le 
sol  du  Danemark  ces  accumulations  des  débris  de 
leurs  repas  connues  sous  le  nom  de  Kjokkeniuod- 
dings,  et  d'autre  part  aux  premiers  constructeurs 
d'habitations  lacustres  ou  palaffites  de  la   Suisse. 

Quelle  que  soit  leur  provenance,  ils  s'étaient 
déjà  mélangés  â  ces  derniers  lorsqu'arrivèrent  en 
Europe  des  hommes  d'une  autre  race,  éminem- 
ment propre,  celle-là,  â  la  civilisation,  connaissant 
la  fabrication  et  les  usages  du  bronze,  et  dont  il  a 
été  possible   de  reconstituer   la  descendance,  les 


I  Aryas,  probablement  originaires  des  vallées  du  haut 
j  Oxus,  des  pentes  orientales  du  Pamir,  et  sans 
I  aucun  doute  venant  d'Asie.  Quels  étaient  les  ca- 
ractères de  ces  Aryas  primitifs  ?  Etaient-ils  bruns 
ou  blonds,  grands  ou  petits,  dolichocéphales  ou  bra- 
chycéphales '?  Toutes  ces  opinions  ont  été  soute- 
j  nues.  Les  Allemands,  grands  et  blonds,  se  sont 
donnés  comme  les  représentants  les  plus  purs  de 
celte  race  civilisatrice;  mais  la  plupart  des  races 
i'  qui  se  rattachent  le  plus  étroitement  et  le  plus 
sûrement  à  la  civilisation  aryenne,  les  Grecs,  les 
Latins,  les  Celtes,  les  Hindous,  les  Parsis,  étaient 
et  sont  encore  de  taille  moyenne,  ont  le  teint 
brun,  et  peuvent  présenter  d'ailleurs  quelques  va- 
riations dans  les  formes  du  crâne.  Quoi  qu'il  en 
soit,  les  Européens  présentent  dès  l'antiquité  la 
plus  reculée  deux  types  bien  distincts,  plus  ou 
moins  mélangés  entre  eux  :  un  type  grand,  blond, 
aux  yeux  et  au  teint  clair,  plus  ou  moins  dolicho- 
céphale ;  et  un  type  de  taille  moyeiuie,  plus  ou 
moins  brachycéphale,  aux  yeux,  aux  cheveux  et 
au  teint  plus  foncé.  Les  Germains  sont  les  repré- 
sentants du  premier  type  ;  les  Grecs,  les  Latins 
et  les  Celtes  appartiennnent  au  second,  qui  est 
peut-être  seul  aryen. 

Les  Thraces,  auxquels  se  rattachent  les  anciens 
Troyens,  sont  les  plus  antiques  représentants  des 
[  Aryas  dans  l'Europe  méridionale  ;  ils  demeurèrent 
!  presque   tous   barbares,   de  même  que  les   lil;j- 
riens,  leurs  voisins,  également  d'origine  aryenne. 
Les   uns  et    les  autres  avaient  étendu    leur  do- 
\  maine  jusque  sur  la  Grèce,  où,  mêlés  à  l'homme 
I  préhistorique  de  la  race  de  Cro-Magnon,  ils  con- 
stituaient cette  population  dePélasges  qu'y  trouvè- 
rent  les   Hellènes   lorsque   venant  de  Thessalie, 
suivant  leur  tradition,  ils  y  établirent  leur  domi- 
nation. Les  Thraces  ont  été  absorbés  par  les  po- 
pulations plus  civilisées  contre  lesquelles  ils  ont 
combattu   avec  des  sorts  divers  ;  les  Serbes,  les 
Bulgares,  les  Roumains  peuvent  être  cependant 
considérés  comme  se  rattachant  à  eux  assez  direc- 
tement ;    les   Illyriens   sont  représentés    par   les 
Albanais  modernes. 

I  En  Italie,  ce  sont  les  Ligures,  probablement  fort 
voisins  des  Celtes,  qui  viennent  les  premiers  se 
mélanger  à  la  race  préhistorique;  leurs  représen- 
i  tants  modernes  sont  les  Savogards,  les  Dauphinois 
.  et  les  Piémontais,  dont  la  ressemblance  avec  les 
Auvergnats,  les  lias-Bretons  et  les  Highlanders, 
des  Celtes  purs  ceux-là,  est  frappante.  Les  Ligures 
occupèrent  toute  l'Italie,  y  compris  la  Sicile  ;  mais 
ils  y  furent  rejoints  par  des  Illyriens  (Japgqes, 
Messapiens,  Dauniens);  c'est  de  ces  derniers 
qu'est  issu  Italos,  ce  héros  légendaire  à  qui  l'Italie 
a  emprunté  son  nom  et  qui  aurait  importé  l'agri- 
culture dans  ce  pays.  Les  Latins  paraissent  avoir 
eu  une  autre  origine  et  possédé  d'autres  institu- 
tions, quoique  leur  descendance  aryenne  ne  soit 
pas  douteuse.  On  ignore  quel  rapport  les  Etrus- 
ques pouvaient  présenter  avec  ces  diverses  popu- 
lations, qui  ne  tardèrent  pas  à  se  confondre  sous 
l'hégémonie  romaine. 

Les  Celtes  se  mélangèrent  de  bonne  heure  avec 
las  [ùères  d'Espagne,  probablement  préhistoriques, 
quoique  distincts  des  Basques. 
1  Deux  autres  rameaux  aryens  étaient  les  Litliua- 
niens,  aujourd'hui  confondus  avec  leurs  voisins,  et 
les  Slaves,  d'aburd  connus  sous  le  nom  de  Serbes, 
d'où  descendent  les  Serbes,  la  plus  grande  partie 
des  Russes,  les  Croates,  les  Bulgares,  les  Tchè- 
ques ou  Bohémiens,  et  les  Polonais. 

Les  Gaulois  appartenaient  au  type  européen, 
blanc,  grand  et  dolichocéphale,  que  présentent  en- 
core les  habitants  de  l'Allemagne  du  nord,  du 
[  Danemark,  de  la  Norvège  et  de  la  Suède;  c'était 
aussi  le  type  des  Germains,  dont  les  Cimhres,  les 
I  Teutons  et  les  Gotln  n'étaient  que  des  tribus.  Ces 
I  hommes  blonds  ne  devaient  peut-être  qu'au  contact 


RACES  HUMAINES        —  2401  —        RAGES   HUMAINES 


des  Ccltos  les  croyances  et  le  langage  qui  les  rap- 
proclKiicnt  des  Aryens.  Les  Franks,  les  Alarnnn^, 
les  liurijondes  et  les  Lomhurds  étaient  des  Teu- 
tons :  ces  derniers  ont  pour  principaux  représen- 
tants les  Allemands  modernes.  Les  Gotlis,  après 
avoir  un  moment  brillé  sous  la  conduite  de  Tliéo- 
doric,  ont  complètement  disparu  en  se  fondant  avec 
leurs  ennemis,  en  Italie  et  en  Kspagne.  Les  Scan- 
dinaves actuels  sont  les  descendants  des  Cimbres; 
les  Normani/s,  qui  terrifièrent  fréquemment  l'Eu- 
rope de  leurs  incursions  au  moyen  âge,  apparte- 
naient Ji  co  rameau  germanique. 

La  race  aryenne  est  représentée  en  Asie  par  les 
Hindous,  les  Perso-Mèdes,  les  Afghans  et  les  Be- 
loutches. 

A  côté  de  cette  race  aryenne,  l'Asie  a  été  la 
pairie  d'origine  de  deux  autres  rameaux  impor- 
tants do  la  race  blanche  que  l'on  désigne  souvent 
sous  le  nom  de  Sémites  et  de  Chamites. 

Les  Sémites,  bruns,  secs,  au  nez  saillant  et  ar- 
qué, au  crâne  allongé  sont  les  anciens  Assyriens, 
les  Chaldéens,  les  Juifs,  les  Phéniciens,  les  Car- 
thaginois et  les  Arabes,  ces  de.rniers  demeurés 
nomades,  tandis  que  les  premiers  étaient  remar- 
quables par  leur  aptitude  ii,  la  navigation  et  au 
commerce. 

On  désigne  sous  le  nom  de  Chamites  un  ensem- 
blede  populations  assez  disparates, souvent  de  cou- 
leur très  foncée,  parmi  lesquelles  les  anciens  Egyp- 
tiens, les  Dedjas  de  Nubie,  les  Gallas,  les  Somalis, 
et  auxquelles  on  rattache  môme  quelquefois  les 
Berbères  (Kabyles  et  Touare/js^. 

Les  diverses  populations  dont  nous  venons  de 
parler  constituent  ce  qu'on  appelle  souvent  la 
race  blanche,  ce  qu'on  appelait  aussi  la  race  cuu- 
casique,  bien  qu'il  paraisse  certain  que  les  monta- 
gnes du  Caucase,  habitées  par  des  peuplades  ap- 
partenantaux  types  les  plus  variés,  n'ont  nullement 
été  sa  première  patrie.  Sur  l'Asie  et  l'Europe  s'é- 
tendent encore  les  rameaux  diflérents  d'une  autre 
vaste  race  qu'on  a  rattachée  à  la  race  jaune,  qui 
a  même  fourni  à  cette  race,  telle  qu'on  la  compre- 
nait autrefois,  le  nom  de  race  mongolique,  mais 
qu'on  distingue  de  préférence  aujourd'hui  sous  le 
nom  de  ruce  ouralo-altaïque ,  parce  que  les  carac- 
tères de  sa  langue  et  ses  caractères  moraux  sont 
bien  distincts  de  ceux  des  Chinois,  des  Japonais  et 
autres  représentants  de  la  race  jaune  pure. 

On  doit  les  diviser  en  deux  types  : 

1°  Le  type  allairjue,  caractérisé  par  un  crâne  glo- 
buleux, des  pommettes  saillantes,  un  nez  large  et 
plat,  uii  teint  jaune,  des  cheveux  noirs  et  plats, 
une  barbe  rare  et  ne  poussant  guère  que  sur  la  lè- 
vre supérieure  et  le  menton,  des  yeux  noirs,  petits 
et  bridés  ; 

"2"  Le  type  ournlien,  au  crâne  plus  allongé,  aux 
pommettes  saillantes,  au  nez  droit  et  assez  proé- 
minent, au  teint  blanc  fréquemment  couvert  de  ta- 
ches de  rousseur,  aux  chevetix  souvent  roux,  â  la 
barbe  assez  fournie,  aux  yeux  bleus  ou  gris. 

Les  Tongouses  sont  les  représentants  les  plus 
orientaux  du  type  altaique;  ils  habitent  les  bords 
du  fleuve  Amour  ;  ils  sont  chasseurs,  pécheurs,  et 
n'ont  d'autre  religion  qu'une  grossière  croyance 
au  pouvoir  des  sorciers,  qui  leur  est  commune  avec 
plusieurs  autres  peuples  du  nord  et  qu'on  appelle 
le  chamanistne.  Les  Mandchom:,  alliés  de  près 
aux  Tongouses,  ont  conquis  la  Chine  en  1644  et 
n'ont  cessé  depuis  de  lui  fournir  des  empereurs. 
Ils  ont  conservé  leur  langue  et  une  partie  de  leurs 
coutumes,  mais  ils  n'en  sont  pas  moins  entrés 
presque  entièrement  dans  la  civilisation  chinoise. 

Les  Mongols,  autre  rameau  de  la  branche  altai- 
que, ont  joué  un  rôle  plus  important  et  dont  l'in- 
fluence s'est  fait  sentir  du  Japon  jusqu'au  centre 
de  l'Inde  et  au  cœur  de  l'Euriipe.  Unis  auxTurco- 
tatars,  sous  le  coramandenirnt  de  Gengis-Khan, 
ils  conquirent  un  vaste  empire  qui  fut  divisé,  après 

2'   PARTIE. 


la  mort  de  ce  grand  chef,  mais  qui  trouva  un  re- 
gain de  gloire  militaire  avec  Tamerlan  et  Caber. 
Los  Mongols  adoraient  d'abord  le  ciel,  mais  ils 
furent  de  bonne  heure  convertis  à  l'islanisme. 
Les  Kidmouks  sont  des  Mongols  qui  s'établirent 
au  xvii'  siècle  sur  les  bords  du  Volga,  venant  de 
la  Dzoungarie,  où  ils  retournèrent  un  siècle  plus 
tard  après  un  exode  des  plus  dramatiques.  Il  exis- 
te des  Kalmouks  dans  l'.Mtaî,  dans  le  gouverne- 
ment de  Tomsk  en  Sibérie,  sur  les  bords  du  lac 
Baikal,  dans  le  gouvernement  d'Irkoutsk,  etc. Tous 
ces  Mongols  sont  demeurés  nomades  et  pasteurs. 

Les  Turcs,  mentionnés  depuis  les  temps  les  plus 
éloignés  dans  les  annales  de  l'histoiro,  appartien- 
nent aussi  au  rameau  altaique  ;  c'étaient  ces  Mas- 
sagèies  contre  lesquels  combattit  Cyrus.  On  les 
retrouve  h  diverses  époques  sous  les  noms  de 
Hiong-nou,  Yue-tclii,  Tu-Khiu,  Ouïgours.  De  ces 
derniers,  convertis  â  l'islamisme  dès  les  premiers 
siècles  de  l'hégire,  sortirent  les  Seldjoucides  et  plus 
tard  les  Osmanlis,  que  l'on  considère  aujourd'hui 
comme  les  véritables  Turcs  et  qui  firent  la  con- 
quête de  l'empire  d'Orient. 

Les  Tatars  de  Khazan  et  du  Caucase,  les  Nogaïs 
de  Crimée,  qui  appartiennent  au  même  groupe 
ethnique,  pénétrèrent  en  Europe,  où  ils  sont  de- 
meurés, à  la  suite  de  Gengis-Khan. 

Les  Usbeks  sont  aussi  des  Turcs  qui  ont  dominé 
dans  le  centre  de  l'Asie;  mais  tous  ces  peuples 
n'ont  conservé  de  leurs  caractères  primitifs  que 
leur  langage  ;  presque  tous  ont  subi  de  nombreux 
croisements. 

Les  Tartares  de  Sibérie,  bien  différents  des 
Tatars  européens,  sont  un  mélange  d'éléments  très 
variés  qui  n'ont  de  turc  que  la  langue.  Il  en  est 
de  même  des  Kirginzes,  qui  errent  entre  l'Indus  et 
l'Altaï,  et  des  turcomans,  essentiellement  bri- 
gands. 

Le  type  ouralien  de  la  race  ouralo-altaique  com- 
prend les  Sumoyèiles  et  les  Finn'ds.  Les  premiers 
sont  relégués  près  des  côtes  de  la  mer  Glaciale; 
les  seconds,  auxquels  on  peut  rattacher  les  Lapons, 
qui  ont  les  mœurs  des  Samoyèdes,  comprennent 
entre  autres  les  Finlandais,  qui  sont  aujourd'hui 
hautement  civilisés,  et  les  Magyars  ou  Hongrois. 
C'est  sûrement  au  type  ouralo-altaique,  aujour- 
d'hui très  perfectionné,  qu'appartenaient  les  lluns 
d'Attila. 

Les  Jiiponnis,  dont  l'origine  est  incertaine,  enva- 
hirent les  îles  qu'ils  habitent  COU  ans  avant  notre 
ère  et  en  chassèrent  les  A'inos,  aujourd'hui  réfu- 
giés dans  l'Ile  d'Iesso  et  dans  les  Kouriles,  et  re- 
marquables par  le  grand  développement  de  leur 
système  pileux.  Les  Japonais  sont  de  taille  moyenne, 
ont  le  teint  jaune,  la  face  large  aux  pommettes, 
les  yeux  noirs,  petits,  presque  droits,  les  cheveux 
noirs  et  lisses.  Ils  sont  très  différents  des  Chinois 
et  par  leurs  caractères  anatomiques  et  par  leur  lan- 
gue et  leur  organisation  :  ils  leur  ont  cependant 
emprunté  plus  d'un  trait  de  leur  industrie.  Après 
une  période  de  bouleversements  politiques  assez 
profonds,  les  Japonais  sont  aujourd'hui  en  train  de 
substituer  la  civilisation  européenne  à  leur  an- 
cienne civilisation. 

Les  C/iî«ois  forment,  avec  les  habitants  de  l'Indo- 
Chine  et  du  Thibet,  un  ensemble  de  peuples  qui 
présentent  en  commun  ce  curieux  caractère  que 
leurs  langues  sont  formées  de  mots  monosyllabi- 
ques ;  du  reste  ils  paraissent  séparés  en  grou- 
pes assez  nombreux  par  des  différences  pro- 
fondes. On  représente  habituellement  le  Chinois 
comme  un  homme  de  taille  moyenne,  ayant  une 
tendance  à  l'obésité,  possédant  un  crâne  globu- 
leux, une  face  large  et  ronde,  de  longs  cheveux 
noirs  tressés  en  natte,  une  barbe  rare,  souvent 
réduite  â  une  moustache  raide,  des  yeux  noirs, 
très  nettement  obliques,  uu  teint  jaune.  Ces  ca 
ractères  varient  dans  une  assez  largo  mesure;  il 
151 


RACES   HUMAINES        —  2402  —        RACES  HUMAINES 


y  a  des  Cliinois  très  dolichocéphales;  d'antres  à 
l«inl  presque  blanc  ;  robliquité  des  yeux  est  un 
des  traits  les  plus  caractéristifiues  et  les  plus 
constants.  Les  Chinois  sont  peut-être  de  tous  les 
peuples  le  plus  anciennement  civilisé  :  l'agricul- 
iiire,  diverses  industries,  les  arts  eux-mêmes  ont 
atteint  de  bonne  heure  chez  eux  un  haut  degré 
de  perfection  ;  ils  connaissaient  bien  longtemps 
avant  nous  la  porcelaine,  la  soie,  la  boussole,  la 
poudre  à  canon  ;  mais  dominés  par  un  nombre  inouï 
de  petites  pratiques  et  de  règlements  minutieux, 
Us  se  sont  enfermés  dans  leur  civilisation,  ont 
rompu  touio  espèce  de  rapports  avec  leurs  voisins, 
et  commencent  à  peine  à  comprendre  quelques- 
ans  des  avantages  de  la  civilisation  européenne  ; 
il  ne  serait  pas  étonnant  cependant  que,  stimulée 
par  les  résultats  que  nous  savons  obtenir,  cette 
race  patiente,  adroite,  laborieuse  et  économe 
prit  quelque  jour  un  nouvel  essor. 

Los  Malais  forment  un  nouveau  tj'pe  spécial  : 
ils  habitent  la  presqu'île  de  Malacca,  les  cùles  des 
îles  de  la  Sonde,  Atchin,  Palembang  ;  mais  ils  ont 
aussi  conquis  les  Philippines,  les  îles  Mariajines, 
Formose,  et  Madagascar  même,  où  les  Hui'as  sont 
leurs  descendants.  Ils  sont  petits,  grêles,  ont  le  teint 
brun  foncé,  le  visage  long  et  plat,  le  front  élevé, 
les  yeux  petits  et  noirs,  le  nez  court  et  large,  la 
bouche  grande,  les  lèvres  épaisses,  les  dents  in- 
clinées en  avant,  les  cheveux  noirs  et  raides.  Ils 
sont  essentiellement  navigateurs,  hardis,  coura- 
geux, mais  rusés,  perfides  et  d'une  cruauté  inouïe. 
A  Java,  ils  ont  adopté  la  civilisation  indienne, 
ont  construit  de  splendides  monuments  et  sont 
devenus  plus  pacifiques. 

Les  Indonésiens,  autrefois  confondus  avec  les 
Malais,  en  ont  été  justement  distingues  par 
M.  Haniy.  Ce  sont  les  Batlaks  de  l'intérieur  de 
Sumatra,  les  Dayaks  de  Bornéo,  les  Alfournus  des 
Célèbes  et  des  Moluques,  etc.  Ils  sont  grands,  bien 
musclés,  brun  clair,  ont  le  visage  allongé,  les  pom- 
mettes assez  effacées,  les  yeux  noirs  bien  ouverts, 
le  nez  droit  et  mince,  la  bouche  petite,  les  lèvres 
modérément  saillantes,  les  cheveux  fins,  noirs  ou 
châtains.  Les  Battaks  habitent  des  espèces  de  villes 
bâties  sur  pilotis,  ils  n'ont  pour  tout  vêtement 
qu'une  pièce  d'étoffe  roulée  autour  des  reins,  prati- 
quent l'agriculture,  mais  n'en  sont  pas  moins  an- 
thropophages ;  ils  mangent  les  prisonniers,  les  cri- 
minels et  leurs  parents  vieux  ou  malades.  Les 
Dayaks  de  Bornéo  vivent  par  groupes  de  familles 
dans  des  maisons  élevées  sur  de  hauts  piliers;  ils 
sont  également  anthropophages  à  l'occasion,  et  leur 
valeur  se  mesure  au  nombre  des  tètes  qu'ils  ont 
coupées. 

Ce  sont  certainement  des  Indonésiens  qui  ont 
peuplé  la  Polynésie,  et  M.  de  Quatrefages  a  pu  re- 
constituer presque  entièrement  la  voie  suivie  par 
les  émigrants  asiatiques  pour  se  répandre  dans  les 
archipels  du  Pacifique.  Le  point  de  départ  de  l'é- 
migration fut  l'ile  de  Bouro  ou  de  Bourou,  entre 
Célèbes  et  Céram.  Les  émigrants  touchèrent 
d'abord  à  la  Nouvelle-Guinée,  mais  ils  furent  re- 
pousses par  les  races  noires  que  nous  décrirons 
tout  à  l'heure  et  qui  s'y  étaient  établies  avant  eux  ; 
ils  y  laissèrent  toutefois  une  colonie  qui  a  persisté 
M'extrcmité  orientale  et  qui  a  fourni  à  la  Mélanésie 
1  élément  polynésien  dont  on  trouve  chez  elle  des 
traces.  Le  gros  de  l'émigration  franchit  la  Mélané- 
sie et  se  divisa  en  trois  branches  qui  se  diri- 
gèrent vers  les  îles  Samoa,  les  lies  Tonga  et  les  iles 
Fidji.  Les  deux  premiers  archipels  étaient  alors 
déserts  ;  le  dernier  avait  déjà  une  population  noire 
qui  s  allia  d'abord  aux  nouveaux-venus,  mais  finit 
par  les  repousser,  non  sans  avoir  formé  avec  eux 
une  population  mixte.  Les  Indonésiens  chassés  des 
lies  Fidji  se  réfugièrent  aux  Tonga,  où  ils  soumirent 
au  serv.ige  leurs  compatriotes  qui  s'y  étaient  déjà 
établis.  Les  colonies  de  Tonga  et  de  Fidji,  désolées 


par  la  guerre,  prospérèrent  peu  ;  cependant,  vers 
l'an  419  de  notre  ère,  les  Tonga  fournirent  une 
émigration  aux  îles  Marquises.  lien  fut  autrement 
de  celle  de  Samoa.  Une  des  iles  de  cet  archipel, 
Savai,  célèbre  dans  les  légendes  polynésiennes, 
peupla  bientôt  Taïtï  et  les  iles  Manaîa  ;  les  Taï- 
tiens  gagnèrent  ensuite  les  lies  Poniotou,  les  iles 
Marquises  3t,  vers  701,  les  îles  Sandwich,  où  vinrent 
plus  tard  les  rejoindre  de  nouveaux  colons  venus 
des  Marquises.  Les  habitants  des  iles  Manaia  four- 
nirent aussi  des  émigrations  jusqu'à  Râpa  et,  en 
1270,  aux  iles  Gambier  ;  Rarotonga,  l'une  des  îles 
Manaîa,  avait  été  colonisée  en  1207  par  des  habi- 
tants de  Karika  ;  il  en  partit  vers  1420  des  naviga- 
teurs qui  découvrirent  la  Nouvelle-Zélande,  s'y  éta- 
blirent et  sont  devenus  les  Maoris.  Tous  ces  faits 
ont  pu  être  rigoureusement  établis  par  divers  pro- 
cédés de  recherche  et  notamment  par  l'étude  des 
chants  sacrés,  qui  racontent,  réduits  en  versets, 
les  faits  principaux  de  l'histoire  nationale  et  que 
des  arepos,  véritables  hommes-archives ,  sont  char- 
gés de  réciter  fréquemment  afin  de  les  garder  dans 
leur  mémoire.  L'histoire  du  peuplement  de  la  Po- 
lynésie est  certainement  l'une  des  plus  instruc- 
tives :  elle  nous  montre  comment  l'homme,  fùt-il 
parti  d'une  région  limitée  du  globe,  a  pu  se  ré- 
pandre sur  toute  sa  surface  malgré  les  obstacles, 
en  apparence,  les  plus  insurmontables. 

Les  migrations  polynésiennes  ont  eu  lieu  d'ail- 
leurs à  une  époque  relativement  récente  ;  elles  ex- 
pliquent la  grande  ressemblance  de  langue,  de 
croyances  et  de  coutumes  que  l'on  observe  dans  les 
lies  de  cette  vaste  étendue  de  l'Océan. 

Les  Malais  et  les  Indonésiens  ne  sont  pas  les 
seuls  habitants  des  archipels  du  Pacifique  ;  abs- 
traction faite  des  Australiens  et  des  Tasmaniens, 
sur  lesquels  nous  aurons  à  revenir,  on  trouve  dans 
la  Mélanésie  et  laMicronésie  deux  types  de  nègres 
bien  distincts  l'un  de  l'autre,  bien  distincts  aussi 
des  nègres  de  l'Afrique  :  les  Néyritos  et  les  Pa- 
pous. 

Les  Négritos  sont  de  petite  taille,  I™47  en 
moyenne  ;  ils  ont  le  teint  d'un  noir  foncé  et  luisant, 
les  cheveux  noirs,  crépus  et  implantés  par  touffes, 
au  lieu  d'être  régulièrement  répartis  ;  nous  retrou- 
verons ce  caractère  chez  les  lioschimans,  en  Afri- 
que ;  leur  front  est  bombé,  leur  face  large,  à  pom- 
mettes saillantes,  leur  nez  fort  et  non  épaté,  leur 
barbe  rare,  leurs  yeux  grands  et  noirs,  leur  corps  tout 
d'une  venue.  Ce  sont  là  surtout  les  caractères  des 
Négritos  les  plus  purs,  les  Mincopies  des  iles  Anda- 
man.  Ailleurs  le  type  s'est  plus  ou  moins  altéré  par 
suite  des  alliances  avec  les  Malais  :  c'est  ce  qu'on  ob- 
serve dans  la  presiiu'île  de  Malacca,  aux  Philippines, 
et  dans  les  iles  nombreuses  qu'occupaient  autrefois 
les  Négritos,  mais  d'où  les  ont  en  partie  chassés 
leurs  turbulents  voisins,  comme  les  îles  Nicobar, 
Sumatra, Timor,  Bornéo, la  Nouvelle-Guinée,  la  Nou- 
velle-Calédonie, Formose,  les  îles  Mariannes,  etc. 
Les  Négritos  sont  naturellement  doux,  hospitaliers  ; 
mais  les  mauvais  traitements  dont  ils  ont  été  l'ob- 
jet les  ont  rendus  méfiants.  Ils  sont  chasseurs,  pê- 
cheurs, manient  avec  adresse  leurs  longues  (lèches 
de  bambou  et  leurs  haches  de  fer  ;  ils  vont  pres- 
que nus,  mais  se  peignent  le  corps  en  rouge  et  en 
blanc  ou  même  se  tatouent. 

Les  Papous  ou  l'opouas  sont  les  habitants  prin- 
cipaux de  la  Mélanésie.  Ils  sont  un  peu  moins  noirs 
que  les  Négritos,  ont  une  taille  moins  réduite,  un 
crâne  dolichocéphale  au  lieu  d'être  brachycé- 
phalo  comme  celui  des  Négritos,  un  nez  gros  à  la 
base,  mais  saillant  et  recourbé,  des  lèvres  épaisses 
et  repoussées  en  avant  par  les  dents  enfoncées 
obliquement  dans  les  mâchoires  ;  leurs  clieveux, 
implantés  par  touffes,  comme  ceux  des  Négritos, 
sont  cependant  caractéristiques  :  ils  poussent  en 
mèches  frisées,  qui  s'allongent  avec  l'âge  de  manière 
à  former  autour  de  la  tète  une   vaste  perruque 


)  ; 

i 


UAGliS   HUMAINES        —  2403 


RACES  HUMAINES 


ébourifTôe  :  ils  ont  ainsi  ca  tiu'on  appelle  une  tête  i  Sénégambie  et  au  Gabon,  où  ils  viennent  se  môlop 
de  vadrouille.  Les  Papous  du  type  le  plus  pur  se    avec  les  Gifres.  Dans  cotte  vaste  région,  ils  pré- 


trouvent à  la  iVûuvclle-Guinée  ;  presque  partout 
ailleurs  ils  sont  mélangés  de  Ncgritos  ou  de  Poly- 
nésiens, et  ont  môme  parfois  adopté  une  langue  et 
des  coutumes  polynésiennes. 

Les  habitants  indigènes  do  l'Australie  sont  aussi 
des  noirs,  mais  d'un  type  tout  particulier  ;  ils  se 
font  remarquer  par  leurs  cheveux  longs,  lisses, 
souvent  droits,  quelquefois  bouclés,  mais  jamais 
laineux  ou  crépus,  leur  barbe  et  leur  système 
pileux  abondant  sur  tout  le  corps,  leur  crâne 
allongé,  leurs  arcades  sourcilières  saillantes,  leurs 
dents  très  avancées.  Il  en  existe  diîux  types,  l'un 
de  petite  taille  habitant  les  cotes,  l'autre  plus 
grand  et  évidemment  supérieur  habitant  l'intérieur 
des  terres.  Les  Nègres  australiens  des  côtes  comp- 


sententdes  formes  nombreuses,  des  dialectes  tr 
variés  et  souvent  indépendants  les  uns  des  autres, 
des  états  de  civilisation  très  différents.  Les  nè- 
gres du  Dahomey  et  les  Ashantis  de  la  côte  occi- 
dentale ont  formé  de  véritables  royaumes  où  le 
souvprain  jouit  d'une  autorité  presque  illimitée  ; 
les  Yolofs  se  sont  disciplinés  au  point  de  fournir 
à  notre  colonie  du  Sénégal  d'excellents  soldats; 
les  Manilin;/ues  furent,  il  y  a  peu  de  temps  en- 
core, les  maîtres  d'un  puissant  empire;  les  IJinkas 
et  les  Baris  de  l'Afrique  orientale  sont,  au  con- 
traire, peu  civilisés.  Les  caractères  physiques  du 
nègre,  son  crâne  allongé,  ses  cheveux  crépus,  son 
nez  épaté,  ses  lèvres  grosses  et  retroussées,  sont 
trop  connus  pour   que  nous  ayons  besoin  d'insis- 


tent  parmi  les  races  les  plus  déshéritées  de  l'es-  ter  davantage.  Au  moral,  les  nègres  sont  géné- 
pèco  humaine;  ils  vont  presque  nus,  habitent  sou-  ralement  légers,  bavards,  imprévoyants  et  pares- 
vent  dans  les  grottes,  et  ne   connaissent  même    seux.  Ils  pratiquent  le   plus  grossier  fétichisme 


pas  l'usage  des  insirunients  de  pêche;  ceux  de 
l'intérieur  sont  plus  avancés  et  manient  avec  une 
adresse  incomparable  une  arme  curieuse,  le  boo- 
merang, sorte  de  sabre  en  bois,  qui,  après  avoir 
atteint  le  but,  revient  spontanément  vers  celui  qui 
l'a  lancée. 

Au  sud  de  la  Nouvelle-Hollande,   la  terre   de 
"Van-Diémen    ou  Tasmanie    était  habitée  lors  de 


c'est-à-dire  qu'ils  croient  que  tous  les  objets  sont 
animés,  y  compris  les  fleuves  et  les  rochers,  et  peu 
vent  exercer  une  influence  sur  leur  sort.  Pour  se 
rendre  favorables  les  âmes  des  morts  et  les  nom- 
breuses divinités  dont  ils  peuplent  la  nature,  ils 
n'hésitent  pas  à  faire  des  sacrifices  humains  qui, 
au  Dahomey  et  chez  les  Ashantis,  prennent  les  pro- 
portions de  véritables  massacres.  Au  Dahomey,  les 


sa  découverte  par  une  race  très  inférieure,  tout  Ji  !  femmes  participent  à  la  guerre  et  constituent  des 
fait  spéciale,  également  noire  et  poilue,  et  dont  le    régiments  d'amazones. 

crâne  présentait  une  singulière  carène  longitudi-  11  faut  soigneusement  distinguer  des  nègres  une 
nale.  Les  derniets  ïasmaniens  ont  disparu  vers  le  curieuse  population,  très  répandue  dans  le  Soudan, 
milieu  de  ce  siècle.  caractérisée  par  sa   couleur  peu   foncée   presque 

Nous   arrivons   enfin  à  la    terre    classique   des    rouge,  et  ses  cheveux  lisses.  Ce  type  rouge  afri- 


Nègres  proprement  dits,  l'Afrique.  Nous  avons  vu 
tout  le  littoral  méditerranéen  de  ce  vaste  continent 
occupé  par  des  races  qui  se  rattachent  étroite- 
ment au  type  blanc  ;  des  races  analogues  occu- 
pent également  en  partie  le  littoral  de  la  mer 
Rouge,  et  nous  savons,  en  effet,  qne  les  Bedjas  de 
Nubie,  les  .\byssiniens  et  même  les  Gallas  et  les 
Somalis,  s'ils  se  rattachent  aux  nègres  par  divers 
côtés  de  leurs  caractères  physiques,  sout  certai- 
nement mélangés  d'autres  éléments  ethniques  et 
ont  adopté  un  idiome  chamitique.  Au  dessous 
de  cette  région,  la  plus  grande  partie  du  sud 
de  l'Afrique  est  occupée  par  un  ensemble  de 
races  nègres  présentant  un  type  supérieur,  celui 
des  Cafres  ou  Briiitous.  Ce  sont  dfs  hommes  de 
taille  élevée  (1™,72),  bien  proportionnés,  dolicho- 
céphales, au  front  bombé,  au  crâne  étroit,  élevé, 
au  teint  noir,  à  la  chevelure  crépue,  aux  lèvres 
modérément  saillantes.  Ils  sont  venus  de  la  por- 
tion de  l'Afrique  située  au  nord  de  l'équateur,  et 
ont  par  conséquent  conquis  les  pays  qu'ils  habi- 
tent, et  qui  étaient  probablement  occupés  par  la 
race  inférieure  des  Boschimans  que  nous  retrou- 
vons relégués  au  sud.  On  peut  les  distinguer  en 
trois   groupes  :    1°    les   Cafres    proprement  dits 


cain,  auquel  se  rattachent  à  beaucoup  d'égards  les 
Barabras  et  probablement  les  Bedjas  de  Nubie, 
qui  a  aussi  laissé  son  empreinte  sur  les  Somalis, 
est  surtout  représenté  par  les  Peiils  du  Soudan  et 
de  la  Sénéganibie.  Ces  Peuls,  qui  ont  formé  la 
classe  dominante  partout  où  ils  se  sont  établis 
parmi  des  noirs,  se  rapprochent  un  peu  du  type 
européen,  mais  presque  toujours  sont  métissés 
de  noir.  Primitivement  pasteurs  et  nomades,  ils 
sont  devenus  sédentaires  au  contact  des  noirs 
avec  qui  ils  contrastent  par  leur  intelligence  et 
leur  proverbiale  honnêteté. 

A  ce  type  rouge  africain  le  voyageur  Schwein- 
forth  rattache  dos  populations  étranges,  plus  fon- 
cées et  â  cheveux  presque  laineux,  dont  la  décou- 
verte est  relativement  récente  :  les  Monljouttous 
et  les  Nijams-Nijams.  Les  premiers,  quoiqu'ils 
aient  acquis  un  degré  de  civilisation  remarquable 
pour  l'Afrique,  sont  des  anthropophages  féroces  et 
font  la  guerre  pour  se  procurer  leur  abominable 
nourriture.  Ils  sont  forgerons,  potiers,  modeleurs, 
travaillent  artisteraent  le  bois  pour  faire  des  ta- 
bourets, des  tables,  des  guéridons,  des  .bancs, 
mais  ignorent  l'art  du  tissage,  fabriquent  les 
étotîes  dont  ils  se  couvrent  avec  l'écorce  d'un  fl- 


parmi  lesquels  viennent  S"  ranger  les  Cafres  du    guier  qu'ils  assouplissent  par  le  battage,  et  dédai- 
Zambèze,  les  Soua/iili  de  Zanguebar,  et  les  ^ou-    gnent  complètement  l'agriculture.  Ils  sont  consti- 


loui  à  qui  leur  guerre  avec  les  Anglais  a  acquis 
récemment  une  certaine  célébrité,  —  2°  les  Bé- 
clwuan'is,  de  l'intérieur  des  terres,  —  3°  les  Ca- 
fres du  Co7igo,  parmi  lesquels  se  mêlent  d'autres 
populations  parlantdes  idiomes  bantous,  mais  phy- 
siquement bien  distinctes  des  Cafres.  Les  Cafres 
sont  braves,  intelligents  et  ont  su  constituer  par- 
fois de  véritables  armées  ;  réfléchis  et  laborieux, 
ils  élèvent  de  nombreux  troupeaux  et  possèdent 
une  certaine  industrie  ;  leur  religion  est  une  sorte 
de  féticlwsme  très  modéré  et  beaucoup  moins  su- 
perstitieux que  celui  des  nègres.  Quelques  Ban- 
tous sont  cependant  demeures  k  un  état  inférieur 
de  civilisation  et  pratiquent  le  cannibalisme. 
Les  nègres  proprement  dits,  dont   les  Guinéen. 


tués  en  royaume,  et  le  nom  de  leur  roi  Mounza  a 
été  popularisé  en  Europe  par  les  explorateurs  du 
centre  de  l'Afrique. 

Les  Nyams-Nyams,  voisins  du  lac  Albert-Nyanza, 
sont  demeurés  divisés  en  tribus  ;  leur  habitude  de 
ceindre  leurs  reins  de  peaux  de  bêtes  dont  ils  lais- 
sent pendre  la  queue  en  arrière  a  donné  vrai- 
semblablement naissance  â  la  légende  des  hommes 
à  queue  du  centre  de  l'Afrique. 

C'est  â  la  cour  de  Mounza,  roi  des  Monbouttous, 
que  Schweinfurth  vit  pour  la  première  fois  de  pe- 
tits hommes,  hauts  de  l"',50  environ,  les  Akkas, 
qui  forment  une  peuplade  bien  distincte  et  qui 
ont  fait  songer   aux  pygmées   des  anciens.   Deux 


d'entre  eux  ont  été  amenés  récemment  en  Europe 

sont  le  type  le  plus  caractérisé,  habitent  au  sud    3t  ont   été  étudiés  de    près.  Leur  teint  est  d'un 
du  Sahara  le  centre  de  l'Afrique,  du  Darfour  à  la  I  brun  roux,  leurs  cheveux  laineux  forment  une  toi- 


RACES  HUxMAINES        —  2404  —        RACES  HUMAINES 


son  continue,  leur  crâne  est  arrondi.  Ils  sont  vifs 
excessivement  remuants,  d'une  agilité  extraordi 
nairo,  manient  avec  une  adresse  inouïe  leurs 
flèches  terminées  par  des  pointes  de  fer,  et  ne  crai 
gnentpas  de  s'attaquer  au  buffle  et  il  l'éléphant. 

Il  existe  au  Gabon  d'autres  petits  hommes,  d'un 
teint  jaune  sale,  les  Of/ungos,  découverts  par  Du 
Chaillu  ;  mais  ces  Obongos  ont  los  cheveux  im- 
plantés par  toufl'es  distinctes  et  nous  conduisent 
n.iturcllement  aux  Holtentots  ou  Namaguas  et  aux 
Buschiinans,  qui  présentent  aussi  ce  caractère. 

Les  Holtentots,  qui  ont  occupé  jadis  toute  la 
pointe  méridionale  du  Cap  d'où  ils  furent  chas- 
sés par  les  Cafres  et  les  Européens,  sont  au- 
jourd'hui relégués  sur  la  côte  sud-ouest  d'Afrique. 
Ce  sont  de  petits  hommes,  dont  la  taille  moyenne 
n'est  guère  que  do  l^^iD'i  ;  ils  ont  la  teinte  d'un 
«  vieux  cuir  jaune  »;  leurs  cheveux  sont  insérés 
par  touffes  ;  leur  front  est  étroit,  mais  bombé  et 
proéminent;  leurs  yeux  petits  et  enfoncés;  leur 
nez  épaté  h.  larges  narines  ;  leurs  pommettes  sail- 
lantes; leurs  lèvres  énormes;  leur  oreille  grande 
et  sans  lobule  comme  celle  des  singes  ;  leurs 
mains  et  leurs  pieds  sont  petits.  L'ensemble  de  leur 
physionomie  est  absolument  repoussant.  Fré- 
quemment, chez  les  femmes,  la  région  fessière 
prend  un  développement  énorme  dû  à  un  aboji- 
dant  dépôt  de  graisse  (stéatopygie)  ;  le  développe- 
ment de  cette  région  est  tel  que  les  jeunes  enfants 
peuvent  être  assis  dessus  comme  sur  une  selle. 
Doux  et  inoflensifs,  mais  paresseux  et  malpropres, 
les  Huttentots  sont  essentiellement  pasteurs,  vi- 
vent de  fruits,  de  laitage,  plus  rarement  de  viande, 
et  vont  vêtus  d'un  simple  manteau  de  peau,  sauf 
au  voisinage  des  établissements  européens  où  ils 
s'habillent  davantage. 

Les  boschimans  sont  encore  inférieurs  aux //o<- 
teiitots,  avec  qui  ils  présentent  plusieurs  traiis  do 
ressemblance.  Ils  doivent  cependant  en  être  sépa- 
rés, car  ils  parlent  une  langue  tout  à  fait  distincte 
qui  ne  se  rapproche  du  liottentot  que  par  de 
bizarres  clappements  des  lèvres  et  de  la  langue 
qu'on  ne  retrouve  pas  employés  ailleurs  comme 
signes  phonétiques.  La  moyenne  de  leur  taille, 
enco.'e  inférieure  i  celle  des  Akkas,  ne  dépasse 
pas  1°,40  :  leurs  jambes  sont  courtes,  leurs  bras 
au  contraire  très  longs,  comme  chez  les  singes 
anthropomorphes,  dont  ils  ont  encore  les  mouve- 
ments de  lèvres,  les  allures  brusques  et  capricieu- 
ses, les  oreilles  petites  sans  lobule  et  presque  dé- 
pourvues de  tragus  ;  leur  teint  est  d'un  brun  jaune, 
leurs  cheveux  rares,  crépus  et  implantés  par 
touffes,  leur  crâne  très  allongé,  leur  front  bas, 
aplati  et  fuyant,  leurs  lèvres  et  leurs  mâchoires 
très  saillantes.  Ce  sont  certainement  de  tous  les 
hommes  ceux  dont  la  physionomie  est  la  plus  bes- 
tiale ^t  la  plus  repoussante.  Toutes  les  femmes 
sont  affectées  de  cette  stéatopygie  que  nous  ont 
présentée  déjà  beaucoup  de  femmes  liottentotes  et 
qui  nous  paraît  une  si  étrange  difformité;  elles 
ofl'rent  aussi  d'autres  particularités  anatomiques 
qui  ont  pu  être  étudiées  sur  l'une  d'elles,  venue  à 
Paris,  où  elle  mourut  après  avoir  acquis  une 
certaine  célébrité  sous  le  nom  de  Vénus  Iwtten- 
tote.  Les  Boschimans  sont  nomades,  vivent  ordi- 
nairement dans  des  trous  ou  des  cavernes,  ne  por- 
tent comme  vêtement  qu'une  ceinture  de  peau  à 
laquelle  les  femmes  ajoutent  une  sorte  de  manteau; 
ils  vivent  de  chasse,  mangent  tdiut  ce  qu'ils  trou- 
vent, jusqu'à  des  lézards  et  des  araignées,  et  sont  à 
la  fois  menteurs,  cruels  et  vindicatifs.  Ils  manient 
l'arc  et  les  flèches  avec  habileté.  Ce  sont  des  fé- 
tichistes des  plus  superstitieux;  ils  considèrent 
d'ailleurs  les  bêtes  à  leur  égal. 

Nous  avons  achevé  l'énuniération  sommaire  des 
types  africains  les  plus  importants.  Si  nous  avons 
vu  l'Asie  fournir  un  contingent  de  la  plus  haute 
importance  à  la  population  de  l'Europe,  à  celle  du 


■nord  de  l'Afrique  et  de  l'Océanie,  la  multiplicité 
des  types  africains,  leurs  caractères  tranchés,  l'infé- 
riorité extrême  de  quelques-uns  d'entre  eux,  con- 
duit à  penser  que  ces  derniers  au  moins  ont  dû 
apparaître  sur  place  et  se  rattachent  peut-être  di- 
rectement aux  types  les  plus  anciens  de  l'humanité. 

La  population  de  r.\mérique  n'est  pas  moins 
variée  que  celle  de  l'Afrique,  mais  présente  de 
tout  autres  caractères.  On  ne  saurait  y  reconnaî- 
tre une  race  unique,  et  l'on  y  trouve  d'ailleurs  des 
traces  peu  équivoques  de  croisement  avec  les  ra- 
ces de  l'ancien  monde.  Il  est  d'abord  certain  que 
r.\mérique  a  eu,  comme  l'Europe,  ses  hommes 
quaternaires  ;  on  en  a  retrouvé  les  restes,  et  rien 
ne  dit  que  ces  hommes  appartenaient  tous  à  la 
même  race.  De  plus,  bien  avant  la  découverte  de 
Christophe  Colomb,  le  hasard  et  l'esprit  d'aventure 
avaient  poussé  vers  l'Amérique  des  hommes  de 
l'ancien  monde  qui  y  étaient  demeurés  ;  en  diffé- 
rents points  de  la  côte  nord-ouest,  sur  le  haut 
Missouri,  au  Pérou,  il  y  a  des  indigènes  présen- 
tant tous  les  caractères  de  la  race  blanche,  et  Co- 
lomb lui-même  avait  été  frappé  de  la  ressemblance 
des  habitants  de  Guanaliani  avec  ceux  des  îles  Ca- 
naries, que  les  tempêtes  avaient  dû  effectivement 
pousser,  plus  d'une  fois  sur  les  côtes  d'Amérique. 
Dans  le  nord,  dès  le  vni' siècle,  plusieurs  incursions 
sont  faites  dans  le  Groenland  par  les  Scandinaves 
et  répétées  plusieurs  fois  dans  la  suite;  d'autre 
part,  plusieurs  tribus  américaines,  les  Botocudos 
notamment,  ressemblent  étonnamment  à  certaines 
races  asiatiques,  et  les  livres  chinois  font  foi  que 
l'Amérique  était  de  longue  date  connue,  sous  le 
nom  de  Fou-Sang,  des  habitants  du  Céleste  Em- 
pire, qui  y  firent  plus  d'un  voyage  et  paraissent 
même  avoir  été  en  commerce  assez  régulier  avec 
elle  ;  enfin  l'.Amérique  avait  aussi  son  type  noir 
dans  les  Charruas,  aujourd'hui  éteints,  les  Caraï- 
bes de  l'île  Saint-Vincent,  les  Yamassis  de  la  Flo- 
ride et  les  Californiens  ;  peut-être  même  quelques 
véritables  nègres  originaires  d'Afrique  se  trou- 
vaient-ils dans  l'isthme  de  Darien.  A  l'époque  où 
Christophe  Colomb  aborda  en  Amérique,  ce  vaste 
continent  n'était  donc  pas  la  terre  vierge  qu'on  a 
longtemps  supposé  :  divers  éléments  ethniques 
étrangers  s'y  étaient  déjà  mélangés  aux  types  an- 
téhistoriques  dont  l'origine  est  iiicomiue;  il  ne 
faut  pas  oublier  ces  faits  si  l'on  veut  bien  se  ren- 
dre compte  de  la  nature  et  de  la  variété  des  popu- 
lations américaines. 

La  population  la  plus  septentrionale  de  l'Amé- 
rique est  cnW^ànsEscjuimaux.  Comme  les  Lapons, 
les  Esquimaux  sont  de  petite  taille  (l",ô8  en 
moyenne)  ;  leur  physionomie  est  nettement  mongo- 
lique,  mais  leur  crâne  est  dolichocéphale;  leur 
langue  a  tous  les  caractères^des  langues  améri- 
caines ;  leur  teint  est  jaune  ou  cuivré,  leur  face 
large  et  plate,  leurs  yeux  petits,  noirs  et  bridés, 
leur  chevelure  noire,  dure  et  abondante.  Us  sont 
pêcheurs,  ne  fabriquent  que  des  instruments  d'os 
ou  de  pierre,  et  naviguent  dans  des  kni/ahs  d'os 
de  baleine  recouverts  de  peau  où  un  seul  homme 
peut  tenir,  ou  dans  des  ouminlis  plus  grands  que 
manœuvrent  les  femmes.  A  terre  ils  ont  des  traî- 
neaux traînés  par  des  chiens.  Ils  s'habillent  de 
justaucorps  en  peaux  de  bêtes,  et  construisent  des 
huttes  soit  de  terre  et  de  pierres,  soit  de  neige, 
où  l'on  n'entre  qu'en  rampant. 

Le  territoire  de  l'Amérique  russe  et  les  Etats- 
Unis  étaient  en  grande  partie  occupés  par  \es.Pertux- 
Rouijes.  Ce  sont  des  hommes  grands,  bien  faits, 
au  teint  variant  du  blanc  au  brun  avec  une  nuance 
rouge,  qui  n'aurait  peut-être  pas  été  suffisante 
pour  expliquer  la  dénomination  de  ces  sauvages, 
"ils  n'avaient  eu  l'habitude  de  se  peindre  oux- 
— êmes  en  rouge  le  visage  et  une  partie  du  corps. 
Leur  crâne  est  dolichocéphale,  mais  souvent  af- 
fecté de  déformations  artificielles,  volontairement 


RACES  HUMAINES   —  -'405  —   RACES  HUMAINES 


produites  par  les  parents  durant  !e  jeune  âge  de 
leurs  enTants  ;  le  visage  est  allongé,  les  pommettes 
saillantes,  les  mâchoires  larges,  lés  yeux  noirs, 
petits  et  enfoncés,  le  nez  grand,  saillant,  souvent 
busqué,  les  cheveux  noirs.  Tous  les  Peaux- 
Rouges  sont  pécheurs,  chasseurs  et  guerriers  ;  ils 
n'avaient  ;\  l'époque  de  la  conquête  que  des  armes 
de  pierre,  mais  se  sont  rapidement  faits  aux  ar- 
mes européennes  ;  ils  s'habillent  de  peaux  de 
bisons,  se  peignent  et  se  tatouent  le  corps  de  di- 
verses façons,  souvent  pittoresques,  adorent  la 
parure  et  se  font  des  ornements  avec  des  dents, 
des  coquilles  et  surtout  des  plumes  brillantes. 
L'habitude  de  scalper  la  chevelure  de  leurs  en- 
nemis, qu'ils  mangeaient  quelquefois,  était  géné- 
rale. Ils  présentent  d'ailleurs  des  caractères  assez 
variés  :  les  Apaclies  sont  repoussants;  les  Al- 
rj07i(/uins  atteignent  quelquefois  au  contraire  à 
une  véritable  beauté  :  c'est  parmi  eux  qu'il  faut 
ranger  les  Delawarex,  les  Mohicans,  les  Chippe- 
u'ciys  ou  Odjibxvays,  les  Pieds-Noirs,  etc.,  bien 
connus  de  tous  nos  lecteurs.  Les  Iroquois  étaient 
leurs  voisins  ;  les  Hurons  en  sont  les  derniers 
restes.  Les  Nnichez,  qui  ont  été  chantés  par  Cha- 
teaubriand, avaient  acquis  une  réelle  civilisation  ; 
enfin,  dans  les  prairies  du  Mississipi  vivent  les 
Pawnies  et  les  Stoux,  irréconciliables  ennemis  des 
blancs. 

Au  Mexique  et  dans  l'Amérique  centrale,  au 
milieu  de  tribus  demeurées  barbares,  d'autres 
Américains  indigènes,  les  Totii^q^ie^,  étaient  par- 
venus à  une  civilisation  très  avancée  trois  ou 
quatre  siècles  avant  notre  ère  ;  ils  furent  vaincus 
par  les  Chichimèques,  mais  les  absorbèrent  dans 
leur  civilisation,  qui  prit  même,  après  la  conquête, 
un  nouvel  essor.  A  leur  tour,  les  Chichimèques 
furent  soumis  par  les  Aztèques,  qui  fondèrent  un 
vaste  empire  dont  la  capitale  était  Mexico,  oii 
les  chefs  des  peuples  soumis  étaient  tenus  do  ré- 
sider comme  otages.  Les  anciens  Mexicains  su- 
rent élever  des  palais,  construire  des  routes,  des 
canaux,  des  digues,  des  ponts,  tisser  de  magni- 
iiques  étoffes,  fabriquer  des  bijoux  d'or  et  des  ou- 
tils de  bronze;  ils  avaient  une  administration 
compliquée  ;  adoraient  comme  des  dieux  les  élé- 
ments et  la  nature,  et,  bien  que  se  nourrissant  ha- 
bituellement de  végétaux,  pratiquaient  le  canni- 
balisme en  l'honneur  de  leurs  divinités.  Grands 
et  bien  faits,  les  anciens  Mexicains  étaient  bruns, 
avec  de  beaux  yeux,  un  nez  aquilin,  saillant,  par- 
fois de  la  barbe.  Les  Comanches  et  les  Shoshones 
sont  leurs  proches  parents. 

Dans  l'Amérique  du  Sud,  au  Pérou,  une  autre 
race,  celle  des  Aymarns  Quichiias,  avait  acquis  une 
civilisation  d'un  autre  genre,  mais  non  moins 
avancée.  C'étaient  de  petits  hommes  (moyenne 
l'°,00),  trapus,  au  teint  olivâtre,  au  front  court  et 
fuyant,  artificiellement  déformé,  au  visage  arrondi 
régulièrement,  avec  un  nez  remarquablement 
saillant,  aquilin,  recourbé  sur  la  lèvre  supérieure, 
à  longues  narines  ;  les  yeux  étaient  petits  et  pré- 
sentaient, caractère  singulier,  une  cornée  légè- 
rement jaunâtre.  Les  Aymaras-Quichuas  étaient 
soumis  à  la  famille  dos  Incas,  dont  les  membres 
occupaient  héréditairement  tous  les  postes  et 
toutes  les  dignités,  et  qui  avaient  largement,  mais 
assez  équitablcment,  substitué  une  sorte  de  com- 
munisme à  la  propriété  individuelle  :  une  législa- 
tion sévère  maintenait  rigoureusement  cet  état  de 
choses.  Cuzco,  la  capitale,  était  solidement  défen- 
due. Les  Péruviens  adoraient  un  Dieu  invisible, 


qu'ils  fêtaient  en  plein  air,  et  la  plus  noble  de  ses 
créatures,  le  soleil,  père  des  Incas,  il  qui  ils  avaient 
dédié  des  temples  superbes.  Ils  avaient  construit 
des  routes  et  des  chaussées,  et  tenaient  l'agricul- 
ture en  grand  honneur.  Les  morts  étaient  enterrés 
de  façon  à  se  dessécher  et  à  former  de  curieuses 
momies  assises,  les  genoux  relevés,  les  bras  croi- 
sés sur  la  poitrine.  Les  mœurs  étaient  douces  et 
le  sont  demeurées  chez  les  Aymaras,  qui  subsis- 
tent encore  et  dont  la  passivité  n'a  d'égale  que 
celle  des  Chinois. 

Les  Caraïbes  qui  peuplaient  les  Antilles,  et  habi- 
tent encore  la  Guyane,  les  Gunranis  du  Paraguay 
et  quelques  autres  tribus  du  Brésil,  forment  une 
famille  où  une  certaine  douceur  de  mœurs  n'ex- 
cluait pas  le  cannibalisme;  ils  étaient  bien  dis- 
tincts de  leurs  voisins,  les  Botocialos,  à  la  lèvre 
inférieure  perforée  pour  y  placer  un  cylindre  de 
bois,le  /loloqiie,  et\e&  A»tis.  Les  Gauchos  da  Bré- 
sil et  de  l'Uruguay  sont  des  descendants  probable- 
ment métissés  des  anciens  colons  espagnols  ;  ils 
sont  pasteurs,  excellents  cavaliers,  très  indépen- 
dants, violents  et  d'une  ignorance  profonde. 

Dans  les  pampas  de  la  liépublique  argentine  et 
de  la  Patagonie  vivent  un  assez  grand  nombre  de 
tribus  sauvages  et  pillardes,  telles  que  celles  des 
Puelches,  des  Amucans,  de  taille  moyenne,  et 
surtout  des  Tehuhekhes  ou  Patai)0>is,  renommés 
pour  leur  haute  taille  dont  la  moyenne  s'élève  h 
\'",Ti.  Ce  sont  des  hommes  jaunes,  forts,  h  face 
large,  à  grosses  lèvres,  h  nez  épati',  à  cheveux 
noirs  et  droits,  à  yeux  noirs,  petits  et  horizontaux, 
ayant  dans  la  physionomie  quelque  chose  de 
mongolique.  Ils  sont  essentiellement  cavaliers, 
chasseurs,  pillards  et  fort  peu  industrieux. 

Anx  Araucans,  d'Orbigny  rattachait  les  Fiirf/iens, 
par  lesquels  nous  terminerons  cette  revue  rapide 
des  races  humaines,  et  qui  sont  l'un  des  types  les 
plus  inférieurs  de  l'humanité  au  point  de  vue 
intellectuel.  Les  Fuégiens  sont  cependant  naviga- 
teurs ;  ils  ont  des  flèches  à  pointe  en  silex,  quel- 
ques instruments  de  pêche  ;  ils  vont  presque  nus, 
sous  leur  climat  glacé,  et  vivent  de  tout  ce  que  la 
mer  met  à  leur  portée. 

On  voit  par  ce  que  nous  venons  de  dire  com- 
bien est  grande  la  variété  des  races  humaines, 
combien  est  énorme  la  distance  qui  sépare  le 
Fuégien  ou  le  Boschiman  de  l'Européen  actuel. 
En  présence  do  telles  différences,  doit-on  supposer 
que  tous  les  hommes  ont  eu  une  origine  com- 
mune ?  Doit-on  admettre  qu'ils  sont  partis  de  ces 
massifs  de  l'Asie  centrale  où  tant  de  races  si  pro- 
fondément diverses  vivent  presque  côte  à  cùte  et 
nù  l'on  place  volontiers  le  berceau  de  l'humanité? 
.N'y  a-t-il  pas  eu  pour  l'homme  plusieurs  centres 
d'apparition?  Comment  se  fait-il  que  l'Asie  et 
l'Afrique,  où  semblent  se  rencontrer  le  plus  grand 
nombre  des  races  autochtones,  soient  précisément 
aussi  la  patrie  des  grands  singes,  l'orang  à  Bornéo 
et  Ji  Malacca,  le  gibbon  dans  l'Inde,  le  chimpanzé 
et  le  gorille  en  Afrique?  Sans  chercher  ;i  ratta- 
cher l'homme  à  ces  animaux,  n'est-il  pas  permis 
de  se  demander  ce  que  feraient  les  zoologistes 
d'êtres  inférieurs  aux  Boschimans  :  et  ces  êtres 
n'ont-ils  pas  réellement  existé?  Qu'était  ce  mysté- 
rieux Dryopithèque  miocène  dont  on  n'a  pas  osé 
faire  un  homme?  Toutes  questions  encore  non  ré- 
solues, que  l'anthropologisle  est  bien  obligé  d'a- 
border de  nos  jours,  mais  auxquelles  il  n'est 
permis  de  répondre  qu'avec  la  plus  grande  cir- 
conspection. [Edmond  Perrier.] 


SCULPTURE 


—  2406  — 


SCULPTURE 


SCCLPTIRE.  —  Procédés.  —  La  sculpture  est 
l'art  de  créer  des  images  réelles  au  moyen  de  la 
matière  solide.  Les  substai.ces  qu'elle  peut  mettre 
en  œuvre  sont  fort  nombreuses.  Tantôt  ce  sont 
des  substances  facilement  amollies,  comme  la  cire 
et  l'argile,  qu'on  modèle  avec  la  main  ou  de  petits 
instruments  de  bois,  tantôt  des  substances  dures, 
végétales  ou  minérales,  le  bois,  la  pierre,  le  mar- 
bre, le  granit,  qu'on  taille  avec  des  outils  de  fer 
ou  d'acier;  tantôt  des  alliages  fusibles  ou  friables, 
comme  le  bronze,  l'argent,  le  plâtre,  qu'on  coule 
dans  des  moules  préparés  de  façon  à  reproduire 
en  saillies  les  formes  qu'ils  portent  en  creux.  Dans 
tous  les  cas,  le  sculpteur  préparc  presque  toujours 
en  terre-glaise  ou  en  cire  l'ouvrage  qui  doit  êire 
ensuite  reproduit  définitivement  dans  une  matière 
plus  solide.  L'esquisse  préparatoire  s'appelle  une 
maquette;  le  projet  arrêté  s'appelle  le  modèle. 
D'ordinaire,  le  modèle,  après  avoir  été  exécuté  en 
terre,  est  ensuite  moulé  en  plâtre  afin  de  pouvoir 
être  plus  facilement  conservé. 

Quand  une  statue  doit  être  exécutée  dans  le  mar- 
bre, le  sculpteur  confie  d'abord  à  des  ouvriers 
spéciaux  [praticiens I  un  modèle  en  plâtre  d'après 
lequel,  par  des  procédés  géométriques,  ils  taillent 
le  bloc  de  marbre  ii  peu  près  complètement  :  c'est 
le  travail  d'i'/jane/lage  et  de  mise  au  peint.  Le 
sculpteur  n'intervient,  à  la  fin,  que  pour  donner  les 
derniers  coups  de  ciseau,  et  mettre  plus  de  vi- 
gueur ou  de  finesse  dans  les  formes. 

Quand  la  statue  doit  être  exécutée  en  bronze, 
ce  modèle  peut  être  traité  de  deux  façons  suivant 
le  mode  de  fonte  adopté.  Le  premier  mode  est  ce- 
lui du  coulai/e  à  cire  perdue.  C'est  le  modèle  plus 
ancien,  qui  demande  le  plus  de  soins  et  qui 
donne,  au  point  de  vue  de  l'art,  les  meilleurs  ré- 
sultats. Le  sculpteur  lui-même  modèle  sa  figure 
avec  de  la  cire  autour  d'un  noyau  de  plâtre.  Cette 
figure  achevée,  on  y  applique  sur  certains  points 
l'extrémité  de  cylindres  en  cire,  qui  réservent  la 
place  des  divers  canaux  qui  doivent  traverser  le 
moule,  pour  y  apporter  du  dehors  le  métal  en  fu- 
sion (les  jets),  pour  y  donner  de  l'air  pendant 
l'opération  (les  éL-e?its],  pour  permettre  à  la  cire 
fondue  de  s'écouler  (les  éijnuls). 

La  figure  ainsi  préparée,  on  y  applique  au  pin- 
ceau, par  couches  successives,  une  potée  très  fine, 
qui  doit  épouser  toutes  les  saillies  et  tous  les 
creux  du  modèle;  on  l'enveloppe  d'une  épaisseur  de 
plâtre  et  de  sable  (c/(o/)e).  Le  moule  chauffé  progres- 
sivement, de  façon  à  ce  que  la  cire  s'échappe  par  les 
égouts,  que  l'on  boucheimmédiatement,  est  ensuite 
cuit  au  rouge,  puis  enfin  enterré.  On  construit  alors 
au-dessus  un  bassin  [ccheno]  au  fond  duquel  s'ou- 
vrent les  orifices  des  jets,  tandis  que  les  évents 
restent  dressés  un  peu  au-dessus.  Quand  le  métal, 
chauffé  dans  le  fourneau  élevé  près  du  bassin  qu'il 
domine,  est  dans  un  état  de  fusion  convenable, 
le  fondeur  le  verse  dans  le  bassin  d'où  il  s'intro- 
duit dans  le  vide  formé  entre  le  moule  et  le  noyau. 
Le  métal  refroidi,  on  déterre  la  chape,  on  brise  le 
moule,  on  scie  les  cylindres  formés  par  les  con- 
duits, et  l'on  n'a  plus  qu'à  achever  l'œuvre  par  un 
travail  de  ciselure.  Ce  procédé  qui  donne,  nous 
l'avons  dit,  les  plus  beaux  résultats,  est  malheu- 
reusement très  coûteux  et  présente  de  grandes 
difficultés  d'exécution. 

Aussi  empluie-t-on  plus  ordinairement  le  second 
mode,  dit  de  la  fonte  au  sahle.  On  prend  alors  sur 
le  modèle  de  plâtre  un  moule  en  sable  pouvant  se 
désajuster  par  morceaux.  Le  noyau  central  est 
formé,  d'autre  part,  d'un  autre  moulage  en  sable. 


qu'on  réduit  sur  toutes  ses  faces  d'une  certaine 
épaisseur,  de  façon  à  établir  entre  le  moule  et  lui 
un  espace  vide,  laissant  place  au  métal.  Comme 
dans  ce  moule  le  coulage  d'un  seul  jet  présente  de 
grandes  difficultés,  on  coule  ordinairement  la 
statue  par  fragments  que  l'on  rajuste  ensuite. 

Selon  la  matière  dans  laquelle  l'œuvre  doit  être 
définitivement  fixée .  le  sculpteur  varie  l'exé- 
cution de  son  modèle.  Toutes  les  matières  em- 
ployées ne  présentent  point  les  mêmes  ressources 
et  ne  peuvent  pas  donner  les  mômes  effets.  Le 
marbre,  sensible  aux  transparences  de  la  lumière 
et  donnant  le  mieux  l'illusion  de  la  chair,  se  prête 
aux  formes  simples  et  larges;  le  bronze,  sur  lequel 
le  jour  allume  des  reflets  éclatants,  exige  un  mo- 
delé plus  serré  ;  l'exécution  même  du  bois  entraîne 
à  des  formes  arrondies. 

On  peut  encore  établir  les  distinctions  suivan- 
tes :  quand  l'objet  est  représenté  sous  ses  trois 
dimensions,  c'est  la  sculpture  en  ronde-bosse; 
quand  l'objet  est  lié  à  un  fond,  c'est  la  sculpture 
en  relief.  La  sculpture  en  relief  est  dite  en  haut- 
relief,  demi-relief  et  las-relief,  suivant  que  la 
forme  ne  tient  au  fond  que  par  certaines  parties, 
s'y  trouve  à  demi  engagée,  ou  s'y  dessine  plus 
simplement  par  une  légère  saillie. 

Histoire  de  la  sculpture.  —  Dès  que  l'homme  se 
fut  construit  un  abri  contre  la  rigueur  des  sai- 
sons, il  éprouva  le  besoin  de  le  décorer.  Les  pre- 
miers sculpteurs  parurent  en  même  temps  que 
les  premiers  architecles  et  se  servirent  des  mêmes 
matériaux,  le  bois,  la  pierre,  le  marbre;  de  même 
qu'eux,  ils  se  bornèrent  d'abord  à  prendre  leurs 
premiers  motifs  dans  la  nature  inorganique;  Les 
premiers  essais  connus  de  sculpture  remontent  à 
l'âge  de  pierre  et  se  retrouvent,  soit  dans  les  ca- 
vernes, soit  dans  les  cités  lacustres.  Dans  l'âge  du 
renne,  l'homme,  avec  de  simples  instruments  de 
silex,  commença  à  ciseler  l'ivoire  et  le  bois,  et  à 
y  graver  des  représentations  do  la  nature  végétale 
et  animale  avec  un  sentiment  très  exact  des  formes 
vivantes.  Toutefois  c'est  seulement  en  Egypte 
que  l'on  peut  suivre  historiquement  les  plus  an- 
ciens développements  de  l'art  sculptural. 

Egypte.  —  Si  l'on  s'en  tenait  aux  documents  que 
les  fouilles,  pratiquées  en  Egypte  depuis  un  siècle, 
ont  mis  sous  nos  yeux,  on  serait  disposé  à  croire 
que  l'art  de  ce  pays,  contrairement  à  la  loi  obser- 
vée dans  tous  les  autres,  aurait  débuté  par  l'imi- 
tation libre  et  expressive  de  la  nature  pour  ne 
tomber  que  plus  tard  dans  la  recherche  du  sym- 
bolisme et  du  formalisme  hiératique.  Les  sculp- 
tures des  plus  anciennes  dynasties  du  premier 
empire  recueillies  dans  les  musées  ont,  en  effet, 
un  caractère  surprenant  de  réalité  et  de  vie  qu'on 
cesse  bientôt  de  trouver  dans  des  œuvres  plus 
récentes.  Telles  sont  les  fameuses  statues  du 
Rn-em-ki,  fonctionnaire  sous  la  V*^  dynastie,  et  de 
Scliafra,  pharaon  de  la  I\'"  dynastie,  qui  ont  figuré, 
en  ISC7,  à  l'Exposition  universelle  de  Paris  et  sont 
maintenant  conservées  au  musée  de  Boulaq.  Tou- 
tes deux  sont  d'admirables  portraits,  exécutés 
avec  une  précision  de  formes,  une  liberté  de 
style,  un  sentiment  de  vie  qui  n'ont  guère  été 
dépassés  en  aucun  temps.  Le  musée  du  Louvre 
possède  deux  statues  en  pierre  calcaire,  le  grand- 
prêtre  Li/a  et  sa  femme  Nisa,  remontant  peut- 
être  à  une  époque  plus  éloignée  encore,  qui  don- 
nent bien  l'idée  du  caractère  naturaliste  empreiiit 
dans  tous  les  ouvrages  de  cette  époque.  En  faut-il 
conclure  que  ce  sont  là  les  débuts  de  l'art  sculp- 
tural en  Egypte'?  Non,  sans  doute,  Duo  pareille 


SCULPTURE 


iiiU" 


SCULPÏUllK 


liabitud(3  d'observation,  une  si  surprenante  habi- 
leté supposent  forcement  des  siècles  de  prépara- 
tion et  de  tâtonnements,  et  la  perfection  de  ces 
figures  prouve  seulement  qu'à  l'époque  où  elles 
furent  faites,  l'Egypte  était  en  possession  d'une 
civilisation  déjà  complète  et  probablement  fort 
ancienne. 

La  sculpture,  comme  l'architecture,  subit  tous 
les  contre-coups  des  diverses  révolutions,  venues 
soit  de  l'extérieur,  soit  de  l'intérieur,  qui  modifiè- 
rent successivement  la  constitution  sociale  et  po- 
litique do  l'Rgypte.  C'est  à  partir  du  moyen  empire 
(Xl'-Xll"  dynasties)  qu'elle  prend  décidément  le 
caractère  d'immobilité  mystérieuse  dont  elle  ne  se 
départira  jamais  plus,  et  qu'elle  paraît  se  soumet- 
tre à  la  règle  inflexible  d'un  Ciino7i  probablement 
imposé  par  la  caste  sacerdotale,  seule  dépositaire 
de  toutes  les  sciences,  senle  directrice  de  tous 
les  arts.  La  pensée  qui  domine  alors  toute  la  civi- 
lisatioi]  égyptienne  est  celle  de  l'éternité.  La  vie 
sur  terre  n'est  qu'une  longue  préparation  à  la 
mort  qui  devient  elle-même  la  vie  définitive.  Tous 
les  arts  sont  des  arts  funéraires,  la  sculpture  ne 
travaille  que  dans  les  tombeaux.  Il  semble  qu'il  y 
eut  alors,  au  point  de  vue  de  l'exécution  matérielle, 
une  première  décadence,  pendant  laquelle  les  figu- 
res devinrent  plus  trapues,  plus  lourdes,  d'un  tra- 
vail grossier  et  négligé,  puis,  quelques  siècles 
après,  une  première  renaissance,  pendant  laquelle 
d'assez  grands  progrès  furent  de  nouveau  accom- 
plis. Les  statues  alors  prennent  des  proportions 
plus  justes  et  plus  élancées  ;  les  visages  sont 
mieux  étudiés,  moins  conventionnels  et  moins 
inexprossifs.  Le  travail  du  ciseau  devient  extrê- 
mement liabile  et  délicat.  La  plupart  des  œuvres 
sont  traitées  en  ronde-bosse.  Malheureusement  ce 
mouvement  heureux  fut  arrêté  de  nouveau  brus- 
quement par  l'invasion  des  Arabes  pasteurs 
(XV'Ue  dynastie,  vers  2'300  avant  J.-C),  et,  pendant 
les  cinq  siècles  que  dura  leur  occopation,  tous 
les  arts  furent  anéantis. 

Lorsque  les  Hycsos  furent  enfin  chassés  par 
Amosis,  une  nouvelle  renaissance  de  la  sculpture 
éclata  sous  les  règnes  de  Ramsès  II,  Ranisès  111 
et  Aniénopliis.  Le  principe  de  cette  renaissance 
fut  l'imitation  des  ouvrages  archaïques  de  la  pé- 
riode hiératique,  mais  l'exécution  devint  rapide- 
ment plus  libre,  plus  riche  et  plus  souple.  Dans 
les  figures  les  membres  s'arrondissent,  les  muscles 
se  développent,  les  visages  se  caractérisent  et 
semblent  plus  souvent  des  portraits.  Cette  période, 
la  plus  florissante  de  l'art  égyptien,  dura  jusqu'à 
l'invasion  des  Ethiopiens  (après  la  XX1I«  dynastie, 
X'  siècle  av.  J.-C).  La  statue  colossale  de  Hamsès 
Meïamoun,  celle  de  Séli  I"'  et  le  magnifique  bas- 
relief  provenant  du  tombeau  de  ce  dernier,  au 
musée  du  Louvre,  datent  de  cette  époque.  La  fon- 
dation de  la  dynastie  Saïte  par  Psammétichus, 
après  l'expulsion  des  Ethiopiens,  fut  encore  suivie 
d'un  nouveau  mouvement  d'art  qui  emprunta  son 
principe  à  l'ancien  empire  et  affecta  un  caractère 
plus  libre  et  plus  naturaliste.  Les  statues  iconi- 
ques  deviennent  alors  nombreuses  et  excellentes. 
L'invasion  do  Cambyse  et  la  conquête  d'Alexandre 
arrêtèrent  définitivement  le  développement  de  la 
sculpture  égyptienne,  qui  produisit  encore  de 
nombreux  ouvrages,  tantôt  empreints  do  l'in- 
fluence grecque  sous  les  Ptolémées  et  tantôt 
de  l'influence  romaine  sous  les  empereurs,  mais 
désormais  sans  originalité  saisissable,  et  s'affaiblit 
peu  à  peu  jusqu'à  la  chute  du  monde  antique. 

Assijrie.  —  L'art  assyrien,  pendant  longtemps 
moins  connu  que  l'art  égyptien,  peut  être  mainte- 
nant sérieusement  étudié  dans  les  musées  de 
Paris  et  de  Londres,  grâce  a\ix  découvertes  admi- 
rables faites  par  M.  Botta  en  1847  sur  l'emplace- 
ment du  palais  de  Sargon  ("UO  av.  J.-C.)  à  Khor- 
sabad,  et  par  M.  Layard,  à  la  même  époque,  dans 


les  ruines  mêmes  de  Mnivc.  Le  Louvre  et  le 
British  .Muséum  possèdent  d'importantes  séries 
de  colosses  de  granit  et  de  bas-reliefs  en  albâtre 
qui  nous  font  connaître  l'état  de  la  sculpture  as- 
syrienne, sinon  dans  ses  périodes  de  formation, 
au  moins  h  l'époque  qui  correspond  aux  premiers 
développements  de  l'art  hellénique  sur  lesquels 
s'exerça  son  influence.  Dans  cette  sculpture  sé- 
vère, d'un  style  parfois  rude  et  parfois  aussi  dé- 
licat, mais  foi-tement  empreinte  du  sentiment  de 
la  nature  et  de  la  vie,  on  remarque  plus  de  va- 
riété et  de  mouvement  que  dans  la  sculpture 
égyptienne. 

Les  bas-reliefs  assyriens,  sculptés  avec  une  pré- 
cision parfois  surprenante,  sont  de  véritables  ta- 
bleaux d'histoire.  On  y  trouve  des  batailles,  des 
sièges  de  ville,  des  chasses  royales.  Au  Louvre,  uu 
de  ces  bas-reliefs  représente  une  expédition  mari- 
time, et  un  autre  des  chevaux  conduits  à  la  main, 
d'une  forme  nerveuse  et  élégante,  et  admirable- 
ment étudiés  sur  nature.  Dans  le  même  musée 
on  voit  les  quatre  énormes  colosses  qui  formaient 
les  deux  pilastres  d'une  des  portes  du  palais  de 
Khorsabad.  Ils  portent  sur  un  corps  de  taureau 
ailé  une  tête  d'homme  coiffée  d'une  tiare  et  d'un 
double  rang  de  cornes,  à  la  barbe  et  aux  cheveux 
bouclés.  Ce  sont  des  images  symboliques  du  roi  : 
l'intelligence  unie  à  la  force. 

L'art  assyrien  a  eu  une  grande  influence  sur 
les  arts  des  peuples  voisins,  les  Phéniciens,  les 
Hébreux,  les  Lydiens.  La  Grèce  aussi  reçut  de  lui 
ses  premiers  enseignements.  Nous  en  avons  le 
témoignage  dans  les  nombreuses  terres  cuites 
et  poteries  de  Cypre,  de  Cœré,  de  Milo,  Délos, 
Athènes,  Corinlhe,  etc.,  dans  les  édifices  des  îles 
de  Cypre,  de  Rhodes,  et  de  Crète,  dans  les  mé- 
topes du  temple  de  Sélinonte  et  dans  les  orne- 
ments les  plus  fréquents  de  l'architecture  grecque, 
triglyphes,  méandres,  paliuettes,  etc.  On  re- 
trouve aussi  des  traces  sensibles  de  l'antique 
civilisation  assyrienne  dans  nombre  de  thèmes  dé- 
coratifs de  l'art  persan. 

Grèce.  —  La  Grèce  a  donc,  nous  venons  de 
le  voir,  coiumencé  par  une  imitation  des  arts 
orientaux.  IVIais  ces  emprunts  de  la  Grèce  à  l'As- 
syrie et  surtout  à  la  Phénicie  n'ont  le  plus  souvent 
trait  qu'à  la  techniiiue,  et  le  caractère  de  cet  art 
naissant  semble  au  contraire  réagir  contre  les 
traditions  étroites  de  l'Orient.  C'est  l'art  libre  op- 
posé à  l'art  esclave.  <■  L'indépendance  a  été  l'âme 
de  l'art  grec,  »  a  dit  M.  Beulé.  En  elTet,  «  à  lï 
diff'érence  des  autres  peuples  de  l'antiquité,  les 
Grecs  n'ont  reçu  de  leçons  que  pour  réagir  contre 
leurs  maîtres,  s'assimiler  leurs  modèles,  les  dé- 
passer, les   répéter,  et  enfanter  à   leur  tour  des 

modèles  incomparables La  sculpture  grecque 

avançait  lentement,  parce  qu'elle  ne  cherchait  pas 
la  nouveauté;  elle  ne  cherchait  que  le  progrès. 
Aussi  les  artistes  grecs  n'ont  point  inventé  l'art, 
mais  ils  ont  trouvé  la  beauté.  » 

Si  nous  étudions,  d'ailleurs,  le  caractère  national 
de  ce  peuple,  «  besoin  de  clarté,  sentiment  de  la 
mesure,  haine  du  vague  et  de  l'abstrait,  dédain 
du  monstrueux  et  de  l'énorme,  goût  pour  les  con- 
tours arrêtés  et  précis,  voilà,  dit  M.  Taine,  ce 
qui  conduisit  le  Grec  à  enfermer  ses  conceptions 
dans  une  forme  aiséiuent  perceptible  à  l'imagina- 
tion et  aux  sens,  partant,  à  faire  des  œuvres  que 
toute  race  et  tout  siècle  puisse  comprendre  et 
qui,  étant  humaines,  soient  éternelles.  »  Ajoutons 
aussi  que,  contrairement  à  ce  qui  est  arrivé  chez 
les  peuples  de  l'Orient,  la  religion  grecque  ne  fut 
jamais  étroite,  jalouse  et  tyrannique.  Loin  de  re- 
tarder le  développement  de  l'art,  elle  le  favorisa; 
elle  n'imposait  jamais  d'entraves  à  l'artiste,  mais 
le  poussait,  au  contraire,  vers  le  progrès,  et  profitait 
bientôt  de  sa  science  nouvelle. 

Aussi  ne  remarque- t-on  nulle  part,  dans  les  œu- 


SCULPTURE 


—  2408  — 


SCULPTURE 


vres  qui  nous  restent  de  cette  antiquité,  ce  carac- 
tère de  convention  liiératique  qui  resserre  étroite- 
ment l'art  égyptien;  et  nous  savons  par  les  récits 
des  voyageurs  anciens  que  les  statues  primitives 
de  la  Grèce,  sculptées  dans  le  bois  et  alors 
attribuées  à.  Dédale,  avaient  les  bras  séparés  du 
corps,  les  jambes  libres  et  les  yeux  ouverts. 
C'est  là,  dès  l'origine,  un  principe  d'imitation  et 
de  mouvf'Uient. 

Pour  les  premiers  temps  de  la  Grèce,  on  trouve 
dans  les  tombeaux  de  Mycènes,  qui  remontent  au 
XII'  et  même  au  xiii"  siècle  avant  notre  ère,  des 
vases,  des  joyaux,  des  armes.  C'est  vers  le  xiii*  siè- 
cle que  les  idoles  primitives  se  transforment  et 
déviennent  de  véritables  statues.  Auparavant,  les 
Grecs  adoraient  des  objets  tombés  du  ciel,  des 
troncs  d'arbres  sur  lesquels  se  posaient  les  oiseaux 
sacrés.  Peu  après,  on  taille  ces  arbres,  on  leur 
pose  des  tètes  en  bois,  plus  souvent  en  bronze 
ou  en  métal  précieux,  on  leur  ajuste  des  bras,  on 
les  charge  de  vêtements  et  d'objets  de  prix.  C'est 
la  période  des  importations  phéniciennes,  inter- 
rompues au  x«  siècle  par  les  guerres  de  la  Pliénicie 
avec  les  nations  juives  et  araméennes  et  complète- 
ment arrêtées  aux  ix°  et  viii«  siècles  par  les 
guerres  avec  les  Assyriens  qui  saccageaient  la 
contrée.  Les  comptoirs  des  Phéniciens  dans  le 
monde  grec  sont  alors  détruits;  ils  se  replient 
dans  les  îles,  puis  en  Crète,  à  Chypre. 

Dès  ce  jour,  la  Grèce  peut  se  développer  libre- 
ment. Elle  tire  parti,  dans  le  sens  de  ses  instincts, 
des  éléments  phéniciens.  C'est  à  la  fin  du  ix'  siè- 
cle, et  surtout  au  viu»  et  au  vii«,  que  se  forme  la 
vraie  sculpture  grecque. 

En  Grèce,  où  toutes  les  villes  sont  rapprochées, 
les  écoles  locales  se  pénètrent  sans  cesse.  On  y 
distingue  cependant  trois  groupes  d'activité. 

En  premier  lieu,  la  Grèce  orientale  et  insulaire, 
qui  comprend  l'école  de  Sanios,  commençant  avec 
Rhoikos  à  qui  les  Grecs  attribuent  l'art  de  la  fonte. 
Ces  premiers  artisans,  ù  la  fois  ciseleurs  et  ar- 
chitectes, travaillent  la  pierre,  le  bois  et  le  bronze. 
Vient  ensuite  l'école  de  Chios,  dont  le  plus  an- 
cien maître  est  Glaukos,  qui  le  premier  souda  le 
fer.  Mêlas  fait  les  premières  statues  de  marbre 
blanc,  progrès  décisif  pour  la  statuaire.  La  Crète 
compta  aussi  des  artistes  considérables. 

C'est  de  ce  monde  de  l'Asie  Mineure  et  des  îles 
que  l'art  pénètre  dans  toute  la  Grèce,  et  d'abord 
dans  le  Péloponèse,  où  se  forme  un  deuxième 
groupe  d'écoles  à  Sparte,  en  Elide,  à  Argos.  Toutes 
ces  écoles  se  rattachent  aux  artistes  crétois,  Di- 
pœnos  et  Scyllis,  et  jettent  des  rameaux  jusque 
dans  la  Grande-Grèce. 

Ce  second  groupe  travailla  d'abord  le  bois  et 
préféra  toujours  le  bronze  au  marbre.  La  plus  cé- 
lèbre de  toutes  les  écoles  péloponésiennes  est 
celle  de  Sparte,  qui  commença  avec  Doutas  et 
DyrocliJas.  Elle  garda  la  primitive  austérité  du 
génie  dorien  et  conserva  le  style  archaïque  sans 
poursuivre  l'expression  idéale  de  la  beauté.  Célè- 
bre et  féconde  au  siècle  de  Pisistrate,  elle  fut  sup- 
plantée par  l'école  d'Aihènes  au  siècle  de  Périclès. 
L'école  voisine  d'Elide  exerce  son  influence  sur 
toute  la  partie  ciccidentale  de  la  Grèce  du  Nord. 
Son  maître  le  plus  connu  est  Callon,  à  qui  se  rat- 
tachent les  artistes  théhains.  C'est  de  li  que  l'art 
du  bronze  se  répand  en  Sicile  et  dans  l'Italie  mé- 
ridionale. L'écule  d'Argos  reste  plus  obscure  pen- 
dant longtemps.  Elle  aboutit  à  Agéladas,  qui  fit, 
le  premier,  des  statues  d'atlilètes  vainqueurs  aux 
jeux  Olympiques,  et  qui  fut  le  maître  de  Miidias 
et  de  Miroii. 

_  Les  artistes  de  Sicyone  ne  travaillent  plus  excla- 
sivement  le  bronze;  ils  allient  volontiers  le  bois  ii 
l'ivoire  et  à  l'or  (sculpture  chryséléphanline),  et 
s- exercent  h  tailler  le  marbre. 

L'école  d'Atliquc    prit  la    succession  de  cette 


école,  par  l'intermédiaire  d'une  école  plus  célèbre 
encore,  celle  d'Egine,  dans  laquelle  se  consomme 
la  fusion  du  style  dorien  et  du  style  ionien.  Ilivale 
d'Athènes,  riche  et  puissante  comme  elle,  Egine 
faisait  remonter  l'origine  de  son  art  à  Smillis, 
personnage  peut-être  fabuleux  et  contemporain  de 
Dédale. 

C'est  d'elle  que  sortit  la  dernière  et  la  plus 
grande  des  écoles  grecques,  l'école  de  l'Attique, 
qui  travailla  le  bois,  l'ivoire,  le  bronze  et  surtout 
le  marbre.  Son  fondateur,  Eudoios,  contemporain 
de  Solon  et  des  Pisistratides,  fit  trois  statues  d'A- 
pollon et  une  d'Athéna,  consacrée  dans  l'Acropole, 
et  qui  fut  plus  tard  emportée  à  Rome  par  Auguste. 
Anténor  exécuta  le  groupe  des  Tyrannicides,  em- 
porté ensuite  à  Ecbatane  par  Xerxès.  Amphicratès 
immortalisa,  sous  la  figure  d'une  lionne,  Lééna,  la 
maîtresse  d'Aristogiton,  qui  se  coupa  la  langue 
avec  les  dents  pour  ne  point  découvrir  ses  com- 
plices. 

Parmi  les  œuvres  de  cette  période,  qui  s'étend 
jusqu'aux  premières  années  du  ve  siècle  av.  J.-C, 
on  doit  citer  : 

Les  bas-reliefs  de  Thasos  (musée  du  Louvre)  ; 
l'Apollon  de  Piombino.qui  paraît  une  imitation  de 
l'Apollon  didyraéen  de  Canachos;  les  deux  grands 
frontons  d'Egine,  exécutés  probablement  entre 
522  et  510  (glyptothèque  de  Munich).  A  cette 
époque  la  science  anatomique  est  arrivée  au  plus 
haut  degré.  Mais  h  cet  art  vigoureux  et  vivant  man- 
quent la  liberté  souveraine  des  mouvements,  l'har- 
monie savante  des  groupes,  la  beauté  tranquille 
des  formes  que  l'école  d'Athènes  va  décidément 
lui  donner. 

Plusieurs  grands  artistes  préparent  l'avènement 
de  Phidias,  le  plus  grand  de  tous  et  le  plus  grand 
sculpteur  de  tous  les  temps.  Calamis  travailla 
entre  450  et  42'j.  Pausanias  décrit  un  assez  grand 
nombre  de  ses  œuvres.  Sa  Sosajidra,  placée  sur 
l'Acropole,  était  très  vantée  dans  l'antiquité.  Pline 
nous  parle  de  lui  comme  d'un  artiste  supérieur 
dans  la  représentation  des  chevaux.  La  môme  re- 
marque se  trouve  dans  Ovide,  Denys  d'Halicaruasse, 
Cicérou.  Polyclè-te  d'Argos  ne  sut  point  égaler  Phi- 
dias dans  la  représentation  des  dieux.  13ien  qu'il 
ait  arrêté  le  type  accompli  de  la  Junon  —  la  (ière 
épouse  et  reine  de  la  Nue  —  dans  son  Héré  chry- 
séléphantlne,  ouvrage  d'une  toreutique  avancée 
comme  celle  du  Zeus  Olympien  et  de  l'Athéna 
Panhénos,  son  talent  le  porta  surtout  îi  l'étude 
du  mouvement  et  des  jeux  musculaires.  Il  diit 
chercher  aux  bains,  à  la  palestre,  dans  la  mobi- 
lité des  nudités  parfaites,  le  modèle  bientôt  tra- 
ditionnel de  l'athlète  et  de  l'éphèbe.  Pline  nous 
apprend  qu'il  imagina,  le  premier,  d'équilibrer  le 
corps  sur  une  seule  jambe  ;  et  c'est  là  le  principe 
qui  laisse  tant  de  mouvement  à  la  statuaire  de 
cette  époque. 

Cette  observation  de  la  nature  active,  Myron 
d'Eleuthère  la  porta  jusqu'à  la  recherche  de  l'ef- 
fort et  du  geste  violent.  Plus  près  des  Eginètes 
que  Polyclète  et  Phidias,  il  garda,  en  même  temps 
que  la  rudesse  de  cette  vieille  école,  un  goût 
marqué  pour  l'expression  des  particularités  réelles. 
Tandis  que  l'école  de  l'art  religieux  conçoit  la 
calme  et  simple  eurythmie  du  panthéon  symbo- 
lique, Myron  sentit,  au  contraire,  et  sut  exprimer 
dans  tous  ses  ressorts,  la  puissance  organique  de 
la  vie  animale.  Son  DiscuOole  est  saisi  à  l'instant 
qu'il  jette  le  disque;  et  c'est,  avec  les  deux  pancra- 
tiastes renversés  daiisia  lutte  (tribi."ûede  Florence), 
un  des  rares  exemples  d'une  action  violente  qui, 
figée  dans  le  repos  du  marbre,  ne  pouvait  agir  sur 
le  tempérament  grec  que  par  la  nouveauté  de 
l'.ffet. 

Pœonios  et  Alcamène  furent  contemporains  de 
Phidias.  Le  premier  travailla  avec  Phidias  et  Alca- 
mène à  Olympie,   où  il  exécuta  tout  le  fronton 


SCULPTURE 


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SCULPTURE 


oriental  du  temple.  Les  fragments  de  sa  Victoire 
sont  d'admirables  morceaux  d'une  manière  très 
savante.  Alcamène  exécuta  le  fronton  occidental 
du  môme  temple.  Chez  lui  comme  chez  Pa>onios  la 
tendance  naturaliste  est  très  marr|uée  ;  mais  ses 
formes  sont  moins  trapues  et  i)lus  élégantes. 
D'après  ces  sculptures,  Alcaniène  semble  antérieur 
h  IMiidias  ;  il  dut  être  son  contemporain,  mais 
étudia  cliez  un  maître  d'une  pratique  moins  avancée. 

l'bidias  était  Atliénien.  Élève  d'Agéladas  d'Ar- 
gos,  il  apporta  une  influence  dorique  dans  la  sculp- 
ture attique,  avec  plus  d'ampleur  et  de  puissance 
que  ses  compatriotes.  Outre  les  f.imeuses  statues 
de  l'Athéna  Parthénos  et  du  Zeus  Olympien,  il 
exécuta  ou  fit  exécuter  les  célèbres  sculptures  du 
Partliénon,  transportées  h  Londres  par  Lord  Elgin. 
Sa  vie  se  termina  tristement  :  il  fut  accablé  par 
l'envie  et  mourut  on  prison.  C'est  au  lîritisli  Mu- 
séum que  sont  aujourd'hui  conservés  les  débris  si 
admirables  des  sculptures  qui  décoraient  le  Par- 
tliénon. La  collection  comprend  quelques  précieux 
fragments  des  deux  frontons  (le  Thésée,  l'Ilissus, 
les  Parques,  etc.),  des  métopes,  d'une  exécution 
moins  parfaite,  et  de  la  Procession  des  Panathénées. 
Cette  œuvre  immense  qui  porte  son  nom  et  qui 
donne  la  mesure  de  son  génie,  Phidias  ne  put 
l'exécuter  tout  entière  de  sa  main.  Sous  sa  direc- 
tion, Alcaniène,  Scopas,  et  bien  d'autres,  parmi  ses 
rivaux  ou  ses  élèves,  ont  laissé  la  marque  d'un 
ciseau  moins  puissant. 

Si  les  guerres  médiques,  dont  Athènes  porta 
presque  seule  le  poids,  éveillèrent  le  génie  atti- 
que, et  lui  arrachèrent  dans  un- suprême  élan  le 
secret  do  sa  force,  l'interminable  et  sanglante 
guerre  du  Péloponèse,  fatale  à  toute  la  Grèce, 
amena  une  transformation  de  l'art  dans  le  brus- 
que changement  des  mœurs  républicaines.  Les 
désastres  de  la  lutte  affaiblirent  cette  saine  race 
de  héros  et  d'artistes  religieux,  et  la  peste  vint 
frapper  ce  qui  restait  de  virilité  dans  le  vieux 
sang  athénien.  Avec  la  religion  sensuelle  des  my- 
thes erotiques  et  aphrodisiaques,  la  sculpture 
•conçut  des  types  nouveaux,  d'un  idéal  moins 
large,  plus  humain,  plus  passionné.  En  outre, 
les  subtilités  d'une  rliétorique  qui  alors  entra 
pour  une  bonne  part  dans  l'éducation  du  gym- 
nase, développa  le  goût  des  idées  particulières  et 
détermina  une  dernière  école  de  sculpture  iilijolo- 
(jique.  Le  lyrisme  des  tragédies  d'Euripide  et  le 
jeu  de  la  scène,  qui  avait  perdu  de  son  ancienne 
simplicité,  ne  furent  pas  étrangers  à  cette  trans- 
formation. 

Scopas  et  Praxitèle  dirigèrent  le  mouvement  : 
Lysippe  les  suivit,  apportant  une  manière  réaliste, 
dernière  influence  de  l'école  do  Polyclète.  Sco- 
pas, de  Paros,  plus  sensible  aux  molles  transpa- 
rences du  marbre  qu'aux  accents  fermes  du  mé- 
tal, exécuta,  dans  cette  matière  préférée,  des 
sujets  tirés  du  cycle  de  Dionysos.  11  réalisa,  le 
premier,  ce  type  d'adolescent,  aux  lignes  arron- 
dies, posé  dans  la  nonchalance  d'une  ivresse  rê- 
veuse. 11  fixa  définitivement  cette  gracieuse  et  jeune 
représentation  de  lAmour,  qui,  dans  les  mythes 
de  l'Orient  et  les  origines  de  l'art  grec,  répondait  à 
un  symbole  obscène  ;  et  ce  fut  sous  les  traits  d'E- 
res, Himeros  et  Pothos,  qu'il  imagina  les  Kabires 
do  Samothrace.  On  lui  doit  encore  la  création  des 
génies  de  la  mer,  combinaisons  ingénieuses  de 
l'homme  et  du  dauphin. 

Le  cycle  d'Aphrodite  inspira  Praxitèle.  Mais  ce 
n'est  point  la  chaste  et  fière  déesse  de  l'hymen, 
prolectrke  de  l'épouse,  ni  même  une  interpréta- 
lion  neuve  de  l'asiatique  Mylitla ,  qui  peut 
séduire  le  sculpteur  atliénien.  Mêlé  à  la  société  des 
hétaïres  et  des  courtisanes  qui  lui  servirent  de  mo- 
dèles, il  n'a  vu  dans  la  mère  de  l'Amour  qu'une 
Athénienne  do  mœurs  galantes,  dans  la  beauté  du 
visage  céleste,  qu'un  sourire  de  volupté  décente. 


C'est  là  l'expression  commune  à  tout  le  groupe 
dit  des  «  Vénus  de  Médicis,  »  si  souvent  imité 
par  la  sculpture  moderne,  et  dont  les  grands  mu- 
sées de  l'Europe  possèdent  d'assez  beaux  exem- 
ples. 

Praxitèle  fut  peut-être  encore  l'auteur  du 
groupe  des  Niobidcs,  qui  ornait  à  Rome  le  temple 
d'Apollon  Sosianus,  et  que  certains  auteurs  attri- 
buaient il  Scopas,  son  émule.  Ce  fut  li  une  pre- 
mière recherche  du  drame  puissant,  rythmé  dans 
l'ordonnance  calme  des  conventions  plastiques. 
L'école  de  Rhodes  alla  plus  loin. 

Avec  Lysippe,  Euphranor  et  Léocharès,  la  sta- 
tuaire décline  et  prend  à  l'école  de  Sicyone  le 
caractère  d'une  industrie  de  divinités  officielles  et 
de  portraits  héroïques.  Si  l'art  se  vulgarise,  les 
procédés  faciles,  en  se  répandant  chez  tout  un 
monde  d'artisans,  ne  peuvent  suppléer  ni  à  la 
force  religieuse,  ni  Ji  l'austère  élégance  qui  res- 
tent la  niar(|ue  du  grand  siècle. 

11  devient  alors  assez  malaisé  d'établir  une  classi- 
fication suivant  les  temps  et  les  milieux  influents, 
entre  tant  d'oeuvres  sans  nom  d'artistes,  entre 
tant  de  noms  étrangers  à  l'histoire.  Certaines 
statues,  qu'on  était  d'abord  tenté  d'attribuer  à  l'é- 
poque romaine,  ont  été  bientôt  étendues  à  l'héri- 
tage grec.  Si  dans  Vllercule  Fanièse,  ouvrage 
d'un  Glycon  d'Athènes,  on  retrouve  une  imitation 
de  la  fameuse  statue  de  Lysippe,  nous  n'avons 
pour  l'âge  du  Laocoon  que  le  plus  mystérieux  do- 
cument, une  phrase  obscure  de  Pline.  Ce  groupe 
d'un  beau  mouvement  dramatique,  mais  trop 
près  de  la  convention,  semble  peut-être  apparte- 
nir à  l'époque  des  grandes  écoles  rhodiennes,  aux- 
quelles on  doit  le  Taureau  Farnèse  et  le  célèbre 
colosse  qui  dominait  le  port  de  Rhodes. 

Rome  et  les  Etrusques.  —  Nous  aurons  bien 
peu  de  chose  à  dire,  pour  terminer  l'étude  de  la 
sculpture  antique,  de  l'art  de  la  statuaire  i'v  Rome. 
Les  artistes  romains,  dans  les  arts  comme  dans 
les  lettres,  resièrent  les  imitateurs  des  Grecs,  dont 
ils  ne  firent  très  souvent  que  reproduire  les  ou- 
vrages estimés.  Le  genre  dans  lequel  ils  réussi- 
rent le  mieux,  et  où  ils  produisirent  même  dos 
œuvres  remarquables,  est  le  genre  iconique.  Les 
images  si  nombreuses  des  césars  et  des  impéra- 
trices sont  fort  belles  de  vie  et  de  vérité.  Le 
nombre  des  bustes  est  surtout  beaucoup  plus 
grand  que  celui  des  statues.  Au  Louvre  on  peut 
admirer  toute  une  série  de  bustes  impériaux  et 
dans  le  fond  de  la  salle  dos  antiquités  romaines 
une  très  belle  statue  d'Auf/uste. 

A  Rome,  au  Capitole,  est  Agrippine  assise,  d'un 
art  très  remarquable  ;  l'Aniinoics,  appelé  aussi 
Germanicns  ;  et  la  statue  équestre  en  bronze 
de  Marc-Aurèle,  qui  passe  pour  la  plus  belle  sta- 
tue équestre,  et  dont  l'expression  douce  et  calme, 
le  geste  protecteur  sont  fort  admirés. 

Nous  avons  peu  de  notions  exactes  sur  l'art  en 
Etrurie.  Nous  savons  que  sa  civilisation  est 
antique,  que,  d'abord  autochtone,  elle  subit  un 
certain  mélange  asiatique,  puis  fut  modifiée  par  les 
Grecs  avant  de  se  confondre  avec  la  civilisation 
romaine. 

L'art  le  plus  particulier  h  l'Etrurie  fut  la  cise- 
lure des  joyaux,  la  fonte  des  statues  de  bronze  et 
la  fabrique  des  armures. 

On  remarque  parmi  les  modèles  de  cet  art  Vldo- 
1)710  (Florence)  et  la  belle  statue  de  VOrateur;  au 
Louvre,  la  statuette  i' Apollon  enfunt  tenant  un 
canard,  d'un  mouvement  gracieux  et  naturel  et 
d'un  beau  caractère.  Ces  trois  oeuvres  sont  en 
bronze. 

Parmi  les  œuvres  en  terre  cuite  attribuées  à 
l'art  étrusque,  nous  avons  encore  au  musée  du 
Louvre  le  sépulcre  qu'on  désigne  sous  le  nom  de 
Tombeau  lydien,  qui  semble  être  antérieur  au 
iv°  siècle  avant  notre  ère. 


SCULPTURE 


—  2410  — 


SCULPTURE 


sci'LPTURE  MODFuxE.  —  Italie.  —  Le  sentiment 
de  la  beaoté  plastique,  déjà  bien  affaibli  en  pas- 
sant de  la  Grèce  à  Rome,  s'éteignit  tout  à  fait  au 
iv=  siècle,  à  l'avènement  définitif  du  christianisme . 
La  religion  nouvelle,  en  effet,  maudissait  la  na- 
ture estérieure  comme  corruptrice,  et  proscrivait 
la  beauté  comme  fatale.  Les  dévastations  des  Bar- 
bares à  l'Occident,  les  fureurs  des  Iconoclastes  à 
l'Orient,  achevèrent  de  détruire  les  œuvres  anti- 
ques de  la  statuaire,  écliappées  aux  édits  des  em- 
pereurs chrétiens.  La  culture  de  cet  art  fut  long- 
temps interdite  comme  une  impiété. 

En  Italie  pourlant,  une  cerlaino  pratique  gros- 
sière do  la  sculpture  décorative  persista  dans  les 
provinces  subalpines,  où  quelques  ouvriers  fujant 
devant  l'invasion  lombarde  au  vi'  siècle  s'étaient 
réiugiés  dans  une  petite  ile  du  lac  de  Côme.  Ils  ne 
se  soumirent  aux  chefs  barbares  qu'après  avoir 
obtenu  d'iniportînts  privilèges  pour  leur  corpora- 
tion. Les  Maestri  comacini,  devenus  les  Francs- 
maçnyis,  se  répandirent  de  tous  côtés,  laissant 
partout  des  monuments  de  cette  architecture  qu'on 
est  convenu  d'appeler  lombarde.  L'ornementation 
en  éiait  brutale,  maladroite,  d'un  symbolisme 
monstrueux  ou  grotesque;  la  figure  humaine  n'y 
apparaît  que  très  rarement  et  sous  ses  aspects  les 
plus  hideux. 

Cette  tradition  suffit  aux  tailleurs  de  pierre 
pendant  les  xi'  et  xii"  siècles.  C  est  seulement  au 
XIII*  siècle,  à  Pise,  que  commence  le  réveil  de  la 
sculpture,  avec  Kicolas  de  Pise.  Le  bas-relief 
qu'il  fit  pour  !e  portail  de  la  cathédrale  de  Luc- 
ques  établit  du  premier  coup  une  distance 
énorme  entre  lui  et  ses  contemporains.  La  célè- 
bre chaire  du  Baptistère  à  Pise,  celle  delà  cathé- 
drale de  Sienne,  le  tombeau  de  Saint -Dominique, 
à  Bologne,  montrent  un  génie  hardi  et  puissant 
qui  sut  spontanément  comprendre  et  reproduire 
la  beauté  noble  des  ouvrages  antiques.  Après  une 
vie  extranrdinairement  laborieuse,  il  mourut  vers 
1278,  laissant  après  lui  plusieurs  élèves  qui  se 
répandent  dans  toute  l'Italie.  Jean  de  Pise,  son  fils, 
s'installe  d'abord  à  Naples,  puis  remonte  dans  le 
nord.  Moins  exclusivement  épris  de  l'antiquité,  il 
pousse  la  sculpture  dans  le  sens  expressif  et  dra- 
matique, et  lui  donne  sa  liberté  complète,  en  lui 
faisant  exprimer  tous  les  sentiments  contempo- 
rains. Cette  révolution  féconde  fut  achevée,  sous 
l'influence  de  Giotto,  le  génie  rénovateur  de  la 
peinture  italienne,  par  Andréa  Pisano,  qui  vécut  ;i 
Florence  où  il  a  laissé  deux  chefs-d'œuvre,  les 
bas-reliefs  du  Campanile,  et  les  portes  de  bronze 
du  Baptistère,  que  celles  de  Lorenzo  Ghiberti  ont 
un  peu  fait  oublier  depuis.  C'est  lui  qui  introduisit 
dans  la  sculpture  ce  naturalisme  élevé  et  poétique 
qui  devait  devenir  le  caractère  de  l'art  florentin. 
D'autres  élèves  de  l'école  de  Pise  portaient  en 
même  temps  l'enseignement  de  la  sculpture  sur 
presque  tous  les  autres  points  de  l'Italie;  les  plus 
connus  sont  Balduccio,  qui  fit  à  Milan  le  tom- 
beau de  Saitit-Eustorgio,  et  Lorenzo  Maitani,  l'ar- 
cliitecte  de  la  cathédrale  d'Orvieto,  qui  en  dirigea 
la  décoration  sculpturale. 

Vers  la  dernière  moitié  du  xiv'  siècle,  le  mou- 
vement donné  s'affaiblit  au  m.ilieu  des  calamités  de 
l'Italie.  La  sculpture  se  réfugie  alors  dans  les 
boutiques  des  orfèvres  florentins  ;  c'est  de  là 
qu'elle  sort  bientôt  après  avec  une  science  plus 
consommée,  un  goût  plus  vif  et  plus  délicat  pour 
l'expression  poétique  et  la  réalité  vivante.  Parmi 
les  plus  célèbres  sculpteurs  florentins  de  cette 
période  admirable  nous  citerons  seulement  Lo- 
renzo Ghiberti  U3'î''*-I155),quiobtintàviiigtans  au 
concours  l'exécution  des  fameuses  portes  en 
bronze  du  baptistère  de  Florence;  Donatello(13.S2- 
140G),  le  plus  fécond,  le  plus  original,  le  plus  puis- 
sant de  tous,  qui  réussit  dans  tous  les  genres, 
grâce  à  une  incomparable  souplesse  d'intelligence 


et  de  main  qui  lui  permit  de  donner  des  exemples, 
dans  les  genres  les  plus  divers,  à  ses  rivaux  et  à 
ses  successeurs;  Luca  délia  Robbia  (UOU-1481), 
dont  le  naturalisme  est  moins  audacieux  mais 
plus  tendre  que  celui  de  Donatollo,  et  qui  donna 
un  grand  développement  à  l'art  des  terres  cuites 
émaillées. 

Ces  maîtres  puissants,  auxquels  il  faut  joindre 
les  frères  Pollajuolo  et  Andréa  Verocchio,  l'au- 
teor  de  la  magnifique  statue  équestre  du  con- 
dottiere Bartolommeo  Colleone  à  Venise,  prépa- 
rèrent l'avènement  du  plus  étonnant  génie  de  la 
sculpture  moderne,  Michel-Ange  Buonarotti  (l-iTô- 
1561). 

Ce  grand  artiste,  à  la  fois  sculpteur,  architecte, 
peintre,  ingénieur,  poète,  comme  la  plupart  de 
ses  contemporains,  naquit  au  château  de  Caprese 
dans  le  Casentino.  Sa  première  œuvre  est  un 
masque  do  tète  de  Faune  conservé  à  Florence. 
Cette  ville  po.ssède  en  outre  son  Bacchus  ivre, 
son  Adonis,  son  buste  de  Brulus,  et  son  ouvrage 
le  plus  original  et  le  plus  puissant,  dans  la  cha- 
pelle funéraiie  des  Médicis  à  Saint-Laurent:  d'un 
côté  le  Mausolét:  de  Julien  de  Médicis,  avec  sa 
statue  qui  surmonte  celles  du  Jour  et  de  la  .\uit; 
de  l'autre  le  Mausolée  de  Laurent  de  Médicis  avec 
son  effigie  connue  sous  le  nom  de  Pensieroso, 
accompagnée  de  l'Aurore  et  du  Crépuscule.  A 
Rome,  où  il  passa  la  seconde  moitié  de  sa  vie 
et  où  se  trouvent  ses  grands  ouvrages  de  pein- 
ture et  d'arcliitecture,  Michel-Ange  a  dote  la  ba- 
silique de  Saint-Pierre  de  la  statue  de  A'o^-e-Da»!e 
de  la  Pilic  et  l'église  de  la  Minerva  d'un  Christ. 
C'est  encore  à  Rome,  à  Saint  Pierre  aux-Liens,  qu'il 
faut  aller  admirer  le  Mausolée  de  Jules  II,  et  le 
fameux  Moiie,  d'un  caractère  puissant,  sévère,  re- 
doutable. Cette  statue  colossale  est  le  chef-d'œuvre 
de  la  sculpture  moderne.  Le  Louvre  possède  deux 
Captifs  qui  devaient  décorer  le  monument  funé- 
raire de  Jules  II.  L'un,  le  plus  beau,  est  ina- 
chevé. Ce  sont  deux  morceaux  d'une  sculpture 
superbe  et  d'une   expression   admirable. 

A  la  même  époque  que  Michel-.\nge,  un  autre 
Florentin,  médailleur,  orfèvre  et  sculpteur,  qui 
nous  a  laissé  son  autobiographie  si  accidentée, 
Benvenuto  Cellini  (liOO-1570),  parcourt  toute  l'Ita- 
lie, et  vient  en  France  travailler  à  Fontainebleau. 
Sa  sculpture  se  distingue  par  un  caractère  émi- 
nemment décoratif.  Il  n'a  guère  travaille  que  le 
bronze  ou  les  métaux  précieux.  Nous  avons  de  lui 
au  Louvre  la  lymphe  de  Fontainebleau. 

Après  l'Ammanato,  la  sculpture  tombe  dans  les 
mains  d'un  Napolitain,  Loi-enzo  Bernini  (lj9S- 
lOSti).  Pendant  toute  sa  vie  l'arbitre  des  choses 
d'art  en  Italie  et  même  en  France,  le  cavalier 
Beinin,  avec  sa  sculpture  bouffie  et  pompeuse, 
précipita  la  décadence  de  son  art.  Il  éleva  la  chaire 
et  le  baldaquin  du  pape  dans  la  basilique  de  Saint- 
Pierre,  et  sculpta  la  Justice  et  la  Charité  sur  le 
tombeau  d'Urbain  VIII.  En  même  temps  l'Algarde 
(I5s3-16ô4)  introduit  le  maniérisme  et  le  mauvais 
goût  dans  la  sculpture,  et  Antonio  Corradini  pousse 
ces  défauts  jusqu  à  la  puérilité. 

Le  dernier  sculpteur  italien  est  Antonio  Canova 
{n47-1822  ,  qu'on  a  beaucouj)  trop  admiré.  Sa 
sculpture  est  élégante  et  distinguée,  mais  aussi 
molle,  efféminée,  et  non  exempte  do  maniérisme. 
Ronje  et  Vienne  possèdent  ses  plus  importants  ou- 
vrages. On  admire  surtout  dans  cette  dernière  ville 
son  groupe  de  Thésée  vainqueur  du  Minotaure.  Le 
musée  du  Louvre  renferme  dans  les  galeries  de- 
sculpture  française  le  groupe  très  gracieux  de 
Zéphyre  enlevant  l'syché. 

C'est  l'école  de  Canova  qui  s'est  continuée  en 
Italie  jusqu'à  nos  jours,  en  poussant  à  l'excès  le- 
maniérisme  et  la  futilité,  et  en  sacrifiant  le  carac- 
tère général  de  l'œuvre  à  l'exécution  minutieuse 
de  tous  les  détails. 


SCULPTURE 


—  241 1 


SCULPTURE 


Frnnce.  —  En  France,  comme  en  Italie,  toute  ] 
la  période  qui  s'étend  jusiiu'i  l'an  mil  est  vide  l 
absolument  pour  l'histoire  de  la  sculpture.  On 
utilisait  grossièrement  pour  l'ornementation  des 
églises  dos  fragments  de  l'antiquité,  et  les  rois 
carolingiens  signaient  leurs  capitulaires  avec 
l'empreinte  d'anciennes  pierres  gravées.  Mais 
à  l'époque  des  croisades  les  communications 
entre  l'Occident  et  l'Orient  réveillèrent  rapide- 
ment dans  notre  pays  une  activité  artistique  ex- 
traordinaire et  d'un  caractère  bientôt  original. 
Au  xi"  siècle,  la  sculpture  apparaissait  déj:i  dans 
1^'s  édifices  religieux,  imitant  d'abord  les  formes 
b>  zantines,  puis  peu  h  peu  prenant  son  indépen- 
dance. 

C'est  chez  les  moines  de  Cluny  que  se  rencon- 
trent les  premiers  tailleurs  d'images.  La  beauté 
étant  interdite  comme  profane,  ils  cherchent  prin- 
cipalement l'expression,  et  atteignent  souvent  un 
idéal  religieux  et  élevé. 

A  partir  du  xii"  siècle,  l'art  cesse  d'appartenir 
aux  moines  pour  passer  sous  la  direction  plus  li- 
bérale des  évêiiues.  Aussi  devient-il  plus  laïque, 
la  sculpture  prend  un  caractère  plus  naturaliste  et 
plus  humain.  Les  admirables ,fl_:;ures  qui  peuplent 
les  portails  et  les  galeries  de  nos  grandes  cathé- 
drales, Chartres,  Reims,  Amiens,  Waris,  etc.,  da- 
tent de  la  fin  du  xiii'  siècle  et  du  commence- 
ment du  XIV'  ;  quelques-unes,  par  la  majesté  de 
l'allure,  la  vérité  de  l'expression,  la  beauté  des 
draperies,  la  simplicité  du  style  égalent,  dans  un 
ordre  d'idées  dilïérent,  les  grandes  œuvres  de  la 
Grèce.  Malheureusement,  toutes  ces  grandes  œu- 
vres sont  anonymes. 

Les  premiers  noms  de  sculpteurs  que  les  do- 
cuments nous  livrent  sont  ceux  de  sculpteurs 
moins  anciens  :  Jean  Raviet,  et  son  neveu  Jean 
Bouteiller,  qui  travaillèrent  pour  le  cloître  Notre- 
Dame  sous  Charles  VI;  Hennequin  de  la  Croix, 
qui  édifia  dans  l'église  do  Senlis  le  beau  mauso- 
lée consacré  par  Charles  V  à  son  fou,  Thévenin 
de  Saint-Lcgier;  Conrad  Meyt  et  André  Colomban, 
qui  élevèrent  dans  l'église  de  Brou  le  monument 
de  Philibert  le  Beau. 

Le  sculpteur  breton  Michel  Colombe  '1431-1514) 
marque  l'apogée  de  la  sculpture  française  du 
xv=  siècle,  qui  avait  pris  un  caractère  plus  natura- 
liste encore  et  plus  familier.  Il  est  l'auteur  du 
mausolée  du  duc  de  Bretagne  Franrois  II  et  de 
sa  femme  Marguerite  de  Fois,  dans  la  cathédrale 
de  iNantes.  On  lui  attribue  le  bas-relief  du  Coni- 
liut  de  saint  Georges  conlve  le  drayon  (musée  du 
Louvre). 

A  la  même  époque,  Jean  Juste  de  Tours  travaille 
au  tombeau  de  Louis  XII,  et  Jean  ïexier  sculpte 
les  nombreuses  et  belles  sculptures  de  la  cathé- 
drale de  Chartres. 

En  même  temps  que  François  I"  appelait  en 
France  les  artistes  italiens,  qui  devaient  modifier 
le  caractère  si  particulier  de  notre  sculpture 
nationale,  un  sculpteur  français,  Jean  de  Boulogne, 
né  i  Douai  en  1524,  allait  prendre  place  parmi  les 
premiers  artistes  italiens.  Florence  possède  plu- 
sieurs de  ses  œuvres,  VEn/évemcnt  d'une  Sabine 
sur  la  place  du  Palazzo  Vecchio,  et  aux  Offices 
plusieurs  statuettes  en  bronze  et  ce  fameux  Mer- 
cure d'un  mouvement  si  hardi,  si  léger  et  si 
gracieux. 

Le  plus  grand  sculpteur  français  du  xvi"  siècle 
est  Jean  Goujon  (vers  1530-157",').  Sa  sculpture  est 
d'un  style  décoratif,  plein  de  charme,  de  grâce 
et  d'élégance.  Le  Louvre  possède  de  lui  le  beau 
groupe  en  marbre  de  Diu7ii;  qu'il  fit  pour  le  châ- 
teau d'Anet,  et  plusieurs  bas-reliefs  admirables 
de  netteté,  de  précision,  de  grâce  et  de  vérité  : 
la  Descente  de  croix  et  les  Quatre  Eoangélis/es, 
le  groupe  des  Tritons  et  des  Néréides,  les  deux 
Nij„iphes  de  la  Seine.  On  peut  aussi  admirer  de 


lui,  près  des  Halles  centrales,  la  célèbre  fontaine 
dos  Innocents,  dont  les  sculptures  ont  été  si  sou- 
vent reproduites.  Avec  Jean  Goujon  et  au  môme 
rang,  marchent  ses  deux  contemporains  Jean  Cou- 
sin et  Germain  Pilon. 

A  Jean  Cousin,  on  attribue  le  riche  tombeau  de 
Pierre  de  lirézé  qui  se  trouve  à  Rouen,  et  le  beau 
Mausulée  de  Phiiippe  de  Chaijot  que  renferme  le 
musée  du  Louvre. 

Nous  sommes  moins  pauvres  en  œuvres  de 
Germain  Pilon.  Les  caveaux  de  Saint-Denis  possè- 
dent les  mausolées  qu'il  exécuta  pour  François  V' 
et  Henri  II,  et  le  Louvre  contient,  avec  celui  qu'il 
éleva  pour  le  cliancclier  de  France  René  Biraguo 
et  sa  femme,  une  nombreuse  collection  d'ouvrages 
de  sa  main.  La  statue  de  bronze  du  chancelier 
agenouillé  dans  l'attitude  de  la  prière  est  frap- 
pante de  vie  et  de  vérité.  On  admire  surtout  le 
beau  groupe  en  marbre  des  trois  Orûces,  et  le 
groupe  des  quatre  figures  de  femmes  sculptées 
dans  le  bois,  qui  soutejiaient  la  châsse  de  Sainte- 
Geneviève.  Le  style  de  Pilon  est  décoratif  en 
même  temps  que  naturel  et  élevé. 

Nous  pouvons  admettre  parmi  les  sculpteurs 
français  de  cette  époque  maître  Ponce  ^PauI- 
Ponce  Trebatti),  florentin  d'origine,  qui  a  élevé  les 
tombeaux  du  duc  de  Carpi  et  do  Charles  de 
Magny. 

Jacques  Sarrazin  (né  en  1590)  sert  de  transi- 
tion entre  la  Renaissance  française  et  le  xvii'^  siècle, 
ainsi  que  Simon  Guillain,  son  contemporain,  dont 
le  Louvre  conserve  les  statues  en  bronze  de 
Louis  XIII,  d'Anne  d'Autriche  et  de  Louis  XIV 
enfant,  qui  décoraient  jadis  le  monument  du  Pont 
au  Change. 

Le  derjiier  sculpteur  de  la  Renaissance  est 
Pierre  Frapcheville,  dont  le  Louvre  possède  quatre 
figures  en  bronze  de  Notions  vaincues  qu'il  fit 
pour   l'ancienne  statue  équestre  de  Henri  IV. 

Dans  les  salles  du  Louvre  qui  portent  leur 
nom,  se  trouvent  réunis  un  certain  nombre 
d'ouvrages  des  deux  frères  Anguier.  De  François, 
l'aîné  (I604-1CC9),  est  le  grand  et  bean  inonicmf.nt 
de  Henri  de  Longueville,  ainsi  que  les  tumbeaiix  df 
Jacques-Auguste  de  Thvu  et  de  la  princesse  île 
Condé;  de  Michel,  le  plus  jeune  (1012-1686),  sont 
le  Mausolée  de  Jacques  de  Souvré  de  Courlenvaux 
et  le  buste  de  Colhert.  Leurs  ouvrages,  d'un  beau 
caractère,  ne  sont  pas  exempts  d'une  certaine 
lourdeur. 

Pierre  Pugct  (1622-1694)  est  le  plus  puissant 
des  sculpteurs  français.  Ses  œuvres  manquent 
souvent  de  goût  et  de  beauté,  mais  leur  style  est 
original,  énergique,  libre,  et  il  a  rendu  merveil- 
leusement le  mouvement,  la  force  et  la  passion. 
On  admire  de  lui,  au  Louvre,  {'Hercule  au  re- 
pos, le  groupe  de  Persée  ei  d'Andromède,  le  bas- 
relief  à' Alexandre  et  de  Diogène,  et  son  véritable 
chef-d'œuvre,  le  groupe  de  Milun  de  Crolone. 

Antoine  Coysevox  (lO!0-n20)  est  l'auteur  du 
Mausolée  du  cardinal  Maziirin ,  qu'entourent 
trois  figures  allégoriques  en  bronze,  et  des  nom- 
breux bustes,  parmi  lesquels  on  remarque  les 
portraits  de  Mignard  et  de  Lebrun,  tous  deux 
si  vivants. 

Quant  h.  François  Girardon  (1630-1"  15),  le 
rival  de  Coysevox,  il  faut  aller  à  Versailles  pour 
admirer  les  beaux  et  énormes  groupes  dont  il  a 
orné  le  parc. 

Les  deux  frères  Coustou,  Nicolas  (1C58-173.3) 
et  Guillaume  (1678-1746),  ont  laissé,  le  premier, 
le  groupe  do  la  Jonction  de  la  Seine  et  de  la 
Munie  (dans  le  jardin  des  Tuileries),  le  second, 
les  fameux  Chevaux  de  marbre  (à  l'entrée  des 
Champs-Elysées). 

Nous  avons  encore  de  cette  époque,  au  Lou- 
vre, toute  une  collection  charmante  et  inté- 
ressante de  petits  Morceaux  de  réception  i  l'Aca- 


SCULPTURE 


2412  — 


SENS 


<3cmio-.  où  Ton  trouvp  tontes  les  qualités  de  la 
sculpture  du  xviii"  siècle,  si  libre  et  si  déco- 
rative, malgré  tous  les  reproches  de  manié- 
risme qu'on  lui  adresse  et  qu'elle  mérite  quel- 
quefois. 

Edme  Boucliardon  (1098-1762)  a  sculpté  pour 
l'église  Saint-Sulpice  les  statues  du  Christ,  de 
Marie  et  de  huit  apôtres.  Sa  plus  belle  œuvre  est 
la  Fontaine  rie  In  rue  de  Grewlle.  Le  caractère  de 
son  art  est  noble,  aisé,  distingué,  peut-être  un 
peu  froid. 

Viennent  après  les  noms  de  Chrétien  Allegrain  \ 
(ni,s-n9j\  puis  de  Jean-Jacques  Pigalle  (("14- | 
17S5),  dont  on  peut  admirer  au  Louvre  le  Mer- 
C'ire  aliacliant  ses  tnlonniére^,  le  buste  de  Mau-  j 
rice  de  Saxe,  frappant  de  ressemblance  et  de 
vie,  et  l'étrange  statue  de  Voltaire  nu,  dans  la 
bibliothèque  de  l'Institut,  etc.  ; 

Après  Pigalle,  Jean-Antoine  Houdon  (1741-1828), 
qui  relie  la  sculpture  élégante  et  décorative  du  ] 
xviii'^  siècle  :\  la  sculpture  savante  et  souvent 
froide  du  commencement  du  xix*  siècle.  Il  a 
laissé  au  Louvre  une  Diane  en  bronze,  un  groupe 
de  l'Amour  et  Psi/ché,  et  une  Psyehé  à  In  Innipe. 
On  lui  doit  aussi  la  belle  statue  de  Voltaire  assis 
et  le  buste  de  Molière  qui  se  trouvent  au  foyer 
du  Théâtre-Français. 

A  la  suite  se  présente  une  .série  de  sculpteurs 
d'un  style  lourd  et  souvent  mou,  Ramey,  Roland, 
Chaudet,  Bosio,  Cortnt,  etc.,  jusqu'à  ce  que  nous 
arrivions  aux  deux  plus  grands  sculpteurs  con- 
temporains. Rude  (I784-1S,'.51,  qu'on  peut  ad- 
mirer dans  son  superbe  groupe  de  la  Marseillaise 
(à  l'arc  de  triomplie  de  l'Étoile)  et  son  gracieux 
Mercure  qui  est  au  Louvre,  et  David  d'Angers 
{17S9-1856\  qui  a  fait  le  fronton  du  Panthéon,  le 
beau  Pliilopœnien  des  Tuileries,  et  la  b^lle  et 
nombreuse  collection  de  bustes  et  médaillons, 
tous  si  vivants,  d'après  les  célébrités  contempo- 
raines. 

Pour  l'état  de  la  sculpture  actuelle,  le  musée 
du  Luxembourg  et  les  jardins  publics  offrent  aux 
visiteurs  les  beaux  bronzes  de  Barye,  plusieurs 
groupes  de  Carpeaux,  une  série  d'ouvrages  très 
remarquables  de  MM.  Guillaume,  Freraiet.  Chapu, 
Paul  Dubois,  Falguière,  Delaplanche,  Thomas, 
Aimé  Millet,  Cavelier,  Dumont.  etc.,-  qui  ont 
maintenu  la  sculpture  française  \x  un  niveau  tou- 
jotirs  élevé  et  qui  ont  donné  à  notre  art  la  pre- 
mière place  entre  les  nations   étrangères. 

Autres  pays  d'Europe.  —  Nous  n'avons  plus 
qu'un  mot  à  ajouter  sur  les  autres  nations  de 
l'Europe,  l'Espagne,  l'Allemagne,  les  Flandres  et 
l'.\ngleterre,  où  la  sculpture  a  toujours  été  moins 
cultivée. 

En  Espagne,  c'est  de  l'Italie  que  les  sculpteurs 
reçoivent  toutes  leurs  leçons  ou  bien  c'est  chez 
elle  qu'ils  vont  les  chercher,  comme  Alonzo  Ber- 
ruquete  (1480-1561).  qui  fut  l'élève  direct  de  Mi- 
chel-.\nge  et  travailla  i  son  retour  en  Espagne 
pour  Charles-Quint,  et  Gaspar  Becerra  (1520-1570) 
dont  nous  parle  Vasari,  et  qui,  revenu  dans  sa 
patrie  exécuta  divers  travaux  pour  Philippe  II.  Le 
plus  connu  des  sculpteurs  espagnols  est  .\lonzo 
Cano  (U!01-16'l7)  qui  avait  un  goût  très  délicat, 
€t  montre  dans  toutes  ses  oeuvres  une  simplicité 
d'attitude  et  une  noblesse  de  forme  que  les  Espa- 
gnols n'avaient  pas  connues  avant   lui. 

En  Allemagne,  on  admire  à  Nuremberg  la  belle 
fontaine  de  Sebald  Sclmffer  et  les  bas-reliefs  de  la 
Passion  de  Hans  Decker  et  d'Adam  Kralï.  Le  plus 
célèbre  sculpteurallemand  de  cette  époque  (xV  siè- 
cle) est  Pierre  Fischer,  l'auteur  du  célèbre  tom- 
beau de  Saint-Sebald,  dans  la  même  ville  de  Nu- 
remberg. Le  grand  peintre  .Albert  Diirer  s'est  es- 
sayé aussi  dans  la  sculpture.  Il  a  travaillé  sur- 
tout le  bois,  et  quelquefois  l'ivoire.  Le  musée 
de   Carisruhe  possède  de  lui  un  petit  groupe  en 


cette  matière,  qui  est  plein  d'élégance  et  de  charme. 
Mais  la  sculpture  est  fille  des  pays  du  sud;  aussi 
netrouvons-nousdaus  les  pays  septentrionaux  d'au- 
tres sculpteurs,  pour  l'Allemagne,  que  Danneker 
h  l'époque  contemporaine,  dont  X'Ariane  sur  la 
p«n//iére  est  beaucoup  trop  admirée  dans  son  pays; 
Christian  Rauch  (1777-18571,  qui  a  élevé  le  beau 
monument  de  Frédéric  le  Grand  .\  Berlin,  surmonté 
de  la  statue  équestre  de  cet  empereur,  et  Auguste 
Kiss,  son  élève,  auteur  de  \'A>iinzone  à  cheval  qui 
est  au  musée  de  Berlin.  Le  Danois  Thorwaldsen 
(1770-1844),  qui  a  restauré  les  marbres  d'Egine, 
fut  l'émule  de  Canova,  dont  il  a  les  qualités  et  les 
défauts. 

En  Flandre,  il  faut  s'arrêter  à  Bruges,  à  l'église 
Notre-Dame,  pour  admirer  les  célèbres  et  beaux 
mausolées  de  Charles  le  Téméraire  et  de  sa  fille 
Marie  de  Bourgogne,  d'une  exécution  très  délicate 
et  d'un  ensemble  très  riche  ;  mais  c'est  i  Dijon 
surtout  que  sont  les  deux  merveilles  de  la  sculp- 
ture flamande,  les  admirables  tombeaux  de  Jean 
sans  Peur  et  de  Pliilippe  le  Hardi,  dont  les  nom- 
breuses statuettes  sont  toutes  de  poses  variées, 
naturelles,  d'une  expression  vraie  et  profonde, 
d'une  exécution  incomparable.  Le  premier  des 
deux  tombeaux,  celui  de  Philippe  le  Hardi,  ter- 
miné en  1404,  est  l'œuvre  de  Claux  Bluter,  do  Claux 
de  Vousonne  et  de  Jacques  de  Baerz.  Le  second  a 
été  élevé  (14441  par  un  artiste  espagnol,  Juan  de 
la  Huerta,  aidé  de  deux  ymaigiers  bourgui- 
gnons. 

En  Angleterre,  la  sculpture  n'a  jamais  été  cul- 
tivée avec  beaucoup  de  succès.  On  peut  néan- 
moins remarquer,  à  Westminster,  un  grand  nombre 
de  tombeaux  et  de  statues  intéressantes. 

[Georges  Lafenestre  et  L.  Cénédite.] 
SENS.  _  Psychologie,  VI.  —  Les  cinq  sens, 
le  goût,  l'odorat,  l'ouie,  la  vue  et  le  toucher,  ne 
sont  pas  seulement  des  organes  de  sensation, 
c'est-à-dire  de  phénomènes  de  plaisir  ou  de  peine  : 
ils  sont  aussi  des  instruments  de  connaissance,  de 
représentation  intellectuelle,  de  perception  en  un 
mot.  C'est  par  l'intermédiaire  des  sens  que  nous 
acquérons  la  connaissance  du  monde  extérieur  et 
de  tous  les  phénomènes  matériels.  Il  n'y  a  donc 
pas  en  psychologie  d'étude  plus  importante  que 
celle  de  cette  intelligence  sensible  qui,  de  l'aveu 
de  tous,  nous  fournit  un  si  grand  nombre  de  no- 
tions, et  qui,  au  dire  de  certains  philosophes, 
i  serait  l'origine  de  toutes  nos  idées. 

Avant   d'étudier  le  rùle  particulier   de   chacun 

de  nos  sens  dans  l'acquisition  des  connaissances, 

il  importe  de  connaître   d'une   façon   générale   le 

mécanisme  de  la  perception  extérieure. 

'      Toute  perception   sensilde  suppose  un  certain 

nombre  de  faits  d'ordre  difl'érent  : 
\  1°  Un  fait  physique,  qui  existe  ou  qui  se  produit 
en  dehors  de  nous  :  phénomènes  delumière,  de  cha- 
leur, de  mouvement,  etc.  Il  est  évident  —  excepté 
pour  ceux  qui  croient  que  nos  perceptions  ne  cor- 
respondent à  rien  de  réel  et  que  la  représentation 
du  monde  sensible  est  une  pure  illusion  subjec- 
tive —  que,  quand  nos  sens  s'exercent,  ils  s'exer- 
cont  sur  quelque  chose,  sur  un  objet  extérieur. 
Dans  l'obscurité  nous  ne  voyons  rien  ;  dans  le 
désert,  nous  n'entendons  rien. 

2»  Une  série  de  faits  physiologiques.  D  abord 
il  faut  que  l'objet  extérieur  produise  une  impres- 
sion sur  l'organe  sensible,  sur  la  rétine,  sur  le 
tympan,  etc.  Tantôt  cette  impression  est  immé- 
diate, comme,  par  exemple,  dans  la  perception 
d'un  corps  que  nous  touchons  avec  la  main; 
tantôt  elle  s'opère  à  distance  et  par  l'intermédiaire 
d'un  milieu,  lorsque,  par  exemple,  nous  perce- 
vons, grâce  aux  ondes  sonores,  un  bruit  qui  vient 
de  loin.  Mais  sous  une  forme  ou  sous  une  autre 
l'impression  sensible  est  la  condition  indispensa- 
ble de  la  perception  extérieure.  Toutes  les  fois  que 


SENS 


2413  — 


SENS 


les  organes  extérieurs  manquent  ou  sont  incapa- 
bles de  recevoir  l'impression,  la  perception  est 
impossible.  En  second  lieu,  l'impression  matérielle 
doit  titre  transmise  au  cerveau  par  les  nerfs  qui 
viennent  aboutir  à  l'organe  extérieur.  Si  pour  une 
raison  on  pour  une  autre  cette  transmission  n'a 
pas  lieu  ou  s'opère  d'une  façon  anormale,  la  per- 
ception fait  défaut  ou  s'égare.  C'est  ainsi  qu'il 
suffit  de  piquer  le  nerf  optique  pour  que  l'on  per- 
çoive une  vive  lumière.  D'autre  part,  bien  des  sur- 
dités et  des  cécités  ont  pour  cause  la  lésion  ou 
la  maladie  des  nerfs  de  l'ouïe  et  de  la  vue.  Knfln 
l'impression,  quia  été  reçue  par  l'organe  extérieur 
et  qui  s'est  communiquée  le  long  des  nerfs,  doit 
aboutir  aux  centres  nerveux.  Si  la  moelle  ou  l'en- 
céphale sont  malades,  même  dans  l'hypothèse  d'un 
état  parfaitement  sain  des  organes  extérieurs  et 
des  nerfs,  la  perception  sera  ou  altérée  ou  nulle. 
Le  mécanisme  physiologique  de  la  perception 
extérieure  rappelle  donc  exactement  les  procédés 
de  la  transmission  télégraphique,  qui  exige  un 
appareil  de  départ  où  la  dépêche  est  reçue,  un  hl 
qui  la  transmet,  et  un  appareil  d'arrivée  où  la  dé- 
pêche aboutit. 

3°  C'est  seulement  quand  ces  préliminaires  ont 
été  régulièrement  accomplis  que  la  perception  est 
possible,  et  que  l'inteUigence  prend  conscience 
de  l'impression  qui  lui  a  éié  communiquée.  La 
perception  est  donc  un  fait  psychologique  qui  sup- 
pose un  certain  nombre  de  conditions  matérielles  et 
physiologiques.  Gardons-nous  d'ailleurs  de  con- 
fondre ces  conditions  avec  la  perception  elle-même. 
Sans  aller  jusqu'à  dire  avec  certains  auteurs  que 
toute  perception  exige  l'attention,  c'est-à-dire  un 
effort,  un  acte  volontaire  de  la  pensée,  il  est  ma- 
nifeste que  la  perception  n'a  lieu  que  quand  l'in- 
telligence, libre  de  toute  autre  préoccupation,  est 
en  état  de  recevoir  l'impression  des  nerfs.  Qu'ar- 
rive-t-il  en  effet  quand  nous  sommes  dominés, 
absorbés  par  nos  réflexions  intérieures  ?  c'est  que 
nous  n'entendons  pas  les  sons,  nous  ne  voyons 
pas  les  objets  qui  frappent  nos  sens. 

Les  considérations  qui  précèdent  s'appliquent 
indistinctement  à  tous  nos  sens  et  expriment  la 
loi  générale  de  leur  action.  Examinons  mainte- 
nant quelles  sont  les  perceptions  propres  à  chaque 
sens. 

On  a  prétendu  quelquefois  que  les  sens  infé- 
rieurs, le  goût  et  l'odorat,  ne  nous  donnaient  que 
des  sensations,  qu'ils  n'étaient  que  des  organes  de 
plaisir  ou  de  peine  et  non  des  instruments  intel- 
lectuels. Sans  doute,  les  saveurs  et  les  odeurs 
sont  plutôt  des  sensations  agréables  ou  désagréa- 
bles que  des  perceptions  proprement  dites.  Ce- 
pendant, et  sans  mcconnaiire  que  le  goût  et  l'o- 
dorat sont  plutôt  des  sens  affectifs  que  les  servi- 
teurs de  l'intelligence,  on  ne  saurait  douter  que 
les  saveurs  et  les  odeurs  ne  puissent  être  à  l'occa- 
sion de  simples  représentations  intellectuelles, 
perçues  en  dehors  de  l'impression  de  plaisir  ou 
de  peine  c|u'elles  nous  procurent.  C'est  ainsi  que 
le  chimiste  reconnaît  un  corps  à  son  odeur  carac- 
téristique, qu'il  distingue  les  substances  en  sapi- 
des  ou  insipides;  c'esi.  ainsi  que  le  dégustateur 
reconnaît  le  crû  et  l'âge  des  vins  qu'il  goûte 
rien  qu'à  l'impression  qu'ils  produisent  sur  son 
palais. 

Les  perceptions  de  l'ouïe  ont  une  tout  autre 
importance.  L'ouïe  nous  fait  connaître  le  son  et 
les  diverses  qualités  du  son,  l'acuité  ou  la  gravité, 
l'intensité,  le  volume,  le  timbre.  Par  là,  l'ouïe 
nous  met  en  rapport  avec  une  multitude  d'objets. 
Mais  ce  qu'il  faut  noter  surtout,  c'est  que  l'ouïe 
est  le  sens  sucial  par  excellence,  puisque  par  elle 
nous  entendons  la  voix  de  nos  semblables  et  con- 
naissons leurs  pensées.  L'ouïe  est  aussi  un  sens 
artistique,  puisqu'elle  rend  possible  la  musique,  le 
plus  populaire,  le  plus  insinuant  de  tous  les  arts. 


Les  perceptions  de  la  vue  sont  encore  plus  ri- 
ches que  celles  de  l'ouïe.  La  vue  est  le  sens  scien- 
tifique par  excellence  :  c'est  elle  qui  nous  révèle 
la  couleur,  la  forme  et  l'étejidue  des  objets.  Quoi 
de  plusadmirable  que  ce  «  touchera  distance  »  qui 
nous  permet  de  saisir  les  contours  des  choses  au 
milieu  desquelles  nous  vivons  et  qui  nous  fait  même 
pénétrer  dans  l'immensité  du  ciel  étoile  !  Quoi- 
qu'on puisse  discuter  longuement  sur  les  misères 
comparées  de  la  cécité  et  de  la  surdité,  il  paraît 
incontestable  que  l'aveugle  est  encore  plus  mal- 
heureux que  le  sourd,  car  il  est  privé  du  spectacle 
des  innombrables  beautés  de  l'univers  :  seulement 
le  sourd  est  plus  triste,  parce  que,  moins  isolé 
que  l'aveugle,  il  se  rend  plus  compte  de  ses  mal- 
heurs, lisent  mieux  ce  qu'il  a  perdu.  iV'oublions  pas 
que  la  vue  est,  comme  l'ouïe,  un  sens  esthétique, 
sans  lequel  nous  ne  jouirions  ni  de  la  peinture, 
ni  de  la  sculpture,  ni  de  l'architecture.  Il  y  a  de 
belles  couleurs,  de  belles  formes,  comme  il  y  a 
de  beaux  sons  :  mais  iinyapas  de  belles  odeurs, 
ni  de  belles  saveurs.  La  beauté  semble,  en  un 
mot,  ne  relover  que  du  sens  de  la  vue  et  du  sens 
de  l'ouïe. 

Les  perceptions  du  toucher  sont  la  résistance,  et 
ses  différents  modes  :  dureté,  ténacité,  fluidité,  etc. 
Elles  complètent  la  connaissance  du  monde  exté- 
rieur et  nous  mettent  en  état  de  juger  de  la  pro- 
fondeur des  corps.  Le  toucher,  comme  la  vue,  est 
un  sens  scientihque,  mais  il  n'a  directement  aucun 
rapport  avec  les  arts.  Kemarquons  en  outre  que 
le  toucher  n'est  pas  localisé,  comme  les  autres 
sens,  dans  un  organe  spécial  :  il  est  répandu 
sur  toute  la  surface  du  corps,  bien  qu'il  ait  son 
siège  principal  dans  la  maiu  et  à  l'extrémité  des 
doigts. 

Telles  sont  en  résumé  les  pei'ceptions  immédia- 
tes et  nalurelies  de  nos  sens.  Mais  l'habitude,  la 
réflexion,  l'associution  des  différents  sens  dans  une 
sorte  de  collaboration  commune,  d'autres  causes 
encore  déterminent  des  perceptions  nouvelles  que, 
pour  les  distinguer  des  premières,  on  appelle  des 
perceptions  uc^uises.  C'est  ainsi  que  l'ouïe  acquiert 
la  faculté  de  reconnaître  la  direction  et  la  distance 
des  sons.  Une  oreille  exercée  distingue  aisément, 
au  risque  de  se  tromper  quelquefois,  d'où  vient  le 
bruit  qu'elle  entend,  et  si  la  source  du  son  est 
éloignée  ou  rapprochée.  Ce  discernement  n'ost 
possible  que  parce  que  nous  avons  appris  de  l'ex- 
périence que  les  sons  ojit  plus  ou  moins  d'inten- 
sité, sont  faibles  ou  violents,  selon  la  distance  qui 
les  sépare  de  nous;  que  telle  nature  de  son  cor- 
respond à  la  présence  de  tel  objet,  etc.  ;  de  sorte 
que  par  une  associaiion  rapide  de  nos  souvenirs, 
des  perceptions  de  la  vue,  et  des  perceptions  pro- 
pres de  l'ouïe,  nous  parvenons  à  reconnaître  ap- 
proximativement la  direction  et  la  distance  du  son. 
Mais  cette  perception,  qui  suppose  à  vrai  dire  un 
commencement  de  raisonnement  et  un  certain 
nombre  d'opérations  préalables,  n'est  pas,  tant 
s'en  faut,  infaillible,  comme  le  sont,  dans  l'exercice 
normal  d'un  organe  sain  et  complet,  les  percep- 
tions naturelles  de  l'ouïe.  Les  illusions  qu'un  ven- 
triloque peut  produire  sur  nous  sont  la  preuve  de 
cette  possibilité  d'erreur  qui  est  le  caractère  de 
toutes  les  perceptions  acquises. 

Un  autre  exemple  du  même  genre  nous  est 
fourni  par  le  sens  de  la  vue.  Les  philosophes  ont 
longuement  discuté  la  question  de  savoir  si  les 
yeux  par  eux-mêmes  étaient  capables  de  perce- 
voir la  distance  et  la  profondeur  des  corps.  Un 
grand  nombre  de  raisons  autorisent  à  en  douter. 
Le  petit  enfant  semble  ne  pas  se  rendre  compte 
de  l'éloignenient  des  objets,  puisqu'il  porte  les 
mains  en  avant  pour  saisir  des  choses  très  éloi- 
gnées de  lui  et  hors  de  sa  portée.  D'autre  part,  il 
résulte  d'expériences  faites  sur  des  aveugles-nés, 
auxquels  des   opérations  chirurgicales   rendaient 


SENS 


—  2414  — 


SENS 


subitement  la  vue,  que  tous  les  objets  extérieurs 
leur  apparaissaient  d'abord  comme  placés  sur  un 
même  platiet,  pour  ainsi  dire,  collés  sur  leurs  yeux. 
Enfin,  si  l'on  étudie  les  conditions  mêmes  de  la 
vision,  on  se  convainc  que  l'œil,  ne  percevant  que 
par  un  bout  le  rayon  lumineux  qui  émane  de  l'objet 
visible,  ne  peut  i  lui  seul  apprécier  la  longueur  de 
ce  rayon  et  par  suite  la  dislance  de  l'objet.  Nous 
croyons  donc  que  les  perceptions  naturelles  de  la 
vue  ne  comprennent  ni  la  notion  de  la  distance,  ni 
celle  de  la  profondeur.  La  vue  ne  perçoit  natu- 
rellement que  rétendue  de  surface,  grâce  à  la 
couleur  qui  délimite  les  contours  et  la  forme  di's 
clioses  matérielles.  C'est  seulement  à  l'aide  du 
toucher  et  grâce  aux  observations  de  ce  sens  que 
nous  parvenons  b,  nous  rendre  compte  par  les  yeux 
de  la  différence  qui  existe  entre  un  corps  solide  et 
une  surface  plane.  Xous  associons  après  expérience 
certaine  distribution  de  l'ombre  et  de  la  lumière 
avec  la  diversité  des  réalités  tangibles,  de  sorte 
que,  sans  recourir  au  tact,  nous  pouvons  apprécier 
par  la  seule  inspection  de  l'objet  s'il  est  seulement 
■en  surface  ou  s'il  a  de  la  profondeur.  De  même 
l'expérience  nous  ayant  appris  que  les  objets  dont 
nous  connaissons  la  grandeur  réelle  paraissent 
plus  petits  ou  plus  grands,  selon  qu'ils  sont  plus 
ou  moins  éloignés  de  nous,  nous  concluons,  rien 
qu'en  les  voyant,  qu'ils  sont  rapprochés  ou  distants. 
€e  qui  suffirait  à  prouver  que  la  distance  et  la 
profondeur  ne  sont  pas  immédiatement  perçues  et 
que  des  expériences  antérieures,  des  réllexions  et 
des  associations  d'idées  sont  nécessaires  pour  pré- 
parer cette  perception,  c'est  que  nous  sommes  vic- 
times d'illusions  optiques.  Le  peintre,  en  faisant 
jouer  la  lumière  sur  sa  toile,  et  en  rapetissant  ou 
en  agrandissant  ses  figures,  nous  lait  croire  à 
l'existence  de  plusieurs  plans,  à  une  profondeur 
réelle  dans  un  tableau  qui  est  tout  en  surface. 

La  distinction  des  perceptions  naturelles  et  des 
perceptions  acquises  est  une  des  vérités  les  mieux 
établies  de  la  théorie  des  sens.  Elle  nous  montre 
ce  fait  capital,  que  les  connaissances  en  apparence 
les  plus  immédiates  supposent  parfois  de  longs 
préliminaires,  que  la  réflexion  et  une  sorte  de  rai- 
sonnement inconscient  se  mêlent  à  des  perceptions 
(|ue  l'on  croirait  intuitives,  que  la  nature  elle-même 
a  besoin  d'éducation. 

Il  ne  faudrait  pas  s'imaginer  d'ailleurs  que  les 
perceptions  naturelles  ne  supposent  pas  elles  aussi 
l'éducation.  L'enfant  n'est  en  possession  de  ses 
sens  qu'au  bout  de  quelc|ues  mois.  Apprendre  à 
voir  n'est  pas  pour  lui  une  chose  toute  simple. 
Aux  premiers  jours  de  la  vie  l'enfanta  peur  de  la 
lumière.  11  est  atteint  d'une  sorte  de  photophobie 
naturelle  qu'explique  la  délicatesse  et  l'imperfec- 
tion de  ses  organes  visuels,  et  analogue  .'i  ces  plio- 
tophobies  morbides  que  déterminetit  l'inllamma- 
lion  de  l'œil  ou  d'autres  maladies.  Approchez  une 
bougie  d'un  enfant  qui  vient  de  naître  :  il  fermera 
les  yeux  ou  tout  au  moins  il  louchera  fortement. 
L'œil  se  dérobe  en  quelque  sorte,  s'enferme  dans 
l'angle  obscur  de  l'orbite,  afin  d'échapper  à  la  lu- 
mière. Mais  au  bout  de  peu  de  temps  tout  est 
changé:  l'enfant  manifeste  au  contcaire  un  goût 
marqué,  une  sorte  d'appétit  pour  la  lumière.  11 
suffira  parfois,  pour  calmer  ses  pleurs,  de  placer 
une  bougie  auprès  de  son  berceau.  Remarquez  ce- 
pendant que  pour  le  nourrisson  de  quelques  se- 
maines la  lumière  ne  doit  pas  être  trop  intense; 
il  faut,  pour  qu'il  la  supporte,  qu'elle  soit  douce  et 
qu'elle  ne  l'éblouisse  pas.  L'enfant  d'ailleurs,  pen- 
dant quelques  semaines,  jouit  de  la  lumière  plus 
qu'il  ne  la  perçoit.  Il  ne  fixe  pas  les  objets  tout  de 
suite.  Quand  il  est  enfin  en  état  de  les  fixer,  un 
premier  progrès  sera  qu'il  puisse  les  accompagner 
du  regard  par  un  mouvement  du  globe  de  l'œil.  Un 
second  progrès,  c'est  quand  il  est  capable  de 
tourner  la  tète  et  par  suit  e  de  prolonger  son  re- 


gard. Mais  quand  il  en  est  arrivé  là  l'enfant  n'est 
pas  encore  en  pleine  possession  de  la  faculté  de 
voir.  La  vue  adulte  a  une  certaine  étendue  en 
largeur,  c'est-i-dire  qu'elle  embrasse  un  certain 
champ  de  vision  à  droite  et  à  gauche  ;  en  outre 
elle  a  une  certaine  portée  en  profondeur,  elle 
saisit  les  objets  placés  devant  elle  plus  ou  moins 
loin.  Eh  bien,  il  est  facile  de  constater,  si  l'on 
observe  les  petits  enfants,  que  leur  vue  n'a  pas 
tout  de  suite  son  étendue  et  sa  portée  normales. 
Les  petits  enfants  perdent  vite  de  vue  les  objets 
qu'on  place  devant  eux  :  et  d'autre  part,  si  l'un 
transporte  brusqueiuent  à  droite  ou  à  gauche  l'ob- 
jet qu'ils  fixaient,  cet  objet  échappe  à  leur  regard. 
En  d'autres  termes,  le  champ  de  la  vision  est  en- 
core très  limité  pour  eux,  soit  en  profondeur,  soit 
en  étendue.  La  nature,  ici  comme  en  toutes  choses, 
procède  avec  un  art  parfait  par  petits  progrès, 
par  développements  insensibles  ;  elle  n'accorde  au 
petit  être  qui  vient  de  naître  que  des  perceptions 
restreintes  en  rapport  avec  son  état  ;  elle  ne  lui 
ouvre  pas  en  une  lois  le  spectacle  de  l'univers  vi- 
sible ;  elle  le  lui  découvre  lentement,  avec  ména- 
gement et  discrétion  ;  elle  ne  crée  pas  d'un  seul 
coup,  elle  organise  peu  à  peu  ses  sens  et  ses  fa- 
cultés. 

L'éducation  des  sens  est  un  sujet  digne  do  fixer 
l'attention  du  psychologue,  comme  celle  du  péda- 
gogue. Sans  parler  de  l'évolution  naturelle  qui, 
comme  nous  venons  de  le  voir  pour  la  vue,  ache- 
mine chaque  sens  jusqu'à  son  point  de  perfec- 
tion normale,  il  est  certain  que  l'exercice  peut 
assurer  aux  facultés  de  perception  sensible  une 
précision,  une  finesse  extraordinaire.  Le  pein- 
tre et  le  musicien,  les  artistes,  les  artisans  appren- 
nent à  voir,  à  entendre,  avec  un  degré  do  force 
et  de  justesse  que  le  vulgaire  n'atteint  pas.  On 
sait  à  quelle  merveilleuse  puissance  parvient  le 
toucher  des  aveugles.  Laura  Bridgman*,  la  jeune 
Américaine  sourde,  muette  et  aveugle,  en  est  veime 
avec  le  toucher  seul  à  distinguer  la  couleur  des 
divers  pelotons  de  laine  ou  de  soie  qu'elle  em- 
ploie dans  ses  travaux  de  couture  et  de  broderie. 
Comme  toutes  les  facultés  intellectuelles,  les  sens 
sont  perfectibles. 

Après  avoir  étudié  les  sens  au  point  de  vue 
subjectif,  c'est-à-dire  en  eux-mêmes,  il  reste  à  se 
demander  quelle  est  la  valeur  objective  des  con- 
naissances qu'ils  nous  fournissent.  Le  monde 
extérieur  est-il  en  réalité  tel  que  les  sens  noua 
le  montrent'?  Et.  pour  aller  jusqu'au  bout  des  ques- 
tions possibles,  le  monde  e.xtérieur  existe-t-il'? 

On  sait  que  certains  philosophes  qu'on  appelle 
des  idéalistes   ont  prétendu  que    les   perceptions 
des  sens  ne  correspondaient  à  rien  de  réel,  qu'el- 
les n'étaient  que  des  illusions  de  l'esprit  se  dupant 
lui-même  par  des   représentations   toutes  person- 
nelles et  créant  à  plaisir  un  monde  qui   ne  serait 
que  le    fantôme   de  notre    imagination.  La    seule 
réponse  à  faire   à  un    scepticisme   de   ce   genre, 
c'est  que  l'universalité  et  l'uniformité  des  percep- 
tions sensibles,  que   tous   les   individus  humains 
éprouvent   de  la  même  manière,  nous  obligent  à 
admettre  une  cause  constante  et  permanente  des 
représentations  de  nos  sens,  et  cette  cause  indé- 
pendante   de    nous,   extérieure   à    nous,  c'est  le 
monde  matériel,   quel   qu'il  soit  d'ailleurs  en  lui- 
même.  La   science   est   d'autant  plus   disposée  à 
affirmer  la  valeur   objective   de    nos    perceptions' 
normales  qu'elle  constate  l'existence  de  percep-'i 
lions  trompeuses  et   illusoires,    causées  par  uneil 
lésion  des  sens,  par  un  trouble  de  l'imagination, j'.l 
par  un  état   anormal  de  l'esprit,  et  qu'on   appelle;  ' 
hallucinations.  f 

Après  avoir  reconnu  l'existence  du  mondes 
matériel,  le  philosophe  doit  s'empresser  d'ajouter, 
que  les  choses  ne  sont  pas  en  elles-mêmes  lelleJi 
que  les  sens  nous  les  représentent.  Les  perceptions . 


I 


SENS 


—  2413  —     SIÈCLE  DE  PERICLES 


sensibles  sont  des  connaissances  relatives  et  n'ont 
rien  d'absolu.  Kilos  expriment  le  rapport  de  deux 
termes  :  le  sujet  qui  perçoit  et  l'objet  qui  est 
perçu.  Par  suite,  il  suflit  d'une  modirication  dans 
l'organisme  pour  faire  varier  la  perception.  Il  y  a 
des  maladies  qui  affectent  la  vision  au  point  de 
nous  faire  voir  tout  en  jaune  ou  en  gris.  Il  n'y  a  de  lu- 
mière, il  n'y  a  de  sons  que  parce  que  nos  yeux  et 
nos  oreilles  sont  construits  comme  ils  le  sont.  En 
debors  de  nous  et  de  nos  perceptions,  le  son  et 
la  lumière  no  sont  que  des  mouvements.  Même 
les  qualités  de  la  matière  que  l'ancienne  philo- 
sopbie  considérait  comme  des  qualités  absolues, 
la  résistance,  l'étendue,  ne  sont  que  des  qualités 
relatives.  Ce  qui  résiste  h  un  toucher  délicat  et 
faible  cède  sous  une  pression  plus  forte.  L'étendue 
varie  avec  les  modifications  que  l'on  apporte  à  l'ap- 
pareil de  la  vision  :  ce  qui  parait  petit  h  l'œil  nu, 
devient  énorme  au  microscope.  11  faut  savoir  se 
défaire  de  ce  préjugé  que  la  matière  .est  en  réa- 
lité ce  que  les  sens  la  représentent.  Les  sens  sont 
des  interprètes  qui  traduisent  à  leur  manière  et 
pour  notre  usage  un  modèle  inaccessible  en  lui- 
même.  Leur  version  est  toujours  la  même,  mais 
elle  n'est  pas  plus  exacte  pour  cela.  Ils  ressem- 
blent à  des  magiciens  qui  parent  la  nature  de 
couleurs  éclatantes,  quiy  jettent  des  sons  enchan- 
teurs, qui  enfin  l'embellissent  et  la  transforment  en 
mille  manières,  mais  qui  ne  nous  disent  pas  ce 
qu'elle  est  en  réalité. 

La  relativité  de  toute  connaissance  sensible  n'en 
diminue  du  reste  pas  la  valeur.  On  peut  par  hypo- 
thèse se  demander  si  un  ou  plusieurs  sens  de  plus 
ne  modifieraient  pas  gravement  aotro  représenta- 
tion du  monde  matériel.  Mais  dans  l'état  réel  et 
l'organisation  normale  de  l'homme,  tel  qu'il  est, 
la  nature  ne  cessera  pas  de  nous  apparaître  sous 
les  mêmes  formes,  avec  les  mômes  proportions. 
Nous  ne  pouvons  songer  à  sortir  du  relatif,  et 
il  faut  nous  contenter  de  représeiitations  qui  ex- 
priment sinon  la  réalité  absolue,  du  moins  un 
rapport  réel  eiitre.nolre  organisme  sensible  et  l'in- 
déchiffrable nature. 

Les  notions  fournies  par  les  sens  sont  un  des 
cléments  essentiels  de  l'intelligence  humaine.  Ce 
serait  une  erreur  de  croire  que  les  sens  ne  nous 
donnent  pas  d'idées.  «  Avant  l'âge  de  raison, 
disait  à  tort  Rousseau,  l'enfant  ne  reçoit  pas  des 
idées,  mais  des  imagos.  »  Pour  être  sensibles,  les 
représentations  de  la  vue,  de-  l'ouïe,  etc.,  n'en 
sont  pas  moins  des  idées.  Sans  doute  la  conscience, 
appliquée  aux  modifications  intérieures  ilu  moi, 
est  une  source  féconde  de  connaissances.  Mais 
combien  plus  riche,  combien  plus  vaste  est  le 
domaine  de  la  perception  extérieure  1  La  plupart 
de  nos  idées  abstraites  et  de  nos  idées  générales 
ne  dérivent  que  d'un  travail  de  l'esprit  qui  com- 
pare, qui  sépare  ou  qui  rapproche  les  données 
concrètes  des  sens.  Il  n'est  plus  question  sans 
doute  de  faire  des  sens  le  principe  unique  de  l'es- 
prit, comme  le  voulaient  Locke,  Condillac  et 
les  sensualistes  de  l'ancienne  philosophie. 
L'esprit  a  sa  constitution  propre,  ses  lois  es- 
sentielles ;  naturelle  ou  acquise,  innée  ou  héré- 
ditaire, la  raison  préexiste  aux  sens  et  gou- 
verne leur  exercice,  par  exemple,  quand  elle  nous 
lorce  à  admettre  une  réalité  extérieure,  cause  et 
principe  des  représentations  sensibles.  Mais  les 
sens  n'en  sont  pas  moins  l'origine  de  la  plupart 
de  nos  connaissances  ;  ils  enrichissent  l'esprit 
d'une  multitude  de  notions  ;  il  suffit,  pour  juger 
de  leur  importance,  de  voir  à  quel  misérable 
état  est  réduite  l'intelligence  des  malheureux  qui 
sont  privés  de  plusieurs  ou  môme  d'un  seul  de 
leurs  sens.  L'àme  n'est  pas,  comme  l'ont  cru  cer- 
tains philosophes,  une  force  qui  se  suffise  à  elle- 
jnônie  ;  elle  a  besoin  de  s'alimenter  au  dehors 
par  une  communication  incessante  avec  la  nature  : 


elle  n'est  enfin  en  grande  p.irtie    que  l'écho  con- 
scient du  monde  extérieur. 

l Gabriel  Compayré.) 
SIKCI.IÎ  DE  PliniCLÈS.  —  Histoire  géné- 
rale, VIII.  —  On  a  donné  ce  nom  au  v»  siècle 
avant  J. -('..,  quoique  l'influence  personnelle  de 
Périclès  ne  s'étende  que  sor  sa  seconde  moitié 
et  seulement  sur  la  fin  de  la  première.  En  réa- 
lité, le  v"  siècle  comprend  deux  périodes  assez 
distinctes,  celle  des  guerres  médiques,  et  celle 
de  Périclès  lui-même,  à  la  suite  do  laquelle  on 
pourrait  ajouter,  comme  formant  une  troisième 
période,  l'époque  de  la  guerre  du  Péloponnèse. 
On  obtient  de  la  sorte  un  ensemble  de  faits  politi- 
ques, littéraires,  artistiques,  qui  va  de  la  bataille 
de  Marathon  en  490,  ou  môme  de  la  révolte  de 
rionie  en  50i,  h  la  prise  d'Athènes  par  Lysandra 
en  404.  C'est  là,  i  proprement  parler,  le  siècle  de 
Périclès.  Toutefois,  il  faut  observer  que  beau- 
coup d'hommes  célèbres  dans  les  arts,  les  lettres 
ou  la  politique  n'ont  pas  terminé  leur  carrière  en 
404  et  continuent  ii  produire  de  grandes  œuvres 
pendant  les  premières  années  du  siècle  suivant. 

L'antagonisme  entre  le  monde  oriental  et  le 
monde  hellénique  avait  atteint  sa  période  aiguë  à 
la  fin  du  vi"  siècle.  La  révolte  de  l'ionie  fut  le 
signal  de  la  crise.  Mais,  faute  de  cohésion,  les 
colonies  grecques,  dispersées  sur  les  rivages  de 
la  Méditerranée  et  du  Pont-Euxin,  étaient  hors 
d'état  de  lutter  contre  l'énorme  puissance  des 
Perses.  La  lutte  se  trouva  portée  plus  h.  l'occident, 
sur  le  sol  et  dans  les  mers  de  la  Grèce.  La  mère- 
patrie  redevint  ainsi  le  centre  du  monde  helléni- 
que. En  Orient,  la  puissance  perse  venait  à  peine 
d'être  fondée  par  Cyrus  ;  Cambyse  l'avait  agran- 
die ;  quelques  années  plus  tard,  Darius,  fils 
d'Hystaspe,  en  reculade  nouveau  les  limites  dans 
toutes  les  directions,  en  Asie  jusqu'à  l'Inde  où  le 
brahmanisme  se  trouva  avec  elle  dans  un  antago- 
nisme absolu,  en  Afrique  jusque  vers  l'Abyssinie 
et  les  possessions  carthaginoises,  au  nord  chez 
les  Scythes  et  les  peuplades  voisines  de  la  Sibé- 
rie, en  Europe  jusque  sur  le  Danube.  Darius  en- 
treprit de  couper  l'isthmo  de  Suez  et  de  faire  le 
tour  de  l'Afrique.  Son  immense  empire  était 
animé  d'une  force  d'expansion  qui  semblait  de- 
voir absorber  les  peuples  européens,  sans  qu'un 
obstacle  sérieux  put  l'arrêter. 

La  civilisatiou  persane,  fondée  sur  la  religion 
de  Zoroastre,  la  moins  sensuelle  religion  de  la 
terre  à  cette  époque,  l'emportait  de  beaucoup 
sur  toutes  celles  de  l'occident.  Par  la  savante 
organisation  qu'il  avait  créée,  Darius  avait  donné 
à  cette  civilisation  supérieure  une  assiette  d'oii 
rien  ne  semblait  pouvoir  la  faire  sortir.  Ce  qui 
fit  sa  faiblesse,  ce  fut  la  diversité  des  races  in- 
corporées dans  l'empire  ;  il  en  résultait  un  en- 
semble factice  où  se  heurtaient  les  idées,  les 
langues,  les  mœurs,  les  intérêts.  En  outre,  la 
doctrine  de  l'absolutisme  royal,  fondé  sur  un  sys- 
tème de  castes,  était  aux  Asiatiques  le  ressort 
moral  que  donnaient  aux  Hellènes  leurs  tendances 
vers  la  démocratie.  Le  petit  peuple  d'Athènes, 
constitué  par  Solon  au  siècle  précédent,  devint 
un  point  de  résistance  indestructible. 

C'est  ce  que  mit  dans  tout  son  jour  la  bataille 
de  Salamine,  en  480,  où  l'on  vit  ce  peuple  aban- 
donner sa  ville  aux  flammes,  rompre  toute  atta- 
che h  la  terre,  et,  dans  la  solitude  de  ses  détroits, 
s'offrir  à  la  lutte  sans  autre  ressource  que  son 
corps,  ses  armes  et  son  amour  de  la  liberté.  Tel 
fut  le  sens  du  péan  qui  ii  l'aube  du  jour  retentit 
entre  les  rivages  :  «  Allez,  enfants  des  Hellènes.  » 
L'esprit  qui  animait  cette  Marseillaise  anticipée 
respira  dans  toutes  les  œuvres  du  \'  siècle. 

Le  rôle  joué  par  les  Athéniens  dans  cette  lutte 
fit  d'eux  les  premiers  des  Grecs.  Leur  ville  fut 
rebâtie  h  la  hâte  ;  les  vieilles  doctrines  disparu- 


SIÈCLE  DE  PÉRIGLÈS     —  2416 


SIECLE  DE  PERIGLES 


rent  avec  les  vieux  murs;  la  démocratie,  avec  le 
commerce  maritime,  fit  rechercher  Atiiènes  par 
tous  les  peuples  de  race  ionienne  et  signala  en 
elle  aux  Doriena  une  rivale  qui  détruirait  leur 
hégémonie.  La  rivalité  de  Sparte  se  montra  pres- 
que au  lendemain  des  batailles  nationales  :  les 
principes  politiques,  les  races,  les  constitutions  et 
les  doctriiies  s'opposèrent  et  s'exaltèrent  récipro- 
ment,  au  péril  des  deux  Etats,  mais  au  plus  grand 
bénéfice  de  l'humanité. 

Presque  tous  les  genres  littéraires  nouveaux 
avaient  été  créés  avant  les  guerres  médiques  ;  ils 
étaient  issus  de  la  vie  réelle  et  étaient  parvenus 
à  un  point  de  croissance  qui  permettait"de  les 
porter  en  peu  de  temps  h  la  perfection.  La  poésie 
lyrique  avait  fleuri  séparément  dans  les  trois  dia 
lectes  principaux  de  la  Grèce  et  dans  les  modes 
musicaux  propres  à  chaque  race  hellénique.  Il  lui 
fallait  encore  un  homme  de  génie  qui  en  réunît 
toutes  les  formes  variées.  Cet  homme  fut  Pindare. 
L'œuvre  de  Pindare  avait  été  préparée  par  l'école 
lyrique  de  Céos,  dont  le  principal  représentant 
avait  été  le  grand  Simonide.  Son  grand-père,  lui- 
même,  son  neveu  Bacchylide  et  son  petit-fils  Si- 
monide le  jeune  formèrent  une  suite  non  inter- 
rompue de  poètes-musiciens,  qui  rendirent  pos- 
sible l'œuvre  de  Pindare.  Simonide  écrivit  en 
dialecte  dorien  les  règnes  de  Cambyse  et  de 
Darius,  la  bataille  navale  de  Xorxès,  le  combat  de 
r.\rtémision,  des  thrènes,  des  hymnes,  des  péans, 
des  prières,  des  épigrammes  et  des  odes  héroï- 
ques. Presque  toutes  ces  compositions  furent 
faites  pour  des  circonstances  déterminées,  des 
cérémonies  populaires,  des  actes  publics  de  la 
vie  des  citoyens.  Il  composa  dans  ce  but  des  dan- 
ses avec  chant,  des  chœurs  pour  cinquante  hom- 
mes, des  chœurs  de  jeunes  filles,  des  chants  de 
victoire  et  des  marches  funèbres.  Tout  cela 
reflétait  la  vie  d'un  peuple  où  les  tendances  dé- 
mocratiques étaient  déji  toutes  puissantes. 

Nous  ne  faisons  que  nommer  en  passant  Bac- 
chylide, Lasos  d'Hermione,  Timocréon  de  Rhode, 
Tynnichos  de  Chalcis,  pour  arriver  à  Pindare. 
Avant  ce  grand  poète,  la  Béotie  avait  déjà  pro- 
duit deux  femmes  célèbres,  Corinne  et  Jlyrtis, 
qui  furent  ses  rivales  ;  mais  c'est  vraiment  de 
Stésicliore  que  Pindare  fut  le  successeur.  L'ode 
triomphale,  qui  porte  chez  nous  le  nom  d'ode 
pindarique,  était  chantée  en  l'honneur  du  vain- 
queur dans  les  concours  ou  jfux  solennels.  C'é- 
tait à  la  fois  un  morceau  de  poésie  et  de  musique  ; 
pour  l'exécuter,  l'auteur  organisait  et  instruisait 
d'avance  un  chœur  de  chanteurs  à  gages  ;  il  leur 
faisait  faire  avec  lui  un  voyage  parfois  long  et 
coûteux  en  Macédoine,  en  Sicile,  on  Afrique; 
l'exécution  terminée,  il  les  ramenait  au  point  de  dé- 
part ou  les  conduisait  ailleurs.  La  forme  lyrique  de 
l'ode  était  composée  de  trois  éléments,  la  strophe, 
l'antistrophe  et  l'épode,  à  la  façon  des  chœurs  de 
la  tragédie  et  de  la  comédie.  Chaque  partie  était 
le  développement  d'une  pensée  b.  la  fois  poétique 
et  musicale.  Souvent  à  ces  deux  caractères  s'ajou- 
tait la  danse,  sorte  de  marche  cadencée  que  l'on 
appelait  busii.  Les  paroles  n'étaient  point  soumises 
à  la  mesure  ;  quand  on  parle  des  lers  de  Pindare, 
on  emploie  une  expression  fausse  ;  il  faut  dire  les 
rythmes  de  Pindare  ;  ses  odes  ne  sont  ni  en  vers 
ni  en  prose  ;  les  paroles  sont  soumises  uniquement 
au  rythme  musical  et  à  la  chorégraphie. 

Quant  au  fond,  l'ode  est  avant  tout  l'expression 
d'une  légende  mythologique  ou  héroïque,  se  rat- 
tachant i  l'histoire  du  vainqueur,  de  son  pays, 
de  ses  ancêtres,  ou  même  simplement  au  con- 
cours dans  lequel  il  avait  eu  le  prix.  Le  vainqueur 
et  la  vicloire  remportée  ne  sont  pour  le  poète 
qu'une  occasion,  d'où  il  lui  arrive  môme  parfois 
de  tirer  une  leçon  de  morale,  une  règle  de  con- 
duite à  l'adresse  de  son  héros. 


Quoique  do  race  dorienne,  Pindare  fut  un  des 
représentants  de  l'esprit  démocratique;  il  avait, 
en  voyageant,  vécu  sous  toutes  les  constitutions  ; 
il  y  avait  gagné  un  esprit  large,  tolérant,  ami  du 
progrès,  et  il  avait  chanté  les  vainqueurs  de  ces 
grands  concours,  créations  essentiellement  dé- 
mocratiques de  la  Grèce. 

Le  vo  siècle  vit  aussi  se  développer  trois  autres 
créations  du  génie  grec,  qui  dès  lors  n'ont  plus 
cessé  de  compter  parmi  les  caractères  de  la  civi- 
lisation occidentale  :  ce  sont  la  tragédie,  la  comé- 
die et  Vliistoire. 

Qu'est-ce  qu'un  théâtre  grec?  Son  centre  est 
l'autel  de  Bacchus,  dressé  au  milieu  d'un  hémi- 
cycle appelé  orchestre.  Sur  le  pourtour  du  demi- 
cercle  étaient  des  sièges,  disposés  en  gradins, 
sur  lesquels  venaient  s'asseoir  les  prêtres,  les 
magistrats  et  le  peuple.  Vis-à-vis,  le  long  du  dia- 
mètre, s'élevait  une  estrade  garnie  de  construc- 
tions percées  de  portes  et  ornées  de  décors 
appropriés.  L  'S  gradins  portaient  le  nom  de  théâ- 
tre, et  l'estrade  celui  de  scène.  Ici,  se  tenaient 
les  acteurs  du  drame  :  en  bas,  dans  l'hémicycle, 
se  tenait  le  chœur.  Le  théâtre  était  découvert  et 
pouvait  contenir  jusqu'à  150000  spectateurs.  Sur 
la  scène  les  acteurs  portaient  un  masque  et  étaient 
agrandis  par  le  cothurne. 

Ce  fut  en  l'année  500  que  les  Athéniens  con- 
struisirent en  pierre  leur  théâtre  de  Bacchus,  type 
de  tous  les  théâtres  de  la  Grèce,  admis  par  les  Ro- 
mains et  approprié  par  les  modernes  à  notre  cli- 
mat et  à  nos  mœurs.  A  partir  de  cette  époque, 
surtout  à  la  suite  des  guerres  médiques,  le  drame 
prit  dans  Athènes  un  développement  rapide.  ,Le 
chœur  occupa  une  moindre  place  et  le  dialogue 
acquit  plus  d'importance  ;  le  nombre  des  person- 
nages en  scène  s'accrut  ;  l'art  de  la  composition  et  la 
mise  en  scène  se  perfectionnèrent.  Les  trois 
grands  esprits  qui  ont  en  réalité  créé  la  ti-ar/êdie 
et  l'ont  amenée  à  son  point  de  perfection,  appar- 
tiennent au  v=  siècle  et  sont  restés  des  modèles 
éternellement  imités,  mais  non  égalés  :  Eschyle, 
Sophocle  et  Euripide  ont  fait  du  drame  une  des 
créations  les  plus  hardies  et  les  plus  puissantes 
du  génie  humain.  A  cùté  d'eux,  il  faut  placer 
Aristophane,  qui  les  a  égalés  dans  la  comédie. 

Nous  devons  dire  en  quoi  consiste  une  tragédie 
grecque.  Le  chœur  en  est  toujours  la  base  ;  ses 
chants  rythmés  partagent  l'action  en  divers  mo- 
ments ;  ce  sont  eus  qui  ont  donné  naissance  à  la 
division  en  actes.  Les  intervalles  des  chœurs  sont 
remplis  par  le  dialogue  en  vers  des  personnages 
agissant  sur  la  scène.  Ces  personnages  ne  sont 
point  pris  au  hasard;  chacun  d'eux  a  son  rùle 
spécifique  dans  l'action.  Ils  sont  conçus  par  le 
poète  et  distribués  de  manière  à  former  con- 
traste, à  se  compléter  et  à  donner  naissance  à 
une  œuvre  dont  les  parties  sont  symétriques. 
Enfin,  le  plus  souvent,  à  l'action  principale  sont 
subordojmées  des  actions  secondaires,  qui  se  dé- 
roulent avec  elle  et  trouvent  dans  le  courant  ou 
à  la  fin  du  drame  leur  dénoùnient. 

L'Athénien  Eschyle,  né  en  525,  a  été,  non  l'in- 
venteur, mais  le  véritable  créateur  du  drame.  Il 
mourut  en  45G,  après  avoir  composé  soixante- 
douze  pièces,  dont  cinquante-deux  furent  cou- 
ronnées dans  treize  concours,  chaque  concours 
portant  à  la  fois  sur  quatre  pièces,  à  savoir  sur 
une  trilogie  tragique  et  sur  un  drame  satirique. 
Quoique  eupalride,  c'est-à-dire  noble  de  nais- 
sance, il  était  animé  de  ce  sentiment  de  sa  valeur 
personnelle  que  la  démocratie  inspire  au  citoyen  ; 
on  en  a  la  preuve  dans  son  Prométhée.  Tout  en 
défendant  l'aréopage,  c'est-à-dire  la  vieille  ma- 
gistrature aristocratique,  contre  les  idées  de  ïhé- 
mistocle  et  de  l'ériclès,  il  chantait,  dans  les  Perses, 
les  victoires  nationales  de  ce  peuple  agissant  en 
i  masse  et  spontanément  contre  l'ennemi  commun. 


SlliCLK   UK  PÉKIGLÈS       —  "^Ul 


SIÈCLE  DE  PÉRICLÈS 


La  loixdtiie  s'organisa  en  même  temps  que  la  tra- I  Sparte  en  45G  et  on  ■555  dans  sa  lutte  contre 
i;cdio,  dans  la  première  moitié  du  siècle.  Issue  de  i  Athènes.  Quand  Cimon,  flls  de  Miliiade,  eut  été 
la  partie  joyeuse  des  fAtes  do  Bacclius,  elle  eut  les  ,  exilé,  son  parti  no  fut  plus  qu'une  faction  anti- 
mômes éicincnts,  les  mômes  procédés,  les  mômes  ,  nationale  qu'il  fallait  maintenir  dans  l'impuissance, 
lois,  la  môme   scène  que  la  tragédie,  née  de  la  |  Les  lois  proclamaient  l'égalité  ;  elles  devaient  êtr. 


partie  sérieuse  du  môme  culte.  iMais  le  masque 
fut  difl'érent,  et  elle  n'employa  pas  le  cothurne. 
lÎEi  compensation,  elle  admit  sur  la  scône  des  re- 
présentations d'animaux,  oiseaux,  guôpes,  gre- 
nouilles, et  d'êtres  fantastiques  môles  il  des  per- 
sonnages réels.  Gratines  et  Cratès  à  Athènes  et 
les  comiques  siciliens  préparèrent  les  voies  à 
Aristophane. 

Le  mouvement  des  esprits  qui  suivit  les  guerres 
modiques  fit  naître  aussi  Vlastoire.  Elle  n'était 
avant  cette  époque   qu'une  sorte  de   chronique  ; 


respectées  et  exécutées.  C'est  à  leur  donner  l'em- 
pire auquel  elles  avaient  droit  que  Périclès  consa- 
cra sa  vie,  et  c'est  pour  cela  que  le  siècle  a  pris 
son  nom. 

Las  vingt-cinq  années  qui  suivirent  la  courte 
guerre  de  Sparte  en  45G  furent  employées  à  pré- 
parer la  grande  lutte  dont  l'objet  était  de  savoir 
quelle  forme  de  gouvernement  prévaudrait  dans 
le  monde  hellénique.  Le  but  de  Périclès  fut  de 
concentrer  dans  Athènes  une  telle  puissance  ma- 
térielle et  morale  qu'aucune  autre  on  Grèce  ne  pût 


Hérodote  en  lit  un  genre  littéraire  et  une  œuvre  ■  lui  être  comparée.  Elève  ou  ami  de  tous  les  hom- 
d'art.  Quoique  dorien,  il  sentit  que  l'histoire  élait  i  mes  distingués  de  son  temps,  il  réunissait  dans 
une  création  du  génie  de  la  race  ionienne  et  il  i  sa  personne  toutes  les  aptitudes  et  put  diriger 
écrivit  en  dialecte  ionien.  C'est,  en  effet,  les  Ioniens  dans  toutes  ses  voies  la  civilisation  athénienne, 
qui  avaient  soulevé  la  révolte  contre  le  Gi-and-Roi,  j  Calme,  prudent,  réservé,  plein  de  courage  à  l'ar- 
et  ce  sont  eux  qui  avaient  remporté  finalement  la  ;  mée,  d'éloquence  à  la  tribune,  il  exerçait  sur  les 
victoire.  La  grande  fortune  d'Hérodote  lui  permit  j  esprits  un  empire  que  rehaussaient  encore  sa 
de  visiter  l'Egypte,  la  Libye,  la  Phénicie,  la  Baby-  \  simplicité  et  l'économie  de  sa  vie  privée.  Mais  cet 
lonie  et  la  Perse,  sans  compter  les  rivages  de  la  j  empire,  il  ne  chercha  janiais  à  se  l'attribuer  à  lui 
mer  Noire  et  de  la  mer  Egée.  Le  peuple  athénien  |  seul  ;  l'opinion  et  l'habileté  de  ses  collègues  balan- 
encouragea  l'oeuvre  d'Hérodote  en  lui  décernant  un  :  çaieut  ou  confirmaient  la  sienne  ;  comme  il  n'as- 
prix  aux  Grandes-Panathénées.  1  pira  jamais  à  la  tyrannie,  ses  ennemis  l'accusaient 
L'histoire  d'Hérodote  est  conçue  i  la  façon  d'un  ,  vainement,  le  peuple  le  soutenait  et  voyait  en  lui 
drame,  qui  commence  à  une  faute  et  aboutit  h.  un  son  représentant.  Chaque  année  il  déposait  ses 
désastre.  C'est  comme  une  immense  trilogie  con-  '  pouvoirs,  qui  étaient  annuels,  et  le  suffrage  les 
tenant  plusieurs  actions  secondaires,  où  l'on  voit  ;  lui  conférait  de  nouveau.  Du  reste,  il  ne  fut  ja- 
les  peuples  et  les  dynasties  tomber  sous  la  loi  du  i  mais  archonte  ;  il  fut  seulement  directeur  des  tra- 
destin.  Les  actions  individuelles  qui  s'y  mô lent  vaux  publics,  organisateur  des  jeux,  trésorier  ou 
donnent  à  l'ensemble  un  aspect  légendaire,  rappe-  stratège.  Cette  dernière  fonction  donnait  une 
lant  quelque  pou  l'épopée.  Mais  cet  ensemble  est  grande  autorité,  mais  cette  autorité  était  partagée 
en  réalité  le  développement  d'une  loi  inévitable  où  ■  entre  dix  personnes,  dont  aucune  ne  pouvait  agir 
l'on  voit  l'enchaînement  des  fautes  se  terminer  par  ,  sans  les  autres.  C'est  donc  bien  l'esprit  de  con- 
une  catastrophe  finale.  C'est  l'Orient  qui  commet  duite  de  la  démocratie  athénienne  qui  se  voyait 
la  faute  et,  pendant  que  les  conséquences  se  dé-    personnifié  en  Périclès 


roulent,  on  voit  grandir  et  s'organiser  la  nation 
hellène  jusqu'au  jour  où  elle-même  fait  éclater  la 
lutte  et  brise  le  géant  aux  pieds  d'argile. 

En  reproduisant  dans  une  vaste  composition  lit- 
téraire la  guerre   nationale  des   Grecs,    Hérodote 


L'idée  était  de  constituer  le  corps  hellénique  en 
une  confédération  ayant  Athènes  pour  centre  et  où 
chaque  Etat  restait  libre  chez  lui.  Le  terrain  d'ac- 
tion de  ces  Etats-Unis  était  la  mer.  Samos,  où  la 
diète   créée  par  Aristide   se   réunissait,   demanda 


leur  apportait  des  renseignements  de  toute  nature  j  que  le  siège  en  fût  transporté  dans  Athènes  avec 


sur  les  pays  qu'il  avait  visités  et  les  invitait  à  y 
pénétrer  par  leur  commerce  et  leur  civilisation.  En 
mêmetemps,  il  donnait  à  chacun  d'eux  un  sentiment 
exalté  de  leur  valeur  personnelle  et  de  leur  rôle 
futur  dans  le  monde.  La  guerre  médique  fut  en 
effet  le  premier  acte  de  ce  qu'on  a  nommé  depuis 
la    question    d'Orient.   C'est    en   considérant  les 


le  trésor  commun.  La  contribution  des  alliés, 
d'abord  de  400  talents,  fut  portée  à  600,  puis  i 
1,"200,  soit  6  millions  de  francs,  qui  en  représente- 
raient quarante  d'aujourd'hui.  Au  moment  de  la 
guerre  du  Péloponnèse,  le  trésor  renfermait 
9,700  talents,  qui,  en  monnaie  de  nos  jours,  va- 
laient au  moins  306  millions  de  francs.  Tel  avait 


choses  dans  leur  généralité  qu'on  peut  saisir  Ji  la  été  le  résultat  du  travail  par  lequel  les  Etats  po- 
fois  l'importance  des  événements  du  v*  siècle  et  pulaires  et  commerçants,  gravitant  autour  d'A- 
celle  du  livre  d'Hérodote  dans  l'histoire  universelle,  thènes,  avaient  reconstitué  la  richesse  publique. 
Le  commencement  de  ce  siècle  avait  vu  grandir  i  Quant  aux  revenus  propres  de  la  ville,  ils  mon- 
de même  les  tliéoi'ies  scientifiques,  surtout  dans  les  [  talent  alors  à  1000  talents,  qui  vaudraient  plus 
écoles  d'Ionie  et  d'Elée.  Celle  de  Pythagore  avait    de  -il  millions. 


été  dispersée  en  504.  Ses  théories  mathématiques 
furent  remplacées  par  les  doctrines  sur  la  nature 
d'Anaxagore,  de  Diogène  d'Apollonie,  d'Archélaos 
de  iMilet,  d'Empédocle  d'Agrigente  ;  ils  furent  les 
maîtres  des  hommes  qui  ont  illustré  l'époque  de 
Périclès. 
Les   arts  aussi  grandissaient  ;    mais  leur  essor 


Les  premiers  travaux  exécutés  furent  des  ou- 
vrages de  défense  ;  ils  étaient  terminés  vers  le 
milieu  du  siècle.  On  refit  dès  lors  les  édifices  dé- 
truits par  les  Perses  :  on  construisit  le  h'écile, 
vaste  portique,  en  463  ;  YOdéon  de  l'i'riclès,  salle 
de  musique,  vers  444  ;  le  nouveau  Purlhénon  ou 
temple    de  la  Vierge   Athéna,  de  447  à  437  ;  les 


était  empêché  par  l'appauvrissement  de  la  nation,  Propylées  avant  iS'i.  Le  temple  de  Thèse-  datait  de 
qui  demandait  un  certain  nombre  d'années  pour  I  46'J.  Le  mouvement  de  rénovation  s'étendit  sur 
se  refaire.  La  richesse  publique  et  privée  se  ré-  j  toute  la  Grèce.  Le  même  temps  vit  s'élever  le 
tablit  sous  l'action  de  la  liberté  et  de  la  démo-  {  grand  temple  de  Cérès  i  Eleusis,  celui  d'Apollon  à 
cratie.  C'est  elles  qui  avaient  vaincu  l'absolutisme  j  Plu/i/iilie,  ceux  de  Rliamnonte  et  de  Sunium,  le 
persan.  Les  petits  Etats  grecs  sentirent  qu'ils  de-  portique  de  Thoricos,  les  temples  d'Héra  près 
valent  se  grouper  pour  résister  à  cet  empire  vain-  i  d'Aryos,  de  Jupiter  b,  Oli/ihpie,  d'Athéna  ?i  Tégée, 
eu,  mais  non  détruit.  Aristide,  en  4  77,  avait  ob-  des  jfumeaux  à  Milet,  et  une  foule  d'autres.  Les 
tenu  la  confédération  des  cités  ioniennes  avec  une  villes  commencèrent  aussi  à  se  rebâiir  et  les  rues 
dicte  fédérale  à  Délos  ;  mais  partout  le  parti  aris-  à  s'aligner  ;  mais  le  temps  des  grandes  construc- 
tocratique  Oiitretenait  des  relations  avec  les  Etats  tiens  privées  n'était  pas  encore  venu, 
dorions   et  le  roi   de  Perse.   Celui-ci    soudoyait'     Tous  les  arts  qui  tiennent  à  l'architecture  prirent 

2'    r'ARTlE.  152 


SIÈCLE  DE  PÉRICLÈS      —  2418 


SIECLE  DE  PERICLES 


un  rapide  essor.  11  suflit  de  citer  Poly(;iiole,  Agé- 
ladas,  l'olycléle,  Myron,  Calliniaque,  Zeuxis,  Par- 
rhasios ,  Iclinos.  Ces  noms  sont  domines  par 
celui  de  Pliidias,  qui,  ami  de  Pcriclès,  fut  comme 
le  directeur  des  beaux-arts  sous  son  administra- 
tion. Phidias  composa,  soit  dans  Atliènes,  soit 
dans  d'autres  villes,  les  plus  grandes  œuvres  de 
sculpture  de  cette  féconde  période.  Il  avait  sous 
j-t'S  ordres  des  architectes,  dos  mouleurs,  des  re- 
pousseurs  sur  bronze,  des  maçons,  des  teinturiers, 
des  orfèvres,  des  tailleurs  d'ivoire,  des  peintres, 
des  brodeurs,  des  ciseleurs  et  une  foule  d'ouvriers 
de  toute  sorte,  dont  les  ruines  encore  existantes 
nous  montrent  le  savoir-faire.  L'art  de  bâtir  fut 
poussé  i  une  perfection  dont  on  se  fait  k  peine 
une  idée.  Les  matériaux  les  plus  précieux  étaient 
payés  avec  libéralité  et  employés  avec  la  sobriété 
d'un  art  plein  de  réserve  ;  les  seules  draperies 
d'or  de  la  Pallas  du  Partbénon  coûtèrent  44  ta- 
lents, valant  plus  d'un  million  et  deiui  de  notre 
monnaie. 

L'esprit  qui  dominait  dans  tous  ces  ouvrages 
était  la  liberté,  soumise  aux  règles  du  vrai  et  de 
l'idéal.  La  force  avec  la  grâce,  la  souplesse,  le  na- 
turel, la  vie  dans  sa  plénitude,  l'élévation  morale, 
le  calme,  la  dignité  et  le  bon  sens,  tels  sont  les 
caractères  des  œuvres  du  siècle  de  Périclès.  t^'élaien  t 
aussi  les  meilleures  qualités  du  peuple  atliénien. 
Ce  peuple  n'avait  encore  exagéré  aucune  d'elles, 
au  point  de  s'en  faire  un  défaut. 

Le  progrès  du  génie  politique  d'Atliènes  ne  fut 
pas  le  moindre  des  effets  dus  à  la  liberté.  C'est  à 
cette  époque  que  les  esprits  atteignirent  cet  état, 
humain  par  excellence,  qui  distingue  le  citoyen 
du  sujet.  L'habitude  de  faire  soi-même  les  affaires 
de  l'F.tat  donnait  â  la  personne  du  citoyen  d'A- 
tliènes une  énergie  virile  que  n'ont  point  les  sujets 
dans  une  monarchie.  L'exercice  de  l'intelligence 
et  la  nécessite  de  prendre  des  décisions  sur  les 
choses  de  la  vie  sociale,  donnaient  à  toutes  ses 
facultés  une  activité  réglée  et  féconde.  Soumis  à 
une  constitution  dont  ils  étaient  les  maîtres,  les 
Athéniens  devenaient  des  politiques  à  la  fois  réflé- 
chis, modérés  et  énergiques,  dont  l'action  était 
d'autant  plus  calme  qu'elle  était  plus  souveraine 
et  mieux  calculée.  Telle  était  la  vie  publique  dans 
les  Etats  ioniens. 

C'est  le  temps  de  l'histoire,  de  l'éloquence,  de 
la  haute  tragédie,  de  la  comédie  politique,  et  le 
commencement  de  la  science  méthodique  et  dé- 
monstrative. A  cette  époque  on  voit  se  produire 
toutes  ces  grandes  idées  de  genre  humain,  de  ci- 
vilisation, de  transmission  des  idées  entre  les  peu- 
ples, d'antagonisme  entre  les  systèmes  politiques 
et  sociaux,  expliquant  les  luttes  sans  l'interven- 
tion des  dieux.  Il  y  a  quelque  cliose  de  si  viril 
dans  les  écrits  de  ce  temps  que  nous  reconnaissons 
très  vite  dans  leurs  auteurs  des  hommes  complets, 
à  l'intelligence  desquels  rien  n'a  manqué.  D'un 
autre  côté,  instruits  nous-mêmes  par  nos  révolu- 
tions et  parles  luttes  que  nos  pères  et  nous  avons 
Soutenues,  nous  entrons  facilement  en  communion 
d'idées  avec  ces  grands  écrivains  et  nous  les  com- 
prenons mieux  que  ne  le  faisaient  nos  ancêtres. 

C'est  la  floraison  du  génie  athénien.  Les  arts, 
les  lettres,  la  politique,  le  commerce  occupent 
tous  les  esprits.  L'originalité  hellénique  n'a  plus 
d'yeux  que  pour  elle-même  ;  elle  célèbre  ses  in- 
ventions et  ses  conquêtes  et  recueille  ses  tradi- 
tions ;  elle  se  met  en  scène  dans  la  comédie  ;  elle 
sculpte  ses  victoires  sur  les  temples  ou  les  peint 
dans  les  portiques  ;  elle  raconte  dans  l'histoire 
ses  liitles,  ses  progrès  et  ses  revers;  elle  se  donne 
des  règles  de  conduite  dans  l'éloquence  et  dans 
l'enseignement  des  sophistes. 

Eschyle  mourut  en  4.SC.  Sophocle  avait  alors 
trente-neuf  ans;  Euripide  en  avait  vingt-quatre- 
L'organisalion  matérielle    du  théâtre  était  à  peu 


près  complète  au  milieu  du  siècle.  Le  seul  chan- 
gement qui  suivit  fut  l'introduction  sur  la  scène 
d'un  troisième  acteur  exigée  par  Sophocle  et 
adoptée  par  le  vieil  Eschyle.  La  même  époque  vit 
établir  une  institution  nouvelle  essentiellement 
démocratique,  la  caisse  des  t/iédti'es,  aux  frais  de 
laquelle  les  places  des  assistants  étaient  payées. 
Les  représentations  faisaient  partie  des  fêtes  de 
liacchus,  et  le  rôle  du  poète,  selon  Aristophane, 
était  d'instruire  le  peuple  et  d'élever  sa  pensée. 
Cette  caisse  défrayait  aussi  les  autres  fêtes. 

On  cessa  de  faire  des  trilogies.  Chaque  pièce 
fut  un  tout  complet  soumis  aux  lois  de  composi- 
tion qui  régissaient  les  trilogies.  L'attention  du 
spectateur  se  concentra  sur  une  action  plus  res- 
serrée, sur  un  temps  plus  court;  ce  fut  un  avan- 
tage. Mais,  en  multipliant  les  détails,  onfui amené 
à  remplacer  l'action  par  l'intrigue,  comme  on  le 
voit  dans  plusieurs  pièces  d'Euripide. 

Par  la  même  raison,  on  diminua  l'étendue  des 
chœurs,  pour  que  le  temps  accordé  fût  rempli 
surtout  par  l'action.  A  mesure  que  le  drame  se 
modifia,  le  chœur  occupa  une  place  de  plus  en 
plus  petile  et  finit  par  disparaître  entièrement.  Il 
n'y  a  plus  de  chœurs  dans  les  pièces  latines,  ni 
chez  les  modernes,  sauf  une  ou  deux  exceptions. 

Le  nombre  des  poètes  tragiques  du  temps  de 
Périclès  fut  plus  grand  qu'on  ne  le  suppose  ;  il  en 
faut  compter  au  moins  dix-huit,  outre  Sopliocle 
et  Euripide.  Plusieurs  d'entre  eux  remportèrent 
le  prix  sur  ces  grands  dramaturges.  Sophocle  le 
remporta  vingt  fois;  dans  les  autres  concours  il 
obtint  le  second  rang.  Il  fut  stratège  avec  Périclès 
et  conduisit  l'expédition  contre  l'aristocratie  de 
Saraos,  alliée  des  Perses.  Nous  citons  ce  fait 
pour  montrer  que  les  Athéniens  savaient  alors 
concilier  leurs  devoirs  de  citoyens  avec  leurs  oc- 
cupations favorites;  c'est  un  trait  du  siècle.  Il 
composa  néanmoins  cent  vingt  pièces,  dont  le 
quart  étaient  des  drames  satiriques. 

Durant  ce  temps,  la  langue  tragique  se  perfec- 
tionna, de  sorte  <|u'il  y  eut  entre  Eschyle  et  So- 
phocle h  peu  près  la  même  différence  qu'entre 
Corneille  et  Racine.  L'esprit  aussi  se  modifia.  Les 
dieux  et  les  tableaux  effrayants  plaisaient  à  Es- 
chyle ;  dans  Sophocle,  le  drame  est  le  développe- 
ment d'un  conflit  engendré  par  les  sentiments  nés 
des  situations.  Le  destin  n'est  plus  le  grand  mo- 
teur du  drame;  c'est  la  personne  humaine  qui 
tient  presque  toute  la  place  et  qui  est  la  source  de 
l'action;  elle  lutte  contre  la  destinée,  et  le  drame 
se  termine  par  la  victoire  de  l'homme  juste  et 
l'affirmation  de  son  immortalité.  Tel  est  V Œdipe  ù 
Colone,  dernière  œuvre  de  Sophocle.  Toute  cette 
légende  d'OEdipe,  qui  a  fourni  à  cet  auteur  plu- 
sieurs sujets  de  tragédie,  lui  a  donné  aussi  les 
occasions  d'exprimer  une  des  grandes  doctrines 
de  son  temps,  l'impuissance  de  l'homme  devant  la 
loi  du  destin  et,  d'autre  part,  la  glorification  de 
l'intelligence,  de  l'industrie  et  de  la  moralité  hu- 
maine. 

L'intrigue,  qui  se  montre  h  peine  dans  les  piè- 
ces de  Sophocle,  occupe  une  grande  place  dans 
celles  d'Euripide,  plus  jeune  que  lui  de  quinze  ou 
seize  ans.  Elle  est  uu  produit  naturel  de  la  pas- 
sion, ressort  ordinaire  du  drame  dans  ce  troi- 
sième grand  poète.  L'unité  de  passion  remplace 
chez  lui  l'unité  d'idée  et  le  rapproche  de  l'art 
moderne;  aussi  a-t-il  été  chez  nous  le  plus  imité 
des  trois,  comme  étant  le  plus  tragique.  Les 
personnages  d'Euripide,  étant  plus  passionnés, 
se  rapprochent  davantage  de  l'homme  vulgaire. 
Chez  lui  les  personnages  héroïques  s'abaissent 
d'un  degré  ;  devenus  plus  accessibles,  ils  sont 
aussi  plus  populaires.  Le  chœur  lui-même  se  pas- 
sionne et  se  compromet  dans  l'action.  Mais,  en 
revanche,  Euripide  a  pénétré  plus  avant  f|ue  ses 
prédécesseurs  dans  l'analyse  du   cœur  humain; 


SIÈCLE  DU  PERICLÈS 


2il9 


SIECLE  DE  PERICLES 


sa  tragédie  est  moins  idéale,  elle  est  plus  psycho- 
logique ;  l'art  y  perd  quelque  chose,  la  vérité 
scieiitiRque  y  gagne. 

Visiblement,  il  se  fait  alors  dans  le  peuple  un 
cliaiigcnient  d'idées  :  la  foi  religieuse  est  en  dé- 
cadence, l'observation  philosophique  en  progrès, 
et  ces  deux  faits  concordent  avec  le  progrès  de  la 
démocratie  et  de  la  liberté  individuelle,  lîuripide 
a  nié  les  dieux  et  les  a  transformés.  Disciple  d'A- 
iiaxagore  et  ami  de  Socrate,  sa  religion  est  plus 
élevée  que  celle  des  prêtres  et  des  devins,  et  il  a 
pu  dire  en  plein  théâtre,  devant  trente  mille 
spectateurs,  qu'il  fallait  corriger  la  notion  vul- 
gaire des  dieux  en  attribuant  toutes  choses  à  un 
Dieu  suprême  et  unique. 

Une  révolution  non  moins  grande  dans  les 
idées  politiques  et  sociales  sépare  Euripide  de  ses 
prédécesseurs.  Il  était  franchement  athénien, 
démocrate,  ennemi  des  idées  doriennos.  Durant 
la  guerre  du  Péloponnèse,  son  amour  de  la  li- 
berté devenait  encore  plus  ardent  ;  ,sous  sa  main 
les  héros  se  p.artageaient  en  deux  classes  :  ceux  de 
la  race  ennemie  devenaieiit  odieux,  Agamemnon, 
Ménélas,  Ulysse,  Hélène  ;  les  héros  ioniens  étaient 
parfaits.  Ainsi  la  légende  se  modelait  sur  la  réa- 
lité du  moment. 

La  moralité  dans  Euripide  est  irréprochable  ; 
c'est  celle  du  citoyen  libre.  Elle  marque  un  adou- 
cissement dans  les  mœurs,  une  marche  rapide 
vers  la  tolérance,  signe  do  haute  civilisation.  L'i- 
dée morale  prend  une  forme  abstraite,  comme 
chez  les  philosophes,  et  devient  une  loi  exprimée; 
elle  tourne  même  à  la  dissertation. 

Tels  sont  les  caractères  généraux  du  mouve- 
ment tragique  durant  ce  siècle  de  progrès.  Il  con- 
corde toujours  avec  celui  des  idées.  Il  est  d'une 
fécondité  singulière  :  ainsi  Euripide,  qui  mourut 
en  4U6  à  l'âge  de  soixante-quinze  ans,  n'avait  pas 
composé  moins  de  quatre-vingt-douze  pièces  de 
théâire.  Il  avait  été  le  poète  bien-aimé  du  peuple, 
aux  yeux  duquel  il  représentait  l'avenir. 

La  comédie,  au  V  siècle,  eut  un  caractère  sur- 
tout politique.  C'est   ce   qu'on  nomme  l'ancienne 
comédie.    Elle    est   représentée   pour    nous    par 
Aristophane,  quoique  Athènes  ait  eu  d'autres  co- 
miques célèbres,    Eupolis,  Cratinos,    Hermippos, 
Cratès,  etc.,  dont  les  œuvres  sont  perdues.  La  co- 
médie est  en  lutte  constante  avec  l'esprit  nouveau, 
et  cela  se  conçoit,  puisque  son  rôle  naturel  est  de 
montrer   à   ceux  qui  ont   le  pouvoir  les  vices  do 
leur  système.  Elle  est  donc  aristocratique,  elle  fait 
la   guerre  à  la  démocratie  victorieuse.    Pourtant 
elle  en  suit  le  mouvement,  sans  pouvoir  s'y  sous- 
traire. Sous  sa  main,  les  dieux,  la  religion,  la  mo- 
rale, l'art  lui-même  et  la  langue  se  transforment, 
comme     dans   la    société   grecque    tout    entière. 
Aristophane  luttait  à  faux  contre  la  loi  inévitable 
du  développement  de  l'humanité,  loi   en  vertu  de 
laquelle  l'individu  s'émancipe  et  parvient  à  l'éga- 
lité. Aussi  échoua-t-il  dans  son  entreprise.   Les 
conspirations  aristocratiques  ne  firent  que  prépa- 
rer l'asservissement  et  la  chute  de  la  patrie  com- 
mune. Sur  la  fin  de  sa  carrière,  Aristophane  com- 
posa dans   le    genre    psychologique,    ii    la   façon 
d'Euripide.  Sa  poésie   possède   un  charme  inirai- 
table.:   langage  pur,  exempt  de   tout  néologisme, 
approprié   aux    circonstances    et    aux    personna- 
ges, quelquefois  lyrique  comme  dans  la  tragédie. 
Quant  aux  chœurs,  rien  d'aussi  varié,  d'aussi  pit- 
toresque :  les  choses  do  la  nature,  ses  tableaux. 


songea  à  recueillir  les  discours,  comme  pièces 
historiques  et  œuvres  littéraires.  C'est  alors  que 
l'on  commença  à  ouvrir  des  écoles  de  rhétorii|ue 
et  à  faire  des  traités  de  l'art  oratoire,  comme  on 
fit  dos  poétiques  et  des  livres  sur  l'architecture  et 
les  autres  arts. 

L'art  de  la  parole  était  déjà  en  possession  de 
lui-même.  Le  type  le  plus  élevé  de  l'éloquence 
était  alors  Périciès,  qui  pendant  quarante  ans  gou 
verna  l'assemblée  par  la  seule  puissance  de  la  pa- 
role. De  grandes  idées,  peu  de  passion,  le  calma 
et  la  vigueur  du  raisonnement,  la  justesse  et  la 
hauteur  de  l'expression,  tels  ont  été  les  caractères 
de  cette  éloquence,  qualifiée  d'olympienne.  Con- 
vaincu de  la  capacité  politique  du  peuple  et  de 
son  aptitude  à  conduire  les  affaires  de  la  Grèce, 
il  cherchait  k  l'éclairer,  non  à.  l'émouvoir.  Il  était 
à  la  tribune  ce  qu'étaient  Sophocle  au  théâtre  et 
Phidias  dans  les  arts  du  dessin.  Il  ne  faisait  aucun 
usage  de  ce  qu'on  a  depuis  appelé  l'action.  Dans 
cette  assemblée,  qui  se  réunissait  en  plein  air  sur 
la  colline  du  Pnyx,  il  se  tenait  debout  sur  le  roc 
servant  de  tribune,  presque  immobile,  les  mains 
cachées  sous  son  vêtement.  Ses  paroles  semblaient 
venir  d'une  intelligence  impassible,  communi- 
quant directement  avec  la  vérité  ;  sa  voix  toujours 
égale  n'était  pour  lui  que  le  moyen  obligé  de  com- 
muniquer sa  pensée  à  ses  auditeurs.  Et  le  peuple 
avait  lui-même  assez  d'intelligence  pour  l'écouler 
des  heures  durant  et  se  laisser  persuader. 

Nous  n'avons  de  cette  époque  que  deuxdiscours 
de  Périciès,  sans  doute  abrégés,  conservés  par 
Thucydide.  L'un  d'eux  est  un  tableau  et  une  sorte 
de  programme  politique  de  la  république  athé- 
nienne. Il  est  fuit  de  main  de  maître. 

La  guerre  du  Péloponnèse  fit  naître  toute  une 
génération  d'orateurs,  élèves  des  écoles  d'élo- 
quence et  qui,  sans  égaler  Périciès,  jetèrent  un 
vif  éclat  et  furent  les  prédécesseurs  de  Démo- 
sthène:  tels  furent  Alcibiade,  Antiphon,  Andocide, 
Critias,  Cléon. 

Les    écoles    d'où   la    plupart    sortaient  étaient 
celles  des  sophistes,  mot  qu'il  ne  faut  pas  enten- 
dre dans  le  sons  défavorable  qu'il  a  chez  nous.  Les 
sophistes   ont  joué  un  grand  rôlo  au  v'  siècle  et 
pendant   les   siècles    qui  suivirent.  C'étaient  des 
hommes  instruits  et   habiles,  qui  s'attachaient  il 
ôter  aux  connaissances  humaines  la  couleur  mys- 
tique ou  arbitraire  qu'elles  tenaient  des  spécula- 
tions antérieures.  Ramenant  tout  à  la  raison,  ils 
remettaient  tout  en  discussion  et  par  conséquent 
ils  préparaient  l'avènement  de  la  véritable  science  ; 
ce  qui  eut  lieu.  La  sophistique  n'était  au  fond  que 
le  libre  examen  ;  elle  était  un  produit  naturel  de 
l'esprit  nouveau  et   se  produisait  dans  le   monde 
grec  tout  eniier.  Elle  avait  donc  pour  adversaire 
Tout  le  parti  aristocratique,  et  ses  efforts  se  concen- 
trèrent, comme  tout  le  reste,  dans  Athènes,  deve- 
nue la  vraie  capitale  de  l'hellénisme.  Ce  ne  furent 
point    des    hommes     médiocres   que    Protagoras 
d'Abdère,  Gorgias    do  Léontium,   Hippias   d'Elis, 
Prodicos  de  Céos,  vrais  penseurs  pleins  de  raison 
et  d'éloquence,  qui  faisaient  de  l'homme  la  me- 
sure de  toutes  choses  et  posaient  ainsi  la  base  so- 
lide de  la  science  et  de  la  discussion.  Socrate  fut-il 
lui-môme  autre  chose  qu'un  sophiste,  le  plus  sage 
et  le  plus  désintéressé  de  tous?  N'est-ce  pas  pour 
cela  même  que  le  parti  r,-tro,4radu  le  fit  condam- 
ner? Il  cherchait  pourtant  à  prendre  une  position 
moyenne  entre  les  sophistes  proprement  dits  et 


ses  bruits,  ses  parfums,  ses  harmonies,  tout  y  est  ceux  qu'on  pourrait  appeler  les  conservateurs; 
rendu  avec  une  vérité  à  la  fois  sensible  et  idéale,  mais  par  li  il  eut  presque  tout  le  monde  contre 
qu'aucun  poète  n'a   surpassée.  C'est  la   période    lui.  i 

du  grand  art.  Du  reste  sa  mort  mit  un   terme  aux  perséou- 

Véloquence  n'est  devenue  un  art  que  dans  le  tions  qui  plusieurs  fois  avaient  essayé  de  suspen- 
cours  du  V'  siècle,  avec  les  institutions  démocra-  dre  la  liberté  de  penser.  Avant  lui  Protagoras 
tiques  des  peuples  ioniens,  surtout  d'Athènes,  et  avait  été  condamne  h  mort,  Diagoras  avait  eto 
ce  fut  seulement  h  la  fin  de  cotte  période  qu'on  1  exilé  comme  impie,  Anaxagoras  avait  été  frappe 


SIÈCLE  D'AUGUSTE       —  2420 


SIECLE  D'AUGUSTE 


par  les  ennemis  de  Pcriclès  et  les  siens.  Socrate 
ne  fut  condamné  que  par  deux  voix  de  majorité. 
Ainsi  les  idées  nouvelles  avaient  fait  assez  de  pro- 
grès îi  la  fin  du  siècle  ;  l'ère  de  la  tolérance  allait 
définitivement  s'ouvrir. 

L'esprit  public  atteignait  son  point  de  maturité 
pour  tout  ce  qui  concerne  1  art  et  la  vie  pratique. 
Les  événements  lui  donnaient  ce  complément  d'é- 
ducation qui  permet  h  un  homme  de  saisir  la  mar- 
elle des  faits,  leurs  lois  et  leurs  causes.  Un  des 
hommes  qui  représentent  le  mieux  la  génération 
d'après  Périclès,  fut  Thucydide.  Exilé  pendant 
vingt  ans,  il  vit  les  choses  du  dehors  et  de  haut, 
c'est-à-dire  sans  être  exposé  h  l'aveuglement  que 
produit  la  lutte.  Quoique  de  famille  noble,  il  était 
de  l'école  de  Périclès.  Le  calme  de  la  pensée  est 
le  même  chez  ces  deux  hommes.  Bien  qu'il  ait  écrit 
au  commencement  du  iv=  siècle,  il  appartient  par 
son  sujet  et  par  son  esprit  au  v".  Son  histoire  ne 
ressemble  plus  à  celle  d'Hérodote;  on  n'y  trouve 
ni  la  forme  épique,  ni  religion,  ni  mythologie.  Il 
n'attribue  point  les  événements  à  des  causes  sur- 
naturelles ou  imaginaires,  mais  aux  tendances  na- 
turelles de  l'homme,  aux  situations  et  aux  systè- 
mes politiques  des  peuples  et  des  individus.  11  y  a 
entre  Hérodote  et  'rhucydide  à  peu  près  la  même 
distance  qu'entre  Eschyle  et  Euripide,  entre  un 
croyant  du  commencement  du  siècle  et  un  philoso- 
phe de  la  fin. 

Les  deux  sujets  sont  aussi  bien  différents  :  la 
guerre  médique  était  une  guerre  nationale  ;  celle  du 
Péloponnèse  est  une  guerre  politique  :  c'est  la 
lutte  des  systèmes  doriens  contre  le  principe  de 
l'égalité.  De  là,  la  grande  portée  du  livre  de  Thu- 
cydide ;  il  oft're  l'exposé  et  l'enchaînement  naturel 
des  faits  qui,  pendant  vingt  ans,  ont  rempli  la  vie 
du  peuple  le  plus  politique  de  la  terre.  C'est  en- 
core aujourd'hui  le  livre  des  hommes  d'Etat  et 
l'école  do  la  politique,  pour  qui  veut  l'approfondir. 

Thucydide  n'a  voulu  imiter  ni  perfectionner  au- 
cune histoire  antérieure  :  il  a  créé  un  genre  nou- 
veau, qui  est  la  véritable  histoire,  l'histoire  telle, 
que  la  demande  un  peuple  émancipé,  qui  veut  con- 
naître son  passépourpréparer  lui-même  son  avenir. 

Nous  avons  suivi  la  marche  do  l'esprit  grec 
dans  ses  difl'érents  produits  au  v"  siècle.  En  les 
résumant,  on  voit  qu'un  progrès  immense  s'est  ac- 
compli entre  la  révolte  de  l'ionie  en  504  et  la  prise 
d'Athènes  par  Lysandre  cent  ans  après.  Ce  progrès 
se  peut  exprimer  en  un  seul  mot,  l'émancipation. 
L'esprit  des  Hellènes  a  conquis  pas  à  pas  son  in- 
dépendance, dans  les  lettres,  les  arts,  la  politique, 
la  conduite  de  la  vie.  Par  l'indépendance  il  est  par- 
venu à  la  tolérance  et  à  la  liberté  politique,  ci- 
vile et  religieuse.  C'est  dans  Athènes  que  ce  mou- 
vement fécond  s'est  concentré.  Cette  malheureuse 
ville  lut  prise  et  saccagée  par  Lysandre  et  les 
Doriens,  comme  elle  l'avait  été  par  les  Perses. 
Mais  après  la  guerre  médique  elle  se  refit  avec 
une  rapidité  dont  la  France  de  nos  jours  a  seule 
doinié  un  second  exemple.  Après  la  guerre  do- 
rienne,  le  mouvement  de  la  civilisation  ne  fut  ni 
arrêté  ni  ralenti  et,  comme  le  dit  Périclès  dans 
Thucydide,  l'Athènes  du  V  siècle  est  restée  «  l'é- 
cole du  genre  humain.»  [Emile  lîurnouf.] 

SIECLi;  D'AUGUSTE.— Histoire  générale,  XIV. 
—  Personne  aujourd'hui  ne  s'abuse  sur  le  sens  de 
ces  mots:  le  siècle  de Lo'uis  XIV,  de  Léon  Xou  d'Au- 
guste. Ces  protecteurs  des  lettres  et  des  arts  leur  doi- 
vent plus  (|u'ils  ne  leur  ont  donne,  et  ils  ne  sont 
pour  rien  dans  le  grand  travail  qui  s'est  accompli  au- 
totir  d'eux.  Les  révolutions  littéraires,  comme  toutes 
les  autres,  se  préparent  lentement  et  elles  n'écla- 
tent qu'à  l'apparition  d'un  homme  supérieur;  or  les 
hommes  de  cette  sorte,  c'est  la  nature  et  non  pas 
io  prince  qui  les  forme.  Cependant  il  faut  bien  don- 
ner un  nom  .'i  ces  époques  où  l'humanité,  concen- 
Iraut  toutes    ses   forces    productives,  fait  rapide- 


ment éclore  une  foule  de  chefs-d'œuvre  ;  et  ce 
nom  est  bi''n  choisi,  quand  il  est  celui  d'un  prince 
qui  a  eu  du  goût  pour  les  œuvres  de  l'esprit  et 
des  égards  pour  ceux  qui  les  exécutaient.  L'his- 
toire, à  bon  droit,  accepte  cet  usage,  et,  quoi 
qu'on  dise,  la  postérité  ne  séparera  jamais  ces 
princes  des  hommes  grands  par  le  génie,  les  ac- 
tions ou  la  vertu  qui  ont  illustré  leur  règne.  ■ 

Ce  noble  cortège  qu'il  ne  conduit  pas,  mais  qui 
1  entoure,  est-il  pour  Auguste  le  moins  éclatant'? 
Plaute  y  manque,  et  Térence,  Lucrèce,  Cicéron, 
César,  Salluste,  qui  l'ont  précédé  ;  Tacite,  qui  l'a 
suivi.  Mais,  à  ses  côtés,  aidant  sa  marche,  je  vois 
Mécène  et  Agrippa,  la  politique  et  la  force  ;  plus 
loin,  Drusus  et  Germanicus,  jeunes  princes  aimés 
du  peuple  et  de  l'histoire.  Derrière  lui,  trois  écri- 
vains immortels  :  Virgile,  menant  «  le  chœurdes 
poètes  »  ;  Tite-Live,  qui  célèbre  les  mœurs  labo- 
rieuses, le  patriotisme  et  les  hauts  faits  des 
temps  passés;  Horace,  le  poète  mélodieux  du  bon 
sens  et  du  goût.  Puis,  assez  loin  derrière  eux. 
Varius,  qui  tenta  du  rivaliser  avec  Sophocle, 
comme  s'il  pouvait  y  avoir  place  à  Rome  pour  la 
muse  tragique  à  côté  des  jeux  de  l'amphithéâtre; 
Tibulle,  Gallus,  Properce,  l'élégie,  rarement  na- 
turelle parce  qu'elle  est  déjà  trop  savante;  Ovide, 
l'abondance  souvent  stérile;  Phèdre,  froid  mais 
limpide  écrivain  ;  Manilius,  le  chantre  des  astres 
a  confidents  du  destin  »  ;  Varron,  Hygiu,  Flaccus, 
l'érudition  sous  les  seules  formes  qu'elle  connût 
à  Rome  :  grammaire  et  liturgie;  Celse,  qu'il  ne 
faut  appeler  l'Hippocrate  romain  qu'à  la  condition 
d'entendre  qu'il  copia  l'Hippocrate  grec;  Strabon, 
le  grand  géographe  ;  Viiruve,  le  conseiller  trop 
vanté  de  ces  artistes  inconnus  qui  changèrent  la 
face  de  Rome.  El  le  Gaulois  Trogue-Pompée  ;  et 
les  Grecs  de  Rome  :  Denys  d'Halicarnasse,  Dio- 
dore  do  Sicile,  Nicolas  de  Damas,  qui  écrivent 
des  histoires  générales  pour  cet  empire  univer- 
sel. Enfin,  le  grave  et  libre  Labéon,  avec  son 
rival  Ateius  Capiton,  qui  règlent  la  jurisprudence, 
l'un  au  nom  des  vieux  principes  de  la  cité,  l'autre 
au  nom  de  cette  puissance  nouvelle  alors,  Tnais 
que  Cicéron  faisait  plus  ancienne  que  le  monde  et 
contemporaine  de  Dieu  même,  l'équité,  la  loi  na- 
turelle. 

Supposez  qu'un  peintre  de  génie  jette  sur  la 
toile  le  tableau  dont  je  viens  de  tracer  l'esquisse  ; 
placez  à  côié  l'École  d'AthéiiPS  de  Raphaël,  et, 
tout  en  reconnaissant  l'éclatante  supériorité  de  la 
Grèce,  vous  direz  que  Rome  montre  encore  une 
page  glorieuse. 

A  prendre  cette  littérature  du  siècle  d'Auguste 
dans  son  ensemble,  on  voit  qu'elle  imagine  peu 
et  qu'elle  copie  beaucoup  ;  sa  voix,  écho  harmo- 
nieu.x,  n'a  guère  de  notes  originales,  et  les  meil- 
leurs, parmi  ceux  qui  la  représentent,  se  souvien- 
nent plus  qu'ils  n'inventent  :  sur  deux  cents 
fragments  qui  nous  restent  des  lyriques  grecs,  on 
en  a  compté  plus  de  cent  iiriités  par  Horace.  Cette 
constante  préoccupation  des  œuvres  du  génie 
grec  qu'eurent  alors  les  écrivains  de  Rome  nui- 
sit à  leur  originalité;  la  mémoire  tua  l'inspira- 
tion. A  force  d'art,  on  chassa  le  naturel,  et,  avec 
lui,  la  passion  vraie,  énergique  ou  tendre.  Cepen- 
dant cette  littérature  mérite  la  place  qui  lui  est 
donnée  dans  le  tableau  d'honneur  de  l'esprit  hu- 
main ;  si  elle  n'a  pas  l'énergie  grandiose  d'œuvres 
nées  au  souffle  puissant  de  l'iuiaginaiiou  et  des 
croyances  populaires,  elle  réalise  un  des  plus 
parfaits  modèles  de  la  littérature  d'une  société 
polie. 

Il  faut  remarquer  aussi  que,  tout  compense, 
les  lettres  eurent,  à  cette  époque,  le  respect 
d'elles-mêmes.  Le  poète  est  souvent  chose  légère, 
et  l'art  n'est  pas  la  morale.  Ci  pondant  notons  que 
les  plus  mauvaises  pièces  d'Horace  sont  dans  les 
Éijodfn,  qu'il  no  publia   pas,    et  que  le  théâtre, 


SIÈCLE  D'AUGUSTE 


_"i21 


SIECLE  D'AUGUSTE 


dont  la  licence  alla  plus  tard  si  loin,  se  tenait 
encore  dans  de  telles  limites,  que  l'on  a  pu  ex- 
traire des  pièces  de  l'ublilius  Syrus  un  long  recueil 
de  belles  sentences. 

Enlin,  cette  littt^raturc,  qui  avait  de  la  dignité, 
ne  manquait  pas  d'indépendance.  La  liberté,  qui 
s'était  volontairement  retirée  des  assemblées  pu- 
bliques, avait  pris  refuge  au  sein  des  lettres,  car 
coUcs-ci  ont  le  privilège  de  garder,  même  sous 
les  ruines  du  temple,  une  étincelle  du  feu  sacré 
où  la  noble  exilée  peut  venir,  quelque  jour,  rallu- 
mer son  flarab(.'au.  Des  sociétés  abdiquent  aux 
mains  d'un  homme;  l'esprit  humain,  jamais.  En 
face  d'Auguste,  Horace  chante  «  la  fatale  journée 
(celle  de  Philippes)  où  la  vertu  succomba,  où  l'on 
vit  couchés  sur  la  poussière  les  fronts  des  braves 
menaçant  encore  ».  Virgile  met  Caton  b,  la  tête 
des  Justes  dans  les  Champs  Élysées,  et  Tite-Live 
peut  célébrer  impunément  les  hauts  faits  de  la 
grande  aristocratie  que  le  prince  remplace  ;  il  en 
sera  quitte  pour  le  surnom  de  Pompéien.  Tima- 
gèno  lance  contre  l'empereur  et  les  siens  des 
traits  acérés  ;  Auguste  l'avertit  d'avoir  plus  de  ré- 
serve, et,  comme  il  redouble,  lui  interdit  sa  mai- 
son ;  mais  PoUion  le  recueille,  et  toute  la  ville  se 
l'arrache. 

Cependant  que  Labienus  ne  se  fie  pas  à  cette 
tolérance  ;  s'il  va  trop  loin,  un  décret  du  sénat 
fera  brûler  son  livre,  et  en  vertu  de  la  loi  de  ma- 
jesté, Cassius  Severus  sera  exilé  en  Crète  pour 
avoir  attaqué  les  meilleurs  amis  du  prince  ;  mais 
il  faut  qu'il  se  soit  permis  de  bien  étranges  licen- 
ces, car  Tacite  le  condamne.  Une  loi  fut  rendue 
pour  punir  les  libelles  diffamatoires  ;  voilà  donc 
les  délits  d'opinion  qui  entrent  dans  la  législation 
impériale.  Ils  étaient  déjà  dans  celle  de  la  répu- 
blique, depuis  les  Douze  Tables,  et  nous-mêmes, 
après  vingt-trois  siècles,  nous  ne  savons  pas  bien 
encore  si,  lorsqu'il  s'agit  du  gouvernement,  il 
vaut  mieux  ne  pas  les  voir,  ou  les  poursuivre. 

Dans  les  sciences,  les  Romains  ji'ont  rien  pro- 
duit. c(  Tout  ce  qu'ils  savent,  dit  Strabon,  ils  le 
doivent  aux  Grecs,  sans  y  avoir  ajouté  la  moindre 
«hose,  et  l.'i  où  se  trouve  une  lacune,  n'espérez 
pas  qu'ils  la  remplissent.  »  Martianus  Capella  dit 
mieux  encore  :  «  Si  vous  exceptez  Varron  et  quel- 
ques autres  personnages  illustres,  il  n'est  pas  un 
fils  de  Romulus  dont  la  science  ait  franchi  le 
seuil.»  Et  elle  ne  le  fit  qu'en  visiteur  rapide  et 
distrait,  car  elle  ne  leur  apporta  pas  une  parcelle 
de  l'esprit  d'invention.  Vitruve  n'a  pas  plus  ajouté 
à  la  géométrie  d'Archimède  que  Celse  h  la  méde- 
cine d'Hippocrate;  et  Nigidius,  qui  du  temps  de 
César  fit  quelques  études  de  mathématiques  et 
d'histoire  naturelle,  est  surtout  connu  par  un 
traité  d' Astrologie  qui  était  une  théorie  de  la  di- 
vination. 

Les  naturalistes  sont  représentés  par  des  écri- 
vains, Caton.  Varron,  Columelle,  qui  ne  s'occu- 
pent que  d'économie  rurale.  Ils  no  cherchent  pas 
à  surprendre  à  la  nature  un  de  ses  secrets,  ils  ne 
songent  qu'à  lui  faire  rapporter  davantage.  La 
physique,  la  chimie,  n'existent  pas. 

Quant  aux  médeclTis,  ils  étaient  fort  nombreux, 
car  il  y  en  avait,  au  dire  de  Martial  et  de  Celse, 
pour  toutes  les  parties  du  corps,  pour  tous  les 
genres  de  maladies  ;  les  femmes  niôuies  prati- 
quaient, et  cet  usage  s'est  perpétué  longtemps  en 
Italie.  Mais,  hommes  ou  femmes,  tous  faisaient 
de  la  médecine,  comme  les  mathématiciens  fai- 
saient de  l'astronomie,  en  traitant  les  malades  au 
hasard  ou  d'après  des  idées  préconçues. 

Dans  les  arts,  les  Romains  eurent,  en  parvenus 
enrichis,  le  goût  de  Mummius  pour  les  statues  et 
les  tableaux  :  ils  en  voulurent  partout;  mais  je 
les  soupçonne  d'avoir  été  aussi  incapables  do 
sculpter  la  Vénus  de  Milo  que  d'en  comprendre  la 
chaste  beauté  ;  car,  à  voir  Scaurus  réunir   pour 


un  théâtre  d'un  jour  trois  mille  statues,  la  cité 
en  renfermer  peut-être  soixante-dix  mille,  on  ne 
peut  s'empêcher  de  croire  qu'ils  tenaient  surtout  à 
la  quantité.  Et  quand  Valère-Maxime  montrejFabius 
Pictor  livré  à  un  métier  qu'il  appelle  sordide,  j'ai 
grand'peur  qu'il  n'exprime  l'opinion  commune 
d'un  peuple  qui  n'avait  pas  pour  les  arts  cette 
estime  singulière  sans  laquelle  il  ne  se  produit  ni 
grands  artistes  ni  belles  amvres.  Au  lieu  de  fonder 
de  véritables  écoles  do  peintres  ot  de  sculpteurs, 
ils  laissèrent  s'organiser  une  immense  industrie 
d'art  qui  remplit  les  cités,  les  palais  et  les  villas 
de  marbres  taillés  au  plus  juste  prix  dans  les  ate- 
liers de  Grèce  et  d'Asie,  où  l'on  travailla  pour 
l'exportation,  et  de  pointures  exécutées  encore 
par  des  Grecs  affranchis  ou  esclaves,  qui,  à  défaut 
de  grand  style,  donnèrent  du  moins  à  leurs  figures 
et  à  leur  décoration  une  rare  élégance.  L'in- 
fluence romaine  ne  se  montre  dans  la  sculp- 
ture que  par  un  mérite  dont  les  Grecs  ne 
paraissent  pas  avoir  eu  un  souci  sérieux  :  leurs 
bustes  sont  des  portraits  ;  et  à  ces  fronts  anguleux 
et  bas,  à  ces  physionomies  obstinées  et  dures,  on 
reconnaît  bien  la  race  qui  d'une  main  si  vigou- 
reuse pressura  la  terre  et  les  peuples.  Dans  la 
statuaire  comme  en  tout,  les  Romains  ont  sacrifié 
le  général  au  particulier,  l'art  à  la  nature,  l'idéal 
au  réel  ;  et  c'est  pourtant  dans  la  seule  région 
de  l'idéal  que  doit  être  cherché  ce  type  primitif 
de  la  beauté  humaine  que  Dieu,  dit-on,  fit  à  son 
image  et  que  Pliidias  retrouva  dans  Homère. 

Nul  doute,  cependant,  que  la  sculpture  n'ait 
encore  produit  de  fort  belles  œuvres  à  l'époque 
romaine,  depuis  la  statue  d'Agrippine  l'aînée, 
qu'on  voit  au  Capitule,  d'une  pose  si  noble  ot  si 
fière,  jusqu'à  celles  d'Antinoiis,  qu'Hadrien  mul- 
tiplia par  tout  l'empire.  Mais  ce  furent  des  mains 
grecques  qui  les  firent. 

La  peinture  fut  moins  romaine  encore.  Vitruve, 
dn  temps  d'Auguste,  se  plaignait  du  mauvais  goût 
des  peintres,  et  un  demi-siècle  plus  tard,  Pline 
disait:  «  La  peinture  se  meurt...  Les  peintres 
sont  aujourd'hui  chassés  par  les  marbriers  et  les 
doreurs.  »  Et,  ce  que  lui-même  nous  raconte  ex- 
plique cette  rapide  décadence.  «  Sous  Auguste, 
dit-il,  il  se  trouvait  à  Rome  un  certain  Ludius 
qui,  le  premier,  imagina  de  décorer  les  murailles 
de  peintures  charmantes.  Il  y  représentait  des 
maisons  de  campagne,  des  portiques,  des  arbris- 
seaux taillés,  des  bois,  des  bosquets,  des  colli- 
nes, des  euripes,  des  rivières,  des  rivages,  au 
souhait  de  chacun.  On  y  voit  des  personnages 
qui  se  promènent  ou  qui  vont  en  bateau  ;  qui 
arrivent  à  la  maison  rustique  sur  des  ânes  ou  en. 
voiture  ;  qui  pochent  ou  prennent  des  oiseaux  au 
filet;  qui  chassent  ou  vendangent.  De  belles  mai- 
sons de  campagne  s'élèvent  auprès  d'un  marécage  ; 
des  gens  y  portent  des  femmes  sur  leurs  épaules, 
et,  en  marchant,  chancellent  ou  glissent.  Il  a 
peint  mille  autres  sujets  de  ce  genre,  ingénieux 
ou  plaisants,  et  aussi  des  villes  maritimes  qui 
font  un  efl'et  très  agréable,  et  à  très  peu  de  frais.  » 
Hélas  !  ces  peintures  si  charmantes  aux  yeux  de 
Pline,  même  à  ceux  d'Auguste,  puisque  dans  sa 
maison  réceitiment  découverte  au  Palatin  on  voit 
un  tableau  de  ce  genre  :  une  rue  de  Rome,  des 
femmes  qui  sortent,  d'autres  qui  du  haut  d'un 
balcon  les  regardent  passer;  ces  peintures  char- 
mantes étaient  du  bon  marché,  je  le  veux  bien, 
ndnimo  impenclio,  mais  elles  n'étaient  point  de 
l'art,  et  je  comprends  qu'avec  un  pareil  goût  les 
Romains  aient  eu  en  peinture  des  manœuvres  au 
lieu  d'artistes.  Cependant  on  sait  que  Raphaël 
s'inspira  pour  les  Loge.s  du  Vatican  des  arabes- 
ques trouvées  dans  les  bains  de  Titus. 

Un  art  qui  est  encore  très  recherché  des  Ro- 
mains d'aujourd'hui,  la  mosaïque,  couvrit,  en 
Italie  et    dans  les  provinces,  le  pavé  des  villas. 


SIECLE  D'AUGUSTE      —  24; 

On  en  a  trouvé  partout  et  de  fort  belles.  La  Ba- 
taille d'Issus,  découverte  à  Ponipéi  en  1831,  dans 
la  maison  du  Faune,  est  justement  renommée. 

Il  est  une  science  où  les  Romains  n'ont  pas  de 
rivaux,  le  droit,  et  un  art  auquel  ils  ont  donné, 
avec  des  éléments  anciens,  une  forme  nouvelle, 
l'archileclure.  Mais  de  ces  deux  gloires  de  Rome 
l'une  est  anonyme,  car,  si  nous  avons  de  grands 
monuments,  nous  ne  connaissons  pas  do  grand 
constructeur,  un  seul  excepté,  Apollodore,  l'ar- 
chitecte de  Trajan  et  d'Hadrien;  l'autre  s'attache 
à  beaucoup  de  noms  et  ne  se  rapporte  à  aucun 
livre.  Le  Digeste,  où  se  conserve  à  jamais  la  sa- 
gesse juridique  de  Rome,  a  causé  la  perte  des 
innombrables  ouvrages  dont  cette  sagesse  s'était 
formée;  ils  disparurent  après  qu'on  en  eut  retiré 
la  substance  pour  la  concentrer  dans  une  œuvre 
impersonnelle. 

A  Rome,  les  censeurs,  les  consuls,  le  préteur 
des  étrangers  et  les  édiles  cuiules;  dans  les  pro- 
vinces, les  magistrats  envoyés  pour  les  gouverner 
et  les  questeurs  avaient  également  le  jus  edi- 
cendi.  A  ces  sources  multipliées  du  droit,  il  faut 
ajouter  les  lois  rendues  par  les  centuries  ;  les 
plébiscites  votés  par  les  tribus,  bien  que,  contrai- 
rement .^  ce  qui  se  passe  dans  les  Etats  moder- 
nes, la  loi  n'intervint  que  rarement  pour  modifier 
le  droit  civil;  enfin  les  sénutus-consultes  qui  ré- 
glaient souvent  des  queslions  de  droit  privé  tou- 
chant au  droit  administratif  ou  religieux,  aux 
finances  ou  au  gouvernement. 

11  ré.^ulta  de  cette  variété  des  sources  du  droit 
une  confusion  à  laquelle  on  n'échappait  que  par 
une  science  profonde.  L'étude  des  lois  devint 
l'étude  romaine  par  excellence,  dont  les  maîtres 
furent  les  pfudents  ou  les  jurisconsultes. 

Un  jurisconsulte  était  d'ordinaire  un  homme  de 
bonne  naissance  qui,  n'ayant  pu  ou  n'ayant  pas 
•voulu  se  faire  orateur,  fuyait  les  agitations  du  fo- 
rum, et  mettait  sa  science  à  la  disposition  de  ceux 
qui  voulaient  être  éclaires  sur  des  questions  dou- 
teuses, renseignés  sur  les  meilleures  formes  de 
contrats  et  d'actions,  qui  tenaient  enfin  à  être  en 
garde  contre  les  nullités  dont  la  procédure  élait 
hérissée.  Horace  montre  la  porte  du  prudent 
assiégée  dès  l'aurore,  suù  yalti  canlum,  par  une 
foule  empressée  de  clients.  Il  donne  ses  conseils 
avec  autorité,  et  on  les  reçoit  avec  respect  :  ce 
sont  des  oracles  qu'il  rend  du  haut  de  son  trône, 
ainsi  qu'on  nomme  le  siège  sur  lequel  est  assis 
ce  pontife  du  droit,  sccerdos  juris.  En  justice, 
son  opinion  termine  presque  toujours  un  procès, 
u  Quoi  de  plus  beau  pour  un  vieillard,  s'écrie  Ci- 
céron,  après  avoir  parcouru  la  carrière  des  hon- 
neurs, que  de  pouvoir  se  glorifier,  au  terme  de  la 
vie,  do  diriger  par  ses  conseils,  sinon  les  peuples 
et  les  rois,  comme  Apollon  dans  Ennius,  du  moins 
tous  ses  concitoyens,  et  de  dire  avec  le  dieu  : 
«  Les  hommes  sont-ils  dans  l'incertitude,  je  dis- 
■'  sipe  le  nuage,  j'éclaire,  je  fortifie  leurs  âmes, 
"  et  ils  ne  vont  plus  à  l'aventure  dans  les  som- 
«  bres  sentiers  de  la  vie  !  »  Ailleurs  le  grand  ora- 
teur, qui  n'a  pas  toujours  été  aussi  juste  pour  les 
jurisconsultes,  donne  à  cette  profession  le  nom  de 
milice  civile;  et  il  a  raison  :  les  légistes  de  Rome 
ont  conquis  un  empire  plus  vaste  et  plus  durable 
que  celui  do  ses  légions. 

Les  jurisconsultes  romains  ont  de  bien  grands 
mérites  :  une  si  nette  intelligence  des  besoins  so- 
ciaux, qu'ils  en  prévoient  toutes  les  formes;  une 
dialectique  si  serrée,  qu'ils  tirent  d'un  texte  tou- 
tes ses  conséquences  nécessaires;  une  méthode 
si  rigoureuse,  qu'elle  égale  celle  des  géomètres  et 
a  valu  aux  lois  de  Rome  le  surnom  de  ..  la  rai- 
son écrite»;  enfin  un  style  net,  précis,  simple, 
presque  lapidaire,  qui  semble  ne  vouloir  rien  lais- 
rer  à  l'arbitraire,  à  la  chicane.  Mais,  il  faut  le 
dire  aussi,  ces  prudents  ont  trop  de  retenue,  et 


!-^  —       SIÈCLE  D'AUGUSTE 

les  jurisconsultes  de  Rome  n'échappent  pas  au 
caractère  général  de  l'tsprit  romain  :  peu  d'élé- 
vation, point  d'abstractions  philosophiques,  de 
théories,  do  systèmes.  Gains  était-il  stoïcien? 
Ulpien  appartenait-il  plutôt  à  la  secte  épicurienne? 
Quelques-uns  le  pensent,  personne  ne  saurait  le 
dire;  mais  on  peut  affirmer  que  l'esprit  légiste, 
qui  analyse,  discute  et  classe,  était  le  contraire 
de  l'esprit  stoïcien,  qui  n'établit  pas  de  différence 
entre  un  crime  et  le  plus  mince  délit.  Les  juris- 
consultes de  Rome  cherchent  les  textes  et  non 
pas  ces  choses,  vérités  sublimes  ou  utopies  dan- 
gereuses, or  pur  ou  plomb  vil,  qui  ne  se  trouvent 
qu'en  dehors  des  sentiers  battus.  Leur  génie  est 
tout  pratique  et  leur  utilité  fait  leur  gloire. 
Après  tout,  cette  définition  du  droit  :  Ars  boni  et 
,T(jui,  et  ces  trois  préceptes  de  leur  jurispru- 
dence :  Vivre  honnêtement,  ne  léser  personne, 
rendre  à  chacun  ce  qui  lui  appartient,  valent  bien, 
pour  le  train  ordinaire  de  la  vie,  les  plus  bril- 
lantes créations  de  l'esprit  philosopliique.  L'i- 
déal des  Grecs  est  le  beau,  lo  knlon;  celui  des 
Romains  est  l'honnête,  honestum,  c'est-à-dire  tout 
ce  qui  relève  la  dignité  de  l'individu.  Si  dans  l'œu- 
vre de  la  civilisation  ancienne  les  Grecs  ont  la 
plus  belle  part  :  la  pensée,  l'art,  la  science;  les 
Romains  ont  la  plus  utile,  la  loi,  avec  une  impor- 
tante réserve  cependant  :  c'est  que  cette  loi  si 
équitable  pour  les  intérêts  des  particulters  fut 
placée  par  les  jurisconsultes  au-dessous  du  prin- 
cipe de  l'autorité  absolue  de  l'empereur,  quod 
piincipiplacuit  legis  vigorem  /label,  et  devint  par 
conséquent  l'instrument  du  despotisme  dans  l'em- 
pire romain,  plus  tard  dans  les  monarchies  mo- 
dernes. 

Mats  à  côté  du  mal  se  trouvait  le  remède.  Toute 
cette  législation  est  animée  d'un  esprit  rationa- 
liste qui  devait,  un  jour  ou  l'autre,  détruire  le 
principe  du  droit  absolu  de  l'empereur;  et  c'est 
principalement  aux  lois  romaines  que  l'Europe 
latine  est  redevable  de  cet  esprit  philosophique 
ou  plutôt  social  qui  a  eu  en  France  sa  plus  haute 
expression. 

De  ce  qui  fut  la  plus  grande  science  de  Rome, 
passons  à  ce  qui  a  été  son  art  de  prédilection, 
1  architecture. 

L'art  des  Grecs  est  d'une  merveilleuse  simpli- 
cité et  d'une  logique  inexorable.  Pour  eux,  la 
t'orme  extérieure  du  monument  est  donnée  par  k- 
monument  lui-même,  comme,  dans  l'homme,  l'en- 
veloppe dépend  de  l'ossature  générale,  qu'elle  re- 
produit en  l'adoucissant  par  d'harmonieux  con- 
tours. Le  temple  grec  est  un  :  structure  et  orne- 
mentation dérivent  d'une  même  pensée.  Ainsi 
une  idée  de  Platon  projette  comme  d'elle-même 
la  forme  qui  l'exprime. 

Les  Romains  ne  sont  pas  des  artistes  d'une 
aussi  délicate  nature  :  ils  aiment  le  beau  et  l'em- 
ploient il  des  œuvres  d'art  pur,  un  temple,  un  arc 
de  triomphe  ;  mais  ils  le  fout  surtout  servir  à  l'u- 
tile, et  celte  préoccupation  détruit  parfois  l'unité 
du  plan  :  plusieurs  de  leurs  édifices  semblent  avoir 
eu  deux  architectes,  l'un  qui  a  construit,  l'autre 
qui  a  décoré;  le  premier  qui  a  fait  le  corps  de 
l'édifice,  le  second  qui  a  appliqué  l'enveloppe- 
d'art. 

Riches,  puissants  et  nombreux,  les  Romains 
veulent,  dans  leur  immense  capitale,  des  monu- 
ments à  la  mesure  de  leur  empire,  vastes  comme 
lui.  au  risque  de  n'être  pas  grands  ;  comme  lui, 
imposants  par  la  masse,  bien  plus  que  par  le.s 
idées  qu'ils  éveillent,  et  surchargés  d'ornements 
de  placage,  coimne  leur  littérature  est  un  reflet 
de  la  Grèce,  comme  leur  élégance  est  un  luxe 
d'emprunt  qu'ils  ont  ravi  à  Tarente  et  à  Syra- 
cuse, aux  rois  de  Macédoine,  de  Syrie  et  d'E- 
gypte. 

Qu'était-ce  que   le   mausolée   d'Auguste?    Un 


SIÈCLE  D'AUGUSTE       —  2423  —       SIÈCLE  D'AUGUSTE 


ainoiicollumenl  do  terre  et  de  pieri-es,  d'arbres  et 
do  colonnes,  où  Ton  sentait  partout  l'efTort  et 
une  grâce  clierclioe,  comme  si  l'artiste  eût  vo\iln 
attifer  au  goût  des  élégants  de  Uonie  une  pyra- 
mide des  Pharaons.  El  ce  Panthéon  d  Agrippa  si 
massif  et  si  lourd,  ce  défi  proposé  h  tous  les 
constructeurs  du  monde,  il  n'est  devenu  une 
ii'uvre  puissante  d'art,  parlant  aux  yeux  et  k 
l'esprit,  que  lo  jour  où  Michel-Ange  l'a  pris  pour 
le  poser  an  sommet  do  Saint-Piern;. 

Dans  l'Hellado,  lo  temple  éiait  la  demeure 
étroite  d'une  divinité  présidant  du  liant  de  son 
piédestal  au  culte  qui  s'accomplissait  en  dehors 
liu  parvis  sacré,  et  le  Grec,  amant  de  la  natuio 
autant  que  de  la  pensée,  associait  la  grande  ar- 
liste  il  son  œuvre.  Il  couronnait  d'un  monument 
le  cap  Sunium,  et  il  portait  le  Pariliénon  au  som- 
met de  l'Acropole,  lo  temple  d'Apollon  sur  les 
rochers  du  Parnasse,  ceux  d'Agrigente  et  de  Sé- 
linonte  sur  les  collines  qui  servaient  à  ces  villes 
de  rempart,  afin  que  du  fond  de  leur  sanctuaire 
les  dieux  pussent  embrasser  du  regard  le  port  et 
tout  le  peuple  placés  sous  leur  protection.  S'il 
était  forcé  de  construire  en  plaine,  il  dégageait  du 
moins  l'édifice  et  lui  donnait,  comme  à  ra>stum, 
la  mer  pour  horizon,  ou,  comme  Jt  Oiympie,  de 
riantes  campagnes  pour  ceinture,  de  grands  souve- 
nirs pour  décoration  et  toujours  des  bois  sacrés 
pour  voisinage. 

Le  Romain  aime  la  terre  pour  les  produits 
qu'elle  donne,  la  mer  pour  lo  négoce  qu'elle  fa- 
vorise, la  colline  pour  les  sources  qu'il  y  prend, 
la  montagne  pour  la  fraîcheur  qu'il  y  trouve. 
Il  s'inquiète  peu  si  le  hasard  des  convenances  po- 
litiques ou  religieuses  place  ses  temples  en  des 
endroits  bas  où,  l'air  et  l'espace  manquant,  on  ne 
verra  pas  leur  masse  se  détacher  dans  la  lumière 
qui  baigne  les  hautes  cimes.  Il  a  neuf  collines 
dont  chacune  était  un  piédestal  naturel  pour  les 
nioiniments,  et,  sauf  le  temple  de  Jupiter  Capito- 
lin,  qu'il  a  été  obligé  de  mettre  dans  la  forteresse 
du  C:ipitole,  il  les  accumule  tous  dans  le  Forum 
et  le  Champ  de  Mars,  deux  anciens  marécages. 
Ces  temples  avaient  été  voués  durant  les  batailles 
pour  gagner  la  faveur  d'un  dieu  ;  le  dieu  a  la  de- 
meure qui  lui  a  été  promise,  c'est  assez. 

Mais  pour  lui-même  le  Romain  est  plus  exi- 
geant. S'il  est  riche,  il  mettra  sa  demeure  des 
champs  dans  un  beau  site  des  collines  de  'l'ibur 
ou  de  Tusculum,  au  penchant  d'une  riante  vallée, 
ou  en  face  de  ce  golfe  de  Naples  qui  ne  lasse 
point  l'admiration.  Uans  sa  ville,  il  lui  faudra  un 
bel  arrangement  pour  ses  plaisirs  ou  ses  affai- 
res, et  des  monuments  capables  d'abriter  des 
multitudes,  parce  que  son  ciel  est  parfois  inclé- 
ment, et  de  contenir  des  services  variés,  parce  que 
ses  besoins  sont  nombreux. 

11  construit  donc  : 

Des  basiliques,  avec  nef  et  bas  côtés  pour  les 
juges,  les  avocats,  les  plaideurs  et  les  marchands  ; 

Des  jiortir/uc<,  où  le  peuple-roi  puisse  prome- 
ner, en  dépit  du  soleil  et  de  la  pluie,  sa  fainéante 
royauté  ; 

Des  bibliothèques,  des  musées,  parce  qu'il  a  ce 
goût  des  sociétés  polies ,  d'aim'er  l'esprit  des 
autres  ; 

Des  palais,  de  délicieuses  villas  qu'habitent 
ses  empereurs,  ses  consuls  et  ses  affranchis  mil- 
lionnaires ; 

Des  cirques  pour  ses  jeux,  des  thiiUres,  souvent 
trop  vastes  qu.md  on  y  joue  Térence,  et  des  am- 
l'hilhcdlres,  qui  ne  le  sont  jamais  assez,  parce 
qu'il  y  trouve  le  plus  recherché  de  ses  plaisirs,  la 
chasse  à  l'homme  ; 

Des  portes  monumentales  pour  décorer  l'entrée 
de  la  ville  et  d'épaisses  7ituraiHes  pour  la  défen- 
dre ;  des  égouts,  qui  l'assainissent,  et  des  aque- 
ducs, qui  lui  amènent   do   la   montagne  l'eau  lim- 


pide et  fraîche  que  le  Tibre  lui  refuse,  même  dos 
tunnels  pour  aller  capter  les  sources  au  cœur  des 
montagnes  ; 

Des  voies  militaires,  âes  ponts,  par  où  vont  ai- 
sément, du  centre  aux  extrémités  (le  l'empire,  ses 
marchands,  ses  soldats  et  sa  volonté  ; 

Des  ans  de  Irioriiphe,  qui  reçoivent  au  retour 
ses  armées  victorieuses;  ou  des  calcines  votives, 
qui  rappellent  des  expéditions  lointaines  ; 

Des  i:nserne<  pour  son  armée  permanente,  et 
des  dirihiloria  pour  les  distributions  à  son  peuple 
de  mendiants  ; 

Des  thermes  enfin,  où  sont  réunis  tous  les  raf- 
finements de  l'oisiveté  et  de  la  mollesse  méridio- 
nale. A  clia(]ne  heure,  la  foule  y  vient  chercher, 
dans  des  bassins  de  marbre  et  des  salles  parfu- 
mées, de  l'eau  et  de  l'air  h  toutes  les  températu- 
res. Puis,  le  corps  bien  frotté  d'huile,  les  membres 
souples,  on  s'y  promène  doucement,  au  milieu 
d'un  peuple  de  statues,  dans  des  jardins  rafraîchis 
par  des  fontaines  jaillissantes,  où  l'on  s'exerce 
dans  des  palestres  munies  de  tous  les  jeux  ;  à 
moins  qu'on  ne  préfère  lire,  sous  un  portique,  en 
un  coin  Solitaire,  ou  écouter,  dans  les  salles  aca- 
détniques,  que  de  précieuses  mosaïques  décorent, 
des  rhéteurs  qui  déclament,  des  philosophes  qui 
discutent,  des  poètes  qut  sollicitent  pour  leurs 
vers  boiieux  les  applaudissements  faciles  d'un  au- 
ditoire indolent. 

Les  Grecs  ont  créé  une  architecture  religieuse 
incomparable  et  la  statuaire  dos  dieux  et  des  héros 
qui  rend  le  divin  palpable;  ils  ont  établi  les  prin- 
cipes éternels  du  beau  en  fatt  de  construction,  et, 
par  cette  raison,  l'art  grec  restera  la  source  pure 
et  sacrée.  Los  Romains  ont  un  autre  honneur:  ils 
ont  créé  l'architecture  civile  et  d  utilité  publique; 
de  sorte  que,  si  nous  tenons  aux  uns  par  ce  qu'il 
y  a  de  plus  élevé,  les  idées,  nous  tenons  aux 
autres  par  ce  qui  est  très  impérieux,  les  besoins. 
Il  n'est  personne  qui  n'aimât  mieux  être  Grec, 
mais  nous  sommes  tous  bien  aises  qu'il  y  aiteu  des 
Romains. 

On  a  vu  une  première  différence  dans  l'emploi 
de  l'art;  il  en  est  d'autres  produites  par  la  nature 
dos  matériaux  de  construction. 

Grâce  au  Pentélique,  à  l'Hymette,  â  Paros,  les 
Athéniens  bâtissaient  de  marbre.  Le  sol  du  La- 
tium,  au  contraire,  condamnait  l'habitant  de  Rome 
h  bàlir  de  briques  consolidées  par  du  blocage  et 
des  chaînons  de  pierre  qu'un  manœuvre,  sous  une 
direction  intelligente,  suffisait  à  poser. 

Cette  nature  des  matériaux  a  permis  aux  Ro- 
mains d'ajouter  i  l'art  grec  des  éléments  nou- 
veaux, l'arc  et  la  voûte,  qui  donnèrent  lieu  k  des 
combinaisons  nouvelles  :  le  plein  cintre  et  l'arc 
brisé,  dont  le  moyen  âge  occidental  a  fait  le  roman 
et  l'ogive;  la  coupole,  qui  est  devenue,  à  l'orient, 
le  caractère  particulier  de  l'architecture  byzantine 
et  arabe. 

Le  pillage  du  inonde  permit  à  Rome  de  prodiguer 
dans  ses  édifices  les  marbres  l(;s  plus  rares.  Pour 
cacher  sous  des  matériaux  de  luxe  les  masses 
sombres,  le^  lourdes  arêtes  des  matériaux  utiles, 
on  réunit  les  éléments  décoratifs  que  les  Grecs 
et  les  Etrusques  avaient  trouvés,  on  en  imagina 
d'autres  et  on  les  employa  tous  à  profusion.  Delà 
tant  de  colonnes,  d'entablements,  d'arceaux  et 
d'architraves  lucme  aux  endroits  où  ils  forment  un 
contre-sens  avec  la  construction  ;  tant  de  marbres 
précieux  plaqués  sur  les  murs,  de  caissons  savam- 
ment évidés,  de  stuc  portant  lui-môme  d'élégan- 
tes pointures,  de  sculptures  et  d'ornements  en 
métal,  en  ivoire  ciselé,  en  nacre,  en  perles,  même 
on  pierreries;  toutes  ces  mosaïques  enfin  qui  peu- 
vent être  un  grand  travail,  mais  ne  sont  jamais  un 
grand  art. 

Ainsi  les  Romains  jetaient  sur  leurs  monuments 
de  briques  ou  de  pierres  un  vêtement  splendide, 


SIECLE  (SEIZIÈME)        —  2424 


SIÈCLE  (SEIZIÈME) 


draperie  flottante  qui  ne  suivait  pas  toujours  les 
mouvements  du  corps.  Au  Pantlicon,  dont  toutes 
les  lignes  sont  courbes,  toutes  les  surfaces  conca- 
ves, Agrippa  appliqua  un  portique  rectiligne  qui 
ne  p''ut  faire  corps  avec  l'édifice,  et  que  suppor- 
tent des  colonnes  corinthiennes  d'un  seul  morceau. 
C'est  riclie  et  puissant,  mais  ce  placage  est  un 
hors-d'œuvre  qui  avait  partout  sa  place,  excepté  là. 

Cette  tendance  des  Romains  à  séparer  la  bâ- 
tisse et  la  décoration  a  eu  de  désastreuses  consé- 
quences. Condamné  h  une  existence  subordonnée, 
l'art  tomba  dans  le  métier,  et,  après  avoir  quelque 
temps  langui,  il  disparut.  A  la  fin  du  siècle  des 
.\ntonins,  on  le  clierclie  déjà,  et  rarement  on  le 
trouve;  plus  tard,  il  ne  reste  que  des  construc- 
teurs capables  de  remuer  d'énormes  pierres, 
môme  de  les  porter  audacieusement  k  une  prodi- 
gieuse hauteur,  mais  inhabiles  h  les  décorer.  La 
science  demeure  parce  qu'elle  est  transmissible, 
et,  lorsqu'elle  est  soutenue  par  le  sentiment  reli- 
gieux, elle  arrive  encore  ;i  de  très  grands  effi-ts  ; 
l'art,  qui  est  personnel  et  de  délicate  nature,  n'a 
pas  survécu  à  la  barbarie  des  mœurs  ;  il  ne  revint 
h  la  vie  qu'au  souffle  de  la  Renaissance,  qui  fit 
sortir  l'antiquité  de  sou  tombeau.  Depuis  cette 
époque  où  s'épanouit  un  art  charmant  trop  tôt  dé- 
laissé, l'architecture  romaine  retrouva  des  condi- 
tions sociales  favorables,  et  c'est  elle  qui  a  dominé 
jusqu'à  ce  jour  dans  nos  constructions  cosmopo- 
lites. 

Les  Romains  n'ont  pas  été  des  artistes  créateurs. 
Cependant,  en  composant  d'éléments  d'emprunt  un 
art  qu'ils  ont  porté  depuis  la  Pétrades  Nabatéens 
jusqu'il  la  Lutèce  des  Parises;  d'où  procode,  par 
génération  naturelle,  une  partie  de  l'art  chrétien 
et  de  l'art  musulman  ;  qui  règne  chez  nous  par  son 
application  facile  à,  nos  besoins  et  à  nos  goûts;  qui 
enfin,  h  défaut  de  la  beauté  parfaite,  exprime  la 
grandeur  et  la  puissance,  leurs  architectes  ont 
mérilé  une  place  à  côté  de  leurs  écrivains  et  de 
leurs  logi^t3s.  Les  lois,  les  lettres  et  les  monuments 
de  Rome  sont  bien  le  legs  d'un  grand  empire. 

Et  pourtant  l'héritage  de  Rome  n'est  pas  celui 
d'une  société  qui  ait  aspiré  à  cet  idéal  dont  la  re- 
cherche seule  honore  à  jamais  ceux  qui  l'ont  pour- 
suivie. Si,  en  effet,  nous  considérons  celte  société 
dans  l'ensemble  de  sa  vie  intellectuelle,  il  nous 
faut  bien  reconnaître  qu'elle  est  restée  sans  phi- 
losophie ni  science,  quoiqu'elle  fût  arrivée  après 
le  magnifique  développement  des  sciences  et  do  la 
philosophie  dans  le  monde  hellénique;  qu'elle 
serait  sans  art,  si  les  Grecs  ne  lui  avaient  apporte 
leurs  marbres,  leurs  tableaux,  leurs  statues  avec 
les  restes  de  leur  génie;  que  sa  littérature,  tout 
éclatante  qu'elle  est,  manque  du  souffle  créateur; 
que  ses  fêtes  étaient  les  obscénités  des  mimes  ou 
les  jeux  sanglants  de  l'amphithéâtre;  qu'enfin  sa 
religion  fut  moii.s  un  acte  d'adoration  et  de  re- 
connaissance qu'une  sorte  de  contrainte  exercée 
sur  les  dieux  pour  capter  leurs  faveurs.  Alors,  mal- 
gré Virgile,  Horace  et  les  constructeurs  de  la 
home  marmoréenne  d'Auguste,  la  gravité  romaine 
semble  de  la  pesanteur  :  ce  génie  pratique,  tourné 
en  tout  vers  l'utile,  apparaît  comme  retenu  par 
son  propre  poids  dans  les  régions  moyennes  de  la 
pensée,  d'où  ne  jaillissent  pas  les  éclairs  qui  illu- 
minent le  monde;  et,  dans  l'histoire  générale  de 
la  civilisation,  ce  peuple  descend  du  premier  au 
second  rang  des  nations,  mais  il  y  descend  en  por- 
tant dans  ses  mains,  comme  Moïse,  une  grande 
chose,  les  tables  de  la  loi.  [Victor  Duruy.] 

SIECLE  DE  LÉON  X.  —V.  Siècle  (Seizième). 

SIECLE  DE  LOIIS  XIV.  —  V.  Siècle  {Dix-sep- 
tième). 

SIÈCLE  (SEIZIÈME).  —  Histoire  générale,  XXI- 
XXII  ;  Histoire  de  France,  XXI.  —  Le  xvi'  siè- 
cle est  un  de  ceux  qui  ont  laissé  dans  l'histoire 
de  la  civilisation  les  traces  les  plus  brillantes  et 


les  plus  profondes.  Il  a  porté  les  derniers  coups 
à  l'édifice  croulant  du  moyen  âge  ;  il  a  fondé  les 
premières  assises  des  sociétés  modernes.  Epo- 
que de  transition  et  do  rénovation,  il  a  eu  tout 
l'éclat,  tout  le  mouvement,  toutes  les  illusions  et 
toutes  les  imprudences  de  la  jeunesse  :  il  a  tout 
osé,  tr>ut  commencé,  mais  il  n'a  rien  achevé.  De 
tous  les  germes  féconds  qui  fermentaient  dans 
son  sein,  il  n'en  a  vu  qu'un  seul  s'épanouir  et 
arriver  à  sa  pleine  maturité,  l'art,  qui  a  fait  jus- 
tement sa  gloire,  parce  qu'il  a  été  la  pius  élevée, 
la  plus  désintéressée  et  la  plus  complète  de  ses 
créations.  Mais  il  ne  faut  pas  oublier  que  le  siècle 
de  la  Renaissance  a  été  aussi  celui  do  la  Réforme, 
et  des  transformations  politiques,  sociales  et  éco- 
nomiques qui  ont  préparé  le  monde  nouveau. 

La  société  du  moyen  âge  reposait  sur  une  double 
base  :  l'autorité  de  l'Eglise  régnant  sur  les  intel- 
ligences et  sur  les  consciences,  et  le  principe 
d'hérédité,  loi  suprême  de  la  société  civile  et  fon- 
dement de  l'organisation  politique. 

C'est  le  clergé  qui  préside  h.  l'éducation  de  la 
jeunesse  et  qui  la  dirige  surtout  en  vue  des  étu- 
des théologiques  :  les  lettres  profanes  ne  sont, 
comme  la  philosophie  et  la  science,  que  les  ser- 
vantes delà  théologie.  C'est  l'Eglise  qui  ouvre  à  l'art 
le  champ  le  plus  vaste  et  qui  lui  imprime  son  ca- 
ractère :  les  monuments  consacrés  au  culte,  et  les 
sculptures  ou  les  peintures  destimes  à  les  orner, 
sont  à  peu  près  les  seules  œuvres  où  puisse  se 
déployer  l'imagination  de  l'artiste.  L'influence 
ecclésiastique  s'exerce  jusque  sur  la  littérature 
populaire  :  les  trouvères  ont  la  prétention  d'être 
des  moralistes  et  presque  des  prédicateurs,  et  les 
premiers  essais  dramatiques  sont  des  scènes  de 
l'histoire  religieuse.  C'est  l'Eglise  qui  fixe  les  lois 
de  la  morale  privée  et  publique  :  c'est  elle  qui  donne 
son  caractère  et  sa  sanction  au  droit  international, 
dont  la  garantie  est  l'arbitrage  du  pape,  chef  spi- 
rituel des  peuples  catholiques,  c'est  à-dire  des 
seuls  peuples  pour  lesquels  le  moyen  âge  admette 
un  droit  des  gens. 

Le  principe  d'hérédité  domine  le  monde  tempo- 
rel, comme  l'autorité  de  l'Eglise  domine  le  monde 
moral.  La  souveraineté,  que  le  moyen  âge  considèi'e 
comme  appartenant  personnellement  au  souverain, 
se  transmet  comme  une  propriété  ;  les  délégations 
plus  ou  moins  étendues  de  la  souveraineté  se  tran- 
smettent de  même  ;  tout  devient  fief  :  non  seule- 
ment les  gouvernements  de  provinces,  mais  les 
fonctions  de  toute  espèce,  les  charges  de  justice  et 
de  finance,  les  dignités  municipales  ,  les  maîtrises 
même  des  corps  de  métiers  ;  il  n'est  pas  jusqu'au 
serf,  jusqu'au  paysan  attaché  à  la  glèbe,  qui  n'ait 
lui  aussi  les  charges  et  les  bénéfices  du  principe 
d'hérédité.  Il  n'a  pas  le  drnit  d'abandonner  le 
champ  qu'il  cultive,  mais  le  seigneur  n'a  pas  le 
droit  de  le  lui  enlever.  La  servitude  de  la  terre 
pèse  sur  l'un  aussi  bien  que  sur  l'autre. 

Ce  double  fondement  de  la  société  féodale  avait 
été  ébranlé  au  xtv'  siècle  :  il  menaçait  ruine  au  xV  : 
le  XVI'  siècle  acheva  de  le  renverser.  L'autorité  de 
l'Eglise,  déjà  compromise  dans  la  longue  lutte  con- 
tre lo  pouvoir  temporel  qui  avait,  rempli  la  se- 
conde moitié  du  moyen  âge,  se  ruina  elle-même 
par  les  désordres  qui  suivirent  le  grand  schisme 
d'Occident.  On  vit  la  chaire  de  Saint-Pierre  se 
briser  en  deux  tronçons,  la  papauté  de  Rome  ex- 
communier celle  d'.\vignon,  les  conciles  déposer 
les  papes,  les  papes  protester  contre  les  conciles  :  le 
doute  se  glissa  dans  lésâmes, et  dès  qu'on  commença 
à  douter,  les  abus  jusque-là  voilés  par  le  respect  : 
richesses  et  avidité  du  clergé,  conduite  scanda- 
leuse dos  moines  et  des  hauts  dignitaires  ecclé- 
siastiques, éclatèrent  à  tous  les  yeux.  En  même 
temps  le  vieux  monde  païen  sortait  peu  à  peu  des 
cloîtres  où  il  n'avait  pu  être  goûté  que  par  quel- 
i  ques  érudits  et  quelques  délicats,  et  reparaissait 


SlIiCLE  (SEIZIÈME)        —  2i: 

au  grand  jour  en  face  de  la  litiératurc  épuisée  et 
de  l'ai-t  mourant  du  moyen  âge,  dans  sa  beauté 
tout  liuiuainn  et  toute  profane  rajeunie  par  des 
siteles  d'oubli.  Tandis  (|ue  les  croyances  cliance- 
laient  et  que  l'idéal  chrétien  s'obscurcissait,  un 
idéal  nouveau  se  dégageait  lentement  de  l'étude 
des  chefs-d'œuvre  antiques.  La  Réforme  et  la 
Renaissance  sont  contemporaines,  et,  bien  qu'el- 
les aietit  vécu  en  assez  mauvaise  intelligence, 
elles  sont  sœurs  :  l'une  a  commencé  la  laïcisation 
des  consciences  ;  l'autre  la  laïcisation  des  esprits. 
L'art  du  moyen  âge,  réalisie  ou  mystique,  n'avait 
pas  connu  l'idéal  ou  avait  poursuivi  un  idéal  im- 
possible à  réaliser  :  il  avait  voulu  spiritualiser  la 
matière  ;  l'idéal  du  xvi"  siècle  est  humain,  l'art  est 
devenu  laïque.  Il  ne  se  contente  plus  d'élever  et 
de  décorer  des  églises,  il  crée  des  palais  et  les 
peuple  de  ses  chefs-d'œuvre  :  il  travaille  pour  la 
vie  présente.  Les  mœurs  se  sont  adoucies  ;  aux 
préoccupations  de  la  défense  ont  succédé  le  désir 
du  bien-être,  le  goût  de  la  vie  facile  et  élégante. 
C'est  en  s'inspirant  do  ces  besoins  nouveaux  que 
l'art  du  XVI'  siècle  produit  ses  œuvres  les  plus 
parfaites  ;  il  reste  humain  et  mondain  même 
dans  le  sanctuaire.  Saint-Pierre  de  Home  est 
une  église  moins  chrétienne  que  la  plus  humble  de 
nos  vieilles  cathédrales  ;  la  beauté  des  madones 
de  Raphaël  n'a  rien  de  sensuel,  mais  elles  sont 
femmes  :  elles  sont  plus  proches  parentes  des 
Minerves  et  des  Vénus  antiques  que  de  ces  sain- 
tes et  de  ces  vierges  du  moyen  âge  qui  n'ont  pas 
de  sexe  et  qui,  avec  leurs  foriues  amincies  et 
comme  allongées  vers  le  ciel,  ressemblent  h  des 
âmes  cherchant  à  s'élancer  de  leur  enveloppe  de 
pierre. 

Les  lettres  s'affranchissent  comme  les  arts,  et 
comme  eux,  c'est  à  l'antiquité  qu'elles  iront  de- 
mander des  inspirations  et  des  modèles.  Le  moyen 
âge,  dans  la  littérature  comme  dans  les  arts,  avait 
dédaigné  la  l'orme  qui  est  le  corps  de  la  pensée. 
Le  xvi'^  siècle  lui  voue  un  culte,  presque  une  ido- 
lâtrie ;  les  humanistes  sont  des  païens  :  leur  dieu, 
c'est  le  beau  ;  leur  bible,  c'est  Homère,  Virgile  et 
Cicéron,  et  leurs  vies  des  saints  ce  sont  les  bio- 
graphies de  Plutarque.  La  philosophie  même 
commence  à  répudier  Aristote,  le  penseur  sévère 
et  dédaigneux  du  style  dont  le  moyen  âge  avait 
presque  fait  un  Père  de  l'Eglise  :  elle  s'éprend  de 
Platon,  mais  ce  qu'elle  aime  en  lui,  c'est  moins 
encore  le  philosophe  que  l'écrivain. 

La  science  reste  aristotélicienne  ;  le  xvi°  siècle 
n'était  pas  prêt  pour  l'émancipation  scientifique  : 
l'art  et  la  poésie  sont  les  fruits  de  la  jeunesse  ;  la 
science  est  celui  de  l'âge  nitir. 

Ce  fut  l'Italie  qui  eut  la  gloire  d'inaugurer  et  de 
diriger  la  double  renaissance  artistique  et  litté- 
raire, et  il  devait  en  être  ainsi.  Elle  était  arrivée 
de  bonne  heure,  par  le  développement  de  son  in- 
dustrie et  de  son  commerce,  à  un  degré  de  civili- 
sation et  de  richesse  inconnu  au  re^te  de  l'Eu- 
rope :  les  mœurs  s'étaient  polies,  le  goiit  s'était 
affiné  ;  enfin  elle  avait  conservé  le  respect  et  dans 
une  certaine  mesure  la  tradition  de  l'antiriuité,  qui 
chez  elle  était  pour  ainsi  dire  nationale.  La  France 
seule  aurait  pu  lui  disputer  l'initiative,  mais  le 
mouvement  de  rénovation,  sinon  de  renaissance, 
qui  s'était  manifesté  au  xiV  siècle  dans  les  lettres 
et  dans  les  arts,  avait  été  arrêté  par  les  désastres 
de  la  guerre  de  Cent  ans  ;  quand  l'esprit  français 
reprit  au  commencement  du  xvi'  siècle  sa  luarche 
interrompue,  il  subit  fatalement  l'inlluence  de  la 
renaissance  et  de  l'humanisme  italiens  déjà  dans 
tout  leur  éclat.  Le  génie  national,  fasciné  par  les 
séductions  de  l'Italie,  hésite  etse  cherche  lui-même 
pendant  tout  lo  xvi*  siècle  :  l'art  français  restera 
italien  même  au  xvii"  siècle,  et  la  littérature  ne 
trouvera  son  expression  définitive  que  quand  elle 
aura  créé  par  de  longs  efl'orts  l'instrument  qui  lui 


;i  —         SIÈCLE  (SEIZIÈME) 

manquait,  la  langue  littéraire  inconnue  au  moyen 
âge. 

L'Italie  avait  été  le  foyer  de  la  Renaissance  ;  clic 
ne  pouvait  être  celui  de  la  Réforme  :  chez  elle  le 
sentiment  religieux  était  trop  extérieur,  la  morale 
trop  facile,  et  au  fnnd  l'esprit  trop  sceptique. 
D'ailleurs  la  papauté  était  pour  l'Italie  un  pouvoir 
national,  un  dernier  souvenir  de  son  ancienne  do- 
mination sur  le  monde,  elle  était  en  communauté 
d'idées  avec  la  nation:  elle  avait  favorisé,  sans  en 
mesurer  la  portée,  le  mouvement  de  la  Rena^- 
sance  et- de  l'humanisme.  En  France,  le  clergé, 
dont  les  revenus  représentaient  le  tiers  de  ceux  du 
royaume,  mais  qui  était  éclairé,  plus  libre  d'idées 
que  do  mœurs,  et  qui  ne  possétlait  plus  de  fiefs 
souverains,  n'était  pas  impopulaire  :  on  raillait 
quelque  peu  les  moines,  mais  on  respectait  les 
curés.  La  royatité,  qui,  depuis  le  concordatde  1516, 
disposait  des  richesses  temporelles  de  l'église  gal- 
licane, la  haute  aristocratie  qui  en  jouissait  grâce  à 
l'abus  des  commendes,  n'avaient  aucun  intérôtàfa- 
voriser  une  révolution  dont  elles  n'auraient  pas  pro- 
fité. En  Espagne,  la  foi  catholique  était  plus  qu'une 
croyance,  c'était  une  passion:  huit  siècles  de  croi- 
sades contre  les  musulmans  avaient  confondu  le 
sentiment  national  et,  le  sentiment  religieux.  Mais 
en  Angleterre,  en  Allemagne,  dans  les  pays  du 
nord,  où  les  prétentions  dominatrices  de  la  pa- 
pauté avaient  blessé  les  peuples  et  les  gouverne- 
ments, où  les  immenses  richesses  du  clergé,  maî- 
tre delà  moitié  ou  des  deux  tiers  du  sol,  excitaient 
les  convoitises  des  princes  laïques,  où  ses  scanda- 
les et  sa  tyrannie  féodale  soulevaient  contre  lui  les 
classes  populaires,  le  terrain  était  préparé  pour 
la  révolte  :  les  Lollards  et  les  Hussites  avaient 
frayé  la  route  aux  réformateurs  du  xvi"  siècle. 

Le  mouvement  d'émancipation  intellectuelle  et 
morale  et  de  réaction  contre  l'autorité  de  l'Eglise 
romaine  a  été  universel  en  Europe,  mais,  suivant 
le  tempérament  national,  les  traditions  historiques 
de  chaque  peuple,  et  le  caractère  même  do  la  do- 
mination sacerdotale,  cette  réaction  s'arrêta  chez 
les  uns  h  la  Renaissance,  elle  alla  chez  les  autres 
jusqu'à  la  Réforme.  Nulle  part,  du  reste,  la  Ré- 
forme ne  fut  une  œuvre  populaire  ;  elle  ne  fut 
même  pas,  à  son  origine,  une  œuvre  libérale.  Aris- 
tocratique en  Allemagne  et  en  Danemark,  royale 
en  Suède  et  en  Angleterre,  elle  fut  plutôt  tliéo- 
cratique  que  démocratique  chez  les  calvinistes 
français  et  les  presbytériens  d'Ecosse.  Partout  où 
le  peuple  s'en  mêla  directement,  il  passa  presque 
sans  transition  de  la  révolution  religieuse  à  la  ré- 
volution sociale.  Ce  qui  l'intéressait,  ce  n'était  pas 
le  dogme  qu'il  ne  comprenait  guère,  ce  n'était  pas 
la  sécularisation  des  biens  ecclésiastiques  à  la- 
quelle il  ne  gagnait  rien  :  c'étaient  les  conséquen- 
ces sociales  de  l'Evangile,  tel  qu'il  l'interprétait, 
la  liberté  des  personnes  et  l'égalité  des  condi- 
tions. 

La  Réforme,  au  xvi'  siècle,  ne  se  montra  pas  plus 
soucieuse  des  intérêts  populaires,  ni  plus  tolérante 
que  le  catholicisme  :  ce  n'est  pas  au  noiu  de  la  li- 
bei-té  que  se  font  les  révolutions  religieuses, 
c'est  au  nom  de  la  vérité,  et,  quand  elles  triom- 
phent, elles  aboutissent  fatalement  à  la  persécu- 
tion, c'est-â-dire  l'i  la  suppression  de  l'erreur  vo- 
lontaire et  obstinée.  La  conséquence  logique  des 
guerres  de  religion  aurait  dû  être  l'extermination 
d'un  des  deux  partis.  Heureusement  les  faits  ne 
répondent  pas  toujours  k  la  rigueur  des  doctrines. 
Même  au  moyen  âge,  après  avoir  longtemps  com- 
battu les  musulmans  et  s'être  convaincu  qu'on  ne 
pouvait  ni  les  convertir,  ni  les  détruire,  on  avaitfini 
par  traiter  avec  eux.  Il  en  fut  de  même  pour  le 
protestantisme.  Il  s'était  formé  en  Europe,  grâce 
à  l'unité  chrétienne,  un  fonds  de  mœurs  commu- 
nes plus  douces,  plus  civilisées,  de  relations  plus 
étroites  et  moins  déliantes,  qui  avait  fini  par  de- 


SIÈCLE  (SEIZIÈME)        -  2426  -         SIÈCLE  (SEIZIÈME) 


venir  indépendant  de  la  religion  et  q>ù  survécut 
à  la  rupture  de  cette  unité.  De  plus,  les  intérêts 
politiques,  dontrimportance  grandissait  sans  cesse, 
n  étaient  pas  toujours  d'accord  avec  les  sentiments 
religieux. 

Quand  l'eNpérience  eut  prouvé  de  part  et  d'au- 
tre qu'on  ne  pouvait  s'imposer  par  la  forco  les 
croyances  qu'on  avait  conservées  ou  adoptées,  on 
se  resigna  à  la  tolérance  :  en  Suisse  les  cantons 
catholiques  et  les  cantons  protestants,  eu  Allema- 
gne les  lutliériens  et  l'Empire,  eu  France  les  cal- 
vinistes Ht  la  royauté  conclurent  des  traités  qui 
garantissaient  aux  dissidents  la  liberté  de  con- 
science et  de  culte. 

Le  xvi«  siècle  ne  comprit  pas  toute  la  portée  de 
son  œuvre,  qui  ne  devait  se  révéler  que  lentement. 
La  licforme  était  plus  qu'une  translormation  reli- 
gieuse, c'était  le  point  de  départ  d'un  droit  nou- 
veau et  d'une  civilisation  nouvelle.  Les  idées  mo- 
rales et  les  principes  sociaux  communs  aux  deux 
religions  constituent  peu  à  peu  un  ensemble  de 
coutumes  et  de  croyances,  un  dogme  laiquo  indé- 
pendant de  la  liturgie  et  du  dogme  tlioologique  ; 
cest  le  commencement  de  la  sécularisation  de  la 
morale.  Rabelais.  Erasme  et  Montaigne  sont,  cha- 
cun à  leur  manière,  les  vrais  moralistes  du  nvi= 
siècle  :  aucun  d'eux  n'est  ni  catholique,  ni  proles- 
tant. 

La  rupture  de  la  vieille  unité  chrétienne  en- 
traîne fatalement  la  réforme  du  droit  des  gens  • 
elle  supprime  l'arbitrage  pontifical;  elle  substitue 
à  1  Europe  catholique  du  moyen  âge  une  Europe 
laïque,  politique  et  civilisée. 

Enfin,  au  point  de  vue  intellectuel,  la  Iléforme, 
bienqu  elle  aitcombatiul  humanisme  et  lallenais- 
sauce  adoptés  en  quelque  sorte  par  la  papauté,  et 
qu  elleaccusaitde  paganis 


venir  absolue  :  c'est  le  cas  des  derniers  Valois  en 
France,  des  Tudors  en  Angleterre,  des  princes 
de  la  maison  d'Autriche  en  Espagne,  et  môme 
des  Wasa  en  Suède.  Les  oppositions  qui  avaient 
limité  jusqu'alors  l'autorité  royale:  la  souveraineté 
héréditaire  des  possesseurs  de  fiefs,  l'esprit  de 
corps  du  clergé,  l'indépendance  des  communes, 
étaient  des  forces  dissolvantes  qui  menaçaient  la 
vie  encore  mal  affermie  de  l'Etat  et  de  la  nation. 
Malgré  les  traditions  puissantes  qu'elles  représen- 
taient, l'instinct  national  s'en  défiait;  il  laissa  la 
royauté  les  absorber  ou  lis  éliminer,  et  au 
xyii"  siècle  le  roi  put  dire  du  royaume,  comme  le 
seigneur  aurait  dit  du  fief  au  xii'  :  l'Etat  c'est  moi. 
Tel  fut  le  dénoùment  en  France  et  en  Espagne  : 
peut-être  aurait-il  été  le  môme  en  Angleterre,  si 
l'Angleterre  n'eût  été  une  Ile,  si  sa  situation  même 
n  eût  garanti  son  indépendance  nationale,  et  si  la 
royauté  avait  eu  entre  les  mains  ce  puissant  ins- 
trument de  domination,  aussi  bien  que  de  dé- 
fense, une  armée  permanente,  tn  Allemagne, 
malgré  les  efi'orts  des  empereurs  Maximilion  et 
Charles-Quint,  ce  fut  le  principe  féodal  qui  préva- 
lut: l'empire  s'efl'aça  de  plus  en  plus,  tandis  que 
le  fief  s'élevait  au  rang  d'Etat  souverain  et  pres- 
que indépendant  :  mais  ce  morcellement  même 
prépara  la  formation  de  la  nation  allemande,  en 
pulvérisant  les  vieilles  nationalités  slaves  ou 
germaniques:  Wendes,  Tchèques,  Saxons,  Thu- 
ringiens,  Souabes,  Bavarois,  Franconiens.  L'Alle- 
magne était  plus  près  de  l'unité  avec  ses  six  cents 
Etats  au  xvi«  siècle  qu'avec  ses  cinq  duchés  au  x=. 
L'Europe  ne  pouvait  passer  sans  transition  du 
droit  féodal,  reposant  sur  le  principe  d'hérédité, 
au  droit  national  moderne  qui  place  au-dessus  île 
tout  autre  principe  celui  de  l'intégrité,  de  l'indé- 


de  la  théologie,  dont  la  langue  sacrée,  le  latin, 
avait  eu  jusqu'alors  le  monopole.  Enfin  elle  a  con- 
tribue largement  à  la  difl'usion  de  l'instruction  po- 
pulaire que  la  découverte  de  l'imprimerie  avait 
rendue  possible.  Le  devoir  impérieux  qui  s'impose 
a  tout  chrétien  de  pouvoir  lire  la  Bible,  devenue 
pour  les  pays  protestants  la  source  de  tonte  mo- 
rale et  de  toute  religion,  ebt  l'origine  de  l'in- 
struction primaire  obligatoire,  décrétée  d'abord 
dans  les  Etats  protestants,  ti  introduite  plus  tard 
dans  les  Etats  catholiques,' comme  moyen  de  pro- 
pagande et  de  résistance  aux  nouvelles  docirines. 
En  môme  temps  que  la  Béforine  et  la  Renais- 
sance transformaient  le  monde  moral,  un  élément 
nouveau  se  développait  qui  allait  peu  à  peu 
changer  la  face  du  monde  politique. 

Les  grandes  nations  s'organisaient,  France, 
Angleterre,  Espagne,  Suède,  trempées  par  les 
luttes  sanglantes  qu'elles  avaient  eu  à  soutenir  pour 
conquérir  ou  pour  maintenir  leur  indépendance  : 
la  communauté  d'intérêts,  de  mœurs,  de  traditions, 
de  souffrances  et  de  victoires  avait  rapproché  des 
populations  qui  vivaient  autrefois  à  peu  près 
isolées  :  le  fief,  la  petite  unité  territoriale  du 
moyen  âge,  disparaissait  devant  l'unité  nouvelle, 
lEtat,  dont  la  souveraineté  était  en  contradiction 
avec  la  sienne,  et  le  représentant  naturel  de 
I  fctat,  le  dépositaire  ou  pour  mieux  dire  le  pro- 
priétaire de  la  souveraineté,  c'était  le  roi,  vivante 
incarnation  de  l'unité  nationale.  Tel  est  le  fond  du 
droit  public  au  xvi'  siècle  :  c'est  sur  ce  terrain  que 
se  rencontrent  Machiavel,  l'auteur  du  Prince 
Jean  Bodin,  l'auteur  de  la  livpuUique,  et  Grotius 
le  premier  qui  ait  essayé  do  codifier  le  droit  des 
gens. 

Aussi,  au  XV'  et  au  xvi=  siècle,  partout  où  il  se 
forme  de  véritables  nations,  la  royauté  tend  à  de- 


Le  droit  public  des  temps  modernes,  inauguré 
par  le  xvi"  siècle  et  complété  par  le  xvii',  ne  fut 
qu'une  sorte  de  compromis  entre  le  passé  et  l'a- 
venir :  dans  le  gouvernement  intérieur,  l'intérêt 
de  l'Etat  dominant  les  intérêts  féodaux  et  muni- 
cipaux, et  la  souveraineté  se  concentrant  dans  la 
personne  du  prince  ;  dans  les  relations  interna- 
tionales, le  système  dit  li'éqnitilire,  qui,  .^aos  nier 
le  droit  d'hérédité,  le  subordonne  à  un  principe 
d'ordre  supérieur,  .'i  une  conception  vague  d'inté- 
rêt général  européen,  qui  n'est  au  fond  que  le 
principe  de  l'indépendance  des  Etats  et  des  na- 
tions opposé  au  droit  héréditaire  lii'S  souverains. 
Ce  ne  fut  pas  seulement  le  droit  public  et  le  droit 
international,  ce  fut  aussi  le  droit  privé  qui  com- 
mença à  s'affranchir  de  la  tradition  du  moyen  âge. 
Kp  France,  la  rédaction  des  coutumes,  les  grandes 
ordonnances  de  la  fin  du  xvi"  siècle,  étaient  un 
premier  pas  vers  l'unité  de  législation  :  dans  toute 
l'Europe  le  droit  romain,  enseigné  avec  tant  d'éclat 
par  les  jurisconsultes  italiens  et  français,  se  sub- 
stituait peu  à  peu  comme  la  règle  de  la  juris- 
prudence, comme  l'idéal  même  de  la  loi,  au  droit 
canonique  :  c'était  la  loi  humaine  remplaçant  la 
loi  divine;  c'était  le  droit  fondé  sur  la  raison  et 
sur  l'équité  opposé  au  droit  fondé  sur  la  révélation 
et  interprété  par  l'Eglise;  c'était  le  droit  abstrait 
et  universel  intervenant  pour  corriger  ou  pour 
étendre  le  droit  concret  et  local  de  la  féodalité. 
Alciat  et  Cujas  étaient  sans  le  vouloir  les  auxi- 
liaires de  Luther  et  de  Calvin  et  les  précurseurs 
de  la  philosophie  du  xviii*  siècle. 

Une  révolution  économique  sans  précédent  par 
la  rapidité  avec  laquelle  elle  s'opéra  et  par  la  gra- 
vité de  ses  conséquences  sociales  vint  compléter 
la  révolution  morale,  intellectuelle  et  politique. 

A    la   fin    du    moyen  àgo    l'Europe   entière,  i 


SIÈCLE  (SEIZIÈME) 


2i-2-  —         SIÈCLE  (SEIZIÈME) 


l'exception  de  l'Italie  centrale  et  septentrionale, 
la  plus  peuplée,  la  plus  riclie  et  la  mieux  cultivée 
des  contrées  européennes,  était  encore  un  pays  de 
grande  propriété  et  de  grande  culture.  Kn  France, 
où  le  servage  n'existait  plus  qu'à  l'état  d'excep- 
tion, les  domaines  du  roi,  du  clergé  et  de  la  no- 
blesse occupaient  au  moins  les  trois  quarts  du 
sol  :  en  Angleterre,  où  il  existait  déj;'i  une  classe 
de  petits  propriétaires  libres,  lesyeomen,  les  quatre 
cinquièmes  des  cultivateurs  n'étaient,  comme  ils 
le  sont  encore  aujourd'hui,  (|ue  les  tenanciers  des 
grands  propriétaires,  lin  Allemagne,  la  servitude 
personnelle  du  paysan  élait  la  règle  presque  uni- 
verselle, et  le  clergé  possédait  les  deux  tiers  des 
terres,  dont  le  reste  appartenait  il  la  noblesse.  En 
Espagne,  les  seules  provinces  où  la  propriété  fût 
divisée  et  la  culture  avancée  étaient  celles  où  les 
Maures  s'étaient  maintenus  le  plus  longtemps, 
l'Andalousie,  les  provinces  de  Murcieetde  Valence. 

La  grande  industrie  n'existait  pas.  Dans  la  plu- 
part des  villes,  chaque  corps  d'état  était  constitué  en 
l'orporatio!!  exerçant  un  monopole  dans  les  li- 
mites de  la  commune;  les  patrons  ou  les  maîtres, 
qui  se  succédaient  de  père  en  fils,  formaient  une 
sorte  d'aristocratie  fermée,  car  le  nombre  des 
maîtres  était  limité,  et  les  privilèges  dont  jouis 
salent  leurs  fils  et  leurs  gendres,  les  obstacles  do 
toute  espèce  semés  sur  la  route  qui  conduisait 
à  la  maîtrise,  en  interdisaient  l'accès  aux  simples 
ouvriers  ou  compagnons  qui  n'appartenaient  pas  aux 
familles  |irivilégiées.  Chaque  maître  travaillait  lui- 
mémo  avec  un  certain  nombre  d'apprenlis  et  de 
compagnons,  suivant  des  règles  minutieusement 
détaillées  parles  statuts  de  la  corporation.  C'était 
l'atelier,  ce  n'était  pas  la  manufaciure.  Les  grands 
centres  industriels  étaient  l'Italie  et  la  Flandre, 
qui  avaient  à  peu  près  le  monopole  des  industries 
de  luxe,  draps  fins,  soieries,  dentelles,  tapisseries, 
verrerie;  les  villes  allemandes  de  la  vallée  du 
Rhin  et  de  celle  du  Danube,  avec  leurs  filatures 
de  lin,  leurs  fabriques  d'armes,  d'horlogerie,  d'or- 
fèvrerie, leurs  ouvrages  en  cuir  ;  et  quelques 
provinces  de  France,  le  Languedoc,  la  Champa- 
gne pour  les  draps,  la  Normandie  et  la  Bourgo- 
gne pour  les  toiles. 

Les  deux  principaux  foyers  du  commerce  étaient, 
dans  le  bassin  de  la  Méditerranée,  l'Italie  avec 
ses  puissantes  républiques  maritimes,  Venise  et 
Gênes;  datis  le  bassin  de  la  mer  du  Nord  et  de  la 
Baltique,  le  littoral  allemand  depuis  les  bouches 
de  l'Escaut  jusqu'à  celles  de  l'Oder  avec  les  villes 
hanséatiques,  Liibeck,  Hambourg,  Brème,  Gro- 
ningue,  Amsterdam,  etc.  Au  cœur  môme  du  con- 
tinent, les  foires  de  Lyon  et  de  Troyes  en  France, 
celles  de  Fraiicfort  et  de  Cologne  en  Alle- 
magne, étaient  comme  les  grandes  assises  du 
commerce,  une  sorte  de  bourse  intermittente  où 
se  donnaient  rendez-vous  les  marchands  de  l'Ita- 
lie, de  lAllemagne,  de  la  Suisse,  de  l'Angleterre, 
de  la  France  et  des  Pays-Bas,  où  se  fixait  le  prix 
des  marchandises,  où  se  préparaient  et  se  liqui- 
daient les  échanges  internationaux. 

Le  commerce  de  l'Italie  et  des  Hanséates  avait 
surtout  pour  objet  les  marchandises  de  luxe,  soie- 
ries, colonnades,  tapis,  épiées,  sucre,  perles  et 
pierres  précieuses,  que  les  vaisseaux  de  Venise  et 
de  Gênes  allaient  chercher  à  Alexandrie,  à  Bey- 
routh, à  Smyrne;;  fourrures,  cire,  or  de  l'Oural 
([ue  les  Hanséates  rapportaient  des  foires  de 
Noyogorod.  Les  institutions  de  crédit  répondaient 
i  l'activité  médiocre  de  la  circulation  et  à  la  si- 
tuation modeste  de  la  richesse  mobilière  :  dans 
toutes  les  villes  commerçantes,  des  changeurs, 
dont  le  ministère  était  rendu  indispensable  par 
la  multiplicité  des  monnaies  et  par  les  perpétuel- 
les variations  du  poids  et  du  titre,  et  qui  se  li- 
vraient en  même  temps  aux  opérations  de  ban- 
que ;  dans  quelques  villes  dAlleniagne,  des  banques 


communales;  i  Venise  et  à  Cônes  des  banques 
d'Etat,  il  la  fois  banques  de  prêt,  de  dépôt,  de  vi- 
rements et  d'escompte  ;  l'intérêt  commercial  £t 
12  eu  l'i  p.  10(1;  l'intérêt  du  prêt  sur  gage  à  35 
ou  iO  p.  lUP;  800  il  «50  millions  de  numéraire 
ciiculant  en  Europe,  tel  était  l'état  du  crédit  au 
commencement  du  xvi'^  siècle. 

Les  relations  internationales  se  ressentaient  de 
l'organisation  toute  féodale  de  la  société  :  presque 
partout  des  droits  d'aubaine  pesant  sur  les  mar- 
chands étrangers,  partout  des  péages,  des  doua*, 
nés  intérieures,  plus  de  taxes  d'exportation  que 
d'importation,  car  les  douanes  n'étaient  encore 
qu'un  instrument  fiscal  ou  une  barrière  opposée 
à  la  sortie  du  numéraire,  des  matières  premières 
et  des  denrées  alimentaires  de  première  néces- 
sité, et   non    un   instrument   de   protection. 

Les  dérouvertes  des  Portugais  et  des  Espagnols  à 
la  fin  du  W  et  au  commencement  du  xvi'  siècle  vin- 
rent bouleverser  profondcnient  toutes  les  condi- 
tions économiques  des  derniers  siècles  du  moyen 
âge.  Les  voies  et  les  centres  du  commerce  sedépla- 
cèrent  :  la  Méditerranée  cessa  d'être  la  grande 
route  du  trafic  avec  les  Indes;  la  vie  commerciale 
se  reporta  vers  l'occident  ;  les  ports  de  l'Atlantique, 
Séville,  Lisbonne,  Anvers,  et  bientôt  après  La  Uo- 
clielle.  Saint-Malo,  Dieppe,  Bristol,  Londres, 
Amsterdam,  héritèrent  de  la  prépondérance  ma- 
ritime de  Venise  et  de  l.ûbeck  vers  le  milieu  du 
xvi*  siècle,  Anvers  comptait  ;00,0iiO  habitants,  le 
mouvement  de  son  commerce  dépassait  501)  mil- 
lions de  couronnes  (1,G00  millions),  et  ses  mar- 
chands se  vantaient  de  (aire  plus  d'affaires  en  un 
mois  que  Venise,  au  temps  de  sa  splendeur,  n'en 
faisait  dans  toute  une  année.  ' 

En  même  temps  qu'il  se  déplaçait,  le  commerce 
changeait  peu  ii  peu  de  caractère.  Autrefois  il 
n'allait  chercher  au  loin  qu'un  petit  nombre  de 
produits  de  luxe  presque  tous  manufacturés,  ou 
de  denrées  précieuses,  comme  les  soieries  et  les 
épiées  :  la  découverte  de  l'Amérique,  de  l'Afrique 
ei  des  contrées  de  l'extrême  Orient  lui  révéla  des 
produits  nouveaux,  le  café,  le  tabac,  les  bois  de 
teinture,  l'indigo,  les  bois  d'ébénisterie,  et  lui 
permit  de  se  procurer  à  moins  de  frais  des  mar- 
chandises jusqu'alors  rares  et  réservées  il  la  con- 
sommation de  luxe,  le  coton,  les  soies,  le  sucre, 
le  poivre,  qui  entrèrent  dans  la  consomication  cou- 
rante :  les  échanges  se  multiplièrent,  le  rôle 
du  commerçant  s'agrandit.  L'adoucissement  de» 
moeurs,  le  caractère  plus  stable  des  coutumes 
internationales,  la  formation  même  des  grands 
Etats  qui  supprima  une  partie  des  barrières  inté- 
rieures et  améliora  la  police,  les  découvertes 
industrielles  (canaux  il  écluses),  qui  ouvrirent  des 
voies  nouvelles  à  la  navigation  intérieure,  contri- 
buèrent à  favoriser  le  mouvement  Imprimé  au 
commerce  par  les  découvertes  maritimes. 

L'industrie  en  ressentit  le  contre- coup  ;  des  dé- 
bouchés nouveaux  s'ouvraient  devant  elle  ;  elle 
pouvait  se  procurer  en  abondance  et  il  bas  prix 
des  matières  premières,  le  coton,  la  soie,  les  bols 
précieux,  les  matières  tinctoriales,  que  se  réser- 
vaient jusqu'alors  les  villes  commerçantes  et  indus- 
trielles d'Italie,  intermédiaires  du  commerce  entre 
les  Indes  et  l'Europe  :  en  France,  en  Allemagne, 
dans  les  Pays-Bas,  en  Espagne  même,  elle  éten- 
dit sa  fabricati(m,  elle  essaya  do  s'affranchir  du 
monopole  italien,  mais  en  même  temps  elle  ré- 
clama l'appui  des  gouvernements  contre  la  concur- 
rence étrangère  ;  c'est  au  xvi'  siècle  et  en  faveur 
des  industries  nouvelles  que  s'est  organisé  le 
système  protecteur  dont  les  timides  essais  n'a- 
vaient été  jusqu'alors  que  des  faits  isolés  et  sans 
portée. 

Mais  la  conséquence  la  plus  grave  de  la  révolu- 
tion commerciale,  ce  fut  l'énorme  et  brusque  aug- 
mentation de  la  masse  des  métaux  précieux.  Les 


SIÈCLE  (SEIZIÈME) 


24:28  —       SIÈCLE  iDIX-SEPTIÈME) 


découvertes  des  Portugais  n'avaient  fait  que  chan- 
ger la  route,  grossir  la  quantité  et  diminuer  le 
prix  des  marcliandises  de  luxe  que  livraient  h 
l'Europe  les  Indes  et  l'extrême  Orient  :  celles  des 
Espagnols,  en  versant  dans  la  circulation  euro- 
péenne les  produits  des  raines  du  Mexique  et  du 
Pérou,  déterminèrent  une  crise  économique  d'un 
caractère  autrement  grave.  En  un  siècle  (ISDO-IUOO) 
la  valeur  totale  du  numéraire  circulant  en  Europe 
s'éleva  de  800  millions  à  :5,3nO  millions!  Chaque 
année  depuis  1545,  les  mines  d'argent  de  Potosi 
(Pérou)  versaient  en  Europe  50  à  CO  millions, 
celles  de  Guanaxato  et  de  Zacatecas  (Mexique)  une 
somme  h  peu  près  égale.  La  production  de  l'or, 
qui  ne  représentait  guère  qu'un  quarantième  de 
celle  de  l'argent,  formait  cependant  un  appoint 
considérable,  eu  égard  à  la  rareté  de  ce  métal.  Il 
en  résulta  dans  toute  l'économie  sociale  une 
immense  perturbation  :  en  Espagne,  le  prix  de 
toutes  les  marchandises  sextupla  en  moins  d'un 
siècle  ;  en  France,  de  15G0  à  1580,  la  valeur  de  la 
livre  tournois  avait  baissé  de  plus  de  moitié,  le 
prix  des  terres  avait  triplé,  celui  des  denrées  ali- 
mentaires avait  quadruplé,  tandis  que  les  salaires 
ne  s'élevaient  en  moyenne  que  de  moitié  ;  en  Alle- 
magne, en  Angleterre,  les  mêmes  phénomènes  se 
produisaient  avec  plus  ou  moins  d'intensité. 

Ce  furent  surtout  les  commerçants  et  les  in- 
■dustriels,  c'est-à-dire  la  bourgeoisie,  et  dans  une 
mesure  plus  restreinte  les  fermiers  el;  les  tenan- 
ciers, qui  profitèrent  de  cette  crise.  Les  ouvriers 
des  villes  et  les  journaliers  des  campagnes  en  souf- 
frirent jusqu'au  moment  où  l'équilibre  fut  rétabli 
entre  les  salaires  et  les  objets  de  première  néces- 
sité, c'est-à-dire  jusqu'à  la  fin  du  xvi"  siècle; 
mais  la  classe  qui  se  trouva  le  plus  profondément 
atteinte,  ce  fut  celle  des  propriétaires  qui  ne  cul-  , 
tivaient  pas  eux-mêmes  et  qui  vivaient  eu  grande  j 
partie  soit  de  rentes  fixes  payées  par  leurs  te-  | 
nanciers,  soit  de  fermages  à  bail  séculaire,  tels 
qu'il  en  existait  en  Angleterre  et  même  en  France. 
Ces  propriétaires  étaient  les  gentilshommes  grands 
et  petits  qui,  aumomejit  niêmeoù  ils  voyaient  leurs 
revenus  diminués  par  la  dépréciation  du  numé- 
raire, voyaient  leurs  dépenses  s'accroître,  non 
seulement  par  l'augmentation  des  prix,  mais  par 
le  développement  des  habitudes  de  luxe  et  de 
bien-être,  que  lo  progrès  même  de  la  civilisation, 
de  la  richesse  mobilière,  des  communications  et  de 
l'activité  industrielle  avait  introduites  dans  toutes 
les  classes  de  la  société.  En  France,  en  Espagne  et 
en  Angleterre,  la  haute  noblesse  réussit  à  com- 
penser ses  pertes  en  se  vendant  à  la  royauté  puur 
des  pensions,  des  charges  ou  des  bénéfices  ecclé- 
siastiques ;  en  Allemagne,  où  elle  était  souveraine, 
elle  s'indemnisa  aux  dépens  de  ses  sujets,  ou  des 
propriétés  de  l'Eglise;  mais  la  noblesse  inférieure 
succomba  :  elle  dut  se  résigner  à  émigrer, 
comme  en  Espagne,  et  à  aller  chercher  fortune 
aux  colonies;  à  vendre  ses  terres,  k comme  en 
Franco  où  la  bourgeoisie  enrichie  hérita  de  ses 
privilèges  et  de  ses  domaines,  sans  hériter  de  son 
prestige  et  de  son  influence  sur  les  populations 
rurales;  ou  à  vivre  comme  en  Allemagne  dans  la 
domesticité  des  princes  et  des  grands  seigneurs; 
ou  enfin  il  se  confondre,  commeen  Angleterre,  avec 
la  bourgeoisie,  en  demandant  à  l'industrie  et  au 
commerce  les  moyens  de  relever  sa  lortune  et  son 
nom. 

Le  rôle  prépondérant  que  le  numéraire  avait 
pris  tout  à  coup  dans  l'économie  sociale,  l'espèce 
d'éblouisscmont  que  produisirent  en  Europe  les 
trésors  du  Mexique  et  du  Pérou,  enfantèrent  toute 
une  théorie  économique,  qui  avant  même  d'être 
formulée  et  de  s'appeler  le  mercantilisme,  se  tra- 
duisit par  les  faits.  La  richesse,  aurait-on  dit  vo- 
lontiers au  moyen  âge,  c'est  la  terre.  La  richesse, 
dit-on  au  xvi=  siècle,  c'est  l'argent.  L'attirer  chez 


[  soi  et  l'y  retenir,  c'est  là  pour  les  gouvernements 
'  tout  le  secret  de  la  politique  commerciale.  11  faut 
!  donc,  à  moins  qu'on  ne  possède  les  mines  du 
j  Nouveau-Monde,  acheter  peu  à  l'étranger  et  lui 
vendre  beaucoup  :  il  faut  se  suffire  à  soi-même, 
il  faut  tout  produire  et  tout  fabriquer.  Chacun 
veut  avoir  aux  Indes  sa  plantation  de  cuton  et  sa 
part  du  pays  aux  épices,  en  Afrique  son  marché 
aux  esclaves,  en  Amérique  son  coin  d'eldorado. 
11  faut  se  créer  à  tout  prix  des  colonies  qui 
soient  à  la  fuis  un  débouché  privilégié  pour  les 
marchandises  de  la  métropole  et  une  propriété 
exclusive  qui  produise  pour  elle  seule  les  métaux 
précieux,  les  denrées,  les  matières  premières,  les 
instruments  de  travail,  indispensables  aux  besoins 
nouveaux  et  qu'elle  serait  obligée  d'aller  cher- 
cher sur  les  marchés  étrangers.  Les  prohibitions, 
les  droits  protecteurs,  le  pacte  colonial,  le  mono- 
pole commercial  de  l'Etat,  tout  le  système  écono- 
mique qu'essaieront  d'appliquer  le  xvii'  et  le 
xviii'  siècle  est  déjà  en  germe  dans  la  pensée 
du  XVI'. 

Telle  est  dans  ses  traits  essentiels  l'œuvre 
multiple  duxvi'  siècle,  en  partie  réfléchie,  en  par- 
tie inconsciente.  Elle  heurtait  trop  de  traditions 
et  trop  d'intérêts  pour  qu'elle  piit  s'accomplir 
sans  déchirements  et  sans  souffrances  :  elle  était 
de  trop  longue  haleine  pour  que  le  siècle  qui  l'a- 
vait commencée  la  vit  s'achever.  Nous  cherchons 
encore  la  solution  do  bien  des  problèmes  qu'ont  sou- 
levés sans  le  vouloir  ces  audacieux  naifs,  comme  le 
magicien  novice  de  la  légende,  qui  évoque  par 
hasard  -le  diable  et  qlui  ne  sait  plus  comment 
s'en   débarrasser. 

Mais  ce  qui  doit  faire  pardonner  au  xvi*  siècle 
bien  des  erreurs,  bien  des  témérités,  bieu  des  en- 
traînements et  bien  des  violences,  c'est  qu'il  a 
été  un  siècle  d'action  ;  il  a  ou  foi  en  son  œuvre,  il 
ne  s'est  pas  contenté  de  rêver  et  d'enfanter  des 
théories  ;  il  a  essayé  de  les  mettre  en  pratique  ; 
et  s'il  n'a  pas  rempli  la  tâche  gigantesque  qu'il 
s'était  imposée,  il  a  préparé  tout  l'avenir  des 
temps  modernes.  On  ne  crée  quelque  chose  qu'à 
une  condition,  c'est  de  croire,  et  on  ne  croit  vrai- 
ment que  quand  on  agir.  [H.  Pigeonneau.] 

SIÈCLE  (DIX-SEPriÈME).  -  Histoire  générale, 
XXllI-XXIV  ;  Histoire  de  France,  XXIV,  XXVI.  — 
Aucun  siècle  n'ofl're.un  développement  plus  régu- 
lier, plus  d'ordre  dans  l'enchaînement  des  événe- 
ments, plus  d'unité  dans  la  variété  des  faits.  Dans 
l'histoire  générale,  c'est  le  siècle  de  la  prépondé- 
rance française;  dans  l'histoire  des  institutions, 
c'est  l'achèvement  en  France  et  le  triomphe  de  la  mo- 
narchie absolue  ;  dans  l'histoire  littéraire,  c'est  la 
dernière  éducation  et  la  perfection  de  la  langue  et 
du  goût  français.  Et  ce  qui  achève  de  faire  du  xvii' 
siècle  un  tout  complet,  c'est  qu'il  comprend  à  lui 
seul  toutes  les  phases  de  ces  trois  éléments,  su- 
prématie politique,  monarchie  de  droit  divin,  lit- 
térature classique;  il  nous  présente  leur  croissance, 
leur  maturité,  leur  vieillesse  ou  du  moins  leur 
transformation. 

Son  point  de  départ  peut  être  fixé  à  l'année  1598, 
au  moment  où  la  France  avec  Henri  IV  sort  du 
chaos  intérieur  et  des  dangers  extérieurs  des  guer- 
res religieuses.  Son  terme  naturel  est  l'ainice  1715, 
qui  voit  mourir  Louis  XIV  et  naître  une  autre  Eu- 
rope, un  autre  gouvernement,  un  autre  esprit  pu- 
blic que  celui  du  grand  règne. 

L'i  prépondérance  politique  (le  la  France  en 
Europe.  —  Dès  que  le  traité  de  Vervins  fut  signé, 
Henri  IV  travailla  à  remettre  la  France  au  premier 
rang  en  Europe.  L'état  de  l'Europe  l'y  invitait 
d'ailleurs.  L'Angleterre,  après  le  règne  glorieux 
d'Elisabeth,  préludait  à  ses  révolutions  politiques 
et  religieuses  sous  la  domination  tracassière  et 
méprisée  de  Jacques  Stuart.  L'Espagne,  épuisée 
par  les  ambitions  infinies  et  les  entreprises  innom- 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIEMK) 


2.42'J 


SIÈGLK  (DIX-SIiPTIÈMK) 


f  brablcs  du  l'iiilippn  II,  no  pouvait  plus  inquiéter 
I  le  monde.  L'iimpire  se  partageait  de  nouveau  on 
!  factions  religieuses,  on  ligues  armées  qui  paraly- 
saient l'autorité  impériale,  d'ailleurs  faiblement 
exercée  p. ir  Rodolphe  II.  Il  n'y  avait  pas  d'Italio,  le 
mouvement  d'expansion  des  Turcs  venait  de  s'ar- 
rûtei-  ;  la  Suède  n'avait  pas  fait  encore  dans  les 
grandes  affaires  européennes  sa  brillante  etcourte 
apparition,  la  Fius.'^ie  était  toujours  comme  perdue 
dans  la  barbarie  asiatique.  Henri  IV  groupa  autour 
de  la  France  toutes  les  puissances  de  second  ordre, 
reconstituant  sous  sa  direction  et  à  son  profit  l'é- 
quilibre eurnpO(Mi  si  longtemps  troublé.  Le  pape, 
les  princes  italiens  d'une  part,  les  Etats  protes- 
tants de  l'Alloniagne  et  du  Nord,  de  l'autre,  furent 
groupés  par  lui  11  apporta  à  cette  œuvre  difficile 
tous  les  ménagements  que  lui  imposait  sa  situa- 
tion personnelle,  l't  toutes  les  séductions  qu'il  sa- 
vait mettre  en  œuvre.  Le  but  qu'il  poursuivait,  c'é- 
tait l'abaissement  définitif  do  la  maison  d'Autriche, 
delà  brandie  allemande  surtout,  moiira  épuisée 
que  l'autre,  comme  la  guerre  de  ïrenie  ans  devait 
le  montrer.  Sully  a  pu  prêter  à  son  maître,  dans  les 
Economies  royii /es,  des  rêves  de  réorganisation  eu- 
ropéenne, lesunscliimériques,  les  autres  prématu- 
rés. Mais  pour  un  esprit  aussi  clairvoyant  qu'Hen- 
ri IV,  les  projets  passaient  avant  les  rêves.  Son 
véritable  grand  dessein  était  de  porter  la  guerre  en 
Allemagne.  Il  allait  sans  doute,  i  propos  de  la 
succession  de  Clèves  et  de  Juliers,  devancer  et 
probablement  abréger  la  guerre  de  Trente  ans, 
quand  il  fut  assassiné  (1610). 

Cette  mort  retarda  de  quatorze  ans  et  remit  en 
question  la  prédominance  de  la  France  en  Europe. 
Sous  des  successeurs  incapables,  comme  Marie  de 
Médicis,  ou  timideset  à  courte  vue,  comme  de  Luy- 
nes,  la  politique  française  fut  sans  direction  ou 
sans  action,  s'alliant  h  l'ennemi  que  Henri  IV 
voulait  combattre  (mariages  espagnols),  ou  désor- 
ganisant la  résistance  des  protestants  allemands 
qu'il  aurait  soutenus  (traité  d'Ulm).  L'équilibre 
européen  était  déjà  en  péril  quand  «  le  roi  changea 
de  conseil,  et  le  conseil  de  maximes,  a  La  pensée 
d'Henri  IV  reparut  au  pouvoir  avec  Itichelieu 
(1624). 

On  a  pu  dire  que  ce  grand  homme  «  eut  l'in- 
tention des  grandes  choses  qu'il  fit.  »  (Mignet.) 
Du  premier  jour  au  dernier,  il  marcha  vers  le  but 
avec  une  persévérance  que  les  difficultés  de  sa 
situation  rendaient  parfois  héroïque  et  avec  une 
prudence  non  moins  méritoire,  mesurant  ses  ef- 
forts il,  la  fois  aux  dangers  de  l'Europe  et  aux  com- 
plications do  sa  politique  intérieure.  Pendant  la 
période  danoise,  il  se  contente  de  soutenir  mora- 
lement les  champions  allemands  du  protestan- 
tisme et  d'empêcher  l'Espagne  de  participer  à.  la 
lutte  (Valteline,  Mantouan).  Le  Danemark  vaincu, 
l'Allemagne  terrifiée,  Richelieu  entreprend  une 
campagne  diplomatique  active,  s'entend  avec  les 
membres  de  la  diète  de  Ratisbonne  pour  faire 
tomber  des  mains  de  l'Empereur  «  la  verge  san- 
glante qui  fl.igellait  rAllemagne  »,  l'épée  de  Wal- 
lenstein  ;  puis  il  découvre,  soudoie  et  jette  sur  la 
maison  d'Autriche  le  plus  grand  champion  qu'ait 
eu  la  cause  protestante,  le  roi  de  Suéde,  Gustave- 
Adolphe.  Enfin  lorsque  Gustave  meurt  k  Lûtzen, 
au  milieu  de  succès  dont  la  rapidité  inquiétait  le 
cardinal  lui-même,  lorsque  pour  la  troisième  fois 
le  protestantisme,  l'indépendance  des  Etats  alle- 
mands, la  sécurité  de  l'Europe  se  trouvent  me- 
nacés ensemble,  Richelieu  lanée  la  France  dans 
la  lutte  (1((.35).  C'était  l'heure  précise  où  cette  in- 
tervention, rendue  possible  par  les  victoires  inté- 
rieures du  cardinal,  était  devenue  nécessaire  par 
le  triomphe  d'un  nouveau  Philippe  II,  l'empereur 
Ferdinand  H. 

Il  fallait  autant  de  courage  que  d  intelligence 
pour  engager  le  royaume  dans  une  guerre  impo- 


pulaire. Richelieu  n'était  pas  soutenu  par  le  sen- 
timent national.  C'était  cependant  un  grand  inté- 
rêt national  qui  le  dirigeait,  car  il  ne  voulait  pas 
seulement  arrêter  la  maison  d'Autriche,  mais  don- 
ner à  la  France,  suivant  saformule,  «les  frontières 
de  l'ancienne  Gaule.  »  Il  porta  dans  la  guerre  la 
même  activité  et  la  même  méthode  que  dans  l'in- 
tervention diplomatique.  En  même  temps  qu'il 
combinait  en  Allemagne  les  opérations  do  ses  ar- 
mées avec  celles  des  généraux  suédois,  qu'il  lan- 
çait sur  mer  ses  flottes  improvisées  contre  la  ma- 
rine espagpolc,  qu'il  fomentait  l'insurrection  de  la, 
Catalogne  et  le  soulèvement  national  du  Portu- 
gal, il  poursuivait  régulièrement  la  conquête  des 
provinces  frontières,  Artois.  Ahace,  Roussillon. 
Il  mourut  sans  avoir  achevé  son  œuvre,  mais  en 
laissante  son  successeur  comme  un  plan  tout  tracé 
de  la  guerre  et  des  traités  futurs. 

Ce  successeur  fut  Mazarin.  Dès  le  début  il  fut 
plus  «  heureux  >.  que  Richelieu.  La  victoire  de 
Rocroy  venait  d'annoncer  l'avènement  de  l'infan- 
terie française,  et  d'affirmer  la  supériorité  mili- 
taire de  la  France,  jusque-là  douteuse  et  souvent 
remise  en  question.  Cette  supériorité,  qui  devait 
demeurer  incontestée  pendant  le  reste  du  xvii»  siè- 
cle, rendit  plus  facile  l'œuvre  de  la  diplomatie.  Le 
souple  et  opiniâtre  Italien  n'en  eut  pas  moins  le 
mérite  de  mener  à  bien,  au  milieu  de  difficultés 
intérieures  où  Richelieu  eût  peut-être  succombé 
la  réorganisation  totale  «le  l'Europe.  Par  deux 
grands  traités,  ceux  de  'Westphalie  et  des  Pyré- 
nées (lCi8-I6.i9),  il  sut  réduire  la  maison  d'Au- 
triche à  un  rôle  secondaire,  en  Allemagne  et  en 
Europe,  mettre  la  France  eu  possession  d'une  par- 
tie de  ses  frontières  naturelles,  enrichir  ses  alliés 
instruments  de  sa  future  domination,  et  terminer 
h  son  profit  la  lutte  si  longtemps  douteuse  qui 
s'était  engagée  en  1520.  On  peut  même  dire  que 
Mazarin  n'a  pas  fait  seulement  une  grande  œu- 
vre française,  aux  négociations  de  IWunster,  mais 
une  œuvre  européenne  et  moderne.  Le  traité  de 
l(j48étaiten  effet  un  véritable  code  de  droit  public; 
il  ouvrait,  d'une  façon  encore  timide,  il  est  vrai,  l'ère 
de  la  tolérance,  et,  en  mettant  fin  à  la  dernière  des 
grandes  guerres  où  la  politique  et  la  religion  eus- 
sent été  mêlées,  il  inaugurait,  comme  on  l'a  dit, 
une  politique  laïque,  dont  l'unique  préoccupation 
allait  êiro  l'indépendance  des  nations,  garantie 
par  certaines  lois  d'équilibre. 

Mazarin,  cependant,  ne  fut-il  que  le  continua- 
teijr  de  la  politique  de  Richelieu  .^  Il  semble  bien 
qu'il  ait  dépassé  la  pensée  de  son  devancier  lors- 
qu'il songea  h  faire  élire  Louis  XIV  empereur 
(IU58).  11  renonça  vite  i  cette  tentative  chimérique 
et  se  contenta  se  grouper  dans  la  Lir/ue  au 
IViin  un  certain  nombre  de  princes  allemands 
autour  du  roi  de  France.  Mais  en  préparant  par 
le  mariage  de  Louis  XIV  avec  l'infante  Mario-Thé- 
rèse, la  revendication  de  la  succession  d'Espagne 
il  ménagea  au  grand  roi  des  rêves  aussi  dange- 
reux que  brillants.  Il  est  permis  de  se  demander 
SI  le  génie  si  sûr  et  si  mesuré  de  Richelieu  fût 
allé  jusque-là. 

Quand  Mazarin  mourut  (1G6I),  la  prédominance 
de  la  France  était  bien  établie  :  le  danger  pour 
un  roi  ambitieux  et  avide  de  gloire  était  dans 
cette  prédominance  même  ;  car  l'équilibre  euro- 
péen établi  par  les  deux  cardinaux-ministres  pou- 
vait se  reformer  contre  le  seul  souverain  capable 
dinquiéier  les  nations.  L'Angleterre,  qui  venait  de 
jouer  pendant  quelque  temps  un  rôle  éclatant  sous 
le  protectorat  de  Cromwell,  était  retombée  bien 
vite,  de  cette  ferme  dictature,  dans  l'anarchie  puis 
sous  le  pouvoir  des  Stuarts,  et,  avec  cette  dynas- 
tie peu  populaire,  sous  cette  politique  peu  natio- 
nale, sa  domination  en  Europe,  sa  grandeur  ma- 
ritime allaient  être  de  nouveau  compromises 
L'Allemagne,  embarrassée  dans   sou  fédéralisme 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME)       —  2430  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


compliqué,  n'avait  échappé  à  l'absoliitisme  autri- 
chien que  pour  tomber  dans  l'impuissance  ;  elle 
vivait,  elle  no  pouvait  plus  agir.  Quant  à,  l'Espa- 
gne, la  vie  se  retirait  d'elle  peu  à  peu,  comme  de 
sou  roi,  ce  Cliarles  II  «  qui  mit  quarante  ans  à 
mourir  ».  Seule  la  Hollande,  en  pleine  prospérité, 
paraissait  décidée  h  protéger  son  indépendance  ; 
mais  nul  ne  songeait  que  cette  petite  république 
serait  pour  le  grand  roi  l'obstacle  d'abord,  et 
plus  tard  le  danger.  Le  reste  de  l'Europe  était  en- 
gagé par  la  crainte  ou  par  l'intérÈt  dans  l'alliance 
française. 

La   France  était  donc  trop  victorieuse,   il  seni- 


la  révocation  de   l'édit  de  Nantes   tous  les  Etats 
protestants. 

Sous  la  terreur  qu'il  inspirait,  l'Europe  ébau- 
chait des  coalitions  et  chercljait  un  chef  contre  ce 
nouveau  (.harles-Quint  ;  elle  le  trouva  dans  Guil- 
laume d'Orange,  quand  il  fut  devenu  roi  d'Angle- 
terre, sous  le  nom  de  Guillaume  III  (1688).  La 
révolution  anglaise  devenait  ainsi  une  révolution 
européenne.  Louis  XIV  en  présence  de  la  ligue 
d'Augsbourg  eût  pu  se  borner  k  défendre  les  po- 
silions  acquises.  Mais  il  en  coûte  h  ces  ambitieux 
passionnés,  habitués  ii  châtier  tonte  résistance, 
de  rester  sur  la  défensive.    Comme  plus  tard  Na- 


blait  «  qu'il  n'y  eût  plus  d'Europe  ».  Louis  XIV  i  poléon  allant  frapper  la  sixième  coalition  k  Mos 
usa  cependant  d'abord  avec  habileté,  sinon  avec  |  cou,  Louis  XIV  voulut  atteindre  la  ligue  d'Augs- 
discrétion,  de  ces  avantages  excessifs.  Son  lan-  j  bourg  au  cœur  en  renversant  Guillaume  III  du 
gage  en  luGl  dans  les  questions  où  "  sa  gloire  »  j  trône  d'Angleterre.  11  échoua  dans  sa  tentative  de 
était  engagée  futtier  :  il  ne  devint  arrogant  qu'en  [  restauration  des  Stuarts  ;  il  ne  réussit  même  ipro- 
16S5.  Sa  revendication  des  droits  de  la  reijie,  eu  j  téger  ses  frontières  qu'au  prix  de  luttes  encore 
1GC5,  était  discutable,  mais  il  la  prépara,  secondé    glorieuses,  mais  déjà  jienibies,  ou  d'actes  de  vio 


par  de  Lyonne,  avec  un  art  inlini.  Ses  premières 
conquêtes  en  Flandre  alarmèrent  l'Europe  sans 
la  pousser  h  bout.  Il  répondit  à  un  essai  de  coa- 
lition, la  Triple- Alliance,  par  l'occupation  de  la 
Franche-Comté,  mais  au  traité  d'Aix-la-Chapelle 
il  la  rendit. 

Les  années  qui  suivent  la  guerre  de  dévolution 
sont  décisives.  Ce  n'est  pas  encore  la  période  des 
revers,  mais  c'est  déjà  celle  des  fautes.  Louis  XIV 
pouvait  alors  maintenir  sa  supériorité  en  Eu- 
rope sans  un  trop  grand  déploiement  de  forces 
militaires,  et  donner  àlaFrancede  longues  années 
d.e  paix  et  de  richesse.  Il  pouvait  encore  tourner 
son  ambition  et  l'activité  de  la  nation  du  côté  des 
entreprises  coloniales,  devancer  l'Angleterre  dans 
cette  voie  où  elle  a  depuis  marché  à  si  grands  pas. 
Un  grand  esprit,  Leibniiz,  lui  proposait  la  conquêle 
de  l'Egypte,  «  cette  Hollande  de  l'Orient  ».  L'n 
ministre  laborieux  et  passionné  pour  le  bien  pu- 
blic, Golbett,  lui  en  eût  volontiers  fourni  les 
moyens.  Mais  Louis  XIV  s'abandonnait  aux  inspi- 
rations de  l'orgueil,  aux  conseils  de  Louvois,  à  la 
politique  (le  possùm.  Il  avait  contre  la  Hollande 
des  griefs  anciens  et  nouveaux,  exagérés  encore 
par  une  sorte  d'antipathie  instinctive  qu'il  ressen- 
tait contre  cette  petite  république  calvniiste.  Il 
entreprit  de  l'ancanlir  (1G72),  et  fit  contre  elle  des 
préparatifs  qui  semblaient  hors  de  proportion 
avec  la  faiblesse  de  l'ennemi.  Mais  ce  peuple  éner- 
gique était  né  et  avait  grandi  dans  la  lutte  ;  lotte 
contre  l'océan,  lutte  contre  l'Espagne.  Ua  ins- 
tant étourdi  par  les  premiers  coups  portés  par 
Louis  XIV,  il  demanda  grâce;  puis,  réduit  au  dé- 
sespoir, il  ouvrit  ses  écluses,  et  se  donna  un 
stathouder,  un  dictateur,  Guillaume  d'Orange. 
Celui-ci  allait  être  non  seulement  l'ennemi  opi- 
niâtre de  Louis  XIV,  mais  sa  négation  vivante. 

A  l'appel  de  Guillaume,  l'Europe,  après  un 
moment  d'hésitation,  s'était  coalisée  contre  la 
France.  Louis  XIV  eut  raison  d'elle  plus  facile- 
ment que  de  la  Hollande.  Son  échec  de  1672 
fut  voilé  par  les  brillantes  campagnes  du  Uhin, 
des  Pays-Bas,  par  les  dernières  victoires  de  Coiidé. 
de  Turenne,  par  les  sièges  de  Vauban.  A  la  paix 
de  Nimègue,  les  concessions  qu'il  dut  faire  aux 
Provinces-Unies  disparurent  au  milieu  des  acqui- 
sitions nouvelles  de  la  Franche-Comté  et  des 
places  les  plus  utiles  à  notre  frontière  du  nord 
(1G78). 

Ce  triomphe,  tout  incomplet  qu  d  fût,  enivra  le 
roi,  auquel  l'Hùtel-de-Ville  do  Paris  décernait  à  ce 
moment  même  le  surnom  de  Grand.  Il  perdit 
toute  mesure,  fit  des  conquêtes  en  pleine  paix 
(chambres  de  réunion),  traita  les  villes  chrétien- 
nes (Gènes,  etc.)  connue  les  repaires  des  pirates, 
songea  de  nouveau  à  la  couronne  impériale,  et 
outragea  le  chef  de  la  catholicité,  le  pape  Inno- 
cent  XI,  au  moment  même  où   il   provoquait  par 


lence  (incendie  du  Palatinat).  qui  soulevèrent 
contre  lui  la  conscience  européenne.  A  la  paix  de 
Ryswiik,  Louis  XIV  fit  pour  la  première  fois  des 
concessions.  La  plus  pénible  fut  sans  doute  la  re- 
connaissance de  Guillaume  111,  du  chef  de  la  coali- 
tion, du  roi  de  la  révolution. 

Ce  fut  à  ce  moment  critique  que  s'ouvrit  la  suc- 
cession d'Espagne  (ITuO),  quand  la  France  était 
épuisée  par  soixante-cinq  ans  de  guerres,  et  l'Europe 
toute  prête  à  s'unir  de  nouveau  contre  tout  projet  de 
monarchie  universelle.  Louis  XIV  avait  pour  lui, 
plus  qu'en  toute  autre  circonstance,  le  droit  écrit, 
le  testament  de  Charles  II  ;  mais  il  avait  contre  lui 
les  excès  et  les  violences  de  sa  politique  passée.  Il 
conduisit  d'abord  assez  prudemment  les  prélimi- 
naires de  la  succession.  Mais  quand  il  la  crut  as- 
surée, il  multiplia  les  fautes  ;  elles  permirent  h 
Guillaume  de  former  avant  de  mourir  la  Grande- 
Alliance,  et  de  laisser  le  soin  d'humilier  la  France 
à  trois  héritiers  de  sa  haine  et  de  ses  talents,  Eu- 
gène, Heinsius,  Mariborough. 

On  vit  bientôt  que  la  supériorité  militaire  delà 
France  déclinait.  De  1700  à  1706  les  armées 
françaises  perdirent,  malgré  quelques  victoires, 
leurs  positions  avancées  en  Italie,  en  Allemagne, 
aux  Pays-Bas.  En  1707  les  aventures  d'une  autre 
guerre  amenèrent  Charles  XII  au  cœur  de  l'Eu- 
rope :  ce  successeur  de  Gustave-Adolphe  aurait 
pu  prendre  la  coalition  à  revers,  et  tout  changer  : 
mais  il  avait  d'autres  projets  en  tête,  il  alla  se 
perdre  en  Russie.  Louis  XIV  éprouva  alors  toutes 
les  humiliations  qu'il  avait  infligées.  Il  demanda 
la  paix  h  1  Europe,  il  l'implora  des  Hollandais,  h 
Gertruydenberg.  La  situation  de  1710  formait  avec 
celle  de  1672  un  contraste  frappant.  La  même  mo- 
ralité devait  s'en  dégager  :  en  luTi,  Louis  XIV 
avait  rejeté  des  propositions  qu'il  devait  accepter; 
la  Hollande  se  releva.  En  1710,  la  Hollande  sacri- 
fia de  même  son  intérêt  à  son  orgueil,  et  par  cette 
faute  elle  laissa  à  l'Angleterre,  avec  l'initiative  de 
la  paix  (préliminaires  de  Londres),  tous  ses  avan- 
tages. 

Le  traité  d'Utrecht  marque  bien  la  fin  du  xvii*  siè- 
cle et  du  la  prédominance  politique  de  la  France 
en  Europe.  Sans  doute  la  France,  contre  toute  es- 
pérance, restait  intacte  sur  le  continent,  et  main- 
tenait un  Bourbon  sur  le  trône  d'Espagne.  Mais  la 
puissance  victorieuse  c'était  l'Angleterre  ;  elle  avait 
dicté  la  paix  avec  une  modération  fort  habile,  elle 
ne  prenait  que  des  colonies;  elle  inaugurait  son 
grand  siècle  à  elle. 

Cedénouement  n'a  rien  qui  puisse  nous  surpren- 
dre. L'Angleterre  en  effet  était  la  seule  puissance 
qui  fût  en  réalité  capable  de  disputer  à  la  France 
le  premier  rang.  Absorbée  pendant  trois  quarts  de 
siècle  dans  des  troubles  intérieurs,  elle  n'avait 
fait  que  deux  apparitions  dans  la  politique  géné- 
rale, mais  chaque  fois  elle  y  était  intervenue  d'une. 


s IKu LE  (U I X-SEPTIÈME) 


2431  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈ.ME) 


açori  éclatante  et  décisive.  Les  progrès  de  l'in- 
fluence française,  les  excès  de  notre  suprématie 
coïncident  avec  les  périodes  pciid.mt  lesquelles 
l'Aiigieterre  semble  s'abstraire  des  événements  du 
dehors.  Sous  Jacques  l"',  sous  Charles  1",  de  IUII3 
h  Kii'i.  la  royauté  anglaise  renonce  à  son  grand  rôle 
de  champiuji  du  parli  protestant,  de  défenseur 
de  l'indépendance  européenne,  héritage  de  la  glo- 
rieuse Elisabeth,  pour  employer  toutes  ses  forces 
à  la  suppression  des  vieilles  libertés,  à  l'établis- 
sement du  pouvoir  absolu  ;  la  nation,  de  son  côté, 
suspend  sa  vie  extérieure,  fait  trêve  h  ses  ambi- 
tions, et  consacre  toutes  ses  facultés  b.  la  reven- 
dication des  iustituliuns  parlementaires,  des  droits 
traditionnels.  Klle  triomphe,  mais  en  se  donnant 
un  maître.  Aussitôt  (^lle  reprend  son  rang  en  Eu- 
rope. Crouiwoll,  q\ii  semblait  avoir  vaincu  pour  le- 
parlement,  le  domine,  l'épure,  le  congédie  bruta- 
lement, et  finit  par  exercer  sous  le  nom  de  pcu- 
lecteur  uno  autorité  sans  contrôle  (lo5:j).  Le  ré- 
volutionnaire était  devenu  dictateur  ;,  le  sectaire, 
chose  plus  rare,  se  révéla  homme  d'État  et  grand 
politique,  par  i'AcIo  /le  naviijalion  qui  lan- 
çait l'Angleterre  dans  sa  véritable  voie,  par  une 
guerre  heureuse  contre  la  Hollande,  à  laquelle  il 
enleva  l'empire  maritime,  par  des  conquêtes  co- 
loniales (Jamaïque),  par  son  intervention,  humble- 
ment sollicitée  et  chèrement  achetée,  en  faveur  de 
la  France  contre  l'Espagne.  Au  moment  de  sa 
mort,  il  pouvait,  avec  plus  de  raisons  que  Henri 
VIII,  dire  :  o  Qui  je  défends  est  maître  ».  Mais 
lorsque  l'Angleterre,  après  sa  mort,  en  liorreur 
de  l'anarchie  militaire,  rappelle  la  dynastie  des 
Stuarts,  elle  retombe  i  la  fois  dans  l'agitation  au 
dedans,  dans  l'impuissance  au  dehors.  A  part  quel- 
ques courtes  satisfactions  accordées  au  sentiment 
national,  ses  rois  sont  le  plus  souvent  les  auxi- 
liaires, et  parfois  les  pensionnaires  de  la  monar- 
chie française.  Cette  situation,  irritante  pour  l'or- 
gueil d'un  grand  peuple,  ne  prend  fin  qu'à  l'avène- 
ment d'une  royauté  consentie,  par  la  révolution  de 
1G8S.  On  sait  que  le  roi  accepté  par  l'Angleterre 
était  déjà  désigné  comme  le  repré.sentant  dos  griefs 
.  de  l'Europe  contre  Louis  XIV  ;  on  a  vu  quelle  part 
il  prit  aux  grands  événements  de  la  fin  du  siècle, 
et  comment  il  anima  de  son  esprit  et  de  sa  haine 
infatigable  ceux  qui  devaient,  après  lui,  humilier  le 
grand  roi.  L'équilibre  européen  se  reforma  donc 
naturellement  en  1713  autour  de  l'Angleterre,  et 
au  profit  de  l'Angleterre,  comme  il  s'était  reformé 
en  IjyS  autour  de  la  France  et  pour  elle.  L'Angle- 
terre en  profita  pour  se  lancer,  à  pleines  voiles, 
dans  la  carrière  maritime  et  coloniale,  où  lavait 
engagée  Cromwell. 

L'Allemagne  avait  paru,  dans  la  première  moi- 
tié du  XVII"  siècle,  bien  près  de  devenir  une  des 
grandes  puissances  européennes.  Mais  ce  n'était 
qu'une  apparence;  l'Allemagne,  où  le  moyen  âge 
durait  encore,  où  les  divisions  féodales  se  compli- 
quaient des  divisions  religieuses,  n'était  pas  une 
nation;  elle  ne  pouvait  le  devenir  qu'on  acceptant 
des  mains  de  la  maison  d'Autriche  l'unité  politi- 
que, c'est-à-dire  le  pouvoir  absolu,  l'unité  reli- 
gieuse, c'est-à-dire  le  catholicisme  intolérant. 
L'ambitieux  et  fanatique  Ferdinand  II  réussirait-il 
à  lui  imposer  ce  double  joug'?  La  question  était  à 
la  fois  allemande  et  européenne,  comme  elle  était 
tout  ensemble  religieuse  et  politique.  On  a  vu 
qu'elle  fut  surtout  résolue  par  l'action  diplomati- 
que et  l'intervention  armée  de  la  France  (V. 
Guerre  rie  Trente  ans).  Mais  si  le  protestan- 
tisme allemand  put  faire  reconnaître  ses  droits, 
si  les  électeurs  et  les  princes  immédiats  ne  furent 
pas  réduits,  comme  le  leur  prédisait  Wallenstein, 
au  rôle  de  ijrands  d'Espagne,  si  le  rêve  ambitieux 
de  la  maison  d'Autriche  s'évanouit  pour  la  troi- 
sième fois,  l'Allemagne  dut  renoncer  elle  aussi  à 
être  une  puissance,  même  une  nation   Cette  «  ré- 


publique de  princes  »  .  république  anarchique, 
dirigée  par  une  diète  qtii  ne  recevait  elle-même 
aucune  direction,  fut  uno  lourde  machine,  difficile 
à  mettre  eti  mouvement,  intervenant  péniblement 
et  intitiloment  dans  les  coalitions,  et  incapable  de 
fournir  à  la  résistance  européenne  un  appoint  sé- 
rieux. 

La  maison  d'Autriche,  de  .son  côté,  réduite  à 
n'être  plus  que  la  plus  importante  des  'iii  souve- 
rainetés de  l'Allemagne,  fut  mise,  par  le  traité  de 
Westphalie,  hors  d'état  d'aspirer  au  premier  rang. 
Elle  intervint  souvent,  pendant  le  long  règne  de 
Léopohl,  mais  d'une  façon  peu  efficace;  d'ailleurs 
elle  était  inquiétée  par  la  vivace  indépendance  des 
Hongrois,  par  les  Turcs,  dont,  heureusement  pour 
elle,  la  décadence  commençait.  Elle  sembla  ce- 
pendant .se  relever  à  la  fin  du  siècle,  et,  par  l'épée 
d'un  grand  capitaine  d'origine  française,  le  prince 
Eugène,  elle  répara  ses  revers  précédents.  Mais 
si  avantageux  que  fussent  pour  elle  les  traités  de 
Rastadt  et  de  Bade,  le  xvm»  siècle  allait  prouver 
qu'elle  s'affaiblissait  eticore  en  recueillant  utie 
partie  de  l'héritage  espagnol.  Ses  forces  déjà  épui- 
sées se  dispersent  dans  des  possessions  éloignées. 
Les  Pays-Bas,  Milan,  Naples  serojit  désormais 
pour  elle  autant  de  points  vulnérables. 

Quant  à  la  Hollande,  elle  eut,  dans  ce  siècle,  un 
court  instant  d'éclat;  elle  porta  seule  un  moment 
le  poids  d'une  lutte  que  le  reste  de  l'Europe  n'o- 
sait pas  affronter.  11  faut  en  faire  honneur  à  l'é- 
nergie de  ce  petit  peuple  républicain  qui  avait  su 
devenir  et  qui  voulait  rester  libre,  même  au  prix 
des  plus  cruels  î^acrifices  ;  grâce  à  sa  marine,  à  ces 
rois  de  la  mer,  les  ïromp,  les  Ruyter,  à  son  stat- 
liouder  Guillaume  d'Oratige,  dans  lequel  s'incarna 
le  génie  résistant  de  la  race,  elle  tint  Louis  XIV  en 
échec;  mais  ni  son  étendue  territoriale,  ni  ses  res- 
sources militaires  ne  lui  permettaient  de  jouer 
longtemps  le  premier  rôle.  Quand  Guillaume  de- 
vint i;oi  d'Angleterre,  la  Hollande  ne  fut  plus  qu'un 
auxiliaire.  Nous  avons  dit  comment  elle  perdit  en 
nio  l'occasion  de  dicter  la  paix  européenne.  Dé- 
sormais, à  la  remorque  de  l'Angleterre,  elle  ne 
pouvait  plus  être  «  qu'une  petite  barque  dans  le 
sillage  d'un  grand  vaisseau.  » 

Nous  n'avons  pas  à  faire  l'histoire  de  l'Espagne: 
c'est  celle  d'une  décadence  continue;  c'est  à  peu 
près  celle  des  succès  et  des  conquêtes  de  la  France, 
succès  remportés,  conquêtes  faites  à  ses  dépens. 
En  ni.l  elle  restait,  sous  la  domination  d'un  Bour- 
bon, réduite,  repliée  sur  elle-même,  et  ayant  tout 
à  faire  pour  recommencer  à  vivre.  Près  d'elle,  une 
petite  nation  ressuscitée,  le  Portugal,  n'échappait 
à  la  domination  espagtiole  que  pour  subir  l'in- 
fluence anglaise,  et  était  hors  d'état  de  reconsti- 
tuer son  grand  empire  colonial  du  siècle  précé- 
dent. 

On  voit,  par  ce  classement  des  puissances  en 
ni3,  que  l'équilibre  du  siècle  qui  s'achevait  était 
profondément  modifié.  11  l'était  même  plus  en- 
core qu'on  ne  pouvait  le  présumer  alors,  par  la  nais- 
sance et  l'entrée  dans  la  vie  politique  de  trois 
Etats  auxquels  le  xviii»  et  le  xix'  siècle  réservaient 
une  singulière  fortune  :  le  royaume  de  Piémont- 
.Sardaigne,  celui  de  Prusse,  et  l'empire  de  Russie, 
héritier  de  la  suprématie  suédoise  dans  le  nord. 
Ces  noms  jusqu'alors  obscurs  et  inconnus  se  re- 
trouveront désormais  à  chaque  page  do  l'histoire  gé- 
nérale. 

Ln  monarchie  absolue e?i  France.  —  Le  xvii«  siècle 
ne  l'a  pas  créée.  Elle  était  le  résultat  naturel  de  notre 
développement  historique,  depuis  le  xii=  siècle  ; 
dotée  de  ses  organes  essentiels  par  Charles  \'II, 
imposée  au  pays  par  Louis  XI,  elle  s'était  déjà 
épanouie  sous  François  I"  et  Henri  II,  mais  elle 
avait  été  remise  en  question  par  l'anarchie  des 
guerres  de  religion.  Le  xvii-  siècle  reprit  cette 
œuvre  des  âges  précédents,  et  la  rendit  jjIus  coin- 


SIÈGLK  (DIX-SEPTIÈME) 


2432 


SIECLE  (DIX-SEPTIÈME) 
plète  et  plus  brillante  sans  réussir  h  la  faire  plus  |  que  ceux  de  l'Etat.  »  C'est  là  le  mot  oui  sauve  sa 
parfaite  et  plus  durable.  Il  fallut  encore  soixante  ,  mémoire.  Richelieu  a  eu  au  plus  haut  de-ro  llnn 
ans  de  luttes  pour  la  débarrasser  de  tout  obstacle,  l  tion  salutaire  de  Y  Etal,  de  cette  unité  nationale 
yingt-cmq  ans  pour  1  organiser,  pour  en  rendre  le  que  l'égoisme  des  grands  aurait  mise  en  lambeaux 
fonctionnement  régulier,  et  elle  était  à  peine  sans  remords.  C'est  en  vue  de  l'Eiat  encore  nn'il 
achevée  qu  on  voyait  déjà  ses  vices  se  révéler  et    supprimait  ou  absorbait  en  lui  les  dignités  de  con 


commencer  sa  décadence. 


I     ...      ..      .    ,,  c-iités  de  con- 

,.■,..■,.,  .  ,        .  "O'^ble,  d  amiral    1626-1627),  qui  pouvaient  s'inter- 

L  unité  nationale  et  le  pouvoir  royal  avaient  été    poser  d'une  façon  dangereuse  entre  le  roi  et   ses 
menaces  on^  même  temps  pendant  les  règnes  des  |  forces  de  terre  on   de  mer  ;  c'est  pour  donner  à 


1   .•  .  -1  ,     <•  .    ,.  ,        .   ,  '  constamment  son  action  d'un 

solutisme;  et  il  le  fut  d  autant  plus  aisément  que  bout  à  l'autre  de  la  France,  qu'il  instituait  les  i,i 
la  France,  lasse  des  troubles,  fatiguée  de  ses  ^  tendants,  le  plus  énergique  des  instruments  de' 
«  cinquante   roitelets  »,    acceptait  volontiers    un  Icentralisation  monarchique 

roi,  surtout  un  roi  caressant  dans  l'exercice  de  son  j  Un  autre  cardinal-ministre,  un  étrano-er  aclipvi 
autorité,  soucieux  des  intérêts  de  la  nation,  jaloux  cette  œuvre  nationale,  au  dedans  comme°au'dehors 
de  sa  dignité  au  dehors.  Il  ne  convoqua  pas  les  Entre  le  terrible  Richelieu,  dont  les  actes  de  ius  ' 
Etals-Generaux,  le  souvenir  de  ceux  de  la  Ligue  tice  avaient  si  souvent  ressemblé  à  des  actes  de 
était  trop  inquiétant.  Il  n  eut  recours  qu'une  fois  I  vengeance,  et  le  «  doux  et  bénin  ..  Mizarin  tout 
b,  l'assemblée  des  notables  (liOG)  ;  elle  lui  rendit  est  contraste,  le  caractère,  les  moyens  le  succè«  • 
peu  de  services,  il  tint  peu  de  compte  de  ses  avis.  ;  le  but  seul  est  le  môme.  Mazarin  eut  deux  ennemis 
«  Je  viens,  leur  avait-il  dit,  me  mettre  en  tu-  ,  à  réduire  :  le  Parlement  qui,  souvent  associé  par 
telle.  ..Mais  il  écrivait  en  guise  de  commentaire  :  ,  la  royauté  à  la  vie  politique,  s'essayait  eu  l'ab- 
..  J  ai  ait  cela  la  main  sur  la  garde  de  mon  épce.  »  sence  d'une  véritable  représentation  nationale  à 
Tout  ce  qui  se  lit  de  réformes  de  1598  i  liilO  fut  jouer  le  rôle  d'un  parlement  anglais  •  et  les  nrinces 
son  œuvre  personnelle,  ou  celle  d'un  autre  lui-  {  ces  ennemis  constants  du  principe  d'autorité' 
même,  Sully  ;  et  ce  devait  Être  désormais  le  ca-  |  Sous  Richelieu,  la  résistance  n'avait  osé  se  traduire 
ractére  de  la  monarchie  française.  Ce  pouvoir  i  que  par  des  conspiraiions.  Contre  un  ministre  im- 
personnel, jusqu  à  la  Révolution,  valut  ce  i|uc  va-  !  populaire,  qui  paraissait  ridicule  et  passait  pour 
latent  les  personnes,  rois  ou  ministres,  qui  l'exer-  [  poltron,  on  fit  une  guerre  civile.  Mazarin  cependant 
çaient  :  sous  Henri  IV  il  fut  incontestablement  triompha  complètement  des  ennemis  que  Riclie- 
bienfaisant.     ,,.  ^  .  .  ^  lieu   navait   qu'à  demi  vaincus.   Il  réussit  par  la 

Uneespècedmterrègne  suivitsamort  De  IfilOà  !  ruse,  les  concessions,  les  atermoiements  les 
IG24,  la  France  annulée,  comme  on  l'a  vu,  au  de-  i  fausses-sorties,  les  »  pas  de  ballet  »  mieux'  que 
hors,  se  décomposait  au  dedans  par  les  intrigues  son  prédécesseur  par  les  coups  d'audace  et  de 
de  cour,  les  rebellions  princières,  les  tentatives  ,  violence;  il  avait  d'ailleurs  un  point  d'appui  solide 
séparatistes  des  protestants.  Au  milieu  de  cette  qui  avait  toujours  manqué  au  ministre  de  Louis  XIII 
dissolution,  la  nation,  pour  la  dernière  fois  avant  l'irrésolu:  c'était  la  faveur  inébranlable  de  la 
1789,  fit  entendre  sa  voix,  aux  Etats-Généraux  de  reine.  Après  cinq  années  de  guerres  égayées  de 
1GI4,  s'olevant  contre  les  privilèges,  demandant  quolibets,  mais  lourdes  au  peuple  dalio'ereuses 
des  réformes.  Le  Tiers-Etat,  plus  opprimé,  parla  pour  la  France,  le  Parlement  rentra  hiTmilié  et 
plus  haut  que  les  deux  autres  ordres  et  contre  amoindri,  dans  son  rôle  judiciaire  :  soiis  Louis  XIV 
eux  ;  mais  il  avait  conscience  de  ses  droits,  et  non  il  y  fut  comme  emprisonné.  Quant  à  ces  princes 
de  sa  force.  On  lui  permit  des  plaintes,  on  lui  qui  bouleversaient  le  royaume  pour  une  entrée 
accorda  des  promesses,  puis  on  ferma  à  ses  dcpu-  au  conseil  ou  un  gouvernement  de  province  il  n'y 
tés  la  porte  de  leur  salle  de  délibération.  Ils  ne  eut  désormais  plus  de  place  pour  eux  ni  au  cen- 
surent pas  trouver  un  Jeu.  de  Paume.  Et  la  mo-  seil,  ni  dans  les  provinces.  On  allait  les  empri- 
narchie  congédia  ainsi  la  dernière  des  libertés  po-  ;  sonner  eux  aussi,  mais  à  la  cour  et  les  enchaiiier 
Iniques  de  l'ancienne  France.  |  auprès  du  roi  par  des  faveurs,  des  largesses    des 

Enfin  la  puissance  royale  passa  entre  les  mains  distinctions  de  vanité.  Mazarin  triompha  donc.  On 
du  cardinal  Richelieu,  "  ce  fondé  de  pouvoirs  uni-  '  peut  croire  même  qu'au  dedans  comme  au  de- 
versel  de  la  royauté.  »  Il  en  ressaisit  les  éléments  hors,  il  triompha  autrement  et  plus  que  n'eut 
dispersés,  il  en  reconstitua  l'unité,  il  la  défendit  !  voulu  son  prédécesseur.  Il  ne  se  contenta  pas  de 
avec  une  impitoyable  énergie,  au  prix  d'une  lutte  !  vaincre  l'aristocratie,  il  l'énerva.  Quand  il  rentra 
de  toutes  les  heures.  Dans  son  gouvernement,  !  en  France  (I6j.3),  il  vit  tous  les  princes  qui  l'avaient 
comme  dans  sa  politique  extérieure,  il  sut  ce  qu'il  \  si  publiquementoutragé,  les  magistrats  qui  avaient 
voulait  et  ne  lit  rien  de  plus.  D'abord,  avec  une  ,  mis  sa  tête  il  prix,  «  s'étouffer  dans  son  antichani- 
modération  digne  d'éloges,  et  sans  céder  à  l'eni-  i  bre  ..,  et  composer  sa  cour;  il  maria  une  de  ses 
vrement  d'une  victoire  longtemps  disputée,  il  [  nièces  à  un  prince  du  sang,  chef  de  la  guerre 
<>  ruina  le  parti  huguenot ..,  c'est-à-dire  un  litat  ,  civile,  à  Conti;  il  sut  si  bien  oublier  leurs  injures, 
dans  l'Etat,  sans  toucher  à  la  secte,  à  la  conscience,  qu'ils  oublièrent  toute  leur  fierté,  et  se  préparèrent 
(Edit  d'Alais.)  Surtout  il  «  rabaissa  l'orgueil  des    doucement  autour  de  lui  à  la  brillante  domesticité 

grands  et  réduisit  tous  les  sujets  en  leur  devoir  »,     

frappant  la  haute  aristocratie  pour  ses  intrigues 
de  cour  (Chalais'),  pour  ses  défis  à  la  loi  (Boutte- 
villej,  pour  ses  conspirations  militaires  (le  maré- 
chal de  Marilhac),  pour  ses  révoltes  ,à  main  armée 
(Montmorency),  pour  ses  complots  avec  l'étranger 
(Cinq-Mars),  faisant  tomber  les  plus  hautes  têtes, 
B  les  arbres  qui  portent  ombrage  ..,  jetant  à  la 
Bastille  les  complices  subalternes,  et  hors  de 
France  ceux  qui  paraissaient  à  l'abri  de  ses  at- 
teintes, la  mère  même  et  le  frère  du  roi.  A  son 
lit  de  mort,  il  déclara,  «  devant  Dieu  qui  allait  le 


juger,  qu'il  n'avait  jamais  eu  d'autres   ennemis .  funest 


de  Versailles. 

En  1061  l'absolutisme  était  fait.  Certes  on  ne 
peut  s^affliger  de  la  défaite  de  ses  adversaires. 
L'histoire  ne  saurait  faire  cause  commune  avec 
les  ennemis  des  deux  cardinaux,  ils  étaient  ceux 
de  la  France;  mais  il  est  permis  de  regretter  que, 
par  une  conséquence,  d'ailleurs  logique,  de  notre 
développement  historique,  l'unité  française  n'ait 
pu  s'établir  définitivement  qu'avec  l'aide  et  au 
profit  du  pouvoir  absolu.  Le  pays  était  désormais 
livré  sans  contre-poids  à  une  puissance  trop  sûre 
d'elle-même    pour  ne   pas   devenir   excessive  et 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME)       —  ^433  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


Pour  la  première  fois  depuis  cinquante  ans,  ce 
fut  un  roi  qui  prit  en  main  l'autorité  royale. 
Louis  XIV  n'a  pas  créé  la  moiiarcliie  absolue, 
«jcuvre  «les  siècles  et  terme  des  eflbrts  de  ses  pré- 
décesseurs; ce  qu'il  a  créé,  c'est  ce  «  métier  de 
roi  »,  qu'il  exerça  avec  tant  de  constance  et  de  di- 
gnité pendant  cinquante-quatre  ans.  Il  en  régla 
tous  les  détails,  il  en  traça  un  programme  auquel 
il  resta  fidèle  jusqu'il  la  fin  ;  il  en  formula  môme 
les  principes,  que  Bossuet  sut  appuyer  sur  des 
textes  sacrés.  On  pourrait  extraire  des  Mémoires 
du  roi,  et  des  Mnximes  politiques  tirées  de  l'Écri- 
ture, une  sorte  de  Déclaration  des  droits  du  roi. 
que  la  Déclaration  des  droits  do  l'homme  rempla- 
cera un  siècle  plus  tard.  «  Celui  qui  a  donné  des 
rois  aux  hommes  a  voulu  qu'on  les  respectât 
comme  ses  lieutenants,  se  réservant  à  lui  seul  le 
droit  d'examiner  leur  conduite.  —  La  volonté  de 
Dieu  est  que  quiconque  est  né  sujet  obéisse  sans 
discernement.  »  Le  droit  dioin,  telle  était  la  der- 
nière phase  du  développement  de  la  monarchie 
française.  Richelieu  avait  identifié  sa  personna- 
lité avec  l'Etat  ;  Louis  XIV  absorba  l'Etat  dans  la 
sienne.  Cet  Etat  devenait,  dans  la  doctrine  du  roi, 
une  sorte  de  communauté  dont  le  roi  était  l'unique 
|)ropriétaire.  11  pouvait  disposer  de  tout,  des  biens 
de  ses  sujets  par  la  confiscation,  de  leur  honneur 
par  la  disgrâce,  de  leur  liberté  par  les  lettres  de 
cachet;  et  il  n'y  avait  de  recours  contre  lui  qu'au 
tribunal  de  Dieu.  On  devine  quels  étaient  les  dan- 
gers, on  sait  quels  furent  les  vices  de  pareilles 
théories. 

Ce  pouvoir  sans  limites  ét^it  aussi  sans  contrôle. 
La  France  en  etl'et  était  aussi  bien  préparée  à,  su- 
bir l'absolutisme,  que  l'Europe,  en  16B1,  à  accepter 
la  prépondérance  française.  Plus  d'Etats-Généraux, 
institution  oubliée,  dont  on  ne  parlera  de  nouveau 
qu'en  ni.').  Plus  de  remontrances  parlementaires  : 
<i  On  sait  les  maux  qu'ont  causés  vos  assemblées,  » 
avait  dit  le  jeune  roi  aux  magistrats  ;  le  pays  en 
efi'et  n'avait  pas  eu  le  temps  de  les  oublier.  Quel- 
ques provinces  seulement  avaient  gardé  des  ombres 
de  liberlés  provinciales,  leurs  Etats;  quant  aux 
libertés  municipales,  le  roi  pouvait  les  supprimer, 
les  rendre,  les  vendre. 

Le  pouvoir  royal  ne  trouvait  même  pas  d'adver- 
saires dans  ces  corps  ou  dans  ces  classes  qui 
longtemps  avaient  gardé,  avec  leur  existence  pro- 
pre, leur  instinct  de  résistance.  La  haute  aristo- 
cratie, la  noblesse  de  robe,  le  clergé,  n'avaient 
plus,  au  lieu  de  pouvoir,  que  des  privilèges,  et  ne 
demandaient  au  roi  que  de  les  garantir.  Le  Tiers- 
Etat,  lui  du  moins,  était  une  force,  mais  une  force 
inerte,  n'ayant  aucun  moyen  de  se  manifester,  ni 
par  des  élections,  ni  par  des  cahiers,  ni  par  des 
écrits.  La  seule  forme  insaisissable  de  lopposition, 
c'étaient  les  couplets  satiriques.  Dans  «  cette  mo- 
narchie absolue  tempérée  par  des  chansons,  « 
comme  on  l'a  dit  spirituellement,  l'expression  de 
la  pensée  était,  comme  tout  le  reste,  un  «  privi- 
lège du  roi.  1)  11  n'y  avait  point  de  droit  contre 
celui  qui  avait  tous  les  droits,  qui  était  le  droit 
lui-même.  Au  reste,  le  roi  ne  dédaignait  pas  de 
tirer  du  Tiers-Etat  des  serviteurs  et  des  instru- 
ments, qu'il  trouvait  dociles  et  laborieux,  à  la 
grande  indignation  des  ducs  et  pairs,  restés  sans 
emploi  dans  ce  «  règne  de  roture  et  de  vile  bour- 
geoisie 11.  Il  y  aurait  peu  de  choses  i  changer 
dans  l'cxorde  célèbre  de  l'oraison  funèbre  de  la 
reine  d'Angleterre,  pour  y  trouver,  au  lieu  de  la 
définition  de  la  puissance  divine,  celle  du  pouvoir 
royal  dans  ses  relations  avec  ses  sujets,  «  soit 
qu'il  communique  sa  puissance  »  à  ceux  qu'il  a 
choisis,  »  soit  qu'il  la  retire  à  lui-même  et  ne  leur 
laisse  que  leur  propre  faiblesse.  » 

Louis  XIV  eut  peu  à  faire  pour  compléter  l'or- 
ganisation de  la  monarchie  ;  son  rôle  fut  plutôt 
d'en  régler  les  mouvements  et  d'en  assurer  l'har- 
T-  Paiitie. 


munie  :  car,  depuis  François  I"  et  Henri  II  surtout, 
presque  toutes  les  institutions  administratives  exis- 
taient. Mais  il  anima  tout  de  sa  volonté  et  de  son 
ardeur  au  travail  :  les  six  conseils  de  la  chamlire 
du  roi,  qu'il  présidait  régulièrement;  les  deux 
ministres  d'État  (chancelier,  contrôleur  général) 
et  les  quatre  secrétaires  d'État  (des  affaires  étran- 
gères, de  la  marine  et  des  colonies,  de  la  guerre, 
du  la  maison  du  roi),  avec  lesquels  il  «  travaillait  » 
assidûment;  les  intendants,  dont  l'administration 
était  sous  le  contrôle  du  conseil  des  dépêches,  tenu 
tous  les  samedis  en  sa  présence.  Le  roi,  qui  con- 
sidérait le  travail  comme  le  premier  devoir  do  la 
royauté  (  «  c'est  par  le  tr.Tvail  et  pour  le  travail 
qu'on  règne  ",  a-t-il  écrit),  ne  manqua  pas  un  seul 
jour  aux  obligations  qu'il  s'était  imposées.  11  est 
vrai  qu'il  apportait  dans  ces  fonctions  plus  d'ap- 
plication que  d'étendue  d'esprit,  qu'il  voulait  tout 
connaître,  sans  être  capable  de  tout  diriger,  ci. 
qu'il  l'égard  des  hommes  vraiment  supérieurs  il 
était  animé  d'une  sorte  de  jalousie  instinctive. 

Son  heureuse  fortune  lui  fournit  deux  mi- 
nistres de  premier  ordre  au  commencement  de 
son  règne,  Colbert  et  Louvois  ;  il  sut  apprécier 
leur  mérite  et  utiliser  leur  génie,  quoiqu'il  ait  eu 
de  bonne  heure  la  fâcheuse  tendance  de  les  op- 
poser l'un  à  l'autre,  et  qu'il  ait  dès  le  début  donné 
sa  préférence  à  celui  qui  savait  le  mieux  flatter 
et  servir  ses  sentiments  d'orgueil.  Colbert  et  Lou- 
vois furent  sans  doute  des  réformateurs  ;  mais 
on  s'aperçoit  bien  Tite  qu'ils  ont  plus  amélioré 
qu'innové,  plus  étayé  que  reconstruit.  Leur  œuvre, 
comme  celle  de  la  plupart  des  grands  ministres 
de  la  monarchie  avant  Turgot,  est  toute  person- 
nelle, et  ne  dure  guère  plus  que  l'ouvrier.  Ils  ne 
changent  rien  au  régime  dontiissontles  meilleurs 
serviteurs,  et  l'on  peut  dire,  sans  méconnaître 
leurs  services,  que,  s'ils  ont  fait  beaucoup  de  bien, 
ils  ont  réalisé  bien  peu  de  ces  progrès  qui  assu- 
rent l'avenir  d'un  peuple. 

Les  finances  royales  avaient  passé  par  de  sin- 
gulières alternatives.  Sully,  «  grapillant  pour  le 
roi,  11  économe,  médiocre  inventeur  en  matière  de 
ressources  nouvelles]  (la  Paulette),  avait  laissé 
•iO  millions  d'épargne  en  douze  ans  ;  en  six  ans  la 
Régence  les  eut  dissipés;  Richelieu  obéra  le 
trésor  par  les  dépenses  de  la  guerre,  à  partir  de 
1635.  Mazarin  «  porta  le  filoutage  au  ministère», 
Fouquet  l'y  maintint,  érigeant  le  désordre  en  sys- 
tème. Colbert  y  ramena  l'économie  et  la  probité, 
rétablit  l'équilibre  du  budget,  et  sut,  pendant  quel- 
ques années  seulement,  enrichir  le  roi  sans  épuiser 
la  nation.  Mais  il  ne  pouvait  qu'atténuer  le  mal, 
diminuer  la  taille,  sans  l'étendre  aux  deux  ordres 
privilégiés,  limiter  le  nombre  des  douanes  de  pro- 
vince à  province,  sans  supprimer  entièrement  ces 
fâcheuses  entraves,  et  soulager  sans  les  délivrer 
la  production  et  la  consommation  des  charges  qui 
les  grevaient,  de  la  gabelle  et  des  aides.  Il  ne  lui 
fut  même  pas  permis  de  rester  fidèle  jusqu'au 
bouta  son  système  et  à  ses  principes;  il  dut  dès 
lU'iS,  pour  satisfaire  aux  exigences  ruineuses  du 
roi,  contracter  des  emprunts,  lui  qui  les  condam- 
nait, et  vendre  des  offices  après  en  avoir  tant  sup- 
primé. Après  lui  les  finances  retombèrent  dans  le 
désordre,  sous  ses  successeurs  médiocres,  inca- 
pables ou  impuissants.  Le  Pelletier,  Chamillart, 
Desmarets,  et  dès  1715  on  prononçait  déjà  le  mot 
de  banqueroute. 

Colbert  sut  du  moins,  au  temps  de  sa  prospérité 
financière,  faire  un  placement  avantageux  de  ses 
épargnes,  en  créant  une  de  nos  forces  militaires, 
la  marine  île  guerre.  Richelieu  avait  improvisé  des 
flottes.  Colbert  créa  des  ports,  assura  le  recrute- 
ment des  équipages  parle  «  système  des  classes»,  et 
fit  construire  19U  vaisseaux.  Un  instant  l'Angle- 
terre et  la  Hollande  même  reconnurent  notre  su- 
périorité navale  ;  mais  elle  déclina  après  (iolbert 
153 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


243i  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


et  son  fils  Seignelay.  On  manquait  de  ressources 
pour  le  coûteux  entretien  des  flottes;  et  l'Iioniieur 
du  pavillon  français  ne  fut  soutenu  dans  les  derniè- 
res années  du  règne  que  par  des  corsaires  illustres. 

Louvois  de  son  coté  travailla  avec  un  zèle  et  une 
fermeté  admirables  k  doter  la  France  d'un  puissant 
instrument  de  victoire.  Il  transforma  l'armée  fran- 
çaise, la  mit  vraiment  sous  la  main  du  roi  et  du 
ministre,  créa  tout  un  contrôle  technique  et  admi- 
nistratif, établit  une  discipline  rigoureuse,  perfec- 
tionna l'armement,  fit  de  la  maison  du  roi  un  corps 
d'élite,  réorganisa  l'arme  do  l'artillerie,  créa  celle 
du  génie,  ou  du  moins  le  corps  des  ingénieurs,  et  tira 
de  l'obscurité  un  des  plus  grands  liommes  du  rè- 
gne, Vauban.Maisil  ne  put  (|ue  limiter  leplus  grave 
des  abus  de  notre  organisation  militaire,  la  vénalité 
des  grades  ^capitaine  et  colonel).  Il  ne  touclia  qu'à 
peine  (ordre  du  tableau),  et  non  sans  souleVer 
bien  des  colères,  à  ces  droits  de  la  naissance,  con- 
tre lesquels  les  lois  mêmes  étaient  impuissantes. 
Richelieu  avait  vainement  (code  Micliau)  édicté 
que  le  soldat  pourrait  s'élever  de  grade  en  grade 
par  son  mérite.  L'usage  était  plus  fort  que  les 
édits.  Il  aurait  fallu,  pour  changer  cela,  une  révo- 
lution bouleversant  tout  l'édifice  social  :  l'arbi- 
traire était  toujours  obligé  de  compter  avec  le  pri- 
vilège: et  Colbert  ni  Louvois  ne  pouvaient  être 
des  révolutionnaires.  Louvois  d'ailleurs  a  été  aussi 
déplorable  inspirateur  que  bon  organisateur.  Mais 
son  œuvre  est  certainement  la  plus  durable  du 
règne.  Les  armées,  même  sous  les  mauvais  mi- 
nistres de  la  fin  du  règne,  restèrent  fortement 
organisées.  Les  années  désastreuses  comptent  peu 
de  ces  défaites  qui  attestent  une  décadence  pro- 
fonde. Après  les  Cnndé,  les  Turenne,  Luxem- 
bourg, Catinat  avaient  encore  des  soldats  digties 
d'eux,  et  même  lorsque  le  favoritisme  compromet- 
tait l'issue  des  campagnes,  la  fortune  de  la  France 
se  relevait  avec  les  armées  héroïques  de  Vendôme 
à  Cassano,  i  Villa-Viciosa,  de  Villars  h  Malplaquet 
et  àDenain. 

La  justice,  cet  autre  élément  de  la  puissance 
royale,  lut  aussi  l'objet  da  grands  travaux,  sinon 
de  grandes  réformes,  sous  l'inspiration  de  Colbert, 
sous  la  direction  de  Séguier.  On  reprit  le  projet,  qui 
sous  Richelieu  n'avait  reçu  qu'un  commencement  de 
réalisation  (code  Michau),  de  réunir  et  de  mettre 
en  ordre  toutes  les  lois  et  ordonnances,  d'en  faire 
un  grand  monument  législatif.  C'était  une  idée  fé- 
conde ;  quelques-unes  des  ordonnances  rédigées 
sous  cette  inspiration  sont  des  œuvres  remarqua- 
bles (eaux  et  forêts,  marine).  Mais  l'ordonnance 
civile  avec  ses  contradictions  et  ses  juridictions 
exceptionnelles,  l'ordonnance  criminelle  avec  ses 
pénalitésbarbares,  ne  pouvaient  avoir  un  caractère 
définitif.  Comment  donner  l'unité  à  la  loi,  dans  une 
société  où  tout  est  inégalité'?  En  dépit  du  nom  de 
Code  Louis,  un  code  véritable,  simple  dans  ses 
principes,  logique  dans  son  ordonnance,  ne  pou- 
vait être  fait  que  par  la  France  nouvelle  au  sortir 
de  la  Révolution.  D'ailleurs  on  ne  pouvait  pas  plus 
toucher  au  vice  capital  de  l'organisation  judiciaire 
qu'aux  autres  privilèges  de  la  France  monarchique. 
La  vénalité  subsista  pour  les  offices  de  judicature, 
comme  pour  les  grades  militaires. 

Si,  après  avoir  passé  en  revue  les  éléments  de 
la  force  publique,  finances,  armée,  marine,  jus- 
tice, nous  étudions  ceux  de  la  richesse  publique, 
agriculture,  industrie,  commerce,  nous  aurons 
sous  les  yeux  le  même  spectacle,  celui  des  efforts 
personnels,  souvent  heureux,  de  plusieurs  rois  ou 
ministres,  donnant  au  pays  quelques-unes  de  ces 
années  d'activité  et  de  prospérité  dont  la  France 
sait  si  bien  profiter.  Mais  aucune  de  ces  œuvres 
économiques  ne  porte  en  elle-même  des  garanties 
de  durée,  et  les  racines  du  mal  sont,  ici  comme 
ailleurs,  dans  l'état  social,  qui  ne  peut  être  mo- 
dillo.  H  est  juste  de  reconnaître  cependant  que  ce 


souci  de  la  richesse  publique,  cet  intérêt  porté 
aux  classes  laborieuses,  constituent  à  eux  seuls 
un  progrès  véritable.  Quelques  rois  seulement, 
Louis  I\,  Charles  V.  Louis  XI,  Louis  XII,  avaient 
eu  jusqu'alors  conscience  de  ce  devoir,  et  compris 
que  la  royauté  ne  doit  pas  seulement  à  la  nation 
l'ordre  au  dedans,  la  puissance  au  dehors,  mais 
encore  les  moyens  de  s'enrichir.  Deux  grands  mi- 
nistres du  xvii=  siècle,  Sully  et  Colbert,  pénétrés 
de  ce  principe,  ont  eu  la  passion  du  bien-être  gé- 
néral, plus  humains,  l'un  et  l'autre,  sous  leur  ap- 
parente dureté,  que  les  plus  snisibles  «  amis  des 
liommes»  du  siècle  suivant.  Cela  suffit  à  leur  faire 
pardonner  bien  des  erreurs  économiques,  et  les 
fautes  qu'ils  ont  commises,  et  celles  qu'ils  n'ont 
pas  empêchées.  Mais  cela  ne  suffit  pas  à  faire  du 
xvii«  siècle  tout  entier  un  siècle  de  prospérité  et 
de  fécond  développement.  L'un  a  protégé  douze 
ans,  l'autre  vingt-deux  ans  la  richesse  publique. 

h'nr/ricultm-e  fut  surtout  l'objet  des  préoccupa- 
tions de  Sully.  La  terre  était  à  ses  yeux  la  seule 
source  de  la  richesse  française,  «  les  vraies  mines 
du  Pérou  »,  en  même  temps  que  les  chanips  étaient 
la  pépinière  do  ses  forces  militaires.  Il  favorisa 
l'agriculture  par  des  mesures  hardies,  dignes  des 
économistes  du  xviii'  siècle,  comme  la  liberté  de 
circulation  des  grains,  et  aussi  par  des  soins  mi- 
nutieux, par  la  protection  accordée  aux  labou- 
reurs contre  les  gens  de  guerre  et  les  gens  de 
finances,  parla  propagation  de  cultures  nouvelles, 
parles  leçons  et  les  exemples  que  donnait  Olivier 
de  Serre,  dans  son  T/iéàtre  royal  d'Agriculture 
et  dans  son  domaine  du  Pradel.  Colbert  fut  moins 
hardi  (il  maintint  les  entraves  sur  le  commerce  des 
grains),  mais  tout  aussi  soigneux  des  intérêts  de 
la  classe  rurale;  il  renouvela  les  édits  de  Sully,  il 
supprima  un  certain  nombre  do  fêles  chômées,  il 
améliora  par  des  importations  les  espèces  domes- 
tii|ues,  il  diminua  la  taille.  Malheureuseiuent 
l'œuvre  du  premier  fut  pendant  cinquante  ans 
compromise  par  les  guerres  civiles  et  étrangères; 
l'œuvre  du  second  périt  tout  entière  avec  lui  ;  l'ini- 
quité du  régime  financier,  tailles,  gabelles,  aides, 
jointe  aux  guerres,  ruineuses  même  avant  d'être 
désastreuses,  effacèrent  jusqu'aux  dernières  traces 
de  son  administration  bienfaisante.  Les  rapports 
des  intendants  à  la  fin  du  siècle,  la  Diine  royale  de 
Vauban,  montrent  la  misère  des  campagnes  à  la 
fin  du  grand  règne. 

Quant  à  Vindmtrie,  Sully,  un  physiocrate  bien 
avant  Quesnay  et  Gournay,en  méconnut  absolument 
l'importance  :  «  la  Franco  n'est  faite  pour  telles  ba- 
bioles. »  Henri  IV,  mieux  inspiré,  s'occupa  utilement 
de  la  fabrication  des  draps,  tapis,  miroirs,  et  surtout 
de  la  soierie,  ce  travail  essentiellement  national,  qui 
avait  déjà  attiré  la  sollicitude  do  Louis  XL  Quant 
à  Colbert,  l'industrie  fut  son  œuvre  de  prédilec- 
tion, et  cette  partie  de  sa  laborieuse  administra- 
tion est  celle  où  le  bien  et  le  mal  sont  le  plus 
étroitement  mêlés.  Il  créa  à  grands  frais,  et  au 
prix  d'incessantes  difficultés,  un  grand  nombre  de 
nouvelles  industries  :  métallurgie,  cordages  et 
goudron,  lainages  et  tapis,  dentelles,  glaces,  étoffes 
de  soie,  crêpes  et  velours,  les  dérobant  à  la  Suède, 
i  la  Hollande,  à  l'Italie,  établissant  ou  réorgani- 
sant pour  elles  des  luanufactures  modèles,  ani- 
mant tout  de  son  activité  opiniâtre.  Là  presque 
tout  est  à  louer.  Il  eut  aussi  un  sentiment  très 
juste  des  dangers  qui  entouraient  cette  industrie 
naissante,  et  il  la  garantit  par  un  système  de  tarifs 
proinrteurs;  la  prohibition  absolue  dos  produit» 
similaires  de  l'étranger  l'eût  engourdie,  la  liberté 
des  échanges  l'eut  ruinée.  Mais  il  protégea  trop 
l'industrie  française  quand  il  mulilplia  pour  elle 
des  règlements  tutélaires  qui  furent  souvent  des 
règlements  lyranniques,  et  quand  il  l'emprisonna 
dans  ce  vieil  édifice  des  corporations  industrielles, 
où  la  liberté  du  travail  et  celle  de  la  concurrence 


SIECLE  (DlX-SEPTlEMli:) 


2W.-)  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


étouffaient  ensemble.  Après  Colbert  !a  tutelle  dis- 
parut, la  tyrannie  resta.  Les  rt^gleraents  devinrent 
des  prétextes  .'i  amendes  ruineuses  ;  la  routine  et 
l'égoisnic,  qu'il  avait  combattus,  rognèrent  souve- 
rainement dans  les  jurandes  et  les  maîtrises.  Les 
guerres,  la  révocation  do  l'édit  de  Nantes  épui- 
sèrent le  travail  national.  Cependant  l'industrie, 
créée  par  Colbert,  languit  plutût  qu'elle  ne  mou- 
rut après  lui. 

L'histoire  du  commerce  nous  offre  les  mêmes 
noms  et  les  mômes  péripéties  que  celle  de  l'indus- 
trie :  Sully,  Henri  IV,  Colbert  ont  favorisé  son  déve- 
loppement au  dedans  et  an  deliors,  par  des  voies 
de  communication,  dos  routes  et  des  canaux,  par 
des  encouragements  à  la  marine  marcliande,  par 
la  création  de  nombreux  débouchés  coloniaux.  Il 
convient  d'ajouter  à  ces  trois  noms  ceux  de  liiclie- 
lieu,  qui  ébaucha  les  premières  compagnies  de 
commerce  maritime,  et  de  Fouquet  qui  fit,  par  la 
création  du  droit  de  50  sous  par  tonneau  sur  les 
vaisseaux  étrangers,  comme  un  demi-acte  de  na- 
vigation. L'histoire  de  nos  progrès  coloniaux  sous 
Colbert  est  particulièrement  significative.  Henri  IV 
et  Richelieu  avaient  protégé  les  explorateurs  (Ca- 
nadaj  et  acquis  des  possessions  lointaines.  Ma- 
zarin  en  vendit  une  partie.  Colbert  les  racheta 
toutes,  lit  pénétrer  l'inlluence  française  dans  l'In- 
doustan  et  commença  l'exploration  delà  Louisiane. 
Il  conçut  évidemment  le  plan  d'un  grand  empire 
colonial.  Mais  cet  empire  il  le  partagea  à  cinq 
grandes  compagnies  privilégiées  et  pourvues  de 
monopoles,  régime  fâcheux  qui,  du  vivant  même 
du  ministre,  roina  les  compagnies  et  faillit  aussi 
ruiner  les  colonies. 

En  résumé,  Sully  et  Colbert  furent  de  véritables 
ministres  de  l'agriculture,  de  l'industrie  et  du  com- 
merce, sans  Cil  porter  le  titre.  Mais  il  n'y  en  eut  pas 
d'autres  en  cent  dix-sept  ans.  Après  Sully,  après 
Colbert,  l'Etat,  contrairement  à  ses  véritables  in- 
térêts, ne  considéra  la  production  agricole,  le  tra- 
vail national,  les  transactions  intérieures  et  exté- 
rieures, que  comme  autant  de  sources  de  revenus 
pour  le  Trésor;  il  «  tua  la  poule  aux  œufs  d'or  », 
comme  autrefois  Philippe  le  Bel  ou  les  Valois. 

Cet  Etat,  qui  disposait  de  toutes  les  forces  pu- 
bliques et  de  toutes  les  ressources  de  la  nation,  vou- 
lut aussi  étendre  son  pouvoir  sur  un  domaine  qu'on 
n'usurpe  pas  impunément,  celui  de  la  conscience, 
«  dont  Dieu,  disait  Cromwell  avec  une  si  haute 
sagesse,  s'est  réservé  la  juridiction  suprême.  »  Le 
règne  personnel  de  Louis  XIV,  h  ce  point  de  vu», 
constitue  un  véritable  retour  en  arrière.  Ses  de- 
vanciers ne  lui  avaient  pas  laissé  l'exemple  de  la 
persécution  ;  Henri  IV,  a  qui  était  de  la  religion  de 
tous  ceux  qui  sont  bons  et  braves  »,  avait  Jiégocié 
il  graiid'peine  les  conditions  d'un  accord  provi- 
soire entre  ses  coreligionnaires  de  la  veille  et 
ceux  du  lendemain.  Riclielicu  put  créer  un  ré- 
gime plus  durable  par  la  paix  d'Alais.  Sans  pro- 
clamer le  principe  de  la  tolérance,  il  l'appliqua.  Ce 
principe,  il  faut  le  dire,  n'était  guère  mieux  com- 
pris au  xvii"  siècle  qu'au  xvi",  et  tout  aussi  peu  en 
harmonie  avec  l'instinct  d'unité  de  l'un  qu'a- 
vec les  passions  religieuses  de  l'autre.  Le  grand 
roi  n'entra  donc  pas  en  lutte  avec  l'opinion  pu- 
blique lorsqu'il  déclara  la  guerre  à  l'hérésie.  Celte 
déclaration  de  guerre  date  du  premier  jour  de  son 
règne,  il  nous  l'apprend  lui-même;  la  Révocation 
ne  fut  pas  le  caprice  d'un  jour,  mais  le  ferme  pro- 
pos d'une  volonté  résolue,  une  œuvre  de  violence 
méthodique,  un  acte  de  foi  peut-être,  mais  i  coup 
sûr  l'inspiration  d'un  orgueil  sans  bornes,  encou- 
ragé d'ailleurs  par  les  assemblées  du  clergé,  flatté 
et  servi  à  l'envi  par  les  intendants,  par  les  minis- 
tres, qui  «  voulaient  être  d'autant  plus  considérés 
:i  la  Cour  et  approchés  des  récompenses.  »  Le. roi 
commença  par  restreindre  le  terrain  sur  lequel  les 
protestants  croyaient  avoir  le  droit  de  vivre,  par 


les  chasser  des  professions  libérales,  par  interve- 
nir dans  leurs  nnnul'actures,  leurs  écoles,  leurs 
hôpitaux,  leurs  familles,  au  moyen  d'une  série 
d'ordonnances  habilement  graduées.  Puis  il  essaya 
de  la  corruption  {Caisse  des  convertis),  sans  grand 
elfet,  enfui  de  la  violence  (les  Dragonnades)  avec 
un  terrible  succès.  Peut-êire  croyait-il  la  secte 
détruite,  quand  il  révoqua  l'édit  de  Nantes  (I68à). 
L'émigration,  la  ruine  de  plusieurs  provinces,  la 
guerre  civile  des  Cévennes,  durent  lui  montrer 
l'étendue  de  son  erreur. 

Les  conséquences  funestes  de  cette  persécution 
no  l'empêchèrent  pas  cependant  de  poursuivre 
une  autre  secte  religieuse,  celle  des  jansénistes, 
avec  une  singulière  violence,  au  milieu  même  des 
désastres  et  des  douleurs  de  la  lin  du  règne.  Il 
avait  montré,  au  début,  des  dispositions  plus  con- 
ciliantes h  l'égard  de  Port-Royal,  cette  réunion 
d'esprits  élevés  qui  voulurent  demeurer  catholi- 
ques malgré  le  pape,  et  fidèles  ;'i  l'Église  quand 
elle  les  rejetait.  Il  les  frappa  sans  pitié  de  ITOOi 
n  1-3,  s'acharnant  contre  les  débris  du  jansénisme, 
contre  les  vieilles  religieuses  de  Port-Royal,  con- 
tre les  murs  de  l'abbaye  célèbre,  contre  les  osse- 
ments des  morts.  11  n'en  triompha  pas,  du  reste; 
les  jansénistes  survécurent  ;\  ces  coups  répétés 
et  à  la  bulle  Uniijenilus,  après  avoir  étonné  le 
xvii"  siècle  par  leur  courage  et  la  dignité  de  leur 
attitude. 

Cette  obstination  dans  la  violence  avait  sa  racine 
dans  l'idée  môme  que  Louis  XIV  se  faisait  de  ses 
droits  et  de  ses  devoirs.  Il  le  montra  bien  dans  la 
lutte  qu'il  soutint  contre  le  pape  lui-même  (Inno- 
cent XI,  1G82)  au  sujet  de  la  Régale,  et  dont  il 
sortit  victorieux  grâce  à  l'appui  de  son  clergé. 
L'Église  gallicane,  dont  Bossuet  rédigea  la  charte 
sous  le  nom  de  Déclaration  des  quatre  articles, 
était  surtout  l'Église  royale. 

A  cette  croyance  du  roi  dans  sa  propre  infailli- 
bilité se  joignirent  d'ailleurs  d'autres  sentiments 
;'i  la  fin  du  règne.  Sous  l'influence  de  M™"  de 
Maintenon,  sous  les  premières  atteintes  de  la  vieil- 
lesse et  des  revers,  Louis  XIV  voulut  réparer  les 
scandales  de  sa  vie  passée.  «  Sa  conversion,  a-t-on 
dit,  fut  plus  funeste  au  royaume  que  sa  dissipa- 
tion. »  Ses  scrupules  développèrent  son  intolé- 
rance, ses  remords  se  traduisirent  en  persécution. 
Une  dévotion  de  commande  régna  h  la  cour;  et 
les  courtisans  méritèi'cnt  alors  la  piquante  définition 
de  La  Bruyère  :  ■>  Des  hommes  qui,  sous  un  roi 
athée,  seraient  athées.  »  C'est  dans  ce  Versail- 
les assombri  par  l'hypocrisie  que  le  roi.  de  plus 
en  plus  dominé  par  l'épouse  secrète,  vieillit,  tris- 
tement frappé  à  plusieurs  reprises,  comme  sou- 
verain et  comme  père,  survivant  h  sa  gloire,  à  sa 
famille,  à  son  siècle. 

On  ne  saurait  terminer  ce  pénible  chapitre  des 
persécutions  religieuses,  sans  parler  de  l'ordre 
des  Jésuites.  Fondée  au  xvi'  siècle  pour  lutter 
contre  l'esprit  nouve.iu,  dotée  par  ses  créateurs 
d'une  organisation  toute  militante,  la  Compagnie 
de  Jésus  ne  cessa  de  combattre,  sous  la  direction 
de  ses  généraux,  usant  avec  une  infatigable  acti- 
vité, sur  tons  les  terrains,  des  armes  qu'elle  ma- 
niait le  mieux,  l'éducation,  la  prédication,  la  con- 
fession, surtout  la  direction  de  conscience  des 
souverains,  ce  qu'on  pourrait  appeler  la  confes- 
sion politique.  Les  grands  papes  du  moyen  âge 
eux-mêmes  n'ont  pas  confondu  plus  qu'eux  le 
spirituel  et  le  temporel,  la  doctrine  et  le  gouver- 
neiuent.  On  les  trouve  associés  en  Angleterre  aux 
troubles  et  aux  complots  catholiques  du  commen- 
cement du  siècle.  Puis  l'Allemagne  devient  le 
champ  de  leur  activité.  Ils  dirigent  l'éducation, 
ils  forment  la  conscience  de  Ferdinand  II  ;  la  lîa- 
vière  est  le  foyer  de  leur  propagande,  et  la  Ligue 
catholique  leur  instrument.  Le  triomphe  de  la 
Franco  ruina  leur  pouvoir  en  Allemagne,  et  cepen- 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME)       -  2436  -       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


dant  nous  les  voyons  en  France  tout  ensemble 
acceptés  et  redoutes,  snisinuant  et  s'iraposant  du 
eomniPiicement  h,  la  fin  du  siècle.  Henri  IV  oui 
les  avait  bannis,  les  rappelle,  et  leur  donne  le 
beau  collège  delà  Flèche'.'lls  triomphent  dërop! 
position  de  l'Université  de  Paris,  ils  gagnent  car 
les  agréments  de  leur  enseignement  l!  noblesse 
de  cour  et  la  bourgeoisie  (Molière  et  le  prince  de 
<.onti  au  collège  de  Clermont);  ils  fontTcîure 
de  la  Sorbonne  le  champion  du  jansénisme.  Cette 

,rArnIf,'M  fTo"''',  ""'■  "^""'^  «^her;  le  vengeur 
a  Arnauld  fut  Pascal,  et  sa  vengeance,  l'ironie  des 
Prormcta/es,  Des  ce  jour,  ils  euren  contre  eux 
1  opinion  Mais  il  leur  restait  bien  d'autres  forco" 
et  c  était  bien  peu  de  chose  en  face  de  cette  puis^ 
sance  souple  et  multiple  que  la  résistance  d'une 
poignée  d  hommes  austères,  savants  et  fiers  Les 
Jésuites  devaient  l'emporter.  Ils  n'arrivèr'ni  que 
peu  à  peu  ù  la  confiance  du  roi;  ils  s'en  enip"! 
rerent  cependant  dans  les  dernières  années  an- 
nées de  regrets,  de  scrupules,  de  terreurs  reli- 
gieuses. Après  la  direction  du  père  Lacliai.e 
indulgente  et  peu  active,  celle  du  père  Tellier 
se  maintint  sans  partage,  s'aflirman[  jusriu'à  la 
dernière  heure  par  les  coups  portés  à  Port-Roval 
e  redoublement  des  rigueurs  contre  les  proies^ 
tants,  et  même  les  dispositions  testamentaires  du 
101  en  faveur  du  duc  du  Maine.  Aussi  ce  fut  dès 
.es  premiers  jours  de  la  Régence  que  le  projet  d'ex- 
pulsion des  Jésuites  fut  pour  la  première  fois  mis 
an  délibération. 

Il  faudrait  pouvoir,  après  les  institutions,  les 
.eformes.  les  abus,  étudier  la  société  elle-même 
les  classes  qui  la  composent,  la  vie  privée  les 
mœurs  et  les  sentiments  de  chacune  d'elles'  Au- 
cune étude  n'est  plus  difficile  en  général  •  au'.wii'' 
siècle  surtout,  les  documents  sont  rares'.  La  co- 
médie à  cette  époque  nous  montre  l'homme  ses 
îravers  ou  ses  vices  plutôt  que  l'individu,  ses  ha- 
bitudes, sa  manière  d'être;  le  roman,  qui  de  nos 
jours  se  complaît  à  l'excès  dans  les  descriptions 
et  les  analyses  de  toute  espèce,  n'est  au  xvii= 
siècle  quune  œuvre  d'ennuyeuse  fantaisie,  tantôt 
un  travestissement  de  l'histoire  {le  Grand  Ct/rus) 
tantôt  un  déguisement  de  la  nature  (/' hW 
quelquefois  une  pénétrante  analyse  psycholog - 
que  (ta  Pnncesse  de  Cleves).  L'intéi'ieur  de  "la 
maison  nous  reste  fermé. 

Cependant  une  classe  de  la  société  vit  au  .rand 
jour,  et  se  trouve  pour  ainsi  dire  continuellement 
en  scène.  C  est  la  noblesse  de  cour.  Les  poètes  et 
les    historiens,   les    moralistes,  les   satiriques,  la 
mettent  h  1  envi  sous  nos  yeux.  Un  peu  rude  et 
.^Tossiere  encore  au  début  du  siècle  (voir  Talle- 
mant  des  Réanx;,  elle  gagne  en  politesse  au  con- 
lactdes/,mw!iïra,etpossède  enfin,  sous  Louis  \IV 
cette  suprême  élégance  et  cette  rare  délicatesse 
de  goût  dont  le  nom  seul  de  Versailles  éveille  l'i- 
dée.  Nous  connaissons  d'ailleurs  par  Molière    I  a 
Bruyère,  Mo.»  de  Sévigné,   DangLu,  et  surtout 
banu-bimon,   ses    travers    et    ses    vices     la   fa 
luite  de  ses  petits  marquis,  les  furieuses 'batailles 
que  se  livraient  les  vanités  autour  d'un  tabouret 
de  duchesse,  ou  pour  un  juste-au-corps  h  brevet 
les  intrigues  tortueuses,  les  ,<  cabales  frappées  » 
au  triomphantes,  étouffant  leurs  sanglots  ou  dis- 
simulant leur  joie  .<  par  une  larme  amenée  à  grand' 
peine  et  entretenue  avec  soin,  au  bord  de  la  pau- 
pière. ..  i\ous  connaissons  aussi  le  désordre  des  ! 
mœurs  de  Versailles  étalé  d'abord  au  grand  jour 
puis  enveloppe  d'un  voile  épais  de  fausie  dévotion 
en   attendant  que  la  Régence  le  remit  en  pleine 
.',h?,'Tr.',  h""  ''"""eur;  l'infatigable  mendicité  des 
plus    grands  et    des   plus   riches,    la  passion   du 
leu,  enfin  les  pratiques  scandaleuses  et  criminel- 
les que  révélèrent  à  demi  les  procès  de  la  Brin- 
vilhers,  de  la  Voisin  et  de  la  Vigoureux 
La  noblesse   de  province    nous  est  moins  con- 


nue :  celle-li  n'épuisait  point,  comme  l'autre,  ses 
tenanciers,  par  l'intermédiaire  d'intendants 'im- 
pitoyables. Elle  résidait,  vivait  au  milieu  des  fer- 
miers et  des  valeis,  et  un  peu  comme  eux.  Car 
elle  vivait  à  grand'peine,  dans  ses  châteaux  déla- 
bres, voyant  chaque  jour  ses  revenus  diminuer  et 
ses  besoins  s'accroître;  humble  devant  l'inten- 
dant du  roi,  qu'elle  méprisait  comme  un  parvenu, 
en  l'implorant  comme  un  maître,  afin  d'obtenir  de 
lui  un  brevet,  un  bénéfice,  une  pension,  un  se- 
cours. Avide,  elle  aussi,  mais  par  misère,  plus 
humaine  peut-être  que  la  noblesse  de  cour',  plus 
laborieuse,  mais  n'ayant  pas  tout  entière  gardé 
comme  elle  le  goût  des  armes  et  la  brillante  tradi- 
tion du  courage  militaire. 

Le  clergé  de  cour  (on  peut  donner  ce  nom  à 
une_  partie  du  haut  clergé)  nous  est  connu  aussi. 
A  côté  de  quelques  prélats  mondains  et  bruyants, 
comme  cet  archevêque  de  Reims  dont  M'""  de 
Sévigné  conte  si  plaisamment  l'histoire,  il  comp- 
tait beaucoup  d'illustres  évèques,  la  gloire  de  la 
chaire  chrétienne.  Plusieurs  allèrent  à  la  fin, 
comme  Bossuet,  consacrer  à  leur  troupeau  «  les 
restes  d'une  ardeur  qui  tombait  n,  ou,  comme 
Fénelon  disgracié,  étonner  leur  diocèse  do  leur 
charité.  En  général  le  liaut  clergé  du  xvii'^  siècle 
n'ofi're  pas,  comme  celui  du  règne  de  Louis  XV, 
le  spectacle  dune  dissipation  qui  va  jusqù'ait 
scandale,  d'un  scepticisme  voisin  do  l'athéisme. 
Le  clergé  inférieur  vit  au  milieu  des  paysans, 
partage  leur  misère.  Nous  retrouverons  ses  repré- 
sentants en  1789  confondus  avec  ceux  du  Tiers- 
Etat. 

La  haute  bourgeoisie  (la  noblesse  de  robe  et  la 
noblesse  de  finances  ne  sont  pas  autre  chose)  ne 
se  sépare  pas  de  la  haute  noblesse,  et  malgré  les 
allures   hautaines  de  celle-ci  à  l'égard  des  roljins 
et  des  traitants,  elle  partage  sa   vie,    ses  goûts, 
ses  vices.    Elle   l'égale  en  arrogance,  elle   la  dé- 
passe et  l'iiumilie  par  sa  fortune  :  «    le   financier 
Samuel  Bernard  donnait  KOO,(K)0  livres  de   dot   ;\ 
ses  filles,  et  c'étaient   les  présidents  Mole   et  La- 
moignon  qui  briguaient  l'honneur  de  devenir  ses 
gendres.  »  Aux  jours  de  détresse,  Louis  MV  dai- 
gnait montrer  h    Samuel   Bernard  les   carpe-s  de 
Marly.  L'aristocratie   d'argent  se  faisait  donc  sa 
place  h  la  cour.  Les  grands  avaient  mille  raisons 
pour  ne  pas  rire  comme  le  peuple  des  Turcarets. 
La  moyenne  et  la  petite  bourgeoisie  échappent 
bien  plus  à  l'histoire  :  la  vie  y  est  modeste,  régu- 
lière ;  la  fortune  s'y  fait  lentement,  dans  la  bouti- 
que ou  la  «  poudre  du  greffe  i..  Les  traditions  de 
famille  y   sont   respectées,    les  enfants   soumis  à 
l'autorité  paternelle.  Ce  qui  pourrait  le  mieux  en 
donner  une  idée,  ce  seraient  les  travaux  qu'une 
érudition     sagace     a    multipliés    depuis    quelque 
temps  sur  la  famille  et  la  jeunesse  de   Molière, 
ce  véritable  enfant  de  la  bourgeoisie  parisienne. 
Et  c'est  Molière  encore  qui  nous  signale  le  travers 
principal  de  la  classe  dont  il  faisait  partie,  la  va- 
îitté  bourgeoiie,  le  désir  do  s'élever  à  la  fréquen- 
tation des  hommes  de  cour.  D'autres  auteurs  co- 
miques en  font  foi  à  la  fin  du  siècle.  Ces  titres  de 
bour.jeois,  de    lmnrgeoi<e,    portés   fièrement  jus- 
que-là, commençaient  à  faire  rougir  M.  Jourdain 
on    M™"  Blandureau  !   L'un    et    l'autre   voulaient 
donner  à  jouer,  et  traiter  galamment  les  marquis 
et  les  belles  marquises. 

Si  l'on  veut  se  représenter  l'honnête  et  douce 
existence  de  la  petite  bourgeoisie  de  province, 
qii'on  lise  le  charmant  tableau  que  Marmontel, 
né  en  1734,  à  Bort,  a  tracé  de  son  enfance,  dans 
ses  Mémoires.  On  peut  l'appliquer  au  .xvii'  siècle. 
Il  faut  plus  d'un  siècle  pour  modifier  de  tels  inté- 
rieurs. 

Au-dessous  de  la  bourgeoisie,  le  peuple,  et  d'a- 
bord celui  de  Paris  ;  c'était  déjà  un  peuple  à  part, 
en  France.  Facile  aux  violences,  il  sentait  parfois 


SIKCLlî  (D1X-S1':PT1KME) 


2«7  —       SIÈCLE  (UIX-SEPTIKME) 


se  réveiller  an  lui  les  instincts  de  la  Ligue  et  le 
goût  des  barricades  ;  mais,  prompt  aux  émotions 
généreuses,  il  admirait  Riclielieu  allant  seul  au 
milieu  d'une  foule  irritée  à  l'iiôtel  de  ville.  Par- 
fois, il.  la  tin  du  grand  règne,  par  exemple  dans 
il!  terrible  hiver  d(3  1709,  c'étaient  la  misère  et  la 
faim  qtii  l'agitaient.  Au  reste,  d'une  singulière 
élasticité,  il  reprenait  vite  sa  bonne  humour,  son 
ardeur  au  travail,  son  goût  au  plaisir,  sa  passion 
pour  les  spectacles,  ceux  du  Pont-Neuf  surtout, 
plus  t  sa  portée  que  la  comédie  de  l'hôtel  de 
liourgogne,  où  les  bourgeois  et  les  clercs  seule- 
ment se  pri'ssaient  au  parterre.  Un  curieux  pas- 
sage d'un  livre  écrit  par  un  avocat  d'Avignon,  en 
lGi)3,  met  sous  nos  yeux  le  peuple  parisien  d'a- 
lors, et  vraiment  aussi  celui  d'aujourd'hui  :  »  Paris 
est  une  vaste  hôtellerie;  on  voit  partout  des  caba- 
rets et  des  hôtes,  des  tavernes  et  des  taverniers  ; 
les  cuisines  fument  à  toute  heure,  parce  qu'on 
mange  à  toute  heure.  Les  tables  sont  abondantes. 
Ils  ne  mangent  jamais  seuls  ;  ils  aiment  à  boire  de 
petits  coups,  mais  souvent;  ils  ne  boivent  jamais, 
qu'ils  n'invitent  leurs  convives  i  eu  faire  de  même. 
Le  même  peuple  ne  s'enivre  que  les  jours  de  fê- 
tes, mais  il  travaille  les  jours  ouvriers  avec  assi- 
duité; il  n'y  a  pas  un  peuple  au  monde  plus  in- 
dustrieux et  qui  gagne  moins,  parce  qu'il  donne 
tout  à.  son  ventre,  il  ses  habits,  lit  cependant,  il 
est  toujours  content.  >> 

Nous  ne  savons  rien  de  l'artisan  de  province, 
sinon  qu'il  vit  péniblement  sous  la  tyrannie  pres- 
que héréditaire  des  maîtres  et  des  jurés.  Quant  à 
l'histoire  du  paysan,  c'est  celle  de  tous  les  abus  de 
l'ancien  régime;  tout  pèse  sur  lui.  lin  Sully,  un 
Colbert  l'aident  îi  porter  le  faix,  mais  ne  le  dimi- 
nuent guère.  Il  paie  au  roi,  au  seigneur,  au  prê- 
tre. Il  fournit  aussi  l'impôt  du  sang  qu'il  a  en  hor- 
reur (la  milice).  Il  y  a  eu  peut-être  quelques  pro- 
grès dans  son  bien-être  entre  ICOU  et  1700.  En  | 
1G14,  au  témoignage  de  Savaron,  les  paysans  de 
certaines  provinces  o  mangeaient  l'herbe  h  la  ma- 
nière des  bêtes  ».  Mais  le  bien-être  est  une  chose 
essentiellement  relative,  le  résultat  d'une  compa- 
raison. Celle  que  le  paysan  fait  de  sa  situation 
avec  la  situation  des  nobles  et  des  hommes  d'église 
développe  en  lui  une  irritation  toujours  croissante. 
C'est  à  ses  yeux  surtout  qu'éclate  l'absurdité  du 
régime  social  ;  c'est  sur  lui,  sur  cette  terre  a  où  il 
a  enfoui  son  cœur  avec  son  grain  >i,  que  s'abattent 
tous  les  fléaux  des  mauvais  jours.  Vauban,  sans  au- 
îre  passion  que  le  bien  public,  les  a  dépeints, 
dans  la  Dime  Itoi/nle,  avec  une  rare  éloquence  de 
chiffres  et  de  faits.  Ce  livre,  le  plus  généreux  du 
siècle,  est,  de  la  première  à  la  dernière  page, le  com- 
mentaire du  fameux  passage  de  La  Bruyère  :  u  L'on 
voit  certains  animaux  farouches,  des  mâles  et  des 
femelles,  répandus  dans  la  campagne,  noirs,  livi- 
des, tout  brûlés  du  soleil,  attachés  ii.  la  terre  qu'ils 
fouillent  et  qu'ils  remuent  avec  une  opiniâtreté 
invincible.  Ils  ont  comme  une  voix  articulée,  et 
quand  ils  se  lèvent  sur  leurs  pieds,  ils  montrent 
une  face  humaine  ;  et  en  effet,  ils  sont  des  hom- 
mes. )) 

Tel  est,  dans  ses  traits  essentiels,  le  tableau  de 
la  puissance  royale  en  France  au  xvii»  siècle,  de 
ses  luttes,  de  ses  triomphes,  de  ses  excès.  (;'est 
encore  en  Angleterre  qu'il  faut  chercher  l'oppo- 
sition et  le  contraste.  L'Angleterre,  en  effet,  ne 
représente  pas  seulement  à  celte  époque  des  inté- 
rêts différents,  mais  des  principes  contraires.  En 
face  de  cet  idéal  de  la  monarchie  absolue  que  la 
plupart  des  souverains  avaient  poursuivi  pendant 
la  première  moitié  du  siècle,  et  que,  dans  la 
seconde,  la  France  seule  réalisait,  la  nation 
anglaise,  en  IGSîj,  au  terme  de  sa  longue  révolu- 
tion, établit  un  régime  nouveau  et  original.  Uno 
rapide  analyse  de  la  Déclarution  des  droits  suf- 
firai en  indi(iuer  le  véritable  caractère.  Elle  débu- 


tait par  la  récapitulation  des  abus  et  des  actes 
coupables  qui  avaient  rendu  la  révolution  néces- 
saire et  légitime  :  usurpation  des  pouvoirs  légis- 
latifs, perception  illégale  des  taxes,  oppression  de 
l'Église,  perversion  de  la  justice,  confiscations  sans 
condamnation,  etc.  Celui  qui  avait  fait  toutes  ces 
choses  ayant  abdiqué,  le  prince  d  Orange  avait 
invité  les  Etats  du  royaume  à  se  concerter  sur  les 
moyens  de  garantir  au  pays  sa  religion,  ses  droits 
et  ses  institutions.  En  conséquence,  les  lords  et 
les  communes  déclaraient  que  nul  ne  pouvait  dis- 
penser des  lois  ;  que  le  souverain  ne  pouvaii,  sans 
l'assentiment  des  représentants  de  la  nation,  ni 
lever  des  taxes,  ni  entretenir  des  armées  perma- 
nentes; que  les  snji'ts  avaient  le  droit  de  pétition- 
ner, les  électeurs  de  choisir  librement  leurs  dépu- 
tés, les  justiciables  d'obtenir  une  justice  égale 
pour  tous,  au  moyen  de  jurés  légalement  élus; 
que  les  parlements  devaient  être  fréquemment 
convoqués,  délibérer  sans  pression,  exposer  leurs 
griefs  sans  contrainte,  et  redresser  les  abus  sans 
ontiaves.  Conformément  au  droit  et  aux  antiques 
coutumes  des  Anglais,  Guillaume  et  sa  femme 
Marie,  promettant  de  respecter  ces  droits  et  ces 
coutumes,  étaient  appelés  au  même  titre  J>  la 
couronne  d'Angleterre.  Ces  limites  tracées  à  l'ar- 
bitraire royal,  ces  garanties  de  la  liberté  indi 
viduelle,  ce  gouvernement  de  la  nation  par 
elle-même  [self-fjovemment) ,  ce  pacte  enfin 
imposé,  comme  condition  d'avènement,  i  une 
dynastie  nouvelle,  voila  certes,  il  faut  le  dire  h  la 
gloire  de  l'Angleterre,  un  des  grands  faits  de  l'his- 
toire politique  des  temps  modernes  :  c'est  un 
progrès  auquel  toutes  les  nations  civilisées  parti- 
ciperont tôt  ou  tard.  La  monarchie  française,  telle 
que  nous  l'avons  décrite,  est  le  ternie  d'un  long 
développement  :  sa  vieillesse  est  proche.  La  mo- 
narchie anglaise,  au  contraire,  ouvre  une  ère  nou- 
velle, et  le  WEii"  siècle  ne  tardera  pas  à  prouver 
quelle  force  elle  a  puisé  dans  ce  rajeunissement 
de  ses  traditions  séculaires.  Mais  il  faut  attendre 
encore  cinquante  ans  avant  que  ces  idées  soient 
appréciées,  cent  ans  avant  que  cet  exemple  soit 
suivi.  L'Angleterre  d'ailleurs  n'a  pas  travaillé 
pour  les  nations  européennes,  mais  pour  elle- 
même.  Elle  n'est  pas  animée  de  cette  ardeur  de 
propagande  qui  caractérise  notre  grande  Révolu- 
tion. Les  Constituants  de  1789  faisaient  une  Déclu- 
ralioji  t/es  droits  de  l'/iomme,  fondée  sur  la  raison 
elle-même.  Les  Parlementaires  de  168S  rédigèrent 
une  Déclaration  de  leurs  droits,  appuyée  sur 
d'antiques  institutions  plutôt  que  sur  des  princi- 
pes abstraits. 

L'histoire  intérieure  des  autres  États  offre  peu 
de  ces  grands  faits  qui  intéressent  l'Europe.  La 
ruine  économique  de  l'Espagne  s'achève  comme  sa 
ruine  politique;  celle  de  l'Italie  est  consommée 
depuis  un  siècle;  les  Hollandais  s'enrichissent 
encore,  mais,  dans  la  seconde  moitié  du  xvii"  siè- 
cle, ces  11  rouliers  des  mers  »  n'ont  pins  le  mono- 
pole du  commerce  maritime.  L'Autriche  et  l'Alle- 
magne, qui  tiennent  une  si  large  place  dans  l'his- 
toire des  guerres  et  des  traités,  n'ont  pour  ainsi 
dire  pas  d'histoire  intérieure.  La  Suède  traverse, 
sous  Charles  XI,  une  période  intéressante  de  déve- 
loppement monarchique  et  de  réformes  commer- 
ciales ;  mais  dès  1700,  le  règne  de  l'aventureux 
(;harles  XII  suspend  la  vie  intérieure  de  la  nation. 
La  lînssie  est,  en  ce  moment  même,  façonnée  par 
la  main  puissante  et  brutale  de  Pierre  le  Grand. 
Mais  cette  étrange  révolution,  œuvre  d'un  homme, 
appartient  par  ses  conséquences  au  xviii"  siècle  ; 
le  xvii'  l'ignore. 

Les  lettres,  les  arts,  /es  sciences.  —  La  supério- 
rité littéraire  du  xvii"  siècle  est  hors  de  cause.  A 
sa  suprématie  en  Europe,  la  France  sut  joindre  i 
cette  époque  une  véritable  royauté  intellectuelle; 
et  la  monarchie  absolue  eut  le  rare  bonheur  de 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME)       —  2438 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


conduire  sous  le  règne  de  Louis  MV,  le  cliœur  |  développer  le  goût  delà  conversation  polie,  d'adou- 
des  grands  écrivains.  Nous  ne  pouvons  ici  ni  cir,  au  contacf  des  femmes,  les  mœurrencore  un 
faire  une  enumorat.on  complète,  ni  tenter  une  i  peu  grossières  de  l'époque  irecédere  de  avuriser 
appréciation  détaillée  des  cliefs-d'œuvrc  de  la  enfin  lY^closion  des  chefs-dWie  Sans  doute  d^^ 
grande  époque  classique.  Il  nous  suffira  de  mon-  '  ..      "  le.  cians  uouie  eue 


trer  que  les  pljases  du  mouvement  littéraire  cor- 
respondent h  celles  de  la  transformation  politique 
de  la  France. 

La   première   période,   qui   comprend  le   rè 


d'Henri   IV 
Louis  XIII 


et   le   conin 


se  trompa  souvent  et  dédaigna  Polyeucte  pour 
admirer  les  romans  de  M""  de  Scu'déry,  ou  les 
sonnets  à  la  mode.  Ce  commerce  de  galanterie  et 
de  bel  esprit  était  trop  raffiné  pour  ne  pas  deve- 
-•-   aisément    ridicule.    Mais    la    littérature     du 


innioxm    o«,  .„„,     .  ,''!''    fi",. 'l^gnf'.  de    xvii"  siècle,  qui  a  fait  de  l'àme  humaine  son  uni- 

La    ilrrtévtonrenl     "'■"  ^"""^'^  d  éducation,     que  élude,  n'a  pas  inutilement  fréquenté  dans  sa 
La  liberté  Mgoureusc   mais  un   peu   desordonnée    jeunesse  la  ra.//,.  de  la  marquise 
M"i^.!i '■^'ll.'':'''?'"'^''  ''P''^"  Mathurin  Régnier.  ,      Cette  éducation  de  l'esprit  français  se  continua 


Malherbe  "  réduit  la  muse  aux  règles  du  devo.. .  ,. 
On  dit  qu'à  force  de  biffer  dans  les  œuvres  de 
Ronsard  les  mots  grecs  et  latins,  les  hardiesses 
de  mauvais  goût,  les  longueurs  et  les  faiblesses, 
il  bifl'a  Ronsard  tout  entier;  il  cfl'aça  d'un  trait  de 
plume  toute  la  poésie  du  xvi"  siècle,  son  érudition 
pedantesque  et  ses  ambitions  téméraires,  mais 
aussi  sa  variété,  sa  fécondité,  sa  grâce.  Ce  fut  un 
poète  cependant.  La  prose,  à  ce  moment,  est  entre 
les  mains  d'ouvriers  consciencieux  et  habiles  qui 
préparent  aux  grands  écrivains  leurs  matériaux, 
les  mots  et  les  phrases.  Vaugelas,  le  grammairien 
fixe  les  règles,  Balzac  et  Voiture,  les  éiÀstolievs, 
façonnent  la  période;  le  premier  lui  donne  l'am- 
pleur oratoire,  le  second  l'assouplit  et  l'aiguise. 
Ils  ont  l'un  et  l'autre,  à  un  haut  degré,  le  don  de 
l'expression  :  ce  qui  leur  manque  le  plus,  ce  sont 
des  idées  à  exprimer.  En  1U35,  l'Académie  fran- 
çaise est  créée,  pour  être  comme  un  tribunal  su- 
prême où  seront  portées  les  questions  de  la  langue 
et  du  goût,  '' 

La  deuxième  période,  qui  comprend  la  fin  du 
ministère  de  Richelieu  et  la  minorité  de  Louis  MV, 
est  privilégiée  entre  toutes.  Nous  nous  conlente- 
rons   de    nommer    Descartes,    Corneille,    Pascal 


Cette 


génération,     contemporaine     des    grandes 


choses  du  ministère  de  Richelieu  ou  des  audaces 
de  la  Fronde,  a  dans  son  génie  je  ne  sais  quoi  de 
yml.  Elle  s'attaque  aux  questions  les  plus  élevées. 
Lun  condense  en  quelques  pages  les  lois  de  l'in- 
telligence humaine,  et  soumet  tout  à  la  raison  ; 
1  autre  fait  de  l'honneur,  du  devoir,  de  la  passion 
les  principaux  acteurs  de  son  drame  Le  troisième 
porte  à  ses  ennemis  des  coups  mortels  avec  «  la 
géométrie  enfiammée  »  des  Provmciales  ;  puis  il 
s  absorbe  et  finit  par  se  perdre  dans  la  contempla- 
tion des  problèmes  les  plus  redoutables  de  la  foi 
et  de  la  destinée  humaine.  La  langue  française 
notant  alors  ni  embarrassée  de  règles,  ni  encombrée 
de  foi  mules,  chacun  d'eux  la  façonne  à  son  gré, 
la  plie  à  son  inspiration  particulière.  Pas  de  sa- 
crifices aux  conventions  qui  n'existent  pas,  aux 
usages  qui  ne  se  sont  pas  encore  imposés;  un 
style  essentiellement  personnel.  Pascal  l'a  dit  : 
"On  cherche  un  écrivain,  et  on  trouve  un  homme,  u 
On  peut  rattacher  à  cette  génération,  malgré  la  date 
de  leurs  oeuvres,  La  Rochefoucauld  et  le  cardinal 
de  Retz  ;  ce  sont  des  hommes  de  la  Fronde,  qui 
ont  iraduit  plus  tard,  l'un  ses  déceptions  dans  les 
Miiximes,  l'autre  tes  rancunes  dans  les  Mé- 
moi7'es. 

La  troisième  période  correspond  aux  années  les 
plus  brillantes  de  la  monarchie  absolue,  et  a  con- 
tribue à  en  augmenter  léclat.  Ce  qui  la  distingue, 
c  est  plutôt  la  perfection  que  la  puissance.  La 
langue  et  le  goût  sont  arrivés  ensemble  à  leur 
maturité.  Nous  avons  vu  sous  quels  maîtres  s'é- 
tait lormée  la  première.  Le  goût  avait  eu  son  école 
aussi,  la  société  de  l'hôtel  de  Rambouillet.  De  I61U 


j  'f'/,-'.'"^"^  '^   Chambre  Ueue  àe  V incomparable 
Ait/iémce,   Catherine    de    Vivonne,    marquise    de 
Rambouillet,  puis  dans  I  hôiel  de  sa  fille,  la  du- 
chesse de  Montausier,  une  réunion  assidue  d'h 
ne  les   gens,  d         ' 
de  beaux 


esprit  français  se  continua 
a  la  cour.  Les  grands  écrivains  de  cette  seconde 
moitié  du  xvii«  siècle  vécurent  presque  tous  à  la 
cour,  de  la  cour,  et  pour  la  cour.  Dans  cette 
société  brillante,  oisive  et  délicate,  dans  ce  monde 
placé  comme  en  dehors  et  au-dessus  du  reste  de 
1  humanité,  où  l'on  n'avait  accès  que  parla  nais- 
sance, la  faveur  ou  le  génie,  ils  trouvèrent  tout 
ensemble  leur  inspiration  et  leur  succès.  Quel  iné- 
puisable sujet  d'observation  pour  les  moralistes  que 
ces  luttes  snnrdes  et  ces  conflits  secrets  d'orgueil, 
de  vanité,  d'ambition,  de  passions  de  toute  sorte! 
Tous  les  écrivains  français  de  cetteépoque  sontdes 
moralistes  ;  ils  jettent  rarement  les  yeux  sur  la  na- 
ture extérieure,  ils  n'ont  guère  la  curiosité  des 
choses  du  passé  ;  il  ne  faut  leur  demander  ni  l'i- 
magination puissante  qui  crée  ou  ressuscite,  ni 
la  fantaisie  capricieuse  qui  transforme  tout.  Mais 
tous,  poètes  tragiques  ou  comiques,  sermonnaires 
ou  historiens,  ont  eu  la  science  du  cœur  liumain. 
D'ailleurs,  les  yeux  fixés  sur  la  cour,  ils  s'étudient 
i  la  charmer.  Dans  leurs  ouvrages  rien  d'étrange, 
d'audacieux,  d'irrégulier,  qui  put  troublerl'harmo- 
nie  et  la  majestueuse  ordonnance  de  Versailles. 
Si  l'on  osait  regretter  quelque  chose  dans  cet  âge 
de  perfection  classique,  ce  serait  son  unité  même. 
Tous  ces  écrivains  sans  rivaux  eurent,  il  faut  l'a- 
vouer, un  horizon  assez  restreint,  et  l'air  qu'ils 
respiraient  ne  fut  traversé  par  aucun  de  ces  grands 
courants  de  curiosité  hardie  ou  de  sympathie  ar- 
dente qui  nous  rendent  si  chers  le  xvi'  et  le 
XVIII'  siècle. 

Le  grand  roi  domine  cette  littérature  de  cour 
comme  la  cour  elle-même  :  il  semble  communi- 
quer au  brillant  cortège  qui  l'entoure  quelque 
chose  de  sa  noblesse  d'allure  et  do  sa  grâce  sou- 
veraine. Il  est  peu  d'ouvrages  de  ce  temps  où 
cette  majestueuse  figure  ne  soit  au  premier  plan, 
elle  ne  s'impose  pas  seulement  à  ceux  qui  subis- 
sent son  influence,  mais  à  ceux  môme  qui  sem- 
blent s'y  dérober.  Si  Bossuet  songe  à  lui  en  pei- 
gnant la  puissance  divine,  et  Racine  en  faisant 
parler  le  roi  des  rois,  La  Fontaine  ne  l'oublie  pas 
quand  il  met  le  lion  en  scène,  et  Saint-Simon  est 
comme  obsédé  de  sa  grandeur.  En  relour  de  la 
gloire  qu'ils  lui  donnent,  il  se  montre  pour  eux  un 
protecteur  généreux  et  éclairé.  La  protection  lit- 
téraire sous  ce  règne  a  été  louée  et  attaquée  avec 
une  égale  vivacité.  Il  faut  se  garder  ici  des  opi- 
nions extrêmes.  Certes  l'histoire  ne  saurait  sous- 
crire au  vers  célèbre  : 


Un  Auguste  aisémeni  peut  faire  des  Virgiles. 

Ce  ne  sont  pas  ses  libéralités  qui  ont  fait  naître 
le  génie,  et  écloro  les  chefs-d'œuvre.  Ces  libéra- 
lités mêmes,  ces  pensions,  ces  faveurs  de  cour 
sont  bien  peu  de  chose  au  prix  des  mérites  qu'il 
encourageait,  et  en  comparaison  surtout  de  ses 
autres  largesses.  On  a  fait  remarquer  ijue  Corneille 
fut  moins  rémunéré  qu'un  capitaine  des  levrettes 
de  la  chambre  :  et  peu  s'en  fallut  que  la  protec- 
tion royale  ne  l'oubliât,  quand  le  succès  l'eut  ou- 
blié! Mais  ce  qu'on  ne  peut  nier,  c'est  le  choix 
...  éclairé  qui  dirigea  les  faveurs  littéraires  de  ce  rè- 

„'  "?,  P'jctfuses,   de   grands  seigneurs,  |  gne,  et  la   bonne  grâce  avec   laquelle  elles  furent 
esprits,  a  Illustres  écrivains,  s'efforça  de  I  accordées.  Le  roi  éleva  les  écrivains  jusqu'à  lui. 


S1I-;GLE  (DIX-SKPTIKME)       —  ^WJ  —       SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


au  milieu  d'une  société  toute  pleine  de  préjugés 
aristocratiques,  et  (|ui  n'eût  pas  manqué  de  les 
maintenir  i  un  degré  inférieur.  A  vivre  ainsi  sous 
la  niain  royale,  ils  perdirent  un  peu  de  leur  liberté, 
mais,  si  singulier  que  e.ola  paraisse,  ils  gagnèrent 
en  dignité.  Il  ne  faut  pas  oublier  eu  efl'et  que  le 
succès,  avant  le  xviii'  siècle,  n'enrichissait  pas  un 
écrivain.  Les  gens  de  lettres  vivaient  nécessaire- 
ment dans  la  dépendance,  dans  la  ilomesticitè  des 
puissants.  Malherbe  demandant  une  pension  à 
Henri  IV,  le  roi,  toujours  besogneu.x,  le  recom- 
manda il  M.  de  Bellegarde.  Corneille  avait  dédié 
Cinnak  M.  de  Montiiuion,  un  riche  financier,  qui 
donna  200  pistoles  au  poète,  et  ce  précédent  ef- 
fraya Louis  XIII  quand  il  apprit  que  le  grand  écri- 
vain allait  lui  déàier  l'oti/ew.te.  lUchelieu,  Mazarin, 
Fouquet  relevèrent  la  condition  des  gens  de  let- 
tres, en  les  ratiacliant,  pour  ainsi  parler,  au 
domaine  royal.  Louis  XIV  les  mit  à  peu  près  au 
rang  qui  leur  était  dû.  Ne  nous  hâtons  pas  de  con- 
damner cette  autre  sorte  de  système  protecteur.  La 
moins  humiliante  des  protections  est  celle  de 
l'État,  et  l'Éiat,  c'était  le  roi. 

Au  reste,  tous  les  écrivains  de  ce  demi-siècle 
n'ont  pas  subi  au  même  degré  l'influence  royale. 
Quelques-uns  ne  sont  pas  les  élèves  de  Versailles. 
On  reconnaît  i  leur  langue  plus  libre,  à  leur  ins- 
piration plus  variée,  les  habitudes  de  la  génération 
précédente.  A  ce  groupe  appartiennent  Molière, 
Bossuet,  M'""  de  Sévigné,  et  surtout  La  Fon- 
taine, qui  ne  voulut  pas  passer  de  la  clientèle 
•de  Fouquet  dans  celle  de  Louis  XIV,  et  qui  resta 
obstinément  fidèle  à  ses  amis  disgraciés,  à  la  na- 
ture dédaignée,  au  xvi»  siècle  oublié.  Racine  et 
Boileau,  au  contraire,  appartiennent  tout  entiers  à 
Louis  XIV  et  à  la  cour.  Mais  bien  avant  la  lin  du 
règne,  k  Versailles  même  et  autour  du  roi,  une 
transformation  s'opère  dans  les  idées  et  dans  le 
style.  Au  moment  môme  où  la  majestueuse  unité 
de  la  cour  est  troublée  par  des  dissensions  et  des 
factions,  où  l'opinion  |iublique  s'inquiète  et  s'ai- 
grit, quelques  écrivains  mêlent  des  dissonances 
au  concert  flatteur  des  courtisans.  La  Bruyère  fait 
la  satire  de  la  cour;  Fénelon  blâme  le  pouvoir 
absolu  et.  lui  cherche  un  correctif;  Lesage  remet 
la  comédie  politique  en  honneur.  La  langue  fran- 
çaise change  d'allures,  la  phrase  devient  plus 
brève,  comme  une  arme  facile  k  manier.  Déjà  les 
écrivains  cherchent  les  suffrages  de  la  ville  plus 
<]ue  ceux  de  la  cour.  Le  xviii"  siècle  commence. 

L'art  français  brille  d'un  éclat  moitis  vif  que  la 
littérature,  au  xvii'  siècle;  mais  il  obéit  au  même 
mouvement  et  subit  les  mêmes  transformations. 
Il  a,  comme  elle,  sa  première  génération  vigou- 
reuse, originale,  indépendante,  celle  de  Poussin, 
de  Claude  Gellée  (le  Lorrain),  de  Lesueur,  de  Phi- 
lippe de  Champagne,  de  Puget.  Quoiqu'ils  se 
soient  inspirés  pour  la  plupart  des  grands  modèles 
de  la  Renaissance  italienne,  rien  de  plus  divers 
que  leurs  talents.  S'ils  appartiennent  tous  au 
grand  siècle  classique  par  quelques  qualités  com- 
munes, la  noblesse  du  style,  la  beauté  magistrale 
de  l'ordonnance,  ils  sont  tous  en  dehors  de  ce 
qu'on  pourrait  appeler  l'École  de  Versailles.  Le- 
sueur, dont  le  génie  doux  et  harmonieux  semble 
avoir  quelque  parenté  avec  celui  de  Racine,  était 
mort  six  ans  avant  que  Louis  XIV  prit  le  gouver- 
nement en  main .  Poussin  et  Claude  Lorrain  passèrent 
une  partie  de  leur  vie  à  Rome  et  se  passionnèrent 
pour  la  nature  qu'on  n'admirait  guère  autour  du 
grand  roi.  Champagne  fut  l'ami  des  fiers  solitaires  de 
Port-Royal  et  leur  peintre  austère.  Pugot  travailla 
plus  pour  Fouquet,  pour  Colbert,  pour  les  grands 
ports,  que  pour  le  roi  et  le  palais.  La  génération 
qui  appartient  en  propre  au  règne  personnel  de 
Louis  XIV  a  plus  d'unité,  mais  moins  de  person- 
nalité. Peintres,  sculpteurs,  architectes,  dans  cette 
seconde  moitié  du  siècle,  s'inspirent  de  la  majesté 


royale,  Lebrun  dans  ses  flatteuses  allégories,  Ri- 
gaud  dans  ses  beaux  portraits,  Perrault  ilans  la 
colonnade  du  Louvre,  d'un  caractère  solennel  et 
un  peu  froid.  Surtout  ils  travaillent  tous  h  une 
œuvre  commune,  orner  comme  il  convient  le  sé- 
jour de  cette  puissance  quasi-divine.  Versailles 
fut  leur  oeuvre  à  tous,  autant  que  celle  do  Man- 
sard  ;  ce  fut  surtout,  comme  on  l'a  dit,  «  l'œuvre 
symbolique  du  règne».  Avec  son  immense  façade, 
dont  rien  ne  trouble  la  monotonie  grandiose,  ses 
grands  escaliers  où  tant  de  courtisans  pouvaient 
se  presser  sur  les  pas  du  roi,  ses  jardins,  .ses 
allées,  ses  ronds-points  dessinés  par  Le  Nôtre  avec 
une  impitoyable  régularité,  son  peuple  de  statues 
dues  au  ciseau  de  Ooysevox  et  des  Coustou,  ses 
bois  à.  I  horizon  pour  les  chasses  royales,  Ver- 
sailles fut  le  triomphe  de  la  volonté  de  Louis  XIV. 
Il  avait  choisi  comme  à.  dessein  ce  lieu,  a  le  plus 
triste  et  le  plus  ingrat  de  tous  les  lieux,  sans  vue, 
sans  eau,  sans  terre,  parce  que  tout  y  est  sable 
mouvant  ou  marécage.  Il  se  plut  à  tyranniser  la 
nature,  à  la  dompter  à  force  d'art  et  de  trésors.  » 
Pour  les  besoins  et  les  plaisirs  de  cette  ville  royale 
improvisée  dans  un  désert,  il  fit  construire  à  grand 
frais  la  machine  do  Marly,  et  presque  aussitôt 
après  il  fit  amener,  par  des  travaux  meurtriers, 
les  eaux  d'une  rivière  éloignée.  Puis,  quand  le 
dieu  eut  son  temple,  il  voulut  avoir  sa  chapelle; 
il  fit  bâtir  Marly,  pour  y  goûter,  au  milieu  de 
quelques  adorateurs  plus  fervents,  les  douceurs 
d'un  culte  plus  intime. 

L'histoire  de  la  littérature  et  de  l'art  hors  de 
France  se  divise  très  nettement  en  deux  parties  : 
la  première  comprend  des  œuvres  pleines  de  puis- 
sance et  d'originalité.  C'est  la  fin  de  la  Renais- 
sance. Les  grands  liommes  de  cette  époque  lacon- 
tinuent,  et  jettent  sur  son  déclin  un  éclat  extraor- 
dinaire ;  ils  appartiennent  au  XVII' siècle  par  la  date 
de  leurs  ouvrages,  au  xvi»  parleurs  inspirations. 
Il  ne  faut  les  chercher  ni  en  Italie,  ni  en  Allema- 
gne :  le  génie  de  l'une  est  éteint,  celui  de  l'autre 
tardera  longtemps  encore  à  s'éveiller.  C'est  en  Es- 
pagne et  en  Angleterre  qu'on  les  trouvera.  La 
gloire  intellectuelle  de  l'Kspagne  survit  d'un  siè- 
cle à  sa  grandeur  politique,  avec  Cervantes  et  son 
inimitable  roman,  avec  l.ope  de  Vega  et  Calderon, 
doués  l'un  et  l'autre  d'une  richesse  d'imagination 
qui  n'a  d'égale  que  leur  fécondité.  A  ce  moment, 
on  le  sait,  le  goût  espagnol  fait  loi  en  Europe  ; 
la  France  elle-même  lui  doit  quelques  inspirations, 
tour  à  tour  fâcheuses  et  heureuses  [le  Cid).  La 
suprématie  artistique  de  l'Espagne  dura  plus  long- 
temps encore  et  remplit  le  siècle  tout  entier.  L'é- 
cole française  pâlit  auprès  de  l'école  qui  a  pro- 
duit presque  en  même  teiups,  par  le  pinceau  de 
Velasquez.  deZurbaran,  de  Murillo,  tant  de  toiles 
incomparables,  portraits  ou  visions,  rois,  infantes, 
moines  en  extase,  ou  légions  d'anges  soutenant  la 
Vierge  en  pleine  lumière  céleste,  peinture  mysti- 
que et  sensuelle,  sévère  et  raffinée.  L'Espagne 
a  saisi  à  cette  époque  le  sceptre  artistique  des 
mains  de  l'Italie.  L'éclatante  école  d'Anvers  est 
une  de  ses  dépendances,  comme  les  Pays-Bas  une 
de  ses  possessions.  De  même  que  l'école  espa- 
gnole, elle  a  les  qualités  qui  charment  les  yeux 
et  celles  qui  parlent  à  l'àme,  la  franchise  d'exécu- 
tion aussi  bien  que  la  puissance  de  conception; 
chez  Rubens  la  fougue  du  pinceau  égale  colle  de 
la  pensée  ;  il  no  faut  pas  croire  qu'il  se  contente 
d'accumuler  dans  son  œuvre  immense  toutes  les 
richesses  de  la  chair,  du  costuiue,  du  coloris  ;  il  est 
aussi  le  peintre  de  la  douleur,  do  la  joie,  de  la 
grandeur  religieuse  et  de  l'orgie  bouffonne.  Van 
Dyck  possède  au  suprême  degré  le  don  da  la  beauté 
noble  ou  gracieuse.  Au  rayoïmemont  de  ce  foyer 
d'autres  génies  s'échauffent.  L'école  hollandaise, 
qui  en  procède,  cherche  ailleurs  ses  inspirations; 
elle  s'attache  à  la  nature  scrupuleusetpent.  Avec 


SIÈCLE  (DIX-SEPTIÈME) 


2440 


SIÈCLE  (UI.X-HUITIÈME) 


la  môme  conscieiicp,  Riiysdaêl  peint  les  larges 
horizons,  Tcniers  les  scènes  populaires,  les  lai- 
deurs joyeuses,  les  superstitions  grotesques,  Pot- 
ter  les  troupeaux  à  la  porte  de  l'étable  ou  dans  les 
gras  pâturages  (les  polders,  Terburg  le  portrait 
des  ambassadeurs  ou  des  riches  bourgeois  des 
Provinces-Unies  ;  Gérard  Dow  et  les  Ostade,  leurs 
intérieurs  brillants  de  propreté,  dont  un  rayon  de 
lumière  éclaire  les  profondeurs  brumeuses.  Ce 
soleil  qui  perce  le  brouillard,  cette  science  du 
clair-obscur,  se  résument  dans  le  plus  illustre 
nom  de  cette  école,  celui  de  Rembrandt.  En  ré- 
sumé, le  mouvement  de  la  Renaissance  italienne 
an  wi'^  siècle  peut  seul  être  comparé  à  cette 
grande  floraison  de  chefs-d'œuvre  entre  Séville  et 
Harlem. 

A  aucune  époque  de  son  histoire  l'Angleterre  n'a 
rien  eu  de  pareil .  Mais  en  revanche  la  première  par- 
tie du  XVII"  siècle  est  un  de  ses  grands  âges  litté- 
raires. Il  s'ouvre, c'est  toutdire,  avec  Shakespeare, 
qui  appartient  au  règne  de  Jacques  I"  autant  qu'à 
celui  d'Elisabeth.  Un  autre  grand  poète  dramati- 
que, Ben  Jonson,  soutient  l'honneur  du  théâtre 
anglais  jusqu'aux  approches  de  la  Révolution. 
Presque  aussitôt  après,  le  républicain  Milton  dote 
l'Angleterre  d'une  épopée  véritable,  bien  supé- 
rieure aux  essais  ambitieux  ou  aux  froides  imita- 
tions du  siècle  précédent  ou  du  suivant.  Mais 
cette  personnalité  vigoureuse  de  la  littérature 
anglaise  s'efface  au  moment  même  où  meurt 
la  littérature  espagnole.  Dès  lors  la  domina- 
tion de  l'esprit  français  est  assurée.  Son  goùl 
régnera  sans  partage.  Dryden  marque  la  transi- 
tion. A  Addison  et  à  Pope,  l'ordre,  l'élégance,  la 
pureté  de  style  paraissent  les  qualités  les  plus 
précieuses.  On  donne  des  lois  à  la  poésie,  on  dis- 
cute et  on  crée  des  règles,  on  suit  Corneille  plus 
que  Shakespeare,  on  admire  Versailles  à  Saint- Ja- 
mes, et  on  l'imite  à  Londres. 

C'est  au  commencement  du  xviii'  siècle  surtout 
que  la  royauté  intellectuelle  de  la  France  s'af- 
firma par  toute  l'Europe.  Alors  seulement  et  pen- 
dant soixante  ans,  les  nations  qui  avaient  eu  un 
passé  littéraire  et  artistique  l'oublièrent,  reniant 
leurs  traditions  pour  adopter  nos  modèles.  "  En 
littérature,  dit  Macaulay,  la  France  donna  des  lois 
au  monde  entier.  »  Et  celte  suprématie  devait 
longtemps  consoler  la  France  de  sa  décadence 
politique. 

Il  y  a  cependant  un  domaine  dans  lequel  la 
France  n'a  pas  eu  une  supériorité  exclusive,  sur 
lequel  surtout  l'action  do  la  monarchie  ne  s'est 
pas  exercée  d'une  façon  souveraine;  c'est  celui  de 
la  science.  Louis  XIV  et  Colbert  ont  bien  songé  à 
elle,  ils  ont  créé  des  académies,  fondé  de  grands 
établissements,  comme  l'Observatoire,  donné  des 
pensions  même  à  des  savants  étrangers  «  dont  le 
roi  voulait  être  le  bienfaiteur,  quoiqu'il  ne  fiit 
pas  leur  maître.  »  Mais  on  voit  peu  de  savants 
dans  le  brillant  cortège  do  la  royauté.  Certes  de 
beaux  travaux  et  de  grands  noms  français  peuvent 
être  cités  :  dans  les  mathématiques  Format,  Des- 
cartes, Pascal  ;  dans  la  physique,  Pascal  encore, 
Papin  (qui  alla  mourir  à  l'étranger,  après  la  révo- 
cation de  l'édit  de  Nantes),  Mariotte.  etc.  ;  dans 
l'érudition,  Lenain  de  Tillemont  et  les  bénédic- 
tins do  Saint-Maur;  dans  la  jurisprudence,  Domat. 
Quelques  étrangers,  formant  la  clientèle  scienti- 
fique de  la  France,  tirent  faire  ù  l'astronomie  de 
grands  progrès,  Huygliens,  Rœmer,  les  Cassini. 
Mais  dans  cette  lutte  contre  l'inconnu  et  contre 
l'erreur,  dans  cette  conquête  de  la  nature,  de  la 
ten-e  et  de  l'espace  céleste  par  l'intelligence  hu- 
maine, les  grands  noms  appartiennent  encore  i 
l'Angleterre.  Au  début  du  siècle.  Bacon  donne 
aux  sciences  physiques  et  naturelles  leur  méthode 
rigoureuse,  Vinductio»;  Harvey  expose  la  théorie 
de  la  circulation  du  sang.  A  la  fin.  Newton  for- 


j  mule  la  loi  de  l'attraction  universelle.  L'Italie  n'a 
I  guère  qu'un  nom  h  citer,  mais  un  grand  nom,  ce- 
lui de  Galilée. 

!      Quant  à  la  science  qui  donne  aux  autres  leurs 
méthodes  et  essaie  d'aller  plus  loin  qu'elles  dans 
i  Vaii-i-letà,  la  philosophie,  elle  a  sa  place,  une  largo 
place,  marquée  dans  le  xvn"   siècle   français    par 
Descartes.  Quoiqu'il  ait  vécu  en  Allemagne  dans 
'  sa  jeunesse,  composé  en   Hollande  son  Discours 
!  sur  la  mcttiode^et  fini  ses  jours  en  Suède,  auprès 
'  d'une  reine  philosophe,  son  génie  est  esscntielle- 
:  ment   français  par  sa  simplicité,  sa  clarté,  sa  lo- 
gique. Il  n'appartient  i.  aucun  groupe,  il  ne  s'est 
'formé    dans    aucune    société;   et   quoiqu'il    n'ait 
subi   aucune  influence,  celle  qu'il  a  exercée  est 
j  immense,  non  seulement  sur  les  philosophes,  IMalo- 
branche,  Bossuet,  Fénelon.  les  logiciens  de  Port- 
I  Royal,  mais  sur  tout  son  siècle.  La  révolution  qu'il 
j  a  opérée  dans  l'ordre  des  idées  a  préparé  la  révo- 
lution dans  l'ordre  des  faits.  Indépendant  dans  ce 
I  siècle  de  soumission.  Descartes  est  une  exception 
j  et  une  puissance.  Locke  en   Angleterre,  Spinoza 
î  en  Hollande,  Leibnitz   en   Allemagne,  le  plus  cu- 
i  rieux  et  le  plus  universel  des  esprits  de  l'époque, 
[  n'ont  pas   été  moins  avant  dans  l'étude  des  pro- 
j  blêmes  philosophiques  ;  mais  ils  n'ont  pas.  comme 
Descartes,  mené  tout  un  siècle   à   leur    suite.  Ce 
siècle,  au  reste,  n'était  pas  plus  indulgent  que  le  pré- 
cédent aux  nouveautés  hardies  ;   il  s'ouvrit  par  le 
I  supplice,  à  Rome,  de  Giordano  Bruno  (IGOi).  La 
I  condamnationdeGalilée,;'i  Rome  encore,  les  vingt- 
sept  années  de  captivité  de  Campanolla  à  Naples, 
I  le   supplice  de    Vanini  à  Toulouse  (1U19),  furent, 
I  pour  la  liberté  de  penser,  des  avertissements  du 
môme  genre. 

Un  siècle  qui  a  produit  de  tels  créateurs,  for- 
mulé de  telles  lois,  reculé  à  ce  point  les  limites 
des  connaissances  humaines,  n'est  pas  un  siècle 
stérile  au  point  de  vue  de  la  science.  Mais  il  ne 
semble  pas  que  ces  découvertes  aient  passionné 
en  général  l'opinion  comme  elles  le  méritaient, 
ni  provoqué  un  de  ces  grands  mouvements  qui 
soutiennent  les  chercheurs  de  vérité  et  provoquent 
de  nouvelles  recherches.  Siècle,  en  somme,  plus 
épris  du  beau  que  du  vrai,  plus  désireux  d'ordre 
que  d'indépendance,  plus  sensible  à  la  grandeur 
qu'ardent  au  progrès.  Ce  n'est  point  un  pas  fait 
en  avant  vers  le  rriieux  et  l'avenir,  mais  plutôt  un 
temps  d'arrêt  solennel  de  l'Europe  civilisée  autour 
de  la  France,  de  la  France  autour  de  la  monar- 
chie. Le  nom  de  siècle,  de  Louis  XIV  est  une  er- 
reur, consacrée  par  Voltaire  ;  celui  de  grand 
siècle  est  une  injustice  :  l'histoire  de  l'humanité 
en  compte  de  plus  grands.  Mais  ce  fut  incontesta- 
blement le  qrand  siècle  de  la  monarchie  fran- 
çaise. |R.  Julliffler.] 

SIÈCLE  (DIX-HUITIÈME).  —  Histoire  géné- 
rale, XXV  ;  Histoire  de  France,  XXVIII-XXIX.  — 
Pour  la  chronologie  il  n'est  rien  de  plus  nette- 
ment défini  qu'un  siècle.  Il  va  dans  les  temps 
modernes  de  deux  chifl'res  suivis  de  deux  zéros 
à  deux  autres  chifl'res  suivis  de  deux  zéros  égale- 
ment ;  il  embrasse  une  révolution  exacte  et  pré- 
cise de  cent  années.  Pour  l'histoire,  il  en  est  tout 
autrement.  Durant  une  période  de  cent  années 
solaires,  un  fait  capital  s'est  toujours  produit  qui 
amène  dans  l'humanité  quelque  transforma- 
tion considérable  et  la  renouvelle  pour  ainsi 
dire.  C'est  ce  fait  qui  constitue  l'événement  es- 
sentiel. Il  ne  commence  pas  toujours  à  un  millé- 
sime où  la  numération  arithmétique  est  changée  ; 
il  ne  finit  pas  toujours  ;\  un  autre  millésime  où 
cette  numération  se  change  encore  ;  le  siècle 
historique  compte  ainsi  tantôt  plus  de  cent  années 
et  tantôt  moins  :  quand  les  historiens  parlent  du 
siècle,  c'est  seulement  une  période  d'années  plus 
ou  moins  longue  qu'il  faut  entendre,  durant  la- 
quelle s'accomplit  une    évolution   intellectuello. 


SlKCLli  (DIX-HUITIKMK)       —  Sl'il 


SIÈCLE  (DlX-HUlTlÈME) 


morale  et  sociale.  Ainsi,  pour  nous  en  tenir  au  su- 
jet <|U0  nous  avons  à  traiter  ici,  on  peut  dire  que 
le  xviu"  siècle  est  l'un  des  plus  courts  de  l'his- 
toire ;  il  commence  seulement  en  ni5,  au  mo- 
ment où  meurt  le  grand  roi  Louis  XIV  :  il  finit  au 
moment  oi'i  sojit  cojivoqués  les  Etats-Gonéraux  de 
Franco.  Los  quinzo  premières  années  du  xviii"  siè- 
cle appartiennent  encore  b.  l'histoire  du  xvii"  siè- 
cle :  les  onze  dernières  appartiennent  par  avance 
;'i  riiistoire  du  xix".  ("est  une  ère  qui  s'achève 
le  jour  où  la  l'iégenco  du  duc  d'Orléans  succède 
h  la  monarcliie  du  Roi  Soleil;  c'est  une  ère  nou- 
velle qui  est  inaugurée,  le  jour  où  le  Tiers-Etat,  si 
longtemps  dédaigné  et  méprisé,  prend  possession 
de  la  France,  s'apprête  à  proclame!'  les  Droits 
de  l'homme,  et  au  principe  divin  va  substituer, 
avec  toutes  ses  conséquences  politiques  et  so- 
ciales, le  principe  nouveau  de  la  souveraineté 
nationale  et  de  la  liberté  individuelle.  On  ne 
s'occupera  ici  que  de  l'espace  renfermé  entre  ces 
deux  dates. 

1.— Le  Dix-urrTiÈME  SIÈCLE  politique. — La  France, 
après  avoir  un  moment,  au  xvii'  siècle,  pu  com- 
mander souverainement  en  Europe,  n'avait  pas 
mieux  réussi  dans  ses  ambitions  que  la  monar- 
chie espagnole  et  impériale  au  xvi"  dans  ses 
prétentions  ;'i  la  domination  universelle.  Le  rêve 
de  Louis  XIV  avait  été  aussi  vain  quo  celui  de 
Gharles-Quint.  Déjà  forcé  de  s'arrêter  h  Nimè- 
gue,  déj:"i  humilié  à  la  paix  de  Ryswick,  le 
grand  roi  vieilli  dont  le  royaume  était  épuisé,  les 
iinances  menacées  de  la  faillite,  avait  été  plus 
complètement  humilié  h  Utrecht.  Il  lui  avait  fallu 
recevoir  la  loi  de  l'Angleterre.  Sa  seule  consola- 
tion avait  été  de  voir  un  de  ses  peiits-flls  assis  sur 
le  ti'ùne  d'Espagne.  Un  autre  abaissement  bien 
plus  complet,  et  celui-ci  définitif,  c'est  l'abaisse- 
ment de  la  Suède  aux  environs  de  la  même  date. 
Elle  avait  brillé  avec  Gustave-Adolphe  d'un  vif 
éclat  sur  les  champs  de  bataille  de  l'Allemagne  au 
temps  de  la  guerre  de  Trente  ans.  Elle  venait  de 
paraître,  sous  Charles  XII,  avec  une  puissance 
conquérante  extraordinaire.  Il  semblait  que  le 
Nord  eût  trouvé  son  Alexandre.  Pendant  dix  an- 
nées on  vit  le  jeune  roi,  vainqueur  des  Russes 
qui  sous  le  gouvernement  de  Pierre  I"  naissaient 
alors  à  la  vie  politique,  vainqueur  des  Polonais 
auxquels  il  imposa  un  roi  de  sa  main,  vainqueu 
des  Saxons,  devenu  comme  le  maître  et  l'arbitre 
d'une  partie  du  monde.  Toute  cette  gloire  sombra 
dans  la  seule  journée  de  Pultava.  Charles  vaincu, 
fugitif,  prisonnier,  ne  devait  survivre  dix  an- 
nées et  reparaître  un  moment  en  son  pays  que 
pour  finir  en  aventurier  au  siège  de  Friedericks- 
liall.  L'effort  démesuré  qu'il  a  imposé  h  son 
royaume  l'a  épuisé.  C'en  est  fait  désormais  de  la 
grandeur  de  la  Suède.  La  puissance  dans  le  Nord 
appartient  désormais  sans  contestation  h  son  ad- 
versaire et  son  rival  de  gloire,  Pierre,  que  ses  su- 
jets appelleront  justement  Pierre  le  Grand.  A  force 
d'énergie,  de  persévérance,  de  volonté  intelli- 
gente, celui-ci  semble  avoir  fondé  une  nation  avec 
des  hordes  jusque-là  sauvages  et  h  demi  errantes, 
comme  sur  les  bords  glacés  de  la  Neva  il  a  su 
fonder  une  capitale.  L'œuvre  de  Pierre  le  Grand, 
si  virilement  entreprise,  sera  non  moins  virile- 
ment continuée  par  deux  femmes  :  parla  première 
C-ilherine,  sa  veuve,  et  plus  tard  par  la  seconde  Ca- 
tlierine,  la  Grande  Catherine.  Désormais,  il  y  a 
en  Europe  une  grande  nation  de  plus,  prenant 
place  sur  la  carte  politique,  il  y  a  une  monarchie 
nouvelle,  la  plus  absolue  de  toutes,  la  plus  ferme 
en  ses  desseins  et  sa  politique,  s'étendant  de  la 
mer  Polaire  et  de  la  Baltique  jusqu'à  la  mer  Noire, 
convoitant  Constantinople.  L'espace  sur  lequel 
elle  commandera  en  Europe  sera  aussi  vaste,  pour 
ainsi  dire,  que  le  reste  de  l'Europe  tout  entier  : 
à  l'est,  par  delà  les  monts  Oural,  elle   s'étendra  I 


et  ira  jusqu'au  bout  de  la  Sibérie,  jusqu'au 
Kamtchatka,  jusqu'à  l'océan  Pacifique.  Elle  met- 
tra même  le  pied  jusque  sur  l'Amérique  du  Nord. 
Au  sud-est,  par  delà  le  Caucase,  elle  s'avancera 
jusqu'à  l'Asie  centrale  et  ses  progrès  inquiéteront 
l'Angleterre  devenue  maîtresse  de  l'Inde.  L'avène- 
ment rie  la  Russie  à  la  vie  politique,  son  entrée 
dajis  le  concert  des  nations  européennes,  où  plus 
d'une  fois  son  action  sera  une  action  prépon- 
dérante, tel  est  assurément  le  plus  considérable 
des  cvénomonts  politiques  du  xvtii"  siècle. 

Un  second  événement  n'est  pas  beaucoup  moins 
considérable.  Jusqu'ici  le  nord  de  l'Allemagne 
n'est  jamais  sorti  du  morcellement  féodal.  Il  n'existe 
de  centralisation  un  peu  puissante  qu'au  sud  de 
l'Allemagne,  dans  la  vallée  du  Danube,  aux  mains 
de  l'Empereur  :  le  jour  de  l'Allemagne  du  Nord 
va  venir.  Les  HohcnzoUern  sont  devenus  électeurs 
de  Brandebourg.  Rientôt  l'électeur  de  Rrandebourg 
devient  roi  de  Prusse.  Deux  hommes,  Frédéric- 
Guillaume  l"  et  Frédéric  II,  dont  le  second  sera  le 
premier  homme  politique  comme  le  premier  capi- 
taine de  son  t{  mps.  vont  faire  de  ce  petit  royaume 
de  Prusse  l'un  des  États  de  l'Europe  les  plus  puis- 
sants. Frédéric  II  saura  tour  à  tour  se  servir  de 
tous  ses  voibins,  au  détriment  de  tous  ;  ses  al- 
liances changeront  aussi  souvent  quo  ses  intérêts. 
Chaque  entreprise  lui  vaudra  des  provinces  nou- 
velles. Après  avoir,  dans  la  guerre  de  la  succession 
d'.\utriche,  trouvé  son  profit  à  être  l'ami  de  la 
France,  durant  la  guerre  de  Sept  ans,  aidé  de 
l'Angleterre,  il  tiendra  tête  à  la  France  et  à  l'Au- 
triche réunies  ;  il  les  vaincra  toutes  deux.  Homme 
redoutable,  politique  fort  peu  scrupuleux,  digne 
pourtant  de  sa  haute  fortune  par  son  courage  et 
son  génie.  La  Prusse  qu'il  laisse  en  mourant  pèse 
désormais  d'un  grand  poids  dans  le  monde.  L'Au- 
triche a  maintenant  on  Allemagne  une  rivale,  plus 
jeune,  plus  énergique,  plus  vivaco.  Tôt  ou  tard 
i!  faudra  que  la  lune  inévitable  pour  l'hégémonie 
s'engage  entre  elles  deux.  Le  xix"  siècle  verra  ce 
duel  retardé  do  cinquante  années  par  la  Révolu- 
tion française  et  les  guerres  de  Napoléon.  11  abou- 
tira à  la  défaite  de  l'Autriche,  qui  se  verra  exclue 
désormais  de  la  Confédération  germanique.  Une 
autre  guerre,  plus  formidable  encore,  mettra  la 
couronne  impériale  sur  le  front  d'un  roi  de  Prusse 
descendant  de  Frédéric  H.  La  Prusse  pourra  faire 
à  son  tour  le  rêve  de  la  domination  universelle  en 
Europe.  Il  appartient  à  l'avenir  de  dire  avec  quel 
succès. 

Tandis  que  deux  nations  nouvelles  se  consti- 
tuent au  XYiii"  siècle,  une  autre  disparaît.  La  Po- 
logne est  effacée  de  la  carte  d'Europe.  Elle  offrait 
depuis  longtemps  le  spectacle  de  luttes  inté- 
rieures, de  guerres  civiles  incessantes;  elle  ache- 
vait de  s'épuiser  elle-môrae,  oubliant  qu'elle  n'eût 
pas  eu  trop  de  ses  forces  réunies  pour  résister  aux 
convoitises  dont  elle  était  l'objet.  Un  jour  ses  trois 
voisins  se  réunirent  pour  la  partager  entre  eux 
selon  leurs  dents.  La  France  donna  les  mains  à 
cette  iniquité. 

Ni  en  Italie  ni  en  Espagne  ne  s'accomplissent 
d'événements  qui  aient  d'importance  véritable  pour 
l'histoire  générale.  L'Italie  sert  toujours  de  champ 
de  bataille;  les  étrangers  s'en  disputent  ce  qui 
n'appartient  pas  au  pape  ou  n'est  pas  resté  aux 
mains  de  petits  princes  ou  de  républiques  déchues. 
Elle  ne  sortira  de  son  sommeil  que  lorsque  le 
souffle  de  la  Révolution  française  l'aura  toucliéo  : 
elle  commencera  alors  son  douloureux  et  patient 
oll'ort  vers  l'unité  et  l'indépendance.  L'Espagne 
depuis  Philippe  II  continue  sa  décadence  .  son  in- 
dustrie s'éteint,  son  sol  se  dépeuple  et  n'est  plus 
cultivé,  ses  colonies  seules  empêchent  que  l'on 
voie  bien  à  nu  sa  misère  et  son  impuissance.  L(!s 
Pyrénées  semblent  de  plus  en  plus  une  barrière 
qui  la  sépare  du  reste  de  l'Europe. 


SIÈCLE  (DIX-HUITIÈME) 


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SIECLE  (DIX-HUIÏIÈME) 


La  Hollande,  si  liùroique  au  xvii"  siècle  lors- 
qu'elle soutPiiait  seule  la  lutte  contre  l'invasion  du 
grand  roi  et  le  forçait  à  reculer  devant  l'inondation, 
ne  joue  plus  de  rôle  politique.  Le  mônre  jour 
qui  a  porté  son  statliouder  Guillaume  d'Orange 
au  tiôno  d'Angleterre,  a  marqué  la  fin  do  sa  gloire. 
Ce  qui  paraissait  son  triomphe  a  été  le  signal  de 
sa  ruine.  Elle  n'est  plus  pour  ainsi  dire  qu'une 
petite  chaloupe  traînée  à  la  remorque  du  gros  vais- 
seau britannique.  Durant  tout  le  xviir  siècle  elle 
bornera  son  ambition  à  s'enrichir  le  plus  possible 
par  la  pêcbe  et  le  commerce  de  ses  colonies. 

Tout  l'intérêt  à  l'Occident  est  dans  l'histoire  de 
la  France  et  celle  de  l'Angleterre.  L'histoire  de  la 
France,  si  l'on  excepte  la  courte  période  qui  pré- 
cède et  suit  Fonienoy,  se  résume  en  un  seul  mot  : 
îiumiliation.  Encore  la  guerre  de  la  succession 
d'Autriche,  brillante  pour  l'honneur  de  nos  armes, 
ne  nous  procure-t-elle  d'autre  avantage  que  dtis- 
surer  à  la  couronne  de  France  la  province  de  Lor- 
raine le  jour  où  mourra  Stanislas  Leszcjynski,  l'an- 
cien roi  do  l'ologne.  l'ancien  protégé  do  Char- 
les XII,  beau-père  de  Louis  XV.  La  guerre  de 
Sept  ans,  qui  suii,de  près,  ne  nous  apporte  que 
des  bontés  tant  qu'elle  dure  et  des  ruines  lors- 
qu'elle finit.  En  Eur.ipe  le  prestige  des  armes 
françaises  a  disparu.  Notre  puissance  maritime, 
créée  par  Colbert  au  siècle  précédent  au  prix  de 
tant  d'efforts,  s'évanouit.  Ce  n'est  pas  laFrance  qui 
recueillera  sur  les  océans  l'héritage  de  la  monar- 
chie espagnole,  qu'un  moment  elle  avait  pu  espé- 
rer. Nos  colonies  si  prospères  durant  près  de  cent 
années  sont  ravies  l'une  après  l'autre.  Ni  l'hé- 
roïsme de  Montcalm  ne  sauva  le  Canada,  ni  ce- 
lui de  Dupleix,  de  Labourdonnais  son  rival,  ni 
celui  de  Lally-Tollendal  ne  sauvèrent  l'Inde  fran- 
çaise. La  France  perd  le  Canada,  elle  perd  l'Inde, 
elle  perd  la  Louisiane  ;  s'il  faut  accuser  de  ces 
malheurs,  irréparables  pour  l'influence  fran- 
çaise, l'incapacité  et  l'égoisme  de  notre  gouverne- 
ment, il  faut  accusiT  aussi  l'inintelligence  des 
philosophes  et  des  économistes  du  xviii"  siècle, 
qui,  à  commencer  par  Montesquieu,  n'ont  jamais 
•vu  dans  ces  colonies  qu'une  cause  d'affaiblisse- 
ment pour  la  mère  patrie. 

Tout  ce  que  la  France  perd  au  xviii'  siècle,  c'est 
l'Angleterre  qui  en  bénéficie.  C'est  elle  désormais 
qui  va  régner  sur  les  océans,  promener  partout 
son  pavillon  souverain,  faire  le  commerce  de  l'uni- 
vers et  s'enrichir  de  tous  les  profits  qu'il  apporte  ; 
et  tandis  que  le  commerce  développera  chez  elle 
l'industrie,  avec  ses  colonies  elle  étendra  en 
même  temps  partout  sa  langue,  sa  race  et  son  in- 
fluence. Elle  a  trouvé  enfin  la  voie  longtemps 
cherchée  à  ses  ambitions.  Elle  ne  demandera 
plus,  comme  au  moyen  âge,  au  temps  do  la 
guerre  de  Cent  ans,  à  prendre  pied  sur  le  conti- 
nent, à  conquérir  une  partie  de  la  France  pour 
s'assurer  le  rang  auquel  elle  prétend.  Elle  a 
tourné  ailleurs  ses  ardeurs  conquérantes.  En 
Europe,  elle  aspire  à  jouer  surtout  le  rôle  d'arbi- 
tre qui  maintient  l'équilibre  et  y  dépensera  au 
besoin  son  argent  et  le  sang  de  ses  soldats  :  tou- 
jours ennemie  d'une  puissance  qui  menace  do  de- 
venir prépondérante,  toujours  amie  d'une  puis- 
sance qni  s'élève.  Pendant  ce  temps,  elle  poursuit 
d'autre  part,  avec  une  admirable  constance,  le  pro- 
grès de  sa  domination  maritime.  Depuis  IGSS,  elle  a 
accompli  sa  révolution  intérieure  et  trouvé  la 
paix  dans  la  monarchie  constitutionnelle,  dans  un 
certain  juste-milieu  de  l'autorité  d'un  souverain 
et  de  la  liberté  politique.  Elle  possède  un  gouver- 
nement en  accord  avec  les  voeux  de  la  nation. 
Toutes  ses  forces  désormais  s'emploient  entière- 
ment à  assurer  la  grandeur  de  la  nation.  A  la 
reine  Anne  succède  la  dynastie  des  Georges.  Ma- 
rins, marchands,  industriels,  hommes  d'Etat, 
chacun  dans  leur  sphère  et  selon  leur  intelligence, 


s'associent  de  leur  mieux  Jr  l'œuvre  commune.  Les 
hommes  politiques  auront  pour  mission  de  dé- 
barrasser l'Angleterre  des  concurrents  qu'elle 
peut  avoir  à  redouter  :  la  mission  des  autres  sera 
de  les  retnplacer.  L'ennemi  i  vaincre  d'abord  pour 
l'Angleterre  c'est  la  France,  et  la  tâche  lui  est 
d'autant  plus  aisée  que  la  France  le  plus  souvent 
s'abandonne  elle-même. 

A  la  date  de  1763,  au  moment  où  finit  la  guerre 
d-e  Sept  ans,  on  potivait  considérer  la  victoire  de  l'An- 
gleterre comme  l'une  des  plus  complète^  qui  aient 
été  jamais  remportées.  Notre  marine  militaire  est 
presque  détruite,  la  plupart  de  nos  colonies  nous 
sont  ravies.  Notre  commerce  est  ruiné.  En  Europe 
même,  le  roi  de  Prusse  a  conquis  le  droit  de  par- 
ler aussi  haut,  plus  haut  même,  que  le  roi  de 
France  ou  l'empereur  d'Autriche.  C'est  Frédéric  II 
vraiment  qui  pourrait  dire  qu'on  ne  peut  plus  ti- 
rer un  coup  de  canon  sans  sa  permission;  mais 
Frédéric  II,  pas  plus  que  la  grande  Catherine, 
n'est  un  rival  pour  les  ambitions  de  l'Anghaerre. 
Ni  l'un  ni  l'autre  ne  peut  songer  à  la  domination 
de  l'Océan.  La  terre  ferme  suffit  à  tous  deux  :  ils 
y  sont  cantonnés.  La  planète  tout  entière  appar- 
tient à  l'Angleterre  seule.  Tous  les  océans  sont 
traversés  par  ses  flottes.  Tous  les  produits  de 
l'Occident  et  de  l'Orient  s'échangent  dans  ses 
entrepôts.  Le  vers  du  poète  : 

Le  trident  de  Neptune  est  le  seeptre  du  monJe, 

est  devenu  à  la  lettre  une  réalité. 

A  ce  moment  pourtant  va  surgir  un  dernier 
événement  politique,  dans  l'histoire  du  xviii"  siè- 
cle ;  événement  imprévu  entre  tous,  et  dont  les 
suites  seront  incalculables.  Moins  de  quinze  an- 
nées après  la  fin  de  la  guerre  de  Sept  ans,  à 
l'heure  où  l'Angleterre  semble  le  plus  complète- 
ment triomphante,  voici  que  la  principale  colonie, 
la  plus  riche,  la  plus  exclusivement  anglaise,  la 
colonie  de  l'Amérique  du  Nord,  se  met  en  rébel- 
lion contre  la  mère-patrie,  refuse  de  recevoir  plus 
longtemps  sa  loi,  revendique  son  indépendance. 
Toutes  les  forces  de  l'Angleterre  victorieuse  seront 
insuffisantes  à  réduire  cette  insurrection.  Après 
six  années  do  lutte  acharnée,  elle  sera  obligée  de 
s'avouer  vaincue,  contrainte  h  reconnaître  l'indé- 
pendance des  rebelles.  Ceux-ci  ont  trouvé  une 
alliée  dans  la  France  désireuse  de  venger  ses 
récentes  humiliations;  ils  ont  trouvé  leur  meil- 
leur soutien  dans  leur  propre  courage,  dans  leur 
amour  de  la  liberté,  prêt  à  tous  les  sacrifices  ;  ils 
l'ont  trouvé  aussi  dans  le  génie  militaire  et  la 
vertu  de  leur  chef,  Georges  Washington.  La  répu- 
blique des  États-Unis  a  désormais  sa  place  au  so- 
leil. Pendant  un  siècle,  elle  ne  cessera  do  grandir, 
jusqu'à  ce  que,  par  sa  population,  sa  prospérité, 
sa  richesse  et  son  activité  féconde,  elle  soit  de- 
venue l'un  des  empires  les  plus  considérables  du 
monde. 

Deux  faits  sortent  de  cette  insurrection,  peu 
grave  en  apparence,  dont  Boston  donne  le  signal, 
mais  qui  tous  deux  iront  croissant  en  importance 
il  mesure  que  le  temps  marchera.  L'Angleterre  a 
désormais  une  rivale  sur  les  mers,  capable  non 
sans  doute  d'empêcher  qu'elle  ne  prospère,  mais 
capable  d'empêcher  qu'elle  tienne  à  peu  près 
seule  toute  la  place.  Voici  le  second  fait:  l'Améri- 
que, qui  depuis  le  jour  où  elle  a  été  découverte  n'a 
compté  jusqu'ici  que  comme  une  sorte  d'annexé 
de  l'Europe,  l'Amérique  s'est  émancipée  ;  désor- 
mais elle  comptera  pour  elle-même.  Après  les 
États  de  l'Union,  les  colonies  espagnoles  du 
Mexique,  de  l'Amérique  du  Sud,  suivant  l'exemple 
du  Nord,  s'affranchiront  à  leur  tour  de  la  domina- 
tion européenne.  Le  nouveau  continent,  avec  dos 
fortunes  diverses,  aura  sa  vie  indépendante  et 
propre.  Il  ne  recevra  plus  la  loi.  L'Amérique  du 
Nord,  dotée  d'un  sol  merveilleusement  fécond,  où 


SIKCLE  (DIX-IIUITIKMK 


'2'iV.\  —       SIÈCLE  (DIX-HUITIKMR) 


abondent  tontes  les  ricliosscsafii'icoles  et  minières, 
aux  mains  d'une  race  à  laquelle  ne  manquera  au- 
cune énergie,  aucune  industrie,  qu'anime  le  souf- 
fle fécond  do  la  liberté,  bicniot  ne  se  contentera 
plus  d'exploiler  pour  elle  seule  les  trésors  dont 
elle  est  en  possession.  Elle  fera  de  la  vieille  Europe 
sa  contribuable  ;  elle  ira  porter  sur  tous  les  mar- 
chés de  l'ancien  monde  son  coton,  son  pétrole, 
SCS  blés,  SOS  viandes,  ses  produits  industriels. 
Elle  aura  même  ses  romanciers,  .ses  poètes,  ses 
historiens,  ses  pliilosopbes  aussi  bien  que  ses 
novateurs  religieux.  La  splière  de  la  civilisation, 
jusque-là  bornée  à  l'Europe,  s'est  agrandie,  comme 
celle  de  la  politique.  Tel  est  le  spectacle  auquel 
nous  assistons  aujourd'hui.  Telles  sont  les  consé- 
quences des  événements  accomplis  il  y  a  cent 
ans  au  delà  de   l'Océan. 

II. — Le  xviii"  siècle  .^ktistmjue,  littéraire,  scien- 
tifique et  philosophique.— On  a  pu  résumer  en  quel- 
ques pages  les  faits  matériels  de  lapolitique  au 
xviii'  siècle  ;  pour  parler  comme  il  conviendrait  de 
l'œuvre  de  ce  siècle  dans  l'art,  la  littérature,  la 
science,  la  philosophie,  ce  ne  serait  pas  trop  d'un 
volume  entier.  C'est  ici,  en  effet,  qu'est  sa  gloire 
véritable,  son  action  féconde  et  vraiment  origi- 
nale. On  se  bornera  à  indi<|uer  dans  cet  article 
les  lignes  principales,  renvoyant  pour  les  détails 
aux  articles  spéciaux  renfermes  dans  ce  Dic- 
tionnaire, et  demandant  pardon  au  lecteur  des 
omissions  inévitables  dans  cette  revue  trop 
rapide. 

Nous  commencerons  par  dire  quelques  mots  des 
arts. 

Les  arts.  —  Depuis  plus  d'un  siècle  déj!i,le  génie 
antique  de  la  Itenaissance  italienne  languissait 
comme  épuisé  par  son  effort.De  Michel- Ange, l'archi- 
tecture et  la  sculpture  étaient  tombées  au  cavalier 
Bernin  ;  la  peinture,  de  Raphaël,  de  Titien,  de 'Véro- 
nèse  à  Tiepolo  et  Ji  Guide  Reni  ;  le  xvii"  siècle  av,iit 
déjà  été  pour  elle  la  pleine  décadence.  Elle  n'avait 
plus  eu  un  seul  peintre  à  meure  en  comparaison 
de  Mignard,  de  Lebrun  ou  de  Rigaud.  La  Hol- 
lande, si  originale  et  si  brillante  en  ce  même 
xvii"  siècle  avec  Rembrandt,  Paul  Potter,  Van 
Ostade  et  Cuyp,  n'avait  brillé  que  pendant  deux 
générations  à  peine;  sa  splendeur  artistique  avait 
disparu  en  même  temps  que  sa  grandeur  politique. 
L'Espagne  n'avait  point  vu  naître  d'artistes  capa- 
bles de  succéder  à  Velasquez  ou  à  Murillo.  La 
Erance  seule  compte  dans  les  arts  du  dessin  au 
xviii"  sièle.  Un  seul  pays  doit  être  mentionné  à 
côté  d'elle;  l'Angleterre.  Elle  a  déjà  produit  un 
grand  caricaturiste,  un  peintre  terrible  de  la  réalité, 
Hogartli.  Elle  produit  alors  un  vrai  peintre,  un  co- 
loriste charmant,  un  portraitiste  plein  de  grâce, 
Joshuah  Reynolds.  De  lui  sortira  l'école  anglaise 
moderne.  D'autres  à  côté  de  lui,  imitant  les  Hol- 
landais comme  lui-même  s'inspire  de  Van  Dyck, 
s'exercent  au  paysage  et  regardent  la  nature  en 
face.  Ils  auront  pour  disciples  les  Constable, 
les  Bonnington,  qui  à  leur  tour  exerceront  une  si 
grande  influence  sur  les  paysagistes  français  du 
XLK'   siècle. 

L'art  français  du  xviii'  siècle  connaît  à  peine 
ce  que  font  ses  voisins  d'outre-Manclie.  Il  suit 
sa  voie,  et  c'est  lui  qui  en  Europe  est  surtout  ad- 
miré. Ses  sculpteurs  ne  seront  j)as  les  indignes 
.successeurs  de  nos  maîtres  français  du  xviii"  siè- 
cle. Pour  ne  citer  que  deux  noms,  Pigalle  et  Hou- 
don  légueront  à  la  postérité  d'admirables  ouvra- 
ges. Clodion  exécutera  des  statuettes  exquises, 
dans  leur  grâce  un  peu  sensuelle.  L'architecture 
française  continuera,  avec  Soufflet,  la  grande 
tradition  de  la  Itenaissance.  Mais  c'est  dans  la 
peinture  surtout  que  la  France  aura  produit 
au  xviii'  siècle  une  école  vraiment  originale. 
VVatteau  meurt  dès  les  premières  années  de  la 
Régence.  iMais  pendant  un  demi-siècle  sa  puissante 


influence  se  fera  sonlir.  Une  peinture  tonle  nou- 
velle, pleine  de  charme  et  de  finesse,  est  éclose. 
Après  Watteau  viendront  les  Boucher,  les  Vanloo, 
les  Latour,  les  Chardin,  les  Pater,  les  Lancret, 
les  Fragonard  ,  les  Greuzo  ,  peintres  aimables 
d'une  société  élégante,  polie,  un  peu  raffinée, 
un  peu  voluptueuse,  k  côté  d'eux  une  légion  do 
dessinateurs  délicats,  de  fins  graveurs  produi- 
ront des  estampes,  illustreront  les  beaux  livres. 
Le  côté  faible  de  cet  art  charmant  sera  qu'il 
songe  seulement  à  plaire  à  une  aristocratie  qui  vit 
trop  elle-même  de  la  convention  et  se  tient  trop 
à  l'écart  de  la  franche  nature  et  de  la  réalité. 
Son  écueil  sera  le  luaniérisme,  la  recherche  de 
la  fausse  élégance,  la  convention.  Une  réaction 
deviendra  nécessaire  pour  sauver  l'art  de  la  fadeur 
et  de  la  mièvrerie.  C'est  encore  de  la  Franco 
qu'elle  sortira.  David  apparaît,  rapportant  le  culte 
de  l'antiquité,  osant  regarder  la  nature  en  face. 
Il  fait  à  son  tour  une  véritable  révolution.  On  en 
verra  les  conséquences  fécondes  dans  l'art  fran- 
çais du  XIX"  siècle,  alors  mêiuo  qu'une  réaction 
nouvelle  se  sera  produite  contre  les  faux  Grecs 
et  les  faux  Romains  que  David  a  essayé  de  re- 
présenter. 

Dans  la  musique,  la  France,  au  xvii»  siècle  a 
reçu  de  l'Italie  l'étincelle  sacrée.  Au  xvtii'  siècle, 
le  Florentin  Lnlli  a  des  héritiers  bien  français. 
Rameau  brille  dans  toute  sa  gloire.  Monsigny,  Da- 
layrac.  Pli  i  lidor,  Grétry,  Français  d'adoption  comme 
de  génie,  créent  chez  nous  l'opéra-comique,  clair, 
spirituel,  parfois  ému,  parfois  élevé,  qui  se  poursui- 
vra au  siècle  suivant.  Dans  la  musique  pourtant, 
la  France  n'atteindra  point  encoro  au  premier 
rang.  Les  deux  sources  de  profonde  inspiration 
de  l'art  ossentii'llemcnt  moderne  sont  ailleurs. 
Elles  sont  en  Allemagne,  qui  produit  Gluck  après 
avoir  produit  Hn-ndel  et  Sébastien  Bach,  en  atten- 
dant qu'elle  produise  Mozart,  Haydn  et  Beethoven  ; 
elles  sont  en  Italie  quia  Pergolèsc  et  Cimarosa  et  qui 
se  prépare  àenfanter  Rossini.Bellini, ses  incompara- 
bles artistes  ducommencenientduxix"' siècle.  Paris 
est  du  moins  le  clianip  de  bataille  que  se.  dispu- 
tent les  deux  écoles  du  chant  et  de  l'harmonie. 
La  querelle  des  gluckistes  et  des  piccinistes 
passionne  durant  plusieurs  années  tout  ce  qui 
a   des    oreilles  en   France. 

Le  ynouremenl  litiéraiie.  —  Le  .xviii'  siècle  est 
une  dos  plus  magnifiques  époques  littéraires  qui 
jamais  aient  été  vues.  L'Angleterre,  qui  avait  eu 
auparavant  des  poètes  comme  Chaucer,  comme 
Shakespeare,  comme  Milton,  voit,  au  souffle  de  la 
liberté,  naître  à  la  suite  de  Locke  Tes  vrais  fonda- 
teurs de  la  presse  anglaise.  Elle  enfante  des  pam- 
phlétaires comme  Swift,  des  moralistes  comme  Ad- 
dison  et  Sterne,  des  liistoriens  comme  Hume  et 
Gibbon,  des  romanciers  comme  Daniel  Defoe,  Ri- 
chardson  et  Fielding,  des  autours  dramatiques 
comme  Sheridan,  dos  critiques  comme  Johnson, 
Iles  orateurs  et  des  hommos  d'Ktat  comme  Horace 
Walpole,  Lord  Chailiam,  comme  bientôt  Fox  et  le 
second  Pitt.  Dans  la  poésie  didactique,  Tiiom- 
son  et  Pope  auront  de  leur  vivant  des  noms  glo- 
rieux. 

Le  mouvement  littéraire  de  l'Allemagne  ne  se 
produira  que  dans  la  seconde  moitié  du  siècle. 
Depuis  Luther,  il  semble  que  le  génie  de  l'Alle- 
magne sommeille.  Mais  il  va  se  réveiller  avec  un 
incomparable  éclat.  Aucune  renaissance  ne  sera 
plus  extraordinaire  que  celte  renaissance  germa- 
nique si  longtemps  attendue.  Voici  KIopstock, 
voici  'Wieland,  voici  surtout  les  trois  noms  glo- 
rieux entre  tous  :  Lessing,  Gœtlie,  Schiller.  Le 
caractère  de  celte  renaissance  sera  une  réaction 
contre  l'influence  de  la  littérature  française  que 
subit  l'Allemagne  depuis  le  commencement  du 
siècle  :  mais,  môme  en  réagissant  contre  la  litté- 
rature française,  elle    lui  devra  beaucoup,  pour 


SIECLE  (DIX-HUITIÈME) 


2444—       SIÈCLE  (DIX-HUITIÈ.ME) 


l'ordre,  pour  le  goût,  pour  la  clarté.  Elle  y  join- 
dra de  son  fond  une  inspiration  neuve  et  profon- 
de, une  ardente  imagination.  A  son  tour  cette 
littérature  exercera  au  xix'  siècle  une  action  con- 
sidérable sur  la  littérature  française,  à  l'époque 
de  la  rénovation  romantique. 

En  attendant,  au  xviii'  siècle,  c'est  la  France 
qui  ,  dans  la  littérature  comme  dans  les  arts 
plastiqués,  mène  le  cliœur  des  nations.  Les  Alle- 
mands viendront  tard,  les  Anglais  ne  sont  guère 
lus  qu'en  Angleterre  ;  les  écrivains  pour  lesquels 
on  se  passionne  et  qui  agissent  partout  sur  les 
esprits,  ce  sont  les  écrivains  français.  Jamais  plia- 
lange  plus  intéressante  ne  se  montra  animée 
d'une  plus  noble  ardeur  :  ce  sont  d'abord  Voltaire 
et  Montesquieu,  ouvriers  de  la  première  heure, 
qui  apparaissent  dès  les  premières  années  de  la 
Régence.  Montesquieu  tombera  au  milieu  de  la 
route,  mais  mort  il  continuera  à  agir  autant  que 
vivant.  Voltaire  écrira  et  conduira  le  mouvement 
jusqu'à  son  dernier  jour  en  1778.  L'épopée,  le 
théâtre,  l'histoire,  la  poésie  légère,  le  conte,  le 
roman,  le  pamphlet,  la  correspondance  en  prose 
et  en  vers,  tous  ces  instruments  ne  seront  pas  de 
trop  pour  employer  sa  prodigieuse  activité.  Puis 
h  la  génération  suivante,  de  nouveaux  ouvrinrs 
accourront  en  foule  pour  mener  à  bien  l'œuvre  de 
la  pensée  française.  Jean-Jacques  Rousseau,  d'A- 
lembert,  Diderot,  Buffon,  les  encyclopcdistes 
n'auront  pas  moins  d'admirateurs  à  Londres,  à 
Berlin,  à  Saint-Pétersbourg,  en  Italie,  qu'à  Paris 
même.  Beaumarchais  enlin,  par  ses  satires  liar- 
dies,  renouvellera  une  fois  encore  la  comédie 
française,  comme  avant  lui  Marivaux  l'avait  re- 
nouvelée déjà  par  ses  intrigues  déliées,  ses  ana- 
lyses raffinées,  et  sa  délicatesse  un  peu  subtile. 
Il  suffira  d'avoir  ici  rappelé  ces  noms. 

Le  mouvement  scieniifique.  —  La  science,  di'jà  en 
honneur  au  xvi»  et  au  xvii'  siècle,  s'élève  de  plus 
en  plus  dans  l'estime  du  xviii';  elle  y  prend  son 
rang  à  l'égal  de  la  littérature  ou  de  l'art.  La  con- 
quête de  la  vérité  dans  tout  ordre  des  connaissan- 
ces apparaît  comme  l'un  des  plus  nobles  emplois 
qui  puissent  être  faits  de  l'intelligence.  De  toutes 
paits  des  sociétés  savantes  se  fondent  sur  le  mo- 
dèle de  l'Académie  (les  sciences  de  Paris  pour  pro- 
pager les  découvertes  et  récompenser  les  savants. 
Les  souverains  encouragent  les  sciences,  les 
grands  seigneurs  se  piquent  d'apprendre,  les 
femmes  mêmes  ne  veulent  point  rester  étran- 
gères aux  spéculations  scientifiques.  M"'  du 
Chàtelet  et  Voltaire  rédigent  des  mémoires  pour 
l'Académie  des  sciences.  Si  en  mathématiques 
le  xviii"  siècle  ne  voit  point  apparaître  de  décou- 
verte capitale  comme  celle  de  la  géométrie  ana- 
lytique ou  du  calcul  infinitésimal,  les  mathémati- 
ciens illustres,  les  géomètres  comme  Clairaut, 
les  algébristes  comme  Maupertuis,  d'Alembert, 
Euler,  Condorcet,  Lagrange,  ne  manquent  point. 
Laplace,  par  le  calcul,  fait  rentrer  tout  le  système 
solaire  sous  l'empire  de  la  loi  de  la  gravitation 
aperçue  par  Newton.  L'astronomie  devient  de  jour 
en  jour  une  science  plus  précise,  en  même  temps 
qu'elle  perfectionne  ses  instruments  d'observa- 
tion. Les  sciences  naturelles  avec  de  Jussieu, 
avec  La  Condamine,  avec  Buffon,  avec  Linné,  avec 
Daubenton ,  avec  Lamarck  ,  font  le  catalogue 
des  êtres  vivants,  étudient  leurs  organes,  s'efl'or- 
cent  d'établir  des  classifications  naturelles,  ou 
essaient  de  résoudre  le  grand  problème  de  l'o- 
rigine et  des  transformations  de  la  vie.  La  phy- 
siologie commence  ses  travaux  féconds.  Enfin 
la  chimie  moderne  naît  avec  Lavoisier.  La  décom- 
position de  l'eau  détruit  à  tout  jamais  la  vieille 
théorie  des  quatre  cléments.  Ici  encore  c'est  la 
France  qui  aura  le  plus  d»  noms  illustres  à  énu- 
mérer. 

L'industrie    progresse   tandis    que    la    science 


poursuit  ses  recherches.  La  machine  à  vapeur 
a  été  inventée.  Elle  va  transformer  toutes  les 
conditions  de  la  production  industrielle.  Demain 
la  même  machine  dirigera  les  vaisseaux  et  s'ap- 
pellera le  bateau  à  vapeur;  demain  encore  elle 
s'appellera  la  locomotive  et  poussera  à  travers 
les  continents  les  trains  sur  les  chemins  de 
fer. 

Le  mouvement  philosophique.  —  C'avait  été  la 
pliilosophie  métaphysique  et  spirituaiiste  de  Des- 
cartes qui  avait  domino  le  xvii«  siècle.  La  mé- 
thode du  doute  philosophique,  servant  non  pas  à 
douter,  mais  au  contraire  à  échapper  au  doute,  h 
saisir  d'abord  la  pensée  comme  la  preuve  de  l'exis- 
tence de  l'âme,  puis  à  s'élever  aussitôt  de  l'âme 
humaine  à  Dieu,  cette  méthode  où  la  raison  sem- 
blait venir  si  heureusement  à  l'aide  de  la  révéla- 
tion, avait  été  aussitôt  accueillie  avec  ardeur  par 
les  théologiens  catholiques.  La  philosophie  carté- 
sienne est  celle  que  propagent  au  xvii=  siècle  Ar- 
nauld,  Malebranclie,  Bossuet,  Fénelon.  Le  carac- 
tère de  la  philosophie  duxviii"  siècle  est  la  réaction 
contre  le  cartésianisme.  Elle  a  pour  maître,  non 
plus  Descartes,  mais  le  philosophe  anglais  Locke, 
d'après  lequel  toutes  nos  idées  nous  viennent  par 
les  sens  et  ne  sont  que  des  abstractions  et  des 
généralisations  de  nos  sensations,  pour  dire  le 
vrai  mot,  des  sensations  transformées.  La  philoso- 
phie de  Locke,  qui  a  commencé  par  conquérir  les 
esprits  en  Angleterre,  se  répand  bientôt  sur  le 
continent.  Voltaire  se  fera  son  apôtre  le  plus  ar- 
dent, comme  celui  des  idées  scientifiques  de  New- 
ton. Plus  tard,  Condillac,  dans  un  livre  qui  est 
un  modèle  d'exposition,  coordonnera  tonte  la  doc- 
trine de  l'empirisme  et  essaiera  d'expliquer  tous 
les  problèmes  de  l'origine  des  idées,  des  signes,  du 
langage.  Ses  théories  feront  loi  jusqu'aux  premières 
années  du  siècle  suivant.  Un  sensualisme,  tantôt 
élevé,  quelquefois  brutal  et  grossier  :  telle  est  la 
philosophie  dominante  du  xviii'  siècle.  En  Angle- 
terre, une  école,  l'école  écossaise,  fort  peu  enga- 
gée dans  les  systèmes,  s'occupant  assez  peu  des 
conclusions  métaphysiques,  se  développe  durant 
la  seconde  moitié  du  siècle  ;  elle  se  plaît  surtout 
à  observer  et  à  décrire  les  phénomènes  de  l'in- 
telligence, elle  essaie  de  classer  les  fonctions  et 
les  facultés  de  l'esprit  humain,  de  trouver  les  lois 
de  l'association  des  idées.  On  pourrait  dire  qu'elle 
a  fondé  définitivement  les  études  psychologiques, 
qui  tiendront  une  si  grande  part  dans  la  curiosité 
du  xix°  siècle.  Le  spectacle  que  nous  offre  l'Alle- 
magne est  plus  important  encore.  La  pensée  de 
Leibnitz  se  poursuit  et  se  continue  d'abord,  sans 
exercer  d'action  au  dehors,  ni  produire  de  noms 
illustres,  jusqu'à  ce  qu'enfin  paraisse  Emmanuel 
Kant.  Celui-ci  sera  le  plus  puissant  rénovateur  de 
la  philosophie.  On  peut  dire  que  de  lui  sortira 
tout  le  mouvement  du  siècle  qui  va  suivre.  Sa 
Critique  de  la  raison  pure  ruinera  tout  à  la  fois 
la  métaphysique  cartésienne  et  l'empirisme  de 
Locke.  Il  fera  toucher  du  doigt  le  caractère  relatif 
de  toute  connaissance  humaine  ;  il  montrera  que 
nous  connaissons  seulement  les  impressions  cau- 
sées en  nous  par  les  objets  du  dehors,  et  jamais 
à  vrai  dire  les  objets  en  eux-mêmes.  Mais  Kant,  au 
moment  même  où  il  poursuit  ses  plus  profonds 
travaux,  n'est,  même  en  Allemagne,  pour  ainsi 
dire  qu'un  solitaire.  Il  a  devancé  son  temps  :  c'est 
à  peine  si  quelques  rares  disciples  l'écoutent. 
C'est  après  sa  mort  que  s'exercera  son  action  fé- 
conde ;  ce  sont  ses  livres  qui  conduiront  la  révo- 
lution qu'il  prépare,  et  non  pas  lui. 

III.   —  L'esPKIT  du  .XVIll'  SIÈCLE  ET  LIÎ  RÔLE   DE  LA 

France. — Quand  on  a  terminé  cette  analyse  et  achevé 
la  revue  rapide  de  l'activité  du  xviii»  siècle  sous 
toutes  ses  formes  diverses  et  multiples,  on  a  tout 
montré,  hormis  justement  ce  qui  est  le  trait  es- 
sentiel  de   ce    siècle,    ce  qui   fait    son  unité  en 


SIKCLIî  (DIX-HUITIÈME)       —  2i',5  —       SIÈCLE   (DIX  HUITIÈME) 


mOime  temps  que  sa  grandeur.  C'est  li  ce  qu'en 
Unissant  il  importo  de  mettre  bien  en  relief. 
Kxposer  ce  caractère,  c'est  défiiur  le  rôle  de  la 
France.  Le  xviri"  siècle,  c'est  elle  et  pour  ainsi  dire 
plie  seule.  C'est  elle  que  l'iiistorien  aperçoit  sans 
cesse  ;  c'est  autour  d'elle  que  lu  monde  paraît 
tourner.  Elle  a  beau  dans  l'ordre  politique  être  hu- 
miliée, c'est  îi  elle  qu'appartient  l'empire  intellec- 
tuel et  moral  ;  et  contre  cette  domination  nul  ne 
proteste.  C'est  au  moment  même  de  ses  plus 
ftrands  revers  qu'elle  apparaît  le  plus  puissante. 
Elle  donne  le  ton  aux  mœurs  et  aux  esprits,  comme 
«Ile  le  donne  à  la  mode.  Sa  langue  est  deve- 
nue ce  qu'était  deux  cents  ans  auparavant  la 
langue  latine ,  la  langue  internationale ,  celle 
en  laquelle  les  hommes  qui  pensent  s'entendent 
les  uns  les  autres,  de  Londres  à  Saint-Péters- 
bourg. Ses  écrivains  n'écrivent  pas  seulement 
pour  leurs  compatriotes:  ils  écrivent  pour  tout 
l'univers.  Ils  dispensent  la  gloire  aux  souverains 
qu'ils  louent:  ils  sont  comme  les  arbitres  des  na- 
tions. C'est  leur  pensée  qui  va  partout  éveiller 
les  intelligences.  Une  grande  communion  des  es- 
prits se  fait  gràco  à  eux,  effaçajit  les  frontières, 
r.ipprocliant  toutes  les  âmes  en  dépit  des  diffé- 
rences de  races,  en  dépit  des  guerres  que  se  font 
entre  eux  les  souverains.  L'Europe  acquiert  grâce 
;\  eux  le  sentiment  de  ses  intérêts  communs,  de 
ses  aspirations  communes.  Ils  répandent  partout 
l'idée  de  la  fraternité  des  hommes.  Ils  préparent 
l'avènement,  lointain  encore,  de  la  fédération  des 
peuples.  Tous,  à  commencer  par  Voltaire,  sont 
des  cosmopolites  bien  plus  que  des  Français:  c'est 
pour  l'humanité  qu'ils  travaillent,  et  le  mot  qui 
revient  le  plus  souvent  dans  leurs  livres,  c'est  le 
mot  d'humanité.  C'est  leur  faiblesse,  car,  de 
longtemps  encore,  la  fraternité  des  peuples  ne 
sera  qu'un  beau  rêve,  et  l'idée  de  patrie  restera 
la  source  la  plus  sûre  des  vertus  publiques 
et  privées  ;  c'est  pourtant  aussi  leur  gloire. 

Le  xviii"  siècle  est  tout  ensemble  un  siècle  de 
négation  et  d'affirmation.  Il  a  essayé  tout  à  la  fuis 
de  détruire  etd'édiiier.  Ce  que  l'on  a  vu  d'abord, 
ce  sont  les  ruines  qu'il  a  entasîées,  et  souvent  on 
n'a  vu  de  lui  que  la  négation.  Ce  que  l'on  voit 
quand  on  l'étudié  de  plus  près,  c'est  qu'il  a  été 
avant  tout  un  siècle  de  foi.  S'il  a  été  si  ardent  à 
renverser,  c'est  qu'il  voulait  faire  une  œuvre  nou- 
velle et  que,  pour  élever  le  monument  nouveau, 
il  fallait  d'abord  faire  la  place  nette. 

La  foi  du  xviii»  siècle,  c'est  la  foi  dans  la  raison, 
la  foi  en  la  nature  humaine,  la  foi  en  l'énergie, 
en  l'activité.  Son  but,  c'est  d'affranchir  l'activité 
et  l'énergie,  la  nature  liumaine,  la  raison,  de  toutes 
les  routines,  de  tous  les  obstacles  qui  les  arrêtent 
et  les  paralysent.  Le  xvi'  siècle  avait  été  une  pro- 
testation contre  les  règles  où  l'on  prétendait  en- 
chaîner la  pensée.  IWais  cette  protestation  n'était 
pas  sortie  de  l'ordre  thôoliigique.  Dans  les  pays 
demeurés  catholiques ,  l'Église  romaine  était 
restée  maîtresse,  en  tout  ce  qui  touche  aux  ma- 
tières religieuses,  de  l'intelligence  et  de  la  con- 
science. Dans  les  pays  devenus  protestants,  la 
Héforme  s'était  bornée  à  substituer  l'autorité  de 
l'Ecriture  à  1  autorité  de  l'Eglise.  Le  xviii"  siècle 
s'affr.inchit  également  et  de  l'Eglise  et  de  l'Ecri- 
ture. Il  n'accepte  qu'un  seul  juge  en  toutes  ma- 
tières, ou  profanes  ou  religieuses,  qu'une  seule 
autorité  :  la  raison.  Aux  seules  lumières  de  ce  flam- 
beau infaillible,  le  seul  capable  d'éclairer  le  monde, 
l'esprit  humain  somme  à  sa  barre  toutes  les  puis- 
sances qui  jusqu'ici  ont  conduit  et  dominé  le 
inonde.  Il  entend  leur  demander  à  toutes  des 
comptes  sévères.  La  pliilosopliie  seule  désormais 
doit  gouverner  le  monde,  y  établir  la  vérité,  y 
faire  régner  la  justice.  Le  catholicisme  et  le  pro- 
testantisme ont  également  trouvé  leur  base  dans 
la  doctrine  de  la  déchéance  et  de  la  rédemption  ; 


ils  ont  proclamé  la  corruption  de  la  nature  hu- 
maine ;  le  xviii"  siècle,  héritier  du  paganisme  et 
de  l'esprit  de  la  Renaissance,  osait  en  proclamer  tout 
au  contraire  la  bonté.  Les  réformateurs  du 
xvi'=  siècle  étaient  des  théologiens  ;  les  réforma- 
teurs du  xvin'  siècle  sont  des   philosophes. 

Uo  là  leurs  audaces  nouvelles,  inouïes.  Ils  s'at- 
taquent aux  doctrines  religieuses  d'abord.  Ils  com- 
battent également  toutesies  ortiiodoxies.nevoyant 
que  des  imposteurs  et  des  fous  dans  tous  ceux 
qui  ont  prétendu  parier  au  nom  de  la  divinité  et 
imposer  aux  hommes  ce  qu'ils  devaient  croire. 
Comme  le  sentiment  mystique  leur  fait  défaut, 
comme  leur  érudition  historique  est  insuffisante, 
ils  comprennent  peu  do  chose  à  l'institution  et 
aux  transformations  des  religions,  ils  ne  voient 
guère  en  elles  que  des  instruments  d'abrutisse- 
ment, ils  n'aperçoivent  que  le  sang  qu'elles  ont 
fait  couler;  ils  croient  faire  œuvre  sainte  en  tra- 
vaillant de  toutes  leurs  forces  à  purger  la  terre 
de  ces  monstres.  Les  uns  rêvent  la  religion  pur-e 
d'un  Dieu  unique.  Dieu  de  vérité,  père  de  tous 
les  hommes,  que  tous  adoreront  dans  les  mêmes 
sentiments  de  charité  universelle  et  de  tolérance 
réciproque  ;  les  autres  vont  plus  loin  encore 
et  s'avancent  jusqu'il  l'athéisme,  jusqu'à  l'opicu- 
risme  do  Lucrèce,  n'ayant  devant  les  yeux  qu'un 
seul  idéal  :  l'humanité,  le  triomphe  de  la  raison. 
Dans  l'ordre  de  la  science  ils  ne  s'arrêtent  pas 
plus  que  dans  l'ordre  philosophique  devant  les 
révélations.  Essayer  d'arracher  a  la  nature  ses  se- 
crets ne  leur  semble  plus  une  impiété.  La  planète 
est  explorée  en  tons  sens,  les  divers  règnes  de 
la  nature  sont  interrogés,  l'anatomie,  la  physiolo- 
gie sont  mises  en  œuvre;  il  faudra  que  la  géo- 
logie révèle  l'origine  de  la  terre,  comme  l'histoire 
étudiée  de  près  racontera  les  révolutions  de  l'hu- 
manité en  révélant  les  causes  de  la  grandeur  et  de 
la  chute  des  empires.  L'intelligence  humaine,  en 
dépit  de  toutes  les  obscurités,  cclaircira  les  pro- 
blèmes, quels  qu'ils  soient,  qui  l'environnent. 
Elle  aura  le  dernier  mot  des  choses  à  force  de  vo- 
lonté et  de  persévérance.  Ses  erreurs  mêmes 
bientôt  rectiliées,  lui  seront  profitables. 

Mais  le  xviii"  siècle  n'est  pas  seulement  avide 
d'indépendance  religieuse  et  philosophique,  avide 
de  science,  il  est  avide  aussi  de  justice  sur  la 
terre.  Ce  que  la  pensée  française  aperçoit,  le 
voici  :  dans  l'ordre  politique,  c'est  une  royauté  qui 
se  déclare  de  droit  divin  et  commande  absolument 
à  plus  de  vingt  millions  d'hommes  :  dans  l'ordre 
social,  c'est  une  organisation  fondée  sur  les  castes 
et  les  privilèges.  Toutes  les  immunités  et  tous  les 
avantages  sont  pour  les  uns,  toutes  les  charges 
pour  les  autres.  Depuis  longtemps  cette  monar- 
chie ne  se  fait  sentir  que  par  l'oppression  ;  depuis 
longtemps  aussi,  tous  ces  privilégiés  ne  compen- 
sent plus  par  aucun  service  les  droits  dont  ils 
jouissent.  Depuis  longtemps,  des  haines  se  sont 
amassées  d'une  part  aussi  bien  que  les  mépris 
et  les  outrages  de  l'autre.  La  guerre  intestine  est 
dans  les  esprits.  La  philosophie  cite  à  son  tribunal 
et  cette  monarchie  despotique,  et  cette  organisa- 
tion sociale.  Elle  fait  voir  l'injustice  des  uns  et 
l'oppression  des  autres.  Au  nom  de  la  raison,  elle 
formule  sa  condamnation  sévère.  C'est  Voltaire 
(jui,  dans  ses  pamphlets,  tantôt  raille,  tantôt  flé- 
trit les  abus  divers  ;  c'est  Montesquieu  qui  oppose 
à  l'état  de  la  France  la  libérale  constitution  an- 
glaise et  les  mérites  du  gouvernement  représen- 
tatif; c'est  Rousseau  enlin  qui  fait  entendre  la 
voix  révoltée  et  grondante  du  peuple  et  proclame 
que  la  souveraineté  n'est  nulle  part  ailleurs  que 
dans  la  volonté  populaire.  Il  semble  que  la 
royauté  d'une  part,  de  l'autre  les  corps  privilégiés 
travaillent  de  leur  mieux  à  seconder  l'œuvre  des 
philoso])hes  et  à  démontrer  combien  en  effet 
l'iniquité  sociale  est  intolérable.  Enfin,  les  conflits 


SltCLli    (DIX-NEUVIÈME)       —  244(;  —       SIÈCLE   (DIX-NEUVIÈME) 


éclatent  et  les  doctrines  de  la  pliilosophie  ont 
porté  leurs  fruits.  Le  peuple  se  lève,  et  ce  qui  sort 
des  Etats-Généraux,  c'est  la  ruine  de  la  vieille 
monarcliio  et  du  vieil  ordre  social;  c'est  la  révo- 
lution ;  c'est  une  France  nouvelle  qui  troublera 
l'univers  et  ébranlera  tous  les  trônes  (V.  Itcvolu- 
tion  française) . 

Voilà  l'œuvre  du  xviii'  siècle.  Siècle  d'orages 
qui  est  venu,  lui  aussi,  apporter  au  monde  non 
pas  la  paix,  mais  la  guerre.  Siècle  redoutable,  sur 
lequel  différeront  longtemps  encore  les  jun;e- 
menls  suivant  les  convictions  ou  les  passions. 
Siècle  où  tous  les  écrivains  ont  été  des  combat- 
tants et  des  apôtres,  bien  pins  que  des  artistes, 
auquel  a  manqué  la  sérénité  intellectuelle  et 
littéraire,  mais  auquel  aucun  de  nous  ne  saurait 
contester  ni  la  puissance,  ni  la  sincérité,  ni  l'ardente 
inspiration  de  la  vérilé  et  de  la  justice.  Siècle,  di- 
rions-nous, après  avoir  fait  la  balance  de  ses 
vertus  et  de  ses  vices,  le  plus  grand,  le  plus 
noble,  le  plus  fécond  par  ses  conquêtes  de  tout 
ordre,  si  le  xix"  siècle  n'avait  suivi.  Mais  le 
xviii"  siècle  peut  revendiquer  sa  part  de  gloire 
jusque  dans  les  conquêtes  du  xix"  siècle.  Ce  sont 
nos  pères  qui  ont  ouvert  la  voie  :  nous  n'avons 
fait  que  les  y  suivre  !       ,  [Charles  Bigot.) 

SIECLE  (DIX-.>'El^VIE.>li':).  —  Histoire  géné- 
rale, XXVI  ;  Histoire  de  France,  XXWll.  — 
Quoique  dix  liuit  années  nous  séparent  encore  de 
la  fin  du  XIX"  siècle,  on  peut  affirmer  qu'aucun 
autre  siècle  n'a  vu  s'accomplir  d'aussi  profonds 
changements  dans  la  condition  matérielle  et  mo- 
rale du  genre  humain.  Il  y  a  eu  des  époques 
aussi  agitées;  il  n'y  en  a  pas  eu  d'aussi  fécondes. 
C'est  que  jamais  les  hommes  n'ont  eu  au  môme 
degré  la  notion  et  la  passion  du  progrès;  jamais 
le  but  n'a  été  si  bien  marqué,  ni  la  victoire  de  la 
civilisation  sur  la  barbarie  aussi  pleinement  as- 
surée; jamais  enfin  les  conquêtes  de  l'esprit  hu- 
main ne  furent  aussi  irrévocables. 

Cette  vérité  n'est  méconnue  que  par  ceux  qui  re- 
grettent les  institutions  du  passé,  et  par  ceux  qui 
ne  voient  dans  l'histoire  que  les  révolutiims  et  les 
baiailles.  Quand  on  embrasse  l'ensemble  des  évé- 
nements, on  constate  sans  peine  qu'à  travers  les 
péripéties  du  drame  politique,  que  même  aux 
heures  de  trouble  ou  de  réaction,  la  grande  masse 
de  l'humanité  marche  désormais  d'un  pas  rapide 
et  continu  dans  la  voie  que  la  Révolution  fran- 
çaise a  sinon  ouverte,  du  moins  éclairée  et  dé- 
blavée  iV.  liévolulion  /ru/i^aise). 

Ce  n'est  sans  doute  pas  céder  à  l'entraînement 
d'un  patriotisme  excessif  que  de  se  placer  au  point 
de  vue  français  pour  partager  le  xi.x°  siècle  en 
trois  grandes  périodes,  la  première  finissant  à  la 
chute  de  Napoléon,  la  seconde  se  terminant  par 
la  révolution  de  18-lS  ;  nous  sommes  dans  la  troi- 
sième. Car   le  renversement  de  l'empire    frança' 


n'étaient  garanties  contre  l'arbitraire  :  la  police 
disposait  des  biens  et  des  personnes;  les  conseils 
de  guerre,  les  décrets,  les  coups  de  force  sup- 
pléaient à  ce  que  les  lois  ont  toujours  d'insuffisant 
pour  le  service  du  despotisme.  Le  Concordat,  qui 
restaurait  l'Église  pour  en  faire  un  instrument  de 
règne,  ne  put  la  préserver  des  rigueurs  du  pou- 
voir. L'Université  impériale  devait  établir  la  disci- 
pline dans  les  esprits.  Le  blocus  continental  et 
les  droits  réunis  autorisaient  une  sorte  d'inquisi- 
tion, et  la  conscription,  de  moins  en  moins  sup- 
portable, faisait  des  préfets  des  chasseurs  d'hom- 
mes, i/égalité  même  était  violée  par  la  création 
d'une  nouvelle  noblesse,  et  lea  majorais  portaient 
atteinte  au  Code  civil. 

Si  les  libéraux  n'ont  pas  craint  de  s'allier  plus 
tard  aux  bonapartistes,  si  l'on  put  soutenir  et 
faire  croire  que  l'Empire  avait  été  la  continuation, 
et  non  la  destruction  de  la  Révolution  française, 
c'est  parce  que  la  Restauration  ramena  les  émi- 
grés, inquiéta  les  acquéreurs  de  biens  nationaux, 
rétablit  la  religion  d'Etat,  ébranla  le  principe  de 
l'égalité  de  partage  dans  les  successions  ;  c'est 
surtout  parce  que  l'hmpirs  avait  hérité  des  con- 
quêtes extérieures  de  la  République,  et  que  la 
chute  de  Napoléon  nous  les  fit  perdre. 

n  est  vrai  que  la  gloire  militaire  ne  nous  man- 
quait pas.  Elle  suffit  longtemps  à  nous  faire  ou- 
blier tout  le  reste;  la  France  en  fut  enivrée.  De 
bonne  heure  cependant  on  put  discerner  chez  le 
moderne  César  les  symptômes  de  la  fièvre  ambi- 
tieuse qui  devait  le  jeter  dans  des  entreprises  de 
plus  en  plus  vastes.  Méprisant  le  droit  et  les 
traités,  il  ne  laissait  pas  plus  de  sécurité  à  ses 
voisins  que  d'indépendance  à  ses  alliés,  que  de 
repos  à  ses  sujets.  Ses  deux  plus  grandes  fautes, 
l'invasion  de  l'Espagne  et  l'invasion  de  la  Russie, 
sont  dans  la  logique  de  son  caractère.  L'histoire 
impartiale  ne  reconnaît  pas  la  différence  qu'on  a 
prétendu  saisir  entre  la  modération  du  Consulat  et 
les  excès  de  l'Empire.  Saint-Domingue  annonçait 
Moscou,  et  le  meurtre  du  duc  d'Enghien  annonçait 
le  guet-apens  de  Rayonne.  La  conquête  française 
propagea  quelques-uns  des  principes  de  notre 
Révolution,  ébranla  en  Europe  plus  d'une  institu- 
tion surannée.  Mais  les  peuples,  humiliés  et  foulés, 
ne  nous  surent  aucun  gré  de  ce  bienfait;  l'oppres- 
sion qu'ils  subissaient  avec  nous  et  par  nous  sus- 
cita des  ressentiments  profonds  et  vivaces,  rallia 
les  cœurs  autour  des  souverains  dépouillés  ou 
abaissés,  prépara  la  réaction  monarchique  et  féo- 
dale. Les  dogmes  de  89  furent  compromis  par  les 
triomphes  de  Napoléon  avant  de  l'être  par  ses  revers. 
Ces  revers  étaient  inévitables;  1814  fut  une  dé- 
livrance pour  la  plus  grande  partie  de  l'Europe. 
La  France  même  respira.  Sans  la  sanglante 
équipée  des  Cenl-Jours  et  les  maladresses  des 
Bourbons,  on  aurait  pu  croire  qu'un  édifice  dura- 


permit  au   Congrès   de    Vienne  de   fixer  pour  un  I  ble  allait  s'élever  sur  les  ruines  du  nouvel  empire 


assez  long  temps  l'équilibre  des  puissances,  et  le 
journées  de  février  marquèrent  le  déliut  dune 
nouvelle  ère  de  luttes  et  de  transformations. 

Le  18  brumaire  livrait  la  France  à  un  homme 
dont  la  politique  peut  se  résumer  en  deux  mots  : 
à  l'intérieur,  la  compression  ;  au  dehors,  la  con- 
quête. Le  travail  d'organisation  dont  on  fait  hon- 
neur au  Consulat  ne  fut  à  beaucoup  d'égards 
qu'un  retour  à  l'ancien  résiine,  et  le  pouvoir  de 
Napoléon  fut  plus  absolu  que  celui  de  Louis  XV, 
car  il  n'y  avait  même  plus  de  privilèges  ni  de  cor- 
porations qui  pussent  résister.  Les  libertés  publi- 
ques furent  sacrifiées  les  premières  ;  les  consti- 
tutions consulaire  et  impériale  réduisaient  à  de 
vaines  apparences  la  part  que  la  nation  prenait  à 
son  gouvernement.  La  tribune  muette,  la  presse 
soumise  à  la  censure  et  à  la  confiscation,  faisaient 
silence  pour  que  la  voix  du  maître  fiit  seule  en 


d'Occident.  Mais  ISlô,  en  donnant  une  force  irré- 
sistible àlaréaction,  prépara  la  ruine  de  laroyauté. 
Tandis  que  le  Congres  de  Vienne  répartissjit 
les  provinces  comme  des  fermes,  et  les  popula- 
tions comme  des  troupeaux,  la  Sainte-Alliance 
ébauchait  un  système  de  fédération  européenne. 
Mais  ce  n'était  qu'un  contrat  d'assurance  mutuelle 
contre  le  progrès  politique.  Il  y  eut  un  aréopage 
international,  mais  il  ne  rendait  d'arrêts  que 
contre  la  liberté.  Tant  que  la  France  resta  sous  le 
lé^imo  sorti  de  nos  défaites,  ces  arrêts  furent 
exécutes,  en  Italie  par  les  Autrichiens,  en  Espagne 
par  l'armée  française.  Toutefois  cet  équilibre  ne 
pouvait  être  stable.  Le  Nord  pesait  d'un  poids  trop 
lourd  sur  l'Occident.  La  politique  des  Nicolas  et 
des  Metternich  était  aussi  aveugle  et  impuissante 
qu'elle  semblait  forte  et  habile.  Aussi  devait-elle 
aboutir  à  une   révolte,  et  c'est  de  la  France,  c'est 


tendue  ;  ni  la  propriété,  ni  la  liberté  personnelles    de  Paris  que  devait  partir  le 


signal. 


SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME)       —  2447  —       SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME) 


D'abord  assez  bien  accueillis,  les  Bourbons  ne 
tardèrent  pas  ii  se  rendre  odieux  par  leurs  allu- 
res et  leurs  maximes  encore  plus  que  par  leurs 
actes.  Le  gouvernement  do  la  Restauration,  même 
sous  RI.  de  Villcle,  fut  plus  libéral  que  celui  de 
l'Empire,  car  il  resta  parlementaire  ;  mais  il  se 
déclarait  hostile  ii  la  Révolution,  i|uc  Napoléon  du 
moins  avait  l'eiiit  de  respecter  lorsqu'il  l'encliaî- 
nait.  La  nation  lut  plus  blessée  d'être  traitée  en 
pénitente  que  d'être  trailée  en  esclave;  on  par- 
donne moins  les  afl'ronts  que  les  violences.  L'iini- 
pirc  ressemblait  plus  h  l'ancien  régime  en  réalité, 
moins  en  apparence.  Peut-être  Cliarles  X  aurait-il 
pu  se  maintenir  sans  la  folie  des  ordonnances;  il 
est  vrai  ([ue  les  ordonnances  étaient  l'application 
légitime  do  la  théorie  du  droit  divin. 

La  Révolution  de  Juillet  battit  en  brèche  l'œu- 
vre du  congrès  de  Vienne  ;  elle  commença  d'afl'ran- 
chir  l'Occident.  La  Belgique  put  se  séparer  de  la 
Hollande.  Le  Portugal  et  l'Espagne  ne,  tardèrent 
pas  il  entrer  dans  les  voies  constitulionnelles. 
D'autre  part  la  Pologne  fut  écrasée,  l'Autriche 
conserva  sa  prépondérance  en  Italie  ;  les  trois  em- 
pires du  Nord  restèrent  dans  leur  immobilité.  Il  y 
eut  comme  un  partage  de  l'Eui'ope  entre  le  mou- 
vement et  la  résistance,  entre  l'avenir  et  le  passé. 
En  Franco  la  Révolution  grondait  ;  à  Vienne,  à 
Berlin,  h  Pétersbourg,  la  réaction  était  toujours 
toute-puissante  ;  une  crainte  mutuelle  maintenait 
la  paix. 

L'explosion  de  1848  allait  mettre  aux  prises  les 
deux  principes.  Le  gouvernemejit  de  Louis-Phi- 
lippe avait  pu  rétablir  l'ordre  matériel,  contenir 
les  ardeurs  belliqueuses  déchaînées  par  la  victoire 
de  Juillet,  organiser  le  pouvoir  de  la  bourgeoisie. 
Il  ne  sut  ni  suivre  ni  comprendre  le  progrès  des 
idées  démocratiques.  Il  n'était  ni  odieux  par  son 
origine,  ni  tyranniquo  dans  ses  actes  ;  il  ne  fut 
qu'étroit  et  obstiné.  Il  avait  formé  une  armée  puis- 
sante, donné  l'impulsion  k  l'enseignement  pri- 
maire, et  favorisé  le  dôvelnpjieraent  de  la  prospé- 
rité matérielle.  Mais  il  était  étranger  au  mouvemeiit 
desesprits.  Tandisque  la  partie  la  plus  intelligente 
de  la  nation  était  possédée  du  désir  d'améliorer 
les  institutions  sociales,  tandis  que  les  philosophes, 
les  utopistes,  les  romanciers,  agitaient  hardiment 
et  éloquemment  toutes  les  questions  relatives  au 
sort  des  classes  ouvrières,  le  pouvoir  restait  le 
serviteur  de  la  haute  bourgeoisie,  dont  il  défen- 
dait le  monopole  industriel  par  des  lois  prohildti- 
ves,  et  le  monopole  politiciue  parle  cens.  L'oligar- 
chie gouvernante  s'isolait  de  plus  en  plus,  refusant 
même  de  se  recruter  hors  du  cercle  des  gros  con- 
tribuables. Le  roi  était  vieux  et  timide;  son  mi- 
nistre était  invinciblement  attaché  aux  maximes 
d'un  parlementarisme  dont  la  loi  électorale  faisait 
une  fiction,  puisque  le  pays  légal  était  de  plus  en 
plus  difl'érent  du  pays  réel.  Une  monarchie  de 
transaction  inspirait  peu  de  dévouement  à  ses  par- 
tisans ;  elle  s'écroula  presque  sans  résistance  sous 
un  choc  qui  ne  semblait  pas  devoir  être  mortel. 

Le  24  Février  est  pour  nous  la  date  de  l'avène- 
ment de  la  démocratie.  Le  suffrage  universel  a  pu 
être  mutilé,  tiompé,  intimidé;  on  n'a  plus  essayé 
de  l'abolir.  Dans  les  premiers  temps  de  la  seconde 
république,  on  crut  i  de  plus  vastes  conquêtes  ; 
on  crut  à  une  transformation  radicale  et  prompte 
des  rapports  du  capital  et  du  travail.  On  se  flatta 
d'introduire,  par  des  réformes  législatives  et  par 
des  actes  de  gouvernement,  une  justice  plus  ri- 
goureuse dans  la  disiribution  des  fruits  du  travail 
et  des  jouissances  de  la  vie.  Le  peuple  des  gran- 
des villes,  saisi  d'enthousiasme  et  enivré  d'espé- 
rances, réclama  du  pouvoir  une  nouvelle  organisa- 
tion de  la  fociét'',  révolution  que  la  littérature 
avait  représentée  comme  désirable  et  facile.  La 
France  n'était  pas  seule  agitée.  Le  contre-coup  de 
la  Révolution  de  ISiS    porta  bien  plus   loin  que 


celui  de  la  Révolution  de  18:il).  Les  monarchies 
étrangères,  elles  aussi,  avaient  vieilli,  et  les  peu- 
ples s'étaient  lassés.  L'esprit  nouveau  avait  fait 
de  vastes  conquêtes,  en  dépit  de  toutes  les  polices; 
les  nationalités  opprimées  commençaient  h  prendre 
conscience  d'elles-mêmes.  L'Italie,  déjà  remuée 
par  l'encouragement  que  Pie  IX  avait  d.mné  aux 
idées  libérales,  s'insurgea  et  contre  ses  tyramieaux 
indigènes  et  contre  l'Autriche  qui  les  soutenait. 
L'Autriche  se  disloqua;  ses  sujets  allemands  vou- 
laient des  institutions  plus  libres,  ses  sujets  non 
allemands  une  existence  plus  distincte.  Berlin  eut 
aussi  des  émeutes  victorieuses.  L'Allemagne  se 
donnait  une  ébauche  d'unité  et  une  ombre  d'em- 
pire. La  Russie  seule  demeurait  hors  d'atteinte. 
LaPologne,  écrasée  après  IS3Û,  ne  pouvait  plus  lut- 
ter. Partout  ailleurs  naissaient  des  constitutions, 
dont  l'existence  devait  être  éphémère,  et  l'in- 
fluence durable. 

L'heure  de  la  réaction  ne  tarda  pas  à  sonner. 
Chez  nous,  Paris  devançait  de  trop  loin  le  gros  de 
la  nation.  La  République  était  acceptée  de  tous, 
mais  le  socialisme  faisait  peur.  La  crise  financière, 
industrielle  et  commerciale  causa  des  souffrances 
profondes  ;  les  campagnes  entrèrent  en  défiance, 
et  une  partie  de  la  population  ouvrière  de  la  capi- 
tale entra  en  fureur,  poussée  à  bout  par  la  misère 
et  la  désillusion.  L'insurrection  de  juin  ramena 
l'armée  en  scène,  rendit  la  liberté  suspecte,  pré- 
para l'avènement  d'un  sauveur.  La  Constituante 
commit  la  double  faute  de  n'instituer  qu'une 
Chambre,  et  de  livrer  le  pouvoir  exécutif  à  l'élu  du 
suffrage  universel  direct.  Le  10  décembre  fut  un 
premierplébiscile  ;  le  bonapartisme,  qu'on  croyait 
presque  disparu,  faisait  explosion  ;  les  masses 
rurales  étaient  séduites  par  la  légende  napoléo- 
nienne, etles  classes  dirigeantes  ontrainoes  par  la 
peur. 

Dès  lors  la  République  était  blessée  à  mort.  La 
Législative,  composée  en  majorité  de  monarchistes, 
j  réactionnaire  avec  passion,  ne  se  défia  d'abord  que 
)  de  la  liberté.  Quand  elle  voulut  résister  au  César 
dont  elle  avaii  servi  les  intérêts,  il  était  trop  tard. 
;  Elle  était  peu  capable  de  défendre  une  constitu- 
tion qu'elle  n'aimait  pas,  et  qu'elle  n'avait  pas  fait 
aimer.  Toutes  les  forces  qui  pouvaient  résister  à 
un  coup  d'Etat  étaient  désorganisées.  La  résis- 
tance au  2  décembre  fut  tout  juste  assez  énergique 
pour  fournir  un  prétexte  aux  proscriptions,  et  ceux 
qui  défendaient  la  loi  furent  accusés  d'avoir  atta- 
qué la  société.  L'empire  était  rétabli  do  faitavant 
de  l'être  de  nom.  Une  constitution  (|ui  ne  laissait 
subsister  qu'une  ombre  de  représentation  nationale, 
des  décrets-lois  qui  effaçaient  jusqu'aux  derniers 
vestiges  de  toutes  les  libertés  politiques,  des  plé- 
biscites qui  révélaient  le  profond  découragement 
de  la  nation,  la  déportation  et  l'exil  pour  les  répu- 
blicains, d'habiles  avances  faites  aux  monarchis- 
tes, l'alliatice  du  clergé  catholique,  une  vive  im- 
pulsion donnée  aux  travaux  publics,  aux  entreprises 
financières,  tout  contribuait  à  asseoir  solidement, 
au  moins  en  apparence,  l'édilice  du  second  em- 
pire. 

La  Révolution  n'avait  pas  été  plus  heureuse 
dans  le  reste  de  l'Europe.  Le  roi  de  Prusse,  peu 
propre  au  rôle  qu'on  voulait  lui  faire  jouer,  s'était 
retourné  contre  les  Allemands  qui  prétendaient  le 
charger  de  fonder  l'unité  nationale.  La  monarchie 
autrichienne  avait  eu  de  rudes  épreuves  à  soutenir  : 
elle  en  était  sortie  victorieuse,  après  une  lutte 
acharnée  contre  les  Hongrois,  et  grâce  au  con- 
cours de  la  Russie.  L'Italie,  encore  trop  divisée, 
n'avait  pu  venir  i  bout  de  l'armée  autrichienne. 
Charles-Albert  mourait  en  exil  ;  Venise  succom- 
bait glorieusement.  La  républii|uo  romaine  était 
écrasce  par  une  expédition  française,  et  Pie  IX  ra- 
menait la  papauté  dans  les  voies  do  l'absolutisme. 
Les  petits  princes  rentraient  dans  leurs  Etats,  révo- 


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qaaient  leurs  concessions,  et  se  vengeaient  de  leurs 
frayeurs  sous  la  protection  de  la  cour  do  Vienne. 
En  18Ô1  la  réaction  était  partout  triomphante. 
L'oeuvre  du  congrès  de  Vienne  était  restaurée,  et 
la  Sainte-Alliance  semblait  refleurir  avec  un  Na- 
poléon à  sa  tête. 

Ce  n'était  qu'une  apparence.  La  révolution  de 
1S48  avait  partout  laissé  des  traces.  Les  nationa- 
lités diverses  soumises  par  la  force  h  la  domina- 
tion autrichienne  n'attendaient  que  l'occasion  de 
secouer  un  joug  odieux.  L'idée  de  l'unité  allemande 
s'était  trop  bien  emparée  des  esprits  pour  que  la 
Prusse,  qui  avait  une  constitution  et  des  lois  re- 
lativement libérales,  ne  fût  pas  tentée  de  diriger 
à  son  profit  le  mouvement  national.  En  Italie,  le 
Piémont  conservait  un  frouvernement  parlemen- 
taire, et  les  regards  des  populations  opprimées  se 
tournaient  vers  Turin.  En  France  même,  le  suf- 
frage universel  subsistait,  et  ne  pouvait  manquer 
de  ramener  lot  ou  tard  la  liberté. 

Napoléon  111  avait  dit  :  «  L'Empire,  c'est  la 
paix.  »  Mais  il  ne  tarda  pas  à  faire  la  guerre,  en- 
traîné par  la  tradition  bonapartiste.  Le  souverain 
dont  l'avènement  arait  été  le  plus  éclatant  succès 
de  la  réaction  européenne  donna  lui-même  le  si- 
gnal do  nouvelles  révolutions.  La  guerre  de  Cri- 
mée brouilla  lAutriche  et  la  Russie,  affranchit  les 
Roumains,  jeta  les  bases  de  l'alliance  entre  la 
France  et  le  Piémont.  La  guerre  d'Italie,  avec  les 
soulèvements  qui  la  suivirent,  délivra  du  joug 
étranger  la  plus  grande  partie  de  la  Péninsule. 
Tout  réussissait  à  Napoléon  111,  et  il  passait  pour 
l'arbitre  de  l'Europe.  L  amnistie,  les  traités  de 
commerce,  le  décret  du  24  novembre  1860,  sem- 
blaient inaugurer  une  politique  plus  libérale. 
Mais  l'irrésolution  du  caractère  de  l'empereur  et 
son  goût  pour  les  aventures  le  firent  descendre 
peu  à  peu  de  la  hauteur  où  la  fortune  l'avait  placé. 
Un  ministre  de  génie  allait  s'emparer  du  premier 
rôle  dans  les  affaires  européennes,  et  assurer  à 
la  Prusse  le  premier  rang  parmi  les  grandes  puis- 
sances. 

Napoléon  avait  préparé  l'unité  italienne  sans  en 
accepter  toutes  les  conséquences:  il  ne  se  rési- 
gna pas  à  abandonner  la  papauté  temporelle,  et 
perdit  le  fruit  d'un  si  grand  bienfait.  Une  démar- 
che imprudente  et  impuissante  en  faveur  de  la 
Pologne  vainement  soulevée  jeta  en  ISCS  la  Russie 
dans  les  bras  de  la  Prusse.  L'expi'dition  du  Mexi- 
que occupa  une  partie  de  nos  forces,  vida  nos 
arsenaux,  nous  empêcha  de  soutenir  le  Danemark 
en  1861,  d'intervenir  en  1866  dans  le  règlement 
de  la  querelle  austro -prussienne.  Il  ne  manquait 
plus  à  .M.  de  Bismarck,  pour  achever  l'œuvre  de 
l'unité  allemande,  commencée  avec  l'appui  de 
Napoléon  III  et  continuée  malgré  lui,  qu'une 
guerre  heureuse  contre  la  France.  Notre  année 
avait  été  réorganisée  d'une  façon  incomplète  ;  la 
restauration  du  régime  parlementaire  n'avait  pas 
affaibli  chez  nous  le  parti  de  la  cour,  que  le  plé- 
biscite avait  enivré  :  une  Chambre  sans  indépen- 
dance et  un  ministère  sans  fermeté  se  laissèrent 
entraîner  dans  la  plus  funeste  des  aventures. 

Depuis  nos  désastres,  l'attention  de  l'Europe  a 
été  surtout  attirée  par  les  luttes  intérieures  qui 
ont  abouti  chez  nous  à  l'établissement  définitif  de 
la  République,  et  par  les  rivalités  d'influence  qui 
ont  amené  la  guerre  d'Orient  et  un  nouveau  dé- 
membrement de  l'empire  turc.  Ainsi,  malgré  les 
revers  de  la  France,  la  période  des  temps  contem- 
porains marquée  par  les  succès  de  la  Prusse  aura 
été  en  somme  favorable  h  la  cause  de  la  liberté. 
L'Italie  s'est  complétée;  le  pouvoir  temporel  a 
disparu;  l'Allemagne  a  un  parlement  élu  par  le 
suffrage  universel  ;  l'Autriche  possède  un  gou- 
vernement constitutionnel  qui  assufO  à  la  Hongrie 
une  sorte  d'indépendance,  et  la  barbarie  musul- 
mane, une  fois  de  plus,  a  perdu  du  teiTain. 


Nous  n'avons  jusqu'ici  parlé  que  de  l'Europe. 
Or  un  des  grands  faits  qui  frapperont  le  plus  la 
postérité  dans  l'histoire  du  xix«  siècle,  c'est  la 
prise  de  possession,  par  la  civilisation  euro- 
péenne, des  autres  parties  du  monde.  C'est  là 
une  conquête  sans  retour,  une  révolution  sans 
réaction  possible. 

L'Amérique  a  été  entièrement  transformée.  La 
population  des  États-Unis  a  décuplé,  et  la  grande 
République  a  pris  place  au  premier  rang  des  puis- 
sances. Les  déserts  qui  s'étendaient  il  y  a  quatre- 
vingts  ans  des  AUéglianys  au  Pacifique  sont  au- 
jourd'hui sillonnés  par  les  cliemins  de  fer,  semés 
de  villes  florissantes,  et  partout  entamés  par  des 
défrichements  qu'accélère  une  immigration  de 
jour  en  jour  plus  active.  Au  nord  de  l'Union,  notre 
ancienne  possession  du  Canada  est  devenue  une 
confédération  de  provinces  qui  se  gouvernent  li- 
brement sous  la  suzeraineté  de  l'Angleterre.  .\u 
sud,  les  colonies  espagnoles  se  sont  affranchies, 
et  ont  formé  des  républiques  que  leurs  révolu- 
tions trop  fréquentes  et  leurs  dissensions  intes- 
tines ont  retardées, 'mais  non  arrêtées,  dans  la 
voie  du  progrès  matériel  et  moral.  La  vaste  colo- 
nie portugaise  du  Brésil  est  maintenant  un  empire 
constitutionnel. 

En  Asie,  les  populations  indigènes  offraient 
plus  de  résistance,  mais  la  résistance  a  été  pres- 
que partout  vaincue  ou  parles  armes,  ou  par  l'in- 
fluence de  l'Occident.  Les  Russes  ont  soumis  le 
Caucase,  conquis  le  Turkestan,  berceau  des  an- 
tiques invasions,  agrandi  leurs  possessions  au 
Nord-Ouest  du  Pacifique.  Les  Anglais  ont  élargi 
et  consolidé  leur  empire  de  l'Inde,  réduit  leurs 
vassaux  à  une  plus  étroite  obéissance,  étendu 
la  main  sur  le  Pendjab  et  sur  les  côtes  de  la 
Birmanie.  Ils  ont  fondé  dos  comptoirs  et  des  for- 
teresses sur  les  points  les  plus  importants  des 
grandes  routes  maritimes,  occupé  Aden  et  Périm 
il  l'entrée  de  la  mer  Rouge,  Ormuz  dans  le  golfe 
Persique,  Singapore  sur  le  cliemin  de  la  Chine, 
Hong-Kong  aux  portes  du  Céleste-Empire.  La 
France  a  créé  une  colonie  déjà  florissante  dans  la 
Cochinchine  méridionale,  et  acquis  par  un  traité 
de  protectorat,  sur  le  reste  de  l'Annam,  des 
droits  qu'elle  pourra  faire  valoir.  Les  Hollandais 
ont  accru  leur  domaine  dans  l'archipel  malais. 

A  l'extrémité  orientale  de  l'Asie,  le  Japon,  jus- 
qu'ici fermé,  vient  d'accomplir  spontanément  là 
révolution  la  plus  surprenante.  En  peu  d'années, 
ce  peuple  intelligent  et  hardi  est  sorti  d'un  régime 
féodal  qui  rappelait  notre  moyen  âge  pour  entrer 
dans  le  courant  de  la  civilisation  européenne  do 
la  seconde  moitié  du  xix' siècle. 

Les  Chinois  offraient  plus  de  résistance  par 
leur  masse  que  par  leur  force  militaire.  Les 
Anglais  en  18i"2,  les  Anglo-Français  en  1861,  ont 
abattu  b,  coups  de  canon  les  barrières  qui  entra- 
vaient le  commerce.  Les  Chinois  ont  reconnu  leur 
faiblesse.  Ils  repoussent  encore  nos  mœurs,  nos 
idées,  et  même  la  plupart  de  nos  inventions;  ils 
n'ont  pas  de  cheiuins  de  fer;  leur  système  politi- 
que est  resté  immuable.  Mais  ils  ont  accepté  la 
lutte  sur  le  terrain  économique  ;  ils  disputent 
avec  succès  leur  propre  marclié  aux  négociants 
européens.  Leurs  éniigrants,  sobres  et  laborieux, 
se  répandent  en  Malaisie,  en  Australie,  aux  An- 
tilles, effraient  les  .américains  des  États-Unis  par 
le  bas  prix  de  leur  travail,  et  font  craindre  une 
invasion  d'une  nouvelle  sorte,  qui  ferait  aux  ou- 
vriers blancs  une  concurrence  funeste.  L'empire 
chinois  est  resté  débile;  la  race  chinoise  s'est 
rendue  redoutable. 

En  Océanie,  les  Anglais  ont  fait  de  l'Australie, 
aussi  grande  que  l'Europe,  une  Europe  nouvelle  : 
ils  y  ont  fondé  dos  colonies  qui  se  développent 
avec  une  merveilleuse  rapidité,  sur  un  sol  vacant, 
sous  des  institutions    libres.    La   France,  avec  la 


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Nouvello-Calodoiiie  ot  quelques  petites  îles  du 
Pacifique,  reste  loin  en  arrioro. 

C'est  peut-être  en  Afrique  que  la  barbarie  a 
perdu  le  plus  de  teri'ain.  Ce  vaste  continent  a  élé 
entamé  de  toutes  parts,  traversé  dans  tous  les 
sens  par  des  voyageurs  que  l'opinion  place  au 
proniioi-  rang  des  héros  modernes.  Sur  les  bords 
de  la  Médiierrance,  nous  avons  pris  Alger,  re- 
paire d'uiie  piraterie  si  longtemps  impunie  ; 
nous  avons  réduit  1rs  tribus  arabes  et  berbères, 
ot  crée  une  nouvelle  Franco  qui  prolonge  l'an- 
cienne au  delà  des  mers.  La  Tunisie  entre  dans  le 
cercle  de  notre  influence.  Maîtres  du  Sénégal, 
nous  cherchons  une  route  qui  rejoigne  nos  deux 
colonies  en  passant  par  le  Soudan.  Malgré  les 
obstacles  que  nous  opposent  d'un  côté  le  grand 
désert,  de  l'autre  l'insalubrité  du  climat,  nous  ne 
renoncerons  pas  h  gagner  h  notre  civilisation  les 
vastes  et  fertiles  contrées  où  des  empires  nègres 
s'élèvent  et  s'écroulent  dans  des  guerres  san- 
glantes et  presque  perpétuelles.  Le  Soudan  orien- 
tal a  été  en  partie  soumis  par  les  Egyptiens. 
L'Egypte  elle-même,  un  moment  conquise  et 
presque  découverte  par  une  expédition  française, 
mise  CTi  valeur  par  un  gouvernement  qui  emprun- 
tait à  la  France  ses  plus  utiles  agents,  replacée 
sur  la  grande  route  des  Indes  par  l'œuvre  fran- 
çaise du  canal  de  Suez,  est  administrée  sous  la 
suzeraineté  de  la  Turquie  par  une  dynastie  mu- 
sulmane que  la  France  et  l'Angleterre  réunies 
protègent  et  surveillent. 

Au  sud  de  l'Afrique,  les  possessions  britanni- 
ques s'étendent  sans  cesse,  et,  quoi  qu'on  pense 
des  moyens  employés,  la  civilisation  profite  des 
progrès  de  l'Angleterre.  Dans  l'iiuérieur,  les  voya- 
geurs les  plus  hardis  sont  suivis  de  près  par  des 
missionnaires,  agents  d'une  ligue  internationale, 
qui  fondent  des  stations  et  fout  la  guerre  à,  la 
barbarie  et  à  l'esclavage. 

La  suppiession  de  l'esclavage  est  une  des  plus 
grandes  œuvres  de  notre  siècle,  et  comme  une 
réparation  que  la  race  blanche  devait  à  la  race 
africaine.  C'est  à  la  France  de  la  Révolution  qu'ap- 
partient l'iionneur  d'avoir  donné  le  signal  dans 
ses  colonies.  Mais  h'S  affranchis  de  Saint-Domingue 
se  séparèrent  de  nous  ;  ceux  des  autres  îles  furent 
replongés  dans  la  servitude  par  la  réaction  consu- 
laire. Nous  avions  ouvert  la  voie  ;  l'Angleterre 
nous  y  dépassa.  En  1815  elle  av;iit  fait  stipuler 
au  traité  de  Paris  l'abolition  de  la  traite  ;  en 
1834  elle  afi'ranchit  les  esclaves  do  ses  colonies. 
En  1818  le  gouvernement  provisoire  de  la  Répu- 
blique française  suivit  cet  exemple.  La  plupart 
des  peuples  civilisés  firent  de  même.  La  question 
avait  plus  d'importance  aux  Etats-Unis  ;  la  pros- 
périté du  Sud  semblait  reposer  sur  le  travail  ser- 
vile.  La  terrible  guerre  civile  qui  éclata  en  1861 
aboutit  k  la  défaite  des  sécessionnistes  et  à  l'abo- 
lition de  l'insiitution  pour  laquelle  ils  avaient  pris 
les  armes.  Plusieurs  millions  de  noirs  furent  d'un 
seul  coup  élevés  à  la  digniiô  d'hommes  libres  et 
de  citoyens.  Les  colonies  espagnoles  et  leBiésil 
renferment  encore  des  esclaves,  mais  leur  libé- 
ration graduelle  est  commencée.  Il  ne  reste  plus 
qu'à  poursuivre  cette  odieuse  coutume  dans  les 
États  musulmans  et  chez  les  peuples  barbares. 

Le  servage,  qui  n'est  qu'une  forme  adoucie  de 
l'esclavags,  fut  aboli  en  Russie  par  le  tsar 
Alexandre  II  en  ISGl.  La  situation  des  chrétiens 
sujets  de  l'empire  turc  n'était  guère  moins 
cruelle.  La  Gi-èce,  après  une  lutte  héroïquement 
soutenue,  fut  délivrée  par  l'intervention  de  la 
France,  de  l'Angleterre  et  de  la  Russie;  elle  s'est 
accrue  des  îles  Ioniennes,  puis  du  sud  de  l'Epire 
et  de  la  Tliessalie.  La  Roumanie,  la  Serbie,  le 
-Monténégro  sont  devenus  des  États  indépen- 
dants; la  Bulgarie  est  presque  entièrement  af- 
franchie; la  Roumélie  orientale  jouit  d'un  gou- 
2«  PABiif:. 


verneinent  séparé.  La  domination  ottomane  en 
Europe  est  chaque  jour  plus  restreinte  et  plus  me- 
nacée. 

Mais  ce  qui  caractérise  l'histoire  du  xix'  siè- 
cle en  Europe,  ce  n'est  ni  la  fréquence  des 
révolutions,  ni  l'avènement  ou  le  retour  à  la 
vie  de  quelques  peuples  nouveaux  ou  longtemps 
opprimés.  C'est  surtout  le  progrès  entendu  dans 
son  sens  le  plus  large,  c'est  le  mouvement  des 
idées,  l'accroissement  de  la  force  productive  des 
nations,  l'aïuélioration  de  la  situation  luatérielle 
et  morale  des  classes  les  plus  nombreuses,  le  res- 
serrement des  liens  de  solidarité  qui  unissent  tous 
les  membres  de  la  famille  humaine.  L'histoire 
politique  et  militaire  n'est  qu'une  partie  de  l'his- 
toire, la  plus  dramatique  sans  doute,  mais  non 
touiours  la  plus  importante. 

Notre  siècle  est  par  excellence  un  siècle  scien- 
tifique. Jamais  la  nature  n'a  été  interrogée  avec 
autant  de  zèle  et  de  succès.  Dans  presque  toutes 
les  voies  la  France  donna  l'impulsion.  La  Révo- 
lution, l'Empire,  la  Restauration  virent  à  l'œuvre 
une  pléiade  do  chercheurs  de  génie,  qui  partout 
laissèrent  une  trace  profonde.  Les  noms  de 
Cuvier  et  de  Geoft'roy  Saint-Hilaire,  d'Ampère  et 
d'Arago,  de  Thinard  et  de  Gay-Lussac,  se  présen- 
tent tout  d'abord  à  l'esprit.  C'est  surtout  dans 
l'histoire  naturelle  et  la  chimie  que  nous  fûmes 
au-dessus  de  nos  rivaux.  Bichat  n'avait  pas  exercé 
une  moindre  influence  sur  la  médecine.  Aujour- 
d'hui, dans  presque  toutes  les  branches  de  la 
science,  l'Angleterre  et  l'Allemagne  nous  dispu- 
tent la  palme,  et  semblent  parfois  l'emporter  sur 
nous  par  la  variété  des  découvertes  de  détail  et 
par  l'ampleur  des  systèmes.  C'est  un  Anglais,  Dar- 
win, qui  a  créé  la  théorie  ingénieuse  et  féconde 
de  l'évolution  ;  et  c'est  de  l'autre  côté  du  Rhin 
que  les  recherches  sur  les  secrets  de  la  vie  sont 
conduites  avec  le  plus  d'activité. 

Nous  n'avons  pas  peu  contribué  à  renouveler 
l'étude  de  1  histoire  par  des  chefs-d'œuvre  oii  la 
narration  la  plus  éloquente  mettait  à  profit  une 
érudition  scrupuleusement  puisée  aux  sources. 
Mais  il  y  avait  déjà  eu  de  grands  historiens  ;  la 
linguistique  est  une  création  de  ce  siè  le.  Les 
innombrables  variétés  du  langage  humain  ont  été 
comparées  et  classées  ;  les  idiomes  ont  été  grou- 
pés en  familles,  l'analyse  des  racines,  des  formes 
grammaticales,  des  luots  conservés  ou  modifiés 
par  le  temps,  a  répandu  une  lumière  inattendue 
sur  les  origines  dos  peuples,  sur  leur  parenté,  sur 
leurs  migrations,  sur  leurs  mœurs  et  It-urs  croyan- 
ces primitives. 

L'archéologie  ne  s'est  pas  contentée  de  dégager 
les  ruines  et  de  déchiffrer  les  secrets  des  civili- 
sations disparues;  elle  a  découvert  et  interprété 
les  vestiges  d'un  état  antérieur  à  toute  civilisation, 
et  fait  remonter  à  des  centaines  de  siècles  nos 
connaissances  incomplètes,  mais  certaines,  sur 
les  premiers  habitants  humains  de  notre  planète. 
La  géologie  allait  bien  plus  loin  encore,  et  recon- 
stituait les  annales  des  révolutions  terrestres  qui 
ont  devancé  l'apparition  de  l'homme. 

Le  domaine  des  lettres  et  des  arts  est  presque 
le  seul  c|ui  échappe  presque  entièrement  à  la  loi 
du  progrès  ;  on  ne  peut  se  flatter  d'elTacer  les 
vieux  cliofs-d'œuvre.  Sans  doute  l'épotiue  qui  a  vu 
briller  Gœtln',  Byron  et  Victor  Hugo  n'a  point  de 
comparaison  h  craindre,  et,  quoiqu'il  soit  téiné- 
raire  de  devancer  le  jugement  de  la  postérité, 
nous  pouvons  croire  que  nos  peintres  et  nos  sculp- 
teurs sont  dignes  de  leurs  devanciers,  tandis  que 
la  musiciue  a  été  portée  de  nos  jours  à  un  degré 
de  perfection  qu'elle  n'avait  pas  encore  atteint. 
Mais  si  liiuagination  humaine  n'est  pas  devenue 
plus  riche  et  plus  féconde,  ses  créations  ont  été 
mises  à  la  portée  d'un  plus  grand  noinbie  d'hom- 
mes. D'une  part  on  a  inventé  de  nouveaux  moyens 
154 


SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME) 


2450  —       SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME) 


de  reproduire  les  œuvres  d'art;  d'autre  part,  la 
lecture  est  devenue  d'un  usage  plus  général  et 
plus  varié. 

Deux  causes  principales  ont  accéléré  la  diffu- 
sion des  lumières  :  la  multiplication  des  journaux 
et  les  progrès  de  l'instruction  populaire.  Telle  est 
k  cet  égard  la  force  du  sentiment  public,  que, 
loiu  de  ramener  l'Europe  en  arrière,  les  périodes 
de  réaction  ont  à  peine  ralenti  le  mouvement; 
les  gouvernements  les  moins  libéraux  se  sont 
efforcés  plutôt  de  diriger  à  leur  gré  l'éducation  do 
la  jeunesse  que  d'en  restreindre  les  bienfaits.  Par- 
tout on  a  compris  que  la  science  est  une  dette 
sacrée  de  la  génération  adulte  envers  la  génération 
n.iissante  ;  presque  partout  ou  comprend  que  l'en- 
seignement a  pour  but  de  préparer  les  hommes 
aux  luttes  de  la  vie,  non  de  les  asservir  à  certai- 
nes doctrines,  et  l'école,  en  conquérant  la  place 
qui  lui  appartient,  conquiert  aussi  son  indépen- 
dance. 

L'obligation  n'est  pas  encore  consacrée  par  tou- 
tes les  législations  :  mais  elle  entre  de  plus  en 
plus  dans  les  idées  et  dans  les  mœurs.  En 
même  temps,  le  minimum  des  connaissances  exi- 
gées de  tous  et  distribuées  à  tous  s'accroît  de  jour 
en  jour,  et  les  degrés  supérieurs  de  l'instruction 
sont  rendus  plus  accessibles  h  toutes  les  intelli- 
gences. Beaucoup  reste  à  faire,  mais  on  voit  le 
but,  et  le  branle  est  donné. 

Quoi  qu'il  y  ait  eu  des  journaux  avant  ce  siècle, 
la  presse  périodique  est  une  insliiution  toute 
contemporaine.  Par  la  rapidité  de  leurs  informa- 
tions, par  leur  bas  prix,  par  leur  abondance  et  la 
promptitude  de  leur  circulation,  les  r-uilles  pu- 
bliques sont  devenues  d'un  bout  à  l'autre  du 
monde  civilisé  le  principal  aliment  des  esprits, 
le  plus  puissant  véhicule  de  la  science  et  du  pro- 
grès. C'est  même  à  la  presse  que  le  pro:;Tès  doit 
sa  force  désormais  irrésistible.  Toutes  les  puis- 
sances rétrogrades  se  sont  liguées  contre  cette 
puissance  nouvelle,  et  ont  cherché,  soit  à  la  res- 
treindre, soit  à  l'asservir  et  h  l'exploiter.  Mais 
c'est  beaucoup  que  la  discussion  et  la  (lubliciié 
soient  devenues  la  grande  loi  des  choses  humaines. 
Toute  tjrannie  est  à  demi-vaincue,  quand  elle  ne 
peut  ni  imposer  le  silence,  ni  échapper  à  la  né- 
cessité de  se  justifier.  L'invention  de  l'imprime- 
rie, ainsi  complétée,  porte  ses  fruiis  les  plus 
précieux  en  inondant  l'univers  d'une  lumière 
parfois  trouble  et  changeante,  mais  qu'on  ne  peut 
éteindre. 

La  presse  n'aurait  pu  recueillir  tant  d'informa- 
tions sans  le  télégraphe,  ni  les  répandre  si  promp- 
tement  sans  les  chemins  de  fer.  L'application  de 
la  vapeur  à  l'industrie  des  transports  avait  été 
devinée  longtemps  avant  d'être  réalisée.  Le  pre- 
mier bateau  à  vapeur,  construit  par  le  Français 
de  Jouffroy,  remonta  le  cours  de  la  S.'ône  en 
ms.  Cet  essai  n'eut  pas  de  suite,  (.'est  l'Améri- 
cain Fulton  qui  fit  passer  celte  grande  invention 
dans  le  domaine  de  la  pratique.  Le  propulseur  à 
hélice,  également  dû  à  un  Français-,  marqua  un 
progrès  nouveau.  Peu  h  peu  la  navigaiiou  à  va- 
peur remplace  la  navigation  à  voiles,  non  seule- 
ment pour  le  transport  des  voyageurs,  mais  pour 
celui  des  marchandises. 

Les  chemins  de  fer  surtout  ont  changé  la  face 
du  monde.  C'est  en  1804  que  fut  construite  en 
Angleterre  la  première  locomotive,  bien  impar- 
faite encore.  Le  premier  chemin  de  1er  franç^iis 
date  de  1827.  L'énurmité  des  frais  d'établissement 
rendit  d'abord  la  construction  assez  lejjte.  jus- 
qu'à ce  que  le  concours  des  gouverni'monis  et  de 
l'indu'trie  privée  triomphât  de  tous  les  obstacles. 
On  évalue  la  longueur  des  voies  ferrées,  à  la  fin 
de  1880,  à3.i7000  kilomètres  pour  le  gi..be  entier, 
dont  20  0110  pour  la  France.  Les  Etats-Unis  en  ont 
HO  000  kilomètres. 


Les  vieillards  peuvent  seuls  nous  dire  quelle 
transformation  la  vapeur  a  fait  subir  aux  relationi 
sociales  et  ijiternationales.  Les  voyages,  autrefois 
longs  et  coûteux,  s'accomplissent  avec  une  mer- 
veilleuse rapidité.  Les  hommes,  jadis  enfermés 
dans  leurs  pays  par  la  difficulté  des  transports,  se 
déplacent  sans  peine  pour  leurs  affaires,  pour  leur 
instruction,  pour  leur  plaisir.  Les  peuples  appren- 
nent h  se  connaître  et  à  s'aimer.  Les  colonies 
sont  mieux  rattachées  à  la  métropole  ;  l'émigra- 
tion s'est  développée.  Le  commerce  a  reçu  une 
impulsion  encore  plus  puissante.  Les  marchandi- 
ses même  encombrantes  circulent  h  bon  marché. 
Les  houilles  qui  abondent  dans  certains  pays 
vont  alimenter  l'industrie  des  pays  moins  favorisés. 
Les  populations  les  plus  déshéritées  sortent  de 
leur  isolement,  écoulent  les  produits  naturels  de 
leur  sol,  reçoivent  les  produits  de  l'industrie 
étrangère  ;  la  richesse  se  multiplie  en  s'échan- 
geant.  Les  blés  de  Russie  et  d'Amérique  arrivent 
sans  grands  frais  dans  l'Europe  occidentale;  l'uni- 
vers ne  formant  plus  qu'un  vaste  marché,  la  famine 
et  même  la  disette  deviennent  impossibles  dans 
les  contrées  pourvues  de  moyens  de  communica- 
tion suffisants. 

Les  chemins  de  fer  étendent  le  domaine  de  la 
civilisation  autant  qu'ils  la  servent  là  où  elle  fleu- 
rit déjà.  Aux  États-Unis  l'Ouest  a  été  uni  à  l'Est 
par  le  Transcontinental,  qui  met  les  bords  du  Pa- 
cifique à  six  jours  des  rivages  de  l'Atlantique. 
Nous  aclievons  et  nous  assurons  par  des  chemins 
de  fer  la  ceni|uête  de  l'.^lgérie,  comme  les  Anglais 
celle  de  l'Inde,  comme  les  Russes  celle  de  l'Asie 
centrale. 

Ainsi  le  commerce  international  a  pris  un  essor 
sans  exemple;  des  ports  sont  creusés,  améliorés, 
pourvus  d'un  outillage  qui  épargne  le  temps  et  la 
peine.  Aucun  obstacle  n'arrête  l'audace  des  ingé- 
nieurs, devenus  les  plus  hardis  des  conquérants 
modernes.  Des  tunnels,  comme  ceux  du  mont 
Cenis  et  du  Saint-Gothard,  traversent  les  plus 
hautes  montagnes.  Un  Français,  Ferdinand  de 
Lesseps,  a  raccourci  de  moitié  la  route  de  l'Inde  et 
de  la  Cliine  en  perçant  l'isthme  de  Suez;  l'isthme 
de  Panama  est  déjà  entamé  par  lui.  L'homme 
a  pris  conscience  de  sa  toute-puissance  ;  on  compte 
sur  de  nouvelles  surprises. 

Il  était  absurde  de  séparer  par  les  douanes  les 
peuples  qu'unissaient  les  travaux  des  ingénieurs. 
L'économie  politique,  cette  science  qui  date 
du  xviii'  .siècle,  mais  qui  commence  seulement  à 
devenir  populaire,  à  rectifier  ses  premières  théories 
souvent  trop  absolues,  à  faire  entrer  dans  ses  cal- 
culs les  doimées  morales  qu'elle  avait  d'abord  trop 
écartées,  l'économie  politique  n'a  cessé  de  prêcher 
la  liberté  des  échanges.  Malgré  la  résistance  des 
intérêts  fiscaux,  des  intérêts  locaux,  des  préjugés 
qui  isolaient  les  peuples,  les  barrières  sont  tom- 
bées ou  se  sont  abaissées.  L'Angleterre  a  ouvert 
la  voie.  Ses  mines  de  fer  et  de  houille,  sa  marine 
sans  rivale,  la  supériorité  de  son  industrie,  les 
richesses  accumulées  sur  son  sol  par  l'activité  de 
ses  enfants  et  par  une  longue  jouissance  de  la  li- 
berté politique,  t(mt  contribuait  à  la  rassurer  contre 
la  concurrence  étrangère.  Elle  eut  plus  de  peine 
à  propager  au  dehors  les  doctrines  que  le  grand 
Cobdeii  avait  fait  adopter  à  ses  concitoyens.  Cepen- 
dant le  fameux  traité  anglo-français  de  1800  donna 
le  branle. La  liberté  commerciale,  ne  triomplie  que 
lentement,  soit  parce  que  les  gouvernements, 
comme  en  Antérique,  tirent  des  dou.mos  un  trop 
gros  revenu,  soit  parce  que  les  produeteurs  se 
liguent  plus  aisément  que  les  consonimaiours.  Il  y 
a  des  teiups  d'arrêt;  il  y  a  même  des  retours  en- 
arrière,  mais  la  victoire  finale  n'est  guère  dou- 
teuse. 

Si  la  vapeur  accélère  le  transport  des  voyageurs, 
des   marchandises  et  des  lettres,  l'électricité  met 


SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME)      —  2451  —      SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME) 


instantanément  les  liommcs  en  rapport,  d'un  bout 
du  inonde  à  l'autre.  Le  t61éi:raplie  élcctrii|ue  a  6té 
rendu  possible  par  les  découvertes  d'Ampère  et 
d"Arago  ;  ce  sont  surtout  les  Américains  qui  ont 
rendu  pratique  cette  grande  invention,  qui  relie 
les  continents  par  les  câbles  sous-marins,  et  que 
des  perfectionnements  successifs  mettent  sans 
cesse  davaniage  à  la  portée  de  tous.  Elle  n'a  pas  été 
pour  la  presse  un  moins  grand  bienfait  que 
pour  le  commerce;  en  quelques  lioures  les  nou- 
velles du  globe  entier  sont  portées  à  la  connais- 
sance de  quicon(iue  sait  lire. 

La  facilité  croissante  des  communications  devait 
suggérer  l'idée  de  rassembler  en  un  seul  lieu  tous 
les  chefs-d'œuvre  de  l'industrie  humaine.  La  pre- 
mière exposition  universelle  fut  ouverte  à  Londres 
en  1851  ;  la  seconde  à  Paris  en  1855.  Ces  grandes 
fêtes  n'ont  pas  fourni  seulement  l'occasion  d'éta- 
ler des  marchandises  et  d'amuser  des  voyageurs. 
On  les  a  fait  servir  au  progrès  de  la  civilisation 
tout  entière   par  des  congrès  scientifiques;  par  la  i 
comparaison  des    méthodes    et    des   résultats    de 
l'éducation,    des    institutions   de  bienfaisance    et 
d'utilité  sociale.  Les  peuples  ainsi  rapprochés  ont  i 
reconnu  que  certains  objets  étaient  non  d'intérêt 
national,  mais  d'intérêt  humain.  Chaque  jour  les  j 
différents   États    se  concertent,    soit  pour  établir 
l'unité  du  service  et   du   tarif  de  la  poste  dans  j 
tout   l'univers,    soit   pour  assurer   le    respect   de  i 
la   propriété  industrielle  et  de  la  propriété  Intel-  j 
lectuelle,  ou   pour  combattre   les  fléaux  qui  me-  j 
nacent  notre  vie  ou  notre  subsistance.  Les   phi- 
lanthropes espèrent  que  cette   législation  supé- 
rieure finira  par  embrasser  tous  les   rapports  des 
peuples  entre  eux,  de  manière   i  prévenir  leurs 
différends    ou  à   les   faire  juger   par  un   tribunal 
respecté.  Déjà  on  a  fait    de  louables  efforts  pour 
adoucir  et  pour  codifier  les  lois  de  la  guerre;  déjà, 
l'arbitrage  a  mis  fin  h  plus  d'un  litige. 

La  vapeur  n'a  pas  seulement  rapproché  les 
hommes  et  facilité  l'échange  di:s  produits.  Elle  a 
décuplé  la  puissance  industrielle  des  peuples  en 
permettant  de  substituera  la  force  limitée  du  bras 
humain  une  force  que  la  nature  fournit  en  abon- 
dance. En  même  temps  qu'on  trouvait  un  moteur 
à  bas  prix,  on  inventait  des  rouages  de  plus  en 
plus  perfectionnés.  Le  travail  humain  devient  sur- 
tout un  travail  de  direction;  chaque  progrès  dimi- 
nue la  part  de  notre  action  physique,  augmente 
celle  de  notre  attention  et  de  notre  intelligence. 
Les  noms  de  Jacquart  et  de  Philippe  de  Girard 
suffisent  à  rappeler  avec  quel  succès  la  France  s'est 
associée  à  ce  grand  mouvement.  Toutes  les  indus- 
tries ont  dû  les  unes  après  les  autres  recourir  aux 
machines,  qui  présentent  le  triple  avantage  de  l'éco- 
nomie, d'une  puissance  illimitée  et  d'une  précision 
croissante,  et  pour  lesquelles  rien  n'est  trop  gros 
ni  trop  menu,  car  elles  servent  kla  fabrication  des 
cuirasses  de  navire  comme  à  celle  des  pièces  d'hor- 
logerie. L'agriculture  mênie  commence  à  ressentir 
les  effets  de  cette  révolution,  qui  est  loin  d'être 
arrivée  à  son  terme. 

Le  triomphe  des  machines  devait  à  la  fois  mul- 
tiplier, dé|)lacer,  transformer  la  richesse.  La  faci- 
lité des  transports  rendait  la  concurrence  plus 
active,  et  les  progrès  do  la  mécanique  exigeaient 
une  plus  grande  concentration  de  capitaux.  L'a- 
vantage dans  la  lutte  était  assuré  aux  localités 
les  mieux  placées  pour  recevoir  les  matières  pre- 
mières et  le  combustible,  ou  pour  écouler  les 
produits,  comme  aux  établissements  qui,  en  ac- 
croissant leur  importance,  diminuaient  les  frais 
généraux  de  la  production.  Dans  cette  guerre  pa- 
cifique, la  fortune  pencha  vers  les  gros  bataillons. 
De  là  vinrent  l'accumulation  des  ouvriers  dans  les 
villes  où  les  amenaient  les  chemins  de  fer,  et  la 
formation  des  sociétés  par  actions.  La  richesse, 
qui  autrefois  était  surtout  territoriale,  est  deve- 


nue en  grande  partie  mobilière  ;  l'industrie  ras- 
semble les  capitaux  et  en  fractionne  la  représen- 
tation ;  les  chemins  de  fer  sont  la  propriété  do 
grandes  compagnies  ;  les  Eials,  obérés  par  d'é- 
normes dépenses  de  guerre,  encouragés  par  l'aug- 
mentation régulière  des  revenus  publics,  ont  mul- 
tiplié les  emprunts  avec  une  émulation  parfois  im- 
))rudente.  Ainsi  s'est  créée  une  masse  prodi- 
gieuse d'actions,  d'obligations,  de  titres  de  rente, 
doiit  la  valeur  suit  les  oscillitions  de  la  prospé- 
rité générale  et  de  la  confiance  publique  :  ainsi 
s'est  accrue  l'importance  des  grands  marchés  de 
capitaux,  comme  les  Bourses  de  Paris  et  de 
Londres.  Ainsi  les  capitaux  deviennent,  comme 
les  autres  marchandises,  sujets  aux  courants 
d'exportation  et  aux  fluctuations  des  cours.  De  là 
une  plus  grande  solidarité  entre  les  nations;  la 
prospérité  des  uns  sert  au  développement  des 
autres  ;  les  malheurs  des  uns  sont  ressentis  par 
les  autres. 

Toute  révolution  fait  des  victimes;  la  révolu- 
tion économique  et  nidustrielle  devait  avoir  les 
siennes.  La  grande  industrie  a  presque  tué  la 
petite,  et  déjîi  le  grand  commerce  nuit  au  petit. 
Les  anciens  chefs  d'atidier,  les  artisans  libres,  les 
boutiquiers  sont  contraints  d'échanger  leur  exis- 
tence indépendante  contre  la  situation  plus  pé- 
nible d'employés  et  d'ouvriers.  Les  machines  per- 
mettaient de  l'abiii|uer  à  meilleur  marche,  et  par 
conséquent  niettaieiU  un  grand  nombre  d'objets 
à  la  portée  des  bourses  les  plus  modestes.  Le 
champ  de  la  ronsommation  s'est  étendu  à  l'infini  ; 
les  étoffes  simples,  par  exemple,  coùti'nt  bien 
moins  aujourd'hui  qu'autrefois,  malgré  la  dimi- 
nution de  la  valeur  de  l'argent.  Mais  le  progrès 
de  la  fabrication  eut  d'abord  ou  parut  avoir  pour 
résultat  de  restreindre  la  demande  du  travail,  et 
les  macbini's  fuient  regardées  par  les  ouvriers 
I  comme  un  fléau.  En  plus  d'une  ville  elles  furent 
brisées  par  des  émeuiiers;  Jacquart  faillit  être 
tué  par  les  tisseurs  de  Lyon. 

La  vérité  est  que  les  perfectionnements  indus- 
triels ont  au  contraire  multiplié  les  salaires,  en 
donnant  à  la  production  une  extension  prodi- 
gieuse. Mais  cette  extension  même  a  parfois  dé- 
passé les  limites  de  la  prudence  ;  l'encombrement 
des  marchés  a  causé  de  brusques  arrêts.  Les  tra- 
vailleurs avaient  été  attirés  dans  les  villes  par 
l'appât  d'un  plus  gros  salaire.  Là  ils  étaient  plon- 
gés dans  une  atmosphère  matériellement  et  mo- 
ralement moins  salnbre  que  celle  de  la  campa- 
gne, entassés  dans  des  logements  malsains,  où 
ils  végétaient,  où  leurs  enfants  s'étiolaient,  qu'ils 
quittaient  autant  qu'ils  le  pouvaient  pour  cédera 
toutes  les  teniatioiis  d'une  grande  cité.  Ils  ris- 
quaient de  perdre  les  habitudes  du  foyer  et  le 
goût  de  I  économie.  Toute  crise,  tout  chômage  les 
réduisail  à  la  misère.  Les  chefs  d'industrie, 
pousses  par  la  concurrence,  allongeaient  les  jour- 
nées, en  diminuaient  le  prix,  employaient  les  en- 
fants et  les  femmes.  Les  lois  étaient  insuffisantes 
pour  combattre  les  abus;  la  charité  publique  et 
privée,  qui  n'est  j.imais  qu'un  palliatif,  luttait  en 
vain  contre  l'envahissement  du  paupérisme.  On 
peut  du'o  que  de  ^815  à  1848  la  grande  industrie  a 
été.  en  Angleterre  et  en  France,  presque  aussi 
cruelle  à  ses  humbles  instruments  que  favorable 
au  développement  de  la  riche-se  publique. 

(et  état  de  choses  devait  produire  un  dange- 
reux antagonisme  social.  En  Angleterre,  vers 
18i(),  la  lutte  était  si  vive  qu'on  parut  craindre  un 
soulèvement  général  de  la  population  ouvrière. 
Peu  à  peu  cependant  l'usage  de  la  liberté,  et  sur- 
tout de  la  libeité  d'association,  a  produit  une 
heureuse  détente.  En  France  l'animosité  fut  plus 
âpre  encore  et  plus  durable,  parce  que  les  que- 
rellas politiques  se  mêlaient  aux  querelles  sociales. 
j\otre  histoire  nous  a  habitués  à  tout  attendre  de 


SIÈCLE  (DIX-NEUVIÈME)       —  2452  — 


SPONGIAIRES 


l'Etat,  à  croire  que  sa  puissance  est  sans  bornes 
ainsi  que  son  droit.  Notre  tempérament  nous  dis- 
pose à  pousser  à  bout  les  conséquences  d'un 
principe,  à  rêver  l'absolu,  à  considérer  la  société 
comme  une  machine  et  les  institutions  comme 
des  rouages  que  la  volonté  humaine  construit  à 
son  gré.  Pendant  le  règne  de  Louis-Philippe  sur- 
tout, les  systèmes  abondèrent,  les  utopies  se  pro- 
duisirent avec  un  succès  croissant.  Jean-Jacques 
Rousseau  trouvait  de  nombreux  imitateurs,  qu'in- 
spiraient à  la  fois  un  sincère  désir  d'améliorer  la 
destinée  de  leurs  semblables,  une  imagination  ar- 
dente, une  passion  démocratique  surexcitée  par  la 
résistance  d'un  gouvernement  oligarcliique.  La 
Révolution  de  1848  fut  comme  l'explosion  de  ce 
besoin  de  progrès  social  ;  mais  la  crise  industrielle 
allait  rendre  le  progrès  bien  difficile,  et  les  jour- 
nées de  juin  jetèrent  le  discrédit  sur  les  théories 
qui  avaient  semblé  sur  le  point  de  triompher,  et 
qu'on  rendit  responsables  de  cette  lamentable 
guerre  civile. 

Ce  n'est  pas  le  lieu  de  discuter  ni  de  juger  Ips 
doctrines  socialistes.  Les  succès  et  les  revers  d(3 
leurs  apôtres  tiennent  à  des  causes  trop  diverses 
pour  que  nous  puissions  les  analyser  ici.  liais 
l'établissement  définitif  du  suffrage  universel  et 
du  régime  démocratique  a  du  moins  adouci  les 
haines  et  ôté  tout  prétexte  à  la  violence  en  don- 
nant à  chaque  citnyen  sa  part  dans  le  gouverne- 
ment du  pays.  D'ailleurs  les  maux  qui  poussaiejit 
à  bout  la  population  ouvrière  des  villes  ojit  été 
atténués  par  des  lois  protectrices,  par  des  institu- 
tions utiles,  par  la  force  même  des  chose 
quilibre  s'est  mieux  établi  entre  la  production  et 
la  consommation  ;  les  crises  sont  plus  rares  el 
moins  générales.  Le  prix  des  subsistances  varie 
moins.  Les  objets  d'un  usage  commun  sont  deve- 
nus moins  chers  grâce  aux  perfectionnements  in- 
dustriels, tandis  que  le  salaire  moyen  ne  cessait 
de  s'élever.  La  condition  des  travailleurs  urbains 
est  donc  meilleure  ;  celle  des  travailleurs  ruraux 
s'est  améliorée  continuelleinent  depuis  la  Révo- 
lution. 

La  France  s'est  transformée  en  un  siècle.  Les 
maisons  d'habitation  sont  plus  saines  ;  les  chau- 
mières et  les  masures  disparaissent  rapidement  ; 
le  vêtement  est  plus  confortable  ;  la  nourriture 
plus  substantielle,  plus  agréable  et  plus  variée. 
La  durée  moyenne  de  la  vie  s'est  largement  ac- 
crue. La  richesse  générale  du  pays  augmente 
avec  une  rapidité  extraordinaire.  Nous  payons 
sans  trop  de  peine  des  impôts  trois  foi^plus  con- 
sidérables, mais  non  plus  lourds,  que  sous  la  Res- 
tauration ;  l'observation  aussi  bien  que  la  statisti- 
que prouvent  que,  si  les  riches  sont  devenus  un 
peu  plus  riches,  les  pauvres  sont  devenus  beau- 
coup moins  pauvres  ;  le  niveau  s'est  élevé,  et  les 
conditions  se  sont  rapprochées. 

Cette  marche  de  la  grande  masse  de  l'humanité 
vers  le  bien-être  et  vers  l'égalité  n'est  pas  un  fait 
particulier  à  la  France.  Quoique  le  peuple  ne  soit 
entré  en  pleine  possession  de  la  souveraineté 
qu'en  Amérique,  en  Suisse  et  chez  nous,  partout 
il  tend  i  se  rapprocher  du  but  que  l'histoire  et  la 
raison  sont  d'accord  pour  assigner  i  l'évolution 
politiciue,  c'est-à-dire  de  la  démocratie.  Ainsi  en 
Angleterre,  le  xix'  siècle  a  vu  le  pouvoir  royal  et 
le  pouvoir  aristocratique  s'effacer  graduellement 
devant  la  Chambre  des  communes,  k  laquelle 
deux  réformes  successives  ont  donné  une  plus 
large  base  électorale.  Dans  les  pays  libres  où  le 
suffrage  est  encore  restreint,  personne  ne  doute 
que  le  progrès  de  l'instruction  générale  n'amène 
l'extension  du  droit  de  vote.  Ailleurs,  les  étapes 
sont  moins  rapidement  franchies  ;  il  y  a  loin  pour- 
tant de  la  situation  actuelle  en  Allemagne,  en  Au- 
triche, en  Russie  môme,  à  l'ordre  social  et  poli- 
tique  que  la  Sainte-Alliance    prétendait  rendre 


immuable.  Là  où  les  résistances  sont  plus  fortes, 
l'attaque  est  plus  passionnée.  On  sait  que  les 
socialistes  révolutionnaires  ne  sont  nulle  part  plus 
nombreux  qu'en  Allemagne,  ni  plus  violents  qu'en 
Russie. 

Nos  pères  de  la  Révolution  françai'^e,  en  adop- 
tant une  triple  devise,  marcjuaient  le  triple  but  des 
efforts  de  l'humanité.  Elle  tend  à  la  liberté  par 
une  détermination  de  plus  en  plus  exacte  du  do- 
maine de  l'Etat  et  du  domaine  de  l'activité  indivi- 
duelle; à  l'égalité  par  la  suppression  des  barrières 
qui  séparaient  les  classes  et  des  privilèges  qui 
excluaient  le  grand  nombre  de  la  gestion  des 
intérêts  communs  ;  à  la  fraternité  par  l'extension 
de  l'idée  de  justice,  par  le  sentiment  de  jour  en 
jour  plus  puissant  qui  porte  les  législateurs,  les 
gouvernants,  tous  les  hommes  qui  exercent  une 
influence  prépondérante,  à  protéger  les  faibles,  à 
secourir  les  abandonnés,  à  seconder  l'ascension 
des  masses  vers  la  lumière  et  le  bien-être. 

Mais  la  part  du  sentiment  dans  la  direction  des 
affaires  humaines  a  été   singulièrement  restreinte 
de  nos  jours  au  profit  de  l'intelligence,  ou  plutôt 
la  science,  sans  contester  les  droits  du  sentiment, 
a  revendiqué   et   conquis   les  siens.    Ce   sont  les 
sciences  physiques  qui  ont  imprimé  à  l'industrie 
un  essor   sans   exemple,   qui   ont  facilité  les    fé- 
condes découvertes  de  notre  temps,  qui  ont  assuré 
à  la  civilisation  européenne  une  victoire  sans  retour 
possible  sur  la  barbarie.  Ce  sont  les  sciences  na- 
turelles et  les  sciences  historiques  qui  nous  ont 
fait  connaître  notre  place  dans  l'univers,  qui  noua 
ont  éclairés  sur  notre  destinée,  sur  nos  origines 
lointaines,  qui  ont  donné   à  l'idée  du  progrès  un 
ascendant    souverain.  C'est   la    connaissance  plus 
approfondie     de    notre    être    physique    et   moral 
qui  nous  permettra  de  substituer  dans  le  gouver- 
nement et   dans   l'éducation    des  hommes  la  mé- 
thode clairvoyante   et  sûre   aux  tâtonnements  de 
l'empirisme,  en  même  temps  que  la  diffusion  uni- 
verselle de   la    science    assure   le  triomphe  des 
principes  de  liberté,  d'égalité  et  de  fraternité. 
[Raoul   Frary.] 
SI'OXGIAIRES.  —  Zoologie,  XXX.  —  Les  Spon- 
giaires ou  Eponges,  placés  d'abord  parmi  les  Pro- 
tozoaires, en  ont  été   retirés  quand  on  eut  mieux 
connu  leur  structure   anatomique  ainsi  que   leur 
mode   de  développement;   et  leur  place  dans  le 
groupe    des   Cœlentérés   paraissait    bien  assurée, 
lorsque  quelques  zoologistes  eurent  annoncé  la  pré- 
sence dans  leurs  tissus  de  nématocystes,  ces  or- 
ganes urticants  si  particuliers  des  hydraires  et  des 
polypiers.    Malheureusement     cette     découverte 
n'est  pas  exacte,  les  nématocystes  trouvés  appar- 
tenant non  à  l'éponge,  mais  à  des  hydraires  para- 
sites qui  vivent  à  l'intérieur  de    ses  canaux.  Les 
Éponges,  n'étant  ni  des  Protozoaires  ni  des  Cœlen- 
térés, doivent  être  considérées  comme  formant  un 
groupe  à  part  bien  distinct,  et  qui  dans  une  clas- 
sification prendrait  place  entre  ces  deux  derniers. 
A  son  état  le  plus  simple,  une  éponge  peut  être 
considérée  comme  formée  d'une  masse  sarcodique 
en    forme    d'urne,  dont   les  parois  sont   creusées 
d'un  grand^ombre  de  canaux  s'ouvrant  au  dehors 
et   en  dedans  et  constamment   parcourus  par  un 
courant  d'eau.  L'eau   pénètre   par  les  ouvertures 
externes  ou  pives   inhalants,  et  s'échappe  par  la 
grande    ouverture  de   l'urne,  Voscule.  L'intérieur 
de  ces  canaux    est   tapissé  de  cellules  amiboîdes 
qui  saisissent  les  substances  alimentaires  entraî- 
nées par  l'eau,  les  digèrent  et  rejeltejit  au  dehors 
par  un  point  quelconque  de  leurs  parois  les  rési- 
dus de  la  digestion;  ces  cellules  sont  de  véritables 
amibes  réunies  en  colonie.  En  outre,  à  certaines 
places  et  en  général  sur  des  renflements  sphéri- 
ques  des  canaux,  se  trouvent  des  cellules  ciliées 
dont   le  cil  unique   est  entouré  à  sa  base  d'une 
collerette  comme  chez  les  infusoires  flagellifères. 


SPONGIAIRES 


—  2453  —       TENUE  DES  LIVRES 


Ces  renflements  spliériquos  constituent  les  orga- 
nes nommes  corheUles  viliratilex.  C'est  au  mouve- 
ment continu  des  cils  de  ces  cellules  qu'est  due 
la  direction  constante  du  courant  d'eau  qui  par- 
court les  canaux  de  l'éponge. 

Le  corps  de  l'éponge  est  en  outre  soutenu  en 
général  pai' des  fibres  cornées  très  délicates  aux- 
quelles s'ajoutent  lies  spicules  de  formes  variables, 
mais  constantes  dans  chaque  espèce,  et  dont  la  na- 
ture est  ou  calcaire  ou  siliceuse. 

Cette  forme  simple  de  l'éponge  est  en  général 
transitoire  et  no  persiste  pendant  toute  la  vie  que 
chez  quelques-unes,  surtout  chez  celles  dont  les 
spicules  sont  calcaires.  Le  plus  souvent,  elle  se 
complique  par  suite  d'un  bourgeonnement  irrégu- 
lier, et  au  lieu  d'être  un  individu  unique  l'éponge 
devient  une  véritable  colonie. 

Dans  cette  colonie,  on  peut  souvent  reconnaître 
le  nombre  des  ijidividus  qui  la  composent  par  celui 
des  oscules  qui  se  voient  à  sa  surface,  chaque  indi- 
vidu ayant  sa  cavité  générale  qui  s'ouvre  au  dehors 
par  une  ouverture  qui  lui  est  propre;  mais  sou- 
vent aussi  un  certain  nombre  d'oscules  se  con- 
fondent, parfois  môme  il  n'en  reste  plus  qu'un 
seul  pour  toute  la  colonie;  dans  ces  cas  il  est 
impossible  de  déterminer  le  chiffre  des  individus 
composant  la  colonie. 

La  reproduction  chez  les  éponges  peut  être  ou 
asexuée  ou  sexuée. 

La  reproduction  asexuée  peut  se  produire  par 
simple  division,  ou  bien,  et  c'est  ce  qui  a  lieu 
dans  quelques  éponges  marines  et  surtout  dans 
les  spongilles  ou  éponges  d'eau  douce,  par  forma- 
tion de  corps  particuliers  appelés  gemmules. 
Dans  ce  mode  de  reproduction,  on  voit  à  un  cer- 
tain moment  toute  la  niasse  sarcodique  de 
l'éponge  se  résoudre  en  un  grand  nombre  de  pe 
tits  corps  protoplasmiques,  entourés  d'un  kyste 
soutenu  lui-môrae  par  des  spicules  de  forme 
spéciale.  Ce  sojit  les  gemmules.  Au  bout  d'un 
certain  temps,  ordinairement  après  la  saison 
froide,  le  protoplasraa  de  la  gemmule  s'échappe 
au  dehors,  et  après  avoir  rampé  quelque  temps  se 
fixe  et  se  transforme  en  une  petite  éponge  qui 
croîtra  par  bourgeonnement. 

Dans  la  reproduction  sexuelle,  il  y  a  formation 
de  véritables  œufs  donnant  un  embryon  cilié  qui 
nage  pendant  quelque  temps  avant  do  se  fixer 
pour  reprod\iire  une  épojige. 

La  classification  des  Eponges  est  jusqu'à  pré- 
sent très  artificielle.  On  ne  peut  s'appuyer  en  effet 
ni  sur  la  forme,  excessivement  variable  dans  une 
même  espèce,  ni  sur  le  nombre  et  la  disposition 
des  oscules  qui  peuvent  disparaître  et  se  repro- 
duire en  d'autres  points.  Les  meilleurs  caractères 
sont  jusqu'à  présent  tirés  de  la  nature  du  squelette, 
de  la  foi  me  des  spicules,  ainsi  que  de  la  structure 
du  système  des  canaux. 

D'après  la  nature  du  squelette,  les  Eponges  sont 
divisées  en  trois  ordres  :  dans  les  Mi/xos/ioyiges  ou 
Eponges  gélatineuses,  le  squelette  manque  entière- 


ment; dans  les  Eponges  calcaires,  le  squelette  est 
constitué  par  des  fibres  cornées  unies  le  plus  sou- 
vent à  des  spicules  siliceux;  enfin  dans  les  E/iou- 
ges  calcaires,  le  squelette  est  formé  uniquement  de 
spicules  calcaires.  Parmi  les  Éponges  gélatineuses, 
il  faut  citer  les  llnlisarcia,  qui  forment  des  masses 
spongieuses  entièrement  molles. 

Dans  les  Eponges  cornées,  nous  trouvons  ;  les 
Etispongia,  éponges  cornées  sans  spicules  siliceux  ; 
c'est  ce  genre  qui  fournit  nos  éponges  usuelles; 
les  Heniera,  à  réseau  lâche  réuni  par  des  spicules 
siliceux;  les  Spongilla  ou  éponges  d'eau  douce; 
les  Desmacelki,  éponges  massives  et  ramifiées  ; 
les  Ancorina,  dont  la  couche  corticale  est  traver- 
sée par  des  spicules  en  forme  d'ancre  :  les  Eu- 
pleclella  et  les  Hiiuimema,  éponges  simples  de 
grande  taille,  vivant  à  de  grandes  profondeurs  et 
dont  le  squelette  siliceux  est  de  toute  beauté. 
Les  Eponges  calcaires  ont  des  formes  très  va- 
riables, la  même  espèce  pouvant  se  présenter  à  la 
fois  à  l'état  d'individu  simple  et  à  l'état  de  colonie. 
C'est  dans  ce  groupe  que  l'on  rencontre  le  type 
de  l'individu  spongiaire,rO/vïî<//!i.v;  Xna  Grantia,h 
canaux  simples  ;  les  Leuconia,  à  parois  épaisses 
percées  de  canaux  ramifiés  ;  les  Sgcons,  souvent 
monozoîques  et  dont  les  parois  épaisses  sont  tra- 
versées par  des  canaux  droits  formant  de  petites 
éminencesà  la  surface. 

A  l'exception  du  genre  Spongilla  qui  est  lacus- 
tre, toutes  les  éponges  sont  marines  et  vivent  en 
général  à  de  faibles  profondeurs;  cependant  les 
Hyalonema,  les  Euplcctella  et  quelques  autres 
genres  n'ont  été  rencontrés  jusqu'ici  qu'à  des 
profondeurs  considérables. 

L'utilité  de  la  plupart  des  éponges  est  faible  ; 
comme  elles  contiennent  de  l'iode,  on  en  utilise 
parfois  les  débris  calcinés  dans  le  traitement  du 
goitre.  Mais  le  genre  Euspongia,  à  fibres  cornées, 
fines,  sans  spicules,  fournit  des  espèces  activement 
recherchées  nous  donnant  les  éponges  journelle- 
ment employées  dans  la  vie  domestique.  La  pèche 
de  ces  éponges  se  fait  surtout  dans  la  Méditerra- 
née, sur  les  côtes  de  Smyrne  et  de  Crète  ;  on  en 
pêche  également  dans  le  golfe  du  Mexique.  Cette 
pêche  se  fait,  ou  à  la  drague,  qui  ne  ramène  sou- 
vent que  des  éponges  déchirées,  ou  bien  au  moyen 
de  plongeurs  qui  vont  couper  sous  l'eau  les  épon- 
ges les  plus  belles.  Les  éponges,  débarrassées  de 
leur  substance  animale  et  des  débris  pierreux 
qu'elles  peuvent  renfermer,  sont  lavées,  puis  li- 
vrées au  commerce. 

Les  Eponges,  si  répandues  dans  toutes  les  mers 
actuelles,  existaient  également  dans  les  mers  an- 
ciennes, et  on  rencontre  do  leurs  débris  dès  les 
premières  périodes  géologiques.  Mais  c'est  surtout 
dans  les  terrains  jurassique  et  crétacé  qu'elles 
étaient  abondantes,  et  leurs  restes  ont  concouru  à 
la  formation  de  roches  puissantes.  De  toutes  les 
formes  actuellement  existantes,  ce  sont  les  Hyalo- 
nema qui  se  rapprochent  le  plus  des  formes  an- 
ciennes, [i-  Poirier.] 


TENUE  DES  LIVRES.  —  La  tenue  des  livres 
est  l'art  d'inscrire  avec  méthode  et  exactitude  sur 
divers  registres  toutes  les  opérations  d'un  com- 
merçant. Ces  registres  se  nomment  Livres.  La  loi 
ne  prescrit  aucun  mode  particulier  pour  leur  te- 
nue, mais  elle  oblige  tout  commerçant  à  en  avoir 
trois  principaux  :  le  livre-journal,  le  livre  des  in- 
ventaires et  le  livre  de  copie  de  lettre.  Le  légis- 
lateur a  voulu  par  là  que  ce  commerçant  fût  tou- 
jours prêt  à  fournir  à  la  justice  les  éléments  né- 


cessaires pour  qu'elle  pfit  contrôler  ses  actes  de 
commerce  et  établir  ses  comptes,  tout  en  lui 
laissant  le  choix  du  mode  de  comptabilité.  L'usage 
a  établi  d'autres  registres  dont  nous  verrons  l'uti- 
lité ;  parmi  eux,  deux  tout  au  moins  sont  indis- 
pensables :  le  llrouillard  et  le  Gra?id  Livre  ;^  les 
autres,  moins  nécessaires,  sont  variables  d'une 
maison  à  l'autre,  suivant  le  genre  de  commerce 
auquel  on  se  livre  ;  ce  sont  :  les  livres d'af'iriis,  de 
ventes,  de  commissions,  i'entrée  et  de  sortie  des 


TENUE  DES  LIVRES 


24S4  —        TENUE  DES  LIVRES 


marchandiseit,  de  caisse,  les  carnets  d'échéatices 
des  effets  à  recevoir  et  à  pai/er,  \e  livre  des  comu- 
tes  cornants  portant  intérêts.  Le  livre  de  copies 
des  letties  est  souvent  rangé  dans  cette  catégorie. 
Pour  comprendre  la  tenue  des  livres  propre- 
ment dite  et  I  étude  de  tous  ces  livres,  il  faut  pos- 
séder ciuelqiics  notions  préliminaires  sur  cette 
science,  comme  une  sorte  d'alphabet.  Il  faut  voir 
ce  que  c'est  que  le  commerce,  les  commerçants, 
les  marchandises,  les  valeur.^,  les  opérations;  il 
faut  apprendre  à  dresser  les  factures,  les  borde- 
reaux, à  faire  les  billets,  les  lettres  de  change,  les 
chèques,  les  warrants,  etc. 


CoMMEBce.  —  Le  commerce  est  et  a  toujours  été 
une  succession  d'échanges  :  marchandises  contre 
marchandises  à  l'origine  des  sociétés  ;  marchandises 
contre  espèces  après  l'invention  de  la  monnaie; 
marchandises  /;  terme,  lorsque  le  crédit  s'est  éta- 
bli; marchandises  contre  des  promesses  écrites 
de  paiement,  nommées  valeurs  de  portefeuille, 
lorsque  les  effets  de  commerce  et  autres  titres  né- 
gociables ont  été  adoptés. 

Mauchandisi  s.  —  On  nomme  marchandises  les 
objets  divers  c|ui  se  vendent  dans  les  magasins,  les 
boutiques,  les  foires,  etc.,  et  la  lui  répute  actes  de 
commerce  les  achats  de  marchandises  pour  les  re- 
vendre en  nature  ou  fabriquées,  ou  pour  en  louer 
l'usage. 

CoMMEBÇANTs.  —  Le  Commerçant  est  «  celui  qui 
exerce  des  actes  de  commerce  et  en  fait  sa  profes- 
sion habituelle.  »  Quand  il  fait  beaucoup  d'affai- 
res ou  qu'il  emploie  beaucoup  d'ouvriers,  il  reçoit 
le  titre  de  négociant  ou  de  fabricant.  C'est  parmi 
les  principaux  commerçants,  parmi  les  négociants 
que  les  maires  choisissent  les  nnlnhles  commer- 
çante qui  élisent  les  membres  des  tiibunaux  de 
commerce,  des  chambres  de  commerce  et  des 
chambres  consultatives  des  arts  et  manufactures. 
La  liste,  revue  par  une  commission  mixte  de  mem- 
bres de  la  cliambre  de  commerce  et  de  juges  .tu 
tribunal  de  commerce,  est  anôtée  par  le  préfet  et 
soumise  à  l'approbation  du  ministre  de  l'inté- 
rieur. Les  commerçants  se  classent,  d'après  le 
genre  de  commerce  auquel  ils  se  livrent,  en  fu- 
bricantset  manufacturiers,  teinturiers,  marcltands 
en  gros,  marc/iand^  en  détail, commissionnaires  de 
marchandises,  courtiers  iie  commerce  et  courtiers 
maritimes,  rommissionnuires  de  transport,  ban- 
quiers, ayents  de  change,  enlreprenmrs ,  arma- 
teurs, consiiinataires,  capitaines  de  navire,  etc. 

Les  fatjricanls  et  manufacturiers  lont,  avec  les 
matières  premières,  les  étoffes,  meubles,  outils, 
etc.  —  Les  tei-turiers  leur  donnent  auparavant 
une  couleur  différente  de  celles  qu'elles  avaimt. 
—  Les  marchands  en  ji-os  achètent  aux  fabricants 
pour  revendre  a.a\marchunds en  détail.  —  Les  com- 
missionnnires  en  marchnnuises  proprement  dits 
achètent  et  vendent  pour  le  compte  des  autres  et 
reçoivent  en  retour  un  salaire  qui  s'appelle  c  m- 
mission.  —  Les  courtiers  soin  des  sortes  de  négocia- 
teurs qui  s'entremettent  pour  la  vente  et  l'achat 
des  marchandises  moyennant  une  rétribution  qu'uti 
appelle  courtage;  ils  doivent  à  cet  effet  cimnaitre 
les  variations  de  prix,  ou  ce  qu'on  nomme  lecoiow 
des  marchandises,  des  effets  de  commerce,  du 
change,  etc.,  afin  d'en  aviser  leurs  clients.  Autre- 
fois le  commerce  de  courtage  était  libre  ;  aujour- 
d'hui les  courtiers  sotit  nommés  par  le  gouverne- 
ment et  on  appelle  coHc^ie)-*  mariow  ceux  qui  ne 
sont  pas  reconnus.  (Voir  au  Code  de  commerce, 
articles  78  et  suivants,  ce  qui  concerne  le 
courtage.)  — ■  Les  commissionnaires  de  traaspori 
sont  ceux  qui  se  chargent  de  transporter  par  terre 
ou  par  eau  les  marchandises  et  les  objets  mobi- 
liers. —  Pour  les  banquiers,  nous  renvoyons  le 


lecteur  à  l'article  Ban??'??  de  la  II'  Pjbtie.  — Les 
agents  de  change  sont  des  officiers  ministériels 
nommés  par  le  chef  de  l'F.tat  et  chargés  de  négo- 
cier à  la  Bourse  les  effets  publics  français  et  étran- 
gers et  d'en  déterminer  le  cours.  Leurs  honoraires 
sont  fixés  à  ,  p.  100  sur  chaque  opération  ou  — 
du  montant  de  cette  opération.  Ils  sont  au  nombre 
de  soixante  à  Paris,  fournissent  un  cautionnement 
de  r.'o  OnO  francs,  et  il  en  existe  au  moins  un  dans 
toutesles  villes  ayant  des  bourses  de  commerce. — 
Les  cntrejn-eneurs  sont  ceux  qui  d'une  manière  gé- 
nérale se  chargent  de  faire  une  chose  à  l'entreprise, 
moyennant  un  prix  convenu.  Dans  les  travaux 
publics,  ce  sont  ceux  qui,  sous  la  direction  d'un 
architecte,  se  chargent  d'exécuter  des  travaux  pour 
un  prix  fixé  îi  forfait.  —  L'armateur  est  celui  qui 
dispose  ou  arme  un  navire  pour  l'envoyer  a'un  port 
dans  d'antres,  sous  la  direction  d'un  capitaine  au 
long  cours.  Dans  ces  autres  ports,  il  a  des  corres- 
pondants qui  recevront  le  navire,  le  déchargeront, 
vendront  les  marchandises,  ou  les  livreront  à  ceux 
auxquels  elles  sont  destinées,  puis  rechargeront 
le  navire  pour  le  renvoyer  au  propriétaire;  ces 
correspondants,  ce  sont  les  consignât  aires. 

Ol'ÉBATlONS   LES    PLUS   HABITl'FLLES    Dl'   COMMEECE. 

—  Ce  sont  :  Yachat,  la  vente,  Véchange,  le  paie- 
ment, Vencaissenient.\e  règlement,  V'Scompte  des 
effets  de  lommerce,  les  ouvertures  de  crédit,  les 
virements,  les  renouvellements,  les  achats  et  ven- 
tes pour  compte,  etc. 

L'acliat  est  l'acte  de  se  procurer  de  la  mar- 
chandise pour  un  prix  déterminé,  payable  îi  une 
époque  fixée  d'avance.  La  vente  est  l'acte  de  céder 
ces  mêmes  marchandises.  Les  achats  ou  les 
ventes  se  font  au  comptant,  ou  à  crédit,  payables 
dans  les  3n,  45,  00,  91),  V20  jours,  etc.  —  L'e- 
chnnge  est  l'acte  de  livrer  des  marchandises  et 
d'en  recevoir  le  prix  en  marchandises  ou  valeurs 
autres  que  la  monnaie.  —  Le  paiement  est  l'acte 
d'acquitter  en  espèces  le  montant  d'une  facture, 
et  l'eacaissement  celui  de  recevoir  ces  espèces 
pour  les  mettre  dans  la  caisse.  —  Le  règlement 
est  un  paiement  dont  une  partie  se  fait  en  espè- 
ces, et  le  reste  en  effets  de  commerce,  en  mar- 
chandises, etc.  -  Pour  Vescompte  et  \d.nég()ciation 
des  effets  de  commerce,  V.  aux  articles  Banque  et 
Escompte  de  la  II'  Pautie.  —  Les  auvrrtures  de 
crédit  sont  faites  par  des  banquiers  Si  des  per- 
sonnes qui  voyagent  moyennant  le  dépôt  des 
fonds.  Ainsi,  si'  Paul  veut  aller  à  Borne,  où  i 
pense  avoir  besoin  de  10,000  francs,  et  s'il  ne 
veut  pas  les  emporter  avec  lui.  il  va  les  déposer 
chez  Pierre,  banquier.  Pierre  lui  délivre  en  re- 
tour une  lettre  de  crédit  ainsi  conçue  pour  Tho- 
mas, banquier  à  Rome  : 

Lettre  de  crédit 

Rouen,  le  15  janvier  1882. 

.Vonsieur  Thomas,  banquier  à  Home. 

Xous  vous  priuus  de  remettre,  pour  notre  compte  et  Cun- 

Irc   ses  reçus,  à  M.  Paul,  de  notre   ville,  toutes  les  sommes 

dont    il     pourra    avoir    besoin    jusqu'à    concurrence    'le 

di\  mille  francs. 

Kecevcz,  etc. 


Pierre  avise  en  même  temps  son  correspondant 
par  une  lettre  dite  lettre  d'avis  de  crédit. 


Moi 


Lettre  d'avis  de  crédit 

Rouen,  13  janvier  1882. 
T/tomas,  banquier  à  Rome, 


Veuillez  prendre  note  que  nous  venons  de  délivrer 
M.  Paul.de  notre  ville. une  lettre  de  eiédit  sur  votie  caisse 
de  la  siiniine  de  dii  mille  francs.  Vous  trouverez  ct-joint 
un  bulletin  portant  la  signature  de  M.  Paul,  a  laquelle  seule 
vous  ajouterez  foi. 

Recevez,  etc. 

PlBRRB. 


1 


TENUE  DES  LIVRES        —  2iS5  —        TENUE  DES  LIVRES 


Co  bulletin  est  un  petit  carré  do  papier  sur 
lequel  Picrn;  fait  écrire  k  Paul  sa  sii;nature,  lors- 
qu'il lui  délivre  sa  lettre  de  crédit.  Thomas  com- 
pare la  signature  du  bulletin  avec  celle  du  reçu 
que  lui  donne  Paul. 

Le  virement  est  le  transport  d'une  dette  active 
de  certaine  valeur  fait  :\  un  créancier  i  qui  l'on 
doit  une  somme  de  pareille  valeur,  —ha  renouvel- 
lement est  l'acte  de  remplacer  un  effet  de  com- 
merce qui  n'a  pas  été  payé  à  l'échéance  par  un 
autre,  de  valeur  généralement  supérieure  pour 
tenir  compte  des  intérêts.  — •  Les  achats  etvmtes 
pour  compte  sont  de;  achats  et  des  ventes  que 
l'on  fait  pour  le  compte  d'autres  personnes, 
moyennant  une  rétribution  nommée  commission. 


Des  PACTonEs.  —  L'objet  de  tout  commerce  est 
l'achat  etia  vi'nte  de  marchandises.  La  vente  se  con- 
state par  un  écrit  nommé  facture,  qui  est  la  note 
détaillée    des   marchandises  vendues    ou  livrées. 

On  en  rencontre  de  nombreuses  variétés,  mais 
toutes  doivent,  au  moins  contenir  :  1"  les  nom  et 
demeure  de  l'acheteur  suivis  du  mot  /toit,  ou  pré- 
cédés des  mots  vendu  à  ;  2"  le  nom  du  vendeur  ; 
a*  les  conditions  de  la  vente;  4"  la  date  de  la 
vente;  5"  les  désignations  de  marchandises:  quan- 
tité, prix  de  l'unité,  produit  des  quantités  par  le 
prix,  somme  totale  ;  U"  les  frais  qui  s'ajoutimt  ou 
l'escompte  qui  se  retranche.  En  plus,  généralement 
la  facture  porte  en  tète  un  prospectus  véritable  de 
la  maison,  comme  dans  le  modèle  ci-dessous  : 


GRANDS      MAGASINS     DE     B  L.  A  N  G 

TROUSSEAUX   ET    LAVETTES 


A.   LAMARE  &  G.  BASSE 

Rue  Jeanne-d'Arc,   19  et  21. 


Monsieur   Paul 

pour  ce  qui  suit  payable  comptant,  4,  \ 


■  de  Crosne* 

Houen,  te  30  juin  18S1 


madapolam,  à  or,65 , 

fiuelto,  à  l',7S 

paD talon  fcstun 

—  avec  broderie 

camisole  flanelle  feston 

—  — ■      unie 

perciile,  à  2  fi- ; 

ctieiuises  nuit,  à  4^,75 

Ensemble 

I         Escompte  2  0/0... 

Net,. 


, 

c 

p 

c 

16 

7S 

2  6S 

3'SO 

H 

65 

6JS0 

6  .'ÎQ 

4  80 

19 

00 

8  00 

9 

50 
1 

50 
90 
f4 

So 

76 

Lettre  de  voiture.  —  Lorsque  la  marchandise 
doit  être  expédiée,  elle  est  remise  à  un  commis- 
sionnaire ou  voiturier  qui  contacte  l'engagement 
de  remettre  .\  ses  risques  et  périls,  dans  un  délai 
déterminé,  à  une  personnedésignée,  les  marchan- 


dises qui  lui  sont  confiées,  contre  paiement  d'un 
prix  convenu.  Cet  engagement  se  nomme  lettre 
de  voiture  (V.  les  articles  101,  1112^  103,  104, 
105  du  Code  de  commerce),  et  est  ainsi  conçu  : 


Remhonrsement... 


nESlG.VATlON 


Paris,  le 
us   la   protection  de: 


et  la  conduite 


ndises  suivantes  : 


vous  recevrez  les 


;  et  numérotées  comme  en  marge,  pe- 

mble qu'ayant  reçuei 

rs,  bien  conditionnées,  sons  peine  d( 
tiers  du  prix  de  sa  voiture  que  vous 
■ez  à  raison  de ■  fr.  pai 


es  débours,  plus  0,70  de  timbre. 
Signature  de  l'expéditeur  : 


A    JI.- 
Négociant  à- 


Effets   de  commerce.  —    Quand  on   livre  des  1  boursement  on  peut  faire  faire  par  l'acheteur  un 
marchandises  à  crédit,  pour  en  assurer  le  rem- 1  écrit  par  lequel  il   s'engage  à   payer  en  espèces 


TENUE  DES  LIVRES        —  2i56  —        TENUE  DES  LIVRES 


la  somme  indiquée  à  une  époque  et  à  un  domi- 
cile déterminés,  entre  les  mains  du  vendeur  ou 
de  toute  personne  qui  en  sera  devenue  proprié- 
taire par  voie  d'endossement.  On  peut  encore 
faire  soi-même  un  écrit  par  lequel  on  invite  l'a- 
cheteur à  payer  une  somme  déterminée  à  une 
époque  déterminée,  entre  vos  mains  ou  entre 
celles  d'une  personne  désignée  ou  du  dernier 
porteur  qui  en  sera  devenu  propriétaire  par  voie 
d'endossement.  Dans  le  premier  cas,  on  a  un  bil- 
let ù  ordre;  dans  le  second  cas,  on  a  une  liltre 
(le  chi'iige,  qui  se  iait  ou  se  tire,  ou  se  fournit 
d'une  place  sur  une  autre  place.  Le  billet  à  ordre 
et  les  lettres  de  cliange  sont  des  effets  de  emn- 
merce,  qui  se  font  en  France  sur  du  papier  tim- 
bré, dont  le  prix  varie  suivant  la  valeur  de  l'ell'et  : 
0",i5  pour  les  effets  de  cent  francs  et  au-dessous; 
puis  tj'',l.S  par  chaque  cent  francs  en  plus  et  cha- 
que portion  de  cent  francs  fLoi  du  1"  juillet  1X74'. 
1"  lidlet  à  ordre.  —  l'n  billet  à  ordre  doit  con- 
tenir :  1"  en  tète  et  K  gauche,  la  date  ;  2°  en  tête 
et  k  droite ,  les  initiales  C.  P.  F.  (bon  pour 
francs...),  et  la  somme  en  chiffres;  3°  l'échéance, 
qui  coniniencc  le  corps  de  l'effet  ;  4°  l'engage- 
ment de  payer  ;  5°  l'ordre  ;  6°  la  somme  en  let- 
tres; 1°  la  valeur;  8°  la  signature  du  souscripteur 
et  son  adresse  au-dessous  : 

Rouen,  le  13  janvier  1882.  B.  P.  K.    ISOO. 

Au  trente  et  un  juillet   prochain,  je  payerai  à  l'ordr 

M.  Paul, la  summe  de  quinze  cents  francs 

valeur  roçuc  en  marchandises. 


Rue  de  la  République,  n"  4. 

2*  Lettre  de  change.  —  Elle  doit  contenir  : 
1°  en  tête  et  à  gauche  la  date;  2°  en  tête  à 
droite  les  initiales  B.  P.  F.  et  la  somme  en  chif- 
fres ;  3"  l'échéance,  qui  commence  le  corps  de 
l'effet;  4"  l'invitation  ou  injonction  de  payer;  5°  la 
spécification  de  la  lettre  de  change  (si  la  lettre 
est  unique,  on  met  ici  les  mots  par  cette  pré- 
sente; si  elle  est  en  plusieurs  exemplaires,  on 
met  :  première,  seconde,  tnjisiéme,  etc.)  ;  tj°  l'or- 
dre ;  't"  la  somme  en  lettres;  fi"  la  valeur  ;  U"  la 
cause  ;  lll"  la  signature  du  tireur,  à  droite  au- 
dessous  du  corps  de  l'effet;  11"  l'adresse  du  tiré, 
à  gauche  au-dessous. 


à  ordre  se  transmet  par  la  voie  de  Y  endossement. 
L'endossement  est  un  écrit  signé,  mis  au  dos  - 
d'un  effet  de  commerce,  par  lequel  on  en  trans- 
fère la  propriété  à  une  personne  désignée,  qui  en 
a  versé  le  montant.  On  écrit  : 


l'ot-dre  de   M.  ou   MM. 


valeur  reçue. 


(Date.) 
(Signature  de  l'endosseur.) 


Rouen,  le  13  ja 


18S2. 


B.  P.  F.    1300. 


somme  de  quinze  cnts  francs 

valeur  reçue  en  marchandises,  que   passerez  en  règlement 
de  ma  facture. 

.4.  M.  Pieube  Pail 

Rue  de  la  République,  n'*  4. 

S'il  n'y  a  pas  de  preneur  au  moment  où  se  fait 
la  lettre,  on  met  :  à  {'ordre  de  moi-même  ou  à  mon 
ordre. 

La  lettre  de  change  porte  aussi  le  nom  de  trnile. 

Quand  une  lettre  de  change  est  tirée,  on  l'en- 
voie à  l'acceptation.  Ici  Pierre  devra  écrire  au 
travers  de  la  lettre  :  accepté  pour  la  somme  de, 
puis  la  somme  en  lettres,  dater  et  signer.  On  fait 
les  lettres  de  change  par  première  et  par  seconde 
principalement  quand  le  tireur  veut  envoyer  l'une 
d'elles  à  l'acceptation,  sans  qu'il  se  trouve  privé 
de  faire  circulrr  la  seconde  ou  la  première. 

La  propriété  d'une  lettre  de  change  ou  d'un  billet 


Quand  le  dos  de  l'effet  est  complètement  cou- 
vert par  les  endossements,  on  ajoute  une  allonge, 
c'est-à-dire  une  bande  de  papier  libre  de  la  di- 
mension de  l'effet,  que  l'on  y  réunit  à  l'aide  de 
colle  à  boucha.  Sur  le  recto,  on  met  tout  ce 
qu'il  faut  pour  reconstruire  l'effet,  s'il  venait  à 
être  détaché,  et,  sur  le  verso,  les  endossements 
qui  suivent.  —  La  loi  dit  :  «Tous  ceux  qui  ont  signé, 
accepté  ou  endossé  un  effet  de  commerce,  sont 
tenus  à  la  garantie  solidaire  envers  le  porteur.  » 
Le  paiement  d'une  lettre  de  change,  ou  d'un  bil- 
let à  ordre,  indépendamment  de  la  souscription,  de 
l'acceptation  et  de  l'endossement,  peut  être  garanti 
par  un  aixi/.  C'est  un  acte  par  lequel  on  s'oblige  à 
payer  le  montant  d'un  effet  de  commerce  pour  l'un 
des  signataires,  souscripteur,  tiré,  tireur  ou  endos- 
seur. On  met  au  bas  de  l'ciïet:  lion  pour  avili  et  on 

signe.  —  Les  mots  au  besoin  chez  ,M ,niis  au  bas 

de  l'effet,  suivis  d'une  signature,  indiquent  que  le- 
signataire  prie  M...  de  payer  pour  lui. —  La  men- 
tion sayis  frais  ou  retour  snyis  frais,  que  le  tireur 
d'une  lettre  de  change  met  après  sa  signature,  a 
pour  objet  d'empêcher  qu'on  ne  poursuive  le  tiré. 
—  Enfin,  le  jour  de  l'échéance,  le  dernier  porteur 
met  son  acquit  et  présente  l'effet  au  paiement; 
on  écrit:  pour  acquit  et  on  signe. 

Le  défaut  de  paiement  d'un  billet  à  ordre  ou 
d'une  traite  acceptée  se  constate  au  moyen  d'un 
acte  appelé  protêt. 

Le  mandat  est  un  effet  qui  ne  diffère  de  la 
lettre  de  change  qu'en  ce  qu'il  n'est  pas  soumis 
à  l'acceptation,  et  qu'il  porte  généralement  les 
mentions  :  Retour  sans  frais  et  motifs  du  refus. 

Le  billet  au  porteur  est  analogue  au  billet  à- 
ordre;  mais  il  ne  contient  pas  le  nom  du  bénéfi- 
ciaire, et  n'est  pas  traiismissible  par  endosse- 
ment. —  Le  billet  de  banque  est  une  variété 
de  billet  au  porteur. 

(I  Le  chér/ue,  dit  le  Code,  est  l'écrit  qui,  sous 
la  forme  d'un  mandat  de  paiement,  sert  au  tireur 
à  effectuer  le  retrait,  à  son  profit  ou  au  profit 
d'un  tiers,  de  tout  ou  partie  de  fond^  portés  au 
crédit  de  son  compte  chez  le  tiré,  et  disponibles. 
Il  est  signé  par  le  tireur  et  porte  la  date  du  jour 
où  il  est  tiré.  —  Il  ne  peut  être  tiré  qu'à  vue.  — 
Il  peut  être  souscrit  au  porteur  ou  au  profit  d'une 
personne  dénommée.  —  11  peut  être  souscrit  à 
ordre  et  transmis,  même  par  voie  d'endossement, 
en  blanc.  » 

Le  irarrant  est  un  récépissé  délivré  aux  com- 
merçants au  moment  où  ils  font  déposer  des  mar- 
chandises dans  un  dock  ou  entrepôt,  et  constatant 
la  valeur  des  marchandises  déposées.  Ce  récé- 
pissé est  un  effet  négociable  comme  une  lettre  de 
change  ;  sa  valeur  est  garantie  par  celle  des  mar- 
chandises qu'il  représente. 

La   retraite   est  une  nouvelle  lettre  de  change 
que  fait  le  porteur  d'une  lettre  de  change  protes- 
tée   pour    se  rembourser  auprès    du   tireur.   Elle 
comprend  le  principal  de  la  lettre  de  change  pro- 
I  testée,  les  frais  et  le  nouveau  change  qu'elle  paie. 


TENUE  DES  LIVRES        —  2457  —        TENUE  DES  LIVRES 


Modèle   d'une    retraite. 


\oti'e  traite  sur  M 

non  acquittée,  et  compte  de  retour  ci-anoexé,  que  pasi 

à  M  


Compte  de  retour  et  frai; 
tirée  par  M 


Modèle   d'un   compte  de    retour. 

!  traite  protestéc,  faute   de  paiement,  portant  — 


les  noms  de  tous  les  endosseurs). 


icnt  par  MM.  (mettre 


Capital 

Protêt,  timbre,  enregistrement , 

Intérêts  de  retafi , 

Timbre  du  présent  et  de  la  retraite. 

Commission  -  0/„ 

Ports  de  lettre 


perte  à  la  négoc 
Toiii... 


de  la  retraite. 


Le  bordereau  d'escompte  est  la  note  explicative 
des  effets  négociés  le  même  jour,  au  même  ban- 
quier, et  portant  les  conditions  d'escomptw  ainsi 
que  les  résultats  du  calcul.  —  Imaginons  un 
banquier  recevant  h  la  négociation  un  billet  de 
8,400  francs  payable  dans  75  jours.  Si  le  taux 
del'escompte  est60/0,  la  commission  1/4  0/0  etle 
change  de  place  1/5  0/0,  le  banquierremettra  au  por- 
teur de  l'effet  la  note  suivante  qui  porte  le  nom  de 
bordereau.  (Le  banquier  prélève  un  change  de 
place  de  tant  pour  cent  du    montant  de   l'effet, 


occasionné  par  la  difficulté  de  rencaissement, 
qui  peut  nécessiter  des  frais  de  poste,  de  cour- 
rier, etc.)  : 

Valeur  à  échéance 8400  fr. 

Escompte  pour  75  jours  à  6  «/o t05  fr.  ) 

Commission  1/4  «/o  sur  8400 21  [     142  fr.  80 

Change  de  place  1/5  O/d  sur  8400...       16,80  \ 

Ne!  à  pajer 8257  fr.  20 

Voici   un    bordereau    d'escompte   d'effets   pré- 
sentés  au  Comptoir  d'escompte  de  Paris  : 


ESCOMPTES    ET   RECOUVREMENTS. 

Paris,  3  jui 
COMPTOIR    d'escompte   DE   PARIS. 

Bordereau  des  effets  présente's  à  l'escompte  par 

lel  1880. 
M.  Herpin 

SOMMES. 

Change. 

PRODUIT. 

VILLES. 

ÉCHÉANCES. 

Jours 

ESCOMPTES. 

2000 
1800 
2400 
3000 
4000 

00 
00 
00 
00 
00 

1/4 

1/4 
1/8 
1/2 

Agio 

F. 

5 
9 
6 
3 
20 

4 
15 

25 

10 

août 
sept. 

30 
41 
51 
62 
67 

10 
17. 
20 
31 
44 

00 
30 
40 
00 
65 

St-Etii'nne.     .                ... 

Changes 
Escompte  6  O/o 
Commission  1  /4  "/o 

123 

35 

13Î0O 
195 

00 
10 

43 
118 
33 

75 
35 

13004 

90 

Net 

à  paye 

-,  iraleu 

r  au  b  juillet. 

Livres  auxiliaires  employés  dans  le  commerce. 

9  Le  livre  des  achats  sert  à  enregistrer  les  fac- 
tures des  vendeurs.  On  se  borne  à  mettre  en 
liasse  par  mois  et  en  paquet  de  douze  liasses  par 
année  les  factures  des  vendeurs. 

Le  livre  des  ventes  est  un  véritable  livre  de 
factures,  où  on  inscrit  les  factures  délivrées 
aux  acheteurs,  suivant  le  modèle  donné  plus  haut. 

Le  livre  de  cummissions  sert  aux  commission- 
naires  en  marchandises  qui  y   portent  les  com- 


mandes qu'ils  reçoivent.  La  forme  en  est  va- 
riable ;  il  suffit  d'y  faire  entrer  la  date  de  la 
demande,  le  nom  et  l'adresse  du  correspondant, 
les  conditions  d'envoi,  les  prix  d'achat  et  de 
vente. 

Le  livre  d'entrée  et  de  sortie  des  marchandises, 
appelé  aussi  livre  de  magasin,  est  employé  surtout 
chez  les  marchands  en  gros  ;  ils  y  inscrivent  les 
marchandises  au  fur  et  à  mesure  qu'elles  entrent  et 
qu'elles  sortent.  Ce  livre  se  tient  t  livre  ouvert; 
la  réglure  suivante  le  rend  suffisamment  clair  : 


TENUE  DES  LIVRES        —  2458  —        TENUE  DES  LIVRES 


Disposition  du  livre  de   magasin. 
ENTRÉE      (Désignation  de  l'espèce  de  marchandise)      {|      (Désignation  de  l'espèce  de  marchandise)       SORTIE 


DATE. 

< 

NOM    DU  VENDEUR. 

pnix. 

i 

DATE. 

H 
Z 

NOM  DE  l'acHETEDR 

PRIX. 

i 
i 

Le  livre  de  cuisse  est  le  registre  où  on  inscrit  les 
espèces  qui  entrent  dans  la  caisse  et  celles  qui  en 
sortent.  Il  faut  toujours  avoir  présent  à  la  mémoire 
que  la  caisse  doit  tout  ce  qu'elle  reçoit,  et  qu'elle 
a  à  son  avoir  tout  ce  qu'elle  paie.  Régler  ou  arrêter 


le  compte  de  caisse,  c'est  faire  la  caisse.  On  ad- 
ditionne à  part  le  doit  et  l'avoir,  et  on  fait  la 
différence  entre  les  deux.  L'excédant  du  doit  sur 
l'avoir  se  nomme  balance  ou  solde  en  caisse.  Sitôt 
la  balance  faite,  on  vérifie  les  espèces  en  caisse. 


Fol.  5. 
DOIT 


Modèle  d'un  livre  de  caisse. 

CAISSE  r.AlSSE 


Solde  eu  caisse. ... 
Reçu  de  X.,  etc. . . . 

—     de  T.,  elc 

Encaissé  billet  n°  4 


Solde  en  caisse 
Reçu  de  P..  etc 
Reçu  lie  Z  ,  etc 


F 

c 

1880 

4000 

00 

Mars 

3 

8511 

00 

— 

4 

730 

ou 

— 

S 

500 

00 

S 

Cl  Ou 

00 

3i60 

00 

Mars 

n 

700 

110 

— 

15 

800 

00 

~ôir 

4960 

contributions 

100 

40 

2000 

—    transport   de    marcU*<" 

Ensemble 

J640 
3460 

6100 

450 
900 

Ensemble 

1350 
3610 

Les  carnets  d'échéances  des  effets  à  payer  et  à 
recevoir  servent  à  inscrire  tous  les  effets  qui  expri- 
ment une  valeur  passive  ou  active  dans  l'ordre  do 
leurs  écliéances,  avec  les  dates  de  sortie  des  effets, 
leurs  nuiuéros  d'ordre,  les  noms  des  bénéficiaires 
ou  tireurs,  les  dates  des  échéances,  les  sommes  et 
l'indication  des  rentrées.  Ces  livres  se  vendent  géné- 
ralement avec  les  indications  en  tête  de  chaque 
colonne  à  remplir.  Nous  y  renvoyons  le  lecteur. 


Pour  le  livre  des  comptes  courants  portant  inté- 
re'ts,  comme  c'est  un  livre  employé  seulement 
dans  les  maisons  de  banque,  nous  renvoyons  le 
lecteur  aux  traités  spéciaux. 

Le  livre  de  cpie  de  lettres  est  un  registre  sur 
lequel  les  commerçants  copient  les  lettres  qu'ils 
envoient.  Il  suffit  de  l'indication  suivante  pour  le 
comprendre  : 


Ni:.MÉROS 
des  pages  ou  se 

trouvent  des 
lettres    adressées 

Livre  de 

copie  de  lettres. 

Date 

des  villes 

A.  PiEBRE  et  O' 

négociants. 

emeurcnt  les 

clients. 

A  la  suite  de  ce  li\Te  se  trouve  le  répertoire  du 
livre  de  copie  de  lettres.  Il  a  trois  colonnes  : 
la  I"  contient  le  nom  de  la  ville;  la  2'^  les  noms 
par  ordre  alphabétique  des  correspondants,  et  la 
3'  les  folios  de  toutes  les  pages  où  se  trouvent 
déji  des  lettres. 

Dans  la  tenue  des  livres  dite  en  partie  simple, 
on  se  sert  de  trois  livres  principaux  :  un  brouil- 
ard,  un  journal  et  un  grand  livre.  On   n'inscrit 


au  journal  que  les  opérations  îi  terme,  en  faisant 
précéder  chaque  article  de  la  mention  Doit  ou 
Avoir.  Au  grand  livre  on  ouvre  un  compte  i  toutes 
les  personnes  mentionnées  au  journal.  Ce  sys- 
tème très  imparfait  est  aujourd'hui  de  plus  en 
plus  abandonné.  La  seule  méthode  de  compta- 
bilité qui  permette  un  contrôle  réellement  efficace 
est  la  tenue  des  livres  en  partie  duulile. 


TENUE  DES  LIVRES 


TF.NIIE  DES  LIVRES  EN  P.UITIE  DOUBLE. 


2459  —        TENUE  DES  LIVRES 


Nous  avons  dit  au  début  de  cet  article  que  la 
loi  obligeait  le  commerçant  à  la  tenue  de  trois 
livres:  le  livre  journal,  le  livre  de  copie  de  lettres, 
et  le  livre  des  inventaires. 

Le  livra  journal  est  le  registre  sur  lequel  le 
commerçant  lient  jour  par  jour  des  notes  détaillées 
de  toutes  ses  opérations.  Ces  notes  se  nomment 
articles.  Les  inscrire,  c'est  en  passer  l'écriture,  ce 
qui  constitue  la  pnssntion  des  écritures.  Le  Code 
veut  que  tout  suit  inscrit  par  ordre  de  dates,  sans 
ratures,  ni  surcharges,  ni  lacunes,  avec  le  nom  de 
celui  qui  vend  ou  achète,  la  quantité  ou  le  poids, 
le  prix  des  objets  vendus  ou  achetés  et  le  mode 
de  paiement.  Cependant,  pour  des  menus  articles 
vendus  au  comptant,  on  n'est  pas  obligé  de  men- 
tionner le  nom  de  la  personne  avec  laquelle  on 
traite,  attendu  que  le  plus  souvent  on  l'ignore. 

Le  livre  de  copie  de  lettres  a  été  décrit  plus 
haut. 

Le  négociant  est  tenu  de  faire  tous  les  ans  sous 
seing  privé  un  inventaire  do  ses  biens  mobiliers  et 
imniobilirrs,  de  ses  dettes  actives  et  passives,  et 
de  le  copier  année  par  année  sur  un  registre  spé- 
cial nommé  livre  îles  inveutnires.  (L'actif  d'un 
commerçant  est  l'ensemble  des  valeurs  mobilières 
ou  immobilières  qu'il  possède;  le  passif  est  l'en- 
semble de  ce  qu'il  doit;  l'actif  moins  le  passif 
égale  le  capital  ou  actif  net  ou  actif  liquide.) 

Les  commerçants  sont  tenus  de  conserver  ces 
livres  pondant  dix  ans;  ils  devraient  être  cotés, 
paraphés  et  visés  snit  par  un  des  juges  des  tribunaux 
de  commerce,  soit  par  le  maire  ou  un  adjoint,  dans 
la  forme  ordinaire  et  sans  frais;  mais  le  plus  sou- 
vent on  se  dispense  de  cette  formalité. 

Pour  lui-même,  le  commerçant  a  dû  créer  deux 
.autres  livres.  Il  lui  serait  difficile  d'inscrire  directe- 
ment sur  le  journal  les  diverses  opérations  au  mo- 
ment où  elles  se  présentent  ;  bien  des  erreurs  ris- 
queraient d'être  commises,  et  on  n'aurait  plus  de 
moyen  de  conirôle.  De  Ib,  la  nécessité  d'un  livre  h 
part,  le  Brouillard  ou  Brouillon  ou  Muin  couranle, 
où  on  inscrit  l'opération  sur-le-champ  telle  qu'elle 
se  fait,  le  plus  clairement  et  le  plus  brièvement 
possible.  On  la  reporte  plus  tard  i  tète  reposée  sur 
le  journal.  En  outre,  pour  se  faire  une  idée  exacte 
de  ce  qu'il  a  gagné  ou  perdu  sur  chacune  de  ces 
diverses  opérations,  pour  connaître  sa  situation 
vis-à-vis  de  ses  correspondants,  le  commeiçant  a 
besoin  d'un  autre  registre  nommé  Grand  livre,  sur 
lequel  sont  établis  par  doit  et  avoir  tous  ses 
comptes  généraux  et  particuliers. 

Le  journal  et  le  grand  livre  sont  seuls  indis- 
pensables pour   la  comptabilité  en   partie  double. 

Dans  toutes  les  opérations  de  commerce  il  entre 
toujours  deux  individus  :  l'un  qui  donne  et  que 
l'on  est  convenu  d'appeler  créditeur  on  créancier  ; 
J'autre  qui  reçoit  et  qu'on  nomme  débiteur.  Il  no 
peut  y  avoir  de  débiteur  sans  créditeur,  et  par  con- 
séquent chaque  article  s'inscrit  à  deux  comptes 
différents,  un  compte  créditeur  et  un  compie  dé- 
biteur, qui  se  servent  mutuellement  de  conlrêle. 
De  là,  le  nom  de  comptabilité  en  partie  double. 

Quatre  cas  peuvent  se  présenter  :  il  y  a  un 
débiteur  pour  un  créancier,  un  débiteur  pour  plu- 
sieurs créanciers,  plusieurs  débiteurs  pour  un 
créancier,  plusieurs  débiteurs  pour  plusieurs 
créanciers. 

Le  commerçant  est  représenté  en  comptabilité 
par  des  comptes  généraux  impersonnels  qui  se 
substituent  à  lui.  A  côté  des  comptes  généraux 
sont  les  comptes  personnels  ouverts  aux  clients 
du  commerçant. 

Comptes  yénéraiix.  —  Ils  sont  au  nombre  de  six 
principaux.  Les  quatre  premiers  portent  les  noms 
des  objets  matériels  ou  éléments  mêmes  du  com- 


merce; ces  éléments  étant  les  luarchandises,  l'ar- 
gent, les  effets  à  recevoir  (ceux  qu'on  lui  fait), 
les  effets  à  payer  (ceux  que  le  marchand  fait), 
on  aura  :  1°  compte  de  mnrchandises  yénihalcs; 
'i°  compte  de  caisse;  3°  compte  d'e/f'ets  à  recevoir; 
4"  l'omple  d'effets  à  payer.  Puis,  comme  les  opé- 
rations de  commerce  donnent  des  bénéfices  ou  des 
pertes,  on  a  un  b'  compte:  compte  de  profits  et 
pertes.  Enfin,  le  G'  compte,  celui  où  viennent 
se  résumer  tous  les  autres,  est  le  compte  de  ca- 
idlal. 

Si  le  négociant  donne  ou  reçoit  des  marchan- 
dises, il  est  représenté  par  Marchandises  géné- 
rales; s'il  donne  ou  reçoit  de  l'argent,  il  est  repré- 
senté par  Cuisse;  s'il  donne, encaisse  ou  reçoit  des 
billets  payables  par  d'autres,  il  est  représenté  par 
Effets  à  recevoir;  s'il  donne  ou  paie  ses  propres 
effets,  il  est  représenté  par  Effets  à  payer.  Quand  il 
constate  une  perte  ou  un  bénéfice,  il  est  repré- 
senté par  Profits  et  pertes.  Enfin,  quand  il  évalue 
son  actif  et  son  passif,  il  est  représenté  par  Ca- 
pital. 

Les  comptes  généraux  peuvent  se  subdiviser  : 
ainsi  le  compte  de  marchandises  générales  se  par- 
tage en  autant  de  comptes  qu'il  y  a  de  marchan- 
dises diverses  sur  lesquelles  on  veut  avoir  un 
aperçu  particulier;  le  compte  de  profits  et  pertes 
se  scinde  en  F.ais  généraux.  Dépenses  de  maison. 
Assurances,  etc. 

Comptes  personnels.  —  Ils  sont  très  nombreux  ; 
il  peut  y  en  avoir  autant  que  de  personnes  avec 
qui  on  traite. 

Tout  compte  se  compose  de  deux  parties  :  ce 
qu'il  doit;  ce  qui  lui  est  dû.  Ecrire  que  quelqu'un 
doit,  c'est  le  débiter;  écrire  qu'il  est  dû  il  quel- 
qu'un, c'est  le  créditer.  Pour  trouver  le  compte 
débiteur  ou  le  débiteur,  le  compie  créditeur  ou 
le  créditeur,  on  n'a  qu'à  se  poser  les  deux  ques- 
tions suivantes  :  gui  est-ce  qui  reçoit  ?  gui  est-ce 
qui  dinne?  La  réponse  à  la  première  question 
indique  le  débiteur,  la  réponse  à  la  soconoc,  le 
créditeur.  D'une  manière  générale,  celui  qui  i  e- 
çoil  doit  à  celui  qui  donne.  Il  est  facile,  d'après  ces 
principes,  de  se  rendre  compte  de  ce  qui  doit 
composer  le  débit  et  le  crédit  de  chaque  compte. 

1°  Marc/iinidisc'  générales.  —  On  met  au  débit 
le  prix  d'achat,  les  droits  d'entrée,  les  frais  de 
transport,  tous  les  éléments  en  un  mot  du  prix  de 
revient;  au  crédit  on  porte  le  prix  de  vente  et 
les  rabais  obtenus  sur  les  marchandises  achetées, 

2°  Caisse.  —  Au  débit,  les  recettes  ;  au  crédit, 
les  paiements. 

3"  Effets  à  recevoir.  —  Au  débit,  les  lettres  de 
change  fournies  par  le  commerçant,  les  billets 
souscrits  il  son  ordre,  les  billets  passés  à  lui  par 
voie  d'endossement;  au  crédit,  les  lettres  de 
change  et  billets  par  lui  encaissés  ou  transmis  par 
voie  d'endossement. 

4°  Effets  à  payer.  —  Au  débit,  les  effets  payés 
par  le  commerçant;  au  crédit,  les  lettres  de 
change  fournies  sur  lui  et  billets  par  lui  souscrits. 

b'  Profits  et  pertes.  —  Au  débit,  les  pertes  ;  au 
crédit  les  bénéfices. 

6°  Capital.  —  Ce  compte  se  débite  de  ce  que 
le  commerçant  doit  ou  perd,  et  on  le  crédite  de 
tout  ce  que  le  commerçant  possède  ou  gagne  et 
de  tout  ce  qui  lui  est  dû. 

't'  Comptes  personnels.  —  Au  i/ébit  tout  ce 
c|u'on  fournit  ou  paie  au  client;  aa  crédit  tout  ce 
qu'on  reçoit  de  lui. 

TUAXSFORMAÏION    DES    AnTICLES  DU    BBOUILLAKO  E.N 

AiniCLES  DU  jouhnal.  —  L''S  articles  sont  de  ilciix 
sortes:  simples  (ce  sont  ceux  qui  ne  renfcrnient 
qu'une  seule  opération);  cnmplexes  (ceux  qui 
contiennent  plusieurs  opérations).  Nous  allons 
montrer  comment  les  :  diverses  opérations  que 
peut  faire  un  commerçant  s'inscrivent  au  journal 
daas  la  langue  de  la  comptabilité. 


TENUE  DES  LIVRES        -  2460  —         TENUE  DES  LIVRES 


Indication  sommaire  des  opérations  dont  il  doit 
être  passé  écriture. 

1°  J'achète,  le  10  janvier  1882,  au  comptant,  à 
Pierre,  r,>0  mètres  de  drap  à  20  fr.  le  mètre, 
soit  Ï400  fr. 

2°  Je  vends,  le  II  janvier  1882,  au  comptant,  à 
Louis,  15  mètres  de  velours  à  20  fr.  le  mètre 
soit  300  fr.  ' 

3°  J'achète  des  marchandises  à  Jacques,  aujour- 
d'hui 12  janvier,  pour  une  somme  de  5  000  fr.dont 
je  reste  débiteur. 

4°  Je  vends  h  Paul,  le  13  janvier,  40  mètres  de 
drap  à  35  fr.  le  mètre,  pour  lesquels  il  reste  mon 
débiteur. 

à'  Le  15  janvier  j'achète  à  Henri  cinq  pièces  de 
drap  de  40  mètres  chacune  à  25  fr.  le  mètre,  et 
je  lui  donne  en  paiement  mon  billet  à  son  ordre 
à  un  mois. 

(i">Le  19  janvier,  je  vends  à  Paul  10  mètres  de 
velours  à  25  fr.  ;  il  me  donne  en  paiement  son 
billet  h  mon  ordre  à  un  mois. 

1"  Le  21  janvier,  j'achète  de  Bernard  100  mètres 
de  suie  noire  à  18  fr.  le  mètre,  et  je  l'autorise  à 
faire  traite  sur  moi  fin  février. 

8°  Le  23  janvier,  je  vends  à  Louis  deux  pièces 
de  drap  de  40  mètres  chacune  à  raison  de  3ii  fr.  le 
mètre.  Je  tire  sur  lui  une  traite  à  vue  et  je  la 
négocie  h  Francis,  qui  prend  lO  fr.  d'escompte 
pourceite  opération. 

9°  Le  29  janvier,  j'acquitte  en  espèces  la  facture 
de  Jaci|UOs  du  12. 

10"  Le  29  janvier,  Paul  me  paie  le  montant  de 
ma  facture  du  13. 

11°  Le  29  janvier,  j'acquitte  un  billet  de  Georges, 
souscritantérieurement  etéchu  àla  date  dece  jour. 

12»  Le  ï9  janvier,  j'encaisse  un  billet  de  Stéphan 
reçu  antérieurement  et  échu  i  la  date  de  ce  jour. 

13°  Le29  janvier,  je  paie  une  traite  de  Francis  pour 
solde  de  sa  facture  relative  h  une  opération  anté- 
rieure. 

14°  Le  31  janvier,  je  paie  mes  dépenses  du  mois: 
frais  de  maison,  1 1  00   fr.  ;  dépenses  personnelles 
50i>  fr   ;  frais    généraux,   appointements  des    era-  : 
ployés,  loyer,  patente,  2  OOU  fr.  (total  3  500.) 

15»  Le  31  janvier,  j'achète  à  Liard  lOO  mètres 
de  soie  bleue  à  20  fr.  (2,000  francs),  et  je  lui 
donne  en  paiement:  1°  un  billet  fin  février, 
1  OOn  fr.  ;  2"  en  espèces,   1  000  fr. 

Passons  rapidement  en  revue  ces  divers  articles 
afin  de  trouver  pour  chacun  leurs  comptes  débi- 
teurs et  créditeurs. 

1"  article.  —  Cet  article  comprend  deux  opéra- 
tions : 

1°  Pierre  fournit  des  marchandises  qui  sont  reçues 
par  le  compte  de  iMarchandises  générales.  Donc  : 
Manhandises  générâtes  (sous-entendu  doit)  à 
Pierre; 

2°  En  paiement  de  ces  marchandises,  Pierre  reçoit 
des  espèces,  qui  sont  fournies  par  le  compte  de 
Caisse.  Donc:  fi-rre  (sous-enti-ndu  rfoi7)  à  Caisse. 

Dans  un  cas  comme  celui-ci,  certains  compta- 
bles, sous  prétexte  de  simplification,  suppriment 
la  personne  avec  laquelle  l'affaire  a  été  traitée,  et 
réduisent  l'article  à  une  opération  unique  où  les 
parties  agissantes  sont  Marcliandises  générales  et 
Caisse  :  c  est  Marctiandises  générales  qui  reçoit,  et 
c  est  Ca'sse  qui,  en  fournissant  les  espèces  néces- 
saires au  paiement,  fournit  en  réalité  la  marchan- 
dise achetée  ;  donc,  on  crédite  le  compte  de  Caisse 
en  débitant  Marchandises  générales,  sans  avoir  be- 
soin d'indiquer,  par  aucune  écriture,  la  participa- 
tion de  Pierre  à  l'afl'aiio.  On  écrirait  en  consé- 
quence: Marchandises  générais  à  Caissi'. 

Cette  manière  de  procéder  est  défectueuse,  et 
nous  ne  pouvons  la  recommander.  En  eflet,  il  est 
utile  que  le  négociant  retrouve,  dans   ses  livres,  I  voir 


l'image  des  opérations  telles  qu'elles  se  sont  réel- 
lement passées,  et  que  toutes  les  personnes  avec 
lesquelles  il  traite  aient  un  compte  ouvert  chez 
lui.  Pierre  doit  avoir  un  compte  personnel,  que 
Ion  crédite  des  marchandises  qu'il  a  fournies, 
et  que  l'on  débite  des  espèces  qu'il  a  reçues. 

2«  article.  —  Ici  nous  avons  encore  deux  opé- 
rations a  distinguer: 

r  Louis  reçoit  des  marchandises,  fournies  par 
Marchandises  générales.  Donc:  Louis  à  Marchan- 
dises uénérales. 

2'  En  paiement  de  ces  marchandises,  Louis 
verse  des  espèces  qui  sont  reçues  par  ma  caisse. 
Donc:  Caisse  à  Louis. 

Si  l'on  voulait  réduire  l'article  à  une  seule  opé- 
ration, en  vertu  du  système  de  simplification  in- 
diqué ci-dessus,  on  supprimerait  l'intervention 
de  Louis  dans  l'affaire,  qui  se  réduirait  à  une 
opération  efl'ectuée  entre  Caisse  et  Marchandises 
générales,  et  on  écrirait:  Caisse  à  Marchandises 
générales. 

3'  article.  —  Ici  l'opération  n'est  plus  com- 
plexe. Qui  reçoit  '!  Marchandises  générales.  Qui 
donne?  Jacques.  Donc:  Marchandises  générales  à 
Jacques. 

4'  article.  —  Même  opération  en   sens  inverse. 
Qui    reçoit'/    Paul.    Qui    donne?    Marchandises 
générales.    Donc:    Paul   à    Marchandises   géné- 
rales. ^ 
'j'  ar/icte.  —  L'article  est  complexe.  On  a  : 
1"  Acheté  des  marchandises  à  Henri  ; 
2°  Donné    à   Henri,    en   paiement  de   ces  mar- 
chandises, un  billet  à  son   ordre. 

Pour  la  première  opération,  on  se  demande  : 
Qui  reçoit?  Marchandises  générales.  Qui  donne? 
Henri.  Donc:  Marchandises  générales  à  Henri. 

Dans  la  seconde  opération,  c'est  Henri  qui  re- 
çoit un  billet;  ce  billet  est  fourni  par  le  compte 
d'Effets  à  payer:  c'est  ce  compte  qu'il  faut 
créditer.  Donc  on  a  :  Henri  à  E/fet^  à  payer. 

Les  comptables  qui  emploient  le  procédé  de 
simplification  dont  nous  avons  parlé  réduiraient 
l'opération  à  un  seul  article ,  en  supprimant 
Henri,  et  écriraient:  Marchnntises  générales  à 
Efpds  à  priijer.  Nous  répétons  que  cette  prétendue 
simplification  a  de  graves  inconvénients  dans  la 
pratique. 

G=  article.  —  On  a  également  deux  opéra- 
tions : 

1°  Vendu  des  marchandises  à  Paul  ; 
2°  Reçu  en  paiement  un  effet  de  Paul. 
D'où  :     1°     Paul    à    Marchandises    générales  ; 
2°  Effets  à  recevoir  à  Paul. 

La  simplification,  que   nous  continuons   à  dés- 
approuver   consisterait    à   supprimer    Paul   et  à 
écrire  en  un  seul  article  :  Effets  à  recevoir  à  Mar- 
cliandises générales. 
7"  article.  —  De  nouveau  deux  opérations  : 
1°  Acheté  des  marchandises  i  Bernard  ; 
2»  Accepté    une   traite    de    Bernard ,     qui    est 
un  effet  à  payer  dont  Bernard  touchera  le  mon- 
tant. 

Donc:  1°  Marchandises  générales  à  Bernard  , 
et  2°  Bernard  à  Effets  à  payer. 

La  simplification  donnerait:  Marchandises  gé- 
nérales à  Effets  à  p'iyer. 

8"  article.  — Il  y  a  là  trois  opérations  : 
1°  Je  vends  à  Louis  pour  2  400  fr.  de  marchan- 
dises: d'où  :  Louis  à  Marchandises  générales; 

2°  Je  tire  sur  Louis  pour  le  montant  de  cette 
vente;  ma  traite  de  '.'400  fr.  figurera  au  compte 
d'Effets  à  recevoir;  d'où:  Effets  à  recevoir  àLouis; 
3°  Je  négocie  ma  traite  avec  une  perte  de  10  fr. 
pour  escompte  et  commission  ;  les  espèces  reçues, 
2  :i9i)  fr.,  entrent  dans  ma  caisse  ;  quant  à  la  perte, 
elle  s'inscrit  au  compte  de  Profits  et  portes.  D'où 
un  article  ainsi  conçu  :  Les  suivants  à  Effets  à  rece- 


TENUE  DES   LIVRES       —  24G1 


TENUE  DES  LIVRES 


Caisse,  produit  de  ma  traite 2  oOO 

Vrofils  tt perles,  pour  perte  M'escompte.        lU 

!l"  ariii'Ie.  —  Qui  reçoit?  Jacques.  Qui  donne? 
Caisse.  Donc  :  Jacques  à  Caisse. 

10°  article,  —  Qui  reçoit  ?  Caisse.  Qui  donne? 
Paul.  Donc  :  Caisse  à  Paul. 

11°  iirticl".  —  Qui  reçoit?  Le  compte  d'Effets  ;\ 
payer,  chargé  d'acquitter  le  l)illet  souscrit  h  Geor- 
ges. Qui  donne?  Caisse.  Donc  :  Effets  à  payer  à 
Cuisse. 

12°  article. —  Qui  reçoit?  Caisse.  Qui  donne? 
Le  compte  d'Effets  à  recevoir,  détenteur  du  bil- 
let de  Stéphaii.  —  Donc  :  Caisse  à  Effets  à  re- 
cevoir. 

13"  article.  —  Qui  reçoit?  Le  compte  d'Effets  à 
payer,  cliargc  d'acquitter  la  traite  de  Francis  sur 
moi.  Qui  donne?  laisse.  Donc  :  Effets  ù  payer  ù 
Caisse. 

14°  (irticle.  —  Qui  reçoit?  Les  divers  comptes 
intéressés  :  Frais  de  maison,  Dépenses  personnel- 


les. Frais  généraux.  Qui  donne?  Caisse.  Donc: 
Les  suivants  à  Caisse  : 

Frais  de  mnison 1  500 

Dépi-nscs  personnelles 500 

Frais  gënérimx 2  000 

15°  article.  —  Il  y  a  une  double  opération.  D'a- 
bord le  compte  de  Marchandises  générales  reçoit 
do  Liard  qui  donne;  en  second  lieu,  Liard  reçoit 
en  paiement  un  effet,  fourni  par  Effets  à  payer,  et 
des  espèces  fournies  par  Caisse.  D'où  deux  arti- 
cles : 

Marchandises  générales  à  Liard,  et 

Liard  aux  suivants  : 

E/fels  à  payer 1  000 

Caisse 1  000 

Nous  donnons  maintenant,  pour  ces  quinze  arti- 
cles, les  modèles  des  écritures  du  Brouillard,  du 
Journal,  et  du  Grand  livre,  en  terminant  par  la 
balance  des  comptes. 


1»   BROUILLARD. 


,    iC  janvier  iiSî.  

Acheté  au  comptant  de  Pierre,  à  Paris,  1^0  mètres  de  di-ap  à  20  fr.  le  mètre.. 

11  dito.  

Vendu  au  comptant  à  Louis,  15  mètres  de  velours  à  20  francs  le  mètre 

1-2  dilo.  

AcliCté  uQ  lot  de  marchandises    à  Jacques  (200  mètres  de  drap  à    23   fiancs 

le  mètre) 

13  dito. 

Vendu  à  Paul  40  mètres  de  drap  à  35  francs  le  mètre 

15  dito.  

Acheté  de  Henri,  à  Kouen,  5  pièces  de  drap  de  40  mètres  chacune  à  25  francs 

le  mètre 

Donné  eu   paiement  mon  billet  à  sou  ordre  à  un  mois 

19  dito.  

Vendu  à  Paul,  de  Paris,  10  mètres  de  velours  à  25  francs 

Reçu  en  paiement  son  billet  à  mon  ordre  à  un  mois 

.  21  dito.  

Acheté  de  Bernard,  100  mètres  de  soie  noire  à  18  francs  le  mètre 

Accepté  une  traite  de  Bernard  sur  moi  fm  février 

23  janvier  1882.  

Vendu  à  Louis,  2  pièces  de  drap  de  40  mètres  chaque,  à  30  francs  le  mètre... . 

Tiré  sur  lui  une  traite  à  vue  et  négocié  cette  traite  à  Francis 

Pei du  10  IVaucs  pour  l'escompte 

29  dito.  , 

Acquitte  en  espèces  la  facture  do  Jacques 

29  dito.  

rtepude  Paul  le  montant  de  ma  facture  du   13 

29  dito.  

Acquitté  un  billet  de  Georges,  échu  à  la  date  de  ce  jour 

29  dito. 

Encais&é  un  billet  de  Stéphan,  échu  à  la  date  de  ce  jour 

29  dito.  

Payé  une  traite  de  Francis,  pour  solde  de  sa  facture * 

31  dito.  

Payé  mes  dépenses  de  maison  : 

Dépenses  personnelles 

Frais  généraux,  appointements  d'employés,  loyer,  patente 

31  dito.  

Acheté  de  Liard  à  Lyon,  100  mètres  soie  bleue  à  20  francs  le  nietre 

Donné  en  paiement  : 

l"  Un  billet  Un  février 

f*  Eu  e3[jècts 


Fr. 

c. 

Fa. 

2400 
300 

5000 
1400 

C. 

sooo 

5000 

oUUO 

2Ï0 
250 

250 

18(10 
1800 

i!>00 

2400 

2390 

10 

2100 
5000 

UOO 
2800 

1500 

«00 

1000 
600 
2000 

3300 

2000 

1000 
1000 

SUOO 

TENUE  DES  LIVRES        —  2462  —        TENUE  DES  LIVRES 

2°  JOXIRNAL 

Les  deux  colonnes  de  gauche  contiennent  les  folios  du  grand  livre  auxquels  doivent  être  chercbi5s  les  comptes  débiteur 

et  d'éditeur) 
Fol.  i. 


1 

6 

6 

1 
7 

1 
1 

8 
1 
10 

m 

4 

3 

9 

1 

II 

11 

* 

7 
3 

t 

7 

5 

3 

S 

2 

4 

2 

3 

4 

- 

.iO  Janvier  18 


Sloii  achat  de  ce  jour  belou  sa  facture 
6(s  di/o. 


Î^K's  espèces  pour  aciiuit  de  sa  facture. 
Il  dito. 


^ou  acbat  de  ce  jour  scion  ma  fuclun 
bis  dito. 


Soa  piiieuient  d'uu   achat  au  comptant, 
li  dito. 


Sa  facture  pour  mou  achat  de  ce  jour, 
13  diiu. 


Ma  facture  pour  son  achat  de  ce  jour. 
5  15  dito 

nUnciUNDlSES  GÉNKnALES  à 

Sa  facture  pour  mou  achat  de  ce  jour. 
5  bis di(u. 


chat  de  marchandises. 
19  dito. 


Ma  fa.-ture  pour  son  achat  de  ce  jour 

bis  ■    -------      dito. 


Marchandfses 
Sa  facture  pu 


chat  de  ce  jour. 
dito. 


Sa  traite  pour  solde  de  sa  facture. . . . 
23  dito 


Ma  facture  pour  soa  achat  de  ce  jour. 
8  bis    dilo. 


>I8BS  GENERALES 


Ma  traite  sur  lui  pour  solde  de  ma  fai 


Les  <.ui\aDts  à 

pour  né^'Oi.iation  de  ma  traite  sur  Loui: 

Caisse,  produit  de  la  traite 

Profits  et  pertes,  pour  escompte 

29  dito.  _ 

Jacques                                                         à 
Pa;6  puur  solde  de  sa  facture 


R'_çu  eu  espèces  pour  solde  de  ma  facture  du  13. 
.  dito 


puur  acquit  de  mon  billet  à  l'ordre  de  Georges. 
dito.  


eut  d'ua  billet  de  Stéphao... 
dito.  . 


pour  acquit  de  la  Ir.iite  de  Fraucis  sur  moi. 


A  reporter. 


TENUE  DES  LIVRES 

Fui.  X. 


FnAis  DD  MAISON,  Ht^pcnscs  du  mot 

DÉPKNSKS   PERSONNELLES,    dépCRSeS 

Frais  glnûiiaux,  dépenses  du  mois 


2463  —        TENUE  DES   LIVRES 

Report 


Ci 


MAKClIiNDISKS 

S,i  raclure  pt' 


chat  de  ce  jo 


.  dito.  . 


LiAKD  aux  i^uivants,  pour  solde  de  sa  factur 
a  Effets  k  PiiEn.  mon  billet  à  son  ordre 

dito.  .^__ 


Profits  et  pertes 

à    l-'RAIS   DE    MAISON,    pOUF  SOlde 

à    dépenses    PERSONNELLES,   pOUr  SOlde. 

à  Frais  généraux,  pour  solde 

dito. 


Ma 


•  beueûc 


'  compte. 
_  dito.  . 


pour  solde  de  ce  de 


Profits  et  pertes 


■  compte.., 
dito. 


.rchandises  en  mag 


R,  portefeuille 


Les  suivants  à  Balance  de  sortie. 
Effets  a  payer,  pour  mes  eflets  en 
■  Capital,  pour  solde  de  ce  compte. 


RfComme  on  ne  doit  pas  faire  de  ratures  dans  le 
journal,  si  un  article  a  été  mal  passé,  si  par  exem- 
ple un  compte  a  été  crédité  au  lieu  d'être  débité, 
on  fait  une  contre-écriture  par  laquelle  on  débite 
deux  fois  le  compte  en  question,  une  fois  pour  an- 


nuler l'article  mal  passé,  et  une  seconde  fois  pour 
débiter  le  compie  coinino  il  doit  l'être.  Quehiue- 
fois,  on  se  contente  d'écrire  en  marge  de  l'article 
le  mot  nul.  a 


!  •»  [3»  grand;  [LIVRE]  .:■■;-'-     ^^5    ^^^  " 

'a,(Les  deiT^oIoïKr^^^auchè  de  celles  qui    sont  réservées  aux  sommes  d'argent,  indiquent:  la  première,  le  lolio  du 
journal  où  se  trouve  l'article  ;  la  seconde,  le  folio  du  grand  livre  où  se  trouve  le  comute  auquel  on  reuToie. 

Nous  avons  inscrit,  au  compte  de  Capital,  ainsi  qu'à  ceux  de  Marchandises  générales,  Caisse,  Effets  à  recevoir  et  Effets 
àpayer,  trois  ou  quatre  articles  antérieurs  à  la  date  à  laquelle  commencent  les  articles  du  Brouillard  et  du  Journal; 
ils  étaient  nécessaires  à  la  régularité  des  écritures,  afin  d'établir  la  situation  du  commerçant.  Ce  sont  :  l'article  du  i" 
janvier  au  débit  de  Marchandises  générales;  l'article  du  !•' janvier  au  débit  de  Caisse  ;\  article  du  l*""  janvier  au  débit 
A'Effels  à  receooir  ;  les  deux  articles  du  1"  janvier  au  crédit  i' Effets  à  payer;  et  ces  mêmes  articles,  à  la  méine  date, 
au  crédit  et  au  débit  de  Capital.) 


Fol.  1. 
DOIT 


M.VIir.HANDISES  GENERALES 


JaoTier  l"''  A     Capital,   marchandises 


jlO  A  Pierre,  sa  facture.,. 

jl2  A  Jacques,  sa  facture, 

n  A  Henri,  sa  facture,,. 

I  21  A  Bernard,  sa  facture. 

31  A  Liard,  sa  facture... 


31  A  Profils  et  Pertes,  bénéfice. 


Fr. 

C. 

IS<2 
JauTier 

II 

5S0 

n 

i:t 

1 

1 

6 

R 

2.4O0 
5.000 

" 

19 

2.H 

1 

10 

5.000 

31 

1 

n 

1.800 

" 

- 

15 

2.000 

16.750 

1.400 

18.150 

is,  ma  facture., 
Vav  Paul,  ma  facture.. 
P'iul,  ma  facture. , 

•   Balance   de  sortie 
haudises  eu  magasiu. 


TENUE  DES  LIVRES 


2464  —        TENUE  DES  LIVRES 


Fol. 
DOIT 


A  Capital,  espèces  en  caisse,. 

A  Lotis,  soQ   paiement 

A.  Effets  à  recevoir,  traite  sur 

Louis. 

A  Paul,  son  paiement 

A   Effets  à  recevoir,   eocaissé 

billet  Stéphan , 


1.500 
25.590 


18S2 
JanTier 


Par  Pierre,  mon  paiement.... 
Vaf  Jacques,  num  paiement.. . 
Par  Effets  a  payer,  payé  billet 

ordre  Georges 

Par  Effets  à  payer,  payé  traite 

Francis 

Par  Frais  de  maison 

Par  Dépenses  personnelles .,. . 

Par  Frais  généraux 

?a.T  Liard,  mon  paiement 

Pa.v  Balance  de  sorfi'e,  encaisse. 


Fol.  3. 
DOIT 


EFFETS  A  RECEVOIR 


1882 
Jamier 


A    Capital,    billet   Stéphan 
mon  ordre 

A  Pau^  son  billet  à  mon  ordr( 
A  Louis,  ma  traite  sur  lui.... 


Par  Caisse,  négocié 


?&r  Profits  et  Pertes,  escompte 
Par  Caisse,  eue.  billet  Stéphan 


Par  Balance  de  sortie,  effets  en 
portefeuille 


1 

1 
1 

l 

Fr. 

2.390 

)0 

1.500 

C. 

3.900 

2 

17 

230 

4.130 

Fol,  4. 
DOIT 


EFFETS  A  PAYER 


A  Caisse,  payé  mon  billet  ordre 
Georges .'..... 

A  Caisse,  payé  traite  Francis. 


Par  Capital,  mon  billet  ordre 
ptée  de 


Par  Capital,  trai 

Francis 

Par  Henri,  mon  bili.  à  son  ordre, 
Par  Bernard,  moa  billet  à  sod  ordre. 
Par  Liardy  mon  btil.  à  sou  ordre. 


■i 

000 

.■) 

OUI) 

1 

«011 

1 

000 

Fol.  S. 
DOIT 


PROFITS  ET  PERTES 


A.  E/fels  à  recevoir,  perle  sur 

escompte 

A  Frais  de  maison 

K  Dépenses  personnelles 

A.  Frais  généraux 


Par  March.  génér.,  béoélice. 
P&r'Capical,  pour   solde 


2.110 
3.510 


Fol.  6. 
DOIT 


1882 

JlUT. 

10 

A  Caisse,  mon  paitimeut 

1 

- 

Fr. 
2400 

C. 

188i 
JauT. 

10 

Par  Mardi,  génér.,  sa  fact. 

1 

1 

Fr. 

2400 

cl 

TENUE  DES  LIVRES 


2463  —         TENUE  DES  LIVRES 


J-ol.  7. 
DOIT 


II 

i;i 

A   Mm-eh.  gniér  ,  ma  facliirc. 
A  Mardi,  r/éiiér.,  ma  tactuic. 

1 
1 

1 
1 

l'r. 

24U0 

C. 

IR82 
Jarnier 

II 

2:1 

Par  Caissr,  son  paiement 

f.E/fel  à  recev.,  ma  Ir.  sur  lui 

1 

2 

Fr. 

300 
2.400 

C. 

Fol,  : 
DOIT 


1S8S 
laDiUr 

29 

A  Caisse,  mon  paiement 

1 

2 

Fr. 
o.OOO 

r,. 

1882 
Jantier 

12 

Par  Narch.  génér.j  sa  facture. 

1 

1 

Fr. 
5.0Û0 

C. 

Fol.  9. 
DOIT 


A.  Mardi,  gén..  ma  facture 
A  Mardi,  gén.,  ma  facture 


Par  F/fels  à  recevoir,  son  billet. 
Par  Caisse,  son  paiement 


Fol.  10. 
DOIT 


1882 
JanTier 

tb 

\  Effets  à  payer,  mon  billet. 

1 

4 

Fr. 

5.000 

C. 

1882 
JaDTier 

1d 

Par  Mardi,  gén.,  sa  facture... 

1 

ID 

Fr. 

3.000 

C. 

Fol.  11. 
DOIT 


1882 
Janiier 

21 

A  Effets  à  payer,  mon  billet.. 

1 

4 

Fr. 

1.800 

(".. 

1882 
Janiier 

21 

Par  Mardi,  gén.,  sa  facture... 

1 

1 

Fr. 

1.800 

C. 

TENUE   DES   LIVRES       —  ^466  —       TENUE  DES   LIVRES 


Fol.  lû 
DOIT 


FRAIS    DE    MAISON" 


1 1  Var  Profits  et  perles,  pour  solde. 


Fol.  13. 
DOIT 


DliPE.NSES  PERSONNELLES 


31  ParPr6/î/jc(;)er(es,puursoldi- 


Fui.  U. 
DOIT 


FHAIS    GENERALÏ 


1SS2 

Fr. 

C. 

IS8i 

Fr. 

C. 

31 

A  fa 

i'se 

Jamitp 

31 

Par  Profits  et  pertes,  pour 

solde. 

i.Oou 

Fol.  13. 
DOIT 


;  IS8i 
Jiniltr 

31 

A  Effets  à  payer,  mon  billet... 
A  Caisse,  «ion  paieiiieut  espèces. 

2 

2 

4 

F.. 

1.00(1 

i.oùo 

2.0UU 

C. 

Jiniier 

31 

Par  March.  gén.,s\  faclurc... 

■' 

1 

Fr. 

2.0IMI 

C. 

Fui.    16 
DOIT 


A  Effet!:  à  pai/er,   i  billc-ts 
itlioir  (Georges  et  Francis). . 


.V  J'rofits  et  perles,  pou 
.\  Balance  de  sortie. . . 


Par  March.  gen.,  mai 

Par  Cnisse,    esjièces  * 

Par  Effets   à  rccem 

Stépliau 


iU.OOO 
( .  .-iOO 


TKNUE  DES   LIVRES 


2'iG7 


THEODICEE 


l-'ol.  17. 
DOIT 


BALAM'.K   Ijl!  SOnflE 


I8S2 

Fl-." 

r.. 

ISSi 

Fi-. 

c. 

JaiiiKT 

■i\ 

A  MdrrJi.   fjoiu,  niaixliantlises. 

2 

1 
3 

13.80(1 

a. 410 

250 
'i3.iC0 

Jmvier 

31 

A  /?/f((,s 

ccjLlIil 
A  LnpiU 

à  paiii 

r.clTelsen  cii-- 

'' 

If) 

7.800 

i.ï.ciio 

A  ^/^c'isâreceyoi/-,  portefeuille. 

l,  pour 

ii..'H'>ll 

uu 

De  i.a  balance  générale  des  co.mptes.  —  CcttP. 
opération  exige  des  écrilures  au  journal  aussi 
bien  ([u'au  grand  livre. 

Los  divers  comptes  du  grand  livre  se  soldent  ,\ 
l'aide  du  compte  de  Profits  et  Perte.';,  du  compte 
deCapital,  et  du  compte  ie  Balance  de  sortie,  créé 
tout  exprès  à  cet  elfnt. 

On  commence  par  faire  l'inventaire  des  mar- 
chandises en  magasin,  des  valeurs  en  espèces,  et 
•des  effets  en  portefeuille. 

Puis  on  examine  en  premier  lieu  les  comptes 
susceptibles  de  présenter  un  bénéfice  ou  une  perte  : 
ce  sont  les  comptes  de  Marchandises  générales, 
de  Frais  de  maison,  de  Dépenses  personnelles, 
et  de  Frais  généraux.  Le  débit  du  compte  de  Mar- 
chandises générales  présente  une  somme  totale  de 
fr.  1G750,  le  crédit  une  somme  totale  de  l'r.  ^  3,^0  ; 
jious  supposerons  que  l'inventaire  aura  constaté 
on  outre  l'existence  de  marchandises  en  magasin 
pour  une  valeur  de  fr.  LiSOt).  Cette  valeur  doit 
être  ajoutée  au  crédit  du  compte,  ce  qui  donne 
un  chiffre  do  fr.  18  I5ll.  Nous  voyons  que  le  crédit 
dépasse  de  1  'lOO  fr.  le  débit;  cette  somme  de 
1400  fr.  constitue  le  bénéfice  du  compte  de  Mar- 
chandises générales.  Les  trois  autres  comptes, 
Frais  de  maison.  D 'penses  personnelles,  et  Krais 
généraux,  n'offrent  que  des  dépenses,  c'est-à-dire 
des  pertes. 

Nous  servant  alors  du  compte  de  Profits  et 
liertes,  nous  passons  au  journal  deux  articles, 
l'un  : 

Profits  et  Pertes  aux  suivants  : 

Frai'i  de  maison  ; 

Dépenses  personnelles  ; 

Frais  généraux  ; 
l'autre  : 

Marchandises  générales  à  Profits  et  Pertes  ; 
«t  nous  faisons  au  grand  livre  les  écritures  corres- 
pondantes. Les  trois  premiers  comptes  sont  balan- 
cés ;  quant  au  compte  de  Marchandises  générales,  il 
sera  balancé  tout  à  l'heure  avec  les  autres. 

Le  compte  de  Profits  et  pertes  est  h.  son  tour 
balancé.  Nous  constatons  que  le  débit  de  ce 
compte  dépasse  le  crédit  d'une  somme  de  fr.  '2  Un, 
et  nous  le  soldons  au  moyen  du  compte  de  Capi- 
tal. Nous  passons  à  cet  effet  au  journal  un  article 
Capital  à  Profits  et  pertes,  et  nous  le  reportons  au 
grand  livre. 

Enfin,  il  nous  reste  à  balancer  les  autres  comp- 
tes au  moyen  du  compte  de  Balance  de  sortie. 
Nous  portons  au  crédit  du  compte  de  .Marchandises 
générales  la  valeur  des  marchandises  en  maga- 1  preuves  abstraites 
sin,  au  crédi  du  compte  de  Caisse  les  espèces 
en  caisse,  au  crédit  du  compte  d'Effets  à  recevoir 
les  effets  en  porn-feuille  ;  et  nous  passons  au  jour- 
nal un  article  Balance  de  sortie  aux  suiiuints. 
Puis  nous  portons  au  débit  du  compte  d'Effets  o 
payer  les  effets  en  circulation,  au  dôjit  du  compte 
de  Capital  la  différence  entre  le  crédit  et  le  débit 
de  ce  compte,  et  nous  passons  au  journal  un 
second  article  Les  suioaiits  à  Balance  de 
sortie. 


Les  comptes  personnels,  dans  les  exemples  ci- 
dessus,  se  balancent  d'eux-mêmes,  c'est-Ji-dire 
que  le  débit  y  est  égal  au  crédit.  Pour  les  comp- 
tes qui  offrent  cette  particularité,  aucune  opéra- 
tion n'est  nécessaire;  on  ne  s'en  occupe  pas;  ils 
sont  dans  la  balance  générale  et  dans  le  bilan 
comme  n'existant  pas. 

Après  avoir  fermé  des  comptes,  on  les  rouvre 
en  portant  le  solde  à  nouveau,  au  moyen  du 
compte  de  Balance  d'entrée  qui  se  substitue  k 
celui  de  Balance  de  sortie.  L'article  du  journal 
Haiance  de  sortie  aux  suivants  est  transformé 
en  un  article  inverse,  Les  suivants  à  Balance 
d'entrée  ;  l'article  Les  suivants  à  Balance  de 
sortie  sert  h  passer  un  second  article  inverse, 
Balance  d'rntrée  aux  suivants j  les  soldes 
débiteurs  et  créditeurs  sont  inscrits  à  nouveau 
au  grand  livre,  et  les  écritures  reprennent  leur 
cours  régulier.  [Thomas  Canonville.) 

'rilÉOOICÉK.  —  P.sychologie,  XIX.  —  Le  mot 
de  Théodicée  est  l'expression  consacrée  pour  dési- 
gner ce  qu'on  appelait  autrefois  la  théologie  natu- 
relle, c'est-i-dire  l'ensemble  des  efforts  tentés  par 
la  raison  humaine,  en  dehors  de  toute  révélation 
et  de  toute  foi  au  surnaturel,  pour  établir  l'exis- 
tence et  définir  la  nature  de  Dieu.  Une  théodicée 
complète  a  pour  prétention,  sinon  pour  résultat, 
de  faire  valoir  les  preuves  philosophiques,  de 
quelque  ordre  qu'elles  soient,  qui  justifient  la  re- 
ligion naturelle,  de  démontrer  Dieu,  par  consé- 
(|uenf,  en  second  lieu  d'énumérer  les  attributs 
divins,  c'est-i-dire  les  qualités  d'un  être  infini  et 
parf.iit  :  enfin  de  déterminer  les  rapports  de  Dieu 
avec  l'homme  et  avec  le  monde. 

11  ne  saurait  entrer  dans  notre  plan  de  suivre 
les  philosophes  dans  leurs  spéculations  hardies 
de  métaphysique.  La  pensée  humaine  h  la 
reclierche  de  Dieu  s'est  jetée  dans  de  longs  cir- 
cuits de  raisonnements  abstraits,  oii  il  est  diffi- 
cile de  pénétrer.  D'ailleurs,  outre  leur  carac- 
tère ardu,  les  preuves  abstraites  de  l'exisionco  de 
l)ii-u  sont  moins  décisives  qu'elles  ne  veulent 
l'être.  Elles  témoignent  de  la  bonne  volonté  de 
croire  .\  Dieu  plus  qu'elles  n'obligent  la  raison  à  y 
croire.  Elles  attestent  le  sentiment  religieux  de 
leurs  auteurs  plus  qu'elles  ne  servent  ;i  comrau- 
ni  iiier,  Ji  répandre  dans  d'autres  âmes  la  foi  qui 
les  a  inspirées.  Elles  sont  comme  de  belles  prières 
.idressées  par  de  grands  esprits  à  un  être  divin, 
plus  désiré  que  prouvé,  plus  adoré  que  défini. 
PiUH-  tout  dire,  en  dehors  d'un  petit  cercle  d'eà- 
prits  raédilatifs  qui  peuvent  s'y  complaire,  les 
■  ■  '  l'oxistence  de  Dieu  ne  sau- 
cière exercer  d'iniluence  sur  le  sentiment 
religieux  de  l'humanité.  Elles  risquent  ou  de  n'rti-e 
pas  "comprises,  ou,  si  elles  le  sont,  de  décuurag^u- 
par  leur  insuffisance  la  foi  qui  y  chercherait  un 
appui  et  un  supplément  de  forC'!. 

Laissons  donc  do  côté  les  controverses  théoriques 
d<;  la  métaphysique,  qu'im  a  eu  la  sagesse  de  ne 
pis  faire  entrer  dans  le  programme  do  l'enseigne- 
ment primaire.  Comme  l'a  dit  avec  iviisnn  M.  Ja- 
net,  «  les  preuves  abstraites  de  la  théodicée,  que 


THEODICEE 


—  2468  — 


THEODICEE 


que  grandes  qu'elles  soient  en  elles-mêmes  par 
les  noms  de  ceux  qui  les  ont  créées,  sont  trop 
spéculatives  pour  cet  ordre  d'enseignement.  »  Nous 
ne  considérerons  ici  la  tliéodicée  que  comme  le 
couronnement  de  la  morale,  et  l'idée  de  Dieu  que 
comme  un  principe  d'ordre  pratique,  pour  ainsi 
dire,  dont  il  s'agit  de  déterminer  le  rôle  dans  la 
conduite  de  la  vie. 

Ainsi  réduite,  la  question  revient:  1°  à  chercher 
dans  les  faits  moraux,  dans  la  conscience,  dans  la 
croyance  au  devoir,  quelque  chose  qui  nous  ache- 
mine vers  l'idée  de  Dieu  ;  '2°  à  montrer  comment 
cette  idée  une  fois  dégasée  de  la  morale  réagit  sur 
la  morale  elle-même,  et  devient,  sinon  le  principe 
des  volontés  vertueuses  et  des  actes  bons,  du  moins 
leur  idéal  et  leur  terme. 

Kant.quide  tousles  pliilosophesa  le  plus  appro- 
fondi les  rapports  de  l'idée  de  Dieu  et  de  la  mo- 
rale, Kant  disait  que  les  plus  beaux  spectacles  du 
monde  étaient,  d'une  part,  le  ciel  étoile,  d'an- 
tre part,  la  conscience  de  l'honnête  homme.  Et 
en  parlant  ainsi,  il  entendait  certainement  si- 
gnaler le  caractère  commun  de  deux  choses  qui, 
malgré  leurs  différences  profondes,  l'une  par  des 
signes  sensibles,  l'autre  par  une  révélation  toute 
morale,  nous  parlent  également  de  Dieu.  Il  n'hé- 
sitait d'ailleurs  pas  à  penser  que  le  témoignage  de 
la  conscience  est  infiniment  supérieur  au  témoi- 
gnage du  monde  sensible,  et  que,  tandis  que  les 
choses  matérielles  éveillent  obscurément  l'idée 
d'une  puissance  mystérieuse  et  divine,  dont  elles 
seraient  l'instrument  et  l'effet,  le  monde  moral 
nous  oblige,  avec  une  iiupérieuse  clarté,  à  con- 
cevoir et  à  reconnaître  un  idéal  de  justice  et  de 
bonté  dont  la  conscience  humaine  ne  serait  que 
le  reflft. 

An.ilysons,  en  effet,  les  éléments  de  la  con- 
science et  de  la  moralité  :  nous  verrons  partout 
apparaître  la  nécessité  de  reconnaître  un  Dieu, 
principe  et  fin  de  nos  conceptions  et  de  nos  ac- 
tions morales. 

Le  fond  de  la  conscience  morale,  c'est  l'idée  du 
bien.  Sur  cette  conception  fondamentale  se  gref- 
fent ensuite  l'idée  du  devoir  et  l'idée  du  mérite. 
L'idée  du  bien  n'est  sans  doute  pas  également 
claire  dans  toutes  les  consciences.  Elle  se  déve- 
loppe avec  l'âge  dans  chaque  individu,  avec  le 
progrès  des  siècles  dans  l'humaniié.  Elle  s'é- 
pure, elle  s'étend,  elle  se  fortifie  par  l'expé- 
rience et  la  réflexion;  mais  enfin  elle  n'est  ab- 
sente d'aucune  âme  humaine  qui  a  grandi  dans 
un  milieu  normal.  Ell<;  résiste  à  toutes  les  dé- 
faillances de  la  vie  pratique.  Elle  éclaire  et 
rayonne  dans  tout  son  éclat  chez  les  sages  et  les 
saints.  Elle  se  manifeste  encore  par  une  lueur 
affaiblie  jusque  dans  les  âmes  avilies,  qui  peuvent 
se  dérober  à  ses  lois,  mais  qui  ne  sauraient  échap- 
per au  remords  qu'elle  inspire.  Elle  est  la  source 
d'une  multitude  de  belles  actions.  Elle  provoque 
les  sacrifices,  le  dévouement  des  héros.  Eh  bien, 
est-il  permis  de  croire  que  cette  idée  du  bien,  si 
universelle  et  si  puissante,  ne  correspond  en 
dehors  de  nous  à  rien  de  réel  ?  Le  bien  ne 
serait  il  qu'une  conception  toute  personnelle 
de  la  conscience  ?  Toutes  res  âmes  vertueuses 
qui  depuis  l'origine  de  i'Iiumanité  travaillent 
et  souffrent  pour  le  bien,  n'auraient-elles  as- 
piré (|ii'à  une  chiiuère?  N'est-il  pas  vrai  que 
l'idéal  qu'elles  ont  conçu,  l'idéal  de  justice 
qu'elles  ont  voulu  réaliser  autour  d'elles  dans 
les  rapports  sociaux,  l'idéal  de  charité  auquel  de 
toutes  leurs  forces  elh-s  se  sont  dévouées,  l'idéal 
de  sainteté  dont  elles  ont  voulu  se  rapproclierdans 
leur  vie,  a  son  principi',  au-dessus  de  nos  têtes 
fragiles  et  de  nos  viis  péri>sables,  dans  un  prin- 
cipe divin,  dans  un  Dieu  juste,  bon  et  parfait? 

C'est  ainsi  que  la  coii>iiléiaiion  de  la  première 
des   notions  morales    nous    conduit   à   admettre 


l'existence  d'un  Dieu,  modèle  souverain  de  tou- 
tes les  vertus,  principe  de  toute  sagesse.  Par  là 
se  trouvent  justifiées  les  affirmations  de  Kant 
déclarant  que  Dieu  est  avant  tout  «  une  idée  mo- 
rale et  qui  appartient  à  la  morale  ". 

Ce  n'est  pas  qu'il  faille  accepter  l'opinion  de  cer- 
tains théologiens  qui  pensaient  que  la  morale  est 
l'œuvre  arbitraire  de  la  volonté  divine,  et  qu'il 
eût  suffi  d  un  caprice  de  Dieu  pour  faire  du 
bien  le  mal,  et  inversement.  Non,  cette  concep- 
tinii  superstitieuse  ne  saurait  être  sérieusement 
défendue.  Le  bien  est  quelque  chose  d'immuable 
et  d'absolu  :  les  choses  bonnes  le  sont  par  elles- 
mêmes,  et  c'est  précisément  pour  cela  que  notre 
rai-un  nous  invite  à  chercher,  en  dehors  et  au- 
dessus  des  pensées  humaines,  une  pensée  divine, 
immuable  et  absolue  elle  aussi,  où  la  justice  et 
la  sainteté  trouvent  leur  raison  d'être. 

Le  second  élément  essentiel  de  la  conscience 
morale,  c'est  l'idée  du  devoir,  inséparable  de  l'i- 
dée du  bien;  le  devoir  ne  saurait  être  conçu  San» 
nous  apparaître  aussitôt  comme  obligatoire,  comme 
moralement  nécessaire.  Noire  lilicrté  nous  laisse 
le  pouvoir,  mais  ne  nous  donne  pas  le  droit 
d'enfreindre  les  règles  du  bien.  La  seule  chose 
absolument  et  immédiatement  certaine,  disait 
K.int,  c'est  le  devoir.  Le  reste  peut  se  contester, 
se  discuter,  se  disputer;  le  reste  est  hypothéti- 
que :  mais  le  devoir  commande  sans  réplique  pos- 
sible et  sa  certitude  est  catégorique;  le  mal  ne 
doit  pas  être,  quand  même  il  serait  présentement. 
Mais  cette  obligation  de  faire  le  bien,  ce  comman- 
dement impérieux  devant  lequel  l'honnête  homme 
fait  plier  vmtes  les  résistances  de  l'instinct  mau- 
vais et  égoïste,  cette  loi  catégorique  qui  s'impose  à 
tous,  quel  est  son  principe?  Tout  cela  est-il  sus- 
pendu dans  le  vide  sans  fondement  et  sans  base? 
Ou  bien  plutôt  derrière  la  loi  n'y  a  t-il  pas  le  lé- 
gislateur, le  l'ère  céleste  qui  commande  à  tous  les 
enfants  de  la  grande  famille  humaine,  comme  dans 
clia(|ue  maison  le  père  coiumande  à  ses  fils?  L'i- 
dée du  devoir,  non  moins  que  l'idée  du  bien,  nous 
achemine  à  l'idée  d'un  Dieu,  source  suprême  et 
garantii-  dernière  de  l'autorité  de  la  loi  morale. 

Enfin  la  conscience,  après  avoir  conçu  le  bien  et 
le  devoir,  affirme  et  proclame  le  mérite,  c'est-à- 
dire  le  droit  de  l'honnête  homme  à  la  récompense, 
l'harmonie  nécessaire  de  la  vertu  et  du  bonheur, 
et  réciproquement  la  liaison  fatale  de  la  faute  et 
de  la  punition.  Ici  Dieu  nous  apparaît  comme  juge, 
après  nous  être  apparu  comme  législateur.  Sur  ce 
point  nous  donnerons  la  parole  à  M.  Janet.  «  Il  est 
difficile,  dit  il,  de  concevoir  une  loi  qui  soit  telle 
qu'un  agent  puisse  toujours  avoir  raison  contre 
elle,  une  lui  qui,  dans  son  opposition  avec  l'agent, 
ne  serait  pas  sûre  d'avoir  le  dernier  mot.  Or,  sans 
nous  demander  si  ce  dernier  luot  doit  être  pro- 
noncé ici  bas  ou  ailleurs,  nous  pouvons  affirmer 
qu'il  doit  y  avoir  quelque  être  qui  se  charge  démet- 
tre d'accord  la  justice  etla  liberté,  c'est-à-dire  qui,. 
après  avoir  laissé  toute  liberté  d'action  à  l'agent,  se 
réserve  d'établir  quelque  jour  l'autorité  de  la  loi. 
Ce  qui  n'aurait  pas  lieu  sans  cela  :  car  l'agent  qui 
voudrait  avoir  raison  contre  la  loi  serait  sûr  d'y 
réussir,  (luisqu'il  est  libre  et  qu'il  n'aurait  qu'à  se 
proserver  des  lois  humaines  pour  être  aussi  in- 
différent qu'on  peut  l'être  aux  conséquences  doses 
actions.  Aussi  la  liberté  laissée  au  coupable  d'agir 
contre  la  loi  n'est  explicable  que  si  cette  loi  est 
assurée  de  trouver  une  sanction,  tôt  ou  tard  qui 
en  venge  l'autorité.  —  Il  en  est  de  même  du  cas 
où  la  loi  est  sincèrement  et  lihrement  accomplie 
par  l'agent  :  la  loi  en  efl'et  ordonne  à  l'agent  le 
désintéressement  absolu  ;  et  la  justice  veut  cepen- 
dant que  celui  qui  a  tout  sacrifié  pour  bien  faire 
ne  soit  pas  puni  de  sa  vertu  ;  car,  s'il  doit  êire  juste 
envers  tout  le  monde,  il  faut  bien  qu'il  y  ait  quel- 
qu'un qui,  auuom  de  la  loimorale,  soii  juste  envers 


TIIEODIGEE 


:2iG9 


TlilBUNAUX 


lui.  Une  loi  qui  serait  telle  qu'elle  me  ferait  h  moi- 
même  ce  qu'elle  m'imerdit  de  faire  aux  autres, 
c'est-à-dire  qui  me  rendrait  nécessairement  mal- 
heureux, serait  une  loi  barbare  qui  se  contredirait 
elle-môme.  Or,  c'est  ce  qui  arriverait  si  l'Iiarmonie 
exigée  parla  loi  entre  la  justice  et  le  bonheur  n'é- 
tait pas  garantie  par  Une  cause  souveraine,  la- 
quelle ne  peut  être  précisément  que  celle-là  même 
qui  a  porté  la  loi.  »  (M.  Janet,  Cours  de  morale, 
p.  :US.) 

Une  fois  que  le  raisonnement  a  montré  com- 
ment It'S  idées  morales,  en  dernière  analyse,  se 
rattachent  et  sont  comme  suspendues  à  l'exis- 
tence d'un  Dieu,  il  reste  à  se  demander  dans 
quelle  mesure  et  de  quelle  façon  la  croyance  reli- 
gieuse doit  intervenir  pratiquement  dans  la  con- 
duite de  la  vie. 

11  ne  saurait  plus  être  question  aujourd'hui  de 
considérer  le  sentiment  religieux  comme  le  prin- 
cipe nécessaire  et  la  condition  indispensable  de  la 
moralité.  On  peut  être  athée  et  honnête  homme. 
On  peut  même  affirmer  que  le  véritable  lioniiête 
homme  est  celui  qui  fait  le  bien  simplement 
parce  que  c'est  le  bien,  sans  se  préoccuper  d'être 
agréable  à  un  être  divin  de  qui  il  attendrait  la 
récompense  de  sa  vertu.  Le  véritable  honnête 
homme  n'a  pas  besoin  du  sentiment  religieux  pour 
se  décider  à  l'accomplissement  de  son  devoir. 
C'est,  en  effet,  une  vertu  servile,  une  vertu  pré- 
caire, une  vertu  intéressée,  que  celle  qui  ne 
trouve  pas  en  elle-même  sa  raison  d'être  et  sa 
récompense,  et  qui  disparaîtrait  du  jour  où  elle 
ne  serait  plus  déterminée  par  la  crainte  des  châ- 
timents divins  et  par  l'espoir  des  récompenses 
futures.  Une  moralité  supérieure  se  suffit  à  elle- 
même,  et  se  pisse  de  toute  autre  considération 
que  celle  du  devoir  lui-même. 

Mais  on  peut  se  demander  néanmoins  si  cette 
moralité  supérieure  est  à  la  portée  du  commun 
des  hommes,  s'il  n'est  pas  vrai  que  l'honnête 
homme  athée  déploie  une  force  d'âme  peu  ordi- 
naire, et  qu'en  renonçant  à  la  croyance  à  Dieu, 
il  se  prive  d'un  secours  qui  lui  faciliterait  sa 
tâche  â  lui-même,  et  dont,  en  tous  cas,  la  pin- 
part  des  hommes  ne  sauraient  se  passer.  Il  est 
bien  évident,  en  effet,  (|ue  la  croyance  à  Dieu, 
surtout  si,  le  sentiment  aidant,  cette  croyance  est 
profonde  et  pénètre  l'âme  tout  entière,  si  elle  est, 
non  pas  seulement  un  raisonnement  abstrait 
conçu  par  l'esprit,  mais  une  foi  sincère,  une 
adhésion  intime  du  cœur  à  l'existence  d'un  Dieu 
vivant,  agit  efficacement  sur  la  conscience  hu- 
maine, vivifie  l'idée  du  bien  et  accroît  singuliè- 
rement l'autorité  du  devoir.  Enlevez  i  l'espèce 
humaine  la  croyance  à  un  monde  supérieur,  et 
vous  lui  ûtez  assurément  une  partie  des  forces 
nécessaires  à  la  pratique  du  bien.  Si  cet  univers 
n'est  plus  qu'une  vaste  solitude  où  la  voix  de 
rimmanité  se  perd  dans  le  vide,  sans  qu'aucune 
puissance  secourable  assure  le  triomphe  définitif 
de  la  justice,  l'humanité  est  exposée  à  se  laisser 
aller,  par  désenchantement  et  par  impuissance  mo- 
rale, à  l'appât  des  jouissances  matéi-ielles  et  à  une 
vie  inférieure.  Comme  l'a  dit  un  écrivain  contem- 
porain :  Il  Ce  qu  il  y  a  de  meilleur  dans  la  religion 
lui  vient  de  la  conscience,  d'où  jaillissent  le  sen- 
timent de  l'obligation,  celui  de  la  liberté  et  la 
notion  du  droii,  fondement  inébranlable  de  notre 
dignité  personnelle  et  de  l'édifice  social  ;  seule- 
ment la  religion,  en  s'assimilant  les  éléments  four- 
nis par  la  conscience,  leur  donne  une  force  nou- 
velle. )) 

Ne  méconnaissons  donc  pas  tout  ce  que  le  sen- 
timent religieux  peut  faire  pour  soutenir  les  dé- 
biles volontés  huiTiaines,  tout  ce  que  de  millions 
de  créatures  puisent  de  lumière  morale,  de  force 
et  de  joie  dans  l'idée  d'un  Dieu  caché  derrière 
la  loi  morale,  comme   le   législateur  suprême  de 


leurs  devoirs,  comme  le  témoin  de  leurs  actes, 
comme  le  juge  futur  de  leur  vie.  L'enfant  fait  ce 
qu'il  doit  pour  plaire  à  soji  père.  Combien  d'hom- 
mes restent  enfants  tonte  leur  vie  à  l'égard  du 
Père  céleste!  Mais  ce  que  la  raison  du  philosophe 
peut  seulement  approuver,  c'est  que  le  senti- 
ment religieux  s'ajoute  au  sentiment  moral,  que 
l'idée  de  Dieu  vienne  après  l'idée  du  bien,  que 
la  théodicée  suive  la  morale,  qu'elle  soit,  nous  le 
répétons,  non  le  principe,  mais  le  couronnement 
de  la  vertu. 

Ce  n'est  pas,  d'ailleurs,  pour  complaire  unique- 
ment .à  la  faiblesse  humaine  et  pour  tenir  compte 
de  l'infirmité  naturelle  de  nos  consciences  et  de 
nos  volontés,  que  nous  parlons  ainsi.  Il  n'est  pas 
juste  de  considérer  l'idée  de  Dieu  seulement 
comme  un  instrument  de  moralité,  instrument 
utile  et  commode  dont  la  sagesse  s'accommoderait 
sans  croire  à  sa  réalité.  A  notre  sens,  la  notion 
d'un  Dic'u,  principe  d'ordre  dans  le  monde  moral 
comme  dans  le  monde  physique,  est  une  notion 
exacte  et  vraie  que  la  raison  réclame  impérieuse- 
ment. Sans  elle,  la  vertu  n'est  pas  seulement  plus 
faible,  plus  exposée  aux  défaillances,  mais  elle  est 
incomplète.  Et  si  le  sage  idéal,  tel  que  nous  le  con- 
cevons, est  provisoirement  athée,  en  ce  sens  qu'il 
ne  lui  importe  pas  de  savoir  si  Dieu  existe  ou 
non,  au  moment  où  il  fuit  le  bien,  on  peut  dire 
que  sa  venu  resterait  imparfaite  et  courte  par 
quelque  endroit,  si  la  croyance  à  Dieu  ne 
venait  pas  s'ajouter  à  ses  autres  croyances  mo- 
rales. [Gabriel  Compayré.] 

TRIBUNAUX.  —  Législation  usuelle,  IX.  — 
1.  Principes  généraux  relatifs  aux  attribi  tions 
DE  l'autorité  JUDiciAtnE.  —  L'autocitô  judiciaire 
exerce  un  double  rôle  :  elle  juge  les  contestations 
qui  s'élèvent  entre  les  citoyens  ;  elle  réprime  les 
infractions  k  la  loi  pénale,  et,  par  la  punition  des 
faits  coupables,  elle  assure  l'ordre  dans  la  société. 
De  là  la  distinction  fondamentale  de  la  juridiction 
civile  et  de  la  juridiction  pénale.  Les  tribunaux 
ne  peuvent  jamais  statuer  que  sur  le  procès  qui 
leur  est  soumis.  Il  leur  est  interdit  de  prononcer 
par  voie  de  disposition  générale  et  réglementaire 
(Code  civ.,  art.  5);  un  pareil  pouvoir  constituerait  un 
empiétement  sur  l'autorité  législative,  qui  seule  a 
le  droit  de  prescrire  les  règles  générales  imposées 
à  tous  les  citoyens. 

2.  Organisation  judiciaire.  —  Diuisioii  lerrito- 
riale.  —  Notre  organisation  judiciaire  actuelle  est 
fondée  en  grande  partie  sur  la  division  admise 
dans  l'ordre  administratif;  c'est  ainsi  qu'il  y  a, 
dans  chaque  canton,  un  juge  de  paix,  et,  dans  cha- 
que arrondissement  administratif,  un  tribunal  de 
première  instance.  Au-dessus  des  tribunaux  de 
première  instance  se  trouvent  les  cours  d'appel, 
qui  sont  au  nombre  de  vingt-six,  siégeant  à  Aix, 
Alger,  Amiens,  Angers,  Bastia,  Besançon,  Bor- 
deaux, Bourges,  Caen,  Chambéry,  Dijon,  Douai, 
Grenoble,  Limoges,  Lyon,  Montpellier,  Nancy, 
Nîmes,  Orléans,  Paris,  Pau,  Poitiers,  Rennes, 
Riom,  Rouen  et  Toulouse.  Le  ressort  de  chacune 
des  cours  d'appel,  à  l'exception  de  la  cour  de 
lîastia,  dont  la  juridiction  est  limitée  au  départe- 
ment de  la  Corse,  comprend  plusieurs  départe- 
ments. Enfin,  au  sommet  de  la  hiérarchie  judi- 
ciaire est  placée  une  juridiction  uni(|ue,  la  cour 
de  cassation,  créée  pour  maintenir  l'uniformité 
dans  l'interprétation  des  lois,  et  dont  l'autorité 
s'étend  à  toute  la  France. 

Composition  dus  cours  et  tribunaux.  —  Le  juge 
rie  paix,  qui  siège  au  chef-lieu  de  chaque  canton, 
statue  comme  juge  unique.  Il  y  a  bien,  dans  cha- 
que justice  de  paix,  un  ou  plusieurs  suppléants, 
chargés  de  remplacer  le  juge  de  paix  en  cas  d'em- 
pêchement, mais  ils  n'ont  jamais  voix  délibérative 
ni  consultative  en  concurrence  avec  le  juge  de 
paix  titulaire. 


TRIBUNAUX 


—  2470  — 


TRIBUNAUX 


Le  principe  de  la  pluralité  des  juges  se  ren- 
contre dans  les  autres  juridictions  :  le  tribunal  de 
première  instance  ou  d'arrondissement  est  com- 
posé de  trois  magistrats  au  moins,  président,  ju- 
ges et  juges  suppléants.  Dans  les  villes  où  le 
mouvement  d'affaires  est  considérable,  le  tribunal 
est  divisé  en  deux  ou  plusieurs  cliambres;  il  y  a 
alors,  outre  le  président,  un  ou  plusieurs  vice- 
présidents. 

Les  cours  d'appel  sont  toujours  divisées  en  plu- 
sieurs cliatnbres  :  elles  comprennent  un  premier 
président,  un  ou  plusieurs  présidents  de  chambres 
et  des  conseillers,  donl  le  nombre  varie  suivant 
l'importance  de  la  cour.  En  matière  civile,  la 
présence  de  sept  magistrats  est  nécessaire  pour 
la  validité  des  arrêts  rendus  par  les  cours  d'ap- 
pel. 

La  cour  de  cassation  se  divise  en  trois  cham- 
bres :  la  cliambre  des  requêtes,  la  chambre  civile 
rt  la  chambre  criminelle;  elle  comprend  un  pre- 
mier président,  trois  présidents  de  chambres  et 
quarante-cinq  conseillers. 

Les  magistrats  des  tribunaux  de  première  ins- 
tance, lies  cours  d'appel  et  de  la  cour  de  cassation 
sont  inamovibles,  c'est-à-dire  qu'ils  ne  peuvent 
être  privés  de  leur  siège  ou  déplacés  sans  leur 
consentement.  Les  juges  de  paix  au  contraire 
sont  amovibles  et  révocables. 

Ministère  public.  —  Outre  les  magistrats  aux- 
quels est  confiée  la  mission  de  juger  les  contesta- 
tions, il  existe,  près  des  tribunaux  de  première 
insLince,  des  cours  d'appel  et  de  la  cour  de  cassa- 
lion,  d'autres  magistrats  qui  forment  ce  qu'on 
api  elle  le  minis  ère  public  ou  le  parquet.  Les 
orjjanes  du  ministère  public  près  le  tribunal  de 
pri  niière  instance  sont  le  procureur  de  la  Répu- 
blique et  un  ou  plusieurs  substituts.  Près  les  cours 
i!',ippel,  il  y  a  un  procureur  général,  des  avocats 
généraux,  des  substituts  du  procureur  général  ; 
près  la  cour  de  cassation,  un  procureur  général  et 
des  avocats  généraux.  Les  magistrats  du  ministère 
public  sont  amovibles  et  révocables.  Leur  mis- 
sion consiste  :  en  matière  civile,  à  protéger  et 
déffndre  les  femmes,  les  mineurs,  les  absents,  à 
intervenir  dans  toutes  les  affaires  qui  intéressent 
l'ordre  public;  en  matière  criminelle,  à  diriger 
les  poursuites  contre  les  auteurs  des  crimes  et 
des  délits. 

3.  Officiers  ministériels.  —  Les  officiers  mi- 
nistériels sont  certains  agents  institués  pour  prê- 
ter aux  tribunaux  et  aux  particuliers  un  minis- 
tèie  défini  par  les  lois.  Les  officiers  minisiériels 
sont  nommés  par  le  président  de  la  République; 
ils  prêtent  serment,  fournissent  un  cautionne- 
mem,  qui  sert  de  garantie  pour  les  fautes  qu'ils 
peuvent  commettre  dans  l'exercice  de  leurs  fonc- 
tions, et  sont  soumis  à  la  surveillance  de  l'auto- 
rité judiciaire.  Les  actes  des  officiers  ministériels 
sont  en  général  soumis  à  un  tarif,  et  il  ne  peut  être 
exigé  pour  ces  actes  une  rémunération  supérieure 
h  celle  qui  est  fixée  par  ce  tarif.  Les  olfices  mi- 
nistériels sont  transmissibles,  pn  ce  sens  que 
l'officier  ministériel  peut  présenter  à  l'agrément 
du  chef  de  l'Etat  un  successeur,  lequel  paie  uue 
somme  d'argent  pour  prix  de  la  charge. 

Les  officiers  ministériels  sont  :  les  notaires,  les 
greffiers,  les  avoués,  les  huissiers,  les  commis- 
saires-priseurs,  les  avocats  au  conseil  d'Etat  et  à 
la  cour  de  cassation. 

Notaires.  —  Les  notaires  sont  des  officiers  pu- 
blics établis  pour  recevoir  les  actes  auxquels  les 
parties  veulent  ou  doivent  donner  le  caractère 
d'aullienlicité,  pour  en  assurer  la  date,  en  conser- 
verie dépôt,  en  délivrer  des  copies  ou  expéditions. 
Certains  actes,  les  donations  entre-vifs,  les  con- 
trais de  mariage,  les  consiitutions  d'hypothèques 
ne  sont  valables  qu'autant  qu'ils  sont  faits  par 
acte  notarié.  Pour  les   autres  actes,  le  ministère 


du  notaire  est  facultatif.  Au  point  de  vue  de  la 
compétence  territoriale,  les  notaires  se  divisent 
en  trois  classes  :  les  notaires  résidant  dans  une 
ville  où  siège  une  cour  d'appel  peuvent  instru- 
menter dans  tout  le  ressort  de  la  cour  ;  les  no- 
taires qui  résident  au  siège  d'un  tribunal  d'arron- 
dissement peuvent  exercer  leurs  fondions  dans 
tout  l'arrondissement  ;  la  compétence  des  autres 
notaires  est  limitée  au  canton  dans  lequel  se 
trouve  leur  résidence. 

Gre/fiers.  —  Près  de  chaque  juridiction ,  il 
existe  un  fonctionnaire  appelé  greffier.  Le  greffier 
assiste  les  magistrats  à  l'audience  et  dans  les  di- 
vers actes  de  leur  ministère;  il  écrit  les  juge- 
ments, en  conserve  les  minutes  ou  originaux,  en 
délivre  les  expéditions  ou  copies.  Le  gieifier  peut 
se  faire  suppléer  dans  ses  fondions  par  un  ou 
plusieurs  co?n7»is  greffiers  qui  prêtent  serment 
après  avoir  été  agréés  par  la  jiiridiciion  près  de 
laquelle  ils  exercent.  Les  grclfiers  de  justice  de 
paix,  dans  les  localités  où  il  n'existe  pas  de  cora- 
missaire-priseur,  ont  qualité,  concurremment  avec 
les  notaires  et  les  huissiers,  pour  procéder  aux 
ventes  publiques  de  meubles. 

Avoués.  —  A  chaque  tribunal  de  première  in- 
stance et  à  chaque  cour  d'appel  sont  attachés  des 
avoués  dont  le  nombre  varie  suivant  I  importance 
des  juridictions  et  le  nombre  des  afl'aires.  L'avoué 
est  le  représentant  légal  des  parties  devant  les 
tribunaux  de  première  instance  et  les  cours  d'ap- 
pel ;  nul  ne  peut  plaider  devant  l'une  ou  l'autre 
de  ces  juridictions  sans  être  représenté  par  un 
avoué.  L'avoué  dirige  la  procédure,  rédige  et  signe 
I  les  conclusions  au  nom  de  la  partie,  et  fait  pour 
lie  tous  les  actes  qui  peuvent  être  nécessaires 
dans  le  cours  de  l'instance. 

Huissiers.  — Les  fonctions  des  huissiers  con- 
sisient  à  délivrer  les  assignations  à  comparaître 
devant  les  tribunaux,  à  faire  toutes  les  notifica- 
tions d'actes,  à  signifier  et  faire  exécuter  les  juge- 
ments :  c'est  l'huissier  qui.  en  venu  des  juge- 
ments ou  des  actes  notariés  exécutoires  comme 
les  jugements,  procède  à  la  saisie  des  biens 
meubles  ou  immeubles  du  débiteur.  Quelques- 
uns  des  huissiers  de  l'arrondissement  sont  dési- 
gnés pour  faire  le  service  des  audiences  de  la 
justice  de  paix,  du  tribunal  de  première  instance, 
de  la  cnur  d'appel.  On  les  appelle  huissiers  au- 
clieiu  iers. 

Co/nmissnires-prisfws.  —  Les  commissaires-pri- 
seurs  ne  sont  institués  que  dans  les  villes  qui 
sont  le  siège  d'un  tribunal  de  première  instance 
ou  dont  la  population  excède  5,0110  âmes.  Leurs  at- 
tributions consistent  à  faire  les  ventes  publiques 
de  meubles,  les  prisées  et  estimations  d'objets 
mobiliers. 

Atocats  au  conseil  ifEtatet  fi  la  cour  de  cassa- 
tion. -  Les  avocats  au  conseil  d'Etat  et  à  la  cour  de 
cassation  représentent  les  parties  devant  ces  deux 
juridictions.  Leur  ministère  est  obligatoire  devant 
la  cour  de  cassation  en  matière  civile,  à  l'exception 
des  pourvois  formés  contre  les  décisions  en  matière 
électorale.  Devant  le  conseil  d'Etat,  les  parties  ont 
la  faculté,  dans  certaines  affaires,  telles  que  les 
recours  en  matière  de  contributions  directes,  de 
pensions,  d'élections  municipales  et  départemen- 
tales, de  ne  pas  recourir  au  ministère  de  l'avocat 
au  conseil  d'Etat. 

•4.  Avocats.  —  Les  avocats  ont  pour  mission  de 
présenter  la  défense  des  parties  devant  les  diver- 
ses juridictions  civiles  ou  criminelles  ;  iN  ont  seuls 
le  droit  de  plaider  devant  les  juridictions  où  ils 
existent  en  nombre  suffisant.  L'avocat  n'est  point 
officier  public  :  toute  personne,  réunissant  les 
conditions d'.iptitude  et  d'honorabilité  nécessaires, 
peut  exercer  la  profession  d'avocat. 

5.  .\ssisTANCE  jcDiciAiRE  [Loi  du  W  janvier- 
L'iSIj.  —  L'assistance  judiciaire  est  une  institutioa 


TRIBUNAUX 


—  2471 


TRIBUNAUX 


qui  a  pour  but  do  pormottre  aux  indigents  de  faire 
vnloir  leurs  droits  en  justice,  en  les  dispensant 
(les  avances  que  le  procfes  pourrait  rendre  néces- 
saires. Près  de  cliaque  tribunal  de  première  ins- 
t.inco,  do  cliaquo  cour  d'appel  et  de  la  cour  de 
cassation,  il  existe  un  bureau  spécial  cliargé  de 
slatuer  sur  les  demandes  d'assistance  judiciaire. 
L-i  demande  d'assistance  doit  indiquer  l'objet  du 
procès  et  fttre  accompagnée  des  doux  pièces  sui- 
vantes :  1°  un  extrait  du  rôle  des  contributions  ou 
un  certificat  du  percepteur  constatant  que  l'impé- 
trant ne  paie  pas  de  contributions  ;  2°  une  décla- 
ration faite  par  le  demandeur  devant  le  maire  de 
son  domicile  et  attestant  son  indigence. Une  décla- 
ration reconnue  mensongère  entraînerait  le  retrait 
de  l'assistance,  si  elle  avait  été  obtenue,  et  expo- 
serait celui  qui  l'aurait  faite  à  une  poursuite  cor- 
reciionnelle  pouvant  aboutir  à  une  condamnation 
i'i  l'amende  et  même  à  l'emprisonnement.  La  de- 
mande, avec  ces  pièces,  est  adressée  au  procureur 
de  la  République  du  domicile  du  demandeur,  et 
transmise  par  ce  magistrat  au  bureau,  qui  accorde 
ou  refuse  l'assistance  judiciaire.  L'effet  de  l'assis- 
tance, si  elle  est  obtenue,  est  de  dispenser  l'as- 
sisté du  paiement  des  droits  de  timbre  et  d'enre- 
gistrementdus  auTrésor,  et  desdroits,  émoluments 
ei  honoraires  dus  aux  officiers  ministériels,  gref- 
fier, huissier,  avoué.  Un  huissier,  un  avoué  et  un 
avocat  sont  commis  à  la  personne  qui  a  obtenu 
l'ossistance  et  doivent  lui  prêter  gratuitement  leur 
ministère.  La  partie  à  la'|uelle  l'assistance  judi- 
ciaire a  été  refusée  par  le  bureau  établi  près  le 
tribunal  de  première  instance  peut  s'adresser  au 
procureur  général  près  la  cour  d'appel  pour  lui 
demander  de  déférer  cette  décision  au  bureau  éta- 
bli près  la  cour. 

fi.  Compétence  des  diverses  juninicTioNS  en  ma- 
tière CIVILE.  —  Avant  d'engager  un  procès,  il  im- 
porte de  rechercher  d'abord  devant  quelle  juri- 
diction l'inslance  doit  être  portée:  est-ce  devant 
le  juge  de  paix?  devant  le  tribunal  de  premier  ■ 
instance?  ou  devant  une  juridiction  exceptionnelle 
comme  le  tribunal  de  commerce?  Cette  première 
question  de  compétence  est  résolue  par  les  lois 
d'organisation  judiciaire  qui  ont  fixé  les  attribu- 
tions des  diverses  juridictions. 

Comiiitence  di  jutje  de  paix.  —  En  principe  la 
compétence  du  juge  de  paix  est  limitée  aux  con- 
testations dont  le  chiffre  ne  dépasse  pas  200  fr. 
Le  juge  de  paix  connaît  cependant,  jusqu'à  concur- 
rence du  chiffre  de  1 .500  fr.,  de  certaines  contesta- 
tions, comme  celles  entre  les  hôteliers,  aubergistes 
et  logeurs  et  les  voyageurs,  pour  dépenses  d'hôtel- 
lerie et  pertes  ou  avaries  d'effets  appartenant  aux 
voyageurs.  Il  est  môme  compétent,  à  quelque  va- 
leur que  la  demande  puisse  s'élever,  pour  les  ac- 
tions relatives  aux  dommages  faits  aux  champs, 
fruits  et  récoltes,  pour  les  contestations  relatives  aux 
engagements  des  gens  de  travail  ou  des  domesti- 
ques, les  actions  en  bornage,  etc.  (Loi  du  25  mai 
ls38,  art.  1  à  (i.) 

Procédure  devint  le  juge  de  priix.  —  La  procé- 
dure devant  le  juge  de  paix  est  très  simple.  Le  de- 
mandeur fait  citer,  par  ministère  d'huissier,  son 
adversaire  à  se  présenter  îi  l'audience.  Au  jour 
fixé,  les  parties  comparaissent  en  personne  ou  par 
un  fondé  de  pouvoir.  Le  pouvoir  peut  être  sous 
seing  privé  ;  mais  il  doit  être  sur  pai)ier  timbré  et 
enregistré.  Le  juge  de  paix  statue  après  avoir  en- 
tendu les  explications  des  parties  ou  de,  leurs 
fondés  de  pouvoir.  Le  jugement  rendu  par  défaut 
contre  une  partie  qui  n'a  pas  comparu  est  sus- 
ceptible d'opposition  dans  les  trois  jours  de  la 
signification. 

Appel  des  jugements  du  juge  de  pair..  —  Les 
jugements  ou  sentences  du  juge  de  paix  8(mt 
en  dernier  ressort,  lorsque  l'objet  de  la  contes- 
tation   ne    dépasse    pas    100  fr.  ;  au  dcli    de  ce 


chiffre,  le  jugement  est  susceptible  d'appel.  L'ap- 
pel est  porté  au  tribunal  de  première  instance 
de  l'arrondissement  dans  lequel  so  trouve  le 
juge  de  paix.  Le  délai  ordinaire  de  l'appel  est 
de  trente  jours  à  compter  de  la  signification  du 
jugement. 

Tiiliunnux  de  première  instan-e  ;  rompélenee. 
—  Le  tribunal  de  première  instance  est  le  juge  de 
droit  commun  en  matière  civile.  Toutes  les  fois 
qu'une  contestation  n'est  pas,  par  une  disposition 
exprc^sse  de  la  loi,  attribuée  à  une  autre  juridiction, 
elle  doit  être  portée  devant  le  tribunal  de  première 
instance.  Le  tribunal  do  première  instance  connaît 
en  outre,  comme  juge  d'appel,  des  jugements 
rendus  par  le  juge  de  paix,  dans  les  cas  où  ces 
jugements  sont  susceptibles  d'appel. 

Proccilure  dei  ant  les  tribunaux  de  première 
instance  ;  S07i  caractère  particulier;  ministère 
ohligaloire  d'S  avoués.  —  La  procédure  devant 
les  tribunaux  de  première  instance  présente  ce 
caractère  particulier  que  les  parties  ne  peuvent 
se  présenter  en  personne,  et  doivent  nécessaire- 
ment être  représentées  par  un  avoué  exerçant 
près  le  tribunal.  L'assignation,  ou  exploit  d'ajour- 
nement, contient  constitution  d'un  avoué  pour  le 
demandeur;  dans  le  délai  fixé  par  l'assignation, 
délai  qui  est  en  général  de  huitaine,  le  défendeur 
djit,  de  son  côté,  constituer  avoué,  c'est-à-dire 
charger  un  avoué  d'occuper  pour  lui  dans  l'in- 
stance. Lorsque  l'instance  est  liée  par  la  consti- 
tution d'avoué  pour  chacune  des  parties,  la 
procédure  se  suit  contradictoirement.  chacun  des 
avoués  faisant  et  signifiant  au  nom  de  son  client 
les  actes  qui  peuvent  être  nécessaires. 

Jugements  par  d'-fuzit;  opposition.  —  Lorsque 
le  défendeur  n'a  pas  constiiué  avoué  dans  le  délai 
de  l'assignation,  le  demandeur  peut  prendre  contre 
lui  un  jug'-m  nt  par  défaut  faute  de  comparaître. 
De  même,  lorsque  l'avoué,  régulièrement  sommé  à 
cet  effet,  n'a  pas  pris  de  conclusions  devant  le  tri- 
bunal, il  y  a  lieu  à  un  jugement  par  défaut  faut^ 
de  (  onclure.  Les  jugements  par  défaut  peuvent 
être  attaqués  par  une  voie  de  recours  particulière, 
appelée  opposition,  qui  fait  revenir  les  parties  de- 
vant le  tribunal  môme  qui  a  rendu  le  jugement 
par  défaut.  L'opposition  au  jugement  par  défaut 
faute  de  comparaître  est  recevable  jusqu'à  ce  que- 
le  jugement  ait  été  exécuté,  notamment  par  la 
saisie  et  la  vente  des  meubles  ou  la  saisie  des  im- 
meubles du  débiteur.  L'opposition  est  formée  par 
exploit  d'huissier  ou  par  une  déclaration  sur  les 
actes  d'exécution  ;  elle  doit  être  réitérée  dans  la 
huitaine  avec  constitution  d'avoué.  Les  jugements 
par  défaut  faute  de  comparaître  doivent  être 
exécutés  dans  les  six  mois  de  leur  obtention,  sinon> 
ils  sont  répuiés  non  avenus.  L'opposition  au 
jugement  par  défaut  faute  de  conclure  doit  être 
formée  dans  la  huitaine  de  la  signification  du 
jugement  à  avoué  ;  cette  opposition  est  faite  par 
ministère  d'avoué.  Le  jugement  rendu  sur  l'op- 
position ne  peut  plus  être  frappé  d'opposition, 
alors  même  que  la  partie  ferait  une  seconde  fois 
défaut. 

Appel  ;  jugements  susceptibles  d'appel.  —  L'ap- 
pel des  jugements  des  tribunaux  de  première 
instance  est  porté  à  la  cour  d'appel  dans  le  res- 
sort de  laquelle  so  trouve  le  tribunal.  Le  tribunal 
de  première  instance  juge  en  dernier  ressort  : 
1°  les  appels  des  jugements  de  justice  de  paix; 
2°  les  demandes  dont  l'objet  n'excède  pas  une 
valeur  déterminé'!  de  1500  fr.  ;  3°  les  actions  rela- 
tives aux  immeubles,  lorsque  le  revenu  de  l'im- 
meuble litigieux  n'excède  pas  60  fr.  Tous  les  autres 
jugements  rendus  par  les  tribunaux  de  première 
instance  sont  susceptibles  d'appel. 

Délai  d'appel.  —  Lo  délai  d'appel  est,  pour  les 
jugements  contradictoires,  de  doux  mois  à  comp- 
ter du  jour  de   la  signification  du  jugemeal  à   la 


TRIBUNAUX 


—  2472  — 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


partie  ;  pour  les  Jugements  par  défaut,  de  deux 
mois  à  compter  du  jour  où  l'opposition  n'est  plus 
recevable.  L'appel  arrête  l'exécution  du  jugement, 
i  moins  que  le  tribunal,  dans  les  cas  où  la  loi 
l'y  autorise,  n'ait  ordonné  l'exécution  provisoire  du 
jugement  nonobstant  appel. 

f.  Prorcdure  devant  la  cour  d'appel.  —  La  procé- 
durje  devant  la  cour  d'appel  est  soumise  en  géné- 
ral aux  mêmes  règles  que  la  procédure  devant  les 
tribiinaux  de  première  instance.  L'acte  d'appel 
contient  constitution  d'un  avoué  près  la  cour  et 
assignation  dans  le  délai  ordinaire  des  ajourne- 
ments. La  partie  défenderesse  à  l'appel  doit 
constituer  avoué  dans  le  délai  de  l'assignation. 
Un  caractère  remarquable  do  la  procédure  d'appel 
est  qu'il  n'est  point  permis  en  principe  de  former 
de  demande  nouvelle  :  on  ne  peut  demander 
devant  la  juridiction  d'appel  que  ce  qui  a  été 
demandé  devant  les  juges  du  premier  degré. 

Cour  de  cassation.  —  Le  rôle  de  la  cour  de 
cassation,  dans  notre  organisation  judiciaire,  con- 
siste uniquement  à  reclierclier  si  la  décision  qui 
lui  est  déférée  est  conforme  à  la  loi.  Les  juge- 
ments en  dernier  ressort  des  tribunaux  de  pre- 
mière instance  et  les  arrêts  des  cours  d'appel 
peuvent  être  l'objet  d'un  pourvoi  en  cassation. 
Le  délai  pour  se  pourvoir  est  de  deux  mois,  à 
compter  de  la  signification  de  la  décision  atta- 
quée ;  le  recours  est  formé  par  le  ministère  d'un 
avocat  i  la  cour  de  cassation.  Le  pourvoi  en  cas- 
sation ne  suspend  pas  l'exécution  du  jugement  ou 
de  l'arrêt.  Le  pourvoi  est  examiné  d'aboi d  par  la 
chambre  des  requêtes  qui  le  rejette  ou  l'admet  ; 
si  le  pourvoi  est  admis  par  la  chambre  des  re- 
quêtes, l'affaire  passe  k  la  chambre  civile,  qui 
peut  rejeter  le  pourvoi  ou  casser  la  décision  atta- 
quée. Dans  le  cas  de  cassation,  la  cour  renvoie, 
pour  statuer  sur  le  fond  de  l'affaire,  devant  une 
juridiction  de  même  ordre  que  celle  dont  la  déci- 
sion a  été  cassée,  cour  d'appel  ou  tribunal  de 
première  instance. 

7.  Juridictions  spéciales.  —  Outre  les  juridic- 
tions ordinaires  que  nous  venons  de  parcourir,  il 
existe  un  certain  nombre   de  juridictions  excep 


tionnelles  ou  spéciales.  Les  principales  sont:  les  |  par  le  juge  de  paix 


tribunaux  de  commerce,  les  conseils  de  prud'hom- 
mes, les  tribunaux  administratifs.  Nous  dirons  un 
mot  des  tribunaux  de  commerce  et  des  conseils 
de  prud'hommes.  On  trouvera  à  l'article  Droit  ait- 
mmistrailf  des  notions  sur  les  tribunaux  admi- 
nistratifs, spécialement  sur  les  conseils  de  pré- 
fecture. 

Tribunaux  de  commerce.  —  Il  existe,  dans  les 
villes  où  les  affaires  commerciales  ont  un  certain 
développement,  des  tribunaux  de  commerce  char- 
gés déjuger  les  contestations  entre  commerçants 
ou  relatives  aux  actes  de  commerce.  Dans  les  ar- 
rondissements qui  n'ont  pas  de  iribunal  de  com- 
merce, les  attributions  de  celui-ci  appartiennent  au 
tribunal  de  première  instance.  Les  président,  juges 
et  juges  suppléants  du  tribunal  de  commerce  sont 
clioisis  à  l'élection  parmi  les  commerçants  du 
ressort.  Lnurs  fonctions  sont  gratuites.  Devant  les 
tribunaux  de  commerce,  les  parties  peuvent  se 
présenter  en  personne,  ou  se  faire  représenter 
par  un  mandataire.  Il  existe,  près  de  certains  tri- 
bunaux de  commerce,  des  mandataires  spéciaux, 
désignés  par  le  tribunal,  et  qui  portent  le  nom 
d^iigréés,  mais  leur  ministère  n'est  pas  obliga- 
toire. Les  jugements  des  tribunaux  de  com- 
merce sont  susceptibles  d'appel,  lorsque  la  de- 
mande dopasse  l,5uU  francs.  L'appel  est  porté  à  la 
cour  d'appel. 

Conseils  de  prud'hommes.  —  La  juridiction  des 
prud'hommes,  établie  dans  certaines  villes,  a  pour 
attribution  essentielle  de  concilier  les  différends 
fnire  patrons  et  ouvriers,  et  de  les  juger,  en  cas 
de  non  conciliation.  Les  prud'hommes  connaissent 
également  des  contestations  relatives  à  l'exécution 
et  Ma  résiliation  des  contrats  d'appreniis!.age.  Le 
conseil  des  prud'hommes  est  cotnposé  de  patrons 
et  d'ouvriers,  élus,  les  premiers  par  les  patrons, 
les  seconds  par  les  ouvriers  de  la  circonscription. 
Les  sentences  des  conseils  de  prud'hommes  sont 
susceptibles  d'appel  lorsque  la  demande  excède 
200  francs.  L'appel  est  porté  au  tribunal  de  com- 
merce- Lorsqu'il  n'y  a  point  dans  une  localité  de 
consi-il  de  prud'hommes,  les  contestations  qui  se- 
raient de  la  compétence  de  ce  conseil  sont  jugées 


[E.  Delacourtie. 


VETEMENTS  (COUPE  ET  ASSEMBLAGE  DE.Sl. 

—  \ous  n'avons  pas  à  faire  l'histoire  du  vêtement 
à  propos  de  la  coupe  et  de  l'assemblage.  Nous 
nous  contenterons  de  dire  qu'au  xiii=  siècle  les 
tailleurs  de  robe  étaient  chargés  de  dresser  la 
toilette  féminine,  que  la  coupe  —  qui  était  appelée 
taille  —  ne  pouvait  être  faite  que  par  un  maître, 
et  que  les  ouvrages  de  couture  étaient  exécutés 
par  les  valets. 

Cet  usage  subsista  longtemps,  car  Abraham  de 
Pradel  (le  Lin-e  commode,  t.  IV,  p.  hi)  nous  a 
laissé  les  noms  des  plus  habiles  tailleurs  qui, 
en  1G92,  avaient  l'honneur  de  vêtir  les  grandes 
dames,  et  portaient  le  titre  de  tailleurs  pour 
femmes  :  ce  sont  M.M.  Regnaud,  Villeneuve,  Lalle- 
mand  et  Le  Brun.  Ils  excellaient  surtout  dans 
les  vêtements  de  cheval,  liaudelet,  propriétaire 
de  la  maison  de  la  rue  Richelieu  où  mourut  Mo- 
lière, était  corseiier  et  tailleur  de  la  reine. 

Parmi  les  tailleurs  de  Louis  XIV,  on  cite  Bar- 
thélémy Autran,  Antoine  Hourdault  et  François 
Mouret.  La  cour  avait  douze  tailleurs  ordinaires. 

En  1675,  Louis  .\IV  autorisa  les  femmes  i  tra- 
vailler pour  leur  sexe.  On  créa  un  corps  de  maî- 
trise sous  le  titre  de  maîtresses-couturières.  Il  y 
eut    alors  des   maîtresses-couturières    en   habits, 


des  maîtresses-couturières  en  corps  d'enfant,  des 
maîtresses-couturières  en  linge  et  des  maîtresses- 
couturières  en  garnitures. 

Remonter  pour  la  coupe  des  vêtements  aux  siè- 
cles précédents  serait  ici  peu  utile.  Nous  savons 
qu'en  uni  Benoit  Boulay,  maître-tailleur  au 
faubourg  Saint-Germain,  dédiait  à  sa  commu- 
nauté le  Taideur  sincère,  et  qu'en  1720  Docay  in- 
diquait une  nouvelle  manière  de  tailler  un  justau- 
corps ;  mais  ces  livres,  assez  intéressants  au  point 
de  vue  historique,  n'ont  plus  de  valeur  pratique 
pour  nous. 

Au  moment  de  la  Révolution,  les  mesures  se 
prenaient  avec  des  bandes  de  papier  largps  d'un 
pnuce  et  cousues  bout  à  bout  jusqu'à  la  longueur 
suffisante.  Le  tailleur  a  un  certain  nombre  de  mo- 
dèles OH  patrons  en  papier,  de  différentes  grosseurs 
et  grandeurs.  Une  lois  les  mesures  déterminées,  il 
choisit  dans  ses  patrons  celui  qui  approche  le  plus 
de  la  grandeur  voulue.  11  prend  suffisannnent  de 
bougraii  pour  les  pièces  qu'il  va  construire,  le 
mouille  légèrement  en  secouant  dessus  ses  doigts 
trempés  dans  l'eau,  le  plie  en  deux,  passe  le  car- 
reau chaud  &  l'effet  d'unir  les  doubles,  trace  à  la 
craie  et  coupe  avec  les  ciseaux. 

La  couturière  avait  pour  tout   instrument   un 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


2-473 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


dé,  des  aiguilles,  du  fil,  des  cisc^iux,  et  des  ban- 
des do  papier  pnur  prendre  les  mesures. 

Seize  mesures  étaient  adoptées  pour  lonfection- 
ner  un  vêlement  do  femme  (V.  A' t  du  tailleur 
par  M.  do  Garsault,  Paris,  17«0,   in-4'',  p.  lUl)  : 

1°  Largeur  d'une  agrafe  i  l'autre  ; 

2°  Collet  ; 

3°  Plis  ; 

4°  Kenionture  et  entournure  ; 

5°  Devant  ; 

6°  Taille  ; 

7°  Compère  (sorte  de  plastron  fixé  à  la  robe)  ; 

8"  Manelie  ; 

9"  Dos  ; 

10°  Grosseur  du  bras  ; 

1 1"  Devant  du  jupon; 

12°  Derrière  du  jupon  ; 

13"  Coté  du  jupon  ; 

li"  15i/iis  de  la  robe  ; 

15"  Derrière  sans  la  queue  ; 

1(>»  Devant  jusqu'à  terre.  ' 

Tels  étaient  les  nioyi  ns  employés  à  cette  épo- 
que. Cependant,  malgré  celte  absence  do  mé- 
thode, malgré  cotte  ignorance  de  procédés  systé- 
matiques, le  résultat  était  souvent  heureux  grâce 
au  goût  et  à  riiabileié  de  l'ouvrière. 


néral,  en  tenant  compte  de  la  tenue  et  de  la  con- 
formation de  la  personne.  C'est,  comme  on  le  voit, 
l'enfance  de  l'art,  mais  c'est  un  commencement,  et 
nous  allons  suivre  peu  i  peu  la  marclie  du  progrès. 

L'essai  de  Guérard  fut  bientôt  dépassé  par  un 
ouvrage  beaucoup  plus  important  et  qui  eut  un 
grand  nombre  d'éditions.  M.  Compaing,  un  des 
meilleurs  coupeurs  de  Paris,  publia  en  1838 
VArl  du  tnilleur,  qui  est  considéré  h  juste  titre 
comme  la  première  méthode  do  coupe.  A  l'épo- 
que où  il  a  commencé  rien  n'était  fait.  La  méthode 
des  échelles  de  proportions,  quelques  modèles 
que  l'on  dressait  à  son  idée  et  que  l'on  devait  vé- 
rifier avec  les  mesures  prises  sur  la  personne, 
mesures  qui  n'avaient  rien  de  déterminé,  suffi- 
saient à  l'ouvrier.  La  coupe  ne  s'apprend  pas, 
disait-on  avant  lui,  l'adresse  du  tailleur  doit  triom- 
pher des  difficultés,  Compaing  vint  donner  un 
démenti  à  ce  vieil  adage,  et  il  établit  les  règles 
précises  des  mesures  et  les  procédés  à  suivre 
pour  les  employer. 

Vingt-deux  mesures  principales  et  neuf  com- 
plémentaires sont  prises  par  l'auteur  sur  la 
personne  qu'il  veut  habiller.  Il  procède  par  la 
conpe  géométrique;  «  ce  n'est  pas,  dit-il,  pour 
paraître  savant,  mais   les  termes  qu'il  emp'oie  lui 


La  bande  de  papier  subsista  longtemps  après  j  sont  indispensables  pour  expliquer  ou  représenter 
l'adoption  du   système  métrique.    Les  maitresses  ,  le  plan  d'un  modèle.  » 

taillaient  d'après  un  patron  et  rectifiaient  d'après        Voici  quelques    détails  sur  son  tracé.   Il  forme 
leurs  mesurrs.  un  carré  sans  en  déterminer  la  longueur  et  en  lui 

De  nos  jours,  il  y  a  deux  procédés  complète-  donnant  pour  largeur  la  demi-grosseur  du  corps.  Il 
ment  distincts  :  l'un,  la  méthode  proportionnelle,  '  divise  le  carré  en  deux  parties  inégales,  l'une 
c'est-à-dire  l'emploi  d'un  patron  type,  agrandi  ou  ,  qui  doit  ciiconscrire  le  dos,  l'autre  le  devant, 
diminué  par  l'échelle  de  proportions;  l'autre,  la  II  établit  ensuite  ses  lignes  do  construction, 
méthode  géométrii|ue,  c'est-à-dire  l'exécution  d'un  I  qu'il  place  d'après  les  mesures  :  ces  lignes  sont 
.patron  dessiné  géométriquement  d'après  les  me-  [  celles  de  la  longueur  du  corsage,  de  la  largeur 
sures  prises  sur  la  personne.  Cette  dernière  raé-  |  de  poitrine  en  haut,  à  l'épaule  et  au  centre,  de  la 
thode,  qui  est  la  plus  nouvelle,  commence  à  se  ,  longueur  de  l'épaule,  de  la  place  de  l'emmanchure, 
propager  dans  les  écoles  de  filles.  de  la  taille,  de  l'écjrrure  du  dos  à  l'emmanchure. 

Le  nombre  des  traités  sur  la  coupe  est  fort  con-  [  Puis  il  vérifie  ses  mesures  par  le  système  des 
sidérable  :  aussi  un  choix  est-il  à  faire,  soit  à  cause  i  triangles,  et  il  donne  un  tableau  des  mesures  ra- 
de la  valeur  du  fond,  soit  à  cause  du  mérite  pé-  j  tionnelles  et  de  la  variation  des  contours,  prenant 
dagogique  de  l'œuvre.  Ce  qui  doit  fixer  l'atten-  '  pour  type  six  conformations  régulières  :  l'homme 
tion,  c'est  la  clarté  de  l'exposition,  la  simplicité  droit,  voùto,  renversé,  «ros  de  ceiniure,  trapu, 
des  moyens  à  imployer,  l'excellence  du  but  à  élevé.  L'ouvrage  renferme  un  grand  nombre  de 
atteindre-  En  créant  le  certificat  d'aptitude  à  l'en-  '  dessins  et  de  conseils  très  intéressants  pour  les 
seigneraeni  de    la  coupe  et  de   l'assemblage,  le  !  spécialistes. 

Conseil  supérieur  de  l'instiuction  publique  a]  En  IS:J4,  un  professeur  de  coupe.  M,  Barde, 
voulu  répandre  dans  les  masses  les  moyens  de'  publia  un  Traité  mcyc'opé  nqw  de  l'art  du  t'iil- 
s'habiller  écononiiiiuenient.  Ce  qu'on  a  à  enseigner  I  Inir,  avec  150  figures.  C'est  à  lui  qu'est  dû  l'em- 
ou  à  apprendre  ne  consiste  qu'en  un  petit  nom-}  ploi  du  ruban  métrique,  procédé  excellent  d'où 
bre  de  préceptes  qui  assurent  une  coupe  exacte  découlent  d'autres  améliorations  notables.  Barde 
et  gracieuse.  Une  élève  intelligente  et  docile  créa  aussi  quatre  luNtruments  nouveaux  :  l'cpau- 
peut,  dès  l'âge  de  treize  ans,  commencer  à  étu-  ,  limètre,  le  dossimètre,  le  triple  décimètre,  le  cor- 
dier,  et  à  quinze  ans  vêtir  les  siens  à  des  prix  très  pimètre,  qui,  réunis  sous  le  nom  d'anthropomètre, 
modérés.  Dans  la  série  des  analyses  que  nous  pouvaient  résoudre  les  problèmes  les  plus  diffi- 
allons  donner  des  principaux  ouvrages  de  coupe,  elles  de  l'art  du  tailleur.  Partisan  éclairé  des 
on  verra  combien  on  a  cherché  et  combien  on  i  mesures,  qu'il  divise  en  mesures  ordinaires, 
cherche  encore  a  faciliter  aux  jeunes  filles  le  tra-  exactes,  approximatives  ou  relatives,  il  en  signale 
vail  de  la  confection.  A  Paris,  tout  est  organisé,  1  onze  comme  très  importantes: 
mais  en  province  tout  reste   encore  à  faire.  iNous  !       1°  (îrosseur  du  cou,  près  de  la  cravate; 


ne  doutons  pas  néanmoins  du  succès,  parce  que 
l'étude  a  un  résultat  pratique,  utile  à  la  famille 
soucieuse  de  ses  intérêts. 

Les  preini.Ts  ouvrages  que  nous  signalerons  à 
l'attention  du  lecteur  ne  s'occupent  que  de  la  coupe 
d'homme,  les   tailleurs  ayant  précédé  les   coutu 


2°  Grosseur  du  haut  du  buste; 

3°  Grosseur  du  bas  du  buste  ; 

4°  Grosseur  du  torse  ; 

5°  Longueur  du  devant  ; 

G°  Longueur  de  la  nuque  aux  hanches  ; 

I"  Longueur  totale  du  devant  prise  de  la  nuque 


rières  diins  l'art  d'exposer  les  moyens  de  faire  nu    au  bas  du  gilet  ; 
habit  convenable.    Ajoutons  que  cette   coupe  est  j      8°  De  la   nuque  au   milieu    du  dos    en    faisant 
acceptée  aujourd'hui  pour  les  femmes,:,  cause  de    passer  le  ruban  sur  le  devant  de  l'encolure; 
sa  sévère  exacli  iide  et  de  son  extrême  régularité,  j      9"  De  la  nui|ueàlanuque  par  le  même  parcours  ; 
En  1821,  M.  Guérard,  dans  l'espoir  de  venir  en        1()°  Longueur  du  petit  coté  de  l'aisselle  à  la 
aide  aux  tailleurs,  publia  un  Précis  sur  ta  coupe,    hanche  ; 
Son    procédé   est    assez   sinsulier.    Trois  patrons  1      1 1°  Longueur  de  la  taille. 

dits  de  trois  tailles  les  plus  ordinaires  doivent  L'auteur,  qui  aurait  voulu  prendre  les  mesures 
habiller  huit  personnes  sur  dix;  on  réussira  en  sur  h-  nu,  et  qui,  faute  de  clients  complaisants, 
coupant  un  peu  au-dessus  ou  au-dessous  des  s'était  adressé  à  {'Apollon  du  Belvédère,  possé- 
Willes,  pour  confectionner  les  vêtements  en  gé- ,  dail  en  grandeur  naturelle  plus  de  JiO  000  patrons 


VÊTEMENTS  (COUPE)    —  2474 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


de  différents  genres  de  vêtements,  en  rapport 
avec  toutes  les  conformations.  Il  avait  pviblié 
une  table  synoptique  de  ces  conformaiions  dans 
un  livr»;  de  mesures  ?i  prendre  qu'il  avait  imaginé. 

Le  travail  de  Barde  méritait  d'èire  f  ignalé,  quoi- 
qu'il ne  présente  pas,  à  proprement  parler,  une 
méthode.  Mais  cet  auteur  est  de  ceux  qui  certai- 
nement ont  fait  faire  un  progrès  à  l'.irt  de  la  coupe 
aiii|iiel  il  s'est  adonné  avec  passion. 

En  184,i  Eugène  Staube  fit  paraître  une  bro- 
cliure  intitulée  :  Le'  mi/stère.s  de  l  art  rlu  lailteur 
ou  la  lOiipe  'léoméfnrjiie  dévoilée  "  totil  le  nonde. 
Sous  ce  titre  poinpeux  et  séduisant,  l'auteur  donne 
comme  base  de  sa  méthode  une  ligne  verticale, 
égale  à  la  longueur  du  corsage,  ligue  à  laquelle  il 
rattaclie  huit  autres  lignes  horizontales,  fixes  et 
déterminées,  qui  indiquent  les  eiidi  oits  où  devront 
b\v  maïquces  les  sinuosités  du  corsage.  C'est 
ainsi  qu'il  y  reporte  les  mesures  prises  sur  le 
corps,  telles  que  la  lojigueur  de  l'épauleite,  l'en- 
colure, l'emminiclinre,  la  largeur  de  poitrine,  l'é- 
carrure  du  dos,  la  hauteur  du  petit  côté,  le  tour 
de  taille.  Ce  travail  fait,  il  n'a  plus  qu'à  dessiner 
la  forme  de  son  corsage,  d'après  les  points  déter- 
mines. 

Le  niérite  de  cette  brochure  est  d'avoir  posé  en 
principe  la  nécessité  de  faire  un  dessin  géométri- 
que en  rapport  avec  les  différentes  lignes  du  corps 
lium:iin.  c'est  le  second  exemple  que  nous  en 
ayims  trouvé. 

Nous  avons  sous  les  yeux  une  brochure  parue  en 
1  se  I , signée  Ladevèze  et  intitulée  la  Corporismétrie. 
Nous  y  trouvons  la  preuve,  tout  à  la  fois,  du  pro- 
grès des  procédés  nouveaux  et  de  la  persistance 
des  anciennes  habitudes.  ■■  La  coupe  métliodii|ue, 
dit  l'auteur,  a  jusqu'à  ce  jour,  par  l'invention  de 
M.  Compaing.  obtenu  une  assez  grande  extension. 
Les  tailleurs  la  mettent  généralement  en  pratique. 


et  si  quelques-uns  d'entre   eux   ne   tiennent  pas  j  bas  de  la  jupe; 


différentes  poses  du  corps  avec  des  patrons  appro- 
priés à  chacune  d'elles:  et  enfin  M.M.  Fontaine  et 
Humann,  qui  ont  fait  faire  de  grands  progrès  à 
l'art  du  costume,  mais  dont  les  procédés  sont  mul- 
tiples et  non  appliqués  à  l'enseignement  scolaire. 

M'i''  Elisa  Hiriz  publia  à  Strasbourg,  au  mois  de 
mars  ISIJG,  sous  le  pseudonyme  d'Hélène  Fée,  une 
Mct/iode  simple  et  pratique  pour  la  coupe  et  la 
confpition  de  tous  les  télutients  de  femme,  le 
seul  traité,  si  l'on  en  croit  M""^  Pape-Carpantier, 
qui  existât  alors  sur  la  matière.  lU""  Hirtz  nous 
dit  elle-même  comment,  après  l'essai  très  défec- 
tupux  d'un  corsage,  elle  chercha  la  cause  du  mal, 
tant  elle  désirait  savoir  tailler  ses  vêlements  d'une 
manière  sûre.  Ce  fut  sa  première  leçon  de  coupe 
qui  fut  pour  elle  une  révélation.  Elle  avait  passé 
plus  d'une  heure  à  prendre  des  mesures,  et  elle  ne 
tarda  pas  à  s'apercevoir  que  tout  dépendait  du 
nombre,  du  choix  et  de  l'exactitude  de-  ces  me- 
sures. Elle  pensa  aussitôt  à  propager  c<>  qu'elle  sa- 
vait et  à  l'introduire  dans  les  écoles.  Fort  encou- 
ragée par  le  recteur  de  l'académie  de  Strasbourg, 
elle  se  servit  du  tableau  noir  et  alla  donner  des 
leçons  dans  quelques  institutions  puliHipies  ou 
privées,  entre  autres  au  pensionnat  du  Peiit-Chà- 
teau.  dirigé  par  M'"  Verenet,  aux  élèves  de  la- 
quelle elle  a  dédié  son  ouvrage.  Venue  à  Paris, 
elle  y  exposa  sa  méthode  devant  les  élèves  de 
l'école  normale  d'institutrices  C'est  en  1868  qu'elle 
publia  sous  son  nom  le  livre  intitulé  :  Travaux  à 
aiguille  usuel',  méthode  de  coui<e  et  de  confection 
P'-ur  vêlements  'le  femmes  it  d'e^fiints  (Hetzel). 
Cette  méthode  a  pour  base  un  angle  formé  par  une 
verticale  qui  représente  la  longueur  du  corsage  et 
une  horizontale  qui  détermine  la  taille.  Voici  les 
mesures  adoptées  : 

1°  Longm-ur  de  la  jupe  par  derrière.  —  Par- 
tie inférieure  du  dos  au  milieu  de  la  taille  jusqu'au 


compte  de  ce  sjstème  ils  ont  tort:  ils  croient,  par 


i  routine,  suppléer  à  l'ensemble  des  améliorations  !  taille  jusqu'aux  pieds  ; 


Longueur  de    la  jupe    par  devant,   depuis  la 


apportées  par  une  méthode  longtemps  étudiée.. 


3°  Longueur  du  devant  du  corsaie,  de  la  nais- 
La  MODESTE  routine  de  couper  les  habits,  qui  suffi-  j  sance  du  cou  en  droite  ligne  jusqu'à  la  taille.  — 

La  place  exacte  se  trouve  au-dessus  des  hanches; 

4"  Largeur  de  la  poitrine,  sur  la  partie  proé- 
minente, du  bras  droit,  vers  le  bras  gauche; 

h"  H.nuteur  du  côté  sous  le  bras,  de  l'aisselle  à 
la  hanche  ; 

G"  Tour  de  taille  moins  1  centimètre; 

1°  Hauieur  d'épaule.  Deux  mesures  :  la  première, 
du  milieu  de  la  taille  devant  jusi|u'au  bas  du  dos 
à  la  taille,  en  passant  près  du  cou;  la  seconde,  au 
côté  de  la  taille  devant  la  hanche,  en  remontant 
par  dessus  l'épaule  à  l'articulation  du  bras,  jus- 
qu'au bas  du  dos  au  côté  de  la  taille; 

8°  Entournure  ; 

9°  Longueur  du  bras  en  dessous  jusqu'au  poi- 
gnet ; 

10°  Largeur  du  poignet; 

11°  Hauteur  du  dos,  de  la  nuque  à  la  taille  ; 

Vi°  Largeur  du  dos,  d'un  bras  à  l'autre,  à  la 
hauteur  des  omoplates  ; 

1.3°  Largeur  de  l'épaule,  de  la  naissance  du  cou 
jusqu'au  bas  de  l  épaule,  à  la  distance  de  2  centi- 
mètres sur  le  bras  ; 

14°  Largeur  du  cou,  mesure  que  l'on  divise  en 
tiers  et  en  sixième. 

Voici  comment  M""  Hirtz  procède  pour  le  dessin 
du  devant  (fig.  I). 

L'angle,  dont  nous  avons  parlé  précédemment, 
étant  établi,  on  détermine  la  longueur  du  corsage 
sur  la  verticale,  puis  on  y  marque  aux  ".'/•!  la  lar- 
geur de  la  poitrine,  ligne  d.  La  hauteur  de  côté 
se  pose  sur  la  ligne  horizontale  qui  représente  la 
taille,  s'élève  vers  la  poitrine  et  s'arrête  à  un  cen- 
timètre au-dessous. 

On  prend  la  moitié  de  la  première  hauteur  d'é- 
paule qu'on  pose  dans  l'angle  b,  on  la  dirige  obli- 


sait  autrefois  à  nos  pèkes  T.^iLt.Eihs,  a  aujourd'hui 
presque  di.^paru  et  se  trouve  remplacée  par  un  sys- 
tème méthodique.  »  IVI.  Ladevèze  inventa  l'instru- 
ment qui  donne  son  nom  à  sa  mé  hode  et  qui  rap- 
pelle ceux  de  M.  Barde.  Le  corporismètre  a  deux 
formes  différentes.  L'une  sert  à  prendre  d'nne 
manière  certaine  les  mesures  du  gilet  ou  de  l'ha- 
bit :  c'est  une  règle  qui,  appuyée  sur  le  corps  et 
maintenue  en  équilibre  par  une  ceinture,  fuit  voir 
si  l'/mmme  est  droit,  roulé  ou  renverse.  L'autre 
donne,  au  moyen  de  branches  mobiles  serrées  par 
des  vis,  la  facilité  de  trouver  l'écart  de  l'entre-jam- 
bes  du  iianialon  et  la  dimension  du  fond.  La  ligne 
fontiamentale  de  la  méthode  est  la  ligne  droite  sur 
laquelle  reposent  les  autresmesures.  Trois  points, 
selon  Ladevèze,  sont  indispensables;  c'est  celui  qui 
donne  la  justesse  de  l'omoplate,  celui  de  l'emman- 
chure, ei  celui  qui  fixe  la  largeur  de  la  poitrine.  Un 
certain  nombre  de  planches  viennent  à  l'appui; 
mais  après  tant  de  soins,  M.  Ladevèze  termme 
par  ces  mots  contradictoires:  «Tout  homme  qui 
estV  î  l -ur  de  prufession  ne  doit  pas  avoir  besoin 
de  tant  d'explications  pour  apprendreà  couper;  il 
doit  lui  suffire  de  voir  les  modèles  tracés  et  fixés 
par  des  chiffres.  » 

Mentionnons  aussi  pour  mémoire  :  1°  la  Méthode 
diamélrique  ou  vér.tnble  théorie  du  tailleur  (186','), 
de  M.  J.  Chambon,  professeur  de  coupe  à  Paris.  La 
base  de  son  système  est  le  diamètre  de  la  personne 
pris  à  la  hauteur  de  la  poitrine  ;  2°  1  Art  île  la  coupe 
enscgu''  m  quinze  miaules,  do  M.  Despax;  .i"  la 
méthode  de  M.  Gâche,  auteur  d'un  patron  en  bois 
qui  à  l'aide  d'une  vis  centrale  s'agrandit  réauliè- 
rement  dans  toutes  ses  parties;  4°  M.  Turroque, 
dont  la  méthode  offre  un  tableau  représentant  les 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


Fig.   ). 


quemeiit  à  gauche,  de  manière  que  le  sixième  de 
la  mesure  du  cou  tracé  liorizoïnalement  au-des- 
sus de  la  liauteur  du  devant  soit  à  un  centimètre 
de  la  hauteur  dn  l'épaule.  La  moiiiéde  la  secdnde 
hauteur  d'cpaule  se  place  sur  la  ligne  de  la  taille 
k  une  distance  de  la  ligne  de  côté  qu'on  évalue  au 
quart  de  la  largeur  de  poitrine. 

La  largeur  de  l'épaule  est  posée  ensuite  obli- 
quement aux  extrémités  de  ces  deux  lignes. 


■ohx& 


2't73  —         VÊTEMENTS  (COUPE) 

tour  tire  une  verticale  qui  représente  la  longueur 
du  dos,  et,  au  bas  de  ceite  ligne,  une  horizontale 
qui  représente  la  taille.  Sur  la  verticale,  à 2  centi- 
mètres environ  de  l'angle,  on  marque  la  hauteur 
exacte  du  dos;  vers  le  milieu  de,  la  verticale,  on 
marque  la  largeur  du  dos.  Sur  la  ligne  iiorizontale 
on  indique  le  quart  de  la  mesure  de  la  taille,  et 
l'on  unit  le  bas  du  dos  c  au  point  de  la  taille  /', 
par  une  oblique. 

On  porte  la  hauteur  de  côté  du  point  de  la 
taille  /■,  en  la  dirigeant  vers  le  point  l,  on  le  place 
à  1  centimètre  1/2  di'  cette  hauteur,  puis  on  biaise 
vers  la  gauche,  de  manière  à  laisser  le  quart  de  la 
largeur  du  dos  entre  celui-ci  et  la  hauteur  du 
côté  qu'on  marquera  d'un  point  q. 

On  porte  la  moitié  de  la  première  hauteur  d'é- 
paule an  bas  de  la  ligne  du  dos  c  en  la  biaisant  vers 
le  haut,  de  manière  à  laisser  le  sixième  de  la  me- 
sure du  cou  entre  le  sominet  do  cette  ligne  et  la 
ligne  du  dos.  Cet  intervalle  sert  à  l'encolure.  On 
pose  ensuite  la  moitié  rie  la  seconde  liauteur  d'é- 
paule :"\  la  taille,  on  la  dirige  vers  le  haut  et  on 
l'y  maintient  On  prend  la  largeur  de  l'épaule, 
qu'on  porte  en  ponte  de  l'encolure  au  sommet  de 
la  ligne  indiquant  la  seconde  hauteur  de  l'épaule. 
On  lait  ensuite  jiasser  des  lignes  par  tous  ces 
points  et  le  dos  est  tracé  sans  petits  côtés  (fig.  4). 


{ iiumrnurc 


Ces  différents  points  unis  par  un  trait  orment  le 
dessin  du  devant  du  corsage  (fig.  2). 

Pour  établir  les  pinces,  on  prend  le  tiers  de  la 
largeur  de  la  poitrine,  qu'on  marque  sur  la  ligne 
de  taille.  La  seconde  pince  se  place  \  un  tiers  de 
poitrine  de  la  première.  La  hauteur  de  ces  pinces 
ne  doit  pas  dépasser  l'emmanchure.  tLanv 


A-      j;        -TcuRe 

Fig.  .•!. 

Le  dos  s'exécute  de  la  même  manière  (fig.  3).L'au- 


/  ^OLlUt, 


Quant  i  ces  petits  côtés,  ils  se  tracent  très  sim- 
plement par  une  courbe  légère  tirée  du  milieu 
de  l'emmanchure  jusqu'à  la  taille,  très  près  de  la 
ligne  du  luilieu  du  dos  pour  les  personnes  min- 
ces, un  peu  plus  écartée  pour  une  pe^^onne  d'une 
taille  plus  forte. 

Comme  on  le  voit,  cette  méthode  commence  à 
présenter  des  développemetits  pratiques.  Ces  dé- 
veloppements vont  devenir  de  plus  en  plus  péda- 
gogiques, et  à  la  portée  des  grandes  fillettes  de 
nos  étoles. 

Vers  la  même  époque  et  sans  connaître  ce 
i|u'avait  fait  M'"'  Hirtz,  une  autre  personne  eut, 
comme  celle-ci,  l'idée  de  créer  un  enseignement 
populaire  de  la  coupe. 

IJès  I8U.S,  Ml"  E.  Grand'homme,  de  Louviers, 
avait  trouvé  une  mélhode  qu'elle  vint  propager  à, 
Paris  et  qu'elle  enseigne  encore  avec  autant  de 
dévouement  ([Ue  de  désintéressement.  Présentée 
à  lU.  Gréard  en  iSGS,  elle  fut  autorisée  à  expéri- 
menter ses  procédés  à  l'école  normale  d'institutri- 
ces de  la  Seine,  et  M.  E.  Ferry,  maire  du  IX'  arron- 
dissenit-nt,  fit  établir  en  novembre  1873,  rue  Clauzel, 
un  cours  central  à  l'usage  de  :jG  élèves  des  trois 
écoles  de  son  arrondissement.  En  1878,  M"«  Grand'- 
homme obtint  une  médaille  de  vermeil,   la  seule 


VÊTEMENTS  (COUPE)         —  2476 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


accordée  par  le  jury  de  l'Exposition  pour  cet  en-  1 
seignemejit. 

Le  rectangle  est  la  base  de  la  méthode  linéaire 
de  M"8  Grand'homme.  Elle  en  emploie  trois  pour 
former  le  corsage,  un  pour  le  milieu  du  dos,  un 
pour  le  petit  côté  et  un  pour  le  devant. 

Comme  les  basques  sont  aujourd'hui  de  mode, 
l'auteur  augmente  la  longueur  de  son  rectangle 
pour  pla'  er  ces  appendices  et  donne  à  la  largeur 
queli|ues  centimètres  de  plus  pour  en  permettre 
le  développement. 

M"°  Grand'homme  se  sert  de  deux  espèces  de 
mesures  :  les  mesures  variables,  qui  changent 
selon  les  personnes;  les  me'sures  complémen- 
taires, simples  mesures  de  convention  servant 
à  l'exécution  des  patrons  de  toutes  les  tailles  et  ne 
variant  jamais. 

Il  y  a  onze  mesures  variables  : 

1"  Longueur  de  la  taille; 

2°  Largeur  des  épaules  prise  par  devant ,  de 
la  coulure  de  l'épaule,  entournure  droite,  à  la 
couture  de  l'épaule,  entournure  gauche; 

3»  Longueur  du  dessous  de  bras,  de  la  couture 
du  dessous  de  bras  à  la  hanche  ; 

4"  Tour  de  la  taille  ; 

5°  Longueur  du  dos; 

C  Largeur  du  dos  ; 

7°  Mesure  justificative  ou  grosseur  totale  de  la 
personne,  dos  et  devant. 

8°  Longueurs  extérieure  et  intérieure  du  bras  ; 

9°  Grosseur  du  bras; 

10°  Grosseur  du  poignet; 

11»  Longueur  de  la  jupe  devant,  à  la  hanche,  et 
derrière. 

Les  mesures  de  longueur  se  comptent  telles 
qu'elles  sont,  mais  on  ne  marque  que  la  moitié  des 
mesures  de  largeur  à  l'exception  du  tour  de  taille, 
dont  on  prend  le  quart,  et  de  la  mesure  justifica- 
tive qui  se  divise  en  tiers,  en  quart  et  en  moitié. 
Il  n'y  a  pas  de  mesure  spéciale  pour  les  basques. 

La  grosseur  du  poignet  est  une  mesure  qui  sert 
d'unité  dans  la  méthode  Grand'homme.  Elle  s'em- 
ploie par  tiers,  quart,  moitié,  on  en  son  entier.  La 
grosseur  du  poignet  donne  ;  1°  l'encolure  du  de- 
vant et  du  dos  du  corsage  :  '2°  le  biais  de  la  cou- 
ture de  l'épaule,  du  devant  et  du  dos  ;  3°  l'entour- 
nure du  devant  et  du  dos. 


A  A' 


B  /■7J  B' 


S       6          .    J 

ff 

1 

i        i 

( 

construit  trois  rectangles  :  le  premier,  celui  du 
tracé  du  devant,  a  pour  hauteur  la  longueur  de  la 
taille  plus  "jn  cent.,  et  pour  largeur  le  1/3  de  la  me- 
sure justificative  plus  7  cent,  pour  le  développement 
de  la  basque.  Dans  ce  rectangle  on  tire  une  oblique 
qui  indiquera  le  devant  du  corsage  et  qui  sera 
écartée  du  point  A  d'autant  de  fois  trois  millimè- 
tres qu'il  y  aura  de  dizaines  de  centimètres  dans 
la  mesure  justificative.  Pour  tracer  l'encolure  on 
porte  le  l'3  de  la  grosseur  du  poignet  plus 
1  cent,  de  A  vers  B  à  un  point  nommé  E.  De  A 
vers  G  on  porte  la  moitié  de  la  grosseur  du  poi- 
gnet, puis  on  réunit  ce  point  au  point  E  par  une 
courbe.  Le  biais  de  l'épaule  e^t  représenté  par  la 
moitié  de  la  largeur  des  épaules  vers  un  point  F 
qui  est  à  1/3  de  la  grosseur  du  poignet  de  la 
ligne  AB.  Pour  l'entournure,  il  faut  prendre  la 
grosseur  du  poignet  plus  "2  cent,  du  point  F, 
biais  de  l'épaul»,  porter  verticalement  la  longueur 
obtenue  et  la  joindre  à  la  ligne  BD  par  un  trait  hori- 
zontal. Remonter  d'un  centimètre  et  unir  ce  point 
par  une  courbe  au  point  F.  Pour  former  les  pin- 
ces, on  descend  de  6  cent,  au-dessous  de  l'entour- 
nure et  on  trace  une  horizontale.  De  la  ligne  AC, 
on  compte  8  cent,  pour  la  première  pince,  puis  6 
pour  la  seconde,  2  cent,  doivent  séparer  les  pinces 
il  la  taille. 
Le  second  rectangle,  celui  du  dos  (fig.  0),  a  pour 


Pour  dessiner  un  corsage  i  basque  (fig.  .5),  on 


Fig.  6.: 

longueur  celle  du  dos  plus  23  cent.,  et  pour  lar- 
geur la  demi-largeur  du  dos.  plus  I  cent.  De  C  vers 
b,  on  porte  2  cent,  et  on  réunit  par  une  oblique 
A  à.  G.  De  A  vers  B,  pour  l'encolure,  on  porte 
le  tiers  de  la  grosseur  de  poignet,  moins  un 
1/2  cent,  (point  E)  ;  de  A  vers  G  on  porte  1/2  cent., 
et  on  réunit  ces  deux  points  par  une  courbe  lé- 
gère. Le  biais  de  l'épaule  s'obtient  en  portant  les 
2/3  rie  la  grosseur  du  poignet  de  B  vers  D,  et  en 
réunissant  E  à  ce  point  F  par  une  oblique.  Du 
point  F,  biais  de  l'épaule,  on  porte  verticalement 
la  moitié  de  la  grosseur  du  poignet  que  l'on  rentre 
à,  1/2  cent,  de  la  ligne  BD.  Sur  la  ligne  de  cein- 
ture, on  comptera  3  cent.,  ce  qui  indiquera  la  lar- 
geur du  bas  du  dos,  puis  im  joindra  ce  point  par 
une  courbe  de2  cent.  1/2  vers  le  centre.  Pour  former 
la  basque,  on  compte  10  cent,  de  G  vers  D  et  l'on 
unit  la  ceinture  h  ce  point  par  une  courbe  con- 
vexe. 


VÊTEMENTS  (COUPE)  —  2477 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


Le  rectangle  du  petit  côté  (lig.  ')  a  pour  hauteur 
la  longueur  du  dessous  de  bras,  plus  la  longueur 
de  11  basque,  et  comme  largeur  le  quart  du  tour  do 


Fi  g.  7. 

taille  moins  4  cent.  ;  on  ajoute  3  cent,  de  cha- 
que côté  que  l'on  sépare  du  rectangle  par  les 
lignes  A'C  et  B'D'. 

Do  B  vers  A,  il  faut  marquer  2  cent.  ;  de  B 
vers  D,  compter  3  cent,  et  réunir  par  une  courbe 
ces  deux  points.  De  D  vers  C,  compter  2  cent,  et 
réunir  le  3  au  2  par  une  oblique.  De  C  vers  A, 
compter  2  cent,  et  unir  le  point  C  au  point  2  de 
l'entournure  par  une  courbe.  Los  basques  s'oli- 
tiennent  par  des  courbes  gracieuses  qui  partent 
de  la  taille  pour  rejoindre  l'extrémité  du  rec- 
tangle. 

l'our  le  patron  de  la  manche  (fig.  8),  l'auteur  eta- 


ves  encore  inexpérimentées,  car  ils  s'adressent  à  la 
mémoire  des  yeux  qui  est  très  développée  chez  les 
enfants.  La  première  édition  de  la  Coupe  et  eon- 
fection  f/es  rélemenls  ne  parut  qu'en  ISTO,  onze 
•iiis  après  les  premiers  cours  que  l'auteur  dictait  à 
S(^s  élèves.  La  dernière  est.  de  1S80  :  nous  espérons 
(|iie,  dans  une  prochaine  édition,  M"'  Grand'homme 
perfectionnera  encore  ses  démonsti'ations  et 
ajoutera  quelques  lignes  qui  achèveront  son 
œuvre. 

Un  habile  coupeur  de  Paris,  M.  Lavigne,  avait  fait 
paraître,  en  18  i:',  la  Métlio'le  du  tailleur,  spéciale- 
ment destinée  aux  confections  pour  hommes,  qui 
eut  un  grand  succès;  encouragé  par  cet  heureux 
débat,  il  entreprit  la  coupe  des  vêtements  de 
femmes,  et,  en  IsGS.au  moment  même  oij  M'"^  Hirtz 
et  M"'  Grand'homme  enseignaient  leurs  méthodes. 
il  eut  la  même  inspiration  et  il  résuma  ses  procédés 
pour  servir  d'enseignement  sous  le  titre  de  Mé- 
thode de  coupe,  à  l'usnge  des  tailleurs,  coutu- 
rières et  a/j/ireidis  des  deux  profe.\sio7is.  300  07-a- 
vures,  intercalées  dans  le  texte,  permettent  d'ap- 
prendre seul  l'a't  d'habiller.  Chez  l'auteur,  i5, 
rue  Richelieu.  Paris,  grand  in-4°. 

«  Frappé,  dit-il,  de  ce  qu'il  n'existe  encore,  à 
notre  connaissance,  aucune  méthode  pour  ensei- 
gner la  coupe  des  vêtements  de  femmes,  et 
qu'une  foule  d'excellentes  ouvrières  sont  sou- 
vent ignorantes  pour  couper  quoi  que  ce  soit,  et 
n'ayant  personne  à  qui  s'adresser  pour  apprendre 
ce  qu'elles  sentent  bien  qui  leur  manque,  c'est 
pour  remplir  cette  lacune  et  contribuer  autant 
qu'il  est  en  nous  de  le  faire  pour  ce  genre  d'ins- 
truction, que  nous  avons  créé  cette  méthode  pour 
les  jeunes  tilles  faisant  l'apprentissage  de  cou- 
turières, et  avec  laquelle  elles  apprendront  faci- 
lement à  couper.  » 

La  méthode  de  M.  Lavigne  est  divisée  en  sept 
parties.  La  picinière  partie,  la  seule  qui  nous  in- 
téresse, donne  des  tableaux  de  réductions,  l'étude 
de  la  coupe,  etc.  Deux  mesures  sont  employées  : 
1»  lalongucufdc  la  taille  AB  ;  2°  la  demi-grosseur 
du  corps  (au-dessous  des  bras  h  la  hauteur  de 
la  poitrine).  Ces  mesures  servent  à  former  un 
rectangle  dont  la  hauteur  est  égale  h  la  longueur 
de  la  taille,  plus  4  cent.,  et  la  largeur  à  la  demi- 
grosseur  de  la  poitrine  plus  'i  cent.  Ces  4  cent, 
ajoutés  dans  les  doux  sens  sont  destinés  à  rendre 
les  entrecoupes  plus  aisées. 
Le  carré  est  divisé  (fig.  9)  en  deux  parties  égales  sur 


blit  un  rectangle  dont  la  longueur  est  égale  à  la  plus 
grande  longueur  du  bras,  et  la  largeur  i  la  moitié 
de  la  mesure  de  l'entournure,  ce  qui  est  très  ra- 
tionnel, puis  elle  procède  pour  le  dessin  de  la 
manche  en  employant  les  mesures  complémen- 
taires. 

La  méthode  de  M'"  Grand'homme  est  simple 
et  facile  à  comprendre;  l'heureuse  idée  d'avoir 
placé  des  chiffres  qui  rappellent  les  mesures  in- 
variables, autrement  dit  le  nombre  des  cenlimè- 
ros  à  compter,  rend  de  grands  services  aux  élè- 


Fig.  9. 

la  hauteur,  ce  qui  donne  à  peu  près  la  profondeur  de 
ri'mmancliure,  ci  sur  la  largeur,  ce  qui  étalilit  la  sé- 
paration du  devant  et  du  dos.  Ces  quarts  sont  divisés 
ensuite  en  deux  parties,  ce  qui  détermine  les  hau- 
teurs de  l'encolure  et  de  l'épaulette,  le  milieu  de 


VÊTEMENTS  (COUPE)    —  2478  —    VÊTEMENTS  (COUPE) 


!a  poilrine  et  de  l'omoplate.  Lf^s  seize  carrés  sont 
subdivisés  en  cinq  parties,  ce  qui  donne  vingt  li- 
gnes en  largeur  et  vingt  lignes  en  hauteur.  On 
obtient  ainsi  un  tableau  quadrillé  sur  lequel  on 
peut  fixer  les  différents  points  du  corsage.  (Ces 
tableaux  quadrillés  sont  toujours  employés  en 
Angleterre,  en  Allemagne  et  en  Suisse  pour  la 
coupe  et  l'assemblage.) 

Pour  simplifier  ces  opérations  assez  longues, 
l'auteur  a  imaginé  d'indiquer  seulement  les  divi- 
sions par  une  ligne  pointillée  sur  les  deux  sens. 
Alors  il  trace  d'après  ces  points  les  lignes  indis- 
pensables au  dessin  des  patrons,  et  ces  lignes, 
pour  un  corps  bien  proportionné,  correspondent 
toujours  aux  divisions  indiquées  ci-dessous  : 

Pour  la  hauteur  du  carré,  on  marquera  un  point 
à  chacun  des  chiffres  suivants  :  0,  |,  i,  8,  10  |,  l:i, 
19,  20. 

Pour  la  largeur  du  carré,  on  marquera  un  point  à 
chacun  des  chiffres  suivants  :  0,  2  |,  i,  8,  9  ^,  1" 
I,  12,  14,  le  i,  n  J,  10. 

Il   suffira  alors  de   tirer  des  lignes    pour  relier 
ces  point?    entre   eux   et   obtenir    le   corsage   tel 
qu'il  est  donné  sur  un  dessin  servant  de  modèle. 
•Sur  la  hauteur,  en  effet  : 
~  indique  l'échancrure  du  haut  du  dos. 

1       la  hauteur  de  l'épaulette. 

g      la  hauteur  du  petit  côté  à   l'écarrure. 

jO?    la   hauteur   de   l'emmanchure    et  du 

*  dessous  du  bras. 

]5      la  hauteur  de  la  poitrine  et  des  pinces. 

,g      la  longueur  du  dos  et  du  petit  côté. 

20       la  longueur  du  devant. 

Sur  la  largeur  nous  avons  : 

2  1  qui  indique    la  largeur  du  haut  du  dos. 

3  *  la  largeur  et  pointe  du  bas   du 

petit  côté. 

g  la  largeur  de  l'écarrure. 

,i  1.         _  la  largeur  de  l'épaulette  du  dos. 

jQ  1        la  largeur  de  l'épaulette  du  de- 

vant. 

)0  la  largeur  de  la  poitrine  et  l'o- 

cartement  de  l'emmanchure. 

[j  l'écartement     de     la    première 

pince. 

,g  i_        l'écartement    de    la    deuxième 

*  pince. 

[.j  1        Pointe  de  l'épaulette  du  côté  de 

■^  l'encolure. 

20  Largeur  totale. 

Il  est  certain  que  pour  une  personne  bien  faite 
et  d'une  tenue  régulière,  ce  patron  est  exact, 
mais  il  n'en  serait  pas  de  même  pour  une  per- 
sonne mal  faite  ou  de  tenue  défertueuse.  L'au- 
teur prend  alors  U  mesures  et  il  apporte  sur  son 
dessin  type  les  rectifications  que  ces  mesures 
exigent  :  .,.  ^  j     , 

1»  Mesure  longueur  de  taille,  parlant  de  la  nu- 
que à  la  hauteur  naturelle  de  la  taille  ; 

-T»  Mesure  de  l'omoplate,  partant  de  la  nuque 
et  "venant  s'appuyer  au-dessus  de  la  hanche; 

.3»  Longueur  du  devant,  partant  de  la  nuque  en 
venant  s'appuyer  an-dessus  de  la  hanche; 
4°  Hauteur  de  la  poitrine  partant  de  la  nuque  ; 
5»   Longueur  du  devant,  partant  de  la  nuque  à 
la  hauteur  naturelle  de  la  ceinture; 

6°  Longueur  du  devant,  partant  de  1  encolure  à 
la  hauteur  naturelle  rie  la  ceinture  ; 

7°  Largeur  de  l'épaule  paitant  du  milieu  de 
l'encolure  h  la  pointe  de  l'épaule  : 

8"  Hauteur  du  petit  côté  du  dessous  de  bras  h 

la  hanche  ;  -^.,11 

ïi"  Largeur  de  1  ecarrure  prise  du  milieu  du  dos 
h  lemiuanchure; 


10°  Longueur  de  la  manche  do  l'eiumanchure 
au  coude  ; 

11°  Longueur  de  la  manche  du  coude  au  poi- 
gnet; 

12°  Largeur  de  la  poitrine  prise  du  milieu  du 
devant  à  l'emmanchure; 

13°  Oosseur  totale  du  haut,  prise  au-dessous 
des  bras  à  la  hauteur  de  la  poitrine; 

14°  Grosseur  du  tour  de  taille. 

Les  mesures  du  cou,  du  tour  de  l'emmanchure 
et  la  grossHur  du  bras  sont  facultatives. 

Cette  méthode  a  l'inconvénient  de  ne  pouvoir 
être  suivie  que  par  des  confectionneuses  nu  des 
élèves  d'écoles  professionnelles.  L'auteur  l'a  bien 
senti,  et  il  prépare  en  ce  moment  un  traité  plus 
primaire  qu'accompagnera  un  tableau  donnant  le 
tracé  d'un  corsage.  Ce  tableau  seul  comprend  pour 
ainsi  dire  toute  la  méthode,  et  les  élèves  l'ayant 
pour  modèle  peuvent,  avec  les  quelques  démons- 
trations écrites  sur  le  côté  de  ce  tableau,  apprendre 
facilement  à  dessiner  le  corsage  en  très  peu  de 
leçons. 

M.  Roussel,  professeur  de  coupe  à  Paris  et 
propriétaire  du  journal  Le  Tailleur  tnoderne, 
publia  en  18"!  une  brochure  intitulée  Traité  de 
coupe  ou  Ec'ile  du  tailleur,  dans  laquelle  il  criti- 
que avec  quelque  raison  la  plupart  des  méthodes 
de  ses  devanciurs.  Ennemi  juré  du  système  des  pro- 
portions, il  n'admet  que  les  mesures  géométriques 
et  il  cherche  à  détruire  les  vieux  plans  de  la 
routine  depuis  trop  longlemps  suivis.  Il  signale 
les  (iangeis  qui  menacent  la  corporation,  et  il 
offre  à  ses  élèves  un  système  scientifique,  métho- 
dique et  rationnel. 

Comme  on  le  sait,  les  tailleurs,  en  général, 
prennent  pour  type  l'Homme  de  48  (expression 
technique),  c'est-à-dire  l'homme  qui  par  sa  con- 
formation rappelle  r.\pollon  antique,  celui  enfin 
qui  porte  '.10  cent,  de  tour  de  poitrine,  dont  la 
moitié  suffit  pour  établir  le  patron  d'un  vêtement. 
Les  tailleurs  coupent  d'après  ce  modèle,  et,  allant 
du  plus  gros  au  plus  petit,  d'après  le  système  de 
proportions,  obtiennent  une  série  de  patrons  qui 
nécessitent,  comme  on  peut  le  présumer,  des  re- 
touches diverses. 

Suivant  M.  Roussel,  il  faut  déterminer  des 
points  de  repère  sur  le  corps,  et  ces  points  sont 
les  jalons  où  viennent  aboutir  toutes  les  mesures 
sans  exception.  Il  indique  dix  jalons  et  vingt-deux 
mesures,  mais  la  vingt-deuxième  sert  pour  la  vé- 
rification. Il  faut,  avant  de  l'employer,  tracer  tous 
les  contours  du  modèle.  Au  bout  de  dix  minutes, 
d'après  l'auteur,  le  corsage  peut  être  épingle  sur 
le  corps  sans  exiger  de  retouches.  iM.  Roussel 
accepte  la  division  par  triangles,  mais,  dit-il,  cette 
division  est  facultative  et  il  n'y  a  pas  de  règle 
exclusive,  chacun  peut  la  faire  selon  son  idée, 
car  ces  lignes  intérieures  ne  sont  qu'un  moyen 
passager  pour  trouver  les  côtés  extérieurs. 

M.  Vaillant  avait  publié  en  \Sy-i  h  Biuxelles  un 
Traité  de  l'art  du  tailleur  applic  it/le  aux  cor- 
sages de  dmnes,  orné  de  cinq  grands  planches, 
in-S°.  La  base  de  sa  coupe  était  une  ligne  per- 
pendiculaire et  une  horizontale,  auxi|uelles  il  rap- 
portait toutes  les  mesures  prises  sur  le  corps.  Ce 
système  incomplet  et  peu  scolaire  ne  tarda  pas  à 
être  perfectionné,  et  iM.  Vaillant  donna  en  1879  un 
Nouveau  si/stènie  de  coupe  ^ur  mesures  à  hase 
triangulaire,  système  méthodique.  Comme  l'ex- 
plique l'auteur,  «  une  société  de  tailleurs  de  Paris 
créa,  en  1858,  une  méthode  de  coupe  .'i  base  trian- 
gulaire sans  instruments,  se  renfermant  dans 
l'usage  exclusif  du  ruban  métrique  et  d'une  cein- 
ture centimètre...  la  méthode  de  la  société  avait 
un  il  convénient  :  celui  des  mesures  trop  longues, 
ce  qui  créait  des  difficultés,  soit  dans  la  prise  des 
mesures,  soit  dans  leur  application.  .\près  bien  des 
recherches,  des  tâtonnements  et    des  essais,  je 


YftTKMlSNTS  (COUPE)         —  247'J  —         YKTliMENTS  (COUPE) 


suis  arrivé  à  co  que  ces  niusurRS  soient  toutes 
droites  elcouries.co  (|ui  a  simplifié  ce  système  et 
en  a  augiumuâ  la  procisioii  cl  la  valeur.  »  Voici 
les  points  saillants  de  sa  mctliode  : 

Lo  ruban  mcirique  et  une  ceinture  indiquant  la 
taille  suffisent  pour  obtenir  les  mesures,  qui  se 
prennent  dans  l'ordre  suivant  : 


G 

G  bis 


K  bis 
L 


1°  r.rosseur  de  ceinture  (moitié). 

2°  Du  tendon  du  bras  au  milieu  de  la  poi 

trine. 
3°  Du  tendon   du  bras  au-dessous  de  l'a- 
grafe de  la  ceinture. 
4"  Du  tendon  du  bras  à  la  lianche. 
5"  Du  tendon  du  bras  à  la  taille. 
G°  Du  tendon  du  bras  au   milieu  du  dos; 

grosseur  d'omoplate. 
7°  Largeur  de  carrure  (par  moitié)  du  mi- 
lieu du  dos  à  l'entournure. 
8°  Longueur  du  bras  dans  la  saignée  du  ten- 
don au  coude  et  au  poignet. 
'.)"  Longueur  de  la  taille  et  des  basques. 
10"  Diagonale  de  la  nuque  au  bas  de  la  car- 
rure. 
11°  De  la  nui|ue  au  tendon, 
lî"  De  la   nuque  au-dessous  de  l'agrafe  de 

la  ceinture;  longueur  du  devant. 
13°  Hauteurdes  pinces. 
14°  Du  liaut  du  sternum  au-dessous  de  Ta- 

grafe. 
15°  Grosseur  du  cou  (moitié). 
16°  Hauteur  d'épaule  du  tendon  au  bas  de 

la  carrure. 
n°  De  la  hanche  au  bas  du  devant  pour  la 

bastjue. 
18°  Du  même  point  au  bas  du  dos. 
19°  Grosseur  du  torse  (moitié). 


La  méthode  procède  par  triangles  qui  servent  à 
déterminer  toutes  les  proportions  du  corsage. 

C'est  sur  la  première  mesure,  la  grosseur  de 
ceinture,  que  reposent  toutes  les  autres,  et  c'est 
le  point  de  départ  du  premier  triangle  dont  le  som- 
met est  au  tendon. 

La  méthode  de  M.  Vaillant,  assez  compliquée  au 
premier  abord,  mais  par  laquelle  on  obtient  des 
résultats  très  satisfaisants  et  rapides,  est  contraire 
absolument  aux  méthodes  proponionnellos,  l'au- 
teur n'admettant  que  des  mesures  établies  sur  la 
triangulation. 

Un  Italien,  M.  B.  Scariano,  de  Palerme,  avait 
inventé  en  1858  un  instrument  appelé  psalizomè- 
tre  qui,  au  moyen  de  lames  de  cuivre  mobiles  et 
retenues  par  des  vis  molletées,  prenait  les  me- 
sures et  formait  seul  les  triangles  nécessaires  h 
ceux  qui  opéraient  par  la  triangulation.  Cet  instru- 
ment rendit  des  services  aux  spécialistes.  L'auteur 
fut  médaillé  il  l'Exposition  universelle  de  18B;'. 

Une  couturière,  M"°  H.  Régnier,  a  publié  en 
1814  une  Méthode  de  coupe  à  l'usage  des  coutu- 
rières, des  jeunes  pevsoimes  et  de  ii  dame  de 
maison,  divisée  en  cinq  parties  avec  atlis  de 
61  planches  et  I2.S  gravures.  Paris,  chez  M""'  W. 
Régnier  et  sœurs,  couturières,  ■-25,  rue  Saint- 
Honoré,  in-i".  Cette  méthode  est  très  complète  et 
fort  intéressante  à  étudier,  parce  (|u'elle  renferme 
un  nombre  considérable  île  patrons  pour  les  cos- 
tumes les  plus  variés,  depuis  la  simple  robe  de 
chambre  jusqu'à  la  polonaise  ou  la  pelisse  de 
théâtre. 


crer  à  l'étude  de  la  coupe  et  qu'il  ne  peut  s'y  li- 
vrer qu'en  ayant  sous  ses  youx  une  méthode  facile 
et  des  modèles  s:ijis  prétention. 

La  même  année,  isTi,  M.  Pierre  Roudel  publia 
une  brochure  intitniée:  La  coupe  d'a/fés  nature, 
buse  fondainentule  de  l'art  du  tailleur,  par  l'em- 
plui  des  con/'ormaleurs  divisionuaires,  itonnant 
des  mesures  niallièrnatiqiiement  exactes  et  à  l'aille 
des  appareils  de  coupe  repro  luisant  sunt  varia- 
tions les  mesures  trouvées  au  couformuteur;  inS". 
Ce  volume  est  curieux,  mais  il  ne  rentre  pas  dans 
la  série  des  œuvres  que  nous  devons  examiner 
avec  soin.  t;e  que  nous  recherchons,  cest  une 
tnéthode,  et  ici  nous  ne  trouvons  que  des  appa- 
reils, le  ciinforiiiateur,  qui  se  plaque  sur  le  corps, 
et  lo  renroiiu'ieur  qui  indique  les  mesures  four- 
nies par  le  conformaleur. 

Le  conformateur  est  un  vêtement  en  caoutchouc 
qui,  par  sa  parfaite  élasticité,  peut,  satis  se  dé- 
former, donner  une  etupreinte  exacte  de  la  con- 
formation liumaine  et  dessiner  le  corps  avec  pré<- 
cision.  Sur  ce  vêtement  sont  tracés  des  lignes  ou 
reliefs  géométriques,  indiquant  la  marche  à  suivre 
pour  mesurer  les  diverses  parties  du  corps.  Les 
lignes  de  différentes  couleurs,  tracées  dans  le  sens 
longitudinal,  horizontal  et  suivant  même  les  plans 
courbes  et  obliques,  courent  dans  tontes  les  direc- 
tions, se  croisent  aux  endroits  déterminés  pour 
servir  de  repères  ou  lignes  d'aplomb,  et  permettent 
d'apprécier  et  de  noter  la  conformation  de  la  per- 
sonne. 

L'opération  consiste  :  1°  à  suivre,  au  moyen 
d'un  centimètre  ordinaire,  les  lignes  ou  reliefs 
tracés  sur  le  cotiformateur  jusqu'à  leur  poitit  de 
rencontre  avec  d'autres  lignes  ou  reliefs  tracés 
en  travers  et  de  couleur  différetite  ;  2"  à  noter 
exactement  le  nutnéro  marqué  par  le  centimètre 
aux  divers  points  d'intersection  des  lignes  ou  re- 
liefs et  qui  représente  la  distance  parcourue. 
Chacune  de  ces  mesures  pariielles  doit  successi- 
vement être  inscrite  sur  un  carnet  ad  hoc. 

Ces  mesures,  nécessairement  exactes,  sont  alors 
reproduites  mécaniquement  par  un  appareil  de 
précision  composé  de  latnes  d'acier  poli,  mobiles, 
graduées,  numérotées  et  coulissatit  dans  une  gaina 
de  cuivre.  Ces  lames,  qui  se  rapportetit,  comme 
nombre  et  disposition,  aux  lignes  tracées  sur  le 
caoutchouc,  ainsi  qu'il  est  dit  plus  haut,  sont  rap- 
prochées ou  éloignées  à  la  demande  du  conforma- 
teur, et  le  point  indiqué  par  leur  extrémité  marque 
la  place  où  doit  passer  le  coup  de  craie  destiné  à 
tracer  la  ligne  de  coupe. 

Cet  appareil  permet  la  réduction  mathématique 
en  une  surface  plane  de  la  configuration  réelle  que 
présente  le  coip^  mesuré  par  le  conformateur. 

Dans  le  conf'uriuateur,  les  lignes  s'allongent  ou 
se  raccourcissent,  se  rapprochent  ou  s'éloignent 
par  la  pression  naturelle  que  la  forme  du  corps 
fait  subir  au  tissu  élastique  dont  le  con/ormuteur 
est  fait. 

Dans  l'appareil  mécanique  de  la  coupe,  le  rap- 
prochement ou  l'écartement  des  lignes  est  le  ré- 
sultat d'une  division  fort  simple  exécutée  par  l'o- 
pérateur (|ui,  faisant  coulisser  chacune  des  lames 
intérieures  dans  la  gaine  de  enivre  qui  les  ren- 
ferme, les  fixe  au  poini  précis  indiquant  la  mesure 
fournie  par  le  conformateur. 

Tandis   que  M""  Graitd'hotnme,  avec  l'appui  de 

.    lî.    Ferry,  introduisait   dans   le  IX'=  arrondis- 


M""  Régnier  emploie  la  verticale   comme  base  sèment    l'enseignement    primaire    de    la    coupe, 

de  ses  procédés,  et  elle  fait   partir  de  cette  ligne  M.  Gaildraud,  adjoint  au  tnaire  du  Vll%  organisait 

un  certain   nombre   d'horizontales   indispensables  de  son  coté  un  enseignement  du  même  genre  dans 

à  l'exécution  des  dessins  et  sur  lesquelles  elle  re-  une    école    de   lavenui!    La  Motte-l'iquet   (IS74i. 

porte  les  mesures  prises   sur   le  corps.  Cette  raé-  Habile  confectionneur  et  ayant  à  sa  dispositioti  un 

thode,  écrite  pour  des  spécialistes,    ne   s'adresse  certain    noiiibre    de  tailleurs    et  de  coupeurs,    il 

pas  aux  enfants  et  n'est  nullement  pédagogique,  publia,  k   l'usage,  des   institutrices,  une    Méllrule 

Il  ne  faut  pas  oublier  que  le  public  des  écoles  et  de  oirpe  de  vèt-ments,  eu  un  cahier  auiographié 

des  pensions  n'a  qu'un  temps  très  limité  à  consa-  |  de  8  pages  iii-4°. 


VÊTEMENTS  (COUPE)         —  24 

Ce  petit  essai  contient  les  indications  les  plus 
simples  pour  dessiner  et  confeciionner  un  corsage 
sans  basques.  L'auteur  n'emploie  que  cinq  me- 
sures, qui  sont  : 

1"  La  longueur  du  devant  prise  de  la  couture 
de  l'épaule  (encolure)  au  milieu  du  devant; 

2°  Longueur  du  dos,  de  la  couture  de  l'épaule 
(encolure)  au  milieu  du  dos; 

3»  De  la  couture  de  l'épaule  (entournure)  droite 
à  la  couture  de  l'épaule  gauche  (entournure)  ; 

4°  Tour  de  poitrine  ou  largeur  totale  sous  le 
bras; 

5°  Tour  de  taille. 

Après  avoir  pris  ces  mesures  principales,  l'au- 
teur commence  le  tracé  du  dos  en  tirajit  une  ligne 
verticale  AB  qui  indique  le  milieu  du  dos,  pu' 


iO  —  VÊTEMENTS  (COUPE) 

gne  de  la  taille  et  on  obtient  ainsi  le  rectangle  ABCD. 
On  preiid  la  moitié  de  la  ligne  AD,  qu>'  l'on  descend 
d'un  cent,,  et  l'on  lire  une  horizontale  ER  destinée 
à  indiquer  le  dessous  de  bras,  puis  on  porte  le 
huitième  du  tour  de  poitrijio  de  A  vers  I)  et  l'on 
trace  l'horizontale  ML  qui  servira  ïi  la  chute  d'é- 
paule ;  à  h  Cent,  de  la  ligne  M  on  trace  ui.e  trol- 
.sième  horizontale  XY  qui  déterminera  la  profon- 
deur de  l'entournure  et  la  hauteur  du  petit 
coté. 

Pour  l'encolure  on  compte  1/3  cent,  sur  la  ligne 
A,  on  porte  le  seizième  du  tour  de  poitrine  sur 
AB,  on  unit  ces  deux  points  par  une  courbe.  On 
porte  la  derai-largeur  du  dos  sur  la  ligne  ML,  qui 
sera  la  limite  extrême  de  l'épaulette  et  le  com- 
mencement de  l'entournure.  L'entournure  s'obtient 


trace  au  sommet  de  cette  ligne  une  autre  ligne  ho- 1  ^.„  descendant  une  courbe  légère  rentrée  d'uu  1/2 
rizontale  formant  angle  avec  A,   au-dessous  de  la-  ....  ...  ,..-    .,   . 

quelle  parlent  trois  autres  lignes  parallèles  pla- 
cées à  éiale  distance,  dont  l'une  indique  la  chuie 
de  l'épaule,  la  deuxième  la  hauteur  du  petit  coté, 
et  la  troisième  le  dessous  du  bras. 

Le  tour  de  poitrine  divisé  en  quarts,  puis  en  hui- 
tièmes, est  employé  pour  déteiminer  la  distance 
des  différentes  sinuosités  du  patron,  qui  sont  re- 
liées par  des  lignes. 

Ce  guide,  qui  ne  traite  absolument  que  du 
corsage  rond,  ne  doit  être  considéré  que  comme 
un  appel  Ji  l'attention  des  élèves  et  au  développe- 
ment pédagogique  des  maîtresses.  Aussi,  l'édition 
autographiée  que  nous  possédons  n'a-t-elle  pas  été 
rééditée  et  les  écoles  ont-elles  cherché  nilleurs  les 
moyens  de  continuer  leurs  éludes.  Les  méthodes 
je  M™"  Grand'homme,  Schefer,  et  Giroux  ont 
rejnpii  ce  rôle. 

La  publication  due  au  zèle  de  M.  Gaildraud 
n'en  a  pas  moins  le  mérite  d'avoir  été  la  première 
qui  ait  appelé  l'attention  du  ministère  de  l'in- 
struction publique  sur  cette  question.  M.  \V  allon, 
alors  ministre,  félicita  l'auteur  de  son  iniiiative, 
et  lui  fit  demander  un  certain  nombre  d'exem- 
plaires de  son  petit  cahier  pour  les  distribuer 
dans    les    écoles   normales    d'institutrices    (avril 


._..S1. 

M""  Schefer,  inspectrice  des  écoles  de  la  ville 
de  Paris,  rédigea  un  manuel  rationnel  et  gradué  de 
coupe  et  d'assemblage  à  l'usage  des  écoles  pri- 
maires. La  1"  édition  parut  en  1^^8,  et  depuis  cette 
méthode  a  subi  quelques  modifications  dans  les 
détails,  mais  non  dans  la  forme  générale,  qui  est 
bonne  et  facile  ii  saisir. 

On  prend  7  mesures  pour  le  corsage  à  basques  : 

1°  La  longueur  du  dos  ; 

2°  La  largeur  du  dos  ; 

3°  La  longueur  du  devant; 

4°  Le  tour  de  poitrine; 

5°  Le  tour  de  taille  ; 

6°  La  longueur  du  bras  intérieure  et  extérieure  ; 

1'  Le  tour  des  hanches. 

L'auteur  emploie  deux  rectangles  pour  servir  de 
cadre  aux  patrons  :  le  premier  destiné  à  renfermer 
le  milieu  du  dos  et  le  petit  cùté,  le  seconda  conte- 
nir le  devant. 

La  quatrième  mesure,  tour  de  poitrine,  est  di- 
visée en  quarts,  en  huitièmes eten  seizièmes,  et  ces 
fractions  sont  employées  comme  unités  pour  déter- 
miner l'encolure  du  dos  et  du  devant,  la  chute  de 
l'épaule,  l'écliancrure  de  l'entournure  du  devant  et 
la  dimension   d'un  des  cotés  des  rectangles. 

Pour  dessiner  le  corsage  à  basques  que  nous 
prenons  comme  spécimen,  l'auteur  donne,  pour  di- 
mensions au  rectangle  destiné  à  recevoir  le  patron 
du  dos  et  du  petit  coté,  la  longueur  du  dos  avec 
celle  qu'on  veut  avoir  à  la  basque,  el  pour  lar- 
geur le  quart  du  tour  de  poitrine  plus  8  cent,  qui 
sont  ajoutés  pour  permettre  le  déploiement  de  la 
basque  et  faciliter  la  coupe. 

Le  rectangle  étant  formé  (fig.  10),  on  indique  la  li- 


cent.  de  la  ligne  ML  sur  XY.  Puis  on  compte  2 
cent,  sur  la  ligne  de  taille  et  on  joint  ce  point  au 
point  I  de  l'encolure  par  une  oblique  S  représen- 
tant le  milieu  du  dos,  de  S  on  compte  ^  cent,  et 
on  joint  ce  point  par  une  courbe  gracieuse  ren- 
trée au  centi  e  de  ;i  cent,  aupoint  N,  fin  de  l'en- 
tournure placée  sur  la  ligne  XY. 

Le  petit  côté,  qui  est  renfermé  dans  le  même 
rectangle,  se  dessine  aisément  au  moyen  de  quel- 
ques indications.  Ainsi,  pour  déterminer  sa  place 
dans  le  rectangle,  ou  compte  8  cent,  sur  la  ligne 
XY  du  bas  de  l'entournure  du  dos.  on  y  place  la 
lettre  N  qui  indique  la  limite  extrême  du  petit 
coté,  et  l'on  dessinera  l'échancrure  de  l'entournure 
en  traçant  une  courbe  rentrée  du  point  N  au 
point  li,  point  extiêjue  de  la  ligne  KK.  On  porte 
ensuite  12  cent,  à  partir  de  la  ceinture  du  dos,  on 
y  place  le  point  O  et  on  unit  ce  point  au  point  N 
par  une  courbe  s'écartant  de  3  cent,  du  centre; 
c'est  la  partie  qui  devra  rentrer  dans  la  courbe  du 
dos.  Il  n'y  a  plus  qu'à  tracer  une  courbe 
du  point  R,  dessous  de  bras,  allant  se  joindre  à 
la  ligne  de  taille  à3cent.  l;2de  l'extrémité  C  de  la 
ligne,  et  le  petit  côté  se  trouve  achevé. 

Le  devant  du  corsage  (fig.  1 1  )  est  enfermé  dans  un 
rectangle  ABD-C*  dont  la  hauteur  égale  la  longueur 
du  devant  auquel  on  ajoute  le  nombre  de  cent, 
qu'on  veut  donner  à  la  basque,  et  comme  largeur 
le  quart  du  tour  de  poitrine,  plus  4  cent,  La  ligne 
de  ceinture  est  déterminée  par  une  horizontale  DC. 
On  prend  alors  la  moitié  du  rectangle  (de  la  cein- 
ture à  l'encolure),  moins  1  cent,,  comme  on  a 
opéré  déjii  pour  le  dessin  du  dos,  et  l'on  trace  une 
seconde  horizontale  appelée  XY.  A  4  cent,  de  la 
ligne  BG  on  trace  une  verticale  F,  et  sur  cette  ligne 
on  porte  le  seizième  du  tour  de  poitrine  qu'on 
avance  de  3  cent,  vers  la  ligne  BC  :  on  a  la  lettre 
Z  indiquant  le  creux  de  l'encolure.  On  porte  de 
nouveau  le  seizième  du  tour  de  poitrine  de  F  vers 
A,  on  a  le  point  P  que  l'on  unit  à  la  lettre  Z  par 
une  courbe  rentrée  de  2  cent.  Ensuite  on  porte  en- 
core le  seizième  du  tour  de  poitrine  de  A  vers  D, 
ce  qui  indiquera  la  chute  de  l'épaulette,  que  l'on 
unit  au  point  P  par  une  courbe  légère.  De  la  ligne 
RYà  partirde  R,  on  remonte  de  5  cent.  1/2,  on  trace 
une  petite  horizontale  LM  dont  la  longueur  égale 
le  seizième  du  tour  de  poitrine  plus  2  cent.,  ce  qui 
donnera  la  plus  grande  profondeur  de  l'emman- 
chure ;  on  foi  mera  celle-ci  par  une  courbe  profonde 
partant  de  la  chute  de  l'épaulette  à  la  lettre  R  et 
rentrée  de  2  cent.  1/2  de  M  à  R,  Pour  le  dessous  de 
bras  on  compte  2  cent,  de  D  vers  C  et  on  unit  par 
une  courbe  cette  lettre  au  point  R.  Pour  indiquer 
la  place  des  pinces,  l'auteur  trace  une  horizontale 
à  5  cent,  au-dessus  de  la  ligne  RY,  puis  il  compte 
8  cent,  de  la  ligne  du  devant  pour  la  1"  pince,  et 
de  ce  pointe  cent,  pour  la  2'  en  laissant  enti'e  les 
deux  iiinces  un  petit  intervalle  sur  la  ligne  de 
ceinture. 
Pour  dessiner  la  basque,  l'auteur  divise  la  moi- 


VÊTEMENTS  (COUPE)         —  24 

tiô  do  la  mesure  des  lianclics  on  trois  parties  dans 
les  proportions  de  1,  2,3,  et  les  porte  ensuite  sur 
la  ligne  du  rectangle  destincS  à  contenir  la  bas- 
que, puis  unit  les  points  obtenus  aux  points  cor- 
respondants du  corsage  sur  la  ligne  de  ceinture. 
Pour  le  patron  de  lu  inanclie  (fig.  1 2),  l'auteur  trace 


•1  —         VÊTEMENTS    (COUPE) 

un  rectangle  de  la  longueur  du  bras,  plus  2  cent.  1/- 
et  de  la  largeur  du  quart  du  tour  de  poitrine, 
moins  I  cent.  1/2  ou  S  ou  4,  selon  le  nombre  do 
centimètres  donnes  par  le  tour  de  poitrine.  Cette 
manière  d'opérer  semble  bizarre,  mais  cependant 
la  manche  va  bien  (flg.  i;i). 


Tels  sont,  sauf  quelques  démonstrations  qui 
achèvent  l'enseignement,  les  procédés  de  la  mé- 
thode Schefer,  qui  est  bien  appropriée  aux  classes 
primaires. 

M""  Menon,  directrice  de  l'école  profession- 
nelle de  Levallois-Pcrret,  publia  en  1881  le 
cours  qu'elle  faisait  à  ses  élèves.  Ce  petit  manuel 
2»  Paktie. 


de  4  pages  autographiées,  qui  a  pour  titre  :  Mé- 
thode de  coupe  et  d'assemblage  des  vêtements,  est 
assez  heureusement  conçu  et  pourrait  être  consi- 
déré comme  une  méthode  facile  s'il  renfermait  plus 
d'explications,  si  les  démonstrations  étaient  plus 
nettes,  plus  complètes  et  mieux  définies.  L'au- 
teur ne  prend  que  deux  mesures  :  la  longueur  de  la 


VÊTEMENTS  (COUPE)  —  24S2  —         VÊTEMENTS  (COUPE) 


taille  et  la  largeur  du  corps.  Voici  comment  il  faut 
procéder:  L'on  trace  un  grand  rectangle  ABCD 
renfermant  le  corsage  entier,  ayant  pour  longueur 
celle  de  la  taille,  plus  1  cent.,  et  pour  largeur  la 
demi-grosseur  du  buste  prise  sous  les  bras  à  la 
hauteur  de  la  poitrine.  On  divise  le  rectangle  en 


traçant  des  diagonales  partant  des  quatre  angles  et 
qui,  en  se  coupant  au  centre,  indiquent  à  peu  près 
la  profondeur  de  l'emmancliure,  la  hauteur  du 
petit  côté,  le  dessous  de  bras  et  séparent  le  devant 
du  dos.  Ensuite,  au  moyen  d'une  bande  de  papier 
pliée  en  deux,  pi;i';  rn  quatre,  puis  eu  liuit,  on  re- 


porte ces  mesures  sur  la  largeur  du  rectangle, 
mesures  d'après  lesquelles  on  trace  des  verticales 
touchant  aux  deux  extrémités  du  rectangle.  Puis 
on  fait  encore  quatre  nouvelles  divisions  qu'on  in- 
dique, la  y  à  1  3  de  distance  après  la  3'  division, 
la2«à  1/3  de  distance  après  la  4' division,  la  3'' à  1/3 
«Tant  la  C,  et  la  4' à  1/3  avant  la  T.Toutes  ces  mesures 


Fig.  .11. 

étant  déterminées  et  indiquées,  l'auteur  s'en  sert, 
soit  comme  unité  pour  fixer  les  proportions  du  cor- 
sage, soit  comme  point  de  repère  pour  en  marquer 
les  sinuosités.  Ainsi,  par  exemple,  l'échancrure  du 
dos  se  trace  en  comptant  un  cent,  sur  la  ligne  du 
rectangle  AC  et  en  portant  l'intervalle  d'une  des 
huit  divisions  sur  la  ligne  AB,  points  qu'on  unit 


VÊTEMENTS  (COUPE)         -  2483  -  VÊTEMENTS  (COUPE) 


Fig.  12. 

par  une  oblique.  Nous  ne  continuons  pas  cette 
analyse,  qui  ne  pourrait  être  claire,  car  il  est  indis- 
pensable d'avoir  le  dessin  du  corsage  sous  les 
yeux  pour  suivre  les  démonstratiojis  qui  ne  sont 
pas  toujours  satisfaisantes. 

Madame  Giroux,  professeur  de  coupe  à  l'école 
normale  supérieure  d'institutrices  et  dans  les 
écoles  de  la  ville  de  Paris,  fit  paraître  en  1881 
une  méthode  intitulée  :  Manuel  d'examen  pour 
l  enseujnemenf  de  lu  coupe  et  de  Cassemhlnqe  de< 
vêtements  de  fernme  et  d'enfmits  suivi  d'un  re- 
cueil de  questions  d'examen  et  d'une  nnlice  sur  ta 
macluue  à  coudre.  Cette  méthode  qui  renferme 
des  patrons  de  lingerie,  nous  semble  contenir  un 
enseignement  complet  de  la  coupe  pour  tous  les 


objets  nécessaires  aux  élèves  des  écoles  pri- 
maires. 

L'auteur  emploie  un  seul  rectangle  pour  limiter 
le  dessin  des  patrons  du  corsage  entier,  et  prend 
[)  mesures  qui  sont  : 

1°  La  longueur  du  dos; 

2"  La  largeur  du  dos; 

3"  La  longueur  du  devant; 

4"  La  largeur  du  devant; 

û  "  Le  tour  de  poitrine  pris  sous  les  bras  ; 

0"  Le  tour  de  taille; 

'i"  La  hauteur  du  dessous  de  bras; 

8°  La  longueur  du  bras,  de  l'épaule  au  coude  et 
de  l'épaule  au  poignet; 

9°  Le  tour  des  hanches  pris  au  plus  fort  des 
hanches  à  20  cent,  au-dessous  de  la  taille. 

On  construit  le  rectangle  ABLM  (flg.  13),  ayant 
pour  longueur  la  longueur  du  dos,  plus  celle  de 
la  basque,  et  pour  largeur  la  moitié  du  tour  des 
hanches. 

Le  rectangle  étant  tracé,  on  le  parta'ge  dans  sa 
largeur  en  deux  parties  inégales  de  façon  que  le 
cùté  du  triangle  destiné  au  devant  ait  4  cent,  de 
plus  que  le  côté  destine  au  dos;  mais  ces  4  cent, 
forment  un  intervalle  laissé  en  réserve  au  milieu  du 
grand  rectangle,  et  renfermé  entre  deux  verticales 
touchant  l'une  EFT  au  rectangle  du  dos,  l'autre 
F/F'  au  rectangle  du  devant  ;  cet  intervalle  est  des- 
tiné au  développement  des  basques. 

Une  ligne  horizontale  DC  est  tracée  à  la  taille, 
séparant  ainsi  le  haut  du  corsage  de  la  partie  ré- 
servée à  la  basque;  puis  on  porte  la  hauteur  du 
dessous  de  bras  sur  la  ligne  AD  et  l'on  tire  une 
nouvelle  horizontale  RS  parallèle  à  la  ligue  de 
ceinture  et  qui  donnera  au  point  d'intersection 
avec  les  verticales  la  place  du  dessous  de  bras  et 
la  profondeur  de  l'emmanchure  du  devant  et  du 
petit  côté.  La  distance  comprise  entre  la  ligne  de 
dessous  de  bras  et  la  limite  supérieure  du  rectan- 
gle est  partagée  ensuite  en  4  parties  égales  entre 
elles  indit[Uoes  par  'i  horizontales  ayant  chacune 
leur  rôle  ;  en  effet,  la  1'"  h  partir  de  A  servira  h  in- 
diquer la  chute  de  l'épaulette  du  devant;  la  2«  in- 
diquera la  chute  de  l'épaulette  du  dos  ;  la  3'  don- 
nera la  dimension  de  l'entournure  du  dos  et  la 
plus  grande  hauteur  du  petit  côte;  ce  procédé 
très  ingénieux  a  encore  un  autre  office,  car  l'au- 
teur emploiera  comme  unité  l'intervalle  entre  les 
horizontales  qu'elle  appelle  divisions  pour  indiquer 
la  hauteur  des  pinces  du  devant,  l'encolure  du 
dos,  du  devant,  l'échancrure  du  devant  et  celle  de 
l'entournure,  et  la  largeur  du  petit  côté  à  la 
ceinture. 

Toutes  ces  indications  étant  données,  le  dessin 
peut  s'efl'ectuer  d'une  manière  très  rapide.  Ainsi, 
sur  la  ligne  de    ceijiture  de  D  vers  G,  on  compte 

2  cent,  et  l'on  unit  ce  point  à  la  lettre  A,  ce  qui 
donne  l'oblique  du  dos.  De  A  vers  B  on  porte  une 
division,  point  P,  qui  donne  la  proportion  de  l'en- 
colure du  dos.  Sur  la  ligne  liorizontale  2  on  porte 
la  demi-largeur  du  dos,  on  obtient  le  point  U,  que 
l'on  joint  par  une  oblique  au  point  I',  et  l'épau- 
lette est  dessinée.  Du  point  U,  descendra  une 
courbe  légère  sur  la  ligne  3  et  joindre  ce  point, 
par  une  courbe  creusée  de  3  cent,  au  centre,  à  la 
ligne  de  la  taille,  laissant  un  intervalle  de  3  cent, 
entre  cette  courbe  et  l'oblique  du  dos. 

La  hauteur  du  petit  côté  est  déterminée  ainsi  : 
il  faut  calculer  la  différence  entre  le  demi-tour  de 
poitrine  et  le  demi- tour  des  hanches,  prendre  la 
moitié  de  cette  différence  et  la  porter  sur  la  ligne 

3  i  la  droite  de  l'entournure  du  dos.  On  trace  une 
courbe  de  ce  point  sur  la  ligne  RS  que  l'on  re- 
joint à  l'intersection  de  la  verticale  du  rectangle 
du  dos.  De  F  vers  D,  compter  3  cent,  et  joindre 
ce  point  à  l'entournure  du  petit  côté  par  une 
courbe  gracieuse.  De  F  vers  D,  porter  la  longueur 
de  deux  divisions  et  joindre  ce  point   il   la  partie 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


2i84  —    VÊTEMENTS  (COUPE) 


supérieure  de  l'entournure  du  petit  côté  par  une 
courbe  s'écartant  de  3  cent,  au  centre,  et  le  dos 
est  achevé. 

Le  patron  du  devant  du  corsage  s'obtient  par  les 
mêmes  procédés.  Du  point  B  vers  A.  on  porte 
une  division  qu'on  marque  P'.  Du  point  B  vers  C 
on  porte  une  division,  plus  2  cent,  (point  Z),  on 
unit  P'  à  Z  par  une  courbe  rentrée  de  2  cent,  et 
l'encolure  est  dessinée.  On  porte  ensuite  la  lon- 
gueur de  l'épaulette  du  dos  de  P' vers  la  ligne  1', 
et  le  point  de  rencontre  L"  donne  la  limite  de  l'épau- 
lette du  devant  que  l'on  trace  par  une  courbe  peu 
accentuée.  Puis  sur  la  ligne  horizontale  3',  à  partir 
de  la  ligne  BC,  on  porte  la  moitié  de  la  largeur  du 
devant  qu'on  indique  par  le  point  V,  on  unit  ce 
point  Ji   la   chute  de   l'épaulette   par  une  courbe 


écartée  d'un  cent,  et  on  a  la  moitié  de  l'entour- 
nure que  l'on  achève  en  continuant  la  courbe  vers 
la  ligne  du  dessous  de  bras  jusqu'au  point  d'in- 
tersection G'  de  la  verticale.  On  compte  alors  2 
centimètres  sur  la  ligne  de  ceinture  F'C,  et  l'on 
a  le  point  H',  que  l'on  joint  à  la  base  extrême  de 
l'emmanchure  sur  la  ligne  RS.  Il  ne  reste  plus 
qu'à  dessiner  les  basques  du  corsage,  auxquelles 
on  donne  des  dimensions  proportionnelles. 

La  manche  (fig.  14)  est  dessinée  dans  un  rectangle 
ayant  pour  longueur  la  longueur  du  bras,  et 
pour  largeur  les  quatre  divisions  du  rectangle  du 
corsage.  L  auteur,  Adèle  i son  système,  partage  cette 
figure  géométrique  en  quatre  parties  égales,  et  au 
moyen  de  quelques  démonstrations,  donne  le  tracé 
de  la  manclie. 


Quant  à  la  jupe,  la  démonstration  varie  peu 
dans  les  différentes  méthodes  qui  en  traitent  ;  on 
prend  ordinairement  trois  mesures  de  la  ceinture 
aux  pieds  :  devant,  derrière  et  sur  le  côté.  On 
enlève  une  pointe  sur  les  deux  lisières  du  haut  du 
lé  de  devant,  et  l'on  taille  ceux  des  côtés  en  biais, 
de  façon  à  donner  plus  de  largeur  au  bas  de  la 
jupe  que  dans  le  haut.  On  l'orne  ensuite  selon  la 
mode  du  jour. 

Le  corsage  rond  peut  être  considéré  comme 
patron  type,  car  il  réunit  la  plupart  des  difficultés 
de  la  coupe  et  de  l'assemblage.  On  peut  l'allonger 
plus  ou  moins  sur  les  hanches  au  moyen  des 
basques  ;  on  peut  lui  faire  subir  certaines  modi- 
fications dans  le  haut  qui  en  changent  l'aspect,  soit 
en  le  décolletant  en  rond,  en  carré,  ou  en  l'ouvrant 
sur  la  poitrine.  Il  peut  encore  servir  à   dessiner 


la  robe  attachée  dans  le  dos,  la  robe  de  fillette  dite 
robe  princesse,  le  tablier  à  corsage  pour  enfant, 
et  même  le  caraco,  la  camisole,  le  gilet  et  la  veste 
de  petit  garçon. 

La  manche  subit  aussi  des  métamorphoses  :  on 
la  fait  courte,  demi-longue,  large  ou  étroite,  mais 
la  forme  longue  reste  "comme  un  modèle  qu'on 
modifie  i  volonté. 

Tous  les  documents  que  nous  venons  d  analyser 
tendent  à  prouver  qu'il  est  nécessaire  de  réunir 
dans  une  formule  géométrique  quelconque  les 
lignes  indispensables  au  contour  des  vêtements. 

En  résumé,  la  ligne  verticale,  la  ligne  horizon- 
tale, l'angle,  le  triangle,  le  carré,  le  rectangle  ont 
été  successivement  choisis  comme  base  d'opéra- 
tions. Ainsi  M"«  Régnier  et  M.  Staube  prennent 
la  longueur  du  corsage,  ligne  verticale  sur  laquelle 


VftTEMENTS  (COUPE)        —   2485  -         VÊTEMENTS  (COUPE) 


1       a 

2 

I 

"~~^ 

1 

Va 

R 

\ 

2- 

'■'i?.  11. 

ils  reportent  les  mesures  du  vêtement;  M.  Cliam- 
fion  prend  comme  limite  principale  le  diamètre 
<lu  corps.  M'"  Hirtz  et  M.  Gaildraud  emploient 
l'angle  formé  par  la  verticale  con-espondajit  à  la 
longueur  du  corsage  et  l'horizontale  correspondant 
à  la  ligne  de  taille  ou  à  l'encolure. 

M.  Lavigiie  choisit  le  carré  pour  limiter  le  pa- 
tron du  corsage  entier,  et  comme  ligne  principale 
de  construction  une  horizontale  indiquant  la  pro- 
portion du  buste  h  sa  plus  grande  épaisseur. 

M.  Vaillant  préfère  le  triangle  et  comme  points 
Hxes  le  tendon  d'avant-bras,  la  nuque  et  la  cein- 
ture, points  qu'il  considère  comme  invariables,  et 
par  conséquent  comme  les  plus  exacts. 

M'"  Grand'homme  emploie  trois  rectangles  sur 
lesquels  elle  reporte  les  mesures  principales,  et 
elle  opère  pour  les  petites  proportions  au  moyen 
du  poignet  qu'elle  fractionne  en  tiers,  en  quart, 
€n  demi. 

M"«  Schefer  établit  sa  méthode  sur  deux  rec- 
tangles ayant  pour  dimensions  la  longueur  du  cor- 
sage et  une  partie  du  tour  do  poitrine,  mesure  qui, 
divisée  par  quart,  huitième  et  seizième,  remplit  le 
rôle  du  poignet  dans  la  méthode  Grand'homme. 

Enfin  Mm'  Giroux,  qui  emploie  un  seul  rectan- 
gle, basé  sur  le  tour  des  hanches,  utilise  l'inter- 
valle compris  dans  les  ligues  de  construction  du 
corsage  comme  unité,  ce  qui  donne  le  môme  ré- 
sultat que  le  poignet  et  le  tour  de  poitrine  men- 
tionnés dans  les  manuels  précédents. 

Comme  on  le  voit,  les  méthodes  exposées  diffè- 
rent entre  elles  par  la  forme  et  les  procédés, 
mais  tous  les  auteurs  poursuivent  un  même  but, 
celui  de  faire  proniptement,  facilement,  exacte- 
ment. Leurs  efforts  sont-ils  couronnés  de  succès  '? 
Oui,  si  l'on  se  contente  d'un  résultat  approxima- 
tif, en  somme  très  satisfaisant.  Non,   si   on   pré- 


tond .\  la  perfection  immédiate,  ce  qui  est  maté- 
riellement impossible,  car  il  faut  compter,  d'une 
part,  avec  les  petites  imperfections  du  corps  hu- 
main, qu'on  ne  saisit  pas  toujours  i,  première  vue, 
et  de  l'autre  avec  le  peu  d'habileté,  d'expérience 
ou  d'intelligence  des  élèves. 

Essayage.  —  On  remédie  aux  fautes  de  la  coup» 
par  l'essayage  et  les  retouches  (les  tailleurs  disent  : 
poignards),  qui  se  font  sur  le  mannequin  on  sur 
la  personne  même  qui  a  fourni  les  mesures. 
Au  dire  d'un  habile  tailleur,  les  fautes  ne  viennent 
pas  toujours  du  coupeur,  car  la  coupe  peut  être 
modifiée  par  le  travail  ou  l'élasticité  des  étoffes; 
il  arrive  parfois  qu'on  essaie  des  vêtements  i 
peine  commencés  qui  vont  très  bien,  puis  on  les 
essaie  terminés  et  l'on  est  obligé  de  les  retoucher. 
La  meilleure  manière  d'essayer  un  vêtement  est 
de  le  poser  sur  le  corps  Ji  l'envers,  parce  que  les 
coutures  faisant  saillie  peuvent  être  reprises  faci- 
lement sans  aucun  dérangement.  Voici  comment  il 
faut  opérer  les  retouches  :  si  le  corsage  est  trop 
large,  on  le  reprend  à  la  couture  du  dos  ou  sous 
les  bras,  ou  l'on  fait  les  ourlets  du  devant  plus 
grands  ;  s'il  est  trop  étroit,  on  fait  le  contraire. 
Si  le  corsage  est  trop  long,  on  opère  sur  les  épau- 
lettes,  s'il  est  trop  court  on  l'allonge  en  descen- 
dant les  pinces  (ou  suçons  des  tailleurs:  et  en  dimi- 
nuant les  coutures  des  épaules.  Si  le  corsage  est 
trop  large  d'encolure,  on  reprend  les  coutures  du 
dos,  et  s'il  est  trop  étroit,  on  recoupe  le  devant; 
l'emmanchure  peut  être  aussi  ou  trop  haute  on  trop 
basse,  l'encolure  trop  échancrée  ou  pas  assez,  mais 
ces  retouches,  si  le  dessin  a  été  bien  suivi,  se  ré- 
duisent à  peu  de  chose. 

Pour  bien  couper  les  patrons  dessinés  sur  le 
papier,  il  faut  suivre  exactement  le  tracé  indi- 
qué par  les  ligues,  mais  comme  le  patron  ne 
comprend  pas  les  coutures,  puisqu'il  est  dessiné 
juste  pour  le  corps,  il  faudra  avoir  soin  en  cou- 
pant l'étoffe  do  laisser  2  ou  ^  centimètres  en  plus 
pour  l'assemblage.  Si  on  double  le  vêtement,  on 
coupe  d'abord  la  doublure  qui  sert  alors  de  patron 
et  qu'on  place  sur  l'étoffe  en  l'y  assujettissant  par 
un  bâti  h  longs  points  sur  les  contours  du  patron 
ou  par  des  épingles  si  les  lignes  du  patron  sont 
visibles.  Les  parties  du  corsage  doivent  être  cou- 
pées deux  à  deux,  pour  qu'où  soit  sur  de  leur  si- 
militude, et  l'étoffe  s'embrassant,  c'est-à-dire  pliée 
en  double  dans  la  longueur  de  manière  que  l'en- 
droit soit  sur  l'endroit,  ou  l'envers  sur  l'envers. 
Le  sens  ou  les  dessins  des  étoffes  doivent  être 
observés  :  ainsi  les  carreaux  doivent  se  rapporter, 
eties  dessins  être  disposés  de  bas  en  haut. 

AssKsmr.AGE.  —  L'assemblage  consiste  dans  la 
réunion  des  différentes  parties  du  vêtement  que 
l'on  a  coupé,  en  donnant  à  chacune  la  place  qui 
leur  appartient. 

Toutes  les  coutures  du  corsage  se  font  h  points 
arrière,  menus  et  serrés.  Il  faut,  lorsqu'on  réunit 
les  épaulettes,  avoir  soin  de  faire  les  coutures 
du  côté  du  dos  de  façon  que  l'encolure  du  dos  et 
celle  du  devant  s'ajustent  exactement  et  que 
l'erabu  de  l'épaulette  du  dos  se  place  gracieuse- 
ment sur  l'épaulette  du  devant.  Les  petits  côtés 
so  cousent  en  dedans,  et  leur  courbe  doit  rentrer 
dans  la  courbe  du  dos  ;  il  faut  tenir  la  partie  du 
dos  devers  sui  h  cause  de  rembu,et  pour  cela 
commencer  une  des  coutures  à  l'entournure  et 
l'autre  à  la  taille.  Les  coutures  étant  achevées,  on 
les  ouvre  à  l'exception  de  celles  des  petits  côtés 
au  dos,  et  on  les  surfile  ou  on  les  borde  d'un  petit 
ruban  ou  on  rentre  les  bords  sur  lesquels  on 
passe  un  point  devant. 

Les  pinces  se  cousent  en  commençant  par  la 
pointe;  elles  peuvent  être  fixées  avant  l'assem- 
blage ;  mais  beaucoup  de  couturières  les  tracent 
en  essayant  sur  le  corps  même  de  la  personne. 
On  coupe  les  pinces  et  on  les  hoche  ainsi  que  les 


VÊTEMENTS  (COUPE) 


—  2486  — 


VETEMENTS    COUPE, 


coutures   du    do.   pour  empêcher   le   corsage  de 
brider  au  creux  de  la  taille. 

La  basque  est  terminée  par  un  faux  ourlet  rap- 
porté, et  r«nc»)Iure  par  un  liseré  ou  un  col. 

Les  manches  se  cousent  à  points-arrière  comme 
le  corsage,  mais  pour  éviter  de  rabattre  les  cou- 
tures on  place  les  deux  étoffes  l'une  sur  l'autre  en 
ayant  soin  de  mettre  ensemble  les  parties  sem- 
blables, de  telle  sorte  qu'en  retournant  les  man- 
ches, les  coutures  se  trouvent  renfermées  dans 
l'intérieur  de  la  doublure.  Le  bas  des  manches  se 
termine  par  un  faux-ourlet. 

Pour  confectionner  la  jupe  il  faut  assembler  les 
lés  à   points-arrière  en  commençant  les  coutures 
par  le  haut;  on  égalise  le  bas  au(|uel  on  rapporte  i 
un  faux-ourlet  et  que  l'on  borde  d'un  lacet;  le  haut  ! 
de   la  jupe  se  monte  à  points  de    surjet  sur  une 
ceinture  appropriée  à  la  grosseur  de  la  personne. 

Lingerie.  —  Quant  à  la  lingerie,  qui  complète  I 
l'ensemble  de  notre  vêtement,  il  suffira  de  quel- 
ques indications  pour  aider  i  la  coupe  età  la  façon 
de  ces  objets  qui,  n'étant  pas  ajustés,  laissent 
plus  de  latitude  à  la  confection.  Cependant  il  y  a 
quelques  règles  principales  qu'il  faut  observer. 
Nous  allons  donner  succinctement  les  mesures  in- 
dispensables, renvoyant  nos  lectrices  pour  plus  de 
détails  à  un  ouvrage  spécial.  (Voir  la  l'éilugoyie 
des  travnux  à  l'aiguille  à  l'usage  des  Écoles  de 
filles,  précédée  d'une  élude  sur  l'enseigiiement  de 
la  couture  en  Angleterre,  en  Allemagne,  en  Suisse, 
en  Ilulie  et  en  Belgique,  suivie  d'une  histoire  de 
la  macliine  à  coudre,  par  M""^  P,-W.  Cocheris. 
Paris,  Delagrave,  in-13,  I8S2.) 

Pour  couper  un  pantalon  de  femme,  il  faut 
deux  mesures  de  longueur  et  trois  mesures  de 
circonférence. 

La  première  mesure  de  longueur  se  prend  sur  le 
côté,  de  la  hanche  au-dessous  du  genou;  la  se- 
conde se  prend  de  l'entre-jarabes  au-dessous  du 
genou. 

Les  mesures  de  circonférence  se  prennent  à  la 
ceinture,  à  la  hauteur  des  hanches,  et  au-desous 
du  genou.  Les  mesures  de  longueur  restent  dans 
leur  entier  et  se  coupent  exactement.  Les  me- 
sures de  circonférence  s'augmentent  d'un  tiers. 

Les  jambes  se  coupent  en  biais  jusqu'à  l'entre- 
jambes,  et  l'on  donne  au  reste  du  corps  les  pro- 
portions indiquées  par  les  mesures  prises  sur  la 
personne. 

La  camisole  se  taille  comme  le  corsage  à  basque, 
mais  en  laissant  plus  d'ampleur  à  chacune  des 
parties  du  patron,  un  tiers  environ.  Si  l'on  monte 
la  camisole  sur  une  pièce  d'épaults,  cette  pièce  se 
fait  de  trois  morceaux,  l'un  de  la  dimension  du  dos 
de  l'épaule  droite  à  l'épaule  gauche,  les  deux 
autres  pour  le  devant  de  la  demi-largeur  de  poi- 
trine. 

Les  mesures  pour  la  coupe  dujupon  se  prennent 
un  peu  moins  longues  et  moins  larges  que  pour 
la  jupe  de  robe.  La  confection  du  jupon  est  en  tous 
points  semblable  l\  celle  de  la  jupe. 

La  chemise  de  femme  exige  deux  mesures  :  la 
longueur  depuis  l'épaule  à  partir  de  l'encolure 
jusqu'à  mi-jambe;  la  largeur  correspondant  au 
diamètre  de  la  personne  à  la  hauteur  de  la  poi- 
trine. 

La  chemise  doit  être  plus  large  dans  le  bas  que 
dans  le  haut  ;  ainsi  pour  une  personne  de  taille 
moyenne  on  compte  2  mètres  à  ï",!!)  par  le  bas 
et  1", 20  à  lm,30d'envergure.  Pourobtenir  ce  résul- 
tat, on  ajoute  dansl  e  bas  de  la  chemise  dos  pointes 
ou  chanteaux,  que  l'on  prend  ordinairement  dans 
le  haut  du  corps  de  la  chemise  de  façon  que  la 
partie  de  la  pointe  qui  doit  être  à  la  base  soit 
prise  en  biais  dans  le  haut  de  la  chemise  où  doit 
être  l'encolure. 

La  chemise  d'homme  demande  plus  de  préci- 
sion; il  y  a  plusieurs  mesures  principales  :  la  lon- 


gueur du  devant  et  du  dos,  la  longueur  de  l'enco- 
lure à  la  ceinture,  le  tour  du  cou,  la  largeur  du 
devant,  la  largeur  des  épaules,  la  longueur  du 
bras. 

Les  chemises  de  nuit  se  font  sur  les  mêmes 
mesures,  mais  le  vêtement  doit  être  tenu  un  peu 
plus  large  et  beaucoup  plus  long. 

[M°>«  p.-w.  Cocheris.] 

Un  arrêté  ministériel  du  IG  février  1882  a  dé- 
terminé comme  il  suit  les  connaissances  exigées 
des  aspirantes  aux  deux  certificats  d'aptitude  pour 
l'enseignement  de  la  coupe  et  de  l'assemblage: 

Le  Ministre  de  l'Instruction  publique  et  des 
Cultes, 

Considérantque  les  lois  et  règlements  en  vigueur 
font  du  travail  manuel  une  partie  obligatoire  du 
programme  des  écoles  primaires,  primaires  supé- 
rieures et  professionnelles,  tant  pour  les  filles  que 
pour  les  garçons  ; 

Considérant  qu'il  importe  que  des  règlements 
spéciaux  rendus  sur  l'avis  du  Conseil  supérieur 
déterminent  exactement  pour  chai|ue  catégorie 
d'écoles  les  exercices  dont  se  composera  cette 
parlie  de  l'enseignement,  le  temps  qui  leur  sera 
assigné  et  les  garanties  d'aptitude  spéciale  à  exiger 
des  maîtres  et  maîtresses; 

Considérant  d'autre  part  que  parmi  ces  ensei- 
gnements nouveaux,  celui  de  la  couture,  de  la 
coupe  et  de  la  confection  des  vêtements  est  déjà 
entré  dans  la  pratique  et  a  été  organisé  avec  suc- 
cès tant  à  Paris  que  dans  les  départements,  et  que 
de  nombreuses  demandes  d'institutrices  désireu- 
ses d'en  être  chargées  rendent  nécessaire  la  dé- 
livrance d'un  titre  provisoire  constatant  leur  apti- 
tude ; 

Considérant  que  ce  titre  devra  ultérieurement 
être  mis  en  rapport  avec  les  règlements  d'ensem- 
ble qui  fixeront  l'organisation  de  l'enseignement 
des  divers  travaux  manuels  ; 

Arrête  : 

Art.  1".  Il  est  institué  deux  certificats  d'ap- 
titude à  l'enseignement  des  travaux  d'aiguille 
(premier  et  second  ordre). 

Art.  2.  Le  certificat  d'aptitude  de  premier  or- 
dre prend  le  titre  de  :  Certificat  d'aptitude  à  la 
direction  des  cours  normaux  de  coulure. 

Il  est  exigé  des  professeurs  et  maîtresses  ad- 
jointes d'écoles  normales  et  des  directrices  des 
cours  normaux  de  couture,  de  coupe  et  de  con- 
fection créés  par  les  villes  et  les  départements.  Il 
donne  le  droit  d'enseigner  dans  les  établissements 
scolaires  de  tout  ordre. 

Art.  3.  Ne  peuvent  être  admises  à  l'examen  du 
certificat  d'aptitude  de  premier  ordre,  que  les  as- 
pirantes qui  appartiennent  à  l'enseignement  public 
ou  libre  et  qui  justifient  : 

1°  De  la  possession  du  brevet  élémentaire  et 
du  certificat  d'aptitude  de  second  ordre  ; 

2°  De  la  connaissance  de  deux  méthodes  de 
coupe  au  moins,  à  désigner,  au  choix  des  aspi- 
rantes, parmi  celles  dont  un  exemplaire  aura  élé 
déposé  au  Musée  pédagogique. 

Art.  4.  Le  certificat  d'aptitude  de  second  ordre 
prend  le  titre  de:  Certificat  d'aptitude  à  l'ensei- 
gnement de  la  couture  et  de  la  confection  dans  les 
écoles  communales. 

Il  est  exigé  de  toute  institutrice  qui  voudra  di- 
riger une  classe  de  couture,  de  coupe  et  d'assem- 
blage dans  une  école  primaire  ou  professionnelle. 

Art.  h.  Ne  peuvent  être  admises  à  l'examen  du 
certificat  d'aptitude  de  second  ordre  que  les  as- 
pirantes qui  appartiennent  à  l'enseignement  pu- 
blic ou  libre  et  qui  justifient  : 

r  De  la  possession  du  brevet  élémentaire; 

2°  De  la  connaissance  d'une  méthode  de  coupe 
au   moins,  à  désigner,  au  choix  des  aspirantes, 


VÊTEMENTS  (COUPE 


—  2487  — 


VIE  HUMAINE  (AGES) 


parmi  celles  dont  un  exemplaire  aura  été  déposé 
au  Musée  pédagogique. 

Alt.  6.  Le  certificat  d  aptitude  à  In  direction  des 
cours  normaux  est  conféré  par  une  Commission 
d'examen  nommée  chaque  année  par  le  ministre. 

La  Commission  d'examen  tient  une  session  par 
an,  dans  le  courant  de  la  semaine  qui  suit  Pâques. 
L'ouverture  de  la  session  est  fixée  par  le  ministre. 

Art.  7.  Toute  demande  d'inscription  devra  ôtro 
adressée,  quinze  jours  au  moins  avant  la  date  fixée 
pour  l'ouverture  do  la  session,  au  ministère  de 
l'instruction  publique  (Direction  de  l'enseigne- 
ment primaire,  1"  bureau). 

Chaque  aspirante  devra  joindre  à  sa  demande 
une  copie  de  son  brevet  de  capacité  et  indiquer 
sur  quelles  méthodes  elle  préfère  subir  l'examen. 

Art.  8.  L'examen  se  compose  : 

1°  D'une  épreuve  de  lingerie  :  coupe  et  confec- 
tion d'une  chemise  de  femme  et  d'un  pantalon 
d'enfant. 

2"  D'une  des  deux  épreuves  suivantes  qui  sont 
tirées  au  sort  :  confection  d'un  corsage  ;\  basques 
pour  grande  personne,  ou  d'une  robe  princesse 
pour  petite  fille. 

Les  exercices  se  rattachant  à  l'une  ou  à  l'autre 
de  ces  épreuves  sont  au  nombre  de  quatre  : 

1°  Les  aspirantes  sont  appelées,  chacune  à  leur 
tour  et  d'après  leur  ordre  de  classement,  i  faire, 
devant  le  jury,  une  leçon  au  tableau  noir  d'après 
deux  méthodes  désignées  par  elles;  elles  compa- 
reront ces  méthodes  et  auront  à  répondre  à  des 
questions  théoriques  sur  l'enseignement  métho- 
dique de  la  coupe  et  des  travaux  d'aiguille  en 
général;  sur  l'emploi  et  le  maniement  de  la  ma- 
chine h  coudre.  —  Cette  épreuve  est  élimina- 
toire ; 

2°  Chaque  aspirante  prend  les  mesures  sur  le 
mannequin  qui  lui  a  été  désigné  et  dessine,  d'a- 
près ces  mesures  et  conformément  aux  principes 
de  la  méthode  indiquée  dans  sa  demande,  le  pa- 
tron du  vêtement  qu'elle  aura  ensuite  Ji  confec- 
tionner; 

.3"  Coupe  et  assemblage  du  vêtement  d'après  le 
tracé  du  patron  qui  aura  fait  l'objet  de  la  pre- 
mière épreuve  ;  premier  essayage  sur  les  manne- 
quins qui  ont  servi  à  prendre  les  mesures  ;  recti- 
fications, s'il  y  a  lieu,  en  expliquant  pourquoi  on 
les  fait  et  d'après  quel  principe  ; 

4°  Couture  d'une  partie  du  corsage;  façon  d'une 
boutonnière.  Essayage  définitif. 

Art.  9.  Les  points  se  comptent  de  1  à  iO.  Les 
aspirantes  n'ayant  pas  obtenu  la  moyenne  dans  la 
première  épreuve  ne  sont  pas  admises  à  continuer 
l'examen. 

Art.  10.  Le  certificat  d'aptitude  à  l'enseigne- 
ment des  travaux  de  couture  et  de  confection 
do?is  les  écoles  coynmunales  est  conféré  par  des 
commissions  locales  nommées  par  le  recteur  de 
l'académie  et  composées  de  cinq  membres  au 
moins. 

Art.  11,  Les  commissions  locales  tiennent  une 
session  par  an. 

Art.  12.  Toute  demande  d'inscription  devra  être 
adressée,  quinze  jours  au  moins  avant  la'date  fixée 
pour  l'ouverture  de  la  session,  au  recteur  de 
l'académie. 

Chaque  aspirante  devra  joindre  à  sa  demande 
une  copie  de  son  brevet  de  capacité  et  indiquer 
sur  quelle  niéihode  elle  préfère  subir  l'examen. 
Art.  13.  L'examen  se  compose  : 
1°  D'une  épreuve  de  coulure:  une  pièce  d'en- 
semble présentant  les  différents  points  de  cou- 
ture ; 

2°  D'une  des  deux  épreuves  suivantes  qui  sont 

tirées  au  sort  :  confection  d'un  corsage  à  basques 

pour   grande  personne,  ou  d'une  robe  princesse 

pour  petite  fille. 

Les  exercices  se  rattachant  à  l'une  ou  à  l'autre 


de  ces  deux  épreuves  sont  au  nombre  de  quatre. 

1"  Les  aspirantes  sont  appelées,  chacune  i  leur 
tour  d'après  leur  ordre  de  classement,  i  faire,  de- 
vant le  jury,  une  leçon  au  tableau  noir  d'après  la 
méthode  qu'elles  ont  apprise.  Elles  auront  à  ré- 
pondre :\  des  questions  théoriques  sur  l'enseigne- 
ment méthodiiiue  de  la  coupe  et  des  travaux  d'ai- 
guille en  général  ;  sur  l'emploi  et  le  maniement 
de  la  machine  à  coudre. 

2"  Chaque  aspirante  prend  les  mesures  sur  le 
mannequin  qui  lui  a  été  désigné  et  dessine,  d'après 
ces  mesures  et  conformément  aux  principes  de  la 
méthode  indiquée  dans  sa  demande,  le  patron  du 
vêtement  qu'elle  aura  ensuite  à  confectionner; 

'i"  Coupe  et  assemblage  du  vêtement  d'après  le 
tracé  du  patron  qui  aura  fait  l'objet  de  la  première 
épreuve  ;  premier  essayage  sur  les  mannequins 
qui  ont  servi  i  prendre  les  mesures;  rectifica- 
tions, s'il  y  a  lieu,  en  expliquant  pourquoi  on  les 
fait  et  d'après  quel  principe; 

■!°  Couture  d'une  partie  du  corsage;  façon  d'une 
boutonnière;  essayage  définitif. 

Art.  14.  L'enseignement  complet  de  la  coupe  et 
de  l'assemblage  exige,  au  maximum,  de  vingt- 
cinq  à  trente  leçons  de  deux  heures  et  demie  à 
trois  heures  chacune. 

Dans  les  cours  normaux,  l'enseignement  obliga- 
toire comprendra  : 

1°  Les  travaux  usuels  d'aiguille  ; 

2°  La  confection  de  robes  à  corsage  rond  et  de 
robes  à  corsage  à  basques; 

3°  La  confection  de  robes  et  de  tabliers  princesse 
pour  petite  fille. 

L'enseignement  des  autres  vêtements,  dont  les 
patrons  peuvent  être  donnés  dans  les  différentes 
méthodes  de  coupe,  est  facultatif,  au  moins  quant 
à  présent. 

L'ordre  des  matières  et  la  répartition  du  temps 
sont  réglés  par  les  professeurs. 

Art.  lô.  L'enseignement  sera  tout  à  la  fois  théo- 
rique et  pratique.  On  commencera  par  donner  aux 
élèves  une  idée  générale  des  méthodes  et  des  prin- 
cipes qui  leur  servent  de  base.  On  passera  ensuite 
à  l'application  de  la  méthode  particulière  dont  la 
directrice  du  cours  a  fait  choix. 

VIE  Hi;.«AlNE  (.VGliS).  —  Hygiène,  l.  — 
n  La  vie  est  un  voyage  o,  dit  le  vieil  opéra  de 
Mozart,  et  rien  n'est  plus  juste,  physiologiquement 
parlant,  que  cette  image  de  la  vie.  Le  voyage  de 
l'homme  sur  la  terre  se  déroule  à  travers  des  éta- 
pes successives,  qui,  de  la  naissance,  l'amènent 
lentement  jusqu'à  un  dernier  asile  :  ou,  pour  par- 
ler un  langage  plus  scientifique,  la  vie  est  une 
évolution,  qui  a  son  point  d'origine,  ses  phases 
régulières  de  développement,  puis  sa  décroissance 
graduelle  et  sa  terminaison.  Dans  l'embryon  à 
peine  déjà  visible,  il  semble  qu'une  mystérieuse 
puissance  soit  cachée:  d'abord  pleine  d'énergie, 
elle  le  développe,  de  métamorphose  en  métamor- 
phose, jusqu'à  ce  qu'il  ait  réalisé  la  forme  par- 
faite de  l'être  humain  ;  moins  active  alors,  elle 
suffit  cependant  à  maintenir  longtemps  intacte 
cette  forme  qu'elle  a  créée  ;  mais  bientôt  sa  force 
semble  se  lasser,  elle  s'affaiblit,  laisse  se  dégrader 
son  œuvre,  et  enfin,  épuisée,  elle  s'éteint,  et  la 
destruction  s'empare  de  l'être  vivant.  Ces  étapes, 
ces  phases  successives  sont  ce  que  l'on  a  appelé 
les  âges  de  l'homme. 

Toute  division  des  âges  est  fatalement  artifi- 
cielle ;  car  il  n'y  a  pas  d'arrêts,  ni  d'interruptions 
dans  le  développement  de  la  vie,  et  les  périodes 
se  succèdent  les  unes  aux  autres  par  des  transi- 
tions insensibles.  Aussi  les  divisions  adoptées  dif- 
fèrent-elles suivant  les  autours. 

La  plus  antique  de  ces  divisions  fait  partie  du 
système  quaternaire,  qui  admettait  quatre  élé- 
ments, quatre  saisons,  quatre  qualités,  quatre  hu- 
meurs, etc.;    elle  distinguait   quatre  âges,  l'en- 


VIE  HUMAINE  (AGES)        —  2488  —         VIE  HUMAINE  (AGESl 


fance,  l'adolescence.  1  ago  mûr,  la  vieillesse.  — La 
classification  liippocratique,  presque  aussi  an- 
cienne, est  fondée  sur  les  mystérieuses  propriétés 
du  nombre  sept",  elle  admet  «  sept  saisons,  qu'on 
appelle  âges:  le  petit  enfant,  l'enfant,  l'adolescent, 
le  jeune  homme,  l'homme  fait,  l'homme  âgé, 
le  vieillard  ».  Ces  âges  so  succèdent  de  sept  en 
sept  ans. 

Les  classifications  modernes,  presque  aussi  nom- 
breuses que  les  auteurs,  nous  paraissent  avoir 
multiplié  à.  l'excès  les  périodes,  et  établi  ainsi  des 
distinctions  imaginaires,  que  rien  ne  justifie  dans 
la  réalité  :  c'est  ainsi  que  Fleury  a  pu  admettre 
jusqu'i  dix  âges  dift'érents. 

Nous  adopterons  la  division  suivante,  plus  sim- 
ple, et  qui  ne  compte  que  sept  périodes  : 

1°  Vie  fœtale. 

2°  Première  enfance  —  de  0  à  2  ans. 

3°  Seconde  enfance  —  de  2  à  13  ans. 

4"  Adolescence  —  de  13  à  20  ans. 

b"  L'âge  adulte  —  de  20  à  45  ans. 

6°  L'âge  de  retour  —  de  45  i  00  ans. 

7°  La  vieillesse  —  de  60  ans  jusqu'à  la  mort. 

1°  Vie  fœtale.  —  Cette  période  originelle,  qui 
s'étend  depuis  la  première  apparition  de  l'em- 
bryon dans  le  sein  de  sa  mère,  jusqu'au  moment 
de  sa  naissance,  a  une  durée  normale  de  neuf  mois 
pleins."  elle  peut,  par  exception,  se  termiiier  au 
bout  de  huit  mois,  de  sept  mois  même;  plus 
courte,  elle  aboutit  généralement  à  la  mort  de 
l'enfant,  et  constitue  alors  toute  son  existence.  Elle 
est  caractérisée  par  des  phénomènes  extrêmement 
rapides  de  développement,  et  d'accroissement  : 
mais  on  la  voit,  en  certains  cas  anormaux,  pré- 
senter des  déviations  de  ces  phénomènes  et  abou- 
tir à,  des  malformations  diverses,  dont  les  plus 
graves  peuvent  entraîner  la  mort  immédiate  de 
l'embryon  ou  la  mort  ultérieure  de  l'enfant 
(monstres  de  tout  genre,  bec-de-lièvre,  hydrocé- 
phalie, idiotie,  surdi-mutité,  etc.). 

L'existence  de  l'être  humain  est,  pendant  toute 
cette  période,  étroitement  liée  à  celle  de  sa  mère, 
dans  le  sang  de  laquelle  il  puise  les  matériaux  de 
sa  propre  nutrition.  Aussi  rh\giène  de  la  vie  fœ- 
tale n'est-elle  autre  chose  que  l'hygiène  même  de 
la  mère,  laquelle  peut  se  résumer  dans  les  quatre 
points  suivants  :  s'astreindre  à.  une  alimentation 
particulièrement  reconstituante,  afin  de  faire  face 
à  une  double  nutrition  —  faire  usage  de  vêlements 
amples  et  renoncer  aux  corsets  serrés  et  rigides,  — 
proscrire  tout  bain  chaud,  soit  bain  entier,  soit 
|)Cdiluve,  —  faire  de  l'exercice  en  plein  air  tout  en 
se  préservant  des  secousses  et  en  évitant  les 
mouvements  violents,  danse,  équitation,  etc.,  — 
enfin  se  garder  de  toute  émotion  vive. 

2°  Première  enfance  (de  0  ù.  2  ans).  —  L'homme 
est,  au  moment  de  son  apparition  à  la  lumière,  le 
plus  faible,  le  plus  désarme  des  animaux.  Son 
corps  nu,  sans  défense  naturelle  contre  le  froid 
extérieur,  subit  une  redoutable  épreuve  dans  ce 
brusque  passage  du  milieu  maternel  au  milieu 
aérien  :  aussi  le  froid  est-il  le  pire  ennemi  du 
nouveau-né.  De  plus,  le  tube  digestif  se  trouve 
subitement  appelé  à  une  activité  nouvelle,  à 
laquelle  aucune  transition  ne  l'a  préparé.  De 
là,  pour  l'enfant  qui  vient  de  naître,  une  double 
cause  de  maladie  et  de  mort  :  le  refroidissement 
■d'une  part,  la  fatigue  des  organes  digestifs  de 
l'antre. 

Contre  la  première,  l'hygiène  recommande  la 
plus  grande  attention  à  couvrir  chaudement  le 
petit  être,  à  le  soustraire  aux  variations  brusques 
de  température,  à  le  maintenir  au  besoin  dans  un 
appartement  chaulTé,  h  l'envelopper  de  coton,  de 
ouate  au  premier  signe  de  maladie.  Sans  doute 
elle  prosent  l'usage  de  l'antique  maillot,  véritable 
appareil  de  torture,  qui  emprisonnait  les  membres 
de  l'enfant  et  entravait  son  développement.  Mais 


elle  voit  également  d'un  mauvais  œil  la  réaction 
exagérée  qui  s'est  récemment  produite  dans  nos 
mœurs,  l'abus  des  vêtements  trop  amples  et 
légers,  une  liberté  excessive  laissée  aux  mouve- 
ments de  l'enfant,  et  par-dessus  tout  cette  pratique 
des  lavages  froids,  d'importation  anglaise,  qui  sera 
précieuse  à  quelque  temps  de  là,  quand  l'enfant 
aura  déjà  pris  quelque  vigueur,  mais  qui  est 
funeste  à  cette  époque  d'extrême  fragilité. 

Contre  la  seconde  cause  de  périls,  l'hygiène  et 
la  morale  sont  d'accord  pour  prescrire,toutes  les  fois 
qu'il  est  possible,  l'allaitement  maternel.  On  ne 
viole  pas  impunément  l'ordre  établi  par  la  nature  : 
elle  a  pris  soin  de  préparer  à  l'enfant  un  aliment 
merveilleusement  approprié  à  ses  besoins  et  à  ses 
forces  digestives,  dont  la  richesse  nutritive,  d'abord 
faible,  va  croissant  avec  son  âge,  et  que  l'artifice 
de  l'uUaitement  artificiel  ne  peut  jamais  imiter 
exactement.  C'est  cet  aliment,  à  l'exclusion  de  tout 
autre,  qu'il  faut  au  nouveau-né.  La  mère  doit  donc, 
en  règle  générale,  allaiter  son  enfant  ;  l'expérience 
a,  du  reste,  montré  que  l'oubli  de  ce  grand 
devoir  est  funeste  à  la  moralité  de  la  famille,  et 
qu'à  toutes  les  époques,  il  est  apparu  comme  l'un 
des  plus  sûrs  indices  d>'  la  corruption  des  mœurs  ; 
il  est  l'un  des  tristes  privilèges  des  familles  amol- 
lies par  le  luxe  et  par  l'oisiveté:  c'est  ainsi  que 
saint  Louis  parait  avoir  été  le  seul  de  nos  rois 
qui  ait  été  nourri  du  lait  de  sa  mère. 

L'hygiène  du  nouveau-né  est  un  des  problèmes 
sociaux  dont  l'intérêt  est  le  plus  palpitant,  car  elle 
règle  le  progrès  de  la  population,  et  par  suite 
la  force  et  la  richesse  de  l'Etat.  Plus  de  cent  mille 
enfants  meurent  annuellement  en  France,  de  mi- 
sère, de  faim,  de  négligences.  «  Un  enfant  qui  naît, 
dit  M.  Beriillon,  a  moins  de  chances  qu'un  homme 
de  90  ans  de  vivre  uhe  semaine,  et  moins  de  chan- 
ces qu'un  octogénaire  de  vivre  un  an.  »  A  Paris, 
dans  les  classes  pauvres,  la  morlalitc  est  de  8U  pour 
liiO  !  Dans  l'ensemble  de  la  France,  plus  d'un  cin- 
quième des  enfants  qui  naissent  est  mort  avant 
un  an.  Et  si  l'on  rapproche  ces  chiffres  effrayants 
de  ceux  qui  expriment  la  moyenne  des  naissances, 
si  l'on  réfléchit  que  nous  comptons  à  peine  2  nais- 
rances  pour  100  individus,  alors  que  l'Allemagne 
en  compte  près  de  4,  et  que  notre  pupulation  met 
à  se  doubler  nu  années,  alors  qu'en  Prusse  ce  dou- 
blement s'clïectue  en  42  ans,  on  ne  peut  se  défen- 
dre de  frémir,  pour  notre  pays,  d'une  aussi  terrible 
mortalité  enfantine.  L'Académie  de  médecine 
a  signalé,  au  nombre  des  principales  causes  de 
cette  mortalité,  l'industrie  nourricière  'nourrices 
sur  lieux  et  nourrices  à  emporter),  le  transport 
prématuré  des  enfants  pour  le  baptême  et  pour 
la  déclaration  de  naissance,  et  l'absence  d'une  loi 
sur  la  vaccination  obligatoire. 

Une  disposition  légale  toute  récente,  qui  répond 
à  quelques-unes  de  ces  préoccupations,  a  placé  les 
nourrissons  sous  la  surveillance  d'un  comité  de 
protection,  qui  fonctionne  au  chef- lieu  du  dépar- 
tement. L'institution  des  crèches  paraît  aussi  une 
mesure  utile,  malgré  les  objections  tirées  de 
l'encombrement,  de  l'entassement  des  enfants,  et 
de  l'extrême  cherté  de  leur  entretien.  Il  ne  faut 
pas  oublier  que  l'iiumoralité  a  des  rapports  étroits 
et  sinistres  avec  la  mortalité  enfantine.  Voici  des 
chifi'res  qui  mettent  ces  rapports  dans  un  jour  sai- 
sissant: il  y  a,  en  France,  un  enfant  illégitime  sur 
13,80  des  naissances  totales,  — il  y  a  un  enfant 
abandonné  sur  ",'8,96  des  naissances  totales,  et  un 
enfant  abandonné  sur  ".!,li9  des  naissances  illégitimes 
—  il  meurt- en  moyenne  21  pour  lilO  des  enfants 
légitimes,  tandis  qu'il  meurt  40  et  même  45  pour  100 
des  enfants  naturels.  Toute  mesure  qui  atteint  le 
vice  et  le  diminue,  ou  qui  contribue  à  la  pureté 
des  mœurs,  a  donc  une  ai  tion  directe  et  puissante 
sur  la  viabilité  des  enfants,  dont  elle  relève  imuic- 
dlatemenl  le  cbilîre. 


VIE  HUMAINE  (AGES) 


2489  —         VIE  HUMAINE  (AGES) 


Si  l'enfant  est  entouré  des  soins  nécessaires,  et 
de  toutes  les  conditions  favorables  de  développe- 
ment, il  ne  faut  pas  croire  que  l'extrônie  fraf;ililé 
des  premiers  jours  se  prolonRe  longtemps.  Au 
bout  do  peu  de  mois,  le  petit  être  a  pris  une  vi- 
talité singulière,  ()ui  se  révèle  par  un  accrois- 
sement d'une  extrême  rapidité  et  par  une  éner- 
gique résistance  aux  influences  morbides  et  à  la 
maladie  môme  une  fois  déclarée.  Chez  lui,  lo  tra- 
vail d'assimilation  l'emporte  de  beaucoup  sur  le 
travail  de  décomposition  ;  les  recettes  organiques 
dépassent  les  dépenses,  en  sorte  qu'il  y  a  une 
plus-value  considérable  du  budget  vital;  le  poids 
croissant  de  l'enfant  exprime  matliématiquement 
cette  plus-value,  lîlle  s'explique  du  reste  aisément 
par  ce  fait  que  la  vie  de  l'enfant  se  partage  pres- 
que également  entre  deux  occupations  uniques, 
téter  et  dormir,  ce  qui,  pliysiologiquemont,  équi- 
vaut à  encaisser  et  ne  pas  dépenser.  Aussi  faut-il 
être  très  attentif  à  fournir  à  cette  puissante  assi- 
milation un  aliment  de  première  catégorie,  sous 
peine  de  voir  survenir  de  véritables  troubles  d'i- 
nanition (rachitisme,  anémie,  athrepsie)  ;  à  par- 
tir de  quatre  mois,  on  pourra  aider  l'allaitement  de 
quelques  préparations  farineuses,  potages,  pa- 
nades, etc. 

L'enfant  va  d'ailleurs  avoir  à  subir  la  redouta- 
ble épreuve  de  la  dentition.  L'éruption  des  pre- 
mières dents,  ou  denix  de  lait,  commence  vers  la 
fin  du  sixième  mois,  lille  débute  par  les  incisives  su- 
périeures, puis  s'arrête  quelque  temps.  Vers  le  troi- 
sième semestre  apparaissent  les  quatre  premières 
molaires  et  les  incisives  inférieures.  Les  canines 
ne  se  montrent  que  dans  le  courant  du  quatrième 
semestre,  et  les  quatre  autres  molaires  vers  le 
trentième  mois.  Cette  première  dentition,  com- 
posée de  vingt  dents  seulement,  suffira  à  l'enfant 
jusque  vers  l'âge  de  sept  ans.  Elle  amène  quelques 
troubles  généralement  légers,  fièvre,  diarrhée, 
douleur,  parfois  plus  graves,  tels  que  les  convul- 
sions, et  commande  un  redoublement  de  soins. 

C'est  pendant  l'une  des  périodes  de  calme  de  la 
dentition  qu'il  convient  de  sevrer  l'enfant.  A  quel 
âge  doit-on  cesser  l'allaitement?  Question  encore 
débattue,  mais  sur  laquelle  on  ne  risque  guère  de 
se  tromper  en  fixant  l'époque  du  sevrage  entre  le 
quinzième  et  le  dix- huitième  mois.  Il  vaudra  mieux 
déshabituer  rapidement  le  petit  être  en  ((uelques 
jours,  que  de  prolonger  la  transition  pendant 
plusieurs  seraaijies.  Mais  il  faudra  prendre  soin 
de  substituer  au  lait  maternel  des  aliments  choisis 
de  façon  h  le  remplacer  avec  avantage,  et  veiller  ii 
ce  que  la  nutrition  y  gagne,  loin  qu'elle  y  perde. 
3"  Secu7ide  enfance  (de  2  à  13  ans;.  —  Pen- 
dant cette  longue  période,  la  nutrition  conti- 
nue à  fournir  un  excédent  de  recettes  :  toutefois 
le  mouvement  de  composition,  comparé  au  mou- 
vement de  décomposition,  a  déjà  perdu  quelque 
chose  de  l'extrême  activité  des  premiers  jours  de 
la  vie.  Il  commence  déjà  h.  manifester  un  ralentis- 
sement, d'abord  à  peine  sensible,  mais  qui  ira 
croissant  avec  les  années.  Les  repas  n'ont  plus 
lieu  toutes  les  deux  heures,  comme  ceux  du  nour- 
risson; ils  sont  moins  fréquents,  et  bientôt  il  n'en 
subsiste  plus  que  quatre  par  •.'4  heures.  Le  som- 
meil aussi  diminue,  cesse  de  remplir  tout  l'inter- 
valle des  repas,  et  disparaît  peu  à  peu  de  la  jour- 
née pour  ne  plus  occuper  que  les  heures  de  la 
nuit.  A  mesure  qu'il  se  retire,  on  voit,  dès  le  dé- 
but de  la  seconde  enfance,  apparaître  l'exercice, 
qui  contribue  puissamment,  par  l'usure  des  tissus, 
à  ralentir  le  mouvement  d'acquisition  organique  : 
il  devient  de  plus  en  plus  cojisidérable,  et  finit 
par  remplir,  dans  la  vie  de  l'enfant,  presque  toute 
la  place  qu'occupait  d'abord  le  sommeil  diurne. 

Cne  nouvelle  fonction  se  révèle,  dont  il  n'exis- 
tait jusque-là  que  le  germe  :  la  pensée.  L'intelli- 
gence, obscure  d'abord,  et  bornée  au  seul  instijict. 


se  développe  rapidement  Ji  partir  de  la  deuxième 
année,  créant  le  langage  et  dotant  l'être  humain 
de  facultés  psychii)ues  qui  iront  se  perfectionnant 
indéfiniment,  peut-être  toute  sa  vie,  et  qui  seront 
désormais  sa  véritable  caractéristique.  Le  nouveau- 
né  ne  différait  pas  sensiblement  du  jeune  animal, 
sinon  par  son  extrême  débilité  :  l'enfant  de  deux 
ans  est  déj.'i  un  homme,  il  pense,  il  juge,  il  parle. 
L'évolution  du  système  dentaire  persiste  et  se 
termine  presque  entièrement,  appropriant  l'appa- 
reil de  la  mastication  à  une  besogne  de  plus  en 
plus  considérable.  Aux  environs  de  la  cinquième 
aimée  apparaissent  quatre  molaires  nouvelles,  qui 
portent  h  24  le  nombre  total  des  dents.  Vers  la 
sixième  année,  toutes  les  dents  de  lait  tombent 
les  unes  après  les  autres,  et  sont  remplacées  par 
autant  de  dents  définitives,  plus  solides,  mieux 
enracinées.  Enfin,  vers  l'âge  de  douze  ans,  se 
montrent  quatre  grosses  molaires,  qui  complètent, 
jusqu'à  l'éruption  tardive  des  dents  de  sagesse,  la 
seconde  dentition.  Phénomène  remarquable,  et 
qui  prouve  combien  le  jeune  enfant  a  pris  de  vi- 
gueur et  de  stabilité  :  toute  cette  évolution  den- 
taire passe,  pour  ainsi  dire,  inaperçue  de  l'orga- 
nisme, et  ne  provoque  rien  qui  ressemble  à  l'orage 
de  la  première  naissance  des  dents. 

Toutefois  cette  stabilité  vitale  n'est  pas  encore 
telle  que  l'enfant  puisse  impunément  se  passer 
des  soins  les  plus  attentifs.  La  prodigieuse  quan- 
tité de  mouvements  qu'il  fournit,  jointe  aux  pro- 
grès de  sa  croissance,  exige  que  l'alimentation 
soit  éminemment  réparatrice  et  suffisamment 
abondante  :  elle  se  composera,  en  harmonieuse 
proportion,  des  hydrocarbures  nécessaires  au 
mouvement,  et  des  matériaux  azotés  indispensables 
à  l'accroissement  des  tissus  :  elle  sera,  en  outre, 
fréquente,  pour  ravitailler  l'active  machine  vi- 
vante au  fur  et  à  mesure  de  ses  pertes  rapides  ; 
elle  proscrira  les  alcools  et  les  autres  stimulants, 
dangereux  à  cet  âge. 

Le  développement  naturel  et  bientôt  le  déve- 
loppement artificiel  de  l'intelligence  sontune  grave 
épreuve  pour  le  jeune  organisme.  La  fréquence 
significative  des  maladies  nerveuses,  convulsions, 
méningites,  cliorée,  épilepsie,  paralysie  inlantile, 
indiquent  assez  la  crise  que  subit  le  cerveau,  et 
l'attention  extrême  que  l'on  doit  apporter  à  ne  pas 
le  surmener,  à  ne  pas  hâter  outre  mesure  son 
évolution,  à  lui  épargner  également  un  travail 
excessif  et  les  émotions  dangereuses.  Il  faudra 
particulièrement  veiller  à  ce  que  la  durée  du 
sommeil,  en  dépit  de  sa  décroissance  physiologi- 
que, reste  largement  suffisante  pour  reposer  l'ap- 
pareil nerveux.  Onze  à  dix  heures  de  sommeil 
dans  la  première  moitié  de  cette  période,  jamais 
moins  de  neuf  heures  dans  la  seconde  moitié,  telle 
est  à  peu  près  la  règle  hygiénique. 

C'est  dans  cet  âge  de  la  seconde  enfance  que  le 
petit  être  acquiert  ce  qu'on  pourrait  appeler  sa 
personnalité  constitutionnelle,  son  idiosyncrasie  ; 
c'est  à  cette  époque  que  .se  fonde  insensiblement 
le  tempérament,  que  l'enfant  devient  ou  nerveux, 
ou  lymphatique,  ou  sanguin,  ou  qu'il  acquiert  le 
germe  de  maladies  ultérieures,  et  que,  d'une  façon 
générale,  il  incline  vers  la  débilité  ou  vers  la  vi- 
gueur. Le  phénomène  parallèle  dans  son  être 
moral  évolue  bien  plus  lentement,  ne  se  termine 
que  beaucoup  plus  tard,  reste  bien  plus  longtemps 
accessible  aux  influences  directrices  ou  curatrices. 
De  là  la  nécessité  de  surveiller  particulièrement 
cette  période  du  développement  organique,  et  d'in- 
tervenir, s'il  y  a  lieu,  avant  que  la  déviation  de  ce 
développement  ne  soit  devenue  définitive.  Que 
les  parents  n'oublient  jamais  ce  point  capital  : 
c'est  entre  6  et  10  ans  que  se  fonde  la  santé  ou 
la  faiblesse  ;  et  c'est  alors  que  l'on  est  le  mieux 
armé  pour  assurer  la  première  et  écarter  la 
seconde. 


VIE  HUMAINE  (AGES) 


2400  — 


VIE    HUMAINE  (AGES) 


i°  Adolescence  (de  13  à  20  ans).  —  Cet  âge  est  ca- 
ractérisé par  le  développement  des  fonctions  re- 
productrices, jusque-là  embryonnaires,  par  le 
ralentissement  de  l'accroissement  organique,  et 
par  le  caractère  définitif  que  revêtent  les  progrès 
de  l'être  tout  entier,  aussi  bien  ses  progrès  physi- 
ques que  ceux  de  son  intelligence.  Les  contours 
se  fixent,  s'arrêtent,  ceux  de  l'esprit  comme  ceux 
de  la  figure.  Une  vigueur  croissante  achemine 
l'être  physique  et  l'être  moral  au  plein  et  puissant 
équilibre  de  la  virilité.  Age  charmant,  qui  est 
bien  le  printemps  de  la  vie,  car  il  est  la  saison  où 
tout,  dans  le  jeune  enfant,  s'épanouit  et  fleurit  à 
la  fois.  Age  critique  aussi,  il  ne  faut  pas  l'oublier, 
où  l'enfant  subit  une  redoutable  métamorphose, 
renonce  de  plus  en  plusîi  la  vie  animale  pour  faire 
prédominer  la  vie  du  système  nerveux,  et  où  il 
perd  l'insouciance  du  premier  âge,  pour  revêtir 
le  sérieux  et  les  passions  de  l'homme. 

La  crise  morale  est,  pour  le  jeune  garçon,  plus 
dangereuse  que  la  crise  physique.  L'inverse  est 
vrai  de  la  jeune  fille  :  chez  celle-ci  l'établisse- 
ment de  la  fonction  menstruelle,  alors  même  qu'il 
se  fait  normalement,  crée  un  appauvrissement, 
une  spoliation  organique,  qui  se  traduit  presque 
aussitôt  par  l'arrêt  définitif  de  la  croissance.  Et 
trop  souvent  l'apparition  de  la  nouvelle  fonction 
suscite  un  véritable  orage,  d'où  la  jeune  fille  sort 
anémique,  débile,  nerveuse.  C'est  pourquoi  il  est 
indispensable  d'entourer  ce  délicat  épanouisse- 
ment de  la  femme  de  précautions  multipliées, 
parmi  lesquelles  l'excellence  de  l'alimenUtion, 
l'exercice,  l'hydrothérapie,  les  bains  de  mer,  figu- 
rent au  premier  rang. 

5°  Age  mùr  (de  2u  à  45  ans;.  —  Cette  courte  pé- 
riode de  vingt-cinq  années  est,  au  point  de  vue 
physiologique,  le  plein  de  la  vie  :  c'est  le  moment 
rapide  où,  le  développement  ayant  pris  fin  et  la  dé- 
génération  n'ayant  pas  commencé,  l'état  physique  de 
l'être  est  un  harmonieux  et  actif  équilibre,  une 
merveilleuse  pondération  des  pertes  et  des  recet- 
tes. C'est  l'âge  où  les  forces  de  l'organisme  sont 
à  leur  apogée,  où  la  résistance  i  la  destruction 
est  le  plus  énergique,  où  les  chances  de  vie  sont 
le  plus  considérables.  C'est  aussi  l'âge  où  se  ma- 
nifeste généralement  la  plus  grande  activilé  de 
l'être  moral,  où  l'iiomme  produit  la  plus  grande 
somme  de  travail,  savoure  le  plein  usage  de  ses 
facultés,  se  livre  h  ses  passions,  nobles  ou  infé- 
rieures, fonde  la  famille,  et  connaît  la  plus  grande 
partie  des  joies  ou  des  souffrances  qui  doivent 
traverser  sa  vie. 

Le  terme  de  vingt-cinq  années,  que  nous  avons  as- 
signé à  cette  phase  heureuse  de  la  vie,  n'est  qu'une 
moyenne  approximative.  Nul  ne  doit  désespérer 
de  la  reculer  bien  plus  loin.  11  est  certain  qu'un 
homme  naturellement  vigoureux,  s'il  fait  un  pru- 
dent usage  de  ses  forces  et  qu'il  évite  de  les  user 
prématurément  dans  les  fatigues,  les  privations 
ou  les  excès,  pourra  les  conserver  entières  dix  ou 
même  quinze  années  de  plus  et  entrer,pour  ainsi  dire, 
jeune  encoi-e  dans  la  vieillesse.  Malheureusement 
une  pareille  sagesse  est  rare  :  il  faut  dire  que  l'à- 
preté  de  la  concurrence  vitale  la  rend  le  plus  sou- 
vent impossible,  en  obligeant  l'homme  à  faire,  en 
peu  d'années,  une  énorme  dépense  de  son  énergie 
physique  ou  morale.  La  civilisation  a  augmenté 
dans  une  efl'rayante  proportion  le  fardeau  de  la 
vie,  sans  qu'elle  ait  ajouté  un  atome  à  la  vigueur 
de  l'organisme  :  bien  au  contraire,  elle  la  dimi- 
nue li-ntement,  par  une  usure  toujours  croissante, 
qui  appauvrit  d'abord  l'individu,  et  ensuite,  par 
hérédité,  atteint  l'espèce. 

Une  science  tout  entière,  qui  ne  se  peut  résu- 
mer ici,  l'hygiène,  règle  les  mesures  à  prendre 
pour  prolonger  aussi  loin  que  possible  cet  harmo- 
nieux équilibre  des  fonctions.  Nous  n'en  dégageons 
que  ce  principe  fondamental,   qui  fut  aussi  celui 


d'une  philosophie  :  suivre  la  nature  ;  il  implique 
la  sobriété ,  l'exacte  satisfaction  des  besoins  , 
l'exercice  proportionnel  de  toutes  les  fonctions,  et 
non  dune  seule  au  détriment  des  autres,  enfin  la 
réglementation  métliodique  de  la  vie,  de  façon  \ 
en  corriger  les  incessantes  déviations  et  à  la  ra- 
mener à  son  type  naturel. 

C'est  vers  la  trentième  année  que  le  corps  de 
l'homme  atteint  son  plus  haut  point  de  perfection 
pour  la  stature  et  les  proportions  de  sa  forme. 
Toute  la  gracilité  du  jeune  âge  a  achevé  de  di^pa- 
raitre.  Les  masses  musculaires  fortement  saillan- 
tes, leurs  contours  durement  accusés,  le  tronc 
carré,  les  membres  épais,  la  voix  forte  et  grave, 
les  traits  du  visage  bien  nianiués,  la  démarche 
ferme  et  hardie,  le  geste  harmonieux,  rapide,  pré- 
cis, le  feu  divin  de  la  physionomie,  tout  dans 
l'homme  exprime  alors  la  force  sûre  d'elle-même, 
la  majesté  calme,  le  commandement.  La  femme 
réalise  beaucoup  plus  tôt  le  type  parfait  de  son 
développement  ;  sa  croissance  se  termine  de  bonne 
heure,  et  ses  formes  sont  généralement  définitives 
dès  la  vingtième  année.  Tout  en  elle  est  plus  doux, 
plus  délicat,  plus  arrondi,  plus  fin  :  son  aspect  est 
celui  de  la  grâce,  non  de  la  force,  .et  de  la  beauté, 
non  de  la  majesté. 

fi°  Age  de  retour  (de  45  à  60  ans).  —  C'est  le 
commencement  de  la  période  de  déclin.  L'équi- 
libre s'est  rompu,  la  compensation  est  désormais 
détruite,  l'usure  organique  l'emporte  et  va  l'empor- 
ter de  plus  en  plus  sur  les  acquisitions.  Alors  ap- 
paraissent les  signes  avant-coureurs  de  la  décré- 
pitude, premier  effet  de  cet  affaiblissement  de  la 
force  évolutrice,  qui  ira  croissant  jusqu'à  la  mort. 
Les  dents  s'ébranlent,  se  déchaussent,  tombent  ; 
les  cheveux  blanchissent  et  se  font  rares  :  l'amai- 
grissement du  visage  plisse  la  peau,  la  sillonne  de 
rides  ;  les  muscles  diminuent  de  volume,  perdent 
leur  force  ;  à  mesure  qu'ils  s'atrophient,  la  graisse 
envahit  l'espace  qu'ils  occupaient  :  embonpoint  de 
mauvais  augure,  qui  n'est  que  le  résultat  de  la 
mort  des  tissus.  La  défaillance  de  la  force  vitale 
expose  l'homme  à  l'invasion  des  maladies,  et  le 
ramène  peu  à  peu  à  la  fragilité  de  ses  premières 
années.  C'est  l'époque  des  grandes  maladies 
chroniques,  du  cancer,  de  la  goutte,  du  diabète, 
des  calculs,  etc.  C'est,  pour  la  femme,  l'époque 
où  elle  perd  la  faculté  do  reproduction,  passage 
tellement  périlleux,  qu'il  porte  le  non  d'âge  cri- 
tique. 

Il  est  remarquable  de  voir  la  virilité  de  l'intel- 
ligence survivre  à  celle  des  organes.  Cet  âge  de 
déchéance  physique  est,  pour  la  plupart  des 
hommes,  le  moment  de  leur  pleine  production 
intellectuelle  ;  la  raison  est  restée  aussi  ferme  que 
dans  l'âge  viril  et  s'est  enrichie  de  l'expérience; 
l'esprit  a  perdu  sa  première  fougue,  mais  il  a 
gagné  en  solidité  ce  qu'il  a  perdu  en  spontanéité, 
et  c'est  alors  qu'il  donne  ses  fruits  les  plus  mûrs 
et  les  plus  parfaits. 

""  yieillesse  (de  (iOans  jusqu'à  la  mort).  —  La  dé- 
chéance vitale  augmente  de  jour  en  jour,  le  mou- 
vement de  destruction  s'anime  d'une  vitesse  crois- 
sante. La  circulation  se  ralentit,  la  taille  se 
courbe,  la  peau  se  flétrit,  les  muscles  s'atrophient, 
le  regard  s'éteint,  les  organes  digestifs  s'affaiblis- 
sent, la  voix  se  casse,  chevrote,  la  démarche  perd 
son  assurance.  La  composition  chimique  des  tissus 
se  modifie  notablement  ;  le  caractère  principal  de 
cette  modification  est  la  perte  croissante  de  l'eau 
constitutive;  la  liquidité  étant  une  des  conditions 
indispensables  de  la  vie  des  cellules,  la  diminution 
de  l'eau  implique  le  ralentissement  graduel  des 
phénomènes  intimes  de  la  vie  des  tissus.  Li-s  or- 
ganes du  vieillard  semblent  donc,  par  un  lent 
dessèchement,  s'acheminer  à  la  mort.  Dans  les  cas 
les  plus  heureux  c'est  bien,  en  clfet,  par  le  pro- 
grès régulier  et  fatal  de  cette  extinction  des  phé- 


VIE  IlUMAliNE  (AGES) 


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VIE  HUMAINE  (AGES; 


nonièiics  cellulaires,  quo  se  produit  la  cessation 
do  la  viu  ;  il  vient  un  moment  où  la  somme  des 
actions  cellulaires  cosse  d'être  suffisante  pour  en- 
tretenir les  grandes  fonctions  ;  alors,  pour  user 
d'une  comparaison  aussi  ancienne  qu'elle  est 
exacte,  la  vie  s'éteint,  comme  la  lampe  dont 
l'huile  est  épuisée.  Fin  trop  rare,  et  digne  d'envie, 
en  ce  qu'elle  est  la  terminaison  normale  et  paisi- 
ble do  l'évolution  vitale.  Mais  le  plus  souvent 
c'est  un  accident  qui  vient  liâter  la  destruction  de 
l'être,  en  frappant  un  des  orgajies  principaux,  le 
poumon,  le  cœur  ou  le  cerveau.  La  mort  par  le 
poumon  est,  de  toutes,  la  plus  fréquente,  parce 
qu'il  suffit  d'une  diminution  relativement  peu  con- 
sidérable de  l'action  respiratoire  pour  arrûter  les 
combustions  organiques,  déjà  réduites  au  mini- 
mum. 

Les  facultés  psychiques  subissent  elles  aussi  de 
notables  modificatic>ns.  maisqui  tiennent  aux  elTots 
accumulés  d'une  longue,  expérience,'  et  nullement 
au  contre-coup  de  la  décrépitude  physic|ue.  La 
vie  de  l'âme  peut  et  doit  rester  aussi  intense,  à 
ces  derniers  jours  de  la  vie,  qu'au  temps  de  la 
force  et  de  l'activité  desorganes  :  lorsqu'elle  vient 
à  languir,  chose  fréquente,  c'est  là  le  résultat 
d'une  altération  morbide,  qu'on  ne  peut  nullement 
regarder  comme  inhérente  à  l'évolution  naturelle. 
Mais  si  la  vie  morale  ne  languit  pas,  du  moins  elle 
se  modifie  :  la  longue  succession  des  années  a  trop 
enseigné  au  vieillard  le  prix  de  la  prudence,  de  la 
sagesse,  pour  qu'il  n'ait  pas  quelque  peu  perdu 
l'habitude  de  l'enthousiasme  ;  elle  lui  a  appris 
la  fragilité  des  choses  humaines,  des  joies,  des 
alTections,  des  dévouements,  des  soufl'rances 
même  :  de  là  un  détachement  significatif,  parfois 
entaché  d'égoisme,  qui  caractéri-se  le  couchant  de 
la  vie,  et  donne  à  ce  que  l'on  a  nommé  la  sagesse 
des  vieillards  son  caractère  d'impassible  sérénité. 
Quelle  est  la  durée  probable  de  la  carrière 
humaine  ?  Si  on  fait  entrer  dans  le  calcul  tous  les 
âges  indistinctement,  l'extrême  mortalité  de  la 
première  enfance  abaisse  terriblement  le  chiffre 
de  la  moyenne  :  ce  chift're  se  réduit  alors  à  'A'i 
ans  environ  I  Encore  exprime-til  un  véritable 
pi^ogrès  sur  le  chiffre  constaté  au  siècle  dernier  : 
Duvillard,  qui  opérait  sur  des  statistiques  anté- 
rieures à  la  Révolution,  n'avait  trouvé  que  28 
années  pour  la  durée  moyenne  de  la   vie.  Depuis 


lors  d'immenses  travaux  de  statistique  ont  permis 
d'établir  ces  tables  détaillées  do  mortalité  sur 
lesquelles  repose  tout  le  calcul  des  compagnies 
d'assurance.  En  voici  quelques  conclusions  : 

Sur  IIIO  individus,  44  atteignent  30  ans. 

Sur  100  individus  âgés  de  30  ans,  55  parvien- 
nent à  eu  ans,  32,7  à  70  ans,  Il.'i  à  sO  ans,  et  seu- 
lement 1,3  à  Oo  ans.  Quant  aux  centenaires,  leur 
nombre  est  si  restreint  qu'il  échappe  à  l'évaluation 
statistique. 

Sur  15  millions  de  décès,  les  2/3  portent  sur 
les  classes  pauvres. 

A  tous  les  âges,  la  femme  paraît  vivre  plus 
longtemps  que  l'homme. 

Si  effrayante  que  soit  la  moyenne  de  la  morta- 
lité, la  comparaison  avec  les  époques  passées  ou 
avec  les  pays  et  les  races  arriérés,  montre  que  les 
progrès  de  la  science  peuvent  la  diminuer  singu- 
lièrement. Cinq  causes  ont  agi,  depuis  près  d'un 
siècle,  pour  en  abaisser  le  chift're  :  la  vaccination 
—  la  rapidité  des  cotnmunications  et  des  trans- 
ports, qui  a  supprimé  les  famines  et  diminué  les 
privations  —  les  progrès  de  la  médecine  —  les 
progrès  de  l'hygiène  publique  et  privée  —  l'ai- 
sance. Toute  impulsion  nouvelle  imprimée  à  l'une 
de  ces  causes  retentira  directement  sur  la  longé- 
vité. Toutefois  ces  influences  ne  sont  pas  les  seu- 
les dont  il  faille  tenir  compte,  sous  peine  de  ne 
faire  qu'une  œuvre  incomplète  et  boiteuse.  L'élé- 
ment moral  doit  entrer  pour  une  grande  part  dans 
le  calcul  des  causes  qui  régissent  la  viabilité  de 
la  race,  parce  qu'il  influe  directement  sur  la  vita- 
lité de  l'individu.  Un  ordre  social  plus  moral,  qui 
aurait  gardé  moins  de  ressemblance  avec  ce  qui 
fut,  nous  dit-on,  l'ordre  naturel,  qui  reposerait  un 
peu  moins  sur  la  force  et  un  peu  plus  sur  l'équité, 
où  l'expansion  de  la  vie  trouverait  de  moins  âpres 
difficultés,  où  il  y  aurait  plus  de  place  pour  la 
charité,  pour  l'éducation  de  la  conscience,  voilà 
l'un  des  grands  remèdes  à  la  fragilité  de  l'homme. 
Un  grand  écrivain  dont  le  cœur  égalait  l'esprit, 
Michelet,  a  écrit  ces  lignes  admirables  :  «  Si  tu  es 
médecin,  fais  halte  quelquefois,  tu  ne  vois  que 
trop  la  douleur.  Apprends-en  les  causes  sociales. 
Informe-toi  par  moments  de  la  grande  théra- 
peutique d  équité  et  d'ordre  civil  qui  viderait  les 
hôpitaux,  de  cette  cité  de  justice  qui  guérirait 
par  le  bonheur.  »  [D'  E.  Pécaut.] 


4579-81.  —    coiuit 


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